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Full text of "Oeuvres de Vadé. Précédées d'une notice sur la vie et les oeuvres de Vadé"

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OEUVRES 

DE   VADÉ 


VAM^.    —    IMP.    -IMON    RAÇOX    ET    COMP  ,    UlT    I)'Er.FlIRTIt,     1. 


OEUVRES 


DE   YADE 


niEC  EDEES 


D'UNE  NOTICE  SUR  LA  VIE  ET  LES  ŒUVRES  DE  VAIIÉ 


JULIEN    LEIVIER 


imiOTHèQUES    * 


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LA   PIPE  CASSEE  —    LES  BOUQUETS  POISSARD] 
LETTRES    DE    LA    GRENOUILLÈRE 
FABLES    —    CD 


RES    DE    LA    GRENOUILLERE  ^%*         -•  -'  >   Lt^'/!»'' 

NTES     —     LETTRES    —     AMPH  IGOUmI'ig  L  '.  -    fl^^ 

CHANSONS  *y    ft*  L,  1  ;\4C.^ 


JÉROSME    ET    FANCHONNETTE      " 
LES    RACOLEURS    —    LE    MAUVAIS    PLAISANT 
LA    CANADIENNE,    ETC. 

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PARIS 

GARNIER   FRÈRES,   LIBRAIRES-ÉDITEURS 

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18  75 


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'fi    yStê  '•' 


liMRODrCTlON 


Vadé  (Jeau-Josepli),  tiu'il  lu;  Tant  pas  conlbndre  avec 
le  prétendu  Guillaume  Vadé,  dont  Voltaire  prit  le  nom 
pour  servir  de  pa:>se-port  à  une  de  ses  l"ac(''ties  les  plus 
épicées  (la  Prélace  de  Catherine  Vadé).  Le  poëte  Vadé, 
l'auteur  de  la  Pipe  cassée,  n'est  guère  connu  que  comme 
rimeur  d'assontiances  poissardes,  dans  le  goût  du  lan- 
gage des  halles. 

Aussi  est-ce  à  peine  si  les  historiens  et  les  hlographes 
graves  Se  domient  la  peine  de  le  signaler  en  quelques 
lignes  dédaigneuses  comme  chansonnier  bachique  et 
ordurier. 

Cependant  il  est  certa'u  ([ue,  de  1750  à  1757,  Jean- 
Joseph  Vadé  lut  un  poëte  fort  à  la  mode,  qu'après  sa 
mort,  il  se  (it  de  nombreuses  éditions  de  ses  œuvres 
dans  tous  les  formats,   tant  à  Paris  (pi'à  Londres  et  à 

i 


•I  IM'I'.OIHICTION. 

Aiiis-tcrdaiii,  cl  (jiic  sua  iioiii  a  .siiriiayc'  à  travers  le  Icinp^ 
L't  les  L'VL'ucmciils,  ImiiiiL'ur  (jiic  la  [loslérilé  lernso  à  tant 
de  poêles  (lu  yeiue  noble  el  aL7uléinit|iie,  céléjjrés  par  les 
liistorieiis  littéraires  et  par  les  hauts  critiques  biogra- 
phes. 

Pounjuoi  la  tradition  populaire  s'est- elle  plu  ainsi  à 
casser  le  jugement  des  écrivains  austères,  et  à  lairc  une 
immortalité  an  poëte  dédaigné? 

Ne  cherchons  point,  de  ce  phénomène,  d'autre  cx[tli- 
cation  que. celle-ci  :  Vadé  a  eu  une  originalité  tout  à 
l'ait  personnelle  et  créé  un  genre,  le  genre  poissard, 
genre  bas  tant  qu'on  voudra,  genre  auquel  on  accorde- 
fait  peut-être  dil'ticilcment  nue  place  dans  le  tenqjle  du 
(ioùt,  mais  genre  amusant,  genre  gai,  iranc,  sincèie, 
l'ondé  à  la  fois  sur  l'observation,  sur  l'étude  et  sur  une 
sorte  d'inspiration  comi(|ue.  Or, 

Tous  les  genres  sont  bons,  liois  le  génie  ennuyeux. 

Entiu  Vadé,  si  iiombreu.v,  si  gais,  ^i  spirituels,  si 
inspirés  qu'aient  été  ses  imitateurs,  est  resté  le  maître 
de  ce  genre  qui  récemment  encore  a  eu  un  regain  de 
succès  et  de  popularité  avec  la  Fille  de  madame  Angot. 

Du  reste,  ce  n'est  point  seulement  par  la  recherche 
du  langage  pittoresque  des  halles,  par  la  richesse  et  Ta- 
boiulance  des  assonances  triviales,  que  se  distingue  la 
muse  de  Vadé;  le  lecteur  reconnaîtra  aisément,  sous 
ces  images  grossières,  sous  ces  énergiques  jurons,  une 
véritable  délicatesse  de  sentiment,  une  verve  el  une 


INTRODUCTION.  ,-, 

.irdeur  lutïveinent  passionnées,  en  même  temp.s  qu'une 
remarquable  fécondité  d'imagination. 

Ce  qui  caractérise,  suivant  nous,  particulièrement 
Vadé,  aussi  bieu  dans  ses  pièces  de  théâtre  et  tlans  ses 
Iragments  de  prose  que  dans  ses  poèmes  poissards,  c'est 
la  franchise,  la  sincérité,  la  naïveté  du  rire.  Par  ces  qua- 
lités, il  est  bien  un  vrai  Français,  un  descendant  de 
Villon,  de  Rabelais,  de  Scarron,  ces  pères  du  large 
rire  à  bouche  déboutonnée. 

Poiuquoi  Vadé,  ce  précurseur  du  réahsme,  n'aurait-il 
pas  trouvé  la  célébrité  dans  l'exploitation  littéraire  de 
la  langue  des  halles,  (piaiid  nous  avons  vu,  tout  récem- 
ment dans  notre  siècle,  des  romanciers  se  servir,  avec 
tant  de  succès,  de  l'argot  des  bagnes,  des  prisons  et  des 
voleurs,  et  la  littérature  contemporaine  s'enrichir  du 
dictionnaire  de  la  langue  verte? 

En  publiant  aujourd'hui  un  choij:  des  œuvres  de  ce( 
écrivain  qui  a  dû  presque  uniquement  sa  notoriété  à  la 
poésie  poissarde,  nous  avons  cherché,  autant  que  pos- 
sible, ù  le  faire  connaitre  au  public  par  des  échantillons 
de  ses  productions  dans  tous  les  genres,  car  ce  poète, 
prétendu  trivial,  fut  à  la  fois  chansonnier,  auteur  co- 
mique, conteur,  fabuliste,  rimeur  d'épîtres,  romancier- 
C'est  même,  à  notre  avis,  sou  roman  naïf  des  Lettres 
de  la  Grenouillère  qui  doit  être  regardé  comme  son 
chef-d'œuvre.  Il  est  impossible  de  rien  trouver  tie  plu.- 
passionné,  de  jtlus  vrai,  de  plus  délicat  que  cette  cor- 
respondance amoureuse  de  M.  Jérôme  Dubois,  pêcheur 


i  1 M  KO  1)  UCT  ION. 

du  Gios-Caillou  et  de  luademoiseile  NaiioUc  l)iil)iit,  Idaii- 

cliisscuse  de  linge  lin; 

.   .   .  Que  c'est  bien  ainsi  que  parle  la  nature  ! 

comme  dit  Alceste. 

A  Dieu  ne  plaise  que  nous  voulions  cntieprendie  un 
commentaire  sur  chacune  des  pièces  dont  se  compose  ce 
recueil.  Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  nous  avons  fait 
tout  notre  possible  pour  choisir  les  meilleures  dans  cha- 
que genre.  Nous  laisserons  au  lecteur  le  soin  et  ie.plai- 
sir  de  les  juger  et  d'apprécier  lui-mc''nie  s'il  n'était  pas 
permis  d'espérer  quehjue  chose  d'un  écrivain  si  ingé- 
nieux, qui  s'était  formé  lui-même  et  qui,  mourant  à 
trente-sept  ans,  avait  créé  un  genre  oii  il  était  et  reste 
encore  le  maître. 


II 


Vadé  était  né  à  llam,  en  Picardie,  en  janvier  I7'20. 

Il  avait  à  peine  six  ans  lorsque  sa  famille  vint  s'éta- 
blir à  Paris  et  l'y  amena.  Enfant,  il  ne  se  lit  remarquer 
([ue  par  son  exccsive  |)étulauce  et  par  une  invincible 
horreur  pour  l'étude  du  latin.  11  fut,  dans  ses  classes, 
ce  que  les  censeurs  des  collèges  appelaient  alors  et  ap- 
pellent encore  aiumnus  dissipalus,  un  élève  dissipé,  et 
montra  plus  de  goiU  pour  les  jeux  et  les  flâneries  de 
son  âge  que  pour  les  belles-lettres. 


INTRODUCTION.  5 

Plus  tard  sans  doute  il  sut  réparer  cotte  faute  de  ses 
premiers  ans,  et  combla  par  de  bonnes  et  fructueuses 
lectures  des  grands  écrivains  français  cette  lacune  de 
son  éducation,  car  ses  épîtres,  ses  pièces  de  tbéàtre  et  la 
plupart  de  ses  poésies  légères  témoignent  d'une  con- 
naissance suffisante  de  l'histoire  ancienne  et  de  cette 
mytliologie  grecque  qui  jouait  un  rôle  si  important  dans 
la  poétique  de  son  temps. 

Ce  fut  probablement  à  Soissons,  à  Laon  et  à  Rouen, 
où  il  résida  comme  contrôleur  du  Vingtième  dans  l'ad- 
ministration des  finances,  de  1759  à  1744  et  pendant 
les  deux  années  suivantes  oiî  il  exerça  auprès  de  M.  le 
duc  d'Agenois  les  fonctions  de  secrétaire,  qu'il  perfec- 
tionna lui-même  son  instruction,  tout  en  faisant  les  dé- 
lices des  sociétés  bourgeoises  oiî  il  était  fort  reclierché 
pour  son  esprit  et  pour  sa  gaieté. 

Déjà  il  avait  écrit  quelques  vers  et  particulièrement 
de  ces  lettres  entremêlées  de  fantasques  bouffonneries 
en  vers  et  en  chansons,  si  fort  à  la  mode  depuis  le  cé- 
lèbre voyage  de  Chapelle  et  Bachaumont.  Ses  amis,  ses 
protecteurs,  qui  le  jugeaient  merveilleusement  doué 
pour  la  poésie  et  pour  le  théâtre  et  pensaient  que  l'at- 
mosphère de  Paris  ne  pourrait  que  favoriser  le  dévelop- 
pement de  ses  talents  naturels,  animer,  surexciter  son 
inspiration  et  sa  verve,  s'efforcèrent  de  lui  fournir  les 
moyens  de  réparer  l'insuffisance  de  ses  ressources  pé- 
cuniaires en  lui  faisant  obtenir  un  emploi  dans  les  fi- 
nances; il  fut  attaché  h.  Paris,  au  bureau  du  Vingtième, 


h  INTRODUCTION. 

et  se  trouva  ainsi  assuré  d'avoir  do  quoi  vivre  et  de  pou- 
voir chanter  et  rimor  à  ses  heures  sans  être  ohhyc'  do 
trafiquer  de  sa  plimic  ot  de  la  mettre  au  service  des 
passions  ou  de  h»  vanité  des  grands. 

Aussi  SCS  vers  respii-ent-iis  souvent  un  noble  dédain 
pour  la  puissance  (!t  la  richesse,  et  pres(|ue  toujours 
une  sereine  indépendance. 

11  revint  donc  à  Paris  vers  1745  ou  1746  et  se  lit  bien- 
tôt une  réputation  de  chansonnier  facétieux  et  de  causeur 
aimable  dans  les  sociétés  qu'il  hantait.  Ces  cercles  n'é- 
taient assurément  pas  ceux  où  brillaient  Voltaire,  Dide- 
rot, d'Alembert,  Ilelvétius,  non  pas  même  les  compagnies 
de  bons  vivants  où  figuraient  les  Piron,  les  Collé,  les 
fiallet,  etc.  Mais  sa  muse,  pour  être  conrt-vctue  et  avoir 
de  libres  allures,  n'en  était  pas  moins  franchement  gaie, 
non  moins  sincèrement  française. 

C'est  probablement  à  cette  époque,  à  ses  débuts,  qu'il 
composa,  sans  les  iflùrc  imprimer,  toutes  ces  poésies 
tour  à  tour  graves  et  légères,  épîtres,  fables,  contes, 
épigrammes,  madrigaux  et  chansons  qui  couraient  ma- 
nuscrites dans  les  cafés  et  les  salons,  et  ne  furent  pu- 
bliées qu'après  sa  mort  comme  ce\ivres  posthumes,  sous 
la  rubri(iue  de  Londres,  d'Amsterdam  ot  de  Genève, 
pour  faire  suite  à  l'édition  de  Duchesne  et  prendio  place 
dans  l'édition  Cazin.  En  effet,  bien  que  ces  pièces  fu- 
gitives ne  portent  aucune  date,  on  voit  ligurer  parmi 
elles  des  stances  ot  des  chansons  sur  les  victoires  do 
Louis  \V,  sur  sa  maladie,  sur  la  prise  de  Menin. 


INTRODUCTION.  7 

Dès  1749,  il  jouissait  déjà  d'une  certaine  réputation 
comme  chansonnier  poissard  ;  en  effet,  à  propos  d'une 
comédie  en  un  acîe,  intitulée  :  les  Visites  du  jour  de 
Van,  qu'il  fit  jouer  le  7>  janvier,  nous  lisons,  dans  le 
Journal  de  Colle'  ^  :  «  Cette  petite  pièce  n'a  été  donnée 
que  cette  seule  fois  ;  elle  fut  sifflée  unanimement.  Elle 
est  d'un  nommé  Yadé,  qui  a  fait  de  petites  poésies  dans 
le  goiàt  poissard;  j'en  ai  vu  quelques-unes.  Sa  manière 
est  de  peindre  des  bouquetières  et  des  harengères  qui  se 
querellent  ;  et  il  emploie  à  ce  coloris  tous  les  mots  bas 
qu'elles  se  disent,  à  la  vérité  d'une  façon  assez  natu- 
relle. )) 

Et  là-dessus  maître  Collé  d'anathématiser  le  genre 
poissard  et  la  parade  comme  «  genre  opposé  au  bon 
goût  et  à  la  belle  nature.  »  Mais  ne  pouvant  dissimuler 
qu'il  a  lui-même  usé  et  abusé  de  la  parade,  pendant 
qu'elle  était  à  la  mode,  il  fait  son  acte  de  contrition, 
déclare  qu'il  méprise  ses  propres  parades  tout  autant 
que  celles  qui  ne  sont  pas  de  lui,  et  qu'il  i^egarde  ses 
amphigouris  sicut  delicta  juventutis,  comme  des  délits 
de  jeunesse,  «  en  exceptant,  cependant,  ajoute-t-il. 
Cocatrix,  pour  qui,  même  encore  aujoiu'd'hui,  je  me 
sens  du  faible;  mais  je  sens  bien  que  c'est  du  faible. 
Après  cette  digression  d'égoïste,  revenons  à  la  pièce  de 
Vadé. 

«  hidépendamment,  du  reste,  de  la  bassesse  du  style, 

'  Journal  et  Mémoirea  clr  Collé,  nouvelle  édition,  ?>  vol.  in-8°  pu- 
bliée par  Honoré  Bonlinnime. 


8  INTRODUCTION. 

rpii  osi  rt'voltanf,  sa  comédie  osl,  sans  la  pins  It'gvro 
apparence  de  tond,  sans  imagination,  sans  caractère  et 
sans  comique.  On  peut  juger  sur  cette  pièce,  très-défi- 
nitivement, que  ce  jeune  auteur  ne  sera  jamais  capable 
d'en  faire,  même  de  médiocres,  » 

il  ne  nous  est  pas  possible  de  contrôler  ce  jugement 
fort  sévère  de  Collé,  attendu  que  la  comédie  en  question 
ne  se  trouve  point  dans  les  œuvres  de  Vadé,  et  que,  pro-  » 
bablement,  elle  n'a  jamais  été  imprimée,  mais  on  sait 
que,  comme  critique,  l'ex-chansonnier,  devenu  censeur 
grave  et  austère,  est  assez  sujet  à  caution.  Ses  mé- 
moires offrent  plus  d'un  exemple  de  condamnations  du 
même  genre  qui  ont  été  désavouées  par  la  postérité  et 
par  lui-même,  notamment  en  ce  qui  concerne  Beau- 
marchais. On  verra  d'ailleurs,  un  peu  plus  loin,  en 
quels  termes  le  même  Collé  s'exprime  sur  Yadé,  à  pro- 
pos de  la  mort  de  l'auteur  de  la  Pipe  cassée. 

Il  paraîtrait  que  la  chute  de  sa  comédie  fut  une  leçon 
pour  le  jeune  poète  et  le  tint  éloigné  du  théâtre  pour 
(juelque  temps.  Il  voulut  vraisemblablement  faire  son 
apprentissage  du  métier  d'auteur  dramatique  sur  les 
petits  théâtres  avant  de  tenter  de  nouveau  la  fortune 
sur  notre  première  scène  comique.  Trois  ans  après  seu- 
lement, le  8  mars  1752,  il  fit  jouer,  à  l'Opéra-Comiqne, 
la  Fileuse,  parodie  d'Omphale.  Cette  pièce  figure  en 
tète  de  ses  œuvres  complètes. 

Cinq  mois  [dus  tard,  le  7  août,  il  fait  jouer,  au  théâtre 
de  la  foire  Saint-Laurent,  le  Poirier,  opéra-comique  en 


INTRODUCTION.  9 

vers,  imite'  d'un  épisode  du  délicieux  conte  de  La 
Fontaine,  la  Gageure  des  trois  commères. 

Le  15  mars  1753,  un  essai  de  pièce  à  caractère,  le 
Suffisant,  opéra-comicpie  en  vers,  est  joué  sur  le  théâtre 
de  rOpéia-comiqiie;  le  10  avril  suivant,  sur  la  même 
scène,  le  Rien,  parodie  des  parodies  de  Tilhon  et  l'Amour; 
le  ôO  juillet,  le  théâtre  de  la  foire  Saint-Laurent  joue 
les  Troqueurs,  opéra-bouffon,  dont  la  donnée  a  fourni 
un  sujet  de  libretto  à  Hérold,  il  y  a  une  cinquante 
d'années.  Enfin  nous  trouvons,  dans  les  œuvres  com- 
plètes de  Vadé,  pour  cette  même  année,  1755,  une 
petite  pièce  de  circonstance,  jouée  à  l'Opéra-Comiquo 
à  l'occasion  de  la  saint  Louis,  le  24  août,  intitulée  le 
Bouquet  du  roi;  mais  une  note  nous  donne  lieu  de  pen- 
ser que  Vadé  n'a  écrit  qu'une  seule  scène  de  cet  acte, 
celle  de  Mars  et  de  l'Amour. 

En  17oi,  le  18  février,  le  Trompeur  trompé  ou  la 
Rencontre  imprévue,  opéra-comique  en  vers,  au  théâtre 
de  la  foire  Saint-Germain;  le  28  juin.  Il  était  temps, 
parodie  de  l'acte  iVLvion,  du  ballet  des  Éléments,  au 
théâtre  de  la  foire  Saint-Laurent;  le  17  septembre,  au 
théâtre  de  l'Opéra-Comique,  la  Nouvelle  Bastienne, 
opéra-comique  en  vers,  dans  lequel  sont  intercalées 
deux  scènes  d'Auscaume. 

L'aimée  1755  est  encore  plus  féconde.  Les  Troijennes 
en  Champagne,  opéra-comique  en  veis,  joué  sur  le  théâtre 
de  rOpéra-Comique  du  faubourpf  Saint-Germain  le  1'"''  fé- 
vrier ;  le  1 S  {i'\v\cvJérQsme  et  Fanchonnette,  pastorale  de 

1. 


■10  INTRODUCTION. 

La  Grenouillère,  en  prose  et  en  vers,  écrite  dans  le  langage 
|t()|)iilaire,  qui  obtint  un  très-graïul  succès,  et  l'ut  con- 
sidéii'e  comme  un  des  chers-d'œuvre  du  geiuc,  grâce 
au  naturel  des  sentiments  et  à  la  vérité  de  l'expression. 
(lett(î  ])ièce  est  suivie  des  deux  coniplinienls  de  clôture 
(le  In  l'oire  Saint-Laurent  el  de  la  i'oire  Sainl-Gennain, 
(|ui  lurent  chantés  à  la  fin  de  Jevosme  et  Fanchonneltc., 
le  0  (irlol)re  1755,  ce  ((ui  send)le  ;ii(li(iuer  {\\\o.  cet  ou- 
vrage tint  l'afiiche  durant  sept  mois  et  demi  ;  le  Confi- 
dent heureux,  opéra-comique  en  un  acte,  en  vers,  joué 
sur  le  théâtre  de  l'Opéra- Comique,  le  51  juillet  1755. 
Enfin  Folette  ou  l'Enfant  gâte',  parodie  du  Carnaval  et 
la  Folle,  jouée  sur  le  théâtre  de  l'Opéra-Comique  de  la 
Foiro-Saint-Laurent  le  6  septembre. 

Nous  ne  trouvons  que  deux  pièces  en  1 756  :  Nicaise, 
opéra-comique  en  prose,  joué  sur  le  théâtre  de  la  Foire- 
Saint-Germain  le  7  février  ;  et  les  Racoleurs,  opéra- 
comique  également  en  prose,  joué  sur  le  même  théâtre 
le  11  mars  suivant,  dans  le([uel  madame  Saumon, 
marchande  de  poisson,  Javotte  Tonton  et  Marie-Jeanne 
parlent  avec  un  naturel  pris  sur  le  fait  la  langue  des 
halles. 

Le  8  lévrier  1757,  Vadé  faisait  jouer  à  la  Foire-Saint- 
Germain,  rimpromptu  du  cœur,  opéra-comique  de  cir- 
constance, improvisé  à  l'occasion  de  l'odieux  attentat 
de  Damiens. 

«  Ces  jours-ci,  écrit  Collé  à  ce  sujet,  Vadé  a  eu 
400  livres  de  pension  du  roi,  pour  un    petit  opéra- 


INTRODUCTION.  41 

comique  intitulé  :  Vlmpromptu  du  cœur.  C'est  une 
petite  pièce  faite  à  l'occasion  de  l'assassinat  du  roi;  le 
fond  du  sujet  n'est  rien,  mais  il  y  a  eu  une  adresse 
infinie  à  ne  rien  mettre  dans  les  détails  qui  put  rappeler 
le  malheur,  en  se  réjouissant  de  ce  qu'il  n'avait  point 
été  commis,  et  de  faire  tout  porter  sur  ce  pivot-là.  11 
fallait  toujours  parler  de  la  joie  publique,  sans  souffler 
mot  de  ce  qui  la  produisait  ;  cela  était  difficile,  et  il 
s'en  est  bien  lire.  Je  suis  charmé  que  Yadé  ait  obtenu 
cette  pension,  parce  que  c'est  un  galant  homme,  qui  a 
des  mœurs  et  de  riionnèteté.  » 

Sans  nous  arrêter  plus  qu'il  ne  faut  au  changement 
survenu  dans  l'opinion  de  Collé,  nous  devons  constater 
que,  de  la  Fileuse,  non  à  Vlmpromptu  du  cœur,  qui 
n'est  pas  une  pièce,  mais  à  Nicaise  et  aux  Racoleurs, 
Vadé  avait,  sous  le  rapport  de  la  connaissance  du  théâtre, 
de  la  conduite,  de  l'action  dramatique,  de  la  composi- 
tion des  scènes,  de  tout  ce  qui  constitue  enfin  le  mé- 
tier d'auteur  comique,  réalisé  de  grands  progrès.  Le 
style  laissait  encore  sans  doute  beaucoup  à  désirer,  mais 
il  est  aisé  de  reconnaître  qu'il  y  avait  en  notre  auteur 
l'étoffe  d'un  poète  comique  amusant,  habile  et  presque 
original . 


Vi  NTUOniICT[ON. 


ni 


Hélas!  le  inallieurciix  Vadé  ne  devail  pas  jouir  Idiig- 
lenips  de  la  pension  que  venait  de  lui  octioycr  la  niu- 
nificence  de  Louis  XV.  U Impromptu  du  cœur  devait 
èliv.  lu  dei'nière  do  ses  pièces  (|u"il  lui  serait  donMé  de 
voir  représente)'. 

Au  mois  de  juin  1757,  un  abcès  à  la  vessie  le  niellait 
dans  la  nécessité  de  subir  une  douloureuse  opération 
(|u'il  supporta  avec  beaucouj)  de  courage  et  qui  })eniiil 
d'espérer  un  prompt  rétablissement.  Mallieureusemenl 
une  hémorrhagie  imprévue  se  déclara  et  l'emporta  le 
4  juillet,  à  l'àg  ■  de  trente-sept  ans  et  demi. 

Consultons  encore  à  propos  de  cette  mort  le  Journal 
de  Collé.  Voici  les  deux  pages  de  nécrologie  qu'il  con- 
sacre au  poëte  populaire  : 

«  Le  12  ou  le  lô  de  ce  mois  (erreur  de  date  évidente), 
mourut  le  pauvre  Vadé  dans  des  soulïrances  alïreuses, 
après  avoir  essuyé,  quinze  jours  avant,  l'opération  la 
plus  douloureuse,  .l'ai  déjà  parlé  plusieurs  fois  de  lui 
dans  ce  Journal;  sa  mort  m'a  fait  une  peine  intinie.  Il 
avait  le  cœur  lionnête,  et  était  désintéressé  au  point 
d'avoir  sacrifié  à  rét;iblissemeiit  d'une  partie  de  sa  Ih- 
niille  ce  cpi'il  avait  retiré  de  ses  ouvrages,  et  de  n'avoir 
rien  placé  pour  lui.  Ce  garçon  était  d'un  counnercr  doux 


INTRODUCTION.  15 

et  aimable;  il  chantait  fort  joliment,  surtout  des  chan- 
sons poissardes,  ou  le  vaudeville  qui  avait  quelque  ca- 
ractère. Il  n'avait  pas  fait  ses  études,  et  ne  savait  rien 
d'ailleurs;  il  n'avait  pas  même  lu  tous  les  Théâtres,  et 
les  autres  auteurs  qui  ressortissaient  à  son  art.  Je  l'ai 
pressé  bien  des  fois  de  faire  une  étude  particulière  de 
tous  ces  livres,  qui  pouvaient  augmenter  et  étendre  son 
talent,  et  de  se  retirer  de  la  vie  dissipée  qu'il  menait. 
11  avait  déjà  gagné  sur  lui  de  refuser  une  partie  de  ces 
soupers  dont  les  chansonniers  sont  assommés  pour  peu 
qu'ils  s'y  prêtent;  il  aimait  le  jeu  à  la  fureur,  et  on  m'a 
assuré  que  cette  passion  n'a  pas  peu  contribué  à  lui 
brûler  le  sang,  qu'il  n'avait  pas  déjà  trop  pur,  pour 
avoir  vécu  avec  toutes  ces  coquines  de  l'Opéra-Comique. 
Dans  les  derniers  temps,  il  vivait  sagement  avec  made- 
moiselle Verrier,  qui  lui  a  donné,  pendant  sa  maladie, 
des  preuves  de  l'attachement  le  plus  respectable;  cette 
digne  créature  l'a  veillé  pendant  vingt-sept  nuits,  et  a 
emprunté  de  tous  côtés  pour  fournir  aux  frais  de  sa 
maladie  ;  elle  en  a  été  bien  mal  récompensée  par  le  père 
de  Vadé,  qui,  conseillé  par  ses  procureurs,  a  réduit  cette 
fdle  et  un  enfant  qu'elle  a  eu  deTadé  à  la  mendicité 
absolue.  Elle  avait  entre  ses  mains  deux  opéra-comiques 
du  défunt  qui  n'avaient  point  encore  paru;  elle  m'a  fait 
prier,  par  M.  Coqueley,  avocat,  et  du  Journal  des  sa- 
vants, de  les  finir;  je  l'ai  promis  à  M.  Coqueley,  mais 
sons  le  sceau  du  plus  grand  secret,  et  à  condition  que 
la  Verrier  elle-même  n'en  saurait  rien.  iMais  il  s'est 


Ai  INTRODUCTION, 

trouva' que  Monifot*  avait  un  hrouillou  di;  1" un  de  ces 
opéra-comiquos,  intitulé  le  Drôle  de  corps;  il  le  lait 
aciiever  par  ([uclqu'nn  de  ses  nègres,  et  le  doiuieia 
ces  jours-ci;  en  sorte  (|u'il  ne  me  reste  que  l'autre,  inti- 
tule' la  Folle  raisonnable,  que  je  vais  emportera  la 
campagne,  et  dont  je  verrai  si  je  peux  tirer  parti. 

«  Les  ouvrages  de  Yadé  sont  lecueillis  en  trois  vo- 
lumes, et  on  pourra  en  faire  un  quatrième  de  ce  qui  ne 
Ta  pas  encore  été.  11  était  né  plaisant  et  naïf,  et  avait 
du  talent  pour  fiiire  le  couplet  et  la  parodie  ;  mais  il  se 
livrait  trop  à  cette  facilité,  ce  qui  l'empêchait  d'être 
correct.  » 

De  ces  deux  pièces  une  seule  nous  est  comme,  c'est 
le  Mauvais  plaisant  ou  le  Drôle  de  corps,  joué  sur  le 
théâtre  de  l'Opéra-Comique  de  la  foire  Saint-Laurent, 
le  17  août  1757,  six  semaines  après  la  mort  de  Vadé  et 
im|)rimé  dans  ses  œuvres  complètes,  quoique  l'éditeur 
du  Journal  de  Collé  assure  (ju'elle  n'en  fait  point 
partie. 

Nous  trouvons  encore  parmi  ses  œuvres  postljumes 
une  comédie  en  vers,  la  Canadienne,  supérieure  sous 
le  rapport  du  style  à  la  phq^art  de  ses  autres  pièces,  et 
qui  paraît  n'avoir  été  représentée  sur  aucun  théâtre. 

Quant  à  la  Folle  raisonnable^  il  y  a  tout  lieu  de  sup- 
poser que  le  manuscrit  a  été  perdu. 

'  Monnet,  tiirecleiir  de  l'Opéra-Comique. 


INTRODUCTION.  15 


IV 


Dans  le  choix  que  nous  avons  fait  des  œuvres  de  Vadé 
pour  composer  le  volume  que  nous  donnons  aujour- 
d'hui, nous  avons  cherché  surtout  à  offrir  au  public 
des  spécimens  de  divers  genres  dans  lesquels  l'auteur 
s'est  essayé. 

Cependant  nous  nous  sommes  appliqué  à  mettre  sur- 
tout en  relief  les  ouvrages  du  genre  poissard  qui  carac- 
térise la  véritable  originalité  personnelle  du  poëte  que 
ses  contemporains  avaient  surnommé  le  Téniers  litté- 
raire et  le  Corneille  des  Halles.  C'est  évidemment  à  la 
vérité,  au  naturel  de  ses  tableaux  et  de  ses  dialogues 
poissards  qu'il  a  dû  la  célébrité  qui  a  fait  arriver  son 
nom  jusqu'à  nous. 

liOmme  nous  n'étions  point  tenu  par  la  nécessité  de 
l'ordre  phronologique,  puisque  sou  poëme  de  la  Pipe 
cassée,  ses  romances,  ses  lettres,  ses  chansons  et  ses 
jjoésies  fugitives  ne  portent  aucune  date,  nous  avons 
cru  pouvoir  nous  affranchir  de  la  tradition  des  précé- 
dents éditeurs  et  devoir  donner  la  première  place  dans 
ce  recueil  aux  œuvres  qui  nous  paraissent  avoir  le  plus 
contribué  à  asseoir  sa  renommée,  pour  rejeter  à  la  suite 
ses  pièces  de  théâtre  (|ui  sont  évidemment  la  partie  la 
moins  importante  de  sou  bagage  littéraire. 


Ifi  INTRODUCTION. 

Nous  avons  leim  surtout,  on  \c  comprendra,  à  com- 
prendre dans  notre  choix  Jérosme  et  Fanchonnette  et 
les  Racoleurs,  viais  lyjx's  du  genre  de  Vadé,  le  Drôle 
de  corps,  (licl-d'œiivrc  de  gaieté  et  d'enliaiu  (pii  u'csl 
pas  sans  analogie  avec  le  vaudeville  boul't'ou  de  notre 
temps,  et  la  Canadienne,  comédie  enjouée,  qui  donnera 
une  idée  de.  ce  que  Vadé  pouvait  èlre  appelé  à  produire 
dans  un  genre  plus  élevé  et  plus  littéraire  que  le  genre 
trivial  dans  lecpiel  il  a  été  entraîné  par  son  premier  in- 
slincl  et  sa  première  tougiic  déjeunasse. 

Julien  Lemer. 


LA 

PIPE   CASSÉE 

POÈME 

EPITRAGIPOISSAKDIIIEROICOMIQUE 


AVERTISSEMENT  DE  L'AUTEUR 

Je  me  suis  beaucoup  amusé  on  composant  ce  petit 
ouvrage,  puisé  dans  la  nature;  mes  amis  l'ont  plusieurs 
fois  entendu  avec  plaisir.  Nombre  de  gens  de  distinc- 
tion, de  goût  et  de  lettres  s'en  sont  extrêmement  di- 
vertis ;  et  sur  les  assurances  qu'ils  m'ont  données  que 
le  public  s'en  amuserait  aussi,  je  me  basarde  de  le  lui 
donner.  Il  faut  pour  l'agrément  du  débit  avoir  l'atten- 
tion de  parler  d'un  ton  enroué,  lorsque  l'on  contrefait 
la  voix  des  acteurs  ;  celle  des  actrices  doit  être  imitée 
par  une  inflexion  poissarde  et  traînante  à  la  lin  de  cba- 
que  phrase.  L'un  et  l'autre  sont  marqués  en  caractèies 
italiques  pour  les  femmes,  et  en  ;5uillemets  pour  les 
hommes. 


CHANT  PREMIER 


Je  chante  sans  crier  bien  haut, 
Ni  plus  doucement  qu'il  ne  faut, 
La  destruction  de  la  pipe 
De  rinfortuné  la  Tulipe. 

On  sait  que  sur  le  port  aux  Blés 
Maints  ibrls  à  bras  sont  assemblés, 
L'un  pour,  sur  ses  épaules  larges. 
Porter  ballots,  fardeaux  ou  charges; 
Celui-ci  pour  les  débarquer 
Et  l'autre  enfin  pour  les  marquer. 

On  sait,  ou  peut-être  on  ignore, 
Que  tous  les  jours  avant  l'aurore. 
Ces  beaux  muguets  à  bran-de-vin 
Vont  chez  la  veuve  Rabavin 
Tremper  leur  cœur  dans  l'eau-de-vie. 
Et  fumer,  s'ils  en  ont  envie. 

Un  jour  que  se  trouvant  bien  là 
Et  que  sur  l'air  du  beau  lanla 


LA   PIPE  CASSÉE.  19 

Ils  chantaient  à  tour  de  mâchoire, 
Maints  et  maints  cantiques  à  boire, 
Que  gueule  fraîche  et  les  pieds  chauds, 
Ils  se  fichaient  de  leurs  bachots, 
Sans  réfléchir  qu'un  jour  ouvrable 
N'était  point  fait  pour  tenir  table, 
Hélas!  la  femme  de  l'un  d'eux. 
Trouble  plaisir  et  boute-feux 
Arrive,  et  retrousse  ses  manches  ; 
Déjà  ses  poings  sont  sur  ses  hanches. 
Déjà  tout  tremble;  on  ne  dit  mot; 
Plus  de  chanson  ;  chacun  est  sot, 

Jean-Louis  que  ceci  regarde, 
Veut  apaiser  sa  femme  hagarde. 
Mais  en  vain  est-on  complaisant 
Avec  un  esprit  malfaisant. 
«  Tiens,  lui  dit-il,  bois  une  goutte... 
«  —  Vas-t-en  chien,  que  Vaze  ie  rime, 
Lui  dit-ëlle  en  levant  un  bras, 
«  Snqucurcjué  !  tu  me  le  pmjeras  : 
Et  bravement  vous  lui  détache 
Un  coup  de  poing  sur  la  moustache. 
Jérôme  lui  saisit  les  mains, 
Dont  les  jeux  étaient  inhumains. 
«  La  paix!  dit-il;  morgue!  commère, 
«  Vous  avez  tort...  — Allez,  copère, 
M  Vous  ne  valez  pas  mieux  que  lui; 
«  Vrament,  ce  n'est  pas  (V aujoiirâlmi 
«  Qiion  vous  connaît,  gueux  que  vous  êtes; 
«  A  votre  avis,  les  jojirs  de  fêtes 


'20  LA  PIPE  CASSRF, 

K  ?i'an'ivonl-ils  pas  assez  fût  ? 

(I  Janii  !  Si  je  ]))eii(ls  mon  sahul, 

«  Je  vous  en  torcherai  la  (jueule  ! 

«  Puis-je  (jaijner  assez  moi  seule 

«  Pour  nourrir  quatre  chiens  d'enfants 

M  Qui  maïujeont  comme  des  salans? 

M  El  ma  fille  quest  à  nourrice  ! 

«  La  pauvre  enfant!  Dieu  la  bénisse, 

«  Un  jour  aile  aura  ben  du  mal! 

«  Tu  nous  réduit  à  r hôpital. 

«  Jérôme,  Idchc-moi,  j'enrage. 

«  Ah!  Tu  vas  voir  un  beau  ménage, 

«  Vas,  sac  h  vin;  crève,  maudit! 

A  peine  eut-elle  ceci  dit, 
Qu'on  vit  renforcer  l'ambassade 
D'un  duo  femelle  et  maussade. 
Jérôme  voyant  sa  moitié, 
Rit  à  l'envers,  frappe  du  pié  ;1 
La  Tulipe  avisant  la  sienne 
Montée  en  belle  et  bonne  chienne. 
Eût  mieux  aimé  voir  un  serpent. 
Ou  le  beau-fils  '  qui  rompt  et  pend 
Ceux  qui  point  dans  leur  lit  ne  meurent. 
Enfin  tous  interdits,  demeurent 
Dans  un  silence  furieux  : 
L'une  écrase  l'autre  des  yeux; 
Mais  la  grosse  et  rouge  Nicole 
Recouvrant  cnHn  la  parole, 

'  Le  Bourreau. 


LA  PIPE  CASSÉE.  21 

Ainsi  que  les  gestes  mignards, 
Dit  ces  mots  en  termes  poissards  : 

«  Vous  via  donc,  tableaux  de  la  Grève, 
«  Dieu  me  pardonne  !  et  qnil  vous  crève  : 
«  Saint  Cartouche  est  votre  patron. 
«  Françoise,  tien  ben  mau  chaudron. 
«  Allons  vilain  coulis  d'emplâtre  ! 
«  L'n  diable  et  puis  vous  trois  font  quatre  ' 
M  Marionnettes  du  Pilori  ! 
M  Reste  de  farcin  mal  (juéri  ! 
»  Enfants  trouves  dans  dla  paille? 
n  Sans  nous  vous  faites  donc  ripaille, 
«  Visages  à  faire  des  culs  : 
«  Et  trop  heureux  d'être  cocus... 
«  —  Cocu^l  interrompit  Françoise? 
«  Nicole:  ne  cherchons  pas  noise, 
«  Si  ton  chien  d'homme  est  dans  le  cas, 
M  Tant  pis;  mais  le  mien  ne  V est  pas... 
«  —  //  Vest...  —  Tas  menti...  —  Qui,  moi?  Paffe  ! 
In  soufflet.  .Même  pataraplie 
Est  ripostée.  Autres  soufflets, 
Autres  rendus.  Adieu  bonnels, 
Fichus  de  suivre  la  coiffure. 
Tétons  bleus,  rousse  chevelure 
De  se  monirer  aux  spectateurs. 
Le  feu,  la  rage,  au  lieu  de  pleurs, 
î?orte:it  des  yeux  de  chaque  actrice. 
Et  dans  ce  galant  exercice 
Elles  allaient  enfin  périr, 
Si  forcé  de  les  secourir. 


I,A   l'Il'K   CASSiiE. 

On  la'  l'eût  l'ait.  Jean  se  dépèclie 
De  puiser  un  beau  seau  d'eau  fraîche, 
El  (le  nos  braves  s'approchaat, 
Los  tranquillise  on  leur  lâchant 
Le  tout  à  travers  les  oreilles, 
Ce  remède  fit  des  merveilles  : 
On  but  beaucoup  par  là-dossus. 
El  biontôt  il  n'y  parut  plus. 
Les  voilà  d'accord.  La  paix  laite, 
Jean-Louis  chante,  et  l'on  répète  : 
Or  voici  donc  ce  qu'on  chanta, 
Et  ce  que  chacun  répéta. 


CHANSON    DE    MANON    GIROU 

Queu  qui  veut  savoir  l'Iiisloirc 

De  Manon  Giroux, 
I  Vont  encore  dans  la  luernwirc, 

Y  accoidez  treloux  : 

Àli  n'est  pas  guère  à  sa  gloire. 

Mais  dam  voyez-vous, 
C'est  qu  quand  on  zaim  lanl  à  boire 

Cest  pus  fort  que  nous. 

Pour  entrer  dans  la  muquicre 

Faut  savoir  d'abord, 
Qua'lle  a  fait  longtemps  la  fière 

Le  soir  sur  le  port  : 


I.A   l'IPE   CASSÉE.  25 

Les  mi'ssieux  de  not  barrière 

Disons  Vbras  la  prenant. 
Aile  en  avait  par  derrière] 

Et  pis  par  devant. 

Bachot  de  la  Guarnouillére 
■     S'croijait  son  futur. 
On  l'avait  fait  son  copère 

Pour  quça  fut  pu  sur? 
Manon  fesunt  d'ia  z'hupée 

Comni  quand  on  za  d'qoi, 
Dit,  i  ni  faut  un  homme  d'e'pée, 

M'pensez  plus  Ca  moi. 

Bachot  de  la  parférence 

Piqué  comme  un  chien. 
Pour  afin  d'avoir  vengeance 

Fait  semblant  de  rien  : 
Manzelle,  n'y  a  pas  d'réplique. 

Dit-il,  mais  demain  : 
Quittons^nous  comm'  ça  s'praliquc 

Le  verre  à  la  main. 

Ah!  vraiment,  nionsieux,  c'est  juste, 

Drès  demain  c'est  fait, 
Manzelle  Giroux  s'ajuste. 

Met  son  mantelct  : 
Bachot  y  fout  s'endimanche, 

Prenant  Cornichon, 
Tous  trois  vont  casser  l'éclanche 
Y  au  premier  bouchon. 


24  LA   l'IPE  CASSEE. 

Vld  (lupciulanl  ({u  Manon  clwpinc 

Cornichon  qui  part. 
Vers  les  commis  s'achemine 

Tout  comme  un  mouchard  : 
G"»rt,  (lit-il.  Une  marchande 

Messieux  Cici  près, 
AU'  a  de  la  contrebande 

Tout  plein  des  paquets. 

Bachot  varsanl  à  sa  belle 

Toujoîirs  queuques  coups, 
S'amuse  ii  d'ia  bagatelle 

Autour  des  cjenoux. 
D'abord  son  œil  aile  roule. 

Dam'  lui  qui  voi  ja, 
Dit  sur  vol'  respect  ma  poule, 

Faut  passer  par  Ih. 

Aile  en  avait  sa  cornette 

Encor  de  travers, 
Via  les  commis  en  cadnette 

Et  zen  habits  verds  : 
Tout  un  chacun  de  surprise 

Tumbit  de  s07i  haut. 
De  voir  Manon  Giroux  grise 

S'  que  un  grand  défaut! 

—  (Juoi,  c^esl  vous,  nuulemoisellc. 
Dit  l'un  d'ces  messieux, 

Yanienl  voC  partie  est  belle 
h'i  quça  est  ihonteux  • 


LA  PIPE   CASSEE. 

Est-ce  ainsi  qu'un  se  coporte  : 

C'est  bon  t'a  sçavoir. 
Puis  tous  ils  (jfignent  la  porte 

Lui  fichant  Vhon  voir. 

—  Vous  que  cet  exemple  touche, 

Ça  vous  fait  bien  voir. 
Que  fille  quesl  sur  sa  bouche 

Manque  à  son  devoir, 
Et  par  cette  historiette 

On  z'est  convaincu, 
Qu'il  ne  faut  pas  que  Von  petlc 

Plus  zhaut  que  le  cul. 

•Vile  est  drôle,  dit  la  Tulipe, 

En  bourrant  de  tabac  sa  pipe. 

«  Mais  buvons  t'un  coup...  —  C\'sl  bon  dit. 

Si  (jn'en  avait...  —  J'avons  crédit. 

«  C'est  dit,  Jérôme,  pas  la  peine, 

«  Allons  achever  la  semaine, 

«  C'est  demain  dimanclie,  j'irons 

«  Entendre  Vèpre  aux  Porclierons. 


CHANT  II 


Voir  Paris,  sans  voir  la  Coiutilie, 
Où  le  peuple  joyeux  fourmille, 
Sans  fréquenter  les  Percherons, 
Le  rendez-vous  des  bons  lurons, 
C'est  voir  Rome  sans  voir  le  pape. 
Aussi,  ceux  à  qui  rien  n'échappe, 
Quittent  souvent  le  Luxembourg 
Pour  jouir  dans  quelque  faubourg 
Du  spectacle  de  la  guinguette. 

Courtille,  Porcherons,  Vilietle! 
C'est  chez  vous  que  puisant  ces  vers 
Je  trouve  des  tableaux  divers; 
Tableaux  vivants  où  la  nature 
Peint  le  grossier  eu  miniature. 
C'est-là  que  plus  d'im  Apollon 
Martiris;int  le  violon, 


LA   PIPE  CASSEE.  27 

Jure  tout  haut  sur  une  corde, 
Et  d'accord  avec  la  Discorde,  ■ 
Seconde  les  rauques  gosiers 
Des  fareaux  de  tous  les  quartiers. 

C'est  aussi-là  qu'un  beau  dimanche, 
La  Tulipe  en  chemise  blanche, 
Jean-Loyis  en  chapeau  bordé, 
Et  Jérôme  en  toupet  cardé, 
Chacun  d'eux  suivi  de  sa  femme, 
A  l'Image  de  Noire-Dame, 
Firent  un  ample  gueuleton. 
Sur  table  un  dur  dodu  dindon. 
Vieux  comme  trois,  cuit  comme  quatre, 
Sur  qui  l'appétit  doit  s'ébatre. 
Est  servi,  coupé,  dépecé, 
Taillé,  rogné,  cassé,  saucé. 
.\Iors,  toute  la  troupe  mange 
Comme  un  diable,  et  boit  comme  un  ange. 
«  A  ta  santé,  toi.  —  Grand  marci  ; 
«  J'allons  boire  à  la  tienne  aussi. 
«  —  Hé!  Françoise,  hé!  tien  si  tu  l'aime, 
«  Prends  ce  pilon...  —  Prends-le  toi-même, 
«  Chacun  peut  ben  prendre  à  son  goût , 
«  En  via  très-ben,  et  si  via  tout, 
«  Avons-je  pas  une  salade?... 
«  —  Non,  non,  ça  te  rendrait  malade... 
«  —  Ce  n'est  qu'quinz'-soh...  —  Cen  est  hcn  vingt, 
«  Qui  nous  vaudront  deux  pots  de  vin  ; 
«  Pour  six  une  grosse  volaille, 
«  Est  autant  qu'il  faut  de  mangeaille  ; 


28  LA  PIPE  CASSÉE. 

H  Pas  vrai,  Jc(tn  Louis?...  —  Bépoiuh-donc? 

«  l'as  vrai  qu'au  tierir...  —  Oui,  t'as  raison  ; 

«  Mais  varse-nous  toujours  t'a  boiro, 

«  Eh!  vraiiient  ma  commère  voire, 

«  lié!  vrament  mai..  —  Varse  tout  plein, 

«  Il  semble  que  tu  nous  le  plain... 

«  —  Moi!  mon  guieu  non,  hen  du  contraire; 

«  Cest  que  tu  zliausses  en  haut  ton  verre... 

«  —J'ai  tort.  Avons-je  du  vin?  —  Non. 

M  —  Parlez  donc,  monsieux  le  garçon, 

«  Apportez  du  pivois,  hé  vile! 

Aussi-lôt  la  parole  dite, 

On  renouvelle  l'abreuvoir  ; 

C'est  alors  qu'il  faisait  beau  voir 

Cette  troupe  heureuse  et  rustique, 

S'égayer  dans  un  choc  bachique. 

Vous  courtisans,  vous  grands  seigneurs, 

Avec  tous  vos  biens,  vos  honneurs. 

Dans  vos  fêtes  je  vous  défie, 

De  mener  plus  joyeuse  vie. 

Vos  plaisirs  vains  et  préparés 

Peuvent-ils  être  comparés 

A  ceux  dont  mes  héros  s'enivrent? 

Sans  soins,  sans  remords,  ils  s'y  livrent-. 

Mais  vous,  prétendus  délicats, 

Dans  vos  magnifiques  repas. 

Esclaves  de  la  complaisance, 

El  gênés  au  sein  de  l'aisance. 

Prétendez-vous  savoir  jouir? 

Non;  vous  ne  savez  qu'éblouir. 


LA  PIPE   CASSÉE.  29 

Avec  vos  rangs,  vos  noms,  vos  titres, 
Vous  croyez  être  nos  arbitres! 
Pauvres  gens!  Vos  fausses  lueurs 
N'en  imposent  qu'à  vos  flatteurs  ; 
Votre  orgueil  nourrit  leur  bassesse  ; 
Toujours  une  vapeur  épaisse 
Sort  de  leur  encens  empesté, 
Et  vous  masque  la  vérité. 
Il  est  un  prince  qu'on  révère, 
Pour  qui  l'univers  est  sincère, 
Qu'on  aime  sans  espérer  rien. 
Qui?...  C'est  votre  maître  et  le  mien, 
Demandez  son  nom  à  la  Gloire. 
C'est  assez  dit.  Parlons  de  boire. 

Cependant  las  de  godailler. 
Nos  riboteurs  veulent  payer; 
Pour  payer  demandent  la  carie. 
Et  par  dessus  un  jeu  de  carte. 
Si-tôt  parlé,  si-tôt  servis; 
«  —  Mais,  dit  Nicole,  à  votre  avis, 
«  Combien  avons-je  de  dépense 
((  Monsieiur?  Lisez-nous  ste  sentence... 
—  Le  total?  —  Oui...  —  Cinquante  sous... 
«  —  Cinquante  sous  !  je  vous  en  fous, 
«  C'est  trop  cher...  —  C'est  trop  cher,  madame, 
Je  veu.x  que  le  Diable  ait  mon  âme 
Si  je  ne  vous  fais  bon  marché... 
«  —  Allez,  monsieur  le  déhanché, 
«  Vous  serez  content  de  la  bande; 
«  Adieu,  morceau  de  contrebande. 

'2. 


.■ÎO  F-A  PTPE  CASSÉF. 

La  même  table  qui  servit 
D'autel  à  leur  rude  appétit, 
Sans  choix,  fut  à  l'instant  choisie 
Pour  leur  servir  de  tabagie. 
C'est-Ià  que  le  trio  d'époux, 
Du  hasard  éprouvant  les  coups. 
liobaiL  goujon,  couleuvre,  anguille. 
En  jouant  à  la  biscambille 
Un  contr'un,  écot  contre  écol, 
Tandis  que  Nicole  et  Margot 
Faisaient  compliment  à  Françoise 
Sur  son  casaquin  de  Siamoise, 
A  lin  que  Françoise  à  son  tour 
Civilisât  leur  propre  amour. 
(Propre  amour!  Le  ternie  est  impropre! 
Pour  ben  dire,  on  dit  amour-propre...) 
Soit,  je  ne  veux  point  disputer. 
Mon  but  n'est  que  de  raconter. 
Mais  revenons  à  notre  histoire. 
J'en  suis,  si  j'ai  bonne  mémoire, 
A  la  réponse  que  faisait 
Françoise  à  ce  qu'on  lui  disait. 

<i  — •  Mon  casaquin  !  Leur  répond-cllc, 
«  Vaut  ben  ce  chiffon  de  dentelle 
Il  Qui  vous  entourre  le  cervieau  ; 
«  Cesl  comme  une  fraise  de  vieau 
M  Tous  ces  plis  qui  sont  sur  ta  tète... 
«  —  Tîi  raisonne  comme  une  beie. 
Lui  dit  Nicole,  «  et  pour  un  peu. 
Il  Françoise,  tu  rarais  beau  jeu. 


LA   PIPE  CASSÉE.  31 

«  Je  te  louona  sur  ta  parure, 

«  Et  tu  prends  ça  pour  une  injure'. 

.(  Tas  tort...  —  Moi  tort?...  —  Vanle-t'en-z'en: 

u  Garde  ton  casaquin  de  bran, 

i(  Ou  mange-le,  que  nous  importe  ; 

«  //  est  à  toi,  car  tu  le'porle, 

«  FAnoV  (jarniiure  est  a  nous... 

«  —  Quoi,  dit  Margot,  vous  fâchez-vous? 

u  Queu  chien  d' train!  Tien,  toi  Françoise, 

«  Tas  toujours  eu  rame  sournoise, 

M  Ton  esprit  surpasse  en-noirceur 

«  Ftrésorier  de  notre  Seigneur  : 

«  Tais-toi,  n  échauffe  pas  Nicole, 

«  Autrement  tiens,  moi  f  V acole . . . 

K  —  Toi  m'acoler  !  Ah  fte  crains  ! 

u  Milguieux!  Si  fte  prends  aux  crins! 

a  Tien  veux-tu  voir?...  —  Oui,  voyons,  touche: 

((  Mais  touche  donc,  lu  V effarouche  ; 

«  Gueuse  à  crapeaux,  coffre  à  graillon' 

«  Tu  te  pâme,  hé  vite  un  bouillon  : 

«  La  via  couleur  de  sïicre  d'orge; 

«  V onguent  gris  li  monte  a  la  gorge; 

«  Ses  beaux  yeux  bleux  devenont  blancs; 

u  Via  comme  tu  fais  des  semblans 

.1  Quand  ton  croc  veut  que  tu  partage 

u  Avec  li  ton  vilain  gagnage. 

A  ces  mots,  Françoise  pâlit, 
L'ardeur  de  vaincre  la  saisit. 
Et  d'un  effort  épouvantable, 
Elle  arrache  un  pied  de  la  table. 


52  LA  PIPE  CASSEE. 

Oui  d'un  bout  tombant  on  sursaut, 
Va  cherclier  à  terre  un  tréteau. 
De  ce  coup  les  caries  sautèrent  : 
Nos  joueurs  transis  se  levèrent, 
Mais  se  levèrent  assez  tôt 
Pour  sauver  la  pauvre  Margot 
Du  coup  qui  menaçait  sa  vie  ; 
Françoise  la  suit  en  lurie. 

«  —  Je  veux,  (lit-elle,  me  vamier, 

«  A  votre  barbe  la  nuDujor; 

If  Comnu'til!  Qui  moi?  J'aurai  la  honte 

«  De  voir  quà  mon  nez  on  m'affronte! 

«  Ah  fy  perdrais  pus-tàl  mon  ea'ur  ! 

«  Mon  cul!  ma  gorije!  Mon  honneur! 

((  Te  via  donc!  chienne!  ôlez-vous,  ijare. 

Elle  frappe  :  Jean-Louis  pare 

D'une  main,  de  l'autre  il  surprend 

Le  bâton,  et  Jérôme  prend 

A  brasse-corps  notre  harpie, 

«  —  Françoise,  dit-il,  je  t'en  prie, 

«  Laisse  çà  là.  Venons-je  ici 

«  Pour  nous  battre?  Queu  diable  aussi, 

«  Tu  veux  toujours  gouayer  les  autres, 

«  Et  puis  ils  t'envoyeront  aux  piautres; 

«  Chacun  son  tour.  Çà,  Ihiissons, 

«  Je  te  prends  pour  danser,  dansons. 

«  Prend  Nicole,  toi  la  Tulipe, 

«  Quitte  pour  un  moment  ta  pipe, 

«  Morgue  tu  l'umeras  tantôt, 

<(  Et  toi,  Jérôme,  prends  Margol. 


LA  PIPE  CASSEE.  53 

«  S'talla  des  trois  qui  la  première 

«  Aura  d'ia  mauvaise  magnière, 

«  J'i'écrasons,  aile  verra, 

«  Ou  le  diable  m'écrasera. 

«  Monsieux  le  marchand  d'cadence, 

((  Vendez-nous  une  contredanse 

u  Sus  l'air  d'un  nouveau  Cotillon. 

Soudain  il  sort  du  violon; 
Qui  par  sa  forme  singulière 
Avait  l'air  d'une  souricière 
Des  sons  que  les  plus  fermes  rats 
Auraient  pris  pour  des  cris  de  chats. 

Après  la  belle  révérence, 
On  part  en  rond,  chacun  s'élance, 
Saute  et  retombe  avec  grand  bruit. 
Sous  leurs  pieds  la  lerre  gémit, 
La  haine  de  Margot  la  fière 
S'envole  parmi  la  poussière. 
Françoise  n'est  plus  en  courroux, 
Ses  yeux  ont  un  éclat  plus  doux; 
Nicole  n'a  plus  de  rancune  : 
la  paix  entr'eux  devient  commune; 
Même  on  les  vit  s'entre-baiser 
Quand  ils  furent  soûls  de  danser. 

L'heure  de  retourner  au  gile 
Venant  pour  eux  un  peu  trop  vile, 
Il  fallut  payer  sur  le  champ, 
Et,  comme  on  dit,  ficher  le  camp  : 


LA  PIPE  CASSEE. 

C'est  sans  dire  adieu,  ce  qu'ils  fiivnl, 
Et  de  très-bonne  humeur  sortirent. 
Tous  six  se  tenant  sous  le  bras, 
Allaient  plus  vite  que  le  pas. 

Pour  moi  je  pris  une  autre  route, 
VA  m'aclieminant  sans  voir  goutte. 
J'arrivai  cliez  moi  plustôt  qu'eux. 
Tête  pleine  et  le  ventre  creux. 


CHA.M"  111 


Le  travail,  les  soins  et  la  peine 
Fuient  faits  pour  la  gent  humaine  : 
JI  est  des  travaux  différents, 
Selon  les  états  et  les  rangs. 
Tout  le  monde  ne  peut  pas  naître 
Prince,  marquis,  richard  ou  maître; 
Mais  chacun  vit  de  son  métier; 
Vive  celui  de  Maltôtier  : 
C'est  où  la  bizarre  fortune 
En  suant  roule  la  pécune, 
A  la  barbe  des  pauvres  gens. 
Serons-nous  toujours  indigents  I 
Nous  dont  les  labeurs  d'une  année 
N'acquitteraient  point  la  journée 
Qu'un  sous-traitant  passe  à  dormir! 
Espérons  tout  de  l'avenir. 
Mais  en  attendant  qui!  nous  vienne 
Un  sort  heureux  qui  nous  maintienne 
Dans  un  état  toujours  oisif, 
11  faut  moi.  que  d'un  air  pensif 


.'G  LA   l'IPK  CASSEï:. 

Je  chorclie  ol  Iroiivo  par  ma  i>luiiie 
Lo  tabac  que  par  jour  je  futue; 
i'AW  non  content  d'être  rimeur, 
J'ai  lo  talent  d'être  fumeur! 
U  faut,  pour  la  paix  du  ménage, 
Que  Jean-Louis  se  mette  en  nage 
En  travaillant  au  bois  flotté, 
Que  Jérôme  de  son  tûlé, 
Comme  la  Tulipe  dun  autre, 
Suivant  les  lois  du  saint  apôtre, 
Aillent  chrétiennement  chercher 
De  quoi  dîner,  souper,  coucher. 
Que  leurs  femmes  laborieuses, 
De  vieux  chapeaux,  fières  crieuses, 
En  gueulant  arpentent  Paris 
Pour  aider  leurs  pauvres  maris. 

Lorsque  leur  ange  tutélaire 
Les  conduit  vers  un  inventaire. 
Pour  elles  c'est  un  coup  du  Ciel. 
Un  jour,  sur  le  pont  Saint-Michel 
*  Il  s'en  fit  un.  Elles  sy  rendent. 
En  arrivant,  elles  entendent  : 
A  vingt  sols  la  table  de  bois  1 
Une  fois,  deux  fois,  et  trois  fois, 
.\djugez.  «  —  Quoi  (/ohj  quon  adjuge! 
«  Tout  doucement,  monsiextx  le  ju(je. 
Dit  Nicole,  je  mets  deux  sous... 
—  Par-dessus?  »  —  Oh  donc?  par-dessous* 
«  Tiens  !  Veut-il  pas  gouaijer  le  monde  ! 
V  Cest  dommage  qiCon  ne  le  tonde, 


LA   PIPE   CASSÉE.  57 

«  Car  ses  cheveux  sont  d'un  beau  blond  ! 

—  La  mère,  vous  en  savez  long, 

bit  l'huissier,  emportez  la  labié, 

t  —  Hé,  mais  vranient,  monsieux  capable  ! 

Reprend  Margot,  chacun  pour  soi... 

•(  —  Hé  par  la  saguergué,  tais-toi. 

Dit  Françoise,  en  lianssanl  l'épaule, 

«  Laisse  monsieux  jouer  son  rôle, 

«  Vas-tu  (jueuler  jusqu'à  demain! 

«  Solre  tnaitre,  allez,  rote  train.  » 

Soudain  meubles  de  toute  espèce 
Furent  vendus  pièce  par  pièce  ; 
Mais  notez  que  chaque  achetant 
Recevait  son  paquet  comptant 
De  la  part  de  nos  trois  commères  : 
Quiconque  poussait  les  enchères 
Un  peu  haut,  était  empoigné, 
Et  s'en  allait  le  nez  cogné; 
Témoin  une  jeune  fringante, 
En  mantelet,  robe  volante, 
En  bonnet  à  grand  pnpillon, 
Uui  la  dansa,  mais  tout  du  long. 
Ce  lait  vaut  bien  qu'on  le  distingue, 
C'est  à  propos  d'une  seringue, 
Qui  par  elle  mise  hors  de  prix. 
De  Françoise  excita  les  cris. 
«  —  C'est  pour  vous!  gardez-la,  dit-elle; 
«  Hé  Margot?  Vois  donc  s' te  d'moiselle! 
«  Sa  figure  a  ma  foi  bon  air! 
0  C'est  un  p'til  chef-d'œuvre  de  chair! 


l.V   l'Il't;  CASSEE. 
«  Parlez  donc,  la  belle  marchande  ? 
«  Cesl'-y  pour  laver  vole  viande 
i(  Que  vous  emportez  ce  bijou  ? 
u  Vous  vous  récurez  plus  d'un  trou! 

—  Vous  êtes  une  impertinenle, 
hil  la  demoiselle  tremblante, 
Cessez  un  propos  claiuleslin. 

K  —  Allez!  J'nentendons  pas  rialin, 

i(  La  belle,  crandestin  vous-même, 

K  Avec  son  visage  à  la  crème  ! 

«  Eh  puis  ses  deux  yeiu  mitonnes  ! 

n  Quoi  donc  qualle  a  d'ssous  Vnez 

(t  Qu''cst  noir!  MomjUieu!  cest  une  mouche! 

«  Allez!  Quun  cent  d' Suisses  vous  bouche! 

ti  Pour  le  coup,  mon  chien  de  poulet, 

«  Cest  ben  la  mouche  dans  du  lait. 

«  Quoi!  vous  vous  on  allez,  ma  reine' 

«  Adieu  bel  ange.  Ah!  la  vilaine, 

K  Qui  donne  a  ieltdr  a  son  eu! 

«  Allez  seringue!.,,  —  Y  pense-fu, 

«  Dit  Margotj  veux-tu  bien  te  taire 

«  Gueule  de  chien,  via  l'commissairc... 

((  —  Çà!  tu  gouaye,  cest  un  abbé. 

i(  Paryué  va,  le  v'ia  ben  tumbé, 

K  S'il  vient  pour  nous  ficher  la  gancc, 

—  Mesdames  un  peu  de  silence, 
Leur  dit  modestement  l'huissier. 
Ensuite  il  se  met  à  crier 

Un  jupon  d'étamine  noire, 

Qu'on  prit  d'abord  pour  de  la  moire. 


LA  PIl'E   CASSÉE.  5& 

Tant  les  taclies  l'avaient  onde. 

Margot,  l'ayant  bien  regardé, 

Passe  d'un  sol.  On  le  lui  laisse. 

Soudain  l'abbé  tendant  la  presse, 

Sur-offre  de  dix-huit  deniers... 

«  — Bon!  Les  offrez-vous  tout  entiers! 

«  DU  Manjot  faisant  la  (jrimace., 

«  Par  ma  foi,  monsieux  Boniface, 

«  Quand  vous  auriez  quatre  rabats, 

«  Y'ia  Vjiqjon,  mais  vous  n  l'aurez  pas. 

«  Vot  mantiau  tunibe  par  filandre! 

«  Au  lieu  d'acheter  faut  vous  vendre. 

«  Tnez,  rapportez-vo%is-en  a  nous. 

i(  A  six  blancs  l'abbé  de  deux  sous! 

«  Le  veux-tu  prendre  toi,  Nicole? 

«  —  Qui,  moi?  Tien  je  serais  donc  folle, 

«  Je  perdrions  moitié  dessus. 

«  —  Françoise'^  et  toi?...  —  A/  niui  non  plus; 

«  Tu  r  garderas  toi,  je  parie? 

M  Moi?  J'n  avons  pas  d' ménager ie ; 

«  Qu'en  ferons-je  donc?  Dame!  Yoi... 

«  —  Voi  toi-même,  allons  parle...  —  Moi? 

«  J'en  fais  un  heurtoir '^  de  grand'porle.. 

«  —  Et  moi!  Que  V diable  l'emporte, 

«  Il  en  fera  son  aumogtiier. 

L'abbé  penaut  comme  un  panier, 

Dit  :  —  Vous  êtes  des  harangéres, 

Finissez,  trio  de  mégères... 


'  Fiyure  liideuse  à  laquelle  on  atlaclie  le  inaileau. 


•40  i-\  i'ii'i;](;.\ssÉi;. 

<i  —  MéiKKji'rcs  !  (JiKtiid  je  ivulons; 

«  Ai'ec  ses  souliers  sans  talotis  ! 

«  Le  via  dans  un  bel  éijuipage, 

«  Pour  parler  de  note  uiénaije  ! 

i(  C'est  vrai!  Quoi  quil  vient  nous  prêcher? 

«  Ne  t'avise  pas  d'approctier, 

M  Car  le  diable  me  caracole, 

«  Si  je  ne  VappVupie  une  (jnolc 

«  Qui  tiendrait  chaud  à  ton  (pvuin. 

((  Diable  de  perroquet  à  foin  ! 

«  Mousquetaire  des  piquepuces! 

(I  Jardin  à  poux,  (jrenier  à  puces. 

Klles  r.iuiMient  mangé,  .^i  l'on 
Xeùl  remis  la  vaciilioii 
A  deux  iieures  de  relevée. 
Ce  nélail  là  (luiiiie  corvée 
l'oiir  nos  trois  femelles.  Aussi 
Kn  revanche,  Taprés-midi, 
Maints  effets  elles  aciietèrent, 
Puis  chez  elles  s'en  retournèrent  ; 
Où  leurs  trois  maris  cependant 
Cliopinaient  en  les  attendant. 

Les  nippes  sur  table  posées, 
Et  les  commères  reposées, 
11  fallut  vuider,  ou  lotir, 
Cela  veut  dire  répartir 
L'achat  des  meubles  fait  entr'elles; 
Bon  sujet  à  bomies  querelles. 
Margot  déjà  conunence  par 
Sauter  sur  la  meilleure  part; 


LA   PIPE   CASSÉE.  41 

C'était  un  rideau  de  fenêtre. 
«  —  Tu  laisseras  ça  là,  peiit-êlre. 
Dit  Françoise,  ou  ben  f  allons  voir. 
Nicole  qui  le  veut  avoir 
Aussi  bien  que  ses  deux  compagnes. 
Dit  :  «  —  Tu  le  rois  et  tu  le  magnes; 
«  Mais  via  qu'est  ben,  restes-en  là... 
«  —  Qui  toi!  Chaudière  à  cervela ! 
«  S'te  vieille  allumette  sans  soufre! 
u  Monguieu!  Via  giialle  ouvre  son  gouffre! 
«  Prenez  garde,  ail  va  ni  avaler... 
a  —  Vas,  tu  fais  ben  de  reculer, 
«  Dit  Margot,  contre  ton  chien  d'homme, 
«  Car  sans  ça,  tien,  tu  verrais  comme 
«  J' équiperions  ton  cuir  bouilli  l 
«  Cadavre  à  moitié  démoli! 
«  Vas,  poivrière  de  saint  Côme, 
((  Je  me  fiche  de  ton  Jérôme. 
.\lors  sautant  sur  le  rideau, 
Elle  en  arrache  un  grand  lambeau. 
Françoise,  de  son  côté  tire, 
Et  tire  tant  qu'elle  déchire 
Même  porlion  que  Margot; 
Nicole  eut  le  troisième  lot, 
Non  sans  vouloir  faire  le  diable; 
Mais  Jean-Louis  d'un  air  affable. 
Voulant  apaiser  le  débat, 
Leur  dit  :  «  —  Saqueurgué,  queu  sabbat  ! 
«  Tiens,  femme,  agonise  ta  goule! 
«  Crois -moi,  milguieux,  si  t'étais  seule, 


42  LA  PIPE  CASSÉE. 

«  J'dirais  :  hé  ben!  c'est  qu'aile  a  bii. 
«  Finis  donc  :  Un  ciiien  qu'est  mordu 
«  Mord  l'autre  itout,  coûte  qui  coûte.  » 
A  ce  conseil,  Jérôme  ajoute 
Son  avis,  dit-il,  écoutez. 

«  —  Pour  un  rien  vous  vous  argolez. 
«  Quoi,  qui  vous  met  tant  en  colère? 
«  Des  gnilles!  Via  ce  qui  faut  faire, 
«  Faut  les  solir  '  dieux  l'tapissier, 
<(  Hé  puis  partager  le  poussier-. 

«  —  Copère,  interrompt  la  Tulipe, 
«  Je  donnerais  quasi  ma  pipe 
«  Pour  être  comme  toi  chnument 
«  Retors  dans  le  capablement; 
«  Tu  dis  ben,  faut  faire  s'tc  vente, 
«  Et  drés  demain  dà,  je  m'en  vante, 
«  Ou  ben  moi,  je  fiche  à  voyeau 
«  Les  pots,  les  chenets,  le  rideau, 
«  Le  lit,  les  femmes  et  la  chambre.  » 
Lors  tremblantes  en  chaque  membre. 
Elles  firent  ce  qu'on  voulut. 
Et  puis  qui  voulut  boire,  but. 

'  Vendre. 
-  De  l'aiseiit. 


QUATRIEME 

ET  DERNIER  CHANT 


Romains,  qu'êtes-vous  devenus. 

Vous  à  qui  les  mœurs,  les  vertus 

Servirent  longtemps  de  parure. 

Amis  de  la  simple  nature, 

Le  luxe,  idole  de  Paris, 

Était  l'objet  de  vos  mépris; 

Votre  sagesse  sans  limite 

Ne  mesurait  point  le  mérite 

Au  vain  éclat  de  l'ornement. 

Et  vous  saviez  également 

Pair'  rougir  ceux  qui  sont  en  place. 

Sans  dignités,  avec  l'audace 

De  ressembler  par  leur  éclat 

A  ceux  qui  gouvernaient  rÉtat. 

Mais  ici,  quelle  différence  ! 

On  n'estime  que  l'apparence  ; 

Et  c'est  ce  qui  cause  l'abus 

Des  élats,  des  rangs  confondus: 


44  LA  PIPE  CASSEK. 

C'est  ce  qui  cLiuse  qno  Françoise, 

Pour  avoir  l'air  d'une  bourgeoise, 

Vient  de  se  donner  un  jupon 

De  satin  rayé  sur  colon  : 

Que  Margot  vient  de  l'aire  emplette 

D'une  croix  d'or,  d'une  griselte; 

Et  que  Nicole  en  s'endellant, 

Vient  à  pou  près  d'en  l'aire  autant. 

Mais  je  les  trouve  pardonnables  : 

Leurs  dépenses  sont  convenables 

Au  motif  de  leur  vanité, 

Qu'on  doit  prendre  du  bon  côté. 

La  noce  de  Manon-la-Grippe, 

Propre  nièce  de  la  Tulipe, 

Cousine  de  Jérôme  ;  et  puis 

Pilleuse  enfin  de  Jean-Louis, 

Mérite  bien  que  la  famille. 

Pour  lui  faire  honneur,  fringue  et  brille; 

Mais  avant  les  plaisirs  fringants. 

On  introduit  chez  les  parents 

Le  futur  avec  la  future, 

Et  l'on  parle  avant  de  conclure. 

«  —  Ma  gnièce,  dit  Françoise,  hé  hen, 

«  El  vous  mon  n'veu  (car  vous  s'rai  l'mien) 

(•  Vous  vous  marie:.-,  ça  me  semble, 

«  Pour  afin  (V être  joints  ensemble; 

((  Ça  nous  fera  ben  (F  l'honneur, 

K  Vous  paraissez  bon  travayeur, 

«  Et  ma  gnièce  est  une  vivante 

«  Qui  sait  se  magner...  —  Ah!  ma  tante  ! 

«  Vous  avez  ben  d'  la  bonté... 


LA  PIPE  CASSEE.  45 

«  —  -YoH,  foi  d'  femme,  euverlé  ! 

«  Vas,  f  le  connais.  Va  du  ménage, 

«  Et  cest  s'  quil  faut  pour  V  mariage. 

«  Dame!  quand  V auras  des  enfans, 

«  Pour  q^iils  sotjont  honnêtes  gens, 

«  Devant  eux  faudra  pas  se  battre, 

i<  Jurer  ni  boire  comme  quatre, 

ri  Ni  riboter  aveuq  s'  f  ici 

«  Pour  faire  enrager  ion  mari, 

«  Tu  ni  entends  hen,  pas  vrai?...  —  Sans  doute, 

«  Dit  Manon,  et  si  f  vous  écoute, 

«  Ma  foi,  c'est  qu'  je  V  veux  hen, 

«  Avec  vos  beaux  sermons  d'  chien, 

((  Semble-t'-y  pas  quon  vous  ressemble  ? 

«  Allez,  quand  on  za  peur  on  tremble... 

M  —  Quoi!  dit  la  tante,  cul  crotté, 

«  Tas  ben  d' la  glorieuseté! 

«  Tu  II  es  quune  petite  gueuse  ! 

((  Ta  mère  était  une  voleuse! 

((  Et  ion  père  un  croc. . .  —  Parle  donc, 

«  Dit  Margot,  diable  de  guenon! 

«  Défunts  mon  cousin,  ma  cousine 

«  Étions  près  d' toi  d'  la  farine, 

«  Creuset  à  malédiction! 

«  T'as  donc  V enfer  en  pension 

«  Dans  ta  chienne,  d'âme  pourie  ? 

«  Vieille  anguille  de  la  voirie  ! 

K  Guenipe...  —  Moi,  guenipe!  Moi! 

«  Margot!  MonpHit  cœur!  Bon  pour  toi! 

«  Guenipe  est  le  nom  qu'on  te  garde, 

<i  T  n'avons  point  de  fille  bâtarde; 

3. 


46  LA  PIPE  CASSÉE. 

«  Et  flatte-toi  qiCwi  souteneur 

«  N'a  pas  trempé  dans  note  honneur, 

K  Mouche-toi,  va,  car  Ves  morveuse!...  » 

A  ces  mots,  Margot  furieuse, 

Grinçant  les  dents,  roulant  les  yeux, 

Lève  un  poing-,  mais  entr'elles  deux 

Nicole  adroitement  se  jette  : 

«  —  Allez,  que  /'  diable  vous  vergette. 

Leur  dit-elle  en  les  séparant. 

Mais  Margot,  en  se  rapprochant. 

Allonge  et  lève  une  main  croche... 

A  mesure  qu'elle  s'approche. 

Nicole  en  riant  la  relient  : 

«  —  Margot,  est-ce  que  ça  convient 

«  Un  jour  de  noce  ?  c'est  enutile, 

«  Allons,  r'mets-toi  dans  ton  tranquille, 

«  7" es  brave  femme,  on  sait  ben  çà.  » 

Ce  mot  de  brave  l'apaisa. 

Même  elle  promit  à  Nicole 

D'oublier  tout,  et  tint  parole. 

Sur-le-champ  on  vint  avertir 

Qu'il  était  heure  de  partir. 

On  partit,  et  la  compagnie 

A  la  belle  cérémonie. 

Assista  très-dévotement. 

Le  notaire  et  le  Sacrement 

Ayant  autorisé  la  fille. 

D'être  femme  et  d'avoir  famille, 

Et  George  d'être  son  époux, 

Toute  la  bande  au  Pont-aux-Choux 

S'en  va  sans  prendre  de  carosse; 


LA   PIPE  CASSEE. 

C'est  pourtant  le  beau  d'une  noce  ! 

Mais  quand  le  moyen  est  petit 

Et  que  l'on  a  grand  appétit, 

n  faut  se  passer  d'équipage. 

On  arrive  donc.  Grand  tapage 

Motivé  par  la  bonne  humeur. 

Fait  réloge  de  chaque  acteur  : 

Sur  la  table  une  nappe  grise, 

Est  à  l'instant  proprement  mise. 

Et  bientôt  après,  le  couvert. 

«  — Mo7}sieux,  f  avons  faim.  On  les  sert. 

Les  deux  époux,  selon  l'usage, 

Sont  placés  au  plus  haut  étage. 

«  —  AUoris,  Margot,  tien,  passe,  toi. 

((  — Mail  Quand  t'auras  passé...  — Pourquoi?.. 

«  —  Pourquoi  !  parce  que  fes  la  tante. 

Jérôme  qui  s'impatiente. 

Pour  les  faire  cesser,  leur  dit  : 

€  —  Morgue,  tout  ça'se  r'afroidit, 

«  Âssisez-vous  donc,  queux  magnières  ! 

«  Vous  faut-il  pas  ben  des  prières 

«  Pour  faire  assir?...  —  Mon  guieu  non, 

«  ?\ous  y  vla-V-il  pas?...  —  Ah  !  bon  donc! 

On  s'assied.  Le  vin,  la  bombance 
Leur  impose  un  joyeux  silence; 
Personne  ne  sert,  chacun  prend 
Au  plat,  et  chaque  coup  de  dent 
Est  enfoncé  jusqu'à  la  garde  : 
L'une  se  jette  sur  la  barde. 
L'autre  sur  |e  cochon  de  lail, 


48  LA  PIPE  CASSÉE. 

Tandis  que  d'un  Tort  i,'ras  poulel 
Margot  ne  fait  que  trois  bouchées  ; 
Ses  manchettes  toutes  tachées 
Par  hi  graisse  qu'on  voit  dessus, 
Semblent  des  manchettes  au  jus. 
Nicole  à  qui  le  gosier  bouffe, 
Dit  :  —  Varse  à  boire,  car  f  étouffe... 
«  —  Hé  !  parfiué,  dit  Margot,  prens-en; 
«  J'aim'rais  autant  être  au  carcan 
((  Qu'auprès  de  toi,  car  tu  me  foute..; 
«  —  Eh  va-Ven  au.r  chiens,  vilain  moule! 
«  As-tu  pas  peur  qu  pendant  s  temps-là 
«  On  n'  manije  ton  manger  que  via  ? 
«  Mais  voyez  s' te  diable  de  gueule! 
«  Tes  bonne;  mais  c  est  pour  toi  seule, 
«  Car  tu  sais  la  civilité 
«  Comme  un  rien.  A  vote  santé, 
«  Monsieux  madame  ia  mariée!... 
«  — Ben  obligé.  — Beîi  obligée. 
Les  de  rechefs  de  tous  côtés, 
Sont  à  rasades  ripostés  : 
Chacun  crie  à  fendre  la  tète. 
Françoise  qui  toujours  est  prête 
A  faire  entendre  son  caquet, 
Veut  crier  plus  haut;  un  hoquet 
Lui  coupe  soudain  la  parole. 
Il  redouble.  «  —  Oh!  lui  dit  Nicole, 
«  iSe  nous  dégueule  pas  au  nez 
«  Toujours.  Jérôme  lui  dit  :  k  —  T'nez 
<i  Pour  qu'  ça  passe,  buvez,  conniière, 
'<  C'est  r  droit  du  jeu...  —  Hé  hen,  copère. 


LA  PIPE  CASSÉE.  49 

((  A  cause  d'  ça  trinquons  noxis  deux, 
((  Voulez-vous?  —  Pargué,  si  je  l'veux! 
«  J'  vous  demande  si  ça  s'  demande? 
K  Puisque  je  n'avons  pus  d'  viande, 
((  Buvons  d'autanl.  Hé  Jean-Louis! 
«  A  boire!  Buvons,  mes  amis. 
„  —  Ah!  dit  Nicole,  ça  m'  rappelle 
«  Note  noce,  aile  était  ben  belle, 
«  Ten  souviens-tu,  Jean-Louis? —  Qu'trop... 
«  —  Qu'un  diable  Vemporte  au  ç/alop  : 
«  Que  trop!  Voyez  s' vieux  crocodille ! 
«(  Ah  r  beau  ineuble  !  Quand  j'étais  fille 
«  //  v'nait  cheux  nous  faire  V  câlin; 
«  T'es  ben  heureux,  double  vilain, 
«  D'  m  avoir,  car  sans  ça  la  misère 
«  Aurait  été  ta  cuisinière.  » 

Au  milieu  du  bruit  qui  se  fait, 
La  Tulipe  avint  son  briquet, 
Le  bat  en  allongeant  sa  lipe. 
Les  écoute,  et  fume  sa  pipe, 
Nicole  poursuit  son  aigreur. 
Son  homme  en  rit  de  tout  son  cœur. 
Ce  rire  insultant  la  désole. 
M  — Ah  tu  ris  donc!  Ris  belle  idole  : 
((  Tas  raison,  ris,  oui,  ris  va  chien; 
«  Sur  mon  honneur  prend  ijarde  au  tien... 
Françoise  dit  :  «  —  Quoi  qu  tu  V  tourmente, 
«  Vas,  t'es  be)i  iinpatiente 
«  De  v'nir  comm'-ça  7ious  J i ahurir  ; 
■<  Finis...  —  Moi?  je  h'  veux  pas  finir; 


0  LA  PIPE  CASSÉE. 

«  Mois  voyez  un  peu  x-te  Simone  ! 

«  L'ordre  me  plaît;  mais  quand  je  V  donne. 

«  —  Oh  !  dit  Jérôme,  point  do  chagrin, 

«  Aussi  ben,  via  monsieux  crin-crin  '. 

«  D' la  joie  !  Allons,  père  le  Fève, 

«  Raclez-nous  ça.  »  Chacun  se  lève 

Et  veut  danser.  Le  couple  heureux. 

D'un  air  tristement  amoureux, 

Demande  un  menuet  et  danse 

Parfaitement  hors  de  cadence  : 

Le  marié  triplant  les  pas. 

Ne  sait  que  faire  de  ses  bras  ; 

Gestes,  maintien,  tout  l'embarrasse. 

Son  épouse  avec  même  grâce. 

D'un  air  légèrement  balourd, 

Traine  le  pied  et  tourne  court. 

Soit  qu'elle  fût  timide  ou  fière, 

Elle  n'osait  pas  la  première 

A  son  danseur  donner  la  main  ; 

Et  même  jusqu'au  lendemain 

Elle  eût  occupé  le  spectacle, 

Si  sa  tante  d'un  ton  d'oracle 

N'eût  dit  :  «  —  Ma  gnièce  Vaime  long; 

«  Cest-il  pour  vous  seule  V  violon  ? 

«  Dame,  c'est  qu  doms  navez  qu'à  dire; 

«  Croyez-vous  qu'  fons  dçs  pieds  d'  cire  ?  x 

A  ces  mots,  le  couple  interdit. 

Finit  pour  faire  place  à  huit. 

Une  joie  épaisse  et  bruyante, 

*  Le  Violon. 


LA  PIPE   CASSÉE.  51 

En  les  fatigant  les  enchante, 

Tout  allait  bien.  Quand  des  fareaux, 

Sur  l'oreille  ayant  leurs  chapeaux. 

Canne  en  main,  cheveux  en  béquilles, 

Entrent  sans  façons,  et  les  drilles 

Dansent  sans  en  être  priés. 

D'abord  l'oncle  des  mariés 

S'oppose  à  leur  effronterie. 

«  —  Vous  n'êtes  d' la  copagnie, 

«  Dit-il.  tichez  T  camp  sans  fracas... 

«  —  J'  voulons  danser...      Çà  n'  sera  pas  : 

«  Pais  r  violon...  —  Moi  je  veux  qu'il  joue... 

«  —  Si  c'est  vrai,  que  le  diable  me  roue, 

(I  Dit  Jérôme  en  gourmant  l'un  d'eux.  « 

Celui-ci  le  prend  aux  cheveux. 

Jean-Louis  arrache  la  canne 

Du  second.  «  —  0  gueux  j'  te  trépan  ne  ! 

Fli,  flon  !  La  Tulipe  à  l'instant 

Sans  se  gêner,  toujours  fumant. 

En  saisit  un  à  la  cravate. 

Le  courroux  des  femmes  éclate  ; 

Leurs  ongles,  leurs  dents  et  leurs  cris, 

Secondent  leurs  braves  maris. 

L'horreur  s'empare  de  la  salle; 

Et  jamais  à  noce  infernale 

Il  ne  se  fit  un  tel  sabbat. 

Enfin,  dans  le  fort  du  combat 

Un  coup  lancé  sur  la  Tulipe, 

En  cent  morceaux  brise  sa  pipe  ; 

De  douleur  il  s'évanouit. 

Son  vainqueur  le  croit  mort,  il  fuit 


L.\  PIPE  CASSÉE. 
Aussi  bien  qiio  ses  camarades. 
Françoise  par  ses  embrassades 
Kappelle  la  Tulipe  en  vain. 
11  fallut  dix  verres  de  vin 
Pour  lui  rendre  la  connaissance. 
Il  revient;  un  morne  silence, 
De  longs  soupirs,  des  yeux  distraits, 
Avant-coureurs  de  ses  regrets. 
Expriment  sa  triste  pensée. 
«  —  Ma  pipe,  dit-il,  est  cassée! 
«  Ma  pipe  est  en  bringue,  mille  guieux  ! 
u  Je  r  vois  bén,  oui,  je  1'  vois  d'  mes  yeux  ! 
«  Quand  j'  pense  comme  aile  était  noire  ! 
«  iN'y  pensons  pus;  il  faut  mieux  boire...» 
Pour  l'oublier  il  se  sonla, 
Et  la  scène  Unit  par  là. 


LES 

QUATRE  BOUQUETS 

POISSARDS 

SUITE  DE  LA  PIPE   CASSÉE 


EPITRE  DEDIGATOIRE  A  L'AUTEUR 

PAR   SES   AMIS 

Il  doit  vous  paraître  étonnant,  monsieur,  de  voir 
quelques-uns  de  vos  ouvrages  imprimés,  sans  les  avoir 
vous-même  confiés  à  l'imprimeur;  et  vous  devez  trou- 
ver bien  singulier  de  vous  les  voir  dédier  sans  peut-être 
vous  douter  de  l'intention  de  ceux  qui  vous  adressent 
cette  épitre.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  moins  un  larcin  que 
nous  vous  faisons,  qu'un  hommage  authentique  que 
nous  rendons  à  vos  talents  ;  c'est  moins  aussi  indiscré- 
tion (jue  zèle,  qui  nous  a  déterminés  à  rendre  cet  ou- 
vrage public.  Quand  on  a  pour  objet  votre  gloire,  vos 
intérêts  particuliers  et  l'amusement  général,  est-on  ré- 
préhensible?  et  peut-on  craindre  d'être  accusé  de  témé- 
lité?  Toutefois,  si  vous  étiez  mécontent  de  la  liberté 
que  nous  avons  prise,  l'accueil  favorable  que  vos  Bon- 


Si  LES   QUATRE   DOl'QUETS   POISSARDS. 

(|ii('ls  rercvi'ont  induliitnMt'nient  nous  servira  (l'excuse. 
Il'ailleiu's,  (jue  risi|ii('/-vous,  monsieur?  N'avez-vous 
point  joui  des  suffrages  de  tous  eeux  (jiii  vous  les  ont 
ouï  réciter?  Les  connaisseurs  et  les  gens  les  plus  li- 
gides  ne  vous  ont-ils  poiul  applaudi?  «  il  sait  (disaieut- 
«  ils)  promener  ses  auditeurs  et  ses  lecteurs  dans  une 
«  galerie  de  tableaux  grotesques,  l'imagination  ébauche 
u  ses  portraits,  la  vérité  broyé  les  couleurs,  la  nature 
«  les  applique,  et  la  finesse  achève  l'ouvrage.  »  Que 
voulez-vous  de  plus  qu'un  témoignage  aussi  satisf lisant? 
Le  naïf  de  vos  Letlres  de  la  Grenouillère  est  encore 
remarqué  par  bien  des  personnes  de  goût  ;  on  aperçoit, 
à  travers  l'enveloppe  burlesque  du  style,  une  intrigue 
intéressante,  suivie,  et  délicate. 

Souffrez,  monsieur,  que  nous  fassions  succéder  à  la 
justice  que  nous  vous  rendons,  quelques  repro(^hes 
d'amitié  sur  votre  négligence;  êtes-vous  pardonnable 
de  ne  point  achever  vos  Fables,  vos  Épitres  et  vos 
Contes,  etc.?  Nous  plaidons  contre  vous  la  cause  du  pu- 
blic, en  vous  excitant  à  lui  taire  part  de  toutes  vos  pro- 
ductions, persuadés  que  si  nous  venons  à  bout  de  vous 
la  faire  perdre,  vous  y  gagnerez  beaucoup,  puisque 
l'estime  publique  est  un  salaire  d'un  prix  inestimable 
pour  ceux  qui  pensent  comme  vous;  soyez,  nous  vous 
en  prions,  persuadé  de  la  nôtre,  et  de  l'amitié  sincère 
avec  laquelle  nous  sommes,  monsieur,  Devinez. 


LES  QUATRE  DOUQUETS  POISSARDS.  55 


AVERTISSEMENT 


Il  est  peu  de  gens  qui  n'ayeiit  euteiulu  les  l'enimes 
des  halles  débiter  ce  qu'elles  disent  avec  ce  ton  original 
qni  lenr  est  propre,  ou  tout  au  moins  se  sont-ils  trou- 
vés avec  des  persoiuies  qni  imitent  ce  langage;  il  est 
donc  nécessaire,  pour  l'agrément  de  la  lectui'e  de  ces 
Bouquets,  de  tâcher  de  prendre  l'inflexion  de  voix  pois- 
sarde aux  endroits  marqués  de  guillemets  ou  lacunes 
qui  servent  à  indiquer  le  changement  de  ton. 


PREMIER  ROUQUET 


J'aime  à  payer  ce  que  vaut  une  chose; 
Mais  je  répugne  à  la  payer  deux  fois  : 
Je  suis  piqué,  je  l'avoue  et  je  crois 
Devoir  vous  en  dire  la  cause. 
Madame,  à  deux  pas  du  logis 
Rencontrant  une  bouquetière 
Je  l'aborde  et  lui  dis  :  —  la  mère.. 
Faites  vite  un  bouquet.  Nous  convenons  de  prix, 


bii  LKS  QIVTIIK   UOUQUKT!''    l'OISSAUDS. 

Pour  (jn'il  soit  plutôt  fait  ja  la  paye  cravance. 
Elle  aussitôt  détache  une  botte  Je  Heurs. 

Dieu  sait  avec  quelle  élégance 
Kile  assortit  leurs  diverses  couleurs! 
De  feuilles  d'yrangers  {galamment  décorées, 
Pour  en  faire  un  bouquet  il  lui  manque  un  lieu  : 
Comme  elle  l'achevait,  ne  s'attendant  à  rien; 

Ne  voilà-t-il  pas  les  jurées 
Qui  viennent  tout  à  coup  saisir  son  pauvre  bien  ! 

Elles  sautent  sur  l'inventaire  [sic) 
S'emparent  des  bouquets  sans  oublier  le  mien. 
Ma  marchande  se  désespère, 
Et  ne  voyant  aucun  moyen 
Pour  accommoder  cette  affaire. 
D'un  coup  de  pied  en  jette  une  par  terre, 
Bat  les  deux  autres  comme  un  chien, 
Puis  s'en  fuit  ne  pouvant  mieux  faire. 
Quel  scandale  pour  moi!  je  crois  que  la  colère 
Fait  oublier  qu'on  est  chrétien  ! 
De  leur  frayeur  ces  trois  dames  remises 
S'en  vont  pestant  d'avoir  reçu  des  coups, 
Je  les  arrête  et  je  leur  dis  :  —  tout  doux  ! 
Dans  les  fleurs  que  vous  avez  prises 
Je  réclame  un  bouquet  que  j'ai  payé...  —  Qui?  vous  ? 

—  Oui  moi;  tâchez  de  me  le  rendre. 

—  Monsieii  Va  dit,  on  /'//  rendra  : 

—  Qu'il  eslcjentil —  Y  s  fâche!  —  V  rira  : 

—  Sa  bouche  commence  à  s' fendre; 
Ce  s'rait  ben  dommage  de  Vpendre 
Car  il  paraît  qu'il  grandira. 

-  Vous  m'insullez,  leur  dis-je,  et  je  vais  vous  apprendre 


LES   QUATRE   BOUQUETS   POISSARDS.  5i 

Qui  je  suis.  —  Ah!  comme  il  nous  l'apprendra! 
Mon  double  cœur!  quand  tu  serais  le  gendre 

Du  Diable  qui  t'emportera; 

Pince  donc  c  bouquet  si  tu  l'ose 

—  Donnet-ly  du  vinaigre,  y  naime  pas  l'eau  rose. 

—  Oui  je  suis. . .  —Eti  !  Qu  es-tu  donc  avec  ton  grand  chapiau 
Ton  habit  qui  se  meurt!  et  ta  fameuse  épée! 

—  C'est,  dit  l'autre,  un  seigneur,  un  cadet  du  chùliuu 

Qu'est  tout  vis-à-vis  la  Râpée. 

Il  grince  des  derds!  ah  fai  peur  ! 

Parlez  donc,  monsieu  la  terreur. 
Faites  donc  pas  comme  ça ,  la  gâte  l'visage. 
Jérusalem!  saint  Jean,  mon  doux  Sauveur  ! 

Qu'il  est  dégourdi  pour  son  âge! 

Trois  poulets  d'Inde  et  pis  monsieur 

Feraient  un  fringant  attelage! 
Elles  en  auraient  dit  encore  davantage; 

Mais  la  troisième  par  bonheur 
Lui  dit  :  —  Finis,  lu  fais  trop  de  tapage. 
Quand  on  ne  te  dit  rien,  t'es  bien  fier e  en  caquet. 

Qu'est-ce  qu'il  Va  fait  ce  jeune  homme. 
,   Et  pis  qu'il  l'a  payé  donne-ly  son  bouquet. 

—  Son  bouquet!...  crac,  il  l'aura  comme... 
Tu  in  entends  ben?  qu'il  nous  donne  dût  sous. 

—  Ah!  dis-je,  les  voilà;  que  ne  me  disiez-vousl 
Lors  de  ma  bonne  foi  toutes  trois  interdites, 

Me  donnent  des  œuillels  par-dessus  le  marché. 

—  Pailez  donc  mon  poulet'?  vous  n'êtes  pas  fâché 

Contre  nous  autres?  pas  vrai,  dites!... 

—  Moi?  point  du  tout.  —  Adieu  donc  noC  bourgeois 
J'Vavons  trop  ahury,  ça  me  fait  de  la  peine, 


58  LES  QUATRE   BOUQUETS   POISSARDS. 

Je  devrions  toutes  les  trois 

Lij  faire  dire  une  neuvaine... 
—  Tu  (jouailles  toi:  mais  moi  si  j'étais  reine, 

H  serait  (jodard  dans  neuf  mois. 

—  Madame,  telle  est  l'aventure 
De  ce  bouquet  si  longtemps  contesté  ; 

Si  de  vous  il  est  accepté, 
-Malgré  l'argenl,  le  courroux  et  l'injure, 
11  ne  sera  pas  trop  cher  acheté. 


SECO.ND  BOUQLET 


Toujours  l'événement  nous  prouve 

Que  pour  trouver  il  faut  chercher, 

Et  que  même  souvent  on  trouve 
Ce  qu'on  ne  cherche  pas.  Tel  croyant  dénicher 

Des  rossignols,  déniche  des  linottes  ; 
Mais,  direz-vous,  où  tend  cette  comparaison? 

C'est  nous  dire  à  propos  de  bottes 

Que  le  printemps  est  la  belle  saison. 
.Madame,  point  d'aigreur,  ce  petit  préambule 

Vous  paraîtra  moins  ridicule 

Quand  vous  saurez  que  j'ai  cherché 
Dans  plus  d'une  boutique  et  dans  plus  d'un  luaiché 
Sans  trouver  un  bouquet  digne  de  votre  léte  ; 
Même  en  chemin,  s'il  vous  plaît,  je  m'arrête 

Chaque  fois  que  j'entends  crier 

Des  bouquets  pour  JSaiion,  iSancltc. 

Chacun  en  marchande,  en  achète; 
J't.'n  ciioisis  quatre  ou  cinq,  je  reviens  an  premier. 
Le  premier  me  déplaît  ainsi  que  les  quatre  autres. 
Je  les  replante  tous  sur  le  bord  du  panier... 


(iO  I.KS  QUATRE   UUUQUETS   POISSARDS. 

—  l'arlcz-dunc,  luo  ilil-oii,  faut  pus  tant  les  mcKjnier, 
Vous  avez  vos  dc'joCds,  f  avons  ijlout  les  nôtres, 

Avec  son  ti(d>il  rotKje'!  Eli  !  monsieit  tout  en  feu  ! 
V'nez  vous  raurez  pour  rien,  cet  éetiuppé  d'andouille. 
Mais  c'est  vrai,  tiens  ja  vous  pcdrouille 
C'te  )nareliandise  et  jiuis  sa  part:  Adieu!... 
Dans  d'aulres  temps  j'auniis  [iii  me  déleiuire  ; 
Mais  sans  m'ainuser  à  l'onlendre 
Je  cours;  une  autre  vient  à  moi. 
—  Via,  dit-elle,  du  beau,  mou  roi, 
Tuez  voyez-moi  tout  ça.  Via  l'y  </"  la  fine  oraïuje. 
Et  des  œillets!  ça  parle,  on  vous  voit  ça  de  loin. 
Tuez,  fleurez  moi  ça,  ça  ferait  /venir  un  ange 
S'il  était  mort...  Pendant  ce  baragouin 
Elle  ajuste  un  bouquet  énorme, 
Mais  presque  aussi  gros  qu'un  balai... 

—  Comment  le  trouvez-vous?  —  Moi!  lui  dis-.je,  fort  laiil... 

—  Allez,  monsieu  le  beau;  que  Chariot  vous  endorme, 

Tirez  d'ici,  meuble  du  Chàlelet. 

In  pareil  propos  n'était  point  agréable  ! 

Je  me  suis  vu  donner  au  Diable 

Par  cent  vendeuses  de  Bouquets; 

(les  Dames  souvent  s'abandonnent. 
Si  Lucifer  prenait  les  gens  ({u'elles  lui  donnent. 
Vous  ne  me  reverriez  jamais. 

Pourtant  sans  le  secours  de  Flore, 
Je  prétends  vous  offrir  mon  hommage  à  mon  loui' 
Votre  éclat  seul  vous  pare  et  vous  décore  ; 

Les  Lys  de  la  candeur,  les  Roses  de  lamonr 

Forment  voire  ornement  et  brillent  plus  i  luore 
Hue  les  lleurs  que  chacun  vous  présente  en  ce  jour. 


LES  QUATRE   DOUQUETS   POISSARDS.  01 

Ali,  direz-vous,  la  riist.'  est  bonne! 
.Ne  voulant  rien  donner,  il  fait  un  compliment. 

Point  du  tout.  Madame,  un  moment, 

Sans  eau  ne  baptisons  personne  : 

Si  Flore  m'a  traité  rudement, 

Je  me  suis  pourvu  cliez  Pomone, 
Et  i)our  Bouquet  recevez  ce  .Alelon. 

—  Un  Melon!  Ah!  Monsieur  badine, 

Est-ce  pour  faire  allusion 
A  votre  sexe?  —  Non,  Madame,  parbleu  non  ; 
C'est  pour  manger,  du  moins  je  l'imayine, 

Je  serai  content  s'il  est  bon. 


TROISIÈME   HOllQllET 


(jiii  mal  veut,  mal  lui  (uui'itc,  ou  Ta  dil  avant  mui. 
D'aulros  vieiidruiit  après  qui  le  diioul  {'ucoir  : 
Pourquoi  ce  Proverbe?  l'ourquoi  ! 

Vous  allez  le  savoir Aujourd'hui  ilès  TAurore 

Je  pars  de  mon  logis,  ou  peut-être  d'ailleurs; 
J'arrive  dans  l'endroit  où  Flore 
Voit  à  regret  débiter  ses  laveurs, 
Où  chaque  nymphe  avec  adresse  étale 
L'une  des  fruits,  l'autre  des  fleurs: 
Cet  endroit,  madame,  est  la  halle. 
Vous  devinez  pour  quel  sujet 
J'ai  si  matin  \isité  cette  place? 
Pour  vous  choisir  un  passable  bouquet, 
L'heure,  le  bruit,  le  temps,  les  cris,  rien  n'ombarrass 
J'en  achète  un  :  mon  achat  l'ait. 
Je  veux  passer.  Vous  croyez  que  l'on  passe 
Dans  ces  lieux-là  comme  on  veut?  Point  du  tout. 
Deux  commères  étaient  aux  prises. 
Et  disputaient  un  panier  de  cerises. 
Enchanté!  je  veux  voir  la  scène  jusqu'au  bnut  ; 


LES   QUATRE  BOUQUETS  POISSARDS.  63 

On  s'échauffe,  mille  sottises 
De  s'empoigner  leur  donnent  l'avant-goût. 
—  Ah,  disait  l'une,  on  te  les  garde! 
Chatouillez-hj  les  p'tits  boyaux  : 
Tu  les  auras,  vierge  de  corps-de-garde. 
Quand  f  aurai  rendu  les  noijaux  ! 
Maints  gros  jurons  couraient  la  poste; 
C'était  à  qui  donnerait  le  dernier. 
Après  riposte  sur  riposte, 
On  a  partagé  le  panier. 
Moi,  riant  des  bons  mots  qu'elles  venaient  de  dire, 
Pour  en  entendre  encore,  je  reste  entr'elles  deux. 
—  Mais,  dit  l'une,  vois  donc,  que  souhaite  monsieu  ! 
Comme  il  est  là'  Quoi  donc!  qui  le  fait  rire! 
Parlez  donc,  pUit  Jésus  d'cire. 
Vous  êtes  comme  un  amoureux. 
Comme  Vvla  fleurij!  v'nrz  ça  qu'on  vous  admire. 
Ah  Javolte,  les  beaux  petits  yeux  ! 
Qu'ils  sont  brillants!  viens  donc  voir,  on  s'y  mire! 
Soudain  je  me  vois  entouré 
De  six  à  sept,  et  par  degré 
On  s'apprivoise,  on  rit;  l'une  m'arrache 
Deux  grenades  et  du  jasmin. 
Puis  à  son  côté  les  attache  ; 
Et  l'autre  me  lâchant  un  grand  coup  sur  la  main 
Me  fait  sauter  le  reste...  —  Allez-vous-en  au  diable, 
Mesdames,  avec  vos  façons  : 
,    Est-ce  que  nous  nous  connaissons 
Pour  badiner  ainsi?...  —  Chien,  quil  est  raisonnable  ' 
On  ne  le  connaît  pas.  Eh  !  non. 
Vous  verrez  ça!  Te  souviens-tu,  Manon, 


tii  LES  QUATRE   liOUQUETS   POISSA  KDS. 

D'avoir  vu  danser  daus  c'te  place 
S'Ie  (iiieuse  à  qui  Chariot  avait  mis  sous  l'iiienlon 
Un  grand  désespoir  de  filasse? 
C'était  sa  mère;  cnwclé  d'Dieu!... 

—  dis  donc  pas  ça  toi,  ça  l' fâche  : 
C'est  Vhâtard  de  nions  Mathieu, 
Donneiix  d'eau  bénite  à  Saint-Enslache. 
Ah  !  la  belle  veste  au  fond  bleu  ! 
Vois-tu  la  frange  au  bas,  madame? 

C'est  tout  comme  un  r'posoir,  et  saint  Cille  au  milieu  ! 
Quoi  donc,  l'épée  au  vent!  Ah  !  voyons  donc  la  lame. 

—  C'en  est  trop,  laissez-moi,  morbleu! 
Je  ne  puis  soutenir  des  injures  pareilles. 
Si  vous  ne  cessez  voire  jeu, 

Je  vais  vous  couper  les  oreilles. 

—  Les  oreilles,  mon  cher  enfant! 
Queu  possédé!  gare!  il  est  en  colère. 
Il  est  quatre  fois  plus  méchant 
D'puis  qu'il  est  r'venu  de  galère  ! 

—  Ly?  méchant!  Non,  y  fait  semblant; 

Il  a  l'air  tout  défait!  mais  c'est  toi  qui  en  est  cause! 
N'I'agoiiisons  plus,  mais  tien. 
Faisons-l'y  payer  queuque  chose. 
Va,  va-t'y?  —  Va,  je  1'  veux  bien... 
Au  même  instant,  les  coquines  m'entraînent 
Chez  un  marchand  de  brandevin. 

—  Sans  vous  commander,  notre  voisin. 
Lâchez-nous,  s'il  vous  plait,  chopine 
De  paf  en  magnière  d'eau  divine. 
Via  monsieu,  qui  n'est  pas  vilain. 

Qui  nous  régale,  aussi  f  l'aimons  pu  qu'ma  rie! 


LES   quatre;  bouquets   rOISSAP.DS.  C5 

AUons,  bijou,  meltez-vous  là. 
Bahet,  verse  à  monsieu.  Aimez-vous  l'eau-cVvie? 

—  Non,  je  ne  bois  point  de  cela. 

—  Ah  mon  Dieu,  de  cela  !  Manon  ?  comme  ci  parle? 

Qucii  façon  !  luivez-  donc;  fnez,  quand  c'est  avalé. 

Ça  court  au  cœur,  ça  vous  l'régale. 

Dame  !  on  vetul  y  tout  du  mêlé, 

En  voidez-vous,  monsieur  V enflé  ? 
Y  naini  peut-être  pas  a  boire  dans  des  tasses. 
Veut-y  un  verre? —  lié!  non,  en  vérité! 

—  Hé  bien  donc,  à  voie  santé. 

—  Vous  me  faites  honneur,  je  vous  rends  mille  gràros. 
—  Ah  /aimons  mieux  le  bénédicité! 

—  Allons,  tais-toi,  Fanchon,  vas,  tune  sais  pas  rirrc  : 
Vois-tu  pas  ben  que  c'çstun  compliment? 

Monsieu  a  lu  l'écriture  d'un  livre. 
Ça  fait  que  sa  magnière  accueille  poliment, 
pas  vrai,  monsieu  ?  —  Quoi,  n'y  a  pu  (Vquoi  boire  ! 

J'irons  ben  jusqu'à  tras  d'mistiers, 

Si  monsieu  veut!  —  Ah  !  volontiers. 

—  Dépêchez-vous,  père  Grégoire, 
Moitié  cVça,  vile,  alerte,  et  du  bon. 
Ça,  faut  nous  excuser,  note  maître  : 
Car  vous  nous  en  voulez  peut-être; 
Mais  en  vous  demandant  pardon. 

Et  vous  baisant,  je  serons  quittes... 
—  Ce  n'est  point  tout  ce  que  vous  dites 
Qui  m'olïense  le  plus;  mais  c'est 
De  m'avoir  jeté  mon  bouquet; 
Et  pour  en  trouver  un  de  même. 
Aussi  Irais,  aussi  beau...  —  Vous  me  donnez  loquet 


06  LES   QUATRE  BOUQUETS  POISSARDS. 

Avec  votre  chien  de  refjret. 
Mais  c'est  vrai;  tien,  le  v'Ia  toul  hinne. 
Allez,  n'voiis  chaijrinez  pas. 
Salions  aller  dieux  mon  oncle  Batisle, 

Cest  un  bon  jardinier  flourisle. 
Il  (i  des  fleurs  jusqu'à  la  Saint-Tliomos  : 
Cncst  pas  heu  loin  qui  demeure  : 
Drès  qujaurons  hu  ra,  j'irons. 
Allons,  hahet,  achève,  et  pis  partons. 
Monsieu  paije-t-y  lout?  —  Oui.  —  Cest  bon. 
—  Quoi  donc  !  Cest  pas  par-la  !  —  Comme  y  court  ?  Y  s'en  va  ? 
Dites-nous  donc  adieu,  hé  Daniel,  bon  voyage  : 
(?esl  pourtant  l'hon  Dieu  qu'a  fait  ra  ! 
Queu  malin  chien!  Parlez  la  belle  image; 
Courez  donc  pas  .s/  fort,  vos  mollets  vont  tomber  ; 

Otez-vous  donc  d'son  passage. 
Il  a  rmors  aux  dents,  gare!  y  va  regimber... 
Grâce  à  mes  pieds,  de  leurs  mains  je  m'échappe. 
Protestant  bien  qu'avant  qu'on  m'y  roltrappp, 
On  verra  vos  attraits  le  céder  à  Vénus, 

En  défaut  changer  vos  vei  tus, 
Et  mon  respect,  mon  amitié,  mon  zéie 
Désavouer  mon  hommaue  (idéle. 


QUATRIÈME  BOUQUET 


Quoi,  je  ne  pourrai  pas  vous  donner  un  Bouquet 
Sans  risquer  quelques  invectives  ? 
Sans  essuyer  de  ces  femmes  rétives 
Tout  ce  que  leur  maudit  caquet 
Va  recueillir  dans  les  archives 
Des  Ports,  des  Halles,  du  Guichet  ? 
—  Bon  !  direz- vous,  qu'est-ce  que  cela  fait? 
Vous  rispostez  à  leurs  façons  naïves  ; 
Vous  en  riez  vous-même...—  Oh  non  pas,  s'il  vous  plaît. 
,\urais-je  débuté  par  des  rimes  plaintives, 

Si  je  n'étais  tout  stupéfait 
De  ce  qu'elles  m"ont  dit  en  paroles  trop  vives? 
Fort  sérieusement  je  vais  conter  le  fait. 

Vers  le  milieu  de  votre  rue 

Une  femme  s'offre  à  ma  vue 
Avec  un  Corbillon  sur  son  ventre  perché. 
Des  Bouquets  à  l'entour.  —  Monsieu,  Mo7isieu,  dit-elle, 
Vons  nubliez  du  p,n.  Je  me  suis  approché. 
—  Je  voudrais,  ai-je  dit,  la  fleur  la  plus  nouvelle... 


fi8  LES   OUATRK   liOUQUETS   POISSARDS. 

—  Prenez  s' V orange-Ut,  (jni'  en  a  pas  (lan&  V  marché 
D'plus  mieux.  —  Combien  ?  —  vingt  sols  en  conscience. 

Les  recevant  elle  a  lâché 

Un  ris  suspect  à  ma  prudence  : 

En  effet  avec  défiance 
J'examine  et  je  vois  mon  Bouquet  allaclié 
Au  bout  d'une  allumette.  —  Ah,  dis-je,  l'impudence! 
Mais  votre  Bouquet  est  fiché, 
11  n'a  point  de  queue...  —  Allez,  gonze ! 
S'il  est  fiché;  vans,  vous  êtes  fichu, 
Chien  (V Aumônier  du  Cheval  de  bronze. 
Bel  ange  h  double  pied  fourchu; 
Demandez-moi  quoi  qui  me  d'mande. 
Avec  son  visage  sans  viande, 
N'avez-vous pas  acheté?  voyons,  parlez...  —  Oui,  oui, 

—  Mais  tenez  gardez-le...  —  Mon  fiston,  grand  marci  : 
Queu.r  gracieusetés  ..  —  Allez  laissez-la  dire. 

Me  dit  une  autre  en  s'approchant, 

Lxj  répondre  ça  serait  pire, 

AU  voïis  grugerait  d'un  coup  d'dent, 

—  Hé  Thérèse,  dit  la  première. 

Tu  vois  ben  s'  Monsieu?  C'est  un  chien 

Qui  ni   truniprait  s'il  ne  valait  rien  ; 
Car  il  vous  a  la  mine  fière 
Et  le  cœur  doux.  Eh  mais  !  Il  est  en  deuil. 
Ça  vous  va  ben  !  ça  sied  à  votV  figure. 

Il  a  les  grâces  d'un  cercueil  : 
V'nez  jn'  baiser,  v'nez...  —  Ah  t'es  trop  dure! 
Tuez,  Monsieu,  moif  vas  vous  accommoder  ; 

—  Soit,  (iis-je.  —  Ah  c'a  n  va  pas  larder, 
J'  men  vante.  L'autre  que  le  Diable 


LES   QUATRE   BOUQUETS   POISSARDS.  69 

Chargeait  du  soin  de  me  faire  damner, 
Les  bras  croisés,  «l'un  œil  désagréable. 
S'occupait  à  m'examiner. 

—  Quoi,  dit-elle,  Fareau!  vous  portez  donc  la  luette! 

—  Mais  répond  Vautre,  ail  est  ben  faite 

Pour  Monsieii...  —  Lrj?  C'est  l'  fils  cV  queuques  Vitriers, 

—  A  quoi  donc  qu  tu  vois  ça  ?...--  Droit  aux  yeux  ça  se  jette. 
Tien,  il  a  des pantieaux  de  Verre  à  ses  souliers. 

Vois-tu  comniça  tarluit!  chien!  ça ■  ni  ébar luette. 

—  Va,  tais-toi  donc,  sont  des  blouq's  à  diamans. 

—  lié  morbleu,  dis-je  à  la  seconde, 
Dépêchez-vous  donc...  —  Monsieu  (jronde. 
Thérèse,  as-tu  fini  ?  Tu  fais  bisquer  les  gens  ; 
Faut  quil  aille  porter  ses  billets  d'enterrements. 
Dépêche-toi...  —  Que  je  me  dépèche? 

S'il  est  pressé,  quéqui  Vempéche 

De  fouiner  '...  Je  la  prends  au  mot, 

Et  je  pars;...  —  Parlez-donc  ?  vieux  manche  de  Gigot  : 

—  L'homme!  eh  l'homme  au  Bouquet  sans  queue, 
V'nez,  c'est  qu'on  rit,  Monsieu  ragot; 

It  sent  r  damné  d'un  quart  de  lieue  : 

Vous  arriérez  core  assez  tôt 
Pour  faire  peur...  —  Allez,  Madame, 
Par  charité,  donnez-lij  V  bras; 
Le  vent  va  l'envoler,  car  il  ne  pèse  pas 

La  moitié  de  sa  fine  lame. 
.lusque  chez  vous  elles  m'ont  poursuivi  : 
J'y  suis  donc  enfin,  Dieu  merci. 
Mais  n'attendez  point,  je  vous  prie. 

'  S'en  aller. 


70  LES  QUATRE  ROUQUETS  POISSARD^. 

Ni  Bouquet,  ni  la  moindre  fleur, 
Non  pas  même  un  souhait  flatteur 

Pour  votre  personne  chérie, 

Je  suis  de  trop  mauvaise  humeur. 

Je  me  borne  à  vous  rendre  compte 

De  mon  guignon  et  de  ma  lionte; 
Et  votre  esprit  vif,  doux,  léger,  touchant, 
Vos  attraits,  vos  vertus,  votre  amitié  sincère. 
Ainsi  que  votre  excellent  caractère, 

Se  passeront  de  compliment. 


v\y  nr.  la  ripi:  casrkk. 


LETTRES 

DE   LA  GRENOUILLÈRE 

E  N  T  II  E 

M"  JEROSME  DUBOIS 

l'ÊCUEUX   DU   GROS-CAILLOU 
E  T 

M'-  NANETTE   DUBUT 

UL.V.NCIIISSEUSE     DE     LINGE    FIN 


AVERTISSEMENT 

Il  y  a  toute  apparence  qu'après  Jeur  mariage,  les 
deux  Amans  auteurs  de  ces  Lettres,  en  ont  fait  dé- 
positaire Madame  Dubut  la  Mère,  puis  qu'après  sa 
mort,  en  faisant  l'inventaire  de  ses  meubles,  ou 
trouva  lesdiles  Lettres  dans  un  tiroir;  une  seule, 
dont  on  fit  lecture,  annonçant  que  les  auti'es  pou- 
vaient être  dans  ie  même  genre,  on  s'en  empara 
furtivement,  on  les  fit  transcrire  sans  y  rien  changer, 
et  un  les  donne  aujourd'hui  au  Public,  autant  p^our 
son  amusement  que  pour  la  gloire  de  Monsieur  Jé- 
rôme Dubois  et  de  Mademoiselle  Nanelte  Dubut. 


n  I.ETIUES   DE   LA  ti  IIENOU  ILLÉ  RE. 

J\l.\.NE>ELLb:. 

Quand  d'abord  qu'on  n'a  plus  son  cœur  à  soi,  c'est  signe 
qu'une  autre  personne  l'a  :  et  pour  alin  qu'vous  n'irouviez 
pas  ça  mauvais,  c'est  que  j'vous  dirai  qu'vous  avez  l'mien. 
J'ai  eu  la  valissance  et  l'iionneur  d'vous  voir  dans  un  en- 
droit de  danse  au  Gros-C,  lillou  par  plusieurs  dil'iérenles  l'ois, 
et  qui  pis  est,  j'ai  dansé  aveuc  vous  trois  m'nuels  et  puis 
le  passepied,  en  payant  dont  je  ne  r'grette  pas  la  dépense, 
parce  que  ça  n'est  pas,  suivant  ce  qu'vous  valez.  Pour  re- 
venir donc  à  ce  que  j'disions,  j'mapelle  Jérôme  Dubois,  et 
en  tout  cas  qu'vous  ne  remettiez  pas  mon  nom,  j'suis  ce 
grand  garçon  qui  a  ses  cheveux  en  cadenette,  et  puis  une 
canne,  les  Dimanches,  de  geay,  et  qui  a  aussi  un  habit 
jeaune  couleur  de  ma  culotte  neuve,  et  des  bas  à  Tavenanî. 
J'amènerai  Dimanche  ma  mère  au  même  lieu  qu'vous  avez 
venu  la  dernière  fois,  pour  qu'aile  fasse  connaissance  aveuc 
vous,  et  ça  sera  fort  ben  fait  à  moi  que  je  puisse  vous  faire 
séparteger  l'amiquié  que  j'goute  pour  vous  dont  j'suis  avec 
du  plaisir, 

Maneselle, 
Vote  petit  sarviteur  de  tout  mon  cœur,  Jéuùme  Dur.ois, 
l'èeheux  d'ia  Guernouyère,  là  où  que  j'deumeure  pour  at- 
tendre vote  réponse. 


Mo.NSlEl'X, 

J'ai  reçu  vole  Lettre  là  où  ce  {pu' J'ai  lu  l'écriture  qu"é- 
'^ail  dedans,  j'nai  pas  un  brin  la  r'souvenance  d'vous  cun- 


LETTRES  DE  LA   G  HENUUIL  LÉRE.  73 

naitie,  et  ça  m'a  t'ait  plaisir  d'apprendre  de  vos  nouvelles, 
l'our  à  regard  d'vote  politesse,  jai  trouvé  du  contraire  dans 
la  vérité  que  j'aie  vote  cœur,  à  cause  qu'on  n"a  pas  le  bien 
d'autrui  sans  qu'on  le  donne  ;  ça  fait  connaître  qu'une  lille 
(I  honneur  ne  prend  rien,  par  ainsi  j'nai  pas  vote  cœur  ;  et 
puis  tous  les  ceux  qui  disont  ça  pour  rire  n'allont  pas  le 
«lire  à  Uonie,  car  les  Garçons  du  jour  d'aujourd'hui  savont 
si  bien  emboiser  les  tilles,  que  je  devrions  en  être  soûles  ; 
c'est  pourquoi  j'vous  prie  d'brùler  ste  Lettre,  dont  j'suis 
aveuc  respect, 

MoNSlEUX, 

Voire  très-huuibe  servante  Nanette  Duuut. 


Manesllle, 

En  verte  d  Dieu,  vole  doutance  l'ait  tort  à  un  Garçon 
cunnne  moi,  dont  la  façon  que  je  pense  naïbelmeut  est  aussi 
ben  du  vrai,  comme  vous  avez  d'ihonneur  ;  si  j'navais  pas 
d'iamiquié  envers  vous,  est-ce  que  j'songerais  lant-seuie- 
iiient  iuvote  parsonne  't  Allez,  Maneselle,  quoique  je  n'soyons 
([u'unGuernouyeux,  j'ons  peut-être  plus  d'inspériance.  dans 
la  vérité  qu'non  pas  un  habile  homme  ;  votre  darnière 
Ltttre  est  geniille  à  manger,  par  où  je  m'douie  qu'vous 
avez  encore  plus  d'esprit  que  de  mérite  ;  marque  de  ça  c'est 
que  j'vous  envoyé  une  paire  d'anguilles,  aveuc  (rois  bro- 
chets que  j'ons  péchés  à  ce  matin,  comme  par  exprés  poui" 
vous,  j'voudrais  (pi'ils  lussioiit  d'argent  ma^sil",  ça  sautrail 
encore  ben  jdus  aux  yeux,  et  ça  vous  hait  mieux  voir  (jue 


7-i  1,I:TTUI,S    ItK   LA   (WtKiNU  II ILLE  1'.  L 

j'voiib  ai  (loniié  mon  cœur  ;  car  un  ne  l'ait  pas  (roUVaiiilt' 

si  lioiuièU'  à  un  qiiL'uqu'uii  qu'on   n'aime  pas  d  la  manière 

((ue  je  suis, 

Voire,  elc. 


Mo.NSlEUX, 

Le  jeune  f^ar^on  dont  vous  m'avez  envoyé  pour  (piii  me 
présente  vote  ol'lraude,  j'iy  ai  dit  d'ma  pari  qu'il  n'avait 
qu'à  l'purter  à  la  Halle.  A  nous  des  présens  !  Eli  pourquoi 
doue  l'aire  ?  Eh  mais  vrament,  Monsieux,  pour  qui  nous 
prenez-vous?  Sij'aimions  un  queuque-zun,  je  n'voudrions 
rien  pour  ça;  eh  mais  j'vous  dis!  ne  vla-t'y  pas  coftime 
Chariot  Colin  a  l'ail  à  l'endroit  d'ma  sœur  Madelon?  Le 
chien  qu'il  est  ly  a  comme  ça  usé  d'pricaution  à  l'endroit 
d'elle  ?  Aile  a  reçu  tout  ce  qu'il  ly  a  donné,  et  puis  après 
l'vivant  daboi'd  qu'il  a  eu  le  plus  beau  et  le  meyeur  de  son 
amour,  il  vous  la  plantée  là,  qu'elle  a  eu  une  fatigue  de 
trouver  à  se  marier.  Excusez  si  j'nen  lais  pas  tout  de 
d'inème  et  si  j'prend  la  liberté  de  ne  pas  être, 

Votre,  elc. 


JlAiNEStLLli, 

bleu  in'présarve  plutôt  d'vole malédiction,  qudu  rheuiiie 
où  je  suis  à  force  de  nie  chagriner;  j'suis  lâché  d'vous  avoir 
lait  une  manque  de  bieTiveuillance  ;  ça  m'apprendra  à  vivrez 


LLTTKES  DE   LA   GRENOUILLÈRE.  75 

j"  vendrais  avoir  les  chiens  de  poissons  dans  l'venlre  ;  par- 
^^uié  j'ai  ben  du  guignon  !  Ali,  Maneselle  Nanette,  ne  me 
jouez  pas  Ttour  de  ne  plus  avoir  affaire  à  moi,  car  j'aime- 
rais quasi  me  voir  à  la  morl  de  mes  jours  que  d'voir  de 
mes  yeux  vos  bonnes  grâces  pour  moi  à  l'extermilé  de  leur 
lin,  et  que  de  ne  pas  augmenter  l'amour  dont  le  bon  motif 
est  en  verte  conmje, 

Vulie,  etc. 


Makèselle, 

Via  deux  jours  que  je  n'dors  pas,  dont  le  chagrin  me 
rend  triste  de  plus  en  plus,  sans  qu'vous  répondiez  à  ma 
Lettre  Stella  d'avant  stelle-ci.  Queu  malheur  !  foi  d'hon- 
néle  garçon  ça  m'désole  ;  j'ai  faim  et  j'nai  pas  l'courage 
d'manger;  ma  mère  cioit  que  j'vais  d'venir  enragé;  tout 
le  monde  rit,  et  moi  j'pleure  comme  un  S.  Pierre  ;  il  fait 
beau  tems,  j'prens  ça  pour  d'ia  pluie,  tout  m'semble  à 
l'arbour,  et  tout  ça  à  cause  de  vous.  Tenez,  Maneselle  Ma- 
nette, je  vous  le  dis,  si  par  hazard  je  ne  touche  pas  de  vos 
nouvelles  après  qu'vous  aurez  lu  ce  qu'vous  allez  lire,  j'fais 
une  vente  de  tout  nionjvailiant,  et  je  m'en  vas  trouver  un 
l'rètre  d'note  Parroisse,  j'iy  donne  tout  mon  argent  à  celle 
lin  qu'il  prie  Dieu  qu'il  vous  consarve,  et  puis  j'men  reviens 
sur  la  gueule  de  mon  bacheau,  et  craque  dans  l'eau  la  tête_ 
devant,  les  poissons  qui  seront  la  cause  de  ma  mort,  man- 
geront pour  leur  peine, 

Voire,  etc. 


76  LETTHliS   DE   LA   GUENOUILLÈH  E. 

MONSIEUX, 

J'n'avons  pas  le  cœur  aussi  dur  que  du  mâchefer  ;  jo 
irdemaiidoiis  pas  la  mort  d'un  vivant  comme  vous  ;  bcn 
du  contraire;  sije  ne '-'ousaipasécrit  uneréponse  à  l'aulie 
Lettre  d'avant  advanzliier,  c'est  qu'mon  l'rére  Jean-Louis 
qui  s'est  brûlé  une  de  ses  mains  droite,  il  a  toute  lencre  pour 
mètre  dessus  sa  brûlure  ;  ça  n'empêche  pas  quune  autre 
fois  ne  m'onvoyoz  plus  de  présent  toujours,  car  y  gn'aurait 
plus  à  dire  un  sacage  de  regrets  dont  vous  auriez  été  mor- 
tifié, une  fille  de  la  vertu  a  de  la  pensée  dans  i'cœur,  dont 
aile  peut  se  vanter  que  sa  conscience  n'a  pas  une  épingle  à 
redire,  tout  d'mème  qu'ma  niére  qu'est  une  fenune  d'hon- 
neur, comme  j'suis, 

Votre,  etc. 

Ma  mère  ira  demain  Dimanche  aveuc  moi  au  Gros-Caillou 
comme  y  avait  Dimanche  huit  jours,  si  vous  vouez  ylout 
aveuc  la  vote,  mettez  un  peu  d'poudre  à  vos  cheveux  sans 
que  ça  jiaraisse. 


Maneselle, 

C'est  l)en  doniage  que  ce  n'est  pas  tous  les  jours  diman- 
che connue  le  jour  d'hier,  car  j'aurions  la  consolance  d'nous 
voir  tant  qu'assez.  Jarny!  que  j'étais  aise  d'èlre  content  en 
mangeant  sle  salade  aveuc  vous,  maneselle,  de  chicorée 
sauvage,  il  me  ^emblit  que  je  grugeais  du  sellery  tant  vos 
yeux  me  donniont  des  échaulTaisons  ;  j'ai  dansé  nous  deux 


LETTRES  DE  LA   GRENOUILLÈRE.  77 

vole  mère;  mais  aile  n'danse  pas  si  ben  qu'voii?.  Aile  vou- 
lait pourtant  dire  que  si,  moi  j'nay  pas  voulu  ly  dire  qu'non, 
parce  qu'aile  n'est  pas  une  étrange;  mais  vous  qu'avez  une 
téribe  grâce  quand  vous  dansez  l'allemande.  Le  violon  n'peut 
pas  vous  suivre.  Et  puis  aveu  ça,  vous  chantez  connue  un 
soleil  :  en  verte,  plus  je  vous  r'gardais  et  plus  j'trouvais 
qu'vous  aviez  l'air  d'un  miracle.  J'vous  ai  embrassé  aveuc 
la  permission  d'ia  compagnie,  j'étais  à  moi  seul  plus  ravi, 
qu'touts  les  bienliureux  qui  gna  eu  depuis  que  l'monde  est 
dans  l'monde.  Vous  serez  toujours  dans'  l'idée  de  ma  mé- 
moire; j'vous  dis  ça  hier,  ça  m'vient  encore  dans  la  pensée, 
parce  que  c'est  une  espèce  d'amiquié  d'ardeur  qui  fait  que 
j'vous  dis  ce  que  j'vous  dis,  comme  si  je  pouvais  être  encore 
plus  clienument. 

Votre,  etc. 


MONSIEUX, 

Vous  m'dites  aveuc  d'I'écriture  comme  par  paroles, 
qu'vous  m'aimez  ben;  j'crois  ben  en  Dieu.  J'voudrais  ben 
savoir  par  queulle  occasion  vous  m'dites  ça;  c'est  p'têlre 
d'ia  gouaille  qu'vous  me  r'poussez;  tenez  c'est  qu'y  a  des 
garçons  qui  avont  tant  d'amour!  tant  d'amour!  qu'ils  le 
sépartageont  à  toutes  les  filles  qui  voyont,  c'est,  Dieu  me 
pardonne,  comme  des  parpillonsqui  faisont  politesse  à  une 
fleur,  et  puis  qui  foisont  par  ensuite  comparaison  aveuc 
une  autre;  si  en  cas  vous  n'êtes  pas  tout  d'même.  Dieu  soit 
béni.  Ça  m'fra  figurer  dans  mon  esprit  qu'vous  avez  ben 
d'réuanl  pour  ma  considération;  je  n'veux  plus  vous  écrire 


78  LETTRES  DE  LA   GRENOUILLERE. 

comme  ça,  car  ça  mange  mon  tems,  ça  recule  mon  ouvrage, 
et  vote  honnêteté  avance  dans  mon  intérieur,  plus  que 
d'coutume;  j'suis  en  attendant. 

Votre,  etc. 


Mankselle, 

Vous  avez  dans  vote  tête  des  escrupules  pour  moi  dont 
j'voudrnis  l'aire  invanotiir  la  doutance;  l'desir  d'mon  espiv 
rance  touchant  vote  sujet,  n'veut-y  pas  dire  que  je  serai  vole 
sarviteur  tout  au  mieux?  Premièrement,  vous  êtes  beaU' 
coup  belle,  et  pis  moi  j'suis  parsévereux;  oui,  maneselle, 
j 'voudrais  qu'ma  vie  en  soit  quatre,  et  puis  les  mettre  au 
bout  l'une  de  l'autre,  ça  serait  pour  vous  sarvir  plus  long- 
tems,  l'témoignage  de  ça  n"a  pas  besoin  d'signifiance,  car 
l'article  d'ia  mort  me  f'ra  tout  comme  d'un  clou  à  soufflet, 
et  pis  quand  même  j'inourrais,  je  n'changerais  pas  pour 
ça.  Les  autres  filles  n'me  convenoiit  pas  comme  vous; 
qu'ailes  viennent  pour  voir  auprès  dinoi  comme  sarpeguié 
j'vous  les  accueilleront!  ailes  auront  beau  dire  :  monsieur 
Jérôme,  comment  ça  vati  ?  Eh  hu!  j'te  réponds  par-dessur 
l'épaule;  mais  tiens,  vois  dont,  s'dironl-elles,  il  est  ben 
fier!  comme  y  fait!  Allez,  maneselle,  que  j'dirai,  ça  est 
énutile,  v'ia  tout,  cliarchez  des  fareaux  ayeurs.  Adieu, 
maneselle  Nanette,  j'prenrons  la  vanité  d'vous  aller  voir 
demain  avant  l'après  diner  pour  vous  dire  que  j'suis  tout 
en  plein, 

Votre,  etc. 


LETTRES   DE   LA   GRENOUILLERE.  79 

MONSIEUX, 

N'venez  pas  comme  ça  d'si  de  bonneheure,  comme  c'est 
qu'vous  avez  venu  hier;  ma  mère  vient  de  m'dire  qu'notre 
linge  était  mal  repassé,  et  qu'ça  venait  de  ce  que  vous  ve- 
niez pas  assez  tard,  faut  venir  le  soir,  voyez-vous  ;  car  je 
ne  saurais  vous  voir  et  puis  travailler,  ça  fait  deux  tasches 
tout  en  un  coup.  En  revenant  nous  revoir  demain,  n'man- 
quez  pas  d'amener  aveuc  vous  ste  chanson  qu'vous  avez 
chanté  d'votre  voix  avanz-hier;  ma  mère  m'a  dit  qu'allé 
était  gentille  à  manger;  c'est  une  vivante  qui  s'y  connaît, 
sa  commère  qu'est  marchande  de  ça  l'y  en  donne  une  in- 
finité horibe  ;  gna  ytout  un  jeune  garçon  qui  y  sera,  qui  en 
sait  par  cœur  tout  fin  plein;  tâchez  qu'vote  cousin  en  re- 
venant de  Sève  lumbe  cheux  nous,  ça  fra  que'plus  on  est 
de  fous  et  plus  on  rit;  ma  maraine  Marie-Barbe  et  puis  sa 
fille  ailes  vianront  exprès.  Je  leur  ai  fait  envoyer  dire  par 
hazard,  qu'ailes  n'aiiriont  qu'à  venir,  à  moins  qu'ailes 
n'ayont  pas  le  temps,  comme  de  raison  queuquefois.  Pas 
moins  j'suis, 

Votre,  etc. 


Maneselle, 

Je  nous  avons  ben  divarti  hier,  jarnonce  qu'vote  maraine 
devise  ben  !  c'est  aussi  pire  qu'vous  !  cependant  pourtant  s'il 
y  avait  une  pariure  à  faire  de  laqueule  de  tous  les  deux 
qui  a  plus  de  chose  dans  le  gazouillage,  j'mettrais  ma  tète 


80  LETTRES   DK   LA   GHENOUI  M  ^'.RE. 

à  couper  qifvous  r'gouleriez  voUv  maraine  sur  toutes  sortes. 
Four  au  sujet  de  cadet  llustaclie  qui  a  donc  chanté  Tplus 
Tort  (pendant  deux  heures)  de  la  Compagnie,  c'est  un  figno- 
leux,  mais  y  fait  trop  l'fendant,  à  cause  qu'il  a  du  bec,  et 
qui  fait  la  rusniétique  comme  un  abbé,  y  veut  fringuer  par 
d'ssus  nous  :  V  n'a  qu'faire  de  tant  faire;  je  l'connais  bcn, 
c'est  un  petit  chien  de  casseux  qui  a  des  sucrés  nazis  un 
peu  trop  de  rechef,  qu'il  n'y  ravienne  pas  davantage  à  mon 
occasion  toujours,  car  je  le  r'muerais  d'un  lîer  goût;  el 
sans  l'honnêteté  que  j'vous  dois,  j'y  aurions  fait  voir  qu'ja- 
voiis  des  bras  qui  valont  ben  sa  langue;  ai-je  ty  affaire 
d'avoir  besoin  de  ça  moi?  il  m'a  fait  tout  d'vant  vous  une 
dérision  sur  la  chanson  que  j'avons  chanté  en  vote  hon- 
neur. Ça  fait-y  plaisir  à  un  queuqu'un  comme  je  pourrais 
être?  J'voudrais  ben  voir,  pour  voir  comment  y  frait  pour 
en  faire  lui  qui  fait  tant,  Tolimberius.  Ste  chanson  aile  est 
belle  et  bonne,  aile  devient  d'un  d'mes  amis  que  je  connais 
qu'est  cheux  un  bureau  d'ia  barrière  des  Jinvalides,  qui  a 
d'I'esprit,  dame  '  faut  voir  !  el  qu'en  mangerait  quatre  comme 
cadet  Hustache,  j'y  avons  payé  du  vin  pour  ça  et  j'vous 
l'envoyons,  comme  vote  volonté  l'désire. 


Air  :  En  passant  stir  le  Pont-Neu/. 

Je  suis  amoureux  très-fort 
(Envia  pour  jusqu'à  ma  moft) 
De  la  plus  belle  parsonne 
Oui  gii'aye  dedans  Paris, 
Et  c'est  squifail  que  j'iy  donne 
Mon  cœur  qu'aile  m'avait  pris. 

Je  ly  jure  sur  ma  loi 
Que  je  l'aime  autant  que  moi  ; 


LETTRES   DE   LA   GRENOUILLÈRE. 

Son  nom  s'appelle  Nanette, 
Si  je  peux  ly  plaire  un  jour, 
Ma  fortune  sera  faite, 
Ma  richesse  est  son  amour. 


La  via  comme  aile  est,  nianeselle,  ça  n'sera  pas  la  dar- 
niére,  car  j'en  aurons  p'tètre  encore.  J'men  irai  demain  à 
Saint-Clou  environ  la  valissance  d'huit  jours,  dont  via  mon 
adresse  :  à  monsieur  Jérôme  Dubois,  à  l'Image  Saint-Glande. 
J'noze  pas  vous  aller  dire  mes  aguieux,  car  ça  m'frail  une 
peine  de  chien  ;  ça  n'empêche  pas  que  je  n'vous  quitte  avec 
la  même  quantité  d'amiquié,  comme  si  je  n'vous  quittais 
pas  pour  vous  signifier  que  j'suis  volontiers. 

Votre,  etc. 


MONSIEUX, 

J'vous  souhaite  un  bon  voyage  et  une  parfaite  santé,  ac- 
compagnée de  plusieurs  autres;  via  donc  huit  jours  qu'je 
n'vous  voirai  pas  qu'dans  ma  pensée,  enfin  faut  prendre 
patience;  mais  j'vous  dirai  queuque  chose  touchant  Idis- 
cours  de  vote  lettre  d'hier,  ça  n'est  pas  permis  qu'on  soye 
d'mauvaise  himeur  dans  Tplein  cœur  d'ia  joye,  vous  avez 
roulé  vote  corps  dans  la  politesse  et  vous  manquez  dans  la 
civilité,  par  la  magnere  qu'vous  avez  agi  sur  la»  conversa- 
tion de  M.  Cadet  Hustache;  ce  garçon  il  est  drôle  comme 
tout,  et  y  n'mérite  pas  la  fâcherie  qu'vous  ly  faites;  queu 
mal  y  a  ty  d'rire  l'un  aveuc  Faute?  J'vous  dirai  qu'dans  le 
monde  faut  vivre  aveuc  les  vivans,  j'snis  ben  qu'il  a  fait  une 

5. 


82  LETTRES  DE  LA  GRENOUILLÈRE. 

moqrie  sur  vote  intention,  mais  alors  qu'on  goiiaye  pour 
badiner  ça  n'est  pas  pour  tout  d'bon;  un  joli  garçon  prend 
ça  d'Ia  part  qu'ça  vient,  j'naurais  donc  qu'a  eu  m'fàcher 
aussi  comme  ça  drès  qu'ma  tante  m'a  dit  quouques  railles 
sur  la  raison  du  nom  que  je  m'nomme,  (|uand  aile  a  dit, 
ma  nièce  Nanelte  a  de  l'esprit  comme  un  dragon,  c'est 
dommage  qu'aile  porte  l'nom  d'âne  pour  sa  fête;  et  moi 
j'vous  ly  ai  répondu,  dame!  comme  on  répond  quand  on 
sait  répondre  :  Allez,  si  j'suis  âne,  ma  tante,  j'n'en  ai  pas 
moins  la  crainte  d'Dieu  d"vant  les  yeux;  là-dessus  aile  s'est 
lait  ben  vile  comme  vous  savez,  et  puis  aile  a  changé  d'dis- 
cours  sur  un  aute  langage  ben  plus  moins  gausseux.  Ça 
vous  montre-ty  pas  que  j'devons  être  pas  tant  d'une  himeur 
qui  s'offense,  comme  si  c'était  ben  gracieux  d'être  comme 
ça.  C'est  pourquoi  faut  mieux  du  caractère  aisié  qu'du  rude; 
moi  j'aime  mieux  un  mouton  qu'un  loup,  parquoi  j'voudrais 
qu'vous  ayez  un  peu  d'douceur  pour  que  j'vous  r'gardit 
comme  un  mouton,  comme  j'y  serai  toujours. 

Votre,  etc. 


Maneselle, 
C'est  ben  vrai  ce  qu'vous  dites-là,  faut  pas  s'arrêter  à 
langue  d'un  moqueux,  et  puis  queuque  ça  m'fait  tout  ça? 
Pourvu  qu'j'ayons  une  branche  d'vote  amiquié?  J'faisons 
plus  d'contenance  d'un  filet  d'vote  paroly  que  d'un  tas  d'ja- 
zeux  qui  se  fairont  gros  comme  des  bœufs,  à  cause  qu'ils 
avont  pour  deux  yards  d'inloquence.  Vous  n'avez  qu'à  dire 
moi  j'serai  doux  morguié  comme  d'I'eau  d'any  pour  marque 


LETTRES  DE   LA  GRENOUILLÈRE.  ^^ 

d'obéissance.  A  propos,  je  sommes  arrivés  à  bon  port,  hor- 
mis qu'j'ons  pensé  périr  roide  comme  une  barre.  Faut  que 
j'vous  conte  ça.  Tenez,  Maneselle  Nanette,  émnginez-vous 
que  je  sommes  dans  un  gran  bacheau  qui  voyage  à  Val- 
Pont,  j'équions  à  vingt  pas  d"la  grande  arche  du  pont  d'saint 
Clou;  j'dis  à  Jean-Louis  à  Moyau  !  hé!  à  Moyau  !  via  mon 
chien  qu'était  soûl  comme  un  trente  mil  gueux,  qui  force 
Tgouvernail  d'une  rude  force,  ça  fait  faire  au  bacheau 
l'coude.  Sarpeguié  j'dis,  nous  via  ben!  j'veux  ravirer  à 
mont  tout  d'même,  c'est  énutile,  et  puis  tout  d'suite  la 
gueule  du  bacheau  pan  !  s'écalvantre  contre  la  pile,  j'croyais 
l'guiabe  m'enlève  que  j'équions  logés;  mais  par  bonheur 
j'neûmes  pas  d'malheur;  j'en  fûmes  quites  pour  un  pot 
d'rogome  que  j'bùmes  à  la  santé  d"!a  Providence  pour  sa 
peine  qu'aile  nous  avait  présarvés  d'aller  tertous  à  la  mor- 
gue. Je  n'craignais  de  surmarger  qu'dans  la  peur  de  n'plus 
g(j,p  Votre,  etc. 


MONSIEUX, 

Y  a  du  grabuge  à  note  maison  par  rapport  à  moi  et  ma 
mère  à  cause  d'vous  ;  j'étais  après  à  lire  vote  Lettre  dont 
j'nai  pas  pu  achever  la  fin  comme  vous  allez  voir,  si  bien 
donc  qu'vla  qu'est  ben,  ma  mère  entrit  sur  le  champ,  aile 
m'dit  bonnement  quoiqu'c'est  qu'ça  qu'ta  là?  Moi,  jdis  rien  . 
Ah,  dit-elle,  c'est  queuque  chose.  Ce  n'est  rien  j'vous  dis. 
J'parie,  dit-elle,  qu'c'est  queuqu'chose  ?  Pardy  ma  mère 
i'dis,  ce  n'est  rien,  eh  puis  quand  ça  serait  queuqu'chose 
j'dis,  ça  n'vous  frait  rien;  là-dessus  aile  m'arrachit  vote 


84  LETTRES   DE  I-.\  GRENOUILLÈRE. 

Lettre  et  puis  aile  lisil  T/'crilnre  tout  du  long.  Ah!  ali  !  se 
mit-elle  à  dire,  c'est  donc  comme  ça  qu'vous  y  allez  aveuc 
votre  Jérôme  Dubois  ?  Ali  le  chenapan  il  Taltrapra,  c'est 
pour  ly,  on  ly  garde,  et  toy  chienne  via  pour  loi.  Quoi  vous 
vous  écrivez  d'zécrilures  en  d'sous  main  ?  Malhureuse  que 
t'es!  via  donc  s'que  t'as  appris  au  catéchisse?  Encore  si 
s'garçon  la  pouvait  faire  un  bon  assortissage  j'dirais.  Mais 
ma  mère  j'dis,  c'est  un  bon  travayeux,  je  n'sommes  pas 
plus  qu'ly;  une  blanchisseuse  n'est  pas  unegrosse  Dame; 
oui  da,  dii-elle,  y  a  blanchisseuse  et  blanchisseuse,  toy, 
t'est  blanchisseuse  en  menu,  et  quand  même  tu  n'blanchi  • 
rais  qu'du  gros,  drés  qu'on  za  de  l'inducation,  gueuse!  tille 
de  paille  vaut  garçon  d'or.  Eh  ben  j'dis  ma  mère,  quoiqu'je 
n'soyons  pas  paille,  je  n'voulons  point  d'homme  d'or  ny 
d'argent,  nous  en  faut  un  tout  comme  Monsieux  Jérôme 
Dubois;  j'suis  tille  d'honneur,  il  est  honnête  garçon,  oiiy 
ma  mère,  j'nous  aimons  à  cause  d'ça,  et  j'nous  aimerons 
tant  que  l'corps  nous  battra  dans  l'ame,  là  dessus  aile  m'a 
encore  apliqué  une  baffe  d'sus  l'visage,  et  puis  aile  a  dit 
que  j'iy  payerais,  mais  ça  n'empêchera  pas  l'continuage 
d'iamiquié  dont  j'suis. 

Votre,  etc. 


Maneselle  , 

C'est  pour  vous  r'marcier  d'Ia  magnere  qu'vote  mère  a 
été  r'bouissée  par  la  soutenance  d'vote  farmeté  à  mou 
sujet  ;  et  c'est  fort  mal  fait  à  elle  d'avoir  dit  ça,  si  j'navons 
pas  des  richesses,  j'ons  un  savoir  faire.  Qu'allé  no  fasse  pas 


LETTRES   DE  LV   GRENOUILLÈRE.  85 

tant  la  Bourgeoise  ;  si  aile  a  d'Ia  valeur  c'est  qu'aile  a  fait 
une  brave  et  genti-fille  comme  vous,  sans  ça  j'nen  donne- 
rais pas  la  moiquié  de  rien.  Pour  à  l'égard  de  s'qui  est 
d'moi,  j'vous  aime  tant,  qu'au  lieur  de  n  partir  qulundy, 
j'décampe  demain.  Via  quatre  jours  que  je  n'vous  vois  pas 
m'est  avis  qu'c'est  comme  si  j'avais  été  quate  mois  au  Fort- 
TEvècre,  qneu  diante  d'train  qu'l'amour,  on  est  comme  des 
je  n'sais  pas  quoi  !  j'crois  moi  que  j'suis  malade;  quand 
j'traye  les  bras  m'tumbont,  j'suis  triste,  et  puis  j'pense  à 
vous  comme  si  j'navais  qu'ça  à  faire,  et  puis  quand  j'suis 
couché  j'vous  lâche  d'grosses  respirations,  comme  si  on 
m'avait  fiché  i'tour  ;  j'ai  beau  me  r'tourner  sur  un  côté  et 
puis  sur  l'autre,  je  n'suis  pas  pus  avancé  à  quate  heures 
du  matin  que  jTétais  drès  en  m'ceuchant,  et  puis  à  la  fin 
j'm'endors  gros  comme  un  rien,  j'crois  que  j'vous  vois  en 
rêvant,  et  tout  d'suite  je  m'réveille  pour  vous  saluer,  cra- 
que, j'ten  casse  !  j 'trouve  qu'mon  rêve  s'est  moqué  d'moi  ; 
je  n'sais  pas  s'que  ça  veut  dire  ;  j'dirai  à  ma  mère  qu'aile 
fasse  saigner,  car  c'est  comme  une  fiéve  ;  p't'étre  qu'da- 
bord  que  j'vous  voirai  ça  ira  mieux,  car  j'sens  ben  que 
j'sens  ça.  J'ai  dit  à  mon  Cousin  quje  l'priais  d'donner  ste 
lettre  ci  à  vote  maraine  pour  afin  qu'vote  maraine  vous  la 
donne  du  meyeur  plaisir  qu'jaye  en  vous  estimant,  sans 
oublier  la  pnrfection,  dont  j'suis. 

Votre,  etc. 


MoNSIElîX, 

Du  d'puis  qu'vous  via  r'venu  de  r'tour,  vous  n'avez  entré 
cheux  nous  qu'deux  fois  ;  ma  mère,  quoi  qu'aile  y  était  n'a 


8(J  LETTRES  DE   LA   GRENOUILLÈRE. 

pas  empêché  qu'vous  ly  d'niandiez  comment  ça  va-ty,  pour 
à  propos  de  ce  qu'vous  y  avez  parlé  louchant  sa  volonté 
d'nous  voir  enscnihe,  aile  vous  a  donné  la  parmission  de 
ça  pour  tous  les  soirs  et  vous  n'venez  seulement  pas,  ça 
m'fait  d'ia  peine,  parce  que  j'pense  en  moi-même  qu'vous 
avez  p'I-être  du  sentiment  pour  une  autre  parsonne,  s'qui 
frait  voir  que  j'suis  comme  la  moindre  au  vis-à-vis  d'vote 
cœur.  J'avons  ben  ri  hier  après  note  ouvrage.  Y  avait  ciieux 
nous  la  même  compagnie  qu'il  y  avait  l'jour  d'ia  dergnero 
fois  qu'vous  y  étiez.  L'p'tit  Cadet  Hustache  avait  été  la  veuille 
aux  dansenx  d'eorde,  il  nous  a  dit  Ihistoire  d'iout  ça  tout 
droit  comme  si  pardy  c'était  un  Théate  ;  vous  auriez  ben 
ri  toujours  ;  ah  çj  !  écrivez-moi  donc  la  raison  dont  je 
n'vous  ons  pas  vu  du  d'puis  l'jour  qu'vous  équiez  d'un  vi- 
sage comme  triste  d'vant  tout  l'monde,  ça  vous  chagrinai t-y 
de  m'voir?  Tâchez  d'faire  ensorte  que  j'vous  voye  un  air 
content  comme  j'suis,  quand  j'vous  dis  que  j'suis. 

Votre,  etc. 


Maneselle, 

J'voudrais  être  mort  qui  m'en  eût  coûté  la  vie,  parce 
qu'vous  êtes  ben-aise  quand  Cadet  Hustache  vous  fait  rire; 
j'dirais  ben  tout  comme  ly  des  risées  ;  mais  d'abord  que 
j'suis  auprès  d'vous,  je  n'sais  pas,  j'ai  l'esprit  sur  vole 
respect  comme  une  bête;  quand  j'vous  r'garde  y  sembe 
qu'ma  parole  sTourre  ytout  dans  mes  yeux,  et  que  j'nai 
d'aute  discours  à  vous  dire,  que  stila  d'vous  r'garder;  j'vois 
'ben  qu'vous  aimez  Cadet  Hustache,  car  vous  ly  dites  lou- 


LETTRES  DE  LA  GRENOriILERE.  87 

jours,  dites-nous  donc  encore  queuque  chose;  pour  moi  y 
m'tuë  quand  jTentends,  et  c'est  la  cause  pourquoi  y  a  trois 
jours  dont  j'vous  ai  manqué  d'voir  ;  et  quand  j'ons  eu 
st'honneur-la ,  ça  n'était  parguié  pas  pour  Maneselle  Ma- 
rianne, ny  pour  Maneselle  Babet,  ny  pour  Mnneselie  Made- 
lon,  ny  pour  Maneselle  Tharese  que  j'y  allais,  vantez-vous- 
en  ;  et  sans  vanité  j'y  allais  pour  vous  toute  fine  seule, 
ailes  aviont  beau  faire  les  faraudes  en  magnere  d'être 
agréyables,  ça  n'me  faisait  seulement  pas  déranger  l'at- 
tache d'ma  vue  de  d'sus  vote  parsonne,  gna  quvous  qui 
m'semble  une  parle  d'or  et  qui  m'fait  du  plaisir  à  voir  ;  au 
Heur  qu'ça  soit  de  d'même  du  côté  d'vous,  j'vois  qu'vous 
voyez  sticy  stila  aveuc  autant  d'plaisir  que  d'satisfactioii,  et 
cadet  Husiache  encore  plus  fort  ;  hé  hen,  vous  n'avez  qu'à 
Tgarder;  pour  moi  j'aime  mieux  crever  d'chagrin  par  l'ab- 
sence d'vote  présence  ,  que  d'von^  s'p'tit  chien-là  cheux 
vous  comme  y  est;  c'est  vrai,  car  foi  d'honnête  garçon 
j'suis  envieux  de  l'y  autant  qu'je  n'serais  pas  envieux  si 
j'n'avais  pas  l'amour  dont  j'suis, 

Vo   e,  etc. 


MONSIECX, 

Faut  s'taire  avant  que  d'parler;  c'est  ben  vilain  d'être 
envieux  sans  l'occasion  d'un  sujet  ;  Cadet  Ilustache  est  drôle 
mais  j'ne  vous  changerais  pas  pour  deux  comme  l'y.  T'nez, 
Monsieur  Jérôme  Dubois,  j'men  vas  sans  comparaison  vous 
faire  une  comparaison  ;  ah  ça  !  suposons  qu'cadet  Ilustache 


88  irTTKRS   DE   LA   GRENOUILLÈRE. 

est  un  cli;il,  là  !  et  puis  vous,  vous  serez  un  cliiou,  excusez 
au  moins,  c'est  que  j'supose  ça.  VA  moi  j"serai,  révérence 
parlé,  une  Dame,  que  fserai  la  maîtresse  du  cliat  et  puis  la 
maîtresse  du  cliien  ;  n'est-y  pas  vrai  que  s'chat  fra  des 
singeries!  Et  pis  moi,  j'rirai.  L'chien  aura  une  au(e  ma- 
gnere  pour  être  avenant,  y  m'suivra,  y  m'carressra,  et  moi 
je  rflalterai ,  et  j'aurai  envers  l"y  une  façon  d'amiquié, 
parce  quVest  par  amiquié  que  ste  pauve  bête  fait  tout  ça; 
au  lieur  que  l'cliat  n'jouë  qu'par  accoutumance  et  pour  la 
récréaiice  d'iy-même,  ça  m'réjouira  mes  yeux  de  Tvoir  ; 
mais  via  tout  ;  par  ainsi  vous  voyez  ben  qu'c'est  vous  qui 
est  pus -tôt  dans  la  perfcrance  que  j'choisis  pour  Tmeyeur 
partage  ;  vous  en  voulez  à  Cadet  Ilustache  de  s'qui  vient 
cheux  nous,  moi  je  n'peux  pas  l' renvoyer  ;  voyez  donc  ça 
serait-y  gracieux?  Ma  mère  trouvrait-ça  une  injure  pire 
qu'une  offense  dont  on  frait  au  jeune  homme,  parqu'c'est 
une  mariionnêté  d'être  incivile  au  sujet  du  monde  sans 
sujet,  et  puis  avec  ça  ma  mère  m'demandrait  d"où  vient 
qu'ça  est  comme  ça  ?  Faudrait  donc  après  que  j'dise,  c'est 
Monsieux  Jérôme  Dubois  veut  qu'ça  soit  comme  ça,  parce 
qu'si  ça  n'est  pas  comme  ça ,  y  s'renvoyera  l'y-mème 
d'cheux-nous  ;  ensuite  ma  mère  aile  frait  l'train  comma  un 
sarpent,  et  j'en  serions  mauvais  marcliands  ;  v'nez  plutôt 
rire  tout  d'même  qu'les  autes,  et  puis  ensuite  vous  voirez 
qu'je  n'frai  dTamiquié  qu'à  vous,  parce  que  s'n'est  qu'à 
cause  d'vous  que  j'suis, 

Votre,  etc. 


LETTRES  DE   LA   fiP.ENO  UI  LLÈUE.  89 

Ma>eselle , 

J'ai  agi  selon  comme  vous  vouliez  l'jour  d'ia  Fête,  j'ai 
venu  cheux  vous  loule  la  journée  et  m'est  avis  que  j'ai  ben 
fait,  car  vous  m'avez  marqué  des  signes  d'aniiquié  une 
liera  bande,  j'veux  être  grenouille  si  je  n"croyais  pas  être 
dans  rfmibnd  du  Paradis  ;  ça  n'empêche  pas  que  je  n'souffre 
une  souffrance  qui  m'fra  périr  mon  corps  ;  j'ai  à  tout  mo- 
ment l'cceur  comme  si  vous  me  l'serriez  à  deux  mains. 
J'men  vas  vous  écrire  au  bout  d'ça  une  chanson  dont  c'est 
moi  qu'eït  l'ouvrier,  je  n'savais  pas  que  j'savais  faire  de 
çn,  vous  êtes  morguié  pire  qu'une  maîtresse  d'Ecole,  car 
c'est  vous  qui  m'donne  d'ia  capableté  dans  l'esprit.  Via 
donc  qu'vous  allez  chanter  la  chanson  qu'c'est  moi  qu'j'a 
travaillée  hier  au  soir  avant  d'mendormir. 

CHANSON 

Sur  l'Air  :  Dedans  Paris  queitlle  pitié  cl' voir  tant  de  filles  pleurer. 

L'Ajiiour  est  un  chien  de  vaurien 
Qui  fait  plus  de  mal  que  de  bien, 
Habitants  de  galère 
N'vous  plaignez  pas  d'ramer, 
Vote  mal  c'est  du  suque 
Près  de  stila  d'aimer. 

Ce  fut  par  un  jour  de  prinlems 
Que  je  me  déclaris  Amant, 
Amant  d'une  bruneKe 
Bell'  comme  un  Gurpidon, 
Portant  fine  cornet  le 
Posée  en  papillon. 


LKTTRES   DK   LA   (IREN  OUI  L  LliR  K. 

Aile  a  tous  les  deux  yeux  bryans 
Comnio  (ics  pierres  de  Diamant, 
Kt  la  rouge  écarlalte 
Que  l'on  voit  zaux  Gobelins 
N'est  que  la  couleur  jaune 
Au  prix  de  son  blanc  loin. 

Aile  a  de  l'esprit  fièrement 
Tout  comme  un  garçon  de  trente  ans 
Ca  vous  magne  d  l'ouvrage 
Dam'  faut  voir  comme  ça  s'tient, 
li'diable  m'emporte  une  Reine 
N'Iilanchirait  pas  si  bien. 

.l'sais  bien  qui  n'tiendrait  qu'à  nioi 
De  l'épouser  si  ail'  voulait, 
Son  sarviteur  très-bumbe 

.Vttend  sa  volonté, 

Si  ça  se  fait  ben  vite 

Fort  content  je  serai. 


Ma  Mère  m'voit  tous  les  jours  amaigrir,  aile  croit  qu'j'ai 
d'ia  maladie,  aile  a  prié  note  voisine  qu'aile  s'en  aille  à  la 
bonne  Ste  Genevieuve  pour  auquel  une  de  mes  chemises 
touche  à  sa  Chasse  et  qu'ça  in'guérirait,  moi  j'ia  prierais 
plustôt  pour  que  j'fasse  mon  d'mariage  aveuc  vous;  j'irai 
demain  volis  civiliser,  et  puis  je  frons  un  entrequien  d'con- 
versation  là-dessus,  pour  en  cas  qu'ça  vous  lasse  plaisir 
que  j'fasse  parler  ma  Mère  à  vote  mère,  afin  que  j'voyons  la 
définition  de  tout  ça,  par  quoi  j'serai  infiniment. 

Votre,  etc. 


LETTRES  DE  LA  GRENOUILLÈRE.  01 

MONSIEUX. 

Vous  avez  sorti  dVlieux  nous  Venderdy  en  façon  d'un 
homme  qu'est  comme  une  fureur  pour  la  cause  que  j'vous  ai 
pas  consenti  sur  \a  d'mande  auquel  vous  m'avez  dit  que 
j'vous  dise  une  réponse  ;  y  a  encore  du  tenis  pour  quej'nous 
avions  d'être  mariés.  A  Pasques  prochain  qui  vient,  j'naurai 
qu'vingt-trois  ans.  Faut  vous  donner  patience  pardy  moi, 
j'veux  encore  queuqu'tems  faire  la  fille,  et  puis  quand  la 
fantaisie  d'être  femme  m'prendra  j'vous  l'dirai;  ma  ma- 
raine  dit  comme  ça,  qui  gna  pas  d'tems  plus  genty  pour  une 
jeunesse  que  où-ce  qu'on  se  fait  l'amour;  par  ainsi  quoi- 
qu'ça  vous  coûte  pour  n'pas  attendre  un  peu  plus  davan- 
tage ?  Ça  n'peut  pas  vous  enfuir.  Voyez  par  exempe  ma 
Cousine  Manon  qu'aile  est  mariée  depuis  il  y  a  quate  mois, 
hé  ben,  aile  est  devenue  sérieuse,  sérieuse,  comme  un 
détéré,  au  lieur  qu'aile  était  quand  aile  était  fille  si  de 
bonne  himeur,  qu'c'était  la  parle  des  Creyatures  qui  ont 
plusd'joyeuseté  dans  une  Compagnie.  J'vous  dirai  qu'j'avons 
chanté  ste  Chanson  c|u'vous  m'avez  fait,  tout  le  monde  dit 
qu'vous  avez  dTémagination  comme  la  parole  d'un  Ange  ; 
et  ça  m'fait  dans  l'cœur  comme  si  c'était  un  p'tit  brin  d'va- 
nité,  qu'vous  soyez  mon  sarviteur  d'ia  même  attache  que 
j'suis,  Votre,  etc. 

.rirons  Dimanche  manger  de  beugnets  cheux  ma  Maraine, 
y  yaura  fierment  d'monde,  v'nez-y  j'croiray  qu'gn'aura 
qu'vous  seul. 


O'i  LKTTRES   DE   LA  GRE  NOIM  LI.KR  R. 

Maneselle, 

Si  vous  n'm'aimez  pas  vous  n'avez  qu'à  me  ITaire  à  sa- 
voir, parce  que  si  ça  est,  j'n'en  serai  pas  pus  pauvre;  tenez 
nous  autes  j'ne  nous  en  rapportons  pas  aux  gisliculements 
des  yeux,  dont  l'cœur  leux  donne  des  démentis.  Dimanche, 
en  joiinnt  au  pied  d'bœiif,  vous  tâchiez  toujours  d'attraper 
la  main  à  cadet  llustache  pour  l'y  commander  d'embrasser 
la  compagnie,  à  celle  fin  qu'vous  y  trouviez  ytout  vote 
cottepart;  vous  aviez  beau  m'présenter  des  clins  d'cpil  pour 
m'faire  bonne  bouche,  ils  n'me  passions  pas  Inonid  d'ia 
gorge;  apparemment  qu'je  n'suis  pas  genty,  suivant  Tgoût 
d'vote  magnere;  mais  j'ai  du  cœur  toujours,  et  si  vous 
équiez  aussi  ben  un  garçon  tout  comme  moi,  j'nous  sabou- 
lerions  jusqu'à  tant  que  l'guet  nousmenit  dieux  Tcommis- 
saire  qui  vous  condamnerait  à  avoir  tort,  parce  qu'vous 
êtes  une  manqueuse  de  parole,  n'm'avez-vous  pas  dit 
comme  ça  que  quand  j'nous  serions  aimé  aveuc  d'iamour, 
je  comparaisserions  d'vant  un  prtMre  au  sujet  du  mariage? 
A  st"lieure-ci  qu'cadet  llustache  vous  a  engueusée,  y  sembe 
quand  j'vous  parle  d'amiquiéça  vous  dévoyé,  et  puis  quand 
j'vous  d'mande  si  vous  voulez  que  l'Saquerment  n'fasse 
d'nous  deux  quune  jointure,  vous  ni'dites  qu'vous  nvous 
sentez  pas  d'vacation  pour  la  chose;  ça  étant,  dites-moi  du 
oui  ou  du  nom,  si  vous  voulez  rompe  la  paille  aveuc  moi, 
parce  que  je  n'veux  pas  être  l'dindon  d'vos  attrapes,  y  en  a 
d'autes  qu'vous  qui  n'm'en  r'vendronl  )>as  comme  vous 
m'en  avez  r'veudu,  car  j'frai  ce  qui  faut  faire  pour  ça;  tout 
l'inonde  n'trichera  [t'tètre  pas, 

Votre,  etc. 


LETTRES   DE   LA   GREN0U1LI,ERE.  93 

MONSIEUX, 

Via  donc  comme  vous  y  allez?  Ce  que  vous  laites-là  est 
traître  comme  un  chien  ;  avec  vote  engueusement  et  vote 
cadet  Hustaclie;  quoi  qu"tout  ça  veut  dire?  J'vois  beii  vote 
allure,  vous  voulez  m'faire  enrager  à  celle  fin  que  j'vous 
lasse  des  duretés,  pour  qu'vous  disiez  après  qu'c'ett  moi 
qu'est  l'original  de  note  brouillerie,  et  puis  vous  m'souliail- 
Irez  Ibon  jour,  pas  vrai?  Falait  m'dire  ça  plutôt,  j'n'au- 
rais  pas  tant  fait  bisquer  ma  mère,  la  pauve  femme  !  aile 
avait  ben  raison!  mais  que  vous  êtes  genly  aveuc  vos  com- 
pliniens  !  quoi  qu'c'est  que  IMindon  d'mes  attrapes?  Allez, 
monsieux,  vous  êtes  un  diseux  d'sottises;  allez  vous  pro- 
mener et  cadet  Hustaclie  ytout;  j'avons  Dieu  murci  ce  qui 
faut  pour  être  glorieuse  d'note  honneur.  Y  a  deux  ans  que 
j'voulais  entrer  pour  être  sœur  blanchisseuse,  à  rilùtel- 
Dieu.  j'iray  da,  et  drés  dans  huit  jours;  tout  s'qui  m'fail 
d'Ia  peine,  c'est  qu'j'avais  du  plaisir  à  vous  aimei';  j'serais 
ben  malheureuse  si  ça  m'durait:  mais  j'prierai  Fbon  Dieu 
à  toutes  les  lois  que  j'penserai  à  vous,  et  puis  p'iêtre  que 
j'ny  penserai  plus.  Allez,  faut  qu'vous  soyez  ben  mauvais 
pour  m'avoir  dit  toutes  les  leintisés  d'amiquiéque  j'prenais 
pour  du  vrai;  parsonne  ne  m'sera  de  rien  et  pour  le  coup 
j'suis,  A'olre,  etc. 


MANEi^LLLK, 

J'vous  demande  pardon  comme  si  j'vous  demandais  l'au- 
mône; j'vous  ai  fait  du  chagrin,  ce  n'est  pas  par  exprès. 


Di  LETTKllS   DE   LV  liUliNO  L  IL  LEUli. 

c'est  que  j'vous  aime  si  téribelmeiit ,  qu'japréliendais 
comme  le  feu  d'vous  paidre,  jvous  aurais  pardue  si  cadet 
lluslaclie  vous  avait  trouvé  d'ia  pente  pour  son  inclination, 
j'croyais  ça  ;  et  j'men  allais  aller  demain  cheux  lui  aveuc 
ma  canne  pour  nous  batte  à  l'espadron  ;  j'sais  magner  ça,  et 
j'nous  serions  r'iayé  intiuiment  :  ali  maneselle  INanette!  que 
j'vous  suis  ben  obligé  quc'est  moi  qu'vous  aimez  tout 
^eul;  je  m'moque  à  st'heure-ci  que  cadet  lluslaclie  fasse  le 
p'iil  riboteur  risibe  quand  y  vous  divartira,  ben  au  lieur  de 
l'y  en  vouloir,  j'iy  payerai  queuqu'cliose.  Ah  ça  racomnio- 
dt'Z-vous  donc  nous  deux;  aussi  non  j'mengage  soldar  dans 
la  guerre,  j'irai  par  exprés  m'I'aire  blesser,  et  puis  j'dirai 
qu'on  m'porte  à  l'Hôtel-Dieu  à  Paris,  là  où  ce  que  vous  seriez 
sœur;  j'vous  frais  d' mander  pour  qu'vous  m'voyez  dans 
mon  lit;  on  aurait  beau  m'guérir,  j'n'en  revienrais  pas 
pour  ça.  Voyez  queul  belle  gracieuseté  qu'vous  auriez  d'voir 
mourii'  tout  à  l'ail, 

Votre,  etc. 


MoNSIEUX, 

J'suis  bonne,  moi,  et  ça  lait  que  j'nai  pas  uu  brin  d'ran- 
cune;  j'pleinais  comme  une  folle  hier  d'nous  voir  fâchés 
tous  les  deux  pour  l'amour  l'un  d'  l'autre;  ma  nierevintà 
venir,  aile  vit  que  jtenais  ma  tèle  d'une  main,  et  puis  mon 
mouchoir  de  l'autre;  moi  je  m'iéve  par  semblant  de  rien 
pour  sortir  un  peu,  aile  m'dit,  où  qu'tu  vas"?  queuqu'tas  ï 
l'as  les  yeux  mouillés  :  aile  m'prend  par  le  bras,  aile  veut 
que  j'Iy  conte  l'occasion  pour  quoi  (pi'j'avais  l'air  d'une 


LETTRES   DE   [.A   G  UENUll  LL  ÉK  E.  95 

couleur  pâle  et  puis  les  yeux  gros;  j'iis  dis  que  j'veux  êlre 
sœur  à  l'Hôtel-Dieu,  aile  se  met  ii  pleurer  ylout,  et  puis 
moi  je  r'pleure  encore;  ah,  dit-elle,  j'aime  mieux  qu'tu 
sois  mariée,  qu'd'ètre  religieuse  ;  tiens  ne  pleure  pas,  qui 
qu'tu  veux  épouser,  tu  n"as  qu'à  dire;  mais  dis  donc?  Veux- 
tu  d'monsieur  Jérôme  Dubois?  Là-dessus  j'iv  uiontris  vote 
darnière  lettre;  oh  ben,  dit-elle,  puis  qu'y  l'aime  ben,  je 
n'veux  pas  qu'il  s'engage  soldat;  tu  n'as  qu'à  voir  si  tu 
l'aime  ben  ytout  ;  y  n'a  qu'à  venir  me  parler,  ça  sera  bien- 
tôt fait.  Là-dessus  je  l'ai  embrassée  dlout  mon  cœur  ; 
venez  donc  ben  vite;  allez  si  vous  saviez  que  je  suis  aise, 
au  prix  d'hier;  je  voudrais  déjà  être  fiancée,  ça  ferait  que 
je  serions  ben  près  d'être  mariés;  queu  plaisir  que  j'aurai 
d'être  vote  servante  et  femme. 


LETTKi: 

M.  CADET    EUSTAGIIE 

A 

M.  JÉROSME  DU  BOIS 


Via  bian  des  fois  que  j'nous  sommes  essayés  de  prendiL' 
la  licence  d\ous  dire  par   écriture  note  complimeiil  sur 
vole  mariage  avec  maneselle  i\'rt«('//c'  du  lUd  ;  j'oiis  tou- 
jours été  en  arrière  de  note  désir.  Cependant  pourtant  j'y 
passons  dans  la  moulure  d'vos  lettres  pour  un  lignolcux. 
A  vote  avis  j'faisons  trop  le  landant,  et  j'y  voulons  Irin^ucr 
par-dessus  les  autres,  à  cause  cpie  j'ons  du   boc,  et  <iue 
j'savons  la  rusmétique  comme  un  abbé.  Vous  dites  connue 
ça  q'vous  nous  connaissez  ben,  et  que  j'sis  un  plilcbien 
d'casseux  qui  a  des  sucrés  nazis  un  peu  trop  d'rechel  !  J'ons 
d'ia   r'souvenance,   et  j^savons  qu'ils  ont  l'ail  tout  d'vant 
vou,  une  dérision  sur  la  chanson  que  j'prime  la  valicenco 
d'entendre  quand  j'élions  d'Ia  Compagnie  où  on  la  chantait 
en  rhouneur  de  slella  qui  chante  comme  un  soleil,  qui  a 
de  la  pensée  dans  le  cu'ur  dont  al  peut  s'vanlor  qu's;i  cons- 
cient! n'a  pas  une  épingle  à  redire!  Aussi  plus  j'ia  r'gar- 
ilon.  même  au  jour  d'aujourd'hui  qu'ai  e^l  madame  voie 
lenuue,  et   plus  j'irouvons  qu'ai   a  l';nr  d'un  nurade 


LETTRE.  97 

Eh  ben,  M.  Jérôme,  j'sis  fâché  à  présent  d'vous  avoir  fait 
une  manque  d'bienveillance,  car  morgue  j'vous  disons  avec 
d'iécrilure  comme  par  paroles,  q  j'vous  aimons  ben  et  vote 
f'emiiie  y  tout.  Lesaquerment  n'I'aisons  d'vous  deux  qu'une 
jointure  qui  n'étions  pas  comme  ceiie  des  autres  que  j'pas- 
sons  dans  notre  bachot  pour  à  celle  fin  de  prendre  les  frais 
d'iiau  dans  l'bain  d'ia  rivière.  A  propos  de  ce  qui  est  en 
cas  d'jointure,  j'vous  dirons  q'j'nous  sentons  d'ia  vacation 
pour  la  chose  du  mariage  à  l'endroit  de  maneselle  Loiiisoii. 
Car  voyez-vous,  j'n' voulons  pas  faire  avec  elle  connue  Char- 
lot  Colin  a  fait  à  l'endroit  de  maneselle  Magdelon  qui  est 
vote  belle-sœur,  parce  que  maneselle  Nanetie  du  Biii,  qui 
est  vote  femme,  était  fille  de  sa  mère  que  j'ons  bian  pleurée, 
le  jour  du  jour  qu'ai  est  morte.  Dame  c'était  une  vivante 
qui  aimions  les  chansons,  et  qui  s'y  connaissait  tout  aussi- 
bian  qu'sa  commère  qui  est  marchande  d"çà,  et  qui  l'y  en 
donnait  une  intînité  horibe.  Pour  ce  qui  est  en  cas  d'ça, 
RI.  Jérôme,  j 'allons  vous  faire  voir  qu'tout  ainsi  qu'madame 
votre  femme  qu'était  morgue  pire  qu'une  maîtresse  d'école, 
puisqu'al  vous  a  fait  l'ouvrier  de  ste  chanson  qu'vous  tra- 
vaillites  le  jour  du  soir  avant  d'vous  endormir.  Maneselle 
Louison  me  donne  y  tout  d'ia  capableté  dans  l'esprit  !  Dame 
je  n'ons  pas  comme  vous  l'talent  d'ia  constraction,  qui  fait 
qu'tout  le  monde  dit  qu'vous  avez  d  l'imagination,  comme 
la  parole  d'un  ange!  CoiDUie  j'avons  encore  noie  chanson 
toute  fraîche  dans  l'idée  d'nole  mémoire,  j'allons  vous  la 
coucher  tout  d'son  long  dans  l'écriture  d'note  lettre,  pour 
à  celle  fin  que  j's;ichion5  d'vuus  si  dans  la  conscience 
d'note  cœur,  j'pouvons  l'adresser  à  Stella  qu'j'voulcns 
ferler  le  jour  de  d'main,  qui  sera  le  jour  de  sa  fête. 


98  I.ETTRt:. 

CHANSON   GRIVOISE 

Aiii  :  Qii'esl-ce  qui  veut  savoir  l'Iiistoire  de  Manon  Girou't 

Y'alloiis  Cadet  point  d'paresse 

Faut  festcr  Louison; 
iNot  cœur  ([u'iavous  d'ia  leudrosbc 

Vaut  un  AitoUou. 
Jo  u'voulons  pas  qu'il  soupire 

Quand  j'iiaussons  la  voix; 
Mais  j'voulons  qu'il  nous  inspire 

Sur  le  ton  grivois. 

Louison  n'fait  jamais  la  licrc 

Avec  ses  amis, 
Al'  sgait  la  noble  mogniere 

Des  Dam's  de  Paris. 
Uuaud  al'  boit,  et  quand  al'  chante 

Al'  rit  de  bon  cœur, 
Al'  est  connue  Madani'  sa  Tante 

Toujours  d'bel-humeur. 

C'matin  dans  son  p'tit  ménage 

Quai'  a  lait  l'rotter, 
Les  Commer's  du  voisinage 

Viendront  la  fêter, 
Mais  iSicolas  qui  babille 

Comme  un  Perroquet, 
En  revenant  d'ia  Courtille, 

A  prit  not  Bouquet. 

V'ia  qu'pendant  qu'il  s'achemine 

Pour  v'nir  aveuc  nous. 
Un'  Dam'  ([u'avont  bonne  mine 

L'y  lait  les  yeux  doux. 


LETTRE.  99 


Tout  en  causant  al'  s'approche 

L'ap'lant  son  amy, 
Pis  not  Bouquet  al'  accroche 

En  se  moquant  d'iy. 

Pour  nous  vanger  d'sa  malice 

J'y  jettons  not  chapiau, 
J'voulons  courir,  l'pied  nous  glisse; 

J'tombons  dans  rniissiau  ; 
J'nous  r'ievons,  al'  nous  échape, 

J'nosons  dire  rien. 
Mais  morgue  si  j'ia  ratrape 
Al'  nous  l'payra  bien. 

Tout  en  r'mettant  nos  jartières 

A  la  Plac'  Mauberl, 
J'avon?.  trouvé  deux  Bouq'tières 

Qui'ont  l'bec  ben  ouvert; 
Qu'as-tu  donc?  m'dit  la  plus  belle, 

T'as  l'air  tout  fàcbé, 
Tien  d'mes  fleurs,  par'ta  chapelle 

J'te  frons  bon  marché. 

Via  qu'tandis  que  j'me  décrotte 

Al'  arrange  au  mieux 
De  gros  œillets  une  botte 

Qui  charmont  les  yeux. 
Tien,  m'dit-elle,  en  conscience, 

Ça  vaut  du  Jasmin, 
Pis  m'faisant  la  révérence 

Al'  m'ies  met  dans  la  main. 

Via  l'aut  à  son  tour  qui  m'guette 

Et  m'prend  au  colet, 
D'mes  fleurs,  dit-ell'  faut  q't'achepte, 

Y  allons  mon  Poulet. 


K'O  LETTRE. 

Via  qu'en  reculant  en  arrière 

J'tonibons  sur  le  dos, 
Pis  j'renversons  d'un'  Laitière 

La  crème  et  les  pots. 

Sur  mes  œillets  qu'ai'  ui'arraci:e 

Al'  met  son  cruchon; 
iSot  Douq'tière  qui  se  fâche 

R'troussaut  son  chig:non, 
En  r'ievant  son  inventaire 

L'y  bail  deux  soulflols, 
Et  dit  en  la  jettant  par  terre, 

Hend-moi  mes  œillets. 

Via  qu'Messieux  d'ia  popu'ace 

Pour  les  séparer, 
Avec  les  Dam's  d'ia  TMace 

S'mottions  à  jurer. 
Corn'  j'naimous  point  leurs  querelles 

Non  plus  qu'leurs  caquets, 
J'ons  laissé  là  nos  d'Moiselles 

Avec  leurs  Bouquets. 

Du  nôt  j'ons  bonne  espérance 

Que  Louise  l'ira, 
Si  j'avons  la  parférence 

Al'  nous  parmettra 
D'iembrassor  à  la  franquolte 

Tout  comme  j'faisons 
Quand  j'alons  à  la  guinguette, 

Et  que  j'y  dansons. 

Oh!  ça  M.  Jérôme,  point  d'  dissinmhtnce,  et  pis  qii'  vous 
êles  un  garçon  dont  la  façon  qu'  vous  pensés  naibolnient 
est  aussi  bian  du  vrai  comme  manesolle  Nauellc  du  Util 
avait  d'  riionneur  avant  qu'ai'  fut  madame  vot  femme, 
dites-nous,  par  écriluro,  si  vous  êtes  aussi  content  d'  not 


LETTRE.  101 

chanson  que  d'  celle  que  vous  envoyîtes  à  vot  bian-aimée 
qui  devenait  d'un  d'  vot  amis  qu'  est  dieux  un  bureau  d' la 
barrière  des  Invalides,  et  qui  en  mangerait  quatre  comme 
vous...  J'ons  bian  autant  d'apetil  qu'  ly,  et  si  j'  n'  mangeons 
pas  dans  l' même  plat.  Quoiqu'  vous  n'  soyez  qu'un  guer- 
nouyeux  j' savons  qu'  vous  avez  plus  d'inspériance  dans  la 
vérité  qu'  non  pas  un  babil  homme.  Vos  lettres  sont  gen- 
tilles à  manger  par  où  j'  nous  doutons  qu'  vous  avez  encor 
plus  d'esprit  que  d'  mérite,  et  marque  d' çà  c'est  qu' j"  vous 
envoyons  not  chanson  qu'  j"avons  écrite  comme  par  exprès 
pour  vous;  j' voudrions  bian  qu'en  r'Iachont  vot  bachot  d' not 
bord  j' puissions  vous  racueillir  tous  deux  avec  maneselle 
Louison,  pour  à  celle  fin  de  la  fester  par  ensemble;  ça  frait 
un  quatribor  d'amiqué  ;  et  pis  j'  nous  arrangerions  pour 
vous  l'aire  avoir  à  bonne  mesure  queuques  articles  de  ce 
que  j'allons  vous  détailler.  J' les  avons  fait  treiller  dans  Tin- 
ventaire  de  ce  qui  ne  s'est  pas  trouvé  dans  un  grand  petit 
navir  de  Siam  poussé  par  la  tempête  dans  hi  rivière  des  Go- 
belins,  qui  est  venu  échouer  contre  un  tas  de  fumier  à  not 
porte  au  biau  mittant  d' not  cour.  Par  l'examen  que  j'en 
ont  fait  aveuc  Nanette  Dupuy  en  buvant  1'  rogome  au  cime- 
tière Saint-Jean,  j'ons  remarqué  qu'biaucoiip  d'articles  de 
si'  inventaire  font  partie  de  stila  d'  nos  commères  d'  la 
Halle.  J'  vous  en  envoyerons  un  extrait  pour  à  celle  fin  d'en 
bailler  la  communiquance  à  not  joyeux  Charbonnier  d' la 
foire,  qui  comme  oralorien  des  harangères  et  d'  nos  ca- 
marades, ayant  fiché  dans  l'idée  d'  sa  mémoire  toute  l'in- 
loquence  de  leur  parlementage,  en  a  fait  un  Déjeuné  d' la 
Râpée*,  dont  M.  le  public  de  Paris  a  bian  voulu  payer  les 

'  Le  Déjeuné  de  la  Râpée,  ou  Discours  des  Halles  el  des  Porls, 
par  M.  de  l'Ecluse. 

6. 


102  m:ttiie. 

frais.  Mais  comme  dans  la  première  opression  qui  en  a  été 
moulée  à  la  Grenouillère  on  y  a  coulé  en  douceur  des  liber- 
tances  qui  empêchions  qu'  tous  les  yeux  ne  laissent,  j'  vous 
prions,  M.  Jérôme,  d'y  bailler  vos  abstractions  en  cas  qu' 
maneselle  Mauon  voulut  attirer  d' nouveaux  charlatans  dans 
sa  boutique  en  réchauffant  un  déjeuné  dans  un  plat  de  son 
invention.  J"  consentons  qu'en  j'tant  une  touche  de  note 
gandron  sur  les  merlans  à.'  NatieUe  Diipuy.  et  en  fermant 
la  bouche  à  stila  qui  l'y  en  baille  pour  son  argent,  al'  couse 
avec  l'éguille  do  not  marchande  d' filets  pour  qu'  çà  s' voye 
d"  plus  loin,  les  quatre  Bouquets  qu' j'ons  entendu  gasouiller 
par  le  même  oisiau  dont  une  des  plumes  a  fait  l'écriture 
d' vos  lettres  à  maneselle  Manette  du  But.  J' voudrions  bian 
en  tirer  une  de  ses  ailes,  dame  j'aurions  la  science  du  sti- 
lage,  et  pis  j' mettrions  en  biau  habillement  tout  ça  qu'  li- 
magination  nous  pousse  au  cœur  quand  j'allons  civiliser 
maneselle  Louison,  et  quand  j' faisons  un  entretien  d"  con- 
versation pour  ce  qui  est  en  cas  du  plaisir  qu'j 'avons  à 
cause  d'  lamiquié  que  j' goûtons  pour  alP,  et  qu'j' voulons 
sous  vot  respect  se  partager  avec  vous  et  madame  vot 
femme,  et  pis  crainte  d'eimuyance,  j' finissons  parce  qn'- 
j'nons  plus  rian  à  dire  sinon  qu'j'  vous  allons  porter  not 
lettre  pour  tirer  note  révérance  dansl'  [>lin  cœur  d'iajoye. 
Dame  j'avons  roulé  not  corps  dans  la  politesse,  j'  n'  man- 
quons pas  dans  la  civilité  comme  vous  voyez  par  la  ma- 
gnière  dont  j'agissons  aveuc  vous,  pis  qu'j' voulons  être 
comme  d'  coutume, 

M.  Jérosme, 
Vot  très-humble  sarviteur  Cadet  Eustache,   maître  pas- 
seux  tout  en  devant  des  Invalides,  demeurant  sur  la  gauche 
lin  cliemin  nui  eulilo  tout  droit  au  firos-Caillon. 


LES 

AMANTS   CONSTANTS 

JUSQU'AU  TRÉPAS 

HISTOIRE  VÉRITABLE 


AVERTISSExMENT 

L'auteur  était  dans  une  maison  de  campagne,  quand 
il  composa  cette  historiette,  qui  fut  faite  du  soir  au 
matin.  La  compagnie  lui  proposa  le  sujet  que  voici. 

11  faut  que  le  héros  soit  brûlé,  qu'il  soit  noyé,  qu'il 
ait  la  gale  et  qu'il  soit  pendu  ;  ensuite  qu'il  épouse  sa 
maîtresse. 

11  faut  que  l'héroïne  soit  enragée,  ([u'elle  passe  par 
les  baguettes,  qu'elle  se  jette  par  les  fenêtres. 

Sans  entrer  dans  le  détail  de  la  naissance,  de  l'enfance, 
de  l'éducalion  et  des  qualités  de  celui  dont  je  rapporte  les 
aventures,  je  me  bornerai  seulement  à  le  mettre  sur  la 
scène  du  monde  dés  l'âge  de  dix-huit  ans. 

C'est  à  cet  âge  heureux  que  Félix  vint  à  Paris,  ne  possé- 
rlnnt  pour  tout  bien  qu'un  peigne  à  deux  côtés,  avec  lequel 


lOi  LES  AMANTS  CONSTANTS 

il  sfi  promollait  de  se  rendre  un  jour  utile  à  soi-même,  à 
ses  parents  cl  à  s;i  pati'ie. 

Cel  inslrimu'iil  n'annonçait  pas  sans  doute  des  talents 
supérieurs  pour  la  poésie,  ni  pour  la  musique;  au-si  ne 
s'en  piqua-t-il  pas;  il  avait  néj;ligé  ces  superfluités  pour 
s'attacher  à  l'art  solide  de  friser  et  de  raser  proprement  à 
la  manière  de  la  province,  et  c'est  en  laveur  de  son  habi- 
leté qu'il  entra  en  qualité  de  premier  et  unique  garçon 
chez  M.  Tranchant,  chirurgien  dans  le  fauboiug  Saint-Mar- 
ceau, qui  comptait  parmi  ses  pratiques  la  compagnie  des 
gardes  françaises  du  quartier.  On  sait  que  ces  messieurs 
sont  assez  sans  façon;  aussi  Félix,  le  dimanche,  en  reta- 
pait en  une  heure  douze  d'une  main  et  autant  de  l'autre. 
A  l'égard  des  barbes,  M.  Tranchant  les  expédiait  avec  une 
rapidité  incroyable  ;  et  comme  il  était  grand  causeur  et 
causeur  satirique,  tout  en  rasant  son  homme  il  emportait 
la  pièce.  Plusieurs  à  qui  celte  façon  d'agir  ne  plaisait  pas, 
le  menaçaient  de  le  quitter;  mais  le  patelin  M.  Tranchant 
savait  apaiser  son  monde,  et  au  moyen  d'une  toile  d'arai- 
gnée qu'il  vous  appliquait  sur  le  menton  et  qui  couvrait  la 
coupure,  on  s'en  allait  en  louant  la  commodité  de  son  ex- 
pédient. 

Entre  autres  têtes  que  l'adroit  Félix  allait  embellir  en 
ville,  celle  de  M.  Honoré,  boulanger  du  coin,  l'occupait  par 
prédilection,  à  cause  d'une  nièce  que  le  bonhomme  élevait 
et  qui  prenait  un  merveilleux  plaisir  aux  histoires  que  ra- 
contait le  galant  frater.  Il  s'insinua  si  bien  dans  l'esprit  de 
l'un,  et  dans  le  cœur  de  l'autre,  que  M.  Honoré  lui  proposa 
une  petite  Chambre  vacante  au  cinquième,  alin  d'y  tra- 
vailler pour  son  compte;  Félix  parut  aussi  ardent  à  l'ac- 
cepter qu'habile  à  donner  des  marques  verbales  de  sa  r<'- 


JUSQU'AU  TRÉPAS.  105 

connaissance,  au  grand  contentement  de  mademoiselle 
Babet  Casuel  (c'est  le  nom  do  la  nièce).  Il  prit  donc  pos- 
session de  son  nouvel  atelier,  et,  dès  le  lendemain,  son 
hôte  généreux  et  la  Providence  lui  firent  pleuvoir  des  gens 
mal  peignés  qu'il  renvoyait  contents  comme  des  rois,  et 
beaux  comme  des  amours. 

Peu  à  peu  Félix  s'arrondissait  dans  son  petit  manoir  qu'il 
avait  rendu  assez  hoimête  pour  que  l'oncle  et  la  nièce  y 
montassent  les  soirs.  Le  bonhomme  aimait  beaucoup  la 
triomphe  d'Auvergne,  et  l'amoureux  Félix  pour  jouir  plus 
longtemps  de  la  présence  de  Babet  Casuel,  perdait  toujours 
partie,  revanche,  le  tout,  les  moitiés  et  le  tout  du  tout  :  la 
belle  sentait  jusqu'à  l'àme  le  motif  de  cette  complaisance, 
outre  la  qualité  de  beau  joueur  qu'il  laissait  voir  à  travers 
un  air  content.  Il  est  vrai  qu'on  ne  jouait  rien  ;  mais  la 
gloire  n'est-elle  donc  pas  quelque  chose  ?  Il  la  sacrifiait  à 
Babet,  pour  laquelle  il  sentait  de  jour  en  jour  croître  son 
penchant;  ils  n'attendaient  qu'un  moment  l'avorable  pour 
s'en  faire  mutuellement  l'aveu;  ce  moment  arriva  bientôt 
après. 

M.  Honoré,  en  sa  qualité  de  juré  de  sa  communauté,  fut 
obligé  le  mercredi  suivant  d'assister  à  une  réception  de 
maître^  il  laissa  à  Babet  le  soin  de  gouverner  sa  maison  et 
elle-même.  Elle  s'acquitta  fort  bien  du  premier  point,  et 
l'amour  se  chargea  de  l'autre.  L'impatient  Félix,  averti  de 
l'absence  de  M.  Honoré,  descendit  chez  Babet  à  dessein  de 
lui  tenir  compagnie  :  cette  politesse,  loin  de  lui  déplaire, 
servit  de  prétexte  à  quelques  questions  tendres  auxquelles 
l'animé  Félix  répondit  avec  transport.  La  timide  Babet  ré- 
pliqua en  rougissant:  un  baiser  survint,  les  serments  en- 
suite, et  les  voilà  amants.  Félix  se  mourait  d'envie  d'assu- 


106  LES  AMANTS  CONSTANTS 

rer  sa  maîtresse  qu'il  l'aimail  avec  passion;  elle  craignait 
de  son  côté  qu'il  ne  doutât  de  la  sienne;  de  sorte  que  l'en- 
vie de  l'un  et  la  crainte  de  l'autre  les  conduisirent  fort  loin 
sans  sortir  de  la  chambre.  Babet,  après  être  revenue  du 
voyage,  se  mil  à  pleurer,  c'est  l'usage  ;  il  la  consola  de  la 
même  manière  qu'il  l'avait  affligée,  c'est  la  règle. 

Les  moments  que  l'on  passe  avec  ce  que  l'on  aime  sont 
aussi  doux  qu'ils  coulent  rapidement.  La  nuit  s'avançait 
sans  qu'ils  s'en  aperçussent  (les  amants  heureux  ne  pren- 
nent garde  à  rien)  :  il  fallut  se  quitter  moitié  par  écono- 
mie, moitié  pour  ne  pas  être  surpris  par  M.  Honoré,  qui 
arriva  un  instant  après  leur  séparation.  La  nièce  sauta  an 
col  de  son  oncle  ;  il  attribua  ces  caresses  au  plaisir  qu'elle 
avait  de  le  revoir  sitôt,  et  il  allait  lui  rendre  cinq  ou  six 
embrassades,  lorsqu'un  garçon  boulanger  mécontent  des 
rigueurs  de  Babet  monta,  et  tii'ant  à  part  M.  Honoré,  le  mit 
au  fait  de  la  fragilité  de  mademoiselle  Casuel.  «  — Oui,  mon- 
sieur, ajouta-t-il,  j'ai  vu  par  le  trou  de  la  serrure  le  témé- 
raire baigneur  lui  manquer  trois  ou  quairefois  de  respect.  » 
Le  vieux  juré,  furieux,  appelle  de  toutes  ses  forces  l'heu- 
reux Félix  qui,  ne  se  doutant  de  rien,  se  présente  d'un  air 
caressant;  M.  Honoré  et  son  garçon  le  saisissant  au  collet, 
le  chargent  de  coups  et  d'invectives,  et  le  traînent  impi- 
toyablement en  bas.  La  craintive  Babet  arrive  toute  éplorée, 
demande  grâce;  on  la  soufllette;  elle  crie  à  l'aide,  au  se- 
cours, au  feu...  Elle  avait  raison,  car  son  amant  était  pour 
lors  dans  le  four;  et,  sans  l'activité  des  voisins  qui  le  reti- 
rèrent, il  était  cuit;  heureusement  il  en  fut  quitte  pour  ne 
l'être  qu'un  peu. 

Comme  on  l'avait  enfourné  la  tête  devant,  le  feu  ne  lui 
avait  point  endommagé  les  pieds;  il  y  parut  bien  par  l'usage 


JUSQU'AU  TREPAS.  107 

qu'il  se  mit  à  en  faire  en  s'échappant  et  perçant  à  travers 
les  gens  du  guet  que  le  tumulte  avait  attirés.  M.  Honoré 
crie  sur  lui  au  voleur;  toute  l'escouade  le  suit,  en  criant  : 
Arrête!  arrête!  Personne  n'osait,  il  avait  l'air  d'un  diable 
à  moitié  rôli  sortant  de  l'enfer;  on  se  rangeait  même  pour 
l'éviter.  La  garde  le  poursuivant  jusqu'au  bord  de  la  rivière, 
croyait  enlin  le  tenir  à  cause  de  la  barrière  liquide  qui  s'op- 
posait à  sa  fuite  ;  mais  le  courageux  Félix  se  lance  à  leurs 
yeux  dans  l'onde,  et  y  trouve  un  refuge  contre  le  fer  et  le 
feu.  Le  guet  ne  jugeant  pas  à  propos  de  rouiller  ses  armes, 
le  vit  en  enrageant  parvenir  à  l'autre  bord  et  s'en  retourna 
honteusement  chez  M.  Honoré  qui  leur  dit  qu'ils  couraient 
comme  des  fiacres,  et  que  le  sergent  méritait  d'être 
cassé. 

.  Amour  1  que  tes  faveurs  ont  souvent  de  suites  Itinestes! 
(Cette  pensée  n'est  pas  neuve).  La  triste  Babet  livrée  aux 
horreurs  de  l'affront  n'osait  plus  sortir;  tout  le  quartier 
savait  son  aventure  ;  tourmentée  d'ailleurs  par  l'absence  et 
le  sort  malheureux  de  son  amant,  outragée  chaque  jour 
par  les  reproches  amers  de  son  oncle,  tout  son  espoir  était 
le  trépas  (rien  n'est  moins  gai  que  cette  situation)  :  elle  ne 
se  voyait  pour  toute  compagnie  qu'un  petit  chien  qu'elle 
avait  beaucoup  aimé,  mais  qu'elle  négligeait  si  fort  que, 
l'ayant  laissé  longtemps  sans  nourriture,  il  essaya  un  jour 
pour  vivre  de  lui  manger  une  main,  et  commença  par  lui 
mordre  si  vivement  le  doigt  qu'elle  poussa  un  cri  doulou- 
reux, auquel  son  oncle  accourut.  Le  petit  tavori,  au  lieu  de 
le  flatter  comme  à  l'ordinaire,  sauta  sur  lui  en  grinçant  les 
dents.  M.  Honoré,  d'un  coup  de  pied,  le  mit  hors  d'état  den 
aVoir  jamais  le  dessein.  Ce  sévère  boulanger  secourut  la 
'jlessée  avec  un  soin  barbare,  en  disant  que  c'était  une  pu- 


108  LES  AMANTS  CONSTANTS 

nitioii  du  ciel,  et  souhaitant  de  tout  son  cœur  que  la  plaie 
lût  danj^ereuse. 

L'inexorable  Thésée  ne  lut  pas  mieux  servi  par  Neptune 
(lorsqu'il  lui  adressa  contre  son  iils  le  vœu  le  plus  cruel  et 
le  plus  indiscret)  que  le  l'ut  l'inflexible  Honoré.  A  quelque 
temps  de  là  sa  malheureuse  nièce  roulait  les  yeux,  s'en- 
fonçait les  ongles  dans  les  fesses  et  se  doiniait  des  coups  de 
pied  dans  le  sein,  en  criant  à  qui  l'approcliail  :  «  —  Olez- 
vous,  retiiez-vous,  je  vous  mordrai.  »  Ces  mots,  prononc 
avec  fureur,  avaient  si  bien  l'air  de  ce  qu'on  appelle  accès 
de  rage,  que  c'était  à  qui  n'avancerait  pas.  On  jugea  par 
l'écuiue  épaisse  qui  lui  sortait  de  la  bouche,  que  c'était  un 
effet  de  la  morsure  de  son  fiivori.  On  s'empara  d'elle  dans 
un  bon  moment  pour  la  garoller  et  la  conduire  à  la  mer. 
Si  tant  de  malheurs  à  la  fois  accablaient  celle  pauvre  in- 
fortunée, de  son  côté  le  fugitif  Félix  réfugié  à  Pontoise  n'é- 
tait pas  à  son  aise  :  il  était  devenu  moins  beau  narrateur  et 
moins  plaisant;  son  minois  disgracié  par  la  brûlure  lui  fai- 
sait un  tort  considérable  (tant  la  ligure  sied  bien  au  métier). 
Ayant  vu  faire  à  iM.  Tranchant  quelques  opérations  de  chi- 
rurgie, il  se  mit  dans  la  tète  d'exercer  le  peu  qu'il  en  sa- 
vait. Si  quelqu'un  de  ceux  qui  l'oucupaient  se  plaignaient 
d'un  mal  de  tète,  Félix  offrait  de  le  trépaner  à  peu  de 
frais;  nul  n'était  curieux  d'user  de  ce  remède,  quelque  doux 
qu'il  parût;  on  se  bornait  à  le  laisser  le  maître  de  tirer 
quelques  palettes  de  sang;  mais  ne  sachant  pas  saigner,  il 
se  déclarait  ennemi  des  partisans  de  la  lancette,  el  se  lirait 
adroitement  du  piège  que  lui  tcniiait  son  ignorance  en  or- 
donnant, en  place  de  saignée,  une  tisane  composée  de  beau- 
coup de  réglisse  el  i)eu  de  chiendent,  que  le  malade  Iruu* 
vail  excellente.  Dans  le  nombre  de  trois  ou  quatre  malheu- 


JU^SQU'AU  TRÉPAS.  109 

reux  qu'il  inédiCamenlait,  il  s'en  trouva  un  entiché  de  cette 
àcreté  d'iiumeur  qui,  s'épanchant  en  forme  de  petits  gre- 
nats sur  les  mains  et  entre  les  doigts,  cause  un  joli  cha- 
touillement qui  invite  à  se  gratter  avec  une  cuisante  vo- 
lupté. Le  présomptueux  Esculape  entreprit  de  le  tirer 
d'affaire;  mais  soit  que  le  mal  fût  contagieux,  ou  soit  que 
sainte  Reine  à  qui  ces  sortes  de  cures  appartiennent  voulût 
le  punir  d'aller  sur  ses  brisées,  loin  de  guérir  son  malade, 
Félix  gagna  lui-même  la  gale.  Jamais  gale  ne  fut  plus  dé- 
placée, d'autant  quil  était  obligé  par  état  d'avoir  les  mains 
propres.  Désespéré  de  cet  accident,  il  s'avisa  de  mettre  des 
gants  et  de  savonner  ainsi  les  visages;  on  le  trouva  fort 
mauvais;  il  eut  beau  protester  que  c'était  depuis  peu  la 
mode  à  Paris,  on  l'envoya  au  diable,  et  on  persista  si  fort  à 
vouloir  être  rasé  à  la  manière  de  Ponloise,  c'est-à-dire  les 
mains  nues,  que  Félix  ne  pouvant  s'y  résoudre  perdit  ses 
pratiques,  et  passa  encore  pour  un  homme  entêté. 

Privé  des  ressources  manuelles,  et  sa  dernière  opération 
manquée  lui  ayant  fait  perdre  la  confiance  publique  ;  d'ail- 
leurs dévoré  par  son  amour  qui  le  touchait  plus  que  tout  le 
reste,  il  s'engagea,  et  à  tout  hasard  écrivit  à  sa  chère  Babet 
le  dernier  parti  qu'il  venait  de  prendre.  Elle  était  de  retour 
de  Dieppe,  et  avait  été  plongée  sept  fois  dans  l'onde  salée 
avec  succès;  mais  si  la  mer  guérit  de  la  rage,  elle  ne  peut 
rien  sur  celle  de  l'amour;  rien  n'avait  éteint  l'ardeur  de  la 
constante  Babet  ;  elle  était  plongée  journellement  dans  les 
plus  sombres  réflexions;  elle  était  prête  à  exécuter  tout  ce 
que  le  dégoût  de  la  vie  peut  conseiller,  lorsque  son  oncle 
vint  lui  faire  la  lecture  de  la  lettre  de  Félix,  qu'il  avait 
interceptée;  et  prenant  de  là  occasion  de  lui  faire  de  belles, 
longues  et  pieuses  remontrances   qu'elle   écoula  comme 

7 


110  LES   AMANTS  CONSTANTS 

qufl(ju'uii  (jui  ne  sVn  souciait  j^uère,  il  Texliorla  à  l'aire 
son  prolit  de  ce  qu'il  venait  de  lui  prêcher. 

«  Crois-moi,  ajoula-l-il,  ne  pense  plus  à  ce  coquin;  le 
voilà  soldat,  renonces-y  :  va-t-en  dimanche  à  confesse  et 
sois  à  l'avenir  plus  sage;  j'ouhlierai  le  passé.  »  Elle  ne  lui 
répondit  i)as  un  mot;  le  grave  sermoneur  persuadé  de 
refficacité  de  son  sermon,  la  laissa  penser  aux  n:oyenr>  de 
rentrer  dans  la  voie  du  saint.  La  silencieuse  Babet,  n'aspi- 
rant qu'à  la  consolation  de  savoir  où  était  son  amant,  et 
insiruite  de  son  prochain  départ  pour  l'armée,  ne  balance 
pas  entre  la  tristesse  de  rester  avec  son  oncle,  et  le  charme 
de  suivre  un  amant  adoré;  faire  une  petite  pacotille,  la 
convertir  en  argent,  partir  avec  courage,  arriver-  enlin  à 
l'onloise  ne  lui  coûtèrent  que  six  heures  de  temps.  0  pou- 
voir! ù  force  des  premières  inclinations;  Babet  court,  de- 
mande, cherche,  et  trouve  enfm  son  cher  Félix;  il  n'était 
plus  joli,  mais  l'amour  en  était  cause;  c'était  au  contraire 
un  grain  de  beaulé  pour  les  yeux  de  la  tendre  Babet.  Rassem- 
blez ici  toutes  les  reconnaissances  des  tragédies,  des  comé- 
dies larmoyantes  et  des  romans  ;  joignez-y,  si  vous  voulez, 
tout  ce  que  vous  êtes  capables  de  sentir  en  de  pareils  instants, 
je  vous  délie  d'approcher  de  cent  lieues  des  transports  de 
leur  àme;  ils  restèrent  si  longtemps  serrés  dans  leurs  mu- 
tuels embrassements,  et  les  larmes  avaient  coulé  si  abon- 
damment de  leurs  yeux,  étant  visage  contre  visage,  que 
les  paupières  de  Babet  s'étaient  collées  à  celles  de  Félix,  de 
façon  qu'on  eut  toutes  les  peines  du  monde  à  les  détacher. 
Les  plaisirs  tranquilles  ne  paraissaient  pas  faits  pour 
eux;  Félix  eut  ordre  le  surlendemain  de  joindre  le  régi- 
ment ;  Babet  le  suivit  avec  fermeté  ;  le  plaisir  d'être  en- 
semble leur  rendil  la  roule  moins  pénible  el  moins  longue. 


JUSQU'AU   TRÉPAS.  111 

A  leur  arrivée,  on  incorpora  le  nouveau  soldat;  il  lallut 
apprendre  à  faire  l'exercice,  monter  la  garde,  fournir  la 
chambrée  de  toutes  les  menues  nécessités  ;  la  sensible  Ba- 
bel l'aidait  dans  cette  dernière  corvée.  Les  camarades  de 
Félix  trouvant  sa  mailresse  jolie,  lui  donnaient  quelquefois 
de  petits  baisers,  qui  ne  demandaient  pas  mieux  que  de 
caractériser  l'insolence;  son  sergent  même  la  courtisait 
de  près;  cette  faveur  insigne  eût  été  pour  toute  autre  que 
Babet  un  écueil  contre  lequel  la  fidélité  aurait  pu  échouer; 
mais  elle  n'y  répondit  que  par  les  dédains  les  plus  mar- 
qués :  le  vindicatif  sergent,  après  "de  vaines  tenlativos  et 
des  propositions  aussi  vaines,  résolut  de  s'en  venger  par  les 
voies  de  l'ignominie  :  il  surprit  adroitement  la  montre  du 
lieutenant,  et  accusa  Babet  de  ce  larcin;  en  vain  elle  s'en 
défendit,  ni  les  protestations  de  la  probité,  ni  les  larmes 
de  l'innocence  ne  la  justifièrent.  Son  ennemi,  chargé  de 
visiter  ses  bardes  et  son  linge,  n'eut  pas  de  peine  à  y  glisser 
ce  qu'il  affectait  d'y  chercher,  et  montrant  le  vol  aux  deux 
témoins  qui  l'assistaient,  il  n'en  fallut  pas  davantage  pour 
faire  emprisonner  la  pauvre  Babet.  Son  jugement  fut  bien- 
tôt rendu,  et  elle  se  vit  condamnée  à  passer  par  les  ba- 
guettes ;  son  amant  même  fut  nommé  pour  être  du  nombre 
de  ceux  qui  devaient  faire  cette  injuste  exécution.  Figurez- 
vous  la  douleur  du  triste  Félix  lorsque  celle  qu'il  chérissait 
plus  que  lui-même  et  qu'il  savait  n'être  point  coupable, 
parut  sur  la  place  d'armes  les  mains  liées,  les  épaules 
nues,  et  toute  tremblante  et  éplorée  d'un  si  cruel  appareil. 
Elle  passa  enfin  ;  trente  coups  de  verges  à  la  première 
passade  lui  enlevèrent  l'épiderme,  et  le  sang  se  faisant 
place  à  travers  les  sillons  que  le  supplice  traçait  sur  sa 
chair  laissait  voir  le  spectacle  le  plus  louchant  :  quel  mo- 


112  LES  AMANTS  CONSTANTS  JUSQU'AU  TRÉPAS, 
mont  pour  le  malheureux  Félix!  Le  cruel  sergent  ayant 
remarqué  (jifil  n'avait  point  frappé  comme  les  autres,  lui 
appliqua  plusieurs  coups  de  canne;  le  brave  Félix,  moins 
outré  de  celte  injure  que  furieux  des  tourments  que  sa 
maîtresse  souffrait  par  la  fausse  accusation  de  ce  malheu- 
reux, tira  son  épée  et  la  lui  plongeant  dans  le  sein,  vengea 
à  la  fois  et  son  oui  rage  et  celui  que  l'on  avait  la  barbarie 
de  faire  à  sa  maîtresse. 

Un  malheur  en  entraîne  toujours  un  autre;  l'infortuné 
Félix  fut  conduit  au  cachot  :  le  conseil  de  guerre  prononça 
soudain  son  arrêt,  la  potence  fut  bientôt  dressée,  et  l'on 
devine  aisément  le  reste  de  cet  effroyable  tableau,  sur  lequel 
je  tire  le  rideau  poursuivre  des  yeux  la  désolée  Babetqui, 
trop  instruite  du  sort  qu'éprouvait  son  cher  Félix,  et  ne  vou- 
lant point  lui  survivre,  se  précipita  par  sa  fenêtre  qui  heu- 
reusement n'était  pas  élevée;  on  courut  à  son  secours.  Le 
sergent,  de  son  côté,  prêt  à  expirer,  découvrit  au  confes- 
seur qui  l'exhortait,  toute  la  noirceur  de  son  action.  11 
dépêcha  un  exprés  pour  en  instruire  les  juges  qui,  indignés 
d'un  tel  crime,  ordonnèrent  de  couper  la  corde  à  laquelle 
était  suspendu  l'innocent  Félix;  et  par  un  hasard  bien  rare, 
il  en  était  encore  temps.  Lui  et  sa  maîtresse  furent  réha- 
bilités; et,  peu  de  temps  après,  on  les  maria  avec  les  biens 
que  le  sergent  leur  avait  légués  en  réparation  d'honneur. 
Félix  eut  son  congé  pour  rien,  et  même  tous  les  officiers 
contribuèrent  à  une  quête  générale  qui  les  mit  à  leur  aise. 
Ils  retournèrent  chez  M.  Honoré,  qui  les  reçut  avec  len- 
diesse,  et  ils  vécurent  ensemble  unis  et  constants  jusqu'à 
la  fin  de  leur  vie. 


EPITRES.  Il; 

ÉPITRES 

I 

EUR    L'AMITIE 

.    MONSIEL'R  *** 

Ami  très-cher,  toi,  dont  la  sympathie. 

Malgré  mon  sort,  ne  s'est  point  démentie, 

Je  te  connais,  oui,  de  toi  je  suis  sûr, 

Et  le  présent  me  répond  du  futur; 

Ne  va  pas  croire,  en  lisant  cette  épître, 

Que  de  mes  vers  Apollon  soit  l'arbitre. 

Par  ton  mérite  à  t' aimer  excité. 

Mon  Hippocrène  est  la  sincérité. 

Loin,  loin  l'emphase;  Oresfe  envers  Pylade 

N'usa  jamais  de  ce  langage  fade, 

Ton  frelaté  qu'on  affecte  aujourd'hui, 

Qui  sans  estime  est  aussi  sans  appui  ; 

Sensible  aux  traits  de  cette  amitié  pure. 

Ce  beau  lien,  honneur  de  la  nature, 

Je  vois,  ami,  par  ces  feux  éclairé, 

Que  ce  doux  titre  est  un  titre  sacré, 

Et  que  ce  nom,  sous  lequel  on  s'annonce, 

Est  usurpé  si  le  cœur  ne  prononce. 

II  est  des  gens  inquiets,  soucieux. 

Pour  leurs  amis,  parfois  officieux, 

Dont  les  bontés  si  tristement  obligent, 

Que  leurs  bienfaits  à  coup  sûr  vous  aflligenl  ; 

Avec  douleur  ils  vous  font  un  plaisir, 

Et  leur  secours  a  l'air  du  repenlir. 


114  KI'ITUES. 

Ce  froid  secours  enliii  est  un  blaspliéme 
Que  l'amitié  peut  frapper  d'analhème; 
Elle  aime  mieux  un  refus  bien  placé, 
Que  d'obtenir  uu  service  glacé. 
Ces  doucereux,  dont  l'humeur  philanthrope 
Produit  Teifet  du  flatteur  microscope, 
M'offrent  en  vain  de  grossir  mes  talents, 
Et  de  trouver  tous  mes  vers  excellents. 
Je  me  ris  d'eux,  leur  encens  me  suffoque, 
Autant  qu'un  sot  en  me  prônant  me  choque, 
Et  pour  ne  point  m'expliquer  à  demi. 
Jamais  un  sot  ne  sera  mon  ami. 
Dans  ce  qu'il  fait,  sachant  mal  se  condiHre, 
En  vous  servant,  il  parvient  à  vous  nuire  ; 
Vous  échouez  en  suivant  ses  avis, 
Ou  le  choquez,  s'ils  ne  sont  pas  suivis. 
On  est  toujours  avec  lui  sur  ses  gardes; 
Qu'il  soit  l'ami  de  ces  femmes  bavardes 
Dont  l'œil  éteint  et  le  livide  aspect 
Sait  inspirer  un  maussade  respect. 
Pour  écouter  leurs  antiques  merveilles. 
Il  n'est  besoin  que  d'avoir  des  oreilles. 
D'un  tel  organe  un  sot  ne  manque  pas, 
Voilà  son  lot  ;  je  suis  encore  bien  las 
De  ces  rieurs,  de  cette  plate  espèce, 
Amis  de  table  échauifés  par  l'ivresse. 
Qui  tout  de  feu  pour  chaque  convié. 
Comme  le  vin  font  mousser  l'amitié  ; 
A  cluKiue  verre  elle  engage,  elle  augmente, 
Et  dure  autant  que  la  liqueur  fermente  : 
Mais  on  se  quitte,  ou  se  couche,  on  s'endort 


EPITRES.  11;-i 


Rendu,  blasé  par  maint  bachique  effort; 
Cette  amitié,  qnand  chacun  d'eux  s'éveille, 
Est  mise  au  rang  des  excès  de  la  veille. 
Et  ces  élans  si  chaudement  trompeurs, 
Sont  engloutis  dans  la  nuit  des  vapeurs. 
Heureux  celui  qui  plein  d'un  noble  zèle, 
A  cœur  ouvert  sert  un  ami  fidèle, 
Et  qui  sachant  parler,  penser,  agir. 
En  l'obligeant  ne  le  fait  point  rougir, 
Soit  qu'en  tout  point  il  prenne  sa  défense, 
Soit  qu'il  l'arrache  à  l'affreuse  indigence; 
L'amitié  parle,  il  connaît  ses  accents, 
Il  la  prévient,  et  par  ses  soins  pressants 
A  ce  qu'il  aime  il  rend  bientôt  le  calme 
Sans  exiger  ni  couronne,  ni  palme  : 
Le  vrai  plaisir,  celui  de  bienfaiteur 
Est  tout  le  prix  dont  jouisse  son  cœur. 
Et  l'on  ne  sait  dans  cet  instant  propice 
Lequel  reçoit  ou  rend  un  bon  office; 
Tels  on  nous  voit  :  cette  rare  amitié 
Brille  chez  toi  par  la  belle  moitié, 
Mon  cœur  comblé  remplit  l'autre  partie, 
J'en  fais  l'aveu^  sans  que  ta  modestie 
Puisse  en  gronder;  un  cœur  reconnaissant 
Marche  à  l'égal  d'un  ami  bienfaisant  : 
Aussi  jamais  la  basse  complaisance 
N'ira  me  faire  éprouver  la  distance 
Qu'un  financier  croit  que  le  ciel  a  mis 
Entre  son  être  et  ses  pauvres  amis. 
Jadis  rampant  au  sein  de  la  misère 
Et  n'aspirant  qu'à  l'honneur  de  leur  sphère, 


H6  El'ITISES. 

Il  les  aimait  ;  mais  aujourd'hui  que  l'or 
D'un  beau  vernis  a  décoré  son  sort, 
Avec  dédain  son  orgueil  les  aborde, 
Le  dur  mépris  pèse  ce  qu'il  accorde. 
De  protégé  devenu  protecteur, 
Il  ne  sourit  qu'au  plus  adulateur  : 
Au  milieu  d'eux  le  fat  est  dans  son  centre, 
Génie  étroit,  jargon  lourd,  large  ventre  : 
Voilà  ses  droits,  ses  titres,  ses  vertus. 
Allez,  grand-croix  de  l'ordre  de  Plutus, 
Percez,  suivez  votre  riche  carrière-, 
On  vous  verra  rentrer  dans  la  poussière 
Qui  sous  nos  yeux  vous  servit  de  berceau. 
Avant  que  j'aille  arborer  le  drapeau 
Sous  qui  se  range,  en  trahissant  l'estime. 
Un  malheureux  que  l'infortune  opprime, 
Et  qui  forcé  de  feindre  jusque-là 
En  est  puni  par  la  honte  qu'il  a. 

Ne  pense  pas,  toi  que  j'aime  entre  mille, 
Que  ce  discours  soit  dicté  par  la  bile. 
Non,  ce  portrait  est  bien  citation, 
Eh  !  plût  aux  dieux  qu'il  devînt  fiction, 
Et  qu'en  son  cœur  chacun  à  ton  exemple, 
A  l'amitié  sût  élever  un  temple! 
Alors,  content,  l'encensoir  à  la  main, 
On  me  verrait  chérir  le  genre  humain. 


ÉPITRES.  117 

II 

A.    MONSIEUR   M*** 

Au  sujet  des  Lellres  Poissardes  de  l'auteur. 
Doux  magistrat,  en  qui  savoir  habite, 
Qui  réunis  politesse  au  mérite, 
Et  dont  l'esprit  infatigable,  actif. 
Est  tour  à  tour  profond,  léger  et  vif, 
Ne  sois  surpris  qu'une  muse  anonyme 
Avec  ton  nom  fasse  voler  l'estime  ; 
Toujours  de  l'un  l'autre  fut  le  tribut. 
Et  gloire  enfm  des  deux  est  rallribut  ; 
De  là  l'encens  que  distille  ma  plume. 
Mais  pour  te  voir  dans  l'immortel  volume, 
Besoin  tu  n'as  d'un  si  faible  secours  : 
Ainsi  que  l'eau,  Renommée  a  son  cours. 
A  te  louer  ne  me  ilatle  d'atteindre. 
On  peut  sentir  et  ne  pas  savoir  peindre. 
Si  j'ai  pourtant  su  peindre  quelquefois, 
Non  tes  pareils,  non  des  dieux,  non  des  rois. 
Mais  bien  tableaux  qu'aurait  choisi  Ténière  ; 
Tels  que  Grivois,  gens  de  la  Grenouillère; 
Lettres  d'iceux,  qui  de  l'impression 
Auront  le  sort,  sous  ta  permission. 
D....  en  a  fait  une  exacte  lecture; 
Dans  le  creuset  d'une  sage  censure 
11  mit  l'ouvrage,  et  loin  de  l'altérer, 
Son  jugement  ne  fit  que  l'épurer  : 
Or,  en  tes  mains,  censeur  encore  plus  sage. 
L'œuvre  gissant,  demande  ton  suffrage  : 

7. 


IIS  HI'ITP.KS. 

Di-  l'oblonir  (lois-ji*,  lu'-las!  iiu'  llallorï 
Lo  plus  flatteur,  c'est  de  le  mériter; 
Lo  mériter,  prouve  f|u'on  t'a  su  plaire, 
Te  plaire  enfin,  est  un  noble  salaire, 
Pas  n'en  veux  d'autre,  et  s'il  m'est  accordé. 
Tu  me  diras,  venez,  tenez,  Vadé. 


III 


Pasteur  zélé  pour  le  salut  des  autres, 
Qui  tl'un  ton  gai  prêchez  le  saint  devoir, 
Dans  votre  épîfre  il  est  aisé  de  voir 
Même  onction  qu'en  celle  des  apôtres. 
Aussi  mon  cœur  en  sentit  le  pouvoir, 
Depuis  ce  temps,  matin  comme  le  soir, 
On  me  surprend  doublant  mes  patenôtres, 
Chantant  maint  psaume,  et  cela  dans  l'espoir 
D'être  à  jamais  compté  parmi  les  vôtres. 
Bien  entendez  par  cette  expression 
Le  rang  heureux  des  enfants  de  la  grâce 
Dont  l'esprit  pur,  franchissant  cet  espace, 
S'élève  et  plane  au  séjour  de  Sion. 
C'est  là  qu'un  jour  pour  prix  de  tant  de  veilles, 
De  tant  de  soins  qu'exige  un  cher  troupeau, 
Vous  jouirez  des  célestes  merveilles 
Dont  sont  exclus  la  mitre  et  le  chapeau  ; 
Notez  pourtant  que  de  ceci  j'excepte 
iMaints  grands  prélats  par  le  ciel  inspirés, 
(Jni  de  la  loi  suivant  chaque  précepte. 


Él'ITRES.  119 

Sont  dans  le  cœur  nrioins  prélats  que  curés; 
Ce  sont  ceux-là  que  le  Sauveur  accepte. 
Eux  que  Ton  voit  de  sa  croix  décorés. 
Voilà  mes  Saints,  voilà  ceux  que  j'invoque  ; 
Mais  de  par  Dieu,  les  autres  n'ont  sur  moi 
Aucun  crédit,  et  vous  savez  pourquoi. 
Un  Monseigneur,  qui  quelquefois  se  moque 
De  la  leçon  qu'il  dicte  à  son  bercail, 
Qui  chaque  jour  au  plaisir  se  provoque 
Par  les  poulets  et  poulettes  qu'il  croque, 
N'est  à  mes  yeux  qu'un  Seigneur  de  sérail. 
Voluptueux  dans  le  moindre  détail, 
Chaque  moment  lui  rappelle  l'époque 
Où  s'enrôlant  sous  le  sacré  camail, 
Faisant  au  Ciel  un  serment  équivoque, 
Avec  Vénus  son  cœur  passait  un  bail. 
Il  en  jouit  ;  il  meurt,  on  le  colloque 
Au  rang  des  Saints  pour  son  pieux  travail  ; 
Et  puis  on  veut  qu'après  ce  bel  exemple 
Dont  tout  Chrétien  paraît  scandalisé, 
.Vaille  implorer  son  secours  dans  le  Temple 
Où  la  faveur  l'aura  canonisé  ? 
Non  par  ma  foi.  Tout  ce  que  je  puis  faire, 
C'est  de  prier  le  souverain  des  Cieux, 
Ce  Dieu  clément,  de  pardonner  à  ceux 
Qui  très-souvent  sont  sûrs  de  lui  déplaire. 
En  le  chargeant  de  pareils  bienheureux 
Qui  ne  le  sont  tout  au  plus  qu'en  peinture. 
Combien  est-il  de  semblables  patrons 
Qu'on  va  chantant,  fêtant  outre  mesure. 
Bien  enchâssés,  étourdis  d'Oraisons, 


120  EPITRES. 

Dont  les  bigots  baisent  la  portraiture. 

En  leur  honneur  vous  emplissent  leurs  troncs, 

Qui  pour  jamais  dans  la  caverne  obscure 

De  Satanas,  gisant  sur  les  charbons, 

Auraient  besoin  d'onguent  pour  la  brûlure. 

Au  lieu  d'encens  qu'eu  vain  nous  leur  otïions. 

Mais  dira-t-on,  la  colère  divine 

Pour  les  juger  y  regarde  à  deux  fois  ; 

Un  être  issu  d'une  illustre  origine, 

N'est  pas  traité  de  même  qu'un  bourgeois  ; 

A  plus  d'égard  le  haut  rang  doit  s'attendre, 

Voulez-vous  donc  que  la  charmante  Iris, 

Au  tein  de  Flore,  au  regard  vif  et  tendre. 

Riche,  bien  faite,  enchaînant  tout  Paris, 

Le  goût  l'orme  sur  les  meilleurs  écrits, 

Donnant  le  ton,  dictant  de  doux  oracles. 

Au  second  acte  arrivant  aux  spectacles, 

Le  front  chargé  de  diamants  de  prix. 

D'un  grand  panier  obombrant  une  loge, 

Laissant  le  soin  au  Parterre  surpris. 

D'interpréter  un  dédaigneux  souris 

Qu'un  fat  remarque  et  prend  pour  son  éloge, 

Voulez-vous,  dis-jc,  enfin  qu'un  tel  objet 

Avec  Margot  soit  mis  en  parallèle, 

Et  risque  un  jour  de  subir  ainsi  qu'elle 

Cet  examen  que  suit  un  juste  arrêt  ? 

Margot  ?  Margot  n'est  qu'une  péronelle. 

Mangeant  gaiement  son  pain  bis  et  son  lait  ; 

Dans  son  hameau,  loin  du  ton  du  beau  monde; 

Celle  pécore  aux  pieds  durs,  nu  teint  noir, 

Qui  louniemenl  chaque  Dimanche  au  soir, 


ÉPITRES.  121 

Danse  sa  part  d'une  rustique  ronde, 
Ignore  tout,  excepté  son  devoir. 
Le  beau  mérite  !  ah  !  quelle  différence 
Pour  les  façons  !  le  délicat,  le  goût, 
L'esprit,  la  voix,  le  clavecin,  la  danse. 
Hors  son  devoir,  la  Belle  Iris  sait  tout. 
Quand  on  sait  tout,  on  est  peu  curieuse 
Du  soin  rampant  de  paraître  pieuse; 
Bon  pour  Margot  et  ceux  de  son  état. 

Rustres  sans  bien,  sans  honneurs,  sans  éclat, 
A  qiM  toujours  il  faut  en  faire  accroire, 
A  qui  sans  cesse  on  doit  donner  un  frein  ; 
Pensez-vous  donc  que  du  sein  de  sa  gloire, 
Dieu  s'abaissant  pour  vous  tendre  la  main, 
Vous  conduira  dans  le  séjour  divin, 
Comme  des  ducs  ou  gens  de  noble  classe, 
Faits  pour  orner  le  céleste  lambris  ? 
Non,  non,  abus  ;  ce  n'est  pas  là  la  place 
Des  malheureux  que  le  joug  du  mépris 
Tient  enchaînés.  Que  veut-on  que  Dieu  fasse 
De  tels  humains,  vile  et  stupide  race, 
Dont  l'esprit  lourd  n'a  jamais  rien  appris 
Qu'un  certain  livre  au  salut  fort  utile. 
Le  beau  régal  pour  un  Dieu  tout-puissant 
D'être  au  milieu  d'une  troupe  imbécile, 
Qui  ne  pourrait,  que  dans  le  simple  style 
D'une  âme  pure  et  d'un  cœur  innocent, 
Le  célébrer!  Mais  les  femmes  aimables, 
Aux  airs  de  Cour,  aux  teints  vils  et  fleuris, 
L'essaim  bruyant  des  petits  Agréables, 
Nés  dans  les  Jeux,  élevés  dans  les  Bis, 


\i\>  Kpnr,  F.s. 

Alix  (lioiix  un  jour  (irpinoeront  Ins  Aiigos  ; 

A  leurs  fiodons  rÉternel  a  commis 

Le  soin  brillant  de  chanter  ses  louansos  ; 

A  tant  de  gloire  ils  seront  seuls  admis  ; 

Telle  du  rang  est  la  prérogative. 

Mais  pour  Margot,  créature  chétive, 

Et  ses  pareils.  Monsieur  de  Lucifer 

Doit  les  rôtir  :  c'est  là-bas  qu'est  leur  place. 

Or  quant  à  moi,  s'il  faut  être  sauvé 
Commo  les  Grands,  en  marchant  sur  leur  trace. 
Je  n'en  suis  plus,  grand  merci  d'un  tel  lot  • 
Non  sum  dignus.  Dieu  me  fasse  la  grâce 
D'être  à  jamais  damné  comme  Margot. 

IV 

A    MONSIEUR    S***. 

Être  l'objet  d'une  agréable  Epitre 
Me  flatte  plus  que  faveur  de  la  Cour  ; 
L'un  dans  le  cœur  prend  i^a  source  et  son  titre. 
L'autre  s'obtient  par  brigue,  par  détour  : 
Mais,  cher  ami,  je  laisse  ce  chapitre 
Pour  te  parler  sans  finesse  et  sans  fard 
De  ton  ouvrage  où  je  suis  pour  ma  part. 
A  gens  de  goût  j'en  ai  fait  la  lecture  ; 
Les  mœurs,  l'esprit,  la  raison,  la  nature 
Semblenl  d'accord  pour  te  fournir  les  traits 
Ilonl  tu  te  sers  pour  frapper  tes  portraits. 
Des  faux  plaisirs  la  dangereuse  amorce. 


É  PITRES.  123 

Bienlôt  serait  sans  pouvoir  o\  sans  force, 
Si  nous  savions  dans  ce  siècle  pervers 
Leur  opposer  le  flambeau  de  tes  vers  : 
Alors  l'erreur,  mère  et  fille  du  vice, 
Se  creuserait  soi-même  un  précipice. 
Et  la  vertu  dont  tu  connais  le  prix. 
S'élèverait  sur  ses  affreux  débris; 
Mais  du  penchant  tu  connais  la  puissance 
Et  de  nos  sens  la  trop  fragile  essence, 
Lorsque  Tessain  des  vives  passions 
Vient  exercer  ses  persécutions. 
Vient  assaillir  la  faible  adolescence. 
Que  veux-tu  donc?  Par  quelle  expérience 
L'homme  à  vingt  ans  pourra-t-il  se  sauver 
De  ces  écueils  qu'on  a  peine  à  braver, 
Dans  l'âge  mûr  ?  Si  le  vieillard  succombe. 
Possible  il  n'est  que  le  jeune  ne  tombe. 
Si  par  le  feu  bois  vert  est  allumé, 
Plus  vile  encor  le  sec  est  consumé; 
Bien  est  il  vrai  qu'à  qui  doit  être  sage 
Pas  n'est  besoin  du  secours  du  grand  âge  ; 
Le  goût,  ami,  le  seul  goût  pour  le  bien 
Pour  y  venir,  est  le  plus  sur  moyen  ; 
De  la  vertu  le  respectable  germe 
Est  l'aliment  du  cœur  qui  le  renferme  ; 
Mais  son  progrès  languit  et  s'interrompt. 
Dès  que  son  suc  par  degrés  se  corrompt. 
Par  les  désirs  que  la  faible  Nature 
Transmet  au  sein  de  chaque  créature. 
On  réduit  peu  la  force  du  penchant  : 
J'en  vais  citer  un  exemple  en  passant. 


m  KPITRES. 

Lise  dans  un  foins  où  l'Kglise 
Appelle  ses  enfans  à  la  confession, 

S'y  rendit  pour  avoir  remise 

D'un  cas  où  la  portait  son  inclination, 

Que  les  vieilles  nomment  sottise, 

Et  ([ue  les  jeunes  gens  appellent  passion. 

«   —  Ça,  ma  fille,  lui  dit  le  Père  Siméon, 

Pour  votre  bien  ne  faut  ici  rien  taire; 

Répondez  donc  ingénument, 
Lors  qu'arriva  le  dangereux  moment 
Où  le  Démon  vous  portait  à  mal  faire 
Par  l'organe  de  votre  amant, 
L'acte  de  votre  part  fut-il  involontaire 
Ou  bien  de  votre  gré?...  —  Mon  père... 
Ce  fut...  je  ne  sais  pas  comment,.. 
J'aimais  Tircis  ..  —  Allons,  point  de  mystère... 

—  Eh!  bien...  ce  fut...  très-volontairement. 
—  Bon.  Après.  Le  détail...  Car  il  est  nécessaire 

Pour  ressentir  l'effet  du  sacrement 
Que  vous  contiez  entièrement  l'affaire. 

—  Tircis,  dit-elle,  à  qui  je  savais  plaire, 
Me  plut  aussi...  C'est  un  garçon  charmant... 

—  Mon  enfant,  il  faut  vous  défaire 

De  ce  mot  doucereux  dont  nous  n'avons  que  faire  • 
Nommez-le  Tircis  seulement. 

—  Eh  !  bien  ;  Tircis  me  pressait  vivement 
De  payer  son  ardeur  sincère, 

Et  de  finir  son  rigoureux  tourment... 

—  Après...  —  Un  jour  sur  la  fougère 
Qu'il  s'exprimait  encor  plus  tendrement. 
D'amant  timide,  il  devint  téméraire, 


« 


ÈPITRES. 

Et  s'y  prenant  encor  plus  hardiment, 

II  changea  ma  raison  sévère 

En  un  tendre  frémissement. 

Plus  je  crains,  et  plus  il  espère  : 

II  attaque  si  fortement, 

Je  me  défends  si  faiblement. 

Que  maître  de  se  satisfaire, 

Il  se  satisfait  aisément. 
II  me  plongea  dans  un  ravissement 

Dont  je  rougis...  Enfin,  mon  Père, 
Par  quatre  fois  vainqueur  au  gré  de  ses  désirs, 
H  noya  ma  vertu  dans  les  plus  doux  plaisirs  ; 
Son  cœur...  —  Cela  suffit.  Je  sais  votre  aventure 
Dit  le  Pater  avec  un  peu  d'émotion  ; 

Vous  donnez  à  votre  peinture 

Tant  de  vie  et  tant  d'action, 
Qu'elle  prouve  bien  peu  votre  contrition. 
La  grâce  est  sans  effet  où  règne  la  Nature, 
Promettez-moi  pourtant  de  fuir  l'occasion 
De  revoir  ce  Tircis...  —  Hélas  !  je  vous  le  jure... 

—  Dieu  seul  doit  remplir  votre  cœur. 

Et  non  pas  une  créature  : 
Savez-vous  où  conduit  ce  plaisir  corrupteur  ? 

A  la  perte  de  votre  honneur  ; 
Au  dégoût,  au  mépris  d'un  ingrat,  d'un  parjure. 
Il  en  résulte  encor  un  bien  plus  grand  malheur, 
Il  vous  prive  de  Dieu,  pour  qui  vous  étiez  née. 

Enfin  d'une  âme  destinée 
A  jouir  dans  les  Cieux  de  l'éternel  bonheur, 

II  fait  une  âme  à  périr  condamnée. 
Ma  fille,  allez  en  paix,  et  durant  la  journée 


125 


120  EPITIIES. 

Ayez  devant  les  yeux,  pour  surmonter  I,i  cliair. 

Votre  lionneur,  le  Ciel  et  l'iMifer.  » 
La  rougeur  sur  le  Iront,  et  l'ànie  pénétrée, 
Lisette  sort  du  conlessionnal 
Plus  tristement  qu'elle  n'était  entrée, 
Et  désormais  veut  vivre  retirée 
Pour  éviter  l'occasion  du  mal. 
Quel  heureux  changement  !  la  voilà  pénitente, 

Et  si  vous  voulez,  repentante. 

Mais  le  Malin  toujours  au  guet 

Lui  rappelait  dans  sa  pensée 

Tircis  l'aimant,  Tircis  bien  fait  ; 
Si,  (pi'en  son  cœur  son  image  tracée. 
Malgré  psaumes,  agnus,  oraisons,  chapelets. 

N'en  fut  nullement  effacée. 

A  quelques  jours  de  là,  Tircis 

A  ses  yeux  s'offrit  en  personne. 
Lise  veut  fuir.  —  «  Vainement  tu  me  fuis, 
Dit  cet  amant,  qui  la  lui  gardait  bonne  !  » 

Il  la  joint,  la  prend  dans  ses  bras, 

La  serre,  l'embrasse,  et  lui  donne 
De  ces  baisers  qui  ne  finissent  pas, 

Que  la  faveur  ne  les  couronne. 

Lise  se  rend,  l'Amour  l'ordonne, 

Le  penchant  revient  à  grands  pas, 

La  dévotion  l'abandonne. 
Adieu  l'honneur,  l'enfer,  le  paradis. 

Dans  ce  doux  nnomcnt  la  friponne 
Aima  mieux  risquer  tout  que  de  perdre  Tircis. 


FABLES 


L  ENFANT     El'    LA    POUPEE. 

Dans  une  foire  un  jeune  enfant 

Promené  par  sa  gouvernmte, 

Contemplait  d'nn  œil  dévorant 
Maints  beaux  colifichets  :  tout  lui  pl:\ît,  tout  le  lent( 
II  veut  Polichinel,  ensuite  un  porteur  d'eau, 
Et  puis  il  n'en  veut  plus.  — Voulez-vous  une  cpro? 
—  Ah!  oui,  mais  non;  j'aime  mieux  ce  berceau.  >• 

11  l'eût  pris,  sans  une  poupée 

Qui  le  séduisit  de  nouveau. 
On  la  lui  donne  ;  en  sautant  il  l'emporte, 
Chez  la  maman  le  voilà  de  retour  : 

Aux  gens  du  logis  tour  à  tour 
Il  fait  baiser  l'objet  qui  d'aise  le  transporte; 

Depuis  le  matin  jusqu'au  soir 

De  chambre  en  chambre  il  la  promène  : 
S'il  faut  aller  coucher,  il  la  quitte  avec  peine. 
Et  s'endort  en  pleurant  dans  les  bras  de  l'espoir; 
En  dormant  il  en  rêve,  et  le  jour  lui  ramène 
Sa  Mimi;  qu'on  l'apporte;  et  vite,  il  veut  la  voir  ! 
Pendant  près  de  huit  jours,  avec  exactitude 


I2X  FAliLES. 

Faiifan  joue  avec  sa  caliii. 
Il  paraissait  content;  mais  le  petit  coquin 
De  la  possession  se  lit  une  liabilude. 
L'iiabitude  et  le  Iroid  se  tiennent  par  la  main  : 
Le  froid  donc  s'ensuivit  et  le  dégoût  enfin. 

Combien  de  belles  sont  trompées  ! 

Combien  de  volages  amants! 

Hommes,  vous  êtes  des  enfants, 

Femmes,  vous  êtes  des  poupées. 


II 

LE   CARROSSE   ET    LE   MOULIN   A.   VENT. 

Un  équipage  à  triple  glacej 

Passant  prés  d'un  moulin  à  vent, 

Le  nargua  sur  sa  lourde  masse, 

Et  lui  dit  :  —  Mon  pauvre  innocent, 
Tu  fais  bien  du  chemin  sans  bouger  de  la  place  ! 
Pour  qui?  pour  un  meunier,  un  lourdaud,  un  manant 

Mais  moi,  regarde,  encore  passe  ? 

En  roulant  je  porte  un  milord, 
Femmes  de  cour,  brillantes,  bien  ornées; 

Moi-même  je  suis  doublé  d'or. 
Sens-tu  quelle  distance  entre  nos  destinées?  « 

Le  moulin  lui  dit  :  —  Monseigneur, 
Mon  sort  cbétif  vaut  bien  votre  bonheur  : 

Servir  l'orgueil  est  votre  mode, 
D'un  tel  enïploi  je  ne  suis  point  tenté; 

Prévenir  la  nécessité 

Vaut  bien  l'honneur  d'être  commode.  » 


FABLES.  l'i!) 

III 

l'écolier  et  la  férule. 

Certain  espiègle,  un  de  ces  bons  apôtres 
Qu'on  laisse  tard  en  pension, 
Resta  pour  sa  malice  et  par  punition 

Sur  un  banc,  tandis  que  les  autres 
Élaient  dans  le  jardin  en  récréation; 
Mais  le  marmot  en  faction 
Trouvant  enfin  ce  rôle  ridicule, 
Pour  sortir  de  l'inaction 
Sur  la  table  prend  la  férule  : 
Cachon?,  dit-il,  ce  vilain  instrument. 
Où?  dans  ma  poche?  non,  vraiment; 
On  peut  me  fouiller.,.  Ah!  je  tremble! 
Monsieur  Tabbé  n'a  qu'à  venir. 
Remettons-la.,.  Cependant  il  me  semble 
Que  j'ai  le  temps...  Oui,  par  plaisir, 
Et  pour  nous  venger  tout  ensemble, 
Otons  toujours  ce  moyen  de  punir... 
Soudain  dans  un  coin  noir  la  férule  est  mussée  : 
—  Mon  pauvre  enfant,  dit-elle,  écoute  bien  ces  mots. 
Le  mal  que  je  t'ai  fait,  et  dont  je  suis  fâchée, 

T'épargna  de  bien  plus  grands  maux, 
Et  tu  voudras  tantôt  ne  m'avoir  point  cachée. 
On  va  voir  qu'elle  avait  raison. 
La  cloche  sonne,  on  rentre  en  classe  : 
L'n  tel?  dites  votre  leçon... 
Fort  bien!  à  l'autre...  émerveille!...  L'on  passe 


130  l'A  y  LE  S. 

KiisLiit(>  à  nutic  polisson. 

—  Allons,  monsieur  la  bonté  même, 
A  votre  tour...  H  n'en  sait  pas  un  mot. 

—  Avez-vous  refait  votre  thème? 

—  Monsieur...  —  Non...— Mais...  —  Taisez-vous,  petit  sol 
Pour  vous  apprendre...  où  la  férule  est-elle?  » 

On  cherche  en  vain  ;  à  son  défaut 
Verges  de  Dieu  dansèrent  comme  il  faut. 
Ceci  de  maints  auteurs  est  le  tableau  fidèle. 
Rebelles  aux  conseils  d'amis  sages,  prudents. 
Et  dérobant  ci'  qu'ils  viennent  d'écrire 
A  la  férule  du  bon  sens. 
Leur  sort  est  de  passer,  malgré  leurs  arguments, 
Par  les  verges  de  la  satire. 

IV 

l'a.M;    tT    SO.N    MAlTUr. 

L'àne  et  son  niailre!  A-l-on  jamais  parlé 
Avec  aussi  peu  d'art?  Ce  titre-là  m'assonnne. 

Pour  moi,  dans  mon  intitulé 

J'aurais  mis  la  bête  après  l'homme. 
Vous  l'auriez  fait?  Moi,  je  ne  le  fais  pas. 
Pour  s'exprimer  chacun  a  sa  manière; 

Mais  à  quoi  bon  cet  altercas? 

Cette  fois  n'est  pas  la  première. 

Où  l'àne  sur  l'honnue  a  le  pas. 
Dieu  veuille,  hélas  !  qu'elle  soit  la  dernière. 

Sur  son  grisou  maître  George  monté, 
Cheminait  un  jour  à  son  aise. 


FADLES.  151 


Il  eût  encore  mieux  été 

Dans  bon  carosse  ou  bonne  chaise  ; 

Mais  par  faute  de  ce  moyen 

Il  s'en  tenait  à  sa  monture, 

Qui,  tranquille  dans  son  allure, 

Sans  aller  vite,  allait  fort  bien; 

En  chemin  il  prend  un  caprice 

  maître  George.  Eh  !  quoi,  dit-il! 
Ce  baudet-ci  ne  prend  point  d'exercice. 
Toujours  le  pas!  tandis  que  j'en  vois  mil 

Trotter,  fringuer,  galoper  même. 
•       Qui  l'empêche  d'en  faire  autant? 
De  l'y  forcer  ne  suis-je  pas  à  même? 

—  Allons,  drôle,  vite,  à  l'instant 
Que  l'on  galope  ..  —  Ah  !  lui  répond  la  bèlt 

lion  maître;  vous  exigez  trop, 

Je  vous  jure,  foi  d'àne  honnête, 
De  vous  culebuter  si  je  vais  le  galop. 
Moi,  galoper!  je  n'en  suis  point  capable, 
Je  sais  marcher,  vous  porter,  c'est  assez, 

Et  vous  êtes  trop  raisonnable 
Tour  attendre  de  moi  des  services  forcés.  » 

A  cette  juste  remontrance 

George  en  courroux  pique  des  deux. 
Fouet  de  claquer,  de  pincer  encor  mieux. 
Ainsi  pressé  raesser  Baudet  s'élance. 
Double  le  trot,  la  ta  ta,  ta  ta  ta! 
La  poudre  vole.  A  trente  p  is  de  là 

On  eût  vu  la  bète  de  somme 
Se  reposant,  les  quatre  fers  en  l'air, 

Montée  à  son  tour  sur  notre  homme. 


132  FABLES. 

Qui  de  poussière  et  de  honle  couverl, 
Le  releva,  non  sans  dommage  : 
Lors  rendu  sage  à  ses  dépens 
Il  conclut  qu'en  fait  de  talens, 
De  loi,  de  coulume  et  d'usage, 
Il  ne  faut  point  forcer  les  gens. 


LE   SINGE,    LK    LAPIN    ET    LE    MOUTON. 

Le  bon  cœur  à  l'esprit  fut  toujours  préférable, 
L'un  a  nombre  d'amis,  et  l'autre  presque  poinl  : 

Quand  l'esprit  au  bon  cœur  se  joint 
C'est  encor  mieux,  on  en  est  plus  aimable. 
Maître  Bertrand,  singe  adroit  et  malin, 
Singe  à  bons  mots,  fit  un  jour  connaissance 
Avec  Robin  mouton,  ami  de  Jean  Lapin. 
Les  voilà  donc  tous  trois  en  bonne  intelligence. 
De  son  métier,  Bertrand  drôle  de  corps, 

Les  faisait  étouffer  de  rire. 

Et  devant  lui  les  plus  retors 

Admiraient,  et  n'osaient  rien  dire. 

C'était  un  petit  Despréaux, 

Il  avait  fait  une  satire, 

Contre  de  certains  animaux 
Qui  se  croyaient  bien  fins  et  n'étaient  que  des  sots. 

Écoutez,  je  vais  vous  la  lire, 

Leur  dit-il,  en  s'applaudissant. 

On  écoute...  Après  la  lecture, 
—  Comment  la  trouvez-vous?...  —  Cela  n'e^t  pas  plaisant, 


I 


FABLES.  133 

Dit  le  lapin,  craintif  de  sa  nature. 
Vous  drapez  le  lion,  le  loup  et  le  renard 
Qui  prés  de  nous  sont  tous  gens  d'importance, 

Ainsi  nous  aurons  bientôt  part 
Aux  traits  mordants  de  votre  médisance. 

—  Bon!  dit  Berlrand,  n'ayez  pas  peur.  Fi  donc  ! 
Et  qu'en  pense  Tîobiu  mouton  ? 

—  Ah!  dit  Robin,  je  ne  suis  qu'une  bête, 
Car  je  n'aime  que  la  bonté. 
Peut-être  suis-je  malhonnête 

De  fuir  aussi  votre  société; 
Mais  Jean  Lapin  et  moi  ne  faisons  point  de  fête 
A  qui  doit  son  esprit  à  la  méchanceté.  » 

V[ 

LE    JOUEUR    DE    GOBELETS    ET   LES    VILLAGEOIS. 

L'ignorance  est  un  mauvais  juge, 
Dont  bien  des  gens  ne  se  trouvent  pas  mal  ; 
Mais  contre  les  arrêts  de  son  faux  tribunal 
La  raison  est  un  bon  refuge. 

Escroquillard,  fameux  escamoteur. 
Dans  un  village  un  beau  dimanche 
Dressa  son  théâtre  imposteur 
Sur  deux  tréteaux  que  couvrait  une  planche, 
Puis  au  bruit  du  tambour  il  se  fit  annoncer. 
«  —  C'est  par  ici.  Messieurs,  allons,  prenez  vos  places. 

Dans  l'instant  je  vais  commencer.  » 
tous  mes  benêts  pipés  par  ses  grimaces. 
De  l'admirer  ne  pouvaient  se  lasser. 


loi  FABLES. 

Après  maints  tours  de  passes-passes 
Ils  ne  savaient  que  dire  et  que  penser. 
Leurs  yeux  frappés  de  ce  rare  spectacle, 

Prenaient  jtour  autant  de  miracles 
Cliaque  parole  et  chaque  changement. 

Ils  ne  concevaient  pas  comment, 

Sans  y  toucher,  une  muscade 
Par  le  pouvoir  du  seul  commandement 

Allait  joindre  sa  camarade... 

«  —  Allons,  Messieurs,  à  ce  tour-ci, 

Par  la  vertu  de  ma  baguette 
Je  vais  changer  cet  écu  que  voici 

En  plomb...  Partez...  La  chose  est  faite, 

Le  voyez- vous?  Ça,  maintenant 

Que  le  plomb  redevienne  argent, 

Soufflez  dessus...  «  Chaque  maroufle 

Tour  à  tour  de  bonne  foi  souffle. 

Et  reçu  paraît  de  nouveau... 

«  —  Ah  !  mon  Dieu,  Seigneur  !  que  c'est  beau  ! 

Quel  esprit  !  C'est  pire  qu'un  homme, 

Que  cet  homme  là...  —  Ça,  Messieurs, 
Leur  dit  Escroquillard,  le  temps  m'appelle  ailleurs,  n 
A  leurs  dépens  muni  d'une  assez  bonne  somme, 

Son  départ  fut  son  dernier  tour; 
Le  village  longtemps  parla  de  l'homme  habile; 

Que  de  villageois  à  la  Ville  ! 
Que  d'escamoteurs  à  la  Cour  ! 


I 


FABLES.  155 

VII 

LES    DEUX    NAGEURS. 

Jeunes  gens,  travaillez,  et  devenez  capables, 
La  science  est  un  bien  qui  ne  périt  jamais... 
Allez,  me  direz-vous,  parlez  à  vos  semblables  ; 
Pour  prendre  de  tels  soins  nous  ne  sommes  pas  faits  : 
Sur  de  grands  protecteurs  nos  intérêts  se  fondent. 

Monseigneur  tel  nous  veut  du  bien... 

C'est  beaucoup  !  mais  cela  n'est  rien, 

Si  vos  talents  ne  les  fécondent. 

Deux  nageurs,  un  beau  jour  d'été, 

S'égayaient  au  milieu  de  l'onde. 
L'un  d'eux  surtout  par  sa  dextérité, 
Par  mille  tours,  arrêtait  tout  le  monde. 

Tantôt  d'un  bras  fendant  les  flots, 

Il  semblait  les  rendre  dociles, 

Et  tantôt  ses  jambes  agiles. 
Lui  suffisaient  pour  voguer  sur  le  dos. 

L'autre,  aidé  de  deux  callebasses, 
Et  pesamment  détachant  quelques  brasses, 

S'imaginait  le  surpasser  : 

Même  il  osa  lui  proposer 

De  traverser  la  rivière... 

(I  —  Ah  !  dit  l'autre,  l'orgueil  vous  tient, 
Ou  vous  riez  ;  car,  mon  pauvre  confrère, 

Sans  le  secours  qui  vous  soutient, 

Volis  nageriez  comme  une  pierre... 


17.0  FABLES. 

—  Eli!  mon  Dieu,  qu'importe!  essayons.... 

—  Vous  le  voulez?  Hé!  bien,  voyons.  » 
Ils  partent,  le  nageur  habile 

Sans  se  gêner  arrive  au  borJ, 

Et  l'autre,  après  une  peine  inutile, 

Prêt  à  succomber  sous  l'effort, 
S'aperçoit  un  peu  tard  qu'il  n'est  qu'un  imbécile, 

Et  dans  l'endroit  le  plus  profond, 
Les  gourdes  s'échappant  de  leur  lien  fragile, 

Laissent  couler  mon  sot  à  fond. 

La  science  bien  dirigée 
Par  les  flots  des  revers  n'est  jamais  submergée, 
Le  vrai  mérite  est  un  sûr  aviron  ; 
Mais  l'ignorance  protégée, 
Le  Patron  mort,  fait  le  plongeon. 


VIH 

LE    MIROIR    DE    LA    VÉRITÉ. 

Un  jour  la  Vérité,  dans  une  grande  place 
Montrait,  pour  de  l'argent,  un  magique  Miroir. 
Oh  !  oh  !  dit  le  public,  c'est  une  chose  à  voir  ! 
Le  monde  y  court.  La  merveilleuse  glace 
Avait  entre  autres  le  pouvoir 

Quand  on  fixait  les  yeux  sur  sa  surface, 
D'en  apprendre  bien  plus  qu'on  n'en  voulait  savoir. 

Le  faux  dévot,  la  coquette,  la  prude, 
Le  traître,  l'ingrat,  le  méchant, 
L'orgueilleux,  le  faquin,  le  brutal,  le  pédant 


FABLES.  157 

Venaient  des  curieux  grossir  la  multitude  : 
Bref,  chacun  y  voyait  ses  défauts  découverts. 
On  rougissait,  on  ne  savait  que  dire  : 
Mais  ai-je  bien  les  yeux  ouverts  ! 
On  les  frotte,  on  les  ouvre,  et  puis  on  se  reniire. 

Mêmes  objets  de  nouveau  sont  offerts,      t 
Au  diable  le  Miroir  !  on  s'y  voit  de  travers. 
Bon  soir,  la  Vérilé,  gardez  votre  vitrage  ; 
Et  puis  sans  la  payer,  on  lui  dit,  bon  voyage. 
Pour  s'enrichir,  la  Vérité 
Avait  sans  doute  pris  le  change  : 
La  fortune  n'est  pas  pour  la  sincérité  ; 
Nous  ne  payons  que  la  louange. 


IX 

LES    DEUX   SEhIXS. 

Soyons  aimables  sans  orgueil. 
Aux  dépens  des  talents  des  autres 
Ne  faisons  point  valoir  les  nôtres  : 
Trop  de  présomption  du  mérite  est  l'écueil. 

Deux  Serins,  tous  deux  du  même  âge, 
Tous  deux  ayant  même  talent. 
Avaient  séparément  leur  cage 
Dans  un  superbe  appartement. 
Vous  eussiez  dit  être  dans  un  bocage 
Tout  plein  de  Rossignols,  tant  leur  charmant  ramage 
Portait  au  cœur  un  doux  chatouillemenl. 
Tous  deux  étaient  également 

8. 


138  FAT.  LES. 

Soignés,  chr'iis  do  Iimii-  inaiiresse  ; 
Forco  planlin,  ensuite  du  bonbon, 

Et  par-dessus  une  caresse. 
Baisez,  mon  fils  ;  baisez,  petit  mignon. 
Baisez...  Tous  doux  ul)jels  de  la  même  tendresse, 
On  croira  qu'ils  vont  vivre  en  un  parfait  accord, 

On  croira  mal  :  la  noire  Envie 

Du  désir  de  primer  suivie, 
De  nos  deux  Amphions  vint  troubler  l'iieureux  sort. 

Plus  d'accents,  plus  de  mélodie-. 
Mais,  par  dépit  cliacun  veut  l'emporter, 

Et  puis  soudain  de  disputer  : 

Avec  un  ton  aigre  on  gazouille, 

Et  si  l'on  se  met  à  clianter. 

Ce  n'est  que  pour  se  chanter  pouille. 
w  —  Je  brille  plus  que  vous,  soyez-en  averti, 
Dit  l'un  ;  ma  voix  touche  plus  que  la  vôtre. 
—  Vous  êtes  un  sot,  répond  l'autre. 
Et  qui  plus  est,  vous  en  avez  menti. 

Vous  dites  que  votre  voix  flatte, 

Mettez-en  cent  encor  avec, 
Pour  m'égaler...  —Qui?  vous,  Monsieur  de  gosier  soc  ! 

De  ce  jour  retenez  la  date, 

Ne  tombez  jamais  sous  ma  patte. 

-  -  Ni  vous,  dit  l'autre,  sous  mon  bec.  » 

Témoin  de  leur  criaillerie 

Leur  maîtresse  n'y  comprend  rien. 

Quoi  donc!  Quel  baroque  entretien  ! 

Jamais  Serins  de  canarie 
N'ont  en  caquet  qui  ressemblât  si  bi(Mi 

Au  dur  ramage  do  la  Pie. 


CONTES.  I.-9 

Qu'avez-vous  mes  petits  enfniits? 
Sans  lui  répondre,  on  poursuit  la  querelle  : 

Le  lendemain  elle  se  renouvelle, 
Et  tous  les  jours  :  oh  !  oh  !  c'est  trop  longtemps 

Jl'étourdir  !  qu'on  porte  dit-elle, 
Ces  piaillards  dans  le  fond  du  grenier. 

Que  d'auteurs  avec  eux  on  devrait  envoyer  ! 


CONTE 


LE    BEURRE 

Autrefois,  sans  tant  d'examen, 
On  se  piquait  d'amour  pour  une  l'elle. 
Et  presque  siîr  d'être  toujours  fidèle, 
On  passait  tendrement  de  l'amour  à  l'hymen  ; 

3Iais  à  présent  on  ne  dit  plus  Amen, 

Sans  savoir  si  la  Demoiselle 

Ne  donne  au  moins  son  pesant  d'or 
Avec  sa  main  :  le  bien  seul  fait  l'accord. 
Maudite  loi  !  pas  ainsi  n'en  usèrent 
Maître  Trichet,  et  la  jeunette  Alix, 

Lorsque  tous  deux  ils  s'épousèrcnl. 
L'un  jeune,  et  l'autre  faite  aux  dépens  do  Cipris, 
Différemment  tous  deux  valaient  leur  prix. 


140  CONTE. 

Voici  comment  la  Destinée 
Les  tu  connaître.  Une  belle  journée, 
(C'était,  je  crois,  sur  la  fin  du  printemps), 
Mons  Trichet,  maître  de  son  temps, 
Fort  bien  le  prit  pour  un  pèlerinage 
Assez  connu,  qui  n'est  loin  de  Paris, 
Nanterre  enfin  ;  le  dévot  personnage 
Arrive  à  jeun  ;  il  se  l'était  promis  ; 
De  dire  qu'il  ouït  la  Messe, 
Qu'il  fit  ce  qu'on  fait  à  confesse. 
Serait  de  trop,  pour  peu  qu'il  soit  Cbrétien, 
Notre  lecteur  s'en  doute  bien. 
Trichet  aimait  le  vin,  il  eut  pour  pénitence 
De  se  mettre  huit  jours  au  lait. 
Et  de  prendre  pour  sa  pitance 
Du  fromage  au  lieu  de  poulet. 
Dans  le  village  était  une  laitière, 
L'obéissance  y  conduisit  Trichet  : 
Eussiez-vous  cru  que  dans  celte  chaumière 
Il  eût  rencontré  plus  d'attrait 
Qu'au  cabaret  ? 
La  fille  du  logis  au  coloré  visage, 
Aux  yeux  noirs  et  perçants,  l'enchanteresse  Alix, 

Qui  ne  comptant  quatre  ans  par-dessus  dix. 
Rassemblait  en  son  corps  les  charmes  du  village. 
D'un  air  simple  et  riant  lui  servit  du  laitage  : 

Il  en  mangea,  puis  redoubla  deux  fois  : 
Servi  par  tant  d'attraits,  qui  n'en  eût  fait  de  m<''me? 
llébé  vous  perdriez  vos  droits. 
Si  Jupiter  aimait  la  crème  : 
Par  un  bonheur  un  autre  est  amené, 


COIS  TE.  141 

Trichet  l'éprouve,  et  dans  sa  dévote  âme 
Il  sent  bouillir  le  lait  dont  il  a  déjeuné, 
Grâce  à  la  belle  Alix  qu'il  demande  pour  femme. 
Un  tel  parti  n'était  à  rejeter  : 
Pas  ne  le  fut,  Trichet  prit  la  huitaine 
Pour  sa  promesse  exécuter. 
Le  retard  en  amour  .est  une  étrange  peine; 

Mais  pouvait-il  faire  autrement? 
h\i-t-il  se  damner?  Car  sa  perte  est  certaine. 
Si  pendant  les  huit  jours  il  ne  vit  sobrement. 
De  son  prochain  bonheur  la  future  bourgeoise 
Bénissait  Dieu  :  son  cœur  quoique  flatté 
Ne  logeait  point  de  sotte  vanité  ; 
Car  tous  les  jours  lidéle  villageoise, 
Elle  portait  au  marché  de  Paris 
Du  beurre  frais,  comme  à  son  ordinaire. 
Ainsi  faisait  jadis  Margot,  simple  bergère, 
Qu'une  intrigue  aujourd'hui  place  au  rang  des  lîls 
Un  jour  qu'Alix  s'en  retournait  contenle 

D'avoir  vidé  ses  deux  paniers. 
Et  pour  iceux  reçu  maints  beaux  deniers, 
Elle  aperçut  Lucas,  défricheur  d'innocente  ; 
Bien  fait  surtout  était  le  fin  matois, 
Et  beau  diseur  en  son  patois. 
«  —  Qu'est-ce,  dit-il,  en  abordant  la  Belle? 
Un  Monsieur  doit  donc  t'épouser 

Après  demain?  —  Oui —  Méchante  nouvelle! 

Tu  ne  sais  pas  comme  il  faut  en  user 
Avec  un  homme  du  gros  style  ; 
Je  te  plains  car  lorsqu'il  faudra.... 
Tu  m'entends  bien,  et  qu'il  voira 


142  CONTJi;. 

Qu'à  ce  jou  lu  n'es  pas  habile, 
Je  suis  sûr  qu'il  to  renvoyera. 
Quelle  honte  pour  loi  !  Queu  chagrin  pour  la  mère! 

Tu  pleures?  Va,  ne  pleure  pas, 
11  est  un  doux  remède  à  ce  Iriste  embarras. 

Je  l'ai...  —  Tu  l'as?  Ah!  dit-elle,  j'espère 
Que  tu  voudras.. .    -  Oh  !  oui  !  je  ferai  ton  affaire  ; 
Mais  pour  ce  service  obligeant, 
Alix,  il  me  faut  de  l'argent.. . 
—  De  l'argent?  Tiens,  prends  tout... — Bon  cela,  dit  le  sire; 
A  présent  couche-loi  sur  ce  lit  de  gazon.  » 
Elle  de  se  coucher,  et  lui  de  vous  l'instruire, 
Pe  cette  façon-là,  puis  d'une  a'.ilre  façon. 

Alix  se  pâme,  Alix  soupire, 
Et  trois  ou  quatre  fois  répète  la  leçon. 
La  Belle  en  train  de  bien  apprendre 
Serrait  Lucas,  qui,  las  de  besogner, 
Par  un  air  abattu  lui  fit  assez  comprendre 

Qu'on  ne  peut  toujours  enseigner. 
«  —  Sarviteur,  lui  dit-il,  à  demain  la  pareille. 
C'en  est  bien  assez  pour  ce  jour.  » 
Puis  le  grivois,  ami  de  la  bouteille. 
Fut  célébrer  Bacchus  aux  dépens  de  l'Amour; 

De  son  côté  la  savante  Ecolière 
Poursuivant  son  chemin,  arrive  à  la  maison. 
Elle  entre;  mais  alors  point  d'argent  pour  sa  mère. 

On  en  demande  la  raison; 
Un  mensonge  à  propos  raccommoda  l'affaire. 
Alix  conte  que  des  voleurs 
Ont  enlevé  sa  marchandise. 
Ce  récit  effrayant  aidé  de  ([ueUpies  pleurs. 


CONTE.  Ii3 

Parut  naïf;  la  cliose  l'ut  bien  prise, 
Bien  prise  fut.  Voyez  le  grajid  malheui'. 
Ne  pleurez  plus  Alix,  calmez  voire  douleur. 
Tels  coups  sont  impré\'us;  mais  quoi!  l'on  s'en  console, 
D'ailleurs  votre  futur  arrivant  dans  deux  jours, 
Vous  dédommagera  ;  car  on  sait  que  toujours 
Un  Chrétien  qui  promet  tient  aussi  sa  parole. 
Pas  n'y  manqua  l'amoureux  Pèlerin  ; 
Au  tems  marqué  la  chose  fut  conclue. 
Après  la  danse  et  le  festin, 
Après  la  bonne  nuit  et  donnée  et  reçue, 
En  beaux  draps  blancs  nos  deux  époux 
Fort  à  la  légère  se  mirent. 
Le  désir  d'un  moment  si  doux 
Nous  donne  à  penser  ce  qu'ils  firent  ; 
Mais  Trichet  du  premier  assaut 
Se  contenta  ;  chétive  était  la  dose 
Au" gré  d'Alix.  «  — Comment!  lui  dit-elle  tuul  haut. 

Est-ce  là  tout?  Voyez  la  belle  cliose! 
Pardi,  moi,  je  croyais  qu'aussi  bien  que  Lucas 
Vous  alliez  quatre  fois  traiter  Alix  en  Reine. 
Nous  coucher  pour  si  peu,  ce  n'était  pas  la  peine... 

—  Qu'entends-je?  dit  Trichet,  vous  auriez  fait  le  cas! 

—  Bon,  lui  répond  Alix,  queu  malin  que  vous  êtes! 

Monsieur  veut  se  gausser  de  nous. 
Allez  votre  chemin,  mon  Dieu,  connue  vous  faites! 
On  en  sait  là-dessus  autant  et  plus  que  vous  ; 
Car  Lucas  m'a  montré  trois  fois  en  trois  quarts  d'heure 
De  fort  biaux  tours  ;  aussi  pour  les  savoir  trelous 

11  m'en  a  coûté  mon  bon  beurre.  » 


Hé  VEIIS. 

VERS 

POUR   METTRE   AU   BAS   DU   PORTRAIT   d'uNE   PI  RSONNE   LAIDE. 

Celte  cioustilleuse  figure 
Me  rappelle  le  Carnaval  ; 
On  doit  nommer  roriginal 
L'Enfanl  gâté  de  la  nature. 

ÉPIGRAMME. 

Certain  abbé,  poupin  de  son  métier, 
Ilimeur  aussi,  pétri  de  politesse, 

Un  jour  lâcha  par  maladresse 

Un  vent  de  l'arrière-gosier. 

Chacun  rit,  il  n'en  est  point  aise; 

11  cherche  à  s'en  justifier, 

Et  pour  qu  on  accuse  sa  chaise 
Du  pet,  il  vous  la  fait  craciuer  et  recraquer. 

Quelqu'un  lui  dit,  apercevant  sa  frime  ; 

Que  sert,  l'abbé,  de  tant  vous  fatiguer? 
Vous  n'en  trouverez  point  la  rime. 

VERS 

POUR    ÊTRI-:   JUS    AU    BAS    d'uNE    ESTAMPE    REPRÉS^:NTA^Î 
LA    PLACE    MAUIÎEP.T. 

«  —  Paix  là,  paix  là,  mes  cliers  enfants; 
En  vérité,  c'est  trop  longtemps 
Se  battre  et  jurer  pour  des  ponmies. 
—  Allez,  brigadier  des  bons  hommes. 


VEliS.  145 

Avec  votre  air  tristement  doux  : 
Savez-vous  que  via  pour  dix  sous 
De  belle  et  bonne  marcliandise. 
Que  ç'te  vieil'  cavale  de  frise 
Vient  de  jeter  sur  le  pavé  ! 

—  Tais-toi,  mou  de  veau  mal  lavé; 
Pourquoi  m'appelles-tu  bâtarde, 
Bassinoire  de  corps  de  garde  ? 
Gaupe...  —  Moi  gaupe?  Gaupe  moi? 

Ah,  chienne, ;;rt(t...  Tiens,  v'ia  pour  foi... 

—  Ah!  tu  me  le  paveras,  vilaine. 
Attends...  —  Làche-uioi...  Magdelaine... 

—  Non...  —  Lâche-moi...  —  Non...  —  Saquerguié, 
Je  veux.  .  —  Viens  plutôt  d'amiquié 

Boire  nous  trois  un  coup  de  pafl'e, 

Ca  guérira  la  pataralfe, 

Et  je  verrons  qui  qu'aura  tort... 

Viens-tu...  —  Va,  taupe,  allons,  d'accord. 

Venez,  vous,  mon  révérend  père, 

Relicher  un  coup  de  ç't'affaire; 

Il  ne  vous  en  coûtera  rien... 

—  Soit,  je  vous  suis  pour  voire  bien. 


LETTRES 


I 

A    U.NE    DE.MOIbliLLE    QUI    i'KENAIT    l'OlU    LORS    lES    EAUX    A    l'ASSY. 

Air  :  Vous  in  entendez  bien. 

Je  croyais  sans  prévention 

Mériter  votre  aflection; 

Et  que  mieux  que  tout  autre, 

Hé!  bien, 
J'aurais  pu  toucher  votre... 
Vous  m'entendez  bien. 

Toucher  votre  insensible  cœur 
Qui  fut  pétri  par  la  froideur  ; 
Soyez  donc  moins  sévère, 

Hé!  bien, 
Et  je  pourrai  vous  faire... 
Vous  m'entendez  bien. 

Vous  faire  entendre  que  l'amour 
Ne  peut  subsister  sans  retour. 
Je  serai  toujours  tendre. 

Hé!  bien, 
Si  vous  voulez  me  prendre... 
Vous  m'entendez  bien. 


LETTUES.  147 


Me  prendre  pour  unique  amant, 
Et  que  le  vif  empressement 
Que  j'ai  pour  vous,  Climène, 

Hé  !  bien , 
Vous  fasse  ouvrir  sans  peine... 
Vous  m'entendez  bien. 

Ouvrir  sans  peine  et  sans  rigueur 
Votre  âme  aux  traits  de  mon  ardeur. 
Usez  de  représaille, 

Hé!  bien. 
Ou  dites-moi  que  j'aiHe... 
Vous  m'entendez  bien. 

Que  j'aille  à  l'assy  vous  trouver, 
Pour  vous  dire  et  pour  vous  prouver, 
Mieux  que  par  cette  lettre, 

Hé!  bien, 
Que  j'ai  bien  Thonneur  d'être.. - 
Vous  m'entendez  bien. 


II 

bE    l'auteur    a     un    llE    SES     AMIS    SUR    SA    JOLŒ    FAÇON    d'ÉCRIRE. 

Je  viens  de  recevoir  ta  lettre,  mon  ciier  ami  ;  elle  m'a 
en  vérité  fait  plaisir  :  tu  écris  joliment  ;  j'aime  les  compli- 
ments à  la  fureur;  tu  m'en  as  fait  de  magnifiques;  mon 
amour-propre  en  a  eu  une  raisonnable  indigestion.  Heureu- 
sement que  la  grenouille,  cette  fois-ci,  n'a  disputé  de  gros- 
seur qu'avec  le  veau  :  qui  ne  s'enfle  qu'à  demi,  ne  crève 


l'<8  LETTRES. 

pas  tout  à  fait.  Tu  m'as  l'ail  Tlionneur  de  palier  de  moi  à 
M...?  Je  l'en  remercie;  cependant,  non,  et  oui...  Car 

Que  dire  d'un  Jeune  inconnu 
Qui  pour  tout  mérite  cliansonnc? 
Et  qui  n'a  d'autre  revenu 
Que  ce  qu'un  simple  emploi  lui  donne 
Pour  l'empêcher  d'aller  tout  nu; 
Miiis  le  destin  ainsi  l'ordonne  : 
Voilà  le  non.  Et  quant  au  oui, 
Qui  m'intéresse,  le  voici. 
Si  consultant  l'amitié  même, 
(S'entend  celle  que  j'ai  pour  toi,) 
Tu  sens  quand  tu  parles  de  moi 
Faire  valoir  combien  je  t'aime, 
J'attends  un  renom  glorieux. 
Cher  ami,  ceux  qui  te  connaissent 
T'aiment  d'abord,  et  s'intéressent 
Pour  quiconque  pense  comme  eux. 

Je  compte  sur  le  plaisir  d'aller  voir  tes  aimables  parents, 
sans  cependant  me  servir  du  prétexte  de  la  fête  de  madame 
ta  mère;  cpi'en  ai-je  besoin?  Lorsque,  d'accord  avec  l'in- 
clination, le  respect  nous  introduit  chez  les  gens,  et  que 
l'on  y  trouve  la  bonté,  qui,  les  deux  bras  ouverts,  semble 
vous  laisser  lire  dans  son  cœur  :  Vous  voilà'f  Tant  mieux  : 
dînez  avec  nous  ;  vous  êtes  un  bon  garçon  de  venir  nous 
voir.  Votre  serviteur  Irès-humble  :  metlez-vous  là,  et  faites 
comme  nous.  A  voire  avis,  M.  le  Conseiller  à  la  glace, 
doit-on  avoir  recours  au  labyrinthe  quand  il  s'agit  d'arriver 
droit  comme  mi  I  dans  le  séjour  de  la  franchise? 

Je  suis  ravi  que  les  deux  chansons  dont  lu  me  parles 
aient  été  trouvées  passables;  le  bonheur  de  plaire  à  des 
personnes  de  goût  est  donc  bien  facile  à  acquérir?  Oh!  mais, 


LETTHES.  149 

les  honnêtes  gens  se  contentent  de  peu,  et  leurs  généreux 
applaudissements  font  l'effet  du  microscope,  qui  grandit  le 
moindre  objet. 

Jiadame  D...  est  à  la  noce  à  Saint-Denis  avec  mesdemoi- 
selles de...  messieurs  de  ...  de  ...  de  ...,  etc.  Eh!  que  dit 
son  mari?  Qui,  lui?  Rien.  Mais  si  tu  le  voyais  soupirer, 
sinon  de  tendresse,  du  moins  de  courroux;  soupirs  qu'il 
entrelace  mélodieusement  d'une  douzaine  de  sacrediés;  lu 
rirais  :  ensuite  il  passe  outre  au  moyen  d'une  f...  en  ajou- 
tant: ça  finira,  ou  le  diable  m'emp...  Heureusement  que 
pour  lui  couper  la  parole  et  pour  lui  épargner  ce  voyage, 
quelqu'un  entre  en  lâchant  un  infructueux  coup  d'œil  au 
comptoir.  Ah!  ah!  où  est  donc  votre  femme?  Mol.  Répon- 
dez donc?  Où  est?...  —  Mordié,  qu'elle  soit  où  elle  voudra. 
Là-dessus  il  voudrait  que  Saint-Denis  fût  pendu,  c'est- 
à-dire  aux  Indes,  vingt  coups  de  pieds  dans  le  ventre.  Le 
diable  emporte  les  noces  ;  nous  verrons  si  çn  durera  long- 
temps comme  ça  !  Somme  totale  :  on  lit  dans  son  transport, 
noce  à  S;iint-Denis,  femme  qui  y  est,  et  mécontentement 
de  M.  De...  à  cet  égard. 

Les  noins  dont  tu  me  charges  auprès  de  celle  qui  ne  peut 
souffrir  que  les  tiens,  sont  moins  de  saison  que  ce  rondeau. 


Plus  d'une  fois,  et  voire  plus  de  deux 
Avez  reçu  bonjours,  tendres  clins  d'yeux. 
Et  maints  souris  de  la  tant  gente  Dame 
Dont  me  parlez,  et  bien  sais  que  votre  âme 
Avec  son  cœur  sympatbise  des  mieux. 
Bien  sais  aussi  qu'elle  a  l'air  soucieux 
Quant  point  ne  voit  votre  minois  joyeux  : 
Pareils  cliagrins  ont  découvert  sa  flamme 
Plus  d'une  fois. 


lôO  LLTTRES. 

Étonné  suis,  qu'au  comble  de  vos  vœux 
Me  pressiez  tant  de  proléger  vos  l'eux. 
Sachez,  Leuu  lils,  qu'auprès  de  jeune  femme 
Vn  conlident,  s'il  voit  gâleau,  l'entame, 
Et  qu'à  vos  Irais  on  peut  le  rendre  heureux 
Plus  dune  fois. 

Fiction  cessanlo,  assure-loi  qu'on  a  bien  rc(,'u  tes  faveurs  : 
ne  l'avise  pas  (raccorder  les  dernières;  c'est  un  moyen  sûr 
de  ne  point  donner  entrée  aux  dégoûts.  On  est  surpris 
comment  tu  peux  l'aire  une  dépense  si  grande  en  compli- 
ments et  à  si  graïul  mari  lié;  mais  tu  te  sauves  sur  la 
quantité. 

Tous  ceux  qui  te  connaissent  ici  m'ont  chargé  de  leurs 
amitiés  pour  toi;  sois  sûr  de  celle  de... 

Si  M.  de...  est  curieux  des  respects  de  ce  pays,  présente- 
lui  les  miens.  Madame  de t'embrasse  ou  peu  s'en  faut. 

m 

FRAGMENT    !)'CNE    LETTRE   ÉCIUTE    l'AR    l'aITEIR    A    UN 
DE    SIS    A5US    A    PARIS. 

Dans  un  appartement  se  tenait  une  assemblée  où  la  con- 
versation était  à  la  torture;  j'entrai  donc  dans  ce  séjour 
d'ennui.  In  jeune  homme  y  suspendait  l'attention  de  toute 
la  compagnie  par  le  récit  cju'il  faisait  d'un  voyage  de  Laon 
à  Dieppe;  je  me  joignis  aux  autres  pour  l'écouter;  mais 
comme  les  particularités  de  ce  voyage  paraissaient  peu  flat- 
teuses, il  jugea  à  propos  do  lui  donner  un  petit  lustre  de 
mensonge;  mais  le  pauvre  gardon,  au  lieu  d'aller  en  .^or- 
m;mdie,  |)rcnait  totalement  le  chemin  de  Hétanie.  «  —  J'ai 
vu,  ilit-il  en  riant  d'avance,  des  poulets  d'Inde  gros  comme 


LETTRES.  151 

des  éléphants.  —  Vous  vous  trompez,  monsieur,  lui  répon- 
dis-je,  car  dans  ce  temps-là  ils  n'étaient  point  encore  en 
fleur.  »  Il  resta  plus  sot  que  les  poulets  d'Inde  qu'il  venait 
de  citer.  Je  pris  celte  occasion  pour  parler  à  mon  tour, 
dans  le  dessein  d'en  donner  à  garder  à  celui  qui  en  voulait 
faire  accroire  aux  autres  :  je  commençai  donc  ainsi  : 

«  Puisque  vous  avez  été  à  Dieppe,  monsieur,  vous  avez 
dû  voir  les  curiosités  que  Ton  conserve  dans  le  château  de 
cette  ville,  entre  autres  une  petite  fiole  de  huit  pintes,  que 
l'on  dit  être  parente  du  cùlé  gauche  d'une  des  cruches  des 
noces  de  Cana,  remplie  du  vomissement  qui  prit  à  saint 
Jean  l'Apocalypse  lorsqu'il  mangea  le  livre  qu'un  Ange  lui 
donna,  dont  l'amertume  des  feuillets  pensa  le  faire  crever  : 
autour  de  cette  fiole  règne  l'histoire  de  saint  Alexis  en 
relief,  d'un  marbre  rouge  sterling,  soutenu  par  quatre  py^ 
ramides  à  fleur  de  tête  à  perruque,  sur  l'air  :  de  ious  les 
capucins  du  Monde;  mais  lorsqu'on  s'en  approche  comme 
pour  y  toucher,  on  découvre  une  perspective  de  bois  flotté 
qui  fait  élernuer  par  les  deux  bouts;  ensuite  on  passe  dans 
un  endroit  où  l'on  tire  d'une  petite  boîte  ovale  par  les 
deux  extrémités  et  ronde  par  les  quatre  coins,  de  façon 
qu'elle  forme  une  espèce  de  moulin  à  café;  on  tire,  dis-je, 
de  cette  boite,  une  pierre  de  touche  de  quinze  lieues  à  la 
ronde,  qui  représente  les  oies  du  frère  Philippe,  gravées 
par  les  trois  anges  dans  la  fournaise;  on  expose  ce  tableau 
à  la  porte  de  la  chapelle  dudit  château  pour  signifier  qu'il  y 
a  indulgence  plénière  sans  miséricorde. 

—  Eh!  pourquoi  donc  cela?  me  dit  une  demoiselle. 

—  Parce  qu'en  ce  pays-là,  lui  répondis-je,  c'est  la  mode, 
comme  ce  l'est  à  Paris  de  manger  des  épinarils  de  ma- 
roquin. 


152  LETTUES. 

—  Bon,  bon!  je  ne  crois  iioinl  toul  cela. 

—  Que  diriez-vûiis  donc,  mademoiselle,  conlinuai-je,  si 
je  vous  racontais  ce  que  Ton  voit  à  l'Observatoire  de  l'aris? 
Croiriez-vous,  par  exemple,  que  Ton  y  montre  un  éperlan 
taillé  dans  le  roc,  à  nianclie  d'agalbe,  enveloppé  d'un  colon 
cardé  à  neuf,  eiiriclii  d'une  cornaline  de  bronze  peinte  sur 
coutil,  en  façon  de  garde-robe  sauvage,  et  que  les  yeux  de 
cet  animal  ressemblent  précisément  à  deux  casse-noisettes, 
dont  les  paupières  sont  de  plomb  laminé?  Mais  ce  que  Ton 
remarque  de  plus  surprenant,  c'est  une  motte  à  brûler 
qui  est  faite  avec  du  buis  béni  que  l'on  prend  par  le  col 
pour  la  jeter  les  quatre  fers  en  l'air;  celui  qui  la  jette  re- 
tient croix,  afin  qu'il  tombe  beaucoup  de  pluie  le  jour  de 
la  Fête-Dieu;  si  au  contraire  il  vient  pile,  la  motte  se  raidit 
en  s'amoilissant,  et  crie  trois  fois,  sans  qu'on  l'entende  : 
chasselas  à  Id  livre  !  cnsmie  on  prend  une  petite  épingle 
de  laiton  boisée  pour  ouvrir  une  armoire  de  cire  vierge  in- 
crustée en  brique,  d'où  sort  un  tableau  soutenu  par  trois 
cbérubins  de  pâte  de  guimauve  un  peu  marqués  de  la  petite 
vérole;  le  sujet  de  ce  tableau  est  l'histoire  du  cochon  de 
saint  Antoine,  auquel  on  a  une  singulière  dévotion.  La 
bordure  représente  une  campagne  voûtée  à  jour,  remplie 
d'hannetons  du  nord  perchés  sur  des  palmiers  apprivoisés, 
dont  le  tronc  est  de  cire  d'Espagne  que  les  Suisses  appel- 
lent catéchumène;  c'est  une  pensée,  traduite  de  l'hébreu, 
parce  que  dans  ce  temps-là  le  peuple  aimait  tellement  le 
fromage  mou  à  la  daube,  que  l'on  était  obligé  de  leur  met- 
tre trois  fcùs  le  jour  des  papillotes  pour  chasser  le  tonnerre; 
enfin  au-dessus  du  genou  gauche  de  l'un  des  chérubins, 
régne  une  espèce  de  charnière  de  bazin  à  quatre  francs 
l'aune,  reliée  en  veau,  qui  forme  une  lueur  dont  la  vivacité 


CHANSONS.  153 

fait  descendre  tout  à  coup  une  grande  tapisserie  d'amadou 
pulvérisé,  d'où  sort  une  voix  claire  qui  clianfe  deux  messes 
de  requietn  sur  l'air  de  Pangc.  linxjua,  en  l'honneur  des 
trois  vertus  théologales  :  ce  qui  donne  tellement  la  brelue, 
que  fout  le  monde  est  obligé  de  s'en  aller  à  tâtons  el 
bâillant,  les  bras  étendus,  sans  oser  seulement  dire  :  Je 
vous  remercie  de  la  peine.  » 

J'étais  sur  le  point  de  leur  recommencer  d'autres  contes, 
lorsqu'on  me  présenta  une  carte  pour  jouer,  ce  que  je  ne 
pus  refuser,  et  je  laissai  mes  auditeurs  dans  le  doule  de 
ce  que  je  leur  avais  dit  :  cependant  ils  ne  savaient  comment 
le  prendre;  car  Paris,  selon  eux,  est  un  séjour  de  miracle. 
A^oilà,  mon  cher  ami,  le  seul  moment  qui  ait  suspendu 
mon  ennui  depuis  mon  cruel  départ. 


CHANSONS 


I 

Air  :  Et!  voilà  comme,  et  voilà  justement. 
Quand  on  est  au  fait  du  métier 
De  femme  habile  et  de  fine  coquette, 
On  choisit  un  grand  écolier, 
Sol,  mais  bien  (ait,  joli,  riche  héritier. 
On  lui  jure  une  ardeur  parfaite  ; 

9. 


Î5i  CHANSONS. 

11  s'applaudit  et  s'entlainme  aisément  : 
Ht  voilà  comme,  et  voilà  justement 
(lomme  on  lait  d'un  novice  un  amant. 


On  se  fait  un  aumsement 

D'un  feu  plus  doux,  plus  (laltour  que  sincère. 

.hisqu'à  ce  qu'Amour  s'éloignanl, 

On  ait  à  craindre  un  prochain  changement  : 

Bientôt  Hymen  devant  Notaire 

Vient  assurer  et  le  cœur  et  l'argent  : 

Et  voilà  comme,  et  voilà  justement 

Connue  on  l'ait  un  mari  d'un  amant. 

Par--là  Ihonneur  est  à  l'abri; 

Pour  couvrir  tout,  femplàtre  est  sans  pareille. 

Ensuite  on  prend  un  favori 

Galant,  bien  fait,  vigoureux,  bien  nourri  : 

On  quitte  l'époux  qui  sommeille. 

Pour  voir  l'amant  qui  n'est  pas  endormi  : 

Et  voilà  comme,  et  voilà  tout  ainsi 

Comme  on  fait  un  cocu  d'un  mari. 

Puis  on  le  fait  tant  enrager. 
Tant  et  si  bien  qu'on  lui  fait  rendre  l'âme. 
Tandis  qu'on  leint  de  s'aflliger, 
Dans  l'autre  Monde  il  va  se  soulager. 
Trop  heureux  en  quiltant  sa  femme, 
Que  son  repos  lui  soit  enlin  rendu  : 
Et  voilà  tout  compté,  tout  rabattu, 
Comme  on  fait  un  défunt  d'un  cocu. 


CIIANSOINS.  155 

Je  ne  vois  rien  de  si  charmant 

Que  d'obtenir  un  brevet  de  veuvage, 

Quand  il  n'en  coule  seulement 

Que  les  frais  de  l'enterrement. 

Puis  des  deniers  de  l'héritage, 

Quand  on  est  vieille,  on  achète  un  amant, 

Kt  voilà  comme  et  voilà  justement 

Comme  on  fait  d'un  défunt  un  vivant. 


II 


Air  :  Du  Menuet  â'ExandeL 

Dom  Pibrac, 

Dans  un  lac 

Près  du  Gange, 
Faisait  râper  du  labnc 
Pour  gonfler  l'estomac 
Du  pauvre  Michel-Ange, 

Quand  S.  Roc 

Sur  un  roc 

Vit  Euterpe, 
Qui  pour  s'amuser  beaucoup 
Faisait  des  vers  à  coup 

De  serpe. 
Plus  loin  était  Calliope 
Qui  lisait  le  Misanthrope  ; 

Mais  Santeuil 

D'un  cercueil 
S'enveloppe 
Crainte  que  Jacques  Clément 
^e  sût  renlèvement 


156  CHANSONS. 

D'Europe. 

Si  No(' 

Fut  noué, 
C'est  sa  faute. 
Oiie  n'aillait-il  à  Cliaillot 
Se  fair'  mettre  en  maillot 
Par  la  tanle  de  Piaule  ! 

Au  Japon 

Le  Jupon 

D'Artemise 
Sert  aux  Grands  Seigneurs  Persans 
Quand  à  None  ils  vont  sans 

Chemise. 


III 


Air  :  Des  Sauvages. 

Oui, 
L'acte  est  inoui, 
Quoi,  dans  un  sac 
Fnvoyer  Pibrac 
Au  fond  d'un  lac, 
Et  traiter  saint-Luc 
D'homme  caduc, 
Tandis  qu'un  Duc 
Réapnd  son  suc 
Le  long  d'un  aqueduc  ! 

Non , 
Loi'squ'Agauiomnon 
Fil  un  serment. 
Je  ne  sais  conunent 


CHANSONS.  15T 

Son  regnrd  sec 
N'ouvrit  point  le  bec 
D'Abimelec, 
A  qui  le  Grec 
Refusait  le  salamalec. 

Sur 
La  cîme  d'un  mur, 
Près  de  Namur, 
Thisbé  d'un  œil  pur 
Voit  son  futur  ; 
Mais  le  galant  sûr 
.  Qne  le  fruit  dur 
N'est  jamais  mûr, 
Dit  qu'un  fémur 
iJ'un  blanc  mêlé  d'azur 

A  l'air  obscur. 
Fuyant  à  Saumur, 
Pour  aclverkiiiir, 
Il  laisse  sa  Dame, 
Mais  la  vieille  Sara 
Du  rameau  d'or  aussi-tôt  s'empara, 
Pour  l'oririr  à  qui  dira. 

Oui,  etc. 

Pan 
Pour  avoir  un  Paon 
Soufre  quatre  fois  le  trépan 
Et  pour  son  filleul 
Exhiréde  son  bisayeul, 
Parce  que  Cinna 
Qui  condamna 


158  CHANSONS. 

Jean  et  Mua 
Dél'risail  sa  femme; 
Mais  dans  ses  u-iivres  Copevnic 
Dit  que  ce  n'est  pas  là  le  hic, 
Et  que  Tiajau  avait  le  tic 
D'être  franc  dans  un  pic-nic; 
Ce  qui  ni  dire  au  Public  : 
Oui,  etc. 


IV 


Pauodie  du  (jrand  Pontife  Aawn. 

Le  sombre  Roi  Platon, 

Pour  narguer  Caton, 

Frisait  un  mouton, 

Tandis  que  Pluton 

Au  bout  d'un  bâton, 

A  tàton 
Faisait  cuire  un  raton, 
liacchus  sur  un  cruchon, 
A  califourchon, 
Dans  un  grand  torchon 
Portait  un  cochon. 
Regardant  Fanchon 
Tenir  un  lirebouchon. 
Qui  faisait  un  manchon 
De  son  bichon. 
Uajazet  en  glouton 
Mangeant  du  thon, 
Traitait  un  bas  Breton 
De  niarniitou 


CHANSONS.  159 

Puis  changeant  de  ton, 
Lui  montra,  dit-on, 
Un  nid  d'Iianneton 
Dans  du  coton. 

Consacrez  vos  plus  beaux  jours 
Au  dieu  des  amours, 

Ainsi  que  votre 

Consacrez  vos  plus  beaux  jours 
Au  Dieu  des  amours. 
Cupidon  tient  dans  vos  yeux  son  aimable  cour. 
Et  veut  qu'on  chante  tour  à  tour' 
Consacrez,  etc. 

Oui,  ce  matin  Père  Bernard 

Traita  Gérard 
Comme  un  pendard, 

Et  Dom  Godard 

Avec  un  dard 
Voulut  percer  ce  vieux  paillard. 

Frère  frappard 

Vint  par  hasard, 
Pour  les  apaiser  leur  lit  part 

D'un  gros  renard 

Que  son  bâtard 

Surprit  au  traquenard. 

Le  Perroquet 

De  Fuuqiiet 

battait  le  briquet 

Dans  un  bosquet, 

Lorsque  Jacquet 


160  CHANSONS. 

Clioz  (lliqujt 
Jouait  au  piquet, 
Et  Magdelon  Friquet 
Ayant  le  hoquet, 
D'un  coup  de  mousquet 
Assomme  un  ciiquet, 
Qui  d'un  air  coquet 
Mangeait  un  morceau  de  cro'iuet 
Dans  un  baquet. 

Ce  qui  courrouça  Jupin 
Qui  dans  l'air  porté  par  un  lapin, 
Voyant  le  fourbe  Scapin 
Armé  d'un  Pin, 
Le  foudroyait  d'un  seul  coup  d'oscarpin 
Judith  poursuit  llolopherne 
Qui  tombe  dans  une  caverne 
Où  résidaient  deux  brochets 
Qui  jouaient  aux  échecs 
Sur  trois  clous  à  crochets. 

Habacuc  montrait  en  perspective 
Le  hochet  que  donna  Salomon 
A  Jupiter  Ammon; 

Une  Juive 
En  coulant  la  lessive, 
Dit  à  Damon  : 
J'étais  captive. 
Quand  saint  Simon 
Sur  un  mont 

Nous  cita  dans  son  sermon 
Qu" Habacuc,  etc. 


CHAÎSSONS.  161 


Ain  :  Des  irembleurs  d  Isis. 

Minois  dont  l'aspect  suffoque, 
Je  viens  vous  faire  un  colloque 
Très-clair  et  point  équivoque  : 
Écoutez,  vieille  guenon  ; 
C'est  Belphégor  que  j'invoque, 
Pour  décrire  la  bicoque 
Du  caractère  baroque 
Que  vous  a  donné  Pluton. 

Votre  menton  nous  présente. 
Par  sa  forme  extravagante, 
Et  sa  longueur  étonnante, 
De  quoi  gloser  à  loisir  : 
Plût  au  Ciel  pendant  quinzaine 
Que  votre  bouche  fût  pleine 
D'autant  de  fiente  humaine, 
Qu'elle  en  pourrait  contenir  ! 

Votre  teint  de  pain  d'épice, 
Vos  trois  chicots  de  réglisse. 
Votre  nez,  sot  édifice, 
Votre  gueule  d'entonnoir, 
Vos  yeux  remplis  de  chassie, 
Vos  tétons  faits  en  vessie. 
Votre  carcasse  chansie, 
Font  un  tout  fort  laid  à  voir. 


162  CHANSONS. 

Cûssoz  donc,  vieille  chenille, 
Torchon  gras,  sale  guenille, 
Au  travers  de  voire  grille, 
irépouvanler  les  passants, 
Par  votre  cou  de  cigogne, 
Plus  dégoûtant  que  la  rogne  : 
Que  le  diable  vous  empogne, 
Ne  fût-ce  que  pour  cent  ans  ! 


VI 

A  m  :  k  siiis  pensif  depuis  qu'auprès  d'un  If,  ou 
un  jour  Fanchon  retapant  son  bichon. 

Un  apprentif 
Peut-il  rimer  en  if? 
Mon  esprit  doublement  chétif 
Sur  ce  point  est  craintif. 
Malgré  ma  muse  apocryphe 
Et  quoiqu'Apollon  la  biffe 
Dessus  ton  tarif 
Pour  obéir  à  l'objet  primitif 
Dont  je  suis  le  captif. 
Je  veux  d"un  ton  naïf, 
Prouver  que  je  suis  attentif 
A  son  vouloir  actif. 

Ce  beau  motif 
Qui  me  rend  tout  pensif. 
Devient  pour  un  rimeur  poussif 
\h\  fardeau  positif. 


CHANSONS.  165 

Pour  faire  ce  logo^riphe, 

Il  faudrait  être  l'ontife 

Du  Mont  instructif; 

Mais  moi  qui  suis  de  Montmartre  natif 

Je  ne  puis  peindre  au  vif 

Votre  esprit  décisif, 

Ni  tout  l'ornement  sensitif 

Dont  il  est  portatif. 

Un  Abbé  faisant  le  petit  Dictionnaire,  et  qui  cependant 
ignorait  que  le  Pontife  du  Mont  instructif  fût  le  dieu  du 
Parnasse,  se  fil  moquer  de  lui  en  disant  que  tant  de  mots 
recherchés  étaient  inutiles,  et  qu'on  en  dirait  tout  autant 
en  prose.  Ce  correcteur  a  donné  lieu  à  ce  troisième 
Couplet  : 

Bavard  rétif. 

Minois  rébarbatif, 
Qui  d'un  ton  aigre  et  décisif 
Frondez  la  rime  en  //', 
Vous  méritez  que  ma  griffe 
Vous  administre  une  giffe 
D'un  poids  expressif; 
Mais  mon  bon  cœur  à  vous  punir  tardif. 
Est  un  préservatif 
Contre  mon  bras  massif 
Qui  rendrait  votre  substantif 
Plat  au  superlatif. 


104  CIIANSON^. 


VII 


Air  :  V'ià  ç'que  c'csl  qud'aUcr  aux  bois. 
Oi'gon  de  chagrin  est  nourri  : 
V'iù  c'que  c'est  qu'd'èlre  mari  ! 
Il  a  pris  femme  au  le'nt  fleuri, 

Joueuse,  coquette, 

La  charmante  emplette  ! 
Le  pauvre  homme  en  est  bien  marri, 
V'l;\  c'que  c'est  qu'd'être  mari. 

Riche,  bien  fait,  commode  et  doux, 
V'ià  c'que  c'est  qu'un  bon  époux, 
Damon  sans  se  mettre  en  courroux 

Voit  sa  femme  écrire. 

Soupirer  et  lire 
Tendres  billets  et  rendez-vous, 
V'ià  c'que  c'est  qu'un  bon  époux. 

J'ai  le  cœur  gai  comme  un  pinçon 
V'ià  c'que  c'est  qu'  d'être  garçon  ! 
Suivant  l'amoureuse  leçon, 

Lorsque  ma  Climène 

Fait  trop  rinhum;iine, 
.e  la  quille  pour  voir  Manon  : 
\'là  c'que  c'est  qu'd'ëlre  garçon  ! 

De  l'Amour  je  ressens  les  feux 
V'ià  c'que  c'est  qu'd'  voir  vos  yeux  ! 
J'ai  b:au  par  un  détour  heureux 


ClIANhONS.  16J 

Traiter  d'innocente 

Ma  flamme  naissante, 
Philis,  j'en  tiens,  hé  bien,  tant  mieux! 
Vlà  c'que  c'est  qu'de  voir  vos  yeux. 

Iris  n'a  d'amour  que  le  vent 

Vlà  c'que  c'est  qu'd'être  au  couvent  ! 

Son  cœur  en  tendresse  est  savant  ; 

Mais  contre  une  grille 

Que  peut  une  fille? 
Elle  peut,  quoi  ?  pester  souvent  ; 
Vlà  c'que  c'est  qu'd'être  au  couvent. 

VIII 

sur,    LA    PRISE    DE    MENIN    EN    1744. 

Air  :  Stilà  qu'a  pincé  Berg-op-zoom. 
Je  reviens  ma  chère  Catin  {bis.) 

Du  saboulement  de  Menin,  (bis.) 

Et  pour  afin  que  tu  n'en  doute, 
Tiens,  tais  la  gueule  et  puis  m'écoule 

Premièrement  en  premier  lieu 
C'était  pire  qu'un  heur  de  Dieu, 
Le  canon  sapant  les  murailles. 
Leurs  ont  éventré  les  entrailles. 

Le  Roi  qu'est  un  vivant  d'alfut 
Fit  tout  trembler  quand  il  parut; 
Far  la  sacredié,  queu  compère  ! 
Four  licher  un  (ion,  à  li  le  père  ! 


lOti  CHANSONS. 

Mais  vraïuant  tu;  n'est  pas  là  tout, 
S'il  est  brave,  il  est  bon  itou  ; 
Enfin  il  a  l'âme  si  belle 
Qu'après  il  faut  tirer  l'échelle. 


IX 

An-,  :  A  pied  comme  à  cheval. 

T'nez,  Messieurs  les  Anglais 
Laissez-là  les  Français, 
Us  vous  donn'ronl  sur  l'nez 

Si  vous  y  r  venez. 
Premièrement  vous  avez  tort, 
Et  secondement  ils  sont  r'tors. 
Vous  aurez  beau  vous  sauver 
Y  sauront  ben  vous  r'trouver, 
Et  nos  Grenadiers  putôt  q'plus  tard 
Vous  sabouleront  dansGilbatard  ; 
Vous  v'nez  d'avoir  le  savon 

Gheux  l'père  Mahon. 

Pargué  !  l'danger 

D'vrait  vous  corriger  : 
Si  selon  vous  vot'  Admirai  Binq 

En  valait  ciii({, 
Conv'nez,  n'en  déplaise  à  c'beau  Phœnix," 
Qu'ia  Galissonière  en  vaut  dix, 
Et  par  la-d'sus  Richelieu 
Qui  tenait  Tmitanl  du  milieu, 
Avec  d'Egmont  et  Fronsac 
Vous  donnent  vos  quilles  et  vot  sac. 


CHANSONS.  167 


Et  puis  vous  savez  d'queu  bois 
S'chauffe  c'Monsieux  d'Maillebois  ; 
Convenez  qu'ça  fait  des  vivants 
En  fait  d'bravour  ben  savants. 
Croyez-moi,  ne  les  obstinez  plus, 
Car  sans  ca  vous  êtes  fichus. 


Sur  le  même  air  que  le  précédeiij. 
T'nez,  Monseigneur  d'Orlians, 
Vous  qu'êtes  ici  ceyans, 
Vous  valez  cent  lois  mieux 

Que  tous  les  dieux  ; 
A  c'mencer  par  Jupiter, 
Et  son  frère  qu'est  dans  l'enfer, 
Et  stilà  qu'est  dans  les  yaux 
Pour  faire  enrager  nos  batiaux, 
Et  puis  st'autre  grand  farbriqueur  de  combats 
Qui  met  tant  d'pauvres  chrétiens  à  bas  : 
Stilà  qu'a  d'zaîle  Jiii  talon 

Est  un  fripon. 

Monsieur  Pherbus 

.Y donne  que  des  rébus, 
Et  ç'morveux  d'dieu  beau  comme  le  jour, 

.Nommé  l'Amour, 
Ah!  c'est  encore  un  p'tit  animal 
Qui  n'se  plait  qu'à  faire  du  mal. 

Mamseir  Junon 

Fait  la  guenon, 


168  AM  PII  KiO  unis. 

Mamsell'  Pal  las 

On  en  est  las  ; 
Mais  cju'diles-vous  d'Mamseir  Vénus 
Qui  s'marie  aux  premiers  venus  ? 
Quand  ces  dieux-là  soni,  rassemblés, 
(ja  l'ait  des  Cieux  drôlement  meublés; 
Pour  (fça  fût  beau,  brillant  et  bon 
Faudrait  à  leu  tête  un  Boi'rbon, 
Comme  vous,  Monseigneur  :  car,  t'nez,  j'vousl'dis, 
Où  qu'vous  êtes,  c'est  TParadis. 


AMPHIGOURIS^ 


I 

Air  :  Du  Menuet  d'Exaudet. 

Alaric 

ADantzic 

Vit  Pégase 
Qui  jouait  avec  Brébeul 
Au  volant  dans  un  œuf 
Au  pied  du  Mont  Caucase, 

'  Ce  genre  de  plaisanterie  fut  fort  A  la  mode  vers  le  milieu  du  dix- 
liuilit'iue  siècle  11  n'y  a  guère  de  poêle  de  cette  époque  qui  n'ait 
commis  quelques-unes  de  ces  débauches  d'esprit,  sous  lesquelles  se 
dissimulait  pai  l'ois  quelque  mordante  épisramme  (X  de  l'éd.) 


AMPHIGOURIS.  100 

•  Sûr  du  fait, 

Dom  Japhet 

Court  chez  Pline, 
Et  puis  s'en  va  de  Goa 
Boire  à  Guipuscoa 

Cliopine  ; 
Mais  la  reine  Cléopàtre 
Faisait  cuire  dans  son  âtre 

Un  marron 

Que  Baron 

Jette  aux  Poules, 
Dans  le  temps  que  Jézabel 
Mangeait  en  Israël 

Des  moules. 

Alors  Job 

Chez  Jacob 

Prit  un  masque, 
Et  s'en  lut  à  Loyola 
Chanter  Alléluia 
Sur  un  tambour  de  basque. 

Plnëton, 

Autoton, 

Fut  la  dupe, 
En  jouant  contre  Psyché 
Qui  perdit  au  marché 

Sa  jupe. 


10 


170  AMPHIGOURIS. 


Il 


Sur  le  mcine  air  que  le  précèdent. 

Sai'pédon, 

Coridoii 

Et  'Hoccace 
S'eiilretcnaieiit  tous  les  trois 
Une  veille  des  Rois 
Sur  \\  Grâce  Efficace  ; 

Quan.l  Platon 

Suit  Milton 

En  Alsace 
Pour  y  barder  un  dindon 
Dont  leur  avait  fait  don 

Ignace  ; 
Mais  que  leur  veut  Arlémise 
Sur  la  porte  d'une  Eglise? 

Klle  entend 

El  prétend 

Qu'on  la  frise. 
Pour  honorer  son  époux, 
Oiie  Goliath  à  genoux 

Lui  dise  : 

Si  Glaucus 

Aux  (locus 

Fait  la  nique, 
l'renez  vous-en  à  fleclor 
Qui  perdit  son  castor 
bans  le  conseil  aulique  ; 


AMPHIGOURIS. 

C'est  à  tort 
Que  Nestor 
Le  critique. 
Car  sur  le  champ  Ménéla 
M'en  écrivit  sur  l'as 
De  pique. 


Sur  le  même  air  que  le  précédenl. 

Josaphat 

Est  un  fat 

Très-aride, 
Qui  croit  être  fort  savant 
Parce  qu'il  va  souvent 
Sous  la  Zone  Torride, 

Critiquant 

El  piquant 

Agrippine, 
Pour  avoir  fait  lire  à  Prau 
Les  ouvrages  de  Pro- 

Serpine. 
Si  le  Public  lui  pardonne 
Tous  les  travers  qu'il  se  donne, 

11  faut  donc 

Que  Didon 

Ait  pour  elle 
Le  droit  d'aller  dans  le  parc 
Qu'on  destinait  à  Marc- 


\n  AMPHIGOURIS. 

Aurèle  : 

En  ce  cas 

Le  fracas 

D'iibord  cesse, 
Chacun  pourra  sans  respect 
Persister  à  l'aspect 
D'une  auguste  Princesse, 

Et  malgré 

Le  congre, 

Ariane 
Pourra  vendre  au  plus  offrant 
Une  tourte  de  fran- 

Cliipanne. 


lY 


Sur  le  même  air  que  le  précédent. 

Avez-Yous 

De  Trévoux 

Vu  la  liste, 
Qui  portait  qu'AIdohrandin 
Citait  le  vieux  Dandin 
Comme  un  Évangélisle  ? 

Mais  Panard 

En  renard 

Le  critique, 
El  d'un  seul  et  cœlcra 
A  fait  un  Opéra- 
Comique. 
Aux  Chartreux  la  mère  Hélène 
Prenait  du  blanc  de  Baleine, 


AMPHIGOURIS.  175 

Quand  Mailhol 

Prend  son  vol 

Vers  l'Olympe. 
Hélas!  c'est  en  limaçon 
Que  le  pauvre  garçon 

Y  grimpe  ; 

Mais  Le  Kain 

A  Pékin 

Lui  raconte, 
Qu'il  a  trouvé  dans  Hamir 
De  quoi  faire  dormir 
L'Auteur  d'Amalazonle. 

Poinsinet, 

Totinet 

Et  Panurge 
Ont  fait  un  doux  élixir 
Avec  quoi  le  Yisir 
Se  purge. 


Sur  le  même  air  que  le  précédent. 

Annibal 

Dans  un  bal 

Vit  Brantôme 
Qui  chandelle  en  main  prouvait 
A  Scarron  qu'il  avait 
Pillé  saint  Chrysostôme. 

Alberti 

Travesti 

En  fantôme, 

10. 


174  AMPHIGOURIS. 

Dit  que  l'Empire  Oitoman 
IS'avail  do  ce  Roinan 

(Jirim  loiue. 
Quami  la  reine  do  Nubie 
Disputait  à  Zénobio 

L'évenlail 

lùi  Jétiiil 
Fait  par  Pope, 
La  tète  elle  lui  pela, 
Et  l'aulre  l'appela 

Salope  : 

Ce  qui  fit 

Le  profit 

De  Lisbonne, 
C'est  que  le  Parlement  d'Aix 

Nomma  Caritidès 
Le  cher  de  la  Sorbonne. 

Tamerlan 

De  merlan 

Trop  avide, 
Pour  tâcher  de  se  calmer 
Fit  i'rire  lArt  d'aimer 

D'Ovide. 


VI 


Air  :  d'Hermione,  noté  ci-après. 
On  peut  dire. 
Sans  médire, 
()u'une  femme  vaste 
N'est  point  chaste; 


AMPHIGOURIS.  175 

Voyez  Samuel 
Qui  de  Pantagruel 
Tenait  un  annuel 
Le  plus  cruel. 
Moins  perplexe 
Pour  le  sexe, 
Le  Comte  de  Clare 

Se  déclare, 
Que  sans  ce  projet 
Il  n'eût  pas  fait  un  grand  trajet. 
Palapra 
Eut  beau  forcer  Campra 
De  seconder  sa  pédanlesque  veine. 
Sa  triste  neuvaine 
Fut  bien  vaine. 
La  plus  riche  banque 

Toujours  manque,  1 

Lorsque  TArchipel 
Prononce  un  arrêt  sans  appel. 
Abraniane, 
Orosmane 
Dont  le  courroux  dicte 

Une  loi  stricte. 
Pour  quePéquateur 
D'un  versificateur  i 

L'excite  à  nommer  pouf 
Le  père  Osouf. 
Un  copiste 
A  la  piste 
De  Tarquin  copie 
L'œuvre  pie. 


17C  AMPHIGOURIS. 

Et  Sara  s'endort 
lîn  coucliant  avec  le  veau  d'or. 
Saint  Crépin 
Entretenait  Crispin 
Sur  les  elTots  de  la  botte  secrète  ; 
Le  Prévôt  de  Crète 

Le  décrète; 
Mais  Charles  le  Chauve 

Qui  le  sauve, 
Était  informé 
Qu'il  avait  été  confirmé. 
Mais  Alceste, 
D'un  air  leste, 
Jetant  une  gaze 
Sur  Pégase, 
Jura  par  le  Styx 
D^employer  à  Cadix 
Dans  un  terme  préfix 
La  rime  en  ix. 
On  peut  dire,  etc. 


LE   POIRIER 

OPÉRA  COMIQUE 


P.EPRESENTE   POUR    LA   PREMIERE     FOIS    Sl'R    LE    TREATRE    DE   LA    FOIRE 
ST-LAURENT,    LE   7   AOUT    1732. 


PERSONNAGES 

THOMAS,  Tuteur  de  Claudine  el  deLucette,  et  Amoiireux  de 

Claudine, 
CLAUDINK,  Amante  de  Lubin, 
LUCETTE,  Sœur  de  Claudine, 
LUBIN,  Soiis  le  nom  de  Pierrot,  Amant  de  Claudine, 
M.  DE  BONSECOURS,  Seicpieur  d'un  Village  voisin, 
BLAISE,  Pêcheur. 

La  Scène  est  dans  un  Villaç/e  sur  les  ords  de  la  Seine. 

SCÈNE  PREMIÈRE 

PIEKROT 

Si  tous  les  jaloux  étaient  au  fond  de  la  rivière,  je  se- 
rais moins  à  plaindre,  et  M.  Thomas,  au  service  duquel 
je  me  suis  mis  pour  plaire  à  Claudine  dont  il  est  tuteur, 
aurait  le  tems  do  se  noyer  avant  que  j'allasse  le  se- 
courir. 


178  lE  POIRIEli, 

Am  :  La  petite  Lise   veut  (juon  la  conduise. 
Ce  qui  me  chagrine, 
llclas  !  c'est  que  Claudine 
Ne  peut  faire  un  pas 
Qu'avec  ce  vieux  Tiiomas. 
Et  sa  sœur  Lucelte 
Qui  toujours  la  guette, 
Force  mon  cœur 
A  caciier  son  ardeur. 
Ma  clièrc  Claudine, 
Si  lu  ne  me  devines, 
Pierrot,  en  ce  jour, 
Mourra  de  son  ainonr. 

Thomas  épouse  demain  ma  maîtresse  ;  il  en  est  détesté; 
mais  enfin  il  l'époujo.  J'ai  vainement  pris  le  ton  et  l'iiabit 
d'un  niais. 

Air  :  Au  bord  d'un  clair  ruisseau. 
Je  n'ai  pu  de  cet  ours 
Tromper  la  vigilance  ; 
Contre  la  défiance 
Que  servent  les  détours? 
Que  je  suis  malheureux!... 

SCÈNE  II 

PIERROT,  BFjAISE,  roiir.vNr  un  rANiEii  rempli  de  poisson. 

liL.ilïE  sans  voir  Piurrol. 
Am  :  Lon  fariradondainc,  giiai. 
Vive  un  bon  luron, 
Que  rien  ne  chagraine, 
Qui  vide  un  flacon 
Sans  reprendre  haleine. 
Iton, 


OPÉRA  COMIQUE.  179 

Lon  farira  dondaine,  guay, 
Lon  farira  dondé. 

PIERROT  ;i  part. 

C'est  Biaise. 

ELAISE. 

Même  air. 
C'est  à  riiomcçon, 
Que  pèche  Cliniène, 
J'endors  le  goujon, 
Pour  qu'elle  le  prenne.  .  Loii,  etc. 

IIERROT  à  part. 
Qu'il  est  heureux  ! 

CL.\ISE . 
Même   air. 
Avec  les  tendrons 
Qu'amour  nous  amène, 
Le  soir  je  péchons 
k\i  bord  de  la  Seine...  Bon,  etc. 

PIERROT. 

.l'admire  sa  gaîté. 

BLAISE. 

"ici  le  Patron, 
Va  pécher  Clnudainc. 
Un  pareil  poisson 
En  vaut  ben  la  peine,  .  Bon,  etc. 

PIERROT. 

ILMas  ! 

BLAISE 

En  via  de  l:!eaux  pour  la  noce  de  son  leslin,  mais  ça  ly 
coulera  cher  [apercevant  Pierrot)  Oueuquo  c'est  que  ce  grand 
llandrin-là  qui  a  lair  d'avoir  la  meine  Irisle!  lié  cadet!  à 
quoi  donc  qu'lu  rêves-là  ? 


180  LE  1' 01  HIER. 

l'IEIlUOT. 

Ain  :  Morbleu,  si  je  la  tenais. 
Je  songe  à  la  différence 
Uc  votre  joie  à  mon  sort  ; 

r.LAISE. 

A  ton  avis  ai-je  tort  ? 
Le  cliagrin  de  rien  n'avance, 
Pour  tout  bien  je  suis  content, 
J'aime,  Lois,  ris,  ciianle  et  danse. 
Pour  tout  bien  je  suis  conlcnt, 
Tiens,  partageons,  mon  enfant. 

Ile  bon  allons  donc,  lu  ressembles  à  un  accident  comme 
deu.v  guutles  d'eau.  Pour  l'égayer  un  peu,  viens  ine  nioalrer 
où  demeure  la  maison  à  M.  Thomas. 

rilîRROT. 

C'est  ici.  Vous  ne  pouviez  mieu.\  vous  adresser,  je  lui 
appartiens. 

BLAISE. 

Ani  :  Eu  7uislico. 
Uh  porgué,  je  t'en  félicite, 
Ln  niiblico,  en  dardillon,  en  dar,  dar,  dar,  dar,  dar; 
Car  sa  future  a  du  méiite 
Et  tu  m'as  l'air  assez 
Mistlficoté 
fulé. 
Il   le  preiul  par  la  niaiii. 

Tiei.s,  mon  ami,  je  m'y  connais,  vois-tu?... 

Il   recule  de  ileuxpas  cnôlaul  son  chapeau. 

(Juoi  donc!  ((ueu  vision!  lié  c'est  vous  M.  Lubm,  Tmaitre 
larmier  du  village  de  la  Liau?  Il  y  a  trois  mois  qu'on  vous 
(hcrclie  à  coups  de  lamboui-  ni  plus  ni  moins  qu'un  bijou 
perdu. 


OPÉRA-COMIQUE.  181 

Air  :  Car. 
Comme  vous  via, 
Quelle  mélamorphose! 

Dans  tout  cela 
J'avise  queuque  chose, 
Car, 
T'nez,  vous  n'êtes  pas  sans  c:iuso 
Le  valet  de  ce  vieillard. 

Chiudeniie  ne  ferait-elle  pas  par  liazard  le  surjet  de  tout 
ça? 

PIERROT. 

Uien  de  plus  vrai,  mon  cher  Biaise. 

BLAISE. 

Hé,  mais  comment  ça  se  gouverne-t'y  ? 
riEt;nnT. 

Le  tuteur  est  un  Argus  éternel,  et  je  n'ai  lu  encore 
parler  à  Claudine  que  des  yeux  ;  mais  j'ai  cru  entrevoir  dans 
les  siens  quelque  espoir... 

BLAHE. 

Vous  n'êtes  pas  mal  avancé  ! 

Am  :  Je  n'en  dirai  pas  davantage. 
Faut  pas  s'en  rapporter  aux  yeux, 
(.'est  un  jargon  qui  trompe  au  mieux, 
Des  belles  c'est  là  le  langage, 
En  aiment-elles  davantage  ? 

Non,  c'est  un  tournement  de  regard  à  l'orcasion  de  leur 
gloire  qui  l'ait  çn,  et  les  nigauds  prennent  le  change. 

PIERROT. 

Va,  Claudine  est  trop  naturelle. 

Am  :  L'autre  jtzir  étant  assis. 
Elle  fixe  mes  désirs, 
Mon  cœur  pi è?  de  cette  belle, 

41 


182  LE   l'OlUlEH. 

A  cent  lois  par  mes  soupirs, 
Dit  ce  qu'il  rci-sent  pour  elle; 

Je  l'ai  vue  à  son  tour 

Soupirer  et  se  taire  ; 

Tel  est  du  tendre  amour 

Le  langage  sincère. 

BLAISE. 

(i'esl  ben  dit;  mais  avec  tout  ça,  vous  ne  tenez  rien,  faut 
de  la  parole,  Monsieur  Liibin.  Faut  agir,  voyez-vous. 
Am  :  Mon  Pnjni  loiitc  la  nuit. 
On  amorce  le  poisson 
Pour  qu'il  entre  dans  la  nasse 
Si  Claudaine  entend  raison... 

riEr.ROT. 
Quoi  !  que  veux-tu  que  je  tasse! 

BLAISE. 

Enlevez,  enlevez,  enlevcz-la, 

Dans  ma  barque  je  vous  passe, 
Enlevez,  etc. 

PIERROT  . 
Ah  !  je  crains  trop  pour  cela. 

BLAISE. 

Ouoi  donc  craindre;  il  n'y  pas  de  crainte  à  avoir;  quand 
Vous  serez  une  fois  dieux  vous,  tout  sera  dit  ;  et  d'un  autre 

côté. 

.\iu  :  Chacun  à  -^on  tour. 

Le  Seigneur  du  lieu  vous  estime. 

A  le  faire  il  est  engagé  ; 

Votre  mère  était  son  intime 

Et  l'avait  parfois  obligé; 

Il  peut  donc,  vous  donnant  retraite, 

Vous  rendre  service  en  ce  jour; 

Chacun  à  son  tour, 
Liron,  lirettc, 

Chacun  à  son  tour. 


OI'ERA-COMIQUE.  185 

Et  puis  avec  ça  il  est  en  procès  avec  M.  Thomas,  ça  jettera 
de  l'huile  dans  le  feu  ;  et  si  M.  Thomas  vous  poursuivait, 
il  trouverait  à  qui  parler.  lié  puis  tenez,  ma  barque  a  ça  de, 
bon,  dès  qu'une  lllle  y  a  mis  le  pied...  Votre  serviteur; 
les  jaloux  y  renoncent.  Je  m'en  vas  porter  mon  poisson,  ar- 
rangez-vous là-dessus  avec  voire  parsonnière.  (Il  sort.) 

PIEUROT. 

Ne  m'abandonne  pas,  si  je  la  détermine. 

BLAISE. 
Non,  non,  allez.  (RcvehaiU  sur  ses  pas.) 

Je  veux  dire  queu  manière  d'humeur  que  c'est  M.  Thomas? 
C'est  qu'en  cas  d'occasion,  c'est  bon  à  savoir. 

An.  :  Joseph  est  bien  marié. 
Ce  tuteur  est-il  madré? 

l'IEUnOT. 

Non,  c'est  un  avare  outré, 
Amoureux  par  fantaisie 
Déliant  par  jalousie, 
Qui  par  bêtise  croit  tout. 

BLAISE. 

Allez,  j'en  viendrons  à  bout. 

J'irons  dire  un  mot  de  tout  ça  à  M.  de  Bonsecom's,  sei^ 
gneurde  clieux  vous,  etpuis  je  repasse  ici,  c'est  raffaire  de 
quatre  coups  de  rames.  Sans  adieu,  M.  I.ubin. 

PIERROT.. 

Crois  que  ma  reconnaissance... 

BLMSE,  s'en  allant. 

Chantons  lestamini,  chantons  lestamina,  chantons  lesta- 
mini,  chantons  lestamina. 


18i  LE  l'Oinil'Il. 


SCÈNE  m 

l'IKRROT,  seul. 
Claudine  ne  se  présente  pas  à  ma  vue,  letuleiir"  l'obsède 
sans  doute. 

Aiu  :  Quel  voile  importun. 
Du  jeune  objet  que  j'adore 
Ne  verrai-je  pas, 
Les  innocents  appas! 
0  toi  que  mon  cœur  implore 
Remplis  mes  désirs, 
Puissant  Dieu  des  plaisirs! 

Termine  mon  impatience 
Conduis  ses  pas  dans  ce  séjour: 
Hélas  !  tu  sais  que  sa  présence 
Esl  pour  moi  la  lumière  du  jour. 
Du  jeune  objet,  etc. 

Ces  fleurs,  cette  verdure 
Ne  m'offrent  qu'un  triste  tableau 
Mais  quand  je  la  vois,  tout  est  beau, 
Tout  rit  dans  la  nature 

Du  jeune  objet,  etc. 

Mais  voici  Lucette,  sa  maligne  petite  sœui  ;  reprenons  de- 
vant elle  notre  rôle  d'imbécile. 


SCÈNE  IV 

LliCETTli,  PIERROT. 

UOLTIE,    à  part. 

Ma  sœur  me  parle  de  l'ierrot  avec  une  sorte  de  défiance, 
elle  esl  rêveuse...  ce  garçon  a  une  certaine  bonne  mine  qui 


OPEUA-COMIQUE.  185 

dément  son  élal,  et  je  soupçonnerais  presque...  Mais  non, 
il  est  si  bête  ! 

l'IEIiROT,  d'un  ton  niais. 

Ail,  bon  jour,  mademoiselle  Lucette;  où  est  donc  made- 
moiselle Claudine  votre  sœur  '! 

LUCETTIi. 

Eh  mais,  elle  est...  vousêtesbien  curieux  ?  qu'est-ce  que 
vous  lui  voulez  ? 

PIERROT,  tout  lentement. 

Aiiv  :  Je  voudrais  me  marier. 

Je  voudrais  bien  lui  dire  un  mot. 

LUCETTE,  le  contrefaisant. 

Que  pourriez-vous  lui  dire? 

PIERROT,  soupirant. 

Je  ne  sais  jias. 

LUCETTE   riant. 
Ah  !  qu'il  est  sol. 

PIERROT. 

Qu'avez-vous  donc  à  rire  ? 

LUCETTE. 

C'est  que  vous  soupirez,  Pierrol. 

PIERROT. 

Hé  Lien,  oui,  je  soupire. 

LUCETTE. 

Oui  da  !  est-ce-là  ce  que  vouliez  dire  à  ma  sœur?  Oli, 
c'est  la  même  chose,  je  le  lui  reportei^ii  ;  ou  bien  si  vous 
voulez,  M.  Thomas  lui  en  fera  la  confidence. 

PIERROT. 

AiR  :  Allons  gai,  toujours  gai. 
Ah!  petite  méchante. 
Vous  me  désespérez. 


18G.  I.E   l'OIUlER. 

LUCET'IE. 

I.a  compliiinte  ost  touchante  ! 
Je  crois  que  vous  pleurez. 
Allons  gai,  toujours  gai. 

l'iKunOT,  nalurellcmonl. 

Aimable  Lucetle,  loin  de  m'accabler,  plaignez-moi,  je 
mérite  toute  votre  pitié. 

LUCETTE. 

Oli,  oh,  voici  du  sérieux. 

riEUnOT,  h  part. 

Ou'ai-jedil? 

LUCETTE. 

Vraiment,  il  se  dégourdit. 


SCÈNE  V 

CLAUDINE,  LUCETTE,  PIERROT. 

LlCEïTE. 

Ail,  ma  sœur,  ma  sœur,  approchez.  Tenez,  M.  Pierrot  vous 
honore,  je  crois,  de  sa  tendresse. 

CLALDI.NK. 

lié  bien  !  ma  sœur  ! 

PIERROT. 

Air  :  Un  inconnu. 
Moi  vous  aimer  !  ali,  voyez  quel  mensonge  ! 
Me  siérait-il  d'adorer  vos  appas? 

Mais  quand  j'y  songe. 

Claudine  liélas, 
Si  vous  saviez,  non!  vous  ne  croiriez  pas 
Dans  quel  plaisir  leur  souvenir  me  plonge. 

LUCETTE. 

Vovez-vous  ? 


OPÉRA-COMIQUE.  187 

PIERROT. 

Air  :  Quand  le  péril  est  agréable. 
Vainement  j'en  ferais  mystère, 
Tout  conspire  à  me  dévoiler 
Quand  vos  yeux  daignent  me  parler 
Mon  cœur  doit-il  se  taire  ? 

D'ailleurs  le  temps  presse. 

CLAUDINE. 

Air  :  I\e  7n  entendez-vous  jjas. 
Je  ne  vous  entends  pas. 

PIERROT. 

Si  l'amour  le  plus  tendre 
^'e  peut  se  faire  entendre, 
Que  deviendrai-je,  hélas. 

CLAUDINE. 

^  Je  ne  voxis  entends  pas.  i 

(A  pari.) 
Qu'il  m'en  coûte  pour  le  rebuter. 

LUCETTE. 

Air  :  Paris  est  au  Roi. 

Mais  vraiment  Pierrot, 

Pierrot  n'est  pas  sot, 
L'amour  qui  l'enhardit 

Règne  en  ce  qu'il  dit, 

Pour  moi  j  e  le  crois 

Un  futé  matois. 
Tenez,  voyez  ma  sœur  ; 

Cet  air  séducteur. 

CLAUDINE,  à  part. 

Je  sais  bien  qu'en  penser.  (Haut.)  Mais,  ma  soeur,  M.  Tho- 
mas est  seul  ;  il  pourrait  s'ennuyer. 

Air  :    Va-t-cn  voir  s'ils  viennent. 
Vous  savez  que  vos  besoins 
Par  lui  se  préviennent, 


188  LE  POIRIER. 

Allez  lui  rendre  vos  soins, 
Ces  soin£-!à  conviennent. 

HJCETTli. 

Va-t-cn  voir  s'ils  viennent. 
Pour  vous  laisser  avec  Pierrot.  J'entends. 

CLAUDINE. 

Mais  lui  dis-je  quelque  chose? 

UCtTTE. 

.^on,  mais  vous  poussez  des  soupirs. 

PIERROT. 

Air  :  Mais  hélas,  je  m'aperçois  bien. 
Si  dans  un  rang  moins  obscur 
Le  deslin  m'avait  fait  naître. 
Pour  moi  votre  cœur  moins  dur, 
Pourrait  m'écouler  peut-être  : 
Mais  liélas  j'  m'aperçois  Lien 
Que  pour  plaire  il  faut  paraître  ; 
Mais  iiélasj'  m'nperçois  làcn... 

CLAUDINE,  leiulrement. 
.Allez,  ne  jurez  de  rien. 

LUCETTE. 

Vous  l'aimez  donc  '? 

CLAIDINE. 

Oui,  petite  espionne. 

I.UCETTE. 

F.h  (],  »ia  sœur. 

l'IEUROT. 

Quoi,  belle  Claudine,  j'aurais  le  bonheur,  malgré  mon 
état.... 

CLAUDI.NE. 

Air  :  Dans  nos  /taineatix  la  paix  et  l'innocence. 
Ail,  si  j'en  crois  ce  que  mon  cœiu"  désire, 
Vous  n'ùles  point  ce  que  vous  paraissez, 


OPÉRA-COMIQUE.  189 

Voire  douceur,  \03  soins  doivent  suffire 
Pour  le  prouver. 

PIERROT. 

Que  vous  me  ravissez  1 
Oui,  pour  vous  rendre  en  secret  mon  hommage, 
J'ai  de  bon  cœur  pris  ce  déguisement. 

CLAUDINE,  tendrement. 
Quoi  s'abaisser!... 

PIERROT. 

Les  marques  d'esclavage 
Sont  de  l'amour  le  plus  bel  ornement. 

Lubin  est  mon  nom;  et  ma  famille  et  mon  bien  pourront 
vous  être  bientôt  connus  si  vous  êtes  touchée  de  mon  mar- 
tyre. 

CLAUDINE. 
.\iR  :    Un  minislve  du       lais. 
Hélas  vous  causez  le  mien.  , 

LUCETTE. 

Tout  ceci  me  rend  jalouse. 

CLAUDINE. 

Mais,  Lubin,  n'espérez  rien. 
Le  tuteur  ce  soir  m'épouse. 
LUCETTE,  malignement. 

Alii,  alii,  ahi, 

l'IERROT. 

.4iR  :  iV.  le  prévôt  des  marchands. 
Ma  ressource  est  le  désespoir. 

CLAUDINE. 

Ciel!  que  me  faites-vous  prévoir? 

I-IERIIOT. 

Comment  voulez-vous  que  je  vive 
Quand  \ous  prononcez  mon  trépas! 

11. 


190  I-K  roi  RI  EU. 

CLAUDINE. 

Je  frciiiis!..  non,  quoiqu'il  arrive, 
Cher  Lubiii,  vous  ne  mourrez  pas. 

LUCETTE. 

C/ost-à-dirc,  mademoiselle  ma  sœur,  que  vous  n'épou- 
serez point  M.  Thomas? 

CL.VUDINE. 

Précisément,  ma  sœur. 

l'iEiuior. 
Oue  je  suis  heureux  ! 

LUCETTE. 

Mais  sera-ce  moi  ? 

CLAUBINE. 

Je  ne  vous  empêche  pas  de  vous  en  accommoder  dans 
quelques  années. 

LUCETTE. 

Non  pas,  ma  chère  sœur  aînée. 

Am  :  Qu'on  me  blâme  tant  que  l'on  voudra. 
Pour  me  plaire 
Il  faut  qu'un  amaul 
Joigne  au  sentiment 
Un  heureux  caractère, 
Que  sincère, 
Jeune  et  tait  au  tour, 
Il  sache  me  laire. 
Céder  à  l'amour. 
Un  volage,  un  indiscret, 
Un  maladroit. 
Un  faquin,  un  soupirant  ii  lunettes, 
Do  lleurettes 
Yaincmonl  m'cnlreticndraienl, 
Mes  regards  les  contondraient 
Et  leur  diraient  : 


OPÉRA-GOMIQUE  191 

Pour  me  plaire, 
Il  faut  qu'un  amant 
Joigne  au  sentiment 
Un  heureux  caractère, 

Que  sincère, 
Jeune  et  fait  au  tour, 
Il  sache  me  faire 
Céder  à  l'amour. 

Ainsi,  vous  voyez  bien  que  je  m'en  tiens  à  Lubin.  Je  vous 
abandonne  tous  les  autres. 

CLAUDINE. 

0  ciel  ! 

LUBIX.  ' 

11  ne  nous  manquait  plus  que  cet  obstacle. 

LUCETTE. 

Comment? 

riERROT,  emljarrassé. 

Je  dis  que  je  ne  m'attendais  pas  à  tant  de  bonheur  à  la 
fois. 

LUCETTE. 

Et  moi,  je  m'attendais  à  une  réponse  plus  honnête. 

Air  :  Quel  désespoir. 
Ne  craignez  rien. 
On  ne  prétend  iorcer  personne. 
Ne  craignez  rien. 
(D'un  air  dédaigneux.) 

Gardez  votre  charmant  lion. 

PIERROT. 

Quand  l'amour  l'ordonne, 
Sachez  que  le  cœur  se  donne. 

LICETTE. 

Ma  sœur  est  a^scz  bonne    . 
l'our  vous  lai-scr  prendre  le  sien. 


192  l.i;   POIRIKP,. 

iii:r.ROT. 
Elle  a  le  mien, 
Sans  cela,  pelile  fripoiino... 

LLCETTE. 

Ne  craignez  rien, 
(D'un  ton  lier.) 

Allez,  Monsieur,  on  vous  vout  bien. 
piiiunoT. 
Vous  valez  mille  fois  mieux  ;  mais..  . 

LL'CETTE. 

Mais,  mais,  il  suffit  :  pour  vous  apprendre  à  être  plus 
galant,  vous  n'épouserez  ni  mademoiselle  ni  moi. 

PIEUUOT,  à  pari. 

Quel  petit  diable  ! 

CLAUDINE, 

Menuet  de  Granvcil. 
Ah.  n;a  sœur,  vous  olicz  sans  doute 
Dire  tout  à  Monsieur  Thomas, 
Mais  malgré  lui,  quoi  qu'ilm'cn  coûte... 

LICETTE. 

.Moi!  je  ne  le  lui  dirai  pa?. 

CLAIDI.NE. 

Oaoi,  loul  de  bon,  mu  clière  petite  sœur  ! 

LUCETTE. 

Uli!  tout  de  bon.  Je  m'en  garderai  bien. 

riEKuor. 
()uelle  discrétion  à  cet  âge  1 

LLCETTi:. 
A  Ml  :  De  la  Course  Italienne. 
Je  ne  suis  pas  si  soite  vraiment 
Que  d'aller  jaser  iuiprudcmment 


OPÉRA-COMIQUE.  195 

Je  le  connais, 
Si  je  le  lui  disais 
Votre  secret 
Le  dégoûterait, 
11  laisserait 
Ma  sœur,  et  me  prendrait; 
Non,  je  ne  suis  pas  si  sotte  vraiment 
Que  d'aller  jaser  imprudemment. 

Mais  je  me  réserve  de  lui  dire  tout,  après  que  M.  Thomas 
sera  votre  époux. 

CLAUDINE. 

A  la  bonne  heure. 

Ll'CETTE,  à  part. 

Et  Lubin  me  restera.  (Haut.)  Le  voilà  le  pauvre  bon- 
homme. 


SCÈNE  Vi 
TI10ii.\S,  CLAUDINE,  LUCIDITE,  PIERROT. 

TIIO.VAS. 

Ronjour,   mes   ent"aiil<.   Lucelle,  avez-vous  bien  fait  le 
guet  ? 

Il  CETTE. 

Oui,  monsieur. 

TIIOJJAS. 

Vous  n'avez  donc  rien  à  me  dire? 

LL'CETTE. 

01 1  !  non,  monsieur. 

TIIOJIAS. 

Écoutez,  mon  petit  chat,  (il  lui  paile  ù  1  oreille.) 


11)i  I.H    l'OIRIEU. 

CLAUDINE. 

Air  :  Pour  la  Baronne. 
lAibiii,  que  faire; 
Hélas,  on  va  nous  séparer! 

l'IURROT. 

J'imagine  un  moyen,  ma  chère, 
Un  tour. 

CLAUDINE, 

S'il  peut  me  rassurer, 
Il  faut  le  l'aire. 

PIERROT. 

Parais.sez  dans  quelques  instants  désirer  du  fruit  de  ce 
poirier  ;  je  me  charge  du  reste. 

CL.1UDIKE. 

J'y  consens  volontiers. 

THOMAS,  à  Lucettc.  Haut. 

Et  VOUS  distribuerez  des  bouquets  et  des  rubans  à  chacun, 
entendez-vous  ? 

I.UCF.TTE. 

Oui,  monsieur. 

CLAUDINE,  à  part. 

Que  je  le  déteste  ! 

LUCETTE,  à  ClauJinc  et  à  Luhin  en  s'en  allant. 

.\près  la  noce,  après  la  noce. 


SCÈNE  VII 

THOMAS,  CLAUDliNE,  PIERROT. 

Ain  :  Zeste,  zeste,  zon,  zon.  zon. 
Que  dis-tu  do  mon  mariage. 
Montrant  Ckuuline. 


OPERA-COMIQUE.  \% 

De  l'aimer  n'ai-je  pas  raison  ? 

Ma  foi  mon  arrière  saison 

Devient  r/îon  plus  bel  âge, 

Je  renais  près  de  ce  tendron, 

Vois,  ne  suis-je  pas  encor  leste, 
(Il  saute  loiirdeiiieul.) 

Ziste,  zeste, 
Zon,  zon,  zon. 
(U  tousse  un  peu,) 

Qu'a  de  plus  un  jeune  garçon? 
N'est-ce  pas  mou  petit  chou  ? 

CLAUDINE,  embarrassée. 

Monsieur.... 

THOMAS. 

Dis,  dis,  ne  te  gêne  pas  devant  Pierrot,  tu  sais  que  c'est 
un  bon  garçon  qui  n'entend  pas  malice,  et  dont  nous  sommes 
sûrs. 

PIERROT,  d  un  ton  niais. 
Air  :  Raisonnez,  ma  Musette. 
Mademoiselle,  ô  dame  I 
Ça  doit  vous  ravir  l'àme 
De  trouver  un  mari. 
Qui  lie  vous  est  chéri. 

THOMAS. 

Le  pauvre  garçon  !  comme  il  songe  à  mes  intérêts  ! 

PIERROT. 

Moi,  monsieur,  je  ne  désire  que  ce  que  vous  aimez. 

THOMAS. 

Quel  zèle  I  (a  Claudine.)  Je  ne  doute  pas  que  tu  n'aimes 
beaucoup  ton  futur;  mais  jure,  jure-le-moi  encore. 

CLAUDINE. 

Air  :  La  mort  de  mon  cher  père. 
l'OLir  un  amour  frivole. 
Les  serments  semblent  faits, 


196  LE  l'OiniER. 

C'est  im  son  qui  s'envole 
S'ir  l'aile  des  rcgrels; 
S'uimcr  et  se  le  dire 
Voilà  le  fcnliment  : 
Le  sentiment  soupire. 
Et  voilà  son  serment, 

THOMAS. 

Elle  a  niison  ;  mais  no  pourrais-tu  pas  dire  quelque  cliose 
de  salisfaisanl  à  celui  qui  doit  le  posséder;  là  quelque  cliose 
de  personnel? 

CLAL'Dl.NE. 

Vous  le  perniellez  ? 

THOMAS. 

Oh  !  je  t'en  prie. 

CLAUDINE. 

AiH  :  De  mon  Berger  volage. 

Que  l'objet  qui  m'engage, 
Est  un  objet  toucliaiit, 
Il  a  par  son  honniiage 
Fait  naître  mon  penchant. 
Et  !  ccimment  se  détendre 
De  céder  à  son  tour, 
Quand  l'amant  le  plus  tendre 
Est  beau  comme  l'amour  ? 

THOMAS. 

Diable!  je  ne  croyais  pas  ressembler  si  fort  à  ce  dieu! 
Tu  charges  un  peu  le  portrait,  ma  petite  reine;  mais,  vaS; 
je  t'en  sais  bon  gré. 

PIERROT,  toujours  d'un  ton  niais. 
Air.  :  De  la  Palisse. 
.Monsieur,  j'entends  lûiil  cela  da  ! 


OPÉRA-COMIQUE  197 

IIOMAS. 

Parbleu,  c'est  la  nature  même, 
(A  Claudine.) 

Va,  ma  pauvre  petite,  va, 

Je  t'aime  plus  que  tu  ne  m'aime 

CLAUDINE. 

Monsieur,  je  le  crois  aisément. 

THOMAS. 

Tes  sentiments  pour  moi  seront  bientôt  récompensés,  je 
te  laisserai  la  maîtresse. 

Air  :  Des  fraises. 
Et  tu  porteras  sur  toi  '■ 

La  clet  de  mes  armoires; 
Viens... 

CLAUDINE. 

Avant,  permettez-moi, 
S'il  vous  plaît,  de  manger. 

THOMAS. 

Quoi  ! 

CLAUDINE. 

•    Des  poires,  des  poires,  des  poires. 

THOMAS. 

Oh,  qu'à  cela  ne  tienne!  va.  Pierrot,  va  vile  prendre  une 
échelle  et  lu  lu   en  cueilleras. 

l'IEP.ROT. 

J'y  cours,  Monsieur,  j'y  cours. 

(11  SOI't.) 
THOMAS. 

Ce  garçon-là  m'esl  bien  attaché,  c'est  dommage  qu'il 
soit  si  benêt. 


198  LR  POIIUER. 


SCÈNE  Vlll 

CLAUDINE,  TIIOilAS, 

Am  :  Et  non,  non,  non,  je  n'en  veux  pas  davantage. 
Tu  dois  être  bien  contente. 

CLAUDINE. 

Je  ne  le  suis  pas  encor, 

THOMAS. 

De  ton  âme  impatiente, 
J'aime  à  voir  le  doux  transport. 
Ce  soir  celui  (pii  t'engage, 
De  son  cœur  te  fera  le  don . 

CLAUDLNE. 

Et  non,  non,  non, 
Je  n'en  veux  pas  davantage. 
Que  ne  suis-je  sûre  de  la  réussite  ! 

THOMAS,  riant. 

Ah,  ah,  ah,  elle  me  fait  rire,  est-ce  que  cela  peut  man- 
quer ? 

CLAUDINE. 

Mon  cœur  le  craint. 

THOMAS. 

Ton  cœur,  ton  cœur...  a  torl;  il  est  étonnant  comme 
elle  m'aime  :  ce  que  c'est  que  cIo  gêner  les  filles,  et  de  les 
garder  de  prés,  on  se  les  attache. 


OPÉP.A-COMIOUE.  199 

SCÈNE  I.V 

THOMAS,  CLAUDINE,  BLAISE 

BLAISK. 

Am  :  Oli  rcgitinguc. 
Serviteur  à  Monsieux  Thomas  ! 

Que  votre  future  a  d'appas, 

0  reguingué  ô  Ion  lanla, 
Morgue  ça  serait  bon  dommage, 

Qu'aile  languissàt  davantage, 

THOMAS. 

Ce  jour  va  finii'  son  tourment. 

BLAISi:. 

Je  savons  ben  que  tout  s'apprête  pour  ça,  et  j'en  sommes 
ben  .'lise;  car  je  nous  intéressons  à  son  intérêt  ;  et  stila 
qu'aile  aime  est  morgue  ben  aimable  y  tout. 

THOMAS. 

Je  te  suis  obligé  du  compliment. 

BLAISE. 

Oh  allez,  il  n'y  a  pas  de  quoi  !  Dites  donc,  M.  Thomas,  vous 
allez  ben  vous  réjouir? 

THOMAS. 

Oh,  je  l'en  réponds,  mon  enfant. 

F.LAISE. 

Air  :  L'honneur  dans  un  jeune  tendron. 
Celle  que  voilà  devant  vous, 
Mérite  d'un  fringant  époux, 
Toute  l'ardeur  et  le  courage. 

THOMAS. 

Mais  mon  teint  est  assez  fleuri. 

BIAISE. 
Oui,  vous  portez  sur  le  visage 
Tous  les  signes  d'un  bon  mari. 


'200  l.l'l   POIUIEII. 

THOMAS. 

Quoi,  fraucheinenl? 

BLMSK. 

Oli,  en  vérilé. 

AïK  :  i\'rt(/t';  pas  tant  de  7)icjjris. 
Vous  avez  avec  cela 
De  l'esprit,  dit-on? 

HOMAS. 

Oui  cia. 

BLAISE. 

Vous  êtes  rusé, 

Il  n'est  pas  aisé. 

Da  vous  en  faire  accroiro. 

THOMAS. 

U    non  1 

BLAISE. 

Qui  vous  attrapera, 
Sera  pis  qu'un  grimoire, 

Lou  la 
Sera  pis  qu'un  grimoire. 

THOMAS. 

Va,  je  le  pardonne. 

BLAISE. 

Eh  poaitant,nol'  bourgeois,  vous  ne  seriez  pas  d'humeur, 
su  vot'  respect,  à  céder  Mademoiselle  Claudaino  à  queu- 
quautre,  pas  vrai  ? 

THOMAS. 

Non,  parbleu'? 

BLAlSt.   ' 

Je  croirais  ben.  A  propos  de  ça,  comment  fronvez-voiis 
i'poisson?  l'ierrot  vient  de  me  dire  (pi'il  passerait,  en  cas 
que  Mademoiselle  Claudaine  l'aime. 


I 


OPEnA-COMIQL'E.  'iOl 

.    CLAUDINE. 


Passiorménient. 


THOMAS. 

Oui,  il  est  Irès-frais  :  tu  veux  m";imener  à  te  donner  pour 
boire  ? 

TLAISE. 

Tout  juste,  notre  maître  :  comme  vous  devinez?  Queu 
malin  que  vous  êtes? 

THOMAS 

Tiens,  le  voilà. 

BLAISE. 

Deux  fois?  on  voit  ben  que  c'est  le  jour  de  vos  noces, 
vous  faites  de  la  dépense. 

Air  :  L'ocrcmon  fait  le  larron. 
Ne  faut-il  pas  vous  rendre  votre  reslc. 

THOMAS. 

Non,  garde  tout,  c'est  pour  loi,  mon  garçon. 

BLAISE. 

Loin  d'être  ingrat,  je  veux,  je  vous  proleste. 
Vous  faire  avaler  un  goujon. 

THOMAS. 

Volontiers,  cela  n'est  pas  de  refus. 

ELALSE. 

Laissez  faire,  allez.  Mademoiselle  Claudaine,  vous  le  fra 
frire  dans  la  poêle  à  M.  Lubin,  pas  vrai,  la  petite  mère!  Ah, 
M.  Thomas,  que  vous  êtes  heureux!  Voyez  comme  aile  \ous 
regarde,  si  elle  pouvait  vous  manger,  aile  le  ferait.  Sans 
adieu,  M.  Thomas. 

THOMAS, 

IJonjour,  mon  ami. 


202  l.E  l'OIlUEl!. 

ULAisii  sortant. 

Y  allez  voub-cn,  gens  de  lu  noce, 

Y  oUez  \ous-cii,  chacun  cliciix  vous. 

THOMAS. 

C'est  un  bon  réjoui  !...  comme  le  voilà  rêveuse,  de- 
puis un  instant  tu  n'es  plus  la  même,  que  te  manque- 
t-il  î 

CLAUDINE. 

Des  poires. 


SCÈNE  X 

THOMAS,  CUUDLNE,  PIERROT. 

THOMAS. 

Tiens,  voilà  Pierrot,  tu  vas  être  satislaile, 

CLAUDINE. 

Je  craignais  qu'il  ne  m'eût  oubliée. 

PIERROT,  toujours  niais  après  avoir  pose   réchelle. 
.^m  :  Nous  joiiisso)is  dans  uns  /laincniu. 

Vous  oublier,  noiini  vraiment, 

Je  n'en  ai  point  envie, 
A  vous  servir,  atout  moment 

Je  passerais  ma  vie. 

THOMAS. 

Fort  bien. 

PIERROT. 

Monsieur,  en  vous  aimant, 
Fait  (juc  ça  m'intéresse, 
Et  je  vous  regarde  à  présent, 
Tout  comme  ma  maîtresse. 


OPÉRA-GOMIQUE.  205 

THOMAS. 

Oh,  tu  le  peux,  puisque  je  la  regarde,  moi,  comme  ma 
petite  femme. 

CLAUDl.NE, 

Air  :  Ail  le  bel  oiseau,  Maman. 
Pierrot  ne  se  trompa  pas, 
Et  le  titre  qu'il  me  donne, 
A  pour  moi  tous  les  appas 
D'une  brillante  couronne  : 
Quel  bonheur  lorsqu'en  aimant, 
Le  cœur  seul  tient  lieu  de  trône! 
Quel  bonheur  lorsqu'en  aimant, 
On  règne  sur  son  amant! 

THOMAS. 

Tu  m'enchantes.  Elle  est  folle  de  moi.  Pierrot  dépêche- 
loi  de  lui  cueillir  de  ce  fruit. 

PIEHROT. 

Air  :  Monsieur,  en  vérité,  vous  avez  bien  de  la  bonté. 
Oh,  je  ne  me  fais  point  prier; 
Mais,  Monsieur,  si  je  monte, 
Ne  secouez  pas  le  poirier, 
C^r  j'aurais  peur... 

THOMAS. 

Quel  conte! 
Mon  pied  sera  ta  siiretc, 
Crainte  que  l'échelle  ne  glisse; 

PIERROT,  montant. 
Point  de  malice. 

CLAUDINE. 

f 
Monsieur,  en  vérité, 

Vous  avez  bien  de  la  bonté  ! 
THOSIAS,  au  pied  de  l'échelle. 

Que  veux-tu,  il  est  peuteux,  il  ne  faut  pas  se  moquer 


204  LE   POIUIER. 

de  sa  simp'icilé.  Un  lioiuine  d'esprit  plaint  ceux  qui  n'en 
ont  pas. 

PUU'.UOT,  sur  l'arbre. 

Al),  ail,  Monsieur,  que  l'aites-vous  tlonc  là? 

THOMAS. 

Parbleu,  lu  le  vois  bien. 

IMEUROT. 

Vraiment,  oui,   je  le  vois.  Quoi!    avant  d'être  mariés 
prendre  ces  petites  libertés-là? 

THOMAS. 

Que  diable  est-ce  qu'il  cbante! 

PIERROT. 
Aiu  :  Maniait,  (ju  est-ce  donc  qu'ils  faisaient  ? 
Devant  moi  fonuor  ce  dessein  ! 

THOMAS. 

Que  dis-tu  ? 

PIERROT. 

Vous  poussez  Claudine; 

THOMAS. 

Qui  moi  ? 

PIERROT 
Vous  lui  baisez  la  main 
Elle  ne  tait  point  la  mutine 
Vous  l'embrassez, 
la  caressez. 

THOMAS. 

Fais-toi  donc  mieux  entendre' 

PIERROT. 

Diantre,  connue  vous  la  pressez. 

THOMAS. 

Je  n'y  puis  rien  comprendre. 
La  tète  lui  tourne. 


I 


OPÉRA-COMIQUE.  205 

l'IEIiROT. 

Ah  !  vous  ôtez  l'échelle  et  vous  vous  enfuyez?  Monsieur 
Thomas?  Mademoiselle  Claudine?  Ils  s'en  voni  !  Je  savais' 
bien  qu'ils  me  feraient  des  malices. 

Am  :  Manon  dormait. 
C'est  fort  iii;il  f;iit. 

THOMAS. 

Parle,  que  ve>ix-tu  dire? 

Le  diable  met 
Ton  esprit  en  délire. 

PIERROT. 

Mais  quelle  voix  j'entends! 

TIIOMA». 

Descends,  descends, 
El  tu  verras,  pauvre  innocent. 
l'iERROT,  après  être  descendu,  se  froUc  les  yeux, 
lié  non,  vraiment,  les  voici. 

THOMAS. 

Aiu  :  Ton  humeur  est,  Catherine. 
Hé  bien,  prenons-nous  la  fuite, 
Dis-moi,  nous  embrassons-nous? 

PIERROT. 

J'ai  pourtant  vu.... 

THOJIAS. 

Tu  mérite 
b'ètre  mis  au  rang  des  fous. 

PIERROT. 

Je  reste  lout  comme  un  marbre. 
Car  j'ai.  .. 

THOMAS. 

Pauvre  écervelé  ! 

12 


206  Li;   l'UlUIl:.!'.. 

l'IIiltl'.OT. 

Mais  il  laut  donc  (luo  cet  arbre 
Soit,  Monsieur,  eiiborcclé. 

El  si  je  n'ai  pas  tout  vu  ce  que  je  vous  ai  dit,  je 
ne  m'appelle  pas  Pierrot.  Voyez  le  serment  que  je  vous 
iais. 

CLAIDINK. 

Cela  parait  bien  élonnant. 

THOMAS. 

11  l'auL  (ju"il  en  soit  quelque  chose;  car  quoique  siuiple 
et  niais,  il  a  des  yeux,  l'arbleu,  éprouvons  cela. 

(11  moule  sur  le  poirier.) 
l'iEr.UO    . 

11  le  prend  bien. 

CLAUDINE. 
Ain  :  De  s'ent/dger  il  ii'est  que  trop  facile. 
Mais  quel  succès  ceci  peut-il  produire! 
Savez-vous  bien  qu'avant  la  fin  du  jour: 

l'IliUROT. 

Tout  sert  nos  vœux;  mais  laissez-vous  conduire. 

.    CLAUDINE,  lui  (loiiunnl  la  niaiu. 
Je  mets  mon  sort  dans  les  mains  de  r.Aniour. 

THOMAS,  sur  l'arbre. 

Il  semblerait  qu'il  lui  prend  le  bras 

PIERROT. 

Daignez  seulement  me  suivre. 

CLAUDINE. 

Mais  Lubin,  la  Pudeur,  la  Sagesse,  me  dérendenl. 

THOMAS. 

M\  dirait  qu'il  la  presse. 


OPÉRA-COMIQUE.  207 

PIEHROT. 
Ain  :  Ah!  je  vous  trouve,  Chevalier 
La  fuite  ne  sera  que  feinte, 
Ne  craignez  rien. 

CLAUDINE. 

lU-las  ! 

PIERROT,   lui  baisant  la  main. 
Airnons-iious  sans  contrainte; 

THOMAS. 

Cela  va  bien; 

PIERROT. 

Pour  notre  intérêt,  et  par  grâce, 
Daignez  m'accorder  un  baiser. 

CLAUDINE. 

Pourrais-je  vous  le  refuser! 

THOMAS. 

Ne  croirait-on  pns  qu'il  l'embrasse;-  ma  foi,  je  trouve  ce 
poirier  singulier;  mais,  mais,  fort  singulier. 

PIERROT. 

Belle  Claudine,  venez. 

CLAUDINE. 

Je  n'ose. 

PIERROT,  se  jetant  à  ses  genoux. 

Je  vous  en  conjure. 

THOMAS. 

Oh,  oh,  le  voici  à  ses  genoux  !.  descendons. 

PIERROT,   pendant  que  Thomas  descend,  passe  de  l'aulrc  côté  de 
l'arbre. 

Cruelle  !  nous  sommes  perdus  ! 

THOMAS,   descendant. 

Cela  ressemble  si  fort  à  la  vérité. 


208  11'^  POIRIER. 

CLAl'DlNK. 

Oiie  jesuissotlo  ! 

Til  iM\s,  aescciulu. 
Ma  foi  non,  ils  sont  fort  tranquilles,  les  pauvres   en- 
fants. 

CLAUDINE. 

Hé  bien,  monsieur,  avez-vous  vu  quelque  chose? 

THOMAS. 

Oui  d'honneur,  ou  du  moins  j'ai  cru  voir  quil  le  prenait 
la  main,  qu'il  la  baisait,  quil  était  à  tes  genoux. 

riEUROT. 

Là,  suis-jeun  menteur? 

CLAUDINE. 

Am  :  De  tous  les  Capucins  du  7mnde. 
Bon,  vous  riez. 

THOMAS. 

Eh  non,  te  dis-jc. 

CLAUDI.NE. 

En  ce  cas  c'est  donc  un  prodige, 

riEUROT. 

Voyez,  Monsieur,  si  j'avais  tort, 
Etais-je  fou? 

THOMAS. 

Non,  je  t'assure, 
Malgré  cela  je  doute  encor 
D'une  aussi  comique  aventure. 

P(ERR0T. 

J'étais  comme  vous. 

CLAUDINE. 

(Haut.) 
(A  part.)  1       ,  •       1 

Que  je  me  repensdema  timidité!  Je  sms  enchantée  dt 
cela.  C'est  une  découverte  rare. 


OPÉRA-COMIQUE.  209 

THOMAS,  content. 
Air  :  î/n  mouvement  de  curiosité.  j 

Comme  tu  dis,  la  découverte  est  bonne,  S* 

Cet  arbre  est  une  curiosité, 
J'altrapperai  par-là  plus  d'une  pei'sonne,  ' 

Plus  d"un  jaloux  y  sera  déconcerté  ; 
(Tous  trois  ) 

Assurément  la  découverte  est  bonne,  , 

THOMAS,  remontant. 
J'y  monte  encor  par  curiosité. 
PIERROT,  à  Claudine. 

Laisserons-nous  encore  échapper  celte  occasion  ? 

CLAUDINE. 

Am  :  Sur  ces  Coteaux. 
Je  me  souviens 
De  ma  sottise  et  j'en  reviens, 
Vaf,  tu  me  conviens, 
A  mon  tour  je  te  préviens. 
Viens. 
PIERROT,  ôtant  l'échelle. 
Quel  bonheur  !  bâtons-nous, 

Qu'il  est  doux. 
De  tromper  un  jaloux  ! 

THOMAS . 

Ne  croirait-on  pas  qu'ils  ôlent  l'échelle  !  cela  est   ori- 
ginal. 

PIERROT,  CLAUDINE,  s'en  allant. 

Suivons  l'Amour, 

C'est  lui  qui  nous  guide  en  ce  jour. 

Loin  des  envieux, 

Nous  ferons  en  d'autres  lieux. 

Mieux. 

(ils  sortent.) 
12. 


210         •  iK  PoiniEn. 


SCÈNE  XI 

THOMAS,  seul. 

On  se  donwerait  au. diable  qu'ils  s'en  vont.  C'est  plai- 
sant! c'est  Tort  plaisant!  je  ne  donnerais  pas  ce  poirier 
pour  cent  louis.  (Il  rit.)  Ah,  ah,  ah  ah  !  Parbleu,  je  m'amu- 
serai bien  !  Non  seulement,  je  m'amuserai;  mais  je  pourrai 
faire  nombre  de  gageures  ;  par  conséquent  les  gagner  et 
m'enrichir  encore.  Cette  idée  me  flatte  bien  plus  que  mon 
mariage. 


SCÈNE  Xll 

THOMAS,  LUGETTE. 

LUCETTK. 

Comment  ont-ils  fait  pour  s'échapper? 

THOMAS. 

Ah  !  Lucette,  Lucette  ?  viens  voir,  viens  voir. 

LUCETTE. 

'  Air  :  Oui  j'ai  tout  vu- 

Ah  !  j'ai  tout  vu, 
Vous  n'avez  rien  prévu, 
Qui  l'eût  cru  1 

THOMAS. 

Que  dis- tu? 

LUCETTE. 

^llcz,  monsieur,  ils  sont  déjà  bien  loin.  Votre  Pierrot  était 
un  Amant  déguisé  en  valet. 


OPÉRA-COMIQUE.  211 

THOMAS. 

A  l'autre!   Esl-ce  que  tu  os  ensorcelée  aussi  (oi?  Le 
charme  s'étendrait-il.... 

LUCETTE,  riant. 

lié  mais,  monsieur  Thomas,  \ous  radotez,  ils  sont  prêts  à 

revenir. 

Am  :  Dans  la  jeune  saison. 

Ma  sœur  et  son  Mignon, 
Qu'un  pêcheur  considère  ; 
Dans  la  barque  au  poisson, 
Ont  passé  la  rivière; 
Hé  riez,  riez  donc. 

THOMAS,  en  colère. 

Ah  !  petit  serpent  !  fripon  de  Pierrot,  effrontée  Claudine  ! 
Vite,  cours  après  eux. 

LUCETTE. 

Ma  foi,  monsieur,  courez-y  vous-même. 

THOMAS. 

Eh  !  le  puis-je  faire?  maudit  poirier!  tu  seras  coupé  !  A 
l'aide,  au  secours!  je  crève,  je  suis  volé. 


SCÈNE  XIII 

THOMAS,  LUCETTE,  BLAISE. 

BLAISE. 

Et  puis  ils  s'en  furent 
Dans  une  masure. 

Ali  !  ah  !  dites  donc,  Papa?  (Ju'est-ce  que  vous  faites-là? 
Est-ce  pour  voir  déplus  loin  que  vous  v'ia  grimpé  si  haut? 


'212  LE   POIRIER. 

THOMAS. 

Te  voilà,  pcndnrtl  !  c'est  donc  loi  qui  facilites  l'enlèvement 
d'une  jeune  innocenle. 

CIAI^E. 
Air.  :  C/taiilc:,  ?iion  Petit. 
Toujours  par  (illollc  Iranclie, 
Ijarbon  doit  être  Iriciié, 
Comme  un  oiseau  sur  la  branclic 

Tno.ii.vs. 
Coquin  ! 

BLAI.SE. 

Le  voilà  perché  ! 
Mi,  mi,  fa,  ré,  mi, 
Cliantoz,  mon  pelit,  etc. 

THOMAS. 

Oh  !  que  j'aurai  de  plaisir  à  te  faire  pendre! 

CLAISE. 

Notre  Bourgeois,  de  la  douceur,  en  attendant  je  m'en  vas 
vous  tenir  réchelle,  moi. 

(U  dresse  réchelle  contre  l'arbre  ) 

THOMAS,  descendant. 

Oh  !  nous  allons  voir  beau  jeu  ' 


SCÈNE  XIV 

M.    DE    BONSECOURS,    CLAUniNE,    LUCETTE,   THOMAS, 
Pli  RUOT.  RLAISE. 

CLAUDINE,  iiendaut  t{w  Thomas  descend. 

Je  n'ose  paraître  devant  lui. 

M.   I)E  liONSECOURS. 

Rassurez-vous,  ma  chère  enfant,  je  prends  tout  sur  moi 


I 


1 


OPERA-COMIQUE,  215 

THOMAS,  descendu  veut  courir  après  Biaise. 

Ah!  scélérat  !... 

M.  DE  BONSECOURS. 

Tout  doux,  monsieur  Thomas. 

THOMAS,  d'un  air  soumis. 

Ah  !  monsieur  ! 

BLATSE. 

.\iR  :  A  la  façon  de  Barbarie. 
Voilà  Monsieur  de  Bonsecours, 

Seigneur  de  sn  paroisse, 
Qui  vient  vous  prêter  son  secours. 

THOMAS. 

Quelle  nouvelle  angoisse! 

ELAISE. 

Il  connaît  votre  intention, 
La  faridondaine,  la  taridondon, 
Il  va  la  seconder  aussi,  Biribi, 
A  la  façon  de  Barbari,  mon  ami. 

M.   DE  BOSSECOURS. 
Air  :  Vous  m'entendez  bien. 
Mon  cher,  je  vous  donne  à  choisir, 
De  plaider  ou  de  les  unir 
Renoncez  à  Claudine, 

Ou  bien,. 
Je  fais  votre  ruine. 

BLAISE. 

Entendez-vous  bien? 

M.   DE   BONSECOURS. 

Je  vous  abandonne  tous  les  droits  à  ce  prix. 

THOMAS. 

Quelle  alternative  ! 


214  I-E   PniIUER. 

r.LAISE. 
Aiit  :  Quel  plaisir  va  nous  unir. 
CroyC'Z-moi,  Monsieur  Thomas, 
N'iiésitez  pas, 
L'occasion  est  bonne, 
Sorte/,  d'un  double  emliarras. 
Laissez  Giaudaine  et  gardez  vos  ducats; 

Fillette  lait  peu  de  cas, 
D'un  soupirant  dont  la  barbe  grisonne  ; 

Croyez-moi,  Monsieur  Thomas, 
Laissez  Claudaino,  et  sauvez  vos  ducats. 

M.   D13  EONSECOURS. 

Am  :  La  bonne  aventure.  , 
Allons,  Monsieur  le  tuteur. 
Un  mot  doit  conclure. 

THOMAS. 

Hé  bien,  je  me  rends,  Monsieur. 
J'enrage  de  tout  mon  cœur, 
cLAuriNT.  )  La  bonne  aventure,  au  gué, 
PIERROT.   )      La  bonne  aventure. 

PIERROT. 

Je  vais  faire  abattre  ce  maudit  poirier,  et  fera  les  frais 
de  la  noce  qui  voudra. 

M.  DE  BONSECOURS. 

Je  m'en  charge. 

THOMAS,  à  Lucclte  en  s'en  allant. 

Toi,  petite  coquine,  pour  n'avoir  pas  été  plus  vigilante, 
tu  payeras  pour  ta  sœur  dans  quelques  années. 

LUCETTE,  à  Biaise. 

Monsieur  Biaise,  je  me  recommande  à  vous  quand  je  serai 
plus  grande. 

CLAISE. 

Volontiers,  je  ne  risque  rien  d'avancer  le  mien  dans  ces 
marchés-là-,  moi  je  me  sauve  sur  la  quanlité. 


OPEP.A-COMIQUE.  215 


VAUDEVILLE 

rrélçxtant  une  bonne  affaire, 
Un  débileui^  d'un  ton  poli, 
ous  promet  de  vo  is  satisfaire. 
Eh!  oui,  oui,  oui. 
Fiez-vous-y  ! 
Plus  on  est  bon,  plus  il  retarde. 
Ensuite  on  a  beau  le  prier, 
Il  chante,  il  rit,  et  vous  regarde 
Comme  Thomas  sur  le  poirier. 

Les  agrémcnis  du  badinage, 
Aux  prudes  causent  de  l'ennui, 
Leur  conduite  en  est  bien  plus  sage. 
Eh  !  oui,  oui,  oui, 
Fiez-vous-y  ! 
Bien  souvent  l'époux  d'une  prude 
Qu'il  respecte  tout  le  premier, 
Ferait  une  épreuve  bien  rude 
S'il  montait  dessus  le  poirier. 

Un  Amant  cachant  son  martyre, 
Ne  prend  que  le  litre  d'ami, 
A  l'estime  seule  il  aspire, 
El)  !  oui,  oui,  oui, 
Fiez-vous-y! 
Oii  l'écoute,  on  l'aime,  on  se  lie, 
Et  l'amour,  ce  petit  sorcier, 
Pour  voir  la  dernière  folie, 
Monte  bientc)t  sur  le  poirier. 

Quel  vif  accueil  1  quelle  caresse 
Lise  fait  à  son  vieux  mari  ! 
Sans  doute  il  a  seul  sa  tendresse* 
Eh!  oui,  oui,  oui, 
Fiez-vous  -V  ! 


216  LE   POIlllER. 

On  endort  le  pauvre  Lonlionimc, 
C'est  pour  rcmpêclicr  de  crier 
De  ce  qu'il  voit  les  choses,  comme 
S'il  était  dessus  le  poirier. 

Quand  nous  vous  plaisons,  ce  spoclacle 
Par  vous.  Messieurs,  est  embelli, 
La  critique  y  met-elle  obstacle, 
Eli  !  oui,  oui,  oui, 
Fions-nous-y! 
Nous  ne  craindrons  point  les  orages 
Que  les  rever.<  font  essuyer, 
Si  vous  faites  par  vos  suffrages 
Fructifier  notre  poirier. 


ri.N    nu     lOIRIEK. 


LES 

T  R  0  Q  U  E  U  R  S 

OPÉRA  BOUFFON 

E.N  UN  ACTE 

UEPRÉSEN'TL  ,     l'OI  II    L\    PULMIKKE    FOIS  ,     SUR    I.E    TIIÉAÏIiE    DE    LA    FOir.E 
SAINT-LAVKENT,    LE    30    JUILLET    175-, 


ACTEURS 

LUBIN,  Amant  de  Marijot. 
LUCAS,  Amant  de  Fanchon. 
MARGOT,  Fiancée  avec  Lubin. 
FANCHO.N,  Fiancée  avec  Lucas. 

SCÈNE  PREMIÈRE 

LUBIN,  seul. 

Am  :   Tout  cela  m'est  indifférent. 
Quand  sur  ses  vieux  jours  un  garçon 
Devient  le  mari  d'un  Tendron, 
Un  Galant  rit  de  sa  folie  ; 
Le  reste  csl  bientôt  projeté  : 
Mais  qu'un  bon  vivant  se  marie, 
Les  rieurs  sont  de  son  côté. 


218  LES    i'IUXJliUUllh;. 


On  lu'  pciil  Irop  tôt 
Se  iiietlro  en  niéiuige  : 
J'ai  beaucoup  d'ouvrage; 
Et  le  mariage 
Est  mon  vrai  ballot. 
Un  Contrat  m'engage, 
.l'épouse  Margot. 
Son  humeur  volage 
Est  pi'esque  le  gnge 

D'un  mauvais  lot. 
Mois  contre  l'orage 
Un  met  en  usage 
I.cs  moyens  ipi'il  faut. 
Une  femme  est  sage 
Quand  riiomme,  en  un  mol, 

-N'est  pas  un  sot. 


SCÈNE  11 

LUBLN,  LUC.\S. 

LUBl.N. 

Nous  voilà  fiancés  par  un  double  contrat  : 
L'indolente  Fanclion  va  devenir  ta  femme. 

Ll'C.VS. 

L'égrillarde  Margot  va  te  mettre  en  état 

De  chanter  chaque  jour  une  amoureuse  gamme. 

Compère,  es-tu  coulent  de  ton  marché,  dis-moi? 

LUbliN. 

Kl  loi,  conijiére? 

LUCAS, 

Et  loi  ?  dis. 


OrEUA   BÛUFruN  21'J 

LUBl.N. 

Parle,  toi. 
Es-lu  bien  satisfait? 

LUCAS. 

Compère,  es-lu  bien  aise  ? 

Montraiil  Lubiu  au  doii-'t. 
I 

Pour  Margot  tout  de  feu  '.' 

LLBl.N,  inoutraiil,  ù  sou  lour,  Lucas  au  doigt. 

Pour  Fanchon  tout  de  braise. 
Es- tu  bien  satisfait? 

LLCAS. 

Compère,  es-tu  bien  aise  ? 

LUBIN. 

Mais,  dis  auparavant. 

LLCAS. 

Tu  le  veux.  Tiens,  ma  foi, 
Je  ne  sais  :  mais  Fancbon  est  lente  et  paresseuse. 

LlBLN. 
ARIETTE    : 

Margot,  morbleu, 

Est  par  trop  joyeusC; 

Elle  est  jaseuse, 

Gausseuse; 

Pour  peu 

Qu'on  la  mette  en  jeu, 

Elle  prend  feu.  [Fin.] 
La  voilà  quinteuse. 
Grogneuse; 
Fâcheuse. 
Dites-lui 
Oui, 
Elle  répond 
Non; 


220  LES  TUOQUEURS. 

Oui, 
Non, 
Non, 
Oui, 
Un  déiueiiti 
Vous  met  en  colère  : 
J*rcnd-on  le  parti 
De  la  faire  In  ire  : 
I,e  bruit  double  encor, 
Jamais  d'accord. 
On  se  désole; 
Soufflets  vont  leur  train, 
On  les  rend  soudain, 
Et  le  bonnet  vole. 
Margot,  etc. 

l.LCAS. 

Le  délaul  de  Fanclioa  me  lait  maigrir  la  (rogne  ; 
Son  air  froid,  engourdi,  m"a  désolé  vingt  fois. 

LUBIN. 

Tiens,  nous  avons  été  par  trop  vite  en  besogne. 
Margot  te  convient  mieux. 

LUC.\S. 

C'est  bien  dit,  je  le  crois. 

LUBIN. 

Je  m'accommoderais  do  Fanclion  à  merveille. 

Lrc.\s. 
Troquons. 

LUBI-N. 

Va. 

LUCAS. 

Tope. 

LUBIN. 

Allons. 


I 


OPÉRA   BOLFFON.  221 

ENSEMBLE. 

Le  changement  réveille; 
Troquons,  troquons, 
Changeons,  Compère, 
Point  de  façons  ; 
Point  de  Notaire. 
Tiens,  déchirons  ! 

(ils  décliiivnl  lrur«  rontrats.) 

Ce  biau  chiffon. 
Troquons,  troquons, 
Changeons,  compère. 
Rien  n'est  si  bon. 
Lumx. 
Mais  de  chacun  de  nous  s'avance  la  future. 

LUCAS. 

Faisons-les  consentir. 

LUCIN. 

Va.  Nous  allons  conclure. 


SCÈNE  m 

LUCAS,  LUBIN,  MARGOT,  FAXCIION. 

LUCAS,  prenant  Margol  sous  lo  l)ras. 

Bonjour,  Margol . 

LUBIN. 

Fanchon,  bonjour. 

FANCHON. 

Tu  le  trompes. 

LUBIN. 

Non,  ma  chère. 


'2^22  m: S  TROQUEURS, 

MAUCOT,  à  Liiras,  i|ui  lui  liaisu  h  main. 

Mais,  finis  donc. 

FANCIION,  à  Luliin,  qui  lui  en  fait  autant. 

Veux-tu  te  taire  ! 

MAUGOT   ET    FANCIION. 

A  ton  ami  peux-tu  jouer  ce  tour  ? 

FANCIION. 

Margot  va  m'en  vouloir. 

MARGOT. 

Fanchon  sera  jalouse. 

H!BI\,    à  Fanchon. 

Écoute,  c'est  moi  qui  t'épouse. 

I.ur.AS,  à  Margot. 

C'est  moi  qui  serai  ton  mari. 

MARGOT,  lui  montrant  Lubin. 

ARIETTE  :  en  Qualicor. 
Eh!  non,  c'est  lui. 

LUCAS. 

Eii  !  non,  c'est  moi. 
LUBIN,  à  Fanchon. 
Nous  nous  unirons  aujourd'lmi. 

FANCHON . 

Pas  avec  toi; 
C'est  avec  lui. 

LUBIN. 

C'est  moi  qui  serai  ton  mari. 

FANCIION,  montrant  Luca^. 
C'est  lui. 
LUBIN. 

Moi.  moi. 

MARGOT. 

Lui,  lui. 


OPERA   DOt'FFON.  22r, 

QrATfor,. 
Eh!  non,  c'est  lui. 
Eh  !  non,  c'est  moi. 

MARGOT. 
AEIETTE    : 

D'un  .\mant  inconstant 
L'Amour  se  venge, 
Même  à  l'inslant 
Que  son  cœur  change, 
Il  n'c&t  pas  content  ; 
C'est  où  ce  Dieu  l'attend. 
Des  feux  d'un  volage 
On  est  peu  flatté  ; 
Le  plus  doux  langage 
Est  toujours  rejeté. 

Quand  il  est  l'hommage 
De  la  légèreté. 
Sans  alarmer  Flore, 
Le  badin  Zéphir 
Vole  avec  plaisir 
Sur  les  fleurs  qu'elle  fait  éclore. 
Un  tendre  soupir 
Bientôt  le  rappelle; 
Il  revient  près  d'elle 
.  Sur  l'aîle  du  Désir. 
D'un  Amant,  etc. 

FANCHON,  lentement. 
Am  :  Pourvu  que  Colin,  ah  !  voyez-vous. 
On  dit  que  l'hymen  est  bien  doux  ; 

Pour  moi,  c'est  un  mystère  : 
Qu'importe  Vun  ou  l'autre  Époux? 
Pourvu  que  Von  soit  femme,  roycz-voûs  ! 
Le  choix  ici  n'est  pas  fort  nécessaire; 
Tous  deux  ne  valent  guère. 

FANCHON. 

Marsoî,  si  tu  m'en  crois,  nous  les  laisserons  faire. 


224  LES  TUOQUEURS. 

LIBIN  ET  LUCAS. 

Bon,  bon  ;  Fanclion  entend  déjà  raison. 

(l'iMulnnt  ri'  toinps  Fanclion  pl  Mniiiol  so  iiarlcnl  à  l'oreille.) 
MAKGOr,  à  part. 

Je  l'en  dégoûterai.  (Haut.)  Terminons  donc  l'aflaire. 

I.LCAS. 

Ali!  quel  bonheur?  Margot  pense  comme  Fanclion. 

AHiETTE  en  Quatuor. 
Changeons,  ma  chèro; 
Troquons,  troquons. 

LUCAS. 

Troquons,  troquons; 
Changeons,  ma  chèro 

MARGOT. 

Troquons,  troquons. 

FANCUOX. 

Changeons,  compère. 

ENSEMBLE. 

Troquons,  troquons, 

compère. 


Changeons. 


ma  chère. 
(Lubin  emmène  Fanclion.) 


SCÈNE  IV 
MARGOT,  LUCVS. 

LUCAS. 

Vive  Margot,  j'aime  son  caractère. 

MARGOT,  à  pari,  (ini'mont. 

Oui,  tu  vas  l'éprouver. 


OPÉRA  BOUFFON.  225 

LUCAS. 

Que  nous  serons  heureux  ! 

MARGOT,  ironiquement. 

Tu  me  parais  charmant. 

LUCAS. 

Que  tu  sais  bien  me  plaire  1 

MARGOT,  ironiquemenl. 

Je  brûle  d'être  à  toi. 

LUCAS. 

Viens  donc  combler  mes  vœux. 


.\h!  qu'il  me  tarde 
De  te  voir  mon  époux  ! 

Surtout  prends  bien  garde 
D'être  jaloux. 
Quand  un  galant  me  flatte, 
Je  ne  suis  pas  ingrate. 
Si  tu  raisonnais, 
Tu  verrais 
Ce  que  je  serais. 
J'aime  la  dépense; 

Ainsi  je  pense 
Que  lu  sauras  gagner 
De  quoi  faire  régner 
Chez  moi  l'abondance, 
Les  jeux  et  la  danse  ; 
Car  autrement, 
Je  fais  serment 
Que  le  tapage, 
L'outrage, 
La  rage, 
Feront  ravage 
■    Dans  ton  ménage. 

13. 


220  LES  TROQUEl'RS. 

C'est  mon  dernier  mot. 
A  ce  prix,  nigaud, 
Epouse  Margot. 
Jus([u'uu  revoir,  magot, 
Magot,  magot,       • 
Magot. 

(Jiisquo  dans  les  coulisses. 


SCÈNE  V 

LUCAS,  SEUL. 

Va,  va,  j'épouserais,  morbleu  !  plutôt  le  diable. 
Ail  !  Fanchon,  qu'à  présent  tu  me  parais  aimable  ! 

.MUETTE   : 

Pauvre  Lucas, 

Quelle  est  ta  peine  ! 
Une  femme  liautaine, 

ÎNe  te  va  pas. 
Sans  cesse  la  gène. 
L'aigreur,  l'altercas. 
Les  cris,  le  tracas, 
Les  pleurs,  le  fracas. 
Sept  fois  la  semaine. 
Joueront  une  scène 
Où,  tout  hors  d'haleine. 

Tu  chanteras  : 
Hélas!  hélas  !  hélas! 
Sortons  d'embarras. 
Kauchon  est  ma  Reine, 
Je  cours  do  ce  pas 
Reprendre  ma  chaîne; 
Ah!  quelle  a  d'appas! 


(11  son. 


OPÉRA   ROUFFOX. 


SCÈNE  VI 

LUBIN,  seul. 

J'ai  cru  faire  un  beau  coup  en  changeant  de  iulure 
Margot  était  mon  fait;  peste  soit  du  marché  ! 
Avec  Fanclion,  hélas  1  il  fiiudra  donc  conchn-e! 
Qui?  moi  garder  Fanclion  !  .l'en  serais  bien  fâché. 

AIUETTE    : 

Sa  nonclialance 
Ferait  mon  tourmenl  : 
Une  heure  elle  balance 
Pour  dire  froidement  : 
Oui-da...  Vrainrienl!... 
Plaît-il?  ...  Comment?... 
Chaque  mot  est  si  lent 
Que  j'en  perds  patience, 
Ou  bien  en  silence, 
D'un  pas  chancelant. 

Elle  s'avance; 
Puis  marche  endormant; 
Et  rit  en  bâillant. 
Quelle  différence 
De  ce  tempérament 

A  la  pétulance 
De  colle  que  j'attends. 


Margot  ? 


SCÈNE  Yll 
M.\RGOT,  LUBIX. 

LUMN. 


MARGOT. 

'  Eh  !  bien  ? 


'228  LES  THOOLEIUS. 

I.I'BIN. 

nends-toi,  j'ai  reconnu  ma  faulo 

MAJiGOT. 

TiMit  beau,  tu  comples  sans  Ion  IkMc. 

1.1  BIN. 

AltlFTlF.    : 

Sans  rire,  cnmmonl  va  le-  d(>ir  conjupal.' 

MARGOT. 

Mal. 

I  l'BIN. 

Oli  !  liés  co  soir,  lu  porteras  mon  nom. 

MARGOT. 

Non. 

M  BIX. 

V:i,  tu  ne  penses  pas  ainsi. 

MARGOT. 

Si. 

LIBIX. 

Méprises-tn  mon  tendre  effort? 

MAKOOT. 

l'or  t. 
i.rciN 
Cesse  d'être  lière  à  ce  point. 

MARGOT. 

l'oiiil. 

LL'BIN. 

Tu  veux  donc  mon  ennni  ? 

MARGOT. 

Oui. 

1.1  1!IN. 

Fais-moi  plutôt  un  amoureux  déli. 


OPÉRA  BOUFFON.  299 


MARGOT. 

Fi. 

LDBIN. 

Ta  cruauté  me  désole  I 

M.iRGOT. 
Va,  cours,  fuis,  sors,  \ole 
Sur  les  pas  de  Fanchon  :  je  m'en  tiens  à  Lucas. 

MBIN. 

Reçois  mon  repentir. 


SCÈNE  VI II 
LIBIN,  MARGOT,  LUCAS,  FANCHON. 

Ll'C.\s,  à  Fa.nclion. 
ARIETTE  en  Quatuor. 

>'e  me  rebute  pas. 
F.V.NCnON,  montrant  Maif:nt. 
Oh!  laisse-moi;  voilà  la  tienne 

LlBIN. 

Non,  c'est  la  mienne. 
M.*RGOT,  montrant  FaiiclioiÉ  à  l.uljiii. 
Voilà  la  tienne. 
Ll'CAS. 

Non,  c'est  la  mienne. 
MARGOT,  se  saisissnnt  ilft  Lucas, 
Je  prends  le  mien. 

FASCHON,  sautant  sur  l.uliiii. 
Chacun  le  sien. 
I.UBIN,  à  Fanclion,  qui  li'  lient  au  rollr.t. 
Le  Diable  t'emporte  I 


-'•''>0  LES  TROQUEURS. 

LUCAS,  tenu  p:u-  Marjiot. 
Ah  !  quel  embarras  ! 

MAKGOT  i:t  FANCnON. 

Tu  m'épouseras. 

LUBIN. 

Peut-on,  hélas! 
Me  punir  de  la  sorte? 

FANCUON. 

Tu  m'épouseras. 

LLC.\S. 

Le  Diable  t'emporle! 

MARGOT. 

Tu  m'épouseras. 

LUDIiV,  s' échappant. 

Ah!  Margot. 

LUCAS,  s'éc'liappniit. 

Ail!  Fanchon. 

MAUGOT    Kr    FAXCHO.N. 

Quel  accès  te  transporte' 
LUBhN,  à  Margot. 
Reprends-moi, 

LUBIN  El'  LUCAS. 

Que  je  sois  ton  époux! 

MARGOT   ET   FANCII0.\. 

Vous  avez  fait  la  loi. 

LUBIN   ET  LUCAS. 

.le  t'en  prie  à  genoux. 

(ils  s(»  jettPiif  à  sonoiix.) 

MAIU'.OT,  liant. 

Fanchon  !  Ali  !  ah  !  ah  !  aii  !  ah  ! 

FASCHO.N,   riant. 

Margot!  Ah!  ah  !  ali  !  ah  !  {i|i  ! 


I 


II 


OPERA  BOUFFON.  251 

LICVS. 

Cruelle! 

LUBIN. 

Traîtresse! 
Pardonne-nous. 

LUCAS. 

Pardonne-nous. 

FAlNCHO.\. 

Fileras-tu  doux? 

LUCAS. 

Je  filerai  doux. 

MARGOT,  à  Luhiii. 

Au  logis  je  serai  maîtresse. 

LUBIN. 

Maîtresse. 
FANCHON,  à  Lucas. 
Et  tu  m'obéiras  sans  cesse. 

LUCAS. 

Sans  cesse. 

MARGOT, 

Fanchon,  je  me  résous 

FANCHON. 

.Margot,  je  me  résous. 

LUCAS,  se  relovaiit, 
Fanchon,  quelle  allégresse! 

LUBIN,  se  relevant. 
Margot,  quelle  allégresse! 

FANCHON  ET  MARGOT. 

Remettez-vous. 

LUBIN  ET  LUCAS,  se  remottaiit  à  goiioux. 
Quelle  tristesse! 

MARGOT, 

FaucliQU  ' 


23-2  ir.S   THOQUEUaS. 

FANCUON. 

JFargot  ! 

MARGOT. 

Cédons. 

FANCIION. 

(Irdon?. 

I.UDIN  KT  LUtiAS. 

Quelle  allégresse! 

MARGOT. 

Lovez-vous. 

FANCI10.\. 

Nous  en  ferons,  ma  foi,  de  commodes  époux. 

ENSEMBLE. 

Quelle  allégresse  ! 

(un  ilause. 


FIN    DES   TROQUEURS. 


I 


JÉROSME 


ET 


FANGHONNETTE 

PASTORALE  DE  LA  GRENOUILLÈRE 

EN  UN  ACTE 

REPRÉSENTÉE   l'Ol'R  LA    FRÊMIÈRE   FOIS  SUR   LE  THÉÂTRE    RE 
I.'OPÉRA-COMIQIE,    LE    18    FÉVRIER    1735. 


ACTEURS 
FANGHONNETTE. 

JEROSME,  amant  de  Fanchonnetle. 
CADET,  frère  de  Fanchonnelle. 

La  scène  est  à  la  Grenoullière  au  bord  de  Veau. 

SCÈNE  PREMIÈRE 

JÉROSME,    seul 

Air  :  Quand  lu  battras  la  retraite. 
Tout  à  la  bonne  franquette, 
Je  ne  sais  pus  que  d' venir 
Du  d'puis  qu'Ia  Dell'  Fanchonnetle 
MTait  désirer  du  plaisir  : 


2'>4  ,li:i',OSMK   r.T   rANClIONNKTTF.. 

l'oiir  Toublior  j'oiis  benu  boire. 
Ça  n'empfkhe  pas  qu'rAmour 
IN'fasse,  en  son  honneur  et  gloire, 
De  mon  pauvre  cœur  un  four. 

Aui  :  RossKjnolet  du  bois. 

y  amom',  qui  fais  brûler 
La  fille  la  plus  sage, 

y  apprends-moi  ton  langage. 
Apprends-moi  t'a  parler, 
Afin  qu'  pour  l'mariage 
Je  puissions  fenjoler. 

Air  :  N'avez-vous  pas  vu  Vhorloge  ? 

Mais  pour  qu  ç't'Amour  m'achève, 
Ne  v'ià-t'y  pas  qu'la  voici  1 
M'est  avis  que  l'Soleil  s'iève 
Quand  j'vois  son  minois  genli  ; 
Air  pense  à  ce  qu"alle  rêve... 
Cachons-nons  darrière  ç'tâbre-ci. 


SCÈNE  II 

FANCIIONNETTE,  JÉROSME  a  i.'écart, 

FAXCIIONNETTE. 

Air  :  Ce  ruisseau  qui  dans  la  plaine. 
DrèsTmatin,  sous  ce  feurliage. 
Je  vians  pour  prendre  le  frais  : 
Des  oisiaux  le  garzouillage 
M'y  fait  r'venir  tout  exprès. 


I 


PASTORALE   DE   LA  GRENOUILLÈRE.  23E 

J'n'avonspasd'goiit  pour  les  hommes. 
Pourquoi  ça,  dira  queuqu'zuns  ? 
C'est  qu'dans  le  temps  où  que  j'sommes 
Les  trompeux  sont  beu  communs. 
On  est  farm',  tant  qu'on  z'est  libre  ; 
Ça  fait  qu'on  n'trébuche  pas. 
L'amour  fait  pardr'l'équirlibre  : 
V'ià  d'où  viennent  les  faux  pas. 


SCÈNE  III 
.lÉROSME,  FANCHONINETTE. 

FANCHONNETTE. 

AiPi  :  Je  ne  suis  pas  si  diable. 
Bon  joux,  monsieu  Jérôme? 

JÉROSME. 

Bon  joux,  belle  Fanchon. 

FANCHONNETTE. 

Ah  !  mon  Dieu  !  vous  v'ià  comme 
■  Un  matineux  garçon. 

JÉROSME. 

Je  ne  dors  pus,  ça  m'sèche. 

FANCHONNETTE. 

Pauvre  petit  mignon  ! 
Quoi  ([tii  vous  en  empêche  ? 

JÉROSME. 

C'est  Curpidon. 
Ain  :  Les  regards  d'Hélène. 
Avec  une  flèche, 
Qui  par  Fp'tit  bout  avait  le  fd, 


'i.-G  JÉROSME  ET  FANCIIONNETTE. 

Il  [ifa  f;tit  une  brèche 
Qu'en  vaut  ben  rail, 
D'puis  ç'temps-là  j'endure 
Un  chien  d'mal  qui  redoubo  cncor  ; 
Faut  qu'  j'aie  la  vie  dure 
Pour  n'en  êtr'  pas  mort. 

Aiii  :  Buvons  à  nous  quatre. 
Une  marinière, 
D'un  ptitair  malin, 
Pour  ahider  son  dessein, 
Comm'  ça,  par  darrière, 
Li  poussait  la  main. 

Air  :  Par  un  beau  jour  de  Pentecôte. 
Avec  tout  ça,  ma  parsonnière 
N'sait  pas  mon  amiquié  d'ardeur. 

F.VNCHON.NETTE. 

Oubliez-la,  c'est  la  niagnère 

D'avoir  pus  d'bonheur  que  d'malheur. 

JKUOSME. 

Oh!  quand  on  a  vu  les  attraits  d'ses  appas,  on  a  beau 
vouloir  l'oublier. 

Refrain. 
Ça  n'sepeut  pas.  {bis.) 

FASCIIONNETTE. 

Aip.  :  Tarare,  ponpon. 
Selon  l'goùt  d'vot'  façon,  aile  est  don  ben  gentille? 

JÉUOSME. 

Gentille  comme  un  cœur  ;  ail'  a  les  yeux  si  doux, 
Qu'drès  qupn  la  voit,  z'on  grille 
D'être  son  cher  époux. 


PASTORALE  DE  LA  GRENOUILLÈRE.  237 

FANCHONNETTE. 

Qui  c'est  donc  que  ç'te  fille  ? 

JÉROSME, 

C'est  vous. 

FAXCIIONKETTE. 

Alu  :  Qui  veut  savoir  riiistoire. 
Ah  !  vous  gouayez,  monsieur  Jérôme  : 
Je  n'suis  pas  bell'. 

JÉUUS.ME. 

Si  l'ait,  foi  d'honnête  homme 
T'nez,  la  Beauté  et  ma  Fanchon 
Sont  taillé's  sur  le  mêm'  patron. 

Air  :  L'Amour  es  [un  chien  de  vaurien. 

L'amour  pour  me  rendre  amoureux, 
N'a  besoin  que  de  vos  deux  yeux. 

Oui,  pour  ma  Fanchonnelle, 

Il  met  les  fers  au  feu  ; 

Rendez-li  ç'qu'il  vous  prête, 

En  me  donnant  beau  jeu. 

FANCHO.NiNETTE . 

Au;  :  Gardez  vos  moutons. 
Croyez-moi,  monsieur,  ôtez-vous 
Tous  mes  appas  de  la  tête  ; 
L'amour  a  toujours  d'I'aigre  doux  ; 
Et  pour  que  ça  s'arrête, 
Péchez  du  goujon, 
Lirelte,  liron, 
Liron,  liron,  lirelle. 


r.8  JÉUOSME   HT  FANCIIONINETTE. 

JÉltOSME. 

AïK  :  Le  curé  monte  enchaire. 
Mais  y  a  deux  ans  que  j'vous  aim'ben, 
El  si  j'vous  aime  encore. 

FANCHOKNETTE,  lu  raiUaiil. 

Si  y  a  deux  ans  que  vouS  m'aimez, 
lié  ben,  t'nez,  monsieu,  entre  nous, 
(ja  l'ait  vingt-quat'  mois  ben  comptés. 

JÉROSME. 

Ani  :  Cest  dans  la  rue  cVla  Mortclleric. 
Vouss'moquez  d'moi,  mamsell'  Fanchon. 
Pargué,  j'avons  ben  du  guignon  ! 

F.SNXIIO.NXETTE. 

Aimez  plutôt  queuqu'autr'  tendron. 

JÉROSME. 

Queu  réponse  !  j'endéve  : 
Vous  voulez  donc  que  j'créve  ? 

FAXCHO.NNETTE. 

A  ni  :  SH-là  qu'a  pincé  Bery-op-zuom. 
Faut-il  vous  l'dire  encore  un  coup  ? 
Monsieu,  vous  m'ostinez  beaucoup  ; 
On  n''gagne  rien  par  violicence. 

JÉnOSME. 

J'  m'absente  donc  de  vot'  présence. 

(Il  sort. 
FANCHOX.NEriE. 

Air  :  Du  cantique  de  S.  Hubert. 
Vrament,  de  ç't'amour-là 
J 'nous  serions  ben  passée. 


PASTORALE   DE   LA  GRENOUILLÈRE.  2ô9 


SCÈNE  IV 
FANCHOINNETTE,  CADET. 

CADET. 

Eli  !  inyp'tit'  sœur,  te  v'ià  ! 
Tu  m'sembe  embarrassée. 

FANCIIONNETTE. 

Je  suis  fort  z'en  colère. 

CADET. 

Y  a  cause  de  pourquoi? 

FANCIION.XETTE. 

C'est  qu'Jérôtn',  mon  cher  frère, 
'         Est  z'amoureux  de  moi. 

CADET. 

Aul  ;  En  Mistico. 
Tiens,  j'te  conseille  de  le  prendre, 
En  mistico,  en  dardillon,  en  dar, 
Endar,  dar,  dar,  dar,  dar  : 
S'il  t'épousait,  on  verrait  pendre 
Clavier  d'argent    ton 
Alistificôté 
Côté. 

FANCllON.NETTE. 

Air  :  Va,  va,  Manon,  l'y  a  bien  des  nouvelles. 
Ouoi  donc  !  Cadet,  est-ce  qu'  tu  veux  qu'il  nfenjole  ? 

CADET. 

Mais  gn'a  pas  d'mal  à  recliarcher  son  bien  ; 
Tu  n'es  pas  vieille,  et  Jérôme  est  un  drôle 
(Ju'est  jeune  assez  pour  ne  l'épargner  rien. 


2i0  JÉUOSME   ET  FANCHONNETTE. 

FANCIIONXETTE 

Alu  :  Je  le  veux  de  toute  mon  ('diu',  ou,  des  Insulaires. 

Ali  !  j'aiiiioiis  mieux,  foi  d'Iionnel'  fille, 
'^    Le  ragoût  de  la  libarté, 
Que  d'avoir  de  la  famille  : 
Car,  en  verte  dGuieu,  ça  vous  abat  voir'  gaieté. 
Toujours  sautant, 
Toujours  chantant, 
Fillette  trouve  en  tout  tems 
Le  printemps  ; 
Mais  dansTmariage  femme  qui  brille, 
Brille  toujours  à  ses  dépens. 

CADET. 

\n\  :  Si  t'en  mcujnes. 

Tiens,  ma  pauvr'  sœur,  tu  n'as  pas  déraison, 
De  rencarler  un  aussi  bon  luron. 

FAKCHOSNETTE. 

Crois-tu  donc  que  j'vas  lâcher  mon  cœur, 
Et  qu'tout  brandis  il  va  t'étr'  mon  vainqueur. 

CADET. 

Tiens,  moi  j'ie  Tdis,  j'vois  ben  que  ça  viendra. 

FANCUO.N.NETTE. 

Ah  !  s'il  en  làte,  s'il  en  goûte,  s'il  eu  a! 

CADET. 

S'il  l'aimait  ben,  faudrait  passer  par  là. 

FANCIIO.NNETTE. 

Auv  :  Recevez  donc  ce  beau  bouquet. 
Lui  m'aimer?  je  n'donn'  pas  là-d'dans. 


i 


PASTORALE  DE  LA  GRENOUILLÈRE.  241 

CADET. 

Et  sarpejeu,  fais-en  l'épreuve, 
Ou  ben  moi,  tiens,  par  queuqu'godans, 
D'son  amiquié  j 'aurons  la  preuve  ; 
En  façon  d"rival  je  Tatlends. 

rANCnO.NNETTK. 

Ça  n'me  f'ra  pas  morde  à  la  grappe. 

CADET. 

Mais  s'il  m'jurait... 

FANCHON.NETTE. 

Bon!  les  sermens 
l)es  amans, 
C'est  d'ia  graine  d'attrape. 

CADET. 

Ain  :  Sti-là  qiCa  pincé  Bery-op-zoom. 
Viens-t'en,  Jérùm'  n'sait  pas  mon  nom  : 
Pour  le  startagêm'  ça  s'ra  bon  ; 
k  l'hameçon  si  je  l'vois  morde 
J'ii  baill'rons  du  fil  à  retorde. 

(Ils  sortent.! 


SCÈNE  V 

JÉROSME. 

AlP.  :  La  jeune  Beauté  de  nos  bois. 

Mais  d'mandez-moi  pourquoi  qu'  je  r'vieiis? 
Car  je  n'peux  pus  me  traîner  presque. 
Hormis  d'aimer,  j'nons  Tcœur  à  rien  : 
Voyez  pourtant  c'que  c'est  que  i'sesque  1 

U 


2i'2  JÉUOSME   ET  l'AiNClIO.NNETTE. 

Faudra-t'y  donc  que  je  succombe  ! 

Moi  qu  elais  fort  comme  un  Samson  ! 

Si  j'veux  pêcher,  c'est  que  l'bras  m'toinbe  ; 

Jen'vois  quTAmour  au  lieu  d'poissou. 

SCÈNE  VI 

JEROSME,   CADET,   iléguisu  un  Grassm. 
CADET. 

Aiii  :  En  passant  sur  h  Vunl-Scuf 
Eli  !  vivant,  quoi  qu'tu  fais  là  ? 

JÉl'.OSME. 

Queuqu'ça  t'I'ail  ? 

CADtX. 

Queu  drôle  qu'ça  ? 
Pour  répondre  de  la  sorte, 
Faut  z'être  ben  incivil . 
M'connois-tu  ? 

JKROSMt. 

Non,  rdiabr  m'emporte. 

CADET. 

J'suis  brave. 

.1ÉIU).ME 

Eh  !  beu,  qu'en  est-il  ! 

CADET. 

Air  :  Tredame,  Monsieur  Thomas, 
y  m'appeir  Cadet  l'Ostiné. 

JÉKOSMK. 

Bon  !  moi,  jin'appeir  Ta(]uiM  laine. 
Tiens,  n'échautïe  point  z'un  luron, 
A  qui  l'Amourilche  gui^noii. 


PASTORALE   DE   LA  GUEN'OUILLÈ  P.E.  243 

CADET. 

Kh  !  ben,  voyons  ;  conte-nous  en  : 
Ça  t'soulagVa. 

JÉROSME. 

V'ià  ç'  qui  s"appeir  ben  penser  : 
Quand  on  aime,  on  n'peut  se  r'fuser, 
V  à  l'avantage  d'en  jaser. 

Air  :  Babet,  que  fes  (jcnlille  ! 
Premièrement,  d'abord, 
Ç'tella,  pour  qui  j'soupire  ; 
C'est  une  parle  d'or. 

CADET. 

Parle  d'or!  c'est  tout  dire. 
Çte  parle? 

.lÉROSME. 

Morgue, 
M'fait  sécher  sur  pied. 

CADET. 

Queu  tin  dénicheux  d'marles  ! 
Tiens,  faut  la  brusquer  sans  façon. 

JÉROSME. 

La  douceur  amorce  un  tendj:'on. 

CADET. 

Eh  !  mais  ici  lu  restes  donc 
Pour  enfiler  des  parles  1      [bis.) 

JÉROSME. 

Air  :  Va,  va,  Fanchon,  ne  pleure  pas. 
Ç'pendant  pourtant,  ça  m'fait  souffrir. , 

CADET. 

Eh  !  sarpejeu,  pour  te  guérir, 


24i  JÉROSME   ET   EANCIIONNETTE. 

Faut  z'aller  {l'I'aris  à  l'oiitoise, 
D'Ponloise  r'vonir  à  Paris. 
L'Anioui"  ne  nous  cliarclie  plus  noise, 
Quand  on  li  fait  voir  du  pays. 

JÉIÎOSME. 

Air  :  Vous  faites  les  jours  de  Fête. 
Eh  !  quand  j'courrais  comme  un  Basque, 
L'Dieu  d'Amour  court  aussi  ben  ; 
Tout  ç'qu'on  fait  contre  c'p'tit  masque 

Ne  sart  de  rien. 
L'autre  jour,  croyant  qu'i  m'quitt'rait, 
J'ni'onfoncis  clieux  un  cabaret. 
iN'v'ià-t-i  pas  que  l'p'tit  sorcier 
Entre  jusqu'  dans  mon  d'misquier? 

CADET. 

Air  :  Ah  !  çà,  vTa  qu'est  donc  bâclé. 
Eh!  ben,  au  bruit  du  canon, 
Y  gn'a  pas  d'amour  qui  tienne, 

As-tu  jamais  vu  ça? 

JÉUOSME. 

Non. 

CADET. 

Eh  !  ben,  faut  que  l'désir  t'en  vienne; 
Mais,  pour  faire  un  bonSeuldar, 
Faut  mett'  la  tendresse  au  rencarl.       {bis.) 

Air  :  C'est  la  femme  à  tretons 
Oh!  dam'!  c'est  qu'une  armée 
Est  une  bel!'  chose  entre  nous. 
Quand  ail'  est  animée. 


f 


PASTORALE  DE  LA  GRENOUILLERE.    245 

C'est  pire  qu'un  courroux. 
On  attaque  tertin, 
On  les  saboul'  terli. 
On  les  fait  fuir  terlous. 

Ani  :  De  la  Tourière. 
Le  Roi  vous  marche  en  avant, 
Comm'  s'il  allait  à  queuqu'  fête: 
Tout'  l'armée  en  fait  autant, 
Et  puis  tout  d'suite  on  entend, 
Pan,  pan,  pan,  pan,  pan,  pan,  pan. 
Sur  les  bras  et  sur  la  tête, 
Pan,  pan,  pan,  pan,  pan,  pan,  pan. 

Air  :  De  la  contredanse  du  ballet  Chinois. 
Tout  en  culbutant, 
Tout  en  culbutant. 
Les  ennemis  pèle,  mêle. 
Les  uns  en  pestant. 
Les  autres  boitant. 
Ne  s'en  vont  pas  trop  contents. 

Air  :  Chantons  à  tour  de  bras. 
Et  tout  en  ch'min  faisant. 
Pour  les  rachever  d'peindre, 
Une  ville  a  beau  feindre 
De  s'défendre  ch'nument  ; 
Lé  Seigneur  de  Versailles 
Y  entre  pour  s'amuser  ; 
Nous  y  donnant  ripailles, 
Fait  servir  ses  murailles  » 

De  pierre  à  réguiser. 

14. 


246  JÉROSME  ET  FANCllONNETTE. 

JKROSME. 

Air  :  de  M.  de  Catinat. 
Si  j'nons  pas  servi  l'iloi,  je  nTen  aimons  pas  moins  ; 
Tout  Français  a  pour  lui  des  bras  en  cas  d'besoins. 
Il  a  d'quoi  vivre,  on  Tsait;  mais  s'il  n'avait  pasd'bien, 
Morgue,  je  m'pass'rais  d'tout  pour  qu'i  n'manquit  de  rien. 

CADET. 

An;  :  Adieu  donc,  cher  la  Tulipe. 
C'est  ben  dit. 

JF.ROSME. 

Sus  ç'te  matière 
Y  aurait  d'quoi  n'jamais  finir. 

CADET. 

C'est  vrai. 

JÉROSME. 

Mais,  pour  revenir 
A  c'qui  r'garde  not'aCfaire, 
A  ton  tour,  quoi  qu'tu  viens  faire? 

CADET. 

Me  marier. 
Afin  d'm'égayer. 

JÉROSME. 

.\iR  :  On  dit  que  vous  aimez  les  fleurs. 
Ta  maîtresse... 

CADET. 

M'donne  du  r"toilr  ; 
Et  pour  plaire  à  la  Belle. 
Je  fais  la  Tour, 
,     Je  fais  la  Tour, 
Je  fais  la  Tourterelle. 


PASTORALE  DE   LA  GRENOUILLÈRE.  247 

Air  :  Sont  les  enfans  du  port  au  bled. 
Fanchonnette  a  mon  amiquié. 

JÉROSME,  à  part. 

Oh  !  saquerguié  ! 
(Haut.)      Dans  ç't'allure  est-elle  d'moiquié ? 

C.VDET. 

Vante-t-en,  luron,  lurette, 
Flalte-t-en,  luron,  luré. 

Air  :  Va,  va,  Fanchon,f  irons  en  salle. 
On  m'a  dit  qu'  certain  Fareau  Faime  ; 
J'voudrais  ben  Ftrouver,  par  ma  foi. 

JÉROSME. 

Oh!  liens,  n'charch'  pas  tant  :  c'est  moi-même. 

CADET. 

Toi? 

.iÉno.<;MK. 
Moi. 

CADET. 

Toi? 

.lÉROSME. 

Moi. 

CADET. 

Qui?  Toi? 

JÉROSME. 

Oui,  moi. 

CADET,   tirant  son  sabre  rocoiirbé. 
Air  :  Aisément  cela  se   peut  croire. 
Sais-tu  que  je  suis  t'un  ch'napant, 
Qui  va  te  mettre  l'àme  au  vent? 


248  .IKROSMK  ET  FAiNCnONNETTI-:. 

jÉnOSMl'l. 

Y  aisément  cela  n'peut  pas  s' croire  : 
Quand  ton  sabre  aurait  ITil  comme  un  canon, 
Je  m'f'rois  liaclicr  pour  ma  Fanclion. 

Crois-moi,  vaillant  l'Cadet,  rengaigne  ton  arc-en-ciel  de 
fer,  et  ne  me  fais  pas  ôter  ma  veste  ;  car  moi  j'te  l'dis  d'un 
sang  chaud.. . . 

J'veux  l'être  un  chien, 
A  coups  d'pied,  à  coups  d'poing, 
J'te  casserai  la  gueule  et  la  mâchoire. 


SCÈNE  VII 
CADET, JÉROSME,  FANGHONNETTE, 

FANCHONNETTE,  arrivant  avec  effroi. 

A  m  :  Mariez-moi,  Maman,  avec  ce  Militaire,  ou,  Marche 
ancienne  des  Gardes  Françaises. 

Y  au  s'cours,  y  au  s'cours,  y  au  s'cours. 

JÉUOSME. 

Quoi  donc,  bell'  Fanchonnette  ? 

FANCHONNETTE. 

y  au  s'cours,  y  au  s'cours,  y  au  s'cours. 

JÉROSME. 

Quoi  (pi'i  gn'a,  mes  amours'* 

FANCHONNETTE. 

Un  gros  vilain  sarpent 

Me  suit  ;  t"nez,  v'ià  qu'i  m'guetle. 


PASTORALE  DE  LA  GRENOUILLÈRE.         249 

JÉROSME,  prenant  le  sabre  de  Cadel. 

Tiens,  prête-moi  ça,  prête: 
Je  m'en  vas  dans  Tmoment 
Lui  parler  chenument. 

(Cadel,   voyant  le  serpent,  fuit  ;    et 
Jérôme  court  pour  le  tuer.) 


SCÈNE  Vin 

FANCHON'NETTE. 

Am  :  D'une  hrime  fai  fait  choix,  ou.  Cantique  de  saint 
Louis. 

S'il  est  mordu  par  çTanimal, 
Ça  If'ra mourir...  Ah!  mon  Dieu!  je  m'trouv'  mal. 

Oui,  tout  douc'mentmon  cœur  décampe 

Tout  comm'la  finition  d'un'  lampe. 

(Elle  s'évanouit.) 


SCÈNE  IX 

JÉROSME,  FANCHOiNNETTE,  évanouie. 

JÉROSME. 

Air  :  De  nécessité  nécessitante. 
D'tous  côlés  me  v'ià  donc  misérabe! 
Et  je  tumbe  de  scribe  en  syllabe  : 
Oui,  morgue,  j'vois  ben,  sans  mislrocope. 
Que  v'ià  ma  maîtresse  en  saintecope. 

Air  :  De  Manon  Giroux. 
Mais  pourtant  comme  un  Jocrisse 
Je  ne  dois  pas  m'tenir  ; 


250      JEROSMi:  ET  FANCHONNETTE. 

Si  j'ii  faisais  queuqu'inalice 

Pour  la  l'ai'  r' venir... 
Mais  non,  j'suis  trop  z'honnête  homme 

Pour  agir  comm'  ça. . . 

(Il  tire  de  sa  poche  une  pelilc  bouteille  d'osier.) 

Baillons  li  z'un  peu  d'rogome  : 
P'tiMr'  qu'air  reviendra. 

Air,  :  Eh! riez  donc, 
(H  la  fait  boire.) 
Y  ouvrez  l'z'yeux,  ma  Fanchon, 
L'sarpant  n'est  pus  de  ç'monde. 

(11   redouble.) 

n'avons  j'ié  par  tronçon 
Dans  la  rivièr'  de  l'onde  : 
Eh  !  r'venez,  r'venez  donc; 
C'est  Jérôme  qui  vous  s'gonde. 
(Il  la  fait  boire  encore.) 
Eh!  r'venez,  r'venez  donc. 

FANCHO.N.NETTE,  se  léchant  les  lèvres. 

Mais  ça  m'semb'  ben  bon  ! 
Air  :  Vu  soir  que  je  chantions. 
Monsieu,  en  vous  r'marciant  ; 
J'vous  dois  beaucoup  vrament, 

JÉROSME. 

Si  vous  m'devez, 
Payez-moi,  vous  l'pouvez 
En  m'aimant  drès  ce  jour. 

FANCHONNETTE. 

J'suis  fort  reconnaissante  : 
Mais  pour  d' l'amour. 
J'suis  vol'très-humb'  servante. 


l'ASTOHALU  DE  LA  GRENOUILLÈRE.    2M 

JÉKOSME. 

Air  :  Mon  ptit  cœur,  vous  n  m'aimez  (jucre. 

Après  ce  que  j 'avons  fait, 

Sans  reproche,  et  pour  vous  plaire. 

FANCllONNETTli. 

J'vous  plains  ! 

JIÎROSME. 

Encore  un  paquet! 
T'nez,  je  n'vis  plus,  si  j'n'espère, 
Et  je  m'en  vas  de  ce  pas. . .  , 

FAISCHOS.NETTE. 

Eh  !  quoi  donc  ?  Qu'aliez-vous  l'aire  ? 

JÉROSME. 

M'arranger  aveuc  Ttrépas. 

FANCnON NETTE. 

Jérôme,  n'badinez  pas. 

Am  :  Cri.>  c'est  comm'  li. 

Ce  que  vous  avez  l'ait  pour  moi, 
Tout  un  chacun  l'saura,  j'vous  assure. 
Ben  obligée... 

JÉROSME,  dépité. 

Oh  !  gn'a  pas  d'quoi. 

FASCHONNETTE. 

Mais  t'nez-,  n'pensez  plus  t'a  ma  fiçure  ; 
Car  c'est  comme'  ci,  car  c'est  connne  ça; 

Entendez-vous  .léiôme. 
Qu'on  fait  lan  la,  larlarira. 

Connaître  qu'on  esl  z'Iiouune. 


252  JÉROSME   ET  FANCllONNETTE. 

JÉROSME. 

Ain  :  Et  f  y  pris  bien  du  plaisir. 
Kl  moi,  jvoiis  dis  qu'on  n'est  z'IionimL' 
Qu'on  pen^nnl  à  vos  iijipas  : 
Car  moi,  l'nez,  sans  ça,  j's'rais  comme 
Un  homme  qui  ne  Test  pas. 
Au  bout  d'tout  ça,  qiioiqu'j'enrage, 
J'n'ai  pas  t'a  m'plaindre  d'I'Amour; 
Puisque  j'ii  dois  l'avantage 
De  vous  avoir  sauvé  Tjour. 

FA.NCUO.\NETTE. 

Aul  :  Ah!  mon  mal  ne  vient  que  d'aimer ^ 

Y  ah  !  vol'  bravour',  brav'  marignier, 
Est  une  chos'  qu'on  n'peut  z'oublier; 

Y  allez  dir"  ça. 

JÉROSME. 

Qui?  Moi! 

FAXCHO.NXETTE. 

Je  l'veux. 

JÉROSME. 

Quoique  ç'tordr'-là  m'rachéve, 
En  l'suivant  je  m'croisplus  heureux 
Qu'  si  j'étois  l'Roi  d'ia  fève. 

SCÈNE  X 

FA.NCIIO.NNETTE  seule. 

Air  :  A  notre  bonheur  ramour  préside. 
Y  amour,  tu  voudrais  que  j't'écoulisse  ; 
Oui,  j'sens  ben  déjà  qu'tu  fiais  sentir. 


l'ASTOP.ALE   DE  LA  GR  EiSOUILLE  HE.  255 

Ç'cfue  j'en  dis,  ç'n'est  pas  que  j'm'en  soucisse  ; 

Car  clieux  toi  la  pein'  passe  l'plaisir; 

Dans  l'abord,  ç'qu'un  nmant  vient  vous  dire, 

N'sart  qu'à  vous  fair'  rire; 

Et  c'est  ben  l'meyeur. 
Par  après,  il  a  l'himeur  si  douce, 

Qu'à  la  fin  ça  l'pousse 

Dans  l'fin  fond  de  d'not'  cojur. 


SCÈNE  XI 
FANCHO>'NETTE,  CADET. 

CADET. 

Air.  :  Ça  n  se  fait  pas. 
Ehl  ben,  sœur,  comment  ça  va-t-i? 

FANCHOXXETTE. 

Ben,  Dieu  marci. 

CADET. 

Ça,  voyons  à  quand  la  noce  ? 
Ç'jour-là,  comm'  des  bourgeois,  jarni, 
Faudra  t'aller  t'en  carrosse. 

PANCHOSXETTE. 

T'iras  donc  à  pied  en  ç'cas-là. 

CADET. 

J 'danse  déjà, 
J'dansedéjà. 

Aui  :  De  la  Contredanse  du  Curé. 
Y  après  l'p.is'pied,  rAH'ninnde, 
L'cotillon  s'demande. 

'II  figure  ceci   grotesquemeut. 
13 


254  .IKUUSME  HT  FANGllONNETTE. 

Balancez,  la,  la,  la,  la,  la; 
L'pas  d'gricotloii,  (la,  tre,  la,  tra,  la; 
Et  puis,  clobonn'  grâce, 
Le  violon  dit  comm'  ça  : 
Baisez,  baisez.  Queii  gaud! 
Ensuit'  tout  Tmond'  s'embrasse. 

FANCUOiNNETTE. 

Air  :  Je  n'en  dirai  pas  davantage. 
(Jli  !  tiens,  d'toutça  t'as  beau  parler. 

CADET. 

Mais  mil  z'yeux,  tu  n'peux  pus  r'culer. 

FANCHONNETTE. 

J'tedis,  Cadet,  cju'  c'est  emUile  ; 

J'aim'  mieux  rester  dans  mon  tranquille. 

CADET. 

Aul  :  Ça  n' vous  va  brin, 
Quoi  donc  qu'i  t'faut  pour  l'mariage  ? 
Jérùm'  n'est-i  pas  courageux  ? 
Ça  Trait  un  bon  assor tissage. 
Sais-lu  ben  qu'il  est  maitr'  Pécbeuxï 
Son  onque  estconmiis  d'  la  Patache  : 
Dam',  ça  lait  une  famill'  sans  tache. 

FANCHONNETTE. 

Uli  I  mais  j'crains  trop  l'Amour. 

CADET. 

Tu  l'crains 
Mais  ça  n'te  va  brin, 
Ça  n'te  va  brin. 

Ani  :  Tourelouribo. 
Ouand  l'amour  est  en  colère... 


PASTORALE  DE  LA   GRENOUILLE  KE.  255 

FANCHONKETTE,  avec  dcrisiou. 

Oh!  oh  !  tourelouribo. 

CADET. 

Il  met  tout  sans  d'vaiit  darrière. 

FANCHONNETTE. 

Oh  !  oh  !  tourelouribo. 

CADET. 

Il  renvarse  la  plus  fière. 

FANCIIONXETTE. 

Et  oh  !  oh  !  oh  !  tourelouribo. 

CADET. 

Atr.  :  De  la  saint  Barnabe. 
Avec  ton  air,  l'as  beau  fair'  la  gouayeuse; 
P'tell' que  bentôt  tu  seras  t'anioureuse. 

FANCIIONNETTE. 

Va,  va,  Cadet,  tant  qu'on  z'a  d'I  raison, 
l  ne  liUe  tient  tête  à  Curpidon. 

CADET. 

An;  :  Te  voilà  revenu,  mon  ami  la  Fcidllade. 
Gare  le  pot  au  noir. 
Y'ià  Jérosme  qu'arrive. 
Ah!  çài, jusqu'au  revoir. 

FANCHOXNETTE. 

Keste-là. 

CADET. 

Non,  j'mesquive. 

FANCHONNETTE. 

Si  tu  me  laiss'  tout'  seule, 
Je  ne  réponds  pus  d'inoi, 


256  JÉROSME  ET  1  ANCllUNNETTE. 

CADET,    SDiUiul. 

Tu  lais  trop  la  Ix'gueule  ; 
Parguienn',  accoinod'-loi . 


SCtNI']  Xil 
JÉROSME,  FANCIIONNETTE. 

FANi;ilO.\NETTE. 

Ain  :  Hélas  !  tu  Ven  vas. 
Cadet!  tu  t'en  vas! 

JÉr.OvME. 

Quoi  I  vous  ap'lez  Cadet? 

FANCIIONXETTE. 

1  m'Iaisse-là  dans  d'beaux  draps  ! 
Cadet  !  tu  t'en  vas  ! 

JÉROSME. 

Eh  !  maisn'l'ap'lez  donc  pas. 

AïK  :  Etant  à  Vhôpital. 
C'est  moi  qui  suis  l'surspecl  ; 
Aussi  sus  vol'  respect, 
J'v'nons  prend'  congé  d'ia  vie. 

FA.NCHON.NETTE. 

Vol'  bon  sens  est  donc  rabêti  ; 
Quand  on  s'porte  ben,  ça  convient-i 
b'avoir  ste  fanlaisie? 

JÉKOSMI:. 

h\\\  :  Hélas!  mon  l'ère,  confessez-moi. 
Quand  on  l'ait  l'graud  voyage. 
Ça  n'iait  d'inal  qu'un  p'iit  brin; 


I 


PASTORALE  DE   LA   G  REÎs  0  UILLÈR  E.  257 

Et  dans  ç'moment-ci  j'gage 

Qu'ça  n'me  Trait  pas  d'cliagrin  ; 
Je  n'peux  pus  vivre  avec  d'I'amour 
Qui  mïait  mourir  cent  fois  par  jour. 

FAXCHONNETTE,  à  part. 

Air  :  FancJion  esl  bien  malade. 
V'ia-t'i  pas  qu'i  va  m'plaire? 
J'voudrais  qu'i  mMéplaisil. 

JÉROSME. 

Mais  vous  n'm'écoutez  g\ière; 

Ça  sufiit  : 
Adieu,  beli'  Marij;nière  ; 

Tout  est  dit. 

FA>CHO.NXETTE. 

Air  :  Vous  avez  raison,  la  Plante. 
N'vous  en  allez  pas;  queu  magnière  ! 
Vous  n'm'aimez  donc  pas  tout  d'l3on  ? 

JÉROSME. 

Queu  raison  ! 
Air  :  C'est  mademoiselle  Manon.  Menuet. 
La  preuv'que  j'vousaim''  ben,  c'est  que  mon  argentrie, 
Mes  blouques,  mes  b  ulons, 
D'abord,  j'vous  les  donnons  ; 
D's  éperviers,  des  filels, 
Deux  p'tits  bacbols  peinturés  qui  n'sont  pas  laids, 
Six  vestes  deguernat,  comm'gn'en  apas,  j'parie, 
Une  tass'  d'argent, 
Dans  quoi  qu'J'ons  bu  t'a  vot'  santé  souvent  ; 
Tout  ça  vous  s'ra  baillé, 
Mais  que  j'soyons  dég'lé. 


2ri8  .iKiiosMK  i;t  fanchonnette. 

FAXCIIONNETTE. 

Air  :  Heçois  dans  ton  (jnletaa. 
Kcoutez  donc,  (à  part).  Ça  m'fend  l'cœur. 

JÉROSME. 

Eh  !  ben  !  parlez,  j'vous  écoute. 

FANCHONNETTE. 

Soyez  plutôt  d'bonne  liimeur. 

JÉROSME. 

La  vie  n'a  plus  rien  qui  m'ragoùte. 

FANCHONNETTE. 

Vivez,  marignier  libéral...  Cadet,  Cadet  !  eb  !  Cadet  ! 

■      JÉROSME. 

Quoi  donc  !  vous  ap'lez  mon  rival  ! 
Air  :  Ah  !  mon  Dieu  !  que  de  Jolies  dames, 
Oli  1  pour  le  coup  j'me  r'tire. 

FANCHONNETTE. 

Jérosme. 

JÉROSME. 

Ah  !  j'vois  tout. 

FANCHONNETTE,  à  pari. 

Ah  !  j'n'en  peux  pus,  j'soupire. 
Cadet  ! 

JÉROSME. 

Vous  m'poussez  ta  boni. 
Mon  rival  vous  plait;  ça  veut  dire 
Qu'je  n'suis  pas  d'vot'  goût. 

FANCHONNETTE. 

Air  :  //  est  tout  d'Iravers. 
.Mais  vous  prenez  ça  tout  d'travers. 


pastorale;  de  la  grenoi  illèp.e.       259 

JÉROSME. 

Oh  I  je  l'prends 
Comme  j 'l'entends. 

FANCHONNETTE. 

Mais  vous  entendez  tout  d'travers. 
Ecoutez. 

JÉROSME,  s'en  allant  avec  dépit. 

Oh  !  j'n'ai  pas  l'temps. 


SCÈNE  XIII 

FANCHONNETTE,  seule. 

Air  :  Va,  va,  perfide,  volage. 

Ah  !  ah  ! 
V'ià  qu'i  m'abandonne. 
C'départ-là  m'chiffonne  : 
Queu  douleur  ça  me  donne 
Déjà  ! 

Quoi  donc  ! 
Dans  l'temps  que  jTécoute 
I  m'fait  hanqueroute  ! 
J'crois  que  mon  cœur  a  l'frisson. 

Air  de  Saint  Alexis. 
Mais,  mais,  où  ç'qu'est  mon  frère? 
Où  ç'qu'est  mon  frèr'Cadet  ? 


260  JÊROSME   ET  !•  A  N CIION MiTTE. 

SCÈNE  XIV 

FANCIIONNETTE,  CADET. 
Air  :  Cesl  la  belle  Amamnle. 

FANCIIONNETTli. 

Viens  donc;  tu  n"te  press'  guère, 

CADET. 

J'suis  tout  slupéfiiit. 

FANCIIONNETTE. 

Retourne  en  errière.  Cours  vite. 

CADET. 

Quoi  qu'ç'est  ? 

FANCIIONNETTE. 

Cours  après  Jérôme  ; 
Va,  j'ons  ben  du  r'gret. 

CADET. 

Bah  !  ton  r'gret  sert  comme 
D'un  clou  à  soufflet. 

CADET. 

Air  :  La  mort  de  mon  cher  père. 
Vayant  qu'i  n'peut  pas  f'plaire, 
Y  monte  sur  son  bacheau. 
La  tête  la  première, 

Pnff,  y  s'jette  dans  l'iau. 

FANCIlONNETTi:. 

Quoi  !  rsoulien  de  ma  vie 
S'ra  mangé  des  poissons  ! 
Ah  !  tout  mon  sang  charrie, 
Car  j'y  sens  des  glaçons. 


PASTORALE   HE   LA  GRENOUILLÈRE.  2(il 

Air  :  Zéphijre  me  coniiail,  je  crois. 

CADET. 

Va,  laiss"  ça  là. 

FANCHON.NIiTTE. 

Est-ç'quc  je  l'peux  ? 
Si  l'on  n'raport'  mon  amoureux, 

J'suis  prête,  j'suis  proie, 
Prêle  à  m'arracher  tous  les  clfveux 
D"la  lête. 

Air,  :  Savez-votis  bien,  jeune  tendron. 

Mais,  mais  j'veux  rvoir. 

CAtiET. 

L'Roi  dit,  j'voulons. 

FASCnONNETTE. 

Ah  !  j't'en  supplie  avec  prière. 

CADET. 

I  n'est  pus  temps. 

FAXCHO:<NETTE. 

Cadet,  allons. 

CADET. 

V'ià  ç'que  c'est  que  d'I'air'  trop  la  fière. 
FaMa't  pas  li  bailler  du  r'goul. 

FA.NCH  'NNETTE. 

Mais,  moi  j'veux  l'voir  encor  un  coup, 
Encor  un  coup, 
Encor  un  coup. 

CADET. 

Va  donc  l'Ycir  aux  filets  d'Saint-Cloud. 

15. 


262  IKROSME   F,T  FANCHONNETTE, 

FANCIIONNETTF,. 

Ain  :  En  clé  comme  en  hiver.     . 
J'ai  donc  perdu  mon  amant! 
Ah  !  queu  peine  do  tourment  ! 
V'ià  qu'ma  dureté  d'vienl  tendre  : 
A  quoi  sert  ç'te  tenderté  ? 
Pour  tout  d'bon  je  n'peux  li  rendre 
(j'que  mon  semblant  y  a  z'ôté. 

Am  :  Tourelouribo. 
J'm'en  vas  l'suivre  dans  ç' voyage. 

CADET,  la  raillant. 

Oli  !  oh!  tourelouribo. 

KANCIIONNETTK. 

Quoi  !  chien,  tu  ris,  quand  j'enraiis  ! 

CADKT,  riant. 

Oh  !  oh  !  tourelouribo 

rANCIIONNETTE,   furiruso. 

I  faut  que  j'te  dévisage. 

CADET. 

Oh  !  oh  !  tourelouribo. 

SCÈNE  XV 

FANCHONNETTE,  CADET,  JÉROSME. 

FANCIIONNETTE. 

Air  :  .4//  /  le  bel  oiseau,  Manuin  ! 
Ah  !  Jérosme  n'est  pas  mort  ! 

JÉROSME. 

Peut-on  mourir,  qu;\nd  on  vous  ain^e  ? 


PASTORALE   DE  LA   GRENOUILLÈRE.  265 

FANCHONNETTE. 

Ah  !  Jérôme  n'est  pas  mort  1 
Mais,  mais,  c'est  pire  qu'un  sort  ! 
Qui  donc  qui  vous  a  r'pêché? 

JÉROSHE. 

Bon  !  ç'n'étail  qu'un  slartagème. 
Cadet,  d'mon  amour  touché, 
A,  pargué,  ben  joué  son  thème. 

FANCHOKNETTE. 

Cadet,  tu  m'attrapais  donc? 
Atlrap'-moi  toujours  de  d'mêiTie, 
Cadet,  tu  m'attrapais  donc? 
Ah  1  j't'accorde  ben  ton  pardon. 
Air  :  Sont  les  filles  du  gros  Caillou, 

JÉP.OSME. 

Ç'pardon-là  m'aimonce,  morgue, 
Que  vous  v'ià  d'moiquié 
Dans  mon  amiquié. 

FANCHOKNETTE. 

Ah  !  pour  ça,  vantez. 

JÉROSME.  ' 

Vous  m'ressuscitez. 

FANCHONNETTE. 

C'est  à  moi  qu'c'est  ben  doux  ; 
Car,  tenez,  entre  nous, 
J'étais  pus  morte  que  vous. 

Air  :  Fanchon  la  belle. 
I  faut,  mon  frère, 
Aller  tout  de  ce  pas 
Pire  à  ma  ch'rnère. 


20i  .lÊROSMK   ET  F ANCIIONN  RTTE. 

C.VOET. 

Ml'  iiTignor'  pas, 
Aile  consent  à  tout. 

FANCllONNEiXF,  transportée. 
Ml!  mon  clun-  p'tit  fi'ère. 
Faut  que  j'te  saute  au  cou. 

JIÎROS.ME. 

Parguienne,  et  moi  itou 
Ain  :  Accompagné  de  plusieurs  autres. 
Messieurs,  j'atlons  nous  réjouir; 
Mais  c'est  à  l'onibre  d'vot'  plaisir  : 
lies  vôtres  dépendent  les  nôtres. 

FAMCIIO.NNETTE. 

Si  j'ons  pu  vous  plaire  un  p'tit  brin, 
Lâchez-nous  un  pauvre  p"lit  coup  d'main. 

(Frappant  dans  la  main. 

Y  accompagné  de  plusieurs  autres. 
DUO 

JÛIOS.ME    ET    rA.NCllO.NNUiri:. 

Air.  :  Ah  !  Pierre,  fêlais  morte  sans  vous. 

FANCHONXETTE. 

Quand  l'Amour  fait  d'I'ouvrage, 
Dam'  c'esl  d'I'ouvrag"  Den  fait  : 
S'il  commenç'  par  l'orage, 
11  Unit  par  l' bien  fait. 
Je  nage, 

JÉIIOSME. 

(juand  l'Amoui  fait  d  l'ouvrage, 
Uam'  c'est  d'iouvrage  ben  fait  : 


PASTORALE  DE    LA  GRENOUILLÈRE.  205 

S'il  commenç'  par  l'orage. 
Il  finit  par  rbienfait. 
Je  nage." 

JÉROSME. 

Eh  !  Cadet,  il  y  a  pied  là,  au  moins. 

FAXCHONXETTE. 

Je  nnge  dans  un  plaisir  parfait. 

JÉROSME. 

Je  nage  dans  un  plaisir  parfait. 
RONDE. 

FAXCHO>NETTE. 

L'Amour  a,  sur  la  rivière, 
lîien  des  droits  comm'  de  raison. 
Mais  c'est  à  la  Guernouyère 
Qu'il  a  plus  de  r' venant  bon. 
Il  y  montre  la  magnière 
Comm'  faut  amorcer  Tpoisson. 

JÉROSME. 

Avec  sa  jeun'  parsonniére, 
L'autre  jour,  un  vieux  barbon 
Fut  une  journée  entière 
Sans  pouvoir  prendre  un  goujon; 
Il  n'savait  pas  la  magnière 
Comm'  faut  amorcer  l'poisson . 

CADtT. 

Un  brav'  guerrier,  à  la  guerre, 
Est  sûr  de  son  mousqueton^ 
Et  de  r'tour  sur  la  rivière, 
Il  est  sûr  de  son  liam'çon  ; 


JEROSME   ET   FANGIIONNETTE. 
Dam'  il  enleiul  la  magiiière 
Comm'  faut  amorcer  l'poisson. 

jérosme". 
On  ne  pêilie  clans  Teau  claire 
Qu'du  IVetin,  du  barbillon; 
C'est  ç'qui  l'ait  qu'les  gens  d'aflaire 
Pèchent  en  eau  trouble,  et  v'ia  l'bon. 
Ils  attrapont  la  magnière 
D'endormir  le  gros  poisson. 

CADET. 

Une  Beauté  riche  et  fiére, 
N'Irouvant  aucun  parti  bon, 
Tumbit  toute  la  première 
Dans  les  filets  d'un  Gascon; 
La  Garonne  est  une  rivière 
Où  se  prend  Tmeyeur  poisson. 

FANCHONNETTE. 

Lise,  autrefois  Marinière, 
Est  grosse  Dame,  dit-on  ; 
(Jqui  d'vrait  la  rendr'  la  darnière, 
Lui  donn'  du  bien  et  du  r'nom  : 
Ça  s'appeir  dans  une  ornière 
Savoir  attirer  l'poisson. 

AU    PARTERRE. 

Heureux  qui  peut  satisfaire 

Vot'  goût  de  toute  façon  ! 

Vol'  boun'  gràc'  nous  est  plus  chère 

Qu'un  bateau  plein  d'esturgeon  : 

Le  seul  désir  de  vous  plaire 

S'ra  toujours  note  aviron. 


COMPLIMENT 


CLOTURE  DE  LA  FOIRE  SAINT-LAURENT,   1755 

Sl'IVI 

nB  CELCl  DE  li  FOIRE  SilM-GERMAlS  DE  Li  MÊME  AUSÉE 

TOUS  DEUX  CHANTÉS  A  LA  FIN  DE  JÉROSME  ET  FANCHONNETTE 
I,E  G  OCTOBRE  1755. 


ACTEURS 

JÉROSME. 

FANCHONNETTE. 

CADET. 

JÉROSME. 

Ah!  çà,  Cadet,  c'est  pasrtout;  faut  z'iin  Compliment  à 
çTlieure-ci. 

CADET. 

Volontiers. 

JÉROSME,   embarrassé. 

Dame  !  c'est  cju'faut  donner  le  bonis  d'nne  magnière  de 
sentiment  ben  r'tapée  au  moins...  là...  comme  qui  dirait 
un  échap'ment  d'conversation  sur  une  reconnaissance  ben 
stipulée  touchant...  l'occasion  du  sujet  de  ce  que  j'sommes 
redevabes...  Là,  tu  m'entends  ben...  c'est-à-dire... 


2G8  COJII'LIMENT. 

rANCllO.NXF.TTF,. 

Jérôme,  laissez  ça  là,  vole  langage  s'enfonce  dans  Tem- 
biouillarmini.  Cadet  n'est  pas  pus  r'fors  que  vous  là  -des- 
sus. 

JKIiOSME. 

Eli!  bcn,  rendez-nous  ç'p'lil  service-là. 

FASCIION.NETTK. 

Ah!  mon  Guieu  !  ça  n'se  r'fuse  pas  dans  l'ménage. 

Ant  :  //  a  voulu. 

Mcssieux,  excusez  l'embarras 

Où  c'qu'est  Monsieur  Jérôme; 
C'est  qu'pour  se  tirer  d'un  tel  pas  ; 
11  faut  ben  d'I'esprit;  mais  hélas, 
I  n'en  a  pas, 
I  n'eu  a  pas, 
Tout  comme  un  habile  homme. 

JKUOSME. 

kiR  :  lîeçois  claus  (on  galetas. 

Accoutcz,  Manseir  Fanchon, 

Faut  pas  tant  fair'  la  capabe  : 

De  l'esprit  c.~t  bel  et  bon, 
Mais  l'cœur  n'cst-i  pas  préférabe? 
Diies,  n'est-i  pas  vrai,  messieux, 
Que  c'est  le  cœur  qu'vous  aimez  rmieux  ? 

En  ç'cas-là  j'.-uis  des  lions. 

C.VDET. 

Parle-donc,  Jérôme,  est-ce  que  j'suis  un  chien  moi  là- 
d'sus?  Tu  crois  j)'tétre  que  j'ten  r'céile... 

jÉROSiME. 

Eh!  sois  ç'  que  tu  voudras;  chacun  pour  soi  dans  ç'mo- 
nient-ci;  je  me  frais  guillocher  pour  remporte)-  sui'  vous 
tous  en  cas  d'ca. 


COMPLIMENT.  "269 

FA^CIIONNETTE,    piquéo. 

C'est  donc  ù  dire  moi  que  je  surfais  ces  belles  Dames  et 
ces  Messieux,  quand  j'dis  que  j'suis  la  plus  r'connaissante 
de  toutes  leux  gracieusetés?  Monsieu  mon  amant,  vous 
voulez  ni'donner  du  d'sous  de  ç'c6té-ci?  Fort  peu  d'ça.  Et 
si  vous  croyez  avoir  plus  de  distingation  qu'moi  pour  ce 
qui  est  de  mes  sentimens  pour  la  Copagnie,  j'vous  l'dis, 
j'vous  donne  vote  sac  et  vos  quilles. 

JÉROSME. 

Eh!  ben,  donnez;  Tamiquié  du  Purblic  vaut  ben  d'I'a- 
mour. 

FANCUONNETTE. 

J'savons  ben  qu'son  amiquié  est  la  plus  belle  rose  d'vote 
chapeau;  mais  sachez  qu'vote  chapeau  est  rcouver(|ue  d'un 
butor. 

jÉROSME,    fAciR'. 

Manseir  Fanchonnette  ! 

FANCIION.NETTE,    se  mofinaiit  lie  lui. 

•     Monsieu  Jérôme  ! 

JÉROSME. 

Prenez  garde  à  ce  que  vous  dit'  au  moins. 

CADET,    les   séparant. 

Quoi  qu'c'est  donc  qu"ça?  v'ià  un  biau  commencement  de 
ménage  ! 

FANCHO.NNETTE. 

Mais  c'est  vrai;  t'nez,  m'osliner  qu'i  Trait  plus  d'effort 
que  moi  pour  mériter  la  bonté  du  Public. 

JÉi;0?ME. 

Eh!  ben,  j'ai  tort,  là.  J'sommes  tous  les  deux  d'ia  même 
trempe. 


'270  COMPLIMENT. 

CADKT. 

Sans  doute...  Tiens,  ma  sœur,  n'iaut  pas.., 

FANCIIONNETTE. 

Allons,  tais-toi,  diable  de  bijou  du  Parvis. 

CADKT. 

T'es  drôle;  finissons  ça,  et  pour  melte  d'accord,  qu'cha- 
cun  dégoise  ç'qu'il  a  dans  l'âme. 

JÉROSME. 

Va-t-i,  Manseir? 

FANCHONNETTE. 

Va...  Comment  donc!  Cadet  vous  raccommode  ça  comme 
d'ia  fayance. 

JÉROSME. 

Eh!  ben;  q'raencerai-je-ti? 

FANCHON.NETTE. 

Allez  toujoux  vott!  train,  Monsieu  rcomplimenteux.  Tiens, 
i  s'craniponne  déjà  comme  s'i  remontait  la  Gayotte  à  lui  tout 
seul. 

JÉROSME. 

Air  :  Mais  d'mande-i-nioi  pourquoi  (ju'je  r' viens. 

Une  jeun'  filF  qui  va  s'niarier 

Avciic  un  vieux  z'homm'  qu'ail'  n'aim'  gueres; 

Queuqu'z'un  qui  voit  z'un  creyancier 

Qui  veut  s'mèler  de. ses  affaires; 

Un  Amant  qui  perd  sa  Maîtresse, 

Une  Maîtresse  qui  perd  son  Amant, 

N'ont,  morgue,  pas  tant  de  tristesse 

Qu'en  a  Jei'ôme  en  vous  quittant. 

Oh!  c'est  vrai  ça.  ou  l'Dialilo  me  serve  de  carrosse,  si 
j'vons  mens. 

CADET. 

A  moi  àç'lheure,-  tu  vas  voir  comm'  j'm'en  r'tire. 


COMPLIMENT.  271 

CADET,   d'uuf  voix  onrouép. 
Air  :  Du  Dieu  des  cœurs.       ^ 
En  vérité, 
Oui,  Messieux  et  Mesdames. 
Votr'  généreuzté 
S'éparpille  au  fin  fond  d'nos  âmes, 
S'épav,  ar,  ar,  ai',  ar,.., 

FAKCHONNETTE. 

Tiens,  ç'I'autre  avec  sa  voix  de  tournebroche  !  Il  vous  en- 
tonne un  Orpera.  Dis  donc,  Cadet,  quand  z'on  chante  comm' 
ça,  faut  s'faire  accompagner  par  un  chaudron. 

CADET. 

Eh  !  sarpejeu,  i  gn'a  qu'pour  toi  à  vouloir  jouer  du  gosier 
ici. 

JÉROSME. 

Vous  sentez  fort,  ManselF,  qu'un  homme  n'a  pas  l'passage 
de  la  ruette  lait  pour  la  mursique,  comme  qui  dirait  la  sur- 
pape d'ia  voix  d'une  femme. 

FAKCHONNETTE. 

D'quoi  donc  qu'i  s'mèle?  Faut  renoncer  quand  on  n'a  pas 
d'atout;  on  n'fait  pas  la  bêle  pour  ça. 

JÉROSME. 

Eh  ben,  voyons,  allumez-nous  ça,  vous  qui  parlez. 

FxVNCHONNETTE. 

Vantez- vous-en,  et  dans  la  magnière  qui  eonvieni  en- 
core. 

(Elle  sort  du  ton  Marinier.) 

Air  :  Me  promenant  dans  nos  plaines. 
Ce  moment  qui  nous  désole 
Du  néant  est  le  miroir. 
Si  notre  bonheur  s'envole, 
Quel  sera  donc  notre  espoir? 
Par  votre  absence  cruelle 


•_>7'2  COMPLIMENT. 

L'ennui  va  suivre  nos  pas. 

.\ii!  quel  revers  pour  notre  zèle! 

Non,  non,  non,  ma  douleur  n'y  suffit  pas. 

Mais  si  notre  amour  vous  rappelle, 

Non,  non,  non,  non,  nos  cumu's  ne  se  plaindront  pas. 

JlillOSJlK. 

Targué,  MaiiselF  Kancliomielte,  t'nez,  voiis  m'paraissez 
de  r'chefben  genlille;  j'vous  aime,  morgue,  plus  qu'aupa- 
ravant. Ah:  ça,  raccommodez-vous  donc  nous  d'eux,  la, 
sans  r'gout. 

FANCHONNETT.;. 

J'vous  l'pardonu' rapport  au  sujet  de  la  cause;  embras- 
sez-moi, et  que  ça  soit  fini  :  avec  la  permissi-on  d'ia  Copa- 
gnie,  s'entend. 

JÉROSME,    au  public. 

Messieux  et  Dames,  voulez-vous  ben  nie  signitler  votre 
permeltance,  là,  en  inagnière  de  fiançailles;  c'est  comni'  si 
j'buvais  un  lilron  de  palfe  à  vote  chère  snnté  ;  que  le  ciel 
vous  consarve  en  joie  et  en  argent. 

([I  embrasse  Fandionnolle.) 
FANCHONNETTt;. 

V'ià  qu'est  ben,  r'mettez-vous;  ça  fait  plaisir  :  mais  j'en 
r'viens  toujours  à  nos  r'grets;  en  verte  d'Dieu,  j'resl'rais  là 
toute  ma  vie,  moi;  mais  faut  faire  place  à  d'autres;  allons, 
Jérôme,  Cadet,  jouons  d'nol'  reste. 

(Elle  los  anu'iio  au  boni   du  Tliéàlre.) 

Si  votre  bienveillance 
Fait  nos  plus  heureu.x  jours. 
Notre  reconnaissance, 
Nos  respects,  nos  amours; 
l'our  vous  dui''ront  toujours, 

TOUS. 

Pour  vous  dur'ront  toujours.  ('"«V 


COMPLIMENT 

DE    CLÔTURE 

DE  LA  FOIRE  SAIX T-GEP,M AL\ 

CIIA.MÉ    lAU  MADEMOISELLE  ROSALINE,    A  LA  SLITE  DE  JÉROSME 
ET  FANCIIO.NNETTE. 


lANCUONNETTE . 

Aiii  :  Ail!  s'il  en  goûte,  s'il  en  taie,  s'il  en  a. 
Ah!  çà,  Mesdames,  Mesd'moiselles  et  Messieux, 
On  m'a  chargé  d'vous  dire  nos  adieux. 
On  a  ben  tort,  car  je  n'sais  pas  comment 
Il  faut  s'y  prend'  pour  faire  un  Compliment  ; 
C'est  qu'vous  en  méritez  tant,  tnnt  et  tant, 
Etnot'  chagrin  est  si  fort  dans  ç't'instant, 
Qu'en  verte  d'Dieu  c'est  ben  embarrassant. 
Air  :  Faut  pas  êtr'  grand  sorcier  pour  ça. 
Pour  m'aider.  un  litron  d'rimeux 

S'donniont  d'ia  tablature  : 
J'ons  laissé  là  leux  vers  fameux 
Pour  suivre  la  nature  : 
Car  en  partant  d'ià, 
On  sent  pour  vous  les  dioils  qu'elle  a, 
La,  la, 
Oh  !  oh  !  ah  !  ah  1  ah  !  ah  ! 
I  n'faul  qu'avoir  du  cœur  pour  ça, 
La,  la. 


27  i  COMI'LIMEINT. 

Aiu  :  Pour  la  Baronne. 
Mais,  pour  vous  plaire, 
P'tètro  que  d'i'esprit  s'rait  plus  beau; 
Eli!  quauti  mêuie  j'en  saurions  faire, 
Vous  en  offrir  s'rait  porter  cITiau 
A  la  rivière. 

Air  :  Drès  Vmaiin  dessous  c' feuillage. 
J'venons  d'épouser  Jérôme, 
b'son  amour  vous  êtes  témoins  ; 
Ça  paraît  faire  un  brave  homme. 
A  vos  yeux  on  l'serait  à  moins. 
C'est  qu'un  mari  d'vant  tout  l'monde 
Envers  sa  lemm'  fait  l'poli, 
Qui  souvent  tempêta  et  gronde 
Drès  qu'il  est  r'tiré  dieux  li. 
Çan'f'rait  rien,  si  vote  absence 
N'achevait  pas  d'm'effrayer. 
Oui  jouit  de  vot'  présence, 
Mange  son  pain  blanc  rpermier. 

(Elle  sort  du  Ion  poissard.) 

AiH  :  Recevez  donc  ce  beau  bouquet. 
Ne  rejettez  point  nos  regrets  ; 
Messieurs,  vous  en  êtes  la  cause  : 
Ils  sont  le  fruit  de  vos  bienfaits  ; 
Ah  !  comptez-les  pour  quelque  chose. 
Vos  bontés  nous  ont  de  tout  tems 
Assuré  votre  bienveillance. 
De  nos  cœurs  les  plaintifs  accens 
Sont  l'encens 
De  la  reconnoissance. 


LES 

RACOLEURS 

OPÉRA-COMIQUE 

EN  U.\  ACTE 

représenté  pour  la.  première  fois  sur  le  tuéatre  de 

l'opéra-comique 

a  la  foire  saim-gekmaix,  le  11  mars  1756. 


ACTEURS 

MADAME  SAUMON,  marchande  de  poisson. 

JAVOTTE,  sa  fille. 

TONTON,  petite  sœur  de  Javotte, 

MARIE-JEANNE,  Nièce  de  madame  Saumon. 

M.  DE  LA  BRÈCHE,  sergent,  amant  de  Javotte. 

TOUPET,  Gascon,    et   yarçon    Frater,   rival  de   M.   de  la 

Brèche. 
La  RAMEE,  JOLIBOIS,  soldats  des  autres  corps. 
SANSREGRET,  soldat  ivre, 

La  scène  est  dans  une  place  publique. 

SCÈNE  PREMIÈRE 

TOUPET,    seul. 

L'opulence  n'est  pas  toujours  le  côlé  par  où  brillent  les 
bourseois  dé  mon  village. 


276  LliS  HACOLEUIIS. 

Aiu  :  M.  le  Prévôt  des  Marchands. 
Mais  riiiduslérie  est  un  fond 
Qui  du  revenu  me  ri'iiond  : 
De  mon  adresse  je  prolitc, 
Et  j'en  profite  utilement, 
J'onr  épouser  une  petite, 
Qui  m'aime  médiocrement. 

Je  l'aime  Tort  peu  aussi,  elle  est  mal  élevée;  je  méprise 
même  assez  la  mère,  quoique  fameuse  marchande  dé  pois- 
sons; ce  sont  de  petites  gens;  mais  il  y  a  de  l'argent  dans 
la  maison,  peu  m'importe  lé  reste.  Vive  les  enfants  de  mon 
climat  pour  damer  le  pion  à  ces  pauvres  petits  Parisiens. 
Allons,  puisque  j'ai  le  vent  en  poupe. 

Vogue  la  j^alère 
Lanière,  lanière... 

Ah  !  voici  la  friponne  en  question. 


SCÈNE  11 
TOUPET,  JAVOTTH. 

TOUPET. 

Venez,  mon  aimable. 

JAVOÏTE. 

J'naipas  de  temps  à  perdre,  monsieux. 

TOUPET. 

La   rencontre   est  trop   favorable   pour  moi;    un   petit 
mot. 

JAVOiTE. 

J'vous  conseille  de  m'iaisser  aller;  on   m'attend  cheux 
nous,  monsieux  Toujiet. 


OPERA-C'jMIQUE  277 

TOUPET. 
t.  •  ,    .      •      /■• 

Je  vous  accompagnerai,  et  cliemin  lésant  je  veux  m  ex- 
primer par  les  açeiis  ies  plus  doux. 

JAVOTTE. 

Allez,  belle  figure  propre  à  faire  du  saindoux;  si  vous 
n'battez  pas  Thriquet  mieux  qu'ça,  l'amadoue  n'prendra 
pas,  j'vous  en  avartis. 

TOLI'ET. 
Air  :  Lui  ni' aimer!  je  ndonii  pas  là  d'dans. 
Au  point  où  nous  en  somm"s  tous  deux... 

JAVOTTE. 

A  qucu  point  donc  est  ç'  que  j'en  sommes  ? 

TOUl'F.r, 

L'hymen  mé  rendra  par  ses  nœuds 
Bientôt  lé  plus  heureux  des  liommes  : 
Car  votre  maman,  que  je  croi... 

JAVOTTE. 

Qu'  je  croi!  Dites  plutôt  que  j'doute. 

TOUPET. 

Je  voi  que  j'aurai  votre  foi. 

JAVOTTE. 

Et  moi,  i'voi, 
Que  Monsieux  n'y  voit  goulte. 

TOUPET. 

Mais  écoutez  donc,  mon  petit  cœur. 

JAVOTTE. 

Quoi  qu'c'est  (luvot'  p'tit  cœur?  Mais  voyez  doncç'magot 
échappé  de  d"ssus  la  tabatière  du  gros  Thomas  !  Son  p'tit 
co.Mir  ! 

TOUPET. 

Air  :  .Voî/s  sommes  Pieecpleurs  d'amour. 
Que!  mal  vous  fais-je,  à  votre  avis".' 

16 


'278  LES  l;ACOl;ELiKS. 

JAVOITi:. 

^''Jnu  louchez  pas;  l'iiez,  j'siiis  peureuse. 

TOUI'KT. 

Mais  vous  avez  tort,  car  je  suis 
Porteur  tl'uno  figure  heureuse. 

.IWOTTE. 

Ali!  oui,  l'ortlieureuse,  cl  si  lieureuse  que  ma  mère  i'rail 
ben  de  vous  pendre  à  sa  boutique  en  magnère  d'enseigne  : 
un  merlan  connu'  vous  s'verrait  d'ioin ;  ça  iy  port'rait 
bonheur,  ça  y  attirerait  des  pratiques, 

TOUrET. 

Né  badinez  pas  ;  sans  vanité  je  pense  être  dune  struc- 
ture... 

JAVOTTE. 

Oui,  il  est  ben  campé,  avec  ses  deux  jambes  de  flûte 
à  Tognon.  Adieu,  bijou  d'ia  foire  Saint-Ovide.  Oh  !  j't'é- 
pouse,  tu  n'as  qu'à  v'nir,  va  ;  pain  mollet  d'ià  dernière 
fournée. 

diUu  sort,  et  iKiilu  l);is  à  la  lUiiiioo  ilucUc 
l'ciiconirc  au  l'oml  du  tlicàtro.) 


SCÈNE  lil 

TOUPET. 

Mons  de  la  Brèche,  sergent  des  petits  corps,  lui  tient  sans 
doute  en  cervelle;  mais  je  présume  valoir  mieux  avec  rien, 
que  lui  avec  quelque  chose  ;  j'en  ai  fait  accroire  là-dessus  à 
la  mère  :  un  air  de  possession  en  impose. 


OPERA-COMIQUE.  279 

SCÈNE  IV 
L\  RAMÉE,  TOUPET. 

LÀ   RAMÉE. 
Air  :  C'est  (fans  la  rue  d'in  MortcUcric. 
Serviteur  à  Monsieux  Toupet. 

TOUPET. 

Ali  !  mon  ami  votre  valet. 

LA    RAMÉE. 

Eh!  beU;  vot'  mariage  est  donc  fait? 

TOUPET. 

Tout  dé  bon  ? 

LA   RAMÉE. 

J'vous  l'annonce, 
Car  mo'n  Sergent  y  r'nonce. 

TOUPET. 

Capedebious,  il  fait  prudemment  ;  il  n'est  pas  fait  pour 
entrer  avec  moi  en  rivalité  ;  et  d'ailleurs  ma  profession  est 
convenable... 

LA  RAMÉE. 

C'est  ç'que  j'y  ai  dit  ;  mais  parlez-moi  de  r'bignoler  des 
cheveux  comme  vous  faites  :  c'est  ça  qu'est  du  prope, 
quant  à  ç'qu'est  d'ia  vacation;  car  vous  êtes  des  bons  pour 
lacolure,  M.  Toupet,  hem? 

TOUPET. 

Air  :  Snvez-vous  bien,  jeune  tendron? 
Sans  contredit,  oui;  mais  mon  cher, 
Mon  genre  est  plutôt  la  lancette. 

LA    RAMÉE. 

C'est  donc  comm'  qui  dirait  Frater  : 
Pour  rRégiment  queu  bonne  emplette  ! 
En  cas  .. 


280  lES  RACOLEURS 

TOUPET. 

Pdiiit,  point. 

LA    RAMÉE. 

Vous  avez  tort; 
Savcz-vous  Len,  qu'yous  seriez  d'abord 
Garçon  Major, 
Presque  Major, 
Et  p'têlre  ben,  Chirurgien  Major. 

Il  est  vrai  qu'il  faudrait  commencer  par  apprendre  un 
p'tilbrin  l'exercice":  mais  ça  n'vous  coùt'rait  guères;  car 
vous  êtes  fait...  (A  pan.)  Ah  !  fait  à  plaindre. 

TOUPET. 

Non,  j'aime  mieux  me  iiquecer  à  Paris. 

LA  UAMÉE. 

Au  bout  d'iout  ça,  vous  avez  raison;  et  pis,  chacun  a  son 
goût  ;  pour  moi  j'vous  trouve  du  mien  :  bien  des  gens  se- 
raient ben  aises  d'vous  avoir,  au  moins. 

TOUPET. 

(A  part.)  J'aime  ce  garçon.  (Haut.)  lié!  donc,  vous  voyez  que 
la  petite  Javotte  serait  dans  son  tort  de  balancer;  elle  est 
sans  doute  moins  rétive  aux  ordres  de  sa  mère. 

LA    IIAMKE. 

Bon  !  c'est  la  douceur  même  ;  ça  n'a  non  plus  d' volonté  ni 
d'entêtement...  (a  part.)  qu'une  mule. 

TOUPET. 

Aiii  :  Je  reviendrai  demain  an  soir. 
Si  je  n'ai  pas  beaucoup  d'argent, 

Au  moins  j'ai  du  talent. 
Et  je  pense  li'ur  faire  honneur. 

L\  r.AMÉE. 

(A  part.) 

Oh  !  Comni'  t'es  dans  l'erreur  I 


OPERA-COMIQUE.  281 

V'ià  un  p'tit  chien  d'carabin  qu'est  ben  glorieux  tou- 
jours; six  ans  d'service  seraient  pour  lui  une  bonne 
école. 

TCUPET. 

Que  dites-vous  ? 

L\  RAMÉE. 

Oh!  j'dis  qu'air  s'rait  avec  vous  en  bon      école. 

TOUPET. 

Il  a  du  jugement. 

LA   RAMÉE. 

Et  t'nez,  rien  qu'à  vous  voir,  on  vous  prei  rait  pour  un 
esprit,  à  cause  de  votre  air  revenant,  en  vé  lé  :  j'ai  fait 
avertir  Madame  Saumon,  vot'bell'  mère  future,  de  venir 
pour  l'y  dire  qu'vote  rival  baise  les  mains  à  sa  fille. 

TOUPET. 

Comment  !  Lui  baise  les  mains  ! 

LAP.AMÉK. 

Oui,  y  décampe,  ça  s'entend. 

TOUPET,  rian  . 

.■\h  !  ah  !  j'y  suis  maintenant. 

LA    RAMÉE. 

Ah  !  vous  êtes  malin,  monsieux  Toupet. 

TOUPET. 

Quelquefois.  Sansadieu,  l'ami  :vous  êtes  nbon  enfant; 
je  vous  veux  du  bien.  Je  m'en  vais  en  ville  ordonner  dé  la 
petite  centaurée. 

LA    RAMÉE. 

Un  homme  affairé  comm'  vous  est  toujours  en  l'air 
comm'  un  volant,  (a  part.)  Prends  garde  de  tomber  sur  ma 
raquette,  toujours;  car  je  t'enverrais  un  peu  loin. 

16. 


28>  LES  RACOLEURS. 

TOUl'ET,  revenant. 
Ain  :  Adieu,  mon  c/icr  la  Tulipe. 
lé,  Sergent,  je  rimagine, 
M'en  voudra. 

LA  KAMÉE,  à  part. 
Le  bon  miche  ! 
TOUPET,  sort. 
Mais  enfin,  j'en  suis  fàclié. 

LA  RAMÉE. 

Ah  !  faut  pas  qu'ça  vous  chagrine  : 
T'as  ben  l'air  d'avoir  la  mine 
D'être  queuqu'jour 
En  pension  dans  un  four. 

Oh!  comm'  j'vas  parler  pour  toi  !  Va,  monsieux  Bistouri, 
n't'embarrasse. 


SCÈNE  V 

MADAME  SAUMON,  LA  RAMÉE. 

MADAME  SAUMON. 

On  m'a  dit  comm'ça  qu'un  monsieux  m'demande  :  oi'i 
ç' qu'il  est  donc,  ç'monsieux  ?  J'n'en  vois  non  plus  qqe  d'sus 
ma  main  ,  parlez  donc,  la  Ramée,  est-ce-ty  vous  qui  pernez 
ç'te  prétesse-là  ? 

LA  RAMÉE. 

Oui,  la  maman  :  c'est  moi,  la  paix,  espliquons-nous  bel- 
lement. T'nez,  la  mère  Saumon,  vous  avez  tort  de  n'pas 
donner  Manezelle  Javotte ,  vote  fille,  à  monsieux  la 
Brèche,  note  Sargent  ;  c'est  un  brave  homme,  quand  j'vous 
l'dis. 


OPÉRA-COMIQUE.  285 

MADAME    SAUMON. 

Quand  j'vous  dis  et  quand  j'vous  douze,  moi,  qu'vot  Sar- 
gent  n  y  touchera  pas,  entendez-vous?  Pargué,  j'voustrouve 
encore  bien  cocasse  de  m'déranger  d'ma  marcliandise  pour 

si  peu. 

Air  :  de  Manon  Giroux. 

Je  réservons  note  fille 

Pour  Monsieux  Toupet. 
Ça  fait  un  garçon  d' famille, 

Qu'est  ben  mieux  son  fait. 
Y  s'disting-u'  dans  la  perruque, 

En  charge  il  sera  : 

LABAMÉE. 

J'aimerions  mieux  Pvoir  sans  nuque. 
Que  de  souffrir  ça. 

MADAME    SAUMON. 

Non,  monsieux  Ibeau  conseiileux  d'bal,  je  n' voulons  pas 
de  ç'te  charge-là  :  j'voulons  une  charge  de  rapport,  comm' 
qui  dirait  Pérutier,  et  en  boutique  encor. 

LA  RAMÉE. 

Air  :  C  pendant  pourtant  ça  m' fait  souffrir. 
Quand  mêm'ça  s'rait,  est-c'que  s't'élat 
Vaut  seulement  sty-là  d'  soldat? 
L'un,  tranquille  dans  son  ouvrage, 
Rase,  sans  craindre  les  péi'is  ; 
Et  nous,  au  mitan  du  tapage, 
J'faisons  la  barbe  aux  ennemis. 

Y  a  d'I'honneur  dans  notre  métier. 

MADAME  SAUMON. 

Et  OÙ  ç'qu'est  Tprofit  :  en  un  mot  comme  en  cent,  je 
n'voulons  pas  d'ofticier  d'épée  :  ça  coupe  trop  ;  vote  sar- 
gentest  un  vivant  qui  a  ITil,  ça  mange  trop  ;  je  n'voulons 
pas  d'ça. 


284  LES   RACOI.EIIRS. 

SCÈNE  VI 
MADAMK  SAUMON,  TONTON,  LA  RAMÉE. 

TONTON. 

Ma  mère. 

MADAME  SAIFMON. 

Diles-li  bença;  entendez-vous,  la  Ramée? 

TONTON,   criant, 

Ma  mère,  hé  !  ma  mère. 

MADAME  SAUMON,  du  m<)mo   lon. 

Hé  ben!  après,  piaillarde. 

TONTON. 

T'nez,  v'ià  encore  Monsieux  d'ia  Brèchequ'est  cheux  nous, 
qui  endort  ma  grand'sœur  Javotfe. 

MADAME  SAUMON. 

Ail  !  le  ch'napan  !  c'est  donc  pour  me  t'nir  le  bec  dans 
Peau,  qu'il  m'envoie  comm'ça  des  émisphéres. 

LA  KAMÉS,  rianl. 
AïK  :  sur  M.  de  Câlinât. 
Quoi  donc!  vous  avez  l'yir  d'un  queuq'zun  qu'est  piqué. 

MADAME    SAUMOX. 

J'ai  l'air  de  c'que  j'ai  l'air,  diab'd'invalid"manqué  : 
J'm'en  vas  les  sabouler  ;  tu  n'es  qu'un  afl'ronteux, 
El  ton  Monsieux  la  Bréch'me  1'  payera  pour  vous  deux. 
LA  RAMÉE,  lu   retenant. 

La  maman  deguieu,  eh!  mais  écoutez-donc. 

MADAME    SAUMON. 

N'me  retiens  pas,  crois-moi,  car  je  commencerais  par 
t'accoinmoder  la  (igure  comme  du  Jacques  sanguin. 

(Elle  sort.) 


OPÉRA-COMIQUE.  2^5 


SCÈNE  VII 
LA  RAMÉE,  TUNTON. 

LA    RAMÉE. 

Queu  tempête  donc  que  ste  femme-là  : 

TONTON. 

C'est  ben  fait  aussi. 

LA    RAMÉE. 

Pargué,  Tonton,  vous  êtes  une  p'Iite  jaseuseben  mal  ap- 
prise; faut  convenir  d'ça. 

TON TON. 

Eh  !  mais  vramenf,  fallaily  pas  l'Iaisser  fair'  donc? 
AïK  :  Au  s'coui-s,  au  s'cours,  nu  s'cours. 

A  l'endroit  de  ma  sœur, 
Comme  il  y  va  le  drôle  ! 
A  l'endroit  de  ma  sœur. 
Il  se  coule  en  douceur. 
Sans  m'dire,  vous  v'ià, 
C'beau  Monsieux  vous  l'enjôle, 
Devant  moi  la  cajole, 
Et  d'ces  politess'là, 
Y  n'm'en  offre  pas  ça. 

LA   RAMÉE. 

Mais,  raan'zelle,  sont  pas  là  des  politesses  pour  un  en- 
fant. 

TONTON. 

Eh!  mais,  monsieux  Jean-l'Blanc,  tiens...  allez,  quand  on 
shabille  et  qu'on  s'déshabille  toute  seule  l'on  n'est  plus 
enfant  :  à  douze  ans  l'honnêteté  des  grandes  personnes  fait 
plaisir,  entendez-vous? 


280  LES  RAGOLRURS. 

I,A   KAMÉE. 

Hé  ben  !  ma  petite  Tonton,  vous  êtos  bien  gentille,  là. 
Dites-moi  un  peu  des  nouvelles  de  ma  maîtresse  à  moi,  de 
vote  cousine. 

TONTON. 

Marie-Jeanne? 

LA   UAMKE. 

Oui  :  l'avons  vue  aujourd'hui? 

TONTON. 

Pauvre  petit,  dites-lui  donc  ça  ! 

Am  :  //  était  un  petit  homme. 
Ma  cousine  est  une  folle  : 

LA    PiAMÉE. 

M'aime-t-elle  tout  de  bon  ? 

TONTON. 

Oh!  j'perds  l'à-d'ssus  la  parole. 

LA  RAMÉE. 

Dites-moi  ra,  ma  petite  Tonton. 

TONTON  se  moquant        lu  . 
Éléphant,  vole,  vole,  vole. 
Limaçon, 
Vole,  vole  donc. 

J'nai  pas  décompte  à  vous  rendre  là-d'ssus,  mouche 
miel  d'étape,  est-ce  qui  m'prend  pour  sa    confidenteuse 
donc  ? 


OPERA-COMIQUE.  287 

SCÈNE  VIII 

DE  LA  BRÈCHE,  LA  RAMÉE,  TONTON. 

DE    LA    BlltCllE,   d'un  air  L'clÈaulTé. 

Aiu  :  Ton   liwneiir  est  Catherine. 

Ah  !  mon  pauvre  la-Ramée, 
Mes  amours  sont  confondus. 

LA    RAMÉE. 

De  vous  Javotte  est  charmée. 

DE    LA    BRÈCHE. 

Elle  et  moi  sommes  perdus  ; 
Son  cœur  me  la  donnait  belle, 
Quand  sa  mère  que  je  voi, 
S'avauce  à  grands  coups  sus  elle, 
Et  m'en  sangle  autant  à  moi. 

TONTON. 

Porte  ça  à  ta  chopelle. 

DE   LA    BHÈCilE. 

C'est  un  diable  que  cette  feiniue-là,  une  harengère. 

TONTON,  les  poings  sur  ses  lianclies. 

Parle-donc,  moule  à  ciiandelle  des  vingt-quatre  à  la  livj'e  ; 
(pioi  qu'cest  qu'une  harcngère?  Avec  son  plumet  d'un 
blanc  jaune,  tirant  sur  l'sagouin;  on  voit  ben  qu'vous 
soufflez  rfeux  avec  vote  castor ,  car  la  chicorée  qu'est 
d'ssus  est  fumée  comme  un  jambon,  Monsieu.x,  d'Mayence; 
mais  c'est  vrai,  t'nez,  ç'minois  d'tambour  de  basque,  dire 
qu'ma  mère  est  une  harengère,  une  femme  qu'élève  Sfs 
enfants  comme  des  Duchesses. 

LA   RAMÉE. 

Queu  manufacture  de  déguisement  donc  que  ç'te  p'titè 
chienne  de  langue-là. 


?88  LES  lUCOLEURS. 

DE    LA    l'.lltclll!:. 

Laissons  celle  morveuse;  écoule,  La  Ramée.  11  faul,  de 
concert  avec  Sansregret  et  Jolibois,  qu'lii  lâches  d'en^^'agor 
Toupet. 

ÏONTON. 

(Juoi  qu'vous  parlez-là  d'Monsieux  ïoupel  ? 

nii   I.V  BRÈCUE,  emmène  La  Ramée. 

Viens  prendre  ailleurs  nos  mesures. 


(Us  wrlenl.) 


TONTON. 

Adieu  donc,  Monsieux  la  politesse. 


SCÈNE  W 


iOMON,  seule. 

Ain  :  Tout  à  la  bonne  franquette. 
Voyez  seul'ment  s'il  me  r'garde; 
J'en  vaux  ben  la  pein'  pourtant  ; 
Même  il  sembe  qu'il  se  garde 
De  moi,  comm'  d'un  p'tit  serpent  ; 
Y  suffit  qu'on  soye  une  fille, 
Pour  qu'on  doiv'  s'en  soucier  : 

Ç'n'esl  qu'un  Sargenl.  ça  n'en  sail  pas  plus  long,  mais.... 

Suite  (le  l'air. 
i'mu'  plaire  à  loule  un  laniille, 
liiricz-nioi  d'un  OKicier. 

S'ten[)andanl  j'aime  encore  mieux  qu'y  soit  mon  boau- 
Irére  que  y'p'lit  vilain  Monsieux  Toupet,  je  n'mangerais 
pas  chez  lui  la  soupe  de  bon  cœur  :  la  properlé  est  la 
moitié  d'ia  vie;  quoi  qu'c'est  que  ces  aulres-là,  à  ç'I'heure  ï 


OPÉRA-COMIQUE.  ;2MJ 

SCÈNE  X 
JOLIBOIS,  TONTON,  SANSREGKET,  ivre. 

SMSREGRET,  sappuyaul  sur  Joliiiois. 

Air  :  Je  crois  que  toute  la  terre. 
C'est  Bacchus,  le  Dieu  de  la  treille, 
Qui  fait  la  pluie  et  le  beau  temps. 

JOLILOIS. 

Allons,  allons,  tâche  toujonrs  de  t'souienir  :  est-(;'qu'lu 
nVprends  pour  une  brouette,  à  la  fia  ? 

SANSREGRET. 

C'est  juste. 

Air  :  On  m'a  dit  qu  certain  faraut  l'aime. 
On  ne  craint  pas  le  Commissaire, 
Quand  on  n'fait  pas  d'mal  sans  sujet, 
(ju'est-ce  que  c'est  que  ç'te  p'tiie  fille-là  ? 

ÏO.MO.X. 

Il  n'est  pas  collé  sti-là,  voyez  donc  ! 

JOLIKOIS. 

C'est  la  p'tite  sœur  d'ia  niailresse  d'note  Sargent. 

SANSREGRET. 

Ah  !  faut  faire  politesse  à  la  parenté  :  la  femme,  donnez- 
nous  à  boire;  Wonsieux  Tgarçon. 

(On  répond  en  dedans.) 

Allons,  allons. 

TONTON. 

Oui,  apportez  vilement,  car  il  est  à  jeun. 

SANSREGRET. 
Air  :  Quoi  donc ,  Cadet!  est-ce  tu  veux  qu'y  ni  en  joie? 
Quand  un  amant  aime  ben  sa  maîlresse, 
C'est  la  raison  qu'il  soit  son  favori. 

17 


290  LES   RACOLEURS. 

JOLIBOIS. 

Maàine  Piquette,  dépêchez-vous,  chopine  à  huil,  et  du 
bon. 

(Ou  les  sert.) 

Si  on  vous  emporte  votre  nappe,  y  aura  lien  du  mal- 
heur. 

SANSREGRliT  cluuiK;. 

La  femme  est  un  embarras. 

TONTO.X. 

11  a  avalé  une  mouche,  car  il  a  Tcœur  ben  gai. 

SANSREGRET,  prenant  du  tabac. 
J'aurais  chargé  l'Amcur 
De  vous  dire  quej't'aime. 

TONTON. 

Il  y  aurait  donné  là  une  belle  conniiission,  à  l'Amour. 

JOLIBOIS. 

.VUons,  passe. 

(Sansrcgi'L'l  ctcrnue;  .lolibois  ùtc  son  tliapeau.) 
SANSRIXRET. 

N'te  dérange  pas,  c'est  l'tabac. 

TONTO.N. 

11  est  sans  gène. 

joi.n:ois. 
Hé  !  sarpejeu.v,  Sansregret,  t'as  donc  déjà  ben  ribolé  drès 
l'inatin. 

SANSREGRET. 

J'ni'en  vante;  J'avons  remouché  Irois  garçons  tailleurs 
el  puis  un  abbé  :  ç'i'ahbé  a  fait  des  façons;  mais  par  la 
circonférence....  de  l'occasion....  j'avons  si  ben  paraphrasé 
la  signature  de  ç'quc  la  pliune....  était  disposée  dans  la  pré- 
vention d'ia  chose,  que  ç't'abhé,  qu'était....  pour  ainsi  dii'e. 


OPÉRA-COMIQUE.  '291 

dans  les....  encolumenls....  des  intérêts,  a  troqué  son  rabat 
noir  contre  une  cocarde  blanche. 

JOLIBOIS. 

Allons,  assis-toi,  et  buvons. 

SANSREGRET,  s'asscyànt,  clianlc. 
Chacun  son  écot  le  vin  n'est  pas  cher. 
Chacun  son  écot  :  échos,  dites-lui  que  je  l'aime. 

A  ta  santé. 

JOLIBOIS.. 

A  toi.  Man'zelle,  voulez-vous  vous  rarraîchir  d'un  doigt 
d'vin  avec  nous.  (Il  lioit.) 

TONTON. 

Au  cirni,  au  ch'ni,  je  n'bois  pas  avec  des  Racoleurs. 

JOLIBOIS. 

J'en  aurons  plus  d'reste. 

SANSP.EGRET. 

Qu'est-ce  qu'on  dit  d'nouveau,  car  moi  je  suis  t'un  mili- 
taire dont  auquel.,.,  on  peut  ben  dire....  que,  sans  m'van- 
ter  j'peux  bon.... 

JOLIDOIS. 

Et  allons,  te  v'ià  déjà  assez  imprimé  dans  la  boisson  : 
tiens,  n'parle  pas  davantage,  ça  t'grisera  encore. 

SANSREGRET. 

C'est  juste,  tu  parles  en  ami  ;  te  souviens-tu  d'Ia  dernière 
campagne? 

JOLIBOlS. 

Hé!  oui,  achève  seulement  ton  vin.  Hé!  bien,  Man'zelle, 
si  vous  n'voulez  pas  boire,  quoi  qu'vous  faites  donc  là? 

TONTON. 

J'veux  y  rester,  moi,  j'suis  sus  l'pavé  du  lloi,  p'têtre;  ça 
m'divartit  d'vous  voir. 


'292  LES   RACOLEURS. 

SANSREGRET. 

Un  soir  que  je  cliaritions, 
Venant  des  l'orchcrous. 
Ç'te  campagne-là  laisait  une  belle  campagne  ;  je  m'sou- 
viendrai  toujours  d'une  bombe  pesant  environ...  beaucoup, 
parce  qu'une  bombe...  ce  n"est  pas  une  chose  comme  qui 
pourrait  dire  une  comparaison,  à  cause  de  la  défaillance 
qu'on  emprunte  dans  un  besoin  ;  mais  qui  a  ternie  ne  doit  _ 
rien. 

lOMO.N,  riant. 

11  n'est  pas  mal  bête,  comme  ça. 

JOLIBOIS. 

Oii  !  tien,  vlà  qu'tu  bats  la  campagne,  en  voulant  nous  en 

parler  :  gn'a  plus  d'plaisir,  drès  qu'tu  n'sais  plus  ce  que 

tu  dis. 

S.VNSREGIIET,  revcuaiU  comme  d'un  assoupissement. 

A  m  ;  Tarcre  pompon. 
J'avons pointant  été  dedans  d'ia  compagnie. 

JOUliOlS. 

On  n'dit  pas  :  j'avons. 

SA.NSREGRET. 

Bon! 

On  n'dil  pas  :  j'avons! 

JOLIBOIS. 

Non. 

S.VJJSREGUET. 

C'tc  chopin',  j'te  parie. 

JOLIUOIS. 

Va,  chopinc. 

SANSREGRET. 

lié  l)on  donc  1 
Comment?  dis-moi,  je  t'prie, 
Dit-on? 


OPERA-COMIQUE.  295 

TOMOX. 

Ah  !  voyons  donc  ç't'autre  astorlogue. 

JOLIBOIS. 

On  dit  :  j'ons  été  là  et  là. 

(  SANSREG1ET. 

J'ons  été? 

JOLIBOIS. 

Oui. 

sa:ssregret. 
.    T'as  menti  ;  tiens,  v"là  la  Ramée  qui  vient  :  c'est  un  r'tors 
dans  la  parole,  veux-tu  t'en  rapporter  à  sa  jusiiciaire? 

JOLIBOIS. 

Va,  je  l'veux  hen. 

TONTOX. 

Je  n'veux  pas  que  ç'grand  vaurien-là  m'voye. 


SCÈi\E  XI 
LA  RAMÉE,  JOLIBOIS,  SANSHEGRET. 

LA    RAMÉE. 

Air  :  Quand  je  partis  (k  la  Rochelle. 
Quoi  qu'vous  faites  donc  là,  vous  autres? 

SAXSREGRET. 

Tiens,  la  Ramée,  écoute;  il  dit  qu'il  faut  dire  :  j'ons  été 
dans  un  endroit. 

JOLIBOIS. 

Apparemment. 

LA    RAMÉE. 

J'ons  !  fi  donc;  ça  n'vnuf  rien. 


294  LES   RACOLEURS. 

SANSREGRKT,   oilcIiaiUé. 

Sarpegué,  c'est  bon  fait;  (luand  j'tTavais  dit;  n'est-y  pas 
vrai  qu'il  faut  dire  :  j'avons  été  dans  du  monde? 

LA   RAMÉE. 

J'avons!  Tu  gn'es  pas  non  plus,  toi,  avec  ton  j'avons.  On 
dit  :  nous  ont  été  qucuqu'part. 

JOUBOIS. 

C'est  juste. 

SANSRKGRET. 

En  ç'cas-là,  distingo  marjolaine;  j'pairons  chacun  d'mi- 
stier. 

LA  RAMÉE,  prenant  la  chopino  et  buvant  à  même. 

Que  j'voiis  rattrape, 

JOLIBOIS. 

N'te  gêne  pas. 

LA    r.AMÉE. 

Am  :  .4/i/  qu'on  a  bienfait  d'inventer  V  Enfer! 
Çà,  c'n'est  pas  ça.  Tiens,  toi,  Sansr'grct, 
T'es  déjà  dans  les  briiidezingiies. 

SANSREGRET. 

Y  n's'en  manqu'  que  cinq  ou  six  letl' 
Qu'il  n'sach'  par  cœur  son  alphabet. 

JOLIBOIS. 

Pargué,  t'as  l'vin  diabhMiient  nuigicien  ;  laisse-nous  donc 
parler  un  moment. 

SANSREGRET. 

lié  ben  !  voyons. 

LA    RAMÉE. 

Y  s'agit  de  r'bouisor  dans  l'enrôlement  Monsicux  Toupet, 
rival  tl'note  Sargont. 


OPERA-COMIQUE.  295 

SANSREGRET. 

Volontiers. 

Am  :  Reçois  dans  ton  galetas. 
Milzieux,  je  veux  l'dégnaiscr; 
Laibs'  faire  ma  fantaisie. 

LA    RAMÉE. 

Jolibois,  faut  t'déguiser 
En  marcliand  de  billets  d'Lot'rie. 

JOLIBOIS. 

J't'entends,  je  n'suis  pas  manchot, 
J'saurai  l'y  fair'  g-ugncr  un  lot.   [bis] 

SANSREGRET. 

C'est  ben  dit. 

LA    RAMÉE. 

Tiens,  v'ià   trois  livres  que  Monsieux  d'ia  Brèche  m'a 
données  pour  ça. 

Am  :  Cpardon-là  m'annonce,  morgue. 
I  Prends  deux  billets  sans  t'arrèter, 

Et  puis  gard'-nous  l'reste  pour  pinter. 

JOLIBOIS. 

Ah!  çà, 
Vous  s'rez-Ià. 

LA    RAMÉE. 

Et  oui, 
Dans  c'coin-ci. 
Prends  gard'd'être  r'connu. 
Not'  temps  s'rait  perdu. 
JOLIBOIS,  s'en  allant. 
Ohi  c'est  entendu. 


290  LES  HACOLEURS. 

SCÈNE  Xlï 
LA    RAMÉE,    SANSREGRET. 

LA   r.AJiKE,  nidanl  Sansregrel  ii  marcluT.  , 

Allons,  viens,  te  v'Jà  joli  garçon! 

SANSREGRET,  en  marchant. 
I.e  guet  le  prit  tout  en  courroux  : 
Lui,  d'une  audace  sans  seconde  ; 
S'il  s'agit  d'être  gai  pour  arrêter  le  monde, 
Par  ma  foi,  leur  dit-il,  j'vais  vous  arrêter  tous. 
Car,  par  ma  foi,  je  suis  plus  gai  que  vous  : 
Je  suis  plus  gai  que  vous. 
Je  suis  plus  gai  que  vous. 

LA    RAMÉE. 

Le  diable  (e  chaule,  va;  allons,  assis-foi,  el  reste   un 
moment  tranquille. 

SANSREGRET.  ' 

C'est  à  sa  place 

LA    RAMÉE. 

La  mère,  donnez -nous  du  même;  mais  qu'il  soit  meyeur. 

SANSREGRET. 

Dans  la  cuisine 
Un  bon  petit  moiuillon. 

LA    RAMÉE. 

Si  tu  chantes  davantage,  tu  n'hoiras  plus,  j'i'en  avartis. 

SANSREGRET. 

Allons,  verse,  et  je  m'tais. 

LA    RAMÉE. 

Dors  un  peu,  ça  ffr'a  du  bien;  paix,  v'Ià  queuq'zun. 


OPÉR.V-COMIQUE.  2^)7 


scÈNi]  xin 

MADAME  SAUMON,    JAVOTTI^,    MARIE-JI-LANNE,    TOUPET, 
LA    RAMÉE    et    SANSREGRET. 

TOUPET. 

Non,  Madnme  Saumon,  je  né  vous  en  impose  pns,  quand 
je  vous  dis  qu'à  quelques  lieues  de  Pézénas  je  possède  un 
petit  château  qui  me  rapporlera,  après  liquidation,  trente- 
cinq  écus  de  rente. 

MADAME    SAUMON. 

Entends-tu  ? 

MARIE-JEANNE. 

Eh  mais!  il  a  font  l'air  d'un  homme  à  maison  d'campa- 
gne;  oui,  à  une  demi-lieue  desGob'lins. 

MADAME    SAUMON. 

On  n'parle  pas  à  toi,  langue  de  satyre  :  Va,  Javolfe,  rap- 
porte-toi-zen à  Mousieux. 

JAVOTTE. 

Am  :  0  reçiuimjuc,  6  lonlnnla. 
Pargué  qu'est  c'qui  n'croiroit  pas  ça  I 
Drès  qii'Monsieux  l'dit  faut  s'en  t'nir  là, 
0  reguingiié;  ô  Ion  Im  15, 
Ilien  qu'à  l'voir,  je  gag'rais  qu'sa  terre 
Est  dans  l'cul  d'?ac  de  la  misère. 

TOUPET. 

(A  part.)  Elle  n'est  pas  dupe.  (Haut.)  Laissons  cet  article, 
et  venons  à  l'agrément  de  mon  métier;  quand  les  pratiques 
sont  satisfaites,  on  peut  accommoder  sa  femme. 

MADAME    SAUMON. 

Sans  doute. 

17. 


298  LES   H  A  CO  LEURS. 

"  Air  :  Kn  mistico. 
C'est  ben  gracieux  d'ètio  r'tapée 
En  mistico,  on  dardillon,  on  dar  dai"  dar, 
liien  n'siod  mieux  quand  on  zest  iiipée, 
Uu'd'avoii"  un  Liau  cliijjnon 
Mislilicoté, 
R'ievé. 

JAVOTTE. 

Ah!  si  Monsieux  Toupet  m'touclie  à  mes  cheveux,  jo 
rseiitirai  ben  p't'êlre. 

JIADAMK    SAUMOX. 

Te  v'h"i  donc  encore  avec  ton  rTus,  fille  dénaturée? 

Am  :  Ton  humeur  est,  Catherine. 
Va,  tu  m'fais  maître  en  colère, 
J'to  conseille  de  liiiir. 

JAVOITE. 

Ail!  si j'conclusions  l'affaire, 
Wonsieux  n'a  qu'a  ben  s'tenir  : 
J'I'épouserai  n'pouvant  mieux  faire; 
Mais  j'I'avertis  d'vant  témoin, 
Qu'les  enfans  dont  il  sera  l'père 
L'y  s'ront  parens  d'un  peu  loin. 

TOUl'ET. 

Est-ce  ainsi  que  vous  répondez  à  mon  ardeur? 

JAVOTTE, 

DTardeur!  Allez,  Monsieux  l'ardent,  prenez  garde  do 
fondre  :  tiens,  il  a  Tair  d'un  dégelé  :  pargué  ça  fera  un 
bel  homme  après  la  débâcle. 

MADAME    SAUMON. 

Par  la  jarni  trente  millions  d'cocrodilles,  jlo  vas  érin- 
ter. 

TOUPET. 

Doucement,  Madame  Saumon. 


OPÉR.V-COMIQUE.  299 

JAVOTTE . 

Vous  v'ià  toujours,  vous,  avec  vos  coups;  ah;  les  belles 
magnères  ! 

MADA5IE    SAIJIOX. 

Mais,  guenon  qu't'es,  quand  l'inducalion  n'y  fait  rien,  y 
faut  ben  qu'les  coups  y  fassent. 

ÎIARIE-JEAN.XE. 

Hé  !  mais,  j'vous  dis,  Madame  Boniface,  ça  vous  est  bien 
aisé  à  dire. 

MADAME    SAUMOX. 

Quoiqu'tu  t'mêles,  toi,  buveuse  de  ratafiatde  chiendent. 

MAP.IE-JEANNE. 

Tant  mieux,  tant  mieux,  ma  belle  et  bonne  tante;  est-ce 
à  cause  qu'je  n'nous  rafraîciiissons  pas  l'gozier  comme 
vous  tous  les  matins  avec  trois  chopines  d'eau-d'vie  ? 

JAVOTTE. 

Et  roquille. 

MADAME     SAUMON. 

Parmettez,  Monsieux  Toupet,  que  jTy  torde  un  p"tit  brin 
l'cou. 

JAVOTTE. 

Ah  !  vous  n'tordrez  rien,  toujours. 

MADAME    SAUMON. 

Air,  :  //  n'a  pas  pu. 
Otez-Yous  d'iïi. 

TOUPET. 

Luisscz  cela. 

MADAME    SALMON. 

Vengez-moi  donc  dTcutragc. 

TOUPET. 

Oh  !  je  ne  descends  point  si  basi 


r.OO  LES  RACOLEURS. 

MAIIIE-JEANNK. 

Monsieux  à  nous  nVe  tVotl'ra  pas  ; 
Je  n'ie  crois  pas  : 
Y  n'en  a  pas  rconragc. 

TOITET. 

Je  lie  veux  point  iirahilir  à  dispuler  avec  une  je  ne  sais 
qu'est-ce. 

JAVOTTE . 

Ma  mère,  entendez-vous?  Ma  cousine,  une  je  ne  sais 
qu'est-ce.  T'es  un  je  sais  ben  qui,  moi  :  va,  je  n'veux  pas 
IVlire,  parce  qu'une  honnête  lllle  n'sait  pas  jurer. 

MADAME   SAUMON. 

Monsieux,  quoiqu'ma  gnièco  soit  un  p'tit  brin  dérangée, 
ça  n'empêche  pns  qu'ail'  n'soit  queuqn'tbis... 

MAUIE-JEAKNE. 

Air  :  Dniiic  C/irirlol/e. 
Dérangée  ! 
Déning-oe  ! 
C'est  VOL'  çarvelle  qui  1  est. 

.MADAME    SAUMON. 

Mais  l'es  donc  une  enragée  ! 

MARIE-JEANNE. 

Dérangée  ! 

MADAME    SAUMON. 

Apparemment  ;  est-ce  qu'une  fille  comme  y  faut  s'pro- 
mel  en  mariage  à  un  soldat  des  p'iils  corps  comme  la 
Ramée  ? 

MAIUE-JEAN.NK. 

D'où  vient  pas? 

Ain  :  tUi  tt'voiix  va  brin. 
C'est  un  brave  garçon  dans  l'âme, 
Etv'là  pourquoi  c'est  mon  amant. 
Qui  SiM't  l)Cii  riioi  sert  ben  sa  l'emnie. 


OPERA-COMIQUE.  501 

MADAMt:    SAUMON. 

Moi  j'dis  que  c'ii'est  qu'un  garnimeiit. 

LA    RAMÉE. 

La  mèr'  Saumon,  c'est  une  offense 
D'noircir  l'zabsens  en  leu  présence, 
Et  j'men  vas  vous  fair'  voir  enfin 

Que  ça  n'vous  va  brin. 

Que  ça  n'vous  va  brin. 

(Il  se  lève  de  lable.) 


SCÈNE  XIV 

LA    RAMÉE,    MADAME    SAUMON,  et  jles  précédens, 
SANSREGRET,    endormi. 

MARIE-JEANNE,   claquant  dans  sa  main. 
C'est  ben^fait,  j'suis  ben  aise  qu'il  vous  aye  entendu. 

MADAME    SAUMON. 

Abl  et  moi  itou;  vois  donc  comm' j'iiVen  épouvante? 

LA  RAMÉE,   arrivant  en  colère. 

Quoi  qu'vous  voulez  dire,  Maàme  Saumon  avec  vorgarni- 
ment? 

MADAME  SAUMON. 

Ç'que  j'veuxdire? 

LA  RAMÉE. 

Oui. 

MADAME  SAUMON. 

J'veux  dire  ç'que  j'veux  dire,  huissier  priseur  d'ia  rue 
Iluciiette. 

TOUPET. 

Allons,  mon  ami  Mons  dé  la  Ramée,  point  dé  bruit  dé 
votre  part. 


302  _  l-ES  RACOLEURS. 

J.VVOTTK. 

Hé!  mais  vraiment,  Monsieux  coq'mar,  n'vous  miMez  pas 
d'ça,  vous;  pernez  tant  seulement  garde  à  la  friture. 

MADAME   SAUMO.\,  à  la  Runiûe. 

lié  ben!  voyons  donc,  mauvais. 

LA    RAMKE. 

Vous  êtes  benheureuse  d'n\'te  qu'une  femme, 
Am  :  Sti-là  qu'a  pince  Dcrg-op-zoom. 

MADAME    SAUMON. 

Qu'une  femme  ! 

LA    UAMÉE. 

Oui,  qu'une  femme  I 

MADAME   SAUMON. 

Tais-toi, 
Et  ne  m'échauffe  [las,  crois-moi. 
C'est  qu'un'  femme  tell'  que  je  sommes, 
Quand  ail'  s'y  met,  vaut  ben  quatre  lionimes. 

JAYOTTE. 

Ah!  mon  guieu,  la  belle  trouvaille!  vous  avez  dTesprit 
comme  un  tableau  mouvant. 

TOUPET. 

Allons,  Mademoiselle  Javotte,  vous  devez  céder  à  Ma- 
dame votre  mère  par  plusieurs  raisons,  et  d'ailleurs  vous 
mé  manquez. 

JAVOTTE. 

J'vous  manque!  ali!  laissez-moi  en  repos;  car  je  n'vous 
manquerais  pas,  en  vous  appliquant  une  savonette  sur  la 
mine  qui  vous  Trait  mousser  Tgrouin  sans  l'iremper  dans 
riau. 

TOUPET. 

Diou  mé  damne,  si  la  main  ne  me  démanget 


^PERA-COMIQUE.  305 

JAVOTTE. 

La  mainte  démange!  tu  veux  donc  t'faire  gratter,  bis- 
cuit d'amande  amère  ? 

LA    RAMÉE. 

Monsieux  Toupet,  on  n'inenace  jamais  une  demoiselle 
qu'est  fille  du  sesque  ferminin. 

MADAME    SAUMON. 

Acoutez  donc,  Monsieux,  c'est  une  impertinence;  mais 
c'est  mon  enfant;  et  si  queuq'zun  s'donnail  les  airs  d'ia 
battre... 


SCÈNE  XV 

TONTON,      ET    LES     PRÉCÉDEXS 
TONLOX. 

Allez,  v'ià  un  beau  sabbat  qu'on  fait  k  votre  place. 

MADAME    SAUMOS. 

Comment  un  sabbat  ! 

TO.NTON. 

Eh  !  oui,  un  sabbat  !  C'te  dame  dont  à  qui  vous  avez  vendu 
ç'te  grosse  carpe  œuvée  pour  une  laitée,  fait  un  tapage 
de  chien,  et  veut  renvarser  tout  vote  baquet  au  poisson  ; 
air  m'aurait  battue  sans  Monsieux  d'ia  Brèche,  qui  s'tient 
là  crainte  de  malheur. 

MADAME     SAUMON. 

Am  :  S'il  est  mordu  jiar  cl'animaJ. 
J'm'eii  va  voir  çà...  Monsieux  Toupet. 

(KUe  lui  parle  à  l'oreille.) 
V'nez,  accoutez. 

LA  RAMÉE,   anx  autres  pendant  ce  temps. 

j-'aut  que  j'voue  mette  au  fait. 


r.Oi  Mis   HACCEUKS. 

TONTON,    li'S    iiitoiTomiiaiit. 

Monsieux  d'!a  Brèclie  m"a  donné  quenqn'cliose,  et  puis  y 
m'a  enibrassôe.  Oli  !  j'raiiiio  bon  à  ç'i'liciire. 

(Elle  relouriic   auiircs  de  sa  im're.) 
LA   RAMEE,    achevant  l'air. 
Pour  aliilier  5  noi.'  finesse. 
.\  Toupet  laites  politesse. 
Pour  un  moment  comme  par  semblant    d'I'aimer,   et 
n'vous  embarrassez  pas  du  reste. 

JAVOTTE. 

Oli!  drus  que  ç  n'est  qu'par  semblant,  vous  allez  voir 
comni'  j'vas  vous  le  r'magner. 

MARIE-JEANXE. 

C'est  bon,  c'est  bon. 

MADAME    SAUMON,    à  Toupet. 

Aile  est  bonne  quoiqu'çà;  par  ainsi  lâchez  d'vous  ben 
faire  v'nir  d'elle,  j'veux  p;is  qu'nia  fille  soye  mallieureuse. 

TOUPET. 

Laissez-moi  faire,  je  lui  plairai  que  dé  reste,  ou  elle  se- 
rait bien  difficile. 

(Madame  Saumon  s'en  va.) 


SCÈNE  XVI 

JAVOTTE,  MARIE-JEANNE,  TONTON,  TOUPLT,  LA  RAMÉE, 
SANSREGRET. 

LA  UAMÉE. 
Aip.  :  Amour  qui  fait  brûler. 
C'que  vous  avez  dit  d'iiioi, 
Ma  cliarmante  maîtresse, 
Pi-ouve  voii'c  teniiresse. 


OPÉRA-COMIQUE.  505 

MARIE-JEANNE. 

Pour  sti-là  qu'y  a  iiot'foi, 
Faut  parler,  quand  ça  i  resso, 
Tout  d'rnême  que  pour  soi. 

TOITET. 

Voyez,  mademoiselle  Javotte,  quel  plaisir  de  s'aimer  :  si 
vous  vouliez  profiter  de  Tézemple. 

TOXTON. 

Dél'ézemple!  Y  prononç'ra  mieux,  quand  y  s'ra  plus 
grand. 

h\  RAMÉE,  à  Javolte. 

Allons,  la  petite  cousine  future,  d'ià  zarJiesse.  T'nez, 
c'est  qu'air  n'oze  pas.  Allons,  ouvrez  vot'  p"tit  cœur,  n'ea- 
cliez  rien  à  monsieux. 

JAVOTTE. 

Dame,  c'est  qu'ça  coûte  à  une  jeunesse. 

MARlE-JEANXr. 

Air  :  Il  faut,  mon  frère. 
Va,  va,  Javotte, 
Laisse-toi  zenflammer  ; 
Tu  fais  la  sotie  ; 
Y   faut  zainier. 

JAVOTTE. 

Oh  !  mais  j'ai  d'ia  pudeur. 

TOUPET. 

Mademoiselle  Javotte, 
L'Amour... 

JAVOTTE . 

Fi,  ça  fait  peur. 
Quand  on  zest  fille  d'honneur. 

TONTON. 

Ah  '  conim'ma  grand'  sœur  fait  la  p'tite  bouche. 


30fi  LES  RACOLEURS. 

TOUPET. 

Tâchez,  tâchez  dé  m'aiiiKT;  régardoz- moi  pour  vous  fa- 
ciliter lé  réciproque. 

JAYOTTE. 

Qu'vous  êtes  genli  ! 

TONTON. 

On  n'eu  Trait  qu'une  bouchée. 

LA  RAMÉE. 

Efforcez-vous  tous  les  deux.  J'allons  nous  réjouir,  là,  ter- 
tous  enmagnère  des  accords:  Hé!  Sansr'gret,  réveille-toi; 
allons  d'ia  joie. 

(Pendant  ce  ([ui  suit,  la  Ramée  et  Marie-Jeanne  fonl 
apporter  et  apportent  eux-mêmes  ce  qui  leur  est 
nécessaire.) 

JAVOTTE. 

(Bas.)  Faut  ben  s'prëter  un  peu. 

TOUPET,  lui   prenant  la  main. 

Allons,  cadédis,  animons-nous. 

TONTON. 

Voyons  donc  comni'ça  s'fait  ! 

TOUPET. 

Am  :  Nous  nous  marierons  Dimanche. 

J'aime  un  obéjet, 

Parc'  qu'il  me  plaît, 

JAVOTTE. 

Eh  I  bcn,  tenez,  moi  de  d'même. 

TOUPET. 

Je  suis  sa  loi . 

JAVOTTE. 

Tenez,  el  moi 
De  d'mèmc. 


OPERA-COMIQUE.  307 

TOUPET.  , 

Oui,  c'est  mon  goût. 

JAVOTTE. 

Hé  !  ben,  moi  tout 
De  d'mème. 

TOUPET.- 

Cet  obéjet  c'est  vous. 

(Il  lui  baise  la  main.) 

JAVOTTE. 

Ah!  Monsieux,  qu'c'est  douxl 
Mais  doux,  comme  la  rue  des  Lombards,  en  vérité. 
Mon  cher  Poulet  des  Ind'que  j'i'aime  ! 

TOUPET. 

Que  je  l'aime!  et  voilà  lé  mot;  je  savais  bien  qu'elle  né 
serait  pas  longtemps  tenace. 

JAVOTTE. 

(A  part.)  Si  lu  savais  ! 

LA    HAMÉE. 

(On  s'attable.)  Assissons-nous  lertous.  lié!  Sans-r'grel, 
est-ce  que  tu  dors  encore  ? 

SANSREGRET. 

Oh!  que  non,  j'nai  pas  l'temps  d'ça,  moi? 

JAVOTTE. 

Est-ce  qu'il  est  gris  donc,  lui? 

SANSREGRET. 

Gris?  C'est  bon  pour  un  ivrogne. 

LA  RAMÉE. 

Allons,  passe  donc. 

TOUPET. 

(A  part.)  Je  mé  compromets  en  ce  jour  par  nécessité. 

SANSREGRET. 

J'suisben  là  moi.  N'vous  gênez  pas,  vous  autres. 


ÔOS  LES   RACOLEURS. 

LA   KAMKE,  VUrsaïU. 

Allons,  tendez,  man'zelle  Javolte  ;  à  vous,  man'zelle 
Marie-Jeanne;  (A  Tonton.)  et  vous,  bonne  pièce;  (Oiant  son 
chapeau.)  Monsieux  Toupet,  vouloz-vous  ben  m'parmettre. 
(A  Sans-regret.)  Hé  !  ben,  est-ce  que  tu  n'veux  pas  boire  à  la 
santé  dMonsieux  Toupet,  toi? 

SAKSRECRET. 

D'nionsieux  Toupet  !  Si  fait,  j'boirais  jusqu'à  son  dernier 
cheveu,  moi. 

LA  RAMÉK 

Note  bourgeois,  n'prenez  pas  garde  à  lui;  c'est  l'vin  qui 
parle. 

TOUPET. 

Je  lé  vois.  Mademoiselle  Marie-Jeanne,  sans  rancune  de 
tantôt. 

MAKiE-JEANNE. 

Fi  donc,  monsieux  du  Cliàleau,  à  la  vôtre. 

TOrPET. 

Mademoiselle  Javotle  je  bois  à  vos  plaisirs. 

JAVOTTE . 

Monsieux,  c'est  l'plaisird'là  copagnie. 

SANSREGUET. 

Ç'que  c'est  qu'la  politesse  ! 

LA   RAMÉK,   pendant  que  Toupet  boit. 

(a  part.)  Allongeons  le  temps  pour  atlendr'  Jolibois. 
(Haut.)  Ah  !  ça,  mon:>ieiix  Toupet,  pour  amuser  la  copagnie, 
dites-nous  donc  quequ'chose  d'vote  pays. 

MARIE-JEANNE. 

Quoi  !  d'son  pays? 

JAVOTÏE. 

Non.  non  ;  jtarlons  plutôt  (l'Vt>rsaillos. 


OPÉRA-COJIIQUË.  309 

TOM'ON. 

Ail  !  oui,  all'y  a  été  avec  ma  mère,  dà.  ||| 

MAIilE-JEANNE.  ■  tl| 

T'es  Len  heureuse. 

LA   RAMÉE. 

Hé!  ben,  contez-nous  ça. 

TOUPET. 

.l'en  serai  fort  aise. 

SAWSREGKET. 

Écoulons...  parce  que  pour  peu  que  quelqu'un  qui  cause, 
quand  on  parle... 

LA    RAMÉE. 

Allons,  laisse-la  donc  dire. 

JAVOTTE. 

Air  :  Drès  Vmatin. 
Vantez  (lu'j'avoiis  vu  la  Reine, 
L'Dauphin  et  Mesm'zell'  ses  sœurs, 
AH'zont  tout  comm'  la  Dauphaine, 
Un  air  d'espril  et  d'douceur  ; 
Quand  on  l'za  regardé,  y  sembe 
Qu'gn'a  plus  rien  dans  l'monde  à  voir; 
Ils  étiont  dans  un'  longu'  cliambe 
Qu'est  comme  un'  rue  en  miroir  : 
Et  puis  l'Roi,  note  bon  maître, 
Les  couvait  si  bien  d'ses  yeux, 
Que  j'nous  mourions  d'envi'  d"êlre 
Ses  enfans  aussi  ben  qu'eux. 

LA  RAMÉE. 

Je  rsomnies  lerlous,  Man'zelle;  s'il  nous  fait  pas  aussi 
riches  que  ceux  qui  l'y  sont  un  p"lit  brin  d'plus  prés  qu'nous 
ses  enfants,  ç'nest  pas  manque  d'bomie  volonté  ;  un  père 
qui  a  tout  un  grand  royaume  pour  famille  fait  ç'qui 
peut. 


510  LES  HACOLEUUS. 

Am  :  lU'çois  dniis  ton  galetas. 

C'est  un  des  meilleurs  humoins 
Et  des  plus  honuèl'homin'  d'ia  terre. 

Eh!  i>uis,  t'nez,  tous  ses  cousins 
Sont  d'riiimeur  de  son  caractère; 
L'Français  les  aim'  drès  en  naissant  ; 
Juf^ez  c'quo  c'est  en  grandissant. 

Vous  savez  ben  l'pain  d'amonilioii  ([ue  j'mangeons  en 
campagne,  otbeii,l'nez,  ça  nous  semb  comin'  des  perdrix  ; 
pourquoi  ?  parce  qti'ça  vient  du  roi  ;  c" prince-là,  c'est  l'bien 
aimé  du  cœur. 

SAXSREGRET. 

Tu  m'as  volé  celui-là. 

JAVOTTE. 

Eh  !  mais  vous  l'avez  volé  à  tout  Tmonde,  vous. 

TOUPET. 

Ce  garçon-ci  a  des  entrailles. 

L\  RAMÈE. 

Hé  !  ben,  monsieux  Toupet,  ça  n'vous  donne-ti  pas  un 
p'tit  brin  l'envie  d'voir  d'queu  magnère  un  boulet  d'canon 
en  agit  avec  ceux  qui  n'vculent  pas  s'ranger,  quand  y 
passe  ? 

TOUPET. 

Eh  !  mon  ami,  chacun  doit  se  (énir  dans  son  état. 

LA    P.AMÉE. 

J^badine  au  moins.  On  n'force  personne  :  eh  !  puis, 
c'est  pas  avec  vous  qu'd  l'aiidrail  jouer  à  ç'jeu-Ià,  d'ia 
finesse  dont  vous  êtes. 

TOLPET. 

Cadédis,  Je  lé  crois. 

LA    UAMÉE. 

Escusez... 


OPÉRA-COMIQUE.  511 

TOUPET. 

Il  n'y  a  pas  d'mal  ;  j'entends  raillerie,  mon  cher,  j'entends 
raillerie. 


SCÈ?^E  XVII 

LES   l'RÉCKDEXTS,   JOLIBOIS,    DÉGUISÉ    EN     MARCHAND    DE    BILLETS 
DE    LOTERIE. 

JOLIBOIS. 

Un  la  lire  aujourd'imi,  c'est  pour  aujourd'hui. 

TOUPET. 

Ah  !  un  bonheur  né  va  pas  sans  un  autre  ;  mettons  à  la 
loterie,  ma  petite  Javotte. 

JAVOTTE. 

Pourquoi  faire? 

MAP.IE-JEAXNE, 

Hé  !  pargué,  pourquoi  pas  ? 

JOLIBOIS. 

J'n'en  ai  pus  qu'deux  :  qu'est-ce  qui  les  veut? 

LA  RAMÉE. 

Monsieux  Toup,  t  a  raison,  faisons  une  socitUé. 

TOUPET. 

Eh  !  que  risqués  bous  '.'  qui  ne  hasarde  rien  n'a  rien, 

LA    RAMÉE. 

Va-t'y,  Man'zelle? 

JAVOTTE. 

Allons,  va. 

MARIE-JEANNE. 

C'est  pas  une  si  grosse  dépense. 


"312  LES   U.VCOLEUUS, 

JOLIBOIS. 

V'ià   l'gr'lot,    d'quinze    mille    livres   en    passant,   v'Iii 
rgr'lof. 

TOUPET. 

Coléporleur,  bénés  çà. 

I.A  KAMÉE. 

L'homme  ;  liai  !  l'honime  ? 

JOLiliOis,   s'avan(,aiU. 

V'ià  mes  deux  derniers,  mon  oUicier. 

TOLl'ET. 

Il  n'y  a  qu'à  les  prendre  tous  deux. 

JOLIBOIS. 

Oh  !  j'ai  la  main  heureuse,  déjà. 

TOUPET. 

Voyons,  ils  sont  des  enfans  trouvés. 

JAVOTTE. 

Marchand  d'ognons  s'coniiail  en  ciboule  ;  hé  !  ben,  r'gar- 
dez  donc  s'ils  n'sont  pas  un  plil  brin  faux. 

(Toupet  les  retourne  et  les  cxainiiie.) 
SANSREGRET. 

AïK  :  Talalerila,  lalalire 
Quand  je  n'vous  vois  pas  je  soupire, 
Et  j'soupire  aussi,  quand  j'vous  vois, 

LA    r.AMÉE. 

Paix. 

M.    TOUPET. 

Je  lés  crois  bons  :  a\és  vous  dé  l'encre,  l'ami? 

JOLlliOlS. 

Toujoux,  note  Bourgeois,  à  cause  du  négooe,  et  du  pa- 
pier ilout  (il  en  lionne),  pour  écrire  les  lots  que  j'vends. 

(l'enilant  i|iic  Joliliois  ilévis-o  le  Cdniel  et  aveini  une  plume, ^ 


OPÉRA-COMIQUE.  513 

SAKSREGP.ET,   achève  l'air  ci-dessus. 
Et  l'amour  que  l'Amour  m'inspire. 
Est  ui.  amour  plus  fort  que  moi  : 
C'est  comme  j'ai  l'iionneur  de  vous  l'diie... 

LA    RAMÉE. 

Mais  tais-toi  donc.   Man'zelle  Javolte,  vous  savez  écrire? 

JAVOTTE . 

Non,  j'n'ai  jamais  pu  apprende  ça,  parç'que  j'suis  gau- 
chère. 

LA  RAMÉE,  ayant  le  pouce  enveloppé  dun  linge. 

Si  j'n'avais  pas  mal  à  mon  pouce. 

TOUPET. 

Prêtés,  prètés-moi  la  plume. 

LA   RAMÉE. 

Encore  mieux  :  car  j'vous  dirai  avec  ça  qu'je  n'peux  pas 
ben  mette  l'ostograplie  dans  les  chiffres;  vous  garderez  les 
billets,  gn'a  qu'à  seul'ment  Jaire  faire  eune  r'connaissance 
pour  nous  quatre,  et  faire  Man'zelle  Javolte  la  porteuse. 

TOUPET. 

A  merveille.  (il  écrii.) 

TONTON. 

Ah!  ma  sœur,  vous  mettrez  six  yards  pour  moi,  pas 
vrai  ? 

JAVOTTE. 

Nous  varrons  ça. 

SAXSREGRET. 

Je  ne  sais  pas  pourquoi  j'suis  altéré  comme  ça  :  la  Ra- 
mée, passe-moi  un  peu  la  bouteille. 

LA    RAMÉE. 

Oii  !  un  moment. 

(Ils  su  font  tous  d(;s  signes  de  joie,  pendant  f(ue  .Toupet  écrit.) 

18 


314  l.i;s   RACOLEURS. 

SANSUKCRET. 

Sur  ce  coteau, 
Je  badinais  au  fond  de  l'eau, 
Et  je  m'endormais, 
En  m'écriant  qui  va  là, 
Là. 

JOLIBOIS. 

Noie  Bourgeois,  t'iiez,  pernez  garde  à  c'pli  :  n'meltez  pas 
vole  nom  d'dans,  car  l'papier  burait,  et  faudrait  r'com- 
iiiencer. 

TOUPET,  écrivant. 

Hé  !  bien  ;  je  n'ai  qu'à  lé  mettre  plus  bas  :  ténés,  Made- 
moiselle, nous  né  pouvons  pas  manquer  dé  gagner,  car  vous 

y  êtes. 

JAVOTTE. 

Ah  !  Monsieux,  vous  y  êtes  encore  pus  qu'moi;  comment 
donc  !  vous  écrivez  comme  un  déluge. 

TOUPET. 

Vous  mé  flattés,  mon  aimable  poule. 

LA  UAMKE. 

Gn'a  pas  d'flatterie  ;  j'voiis  répons  d'un  lot,  moi,  Mon- 
sieux Toupet. 

TOUPET,  essuie  la  plume  et  revisse  le  cornet. 

Je  l'espère. 

LA   UAMÉE,  à  Marie-Jeanne. 

Di(es-ly  qu'alKnous  coule  ça  par  sous  la  table. 

IMAKIE-JEANNE. 
(A  la  Maniée.) 

La  Ramée,  il  s'ra  ben  joyeux,  quand  il  verra  la  lisle. 
(a  Javotto  )  Donne. 

J.WOTTE,  lui  donnant  la  reconnaissance. 

Je  m'doulais  ben  d'ça. 


OPÉRA-COMIQUE.  513 

TOLTET,    à   Jolibois. 

Ténés,  petit,  voilà  vos  ustensiles. 

LA    RAMÉE. 

Allons,  vivant,  avec  la  permission  d'Monsieux,  metlez- 
vous  là;  j'vous  pairons  dans  Tmoment. 

JOLIBOIS,  se  plaçant. 

C'a  n'presse  pas. 

LA   RAMÉE. 

Faut  convenir  qu'y  a  de  beaux  hommes  dans  les  troupes, 
Monsieur  Toupet, 

TOUPET. 

Je  lé  sais. 

MARIE-JEANNE. 

Quand  ils  ne  r' sembleraient  qu'à  Monsieux. 

JAVOTTE. 

Eh  !  mais,  on  se  r'semble  de  plus  loin-. 

TOXTON. 

Et  sans  êtr'parents  encore. 

SANSREGRET. 

Am  :  //  est  Gentilliomme. 
Monsieux  est  sans  dout'  Guernadier 
Selon  ce  que  j'espère  ? 

TOUPET. 

ISon  ce  n'est  pas  là  mon  mélier, 

.SANSREGRET. 

Ah  !  c'est  une  autre  alfaire. 

TOUPET. 

Que  veut-il  dire  par  là? 

LA    RAMÉE. 

01)1  rien  du  tout. 


316  LES   RACOIJ:;UhS. 

SANSREGRET,  montrant  Tonpet. 

C'ost  qu'il  a 
L'air  d'un  Mi,  Mi,  Mi, 
L'air  d'un  li,  ii,  li, 
L'air  d'un  Militaire, 
A  vot'  sanlé,  frère. 

TOUPET. 

Frère;  que  veut  dire  ceci?  Il  se  familiarise;  je  né  mé 
crois  pas  fait  pour  cette  fraternité. 

JAVOTTE. 

Est-ce  qu'vous  raccoutez?  voyez-vous  pas  ben  qu'il  a  bû  : 
eh  !  puis,  avec  qui  croyez-vous  donc  êtr',  Monsieux?  Com- 
ment donc  des  filles  qui  sont  l'innocence  même. 

TOUPET. 

Vous  avés  raison,  ma  chère  enfant;  daignez  vous  aperce- 
voir aussi  que  je  plaisante. 

JOLIBOI?. 

lié  !  ben,  l'nez,  puisqu'vous  êtes  en  train  d'badiner,  j'ai  là 
une  chanson  qu'est  bâclée  gn'a  pas  longtemps,  et  qui  a  déjà 
sarvi. 

LA    lUMÉE. 

Ça  n'fait  rien,  donnés  toujours,  père;  allons,  chantons 
queuqu'p'tite  chose  à  cause  d"la  rencontre  ;  t'nés,  Man'zelle, 
vous  qu'avez  une  belle  poitrine,  défiichez-nous  ça. 

JAVOTTE. 

Donnez;  quand  on  n'a  pas  une  belle  voix,  on  n'.^e  fait 
pas  prier. 

TOUPET. 

Allons,  ma  petite  amie,  vous  mé  ferez  votre  cour  par-là, 
chantez  pour  l'amour  dé  votre  petit  mari,  nous  ferons 
chonix. 


OPÉRA-COMIQUE.  '.17 

JAVOTTE. 

Air  :  Mais  il  ij  a  dent  nns  que  j'i'ous  aiin  bcn. 
D'un  faraut  de  note  quartier 
Accontez  l'aventure  : 

LE    CIIŒIT,. 

D'un  farautj  etc. 

J.VVOTTE. 

Y  s'mis  en  tète  d'époufer 

Une  fiir  qui  n'pouvait  p&s  l'aimer. 

I.E  CHŒUR. 

Y  s'mi«,  etc. 

TOUPET. 

Il  né  savait  pas  bien  s'y  prendre. 

JAVOTTE. 

S'te  fille  avait  un  autre  amant. 
De  plus  bonne  ligure, 

EN    CHŒUR. 

S'te  fille,  etc. 

JAVOTTE. 

Qui  malgré  sa  mère  vrament, 
Ly  baillit  son  consentement. 

LE  CHŒUR. 

Qui,  etc. 

TOUPET. 

Rien  fié  mieux. 

JAVOTTE. 

Pour  s'débarrasser  du  rival,  "  '   ^ 

Qui  s'croit  une  mignature. 

LE    CHŒUR, 

Pour,  etc. 

JAVOTTE, 

On  VOUS  3  fait  à  c' l'an! mal, 
Un  tour  qui  n'réussit  pas  mal. 

18. 


518  LES  RACOLEURS. 

LE    CHŒUR. 

On  vous  a  fait,  etc. 

TOUPET. 

CVsl.  Itieiï  ouiployé. 

JAVOTTE. 

Pour  société  de  deux  billels, 
Donnant  sa  signature, 

LE   CHŒUR. 

Pour,  etc. 

JAVOTTE. 

On  l'a  fait  signer  bas  csprès. 
Pour  afin  d'I'engager  après. 

(toupet,  se  lève  avec  vivaciLé.) 
LE   CHŒUR. 

On  l'a  fait,  etc. 

Uuaiiil  JavoUe  a  lini,  toute  la  liaiulc  claque  des  mains, 

toupet. 
.Serais-je  pris  pour  dupe? 

LA   RAMÉE. 

lié!    hen,   cnmarade,    conv'nez    qu'votis   êtes   dMans, 
d'beau  jeu,  là. 

toupet,  ù  Javolte. 

Rendez-moi,  s'il  vous  plait,  ma  réconnaissance. 

JAVOTTE. 

Allez,  aire>t  en  boime  main;  c'est  la  lîamée  qui  l'a,  y 
vous  travaillera  ça,  comm'  ça  s'pratique. 
Aiii  :  Gare  le  pot  au  noir. 
Ah!  ça,  mon  p'iit  f'ulur, 
Je  v'nons  d'fair'  les  fiançailles? 

LA   PAVÉE,   le  raiUnnt. 
D'elle  vous  v'ià  ben  siir. 


OPÉRA-COMIQUE.  319 

JAVOTTE. 

A  tantôt  l'zépoasailles  : 

TOUPET 

Me  tromper  dé  la  sorte  ' 

JAVOTTE. 

M'aimez-vous  à  ç't'heur'-ci? 

TOUPET,   furieux. 
Que  lé  diable  l'emporte.  • 

SANSREGRtT. 

D'ia  douceur,  notre  ami. 
Faut  d'ia  civilité  dans  les  troupes;  Mad'moiselle  est  fort 
ragoûtante  ;  allons,  pas  de  refus,  épousez-la  un  peu  jusqu'à 
nouvel  ordre. 

TOUPET,   avRC  emportement. 

Je  n'ai  que  faire  dé  votre  berviage  vachique;  je  suis  vrave. 
Ce  qui  mé  pique,  c'est  dé  mé  voir  dupé  où  je  croyais  faire 
une  dupé  dé  vous.  Petite  égrillarde... 


SCÈNE  XYIII 

MADAME  SAUMON,  MARIE-JEANNE,  JAVOTTE,  TONTON, 

LA  BRÈCHE,  LA  RAMÉE, 

JOLIBOIS.  SANSRECUET,  TOUPET. 

TOUPET,    continuant. 

Je  né  bous  rét;rette  pas  ;  car  vous,  votre  race,  à  com- 
mencer par  votri''  meie,  vous  né  valez  pas  les  Irais  dé  la 
police. 

MADAME    SAUMON. 

Ah  I  grand  merci,  v'ià  donc  comme  tu  nous  équipes) 
girouette  du  pilori. 


320  LES   RACOLEURS. 

LES  QUATRE  FEMMES  ENSEMBLE. 


MADAME    SAUMON. 

Tii  irsortiras  pas  d'ici  sans 
avoir  la  marçoiilelte  en  coin- 
pole  :  c'ncz  s'diable  de  rnal- 
peigné,  trailer  comin'  ça 
d'honnêtes  gens;  lu  peux  lien 
dire  :  bon  soir,  la  cotnpaçjnie, 
car  j'te  vas  mettre  hors  d'étiit 
de  travailler  d'niain. 


JAVOITE. 

Laissez-moi  faire, ma  mère, 
faut  qu'il  porte  un  hras  en 
écharpe  de  ma  façon  :  tu  vas 
voir  à  qui  qn'tu  l'joues,  va, 
coclier  des  cabriolets  d'Mar- 
seille;  mais  voyez  c'cou-in 
germain  d'Lucifer  à  la  mode 
de  Bretagne,  ah  !  c'est  fait 
(ftoi. 


Tu  n'  m'échapperas  pas, 
c'te  main  lava  mettre  ta  face 
en  couleur,  et  l'autre  va  la 
frotter,  ah  !  comme  lu  vas  m' 
payer  l'honneur  d'avoir  trin- 
qué avec  moi,  rendez-vous 
à  croquignolle,  faut  que  j'té- 
charpe. 


MARIE-JEANNE. 

C'est  donc  à  nous  qu'tu 
t'adresses  timballier  des  ar- 
chers d'I'écuelle,  nous  n'va- 
lons  pas  les  frais  de  la  po- 
lice, oh  !  jte  vas  faire  voir  à 
qui  tu  parles,  va,  médaille  de 
papier  volant  vis-à-vis  l'Hôtel 
des  Ursins,  tiens  toi  ben. 

LA   RAMÉE   et  JOLIDOIS,    s'opposant  à  leur   violonro 

Douç'ment'donc,  douç'ment. 

LA    RAMÉE. 

J'nous  intéressons  à  sa  santé. 

TOUPET. 

Tâchons  dé  leur  souhaiter  tous  bas  lé  bonsoir. 

MADAME    SAUMON. 

Est-ç'  qu'il  s'rait  engagé  ? 

L\    RAMÉE. 

Et  proprement  même. 

(Toupet  s'éeiiappe.) 
JOLIBOIS,  couiaiil  après  lui. 

Dites  donc,  dites  donc? 

SANSREGRET,    rourant  aus*-i. 

Oh  !  y  n'ira  pas  loin. 


OPERA-COMIQUE.  321 

SANSREGRET,  s'en  allant  doucement  et  en  serpentant. 

Air  :  L Amour,  pour   tne  rendre  heureux. 

J'm'en  vas  bien-tôt  vous  l'attrapper. 

LA    RAMÉE. 

Il  ne  peut  pas  nous  échapper  ; 
Le  manigance  est  prête, 

Et  j'm'en'vas  dans  l'moment 

(11  lire  une  cocarde  de  sa  poche.) 

L'y  poser  sur  la  tête 

L'cachet  du  Régiment. 


(il  sort.) 


MADAME   S.\UMON. 

Qu'j'en  suis  b?n  aise  ! 


SCENE  XIX 

MADAME  SAUMON,  JAVOTTE,  MARIE-JEANNE,  TONTON, 
DE  LA  BRÈCHE. 

MADAME    SAOMON. 

Ail  !  ça,  Monsieux,  j'siiis  r'connaissante  ;  tiens,  ma  fille, 
sans  iy  j'étais  agonie  par  ste  femme,  deux  d'ses  commères 
et  la  populace  au  sujet  de  ste  carpe  de  tantôt  :  Monsieux 
d'Ia  Brèclie  m' voit  dans  les  douleurs,  tire  l'épée  à  la  main 
nue,  et  cric,  crac,  zin,  zon,  pilf,  palT  :  il  s'escripe  si  bien 
d'coq  et  d'cailie,  qu'y  m'tire  d'embarras  en  un  crain  d'oeil. 

.\iu  :  Mais  ci  mandez-moi  pourquoi  qu'je  r  viens. 

Javotle,  approche,  mon  enfant; 

Va  j'permets  que  Monsieux  t'embrasse. 

DE    LA    lîRÈCHE. 

Madame. 


322  LES   n.VCOLEURS. 

MADAME    SAUMOX. 

Ail  !  pas  tant  do  compliment, 
J'sais  c'que  j'dis  et  c'qui  faut  qu'j'fasso. 
Toupet  vient  d'découvrir  la  mêclie, 
Et  j'rsens  ç'que  vous  avez  fait  ; 
Va  tu  seras  Madame  d'ia  Drèche. 

MAlllE-JEANKE. 

Ç'nom-là  vaut  ben  Madame  Toupet. 

TO.NTOX. 

V'ià  deux  drôles  de  noms,  toujoux. 

JAVOTTE,  doniiaut  la  main  à  M.  de  la  Brèche. 

T'nez,  ça  vaut  la  parole,  comme  la  parole  vaut  l'jou. 


SCÈNE  XX 

TOUPET,  LA  RAMÉE,  JOLIBOIS,  SANSRECRET, 

MADAME  SALMON,  JAVOTTE, 

MARIE -JEANNE,  TONTUN,  M.  DE  LA  BRÈCHE. 

JOLIBOIS. 

Allons,  camarade,  n'vous  faites  pas  prier;  car  ça  d'vien- 
drait  gênant  entre  amis. 

TOUPET. 

Eh!  Messieurs,  doucement;  une  personne  délicate  comme 
moi  se  casse  comme  un  verre  ;  je  né  cherchais  point  à 
m'enfuir. 

SANSREGRET. 

Oh!  non,  Monsieux  s'promenait;  il  est  bon  d'prendr'l'air. 

MADAME   SAUMOX. 

Alu  :  Qui  veut  savoir  l'histoire  entière. 
Ah!  lu  viens  donc  chercher  ton  reste! 


•OPERA-COMIQUE.  523 

TOUPET. 

En  parlant,  on  peut  se  passer  du  geste. 

MADAME    SAUMON. 

On  m' venge  assez,  n'craignez  pus  rien. 

JAVOTTE. 

Pargué,  la  cocarde  vous  va  ben. 

MARIE-JEANXE. 

Faut  Tiip'Ier  Monsieux  la  Terreur  à  et'  heure-ci. 

TOSTOX. 

Il  a  l'air  dégagé  comme  Tcoche  d'Auxerre. 

LA   RAMEE,  tiraut  la  si^'ualure  de  Toupet. 
Air  :  Sli-là  (pià  pincé  Berfj-op-:^ootn. 
(Au  Sergent.) 

Avons-nous  ben  su  l'accroclier? 
T'nez,  v'ià  d'qnoi  le  faire  marcher. 

DE    LA    BRliCHE. 

En  faveur  du  bien  qui  m'arrive, 
Du  fruit  de  vos  soins  je  me  prive. 

Je  lui  rends  ce  papier,  pourvu  qu'il  vous  fasse  une  légère 
excuse. 

TOUPET. 

Essécuses,  moi  !  des  essécuses!  qu'on  me  donne  sur  le 
champ  Ihabit  d'ordonnance  :  je  lis  dans  ses  yeux  qu'elle  se 
répent  dé  mé  perdre,  et  avant  que  son  goiit  pour  moi  né 
la  réprenne  vivement, 

Am  :  De  tous  les  Capucins  du  momie. 

Mon  Sergent,  car  je  suis  des  vôtres, 
Je  veux  partir  avec  eux  autres  ; 
Délivrez-moi  dé  ses  transports. 
Oui,  j'iiiiné  mieux  être,  ma  mie, 
Enrôlé  dans  les  petits  corps^ 
Que  dans  la  grande  confrérie. 


324  LES  RACOLEURS.. 

JAVOTTE. 

Ah!  ça  n'aurait  pas  manqué  avec  toi,  va;  y  n'est  pas 
Gascon  ! 

MADAME   SAUMON. 

Allons,  partons;  j'alloiis  bâcler  ton  mariage  et  sli-là 
d'Marie-Jeanne. 

TOUPET. 

Je  vous  souhaite  une  posiérilé  aussi  nombreuse  que  ce 
bras-ci  étrillera  d'ennemis. 

LA    RAMÉE. 

J'aurons  sans  doute  queuqu'jour  la  guerre,  et  d'himeur 
dont  j'vous  connais,  papa,  si,  comme  dit  c'i'autre,  on  rase 
queuqu' ville,  vous  n'manqu'rez  pas  d'ouvrage. 

MADAME   SAUMON. 

Hé!  ben,  v'nez-nous  terlous. 

JAVOTTE. 

Tout  à  l'heure,  ma  pauvre  p'tile  chère  mère. 

(s  adressant  au  public.) 

Air  :  Me  promenant  dans  la  plaine. 

Le  zèle  ardent  nous  engage 

A  prévenir  vos  désirs; 

Nous  varions  le  langage. 

Pour  varier  vos  plaisirs. 

Un  censeur  triste  et  sauvage 

N'y  trouvera  point  d'appas. 

Croit-il  lui  seul  former  l'orage? 
Non,  non,  non  ;  le  goût  ne  suit  point  ses  pas. 

Ah  !  cpiand  on  a  votre  sulTrage, 
Non,  non,  non,  non,  l'iioimn'  ne  réplique  pas. 


LE 

MAUVAIS   PLAISANT 

ou    LE 

DROLE   DE   CORPS 

OPÉRA-COMIQUE 

EN  UN  ACTE 

BEPUÉSEXTÉ   POUK    I.  V    PliEMIÈRE    lOIS    SUR    LE   THÉATllE   UE 

l'opéra-comique    de    la   foire    SAINT-LAUREM 

I,E    MERCBEDI    17    AGIT    1737. 


ACTEURS 

CÉPHISE,  Mère  de  Sophie. 

SOPHIE. 

M.  GROSSEL,  Frère  de  Céphise. 

PLAlSAiNTIN,  ) 

iT-iivi^ni-.        }  Amants  de  Sophie. 

LLANDRE,       )  ' 

M.  PRESSANT,  Créancier  de  M.,Grossd. 

La  Scène  est  à  Paris  dans  la  Maison  de  M.  Grossel. 


l'J 


326  LE  MAUVAIS   PLAISANT. 

SCÈNE  PREMIÈRE 
CÉPIIISE,  GROSSEL. 

GROSSEL,  riant  avec  éclat. 

Ail!  ah!  ah!  hé  bien,  ma  sœur. 

CiÎPHISE,   d'un  air  froid. 

Hé  bien  1  mon  frère. 

GROSSEL,  d'un  ton  de  bonne  humeur. 

Convenez  que  Sophie  voire  fille  n'aura  pas  le  temps  de 
s'ennuyer  avec  Plaisantin  son  futur,  car  parbleu,  c'est  un 
drôle  de  corps. 

ÇÉPHISE. 

Ah  !  fort  drôle  :  est-ce  parce  qu'il  est  familier  jusqu'à 
l'impertinence,  et  qu'il  joue  éternellement   sur  le  mot? 

GUOSSEL. 

Et  sur  quoi  donc  voulez-vous  qu'il  joue,  puisque  c'est 
son  caractère? 

Aiu  :  Mais  à  celte  table. 
La  gaitc  l'inspire. 
Le  mot  pour  rire 
Se  trouve  toujours 
Eucailré  daus  ses  discours. 
Votre  froid  Léaiidre, 
Trislenieut  tendre, 
Ne  ferait  pas  mal 
D'imiter  son  rival  ; 
Moi-même  j'envie 
Sou  sovt. 

CÉ  PUISE. 

lié  Lien, 
Moi,  je  ne  vois  rien 
De  s:i  plat  dans  la  vie. 


OI'ERA-GOMIQUE.  5i7 

GROSSEL. 

Oh,  VOUS  voilà  toujours  avec  votre  humeur. 

CÉPHISE. 

Am  :  Non,  je  ne  ferai  pas. 

Non,  je  n'ai  point,  mon  frère,  un  caractère  sombre, 
Mais  je  sais  dislinguer  l'esprit  d'avec  son  ombre, 
Et  votre  Plaisantin  me  prouve  clairement 
Que  tout  drôle  de  corps  n'est  qu'un  mauvais  plaisant 
GROSSEL. 

lié,  que  m'importe  à  moi  qu'il  soit  bon  ou  mauvais, 
pourvu  qu'il  m'amuse. 

Am  :  Jardinier  ne  vois-tu  pas  ? 
Les  gens  au  ton  affecté 
N'ont  pas  sur  ;moi  d'empire. 
Toujours  leur  air  apprêté 
Consulte  leur  dignité, 
Pour  rire,  pour  rire,  pour  rire. 

Qu'ils  aillent  au  diable  :  moi  j'aime  les  rieurs,  ce  sont 
de  bonnes  gens,  entendez-vous?  malheur  à  qui  ne  rit  pas. 

CÉPUISE. 

Encore  faut-il  en  avoir  sujet,  mais 

Am  :  De  tous  les  capucins  du  inonde. 
Rire  de  choses  pitoyables  ! 

GROSSEL. 

Ah  !  vraiment,  vous  et  vos  semblables 
Vous  avez  toujours  très-grands  soins 
De  n'être  contents  d'aucuns  styles. 
Ceux  qui  s'y  connaissent  le  moins, 
Sont  toujours  les  plus  difficiles. 

CÉPHISE. 
Air  :  Un  cordelier. 
Vous  me  donnez  un  joli  ridicule. 


528  LE   MAUVAIS   PLAISANT. 

GROSSEL. 

Par-tout  il  circule, 

Oui,  morbleu,  partout. 
On  porte  le  dégoût. 
Voit-on  éclore  uu  ouvrage  passable... 

11  est  détestable. 

Par  vous  le  talent 
Périt  même  en  naissant. 

CÉPHISE. 

Vous  me  rendez  bien  de  peu  justice,  j'aime  le  mérite 
réel;  mais  qu'a  de  commun,  je  vous  prie,  le  talent  avec 
M.  Plaisantin? 

GROSSEL. 

11  en  a.  Oui,  il  en  a,  vous  dis-je,  et  indépendamment  de 
ce  qu'il  est  tout  uni  et  sans  façon  comme  moi. 

AïK  :  Allons  donc,  joua  violons. 

C'est  que  l'amitié  qui  nous  lie 
M'est  d'une  ressource  infinie, 
C'est-à-dire,  pour  le  moment. 
Vous  savez,  malgré  ma  richesse. 
Que  très- vivement  on  me  presse. 
Pour  un  certain  remboursement  ; 
Et  comme  je  n'ai  point  d'argent, 
Plaisantin  sera  ma  ressource. 
Je  pourrai  puiser  dans  sa  bourse. 

CÉPHISE,  ironiquement. 
Oh,  je  le  crois  fort  obligeant. 

GKOSSfL. 

Vous  le  croyez  en  enrageant. 
Voire  inutile  Léandre,  serait-il   capable  de  ces  procé- 
dés-là '! 

CÉPllISE. 

Si  vous  le  connaissiez  mieu.\ 


OPERA-COMIQUE.  529 

GROSSEL. 

Lui,  il  n'est  bon  à  rien  qu'à  languir,  à  soupirer. 

CÉPHiSE. 

C'est  qu'il  ;  ime  véritablement. 

GROSSEL. 

AïK  :  Tomber  dedans. 
Ce  Léandre  voudrait  en  vain 
Prétendre  à  la  main  de  Sophie, 

CÉPHISE. 

Mais  tel  est  pourtant  mon  dessein, 

GROSSEL. 

Oh  !  parbleu,  je  vous  en  défie. 

CÉPHISE. 

Elle  est  ma  fille. 

GROSSE!.. 

On  le  sait  bien. 
Vous  pouvez  former  ce  lien. 
Ce  doux  lien 
Ce  beau  lien. 
Mais  ne  comptez  pas  sur  mon  bien. 
L'autre  est  mon  ami;  j'aime  sa   manière  d'agir,  son 
genre  d'esprit  me  con<\ient. 

CÉPHISE. 

Non,  mon  frère,  il  ne  vous  convient  pas. 

GROSSEL. 

Yentrebleu,  je  sais  mieu.v  ce  qu'il  me  faut  que  vous. 

CÉPHISE. 

Air  :  d  Épicure. 

L'emportement  qui  vous  inspire 

Récompense  mal  ma  douceur, 

Je  n'ai  plus  qu'un  mot  à  vous  dire. 

GROSSEL. 

Hé  bien,  voyons,  ma  douce  sœur 


530  LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

cÉniiSE. 
Ce  genre  qu'entre  nous  je  blâme, 
De  chez  vous  devrait  se  bannir. 
Le  seul  bon  goût  enchante  l'âme. 
Et  le  mauvais  la  fait  rougir. 

GKOSSEL. 

Ah,  diable,  de  la  métaphysique  du  Marais  !  mais  vous 
êtes  fort  douce  en  effet  :  savez-vous  que  j'aimerais  autant 
que  l'on  me  dît  des  injures  que  de  m'entendre  dire  que  je 
n'ai  point  de  goût. 

CÉPUISE. 
Ain  :  Je  suis  jihilosophe,  moi. 
Vous  en  avez,  mon  frère,  et  plus  qu'un  autre. 

GROSSEL. 

Chacun  en  a  pour  soi  : 
Vous  aimez  l'un,  et  moi  j'aimerai  l'autre  ; 
Là-dessus  point  de  loi. 

CÉPHISE. 


Ah!  volontiers. 


GROSSEL. 

Prêtez-vous,  je  me  prête. 


SCÈNE  II 

CÉPIIISE,  GROSSEL,  PLAISANTIN. 

PLAISANTIîs',  achève  l'air  en  sautant  dès  le  fond  du  Ihéùtre. 
J'aime  la  fillette. 

Moi, 
J'aime  la  fillette. 
cnossEL. 
Ah!  le  voici,  je  respire,  je  suis  dans  mon  élément  avec 
lui. 


OPERA-COMIQUE.  331 

CÉPHISE. 

Qu'ils  sont  bien  ensemble  ! 

PLAISANTIN. 

Te  voilà,  père  Grosse!,  où  diable  le  fourres-tu  donc.'  Je 
t'ai  cherché  partout  jusque  dans  l'écurie. 

GROSSEL,  riant. 

Et  tu  ne  m'y  as  pas  trouvé?  N'est-ce  pas? 

PLAISAXTIN. 

Hé!  bien,  la  petite  mère  Céphise,  comment  la  joie? 

CEPHISE,  froidement  et  bâillant. 

Ah!  fort  bien,  monsieur. 

PLAISANTIN". 

Comment  donc  morbleu,  nous  voilà  belle  comme  Cybèle. 

GROSSEL,  en  souriant. 

Comme  Cybèle. 

CÉPHISE. 

Air  :  Recevez  ce  beau  bouquet. 
C'est  me  complimenter  au  mieux, 
Vous  y  mettez  de  la  noblesse. 

PLAISANTIN. 

Cybèle  était  mère  des  Dieux, 
Et  VOUS  l'êtes  d'une  déesse, 
Par  conséquent  vous  sentez  fort, 
Que  Sophie  étant  votre  fdle. 
Et  vous  ressemblant  sans  effort, 
Aurait  tort. 
De  n'être  pas  gentille. 

GP.OSSEL. 

Ah!  ail!  ah!  comme  il  tourne  les  moindres  choses! 

CÉPHISE,  ironiriuemenl. 

Oui,  cela  est  fort  beau. 


332  LE   MAUVAIS  PLAISANT. 

PLAISANTIN. 

Qu'est-ce  que  vous  parlez  là  de  corbeau?  (il  rii.)  Sais-tu 
bien  que  ta  sœur  est  plaisaute. 

GROSSEL,  riant. 

Ob  !  tout-à-faif. 

CKPinSE. 

Air   :  De   Catinat. 
De  ce  talent,  monsieur,  vous  me  faites  présent. 

PLAISANTIN. 

Ni  présent,  ni  passé,  madame,  assurément. 
GROSSEL,  riant. 
Ah!  ah  !  ah i 

.    CÉPHISE. 

Ayez  donc  la  bonté  de  me  parler  plus  clair. 

PLAISANTIN. 

Quoi  ?  clerc  de  procureur  ! 

GROSSEL,  éclatant  de  rire. 

Mais  finis  donc,  mon  cher. 
Le  diable  t'emporte.  Tu  veux  donc  me  faire  étouffer. 

CÉPHISE,    à  part. 
Quel  homme  ! 

GROSSEL,  à  Céphise, 
Air  :  Aoi/s  sommes  précepteurs  d'amour. 
Quoi,  vous  ne  riez  point  ! 

CÉPHISE. 

Hélas! 
J'ai  tort  de  ne  point  savoir  rire. 
(Dédaigneusement.) 

Et  puis  d'ailleurs  on  ne  rit  pas. 
D'une  chose  que  l'on  admire. 

Je  fuis  sans  doute  l'amusement  en  m'éloignant  de  mon- 
sieur, j'en  ai  bien  du  regret.  Mais  une  affaire  m'appelle. 


OPÉRA-COMIQUE.  533 

PLAISAKTIN. 

Une  affaire  vous  appelle?  Elle  vous  a  donc  appelée  bien 
bas,  car  je  ne  l'ai  pas  entendue, 

(Céphise  hausse  les  épaules  el  veut  sortir.) 
GROSSEL,  coulent. 
Air  :  Tu  croyais  qu'en  aimant  Colette. 
Toxijours  cliez  lui  l'esprit  travaille, 
(Arrêtant  Céphise.) 
Mais... 

CÉPHISE. 

Vous  me  retenez  en  vain. 

(Elle  sort.) 
PLAISANTIN. 

Hé  bon,  laisse-la  partir. 

Car  il  vaut  mieux  qu'elle  s'en  aille, 
Qu'une  bonne  pièce  de  vin. 


SCENE  III 
GROSSEL,  PLAIS.VNTIN. 

PLAISANTIN. 

Elle  est  un  peu  bête,  ta  sœur. 

GROSSEL. 

Il  s'en  faut  de  beaucoup.  Elle  a  seulement  l'esprit  sé- 
rieux. 

PLAISANTIN. 

Et  mais,  c'est  tout  de  même. 

GROSSEL. 

Comment  tout  de  même  ! 

PLAISANTIN. 

Oui,  excepté  que  c'est  différent. 

19. 


334  LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

GROSSEL. 

Ah!  bon!  laissons  ce  point.  Au  reste 

PLAISANTIN. 

Oreste,  ah,  volontiers,  Pylade,  mais  à  condition  qu'au 
lieu  de  mourir,  nous  vivrons  l'un  pour  l'autre. 

Cr.OSSEL. 

Où  diable  va-t-il  chercher  tout  cela?  Mais  parlons  un 
peu  raison. 

PLVISANTIN. 

Oh,  volontiers,  moi,  oui,  parlons  raison. 

GROSSEL. 

Air  :  C'eut  là  ce  qui  m'étonne. 
Oh  !  ça,  mon  cher,  de  toi  je  fais  grand  cas. 
Et  tu  sais  que  j'ai  grande  envie. 
De  te  faire  épouser  Sophie. 

PLAISANTIN. 

Cela  ne  me  surprend  [pas. 

GROSSEL. 

Oui,  mais  ma  sœur,  du  moins  je  le  soupçonne, 
Elle  qui  doit  me  ménager. 
Prétend  pour  me  faire  enrager, 
Avec  Lraiidre  l'engager. 

PLAISANTIN. 

Voilà  ce  qui  m'étonne. 
L'engager  ! 

GROSSEL. 

Oui,  la  marier  avec  lui. 

PLAISANTIN. 

Air  :  Le  Seigneur  Turc  a   raison. 

Ceci  devient  sérieux, 

Ce  récit  m'enflamme  : 
Qui  ?  lui  ?  serait  à  mes  yeux 
L'objet  des  vœux  de  son  fime  I 


OPERA-COMIQUE.  355 

Ah  !  si  Léandre  l'osait 
Si  jamais  ill'épousait..,    . 
Elle  serait  sa  femme. 

GROSSEL. 

lié!  mais  sans  doute:  venons  pourtant  au  fait,  lu  aimes 
ma  nièce. 

PLAISANTIN. 

A  peu  près  comme  tu  aimes  l'argent. 

GROSSEL. 

Tu  ne  l'aimerais  donc  guère,  car  je  ne  suis  pas  inté- 
ressé. 

PLAISANTIN. 

Parbleu,  je  le  crois  bien;  car  il  n'y  a  plus  de  Sous- 
Fermes. 

cr.OSSEL,  d'un  air  content. 

Diable  de  fou,  va  tu  ne  changeras  jamais et  tant 

mieux.  A  propos,  d'intérêt, 

Air  :  Reçois  dans  ton  galetas. 
Deux  mille  cinq  cents  louis. 
Ne  sont  pas  chose  frivole, 
Tu  me  les  as  bien  promis, 
Et  je  compte  sur  ta  parole, 
J'ai  d'excellents  effets  en  main. 

PLAISANTIN. 

Oh,  nous  verrons  cela  demain. 

GROSSEL. 

Mais  si  la  personne  à  qui  je  les  dois  revenait  encore  au 
jourd'hui. 

PLAISANTIN. 

Ne  t'embarrasse  pas,  on  trouvera  à  qui  parler. 


33G  I.E   MAUVAIS   PLAISANT. 

GROSSEL. 

Air  :  Notis  somviea  ^Précepteurs  d'amour. 

Viens,  passons  dans  mon  cabinet, 
Tu  verras,  situ  le  désire, 
L'état  de  mon  bien  clair  et  net. 

PLAISANTIN. 

"•  Mais  à  ton  tour  tu  me  fais  rire. 
On  ne  risque  rien  entre  amis.  Je  t'assure  que  je   ne 
risquerai  pas  un  sol  avec  toi. 

GROSSEI.. 

Viens  toujours,  quand  ce  ne  serait  que  pour  parler  plus 
à  notre  aise  des  clauses  de  (on  mariage. 

PLAISANTIN. 

Allons,  cela  m'amusera  beaucoup,  car  le  style  des  clauses 
est  fort   gai  ordinairement.  Il  commence   toujours   par, 

par-devant et  finit  par  et  cœtera. 

(Il  prend  Grosscl  sous  le  bras,  cl  le  lutine  en  s'en  allant.) 

Air  :  Eh  !  madame  qu'attendez-vous  ? 
Finissez  donc, 
Monsieur  Damon, 
Ça  m'étonne, 
Ça  m'chiffonne. 
Finissez  donc 
Monsieur  Damon, 
Vous  me  dépoudrez  tout  mon  cliipnon. 
Ta,  la,  la,  la,  etc. 

(Ils  sortent.) 


OPERA-COMIQUE.  557 

SCÈNE  IV 
CÉPHISE,  SOPHIE. 

CÉPHISE. 

Air  :  Dieu  des  amants. 

De  bonne  foi 

Ici  pai'lez-moi; 
C'est,  ma  tendresse  qui  vous  en  prie. 

Pour  votre  bien,  • 

Je  n'omettrai  rien, 
Choisissez  vous-même  un  doux  lien. 

SOPHIE. 

Le  bonheur  de  ma  vie, 
Oui,  mon  vrai  plaisir, 
Est  de  vous  obéir, 
Et  je  n'ai  d'autre  envie 

Que  de  remplir 

Voire  désir. 


C'est  par-là  que  vous  méritez 
Mes  soins  et  mes  justes  bontés. 
Vous  m'êtes  trop  soumise  en  tout. 
Pour  que  j'  m'oppose  à  votre  goût. 

Aon,  ma  chère  Sophie, 

Mon  cœur  sur  ce  point  •'  ' 

Ne  vous  contraindra  point. 

Le  doux  litre  d'amie 
Pour  vous  au  nom  de  mère  se  joint. 

Depuis  longtemps  que  Léandre  et  Plaisantin  viennent 
ici,  lequel,  ma  fille,  avez-vous  remarqué  être  digne  de  re- 
cevoir votre  main? 


338  l'E   MAUVAIS  PLAISANT. 

SOPHIE. 
Am  :  Douchez,  Noyades,  vos  fontaines. 

Puisque  vous  permoUoz,  madame. 
Que  je  vous  dûvoile  mon  ûmo, 
Plaisantin  no  me  déplaît  pas; 
Mais  au  fond  Lénndre  m'engage  : 
L'un  mo  l'ait  rire,  mais  liéias  ! 
J'estime  l'autre  davantage. 

Ce  dernier  a  conlre  lui  à  la  vérité  un  esprit  de  défiance 
et  d'inquiétude  qui  m'excède  quelquefois. 

CÉPIIISE. 

Je  vous  Reconnais  bien  à  ce  discernement,  il  fait  hon- 
neur à  votre  éducation, 

SOPHIE. 

Am  :  Dans  un  cœur  ixilernel. 
Avec  sincérité, 
S'exprime  Léandre; 
Mais  il  joint  à  l'air  tendre, 
Trop  de  timidité. 

CÉPHISE. 

L'autre  soutient  un  i-ôle, 
Que  fuit  un  noble  feu  ; 
Lorsque  l'on  est  si  drôle, 
On  aime  peu. 

SOl'HIE. 

Oui,  mais  quelquefois  on  divertit. 

CÉPHISE. 

Que  dites-vous  là,   ma  fille?  ah!   j'en   appelle  à  voire 
goût. 

Am  :  Dans  un  sonçjc  flatteur. 
C'est  au  seul  sentiment 
Que  l'on  peut  coiuiaitrc  un  amant  : 
Lui  seul  doit  décider; 
Ah  !  qu'il  est  doux  de  céder, 


OPÉRA-COMIQUE.  339 

Quand  le  cœur 
Peut  sans  rougir  nommer  un  vainqueur  ! 

SOPHIE. 

D'accord,  mais  en  est-ce  assez? 


SCÈNE  V 

CÊPHISE,  SOPHIE,  LÉANDRE. 

CÉPHISE. 

Suite  de   l'air  précédent. 
Ah!  Léandre,  paraissez, 
Entre  vos  mains  je  remets 
Ma  cause  et  vos  intérêts. 

LÉANDRE. 

Ah  !  madame  sans  vous, 
Je  perdrais  l'espoir  le  plus  doux  ; 

Mon  rival  dangereux 
Sait  amuser,  qu'il  est  heureux  1 

SOPHIE. 

Quoi  !  toujours 
Me  tiendrez-vous  les  mêmes  discours  ? 

LÉANDRE. 

On  se  plaint. 
Quand  on  craint, 

SOPHIE. 

Mais  craint-on 
Sans  raison? 

LÉANDRE. 

Oui,  oui. 

SOPHIE. 

Vous  m'offensez. 


340  LE  MAUVAIS   PLAISANT. 

LÉANDRE. 

Hé  bien,  non,  non. 
Belle  Sophie,  hélas! 
Si  les  appas 
Peuvent  rendre  tranquille, 
Vous  en  avez  mille, 
Et  c'est  pourquoi  vous  ne  craignez  pas. 
Ah!  que  n'ai-je  de  même 
Cet  air  charmant  ! 
Je  r&urais,  si  l'amour  extrême 
Embellissait  l'amant. 

SOPHIE,  iinpatiento. 
Am  :  De  quai  vous  plaignez-vous  ? 
De  quoi  vous  plaignez-vous  ? 
On  vous  trouve  fort  aimable. 

CÉPHISE. 

Choisis  un  ton  plus  doux. 

SOPHIE. 

Monsieur  est  si  jaloux. 
Qu'à  ses  yeux  on  est  coupable, 
Si  l'on  ne  prend  du  souci. 

Je  ne  suis  point  capable 

De  m'attrister  ainsi. 

CÉPHISE. 

Mais,  ma  fille. 

SOPHIE. 

Madame,  puis-je  mieux  lui  parler  .' 

LÉANDIÎE. 
Am:     Vous    clés   irrité. 
Oui,  oui,  vous  le  pouvez 
Et  vous  savez... 

SOPHIE. 

'Quoi?  Voyons,  je  vous  prie. 


OPÉRA-COMIQUE  541 

'     LÉANDRE. 

Que  TOtre  cœur  généreux 
Pourrait  d'un  malheureux 
Adoucir  la  vie. 

SOPHIE. 

Pour  TOUS  satisfaire 
Que  faut-il  donc  faire  ? 
(à  part.) 

Quel  homme,  grands  Dieux  ! 

CÉPHISE. 

Parle-lui  doucement. 

SOPHIE. 

Mais,  maman, 
Puis-je  mieux  lui  dire? 

LÉANDRE. 

Un  seul  mot  suffirait, 
Calmerait 
Mon  cruel  martjTe. 

CÉPHISE. 

Ke  refuse  pas. 
Ce  seul  mot. 

LÉANDRE. 

Hélas  ! 
Cela  vous  serait  facile. 

SOPHIE. 

Moi  je  suis  docile,"] 
Et  j'en  dirais  mille; 
(à  part). 

Dieux  !  quel  embarras  ! 

LÉANDRE. 

Daignez  donc  m'apprendrc 
Le  sort  du  cœur  le  plus  tendre 


LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

Mes  vœux  sont-ils  acceptés  ? 
Hélas  !  vous  m'écoutez, 
Je  le  vois,  sans  m'cntcndro. 

SOPHIE. 

Mais  je  vous  écoute. 

LÉANDRE. 

Ah!  c'est  malgré  vous  sans  doute; 
Cet  instant  vous  coûte  ; 
Et  même  il  ajoute 
A  vos  cruautés. 

SOPHIE,  avec  dépit. 
Monsieur,  permettez 
Que  je  vous  cède  la  partie. 

LKANDRE,   la  relcnant. 
Ma  chère  Sophie. 

CÉPHISE. 

Mais  quelle  folie  ! 
Ma  fille,  restez. 

SOPHIE. 

Mais  c'est  un  tourment 
Qu'un  pareil  amant. 

LÉANDRE. 

Vous  connaissez  peu  le  tendre  attachement  : 
Loin  de  me  confondre. 
Vous  pourriez  répondre. 

SOPHIE. 

Voyons  donc  comment  ? 

LÉANDRE. 

Je  vous  aime; 
Prononcez  de  môme. 
SOPHIE. 
Mais  cet  aveu  sied-il  bien? 

CÉPHISE. 

Oh  !  tu  le  peux. 


OPÉRA-COMIQUE.  345 

SOPHIE,  un  peu  froidement. 

Hé!  bien, 
Je  vous  aime. 

iÉANDRE. 

M'aimez-vous  de  même, 
Car  je  crains. 

SOPHIE. 

Oh  !  pour  le  coup 
Ce  ton  craintif  me  déplaît  beaucoup. 
C'est  vrai,  il  m'impatiente  à  la  fin. 

LÉAXDFiE,    d'un  air  pénétré. 

Je  n'ai  pas  le  bonheur  d'être  plaisant. 

SOPHIE. 

Oh  !  pour  cela,  non. 

CÉ  PUISE. 

Mais,  Léandre,  votre  inquiétude  est  aussi  trop  forte. 

LÉA>DRE. 

Madame,  j'en  suis  plus  à  plaindre. 


SCÈNE  VI 
CÉPHISE,  SOPHIE,  LÉANDRE,  PLAISANTIN. 

PLAISAMR. 

Parbleu,  on  étouffe  dans  son  cabinet  ;  oh  !  ma  foi,  qu'il  y 
reste. 

Adieu  donc,  Dame  Françoise, 
Pour  qui  j'ai  tant  soupiré. 

LÉASDP.E. 

Mademoiselle,  voilà  de  quoi  vous  dissiper.  Je  crois  'devoir 
ne  pas  interrompre  vos  plaisirs. 

SOPHIE. 

Encore  !  restez,  monsieur. 


34i  LK   MAUVAIS  PLAISANT. 

LÉAKDRE. 

Allons. 

PLAISANTIN. 

Je  suis  fort  aise  de  vous  rencontrer  tous.  Hé  !  bien,  de 
quoi   parlez-vous   là?  d'affaires?  J'en  suis  ravi  ;  car  moi, 
i'aime  les  affaires,  surtout  quand  elles  sont  faites. 
Am  :  f.a  quille  dondaine. 
(à  Sophie). 

Vous  voilà  donc,  ma  belle  enfant. 
J'aime  en  vous  cet  air  triomphant. 
(Folâtrant  avec  elle). 

Elle  est  ma  foi  leste. 

CÉPHISE. 

Monsieur,  point  de  geste, 

PLAISANTIN,  à  la  mère. 

Belle  maman. 
CÉPHISE,  d'un  air  sec. 
Ah!  finissons. 

PLAISANTIN. 

Peste, 
Le  ton  est  cru, 
(à  Léandre). 

Toi,  l'eusses  tu  cru. 
Hé  !  bien,  le  beau  Léandre,  es-tu  toujours  jovial? 

SOPHIE,  souriant. 

k\\  !  toujours. 

CÉPHISE. 

Am  r  Allons  gai. 
Y  pensez-vous,  ma  fille? 
PLAISANTIN,  prenant  les  mains  de  Céphise. 
Pourquoi  cet  air  transi  ? 
En  mère  de  lamille.    " 
Donnez  l'exemple  ici. 
Allons  gai,  d'uu  air  gai,  etc. 


OPÉRA-COMIQUE.  345 

■    ^      CÉPHISE,  voulant  retirer  ses  mains. 

Mais,  monsieur,  vous  prenez  bien  des  libertés. 

PLAISANTIN. 

Moi,  point  du  tout  ;  ce  sont  vos  mains  que  je  prends. 
SOPHIE,  à  Cépliise. 

Ah  !  maman,  vous  riez  vous-même  1 

CÉPIIISE. 

C'est  de  pitié. 

PLAISANTIN,  à  Léandre. 
Air    :  I^anoii  dormait. 
Tu  ne  dis  rien.| 

LÉAKDRE. 

Oh  !  je  n'ai  rien  à  dire. 
Votre  enlretien. 
Paraît  ici  suffire. 

PLAISANTIN. 

Oui,  tu  le  prends  ainsi? 
Tant  pis,   tant  pis, 
Tant  pis  pour  toi,  mon  pauvre  ami. 

Tu  n'es  pas  de  l'iiunieur  de  l'orii^iiial  qui  m'écrit  sans 
m'avoir  jamais  vu.  Il  faut  que  je  vous  montre  sa  lettre. 

CÉPIIISE. 

Non,  nous  ne  sommes  point  curieuses. 

PLAISANTIN. 

Quel  conte  !...  Ah  !  la  voici  (il  lit). 

«  Monsieur  et  cher  ami,  quoique  je  n'aie  pas  l'honneur 
de  vous  connaître,  je  suis  inquiet  de  l'état  de  vos  nouvel- 
les. C'est  pourquoi  je  vous  prie  d'accepter  sans  façon  un 
repas  de  cérémonie.  Je  me  ferai  un  plaisir  de  vous  régaler 
à  picnic,  pour  ne  pas  avoir  un  air  de  prétention.  Nous  se- 
rons [\  la  vérité  plusieurs  dans  le  nombre  ;  mais  quand  il  y 
a  à  manger  pour  six,  il  y  en  a  toujours  pour  trois.  Je  suis 


54G  LE   MAUVAIS   PLAISANT, 

avec  soumission  et  sans  vous  commander,  monsieur,  votre 
très-humble  serviteur  Duolichon,  auteur  badin  suivant  la 
Cour.  » 

SOPIIIK,  rinnt. 

Ab,  ah,  ah,  quelle  extravagance  ! 

PLAISANTIN,   à  Léandrc. 

Uh  !  j'irai. 

AiR  :   Le  Seigiiciir  Turc  a  raison. 
Ainsi,  mon  clier  pour  bannir 

Ta  mélancolie, 
Il  faut  avec  moi  venir 
Faire  quelque  bonne  orgie. 

LÉANDRE. 

Je  crains  de  ne  le  pouvoir, 
Car  moi,  je  me  borne  à  voir 
La  bonne  compagnie. 

PLAISANTIN. 

Qu'entends-^tu  par  la  bonne  compagnie? 

LÉANDRE. 

Ces  dames  vous  en  instruiront  mieux  que  moi  ;  ce  sont 
elles  qui  m'ont  appris  à  la  connaître. 

PLAISANTIN. 

Tu  es  bien  tombé.  Eh!  bien,  mon  petit  bilboquet  d'ivoire, 
contez-nous  un  peu  cela. 

SOPHIE. 

Am  :  Tout  consiste  dans  la  manière. 
Les  mœurs,  le  goût,  la  complaisance, 
Forment  toujours  son  élément  • 
L'esprit  de  douceur  s'y  nuance 

D'agrément, 
On  y  puise  dans  la  décence 

L'enjouement. 


OPÉRA-COMIQUE.  5i7 

PLVISAXTIN. 

Diable!  cela  doit  être  facétieux.  Et  vous  la  mère  ma- 
man, ne  donnerez-vous  pas  aussi  un  petit  coup  de  crayon? 
car  quand  on  est  bonne  compagne,  on  est  au  fait  de  la 
bonne  compagnie . 

CÉPIIISE. 

Je  crois  qu'il  le  faut  pour  le  bien  de  la  société. 

PLAISANTIN. 

Voyons,  voyons,  voyons. 

CÉPHISE. 

Air  :  Vous  boudez. 
Bien  penser. 
S'énoncer 
D'un  air  libre; 
Mais  sans  trop  de  liberté. 
Et  de  l'égalité 
Conserver  l'équilibre; 
Obliger  : 
Sans  sonper 
Qu'on  oblige  ; 
Immoler  sa  volonté, 
Quand  la  société  l'exige. 
Se  prêter,  quand  on  raisonne, 
Aux  raisons  que  l'on  nous  donne, 
Faisant  voir 
Leur  pouvoir 
Sur  les  nôtres, 
On  a  de  l'esprit,  on  plaît, 
Dès  que  l'on  satisfait 
Les  autres. 
Possédant 
Le  talent 
D'être  aimable. 
Joindre  aux  petites  gaîtés 
Les  grandes  qualités, 


348  LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

Qui  rendent  estimable; 
Amuser, 
Sans  user 
D'éjugramme  : 
Tel  qui  rit  d'uu  traité  lancé, 
En  est  toujours  blessé 
Dans  Tâme. 

PLAISANTIN,    à    Sophie. 

Pas  mal,  pas  mal,  c'est  assez  là  mon  porirait  (à  Céphise). 
Il  faut  que  vous  me  sachiez  par  cœur  pour  avoir  fait  ce  dé- 
tail-là. 

LÉANDRE. 

Oui,  il  est  bien  ressemblant. 

PLAISANTIN. 

Et  vous  appelez  donc  cela  la  bonne  compagnie  ? 

sorniE. 
\  peu  prés. 

PLAISANTIN. 

Oh,  j'en  sais  une  au-dessus  de  celle-là,  moi. 

CÉPHISE. 

Et  quelle  est-elle,  je  vous  prie? 

PLAISANTIN. 

Tenez,  je  ne  connais  pas  de  meilleure  compagnie,  que  la 
compagnie  des  Indes. 

SOPHIE  rit. 

Ah,  ah,  ah  !  quel  calembour  ! 

LÉANDllE,    outré. 

Ah,  c'est  fort  plaisant  ! 

PLAISANTIN,  en  lulinant   Sophie. 
Aui  :  Adieu  donc,  dame  Françoise. 
Hé!  bien,  ma  petite  reine, 
Comment  va  le  petit  cœur? 
Je  suis  votre  serviteur, 


OPÉRA-COMIQUE.  349 

Vous  êtes  ma  souveraine, 

Souveraine  de  mon  cœur, 
Souveraine,  et  moi  serviteur, 

Serviteur,  vous  souveraine,! 
Souveraine,  et  moi  serviteur. 
SOPHIE,  riant. 

Qu'il  est  drôle  ! 

LÉANDRE,  à   Sophie. 

Oh  !  oui,  riez. 

PLAISANTIN. 

Hé  bien,  ma  belle-mère  quasi,  comment   trouvez-vous 
cela? 

CÉPHISE. 

Extrêmement  galant.  Je  ne  sais  pas 'comment  on  ferait 
pour  résister  à  des  rimes  si  délicatement  redoublées. 

PLAISANTIN. 

Moi,  j'en  sais  de  toutes  façons.  J'en  ai  fait  une  hier  pour 
ce  fripon  de  minois-là  :  (à  Léandre)  tiens,  écoute. 

LÉANDP.E. 

Oh!  laissez-moi,  monsieur. 

CÉPHISE. 

Nous  l'entendrons  une  autre  fois. 

SOPHIE. 
Ah  !  madame,  voyons. 

LÉANDP.E,  à  Sophie. 

Que  vous  êtes  cruelle  ! 

SOPHIE. 

Et  vous,  bien  extraordinaire. 

PLAISANTIN. 

Écoutez-vous,  oui,  ou  non  ? 

SOPHIE. 

Oui,  oui,  oui. 


350  LE  MAUVAIS   PLAISANT. 

l'LAlSANTlN. 

Ileni,  hem,  hein,  ul,  ré,  mi,  fa,  sol,  la,  si,  ut.  Ut,  si, 
la,  sol,  fa,  mi,  ré,  ut,  ut,  ut.  Vous  voyez  que  je  sais  la  mu- 
sique sans  oublier  une  note  (à  Soiihic). 

AïK  :  L'autre  jour  dans  un  bocage. 
Si  j'étais  sûr  de  te  plaire. 
Tu  verrais  comment  je  m'y  prends 

Pour  cliarnier; 
Tu  m'entendrais  toujours  dire. 
Que  je  t'aime  on  ne  peut  pas  plus; 
J'aurais  dans  une  bergamotte 
Des  bonbons  et  puis  des  pastilles, 
J'aurais  grand  soin 
De  t'en  offrir, 
D'un  air  à  te  fendre  le  cœur; 
Et  puis  toi  qui  serais  tendre. 
Sans  faire  semblant  de  rien, 
Tu  me  glisserais  dans  ma  poche, 
Un  billet  doux, 
Par  lequel  j'a- 
Prendrais  que  tu 
M'aime  à  faire  trembler. 
Voilà  ce  ([ue  les  Anglais  appellent  des  vers  blancs  ;  par 
ma  loi,  je  ferais  des  vers  bleus  ])our  elle,  moi,  s'il  en  fal- 
lait. 

SOl'llIE,   riant. 

Quel  crâne  ! 

LÉANDRE. 

Air  :  Nous  sommes  précepteurs  d'amour. 
C'est  trop  souffrir  des  deux  cotés; 
Et  pour  que  mon  tourment  varie. 
Ingrate,  exprès  que  vous  prêtez 
A  la  fausse  plaisanterie. 

CÉPUISE. 

Je  ne  le  reconnais  pas  non  plus. 


OPERA-COMIQUE.  551 

SCÈNE  VII 
CÉPHISE,  PLAISANTIN,  LÉANDRE,  SOPHIE,  PRESSANT. 

PRESSANT. 
Air  :  Pm'  là,  c'est  m  affermir  encore. 
Me  faire  courir  de  la  sorte, 
Parblon,  celui-là  n'est  pas  mal. 
Il  payera,  le  diable  m'emporte. 

PLAISANTIN. 

Cet  homme  a  l'air  un  peu  brutal. 

SOPHIE,  à  Céphisc. 
Madame,  il  est  fort  en  courroux, 

CÉPHISE. 

Monsieur,  s'il  vous  plaît,  qu'avez-vous  ? 

PRESSANT. 

Oh!  j'ai  ce  que  j'ai. 

CÉPHISE. 

Mais  en  abrégé. 
Ne  peut-on  savoir? 

PRESSANT. 

Oh!  nous  allons  voir. 

LÉANDRE. 

Monsieur,  vous  parlez  à  des  dames. 

PRESSANT. 

Morbleu,  monsieur,  je  le  sais  bien. 
Je  ne  viens  point  pour  plaire  aux  femmes, 
Je  viens  pour  recouvrer  mon  bien. 
Et  si  l'on  ne  me  satisfait,  je  fais  tout  saisir  ici,  et  enle- 
ver même  jusqu'à  ces  dames. 

PLAISANTIN. 

Ce  ne  sont  point  des  immeubles  à  décréter. 


352  LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

PRESSANT,   d'un  air  menaçant. 

Que  dit  cet  homme-ci  ? 

PLAISANTIN. 

Cet  homme-ci  parle  à  cet  homme-là. 

PRESSANT,  niottant  la  main  sur  la  garde  de  son  épée. 
Oui-dà  ! 

PLAISANTIN,   se  l'Ptirant  d'un  air  craintif. 

C'est  que  je  ne  suis  pas  plaisant,  moi,  quand  on  le  prend 
sur  un  certain  ton. 

LÉANDRE. 

Air  :  De  tous  les  capucins  du  monde. 
Votre  emportement  est  extrême. 

PRESSANT,  en  fureur. 
Morbleu,  je  suis  la  douceur  même. 
Mais  je  prétends  qu'en  ce  moment. 
Monsieur  Grossel  me  satislasse 
Sur  un  certain  remboursement. 

LÉANDRE. 

Il  faut. 

PRESSANT.' 

Là-dessus  point  de  grâce  ! 

CÉPHISE. 

Courons,  ma  fille,  avertir  votre  oncle  de  cet  événement. 

SOPHIE,  à'w\  air  doux. 

Léandre,  tâchez  de  l'adoucir. 

(Elles  sortent.) 


OPERA-COMIQUE. 


SCÈNE  VIII 
LÉANDRE,  PRESSANT,  PLAISANTIN. 

PLAISANTIN. 

Oh  !  je  m'en  charge,  moi. 

LÉANDRE. 

Air  :  Lucas  se  plaint  que  sa  femme. 
De  quel  objet  est  la  somme? 

PRESSANT. 

Elle  est  de  vingt  mille  écus  ; 
Et  je  veux  que  l'on  m'assomme. 
Si  j'éprouve  aucun  refus, 
Je  fais,  le  diable. 

LÉANDRE. 

On  peut  traiter  là-dessus. 
A  l'amiable. 

PRESSANT. 

Non  pas,  ventrebleu,  non  pas. 

LÉANDRE. 

Ne  pouvez-vous  au  moins  patienter  un  quart  d'heure? 

PRESSANT. 

A  l'égard  de  cela,  une  heure,  s'il  le  faut;  mais  dites-lui 
qu'il  ne  manque  pas. 

LÉANDRE,  s'en  allant. 

Je  vous  rejoins. 


20, 


554  LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

SCÈNE  IX 
PRESSANT,  PLAISANTIN. 

PLAISANTIN. 
Air  :  L'occasion  fait  le  larron. 
Vingt  mille  cens? 

PRESSANT. 

Oui,  vingt  mille,  sans  doute. 

PLAISANTIN. 

D'honneur? 

PRESSANT 

D'honneur. 

PLAISANTIN. 

Entre  nous  je  comprends 
Que  cela  fait,  ou  bien  je  n'y  vois  goutte, 
En  tout  soixante  mille  francs. 

PRESSANT. 

Hé  bien? 

PLAISANTIN. 

Hé  bien!  que  vous  aimeriez  autant  soixante  mille  livres. 

PRESSANT. 

Oui,  cela  me  parait  assez  égal.  (A  part.)  Est-ce  qu'il  aurait 
envie  de  me  les  avancer? 

Pl.AI.^ANTIN. 
Air  :  Memiet  de  Gramlval. 
Pour  voir  plus  cl-.iir  dans  votre  affaire, 
Pourrait-on  en  savoir  le  fond  ? 

PRESSANT. 

L'argent  fut  prOté  par  mon  père. 

PLAISANTIN. 

Voilà  comme  les  pères  font. 


OPERA-COMIQUE.  555 

De  quoi  diable  vous  avisez-vous  aussi  d'avoir  un  père  ? 

PRESSAKT. 

Que  veut  dire  ce  raisonnement-là,  je  vous  prie? 

PLAISANTIN. 

Beaucoup  de  choses. 

Air  :  De  Catinat. 
Car  vous  comprenez  bien,  si  vous  n'en  aviez  pas, 
Que  vous  ne  seriez  point  clans  un  tel  embarras  ; 
Et  par  conséquent. 

PRESSANT. 

Faites-moi  le  plaisir 
De  me  dire,  monsieur,  où  vous  voulez  venir. 

PLAISANTIN. 

Comment  !  venir  !  et  mais,  je  suis  tout  venu,  moi  ;  d'au- 
tant plus  que  non-seulement,  mais  encore 

PRESSANT. 

Mais,  mon  petit  monsieur,  me  connaissez-vous,  pour  faire 
ainsi  le  joli  cœur  avec  moi? 

PLAISANTIN. 

J'ai  connu  beaucoup  monsieur  votre  père. 

PRESSANT. 

Vous  vous  trompez.  Mon  père  savait  choisir  ses  connais- 
sances. 

PLAISANTIN. 

C'était  un  galant  homme. 

PRESSANT. 

Oh!  certainement. 

PLAISANTIN. 

K 'était-il  pas  votre  aine? 

PRESSANT. 

Mon  aîné  1  morbleu  !  que  signifient  de  pareils  quolibets  ? 


356  LE   MAUVAIS   PLAISANT. 

PLAISANTIN. 

Et  mais,  c'est  tout  simple. 

Air  :  M.  le  Prévôt  des  marcliauds. 
Qu'ainsi  vous  êtes  son  cadet, 

PRESSANT. 

Monsieur,  finissons,  s'il  vous  plaît. 
L'auteur  de  mes  jours  n'a  que  faire 
A  cet  indécent  jeu  de  mot. 
D'un  honnête  homme  il  est  le  père, 
Le  vôtre  est  le  père  d'un  sot. 

PLAISANTI.V. 

(A  part.)  Ah!  ah!  Est-ce  qu'il  aurait  aussi  le  petit  mot 
pour  rire?  (Haui.)  Vous  êtes  de  province  sans  doute? 

PRESSANT. 

Oui,  pourquoi  cela  ? 

PLAISANTIN. 

Je  l'aurais  parié  à  votre  décision  ;  vous  n'aimez  pas  l'es- 
prit, vous  autres  ? 

PRESSANT. 

Pas  celui-là. 

Air  :  J'écoutais  de  là  son  caquet. . 
Est-il  rien  de  plus  importun 
Qu'un  bavard  qui  raille  sans  cesse? 
Allez,  l'esprit  de  cette  espèce 
Est  le  fléau  du  sens  commun. 

PLAISANTIN. 

Commun  !  Monsieur,  on  le  voit,  a  le  sens  commun. 

PRESSANT. 

Oui,  je  m'en  pique. 

PLAISANTIN. 

Et  même  on  ne  peut  pas  plus  commun.  Oh  !  quand  vous 
en  aurez  comme  deux,  cela  sera  bien  pis. 


OPÉRA-COMIQUE.  357 

PRESSANT. 

Atr  :  Aucun  paftteur. 
Quand  la  bravoure  au  ton  railleur  est  jointe 
On  peut  risquer  quelquefois  ce  ton-là. 
Je  vous  crois  fort  aussi  sur  cet  article-là; 
Vous  me  narguez  sans  raison,  et  voilà 

Pour  jouer  à  la  pointe. 
Si  comme  l'un,  vous  avez  l'autre  en  main, 
Vous  ferez  sur  le  champ  la  moitié  du  chemin, 
(il  met  son  chapeau.) 

PLAISANTIN. 

Bon,  ce  chemin  est  tout  fait  :  est-ce  que  vous  ne  voyez 
pas  ? 

PRESSANT,  tirant  l'épée. 
Air  :  Ao«,  je  ne  ferai  pas. 
Encore!  ah!  pour  le  coup,  je  m'en  vais  vous  apprendre, 
A  qui  vous  vous  jouez.  Songez  à  vous  défendre. 

PLAISANTIN. 

Oh!  c'est  ainsi  que  vous  plaisantez,  vous? 

PRES.SANT. 

Oui,  voilà  comment  je  badine,  avec  les  gens  de  vôtre 
sorte. 

PLAISANTIN. 

Et  moi  je  n'aime  pas  ces  badineries-là,  on  peut  se  bles- 
ser, et  puis  vous  savez  que  les  jeux  de  mains 

AîR  :  Les  cœurs  se  donnent  troc  pour  troc. 
Laissons  cela. 

PRESSANT. 

Vous  avez  peur. 

PLAISANTIN. 

Bon,  pourquoi  mesurer  nos  lames? 
La  vôtre  est  fort  belle. 


358  LE  BIAUYAIS  PLAISANT. 

PRESSANT. 

Pour  confondre  un  mauvais  railleur, 
Voilà  la  plume  aux  cpigrammes. 

ri.AISANTIN. 

Mauvais  genre  ;  donnez  plutôt  dans  le  madrigal. 

PRESSANT. 

Je  ne  vous  écoute  plus, 

PLAISANTIN. 

,Vous  avez  mis  votre  chapeau;  vous  allez  gâter  votre 
perruque. 

PRESSANT. 

Défendez-vous,  vous  dis-je. 

PLAISANTIN,  mettant  grotcsquonicnt  l'épée   à  la  main. 
Air  :  L'autre  nuit  f  aperçus  en  songe. 
Ah  !  vous  prétendez  donc  m'abattra, 
Non,  non,  monsieur  le  fanfaron, 
Vous  croyez  trouver  un  poltron, 
Allons,  mais  avant  de  nous  battre, 
Quel  sujet  vous  a  courroucé  ? 

PRESSANT. 

De  vos  propos  je  suis  blessé. 

PLAISANTIN. 

Vous  êtes  blessé? 

PRESSANT. 

Oui,  je  suis  blessé. 

PLAISANTIN. 

lié  bien!  je  vais  vous  chercher  du  secours,  attendez-moi. 

(U  se  sauve.) 


J 


OPEP.A-COMinUE.  559 


SCÈNE  X 
PRESSANT,  LÉÂNDRE. 

PRESSANT. 

Je  m'en  suis  douté.  Ah  !  si  celui-ci  est  le  second  tome 
de  l'autre,  mallieur  à  lui,  il  payera  pour  deux. 

LÉANDRE. 

Air  :  Jiipiii  dès  le  matin. 
J'accours  avec  ardeur. 

PRESSANT. 

Abrégeons,  monsieur. 

LÉANDRE . 

D'où  vient  cette  fureur? 
Mais  au  moins,  permeltez-raoi 

PRESSANT. 

Je  suis  las,  ma  foi, 

LÉANDRE . 

Mais  sacliez... 

PRESSANT. 

Voyons,  quoi? 

LÉANDRE. 

Vous  avez  attendu. 

PRESSANT. 

Morbleu,  sais-tu 
Qu'avec  moi  les  plaisants 
Perdent  leur  temps? 

LÉANDRE. 

Quelle  férocité  1 
En  vérité, 
Est-ce-là  le  ton  de  l'iiumanilé; 
Vous  aurez  votre  argent. 
Dans  le  moment. 


360  LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

PRESSANT. 

Ail!  monsieur,  excusez, 
Vous  m'apaisez; 
Les  gens  Lien  nés, 
Se  font  connaître  aux  traits  que  vous  nous  en  donnez. 

Mais,  parbleu,  le  faquin  qui  sort  d'ici  m'a  si  mal  pré- 
venu. 

LÉANDRE." 

Eh,  monsieur,  doit-on  peser  tous  les  hommes  au  poids 
du  mépris  que  quelqu'un  vous  inspire? 

Air  :  Pour  la  baronne. 
Chez  le  notaire. 
Monsieur,  suivez-moi  promptement. 

PRESSANT 

Surtout,  point  de  mauvaise  affaire, 

LÉANDRE. 

Non,  votre  somme  vous  attend, 
Chez  le  notaire. 

l'RESSANT. 

Si  l'estime  la  plus  forte  peut  réparer  ma  méprise. 

LÉANDRE. 

C'est  toute  la  satisfaction  que  je  vous  demande. 

(Ils  sortent.) 


SCÈNE  XI 
GROSSEL,  PLAISANTIN. 

GROSSEL. 

Ah!  ah!  ah  !  cela  est  plaisant,  vous  avez  commencé  par 
ferrailler. 


Ol'EIU-COMIQUL".  5(31 

TLAISANTIK. 

Oui,  comme  il  était  mal  sous  la  plaisanterie,  j'ai  voulu 
voir  s'il  serait  un  peu  mieux  sous  les  armes. 

"   GROSSEL, 

Dis-moi  donc  quelque  particularité. 

PLAISANTIN. 

AiR  ;  Allons  donc  jouez  violons. 
Nous  nous  mettons  tous  deux  en  garde, 
Chacun  d'un  air  fier  se  regarde, 
Avec  un  œil  étincelant; 
Crainte  qu'un  coup  fourré  ne  parle, 
Je  lui  fais  un  appel  de  quarte, 
Il  pare  au  cercle  en  reculant. 
Et  comme  je  vois  qu'il  est  lent, 
Crac  je  lui  serre  la  mesure, 
Et  d'une  botte  presque  sûre. 
Je  vous  le  touche  à  fleur  de  peau. 
Alors  renfonçant  son  chapeau, 
C'est  sur  la  tierce  qu'il  se  fonde, 
Je  pare  et  tombe  de  seconde, 
Il  rompt,  s'éloigne,  et  dit  :  monsieur, 
Je  suis  bien  votre  serviteur. 

GROSSEL. 

Cela  voulait  bien  dire  qu'il  en  avait  assez. 

PLAISANTIN. 

Oli,  je  t'en  réponds. 

GROSSEL. 

Je  suis  cependant  fort  aise  que  cela  n'ait  pas  été  plus 
loin  :  et  mon  aftaire  ? 

PLAISANTIN. 

Morbleu,  reste  tranquille.  Tu  devrais  un  million  que  cela 
me  serait  égal. 

21 


3U2  LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

GROSSE!-. 

Aiii  :  Entre  l'amour  et  la  raison. 
Mais  as-tu  terminé  ? 

PLAISANTIN. 

Parbleu, 
Je  m'en  suis  même  fait  un  jteu  : 
Crois-tu  que  cela  m'embarrasse? 
Non,  je  n'en  prends  aucun  souci. 

GROSSEL. 

Sur  toi  seul  je  comptais  aussi; 
Permets,  mon  cher,  qu8  je  t'embrasse. 

PLAISANTIN. 

Finissez  donc,  petit  badin,  vous  allez  faire  tomber  mon 
rouge. 

GROSSEL. 

Il  fait  les  choses  avec  autant  de  grâce  qu'il  les  dit. 

PLAISANTIN. 

C'est  un  agrément  de  famille. 

GROSSEL. 

Ah  !  ah  !  ah  !  tu  ferais  rire  des  pierres  ;  viens,  je  vais 
faire  à  ma  nièce  une  donation  de  tout  mon  bien,  à  condi- 
tion qu'elle  t'épousera. 

PLAISANTIN. 

Cela  n'est  pas  de  refus.  Les  voici,  ne  leur  en  disons  rien, 
pour  les  surprendre  agréablement. 

SCÈNE  XII 

GROSSEL,  SOPHIE,  CÉPHISE,  PLAISANTIN. 

GROSSEL. 

.\m  :  Quand  on  parle  de  Lucifer. 
L'homme  qui  me  cherchait  tantôt 


J 


OPERA-COMIQUE.  363 

M'a  fait  une  peur  affreuse  : 
Mais  tout  s'est  passé  comme  il  faut. 

SOPHIE. 

J'en  suis  vraiment  bien  joyeuse, 
Mais  sachons... 

GROSSEL. 

Sachez  que  c'est  un  défaut, 
D'être  à  contre-temps  curieuse. 
Nous  allons  travailler  à  faire  ton  bonheur. 

PLAISANTIN. 

Ce  sera  de  la  besogne  bien  faite;  car  j'y  entrerai  pour 
quelque  chose. 

SCÈNE  XIII 
GROSSEL,  SOPHIE,  CÉPHISE,  PLAISANTIN,  LÉANDRE. 

GROSSEL. 

Comment  encore  votre  Léandre  ! 

CÉPHISE. 

Vous  voyez. 

GROSSEL. 

Hél  bien,  je  le  laisse  encore  {un  moment  par  grâce, 
pour  recevoir  son  congé,  (a  Plaisantin.)  Allons,  viens,  viens. 

PLAISANTIN. 

Allons,  allons,  sans  adieu,  porte-feuille  de  mes  désirs. 
Oh!  la  petite  coquette  à  moi. 

(lis  sorleul.) 


.Mil  l.t:   MAUVAIS  l'LAISANT. 


SCÈNE  XIV 
LÉÂ^DRE,  SOPHIE,  CÉPHISE. 

LÉANDRE. 
Alu  :  Ilclfis!  iiKtmaii,  pardonnez,  etc. 
Je    uis  perdu,  tout  à  mes  vœux  s'oppose  : 
A  l'épouser  il  va  donc  vous  forcer. 

SOPUIE. 

Ah!  de  ma  main,  si  mon  cœur  seul  dispose, 
Entre  vous  deux  je  saurai  prononcer. 

LÉAMll'.E. 

Dois-je  espérer?  Qui,  moi!  non,  non,  je  n'ose, 

SOPHIE. 

Osez,  monsieur,  lout  doit  vous  l'annoncer. 

CKl'inSE. 

Ma  fille  n'a  pnru  balancer  que  pour  vous  éprouver,  et 
contrarier  un  peu  votre  défiance.  Sachez  d'ailleurs  qu'elle 
n'hésiterait  point  à  vous  prélérer,  quand  même  son  oncle 
la  priverait  de  ses  biens  en  laveur  de  votre  mariage,  j'en  ai 
raisonnablement,  vous  en  avez  aussi. 

LÉANDUE. 

Quel  charme  pour  mon  cu-ur  ! 

SOPHIE. 
Ant  :  Menuet  de  Chartiri . 
Doutez-vous  encore? 
léaxdre. 
Ali  !  je  vous  adore, 
Me  pardonnerez-vous 
l,cs  transports  d'un  cœur  trop  jaloux? 


OPEIiA-COMIorE.  r.i.-) 

SOPHIE. 

L'amour  qui  couronne 
Aisément  pardonne. 

LÉASDRE. 

Je  lis  dans  votre  conir, 
L'aurore  du  bonlievu'. 

SOPHIE. 

Que  par  cet  aveu, 
Votre  feu, 
N'en  soit  pas  moins  fidèle! 
La  certitude  détruit. 
Ce  que  l'espoir  produit. 
Hélas!  plus  l'amour  séduit, 
Plus  il  s'évanouit; 
Tel  au  jour  qui  nous  luit, 
Succède  la  nuit. 

LÉANDP.E. 

Si  vous  étiez  moins  belle 
Si  les  sentiments 
?î'étaient  pas  les  garants 
Du  plus  sincère  amant, 
J  implorerais  le  serment. 

SOPHIE. 

Plus  de  craintes. 
Plus  de  plaintes. 
Léandre,  vous  m'aimez. 

LÉANDRE. 

Bien  au  monde  n'est   capable  d'altérer  les  sentiments 
que  j'ai  pour  vous. 


"liii  LE  MAUVAIS  PLAISANT. 

SCÈNE  XV 

LÉANDRE,  SOPHIE,  CÉPHISE,  PLAISANTIN,  GROSSKL. 

PLAISANTIN. 

Nous  sommes  expéditifs,  comme  vous  voyez. 

CnOSSKL 

Am  :  Çà  que  je  te  mette. 
Ça,  que  \'o\\  m'acquitte, 
Ma  nièce,  au  plus  vite. 
Ça,  que  l'on  m'acquitte 
De  ce  que  je  dois  : 
Celui  que  tu  vois, 
Est  charmant,  ma  petite, 
Ça,  que  l'on  m'acquitte 
De  ce  que  je  dois. 

11  faut  l'épouser,  c'est  le  plus  brave  et  le  plus  généreux 
des  amis. 

SOPHIE. 

Mon  cher  oncle,  je  le  voudrais,  par  amour  pour  vos  in- 
térêfs. 

Ain  :  Que  j'estime  mon  cher  voisin  f 
Mais  s'il  faut  former  ce  lien, 
Comme  un  billet  payable. 
Mon  oncle,  vous  pourriez  fort  bien 
Devenir  insolvable. 

GROSSEL. 

Ou'est-ce  à  dire  ?  Tête  bleu,  madame  ma  sœur,  voilà  le 
fruit  de  vos  conseils. 

CKPHISE. 

Hé!  mon  Dieu,  parlons  sans  humeur,  elle  n'a  suivi  que 
son  inclination. 


OPERA-COMIQUE.  .-,07 

GROSSEL,   à   Céphise. 
AiB  :  C'est  l'ouvrage  d'un  moment. 
Vous  en  tenez-vous  à  Léandre, 
Est-ce  lui  que  vous  choisissez? 
Ce  silence  m'en  dit  assez, 
C'est  ce  que  je  voulais  apprendre. 
Comment  donc,  vous  rougissez? 

SOPHIE. 

J'en  suis  bien  éloignée,  je  vous  assure. 

GROSSEL,   ironiquement. 

Ah!  vraiment,  est-ce  qu'une  fille  bien  née  rougit  jamais. 

PLAISANTIN. 

Ah  !  c'est  qu  elle  tient  de  madame  sa  mère. 

LKAN'DP.E. 

Avec  vos  leçons,  on  est  bientôt  aguerrie. 

GROSSEL,   à  Léandre. 

Je  crois  que  tu  fais  le  beau  rieur,  toi? 

LÉANDRE. 

Moi,  monsieur,  je  ne  cherche  point  à  vous  déplaire, 

GROSSEL. 

Non,  on  trouve  cela  tout  fait  chez  toi. 

LÉANDRE,   riant. 

C'est  un  malheur  pour  moi. 

PLAISANTIN. 

11  a  le  chagrin  tout-à-fait  gai. 

GROSSEL. 

Allons,  la  belle,  décidez,  mais  prenez  bien  garde  de  me 
mécontenter. 

PLAISANTIN. 

Allons,  écoute,  et  reçois  ta  condamnation  d'un  air  philo- 
sophique. 


".6S  \.K   MAUVAIS   F'LAISANT. 

I.ÉANDUK. 

Volontiers, 

SOPHIE. 
AïK  :  Ton  liiimeur  est,  Catherine, 
Chacun  de  vous  est  fort  rare, 
Mais  tous  deux  différemment; 
Pour  peu  que  l'on  vous  compare, 
Ciiacun  de  vous  est  amant. 
L'un  est  l'amant  le  plus  tendre, 
Et  l'autre  le  roi  des  fous  : 


[A  IMaisàntin) 


Oui-dà  ! 


Vous  m'amusez  pour  Léandre, 
Lêandre  me  plaît  pour  vous. 

GUOSSEL. 


SOPHIE, 

Oui,  mon  cher  oncle,  et  je  lui  donne  ma  main. 

GROSSEL. 

Ma  sœur,  vous  me  payerez  cela,  et  sans  tarder. 

CÉPHISE. 

A  votre  aise. 

GROSSEL. 
A  m  :  De  tous  les  capucins. 
Dans  la  forme  la  plus  cxacti^. 
Je  vais  faire  dresser  un  acte, 
Oui,  je  lui  donne  tous  mes  biens, 
J'en  ai  fait  exprès  le  modèle  : 
On  n'a  jamais  pis  que  des  siens, 
J'en  suis  fâché  pour  vous,  la  bollo. 

I.ÉAiSDRE. 

Comme  je  jouis  de  la  plus  grande  félicité,  vous  pouvez, 
monsieur,  achever  de  couronner  le  mérite  d'un  ;uni  si  jus- 
tement cher,  par  le  moulant  de  voliv  ohlii^atiou  que  j'ai 


OPÉRA-COMIQUE.  369 

retirée  des  mains  de  votre  créancier,  dans  la  seule  vue  d'o- 
bliger personnellement  un  honnête  homme. 

GROSSEL. 

Comment,  comment  ! 

PLAISANTIN. 

Et  laisse,  laisse,  je  te  rembourserai  pelit  à  petit  sur  ta 
donation.  Je  suis  fait  pour  te  tirer  toujours  d'embarras, 
comme  tu  vois. 

CÉPHISE. 

Doucement,  monsieur. 

GROSSEL. 

Quoi!  vous  nous  en  faisiez  mystère. 

LÉANDRE. 

Avant  que  de  vous  en  instruire,  j'aspirais  à  vous  plaire. 

GROSSEL,  à  Plaisantin. 
Air  :  De  l'horoscope  accompli. 

Ah!  ceci  change  bien  la  thèse. 
.Te  croyais  devoir  à  vos  soins 
Un  argent  qui  me  met  à  l'aise. 
C'est  lui  qui  prévient  mes  besoins  : 
Je  veux  que,  par  reconnaissance, 
Ma  nièce  soit  sa  récompense. 
Et  je  prétends  dès  aujourd'hui, 
Faire  un  neveu  d'un  bon  ami. 


A  Léandre. 


AiR  :  Bouchez,  Nayades. 

J'ouvre  les  yeux,  mon  cher  Léandre, 
Ce  noble  trait  me  fait  comprendre 
Que  l'esprit  ne  consiste  pas 
Dans  la  fade  plaisanterie; 
Mais  à  tirer  d'un  mauvais  pas 
Un  ami  sans  qu'il  nous  en  prie. 

il. 


570  LE   MAUVAIS    PLAISANT. 

I.KANDRE. 

Si  j'épouse  ce  que  j'aime,  si  j'obtiens  votre  estime,  je 
suis  trop  payé  du  petit  service  que  je  vous  ai  rendu. 

PLAISANTIN. 

Oli  !  je  n'aime  pas  le  service,  moi,  c'est  un  métier  trop 
dangereux. 

liîANDRE. 

Air  :  Tu  croyais  cju'en  aimant  Colette. 
Les  bons  mots,  les  pointes  usées 
Pour  moi  n'ont  aucun  agrément; 
Sans  courir  après  les  pensées, 
Je  me  pique  de  sentiment. 

PLAISANTIN. 

Voilà  ce  qu'on  appelle  un  homme  tout  rond. 

CÉPHISE. 

Pour  me  servir  de  votre  style,  monsieur  Plaisantin,  vous 
n'ètez  pas  rond,  vous,  car  vous  me  paraissez  bien  plat. 

GROSSEL,  à  Léandre 

Mais  de  grâce,  monsieur,  que  je  sache  comment  vous 
avez  retiré  mon  billet  dos  mains  de  M.  Pressant. 

LÉANDRE. 

Je  vous  en  instruirai  plus  à  loisir. 

PLAISANTIN  . 

Apparemment  que    monsieur  lui  aura  écrit  un  billet 
doux. 

GROSSEL. 

Que  voulez-vous  dire? 

PLAISANTIN. 

Un  billet  doux,  c'est-à-dire,  un  billet  payable  au  por- 
teur, ou  une  bonne  lettre  de  change;  car  le  sieur  Pressant 


OPÉRA-GOMIQUE.  571 

me  paraît  un  homme  passionné  pour  les  belles-lettres,  et 
qui  n'aime  pas  les  pointes. 

(il   montre  son  épée.) 


SCÈNE  XYI 

LÉANDRE,  SOPHIE,  CÉPHISE,  PLAISANTIN, 
GROSSEL,  M.  PRESSANT. 

PRESSANT,   à  Grossel. 

Monsieur,  je  viens  vous  faire  mes  excuses;  la  nécessité 
où  je  me  trouvais  moi-même  m'a  contraint  de  vous  pres- 
ser, et  je  n'ai  plus  été  maître  de  mon  emportement,  quand 
j'ai  vu  qu'au  lieu  de  bonnes  raisons,  je  ne  recevais  que  des 
furlupinades  de  la  part  d'un  drôle Ah!  le  voici,  (a  Plai- 
santin.) Apprenez,  mon  ami,  que  sans  le  respect  que  je  dois 
à  la  compagnie,  je  vous  traiterais  comme  le  mérite  un 
mauvais  plaisant  et  un  lâche;  mais  tenez-vous  pour  désho- 
noré. 

PLAISANTIN. 

Cet  affront  mériterait  un  bon  conp  d'épée  au  travers  du 
corps,  et  sans  le  respect  pour  la  compagnie  qui  me  re- 
tient... Mais  tenez-vous  pour  tué. 

(11  sort.) 
SOPHIE,  riant. 
(a    Plaisantin  qui  s'en  va.) 

Adieu  donc,  dame  Françoise, 
Pour  qui  j  ai  tant  soupiré. 

CROSSF.L. 

C'est  lui  faire  trop  d'honneur  que  de  nous  occuper  de 
lui  davantage;  (à  Pressant)  vous  venez  à  propos  pour  être 


572  1-E   MAUVAIS   PLAISANT. 

témoin  d'un  événement  qui  nous  intéresse  tous.  (Monuuni 
Lcantire.)  Vous  connaissez  monsieur? 

PRESSANT. 

Et  vous  devez  le  connaître  aussi,  par  ce  qu'il  vient  de 
faire  pour  vous. 

GROSSEL. 

Je  lui  donne  ma  nièce  et  tout  mon  bien. 

PRESSANT. 

Air  :  Tout  consiste  dans  la  manirre. 
De  bon  cœur  je  vous  fôlicile, 
D'un  clioix  qui  vous  fait  tant  d'honneur. 

CÉPHISE. 

Vous  couronnez  le  vrai  mérite. 

LÉ ANDRE. 

Vous  assurez  tout  mon  bonheur. 

CÉPHISE. 

Il  faut  qu'un  bon  mot  fasse  rire 

Le  bon  goût  : 
C'est  la  manière  de  le  dire. 

Qui  dit  fout. 


LA 

CANADIENNE 


COMEDIE 

Éi\  UN  ACTE  ET  EN  VERS  ' 


ACTEURS 
LA  MARQUISE. 
LA  COMTESSE,  sa  sœur. 
DORIMONT,  père  de  Julie. 
JULIE,  sous  le  nom  de  Zinca. 
LE  CHEVALIER,  fils  de  la  marquise. 
LISETTE,  suivante  de  la  marquise. 
FRONTIN,  valet  du  chevalier. 
BRIGANTIN,  maître  d'hôtel  de  la  marquise. 

La  scène  est  dans  le  château  de  la  marquise. 


SCÈNE  PREMIÈRE 
LE  CHEVALIER,  FRONTIN. 

FRONTIN, 

De  bonne  foi.  monsieur,  vous  donnez  là-dedans? 
Moi  qui  n'ai  pour  esprit  que  fort  peu  de  bon  sens, 

*  Cette  comédio  parait  n'avoir  .jamais  été  représentée  (iV.  de  l'Éd.) 


374  ■      LA  CANADIENNE. 

Je  ne  croirais  jamais  do  telles  impostures  ; 
Car,  tenez,  ces  diseurs  de  bonnes  aventures 
Finissent  toujours  mal.  S'ils  devinaient  enfin, 
Ils  sauraient  se  prédire  une  meilleure  fin. 

LE    CHEVALIER. 

De  ces  gens  quelquefois  la  science  est  bornée  : 
Mais  celui  qui  sans  fard  m'apprit  ma  destinée, 
Sur  le  passé  si  bien  a  su  me  définir, 
Que  mon  esprit  frappé  le  croit  sur  l'avenir. 
C'est  lui  qui  m'a  prédit  qu'une  Canadienne, 
Par  sa  flamme,  bientôt,  allumerait  la  mienne, 
Et  ferait  mon  bonlieur.  J'en  suis  certain. 

FRONTIN. 

Oiii-dà  ! 
C'est-à-dire,  qu'il  faut  vous  suivre  en  Canada  ï 
Ma  foi,  votre  valet.  Qui  voudra  partir,  parte. 
Si  j'aime  à  voyager,  ce  n'est  que  sur  la  carte  ; 
On  y  voit  sans  danger  les  Indes,  le  Pérou  : 
Mais  courir  jusque-là?  Je  ne  suis  pas  si  fou. 
Voir  cent  originaux,  ne  connaître  personne; 
Des  voleurs  en  chemin,  qui  veulent  qu'on  leur  donne 
Habit,  bourse,  cheval...  Oh!  j'en  suis  dégoûté. 
Mais  du  moins  sur  la  carte  on  marche  en  sûreté. 

LK    CHEVALIER. 

Qui  te  parle,  dis-moi,  de  faire  ce  voyage? 
La  marquise  à  mon  goût  s'oppose. 

FRONTIN. 

Elle  est  fort  sage. 
Vous  ne  vous  piquez  pas  de  trop  lui  ressembler. 
C'est  une  mère  unique. 


COMEDIE.  375 

^LE    CHEVALIER. 

Elle  a  su  m'accabler 
De  bontés,  de  bienfaits. 

FRONTIN. 

Remplissez  son  attente  ; 
Et  croyez  un  peu  madame  votre  tante,' 
Qui,  vous  entretenant  dans  cette  vision, 
Vous  rendra  ce  qu'elle  est...  Oui...  si  l'expression 
De  folle  n'était  pas  un  tant  soit  peu  trop  forte, 
Je  [risquerais  le  mot. 

LE    CHEVALIER. 

En  parler  de  la  sorte  ! 
Faquin... 

FEONTm. 

Mais  la  voici.  Filons  doux  à  ses  yeux. 


SCÈNE  II 
LA  COMTESSE,  LE  CHEVALIER,  FRONTIN. 

LA    COMTESSE. 

Ah!...  j'espérais  trouver  la  marquise  en  ces  lieux. 
Eh  bien  !  a-t-on  gagné  quelque  chose  sur  elle  ? 

(a  Fronlin.) 

Que  fais-tu  là,  toi? 

FRONTIN. 

Moi?  Comme  un  valet  fidèle. 
Je  tâchais  d'exhorter  mon  maître  à  son  devoir, 
D'obéir  à  sa  mère. 


376  TA  CANADIENNE. 

LA   COMTESSE. 

Ah!  je  n'ai  qu'à  lt>  voir. 
Chevalier,  tenez  bon  ;  que  votre  complaisance 
N'aille  pas  sur  le  sort  emporter  la  balance. 
Suivez  le  vôtre,  enlin,  puisqu'on  vous  l'a  prédit  : 
Les  devins  savent  tout,  je  vous  l'ai  déjà  dit. 
.Moi-même,  sans  pourtant  être  bien  curieuse, 
J'ai  su  tout  d'une  lemnie  à  mon  gré  merveilleuse  ; 
Dont  presque  tout  Paris  tut  très-longtemps  coiffé  ; 
On  lisait  son  destin  dans  du  marc  de  café. 
A  l'article  frappant  des  tendres  anecdotes. 
Les  plus  prudes  souvent  devenaient  les  plus  sottes  : 
Les  unes  par  dépit,  les  autres  par  regret; 
Mais  la  femme  et  l'amour  étant  seuls  du  secret, 
On  prenait' aisément  son  parti  sur  le  reste. 

LE    CHEVALIER. 

Ma  curiosité  ne  peut  m'êlre  funeste, 
Puisqu'on  m'a  présagé  les  plus  heureux  liens. 

LA    COMTESSE. 

On  peut  être  crédule  ainsi  que  les  anciens. 

FROMIN. 

Ah  !  si  les  anciens  croyaient  aux  balivernes, 
Ce  goût  n'a  pas  gagné  la  plupart  des  modernes. 
Qui,  quoique  leurs  travers  soient  partout  attestés, 
Ne  daignent  seulement  pas  croire  aux  vérités. 
Les  fous  ne  veulent  pas,  encor*  que  l'on  leur  prouve, 
Convenir  qu'ils  le  sont. 

LA   COMTESSE.^ 

Mais,  mon  ami,  je  trouve 
Que  tu  prends^avec  nous  un  ton  bien  familier. 


COMEDIE. 

FRONTIN.i 

C'est  que... 

LE  CHEVALIER. 

C'est  que...  Va-t-en. 

FRONTIN. 

Sans  me  faire  prier, 
Je  sors,  crainte  de  voir  mal  payer  ma  franchise. 
^Fais,  vous  n'y  perdrez  rien,  car  voici  la  marquise. 

(U  sort.) 


SCÈNE  m 

LA  MARQUISE,  LA  COMTESSE,  LE  CHEVALIER. 

LA    MARQUISE. 

Eh!  bien,  mon  fils!  peut-on  sur  votre  entêtement 
Vous  dire  encore  un  mot?  Quoi!  raisonnablement 
Pouvez-vous  renoncer  à  l'aimable  Julie, 
Et  vous  livrant  en  proie  à  votre  fantaisie. 
Préférer  voire  erreur  au  phis  tendre  lien? 
Je  veux  votre  bonheur,  vous  détruisez  le  mien. 

LE     CHEVALIER. 

Je  vous  dois  tout,  madame  -,  et  ma  reconnaissance... 

LA    MARQUISE. 

Paye  tant  de  bienfaits  par  une  extravagance. 

LA    COMTESSE. 

Ma  sœur,  ménagez-le... 

LE  CHEVALIER. 

Oui,  si  c'en  est  une  enfin 
Que  de  suivre  son  goût,  ou  plutôt  son  destin. 


-7S  F,A  CANADIENNE. 

Jo  \o  sais,  comme  vous,  Julie  est  jeune,  aimable, 
Riche...  mais  je  me  forge  une  idée  agréable 
D'être  aimé  d'un  objet,  qui,  clvangeant  de  climat, 
Croira  me  devoir  tout,  son  bonheur,  son  état... 
Si  je  puis  parvenir  à  la  rendre  sensible... 
Madame,  vous  riez  ;  mais  rien  n'est  moins  risible  ; 
Mon  projet  est  charmant.  Un  cœur  simple  et  sans  art 
Est  si  rare  à  Paris,  qu'on  le  croit  un  hasard. 
Ainsi  donc  je  tiendrai  des  mains  de  la  nature 
Ce  qu'un  autre  souvent  ne  doit  qu'à  l'imposture. 

LA   MARQUISE. 

Votre  prévention  ne  voit  que  d'un  œil  faux. 
Sachez  qu'en  tout  pays,  les  vertus,  les  défauts. 
Sont,  de  même  qu'ici,  des  femmes  le  partage  : 
Que  tout  climat  est  pur  à  qui  veut  être  sage  : 
Qu'une  fille  à  Paris,  qu'on  élève  avec  soin, 
Possède  la  vertu,  sans  la  chercher  si  loin  ; 
Et  que  celle  qui  vient  du  plus  lointain  rivage, 
A  contre  elle  souvent  les  hasards  du  voyage. 
Qu'en  pensez-vous,  ma  sœur? 

LA   COMTESSE. 

Moi?  je  pense  autrement. 
Vous  ne  me  verrez  point  blâmer  son  sentiment. 

LA    MARQUISE. 

Vous  ne  le  blâmez  point  ? 

LA    COMTESSE. 

Non,  vousdis-je;  au  contraire, 
Sa  façon  de  penser  est  dans  mon  caractère. 

LA   MARQUISE. 

Vous  êtes  fort  sensée,  après  un  tel  aven  ! 


COMEDIE.  579 

LA    COMTESSE. 

Eh!  mais  si  par  la  tante  on  juge  du  neveu, 
Tant  mieux  pour  lui,  ma  sœur. 

l\   MARQUISE. 

Du  côté  du  mérite, 
Ce  serait  fort  bien  fait;  c'est  à  quoi  je  Texcite  : 
Mais  qu'il  écoute  moins  la  singularité. 

LA   COMTESSE. 

C'est  parla  qu'il  me  plaît,  et  c'est  le  beau  côté. 

Du  goût  national  il  fronde  les  chimères. 

J'aime  les  étrangers,  et  lui  les  étrangères. 

Cette  conformité  nie  le  rend  précieux. 

Mon  époux,  le  feu  comte,  avec  moi  fut  heureux, 

Non  parce  qu'en  effet  il  méritait  de  l'être. 

Aimable,  de  l'esprit,  bien  fait,  point  petit-maître... 

LA  MARQUISE. 

C'est  par  ces  qualités  qu'il  fut  de  vous  ciiéri  ? 

LA  COMTESSE. 

Non  ;  c'est  qu'il  était  né  prés  de  Pondichéri. 

LA  MARQUISE,    à  part. 

Fort  bien  !  Il  ne  manquait,  pour  flatter  sa  manie, 
Que  l'imprudent  aveu  d'une  telle  folie. 

(Haut.) 

Loin  de  me  seconder,  votre  indiscrétion 
Se  plaît  à  le  soustraire  à  la  soumission. 

LA    COMTESSE. 

Oh  !  la  soumission  !  voilà  comme  vous  êtes  ; 
Il  faut  donc  s'immoler  à  tout  ce  que  vous  faites  ? 
Et  parce  que  sur  lui  vous  avez  du  [pouvoir. 
Est-ce  assez  pour  qu'il  soit  victime  du  devoir  ? 
Ma  sœur,  en  fait  de  choix,  le  devoir  doit  se  taire 


.-80  LA   CANADIENNK. 

I,A    MARQUISE,  iroiiiquenionl. 

On  no  peut  que  louer  un  si  beau  commentaire. 
Mais,  répondez,  mon  (ils,  que  dira  Dorimont? 
Le  croyez-vous  d'humeur  à  souiïrir  un  affront? 
Et  vous-même,  ma  sœur,  me  proposez  sa  fdie, 
Alliance  honorable,  en  qui  la  vertu  brille. 
.Iulie  et  Dorimont,  ici  reçus  tous  deux, 
Y  restent  à  dessein  de  combler  tous  ses  vœux  : 
Et  monsieur  n'écoulant  qu'une  humeur  fantastique, 
Est  épi*is,  sans  le  voir,  d'un  objet  chimérique  ! 

LA   COMTESSE, 

Quand  je  vous  proposai  cet  hymen,  j'ignorais 
Les  raisons  d'un  refus  qu'en  tel  cas  je  ferais. 
Vu  la  prédiction. 

LA    MARQUISE. 

Admirable  scrupule  ! 

LA  COMTESSE. 

Mais  ce  devin  habile.... 

LA    MARQUISE. 

Est  aussi  ridicule 
Que  les  sots  qu'il  attrape;  et  l'on  devrait  punir 
Tous  ceux  qui  font  métier  de  percer  l'avenir, 
Et  la  crédulité  de  ceux  qui  les  font  vivre 
En  payant  leurs  erreurs.  Le  destin  est  un  livre 
Impénétrable  à  tous,  des  sages  respecté, 
Et  qui  ne  s'ouvre  enfin  qu'à  la  Divinité. 
Entreprendre  d'y  lire,  envers  elle  est  un  crime. 
Dont  le  plus  curieux  est  toujours  la  victime. 
Avec  des  sentiments,  de  l'esprit,  un  bon  cœur, 
Sans  consulter  le  sort,  on  ptnit  croire  au  bonheur. 
Mon  lils,  vous  persistez,  c'en  est  donc  l'ail? 


COMEDIE.  .jSl 

LE    CHEVALIER. 

Ma  mère, 
Malgré  tout  mon  respect,  je  crains  de  vous  déplaire. 
Je  suis  bien  malheureux  !  Au  nom  de  vos  bienfaits, 
.\e  gênez  point  mon  goût.  Les  efforts  que  j'ai  faits 
rs'ont  pu  déterminer  mon  penchant  pour  Julie. 
Je  l'estime  beaucoup.  Hélas!  sans  ma  folie, 
l'eut-èlre  que  l'Amour  eût  lixé  mon  repos  ; 
Peut-être  raimerai^je. 

L.\  SLVP.QUISE. 

Une  autre,  à  ce  propos, 
Prendrait  un  parti  vit:  mais  toujours  bonne  et  tendre, 
Ne  pouvant  vous  guérir,  je  veux  bien  vous  apprendre 
Que  depuis  plusieurs  mois,  par  mon  ordre,  en  secret. 
Un  homme  s'est  chargé  d'amener  un  objet 
Du  C;inada. 

LE    CHEVALIER,    liausporlé. 

Souffrez  que  mon  cœur...  Mais,  ma  mère, 
Quand  verrai-je  ?... 

LA    MARQUISE. 

Je  ^crois  que  vous  n'attendrez  guère, 

LE   CHEVALIER,    avec  impalienco. 

Quand  ? 

LA    .MARQUISE. 

Bientôt,  à  juger  par  le  temps  du  départ 
De  celui  que  mes  soins  ont  choisi. 

LA    COMTESSE. 

Pour  ma  part  ; 
.le  vous  en  sais  bon  jiré. 


382  l-A   CANADIENNE. 

LA    MARQUlSli. 

Son  bien  et  sa  naissance 
Ne  vous  cèdent  en  rien.  Par  la  correspondance 
Que  j'ai  dans  ce  pays,  cela  n'est  pas  suspect, 
Je  m'en  suis  fait  instruire.  Ainsi,  que  le  respect 
Marche  avec  votre  amour. 

LE  CHEVALIEU,   baisant  la  main  do  sa   mère. 

Vos  bontés  me  confondent. 
Quoi  !  j'aurais... 

LA   MARQUISE. 

A  mes  vœux  que  les  vôtres  répondent  ; 
Tout  ira  bien.  Itentrez.  De  mes  bienfaits,  mon  fils, 
Connaissez  l'étendue,  et  mettez-y  le  prix. 

(Le  Chevalier  sort  avec  des  démonstrations  de 
reconnaissance  et  de  joie.) 
LA  COMTESSE,   à  la  Marquise. 

Malgré  vous,  la  raison  vous  est  donc  revenue, 
Puisqu'à  le  seconder  vous  êtes  résolue  ! 

LA   MARQUISE. 

Soit. 

LA   COMTESSE. 

Je  l'en  félicite,  et  je  cours  sur  ses  pas. 
Lui  bien  recommander  qu'il  n'en  démorde  pas. 
Ma  sœur,  c'est,  selon  moi,  lui  rendre  un  bon  officf  ■ 

LA   MARQUISE,  ironiquement. 

Je  reconnais  ma  sœur  à  ce  rare  service. 


COMEDIE.  383 


SCÈNE  IV 


LA  MARQUISE,  seule. 

Si  riiomme  le  plus  fait  pour  aimer  la  vertu, 

Par  quelque  ridicule  est  encor  combattu, 

De  celui  de  mon  fils  justement  je  murmure  ; 

Il  paye  un  peu  trop  cher  tribut  à  la  Nature. 

Cependant  je  l'excuse  ;  il  cherche  un  cœur  sans  art, 

Qui  lie  connaisse  en  rien  ni  l'apprêt  ni  le  fard, 

Qui,  simple  dans  ses  mœurs,  et  fait  pour  la  tendresse, 

Sache  traiter  l'amour  avec  délicatesse. 

Ce  désir  le  transporte  ;  et  pour  faire  un  tel  choix, 

Il  croit  qu'il  faut  aller  bien  plus  loin  qu'autrefois, 

Je  le  croirais  aussi,  sans  l'aimable  Julie, 

Qui  paraît  être  faite  au  gré  de  son  envie... 

Mais  la  voici...  tâchons  de  la  déterminer 

Au  projet  que  tantôt... 


SCÈNE  V 
LA  MARQUISE,  JULIE. 

JULIE. 

J'ai  beau  m'examinerj 
Je  n'aurai  jarriais  l'air  d'une  Canadienne. 

LA   JIAUQUISE. 

Si,  ma  chère  ;  de  vous  il  faut  que  je  l'obtienne... 
Vos  habits  sont  tout  prêts  pour  ce  déguisement. 
Vous  vdus  méconnaîtrez  vous-même  assurément. 


r.P4  LA  CANADIENNE. 

JULIE. 

Ce  n'est  point  sur  Iliiibit  que  mon  esprit  contrôle, 

Ma  taille  et  ma  ligure  iront  de  reste  au  rôle. 

Mon  père,  qui  dans  tout  croit  toujours  voyager, 

Dit  que  j'ai  l'air  Persan,  le  profil  étranger, 

Le  menton  Espagnol,  l'oreille  .laponoise, 

Le  nez  Américain,  et  la  bouche  Chinoise. 

S'il  dit  vrai,  je  crois  fort  qu'en  mêlant  tout  cela, 

Je  pourrai  bien  avoir  un  air  de  Canada. 

L'habit  au  par-dessus  soutiendra  l'équivoque. 

Tout  va  bien  jusqu'ici  :  mais  certain  point  me  choque 

LA    MAIIQUISE. 

Quel  est-il  ? 

JULIE. 

Franchement,  il  doit  me  déceler. 
Croyez-vous  me  tenir  une  heure  sans  parler  ? 
S'il  faut  qu'avec  mes  traits  ma  langue  se  déguise. 
Je  ne  réponds  de  rien,  madame  la  Marquise. 

LA    MARQCISE. 

Quand  vous  rélléchirez  que  ce  n'est  qu'à  ce  pri.x 
Que  je  peu.v  vous  devoir  le  bonheur  de  mon  fils, 
Votre  amitié  pour  moi  saura,  sans  répugnance, 
Surmonter  l'embarras  d'une  heure  de  silence. 

JULIE. 

Mou  amitié  pour  vous  me  l'ait  risquer  un  pas 
Que  sans  elle  vraiment  je  ne  risquerais  pas. 
Faut-il  que  mon  ilésir  de  vous  nommer  ma  mèie, 
Par  votre  propre  (Ils  divieiuie  une  cIiiMiéri'? 


COMÉDIE.  58.J 

LA   MARQUISE. 

Chassez  de  son  esprit  une  légère  erreur 

Hui  n'a  point  sûrement  été  jusqu'à  son  cœur. 

Vous  en  viendrez  à  bout. 

JULIE. 

Au  moins  j'en  ai  l'envie. 

LA    MARQUISE. 

Votre  père  vous  croit  chez  votre  bonne  amie  ? 

JULIE. 

Depuis  hier  au  soir. 

LA   MARQUISE. 

Ainsi  gardons-nous  bien 
Que  l'on  vous  voie  ici.  La  Comtesse  revient, 
Qui  nous  gâterait  tout. 

JULIE. 

Je  vole  à  ma  cachette, 
Achever  proijdptement  ma  bizarre  toilette. 

(Elle  sort.) 

SCÈNE  VI 
LA  MARQUISE,  LA  COMTESSE 

LA    COMTESSE. 

Votre  lils  m;iiii  tenant  est  comme  je  le  veux. 

Allez,  nous  en  serons  contentes  toutes  deu.\, 

Silôtque  par  mon  goût  le  vôtre  se  décide. 

Vous  faites  tout  de  lui,  quand  la  douceur  vous  guide. 

Quoique  fort  jeune  il  a  l'esprit  très-conséquenl. 

LA    MARQUISE. 

Tout  ;i  fait!  Il  en  donne  un  trait  bien  convaincant. 
De  l'esprit  !  en  a-t-on  lorsque  l'on  est  bizarre? 

9-> 


:8  LA  CANADIENNE. 

Choquer  les  préjuges,  jouer  l'espèce  rare, 
Etre  seul  de  son  goût,  si  c'est  là  de  l'esprit, 
Comment  donc  nommez-vous  la  sottise  ? 

LA    COMTESSE. 

11  suflit 
De  vous  contrarier,  pour  être  singulière. 
Je  vous  entends. 

LA   MAUQUISE. 

•Mon  Dieu,  laissons  cette  matière  \ 
Chacun  pense  à  son  gré.  La  dissertation 
N'est  point  du  tout  mon  genre. 

LA   COjMXESSE. 

Et  c'est  ma  passion. 

LA   MARQUISE. 

Ke^vous  contraignez  point* 

LA    COMTESSE. 

J'aime  que  Ton  disserte. 
Dorimont,  par  exemple,  est  une  découverte 
Admirable  pour  nous. 

LA   MARQUISE. 

Je  vous  cède  ma  part. 

LA    COMTESSE, 

Fort  instruit  :  il  est  vrai  qu'il  est  un  pou  bavard; 
Mais  il  parle  de  tout,  d'histoire,  de  voyage. 
De  sa  prolixité  ce  qu'il  dit  dédommage. 
Il  vient  à  nous» 


COMEDIE.  Û87 

SCÈNE  VII 
LA  MARQUISE,  LA  COMTESSE,  DORIMONT. 

DORIMONT. 

Parbleu,  j'en  aurais  fait  autant. 
Elle  a  raison.  Il  faut  chercher  l'amusement 
Où  l'on  peut  le  trouver;  c'est  le  sel  de  la  vie. 

LA  MARQUISE. 

De  qui  parlez-vous  donc,  s'il  vous  plaît  ? 

DORIMONT. 

De  Julie 
Ma  fille.  Elle  n'est  pas  si  dupe,  à  mon  avis, 
Qu'elle  ne  sente  bien  que  monsieur  votre  fils 
L'a  (soit  dit  entre  nous)  fort  mal  appréciée. 

LA  COMTESSE. 

Eh  bien? 

DORIMONT. 

Apparemment  qu'hier  au  soir  ennuyée 
Du  rôle  peu  flatteur  qu'elle  joue  en  ce  lieu, 
Ou  plutôt  de  celui  que  votre  froid  neveu 
Fait  auprès  d'elle... 

LA  MARQUISE. 

Enfin  ? 

DORIMOST. 

Enfin,  ne  vous  déplaise, 
Souffrez  qu'à  ce  sujet  j'ouvre  une  parenthèse, 
Que  je  saurai  fermer  lorsqu'il  en  sera  temps. 
Est-ce  là,  dites-moi,  comme  on  aime  à  vingt  ans? 
Le  pauvre  chevalier  mérite  qu'on  le  plaigne, 
Ainsi  que  ses  pareils.  Corbleu  !  sous  l'autre  règne 


:.XX  l\  CANADIENNE. 

II  eût  fallu  me  voir,  et  mes  contemporains, 
Toujours  vifs,  égrillards,  sans  être  libertins... 

L\  MAngUISE. 

Il  s'agit... 

DORIMOM. 

Prévenants  sans  resse  auprès  des  belles... 

LA  MARQUISE. 

Sachons... 

DcnUMONT. 

Sans  leur  manquer,  se  faire  estimer  d'elles. 
Mais  aujourd'hui,  ma  foi,  ce  n'est  qu'en  leur  manquant. 
Qu'un  jeune  écervelé  leur  paraît  élégant. 
L'air  libre  a  remplacé  l'innocent  badinage, 
Et  l'enjouement  n'est  plus  que  du  libertinage. 
Il  faut  que  je  vous  conte... 

LA  MARQUISE. 

Eh  !  mais  vous  nous  parliez 
De  Julie. 

DORIMONT. 

Eh  bien  !  oui. 

LA  MARQUISE. 

Monsieur,  si  vous  vouliez... 

DORIMONT. 

Ne  vous  l'ai-je  pas  dit?  Elle  m'a  fait  entendre. 

Hier,  quoiqu'un  peu  tard,  qu'il  ne  faut  plus  prétendre.. 

Vous  savez,  comme  moi,  qu'elle  a  beaucoup  d'esprit. 

LA   MARQUISE,  avec  inipatieiue. 

Oui,  monsieur. 

DORIMONT. 

Elle  parle,  elle  chante,  elle  écrit... 
Elle  a  tous  les  talents  que  possédait  sa  mère. 


COMEDIE.  589 

Tout  cela,  voyez-vous  !  me  la  rend  bien  plus  chère. 
J'ai  bien  vu  du  pays;  mais  je  n'ai  jamais  vu 
Un  enfant... 

LA   MARQUISE,    avec  viv.ncité. 

Nous  aimons  ses  talents,  sa  vertu. 
Il  s'agit  du  propos... 

DORIMONT. 

Eh  !  sans  doute. 

LA  MARQL'ISE. 

De  grâce, 
Achevez  cet  article. 

LA   COMTESSE,    ù  la  Marquise  d'un   Ion    piqutî. 

On  vous  gêne,  on  vous  lasse, 
Pour  peu  que  l'on  raconte... 

(a  Doriniont.) 

Auriez-vous  la  bonté, 
A  propos  des  pays  où  vous  avez  été. 
De  me  dire  deux  mots  concernant  vos  voyages  ? 

DORIMONT. 

Volontiers.  Écoutez.  Un  jour  chez  les  sauvages, 
Peuple  assez  ignorant,  et  parlant  mal  français, 
Chantant  mal  l'italien...  Ce  sont  deux  choses... 

I.A  MARQIJISE. 


Mais, 


Votre  fille... 

ItORIMONT. 

Ah  !  ma  fille  ?  Eh  bien  !  elle  est  partie. 

Pour  aller  s'amuser  chez  une  bonne  amie 

Elle  en  a,  des  amis,  beaucoup  ;  et  c'est  un  point 
Essentiel.  Malheur  à  ceux  qui  n'en  ont  point 
.le  m'en  suis  fait  pourtant... 

'22 


r.!M)  LA   CANADIENNE. 

l.\  MARQUISE,   à  part. 

Quelles  cruelles  peines  ? 

DORIMONT. 

J'en  ai  mille  au  Japon,  au  Cap...  ' 

LA  COMTESSE. 

Les  porcelaines 
Sont-elles  sur  un  pied  fort  cher  ? 

I.A   MARQUISE,    à  part. 

Bon  !  les  voilà 
Partis  pour  le  Japon. 

DORIMONT.   à  la  Comtesse. 

A  l'égard  de  cela, 
Selon  la  qualité.  Celle  que  plus  on  vante 
Est  marquée  au  Dragon. 

LA  MARQUISE,   le  tirant  par  le  bras. 

Votre  fille  est  absente! 
Sera-ce  pour  longtemps  ? 

DORIMONT, 

Ma  foi,  je  n'en  sais  rien, 
Autant  qu'elle  voudra.  Mon  plaisir  est  le  sien. 
11  suffit  qu'elle  soit  en  bonne  compagnie, 
Et  que  j'en  sois  instruit.  Je  n'ai  pas  la  manie 
De  ces  pères... 


SCÈNE  Vlll 
LA  MARQUISE,  LA  COMTESSE,  DORIMONT,  LISETTK. 

LISETTE. 

Madame,  un  nommé  Briganlili, 
Arrivé,  m'a-t-il  dit,  d'un  pays  fort  lointain, 


COMEDIE.  ÔOl 

Voudrait  vous  présenter  une  Canadienne, 
Qu'il  dit  être  jolie. 

DORIMONT. 

Ah  !  ah  ! 

LA  MARQUISE. 

Dis-lui  qu'il  vienne. 

(Lisette  sort.) 
(A  part.) 

Puisse  mon  fils,  par  lit,  guérir  de  son  erreur  ! 

LA  COMTESSE. 

Nous  allons  donc  la  voir  !  Je  l'attends  de  bon  cœur. 
Doriniont,  ce  pays  vous  est  connu,  sans  doute? 

DORIMONT. 

(a  part.) 

Comme  mon  cabinet...  Ce  détail  me  déroute. 
Ai-je  bien  été  là  ? 

LA  COMTESSE. 

Comment  les  habitants 
Sont-ils  mis,  à  peu  prés  ? 

DORIMONT,    hésitant. 

Je  parle  de  longtemps 

LA  COMTESSE. 

Vous  vous  ressouvenez  du  moins  de  leurs  manières, 
Et  des  femmes  surtout  ? 

DORIMOXT,   embarrassé. 

Elles  sont...  singulières... 
De  si  loin,  la  mémoire  échappe  volontiers. 

LA   COMTESSE. 

Et  les  hommes  sont-ils'... 


392  LA   CANADIENNE. 

PORIMONT,   flii'iTlinnt. 

Mais...  ils  sont  singuliors.. 
Ayant  l'air...  par  ma  foi...  Je  ne  sais  trop  vous  dire. 
Les  gens  sont  plus  aisés  à  voir,  qu'à  les  décrire... 

(A  part.) 

Ouais!  aurais-je  oublié  d'y  faire  un  .tour?  oui-dà  .. 

LA  MARQUISE. 

Je  le  croirais  assez. 

DORIMONT. 

Justement,  m'y  voilà... 

LA  COMTESSE. 

Vous  me  faites  plaisir En  portraits  il  excelle 

Vous  vous  rappelez  donc  ? 

DORIMONT. 

Ma  foi,  je  me  rappelle.  . 
Que  c'est  le  seul  climat  où  je  n'ai  point  été. 
On  peut  dédommager  la  curiosité. 
Par  un  trait  historique...  Un  jour... 


SCÈNE  IX 

LA  MARQUISE,  LA  COMTESSE,  DORIMONT,  JULIE  (sous  le  nom 
Ho  Zinca),  LISETTE,  BRIGANTIN. 

LA  COMTESSE. 

iVh! 

DORIMONT. 

Ah! 

BRIGANTIN,   A  la  marquise,  lui  préseiitanl  Zinca. 

jMadaino 
Veut-elle  se  charger?... 


COMEDIE.  39:. 

LA  MARQUISE, 

Oui,  de  tout  mon  âme, 

BRIGANTIN . 

Cette  aimable  personne  a  précédé  d'un  jour 
Deux  parents  qu'une  affaire  appelait  à  la  Cour. 
Peut-être  dès  ce  soir  les  verrez-vous  paraître. 

LA   MARQUISE. 

Ils  seront  tous  reçus,  ainsi  qu'ils  doivent  l'être. 

LA    COMTESSE. 

Elle  est  fort  bien  ! 

LA    MARQUISE. 

Charmante!... 

DORIMONT,  l'ayant  examinée  avec   des   lunolles. 

Et  surtout  du  profd! 
Voyez... 

LA    COMTESSE. 

Oui,  c'est  plaisant?  mais  cela  parle-t-il? 

(A  Dorimont*. 

Vous  savez  cette  Inngue? 

DORIMONT. 

Oh  !  j'en  sais  quinze  ou  seize, 
La  sienne  faiblement.  Pour  la  mettre  à  son  aise. 
D'abord  en  bon  français  je  vais  l'interroger. 

(A  Zinca.) 

Bonjour,  charmant  objet!  Dans  votre  air  étranger 
On  voit  je  ne  sais  quoi  de  doux  et  d'agréable. 

(Zinca  paraît  étonnée.) 
(D'un  ton  plus  élevé.) 

Bonjour,  charmant  objel  !  Hem  !  l'Iaît-il  ?  Mais  que  diable! 


394  LA   CANADIENNE. 

(Plus  haut.) 
Elle  ne  répond  pas.  Bonjour,  objet  charmant  ! 
Réponds  donc,  si  lu  veux. 

(Zinca  prend  un  air  offi-ayé.) 
L\  MARQUISE. 

Ce  n'est  pas  en  criant, 
Qu'elle  vous  entendra.  Cette  Canadienne 
Ignore  notre  langue.  Eh  !  parlez-lui  la  sienne, 
Puisque  vous  la  savez. 

DORIMONT. 

(Il  interroge  Zinca.) 
Volontiers.  Belleti. 
Ici  vous  crédati  in  poco  perdati  ! 

(il  crie.) 

Plaît- il?...  Répondati. 

(Zmca  paraît  avoir  peur.) 
LA    MARQUISE. 

Vous  lui  cassez  la  tête. 
Entend-elle  cela? 

DORIMONT. 

Je  la  croyais  moins  bête. 

LA  COMTESSE. 

Il  lui  parle  pourtant  de  toutes  les  façons. 

DOUIMONT,  à  la  marquise. 

Le  marchand,  quel  qu'il  soit,  est  un  vendeur  d'oisons. 

BRIGANTIN. 

Monsieur,  connaissez  mieux... 

DORIMONT. 

Un  oiseau  sans  ramage. 
Et  cela,  ce  n'est  qu'un.  Sans  tarder  davantage, 
Il  faut  vous  en  défaire. 


COMEDIE.  595 

LA    MARQUISE. 

Allez  chercher  mon  fils. 

(Lisette  sort  et  rentre  aussitôt.) 

Si  monsieur  Briganlin  veut  bien  qu'en  ce  logis 
Elle  passe  le  jour... 

BRIGANTIN. 

Madame  est  la  maîtresse  : 
Mais  je  dois  l'avertir  qu'en  vain  Monsieur  la  presbe 
De  répondre, 

DORIMONT. 

Pourquoi? 

URIGANTIN. 

Soit  chagrin,  soit  dégoût, 
Soit  accident,  Zinca  ne  parle  point  du  tout. 

(n  sort.) 
DORIMONT. 

Je  le  savais  bien,  moi  ;  cette  espèce  est  muette. 

(U  rit.) 

Je  vous  fais  compliment  sur  votre  bonne  emplette. 

LA    MARQUISE. 

Ses  yeux  sont  expressifs. 

DORIMONT. 

Il  me^faut  du  caquet  : 
J'en  donnerais,  morbleu,  cent  pour  un  perroquet^ 
Belle  qui  ne  dit  mot,  n'est  qu'une  belle  idole. 

LA    MARQUISE. 

Mais  l'âme..* 

DORIMONT. 

Oh  !  selon  moi  l'àme  est  dans  la  parole* 
C'est  pourquoi  je  soutiens... 


3%  LA   CANADIENNE. 


SCÈNE  X 

LA  MAKOUISl!],  LA  COMTESSE,  DOllIMONT,  JULIE,  LE 
CHEVALIER,  LISETTE,  FROISTIN. 

LA  MAItQUlSE. 

Approchez,  chevalier. 
Voyez  comme  je  sers  votre  goût  suigulier. 
Voici  l'ohjet  qu'enfin  j'ai  fait  venir  en  France. 
Le  réel  a  suivi  de  près  votre  espérance. 
Sa  taille  et  sa  beauté  vous  surprennent  déjà. 

(Peudaut  CL'tle  scùno  le   Cliovalior  admire    Ziiiea  avec    une 
atleiUion  extrême.) 

DORIMOM. 

Oh!  ho!  quoi!  c'est  pour  lui  que  vous  prenez  cela? 

I,A    COMTESSE. 

Oui. 

DORIMONT. 

Quel  conte  ! 

LA    COMTESSE. 

D'honneur. 

DOUIMONÏ. 

Ail  !  la  bonne  lolie  ! 
Je' vous  quitte  un  inouient,  pour  écrire  à  Julie  ; 

(Au  Chevalier.) 

Et  je  vais  lui  marquer  ton  goût  pour  les  tableaux, 
Monsieur  l'original!  Vas... 

LA    COMTESSE 

11  est  à  propos 
Que  vous  soyez  instruit  du  fond  de  l'aventure. 


COMEDIE.  397 

Une  prédiction  qui  me  parait  très-sûre, 
Veut  que  pour  son  bonheur  il  devienne  amoureux 

DORIMONT. 

D'un  être  inanimé!  Sa  façon  d'être  heureux 
N'a  pas  le  sens  commun.  Morbleu,  vive  ma  fille! 
Il  n'en  était  pas  digne.  Elle  cause,  babille.  . 

LISETTE. 

Elle  a  de  qui  tenir. 

DORIMONT. 

Ensemble  ils  seront  bien. 

LA    COMTESSE.  • 

En  un  mot,  c'est  son  goût. 

DOP,IMO^T. 

Oh  !  chacun  a  le  sien. 
Mais  je  voudrais  savoir... 

LA    COMTESSE. 

Si  vous  voulez  me  suivre, 
Vous  saurez  le  détail... 

LA  MARQUISE,  i  Lisette. 

A  tes  soins  je  la  livre  : 
Ne  quille  point  ses  pas. 

DORIMONT,    raillant  ilo  loin    le  Cliovalier. 

Mais  voyez  donc  son  air! 

LA  MARQUISE, 

Laissons-les  un  moment. 

DORIMONT,   sortant  avec  la  n)ar(|uise  et  la  comtesse. 

l'rends  courage,  mon  lier. 
L'atelier  d'un  sculpteur  l'en  offrira  bien  d'autres. 

(Ils  s'en  vont.) 


25 


o98  LA   CAlNADIENiNE. 

SCÈNE  XI 

LISETTE,  LE  ClIEVALIElî,  ZIIS'CA,  FROiNTIN. 

l'UONTIN,  au  Clicvalior,  (jui  est  restû  en  oxlasc. 

l'our  peu  que  ses  discours  soient  semblables  aux  vôtres, 
Vous  n'épuiserez  pas  la  conversation. 

LISETTE. 

Tais-toi;  ne  trouble  point  sa  contemplation. 
La  belle  est  d'un  pays  où  pour  toute  éloquence, 
On  ne  dit  rien  du  tout;  et  c'est  en  conséquence, 
Que  ton  maître  se  l'orme. 

LE    CHEVALIER,    avec  traiisimit. 

Oui,  j'en  suis  enchanté! 

LISETTE. 

Ses  progrès  sont  bien  courts. 

LE  CHEVALIER. 

Une  divinité, 
Comparée  à  ses  traits,  perdrait  au  parallèle. 
Quelle  taille  !  quels  yeux  ! 

LISETTE,   à  Frontiii. 

La  trouves-tu  si  belle? 

FRONTIN. 

Ma  loi,  tout  doucement.  Sans  aller  loin,  je  crois 
Que  l'on  pourrait  trouver  d'aussi  jolis  minois. 

LISETTE. 

Je  m'en  llatte,  et  j'en  sais  à  qui  l'on  rend  les  armes. 

FRONTIN. 

Tu  fais  tout  bonnement  les  honneurs  de  tes  charmes. 

LISETTE. 

Je  ne  dis  rien  de  trop. 


COMEDIE.  500 

LE    CHEVALIER. 

Comment  la  nomme-t-on, 
Lisette  ? 

LISETTE. 

Zing...  Ziiicii. 

LE    CHEVALILK. 

Zinca  !  le  joli  nom  ! 

LISETTE. 

Le  nom  y  t'ait  beaucoup  ! 

LE    CHEVALIEU. 

Zinca,  je  vous  adore. 

(Zinca  paraît  surprise.) 

Sur  mon  étoile,  liélas!  mon  goût  l'emporte  encore. 
Elle  ne  répond  pas  ! 

FRONTIX. 

Parbleu,  je  le  crois  bien. 
On  en  est  dispensé,  lorsque  l'on  n'entend  rien. 

LE    CHEVALlEll. 
lElle   pat'ait  sérieuse.) 

Zinca  ?  Quel  sérieux  !  Je  lui  déplais,  peut-être  ï 

FnONTIN. 

Lui  déplaire  !  ho  que  non  !  Mais  tenez,  mon  cher  inaitre. 
Vous  vous  y  prenez  mal.  Tiens,  Lisette,  aide-moi. 

Uls  lui  font  tics  mines   grotesques,  dont  Ziuca    parait  s"ol'l'enser.) 
Chit,  chit  ! 

LISETIE. 

Chil,  chit  ! 

FRO.NTIX: 

llem  ! 


400  LA  CANADIENNE. 

LlSliTTE. 

Ilrni  ! 

Kilo  boikie  !  ma  loi. 

FHOMIN. 

Pour  les  bons  procédés,  c'est  être  trop  cruelle. 

Lli    CHEVALIER. 

Ne  l;i  cliiigriue  pas.  Mon  bonheur  dépend  d'elle. 
Comnienl  peindre  à  ses  yeux  toute  ma  passion  ? 

(Il  lui  l'iiit  (les  sigiips  Icrulros  et  passionnes.  Elle  a  l'air  élonnc.) 

Que  je  suis  ma'adroit  !  Lisette,  aide-moi  donc. 

LISETTE. 

Moi  !  quêter  de  l'amour  1 

LE   CHEVALIER. 

Tu  vois  les  circonstances. 

LISETTE. 

Je  veux  agir  pour  moi,  quand  je  fais  des  avances. 

LE  CHEVALIER. 

Et  toi,  Frontin? 

FRONTIS,  se   carrant. 
Monsieur,  le  plus  joli  minois 
N'a  jamais  eu  l'honneur  de  me  braver  deux  fois. 
Chacun  saît  ce  qu'il  vaut. 

LE  CHEVALIER. 

Eh  bien  !  je  veux  lui  dire, 
Qu'elle  m'entende  ou  non,  tout  ce  qu'elle  m'iusitire. 
Oui,  charmante  Zinca,  je  ne  vis  que  pour  vous. 
Le  destin  l'a  prédit.  Que  ce  destin  m'est  doux  ! 
Il  est  justifié  par  mon  ardeur  extrême. 
Je  vous  adore.  Hélas  !  dites-moi  :  je  vous  aime. 
Je  vous  aime,  est  un  mot  facile  à  prononcer. 
L'amour  seul  l'inventa Mais  pouniuoi  vous  presser 


COMÉDIE.  401 

De  répondre  à  mes  vœux?  Vous  ne  pouvez  m'enlenJre. 
Ah!  du  moins  sans  parler,  un  ca'ur  sen>il)le  et  tendre 

(Zinca   a  les  yeux  Ijaissés.) 

liépond  par  les  regards.  Zinea,  que  vos  beaux  yeux 

île  dédommagent  donc  d'un  silence  odieux. 

Piien  qu'un  regard,  un  seul.  Que  faut-il  que  je  fasse? 

Il  se  joUe  à  ses  genoux.) 
Faut-il  à  vos  genoux  demander  celte  grâce  ? 
Zinca,  vous  m'y  voyez  ;  et  j'attends,  en  tremblant, 

(Zinca  parait  effrayée,  el  ensuite  contrefait  un  rire  baroque.) 

Mon  arrêt Vous  riez!  quoi!  d'un  rire  accablant 

Vous  payez  mon  amour?  Vous  êtes  une  ingrate, 

Plus  cruelle  cent  fois En  vain  ma  plainte  éclate; 

Elle  ne  m'entend  pas.  Que  je  Kiis  malheureux  ! 

(Avec  emportement.) 

Fronlin!  Frontin! 

FROXTIX,    tout  tremblant. 

Monsieur! 

LE   CHEVALIER. 

Dis-lui  donc,  si  tu  veux, 
Qu'elle  a  le  plus  grand  tort. 

FROXTLN  . 

Que  diable  lui  dirais-je? 

LE   CHEVALIER,    à   Lisette. 

Mais,  toi,  fais-lui  sentir... 

LISETTE. 

Après  vous,  que  ferais-je? 

LE  CHEVALIER. 

Mais  fais  la  convenir  qu'elle  a  conçu  pour  moi 
La  haine  ou  le  mépris  le  plus  affreux. 


W>  LA   CANADIENÎSK. 

I.ISKTTK. 

Ma  foi, 
Vous  le  mériteriez.  Iiiioiniao  l'orl  raisonnable, 
Vous  voilà  devenu  le  plus  imimrdonuable, 
Pour  ne  pas  dire  fou  :  cela  par  l'ascendant 
Que  prend  sur  votre  cu'ur  un  être  morfondant, 
Oui  n'a  pour  tout  talent  que  la  bégueulerie. 

LE    CHKVALIEn. 

Ton  insolent  discours  passe  la  raillerie. 
Apprends  que  la  sagesse  unie  à  la  beauté... 

FRONTIN. 

La  sagesse...  est  de  trop,  monsieur,  en  vérité. 
Pour  belle,  on  peut  le  voir.  La  physionomie 
Est  faite  pour  cela.  Mais  l'autre  point  se  nie, 
Faute  d'être  aperçu. 

LE    CIIEVALUCP.. 

Sa  pudeur  est  témoin 
Qu'en  son  climat... 

FRONTIN. 

A  beau  mentir  qui  vient  de  loin. 

LE  CHEVALIER,    lui  donnaiil  un  coup  de    son  chapeau  sur  l'oreille. 

Vous  êtes  un  maraud.  Offenser  ce  que  j'aime, 

C'est  m'outrager Zinca,  pour  mon  bonheur  suprême, 

(Zinca  fait  un   mouvement  d'impatience, 
et  parait   vouloir  sortir). 

Puis-je  espérer  qu'un  jour...  Quoi  !  vous  voulez  me  fuir'.' 

Je  vois  trop  à  quel  point  vous  voulez  me  haïr.. 

Je  vous  suis  odieux  !  Quoi  !  je  lui  sacrifie 

Tout,  en  me  refusant  à  l'aimable  Julie, 

Pour  être  dédaigné  ?  Sortons.  Non,  je  ne  puis 

Me  soulliir  plus  longtemps  dans  l'état  oi'i  je  suis. 

(Il  sort  avec  Fiontiu.) 


COMEDIE.  403 


SCÈNE  XII 

JLLIE,  sous  le   nom  de  Zinca,  LISETTE. 
LISETTE. 

Le  voilà  bien  puni  de  sa  bizarrerie  ; 
Et  c'est,  ma  foi,  bien  fait.  Mais  quelle  fantaisie 
Engage  ma  maîtresse  à  vouloir  m'employer 
Auprès  de  cette  idole?  Oh  !  je  vais  m'ennuyer. 

JULIE. 

Lisette  ? 

LISETTE,    effrayée. 

Juste  ciel  !  au  secours  ! 

JULIE. 

Viens,  Lisette. 

LISETTE. 

Vous  parlez? 

JULIE. 

Sans  avoir  besoin  d'un  interprète, 
11  est  bien  singulier  que  ce  déguisement 
Voile  aux  yeux  de  chacun  Julie. 

LISETTE,   l'ayant  examinée. 

Eh  !  oui  vraiment... 

(Elle  balance.) 

Mais  non...  oui...  non...  si  fait.  A  présent  je  le  gage. 
Voyez  comme  le  rouge  accommode  un  visage  ! 
Vous  nen  mettiez  jamais.  Cet  art  officieux, 
De  bien  que  vous  étiez,  vous  rend  quatre  fois  mieux. 
Mais  quel  sujet  ainsi  vous  a  donc  travestie? 


il)'»  LA   CANADIENNE. 

jui.ii:. 
[gnorant  le  dessein,  ou  pliilôl  la  inauio 
Du  pauvre  chevalier,  mon  père,  ainsi  que  moi, 
Fut  reçu  dans  ces  lieux,  et  tu  sais  bien  pourquoi. 
On  me  fit  voir  d'abord  le  fils  de  la  marquise, 
Comme  devant  un  jour,  en  épouse  soumise, 
Elre  à  lui  pour  jamais.  Tu  connais  ce  qu'il  vaut. 
Son  mérile,  ses  mœurs,  m'encliaîiièrent  bientôt. 
11  m'était  ordonné  de  l'aimer.  Ali,  Lisette  ! 
Comme  j'obéissais!  Mais  hélas  !  ma  défaite, 
Loin  de  produire  en  lui  le  même  sentiment, 
Semblait  l'en  détourner.  Ju^je  de  mon  tourment. 
J'allai  cacher  mes  pleurs  dans  le  sein  de  sa  mère, 
A  qui  par  mille  soins  j'ai  su  me  rendre  chère. 
Son  but,  en  approuvant  le  penchant  que  j'ai  pris, 
Était  de  triompher  de  l'erreur  de  son  fils. 
Vain  espoir!  Elle  a  cru  que,  par  ce  stralagème. 
Cet  amant  deviendrait  la  dupe  de  lui-même. 
Voilà  tout  le  sujet  de  ce  déguisement. 
C'o.'^t  elle  qui  le  veut,  et  l'amour  y  consent. 

LISETTE. 

Comme  vous  dégoisez  !  Pendant  votre  silence. 
Vous  avez  amassé  ce  torrent  d'éloquence. 
11  prend  fort  l)ien  son  cours! 

JULIE. 

Il  me  coule  bien  cher. 


Votre  voyage  enfin. 


JULIE. 

Est  un  vovage  en  l'air 


COMEDIE.  405 

LISETTE. 

Mais  quel  est  est  votre  but? 

JULIE. 

Mon  unique  espérance 
Est  de  plaire,  ou  du  moins  tenter,  par  mon  silence 
Et  ma  stupidité,  de  le  pousser  à  bout. 
Et  le  guérir  enfin  de  son  bizarre  goût. 
Que  j'ai  plaint  son  tourment  !  que  j'ai  souffert  moi-même, 
De  ne  pouvoir  tantôt  dire  ce  je  vous  aime, 
Qu'il  m'a  tant  demandé  !  Mon  cœur  en  palpitait. 
Que  dis-je?  hélas!  tout  bas  il  le  lui  répétait. 
Qu'il  en  coûte,  en  aimant,  pour  feindre  d'être  ingrate  ! 

LISETTE. 

Oui.  Mais  malgré  l'espoir  dont  votre  âme  se  flatte, 
Si  monsieur  votre  père,  entendant  peu  raison, 
Prenait  mal  ce  détour  ?. . . 

JULIE. 

Je  le  connais  si  bon... 

LISETTE. 

Oui,  j'en  conviens. 

JULIE. 

11  m'aime  avec  tant  de  tendresse, 
Que,  si  quelque  succès  couronne  ma  faiblesse. 
Il  sera  le  premier  comblé  de  mon  bonheur. 
Mais  si  le  chevalier,  constant  dans  son  erreur, 
Rendait  à  tous  égards  ma  démarche  inutile, 
Alors,  Lisette,  alors  choisissant  pour  asile 
f^e  couvent  .. 

LISETTE. 

Le  couvent  !  Quoi  donc  !  jusqu'à  ce  point 
Vous  poussez  le  roman  !  Mais  vous  n'y  pensez  point. 

23. 


-UK)  F;  A   CANADIKNNE. 

Jugez-vous  un  peu  mieux  ;  failes-vous  quelque  grâce. 

Si  par  un  coup  du  sort  j'étais  à  votre  place, 

Avec  ce  que  je  sais,  je  vous  suis  caution, 

Que  plus  de  vingt  seigneurs  me  feraient  bien  raison 

Do  la  froideur  d'un  seul.  Ils  veulent  qu'on  les  mène; 

Et  de  les  bien  mener  on  n'est  [jamais  en  peine. 

Lorsque  l'on  sait  tromper. 

JULIE. 

Tromper  ! 

LISETTE. 

Il  le  faut  bien. 
C'est  un  remède  sûr.  On  n'en  fait  jamais  rien 
Sans  cela, 

JILIE. 

Je  ne  puis.  Allons  trouver  sa  mère. 
Ses  conseils  guideront  tout  ce  que  je  dois  faire. 

LISETTE. 

Le  plaisant  attirail  !  C'est  elle,  je  le  vois. 
J'en  douterais  encor  sans  le  son  de  sa  voix. 


SCÈNE  XIII 

LE  CHEVALIER,  FfiOiMLN. 

(Le  chevalier  courant  comme  un  fou.) 

FRONTIN,  le  suivant. 

Mais  que  diable,  monsieur  !  quel  est  donc  ce  délire  ? 
Vous  allez,  vous  venez,  vous  restez  sans  rien  dire. 

(Le  chevalior,  s'arrrto,  soupire,  parle  bas,  et  jresticule.) 

Vous  soupirez  tout  haut,  et  tout  bas  vous  parlez. 
Vous  restez  immobile,  et  vous  gesticulez. 


COMEDIE.  407 

Tenez,  ma  foi,  j"ai  peur.,  et  si  cela  redouble, 
Je  n'y  pourrai  tenir. 

LE  CHEVALIER  marche  encore  pendant  cette 
tirade,  et  Frontin  le  suit. 

Ah  !  Frontin  !  dans  quel  trouble 
Je  suis  !  Être  amoureux,  et  n'être  point  aimé, 
Regretter  l'autre  objet  dont  j'étais  estimé, 
N'adorer  que  Zmca,  ne  plaindre  que  Julie, 
Dont  l'absence  cruelle  afflige  encor  ma  ma  vie, 
Quel  élat!  quel  état! 

FRONTIN,  à  part. 

11  faudra  le  lier. 

(Haut.) 

Il  est  vrai  que  cela  me  paraît  singulier. 

LE    CHEVALIER. 

Singulier!  point  du  tout.  Rien  de  plus  ordinaire, 
Que  de  voir  parmi  nous  une  jeune  étrangère, 
Ignorant  le  français. 

FRONTIN,  à  part. 

Il  extravague  un  peu. 
Quelle  tête  ! 

LE  CHEVALIER,    rêvant. 

Le  sort  de  moi  se  fait  un  jeu. 
Toi-même,  conçois-tu  mon  étoile  bizarre  ? 
Qu'en  dis-tu  ?j 

FRONTIN."; 

Moi,  je  dis  qu'elle  n'est  pas  si  rare  ; 
Et  j'en  ai  pour  témoin  les  petites  maisons. 
Dont  vous  prenez  la  route. 

LE  CHEVALIER. 

Écoute  mes  misons. 


408  LA   CANADIENNE. 

FRONTIN,   l'écoutant  ntlentivemcrtl. 
Oui,  monsieur. 

LE    CHEVALIKIl  n'inédiit  un  instant  sans  parler  ; 
ensuite  il   dit  avec  violence  : 

l'arle  donc,  parle  donc...  (Bas.)  Je  m'tîgare. 

FKONTIN,  (effrayé.) 

Oiioi  !  quoi  !  monsieur  !  Eh  bien  !  oui,  le  penchant  bizarre 
Qui  l'ait  que  votre  étoile...  est  un  sort...  du  destin. 
Dont...  Je  m'embrouille  aussi...  De  manière  qu'enfin... 
Pour  trop  vous  imiter,  monsieur,  je  déraisonne. 

LE  CHEVALIEU. 

Ce  qui  m'arrive  ici  n'a  donc  rien  qui  t'étonne  ! 
Mets-toi  pour  un  moment  à  ma  place.  Comment 
Pourrais-tu  supporter  un  silence  assommant? 
Ce  souvenir  cruel  ne  sert  qu'à  me  confondre. 
Tu  diras  à  cela  qu'elle  ne  peut  répondre. 
Belles  raisons  !  la  bouche  articule  des  mots, 
Quelque  étranges  qu'ils  soient.  Fussent-ils  ostrogoths, 
Je  les  eusse  entendus.  L'Amour  sert  d'mterpréte  : 
Il  n'est  point  d'idiome,  à  qui  ce  Dieu  ne  prête 
La  plus  forte  énergie. 

FRONTIN. 

Il  est  vrai. 

LE    CHEVALIER. 

Mais  Zinca 
Ne  parle  point  du  tout.  Que  dis-tu  de  cela? 

FRONTIN. 

Ce  que  je  dis?  je  dis,  ou  du  moins  j'imagine 
Avoir  entendu  dire... 

LE     CHEVALIER. 

Eh  bien  !  tjuoi  ? 


COMEDIE.  409 

FRONTIN. 

Qu'à  la  Chine, 
A  dessein  d'empêcher  les  femmes  de  courir, 
On  leur  brisait  les  pieds,  sans  pouvoir  les  guérir. 

LE    CHEVALItR. 

Mais  quel  rapport,  dis-moi  ?... 

FROINTIN. 

Voici  ma  conséquence. 
Par  la  même  raison,  tout  uniment  je  pense 
Que  l'on  pourrait  fort  bien  aux  lilles  de  Québec 
Faire  aussi  quelque  tour,  pour  leur  clore  le  bec. 
Qu'en  pensez-vous,  monsieur? 

LE   ClIEVALIEn,  indigné. 

Qu'il  faut  être  imbécile, 
Pour  tenir  un  propos  aussi  plat  qu'inutile  ! 
Va-t-en. 

FRJ.NTIN. 

Vous  vous  tâchez  ! 

LE  CHEVALIER. 

Sors. 

FRONTIN. 

Pourquoi  m'en  aller  ? 
Au  diable  soit  l'amour  !  on  ne  peut  pUis  parler. 
Je  m'enfuis. 

LE   CHEVALIER. 

Non,  Frontin.  La  raison  est  fort  sage, 
Et  ne  me  choque  plus. 

FRONTIN 

Ah,  monsieur!  quel  dommage 
Que  vous  n'écoutie?  pag  celle  qqe  vous  avez  ! 


410  LA  CANADIENNE. 

l.r.  ciiEVAl.lEr.,  n'vnnl. 

Je  trouve...  quo.,.  Zinca... 

FRONTIN. 

Kh  bien  !   vous  lui  trouvez?. 

l.E     CHEVAMEU, 

Avec  notre  Julie  un  air  de  ressemblance. 

FRONTIN. 

Bon  !  vous  n  y  pensez  pas. 

I.E   CHEVALIEK. 

Quelque  faible  nuance... 

FRONTIN. 

C'est  le  jour  et  la  nuit.  Tenez,  voici  le  fait. 

Je  crois  que  votre  idée  a  tout  l'air  d'un  regret. 

LE   CHEVALIER.  * 

Oui;  mais  j'aime  Zinca.  Voilà  ce  qui  me  tue. 

FROSTIN. 

Quel  plaisir  aurez-vous  avec  une  statue  ? 
C'est  de  l'amour  perdu. 

LE  CHEVALIER. 

Je  voudrais  l'étouffer. 

FRONTIN. 

La  marquise  s'avance. 

LE   CHEVALIER. 

Elle  va  triompher. 


SCÈNE  XIV 
LA  MARQUISE,  LE  CHEVALIER,  FRONTLN. 

LA  MARQUISE. 

Quoi  1  lorsque  tout  concourt  à  remplir  votre  envie, 
Que  tout  sert  votre  cœur,  ce  même  cœur  s'oublie. 


COMÉDIE.  4H 

Et  néglige  l'objet  dont  il  est  possédé  ! 
Que  veut  dire,  monsieur,  un  pareil  procédé  ? 
LE   CHEVALIEU,    eml)arra=5Ô. 

Mais,  ma  mère,  l'amour  n'en  est  pas  moins  le  même, 
Pour  n'être  pas  toujours  auprès  de  ce  qu'on  aime. 

I,A     MAP.QUISE. 

Quand  l'amour  est  bien  vif,  ii  agit  autrement. 

LE  CHEVALIER,  d'un  air  encore  plus  embarrassé. 

On  ne  se  connaît  pas  toujours  parfaitement. 
On  fait  de  vains  projets...  l'utile  expérience 
Vient  les  anéantir...  Ce  n'est  pas  que  je  pense 
Que  Zinca  ne  pourrait  faire  un  jour  mon  bonheur. 

(Avec  chaleur.) 

Mais  la  figure  seule  est  bien  peu  pour  un  cœur. 

rP.O.MlN. 

Sans  doute,  et  je  soutiens  que  dans  le  mariage 

Il  n'est  pas  suffisant  de  parler  au  visage, 

Et  que,  pour  le  bonheur  de  la  société, 

Il  faut  bien  que  chacun  tâche,  de  son  côté, 

D'ajouter... 

LA    MARQIISE. 

C'est  assez  ;  du  reste  fais-nous  grâce... 
Oui,  je  conviens,  mon  fils,  que  la  beauté  nous  lasse, 
Si  ses  traits,  soutenus  des  plus  vifs  agréments, 
Ne  savent  point  servir  de  cadre  sux  sentiments. 

LE   CHEVALIER. 

Eh  !  voilà  ma  raison. 

LA     MARQUISE. 

Sachons  par  quel  augure 
Vous  jugez  que  Zinca  n'a  que  de  la  figure, 
Et  ne  possède  pas  un  mérite  réel  ? 


412  LA  CANADIENNE. 

LE     CHEVALIER. 

Oh  !  si  je  l'entendais  il  serait  naturel 
De  croire  à  son  mérite... 

LA    MARQUISE. 

il  faut  bien,  pour  l'entendre, 
Qu'elle  apprenne  à  parler  français. 

LE   CHEVALIER. 

Elle  !  l'apprendre  ! 
Apprendre  le  français  !  Non,  madame,  jamais. 

LA    MARQUISE. 

Vous  le  lui  montrerez. 

LE    CHEVALIER. 

Pour  faire  des  progrés. 
De  ce  genre  surtout,  il  faut  que  l'écoliére 
Commence  par  sentir  que  l'on  cherche  à  lui  plaire, 
Qu'un  souris  marque  au  moins  sa  bonne  volonté  : 
Mais,  pour  l'amener  lu,  je  suis  trop  détesté. 

LA    MARQUISE. 

Quel  garant,  quelle  preuve  avez-vous  de  sa  haine? 

LE     CHEVALIER. 

Le  plaisir  qu'elle  a  pris  à  jouir  de  ma  peine. 
Je  tombe  à  ses  genoux  ;  mes  feux  passionnés 
N'exigent  qu'un  regard.  Non  ;  on  me  rit  au  nez. 

FROiSTliN. 

Cela  n'est  pas  poli,  je  crois. 

LA   MARQUISE. 

Allez,  sa  flamme 
Peut-être  avec  le  temps  pourra  naître... 

LE  CHEVALIER,  riiileiTOiiipaiil. 

Madame, 
Quand  revient  donc  Julie  ? 


COMEDIE. 

LA    MARQUISE. 

A  quel  propos,  mon  fils, 
Mo  parler  d'un  objel,  qui,  voyant  vos  mépris, 
S'en  venge,  en  vous  fuyant  ?  Et  j'eusse  agi  comme  elle. 

LE  CIIEVAl.IEP.. 

Qui?  moi!  la  mépriser!  Julie  est  sage,  belle. 
Sa  vertu,  ses  talents  ont  toujours  eu  sur  moi 
Tous  les  droits  de  l'estime  et  même... 

LA    MARQUISE. 

J'aperçoi 
Zinca.  Songez-y  bien,  ensemble,  je  vous  laisse  : 
N'allez  pas  désormais  réclamer  ma  faiblesse, 
Je  n'en  veux  plus  avoir. 

LE   CHEVALIER. 

Mais  si  Julie... 

LA    MARQUISE. 

Adieu. 
Elle  a  rompu.  Zinca  doit  vous  en  tenir  lieu. 

(à  part.) 

Puisse-t-elle  achever  de  le  rendre  à  lui-mênie  1 

(Elle  snrl.' 


SCÈNE  XV 

LE  CHEVALIER,  JULIE,  (sous  k  nom  .le  Zinca.) 

LISETTE,  FRONTIN. 

FRONTIX. 

Ce  devin,  quel  qu'il  fut,  savait  fort  bien  son  thème  ; 
Car  sa  prédiction  se  soutient  jusqu'au  bout. 
C'est  le  diable  ! 


414  LA   CANADIENNE. 

LE   CHEVALIER,  revenu  de  s;i   confii'iion. 

Zinca,  tenez-moi  lieu  do  tout. 
Oui,  faites  que  j'oublie,  en  vous  voyant  si  belle, 
Un  objet  qui,  depuis  son  absence  cruelle, 
A  laissé  dans  mon  cœur  de  quoi  vous  balancer. 
Hélas  !  par  vos  dédains  vous  m'y  laites  penser. 
0  ma  cbère  Julie  !  en  vain  je  vous  appelle. 

(Zinca  le  regarde  tcndremciil,  et  seml)le  être  prête  à  se  f.i ire  connaître.) 
LE  CHEVALIER,   transporté. 

Quel  regard  !  non,  Zinca  je  vous  serai  fidèle  : 
Je  n'aimerai  que  vous  ;  je  vous  en  fois  serment. 
Ah  !  j'ai  nommé  Julie  involontairement. 

(Zinca  le  regarde  avec  indignation,  et  se  retourne  avec  colère,  j 

LE  CHEVALIER. 

Mais  quel  air  courroucé  !  Vous  évitez  ma  vue  ! 
Julie,  enm'écoutanf,  serait  peut-être  émue. 
Quoi!  lorsque  je  suis  prêt  à  la  sacrifier... 
Quel  sacrifice,  ô  ciel  ! 

LISETTE. 

C'est  trop  l'humilier. 

FRONTIN. 

Parbleu,  mademoiselle,  on  a  beau  savoir  plaire; 
On  ne  plaît  qu'à  demi,  sans  un  bon  caractère. 

LE  CHEVALIER,   passionnément. 

Regardez-moi,  du  moins. 

(Zinca  passe  avec  précipitation  du  côté  de  Lisette.) 
LE    CHEVALIER. 

Ingrate,  c'en  est  fait. 
Oui,  je  renonce  à  vous. 

FRONTIN. 

bon!  voih'i  parler  net. 


COMÉDIE.  415 

I.E    CIIEVAMER. 

Voilà  ce  qu'il  fallait,  pour  guérir  ma  folie 

Solle  prédiction,  lu  m\is  ravi  Julie! 

Jusqu'au  fond  de  mon  cœur  que  ne  peut-elle  voir? 

Hélas  !  il  n'est  plus  temps. 


SCÈNE  XYl 

L.\  MARQUISE,  L\  COMTESSE,  ZINC.\,  DORIMONT, 
BRIGANTIN,  FRONTIN,  LISETTE. 

LA   MARQUISE. 

Mon  fils,  je  viens  savoir 
Si  relativement  au  nœud  qui  vous  engage, 
Je  pourrrai  sur  Zinca,  sur  votre  mariage. 
En  termes  positifs,  répondre  à  ses  parents. 

LE   CHEVALIER. 

Qui?  moi  !  me  marier! 

LA    JIxVRQUISE. 

Ce  soir  je  les  attends. 

LE    CHEVALlEI'i. 

Madame...  on  les  verra. 

LA    MARQUISE. 

Quel  accueil  leur  ferai-je? 

LE    CHEVALIER. 

Celui  que  vous  voudrez. 

LA    MARQUISE. 

Enlin  que  leur  dirai-je? 

LE    CHEVALIER. 

Que  je  suis hors  de  moi. 


■il 11  l,.\   CVNVniKNM:. 

FIIDMIN. 

Tenez,  sans  lanl  lonmt^r, 

Madame ces  mossienrs  pourront  s'en  retourner  : 

Celle  belle,  ainsi  qu'eux,  perdant  son  élalage, 
On  peut  leur  soiiliaitcr  à  tous  un  bon  voyage. 

1)0  lU. MO. NT. 

Oli  !  oh!  je  savais  bien,  moi,  qu'il  n'y  tiendrait  pas. 
11  a,  parbleu,  raison.  Le  premier  des  appas 

11  montre   sa  l)nuclie. 

Est...  la  langue. 

I-A   Jl.vriQUISE,   au  Clicvalier. 
Parlez. 

DliRIMONÏ. 

Que  voulez-vous  qu'il  dise? 
Le  voilà  dégoûté  de  cette  marchandise, 
Et  je  l'aurais  gagé.  Bon!  rien  n'est  si  trompeur. 
11  m'est  arrivé,  moi... 

lA    MARQUISE. 

Permettez-moi,  monsieur, 
D'interrompre  un  inomenl  le  fil  de  votre  histoire, 

LA    COMTESSE,   à  Dorinionl. 

Etait-ce  loin  d'ici? 

DORIMONT. 

Si  j'ai  bonne  mémoire... 
C'était... 

LA  MARQUISE,  au  Chevalier. 

Décidez-vous,  mon  fils,  etpromptement. 

LE    CHEV.ALIER,   pénétré. 

Je  me  repens  si  fort  de  mon  égarement, 

Et  des  travers  affreux  où  l'erreur  nous  entraîne, 

Que  j'en  reste  confus. 


COMEDIE.  417 

DORIMONT. 

Oh!  c'est  la  faute. 

LE    CHEVALIER. 

A  peine. 
J'ose  lever  les  yeux  sur  Dorimonl. 

IlORIMONT. 

Pourquoi? 

LE  ClIEVALUOn. 

Cependant  mon  bonheur  dépend  de  lui. 

DORIMOM. 

De  moi  ? 

LE    CHEVALIER. 

Ilélas!  si  j'ai  besoin  d'un  secours,  c'est  du  vôtre; 
Je  suis  perdu,  sans  vous. 

DORIJIONT. 

En  voilà  bien  d'une  autre  ! 
Eh  !  mais  ne  crois-tu  pas  que  je  vais  bonnement 
Partir  pour  te  chercher  une  femme?...  Comment  ! 
Mais  je  vous  dis!...  Enlin,  sais-lu  (jue  ta  folie 
Ne  me  va  pas?... 

LE    CHEVALIER. 

Monsieur,  il  s'agit  de  Julie. 
Ma  mère,  appuyez-moi.  Je  me  jette  à  vos  pieds. 
Engagez  Dorimonl,  parlez,  pressez,  priez... 

LA    MARQUISE. 

Que  puis-je  faire  ? 

LE    CHEVALIER. 

Hélas!  faites  donc  que  j'obtienne 
Ma  grâce. 


Ils  LA    CANADIENNE. 

IIORIMOM. 

Crois-lu  donc  ([ne  iiki  lillc  aille,  vienne, 
Comme  cela!  mais,  mais.  .. 

l.K    CHEVALIER. 

Monsieur,  écrivez-lui. 
C'est  dans  votre  bonté  que  je  cherche  un  appui. 
Votre  cœur  est  trop  bon,  pour  être  inexorable. 
Je  vous  en  prie,  au  nom  d'une  lille  adorable, 
Qui  cause  mon  amour,  mes  chagrins,  mes  remords. 
Donnez-moi  le  moyen  de  réparer  mes  torts. 
Monsieur  !... 

DORIMONT,   atlendri. 

Ce  morveux-là  m'arracherait  des  larmes, 

Si  je  ne  me  tenais  à  quatre Tu  me  charmes. 

Va,  soit.  Mais  si  ma  fille,  écoutant  la  fierté, 
A  son  tour  s'opposait  à  ta  l'éhcité.... 

JULIE. 

Non,  mon  père,  ma  main  seconde  votre  envie. 

D0RI.M0M. 

Quoi!  morbleu,  cela  parle? 

LA   MARQUISE. 

Embrassez-moi,  Julie. 

LE  CHEVALIER,   lui  baisant    la   main. 

0  ma  chère  Julie  !  à  peine  je  soutiens 
Cet  instant. 

LA  COMTESSE,  l'ayant  examinée. 
Oui,  c'est  elle;  on  la  reconnaît  bien. 

FRONTIN. 

Mais,  qui  diable  l'aurait  connue  à  son  silence? 
Môme  je  doute  encor. .. 


COMEDIE.  419 

JULIE. 

Perdant  toute  espérance 
De  plaire  au  chevalier,  si  pour  flatter  sou  yoùt, 
Je  ne  me  Iransformais... 

LE    CHEVALIER. 

Hélas  1  je  vous  dois  tout, 

JULIE. 

Vous  ne  ine  devez  rien,  puisque  je  suis  contente. 

(Souriant.) 

Si  le  devin  voulait  que  je  fusse  inconstante, 
Il  faudrait  pourtant  l'être... 

LE    CHEVALIER. 

Ah  !  Ne  m'accablez  pas. 
Mon  cœur  désabusé  ne  croit  qu'à  vos  appas. 
Je  sens  tous  vos  bienfaits,  adorable  Julie, 
Mon  bonheur  et  la  lin  de  ma  bizarrerie 
Sont  l'ouvrage  parfait  de  votre  amour  ! 
Le  mien  peut-il  jamais  vous... 

DORIMOXr. 

Me  jouer  ce  tour  ! 
Point  d'hymen,  s'il  vous  plait.  Madame  la  marquise, 
On  m'en  a  fait  accroire,  et  Ton  vous  a  surprise. 
Ensemble  vengeons-nous. 

JULIE. 

Hélas!  Je  meurs  d'effroi. 

LA    MARQUISE. 

Et  de  qui  vous  venger?  vengez -vous  donc  de  moi. 
De  ce  qui  s'est  passé  seule  je  suis  coupable. 
J'ai  tout  conduit,  monsieur, 

LORIMO.M,    encliiiiilé, 

Vous  êtes  admirable  ! 


420  LA  CANADIENNE. 

(jiH!  lie  ])nrlit>z-voii.s  donc?...  Ma  fille,  embrasse- moi. 
l'arbleii,  préscnlonieiil  on  voit  bien  que  c'est  toi. 

(iSiaiit.) 

Je  lie  l'ai  pas  remise.  Aussi,  dans  les  voyages, 

On  parle  à  tant  de  monde,  on  voit  tant  dévisages!... 

A  propos  de  visage,  ôte  ce  rouge-là. 

Je  veux  que  tu  sois  toi...  Quand  je  fus  à  Goa... 

LA    MAUQLISU. 

Ne  peut-on  pas  ce  soir  savoir  cette  aventure? 

DOUI,MO.NT. 

Oui...  J'en  ajouterai  cinquante,  je  vous  jure. 

Moi,  quand  je  n'en  sais  point,  sur  le  champ  je  les  lais. 

LA   MARQUISE. 

Allons,  mes  chers  enfants.  .  Ma  sœur,  de  tels  effets 
Prouvent  que  les  sorciers  n'ont  rien  qui  se  soutienne. 

LA   COMTESSK. 

Mais  ma  nièce  à  présent  est  en  Canadienne. 

LA   MARQUISE. 

A  propos  de  cela,  sachant  bien  que  mon  (ils 
Céderait....  Vous  allez  être  au  fait  du  pays, 
Des  fêles  qu'on  y  donne,  et  do  leurs  mariages  ; 
Partons.  Combien  de  gens  pourraient  devenir  sages, 
S'ils  voulaient  concevoir  que  souvent  le  bonheur 
Dépend  de  revenir  d'une  fatale  erreur  ! 


FIN. 


TABLE 


Introduction.  —  Notice  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Vadé, 

par  M.  Julien  Leincr 1 

I.a  pipe  cassée 17 

Les  quatre  bouquets  poissards 55 

Lettres  de  la  Grenouillère 71 

Lettre  de  Cadet  Euslaclic 90 

Les  amants  constants. 105 

LpiTIiES 115 

Fables:  L'enfant  et  la  poupée 127 

—  Le  cai'rosse  et  le  moulin  à  vent 128 

—  L'écolier  et  la  f'Jrulc 129 

— ~       L'âne  et  son  maître 150 

—  Le  singe,  le  lapin  et  le  mouton 132 

—  Le  joueur  de  gobelets  et  les  villageois 135 

—  Les  deux  nageurs 135 

—  Le  miroir  de  la  vérité 15G 

—  Les  deux  serins 157 

CuNTE  :  Le  beurre 159 

El'IGtiAMME 144, 

Vers  pour  cire  mis  au  bas  d'une  estampe  représentant  la 

place  Maubert 144 

24 


•i22  TAliLi;  l»i;s  MATIÈllES. 

Lktthes  :  A  une-  demoiselle  t(ui  prenait  pour  lors  les  caiix 

y  l'assy liO 

—  De  railleur  à  un  de  ses  amis  sur  sa  jolie  façon 

d'écrire 147 

—  l'"ray:Mient  d'une  letlre  écrite  par  l'auteur  à  un 

de  ses  amis  à  I'ari>.    . 150 

i.iianso.ns 155 

Ampmigoijris 108 

Opûr.AS  COMIQUES  :  Le  Poirier 177 

—  Les  Troqueuis..    .       217 

Jérosme  et  Fauchonnelle 235 

Compliment   de    la    ciùturc   de    la    foire 

—  St-Laurent 207 

—  Les  Racoleurs 275 

—  Le  mauvais  plaisant  ou  le  drôle  de  corps.  525 
Co.MKi)iii  ;  La  Canadienne 575 


e.vmS.    —    IMI'.    SIMON  l'.AÇO.N   ET   COMl'.,  litt   II  tl'.HJl/lll,    1 


'-    •4  V  .'.-V      .  • 


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