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OEUVRES
DE VADÉ
VAM^. — IMP. -IMON RAÇOX ET COMP , UlT I)'Er.FlIRTIt, 1.
OEUVRES
DE YADE
niEC EDEES
D'UNE NOTICE SUR LA VIE ET LES ŒUVRES DE VAIIÉ
JULIEN LEIVIER
imiOTHèQUES *
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LA PIPE CASSEE — LES BOUQUETS POISSARD]
LETTRES DE LA GRENOUILLÈRE
FABLES — CD
RES DE LA GRENOUILLERE ^%* -• -' > Lt^'/!»''
NTES — LETTRES — AMPH IGOUmI'ig L '. - fl^^
CHANSONS *y ft* L, 1 ;\4C.^
JÉROSME ET FANCHONNETTE "
LES RACOLEURS — LE MAUVAIS PLAISANT
LA CANADIENNE, ETC.
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PARIS
GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
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liMRODrCTlON
Vadé (Jeau-Josepli), tiu'il lu; Tant pas conlbndre avec
le prétendu Guillaume Vadé, dont Voltaire prit le nom
pour servir de pa:>se-port à une de ses l"ac(''ties les plus
épicées (la Prélace de Catherine Vadé). Le poëte Vadé,
l'auteur de la Pipe cassée, n'est guère connu que comme
rimeur d'assontiances poissardes, dans le goût du lan-
gage des halles.
Aussi est-ce à peine si les historiens et les hlographes
graves Se domient la peine de le signaler en quelques
lignes dédaigneuses comme chansonnier bachique et
ordurier.
Cependant il est certa'u ([ue, de 1750 à 1757, Jean-
Joseph Vadé lut un poëte fort à la mode, qu'après sa
mort, il se (it de nombreuses éditions de ses œuvres
dans tous les formats, tant à Paris (pi'à Londres et à
i
•I IM'I'.OIHICTION.
Aiiis-tcrdaiii, cl (jiic sua iioiii a .siiriiayc' à travers le Icinp^
L't les L'VL'ucmciils, ImiiiiL'ur (jiic la [loslérilé lernso à tant
de poêles (lu yeiue noble el aL7uléinit|iie, céléjjrés par les
liistorieiis littéraires et par les hauts critiques biogra-
phes.
Pounjuoi la tradition populaire s'est- elle plu ainsi à
casser le jugement des écrivains austères, et à lairc une
immortalité an poëte dédaigné?
Ne cherchons point, de ce phénomène, d'autre cx[tli-
cation que. celle-ci : Vadé a eu une originalité tout à
l'ait personnelle et créé un genre, le genre poissard,
genre bas tant qu'on voudra, genre auquel on accorde-
fait peut-être dil'ticilcment nue place dans le tenqjle du
(ioùt, mais genre amusant, genre gai, iranc, sincèie,
l'ondé à la fois sur l'observation, sur l'étude et sur une
sorte d'inspiration comi(|ue. Or,
Tous les genres sont bons, liois le génie ennuyeux.
Entiu Vadé, si iiombreu.v, si gais, ^i spirituels, si
inspirés qu'aient été ses imitateurs, est resté le maître
de ce genre qui récemment encore a eu un regain de
succès et de popularité avec la Fille de madame Angot.
Du reste, ce n'est point seulement par la recherche
du langage pittoresque des halles, par la richesse et Ta-
boiulance des assonances triviales, que se distingue la
muse de Vadé; le lecteur reconnaîtra aisément, sous
ces images grossières, sous ces énergiques jurons, une
véritable délicatesse de sentiment, une verve el une
INTRODUCTION. ,-,
.irdeur lutïveinent passionnées, en même temp.s qu'une
remarquable fécondité d'imagination.
Ce qui caractérise, suivant nous, particulièrement
Vadé, aussi bieu dans ses pièces de théâtre et tlans ses
Iragments de prose que dans ses poèmes poissards, c'est
la franchise, la sincérité, la naïveté du rire. Par ces qua-
lités, il est bien un vrai Français, un descendant de
Villon, de Rabelais, de Scarron, ces pères du large
rire à bouche déboutonnée.
Poiuquoi Vadé, ce précurseur du réahsme, n'aurait-il
pas trouvé la célébrité dans l'exploitation littéraire de
la langue des halles, (piaiid nous avons vu, tout récem-
ment dans notre siècle, des romanciers se servir, avec
tant de succès, de l'argot des bagnes, des prisons et des
voleurs, et la littérature contemporaine s'enrichir du
dictionnaire de la langue verte?
En publiant aujourd'hui un choij: des œuvres de ce(
écrivain qui a dû presque uniquement sa notoriété à la
poésie poissarde, nous avons cherché, autant que pos-
sible, ù le faire connaitre au public par des échantillons
de ses productions dans tous les genres, car ce poète,
prétendu trivial, fut à la fois chansonnier, auteur co-
mique, conteur, fabuliste, rimeur d'épîtres, romancier-
C'est même, à notre avis, sou roman naïf des Lettres
de la Grenouillère qui doit être regardé comme son
chef-d'œuvre. Il est impossible de rien trouver tie plu.-
passionné, de jtlus vrai, de plus délicat que cette cor-
respondance amoureuse de M. Jérôme Dubois, pêcheur
i 1 M KO 1) UCT ION.
du Gios-Caillou et de luademoiseile NaiioUc l)iil)iit, Idaii-
cliisscuse de linge lin;
. . . Que c'est bien ainsi que parle la nature !
comme dit Alceste.
A Dieu ne plaise que nous voulions cntieprendie un
commentaire sur chacune des pièces dont se compose ce
recueil. Qu'il nous suffise de dire que nous avons fait
tout notre possible pour choisir les meilleures dans cha-
que genre. Nous laisserons au lecteur le soin et ie.plai-
sir de les juger et d'apprécier lui-mc''nie s'il n'était pas
permis d'espérer quehjue chose d'un écrivain si ingé-
nieux, qui s'était formé lui-même et qui, mourant à
trente-sept ans, avait créé un genre oii il était et reste
encore le maître.
II
Vadé était né à llam, en Picardie, en janvier I7'20.
Il avait à peine six ans lorsque sa famille vint s'éta-
blir à Paris et l'y amena. Enfant, il ne se lit remarquer
([ue par son exccsive |)étulauce et par une invincible
horreur pour l'étude du latin. 11 fut, dans ses classes,
ce que les censeurs des collèges appelaient alors et ap-
pellent encore aiumnus dissipalus, un élève dissipé, et
montra plus de goiU pour les jeux et les flâneries de
son âge que pour les belles-lettres.
INTRODUCTION. 5
Plus tard sans doute il sut réparer cotte faute de ses
premiers ans, et combla par de bonnes et fructueuses
lectures des grands écrivains français cette lacune de
son éducation, car ses épîtres, ses pièces de tbéàtre et la
plupart de ses poésies légères témoignent d'une con-
naissance suffisante de l'histoire ancienne et de cette
mytliologie grecque qui jouait un rôle si important dans
la poétique de son temps.
Ce fut probablement à Soissons, à Laon et à Rouen,
où il résida comme contrôleur du Vingtième dans l'ad-
ministration des finances, de 1759 à 1744 et pendant
les deux années suivantes oiî il exerça auprès de M. le
duc d'Agenois les fonctions de secrétaire, qu'il perfec-
tionna lui-même son instruction, tout en faisant les dé-
lices des sociétés bourgeoises oiî il était fort reclierché
pour son esprit et pour sa gaieté.
Déjà il avait écrit quelques vers et particulièrement
de ces lettres entremêlées de fantasques bouffonneries
en vers et en chansons, si fort à la mode depuis le cé-
lèbre voyage de Chapelle et Bachaumont. Ses amis, ses
protecteurs, qui le jugeaient merveilleusement doué
pour la poésie et pour le théâtre et pensaient que l'at-
mosphère de Paris ne pourrait que favoriser le dévelop-
pement de ses talents naturels, animer, surexciter son
inspiration et sa verve, s'efforcèrent de lui fournir les
moyens de réparer l'insuffisance de ses ressources pé-
cuniaires en lui faisant obtenir un emploi dans les fi-
nances; il fut attaché h. Paris, au bureau du Vingtième,
h INTRODUCTION.
et se trouva ainsi assuré d'avoir do quoi vivre et de pou-
voir chanter et rimor à ses heures sans être ohhyc' do
trafiquer de sa plimic ot de la mettre au service des
passions ou de h» vanité des grands.
Aussi SCS vers respii-ent-iis souvent un noble dédain
pour la puissance (!t la richesse, et pres(|ue toujours
une sereine indépendance.
11 revint donc à Paris vers 1745 ou 1746 et se lit bien-
tôt une réputation de chansonnier facétieux et de causeur
aimable dans les sociétés qu'il hantait. Ces cercles n'é-
taient assurément pas ceux où brillaient Voltaire, Dide-
rot, d'Alembert, Ilelvétius, non pas même les compagnies
de bons vivants où figuraient les Piron, les Collé, les
fiallet, etc. Mais sa muse, pour être conrt-vctue et avoir
de libres allures, n'en était pas moins franchement gaie,
non moins sincèrement française.
C'est probablement à cette époque, à ses débuts, qu'il
composa, sans les iflùrc imprimer, toutes ces poésies
tour à tour graves et légères, épîtres, fables, contes,
épigrammes, madrigaux et chansons qui couraient ma-
nuscrites dans les cafés et les salons, et ne furent pu-
bliées qu'après sa mort comme ce\ivres posthumes, sous
la rubri(iue de Londres, d'Amsterdam ot de Genève,
pour faire suite à l'édition de Duchesne et prendio place
dans l'édition Cazin. En effet, bien que ces pièces fu-
gitives ne portent aucune date, on voit ligurer parmi
elles des stances ot des chansons sur les victoires do
Louis \V, sur sa maladie, sur la prise de Menin.
INTRODUCTION. 7
Dès 1749, il jouissait déjà d'une certaine réputation
comme chansonnier poissard ; en effet, à propos d'une
comédie en un acîe, intitulée : les Visites du jour de
Van, qu'il fit jouer le 7> janvier, nous lisons, dans le
Journal de Colle' ^ : « Cette petite pièce n'a été donnée
que cette seule fois ; elle fut sifflée unanimement. Elle
est d'un nommé Yadé, qui a fait de petites poésies dans
le goiàt poissard; j'en ai vu quelques-unes. Sa manière
est de peindre des bouquetières et des harengères qui se
querellent ; et il emploie à ce coloris tous les mots bas
qu'elles se disent, à la vérité d'une façon assez natu-
relle. ))
Et là-dessus maître Collé d'anathématiser le genre
poissard et la parade comme « genre opposé au bon
goût et à la belle nature. » Mais ne pouvant dissimuler
qu'il a lui-même usé et abusé de la parade, pendant
qu'elle était à la mode, il fait son acte de contrition,
déclare qu'il méprise ses propres parades tout autant
que celles qui ne sont pas de lui, et qu'il i^egarde ses
amphigouris sicut delicta juventutis, comme des délits
de jeunesse, « en exceptant, cependant, ajoute-t-il.
Cocatrix, pour qui, même encore aujoiu'd'hui, je me
sens du faible; mais je sens bien que c'est du faible.
Après cette digression d'égoïste, revenons à la pièce de
Vadé.
« hidépendamment, du reste, de la bassesse du style,
' Journal et Mémoirea clr Collé, nouvelle édition, ?> vol. in-8° pu-
bliée par Honoré Bonlinnime.
8 INTRODUCTION.
rpii osi rt'voltanf, sa comédie osl, sans la pins It'gvro
apparence de tond, sans imagination, sans caractère et
sans comique. On peut juger sur cette pièce, très-défi-
nitivement, que ce jeune auteur ne sera jamais capable
d'en faire, même de médiocres, »
il ne nous est pas possible de contrôler ce jugement
fort sévère de Collé, attendu que la comédie en question
ne se trouve point dans les œuvres de Vadé, et que, pro- »
bablement, elle n'a jamais été imprimée, mais on sait
que, comme critique, l'ex-chansonnier, devenu censeur
grave et austère, est assez sujet à caution. Ses mé-
moires offrent plus d'un exemple de condamnations du
même genre qui ont été désavouées par la postérité et
par lui-même, notamment en ce qui concerne Beau-
marchais. On verra d'ailleurs, un peu plus loin, en
quels termes le même Collé s'exprime sur Yadé, à pro-
pos de la mort de l'auteur de la Pipe cassée.
Il paraîtrait que la chute de sa comédie fut une leçon
pour le jeune poète et le tint éloigné du théâtre pour
(juelque temps. Il voulut vraisemblablement faire son
apprentissage du métier d'auteur dramatique sur les
petits théâtres avant de tenter de nouveau la fortune
sur notre première scène comique. Trois ans après seu-
lement, le 8 mars 1752, il fit jouer, à l'Opéra-Comiqne,
la Fileuse, parodie d'Omphale. Cette pièce figure en
tète de ses œuvres complètes.
Cinq mois [dus tard, le 7 août, il fait jouer, au théâtre
de la foire Saint-Laurent, le Poirier, opéra-comique en
INTRODUCTION. 9
vers, imite' d'un épisode du délicieux conte de La
Fontaine, la Gageure des trois commères.
Le 15 mars 1753, un essai de pièce à caractère, le
Suffisant, opéra-comicpie en vers, est joué sur le théâtre
de rOpéia-comiqiie; le 10 avril suivant, sur la même
scène, le Rien, parodie des parodies de Tilhon et l'Amour;
le ôO juillet, le théâtre de la foire Saint-Laurent joue
les Troqueurs, opéra-bouffon, dont la donnée a fourni
un sujet de libretto à Hérold, il y a une cinquante
d'années. Enfin nous trouvons, dans les œuvres com-
plètes de Vadé, pour cette même année, 1755, une
petite pièce de circonstance, jouée à l'Opéra-Comiquo
à l'occasion de la saint Louis, le 24 août, intitulée le
Bouquet du roi; mais une note nous donne lieu de pen-
ser que Vadé n'a écrit qu'une seule scène de cet acte,
celle de Mars et de l'Amour.
En 17oi, le 18 février, le Trompeur trompé ou la
Rencontre imprévue, opéra-comique en vers, au théâtre
de la foire Saint-Germain; le 28 juin. Il était temps,
parodie de l'acte iVLvion, du ballet des Éléments, au
théâtre de la foire Saint-Laurent; le 17 septembre, au
théâtre de l'Opéra-Comique, la Nouvelle Bastienne,
opéra-comique en vers, dans lequel sont intercalées
deux scènes d'Auscaume.
L'aimée 1755 est encore plus féconde. Les Troijennes
en Champagne, opéra-comique en veis, joué sur le théâtre
de rOpéra-Comique du faubourpf Saint-Germain le 1'"'' fé-
vrier ; le 1 S {i'\v\cvJérQsme et Fanchonnette, pastorale de
1.
■10 INTRODUCTION.
La Grenouillère, en prose et en vers, écrite dans le langage
|t()|)iilaire, qui obtint un très-graïul succès, et l'ut con-
sidéii'e comme un des chers-d'œuvre du geiuc, grâce
au naturel des sentiments et à la vérité de l'expression.
(lett(î ])ièce est suivie des deux coniplinienls de clôture
(le In l'oire Saint-Laurent el de la i'oire Sainl-Gennain,
(|ui lurent chantés à la fin de Jevosme et Fanchonneltc.,
le 0 (irlol)re 1755, ce ((ui send)le ;ii(li(iuer {\\\o. cet ou-
vrage tint l'afiiche durant sept mois et demi ; le Confi-
dent heureux, opéra-comique en un acte, en vers, joué
sur le théâtre de l'Opéra- Comique, le 51 juillet 1755.
Enfin Folette ou l'Enfant gâte', parodie du Carnaval et
la Folle, jouée sur le théâtre de l'Opéra-Comique de la
Foiro-Saint-Laurent le 6 septembre.
Nous ne trouvons que deux pièces en 1 756 : Nicaise,
opéra-comique en prose, joué sur le théâtre de la Foire-
Saint-Germain le 7 février ; et les Racoleurs, opéra-
comique également en prose, joué sur le même théâtre
le 11 mars suivant, dans le([uel madame Saumon,
marchande de poisson, Javotte Tonton et Marie-Jeanne
parlent avec un naturel pris sur le fait la langue des
halles.
Le 8 lévrier 1757, Vadé faisait jouer à la Foire-Saint-
Germain, rimpromptu du cœur, opéra-comique de cir-
constance, improvisé à l'occasion de l'odieux attentat
de Damiens.
« Ces jours-ci, écrit Collé à ce sujet, Vadé a eu
400 livres de pension du roi, pour un petit opéra-
INTRODUCTION. 41
comique intitulé : Vlmpromptu du cœur. C'est une
petite pièce faite à l'occasion de l'assassinat du roi; le
fond du sujet n'est rien, mais il y a eu une adresse
infinie à ne rien mettre dans les détails qui put rappeler
le malheur, en se réjouissant de ce qu'il n'avait point
été commis, et de faire tout porter sur ce pivot-là. 11
fallait toujours parler de la joie publique, sans souffler
mot de ce qui la produisait ; cela était difficile, et il
s'en est bien lire. Je suis charmé que Yadé ait obtenu
cette pension, parce que c'est un galant homme, qui a
des mœurs et de riionnèteté. »
Sans nous arrêter plus qu'il ne faut au changement
survenu dans l'opinion de Collé, nous devons constater
que, de la Fileuse, non à Vlmpromptu du cœur, qui
n'est pas une pièce, mais à Nicaise et aux Racoleurs,
Vadé avait, sous le rapport de la connaissance du théâtre,
de la conduite, de l'action dramatique, de la composi-
tion des scènes, de tout ce qui constitue enfin le mé-
tier d'auteur comique, réalisé de grands progrès. Le
style laissait encore sans doute beaucoup à désirer, mais
il est aisé de reconnaître qu'il y avait en notre auteur
l'étoffe d'un poète comique amusant, habile et presque
original .
Vi NTUOniICT[ON.
ni
Hélas! le inallieurciix Vadé ne devail pas jouir Idiig-
lenips de la pension que venait de lui octioycr la niu-
nificence de Louis XV. U Impromptu du cœur devait
èliv. lu dei'nière do ses pièces (|u"il lui serait donMé de
voir représente)'.
Au mois de juin 1757, un abcès à la vessie le niellait
dans la nécessité de subir une douloureuse opération
(|u'il supporta avec beaucouj) de courage et qui })eniiil
d'espérer un prompt rétablissement. Mallieureusemenl
une hémorrhagie imprévue se déclara et l'emporta le
4 juillet, à l'àg ■ de trente-sept ans et demi.
Consultons encore à propos de cette mort le Journal
de Collé. Voici les deux pages de nécrologie qu'il con-
sacre au poëte populaire :
« Le 12 ou le lô de ce mois (erreur de date évidente),
mourut le pauvre Vadé dans des soulïrances alïreuses,
après avoir essuyé, quinze jours avant, l'opération la
plus douloureuse, .l'ai déjà parlé plusieurs fois de lui
dans ce Journal; sa mort m'a fait une peine intinie. Il
avait le cœur lionnête, et était désintéressé au point
d'avoir sacrifié à rét;iblissemeiit d'une partie de sa Ih-
niille ce cpi'il avait retiré de ses ouvrages, et de n'avoir
rien placé pour lui. Ce garçon était d'un counnercr doux
INTRODUCTION. 15
et aimable; il chantait fort joliment, surtout des chan-
sons poissardes, ou le vaudeville qui avait quelque ca-
ractère. Il n'avait pas fait ses études, et ne savait rien
d'ailleurs; il n'avait pas même lu tous les Théâtres, et
les autres auteurs qui ressortissaient à son art. Je l'ai
pressé bien des fois de faire une étude particulière de
tous ces livres, qui pouvaient augmenter et étendre son
talent, et de se retirer de la vie dissipée qu'il menait.
11 avait déjà gagné sur lui de refuser une partie de ces
soupers dont les chansonniers sont assommés pour peu
qu'ils s'y prêtent; il aimait le jeu à la fureur, et on m'a
assuré que cette passion n'a pas peu contribué à lui
brûler le sang, qu'il n'avait pas déjà trop pur, pour
avoir vécu avec toutes ces coquines de l'Opéra-Comique.
Dans les derniers temps, il vivait sagement avec made-
moiselle Verrier, qui lui a donné, pendant sa maladie,
des preuves de l'attachement le plus respectable; cette
digne créature l'a veillé pendant vingt-sept nuits, et a
emprunté de tous côtés pour fournir aux frais de sa
maladie ; elle en a été bien mal récompensée par le père
de Vadé, qui, conseillé par ses procureurs, a réduit cette
fdle et un enfant qu'elle a eu deTadé à la mendicité
absolue. Elle avait entre ses mains deux opéra-comiques
du défunt qui n'avaient point encore paru; elle m'a fait
prier, par M. Coqueley, avocat, et du Journal des sa-
vants, de les finir; je l'ai promis à M. Coqueley, mais
sons le sceau du plus grand secret, et à condition que
la Verrier elle-même n'en saurait rien. iMais il s'est
Ai INTRODUCTION,
trouva' que Monifot* avait un hrouillou di; 1" un de ces
opéra-comiquos, intitulé le Drôle de corps; il le lait
aciiever par ([uclqu'nn de ses nègres, et le doiuieia
ces jours-ci; en sorte (|u'il ne me reste que l'autre, inti-
tule' la Folle raisonnable, que je vais emportera la
campagne, et dont je verrai si je peux tirer parti.
« Les ouvrages de Yadé sont lecueillis en trois vo-
lumes, et on pourra en faire un quatrième de ce qui ne
Ta pas encore été. 11 était né plaisant et naïf, et avait
du talent pour fiiire le couplet et la parodie ; mais il se
livrait trop à cette facilité, ce qui l'empêchait d'être
correct. »
De ces deux pièces une seule nous est comme, c'est
le Mauvais plaisant ou le Drôle de corps, joué sur le
théâtre de l'Opéra-Comique de la foire Saint-Laurent,
le 17 août 1757, six semaines après la mort de Vadé et
im|)rimé dans ses œuvres complètes, quoique l'éditeur
du Journal de Collé assure (ju'elle n'en fait point
partie.
Nous trouvons encore parmi ses œuvres postljumes
une comédie en vers, la Canadienne, supérieure sous
le rapport du style à la phq^art de ses autres pièces, et
qui paraît n'avoir été représentée sur aucun théâtre.
Quant à la Folle raisonnable^ il y a tout lieu de sup-
poser que le manuscrit a été perdu.
' Monnet, tiirecleiir de l'Opéra-Comique.
INTRODUCTION. 15
IV
Dans le choix que nous avons fait des œuvres de Vadé
pour composer le volume que nous donnons aujour-
d'hui, nous avons cherché surtout à offrir au public
des spécimens de divers genres dans lesquels l'auteur
s'est essayé.
Cependant nous nous sommes appliqué à mettre sur-
tout en relief les ouvrages du genre poissard qui carac-
térise la véritable originalité personnelle du poëte que
ses contemporains avaient surnommé le Téniers litté-
raire et le Corneille des Halles. C'est évidemment à la
vérité, au naturel de ses tableaux et de ses dialogues
poissards qu'il a dû la célébrité qui a fait arriver son
nom jusqu'à nous.
liOmme nous n'étions point tenu par la nécessité de
l'ordre phronologique, puisque sou poëme de la Pipe
cassée, ses romances, ses lettres, ses chansons et ses
jjoésies fugitives ne portent aucune date, nous avons
cru pouvoir nous affranchir de la tradition des précé-
dents éditeurs et devoir donner la première place dans
ce recueil aux œuvres qui nous paraissent avoir le plus
contribué à asseoir sa renommée, pour rejeter à la suite
ses pièces de théâtre (|ui sont évidemment la partie la
moins importante de sou bagage littéraire.
Ifi INTRODUCTION.
Nous avons leim surtout, on \c comprendra, à com-
prendre dans notre choix Jérosme et Fanchonnette et
les Racoleurs, viais lyjx's du genre de Vadé, le Drôle
de corps, (licl-d'œiivrc de gaieté et d'enliaiu (pii u'csl
pas sans analogie avec le vaudeville boul't'ou de notre
temps, et la Canadienne, comédie enjouée, qui donnera
une idée de. ce que Vadé pouvait èlre appelé à produire
dans un genre plus élevé et plus littéraire que le genre
trivial dans lecpiel il a été entraîné par son premier in-
slincl et sa première tougiic déjeunasse.
Julien Lemer.
LA
PIPE CASSÉE
POÈME
EPITRAGIPOISSAKDIIIEROICOMIQUE
AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR
Je me suis beaucoup amusé on composant ce petit
ouvrage, puisé dans la nature; mes amis l'ont plusieurs
fois entendu avec plaisir. Nombre de gens de distinc-
tion, de goût et de lettres s'en sont extrêmement di-
vertis ; et sur les assurances qu'ils m'ont données que
le public s'en amuserait aussi, je me basarde de le lui
donner. Il faut pour l'agrément du débit avoir l'atten-
tion de parler d'un ton enroué, lorsque l'on contrefait
la voix des acteurs ; celle des actrices doit être imitée
par une inflexion poissarde et traînante à la lin de cba-
que phrase. L'un et l'autre sont marqués en caractèies
italiques pour les femmes, et en ;5uillemets pour les
hommes.
CHANT PREMIER
Je chante sans crier bien haut,
Ni plus doucement qu'il ne faut,
La destruction de la pipe
De rinfortuné la Tulipe.
On sait que sur le port aux Blés
Maints ibrls à bras sont assemblés,
L'un pour, sur ses épaules larges.
Porter ballots, fardeaux ou charges;
Celui-ci pour les débarquer
Et l'autre enfin pour les marquer.
On sait, ou peut-être on ignore,
Que tous les jours avant l'aurore.
Ces beaux muguets à bran-de-vin
Vont chez la veuve Rabavin
Tremper leur cœur dans l'eau-de-vie.
Et fumer, s'ils en ont envie.
Un jour que se trouvant bien là
Et que sur l'air du beau lanla
LA PIPE CASSÉE. 19
Ils chantaient à tour de mâchoire,
Maints et maints cantiques à boire,
Que gueule fraîche et les pieds chauds,
Ils se fichaient de leurs bachots,
Sans réfléchir qu'un jour ouvrable
N'était point fait pour tenir table,
Hélas! la femme de l'un d'eux.
Trouble plaisir et boute-feux
Arrive, et retrousse ses manches ;
Déjà ses poings sont sur ses hanches.
Déjà tout tremble; on ne dit mot;
Plus de chanson ; chacun est sot,
Jean-Louis que ceci regarde,
Veut apaiser sa femme hagarde.
Mais en vain est-on complaisant
Avec un esprit malfaisant.
« Tiens, lui dit-il, bois une goutte...
« — Vas-t-en chien, que Vaze ie rime,
Lui dit-ëlle en levant un bras,
« Snqucurcjué ! tu me le pmjeras :
Et bravement vous lui détache
Un coup de poing sur la moustache.
Jérôme lui saisit les mains,
Dont les jeux étaient inhumains.
« La paix! dit-il; morgue! commère,
« Vous avez tort... — Allez, copère,
M Vous ne valez pas mieux que lui;
« Vrament, ce n'est pas (V aujoiirâlmi
« Qiion vous connaît, gueux que vous êtes;
« A votre avis, les jojirs de fêtes
'20 LA PIPE CASSRF,
K ?i'an'ivonl-ils pas assez fût ?
(I Janii ! Si je ]))eii(ls mon sahul,
« Je vous en torcherai la (jueule !
« Puis-je (jaijner assez moi seule
« Pour nourrir quatre chiens d'enfants
M Qui maïujeont comme des salans?
M El ma fille quest à nourrice !
« La pauvre enfant! Dieu la bénisse,
« Un jour aile aura ben du mal!
« Tu nous réduit à r hôpital.
« Jérôme, Idchc-moi, j'enrage.
« Ah! Tu vas voir un beau ménage,
« Vas, sac h vin; crève, maudit!
A peine eut-elle ceci dit,
Qu'on vit renforcer l'ambassade
D'un duo femelle et maussade.
Jérôme voyant sa moitié,
Rit à l'envers, frappe du pié ;1
La Tulipe avisant la sienne
Montée en belle et bonne chienne.
Eût mieux aimé voir un serpent.
Ou le beau-fils ' qui rompt et pend
Ceux qui point dans leur lit ne meurent.
Enfin tous interdits, demeurent
Dans un silence furieux :
L'une écrase l'autre des yeux;
Mais la grosse et rouge Nicole
Recouvrant cnHn la parole,
' Le Bourreau.
LA PIPE CASSÉE. 21
Ainsi que les gestes mignards,
Dit ces mots en termes poissards :
« Vous via donc, tableaux de la Grève,
« Dieu me pardonne ! et qnil vous crève :
« Saint Cartouche est votre patron.
« Françoise, tien ben mau chaudron.
« Allons vilain coulis d'emplâtre !
« L'n diable et puis vous trois font quatre '
M Marionnettes du Pilori !
M Reste de farcin mal (juéri !
» Enfants trouves dans dla paille?
n Sans nous vous faites donc ripaille,
« Visages à faire des culs :
« Et trop heureux d'être cocus...
« — Cocu^l interrompit Françoise?
« Nicole: ne cherchons pas noise,
« Si ton chien d'homme est dans le cas,
M Tant pis; mais le mien ne V est pas...
« — // Vest... — Tas menti... — Qui, moi? Paffe !
In soufflet. .Même pataraplie
Est ripostée. Autres soufflets,
Autres rendus. Adieu bonnels,
Fichus de suivre la coiffure.
Tétons bleus, rousse chevelure
De se monirer aux spectateurs.
Le feu, la rage, au lieu de pleurs,
î?orte:it des yeux de chaque actrice.
Et dans ce galant exercice
Elles allaient enfin périr,
Si forcé de les secourir.
I,A l'Il'K CASSiiE.
On la' l'eût l'ait. Jean se dépèclie
De puiser un beau seau d'eau fraîche,
El (le nos braves s'approchaat,
Los tranquillise on leur lâchant
Le tout à travers les oreilles,
Ce remède fit des merveilles :
On but beaucoup par là-dossus.
El biontôt il n'y parut plus.
Les voilà d'accord. La paix laite,
Jean-Louis chante, et l'on répète :
Or voici donc ce qu'on chanta,
Et ce que chacun répéta.
CHANSON DE MANON GIROU
Queu qui veut savoir l'Iiisloirc
De Manon Giroux,
I Vont encore dans la luernwirc,
Y accoidez treloux :
Àli n'est pas guère à sa gloire.
Mais dam voyez-vous,
C'est qu quand on zaim lanl à boire
Cest pus fort que nous.
Pour entrer dans la muquicre
Faut savoir d'abord,
Qua'lle a fait longtemps la fière
Le soir sur le port :
I.A l'IPE CASSÉE. 25
Les mi'ssieux de not barrière
Disons Vbras la prenant.
Aile en avait par derrière]
Et pis par devant.
Bachot de la Guarnouillére
■ S'croijait son futur.
On l'avait fait son copère
Pour quça fut pu sur?
Manon fesunt d'ia z'hupée
Comni quand on za d'qoi,
Dit, i ni faut un homme d'e'pée,
M'pensez plus Ca moi.
Bachot de la parférence
Piqué comme un chien.
Pour afin d'avoir vengeance
Fait semblant de rien :
Manzelle, n'y a pas d'réplique.
Dit-il, mais demain :
Quittons^nous comm' ça s'praliquc
Le verre à la main.
Ah! vraiment, nionsieux, c'est juste,
Drès demain c'est fait,
Manzelle Giroux s'ajuste.
Met son mantelct :
Bachot y fout s'endimanche,
Prenant Cornichon,
Tous trois vont casser l'éclanche
Y au premier bouchon.
24 LA l'IPE CASSEE.
Vld (lupciulanl ({u Manon clwpinc
Cornichon qui part.
Vers les commis s'achemine
Tout comme un mouchard :
G"»rt, (lit-il. Une marchande
Messieux Cici près,
AU' a de la contrebande
Tout plein des paquets.
Bachot varsanl à sa belle
Toujoîirs queuques coups,
S'amuse ii d'ia bagatelle
Autour des cjenoux.
D'abord son œil aile roule.
Dam' lui qui voi ja,
Dit sur vol' respect ma poule,
Faut passer par Ih.
Aile en avait sa cornette
Encor de travers,
Via les commis en cadnette
Et zen habits verds :
Tout un chacun de surprise
Tumbit de s07i haut.
De voir Manon Giroux grise
S' que un grand défaut!
— (Juoi, c^esl vous, nuulemoisellc.
Dit l'un d'ces messieux,
Yanienl voC partie est belle
h'i quça est ihonteux •
LA PIPE CASSEE.
Est-ce ainsi qu'un se coporte :
C'est bon t'a sçavoir.
Puis tous ils (jfignent la porte
Lui fichant Vhon voir.
— Vous que cet exemple touche,
Ça vous fait bien voir.
Que fille quesl sur sa bouche
Manque à son devoir,
Et par cette historiette
On z'est convaincu,
Qu'il ne faut pas que Von petlc
Plus zhaut que le cul.
•Vile est drôle, dit la Tulipe,
En bourrant de tabac sa pipe.
« Mais buvons t'un coup... — C\'sl bon dit.
Si (jn'en avait... — J'avons crédit.
« C'est dit, Jérôme, pas la peine,
« Allons achever la semaine,
« C'est demain dimanclie, j'irons
« Entendre Vèpre aux Porclierons.
CHANT II
Voir Paris, sans voir la Coiutilie,
Où le peuple joyeux fourmille,
Sans fréquenter les Percherons,
Le rendez-vous des bons lurons,
C'est voir Rome sans voir le pape.
Aussi, ceux à qui rien n'échappe,
Quittent souvent le Luxembourg
Pour jouir dans quelque faubourg
Du spectacle de la guinguette.
Courtille, Porcherons, Vilietle!
C'est chez vous que puisant ces vers
Je trouve des tableaux divers;
Tableaux vivants où la nature
Peint le grossier eu miniature.
C'est-là que plus d'im Apollon
Martiris;int le violon,
LA PIPE CASSEE. 27
Jure tout haut sur une corde,
Et d'accord avec la Discorde, ■
Seconde les rauques gosiers
Des fareaux de tous les quartiers.
C'est aussi-là qu'un beau dimanche,
La Tulipe en chemise blanche,
Jean-Loyis en chapeau bordé,
Et Jérôme en toupet cardé,
Chacun d'eux suivi de sa femme,
A l'Image de Noire-Dame,
Firent un ample gueuleton.
Sur table un dur dodu dindon.
Vieux comme trois, cuit comme quatre,
Sur qui l'appétit doit s'ébatre.
Est servi, coupé, dépecé,
Taillé, rogné, cassé, saucé.
.\Iors, toute la troupe mange
Comme un diable, et boit comme un ange.
« A ta santé, toi. — Grand marci ;
« J'allons boire à la tienne aussi.
« — Hé! Françoise, hé! tien si tu l'aime,
« Prends ce pilon... — Prends-le toi-même,
« Chacun peut ben prendre à son goût ,
« En via très-ben, et si via tout,
« Avons-je pas une salade?...
« — Non, non, ça te rendrait malade...
« — Ce n'est qu'quinz'-soh... — Cen est hcn vingt,
« Qui nous vaudront deux pots de vin ;
« Pour six une grosse volaille,
« Est autant qu'il faut de mangeaille ;
28 LA PIPE CASSÉE.
H Pas vrai, Jc(tn Louis?... — Bépoiuh-donc?
« l'as vrai qu'au tierir... — Oui, t'as raison ;
« Mais varse-nous toujours t'a boiro,
« Eh! vraiiient ma commère voire,
« lié! vrament mai.. — Varse tout plein,
« Il semble que tu nous le plain...
« — Moi! mon guieu non, hen du contraire;
« Cest que tu zliausses en haut ton verre...
« —J'ai tort. Avons-je du vin? — Non.
M — Parlez donc, monsieux le garçon,
« Apportez du pivois, hé vile!
Aussi-lôt la parole dite,
On renouvelle l'abreuvoir ;
C'est alors qu'il faisait beau voir
Cette troupe heureuse et rustique,
S'égayer dans un choc bachique.
Vous courtisans, vous grands seigneurs,
Avec tous vos biens, vos honneurs.
Dans vos fêtes je vous défie,
De mener plus joyeuse vie.
Vos plaisirs vains et préparés
Peuvent-ils être comparés
A ceux dont mes héros s'enivrent?
Sans soins, sans remords, ils s'y livrent-.
Mais vous, prétendus délicats,
Dans vos magnifiques repas.
Esclaves de la complaisance,
El gênés au sein de l'aisance.
Prétendez-vous savoir jouir?
Non; vous ne savez qu'éblouir.
LA PIPE CASSÉE. 29
Avec vos rangs, vos noms, vos titres,
Vous croyez être nos arbitres!
Pauvres gens! Vos fausses lueurs
N'en imposent qu'à vos flatteurs ;
Votre orgueil nourrit leur bassesse ;
Toujours une vapeur épaisse
Sort de leur encens empesté,
Et vous masque la vérité.
Il est un prince qu'on révère,
Pour qui l'univers est sincère,
Qu'on aime sans espérer rien.
Qui?... C'est votre maître et le mien,
Demandez son nom à la Gloire.
C'est assez dit. Parlons de boire.
Cependant las de godailler.
Nos riboteurs veulent payer;
Pour payer demandent la carie.
Et par dessus un jeu de carte.
Si-tôt parlé, si-tôt servis;
« — Mais, dit Nicole, à votre avis,
« Combien avons-je de dépense
(( Monsieiur? Lisez-nous ste sentence...
— Le total? — Oui... — Cinquante sous...
« — Cinquante sous ! je vous en fous,
« C'est trop cher... — C'est trop cher, madame,
Je veu.x que le Diable ait mon âme
Si je ne vous fais bon marché...
« — Allez, monsieur le déhanché,
« Vous serez content de la bande;
« Adieu, morceau de contrebande.
'2.
.■ÎO F-A PTPE CASSÉF.
La même table qui servit
D'autel à leur rude appétit,
Sans choix, fut à l'instant choisie
Pour leur servir de tabagie.
C'est-Ià que le trio d'époux,
Du hasard éprouvant les coups.
liobaiL goujon, couleuvre, anguille.
En jouant à la biscambille
Un contr'un, écot contre écol,
Tandis que Nicole et Margot
Faisaient compliment à Françoise
Sur son casaquin de Siamoise,
A lin que Françoise à son tour
Civilisât leur propre amour.
(Propre amour! Le ternie est impropre!
Pour ben dire, on dit amour-propre...)
Soit, je ne veux point disputer.
Mon but n'est que de raconter.
Mais revenons à notre histoire.
J'en suis, si j'ai bonne mémoire,
A la réponse que faisait
Françoise à ce qu'on lui disait.
<i — • Mon casaquin ! Leur répond-cllc,
« Vaut ben ce chiffon de dentelle
Il Qui vous entourre le cervieau ;
« Cesl comme une fraise de vieau
M Tous ces plis qui sont sur ta tète...
« — Tîi raisonne comme une beie.
Lui dit Nicole, « et pour un peu.
Il Françoise, tu rarais beau jeu.
LA PIPE CASSÉE. 31
« Je te louona sur ta parure,
« Et tu prends ça pour une injure'.
.( Tas tort... — Moi tort?... — Vanle-t'en-z'en:
u Garde ton casaquin de bran,
i( Ou mange-le, que nous importe ;
« // est à toi, car tu le'porle,
« FAnoV (jarniiure est a nous...
« — Quoi, dit Margot, vous fâchez-vous?
u Queu chien d' train! Tien, toi Françoise,
« Tas toujours eu rame sournoise,
M Ton esprit surpasse en-noirceur
« Ftrésorier de notre Seigneur :
« Tais-toi, n échauffe pas Nicole,
« Autrement tiens, moi f V acole . . .
K — Toi m'acoler ! Ah fte crains !
u Milguieux! Si fte prends aux crins!
a Tien veux-tu voir?... — Oui, voyons, touche:
(( Mais touche donc, lu V effarouche ;
« Gueuse à crapeaux, coffre à graillon'
« Tu te pâme, hé vite un bouillon :
« La via couleur de sïicre d'orge;
« V onguent gris li monte a la gorge;
« Ses beaux yeux bleux devenont blancs;
u Via comme tu fais des semblans
.1 Quand ton croc veut que tu partage
u Avec li ton vilain gagnage.
A ces mots, Françoise pâlit,
L'ardeur de vaincre la saisit.
Et d'un effort épouvantable,
Elle arrache un pied de la table.
52 LA PIPE CASSEE.
Oui d'un bout tombant on sursaut,
Va cherclier à terre un tréteau.
De ce coup les caries sautèrent :
Nos joueurs transis se levèrent,
Mais se levèrent assez tôt
Pour sauver la pauvre Margot
Du coup qui menaçait sa vie ;
Françoise la suit en lurie.
« — Je veux, (lit-elle, me vamier,
« A votre barbe la nuDujor;
If Comnu'til! Qui moi? J'aurai la honte
« De voir quà mon nez on m'affronte!
« Ah fy perdrais pus-tàl mon ea'ur !
« Mon cul! ma gorije! Mon honneur!
(( Te via donc! chienne! ôlez-vous, ijare.
Elle frappe : Jean-Louis pare
D'une main, de l'autre il surprend
Le bâton, et Jérôme prend
A brasse-corps notre harpie,
« — Françoise, dit-il, je t'en prie,
« Laisse çà là. Venons-je ici
« Pour nous battre? Queu diable aussi,
« Tu veux toujours gouayer les autres,
« Et puis ils t'envoyeront aux piautres;
« Chacun son tour. Çà, Ihiissons,
« Je te prends pour danser, dansons.
« Prend Nicole, toi la Tulipe,
« Quitte pour un moment ta pipe,
« Morgue tu l'umeras tantôt,
<( Et toi, Jérôme, prends Margol.
LA PIPE CASSEE. 53
« S'talla des trois qui la première
« Aura d'ia mauvaise magnière,
« J'i'écrasons, aile verra,
« Ou le diable m'écrasera.
« Monsieux le marchand d'cadence,
(( Vendez-nous une contredanse
u Sus l'air d'un nouveau Cotillon.
Soudain il sort du violon;
Qui par sa forme singulière
Avait l'air d'une souricière
Des sons que les plus fermes rats
Auraient pris pour des cris de chats.
Après la belle révérence,
On part en rond, chacun s'élance,
Saute et retombe avec grand bruit.
Sous leurs pieds la lerre gémit,
La haine de Margot la fière
S'envole parmi la poussière.
Françoise n'est plus en courroux,
Ses yeux ont un éclat plus doux;
Nicole n'a plus de rancune :
la paix entr'eux devient commune;
Même on les vit s'entre-baiser
Quand ils furent soûls de danser.
L'heure de retourner au gile
Venant pour eux un peu trop vile,
Il fallut payer sur le champ,
Et, comme on dit, ficher le camp :
LA PIPE CASSEE.
C'est sans dire adieu, ce qu'ils fiivnl,
Et de très-bonne humeur sortirent.
Tous six se tenant sous le bras,
Allaient plus vite que le pas.
Pour moi je pris une autre route,
VA m'aclieminant sans voir goutte.
J'arrivai cliez moi plustôt qu'eux.
Tête pleine et le ventre creux.
CHA.M" 111
Le travail, les soins et la peine
Fuient faits pour la gent humaine :
JI est des travaux différents,
Selon les états et les rangs.
Tout le monde ne peut pas naître
Prince, marquis, richard ou maître;
Mais chacun vit de son métier;
Vive celui de Maltôtier :
C'est où la bizarre fortune
En suant roule la pécune,
A la barbe des pauvres gens.
Serons-nous toujours indigents I
Nous dont les labeurs d'une année
N'acquitteraient point la journée
Qu'un sous-traitant passe à dormir!
Espérons tout de l'avenir.
Mais en attendant qui! nous vienne
Un sort heureux qui nous maintienne
Dans un état toujours oisif,
11 faut moi. que d'un air pensif
.'G LA l'IPK CASSEï:.
Je chorclie ol Iroiivo par ma i>luiiie
Lo tabac que par jour je futue;
i'AW non content d'être rimeur,
J'ai lo talent d'être fumeur!
U faut, pour la paix du ménage,
Que Jean-Louis se mette en nage
En travaillant au bois flotté,
Que Jérôme de son tûlé,
Comme la Tulipe dun autre,
Suivant les lois du saint apôtre,
Aillent chrétiennement chercher
De quoi dîner, souper, coucher.
Que leurs femmes laborieuses,
De vieux chapeaux, fières crieuses,
En gueulant arpentent Paris
Pour aider leurs pauvres maris.
Lorsque leur ange tutélaire
Les conduit vers un inventaire.
Pour elles c'est un coup du Ciel.
Un jour, sur le pont Saint-Michel
* Il s'en fit un. Elles sy rendent.
En arrivant, elles entendent :
A vingt sols la table de bois 1
Une fois, deux fois, et trois fois,
.\djugez. « — Quoi (/ohj quon adjuge!
« Tout doucement, monsiextx le ju(je.
Dit Nicole, je mets deux sous...
— Par-dessus? » — Oh donc? par-dessous*
« Tiens ! Veut-il pas gouaijer le monde !
V Cest dommage qiCon ne le tonde,
LA PIPE CASSÉE. 57
« Car ses cheveux sont d'un beau blond !
— La mère, vous en savez long,
bit l'huissier, emportez la labié,
t — Hé, mais vranient, monsieux capable !
Reprend Margot, chacun pour soi...
•( — Hé par la saguergué, tais-toi.
Dit Françoise, en lianssanl l'épaule,
« Laisse monsieux jouer son rôle,
« Vas-tu (jueuler jusqu'à demain!
« Solre tnaitre, allez, rote train. »
Soudain meubles de toute espèce
Furent vendus pièce par pièce ;
Mais notez que chaque achetant
Recevait son paquet comptant
De la part de nos trois commères :
Quiconque poussait les enchères
Un peu haut, était empoigné,
Et s'en allait le nez cogné;
Témoin une jeune fringante,
En mantelet, robe volante,
En bonnet à grand pnpillon,
Uui la dansa, mais tout du long.
Ce lait vaut bien qu'on le distingue,
C'est à propos d'une seringue,
Qui par elle mise hors de prix.
De Françoise excita les cris.
« — C'est pour vous! gardez-la, dit-elle;
« Hé Margot? Vois donc s' te d'moiselle!
« Sa figure a ma foi bon air!
0 C'est un p'til chef-d'œuvre de chair!
l.V l'Il't; CASSEE.
« Parlez donc, la belle marchande ?
« Cesl'-y pour laver vole viande
i( Que vous emportez ce bijou ?
u Vous vous récurez plus d'un trou!
— Vous êtes une impertinenle,
hil la demoiselle tremblante,
Cessez un propos claiuleslin.
K — Allez! J'nentendons pas rialin,
i( La belle, crandestin vous-même,
K Avec son visage à la crème !
« Eh puis ses deux yeiu mitonnes !
n Quoi donc qualle a d'ssous Vnez
(t Qu''cst noir! MomjUieu! cest une mouche!
« Allez! Quun cent d' Suisses vous bouche!
ti Pour le coup, mon chien de poulet,
« Cest ben la mouche dans du lait.
« Quoi! vous vous on allez, ma reine'
« Adieu bel ange. Ah! la vilaine,
K Qui donne a ieltdr a son eu!
« Allez seringue!.,, — Y pense-fu,
« Dit Margotj veux-tu bien te taire
« Gueule de chien, via l'commissairc...
(( — Çà! tu gouaye, cest un abbé.
i( Paryué va, le v'ia ben tumbé,
K S'il vient pour nous ficher la gancc,
— Mesdames un peu de silence,
Leur dit modestement l'huissier.
Ensuite il se met à crier
Un jupon d'étamine noire,
Qu'on prit d'abord pour de la moire.
LA PIl'E CASSÉE. 5&
Tant les taclies l'avaient onde.
Margot, l'ayant bien regardé,
Passe d'un sol. On le lui laisse.
Soudain l'abbé tendant la presse,
Sur-offre de dix-huit deniers...
« — Bon! Les offrez-vous tout entiers!
« DU Manjot faisant la (jrimace.,
« Par ma foi, monsieux Boniface,
« Quand vous auriez quatre rabats,
« Y'ia Vjiqjon, mais vous n l'aurez pas.
« Vot mantiau tunibe par filandre!
« Au lieu d'acheter faut vous vendre.
« Tnez, rapportez-vo%is-en a nous.
i( A six blancs l'abbé de deux sous!
« Le veux-tu prendre toi, Nicole?
« — Qui, moi? Tien je serais donc folle,
« Je perdrions moitié dessus.
« — Françoise'^ et toi?... — A/ niui non plus;
« Tu r garderas toi, je parie?
M Moi? J'n avons pas d' ménager ie ;
« Qu'en ferons-je donc? Dame! Yoi...
« — Voi toi-même, allons parle... — Moi?
« J'en fais un heurtoir '^ de grand'porle..
« — Et moi! Que V diable l'emporte,
« Il en fera son aumogtiier.
L'abbé penaut comme un panier,
Dit : — Vous êtes des harangéres,
Finissez, trio de mégères...
' Fiyure liideuse à laquelle on atlaclie le inaileau.
•40 i-\ i'ii'i;](;.\ssÉi;.
<i — MéiKKji'rcs ! (JiKtiid je ivulons;
« Ai'ec ses souliers sans talotis !
« Le via dans un bel éijuipage,
« Pour parler de note uiénaije !
i( C'est vrai! Quoi quil vient nous prêcher?
« Ne t'avise pas d'approctier,
M Car le diable me caracole,
« Si je ne VappVupie une (jnolc
« Qui tiendrait chaud à ton (pvuin.
(( Diable de perroquet à foin !
« Mousquetaire des piquepuces!
(I Jardin à poux, (jrenier à puces.
Klles r.iuiMient mangé, .^i l'on
Xeùl remis la vaciilioii
A deux iieures de relevée.
Ce nélail là (luiiiie corvée
l'oiir nos trois femelles. Aussi
Kn revanche, Taprés-midi,
Maints effets elles aciietèrent,
Puis chez elles s'en retournèrent ;
Où leurs trois maris cependant
Cliopinaient en les attendant.
Les nippes sur table posées,
Et les commères reposées,
11 fallut vuider, ou lotir,
Cela veut dire répartir
L'achat des meubles fait entr'elles;
Bon sujet à bomies querelles.
Margot déjà conunence par
Sauter sur la meilleure part;
LA PIPE CASSÉE. 41
C'était un rideau de fenêtre.
« — Tu laisseras ça là, peiit-êlre.
Dit Françoise, ou ben f allons voir.
Nicole qui le veut avoir
Aussi bien que ses deux compagnes.
Dit : « — Tu le rois et tu le magnes;
« Mais via qu'est ben, restes-en là...
« — Qui toi! Chaudière à cervela !
« S'te vieille allumette sans soufre!
u Monguieu! Via giialle ouvre son gouffre!
« Prenez garde, ail va ni avaler...
a — Vas, tu fais ben de reculer,
« Dit Margot, contre ton chien d'homme,
« Car sans ça, tien, tu verrais comme
« J' équiperions ton cuir bouilli l
« Cadavre à moitié démoli!
« Vas, poivrière de saint Côme,
(( Je me fiche de ton Jérôme.
.\lors sautant sur le rideau,
Elle en arrache un grand lambeau.
Françoise, de son côté tire,
Et tire tant qu'elle déchire
Même porlion que Margot;
Nicole eut le troisième lot,
Non sans vouloir faire le diable;
Mais Jean-Louis d'un air affable.
Voulant apaiser le débat,
Leur dit : « — Saqueurgué, queu sabbat !
« Tiens, femme, agonise ta goule!
« Crois -moi, milguieux, si t'étais seule,
42 LA PIPE CASSÉE.
« J'dirais : hé ben! c'est qu'aile a bii.
« Finis donc : Un ciiien qu'est mordu
« Mord l'autre itout, coûte qui coûte. »
A ce conseil, Jérôme ajoute
Son avis, dit-il, écoutez.
« — Pour un rien vous vous argolez.
« Quoi, qui vous met tant en colère?
« Des gnilles! Via ce qui faut faire,
« Faut les solir ' dieux l'tapissier,
<( Hé puis partager le poussier-.
« — Copère, interrompt la Tulipe,
« Je donnerais quasi ma pipe
« Pour être comme toi chnument
« Retors dans le capablement;
« Tu dis ben, faut faire s'tc vente,
« Et drés demain dà, je m'en vante,
« Ou ben moi, je fiche à voyeau
« Les pots, les chenets, le rideau,
« Le lit, les femmes et la chambre. »
Lors tremblantes en chaque membre.
Elles firent ce qu'on voulut.
Et puis qui voulut boire, but.
' Vendre.
- De l'aiseiit.
QUATRIEME
ET DERNIER CHANT
Romains, qu'êtes-vous devenus.
Vous à qui les mœurs, les vertus
Servirent longtemps de parure.
Amis de la simple nature,
Le luxe, idole de Paris,
Était l'objet de vos mépris;
Votre sagesse sans limite
Ne mesurait point le mérite
Au vain éclat de l'ornement.
Et vous saviez également
Pair' rougir ceux qui sont en place.
Sans dignités, avec l'audace
De ressembler par leur éclat
A ceux qui gouvernaient rÉtat.
Mais ici, quelle différence !
On n'estime que l'apparence ;
Et c'est ce qui cause l'abus
Des élats, des rangs confondus:
44 LA PIPE CASSEK.
C'est ce qui cLiuse qno Françoise,
Pour avoir l'air d'une bourgeoise,
Vient de se donner un jupon
De satin rayé sur colon :
Que Margot vient de l'aire emplette
D'une croix d'or, d'une griselte;
Et que Nicole en s'endellant,
Vient à pou près d'en l'aire autant.
Mais je les trouve pardonnables :
Leurs dépenses sont convenables
Au motif de leur vanité,
Qu'on doit prendre du bon côté.
La noce de Manon-la-Grippe,
Propre nièce de la Tulipe,
Cousine de Jérôme ; et puis
Pilleuse enfin de Jean-Louis,
Mérite bien que la famille.
Pour lui faire honneur, fringue et brille;
Mais avant les plaisirs fringants.
On introduit chez les parents
Le futur avec la future,
Et l'on parle avant de conclure.
« — Ma gnièce, dit Françoise, hé hen,
« El vous mon n'veu (car vous s'rai l'mien)
(• Vous vous marie:.-, ça me semble,
« Pour afin (V être joints ensemble;
(( Ça nous fera ben (F l'honneur,
K Vous paraissez bon travayeur,
« Et ma gnièce est une vivante
« Qui sait se magner... — Ah! ma tante !
« Vous avez ben d' la bonté...
LA PIPE CASSEE. 45
« — -YoH, foi d' femme, euverlé !
« Vas, f le connais. Va du ménage,
« Et cest s' quil faut pour V mariage.
« Dame! quand V auras des enfans,
« Pour q^iils sotjont honnêtes gens,
« Devant eux faudra pas se battre,
i< Jurer ni boire comme quatre,
ri Ni riboter aveuq s' f ici
« Pour faire enrager ion mari,
« Tu ni entends hen, pas vrai?... — Sans doute,
« Dit Manon, et si f vous écoute,
« Ma foi, c'est qu' je V veux hen,
« Avec vos beaux sermons d' chien,
(( Semble-t'-y pas quon vous ressemble ?
« Allez, quand on za peur on tremble...
M — Quoi! dit la tante, cul crotté,
« Tas ben d' la glorieuseté!
« Tu II es quune petite gueuse !
(( Ta mère était une voleuse!
(( Et ion père un croc. . . — Parle donc,
« Dit Margot, diable de guenon!
« Défunts mon cousin, ma cousine
« Étions près d' toi d' la farine,
« Creuset à malédiction!
« T'as donc V enfer en pension
« Dans ta chienne, d'âme pourie ?
« Vieille anguille de la voirie !
K Guenipe... — Moi, guenipe! Moi!
« Margot! MonpHit cœur! Bon pour toi!
« Guenipe est le nom qu'on te garde,
<i T n'avons point de fille bâtarde;
3.
46 LA PIPE CASSÉE.
« Et flatte-toi qiCwi souteneur
« N'a pas trempé dans note honneur,
K Mouche-toi, va, car Ves morveuse!... »
A ces mots, Margot furieuse,
Grinçant les dents, roulant les yeux,
Lève un poing-, mais entr'elles deux
Nicole adroitement se jette :
« — Allez, que /' diable vous vergette.
Leur dit-elle en les séparant.
Mais Margot, en se rapprochant.
Allonge et lève une main croche...
A mesure qu'elle s'approche.
Nicole en riant la relient :
« — Margot, est-ce que ça convient
« Un jour de noce ? c'est enutile,
« Allons, r'mets-toi dans ton tranquille,
« 7" es brave femme, on sait ben çà. »
Ce mot de brave l'apaisa.
Même elle promit à Nicole
D'oublier tout, et tint parole.
Sur-le-champ on vint avertir
Qu'il était heure de partir.
On partit, et la compagnie
A la belle cérémonie.
Assista très-dévotement.
Le notaire et le Sacrement
Ayant autorisé la fille.
D'être femme et d'avoir famille,
Et George d'être son époux,
Toute la bande au Pont-aux-Choux
S'en va sans prendre de carosse;
LA PIPE CASSEE.
C'est pourtant le beau d'une noce !
Mais quand le moyen est petit
Et que l'on a grand appétit,
n faut se passer d'équipage.
On arrive donc. Grand tapage
Motivé par la bonne humeur.
Fait réloge de chaque acteur :
Sur la table une nappe grise,
Est à l'instant proprement mise.
Et bientôt après, le couvert.
« — Mo7}sieux, f avons faim. On les sert.
Les deux époux, selon l'usage,
Sont placés au plus haut étage.
« — AUoris, Margot, tien, passe, toi.
(( — Mail Quand t'auras passé... — Pourquoi?..
« — Pourquoi ! parce que fes la tante.
Jérôme qui s'impatiente.
Pour les faire cesser, leur dit :
€ — Morgue, tout ça'se r'afroidit,
« Âssisez-vous donc, queux magnières !
« Vous faut-il pas ben des prières
« Pour faire assir?... — Mon guieu non,
« ?\ous y vla-V-il pas?... — Ah ! bon donc!
On s'assied. Le vin, la bombance
Leur impose un joyeux silence;
Personne ne sert, chacun prend
Au plat, et chaque coup de dent
Est enfoncé jusqu'à la garde :
L'une se jette sur la barde.
L'autre sur |e cochon de lail,
48 LA PIPE CASSÉE.
Tandis que d'un Tort i,'ras poulel
Margot ne fait que trois bouchées ;
Ses manchettes toutes tachées
Par hi graisse qu'on voit dessus,
Semblent des manchettes au jus.
Nicole à qui le gosier bouffe,
Dit : — Varse à boire, car f étouffe...
« — Hé ! parfiué, dit Margot, prens-en;
« J'aim'rais autant être au carcan
(( Qu'auprès de toi, car tu me foute..;
« — Eh va-Ven au.r chiens, vilain moule!
« As-tu pas peur qu pendant s temps-là
« On n' manije ton manger que via ?
« Mais voyez s' te diable de gueule!
« Tes bonne; mais c est pour toi seule,
« Car tu sais la civilité
« Comme un rien. A vote santé,
« Monsieux madame ia mariée!...
« — Ben obligé. — Beîi obligée.
Les de rechefs de tous côtés,
Sont à rasades ripostés :
Chacun crie à fendre la tète.
Françoise qui toujours est prête
A faire entendre son caquet,
Veut crier plus haut; un hoquet
Lui coupe soudain la parole.
Il redouble. « — Oh! lui dit Nicole,
« iSe nous dégueule pas au nez
« Toujours. Jérôme lui dit : k — T'nez
<i Pour qu' ça passe, buvez, conniière,
'< C'est r droit du jeu... — Hé hen, copère.
LA PIPE CASSÉE. 49
(( A cause d' ça trinquons noxis deux,
(( Voulez-vous? — Pargué, si je l'veux!
« J' vous demande si ça s' demande?
K Puisque je n'avons pus d' viande,
(( Buvons d'autanl. Hé Jean-Louis!
« A boire! Buvons, mes amis.
„ — Ah! dit Nicole, ça m' rappelle
« Note noce, aile était ben belle,
« Ten souviens-tu, Jean-Louis? — Qu'trop...
« — Qu'un diable Vemporte au ç/alop :
« Que trop! Voyez s' vieux crocodille !
«( Ah r beau ineuble ! Quand j'étais fille
« // v'nait cheux nous faire V câlin;
« T'es ben heureux, double vilain,
« D' m avoir, car sans ça la misère
« Aurait été ta cuisinière. »
Au milieu du bruit qui se fait,
La Tulipe avint son briquet,
Le bat en allongeant sa lipe.
Les écoute, et fume sa pipe,
Nicole poursuit son aigreur.
Son homme en rit de tout son cœur.
Ce rire insultant la désole.
M — Ah tu ris donc! Ris belle idole :
(( Tas raison, ris, oui, ris va chien;
« Sur mon honneur prend ijarde au tien...
Françoise dit : « — Quoi qu tu V tourmente,
« Vas, t'es be)i iinpatiente
« De v'nir comm'-ça 7ious J i ahurir ;
■< Finis... — Moi? je h' veux pas finir;
0 LA PIPE CASSÉE.
« Mois voyez un peu x-te Simone !
« L'ordre me plaît; mais quand je V donne.
« — Oh ! dit Jérôme, point do chagrin,
« Aussi ben, via monsieux crin-crin '.
« D' la joie ! Allons, père le Fève,
« Raclez-nous ça. » Chacun se lève
Et veut danser. Le couple heureux.
D'un air tristement amoureux,
Demande un menuet et danse
Parfaitement hors de cadence :
Le marié triplant les pas.
Ne sait que faire de ses bras ;
Gestes, maintien, tout l'embarrasse.
Son épouse avec même grâce.
D'un air légèrement balourd,
Traine le pied et tourne court.
Soit qu'elle fût timide ou fière,
Elle n'osait pas la première
A son danseur donner la main ;
Et même jusqu'au lendemain
Elle eût occupé le spectacle,
Si sa tante d'un ton d'oracle
N'eût dit : « — Ma gnièce Vaime long;
« Cest-il pour vous seule V violon ?
« Dame, c'est qu doms navez qu'à dire;
« Croyez-vous qu' fons dçs pieds d' cire ? x
A ces mots, le couple interdit.
Finit pour faire place à huit.
Une joie épaisse et bruyante,
* Le Violon.
LA PIPE CASSÉE. 51
En les fatigant les enchante,
Tout allait bien. Quand des fareaux,
Sur l'oreille ayant leurs chapeaux.
Canne en main, cheveux en béquilles,
Entrent sans façons, et les drilles
Dansent sans en être priés.
D'abord l'oncle des mariés
S'oppose à leur effronterie.
« — Vous n'êtes d' la copagnie,
« Dit-il. tichez T camp sans fracas...
« — J' voulons danser... Çà n' sera pas :
« Pais r violon... — Moi je veux qu'il joue...
« — Si c'est vrai, que le diable me roue,
(I Dit Jérôme en gourmant l'un d'eux. «
Celui-ci le prend aux cheveux.
Jean-Louis arrache la canne
Du second. « — 0 gueux j' te trépan ne !
Fli, flon ! La Tulipe à l'instant
Sans se gêner, toujours fumant.
En saisit un à la cravate.
Le courroux des femmes éclate ;
Leurs ongles, leurs dents et leurs cris,
Secondent leurs braves maris.
L'horreur s'empare de la salle;
Et jamais à noce infernale
Il ne se fit un tel sabbat.
Enfin, dans le fort du combat
Un coup lancé sur la Tulipe,
En cent morceaux brise sa pipe ;
De douleur il s'évanouit.
Son vainqueur le croit mort, il fuit
L.\ PIPE CASSÉE.
Aussi bien qiio ses camarades.
Françoise par ses embrassades
Kappelle la Tulipe en vain.
11 fallut dix verres de vin
Pour lui rendre la connaissance.
Il revient; un morne silence,
De longs soupirs, des yeux distraits,
Avant-coureurs de ses regrets.
Expriment sa triste pensée.
« — Ma pipe, dit-il, est cassée!
« Ma pipe est en bringue, mille guieux !
u Je r vois bén, oui, je 1' vois d' mes yeux !
« Quand j' pense comme aile était noire !
« iN'y pensons pus; il faut mieux boire...»
Pour l'oublier il se sonla,
Et la scène Unit par là.
LES
QUATRE BOUQUETS
POISSARDS
SUITE DE LA PIPE CASSÉE
EPITRE DEDIGATOIRE A L'AUTEUR
PAR SES AMIS
Il doit vous paraître étonnant, monsieur, de voir
quelques-uns de vos ouvrages imprimés, sans les avoir
vous-même confiés à l'imprimeur; et vous devez trou-
ver bien singulier de vous les voir dédier sans peut-être
vous douter de l'intention de ceux qui vous adressent
cette épitre. Quoi qu'il en soit, c'est moins un larcin que
nous vous faisons, qu'un hommage authentique que
nous rendons à vos talents ; c'est moins aussi indiscré-
tion (jue zèle, qui nous a déterminés à rendre cet ou-
vrage public. Quand on a pour objet votre gloire, vos
intérêts particuliers et l'amusement général, est-on ré-
préhensible? et peut-on craindre d'être accusé de témé-
lité? Toutefois, si vous étiez mécontent de la liberté
que nous avons prise, l'accueil favorable que vos Bon-
Si LES QUATRE DOl'QUETS POISSARDS.
(|ii('ls rercvi'ont induliitnMt'nient nous servira (l'excuse.
Il'ailleiu's, (jue risi|ii('/-vous, monsieur? N'avez-vous
point joui des suffrages de tous eeux (jiii vous les ont
ouï réciter? Les connaisseurs et les gens les plus li-
gides ne vous ont-ils poiul applaudi? « il sait (disaieut-
« ils) promener ses auditeurs et ses lecteurs dans une
« galerie de tableaux grotesques, l'imagination ébauche
u ses portraits, la vérité broyé les couleurs, la nature
« les applique, et la finesse achève l'ouvrage. » Que
voulez-vous de plus qu'un témoignage aussi satisf lisant?
Le naïf de vos Letlres de la Grenouillère est encore
remarqué par bien des personnes de goût ; on aperçoit,
à travers l'enveloppe burlesque du style, une intrigue
intéressante, suivie, et délicate.
Souffrez, monsieur, que nous fassions succéder à la
justice que nous vous rendons, quelques repro(^hes
d'amitié sur votre négligence; êtes-vous pardonnable
de ne point achever vos Fables, vos Épitres et vos
Contes, etc.? Nous plaidons contre vous la cause du pu-
blic, en vous excitant à lui taire part de toutes vos pro-
ductions, persuadés que si nous venons à bout de vous
la faire perdre, vous y gagnerez beaucoup, puisque
l'estime publique est un salaire d'un prix inestimable
pour ceux qui pensent comme vous; soyez, nous vous
en prions, persuadé de la nôtre, et de l'amitié sincère
avec laquelle nous sommes, monsieur, Devinez.
LES QUATRE DOUQUETS POISSARDS. 55
AVERTISSEMENT
Il est peu de gens qui n'ayeiit euteiulu les l'enimes
des halles débiter ce qu'elles disent avec ce ton original
qni lenr est propre, ou tout au moins se sont-ils trou-
vés avec des persoiuies qni imitent ce langage; il est
donc nécessaire, pour l'agrément de la lectui'e de ces
Bouquets, de tâcher de prendre l'inflexion de voix pois-
sarde aux endroits marqués de guillemets ou lacunes
qui servent à indiquer le changement de ton.
PREMIER ROUQUET
J'aime à payer ce que vaut une chose;
Mais je répugne à la payer deux fois :
Je suis piqué, je l'avoue et je crois
Devoir vous en dire la cause.
Madame, à deux pas du logis
Rencontrant une bouquetière
Je l'aborde et lui dis : — la mère..
Faites vite un bouquet. Nous convenons de prix,
bii LKS QIVTIIK UOUQUKT!'' l'OISSAUDS.
Pour (jn'il soit plutôt fait ja la paye cravance.
Elle aussitôt détache une botte Je Heurs.
Dieu sait avec quelle élégance
Kile assortit leurs diverses couleurs!
De feuilles d'yrangers {galamment décorées,
Pour en faire un bouquet il lui manque un lieu :
Comme elle l'achevait, ne s'attendant à rien;
Ne voilà-t-il pas les jurées
Qui viennent tout à coup saisir son pauvre bien !
Elles sautent sur l'inventaire [sic)
S'emparent des bouquets sans oublier le mien.
Ma marchande se désespère,
Et ne voyant aucun moyen
Pour accommoder cette affaire.
D'un coup de pied en jette une par terre,
Bat les deux autres comme un chien,
Puis s'en fuit ne pouvant mieux faire.
Quel scandale pour moi! je crois que la colère
Fait oublier qu'on est chrétien !
De leur frayeur ces trois dames remises
S'en vont pestant d'avoir reçu des coups,
Je les arrête et je leur dis : — tout doux !
Dans les fleurs que vous avez prises
Je réclame un bouquet que j'ai payé... — Qui? vous ?
— Oui moi; tâchez de me le rendre.
— Monsieii Va dit, on /'// rendra :
— Qu'il eslcjentil — Y s fâche! — V rira :
— Sa bouche commence à s' fendre;
Ce s'rait ben dommage de Vpendre
Car il paraît qu'il grandira.
- Vous m'insullez, leur dis-je, et je vais vous apprendre
LES QUATRE BOUQUETS POISSARDS. 5i
Qui je suis. — Ah! comme il nous l'apprendra!
Mon double cœur! quand tu serais le gendre
Du Diable qui t'emportera;
Pince donc c bouquet si tu l'ose
— Donnet-ly du vinaigre, y naime pas l'eau rose.
— Oui je suis. . . —Eti ! Qu es-tu donc avec ton grand chapiau
Ton habit qui se meurt! et ta fameuse épée!
— C'est, dit l'autre, un seigneur, un cadet du chùliuu
Qu'est tout vis-à-vis la Râpée.
Il grince des derds! ah fai peur !
Parlez donc, monsieu la terreur.
Faites donc pas comme ça , la gâte l'visage.
Jérusalem! saint Jean, mon doux Sauveur !
Qu'il est dégourdi pour son âge!
Trois poulets d'Inde et pis monsieur
Feraient un fringant attelage!
Elles en auraient dit encore davantage;
Mais la troisième par bonheur
Lui dit : — Finis, lu fais trop de tapage.
Quand on ne te dit rien, t'es bien fier e en caquet.
Qu'est-ce qu'il Va fait ce jeune homme.
, Et pis qu'il l'a payé donne-ly son bouquet.
— Son bouquet!... crac, il l'aura comme...
Tu in entends ben? qu'il nous donne dût sous.
— Ah! dis-je, les voilà; que ne me disiez-vousl
Lors de ma bonne foi toutes trois interdites,
Me donnent des œuillels par-dessus le marché.
— Pailez donc mon poulet'? vous n'êtes pas fâché
Contre nous autres? pas vrai, dites!...
— Moi? point du tout. — Adieu donc noC bourgeois
J'Vavons trop ahury, ça me fait de la peine,
58 LES QUATRE BOUQUETS POISSARDS.
Je devrions toutes les trois
Lij faire dire une neuvaine...
— Tu (jouailles toi: mais moi si j'étais reine,
H serait (jodard dans neuf mois.
— Madame, telle est l'aventure
De ce bouquet si longtemps contesté ;
Si de vous il est accepté,
-Malgré l'argenl, le courroux et l'injure,
11 ne sera pas trop cher acheté.
SECO.ND BOUQLET
Toujours l'événement nous prouve
Que pour trouver il faut chercher,
Et que même souvent on trouve
Ce qu'on ne cherche pas. Tel croyant dénicher
Des rossignols, déniche des linottes ;
Mais, direz-vous, où tend cette comparaison?
C'est nous dire à propos de bottes
Que le printemps est la belle saison.
.Madame, point d'aigreur, ce petit préambule
Vous paraîtra moins ridicule
Quand vous saurez que j'ai cherché
Dans plus d'une boutique et dans plus d'un luaiché
Sans trouver un bouquet digne de votre léte ;
Même en chemin, s'il vous plaît, je m'arrête
Chaque fois que j'entends crier
Des bouquets pour JSaiion, iSancltc.
Chacun en marchande, en achète;
J't.'n ciioisis quatre ou cinq, je reviens an premier.
Le premier me déplaît ainsi que les quatre autres.
Je les replante tous sur le bord du panier...
(iO I.KS QUATRE UUUQUETS POISSARDS.
— l'arlcz-dunc, luo ilil-oii, faut pus tant les mcKjnier,
Vous avez vos dc'joCds, f avons ijlout les nôtres,
Avec son ti(d>il rotKje'! Eli ! monsieit tout en feu !
V'nez vous raurez pour rien, cet éetiuppé d'andouille.
Mais c'est vrai, tiens ja vous pcdrouille
C'te )nareliandise et jiuis sa part: Adieu!...
Dans d'aulres temps j'auniis [iii me déleiuire ;
Mais sans m'ainuser à l'onlendre
Je cours; une autre vient à moi.
— Via, dit-elle, du beau, mou roi,
Tuez voyez-moi tout ça. Via l'y </" la fine oraïuje.
Et des œillets! ça parle, on vous voit ça de loin.
Tuez, fleurez moi ça, ça ferait /venir un ange
S'il était mort... Pendant ce baragouin
Elle ajuste un bouquet énorme,
Mais presque aussi gros qu'un balai...
— Comment le trouvez-vous? — Moi! lui dis-.je, fort laiil...
— Allez, monsieu le beau; que Chariot vous endorme,
Tirez d'ici, meuble du Chàlelet.
In pareil propos n'était point agréable !
Je me suis vu donner au Diable
Par cent vendeuses de Bouquets;
(les Dames souvent s'abandonnent.
Si Lucifer prenait les gens ({u'elles lui donnent.
Vous ne me reverriez jamais.
Pourtant sans le secours de Flore,
Je prétends vous offrir mon hommage à mon loui'
Votre éclat seul vous pare et vous décore ;
Les Lys de la candeur, les Roses de lamonr
Forment voire ornement et brillent plus i luore
Hue les lleurs que chacun vous présente en ce jour.
LES QUATRE DOUQUETS POISSARDS. 01
Ali, direz-vous, la riist.' est bonne!
.Ne voulant rien donner, il fait un compliment.
Point du tout. Madame, un moment,
Sans eau ne baptisons personne :
Si Flore m'a traité rudement,
Je me suis pourvu cliez Pomone,
Et i)our Bouquet recevez ce .Alelon.
— Un Melon! Ah! Monsieur badine,
Est-ce pour faire allusion
A votre sexe? — Non, Madame, parbleu non ;
C'est pour manger, du moins je l'imayine,
Je serai content s'il est bon.
TROISIÈME HOllQllET
(jiii mal veut, mal lui (uui'itc, ou Ta dil avant mui.
D'aulros vieiidruiit après qui le diioul {'ucoir :
Pourquoi ce Proverbe? l'ourquoi !
Vous allez le savoir Aujourd'hui ilès TAurore
Je pars de mon logis, ou peut-être d'ailleurs;
J'arrive dans l'endroit où Flore
Voit à regret débiter ses laveurs,
Où chaque nymphe avec adresse étale
L'une des fruits, l'autre des fleurs:
Cet endroit, madame, est la halle.
Vous devinez pour quel sujet
J'ai si matin \isité cette place?
Pour vous choisir un passable bouquet,
L'heure, le bruit, le temps, les cris, rien n'ombarrass
J'en achète un : mon achat l'ait.
Je veux passer. Vous croyez que l'on passe
Dans ces lieux-là comme on veut? Point du tout.
Deux commères étaient aux prises.
Et disputaient un panier de cerises.
Enchanté! je veux voir la scène jusqu'au bnut ;
LES QUATRE BOUQUETS POISSARDS. 63
On s'échauffe, mille sottises
De s'empoigner leur donnent l'avant-goût.
— Ah, disait l'une, on te les garde!
Chatouillez-hj les p'tits boyaux :
Tu les auras, vierge de corps-de-garde.
Quand f aurai rendu les noijaux !
Maints gros jurons couraient la poste;
C'était à qui donnerait le dernier.
Après riposte sur riposte,
On a partagé le panier.
Moi, riant des bons mots qu'elles venaient de dire,
Pour en entendre encore, je reste entr'elles deux.
— Mais, dit l'une, vois donc, que souhaite monsieu !
Comme il est là' Quoi donc! qui le fait rire!
Parlez donc, pUit Jésus d'cire.
Vous êtes comme un amoureux.
Comme Vvla fleurij! v'nrz ça qu'on vous admire.
Ah Javolte, les beaux petits yeux !
Qu'ils sont brillants! viens donc voir, on s'y mire!
Soudain je me vois entouré
De six à sept, et par degré
On s'apprivoise, on rit; l'une m'arrache
Deux grenades et du jasmin.
Puis à son côté les attache ;
Et l'autre me lâchant un grand coup sur la main
Me fait sauter le reste... — Allez-vous-en au diable,
Mesdames, avec vos façons :
, Est-ce que nous nous connaissons
Pour badiner ainsi?... — Chien, quil est raisonnable '
On ne le connaît pas. Eh ! non.
Vous verrez ça! Te souviens-tu, Manon,
tii LES QUATRE liOUQUETS POISSA KDS.
D'avoir vu danser daus c'te place
S'Ie (iiieuse à qui Chariot avait mis sous l'iiienlon
Un grand désespoir de filasse?
C'était sa mère; cnwclé d'Dieu!...
— dis donc pas ça toi, ça l' fâche :
C'est Vhâtard de nions Mathieu,
Donneiix d'eau bénite à Saint-Enslache.
Ah ! la belle veste au fond bleu !
Vois-tu la frange au bas, madame?
C'est tout comme un r'posoir, et saint Cille au milieu !
Quoi donc, l'épée au vent! Ah ! voyons donc la lame.
— C'en est trop, laissez-moi, morbleu!
Je ne puis soutenir des injures pareilles.
Si vous ne cessez voire jeu,
Je vais vous couper les oreilles.
— Les oreilles, mon cher enfant!
Queu possédé! gare! il est en colère.
Il est quatre fois plus méchant
D'puis qu'il est r'venu de galère !
— Ly? méchant! Non, y fait semblant;
Il a l'air tout défait! mais c'est toi qui en est cause!
N'I'agoiiisons plus, mais tien.
Faisons-l'y payer queuque chose.
Va, va-t'y? — Va, je 1' veux bien...
Au même instant, les coquines m'entraînent
Chez un marchand de brandevin.
— Sans vous commander, notre voisin.
Lâchez-nous, s'il vous plait, chopine
De paf en magnière d'eau divine.
Via monsieu, qui n'est pas vilain.
Qui nous régale, aussi f l'aimons pu qu'ma rie!
LES quatre; bouquets rOISSAP.DS. C5
AUons, bijou, meltez-vous là.
Bahet, verse à monsieu. Aimez-vous l'eau-cVvie?
— Non, je ne bois point de cela.
— Ah mon Dieu, de cela ! Manon ? comme ci parle?
Qucii façon ! luivez- donc; fnez, quand c'est avalé.
Ça court au cœur, ça vous l'régale.
Dame ! on vetul y tout du mêlé,
En voidez-vous, monsieur V enflé ?
Y naini peut-être pas a boire dans des tasses.
Veut-y un verre? — lié! non, en vérité!
— Hé bien donc, à voie santé.
— Vous me faites honneur, je vous rends mille gràros.
— Ah /aimons mieux le bénédicité!
— Allons, tais-toi, Fanchon, vas, tune sais pas rirrc :
Vois-tu pas ben que c'çstun compliment?
Monsieu a lu l'écriture d'un livre.
Ça fait que sa magnière accueille poliment,
pas vrai, monsieu ? — Quoi, n'y a pu (Vquoi boire !
J'irons ben jusqu'à tras d'mistiers,
Si monsieu veut! — Ah ! volontiers.
— Dépêchez-vous, père Grégoire,
Moitié cVça, vile, alerte, et du bon.
Ça, faut nous excuser, note maître :
Car vous nous en voulez peut-être;
Mais en vous demandant pardon.
Et vous baisant, je serons quittes...
— Ce n'est point tout ce que vous dites
Qui m'olïense le plus; mais c'est
De m'avoir jeté mon bouquet;
Et pour en trouver un de même.
Aussi Irais, aussi beau... — Vous me donnez loquet
06 LES QUATRE BOUQUETS POISSARDS.
Avec votre chien de refjret.
Mais c'est vrai; tien, le v'Ia toul hinne.
Allez, n'voiis chaijrinez pas.
Salions aller dieux mon oncle Batisle,
Cest un bon jardinier flourisle.
Il (i des fleurs jusqu'à la Saint-Tliomos :
Cncst pas heu loin qui demeure :
Drès qujaurons hu ra, j'irons.
Allons, hahet, achève, et pis partons.
Monsieu paije-t-y lout? — Oui. — Cest bon.
— Quoi donc ! Cest pas par-la ! — Comme y court ? Y s'en va ?
Dites-nous donc adieu, hé Daniel, bon voyage :
(?esl pourtant l'hon Dieu qu'a fait ra !
Queu malin chien! Parlez la belle image;
Courez donc pas .s/ fort, vos mollets vont tomber ;
Otez-vous donc d'son passage.
Il a rmors aux dents, gare! y va regimber...
Grâce à mes pieds, de leurs mains je m'échappe.
Protestant bien qu'avant qu'on m'y roltrappp,
On verra vos attraits le céder à Vénus,
En défaut changer vos vei tus,
Et mon respect, mon amitié, mon zéie
Désavouer mon hommaue (idéle.
QUATRIÈME BOUQUET
Quoi, je ne pourrai pas vous donner un Bouquet
Sans risquer quelques invectives ?
Sans essuyer de ces femmes rétives
Tout ce que leur maudit caquet
Va recueillir dans les archives
Des Ports, des Halles, du Guichet ?
— Bon ! direz- vous, qu'est-ce que cela fait?
Vous rispostez à leurs façons naïves ;
Vous en riez vous-même...— Oh non pas, s'il vous plaît.
,\urais-je débuté par des rimes plaintives,
Si je n'étais tout stupéfait
De ce qu'elles m"ont dit en paroles trop vives?
Fort sérieusement je vais conter le fait.
Vers le milieu de votre rue
Une femme s'offre à ma vue
Avec un Corbillon sur son ventre perché.
Des Bouquets à l'entour. — Monsieu, Mo7isieu, dit-elle,
Vons nubliez du p,n. Je me suis approché.
— Je voudrais, ai-je dit, la fleur la plus nouvelle...
fi8 LES OUATRK liOUQUETS POISSARDS.
— Prenez s' V orange-Ut, (jni' en a pas (lan& V marché
D'plus mieux. — Combien ? — vingt sols en conscience.
Les recevant elle a lâché
Un ris suspect à ma prudence :
En effet avec défiance
J'examine et je vois mon Bouquet allaclié
Au bout d'une allumette. — Ah, dis-je, l'impudence!
Mais votre Bouquet est fiché,
11 n'a point de queue... — Allez, gonze !
S'il est fiché; vans, vous êtes fichu,
Chien (V Aumônier du Cheval de bronze.
Bel ange h double pied fourchu;
Demandez-moi quoi qui me d'mande.
Avec son visage sans viande,
N'avez-vous pas acheté? voyons, parlez... — Oui, oui,
— Mais tenez gardez-le... — Mon fiston, grand marci :
Queu.r gracieusetés .. — Allez laissez-la dire.
Me dit une autre en s'approchant,
Lxj répondre ça serait pire,
AU voïis grugerait d'un coup d'dent,
— Hé Thérèse, dit la première.
Tu vois ben s' Monsieu? C'est un chien
Qui ni truniprait s'il ne valait rien ;
Car il vous a la mine fière
Et le cœur doux. Eh mais ! Il est en deuil.
Ça vous va ben ! ça sied à votV figure.
Il a les grâces d'un cercueil :
V'nez jn' baiser, v'nez... — Ah t'es trop dure!
Tuez, Monsieu, moif vas vous accommoder ;
— Soit, (iis-je. — Ah c'a n va pas larder,
J' men vante. L'autre que le Diable
LES QUATRE BOUQUETS POISSARDS. 69
Chargeait du soin de me faire damner,
Les bras croisés, «l'un œil désagréable.
S'occupait à m'examiner.
— Quoi, dit-elle, Fareau! vous portez donc la luette!
— Mais répond Vautre, ail est ben faite
Pour Monsieii... — Lrj? C'est l' fils cV queuques Vitriers,
— A quoi donc qu tu vois ça ?...-- Droit aux yeux ça se jette.
Tien, il a des pantieaux de Verre à ses souliers.
Vois-tu comniça tarluit! chien! ça ■ ni ébar luette.
— Va, tais-toi donc, sont des blouq's à diamans.
— lié morbleu, dis-je à la seconde,
Dépêchez-vous donc... — Monsieu (jronde.
Thérèse, as-tu fini ? Tu fais bisquer les gens ;
Faut quil aille porter ses billets d'enterrements.
Dépêche-toi... — Que je me dépèche?
S'il est pressé, quéqui Vempéche
De fouiner '... Je la prends au mot,
Et je pars;... — Parlez-donc ? vieux manche de Gigot :
— L'homme! eh l'homme au Bouquet sans queue,
V'nez, c'est qu'on rit, Monsieu ragot;
It sent r damné d'un quart de lieue :
Vous arriérez core assez tôt
Pour faire peur... — Allez, Madame,
Par charité, donnez-lij V bras;
Le vent va l'envoler, car il ne pèse pas
La moitié de sa fine lame.
.lusque chez vous elles m'ont poursuivi :
J'y suis donc enfin, Dieu merci.
Mais n'attendez point, je vous prie.
' S'en aller.
70 LES QUATRE ROUQUETS POISSARD^.
Ni Bouquet, ni la moindre fleur,
Non pas même un souhait flatteur
Pour votre personne chérie,
Je suis de trop mauvaise humeur.
Je me borne à vous rendre compte
De mon guignon et de ma lionte;
Et votre esprit vif, doux, léger, touchant,
Vos attraits, vos vertus, votre amitié sincère.
Ainsi que votre excellent caractère,
Se passeront de compliment.
v\y nr. la ripi: casrkk.
LETTRES
DE LA GRENOUILLÈRE
E N T II E
M" JEROSME DUBOIS
l'ÊCUEUX DU GROS-CAILLOU
E T
M'- NANETTE DUBUT
UL.V.NCIIISSEUSE DE LINGE FIN
AVERTISSEMENT
Il y a toute apparence qu'après Jeur mariage, les
deux Amans auteurs de ces Lettres, en ont fait dé-
positaire Madame Dubut la Mère, puis qu'après sa
mort, en faisant l'inventaire de ses meubles, ou
trouva lesdiles Lettres dans un tiroir; une seule,
dont on fit lecture, annonçant que les auti'es pou-
vaient être dans ie même genre, on s'en empara
furtivement, on les fit transcrire sans y rien changer,
et un les donne aujourd'hui au Public, autant p^our
son amusement que pour la gloire de Monsieur Jé-
rôme Dubois et de Mademoiselle Nanelte Dubut.
n I.ETIUES DE LA ti IIENOU ILLÉ RE.
J\l.\.NE>ELLb:.
Quand d'abord qu'on n'a plus son cœur à soi, c'est signe
qu'une autre personne l'a : et pour alin qu'vous n'irouviez
pas ça mauvais, c'est que j'vous dirai qu'vous avez l'mien.
J'ai eu la valissance et l'iionneur d'vous voir dans un en-
droit de danse au Gros-C, lillou par plusieurs dil'iérenles l'ois,
et qui pis est, j'ai dansé aveuc vous trois m'nuels et puis
le passepied, en payant dont je ne r'grette pas la dépense,
parce que ça n'est pas, suivant ce qu'vous valez. Pour re-
venir donc à ce que j'disions, j'mapelle Jérôme Dubois, et
en tout cas qu'vous ne remettiez pas mon nom, j'suis ce
grand garçon qui a ses cheveux en cadenette, et puis une
canne, les Dimanches, de geay, et qui a aussi un habit
jeaune couleur de ma culotte neuve, et des bas à Tavenanî.
J'amènerai Dimanche ma mère au même lieu qu'vous avez
venu la dernière fois, pour qu'aile fasse connaissance aveuc
vous, et ça sera fort ben fait à moi que je puisse vous faire
séparteger l'amiquié que j'goute pour vous dont j'suis avec
du plaisir,
Maneselle,
Vote petit sarviteur de tout mon cœur, Jéuùme Dur.ois,
l'èeheux d'ia Guernouyère, là où que j'deumeure pour at-
tendre vote réponse.
Mo.NSlEl'X,
J'ai reçu vole Lettre là où ce {pu' J'ai lu l'écriture qu"é-
'^ail dedans, j'nai pas un brin la r'souvenance d'vous cun-
LETTRES DE LA G HENUUIL LÉRE. 73
naitie, et ça m'a t'ait plaisir d'apprendre de vos nouvelles,
l'our à regard d'vote politesse, jai trouvé du contraire dans
la vérité que j'aie vote cœur, à cause qu'on n"a pas le bien
d'autrui sans qu'on le donne ; ça fait connaître qu'une lille
(I honneur ne prend rien, par ainsi j'nai pas vote cœur ; et
puis tous les ceux qui disont ça pour rire n'allont pas le
«lire à Uonie, car les Garçons du jour d'aujourd'hui savont
si bien emboiser les tilles, que je devrions en être soûles ;
c'est pourquoi j'vous prie d'brùler ste Lettre, dont j'suis
aveuc respect,
MoNSlEUX,
Voire très-huuibe servante Nanette Duuut.
Manesllle,
En verte d Dieu, vole doutance l'ait tort à un Garçon
cunnne moi, dont la façon que je pense naïbelmeut est aussi
ben du vrai, comme vous avez d'ihonneur ; si j'navais pas
d'iamiquié envers vous, est-ce que j'songerais lant-seuie-
iiient iuvote parsonne 't Allez, Maneselle, quoique je n'soyons
([u'unGuernouyeux, j'ons peut-être plus d'inspériance. dans
la vérité qu'non pas un habile homme ; votre darnière
Ltttre est geniille à manger, par où je m'douie qu'vous
avez encore plus d'esprit que de mérite ; marque de ça c'est
que j'vous envoyé une paire d'anguilles, aveuc (rois bro-
chets que j'ons péchés à ce matin, comme par exprés poui"
vous, j'voudrais (pi'ils lussioiit d'argent ma^sil", ça sautrail
encore ben jdus aux yeux, et ça vous hait mieux voir (jue
7-i 1,I:TTUI,S ItK LA (WtKiNU II ILLE 1'. L
j'voiib ai (loniié mon cœur ; car un ne l'ait pas (roUVaiiilt'
si lioiuièU' à un qiiL'uqu'uii qu'on n'aime pas d la manière
((ue je suis,
Voire, elc.
Mo.NSlEUX,
Le jeune f^ar^on dont vous m'avez envoyé pour (piii me
présente vote ol'lraude, j'iy ai dit d'ma pari qu'il n'avait
qu'à l'purter à la Halle. A nous des présens ! Eli pourquoi
doue l'aire ? Eh mais vrament, Monsieux, pour qui nous
prenez-vous? Sij'aimions un queuque-zun, je n'voudrions
rien pour ça; eh mais j'vous dis! ne vla-t'y pas coftime
Chariot Colin a l'ail à l'endroit d'ma sœur Madelon? Le
chien qu'il est ly a comme ça usé d'pricaution à l'endroit
d'elle ? Aile a reçu tout ce qu'il ly a donné, et puis après
l'vivant daboi'd qu'il a eu le plus beau et le meyeur de son
amour, il vous la plantée là, qu'elle a eu une fatigue de
trouver à se marier. Excusez si j'nen lais pas tout de
d'inème et si j'prend la liberté de ne pas être,
Votre, elc.
JlAiNEStLLli,
bleu in'présarve plutôt d'vole malédiction, qudu rheuiiie
où je suis à force de nie chagriner; j'suis lâché d'vous avoir
lait une manque de bieTiveuillance ; ça m'apprendra à vivrez
LLTTKES DE LA GRENOUILLÈRE. 75
j" vendrais avoir les chiens de poissons dans l'venlre ; par-
^^uié j'ai ben du guignon ! Ali, Maneselle Nanette, ne me
jouez pas Ttour de ne plus avoir affaire à moi, car j'aime-
rais quasi me voir à la morl de mes jours que d'voir de
mes yeux vos bonnes grâces pour moi à l'extermilé de leur
lin, et que de ne pas augmenter l'amour dont le bon motif
est en verte conmje,
Vulie, etc.
Makèselle,
Via deux jours que je n'dors pas, dont le chagrin me
rend triste de plus en plus, sans qu'vous répondiez à ma
Lettre Stella d'avant stelle-ci. Queu malheur ! foi d'hon-
néle garçon ça m'désole ; j'ai faim et j'nai pas l'courage
d'manger; ma mère cioit que j'vais d'venir enragé; tout
le monde rit, et moi j'pleure comme un S. Pierre ; il fait
beau tems, j'prens ça pour d'ia pluie, tout m'semble à
l'arbour, et tout ça à cause de vous. Tenez, Maneselle Ma-
nette, je vous le dis, si par hazard je ne touche pas de vos
nouvelles après qu'vous aurez lu ce qu'vous allez lire, j'fais
une vente de tout nionjvailiant, et je m'en vas trouver un
l'rètre d'note Parroisse, j'iy donne tout mon argent à celle
lin qu'il prie Dieu qu'il vous consarve, et puis j'men reviens
sur la gueule de mon bacheau, et craque dans l'eau la tête_
devant, les poissons qui seront la cause de ma mort, man-
geront pour leur peine,
Voire, etc.
76 LETTHliS DE LA GUENOUILLÈH E.
MONSIEUX,
J'n'avons pas le cœur aussi dur que du mâchefer ; jo
irdemaiidoiis pas la mort d'un vivant comme vous ; bcn
du contraire; sije ne '-'ousaipasécrit uneréponse à l'aulie
Lettre d'avant advanzliier, c'est qu'mon l'rére Jean-Louis
qui s'est brûlé une de ses mains droite, il a toute lencre pour
mètre dessus sa brûlure ; ça n'empêche pas quune autre
fois ne m'onvoyoz plus de présent toujours, car y gn'aurait
plus à dire un sacage de regrets dont vous auriez été mor-
tifié, une fille de la vertu a de la pensée dans i'cœur, dont
aile peut se vanter que sa conscience n'a pas une épingle à
redire, tout d'mème qu'ma niére qu'est une fenune d'hon-
neur, comme j'suis,
Votre, etc.
Ma mère ira demain Dimanche aveuc moi au Gros-Caillou
comme y avait Dimanche huit jours, si vous vouez ylout
aveuc la vote, mettez un peu d'poudre à vos cheveux sans
que ça jiaraisse.
Maneselle,
C'est l)en doniage que ce n'est pas tous les jours diman-
che connue le jour d'hier, car j'aurions la consolance d'nous
voir tant qu'assez. Jarny! que j'étais aise d'èlre content en
mangeant sle salade aveuc vous, maneselle, de chicorée
sauvage, il me ^emblit que je grugeais du sellery tant vos
yeux me donniont des échaulTaisons ; j'ai dansé nous deux
LETTRES DE LA GRENOUILLÈRE. 77
vole mère; mais aile n'danse pas si ben qu'voii?. Aile vou-
lait pourtant dire que si, moi j'nay pas voulu ly dire qu'non,
parce qu'aile n'est pas une étrange; mais vous qu'avez une
téribe grâce quand vous dansez l'allemande. Le violon n'peut
pas vous suivre. Et puis aveu ça, vous chantez connue un
soleil : en verte, plus je vous r'gardais et plus j'trouvais
qu'vous aviez l'air d'un miracle. J'vous ai embrassé aveuc
la permission d'ia compagnie, j'étais à moi seul plus ravi,
qu'touts les bienliureux qui gna eu depuis que l'monde est
dans l'monde. Vous serez toujours dans' l'idée de ma mé-
moire; j'vous dis ça hier, ça m'vient encore dans la pensée,
parce que c'est une espèce d'amiquié d'ardeur qui fait que
j'vous dis ce que j'vous dis, comme si je pouvais être encore
plus clienument.
Votre, etc.
MONSIEUX,
Vous m'dites aveuc d'I'écriture comme par paroles,
qu'vous m'aimez ben; j'crois ben en Dieu. J'voudrais ben
savoir par queulle occasion vous m'dites ça; c'est p'têlre
d'ia gouaille qu'vous me r'poussez; tenez c'est qu'y a des
garçons qui avont tant d'amour! tant d'amour! qu'ils le
sépartageont à toutes les filles qui voyont, c'est, Dieu me
pardonne, comme des parpillonsqui faisont politesse à une
fleur, et puis qui foisont par ensuite comparaison aveuc
une autre; si en cas vous n'êtes pas tout d'même. Dieu soit
béni. Ça m'fra figurer dans mon esprit qu'vous avez ben
d'réuanl pour ma considération; je n'veux plus vous écrire
78 LETTRES DE LA GRENOUILLERE.
comme ça, car ça mange mon tems, ça recule mon ouvrage,
et vote honnêteté avance dans mon intérieur, plus que
d'coutume; j'suis en attendant.
Votre, etc.
Mankselle,
Vous avez dans vote tête des escrupules pour moi dont
j'voudrnis l'aire invanotiir la doutance; l'desir d'mon espiv
rance touchant vote sujet, n'veut-y pas dire que je serai vole
sarviteur tout au mieux? Premièrement, vous êtes beaU'
coup belle, et pis moi j'suis parsévereux; oui, maneselle,
j 'voudrais qu'ma vie en soit quatre, et puis les mettre au
bout l'une de l'autre, ça serait pour vous sarvir plus long-
tems, l'témoignage de ça n"a pas besoin d'signifiance, car
l'article d'ia mort me f'ra tout comme d'un clou à soufflet,
et pis quand même j'inourrais, je n'changerais pas pour
ça. Les autres filles n'me convenoiit pas comme vous;
qu'ailes viennent pour voir auprès dinoi comme sarpeguié
j'vous les accueilleront! ailes auront beau dire : monsieur
Jérôme, comment ça vati ? Eh hu! j'te réponds par-dessur
l'épaule; mais tiens, vois dont, s'dironl-elles, il est ben
fier! comme y fait! Allez, maneselle, que j'dirai, ça est
énutile, v'ia tout, cliarchez des fareaux ayeurs. Adieu,
maneselle Nanette, j'prenrons la vanité d'vous aller voir
demain avant l'après diner pour vous dire que j'suis tout
en plein,
Votre, etc.
LETTRES DE LA GRENOUILLERE. 79
MONSIEUX,
N'venez pas comme ça d'si de bonneheure, comme c'est
qu'vous avez venu hier; ma mère vient de m'dire qu'notre
linge était mal repassé, et qu'ça venait de ce que vous ve-
niez pas assez tard, faut venir le soir, voyez-vous ; car je
ne saurais vous voir et puis travailler, ça fait deux tasches
tout en un coup. En revenant nous revoir demain, n'man-
quez pas d'amener aveuc vous ste chanson qu'vous avez
chanté d'votre voix avanz-hier; ma mère m'a dit qu'allé
était gentille à manger; c'est une vivante qui s'y connaît,
sa commère qu'est marchande de ça l'y en donne une in-
finité horibe ; gna ytout un jeune garçon qui y sera, qui en
sait par cœur tout fin plein; tâchez qu'vote cousin en re-
venant de Sève lumbe cheux nous, ça fra que'plus on est
de fous et plus on rit; ma maraine Marie-Barbe et puis sa
fille ailes vianront exprès. Je leur ai fait envoyer dire par
hazard, qu'ailes n'aiiriont qu'à venir, à moins qu'ailes
n'ayont pas le temps, comme de raison queuquefois. Pas
moins j'suis,
Votre, etc.
Maneselle,
Je nous avons ben divarti hier, jarnonce qu'vote maraine
devise ben ! c'est aussi pire qu'vous ! cependant pourtant s'il
y avait une pariure à faire de laqueule de tous les deux
qui a plus de chose dans le gazouillage, j'mettrais ma tète
80 LETTRES DK LA GHENOUI M ^'.RE.
à couper qifvous r'gouleriez voUv maraine sur toutes sortes.
Four au sujet de cadet llustaclie qui a donc chanté Tplus
Tort (pendant deux heures) de la Compagnie, c'est un figno-
leux, mais y fait trop l'fendant, à cause qu'il a du bec, et
qui fait la rusniétique comme un abbé, y veut fringuer par
d'ssus nous : V n'a qu'faire de tant faire; je l'connais bcn,
c'est un petit chien de casseux qui a des sucrés nazis un
peu trop de rechef, qu'il n'y ravienne pas davantage à mon
occasion toujours, car je le r'muerais d'un lîer goût; el
sans l'honnêteté que j'vous dois, j'y aurions fait voir qu'ja-
voiis des bras qui valont ben sa langue; ai-je ty affaire
d'avoir besoin de ça moi? il m'a fait tout d'vant vous une
dérision sur la chanson que j'avons chanté en vote hon-
neur. Ça fait-y plaisir à un queuqu'un comme je pourrais
être? J'voudrais ben voir, pour voir comment y frait pour
en faire lui qui fait tant, Tolimberius. Ste chanson aile est
belle et bonne, aile devient d'un d'mes amis que je connais
qu'est cheux un bureau d'ia barrière des Jinvalides, qui a
d'I'esprit, dame ' faut voir ! el qu'en mangerait quatre comme
cadet Hustache, j'y avons payé du vin pour ça et j'vous
l'envoyons, comme vote volonté l'désire.
Air : En passant stir le Pont-Neu/.
Je suis amoureux très-fort
(Envia pour jusqu'à ma moft)
De la plus belle parsonne
Oui gii'aye dedans Paris,
Et c'est squifail que j'iy donne
Mon cœur qu'aile m'avait pris.
Je ly jure sur ma loi
Que je l'aime autant que moi ;
LETTRES DE LA GRENOUILLÈRE.
Son nom s'appelle Nanette,
Si je peux ly plaire un jour,
Ma fortune sera faite,
Ma richesse est son amour.
La via comme aile est, nianeselle, ça n'sera pas la dar-
niére, car j'en aurons p'tètre encore. J'men irai demain à
Saint-Clou environ la valissance d'huit jours, dont via mon
adresse : à monsieur Jérôme Dubois, à l'Image Saint-Glande.
J'noze pas vous aller dire mes aguieux, car ça m'frail une
peine de chien ; ça n'empêche pas que je n'vous quitte avec
la même quantité d'amiquié, comme si je n'vous quittais
pas pour vous signifier que j'suis volontiers.
Votre, etc.
MONSIEUX,
J'vous souhaite un bon voyage et une parfaite santé, ac-
compagnée de plusieurs autres; via donc huit jours qu'je
n'vous voirai pas qu'dans ma pensée, enfin faut prendre
patience; mais j'vous dirai queuque chose touchant Idis-
cours de vote lettre d'hier, ça n'est pas permis qu'on soye
d'mauvaise himeur dans Tplein cœur d'ia joye, vous avez
roulé vote corps dans la politesse et vous manquez dans la
civilité, par la magnere qu'vous avez agi sur la» conversa-
tion de M. Cadet Hustache; ce garçon il est drôle comme
tout, et y n'mérite pas la fâcherie qu'vous ly faites; queu
mal y a ty d'rire l'un aveuc Faute? J'vous dirai qu'dans le
monde faut vivre aveuc les vivans, j'snis ben qu'il a fait une
5.
82 LETTRES DE LA GRENOUILLÈRE.
moqrie sur vote intention, mais alors qu'on goiiaye pour
badiner ça n'est pas pour tout d'bon; un joli garçon prend
ça d'Ia part qu'ça vient, j'naurais donc qu'a eu m'fàcher
aussi comme ça drès qu'ma tante m'a dit quouques railles
sur la raison du nom que je m'nomme, (|uand aile a dit,
ma nièce Nanelte a de l'esprit comme un dragon, c'est
dommage qu'aile porte l'nom d'âne pour sa fête; et moi
j'vous ly ai répondu, dame! comme on répond quand on
sait répondre : Allez, si j'suis âne, ma tante, j'n'en ai pas
moins la crainte d'Dieu d"vant les yeux; là-dessus aile s'est
lait ben vile comme vous savez, et puis aile a changé d'dis-
cours sur un aute langage ben plus moins gausseux. Ça
vous montre-ty pas que j'devons être pas tant d'une himeur
qui s'offense, comme si c'était ben gracieux d'être comme
ça. C'est pourquoi faut mieux du caractère aisié qu'du rude;
moi j'aime mieux un mouton qu'un loup, parquoi j'voudrais
qu'vous ayez un peu d'douceur pour que j'vous r'gardit
comme un mouton, comme j'y serai toujours.
Votre, etc.
Maneselle,
C'est ben vrai ce qu'vous dites-là, faut pas s'arrêter à
langue d'un moqueux, et puis queuque ça m'fait tout ça?
Pourvu qu'j'ayons une branche d'vote amiquié? J'faisons
plus d'contenance d'un filet d'vote paroly que d'un tas d'ja-
zeux qui se fairont gros comme des bœufs, à cause qu'ils
avont pour deux yards d'inloquence. Vous n'avez qu'à dire
moi j'serai doux morguié comme d'I'eau d'any pour marque
LETTRES DE LA GRENOUILLÈRE. ^^
d'obéissance. A propos, je sommes arrivés à bon port, hor-
mis qu'j'ons pensé périr roide comme une barre. Faut que
j'vous conte ça. Tenez, Maneselle Nanette, émnginez-vous
que je sommes dans un gran bacheau qui voyage à Val-
Pont, j'équions à vingt pas d"la grande arche du pont d'saint
Clou; j'dis à Jean-Louis à Moyau ! hé! à Moyau ! via mon
chien qu'était soûl comme un trente mil gueux, qui force
Tgouvernail d'une rude force, ça fait faire au bacheau
l'coude. Sarpeguié j'dis, nous via ben! j'veux ravirer à
mont tout d'même, c'est énutile, et puis tout d'suite la
gueule du bacheau pan ! s'écalvantre contre la pile, j'croyais
l'guiabe m'enlève que j'équions logés; mais par bonheur
j'neûmes pas d'malheur; j'en fûmes quites pour un pot
d'rogome que j'bùmes à la santé d"!a Providence pour sa
peine qu'aile nous avait présarvés d'aller tertous à la mor-
gue. Je n'craignais de surmarger qu'dans la peur de n'plus
g(j,p Votre, etc.
MONSIEUX,
Y a du grabuge à note maison par rapport à moi et ma
mère à cause d'vous ; j'étais après à lire vote Lettre dont
j'nai pas pu achever la fin comme vous allez voir, si bien
donc qu'vla qu'est ben, ma mère entrit sur le champ, aile
m'dit bonnement quoiqu'c'est qu'ça qu'ta là? Moi, jdis rien .
Ah, dit-elle, c'est queuque chose. Ce n'est rien j'vous dis.
J'parie, dit-elle, qu'c'est queuqu'chose ? Pardy ma mère
i'dis, ce n'est rien, eh puis quand ça serait queuqu'chose
j'dis, ça n'vous frait rien; là-dessus aile m'arrachit vote
84 LETTRES DE I-.\ GRENOUILLÈRE.
Lettre et puis aile lisil T/'crilnre tout du long. Ah! ali ! se
mit-elle à dire, c'est donc comme ça qu'vous y allez aveuc
votre Jérôme Dubois ? Ali le chenapan il Taltrapra, c'est
pour ly, on ly garde, et toy chienne via pour loi. Quoi vous
vous écrivez d'zécrilures en d'sous main ? Malhureuse que
t'es! via donc s'que t'as appris au catéchisse? Encore si
s'garçon la pouvait faire un bon assortissage j'dirais. Mais
ma mère j'dis, c'est un bon travayeux, je n'sommes pas
plus qu'ly; une blanchisseuse n'est pas unegrosse Dame;
oui da, dii-elle, y a blanchisseuse et blanchisseuse, toy,
t'est blanchisseuse en menu, et quand même tu n'blanchi •
rais qu'du gros, drés qu'on za de l'inducation, gueuse! tille
de paille vaut garçon d'or. Eh ben j'dis ma mère, quoiqu'je
n'soyons pas paille, je n'voulons point d'homme d'or ny
d'argent, nous en faut un tout comme Monsieux Jérôme
Dubois; j'suis tille d'honneur, il est honnête garçon, oiiy
ma mère, j'nous aimons à cause d'ça, et j'nous aimerons
tant que l'corps nous battra dans l'ame, là dessus aile m'a
encore apliqué une baffe d'sus l'visage, et puis aile a dit
que j'iy payerais, mais ça n'empêchera pas l'continuage
d'iamiquié dont j'suis.
Votre, etc.
Maneselle ,
C'est pour vous r'marcier d'Ia magnere qu'vote mère a
été r'bouissée par la soutenance d'vote farmeté à mou
sujet ; et c'est fort mal fait à elle d'avoir dit ça, si j'navons
pas des richesses, j'ons un savoir faire. Qu'allé no fasse pas
LETTRES DE LV GRENOUILLÈRE. 85
tant la Bourgeoise ; si aile a d'Ia valeur c'est qu'aile a fait
une brave et genti-fille comme vous, sans ça j'nen donne-
rais pas la moiquié de rien. Pour à l'égard de s'qui est
d'moi, j'vous aime tant, qu'au lieur de n partir qulundy,
j'décampe demain. Via quatre jours que je n'vous vois pas
m'est avis qu'c'est comme si j'avais été quate mois au Fort-
TEvècre, qneu diante d'train qu'l'amour, on est comme des
je n'sais pas quoi ! j'crois moi que j'suis malade; quand
j'traye les bras m'tumbont, j'suis triste, et puis j'pense à
vous comme si j'navais qu'ça à faire, et puis quand j'suis
couché j'vous lâche d'grosses respirations, comme si on
m'avait fiché i'tour ; j'ai beau me r'tourner sur un côté et
puis sur l'autre, je n'suis pas pus avancé à quate heures
du matin que jTétais drès en m'ceuchant, et puis à la fin
j'm'endors gros comme un rien, j'crois que j'vous vois en
rêvant, et tout d'suite je m'réveille pour vous saluer, cra-
que, j'ten casse ! j 'trouve qu'mon rêve s'est moqué d'moi ;
je n'sais pas s'que ça veut dire ; j'dirai à ma mère qu'aile
fasse saigner, car c'est comme une fiéve ; p't'étre qu'da-
bord que j'vous voirai ça ira mieux, car j'sens ben que
j'sens ça. J'ai dit à mon Cousin quje l'priais d'donner ste
lettre ci à vote maraine pour afin qu'vote maraine vous la
donne du meyeur plaisir qu'jaye en vous estimant, sans
oublier la pnrfection, dont j'suis.
Votre, etc.
MoNSIElîX,
Du d'puis qu'vous via r'venu de r'tour, vous n'avez entré
cheux nous qu'deux fois ; ma mère, quoi qu'aile y était n'a
8(J LETTRES DE LA GRENOUILLÈRE.
pas empêché qu'vous ly d'niandiez comment ça va-ty, pour
à propos de ce qu'vous y avez parlé louchant sa volonté
d'nous voir enscnihe, aile vous a donné la parmission de
ça pour tous les soirs et vous n'venez seulement pas, ça
m'fait d'ia peine, parce que j'pense en moi-même qu'vous
avez p'I-être du sentiment pour une autre parsonne, s'qui
frait voir que j'suis comme la moindre au vis-à-vis d'vote
cœur. J'avons ben ri hier après note ouvrage. Y avait ciieux
nous la même compagnie qu'il y avait l'jour d'ia dergnero
fois qu'vous y étiez. L'p'tit Cadet Hustache avait été la veuille
aux dansenx d'eorde, il nous a dit Ihistoire d'iout ça tout
droit comme si pardy c'était un Théate ; vous auriez ben
ri toujours ; ah çj ! écrivez-moi donc la raison dont je
n'vous ons pas vu du d'puis l'jour qu'vous équiez d'un vi-
sage comme triste d'vant tout l'monde, ça vous chagrinai t-y
de m'voir? Tâchez d'faire ensorte que j'vous voye un air
content comme j'suis, quand j'vous dis que j'suis.
Votre, etc.
Maneselle,
J'voudrais être mort qui m'en eût coûté la vie, parce
qu'vous êtes ben-aise quand Cadet Hustache vous fait rire;
j'dirais ben tout comme ly des risées ; mais d'abord que
j'suis auprès d'vous, je n'sais pas, j'ai l'esprit sur vole
respect comme une bête; quand j'vous r'garde y sembe
qu'ma parole sTourre ytout dans mes yeux, et que j'nai
d'aute discours à vous dire, que stila d'vous r'garder; j'vois
'ben qu'vous aimez Cadet Hustache, car vous ly dites lou-
LETTRES DE LA GRENOriILERE. 87
jours, dites-nous donc encore queuque chose; pour moi y
m'tuë quand jTentends, et c'est la cause pourquoi y a trois
jours dont j'vous ai manqué d'voir ; et quand j'ons eu
st'honneur-la , ça n'était parguié pas pour Maneselle Ma-
rianne, ny pour Maneselle Babet, ny pour Mnneselie Made-
lon, ny pour Maneselle Tharese que j'y allais, vantez-vous-
en ; et sans vanité j'y allais pour vous toute fine seule,
ailes aviont beau faire les faraudes en magnere d'être
agréyables, ça n'me faisait seulement pas déranger l'at-
tache d'ma vue de d'sus vote parsonne, gna quvous qui
m'semble une parle d'or et qui m'fait du plaisir à voir ; au
Heur qu'ça soit de d'même du côté d'vous, j'vois qu'vous
voyez sticy stila aveuc autant d'plaisir que d'satisfactioii, et
cadet Husiache encore plus fort ; hé hen, vous n'avez qu'à
Tgarder; pour moi j'aime mieux crever d'chagrin par l'ab-
sence d'vote présence , que d'von^ s'p'tit chien-là cheux
vous comme y est; c'est vrai, car foi d'honnête garçon
j'suis envieux de l'y autant qu'je n'serais pas envieux si
j'n'avais pas l'amour dont j'suis,
Vo e, etc.
MONSIECX,
Faut s'taire avant que d'parler; c'est ben vilain d'être
envieux sans l'occasion d'un sujet ; Cadet Ilustache est drôle
mais j'ne vous changerais pas pour deux comme l'y. T'nez,
Monsieur Jérôme Dubois, j'men vas sans comparaison vous
faire une comparaison ; ah ça ! suposons qu'cadet Ilustache
88 irTTKRS DE LA GRENOUILLÈRE.
est un cli;il, là ! et puis vous, vous serez un cliiou, excusez
au moins, c'est que j'supose ça. VA moi j"serai, révérence
parlé, une Dame, que fserai la maîtresse du cliat et puis la
maîtresse du cliien ; n'est-y pas vrai que s'chat fra des
singeries! Et pis moi, j'rirai. L'chien aura une au(e ma-
gnere pour être avenant, y m'suivra, y m'carressra, et moi
je rflalterai , et j'aurai envers l"y une façon d'amiquié,
parce quVest par amiquié que ste pauve bête fait tout ça;
au lieur que l'cliat n'jouë qu'par accoutumance et pour la
récréaiice d'iy-même, ça m'réjouira mes yeux de Tvoir ;
mais via tout ; par ainsi vous voyez ben qu'c'est vous qui
est pus -tôt dans la perfcrance que j'choisis pour Tmeyeur
partage ; vous en voulez à Cadet Ilustache de s'qui vient
cheux nous, moi je n'peux pas l' renvoyer ; voyez donc ça
serait-y gracieux? Ma mère trouvrait-ça une injure pire
qu'une offense dont on frait au jeune homme, parqu'c'est
une mariionnêté d'être incivile au sujet du monde sans
sujet, et puis avec ça ma mère m'demandrait d"où vient
qu'ça est comme ça ? Faudrait donc après que j'dise, c'est
Monsieux Jérôme Dubois veut qu'ça soit comme ça, parce
qu'si ça n'est pas comme ça , y s'renvoyera l'y-mème
d'cheux-nous ; ensuite ma mère aile frait l'train comma un
sarpent, et j'en serions mauvais marcliands ; v'nez plutôt
rire tout d'même qu'les autes, et puis ensuite vous voirez
qu'je n'frai dTamiquié qu'à vous, parce que s'n'est qu'à
cause d'vous que j'suis,
Votre, etc.
LETTRES DE LA fiP.ENO UI LLÈUE. 89
Ma>eselle ,
J'ai agi selon comme vous vouliez l'jour d'ia Fête, j'ai
venu cheux vous loule la journée et m'est avis que j'ai ben
fait, car vous m'avez marqué des signes d'aniiquié une
liera bande, j'veux être grenouille si je n"croyais pas être
dans rfmibnd du Paradis ; ça n'empêche pas que je n'souffre
une souffrance qui m'fra périr mon corps ; j'ai à tout mo-
ment l'cceur comme si vous me l'serriez à deux mains.
J'men vas vous écrire au bout d'ça une chanson dont c'est
moi qu'eït l'ouvrier, je n'savais pas que j'savais faire de
çn, vous êtes morguié pire qu'une maîtresse d'Ecole, car
c'est vous qui m'donne d'ia capableté dans l'esprit. Via
donc qu'vous allez chanter la chanson qu'c'est moi qu'j'a
travaillée hier au soir avant d'mendormir.
CHANSON
Sur l'Air : Dedans Paris queitlle pitié cl' voir tant de filles pleurer.
L'Ajiiour est un chien de vaurien
Qui fait plus de mal que de bien,
Habitants de galère
N'vous plaignez pas d'ramer,
Vote mal c'est du suque
Près de stila d'aimer.
Ce fut par un jour de prinlems
Que je me déclaris Amant,
Amant d'une bruneKe
Bell' comme un Gurpidon,
Portant fine cornet le
Posée en papillon.
LKTTRES DK LA (IREN OUI L LliR K.
Aile a tous les deux yeux bryans
Comnio (ics pierres de Diamant,
Kt la rouge écarlalte
Que l'on voit zaux Gobelins
N'est que la couleur jaune
Au prix de son blanc loin.
Aile a de l'esprit fièrement
Tout comme un garçon de trente ans
Ca vous magne d l'ouvrage
Dam' faut voir comme ça s'tient,
li'diable m'emporte une Reine
N'Iilanchirait pas si bien.
.l'sais bien qui n'tiendrait qu'à nioi
De l'épouser si ail' voulait,
Son sarviteur très-bumbe
.Vttend sa volonté,
Si ça se fait ben vite
Fort content je serai.
Ma Mère m'voit tous les jours amaigrir, aile croit qu'j'ai
d'ia maladie, aile a prié note voisine qu'aile s'en aille à la
bonne Ste Genevieuve pour auquel une de mes chemises
touche à sa Chasse et qu'ça in'guérirait, moi j'ia prierais
plustôt pour que j'fasse mon d'mariage aveuc vous; j'irai
demain volis civiliser, et puis je frons un entrequien d'con-
versation là-dessus, pour en cas qu'ça vous lasse plaisir
que j'fasse parler ma Mère à vote mère, afin que j'voyons la
définition de tout ça, par quoi j'serai infiniment.
Votre, etc.
LETTRES DE LA GRENOUILLÈRE. 01
MONSIEUX.
Vous avez sorti dVlieux nous Venderdy en façon d'un
homme qu'est comme une fureur pour la cause que j'vous ai
pas consenti sur \a d'mande auquel vous m'avez dit que
j'vous dise une réponse ; y a encore du tenis pour quej'nous
avions d'être mariés. A Pasques prochain qui vient, j'naurai
qu'vingt-trois ans. Faut vous donner patience pardy moi,
j'veux encore queuqu'tems faire la fille, et puis quand la
fantaisie d'être femme m'prendra j'vous l'dirai; ma ma-
raine dit comme ça, qui gna pas d'tems plus genty pour une
jeunesse que où-ce qu'on se fait l'amour; par ainsi quoi-
qu'ça vous coûte pour n'pas attendre un peu plus davan-
tage ? Ça n'peut pas vous enfuir. Voyez par exempe ma
Cousine Manon qu'aile est mariée depuis il y a quate mois,
hé ben, aile est devenue sérieuse, sérieuse, comme un
détéré, au lieur qu'aile était quand aile était fille si de
bonne himeur, qu'c'était la parle des Creyatures qui ont
plusd'joyeuseté dans une Compagnie. J'vous dirai qu'j'avons
chanté ste Chanson c|u'vous m'avez fait, tout le monde dit
qu'vous avez dTémagination comme la parole d'un Ange ;
et ça m'fait dans l'cœur comme si c'était un p'tit brin d'va-
nité, qu'vous soyez mon sarviteur d'ia même attache que
j'suis, Votre, etc.
.rirons Dimanche manger de beugnets cheux ma Maraine,
y yaura fierment d'monde, v'nez-y j'croiray qu'gn'aura
qu'vous seul.
O'i LKTTRES DE LA GRE NOIM LI.KR R.
Maneselle,
Si vous n'm'aimez pas vous n'avez qu'à me ITaire à sa-
voir, parce que si ça est, j'n'en serai pas pus pauvre; tenez
nous autes j'ne nous en rapportons pas aux gisliculements
des yeux, dont l'cœur leux donne des démentis. Dimanche,
en joiinnt au pied d'bœiif, vous tâchiez toujours d'attraper
la main à cadet llustache pour l'y commander d'embrasser
la compagnie, à celle fin qu'vous y trouviez ytout vote
cottepart; vous aviez beau m'présenter des clins d'cpil pour
m'faire bonne bouche, ils n'me passions pas Inonid d'ia
gorge; apparemment qu'je n'suis pas genty, suivant Tgoût
d'vote magnere; mais j'ai du cœur toujours, et si vous
équiez aussi ben un garçon tout comme moi, j'nous sabou-
lerions jusqu'à tant que l'guet nousmenit dieux Tcommis-
saire qui vous condamnerait à avoir tort, parce qu'vous
êtes une manqueuse de parole, n'm'avez-vous pas dit
comme ça que quand j'nous serions aimé aveuc d'iamour,
je comparaisserions d'vant un prtMre au sujet du mariage?
A st"lieure-ci qu'cadet llustache vous a engueusée, y sembe
quand j'vous parle d'amiquiéça vous dévoyé, et puis quand
j'vous d'mande si vous voulez que l'Saquerment n'fasse
d'nous deux quune jointure, vous ni'dites qu'vous nvous
sentez pas d'vacation pour la chose; ça étant, dites-moi du
oui ou du nom, si vous voulez rompe la paille aveuc moi,
parce que je n'veux pas être l'dindon d'vos attrapes, y en a
d'autes qu'vous qui n'm'en r'vendronl )>as comme vous
m'en avez r'veudu, car j'frai ce qui faut faire pour ça; tout
l'inonde n'trichera [t'tètre pas,
Votre, etc.
LETTRES DE LA GREN0U1LI,ERE. 93
MONSIEUX,
Via donc comme vous y allez? Ce que vous laites-là est
traître comme un chien ; avec vote engueusement et vote
cadet Hustaclie; quoi qu"tout ça veut dire? J'vois beii vote
allure, vous voulez m'faire enrager à celle fin que j'vous
lasse des duretés, pour qu'vous disiez après qu'c'ett moi
qu'est l'original de note brouillerie, et puis vous m'souliail-
Irez Ibon jour, pas vrai? Falait m'dire ça plutôt, j'n'au-
rais pas tant fait bisquer ma mère, la pauve femme ! aile
avait ben raison! mais que vous êtes genly aveuc vos com-
pliniens ! quoi qu'c'est que IMindon d'mes attrapes? Allez,
monsieux, vous êtes un diseux d'sottises; allez vous pro-
mener et cadet Hustaclie ytout; j'avons Dieu murci ce qui
faut pour être glorieuse d'note honneur. Y a deux ans que
j'voulais entrer pour être sœur blanchisseuse, à rilùtel-
Dieu. j'iray da, et drés dans huit jours; tout s'qui m'fail
d'Ia peine, c'est qu'j'avais du plaisir à vous aimei'; j'serais
ben malheureuse si ça m'durait: mais j'prierai Fbon Dieu
à toutes les lois que j'penserai à vous, et puis p'iêtre que
j'ny penserai plus. Allez, faut qu'vous soyez ben mauvais
pour m'avoir dit toutes les leintisés d'amiquiéque j'prenais
pour du vrai; parsonne ne m'sera de rien et pour le coup
j'suis, A'olre, etc.
MANEi^LLLK,
J'vous demande pardon comme si j'vous demandais l'au-
mône; j'vous ai fait du chagrin, ce n'est pas par exprès.
Di LETTKllS DE LV liUliNO L IL LEUli.
c'est que j'vous aime si téribelmeiit , qu'japréliendais
comme le feu d'vous paidre, jvous aurais pardue si cadet
lluslaclie vous avait trouvé d'ia pente pour son inclination,
j'croyais ça ; et j'men allais aller demain cheux lui aveuc
ma canne pour nous batte à l'espadron ; j'sais magner ça, et
j'nous serions r'iayé intiuiment : ali maneselle INanette! que
j'vous suis ben obligé quc'est moi qu'vous aimez tout
^eul; je m'moque à st'heure-ci que cadet lluslaclie fasse le
p'iil riboteur risibe quand y vous divartira, ben au lieur de
l'y en vouloir, j'iy payerai queuqu'cliose. Ah ça racomnio-
dt'Z-vous donc nous deux; aussi non j'mengage soldar dans
la guerre, j'irai par exprés m'I'aire blesser, et puis j'dirai
qu'on m'porte à l'Hôtel-Dieu à Paris, là où ce que vous seriez
sœur; j'vous frais d' mander pour qu'vous m'voyez dans
mon lit; on aurait beau m'guérir, j'n'en revienrais pas
pour ça. Voyez queul belle gracieuseté qu'vous auriez d'voir
mourii' tout à l'ail,
Votre, etc.
MoNSIEUX,
J'suis bonne, moi, et ça lait que j'nai pas uu brin d'ran-
cune; j'pleinais comme une folle hier d'nous voir fâchés
tous les deux pour l'amour l'un d' l'autre; ma nierevintà
venir, aile vit que jtenais ma tèle d'une main, et puis mon
mouchoir de l'autre; moi je m'iéve par semblant de rien
pour sortir un peu, aile m'dit, où qu'tu vas"? queuqu'tas ï
l'as les yeux mouillés : aile m'prend par le bras, aile veut
que j'Iy conte l'occasion pour quoi (pi'j'avais l'air d'une
LETTRES DE [.A G UENUll LL ÉK E. 95
couleur pâle et puis les yeux gros; j'iis dis que j'veux êlre
sœur à l'Hôtel-Dieu, aile se met ii pleurer ylout, et puis
moi je r'pleure encore; ah, dit-elle, j'aime mieux qu'tu
sois mariée, qu'd'ètre religieuse ; tiens ne pleure pas, qui
qu'tu veux épouser, tu n"as qu'à dire; mais dis donc? Veux-
tu d'monsieur Jérôme Dubois? Là-dessus j'iv uiontris vote
darnière lettre; oh ben, dit-elle, puis qu'y l'aime ben, je
n'veux pas qu'il s'engage soldat; tu n'as qu'à voir si tu
l'aime ben ytout ; y n'a qu'à venir me parler, ça sera bien-
tôt fait. Là-dessus je l'ai embrassée dlout mon cœur ;
venez donc ben vite; allez si vous saviez que je suis aise,
au prix d'hier; je voudrais déjà être fiancée, ça ferait que
je serions ben près d'être mariés; queu plaisir que j'aurai
d'être vote servante et femme.
LETTKi:
M. CADET EUSTAGIIE
A
M. JÉROSME DU BOIS
Via bian des fois que j'nous sommes essayés de prendiL'
la licence d\ous dire par écriture note complimeiil sur
vole mariage avec maneselle i\'rt«('//c' du lUd ; j'oiis tou-
jours été en arrière de note désir. Cependant pourtant j'y
passons dans la moulure d'vos lettres pour un lignolcux.
A vote avis j'faisons trop le landant, et j'y voulons Irin^ucr
par-dessus les autres, à cause cpie j'ons du boc, et <iue
j'savons la rusmétique comme un abbé. Vous dites connue
ça q'vous nous connaissez ben, et que j'sis un plilcbien
d'casseux qui a des sucrés nazis un peu trop d'rechel ! J'ons
d'ia r'souvenance, et j^savons qu'ils ont l'ail tout d'vant
vou, une dérision sur la chanson que j'prime la valicenco
d'entendre quand j'élions d'Ia Compagnie où on la chantait
en rhouneur de slella qui chante comme un soleil, qui a
de la pensée dans le cu'ur dont al peut s'vanlor qu's;i cons-
cient! n'a pas une épingle à redire! Aussi plus j'ia r'gar-
ilon. même au jour d'aujourd'hui qu'ai e^l madame voie
lenuue, et plus j'irouvons qu'ai a l';nr d'un nurade
LETTRE. 97
Eh ben, M. Jérôme, j'sis fâché à présent d'vous avoir fait
une manque d'bienveillance, car morgue j'vous disons avec
d'iécrilure comme par paroles, q j'vous aimons ben et vote
f'emiiie y tout. Lesaquerment n'I'aisons d'vous deux qu'une
jointure qui n'étions pas comme ceiie des autres que j'pas-
sons dans notre bachot pour à celle fin de prendre les frais
d'iiau dans l'bain d'ia rivière. A propos de ce qui est en
cas d'jointure, j'vous dirons q'j'nous sentons d'ia vacation
pour la chose du mariage à l'endroit de maneselle Loiiisoii.
Car voyez-vous, j'n' voulons pas faire avec elle connue Char-
lot Colin a fait à l'endroit de maneselle Magdelon qui est
vote belle-sœur, parce que maneselle Nanetie du Biii, qui
est vote femme, était fille de sa mère que j'ons bian pleurée,
le jour du jour qu'ai est morte. Dame c'était une vivante
qui aimions les chansons, et qui s'y connaissait tout aussi-
bian qu'sa commère qui est marchande d"çà, et qui l'y en
donnait une intînité horibe. Pour ce qui est en cas d'ça,
RI. Jérôme, j 'allons vous faire voir qu'tout ainsi qu'madame
votre femme qu'était morgue pire qu'une maîtresse d'école,
puisqu'al vous a fait l'ouvrier de ste chanson qu'vous tra-
vaillites le jour du soir avant d'vous endormir. Maneselle
Louison me donne y tout d'ia capableté dans l'esprit ! Dame
je n'ons pas comme vous l'talent d'ia constraction, qui fait
qu'tout le monde dit qu'vous avez d l'imagination, comme
la parole d'un ange! CoiDUie j'avons encore noie chanson
toute fraîche dans l'idée d'nole mémoire, j'allons vous la
coucher tout d'son long dans l'écriture d'note lettre, pour
à celle fin que j's;ichion5 d'vuus si dans la conscience
d'note cœur, j'pouvons l'adresser à Stella qu'j'voulcns
ferler le jour de d'main, qui sera le jour de sa fête.
98 I.ETTRt:.
CHANSON GRIVOISE
Aiii : Qii'esl-ce qui veut savoir l'Iiistoire de Manon Girou't
Y'alloiis Cadet point d'paresse
Faut festcr Louison;
iNot cœur ([u'iavous d'ia leudrosbc
Vaut un AitoUou.
Jo u'voulons pas qu'il soupire
Quand j'iiaussons la voix;
Mais j'voulons qu'il nous inspire
Sur le ton grivois.
Louison n'fait jamais la licrc
Avec ses amis,
Al' sgait la noble mogniere
Des Dam's de Paris.
Uuaud al' boit, et quand al' chante
Al' rit de bon cœur,
Al' est connue Madani' sa Tante
Toujours d'bel-humeur.
C'matin dans son p'tit ménage
Quai' a lait l'rotter,
Les Commer's du voisinage
Viendront la fêter,
Mais iSicolas qui babille
Comme un Perroquet,
En revenant d'ia Courtille,
A prit not Bouquet.
V'ia qu'pendant qu'il s'achemine
Pour v'nir aveuc nous.
Un' Dam' ([u'avont bonne mine
L'y lait les yeux doux.
LETTRE. 99
Tout en causant al' s'approche
L'ap'lant son amy,
Pis not Bouquet al' accroche
En se moquant d'iy.
Pour nous vanger d'sa malice
J'y jettons not chapiau,
J'voulons courir, l'pied nous glisse;
J'tombons dans rniissiau ;
J'nous r'ievons, al' nous échape,
J'nosons dire rien.
Mais morgue si j'ia ratrape
Al' nous l'payra bien.
Tout en r'mettant nos jartières
A la Plac' Mauberl,
J'avon?. trouvé deux Bouq'tières
Qui'ont l'bec ben ouvert;
Qu'as-tu donc? m'dit la plus belle,
T'as l'air tout fàcbé,
Tien d'mes fleurs, par'ta chapelle
J'te frons bon marché.
Via qu'tandis que j'me décrotte
Al' arrange au mieux
De gros œillets une botte
Qui charmont les yeux.
Tien, m'dit-elle, en conscience,
Ça vaut du Jasmin,
Pis m'faisant la révérence
Al' m'ies met dans la main.
Via l'aut à son tour qui m'guette
Et m'prend au colet,
D'mes fleurs, dit-ell' faut q't'achepte,
Y allons mon Poulet.
K'O LETTRE.
Via qu'en reculant en arrière
J'tonibons sur le dos,
Pis j'renversons d'un' Laitière
La crème et les pots.
Sur mes œillets qu'ai' ui'arraci:e
Al' met son cruchon;
iSot Douq'tière qui se fâche
R'troussaut son chig:non,
En r'ievant son inventaire
L'y bail deux soulflols,
Et dit en la jettant par terre,
Hend-moi mes œillets.
Via qu'Messieux d'ia popu'ace
Pour les séparer,
Avec les Dam's d'ia TMace
S'mottions à jurer.
Corn' j'naimous point leurs querelles
Non plus qu'leurs caquets,
J'ons laissé là nos d'Moiselles
Avec leurs Bouquets.
Du nôt j'ons bonne espérance
Que Louise l'ira,
Si j'avons la parférence
Al' nous parmettra
D'iembrassor à la franquolte
Tout comme j'faisons
Quand j'alons à la guinguette,
Et que j'y dansons.
Oh! ça M. Jérôme, point d' dissinmhtnce, et pis qii' vous
êles un garçon dont la façon qu' vous pensés naibolnient
est aussi bian du vrai comme manesolle Nauellc du Util
avait d' riionneur avant qu'ai' fut madame vot femme,
dites-nous, par écriluro, si vous êtes aussi content d' not
LETTRE. 101
chanson que d' celle que vous envoyîtes à vot bian-aimée
qui devenait d'un d' vot amis qu' est dieux un bureau d' la
barrière des Invalides, et qui en mangerait quatre comme
vous... J'ons bian autant d'apetil qu' ly, et si j' n' mangeons
pas dans l' même plat. Quoiqu' vous n' soyez qu'un guer-
nouyeux j' savons qu' vous avez plus d'inspériance dans la
vérité qu' non pas un babil homme. Vos lettres sont gen-
tilles à manger par où j' nous doutons qu' vous avez encor
plus d'esprit que d' mérite, et marque d' çà c'est qu' j" vous
envoyons not chanson qu' j"avons écrite comme par exprès
pour vous; j' voudrions bian qu'en r'Iachont vot bachot d' not
bord j' puissions vous racueillir tous deux avec maneselle
Louison, pour à celle fin de la fester par ensemble; ça frait
un quatribor d'amiqué ; et pis j' nous arrangerions pour
vous l'aire avoir à bonne mesure queuques articles de ce
que j'allons vous détailler. J' les avons fait treiller dans Tin-
ventaire de ce qui ne s'est pas trouvé dans un grand petit
navir de Siam poussé par la tempête dans hi rivière des Go-
belins, qui est venu échouer contre un tas de fumier à not
porte au biau mittant d' not cour. Par l'examen que j'en
ont fait aveuc Nanette Dupuy en buvant 1' rogome au cime-
tière Saint-Jean, j'ons remarqué qu'biaucoiip d'articles de
si' inventaire font partie de stila d' nos commères d' la
Halle. J' vous en envoyerons un extrait pour à celle fin d'en
bailler la communiquance à not joyeux Charbonnier d' la
foire, qui comme oralorien des harangères et d' nos ca-
marades, ayant fiché dans l'idée d' sa mémoire toute l'in-
loquence de leur parlementage, en a fait un Déjeuné d' la
Râpée*, dont M. le public de Paris a bian voulu payer les
' Le Déjeuné de la Râpée, ou Discours des Halles el des Porls,
par M. de l'Ecluse.
6.
102 m:ttiie.
frais. Mais comme dans la première opression qui en a été
moulée à la Grenouillère on y a coulé en douceur des liber-
tances qui empêchions qu' tous les yeux ne laissent, j' vous
prions, M. Jérôme, d'y bailler vos abstractions en cas qu'
maneselle Mauon voulut attirer d' nouveaux charlatans dans
sa boutique en réchauffant un déjeuné dans un plat de son
invention. J" consentons qu'en j'tant une touche de note
gandron sur les merlans à.' NatieUe Diipuy. et en fermant
la bouche à stila qui l'y en baille pour son argent, al' couse
avec l'éguille do not marchande d' filets pour qu' çà s' voye
d" plus loin, les quatre Bouquets qu' j'ons entendu gasouiller
par le même oisiau dont une des plumes a fait l'écriture
d' vos lettres à maneselle Manette du But. J' voudrions bian
en tirer une de ses ailes, dame j'aurions la science du sti-
lage, et pis j' mettrions en biau habillement tout ça qu' li-
magination nous pousse au cœur quand j'allons civiliser
maneselle Louison, et quand j' faisons un entretien d" con-
versation pour ce qui est en cas du plaisir qu'j 'avons à
cause d' lamiquié que j' goûtons pour alP, et qu'j' voulons
sous vot respect se partager avec vous et madame vot
femme, et pis crainte d'eimuyance, j' finissons parce qn'-
j'nons plus rian à dire sinon qu'j' vous allons porter not
lettre pour tirer note révérance dansl' [>lin cœur d'iajoye.
Dame j'avons roulé not corps dans la politesse, j' n' man-
quons pas dans la civilité comme vous voyez par la ma-
gnière dont j'agissons aveuc vous, pis qu'j' voulons être
comme d' coutume,
M. Jérosme,
Vot très-humble sarviteur Cadet Eustache, maître pas-
seux tout en devant des Invalides, demeurant sur la gauche
lin cliemin nui eulilo tout droit au firos-Caillon.
LES
AMANTS CONSTANTS
JUSQU'AU TRÉPAS
HISTOIRE VÉRITABLE
AVERTISSExMENT
L'auteur était dans une maison de campagne, quand
il composa cette historiette, qui fut faite du soir au
matin. La compagnie lui proposa le sujet que voici.
11 faut que le héros soit brûlé, qu'il soit noyé, qu'il
ait la gale et qu'il soit pendu ; ensuite qu'il épouse sa
maîtresse.
11 faut que l'héroïne soit enragée, ([u'elle passe par
les baguettes, qu'elle se jette par les fenêtres.
Sans entrer dans le détail de la naissance, de l'enfance,
de l'éducalion et des qualités de celui dont je rapporte les
aventures, je me bornerai seulement à le mettre sur la
scène du monde dés l'âge de dix-huit ans.
C'est à cet âge heureux que Félix vint à Paris, ne possé-
rlnnt pour tout bien qu'un peigne à deux côtés, avec lequel
lOi LES AMANTS CONSTANTS
il sfi promollait de se rendre un jour utile à soi-même, à
ses parents cl à s;i pati'ie.
Cel inslrimu'iil n'annonçait pas sans doute des talents
supérieurs pour la poésie, ni pour la musique; au-si ne
s'en piqua-t-il pas; il avait néj;ligé ces superfluités pour
s'attacher à l'art solide de friser et de raser proprement à
la manière de la province, et c'est en laveur de son habi-
leté qu'il entra en qualité de premier et unique garçon
chez M. Tranchant, chirurgien dans le fauboiug Saint-Mar-
ceau, qui comptait parmi ses pratiques la compagnie des
gardes françaises du quartier. On sait que ces messieurs
sont assez sans façon; aussi Félix, le dimanche, en reta-
pait en une heure douze d'une main et autant de l'autre.
A l'égard des barbes, M. Tranchant les expédiait avec une
rapidité incroyable ; et comme il était grand causeur et
causeur satirique, tout en rasant son homme il emportait
la pièce. Plusieurs à qui celte façon d'agir ne plaisait pas,
le menaçaient de le quitter; mais le patelin M. Tranchant
savait apaiser son monde, et au moyen d'une toile d'arai-
gnée qu'il vous appliquait sur le menton et qui couvrait la
coupure, on s'en allait en louant la commodité de son ex-
pédient.
Entre autres têtes que l'adroit Félix allait embellir en
ville, celle de M. Honoré, boulanger du coin, l'occupait par
prédilection, à cause d'une nièce que le bonhomme élevait
et qui prenait un merveilleux plaisir aux histoires que ra-
contait le galant frater. Il s'insinua si bien dans l'esprit de
l'un, et dans le cœur de l'autre, que M. Honoré lui proposa
une petite Chambre vacante au cinquième, alin d'y tra-
vailler pour son compte; Félix parut aussi ardent à l'ac-
cepter qu'habile à donner des marques verbales de sa r<'-
JUSQU'AU TRÉPAS. 105
connaissance, au grand contentement de mademoiselle
Babet Casuel (c'est le nom do la nièce). Il prit donc pos-
session de son nouvel atelier, et, dès le lendemain, son
hôte généreux et la Providence lui firent pleuvoir des gens
mal peignés qu'il renvoyait contents comme des rois, et
beaux comme des amours.
Peu à peu Félix s'arrondissait dans son petit manoir qu'il
avait rendu assez hoimête pour que l'oncle et la nièce y
montassent les soirs. Le bonhomme aimait beaucoup la
triomphe d'Auvergne, et l'amoureux Félix pour jouir plus
longtemps de la présence de Babet Casuel, perdait toujours
partie, revanche, le tout, les moitiés et le tout du tout : la
belle sentait jusqu'à l'àme le motif de cette complaisance,
outre la qualité de beau joueur qu'il laissait voir à travers
un air content. Il est vrai qu'on ne jouait rien ; mais la
gloire n'est-elle donc pas quelque chose ? Il la sacrifiait à
Babet, pour laquelle il sentait de jour en jour croître son
penchant; ils n'attendaient qu'un moment l'avorable pour
s'en faire mutuellement l'aveu; ce moment arriva bientôt
après.
M. Honoré, en sa qualité de juré de sa communauté, fut
obligé le mercredi suivant d'assister à une réception de
maître^ il laissa à Babet le soin de gouverner sa maison et
elle-même. Elle s'acquitta fort bien du premier point, et
l'amour se chargea de l'autre. L'impatient Félix, averti de
l'absence de M. Honoré, descendit chez Babet à dessein de
lui tenir compagnie : cette politesse, loin de lui déplaire,
servit de prétexte à quelques questions tendres auxquelles
l'animé Félix répondit avec transport. La timide Babet ré-
pliqua en rougissant: un baiser survint, les serments en-
suite, et les voilà amants. Félix se mourait d'envie d'assu-
106 LES AMANTS CONSTANTS
rer sa maîtresse qu'il l'aimail avec passion; elle craignait
de son côté qu'il ne doutât de la sienne; de sorte que l'en-
vie de l'un et la crainte de l'autre les conduisirent fort loin
sans sortir de la chambre. Babet, après être revenue du
voyage, se mil à pleurer, c'est l'usage ; il la consola de la
même manière qu'il l'avait affligée, c'est la règle.
Les moments que l'on passe avec ce que l'on aime sont
aussi doux qu'ils coulent rapidement. La nuit s'avançait
sans qu'ils s'en aperçussent (les amants heureux ne pren-
nent garde à rien) : il fallut se quitter moitié par écono-
mie, moitié pour ne pas être surpris par M. Honoré, qui
arriva un instant après leur séparation. La nièce sauta an
col de son oncle ; il attribua ces caresses au plaisir qu'elle
avait de le revoir sitôt, et il allait lui rendre cinq ou six
embrassades, lorsqu'un garçon boulanger mécontent des
rigueurs de Babet monta, et tii'ant à part M. Honoré, le mit
au fait de la fragilité de mademoiselle Casuel. « — Oui, mon-
sieur, ajouta-t-il, j'ai vu par le trou de la serrure le témé-
raire baigneur lui manquer trois ou quairefois de respect. »
Le vieux juré, furieux, appelle de toutes ses forces l'heu-
reux Félix qui, ne se doutant de rien, se présente d'un air
caressant; M. Honoré et son garçon le saisissant au collet,
le chargent de coups et d'invectives, et le traînent impi-
toyablement en bas. La craintive Babet arrive toute éplorée,
demande grâce; on la soufllette; elle crie à l'aide, au se-
cours, au feu... Elle avait raison, car son amant était pour
lors dans le four; et, sans l'activité des voisins qui le reti-
rèrent, il était cuit; heureusement il en fut quitte pour ne
l'être qu'un peu.
Comme on l'avait enfourné la tête devant, le feu ne lui
avait point endommagé les pieds; il y parut bien par l'usage
JUSQU'AU TREPAS. 107
qu'il se mit à en faire en s'échappant et perçant à travers
les gens du guet que le tumulte avait attirés. M. Honoré
crie sur lui au voleur; toute l'escouade le suit, en criant :
Arrête! arrête! Personne n'osait, il avait l'air d'un diable
à moitié rôli sortant de l'enfer; on se rangeait même pour
l'éviter. La garde le poursuivant jusqu'au bord de la rivière,
croyait enlin le tenir à cause de la barrière liquide qui s'op-
posait à sa fuite ; mais le courageux Félix se lance à leurs
yeux dans l'onde, et y trouve un refuge contre le fer et le
feu. Le guet ne jugeant pas à propos de rouiller ses armes,
le vit en enrageant parvenir à l'autre bord et s'en retourna
honteusement chez M. Honoré qui leur dit qu'ils couraient
comme des fiacres, et que le sergent méritait d'être
cassé.
. Amour 1 que tes faveurs ont souvent de suites Itinestes!
(Cette pensée n'est pas neuve). La triste Babet livrée aux
horreurs de l'affront n'osait plus sortir; tout le quartier
savait son aventure ; tourmentée d'ailleurs par l'absence et
le sort malheureux de son amant, outragée chaque jour
par les reproches amers de son oncle, tout son espoir était
le trépas (rien n'est moins gai que cette situation) : elle ne
se voyait pour toute compagnie qu'un petit chien qu'elle
avait beaucoup aimé, mais qu'elle négligeait si fort que,
l'ayant laissé longtemps sans nourriture, il essaya un jour
pour vivre de lui manger une main, et commença par lui
mordre si vivement le doigt qu'elle poussa un cri doulou-
reux, auquel son oncle accourut. Le petit tavori, au lieu de
le flatter comme à l'ordinaire, sauta sur lui en grinçant les
dents. M. Honoré, d'un coup de pied, le mit hors d'état den
aVoir jamais le dessein. Ce sévère boulanger secourut la
'jlessée avec un soin barbare, en disant que c'était une pu-
108 LES AMANTS CONSTANTS
nitioii du ciel, et souhaitant de tout son cœur que la plaie
lût danj^ereuse.
L'inexorable Thésée ne lut pas mieux servi par Neptune
(lorsqu'il lui adressa contre son iils le vœu le plus cruel et
le plus indiscret) que le l'ut l'inflexible Honoré. A quelque
temps de là sa malheureuse nièce roulait les yeux, s'en-
fonçait les ongles dans les fesses et se doiniait des coups de
pied dans le sein, en criant à qui l'approcliail : « — Olez-
vous, retiiez-vous, je vous mordrai. » Ces mots, prononc
avec fureur, avaient si bien l'air de ce qu'on appelle accès
de rage, que c'était à qui n'avancerait pas. On jugea par
l'écuiue épaisse qui lui sortait de la bouche, que c'était un
effet de la morsure de son fiivori. On s'empara d'elle dans
un bon moment pour la garoller et la conduire à la mer.
Si tant de malheurs à la fois accablaient celle pauvre in-
fortunée, de son côté le fugitif Félix réfugié à Pontoise n'é-
tait pas à son aise : il était devenu moins beau narrateur et
moins plaisant; son minois disgracié par la brûlure lui fai-
sait un tort considérable (tant la ligure sied bien au métier).
Ayant vu faire à iM. Tranchant quelques opérations de chi-
rurgie, il se mit dans la tète d'exercer le peu qu'il en sa-
vait. Si quelqu'un de ceux qui l'oucupaient se plaignaient
d'un mal de tète, Félix offrait de le trépaner à peu de
frais; nul n'était curieux d'user de ce remède, quelque doux
qu'il parût; on se bornait à le laisser le maître de tirer
quelques palettes de sang; mais ne sachant pas saigner, il
se déclarait ennemi des partisans de la lancette, el se lirait
adroitement du piège que lui tcniiait son ignorance en or-
donnant, en place de saignée, une tisane composée de beau-
coup de réglisse el i)eu de chiendent, que le malade Iruu*
vail excellente. Dans le nombre de trois ou quatre malheu-
JU^SQU'AU TRÉPAS. 109
reux qu'il inédiCamenlait, il s'en trouva un entiché de cette
àcreté d'iiumeur qui, s'épanchant en forme de petits gre-
nats sur les mains et entre les doigts, cause un joli cha-
touillement qui invite à se gratter avec une cuisante vo-
lupté. Le présomptueux Esculape entreprit de le tirer
d'affaire; mais soit que le mal fût contagieux, ou soit que
sainte Reine à qui ces sortes de cures appartiennent voulût
le punir d'aller sur ses brisées, loin de guérir son malade,
Félix gagna lui-même la gale. Jamais gale ne fut plus dé-
placée, d'autant quil était obligé par état d'avoir les mains
propres. Désespéré de cet accident, il s'avisa de mettre des
gants et de savonner ainsi les visages; on le trouva fort
mauvais; il eut beau protester que c'était depuis peu la
mode à Paris, on l'envoya au diable, et on persista si fort à
vouloir être rasé à la manière de Ponloise, c'est-à-dire les
mains nues, que Félix ne pouvant s'y résoudre perdit ses
pratiques, et passa encore pour un homme entêté.
Privé des ressources manuelles, et sa dernière opération
manquée lui ayant fait perdre la confiance publique ; d'ail-
leurs dévoré par son amour qui le touchait plus que tout le
reste, il s'engagea, et à tout hasard écrivit à sa chère Babet
le dernier parti qu'il venait de prendre. Elle était de retour
de Dieppe, et avait été plongée sept fois dans l'onde salée
avec succès; mais si la mer guérit de la rage, elle ne peut
rien sur celle de l'amour; rien n'avait éteint l'ardeur de la
constante Babet ; elle était plongée journellement dans les
plus sombres réflexions; elle était prête à exécuter tout ce
que le dégoût de la vie peut conseiller, lorsque son oncle
vint lui faire la lecture de la lettre de Félix, qu'il avait
interceptée; et prenant de là occasion de lui faire de belles,
longues et pieuses remontrances qu'elle écoula comme
7
110 LES AMANTS CONSTANTS
qufl(ju'uii (jui ne sVn souciait j^uère, il Texliorla à l'aire
son prolit de ce qu'il venait de lui prêcher.
« Crois-moi, ajoula-l-il, ne pense plus à ce coquin; le
voilà soldat, renonces-y : va-t-en dimanche à confesse et
sois à l'avenir plus sage; j'ouhlierai le passé. » Elle ne lui
répondit i)as un mot; le grave sermoneur persuadé de
refficacité de son sermon, la laissa penser aux n:oyenr> de
rentrer dans la voie du saint. La silencieuse Babet, n'aspi-
rant qu'à la consolation de savoir où était son amant, et
insiruite de son prochain départ pour l'armée, ne balance
pas entre la tristesse de rester avec son oncle, et le charme
de suivre un amant adoré; faire une petite pacotille, la
convertir en argent, partir avec courage, arriver- enlin à
l'onloise ne lui coûtèrent que six heures de temps. 0 pou-
voir! ù force des premières inclinations; Babet court, de-
mande, cherche, et trouve enfm son cher Félix; il n'était
plus joli, mais l'amour en était cause; c'était au contraire
un grain de beaulé pour les yeux de la tendre Babet. Rassem-
blez ici toutes les reconnaissances des tragédies, des comé-
dies larmoyantes et des romans ; joignez-y, si vous voulez,
tout ce que vous êtes capables de sentir en de pareils instants,
je vous délie d'approcher de cent lieues des transports de
leur àme; ils restèrent si longtemps serrés dans leurs mu-
tuels embrassements, et les larmes avaient coulé si abon-
damment de leurs yeux, étant visage contre visage, que
les paupières de Babet s'étaient collées à celles de Félix, de
façon qu'on eut toutes les peines du monde à les détacher.
Les plaisirs tranquilles ne paraissaient pas faits pour
eux; Félix eut ordre le surlendemain de joindre le régi-
ment ; Babet le suivit avec fermeté ; le plaisir d'être en-
semble leur rendil la roule moins pénible el moins longue.
JUSQU'AU TRÉPAS. 111
A leur arrivée, on incorpora le nouveau soldat; il lallut
apprendre à faire l'exercice, monter la garde, fournir la
chambrée de toutes les menues nécessités ; la sensible Ba-
bel l'aidait dans cette dernière corvée. Les camarades de
Félix trouvant sa mailresse jolie, lui donnaient quelquefois
de petits baisers, qui ne demandaient pas mieux que de
caractériser l'insolence; son sergent même la courtisait
de près; cette faveur insigne eût été pour toute autre que
Babet un écueil contre lequel la fidélité aurait pu échouer;
mais elle n'y répondit que par les dédains les plus mar-
qués : le vindicatif sergent, après "de vaines tenlativos et
des propositions aussi vaines, résolut de s'en venger par les
voies de l'ignominie : il surprit adroitement la montre du
lieutenant, et accusa Babet de ce larcin; en vain elle s'en
défendit, ni les protestations de la probité, ni les larmes
de l'innocence ne la justifièrent. Son ennemi, chargé de
visiter ses bardes et son linge, n'eut pas de peine à y glisser
ce qu'il affectait d'y chercher, et montrant le vol aux deux
témoins qui l'assistaient, il n'en fallut pas davantage pour
faire emprisonner la pauvre Babet. Son jugement fut bien-
tôt rendu, et elle se vit condamnée à passer par les ba-
guettes ; son amant même fut nommé pour être du nombre
de ceux qui devaient faire cette injuste exécution. Figurez-
vous la douleur du triste Félix lorsque celle qu'il chérissait
plus que lui-même et qu'il savait n'être point coupable,
parut sur la place d'armes les mains liées, les épaules
nues, et toute tremblante et éplorée d'un si cruel appareil.
Elle passa enfin ; trente coups de verges à la première
passade lui enlevèrent l'épiderme, et le sang se faisant
place à travers les sillons que le supplice traçait sur sa
chair laissait voir le spectacle le plus louchant : quel mo-
112 LES AMANTS CONSTANTS JUSQU'AU TRÉPAS,
mont pour le malheureux Félix! Le cruel sergent ayant
remarqué (jifil n'avait point frappé comme les autres, lui
appliqua plusieurs coups de canne; le brave Félix, moins
outré de celte injure que furieux des tourments que sa
maîtresse souffrait par la fausse accusation de ce malheu-
reux, tira son épée et la lui plongeant dans le sein, vengea
à la fois et son oui rage et celui que l'on avait la barbarie
de faire à sa maîtresse.
Un malheur en entraîne toujours un autre; l'infortuné
Félix fut conduit au cachot : le conseil de guerre prononça
soudain son arrêt, la potence fut bientôt dressée, et l'on
devine aisément le reste de cet effroyable tableau, sur lequel
je tire le rideau poursuivre des yeux la désolée Babetqui,
trop instruite du sort qu'éprouvait son cher Félix, et ne vou-
lant point lui survivre, se précipita par sa fenêtre qui heu-
reusement n'était pas élevée; on courut à son secours. Le
sergent, de son côté, prêt à expirer, découvrit au confes-
seur qui l'exhortait, toute la noirceur de son action. 11
dépêcha un exprés pour en instruire les juges qui, indignés
d'un tel crime, ordonnèrent de couper la corde à laquelle
était suspendu l'innocent Félix; et par un hasard bien rare,
il en était encore temps. Lui et sa maîtresse furent réha-
bilités; et, peu de temps après, on les maria avec les biens
que le sergent leur avait légués en réparation d'honneur.
Félix eut son congé pour rien, et même tous les officiers
contribuèrent à une quête générale qui les mit à leur aise.
Ils retournèrent chez M. Honoré, qui les reçut avec len-
diesse, et ils vécurent ensemble unis et constants jusqu'à
la fin de leur vie.
EPITRES. Il;
ÉPITRES
I
EUR L'AMITIE
. MONSIEL'R ***
Ami très-cher, toi, dont la sympathie.
Malgré mon sort, ne s'est point démentie,
Je te connais, oui, de toi je suis sûr,
Et le présent me répond du futur;
Ne va pas croire, en lisant cette épître,
Que de mes vers Apollon soit l'arbitre.
Par ton mérite à t' aimer excité.
Mon Hippocrène est la sincérité.
Loin, loin l'emphase; Oresfe envers Pylade
N'usa jamais de ce langage fade,
Ton frelaté qu'on affecte aujourd'hui,
Qui sans estime est aussi sans appui ;
Sensible aux traits de cette amitié pure.
Ce beau lien, honneur de la nature,
Je vois, ami, par ces feux éclairé,
Que ce doux titre est un titre sacré,
Et que ce nom, sous lequel on s'annonce,
Est usurpé si le cœur ne prononce.
II est des gens inquiets, soucieux.
Pour leurs amis, parfois officieux,
Dont les bontés si tristement obligent,
Que leurs bienfaits à coup sûr vous aflligenl ;
Avec douleur ils vous font un plaisir,
Et leur secours a l'air du repenlir.
114 KI'ITUES.
Ce froid secours enliii est un blaspliéme
Que l'amitié peut frapper d'analhème;
Elle aime mieux un refus bien placé,
Que d'obtenir uu service glacé.
Ces doucereux, dont l'humeur philanthrope
Produit Teifet du flatteur microscope,
M'offrent en vain de grossir mes talents,
Et de trouver tous mes vers excellents.
Je me ris d'eux, leur encens me suffoque,
Autant qu'un sot en me prônant me choque,
Et pour ne point m'expliquer à demi.
Jamais un sot ne sera mon ami.
Dans ce qu'il fait, sachant mal se condiHre,
En vous servant, il parvient à vous nuire ;
Vous échouez en suivant ses avis,
Ou le choquez, s'ils ne sont pas suivis.
On est toujours avec lui sur ses gardes;
Qu'il soit l'ami de ces femmes bavardes
Dont l'œil éteint et le livide aspect
Sait inspirer un maussade respect.
Pour écouter leurs antiques merveilles.
Il n'est besoin que d'avoir des oreilles.
D'un tel organe un sot ne manque pas,
Voilà son lot ; je suis encore bien las
De ces rieurs, de cette plate espèce,
Amis de table échauifés par l'ivresse.
Qui tout de feu pour chaque convié.
Comme le vin font mousser l'amitié ;
A cluKiue verre elle engage, elle augmente,
Et dure autant que la liqueur fermente :
Mais on se quitte, ou se couche, on s'endort
EPITRES. 11;-i
Rendu, blasé par maint bachique effort;
Cette amitié, qnand chacun d'eux s'éveille,
Est mise au rang des excès de la veille.
Et ces élans si chaudement trompeurs,
Sont engloutis dans la nuit des vapeurs.
Heureux celui qui plein d'un noble zèle,
A cœur ouvert sert un ami fidèle,
Et qui sachant parler, penser, agir.
En l'obligeant ne le fait point rougir,
Soit qu'en tout point il prenne sa défense,
Soit qu'il l'arrache à l'affreuse indigence;
L'amitié parle, il connaît ses accents,
Il la prévient, et par ses soins pressants
A ce qu'il aime il rend bientôt le calme
Sans exiger ni couronne, ni palme :
Le vrai plaisir, celui de bienfaiteur
Est tout le prix dont jouisse son cœur.
Et l'on ne sait dans cet instant propice
Lequel reçoit ou rend un bon office;
Tels on nous voit : cette rare amitié
Brille chez toi par la belle moitié,
Mon cœur comblé remplit l'autre partie,
J'en fais l'aveu^ sans que ta modestie
Puisse en gronder; un cœur reconnaissant
Marche à l'égal d'un ami bienfaisant :
Aussi jamais la basse complaisance
N'ira me faire éprouver la distance
Qu'un financier croit que le ciel a mis
Entre son être et ses pauvres amis.
Jadis rampant au sein de la misère
Et n'aspirant qu'à l'honneur de leur sphère,
H6 El'ITISES.
Il les aimait ; mais aujourd'hui que l'or
D'un beau vernis a décoré son sort,
Avec dédain son orgueil les aborde,
Le dur mépris pèse ce qu'il accorde.
De protégé devenu protecteur,
Il ne sourit qu'au plus adulateur :
Au milieu d'eux le fat est dans son centre,
Génie étroit, jargon lourd, large ventre :
Voilà ses droits, ses titres, ses vertus.
Allez, grand-croix de l'ordre de Plutus,
Percez, suivez votre riche carrière-,
On vous verra rentrer dans la poussière
Qui sous nos yeux vous servit de berceau.
Avant que j'aille arborer le drapeau
Sous qui se range, en trahissant l'estime.
Un malheureux que l'infortune opprime,
Et qui forcé de feindre jusque-là
En est puni par la honte qu'il a.
Ne pense pas, toi que j'aime entre mille,
Que ce discours soit dicté par la bile.
Non, ce portrait est bien citation,
Eh ! plût aux dieux qu'il devînt fiction,
Et qu'en son cœur chacun à ton exemple,
A l'amitié sût élever un temple!
Alors, content, l'encensoir à la main,
On me verrait chérir le genre humain.
ÉPITRES. 117
II
A. MONSIEUR M***
Au sujet des Lellres Poissardes de l'auteur.
Doux magistrat, en qui savoir habite,
Qui réunis politesse au mérite,
Et dont l'esprit infatigable, actif.
Est tour à tour profond, léger et vif,
Ne sois surpris qu'une muse anonyme
Avec ton nom fasse voler l'estime ;
Toujours de l'un l'autre fut le tribut.
Et gloire enfm des deux est rallribut ;
De là l'encens que distille ma plume.
Mais pour te voir dans l'immortel volume,
Besoin tu n'as d'un si faible secours :
Ainsi que l'eau, Renommée a son cours.
A te louer ne me ilatle d'atteindre.
On peut sentir et ne pas savoir peindre.
Si j'ai pourtant su peindre quelquefois,
Non tes pareils, non des dieux, non des rois.
Mais bien tableaux qu'aurait choisi Ténière ;
Tels que Grivois, gens de la Grenouillère;
Lettres d'iceux, qui de l'impression
Auront le sort, sous ta permission.
D.... en a fait une exacte lecture;
Dans le creuset d'une sage censure
11 mit l'ouvrage, et loin de l'altérer,
Son jugement ne fit que l'épurer :
Or, en tes mains, censeur encore plus sage.
L'œuvre gissant, demande ton suffrage :
7.
IIS HI'ITP.KS.
Di- l'oblonir (lois-ji*, lu'-las! iiu' llallorï
Lo plus flatteur, c'est de le mériter;
Lo mériter, prouve f|u'on t'a su plaire,
Te plaire enfin, est un noble salaire,
Pas n'en veux d'autre, et s'il m'est accordé.
Tu me diras, venez, tenez, Vadé.
III
Pasteur zélé pour le salut des autres,
Qui tl'un ton gai prêchez le saint devoir,
Dans votre épîfre il est aisé de voir
Même onction qu'en celle des apôtres.
Aussi mon cœur en sentit le pouvoir,
Depuis ce temps, matin comme le soir,
On me surprend doublant mes patenôtres,
Chantant maint psaume, et cela dans l'espoir
D'être à jamais compté parmi les vôtres.
Bien entendez par cette expression
Le rang heureux des enfants de la grâce
Dont l'esprit pur, franchissant cet espace,
S'élève et plane au séjour de Sion.
C'est là qu'un jour pour prix de tant de veilles,
De tant de soins qu'exige un cher troupeau,
Vous jouirez des célestes merveilles
Dont sont exclus la mitre et le chapeau ;
Notez pourtant que de ceci j'excepte
iMaints grands prélats par le ciel inspirés,
(Jni de la loi suivant chaque précepte.
Él'ITRES. 119
Sont dans le cœur nrioins prélats que curés;
Ce sont ceux-là que le Sauveur accepte.
Eux que Ton voit de sa croix décorés.
Voilà mes Saints, voilà ceux que j'invoque ;
Mais de par Dieu, les autres n'ont sur moi
Aucun crédit, et vous savez pourquoi.
Un Monseigneur, qui quelquefois se moque
De la leçon qu'il dicte à son bercail,
Qui chaque jour au plaisir se provoque
Par les poulets et poulettes qu'il croque,
N'est à mes yeux qu'un Seigneur de sérail.
Voluptueux dans le moindre détail,
Chaque moment lui rappelle l'époque
Où s'enrôlant sous le sacré camail,
Faisant au Ciel un serment équivoque,
Avec Vénus son cœur passait un bail.
Il en jouit ; il meurt, on le colloque
Au rang des Saints pour son pieux travail ;
Et puis on veut qu'après ce bel exemple
Dont tout Chrétien paraît scandalisé,
.Vaille implorer son secours dans le Temple
Où la faveur l'aura canonisé ?
Non par ma foi. Tout ce que je puis faire,
C'est de prier le souverain des Cieux,
Ce Dieu clément, de pardonner à ceux
Qui très-souvent sont sûrs de lui déplaire.
En le chargeant de pareils bienheureux
Qui ne le sont tout au plus qu'en peinture.
Combien est-il de semblables patrons
Qu'on va chantant, fêtant outre mesure.
Bien enchâssés, étourdis d'Oraisons,
120 EPITRES.
Dont les bigots baisent la portraiture.
En leur honneur vous emplissent leurs troncs,
Qui pour jamais dans la caverne obscure
De Satanas, gisant sur les charbons,
Auraient besoin d'onguent pour la brûlure.
Au lieu d'encens qu'eu vain nous leur otïions.
Mais dira-t-on, la colère divine
Pour les juger y regarde à deux fois ;
Un être issu d'une illustre origine,
N'est pas traité de même qu'un bourgeois ;
A plus d'égard le haut rang doit s'attendre,
Voulez-vous donc que la charmante Iris,
Au tein de Flore, au regard vif et tendre.
Riche, bien faite, enchaînant tout Paris,
Le goût l'orme sur les meilleurs écrits,
Donnant le ton, dictant de doux oracles.
Au second acte arrivant aux spectacles,
Le front chargé de diamants de prix.
D'un grand panier obombrant une loge,
Laissant le soin au Parterre surpris.
D'interpréter un dédaigneux souris
Qu'un fat remarque et prend pour son éloge,
Voulez-vous, dis-jc, enfin qu'un tel objet
Avec Margot soit mis en parallèle,
Et risque un jour de subir ainsi qu'elle
Cet examen que suit un juste arrêt ?
Margot ? Margot n'est qu'une péronelle.
Mangeant gaiement son pain bis et son lait ;
Dans son hameau, loin du ton du beau monde;
Celle pécore aux pieds durs, nu teint noir,
Qui louniemenl chaque Dimanche au soir,
ÉPITRES. 121
Danse sa part d'une rustique ronde,
Ignore tout, excepté son devoir.
Le beau mérite ! ah ! quelle différence
Pour les façons ! le délicat, le goût,
L'esprit, la voix, le clavecin, la danse.
Hors son devoir, la Belle Iris sait tout.
Quand on sait tout, on est peu curieuse
Du soin rampant de paraître pieuse;
Bon pour Margot et ceux de son état.
Rustres sans bien, sans honneurs, sans éclat,
A qiM toujours il faut en faire accroire,
A qui sans cesse on doit donner un frein ;
Pensez-vous donc que du sein de sa gloire,
Dieu s'abaissant pour vous tendre la main,
Vous conduira dans le séjour divin,
Comme des ducs ou gens de noble classe,
Faits pour orner le céleste lambris ?
Non, non, abus ; ce n'est pas là la place
Des malheureux que le joug du mépris
Tient enchaînés. Que veut-on que Dieu fasse
De tels humains, vile et stupide race,
Dont l'esprit lourd n'a jamais rien appris
Qu'un certain livre au salut fort utile.
Le beau régal pour un Dieu tout-puissant
D'être au milieu d'une troupe imbécile,
Qui ne pourrait, que dans le simple style
D'une âme pure et d'un cœur innocent,
Le célébrer! Mais les femmes aimables,
Aux airs de Cour, aux teints vils et fleuris,
L'essaim bruyant des petits Agréables,
Nés dans les Jeux, élevés dans les Bis,
\i\> Kpnr, F.s.
Alix (lioiix un jour (irpinoeront Ins Aiigos ;
A leurs fiodons rÉternel a commis
Le soin brillant de chanter ses louansos ;
A tant de gloire ils seront seuls admis ;
Telle du rang est la prérogative.
Mais pour Margot, créature chétive,
Et ses pareils. Monsieur de Lucifer
Doit les rôtir : c'est là-bas qu'est leur place.
Or quant à moi, s'il faut être sauvé
Commo les Grands, en marchant sur leur trace.
Je n'en suis plus, grand merci d'un tel lot •
Non sum dignus. Dieu me fasse la grâce
D'être à jamais damné comme Margot.
IV
A MONSIEUR S***.
Être l'objet d'une agréable Epitre
Me flatte plus que faveur de la Cour ;
L'un dans le cœur prend i^a source et son titre.
L'autre s'obtient par brigue, par détour :
Mais, cher ami, je laisse ce chapitre
Pour te parler sans finesse et sans fard
De ton ouvrage où je suis pour ma part.
A gens de goût j'en ai fait la lecture ;
Les mœurs, l'esprit, la raison, la nature
Semblenl d'accord pour te fournir les traits
Ilonl tu te sers pour frapper tes portraits.
Des faux plaisirs la dangereuse amorce.
É PITRES. 123
Bienlôt serait sans pouvoir o\ sans force,
Si nous savions dans ce siècle pervers
Leur opposer le flambeau de tes vers :
Alors l'erreur, mère et fille du vice,
Se creuserait soi-même un précipice.
Et la vertu dont tu connais le prix.
S'élèverait sur ses affreux débris;
Mais du penchant tu connais la puissance
Et de nos sens la trop fragile essence,
Lorsque Tessain des vives passions
Vient exercer ses persécutions.
Vient assaillir la faible adolescence.
Que veux-tu donc? Par quelle expérience
L'homme à vingt ans pourra-t-il se sauver
De ces écueils qu'on a peine à braver,
Dans l'âge mûr ? Si le vieillard succombe.
Possible il n'est que le jeune ne tombe.
Si par le feu bois vert est allumé,
Plus vile encor le sec est consumé;
Bien est il vrai qu'à qui doit être sage
Pas n'est besoin du secours du grand âge ;
Le goût, ami, le seul goût pour le bien
Pour y venir, est le plus sur moyen ;
De la vertu le respectable germe
Est l'aliment du cœur qui le renferme ;
Mais son progrès languit et s'interrompt.
Dès que son suc par degrés se corrompt.
Par les désirs que la faible Nature
Transmet au sein de chaque créature.
On réduit peu la force du penchant :
J'en vais citer un exemple en passant.
m KPITRES.
Lise dans un foins où l'Kglise
Appelle ses enfans à la confession,
S'y rendit pour avoir remise
D'un cas où la portait son inclination,
Que les vieilles nomment sottise,
Et ([ue les jeunes gens appellent passion.
« — Ça, ma fille, lui dit le Père Siméon,
Pour votre bien ne faut ici rien taire;
Répondez donc ingénument,
Lors qu'arriva le dangereux moment
Où le Démon vous portait à mal faire
Par l'organe de votre amant,
L'acte de votre part fut-il involontaire
Ou bien de votre gré?... — Mon père...
Ce fut... je ne sais pas comment,..
J'aimais Tircis .. — Allons, point de mystère...
— Eh! bien... ce fut... très-volontairement.
— Bon. Après. Le détail... Car il est nécessaire
Pour ressentir l'effet du sacrement
Que vous contiez entièrement l'affaire.
— Tircis, dit-elle, à qui je savais plaire,
Me plut aussi... C'est un garçon charmant...
— Mon enfant, il faut vous défaire
De ce mot doucereux dont nous n'avons que faire •
Nommez-le Tircis seulement.
— Eh ! bien ; Tircis me pressait vivement
De payer son ardeur sincère,
Et de finir son rigoureux tourment...
— Après... — Un jour sur la fougère
Qu'il s'exprimait encor plus tendrement.
D'amant timide, il devint téméraire,
«
ÈPITRES.
Et s'y prenant encor plus hardiment,
II changea ma raison sévère
En un tendre frémissement.
Plus je crains, et plus il espère :
II attaque si fortement,
Je me défends si faiblement.
Que maître de se satisfaire,
Il se satisfait aisément.
II me plongea dans un ravissement
Dont je rougis... Enfin, mon Père,
Par quatre fois vainqueur au gré de ses désirs,
H noya ma vertu dans les plus doux plaisirs ;
Son cœur... — Cela suffit. Je sais votre aventure
Dit le Pater avec un peu d'émotion ;
Vous donnez à votre peinture
Tant de vie et tant d'action,
Qu'elle prouve bien peu votre contrition.
La grâce est sans effet où règne la Nature,
Promettez-moi pourtant de fuir l'occasion
De revoir ce Tircis... — Hélas ! je vous le jure...
— Dieu seul doit remplir votre cœur.
Et non pas une créature :
Savez-vous où conduit ce plaisir corrupteur ?
A la perte de votre honneur ;
Au dégoût, au mépris d'un ingrat, d'un parjure.
Il en résulte encor un bien plus grand malheur,
Il vous prive de Dieu, pour qui vous étiez née.
Enfin d'une âme destinée
A jouir dans les Cieux de l'éternel bonheur,
II fait une âme à périr condamnée.
Ma fille, allez en paix, et durant la journée
125
120 EPITIIES.
Ayez devant les yeux, pour surmonter I,i cliair.
Votre lionneur, le Ciel et l'iMifer. »
La rougeur sur le Iront, et l'ànie pénétrée,
Lisette sort du conlessionnal
Plus tristement qu'elle n'était entrée,
Et désormais veut vivre retirée
Pour éviter l'occasion du mal.
Quel heureux changement ! la voilà pénitente,
Et si vous voulez, repentante.
Mais le Malin toujours au guet
Lui rappelait dans sa pensée
Tircis l'aimant, Tircis bien fait ;
Si, (pi'en son cœur son image tracée.
Malgré psaumes, agnus, oraisons, chapelets.
N'en fut nullement effacée.
A quelques jours de là, Tircis
A ses yeux s'offrit en personne.
Lise veut fuir. — « Vainement tu me fuis,
Dit cet amant, qui la lui gardait bonne ! »
Il la joint, la prend dans ses bras,
La serre, l'embrasse, et lui donne
De ces baisers qui ne finissent pas,
Que la faveur ne les couronne.
Lise se rend, l'Amour l'ordonne,
Le penchant revient à grands pas,
La dévotion l'abandonne.
Adieu l'honneur, l'enfer, le paradis.
Dans ce doux nnomcnt la friponne
Aima mieux risquer tout que de perdre Tircis.
FABLES
L ENFANT El' LA POUPEE.
Dans une foire un jeune enfant
Promené par sa gouvernmte,
Contemplait d'nn œil dévorant
Maints beaux colifichets : tout lui pl:\ît, tout le lent(
II veut Polichinel, ensuite un porteur d'eau,
Et puis il n'en veut plus. — Voulez-vous une cpro?
— Ah! oui, mais non; j'aime mieux ce berceau. >•
11 l'eût pris, sans une poupée
Qui le séduisit de nouveau.
On la lui donne ; en sautant il l'emporte,
Chez la maman le voilà de retour :
Aux gens du logis tour à tour
Il fait baiser l'objet qui d'aise le transporte;
Depuis le matin jusqu'au soir
De chambre en chambre il la promène :
S'il faut aller coucher, il la quitte avec peine.
Et s'endort en pleurant dans les bras de l'espoir;
En dormant il en rêve, et le jour lui ramène
Sa Mimi; qu'on l'apporte; et vite, il veut la voir !
Pendant près de huit jours, avec exactitude
I2X FAliLES.
Faiifan joue avec sa caliii.
Il paraissait content; mais le petit coquin
De la possession se lit une liabilude.
L'iiabitude et le Iroid se tiennent par la main :
Le froid donc s'ensuivit et le dégoût enfin.
Combien de belles sont trompées !
Combien de volages amants!
Hommes, vous êtes des enfants,
Femmes, vous êtes des poupées.
II
LE CARROSSE ET LE MOULIN A. VENT.
Un équipage à triple glacej
Passant prés d'un moulin à vent,
Le nargua sur sa lourde masse,
Et lui dit : — Mon pauvre innocent,
Tu fais bien du chemin sans bouger de la place !
Pour qui? pour un meunier, un lourdaud, un manant
Mais moi, regarde, encore passe ?
En roulant je porte un milord,
Femmes de cour, brillantes, bien ornées;
Moi-même je suis doublé d'or.
Sens-tu quelle distance entre nos destinées? «
Le moulin lui dit : — Monseigneur,
Mon sort cbétif vaut bien votre bonheur :
Servir l'orgueil est votre mode,
D'un tel enïploi je ne suis point tenté;
Prévenir la nécessité
Vaut bien l'honneur d'être commode. »
FABLES. l'i!)
III
l'écolier et la férule.
Certain espiègle, un de ces bons apôtres
Qu'on laisse tard en pension,
Resta pour sa malice et par punition
Sur un banc, tandis que les autres
Élaient dans le jardin en récréation;
Mais le marmot en faction
Trouvant enfin ce rôle ridicule,
Pour sortir de l'inaction
Sur la table prend la férule :
Cachon?, dit-il, ce vilain instrument.
Où? dans ma poche? non, vraiment;
On peut me fouiller.,. Ah! je tremble!
Monsieur Tabbé n'a qu'à venir.
Remettons-la.,. Cependant il me semble
Que j'ai le temps... Oui, par plaisir,
Et pour nous venger tout ensemble,
Otons toujours ce moyen de punir...
Soudain dans un coin noir la férule est mussée :
— Mon pauvre enfant, dit-elle, écoute bien ces mots.
Le mal que je t'ai fait, et dont je suis fâchée,
T'épargna de bien plus grands maux,
Et tu voudras tantôt ne m'avoir point cachée.
On va voir qu'elle avait raison.
La cloche sonne, on rentre en classe :
L'n tel? dites votre leçon...
Fort bien! à l'autre... émerveille!... L'on passe
130 l'A y LE S.
KiisLiit(> à nutic polisson.
— Allons, monsieur la bonté même,
A votre tour... H n'en sait pas un mot.
— Avez-vous refait votre thème?
— Monsieur... — Non...— Mais... — Taisez-vous, petit sol
Pour vous apprendre... où la férule est-elle? »
On cherche en vain ; à son défaut
Verges de Dieu dansèrent comme il faut.
Ceci de maints auteurs est le tableau fidèle.
Rebelles aux conseils d'amis sages, prudents.
Et dérobant ci' qu'ils viennent d'écrire
A la férule du bon sens.
Leur sort est de passer, malgré leurs arguments,
Par les verges de la satire.
IV
l'a.M; tT SO.N MAlTUr.
L'àne et son niailre! A-l-on jamais parlé
Avec aussi peu d'art? Ce titre-là m'assonnne.
Pour moi, dans mon intitulé
J'aurais mis la bête après l'homme.
Vous l'auriez fait? Moi, je ne le fais pas.
Pour s'exprimer chacun a sa manière;
Mais à quoi bon cet altercas?
Cette fois n'est pas la première.
Où l'àne sur l'honnue a le pas.
Dieu veuille, hélas ! qu'elle soit la dernière.
Sur son grisou maître George monté,
Cheminait un jour à son aise.
FADLES. 151
Il eût encore mieux été
Dans bon carosse ou bonne chaise ;
Mais par faute de ce moyen
Il s'en tenait à sa monture,
Qui, tranquille dans son allure,
Sans aller vite, allait fort bien;
En chemin il prend un caprice
 maître George. Eh ! quoi, dit-il!
Ce baudet-ci ne prend point d'exercice.
Toujours le pas! tandis que j'en vois mil
Trotter, fringuer, galoper même.
• Qui l'empêche d'en faire autant?
De l'y forcer ne suis-je pas à même?
— Allons, drôle, vite, à l'instant
Que l'on galope .. — Ah ! lui répond la bèlt
lion maître; vous exigez trop,
Je vous jure, foi d'àne honnête,
De vous culebuter si je vais le galop.
Moi, galoper! je n'en suis point capable,
Je sais marcher, vous porter, c'est assez,
Et vous êtes trop raisonnable
Tour attendre de moi des services forcés. »
A cette juste remontrance
George en courroux pique des deux.
Fouet de claquer, de pincer encor mieux.
Ainsi pressé raesser Baudet s'élance.
Double le trot, la ta ta, ta ta ta!
La poudre vole. A trente p is de là
On eût vu la bète de somme
Se reposant, les quatre fers en l'air,
Montée à son tour sur notre homme.
132 FABLES.
Qui de poussière et de honle couverl,
Le releva, non sans dommage :
Lors rendu sage à ses dépens
Il conclut qu'en fait de talens,
De loi, de coulume et d'usage,
Il ne faut point forcer les gens.
LE SINGE, LK LAPIN ET LE MOUTON.
Le bon cœur à l'esprit fut toujours préférable,
L'un a nombre d'amis, et l'autre presque poinl :
Quand l'esprit au bon cœur se joint
C'est encor mieux, on en est plus aimable.
Maître Bertrand, singe adroit et malin,
Singe à bons mots, fit un jour connaissance
Avec Robin mouton, ami de Jean Lapin.
Les voilà donc tous trois en bonne intelligence.
De son métier, Bertrand drôle de corps,
Les faisait étouffer de rire.
Et devant lui les plus retors
Admiraient, et n'osaient rien dire.
C'était un petit Despréaux,
Il avait fait une satire,
Contre de certains animaux
Qui se croyaient bien fins et n'étaient que des sots.
Écoutez, je vais vous la lire,
Leur dit-il, en s'applaudissant.
On écoute... Après la lecture,
— Comment la trouvez-vous?... — Cela n'e^t pas plaisant,
I
FABLES. 133
Dit le lapin, craintif de sa nature.
Vous drapez le lion, le loup et le renard
Qui prés de nous sont tous gens d'importance,
Ainsi nous aurons bientôt part
Aux traits mordants de votre médisance.
— Bon! dit Berlrand, n'ayez pas peur. Fi donc !
Et qu'en pense Tîobiu mouton ?
— Ah! dit Robin, je ne suis qu'une bête,
Car je n'aime que la bonté.
Peut-être suis-je malhonnête
De fuir aussi votre société;
Mais Jean Lapin et moi ne faisons point de fête
A qui doit son esprit à la méchanceté. »
V[
LE JOUEUR DE GOBELETS ET LES VILLAGEOIS.
L'ignorance est un mauvais juge,
Dont bien des gens ne se trouvent pas mal ;
Mais contre les arrêts de son faux tribunal
La raison est un bon refuge.
Escroquillard, fameux escamoteur.
Dans un village un beau dimanche
Dressa son théâtre imposteur
Sur deux tréteaux que couvrait une planche,
Puis au bruit du tambour il se fit annoncer.
« — C'est par ici. Messieurs, allons, prenez vos places.
Dans l'instant je vais commencer. »
tous mes benêts pipés par ses grimaces.
De l'admirer ne pouvaient se lasser.
loi FABLES.
Après maints tours de passes-passes
Ils ne savaient que dire et que penser.
Leurs yeux frappés de ce rare spectacle,
Prenaient jtour autant de miracles
Cliaque parole et chaque changement.
Ils ne concevaient pas comment,
Sans y toucher, une muscade
Par le pouvoir du seul commandement
Allait joindre sa camarade...
« — Allons, Messieurs, à ce tour-ci,
Par la vertu de ma baguette
Je vais changer cet écu que voici
En plomb... Partez... La chose est faite,
Le voyez- vous? Ça, maintenant
Que le plomb redevienne argent,
Soufflez dessus... « Chaque maroufle
Tour à tour de bonne foi souffle.
Et reçu paraît de nouveau...
« — Ah ! mon Dieu, Seigneur ! que c'est beau !
Quel esprit ! C'est pire qu'un homme,
Que cet homme là... — Ça, Messieurs,
Leur dit Escroquillard, le temps m'appelle ailleurs, n
A leurs dépens muni d'une assez bonne somme,
Son départ fut son dernier tour;
Le village longtemps parla de l'homme habile;
Que de villageois à la Ville !
Que d'escamoteurs à la Cour !
I
FABLES. 155
VII
LES DEUX NAGEURS.
Jeunes gens, travaillez, et devenez capables,
La science est un bien qui ne périt jamais...
Allez, me direz-vous, parlez à vos semblables ;
Pour prendre de tels soins nous ne sommes pas faits :
Sur de grands protecteurs nos intérêts se fondent.
Monseigneur tel nous veut du bien...
C'est beaucoup ! mais cela n'est rien,
Si vos talents ne les fécondent.
Deux nageurs, un beau jour d'été,
S'égayaient au milieu de l'onde.
L'un d'eux surtout par sa dextérité,
Par mille tours, arrêtait tout le monde.
Tantôt d'un bras fendant les flots,
Il semblait les rendre dociles,
Et tantôt ses jambes agiles.
Lui suffisaient pour voguer sur le dos.
L'autre, aidé de deux callebasses,
Et pesamment détachant quelques brasses,
S'imaginait le surpasser :
Même il osa lui proposer
De traverser la rivière...
(I — Ah ! dit l'autre, l'orgueil vous tient,
Ou vous riez ; car, mon pauvre confrère,
Sans le secours qui vous soutient,
Volis nageriez comme une pierre...
17.0 FABLES.
— Eli! mon Dieu, qu'importe! essayons....
— Vous le voulez? Hé! bien, voyons. »
Ils partent, le nageur habile
Sans se gêner arrive au borJ,
Et l'autre, après une peine inutile,
Prêt à succomber sous l'effort,
S'aperçoit un peu tard qu'il n'est qu'un imbécile,
Et dans l'endroit le plus profond,
Les gourdes s'échappant de leur lien fragile,
Laissent couler mon sot à fond.
La science bien dirigée
Par les flots des revers n'est jamais submergée,
Le vrai mérite est un sûr aviron ;
Mais l'ignorance protégée,
Le Patron mort, fait le plongeon.
VIH
LE MIROIR DE LA VÉRITÉ.
Un jour la Vérité, dans une grande place
Montrait, pour de l'argent, un magique Miroir.
Oh ! oh ! dit le public, c'est une chose à voir !
Le monde y court. La merveilleuse glace
Avait entre autres le pouvoir
Quand on fixait les yeux sur sa surface,
D'en apprendre bien plus qu'on n'en voulait savoir.
Le faux dévot, la coquette, la prude,
Le traître, l'ingrat, le méchant,
L'orgueilleux, le faquin, le brutal, le pédant
FABLES. 157
Venaient des curieux grossir la multitude :
Bref, chacun y voyait ses défauts découverts.
On rougissait, on ne savait que dire :
Mais ai-je bien les yeux ouverts !
On les frotte, on les ouvre, et puis on se reniire.
Mêmes objets de nouveau sont offerts, t
Au diable le Miroir ! on s'y voit de travers.
Bon soir, la Vérilé, gardez votre vitrage ;
Et puis sans la payer, on lui dit, bon voyage.
Pour s'enrichir, la Vérité
Avait sans doute pris le change :
La fortune n'est pas pour la sincérité ;
Nous ne payons que la louange.
IX
LES DEUX SEhIXS.
Soyons aimables sans orgueil.
Aux dépens des talents des autres
Ne faisons point valoir les nôtres :
Trop de présomption du mérite est l'écueil.
Deux Serins, tous deux du même âge,
Tous deux ayant même talent.
Avaient séparément leur cage
Dans un superbe appartement.
Vous eussiez dit être dans un bocage
Tout plein de Rossignols, tant leur charmant ramage
Portait au cœur un doux chatouillemenl.
Tous deux étaient également
8.
138 FAT. LES.
Soignés, chr'iis do Iimii- inaiiresse ;
Forco planlin, ensuite du bonbon,
Et par-dessus une caresse.
Baisez, mon fils ; baisez, petit mignon.
Baisez... Tous doux ul)jels de la même tendresse,
On croira qu'ils vont vivre en un parfait accord,
On croira mal : la noire Envie
Du désir de primer suivie,
De nos deux Amphions vint troubler l'iieureux sort.
Plus d'accents, plus de mélodie-.
Mais, par dépit cliacun veut l'emporter,
Et puis soudain de disputer :
Avec un ton aigre on gazouille,
Et si l'on se met à clianter.
Ce n'est que pour se chanter pouille.
w — Je brille plus que vous, soyez-en averti,
Dit l'un ; ma voix touche plus que la vôtre.
— Vous êtes un sot, répond l'autre.
Et qui plus est, vous en avez menti.
Vous dites que votre voix flatte,
Mettez-en cent encor avec,
Pour m'égaler... —Qui? vous, Monsieur de gosier soc !
De ce jour retenez la date,
Ne tombez jamais sous ma patte.
- - Ni vous, dit l'autre, sous mon bec. »
Témoin de leur criaillerie
Leur maîtresse n'y comprend rien.
Quoi donc! Quel baroque entretien !
Jamais Serins de canarie
N'ont en caquet qui ressemblât si bi(Mi
Au dur ramage do la Pie.
CONTES. I.-9
Qu'avez-vous mes petits enfniits?
Sans lui répondre, on poursuit la querelle :
Le lendemain elle se renouvelle,
Et tous les jours : oh ! oh ! c'est trop longtemps
Jl'étourdir ! qu'on porte dit-elle,
Ces piaillards dans le fond du grenier.
Que d'auteurs avec eux on devrait envoyer !
CONTE
LE BEURRE
Autrefois, sans tant d'examen,
On se piquait d'amour pour une l'elle.
Et presque siîr d'être toujours fidèle,
On passait tendrement de l'amour à l'hymen ;
3Iais à présent on ne dit plus Amen,
Sans savoir si la Demoiselle
Ne donne au moins son pesant d'or
Avec sa main : le bien seul fait l'accord.
Maudite loi ! pas ainsi n'en usèrent
Maître Trichet, et la jeunette Alix,
Lorsque tous deux ils s'épousèrcnl.
L'un jeune, et l'autre faite aux dépens do Cipris,
Différemment tous deux valaient leur prix.
140 CONTE.
Voici comment la Destinée
Les tu connaître. Une belle journée,
(C'était, je crois, sur la fin du printemps),
Mons Trichet, maître de son temps,
Fort bien le prit pour un pèlerinage
Assez connu, qui n'est loin de Paris,
Nanterre enfin ; le dévot personnage
Arrive à jeun ; il se l'était promis ;
De dire qu'il ouït la Messe,
Qu'il fit ce qu'on fait à confesse.
Serait de trop, pour peu qu'il soit Cbrétien,
Notre lecteur s'en doute bien.
Trichet aimait le vin, il eut pour pénitence
De se mettre huit jours au lait.
Et de prendre pour sa pitance
Du fromage au lieu de poulet.
Dans le village était une laitière,
L'obéissance y conduisit Trichet :
Eussiez-vous cru que dans celte chaumière
Il eût rencontré plus d'attrait
Qu'au cabaret ?
La fille du logis au coloré visage,
Aux yeux noirs et perçants, l'enchanteresse Alix,
Qui ne comptant quatre ans par-dessus dix.
Rassemblait en son corps les charmes du village.
D'un air simple et riant lui servit du laitage :
Il en mangea, puis redoubla deux fois :
Servi par tant d'attraits, qui n'en eût fait de m<''me?
llébé vous perdriez vos droits.
Si Jupiter aimait la crème :
Par un bonheur un autre est amené,
COIS TE. 141
Trichet l'éprouve, et dans sa dévote âme
Il sent bouillir le lait dont il a déjeuné,
Grâce à la belle Alix qu'il demande pour femme.
Un tel parti n'était à rejeter :
Pas ne le fut, Trichet prit la huitaine
Pour sa promesse exécuter.
Le retard en amour .est une étrange peine;
Mais pouvait-il faire autrement?
h\i-t-il se damner? Car sa perte est certaine.
Si pendant les huit jours il ne vit sobrement.
De son prochain bonheur la future bourgeoise
Bénissait Dieu : son cœur quoique flatté
Ne logeait point de sotte vanité ;
Car tous les jours lidéle villageoise,
Elle portait au marché de Paris
Du beurre frais, comme à son ordinaire.
Ainsi faisait jadis Margot, simple bergère,
Qu'une intrigue aujourd'hui place au rang des lîls
Un jour qu'Alix s'en retournait contenle
D'avoir vidé ses deux paniers.
Et pour iceux reçu maints beaux deniers,
Elle aperçut Lucas, défricheur d'innocente ;
Bien fait surtout était le fin matois,
Et beau diseur en son patois.
« — Qu'est-ce, dit-il, en abordant la Belle?
Un Monsieur doit donc t'épouser
Après demain? — Oui — Méchante nouvelle!
Tu ne sais pas comme il faut en user
Avec un homme du gros style ;
Je te plains car lorsqu'il faudra....
Tu m'entends bien, et qu'il voira
142 CONTJi;.
Qu'à ce jou lu n'es pas habile,
Je suis sûr qu'il to renvoyera.
Quelle honte pour loi ! Queu chagrin pour la mère!
Tu pleures? Va, ne pleure pas,
11 est un doux remède à ce Iriste embarras.
Je l'ai... — Tu l'as? Ah! dit-elle, j'espère
Que tu voudras.. . - Oh ! oui ! je ferai ton affaire ;
Mais pour ce service obligeant,
Alix, il me faut de l'argent.. .
— De l'argent? Tiens, prends tout... — Bon cela, dit le sire;
A présent couche-loi sur ce lit de gazon. »
Elle de se coucher, et lui de vous l'instruire,
Pe cette façon-là, puis d'une a'.ilre façon.
Alix se pâme, Alix soupire,
Et trois ou quatre fois répète la leçon.
La Belle en train de bien apprendre
Serrait Lucas, qui, las de besogner,
Par un air abattu lui fit assez comprendre
Qu'on ne peut toujours enseigner.
« — Sarviteur, lui dit-il, à demain la pareille.
C'en est bien assez pour ce jour. »
Puis le grivois, ami de la bouteille.
Fut célébrer Bacchus aux dépens de l'Amour;
De son côté la savante Ecolière
Poursuivant son chemin, arrive à la maison.
Elle entre; mais alors point d'argent pour sa mère.
On en demande la raison;
Un mensonge à propos raccommoda l'affaire.
Alix conte que des voleurs
Ont enlevé sa marchandise.
Ce récit effrayant aidé de ([ueUpies pleurs.
CONTE. Ii3
Parut naïf; la cliose l'ut bien prise,
Bien prise fut. Voyez le grajid malheui'.
Ne pleurez plus Alix, calmez voire douleur.
Tels coups sont impré\'us; mais quoi! l'on s'en console,
D'ailleurs votre futur arrivant dans deux jours,
Vous dédommagera ; car on sait que toujours
Un Chrétien qui promet tient aussi sa parole.
Pas n'y manqua l'amoureux Pèlerin ;
Au tems marqué la chose fut conclue.
Après la danse et le festin,
Après la bonne nuit et donnée et reçue,
En beaux draps blancs nos deux époux
Fort à la légère se mirent.
Le désir d'un moment si doux
Nous donne à penser ce qu'ils firent ;
Mais Trichet du premier assaut
Se contenta ; chétive était la dose
Au" gré d'Alix. « — Comment! lui dit-elle tuul haut.
Est-ce là tout? Voyez la belle cliose!
Pardi, moi, je croyais qu'aussi bien que Lucas
Vous alliez quatre fois traiter Alix en Reine.
Nous coucher pour si peu, ce n'était pas la peine...
— Qu'entends-je? dit Trichet, vous auriez fait le cas!
— Bon, lui répond Alix, queu malin que vous êtes!
Monsieur veut se gausser de nous.
Allez votre chemin, mon Dieu, connue vous faites!
On en sait là-dessus autant et plus que vous ;
Car Lucas m'a montré trois fois en trois quarts d'heure
De fort biaux tours ; aussi pour les savoir trelous
11 m'en a coûté mon bon beurre. »
Hé VEIIS.
VERS
POUR METTRE AU BAS DU PORTRAIT d'uNE PI RSONNE LAIDE.
Celte cioustilleuse figure
Me rappelle le Carnaval ;
On doit nommer roriginal
L'Enfanl gâté de la nature.
ÉPIGRAMME.
Certain abbé, poupin de son métier,
Ilimeur aussi, pétri de politesse,
Un jour lâcha par maladresse
Un vent de l'arrière-gosier.
Chacun rit, il n'en est point aise;
11 cherche à s'en justifier,
Et pour qu on accuse sa chaise
Du pet, il vous la fait craciuer et recraquer.
Quelqu'un lui dit, apercevant sa frime ;
Que sert, l'abbé, de tant vous fatiguer?
Vous n'en trouverez point la rime.
VERS
POUR ÊTRI-: JUS AU BAS d'uNE ESTAMPE REPRÉS^:NTA^Î
LA PLACE MAUIÎEP.T.
« — Paix là, paix là, mes cliers enfants;
En vérité, c'est trop longtemps
Se battre et jurer pour des ponmies.
— Allez, brigadier des bons hommes.
VEliS. 145
Avec votre air tristement doux :
Savez-vous que via pour dix sous
De belle et bonne marcliandise.
Que ç'te vieil' cavale de frise
Vient de jeter sur le pavé !
— Tais-toi, mou de veau mal lavé;
Pourquoi m'appelles-tu bâtarde,
Bassinoire de corps de garde ?
Gaupe... — Moi gaupe? Gaupe moi?
Ah, chienne, ;;rt(t... Tiens, v'ia pour foi...
— Ah! tu me le paveras, vilaine.
Attends... — Làche-uioi... Magdelaine...
— Non... — Lâche-moi... — Non... — Saquerguié,
Je veux. . — Viens plutôt d'amiquié
Boire nous trois un coup de pafl'e,
Ca guérira la pataralfe,
Et je verrons qui qu'aura tort...
Viens-tu... — Va, taupe, allons, d'accord.
Venez, vous, mon révérend père,
Relicher un coup de ç't'affaire;
Il ne vous en coûtera rien...
— Soit, je vous suis pour voire bien.
LETTRES
I
A U.NE DE.MOIbliLLE QUI i'KENAIT l'OlU LORS lES EAUX A l'ASSY.
Air : Vous in entendez bien.
Je croyais sans prévention
Mériter votre aflection;
Et que mieux que tout autre,
Hé! bien,
J'aurais pu toucher votre...
Vous m'entendez bien.
Toucher votre insensible cœur
Qui fut pétri par la froideur ;
Soyez donc moins sévère,
Hé! bien,
Et je pourrai vous faire...
Vous m'entendez bien.
Vous faire entendre que l'amour
Ne peut subsister sans retour.
Je serai toujours tendre.
Hé! bien,
Si vous voulez me prendre...
Vous m'entendez bien.
LETTUES. 147
Me prendre pour unique amant,
Et que le vif empressement
Que j'ai pour vous, Climène,
Hé ! bien ,
Vous fasse ouvrir sans peine...
Vous m'entendez bien.
Ouvrir sans peine et sans rigueur
Votre âme aux traits de mon ardeur.
Usez de représaille,
Hé! bien.
Ou dites-moi que j'aiHe...
Vous m'entendez bien.
Que j'aille à l'assy vous trouver,
Pour vous dire et pour vous prouver,
Mieux que par cette lettre,
Hé! bien,
Que j'ai bien Thonneur d'être.. -
Vous m'entendez bien.
II
bE l'auteur a un llE SES AMIS SUR SA JOLŒ FAÇON d'ÉCRIRE.
Je viens de recevoir ta lettre, mon ciier ami ; elle m'a
en vérité fait plaisir : tu écris joliment ; j'aime les compli-
ments à la fureur; tu m'en as fait de magnifiques; mon
amour-propre en a eu une raisonnable indigestion. Heureu-
sement que la grenouille, cette fois-ci, n'a disputé de gros-
seur qu'avec le veau : qui ne s'enfle qu'à demi, ne crève
l'<8 LETTRES.
pas tout à fait. Tu m'as l'ail Tlionneur de palier de moi à
M...? Je l'en remercie; cependant, non, et oui... Car
Que dire d'un Jeune inconnu
Qui pour tout mérite cliansonnc?
Et qui n'a d'autre revenu
Que ce qu'un simple emploi lui donne
Pour l'empêcher d'aller tout nu;
Miiis le destin ainsi l'ordonne :
Voilà le non. Et quant au oui,
Qui m'intéresse, le voici.
Si consultant l'amitié même,
(S'entend celle que j'ai pour toi,)
Tu sens quand tu parles de moi
Faire valoir combien je t'aime,
J'attends un renom glorieux.
Cher ami, ceux qui te connaissent
T'aiment d'abord, et s'intéressent
Pour quiconque pense comme eux.
Je compte sur le plaisir d'aller voir tes aimables parents,
sans cependant me servir du prétexte de la fête de madame
ta mère; cpi'en ai-je besoin? Lorsque, d'accord avec l'in-
clination, le respect nous introduit chez les gens, et que
l'on y trouve la bonté, qui, les deux bras ouverts, semble
vous laisser lire dans son cœur : Vous voilà'f Tant mieux :
dînez avec nous ; vous êtes un bon garçon de venir nous
voir. Votre serviteur Irès-humble : metlez-vous là, et faites
comme nous. A voire avis, M. le Conseiller à la glace,
doit-on avoir recours au labyrinthe quand il s'agit d'arriver
droit comme mi I dans le séjour de la franchise?
Je suis ravi que les deux chansons dont lu me parles
aient été trouvées passables; le bonheur de plaire à des
personnes de goût est donc bien facile à acquérir? Oh! mais,
LETTHES. 149
les honnêtes gens se contentent de peu, et leurs généreux
applaudissements font l'effet du microscope, qui grandit le
moindre objet.
Jiadame D... est à la noce à Saint-Denis avec mesdemoi-
selles de... messieurs de ... de ... de ..., etc. Eh! que dit
son mari? Qui, lui? Rien. Mais si tu le voyais soupirer,
sinon de tendresse, du moins de courroux; soupirs qu'il
entrelace mélodieusement d'une douzaine de sacrediés; lu
rirais : ensuite il passe outre au moyen d'une f... en ajou-
tant: ça finira, ou le diable m'emp... Heureusement que
pour lui couper la parole et pour lui épargner ce voyage,
quelqu'un entre en lâchant un infructueux coup d'œil au
comptoir. Ah! ah! où est donc votre femme? Mol. Répon-
dez donc? Où est?... — Mordié, qu'elle soit où elle voudra.
Là-dessus il voudrait que Saint-Denis fût pendu, c'est-
à-dire aux Indes, vingt coups de pieds dans le ventre. Le
diable emporte les noces ; nous verrons si çn durera long-
temps comme ça ! Somme totale : on lit dans son transport,
noce à S;iint-Denis, femme qui y est, et mécontentement
de M. De... à cet égard.
Les noins dont tu me charges auprès de celle qui ne peut
souffrir que les tiens, sont moins de saison que ce rondeau.
Plus d'une fois, et voire plus de deux
Avez reçu bonjours, tendres clins d'yeux.
Et maints souris de la tant gente Dame
Dont me parlez, et bien sais que votre âme
Avec son cœur sympatbise des mieux.
Bien sais aussi qu'elle a l'air soucieux
Quant point ne voit votre minois joyeux :
Pareils cliagrins ont découvert sa flamme
Plus d'une fois.
lôO LLTTRES.
Étonné suis, qu'au comble de vos vœux
Me pressiez tant de proléger vos l'eux.
Sachez, Leuu lils, qu'auprès de jeune femme
Vn conlident, s'il voit gâleau, l'entame,
Et qu'à vos Irais on peut le rendre heureux
Plus dune fois.
Fiction cessanlo, assure-loi qu'on a bien rc(,'u tes faveurs :
ne l'avise pas (raccorder les dernières; c'est un moyen sûr
de ne point donner entrée aux dégoûts. On est surpris
comment tu peux l'aire une dépense si grande en compli-
ments et à si graïul mari lié; mais tu te sauves sur la
quantité.
Tous ceux qui te connaissent ici m'ont chargé de leurs
amitiés pour toi; sois sûr de celle de...
Si M. de... est curieux des respects de ce pays, présente-
lui les miens. Madame de t'embrasse ou peu s'en faut.
m
FRAGMENT !)'CNE LETTRE ÉCIUTE l'AR l'aITEIR A UN
DE SIS A5US A PARIS.
Dans un appartement se tenait une assemblée où la con-
versation était à la torture; j'entrai donc dans ce séjour
d'ennui. In jeune homme y suspendait l'attention de toute
la compagnie par le récit cju'il faisait d'un voyage de Laon
à Dieppe; je me joignis aux autres pour l'écouter; mais
comme les particularités de ce voyage paraissaient peu flat-
teuses, il jugea à propos do lui donner un petit lustre de
mensonge; mais le pauvre gardon, au lieu d'aller en .^or-
m;mdie, |)rcnait totalement le chemin de Hétanie. « — J'ai
vu, ilit-il en riant d'avance, des poulets d'Inde gros comme
LETTRES. 151
des éléphants. — Vous vous trompez, monsieur, lui répon-
dis-je, car dans ce temps-là ils n'étaient point encore en
fleur. » Il resta plus sot que les poulets d'Inde qu'il venait
de citer. Je pris celte occasion pour parler à mon tour,
dans le dessein d'en donner à garder à celui qui en voulait
faire accroire aux autres : je commençai donc ainsi :
« Puisque vous avez été à Dieppe, monsieur, vous avez
dû voir les curiosités que Ton conserve dans le château de
cette ville, entre autres une petite fiole de huit pintes, que
l'on dit être parente du cùlé gauche d'une des cruches des
noces de Cana, remplie du vomissement qui prit à saint
Jean l'Apocalypse lorsqu'il mangea le livre qu'un Ange lui
donna, dont l'amertume des feuillets pensa le faire crever :
autour de cette fiole règne l'histoire de saint Alexis en
relief, d'un marbre rouge sterling, soutenu par quatre py^
ramides à fleur de tête à perruque, sur l'air : de ious les
capucins du Monde; mais lorsqu'on s'en approche comme
pour y toucher, on découvre une perspective de bois flotté
qui fait élernuer par les deux bouts; ensuite on passe dans
un endroit où l'on tire d'une petite boîte ovale par les
deux extrémités et ronde par les quatre coins, de façon
qu'elle forme une espèce de moulin à café; on tire, dis-je,
de cette boite, une pierre de touche de quinze lieues à la
ronde, qui représente les oies du frère Philippe, gravées
par les trois anges dans la fournaise; on expose ce tableau
à la porte de la chapelle dudit château pour signifier qu'il y
a indulgence plénière sans miséricorde.
— Eh! pourquoi donc cela? me dit une demoiselle.
— Parce qu'en ce pays-là, lui répondis-je, c'est la mode,
comme ce l'est à Paris de manger des épinarils de ma-
roquin.
152 LETTUES.
— Bon, bon! je ne crois iioinl toul cela.
— Que diriez-vûiis donc, mademoiselle, conlinuai-je, si
je vous racontais ce que Ton voit à l'Observatoire de l'aris?
Croiriez-vous, par exemple, que Ton y montre un éperlan
taillé dans le roc, à nianclie d'agalbe, enveloppé d'un colon
cardé à neuf, eiiriclii d'une cornaline de bronze peinte sur
coutil, en façon de garde-robe sauvage, et que les yeux de
cet animal ressemblent précisément à deux casse-noisettes,
dont les paupières sont de plomb laminé? Mais ce que Ton
remarque de plus surprenant, c'est une motte à brûler
qui est faite avec du buis béni que l'on prend par le col
pour la jeter les quatre fers en l'air; celui qui la jette re-
tient croix, afin qu'il tombe beaucoup de pluie le jour de
la Fête-Dieu; si au contraire il vient pile, la motte se raidit
en s'amoilissant, et crie trois fois, sans qu'on l'entende :
chasselas à Id livre ! cnsmie on prend une petite épingle
de laiton boisée pour ouvrir une armoire de cire vierge in-
crustée en brique, d'où sort un tableau soutenu par trois
cbérubins de pâte de guimauve un peu marqués de la petite
vérole; le sujet de ce tableau est l'histoire du cochon de
saint Antoine, auquel on a une singulière dévotion. La
bordure représente une campagne voûtée à jour, remplie
d'hannetons du nord perchés sur des palmiers apprivoisés,
dont le tronc est de cire d'Espagne que les Suisses appel-
lent catéchumène; c'est une pensée, traduite de l'hébreu,
parce que dans ce temps-là le peuple aimait tellement le
fromage mou à la daube, que l'on était obligé de leur met-
tre trois fcùs le jour des papillotes pour chasser le tonnerre;
enfin au-dessus du genou gauche de l'un des chérubins,
régne une espèce de charnière de bazin à quatre francs
l'aune, reliée en veau, qui forme une lueur dont la vivacité
CHANSONS. 153
fait descendre tout à coup une grande tapisserie d'amadou
pulvérisé, d'où sort une voix claire qui clianfe deux messes
de requietn sur l'air de Pangc. linxjua, en l'honneur des
trois vertus théologales : ce qui donne tellement la brelue,
que fout le monde est obligé de s'en aller à tâtons el
bâillant, les bras étendus, sans oser seulement dire : Je
vous remercie de la peine. »
J'étais sur le point de leur recommencer d'autres contes,
lorsqu'on me présenta une carte pour jouer, ce que je ne
pus refuser, et je laissai mes auditeurs dans le doule de
ce que je leur avais dit : cependant ils ne savaient comment
le prendre; car Paris, selon eux, est un séjour de miracle.
A^oilà, mon cher ami, le seul moment qui ait suspendu
mon ennui depuis mon cruel départ.
CHANSONS
I
Air : Et! voilà comme, et voilà justement.
Quand on est au fait du métier
De femme habile et de fine coquette,
On choisit un grand écolier,
Sol, mais bien (ait, joli, riche héritier.
On lui jure une ardeur parfaite ;
9.
Î5i CHANSONS.
11 s'applaudit et s'entlainme aisément :
Ht voilà comme, et voilà justement
(lomme on lait d'un novice un amant.
On se fait un aumsement
D'un feu plus doux, plus (laltour que sincère.
.hisqu'à ce qu'Amour s'éloignanl,
On ait à craindre un prochain changement :
Bientôt Hymen devant Notaire
Vient assurer et le cœur et l'argent :
Et voilà comme, et voilà justement
Connue on l'ait un mari d'un amant.
Par--là Ihonneur est à l'abri;
Pour couvrir tout, femplàtre est sans pareille.
Ensuite on prend un favori
Galant, bien fait, vigoureux, bien nourri :
On quitte l'époux qui sommeille.
Pour voir l'amant qui n'est pas endormi :
Et voilà comme, et voilà tout ainsi
Comme on fait un cocu d'un mari.
Puis on le fait tant enrager.
Tant et si bien qu'on lui fait rendre l'âme.
Tandis qu'on leint de s'aflliger,
Dans l'autre Monde il va se soulager.
Trop heureux en quiltant sa femme,
Que son repos lui soit enlin rendu :
Et voilà tout compté, tout rabattu,
Comme on fait un défunt d'un cocu.
CIIANSOINS. 155
Je ne vois rien de si charmant
Que d'obtenir un brevet de veuvage,
Quand il n'en coule seulement
Que les frais de l'enterrement.
Puis des deniers de l'héritage,
Quand on est vieille, on achète un amant,
Kt voilà comme et voilà justement
Comme on fait d'un défunt un vivant.
II
Air : Du Menuet â'ExandeL
Dom Pibrac,
Dans un lac
Près du Gange,
Faisait râper du labnc
Pour gonfler l'estomac
Du pauvre Michel-Ange,
Quand S. Roc
Sur un roc
Vit Euterpe,
Qui pour s'amuser beaucoup
Faisait des vers à coup
De serpe.
Plus loin était Calliope
Qui lisait le Misanthrope ;
Mais Santeuil
D'un cercueil
S'enveloppe
Crainte que Jacques Clément
^e sût renlèvement
156 CHANSONS.
D'Europe.
Si No('
Fut noué,
C'est sa faute.
Oiie n'aillait-il à Cliaillot
Se fair' mettre en maillot
Par la tanle de Piaule !
Au Japon
Le Jupon
D'Artemise
Sert aux Grands Seigneurs Persans
Quand à None ils vont sans
Chemise.
III
Air : Des Sauvages.
Oui,
L'acte est inoui,
Quoi, dans un sac
Fnvoyer Pibrac
Au fond d'un lac,
Et traiter saint-Luc
D'homme caduc,
Tandis qu'un Duc
Réapnd son suc
Le long d'un aqueduc !
Non ,
Loi'squ'Agauiomnon
Fil un serment.
Je ne sais conunent
CHANSONS. 15T
Son regnrd sec
N'ouvrit point le bec
D'Abimelec,
A qui le Grec
Refusait le salamalec.
Sur
La cîme d'un mur,
Près de Namur,
Thisbé d'un œil pur
Voit son futur ;
Mais le galant sûr
. Qne le fruit dur
N'est jamais mûr,
Dit qu'un fémur
iJ'un blanc mêlé d'azur
A l'air obscur.
Fuyant à Saumur,
Pour aclverkiiiir,
Il laisse sa Dame,
Mais la vieille Sara
Du rameau d'or aussi-tôt s'empara,
Pour l'oririr à qui dira.
Oui, etc.
Pan
Pour avoir un Paon
Soufre quatre fois le trépan
Et pour son filleul
Exhiréde son bisayeul,
Parce que Cinna
Qui condamna
158 CHANSONS.
Jean et Mua
Dél'risail sa femme;
Mais dans ses u-iivres Copevnic
Dit que ce n'est pas là le hic,
Et que Tiajau avait le tic
D'être franc dans un pic-nic;
Ce qui ni dire au Public :
Oui, etc.
IV
Pauodie du (jrand Pontife Aawn.
Le sombre Roi Platon,
Pour narguer Caton,
Frisait un mouton,
Tandis que Pluton
Au bout d'un bâton,
A tàton
Faisait cuire un raton,
liacchus sur un cruchon,
A califourchon,
Dans un grand torchon
Portait un cochon.
Regardant Fanchon
Tenir un lirebouchon.
Qui faisait un manchon
De son bichon.
Uajazet en glouton
Mangeant du thon,
Traitait un bas Breton
De niarniitou
CHANSONS. 159
Puis changeant de ton,
Lui montra, dit-on,
Un nid d'Iianneton
Dans du coton.
Consacrez vos plus beaux jours
Au dieu des amours,
Ainsi que votre
Consacrez vos plus beaux jours
Au Dieu des amours.
Cupidon tient dans vos yeux son aimable cour.
Et veut qu'on chante tour à tour'
Consacrez, etc.
Oui, ce matin Père Bernard
Traita Gérard
Comme un pendard,
Et Dom Godard
Avec un dard
Voulut percer ce vieux paillard.
Frère frappard
Vint par hasard,
Pour les apaiser leur lit part
D'un gros renard
Que son bâtard
Surprit au traquenard.
Le Perroquet
De Fuuqiiet
battait le briquet
Dans un bosquet,
Lorsque Jacquet
160 CHANSONS.
Clioz (lliqujt
Jouait au piquet,
Et Magdelon Friquet
Ayant le hoquet,
D'un coup de mousquet
Assomme un ciiquet,
Qui d'un air coquet
Mangeait un morceau de cro'iuet
Dans un baquet.
Ce qui courrouça Jupin
Qui dans l'air porté par un lapin,
Voyant le fourbe Scapin
Armé d'un Pin,
Le foudroyait d'un seul coup d'oscarpin
Judith poursuit llolopherne
Qui tombe dans une caverne
Où résidaient deux brochets
Qui jouaient aux échecs
Sur trois clous à crochets.
Habacuc montrait en perspective
Le hochet que donna Salomon
A Jupiter Ammon;
Une Juive
En coulant la lessive,
Dit à Damon :
J'étais captive.
Quand saint Simon
Sur un mont
Nous cita dans son sermon
Qu" Habacuc, etc.
CHAÎSSONS. 161
Ain : Des irembleurs d Isis.
Minois dont l'aspect suffoque,
Je viens vous faire un colloque
Très-clair et point équivoque :
Écoutez, vieille guenon ;
C'est Belphégor que j'invoque,
Pour décrire la bicoque
Du caractère baroque
Que vous a donné Pluton.
Votre menton nous présente.
Par sa forme extravagante,
Et sa longueur étonnante,
De quoi gloser à loisir :
Plût au Ciel pendant quinzaine
Que votre bouche fût pleine
D'autant de fiente humaine,
Qu'elle en pourrait contenir !
Votre teint de pain d'épice,
Vos trois chicots de réglisse.
Votre nez, sot édifice,
Votre gueule d'entonnoir,
Vos yeux remplis de chassie,
Vos tétons faits en vessie.
Votre carcasse chansie,
Font un tout fort laid à voir.
162 CHANSONS.
Cûssoz donc, vieille chenille,
Torchon gras, sale guenille,
Au travers de voire grille,
irépouvanler les passants,
Par votre cou de cigogne,
Plus dégoûtant que la rogne :
Que le diable vous empogne,
Ne fût-ce que pour cent ans !
VI
A m : k siiis pensif depuis qu'auprès d'un If, ou
un jour Fanchon retapant son bichon.
Un apprentif
Peut-il rimer en if?
Mon esprit doublement chétif
Sur ce point est craintif.
Malgré ma muse apocryphe
Et quoiqu'Apollon la biffe
Dessus ton tarif
Pour obéir à l'objet primitif
Dont je suis le captif.
Je veux d"un ton naïf,
Prouver que je suis attentif
A son vouloir actif.
Ce beau motif
Qui me rend tout pensif.
Devient pour un rimeur poussif
\h\ fardeau positif.
CHANSONS. 165
Pour faire ce logo^riphe,
Il faudrait être l'ontife
Du Mont instructif;
Mais moi qui suis de Montmartre natif
Je ne puis peindre au vif
Votre esprit décisif,
Ni tout l'ornement sensitif
Dont il est portatif.
Un Abbé faisant le petit Dictionnaire, et qui cependant
ignorait que le Pontife du Mont instructif fût le dieu du
Parnasse, se fil moquer de lui en disant que tant de mots
recherchés étaient inutiles, et qu'on en dirait tout autant
en prose. Ce correcteur a donné lieu à ce troisième
Couplet :
Bavard rétif.
Minois rébarbatif,
Qui d'un ton aigre et décisif
Frondez la rime en //',
Vous méritez que ma griffe
Vous administre une giffe
D'un poids expressif;
Mais mon bon cœur à vous punir tardif.
Est un préservatif
Contre mon bras massif
Qui rendrait votre substantif
Plat au superlatif.
104 CIIANSON^.
VII
Air : V'ià ç'que c'csl qud'aUcr aux bois.
Oi'gon de chagrin est nourri :
V'iù c'que c'est qu'd'èlre mari !
Il a pris femme au le'nt fleuri,
Joueuse, coquette,
La charmante emplette !
Le pauvre homme en est bien marri,
V'l;\ c'que c'est qu'd'être mari.
Riche, bien fait, commode et doux,
V'ià c'que c'est qu'un bon époux,
Damon sans se mettre en courroux
Voit sa femme écrire.
Soupirer et lire
Tendres billets et rendez-vous,
V'ià c'que c'est qu'un bon époux.
J'ai le cœur gai comme un pinçon
V'ià c'que c'est qu' d'être garçon !
Suivant l'amoureuse leçon,
Lorsque ma Climène
Fait trop rinhum;iine,
.e la quille pour voir Manon :
\'là c'que c'est qu'd'ëlre garçon !
De l'Amour je ressens les feux
V'ià c'que c'est qu'd' voir vos yeux !
J'ai b:au par un détour heureux
ClIANhONS. 16J
Traiter d'innocente
Ma flamme naissante,
Philis, j'en tiens, hé bien, tant mieux!
Vlà c'que c'est qu'de voir vos yeux.
Iris n'a d'amour que le vent
Vlà c'que c'est qu'd'être au couvent !
Son cœur en tendresse est savant ;
Mais contre une grille
Que peut une fille?
Elle peut, quoi ? pester souvent ;
Vlà c'que c'est qu'd'être au couvent.
VIII
sur, LA PRISE DE MENIN EN 1744.
Air : Stilà qu'a pincé Berg-op-zoom.
Je reviens ma chère Catin {bis.)
Du saboulement de Menin, (bis.)
Et pour afin que tu n'en doute,
Tiens, tais la gueule et puis m'écoule
Premièrement en premier lieu
C'était pire qu'un heur de Dieu,
Le canon sapant les murailles.
Leurs ont éventré les entrailles.
Le Roi qu'est un vivant d'alfut
Fit tout trembler quand il parut;
Far la sacredié, queu compère !
Four licher un (ion, à li le père !
lOti CHANSONS.
Mais vraïuant tu; n'est pas là tout,
S'il est brave, il est bon itou ;
Enfin il a l'âme si belle
Qu'après il faut tirer l'échelle.
IX
An-, : A pied comme à cheval.
T'nez, Messieurs les Anglais
Laissez-là les Français,
Us vous donn'ronl sur l'nez
Si vous y r venez.
Premièrement vous avez tort,
Et secondement ils sont r'tors.
Vous aurez beau vous sauver
Y sauront ben vous r'trouver,
Et nos Grenadiers putôt q'plus tard
Vous sabouleront dansGilbatard ;
Vous v'nez d'avoir le savon
Gheux l'père Mahon.
Pargué ! l'danger
D'vrait vous corriger :
Si selon vous vot' Admirai Binq
En valait ciii({,
Conv'nez, n'en déplaise à c'beau Phœnix,"
Qu'ia Galissonière en vaut dix,
Et par la-d'sus Richelieu
Qui tenait Tmitanl du milieu,
Avec d'Egmont et Fronsac
Vous donnent vos quilles et vot sac.
CHANSONS. 167
Et puis vous savez d'queu bois
S'chauffe c'Monsieux d'Maillebois ;
Convenez qu'ça fait des vivants
En fait d'bravour ben savants.
Croyez-moi, ne les obstinez plus,
Car sans ca vous êtes fichus.
Sur le même air que le précédeiij.
T'nez, Monseigneur d'Orlians,
Vous qu'êtes ici ceyans,
Vous valez cent lois mieux
Que tous les dieux ;
A c'mencer par Jupiter,
Et son frère qu'est dans l'enfer,
Et stilà qu'est dans les yaux
Pour faire enrager nos batiaux,
Et puis st'autre grand farbriqueur de combats
Qui met tant d'pauvres chrétiens à bas :
Stilà qu'a d'zaîle Jiii talon
Est un fripon.
Monsieur Pherbus
.Y donne que des rébus,
Et ç'morveux d'dieu beau comme le jour,
.Nommé l'Amour,
Ah! c'est encore un p'tit animal
Qui n'se plait qu'à faire du mal.
Mamseir Junon
Fait la guenon,
168 AM PII KiO unis.
Mamsell' Pal las
On en est las ;
Mais cju'diles-vous d'Mamseir Vénus
Qui s'marie aux premiers venus ?
Quand ces dieux-là soni, rassemblés,
(ja l'ait des Cieux drôlement meublés;
Pour (fça fût beau, brillant et bon
Faudrait à leu tête un Boi'rbon,
Comme vous, Monseigneur : car, t'nez, j'vousl'dis,
Où qu'vous êtes, c'est TParadis.
AMPHIGOURIS^
I
Air : Du Menuet d'Exaudet.
Alaric
ADantzic
Vit Pégase
Qui jouait avec Brébeul
Au volant dans un œuf
Au pied du Mont Caucase,
' Ce genre de plaisanterie fut fort A la mode vers le milieu du dix-
liuilit'iue siècle 11 n'y a guère de poêle de cette époque qui n'ait
commis quelques-unes de ces débauches d'esprit, sous lesquelles se
dissimulait pai l'ois quelque mordante épisramme (X de l'éd.)
AMPHIGOURIS. 100
• Sûr du fait,
Dom Japhet
Court chez Pline,
Et puis s'en va de Goa
Boire à Guipuscoa
Cliopine ;
Mais la reine Cléopàtre
Faisait cuire dans son âtre
Un marron
Que Baron
Jette aux Poules,
Dans le temps que Jézabel
Mangeait en Israël
Des moules.
Alors Job
Chez Jacob
Prit un masque,
Et s'en lut à Loyola
Chanter Alléluia
Sur un tambour de basque.
Plnëton,
Autoton,
Fut la dupe,
En jouant contre Psyché
Qui perdit au marché
Sa jupe.
10
170 AMPHIGOURIS.
Il
Sur le mcine air que le précèdent.
Sai'pédon,
Coridoii
Et 'Hoccace
S'eiilretcnaieiit tous les trois
Une veille des Rois
Sur \\ Grâce Efficace ;
Quan.l Platon
Suit Milton
En Alsace
Pour y barder un dindon
Dont leur avait fait don
Ignace ;
Mais que leur veut Arlémise
Sur la porte d'une Eglise?
Klle entend
El prétend
Qu'on la frise.
Pour honorer son époux,
Oiie Goliath à genoux
Lui dise :
Si Glaucus
Aux (locus
Fait la nique,
l'renez vous-en à fleclor
Qui perdit son castor
bans le conseil aulique ;
AMPHIGOURIS.
C'est à tort
Que Nestor
Le critique.
Car sur le champ Ménéla
M'en écrivit sur l'as
De pique.
Sur le même air que le précédenl.
Josaphat
Est un fat
Très-aride,
Qui croit être fort savant
Parce qu'il va souvent
Sous la Zone Torride,
Critiquant
El piquant
Agrippine,
Pour avoir fait lire à Prau
Les ouvrages de Pro-
Serpine.
Si le Public lui pardonne
Tous les travers qu'il se donne,
11 faut donc
Que Didon
Ait pour elle
Le droit d'aller dans le parc
Qu'on destinait à Marc-
\n AMPHIGOURIS.
Aurèle :
En ce cas
Le fracas
D'iibord cesse,
Chacun pourra sans respect
Persister à l'aspect
D'une auguste Princesse,
Et malgré
Le congre,
Ariane
Pourra vendre au plus offrant
Une tourte de fran-
Cliipanne.
lY
Sur le même air que le précédent.
Avez-Yous
De Trévoux
Vu la liste,
Qui portait qu'AIdohrandin
Citait le vieux Dandin
Comme un Évangélisle ?
Mais Panard
En renard
Le critique,
El d'un seul et cœlcra
A fait un Opéra-
Comique.
Aux Chartreux la mère Hélène
Prenait du blanc de Baleine,
AMPHIGOURIS. 175
Quand Mailhol
Prend son vol
Vers l'Olympe.
Hélas! c'est en limaçon
Que le pauvre garçon
Y grimpe ;
Mais Le Kain
A Pékin
Lui raconte,
Qu'il a trouvé dans Hamir
De quoi faire dormir
L'Auteur d'Amalazonle.
Poinsinet,
Totinet
Et Panurge
Ont fait un doux élixir
Avec quoi le Yisir
Se purge.
Sur le même air que le précédent.
Annibal
Dans un bal
Vit Brantôme
Qui chandelle en main prouvait
A Scarron qu'il avait
Pillé saint Chrysostôme.
Alberti
Travesti
En fantôme,
10.
174 AMPHIGOURIS.
Dit que l'Empire Oitoman
IS'avail do ce Roinan
(Jirim loiue.
Quami la reine do Nubie
Disputait à Zénobio
L'évenlail
lùi Jétiiil
Fait par Pope,
La tète elle lui pela,
Et l'aulre l'appela
Salope :
Ce qui fit
Le profit
De Lisbonne,
C'est que le Parlement d'Aix
Nomma Caritidès
Le cher de la Sorbonne.
Tamerlan
De merlan
Trop avide,
Pour tâcher de se calmer
Fit i'rire lArt d'aimer
D'Ovide.
VI
Air : d'Hermione, noté ci-après.
On peut dire.
Sans médire,
()u'une femme vaste
N'est point chaste;
AMPHIGOURIS. 175
Voyez Samuel
Qui de Pantagruel
Tenait un annuel
Le plus cruel.
Moins perplexe
Pour le sexe,
Le Comte de Clare
Se déclare,
Que sans ce projet
Il n'eût pas fait un grand trajet.
Palapra
Eut beau forcer Campra
De seconder sa pédanlesque veine.
Sa triste neuvaine
Fut bien vaine.
La plus riche banque
Toujours manque, 1
Lorsque TArchipel
Prononce un arrêt sans appel.
Abraniane,
Orosmane
Dont le courroux dicte
Une loi stricte.
Pour quePéquateur
D'un versificateur i
L'excite à nommer pouf
Le père Osouf.
Un copiste
A la piste
De Tarquin copie
L'œuvre pie.
17C AMPHIGOURIS.
Et Sara s'endort
lîn coucliant avec le veau d'or.
Saint Crépin
Entretenait Crispin
Sur les elTots de la botte secrète ;
Le Prévôt de Crète
Le décrète;
Mais Charles le Chauve
Qui le sauve,
Était informé
Qu'il avait été confirmé.
Mais Alceste,
D'un air leste,
Jetant une gaze
Sur Pégase,
Jura par le Styx
D^employer à Cadix
Dans un terme préfix
La rime en ix.
On peut dire, etc.
LE POIRIER
OPÉRA COMIQUE
P.EPRESENTE POUR LA PREMIERE FOIS Sl'R LE TREATRE DE LA FOIRE
ST-LAURENT, LE 7 AOUT 1732.
PERSONNAGES
THOMAS, Tuteur de Claudine el deLucette, et Amoiireux de
Claudine,
CLAUDINK, Amante de Lubin,
LUCETTE, Sœur de Claudine,
LUBIN, Soiis le nom de Pierrot, Amant de Claudine,
M. DE BONSECOURS, Seicpieur d'un Village voisin,
BLAISE, Pêcheur.
La Scène est dans un Villaç/e sur les ords de la Seine.
SCÈNE PREMIÈRE
PIEKROT
Si tous les jaloux étaient au fond de la rivière, je se-
rais moins à plaindre, et M. Thomas, au service duquel
je me suis mis pour plaire à Claudine dont il est tuteur,
aurait le tems do se noyer avant que j'allasse le se-
courir.
178 lE POIRIEli,
Am : La petite Lise veut (juon la conduise.
Ce qui me chagrine,
llclas ! c'est que Claudine
Ne peut faire un pas
Qu'avec ce vieux Tiiomas.
Et sa sœur Lucelte
Qui toujours la guette,
Force mon cœur
A caciier son ardeur.
Ma clièrc Claudine,
Si lu ne me devines,
Pierrot, en ce jour,
Mourra de son ainonr.
Thomas épouse demain ma maîtresse ; il en est détesté;
mais enfin il l'époujo. J'ai vainement pris le ton et l'iiabit
d'un niais.
Air : Au bord d'un clair ruisseau.
Je n'ai pu de cet ours
Tromper la vigilance ;
Contre la défiance
Que servent les détours?
Que je suis malheureux!...
SCÈNE II
PIERROT, BFjAISE, roiir.vNr un rANiEii rempli de poisson.
liL.ilïE sans voir Piurrol.
Am : Lon fariradondainc, giiai.
Vive un bon luron,
Que rien ne chagraine,
Qui vide un flacon
Sans reprendre haleine.
Iton,
OPÉRA COMIQUE. 179
Lon farira dondaine, guay,
Lon farira dondé.
PIERROT ;i part.
C'est Biaise.
ELAISE.
Même air.
C'est à riiomcçon,
Que pèche Cliniène,
J'endors le goujon,
Pour qu'elle le prenne. . Loii, etc.
IIERROT à part.
Qu'il est heureux !
CL.\ISE .
Même air.
Avec les tendrons
Qu'amour nous amène,
Le soir je péchons
k\i bord de la Seine... Bon, etc.
PIERROT.
.l'admire sa gaîté.
BLAISE.
"ici le Patron,
Va pécher Clnudainc.
Un pareil poisson
En vaut ben la peine, . Bon, etc.
PIERROT.
ILMas !
BLAISE
En via de l:!eaux pour la noce de son leslin, mais ça ly
coulera cher [apercevant Pierrot) Oueuquo c'est que ce grand
llandrin-là qui a lair d'avoir la meine Irisle! lié cadet! à
quoi donc qu'lu rêves-là ?
180 LE 1' 01 HIER.
l'IEIlUOT.
Ain : Morbleu, si je la tenais.
Je songe à la différence
Uc votre joie à mon sort ;
r.LAISE.
A ton avis ai-je tort ?
Le cliagrin de rien n'avance,
Pour tout bien je suis content,
J'aime, Lois, ris, ciianle et danse.
Pour tout bien je suis conlcnt,
Tiens, partageons, mon enfant.
Ile bon allons donc, lu ressembles à un accident comme
deu.v guutles d'eau. Pour l'égayer un peu, viens ine nioalrer
où demeure la maison à M. Thomas.
rilîRROT.
C'est ici. Vous ne pouviez mieu.\ vous adresser, je lui
appartiens.
BLAISE.
Ani : Eu 7uislico.
Uh porgué, je t'en félicite,
Ln niiblico, en dardillon, en dar, dar, dar, dar, dar;
Car sa future a du méiite
Et tu m'as l'air assez
Mistlficoté
fulé.
Il le preiul par la niaiii.
Tiei.s, mon ami, je m'y connais, vois-tu?...
Il recule de ileuxpas cnôlaul son chapeau.
(Juoi donc! ((ueu vision! lié c'est vous M. Lubm, Tmaitre
larmier du village de la Liau? Il y a trois mois qu'on vous
(hcrclie à coups de lamboui- ni plus ni moins qu'un bijou
perdu.
OPÉRA-COMIQUE. 181
Air : Car.
Comme vous via,
Quelle mélamorphose!
Dans tout cela
J'avise queuque chose,
Car,
T'nez, vous n'êtes pas sans c:iuso
Le valet de ce vieillard.
Chiudeniie ne ferait-elle pas par liazard le surjet de tout
ça?
PIERROT.
Uien de plus vrai, mon cher Biaise.
BLAISE.
Hé, mais comment ça se gouverne-t'y ?
riEt;nnT.
Le tuteur est un Argus éternel, et je n'ai lu encore
parler à Claudine que des yeux ; mais j'ai cru entrevoir dans
les siens quelque espoir...
BLAHE.
Vous n'êtes pas mal avancé !
Am : Je n'en dirai pas davantage.
Faut pas s'en rapporter aux yeux,
(.'est un jargon qui trompe au mieux,
Des belles c'est là le langage,
En aiment-elles davantage ?
Non, c'est un tournement de regard à l'orcasion de leur
gloire qui l'ait çn, et les nigauds prennent le change.
PIERROT.
Va, Claudine est trop naturelle.
Am : L'autre jtzir étant assis.
Elle fixe mes désirs,
Mon cœur pi è? de cette belle,
41
182 LE l'OlUlEH.
A cent lois par mes soupirs,
Dit ce qu'il rci-sent pour elle;
Je l'ai vue à son tour
Soupirer et se taire ;
Tel est du tendre amour
Le langage sincère.
BLAISE.
(i'esl ben dit; mais avec tout ça, vous ne tenez rien, faut
de la parole, Monsieur Liibin. Faut agir, voyez-vous.
Am : Mon Pnjni loiitc la nuit.
On amorce le poisson
Pour qu'il entre dans la nasse
Si Claudaine entend raison...
riEr.ROT.
Quoi ! que veux-tu que je tasse!
BLAISE.
Enlevez, enlevez, enlevcz-la,
Dans ma barque je vous passe,
Enlevez, etc.
PIERROT .
Ah ! je crains trop pour cela.
BLAISE.
Ouoi donc craindre; il n'y pas de crainte à avoir; quand
Vous serez une fois dieux vous, tout sera dit ; et d'un autre
côté.
.\iu : Chacun à -^on tour.
Le Seigneur du lieu vous estime.
A le faire il est engagé ;
Votre mère était son intime
Et l'avait parfois obligé;
Il peut donc, vous donnant retraite,
Vous rendre service en ce jour;
Chacun à son tour,
Liron, lirettc,
Chacun à son tour.
OI'ERA-COMIQUE. 185
Et puis avec ça il est en procès avec M. Thomas, ça jettera
de l'huile dans le feu ; et si M. Thomas vous poursuivait,
il trouverait à qui parler. lié puis tenez, ma barque a ça de,
bon, dès qu'une lllle y a mis le pied... Votre serviteur;
les jaloux y renoncent. Je m'en vas porter mon poisson, ar-
rangez-vous là-dessus avec voire parsonnière. (Il sort.)
PIEUROT.
Ne m'abandonne pas, si je la détermine.
BLAISE.
Non, non, allez. (RcvehaiU sur ses pas.)
Je veux dire queu manière d'humeur que c'est M. Thomas?
C'est qu'en cas d'occasion, c'est bon à savoir.
An. : Joseph est bien marié.
Ce tuteur est-il madré?
l'IEUnOT.
Non, c'est un avare outré,
Amoureux par fantaisie
Déliant par jalousie,
Qui par bêtise croit tout.
BLAISE.
Allez, j'en viendrons à bout.
J'irons dire un mot de tout ça à M. de Bonsecom's, sei^
gneurde clieux vous, etpuis je repasse ici, c'est raffaire de
quatre coups de rames. Sans adieu, M. I.ubin.
PIERROT..
Crois que ma reconnaissance...
BLMSE, s'en allant.
Chantons lestamini, chantons lestamina, chantons lesta-
mini, chantons lestamina.
18i LE l'Oinil'Il.
SCÈNE m
l'IKRROT, seul.
Claudine ne se présente pas à ma vue, letuleiir" l'obsède
sans doute.
Aiu : Quel voile importun.
Du jeune objet que j'adore
Ne verrai-je pas,
Les innocents appas!
0 toi que mon cœur implore
Remplis mes désirs,
Puissant Dieu des plaisirs!
Termine mon impatience
Conduis ses pas dans ce séjour:
Hélas ! tu sais que sa présence
Esl pour moi la lumière du jour.
Du jeune objet, etc.
Ces fleurs, cette verdure
Ne m'offrent qu'un triste tableau
Mais quand je la vois, tout est beau,
Tout rit dans la nature
Du jeune objet, etc.
Mais voici Lucette, sa maligne petite sœui ; reprenons de-
vant elle notre rôle d'imbécile.
SCÈNE IV
LliCETTli, PIERROT.
UOLTIE, à part.
Ma sœur me parle de l'ierrot avec une sorte de défiance,
elle esl rêveuse... ce garçon a une certaine bonne mine qui
OPEUA-COMIQUE. 185
dément son élal, et je soupçonnerais presque... Mais non,
il est si bête !
l'IEIiROT, d'un ton niais.
Ail, bon jour, mademoiselle Lucette; où est donc made-
moiselle Claudine votre sœur '!
LUCETTIi.
Eh mais, elle est... vousêtesbien curieux ? qu'est-ce que
vous lui voulez ?
PIERROT, tout lentement.
Aiiv : Je voudrais me marier.
Je voudrais bien lui dire un mot.
LUCETTE, le contrefaisant.
Que pourriez-vous lui dire?
PIERROT, soupirant.
Je ne sais jias.
LUCETTE riant.
Ah ! qu'il est sol.
PIERROT.
Qu'avez-vous donc à rire ?
LUCETTE.
C'est que vous soupirez, Pierrol.
PIERROT.
Hé Lien, oui, je soupire.
LUCETTE.
Oui da ! est-ce-là ce que vouliez dire à ma sœur? Oli,
c'est la même chose, je le lui reportei^ii ; ou bien si vous
voulez, M. Thomas lui en fera la confidence.
PIERROT.
AiR : Allons gai, toujours gai.
Ah! petite méchante.
Vous me désespérez.
18G. I.E l'OIUlER.
LUCET'IE.
I.a compliiinte ost touchante !
Je crois que vous pleurez.
Allons gai, toujours gai.
l'iKunOT, nalurellcmonl.
Aimable Lucetle, loin de m'accabler, plaignez-moi, je
mérite toute votre pitié.
LUCETTE.
Oli, oh, voici du sérieux.
riEUnOT, h part.
Ou'ai-jedil?
LUCETTE.
Vraiment, il se dégourdit.
SCÈNE V
CLAUDINE, LUCETTE, PIERROT.
LlCEïTE.
Ail, ma sœur, ma sœur, approchez. Tenez, M. Pierrot vous
honore, je crois, de sa tendresse.
CLALDI.NK.
lié bien ! ma sœur !
PIERROT.
Air : Un inconnu.
Moi vous aimer ! ali, voyez quel mensonge !
Me siérait-il d'adorer vos appas?
Mais quand j'y songe.
Claudine liélas,
Si vous saviez, non! vous ne croiriez pas
Dans quel plaisir leur souvenir me plonge.
LUCETTE.
Vovez-vous ?
OPÉRA-COMIQUE. 187
PIERROT.
Air : Quand le péril est agréable.
Vainement j'en ferais mystère,
Tout conspire à me dévoiler
Quand vos yeux daignent me parler
Mon cœur doit-il se taire ?
D'ailleurs le temps presse.
CLAUDINE.
Air : I\e 7n entendez-vous jjas.
Je ne vous entends pas.
PIERROT.
Si l'amour le plus tendre
^'e peut se faire entendre,
Que deviendrai-je, hélas.
CLAUDINE.
^ Je ne voxis entends pas. i
(A pari.)
Qu'il m'en coûte pour le rebuter.
LUCETTE.
Air : Paris est au Roi.
Mais vraiment Pierrot,
Pierrot n'est pas sot,
L'amour qui l'enhardit
Règne en ce qu'il dit,
Pour moi j e le crois
Un futé matois.
Tenez, voyez ma sœur ;
Cet air séducteur.
CLAUDINE, à part.
Je sais bien qu'en penser. (Haut.) Mais, ma soeur, M. Tho-
mas est seul ; il pourrait s'ennuyer.
Air : Va-t-cn voir s'ils viennent.
Vous savez que vos besoins
Par lui se préviennent,
188 LE POIRIER.
Allez lui rendre vos soins,
Ces soin£-!à conviennent.
HJCETTli.
Va-t-cn voir s'ils viennent.
Pour vous laisser avec Pierrot. J'entends.
CLAUDINE.
Mais lui dis-je quelque chose?
UCtTTE.
.^on, mais vous poussez des soupirs.
PIERROT.
Air : Mais hélas, je m'aperçois bien.
Si dans un rang moins obscur
Le deslin m'avait fait naître.
Pour moi votre cœur moins dur,
Pourrait m'écouler peut-être :
Mais liélas j' m'aperçois Lien
Que pour plaire il faut paraître ;
Mais iiélasj' m'nperçois làcn...
CLAUDINE, leiulrement.
.Allez, ne jurez de rien.
LUCETTE.
Vous l'aimez donc '?
CLAIDINE.
Oui, petite espionne.
I.UCETTE.
F.h (], »ia sœur.
l'IEUROT.
Quoi, belle Claudine, j'aurais le bonheur, malgré mon
état....
CLAUDI.NE.
Air : Dans nos /taineatix la paix et l'innocence.
Ail, si j'en crois ce que mon cœiu" désire,
Vous n'ùles point ce que vous paraissez,
OPÉRA-COMIQUE. 189
Voire douceur, \03 soins doivent suffire
Pour le prouver.
PIERROT.
Que vous me ravissez 1
Oui, pour vous rendre en secret mon hommage,
J'ai de bon cœur pris ce déguisement.
CLAUDINE, tendrement.
Quoi s'abaisser!...
PIERROT.
Les marques d'esclavage
Sont de l'amour le plus bel ornement.
Lubin est mon nom; et ma famille et mon bien pourront
vous être bientôt connus si vous êtes touchée de mon mar-
tyre.
CLAUDINE.
.\iR : Un minislve du lais.
Hélas vous causez le mien. ,
LUCETTE.
Tout ceci me rend jalouse.
CLAUDINE.
Mais, Lubin, n'espérez rien.
Le tuteur ce soir m'épouse.
LUCETTE, malignement.
Alii, alii, ahi,
l'IERROT.
.4iR : iV. le prévôt des marchands.
Ma ressource est le désespoir.
CLAUDINE.
Ciel! que me faites-vous prévoir?
I-IERIIOT.
Comment voulez-vous que je vive
Quand \ous prononcez mon trépas!
11.
190 I-K roi RI EU.
CLAUDINE.
Je frciiiis!.. non, quoiqu'il arrive,
Cher Lubiii, vous ne mourrez pas.
LUCETTE.
C/ost-à-dirc, mademoiselle ma sœur, que vous n'épou-
serez point M. Thomas?
CL.VUDINE.
Précisément, ma sœur.
l'iEiuior.
Oue je suis heureux !
LUCETTE.
Mais sera-ce moi ?
CLAUBINE.
Je ne vous empêche pas de vous en accommoder dans
quelques années.
LUCETTE.
Non pas, ma chère sœur aînée.
Am : Qu'on me blâme tant que l'on voudra.
Pour me plaire
Il faut qu'un amaul
Joigne au sentiment
Un heureux caractère,
Que sincère,
Jeune et tait au tour,
Il sache me laire.
Céder à l'amour.
Un volage, un indiscret,
Un maladroit.
Un faquin, un soupirant ii lunettes,
Do lleurettes
Yaincmonl m'cnlreticndraienl,
Mes regards les contondraient
Et leur diraient :
OPÉRA-GOMIQUE 191
Pour me plaire,
Il faut qu'un amant
Joigne au sentiment
Un heureux caractère,
Que sincère,
Jeune et fait au tour,
Il sache me faire
Céder à l'amour.
Ainsi, vous voyez bien que je m'en tiens à Lubin. Je vous
abandonne tous les autres.
CLAUDINE.
0 ciel !
LUBIX. '
11 ne nous manquait plus que cet obstacle.
LUCETTE.
Comment?
riERROT, emljarrassé.
Je dis que je ne m'attendais pas à tant de bonheur à la
fois.
LUCETTE.
Et moi, je m'attendais à une réponse plus honnête.
Air : Quel désespoir.
Ne craignez rien.
On ne prétend iorcer personne.
Ne craignez rien.
(D'un air dédaigneux.)
Gardez votre charmant lion.
PIERROT.
Quand l'amour l'ordonne,
Sachez que le cœur se donne.
LICETTE.
Ma sœur est a^scz bonne .
l'our vous lai-scr prendre le sien.
192 l.i; POIRIKP,.
iii:r.ROT.
Elle a le mien,
Sans cela, pelile fripoiino...
LLCETTE.
Ne craignez rien,
(D'un ton lier.)
Allez, Monsieur, on vous vout bien.
piiiunoT.
Vous valez mille fois mieux ; mais.. .
LL'CETTE.
Mais, mais, il suffit : pour vous apprendre à être plus
galant, vous n'épouserez ni mademoiselle ni moi.
PIEUUOT, à pari.
Quel petit diable !
CLAUDINE,
Menuet de Granvcil.
Ah. n;a sœur, vous olicz sans doute
Dire tout à Monsieur Thomas,
Mais malgré lui, quoi qu'ilm'cn coûte...
LICETTE.
.Moi! je ne le lui dirai pa?.
CLAIDI.NE.
Oaoi, loul de bon, mu clière petite sœur !
LUCETTE.
Uli! tout de bon. Je m'en garderai bien.
riEKuor.
()uelle discrétion à cet âge 1
LLCETTi:.
A Ml : De la Course Italienne.
Je ne suis pas si soite vraiment
Que d'aller jaser iuiprudcmment
OPÉRA-COMIQUE. 195
Je le connais,
Si je le lui disais
Votre secret
Le dégoûterait,
11 laisserait
Ma sœur, et me prendrait;
Non, je ne suis pas si sotte vraiment
Que d'aller jaser imprudemment.
Mais je me réserve de lui dire tout, après que M. Thomas
sera votre époux.
CLAUDINE.
A la bonne heure.
Ll'CETTE, à part.
Et Lubin me restera. (Haut.) Le voilà le pauvre bon-
homme.
SCÈNE Vi
TI10ii.\S, CLAUDINE, LUCIDITE, PIERROT.
TIIO.VAS.
Ronjour, mes ent"aiil<. Lucelle, avez-vous bien fait le
guet ?
Il CETTE.
Oui, monsieur.
TIIOJJAS.
Vous n'avez donc rien à me dire?
LL'CETTE.
01 1 ! non, monsieur.
TIIOJIAS.
Écoutez, mon petit chat, (il lui paile ù 1 oreille.)
11)i I.H l'OIRIEU.
CLAUDINE.
Air : Pour la Baronne.
lAibiii, que faire;
Hélas, on va nous séparer!
l'IURROT.
J'imagine un moyen, ma chère,
Un tour.
CLAUDINE,
S'il peut me rassurer,
Il faut le l'aire.
PIERROT.
Parais.sez dans quelques instants désirer du fruit de ce
poirier ; je me charge du reste.
CL.1UDIKE.
J'y consens volontiers.
THOMAS, à Lucettc. Haut.
Et VOUS distribuerez des bouquets et des rubans à chacun,
entendez-vous ?
I.UCF.TTE.
Oui, monsieur.
CLAUDINE, à part.
Que je le déteste !
LUCETTE, à ClauJinc et à Luhin en s'en allant.
.\près la noce, après la noce.
SCÈNE VII
THOMAS, CLAUDliNE, PIERROT.
Ain : Zeste, zeste, zon, zon. zon.
Que dis-tu do mon mariage.
Montrant Ckuuline.
OPERA-COMIQUE. \%
De l'aimer n'ai-je pas raison ?
Ma foi mon arrière saison
Devient r/îon plus bel âge,
Je renais près de ce tendron,
Vois, ne suis-je pas encor leste,
(Il saute loiirdeiiieul.)
Ziste, zeste,
Zon, zon, zon.
(U tousse un peu,)
Qu'a de plus un jeune garçon?
N'est-ce pas mou petit chou ?
CLAUDINE, embarrassée.
Monsieur....
THOMAS.
Dis, dis, ne te gêne pas devant Pierrot, tu sais que c'est
un bon garçon qui n'entend pas malice, et dont nous sommes
sûrs.
PIERROT, d un ton niais.
Air : Raisonnez, ma Musette.
Mademoiselle, ô dame I
Ça doit vous ravir l'àme
De trouver un mari.
Qui lie vous est chéri.
THOMAS.
Le pauvre garçon ! comme il songe à mes intérêts !
PIERROT.
Moi, monsieur, je ne désire que ce que vous aimez.
THOMAS.
Quel zèle I (a Claudine.) Je ne doute pas que tu n'aimes
beaucoup ton futur; mais jure, jure-le-moi encore.
CLAUDINE.
Air : La mort de mon cher père.
l'OLir un amour frivole.
Les serments semblent faits,
196 LE l'OiniER.
C'est im son qui s'envole
S'ir l'aile des rcgrels;
S'uimcr et se le dire
Voilà le fcnliment :
Le sentiment soupire.
Et voilà son serment,
THOMAS.
Elle a niison ; mais no pourrais-tu pas dire quelque cliose
de salisfaisanl à celui qui doit le posséder; là quelque cliose
de personnel?
CLAL'Dl.NE.
Vous le perniellez ?
THOMAS.
Oh ! je t'en prie.
CLAUDINE.
AiH : De mon Berger volage.
Que l'objet qui m'engage,
Est un objet toucliaiit,
Il a par son honniiage
Fait naître mon penchant.
Et ! ccimment se détendre
De céder à son tour,
Quand l'amant le plus tendre
Est beau comme l'amour ?
THOMAS.
Diable! je ne croyais pas ressembler si fort à ce dieu!
Tu charges un peu le portrait, ma petite reine; mais, vaS;
je t'en sais bon gré.
PIERROT, toujours d'un ton niais.
Air. : De la Palisse.
.Monsieur, j'entends lûiil cela da !
OPÉRA-COMIQUE 197
IIOMAS.
Parbleu, c'est la nature même,
(A Claudine.)
Va, ma pauvre petite, va,
Je t'aime plus que tu ne m'aime
CLAUDINE.
Monsieur, je le crois aisément.
THOMAS.
Tes sentiments pour moi seront bientôt récompensés, je
te laisserai la maîtresse.
Air : Des fraises.
Et tu porteras sur toi '■
La clet de mes armoires;
Viens...
CLAUDINE.
Avant, permettez-moi,
S'il vous plaît, de manger.
THOMAS.
Quoi !
CLAUDINE.
• Des poires, des poires, des poires.
THOMAS.
Oh, qu'à cela ne tienne! va. Pierrot, va vile prendre une
échelle et lu lu en cueilleras.
l'IEP.ROT.
J'y cours, Monsieur, j'y cours.
(11 SOI't.)
THOMAS.
Ce garçon-là m'esl bien attaché, c'est dommage qu'il
soit si benêt.
198 LR POIIUER.
SCÈNE Vlll
CLAUDINE, TIIOilAS,
Am : Et non, non, non, je n'en veux pas davantage.
Tu dois être bien contente.
CLAUDINE.
Je ne le suis pas encor,
THOMAS.
De ton âme impatiente,
J'aime à voir le doux transport.
Ce soir celui (pii t'engage,
De son cœur te fera le don .
CLAUDLNE.
Et non, non, non,
Je n'en veux pas davantage.
Que ne suis-je sûre de la réussite !
THOMAS, riant.
Ah, ah, ah, elle me fait rire, est-ce que cela peut man-
quer ?
CLAUDINE.
Mon cœur le craint.
THOMAS.
Ton cœur, ton cœur... a torl; il est étonnant comme
elle m'aime : ce que c'est que cIo gêner les filles, et de les
garder de prés, on se les attache.
OPÉP.A-COMIOUE. 199
SCÈNE I.V
THOMAS, CLAUDINE, BLAISE
BLAISK.
Am : Oli rcgitinguc.
Serviteur à Monsieux Thomas !
Que votre future a d'appas,
0 reguingué ô Ion lanla,
Morgue ça serait bon dommage,
Qu'aile languissàt davantage,
THOMAS.
Ce jour va finii' son tourment.
BLAISi:.
Je savons ben que tout s'apprête pour ça, et j'en sommes
ben .'lise; car je nous intéressons à son intérêt ; et stila
qu'aile aime est morgue ben aimable y tout.
THOMAS.
Je te suis obligé du compliment.
BLAISE.
Oh allez, il n'y a pas de quoi ! Dites donc, M. Thomas, vous
allez ben vous réjouir?
THOMAS.
Oh, je l'en réponds, mon enfant.
F.LAISE.
Air : L'honneur dans un jeune tendron.
Celle que voilà devant vous,
Mérite d'un fringant époux,
Toute l'ardeur et le courage.
THOMAS.
Mais mon teint est assez fleuri.
BIAISE.
Oui, vous portez sur le visage
Tous les signes d'un bon mari.
'200 l.l'l POIUIEII.
THOMAS.
Quoi, fraucheinenl?
BLMSK.
Oli, en vérilé.
AïK : i\'rt(/t'; pas tant de 7)icjjris.
Vous avez avec cela
De l'esprit, dit-on?
HOMAS.
Oui cia.
BLAISE.
Vous êtes rusé,
Il n'est pas aisé.
Da vous en faire accroiro.
THOMAS.
U non 1
BLAISE.
Qui vous attrapera,
Sera pis qu'un grimoire,
Lou la
Sera pis qu'un grimoire.
THOMAS.
Va, je le pardonne.
BLAISE.
Eh poaitant,nol' bourgeois, vous ne seriez pas d'humeur,
su vot' respect, à céder Mademoiselle Claudaino à queu-
quautre, pas vrai ?
THOMAS.
Non, parbleu'?
BLAlSt. '
Je croirais ben. A propos de ça, comment fronvez-voiis
i'poisson? l'ierrot vient de me dire (pi'il passerait, en cas
que Mademoiselle Claudaine l'aime.
I
OPEnA-COMIQL'E. 'iOl
. CLAUDINE.
Passiorménient.
THOMAS.
Oui, il est Irès-frais : tu veux m";imener à te donner pour
boire ?
TLAISE.
Tout juste, notre maître : comme vous devinez? Queu
malin que vous êtes?
THOMAS
Tiens, le voilà.
BLAISE.
Deux fois? on voit ben que c'est le jour de vos noces,
vous faites de la dépense.
Air : L'ocrcmon fait le larron.
Ne faut-il pas vous rendre votre reslc.
THOMAS.
Non, garde tout, c'est pour loi, mon garçon.
BLAISE.
Loin d'être ingrat, je veux, je vous proleste.
Vous faire avaler un goujon.
THOMAS.
Volontiers, cela n'est pas de refus.
ELALSE.
Laissez faire, allez. Mademoiselle Claudaine, vous le fra
frire dans la poêle à M. Lubin, pas vrai, la petite mère! Ah,
M. Thomas, que vous êtes heureux! Voyez comme aile \ous
regarde, si elle pouvait vous manger, aile le ferait. Sans
adieu, M. Thomas.
THOMAS,
IJonjour, mon ami.
202 l.E l'OIlUEl!.
ULAisii sortant.
Y allez voub-cn, gens de lu noce,
Y oUez \ous-cii, chacun cliciix vous.
THOMAS.
C'est un bon réjoui !... comme le voilà rêveuse, de-
puis un instant tu n'es plus la même, que te manque-
t-il î
CLAUDINE.
Des poires.
SCÈNE X
THOMAS, CUUDLNE, PIERROT.
THOMAS.
Tiens, voilà Pierrot, tu vas être satislaile,
CLAUDINE.
Je craignais qu'il ne m'eût oubliée.
PIERROT, toujours niais après avoir pose réchelle.
.^m : Nous joiiisso)is dans uns /laincniu.
Vous oublier, noiini vraiment,
Je n'en ai point envie,
A vous servir, atout moment
Je passerais ma vie.
THOMAS.
Fort bien.
PIERROT.
Monsieur, en vous aimant,
Fait (juc ça m'intéresse,
Et je vous regarde à présent,
Tout comme ma maîtresse.
OPÉRA-GOMIQUE. 205
THOMAS.
Oh, tu le peux, puisque je la regarde, moi, comme ma
petite femme.
CLAUDl.NE,
Air : Ail le bel oiseau, Maman.
Pierrot ne se trompa pas,
Et le titre qu'il me donne,
A pour moi tous les appas
D'une brillante couronne :
Quel bonheur lorsqu'en aimant,
Le cœur seul tient lieu de trône!
Quel bonheur lorsqu'en aimant,
On règne sur son amant!
THOMAS.
Tu m'enchantes. Elle est folle de moi. Pierrot dépêche-
loi de lui cueillir de ce fruit.
PIEHROT.
Air : Monsieur, en vérité, vous avez bien de la bonté.
Oh, je ne me fais point prier;
Mais, Monsieur, si je monte,
Ne secouez pas le poirier,
C^r j'aurais peur...
THOMAS.
Quel conte!
Mon pied sera ta siiretc,
Crainte que l'échelle ne glisse;
PIERROT, montant.
Point de malice.
CLAUDINE.
f
Monsieur, en vérité,
Vous avez bien de la bonté !
THOSIAS, au pied de l'échelle.
Que veux-tu, il est peuteux, il ne faut pas se moquer
204 LE POIUIER.
de sa simp'icilé. Un lioiuine d'esprit plaint ceux qui n'en
ont pas.
PUU'.UOT, sur l'arbre.
Al), ail, Monsieur, que l'aites-vous tlonc là?
THOMAS.
Parbleu, lu le vois bien.
IMEUROT.
Vraiment, oui, je le vois. Quoi! avant d'être mariés
prendre ces petites libertés-là?
THOMAS.
Que diable est-ce qu'il cbante!
PIERROT.
Aiu : Maniait, (ju est-ce donc qu'ils faisaient ?
Devant moi fonuor ce dessein !
THOMAS.
Que dis-tu ?
PIERROT.
Vous poussez Claudine;
THOMAS.
Qui moi ?
PIERROT
Vous lui baisez la main
Elle ne tait point la mutine
Vous l'embrassez,
la caressez.
THOMAS.
Fais-toi donc mieux entendre'
PIERROT.
Diantre, connue vous la pressez.
THOMAS.
Je n'y puis rien comprendre.
La tète lui tourne.
I
OPÉRA-COMIQUE. 205
l'IEIiROT.
Ah ! vous ôtez l'échelle et vous vous enfuyez? Monsieur
Thomas? Mademoiselle Claudine? Ils s'en voni ! Je savais'
bien qu'ils me feraient des malices.
Am : Manon dormait.
C'est fort iii;il f;iit.
THOMAS.
Parle, que ve>ix-tu dire?
Le diable met
Ton esprit en délire.
PIERROT.
Mais quelle voix j'entends!
TIIOMA».
Descends, descends,
El tu verras, pauvre innocent.
l'iERROT, après être descendu, se froUc les yeux,
lié non, vraiment, les voici.
THOMAS.
Aiu : Ton humeur est, Catherine.
Hé bien, prenons-nous la fuite,
Dis-moi, nous embrassons-nous?
PIERROT.
J'ai pourtant vu....
THOJIAS.
Tu mérite
b'ètre mis au rang des fous.
PIERROT.
Je reste lout comme un marbre.
Car j'ai. ..
THOMAS.
Pauvre écervelé !
12
206 Li; l'UlUIl:.!'..
l'IIiltl'.OT.
Mais il laut donc (luo cet arbre
Soit, Monsieur, eiiborcclé.
El si je n'ai pas tout vu ce que je vous ai dit, je
ne m'appelle pas Pierrot. Voyez le serment que je vous
iais.
CLAIDINK.
Cela parait bien élonnant.
THOMAS.
11 l'auL (ju"il en soit quelque chose; car quoique siuiple
et niais, il a des yeux, l'arbleu, éprouvons cela.
(11 moule sur le poirier.)
l'iEr.UO .
11 le prend bien.
CLAUDINE.
Ain : De s'ent/dger il ii'est que trop facile.
Mais quel succès ceci peut-il produire!
Savez-vous bien qu'avant la fin du jour:
l'IliUROT.
Tout sert nos vœux; mais laissez-vous conduire.
. CLAUDINE, lui (loiiunnl la niaiu.
Je mets mon sort dans les mains de r.Aniour.
THOMAS, sur l'arbre.
Il semblerait qu'il lui prend le bras
PIERROT.
Daignez seulement me suivre.
CLAUDINE.
Mais Lubin, la Pudeur, la Sagesse, me dérendenl.
THOMAS.
M\ dirait qu'il la presse.
OPÉRA-COMIQUE. 207
PIEHROT.
Ain : Ah! je vous trouve, Chevalier
La fuite ne sera que feinte,
Ne craignez rien.
CLAUDINE.
lU-las !
PIERROT, lui baisant la main.
Airnons-iious sans contrainte;
THOMAS.
Cela va bien;
PIERROT.
Pour notre intérêt, et par grâce,
Daignez m'accorder un baiser.
CLAUDINE.
Pourrais-je vous le refuser!
THOMAS.
Ne croirait-on pns qu'il l'embrasse;- ma foi, je trouve ce
poirier singulier; mais, mais, fort singulier.
PIERROT.
Belle Claudine, venez.
CLAUDINE.
Je n'ose.
PIERROT, se jetant à ses genoux.
Je vous en conjure.
THOMAS.
Oh, oh, le voici à ses genoux !. descendons.
PIERROT, pendant que Thomas descend, passe de l'aulrc côté de
l'arbre.
Cruelle ! nous sommes perdus !
THOMAS, descendant.
Cela ressemble si fort à la vérité.
208 11'^ POIRIER.
CLAl'DlNK.
Oiie jesuissotlo !
Til iM\s, aescciulu.
Ma foi non, ils sont fort tranquilles, les pauvres en-
fants.
CLAUDINE.
Hé bien, monsieur, avez-vous vu quelque chose?
THOMAS.
Oui d'honneur, ou du moins j'ai cru voir quil le prenait
la main, qu'il la baisait, quil était à tes genoux.
riEUROT.
Là, suis-jeun menteur?
CLAUDINE.
Am : De tous les Capucins du 7mnde.
Bon, vous riez.
THOMAS.
Eh non, te dis-jc.
CLAUDI.NE.
En ce cas c'est donc un prodige,
riEUROT.
Voyez, Monsieur, si j'avais tort,
Etais-je fou?
THOMAS.
Non, je t'assure,
Malgré cela je doute encor
D'une aussi comique aventure.
P(ERR0T.
J'étais comme vous.
CLAUDINE.
(Haut.)
(A part.) 1 , • 1
Que je me repensdema timidité! Je sms enchantée dt
cela. C'est une découverte rare.
OPÉRA-COMIQUE. 209
THOMAS, content.
Air : î/n mouvement de curiosité. j
Comme tu dis, la découverte est bonne, S*
Cet arbre est une curiosité,
J'altrapperai par-là plus d'une pei'sonne, '
Plus d"un jaloux y sera déconcerté ;
(Tous trois )
Assurément la découverte est bonne, ,
THOMAS, remontant.
J'y monte encor par curiosité.
PIERROT, à Claudine.
Laisserons-nous encore échapper celte occasion ?
CLAUDINE.
Am : Sur ces Coteaux.
Je me souviens
De ma sottise et j'en reviens,
Vaf, tu me conviens,
A mon tour je te préviens.
Viens.
PIERROT, ôtant l'échelle.
Quel bonheur ! bâtons-nous,
Qu'il est doux.
De tromper un jaloux !
THOMAS .
Ne croirait-on pas qu'ils ôlent l'échelle ! cela est ori-
ginal.
PIERROT, CLAUDINE, s'en allant.
Suivons l'Amour,
C'est lui qui nous guide en ce jour.
Loin des envieux,
Nous ferons en d'autres lieux.
Mieux.
(ils sortent.)
12.
210 • iK PoiniEn.
SCÈNE XI
THOMAS, seul.
On se donwerait au. diable qu'ils s'en vont. C'est plai-
sant! c'est Tort plaisant! je ne donnerais pas ce poirier
pour cent louis. (Il rit.) Ah, ah, ah ah ! Parbleu, je m'amu-
serai bien ! Non seulement, je m'amuserai; mais je pourrai
faire nombre de gageures ; par conséquent les gagner et
m'enrichir encore. Cette idée me flatte bien plus que mon
mariage.
SCÈNE Xll
THOMAS, LUGETTE.
LUCETTK.
Comment ont-ils fait pour s'échapper?
THOMAS.
Ah ! Lucette, Lucette ? viens voir, viens voir.
LUCETTE.
' Air : Oui j'ai tout vu-
Ah ! j'ai tout vu,
Vous n'avez rien prévu,
Qui l'eût cru 1
THOMAS.
Que dis- tu?
LUCETTE.
^llcz, monsieur, ils sont déjà bien loin. Votre Pierrot était
un Amant déguisé en valet.
OPÉRA-COMIQUE. 211
THOMAS.
A l'autre! Esl-ce que tu os ensorcelée aussi (oi? Le
charme s'étendrait-il....
LUCETTE, riant.
lié mais, monsieur Thomas, \ous radotez, ils sont prêts à
revenir.
Am : Dans la jeune saison.
Ma sœur et son Mignon,
Qu'un pêcheur considère ;
Dans la barque au poisson,
Ont passé la rivière;
Hé riez, riez donc.
THOMAS, en colère.
Ah ! petit serpent ! fripon de Pierrot, effrontée Claudine !
Vite, cours après eux.
LUCETTE.
Ma foi, monsieur, courez-y vous-même.
THOMAS.
Eh ! le puis-je faire? maudit poirier! tu seras coupé ! A
l'aide, au secours! je crève, je suis volé.
SCÈNE XIII
THOMAS, LUCETTE, BLAISE.
BLAISE.
Et puis ils s'en furent
Dans une masure.
Ali ! ah ! dites donc, Papa? (Ju'est-ce que vous faites-là?
Est-ce pour voir déplus loin que vous v'ia grimpé si haut?
'212 LE POIRIER.
THOMAS.
Te voilà, pcndnrtl ! c'est donc loi qui facilites l'enlèvement
d'une jeune innocenle.
CIAI^E.
Air. : C/taiilc:, ?iion Petit.
Toujours par (illollc Iranclie,
Ijarbon doit être Iriciié,
Comme un oiseau sur la branclic
Tno.ii.vs.
Coquin !
BLAI.SE.
Le voilà perché !
Mi, mi, fa, ré, mi,
Cliantoz, mon pelit, etc.
THOMAS.
Oh ! que j'aurai de plaisir à te faire pendre!
CLAISE.
Notre Bourgeois, de la douceur, en attendant je m'en vas
vous tenir réchelle, moi.
(U dresse réchelle contre l'arbre )
THOMAS, descendant.
Oh ! nous allons voir beau jeu '
SCÈNE XIV
M. DE BONSECOURS, CLAUniNE, LUCETTE, THOMAS,
Pli RUOT. RLAISE.
CLAUDINE, iiendaut t{w Thomas descend.
Je n'ose paraître devant lui.
M. I)E liONSECOURS.
Rassurez-vous, ma chère enfant, je prends tout sur moi
I
1
OPERA-COMIQUE, 215
THOMAS, descendu veut courir après Biaise.
Ah! scélérat !...
M. DE BONSECOURS.
Tout doux, monsieur Thomas.
THOMAS, d'un air soumis.
Ah ! monsieur !
BLATSE.
.\iR : A la façon de Barbarie.
Voilà Monsieur de Bonsecours,
Seigneur de sn paroisse,
Qui vient vous prêter son secours.
THOMAS.
Quelle nouvelle angoisse!
ELAISE.
Il connaît votre intention,
La faridondaine, la taridondon,
Il va la seconder aussi, Biribi,
A la façon de Barbari, mon ami.
M. DE BOSSECOURS.
Air : Vous m'entendez bien.
Mon cher, je vous donne à choisir,
De plaider ou de les unir
Renoncez à Claudine,
Ou bien,.
Je fais votre ruine.
BLAISE.
Entendez-vous bien?
M. DE BONSECOURS.
Je vous abandonne tous les droits à ce prix.
THOMAS.
Quelle alternative !
214 I-E PniIUER.
r.LAISE.
Aiit : Quel plaisir va nous unir.
CroyC'Z-moi, Monsieur Thomas,
N'iiésitez pas,
L'occasion est bonne,
Sorte/, d'un double emliarras.
Laissez Giaudaine et gardez vos ducats;
Fillette lait peu de cas,
D'un soupirant dont la barbe grisonne ;
Croyez-moi, Monsieur Thomas,
Laissez Claudaino, et sauvez vos ducats.
M. D13 EONSECOURS.
Am : La bonne aventure. ,
Allons, Monsieur le tuteur.
Un mot doit conclure.
THOMAS.
Hé bien, je me rends, Monsieur.
J'enrage de tout mon cœur,
cLAuriNT. ) La bonne aventure, au gué,
PIERROT. ) La bonne aventure.
PIERROT.
Je vais faire abattre ce maudit poirier, et fera les frais
de la noce qui voudra.
M. DE BONSECOURS.
Je m'en charge.
THOMAS, à Lucclte en s'en allant.
Toi, petite coquine, pour n'avoir pas été plus vigilante,
tu payeras pour ta sœur dans quelques années.
LUCETTE, à Biaise.
Monsieur Biaise, je me recommande à vous quand je serai
plus grande.
CLAISE.
Volontiers, je ne risque rien d'avancer le mien dans ces
marchés-là-, moi je me sauve sur la quanlité.
OPEP.A-COMIQUE. 215
VAUDEVILLE
rrélçxtant une bonne affaire,
Un débileui^ d'un ton poli,
ous promet de vo is satisfaire.
Eh! oui, oui, oui.
Fiez-vous-y !
Plus on est bon, plus il retarde.
Ensuite on a beau le prier,
Il chante, il rit, et vous regarde
Comme Thomas sur le poirier.
Les agrémcnis du badinage,
Aux prudes causent de l'ennui,
Leur conduite en est bien plus sage.
Eh ! oui, oui, oui,
Fiez-vous-y !
Bien souvent l'époux d'une prude
Qu'il respecte tout le premier,
Ferait une épreuve bien rude
S'il montait dessus le poirier.
Un Amant cachant son martyre,
Ne prend que le litre d'ami,
A l'estime seule il aspire,
El) ! oui, oui, oui,
Fiez-vous-y!
Oii l'écoute, on l'aime, on se lie,
Et l'amour, ce petit sorcier,
Pour voir la dernière folie,
Monte bientc)t sur le poirier.
Quel vif accueil 1 quelle caresse
Lise fait à son vieux mari !
Sans doute il a seul sa tendresse*
Eh! oui, oui, oui,
Fiez-vous -V !
216 LE POIlllER.
On endort le pauvre Lonlionimc,
C'est pour rcmpêclicr de crier
De ce qu'il voit les choses, comme
S'il était dessus le poirier.
Quand nous vous plaisons, ce spoclacle
Par vous. Messieurs, est embelli,
La critique y met-elle obstacle,
Eli ! oui, oui, oui,
Fions-nous-y!
Nous ne craindrons point les orages
Que les rever.< font essuyer,
Si vous faites par vos suffrages
Fructifier notre poirier.
ri.N nu lOIRIEK.
LES
T R 0 Q U E U R S
OPÉRA BOUFFON
E.N UN ACTE
UEPRÉSEN'TL , l'OI II L\ PULMIKKE FOIS , SUR I.E TIIÉAÏIiE DE LA FOir.E
SAINT-LAVKENT, LE 30 JUILLET 175-,
ACTEURS
LUBIN, Amant de Marijot.
LUCAS, Amant de Fanchon.
MARGOT, Fiancée avec Lubin.
FANCHO.N, Fiancée avec Lucas.
SCÈNE PREMIÈRE
LUBIN, seul.
Am : Tout cela m'est indifférent.
Quand sur ses vieux jours un garçon
Devient le mari d'un Tendron,
Un Galant rit de sa folie ;
Le reste csl bientôt projeté :
Mais qu'un bon vivant se marie,
Les rieurs sont de son côté.
218 LES i'IUXJliUUllh;.
On lu' pciil Irop tôt
Se iiietlro en niéiuige :
J'ai beaucoup d'ouvrage;
Et le mariage
Est mon vrai ballot.
Un Contrat m'engage,
.l'épouse Margot.
Son humeur volage
Est pi'esque le gnge
D'un mauvais lot.
Mois contre l'orage
Un met en usage
I.cs moyens ipi'il faut.
Une femme est sage
Quand riiomme, en un mol,
-N'est pas un sot.
SCÈNE 11
LUBLN, LUC.\S.
LUBl.N.
Nous voilà fiancés par un double contrat :
L'indolente Fanclion va devenir ta femme.
Ll'C.VS.
L'égrillarde Margot va te mettre en état
De chanter chaque jour une amoureuse gamme.
Compère, es-tu coulent de ton marché, dis-moi?
LUbliN.
Kl loi, conijiére?
LUCAS,
Et loi ? dis.
OrEUA BÛUFruN 21'J
LUBl.N.
Parle, toi.
Es-lu bien satisfait?
LUCAS.
Compère, es-lu bien aise ?
Montraiil Lubiu au doii-'t.
I
Pour Margot tout de feu '.'
LLBl.N, inoutraiil, ù sou lour, Lucas au doigt.
Pour Fanchon tout de braise.
Es- tu bien satisfait?
LLCAS.
Compère, es-tu bien aise ?
LUBIN.
Mais, dis auparavant.
LLCAS.
Tu le veux. Tiens, ma foi,
Je ne sais : mais Fancbon est lente et paresseuse.
LlBLN.
ARIETTE :
Margot, morbleu,
Est par trop joyeusC;
Elle est jaseuse,
Gausseuse;
Pour peu
Qu'on la mette en jeu,
Elle prend feu. [Fin.]
La voilà quinteuse.
Grogneuse;
Fâcheuse.
Dites-lui
Oui,
Elle répond
Non;
220 LES TUOQUEURS.
Oui,
Non,
Non,
Oui,
Un déiueiiti
Vous met en colère :
J*rcnd-on le parti
De la faire In ire :
I,e bruit double encor,
Jamais d'accord.
On se désole;
Soufflets vont leur train,
On les rend soudain,
Et le bonnet vole.
Margot, etc.
l.LCAS.
Le délaul de Fanclioa me lait maigrir la (rogne ;
Son air froid, engourdi, m"a désolé vingt fois.
LUBIN.
Tiens, nous avons été par trop vite en besogne.
Margot te convient mieux.
LUC.\S.
C'est bien dit, je le crois.
LUBIN.
Je m'accommoderais do Fanclion à merveille.
Lrc.\s.
Troquons.
LUBI-N.
Va.
LUCAS.
Tope.
LUBIN.
Allons.
I
OPÉRA BOLFFON. 221
ENSEMBLE.
Le changement réveille;
Troquons, troquons,
Changeons, Compère,
Point de façons ;
Point de Notaire.
Tiens, déchirons !
(ils décliiivnl lrur« rontrats.)
Ce biau chiffon.
Troquons, troquons,
Changeons, compère.
Rien n'est si bon.
Lumx.
Mais de chacun de nous s'avance la future.
LUCAS.
Faisons-les consentir.
LUCIN.
Va. Nous allons conclure.
SCÈNE m
LUCAS, LUBIN, MARGOT, FAXCIION.
LUCAS, prenant Margol sous lo l)ras.
Bonjour, Margol .
LUBIN.
Fanchon, bonjour.
FANCHON.
Tu le trompes.
LUBIN.
Non, ma chère.
'2^22 m: S TROQUEURS,
MAUCOT, à Liiras, i|ui lui liaisu h main.
Mais, finis donc.
FANCIION, à Luliin, qui lui en fait autant.
Veux-tu te taire !
MAUGOT ET FANCIION.
A ton ami peux-tu jouer ce tour ?
FANCIION.
Margot va m'en vouloir.
MARGOT.
Fanchon sera jalouse.
H!BI\, à Fanchon.
Écoute, c'est moi qui t'épouse.
I.ur.AS, à Margot.
C'est moi qui serai ton mari.
MARGOT, lui montrant Lubin.
ARIETTE : en Qualicor.
Eh! non, c'est lui.
LUCAS.
Eii ! non, c'est moi.
LUBIN, à Fanchon.
Nous nous unirons aujourd'lmi.
FANCHON .
Pas avec toi;
C'est avec lui.
LUBIN.
C'est moi qui serai ton mari.
FANCIION, montrant Luca^.
C'est lui.
LUBIN.
Moi. moi.
MARGOT.
Lui, lui.
OPERA DOt'FFON. 22r,
QrATfor,.
Eh! non, c'est lui.
Eh ! non, c'est moi.
MARGOT.
AEIETTE :
D'un .\mant inconstant
L'Amour se venge,
Même à l'inslant
Que son cœur change,
Il n'c&t pas content ;
C'est où ce Dieu l'attend.
Des feux d'un volage
On est peu flatté ;
Le plus doux langage
Est toujours rejeté.
Quand il est l'hommage
De la légèreté.
Sans alarmer Flore,
Le badin Zéphir
Vole avec plaisir
Sur les fleurs qu'elle fait éclore.
Un tendre soupir
Bientôt le rappelle;
Il revient près d'elle
. Sur l'aîle du Désir.
D'un Amant, etc.
FANCHON, lentement.
Am : Pourvu que Colin, ah ! voyez-vous.
On dit que l'hymen est bien doux ;
Pour moi, c'est un mystère :
Qu'importe Vun ou l'autre Époux?
Pourvu que Von soit femme, roycz-voûs !
Le choix ici n'est pas fort nécessaire;
Tous deux ne valent guère.
FANCHON.
Marsoî, si tu m'en crois, nous les laisserons faire.
224 LES TUOQUEURS.
LIBIN ET LUCAS.
Bon, bon ; Fanclion entend déjà raison.
(l'iMulnnt ri' toinps Fanclion pl Mniiiol so iiarlcnl à l'oreille.)
MAKGOr, à part.
Je l'en dégoûterai. (Haut.) Terminons donc l'aflaire.
I.LCAS.
Ali! quel bonheur? Margot pense comme Fanclion.
AHiETTE en Quatuor.
Changeons, ma chèro;
Troquons, troquons.
LUCAS.
Troquons, troquons;
Changeons, ma chèro
MARGOT.
Troquons, troquons.
FANCUOX.
Changeons, compère.
ENSEMBLE.
Troquons, troquons,
compère.
Changeons.
ma chère.
(Lubin emmène Fanclion.)
SCÈNE IV
MARGOT, LUCVS.
LUCAS.
Vive Margot, j'aime son caractère.
MARGOT, à pari, (ini'mont.
Oui, tu vas l'éprouver.
OPÉRA BOUFFON. 225
LUCAS.
Que nous serons heureux !
MARGOT, ironiquement.
Tu me parais charmant.
LUCAS.
Que tu sais bien me plaire 1
MARGOT, ironiquemenl.
Je brûle d'être à toi.
LUCAS.
Viens donc combler mes vœux.
.\h! qu'il me tarde
De te voir mon époux !
Surtout prends bien garde
D'être jaloux.
Quand un galant me flatte,
Je ne suis pas ingrate.
Si tu raisonnais,
Tu verrais
Ce que je serais.
J'aime la dépense;
Ainsi je pense
Que lu sauras gagner
De quoi faire régner
Chez moi l'abondance,
Les jeux et la danse ;
Car autrement,
Je fais serment
Que le tapage,
L'outrage,
La rage,
Feront ravage
■ Dans ton ménage.
13.
220 LES TROQUEl'RS.
C'est mon dernier mot.
A ce prix, nigaud,
Epouse Margot.
Jus([u'uu revoir, magot,
Magot, magot, •
Magot.
(Jiisquo dans les coulisses.
SCÈNE V
LUCAS, SEUL.
Va, va, j'épouserais, morbleu ! plutôt le diable.
Ail ! Fanchon, qu'à présent tu me parais aimable !
.MUETTE :
Pauvre Lucas,
Quelle est ta peine !
Une femme liautaine,
ÎNe te va pas.
Sans cesse la gène.
L'aigreur, l'altercas.
Les cris, le tracas,
Les pleurs, le fracas.
Sept fois la semaine.
Joueront une scène
Où, tout hors d'haleine.
Tu chanteras :
Hélas! hélas ! hélas!
Sortons d'embarras.
Kauchon est ma Reine,
Je cours do ce pas
Reprendre ma chaîne;
Ah! quelle a d'appas!
(11 son.
OPÉRA ROUFFOX.
SCÈNE VI
LUBIN, seul.
J'ai cru faire un beau coup en changeant de iulure
Margot était mon fait; peste soit du marché !
Avec Fanclion, hélas 1 il fiiudra donc conchn-e!
Qui? moi garder Fanclion ! .l'en serais bien fâché.
AIUETTE :
Sa nonclialance
Ferait mon tourmenl :
Une heure elle balance
Pour dire froidement :
Oui-da... Vrainrienl!...
Plaît-il? ... Comment?...
Chaque mot est si lent
Que j'en perds patience,
Ou bien en silence,
D'un pas chancelant.
Elle s'avance;
Puis marche endormant;
Et rit en bâillant.
Quelle différence
De ce tempérament
A la pétulance
De colle que j'attends.
Margot ?
SCÈNE Yll
M.\RGOT, LUBIX.
LUMN.
MARGOT.
' Eh ! bien ?
'228 LES THOOLEIUS.
I.I'BIN.
nends-toi, j'ai reconnu ma faulo
MAJiGOT.
TiMit beau, tu comples sans Ion IkMc.
1.1 BIN.
AltlFTlF. :
Sans rire, cnmmonl va le- d(>ir conjupal.'
MARGOT.
Mal.
I l'BIN.
Oli ! liés co soir, lu porteras mon nom.
MARGOT.
Non.
M BIX.
V:i, tu ne penses pas ainsi.
MARGOT.
Si.
LIBIX.
Méprises-tn mon tendre effort?
MAKOOT.
l'or t.
i.rciN
Cesse d'être lière à ce point.
MARGOT.
l'oiiil.
LL'BIN.
Tu veux donc mon ennni ?
MARGOT.
Oui.
1.1 1!IN.
Fais-moi plutôt un amoureux déli.
OPÉRA BOUFFON. 299
MARGOT.
Fi.
LDBIN.
Ta cruauté me désole I
M.iRGOT.
Va, cours, fuis, sors, \ole
Sur les pas de Fanchon : je m'en tiens à Lucas.
MBIN.
Reçois mon repentir.
SCÈNE VI II
LIBIN, MARGOT, LUCAS, FANCHON.
Ll'C.\s, à Fa.nclion.
ARIETTE en Quatuor.
>'e me rebute pas.
F.V.NCnON, montrant Maif:nt.
Oh! laisse-moi; voilà la tienne
LlBIN.
Non, c'est la mienne.
M.*RGOT, montrant FaiiclioiÉ à l.uljiii.
Voilà la tienne.
Ll'CAS.
Non, c'est la mienne.
MARGOT, se saisissnnt ilft Lucas,
Je prends le mien.
FASCHON, sautant sur l.uliiii.
Chacun le sien.
I.UBIN, à Fanclion, qui li' lient au rollr.t.
Le Diable t'emporte I
-'•''>0 LES TROQUEURS.
LUCAS, tenu p:u- Marjiot.
Ah ! quel embarras !
MAKGOT i:t FANCnON.
Tu m'épouseras.
LUBIN.
Peut-on, hélas!
Me punir de la sorte?
FANCUON.
Tu m'épouseras.
LLC.\S.
Le Diable t'emporle!
MARGOT.
Tu m'épouseras.
LUDIiV, s' échappant.
Ah! Margot.
LUCAS, s'éc'liappniit.
Ail! Fanchon.
MAUGOT Kr FAXCHO.N.
Quel accès te transporte'
LUBhN, à Margot.
Reprends-moi,
LUBIN El' LUCAS.
Que je sois ton époux!
MARGOT ET FANCII0.\.
Vous avez fait la loi.
LUBIN ET LUCAS.
.le t'en prie à genoux.
(ils s(» jettPiif à sonoiix.)
MAIU'.OT, liant.
Fanchon ! Ali ! ah ! ah ! aii ! ah !
FASCHO.N, riant.
Margot! Ah! ah ! ali ! ah ! {i|i !
I
II
OPERA BOUFFON. 251
LICVS.
Cruelle!
LUBIN.
Traîtresse!
Pardonne-nous.
LUCAS.
Pardonne-nous.
FAlNCHO.\.
Fileras-tu doux?
LUCAS.
Je filerai doux.
MARGOT, à Luhiii.
Au logis je serai maîtresse.
LUBIN.
Maîtresse.
FANCHON, à Lucas.
Et tu m'obéiras sans cesse.
LUCAS.
Sans cesse.
MARGOT,
Fanchon, je me résous
FANCHON.
.Margot, je me résous.
LUCAS, se relovaiit,
Fanchon, quelle allégresse!
LUBIN, se relevant.
Margot, quelle allégresse!
FANCHON ET MARGOT.
Remettez-vous.
LUBIN ET LUCAS, se remottaiit à goiioux.
Quelle tristesse!
MARGOT,
FaucliQU '
23-2 ir.S THOQUEUaS.
FANCUON.
JFargot !
MARGOT.
Cédons.
FANCIION.
(Irdon?.
I.UDIN KT LUtiAS.
Quelle allégresse!
MARGOT.
Lovez-vous.
FANCI10.\.
Nous en ferons, ma foi, de commodes époux.
ENSEMBLE.
Quelle allégresse !
(un ilause.
FIN DES TROQUEURS.
I
JÉROSME
ET
FANGHONNETTE
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE
EN UN ACTE
REPRÉSENTÉE l'Ol'R LA FRÊMIÈRE FOIS SUR LE THÉÂTRE RE
I.'OPÉRA-COMIQIE, LE 18 FÉVRIER 1735.
ACTEURS
FANGHONNETTE.
JEROSME, amant de Fanchonnetle.
CADET, frère de Fanchonnelle.
La scène est à la Grenoullière au bord de Veau.
SCÈNE PREMIÈRE
JÉROSME, seul
Air : Quand lu battras la retraite.
Tout à la bonne franquette,
Je ne sais pus que d' venir
Du d'puis qu'Ia Dell' Fanchonnetle
MTait désirer du plaisir :
2'>4 ,li:i',OSMK r.T rANClIONNKTTF..
l'oiir Toublior j'oiis benu boire.
Ça n'empfkhe pas qu'rAmour
IN'fasse, en son honneur et gloire,
De mon pauvre cœur un four.
Aui : RossKjnolet du bois.
y amom', qui fais brûler
La fille la plus sage,
y apprends-moi ton langage.
Apprends-moi t'a parler,
Afin qu' pour l'mariage
Je puissions fenjoler.
Air : N'avez-vous pas vu Vhorloge ?
Mais pour qu ç't'Amour m'achève,
Ne v'ià-t'y pas qu'la voici 1
M'est avis que l'Soleil s'iève
Quand j'vois son minois genli ;
Air pense à ce qu"alle rêve...
Cachons-nons darrière ç'tâbre-ci.
SCÈNE II
FANCIIONNETTE, JÉROSME a i.'écart,
FAXCIIONNETTE.
Air : Ce ruisseau qui dans la plaine.
DrèsTmatin, sous ce feurliage.
Je vians pour prendre le frais :
Des oisiaux le garzouillage
M'y fait r'venir tout exprès.
I
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE. 23E
J'n'avonspasd'goiit pour les hommes.
Pourquoi ça, dira queuqu'zuns ?
C'est qu'dans le temps où que j'sommes
Les trompeux sont beu communs.
On est farm', tant qu'on z'est libre ;
Ça fait qu'on n'trébuche pas.
L'amour fait pardr'l'équirlibre :
V'ià d'où viennent les faux pas.
SCÈNE III
.lÉROSME, FANCHONINETTE.
FANCHONNETTE.
AiPi : Je ne suis pas si diable.
Bon joux, monsieu Jérôme?
JÉROSME.
Bon joux, belle Fanchon.
FANCHONNETTE.
Ah ! mon Dieu ! vous v'ià comme
■ Un matineux garçon.
JÉROSME.
Je ne dors pus, ça m'sèche.
FANCHONNETTE.
Pauvre petit mignon !
Quoi ([tii vous en empêche ?
JÉROSME.
C'est Curpidon.
Ain : Les regards d'Hélène.
Avec une flèche,
Qui par Fp'tit bout avait le fd,
'i.-G JÉROSME ET FANCIIONNETTE.
Il [ifa f;tit une brèche
Qu'en vaut ben rail,
D'puis ç'temps-là j'endure
Un chien d'mal qui redoubo cncor ;
Faut qu' j'aie la vie dure
Pour n'en êtr' pas mort.
Aiii : Buvons à nous quatre.
Une marinière,
D'un ptitair malin,
Pour ahider son dessein,
Comm' ça, par darrière,
Li poussait la main.
Air : Par un beau jour de Pentecôte.
Avec tout ça, ma parsonnière
N'sait pas mon amiquié d'ardeur.
F.VNCHON.NETTE.
Oubliez-la, c'est la niagnère
D'avoir pus d'bonheur que d'malheur.
JKUOSME.
Oh! quand on a vu les attraits d'ses appas, on a beau
vouloir l'oublier.
Refrain.
Ça n'sepeut pas. {bis.)
FASCIIONNETTE.
Aip. : Tarare, ponpon.
Selon l'goùt d'vot' façon, aile est don ben gentille?
JÉUOSME.
Gentille comme un cœur ; ail' a les yeux si doux,
Qu'drès qupn la voit, z'on grille
D'être son cher époux.
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE. 237
FANCHONNETTE.
Qui c'est donc que ç'te fille ?
JÉROSME,
C'est vous.
FAXCIIONKETTE.
Alu : Qui veut savoir riiistoire.
Ah ! vous gouayez, monsieur Jérôme :
Je n'suis pas bell'.
JÉUUS.ME.
Si l'ait, foi d'honnête homme
T'nez, la Beauté et ma Fanchon
Sont taillé's sur le mêm' patron.
Air : L'Amour es [un chien de vaurien.
L'amour pour me rendre amoureux,
N'a besoin que de vos deux yeux.
Oui, pour ma Fanchonnelle,
Il met les fers au feu ;
Rendez-li ç'qu'il vous prête,
En me donnant beau jeu.
FANCHO.NiNETTE .
Au; : Gardez vos moutons.
Croyez-moi, monsieur, ôtez-vous
Tous mes appas de la tête ;
L'amour a toujours d'I'aigre doux ;
Et pour que ça s'arrête,
Péchez du goujon,
Lirelte, liron,
Liron, liron, lirelle.
r.8 JÉUOSME HT FANCIIONINETTE.
JÉltOSME.
AïK : Le curé monte enchaire.
Mais y a deux ans que j'vous aim'ben,
El si j'vous aime encore.
FANCHOKNETTE, lu raiUaiil.
Si y a deux ans que vouS m'aimez,
lié ben, t'nez, monsieu, entre nous,
(ja l'ait vingt-quat' mois ben comptés.
JÉROSME.
Ani : Cest dans la rue cVla Mortclleric.
Vouss'moquez d'moi, mamsell' Fanchon.
Pargué, j'avons ben du guignon !
F.SNXIIO.NXETTE.
Aimez plutôt queuqu'autr' tendron.
JÉROSME.
Queu réponse ! j'endéve :
Vous voulez donc que j'créve ?
FAXCHO.NNETTE.
A ni : SH-là qu'a pincé Bery-op-zuom.
Faut-il vous l'dire encore un coup ?
Monsieu, vous m'ostinez beaucoup ;
On n''gagne rien par violicence.
JÉnOSME.
J' m'absente donc de vot' présence.
(Il sort.
FANCHOX.NEriE.
Air : Du cantique de S. Hubert.
Vrament, de ç't'amour-là
J 'nous serions ben passée.
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE. 2ô9
SCÈNE IV
FANCHOINNETTE, CADET.
CADET.
Eli ! inyp'tit' sœur, te v'ià !
Tu m'sembe embarrassée.
FANCIIONNETTE.
Je suis fort z'en colère.
CADET.
Y a cause de pourquoi?
FANCIION.XETTE.
C'est qu'Jérôtn', mon cher frère,
' Est z'amoureux de moi.
CADET.
Aul ; En Mistico.
Tiens, j'te conseille de le prendre,
En mistico, en dardillon, en dar,
Endar, dar, dar, dar, dar :
S'il t'épousait, on verrait pendre
Clavier d'argent ton
Alistificôté
Côté.
FANCllON.NETTE.
Air : Va, va, Manon, l'y a bien des nouvelles.
Ouoi donc ! Cadet, est-ce qu' tu veux qu'il nfenjole ?
CADET.
Mais gn'a pas d'mal à recliarcher son bien ;
Tu n'es pas vieille, et Jérôme est un drôle
(Ju'est jeune assez pour ne l'épargner rien.
2i0 JÉUOSME ET FANCHONNETTE.
FANCIIONXETTE
Alu : Je le veux de toute mon ('diu', ou, des Insulaires.
Ali ! j'aiiiioiis mieux, foi d'Iionnel' fille,
'^ Le ragoût de la libarté,
Que d'avoir de la famille :
Car, en verte dGuieu, ça vous abat voir' gaieté.
Toujours sautant,
Toujours chantant,
Fillette trouve en tout tems
Le printemps ;
Mais dansTmariage femme qui brille,
Brille toujours à ses dépens.
CADET.
\n\ : Si t'en mcujnes.
Tiens, ma pauvr' sœur, tu n'as pas déraison,
De rencarler un aussi bon luron.
FAKCHOSNETTE.
Crois-tu donc que j'vas lâcher mon cœur,
Et qu'tout brandis il va t'étr' mon vainqueur.
CADET.
Tiens, moi j'ie Tdis, j'vois ben que ça viendra.
FANCUO.N.NETTE.
Ah ! s'il en làte, s'il en goûte, s'il eu a!
CADET.
S'il l'aimait ben, faudrait passer par là.
FANCIIO.NNETTE.
Auv : Recevez donc ce beau bouquet.
Lui m'aimer? je n'donn' pas là-d'dans.
i
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE. 241
CADET.
Et sarpejeu, fais-en l'épreuve,
Ou ben moi, tiens, par queuqu'godans,
D'son amiquié j 'aurons la preuve ;
En façon d"rival je Tatlends.
rANCnO.NNETTK.
Ça n'me f'ra pas morde à la grappe.
CADET.
Mais s'il m'jurait...
FANCHON.NETTE.
Bon! les sermens
l)es amans,
C'est d'ia graine d'attrape.
CADET.
Ain : Sti-là qiCa pincé Bery-op-zoom.
Viens-t'en, Jérùm' n'sait pas mon nom :
Pour le startagêm' ça s'ra bon ;
k l'hameçon si je l'vois morde
J'ii baill'rons du fil à retorde.
(Ils sortent.!
SCÈNE V
JÉROSME.
AlP. : La jeune Beauté de nos bois.
Mais d'mandez-moi pourquoi qu' je r'vieiis?
Car je n'peux pus me traîner presque.
Hormis d'aimer, j'nons Tcœur à rien :
Voyez pourtant c'que c'est que i'sesque 1
U
2i'2 JÉUOSME ET l'AiNClIO.NNETTE.
Faudra-t'y donc que je succombe !
Moi qu elais fort comme un Samson !
Si j'veux pêcher, c'est que l'bras m'toinbe ;
Jen'vois quTAmour au lieu d'poissou.
SCÈNE VI
JEROSME, CADET, iléguisu un Grassm.
CADET.
Aiii : En passant sur h Vunl-Scuf
Eli ! vivant, quoi qu'tu fais là ?
JÉl'.OSME.
Queuqu'ça t'I'ail ?
CADtX.
Queu drôle qu'ça ?
Pour répondre de la sorte,
Faut z'être ben incivil .
M'connois-tu ?
JKROSMt.
Non, rdiabr m'emporte.
CADET.
J'suis brave.
.1ÉIU).ME
Eh ! beu, qu'en est-il !
CADET.
Air : Tredame, Monsieur Thomas,
y m'appeir Cadet l'Ostiné.
JÉKOSMK.
Bon ! moi, jin'appeir Ta(]uiM laine.
Tiens, n'échautïe point z'un luron,
A qui l'Amourilche gui^noii.
PASTORALE DE LA GUEN'OUILLÈ P.E. 243
CADET.
Kh ! ben, voyons ; conte-nous en :
Ça t'soulagVa.
JÉROSME.
V'ià ç' qui s"appeir ben penser :
Quand on aime, on n'peut se r'fuser,
V à l'avantage d'en jaser.
Air : Babet, que fes (jcnlille !
Premièrement, d'abord,
Ç'tella, pour qui j'soupire ;
C'est une parle d'or.
CADET.
Parle d'or! c'est tout dire.
Çte parle?
.lÉROSME.
Morgue,
M'fait sécher sur pied.
CADET.
Queu tin dénicheux d'marles !
Tiens, faut la brusquer sans façon.
JÉROSME.
La douceur amorce un tendj:'on.
CADET.
Eh ! mais ici lu restes donc
Pour enfiler des parles 1 [bis.)
JÉROSME.
Air : Va, va, Fanchon, ne pleure pas.
Ç'pendant pourtant, ça m'fait souffrir. ,
CADET.
Eh ! sarpejeu, pour te guérir,
24i JÉROSME ET EANCIIONNETTE.
Faut z'aller {l'I'aris à l'oiitoise,
D'Ponloise r'vonir à Paris.
L'Anioui" ne nous cliarclie plus noise,
Quand on li fait voir du pays.
JÉIÎOSME.
Air : Vous faites les jours de Fête.
Eh ! quand j'courrais comme un Basque,
L'Dieu d'Amour court aussi ben ;
Tout ç'qu'on fait contre c'p'tit masque
Ne sart de rien.
L'autre jour, croyant qu'i m'quitt'rait,
J'ni'onfoncis clieux un cabaret.
iN'v'ià-t-i pas que l'p'tit sorcier
Entre jusqu' dans mon d'misquier?
CADET.
Air : Ah ! çà, vTa qu'est donc bâclé.
Eh! ben, au bruit du canon,
Y gn'a pas d'amour qui tienne,
As-tu jamais vu ça?
JÉUOSME.
Non.
CADET.
Eh ! ben, faut que l'désir t'en vienne;
Mais, pour faire un bonSeuldar,
Faut mett' la tendresse au rencarl. {bis.)
Air : C'est la femme à tretons
Oh! dam'! c'est qu'une armée
Est une bel!' chose entre nous.
Quand ail' est animée.
f
PASTORALE DE LA GRENOUILLERE. 245
C'est pire qu'un courroux.
On attaque tertin,
On les saboul' terli.
On les fait fuir terlous.
Ani : De la Tourière.
Le Roi vous marche en avant,
Comm' s'il allait à queuqu' fête:
Tout' l'armée en fait autant,
Et puis tout d'suite on entend,
Pan, pan, pan, pan, pan, pan, pan.
Sur les bras et sur la tête,
Pan, pan, pan, pan, pan, pan, pan.
Air : De la contredanse du ballet Chinois.
Tout en culbutant,
Tout en culbutant.
Les ennemis pèle, mêle.
Les uns en pestant.
Les autres boitant.
Ne s'en vont pas trop contents.
Air : Chantons à tour de bras.
Et tout en ch'min faisant.
Pour les rachever d'peindre,
Une ville a beau feindre
De s'défendre ch'nument ;
Lé Seigneur de Versailles
Y entre pour s'amuser ;
Nous y donnant ripailles,
Fait servir ses murailles »
De pierre à réguiser.
14.
246 JÉROSME ET FANCllONNETTE.
JKROSME.
Air : de M. de Catinat.
Si j'nons pas servi l'iloi, je nTen aimons pas moins ;
Tout Français a pour lui des bras en cas d'besoins.
Il a d'quoi vivre, on Tsait; mais s'il n'avait pasd'bien,
Morgue, je m'pass'rais d'tout pour qu'i n'manquit de rien.
CADET.
An; : Adieu donc, cher la Tulipe.
C'est ben dit.
JF.ROSME.
Sus ç'te matière
Y aurait d'quoi n'jamais finir.
CADET.
C'est vrai.
JÉROSME.
Mais, pour revenir
A c'qui r'garde not'aCfaire,
A ton tour, quoi qu'tu viens faire?
CADET.
Me marier.
Afin d'm'égayer.
JÉROSME.
.\iR : On dit que vous aimez les fleurs.
Ta maîtresse...
CADET.
M'donne du r"toilr ;
Et pour plaire à la Belle.
Je fais la Tour,
, Je fais la Tour,
Je fais la Tourterelle.
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE. 247
Air : Sont les enfans du port au bled.
Fanchonnette a mon amiquié.
JÉROSME, à part.
Oh ! saquerguié !
(Haut.) Dans ç't'allure est-elle d'moiquié ?
C.VDET.
Vante-t-en, luron, lurette,
Flalte-t-en, luron, luré.
Air : Va, va, Fanchon,f irons en salle.
On m'a dit qu' certain Fareau Faime ;
J'voudrais ben Ftrouver, par ma foi.
JÉROSME.
Oh! liens, n'charch' pas tant : c'est moi-même.
CADET.
Toi?
.iÉno.<;MK.
Moi.
CADET.
Toi?
.lÉROSME.
Moi.
CADET.
Qui? Toi?
JÉROSME.
Oui, moi.
CADET, tirant son sabre rocoiirbé.
Air : Aisément cela se peut croire.
Sais-tu que je suis t'un ch'napant,
Qui va te mettre l'àme au vent?
248 .IKROSMK ET FAiNCnONNETTI-:.
jÉnOSMl'l.
Y aisément cela n'peut pas s' croire :
Quand ton sabre aurait ITil comme un canon,
Je m'f'rois liaclicr pour ma Fanclion.
Crois-moi, vaillant l'Cadet, rengaigne ton arc-en-ciel de
fer, et ne me fais pas ôter ma veste ; car moi j'te l'dis d'un
sang chaud.. . .
J'veux l'être un chien,
A coups d'pied, à coups d'poing,
J'te casserai la gueule et la mâchoire.
SCÈNE VII
CADET, JÉROSME, FANGHONNETTE,
FANCHONNETTE, arrivant avec effroi.
A m : Mariez-moi, Maman, avec ce Militaire, ou, Marche
ancienne des Gardes Françaises.
Y au s'cours, y au s'cours, y au s'cours.
JÉUOSME.
Quoi donc, bell' Fanchonnette ?
FANCHONNETTE.
y au s'cours, y au s'cours, y au s'cours.
JÉROSME.
Quoi (pi'i gn'a, mes amours'*
FANCHONNETTE.
Un gros vilain sarpent
Me suit ; t"nez, v'ià qu'i m'guetle.
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE. 249
JÉROSME, prenant le sabre de Cadel.
Tiens, prête-moi ça, prête:
Je m'en vas dans Tmoment
Lui parler chenument.
(Cadel, voyant le serpent, fuit ; et
Jérôme court pour le tuer.)
SCÈNE Vin
FANCHON'NETTE.
Am : D'une hrime fai fait choix, ou. Cantique de saint
Louis.
S'il est mordu par çTanimal,
Ça If'ra mourir... Ah! mon Dieu! je m'trouv' mal.
Oui, tout douc'mentmon cœur décampe
Tout comm'la finition d'un' lampe.
(Elle s'évanouit.)
SCÈNE IX
JÉROSME, FANCHOiNNETTE, évanouie.
JÉROSME.
Air : De nécessité nécessitante.
D'tous côlés me v'ià donc misérabe!
Et je tumbe de scribe en syllabe :
Oui, morgue, j'vois ben, sans mislrocope.
Que v'ià ma maîtresse en saintecope.
Air : De Manon Giroux.
Mais pourtant comme un Jocrisse
Je ne dois pas m'tenir ;
250 JEROSMi: ET FANCHONNETTE.
Si j'ii faisais queuqu'inalice
Pour la l'ai' r' venir...
Mais non, j'suis trop z'honnête homme
Pour agir comm' ça. . .
(Il tire de sa poche une pelilc bouteille d'osier.)
Baillons li z'un peu d'rogome :
P'tiMr' qu'air reviendra.
Air, : Eh! riez donc,
(H la fait boire.)
Y ouvrez l'z'yeux, ma Fanchon,
L'sarpant n'est pus de ç'monde.
(11 redouble.)
n'avons j'ié par tronçon
Dans la rivièr' de l'onde :
Eh ! r'venez, r'venez donc;
C'est Jérôme qui vous s'gonde.
(Il la fait boire encore.)
Eh! r'venez, r'venez donc.
FANCHO.N.NETTE, se léchant les lèvres.
Mais ça m'semb' ben bon !
Air : Vu soir que je chantions.
Monsieu, en vous r'marciant ;
J'vous dois beaucoup vrament,
JÉROSME.
Si vous m'devez,
Payez-moi, vous l'pouvez
En m'aimant drès ce jour.
FANCHONNETTE.
J'suis fort reconnaissante :
Mais pour d' l'amour.
J'suis vol'très-humb' servante.
l'ASTOHALU DE LA GRENOUILLÈRE. 2M
JÉKOSME.
Air : Mon ptit cœur, vous n m'aimez (jucre.
Après ce que j 'avons fait,
Sans reproche, et pour vous plaire.
FANCllONNETTli.
J'vous plains !
JIÎROSME.
Encore un paquet!
T'nez, je n'vis plus, si j'n'espère,
Et je m'en vas de ce pas. . . ,
FAISCHOS.NETTE.
Eh ! quoi donc ? Qu'aliez-vous l'aire ?
JÉROSME.
M'arranger aveuc Ttrépas.
FANCnON NETTE.
Jérôme, n'badinez pas.
Am : Cri.> c'est comm' li.
Ce que vous avez l'ait pour moi,
Tout un chacun l'saura, j'vous assure.
Ben obligée...
JÉROSME, dépité.
Oh ! gn'a pas d'quoi.
FASCHONNETTE.
Mais t'nez-, n'pensez plus t'a ma fiçure ;
Car c'est comme' ci, car c'est connne ça;
Entendez-vous .léiôme.
Qu'on fait lan la, larlarira.
Connaître qu'on esl z'Iiouune.
252 JÉROSME ET FANCllONNETTE.
JÉROSME.
Ain : Et f y pris bien du plaisir.
Kl moi, jvoiis dis qu'on n'est z'IionimL'
Qu'on pen^nnl à vos iijipas :
Car moi, l'nez, sans ça, j's'rais comme
Un homme qui ne Test pas.
Au bout d'tout ça, qiioiqu'j'enrage,
J'n'ai pas t'a m'plaindre d'I'Amour;
Puisque j'ii dois l'avantage
De vous avoir sauvé Tjour.
FA.NCUO.\NETTE.
Aul : Ah! mon mal ne vient que d'aimer ^
Y ah ! vol' bravour', brav' marignier,
Est une chos' qu'on n'peut z'oublier;
Y allez dir" ça.
JÉROSME.
Qui? Moi!
FAXCHO.NXETTE.
Je l'veux.
JÉROSME.
Quoique ç'tordr'-là m'rachéve,
En l'suivant je m'croisplus heureux
Qu' si j'étois l'Roi d'ia fève.
SCÈNE X
FA.NCIIO.NNETTE seule.
Air : A notre bonheur ramour préside.
Y amour, tu voudrais que j't'écoulisse ;
Oui, j'sens ben déjà qu'tu fiais sentir.
l'ASTOP.ALE DE LA GR EiSOUILLE HE. 255
Ç'cfue j'en dis, ç'n'est pas que j'm'en soucisse ;
Car clieux toi la pein' passe l'plaisir;
Dans l'abord, ç'qu'un nmant vient vous dire,
N'sart qu'à vous fair' rire;
Et c'est ben l'meyeur.
Par après, il a l'himeur si douce,
Qu'à la fin ça l'pousse
Dans l'fin fond de d'not' cojur.
SCÈNE XI
FANCHO>'NETTE, CADET.
CADET.
Air. : Ça n se fait pas.
Ehl ben, sœur, comment ça va-t-i?
FANCHOXXETTE.
Ben, Dieu marci.
CADET.
Ça, voyons à quand la noce ?
Ç'jour-là, comm' des bourgeois, jarni,
Faudra t'aller t'en carrosse.
PANCHOSXETTE.
T'iras donc à pied en ç'cas-là.
CADET.
J 'danse déjà,
J'dansedéjà.
Aui : De la Contredanse du Curé.
Y après l'p.is'pied, rAH'ninnde,
L'cotillon s'demande.
'II figure ceci grotesquemeut.
13
254 .IKUUSME HT FANGllONNETTE.
Balancez, la, la, la, la, la;
L'pas d'gricotloii, (la, tre, la, tra, la;
Et puis, clobonn' grâce,
Le violon dit comm' ça :
Baisez, baisez. Queii gaud!
Ensuit' tout Tmond' s'embrasse.
FANCUOiNNETTE.
Air : Je n'en dirai pas davantage.
(Jli ! tiens, d'toutça t'as beau parler.
CADET.
Mais mil z'yeux, tu n'peux pus r'culer.
FANCHONNETTE.
J'tedis, Cadet, cju' c'est emUile ;
J'aim' mieux rester dans mon tranquille.
CADET.
Aul : Ça n' vous va brin,
Quoi donc qu'i t'faut pour l'mariage ?
Jérùm' n'est-i pas courageux ?
Ça Trait un bon assor tissage.
Sais-lu ben qu'il est maitr' Pécbeuxï
Son onque estconmiis d' la Patache :
Dam', ça lait une famill' sans tache.
FANCHONNETTE.
Uli I mais j'crains trop l'Amour.
CADET.
Tu l'crains
Mais ça n'te va brin,
Ça n'te va brin.
Ani : Tourelouribo.
Ouand l'amour est en colère...
PASTORALE DE LA GRENOUILLE KE. 255
FANCHONKETTE, avec dcrisiou.
Oh! oh ! tourelouribo.
CADET.
Il met tout sans d'vaiit darrière.
FANCHONNETTE.
Oh ! oh ! tourelouribo.
CADET.
Il renvarse la plus fière.
FANCIIONXETTE.
Et oh ! oh ! oh ! tourelouribo.
CADET.
Atr. : De la saint Barnabe.
Avec ton air, l'as beau fair' la gouayeuse;
P'tell' que bentôt tu seras t'anioureuse.
FANCIIONNETTE.
Va, va, Cadet, tant qu'on z'a d'I raison,
l ne liUe tient tête à Curpidon.
CADET.
An; : Te voilà revenu, mon ami la Fcidllade.
Gare le pot au noir.
Y'ià Jérosme qu'arrive.
Ah! çài, jusqu'au revoir.
FANCHOXNETTE.
Keste-là.
CADET.
Non, j'mesquive.
FANCHONNETTE.
Si tu me laiss' tout' seule,
Je ne réponds pus d'inoi,
256 JÉROSME ET 1 ANCllUNNETTE.
CADET, SDiUiul.
Tu lais trop la Ix'gueule ;
Parguienn', accoinod'-loi .
SCtNI'] Xil
JÉROSME, FANCIIONNETTE.
FANi;ilO.\NETTE.
Ain : Hélas ! tu Ven vas.
Cadet! tu t'en vas!
JÉr.OvME.
Quoi I vous ap'lez Cadet?
FANCIIONXETTE.
1 m'Iaisse-là dans d'beaux draps !
Cadet ! tu t'en vas !
JÉROSME.
Eh ! maisn'l'ap'lez donc pas.
AïK : Etant à Vhôpital.
C'est moi qui suis l'surspecl ;
Aussi sus vol' respect,
J'v'nons prend' congé d'ia vie.
FA.NCHON.NETTE.
Vol' bon sens est donc rabêti ;
Quand on s'porte ben, ça convient-i
b'avoir ste fanlaisie?
JÉKOSMI:.
h\\\ : Hélas! mon l'ère, confessez-moi.
Quand on l'ait l'graud voyage.
Ça n'iait d'inal qu'un p'iit brin;
I
PASTORALE DE LA G REÎs 0 UILLÈR E. 257
Et dans ç'moment-ci j'gage
Qu'ça n'me Trait pas d'cliagrin ;
Je n'peux pus vivre avec d'I'amour
Qui mïait mourir cent fois par jour.
FAXCHONNETTE, à part.
Air : FancJion esl bien malade.
V'ia-t'i pas qu'i va m'plaire?
J'voudrais qu'i mMéplaisil.
JÉROSME.
Mais vous n'm'écoutez g\ière;
Ça sufiit :
Adieu, beli' Marij;nière ;
Tout est dit.
FA>CHO.NXETTE.
Air : Vous avez raison, la Plante.
N'vous en allez pas; queu magnière !
Vous n'm'aimez donc pas tout d'l3on ?
JÉROSME.
Queu raison !
Air : C'est mademoiselle Manon. Menuet.
La preuv'que j'vousaim'' ben, c'est que mon argentrie,
Mes blouques, mes b ulons,
D'abord, j'vous les donnons ;
D's éperviers, des filels,
Deux p'tits bacbols peinturés qui n'sont pas laids,
Six vestes deguernat, comm'gn'en apas, j'parie,
Une tass' d'argent,
Dans quoi qu'J'ons bu t'a vot' santé souvent ;
Tout ça vous s'ra baillé,
Mais que j'soyons dég'lé.
2ri8 .iKiiosMK i;t fanchonnette.
FAXCIIONNETTE.
Air : Heçois dans ton (jnletaa.
Kcoutez donc, (à part). Ça m'fend l'cœur.
JÉROSME.
Eh ! ben ! parlez, j'vous écoute.
FANCHONNETTE.
Soyez plutôt d'bonne liimeur.
JÉROSME.
La vie n'a plus rien qui m'ragoùte.
FANCHONNETTE.
Vivez, marignier libéral... Cadet, Cadet ! eb ! Cadet !
■ JÉROSME.
Quoi donc ! vous ap'lez mon rival !
Air : Ah ! mon Dieu ! que de Jolies dames,
Oli 1 pour le coup j'me r'tire.
FANCHONNETTE.
Jérosme.
JÉROSME.
Ah ! j'vois tout.
FANCHONNETTE, à pari.
Ah ! j'n'en peux pus, j'soupire.
Cadet !
JÉROSME.
Vous m'poussez ta boni.
Mon rival vous plait; ça veut dire
Qu'je n'suis pas d'vot' goût.
FANCHONNETTE.
Air : // est tout d'Iravers.
.Mais vous prenez ça tout d'travers.
pastorale; de la grenoi illèp.e. 259
JÉROSME.
Oh I je l'prends
Comme j 'l'entends.
FANCHONNETTE.
Mais vous entendez tout d'travers.
Ecoutez.
JÉROSME, s'en allant avec dépit.
Oh ! j'n'ai pas l'temps.
SCÈNE XIII
FANCHONNETTE, seule.
Air : Va, va, perfide, volage.
Ah ! ah !
V'ià qu'i m'abandonne.
C'départ-là m'chiffonne :
Queu douleur ça me donne
Déjà !
Quoi donc !
Dans l'temps que jTécoute
I m'fait hanqueroute !
J'crois que mon cœur a l'frisson.
Air de Saint Alexis.
Mais, mais, où ç'qu'est mon frère?
Où ç'qu'est mon frèr'Cadet ?
260 JÊROSME ET !• A N CIION MiTTE.
SCÈNE XIV
FANCIIONNETTE, CADET.
Air : Cesl la belle Amamnle.
FANCIIONNETTli.
Viens donc; tu n"te press' guère,
CADET.
J'suis tout slupéfiiit.
FANCIIONNETTE.
Retourne en errière. Cours vite.
CADET.
Quoi qu'ç'est ?
FANCIIONNETTE.
Cours après Jérôme ;
Va, j'ons ben du r'gret.
CADET.
Bah ! ton r'gret sert comme
D'un clou à soufflet.
CADET.
Air : La mort de mon cher père.
Vayant qu'i n'peut pas f'plaire,
Y monte sur son bacheau.
La tête la première,
Pnff, y s'jette dans l'iau.
FANCIlONNETTi:.
Quoi ! rsoulien de ma vie
S'ra mangé des poissons !
Ah ! tout mon sang charrie,
Car j'y sens des glaçons.
PASTORALE HE LA GRENOUILLÈRE. 2(il
Air : Zéphijre me coniiail, je crois.
CADET.
Va, laiss" ça là.
FANCHON.NIiTTE.
Est-ç'quc je l'peux ?
Si l'on n'raport' mon amoureux,
J'suis prête, j'suis proie,
Prêle à m'arracher tous les clfveux
D"la lête.
Air, : Savez-votis bien, jeune tendron.
Mais, mais j'veux rvoir.
CAtiET.
L'Roi dit, j'voulons.
FASCnONNETTE.
Ah ! j't'en supplie avec prière.
CADET.
I n'est pus temps.
FAXCHO:<NETTE.
Cadet, allons.
CADET.
V'ià ç'que c'est que d'I'air' trop la fière.
FaMa't pas li bailler du r'goul.
FA.NCH 'NNETTE.
Mais, moi j'veux l'voir encor un coup,
Encor un coup,
Encor un coup.
CADET.
Va donc l'Ycir aux filets d'Saint-Cloud.
15.
262 IKROSME F,T FANCHONNETTE,
FANCIIONNETTF,.
Ain : En clé comme en hiver. .
J'ai donc perdu mon amant!
Ah ! queu peine do tourment !
V'ià qu'ma dureté d'vienl tendre :
A quoi sert ç'te tenderté ?
Pour tout d'bon je n'peux li rendre
(j'que mon semblant y a z'ôté.
Am : Tourelouribo.
J'm'en vas l'suivre dans ç' voyage.
CADET, la raillant.
Oli ! oh! tourelouribo.
KANCIIONNETTK.
Quoi ! chien, tu ris, quand j'enraiis !
CADKT, riant.
Oh ! oh ! tourelouribo
rANCIIONNETTE, furiruso.
I faut que j'te dévisage.
CADET.
Oh ! oh ! tourelouribo.
SCÈNE XV
FANCHONNETTE, CADET, JÉROSME.
FANCIIONNETTE.
Air : .4// / le bel oiseau, Manuin !
Ah ! Jérosme n'est pas mort !
JÉROSME.
Peut-on mourir, qu;\nd on vous ain^e ?
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE. 265
FANCHONNETTE.
Ah ! Jérôme n'est pas mort 1
Mais, mais, c'est pire qu'un sort !
Qui donc qui vous a r'pêché?
JÉROSHE.
Bon ! ç'n'étail qu'un slartagème.
Cadet, d'mon amour touché,
A, pargué, ben joué son thème.
FANCHOKNETTE.
Cadet, tu m'attrapais donc?
Atlrap'-moi toujours de d'mêiTie,
Cadet, tu m'attrapais donc?
Ah 1 j't'accorde ben ton pardon.
Air : Sont les filles du gros Caillou,
JÉP.OSME.
Ç'pardon-là m'aimonce, morgue,
Que vous v'ià d'moiquié
Dans mon amiquié.
FANCHOKNETTE.
Ah ! pour ça, vantez.
JÉROSME. '
Vous m'ressuscitez.
FANCHONNETTE.
C'est à moi qu'c'est ben doux ;
Car, tenez, entre nous,
J'étais pus morte que vous.
Air : Fanchon la belle.
I faut, mon frère,
Aller tout de ce pas
Pire à ma ch'rnère.
20i .lÊROSMK ET F ANCIIONN RTTE.
C.VOET.
Ml' iiTignor' pas,
Aile consent à tout.
FANCllONNEiXF, transportée.
Ml! mon clun- p'tit fi'ère.
Faut que j'te saute au cou.
JIÎROS.ME.
Parguienne, et moi itou
Ain : Accompagné de plusieurs autres.
Messieurs, j'atlons nous réjouir;
Mais c'est à l'onibre d'vot' plaisir :
lies vôtres dépendent les nôtres.
FAMCIIO.NNETTE.
Si j'ons pu vous plaire un p'tit brin,
Lâchez-nous un pauvre p"lit coup d'main.
(Frappant dans la main.
Y accompagné de plusieurs autres.
DUO
JÛIOS.ME ET rA.NCllO.NNUiri:.
Air. : Ah ! Pierre, fêlais morte sans vous.
FANCHONXETTE.
Quand l'Amour fait d'I'ouvrage,
Dam' c'esl d'I'ouvrag" Den fait :
S'il commenç' par l'orage,
11 Unit par l' bien fait.
Je nage,
JÉIIOSME.
(juand l'Amoui fait d l'ouvrage,
Uam' c'est d'iouvrage ben fait :
PASTORALE DE LA GRENOUILLÈRE. 205
S'il commenç' par l'orage.
Il finit par rbienfait.
Je nage."
JÉROSME.
Eh ! Cadet, il y a pied là, au moins.
FAXCHONXETTE.
Je nnge dans un plaisir parfait.
JÉROSME.
Je nage dans un plaisir parfait.
RONDE.
FAXCHO>NETTE.
L'Amour a, sur la rivière,
lîien des droits comm' de raison.
Mais c'est à la Guernouyère
Qu'il a plus de r' venant bon.
Il y montre la magnière
Comm' faut amorcer Tpoisson.
JÉROSME.
Avec sa jeun' parsonniére,
L'autre jour, un vieux barbon
Fut une journée entière
Sans pouvoir prendre un goujon;
Il n'savait pas la magnière
Comm' faut amorcer l'poisson .
CADtT.
Un brav' guerrier, à la guerre,
Est sûr de son mousqueton^
Et de r'tour sur la rivière,
Il est sûr de son liam'çon ;
JEROSME ET FANGIIONNETTE.
Dam' il enleiul la magiiière
Comm' faut amorcer l'poisson.
jérosme".
On ne pêilie clans Teau claire
Qu'du IVetin, du barbillon;
C'est ç'qui l'ait qu'les gens d'aflaire
Pèchent en eau trouble, et v'ia l'bon.
Ils attrapont la magnière
D'endormir le gros poisson.
CADET.
Une Beauté riche et fiére,
N'Irouvant aucun parti bon,
Tumbit toute la première
Dans les filets d'un Gascon;
La Garonne est une rivière
Où se prend Tmeyeur poisson.
FANCHONNETTE.
Lise, autrefois Marinière,
Est grosse Dame, dit-on ;
(Jqui d'vrait la rendr' la darnière,
Lui donn' du bien et du r'nom :
Ça s'appeir dans une ornière
Savoir attirer l'poisson.
AU PARTERRE.
Heureux qui peut satisfaire
Vot' goût de toute façon !
Vol' boun' gràc' nous est plus chère
Qu'un bateau plein d'esturgeon :
Le seul désir de vous plaire
S'ra toujours note aviron.
COMPLIMENT
CLOTURE DE LA FOIRE SAINT-LAURENT, 1755
Sl'IVI
nB CELCl DE li FOIRE SilM-GERMAlS DE Li MÊME AUSÉE
TOUS DEUX CHANTÉS A LA FIN DE JÉROSME ET FANCHONNETTE
I,E G OCTOBRE 1755.
ACTEURS
JÉROSME.
FANCHONNETTE.
CADET.
JÉROSME.
Ah! çà, Cadet, c'est pasrtout; faut z'iin Compliment à
çTlieure-ci.
CADET.
Volontiers.
JÉROSME, embarrassé.
Dame ! c'est cju'faut donner le bonis d'nne magnière de
sentiment ben r'tapée au moins... là... comme qui dirait
un échap'ment d'conversation sur une reconnaissance ben
stipulée touchant... l'occasion du sujet de ce que j'sommes
redevabes... Là, tu m'entends ben... c'est-à-dire...
2G8 COJII'LIMENT.
rANCllO.NXF.TTF,.
Jérôme, laissez ça là, vole langage s'enfonce dans Tem-
biouillarmini. Cadet n'est pas pus r'fors que vous là -des-
sus.
JKIiOSME.
Eli! bcn, rendez-nous ç'p'lil service-là.
FASCIION.NETTK.
Ah! mon Guieu ! ça n'se r'fuse pas dans l'ménage.
Ant : // a voulu.
Mcssieux, excusez l'embarras
Où c'qu'est Monsieur Jérôme;
C'est qu'pour se tirer d'un tel pas ;
11 faut ben d'I'esprit; mais hélas,
I n'en a pas,
I n'eu a pas,
Tout comme un habile homme.
JKUOSME.
kiR : lîeçois claus (on galetas.
Accoutcz, Manseir Fanchon,
Faut pas tant fair' la capabe :
De l'esprit c.~t bel et bon,
Mais l'cœur n'cst-i pas préférabe?
Diies, n'est-i pas vrai, messieux,
Que c'est le cœur qu'vous aimez rmieux ?
En ç'cas-là j'.-uis des lions.
C.VDET.
Parle-donc, Jérôme, est-ce que j'suis un chien moi là-
d'sus? Tu crois j)'tétre que j'ten r'céile...
jÉROSiME.
Eh! sois ç' que tu voudras; chacun pour soi dans ç'mo-
nient-ci; je me frais guillocher pour remporte)- sui' vous
tous en cas d'ca.
COMPLIMENT. "269
FA^CIIONNETTE, piquéo.
C'est donc ù dire moi que je surfais ces belles Dames et
ces Messieux, quand j'dis que j'suis la plus r'connaissante
de toutes leux gracieusetés? Monsieu mon amant, vous
voulez ni'donner du d'sous de ç'c6té-ci? Fort peu d'ça. Et
si vous croyez avoir plus de distingation qu'moi pour ce
qui est de mes sentimens pour la Copagnie, j'vous l'dis,
j'vous donne vote sac et vos quilles.
JÉROSME.
Eh! ben, donnez; Tamiquié du Purblic vaut ben d'I'a-
mour.
FANCUONNETTE.
J'savons ben qu'son amiquié est la plus belle rose d'vote
chapeau; mais sachez qu'vote chapeau est rcouver(|ue d'un
butor.
jÉROSME, fAciR'.
Manseir Fanchonnette !
FANCIION.NETTE, se mofinaiit lie lui.
• Monsieu Jérôme !
JÉROSME.
Prenez garde à ce que vous dit' au moins.
CADET, les séparant.
Quoi qu'c'est donc qu"ça? v'ià un biau commencement de
ménage !
FANCHO.NNETTE.
Mais c'est vrai; t'nez, m'osliner qu'i Trait plus d'effort
que moi pour mériter la bonté du Public.
JÉi;0?ME.
Eh! ben, j'ai tort, là. J'sommes tous les deux d'ia même
trempe.
'270 COMPLIMENT.
CADKT.
Sans doute... Tiens, ma sœur, n'iaut pas..,
FANCIIONNETTE.
Allons, tais-toi, diable de bijou du Parvis.
CADKT.
T'es drôle; finissons ça, et pour melte d'accord, qu'cha-
cun dégoise ç'qu'il a dans l'âme.
JÉROSME.
Va-t-i, Manseir?
FANCHONNETTE.
Va... Comment donc! Cadet vous raccommode ça comme
d'ia fayance.
JÉROSME.
Eh! ben; q'raencerai-je-ti?
FANCHON.NETTE.
Allez toujoux vott! train, Monsieu rcomplimenteux. Tiens,
i s'craniponne déjà comme s'i remontait la Gayotte à lui tout
seul.
JÉROSME.
Air : Mais d'mande-i-nioi pourquoi (ju'je r' viens.
Une jeun' filF qui va s'niarier
Avciic un vieux z'homm' qu'ail' n'aim' gueres;
Queuqu'z'un qui voit z'un creyancier
Qui veut s'mèler de. ses affaires;
Un Amant qui perd sa Maîtresse,
Une Maîtresse qui perd son Amant,
N'ont, morgue, pas tant de tristesse
Qu'en a Jei'ôme en vous quittant.
Oh! c'est vrai ça. ou l'Dialilo me serve de carrosse, si
j'vons mens.
CADET.
A moi àç'lheure,- tu vas voir comm' j'm'en r'tire.
COMPLIMENT. 271
CADET, d'uuf voix onrouép.
Air : Du Dieu des cœurs. ^
En vérité,
Oui, Messieux et Mesdames.
Votr' généreuzté
S'éparpille au fin fond d'nos âmes,
S'épav, ar, ar, ai', ar,..,
FAKCHONNETTE.
Tiens, ç'I'autre avec sa voix de tournebroche ! Il vous en-
tonne un Orpera. Dis donc, Cadet, quand z'on chante comm'
ça, faut s'faire accompagner par un chaudron.
CADET.
Eh ! sarpejeu, i gn'a qu'pour toi à vouloir jouer du gosier
ici.
JÉROSME.
Vous sentez fort, ManselF, qu'un homme n'a pas l'passage
de la ruette lait pour la mursique, comme qui dirait la sur-
pape d'ia voix d'une femme.
FAKCHONNETTE.
D'quoi donc qu'i s'mèle? Faut renoncer quand on n'a pas
d'atout; on n'fait pas la bêle pour ça.
JÉROSME.
Eh ben, voyons, allumez-nous ça, vous qui parlez.
FxVNCHONNETTE.
Vantez- vous-en, et dans la magnière qui eonvieni en-
core.
(Elle sort du ton Marinier.)
Air : Me promenant dans nos plaines.
Ce moment qui nous désole
Du néant est le miroir.
Si notre bonheur s'envole,
Quel sera donc notre espoir?
Par votre absence cruelle
•_>7'2 COMPLIMENT.
L'ennui va suivre nos pas.
.\ii! quel revers pour notre zèle!
Non, non, non, ma douleur n'y suffit pas.
Mais si notre amour vous rappelle,
Non, non, non, non, nos cumu's ne se plaindront pas.
JlillOSJlK.
Targué, MaiiselF Kancliomielte, t'nez, voiis m'paraissez
de r'chefben genlille; j'vous aime, morgue, plus qu'aupa-
ravant. Ah: ça, raccommodez-vous donc nous d'eux, la,
sans r'gout.
FANCHONNETT.;.
J'vous l'pardonu' rapport au sujet de la cause; embras-
sez-moi, et que ça soit fini : avec la permissi-on d'ia Copa-
gnie, s'entend.
JÉROSME, au public.
Messieux et Dames, voulez-vous ben nie signitler votre
permeltance, là, en inagnière de fiançailles; c'est comni' si
j'buvais un lilron de palfe à vote chère snnté ; que le ciel
vous consarve en joie et en argent.
([I embrasse Fandionnolle.)
FANCHONNETTt;.
V'ià qu'est ben, r'mettez-vous; ça fait plaisir : mais j'en
r'viens toujours à nos r'grets; en verte d'Dieu, j'resl'rais là
toute ma vie, moi; mais faut faire place à d'autres; allons,
Jérôme, Cadet, jouons d'nol' reste.
(Elle los anu'iio au boni du Tliéàlre.)
Si votre bienveillance
Fait nos plus heureu.x jours.
Notre reconnaissance,
Nos respects, nos amours;
l'our vous dui''ront toujours,
TOUS.
Pour vous dur'ront toujours. ('"«V
COMPLIMENT
DE CLÔTURE
DE LA FOIRE SAIX T-GEP,M AL\
CIIA.MÉ lAU MADEMOISELLE ROSALINE, A LA SLITE DE JÉROSME
ET FANCIIO.NNETTE.
lANCUONNETTE .
Aiii : Ail! s'il en goûte, s'il en taie, s'il en a.
Ah! çà, Mesdames, Mesd'moiselles et Messieux,
On m'a chargé d'vous dire nos adieux.
On a ben tort, car je n'sais pas comment
Il faut s'y prend' pour faire un Compliment ;
C'est qu'vous en méritez tant, tnnt et tant,
Etnot' chagrin est si fort dans ç't'instant,
Qu'en verte d'Dieu c'est ben embarrassant.
Air : Faut pas êtr' grand sorcier pour ça.
Pour m'aider. un litron d'rimeux
S'donniont d'ia tablature :
J'ons laissé là leux vers fameux
Pour suivre la nature :
Car en partant d'ià,
On sent pour vous les dioils qu'elle a,
La, la,
Oh ! oh ! ah ! ah 1 ah ! ah !
I n'faul qu'avoir du cœur pour ça,
La, la.
27 i COMI'LIMEINT.
Aiu : Pour la Baronne.
Mais, pour vous plaire,
P'tètro que d'i'esprit s'rait plus beau;
Eli! quauti mêuie j'en saurions faire,
Vous en offrir s'rait porter cITiau
A la rivière.
Air : Drès Vmaiin dessous c' feuillage.
J'venons d'épouser Jérôme,
b'son amour vous êtes témoins ;
Ça paraît faire un brave homme.
A vos yeux on l'serait à moins.
C'est qu'un mari d'vant tout l'monde
Envers sa lemm' fait l'poli,
Qui souvent tempêta et gronde
Drès qu'il est r'tiré dieux li.
Çan'f'rait rien, si vote absence
N'achevait pas d'm'effrayer.
Oui jouit de vot' présence,
Mange son pain blanc rpermier.
(Elle sort du Ion poissard.)
AiH : Recevez donc ce beau bouquet.
Ne rejettez point nos regrets ;
Messieurs, vous en êtes la cause :
Ils sont le fruit de vos bienfaits ;
Ah ! comptez-les pour quelque chose.
Vos bontés nous ont de tout tems
Assuré votre bienveillance.
De nos cœurs les plaintifs accens
Sont l'encens
De la reconnoissance.
LES
RACOLEURS
OPÉRA-COMIQUE
EN U.\ ACTE
représenté pour la. première fois sur le tuéatre de
l'opéra-comique
a la foire saim-gekmaix, le 11 mars 1756.
ACTEURS
MADAME SAUMON, marchande de poisson.
JAVOTTE, sa fille.
TONTON, petite sœur de Javotte,
MARIE-JEANNE, Nièce de madame Saumon.
M. DE LA BRÈCHE, sergent, amant de Javotte.
TOUPET, Gascon, et yarçon Frater, rival de M. de la
Brèche.
La RAMEE, JOLIBOIS, soldats des autres corps.
SANSREGRET, soldat ivre,
La scène est dans une place publique.
SCÈNE PREMIÈRE
TOUPET, seul.
L'opulence n'est pas toujours le côlé par où brillent les
bourseois dé mon village.
276 LliS HACOLEUIIS.
Aiu : M. le Prévôt des Marchands.
Mais riiiduslérie est un fond
Qui du revenu me ri'iiond :
De mon adresse je prolitc,
Et j'en profite utilement,
J'onr épouser une petite,
Qui m'aime médiocrement.
Je l'aime Tort peu aussi, elle est mal élevée; je méprise
même assez la mère, quoique fameuse marchande dé pois-
sons; ce sont de petites gens; mais il y a de l'argent dans
la maison, peu m'importe lé reste. Vive les enfants de mon
climat pour damer le pion à ces pauvres petits Parisiens.
Allons, puisque j'ai le vent en poupe.
Vogue la j^alère
Lanière, lanière...
Ah ! voici la friponne en question.
SCÈNE 11
TOUPET, JAVOTTH.
TOUPET.
Venez, mon aimable.
JAVOÏTE.
J'naipas de temps à perdre, monsieux.
TOUPET.
La rencontre est trop favorable pour moi; un petit
mot.
JAVOiTE.
J'vous conseille de m'iaisser aller; on m'attend cheux
nous, monsieux Toujiet.
OPERA-C'jMIQUE 277
TOUPET.
t. • , . • /■•
Je vous accompagnerai, et cliemin lésant je veux m ex-
primer par les açeiis ies plus doux.
JAVOTTE.
Allez, belle figure propre à faire du saindoux; si vous
n'battez pas Thriquet mieux qu'ça, l'amadoue n'prendra
pas, j'vous en avartis.
TOLI'ET.
Air : Lui ni' aimer! je ndonii pas là d'dans.
Au point où nous en somm"s tous deux...
JAVOTTE.
A qucu point donc est ç' que j'en sommes ?
TOUl'F.r,
L'hymen mé rendra par ses nœuds
Bientôt lé plus heureux des liommes :
Car votre maman, que je croi...
JAVOTTE.
Qu' je croi! Dites plutôt que j'doute.
TOUPET.
Je voi que j'aurai votre foi.
JAVOTTE.
Et moi, i'voi,
Que Monsieux n'y voit goulte.
TOUPET.
Mais écoutez donc, mon petit cœur.
JAVOTTE.
Quoi qu'c'est (luvot' p'tit cœur? Mais voyez doncç'magot
échappé de d"ssus la tabatière du gros Thomas ! Son p'tit
co.Mir !
TOUPET.
Air : .Voî/s sommes Pieecpleurs d'amour.
Que! mal vous fais-je, à votre avis".'
16
'278 LES l;ACOl;ELiKS.
JAVOITi:.
^''Jnu louchez pas; l'iiez, j'siiis peureuse.
TOUI'KT.
Mais vous avez tort, car je suis
Porteur tl'uno figure heureuse.
.IWOTTE.
Ali! oui, l'ortlieureuse, cl si lieureuse que ma mère i'rail
ben de vous pendre à sa boutique en magnère d'enseigne :
un merlan connu' vous s'verrait d'ioin ; ça iy port'rait
bonheur, ça y attirerait des pratiques,
TOUrET.
Né badinez pas ; sans vanité je pense être dune struc-
ture...
JAVOTTE.
Oui, il est ben campé, avec ses deux jambes de flûte
à Tognon. Adieu, bijou d'ia foire Saint-Ovide. Oh ! j't'é-
pouse, tu n'as qu'à v'nir, va ; pain mollet d'ià dernière
fournée.
diUu sort, et iKiilu l);is à la lUiiiioo ilucUc
l'ciiconirc au l'oml du tlicàtro.)
SCÈNE lil
TOUPET.
Mons de la Brèche, sergent des petits corps, lui tient sans
doute en cervelle; mais je présume valoir mieux avec rien,
que lui avec quelque chose ; j'en ai fait accroire là-dessus à
la mère : un air de possession en impose.
OPERA-COMIQUE. 279
SCÈNE IV
L\ RAMÉE, TOUPET.
LÀ RAMÉE.
Air : C'est (fans la rue d'in MortcUcric.
Serviteur à Monsieux Toupet.
TOUPET.
Ali ! mon ami votre valet.
LA RAMÉE.
Eh! beU; vot' mariage est donc fait?
TOUPET.
Tout dé bon ?
LA RAMÉE.
J'vous l'annonce,
Car mo'n Sergent y r'nonce.
TOUPET.
Capedebious, il fait prudemment ; il n'est pas fait pour
entrer avec moi en rivalité ; et d'ailleurs ma profession est
convenable...
LA RAMÉE.
C'est ç'que j'y ai dit ; mais parlez-moi de r'bignoler des
cheveux comme vous faites : c'est ça qu'est du prope,
quant à ç'qu'est d'ia vacation; car vous êtes des bons pour
lacolure, M. Toupet, hem?
TOUPET.
Air : Snvez-vous bien, jeune tendron?
Sans contredit, oui; mais mon cher,
Mon genre est plutôt la lancette.
LA RAMÉE.
C'est donc comm' qui dirait Frater :
Pour rRégiment queu bonne emplette !
En cas ..
280 lES RACOLEURS
TOUPET.
Pdiiit, point.
LA RAMÉE.
Vous avez tort;
Savcz-vous Len, qu'yous seriez d'abord
Garçon Major,
Presque Major,
Et p'têlre ben, Chirurgien Major.
Il est vrai qu'il faudrait commencer par apprendre un
p'tilbrin l'exercice": mais ça n'vous coùt'rait guères; car
vous êtes fait... (A pan.) Ah ! fait à plaindre.
TOUPET.
Non, j'aime mieux me iiquecer à Paris.
LA UAMÉE.
Au bout d'iout ça, vous avez raison; et pis, chacun a son
goût ; pour moi j'vous trouve du mien : bien des gens se-
raient ben aises d'vous avoir, au moins.
TOUPET.
(A part.) J'aime ce garçon. (Haut.) lié! donc, vous voyez que
la petite Javotte serait dans son tort de balancer; elle est
sans doute moins rétive aux ordres de sa mère.
LA IIAMKE.
Bon ! c'est la douceur même ; ça n'a non plus d' volonté ni
d'entêtement... (a part.) qu'une mule.
TOUPET.
Aiii : Je reviendrai demain an soir.
Si je n'ai pas beaucoup d'argent,
Au moins j'ai du talent.
Et je pense li'ur faire honneur.
L\ r.AMÉE.
(A part.)
Oh ! Comni' t'es dans l'erreur I
OPERA-COMIQUE. 281
V'ià un p'tit chien d'carabin qu'est ben glorieux tou-
jours; six ans d'service seraient pour lui une bonne
école.
TCUPET.
Que dites-vous ?
L\ RAMÉE.
Oh! j'dis qu'air s'rait avec vous en bon école.
TOUPET.
Il a du jugement.
LA RAMÉE.
Et t'nez, rien qu'à vous voir, on vous prei rait pour un
esprit, à cause de votre air revenant, en vé lé : j'ai fait
avertir Madame Saumon, vot'bell' mère future, de venir
pour l'y dire qu'vote rival baise les mains à sa fille.
TOUPET.
Comment ! Lui baise les mains !
LAP.AMÉK.
Oui, y décampe, ça s'entend.
TOUPET, rian .
.■\h ! ah ! j'y suis maintenant.
LA RAMÉE.
Ah ! vous êtes malin, monsieux Toupet.
TOUPET.
Quelquefois. Sansadieu, l'ami :vous êtes nbon enfant;
je vous veux du bien. Je m'en vais en ville ordonner dé la
petite centaurée.
LA RAMÉE.
Un homme affairé comm' vous est toujours en l'air
comm' un volant, (a part.) Prends garde de tomber sur ma
raquette, toujours; car je t'enverrais un peu loin.
16.
28> LES RACOLEURS.
TOUl'ET, revenant.
Ain : Adieu, mon c/icr la Tulipe.
lé, Sergent, je rimagine,
M'en voudra.
LA KAMÉE, à part.
Le bon miche !
TOUPET, sort.
Mais enfin, j'en suis fàclié.
LA RAMÉE.
Ah ! faut pas qu'ça vous chagrine :
T'as ben l'air d'avoir la mine
D'être queuqu'jour
En pension dans un four.
Oh! comm' j'vas parler pour toi ! Va, monsieux Bistouri,
n't'embarrasse.
SCÈNE V
MADAME SAUMON, LA RAMÉE.
MADAME SAUMON.
On m'a dit comm'ça qu'un monsieux m'demande : oi'i
ç' qu'il est donc, ç'monsieux ? J'n'en vois non plus qqe d'sus
ma main , parlez donc, la Ramée, est-ce-ty vous qui pernez
ç'te prétesse-là ?
LA RAMÉE.
Oui, la maman : c'est moi, la paix, espliquons-nous bel-
lement. T'nez, la mère Saumon, vous avez tort de n'pas
donner Manezelle Javotte , vote fille, à monsieux la
Brèche, note Sargent ; c'est un brave homme, quand j'vous
l'dis.
OPÉRA-COMIQUE. 285
MADAME SAUMON.
Quand j'vous dis et quand j'vous douze, moi, qu'vot Sar-
gent n y touchera pas, entendez-vous? Pargué, j'voustrouve
encore bien cocasse de m'déranger d'ma marcliandise pour
si peu.
Air : de Manon Giroux.
Je réservons note fille
Pour Monsieux Toupet.
Ça fait un garçon d' famille,
Qu'est ben mieux son fait.
Y s'disting-u' dans la perruque,
En charge il sera :
LABAMÉE.
J'aimerions mieux Pvoir sans nuque.
Que de souffrir ça.
MADAME SAUMON.
Non, monsieux Ibeau conseiileux d'bal, je n' voulons pas
de ç'te charge-là : j'voulons une charge de rapport, comm'
qui dirait Pérutier, et en boutique encor.
LA RAMÉE.
Air : C pendant pourtant ça m' fait souffrir.
Quand mêm'ça s'rait, est-c'que s't'élat
Vaut seulement sty-là d' soldat?
L'un, tranquille dans son ouvrage,
Rase, sans craindre les péi'is ;
Et nous, au mitan du tapage,
J'faisons la barbe aux ennemis.
Y a d'I'honneur dans notre métier.
MADAME SAUMON.
Et OÙ ç'qu'est Tprofit : en un mot comme en cent, je
n'voulons pas d'ofticier d'épée : ça coupe trop ; vote sar-
gentest un vivant qui a ITil, ça mange trop ; je n'voulons
pas d'ça.
284 LES RACOI.EIIRS.
SCÈNE VI
MADAMK SAUMON, TONTON, LA RAMÉE.
TONTON.
Ma mère.
MADAME SAIFMON.
Diles-li bença; entendez-vous, la Ramée?
TONTON, criant,
Ma mère, hé ! ma mère.
MADAME SAUMON, du m<)mo lon.
Hé ben! après, piaillarde.
TONTON.
T'nez, v'ià encore Monsieux d'ia Brèchequ'est cheux nous,
qui endort ma grand'sœur Javotfe.
MADAME SAUMON.
Ail ! le ch'napan ! c'est donc pour me t'nir le bec dans
Peau, qu'il m'envoie comm'ça des émisphéres.
LA KAMÉS, rianl.
AïK : sur M. de Câlinât.
Quoi donc! vous avez l'yir d'un queuq'zun qu'est piqué.
MADAME SAUMOX.
J'ai l'air de c'que j'ai l'air, diab'd'invalid"manqué :
J'm'en vas les sabouler ; tu n'es qu'un afl'ronteux,
El ton Monsieux la Bréch'me 1' payera pour vous deux.
LA RAMÉE, lu retenant.
La maman deguieu, eh! mais écoutez-donc.
MADAME SAUMON.
N'me retiens pas, crois-moi, car je commencerais par
t'accoinmoder la (igure comme du Jacques sanguin.
(Elle sort.)
OPÉRA-COMIQUE. 2^5
SCÈNE VII
LA RAMÉE, TUNTON.
LA RAMÉE.
Queu tempête donc que ste femme-là :
TONTON.
C'est ben fait aussi.
LA RAMÉE.
Pargué, Tonton, vous êtes une p'Iite jaseuseben mal ap-
prise; faut convenir d'ça.
TON TON.
Eh ! mais vramenf, fallaily pas l'Iaisser fair' donc?
AïK : Au s'coui-s, au s'cours, nu s'cours.
A l'endroit de ma sœur,
Comme il y va le drôle !
A l'endroit de ma sœur.
Il se coule en douceur.
Sans m'dire, vous v'ià,
C'beau Monsieux vous l'enjôle,
Devant moi la cajole,
Et d'ces politess'là,
Y n'm'en offre pas ça.
LA RAMÉE.
Mais, raan'zelle, sont pas là des politesses pour un en-
fant.
TONTON.
Eh! mais, monsieux Jean-l'Blanc, tiens... allez, quand on
shabille et qu'on s'déshabille toute seule l'on n'est plus
enfant : à douze ans l'honnêteté des grandes personnes fait
plaisir, entendez-vous?
280 LES RAGOLRURS.
I,A KAMÉE.
Hé ben ! ma petite Tonton, vous êtos bien gentille, là.
Dites-moi un peu des nouvelles de ma maîtresse à moi, de
vote cousine.
TONTON.
Marie-Jeanne?
LA UAMKE.
Oui : l'avons vue aujourd'hui?
TONTON.
Pauvre petit, dites-lui donc ça !
Am : // était un petit homme.
Ma cousine est une folle :
LA PiAMÉE.
M'aime-t-elle tout de bon ?
TONTON.
Oh! j'perds l'à-d'ssus la parole.
LA RAMÉE.
Dites-moi ra, ma petite Tonton.
TONTON se moquant lu .
Éléphant, vole, vole, vole.
Limaçon,
Vole, vole donc.
J'nai pas décompte à vous rendre là-d'ssus, mouche
miel d'étape, est-ce qui m'prend pour sa confidenteuse
donc ?
OPERA-COMIQUE. 287
SCÈNE VIII
DE LA BRÈCHE, LA RAMÉE, TONTON.
DE LA BlltCllE, d'un air L'clÈaulTé.
Aiu : Ton liwneiir est Catherine.
Ah ! mon pauvre la-Ramée,
Mes amours sont confondus.
LA RAMÉE.
De vous Javotte est charmée.
DE LA BRÈCHE.
Elle et moi sommes perdus ;
Son cœur me la donnait belle,
Quand sa mère que je voi,
S'avauce à grands coups sus elle,
Et m'en sangle autant à moi.
TONTON.
Porte ça à ta chopelle.
DE LA BHÈCilE.
C'est un diable que cette feiniue-là, une harengère.
TONTON, les poings sur ses lianclies.
Parle-donc, moule à ciiandelle des vingt-quatre à la livj'e ;
(pioi qu'cest qu'une harcngère? Avec son plumet d'un
blanc jaune, tirant sur l'sagouin; on voit ben qu'vous
soufflez rfeux avec vote castor , car la chicorée qu'est
d'ssus est fumée comme un jambon, Monsieu.x, d'Mayence;
mais c'est vrai, t'nez, ç'minois d'tambour de basque, dire
qu'ma mère est une harengère, une femme qu'élève Sfs
enfants comme des Duchesses.
LA RAMÉE.
Queu manufacture de déguisement donc que ç'te p'titè
chienne de langue-là.
?88 LES lUCOLEURS.
DE LA l'.lltclll!:.
Laissons celle morveuse; écoule, La Ramée. 11 faul, de
concert avec Sansregret et Jolibois, qu'lii lâches d'en^^'agor
Toupet.
ÏONTON.
(Juoi qu'vous parlez-là d'Monsieux ïoupel ?
nii I.V BRÈCUE, emmène La Ramée.
Viens prendre ailleurs nos mesures.
(Us wrlenl.)
TONTON.
Adieu donc, Monsieux la politesse.
SCÈNE W
iOMON, seule.
Ain : Tout à la bonne franquette.
Voyez seul'ment s'il me r'garde;
J'en vaux ben la pein' pourtant ;
Même il sembe qu'il se garde
De moi, comm' d'un p'tit serpent ;
Y suffit qu'on soye une fille,
Pour qu'on doiv' s'en soucier :
Ç'n'esl qu'un Sargenl. ça n'en sail pas plus long, mais....
Suite (le l'air.
i'mu' plaire à loule un laniille,
liiricz-nioi d'un OKicier.
S'ten[)andanl j'aime encore mieux qu'y soit mon boau-
Irére que y'p'lit vilain Monsieux Toupet, je n'mangerais
pas chez lui la soupe de bon cœur : la properlé est la
moitié d'ia vie; quoi qu'c'est que ces aulres-là, à ç'I'heure ï
OPÉRA-COMIQUE. ;2MJ
SCÈNE X
JOLIBOIS, TONTON, SANSREGKET, ivre.
SMSREGRET, sappuyaul sur Joliiiois.
Air : Je crois que toute la terre.
C'est Bacchus, le Dieu de la treille,
Qui fait la pluie et le beau temps.
JOLILOIS.
Allons, allons, tâche toujonrs de t'souienir : est-(;'qu'lu
nVprends pour une brouette, à la fia ?
SANSREGRET.
C'est juste.
Air : On m'a dit qu certain faraut l'aime.
On ne craint pas le Commissaire,
Quand on n'fait pas d'mal sans sujet,
(ju'est-ce que c'est que ç'te p'tiie fille-là ?
ÏO.MO.X.
Il n'est pas collé sti-là, voyez donc !
JOLIKOIS.
C'est la p'tite sœur d'ia niailresse d'note Sargent.
SANSREGRET.
Ah ! faut faire politesse à la parenté : la femme, donnez-
nous à boire; Wonsieux Tgarçon.
(On répond en dedans.)
Allons, allons.
TONTON.
Oui, apportez vilement, car il est à jeun.
SANSREGRET.
Air : Quoi donc , Cadet! est-ce tu veux qu'y ni en joie?
Quand un amant aime ben sa maîlresse,
C'est la raison qu'il soit son favori.
17
290 LES RACOLEURS.
JOLIBOIS.
Maàine Piquette, dépêchez-vous, chopine à huil, et du
bon.
(Ou les sert.)
Si on vous emporte votre nappe, y aura lien du mal-
heur.
SANSREGRliT cluuiK;.
La femme est un embarras.
TONTO.X.
11 a avalé une mouche, car il a Tcœur ben gai.
SANSREGRET, prenant du tabac.
J'aurais chargé l'Amcur
De vous dire quej't'aime.
TONTON.
Il y aurait donné là une belle conniiission, à l'Amour.
JOLIBOIS.
.VUons, passe.
(Sansrcgi'L'l ctcrnue; .lolibois ùtc son tliapeau.)
SANSRIXRET.
N'te dérange pas, c'est l'tabac.
TONTO.N.
11 est sans gène.
joi.n:ois.
Hé ! sarpejeu.v, Sansregret, t'as donc déjà ben ribolé drès
l'inatin.
SANSREGRET.
J'ni'en vante; J'avons remouché Irois garçons tailleurs
el puis un abbé : ç'i'ahbé a fait des façons; mais par la
circonférence.... de l'occasion.... j'avons si ben paraphrasé
la signature de ç'quc la pliune.... était disposée dans la pré-
vention d'ia chose, que ç't'abhé, qu'était.... pour ainsi dii'e.
OPÉRA-COMIQUE. '291
dans les.... encolumenls.... des intérêts, a troqué son rabat
noir contre une cocarde blanche.
JOLIBOIS.
Allons, assis-toi, et buvons.
SANSREGRET, s'asscyànt, clianlc.
Chacun son écot le vin n'est pas cher.
Chacun son écot : échos, dites-lui que je l'aime.
A ta santé.
JOLIBOIS..
A toi. Man'zelle, voulez-vous vous rarraîchir d'un doigt
d'vin avec nous. (Il lioit.)
TONTON.
Au cirni, au ch'ni, je n'bois pas avec des Racoleurs.
JOLIBOIS.
J'en aurons plus d'reste.
SANSP.EGRET.
Qu'est-ce qu'on dit d'nouveau, car moi je suis t'un mili-
taire dont auquel.,., on peut ben dire.... que, sans m'van-
ter j'peux bon....
JOLIDOIS.
Et allons, te v'ià déjà assez imprimé dans la boisson :
tiens, n'parle pas davantage, ça t'grisera encore.
SANSREGRET.
C'est juste, tu parles en ami ; te souviens-tu d'Ia dernière
campagne?
JOLIBOlS.
Hé! oui, achève seulement ton vin. Hé! bien, Man'zelle,
si vous n'voulez pas boire, quoi qu'vous faites donc là?
TONTON.
J'veux y rester, moi, j'suis sus l'pavé du lloi, p'têtre; ça
m'divartit d'vous voir.
'292 LES RACOLEURS.
SANSREGRET.
Un soir que je cliaritions,
Venant des l'orchcrous.
Ç'te campagne-là laisait une belle campagne ; je m'sou-
viendrai toujours d'une bombe pesant environ... beaucoup,
parce qu'une bombe... ce n"est pas une chose comme qui
pourrait dire une comparaison, à cause de la défaillance
qu'on emprunte dans un besoin ; mais qui a ternie ne doit _
rien.
lOMO.N, riant.
11 n'est pas mal bête, comme ça.
JOLIBOIS.
Oii ! tien, vlà qu'tu bats la campagne, en voulant nous en
parler : gn'a plus d'plaisir, drès qu'tu n'sais plus ce que
tu dis.
S.VNSREGIIET, revcuaiU comme d'un assoupissement.
A m ; Tarcre pompon.
J'avons pointant été dedans d'ia compagnie.
JOUliOlS.
On n'dit pas : j'avons.
SA.NSREGRET.
Bon!
On n'dil pas : j'avons!
JOLIBOIS.
Non.
S.VJJSREGUET.
C'tc chopin', j'te parie.
JOLIUOIS.
Va, chopinc.
SANSREGRET.
lié l)on donc 1
Comment? dis-moi, je t'prie,
Dit-on?
OPERA-COMIQUE. 295
TOMOX.
Ah ! voyons donc ç't'autre astorlogue.
JOLIBOIS.
On dit : j'ons été là et là.
( SANSREG1ET.
J'ons été?
JOLIBOIS.
Oui.
sa:ssregret.
. T'as menti ; tiens, v"là la Ramée qui vient : c'est un r'tors
dans la parole, veux-tu t'en rapporter à sa jusiiciaire?
JOLIBOIS.
Va, je l'veux hen.
TONTOX.
Je n'veux pas que ç'grand vaurien-là m'voye.
SCÈi\E XI
LA RAMÉE, JOLIBOIS, SANSHEGRET.
LA RAMÉE.
Air : Quand je partis (k la Rochelle.
Quoi qu'vous faites donc là, vous autres?
SAXSREGRET.
Tiens, la Ramée, écoute; il dit qu'il faut dire : j'ons été
dans un endroit.
JOLIBOIS.
Apparemment.
LA RAMÉE.
J'ons ! fi donc; ça n'vnuf rien.
294 LES RACOLEURS.
SANSREGRKT, oilcIiaiUé.
Sarpegué, c'est bon fait; (luand j'tTavais dit; n'est-y pas
vrai qu'il faut dire : j'avons été dans du monde?
LA RAMÉE.
J'avons! Tu gn'es pas non plus, toi, avec ton j'avons. On
dit : nous ont été qucuqu'part.
JOUBOIS.
C'est juste.
SANSRKGRET.
En ç'cas-là, distingo marjolaine; j'pairons chacun d'mi-
stier.
LA RAMÉE, prenant la chopino et buvant à même.
Que j'voiis rattrape,
JOLIBOIS.
N'te gêne pas.
LA r.AMÉE.
Am : .4/i/ qu'on a bienfait d'inventer V Enfer!
Çà, c'n'est pas ça. Tiens, toi, Sansr'grct,
T'es déjà dans les briiidezingiies.
SANSREGRET.
Y n's'en manqu' que cinq ou six letl'
Qu'il n'sach' par cœur son alphabet.
JOLIBOIS.
Pargué, t'as l'vin diabhMiient nuigicien ; laisse-nous donc
parler un moment.
SANSREGRET.
lié ben ! voyons.
LA RAMÉE.
Y s'agit de r'bouisor dans l'enrôlement Monsicux Toupet,
rival tl'note Sargont.
OPERA-COMIQUE. 295
SANSREGRET.
Volontiers.
Am : Reçois dans ton galetas.
Milzieux, je veux l'dégnaiscr;
Laibs' faire ma fantaisie.
LA RAMÉE.
Jolibois, faut t'déguiser
En marcliand de billets d'Lot'rie.
JOLIBOIS.
J't'entends, je n'suis pas manchot,
J'saurai l'y fair' g-ugncr un lot. [bis]
SANSREGRET.
C'est ben dit.
LA RAMÉE.
Tiens, v'ià trois livres que Monsieux d'ia Brèche m'a
données pour ça.
Am : Cpardon-là m'annonce, morgue.
I Prends deux billets sans t'arrèter,
Et puis gard'-nous l'reste pour pinter.
JOLIBOIS.
Ah! çà,
Vous s'rez-Ià.
LA RAMÉE.
Et oui,
Dans c'coin-ci.
Prends gard'd'être r'connu.
Not' temps s'rait perdu.
JOLIBOIS, s'en allant.
Ohi c'est entendu.
290 LES HACOLEURS.
SCÈNE Xlï
LA RAMÉE, SANSREGRET.
LA r.AJiKE, nidanl Sansregrel ii marcluT. ,
Allons, viens, te v'Jà joli garçon!
SANSREGRET, en marchant.
I.e guet le prit tout en courroux :
Lui, d'une audace sans seconde ;
S'il s'agit d'être gai pour arrêter le monde,
Par ma foi, leur dit-il, j'vais vous arrêter tous.
Car, par ma foi, je suis plus gai que vous :
Je suis plus gai que vous.
Je suis plus gai que vous.
LA RAMÉE.
Le diable (e chaule, va; allons, assis-foi, el reste un
moment tranquille.
SANSREGRET. '
C'est à sa place
LA RAMÉE.
La mère, donnez -nous du même; mais qu'il soit meyeur.
SANSREGRET.
Dans la cuisine
Un bon petit moiuillon.
LA RAMÉE.
Si tu chantes davantage, tu n'hoiras plus, j'i'en avartis.
SANSREGRET.
Allons, verse, et je m'tais.
LA RAMÉE.
Dors un peu, ça ffr'a du bien; paix, v'Ià queuq'zun.
OPÉR.V-COMIQUE. 2^)7
scÈNi] xin
MADAME SAUMON, JAVOTTI^, MARIE-JI-LANNE, TOUPET,
LA RAMÉE et SANSREGRET.
TOUPET.
Non, Madnme Saumon, je né vous en impose pns, quand
je vous dis qu'à quelques lieues de Pézénas je possède un
petit château qui me rapporlera, après liquidation, trente-
cinq écus de rente.
MADAME SAUMON.
Entends-tu ?
MARIE-JEANNE.
Eh mais! il a font l'air d'un homme à maison d'campa-
gne; oui, à une demi-lieue desGob'lins.
MADAME SAUMON.
On n'parle pas à toi, langue de satyre : Va, Javolfe, rap-
porte-toi-zen à Mousieux.
JAVOTTE.
Am : 0 reçiuimjuc, 6 lonlnnla.
Pargué qu'est c'qui n'croiroit pas ça I
Drès qii'Monsieux l'dit faut s'en t'nir là,
0 reguingiié; ô Ion Im 15,
Ilien qu'à l'voir, je gag'rais qu'sa terre
Est dans l'cul d'?ac de la misère.
TOUPET.
(A part.) Elle n'est pas dupe. (Haut.) Laissons cet article,
et venons à l'agrément de mon métier; quand les pratiques
sont satisfaites, on peut accommoder sa femme.
MADAME SAUMON.
Sans doute.
17.
298 LES H A CO LEURS.
" Air : Kn mistico.
C'est ben gracieux d'ètio r'tapée
En mistico, on dardillon, on dar dai" dar,
liien n'siod mieux quand on zest iiipée,
Uu'd'avoii" un Liau cliijjnon
Mislilicoté,
R'ievé.
JAVOTTE.
Ah! si Monsieux Toupet m'touclie à mes cheveux, jo
rseiitirai ben p't'êlre.
JIADAMK SAUMOX.
Te v'h"i donc encore avec ton rTus, fille dénaturée?
Am : Ton humeur est, Catherine.
Va, tu m'fais maître en colère,
J'to conseille de liiiir.
JAVOITE.
Ail! si j'conclusions l'affaire,
Wonsieux n'a qu'a ben s'tenir :
J'I'épouserai n'pouvant mieux faire;
Mais j'I'avertis d'vant témoin,
Qu'les enfans dont il sera l'père
L'y s'ront parens d'un peu loin.
TOUl'ET.
Est-ce ainsi que vous répondez à mon ardeur?
JAVOTTE,
DTardeur! Allez, Monsieux l'ardent, prenez garde do
fondre : tiens, il a Tair d'un dégelé : pargué ça fera un
bel homme après la débâcle.
MADAME SAUMON.
Par la jarni trente millions d'cocrodilles, jlo vas érin-
ter.
TOUPET.
Doucement, Madame Saumon.
OPÉR.V-COMIQUE. 299
JAVOTTE .
Vous v'ià toujours, vous, avec vos coups; ah; les belles
magnères !
MADA5IE SAIJIOX.
Mais, guenon qu't'es, quand l'inducalion n'y fait rien, y
faut ben qu'les coups y fassent.
ÎIARIE-JEAN.XE.
Hé ! mais, j'vous dis, Madame Boniface, ça vous est bien
aisé à dire.
MADAME SAUMOX.
Quoiqu'tu t'mêles, toi, buveuse de ratafiatde chiendent.
MAP.IE-JEANNE.
Tant mieux, tant mieux, ma belle et bonne tante; est-ce
à cause qu'je n'nous rafraîciiissons pas l'gozier comme
vous tous les matins avec trois chopines d'eau-d'vie ?
JAVOTTE.
Et roquille.
MADAME SAUMON.
Parmettez, Monsieux Toupet, que jTy torde un p"tit brin
l'cou.
JAVOTTE.
Ah ! vous n'tordrez rien, toujours.
MADAME SAUMON.
Air, : // n'a pas pu.
Otez-Yous d'iïi.
TOUPET.
Luisscz cela.
MADAME SALMON.
Vengez-moi donc dTcutragc.
TOUPET.
Oh ! je ne descends point si basi
r.OO LES RACOLEURS.
MAIIIE-JEANNK.
Monsieux à nous nVe tVotl'ra pas ;
Je n'ie crois pas :
Y n'en a pas rconragc.
TOITET.
Je lie veux point iirahilir à dispuler avec une je ne sais
qu'est-ce.
JAVOTTE .
Ma mère, entendez-vous? Ma cousine, une je ne sais
qu'est-ce. T'es un je sais ben qui, moi : va, je n'veux pas
IVlire, parce qu'une honnête lllle n'sait pas jurer.
MADAME SAUMON.
Monsieux, quoiqu'ma gnièco soit un p'tit brin dérangée,
ça n'empêche pns qu'ail' n'soit queuqn'tbis...
MAUIE-JEAKNE.
Air : Dniiic C/irirlol/e.
Dérangée !
Déning-oe !
C'est VOL' çarvelle qui 1 est.
.MADAME SAUMON.
Mais l'es donc une enragée !
MARIE-JEANNE.
Dérangée !
MADAME SAUMON.
Apparemment ; est-ce qu'une fille comme y faut s'pro-
mel en mariage à un soldat des p'iils corps comme la
Ramée ?
MAIUE-JEAN.NK.
D'où vient pas?
Ain : tUi tt'voiix va brin.
C'est un brave garçon dans l'âme,
Etv'là pourquoi c'est mon amant.
Qui SiM't l)Cii riioi sert ben sa l'emnie.
OPERA-COMIQUE. 501
MADAMt: SAUMON.
Moi j'dis que c'ii'est qu'un garnimeiit.
LA RAMÉE.
La mèr' Saumon, c'est une offense
D'noircir l'zabsens en leu présence,
Et j'men vas vous fair' voir enfin
Que ça n'vous va brin.
Que ça n'vous va brin.
(Il se lève de lable.)
SCÈNE XIV
LA RAMÉE, MADAME SAUMON, et jles précédens,
SANSREGRET, endormi.
MARIE-JEANNE, claquant dans sa main.
C'est ben^fait, j'suis ben aise qu'il vous aye entendu.
MADAME SAUMON.
Abl et moi itou; vois donc comm' j'iiVen épouvante?
LA RAMÉE, arrivant en colère.
Quoi qu'vous voulez dire, Maàme Saumon avec vorgarni-
ment?
MADAME SAUMON.
Ç'que j'veuxdire?
LA RAMÉE.
Oui.
MADAME SAUMON.
J'veux dire ç'que j'veux dire, huissier priseur d'ia rue
Iluciiette.
TOUPET.
Allons, mon ami Mons dé la Ramée, point dé bruit dé
votre part.
302 _ l-ES RACOLEURS.
J.VVOTTK.
Hé! mais vraiment, Monsieux coq'mar, n'vous miMez pas
d'ça, vous; pernez tant seulement garde à la friture.
MADAME SAUMO.\, à la Runiûe.
lié ben! voyons donc, mauvais.
LA RAMKE.
Vous êtes benheureuse d'n\'te qu'une femme,
Am : Sti-là qu'a pince Dcrg-op-zoom.
MADAME SAUMON.
Qu'une femme !
LA UAMÉE.
Oui, qu'une femme I
MADAME SAUMON.
Tais-toi,
Et ne m'échauffe [las, crois-moi.
C'est qu'un' femme tell' que je sommes,
Quand ail' s'y met, vaut ben quatre lionimes.
JAYOTTE.
Ah! mon guieu, la belle trouvaille! vous avez dTesprit
comme un tableau mouvant.
TOUPET.
Allons, Mademoiselle Javotte, vous devez céder à Ma-
dame votre mère par plusieurs raisons, et d'ailleurs vous
mé manquez.
JAVOTTE.
J'vous manque! ali! laissez-moi en repos; car je n'vous
manquerais pas, en vous appliquant une savonette sur la
mine qui vous Trait mousser Tgrouin sans l'iremper dans
riau.
TOUPET.
Diou mé damne, si la main ne me démanget
^PERA-COMIQUE. 305
JAVOTTE.
La mainte démange! tu veux donc t'faire gratter, bis-
cuit d'amande amère ?
LA RAMÉE.
Monsieux Toupet, on n'inenace jamais une demoiselle
qu'est fille du sesque ferminin.
MADAME SAUMON.
Acoutez donc, Monsieux, c'est une impertinence; mais
c'est mon enfant; et si queuq'zun s'donnail les airs d'ia
battre...
SCÈNE XV
TONTON, ET LES PRÉCÉDEXS
TONLOX.
Allez, v'ià un beau sabbat qu'on fait k votre place.
MADAME SAUMOS.
Comment un sabbat !
TO.NTON.
Eh ! oui, un sabbat ! C'te dame dont à qui vous avez vendu
ç'te grosse carpe œuvée pour une laitée, fait un tapage
de chien, et veut renvarser tout vote baquet au poisson ;
air m'aurait battue sans Monsieux d'ia Brèche, qui s'tient
là crainte de malheur.
MADAME SAUMON.
Am : S'il est mordu jiar cl'animaJ.
J'm'eii va voir çà... Monsieux Toupet.
(KUe lui parle à l'oreille.)
V'nez, accoutez.
LA RAMÉE, anx autres pendant ce temps.
j-'aut que j'voue mette au fait.
r.Oi Mis HACCEUKS.
TONTON, li'S iiitoiTomiiaiit.
Monsieux d'!a Brèclie m"a donné quenqn'cliose, et puis y
m'a enibrassôe. Oli ! j'raiiiio bon à ç'i'liciire.
(Elle relouriic auiircs de sa im're.)
LA RAMEE, achevant l'air.
Pour aliilier 5 noi.' finesse.
.\ Toupet laites politesse.
Pour un moment comme par semblant d'I'aimer, et
n'vous embarrassez pas du reste.
JAVOTTE.
Oli! drus que ç n'est qu'par semblant, vous allez voir
comni' j'vas vous le r'magner.
MARIE-JEANXE.
C'est bon, c'est bon.
MADAME SAUMON, à Toupet.
Aile est bonne quoiqu'çà; par ainsi lâchez d'vous ben
faire v'nir d'elle, j'veux p;is qu'nia fille soye mallieureuse.
TOUPET.
Laissez-moi faire, je lui plairai que dé reste, ou elle se-
rait bien difficile.
(Madame Saumon s'en va.)
SCÈNE XVI
JAVOTTE, MARIE-JEANNE, TONTON, TOUPLT, LA RAMÉE,
SANSREGRET.
LA UAMÉE.
Aip. : Amour qui fait brûler.
C'que vous avez dit d'iiioi,
Ma cliarmante maîtresse,
Pi-ouve voii'c teniiresse.
OPÉRA-COMIQUE. 505
MARIE-JEANNE.
Pour sti-là qu'y a iiot'foi,
Faut parler, quand ça i resso,
Tout d'rnême que pour soi.
TOITET.
Voyez, mademoiselle Javotte, quel plaisir de s'aimer : si
vous vouliez profiter de Tézemple.
TOXTON.
Dél'ézemple! Y prononç'ra mieux, quand y s'ra plus
grand.
h\ RAMÉE, à Javolte.
Allons, la petite cousine future, d'ià zarJiesse. T'nez,
c'est qu'air n'oze pas. Allons, ouvrez vot' p"tit cœur, n'ea-
cliez rien à monsieux.
JAVOTTE.
Dame, c'est qu'ça coûte à une jeunesse.
MARlE-JEANXr.
Air : Il faut, mon frère.
Va, va, Javotte,
Laisse-toi zenflammer ;
Tu fais la sotie ;
Y faut zainier.
JAVOTTE.
Oh ! mais j'ai d'ia pudeur.
TOUPET.
Mademoiselle Javotte,
L'Amour...
JAVOTTE .
Fi, ça fait peur.
Quand on zest fille d'honneur.
TONTON.
Ah ' conim'ma grand' sœur fait la p'tite bouche.
30fi LES RACOLEURS.
TOUPET.
Tâchez, tâchez dé m'aiiiKT; régardoz- moi pour vous fa-
ciliter lé réciproque.
JAYOTTE.
Qu'vous êtes genli !
TONTON.
On n'eu Trait qu'une bouchée.
LA RAMÉE.
Efforcez-vous tous les deux. J'allons nous réjouir, là, ter-
tous enmagnère des accords: Hé! Sansr'gret, réveille-toi;
allons d'ia joie.
(Pendant ce ([ui suit, la Ramée et Marie-Jeanne fonl
apporter et apportent eux-mêmes ce qui leur est
nécessaire.)
JAVOTTE.
(Bas.) Faut ben s'prëter un peu.
TOUPET, lui prenant la main.
Allons, cadédis, animons-nous.
TONTON.
Voyons donc comni'ça s'fait !
TOUPET.
Am : Nous nous marierons Dimanche.
J'aime un obéjet,
Parc' qu'il me plaît,
JAVOTTE.
Eh I bcn, tenez, moi de d'même.
TOUPET.
Je suis sa loi .
JAVOTTE.
Tenez, el moi
De d'mèmc.
OPERA-COMIQUE. 307
TOUPET. ,
Oui, c'est mon goût.
JAVOTTE.
Hé ! ben, moi tout
De d'mème.
TOUPET.-
Cet obéjet c'est vous.
(Il lui baise la main.)
JAVOTTE.
Ah! Monsieux, qu'c'est douxl
Mais doux, comme la rue des Lombards, en vérité.
Mon cher Poulet des Ind'que j'i'aime !
TOUPET.
Que je l'aime! et voilà lé mot; je savais bien qu'elle né
serait pas longtemps tenace.
JAVOTTE.
(A part.) Si lu savais !
LA HAMÉE.
(On s'attable.) Assissons-nous lertous. lié! Sans-r'grel,
est-ce que tu dors encore ?
SANSREGRET.
Oh! que non, j'nai pas l'temps d'ça, moi?
JAVOTTE.
Est-ce qu'il est gris donc, lui?
SANSREGRET.
Gris? C'est bon pour un ivrogne.
LA RAMÉE.
Allons, passe donc.
TOUPET.
(A part.) Je mé compromets en ce jour par nécessité.
SANSREGRET.
J'suisben là moi. N'vous gênez pas, vous autres.
ÔOS LES RACOLEURS.
LA KAMKE, VUrsaïU.
Allons, tendez, man'zelle Javolte ; à vous, man'zelle
Marie-Jeanne; (A Tonton.) et vous, bonne pièce; (Oiant son
chapeau.) Monsieux Toupet, vouloz-vous ben m'parmettre.
(A Sans-regret.) Hé ! ben, est-ce que tu n'veux pas boire à la
santé dMonsieux Toupet, toi?
SAKSRECRET.
D'nionsieux Toupet ! Si fait, j'boirais jusqu'à son dernier
cheveu, moi.
LA RAMÉK
Note bourgeois, n'prenez pas garde à lui; c'est l'vin qui
parle.
TOUPET.
Je lé vois. Mademoiselle Marie-Jeanne, sans rancune de
tantôt.
MAKiE-JEANNE.
Fi donc, monsieux du Cliàleau, à la vôtre.
TOrPET.
Mademoiselle Javotle je bois à vos plaisirs.
JAVOTTE .
Monsieux, c'est l'plaisird'là copagnie.
SANSREGUET.
Ç'que c'est qu'la politesse !
LA RAMÉK, pendant que Toupet boit.
(a part.) Allongeons le temps pour atlendr' Jolibois.
(Haut.) Ah ! ça, mon:>ieiix Toupet, pour amuser la copagnie,
dites-nous donc quequ'chose d'vote pays.
MARIE-JEANNE.
Quoi ! d'son pays?
JAVOTÏE.
Non. non ; jtarlons plutôt (l'Vt>rsaillos.
OPÉRA-COJIIQUË. 309
TOM'ON.
Ail ! oui, all'y a été avec ma mère, dà. |||
MAIilE-JEANNE. ■ tl|
T'es Len heureuse.
LA RAMÉE.
Hé! ben, contez-nous ça.
TOUPET.
.l'en serai fort aise.
SAWSREGKET.
Écoulons... parce que pour peu que quelqu'un qui cause,
quand on parle...
LA RAMÉE.
Allons, laisse-la donc dire.
JAVOTTE.
Air : Drès Vmatin.
Vantez (lu'j'avoiis vu la Reine,
L'Dauphin et Mesm'zell' ses sœurs,
AH'zont tout comm' la Dauphaine,
Un air d'espril et d'douceur ;
Quand on l'za regardé, y sembe
Qu'gn'a plus rien dans l'monde à voir;
Ils étiont dans un' longu' cliambe
Qu'est comme un' rue en miroir :
Et puis l'Roi, note bon maître,
Les couvait si bien d'ses yeux,
Que j'nous mourions d'envi' d"êlre
Ses enfans aussi ben qu'eux.
LA RAMÉE.
Je rsomnies lerlous, Man'zelle; s'il nous fait pas aussi
riches que ceux qui l'y sont un p"lit brin d'plus prés qu'nous
ses enfants, ç'nest pas manque d'bomie volonté ; un père
qui a tout un grand royaume pour famille fait ç'qui
peut.
510 LES HACOLEUUS.
Am : lU'çois dniis ton galetas.
C'est un des meilleurs humoins
Et des plus honuèl'homin' d'ia terre.
Eh! i>uis, t'nez, tous ses cousins
Sont d'riiimeur de son caractère;
L'Français les aim' drès en naissant ;
Juf^ez c'quo c'est en grandissant.
Vous savez ben l'pain d'amonilioii ([ue j'mangeons en
campagne, otbeii,l'nez, ça nous semb comin' des perdrix ;
pourquoi ? parce qti'ça vient du roi ; c" prince-là, c'est l'bien
aimé du cœur.
SAXSREGRET.
Tu m'as volé celui-là.
JAVOTTE.
Eh ! mais vous l'avez volé à tout Tmonde, vous.
TOUPET.
Ce garçon-ci a des entrailles.
L\ RAMÈE.
Hé ! ben, monsieux Toupet, ça n'vous donne-ti pas un
p'tit brin l'envie d'voir d'queu magnère un boulet d'canon
en agit avec ceux qui n'vculent pas s'ranger, quand y
passe ?
TOUPET.
Eh ! mon ami, chacun doit se (énir dans son état.
LA P.AMÉE.
J^badine au moins. On n'force personne : eh ! puis,
c'est pas avec vous qu'd l'aiidrail jouer à ç'jeu-Ià, d'ia
finesse dont vous êtes.
TOLPET.
Cadédis, Je lé crois.
LA UAMÉE.
Escusez...
OPÉRA-COMIQUE. 511
TOUPET.
Il n'y a pas d'mal ; j'entends raillerie, mon cher, j'entends
raillerie.
SCÈ?^E XVII
LES l'RÉCKDEXTS, JOLIBOIS, DÉGUISÉ EN MARCHAND DE BILLETS
DE LOTERIE.
JOLIBOIS.
Un la lire aujourd'imi, c'est pour aujourd'hui.
TOUPET.
Ah ! un bonheur né va pas sans un autre ; mettons à la
loterie, ma petite Javotte.
JAVOTTE.
Pourquoi faire?
MAP.IE-JEAXNE,
Hé ! pargué, pourquoi pas ?
JOLIBOIS.
J'n'en ai pus qu'deux : qu'est-ce qui les veut?
LA RAMÉE.
Monsieux Toup, t a raison, faisons une socitUé.
TOUPET.
Eh ! que risqués bous '.' qui ne hasarde rien n'a rien,
LA RAMÉE.
Va-t'y, Man'zelle?
JAVOTTE.
Allons, va.
MARIE-JEANNE.
C'est pas une si grosse dépense.
"312 LES U.VCOLEUUS,
JOLIBOIS.
V'ià l'gr'lot, d'quinze mille livres en passant, v'Iii
rgr'lof.
TOUPET.
Coléporleur, bénés çà.
I.A KAMÉE.
L'homme ; liai ! l'honime ?
JOLiliOis, s'avan(,aiU.
V'ià mes deux derniers, mon oUicier.
TOLl'ET.
Il n'y a qu'à les prendre tous deux.
JOLIBOIS.
Oh ! j'ai la main heureuse, déjà.
TOUPET.
Voyons, ils sont des enfans trouvés.
JAVOTTE.
Marchand d'ognons s'coniiail en ciboule ; hé ! ben, r'gar-
dez donc s'ils n'sont pas un plil brin faux.
(Toupet les retourne et les cxainiiie.)
SANSREGRET.
AïK : Talalerila, lalalire
Quand je n'vous vois pas je soupire,
Et j'soupire aussi, quand j'vous vois,
LA r.AMÉE.
Paix.
M. TOUPET.
Je lés crois bons : a\és vous dé l'encre, l'ami?
JOLlliOlS.
Toujoux, note Bourgeois, à cause du négooe, et du pa-
pier ilout (il en lionne), pour écrire les lots que j'vends.
(l'enilant i|iic Joliliois ilévis-o le Cdniel et aveini une plume, ^
OPÉRA-COMIQUE. 513
SAKSREGP.ET, achève l'air ci-dessus.
Et l'amour que l'Amour m'inspire.
Est ui. amour plus fort que moi :
C'est comme j'ai l'iionneur de vous l'diie...
LA RAMÉE.
Mais tais-toi donc. Man'zelle Javolte, vous savez écrire?
JAVOTTE .
Non, j'n'ai jamais pu apprende ça, parç'que j'suis gau-
chère.
LA RAMÉE, ayant le pouce enveloppé dun linge.
Si j'n'avais pas mal à mon pouce.
TOUPET.
Prêtés, prètés-moi la plume.
LA RAMÉE.
Encore mieux : car j'vous dirai avec ça qu'je n'peux pas
ben mette l'ostograplie dans les chiffres; vous garderez les
billets, gn'a qu'à seul'ment Jaire faire eune r'connaissance
pour nous quatre, et faire Man'zelle Javolte la porteuse.
TOUPET.
A merveille. (il écrii.)
TONTON.
Ah! ma sœur, vous mettrez six yards pour moi, pas
vrai ?
JAVOTTE.
Nous varrons ça.
SAXSREGRET.
Je ne sais pas pourquoi j'suis altéré comme ça : la Ra-
mée, passe-moi un peu la bouteille.
LA RAMÉE.
Oii ! un moment.
(Ils su font tous d(;s signes de joie, pendant f(ue .Toupet écrit.)
18
314 l.i;s RACOLEURS.
SANSUKCRET.
Sur ce coteau,
Je badinais au fond de l'eau,
Et je m'endormais,
En m'écriant qui va là,
Là.
JOLIBOIS.
Noie Bourgeois, t'iiez, pernez garde à c'pli : n'meltez pas
vole nom d'dans, car l'papier burait, et faudrait r'com-
iiiencer.
TOUPET, écrivant.
Hé ! bien ; je n'ai qu'à lé mettre plus bas : ténés, Made-
moiselle, nous né pouvons pas manquer dé gagner, car vous
y êtes.
JAVOTTE.
Ah ! Monsieux, vous y êtes encore pus qu'moi; comment
donc ! vous écrivez comme un déluge.
TOUPET.
Vous mé flattés, mon aimable poule.
LA UAMKE.
Gn'a pas d'flatterie ; j'voiis répons d'un lot, moi, Mon-
sieux Toupet.
TOUPET, essuie la plume et revisse le cornet.
Je l'espère.
LA UAMÉE, à Marie-Jeanne.
Di(es-ly qu'alKnous coule ça par sous la table.
IMAKIE-JEANNE.
(A la Maniée.)
La Ramée, il s'ra ben joyeux, quand il verra la lisle.
(a Javotto ) Donne.
J.WOTTE, lui donnant la reconnaissance.
Je m'doulais ben d'ça.
OPÉRA-COMIQUE. 513
TOLTET, à Jolibois.
Ténés, petit, voilà vos ustensiles.
LA RAMÉE.
Allons, vivant, avec la permission d'Monsieux, metlez-
vous là; j'vous pairons dans Tmoment.
JOLIBOIS, se plaçant.
C'a n'presse pas.
LA RAMÉE.
Faut convenir qu'y a de beaux hommes dans les troupes,
Monsieur Toupet,
TOUPET.
Je lé sais.
MARIE-JEANNE.
Quand ils ne r' sembleraient qu'à Monsieux.
JAVOTTE.
Eh ! mais, on se r'semble de plus loin-.
TOXTON.
Et sans êtr'parents encore.
SANSREGRET.
Am : // est Gentilliomme.
Monsieux est sans dout' Guernadier
Selon ce que j'espère ?
TOUPET.
ISon ce n'est pas là mon mélier,
.SANSREGRET.
Ah ! c'est une autre alfaire.
TOUPET.
Que veut-il dire par là?
LA RAMÉE.
01)1 rien du tout.
316 LES RACOIJ:;UhS.
SANSREGRET, montrant Tonpet.
C'ost qu'il a
L'air d'un Mi, Mi, Mi,
L'air d'un li, ii, li,
L'air d'un Militaire,
A vot' sanlé, frère.
TOUPET.
Frère; que veut dire ceci? Il se familiarise; je né mé
crois pas fait pour cette fraternité.
JAVOTTE.
Est-ce qu'vous raccoutez? voyez-vous pas ben qu'il a bû :
eh ! puis, avec qui croyez-vous donc êtr', Monsieux? Com-
ment donc des filles qui sont l'innocence même.
TOUPET.
Vous avés raison, ma chère enfant; daignez vous aperce-
voir aussi que je plaisante.
JOLIBOI?.
lié ! ben, l'nez, puisqu'vous êtes en train d'badiner, j'ai là
une chanson qu'est bâclée gn'a pas longtemps, et qui a déjà
sarvi.
LA lUMÉE.
Ça n'fait rien, donnés toujours, père; allons, chantons
queuqu'p'tite chose à cause d"la rencontre ; t'nés, Man'zelle,
vous qu'avez une belle poitrine, défiichez-nous ça.
JAVOTTE.
Donnez; quand on n'a pas une belle voix, on n'.^e fait
pas prier.
TOUPET.
Allons, ma petite amie, vous mé ferez votre cour par-là,
chantez pour l'amour dé votre petit mari, nous ferons
chonix.
OPÉRA-COMIQUE. '.17
JAVOTTE.
Air : Mais il ij a dent nns que j'i'ous aiin bcn.
D'un faraut de note quartier
Accontez l'aventure :
LE CIIŒIT,.
D'un farautj etc.
J.VVOTTE.
Y s'mis en tète d'époufer
Une fiir qui n'pouvait p&s l'aimer.
I.E CHŒUR.
Y s'mi«, etc.
TOUPET.
Il né savait pas bien s'y prendre.
JAVOTTE.
S'te fille avait un autre amant.
De plus bonne ligure,
EN CHŒUR.
S'te fille, etc.
JAVOTTE.
Qui malgré sa mère vrament,
Ly baillit son consentement.
LE CHŒUR.
Qui, etc.
TOUPET.
Rien fié mieux.
JAVOTTE.
Pour s'débarrasser du rival, " ' ^
Qui s'croit une mignature.
LE CHŒUR,
Pour, etc.
JAVOTTE,
On VOUS 3 fait à c' l'an! mal,
Un tour qui n'réussit pas mal.
18.
518 LES RACOLEURS.
LE CHŒUR.
On vous a fait, etc.
TOUPET.
CVsl. Itieiï ouiployé.
JAVOTTE.
Pour société de deux billels,
Donnant sa signature,
LE CHŒUR.
Pour, etc.
JAVOTTE.
On l'a fait signer bas csprès.
Pour afin d'I'engager après.
(toupet, se lève avec vivaciLé.)
LE CHŒUR.
On l'a fait, etc.
Uuaiiil JavoUe a lini, toute la liaiulc claque des mains,
toupet.
.Serais-je pris pour dupe?
LA RAMÉE.
lié! hen, cnmarade, conv'nez qu'votis êtes dMans,
d'beau jeu, là.
toupet, ù Javolte.
Rendez-moi, s'il vous plait, ma réconnaissance.
JAVOTTE.
Allez, aire>t en boime main; c'est la lîamée qui l'a, y
vous travaillera ça, comm' ça s'pratique.
Aiii : Gare le pot au noir.
Ah! ça, mon p'iit f'ulur,
Je v'nons d'fair' les fiançailles?
LA PAVÉE, le raiUnnt.
D'elle vous v'ià ben siir.
OPÉRA-COMIQUE. 319
JAVOTTE.
A tantôt l'zépoasailles :
TOUPET
Me tromper dé la sorte '
JAVOTTE.
M'aimez-vous à ç't'heur'-ci?
TOUPET, furieux.
Que lé diable l'emporte. •
SANSREGRtT.
D'ia douceur, notre ami.
Faut d'ia civilité dans les troupes; Mad'moiselle est fort
ragoûtante ; allons, pas de refus, épousez-la un peu jusqu'à
nouvel ordre.
TOUPET, avRC emportement.
Je n'ai que faire dé votre berviage vachique; je suis vrave.
Ce qui mé pique, c'est dé mé voir dupé où je croyais faire
une dupé dé vous. Petite égrillarde...
SCÈNE XYIII
MADAME SAUMON, MARIE-JEANNE, JAVOTTE, TONTON,
LA BRÈCHE, LA RAMÉE,
JOLIBOIS. SANSRECUET, TOUPET.
TOUPET, continuant.
Je né bous rét;rette pas ; car vous, votre race, à com-
mencer par votri'' meie, vous né valez pas les Irais dé la
police.
MADAME SAUMON.
Ah I grand merci, v'ià donc comme tu nous équipes)
girouette du pilori.
320 LES RACOLEURS.
LES QUATRE FEMMES ENSEMBLE.
MADAME SAUMON.
Tii irsortiras pas d'ici sans
avoir la marçoiilelte en coin-
pole : c'ncz s'diable de rnal-
peigné, trailer comin' ça
d'honnêtes gens; lu peux lien
dire : bon soir, la cotnpaçjnie,
car j'te vas mettre hors d'étiit
de travailler d'niain.
JAVOITE.
Laissez-moi faire, ma mère,
faut qu'il porte un hras en
écharpe de ma façon : tu vas
voir à qui qn'tu l'joues, va,
coclier des cabriolets d'Mar-
seille; mais voyez c'cou-in
germain d'Lucifer à la mode
de Bretagne, ah ! c'est fait
(ftoi.
Tu n' m'échapperas pas,
c'te main lava mettre ta face
en couleur, et l'autre va la
frotter, ah ! comme lu vas m'
payer l'honneur d'avoir trin-
qué avec moi, rendez-vous
à croquignolle, faut que j'té-
charpe.
MARIE-JEANNE.
C'est donc à nous qu'tu
t'adresses timballier des ar-
chers d'I'écuelle, nous n'va-
lons pas les frais de la po-
lice, oh ! jte vas faire voir à
qui tu parles, va, médaille de
papier volant vis-à-vis l'Hôtel
des Ursins, tiens toi ben.
LA RAMÉE et JOLIDOIS, s'opposant à leur violonro
Douç'ment'donc, douç'ment.
LA RAMÉE.
J'nous intéressons à sa santé.
TOUPET.
Tâchons dé leur souhaiter tous bas lé bonsoir.
MADAME SAUMON.
Est-ç' qu'il s'rait engagé ?
L\ RAMÉE.
Et proprement même.
(Toupet s'éeiiappe.)
JOLIBOIS, couiaiil après lui.
Dites donc, dites donc?
SANSREGRET, rourant aus*-i.
Oh ! y n'ira pas loin.
OPERA-COMIQUE. 321
SANSREGRET, s'en allant doucement et en serpentant.
Air : L Amour, pour tne rendre heureux.
J'm'en vas bien-tôt vous l'attrapper.
LA RAMÉE.
Il ne peut pas nous échapper ;
Le manigance est prête,
Et j'm'en'vas dans l'moment
(11 lire une cocarde de sa poche.)
L'y poser sur la tête
L'cachet du Régiment.
(il sort.)
MADAME S.\UMON.
Qu'j'en suis b?n aise !
SCENE XIX
MADAME SAUMON, JAVOTTE, MARIE-JEANNE, TONTON,
DE LA BRÈCHE.
MADAME SAOMON.
Ail ! ça, Monsieux, j'siiis r'connaissante ; tiens, ma fille,
sans iy j'étais agonie par ste femme, deux d'ses commères
et la populace au sujet de ste carpe de tantôt : Monsieux
d'Ia Brèclie m' voit dans les douleurs, tire l'épée à la main
nue, et cric, crac, zin, zon, pilf, palT : il s'escripe si bien
d'coq et d'cailie, qu'y m'tire d'embarras en un crain d'oeil.
.\iu : Mais ci mandez-moi pourquoi qu'je r viens.
Javotle, approche, mon enfant;
Va j'permets que Monsieux t'embrasse.
DE LA lîRÈCHE.
Madame.
322 LES n.VCOLEURS.
MADAME SAUMOX.
Ail ! pas tant do compliment,
J'sais c'que j'dis et c'qui faut qu'j'fasso.
Toupet vient d'découvrir la mêclie,
Et j'rsens ç'que vous avez fait ;
Va tu seras Madame d'ia Drèche.
MAlllE-JEANKE.
Ç'nom-là vaut ben Madame Toupet.
TO.NTOX.
V'ià deux drôles de noms, toujoux.
JAVOTTE, doniiaut la main à M. de la Brèche.
T'nez, ça vaut la parole, comme la parole vaut l'jou.
SCÈNE XX
TOUPET, LA RAMÉE, JOLIBOIS, SANSRECRET,
MADAME SALMON, JAVOTTE,
MARIE -JEANNE, TONTUN, M. DE LA BRÈCHE.
JOLIBOIS.
Allons, camarade, n'vous faites pas prier; car ça d'vien-
drait gênant entre amis.
TOUPET.
Eh! Messieurs, doucement; une personne délicate comme
moi se casse comme un verre ; je né cherchais point à
m'enfuir.
SANSREGRET.
Oh! non, Monsieux s'promenait; il est bon d'prendr'l'air.
MADAME SAUMOX.
Alu : Qui veut savoir l'histoire entière.
Ah! lu viens donc chercher ton reste!
•OPERA-COMIQUE. 523
TOUPET.
En parlant, on peut se passer du geste.
MADAME SAUMON.
On m' venge assez, n'craignez pus rien.
JAVOTTE.
Pargué, la cocarde vous va ben.
MARIE-JEANXE.
Faut Tiip'Ier Monsieux la Terreur à et' heure-ci.
TOSTOX.
Il a l'air dégagé comme Tcoche d'Auxerre.
LA RAMEE, tiraut la si^'ualure de Toupet.
Air : Sli-là (pià pincé Berfj-op-:^ootn.
(Au Sergent.)
Avons-nous ben su l'accroclier?
T'nez, v'ià d'qnoi le faire marcher.
DE LA BRliCHE.
En faveur du bien qui m'arrive,
Du fruit de vos soins je me prive.
Je lui rends ce papier, pourvu qu'il vous fasse une légère
excuse.
TOUPET.
Essécuses, moi ! des essécuses! qu'on me donne sur le
champ Ihabit d'ordonnance : je lis dans ses yeux qu'elle se
répent dé mé perdre, et avant que son goiit pour moi né
la réprenne vivement,
Am : De tous les Capucins du momie.
Mon Sergent, car je suis des vôtres,
Je veux partir avec eux autres ;
Délivrez-moi dé ses transports.
Oui, j'iiiiné mieux être, ma mie,
Enrôlé dans les petits corps^
Que dans la grande confrérie.
324 LES RACOLEURS..
JAVOTTE.
Ah! ça n'aurait pas manqué avec toi, va; y n'est pas
Gascon !
MADAME SAUMON.
Allons, partons; j'alloiis bâcler ton mariage et sli-là
d'Marie-Jeanne.
TOUPET.
Je vous souhaite une posiérilé aussi nombreuse que ce
bras-ci étrillera d'ennemis.
LA RAMÉE.
J'aurons sans doute queuqu'jour la guerre, et d'himeur
dont j'vous connais, papa, si, comme dit c'i'autre, on rase
queuqu' ville, vous n'manqu'rez pas d'ouvrage.
MADAME SAUMON.
Hé! ben, v'nez-nous terlous.
JAVOTTE.
Tout à l'heure, ma pauvre p'tile chère mère.
(s adressant au public.)
Air : Me promenant dans la plaine.
Le zèle ardent nous engage
A prévenir vos désirs;
Nous varions le langage.
Pour varier vos plaisirs.
Un censeur triste et sauvage
N'y trouvera point d'appas.
Croit-il lui seul former l'orage?
Non, non, non ; le goût ne suit point ses pas.
Ah ! cpiand on a votre sulTrage,
Non, non, non, non, l'iioimn' ne réplique pas.
LE
MAUVAIS PLAISANT
ou LE
DROLE DE CORPS
OPÉRA-COMIQUE
EN UN ACTE
BEPUÉSEXTÉ POUK I. V PliEMIÈRE lOIS SUR LE THÉATllE UE
l'opéra-comique de la foire SAINT-LAUREM
I,E MERCBEDI 17 AGIT 1737.
ACTEURS
CÉPHISE, Mère de Sophie.
SOPHIE.
M. GROSSEL, Frère de Céphise.
PLAlSAiNTIN, )
iT-iivi^ni-. } Amants de Sophie.
LLANDRE, ) '
M. PRESSANT, Créancier de M.,Grossd.
La Scène est à Paris dans la Maison de M. Grossel.
l'J
326 LE MAUVAIS PLAISANT.
SCÈNE PREMIÈRE
CÉPIIISE, GROSSEL.
GROSSEL, riant avec éclat.
Ail! ah! ah! hé bien, ma sœur.
CiÎPHISE, d'un air froid.
Hé bien 1 mon frère.
GROSSEL, d'un ton de bonne humeur.
Convenez que Sophie voire fille n'aura pas le temps de
s'ennuyer avec Plaisantin son futur, car parbleu, c'est un
drôle de corps.
ÇÉPHISE.
Ah ! fort drôle : est-ce parce qu'il est familier jusqu'à
l'impertinence, et qu'il joue éternellement sur le mot?
GUOSSEL.
Et sur quoi donc voulez-vous qu'il joue, puisque c'est
son caractère?
Aiu : Mais à celte table.
La gaitc l'inspire.
Le mot pour rire
Se trouve toujours
Eucailré daus ses discours.
Votre froid Léaiidre,
Trislenieut tendre,
Ne ferait pas mal
D'imiter son rival ;
Moi-même j'envie
Sou sovt.
CÉ PUISE.
lié Lien,
Moi, je ne vois rien
De s:i plat dans la vie.
OI'ERA-GOMIQUE. 5i7
GROSSEL.
Oh, VOUS voilà toujours avec votre humeur.
CÉPHISE.
Am : Non, je ne ferai pas.
Non, je n'ai point, mon frère, un caractère sombre,
Mais je sais dislinguer l'esprit d'avec son ombre,
Et votre Plaisantin me prouve clairement
Que tout drôle de corps n'est qu'un mauvais plaisant
GROSSEL.
lié, que m'importe à moi qu'il soit bon ou mauvais,
pourvu qu'il m'amuse.
Am : Jardinier ne vois-tu pas ?
Les gens au ton affecté
N'ont pas sur ;moi d'empire.
Toujours leur air apprêté
Consulte leur dignité,
Pour rire, pour rire, pour rire.
Qu'ils aillent au diable : moi j'aime les rieurs, ce sont
de bonnes gens, entendez-vous? malheur à qui ne rit pas.
CÉPUISE.
Encore faut-il en avoir sujet, mais
Am : De tous les capucins du inonde.
Rire de choses pitoyables !
GROSSEL.
Ah ! vraiment, vous et vos semblables
Vous avez toujours très-grands soins
De n'être contents d'aucuns styles.
Ceux qui s'y connaissent le moins,
Sont toujours les plus difficiles.
CÉPHISE.
Air : Un cordelier.
Vous me donnez un joli ridicule.
528 LE MAUVAIS PLAISANT.
GROSSEL.
Par-tout il circule,
Oui, morbleu, partout.
On porte le dégoût.
Voit-on éclore uu ouvrage passable...
11 est détestable.
Par vous le talent
Périt même en naissant.
CÉPHISE.
Vous me rendez bien de peu justice, j'aime le mérite
réel; mais qu'a de commun, je vous prie, le talent avec
M. Plaisantin?
GROSSEL.
11 en a. Oui, il en a, vous dis-je, et indépendamment de
ce qu'il est tout uni et sans façon comme moi.
AïK : Allons donc, joua violons.
C'est que l'amitié qui nous lie
M'est d'une ressource infinie,
C'est-à-dire, pour le moment.
Vous savez, malgré ma richesse.
Que très- vivement on me presse.
Pour un certain remboursement ;
Et comme je n'ai point d'argent,
Plaisantin sera ma ressource.
Je pourrai puiser dans sa bourse.
CÉPHISE, ironiquement.
Oh, je le crois fort obligeant.
GKOSSfL.
Vous le croyez en enrageant.
Voire inutile Léandre, serait-il capable de ces procé-
dés-là '!
CÉPllISE.
Si vous le connaissiez mieu.\
OPERA-COMIQUE. 529
GROSSEL.
Lui, il n'est bon à rien qu'à languir, à soupirer.
CÉPHiSE.
C'est qu'il ; ime véritablement.
GROSSEL.
AïK : Tomber dedans.
Ce Léandre voudrait en vain
Prétendre à la main de Sophie,
CÉPHISE.
Mais tel est pourtant mon dessein,
GROSSEL.
Oh ! parbleu, je vous en défie.
CÉPHISE.
Elle est ma fille.
GROSSE!..
On le sait bien.
Vous pouvez former ce lien.
Ce doux lien
Ce beau lien.
Mais ne comptez pas sur mon bien.
L'autre est mon ami; j'aime sa manière d'agir, son
genre d'esprit me con<\ient.
CÉPHISE.
Non, mon frère, il ne vous convient pas.
GROSSEL.
Yentrebleu, je sais mieu.v ce qu'il me faut que vous.
CÉPHISE.
Air : d Épicure.
L'emportement qui vous inspire
Récompense mal ma douceur,
Je n'ai plus qu'un mot à vous dire.
GROSSEL.
Hé bien, voyons, ma douce sœur
530 LE MAUVAIS PLAISANT.
cÉniiSE.
Ce genre qu'entre nous je blâme,
De chez vous devrait se bannir.
Le seul bon goût enchante l'âme.
Et le mauvais la fait rougir.
GKOSSEL.
Ah, diable, de la métaphysique du Marais ! mais vous
êtes fort douce en effet : savez-vous que j'aimerais autant
que l'on me dît des injures que de m'entendre dire que je
n'ai point de goût.
CÉPUISE.
Ain : Je suis jihilosophe, moi.
Vous en avez, mon frère, et plus qu'un autre.
GROSSEL.
Chacun en a pour soi :
Vous aimez l'un, et moi j'aimerai l'autre ;
Là-dessus point de loi.
CÉPHISE.
Ah! volontiers.
GROSSEL.
Prêtez-vous, je me prête.
SCÈNE II
CÉPIIISE, GROSSEL, PLAISANTIN.
PLAISANTIîs', achève l'air en sautant dès le fond du Ihéùtre.
J'aime la fillette.
Moi,
J'aime la fillette.
cnossEL.
Ah! le voici, je respire, je suis dans mon élément avec
lui.
OPERA-COMIQUE. 331
CÉPHISE.
Qu'ils sont bien ensemble !
PLAISANTIN.
Te voilà, père Grosse!, où diable le fourres-tu donc.' Je
t'ai cherché partout jusque dans l'écurie.
GROSSEL, riant.
Et tu ne m'y as pas trouvé? N'est-ce pas?
PLAISAXTIN.
Hé! bien, la petite mère Céphise, comment la joie?
CEPHISE, froidement et bâillant.
Ah! fort bien, monsieur.
PLAISANTIN".
Comment donc morbleu, nous voilà belle comme Cybèle.
GROSSEL, en souriant.
Comme Cybèle.
CÉPHISE.
Air : Recevez ce beau bouquet.
C'est me complimenter au mieux,
Vous y mettez de la noblesse.
PLAISANTIN.
Cybèle était mère des Dieux,
Et VOUS l'êtes d'une déesse,
Par conséquent vous sentez fort,
Que Sophie étant votre fdle.
Et vous ressemblant sans effort,
Aurait tort.
De n'être pas gentille.
GP.OSSEL.
Ah! ail! ah! comme il tourne les moindres choses!
CÉPHISE, ironiriuemenl.
Oui, cela est fort beau.
332 LE MAUVAIS PLAISANT.
PLAISANTIN.
Qu'est-ce que vous parlez là de corbeau? (il rii.) Sais-tu
bien que ta sœur est plaisaute.
GROSSEL, riant.
Ob ! tout-à-faif.
CKPinSE.
Air : De Catinat.
De ce talent, monsieur, vous me faites présent.
PLAISANTIN.
Ni présent, ni passé, madame, assurément.
GROSSEL, riant.
Ah! ah ! ah i
. CÉPHISE.
Ayez donc la bonté de me parler plus clair.
PLAISANTIN.
Quoi ? clerc de procureur !
GROSSEL, éclatant de rire.
Mais finis donc, mon cher.
Le diable t'emporte. Tu veux donc me faire étouffer.
CÉPHISE, à part.
Quel homme !
GROSSEL, à Céphise,
Air : Aoi/s sommes précepteurs d'amour.
Quoi, vous ne riez point !
CÉPHISE.
Hélas!
J'ai tort de ne point savoir rire.
(Dédaigneusement.)
Et puis d'ailleurs on ne rit pas.
D'une chose que l'on admire.
Je fuis sans doute l'amusement en m'éloignant de mon-
sieur, j'en ai bien du regret. Mais une affaire m'appelle.
OPÉRA-COMIQUE. 533
PLAISAKTIN.
Une affaire vous appelle? Elle vous a donc appelée bien
bas, car je ne l'ai pas entendue,
(Céphise hausse les épaules el veut sortir.)
GROSSEL, coulent.
Air : Tu croyais qu'en aimant Colette.
Toxijours cliez lui l'esprit travaille,
(Arrêtant Céphise.)
Mais...
CÉPHISE.
Vous me retenez en vain.
(Elle sort.)
PLAISANTIN.
Hé bon, laisse-la partir.
Car il vaut mieux qu'elle s'en aille,
Qu'une bonne pièce de vin.
SCENE III
GROSSEL, PLAIS.VNTIN.
PLAISANTIN.
Elle est un peu bête, ta sœur.
GROSSEL.
Il s'en faut de beaucoup. Elle a seulement l'esprit sé-
rieux.
PLAISANTIN.
Et mais, c'est tout de même.
GROSSEL.
Comment tout de même !
PLAISANTIN.
Oui, excepté que c'est différent.
19.
334 LE MAUVAIS PLAISANT.
GROSSEL.
Ah! bon! laissons ce point. Au reste
PLAISANTIN.
Oreste, ah, volontiers, Pylade, mais à condition qu'au
lieu de mourir, nous vivrons l'un pour l'autre.
Cr.OSSEL.
Où diable va-t-il chercher tout cela? Mais parlons un
peu raison.
PLVISANTIN.
Oh, volontiers, moi, oui, parlons raison.
GROSSEL.
Air : C'eut là ce qui m'étonne.
Oh ! ça, mon cher, de toi je fais grand cas.
Et tu sais que j'ai grande envie.
De te faire épouser Sophie.
PLAISANTIN.
Cela ne me surprend [pas.
GROSSEL.
Oui, mais ma sœur, du moins je le soupçonne,
Elle qui doit me ménager.
Prétend pour me faire enrager,
Avec Lraiidre l'engager.
PLAISANTIN.
Voilà ce qui m'étonne.
L'engager !
GROSSEL.
Oui, la marier avec lui.
PLAISANTIN.
Air : Le Seigneur Turc a raison.
Ceci devient sérieux,
Ce récit m'enflamme :
Qui ? lui ? serait à mes yeux
L'objet des vœux de son fime I
OPERA-COMIQUE. 355
Ah ! si Léandre l'osait
Si jamais ill'épousait.., .
Elle serait sa femme.
GROSSEL.
lié! mais sans doute: venons pourtant au fait, lu aimes
ma nièce.
PLAISANTIN.
A peu près comme tu aimes l'argent.
GROSSEL.
Tu ne l'aimerais donc guère, car je ne suis pas inté-
ressé.
PLAISANTIN.
Parbleu, je le crois bien; car il n'y a plus de Sous-
Fermes.
cr.OSSEL, d'un air content.
Diable de fou, va tu ne changeras jamais et tant
mieux. A propos, d'intérêt,
Air : Reçois dans ton galetas.
Deux mille cinq cents louis.
Ne sont pas chose frivole,
Tu me les as bien promis,
Et je compte sur ta parole,
J'ai d'excellents effets en main.
PLAISANTIN.
Oh, nous verrons cela demain.
GROSSEL.
Mais si la personne à qui je les dois revenait encore au
jourd'hui.
PLAISANTIN.
Ne t'embarrasse pas, on trouvera à qui parler.
33G I.E MAUVAIS PLAISANT.
GROSSEL.
Air : Notis somviea ^Précepteurs d'amour.
Viens, passons dans mon cabinet,
Tu verras, situ le désire,
L'état de mon bien clair et net.
PLAISANTIN.
"• Mais à ton tour tu me fais rire.
On ne risque rien entre amis. Je t'assure que je ne
risquerai pas un sol avec toi.
GROSSEI..
Viens toujours, quand ce ne serait que pour parler plus
à notre aise des clauses de (on mariage.
PLAISANTIN.
Allons, cela m'amusera beaucoup, car le style des clauses
est fort gai ordinairement. Il commence toujours par,
par-devant et finit par et cœtera.
(Il prend Grosscl sous le bras, cl le lutine en s'en allant.)
Air : Eh ! madame qu'attendez-vous ?
Finissez donc,
Monsieur Damon,
Ça m'étonne,
Ça m'chiffonne.
Finissez donc
Monsieur Damon,
Vous me dépoudrez tout mon cliipnon.
Ta, la, la, la, etc.
(Ils sortent.)
OPERA-COMIQUE. 557
SCÈNE IV
CÉPHISE, SOPHIE.
CÉPHISE.
Air : Dieu des amants.
De bonne foi
Ici pai'lez-moi;
C'est, ma tendresse qui vous en prie.
Pour votre bien, •
Je n'omettrai rien,
Choisissez vous-même un doux lien.
SOPHIE.
Le bonheur de ma vie,
Oui, mon vrai plaisir,
Est de vous obéir,
Et je n'ai d'autre envie
Que de remplir
Voire désir.
C'est par-là que vous méritez
Mes soins et mes justes bontés.
Vous m'êtes trop soumise en tout.
Pour que j' m'oppose à votre goût.
Aon, ma chère Sophie,
Mon cœur sur ce point •' '
Ne vous contraindra point.
Le doux litre d'amie
Pour vous au nom de mère se joint.
Depuis longtemps que Léandre et Plaisantin viennent
ici, lequel, ma fille, avez-vous remarqué être digne de re-
cevoir votre main?
338 l'E MAUVAIS PLAISANT.
SOPHIE.
Am : Douchez, Noyades, vos fontaines.
Puisque vous permoUoz, madame.
Que je vous dûvoile mon ûmo,
Plaisantin no me déplaît pas;
Mais au fond Lénndre m'engage :
L'un mo l'ait rire, mais liéias !
J'estime l'autre davantage.
Ce dernier a conlre lui à la vérité un esprit de défiance
et d'inquiétude qui m'excède quelquefois.
CÉPIIISE.
Je vous Reconnais bien à ce discernement, il fait hon-
neur à votre éducation,
SOPHIE.
Am : Dans un cœur ixilernel.
Avec sincérité,
S'exprime Léandre;
Mais il joint à l'air tendre,
Trop de timidité.
CÉPHISE.
L'autre soutient un i-ôle,
Que fuit un noble feu ;
Lorsque l'on est si drôle,
On aime peu.
SOl'HIE.
Oui, mais quelquefois on divertit.
CÉPHISE.
Que dites-vous là, ma fille? ah! j'en appelle à voire
goût.
Am : Dans un sonçjc flatteur.
C'est au seul sentiment
Que l'on peut coiuiaitrc un amant :
Lui seul doit décider;
Ah ! qu'il est doux de céder,
OPÉRA-COMIQUE. 339
Quand le cœur
Peut sans rougir nommer un vainqueur !
SOPHIE.
D'accord, mais en est-ce assez?
SCÈNE V
CÊPHISE, SOPHIE, LÉANDRE.
CÉPHISE.
Suite de l'air précédent.
Ah! Léandre, paraissez,
Entre vos mains je remets
Ma cause et vos intérêts.
LÉANDRE.
Ah ! madame sans vous,
Je perdrais l'espoir le plus doux ;
Mon rival dangereux
Sait amuser, qu'il est heureux 1
SOPHIE.
Quoi ! toujours
Me tiendrez-vous les mêmes discours ?
LÉANDRE.
On se plaint.
Quand on craint,
SOPHIE.
Mais craint-on
Sans raison?
LÉANDRE.
Oui, oui.
SOPHIE.
Vous m'offensez.
340 LE MAUVAIS PLAISANT.
LÉANDRE.
Hé bien, non, non.
Belle Sophie, hélas!
Si les appas
Peuvent rendre tranquille,
Vous en avez mille,
Et c'est pourquoi vous ne craignez pas.
Ah! que n'ai-je de même
Cet air charmant !
Je r&urais, si l'amour extrême
Embellissait l'amant.
SOPHIE, iinpatiento.
Am : De quai vous plaignez-vous ?
De quoi vous plaignez-vous ?
On vous trouve fort aimable.
CÉPHISE.
Choisis un ton plus doux.
SOPHIE.
Monsieur est si jaloux.
Qu'à ses yeux on est coupable,
Si l'on ne prend du souci.
Je ne suis point capable
De m'attrister ainsi.
CÉPHISE.
Mais, ma fille.
SOPHIE.
Madame, puis-je mieux lui parler .'
LÉANDIÎE.
Am: Vous clés irrité.
Oui, oui, vous le pouvez
Et vous savez...
SOPHIE.
'Quoi? Voyons, je vous prie.
OPÉRA-COMIQUE 541
' LÉANDRE.
Que TOtre cœur généreux
Pourrait d'un malheureux
Adoucir la vie.
SOPHIE.
Pour TOUS satisfaire
Que faut-il donc faire ?
(à part.)
Quel homme, grands Dieux !
CÉPHISE.
Parle-lui doucement.
SOPHIE.
Mais, maman,
Puis-je mieux lui dire?
LÉANDRE.
Un seul mot suffirait,
Calmerait
Mon cruel martjTe.
CÉPHISE.
Ke refuse pas.
Ce seul mot.
LÉANDRE.
Hélas !
Cela vous serait facile.
SOPHIE.
Moi je suis docile,"]
Et j'en dirais mille;
(à part).
Dieux ! quel embarras !
LÉANDRE.
Daignez donc m'apprendrc
Le sort du cœur le plus tendre
LE MAUVAIS PLAISANT.
Mes vœux sont-ils acceptés ?
Hélas ! vous m'écoutez,
Je le vois, sans m'cntcndro.
SOPHIE.
Mais je vous écoute.
LÉANDRE.
Ah! c'est malgré vous sans doute;
Cet instant vous coûte ;
Et même il ajoute
A vos cruautés.
SOPHIE, avec dépit.
Monsieur, permettez
Que je vous cède la partie.
LKANDRE, la relcnant.
Ma chère Sophie.
CÉPHISE.
Mais quelle folie !
Ma fille, restez.
SOPHIE.
Mais c'est un tourment
Qu'un pareil amant.
LÉANDRE.
Vous connaissez peu le tendre attachement :
Loin de me confondre.
Vous pourriez répondre.
SOPHIE.
Voyons donc comment ?
LÉANDRE.
Je vous aime;
Prononcez de môme.
SOPHIE.
Mais cet aveu sied-il bien?
CÉPHISE.
Oh ! tu le peux.
OPÉRA-COMIQUE. 345
SOPHIE, un peu froidement.
Hé! bien,
Je vous aime.
iÉANDRE.
M'aimez-vous de même,
Car je crains.
SOPHIE.
Oh ! pour le coup
Ce ton craintif me déplaît beaucoup.
C'est vrai, il m'impatiente à la fin.
LÉAXDFiE, d'un air pénétré.
Je n'ai pas le bonheur d'être plaisant.
SOPHIE.
Oh ! pour cela, non.
CÉ PUISE.
Mais, Léandre, votre inquiétude est aussi trop forte.
LÉA>DRE.
Madame, j'en suis plus à plaindre.
SCÈNE VI
CÉPHISE, SOPHIE, LÉANDRE, PLAISANTIN.
PLAISAMR.
Parbleu, on étouffe dans son cabinet ; oh ! ma foi, qu'il y
reste.
Adieu donc, Dame Françoise,
Pour qui j'ai tant soupiré.
LÉASDP.E.
Mademoiselle, voilà de quoi vous dissiper. Je crois 'devoir
ne pas interrompre vos plaisirs.
SOPHIE.
Encore ! restez, monsieur.
34i LK MAUVAIS PLAISANT.
LÉAKDRE.
Allons.
PLAISANTIN.
Je suis fort aise de vous rencontrer tous. Hé ! bien, de
quoi parlez-vous là? d'affaires? J'en suis ravi ; car moi,
i'aime les affaires, surtout quand elles sont faites.
Am : f.a quille dondaine.
(à Sophie).
Vous voilà donc, ma belle enfant.
J'aime en vous cet air triomphant.
(Folâtrant avec elle).
Elle est ma foi leste.
CÉPHISE.
Monsieur, point de geste,
PLAISANTIN, à la mère.
Belle maman.
CÉPHISE, d'un air sec.
Ah! finissons.
PLAISANTIN.
Peste,
Le ton est cru,
(à Léandre).
Toi, l'eusses tu cru.
Hé ! bien, le beau Léandre, es-tu toujours jovial?
SOPHIE, souriant.
k\\ ! toujours.
CÉPHISE.
Am r Allons gai.
Y pensez-vous, ma fille?
PLAISANTIN, prenant les mains de Céphise.
Pourquoi cet air transi ?
En mère de lamille. "
Donnez l'exemple ici.
Allons gai, d'uu air gai, etc.
OPÉRA-COMIQUE. 345
■ ^ CÉPHISE, voulant retirer ses mains.
Mais, monsieur, vous prenez bien des libertés.
PLAISANTIN.
Moi, point du tout ; ce sont vos mains que je prends.
SOPHIE, à Cépliise.
Ah ! maman, vous riez vous-même 1
CÉPIIISE.
C'est de pitié.
PLAISANTIN, à Léandre.
Air : I^anoii dormait.
Tu ne dis rien.|
LÉAKDRE.
Oh ! je n'ai rien à dire.
Votre enlretien.
Paraît ici suffire.
PLAISANTIN.
Oui, tu le prends ainsi?
Tant pis, tant pis,
Tant pis pour toi, mon pauvre ami.
Tu n'es pas de l'iiunieur de l'orii^iiial qui m'écrit sans
m'avoir jamais vu. Il faut que je vous montre sa lettre.
CÉPIIISE.
Non, nous ne sommes point curieuses.
PLAISANTIN.
Quel conte !... Ah ! la voici (il lit).
« Monsieur et cher ami, quoique je n'aie pas l'honneur
de vous connaître, je suis inquiet de l'état de vos nouvel-
les. C'est pourquoi je vous prie d'accepter sans façon un
repas de cérémonie. Je me ferai un plaisir de vous régaler
à picnic, pour ne pas avoir un air de prétention. Nous se-
rons [\ la vérité plusieurs dans le nombre ; mais quand il y
a à manger pour six, il y en a toujours pour trois. Je suis
54G LE MAUVAIS PLAISANT,
avec soumission et sans vous commander, monsieur, votre
très-humble serviteur Duolichon, auteur badin suivant la
Cour. »
SOPIIIK, rinnt.
Ab, ah, ah, quelle extravagance !
PLAISANTIN, à Léandrc.
Uh ! j'irai.
AiR : Le Seigiiciir Turc a raison.
Ainsi, mon clier pour bannir
Ta mélancolie,
Il faut avec moi venir
Faire quelque bonne orgie.
LÉANDRE.
Je crains de ne le pouvoir,
Car moi, je me borne à voir
La bonne compagnie.
PLAISANTIN.
Qu'entends-^tu par la bonne compagnie?
LÉANDRE.
Ces dames vous en instruiront mieux que moi ; ce sont
elles qui m'ont appris à la connaître.
PLAISANTIN.
Tu es bien tombé. Eh! bien, mon petit bilboquet d'ivoire,
contez-nous un peu cela.
SOPHIE.
Am : Tout consiste dans la manière.
Les mœurs, le goût, la complaisance,
Forment toujours son élément •
L'esprit de douceur s'y nuance
D'agrément,
On y puise dans la décence
L'enjouement.
OPÉRA-COMIQUE. 5i7
PLVISAXTIN.
Diable! cela doit être facétieux. Et vous la mère ma-
man, ne donnerez-vous pas aussi un petit coup de crayon?
car quand on est bonne compagne, on est au fait de la
bonne compagnie .
CÉPIIISE.
Je crois qu'il le faut pour le bien de la société.
PLAISANTIN.
Voyons, voyons, voyons.
CÉPHISE.
Air : Vous boudez.
Bien penser.
S'énoncer
D'un air libre;
Mais sans trop de liberté.
Et de l'égalité
Conserver l'équilibre;
Obliger :
Sans sonper
Qu'on oblige ;
Immoler sa volonté,
Quand la société l'exige.
Se prêter, quand on raisonne,
Aux raisons que l'on nous donne,
Faisant voir
Leur pouvoir
Sur les nôtres,
On a de l'esprit, on plaît,
Dès que l'on satisfait
Les autres.
Possédant
Le talent
D'être aimable.
Joindre aux petites gaîtés
Les grandes qualités,
348 LE MAUVAIS PLAISANT.
Qui rendent estimable;
Amuser,
Sans user
D'éjugramme :
Tel qui rit d'uu traité lancé,
En est toujours blessé
Dans Tâme.
PLAISANTIN, à Sophie.
Pas mal, pas mal, c'est assez là mon porirait (à Céphise).
Il faut que vous me sachiez par cœur pour avoir fait ce dé-
tail-là.
LÉANDRE.
Oui, il est bien ressemblant.
PLAISANTIN.
Et vous appelez donc cela la bonne compagnie ?
sorniE.
\ peu prés.
PLAISANTIN.
Oh, j'en sais une au-dessus de celle-là, moi.
CÉPHISE.
Et quelle est-elle, je vous prie?
PLAISANTIN.
Tenez, je ne connais pas de meilleure compagnie, que la
compagnie des Indes.
SOPHIE rit.
Ah, ah, ah ! quel calembour !
LÉANDllE, outré.
Ah, c'est fort plaisant !
PLAISANTIN, en lulinant Sophie.
Aui : Adieu donc, dame Françoise.
Hé! bien, ma petite reine,
Comment va le petit cœur?
Je suis votre serviteur,
OPÉRA-COMIQUE. 349
Vous êtes ma souveraine,
Souveraine de mon cœur,
Souveraine, et moi serviteur,
Serviteur, vous souveraine,!
Souveraine, et moi serviteur.
SOPHIE, riant.
Qu'il est drôle !
LÉANDRE, à Sophie.
Oh ! oui, riez.
PLAISANTIN.
Hé bien, ma belle-mère quasi, comment trouvez-vous
cela?
CÉPHISE.
Extrêmement galant. Je ne sais pas 'comment on ferait
pour résister à des rimes si délicatement redoublées.
PLAISANTIN.
Moi, j'en sais de toutes façons. J'en ai fait une hier pour
ce fripon de minois-là : (à Léandre) tiens, écoute.
LÉANDP.E.
Oh! laissez-moi, monsieur.
CÉPHISE.
Nous l'entendrons une autre fois.
SOPHIE.
Ah ! madame, voyons.
LÉANDP.E, à Sophie.
Que vous êtes cruelle !
SOPHIE.
Et vous, bien extraordinaire.
PLAISANTIN.
Écoutez-vous, oui, ou non ?
SOPHIE.
Oui, oui, oui.
350 LE MAUVAIS PLAISANT.
l'LAlSANTlN.
Ileni, hem, hein, ul, ré, mi, fa, sol, la, si, ut. Ut, si,
la, sol, fa, mi, ré, ut, ut, ut. Vous voyez que je sais la mu-
sique sans oublier une note (à Soiihic).
AïK : L'autre jour dans un bocage.
Si j'étais sûr de te plaire.
Tu verrais comment je m'y prends
Pour cliarnier;
Tu m'entendrais toujours dire.
Que je t'aime on ne peut pas plus;
J'aurais dans une bergamotte
Des bonbons et puis des pastilles,
J'aurais grand soin
De t'en offrir,
D'un air à te fendre le cœur;
Et puis toi qui serais tendre.
Sans faire semblant de rien,
Tu me glisserais dans ma poche,
Un billet doux,
Par lequel j'a-
Prendrais que tu
M'aime à faire trembler.
Voilà ce ([ue les Anglais appellent des vers blancs ; par
ma loi, je ferais des vers bleus ])our elle, moi, s'il en fal-
lait.
SOl'llIE, riant.
Quel crâne !
LÉANDRE.
Air : Nous sommes précepteurs d'amour.
C'est trop souffrir des deux cotés;
Et pour que mon tourment varie.
Ingrate, exprès que vous prêtez
A la fausse plaisanterie.
CÉPUISE.
Je ne le reconnais pas non plus.
OPERA-COMIQUE. 551
SCÈNE VII
CÉPHISE, PLAISANTIN, LÉANDRE, SOPHIE, PRESSANT.
PRESSANT.
Air : Pm' là, c'est m affermir encore.
Me faire courir de la sorte,
Parblon, celui-là n'est pas mal.
Il payera, le diable m'emporte.
PLAISANTIN.
Cet homme a l'air un peu brutal.
SOPHIE, à Céphisc.
Madame, il est fort en courroux,
CÉPHISE.
Monsieur, s'il vous plaît, qu'avez-vous ?
PRESSANT.
Oh! j'ai ce que j'ai.
CÉPHISE.
Mais en abrégé.
Ne peut-on savoir?
PRESSANT.
Oh! nous allons voir.
LÉANDRE.
Monsieur, vous parlez à des dames.
PRESSANT.
Morbleu, monsieur, je le sais bien.
Je ne viens point pour plaire aux femmes,
Je viens pour recouvrer mon bien.
Et si l'on ne me satisfait, je fais tout saisir ici, et enle-
ver même jusqu'à ces dames.
PLAISANTIN.
Ce ne sont point des immeubles à décréter.
352 LE MAUVAIS PLAISANT.
PRESSANT, d'un air menaçant.
Que dit cet homme-ci ?
PLAISANTIN.
Cet homme-ci parle à cet homme-là.
PRESSANT, niottant la main sur la garde de son épée.
Oui-dà !
PLAISANTIN, se l'Ptirant d'un air craintif.
C'est que je ne suis pas plaisant, moi, quand on le prend
sur un certain ton.
LÉANDRE.
Air : De tous les capucins du monde.
Votre emportement est extrême.
PRESSANT, en fureur.
Morbleu, je suis la douceur même.
Mais je prétends qu'en ce moment.
Monsieur Grossel me satislasse
Sur un certain remboursement.
LÉANDRE.
Il faut.
PRESSANT.'
Là-dessus point de grâce !
CÉPHISE.
Courons, ma fille, avertir votre oncle de cet événement.
SOPHIE, à'w\ air doux.
Léandre, tâchez de l'adoucir.
(Elles sortent.)
OPERA-COMIQUE.
SCÈNE VIII
LÉANDRE, PRESSANT, PLAISANTIN.
PLAISANTIN.
Oh ! je m'en charge, moi.
LÉANDRE.
Air : Lucas se plaint que sa femme.
De quel objet est la somme?
PRESSANT.
Elle est de vingt mille écus ;
Et je veux que l'on m'assomme.
Si j'éprouve aucun refus,
Je fais, le diable.
LÉANDRE.
On peut traiter là-dessus.
A l'amiable.
PRESSANT.
Non pas, ventrebleu, non pas.
LÉANDRE.
Ne pouvez-vous au moins patienter un quart d'heure?
PRESSANT.
A l'égard de cela, une heure, s'il le faut; mais dites-lui
qu'il ne manque pas.
LÉANDRE, s'en allant.
Je vous rejoins.
20,
554 LE MAUVAIS PLAISANT.
SCÈNE IX
PRESSANT, PLAISANTIN.
PLAISANTIN.
Air : L'occasion fait le larron.
Vingt mille cens?
PRESSANT.
Oui, vingt mille, sans doute.
PLAISANTIN.
D'honneur?
PRESSANT
D'honneur.
PLAISANTIN.
Entre nous je comprends
Que cela fait, ou bien je n'y vois goutte,
En tout soixante mille francs.
PRESSANT.
Hé bien?
PLAISANTIN.
Hé bien! que vous aimeriez autant soixante mille livres.
PRESSANT.
Oui, cela me parait assez égal. (A part.) Est-ce qu'il aurait
envie de me les avancer?
Pl.AI.^ANTIN.
Air : Memiet de Gramlval.
Pour voir plus cl-.iir dans votre affaire,
Pourrait-on en savoir le fond ?
PRESSANT.
L'argent fut prOté par mon père.
PLAISANTIN.
Voilà comme les pères font.
OPERA-COMIQUE. 555
De quoi diable vous avisez-vous aussi d'avoir un père ?
PRESSAKT.
Que veut dire ce raisonnement-là, je vous prie?
PLAISANTIN.
Beaucoup de choses.
Air : De Catinat.
Car vous comprenez bien, si vous n'en aviez pas,
Que vous ne seriez point clans un tel embarras ;
Et par conséquent.
PRESSANT.
Faites-moi le plaisir
De me dire, monsieur, où vous voulez venir.
PLAISANTIN.
Comment ! venir ! et mais, je suis tout venu, moi ; d'au-
tant plus que non-seulement, mais encore
PRESSANT.
Mais, mon petit monsieur, me connaissez-vous, pour faire
ainsi le joli cœur avec moi?
PLAISANTIN.
J'ai connu beaucoup monsieur votre père.
PRESSANT.
Vous vous trompez. Mon père savait choisir ses connais-
sances.
PLAISANTIN.
C'était un galant homme.
PRESSANT.
Oh! certainement.
PLAISANTIN.
K 'était-il pas votre aine?
PRESSANT.
Mon aîné 1 morbleu ! que signifient de pareils quolibets ?
356 LE MAUVAIS PLAISANT.
PLAISANTIN.
Et mais, c'est tout simple.
Air : M. le Prévôt des marcliauds.
Qu'ainsi vous êtes son cadet,
PRESSANT.
Monsieur, finissons, s'il vous plaît.
L'auteur de mes jours n'a que faire
A cet indécent jeu de mot.
D'un honnête homme il est le père,
Le vôtre est le père d'un sot.
PLAISANTI.V.
(A part.) Ah! ah! Est-ce qu'il aurait aussi le petit mot
pour rire? (Haui.) Vous êtes de province sans doute?
PRESSANT.
Oui, pourquoi cela ?
PLAISANTIN.
Je l'aurais parié à votre décision ; vous n'aimez pas l'es-
prit, vous autres ?
PRESSANT.
Pas celui-là.
Air : J'écoutais de là son caquet. .
Est-il rien de plus importun
Qu'un bavard qui raille sans cesse?
Allez, l'esprit de cette espèce
Est le fléau du sens commun.
PLAISANTIN.
Commun ! Monsieur, on le voit, a le sens commun.
PRESSANT.
Oui, je m'en pique.
PLAISANTIN.
Et même on ne peut pas plus commun. Oh ! quand vous
en aurez comme deux, cela sera bien pis.
OPÉRA-COMIQUE. 357
PRESSANT.
Atr : Aucun paftteur.
Quand la bravoure au ton railleur est jointe
On peut risquer quelquefois ce ton-là.
Je vous crois fort aussi sur cet article-là;
Vous me narguez sans raison, et voilà
Pour jouer à la pointe.
Si comme l'un, vous avez l'autre en main,
Vous ferez sur le champ la moitié du chemin,
(il met son chapeau.)
PLAISANTIN.
Bon, ce chemin est tout fait : est-ce que vous ne voyez
pas ?
PRESSANT, tirant l'épée.
Air : Ao«, je ne ferai pas.
Encore! ah! pour le coup, je m'en vais vous apprendre,
A qui vous vous jouez. Songez à vous défendre.
PLAISANTIN.
Oh! c'est ainsi que vous plaisantez, vous?
PRES.SANT.
Oui, voilà comment je badine, avec les gens de vôtre
sorte.
PLAISANTIN.
Et moi je n'aime pas ces badineries-là, on peut se bles-
ser, et puis vous savez que les jeux de mains
AîR : Les cœurs se donnent troc pour troc.
Laissons cela.
PRESSANT.
Vous avez peur.
PLAISANTIN.
Bon, pourquoi mesurer nos lames?
La vôtre est fort belle.
358 LE BIAUYAIS PLAISANT.
PRESSANT.
Pour confondre un mauvais railleur,
Voilà la plume aux cpigrammes.
ri.AISANTIN.
Mauvais genre ; donnez plutôt dans le madrigal.
PRESSANT.
Je ne vous écoute plus,
PLAISANTIN.
,Vous avez mis votre chapeau; vous allez gâter votre
perruque.
PRESSANT.
Défendez-vous, vous dis-je.
PLAISANTIN, mettant grotcsquonicnt l'épée à la main.
Air : L'autre nuit f aperçus en songe.
Ah ! vous prétendez donc m'abattra,
Non, non, monsieur le fanfaron,
Vous croyez trouver un poltron,
Allons, mais avant de nous battre,
Quel sujet vous a courroucé ?
PRESSANT.
De vos propos je suis blessé.
PLAISANTIN.
Vous êtes blessé?
PRESSANT.
Oui, je suis blessé.
PLAISANTIN.
lié bien! je vais vous chercher du secours, attendez-moi.
(U se sauve.)
J
OPEP.A-COMinUE. 559
SCÈNE X
PRESSANT, LÉÂNDRE.
PRESSANT.
Je m'en suis douté. Ah ! si celui-ci est le second tome
de l'autre, mallieur à lui, il payera pour deux.
LÉANDRE.
Air : Jiipiii dès le matin.
J'accours avec ardeur.
PRESSANT.
Abrégeons, monsieur.
LÉANDRE .
D'où vient cette fureur?
Mais au moins, permeltez-raoi
PRESSANT.
Je suis las, ma foi,
LÉANDRE .
Mais sacliez...
PRESSANT.
Voyons, quoi?
LÉANDRE.
Vous avez attendu.
PRESSANT.
Morbleu, sais-tu
Qu'avec moi les plaisants
Perdent leur temps?
LÉANDRE.
Quelle férocité 1
En vérité,
Est-ce-là le ton de l'iiumanilé;
Vous aurez votre argent.
Dans le moment.
360 LE MAUVAIS PLAISANT.
PRESSANT.
Ail! monsieur, excusez,
Vous m'apaisez;
Les gens Lien nés,
Se font connaître aux traits que vous nous en donnez.
Mais, parbleu, le faquin qui sort d'ici m'a si mal pré-
venu.
LÉANDRE."
Eh, monsieur, doit-on peser tous les hommes au poids
du mépris que quelqu'un vous inspire?
Air : Pour la baronne.
Chez le notaire.
Monsieur, suivez-moi promptement.
PRESSANT
Surtout, point de mauvaise affaire,
LÉANDRE.
Non, votre somme vous attend,
Chez le notaire.
l'RESSANT.
Si l'estime la plus forte peut réparer ma méprise.
LÉANDRE.
C'est toute la satisfaction que je vous demande.
(Ils sortent.)
SCÈNE XI
GROSSEL, PLAISANTIN.
GROSSEL.
Ah! ah! ah ! cela est plaisant, vous avez commencé par
ferrailler.
Ol'EIU-COMIQUL". 5(31
TLAISANTIK.
Oui, comme il était mal sous la plaisanterie, j'ai voulu
voir s'il serait un peu mieux sous les armes.
" GROSSEL,
Dis-moi donc quelque particularité.
PLAISANTIN.
AiR ; Allons donc jouez violons.
Nous nous mettons tous deux en garde,
Chacun d'un air fier se regarde,
Avec un œil étincelant;
Crainte qu'un coup fourré ne parle,
Je lui fais un appel de quarte,
Il pare au cercle en reculant.
Et comme je vois qu'il est lent,
Crac je lui serre la mesure,
Et d'une botte presque sûre.
Je vous le touche à fleur de peau.
Alors renfonçant son chapeau,
C'est sur la tierce qu'il se fonde,
Je pare et tombe de seconde,
Il rompt, s'éloigne, et dit : monsieur,
Je suis bien votre serviteur.
GROSSEL.
Cela voulait bien dire qu'il en avait assez.
PLAISANTIN.
Oli, je t'en réponds.
GROSSEL.
Je suis cependant fort aise que cela n'ait pas été plus
loin : et mon aftaire ?
PLAISANTIN.
Morbleu, reste tranquille. Tu devrais un million que cela
me serait égal.
21
3U2 LE MAUVAIS PLAISANT.
GROSSE!-.
Aiii : Entre l'amour et la raison.
Mais as-tu terminé ?
PLAISANTIN.
Parbleu,
Je m'en suis même fait un jteu :
Crois-tu que cela m'embarrasse?
Non, je n'en prends aucun souci.
GROSSEL.
Sur toi seul je comptais aussi;
Permets, mon cher, qu8 je t'embrasse.
PLAISANTIN.
Finissez donc, petit badin, vous allez faire tomber mon
rouge.
GROSSEL.
Il fait les choses avec autant de grâce qu'il les dit.
PLAISANTIN.
C'est un agrément de famille.
GROSSEL.
Ah ! ah ! ah ! tu ferais rire des pierres ; viens, je vais
faire à ma nièce une donation de tout mon bien, à condi-
tion qu'elle t'épousera.
PLAISANTIN.
Cela n'est pas de refus. Les voici, ne leur en disons rien,
pour les surprendre agréablement.
SCÈNE XII
GROSSEL, SOPHIE, CÉPHISE, PLAISANTIN.
GROSSEL.
.\m : Quand on parle de Lucifer.
L'homme qui me cherchait tantôt
J
OPERA-COMIQUE. 363
M'a fait une peur affreuse :
Mais tout s'est passé comme il faut.
SOPHIE.
J'en suis vraiment bien joyeuse,
Mais sachons...
GROSSEL.
Sachez que c'est un défaut,
D'être à contre-temps curieuse.
Nous allons travailler à faire ton bonheur.
PLAISANTIN.
Ce sera de la besogne bien faite; car j'y entrerai pour
quelque chose.
SCÈNE XIII
GROSSEL, SOPHIE, CÉPHISE, PLAISANTIN, LÉANDRE.
GROSSEL.
Comment encore votre Léandre !
CÉPHISE.
Vous voyez.
GROSSEL.
Hél bien, je le laisse encore {un moment par grâce,
pour recevoir son congé, (a Plaisantin.) Allons, viens, viens.
PLAISANTIN.
Allons, allons, sans adieu, porte-feuille de mes désirs.
Oh! la petite coquette à moi.
(lis sorleul.)
.Mil l.t: MAUVAIS l'LAISANT.
SCÈNE XIV
LÉÂ^DRE, SOPHIE, CÉPHISE.
LÉANDRE.
Alu : Ilclfis! iiKtmaii, pardonnez, etc.
Je uis perdu, tout à mes vœux s'oppose :
A l'épouser il va donc vous forcer.
SOPUIE.
Ah! de ma main, si mon cœur seul dispose,
Entre vous deux je saurai prononcer.
LÉAMll'.E.
Dois-je espérer? Qui, moi! non, non, je n'ose,
SOPHIE.
Osez, monsieur, lout doit vous l'annoncer.
CKl'inSE.
Ma fille n'a pnru balancer que pour vous éprouver, et
contrarier un peu votre défiance. Sachez d'ailleurs qu'elle
n'hésiterait point à vous prélérer, quand même son oncle
la priverait de ses biens en laveur de votre mariage, j'en ai
raisonnablement, vous en avez aussi.
LÉANDUE.
Quel charme pour mon cu-ur !
SOPHIE.
Ant : Menuet de Chartiri .
Doutez-vous encore?
léaxdre.
Ali ! je vous adore,
Me pardonnerez-vous
l,cs transports d'un cœur trop jaloux?
OPEIiA-COMIorE. r.i.-)
SOPHIE.
L'amour qui couronne
Aisément pardonne.
LÉASDRE.
Je lis dans votre conir,
L'aurore du bonlievu'.
SOPHIE.
Que par cet aveu,
Votre feu,
N'en soit pas moins fidèle!
La certitude détruit.
Ce que l'espoir produit.
Hélas! plus l'amour séduit,
Plus il s'évanouit;
Tel au jour qui nous luit,
Succède la nuit.
LÉANDP.E.
Si vous étiez moins belle
Si les sentiments
?î'étaient pas les garants
Du plus sincère amant,
J implorerais le serment.
SOPHIE.
Plus de craintes.
Plus de plaintes.
Léandre, vous m'aimez.
LÉANDRE.
Bien au monde n'est capable d'altérer les sentiments
que j'ai pour vous.
"liii LE MAUVAIS PLAISANT.
SCÈNE XV
LÉANDRE, SOPHIE, CÉPHISE, PLAISANTIN, GROSSKL.
PLAISANTIN.
Nous sommes expéditifs, comme vous voyez.
CnOSSKL
Am : Çà que je te mette.
Ça, que \'o\\ m'acquitte,
Ma nièce, au plus vite.
Ça, que l'on m'acquitte
De ce que je dois :
Celui que tu vois,
Est charmant, ma petite,
Ça, que l'on m'acquitte
De ce que je dois.
11 faut l'épouser, c'est le plus brave et le plus généreux
des amis.
SOPHIE.
Mon cher oncle, je le voudrais, par amour pour vos in-
térêfs.
Ain : Que j'estime mon cher voisin f
Mais s'il faut former ce lien,
Comme un billet payable.
Mon oncle, vous pourriez fort bien
Devenir insolvable.
GROSSEL.
Ou'est-ce à dire ? Tête bleu, madame ma sœur, voilà le
fruit de vos conseils.
CKPHISE.
Hé! mon Dieu, parlons sans humeur, elle n'a suivi que
son inclination.
OPERA-COMIQUE. .-,07
GROSSEL, à Céphise.
AiB : C'est l'ouvrage d'un moment.
Vous en tenez-vous à Léandre,
Est-ce lui que vous choisissez?
Ce silence m'en dit assez,
C'est ce que je voulais apprendre.
Comment donc, vous rougissez?
SOPHIE.
J'en suis bien éloignée, je vous assure.
GROSSEL, ironiquement.
Ah! vraiment, est-ce qu'une fille bien née rougit jamais.
PLAISANTIN.
Ah ! c'est qu elle tient de madame sa mère.
LKAN'DP.E.
Avec vos leçons, on est bientôt aguerrie.
GROSSEL, à Léandre.
Je crois que tu fais le beau rieur, toi?
LÉANDRE.
Moi, monsieur, je ne cherche point à vous déplaire,
GROSSEL.
Non, on trouve cela tout fait chez toi.
LÉANDRE, riant.
C'est un malheur pour moi.
PLAISANTIN.
11 a le chagrin tout-à-fait gai.
GROSSEL.
Allons, la belle, décidez, mais prenez bien garde de me
mécontenter.
PLAISANTIN.
Allons, écoute, et reçois ta condamnation d'un air philo-
sophique.
".6S \.K MAUVAIS F'LAISANT.
I.ÉANDUK.
Volontiers,
SOPHIE.
AïK : Ton liiimeur est, Catherine,
Chacun de vous est fort rare,
Mais tous deux différemment;
Pour peu que l'on vous compare,
Ciiacun de vous est amant.
L'un est l'amant le plus tendre,
Et l'autre le roi des fous :
[A IMaisàntin)
Oui-dà !
Vous m'amusez pour Léandre,
Lêandre me plaît pour vous.
GUOSSEL.
SOPHIE,
Oui, mon cher oncle, et je lui donne ma main.
GROSSEL.
Ma sœur, vous me payerez cela, et sans tarder.
CÉPHISE.
A votre aise.
GROSSEL.
A m : De tous les capucins.
Dans la forme la plus cxacti^.
Je vais faire dresser un acte,
Oui, je lui donne tous mes biens,
J'en ai fait exprès le modèle :
On n'a jamais pis que des siens,
J'en suis fâché pour vous, la bollo.
I.ÉAiSDRE.
Comme je jouis de la plus grande félicité, vous pouvez,
monsieur, achever de couronner le mérite d'un ;uni si jus-
tement cher, par le moulant de voliv ohlii^atiou que j'ai
OPÉRA-COMIQUE. 369
retirée des mains de votre créancier, dans la seule vue d'o-
bliger personnellement un honnête homme.
GROSSEL.
Comment, comment !
PLAISANTIN.
Et laisse, laisse, je te rembourserai pelit à petit sur ta
donation. Je suis fait pour te tirer toujours d'embarras,
comme tu vois.
CÉPHISE.
Doucement, monsieur.
GROSSEL.
Quoi! vous nous en faisiez mystère.
LÉANDRE.
Avant que de vous en instruire, j'aspirais à vous plaire.
GROSSEL, à Plaisantin.
Air : De l'horoscope accompli.
Ah! ceci change bien la thèse.
.Te croyais devoir à vos soins
Un argent qui me met à l'aise.
C'est lui qui prévient mes besoins :
Je veux que, par reconnaissance,
Ma nièce soit sa récompense.
Et je prétends dès aujourd'hui,
Faire un neveu d'un bon ami.
A Léandre.
AiR : Bouchez, Nayades.
J'ouvre les yeux, mon cher Léandre,
Ce noble trait me fait comprendre
Que l'esprit ne consiste pas
Dans la fade plaisanterie;
Mais à tirer d'un mauvais pas
Un ami sans qu'il nous en prie.
il.
570 LE MAUVAIS PLAISANT.
I.KANDRE.
Si j'épouse ce que j'aime, si j'obtiens votre estime, je
suis trop payé du petit service que je vous ai rendu.
PLAISANTIN.
Oli ! je n'aime pas le service, moi, c'est un métier trop
dangereux.
liîANDRE.
Air : Tu croyais cju'en aimant Colette.
Les bons mots, les pointes usées
Pour moi n'ont aucun agrément;
Sans courir après les pensées,
Je me pique de sentiment.
PLAISANTIN.
Voilà ce qu'on appelle un homme tout rond.
CÉPHISE.
Pour me servir de votre style, monsieur Plaisantin, vous
n'ètez pas rond, vous, car vous me paraissez bien plat.
GROSSEL, à Léandre
Mais de grâce, monsieur, que je sache comment vous
avez retiré mon billet dos mains de M. Pressant.
LÉANDRE.
Je vous en instruirai plus à loisir.
PLAISANTIN .
Apparemment que monsieur lui aura écrit un billet
doux.
GROSSEL.
Que voulez-vous dire?
PLAISANTIN.
Un billet doux, c'est-à-dire, un billet payable au por-
teur, ou une bonne lettre de change; car le sieur Pressant
OPÉRA-GOMIQUE. 571
me paraît un homme passionné pour les belles-lettres, et
qui n'aime pas les pointes.
(il montre son épée.)
SCÈNE XYI
LÉANDRE, SOPHIE, CÉPHISE, PLAISANTIN,
GROSSEL, M. PRESSANT.
PRESSANT, à Grossel.
Monsieur, je viens vous faire mes excuses; la nécessité
où je me trouvais moi-même m'a contraint de vous pres-
ser, et je n'ai plus été maître de mon emportement, quand
j'ai vu qu'au lieu de bonnes raisons, je ne recevais que des
furlupinades de la part d'un drôle Ah! le voici, (a Plai-
santin.) Apprenez, mon ami, que sans le respect que je dois
à la compagnie, je vous traiterais comme le mérite un
mauvais plaisant et un lâche; mais tenez-vous pour désho-
noré.
PLAISANTIN.
Cet affront mériterait un bon conp d'épée au travers du
corps, et sans le respect pour la compagnie qui me re-
tient... Mais tenez-vous pour tué.
(11 sort.)
SOPHIE, riant.
(a Plaisantin qui s'en va.)
Adieu donc, dame Françoise,
Pour qui j ai tant soupiré.
CROSSF.L.
C'est lui faire trop d'honneur que de nous occuper de
lui davantage; (à Pressant) vous venez à propos pour être
572 1-E MAUVAIS PLAISANT.
témoin d'un événement qui nous intéresse tous. (Monuuni
Lcantire.) Vous connaissez monsieur?
PRESSANT.
Et vous devez le connaître aussi, par ce qu'il vient de
faire pour vous.
GROSSEL.
Je lui donne ma nièce et tout mon bien.
PRESSANT.
Air : Tout consiste dans la manirre.
De bon cœur je vous fôlicile,
D'un clioix qui vous fait tant d'honneur.
CÉPHISE.
Vous couronnez le vrai mérite.
LÉ ANDRE.
Vous assurez tout mon bonheur.
CÉPHISE.
Il faut qu'un bon mot fasse rire
Le bon goût :
C'est la manière de le dire.
Qui dit fout.
LA
CANADIENNE
COMEDIE
Éi\ UN ACTE ET EN VERS '
ACTEURS
LA MARQUISE.
LA COMTESSE, sa sœur.
DORIMONT, père de Julie.
JULIE, sous le nom de Zinca.
LE CHEVALIER, fils de la marquise.
LISETTE, suivante de la marquise.
FRONTIN, valet du chevalier.
BRIGANTIN, maître d'hôtel de la marquise.
La scène est dans le château de la marquise.
SCÈNE PREMIÈRE
LE CHEVALIER, FRONTIN.
FRONTIN,
De bonne foi. monsieur, vous donnez là-dedans?
Moi qui n'ai pour esprit que fort peu de bon sens,
* Cette comédio parait n'avoir .jamais été représentée (iV. de l'Éd.)
374 ■ LA CANADIENNE.
Je ne croirais jamais do telles impostures ;
Car, tenez, ces diseurs de bonnes aventures
Finissent toujours mal. S'ils devinaient enfin,
Ils sauraient se prédire une meilleure fin.
LE CHEVALIER.
De ces gens quelquefois la science est bornée :
Mais celui qui sans fard m'apprit ma destinée,
Sur le passé si bien a su me définir,
Que mon esprit frappé le croit sur l'avenir.
C'est lui qui m'a prédit qu'une Canadienne,
Par sa flamme, bientôt, allumerait la mienne,
Et ferait mon bonlieur. J'en suis certain.
FRONTIN.
Oiii-dà !
C'est-à-dire, qu'il faut vous suivre en Canada ï
Ma foi, votre valet. Qui voudra partir, parte.
Si j'aime à voyager, ce n'est que sur la carte ;
On y voit sans danger les Indes, le Pérou :
Mais courir jusque-là? Je ne suis pas si fou.
Voir cent originaux, ne connaître personne;
Des voleurs en chemin, qui veulent qu'on leur donne
Habit, bourse, cheval... Oh! j'en suis dégoûté.
Mais du moins sur la carte on marche en sûreté.
LK CHEVALIER.
Qui te parle, dis-moi, de faire ce voyage?
La marquise à mon goût s'oppose.
FRONTIN.
Elle est fort sage.
Vous ne vous piquez pas de trop lui ressembler.
C'est une mère unique.
COMEDIE. 375
^LE CHEVALIER.
Elle a su m'accabler
De bontés, de bienfaits.
FRONTIN.
Remplissez son attente ;
Et croyez un peu madame votre tante,'
Qui, vous entretenant dans cette vision,
Vous rendra ce qu'elle est... Oui... si l'expression
De folle n'était pas un tant soit peu trop forte,
Je [risquerais le mot.
LE CHEVALIER.
En parler de la sorte !
Faquin...
FEONTm.
Mais la voici. Filons doux à ses yeux.
SCÈNE II
LA COMTESSE, LE CHEVALIER, FRONTIN.
LA COMTESSE.
Ah!... j'espérais trouver la marquise en ces lieux.
Eh bien ! a-t-on gagné quelque chose sur elle ?
(a Fronlin.)
Que fais-tu là, toi?
FRONTIN.
Moi? Comme un valet fidèle.
Je tâchais d'exhorter mon maître à son devoir,
D'obéir à sa mère.
376 TA CANADIENNE.
LA COMTESSE.
Ah! je n'ai qu'à lt> voir.
Chevalier, tenez bon ; que votre complaisance
N'aille pas sur le sort emporter la balance.
Suivez le vôtre, enlin, puisqu'on vous l'a prédit :
Les devins savent tout, je vous l'ai déjà dit.
.Moi-même, sans pourtant être bien curieuse,
J'ai su tout d'une lemnie à mon gré merveilleuse ;
Dont presque tout Paris tut très-longtemps coiffé ;
On lisait son destin dans du marc de café.
A l'article frappant des tendres anecdotes.
Les plus prudes souvent devenaient les plus sottes :
Les unes par dépit, les autres par regret;
Mais la femme et l'amour étant seuls du secret,
On prenait' aisément son parti sur le reste.
LE CHEVALIER.
Ma curiosité ne peut m'êlre funeste,
Puisqu'on m'a présagé les plus heureux liens.
LA COMTESSE.
On peut être crédule ainsi que les anciens.
FROMIN.
Ah ! si les anciens croyaient aux balivernes,
Ce goût n'a pas gagné la plupart des modernes.
Qui, quoique leurs travers soient partout attestés,
Ne daignent seulement pas croire aux vérités.
Les fous ne veulent pas, encor* que l'on leur prouve,
Convenir qu'ils le sont.
LA COMTESSE.^
Mais, mon ami, je trouve
Que tu prends^avec nous un ton bien familier.
COMEDIE.
FRONTIN.i
C'est que...
LE CHEVALIER.
C'est que... Va-t-en.
FRONTIN.
Sans me faire prier,
Je sors, crainte de voir mal payer ma franchise.
^Fais, vous n'y perdrez rien, car voici la marquise.
(U sort.)
SCÈNE m
LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE CHEVALIER.
LA MARQUISE.
Eh! bien, mon fils! peut-on sur votre entêtement
Vous dire encore un mot? Quoi! raisonnablement
Pouvez-vous renoncer à l'aimable Julie,
Et vous livrant en proie à votre fantaisie.
Préférer voire erreur au phis tendre lien?
Je veux votre bonheur, vous détruisez le mien.
LE CHEVALIER.
Je vous dois tout, madame -, et ma reconnaissance...
LA MARQUISE.
Paye tant de bienfaits par une extravagance.
LA COMTESSE.
Ma sœur, ménagez-le...
LE CHEVALIER.
Oui, si c'en est une enfin
Que de suivre son goût, ou plutôt son destin.
-7S F,A CANADIENNE.
Jo \o sais, comme vous, Julie est jeune, aimable,
Riche... mais je me forge une idée agréable
D'être aimé d'un objet, qui, clvangeant de climat,
Croira me devoir tout, son bonheur, son état...
Si je puis parvenir à la rendre sensible...
Madame, vous riez ; mais rien n'est moins risible ;
Mon projet est charmant. Un cœur simple et sans art
Est si rare à Paris, qu'on le croit un hasard.
Ainsi donc je tiendrai des mains de la nature
Ce qu'un autre souvent ne doit qu'à l'imposture.
LA MARQUISE.
Votre prévention ne voit que d'un œil faux.
Sachez qu'en tout pays, les vertus, les défauts.
Sont, de même qu'ici, des femmes le partage :
Que tout climat est pur à qui veut être sage :
Qu'une fille à Paris, qu'on élève avec soin,
Possède la vertu, sans la chercher si loin ;
Et que celle qui vient du plus lointain rivage,
A contre elle souvent les hasards du voyage.
Qu'en pensez-vous, ma sœur?
LA COMTESSE.
Moi? je pense autrement.
Vous ne me verrez point blâmer son sentiment.
LA MARQUISE.
Vous ne le blâmez point ?
LA COMTESSE.
Non, vousdis-je; au contraire,
Sa façon de penser est dans mon caractère.
LA MARQUISE.
Vous êtes fort sensée, après un tel aven !
COMEDIE. 579
LA COMTESSE.
Eh! mais si par la tante on juge du neveu,
Tant mieux pour lui, ma sœur.
l\ MARQUISE.
Du côté du mérite,
Ce serait fort bien fait; c'est à quoi je Texcite :
Mais qu'il écoute moins la singularité.
LA COMTESSE.
C'est parla qu'il me plaît, et c'est le beau côté.
Du goût national il fronde les chimères.
J'aime les étrangers, et lui les étrangères.
Cette conformité nie le rend précieux.
Mon époux, le feu comte, avec moi fut heureux,
Non parce qu'en effet il méritait de l'être.
Aimable, de l'esprit, bien fait, point petit-maître...
LA MARQUISE.
C'est par ces qualités qu'il fut de vous ciiéri ?
LA COMTESSE.
Non ; c'est qu'il était né prés de Pondichéri.
LA MARQUISE, à part.
Fort bien ! Il ne manquait, pour flatter sa manie,
Que l'imprudent aveu d'une telle folie.
(Haut.)
Loin de me seconder, votre indiscrétion
Se plaît à le soustraire à la soumission.
LA COMTESSE.
Oh ! la soumission ! voilà comme vous êtes ;
Il faut donc s'immoler à tout ce que vous faites ?
Et parce que sur lui vous avez du [pouvoir.
Est-ce assez pour qu'il soit victime du devoir ?
Ma sœur, en fait de choix, le devoir doit se taire
.-80 LA CANADIENNK.
I,A MARQUISE, iroiiiquenionl.
On no peut que louer un si beau commentaire.
Mais, répondez, mon (ils, que dira Dorimont?
Le croyez-vous d'humeur à souiïrir un affront?
Et vous-même, ma sœur, me proposez sa fdie,
Alliance honorable, en qui la vertu brille.
.Iulie et Dorimont, ici reçus tous deux,
Y restent à dessein de combler tous ses vœux :
Et monsieur n'écoulant qu'une humeur fantastique,
Est épi*is, sans le voir, d'un objet chimérique !
LA COMTESSE,
Quand je vous proposai cet hymen, j'ignorais
Les raisons d'un refus qu'en tel cas je ferais.
Vu la prédiction.
LA MARQUISE.
Admirable scrupule !
LA COMTESSE.
Mais ce devin habile....
LA MARQUISE.
Est aussi ridicule
Que les sots qu'il attrape; et l'on devrait punir
Tous ceux qui font métier de percer l'avenir,
Et la crédulité de ceux qui les font vivre
En payant leurs erreurs. Le destin est un livre
Impénétrable à tous, des sages respecté,
Et qui ne s'ouvre enfin qu'à la Divinité.
Entreprendre d'y lire, envers elle est un crime.
Dont le plus curieux est toujours la victime.
Avec des sentiments, de l'esprit, un bon cœur,
Sans consulter le sort, on ptnit croire au bonheur.
Mon lils, vous persistez, c'en est donc l'ail?
COMEDIE. .jSl
LE CHEVALIER.
Ma mère,
Malgré tout mon respect, je crains de vous déplaire.
Je suis bien malheureux ! Au nom de vos bienfaits,
.\e gênez point mon goût. Les efforts que j'ai faits
rs'ont pu déterminer mon penchant pour Julie.
Je l'estime beaucoup. Hélas! sans ma folie,
l'eut-èlre que l'Amour eût lixé mon repos ;
Peut-être raimerai^je.
L.\ SLVP.QUISE.
Une autre, à ce propos,
Prendrait un parti vit: mais toujours bonne et tendre,
Ne pouvant vous guérir, je veux bien vous apprendre
Que depuis plusieurs mois, par mon ordre, en secret.
Un homme s'est chargé d'amener un objet
Du C;inada.
LE CHEVALIER, liausporlé.
Souffrez que mon cœur... Mais, ma mère,
Quand verrai-je ?...
LA MARQUISE.
Je ^crois que vous n'attendrez guère,
LE CHEVALIER, avec impalienco.
Quand ?
LA .MARQUISE.
Bientôt, à juger par le temps du départ
De celui que mes soins ont choisi.
LA COMTESSE.
Pour ma part ;
.le vous en sais bon jiré.
382 l-A CANADIENNE.
LA MARQUlSli.
Son bien et sa naissance
Ne vous cèdent en rien. Par la correspondance
Que j'ai dans ce pays, cela n'est pas suspect,
Je m'en suis fait instruire. Ainsi, que le respect
Marche avec votre amour.
LE CHEVALIEU, baisant la main do sa mère.
Vos bontés me confondent.
Quoi ! j'aurais...
LA MARQUISE.
A mes vœux que les vôtres répondent ;
Tout ira bien. Itentrez. De mes bienfaits, mon fils,
Connaissez l'étendue, et mettez-y le prix.
(Le Chevalier sort avec des démonstrations de
reconnaissance et de joie.)
LA COMTESSE, à la Marquise.
Malgré vous, la raison vous est donc revenue,
Puisqu'à le seconder vous êtes résolue !
LA MARQUISE.
Soit.
LA COMTESSE.
Je l'en félicite, et je cours sur ses pas.
Lui bien recommander qu'il n'en démorde pas.
Ma sœur, c'est, selon moi, lui rendre un bon officf ■
LA MARQUISE, ironiquement.
Je reconnais ma sœur à ce rare service.
COMEDIE. 383
SCÈNE IV
LA MARQUISE, seule.
Si riiomme le plus fait pour aimer la vertu,
Par quelque ridicule est encor combattu,
De celui de mon fils justement je murmure ;
Il paye un peu trop cher tribut à la Nature.
Cependant je l'excuse ; il cherche un cœur sans art,
Qui lie connaisse en rien ni l'apprêt ni le fard,
Qui, simple dans ses mœurs, et fait pour la tendresse,
Sache traiter l'amour avec délicatesse.
Ce désir le transporte ; et pour faire un tel choix,
Il croit qu'il faut aller bien plus loin qu'autrefois,
Je le croirais aussi, sans l'aimable Julie,
Qui paraît être faite au gré de son envie...
Mais la voici... tâchons de la déterminer
Au projet que tantôt...
SCÈNE V
LA MARQUISE, JULIE.
JULIE.
J'ai beau m'examinerj
Je n'aurai jarriais l'air d'une Canadienne.
LA JIAUQUISE.
Si, ma chère ; de vous il faut que je l'obtienne...
Vos habits sont tout prêts pour ce déguisement.
Vous vdus méconnaîtrez vous-même assurément.
r.P4 LA CANADIENNE.
JULIE.
Ce n'est point sur Iliiibit que mon esprit contrôle,
Ma taille et ma ligure iront de reste au rôle.
Mon père, qui dans tout croit toujours voyager,
Dit que j'ai l'air Persan, le profil étranger,
Le menton Espagnol, l'oreille .laponoise,
Le nez Américain, et la bouche Chinoise.
S'il dit vrai, je crois fort qu'en mêlant tout cela,
Je pourrai bien avoir un air de Canada.
L'habit au par-dessus soutiendra l'équivoque.
Tout va bien jusqu'ici : mais certain point me choque
LA MAIIQUISE.
Quel est-il ?
JULIE.
Franchement, il doit me déceler.
Croyez-vous me tenir une heure sans parler ?
S'il faut qu'avec mes traits ma langue se déguise.
Je ne réponds de rien, madame la Marquise.
LA MARQCISE.
Quand vous rélléchirez que ce n'est qu'à ce pri.x
Que je peu.v vous devoir le bonheur de mon fils,
Votre amitié pour moi saura, sans répugnance,
Surmonter l'embarras d'une heure de silence.
JULIE.
Mou amitié pour vous me l'ait risquer un pas
Que sans elle vraiment je ne risquerais pas.
Faut-il que mon ilésir de vous nommer ma mèie,
Par votre propre (Ils divieiuie une cIiiMiéri'?
COMÉDIE. 58.J
LA MARQUISE.
Chassez de son esprit une légère erreur
Hui n'a point sûrement été jusqu'à son cœur.
Vous en viendrez à bout.
JULIE.
Au moins j'en ai l'envie.
LA MARQUISE.
Votre père vous croit chez votre bonne amie ?
JULIE.
Depuis hier au soir.
LA MARQUISE.
Ainsi gardons-nous bien
Que l'on vous voie ici. La Comtesse revient,
Qui nous gâterait tout.
JULIE.
Je vole à ma cachette,
Achever proijdptement ma bizarre toilette.
(Elle sort.)
SCÈNE VI
LA MARQUISE, LA COMTESSE
LA COMTESSE.
Votre lils m;iiii tenant est comme je le veux.
Allez, nous en serons contentes toutes deu.\,
Silôtque par mon goût le vôtre se décide.
Vous faites tout de lui, quand la douceur vous guide.
Quoique fort jeune il a l'esprit très-conséquenl.
LA MARQUISE.
Tout ;i fait! Il en donne un trait bien convaincant.
De l'esprit ! en a-t-on lorsque l'on est bizarre?
9->
:8 LA CANADIENNE.
Choquer les préjuges, jouer l'espèce rare,
Etre seul de son goût, si c'est là de l'esprit,
Comment donc nommez-vous la sottise ?
LA COMTESSE.
11 suflit
De vous contrarier, pour être singulière.
Je vous entends.
LA MAUQUISE.
•Mon Dieu, laissons cette matière \
Chacun pense à son gré. La dissertation
N'est point du tout mon genre.
LA COjMXESSE.
Et c'est ma passion.
LA MARQUISE.
Ke^vous contraignez point*
LA COMTESSE.
J'aime que Ton disserte.
Dorimont, par exemple, est une découverte
Admirable pour nous.
LA MARQUISE.
Je vous cède ma part.
LA COMTESSE,
Fort instruit : il est vrai qu'il est un pou bavard;
Mais il parle de tout, d'histoire, de voyage.
De sa prolixité ce qu'il dit dédommage.
Il vient à nous»
COMEDIE. Û87
SCÈNE VII
LA MARQUISE, LA COMTESSE, DORIMONT.
DORIMONT.
Parbleu, j'en aurais fait autant.
Elle a raison. Il faut chercher l'amusement
Où l'on peut le trouver; c'est le sel de la vie.
LA MARQUISE.
De qui parlez-vous donc, s'il vous plaît ?
DORIMONT.
De Julie
Ma fille. Elle n'est pas si dupe, à mon avis,
Qu'elle ne sente bien que monsieur votre fils
L'a (soit dit entre nous) fort mal appréciée.
LA COMTESSE.
Eh bien?
DORIMONT.
Apparemment qu'hier au soir ennuyée
Du rôle peu flatteur qu'elle joue en ce lieu,
Ou plutôt de celui que votre froid neveu
Fait auprès d'elle...
LA MARQUISE.
Enfin ?
DORIMOST.
Enfin, ne vous déplaise,
Souffrez qu'à ce sujet j'ouvre une parenthèse,
Que je saurai fermer lorsqu'il en sera temps.
Est-ce là, dites-moi, comme on aime à vingt ans?
Le pauvre chevalier mérite qu'on le plaigne,
Ainsi que ses pareils. Corbleu ! sous l'autre règne
:.XX l\ CANADIENNE.
II eût fallu me voir, et mes contemporains,
Toujours vifs, égrillards, sans être libertins...
L\ MAngUISE.
Il s'agit...
DORIMOM.
Prévenants sans resse auprès des belles...
LA MARQUISE.
Sachons...
DcnUMONT.
Sans leur manquer, se faire estimer d'elles.
Mais aujourd'hui, ma foi, ce n'est qu'en leur manquant.
Qu'un jeune écervelé leur paraît élégant.
L'air libre a remplacé l'innocent badinage,
Et l'enjouement n'est plus que du libertinage.
Il faut que je vous conte...
LA MARQUISE.
Eh ! mais vous nous parliez
De Julie.
DORIMONT.
Eh bien ! oui.
LA MARQUISE.
Monsieur, si vous vouliez...
DORIMONT.
Ne vous l'ai-je pas dit? Elle m'a fait entendre.
Hier, quoiqu'un peu tard, qu'il ne faut plus prétendre..
Vous savez, comme moi, qu'elle a beaucoup d'esprit.
LA MARQUISE, avec inipatieiue.
Oui, monsieur.
DORIMONT.
Elle parle, elle chante, elle écrit...
Elle a tous les talents que possédait sa mère.
COMEDIE. 589
Tout cela, voyez-vous ! me la rend bien plus chère.
J'ai bien vu du pays; mais je n'ai jamais vu
Un enfant...
LA MARQUISE, avec viv.ncité.
Nous aimons ses talents, sa vertu.
Il s'agit du propos...
DORIMONT.
Eh ! sans doute.
LA MARQL'ISE.
De grâce,
Achevez cet article.
LA COMTESSE, ù la Marquise d'un Ion piqutî.
On vous gêne, on vous lasse,
Pour peu que l'on raconte...
(a Doriniont.)
Auriez-vous la bonté,
A propos des pays où vous avez été.
De me dire deux mots concernant vos voyages ?
DORIMONT.
Volontiers. Écoutez. Un jour chez les sauvages,
Peuple assez ignorant, et parlant mal français,
Chantant mal l'italien... Ce sont deux choses...
I.A MARQIJISE.
Mais,
Votre fille...
ItORIMONT.
Ah ! ma fille ? Eh bien ! elle est partie.
Pour aller s'amuser chez une bonne amie
Elle en a, des amis, beaucoup ; et c'est un point
Essentiel. Malheur à ceux qui n'en ont point
.le m'en suis fait pourtant...
'22
r.!M) LA CANADIENNE.
l.\ MARQUISE, à part.
Quelles cruelles peines ?
DORIMONT.
J'en ai mille au Japon, au Cap... '
LA COMTESSE.
Les porcelaines
Sont-elles sur un pied fort cher ?
I.A MARQUISE, à part.
Bon ! les voilà
Partis pour le Japon.
DORIMONT. à la Comtesse.
A l'égard de cela,
Selon la qualité. Celle que plus on vante
Est marquée au Dragon.
LA MARQUISE, le tirant par le bras.
Votre fille est absente!
Sera-ce pour longtemps ?
DORIMONT,
Ma foi, je n'en sais rien,
Autant qu'elle voudra. Mon plaisir est le sien.
11 suffit qu'elle soit en bonne compagnie,
Et que j'en sois instruit. Je n'ai pas la manie
De ces pères...
SCÈNE Vlll
LA MARQUISE, LA COMTESSE, DORIMONT, LISETTK.
LISETTE.
Madame, un nommé Briganlili,
Arrivé, m'a-t-il dit, d'un pays fort lointain,
COMEDIE. ÔOl
Voudrait vous présenter une Canadienne,
Qu'il dit être jolie.
DORIMONT.
Ah ! ah !
LA MARQUISE.
Dis-lui qu'il vienne.
(Lisette sort.)
(A part.)
Puisse mon fils, par lit, guérir de son erreur !
LA COMTESSE.
Nous allons donc la voir ! Je l'attends de bon cœur.
Doriniont, ce pays vous est connu, sans doute?
DORIMONT.
(a part.)
Comme mon cabinet... Ce détail me déroute.
Ai-je bien été là ?
LA COMTESSE.
Comment les habitants
Sont-ils mis, à peu prés ?
DORIMONT, hésitant.
Je parle de longtemps
LA COMTESSE.
Vous vous ressouvenez du moins de leurs manières,
Et des femmes surtout ?
DORIMOXT, embarrassé.
Elles sont... singulières...
De si loin, la mémoire échappe volontiers.
LA COMTESSE.
Et les hommes sont-ils'...
392 LA CANADIENNE.
PORIMONT, flii'iTlinnt.
Mais... ils sont singuliors..
Ayant l'air... par ma foi... Je ne sais trop vous dire.
Les gens sont plus aisés à voir, qu'à les décrire...
(A part.)
Ouais! aurais-je oublié d'y faire un .tour? oui-dà ..
LA MARQUISE.
Je le croirais assez.
DORIMONT.
Justement, m'y voilà...
LA COMTESSE.
Vous me faites plaisir En portraits il excelle
Vous vous rappelez donc ?
DORIMONT.
Ma foi, je me rappelle. .
Que c'est le seul climat où je n'ai point été.
On peut dédommager la curiosité.
Par un trait historique... Un jour...
SCÈNE IX
LA MARQUISE, LA COMTESSE, DORIMONT, JULIE (sous le nom
Ho Zinca), LISETTE, BRIGANTIN.
LA COMTESSE.
iVh!
DORIMONT.
Ah!
BRIGANTIN, A la marquise, lui préseiitanl Zinca.
jMadaino
Veut-elle se charger?...
COMEDIE. 39:.
LA MARQUISE,
Oui, de tout mon âme,
BRIGANTIN .
Cette aimable personne a précédé d'un jour
Deux parents qu'une affaire appelait à la Cour.
Peut-être dès ce soir les verrez-vous paraître.
LA MARQUISE.
Ils seront tous reçus, ainsi qu'ils doivent l'être.
LA COMTESSE.
Elle est fort bien !
LA MARQUISE.
Charmante!...
DORIMONT, l'ayant examinée avec des lunolles.
Et surtout du profd!
Voyez...
LA COMTESSE.
Oui, c'est plaisant? mais cela parle-t-il?
(A Dorimont*.
Vous savez cette Inngue?
DORIMONT.
Oh ! j'en sais quinze ou seize,
La sienne faiblement. Pour la mettre à son aise.
D'abord en bon français je vais l'interroger.
(A Zinca.)
Bonjour, charmant objet! Dans votre air étranger
On voit je ne sais quoi de doux et d'agréable.
(Zinca paraît étonnée.)
(D'un ton plus élevé.)
Bonjour, charmant objel ! Hem ! l'Iaît-il ? Mais que diable!
394 LA CANADIENNE.
(Plus haut.)
Elle ne répond pas. Bonjour, objet charmant !
Réponds donc, si lu veux.
(Zinca prend un air offi-ayé.)
L\ MARQUISE.
Ce n'est pas en criant,
Qu'elle vous entendra. Cette Canadienne
Ignore notre langue. Eh ! parlez-lui la sienne,
Puisque vous la savez.
DORIMONT.
(Il interroge Zinca.)
Volontiers. Belleti.
Ici vous crédati in poco perdati !
(il crie.)
Plaît- il?... Répondati.
(Zmca paraît avoir peur.)
LA MARQUISE.
Vous lui cassez la tête.
Entend-elle cela?
DORIMONT.
Je la croyais moins bête.
LA COMTESSE.
Il lui parle pourtant de toutes les façons.
DOUIMONT, à la marquise.
Le marchand, quel qu'il soit, est un vendeur d'oisons.
BRIGANTIN.
Monsieur, connaissez mieux...
DORIMONT.
Un oiseau sans ramage.
Et cela, ce n'est qu'un. Sans tarder davantage,
Il faut vous en défaire.
COMEDIE. 595
LA MARQUISE.
Allez chercher mon fils.
(Lisette sort et rentre aussitôt.)
Si monsieur Briganlin veut bien qu'en ce logis
Elle passe le jour...
BRIGANTIN.
Madame est la maîtresse :
Mais je dois l'avertir qu'en vain Monsieur la presbe
De répondre,
DORIMONT.
Pourquoi?
URIGANTIN.
Soit chagrin, soit dégoût,
Soit accident, Zinca ne parle point du tout.
(n sort.)
DORIMONT.
Je le savais bien, moi ; cette espèce est muette.
(U rit.)
Je vous fais compliment sur votre bonne emplette.
LA MARQUISE.
Ses yeux sont expressifs.
DORIMONT.
Il me^faut du caquet :
J'en donnerais, morbleu, cent pour un perroquet^
Belle qui ne dit mot, n'est qu'une belle idole.
LA MARQUISE.
Mais l'âme..*
DORIMONT.
Oh ! selon moi l'àme est dans la parole*
C'est pourquoi je soutiens...
3% LA CANADIENNE.
SCÈNE X
LA MAKOUISl!], LA COMTESSE, DOllIMONT, JULIE, LE
CHEVALIER, LISETTE, FROISTIN.
LA MAItQUlSE.
Approchez, chevalier.
Voyez comme je sers votre goût suigulier.
Voici l'ohjet qu'enfin j'ai fait venir en France.
Le réel a suivi de près votre espérance.
Sa taille et sa beauté vous surprennent déjà.
(Peudaut CL'tle scùno le Cliovalior admire Ziiiea avec une
atleiUion extrême.)
DORIMOM.
Oh! ho! quoi! c'est pour lui que vous prenez cela?
I,A COMTESSE.
Oui.
DORIMONT.
Quel conte !
LA COMTESSE.
D'honneur.
DOUIMONÏ.
Ail ! la bonne lolie !
Je' vous quitte un inouient, pour écrire à Julie ;
(Au Chevalier.)
Et je vais lui marquer ton goût pour les tableaux,
Monsieur l'original! Vas...
LA COMTESSE
11 est à propos
Que vous soyez instruit du fond de l'aventure.
COMEDIE. 397
Une prédiction qui me parait très-sûre,
Veut que pour son bonheur il devienne amoureux
DORIMONT.
D'un être inanimé! Sa façon d'être heureux
N'a pas le sens commun. Morbleu, vive ma fille!
Il n'en était pas digne. Elle cause, babille. .
LISETTE.
Elle a de qui tenir.
DORIMONT.
Ensemble ils seront bien.
LA COMTESSE. •
En un mot, c'est son goût.
DOP,IMO^T.
Oh ! chacun a le sien.
Mais je voudrais savoir...
LA COMTESSE.
Si vous voulez me suivre,
Vous saurez le détail...
LA MARQUISE, i Lisette.
A tes soins je la livre :
Ne quille point ses pas.
DORIMONT, raillant ilo loin le Cliovalier.
Mais voyez donc son air!
LA MARQUISE,
Laissons-les un moment.
DORIMONT, sortant avec la n)ar(|uise et la comtesse.
l'rends courage, mon lier.
L'atelier d'un sculpteur l'en offrira bien d'autres.
(Ils s'en vont.)
25
o98 LA CAlNADIENiNE.
SCÈNE XI
LISETTE, LE ClIEVALIElî, ZIIS'CA, FROiNTIN.
l'UONTIN, au Clicvalior, (jui est restû en oxlasc.
l'our peu que ses discours soient semblables aux vôtres,
Vous n'épuiserez pas la conversation.
LISETTE.
Tais-toi; ne trouble point sa contemplation.
La belle est d'un pays où pour toute éloquence,
On ne dit rien du tout; et c'est en conséquence,
Que ton maître se l'orme.
LE CHEVALIER, avec traiisimit.
Oui, j'en suis enchanté!
LISETTE.
Ses progrès sont bien courts.
LE CHEVALIER.
Une divinité,
Comparée à ses traits, perdrait au parallèle.
Quelle taille ! quels yeux !
LISETTE, à Frontiii.
La trouves-tu si belle?
FRONTIN.
Ma loi, tout doucement. Sans aller loin, je crois
Que l'on pourrait trouver d'aussi jolis minois.
LISETTE.
Je m'en llatte, et j'en sais à qui l'on rend les armes.
FRONTIN.
Tu fais tout bonnement les honneurs de tes charmes.
LISETTE.
Je ne dis rien de trop.
COMEDIE. 500
LE CHEVALIER.
Comment la nomme-t-on,
Lisette ?
LISETTE.
Zing... Ziiicii.
LE CHEVALILK.
Zinca ! le joli nom !
LISETTE.
Le nom y t'ait beaucoup !
LE CHEVALIEU.
Zinca, je vous adore.
(Zinca paraît surprise.)
Sur mon étoile, liélas! mon goût l'emporte encore.
Elle ne répond pas !
FRONTIX.
Parbleu, je le crois bien.
On en est dispensé, lorsque l'on n'entend rien.
LE CHEVALlEll.
lElle pat'ait sérieuse.)
Zinca ? Quel sérieux ! Je lui déplais, peut-être ï
FnONTIN.
Lui déplaire ! ho que non ! Mais tenez, mon cher inaitre.
Vous vous y prenez mal. Tiens, Lisette, aide-moi.
Uls lui font tics mines grotesques, dont Ziuca parait s"ol'l'enser.)
Chit, chit !
LISETIE.
Chil, chit !
FRO.NTIX:
llem !
400 LA CANADIENNE.
LlSliTTE.
Ilrni !
Kilo boikie ! ma loi.
FHOMIN.
Pour les bons procédés, c'est être trop cruelle.
Lli CHEVALIER.
Ne l;i cliiigriue pas. Mon bonheur dépend d'elle.
Comnienl peindre à ses yeux toute ma passion ?
(Il lui l'iiit (les sigiips Icrulros et passionnes. Elle a l'air élonnc.)
Que je suis ma'adroit ! Lisette, aide-moi donc.
LISETTE.
Moi ! quêter de l'amour 1
LE CHEVALIER.
Tu vois les circonstances.
LISETTE.
Je veux agir pour moi, quand je fais des avances.
LE CHEVALIER.
Et toi, Frontin?
FRONTIS, se carrant.
Monsieur, le plus joli minois
N'a jamais eu l'honneur de me braver deux fois.
Chacun saît ce qu'il vaut.
LE CHEVALIER.
Eh bien ! je veux lui dire,
Qu'elle m'entende ou non, tout ce qu'elle m'iusitire.
Oui, charmante Zinca, je ne vis que pour vous.
Le destin l'a prédit. Que ce destin m'est doux !
Il est justifié par mon ardeur extrême.
Je vous adore. Hélas ! dites-moi : je vous aime.
Je vous aime, est un mot facile à prononcer.
L'amour seul l'inventa Mais pouniuoi vous presser
COMÉDIE. 401
De répondre à mes vœux? Vous ne pouvez m'enlenJre.
Ah! du moins sans parler, un ca'ur sen>il)le et tendre
(Zinca a les yeux Ijaissés.)
liépond par les regards. Zinea, que vos beaux yeux
île dédommagent donc d'un silence odieux.
Piien qu'un regard, un seul. Que faut-il que je fasse?
Il se joUe à ses genoux.)
Faut-il à vos genoux demander celte grâce ?
Zinca, vous m'y voyez ; et j'attends, en tremblant,
(Zinca parait effrayée, el ensuite contrefait un rire baroque.)
Mon arrêt Vous riez! quoi! d'un rire accablant
Vous payez mon amour? Vous êtes une ingrate,
Plus cruelle cent fois En vain ma plainte éclate;
Elle ne m'entend pas. Que je Kiis malheureux !
(Avec emportement.)
Fronlin! Frontin!
FROXTIX, tout tremblant.
Monsieur!
LE CHEVALIER.
Dis-lui donc, si tu veux,
Qu'elle a le plus grand tort.
FROXTLN .
Que diable lui dirais-je?
LE CHEVALIER, à Lisette.
Mais, toi, fais-lui sentir...
LISETTE.
Après vous, que ferais-je?
LE CHEVALIER.
Mais fais la convenir qu'elle a conçu pour moi
La haine ou le mépris le plus affreux.
W> LA CANADIENÎSK.
I.ISKTTK.
Ma foi,
Vous le mériteriez. Iiiioiniao l'orl raisonnable,
Vous voilà devenu le plus imimrdonuable,
Pour ne pas dire fou : cela par l'ascendant
Que prend sur votre cu'ur un être morfondant,
Oui n'a pour tout talent que la bégueulerie.
LE CHKVALIEn.
Ton insolent discours passe la raillerie.
Apprends que la sagesse unie à la beauté...
FRONTIN.
La sagesse... est de trop, monsieur, en vérité.
Pour belle, on peut le voir. La physionomie
Est faite pour cela. Mais l'autre point se nie,
Faute d'être aperçu.
LE CIIEVALUCP..
Sa pudeur est témoin
Qu'en son climat...
FRONTIN.
A beau mentir qui vient de loin.
LE CHEVALIER, lui donnaiil un coup de son chapeau sur l'oreille.
Vous êtes un maraud. Offenser ce que j'aime,
C'est m'outrager Zinca, pour mon bonheur suprême,
(Zinca fait un mouvement d'impatience,
et parait vouloir sortir).
Puis-je espérer qu'un jour... Quoi ! vous voulez me fuir'.'
Je vois trop à quel point vous voulez me haïr..
Je vous suis odieux ! Quoi ! je lui sacrifie
Tout, en me refusant à l'aimable Julie,
Pour être dédaigné ? Sortons. Non, je ne puis
Me soulliir plus longtemps dans l'état oi'i je suis.
(Il sort avec Fiontiu.)
COMEDIE. 403
SCÈNE XII
JLLIE, sous le nom de Zinca, LISETTE.
LISETTE.
Le voilà bien puni de sa bizarrerie ;
Et c'est, ma foi, bien fait. Mais quelle fantaisie
Engage ma maîtresse à vouloir m'employer
Auprès de cette idole? Oh ! je vais m'ennuyer.
JULIE.
Lisette ?
LISETTE, effrayée.
Juste ciel ! au secours !
JULIE.
Viens, Lisette.
LISETTE.
Vous parlez?
JULIE.
Sans avoir besoin d'un interprète,
11 est bien singulier que ce déguisement
Voile aux yeux de chacun Julie.
LISETTE, l'ayant examinée.
Eh ! oui vraiment...
(Elle balance.)
Mais non... oui... non... si fait. A présent je le gage.
Voyez comme le rouge accommode un visage !
Vous nen mettiez jamais. Cet art officieux,
De bien que vous étiez, vous rend quatre fois mieux.
Mais quel sujet ainsi vous a donc travestie?
il)'» LA CANADIENNE.
jui.ii:.
[gnorant le dessein, ou pliilôl la inauio
Du pauvre chevalier, mon père, ainsi que moi,
Fut reçu dans ces lieux, et tu sais bien pourquoi.
On me fit voir d'abord le fils de la marquise,
Comme devant un jour, en épouse soumise,
Elre à lui pour jamais. Tu connais ce qu'il vaut.
Son mérile, ses mœurs, m'encliaîiièrent bientôt.
11 m'était ordonné de l'aimer. Ali, Lisette !
Comme j'obéissais! Mais hélas ! ma défaite,
Loin de produire en lui le même sentiment,
Semblait l'en détourner. Ju^je de mon tourment.
J'allai cacher mes pleurs dans le sein de sa mère,
A qui par mille soins j'ai su me rendre chère.
Son but, en approuvant le penchant que j'ai pris,
Était de triompher de l'erreur de son fils.
Vain espoir! Elle a cru que, par ce stralagème.
Cet amant deviendrait la dupe de lui-même.
Voilà tout le sujet de ce déguisement.
C'o.'^t elle qui le veut, et l'amour y consent.
LISETTE.
Comme vous dégoisez ! Pendant votre silence.
Vous avez amassé ce torrent d'éloquence.
11 prend fort l)ien son cours!
JULIE.
Il me coule bien cher.
Votre voyage enfin.
JULIE.
Est un vovage en l'air
COMEDIE. 405
LISETTE.
Mais quel est est votre but?
JULIE.
Mon unique espérance
Est de plaire, ou du moins tenter, par mon silence
Et ma stupidité, de le pousser à bout.
Et le guérir enfin de son bizarre goût.
Que j'ai plaint son tourment ! que j'ai souffert moi-même,
De ne pouvoir tantôt dire ce je vous aime,
Qu'il m'a tant demandé ! Mon cœur en palpitait.
Que dis-je? hélas! tout bas il le lui répétait.
Qu'il en coûte, en aimant, pour feindre d'être ingrate !
LISETTE.
Oui. Mais malgré l'espoir dont votre âme se flatte,
Si monsieur votre père, entendant peu raison,
Prenait mal ce détour ?. . .
JULIE.
Je le connais si bon...
LISETTE.
Oui, j'en conviens.
JULIE.
11 m'aime avec tant de tendresse,
Que, si quelque succès couronne ma faiblesse.
Il sera le premier comblé de mon bonheur.
Mais si le chevalier, constant dans son erreur,
Rendait à tous égards ma démarche inutile,
Alors, Lisette, alors choisissant pour asile
f^e couvent ..
LISETTE.
Le couvent ! Quoi donc ! jusqu'à ce point
Vous poussez le roman ! Mais vous n'y pensez point.
23.
-UK) F; A CANADIKNNE.
Jugez-vous un peu mieux ; failes-vous quelque grâce.
Si par un coup du sort j'étais à votre place,
Avec ce que je sais, je vous suis caution,
Que plus de vingt seigneurs me feraient bien raison
Do la froideur d'un seul. Ils veulent qu'on les mène;
Et de les bien mener on n'est [jamais en peine.
Lorsque l'on sait tromper.
JULIE.
Tromper !
LISETTE.
Il le faut bien.
C'est un remède sûr. On n'en fait jamais rien
Sans cela,
JILIE.
Je ne puis. Allons trouver sa mère.
Ses conseils guideront tout ce que je dois faire.
LISETTE.
Le plaisant attirail ! C'est elle, je le vois.
J'en douterais encor sans le son de sa voix.
SCÈNE XIII
LE CHEVALIER, FfiOiMLN.
(Le chevalier courant comme un fou.)
FRONTIN, le suivant.
Mais que diable, monsieur ! quel est donc ce délire ?
Vous allez, vous venez, vous restez sans rien dire.
(Le chevalior, s'arrrto, soupire, parle bas, et jresticule.)
Vous soupirez tout haut, et tout bas vous parlez.
Vous restez immobile, et vous gesticulez.
COMEDIE. 407
Tenez, ma foi, j"ai peur., et si cela redouble,
Je n'y pourrai tenir.
LE CHEVALIER marche encore pendant cette
tirade, et Frontin le suit.
Ah ! Frontin ! dans quel trouble
Je suis ! Être amoureux, et n'être point aimé,
Regretter l'autre objet dont j'étais estimé,
N'adorer que Zmca, ne plaindre que Julie,
Dont l'absence cruelle afflige encor ma ma vie,
Quel élat! quel état!
FRONTIN, à part.
11 faudra le lier.
(Haut.)
Il est vrai que cela me paraît singulier.
LE CHEVALIER.
Singulier! point du tout. Rien de plus ordinaire,
Que de voir parmi nous une jeune étrangère,
Ignorant le français.
FRONTIN, à part.
Il extravague un peu.
Quelle tête !
LE CHEVALIER, rêvant.
Le sort de moi se fait un jeu.
Toi-même, conçois-tu mon étoile bizarre ?
Qu'en dis-tu ?j
FRONTIN.";
Moi, je dis qu'elle n'est pas si rare ;
Et j'en ai pour témoin les petites maisons.
Dont vous prenez la route.
LE CHEVALIER.
Écoute mes misons.
408 LA CANADIENNE.
FRONTIN, l'écoutant ntlentivemcrtl.
Oui, monsieur.
LE CHEVALIKIl n'inédiit un instant sans parler ;
ensuite il dit avec violence :
l'arle donc, parle donc... (Bas.) Je m'tîgare.
FKONTIN, (effrayé.)
Oiioi ! quoi ! monsieur ! Eh bien ! oui, le penchant bizarre
Qui l'ait que votre étoile... est un sort... du destin.
Dont... Je m'embrouille aussi... De manière qu'enfin...
Pour trop vous imiter, monsieur, je déraisonne.
LE CHEVALIEU.
Ce qui m'arrive ici n'a donc rien qui t'étonne !
Mets-toi pour un moment à ma place. Comment
Pourrais-tu supporter un silence assommant?
Ce souvenir cruel ne sert qu'à me confondre.
Tu diras à cela qu'elle ne peut répondre.
Belles raisons ! la bouche articule des mots,
Quelque étranges qu'ils soient. Fussent-ils ostrogoths,
Je les eusse entendus. L'Amour sert d'mterpréte :
Il n'est point d'idiome, à qui ce Dieu ne prête
La plus forte énergie.
FRONTIN.
Il est vrai.
LE CHEVALIER.
Mais Zinca
Ne parle point du tout. Que dis-tu de cela?
FRONTIN.
Ce que je dis? je dis, ou du moins j'imagine
Avoir entendu dire...
LE CHEVALIER.
Eh bien ! tjuoi ?
COMEDIE. 409
FRONTIN.
Qu'à la Chine,
A dessein d'empêcher les femmes de courir,
On leur brisait les pieds, sans pouvoir les guérir.
LE CHEVALItR.
Mais quel rapport, dis-moi ?...
FROINTIN.
Voici ma conséquence.
Par la même raison, tout uniment je pense
Que l'on pourrait fort bien aux lilles de Québec
Faire aussi quelque tour, pour leur clore le bec.
Qu'en pensez-vous, monsieur?
LE ClIEVALIEn, indigné.
Qu'il faut être imbécile,
Pour tenir un propos aussi plat qu'inutile !
Va-t-en.
FRJ.NTIN.
Vous vous tâchez !
LE CHEVALIER.
Sors.
FRONTIN.
Pourquoi m'en aller ?
Au diable soit l'amour ! on ne peut pUis parler.
Je m'enfuis.
LE CHEVALIER.
Non, Frontin. La raison est fort sage,
Et ne me choque plus.
FRONTIN
Ah, monsieur! quel dommage
Que vous n'écoutie? pag celle qqe vous avez !
410 LA CANADIENNE.
l.r. ciiEVAl.lEr., n'vnnl.
Je trouve... quo.,. Zinca...
FRONTIN.
Kh bien ! vous lui trouvez?.
l.E CHEVAMEU,
Avec notre Julie un air de ressemblance.
FRONTIN.
Bon ! vous n y pensez pas.
I.E CHEVALIEK.
Quelque faible nuance...
FRONTIN.
C'est le jour et la nuit. Tenez, voici le fait.
Je crois que votre idée a tout l'air d'un regret.
LE CHEVALIER. *
Oui; mais j'aime Zinca. Voilà ce qui me tue.
FROSTIN.
Quel plaisir aurez-vous avec une statue ?
C'est de l'amour perdu.
LE CHEVALIER.
Je voudrais l'étouffer.
FRONTIN.
La marquise s'avance.
LE CHEVALIER.
Elle va triompher.
SCÈNE XIV
LA MARQUISE, LE CHEVALIER, FRONTLN.
LA MARQUISE.
Quoi 1 lorsque tout concourt à remplir votre envie,
Que tout sert votre cœur, ce même cœur s'oublie.
COMÉDIE. 4H
Et néglige l'objet dont il est possédé !
Que veut dire, monsieur, un pareil procédé ?
LE CHEVALIEU, eml)arra=5Ô.
Mais, ma mère, l'amour n'en est pas moins le même,
Pour n'être pas toujours auprès de ce qu'on aime.
I,A MAP.QUISE.
Quand l'amour est bien vif, ii agit autrement.
LE CHEVALIER, d'un air encore plus embarrassé.
On ne se connaît pas toujours parfaitement.
On fait de vains projets... l'utile expérience
Vient les anéantir... Ce n'est pas que je pense
Que Zinca ne pourrait faire un jour mon bonheur.
(Avec chaleur.)
Mais la figure seule est bien peu pour un cœur.
rP.O.MlN.
Sans doute, et je soutiens que dans le mariage
Il n'est pas suffisant de parler au visage,
Et que, pour le bonheur de la société,
Il faut bien que chacun tâche, de son côté,
D'ajouter...
LA MARQIISE.
C'est assez ; du reste fais-nous grâce...
Oui, je conviens, mon fils, que la beauté nous lasse,
Si ses traits, soutenus des plus vifs agréments,
Ne savent point servir de cadre sux sentiments.
LE CHEVALIER.
Eh ! voilà ma raison.
LA MARQUISE.
Sachons par quel augure
Vous jugez que Zinca n'a que de la figure,
Et ne possède pas un mérite réel ?
412 LA CANADIENNE.
LE CHEVALIER.
Oh ! si je l'entendais il serait naturel
De croire à son mérite...
LA MARQUISE.
il faut bien, pour l'entendre,
Qu'elle apprenne à parler français.
LE CHEVALIER.
Elle ! l'apprendre !
Apprendre le français ! Non, madame, jamais.
LA MARQUISE.
Vous le lui montrerez.
LE CHEVALIER.
Pour faire des progrés.
De ce genre surtout, il faut que l'écoliére
Commence par sentir que l'on cherche à lui plaire,
Qu'un souris marque au moins sa bonne volonté :
Mais, pour l'amener lu, je suis trop détesté.
LA MARQUISE.
Quel garant, quelle preuve avez-vous de sa haine?
LE CHEVALIER.
Le plaisir qu'elle a pris à jouir de ma peine.
Je tombe à ses genoux ; mes feux passionnés
N'exigent qu'un regard. Non ; on me rit au nez.
FROiSTliN.
Cela n'est pas poli, je crois.
LA MARQUISE.
Allez, sa flamme
Peut-être avec le temps pourra naître...
LE CHEVALIER, riiileiTOiiipaiil.
Madame,
Quand revient donc Julie ?
COMEDIE.
LA MARQUISE.
A quel propos, mon fils,
Mo parler d'un objel, qui, voyant vos mépris,
S'en venge, en vous fuyant ? Et j'eusse agi comme elle.
LE CIIEVAl.IEP..
Qui? moi! la mépriser! Julie est sage, belle.
Sa vertu, ses talents ont toujours eu sur moi
Tous les droits de l'estime et même...
LA MARQUISE.
J'aperçoi
Zinca. Songez-y bien, ensemble, je vous laisse :
N'allez pas désormais réclamer ma faiblesse,
Je n'en veux plus avoir.
LE CHEVALIER.
Mais si Julie...
LA MARQUISE.
Adieu.
Elle a rompu. Zinca doit vous en tenir lieu.
(à part.)
Puisse-t-elle achever de le rendre à lui-mênie 1
(Elle snrl.'
SCÈNE XV
LE CHEVALIER, JULIE, (sous k nom .le Zinca.)
LISETTE, FRONTIN.
FRONTIX.
Ce devin, quel qu'il fut, savait fort bien son thème ;
Car sa prédiction se soutient jusqu'au bout.
C'est le diable !
414 LA CANADIENNE.
LE CHEVALIER, revenu de s;i confii'iion.
Zinca, tenez-moi lieu do tout.
Oui, faites que j'oublie, en vous voyant si belle,
Un objet qui, depuis son absence cruelle,
A laissé dans mon cœur de quoi vous balancer.
Hélas ! par vos dédains vous m'y laites penser.
0 ma cbère Julie ! en vain je vous appelle.
(Zinca le regarde tcndremciil, et seml)le être prête à se f.i ire connaître.)
LE CHEVALIER, transporté.
Quel regard ! non, Zinca je vous serai fidèle :
Je n'aimerai que vous ; je vous en fois serment.
Ah ! j'ai nommé Julie involontairement.
(Zinca le regarde avec indignation, et se retourne avec colère, j
LE CHEVALIER.
Mais quel air courroucé ! Vous évitez ma vue !
Julie, enm'écoutanf, serait peut-être émue.
Quoi! lorsque je suis prêt à la sacrifier...
Quel sacrifice, ô ciel !
LISETTE.
C'est trop l'humilier.
FRONTIN.
Parbleu, mademoiselle, on a beau savoir plaire;
On ne plaît qu'à demi, sans un bon caractère.
LE CHEVALIER, passionnément.
Regardez-moi, du moins.
(Zinca passe avec précipitation du côté de Lisette.)
LE CHEVALIER.
Ingrate, c'en est fait.
Oui, je renonce à vous.
FRONTIN.
bon! voih'i parler net.
COMÉDIE. 415
I.E CIIEVAMER.
Voilà ce qu'il fallait, pour guérir ma folie
Solle prédiction, lu m\is ravi Julie!
Jusqu'au fond de mon cœur que ne peut-elle voir?
Hélas ! il n'est plus temps.
SCÈNE XYl
L.\ MARQUISE, L\ COMTESSE, ZINC.\, DORIMONT,
BRIGANTIN, FRONTIN, LISETTE.
LA MARQUISE.
Mon fils, je viens savoir
Si relativement au nœud qui vous engage,
Je pourrrai sur Zinca, sur votre mariage.
En termes positifs, répondre à ses parents.
LE CHEVALIER.
Qui? moi ! me marier!
LA JIxVRQUISE.
Ce soir je les attends.
LE CHEVALlEI'i.
Madame... on les verra.
LA MARQUISE.
Quel accueil leur ferai-je?
LE CHEVALIER.
Celui que vous voudrez.
LA MARQUISE.
Enlin que leur dirai-je?
LE CHEVALIER.
Que je suis hors de moi.
■il 11 l,.\ CVNVniKNM:.
FIIDMIN.
Tenez, sans lanl lonmt^r,
Madame ces mossienrs pourront s'en retourner :
Celle belle, ainsi qu'eux, perdant son élalage,
On peut leur soiiliaitcr à tous un bon voyage.
1)0 lU. MO. NT.
Oli ! oh! je savais bien, moi, qu'il n'y tiendrait pas.
11 a, parbleu, raison. Le premier des appas
11 montre sa l)nuclie.
Est... la langue.
I-A Jl.vriQUISE, au Clicvalier.
Parlez.
DliRIMONÏ.
Que voulez-vous qu'il dise?
Le voilà dégoûté de cette marchandise,
Et je l'aurais gagé. Bon! rien n'est si trompeur.
11 m'est arrivé, moi...
lA MARQUISE.
Permettez-moi, monsieur,
D'interrompre un inomenl le fil de votre histoire,
LA COMTESSE, à Dorinionl.
Etait-ce loin d'ici?
DORIMONT.
Si j'ai bonne mémoire...
C'était...
LA MARQUISE, au Chevalier.
Décidez-vous, mon fils, etpromptement.
LE CHEV.ALIER, pénétré.
Je me repens si fort de mon égarement,
Et des travers affreux où l'erreur nous entraîne,
Que j'en reste confus.
COMEDIE. 417
DORIMONT.
Oh! c'est la faute.
LE CHEVALIER.
A peine.
J'ose lever les yeux sur Dorimonl.
IlORIMONT.
Pourquoi?
LE ClIEVALUOn.
Cependant mon bonheur dépend de lui.
DORIMOM.
De moi ?
LE CHEVALIER.
Ilélas! si j'ai besoin d'un secours, c'est du vôtre;
Je suis perdu, sans vous.
DORIJIONT.
En voilà bien d'une autre !
Eh ! mais ne crois-tu pas que je vais bonnement
Partir pour te chercher une femme?... Comment !
Mais je vous dis!... Enlin, sais-lu (jue ta folie
Ne me va pas?...
LE CHEVALIER.
Monsieur, il s'agit de Julie.
Ma mère, appuyez-moi. Je me jette à vos pieds.
Engagez Dorimonl, parlez, pressez, priez...
LA MARQUISE.
Que puis-je faire ?
LE CHEVALIER.
Hélas! faites donc que j'obtienne
Ma grâce.
Ils LA CANADIENNE.
IIORIMOM.
Crois-lu donc ([ne iiki lillc aille, vienne,
Comme cela! mais, mais. ..
l.K CHEVALIER.
Monsieur, écrivez-lui.
C'est dans votre bonté que je cherche un appui.
Votre cœur est trop bon, pour être inexorable.
Je vous en prie, au nom d'une lille adorable,
Qui cause mon amour, mes chagrins, mes remords.
Donnez-moi le moyen de réparer mes torts.
Monsieur !...
DORIMONT, atlendri.
Ce morveux-là m'arracherait des larmes,
Si je ne me tenais à quatre Tu me charmes.
Va, soit. Mais si ma fille, écoutant la fierté,
A son tour s'opposait à ta l'éhcité....
JULIE.
Non, mon père, ma main seconde votre envie.
D0RI.M0M.
Quoi! morbleu, cela parle?
LA MARQUISE.
Embrassez-moi, Julie.
LE CHEVALIER, lui baisant la main.
0 ma chère Julie ! à peine je soutiens
Cet instant.
LA COMTESSE, l'ayant examinée.
Oui, c'est elle; on la reconnaît bien.
FRONTIN.
Mais, qui diable l'aurait connue à son silence?
Môme je doute encor. ..
COMEDIE. 419
JULIE.
Perdant toute espérance
De plaire au chevalier, si pour flatter sou yoùt,
Je ne me Iransformais...
LE CHEVALIER.
Hélas 1 je vous dois tout,
JULIE.
Vous ne ine devez rien, puisque je suis contente.
(Souriant.)
Si le devin voulait que je fusse inconstante,
Il faudrait pourtant l'être...
LE CHEVALIER.
Ah ! Ne m'accablez pas.
Mon cœur désabusé ne croit qu'à vos appas.
Je sens tous vos bienfaits, adorable Julie,
Mon bonheur et la lin de ma bizarrerie
Sont l'ouvrage parfait de votre amour !
Le mien peut-il jamais vous...
DORIMOXr.
Me jouer ce tour !
Point d'hymen, s'il vous plait. Madame la marquise,
On m'en a fait accroire, et Ton vous a surprise.
Ensemble vengeons-nous.
JULIE.
Hélas! Je meurs d'effroi.
LA MARQUISE.
Et de qui vous venger? vengez -vous donc de moi.
De ce qui s'est passé seule je suis coupable.
J'ai tout conduit, monsieur,
LORIMO.M, encliiiiilé,
Vous êtes admirable !
420 LA CANADIENNE.
(jiH! lie ])nrlit>z-voii.s donc?... Ma fille, embrasse- moi.
l'arbleii, préscnlonieiil on voit bien que c'est toi.
(iSiaiit.)
Je lie l'ai pas remise. Aussi, dans les voyages,
On parle à tant de monde, on voit tant dévisages!...
A propos de visage, ôte ce rouge-là.
Je veux que tu sois toi... Quand je fus à Goa...
LA MAUQLISU.
Ne peut-on pas ce soir savoir cette aventure?
DOUI,MO.NT.
Oui... J'en ajouterai cinquante, je vous jure.
Moi, quand je n'en sais point, sur le champ je les lais.
LA MARQUISE.
Allons, mes chers enfants. . Ma sœur, de tels effets
Prouvent que les sorciers n'ont rien qui se soutienne.
LA COMTESSK.
Mais ma nièce à présent est en Canadienne.
LA MARQUISE.
A propos de cela, sachant bien que mon (ils
Céderait.... Vous allez être au fait du pays,
Des fêles qu'on y donne, et do leurs mariages ;
Partons. Combien de gens pourraient devenir sages,
S'ils voulaient concevoir que souvent le bonheur
Dépend de revenir d'une fatale erreur !
FIN.
TABLE
Introduction. — Notice sur la vie et les œuvres de Vadé,
par M. Julien Leincr 1
I.a pipe cassée 17
Les quatre bouquets poissards 55
Lettres de la Grenouillère 71
Lettre de Cadet Euslaclic 90
Les amants constants. 105
LpiTIiES 115
Fables: L'enfant et la poupée 127
— Le cai'rosse et le moulin à vent 128
— L'écolier et la f'Jrulc 129
— ~ L'âne et son maître 150
— Le singe, le lapin et le mouton 132
— Le joueur de gobelets et les villageois 135
— Les deux nageurs 135
— Le miroir de la vérité 15G
— Les deux serins 157
CuNTE : Le beurre 159
El'IGtiAMME 144,
Vers pour cire mis au bas d'une estampe représentant la
place Maubert 144
24
•i22 TAliLi; l»i;s MATIÈllES.
Lktthes : A une- demoiselle t(ui prenait pour lors les caiix
y l'assy liO
— De railleur à un de ses amis sur sa jolie façon
d'écrire 147
— l'"ray:Mient d'une letlre écrite par l'auteur à un
de ses amis à I'ari>. . 150
i.iianso.ns 155
Ampmigoijris 108
Opûr.AS COMIQUES : Le Poirier 177
— Les Troqueuis.. . 217
Jérosme et Fauchonnelle 235
Compliment de la ciùturc de la foire
— St-Laurent 207
— Les Racoleurs 275
— Le mauvais plaisant ou le drôle de corps. 525
Co.MKi)iii ; La Canadienne 575
e.vmS. — IMI'. SIMON l'.AÇO.N ET COMl'., litt II tl'.HJl/lll, 1
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Bibliothèques
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