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BIBLIOTHÈQUE
II ÉGYPTOLOGIQUE
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CONTENANT LES
■■- ŒIVRES DES EGYPTOLOGUES FRANÇAIS
dispersées dans divers Recueils
et qui n'out pa« encoi inies jusqu'à ce jour
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
G. MASPERO
Membre de l'Institut
Directeur d'éludés a l'Ecole pratique 'les Hautes Études
Professeur au Collège de France
TOME TRENTE-QUATRIÈME
E. LEFÉBURÉ
ŒUVRES DIVERSES
TOME PBEMIER
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P A K I S
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 23
1910
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BIBLIOTHÈQUE
ÉGYPTOLOGIQUE
TOME TRENTE-QUATRIÈME
CHALON-SUR-SAONE
IMPRIMERIE FRANÇAISE KT CtfUENTALE DE K. BERTRAND
BIBLIOTHÈQUE
ÉGYPTOLOGIQUE
CONTENANT LES
ŒUVRES DES ÉGYPTOLOGUES ERANÇAIS
dispersées dans divers Recueils
et qui n'ont pas encore été réunies jusqu'à ce jour
PUBLIEE SOUS LA DIRECTION DE
G. MASPERO
Membre de l'Institut
Directeur il'étmles à l'École pratique des Hautes Études
Professeur au Collège île France
TOME TRENTE-QUATRIÈME
E. LEFÉBURE
ŒUVRES DIVERSES
TOME PREMIER
P À R I S
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1910
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APR 2 0 1965
976030-
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PRESERVATION
TE.
E. LEFEBURE
ŒUVRES DIVERSES
TOME PREMIER
(Il \l ON-SUR-SAONE
IMPRIMERIE PRANi USI II ORIENTALE DE E. BERTRAND
E. LEFÉBURE
ŒUVRES DIVERSES
PUBLIEES PAR
G. MASPERO
Membre de l'Institut
Directeur d'études à l'École pratique des Hautes Etudes
Professeur au Collège de France
TOME PREMIER
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P A lt I S
EHNEST LEROUX. ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1910
NOTICE BIOGRAPHIQUE
D'EUGÈNE LEFÉBURE
Par Philippe VIREY
Eugène- Jean-Baptiste-Louis- Joseph Lefébure naquit le
11 novembre 1838, à Prunoy1, département de l'Yonne.
Ses parents2 avaient dans cette région des propriétés rurales;
dans une lettre à Chabas3, Lefébure parle d'une pièce de
monnaie antique que le fils d'un fermier de son père venait
de trouver en labourant une terre. Il fit d'excellentes études
classiques aux collèges d'Auxerre et de Sens. Les bulletins
de notes, adressés de ces collèges à sa famille, de 1850 à
1854, signalent son goût précoce pour les lettres anciennes
et modernes. Ses essais poétiques attiraient l'attention de
1. J'emprunte cette indication à la courte notice consacrée par Ernst
Andersson (Sphinx, XII, 1) à Eugène Lefébure, d'après des renseigne-
ments fournis par le Dr Maurice Lefébure, fils du savant ég3rptologue.
2. La famille de Lefébure descend du médecin Gui Patin (1601-
1672), qui fut, sous Louis XIV, doyen de la Faculté de Médecine de
Paris, et a laissé des lettres intéressantes pour l'histoire de son temps.
Charles Patin (1633-1693), fils de Gui Patin et professeur de médecine
comme son père, est surtout connu comme antiquaire, et a laissé de
nombreux mémoires sur des sujets de numismatique. Lefébure avait
fait une collection des ouvrages où il est question de ces deux ancêtres
de sa famille (indication fournie par le DT Lefébure).
3. Datée de Charny, Yonne, 10 juillet 1869.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. *
II NOTICE BIOGRAPHIQUE
ses professeurs. Il s'intéressait à l'étude des mœurs et des
religions de l'antiquité1. Sa correspondance montre com-
bien la littérature latine lui était familière; les lettres qu'il
m'écrivit pendant les dernières années de sa vie contiennent
de très heureuses citations, empruntées surtout à la poésie
latine. Il appréciait le charme de la littérature provençale;
ainsi le déterminatif -®~-, qui se joint quelquefois au groupe
hiéroglyphique a~p v\ t\ QA avaler, éveillait en lui le
souvenir de la jolie expression du poète Aubanel, mi grands
rue bevèire, « mes grands yeux buveurs »\ Il aimait
non seulement les poètes provençaux, mais tous les bons
poètes; par exemple, Thomas Moore, dont il essaya de
rendre en vers français Quelques Mélodies Irlandaises3.
Il fut très lié avec Henri Cazalis et Stéphane Mallarmé'.
Du reste, il n'avait pas cessé, depuis le collège, de s'exercer
dans la poésie française. Il avait fait paraître quatre ou cinq
pièces de vers dans le Parnasse contemporain, en 1866"; le
D' Lefébure a bien voulu me communiquer le manuscrit
d'un sonnet intitulé Le Sphinx de Memphis, daté du 15
juillet 1868. Sans indiquer une véritable vocation poétique,
ces essais sont intéressants comme témoignages du goût de
Lefébure pour les belles-lettres. Avec ces dispositions, il
fût sans doute devenu un excellent professeur d'humanités;
1. Indications fournies par M. le l)r Lefébure.
2. Lettre de Lefébure à Chabas, datée de Charny, Yonne, 20 juin 18tJ8,
Lefébure y parle do mot Vï$\ wk^V ° ''U' dU SC"S '"'"'''''
aurait passé au sens s'assimiler, connaître, comme nous disons s'assi-
miler une connaissance, et comme les Latins disaient bibere aure, pour
écouter avidement. Le déterminatif -®^, qui accompagne ce mol dans
le sens d'examiner, indiquerait alors que ce sont les yeux qui absorbent :
mi grands iue beoèire o mes grands yeux buveurs >>. dil un charmant
poète provençal, Aubanel. »
3. Brochure imprimée a Lyon, chez Pitrat, en 1879.
■1. Indication fournie par M. le IV Lefébure.
."). Voir la notice d'Krnst Andersson, Sphinx, XII, p. 3.
NOTICE BIOGRAPHIQUE III
et il aurait fallu, pour le bonheur de sa vie, qu'il se fût,
dès le commencement, dirigé dans cette voie, qu'il eût choisi
sans hésitation la carrière de l'enseignement qui lui conve-
nait si bien. En effet, quand, après bien des tâtonnements
et des vicissitudes, il fut entré clans l'enseignement supé-
rieur, il sut se faire aimer de ses élèves, et leur communi-
quer son goût et son zèle pour les études auxquelles il était
si sincèrement dévoué. Mais il n'avait pas, dit-on, l'esprit
pratique, qu'il aurait fallu pour continuer la tradition de sa
famille en cultivant et administrant le domaine paternel'.
Lefébure s'était marié jeune; mais il perdit bientôt sa
femme. Ce fut pour se distraire de son chagrin, en occu-
pant son esprit, qu'il se mit à l'étude des hiéroglyphes2. Il
était alors à Cannes, d'où il écrivit à Chabas le 5 mai 1867,
pour lui demander quelques conseils et le mettre au cou-
rant de ses premiers essais égyptologiques :
Monsieur,
Je pense quitter Cannes le 15 courant et passer à Chalon dans
la dernière quinzaine du mois ; je désirerais beaucoup avoir l'hon-
neur de vous y rencontrer
J'ai terminé l'analyse de presque tous les ouvrages que j'ai entre
1. M. Maspero m'écrivait aussi, le 12 mars 1910 : « Lefébure
n'était pas fait pour la vie active, et j'ai eu tort de l'y jeter. Mon
excuse est qu'au moment où je le proposai pour le Caire , je ne le con-
naissais que par correspondance. »
2. Lettre de Lefébure à Chabas, du 6 janvier 1869 : « Vous seriez bien
aimable de me donner l'adresse du jeune ingénieur dont vous me parlez,
et vers lequel je me sens attiré par une grande conformité de situation.
C'est en effet dans la même circonstance douloureuse que j'ai commencé
l'étude de l'égyptien ; mais je me trouve peut-être en ce moment, malgré
le peu de désir que j'en ai, sur le point de me remarier. » Lefébure ne
se remaria qu'en 1876 ; ses fils sont nés de ce second mariage.
Le jeune ingénieur dont il parle était M. Guieysse, qui chercha aussi
dans l'égyptologie un remède à une peine semblable, et fut, comme
Lefébure, disciple de Chabas.
IV NOTICE BIOGRAPHIQUE
les mains; malheureusement je n'ai pas encore reçu le Sharpe
Je n'ai pas reçu non plus les Acta Apostolorum ou le Psalterium
coptice, de sorte que j'ai dû me borner, pour l'étude du copte, à
lire la grammaire de Peyron. Du reste je l'aime mieux ainsi, et je
préfère, après m'ètre mis au courant de la science, étudier le copte
par simple besoin d'aller en avant; quant à présent c'est une
langue qui, par elle-même, me paraît assez difficile à aborder.
Les ouvrages que j'ai analysés cet hiver sont : le Voyage d'un
Égyptien et le Papyrus Harris\ d'où j'ai tiré un petit catalogue
de signes hiératiques, les Six Dynasties de M. de Rougé, l'His-
toire de Brugsch, vos premiers Mélanges et le Décret de Canope.
J'ai commencé tous mes vocabulaires. Je compte étudier encore,
avant de travailler véritablement par moi-même, la Géographie
et le Calendrier de Brugsch, deux ou trois mémoires de M. de
Rougé, vos seconds Mélanges, vos traductions de l'anglais ainsi
que vos travaux sur les papyrus et le Journal de Berlin. Je me
suis abonné à partir du mois de janvier à cette feuille qui parait
quelquefois, et j'y ai trouvé très intéressant le travail de M. Pleyte
sur les noms de nombre.
Je ne sais si vous me pardonnerez l'imprudence que j'ai com-
mise en traduisant un chapitre du Rituel. En me faisant admettre
dans la Société savante de mon département , je m'étais engagé
sans réfléchir à donner quelque chose pour le mois de juin : je
comptais m'en tirer p3r quelques généralités sur l'art égyptien;
mais la besogne m'ayant absorbé, je me suis trouvé réduit à
détacher des dix-sept premiers chapitres du Rituel, que j'avais
traduits pour moi, tant bien que mal, le quinzième chapitre, qui
m'a paru le plus facile. Je prends la liberté de vous envoyer cette
traduction informe8 fine je reprendrai à mon passage, pour que
vous avez la complaisance de me dire, en gros, si elle est présen-
table à peu près Le texte du Todtenbuch me paraît bien fautif;
aussi j'ai cessé, jusqu'à nouvel ordre, de l'étudier, craignant de
prendiv des erreurs pour des mots nouveaux. Je désire prendre
1. Il s'agil 'lu Papyrus magique Harris, publié el expliqué par
Chab
2. Ce travail, retouché d'après lea indications de Chabas, parai ru
1868; nous aurons l'occasion d'en reparler.
NOTICE BIOGRAPHIQUE V
votre avis sur ce point et sur beaucoup d'autres, quand j'aurai
l'honneur de vous voir
Y a-t-il, sur la ligne de Marseille à Paris, et de Cannes à Mar-
seille, des musées ou des collections à visiter?
Une blessure, que Lefébure reçut au pied au moment où
il se disposait à quitter Cannes1, l'obligea à prolonger un
peu son séjour dans cette ville et à modifier ses projets de
voyage. Le 14 juillet 1867 nous le retrouvons à Besancon,
d'où il écrivait à Chabas pour lui raconter sa visite au
musée de la ville, et lui soumettre ses observations sur le
cercueil de Sar-Amen. Il avait toujours l'intention d'aller
à Chalon-sur-Saône2. Nous ne savons pas s'il y réussit
alors ; dans tous les cas, il obtint les appréciations de Chabas
sur le mémoire qu'il lui avait envoyé. Il lui écrivait en
effet de Cliarny (Yonne), le 19 septembre 1867 :
Monsieur,
Je vous envoie ma traduction du chapitre xv du Todtenbuch,
refaite d'après vos indications, et d'après quelques fragments de
papyrus très mutilés qui m'ont été communiqués par M. Devéria
à la conservation du Louvre. Il parait que les premiers chapitres du
Rituel manquent presque complètement. Vous trouverez dans le petit
cahier de notes que j'ai mis dans le carton les quelques variantes
de sens et de forme que j'ai rencontrées. J'ai conservé provisoire-
ment pour le titre du Rituelle, traduction sortir au jour, parce que
j'ai remarqué certaines phrases qui me semblent confirmer cette
interprétation, et que d'un autre côté il ne me paraît pas impossible
que la préposition ^j\ suive le verbe J\ avec d'autres sens
que ex ou sicut Rien n'empêche de considérer C\
comme une locution adverbiale analogue à dans le jour, au jour,
pendant le jour, en plein jour, que nous joignons indifféremment
à tous les verbes
1. Lettre de Lefébure à Chabas, datée de Cannes, 31 mai 18137.
2. Lettre de Lefébure à Chabas, datée de Besançon, 17 juillet 1867.
VI NOTICE BIOGRAPHIQUE
Lefébure citait alors un très grand nombre d'exemples
bien choisis, accompagnés de bonnes raisons, à l'appui de son
interprétation nouvelle, qui a fini par prévaloir. Cependant,
avec la modestie qui convient à un débutant, il ajoutait :
Je ne sais si j'ai réussi à vous convaincre; peut-être renverserez -
vous d'un mot mon petit échafaudage de citations'
Si Chabas ne fut pas convaincu tout de suite, la conviction
devait venir un peu plus tard2. En attendant il trouva la
dissertation excellente, et laissa voir qu'il était flatté d'avoir
un disciple tel que Lefébure. Celui-ci refit alors la partie
de son travail relative au A^. en prenant pour mo-
dèle les discussions des seconds Mélanges égyptologiques,
et l'envoya à Chabas le 3 octobre 1867. Le 7 octobre il lui
écrivait de nouveau pour le remercier du bon accueil fait a
son mémoire :
Monsieur et cher maître,
Je suis bien content que ma dissertation ne vous paraisse pas
indigne d'être publiée : c'est la joie la plus vive et la plus inespérée
que j'aie ressentie dans ma petite carrière égyptologique, et je suis
bien plus fier de n'avoir pas déplu à un juge tel que vous, que vous
n'aurez à l'être (je le crains bien) d'un élève comme moi. Je n'en
continuerai pas moins à faire tous mes efforts pour mériter votre
approbation
Chabas avait renvoyé le manuscrit avec quelques correc-
1. La (in de la lettre est relative à des antiquités égyptiennes de mé-
diocre importance, qui se trouvaient au Musée d'Auxerre, et que Lefé-
bure décrivait à Chabas.
2. Chabas écrivait â Bru.useh, le 28 décembre 1869 : « Je crois qu'un
débutant, au bout de deux années, peut déjà me donner d'utiles Leçons;
tel a été le cas de mon élève M. Lefébure, à propos de l'explication du
cr^ia ra fv o ......
<z^> v\ v\ .Je commence a croire qu il a raison. »
NOTICE BIOGRAPHIQUE VII
tions et annotations dont Lefébure le remercia dans une
lettre du 18 octobre 1867. Il ajoutait :
J'ai songé à grossir mon petit ouvrage d'une dissertation sur le
ïï, que je crois être, d'après le chapitre cli du Todtenbuch,
l'échiné d'Osiris, adorée comme symbole de l'immolation de ce
dieu, de même que nous vénérons la Croix, le Sacré-Cœur, les
( inq Plaies, etc., et prise pour emblème de la stabilité, de même
que nous disons, dans un sens un peu différent, le fondement.
Peut-être y a-t-il un rapport étymologique entre le mot toi et les
mots ^Y\ 1 statue, stare, --'6-/-, ;j.*., etc Mais outre que c'est très
hasardeux et que je n'ai pas en main les textes nécessaires pour
une recherche sérieuse, je ne pourrais relier par aucune transition
cette hypothèse à mon livre
Je compte porter ma traduction à Auxerre vers la fin de ce mois,
et je partirai le plus tôt que je pourrai, surtout si vous me conseillez
d'étudier Ser-Amen, pour Chalon et Besançon
La traduction portée à Auxerre fut acceptée pour les
Mémoires de la Société de l'Yonne, alors présidée par
M. Challe'. Elle devait paraître dans le premier trimestre
de 1868: mais, la Société n'ayant pu en temps utile réunir
les matériaux d'un fascicule, Lefébure se décida un peu
plus tard à la publier à ses frais.
Au mois de juin 1868, il lut le numéro de la Zeitschrift
qui contient l'article de Chabas sur l'inscription de Takel-
lotis II. Son imagination s'excita sur ce texte, et il essaya
de préciser la nature du phénomène cosmique ou atmosphé-
rique signalé par l'inscription. Il en résulta une assez longue
dissertation qu'il adressa a Chabas *; mais il ne tarda pas à
renoncer lui-même1 à l'explication qu'il avait proposée. Il ne
1. Lettre de Lefébure à Chabas, du 31 décembre 1867.
2. Lettre de Lefébure à Chabas, du 20 juin 1868. Lefébure supposait
qu'il s'agissait du khamsin.
3. Lettre de Lefébure à Chabas, du 3 août 1868.
VIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
craignait pas alors de soumettre à Chabas même les hypo-
thèses dont il se déliait, comptant sur son maître pour
L'avertir de ses erreurs; nous trouvons un bon exemple de
ces interventions de Chabas, dans une lettre du disciple, du
3 août 1868, et dans la réponse du maître, du 5 août 1868.
Lefébure écrivait à Chabas1 :
Monsieur et cher maître,
Je termine à l'instant l'analyse du chapitre xv, et viens vous
demander la permission de vous soumettre mon travail Je
me suis un peu amusé en route à comparer entre eux différents pas-
sages du Rituel, ce qui m'a l'ait faire quelques petites découvertes,
celle du rôle de Tanen, par exemple, qui signifie évidemment la
terre, et n'est que la personnification du mot ^m, t>, qui se trouve fré-
quemment dans des phrases comme celle du papyrus Harris :
La terre tend ses bras pour te recevoir.
Le chapitre xv est plus précis : Ta mère Nu et ton père Tanen
t'embrassent.
Le chapitre cxl nomme un dieu : la terre enfantant éternelle-
ment l'âme et le corps du Soleil. Mais je fais peut-être là une dé-
couverte naïve, que tout le monde a faite avant moi. Dans tous les
cas j'ai réussi à m'intéresser moi-même, et me suis familiarisé
l'hiératique, ce qui es1 un grand point. J'ai appris aussi à
chercher dans les vocabulaires, de sorte que si mou ouvrage est
détestable, il ne m'en aura pas moins été très utile, de moine que
l'absurde dissertation que je vous ai envoyée dernièrement5, et que
je vous prie d'oublier. En la mettant à la poste, il m'est venu une
autre idée, car je ne suis malheureusement jamais à bout d'hypo-
thèses sur le ciel mangeant la lune, c'est que cette locution pourrai!
signifier la lune dan- son plein, la lune qui n'est pas rongée par le
ciel. La Fontaine, dan- une de se- fables, la compare à un fromage
fait par la vache lo pour Jupiter, et dont le renard a déjà mangé la
moitié, ce qui en a fait un croissant. D'un autre côté, j'ai trouvé
an Rituel une expression qui pourrait confirmer l'hypothèse que
1 . Lett re datée de < Jharnj . 3 aoûl 1868.
2. Sur l'inscription de fakellotis II; voir plus haut. p. vu, 1. 24-28.
NOTICE BIOGRAPHIQUE IX
vous semblez émettre dans la Zeitschrift sur l'absorption produite
par le ciel et les astres : le chapitre cxxxm dit au Soleil : *~~-\ \\ \\
1±J J<-% ?^=^ T^ ^ (1. 2) tu avales les souffles,
mi ' ' (çfTiï
^w absorbes l'air, ce qui exprime d'une manière saisissante la cha-
leur excessive : j'ai remarqué bien des fois, en plein midi, l'effet
que rend la phrase égyptienne, dans la légère vibration de l'air sur
les champs, qui semble attiré par le soleil, et faire qu'ainsi Ton
suffoque.
Cliabas répondit aussitôt, le 5 août 1868 :
Monsieur et cher disciple,
Il est au mieux que vous m'envoyiez votre nouveau travail, vous
n'avez pas besoin de me demander d'autorisation pour cela. Je
serais trop charmé de former un égyptologue de valeur, pour qu'il
ne me soit pas très agréable de venir en aide à un travailleur
donnant d'aussi grandes espérances que vous.
On a déjà reconnu quelque part les rapports de Tanen avec la
terre , mais je ne sais trop où cela se trouve. Vos observations
seront, quoi qu'il en soit, excellentes à publier.
Quant au ciel mangeant la lune, claudite jam rioos ! Il faut
éviter de s'acharner sur de pareils problèmes; il y a un véritable
danger à s habituer à créer des hypothèses pour expliquer toutes
les malices des scribes égyptiens Si l'on eût rencontré il y a
quelques années la phrase T „ (f-A-ff Uum...4c//. lemp., 1,
11 l 1 (5 I III llYj r
33,1), on aurait pu faire de belles dissertations sur le nombre 7, sur
la septième heure, sur les sept Esprits, etc. Aujourd'hui nous savons
que cette curieuse forme n est qu une variante de x V\
Je connaissais la phrase du chapitre cxxxm duRituel, dont vous
avez bien reconnu l'importance philologique. Malheureusement la
traduction qu'il me serait possible de faire du contexte ne me satis-
fait pas. C'est pour ce motif que je ne l'ai pas citée. Aussi long-
temps que nous n'aurons pas plusieurs bonnes éditions du Rituel
à consulter comparativement, nous ne pourrons pas arriver au
moindre résultat sérieux, dans l'étude de ce livre funéraire, dans
X NOTICE BIOGRAPHIQUE
lequel le respect traditionnel du texte supposé original a fini par
consacrer de nombreuses erreurs.
Les lettres suivantes de Lefébure à Chabas nous ap-
prennent que, pendant les derniers mois de l'année 1868, il
étudia sommairement le copte et l'hébreu1; elles nous in-
diquent aussi5 qu'il s'occupait activement de faire paraître
sa Traduction comparée des Hymne* au soleil composant
le XVe chapitre du Rituel funéraire égyptien. Une lettre
qu'il adressa de Charny à Chabas le 23 décembre 1868 montre
que l'impression de ce mémoire à Auxerre3 fut assez oné-
reuse pour lui :
Monsieur et cher maître.
Voulez-vous me donner les noms et adresses des égyptologues
auxquels je dois adresser mon livre? Je l'aurai dans quatre ou cinq
jours; il n'y a plus qu'à le brocher. C'est un in~4° de 125 pages,
avec trois planches donnant le texte corrigé du Todtenbuch. L'im-
pression et le papier en sont très beaux, trop beaux pour ce qu'il
contient; je me fais l'effet de ces vieux propriétaires égyptiens qui
confiaient à la pierre pour l'éternité le nombre de leurs ânes.-
Aussi je sais ce qu'il m'en coûte : je ne serai pas quitte des
150 exemplaires que je fais tirer à moins de mille francs, somme
que j'aurais beaucoup plus fructueusement employée à l'achat des
textes qui me manquent. Mais je voulais prendre date, et prouver
que j'ai appris l'égyptien sans le secours des livres élémentaires
qui paraissent en ce moment
Quelques jours plus tard, il revenait sur cette question
des livres élémentaires, en annonçant à Chabas qu'il lui
envoyait sou livre, et en lui exprimant encore sa recon-
naissance ' :
1. Lettre de Lefébure à Chabas, datée de Charny, 17 septembre 1868.
2. Lettres du 6 et du 17 septembre 1868.
3. L'ouvrage Eut mis en venteà la Librairie Franck, à l'.-iris.
4. Lettre de Lel'ébure à Chabas, datée de Charny, 6 janvier 1869.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XI
Je partage votre avis sur la publication des ouvrages élé-
mentaires : les adeptes ne seront plus triés par les difficultés des
commencements, et les débutants, mis tout à coup en possession
des résultats de la science, ne s'astreindront plus aux analyses sé-
vères dont vous donnez l'exemple dans tous vos travaux. Nous
allons voir venir des traductions faites à coups de dictionnaires,
sans aucune expérience des habitudes de la langue ni des acceptions
variées de chaque mot
J'irai à Paris vers le 15 du mois, et je compte y voir M. de
Horrack. Vous seriez bien aimable de me donner l'adresse du jeune
ingénieur dont vous me parlez'
Chabas répondait à Lefébure, le 7 janvier 1869 :
Monsieur et cher disciple,
Je ne perds pas une minute pour vous complimenter. Peu de nos
collègues ont eu le bonheur de débutera la publicité par un travail
de pareille valeur. Vous voilà bien lié à la science, et déjà vous
avez un titre dont on pourra dire, j'en suis convaincu, que noblesse
oblige; la science a donc le droit d'attendre de vous d'éclatants
services
Le livre de Lefébure fut en effet bien accueilli, notamment
par Lepsius2, Birch, Leemans, Rongé, Prisse d'Avennes.
Mais Lepsius discuta l'interprétation du <z=>f\ "v\ ,
et Lefébure fit connaître à Chabas" les objections du profes-
seur de Berlin :
Il ne partage pas mon opinion sur le sens des groupes
1. M. Guieysse; voir p. m, note 2.
2. Leemans offrit à Lefébure sa belle édition d'HorapolIon, et Lepsius
sa grande publication des Vieux Textes du Todtenbuch. M. Guieysse
apprit aussi à Lefébure, qu'il vit à Paris au mois de janvier, qu'E. de
Rougé avait à son cours fait l'éloge du nouveau livre.
3. Lettre de Lefébure à Chabas, datée de Charny, 18 mars 1869. Le-
fébure terminait cette lettre en parlant de son voyage à Paris, où il
avait passé une soirée avec M. de Horrack, qui l'avait reçu de la manière
la plus aimable.
XII NOTICE BIOGRAPHIQUE
<=X> >wv V ^u ^ a traduits de nouveau dans sa préface1 ;
son interprétation se rapproche grammaticalement de la mienne,
...... m f\ o
mais il fait de Y\ un jour particulier, comme ceux qui sont
<c— -> -"■ ' rD IV o D w
désignés au chapitre xvm par la formule v\ , etc. ; et
il est obligé, par conséquent, de voir une faute dans le membre de
pnrase <^> ^~_ (ji 23), qui ne se trouve pas qu'au
Todtenbuch, car je l'ai remarqué au papyrus de Leyde. On pourrait
admettre, en effet, que la phrase devait être lue, par exemple,
K^k O l1: ' mais je trouve un peu
hasardeux d'appuyer une vue sur la supposition d'une faute de
texte que rien ne démontre encore.
En résumé, il me semble que mon livre a été bien vu par les
plus savants égyptologues, et je suis heureux, mon cher maître, de
vous faire part d'un succès que je n'aurais pas obtenu sans vous, et
dont la meilleure moitié vous revient
L'impression de mon livre a absorbé la somme que je destinais
l'an passé à des achats de recueils Je voudrais aussi vous faire
part de mes projets d'avenir, et vous exposer leur inconvénient et
leur avantage pour mes études
Depuis longtemps la famille de Lefébure le voyait avec
inquiétude s'adonner avec tant d'ardeur à des études qui
coûtaienl fort cher et ne rapportaienl rien2. On lui chercha
donc une occupation qui lui permîl de gagner sa vie par
son travail et de se remarier. Un mariage l'ut projeté entre
lui et une jeune tille des environs de Charny ; la condition
1 . La préface des Aeltcste Texte.
2. Dès le 31 décembre 1867, Lefébure écrivait a Chabas : «Ma famille
me bl.'n !'• mi' livrer à une occupation qui, suivant elle, ne rapporte
rien; comme si une plus grande connaissance de l'homme n'était pas
plus utile que le droit 'I'' bâiller à des soirées préfectorales. Je \ :iis donc
m 'occuper sérieusement de chercher une place qui me donne à la
Cois l'indépendance et le loisir dont j'ai besoin pour continuer en paix
mes études. »
NOTICE BIOGRAPHIQUE XIII
fut qu'il entrerait d'abord dans l'administration des Postes.
On lui faisait espérer, grâce aux relations de sa famille, et
après les délais de stage nécessaires, une place de receveur
qui lui laisserait quelques loisirs pour ses études1. Le projet
de mariage n'aboutit pas; mais avant la rupture des négo-
ciations Lefébure avait été nommé, au mois de juillet 1869 2,
employé des postes à Saint-Germain-en-Laye. Avant sa
nomination, il avait envoyé à Chabas un mémoire sur les
chapitres cxn et cxin du Tocltenbuch3 ; il refît plus tard ce
travail et le publia, beaucoup plus développé, dans son grand
ouvrage sur Le Mythe osirien*.
Dans ses nouvelles fonctions d'employé des postes, Lefé-
bure n'avait plus beaucoup de temps à donner à l'étude.
Il lisait cependant les Aelteste Texte qu'il avait reçus de
Lepsius, et remarquait, à la planche 29, « un nom divin extrê-
mement curieux », écrivait-il à Chabas le 7 septembre 1809.
C'était n^^Srl]; qu'il supposait « n'être qu'une variante
développée du nom d'Isis, lequel signifierait alors le lieu
de l'œil sacré, c'est-à-dire l'espace céleste où se trouve le
soleil ». Il allait travailler, dans les rares moments dont il
disposait, à la bibliothèque du Musée de Saint-Germain'.
Il transmettait a M. Guieysse les préceptes qu'il avait lui-
1. Lettre de Lefébure à Chabas, du 18 mars 1869.
2. Lettre de Lefébure à Chabas, datée de Saint-Germain-en-Laye.
21 juillet 1869.
3. Lettres de Lefébure à Chabas, datées de Charny, 29 avril, 24 juin
et 10 juillet 1869. C'est dans la lettre du 10 juillet 1869, que Lefébure
parle de la trouvaille d'une pièce de monnaie antique par le fils d'un
fermier de son père. Lefébure porta cette pièce à M. Ponton d'Amécourt,
qui la fit acheter par M. de Saulcy, et proposa à Lefébure de le pré-
senter à la Société de Numismatique et d'Archéologie, avec M. de
Saulcy comme second parrain. Le 7 septembre 1869, Lefébure annonçait
à Chabas son admission dans la Société.
4. Le Mythe osirien, lre partie, p. 18 sqq.
5. Lettre de Lefébure à Chabas, du 14 novembre 1869.
XIV NOTICE BIOGRAPHIQUE
même reçus de Chabas1. Il voulait aussi, d'après les conseils
de son maître, étudier le papyrus de Soutimès, qu'il publia
plus tard en collaboration avec M. Guieysse; mais il n'en
trouvait pas le temps. Sa correspondance avec Chabas fut
donc alors moins active qu'elle n'avait été depuis l'année
1867. Nous trouvons cependant, datée de Saint-Germain-
en-Laye, 15 juillet 1870, une longue lettre où l'on voit que
Lefébure avait modifié et refondu le travail soumis à Chabas
l'année précédente"; il venait de recevoir les deux premiers
volumes de la Bibliothèque internationale, contenant sa
traduction du chapitre xv du Todtenbuch, et remerciait
Chabas de lui avoir facilité l'accès de cette publication.
La guerre de 1870 arrêta complètement pour quelque
temps cette correspondance. Lefébure, que ses fonctions à
Saint-Germain-en-Laye avaient retenu dans la région
envahie, n'écrivit à Chabas que le 14 mars 1871 :
Mon agréable métier m'a conduit tout droit à la prison prus-
sienne de Versailles, où j'ai gelé du 10 janvier au 15 février. J'en
suis sorti assez souffrant, et je crois que notre service français, qui
est rétabli, a repris trop tôt pour ma santé. Je m'en tirerai avec le
temps, lorsque l'affreux gâchis des lettres et des affaires attardées
aura cessé
J'ai beaucoup travaillé dans ma prison. J'ai ébauché, entre
autres choses, un appendice à mon mémoire sur le nom d'Isis, où
je crois pouvoir prouver que le dieu Seb est la terre, considérée
comme s'ouvrant pour laisser passer le soleil : c'est la porte dont
l'tah est le portier.
J'ai appris que M. Guieysse a été décoré pendant le siège
M. Guieysse informa un peu plus tard Lefébure de l'élec-
tion de Chabas comme correspondant de L'Institut. Lefé-
1. Lettre de M. Guieysse à Chabas, du 10 Novembre 1869; et lettre
de Lefébure à Chabas, du 22 mars 1870.
2. Voir p. xin, 1. 8-9.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XV
bure écrivit à son maître le 20 août 1871, pour le féliciter.
Il lui adressa une autre lettre, le 11 novembre 1871, pour le
remercier de lui avoir envoyé un ouvrage de Lieblein, par
l'intermédiaire de Valdemar Schmidt. Il ajoutait :
M. Ancessi m'écrit qu'il sera dans les premiers jours de no-
vembre à Paris : je compte avoir le plaisir, si j'ai le temps, de le
voir et de faire sa connaissance- M. Guieysse est, je crois, en Bre-
tagne, et ne reviendra qu'en décembre. Pour moi, je tâche de me
faire nommer à Paris, où je serais à même de consulter tous les
textes possibles, mais je ne sais si je réussirai, et si j'aurai beau-
coup plus de temps à moi. il faudrait, pour que je puisse vérita-
blement travailler, que je sois nommé à l'administration centrale,
ce qui ne me paraît pas facile.
Je ne puis pas dire que j'aie travaillé bien sérieusement depuis la
fin de la guerre ; cependant je n'ai pas passé une journée sans ouvrir
le Todtenbuch et les Anciens Textes publiés par Lepsius. J'en ai re-
tiré une sorte d'impression générale de la religion égyptienne, que
je crois vraie, et que je tâcherai d'expliquer dans mon travail sur
une variante du nom d'Isis; je vous demanderai la permission de
refondre ce travail, qui me parait pécher en ce sens que j'y assimile
trop Osirisau ciel : ce dieu me paraît être, au contraire, l'intérieur
mystérieux de la terre dans lequel se cachait et se reformait le
soleil, ce qu'indiquent les momies figurées avec le globe solaire
inséré dans leur poitrine. L'Osiris végétant est aussi une représen-
tation de la terre, et je comprends maintenant la métaphore égyp-
tienne qui faisait de l'Egypte l'œil même d'Osiris, et de l'aimant
ses os, tandis que le fer était l'os de Typhon, suivant Plutarque.
Typhon, le frère d'Osiris, ne doit pas être autre chose que la terre
dans son rôle malfaisant, lorsqu'elle dévore, comme un crocodile
ouvrant sa gueule à l'Occident, le soleil, la lune et les étoiles, ou
qu'elle dissout les cadavres. Au Todtenbuch il est presque toujours
nommé l , avec le déterminatif de la pierre, ou de la terre dure.
I EED -j Q
qui accompagne aussi le mot vg^ inna (ch. 125, 59, 55). M. Pierret,
dans son mémoire sur la résurrection, cite une phrase des
Fouilles d'Abydos, qui me paraît significative, et qui contient la
métaphore à cause de laquelle, sans doute, Set est devenu un ser-
XVI NOTICE BIOGRAPHIQUE
pent; c'est 'JL~ jj ^a v&^ï' ^^ 41- 1\ ^^"^ \> ■ Je
trouve dans le même ouvrage une autre phrase bien curieuse
aussi : Osiris v est dit Q <=> ^^ t\ °J) ^ ^ I
f] 0 |. Osiris serait, d après ce passage, le caput mortuum du soleil,
ce qui saccorde à merveille avec nos théories astronomiques d'au-
jourd'hui. Je ne sais si vous donnerez votre approbation à cette
manière d'envisager l'enfer égyptien, considéré tantôt comme lieu,
tantôt comme dieu, de même que le Hadès grec et l'Orcus latin. Je
serais bien content si mes idées là-dessus ne contredisaient pas les
vôtres, et si elles trouvaient grâce, lorsque je les aurai appuyées de
quelques preuves, devant la sévérité sagace de votre critique.
Chabas critiqua, suivant le désir exprimé par Lefébure,
les mémoires soumis à son examen. Il semble aussi qu'il ait
alors manifesté un peu d'inquiétude de voir son disciple
s'adonner trop exclusivement aux études mythologiques.
Lefébure lui répondit de Saint-Germain-en-Laye, le 22 no-
vembre 1871 :
Monsieur et cher maitre.
Vous êtes trop aimable d'avoir songé à me renvoyer mes deux
mémoires manuscrits J'aurai, en effet, bien des corrections à
faire j'espère montrer que les deux chapitres étudiés du
Rituel se rapportent aux éclipses solaire et lunaire : pour le 112e
c'est évident, d'après ce que les auteurs grecs nous ont dit du
pourceau dans la mythologie égyptienne; pour le 113e, j'ai été
longtemps embarrassé par la présence du corps d'IIorus dans le
pays des poissons, c'est-à-dire dans l'eau où on le repèche. Un
passage de Diodore (1, 2) lève toute difficulté : Isis, y est-il dit,
rappela à la vie son (ils Horus tué par les Titans, et dont le corps
fut trouvé dans l'eau. Je crois que tout le chapitre 113 est là, car
Horus, dans quelques particularités de sa légende, rappelle Osiris :
c'est ainsi que les Grecs lavaient assimilé, sous sa forme de Khem,
NOTICE BIOGRAPHIQUE XVII
à Persée, fils de Danaé, qui fut abandonné à l'eau dans un coffre
[Hérodote, II. 91). Le chapitre 113 du Todtenbuch, d'après les
dates qu'il donne et la mention qu'il fait des yeux d'Horus, rap-
porte à l'éclipsé cet épisode de la vie du dieu ; mais il me reste
à me renseigner sur le filet de Sebak, que je retrouve au cha-
pitre 148, 17, où il est dit >5:;î>- c==Tj) des hommes et des dieux,
t ^ m \
groupe que vous traduisiez autrefois par couper la parole, mais
auquel il me semble que vous donnez maintenant un autre sens.
J'aurai aussi à voir, pour le rôle bon ou funeste de ce même filet,
le chapitre des pêcheurs (qui est illisible dans le Todtenbuch) dans
les variantes du Louvre.
Xe me croyez pas noyé pour cela à tout jamais dans les textes
mythologiques. La seule raison qui m'a fait les étudier, c'est que
je n'en ai pas d'autres, et que, de toute la littérature égyptienne, je
n'ai entre les mains que le Todtenbuch . Ne vous effrayez donc pas,
si je le sais par cœur, pour mon petit avenir d'égyptologue. Je
pense avec vous que ces sortes d'écrits ne doivent pas détourner
de l'étude de la langue, et qu'il faut, si l'on s'en occupe quelque-
fois, apporter dans leur examen la plus grande prudence. A ce
compte-là, il sera possible au moins de mieux comprendre et de
mieux traduire certaines allusions qui ne font que présenter d'une
manière fuyante des événements inconnus. Voulez-vous me per-
mettre de vous donner un exemple de la manière dont je com-
prends qu'on peut tirer parti des textes en question ? Une inscription
d'Edfou, citée par M. Lepsius dans son mémoire sur les dieux des
quatre éléments, dit de Ra-hut : « il ouvre la nuit par le jour,
les dieux sortent de sa bouche et les hommes de ses yeux »
. Cette phrase est claire, et, si on se
la rappelle, on traduit sans difficulté d'autres phrases plus concises,
qu'on ne comprendrait pas sans cela, telles que celle-ci (ch. 64, 25) :
« donnez-moi la main, enfants qui êtes sortis de la bouche, et vous
êtes élevés hors de l'œil de Rà », iïj I %
S- — *— 0 I
/wvw\
a © 1 1 1 1 JÏ I -A <=> I fl I I I
. C'est faute de s'être souvenus de cette explication d'une partie
de la création que les égyptologues qui ont voulu tirer quelques
déductions du tableau dit des quatre races au tombeau de Séti Ier
se sont trompés. M. de Rougé, entre autres, fait naître les Égyptiens
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. **
XVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
du soleil même par une sorte d'excellence, tandis que la race asia-
tique serait seulement sortie de Sekhet. Le texte est beaucoup plus
simple ^__^ ( ( | ^^J^i]
ra r\ r\ -<s>- /$\ <^ <o "czz> g s /wwv\
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2±rîli . vous, vous a pleures ma khut, sous vos noms (Ou dans cas
111
personnes) d'hommes, et il n'y a ici qu'un retour à l'idée, proba-
blement familière aux Égyptiens, de la création des hommes par
l'œil d'Horus ou du Soleil. Khut, comme Sekhet, est un des noms
de cet œil, comme le montre le chapitre 140, 4 : (I
9, <*> H I 1 <TN, A 1
.ft
□ '
n@
. Quant aux larmes fécondes de
I
l'ut'a, on en trouve plusieurs exemples au papyrus magique tra-
duit par M. Birch dans la Reçue archéologique
A la lin de l'année 1871, on fit espérer à Lefébnre qu'il
pourrait bientôt être nommé à Paris. Ce fut en etîet de
Paris, 191, boulevard Malesherbes, qu'il écrivit à Chabas
le 18 juin 1872 :
vous me faites espérer votre arrivée à Paris, où vous me
trouverez installé. J'aurais dû vous l'écrire; mais je voulais, en
me remettant au travail, vous demander votre avis sur quelques
points, et malheureusement j'ai été jusqu'à ce jour empêché de
faire quoi que ce soit par mon unique collègue, qui s'est avisé,
dès mon arrivée, de prendre un congé illimité. J'avais obtenu
d'être nommé à un bureau de nouvelle création, qui est beaucoup
moins chargé que les autres, et où je prévoyais beaucoup de loisir.
Il n'en ;i pas été ainsi jusqu'à ce jour; mais mon collègue absent
sera remplacé ;'i la fin de ce mois, et je reprendrai l'égyptien avec
d'autant plus d'ardeur que j'en ai été plus longtemps éloigné.
J'ai pu assister un»! l'ois ou deux au cours du Collège de France,
el j<' suis resté en relations avec M. Guieysse. qui travaille très
consciencieusement, et qui copie en ce moment au Louvre le
curieux manuscrit des choses du ciel inférieur. Je lui ai emprunté
les textes du mi/thc d'Horus de M. Naville, et j'en ai copié la
moitié dans mes rares heures inoccupées. J'y ai trouvé peu d'allu-
sions aux symboles primitifs, et j'aurais préféré de beaucoup une
composition plus ancienne, car je voulais l'étudier pour le com-
NOTICE BIOGRAPHIQUE XIX
parer avec les conclusions que j'ai tirées de mon étude sur les
chapitres 112 et 113 du Rituel. La première page, cependant, con-
tient un texte curieux', qui me semble éclairer certaines locutions
plus concises
Lefébure ajoutait qu'il avait vu deux fois M. Pierret, en
allant au Louvre étudier le chapitre des pêcheurs. Mais
depuis son arrivée à Paris, il n'avait eu de relations suivies
qu'avec M. Guieysse; il demandait aussi à Chabas l'adresse
de M. de Horrack. Il savait l'adresse de M. Maspero, qui
demeurait alors très près de lui; mais il s'abstint, dit-il, de
l'aller voir, se croyant tenu à une certaine réserve5.
1. PI. I, 1.3-6.
" 2. La correspondance de Lefébure à cette époque ne fait pas connaître
avec précision les causes de ce sentiment de réserve. Peut-être Lefé-
bure, très dévoué à Chabas, craignait-il de trouver chez M. Maspero
des idées un peu différentes des siennes, d'autant plus que Chabas lui-
même, dans une lettre à Lefébure du 7 janvier 1869, supposait que
M. Maspero avait dû être prévenu contre lui (cf. Notice biographique
de F.-J. Chabas, p. xci, note 3). D'ailleurs Lefébure avait conscience de
sa très grande valeur égyptologique ; peut-être éprouvait-il un peu de
malaise à voir l'avenir ouvert à M. Maspero dans l'enseignement de
l'égyptien, tandis que lui-même, pour gagner sa vie, devait donner à
son service postal la meilleure part de son temps, au détriment de ses
études.
M. Maspero avait bien remarqué cette réserve, et cherché à s'en ex-
pliquer la cause. « En 1872 ou 1873, dit-il, au moment où je demeurais
place Wagram, puis rue Jouffroy, j'eus un jour l'occasion d'aller
affranchir moi-même, au bureau de poste qui avait été établi récem-
ment vers l'espèce de carrefour formé par la rencontre des rues Ampère
et Jouffroy avec le boulevard Malesherbes, des brochures que j'avais à
expédier à l'étranger. L'employé qui les reçut se fît connaître comme
étant Lefébure : à partir de ce moment, chaque fois que je me pré-
sentai au bureau, j'essayai de lui parler, mais je ne tardai pas â rn 'aper-
cevoir que cela le gênait , il avait déjà un peu de cette répugnance
au monde qui caractérisa sa vieillesse. Je n'insistai donc pas, et d'ailleurs
à la fin de 1874 je quittai la rue Jouffroy pour aller demeurer 64, boule-
vard Saint-Germain ; ces relations superficielles furent interrompues
du coup. » (Lettre de M. Maspero à Ph. Virey, du 6 février 1910.)
XX NOTICE BIOGRAPHIQUE
Il continuait ses études sur le Mythe osirien, autant que
ses occupations le lui permettaient, et de temps en temps
soumettait à Chabas les résultats de ses recherches', mais
en s'excusant toujours de s'adonner ainsi aux études mytho-
logiques :
Je m'empresse de vous adresser mes remerciements pour la
bienveillance avec laquelle vous appréciez mon mémoire : rien ne
peut m'ètre plus agréable que de savoir qu'il ne vous a pas déplu,
malgré votre prévention contre les recherches mythologiques. Je
tiens à vous dire, à ce sujet, que je n'ai pas jeté l'ancre aussi pro-
fondément que vous pourriez le croire dans cet océan : j'avais
entre les mains des textes exclusivement mythologiques ; je les
ai étudiés faute de mieux, et je me débarrasse maintenant des
réflexions qu'ils m'ont fait faire
je vous enverrai la deuxième partie de mon travail inces-
samment ; cette partie comprend mes remarques sur Osiris, et une
conclusion que je crois curieuse Je l'aurais terminée depuis
longtemps, sans un maudit coup d'air que j'ai gagné auprès du
sarcophage de T'a-ho*, et qui m'a donné une fièvre qui ne m'a
pas quitté depuis quinze jours. Joignez à cela les nécessités de mon
métier
Me ferez-vous l'honneur d'accepter quelque étude de moi pour
votre série de Mélanges? J'aurais voulu vous présenter mes
recherches sur Isis et Osiris, mait elles sont liées si intimement à
la conception de mon livre, que je ne pourrais les en séparer sans
dommage. Je ne puis pas vous offrir davantage des recherches sur
les dieux portes ou portiers, car je les retranche de mon mémoire
comme trop conjecturales. Une étude sur le per m hru convien-
drait peut-être mieux, mais ce que je voudrais dire sur ce sujet
n'est pas écrit. Je n'ai de complètement achevé maintenant que
quelques pages sur l'art égyptien, qui, avec un titre modeste
comme Un moi sur l'art égyptien ou Idée il- l'art égyptien^ ne
seraient peut-être pas déplacées dans un recueil de recherches sur
la v ie ordinaire ou intime. Je vous les envoie à tout hasard ; mais
1. Lettres à Cli;ib:is, du l.*> novembre et du 2 décembre 1872.
2. Au Musée égyptien du Louvre.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXI
je crains que vous ne trouviez trop sévère mon appréciation, car
j'admire peu les artistes pharaoniques.
Je tiens à dire dans la deuxième partie de mon livre que c'est
vous qui avez le plus fait pour l'étude de la mythologie, par l'im-
portance des documents que vous avez publiés, et la précision avec
laquelle vous les avez traduits. Une seule pièce me manque pour
juger complètement votre travail en ce sens : c'est Y Hymne à Osi-
ris, que je ne puis trouver que chez M. Guieysse, qui est absent,
et dont j'attends le retour avec impatience1
Chabas indiqua à Lefébure dans quel volume de la Reçue
archéologique il avait publié son Hymne à Osiris et le re-
commanda à M. Zotenberg, pour qu'il lui fût permis d'obte-
nir à la Bibliothèque nationale un estampage du texte. Lefé-
bure le remercia le 13 décembre 1872 :
Je vous remercie infiniment d'avoir pensé à moi, car jusqu'ici
je n'avais pu me procurer votre Hymne à Osiris, que j'ai demandé
à tous les libraires : je l'aurai facilement dans les bibliothèques
publiques, sachant la date à laquelle il a paru dans la Revue
archéologique. J'en copierai le texte qui est très intéressant, sans
recourir à l'estampage: mais je ne vous en suis pas moins recon-
naissant de la recommandation que vous me donnez pour M. Zoten-
berg. Il y a longtemps que je désire prendre connaissance des
Notices manuscrites de Champollion,et je pourrai le faire mainte-
nant grâce à lui, et par conséquent grâce à vous. J'avais demandé,
étant à Saint-Germain, une carte d'entrée à la Bibliothèque natio-
nale; mais on s'est borné à me répondre de passer au secrétariat,
et là un imbécile d'employé m'a fait toutes sortes d'objections,
tirées de ma qualité de commis des postes et de mon éloignement
de Paris, si bien que, congédié sans avoir de carte, je n'ai pas fait
de nouvelle tentative.
J'ai lu la traduction dont vous me parlez dans la Bibliothèque
internationale; mais ce dont j'ai besoin, c'est surtout du résumé
très intéressant que vous avez fait des textes classiques se rappor-
tant à Osiris. Comme j'étudie spécialement ce dieu dans la
1. Lettre de Lefébure à Chabas, du 2 décembre 1872.
XXII NOTICE BIOGRAPHIQUE
deuxième partie de mon mémoire, j'espère trouver dans le vôtre
bon nombre de renseignements qui me seront d'un grand secours,
car l'antique momie osiriaque est singulièrement difficile à dérou-
ler. Je ne désespère pas néanmoins d'en venir à bout, et je crois
que la mythologie égyptienne, qui est une mythologie comme une
autre, ne doit pas être plus inexplicable que les autres, au moins
dans ses grandes lignes
Le 18 janvier 1873, Lefébure adressait à Chabas la dernière
partie de son Mythe osirien, « celle », écrivait-il, « qui traite
d'Osiris ». Il ajoutait :
Je comptais vous l'envoyer pour le 15, mais je l'ai communiquée
à M. Guieysse, et ne l'ai entre les mains que depuis hier soir.
Puisque vous voulez bien la lire, je vous serai obligé de me faire
part des points qui vous sembleront douteux ou faibles. Il n'en
manque certainement pas, le sujet étant à peu près neuf, et le
mémoire assez long
Je n'ai pas encore reçu de M. Guieysse, qui me le communi-
quera. Y Hymne à Osiris, une des pièces les plus importantes à
consulter pour mon travail. Il m'amènera certainement à des
retouches
Lefébure faisait savoir à Chabas que M. Zotenberg l'avait
parfaitement reçu, et le remerciait de la recommandation
à laquelle il était redevable de ce bon accueil. Il lui de-
mandait encore s'il conviendrait de lire Le Mythe osirien à
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Chabas lui
offrit alors une lettre d'introduction auprès de Maury'.
Lefébure répondit le 24 janvier 1873 :
Je vous remercie du temps que vous avez bien voulu consacrer
1. Lefébure «accepta la Ici lie d'introduction auprès de Maury (lettres
de Lefébure à Chabas, du 24 janvier et du 20 mars 1873). Il lut reçu
par M;ihi'\ (lettre de Lefébure à Chabas, du 11 avril 1<S7:{); mais celui-
ci déclina s;i compétence pour apprécier Le Mythe osirien, cl conseilla
à Lefébure de soumettre son mémoire au jugement de M. Pierrot (lettre
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXIII
à mon mémoire, et de votre bienveillance à l'apprécier. J'y
ferai quelques retouches, et je le soumettrai, lorsqu'il sera
remis au net, à M. Maury, comme vous me le conseillez. J'accepte
très volontiers la lettre d'introduction que vous m'offrez. Ma meil-
leure recommandation auprès de M. Maury sera d'être votre élève,
si vous voulez bien me donner ce titre
Je n'ai eu de détails sur la mort de M. de Rougé que par
M. Pierret. Il était depuis longtemps souffrant, et son voyage en
Egypte, pendant lequel il aurait beaucoup trop travaillé, lui a été
fatal, et a préparé la paralysie du cerveau qui l'a emporté Le
second fascicule de la Revue qu'il dirigeait contiendra une notice
nécrologique par M. de Saulcy. La mienne, qui aurait été beau-
coup plus courte, a failli être mise à l'ordre du jour mercredi
dernier. En sortant du Louvre, et en plein trottoir, j'ai reçu le
choc d'une voiture trainée par un cheval emporté je me suis
relevé sans grand mal
Cela ne m'empêchera pas de vous envoyer de nouveaux textes
de la rubrique du chapitre 64, si ceux que je vous ai copiés sont
insuffisants, comme je le crains. Les trois premiers (de Rougé,
3091 et 5450) ont été pris par moi sur les papyrus. Les cinq autres
viennent d'un travail de M. Devéria sur le même sujet, qui m'a
été communiqué par M. Pierret. Le papyrus de Ptahmès est écrit
en colonnes
Lefébure s'était décidé à rédiger un mémoire sur le per
m hru, pour sa contribution a la troisième série des Mé-
langes de Chabas'. Le 20 mars 1873, il adressait à son
maître le manuscrit de ce mémoire, en lui demandant un
tirage à part ; il lui écrivait en même temps :
Je vois de temps en temps M. Zotenberg à la Bibliothèque, où
de Lefébure à Chabas, du 15 avril 1873). Le mémoire fut pourtant re-
tenu pour être lu à l'Académie. Mais la lecture ne lut jamais faite.
Lefébure écrivit à Chabas, le 17 mai 1873 : « J'ai assisté à quelques
séances de l'Institut sans avoir pu lire encore mon mémoire » ; et le
24 juillet 1873, il annonçait qu'il y avait définitivement renoncé, son
tour se faisant trop longtemps attendre.
1. Lettre de Lefébure à Chabas, du 6 mars 1873.
XXIV NOTICE BIOGRAPHIQUE
j'étudie les Notices manuscrites de Champollion. M. Guieysse se
propose de publier le manuscrit du ciel inférieur, et je lui donnerai
peut-être un coup de main ; puis je me mettrai à l'étude des papy-
rus, que j'ai trop longtemps négligés, forcément, du reste, mais
que mon séjour à Paris me met à même de consulter maintenant à
la conservation du Louvre
Il reçut au mois de mai la visite de M. Rhône, que Chabas
lui avait adressé. En rendant compte à son maître de cette
visite, il lui soumettait de nouvelles observations mytholo-
giques1 :
J'aurai bientôt recours, je le crains, à votre bienveillance,
pour élucider un texte qui me parait important, en ce qu'il précise
la doctrine qui fait de Râ l'ùme et d'Osiris le corps d'un même
dieu. Je crois être le premier à signaler cette théorie, et je tiens à
l'éclaircir. Le texte, que je voudrais étudier et publier dans le
Journal de Pierret, ouvre le bel exemplaire sans nom du Rituel
qui est au Musée du Louvre. Je vous en adresserai une copie avec
une traduction, et vous demanderai si vous n'en connaissez pas
d'autres semblables. Je ne serais pas étonné qu'il fût identique à
l'adoration de Râ dans l'Amenti, par laquelle débutent les textes
des hypogées royaux
Il revint sur ce sujet, dans une lettre du 26 juin 1873 :
Je vais prendre à partir du 15 juillet un congé de quinze
jours : j'en profiterai pour faire une courte étude sur un texte iné-
dit, sorte d'hymne sur la réunion du soleil couchant à Osiris, dans
le inonde souterrain. Le dédoublement de la personne divine en
deux personnages, dont l'un est l'âme, et l'autre le corps, me semble
bon à mettre en relief. Les textes y font des allusions sans nom-
bre
An mois de juillet 1873, Mariette passait par Paris, se
1. Lettre de Lefébure à Chabas, du L7mai 1873. Lefébure écrivit aussi
à Chabas le 22et h; 2-\ juin 187:5, puni- lui envoyer plusieurs dessins de
barques représentées au Musée Campana.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXV
rendant à Boulogne-sur-Mer. Lefébure pensa à se présenter
à lui, et à lui demander de l'emmener en Egypte1. Il voulait,
pour lui permettre d'apprécier ses aptitudes égyptologiques,
lui faire lire son travail sur le Mythe d'Osiris. N'ayant pas
réussi à rencontrer Mariette avant son départ pour Boulogne,
il lui écrivit. Mariette, déjà renseigné sur sa valeur scienti-
fique, lui répondit de ne pas lui envoyer son mémoire. Mais
il lui demanda un article pour son Recueil, et Lefébure se
mit à préparer une dissertation sur une cérémonie men-
tionnée dans les Textes du Mythe d' H or us, publiés par
M. Naville. Il voulut, comme d'habitude, soumettre à Cha-
bas son interprétation de cette cérémonie, et lui écrivit le
19 septembre 1873 :
Si j'ai rencontré juste, j'aurai fait une curieuse trouvaille,
celle de l'origine d'une fête qui se célèbre encore en Egypte au
solstice d'été, et qui s'appelle la nuit de la goutte. Voulez-vous me
permettre de vous demander votre avis sur les deux ou trois points
principaux de mon argumentation, au point de vue de l'interpré-
tation des textes?
Lefébure citait alors le passage des Textes du Mythe
d' H or us qui se trouve à la planche XIII, 1. 2 et 3\ qu'il
proposait de traduire ainsi :
Har-hut vint, au corps :l multicolore, en grand disque ailé, sur
la barque de Râ-har-khuti. Thoth dit à Râ, maître des dieux
1 . Lettre de Lefébure àChabas, du 24 juillet 1873. Lefébure demandait
l'avis de Chabas. Mais soit qu'il ait renoncé à son désir, soit que
Mariette n'ait pu lui donner satisfaction, il ne fut plus question de ce
projet dans les lettres suivantes.
2 C'est au début de la campagne des dieux, l'an 363 du règne d'Har-
khuti, pi. XII.
3. ^^. Ce mot, qu'on lit aujourd'hui âkhem, était lu shenebt par
Lefébure. Chabas doutait que le mot français corps fût la traduction
tout à fait exacte du mot égyptien.
XXVI NOTICE BIOGRAPHIQUE
d'Edfou : est venu au corps' le grand disque Râ s'unit avec
son corps et dit à Har-hut : tu as jeté des gouttes2 sur l'eau sortie
de lui ( () ) , rendant par là ton âme satisfaite. On l'appelle le maitre
de l'eau d'IIar-hut, qui est appelé ( ,*<j ] le maitre du
\ Jf>9 AAAAAA V y I
corps multicolore depuis ce jour.
Pour montrer qu'il s'agissait de la fête de la goutte, dont
l'origine était rapportée au temps des dieux, Lefébure faisait
des comparaisons avec d'autres passages des Textes du
Mythe d'Horus, pi. XIX, 1. 8-11, et pi. XX et XXI.
Sollicité de donner son avis, Chabas s'empressa de faire
connaître ses cloutes ou ses objections, que son disciple dis-
cuta longuement, dans une lettre écrite le 23 septembre 1873.
Il revint encore plus tard sur l'interprétation du mot
(1 o , qu'il compara au mot -c2>-^K 0°o du papyrus d'Or-
biney :.
Mais le commencement de l'année 1871 ne fut pas favo-
rable à ses études égyptologiques. Le 9 juin 1874 il écrivait
à Chabas :
J'ai eu peu de loisirs au commencement de cette année. Le
collègue que j'avais alors s'étantfait renvoyer, j'ai eu aie remplacer
seul pendant longtemps. Depuis je me suis remis à l'ouvrage, et
j'achève en ce moment mon mémoire sur Osiris, que j'ai refondu
1. "~W^ / S^y- Chabas lul d'avis que czz devail signifier non
pas i). mais hors de, ex; ce qui amena Lefébure à traduire venir du
corps, sortir du corps ou de la monde.
2. (I o . La traduction gouttes parut discutable à Chabas; Lefé-
bure lui présenta des arguments à l'appui de cette interprétation, dans
sa letl re du 23 septembre 1873.
:}. Lettre de Lefébure à Chabas, datée du bureau de poste de Paris-
Batignolles 2% 31 décembre 1873 : « (I 0°0esl bien un fruit, tou!
en étanl l'équivalenl de la goutte. C'esl l'-<2>- v\ 0°0 du papyrus d'Or-
biney,dans lequel Baïta mel son cœur »
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXVII
et très augmenté, après avoir fait le recensement de presque tous
les textes se rapportant à ce mythe
J'ai parcouru ces jours-ci à la Bibliothèque nationale le
Rituel de Sutimès que vous m'aviez signalé, et j'y ai trouvé la con-
firmation décisive d'une de vos vues, dans le groupe *è\ <^\ i
remplaçant ~"A~,r , que vous avez lu ati et non anti. J'ai vu un ins-
tant ces jours-ci M. de Horrack à la Bibliothèque- M. Guieysse,
depuis son mariage et sa nouvelle position de répétiteur à l'École
polytechnique, est fort occupé. M. Rhône, qui vous avait demandé
autrefois quelques renseignements pour une relation de voyage,
paraît s'adonner à l'égyptologie. J'ai eu. l'an passé, quelques rap-
ports avec M. Grébaut, un élève de M. Maspero, qui avait fait un
article dans la Bévue archéologique, mais il a depuis disparu de
la scène, et je ne sais ce qu'il est devenu
La première partie du travail sur le Mythe osr'rien, dont
la lettre du 9 juin 1874 annonçait l'achèvement, parut en
effet en 1874 : la seconde partie, l'année suivante. Cette se-
conde partie fut envoyée à Chabas le 25 mars 1875. Un peu
plus tard Lefébure écrivait à son maître, le 21 mai 1875 :
Je ne fais plus grand chose depuis quelque temps; j'ai dé-
ménagé pour venir habiter dans la maison de M. Zotenberg, et
j'ai de la peine à me remettre au travail. Je compte commencer
avec M. Guieysse, en juillet, la publication en fac-similé du Rituel
de Sutimès, qui sera édité par Leroux.
Je ne suis pas du tout au courant des publications nouvelles. Je
ne sais si M. Pierret a fait paraître son Dictionnaire d'Archéolo-
gie égyptienne; c'est un ouvrage pour les gens du monde : il a en-
trepris d'un autre côté un dictionnaire égyptien tenant le milieu
entre celui de Brugsch et le vocabulaire de Birch. M. Grébaut a
édité la première partie d'un énorme travail qui aura plus de mille
pages M. Maspero fait une histoire ancienne de l'Orient, dans
le genre de celle qu'a publiée F. Lenormant
J'ai envoyé à M. Birch un article pour le Recueil de la Société
d'Archéologie biblique : je ne sais s'il a paru, mais j'en ai corrigé
les épreuves il y a plus d'un mois. C'est la traduction de tous les
XXVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
textes du pylône infernal contenant le tableau des quatre races au
sarcophage de Séti Ier : je fais remarquer qu'il y a là une confir-
mation de vos idées sur le jugement dernier, avec les justes à droite
et les méchants à gauche, etc Je donne une interprétation nou-
velle du texte relatif aux quatre races humaines
Lefébure eut alors un moment l'espoir d'obtenir une
situation qui lui permettrait de consacrer tout son temps à
l'égyptologie. Il rit connaître ses espérances à Chabas, dans
une lettre du 27 mai 1875 :
Je viens de recevoir, avec un volume de M. Lieblein, votre très
intéressant mémoire sur les bâtons de main. Vous avez très bien vu
l'emploi qu'on devait faire des baguettes magiques, et je crois que
ces objets sont désignés, au sarcophage de Séti Ier, par les * — ° "f
**"- "^ ' que portent, en les courbant en arc avec les deux mains, cer-
tains personnages qui charment Apap ( |[Jv\ i ). Au tombeau
Va _û^ I / / c^^\(à
du même roi, d'autres demi-dieux frappent avec des ~ v\
i un serpent mythologique qui a avalé des têtes qu'on veut faire
sortir. Je cite de mémoire, mais je suis sûr de la prononciation.
M. Pierret m'a offert, sur la recommandation de M. Zoten-
berg, et, je crois, aussi de Mme de Ilorrack, la place de conserva-
teur-adjoint au Musée du Louvre. On devait créer un conservateur
au commencement de l'année, et la place de conservateur-adjoint
eût été vacante. Le manque de fonds a fait échouer pour cette fois
la combinaison, qui reviendra sur l'eau l'année prochaine. Je ne
vous parle de ceci qu'en secret, parce que M. Pierret m'avait re-
commandé de ne rien en dire, mais vous le savez déjà, puisqu'au
jour de l'an vous m'avez mis en garde contre l'espoir du succès
M. Guieysse a fait une étude très complète, au point de vue
delà comparaison des textes, sur le chapitre 64 du Rituel, et il
se propose de la publier. Nous commencerons le Sutimès en
juillet. Je n'oublie pas que c'est vous qui m'avez donné l'idée de
l'éditer. La mère de M. Guieysse a été très souffrante. ... Pour lui,
1 Ce signe ne rend qu'imparfaitement la l'orine indiquée par Le-
fébure.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXIX
il est en voie de prospérité, et sur le point de devenir père une
troisième fois. Je ne connais pas par expérience, comme lui et
comme vous, les agréments et les désagréments attachés à l'état de
père de famille ; aussi ai-je été bien tenté, dans ces derniers temps,
de me mettre sous le joug. A mon âge on y regarde deux fois, mais
je ne suis cependant pas encore hors de danger1
Chabas avertit alors Lefébure de sa propre candidature
au poste de conservateur du Musée égyptien2. Lefébure lui
répondit le 3 juin 1875 :
Vous pouvez compter sur ma discrétion au sujet de votre de-
mande, qui du reste ne peut manquer de réussir. J'ai fait autrefois
une visite à M. Reiset pour poser ma candidature au poste d'atta-
ché à la conservation, en cas de vacance, et M. Reiset m'a dit dans
le cours de la conversation que la place de conservateur reviendrait
de droit à M. Pierret, à moins qu'une candidature hors ligne ne
s'imposât. Il faisait certainement allusion à la vôtre, dont le se-
cret me parait avoir été bien gardé, car je ne sais pas si M. Pier-
ret s'en doute Les fonds ont manqué pour remplacer M. De-
véria; mais M. Reiset tient à ce que la place ne demeure pas
vacante, et je vois par les journaux qu'il a envoyé aux députés une
sorte de pétition exposant l'insuffisance des différents services du
Louvre3
1. Lefébure se maria en effet peu de temps après; dans une de ses
lettres à Chabas, datée du 21 juin 1876, il est question de la santé de
Mffi° Lefébure.
2. Voir la Notice biographique de François-Joseph Chabas, dans la
Bibliothèque égyptologique, t. IX, p. cxxx, note 1. J'avais indiqué
que la demande de Chabas datait du mois de juin 1875 ; la lettre écrite
par Lefébure le 3 juin 1875 fait voir que cette demande était un peu
plus ancienne.
3. Lefébure écrivait encore à Chabas le 10 juin 1875 : « J'ai eu avant-
hier quelques nouvelles de la conservation du Louvre, par M. Zoten-
berg, qui ne m'a pas défendu d'en parle:' : c'est pourquoi je vous les
transmets. M. Pierret a été prévenu par M. Reiset que sa candidature
à la place de conservateur rencontrait deux obstacles, l'un consistant
dans une candidature plus sérieuse que la sienne, l'autre dans la fusion
XXX NOTICE BIOGRAPHIQUE
Lefébure renonçait donc à l'espoir d'être nommé au Musée
du Louvre. Il obtint cependant à la fin de l'année 1875 une
petite faveur officielle ; le Ministre de l'Instruction publique
lui fit don d'un exemplaire des Notices de Champollion1. La
Société d'Archéologie biblique de Londres le nomma mem-
bre honoraire5. Il voulut justifier cette nomination, et nous
voyons que, dès L'année suivante, il pensait à son mémoire
sur l'Adam égyptien3. On sait que ce mémoire ne parut
qu'en 1887, sous le titre Le Cliam et l'Adam égyptiens11.
Mais Lefébure étudiait aussi d'autres sujets capables d'inté-
resser la Société d'Archéologie biblique. Nous en trouvons
l'indication dans une lettre à Chabas, du 29 juillet 1873, où il
annonçait à son maître l'envoi d'un mémoire sur le texte de
la Destruction des hommes publié par M. Naville. Il termi-
nait cette lettre par une demande à Chabas. Il avait appris
qu'il était question de créer une chaire d'égyptologie dans
une ville de province, et il priait son maître d'intervenir
auprès du Ministre de l'Instruction publique, pour lui faire
obtenir cette chaire :
M. Zotenberg m'engage vivement à faire auprès de vous
une démarche dont il m'a dit vous avoir entretenu lors de votre se -
jour à Paris. Le Ministre de l'Instruction publique ayant décidé la
création de trois Universités, à Nancy, Lyon et Bordeaux, je crois,
possible du Musée égyptien avec le Musée des Antiques. Dans ce dernier
cas la place de conservateur serait sans doute supprimée ; mais le Musée
égyptien me semble trop important pour qu'on s'arrête définitivement à
cette mesure. »
1. Lettre de Lefébure à Chabas, du 31 décembre 1875.
2. Lettre de Lefébure à Chabas, du 19 juillet 1875.
3. Lettre de Lefébure à Chabas, du 21 juin 1876 : « Pourrai-je
vous soumettre un petit mémoire destiné à la Société d'Archéologie bi-
blique, et ayant rapport à une représentation qui m'a fait l'intituler
l'Adm» égyptien ' Je crains d'y avoir traité les mêmes sujets que vous
dans vus Hebrœo œgyptiaca. »
4. Transactions of the Society of Biblical Archœology, vol. IX,
1" partie, 1887.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXXI
il serait assurément désirable que la science égyptologique, née en
France où ellea toujours été florissante, y fût représentée au moins
dans une ville, lorsqu'elle l'est dans cinq au moins en Allemagne.
Nulle voix n'aurait l'autorité de la vôtre pour provoquer l'établis-
sement d'un cours d'égyptien, et une lettre de vous au ministre,
coïncidant avec d'autres recommandations dont je pourrai peut-
être user, suffirait assurément pour me faire nommer, clans le cas
où l'on nommerait quelqu'un
Chabas, après l'insuccès de sa récente démarche pour se
faire nommer conservateur du Musée égyptien du Louvre,
était beaucoup moins convaincu que Lefébure de son crédit
auprès du ministre. Il répondit donc, le 13 août 1876, qu'il
ne voulait pas s'exposer à un nouvel échec et n'interviendrait
pas officiellement, mais se bornerait à signaler publique-
ment le mérite de Lefébure. C'est à son mérite en effet,
nous le verrons tout à l'heure, que celui-ci dut d'être plus
tard désigné au choix du ministre par M. Maspero, et
chargé, au commencement de 1879, d'enseigner l'égyptologie
à l'Université de Lyon. Mais le refus de Chabas d'interve-
nir en sa faveur dès l'année 1876 lui causa une déception,
qu'il m'exprimait encore avec un peu d'amertume bien des
années plus tard'. Une petite compensation lui vint de
1. Lettre de Lefébure à Ph. Virey, du 6 août 1905 : « J'ai relu ces
jours passés, non sans mélancolie, votre livre sur la vie de Chabas,
et j'y ai retrouvé par petits indices une partie de la mienne, déjà bien
éloignée maintenant J'ai été disciple de ses ouvrages plutôt que de
lui-même. C'est l'égyptologue que j'ai le moins vu, de tous ceux que j'ai
vus, n'ayant jamais eu avec lui que trois entretiens de moins d'une
heure chacun. Bien que son chef-d'œuvre soit le Papyrus magique
Harris, il avait pris en grippe mon genre d'études, et je me trouvais par
là bénéficier d'une attitude toute spéciale de sa part, une sorte de neu-
tralité hostile. Zotenberg lui ayant demandé un jour, non sans quelque
malice peut-être, de s'intéresser à moi, il se fâcha, et jura ses grands
dieux qu'il n'en ferait rien, en arguant de mes insanités sur les Yeux
d'Horus. Voilà à quoi avait abouti pour moi l'amitié de Chabas, et
encore j'aurais mauvaise grâce à m'en plaindre, car j'ai trouvé bien pis
XXXII NOTICE BIOGRAPHIQUE
l'administration des Postes. Il obtint de l'avancement, et
fut nommé receveur à Lille'. C'est de là qu'il écrivait
à Chabas le 27 mai 1877 ■ :
L'égyptologie est comme la gloire, qui vend tr*ès cher les
plaisirs qu'elle donne, et c'est ce qui la perdra chez nous, main-
tenant que les hiéroglyphes n'ont plus l'attrait de la nouveauté.
Les gens qui peuvent se donner quelque luxe ne choisiront pas
celui-là.
Je ne me plains pourtant pas trop pour mon compte : il y a ici à
la Bibliothèque quelques recueils de textes que je pourrai facile-
ment, je pense, emporter chez moi. J'ai en outre plus de loisirs et
de tranquillité qu'auparavant, un coin de jardin avec du soleil, et
une petite maison beaucoup trop grande encore, puisqu'elle n'est
pas pleine de livres égyptiens.
J'ai travaillé un peu depuis mon installation, et j'ai traduit le
papyrus de Sutimès, que M. Guieysse et moi publions. J'ai eu, à
l'occasion du chapitre du cœur, à examiner l'idée de M. Naville
sur le V\ prohibitif, et je crois avoir précisé les objections que
vous lui avez déjà faites, en remarquant que C\ gérondif exige
un membre de phrase correspondant à celui où il figure : en faisant
telle chose, telle autre s'ensuit; or il n'est pas possible de tourner
ainsi le chapitre du cœur et plusieurs autres textes
Je pense que M. Guieysse vous offrira demain un exemplaire du
d'un autre côté. D'ailleurs a mon âge les choses du passé affectent de
moins en moins et n'apparaissent plus qu'à travers un nuage : il faut
s'occuper du grand voyage. »
Lefébure supposa donc qu'en refusant de s'occuper de sa demande,
Chabas avait eu l'intention de lui l'aire expier sa tendance vers les re-
cherches mythologiques. La raison indiquée par Chabas lui-même nous
paraît beaucoup plus vraisemblable.
1. Lettres de Lefébure à Chabas, datées de Paris, 31 décembre 1876 ;
et de Lille, 111, rue d'Arras, 27 mai 1877.
2. A cette date s'arrête la correspondance de Lefébure avec Chabas,
qui nous a été si utile pour la première partie de cette notice. A la fin
de 1877, Chabas était condamné à l'inaction par la maladie dont il
mourut un peu plus tard.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXXIII
texte de Sutimès, et je vous prie de vouloir bien l'accepter comme
un bien faible témoignage de notre reconnaissance
Un fils naquit à Lefébure, en 1878 ' . Sa vie à Lille semble
avoir été paisible et heureuse; sans doute il pensait n'avoir
plus qu'à suivre sa carrière dans le service des postes, bien
que cette carrière ne fût pas celle qu'il aurait préférée. Mais
alors l'occasion s'offrit à lui d'entrer dans l'enseignement
supérieur ; le désir qu'il avait exprimé à Chabas en 1876 !
allait donc se réaliser moins de trois ans plus tard.
En 1878, Armand du Mesnil, directeur de l'Enseigne-
ment supérieur au Ministère de l'Instruction publique, fit
appel aux conseils de divers savants, Paris, Berthelot,
Renan, Bréal, etc., au sujet de quelques enseignements
nouveaux à introduire clans les Facultés de province3. L'idée
de cette diffusion de l'enseignement supérieur n'était pas
tout à fait nouvelle, puisque Lefébure en avait entendu
parler deux années auparavant ; mais les circonstances
n'avaient pas été jusqu'alors propices à la réalisation de cette
idée. Bréal, consulté par Armand du Mesnil, s'adressa à
M. Maspero, et lui demanda son avis sur l'opportunité de
créer en province deux ou trois chaires d'égyptologïe \
Mais les égyptologues disponibles pour l'enseignement, et
disposés à enseigner en province, étant fort peu nombreux,
il parut que pour commencer il suffirait de créer une seule
chaire; et il fut reconnu que cette chaire devrait être d'abord
offerte à Lefébure. « Il fut convenu », écrit M. Maspero " ,
1. Son fils Edmond, qui mourut à Alger en 1890. C'est aussi en 1878
que Lefébure publia la première partie de son mémoire The Book of
Hades (j'rom the sarcophagus of Seul) dans les Records of the Past,
lil Séries, 1878, t. X, p. 85-135. La seconde partie de ce mémoire parut
en 1881 (Records of the Past, t. XII, p. 3-35).
2. Voir plus haut. p. xxx-xxxi.
3 et 4. Indications fournies par M. Maspero; lettre à Ph. Virey, du
6 février 1910.
5. Lettre â Ph. Virey, du 6 février 1910.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. ***
XXXIV NOTICE BIOGRAPHIQUE
«que nous choisirions Lyon, où il était question de la chaire
de sanscrit pour Regnaud, et d'une chaire de chinois ou de
japonais qui ne fut créée que beaucoup plus tard, et, je crois,
aux frais de la Chambre de Commerce. J'écrivis à Lefébure
pour lui faire part des intentions de Bréal, et pour lui
demander si, au cas où la chaire serait créée, il accepterait
d'en être le titulaire. Après quelques hésitations1, il accepta,
et Bréal se mit en campagne : l'affaire fut enlevée de haute
main, et dès janvier 1879 elle était achevée. » L'arrêté qui
nomma Lefébure à Lyon comme maître de conférences est
en effet du 27 janvier 1879 '. 11 ouvrit son cours le 26 avril
1879 par une leçon qui obtint le plus grand succès3, et fut
imprimée chez Pitrat1. Les conférences qui suivirent cette
première leçon furent consacrées les unes à l'enseignement
de la grammaire égyptienne, les autres à l'étude des peuples
en relations avec les Égyptiens'. Le mémoire que Lefébure
1. Après très peu d'hésitations; presque tout de suite Lefébure re-
mercia chaleureusement M. Maspero de l'avoir désigné (lettres de
Lefébure à M. Maspero, du 14 décembre 1878, du 5 janvier et du
5 février 1879).
2. Indication donnée par le Secrétariat de l'Université de Lyon.
3. Lettre de M. Maspero à Ph. V'irey, du 6 février 1910.
4. Sous le titre L'Egypte ancienne, Discours prononcé à l'ouverture
des conférences d'archéologie égyptienne à la Faculté des Lettres de
Lyon, le 'J<> avril 1879. Ce fut aussi chez Pitrat, en 1879, que Lefébure
lit imprimer sa traduction en vers français de Quelques mélodies irlan-
daises de Thomas Moore ; mais il est probable que cette traduction était
écrite a\ anl son arrn ée à 1 .\ on.
5. Indications fournies par le Secrétariat de l'Université de Lyon.
I efébure écrivait à M. Maspero le 22 décembre 1879 : «J'ai à faire par
semaine dois cours dont l'un est public; je comptais retrouver pour
celui-là mes quelques auditeurs de l'an passé, et par conséquent me
borner à des explications de textes, mais j'ai rencontré au contraire un
auditoire aouveau, el qui m'a entre parenthèse fort cm barrasse', parce
qu'il m'a fallu modifier entièrement ma leçon séance tenante. J'ai pris
pour sujel du cours public les relations des Égyptiens avec les autres
peupl s, el il lai it naturellement plus d'un ou\ rage pour traiter ce sujet,
comme pour traiter d'ailleurs tout sujet concernant l'Egypte. »
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXXV
fit imprimer en 1880 sous le titre Les races connues des
Égyptiens' est sans doute un résumé de ces conférences.
Le monde universitaire de Lyon avait jugé très favora-
blement le nouveau professeur, et l'avait fort bien accueilli.
On le trouvait un peu timide et réservé" ; mais il n'en était
pas moins estimé de ses collègues, et aimé de ses élèves3.
Toutefois n'ayant pas le grade cle licencié, il ne pouvait ar-
river au doctorat qui seul lui aurait permis de changer sa
maîtrise en chaire. Il s'adressa donc à M. Maspero qui obtint
pour lui du Ministère et de la Sorbonne la dispense de li-
cence4, et il se mit aussitôt à l'œuvre. Il avait pris pour
Or la bibliothèque de l'Université de Lyon manquait de livres
d'égyptologie. Lefébure, appuyé par M. Maspero, obtint du Ministère
une allocation pour l'achat des livres les plus nécessaires a son ensei-
gnement (lettre de Lefébure à M. Maspero, du 10 octobre 1879, relative
à la demande d'allocation; lettres du libraire Vieweg à M. Maspero,
du 20 décembre 1879, et de Lefébure à M. Maspero, du 22 décembre 1879,
relatives à l'envoi à Lefébure d'un exemplaire des Denkm&ler de
Lepsius).
1. Annales du Musée Gui met, t. I. Mne Note sur les chars de guerre,
adressée par Lefébure au baron Textor de Ravisi, parut aussi en 1880,
dans le Bulletin du Congrès provincial des Orientalistes français, ses-
sion de Saint-Etienne, t. II.
2. « Des rapports faits alors à Bréal, et qui me furent confirmés par
des lettres privées venant de plusieurs anciens camarades, alors profes-
seurs à la Faculté, nous le montrent on peu timide et réservé, mais
nullement sauvage à ses débuts. » (Lettre de M. Maspero à Pli. Virey, du
6 février 1910.)
3. Indication donnée par M. de Milloué, conservateur du Musée
Guimet.
4. Dès le mois de février 1879, Lefébure cherchait avec M. Maspero
les moyens d'obtenir cette dispense. Il se fit inscrire à l'École pratique
des Hautes Études dont le diplôme aurait pu lui fournir un titre pour
l'obtention de cette faveur (lettres de Lefébure à M. Maspero, du 20 fé-
vrier et du 21 août 1879, et du 30 août 1880); mais le directeur de l'En-
seignement supérieur, Albert Dumont, consulté par M. Maspero,
trouva plus régulier d'accorder purement et simplement la dispense de
licence, ce qui fut fait peu de temps avant le départ de Lefébure pour
l'Egypte (indications fournies par M. Maspero).
XXXVI NOTICE BIOGRAPHIQUE
sujet de thèse L'ancienne Egypte chez les Grecs'. M. Mas-
pero se chargea de présenter à M. Himly, doyen de la Fa-
culté des Lettres de Paris, la demande officielle pour que le
sujet fût inscrit; Lefébure lui écrivait de Lyon, le 31 dé-
cembre 1880 :
J'ai tardé à vous remercier pour ce que vous voulez bien faire
maintenant en ma faveur; c'est que j'ai préparé une petite thèse
et cela m'a mené plus loin que je ne pensais. Je vous l'adresserai
dans le courant de janvier avec une demande officielle et quelques
notes pour le Recueil.
Mais en janvier 1881 M. Maspero n'était plus à Paris. Il
était en Egypte, et Lefébure lui-même allait bientôt l'y
rejoindre, pour prendre la direction de la Mission perma-
nente, ou Mission archéologique française au Caire.
Cette mission permanente n'existait alors que depuis
quelques semaines. Elle avait été instituée le 28 dé-
cembre 1880, avec M. Maspero comme directeur. Mais à
peine arrivé en Egypte, M. Maspero fut appelé à succéder
à Mariette-Pacha, directeur du Service des Antiquités de
l'Egypte, qui venait de mourir au Caire2 ; et le Gouverne-
ment français dut chercher pour la Mission permanente un
autre directeur. «Mais alors, écrit M. Maspero, il n'y avait
personne que Lefébure qui fût en état de diriger l'Ecole. Je
priai Charmes3, qui avait à Paris la responsabilité de l'cn-
1. li avail pensé d'abord au sujet auquel il revint ensuite, aprèsavoir
étudié les Tombeaux des Rois, llécrivail en effel à M. Maspero le 10 octobre
1879 : ti Je désirerais vous demander quelques conseils sur le choix des
js : j'avais lait un travail sur le sarcophage de Séti Ier, traduction
mmentaire... l'ensemble de mon travail pourraitil servir encore de
thèse?... le sujel a'est-il pas trop spécial à 1 Egypte? Puis-je aussi,
comme thèse latine traiter la question de l'espèce humaine et de ses
d'après les documents égj pi iens '.'... »
2. Mariette mourut le 17 janvier 1881; M. Maspero lui nommé à sa
place le * fé^ rier.
:;. M. Xavier Charmes, qui était alors Directeur du Secrétariat au
Ministère de l'Instrucl ton publique.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXXVII
treprise, de demander à Albert Dumont, qui avait succédé
à Armand du Mesnil dans la direction de l'Enseignement
supérieur, de nous prêter Lefébure. Dumont y consentit,
et fit venir Lefébure à Paris, dans les premiers jours
février, pour lui exposer l'affaire1. » C'était encore un des
désirs de Lefébure qui se réalisait ; on se rappelle ses
démarches de 1873 pour se faire emmener en Egypte par
Mariette2. Il accepta tout de suite et écrivit à M. Mas-
pero pour le remercier de l'avoir désigné :
M. Dumont songe à m'envoyer en Egypte sous votre direction,
et j'ai accepté avec le plus grand plaisir, non sans quelques ap-
préhensions pour la santé de ma femme et de mon enfant, ni sur-
tout sans quelques doutes sur mon aptitude à remplir la tache,
encore inconnue de moi, que j'aurai à remplir Je crois com-
prendre que je dois ma nouvelle nomination à votre bienveillance,
et je ne puis mieux vous témoigner ma gratitude qu'en me mettant
à votre disposition de la manière la plus complète, et en vous pro-
mettant de faire tous mes efforts pour ne pas rester trop au-dessous
de ma tâche.
Cette lettre est datée de Monplaisir (Lyon), J2 février
1881. Lefébure écrivit encore de Paris le 20 février a
M. Maspero, pour lui annoncer sa prochaine arrivée en
Egypte :
J'ai vu ces jours-ci M. Dumont et M. Charmes, qui m'envoient
décidément auprès de vous. Nous partirons donc de Marseille le
jeudi 3 mars Je crains dans tous les cas qu'il ne vous soit pas
facile ou possible de nous loger à l'École, et je compte me ca>er
quelque part dans le voisinage en arrivant. M. Dumont m'a dit
avoir réservé une somme de 8.000 francs pour la bibliothèque de
l'Ecole; j'ai justement entendu dire, d'une manière très vague il
1. Lettre de M. Maspero à Ph. Virey, du 6 février 1910. M. Maspero
ajoute : « L'attitude de Lefébure pendant l'entrevue fut si réservée et si
silencieuse, que Dumont m'écrivit : « En voilà un qui ne vous causera
)) pas d'ennuis par des excès de volonté!» Lefébure consentit à venir en
Egypte, etc. »
2. Voir plus haut, p. xxv.
XXXVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
est vrai, que la bibliothèque de M. Chabas est à vendre. Je vais
me renseigner auprès de Maisonneuve, qui est chargé du cata-
logue, et je crois que 8 ou 10.000 francs au plus suffiraient pour
l'achat de cette bibliothèque. Si l'affaire est possible, j'en référerai
au Ministère, à moins de contre-ordre de votre part.
Lefébure était au Caire le mercredi 9 mars, avec Mme Lefé-
bure et son fils Edmond'. Il descendit àl'Hôtel d'Orient, M. Mas-
pero n'ayant pu lui céder tout de suite la place5 dans la maison
Zarifah 3, qu'il avait louée pour la Mission permanente. Mais
M. et Mme Lefébure vinrent dîner presque tous les soirs à la
Mission, et M. Maspero en profita pour mettre Lefébure au
courant de la situation 4. Il le présenta aux principaux per-
sonnages officiels de la colonie française, Blignières, Liron
d'Ayrolles, Bellaigue de Bugas, Bouteron, directeur français
de l'administration des Domaines, Gay-Lussac, de la Daïra-
Sanieh, Rochemonteix, inspecteur des Domaines ; et aussi
à Nubar-Pacha, à Tigrane-Bey, à Artin-Bey, depuis Artin-
Pacha. Lefébure se lia sans peine avec Rochemonteix, qui
le connaissait déjà, étant lui-même égyptologue; mais son
attitude réservée en présence des personnages officiels ne
1 «Mon frère aîné Edmond avait été emmené en Egypte. Il était né
en 1878... » (Lettre du Dr Lefébure à Ph. Virey, du 29 avril 1910). Le
traitement de Lefébure, d'après une lettre écrite en février 1881 par
M. Charmes à M. Maspero, était alors de 10.000 francs, dont 2.000 qu'il
conservait de son traitement à la Faculté des Lettres de Lyon, et 8.000
prélevés sur le fonds des Missions. A la (in de 1881, l'indemnité fournie
par le fonds des Missions lui. à la demande de M. Maspero, portée à
l'i 000 francs, ce qui éleva à 12.000 francs le traitement total de Le-
fébure.
2. M Maspero, alors souffrante, avait besoin de quelques jours de
repos avant de quitter la maison de la Mission permanente.
3. Ain^i désignée par le aom de sa propriétaire, M"" Zarifah, sage
femme des barems khédiviaux, cette maison était située dans la ville
a l'a 1rs à l'entrée d'une' ruelle qui s'embranche sur le boulevard Méhémel
Ali.
4. Lettre de M. Maspero à Ph. Virey, du 23 février 1010.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XXXIX
fut généralement pas jugée avec bienveillance1. Il réussit
mieux dans les milieux non officiels, auprès de Baudry,
Gambard, Vassalli et Brugsch, et fut bien accueilli par les
membres de la Mission permanente. Ceux-ci étaient Alctor
Loret qui succéda plus tard à Lefébure comme professeur
d'égyptologie à l'Université de Lyon, et fut pendant quelques
années directeur général du Service des Antiquités de
l'Egypte ; Boudant, qui fut directeur de la Mission, de
l'année 1886 à l'année 1898 ; Charles Loret, frère de Victor
Loret; l'arabisant Dulac; A. Rhône, que Lefébure con-
naissait depuis longtemps2 ; l'architecte Jules Bourgoin,
sous-directeur de la Mission.
Vers le milieu de mars, M. Maspero partit pour visiter la
Haute Egypte comme directeur du Service des Antiquités.
Loret, Bouriant et Bourgoin partirent avec lui, et Lefébure
resta au Caire avec l'arabisant Dulac. On lui reprocha de
s'être alors trop renfermé chez lui et de n'avoir vu personne;
son ardeur au travail expliquerait peut-être cette réclusion,
qui fut attribuée à la timidité et à la sauvagerie. C'est en
effet au Caire, et précisément à cette époque, que Lefébure
écrivit son étude Sur différentes formes des mots dérives,
qui fut imprimée dans le Recueil de Travaux, année 1883.
M. Maspero revint de son inspection au commencement
du mois de mai 1881, et repartit pour la France des le mois
de juin. Quant à Lefébure, il ne prit pas de vacances en 1881,
ou plutôt il prit trois semaines de vacances sans sortir de
l'Egypte, au commencement de l'automne, en voyageant
trois semaines avec Rochemonteix sur le Nil et ses canaux.
Mais auparavant il eut le privilège, à la fin de juillet,
d'avoir à reconnaître les momies royales que Brugsch3
ramenait de Déir-el-Bahari à Boulaq. Avec les deux égyp-
1. Lettre de M. Maspero à Ph. Virey, du 23 février 1910.
2. Voir plus haut, p. xxiv, 1. 7.
3. Emile Brugsch-Bey, aujourd'hui Brugsch-Pacha, alors conserva-
teur-adjoint du Musée de Boulaq.
XL NOTICE BIOGRAPHIQUE
tologues de la Mission permanente, Victor Loret et Urbain
Boudant, il dressa le catalogue de ces momies royales, et
travailla si activement, malgré la chaleur de la saison, que
le 6 août 1881 il avait achevé sa notice intitulée Le pu ils
de Déir-el-Bahari. Cette notice, qui parut presque aussitôt
dans les Annales du Musée Guimet, t. IV (1881), donna
en France les premières nouvelles un peu détaillées de la
fameuse découverte.
Aussi Lefébure ne regrettait pas d'avoir dû passer l'été
en Egypte, et supportait fort bien les chaleurs. Au com-
mencement de l'automne, Rochemonteix lui proposa de
l'emmener en inspection dans les Barari ; ce furent ses
vacances. Le voyage se passa très gaiement d'après le récit
que Rochemonteix en fit à M. Maspero :
Il avait en même temps sur sa dahabiéh un des moufattiches
de l'administration des Domaines, qui avait appris un peu le
français et qui voulait se perfectionner dans la langue. Lefébure
de son côté ne demandait qua parler arabe ; ils convinrent de se
donner des leçons au pair, et Rochemonteix, qui était farceur, les
aida à sa façon. La veille de la première leçon il montra à son Cir-
eassien la conjugaison du verbe aller, qui était, assurait-il, la plus
irrégulière de toutes les conjugaisons françaises. Le lendemain matin
Lefébure, interrogeant son compagnon, entendit que l'arabe anagaî
signifiait djimlakass. Djimlakass bétonna un peu, puis il songea
que l'autre était Circassien, et il lui demanda aimablement si djim-
lakass était le tcherkess pour ana gai. < le l'ut seulement en voyant
Rochemonteix se tordre de rire qu'il flaira une plaisanterie : djim-
lakass était l'argot je me la casse, et tout le reste de la conjugaison
était à l'avenant. Le voyage dura trois semaines, partie sur le Nil,
partit' sur les canaux, et Lefébure m'en parla avec enthousisasme : il
avaiteu enfin une première vision de l'Egypte, et il avait deviné par
le paysage présent la réalité des paysages fluviaux représentés
dans Les mastabas1.
Quand M. Maspero reparti 1 pour son inspection en Haute
lv_<\ pi'', I .efébure demeura au ( îaire, où il avait à diriger le
1. Lettre de M. Maspero à l'h. Virey, du 23 février 1910.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XLI
travail des membres de la Mission permanente. Ceux-ci,
qui rendaient justice à son mérite scientifique, appréciaient
aussi sa bienveillance. Une fois cependant son autorité fut
méconnue, un des membres arrivés avec M. Maspero ayant
eu la prétention de ne recevoir d'instructions que de
M. Maspero lui-même; celui-ci dut intervenir à son retour
au Caire. La douceur de Lefébure le laissait trop désarmé
en présence de semblables difficultés; une lettre qu'il écri-
vit à M. Maspero le 30 décembre 1881 montre que, malgré
les recommandations de M. Xavier Charmes, il hésitait à
commander nettement et à faire sentir son autorité.
M. Charmes m'a écrit aussi de surveiller M. Bourgoin et
de lui donner des ordres précis : je compte m 'autoriser de cette
recommandation pour proposer à M. Bourgoin différents travaux,
du moins au cas où vous n'y verriez pas d'inconvénient et où lui-
même n'aurait pas d'autres occupations. En premier lieu je dési-
rerais qu'il copiât tout le tombeau de Séti Ier, de manière à en
soustraire au moins les textes aux ravages inévitables des touristes
et des Arabes M. Bourgoin songeait à faire le voyage de Ro-
sette, mais je crois qu'il a abandonné ce projet. S'il copiait le tom-
beau de Séti Ier, il aurait sans doute besoin de conseils, et en con-
séquence j'ai demandé à tout hasard au Ministère l'autorisation de
passer une dizaine de jours à Thèbes, où j'ai quelques textes à re-
lever, tant à Karnak qu'aux tombes royales. ■ — M. Charmes espère
qu'en cas d'épidémie (on craignait le choléra) vous voudrez bien
mettre la maison de Saqqarah à la disposition de l'École, et je
l'espère comme lui, d'après ce que vous avez eu l'obligeance de
me dire à ce sujet.
Il semble ressortir de cette lettre que certaines qualités
d'initiative faisaient défaut à Lefébure. Il faut dire toutefois
que les travaux qu'il n'osait pas ordonner, les déplacements
qu'il n'osait pas se permettre sans en référer au Ministère
ou à M. Maspero, devaient entraîner des dépenses qu'il lui
était peut-être difficile d'engager sans savoir si son initia-
tive serait approuvée. La situation financière de la Mission
XLII NOTICE BIOGRAPHIQUE
était encore mal définie et un peu précaire1 ; il en résultait
pour le directeur des inquiétudes et des ennuis. Ces ennuis
ne l'empêchaient pas de travailler avec courage. Au com-
mencement de l'année 1882, il crut que le moment était
venu de présenter ses thèses pour le doctorat es lettres,
dont la présentation avait été retardée par son brusquedé-
part pour l'Egypte en 1881 \ M. Maspero s'occupa de nou-
veau de la demande officielle qui avait dû être faite l'année
précédente; et Lefébure le remercia de ses démarches en
lui écrivant du Caire3 le 23 mars 1882 :
Je vous remercie de l'aimable lettre que vous m'avez écrite
quoique souffrant, ainsi que de la nouvelle que vous m'apprenez :
je n'en ai pas été informé officiellement, et mon collègue de sans-
crit m'en avait seulement renouvelé l'assurance.
Il voulut alors partir en congé pour la présentation de
ses thèses à Paris, qui devait être faite avant les vacances.
Le 15 mai 1882, il écrivit du Caire au Ministre de l'Instruc-
tion publique :
Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de vous informer que conformément à l'avis de
M. Maspero, qui regarde comme urgente la présentation de mes
thèses, je compte ne pas attendre mon autorisation de congé et
partir par le bateau du 16 courant. M. Maspero veut bien se char-
ger de la comptabilité de l'École à partir de cette date*.
M. Maspero reçut en eiîet du Ministère, dès le 17 mai,
l'annonce d'un crédit de 16.000 francs destiné à l'École.
Le 27 mai Lefébure était à Monplaisir près de Lyon,
d'où il repartit bientôt pour Paris afin de présenter ses
thèses. Nous avons vu5 que le sujet de sa those française
1. Lettre de M. Ma<pero à Ph. Virey, du 23 février 1910.
2. Voir plus haut, p. xxxv-xxxvi.
3. M. Maspero était alors en Haute Egypte.
4. Texte communiqué par M. Maspero.
5. Voir plus haut, p. xxxvi.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XLIII
était L'ancienne Egypte chez les Grecs; cette thèse, dé-
posée à la Faculté des Lettres de Paris, fut renvoyée pour
examen à Egger, le 22 juin 1882'. De retour à Mon plaisir
le 1er juillet 1882, Lefébure écrivit à M. Maspero, pour lui
rendre compte de ses démarches à Paris :
J'arrive de Paris, où j'ai vu MM. Himly, Bouché-Leclercq et
Egger, qui ont accepté sans trop de difficulté mes sujets de thèse,
en demandant toutefois que les documents classiques tiennent au-
tant de place dans mes recherches que les documents égyptiens. Je
tâcherai de les satisfaire autant que possible M. Egger m'a
paru un bien excellent homme, et m'a accueilli, venant de votre
part, de la façon la plus obligeante A distance les affaires
d'Egypte ne paraissent pas s'éclaircir beaucoup; j'espère néan-
moins que vous n'en ressentez pas trop d'ennuis à Boulaq2.
Peu de temps en effet après le retour de Lefébure en
France pour le dépôt de ses thèses à Paris, l'agitation poli-
tique qui troublait l'Egypte depuis le soulèvement militaire
du 8 septembre 1881 avait pris un caractère tout à fait
violent. Le 11 juin 1882 un grand nombre d'Européens
1. M. Bouché-Leclercq, à qui nous sommes redevable de cette indi-
cation, découverte dans un carnet du doyen Himly, ajoute les obser-
vations suivantes : «J'ignore si la mention, écrite sur la même ligne
que le titre précédent : Apothéose che~ les Égyptiens, est un sous-titre,
ou le titre traduit d'une thèse latine (langue obligatoire en ce temps-là)
qui a été renvoyée à M. Bouché-Leclercq. Les deux thèses n'étant pas
nécessairement déposées en même temps, il se peut qu'il s'agisse de la thèse
française, laquelle m'aurait été renvoyée par M. Egger (?) pour révision
complémentaire. Pour quelle raison cette première tentative de M. Le-
fébure n'a pas abouti, les rapports ayant disparu, on ne peut plus le
savoir. Peut-être a-t-on attendu, pour se prononcer, le dépôt de la thèse
latine qui n'est pas venue.» (Communication transmise par le
R. P. Scheil, de la part de M. Bouché-Leclercq.) 11 est possible que
Lefébure ait simplement renoncé à ses premiers sujets de thèses, parce
que les hypogées royaux de Thèbes, qu'il étudia quelques mois plus tard,
lui offrirent un autre sujet, qu'il trouva plus original.
2. Lettre de Lefébure à M. Maspero, datée de Monplaisir, 1" juillet
1882.
XLIV NOTICE BIOGRAPHIQUE
furent massacrés dans Alexandrie par la populace. Il n'y
eut pas cependant de massacres au Caire, comme il y en
avait eu à Alexandrie et sur d'autres points de la Basse
Egypte. Mais il était permis de craindre que l'ordre n'y pût
être maintenu pendant toute la durée de la crise. En l'ab-
sence de Lefébure, M. Maspero pourvut à la sécurité des
membres de la Mission archéologique. Il licencia l'École,
et envoya Victor Loret au Liban, Urbain Boudant à Port-
Saïd, et Dulac à Salonique '.
Après la bataille de Tell-el-Kebir et le rétablissement de
l'ordre en Egypte, la Mission permanente se reconstitua au
Caire. M. Xavier Charmes aurait désiré pour elle un direc-
teur bien pourvu d'énergie et de qualités pratiques. Il jugeait
que ces qualités faisaient un peu défaut à Lefébure. Il vou-
lut pourtant ménager celui-ci, et lui fit pour le retenir en
France des propositions qui auraient pu le séduire2. Mais
Lefébure comptait toujours étudier les tombes royales de
Thèbes. 11 insista pour être envoyé de nouveau en Egypte,
et M. Charmes, espérant de lui un travail qui ferait honneur
à la Mission, le laissa repartir. Lefébure reprit donc la di-
rection de la Mission au mois d'octobre 1882, et s'occupa
de préparer son voyage à Thèbes. Le 15 décembre 1882 il
renouvela le bail de la maison Zarifah. La propriétaire im-
posa une augmentation de loyer; enfin Lefébure disposait
encore de 7.000 francs pour le voyage et pour le séjour
à Thèbes3. Il partit du Caire le 22 janvier 1883, avec Victor
Loret et Urbain Bouriant; il comptait aussi sur le concours
de l'architecte J. Bourgoin, d'après une lettre que le 21 jan-
vier, veille de son départ, il écrivit à M. Maspero :
1. Lettre de M. Maspero à Ph. Virey, du 23 février 1910.
2. Indications données par M. Maspero, d'après une lettre de
M. Xavier Charmes, du mois d'octobre 1882.
3. Une lettre de M. Charmes à M. Maspero, du 22 décembre 1882,
indique qu'une soin un- de 10.000 francs dut être mise à la disposition de
Lefébure au commencement du mois de janvier 1883.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XLV
Je crois que M. Bourgoin viendra à Thèbes; mais il ne se met-
trait en route que 8 jours après nous, qui partons demain lundi.
— Vous avez fait en traduisant les textes d'Unas un tour de force
dont personne que vous n'était peut-être capable. Permettez-moi
de vous en féliciter, et de vous en remercier personnellement pour
tous les secours que j'en ai tirés.
Bourgoin ne vint jamais1. Lefébure ressentit sans doute
trop de satisfaction, lorsqu'il fut arrivé au but de son
voyage, pour regretter beaucoup l'absence du collaborateur
qui lui échappait.
On ne peut guère n'être pas sensible au charme du mer-
veilleux paysage de Thèbes. Lefébure a essayé d'exprimer
la jouissance qu'il ressentit en se rendant de Louqsor à la
Vallée des Rois, dans une fort jolie description qui se trouve
aux pages 3-9 de sa publication du Tombeau de Séti Ier.
Mais il était venu pour travailler plutôt que pour jouir des
beautés de la nature. Il eût été fort agréable de s'établir à
l'Hôtel de Louqsor, alors tranquille et construit dans un site
délicieux, sur la rive droite du Nil, de traverser chaque
matin le fleuve, les champs parfumés de la rive gauche, et
les gorges sauvages qui conduisent aux tombes royales, et
de revenir chaque soir à Louqsor. Ces longues promenades
du matin et du soir, à travers une campagne où l'air est si
pur, auraient reposé l'archéologue des journées passées dans
les galeries souterraines et mal aérées du tombeau de Séti Ier,
qui s'étendent sous la montagne jusqu'à la distance de
145 mètres, et descendent à 56 mètres au-dessous du niveau
de la vallée. Mais de telles promenades auraient pris plu-
sieurs heures chaque jour, et en présence de l'immensité de
la tâche le temps de Lefébure était compté. Il fit donc comme
avait fait Champollion, et s'installa dans une des tombes
royales, « où il coucha pendant des semaines entières», écrit
M. Maspero, « sous la garde des ghafirs du Musée. Cham-
pollion avait agi de même, et avait pris là les germes de la
1. Indication donnée par M. Maspero.
XLVI NOTICE BIOGRAPHIQUE
maladie dont il mourut à son retour en France. M. Lefébure
a été plus heureux que Champollion : il a pu achever son
œuvre sans que sa santé en souffrît1. »
Lefébure a indiqué2 quelle fut dans ce travail la part de
Bouriant et de Loret, qui, bien qu'occupés eux-mêmes à
d'autres études, lui donnèrent une partie de leur temps et
collaborèrent à son œuvre. Il profita aussi des travaux de
ses devanciers ', et du concours que lui offrirent généreuse-
ment MM. Naville et Schiaparelli '. Il n'en accomplit pas
moins lui-même, dans les mois de février3 et mars 1883, une
œuvre des plus considérables, en préparant la publication
complète du Tombeau de Séti Ier6.
Les autres tombes royales, et particulièrement celle de
Ramsès IV7, furent consciencieusement étudiées pendant
1. Maspero, Les hypogées royaux de T/ièbcs, dans la Bibliothèque
ègyptologique, t. II, p. 2. M. Maspero écrit encore : «Je lui rendis visite
à plusieurs reprises pendant mon inspection, et je le trouvai installé
dans un tombeau, assez gai et très bien portant : j'ai l'impression que
ce fut une des meilleures années de sa vie. » (Lettre de M. Maspero à
Ph. Virey, du 12 mars 1910.)
2. Le Tombeau de Sèti /", p. 15-16.
3. Champollion, Rosellini, Lepsius, etc. Voir Le Tombeau de Sèti /",
p. 15-16.
4. Ibid.
5. Lefébure avait presque achevé, le 24 février 1883, son travail dans
le tombeau de Séti Ier. Il écrivit alors de Gournah à M. Maspero :
« J'aurai terminé dans trois jours seulement le brouillon complet du
tombeau de Séti Ier; le relevé de tous les détails est assez long à faire,
surtout sans le concours de M. Bourgoin, qui, paraît-il, ne va pas bien
du tout. »
6. E. Lefébure, Les Hypogées royaux de Thèbes. Première division :
Le Tombeau de Sèti T\ publié in-extenso, avec la collaboration de
MM. U- Bouriant et V. Loret, et avec le concours de M. Ed. Naville
'forme !<■ tome II des Mèmoit-rs publiés par les membres de la Mission
française permanente d'archéologie au (.'aire. Paris, Ernest Leroux,
1886).
7. Les Hypogées roi/aux de Thèbes, par E. Lefébure : Seconde divi-
sion. Notices des Hypogées, publiées avec la collaboration de MM. Ed.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XLVII
cette fructueuse campagne, par laquelle Lefébure justifia
amplement les espérances de M. Charmes, et le choix que
M. Maspero avait fait de lui pour conduire les travaux de
la Mission permanente.
Il avait, dès le mois de janvier 1883, demandé au Minis-
tère de l'Instruction publique l'autorisation de retourner en
France dès le mois d'avril, afin d'y ramener Mrae Lefé-
bure. Celle-ci attendait pour le mois de juin la naissance
de son second enfant ' et le Dr Dacorogna lui conseillait de
rentrer vers le quatrième mois de sa grossesse2. L'autorisa-
tion fut accordée. Cependant M. Xavier Charmes regretta
que Lefébure demandât si souvent des congés, et le 5 mars
1883 il écrivit à M. Maspero :
Il est déplorable que M. Lefébure manque si complètement
d"énergie, et qu'il se soit entêté à revenir en Egypte pour songer,
à peine arrivé, à reprendre le chemin de la France. Nous rappor-
tera-t-il au moins un travail qui fasse honneur à notre Institut?
La lettre que j'ai reçue de vous hier m'en donne l'espoir !.
Le 1er avril 1883, Lefébure était de retour au Caire', d'où
il annonça à M. Maspero son prochain départ pour la France.
Pardonnez-moi si je n'ai pu vous faire une visite avant votre
départ (de Louqsor), obligé que je me trouvais d'achever en hâte,
avant l'arrivée définitive des grandes chaleurs, ce que j'avais com-
mencé à Biban-el-Molouk. J'ai espéré un moment qu'il me serait
Naville et Ern. Schiaparelli. — Troisième division. Tombeau de
Ramsès IV (forment le premier et le second fascicule du tome III des
Mémoires publiés par les membres de la Mission archéologique fran-
çaise au Caire, Paris, Ernest Leroux, 1889).
1. Cet enfant, qui naquit le 23 juin 1883, est devenu le Dr Lefébure.
2 et 3. Communications de M. Maspero.
4. Il avait donné à l'Institut égyptien, en 1883. un mémoire sur L'Art
égyptien, qui parut en 1884, dans le Bulletin de l'Institut, 2e série, n° 4.
Il avait aussi envoyé à la Zeitschrift fur âgt/ptischc Sprache und
Altertumskunde un remarquable mémoire, intitulé Un chapitre de la
chronique solaire, qui fut publié en 1883.
XLVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
possible de vous présenter mes excuses à Dendérah, mais notre
bateau ne s'y est pas arrêté, et aujourd'hui, la situation de ma
femme [tressant, me voici sur le point de partir pour la France par
le prochain bateau, conformément d'ailleurs à l'autorisation qui
m'a été donnée par le Ministère'. J'emploierai les deux premières
semaines que je passerai en France à recopier mon travail de
Biban-el-Molouk, et je l'adresserai ensuite soit au Ministère, soit
à vous-même, selon les instructions qui me seront données.
Il s'occupa dès son retour en France des moyens de pu-
blier ce grand travail. La bienveillance éclairée de M.Guimet
lui offrit ces moyens, et il put écrire de Lyon à M. Maspero
le 23 mai 1883 :
J'ai vu avant-hier M. Charmes, qui venait de s'entendre avec
M. Guimet pour publier le travail de la Mission à Bab-el-Molouk.
Il m'a chargé d'écrire à MM. Loret et Bouriant pour leur deman-
der leurs copies, et à M. Bourgoin pour le faire venir en France
aux frais de la Mission, s'il se charge des planches du tombeau
de Séti Ier. L'entente définitive avec M. Guimet a eu lieu un peu
tard : M. Guimet se proposait de voir M. Charmes le 5 mai et me
paraît ne l'avoir pu faire avant le 21, d'où une certaine perte de
temps qui ne sera pas d'ailleurs irréparable, si je ne me trompe.
Lefébure exprima sa reconnaissance envers M. Guimet
dans une lettre qu'il écrivit le3 juillel a M. de Milloué,con-
servateur au Musée Guimet, et où il annonçait la naissance
de son second fils. Le choléra venail alors de se déclarer en
Egypte, vers la tin de juin 1883. La mortalité devint presque
aussitôt très forte au Caire. M. Maspero, qui veillait sur la
Mission pendant l'absence du directeur, sut pourvoir à toutes
les nécessités de la situation. Il avança aux membres de la
Mission les sommes dont ils axaient besoin pour quitter
1. Cornu a 1.S.X2, M. Maspero repril alors la direction de la Mission
pendanl l'absence de Lefébure. Il eut à faire revenir au Caire Victor
que Lefébure avail laissée Thèbes pour les tr.-i\ aux de la Mission,
sans avoir pu assurer son retour. M. Maspero y pourvut, avec le con-
■I" M. Pagno q, directeur de l'agence Cook au Caire, el <le M"11' Au-
eur de M. Pagnon, et propriétaire de l'Hôtel de Louxor.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XLIX
l'Egypte, et les renvoya tous, à l'exception de Boudant qui
entrait au Musée de Boulaq1.
On ne pouvait accuser Lefébure d'avoir fui devant le dan-
ger, puisqu'il était parti en congé régulier plus de deux
mois avant l'apparition du fléau. Mais son absence à ce
moment critique fit remarquer la fréquence et la durée des
congés qu'il prenait. Ses pouvoirs de directeur de la Mission
expiraient au mois d'octobre 1883. Ils ne furent pas renou-
velés2; peut-être n'en avait-il pas lui-même demandé le re-
nouvellement. Son séjour en Egypte avait été fructueux
pour la science; il y avait affirmé de nouveau ses mérites de
savant et de professeur; mais, avec le titre de directeur de la
Mission, il n'avait pas joué le rôle d'un véritable directeur;
M. Maspero avait dû le remplacer chaque fois qu'une auto-
rité vigoureuse avait été nécessaire.
Lefébure reprit donc ses cours à la Faculté des Lettres
de Lyon. Il lit alors paraître, dans l'Annuaire de cette Fa-
culté (année 1884), une étude sur V ancienneté du cheval en
Egypte". Il donna aussi, dans une conférence municipale
faite à Lyon le 29 février 1884, une intéressante étude de
1. Lettre de M. Maspero à Ph. Virey, du 12 mars 1910.
2. M. Grébaut fut alors nommé directeur de la Mission permanente
à la place de Lefébure; mais il n'entra effectivement en fonctions qu'à
la fin de 1884, et pendant l'année 1883-1884 M. Maspero resta directeur
intérimaire.
3. Il écrivait à M. Maspero le 20 Juillet 1884 : « Je pense que vous
devez être arrivé à Paris: je vous y adresse donc une première livraison
du Tombeau de Séti Ier... J'y joins une note sur l'ancienneté du cheval
en Egypte : c'est à peu près là tout ce que j'ai à mon actif cette année,
la mise au net de nos matériaux, le travail préliminaire de la publica-
tion du Tombeau de Séti Ier et la confection de mes deux thèses m'ayant
pris le plus clair de mon temps. — Nous avons une session d'examens
pour le baccalauréat qui est très chargée, mais je pourrai dans tous les
cas faire le voyage de Paris vers le 15 août ou quelques jours après.
Je dois apporter ma thèse latine à M. Egger pour la lui lire... quant à
ma thèse française, elle est entre les mains de M. Bouché-Leclercq. »
La thèse française ayant été ajournée, la thèse latine ne fut remise ni à
M. Maspero (indication fournie par M. Maspero), ni à Egger.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. ****
L NOTICK BIOGRAPHIQUE
folklore, qu'il intitula Le Conte \ et qui fut imprimée chez
Pitrat (1885). Il y parlait de la revue Mélusine, où pa-
rurent ensuite quelques-uns de ses meilleurs travaux.
Il avait présenté au sixième Congrès international des
Orientalistes, tenu à Leide en 1883, un mémoire Sur quel-
ques fouilles et déblaiements à faire dans la Vallée des Rois''.
Après l'étude si consciencieuse qu'il avait faite des tombes
royales de Tlièbes, aucun savant n'était mieux qualifié que
lui pour donner sur cette question des indications précises
Il préparait en même temps la publication des résultats de
son grand travail. Mais son goût pour cette étude lui
lit croire trop facilement que les hypogées royaux de Thè-
bes seraient aussi intéressants pour d'autres que pour lui,
et qu'il en pouvait tirer le sujet d'une thèse pour le docto-
rat es lettres. Il laissa donc les sujets qu'il avait déjà pré-
parés1 ou choisis : L'ancienne Egypte chez les Grecs, Apo-
théose ches (es Egyptiens, et prépara une nouvelle thèse4,
1. C'est le 29 décembre 1884 que Lefébure écrivit pour la première fois
de Paris, 41, rue Laugier, à M. H. Gaidoz, directeur de Mélusine, en
lui envoyant sa conférence sur Le Conte.
2. Publié dans le volume II des travaux de la 6° session du Congrès,
international des Orientalistes à Leide. — Leide, E.-J. Biïll, 1884. Le-
fébure écrivit aussi un article intitulé Une scène de harem sous l'ancien
empire égyptien, pour le volume des Études dédiées à M. le D1 Leemans.
3. Voir p. xxxvi et xliii.
3. «... M. Lefébure choisit alors un autre sujet. Le 9 mai 1884, dépôt
d'une nouvelle thèse, intitulée Biban-el-Molouk, remise à M. Bouché-
Leclercq, Lequel L'a communiquée (évidemment comme se reconnaissant
upétent) à M. Maspero. Le manuscrit a été alors retourné à l'au-
teur, avec demande de corrections, le 22 décembre 1884. Est-il jamais
revenu à la Sorbonne? je l'ignore. Je ne sais pas davantage si la thèse
mentionnée à La date du 29 mars 1887 sous le titre Osymandias de Dio-
d'/re, thèse renvoyée à \I. Collignon, était une thèse latine, qui devait
s'apparier avec La thèse précédente, — ou avec la suivante, — peut-être la
même? corrigée el représentée, Le 9 février 1888, sous le titre : Étude
des Hypogées royau c [de Thébes ?]. Celle-ci est examinée par B.-L., qui,
d'après La uote 'lu doyen, «hésite et renvoie à M. Collignon». Elle est
enfin retournée «à correction », sans doute, sur avis conforme des deux
NOTICE BIOGRAPHIQUE LI
« qui traitait », dit M. Maspero1, « des représentations des
Tombeaux des Rois. C'était, autant qu'il m'en souvient »,
ajoute M. Maspero, « après l'introduction qu'il inséra presque
mot pour mot comme préface en tête de son Séti Ier, une
étude sur la vie de l'autre inonde telle qu'elle est décrite
dans les livres divers insérés aux tombeaux des Rois. Il y
étudiait les dieux des morts, leur rôle, leur parenté, et d'une
manière générale la façon dont les Égyptiens étaient passés
de la conception d'une vie dans la tombe à celle d'un pa-
radis osiriaque. » Ce nouveau sujet n'était pas heureusement
choisi, à cause de son caractère trop spécial'", et Lefébure
examinateurs, le 9 août 1888. Il n'est pas question, cette fois, de
M. Maspero La Faculté, qui n'avait pas encore pris le parti de re-
courir aux lumières du dehors, n'aura pas voulu se laisser entraîner à
une discussion sur des matières totalement étrangères à son enseigne-
ment. » (Communication transmise par le R. P. Scheil, de la part de
M. Bouché-Leclercq.)
1. «... Bouché-Leclercq se chargea sur ma demande d'examiner sa
thèse française, la seule qu'il eût faite, et qui traitait des représentations
des Tombeaux des Rois. L'introduction de ses Hypogées royaux en est
un extrait presque littéral. Bouché-Leclercq trouva le travail assez bon,
mais plein de références inexactes aux auteurs classiques, et il renvoya
le manuscrit à Lefébure avec des notes, lui demandant de revoir le
tout... » (Lettre de M. Maspero à Ph. Virey, du 12 mars 1910.)
M. Maspero ajoute que la thèse lui avait été antérieurement communi-
quée directement par Lefébure, et qu'il avait donné un avis favorable
pour l'égyptien.
2. Lefébure lui-même écrivait de Lyon à M. Maspero le 31 décembre
1883 : a Permettez-moi de vous adresser mes vœux du jour de l'an
les plus sincères pour vous et pour M'"e Maspero Un de ces vœux
serait que ma thèse ne vous arrivât point, car elle est peu récréative;
pourtant je ne puis que l'adresser à M. Himly,qui vous la transmettra
sans doute, ou que vous l'adresser moi-même directement dans le cou-
rant de janvier, au cas toutefois où vous auriez l'obligeance de consentir
à y jeter un coup d'œil. » — Il écrivait encore de Lyon le 14 avril 1884 :
« Je vous adresse en même temps que cette lettre le manuscrit de ma
thèse à laquelle il manque la conclusion, puisque celle-ci dépendra de
vos observations; du reste, en ce qui concerne l'enfer, Râ, et Osiris,
les croyances égyptiennes ont peu de rapport avec les croyances
LU NOTICE BIOGRAPHIQUE
eût été sans doute mieux inspiré de s'en tenir à sa thèse
de 1882. Le nouveau travail fut au moins rapidement com-
posé, puisqu'il était déposé à la Sorbonne le 9 mai 1884,
après avoir été communiqué à M. Maspero. Le 22 mai 1ns 1,
Lefébure avait reçu de M. Ilimly, doyen de la Faculté des
Lettres, une réponse qu'il transmit encore à M. Maspero,
avec la lettre suivante :
Je vous transmets la réponse de M. Himlyà la réponse que vous
avez bien voulu me faire. — Je vous serais très reconnaissant, si
en dehors de la communication demandée vous aviez la bonté de
me signaler d'un mot les points particulièrement faibles de ma
thèse, afin que je tâche dès maintenant de les retoucher. J 'entrevois
par exemple que la théorie de l'évolution religieuse que j'ai hasardée
ne ferait pas fortune en Sorbonne, et je l'atténuerai; mais il y a
bien d'autres cas où j'ai dû abonder dans mon sens en ne pré-
voyant pas les objections. — Mon autre thèse (sur Diodore) est à
peu près terminée, et je l'adresserai à M. Egger, qui a consenti à
la revoir sans autre formalité ' , J'espère bien pour vous qu'il n'aura
pas changé d'avis*.
Nous ne pouvons pas parler de ces thèses, qui n'ont pas été
publiées3, et que nous n'avons pas connues. Lefébure soup-
grecques, qui ne comportaient ni la descente du Soleil aux Enfers, ni
l'existence d'un dieu personnifiant les Mânes. La partie descriptive de
ma thèse est bien longue : il faudrait sans doute qu'elle fût reproduite
en petits caractères ou rejetée en appendice. J'ai complété la partie
explicative par quatre petits chapitres portant sur des points de détail.
mai- mon copiste est fort lent, et je ne les joindrai à la thèse qu.> si j,.
puis vous les adresser à temps, c'esl a dire dans une dizaine de jours. —
La bibliographie esl incomplète en plusieurs points: je n'ai pu consul
terni me procurer encore ni Rosellini, ni Le Fétichisme de Pietschmann,
ni Belzoni, ni les dernières publications. » (Communications de
M. Maspero.)
1 . C'est sans doute cette thèse qui fut renvoyée à M. Collignon (voir
plus haut, p. l, note 3) après la mort d'Egger.
•J. Communication de M. Maspero.
3. A l'exception de la jolie description du paysage de Thèbes qui
forme l'introduction de la publication des Hypogées royaux (indication
de M. Maspero; voir la noti- 1 de la page li).
NOTICE BIOGRAPHIQUE LUI
çonna, parait-il, que l'avis de M. Maspero ne lui avait pas été
favorable, et attribua à cette intervention l'ajournement de
sa thèse principale. On sait qu'il se défiait de M. Maspero; mais
les indications dont nous sommes redevables à M. Bouché-
Leclercq1 ne nous paraissent pas confirmer ses soupçons. La
cause de son insuccès dut être plutôt, comme M. Bouché-
Leclercq l'indique, le choix qu'il avait fait d'un sujet tota-
lement étranger à l'enseignement de la Faculté. M. Maspero
traita lui-même ce sujet en 1888 dans la Revue de l'His-
toire des religions - et le traita de telle sorte que Lefébure
ne pouvait plus ensuite y revenir3. Mais il semble que le
travail de M. Maspero, si bon qu'il soit, n'aurait pas fait
une thèse aisément discutable à la Faculté des Lettres. Les
examinateurs devaient donc n'être pas favorablement dis-
posés pour de tels travaux, et se montrer d'autant plus
sévères pour les imperfections qui pouvaient s'y découvrir,
comme les erreurs de références signalées par M. Maspero4.
Les leçons de Lefébure à la Faculté des Lettres de Lyon
ne durèrent que jusqu'aux grandes vacances de 1884.
M. Grébaut, qui faisait le cours de philologie et d'archéolo-
gie égyptiennes au Collège de France comme suppléant de
M. Maspero, avait été nommé directeur de la Mission per-
manente du Caire à la place de Lefébure', et se disposait
à partir pour l'Egypte. Il fallait trouver un autre suppléant
de M. Maspero pour le Collège de France. La place fut of-
ferte à Lefébure, qui accepta. Agréé par l'assemblée des
professeurs, sur la proposition de M. Maspero, il fut nommé
suppléant par arrêté du 14 novembre 1884.
1 . Voir la note 3 de la page l.
2. Tome XVII, p. 251-310, et tome XVIII, p. 1-67 ; mémoire reproduit
dans le tome deuxième de la Bibliothèque ègyptologique, p. 1-181.
3. A moins que ce ne fût pour discuter celles des idées de M. Maspero
qui n'étaient pas tout à fait conformes aux siennes.
4. Voir p. li, note 1.
5. Voir p. xlix, note 2.
LIV NOTICE BIOGRAPHIQUE
Mais soit qu'il eût besoin d'un peu de temps pour ordon-
ner les leçons qu'il allait faire, soit plutôt que par défaut
d'esprit pratique il ne se fût pas mis au courant des usages
du Collège de France, il ne parut pas à l'époque où il aurait
dû commencer ses cours. Le Secrétariat n'avait même pas
son adresse. On finit cependant par le trouver et le convo-
quer. Il commença donc ses cours le 5 janvier 1885 \ quand
les autres professeurs avaient déjà donné plusieurs leçons.
Il continua ensuite fort exactement. Les lundis à dix heures
c'était l'Explication du texte égyptien du rituel de l'ha-
billement des statues; les mercredis à dix heures c'était
Y Exposition de la conception du monde infernal dans l'an-
cienne Egypte*.
De tels sujets n'étaient pas de nature à attirer de nom-
breux auditeurs. Quelques-uns cependant vinrent fidèlement
entendre les leçons de Lefébure; nous devons à l'un d'eux 3
les appréciations suivantes qui donnent une idée bien pré-
ci-.- de ceque furent ces leçons, et de coque furent les leçons
faites l'année suivanteà la Section des sciences religieuses
de l'Ecole pratique dos Hautes Etudes :
...Ce cours ; était fortsérieux et intéressant. Seulement M. Lefé-
bure parlait d'une voix bien faible, dans cette grande salle où jadis
nous avons écouté ensemble les leçons de M. Grébaut5. L'incon-
vénient, du reste, n'était pas grand, les auditeurs, très peu nom-
breux, occupant le premier banc, si voisin, comme vous le savez,
île la chaire du professeur...
1. M. Picavet, secrétaire 'lu Collège «le France, ;i bien voulu nous
indiquer les dates d'ouverture el de clôture des cours de Lefébure, ci les
-h >■!< traités dans ces cours.
2. En iin' temps Lefébure publiail dans la Zeitschrift (année 1885)
Remarques sur différentes questions historiques.
:>. M. I). Mallet, qui avait suivi avec moi pendant les années précé-
dent M. Grébaut, suivit encore à Paris les leçons de Le
fébure, pendant que j'él ii en Ég3 pte.
1 . I /■ cours du < Collège de France.
5. I )e l'a nnée L881 ;t l'année 1884.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LV
Je me rappelle surtout la portion du cours qui traitait du monde
infernal. M. Lefébure se servait beaucoup des représentations du
Tombeau de Séti, dont il préparait alors, je crois, la publication.
Et il commentait textes et figures avec cette abondance d'érudition
que vous lui avez connue. (Abondance qui à mon sens a toujours
été chez lui un peu excessive.)
Quant au cours de l'École des sciences religieuses, je n'en ai
suivi qu'une partie, avec Amélineau1, ce me semble. M. Lefébure
nous remettait à chacun des copies faites par lui de textes religieux,
Livre des Morts, Hymnes aux dieux (transcriptions de l'hiérati-
que); j'en possède encore quelques exemplaires. Il les expliquait
avec une aisance qui me surprenait, je l'avoue. On le sentait là
sur son terrain; on voyait qu'il avait médité profondément ces
questions si difficiles; qu'il possédait une connaissance étonnante
du détail des cultes, des idées philosophiques dont ils s'inspiraient,
et aussi de la langue qui avait servi à les exprimer2...
On peut dire en effet que dans la connaissance de la reli-
gion égyptienne Lefébure ne fut surpassé par personne.
Mais l'observation sur l'abondance excessive de son érudi-
tion est aussi très juste ; cette abondance est telle que par-
fois on s'égarerait dans la documentation accessoire, au ris-
que de perdre de vue l'idée principale.
Aussi nous est-il impossible de croire que Lefébure
n'aurait pas été capable de donner à son enseignement
l'ampleur nécessaire pour tirer de son programme le nombre
de quarante leçons que l'usage demande annuellement aux
professeurs du Collège de France. La richesse pour ainsi
dire inépuisable de sa documentation lui aurait plutôt per-
mis, s'il l'avait voulu, d'aller bien au delà du nombre régle-
mentaire.
Il ne fit cependant que trente-cinq leçons. Nous avons dit 3
qu'il avait commencé son cours seulement le 5 janvier 1885,
1 . Qui remplaça Lefébure comme directeur de ce cours.
2. Lettre de M. D. Mallet à Ph. Virey, du 29 juin 1910.
3. Voir plus haut, p. liv.
LVI NOTICE BIOGRAPHIQUE
plus d'un mois après la plupart des autres professeurs. Il se
trouva ainsi en retard de plusieurs leçons à la fin du pre-
mier semestre. Pendant le second semestre il donna ses
leçons avec exactitude. Cependant il perdit encore un lundi,
car le jour des funérailles de Victor Hugo tous les cours
publics furent obligatoirement interrompus. Au commen-
cement de juin presque tous les professeurs cessèrent leurs
cours, ayant donné leurs quarante leçons. Lefébure s'arrêta
aussi, après le mercredi 3 juin 1885 ; il aurait dû faire encore
cinq leçons. Il est probable qu'il n'y prit pas garde; car il
lui aurait été possible de compléter le nombre d'usage en
continuant ses cours jusqu'à la fin de juin. Renan, qui adminis-
trait alors le Collège de France, ne fut pas indulgent pour
cette négligence. Le cours de Lefébure, d'une grande valeur
scientifique pour les spécialistes, n'avait pas dû paraître
brillant, à cause de la faible voix du professeur et du petit
nombre des auditeurs 1 ; Renan ne put le juger que d'après
les apparences. Au mois de septembre 1885, au moment où
M. Maspero se disposait à demander à Lefébure de rester
son suppléant pour l'année 1885-1886 \ une lettre de Renan
lui fît savoir que Lefébure ne serait plus agréé par l'assem-
blée des professeurs. L'insuffisance du nombre de leçons
était ainsi attribuée à l'insuffisance du suppléant. C'était un
peu désobligeant pour M. Maspero, qui, en proposant lui-
même Lefébure l'année précédente, s'était implicitement
porté garant de sa valeur. C'était surtout cruel pour le mal-
heureux professeur, si durement puni d'une négligence dont
un simple avertissement eût certainement empêché le
retour '. On a reproché plus tard à Lefébure sa défiance et sa
1 . Voir plus haut, p. liv.
'■t. Lettre de M. Maspero à Ph. Vircy, du 12 mars 1910.
.''.. Il étail arrivé àd'autres professeurs que Lefébure de ne pas savoir
exactement le nombre des leçons qu'ils avaienl données; en 1884, Renan
avail adressé un avertissemenl ;'i M. Grébaut, qui aes'arrêtail pas après
avoir dépassé Le nombre de quarante leçons. Il p.-ii'aîi d'ailleurs (lettre
de M. Maspero à Pli. Virey, du 23 juin 1010) qu'il n'avait pas eu
NOTICE BIOGRAPHIQUE LVII
misanthropie. La misanthropie n'était qu'apparente, mais la
défiance existait bien, Lefébure se croyait persécuté, et il eut
en elïet, comme nous le voyons, quelques occasions de lecroire.
M. Maspcro dut alors prier M. Guieysse d'être pendant
une année son suppléant au Collège de France1. Quant à
Lefébure, il fut désigné pour enseigner la religion égyp-
tienne à l'École pratique des Hautes Etudes, dans la Sec-
tion nouvellement créée des sciences religieuses5. Il com-
mença ses conférences dans les premiers jours du mois de
mars 1886*. Nous avons vu tout à l'heure '' l'appréciation d'un
de ses auditeurs sur la valeur de l'enseignement qu'il donna
dans cette École. Mais il cherchait à s'éloigner de Paris.
Apprenant qu'un cours d'égyptologie venait d'être créé à
l'Ecole supérieure des Lettres d'Alger5, il demanda et
obtint d'être chargé de ce cours6. C'était en 1887 7.
d'abord l'intention de sévir rigoureusement contre Lefébure; ce serait,
dit-on, Berthelot qui l'aurait poussé à la sévérité, parce qu'il aurait pa-
tronné un candidat désireux de remplacer Lefébure (indication fournie
par M. Maspero). On a reproché à M. Maspero de n'avoir pas défendu
celui-ci; on ne voit pas ce qu'il aurait pu faire, donné les circonstances.
1 . M. Maspero revint d'Egypte l'année suivante, et reprit sa chaire
au Collège de France.
2. Il venait de publier dans la Reoue de L'Histoire des religions (an-
née 1885) un mémoire sur Les Fouilles de M. Naoillc à Pithonx,
L'Exode; le canal de la Mer Ronge. Il donna à la même Revue, en
1886, un article sur L'étude de la religion égyptienne; c'était sa leçon
d'ouverture à l'École des Hautes Études.
3. Lettre de M. Maspero à Ph. Virey, du'23 juin 1910.
4. Voir plus haut, p. lv.
5. Aujourd'hui Faculté des Lettres de l'Université d'Alger.
b. Ce cours avait été créé pour M. Amélineau, qui fut en dédomma-
gement nommé à la place de Lefébure à la Section des sciences reli-
gieuses de l'École pratique des Hautes Études. M. Victor Loret fut
chargé des conférences d'égyptologie à la Faculté des Lettres de Lyon.
7. M. René Basset, aujourd'hui doyen de la Faculté des Lettres de
l'Université d'Alger, a bien voulu me donner d'utiles renseignements
sur l'arrivée de Lefébure et sur sa vie à Alger. M. Héricy, professeur au
lycée d'Alger, qui s'intéressait à l'enseignement de Lefébure et assista
fidèlement à ses leçons, m'a montré aussi par des détails fort intéres-
sants, quel attachement existait entre le maître et son petit auditoire
d'élite.
LVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
Après tant de vicissitudes, il avait trouvé la place où il
demeura jusqu'à sa mort, pendant plus de vingt années.
Alger aurait pu sembler un lieu d'exil pour un égyptologue
qui avait été à la tête de la Mission française en Egypte.
Mais le zèle fécond des maîtres qui représentaient dans cette
ville l'enseignement supérieur en avait fait un des centres
les plus intéressants de l'activité scientifique française. Si
Lefébure n'y était plus en Egypte, il y était encore en
Afrique. Pour justifier sa présence en Algérie, il allait
bientôt élargir le champ de ses études, et porter son atten-
tion non seulement sur l'Egypte, mais sur toute l'Afrique
du Nord, et même sur l'intérieur de l'Afrique. Il fut ainsi
un des initiateurs du mouvement qui nous porte maintenant
à chercher dans l'étude générale de l'Afrique l'explication
au moins partielle des origines de la civilisation et des
croyances égyptiennes. Ses relations avec son confrère
M. Flamand, le savant explorateur du sud de l'Algérie,
furent profitables aux études africaines en général ; en 1907
il m'écrivait combien il avait été heureux de recevoir la
visite du D1' Schweinfurth, le célèbre explorateur de
l'Afrique intérieure, et de profiter de son intéressante con-
versation'.
Mais s'il devait trouver à Alger un lieu propice à ses
études, il aurait pu craindre d'y trouver plus difficilement
des disciples tels que ceux qui avaient, pendant les années
précédentes, suivi ses leçons à Paris. Ses disciples à Alger
furent assurément assez peu nombreux; et il valait mieux
pour lui, à cause de la faiblesse de sa voix, n'avoir pas un
auditoire trop considérable. En revanche, il eut encore un
auditoire d'élite, avec lequel il travailla fructueusement.
Groff, que j'avais connu à Paris, se trouva à Alger en même
temps que lui, et suivit longtemps ses leçons, avant de se
1. Lettre de Lefébure à Pli. Virey, du 28 décembre 1907.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LIX
rendre au Caire ' . Lefébure fut pour lui un excellent direc-
teur d'études, et le prépara à tirer le meilleur parti possible
du séjour qu'il devait faire en Egypte2. Si Groff ne tarda
pas à donner de bons travaux, qu'on n'aurait peut-être pas
d'abord espérés de lui, c'est, je crois, que l'influence de
Lefébure avait efficacement contribué à la mise en valeur
des qualités de son disciple. Je vis Groff bien souvent à
Gizeh en 1892 ; il me parlait avec complaisance de ce qu'il
avait appris auprès de Lefébure. Le maître savait en effet
captiver ses auditeurs; et l'un de ceux-ci a fort bien
exprimé l'action qu'il exerçait sur eux :
Les élèves de M. Lefébure pleurent un maître aimant et
aimé1. Sans doute ils n'ont jamais été très nombreux; mais ce petit
groupe n'a cessé d'être d'une ponctuelle assiduité. C'est que l'en-
seignement du maître était attachant à un rare degré. D'une
curiosité sans cesse en éveil, étranger à tout préjugé, armé d'une
critique pénétrante et sûre, fidèle à une méthode rigoureusement
scientifique, M. Lefébure, grâce à des rapprochements ingénieux
de textes et de monuments figurés, a réussi à projeter la lumière
sur une foule de points jusqu'alors obscurs Grand était le
charme de ses leçons, lorsqu'il nous apportait le résultat de ses
recherches, et nous offrait la primeur de ses trouvailles délicates
avant de les communiquer aux revues spéciales. Alors on voyait
sa physionomie si fine s'éclairer d'un rayon de joie, lorsque ses
arguments et ses conclusions nous avaient convaincus En
l'écoutant, en le contemplant, nous devinions tout ce qu'il y a de
délicieux, d'exquis, dans la joie désintéressée du savant qui est
parvenu à soulever un coin du voile d'Isis ou à arracher au Sphinx
un de ses secrets qu'il ne consent à révéler qu'aux patients et aux
opiniâtres1
1. Après plusieurs années de séjour en Egypte, Groff se rendit à
Athènes, où il mourut.
2. Il demeura longtemps à Gizeh, près de la route conduisant du
palais de Gizeh aux grandes pyramides.
3. Extraits des paroles prononcées par M. Héricy, professeur au
lycée d'Alger, sur la tombe de Lefébure, après le discours d'adieux de
M. René Basset.
LX NOTICE BIOGRAPHIQUE
Avec M. Héricy et Groff, on peut citer parmi les audi-
teurs de Lefébure E. Galtier, professeur agrégé de l'Uni-
versité, qui devint bibliothécaire du Musée égyptien du
Caire', et qui est mort en Egypte il y a peu de temps;
M. l'abbé Saint-Paul2, alors professeur au Séminaire de
Saint-Eugène près d'Alger, et qui continue maintenant ses
travaux à l'Institut catholique de Paris; Mlle Bercher,
licenciée es lettres, qui en 1907 alla en Norvège et rendit
visite àLieblein3, etc. Mais de plus Lefébure communiquait
volontiers les résultats de ses recherches aux nombreux
égyptologues qui correspondaient avec lui; on savait aussi
qu'on pouvait toujours avec sécurité, et souvent avec profit,
lui confier une idée nouvelle, une trouvaille encore inédite.
L'influence qu'il exerça ainsi pendant ses dernières années
peut être comparée à celle qu'avait exercée son illustre
maître Chabas. J'eus le bonheur d'être alors un de ses cor-
respondants. Nous avions quelques sujets de prédilection
sur lesquels nous aimions à échanger nos idées; ces dis-
cussions paraissaient l'intéresser un peu, et m'intéressaient
beaucoup.
En 1887, au temps de son arrivée à Alger, Lefébure avait
fait paraître dans les Transactions of the Society of Bi-
blical Archœoloijy son remarquable mémoire sur Le C/iam
et l'Adam égyptiens, qu'il avait préparé bien longtemps
auparavant4. Il achevait le second fascicule de sa grande
publication Les hypogées royaux de Tkcbes, qui parut en
188'J '. Mais il voulut aussi contribuer aux publications de
1. Le 20 juin 1907, Lefébure m'écrivait qu'il comptait sur l'aide de
M. Galtier pour préparer la réimpression de ses œuvres actuellement
en cours.
2. C'est par M. l'abbé Saint-Paul que je lus sans retard averti de la
mort 'I'' Lefébure.
:j. Lettre de Lefébure à Ph. Virey, du 20 juin 1907.
4. Voir plu- haut, p. \.\.\, Dotes •'! et 4.
r>. Ce fut aus-i en 1889 que Lefébure écrivit son étude sur Le bouc
des Lupercales, longtemps inédite, que son ami M. H. Gaidoz recueillit
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXI
l'École supérieure des Lettres d'Alger. Il composa donc,
sous le titre Rites égyptiens', un mémoire fort important,
qui parut en 18902, et qui est certainement un de ses chefs-
d'œuvre. On remarque dans cette étude non seulement
l'abondance d'érudition et la sagacité qu'on est habitué à
admirer dans les travaux de Lefébure, mais aussi la clarté
de l'exposition, et l'intérêt du récit. C'est un travail de ce
genre que Lefébure aurait dû présenter comme sujet de
thèse pour le doctorat es lettres; un tel sujet ainsi traité
eût été certainement jugé acceptable.
Mais un grand malheur frappa Lefébure dans l'année 1890.
Son fils aine Edmond, alors âgé de douze ans, mourut à
Alger. Ce fut pour ses parents une bien cruelle douleur;
ce devait être bientôt pour Lefébure la fin de sa vie de
famille. Mme Lefébure, à qui le climat d'Alger avait
pris son premier enfant, retourna en France avec le second.
Retenu lui-même à Alger par les exigences de sa situation,
Lefébure ne cessa pas de veiller avec sollicitude sur sa
famille, et pourvut à ses dépenses et aux frais de l'éduca-
tion de son fils. Mais après le deuil qui venait de l'affliger,
l'isolement fut encore pour lui une pénible affliction.
Ses amis remarquèrent dès lors la tristesse qui le reprenait
constamment, malgré ses efforts pour s'y dérober3. L'étude
seule lui permettait de s'en distraire. Il usa de ce remède
après sa mort, et fit paraître en 1909 dans la Revue de l'Histoire des
religions.
1. Rites égyptiens, construction et protection des édifices (Publi-
cations de l'École des Lettres d'Alger, Bulletin de correspondance
africaine) ; in-8°, 104 pages, Leroux, 1890.
2. Ce fut la même année que le commencement du mémoire de Le-
fébure Sur différents mots et noms égyptiens parut dans les Pro-
ceedings of the Society of BiblicalArchœology, juin 1890. La suite fut
publiée en février, en avril et en juin 1891.
3. « 11 avait dû être gai, et parfois il avait le rire facile et franc,
mais la tristesse reprenait bientôt le dessus. » (Lettre de M. René
Basset à Ph. Virey, du 5 juillet 1910.)
LXII NOTICE BIOGRAPHIQUE
avec exagération1, au détriment de sa santé, mais au profit
de la science. Nous avons déjà vu qu'il étudiait non seu-
lement les traditions de l'Egypte, mais les traditions de
tous les pays et le folklore2. La revue fondée en 1877 par
M. II. Gaicloz3, Mélusine, profita ainsi de sa collaboration4.
Il dirigea aussi sa curiosité vers les sciences psychiques, si
bien qu'on supposa qu'il inclinait vers le spiritisme5; mais
il s'en défendit auprès de moi à plusieurs reprises, tout en
me déclarant qu'il s'intéressait vivement au surnaturel et
aux choses de l'autre monde. Ainsi il m'écrivait peu de
jours après la mort de M. de Horrack :
De Horrack était spirite et membre de la Société anglaise
For Psyeliical Research. Vous avez, je crois, signalé à ce propos
ses discussions avec Chabas, peu tendre pour les idées qui ne
1. Lettre de M. Héricy àPh. Viiey, du 13 juillet 1910.
2. Voir la notice d'Ernst Andersson sur Eugène Lefébure, Sphinx,
XII, p. 6.
3. M. Gaidoz a bien voulu me communiquer les manuscrits d'un
certain nombre d'études inédites de Lefébure : Le double psychique, avec
examen des idées de M. de Rochas sur le double; il est question dans
cette étude du ka égyptien et du titre 1^; — L'aruspicine; — Le chant
du cygne; — Saint-Paul de Londres et tes sables qui chantent ; — Le
mirage psychique et sa nature; — Les substitutions de personnes ; —
Les personnalités illusoires ; — La réaction de l'animal sur l'homme ; —
La queue du Martichoras ; — La queue du loup (Egypte); — L'emploi
du fer et du feu contre les sortilèges ; — ■ Théorie du bon et du mauvais
ange; — Le vampirisme et la possession; — L'œuf de serpent; — La
télégraphie sympathique, etc.
4. 11 donna à Mélusine : La Jlèche de Nemrod (1888) ; La motte de
terre (18'.)0-1891); La vertu et la vie dunom (1896-1897); Le lièoredans
la mythologie; — Le lièvre de la lune (1896-1897); Les origines du
fétichisme (1896-1897), etc. A partir de 1896, Lefébure, sans aban-
donner Mélusine, donna la plupart de ses travaux au Sphinx, revue
égyptologique alors fondée par son ami Karl l'iehl.
5. « Je crois qu'au fond il préférait la société des morts, qu'il invo-
quait ou plutôt qu'il évoquait, à celle des vivants. » (Lettre de M. René
Basset a l*li. Virey, du 5 juillet 1910.)
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXIII
cadraient pas avec les siennes. Aujourd'hui de Horrack doit savoir
à quoi s'en tenir, et, sans être spirite le moins du monde \ je vous
avoue que j'éprouve pour les choses de l'autre monde une curio-
sité, ou une attraction, qui me fait oublier le désagrément du
passage-
Il m'écrivait encore, au sujet des faits dits surnatu-
rels :
En faisant des recherches sur lacoupe divinatoire en Egypte,
je trouve mentionné, dans le Mémoire sur la faculté de prévision,
de Deleuze, l'ouvrage suivant : Virey, L'art de perfectionner
l'homme, 1808. Peut-être êtes-vous de la même famille quel'auteur ?
Il admet les faits dits surnaturels, que les encyclopédistes d'autre-
fois et les francs-maçons d'aujourd'hui rejettent avec tant d'opi-
niâtreté ; je crois bien qu'il a raison (lui et bien d'autres), d'après
les faits historiques de ce genre qui sont à ma connaissance. Les
documents égyptiens conduisent à la même conclusion; seulement
il faut y regarder d'un peu près 3
Les études accessoires * entreprises par Lefébure devaient
ainsi, d'après lui-même, l'amener à mieux deviner les secrets
de la religion égyptienne. Nous sommes donc tout à fait
d'accord avec Ernest Andersson, lorsqu'il écrit : « Au sujet
de ces matières Lefébure a publié toute une série d'articles
d'un grand intérêt, qui sont dispersés dans différentes
revues, telles que Mélusine, l'Initiation, l'Echo du Mer-
veilleux. Ces sujets, notamment les traditions et le folk-
1. Il protestait encore, dans une lettre qu'il m'écrivit le 8 mars 1903,
contre l'accusation de gnosticisme et de spiritisme dirigée contre lui,
parce qu'il avait écrit huit à neuf pages sur la magie égyptienne dans
les cinq premiers volumes du Sphinx. « Je ne suis», affirmait-il, « ni
gnostique, ni spirite. »
2. Lettre de Lefébure à Ph. Virey, du 23 octobre 1902.
3. Lettre de Lefébure à Ph. Virey, du 7 février 1902.
4. Lefébure excella dans ces études accessoires, où ses qualités de
sagacité et sa judicieuse loyauté furent très admirées, et lui valurent
d'abord l'estime, puis l'amitié de spécialistes tels que MM. H. Gaidoz,
Andrew Lang, etc.
LXIV NOTICE BIOGRAPHIQUE
lore, devaient assurément influencer fortement la marche
de ses recherches sur la religion égyptienne1. »
Nous avons vu qu'il avait donné d'assez nombreux articles
égyptologiques aux Proceedings de la Société d'archéolo-
gie biblique de Londres2. Il contribua aussi à la publication
des Mélanges Charles de Harlez, en 1896, par un article
intitulé La mention des Hébreux par les Egyptiens s'ac-
corde-t-elle arec la date de l'Exode? Dans cette même
année 1896 paraissait le premier numéro du Sphinx, nou-
velle revue d'égyptologie fondée par le professeur suédois
Karl Piehl. Celui-ci était grand admirateur des travaux de
Lefébure. Il demanda pour sa revue la collaboration du
savant égyptologue français, et obtint de lui le concours
le plus assidu. Le Sphinx était surtout consacré aux tra-
vaux de critique, pour lesquels son fondateur avait un
goût qu'on a généralement trouvé excessif. Lefébure y
écrivit un seul article de critique3, uniquement, disait-il,
pour se défendre '. Mais il donna au Sphinx un très grand
nombre d'autres mémoires sur divers problèmes égyptolo-
giques. Nous ne voulons énumérer ici que les principaux de
ces mémoires : L'importance du nom chez les Egyptiens
(Sphinx, I); Le sacrifice humain d'après les rites de Bu-
siriset d'Abydos (Sphinx, III) : Khem et Amon (Sphinx, IV);
L'arbre sacré d 'Héliopolis (Sphinx, V) ; Osiris à liyblos
(Sphinx, VetVI); La certu du sacrifice funéraire '(Sphinx,
VII et VIII) ; Le bucrâne (Sphinx, X) ; L'abeille en l''mjpte
(Sphinx, XI) ; Le mot neb et le troyhdytisme (Sphinx, XI).
1. Sphina , XII, p. 6.
2. ' Hitre les articles que nous avons déjà cités, il donnaaux Proceed-
ings de remarquables études intitulées Abydos, qui parurent en
juin 1893, et en rnar< 1895.
:;. L'Amtuat et son texte, à propos du travail de Jéquier Le livre de
ce qu'il y " dans l'Hadès.
A. « Je ne lai- jamais de critique», écrivit-il à Ernst Andersson,
h pour me défendre comme il m'est arrivé une luis ». [Eugène Le-
fébure, par Ernsl Andersson, Sphinx, XII, p. 8.)
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXV
«C'est dans notre revue», écrit Ernst Andersson, aujour-
d'hui directeur du Sphinx, « c'est dans notre revue que les
œuvres les plus magistrales de Lefébure ont été insérées...
on ne saura trop apprécier les immenses services qu'il lui a
rendus... si l'on jette un coup d'œil en arrière sur la marche
de Sphinx pendant les quatre dernières années, on verra
que les ouvrages de Lefébure y constituent l'élite et la sub-
stance même1. »
Le mémoire intitulé Kliem et Amon fournit déjà un exem-
ple intéressant de la tendance de Lefébure à demander aux
études africaines la solution de quelques-uns des problèmes
que lui proposait l'étude de l'antiquité égyptienne2. Mais
en 1902 il fit paraître dans le Bulletin de la Société de
Géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord un remarqua-
ble mémoire sur La politique religieuse des Grecs en Libye,
qui l'amena à faire connaître le résultat de ses recherches
sur la religion libyenne dans la Cyrénaïque et la Mauritanie,
et à dire un mot des fables relatives à l'Atlantide. Il y
avait alors un peu de temps qu'il avait bien voulu entrer
en relations avec moi en m'adressant un de ses mémoires.
J'avais répondu avec empressement, et une correspondance
assez active s'était établie entre nous. Dans une lettre qu'il
m'écrivit le 27 octobre 1901', il avait été question de mes
recherches sur l'épisode d'Aristée. Alors déjà il m'exposait
ses raisons de croire à l'origine africaine de la tradition que
j'avais étudiée \
Le taureau de Khem ou Men m'a fait plus d'une fois penser au
vôtre, sur lequel vous avez émis des idées si curieuses et si bien
1. Sphinx, XII, p. 8-9.
2. Cette tendance devait se manifester ensuite encore plus ouverte-
ment dans d'autres mémoires, tels que Le bucrùne (1906).
3. Il habitait alors 94, rue de Lyon, Alger-Mustapha.
4. Il développa ses raisons dans son mémoire Les abeilles d'Aristée,
tradition d'origine écjypto-berbère, Bulletin de la Société de géographie
d'Alger, 1903. Mais il publia ensuite plusieurs autres articles sur cette
question des abeilles.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. *##*#
LXVI NOTICE BIOGRAPHIQUE
systématisées. Voici ce qui m'a frappé : c'est que, dans la proces-
sion thébaine du taureau blanc de Khem, certains assistants ou
prêtres sont les aftiu ou « abeilles » du dieu, comme à Dendérah.
Or son habitacle a la forme d'une hutte en ruche, avec une porte
à l'égyptienne et le talisman protecteur des deux cornes, comme
dans les villages africains (Khem avec son prêtre noir paraît bien
être un dieu africain). Il y a, je crois, à El-Khargeh un Khem
couché dans sa ruche.
Je crois qu'il y aurait encore nombre de choses à trouver, dans
votre sens, en examinant le rôle assez peu connu du smam-ur, le
taureau du sacrifice'
Il revint sur cette question dans une autre lettre qu'il
m'adressa le 20 novembre 1901 :
J'ai l'impression que Khem est àdemi libyen, comme Aristée,
opinion que j'ai soutenue autrefois dans le Museon (en ce qui
concerne Khem) Peut-être connaissez-vous le nom de M. Fla-
mand, à qui l'on doit d'avoir amorcé la question marocaine par
la conquête d'In-Salah. M. Flamand n'est conquérant qu'à l'occa-
sion; et c'est, à l'ordinaire, un savant très consciencieux et très
chercheur qui s'occupe en ce moment du chameau en Egypte
Lefébure s'associa aux recherches de M. Flamand; l'un et
l'autre devaient exposer plus tard les résultats de leur en-
quête, lors des Congrès d'Alger, en 1905, dans une savante
discussion avec M. René Basset.
M. René Basset était devenu en 1894 directeur de
l'École supérieure des Lettres d'Alger5. Il m'a dit combien
il appréciait la valeur scientifique et le caractère de Lefé-
bure, qu'il aurait voulu l'aire récompenser par des distinc-
tions honorifiques :
Je n'ai eu que de bons rapports avec lui; et depuis ma
direction (1894) je me suis toujours appliqué à le proposer pour
1. Leféburevtraita lui-môme ce sujet un peu plus tard, dans son mé-
moire sur La vertu du sacrifice funéraire.
2. Aujourd'hui Faculté des Lettres de l'i université d'Alger; M. René
Bi ''test le Doyen de cette Faculté.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXVII
les distinctions qu'il méritait, et à défendre son cours dont on
contestait l'utilité. J'ai pu le faire maintenir jusqu'à sa mort1
Les Délégations financières algériennes tendaient en effet
à réduire les dépenses de l'Enseignement supérieur par la
suppressiond'un certain nombre de cours. Lefébure était un
des professeurs les plus menacés parce projet2; mais les
démarches de M. Basset amenèrent le Gouverneur général à
s'intéresser au maintien de son cours, et à en faire ajourner
la suppression'.
Malgré les soucis, malgré sa mauvaise santé dont il se
plaignait quelquefois parce qu'elle gênait son activité scien-
tifique, Lefébure continuait à travailler avec une ardeur
excessive, tant pour secouer sa tristesse que parce qu'il
sentait qu'il n'avait plus beaucoup de temps à dépenser avant
l'éternel repos. Il m'écrivit ainsi le 4 décembre 1902 :
Je trouve que la critique est un peu du temps perdu, et mainte-
nant, à mon âge, je dois tenir compte plus que personne de la fuite
des jours, pour préserver autant que possible
Mon traçait taciturne et toujours menacé*.
A l'occasion de son mémoire sur Le Vase divinatoire'' ,
il voulut examiner avec moi6 la valeur des recherches de
1. Lettre de M. René Basset à Ph. Virey, du 5 juillet 1910. Dès
l'année 1896 il avait été question de remplacer le cours de Lefébure par
un cours complémentaire d'archéologie arabe. M. Basset n'accepta
cette idée qu'à condition que Lefébure fût d'abord dédommagé par une
situation équivalente à celle qu'il aurait quittée ; et la difficulté de lui
trouver cette situation fit abandonner le projet (lettres de M. Maspero
à Ph. Virey, des 26 août, 10 septembre et 13 septembre 1910).
2. Lettres de Lefébure à Ph. Virey, du 30 juillet 1902, du 30 dé-
cembre 1902, du 2 juin 1903.
3. Le cours fut supprimé après la mort de Lefébure.
4. La menace venait alors précisément du projet des Délégations
financières de réduire les dépenses de l'Enseignement supérieur.
5. Sphinx, vol. VI.
6. Lettres de Lefébure à Ph. Virey, du 26 septembre et du 1er no-
vembre 1902.
LXVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
M. de Rochas, dont il s'était inspiré en composant lui-
même son article sur Les origines du fétichisme*. Il me
disait en même temps ce qu'il pensait de mes tentatives pour
reconnaître en Egypte l'origine de quelques mythes de la
Grèce :
Bien qu'il faille se méfier des coïncidences dont Tarde lui-
même tient compte dans ses Lois de limitation, j'approuve en-
tièrement votre tentative de retrouver des idées égyptiennes chez
les Grecs, dans le mythe d'Hercule comme dans d'autres, il peut
y avoir des divergences d'opinion en pareilles matières; mais je
pense qu'il faut avant tout épuiser le filon, et, s'y l'on n'y met pas
la main, ne pas troubler les chercheurs par des objections hypo-
thétiques'
Loin de me troubler dans mes recherches, Lefébure cher-
chait lui-même tout ce qui pouvait m'encourager à soutenir
mes idées. Je lui dus ainsi des notes intéressantes au sujet
de l'Orion porteur du ciel:1 que j'avais signalé dans mon
étude Si//' quelques données égyptiennes introduites par
les Grecs dans le développement de leur mythe d'Hercule.
Mais il revenait de préférence au sujet des abeilles d'Aristôe
et du sacrifice du taureau. Dans une lettre du 8 mars 1903,
il me parlait du sacrifice considéré comme condition du
maintien de l'ordre dans le monde. Le 19 mars 1903, il
était question de l'âme-abeille1; le 14 mai 1003, d'Aristée,
du sacrifice du taureau, et de l'abeille égyptienne. Lefébure
ajoutait :
1. Publié dans Mèlusine, vol. VIII.
2. Lettre de Lefébure à Ph. Virey, du 2G septembre 1902.
3. Lettres de Lefébure à Ph. Virey, du 29 mai, du 4 et du 17 juin 1902.
Dans une autre lettre, du 11 août 1902, Lefébure revenait sur la ques-
tion du syncrétisme gréco-romain.
1. Il était question dans la même lettre du symbolisme de la pomme,
Lefébure s'était intéressée ce sujet, et se préparait à le traiter, quand
M Gaidoz, qu'il avail informé de son projet, lui fit savoirqu'il était en
train de traiter lui-même la question.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXIX
Je compte, si j'en ai la possibilité, étudier séparément le tau-
reau sacré et l'abeille égyptienne. Le dernier sujet, en l'étendant
un peu, est très intéressant J'ai parcouru à ce propos le Prœ-
dium rusticum du P. Vanière, qui m'a paru bien plat à côté de
Virgile
Le 2 juin 1903, il examinait les lectures ®J , (1 J et 1(1
du nom de l'abeille, et admettait l'identité d'origine de ces
lectures. Le 25 juillet 1903, il revenait sur le nom du miel
et le nom de la guêpe, et cherchait la ruche dans l'ancienne
Egypte : il finit plus tard par retrouver à la fois la ruche
égyptienne et l'opération de l'enfumage des abeilles clans
une scène du tombeau de Rekhmara, où j'avais cru recon-
naître l'emmagasinement du miel1.
Le 25 août 1903, il s'occupait des origines de la danse de
l'abeille :
Je serais curieux de savoir si la danse de l'abeille est d'origine
ancienne. Aux temps du romantisme cette danse était célèbre;
maintenant on n'en parle plus, du moins à ma connaissance. Je
n'en trouve pas trace non plus dans les géographes ou les historiens
arabes, ni dans les Mille et une Nuits, ni dans nos vieux voyageurs,
sauf peut-être dans Savary, quand il dit des aimées : « à me-
sure qu'elles se mettent en mouvement, les formes, les contours de
leur corps semblent se détacher successivement » (t. 1, p. 151).
Mais c'est bien vague; le tableau de Sakountala, dans le drame
hindou, rappelle mieux ce genre de pantomime (Sakountala taqui-
née par une abeille).
Vous intéressez-vous aux abeilles? Il y a sur elles un joli
livre moderne, de Maeterlinck, presque digne de Virgile, et très
supérieur à ce que dit le P. Vanière dans son Prœdium rusticum.
Je lui indiquai ce que je savais de la bibliographie relative
à la danse de l'abeille. Je lui fis savoir aussi que, pendant
mon séjour à Louqsor en 1885, des voyageurs avaient en
1. Lettre de Lefébure à Ph. Virev, du 25 mars 1905.
LXX NOTICE BIOGRAPHIQUE
vain demandé aux danseuses de profession qui se trouvaient
dans cette ville d'exécuter la danse de l'abeille. Les dan-
seuses n'avaient même pas compris ce qu'on leur deman-
dait; cette danse paraissait donc tout à fait oubliée à
Louqsor.
Lefébure me répondit le 30 septembre 1903 :
Ce que vous me dites de la danse de l'abeille est très curieux, et
je ne vois guère qu'une façon d'expliquer l'oubli de cette danse.
C'est que le grand art des aimées se sera perdu peu à peu à la
suite de leur exil du Caire, de sorte que le ballet de l'abeille, peut-
être d'importation hindoue, n'a été que de passage en Egypte. Il
a dû se fondre très vite à Esneh dans la grossière danse des
Nauches Je regrette que la danse de l'abeille n'ait pas été na-
tionale et d'origine ancienne en Egypte : si elle n'est pas poussée
trop loin, l'idée en est gracieuse
Mais s'il ne retrouva pas en Egypte l'origine de la danse
de l'abeille, il put établir l'origine égyptienne de la tradi-
tion qui fait renaître les abeilles du corps d'un taureeu
sacrifié. Il m'informa de sa découverte par une lettre du
1G novembre 1903 :
J'ai dû sembler peu hardi dans mon petit mémoire sur Aristée,
en suppposant que les Égyptiens pouvaient attribuer la naissance
des abeilles aux bœufs enfouis les cornes dépassant (Hérodote, II,
41). Et, en réalité, je ne croyais pas si bien dire; mais voici ce que
rapporte Antigone de Caryste1, 23 : « En Egypte, si l'on ensevelit
quelque part un bœuf les cornes hors de terre, et qu'ensuite on
les scie, il sort de là des abeilles, assure t-on, par suite de la
décomposition de l'animal. » 'Ev A \-/'j--.»k> xov Boôv èàv xaxop'j?7j<; Iv
-.■'-.'>:■ tialv, i<rt~.i Tj-.'y. ~.y. xépaxa -/c]- y/j; fricepéy l'.'i , eTG' ttaxepov a-o-v!?/,;,
/ y.j-'. < xz /.'—.-.y.; IxTrÉxeffôaij crocrtévca yàp stùxov e'iç xoûxo SiaXueaOai xà
1. Antigone de Caryste, écrivain crée du IIP siècle avanl notre
ère, vécul à la cour d'Alexandrie auprès des deux premiers IMnlémëes.
2. Lefébure avait rencontré ce texte dans une thèse sur les abeilles.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXI
Cela veut dire, je pense, que le sacrifice ou la mort du bœuf
(consacré au dieu des moissons et des abeilles, Khem ou Osiris,
l'Aristée égyptien) donnait naissance à la prospérité agricole,
symbolisée par les abeilles. Les cornes étaient sciées, donc conser-
vées, pour l'emblème | , par exemple. En résumé nous sommes
tombés juste au sujet d'Aristée, vous et moi, mais vous avez le
mérite d'avoir le premier trouvé la voie.
J'ai bâclé tant bien que mal pendant les vacances un long mé-
moire, trop long, sur le sacrifice, sans y parler néanmoins des
abeilles et du taureau, sujet qui mérite bien d'être traité à part.
Ce que j'y ai dit du ma-Kheru ne s'écarte pas de votre interpré-
tation, mais sur la déesse Mat mes idées ne sont peut être pas
celles qui ont cours, car je traduis généralement Mat, quand il
s'agit des mânes et du jugement, par Justice et non par Vérité.
Vérité n'est là qu'un sens secondaire, à mon avis.
J'ai eu au commencement de ce mois la visite d'un ancien ami
de Mariette, qui a écrit dans le temps un remarquable voyage en
Egypte. C'est aussi un ami ou un correspondant de Maspero
Ces indications paraissent désigner M. Arthur Rhône1.
Lefébure avait aussi reçu en 1903 la visite de M. Romieu,
directeur de l'École d'hydrographie d'Alger, qui avait en
1864, lorsqu'il était professeur d'hydrographie à Agde,
demandé à Chabas quelques conseils égyptologiques \
Le 15 janvier 1904, Lefébure faisait, contrairement à ses
habitudes, un peu de critique, au sujet de l'ouvrage de
M. Palanque sur le Nil ; mais c'était pour revenir aussitôt à
la question du taureau sacré et du sacrifice.
Je trouve à notre bibliothèque un fascicule de l'École des Hautes
publiée quatre ans après mon mémoire sur l'épisode d'Aristée. Le titre
de cette thèse est : De Apium Mellisque apud oeteres Significatione et
Symbolica et Mytkologica scripsit Gualterus Robert-Tornow, Be-
rolini apud'W eidmannos, 1893.
1. Voir plus haut, p. xxivet xxxix.
2. Voir Bibliothèque ègyptologique, tome neuvième, p. lviii.
LXXII NOTICE BIOGRAPHIQUE
Études sur le Nil ancien par Charles Palanque; c'est, à ce qu'il
me semble, dans une bonne moyenne,...- mais.... avec ce genre
de travaux on ne sait pas encore à qui l'on a affaire. Sera-t-il dieu,
table ou cuvette?
C'est un peu l'inconvénient de la haute éducation universitaire
de développer surtout la tendance à la vulgarisation, chose
excellente pour l'exposition d'une science faite, mais défavorable
au progrès d'une science incomplète. Le professeur alors se
hâte trop de présenter un système d'ensemble, modelé sur les
idées régnantes et documenté presque toujours de seconde main ;
il en résulte que les recherches qui devraientalimenter son enseigne-
ment languissent : on vit trop longtemps ainsi sur l'acquis, d'où
une sorte de stérilité.
Une des erreurs de Palanque, à mon avis, est de croire que
les taureaux sacrés sont des dieux Nils : je n'ai jamais vu cela,
pas même pour Apis, malgré la ressemblance du nom. Le bœuf
Apis est Osiris par un côté, et le fleuve Hapi l'est par un autre :
il n'y a pas équation.
J'ai cherché dans le mémoire que je prends la liberté de vous
adresser, et dont le premier tiers m'arrive à l'instant, quel était le
rôle des taureaux sacrés, surtout dans leur rapport avec le sacrifice.
Je crains d'exposer des idées un peu singulières dans ce travail,
peut-être trop original. Je sens bien l'inconvénient, et je me
trouve par là obligé de m'appuyer sur l'exacte similitude des
théories, symboles, rites, métaphores, etc., concernant le sacrifice
hindou. Je réserve cette comparaison pour la troisième et dernière
partie de mon travail, si je puis la faire paraître. J'espère y mon-
trer que votre opinion sur le rôle de la peau de taureau est pleine-
ment justifiée non seulement en elle-même, mais encore par l'ana-
logie védique.
Je ne vois guère que l'Inde qui ait compris le sacrifice comme
l'Egypte : ni les peuples sémitiques, ni la Grèce, ni Home, ni
même le Mexique n'ont été aussi loin
Ces recherches sur les religions antiques ne lui faisaient
pas perdre de vue les productions de la littérature moderne;
il m'écrivit le 25 juin 190 1 :
Je ne vous apprendrai sans doute pas grand chose si je vous
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXIII
dis que L'enlèvement innocent^ a été mis au théâtre en avril der-
nier : Le roi galant, jolie comédie dramatique en 4 actes, par
L. Marsolleau et Maurice Soulié (Odéon).
Je voudrais être l'auteur d'un enlèvement non moins innocent,
et vous décider à faire le voyage d'Alger l'année prochaine pour
le Congrès
Son projet d'enlèvement innocent devait en effet réussir ;
et il me décida à me rendre à Alger l'année suivante, pour
le Congrès international des Orientalistes et le Congrès des
Sociétés savantes. Mais auparavant lui-même vint en France.
Ce fut de Vichy où il soignait sa santé négligée depuis trop
longtemps, qu'il m'écrivit, d'abord le 30 juillet 19042, puis
le 3 août :
Je vous suis très reconnaissant de vouloir bien vous intéresser à
ma santé, et d'avoir songé à moi pour le voyage de Prisse
Après ma saison à Vichy, je compte aller passer quelques jours
dans la Nièvre, chez mon frère, avec mon fils qui est élève à
l'école de médecine militaire à Lyon. Mais ce n'est qu'un projet
dont ma santé décidera.
Je suis, grâce à un long séjour en Algérie, arthritique, de sorte
que les eaux de Vichy ne me conviendraient guère ; mais le gou-
vernement général ne nous offrant que celles-là, je les ai préférées
à rien, d'autant plus que pour un demi Algérien souffrant le meil-
leur traitement est encore de respirer l'air de France. Cela m'au-
rait fait de la peine de mourir avant d'avoir respiré l'odeur d'un
champ de trèfle. Vous verrez par vous-même combien l'Afrique
du Nord est sèche en comparaison de l'Europe C'était bien
différent il y a quelques milliers d'années : l'éléphant, la girafe, le
1 . a L'enlèvement innocent, ou La retraite clandestine de Monseigneur
le Prince avec Madame la Princesse sa femme, hors de France, 1609-1610,
vers itinéraires et faits en chemin par Claude-Enoch Virey, secrétaire
dudit Seigneur », publié par E. Halphen, m. d. ccc. lix, A. Aubry,
éditeur.
2. Au sujet de la belle broderie représentant des scènes du mythe de
Bacchus, que M. Gayet avait rapportée d'Antinoë.
LXXIV NOTICE BIOGRAPHIQUE
bubalus antiquus vivaient dans les régions les plus stériles au-
jourd'hui du Sud-Oranais. Je ne sais si vous connaissez les
curieuses découvertes faites par les explorateurs, Flamand en par-
ticulier. Ces découvertes portent sur des dessins rupestres repré-
sentant, à côté du bubalus antiquus, animal préhistorique, des
béliers ammoniens, avec disque et urseus, qui ont été gravés en
même temps que le bubalus. Il y a aussi des taureaux fort sem-
blables aux taureaux sacrés de l'Egypte, notamment celui d'Er-
ment; ils ont quelque chose comme les deux plumes entre les
cornes. Tout ceci milite fort en faveur d'une vaste extension en
Libye de la civilisation égyptienne. Quant à la date préhistorique,
il est fort possible que le bubalus ait prolongé son existence en
Libye jusqu'à une époque relativement assez récente. La tendance
des égyptologues est aujourd'hui de faire habiter l'Egypte primi-
tive par un fond de population libyenne dans lequel se seraient
immiscées des invasions sémitiques.
Voici, en faveur d'un sémitisme égyptien très archaïque, une
observation qui n'a pas encore été faite, à ce qu'il me semble. Le
syllabique an GsEE). l'œil dans une source, suppose l'existence des
deux mots œil et source en égyptien, avec la prononciation an, à
l'époque où le système graphique a été constitué; or, dans la
langue plus récente, celle que nous connaissons, ni l'œil ni la
source ne se disent an. De même, au moins en partie, pour la va-
leur atcn de l'oreille comme hiéroglyphe, alors que l'oreille se dit
généralement medjer, mot berbère.
Je vous remercie beaucoup de votre obligeance à vérifier mon
appréciation hypothétique des noms delà broderie Gayet. Les vers
de Virgile que vous me citez m'ont fait beaucoup de plaisir
Il retourna à Alger à la lin de septembre, et m'écrivit le
18 novembre 1901 comment s'était achevé son séjour en
France et comment s'était accompli son retour en Algérie.
Il m'exprimait en môme temps les regrels qu'il ressentait
de la morl de son ami Piehl, directeur du Sphinx :
Je ne suis guère sorti de chez moi' plus de trois fois avant la
1. 94, rue de Lyon, Alger Mustapha.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXV
reprise des cours, après mon retour à la fin de septembre, ayant
gagné en France une forte bronchite qui vient seulement de me
quitter. Je comptais passer 15 jours chez mon frère près de Nevers
après une saison de Vichy, puis repartir ; mais la malheureuse
grève de Marseille ' m'a retenu beaucoup plus longtemps que je
n'aurais voulu sous un climat froid et humide. Après cela, la tra-
versée sur le fameux transport de l'État, le Mytho*, n'a pas contri-
bué beaucoup à me guérir. Nous étions plus de mille passagers
entassés les uns sur les autres, par une mer épouvantable, un
temps pluvieux, etc. Je suis resté deux jours et deux nuits sans
bouger ni manger, sur le pont. Aujourd'hui que ce voyage est à
l'état de souvenir, je le considère de loin avec une certaine admi-
ration, et je suis fier de penser que ceux-là détiennent le record de
la plus mauvaise traversée possible, qui ont été sur le Mytho.
Mais je ne suis guère en humeur de plaisanter, ayant à vous parler
de Piehl, dont la mort m'a beaucoup affligé Piehl n'avait que
53 ans et était loin d'avoir donné toute sa mesure. Sa revue est
continuée par son élève, Ernst Andersson, maître de conférences à
Upsala : remplacera-t-il son maître?
J'ai été sur le point de revenir de la Nièvre par Chagny pour
avoir le plaisir de vous faire une petite visite, mais je n'ai pas osé
prendre le chemin le plus long, dans la crainte d'abuser de ma
santé : je pressentais le Mytho
Lefébure savait que son ami Piehl m'avait parfois critiqué
avec quelque âpreté; il m'expliquait, dans une lettre du
29 novembre 1904, la cause de cette disposition de Piehl à
mon égard :
Ne vous étonnez pas que Piehl vous ait été hostile à un certain
moment : il Tétait à toute l'école française, et en particulier à qui-
1. La grève des équipages de la C'c Générale Transatlantique, com-
mencée le 22 août 1904, fut suivie de la grève générale de tous les équi-
pages de Marseille, et dura jusqu'au 11 octobre 1904.
2. Le Mytho, transport de l'État, conduisit en Algérie vers la fin de
septembre les voyageurs que la grève avait empêchés de partir de
Marseille.
LXXVI NOTICE BIOGRAPHIQUE
conque passait à tort ou à raison pour protégé de Maspero. Celui-
ci, après avoir laissé passer l'orage sans recourir aux moyens
violents, s'est servi du procédé de la Sibylle :
Melle soporatam et ruedicatis frugibus offam
Objicif
Le gâteau c'était un lot d'antiquités égyptiennes suffisant pour
former un musée Bien que Piehl m'ait offert de publier mes
travaux et que je lui doive en retour la plus grande reconnais-
sance, jamais il n'a rendu compte d'un seul de mes mémoires
publiés ailleurs que dans sa revue : il est vrai que je ne le lui ai
jamais demandé, tout en lui faisant hommage de ces mémoires
Après la mort de Piehl, Lefëbure resta l'ami du Sphinx
et de son nouveau directeur ; il aida de son mieux celui-ci
de ses conseils2 et la revue de sa collaboration. Mais lui-
même pensait à sa mort prochaine; il m'écrivait le 29 dé-
cembre 1904, en me pressant d'accepter quelques brochures
qu'il voulait me donner :
A mon âge on n'a plus besoin de beaucoup de papiers autour de
soi pour se préparer à quitter ce vilain monde.
Mais tout de suite sa pensée revenait à ses études, et il
continuait ;
Je n'ai pas encore reçu la fin (qui vient de paraître aux Pro-
ceedings) du mémoire de Naville sur le déluge. Est-ce le déluge?
Je ne sais pas trop, d'abord parce que Naville soupçonne son texte
d'avoir été copié à l'envers, c'est-à-dire à l'inverse de l'ordre des
colonnes ; ensuite parce que l'idée de la légende rentre dans celle
de la Destruction des hommes, laquelle à mon avis est une descrip-
tion dramatisée de la crue du Nil.
L'œil solaire, c'est-à-dire la chaleur estivale, fait périr par
1. Virgile, Enéide, VI, \. 120-121.
2. Cf. Eugène Lefèbure, par Ernst Andersson, Sphinx, XII, p. 9.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXVII
l'aat annuel la race des hommes, dont le sang forme le Nil rouge,
précurseur de la crue qui annonce la fin de l'été et du fléau. La
déesse boit la liqueur, s'enivre et ne voit plus les hommes, c'est-
à-dire ne leur fait plus de mal : Yaat cesse avec la chaleur. C'est
ainsi du moins que je comprends le texte, où le déluge aurait un
effet diamétralement opposé à celui du cataclysme biblique.
A propos de la Bible, j'ai fait pour un volume que notre école
prépare à l'occasion du Congrès quelques recherches sur les noms
divins d'origine sémitique ou autre en Egypte. Le sujet serait in-
téressant si l'on pouvait arriver à quelque chose de précis, mais
c'est bien difficile
La préparation des Congrès, Congrès international des
Orientalistes et Congrès des Sociétés savantes, qui devaient
se tenir à Alger au mois d'avril 1905, imposait alors à Le-
fébure un travail supplémentaire qu'il accomplissait vail-
lamment, malgré son âge et la faiblesse de sa santé. Aussi
quand le Congrès des Orientalistes ouvrit ses séances le
19 avril 1905, Lefébure était parfaitement préparé. Il était,
dans le Comité d'organisation du Congrès, président de la
IVe section (égvptologie, langues africaines et Madagascar),
avec M. Héricy pour secrétaire. Il ne voulut cependant
présider aucune des séances ; mais il fut par son activité
l'âme de la section. La première séance de la IVe section
fut présidée par M. Wiedemann. Cette séance fut très bien
remplie, et les bonnes dispositions prises par Lefébure con-
tribuèrent à ce succès. Le lendemain 20 avril, il assista à
l'ouverture de la deuxième séance, puis se rendit au Con-
grès des Sociétés savantes1 pour lire quelques passages in-
téressants d'un mémoire sur les abeilles2, et, sa lecture faite,
1. M. Gazier, professeur de littérature française à la Sorbonne, pré-
sidait la séance du Congrès des Sociétés savantes où Lefébure fit cette
lecture.
2. Les Abeilles dans l'Afrique du Nord d'après les documents anciens
(Bulletin historique et philologique).
LXXVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
retourna à la séance de la IVe section du Congrès des
Orientalistes. Le 21 avril ce fut au Musée que nous enten-
dîmes MM. René Basset, Flamand etLefébure discuter sur
l'antiquité du chameau clans l'Afrique occidentale du Nord'.
Le 22 avril, Lefébure prit encore une part active aux tra-
vaux de la quatrième et dernière assemblée de la Section
d'égyptologie et langues africaines, et lut un mémoire sur
La plus ancienne date sothiaque*. Il publia le compte
rendu des travaux de la IVe section du Congrès international
des Orientalistes dans la Revue africaine publiée par la So-
ciété historique algérienne, année 1905, p. 330-333. On peut
faire un reproche à ce compte rendu : Lefébure n'y fait pas
assez ressortir l'importance du rôle qu'il joua dans le Con-
grès ; mais il met bien en valeur les travaux des autres con-
gressistes.
En quittant Alger j'étais allé visiter Constantine, Lam-
bèse, Timgad, Biskra, Sidi-Okba, Tunis et Cartilage. Le-
fébure m'écrivit le 12 juin 1905 qu'il allait aussi se rendre
en Tunisie :
Je vais faire comme vous, dans quelques jours, mais dans des
conditions moins agréables, le voyage de Tunis. C'est pour les
1. Le mémoire de M. Basset est intitulé Le Chameau chez les Ber-
bères; celui de M. Flamand Le Chameau préhistorique en Afrique;
celui de Lefébure Le Chameau en Egypte (Actes du XIVe Congrès in-
ternational des Orientalistes, t. II).
2. Actes du AI V' ('nin/rès international des Orientalistes, t. I. Le-
fébure donna aussi au Congrès une étude intitulée Canope, qui parut
aussi dans le tome I des Actes du Congrès. Son mémoire sur Les Noms
d'apparence sémitique ou indigène dans le Panthéon égyptien l'ait partie
du Recueil de Mémoires et de Textes publié par l'Ecole des Lettres et
Les Médersas en l'honneur du XIV Congrès des Orientalistes à Alger,
11M)5. Dans cette même année 1905, Lefébure (it encore paraître dans la
R( i ue africaine son étude sur Le Miroir dJ Encre dans la Magie arabe;
et dans la revue AWi/t la (l'Abeille), juillet-août 1905, un article intitulé
L'Abeille en Libye.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXIX
examens du baccalauréat. Je verrai ce que vous avez vu, en sui-
vant le même itinéraire et d'après vos indications : seulement je
n'aurai pas beaucoup de temps pour visiter Carthage, et je réser-
verai Biskra, etc., pour un autre voyage, quand j'irai à Constan-
tine pour d'autres examens, si je suis encore de ce monde
Après son retour à Alger il me raconta, dans une lettre
du 6 juillet 1905, ce qu'il avait vu à Tunis et à Carthage :
J'ai vu Tunis à la hâte et dans une sorte de tourbillon, n'ayant
eu à moi qu'une matinée et une après-midi, un jour en somme.
Les examens du baccalauréat m'ont pris le reste de mon temps, et
comme de plus c'était là un travail pénible, surtout entre deux
voyages d'aller et retour aussi longs, par cette chaleur, je ne suis
pas resté à Tunis les examens finis. Je n'ai donc fait qu'entre-
voir la ville, les souks, les grands monuments, Hammam-Lif, le
Belvédère, Carthage et le Bardo, tout cela en courant. Ainsi je
n'ai pu consacrer qu'une demi-heure au Musée Alaoui où l'on n'a
pas voulu m'ouvrir un peu avant l'heure, de sorte que j'ai attendu
dehors par un orage épouvantable. Je suis resté un peu plus de
temps au Musée Lavigerie, que le Père Delattre a eu l'obligeance,
bien que ce ne fût pas l'heure, de me faire voir dans tous ses dé-
tails. Je lui en suis très reconnaissant, et j'ai été aussi charmé de
sa science que de son amabilité. Je lui ai envoyé ces jours-ci quel-
ques références sur la divinité du palmier, qu'il a trouvée à Car-
thage, comme vous à Thèbes1 Il m'a montré le petit texte
que vous avez étudié et qui m'a paru comme à vous un fragment
d'Horus sur les crocodiles : il parait d'ailleurs que les crocodiles
figurent au dos de l'objet. J'ai admiré naturellement la belle prê-
tresse d'Astarté entourée d'ailes égyptiennes, et aussi, je puis dire,
tout le Musée, qui est très beau et organisé avec amour
J'avais laissé à Lefébure, après le Congrès d'Alger, quel-
ques documents que j'avais rapportés d'Egypte. Il me ren-
voya ces documents, en m'écrivant le 6 août 1905 :
1. J'ai publié l'image de cette déesse- palmier de Thèbes, flg. 16,
p. 243, de La Religion de l'ancienne Egypte, Paris, Beauchesne, 1910.
LXXX NOTICE BIOGRAPHIQUE
Voici enfin les quatre cahiers et les calques que vous avez eu
l'obligeance de me confier il y a plus de trois mois J'ai trouvé
des choses très curieuses dans vos notes Je vous remercie
aussi de grand cœur pour les renseignements que vous avez bien
voulu me fournir sur Khnoum. Je connaissais par Jablonski la
légende de Rufin, relative au dieu Canope de Canope, légende qui
me paraît bien concerner Khnum. Mon impression est toujours
qu'il persistait à l'époque grecque, dans la ville dont il s'agit, des
restes d'un vieux culte de Khnum à demi oublié, ou tout au
moins primé par celui de Sérapis
Il m'indiqua, dans une lettre du 29 décembre 1905, qu'il
utilisait mes documents pour une étude sur Le bucràne :
J'ai tiré quelque chose, au moins je le pense, des bucrânes dont
vous avez eu l'obligeance de me communiquer les dessins : ce sont
des représentations exactement semblables aux crânes de bœufs et
de chèvres ou de gazelles trouvés dans des puits spéciaux datant
du Moyen-Empire, à Diospolis parva. Pétrie en a publié deux'
Les crânes en question n'ont pas de mâchoires, et sont semés de
taches peintes en rouge ou en noir. Pétrie attribue la coutume de
préparer ainsi les bucrânes à une branche relativement récente de
la race libyenne qui aurait occupé l'Egypte, suivant lui, à l'époque
préhistorique. Je ne sais s'il est bien dans le vrai. En tous cas, la
présence de ces bucrânes à Diospolis parva, la ville des sistres,
est intéressante, car un sistre c'est originairement une tête de
vache La tète bovine, p-^— ,, a le même nom que le sistre.
Si réellement la race qui peignait les bucrânes est africaine, ce
sera un fait à noter à côté de l'affichage des têtes ou cornes de
bu'iif qui caractérise la hutte de Khem, dieu du Haut Nil, et
la ville de Crocodilopolis dans le Fayoum, lequel est une sorte
d'oasis libyenne, m m .
Si j'ai le temps, je ferai pour la Revue d'Upsala, celle de Piehl,
un mémoire là-dessus ; mais je suis obligé de dire si j'ai le temps,
1. Diospolis pqrna, pi. 39 et p. 46.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXXI
car les manœuvres dont mon emploi a toujours été l'objet recom-
mencent de plus belle1
Il y a longtemps qu'il n'a été question des mémoires du Congrès.
Tant que je serai ici, j'aurai naturellement à m'occuper de l'im-
pression de la partie égyptologique, et je vous enverrai vos
épreuves
Il semble que le temps de Lefébure eût été bien employé
pendant l'année 1905 ; et pourtant il s'occupait encore de
publier un volume d'études psychiques. Le volume ne parut
pas ; mais le plan préparé par Lefébure nous a été conservé
dans une lettre qu'il écrivit le 28 juin 1905 à M. Gaidoz2,
directeur de Mélusine :
Monsieur et cher Maître,
J'accepte avec beaucoup de plaisir et de reconnaissance votre
aimable offre de parler à Alcan3, sans grand espoir peut-être
d'aboutir ; mais il est toujours permis d'essayer.
Mes mémoires publiés ou inédits sur le psychisme peuvent re-
présenter un volume de 300 à 350 pages in-8. Ils ne composent pas
un tout bien suivi ; ce sont plutôt des Études psychiques ou méta-
psychiques, pour employer le mot proposé par Ch. Richet. La
méthode que je suis n'est pas expérimentale, mais historique : je
me borne à recueillir d'anciens témoignages montrant que les faits
vrais ou faux qui sont mis à l'étude aujourd'hui ont été connus de
tous temps.
Voici les titres de 12 mémoires, les inédits marqués + et ceux à
demi inédits marqués — :
-f- 1. L'orphisme de V. Hugo (à refaire).
1. Il s'agissait d'une nouvelle tentative pour faire supprimer le cours
de Lefébure.
2. M. Gaidoz a bien voulu nous communiquer un certain nombre de
lettres de Lefébure, et nous permettre d'en faire usage dans cette Notice.
3. « J'ai eu, dit M. Gaidoz, une fin de non-recevoir chez Alcan, parce
qu'on m'y a dit ne pas publier de volumes de Mélanges, mais seulement
des ouvrages inédits, comme si l'inédit était, par cela seul, original ! »
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. *#*#*#
LXXXII NOTICE BIOGRAPHIQUE
-(- 2. La coupe et la couronne (la pomme aurait fait une trilogie,
mais elle n'est pas seulement psychique).
3. Les petites hantises, tableaux, tapisseries, miroirs et hor-
loges (à terminer).
4. Le nagal (une des origines possibles du totem).
-4- 5. L'aruspicine.
6. Le miroir d'encre dans la magie arabe (moins les textes en
arabe).
7. ( La vision dans le cristal.
8. < Madame Piper (Deux chapitres traduits de Lang, The
f ma km g of Relig io n ) .
9. Musset sensitif.
— 10. La télépathie au XVIIe siècle (d'après Mme de Sévigné et
la mère du Régent, à refaire).
11 . L'expérience cruciale de la force psychique.
-f- 12. Les mirages psychiques (à faire; ce n'est pas la même
chose que les Mirages visuels et auditifs dans Mélu-
sine ').
Je pourrais joindre à cela les Origines du Fétichisme et la Vie
du nom, si Mélusine le permettait; mais je crois qu'à la mode des
fées elle garde exclusivement pour elle son acquis, comme Viviane
avec Merlin
Cette lettre nous fournit un témoignage de plus de l'acti-
vité de Lefébure et de la variété des recherches auxquelles
l'entraînaient ses études. Mais s'il ne réussit pas a l'aire pu-
blier par Alcan le volume d'Études psychiques dont il avait
préparé le plan, l'occasion s'offrit à lui un peu plus tard de
publier l'ensemble de ses œuvres diverses. Il m'en informa
dans une lettre du 20 juin 11)07 :
Maspero m'a fait proposer de republier l'ensemble de
mes mémoires- Si ma santé ne me permet pas d'y participer
;i'-ti\ fuient, je pense qui- je serai aidé par un de mes anciens au-
1. Tome X, n°2, mars-avril 1900, col. 25-39.
2. Dans la Bibliothèque ègyptologique.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXXIII
diteurs d'Alger, M. Galtier, qui est en ce moment bibliothécaire
au Musée du Caire.
J'ai un autre auditeur qui songerait à se présenter à l'École du
Caire c'est l'abbé Saint-Paul1, professeur au séminaire de
Saint-Eugène, près d'Alger. Le mérite ne lui manque pas, mais
sa robe serait sans doute un obstacle
Vous serez bien aimable de présenter mes amitiés à M. Mallet
si vous lui écrivez, et aussi de me donner son adresse : j'ai à lui
envoyer mes mémoires du Congrès.
Je vous félicite, à propos de Congrès, d'être membre du Con-
grès préhistorique. S'il a lieu pendant les vacances, peut-être y
rencontrerez- vous un de mes collègues et amis, M. Flamand, qui
étudie la préhistoire africaine d'après les dessins rupestres où il y
a pas mal de béliers ammoniens d'époque très ancienne.
J'ai eu des nouvelles de M. Lieblein, toujours très alerte, par
une de mes élèves, qui est licenciée ès-lettres et qui a passé l'hiver
en Norvège, Mlle Bercher, fille d'un médecin militaire d'Alger.
Elle a un frère qui est au Val-de-Grâce avec mon fils
Le 12 juillet 1U07, il m'écrivait encore au sujet de la
réimpression de ses œuvres :
Je comptais partir ces jours-ci, mais je ne me sens pas bien en
état de faire le voyage, et d'autre part je vois qu'il ne fait pas
chaud du tout en France, de sorte que je me décide à passer l'été
à El-Biar. village plus élevé qu'Alger, donc plus frais et plus sain.
Je m'y rendrai vers le 20 de ce mois.
Je viens de terminer ma propre bibliographie, et je vais l'en-
voyer au bibliothécaire2 du Musée, au Caire, qui me paraît chargé
de la réimpression de mes travaux. On la commencera quand de
Horrack sera terminé. Je pense bien qu'il ne s'agit pas de repu-
blier les ouvrages en volume, mais simplement les articles de
Revue. J'espère aussi qu'il est permis de rectifier au moins en
note les erreurs reconnues, et d'ajouter quelques références au be-
soin
1. Voir plus haut, p. lx.
2. Son élève Galtier; voir plus haut, p. lx et lxxxiii.
LXXXIV NOTICE BIOGRAPHIQUE
Je ne pouvais pas me refuser à ma réimpression, mais j'aime-
rais beaucoup mieux employer le temps qu'elle me prendra à ter-
miner les travaux que j'avais en train quand je suis tombé malade.
On ne fait pas toujours ce qu'on voudrait. M. Flamand' ne vien-
dra pas à Solutré : il devait aller à Lyon et reste à Alger
Nous venons de voir que Lefébure, se sentant trop fatigué
pour se rendre en France pendant les vacances de 1907,
s'était décidé à passer une partie de l'été à El-Biar, village
situé au-dessus d'Alger, non loin de la porte du Sahel. Il me
parla brièvement cle ce séjour à la campagne, dans une lettre
qu'il m'écrivit le 3 septembre2, après son retour à Alger :
J'ai passé deux mois à El-Biar, un village plus élevé qu'Al-
ger, mais non moins humide, au moins cette année Je ne m'en
suis pas très bien trouvé sous ce rapport. A un autre point de vue
le site est plutôt agréable. J'habitais une villa au milieu des vignes,
de sorte que j'ai assisté au commencement et à la fin des ven-
danges, qui ont été assez abondantes, malgré quelques coups de
sirocco
M. Héricy, professeur au Lycée d'Alger, et auditeur des
leçons de Lefébure, a bien voulu nous raconter1 comment
celui-ci se reposa à El-Biar, où il l'avait lui-même attiré :
1. Voir plus haut. p. lxxxiii.
2. Dans la môme lettre, Lefébure m'exposait le résultat de ses re-
cherches sur les habitants des '^:;::',:::^7 mentionnés dans la stèle triom-
v -,
phale de Thoutmès III ; on sait que son article sur ce sujet parut après
sa mort dans le Sphinx sous le titre Le moi neb cl le troglodi/tisme.
Il me parlait des palettes archaïques étudiées par MM. Capart et N'a-
vilie, et se préoccupait de l'avenir des études de M. l'abbé Saint-Paul :
« J'ai vu dans l'Encyclique du pape que les prêtres ne devront plus
suivre les cour< des I fniversités civiles, et je le regrette beaucoup pour
l'abbé Saint-Paul, qui ne pourra pas non plus songer maintenant à
l'Ecole du Caire, et que d'autre part la loi de séparation appliquée ;'i
l'Algérie va obliger à s.' chercher uni' situation. Dans ces conditions je
ii'- pense pas qu'il ;iii donné suite ,;i son intention de vous écrire »
:'.. Lettre de M. Héricy à Ph. Virey, du 13 juillet 1910.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXXV
En 1907 je ne suis pas allé passer mes vacances en France.
J'avais loué à El-Biar, à 7 kilomètres d'Alger, un petit apparte-
ment, où nous nous étions déjà bien trouvés en 1901. Justement,
dans la même villa, un autre petit appartement se trouvait vacant.
J'en informai M. Lefébure, qui s'empressa d'en profiter. Mais ce
ne devait pas être pour se reposer. Il était arrivé avec une véri-
table bibliothèque. Au lieu de faire comme moi, de vivre constam-
ment dehors, sous les pins, il restait à sa table de travail le jour
et une grande partie de la nuit. C'est à peine si je pouvais le déci-
der à prendre un quart d'heure de répit dans toute la journée. Il
venait de rester au lit de longs mois, échappant à une maladie
pour devenir la proie d'une autre, grippe infectieuse, phlébite,
congestion pulmonaire. J'aurais voulu le soustraire à cette intensité
de vie cérébrale qui le consumait. Je n'ai pu y réussir C'était
le moment où venait de paraître l'ouvrage de Frazer : Adonis,
Attis, Osiris. Lorsque j'arrivais à le décider à sortir quelques mi-
nutes, il ne se séparait point de cet ouvrage et l'emportait sous son
bras. Si nous nous arrêtions sur un banc, il ouvrait Frazer, et en
dévorait à la hâte quelques fragments. A cette occasion je lui
adressai un sonnet acrostiche pour l'amuser :
A mon cher et savant maître M. Lefébure.
Mst-il, mon savant maître en Égyptologie,
Gn plus grand bien que Vie. et que Force et Santé ?
Cardons-nous d'oublier que tout est Vanité
— t pâture de vent, tout, Science ou Magie.
négligez Adonis, Osiris, pour Hygie ;
Mt, sans prendre souci d'Attis ressuscité,
faissez-vous griser d'air, de gai soleil, d'été,
Mt brûlez-moi ces dieux de mort en effigie.
*r]rêle proie arrachée à peine à VAmenti,
—veillez-vous au prime essor d'Hor-em-Khouti ;
M uvez à ses rayons YAnkh à pleine poitrine ;
Cdja soit avec vous, de Senb réconforté !
pja veuille de vos maux extirper la racine,
Mt vous rendre vigueur pour chercher vérité !
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. ##*###_
LXXXVI NOTICE BIOGRAPHIQUE
Je n'obtins pas plus heureux résultat en vers qu'en prose ; mais
j'appris que j'avais porté de l'eau à la fontaine1 Je ne
me proposais que de le distraire; mais j'avais touché, sans le savoir,
une corde sensible qui se remit à vibrer Quelques semaines
après mon retour à Alger, je reçus une lettre anonyme, renfermant
trois quatrains acrostiches
>vez-vous quelquefois le soupçon du mystère,
lorsque, par les soirs vaporeux des lins d'été,
bdien au-dessus des bruits de la Blanche Cité,
Msprit libre et hardi, vous songez, solitaire"?
£?epos, calme, inertie? oh ! non, car bien souvent
Hout un monde endormi dans vos pensers s'éveille,
— indou, juif ou chrétien, évoquant la merveille
étrange du passé toujours mort et vivant.
p:econnaissez-vous là l'esprit Un qu'on devine
—nnombrable pourtant dans l'infini de l'ost
Oosmique, ce Cosmos dont vous êtes le Faust ?
kj voyez-vous combien l'âme humaine est divine ?
Pas de signature!!! mais j'avais deviné sans peine Alors je
lui adressai, également sans signature, les distiques suivants :
O sphinx ! absque tuo cur nomine carmina mittis?
Vere auctor patuit callidus arte Faber '-'.
Iiaud eadem ratio nobis apparet habenda
Temporis; hic noctem carpit, at ï 1 le diem.
Te vigilem assiduumque, sopor quando occupât uibem
Mens rerum exagitat, Vox quoque Praeteriti.
1. « A ce moment, ajoute M. Héricy, je fis emplette de ['Anthologie
des Poètes français contemporains, publiée par »i- Walch, chez Delà-
grave, 3 vol. Dans le tome I, page 107, Biographie de Louis-Xavier de
Ricard, le nom d'Eugène Lefébure figure parmi les trente-sept collabo-
rateurs du /'iirnussr contemporain en 1866. »
2. Faber = le fèvre.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXXVII
Intima nox tibi fert per amœna silentia vulgi
Manatque ubertas lactea sideribus.
Te dudum agnovi Parnassi rnontis alumnum,
Osque animadverti magna sonare tuum.
Me juvat alternas rerum observare vices, et
Nox ubi fit. jaceo; dormit itemque liber.
Blanda tegrum recréât, mœrentis tsedia mulcet,
Interdum infundit, somnia grata, jocos,
Cum luce hesternos mens matutina labores
Instaurât, scriptis imbuta tota tuis.
Œdipus Icosii jubeo salvere poetam
Faustus, si velles Sole fovente frai !
Il me répondit par une lettre aussi aimable que gaie. Mais jamais
il ne consentit à suivre mes conseils bien cordiaux de s'arracher à
ses études et de ménager ses forces
La mort seule devait bientôt arracher Lefébure à son
travail, et lui procurer le repos. Le 27 octobre 1907, il m'écri-
vait de nouveau au sujet de M. l'abbé Saint Paul, dont la
situation l'intéressait. Il comptait alors le revoir à son
cours ; mais ce cours devait être interrompu avant la fin de
l'année 1907 ; la grippe le ressaisit et l'obligea à prendre
un congé. Il travaillait chez lui ; il me tenait au courant de
ses recherches sur le mot ^~? , neb, employé avec le sens de
cuvette ou bas-fond ; enfin il se préoccupait de la réimpres-
sion de ses œuvres :
Je suis1 entraîné bon gré mal gré (plutôt mal gré à cause de la
fatigue qui en résulte pour moi) à m'occuper de ma réimpression.
Maspero m'a déjà fait interviewer de 6 à 7 côtés différents à ce
sujet. J'ai donné à Leroux quelques mémoires pour les transmettre
à l'imprimeur
Je serais fort embarrassé pour entreprendre ma biographie, sur
laquelle pèse sans interruption l'hostilité de Maspero, car je ne
1. Lettre de Lefébure à Ph. Virey, du 27 octobre 1907.
LXXXVIII NOTICE BIOGRAPHIQUE
saurais guère m'en expliquer dans une publication à lui 1 . Je ne suis
d'ailleurs guère en état pour le moment d'entreprendre un pareil
travail, pour lequel, si je m'y décidais, je tâcherais de prendre le
biais de me borner à l'historique de mes travaux et de mes idées.
Je vous remercie beaucoup d'avoir bien voulu me renseigner
sur les annotations à faire aux mémoires republiés, et en outre
pour le volume de Horrack2. J'ai écrit à sa veuve pour lui adresser
aussi mes remerciements- Je n'ai pas connu beaucoup de Horrack,
mais dans tous les cas je l'ai vu assez pour apprécier sa science
et son amabilité. Il m'était très sympathique
Le 12 novembre 1907, Lefébure m'exposait ses idées sur
les palettes archaïques d'Egypte, comparées aux churinga
des Australiens, à l'occasion de la communication faite par
M. Capart à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
le 30 août 1907 :
Je vous remercie beaucoup du renseignement que vous avez bien
voulu me donner, et qui m'arrive très à propos pour m'épargner une
petite gaffe, en ce sens que j'allais probablement, après coup,
donner comme mienne l'opinion de Capart. Voici pourquoi je dis
■probablement : en m'occupant des palettes archaïques à godet cen-
1. Il y eut entre Lefébure et M. Maspero un malentendu presque con-
tinuel. Les lettres de Lefébure, antérieures à 1878, montrent qu'il avait
fort peu de sympathie pour M. Maspero (voir plus haut, p. xix, note 2).
Lorsque celui-ci l'eut fait nommer maître de conférences à la Faculté
'!'•- Lettres de Lyon, el ensuite directeur de la Mission permanente du
Caire, il lui en fut très reconnaissant, mais il semble qu'il n'ait jamais
cessé de le craindre; un certain malaise exista toujours dans leurs re-
lations, malgré les efforts que M. Maspero lit d'abord pour y remédier.
L'insuccès de la thèse de Lefébure et la mesure brutale dont il fut
victime au Collège do France augmentèrent encore sa défiance à l'égard
de M- Maspero, qu'il rendit responsable de ses malheurs. De son côté
M. Maspero ne semble pas avoh eu l'occasion de connaître ce qu'il y
t d'aimable dans le caractère de Lefébure, sans doute parce qu'il
n'y eut jamais entre eux assez d'intimité.
2. .1" Déméritais pas ces remerciements; je m'étais borné à indiquer
L'adresse de Lefébure à M"' de Horrack, qui voulait lui offrir elle-même
un exemplaire du volume de son mari.
NOTICE BIOGRAPHIQUE LXXXIX
tral pour répondre à Naville 1 , j'avais comparé ce godet aux cupules
préhistoriques signalées depuis assez longtemps par l'anthropolo-
gie, et comme lesdites cupules ont été étudiées par A. Lang dans
son livre intitulé Magic and Religion, je me proposais de revoir le
chapitre spécial où il en parle. Or ce chapitre, que je me rappelais
d'une manière assez vague, contient une description détaillée des
churinga de Capart, assimilés aux cupules, de sorte que j'aurais
été conduit à peu près forcément à rapprocher les churinga des
palettes. Ces objets bizarres seraient, pour les Australiens, des
réceptacles d'àmes d'ancêtres, mais je n'oserais pas aller jusque-là
en ce qui concerne l'Egypte. Je ne sais si Capart l'a fait. Il y a,
dans tous les cas, analogie de forme
A la fin de l'année 1907, Lefébure reçut la visite du
Dr Schweinfurth, qui était venu passer l'hiver à Biskra. La
conversation de l'illustre explorateur l'intéressa vivement,
et il aurait voulu le voir davantage ; mais il était alors très
malade de la grippe, et condamné à rester chez lui2.
Il m'écrivit pour la dernière fois le 1er février 1908, à peu
près en même temps qu'il m'envoyait son mémoire sur La
main de Fathma, publié dans le Bulletin de la Société de
Géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord. Il avait appris
avec intérêt que je devais donner des conférences sur la
religion de l'ancienne Egypte à l'Institut catholique de
Paris ; et bien qu'en principe il ne fit pas de critique., il
m'écrivait qu'il aurait aimé à lire ces conférences pour en
rendre compte dans le Sphinx.
Mais cette lettre du 1er février fut la dernière que je reçus
de lui. Ce fut son disciple M. l'abbé Saint Paul qui m'écri-
vit le samedi 11 avril 1908 pour m'annoncer sa mort :
Mon excellent maître et votre ami M. Lefébure est mort presque
1. 11 s'agit du mémoire de M. Naville intitulé Le Dieu de l'Oasis de
Jupiter Ammon, et publié dans les comptes rendus de V Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, année 1906, p. 25-32.
2. Lettre de Lefébure à Ph. Virey, du 28 décembre 1907.
XC NOTICE BIOGRAPHIQUE
subitement dans la nuit de jeudi à vendredi ; et ses obsèques auront
lieu ce soir samedi à 2 h. 1/2.
C'est un long martyre qui finit Depuis trois mois il ne faisait
plus son cours, affaibli aussi par le travail et sa vie d'anachorète.
Rien cependant ne faisait prévoir le coup qui nous frappe si dou-
loureusement.
Son fils M. Maurice Lefébure, aide-major à Grenoble, ne pourra
guère arriver à Alger que dimanche dans l'après-midi.
La famille qui accompagna Lefébure jusqu'à sa dernière
demeure terrestre fut sa famille universitaire, composée de
ses collègues et de ses disciples. Sur sa tombe M. Basset lui
adressa un dernier adieu au nom de l'École des Lettres, et
M. Héricy parla au nom de ses anciens élèves. Nous avons
déjà cité1 la première partie de son discours, relative à l'en-
seignement du maître : M. Héricy terminait par ces paroles :
M. Lefébure était un laborieux, un infatigable. Le travail était
pour lui un besoin, jamais assouvi. Il travaillait le jour, mais il
prolongeait sa veille fort tard dans la nuit, et disputait au sommeil
des heures qui, pourtant, consacrées au repos, eussent été répara-
trices.
Depuis deux ans qu'il était en butte aux assauts répétés de la
maladie, il ne se plaignait point de ses souffrances. Cependant un
jour je le trouvai véritablement triste et accablé, ("était lorsqu'une
phlébite le condamna à l'immobilité complète pour de longues
semaines. Il venait de constater avec douleur que sa vue se
brouillait et que toute lecture lui devenait impossible. Mais lorsque
plus tard ses yeux reprirent leurs forées, il se sentit renaître. Il lui
sembla que c'était le signe du retour définitif à la santé, et nous
aussi nous nous primes à espérer que c'était la convalescence tant
désirée.
Hélas 1 notre illusion ue devait pas être de longue durée ! Ce
sommeil qu'il ne s'accordait qu'avec tant de parcimonie, il y est
maintenant plongé pour jamais. Et nous pleurons notre excellent
1. Voir plus ii.nii . p. lix.
NOTICE BIOGRAPHIQUE XCI
maître; et emportant au fond de nos cœurs les traits de cette figure
si expressive et pourtant sereine, reflet d'une âme haute, nous
avons conscience de conserver la vivante image d'un sage.
Lefébure a beaucoup souffert ; mais l'amour de ses disciples
a dû faire sa consolation et sa gloire. L'admiration de ses
collègues ne lui a pas non plus fait défaut1 ; elle lui a été
clairement affirmée lors des Congrès de 1905 ; et il a pu sans
vanité se dire dans ses dernières années que, si sa vie n'a pas
été heureuse, elle n'a pas été inutile.
1. On ne peut en effet, comme l'a fait observer Ernst Andersson, con-
sidérer sans admiration le nombre des problèmes égyptologiques que
Lefébure a définitivement résolus.
HYMNES AU SOLEIL1
AVANT-PROPOS
Les hymnes qui suivent sont extraits du Livre sacré de
l'antique Egypte, appelé Rituel funéraire par Champollion,
et Todtenbuch, c'est-à-dire Livre des Morts, par M. Lep-
sius. Les Égyptiens le nommaient Chapitres pour sortir le
jour, ou du moins je pense qu'ils le nommaient ainsi, car
son titre n'a pas encore été traduit de cette manière.
Ce livre est un recueil de formules et de prières que le
défunt, pour devenir un élu, devait savoir par cœur sur la
terre, ou posséder par écrit dans l'hypogée. Grâce à l'effi-
cacité de ces chapitres, il repoussait les serpents, les croco-
diles et les monstres de l'autre monde, il pouvait revenir
sur la terre et prendre les formes qui lui plaisaient, il deve-
nait immortel, il recouvrait son cœur et sa bouche, son âme
et son corps étaient réunis, il montait avec les dieux dans la
barque du Soleil, il recevait une demeure, des champs et
beaucoup de nourriture dans les plaines arrosées de l'Aaur,
1. Publié dans la Bibliothèque internationale universelle, Paris,
1870, t. II, p. 189-193. C'est, avec quelques modifications légères, la
traduction que Lel'ébure avait déjà donnée, en même temps que le texte
hiéroglyphique et un commentaire dans son ouvrage intitulé Traduc-
tion comparer des Hymnes au Soleil composant le XVe chapitre du
Rituel funéraire éfjuptien, Paris. Vieweg, 1868, in-4u. — G. M.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 1
2 HYMNES AU SOLEIL
L'Elysée égyptien, il franchissait les portes de ce paradis,
gardées par les dieux armés dont il lui fallait connaître les
noms, enfin il faisait tout ce qu'il voulait. Mais, pour ob-
tenir ces avantages, il fallait encore que le défunt fût déclaré
juste par Thoth, après avoir été pesé dans la balance de la
justice devant Osiris. Sinon, il subissait différents supplices,
qu'on appelait la seconde mort.
Le chapitre xv, le plus poétique de tous, contient les
hymnes au Soleil que nous publions. Il rend, d'une façon
assez complète et assez claire l'idée que les Egyptiens se
faisaient du plus grand de leurs dieux, et l'explication peut
s'en résumer ainsi :
Le dieu Soleil, Ra, nommé Horus des deux horizons,
Haremkhu à son lever, et Tu m ou Atum à son coucher,
est le dieu suprême, Khepra, chef des dieux et père de dieux,
qui a formé lui-même ses membres, qui s'est créé et qui a
créé les Paut-Neteru, c'est-à-dire la société des dieux qui
raccompagnent. 11 s'engendre lui-même au sein de sa mère
Nu, le Ciel, que les Egyptiens regardaient comme un abîme
d'eaux, le Non. (Le chapitre xvn fait du Nun le Soleil lui-
même, créanl ses membres pour être les dieux qui le sui-
vent.) Sur cette mer d'en haut, le Soleil vogue dans sa
barque, dirigée par les Akhimu Seku et les Akhimu Urtu,
astres dont le nom est d'un sens très incertain. Dans son
coins, le Soleil triomphe de ses adversaires et anéantit le
serpent Apap, une des personnifications du mal.
Arrivé a la montagne occidentale, sa mère, le Ciel, le re-
çoit dans ses bras; son poreTanon, que je croisètre la Terre,
le soutient, et il secouclie dans la demeure de Sakar, c'est-à-
dire d'Osiris infernal, qui est une (\<^s formes solaires; la
contrée mystique du couchant rs\ Manun, Aker, Ta-ser, le
Kher-neter, le pays ^\>- la Vie, et l'Amenti, c'est-à-dire l'oc-
cident, lieu où résidenl Osiris et les âmes ^\(^ morts, les-
quelles, après leur justification, s'identifient avec ce dieu et
prennent son qoeq. C'est, pour ce motif que le Rituel, en
HYMNES AU SOLEIL 6
parlant du défunt, dit toujours : l'Osiris un tel justifié.
Les lecteurs qui voudront bien parcourir le chapitre que
j'ai traduit jugeront eux-mêmes de sa beauté, relative ou
réelle. Je ferai remarquer seulement, au sujet de la forme
de ces hymnes, que les Égyptiens songeaient peu à composer
leurs poèmes : au lieu d'en grouper les détails de manière a
produire un effet voulu, ils ne faisaient guère que les réunir,
sans beaucoup d'ordre, suivant les hasards de la verve ou
de la mémoire. Ils ne connaissaient pas non plus, à propre-
ment parler, la versification, mais ils usaient- de certains
artifices qui la rappellent, et dont le plus important est le
parallélisme, c'est-à-dire le rapprochement d'idées sem-
blables rendues par des mots différents et des tournures
analogues. L'hymne qui commence à la ligne 18, par
exemple, se compose, surtout vers la lin, de parallélismes
serrés, espèces de distiques rimant, non par le son, mais par
le sens :
Toi, le grand dominateur dans la barque, — le très terrible dans
[l'arche,
Rends heureux l'Osiris justifié dans le Kher-neter, — fais qu'il
[soit dans l'A menti,
Qu'il maîtrise le mal, — qu'il surveille l'iniquité,
Place-le parmi tes saints zélateurs, — réunis-le aux âmes qui sont
[dans le Kher-neter,
Qu'il parcoure la campagne de l'Aaur, — et qu'ensuite il voyage
[en triomphe !
On peut voir là aussi, comme dans les versets hébraïques,
l'ébauche d'un vers blanc très libre, coupé d'une césure à
peu près régulière et animé par des oppositions qui, dégé-
nérant parfois en répétitions, rappellent alors les vers inu-
tiles ou faibles qu'amène la rime dans nos poésies modernes.
Ces phrases cadencées, qui rendent le style plus saisissant
et plus nombreux, ne sont jamais obligatoires et ne se pré-
sentent que dans les endroits où l'auteur était échauffé par
4 HYMNES AU SOLEIL
son sujet, à peu près comme les chants ou les vers dans les
pièces théâtrales de l'Inde ou de la Chine, et les alexandrins
moins brisés dans nos drames de 1830.
Outre le verset, les Egyptiens employaient encore les
assonances, rimes immédiates dont le chapitre xv offre
quelques exemples, et les refrains, surtout en tète des
phrases, comme dans les invocations au Soleil couchant de
ce même chapitre, et dans la poésie connue sous le nom de
Stèle de Toutmès III, où, pendant une dizaine de lignes,
deux refrains différents commencent tour à tour les versets.
Les bis sont fréquents aussi dans les textes. Ce sont bien là,
mais épais, sans lien ni règle, tous les éléments du système
rythmique. Le rythme a pour but d'exprimer le retour
d'une impression agréable, et la véritable versification,
c'est-à-dire le raffinement du rythme, n'apparaît guère dans
l'extrême antiquité que chez les peuples à imagination déli-
cate, comme les Indous et les Chinois.
HYMNES AU SOLEIL
ADORATION OE RA HAREMHKU
lorsqu'il sk lève à l'horizon ORIENTAL DU CIEL
L'< )>i ris Aufankh justifié dit : « 0 Ra, seigneur du rayon-
nement, brille sur la face de l'Osiris Aufankh justifié ! Qu'il
soit adoré au matin el qu'il se couche le soir, que son âme
sorte avec toi vers le ciel, qu'il vogue dans la barque, qu'il
aborde dan- l'arche, qu'il s'élève comme les Akhimu Urtu
dans le ciel. »
HYMNES AU SOLEIL 5
L'Osiris Aufankh justifié dit, en invoquant le Seigneur de
l'éternité : « Salut à toi, Ra-Haremkhu-Khepra, qui existes
par toi-même ! Splendide est ton lever à l'horizon, les deux
mondes s'illuminent de tes rayons. Tous les dieux se ré-
jouissent en voyant le roi du ciel. La déesse Neb-Un est
établie sur ta tête, le diadème du Midi et le diadème du
Nord sont établis sur ton front, elle se place devant toi;
voilà qu'elle est attentive, à l'avant de la barque, à châtier
pour toi tous tes adversaires. Ceux qui sont dans le ciel in-
férieur viennent au devant de ta sainteté pour voir ce bel
emblème qui est le tien. Je viens à toi, je suis avec toi pour
voir ton disque chaque jour. Je ne suis pas enfermé, je ne
suis pas repoussé. Mes membres se renouvellent à l'éclat de
tes beautés, comme tous tes fidèles, car je suis un de ceux
qui sont tes favoris sur la terre. J'arrive à la terre des siècles,
je rejoins la terre de l'éternité; toi, voilà que tu as voulu
pour moi, ô Ra, que je sois ainsi comme chaque dieu. »
L'Osiris Aufankh justifié dit : « Salut à toi, qui brilles à
l'horizon le jour, et qui parcours le ciel uni à la déesse Ma' !
Tous les humains se réjouissent de te voir marchant dans
ton mystère vers eux. Toi qui leur es donné au matin de
chaque jour, ils prospèrent, ils progressent avec ta sainteté,
ceux qui sont éclairés de tes rayons. Or inconnu ! Incompa-
rable est ton éclat ! C'est le pays des dieux ! On y voit toutes
les couleurs de l'Arabie. Dieu apprécié par ceux qui ont les
mystères devant eux, tu étais seul formé lorsque tu prenais
naissance sur le Nun. Puissé-je marcher comme tu marches,
et ne pas m'arrêter, pareil à ta sainteté, ô Soleil, qui n'as
pas de maitre ! Grand voyageur par les millions et les cen-
taines de mille d'aturs, en un petit instant tu les parcours;
tu te couches et tu subsistes. Les heures ou les jours comme
les nuits, tu les multiplies; tu subsistes suivant la règle que
tu t'imposes, te faisant toi-même le matin Ra qui te lèves
à l'horizon. »
1. Déesse de la Justice et de la Vérité,
6 HYMNES AU SOLEIL
L'Osiris Aufankh justifié dit, en t'adorant le matin quand
tu brilles, il te dit quand tu resplendis : « Dieu adoré lorsque
la forme s'élève. Dieu dominant on grand par cette beauté
qui est la tienne, toi qui as formé et fondu tes membres, qui
t'enfantes et n'es pas enfanté à l'horizon, toi qui brilles du
haut des cieux, fais que je parvienne au-dessus des siècles,
dans la demeure de tes favoris, que je sois réuni aux Esprits
augustes et parfaits du Kher-neter, que je sorte avec eux
pour voir tes beautés à ton lever et le soir, lorsque tu te
réunis à ta mère Nu et que tu places ta face vers l'occident.
Mes bras sont en adoration à ton coucher dans le pays de la
Vie. Toi, en effet, auteur des siècles, qui es adoré à ton
coucher dans le Nun, celui qui te place clans son cœur sans
se relâcher, tu le divinises plus que tous les dieux. »
L'Osiris Aufankh justifié, fils de Sa-t-khem justifiée, dit :
« Gloire à toi, qui brilles dans le Nun, qui as illuminé les
deux mondes le jour où tu es né, enfanté par ta mère de sa
propre main! Tu les illumines, tu les divinises, grand illu-
minateur qui brilles dans le Nun ! Toi qui organises tes
familles par l'irrigation, toi qui mets en fête les nomes,
toutes les villes et tous les temples, bienfaisant par tes
bontés ! Toi qui prépares les aliments el la nourriture déli-
cieuse, loi, le tics redoutable, le maître des maîtres, qui
détruis toul refuge pour l'iniquité, toi, le grand dominateur
dans la barque, le très terrible dans l'arche! Rends heu-
reux l'Osiris Aufankh justifié, fils do Sa-t-khem justifiée,
dans le Kher-neter, fais qu'il soit dans l'Amenti, qu'il maî-
trise le mal, qu'il surveille l'iniquité, plâce-le parmi tes
saints zélateurs, qu'il se joigne aux Esprits qui sont dans le
Kher neter, qu'il parcoure h campagne do l'Aaur, el qu'en*
suite il voyage <'n t riomphe. »
L'Osiris Aufankh justifié, lils d<- Sa t khem justifiée, dit :
" J'apparais au ciel, }>- traverse le in marnent, je m'agenouille
auprès des astres; il m'est fait appel (\c la barque, je suis
demandé du navire; j<' contemple Ra dans son sanctuaire,
HYMNES AU SOLEIL 7
je fais coucher son disque chaque jour; j'aperçois YAn\ eu
sa forme, sur le courant d'eau sortant semblable au métal
Mafek, j'aperçois YAbet à son instant. Le malfaiteur est
abattu lorsqu'il se dispose à me frapper de coups sur la
nuque. Je t'ouvre, ô Ra, avec un vent favorable, la barque,
et elle vogue, elle arrive au port. Les nochers de Ra se ré-
jouissent en le voyant, la maîtresse de la vie a le cœur dans
les délices, elle abat les ennemis de son maître. Je vois Horus
au gouvernail et Thoth avec ses bras. Tous les dieux se ré-
jouissent de voir ce dieu venant en paix et béatifiant les
cœurs des mânes.
II
ADORATION DE RA
QUAND IL SE COUCHE DANS LE PAYS DE LA VIE
L'Osiris Aufankh justifié, fils de Sa-t-khem justifiée, est
avec eux dans l'Amenti, son cœur est dans les délices.
L'Osiris Aufankh justifié, (ils de Sa-t-khem justifiée, dit :
« Salut à toi, qui es venu en Tum, et as été le créateur
des dieux !
Salut a toi, qui es venu en âme des âmes saintes dans
l'Amenti!
Salut à toi, supérieur des dieux, qui illumines le ciel
inférieur par tes beautés !
Salut à toi, qui viens dans les splendeurs, et qui voyages
dans ton disque !
Salut à toi, plus grand que tous les dieux, dominant au
ciel d'en haut, gouvernant au ciel d'en bas !
Donne les souffles délicieux de l'air à l'Osiris Aufankh.
Salut â toi, qui pénètres au ciel inférieur et disposes de
toutes les portes !
1. L'An et YAbet étaient probablement des poissons de l'Océan
céleste.
8 HYMNES AU SOLEIL
salut à toi, parmi les dieux, appréciateur des paroles dans
le Kher-neter !
Salut à toi, qui es dans ton nid, créateur du ciel intérieur
par ta vertu !
Salut a toi, dieu grandi, magnifié! Tes ennemis tombent
au lieu de leur supplice.
Salut à toi, tu as massacré les coupables, tu as anéanti
Apap!
Donne les souilles délicieux de l'air a 1 Osiris Aufankh
pistil ii''.
Il ouvre l'Amenti, Haroëris1 le grand dieu qui ouvre la
terre, le grand dieu qui se couche dans la montagne de l'oc-
cident, qui illumine le ciel d'en bas, par ses splendeurs, et
les aines, dans leurs demeures secrètes, en éclairant leurs
sépulcres. Lançant le mal contre le coupable, tu anéantis
l'ennemi. »
. L'Osiris Aufankh justifié, fils de Sa-t-khem justifiée, dit
en adorant Ra-IIaremkliu, quand il se couche dans le pays
de la Vie : « Gloire a toi, Ka, gloire à toi, Tum, quand tu
viens redevenu beau, couronné, puissant! Tu traverses le
ciel, tu passe- sur la terre, tu arrives au haut du ciel dans
la clarté. Les deux régions s'abaissent devanl toi et te glo-
rifient; les dieux de l'Amenti se réjouissent de tes beautés.
Tu es adoré par les demeures mystérieuses, cl les grands te
font (\^> offrandes, eux qui ont été créés par toi. le salut du
inonde. Tu es conduit par ceux (pli habitent l'horizon, tu es
mené par ceux qui sont dans l'arche divine, et ils disent :
Gloire au retour de Ta Majesté! Viens, viens, arrive en
paix !
Honneur a toi, acclamation a toi, seigneur du ciel, roi
d'Aker! Ta mère Nu te serre dans ses bras, voyanl son lils,
• ■il toi, en seigneur de la crainte, très terrible, se couchant
la nuit dans le pays de la Vie. Ton père Tanen te porte, il
1. Horus L'alné, I'1 Soleil.
HYMNES AU SOLEIL 9
étend ses bras derrière toi, qui es devenu divin sur la terre.
Tu es confié par lui aux zélateurs de l'Osiris Aufankh justi-
fié, fils de Sa-t-khem justifiée, en paix, en paix : c'est Ra
lui-même! »
On dit ces paroles lorsque Ra se couche dans le pays de
la Vie, en abaissant les bras.
L'Osiris Aufankh justifié, fils de Sa-t-khem justifiée, dit
en adorant Tum quand il se couche dans le pays de la Vie et
envoie ses clartés au ciel inférieur : « Salut à toi, qui te
couches dans le pays de la Vie, père des dieux, qui rejoins
ta mère dans Manun et es reçu dans ses bras chaque jour,
quand ta sainteté renait dans la demeure de Sakar, joyeux
d'amour. Tu ouvres les portes à l'horizon, tu te couches
dans la montagne de l'occident, et tes lueurs sillonnent la
terre pour illuminer les mânes : ceux qui sont au ciel infé-
rieur poussent des acclamations et prennent confiance en te
voyant chaque jour. Tu donnes le repos aux dieux sur la
terre : ils sont tes serviteurs et ta suite, âme sainte, toi qui
as engendré les dieux et qui es investi de tes facultés, grand
aine inconnu dans son mystère! Que ta face soit favorable à
l'Osiris Aufankh justifié, fils de Sa-t-khem justifiée, Khepra,
père des dieux ! » — On ne soutire jamais, grâce à ce livre
qui me donne la stabilité. Celui qui écrit cela dit : « Que mon
cœur ait le repos en récompense, qu'il me soit donné de
disposer des pains et des breuvages, et que je sois réuni,
après la durée de ma vie, a ce livre écrit pour la grande
paix du cœur. »
LE « FER M HROU »
ÉTUDE SUR LA VIE FUTURE CHEZ LES ÉGYPTIENS
M. Chabas a bien voulu m'engager à compléter tes expli-
cations que j'ai déjà présentées sur le titre du Livre des
Morts. Le sujet est difficile, et demande pour être bien traité
une érudition sérieuse et une critique sûre. Si j'y reviens,
malgré le sentiment de mon insuffisance, c'est que je crois
pouvoir, par le groupement des textes, poser comme elle
doit l'être une question d'autant inoins claire pour nous
qu'elle l'était plus pour les Égyptiens. Ceux-ci, familiers
avec l'expression per ni hrou, ne se donnaient guère la peine
de la développer, et pourtant, puisqu'elle reste obscure par
elle-même, son vrai sens ne peut apparaître que dans les
détails accessoires qu'elle comporte et qui l'accompagnent.
De pareils indices, en montrant l'ordre d'idées auquel elle se
rapporte, restreindront le nombre des interprétations qu'on
en donne ou qu'on en peut donner.
1. Extrait des Mélanges ègyptologiques de Chabas, IIP série, t. II,
p. 218-241. Un tirage à part de cinquante exemplaires en a été publié
à Chalon-sur-Saône, chez Dejussieu, 1873, in-8J, 24 p. — G. M.
12 LE « PER M HROU »
LA SORTIE ET LA RENTREE DANS LE MONDE SOUTERRAIN
On sait que le Livre des Morts ou Todtenbuch, d'après
le nom donné a l'exemplaire qu'en a publié M. Lepsius, est
un recueil de textes qu'on plaçait souvent dans les tombeaux
avec les momies, et qui avait pour but de procurer au mort
les avantages d'une vie heureuse clans l'autre monde : ces
avantages sont désignés d'une manière générale par le per
m /trou, qui est le résumé du livre, puisqu'il en est le titre.
La sortie m hrou se rattache certainement à la résur-
rection, car l'entête du Todtenbuch porte : Commencement
des chapitres pour sortir m hrou et relever f I ~\ ) les
élus dans la Kher-neter, et le titre du chapitre 17 : Textes
pour releoer les élus, faire entrer et sortir dans la Kher-
neter, et.-. Le chapitre 31 dit que le défunt sort m hrou et
marche sur la terre comme un vivant (1. 11 et 12) ; le cha-
pitre 65, qui procurait la sortie m hrou, fait dire je me tiens
sur mes jambes (1. 3) à l'élu que le chapitre 68, conçu dans
le même sens, représente comme maître de son cœur, de sa
bouche, de ses lu-os et rie ses jambes (1. 7), puis comme se
levant <'i sa droite , se plaçant à sa gauche, et réciproque-
ment (1. 8). Au chapitre 68, il sort m hrou et marche sur
ses jambes (1. 6), expression que répète à peu près le titre
du chapitre 92, qui ajoute dans le texte : Mon pas s'arque,
mes jambes se lèvent, je jais le grand voyage (1. 2). Le cha-
pitre 142 esl un livre pour perfectionner l'élu, le faire
marcher, élargir ses pas\ le faire sortir m hrou, etc. On
lit de même : Chapitre pour faire que Velu soit maître de
1. Élargir ses pas es! un idiotisme de la langue égyptienne qui signiflç
marcher lil>rrni<>,u. harâtimenU — (F. Chabas.)
LE (( PER M HROU » 13
ses jambes dans la Kher-neter, aux anciens Textes du Livre
des Morts (Lepsius, pi. 43, 1), où cxovx /Ç\
i
i i a rn
marcher m hrou (pi. 34, ligne 12), varie avec <=> ^|\
v ou vfck. nt sor^'r m nrou c*u m ra (pl- 21, 15, et
8, 58). La marche symbolisait la vie : Tu ne marches plus,
tu es mort, ô intendant Mentouhotep. Lève-toi avec ta
personne ( ) ; plus loin, un texte correspondant à
q A/WW\ » < I
9 , pi. 25 et 26 : O intendant Mentouhotep, marche
e£ ws/ (anciens Textes, pi. 5, 12 et 13). L'auteur du traité
D'Isis et d'Osiris (62) cite une légende qui se rapportait sans
aucun doute à la renaissance du Soleil, le seigneur ressuscité
sortant de la nuit (ch. 64, 2), à qui l'on rendait la possession
de ses jambes (ch. 145, 79), et d'après laquelle Isis aurait
décollé les jambes de Jupiter. C'est bien là ce que le cha-
pitre 74 appelle ouvrir les jambes et sortir de terre (titre).
Le dernier exemple montre, avec quelques-uns de ceux
qui précèdent, le défunt ressuscité quittant la région sou-
terraine : la sortie m hrou n'était pas autre chose. Le cha-
pitre 17, aux anciens Textes, est intitulé : Chapitre pour
sortir m hrou de la Kher-neter. Au Todtenbuch, les cha-
pitres 72 et 73 s'appellent : l'un, Chapitre pour sortir m
hrou et traverser A mmah (titre qui se retrouve dans le beau
pnpyrus sans nom de la salle funéraire au Louvre) ; le se-
cond, Chapitre pour traverser l'Amenti m hrou et traverser
Ammah, ce qui fait de per m hrou et de uba A menti m
hrou deux manières de parler très voisines. La rubrique du
chapitre 86 {Todtenbuch et papyrus sans nom) promet que
celui qui saura le chapitre sortira m hrou de la Kher-neter
et entrera après sa sortie, tandis que celui qui ne le saura
pas n'entrera point après sa sortie, et ne pourra pas sortir
m hrou, phrase que les anciens Textes abrègent ainsi à la
suite du chapitre 17 : (Celui qui sait) ces chapitres entre
dans l'Amenti après qu'il est sorti, celui qui ignore ce
14 LE « FER M HROU »
chapitre n'entre pas (dans l'A menti ) et ne sort pas, car il
tie le peut (pi. 19, 60 et 61).
Cette formule prouve que la sortie m hroa n'était pas dé-
linitive, mais temporaire : on sortait et on rentrait dans la
demeure infernale, cette demeure que Yâme bâtit dans
Tattou (eh. 124, 1), c'est-à-dire dans la terre, | -'-«= Z,
Un U ^^f
comme le montre le chapitre 153 qui lui est consacré : Les
Savants, /ils de leurs pères (les Sesennou), te rendent
hommage quand ils voient que S ho a t'a livré l'ennemi,
et A nabis acclame l'Osiris véridique, qui a bâti dans la
terre sa demeure ayant ses fondations dans An et son
enceinte dans Kherau. Le dieu qui est dans Sekhem l'a
/teinte et embellie. Les hommes y apportent des offrandes
pour elle sur leurs épaules, et Osiris dit aux dieux qui
sont à sa suite : Venez voir ta construction de ce palais
(/\ /WW\A \
y j renouvelé
parmi vous, etc. ; il amène du bétail par la porte du sud
et des grains par celle du nord, (1. 1 à 5). Le Siiaï n sinsin
(édition Brugsch, p. 21) dit aussi quel'élu se bâtit un pylône
dans la Kher-neter, et le chapitre 47, qui représente en
effet, comme le 132e, la résidence du défunt f jj et j
sous la forme d'un pylône, empêchait qu'elle ne fût ravie
à son maître.
Celui qui avait appris de son vivant, ou qui possédait par
écrit sur son cercueil, les chapitres 1 ou 72, sortait m hrou
de celte demeure ( | ), de même qu'il y rentrait sans
être repoussé. La demeure est distincte du tombeau, puis-
qu'elle est bâtie par le mort ou par sou âme, mais la nuance
n'esl pas toujours marquée, et ailleurs c'est du monument
funèbre (lift I ) qu'on sort m hrou (ch. 92, titre). Sur
une stèle portant le nom d'Achéri (Musée du Louvre, C 55),
le défunt demande la faculté de sortir et d'entrer dans sa
chapelle funéraire } a a /v <=> (1 j [ I
LE « PER M HROU » 15
La sortie m /trou était donc suivie de la rentrée soit dans
le tombeau, soit dans le palais de l'élu, ou d'une façon plus
générale dans la région souterraine; aussi faut-il voir une
expression abrégée de cette doctrine dans les titres qui
disent : Chapitre pour entrer et sortir, ou pour entrer
après être sorti, ou pour entrer après être sorti dans la
Kher-neter (cli. 120 à 122), de même que dans les phrases
nombreuses qui mentionnent l'entrée et la sortie. Ainsi le
chapitre 1 dit : Faire sortir m hrou et ressusciter les
mânes dans la Kher-neter,, tandis que le chapitre 17 a :
Ressusciter les mânes et faire entrer et sortir dans la
Kher-neter, ce que rend avec plus de concision le chapitre 41 :
J'entre et je sors en ressuscitant, ~p ^ a nft (1. 2). Le
titre sortir m hrou et être maître de ses ennemis (ch. 65)
ne paraît pas différer beaucoup de sortir contre ses ennemis
de la Kher-neter (ch. 11, titre), et le parallélisme traverser
l'A menti m hrou et traverser Ammali (une des parties ou
même ici un des noms de l'Hadès) se retrouve sous la forme
déjà citée : sortir m hrou et traverser Ammali, comme
dans sortir vers le ciel et traverser Ammali (ch. 115, titre).
Un chapitre pour entrer et sortir dans la Kher-neter, au
papyrus sans nom du Louvre, dit : Son âme sort avec les
vivants, il sort m hrou, il est puissant, etc. Enfin, une
phrase qui représente, au chapitre 68, l'Osiris véridique
sortant vers tous les endroits où son cœur désire aller (1. 3).
a pour variante aux anciens Textes : L'Osiris véridique
sort m hrou, ou marche m hrou vers tous les endroits, etc.
(pi. 21, 15, et 8, 58). Au chapitre 99, l'élu, d'après le texte,
sort m hrou sous toutes les formes qu'il veut (1. 32), et,
d'après la rubrique, sort de l'Elysée sous toutes les formes
avec lesquelles il veut sortir (1. 34).
Rien ne montre, au surplus, que les Égyptiens aient dis-
tingué deux manières de sortir, et l'idée d'ouverture, cor-
rélative de l'idée de sortie avec laquelle elle varie dans le
16 LE (( PER M HROU »
s^5* ' <==* ) , figure sans ditîé-
rence appréciable d'expression dans les textes qui annoncent
la sortie m hrou, comme dans ceux qui parlent simplement
de sortir. On trouve, par exemple, d'une part :
a Je traverse le monde souterrain, je vois mon père
« Osiris , j'ouvre tous les chemins qui sont au ciel et
» dans la terre , je voyage (ch. 73 et 9 pour traverser
» l'Amenti m hrou et traverser Ammah) ; ouvrez à moi et
» à la déesse qui est avec moi ! (ch. 122, 1-, pour entrer et
» sortir dans la Kher-neter). Ouvre(-toi) ! retraite de ceux
» qui sont dans le Noun ! (ch. 67), etc. »
Et d'autre part :
« J'ouvre le monde souterrain et je sors m hrou (ch. 2, 3) ;
» ouvre-toi, ouverture! ferme-toi, fermeture de la mort!
» J'ai ouvert l'ouverture à mon âme ; j'ai livré passage
» à mon âme (ch. 92, 1 et 3, pour ouvrira l'âme et sortir
» m hrou), et j'ai ouvert les portes du ciel, de la terre, et
)) les verrous de Seb (ch. 68, 1, pour sortir m hrou), etc. »
Ce dernier début est analogue à celui du chapitre 130
{ouvre ciel! ouvre terre ! etc.), qui faisait descendre, , dans
la barque de Ra. La descente dans la barque équivaudrait
par conséquent à la sortie m hrou. En eiïet, les chapitres qui
se rapportent à. la barque solaire mentionnent comme les
autres l'ouverture des portes : J'ai ouvert les portes dans
Sekhem (ch. 98, 6 et 7) : ô Ra, en ton propre nom de Ra!
quand tu ouvres la retraite mystérieuse d'Ammah, joie du
cœur des dieux, oh! donne-moi mon e<vur(o\\. 101, 4 et 5) !
J'ai ouvert la retraite du Nil et frayé le chemin au disque
(ch. 100, 1) ; Isis a préparé le chemin de Ra (ch. 133, 2).
L'entrée dans la barque du Soleil était une ùo* suites de
la résurrection. Thoth comptait l'élu pour sortir (de l'Hadès)
et entrer dans la hurijiie (ch. 129, 9). Bien qu'il y ait là
comme une nouvelle doctrine, qui n'apparaît d'une manière
assez tranchée que vers le milieu du Livre des Morts, on
LE (( PER M HROU » 17
trouve cependant des traces de la même croyance dans les
autres chapitres. Ceux qui mentionnent simplement la sortie
ou l'entrée et la sortie disent : J'ai navigué au ciel, j'ai
franchi la terre (ch. 48 et 10), et je suis sorti et je suis
descendu dans le naos qui est dans la barque de Ra
(ch. 67, 2) ; au chapitre 122, le défunt qui navigue, J ^£\ ^ç
(1. 2), donne les noms mystiques de certaines parties de la
barque; au chapitre 119, 2, il s'écrie : Lève-toi, Osiris, par-
cours le ciel avec Ra! ce qui signifie navigue a ver Ra,
comme au chapitre 131 la phrase du titre : arriver au ciel
près de Ra, devient dans le texte descendre dans la barque,
et naviguer en paix vers VAmenti (1. 6 et 7). Par contre, les
chapitres de la barque mentionnent quelquefois le per m
hrou : il sort m hrou comme Horus (ch. 136, 14), et on sort
m hrou sous toutes les formes qu'on veut (ch. 99, 32). Les
chapitres du per m hrou parlent aussi de la navigation du
défunt dans la bari céleste : Ra le passe en barque par ses
soins (ch. 148, 21), et /'/ marche à la barque sans que son
âme soit écartée d'avec son maître (ch. 1, 19 et 20).
L'idée de ne pas être repoussé est commune aux trois
espèces de chapitres étudiés ici. Le chapitre 1, 18, a : Je ne
suis pas repoussé pour voir les seigneurs du monde souter-
rain, et le chapitre 125 (pour entrer dans la grande salle
de la Justice) : on nest écarté ( ~ Q IO v ) d'aucune
\ A/vwv\ I —21 / t r*r\\
porte de VAmenti, et on est remorqué avec les /vis (1. 69).
Le défunt demande, au chapitre 100, à n'être pas séparé
( ' ^j] |0%) de la barque (1. 4), et au chapitre 130 (pour
V /VWM I -Il ) , A
faire entrer dans la barque de Ra), a n être pas repousse
loin de Ra et d'Osiris (1. 5 et 6), à n'être pus repoussé de
l'horizon ou de Ra (1. 13), ci n'être pas écarté, à n'être pas
repoussé (1. 22, etc.).
Les rapprochements qui précèdent montrent qu'il n'y
avait en réalité qu'une manière de sortir, mais qu'on l'ex-
primait de différentes façons. Le Livre des Morts est rempli
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 2
18 LE « PER M HROU »
d'allusions à la sortie, à la rentrée, à l'ouverture des portes,
etc., allusions qui prouvent jusqu'à l'évidence que le pèr m
hrou consistait à quitter l'Hadès. On sortait de la Kher-neter,
de Rosta, de l'Amenti, d'Ammah, de la campagne d'Aarou,
du monument funèbre, de la terre (cli. 74), de la contrée
d'Apap (ch. 99), de la salle de la Justice (ch, 125, pi. 50 du
Todt.), du monde souterrain, d'avec les sujets d'Osiris
(ch. 2), de la vallée mystérieuse (ch. 148), etc. On entrait
réciproquement dans la Kher-neter, dans Rosta, dans
l'Amenti et le bassin d'Osiris (ch. 122), vers les magistrats
d'Osiris (ch. 124), par la porte des Mânes (ch. 107), dans la
salle de la Justice (ch. 125), dans Sekhem (ch. 64, 29), dans
la campagne d'Aarou (anciens Textes, pi. 10, 31), dans la
terre (ici, pi. 36. 37), etc. Cette double idée est développée
au chapitre 1 et résumée au chapitre 125. Le chapitre 1
dit : « 0 vous qui ouvrez les chemins, ô vous qui préparez
» les voies aux âmes accomplies dans la demeure d'Osiris,
» ouvrez les chemins, préparez les voies â l'Osiris véridique
» auprès de vous ! Qu'il entre par cette porte dans la demeure
» d'Osiris ! lui qui entre en chancelant, qu'il sorte en paix,
» l'Osiris véridique ! qu'il ne soit ni repoussé ni écarté !
» qu'il entre favorisé, qu'il sorte aimé ! etc. (1. 13, 14
» et 15). »
Le second texte s'adresse ainsi à Osiris : « Accorde-moi
» de traverser le chemin de la nuit, de me réunir à tes ser-
» viteurs qui sont dans le inonde souterrain, d'entrer et de
o sortir dans Rosta et dans la grande salle de Ma-li, ainsi
» que d'ouvrir Amman et le monde souterrain (pi. 50 du
» Todt.). » Les Égyptiens avaient inventé à ce sujet toute
une topographie de portes et d'enceintes qu'on peut étudier
à la fin du Todtenbuch, dans le Livre de l'Hémisphère in-
férieur ou sur les sarcophages, et qu'ils reproduisaient quel-
quefois en partie dans leurs temples. Plutarquc (D'Js. et
d'Os., 29) cite les portes du Léthé <il du Cocyte, a Memphis,
qui résonnaient lugubrement lorsqu'on en faisait l'ouverture
LE « PER M HROU » 19
aux funérailles d'Apis, et Diodore (I, 96) ajoute qu'on voyait
près de là ces portes de la Vérité qui se retrouvent au cha-
pitre 149, 48 : J'ai ouvert la porte de Ma-ti.
La rentrée de l'élu s'explique facilement, car on sait qu'il
était comparé au soleil, et que le soleil était supposé des-
cendre chaque soir dans l'Hadès. Voici quelques phrases qui
se rapportent à cette assimilation : Je suis Ra sorti de
l'horizon contre ses ennemis (ch. 11, pour sortir contre ses
ennemis de la Kher-neter) ; Horus, à qui son œil est donné
le matin, c'est mon nom, son nom (ch. 64, 22, pour soriir
m hrou); j'entre en épervier, je sors en bennou, étoile du
matin (ch. 13 et 121, pour entrer après être sorti) ; l'urœus
de ma couronne est avec moi chaque jour; je suis Ra
(ch. 32, 10, pour repousser les crocodiles), et je viens chaque
jour avec la lumière, je traverse l'obscurité , je suis Ra
le matin (ch. 146, 24 et 30, texte des pylônes de la demeure
d'Osiris dans l'Elysée).
La division du temps en journées apparaît ici, et il n'est
pas inutile de faire observer qu'elle existe d'un bout à l'autre
du Livre des Morts. L'élu volait vers le ciel et se posait
sur la terre chaque jour (ch. 64, 26); il descendait dans la
barque de Ra avec le jour de chaque soleil (ch. 100, 7 et 8,
et ch. 139, 5 et 6) ; il moissonnait et rassemblait des pro-
visions chaque jour dans l'Elysée (ch. 110, 10) ; il /'epjoussait
le crocodile loin de Ra chaque jour (ch. 136, 9); ses ali-
ments étaient sur l'autel de Ra avec le jour de chaque soleil
(ch. 120, 30) ; il mangeait et buvait avec Osiris chaque
jour et sortait le jour comme Horus (ch. 136, 13 et 14) ;
il recommençait, la vie après la mort aujourd'hui comme
chaque jour (ch. 38, 4). L'expression sortir m hrou et vivre
après la mort (ch. 2) est évidemment paraphrasée dans l'apo-
strophe finale du chapitre 111 : O Osiris véridique, lève-toi
à ta gauche, vivifié, renouvelé, rajeuni, aujourd'hui comme
chaque jour! C'est là précisément ce que Plutarque, au
trente-deuxième paragraphe de son Traité, dit d'Osiris,
20 LE « PEU M HROU »
qui, d'après les hymnes, naissait à gauche pour mourir à
droite, et ce que symbolisait, au chapitre 153, 9, la céré-
monie faite le jour de la naissance d'Osiris, dans laquelle on
représentait l'élu entre deux barques, la sekti, celle de l'oc-
cident suivant les sarcophages, à sa droite, et à sa gauche
celle de l'orient, la maat, barque dans lesquelles montait
aussi Osiris, qui recevait, au chapitre 145, 7, la sekti avec
la maat pour sortir sur - -^^^^l (celle (jui est dans
J <^
/'étendue), et descendre vers les pylônes. Les cynocéphales
assis à l'avant de la barque de Ra disaient au mort : Entre
dans Rosta} passe par les portes mystérieuses de l'Amenti,
sors et entre à ton gré, comme les Khou, appelé chaque
jour du fond de l'horizon (ch. 12G, 5 et 6), et l'élu qui com-
parait ses années à celles de certains personnages infernaux
(ch. 147, 9), demandait des années nombreuses, des jours
nombreux et des nuits nombreuses, en outre des années, des
jours et des nuits de sa vie (ch. 71, 13 et 14, pour sortir
m Iirou).
La rentrée de l'élu pendant la nuit, l'ait qui complétait
son identification avec le soleil, n'est pas oubliée au Livre
des Morts : Je me couche ( = !" j la nuit (ch. 149, 17), je
ferme les yeux la nuit (ch. 64, 7), et^'e suis enterré pendant
le temps de la nuit dans ce canal du bassin de Maaa
(ch. 125, 49). Le défunt, qui élevait la flamme, illuminait
lu nuit après le jour (ch. 137, titre et 1. 2), et il cherchait
son père dans la nuit (ch. 38, 3). Il est à remarquer cepen-
dant que cette partie de l'existence extra-terrestre était
mentionnée assez rarement, sans doute parce que la nuit
offre l'image la plus naturelle du deuil et de la mort. Le
soleil, même dans l'hérésie du roi Khounaten, où il était
considéré comme 1<' dieu unique, naissait au ciel chaque
jour [Denkmàler, III, pi. 106), et par conséquent mourait
chaque soir : c'esl pourquoi le Shaï n sinsin donnait au dé-
funt l'assurance que son âme vivrait au ciel chaque jour
LE (( PEU M HROU » 41
(éd. Brugsch, p. 19). On disait /' lie are fâcheuse de la nuit
(ch. 21, 2), la nuit triste pour les morts et pour Osiris
(ch. 78, 22); on demandait à ne pas marcher par la vallée de
l'ombre, à ne pas entrer dans le bassin des égorgés, à ne
pas être dans la nuit (ch. 130, 6 et. 7), et le chapitre 163,
12, contient une invocation dans ce sens : Viens à V Osiris
véridique, qui est dans ce pays de la Justice! ne le laisse
pas seul ! Il est dans le pays où l'on n'y voit plus ! Le cha-
pitre 32, 9 et 10, nous apprend que, dans l'Amenti, le sei-
gneur de l'affaiblissement ou de lafaiblesse était fort chaque
jour : aussi le défunt préparait-il la barque, dans la Kher-
neter, pour sortir de cette région vide (d'Apap, les domos
Ditis vacuas et inania régna de Virgile), où les étoile*
tombaient renversées (ch. 99, 4) ; elles s'y relevaient ensuite,
et reculaient en cheminant dans la flamme de Ra qui en-
toure et dirige la terre (id.), comme faisaient les mânes
qui sortaient par derrière (ch. 67, titre), et qui, suivant le
chapitre 144,31 et 32, quittaient les ténèbres de V Hadès à
une heure fixée : il est quatre heures, sors m hrou !
II
ORIGINE ET EFFETS DE LA SORTIE DES ÉLUS
Il parait maintenant hors de cloute qaeleper m /trou avait
le caractère d'une sortie, généralement quotidienne, hors
du monde souterrain, ce qui combat les interprétations de
MM. Lepsius et Devéria, voyant dans l'expression étudiée,
l'un la sortie à un jour spécial, l'autre la sortie du jour,
c'est-à-dire l'entrée dans l'enfer, malgré la vignette du pa-
pyrus de Neb-Khet où le défunt figure sortant à mi-corps
de la tombe en face du soleil rayonnant, avec l'explication :
sortie m hrou du scribe Neb-Khet. Les autres traductions,
sortir au jour ou comme le jour, bien que plus vraisem-
22 LE « PER M HROU »
blables, ont aussi contre elles que hrou, comme MM. Lepsius
et Devéria l'ont fait observer, signifie durée du jour et non
lumière du jour ; le mot vrai dans ce dernier sens serait
shou. La clarté solaire que Thoth avait fait briller sur le
corps d'Osiris (ch. 101, 8) : R\> J° ' {Denkmâler, VI,
pi. 123, passage correspondant à la ligne G du chapitre 64)
rr~\ ^\ /www <; ;>
était l'éclat cle chaque soleil, et v\ ^v37 ou
J
(anciens Textes, pi. 7, 40 et 2, 18), la journée de
chaque soleil. La seule interprétation à laquelle il ne parait
pas qu'on puisse objecter quelque chose, est celle que j'avais
proposée en 1868, et que M. Brugsch a donnée de son côté
dans la Zeitschrijt (1872, juillet et août). Elle fait sortir
l'élu pendant le jour, et s'accorde avec les passages où le
contexte contredit les autres traductions, par exemple avec
per m hrou neb (ch. 1, 23), remplaçant per m /trou, variante
où M. Lepsius veut voir une faute produite par tous les
textes, et qui se retrouve implicitement dans Le souhait
exprimé par le dédicateur d'un petit monument (Musée du
Louvre, A 110), d'entrer et de sortir dans In Kher-neter
pour voir chaque soleil, y\/v / — o |L <^=> *J^ . La fille
de Mycérinus, peu confiante dans la protection divine, avait
demandé qu'on la sortit de son tombeau pour voir le soleil
une fois chaque année [Hérodote, II, 132). Le Shaï n sinsin
exprime d'une façon moins triste l'idée que les Egyptiens
se faisaient de l'autre vie dans un passage qui est l'explication
la plus claire du per m hrou : Tu t'éveilles chaque jour, tu
rois les raijons du soleil; A m mon rient n loi tirer les
souffles de la vie et te fait respirer dons ton cercueil; tu
sons cens la terre chaque jour, <=» ^3^ (1 ^è\ <r^ ' (éd.
Brugsch, p. 17).
Cette dernière phrase montre dans la sortie vers la terre
une dos faces du per m hrou, dont l'antre mode était, comme
on l'a \n, la sortie vers le ciel : Tu n'es repoussé ni du ciel
LE (( PER M HROU 0 23
ni de la terre, dit encore le Shaï n sinsin (éd. Brugsch,
p. 15). Toute la doctrine sur les effets du per m krou est
contenue là, et il ne reste plus, avant de préciser ces effets
par quelques exemples, qu'à dégager le principe de l'ex-
pression pour la connaître complètement.
On sait que la sortie le jour accompagnait la résurrection;
mais avant tout il fallait évidemment que l'élu reprit ses
jambes, et par conséquent tous ses organes, qu'il fût réta-
bli comme il était sur terre (ch. 1, fin), que son corps ne
se corrompit point (ch. 45), mais redevint vigoureux dans
la Kher-neter (ch. 101, 8), que ses chairs et ses os fussent
préservés des vers (ch. 163, titre), et sains comme ceux de
quelqu'un qui n'est pas mort (ch. 164, 15) ; que sa tête, son
cœur, ses bras, ses yeux, ses oreilles, sa bouche, son élocu-
tion et sa force lui fussent rendus (Todt., passim), bref
qu'il ressuscitât dans la Kher-neter (ch. 140, 13). Son retour
à la vie ramenait pour lui toutes les conséquences du jeu des
organes reconstitués : il recevait donc des pains, des breu-
vages et beaucoup de viandes sur l'autel de Ra (ch. 1, 23),
des pains shenes, des boissons, des pains persen, des
grains, etc. (ch. 99, 32 et 33), du lait (ch. 125, 68), du
blé avec de Vonje dans la campagne d'Aarou (ch. 156, 4),
et des approvisionnements dans la Kher-neter (ch. 148, 19);
il buvait l'eau à la source du fleuve (ch. 136,14; ch. 164,
15; ch. 165, 15), et mangeait auprès d'Osiris (ch. 135, 3).
Ces avantages impliquent une existence pareille à celle que
les Grecs donnaient aux mânes dans la prairie des aspho-
dèles, remplacée ici par le champ d'aarou ou des fleurs, si
aarou est une variante, avec chute de l'aspiration initiale,
to^^*ouf^2(*»Wer,m,pl.l06),
ou Xjj i (anciens Textes, pi. 14, 45), fleurs, mot repré-
senté dans aarou par le premier déterminatif de son Tswi, se
rapportant au serpent, ft<rr>WM., ou à l'imous, arar, et par
le second déterminatif de sens, \J[.
24 LE « PER M HROU »
Mais l'élu ne restait pas enfermé dans la région occidentale,
qui rappelait trop la nuit et la mort : il revenait sur la terre,
et c'était là proprement le pcr m hrou. Il marchait sur
terre comme un vivant (ch. 31, 12), ou était dans le lieu
des virants (ch. 136, 12), dont il pouvait prendre toutes les
formes, j\ ^£ \M (ch. 64, 30). Il avait alors atteint la plé-
nitude de la puissance ; il était devenu un khou parfait,
0 <=> ; accompli, ~w*w » ; ou muni (de ses avantages)
Q< >, et formé par la réunion du corps avec son âme, qui
ne l'abandonnait plus (ch. 89, 7). Le chapitre 110 appelle
en effet une des divisions de l'Egypte la demeure des Khou
de sept coudées de haut, où les épis ont trois coudées pour
les momies parfaites qui les moissonnent (ch. 110, vignette).
Le khou, opposé ailleurs à X'ombrc (ch. 149, 40), varie ici
avec la momie, et on trouve partout le cœur (ch. 148, 2),
le cou (ch. 155, 156, 159, 160), la tête (ch. 162, titre), la
bouche, le ventre (ch. 90, 1), les membres (ch. 130, 28) du
khou, ainsi que l'ombre (ch. 64, 18 et 101, 7), l'âme (ch. 100,
titre, 127, 0, etc.), et même le ka du khou (Denkmàler, III,
pi. 114). Le ka parait être le type de l'individu, car il varie
avec ce qui représente l'homme delà façon la plus abstraite,
le nom. Le défunt, au Todtenbuch, lui dit : Salut à toi,
mon ka pour ma durée (ch. 105, 1), et les monuments mon-
trent souvent derrière le pharaon son ka personnifié qui le
protège et que les légendes appellent le lai royal qui est
dans l'i tombe (Denkmàler, passim); c'est le genius des
Latins. <vhi;nil au khou, le mot qui le désigne se rattache
étymologiquemenl au radical Lliou, lumière, et par suite
honneur, avantages, etc. Les scribes se plaisaient a rap-
procher du khou, par assonance, ses avantages ou khou
(ch. 1 18, L2, 1 19, 20, 26, etc.).
La faculté Refaire tout cequ'on roulait (ch. 163, titre),
el de prendre, en sortant le jour , toutes les formes qu'on
voulait (ch. IN, 39 et 40, ch. 72, 10, etc.), entraînait la . divi-
LE (( PER M HROU » 25
irisation des élus, qui faisaient tout ce qu'ils coulaient
comme les dieux (ch. 72, 11), et qui pouvaient se métamor-
phoser soit en dieux, comme en Ptkah et en Osiris, soit en
symboles divins, comme en bennou, en hirondelle, en shenti,
en lotus, en épervier, etc. (Toclt., ch. 76 à 88). On disait
donc du mort : Ses membres à lui sont comme ceux des dieux
(ch. 99, 34) : il est comme les neuf dieux , il est un dieu
à jamais (ch. 101, 5 et 88); il est comme un dieu et adoré
par les vivants comme le Soleil (ch. 136, 15); il est avec
les dieux (ch. 141, titre); il est divin dans la Kher-neter
(ch. 162, 10); il se réunit aux dieux qui sont à la suite de
Ra (ch. 100, 7, etc.).
Cette divinisation parait avoir eu l'âme pour principe :
le corps, membres divins (du Soleil, ch. 133, 10), était di-
vinise par son ame, | ^zzx> \ v\ ffe^<v3^ (ohai n
sinsin, éd. Brugsch, p. 18). L'àme, qui sortait après la
mort (ch. 154, 5), rendait en effet la vie au cadavre quand
elle revenait se poser sur lui, ce que les scènes funéraires
symbolisaient par l'oiseau apportant à la momie l'hiéroglyphe
ankh (ch. 89, vignette). L'attention extrême que l'on mettait
à conserver le corps par l'embaumement prouve qu'on le
croyait dans le principe nécessaire à la vie d'outre-tombe,
mais on fut bien vite convaincu qu'il ne quittait pas l'hypo-
gée, et son rôle actif passa à l'àme : c'était à l'àme qu'on
ouvrait la chapelle funéraire pour sortir le jour et être maître
de ses jambes (ch. 92, titre). Le Todlenbuck dit : L'âme
(du khou) sort le jour avec les vivants (ch. 148,4), son
ombre est un dieu avec les hommes (ch. 101, 7) ; son âme
vit à jamais et ne meurt pas de nouveau dans la Kher-neter
(ch. 130, 29), et le Shaï n sinsin, dont cette doctrine fait le
fond : Ton âme sort au ciel chaque jour (éd. Brugsch,
p. 19), et marche où elle veut (?>/., p. 24). Le serpent à deux
jambes humaines qui illustre le chapitre 74, pour ouvrir
les jambes et sortir de terre, est ligure au chapitre 163
avec le disque solaire, et avec les cornes de bélier qui dési-
26 LE « PEH M HROU »
gnaient l'âme : c'était l'emblème de la sortie du soleil noc-
turne, dont la marche avait sur les sarcophages le serpent
pour type.
Ce fut sans doute cette indépendance de l'âme vis-à-vis
du corps qui, en s'accentuant, fut cause de l'extension prise
par les textes se rapportant au passage du défunt dans la
bari solaire; il y est introduit sous le nom de khou, mais le
sens du mot khou dut incliner vers celui à' âme, car il n'est
pas probable qu'on se soit, par exemple, représenté comme
une momie ce khou qui hantait la fille du roi de Bakhten.
C'était en effet l'âme et non le corps qui accompagnait le
Soleil ; le chapitre 130 (titre) faisait vivre l'âme à jamais,
et la faisait entrer dans la barque de Ra. Inscris, dit
ailleurs Ra à Thoth, son âme pour sortir et pour entrer,
dans la barque de Ra ; son corps /'estera dans sa demeure
(ch. 129, 9). Si la terre est le lieu des corps, le ciel semble
au contraire celui des âmes, et c'est évidemment pour cette
raison qu'on attribuait quelquefois à chacun des élus un
astre au ciel (ch. 101, 7, et 104, 10).
Une théorie finit même par s'établir sur la séparation de
l'âme et du corps, et sur l'assimilation du mort au Soleil et
;i Osiris; elle avait pour formule la phrase souvent répétée
et appliquée à l'homme comme aux dieux : Son âme est au
ciel, son corps est dans ht terre L'âme céleste ou Ra reve-
nait chaque soir se coucher dans le corps terrestre ou Osiris
i rj<s=-, le séjour de V œil d'Horus ou du ciel), ot (h1 même
l'âme du défunt, s'élevanl au ciel avec l'astre, quittait et
rejoignait son corps tour a tour. Cotte doctrine n'apparaît
bien nettement qu'après l'expulsion des Pasteurs, niais sur
les] sarcophages et non dans les compositions, généralement
antérieures, du Livre des Morts, où elle ne pénétra qu'à
peine. I n texte important, qui lui est consacré en tête d'un
exemplaire de la bonne époque (le papyrus sans nom de la
salle funéraire au Louvre), n'a pas pris place dans le recueil,
et, a part le chapitre 163 qui appartient a un supplément
LE « PER M HROU » 27
peu ancien, on la retrouve seulement dans quelques cha-
pitres, surtout dans ceux qui paraissent avoir été retouchés
ou composés à une date assez récente ; ce sont les cha-
pitres 83 et 127. Le premier, où figure le dieu thébain
Khons, intitule le bennou ces- quatre hier (sans doute les
quatre âmes divines), les sept urœus, et le cjrand qui brille
dans le lie a de son corps (1. 2) : le second, d'un style re-
dondant, et qui joint au mot ant, vallée, l'article ta (L 5),
fait dire à l'élu : Je m'élève en âme vivante de Ra au ciel
(1. 11), et l'âme d'Osiris se repose en lui (1. 12). Osiris, le
khou par excellence (Asar K/iou neb ankh, ch. 149, 20),
était appelé l'âme du Soleil et son corps même (Chabas, Un
Hymne à Osiris), et le nom de gabbaras donné aux momies
(Parthey, Vocabulaire copte, p. 581) pourrait trouver là
son explication, Kha-ba-ra, le corps et l'âme du Soleil.
L'ensemble des textes, en effet, montre une certaine ten-
dance à l'absorption des mânes dans la divinité sous sa double
forme. Les momies, dans le sein destructeur de la terre,
souvent alors appelée Set, <=> , s'identifiaient avec le dieu
mort ou Osiris au point de prendre son uom et de recevoir
comme lui le Soleil au dedans d'elles, ce qui fut sans doute
le motif pour lequel on disait assez fréquemment, en parlant
d'Osiris, les corps mystérieux. D'un autre côté, les âmes
qui accompagnaient le Soleil diurne pouvaient également se
confondre d'une manière plus ou moins métaphorique avec
l'astre lui-même, ce qui ressort de plusieurs passages du
Todtenbuc/t cités plus haut. L'espèce de fusion indiquée là
était surtout affirmée des pharaons, qui occupaient une
place d'honneur clans la barque divine et dans la mythologie
égyptienne, ainsi qu'on peut le voir sur les sarcophages et
au Todtenbuc/t (ch. 17, vignette, et ch. 125, fin). A la grande
époque de leurs conquêtes notamment, les rois d'I^gypte
passaient pour couronner leur destinée en s'unissant à la
divinité, comme plus tard les empereurs romains, et l'ex-
pression la plus claire de cette croyance qui a laissé sa trace
28 LE « PER M HROU »
jusque dans les livres hermétiques (dernier fragment), se
rencontre dans la remarquable inscription de Qournah pu-
bliée par M. Ebers. M. Chabas a eu l'obligeance de me
signaler le passage qui s'y rapporte, et le traduit ainsi :
Il (Thothmès III) s'éleva au ciel et s'unit à Aten, suioant le
dieu et se répandant pour sejaire l'illumination de la terre,
devenu Aten, brillant au ciel fécondé. La curieuse apothéose
du nom d'un Ramsès dans le disque solaire, copiée à Biban-
el-Molouk par Champollion (Notices manuscrites), illustre
en quelque sorte l'orgueilleuse prétention desjils du Soleil.
Aménophis IV, sorti des rayons du disque, avait été fa-
briqué (par le dieu) avec ses propres rayons pour accomplir
la durée du disque qui navigue au ciel (Denkmfder, III,
pi. 107). Ramsès II, dans la stèle des Mines d'or, est appelé
l'image virante de Ra, surnom du reste très commun, et
le sens de cette désignation, qui faisait du roi le dieu ma-
nifesté temporairement ici-bas, apparaît tout entier dans le
culte qu'institua de son vivant, à son image vivante sur la
terre, Aménophis III, dont un monument du Louvre (C 54)
montre le cartouche ailé remplaçant le Soleil qui figure
presque toujours en haut des stèles.
L'analyse duper m hrou et de toutes les expressions qui
l'accompagnent d'ordinaire permet d'entrevoir maintenant
la marche qu'a dû suivre la conception égyptienne de
l'autre vie. D'abord le défunt, grâce à l'efficacité des céré-
monies accomplies par lui ou en sa faveur, des textes sacrés
qu'il possède et du jugement qui le fait véridique, ressuscite,
reprend ses organes, et, devenu immortel, jouit de la béa-
titude dans le monde souterrain, où il se construit une
demeure. Mais l'Hadès, séjour des mânes pour toutes les
mythologies primitives, était aussi le royaume désolé des
ténèbres, et l'on finit par ramener les morts sur la terre
(per m hrou) pour y recommencer la vie diurne avec plus
de liberté et de puissance, et même avec la faculté de
prendre toutes les formes possibles. Si ce n'était pas la mé-
LE (( PER M HROU » 29
tempsycose, comme l'ont cru les Grecs, c'était du moins le
passage de la personne humaine dans plusieurs corps en
quelque sorte éphémères, et par conséquent l'abandon l'ait
momentanément par elle de son corps véritable. Il ne pou-
vait en être autrement, puisqu'on savait que les momies,
d'abord regardées comme indispensables à la résurrection,
ne quittaient pas le monument funèbre. De là vint une
nouvelle manière de voir qui fit rester le corps dans la tombe,
tandis que l'âme, plus dégagée de la terre et divinisée,
s'élevait au ciel pendant le jour avec le Soleil, pour rentrer
avec lui dans l'Hadès. Il faut remarquer cependant que les
mânes n'étaient pas immatérielles, puisqu'elles bâtissaient
(oh. 124, 1), et que, d'après le tombeau de Séti Ier, elles
vivaient de pains et de végétaux (Sharpe et Bonomi, pi. 14,
A). Là s'arrêtent, au moins dans le Livre des Morts, les
théories égyptiennes sur la destinée des élus. Si je n'ai pas
complètement réussi à la mettre dans un jour vrai et à dé-
gager le sens réel de l'expression qui les résume, j'espère en
avoir rassemblé et résumé les éléments principaux et avoir
facilité la tâche des savants qui voudront me suivre sur ce
terrain difficile'.
Paris, le 20 mars 1873.
1. Cette dernière phrase a été ajoutée par Chabas. (Note manuscrite
de Lefébure dans son exemplaire. j
LE
CHAPITRE CXV DU LIVRE RES MORTS
M. Goodwin, à qui la science doit tant de découvertes
utiles, semble porter son attention sur les textes mytholo-
giques : après avoir interprété le chapitre cxn du Livre des
Morts"1, puis une ancienne inscription restaurée par Sha-
baka3, il vient de publier, dans la Zeitschrift de Berlin*,
une traduction du chapitre cxv. Si M. Goodwin est aussi
heureux sur ce terrain que sur celui de la philologie, on ne
peut que souhaiter de le voir s'y engager de plus en plus,
car les croyances religieuses de l'Egypte restent entourées
pour nous d'une obscurité si grande, qu'il serait encore im-
possible de commenter, d'une manière complète, le plus
petit chapitre du Livre des Morts. Cette ignorance justifie
la présente communication, dont le but est d'ajouter au
travail de M. Goodwin, qui a revu le texte d'après les pa-
pyrus du British Muséum, quelques matériaux propres à
faciliter, peut-être, l'explication future de la doctrine con-
tenue dans le chapitre.
La première remarque qui se présente à l'esprit quand on
aborde l'étude d'une composition de ce genre, c'est que le
1. Publié, en 1874, dans les Mélanges cl' Archéologie égyptienne et
assyrienne, t. II, p. 155-166.
2. Zeitschrift fur œgyptische Sprac/ie, 1871, p. 144.
3. Chabas, Mélanges éggptologiques, 3e série, t. I, p. 247.
4. Zeitschrift, etc., 1873, p. 104.
32 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
sujet en est supposé connu, de sorte de l'auteur l'indique sans
le développer. C'est là une difficulté qu'on ne peut vaincre
qu'en cherchant ailleurs un certain nombre de textes ana-
logues, et en groupant ainsi des détails qui s'éclairent ou se
complètent les uns les autres. Il faut tenir compte en outre
de l'accord du texte avec lui-même, et ne pas croire que les
Égyptiens, si réelle que paraisse leur infériorité littéraire,
aient travaillé suivant un procédé spécial, consistant à ras-
sembler des phrases sans lien sous un même titre. L'expé-
rience enseigne au contraire qu'il y a toujours un motif à
leurs réunions les plus disparates d'idées ou de symboles, et
que ce motif gît dans un point de doctrine qui forme le
centre caché des divergences apparentes.
I
Il sera donc utile de rechercher ici les concordances ex-
térieures et intérieures du chapitre cxv. Ce texte appartient
à un ensemble de chapitres dont les plus intéressants n'ap-
paraissent guère qu'à partir de l'époque saïtique au Livre
des Morts, et seulement dans les éditions les plus complètes.
Ceux-là (les chap. cxn, cxm et cxv) sont narratifs et ce sont
les seuls du livre; aussi M. Goodwin, qui leur attribue une
haute antiquité, les croit-il extraits de quelque ancien
poème1. Il est difficile de se faire une opinion sur leur âge,
car le style dans lequel ils sont écrits emploie les mêmes
procédés de dialogue que celui des textes ptolémaïques du
mythe d'IIorus, recueillis au temple d'Edfou par M. Naville;
toutefois, étant donnée la stabilité bien connue des coutumes
et des croyances égyptiennes, on peut conjecturer que, s'ils
axaient été composés au moment de leur introduction dans
le Livre sacré, ils n'y auraient apporté pour cela aucune
1. Zeitschrift, 1871, p. 117. et 1X7:',, p. 101.
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MOUTS 33
doctrine nouvelle. Il faut ajouter aussi que, parmi les
exemplaires du Musée du Louvre qui, au nombre d'une
quinzaine, contiennent le chapitre cxv, se trouve le papyrus
du duc de Luynes, regardé par M. Devéria1 comme l'un
des plus anciens textes hiératiques.
Le groupe complet était destiné à faire connaître les âmes
de deux régions, l'Orient et l'Occident ; de deux sanctuaires,
Pa de Bouto, dans la Basse Egypte, et Nekhen d'Éléthya,
dans la Haute; enfin de deux villes, An et Sesennu, ou
Héliopolis et Hermopolis, consacrées, comme l'indiquent
leurs noms grecs, au Soleil et à Thoth. La qualification
d'âme se rattache à l'idée d'un dieu créateur, ou nocturne,
ou mort : c'est pour ce motif que, le bélier étant l'un des
hiéroglyphes de l'âme, le dieu fabricateur par excellence,
ou Num, portait la tôte du bélier, tandis qu'Osiris, la vic-
time légendaire, était adoré comme bélier ou comme bouc à
Mendès, et que le soleil souterrain, aux hypogées royaux de
Thèbes, était un criocéphale.
Ici, les chapitres des âmes font tous allusion au dieu de
la lumière vaincu, puis triomphant, et, ce qui leur donne
une physionomie spéciale, représenté souvent sous la forme
de l'œil ou des yeux d'Horus (le soleil et la lune), variantes
de l'âme'.
Le chapitre des âmes de l'Occident dit qu'après avoir
enchaîné Set, on lui fait vomir tout ce qu'il a mangé,
°°£> ^¥\^=£aA k^7', et l'an-
J/
teur du traité D'Isis et d'Osiris, si bien informé de ce qui a
rapport à la légende égyptienne, raconte, en effet, que l'œil
d'Horus fut avalé par Typhon, qui le rendit ensuite au
Soleil'. Le chapitre des âmes de l'Orient, qui représente le
1. Catalogue des Manuscrits égyptiens, p. 87 et 52.
2. Todtenbueh, ch. xci, 1, 4 ; Mariette, Fouilh-s d'Abr/dos, p. 58.
3. Todtenbueh, eh. cvm, 5.
4. Plutarque, D'Isis et d'Osiris, 55.
BlIÎL. ÉGYPT., T. XXXIV. 3
34 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
soleil navig uant sous des vents orageux', montre l'épervier
divin s'élevant au ciel avec l'œil et le côté gauche noirs*.
Au chapitre des âmes de Pa, il s'agit de l'œil d'Horus
qu'attaque Set changé en un pourceau noir, I j\ ^è\ ^^^
Ë Hfcî il! k ^ W M ak^' " mbo1^
1 éclipse lunaire, puisque, d'après Hérodote' et Plutarque5,
on sacrifiait le porc une fois par an, à la pleine lune, époque
à laquelle ont lieu les éclipses de cet astre. Le chapitre
suivant, celui des âmes de Nekhen, a trait à la délivrance
des yeux d'Horus (et non des mains d'Horus, comme le dit à
tort le Todienbuch) : ils sont repêchés avec un filet le 2 et le
-, - i • Œ==- i ^ v^/ , in . , , . , , ,
lo du mois, -^^x 0 _ , H ^5^ \ dates de 1 apparition
du croissant et de la pleine lune.
Enfin, le chapitre des âmes de Sesennu, qui est répété
deux fois, mais d'une manière bien incorrecte, au Todten-
buch (chap. cxiv et cxvi, intitulés à tort Chapitres des âmes
d'Ari), parle aussi de l'œil avalé. - -v\ £\7\ K, ainsi que
de l'œil noir, ? i^X '', et sa seconde version peut se
traduire ainsi : Que la lumière soi/ dans Mata, et que Ma
([) J), au lieu de ^^ du Todt., cf. Papyrus de Taho) soif
a meure dans les bras (du dieu à) l'œil dévoré, par celui qui
l'examine. J'en sors (de cet œil?). Si j'entends (quelque
chose), je ne le dirai pas aux hommes, je ne le répéterai
pas aux dieux, réciproquement, -le suis entre parmi ceux
1. Todtenbuch, ch. cix, 3.
2. hi, ibid.,L 8.
3. Papyrus Cadet el Papyrus du Louvre.
4. II. 17.
5. D'Isis et d'Osiris, 8.
6. Papj rus du Lom re.
7. Todtenbuch, chap. cxm, 5.
8. Id., en. (xvi, 1.
9. Papyrus n° 3397 du Louvre, el Papyrus de Neb-qed, publié par
MM . 1 ><■ . éria el l 'ierrel , iv, 5.
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 35
que je ne connaissais pas ; je n'avais pas vu les mystérieux.
Salut à vous, ces dieux d" Hermopolis, qui grandissez le
2 du mois et qui frappez le 15, - — o 1\ © ^^
*â^^\ 1 1 <=> : ce sont Thoth le mystérieux, San et
Tum. Thoth, dans son rapport avec l'œil sacré, est un dieu
lunaire, et on le voit ' , ainsi que son emblème le cynocéphale",
frappant le pourceau de l'éclipsé avec un glaive.
II
En résumé, l'on rencontre partout les yeux d'Horus
éclipsés ou avalés, puis revomis, ou repêchés, ou délivrés par
un coup frappé pendant le mois; allusions au démembre-
ment d'Horus', spécialement indiqué dans les chapitres de
Pa et de Nekhen, où les génies des canopes sont attribués
à ce dieu pour ses entrailles'', ou pour gardiens de ses en-
trailles ■ , et où le premier sanctuaire lui est donné pour lieu
de repos \ et le second pour séjour de ses membres' .
Le chapitre cxv se rattache au même ordre d'idées, car,
dès la première ligne, l'élu a découvert la face pour /'mil
de l'Unique, et le cercle des ténèbres s'est ouvert.
L'expression de la face découverte se retrouve au cha-
pitre cxin. Ra donne à Horus l'ouverture de la face pour
1. Papyrus n° 1420 de la Bibliothèque nationale.
2. Sharpe et Bonomi. le sarcophage' de Séti Ier, et Musée du Louvre,
sarcophage de Taho.
3. Plutarque, De la création de l'âme, et D'Isis et d'Osiris, 20; cf.
Diodore, I, 25.
4. Todtenbuch, ch. cxn, 7.
5. Id., ch. cxin, 6.
6. Papyrus Cadet et Papyrus du Louvre.
7. Todtenbuch, ch. cxin, 5.
36 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
^. lllllllll (3 ^i
ses yeux, -^^ r
*l^\ et elle est expliquée
I ^s>-\\
doublement au sarcophage de Séti Ier : une scène y repré-
sente la face elle-même traînée dans une barque vers la bari
solaire, tandis que le texte dit : Empare-toi, à Ra, de ta
face (qui est) ta vérité (ou l'air ^7 2Z3 qui, lumineux, est
vêridique parce qu'il dévoile tout), unis-toi, ô Ra, avec ta
face, la vérité. La face de Ra (sans doute le ciel, )
est découverte, et les deux yeux de Khuti (y) entrent,
O I V. ■* — û V --0 I V ^0 u w 1 lllllllll MAA« I
~|^ -<s=- — . Un-her varie avec ¥^v^ ^v> dans le sens
de découvrir2, et il est probable que le dernier groupe con-
serve cette signification à la fin du chapitre, de même que les
^v @ (1 (j _JS) Jn i '' doivent être analogues aux 1 (](]
'i ■', les momies dévoilées (qui voient Seb). Le Soleil est
dit kfa-n-tu à l'Orient (Todt., chap. cxlv, 3).
L'œil de l'Unique rappelle un passage du Todtenbuch qui
rentre dans les données des chapitres étudiés ici, et où l'élu,
qui s'intitule le second de Thoth, ^ , demande à péné-
trer dans la deuxième ari d'Osiris : laisse-moi passer (et)
délivrer le Vouant unique ! {L~n X^^^^^<T^J6-
Un autre chapitre parle du grand Voyant, ^* Z^J? 3 , qui
voit son père1 , probablement Horus, qui vient pour voir
1. Papyrus n" 3071) du Louvre, variante de la ligne 5 du Todtenbuch,
ch. (XIII.
2. Sharpe et Bonomi, XI, B.
3. Todtenbuch, ch. cxlix, 23; Champollion, Notices publièes[, t. I],
p. 77S, 7T0, etc.
4. Todtenbuch, ch. cxlv, 79.
5. /(/., ch. < Lvm, 1.
6. /'/., ch. cxlvii, 10.
7. ld., ch. xciv, 1.
LE CHAPITRE CXV Dr LIVRE DES MORTS 37
son père Osiris\ ou l'âme qui parle avec son père le grand1.
Une qualification analogue figure à la ligne 6 du chapitre cxv,
dans la phrase qui dit du fils divin ^^0Jj^ t grande
est sa vue. Ces titres s'appliquent aux dieux de la lumière :
de même que le personnage divin du chapitre cxv est,
d'après une variante citée par M. Goodwin', le Voyant,
Horus était le Vouant, V\ °JU7 M ' > 0L1 Ie Viyilont,\\j^- ,
et l'on demandait à voir ce que lui et le Soleil voyaient à
l'Orient". La grande vue du fils désigne donc le lever de
l'astre renaissant et victorieux.
Uexiension du bras, ï n£\ (1. 2), parait avoir ici le
même sens, mais la phrase qui la mentionne n'est pas claire ;
on peut la traduire, en adoptant le sens interrogatif que
propose M. Goodwin, par : Je connais les âmes d' Héliopolis :
est-ce que le Très-Vaillant ne naît pas ( 1 M , cf. Décret
de Canope, 1. 13) d'elle (Héliopolis, ou d'elles, les âmes) au
passage (hors des bandelettes de la momie?) de l 'extension
du bras de celui qui est là, le Voyant ? ™^(j k\ °JJ? [Pap.
Hay, cité par M. Goodwin), c'est-à-dire quand se produit
l'extension du bras, qui caractérisait les dieux solaires re-
prenant leur puissance. Le soleil avait étendu le bras pour
amener à lui la jambe d'Hathor et s'en faire une barque7;
au chapitre xxxix, dont la connaissance permettait de re-
pousser le serpent typhonien, Nu s'écrie : Allons! repous-
sons cet ennemi qui s'approche de celui qui est dans son
naos, et seul ou solitaire étend les bras, Xebert'er,
1. Todtenbuch. cb. xxxvn, 2.
2. Id., cb. xxxii, 1.
3. Zeitschrift, etc., 1873. p. 105.
4. Shai n sinsin, éd. Brugseh, p. 19.
5. Naville, Textes relatifs au mythe d'Horus, vi, 1.
6. Mariette, Fouilles d'Abydos, p. 71 ; et Champollion, Notices pu-
bliées^ t. I], p. 775.
7- Todtenbuch, cb. xcix, 22.
38 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
J <ks/ ' "^ô (1. 12 et 13). Les dieux, par-
courant le bassin de Mafek, viennent alors à celui qui est
dans son naos, celai de qui sortent les dieux, et le protègent.
Le bras était, en effet, comme l'œil, guetté par l'ennemi, et
il avait été volé par le crocodile Maka, fils de Set : (J£¥\
^|\ ^=.v n (1(1 y^|wpS^ o vjv. Horus-
Khem, dont la légende, assimilée par les Grecs à celle de
Persée2, paraît avoir donné naissance au conte égyptien des
deux voleurs', lève, en ressuscitant, un bras encore momifié
et manchot. Le symbolisme du bras était si bien analogue à
celui de l'œil qu'au chapitre cxm les bras d'Horus, 1. 4,
varient avec les yeux d'Horus. Au chapitre cix, 1. 8, l'éper-
vier divin a l'œil gauche noir comme le côté, 9 ^K q,
et le porc, que le chapitre cxn montre attaquant l'œil d'Horus
ou la lune, est appelé le décorateur du bras, 7 a, dans
la scène des sarcophages où il est chassé d'une barque par le
singe lunaire1. La tête, séjour des yeux sacrés, est souvent
citée aussi avec les bras.
Un des passages les plus importants du chapitre cxv est
celui qui donne la date de la victoire divine : Ra conversait
avec Amhauf; voici qu'un fléau (s'éleva) contre lui : c'est
alors que le coup fut frappé le 2 du mois. Ra dit à Amhauf:
Prends la lance (1. 3 et 4). Le chapitre suivant indique le
moine jour, quand il parle dos dieux d'Hermopolis qui
grandissent le 2 et qui frappent le 15 (1. 3) ; c'étaient là les
deux époques de la délivrance de l'œil sacré : j'ai délivré
l'œil d'Horus de son éclipse arrivant à la Jeté du quinzième
1. Sharpe, Eyyptian Inscriptions, I, pi. LVII, 31, 32, et pi. LVIII, 22.
2. Hérodote, Û, 91.
3. I<l., II, 121.
4. Sarcophage de Séti I'\ publié par Sharpe et Bonomi, V; et Musée
du Louvre, sarcophage de Taho,
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 39
four. ^ ^ v&^sk- $ ^-^^^ - - ' ' '
jour, * — •'aa wrfj]' M U n
et ce filet amène à Haras ses peux et l'ouverture pour sa
face le 2 et le lô du mois*. On peut comparer à cette derrière
phrase une allusion du chapitre cxlviii -au filet ou au pêcheur
dangereux, oaJ- ^¥l\ %s, en ce jour, en cette nuit ,
en cette fête du quinzième jour, en cette année", et une
ënumération analogue, qui figure au début des Te, îles du
mythe d'Horus, lorsque Thoth célèbre le triomphe du dieu,
établit d'une manière certaine le sens qu'a dans ces légendes
le mot ©1 ouqpqbx, variante du mot *}>x, deux
termes que M. Chabas traduit, ainsi que M. Brugsch, par
frapper : un jour de fête à Horus, seigneur de cette terre,
fis d'Isis, aimable et chéri, etc., un jour de fête en ce jour
pendant la minute duquel on a frappé, un jour de fête en
cette nuit pendant les heures de laquelle on a frappé, un
jour de fête en ce mois au quinze duquel on a frappé, un
jour de fête en cette année pendant les mois de laquelle on
a frappé, un jour de fête en ce siècle pendant les années
duquel on a frappé, un jour de fête en cette éternité!
0 O AAAAAA JS «si
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nnn °
La lance ou p, ° que le Soleil fait prendre par Amhauf
Do1 , . . nnn
ne diffère évidemment point de larme divine , -,
® et £3 > portée par le Ptolémée des Textes du mythe
III ooo
1. Todtenbuch, cli. lxxx. 4.
2. /</., cli. cxiii, 4 et 5.
3. M, t&i'd., 1. 17 et 18.
4- Naville, Textes relatifs au mythe d'Horus, i, 3, 4 et 5.
40 LE CHAPITRE CXY DU LIVRE DES MORTS
d'Horus, ainsi que par le dieu lui-même. Eusèbe' rapporte
qu'à Edfou cette lance, aux mains d'un personnage hiéraco-
céphale frappant un hippopotame, était la lumière de la
lune, et il est a remarquer que les dates mentionnées dans
les textes réunis ici ne concernent que les phénomènes lu-
naires, même lorsqu'il s'agit, comme au chapitre cxm, des
deux yeux sacrés, ou uniquement du soleil, comme au cha-
pitre cxv. On entrevoit là une trace de l'arrangement pour
ainsi dire littéraire et artificiel qui, dans toutes les mytho-
logies, finit par coordonner les légendes en une sorte de
récit épique. Horus et Ra, dont les rôles dépassent de beau-
coup les attributs solaires, représentent le dieu suprême ou
le Zeus égyptien en guerre avec le mauvais principe, qui,
figurant les ténèbres, cherche à détruire les deux yeux cé-
lestes, dans lesquels se personnifie la lumière. Le combat
qui s\ mbolisait les phases de la lune aurait été dans le cycle
légendaire la dernière tentative de l'ennemi, car il est suivi
d'une résurrection divine annonçant un nouvel ordre de
choses.
Magnus ab intepro seclorum nascitur ordo.
C'est ainsi qu'Adonis, après avoir été blessé par un san-
glier, non pas a l'œil, mais à la cuisse, autre emblème de la
vie, renaissait chaque année avec la végétation.
1," chapitre exil montre Horus, après sa lutte contre le
poiv, prenant une forme adolescente, -:5^ C\ / — ©
«^ il.ôet fi>, et h> chapitre cxv, lorsque Ra a frappé ou
fait frapper avec la lance, raconte la naissance mystérieuse
d'un ''"" enfant< k-^IsfîkVsflTH
1. Préparation ècangèlique, III, 12.
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 41
=^ (1. 7), lequel, appelé Très-Vaillant comme Horus,
qui était1 <x=> f)f|, doit être le même que le fils ainéd'Osiris
nommé au chapitre lxiii, 2 : Je suis Baba, /Ils aîné d'Osiris,
le purificateur (t) de chaque dieu par son œil dans Hélio-
polis; je suis l'aîné, le grand dévoilé, le grand qui se re-
pose, la propriété d'Osiris, voilà son nom :
O O
■*u>- n -9 d /?> v y -<2>- a^_ ♦ n o
£ _JS) ^^ ^* <=^ (S\ <Z ^ "h^S^
Cette naissance est un nouveau point à éclaircir.
Le titre indique déjà une résurrection assimilée au lever
du soleil : Chapitre pour sortir vers le ciel et franchir
Ammah ; de plus, le premier mot de l'élu est celui-ci '.j'ai
grandi hier avec les grands (les personnages divins), et je
suis né dans le lieu des naissances (cf. sEltesteTexte, x, 32).
Le papyrus magique Harris parle du Souffle (Shu), rfils
unique conçu hier et enfanté aujourd'hui*. A la ligne 6 du
chapitre cxv, il est dit du fils que sa vue est grande, expres-
sion qui a été appréciée plus haut comme se rapportant aux
dieux de la lumière. Si cet enfant parait nommé lejils de
l'homme, j£^ ?^ v& i , à la ligne 4, c'est parce qu'il
est créé par le mâle qui se change en femme : le mot homme
est une variante du mot mâle, et tous deux font antithèse
avec la métamorphose en femme du personnage évidemment
surnaturel dont il s'agit. Har-hut avait pris la forme ado-
lescente, très vigoureuse, ■^=>%^\, d'un homme de huit
H AAAAA^ I I I I
coudées, /ww« ^s. '; le Nekhta, qui figurait Osiris,
I 2Ï ~-& MM i &
était, au papyrus magique Harris, un homme de sept
1. Champollion , Notices manuscrites, t. I (Panthéon égyptien).
p. 127; Naville, Textes relatifs ait mythe d'Horus, xxm, 42, etc.
2. Chabas, Le Papyrus magique Harris, VII, 5, et p. 100.
3. Naville, Textes relatifs au mythe d'Horus, xxm, 42,
42 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
coudées, ^ *ww N 'et un dieu accompagnant Celui
-I -t-^ M-
qui clerc le bras était représenté avec une figure humaine,
I y' f\ ^Vjt'2» comme la déesse mère et
hermaphrodite, t\ ^ (]() v&\ Un des textes du
groupe montre bien que le héros du chapitre cxv n'est pas
un homme, mais la forme ithyphallique de l'âme céleste
qu'Ammon-Ra, âme auguste d'Osiris rajeuni, reçoit dans
une représentation de basse époque'' ; l'élu, pour conjurer le
monstre typhonien, dit : Détourne-toi de l'Osiris vêridique!
AAAAAA ^r\ r
II est le mâle dans le ventre de sa mère !
AA/VW\
cache ta tète ! que ïabîme te reçoive! Je suis
sauf, (si) tu es sauf. Je suis Ur-liakau, fils de Nu .• ou
bien, d'après la version du chapitre cxlix : Le Vogant unique
est contre toi : je suis complété, je suis le mâle, cache ta
tète! si tu es sauf, je suis sauf réciproquement. Je suis
Ur-hakau. Ra m'a donné mes dewr yeux et je m'en pare6.
Le chapitre xcix place le mâle dans la barque solaire : je
viens pour voir mon père Osiris. O seigneur du voile!
maître de la joie du cœur, ou du retour des cœurs !
O seigneur de la tempête ! Mâle qui navigues! O toi qui
navigues par cette contrée d'Apap" !
Les attributions terribles données au mâle dans ces textes
le rapprochent du phallus de Ra, par qui tout devient dé-
faillant des millions île lois sons sa forme de Balxt*, et qui
'■-l accompagné, peut-être comme variantes, par les cornes
de Khepra el la prunelle de l'œil de Tum : si j'étais passé,
1. /.'■ Papyrus magique II unis. IX, 8.
2. Todlenbuch, ch. clxv, 12.
3. J>l . ch. i liv, 12.
4. Denkmâler, IV, 29 b.
h. Todtenbuch, ch. cvm, 7.
6. /a., ibid., I. 15 et 16.
7. Ut., ch. ( vin, 2 el 3.
8- /'/., ch. m m, 1 el 2.
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 43
si j'étais amené à l'Orient, si je connaissais toutes les choses
mauvaises des jetés de ceux qui sont des impies pour moi,
(dignes) d'être frappés par les cornes de Khepra, oui! il me
dévorerait, ce phallus de Ra, tête d'Osiris\ et qu'elles ne
me frappent pas, les deux cornes de Khepra! oh! qu'elle
ne soit pas contre moi, la prunelle de l'œil de Tum*.! que
je ne sois ni détruit, ni violenté ! que je ne passe pas vers
l'Orient pour célébrer la fête de ceux qui sont des impies
pour moi' ! Au chapitre xvn, le phallus d'Osiris ou de Ra
est représenté, dans le même rôle, sous la forme d'un lion
étincelant que l'élu conjure ' . La partie du texte clans laquelle
il se trouve et qui existe dans les anciens exemplaires sur
papyrus du Livre des Morts', mais non aux Aelteste Texte,
a les plus grands rapports avec la légende du chapitre cxv.
Elle contient quelques mots difficiles, qui ne cachent pour-
tant pas le sens général clu passage, dans lequel l'élu est
identifié avec Isis, puis conçu en elle", et dont la glose a été
traduite ainsi par M. de Rougé7 : Le lion lumineux qui est
à l'extrémité, c'est le phallus d'Osiris, ou bien c'est le phallus
de Ra. Celui qui a déployé ses cheveux sur lui, et qui a ter-
miné sa route (?) C^ z X/1< >£5:î, qui hésite à l'entrée de
son chemin, cf. Chabas, Vouaqe, vocabulaire, n° 764), c'est
Isis, lorsqu'elle se voile, alors elle ramène, — "— (J r -,
ses cheveux sur elle*. On reconnaîtra dans la métamorphose
de l'Osiris devenu Isis, puis conçu par elle, les phases de la
renaissance solaire, qu'exprime la vignette en montrant une
femme (Isis) penchée vers un lion (Osiris ou Ra), et ayant
1. Todtenbuch, ch. xcm, 2 et 3.
2. Cf., ch. xxxn, 7.
3. Id., ch. xcm, 7 et 8.
4. Id., ibid., 1.85.
5. E. de Rougé, Études sur le Rituel, p. 70.
6. Todtenbuch, ch. xvn, 86 et 87.
7. Études sur le Rituel, p. 6').
8. Todtenbuch, ch. xvn, 94 et 95.
44 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
au-dessous du ventre un scarabée (le soleil levant). On y re-
marquera aussi une grande analogie avec la légende d' Hé-
liopolis, dans laquelle le mâle, pareil au dieu de l'Amenti
qui jouit de lui-même*, se change en femme chevelue et
donne naissance à un dieu, | Jj (1. 7).
Celui-ci est appelé le fîls du temple (1. 6), parce que la
scène se passe à Héliopolis, et que le sanctuaire de cette ville
était regardé comme un des lieux de la résurrection solaire :
le Phénix renaissant de ses cendres, emblème de l'aurore8,
e< par extension du retour de certaines périodes astrono-
miques, y apportait d'Arabie l'œuf de myrrhe dans lequel
il avait enfermé son père3. La présence du Bennu (le Phénix)
à Héliopolis, où Osiris avait été enseveli suivant le papyrus
magique Harris', symbolisait déjà, au chapitre xvn, a le
» retour d'Osiris à la lumière ' ». Dans les textes sacrés, Hé-
liopolis, ou les portes du Soleil", était souvent, en effet, une
des localités mystiques habitées par l'astre pendant son sé-
jour souterrain; l'élu, dont la demeure a été bâtie par Tum
et fondée par les deux lions1, se repose dans Héliopolis, sa
demeure bâtie par Safekh et élevée par Num sur sa mu-
raille*.
Le chapitre lxxviii du Livre des Morts, pour prendre
la forme de l'éperoier divin, réunit encore les principaux
traits de ces traditions : ô grand! (ou ô épervier ! d'après 1<>
papyrus sans nom du Louvre), viens à Tattu! place-moi
^ ^ Q
sur le chemin que j'ai (déià) parcouru, (car) j'hésite )ffl.
renouvelle-moi , élève-moi donc! (1. 1). On y lit que l'Osiris
1 . Todtenbuch, ch. xvn. !».
2. /</..<•),. , XXI. 1.
:î. Hérodote, II. 73.
4. VIII. 12.
5. I*'.. de Uougé. Études sur le Rituel, p. 16.
ti Diodon; I, '.Mi.
7. Todtenbuch, ch. xvn. 83.
S. ld„ ch. i.vii. 1.
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 45
véridique, affermi sur son pavois comme le seigneur vivant
du ciel, est confondu avec la divine Isis, tfw^ *c=^. 8
(" J] | ; (1. 7), et préservé de celui qui fait son mal
(1. 8), que les dieux du monde souterrain voient lerenouvel-
— w— _
lement de la pêche (1. 9), ou la fête de la pêche, °2J? /WWA g
J„_ /s* ni,,, , . , 1. 1 i X
^£7 gVT (d après le papyrus sans nom), qu Osins, ou
suivant ce dernier papyrus Isis, a enfanté H or us et prospère
par lui, qu'Osiris s'élève en un épervier divin, qu'il est une
momie dont Horus est l'âme (1. 13 et 14), que les deux lions
tirent le Seigneur unique, ainsi que l'élu de la tombe (1. 19
et 20) ; qu'ils remettent, "Hk • , la coiffure divine appelée
Nemmes (1. 19) ; qu'il est, pour l'élu, donné sa chevelure (à
Osiris), û d(I(I v& ^/ ^^tCllXl » flue ce dieu offermît
pour l'élu sa propre tète sur son dos (1. 20); et enfin,
qu'Horus a fabriqué les dieux et tiré des multitudes de son
œil, dont l'Unique est le maître, Nebert'er, c'est-à-dire
Osiris.
Les deux lions sont Shu et Tefnu, qui, sous le nom du
frère et de la sœur, accompagnent Ra comme âmes d' Hé-
liopolis, au chapitre cxv, 1. 5 et 7, de même qu'ils suivent
Tum (le soleil nocturne), comme magistrats de cette ville
au chapitre xvm, le jour du combat et du massacre des
impies, c'est-à-dire des ennemis de Nebert'er, les associés
de Set (1. 3 et 4). Apres la victoire, Shu et Tefnu instituent
une fête (1. 5), comme après l'éclipsé Horus établit des sa-
crifices de bœufs, de gazelles et de porcs1.
L'identité de ces récits apparaît clairement dans un papyrus
de la XXVIe dynastie, dont M.Pierretapubliéla transcrip-
tion hiéroglyphique. Isis y dit à Osiris : Je suis ta sœur Isis.
Il n'y a ni dieu ni déesse ayant fait ce que j'ai fait : j'ai fait
le mâle, étant femme, afin défaire revivre ta personne sur
1. Todtenbuc/i, ch. cxn. 6.
46 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
*/WV\ /WW\A I i 1 <Z^Z> <^_ 1^> /WW
AAAAAA /WWV\ I i I "^ — ^> "^ — 1^> AW\M 1-J. I \J A_i
■ § '.A Héliopolis, centre du culte solaire, le per-
sonnage principal est Ra (le mâle qui fait la femme), et c'est
Isis (la femme qui fait le mâle), quand le lieu de la scène
n'est pas précisé ou se rapproche de Tattu (Mendès), ville
osirienne; mais les noms seuls sont changés, et encore la
variante du chapitre xvn (1. 93), assimilant le lion à Ra
comme à Osiris, fait-elle rentrer l'une dans l'autre les deux
versions, identiques sous des noms différents, ce qui n'était
pas rare dans la mythologie égyptienne. Osiris était d'ail-
leurs la forme la plus ordinaire du soleil nocturne, ce qui
explique pourquoi l'on a vu que, par un mélange d'idées
facile à comprendre, l'enterrement, la résurrection et le fils
d'Osiris pouvaient être placés à Héliopolis, tandis que, d'un
autre côté, les compagnons de Ra ou Shu et Tefnu pouvaient
servir aussi d'auxiliaires au dieu de Mendès (cf. Todt.,
eh. xvn, 1. 03, G4 et 05). Osiris-Sahu est appelé, au cha-
pitre xxiii, 3, du Todtenbuch, Celui qui réside dans les
âmes d' Héliopolis.
11 y a dans la légende une tendance remarquable à une
sorte d'hermaphroditisme, tendance qu'on retrouve dès la
XVIIIe dynastie dans l'hymne à Osiris, traduit par M. Cha-
bas, où Jsis, qui extrait l'eau d'Osiris et fait un enfant
(huis l'isolement*, agit seule pour la naissance d'Horus. On
pourrait être tenté de rapporter a la même idée le sens du
chapitre lxxx, d'après lequel le défunt, qui se change en
dieu lunaire, est Ji ^ff- 0 ^x^; mais le papyrus
sans nom du Louvre prouve que le groupe Ji, ou
du Todtenbuch (1. 8), est une altération de Jf)} le métal
ooo i_J
1. Études ègyptologiques, p. 22.
2. Reeue archéologique, 1857; Plutarque, D'Isis et d'Osiris, 19.
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 47
lunaire personnifié éclairant les ténèbres. Une allusion
certaine à cette doctrine est visible, au contraire, dans une
composition de basse époque ajoutée au Todtenbuch, laquelle
prescrit de faire une déesse à trois têtes : l'une de lionne,
l'autre humaine et couronnée du double diadème, la, dernière
de vautour avec la double plume, et ayant un phallus, deux
ailes et des pattes de lion ' . Au chapitre précédent, une image
du dieu qui élève le bras devait avoir la tête de la déesse
Nit, qui, elle-même, était quelquefois criocépliale".
Plus on approche de l'ère moderne, plus les symboles de
ce genre se multiplient, accusant ainsi les analogies qui
existent entre les croyances égyptiennes et les cultes de
l'Asie, dans lesquels le sanglier et les déesses hermaphro-
dites jouent, de même qu'ici, un grand rôle. Isis, aux derniers
temps du paganisme, finit par devenir la divinité suprême,
comme auparavant Astarté en Phénicie, Cybèle en Phrygie,
ou Anaïtis en Assyrie, prédominance du type féminin qui
semble s'expliquer par ce fait qu'à la décadence des cultes
les femmes, restées presque seules fidèles aux anciens dieux,
accommodent alors la religion suivant leurs préférences et
leurs goûts.
Le sens allégorique de la chevelure, que M. de Rougé
croyait destinée à « couvrir les mystères de la conception ' »,
sera étudié dans un mémoire sur l'Arbre sacré en Egypte.
Il a pour origine probable une confusion entre les idées
de chevelure, *• ^ , et à' arbre, * A : les rameaux
/WWV\ VI # /WWV\ \£L 11
de l'arbre sacré, emblème du ciel inférieur abritant les mânes
et le soleil, devinrent les cheveux de la déesse ou du dieu
dans lesquels se personnifiaient soit le séjour infernal, soit
l'âme céleste unie à ce séjour. De leur côté, les dieux effémi-
nés de l'Asie naissaient d'un arbre et se changeaient en
1. Todtenbuch, ch. clxiv, 12 et 13.
2. Champollion, Notices manuscrites, t. II (Panthéon égyptien),
p. 299.
3. Études sur le Rituel, p. 70.
4S LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORT?
arbre. Au chapitre cxv. d'après lequel l'élu a été conçu
hier. Celui qui est sous le voile, - -^\ (j /ww^ Il ' 1 , et qui
remet en mémoire L'Isis voilée du chapitre xvn, pourrait bien
ne pas différer non plus du dieu (//'and dans le beau tama-
risque, voile de Ra, ou sa toison, hier, (I awws Jj (l
J^, 1 M I 111 \~~ 1 /VWV\A
0 v\^ (eh. xlii du Toril., 1. 2 et 3), dieu qui est intitulé
ensuite le préparateur divin dans le sein du tamarisque
(1. 3), ou le grand préparateur dans le sein d'hier (1. 20) :
l'acte est préparé, L. a , dans le creux de sa main, sans
qu'on le sache (1. 20). La mention d'hier, après celle du voile
de Ra, était répétée quatre fois, ce qui rapelle les quatre hier
dont le phénix est la personnification au chapitre lxxxiii, 2,
et les quatre jours de deuil pendant lesquels, avant de retrou-
ver Osiris, on couvrait un bœuf d'or avec un voile noir, à
cause du deuil d'Isis (Plutarque, D'Js. et d'Os., xxxix). Au
chapitre Cix, Ra, avant son lever, est dans un svcomore de
il. 3), tandis qu'au chapitre \vn, 1. 45, il frappe le serpent,
sous la forme d'un chat ou d'un lion*, auprès do l'arbre
sacré d'Héliopolis. La cheveluredu Soleil est citée dans un
ancien papyrus du Louvre3, el dans le papyrus magique
étudié par M. Birch*. Le même texte fait entourer le cou
d'Osiris avec une couronne de fleurs divines (de cèdre?) par
Tcl'nu, et avec une boucle par Shu '. Ailleurs l'élu, pour dé-
fi -Çsï- ^
tourner le crocodile du Sud, dit qu'il est I'wwvn (ce qui est
l'acte d'Isis au chap. xvn, i. 93), et changéen végétal*. Cer
1. Variante du Papyrus Hat/, Goodwin, Zeitschrift, 18î:î, p. 106.
2. E. de Rougé, Etudes sur le Rituel, p. r>7.
3. Devéria, Catalogue, p. I.
I. Reçue archéologique, 18'»:i, p. m, I. '.'>.
5. ht.. |» vu. I. 9; i». vin. I. 1. el p. 129.
6. I odtenbueh , ch. \ \ xit, <i.
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 49
tains dieux étaient dans la chevelure, 9 vX v^1, et
<^i X, /WWV\ H— \\
le chapitre de l'oiseau Shenti, emblème du temps, semble
débuter par une allusion à ce symbolisme : maître de ee
qui est, bourreau de ceux qui subsistent avec leurs tête*
et leurs chevelures , et qui sont dans leur (bassin? ou syco-
more? de) Mafek, les grands et les élus, préparateur de
l'instant, je suis au ciel et j'immole sur terre tour à tour
par une puissance , etc.2 Les rois d'Egypte, suivant Diodore,
se couvraient la tête, entre autres ornements allégoriques,
de masques de lions et de branches d'arbres1. Une divinité
par laquelle le chapitre cvm, 1. 10, remplace Isis, c'est-à-
dire Hathor, qu'on représentait souvent dans l'arbre sacré,
n /VSAAAA
et dont la coiffure "b" était mise en rapport de Shu',
avait, comme l'a remarqué M. Goodwin ', le surnom de
Henkesti, ou la chevelue, de même que Déméter était pour
les Grecs la déesse aux belles boucles, Calliplocamos. Au
Calendrier Sallier'', Hathor paraît prendre le rôle de Ra, le
1er d'Athyr, et ses litanies du temple de Dendérah l'ap-
pellent celle qui a des cheoeux couleur de mafek. D'après
Lucien, on conservait à Memphis les cheveux bouclés d'Isis7 :
Y Henkesti du mâle à Héliopolis était sans doute analogue.
Les reliques sacrées que renfermaient les sanctuaires de
l'Egypte passaient, en effet, pour être certaines parties des
corps divins8. La vénération pour ces objets devait être fort
grande chez un peuple qui respectait les emblèmes de la
divinité au point de rendre un culte à plusieurs animaux, et
1. Todtenbuch, ch. xxx, '-\.
2. Id., ch. lxxxiv, 1.
3. I, 62.
4. Todtenbuch, ch. xxxv, 1.
5. Zcitschrift, etc., 1873, p. 106.
6. Chabas, Le Calendrier Sallier, p. 45.
7. Contre un ignorant bibliomane, 14.
8. J. de Rougé, Textes géographiques d'Edfou, passim; Plutarque,
D'Isis et d'Osiris, 18, et Diodore, I, 21.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 4
50 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
de croire que les dieux habitaient en réalité dans leurs
statues, comme le prouve l'ancienne inscription étudiée par
M. Goodwin'. Ptah, qui a cillante les dieux, fait les con-
trées, etc., a aussi installé les coi'ps des dieu,/- pour (y) placer
leurs cœurs : il fait entrer les dieux dons leurs corps en
r\ -rt\ O AAAAAA
toute espèce de bois, de gemme ou de pierre, l^xK^ra
^ z^m z\\^ m k ^ f1 -k r,
K37^^ ^~'7 l^v s '• ^jn PassaSe des Livres hermé-
tiques justifie de même les accusations des chrétiens repro-
chant- aux gentils le culte des idoles : Oui, les statues,
ô Asclépios; vois-tu comme tu manques de foi f Les statues
animées, pleines de sentiment et d'aspiration , qui font tant
et de si grandes choses ; les statues prophétiques qui pré-
disent l'avenir par les songes et toutes sortes d'autres voies,
qui nous frappent de maladies ou guérissent nos douleurs
selon nos mérites3.
IV
La discussion des principaux points sur lesquels roule le
chapitre cxv permet à présent de proposer pour ce texte
une traduction en rapport avec les résultats acquis. Cette
traduction reste conjecturale en plusieurs endroits, car le
texte est très corrompu. C'est ainsi que la phrase incomplète,
qui est rétablie d'une manière fort claire au Papyrus Hay
du British Muséum, n nti (j C\ °Z^ > cs^ reproduite dans
les papyrus du Louvre comme au Todtenbuch (vers la fin
de la ligne 2). La variante fournie par le même papyrus
pour le mot qui précède ânes a la ligne .*>, - -\^\ au lieu de
. ne se retrouve pas non plus ailleurs, de mémo que
1. Cbabas, Mélanges ègyptologiques, 3' série, t. I, p. 247.
Z. Sharpe, Egyptian Inscriptions, I, pi. XXXVIII.
3. Hermès Trismègiste, traduction de Louis Ménard, li\. 11,9.
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 51
celle qui, à la ligne 2, fait de la négation tem le dieu Tum :
T um y démentie Très-Vaillant.
Les papyrus du Louvre ont toutefois des variantes qu'il
ne sera pas inutile de noter.
Ligne 3 du Todtenbuch : la particule v^m de la phrase
ta-a n t'et-t-u neter-u est placée entre t'et-t-u et neter-u, ce
qui donne un sens possible, aux nos 3084, 3089, 3091, et au
Papyrus de Taho. Le mot Ra est suivi de rj^è\ aux nos 3051
et 3089, et au Papyrus de Taho. Le Papyrus de Taho écrit
le mot hau, qui qualifie le compagnon de Ra, comme
ra v\ T 7 0, temps. Pour la ligne 3 seulement, le nom de
ce personnage est partout écrit (sauf au Papyrus de Luynes)
suten-m-hau-f, mauvaise transcription hiératique dans
laquelle le syllahique am a été confondu avec l'hiéroglyphe
suten. On trouve assez souvent des noms mythologiques du
même genre : am-u-abt-u-sen (Naville, Textes relatifs au
mythe d' H or us, xxi, 5) ; am-u-hru-u-sen ( Todt., ch. cxxv,
63); am-hru-f(id., ch. cxxiv, 9). Au chap. cxxv, 67, Thoth
est am-unt-f, et il s'agit peut-être aussi de lui au chap. cxv.
Liane 4 : 0 est écrit au n" 3084,
au Papyrus de Taho et au n° 3089.
Ligne 5 : Kheper-sen heb Ra pu semble une erreur, car
on trouve à la place des groupes compris entre Kheper et pu :
( Papyrus de I aho), ™w> (n° 3091 ) , ou ~WVNA
MAAM O £!i O Ci (2 O
(n"s 3051 et 3089). Le sens est : de frère et la sœur) instituent
la fête Sen ou .S'6v?f, peut-être la fête du deux du mois, qui
se nommait, d'après la liste publiée par M. Brugsch (Calen-
drier égyptien, pi. IV). la lete < U H or us vengeur de son père.
— M — \jls
M. Goodwin a signalé la variante A/VVAAA
Ligne G : le mot henkesti est partout écrit deux fois après
le groupe qui veut dire femme, sauf au n° 3129, qui a une
rande ressemblance avec le Todtenbuch . -
£ /i. comme l'a lu M. Goodwin.
£ t] est bien
52 LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS
Ligne 7 : les deux groupes pehti sont précédés de ur,
Ci
v^t , dans tous les papyrus, même au n° 3129.
CHAPITRE POUR SORTIR VERS LE CIEL, FRANCHIR LA TOMBE
ET CONNAÎTRE LES ÂMES D'HELIOPOLIS
L. 1 L'Osiris véridique dit : « J'ai grandi hier avec les
grands, je suis né dans le lieu des naissances, j'ai dé-
couvert la face pour l'œil de l'Unique,
L. 2 et le cercle des ténèbres s'est ouvert, je suis l'un de
vous ! Je connais les âmes d'Héliopolis : est-ce que
le Très- Vaillant n'en naît pas, quand sort le bras
étendu de celui qui est (là, le Voyant) ? J'adresse
L. 3 la parole aux dieux (?) : « Que ne soit pas anéanti l'en-
fant d'Héliopolis ! » Je sais pourquoi la chevelure du
mâle a été faite. C'est Ra qui conversait avec Amhauf :
L. 4 voilà qu'un fléau (survint) contre lui. C'est (alors que)
le coup fut frappé le 2 du mois, Ra dit à Amhauf :
« Prends la lance pour le fils de l'homme !» — « Voici
L. 5 la lance », dit Amhauf. Le frère et la sœur instituent
la fête Sen t. Celui qui est sous le voile, son bras ne
se repose pas, voilà qu'il s'est changé en
L. 6 femme chevelue. C'est la chevelure dans Héliopolis.
Dévoilé et puissant est le fils de ce temple : c'est
le dévoilé d'Héliopolis. La chair de sa chair, grande
esl sa vue,
L. 7 car il esl en un 1res vaillanl dieu, en un fils né de
son père. Ce qui lui appartient, c'est d'être le Très
Vaillant d'Héliopolis. Je connais les âmes d'Hélio-
polis, c'est Ra, et ce -ont Shu et Tcfllll. »
Le Papyrus de Luynes, qui mérite une attention spéciale
a cause de son ancienneté, suil la même version que les
autres, mais quelques changements dans les particules lui
prêtenl parfois des sen nouveaux :
LE CHAPITRE CXV DU LIVRE DES MORTS 53
L. 1 J'ai grandi hier avec les grands et je suis né dans le
lieu des naissances; j'ai découvert la face pour l'œil
de l'Unique,
L. 2 et le cercle des ténèbres s'est ouvert : je suis l'un de
vous ! Je connais les âmes d'Héliopolis : est-ce que le
Très-Vaillant ne naît pas d'elle ( I), quand surgit
le bras étendu de celui qui est avec moi ( & û ^)
L. 3 à dire aux dieux (<ww^ "^ |) : « Que ne soit
pas anéanti l'enfant d'Héliopolis ! » Je sais pourquoi
la chevelure du mâle a été faite. Ra parlait
_ \\2if'
avec Amhauf :
L. 4 voilà qu'un fléau s'éleva contre lui ( . I) : c'est
alors que le coup fut frappé le 2 du mois. Ra dit à
Amhauf : « Prends la la lance, fils de l'homme! » —
« Voici la lance »,
L. 5 dit Amhurf ( — lb\ *^=^) . Les deux frères
(cf. Todtenbuch, chap. xvir, 1. 43, 44 et 45), c'est Ra
passant dans la forme ( M <==:> ^^ V\ 1 □ \>^j\
O ) de Sotem-anes (le maître de la robe, d'après
M. Goodwin, ou Celui au voile noir, car l'hiératique
peut avoir été d'abord Kem-anes) : son (II) bras ne se
repose pas, voici qu'il a pris sa (*^=^) forme
L. 6 de femme chevelue : c'est la chevelue An. Dévoilé est
le maître du temple : c'est ( u @) le dévoilé d'Hélio-
polis. Son (1^) enfant, grande est sa vue (^^^J-
L. 7 car i
est en Très- Vaillant (prodigieux? J (1 v\ ?),
en fils né de son père. Ses choses ( (^ 3 I) sont
celles du Très-Vaillant d'Héliopolis. Je connais les
âmes d'Héliopolis, Ra, Slm et Tefnu.
54 LE CHAPITRE CXV DE LIVRE DES MORTS
Le chapitre cxv se rapporterait donc, comme le groupe
de textes dont il fait partie, à la guerre des dieux égyptiens,
et la légende héliopolitaine qu'il raconte aurait eu pour
type le triomphe de la clarté solaire et lunaire, qui chasse
quotidiennement les ténèbres en renaissant du sein de
l'étendue souterraine avec laquelle elle semblait s'être con-
fondue. Le mythe auquel ce phénomène donna naissance en
Egypte y avait pris une importance qui l'étendit au mois,
à l'année, aux cycles astronomiques, à la vie extra-terrestre,
à la cosmogonie, et sans doute ici à l'épopée. C'est la mise
en action de l'idée qu'expriment les titres bien connus faisant
du Soleil celui qui s'enfante ou qui s'engendre lui-même.
Il y a une différence sensible entre la traduction d'après
laquelle on peut conclure ainsi et celle qu'on doit à
M. Goodwin, qui voit une épidémie dans ® J , ou le coup
frappé par le dieu, comme le prouvent les Textes publiés
par M. Naville, et du bronze servant à la reproduction de
l'espèce humaine dans ^ , qui n'est autre chose que la
nriooo
lance divine. Les analogies permettent de rectifier pour ces
mots l'interprétation du savant anglais, qui n'en est pas moins
régulière au point de vue grammatical. Mais la mythologie
égyptienne, ainsi que les autres branches de la civilisation,
agriculture, commerce, comptabilité, arts, sciences, etc.,
avaii ses expressions particulières qui formaient comme une
langue dans la langue, et la science du déchiffrement se re-
trouve la, bien qu'elle se soit rendue presque entièrement
maîtresse du langage ordinaire, en lace d'une phraséologie
nouvelle (Idiii il lui faudra chercher la clef. Los premiers pas
dans une voie semblable étant toujours hasardeux, ce serait
déjà beaucoup, après M. Goodwin, qui s'est attaché à donner
un texte correct, d'avoir pu indiquer les limitesel entrevoir
le sens du sujet.
LES
QUATRE BACES VU JUGEMENT DERNIER'
M. Chabas a signalé' l'analogie remarquable qui existe
entre les croyances chrétiennes et les idées égyptiennes au
sujet du jugement dernier; des deux côtés, les justes sont
placés à droite, et les méchants (condamnés au feu ou à a
chaudière) à gauche. La même disposition se retrouve gé-
néralement dans les tombes royales, où le soleil nocturne
traverse en barque clés scènes de béatitude et de supplice-.
Le célèbre tableau des quatre races fait partie dîme de ces
représentations, touchant laquelle on peut consulter les ATo-
tices de Champollion et les Denkmàler3. La traduction qui
va suivre a été faite d'après le sarcophage de Séti Ier, pu-
blié par MM. Sharpe et Bonomi \ et étudié par M. Pierrot '.
L'interprétation consciencieuse de M. Pierrot eût rendu
1. Publié da.ns les Transactions of the Society of Biblical Archçeo-
logy, vol. IV. part 1, 187"); tirage à part in-8" à 25 exemplaires. —
Lefébure avait inscrit au crayon, dans les marges de sou exemplaire,
des corrections ou des observations assez nombreuses : on les trouvera
en notes, au bas des pages, entre crochets [ ]. La plupart d'entre elles
contiennent des variantes relevées par lui dans le Tombeau de Sêti T1,
p. 770-775, qu'il publia une dizaine d'années après ce petit mémoire.
2. Mélanges ègyptologiques, 3e série, t. II, p. 1<>S-172.
3. Denkmàler, III, 136
4. Cf. Sharpe, Egyptian Inscriptions.
5. Reçue archéologique, mai 1870.
56 LES QUATRE RACES AU JUGEMENT DERNIER
celle-ci inutile, s'il ne restait à mettre en lumière un point
important, celui de la création des hommes, dont la légende
ne parait pas encore avoir été expliquée d'une manière sa-
tisfaisante bien qu'elle ait attiré depuis longtemps l'atten-
tion des égyptologuos '.
La scène entière se divise en trois séries superposée-,
mais il n'y a là, comme dans les dessins chinois, qu'un ar-
tifice de perspective échelonnant le milieu, la droite et la
gauche, qui ne pouvaient, en effet, figurer sur le même
plan, puisque les tableaux égyptiens ne montrent les per-
sonnages que de profil. A la droite de Ra, on mesure des
champs pour les élus, et à sa gauche on amène le troupeau
des humains pour y choisir les âmes qui seront détruites. La
création des quatre races composant l'espèce humaine est
attribuée, saut pour les Nègres, aux pleurs d'Horus et à la
déesse Sekhet, une des personnifications de l'œil d'Horus,
le soleil. Les textes disent que les hommes étaient nés de
l'œil et les dieux de la bouche de Ra ou d'Horus, et l'on re-
trouvera un symbolisme analogue, Taisant venir les plantes
et les bêtes d'une émanation divine, dans un papyrus ma-
gique traduit par M. Birch \
Au sarcophage de Séti I"1', en C, la barque solaire sort
pai' la porte que garde le serpent Tek-her, oujace étince-
lante ; le dieu est représenté sous la forme d'un criocéphale
debout dans un naos qu'entoure de ses replis le serpent
Mehen. San est a la proue, Hakau à la poupe, et quatre
personnages nommés les infernaux remorquent la barque
avec une corde vers la porte Neb-t-Hau, /es maîtresses de
In durée. Devanl eux, neuf dieux en gaine tiennent un long
serpent, les pointeurs du serpent Nenut'i, précédés par douze
1. Chainpollion, Lettres écrites d'Egypte et de Xuhi<\ \:v ' loiliv; K.de
Itou.L'i'. Mémoire sur h-s si. r premières dynasties, p. !'; Chabas, Études
sur l'Antiquité historique, p. 98, etc.
2. Revue archéologique, 1 863.
:;. PL 7, 6 et 5.
LES QUATRE RACES AU JUGEMENT DERNIER 57
hommes, les âmes humaines qui sont dans l'enfer, en
marche vers un dieu à sceptre qui leur fait face, celui qui
est sur son angle.
A droite, en B, douze hommes, dans une posture d'ado-
ration, les adorateurs qui sont dans l'enfer, et douze por-
teurs de corde dans (l'enfer), se dirigent vers quatre per-
sonnages à sceptres, tournés en face d'eux.
On voit à gauche, en D, Horus hiéracocéphale, appuyé
sur un long bâton, seize hommes, appelés les Hommes, les
Amu, les Nahesu, les Tamehu (les Égyptiens, les Asia-
tiques, les Nègres et les Libyens), douze personnages por-
tant comme une corde un long serpent (symbole probable
de la marche du temps), que surmonte derrière chacun
d'eux, sauf le dernier, l'hiéroglyphe de la durée, les por-
teurs de l'emblème de la durée dans l'occident, et enfin
huit dieux, les divins magistrats de l'enfer.
B. Ils rendent hommage à Ra dans l'occident1 et récon-
fortent2 Har-Khuti; ils ont connu Ra sur la terre et ont
fait des oblations pour lui ; leurs offrandes sont à leurs
places, et leurs honneurs dans le lieu saint de l'occident. Us
disent à Ra : « Viens. Ra ! Remonte l'enfer! Hommage à
toi ! Entre dans les chapelles (qui sont) dans le serpent
Mehen'! » Ra leur dit : « Offrandes pour vous, Bienheu-
reux ! J'ai été satisfait de ce que vous faites pour moi, (soit
que) je brille à l'orient du ciel, (soit que) je me couche dans
le sanctuaire de mon œil. » Leurs aliments sont faits des
pains de Ra, et leurs breuvages de sa liqueur T'eser; leur
rafraîchissement est de l'eau, il y a des oblations pour eux,
à terre, à cause de l'hommage (qu'ils rendent) à Ra dans
l'occident.
Les porteurs de corde, ceux qui préparent les champs des
Elus, — « prenez la corde, tirez, mesurez les champs des
1. [L'Amenti.]
2. [Exaltent.]
3. [Entre parmi les choses saintes sous le serpent Mehen. J
58 LES QUATRE RACES AU JUGEMENT DERNIER
Mânes, qui sont des élus dans vos demeures, des dieux en
vos résidences, Elus divinisés dans la campagne de la Paix,
Élus vérifiés pour être dans (l'enceinte) de la corde; la jus-
tification est pour ceux qui (y) sont1, et il n'y a pas de
justification pour ceux qui n'(y) sont pas". Ra leur dit :
a C'est la justice, la corde dans l'occident. Ra est satisfait
par le mesurage en coudées des possessions de ceux qui sont
des dieux et des domaines de ceux qui sont des Élus3. Ra
crée vos champs, et désigne pour vous vos aliments, qui
sont avec vous '. »
« Oh ! navigue, Khuti ! Les dieux sont satisfaits de leurs
possessions, les Élus sont satisfaits de leurs demeures. »
Leurs aliments sont dans la campagne d'Aru et leurs of-
frandes sont (faites) de ce qu'elle produit. Il y a des obla-
tions pour eux dans les champs de la campagne d'Aru. Ra
leur dit : « Sainteté à vous, cultivateurs qui êtes les maîtres
de la corde dans l'occident. »
C. Le dieu grand est remorqué par les dieux infernaux,
qui le font circuler dans le lieu mystérieux. « Remorquez
pour moi, infernaux ! Rendez-moi hommage, vous qui êtes
dans les enfers ! Force à vos cordes, avec lesquelles vous
me remorquez! Fermeté à vos bras", vitesse à vos jambes,
protection a vos âmes, acclamation à vos cœurs ! Ouvrez le
bon chemin vois les cavernes clés choses mystérieuses ! »
Ceux qui sont clans ce tableau, porteurs de ce serpent,
tirent et (le) font apparaître devant Ra et devant eux, pour
qu'il (Ra) se place dans (la porte) Neb-t-Hau. Ce serpent
1. [Ceux qui existent.]
2. (Ceux qui n'existeront plus.]
■S. [Raest satisfait du mesurage. Vos possessions à vous, dieux, et vos
domaines à vous Élus, sont ;ï vous.]
4. [Vos aliments, mangez.]
5. | hommage, vous qui êtes dans les étoiles pour que soient fortes
vos cordes, avec lesquelles , et fermes vos bras, etc. Les plafonds
a tronomiques des tombes royales représentent la barque divine
i rainée par des utoiks.J
LES QUATRE RACES AU JUGEMENT DERNIER 59
s'élève vers elle, sans la dépasser. Ra leur dit : « Tirez
Nenut'i ! Ne lui laissez pas d'issue, aiin que je m'élève au-
dessus de vous ! Enveloppement à vos bras, destruction à ce
que vous gardez, vous qui gardez ce que deviennent mes
formes, vous qui emmaillottez ce que deviennent mes splen-
deurs. » Leur nourriture est d'entendre la parole de ce dieu ;
c'est une oblation, pour eux, d'entendre la parole de Ra dans
l'enfer.
Ceux qui ont dit la vérité sur la terre et ont magnifié les
formes de Dieu. Ra leur dit : « Acclamation à vos âmes,
souffles à vos narines, et végétaux pour vous de votre cam-
pagne d'Aru. Vous, vous êtes d'entre les justes. Vos de-
meures sont, pour vous, à l'angle où l'on examine ceux qui
sont dans la flamme, en lui. » Leurs aliments sont faits de
pain, et leurs breuvages de la liqueur T'eser; leur rafraî-
chissement est de l'eau. Il y a des oblations à terre, pour
eux, comme bienheureux, selon ce qui leur appartient.
Ra dit à ce dieu : « Que le grand qui est sur son angle
appelle les âmes des justes et les fasse se placer dans leurs
demeures, auprès de l'angle, ceux qui sont avec moi-
même ! »
D. Horus dit aux troupeaux de Ra, qui sont dans l'enfer
de l'Egypte et du désert : a Protection à vous, troupeaux
de Ra nés du grand qui est dans le ciel, souffles à vos na-
rines, renversement â vos cercueils ! Vous qui avez été
pleures par mon œil, en vos personnes d'hommes supérieurs,
vous que j'ai créés en vos personnes d'Amu : Sekhet les a
créés, et c'est elle qui défend' leurs âmes. Vous, j'ai ré-
pandu ma semence* pour vous, et je me suis soulagé par
une multitude sortie de moi en vos personnes de Nègres :
Horus les a créés et c'est lui qui défend leurs âmes. (Vous),
1. Le mot propre est manustuprarc. — [Lactance t'ait allusion à une
croyance analogue : « Nunc Vulcanus in terrain semen effudit et inde
homo tanquam i'ungus enatus est » (Epitomc, p. 542).]
2. [Nef : M. Naville pense que ce mot signifie créer, Litanie, p. 23.]
60 LES QUATRE RACES AU JUGEMENT DERNIER
j'ai cherché mon œil, et je vous ai créés en vos personnes de
Tamehu : Sekhet les a créés, et c'est elle qui défend leurs
âmes. »
Ceux qui installent l'emblème de la durée1 font lever les
jours des âmes qui sont dans l'occident, et désignent pour
le lieu de la destruction. Ra leur dit : « Etant les dieux2,
habitants de l'enfer, qui portez la (corde-)Équité pour
traîner l'emblème de la durée, tirez l'emblème de la durée,
tirez la (corde-)Équité, traînez l'emblème de la durée par
elle3, des âmes qui sont dans l'occident, et désignez pour le
lieu de destruction ! Qu'ils ne voient pas la retraite mysté-
rieuse ! » Ce sont les divins magistrats qui détruisent les
ennemis. Leurs aliments sont faits de parole véridique. Il
y a une oblation pour eux à terre, faite de parole véridique
auprès d'eux \
Ceux qui ordonnent3 la destruction et son enregistre-
ment pour la durée des âmes dans l'occident, — « que vos
destructions soient pour les ennemis et vos enregistrements
pour le lieu de la destruction ! Je suis venu, (moi) le grand,
Horus, pour examiner mon corps, et pour lancer des fléaux
contre mes ennemis. » Leurs aliments sont (faits) de pain,
leur breuvage est de liqueur T eser, leur rafraîchissement
est de l'eau ".
1. [Ceux qui fixent la durée |
2. [j\ ô dieux (Séti rr)-j
•*i. [ Équité pour mesurer La durée, mesurez la durée, tirez la (corde-)
Équité, mesurez la durée par elle ]
4. [Il leur est fait des offrandes sur terre, parce que la parole véridique
est en eux.]
4. [Ils ordonnent j
ô. [De l'eau. Il leur est fait des offrandes sur terre (comme à qui)
n'entre pas au lieu de la d>'-iruction.J
THE BOOK OF HADES
(FROM THE SARCOPHAGUS OF SETI i)1
When Belzoni discovered, in 1819, the tomb of Seti I. at
Biban-el-Molouk, he found there the empty sarcophagus of
the king, with the cover broken8. The figures and the hie-
roglyphics which adorn this sarcophagus, upon which they
are carved and filled in with blue colour, hâve been pu-
blished in 1864, with descriptions by Messrs. Bonomi and
Sharpe3, under the title of The Sarcophagus of Oime-
neptah I. In 1870, M. Pierret gave, in the Revue archéo-
logique, an analysis of the pictures and the legends which
cover the exterior of the coffin; and later Messrs. Goodvvin4
and Le Page Renouf ' hâve examinée! the secret writings
which are found on a part of the sarcophagus. Thèse en-
deavours are only partial, and a study of the whole lias not
been madeon the sarcophagus of Seti I. before the présent
translation, which is complète and comprises ail the frag-
ments. The principal subject of the inscriptions on the sar-
cophagus is the navigation of the sun nightly in the infernal
régions. Twelve gâtes enclose there, successively, twelve
sections of space, from which the god passes, having gene-
1. Publié dans les Records ofthe Past, lsl Séries, 1878, t. X, p. 85-
134, et 1881, t. XII, p. 3-35. - G. M.
2. The sarcophagus is of arragonite, and is now in the Soane Mu-
séum, London.
3. Cf. Sharpe, Eyi/ptian Inscriptions, pi. 61-67.
4. Zeitschrift, 1873, p. 138.
5. Zeitschrift, 1874, p. 101.
62 THE BOOK OF HADES
rally at his right hand tlie blessed, and at his left the
damned. who are represented, according to the Egyptian
mie of perspective, above and below. The gâtes correspond
probably to the hours of the night, as do the infernal py-
lons to the astronomical ceilings at Biban-el-Molouk ' . The
order in which thèse gâtes follow one another lias been
pointed ont by Champollion*, and they again occur in the
like manner in the tomb of Rameses VI. The same com-
position ligures in en'ect in the royal tombs, and covers
there, generally to the left, the sides of certain rooms and
corridors. We see by the royal tombs that the Egyptian
artist connected the nightly divisions to the gâtes which
preceded; and Champollion himself is the aiithority for de-
signating, by an abridged form, every division of Hades by
the name of the serpent which guarded the gâte. There is
;is a due to its arrangement, thennmber, and the succession
of thèse gâtes which comprise tins species of the Book of
Ilades, itself a variant of the Book of the Lower Hémi-
sphère :
lst division without a gâte
2nd » door of the serpent Saa-sel
3rd » » Akebi
4th » » T'etbi
5th » » Tek-her
Glh » n Set-m-ar-f
Tth )> » Akhen-ar
sth » » Set-lier
9th » » Ab-ta
lOth » » Stu
1 1 1 1 1 o » Am-netu-f
L2th " doors of the serpents SebiandReri.
1. Champollion, Notices, t. II, p. 630-684; cî.Todtenbuch, ch. cxlv-
l KLVI.
2. Lettre. . ae\n édition, i». 189-192.
THE BOOK OF HADES 63
It is noticeable that the first division lias not a door, and
that the last bas two. Further, in the tombs of Seti I. and
of Merenptah I. the pictures and the legends relating to the
door of Set-m-ar-f differ entirely from those which are
attached to the same gâte in the other tombs, and on the
sarcophagus of Seti I. According to Champollion ' the tomb
of Amenophis III., when it was complète, contained the
book which he there describes, but only a few fragments of
it now remain in the chief chamber. The Notices of the
same scholar attribute the 8th, 9th, and lOth divisions to
the tomb of Ta-user-t, thèse are found in the chief cham-
ber; the 3rd and 4th are seen in the tomb of Rameses I.a
in the chamber which follows the 2nd corridor: the 2nd and
3rd occur in the chamber having six pillars; the 4th, 5th,
6th in the chamber of the well, and 7th on the principal
chamber having six pillars, in the tomb of Seti I. : the 4th,
5th, and 6tli in the principal chamber of the tomb of Me-
renptah I. ; the 5th (in the 3rd chamber), 6th (other cham-
ber), 3rd, 8th, 9th and llth (in the principal chamber) of
the tomb of Rameses III. ; the 2nd, 3rd, 4th, and 5th in the
tomb of Rameses IV. in the principal chamber; the lst and
2nd are found in the tomb of Rameses VII. on the iïrst cor-
ridor. The tomb of Rameses VI. contains the composition
entirely complète on the commencement of the first corri-
dor. The other tombs are more or less damaged, or thev
would hâve been able otherwise to hâve restored for us
wholly or in part those divisions which appear to be want-
ingfrom the sometimes incomplète notices of Champollion.
On the sarcophagus of Seti I. the beginniug of the text is
found on the outside at the foot of the chest; the 2nd and
3rd divisions follow to the right; the 4th is at the headand
on a part of the left side, at which the 5th joins the lst.
1. Lettres, new édition, p. 202-203.
2. Cf. Egyptian Muséum, Paris.
64 THE BOOK OF HADES
The (ith and the 7th divisions, of which only fragments re-
main, occupy the two exterior sides of the lid; the 6th at
the right, the 7th at the let't side of the head. In the inte-
rior and adjoining the head, at the left side the 8th and
9th divisions; thelOth commences at the foot; and the llth,
which extends to the right, finishes at the head, where is
the 12th. There the great composition stops. Other texts,
qow incomplète, covered the interior part of the lid; thèse
generally belong to the Book of the Dead. Finally, the
bottom of the ehest, which is intact, shows the goddess Nu
surrounded with prayers and chapters from the Book of the
Dead. The gênerai sensé of the great composition (the
scènes of which hâve no other relation than to présent the
variants of a saine idea) is that the sun and thegods, or the
soûls w ho accompany him, arc swallowed up by theearth'
in the West, and that they arise at the East. The earth is
dëscribed in certain passages as a twoheaded bull', or a
two-headed serpent'; and sometimes the Egyptians, to
symbolize the résurrection, represented coming forth from
the serpent the heads which lie had swallowed', and intro-
duced his face ' to the sun to appoint the dawn. The noc-
turna! sun wasa soûl' and had consequently the head of a
maie sheep; the earth, being more material, after the final
scène formed the bodyofOsiris who surrounded Hades. The
earth had been created by the sun or Ra, seeing that the
legend of the two-headed bull said, that the god rested in
that which lie had created7. Il; niusl be remarked on the
subject of the création, thaï this act is represented in seve-
1. PI. IV. I. 11». 18; PI. III. C, 27.
2. PI. II; III. C.
::. IM. XII. ri. TheBooh of the Lovoer Hémisphère, 8th hour.
1. PI. XII. A. -i Champollion, Notices, t. II. p. 770-775.
.".. PI. XI. I'..
6. IM. III, C, 26-27.
7. PI. III. (J. 28; n. pi, W E, II.
THE BOOK OF HADES 65
rai places as an émanation : tlius the gods go out from Ra1
or from his eye2 ; the Egyptians are the tears of the eye of
Horusa and the eatable plants come from the divine mouth4.
This pantheistic doctrine existed to the XVIIIth dynasty;
indeed the composition, which contains it, is found in the
tomb of Amenophis III. and of Ta-user-t; and M. Naville
has shown that it is also the foundation of the Litany of
the Sun', with which the royal tombs begin. The Egyp-
tian theology allowed, besicles the responsibility of man, the
immortality of the soûl ; and the subterranean world, on the
sarcophagus of Seti I., is, therefore, represented in a moral,
as well as a physical point of view. The underworld was
the place of the chastisement of Apap, the symbol of evil,
and the dwelling of the good as well as of the wicked,
which were there judged to be recompensed by Ra or pu-
nished by Tu m and bv Horus.
EXTERIOR OF THE COFFIN
Horizontal Inscription
This inscription runs in a single Une along the five first
plates of the Booli of Hades; it is divided into two halves :
the first (pi. II. -V.) cornes from the door of Akebi to the
commencement of the first scène; the second (pi. VIII. -V.)
adjoins the first in going from the head, to the place where
the fold of the door of T'etbi begins.
1. PI. IV, F, G.
2. PI. IV, III, E.
3. PI. VII, VI, D.
4. PL XIII, C.
5. See Records of the Past[, V1 Séries], vol. VI.
BlBL. KGYPT., T. XXXIV. 5
66 THE BOOK OF HADES
Plate 2
u A. Words of Mesta : I am Mesta, I am thy son,
Osiris, king, Lord of the Two Lands, Ramenma, veracious,
son of Ra, Seti-Mkrknptah, veracious, I come, behold me
to protect thee. I make to prosper thy dwelling, firmly,
firmly, according to the order of Ptah, according to the
order of Ra himself. Words of Anubis, who is with the
coffin : I am Anubis who is with the coffin. It is said :
'■ Descend m y mother Isis " »
Plate 3
« 5, on me, the Osiris, king, Ramenma, veracious,
(dcliver the son of Ra, Seti-Merenptah), veracious, from
liim who arts against me. Words of Tuaumatef : I am
Ti AiMATEF, I am thy son, Horus, I love thee, I come to
défend Osiris from him who causes his evil, and I place
him iimler thy feet for ever, Osiris, king, Lord of the Two
Lands, Ramenma,
Plate 4
Son of Ra. of his loins who loves him, Lord of Diadems,
Seti-Merenptah, veracious. close to the great god. Ile
says : Let the sun live, death to the tortoise ! Let thein turn
themselves in the tomb the ûesh winch Kebsenuf keeps8,
the < >smis, king, Ramenma, veracious. Let the Sun
live, death to the tortoise! Let him be safe lie \\ ho is in the
tomb, the tomb of the son of Ra, Seti-Merenptah.
Words of Nu the great
Plate 5
and of Seb : Osiris, king, Lord of Two Lands, Ramenma,
1 . Thèse références are to the plates in Bonomi'sbook, and the letters
A. 1',. c. to the three horizontal sections into which each plate of text
i- divided, according i" il- position on the sarcophagus.
2. Lacunae.
3. Cf. ]-l. XVII, 35
THE BOOK OF HADES 67
veridical, who loves me, I give thee purity on earth, and
power in heaven.
)) I give thee thy head for ever. »
Plate 8
« Words of Nu who is on the dwelling of the bark Hen-
nu : This my son the Osiris, king, Ramenma, veridical, his
father Shu loves him, and his mother Nu loves him, the
Osmis son of Ra, Seti-Merenptah. Words of Hapi :
I am Hapi, I corne, (behold me) to protect thee, I bring
thee thy head ' »
Plate 7
« ' thy head, Osiris, king, Ramenma, veridical, son
of Ra who art Seti-Merenptah, veridical. Words of
Anubis who inhabits the Divine chapel : I am Anubis who
inhabits the Divinechapel, Osiris, king, Lordof TwoLands,
Ramenma, veracious, son of Ra, from his womb, Lord of
Diadems, Seti-Merenptah. The great ones circulate
behind (thee) and thèse members of thee are no more en-
feebled, Osiris, king, Ramenma,
Plate 6
ever veracious. Words of Kebsenuf : I am thy son, I corne,
behold me to protect thee, I join together thy bones for
thee, I revive thy members for thee, I bring thee thy heart,
I put it into its place witliin thee, I make thy house to
prosper, behind thee who lives for ever. It issaid : Let the
Sun live, death to the tortoise ! Let the bones of the Osiris,
king, Ramenma,
Plate 5
veracious, of the son of Ra, Seti-Merenptah, veracious,
move, and let those move who are in their funereal founda-
tions. Pure is the body which is in the earth, let be pure
1. Laeunse.
68 THE BOOK OF HADES
the bones of the Osihis, king, who is Ramenma, veracious
as Ra. »
THE BOOK OF HADES
First Division. — Plates 5 and 4
Pi et ares
E. 12 g ocl s qf the Earth marching towards a mountaiu
representecl turned upside down.
F. Two persons, turned upside down, kneeling before the
head of a jacal on a stick which is the hieroglyphic of the
word neck ; they cast down the hands, that is, striking the
Earth. Underneath is the boat of the solar disk, enclosing
a scarabaeus : the disk is itself surrounded by an urseus
with long folds, who bites lier tail. Hu is at the prow and
Hak at the poop.
G. A head of a ram on a high stick surrounded by two
persons kneeling, who cast down the hands, that is, again
striking the Earth.
II. 12 gods qf the Earth qf the Amenti marching
towardsa mountaiu. Tins second mountaiu formswith the
rirsl a sorl of gorge, défile, towards which the divine boal
passes. Tins is the entrance of lladcs.
Legends
« E. Those who are boni of 1\a, of lus substance, and
whicb proceed l'rom bis cye. He places l'or them a hidden
dwelling, the Earth, which sacrifices mon and gods, ail
the quadrupeds, and ail the reptiles created by tins great
god. The god prescribes the things when he rises in the
Earth which he has created.
u F. Ra says to the Earth: Lel the Earth be bright,
shine on whal has swallowed me, the murderer of man, w ho
THE BOOK OF HADES 69
has been filled by the massacre of thc gods. Breath to you,
who arc in thc light, and dwellings for you. My beueiits
are for you. I bave commanded that they should massacre,
and they hâve massacred ail bcings. I haye liiddcn you for
those who are in the world' : let those who aie in the
Earth replace (my) crown ! The god says : Let tins neck
put forth the words of the great god who distinguishes his
members. Come to us, thon from whom we go forth.
Praise to him who is in his disk, the great god of numerous
forms! Their food is (made) of bread, and their beverage
(of the liquor t'eser).
» G'\ By (the organ) which sends forth the words of the
great god who distinguishes his members, Ra said to the
god : Let those who are in the Earth place my crown. I
hâve hidden you for those who are in the world. I hâve
commanded that they should massacre, and they hâve mas-
sacred the beings. My benefits are for you who are in the
light. To you be a dwelling!
» The gods who are in the Earth say to Ra : Oh ! thou who
hast hidden us, come to us, Ra, thou from whom we pro-
ceed ! Praise to him who is in his disk, the great god of
numerous forms ! Their food is (made) of bread, their bever-
age of the liquor t'eser, their refreshment is of water. It
is made oft'ering to the Earth to give food to those who are
in it, to every one of those who are in it.
» H. The hidden dwelling and those who bave massa-
cred men and gods, ail the quadrupeds and ail the reptiles
created by this great god. The god prescribes to them the
things when he rises in the Earth, which lie has created,
to the West which lie lias made. »
1. The world of the living. On the contrary, the earth, or « Set » is
in the vvhole of this passage synonymous to the tomb, and Hades.
2. This text is the saine as that which is registered F, but incomplète
and disordered.
<() THE BOOK OF HADES
Second Division. — Tablets 4 and 3
Door
One half of the door is open (on the side of the first di-
vision). On tins half is a long serpent, Saat-Set, or the
Guardian of the Earth, surrounded by tins legend' :
« He who is upon this door opens to Ra. Sau says to Saa-
Set : open 1 1 1 y door to Ra, throw aside the leaf of the door
for Khuti. The secret dwelling is in darkness, in order
that the transformation of this god may take place. The
door is closed after the entrance of this god, and the dwell-
ers of the Earth cry Qut when they hear the door shut. »
Scènes
B. Twelve personages called the blessed worshippers
qf Ra; and twehve more, the righteous who arc in Hades.
C. Ra's bark, with Sau, the god of the intellect, at the
prow, and in the stern Haï, an, who personifies the magie
power of speech. Ra, represented with ;i ram's head, is in
a chape! enveloped in the coils of the serpenl Mehen; an-
other serpent rears itself upright beforehim; four infernal
ones are towing the bark, towards which advance seven
gods, Enpemah, Nenha} Ba*, Horus, Ua-ab, Num, and
Se t'eti ï then six personages, the gods a-/u> arc ai the en-
trance; behind them cornes a godearrying a stick.
1). Tnin leaning upon ;i stick, and four men reversed,
the dead; then twenty others walking with their hands
tied behind them, the criminals in Ra's great hall (the
world), those a- ha hâve insulted Ra on the earth, those
1 Cf. Champollion, Notices, vol. I. p. 7"i<i; vol. II, p. 191.
:.'. Cf. Champollion, Notices, vol. I, |>. 434; and Denkmâler, III.
pi. 282.
THE BOOK OF HADES 71
who hâve cursed t/tat which is in the Egg, those who hâve
frustrated justice, those who hâve uttered blasphemies
against KhutV.
Legends 2
« B. Thèse arc they who worshipped Ra on the earth,
who fascinated Apap, who ofïered their oblations and pre-
sented incense to their gods, for them, after their oblations.
They are mastcrs of their refreshments, they take their
méats, they seize their ofïerings in the porch of him, whose
being is mysterious'. Their méats are near this porch,
and their ofïerings near him who is within. Ra says to
them : Your ofïerings are yours, take your refreshment,
your soûls shall not be massacred, your méats shall not
putrify, faithful ones, who hâve destroyed ' Apap for me.
» Thèse are they who spoke the truth on earth, and did not
rise to (prohibited) adorations". They pray in this porch,
live on justice, and bathe in their basin. I\.\ says to them :
Justice is for you, live on your food ! Ye are the righteous.
They are the masters of thèse their own basins, the water
in which is on fi re against ail crime and iniquity.
» The gods say to Ra : Stability, Ra, to thy1' disk ! Pos-
session of the naos to him who is contained therein, under
the guard of the serpent7 ! May the tires of Khuti, which
are in the porches of the retreat, increase8 ! They hâve
received food as having taken their place in their cavern.
» C. The great god travels by the road of Hades. The
1. Cf. Herodotus, IV, 184, and Diodoras, III, 8.
2. Champollion, Notices, vol. I, p. 433-435, 17(3, 792-796, 804.
3. Osiris.
4. Rera, a niistake for ter.
5. Viz. : « hérésies ».
6. Lit. : (( bis ».
7. Mehen.
8. Cf. for this worcl, Chabas, Voyaqe d'un Égyptien, p. 93; it is
read ua by M. Brugsch, Zeitschrift, 1872, p. 10.
72 THE BOOK OF HADES
god is drawn by thc infernal gods to make the divisions
which take place in thc earth, to arrange the things that
happen there, to examine the words in the Amenti, toe.xalt
the great over the little amongst the gods who are in Hades,
to put the elect in their places, and the dead' in their
dwellings, and to destroy the bodies of the impious by sup-
pression of blood. Ra says : Oh ! allow that I may replace
the crown, that I may be master of the naos, which is in
the earth, that Sau and Hakau may join me for acting ac-
cording to your interests, and making their forms and yours
exist. For you Isis :l lias calmed m y * breath, and ofïerings
re there. I ' do not shut to you, and the dead do not enter
after you. Your own particular office, gods". The gods
say to Ra : Darkness envelops the road of Hades. Let
the closed doors open ! Let the earth open ! He is drawn
by the gods, he who lias created them.
» Their food is composedof présents, their clrink is made
of their refreshment; nourishment is given to them, be-
cause they are perfeet in Amenti.
» D. What Tuni does for Ra protecting the god, wor-
shipping his soûl, and injuring lus enemies : true is the
word of my father \l\ against you, true is my word against
you, I ara a son begotten of liis father, I ara a father be-
gotten of bis son. You are bound, you are tied by strong
cords. I bave ordained your détention. You will not free
your anus again. Powerfu] is Ra against you, his soûl is
fortified againsl you. My father prevails against you, liis
soûl is invoked against you, your misdeeds are for you,
1. Thc condemoed.
2. Klien (?).
:'.. Se, ;i sbortened form oJ the Dame oi Isis; cf. the naine of Osirls,
VIII, C, 10 ; cf. p. 80 du présent volume].
1. Lit. : " his ».
."). Lit. ■ « lie
<i. The sentence ia qoI Qnished,
THE BOOK OF HADES 73
your purposes are against you, your outrages are uponyou,
your curses are judged against you before Ra. Your con-
tempt for justice is upon you, the wickedness of your bla-
spliemies is upon you. Bad for you is the judgment of my
father. You are those who hâve done evil, who hâve com-
mitted crimes in the great hall (of Ra) : your bodies are
destinée! to punishment and your soûls to annihilation.
You will not see Ra any more in his forms as lie passes into
the retreat. 0 Ra ! praise be to Ra ! Thy enemies are in
the place of destruction. »
Third Division. — Tablets 3 and 2
Door
« The god arrives at this porch and enters this porch :
the gods who are there magnify this great god. »
Ail the porches or cloors are made on the same plan, and
ail contain a passage, horizontal above, that afterwards
descends vertically, each side having a row of the objects
named Khahcr-u, or « ornaments », which often surmounts
the doors. At the two angles of the place where the pas-
sage eiirves, rise two ursei turned towards the exit : they
émit balls of lire, which form a single united track extending
from one urseus to the other, and surrounding the exterior
of the passage, which does not descend like the other to the
bottom of the picture. It is said of each unens, itsjiame is
for Ra. At both entrance and exit, with his face towards
the place where the bark passes, stands a personage enve-
loped, whose elbows project, and of whom it is said : he
opens kis amis for Ra.
ITere the porch is called Sapt-uaua-u, meaning « enve-
loped in fiâmes»; the guardian of the upper part, or the
entrance, is Am-ua-u, and of the lower or exit Sekhbesne-
/'unen. Behind the interior side of the passage nine mum-
74 THE BOOK OF HADES
mies are leaning against the wall, one above the other, the
second Ennemi ; opposite them is written :
« May the porch open for Khuti, may the door be thrown
back for the inhabitant of heaven ! Corne! May he who
travels in the Amenti arise ! »
Door of the serpent AkebV : the serpent is turned towards
the preceding division, and the leaf of the door is open
towards the division next following :
« He who is on this door opens to Ra. Sau says to
Akebi : Open thy door to Ra, throw aside the leaf of thy door
for Khuti. He shall illuminate the darkness of the night
and he shall introduce the light into the hidden dwelling.
The door is closed after the entrance of this god, and they
who are in their porch cry oui when they hear the door
shut. »
Scènes -
13. Twelwe mummies standing upright, each in a chape]
with open doors, the holy gods who are in Hades; above
stretches a long serpent. A basin from which lises the
busl of twelve personages in sheaths, the gods who are in
the basin ol' liée ; before each of them an enormous car of
corn.
C. The bark of Ra .drawn by the four infernal ones to-
wards a kind of long, straight beam, with a bull's head at
either end. This object, called his bark, is borne upon the
shoulders of eighl mummies standing upright, thebearers;
upon the beam seven mummies aie seated, the gods who
are within, and a I >i 1 1 1 is near each bull's head. The cord
of the solar bark is attached to each of thèse heads, and
i- further held back by the four infernal ones, marching
towards four opposite personages, whose elbows protrude
under the garments in which thej are enveloped.
1. <"f. Cham pollion, Notices, vol. I, p. 798.
;'. ( I. Cbampollion, Notices, vol, I. p. 138; vol. II. p. 192,
THE BOOK OF HADES 75
D. Tum leaning upon a stick opposite to the serpent
Apap, togetlier with nine personages called the divine chiefs
who repuise Apap. Tum in the same position, opposite
nine gods with sceptres, the masters of things.
Legends'
« B. Those who are in their chapels, the divine members
whose chapels the serpent guards. Ra says to them : Open-
ing to your chapels ! My rays shall come in your dark-
ness, you whom I found mourning, with your chapels closed
upon you ! Breath is given to your nostrils : I decree your
favours for you. They say to Ra : 0 Ra ! Come according
to our wish. The great god, lie does not perish who is in
his présence or his train, and the great salute him. Ra re-
joices in getting back to the earth; the great god rises into
the retreat. Their food is (composed) of bread, their drink
of liquor lever, their refreshment is water. The flame
which is there is given to them that they may live. The
leaf of their door shuts upon them when the god rises.
They cry out when they hear their door close upon them.
» This is the basin which is in Hades. It is laden with
thèse gods who are covered, and whose heads are bare. The
basin is l'ull of vegetables. The water of this basin is on
lire. The birds il y away w lien they see its water and when
they smell the water it einits. Ra says to them : Coneern-
ing you, gods who aie amongst the vegetables of your
basin, is that your heads sliould be uncovered, that mystery
should be to your members and breath tu your nostrils.
Your own particular food is (composed) of vegetables :
there are méats for you froni your basin, and its water is
for you, without its lire being against you, or its flame being
against your bodies. They say to R\ : Come to us thon
who traversest2 the earth in thy bark.
1. Cf. Champollion, Notices, vol. I, p. 796;
2. Lit. : a he who traverses ».
76 THE BOOK OF HADES
0 C. Tin- great god is drawn by the infernal gods ; this
great god reaches the terrestrial bark, the beat of the gods.
Ra says to them : O gods who bear the terrestrial bark,
who carry the boat of Hades, uprightness to your forms,
light to your bark. Holy is lie who is in it, the terrestrial
bark. I trample1 down the boat of Iïades which bears mv
forms : I rise into the retreat to arrange the things which
take place there. Nexerbesta' says : Honour to the soûl
which was swallowed by the double bull ! The god rest
in what lie as created. The god says to Ra : Praise be to
Ra ! his soûl is provided for as well as the earth, the gods
of which bail Ra. who is resting. The boat of Hades re-
joices, this bark. They cry out when Ra rises above them.
Their ofïerings (are composed of) vegetables : their offer-
ings are given them because they obey the words again.
» The great god is drawn by the infernal ones of the bark.
The holy one who is in the earth speaks to the Uta-u3,
vvhose arms aie hidden : Your particular office, ("ta u of
the earth, is to roar in my father's dwelling1. Your heads
are to be uncovered, and your arms hidden. Breath to
your nostrils, overthrow to your coffins ! Be masters of
your food, and unité yourselves to what 1 hâve created.
Their food is (composed) of bread, (hoir drink is of liquor
t'eser, their refreshment is water. Food is given to them
because of the light which onvelops them in Iïades .
» D. Donc by Tum for Ra, which protects thegod, and
throws the criminal : Fall! never rise again! lie fascinat-
ed ! Thon shall uever be found again. Sure is the word
1. Hem; cl. Chabas, Voyage 'l'ait Égyptien, p. 262.
2. The person who is al the entrance of the nexl porch.
:'.. The terrestrial ones (?).
1 Men
5. Thej are clothed in white in the tomb ol Rameses I.
6. Tum onlj acts by raeans "I bis word, but bis word N intallible;
ii ii.i l :i sorl "i magical povs fi-.
THE BOOK OF HADES 77
of m y fat lier against thee, and sure my word against thee,
destroyed by Ra, punished by Khuti ! They say, the gods
of Ra's cycle who repuise Apap from Ra : May thy head
be eut, Apap! thy coils be eut! Thou shalt approach1
Ra's bark no more, never again shalt thou descend towards
the divine boat. Fire issues from the retreat against thee.
Wehavejudged thee : Perish ! They live on Ra's food
and on the méats belonging to the inhabitant of the
Amenti. Offerings are made to them upon the earth,
and libations are poured out to them as Lords of the road
near Ra.
» Tum says to thèse gods : As you are the gods who bear
life and sceptre, and who lean upon your sceptres, repuise
Apap from Khuti. direct blows at the serpent, the male-
factor. They say, the gods who fascinate Apap : The earth
is open to Ra, the earth is closed to Apap ! The infernal
ones, the inhabitant of the Amenti, and those who are in
the retreat worship Ra, destroy his enemies and défend the
great one against the noxious serpent. Ho ! conquered by
Ra, enemy of Ra ! They live on Ra's food and the méats
belonging to the inhabitant of the Amenti. Offerings are
made to them on earth, and libations are poured out to
them as being veridical in the Amenti. Holy is that which
they carry into the dwelling, where they are hidden. They
cry to Ra, they lament to the great god when he rises
above them and passes. A shadow envelops them, and
their cavern is shut upon them. »
Fourth Division. — Tablets 2, 8 and 7
Door
« The god reaches this porch and enters this porch. The
gods who are there magnify this great god. »
1. Tekennu (?).
78 THE BOOK OF HADES
The porch or Door, Neb-t-s-t'efa-u, or the mistress of
copiousness. The person placée! at the entrance of the pas-
sage is Nenerbesta; lie bears the ureeus on his forehead.
The person placed at the exit is Sta-ta. Inside, nine mum-
mies as in the preceding porch, the third Enncad of the
terrestriaV great (jod. Opposite them :
« Open the earth ! Traverse Hades and sky ! Dissipate
our darkness ! 0 Ra, corne to us ! »
Door of the serpent T'etbi :
« He who is upon this door opens to Ra. Sau says to
T'etbi : Open the door to Ra, throw aside the leaf of thy
door for Khuti. Ile shall illuminate the darkness of the
nigiit, and he shall place lightin the hiddendwelling. The
door closes after the entrance of tins great god, and those
who are in this porch cry ont vvhen they hear this door
shut. »
Scènes s
B. Twelwe persons, called the conductors of their es-
sences. Twelwe ligures vvith jackal's heads walking over
the basin oj life, called the jackals which are in the basin
qflife. Ten ursei upright in thebasin of the urœi.
C. The bark of Ra, drawn by the four infernal ones
towards a long low chapel, in which rest, each in his ow.n
compartment, nine mummies, the good followers oj Osiris,
who arc in their tombs. Twelwe wonien, the liours thaï
are in //m/es, divided into two groups of six, between
which a serpent with long coils, Herer-t, of whom it is
said : the serpent begets twelwe Utile ones to eat by the
hours. Each group of hours advances towards the serpent,
walking over ;i mountain which ends in a basin under the
three hours nearest to i he reptile.
h. 1 [unis leaning upon a stick, and eleven gods walking
1. Uta (?).
2. Cf. Champollion, Notices, vol. I. p. 826.
THE BOOK OF HADES 79
towards Osiris, the inhabitant oj the Amenti, upright upon
a serpent, and slmt into a naos with a cover. In the naos
a mountain is pictured from which the god's head émerges.
Before Osiris, an urseus, thejïame, and beliind him twelwe
gods who are beliind the naos; four masters of their pits
(or snares dug in the earth), turning towards a god with a
sceptre, the master qfthe destruction.
Legends
« B. The conductors of their essences, who bathe in the
deliciousness of the blood ' of massacres with their dura-
tion* : they bring olïerings to their dwelling '. Ra says to
them : Your particular duties, gods, amongst your oft'er-
ings, are to bring your essences. Your ofïerings are
yours ; your enemies are destroyed, they no longer exist.
Your spirits are in their dwellings, and (your) soûls in the
place of passage'. They say to Ra : Glory to thee, Ra-
Khuti ! Glory to thee, soûl enveloped by the earth !
Glory to thee for ever, Lord of the years and of the eter-
nity, which never ends ' ! Their food is (made) of olïerings,
their drink is water. They cry out, when they hear their
doors shut upon them. Their food is given to them be-
cause they draw towards the porch Teser-t-ba-u.
» They are in the circuit of this basin, towards which the
soûls of the dead do not rise, on account of the holiness
which is in it. Ra says to them : Your particular duties,
1. Uter ; cf. Naville, Textes relatifs au mythe d'Horus, v, and
xvin, 2.
2. The « duration » was used to designate the « essence » or the
human « genius »; cf. Todtenbuch, ch. cvm. 1.
3. Lit. : « his dwelling ».
1. Cf. « the retreat of the passage », Todtenbuch, eh. cxxv-cxxvin,
and Maspero, Mémoire sur quelques papyrus du Louvre, p. 23; it is
one of the names used to desiguate Ilades.
5. Cf. Chabas, Réponse à la critique, p. 40.
80 THE BOOK OF HADES
gods, in this basin, are to keep your lives in your basin.
Your offerings are under (your) care, jackals who place
yourselves upon1 your basin. They say to Ra : Bathe, Ra,
in tliy sacred basin, where the Master of the gods bathes,
and towards which the soûls of the dead do not rise ; thou
hast ordained it thyself, Kiiuti. Their food is (eomposed)
of bread, their drink of liquor t'eser, their refreshment is
wine. They cry ont when they hear their doors shut upon
them. Their food is given to them as being masters of the
dwelling of the passage, to them, in the circuit of this
basin.
o They speak when Ra cornes towards them ; the soûls are
îvpulsed. the shades are destroyed on hearing the word of
the Ursei. Ra says to them : Your particular duties, Ursei,
in this basin, are to keep your fiâmes and your lires for
my' enemies, and your braziers for wicked mouths. Glory
be to you, ô Ursei ! They say to Ra : Corne to us ! Re-
join Tan en ' !
» C The great god is drawn by the infernal gods, lie
advances into the retreat and ad s according to the things
which are in it. Draw me, internai ones ! Look at me!
I hâve created you. Heaviness to your arms by means of
which you draw me! Retient' towards the eastern hea-
vens, towards the dwellings which support Sar5, that my-
sterious mountain, (where) that light spreads amongst the
gods who receive me, when I go l'orth l'rom amongst you
and from the retreat. Draw me, l aet according to your
things, in the porcli which hides the infernal ones.
o Ra says tothem : Lo, behold me, gods ! I strikethose
1. Ter, Literaly « by ». Cf. Chabas, Papyrus magique Harris,VHI, 13.
2. Lit. : « liis ».
3. The earth personified.
4. This word generall} bas the sensé of « causing to retreat ».
5. Osiris; cf. the name ol I-i-, Tablet I\'. c[; cf. p. 12 du présenl
\ olume].
THE BOOK OF HADES 81
who are in their tombs. Rise, gods ! I give you your
instructions : you who are in your tombs, guarcl the soûls,
live on their nlth, feed on their dirt1, rise before my disk,
comfort yourselves by my liglit ! Your particular office in
Hades is in accordance with what I ordained for you.
Their food is (composed) of flesh, their drink of liquor
t'eser, their refreshment is water. They cry ont, when
they hear their doors close upon them.
» They stand upon their basins to guide Ra with their
hands. Ra says to them : Listen, hours ! I call you, eat*
your repast, and take your places in your porches, your
laces in shadow, and your backs in the light. Rise ! The
gnake9 lives on what cornes forth from it. Your office in
Hades is to eat what the snake brings forth, and to destroy
what cornes forth from it. Lead me ! I hâve begotten
you, and I hâve done it in order tliat homage may be ren-
dered (to me). Rest, hours ! Their food is (composed) of
bread, their drink of liquor t'eser, their refreshment is
water. Their food is given to them (made) of what ap-
pears amongst the elect.
» D. What Honus does for his fathcr Osiris, protecting
him, and giving liim back the crown : My heart returns4
to thee, my father, (thee whom) I vindicate against those
who act in opposition to thee, and (who art) protected ;by
me) in thy things. Rule, Osiris ! Culminate, inhabitant
of the Amenti ! Thy particular office is to rule Hades, su-
blime form in the retreat. The elect dread thee, the dead
fear thee. I hâve replaced thy crown. I hâve examined
hère (thy) feebleness.
1. Aua-u ; cf. the verb aua meaning « to decay », Pierret, Études
ègyptologiques, t. II, p. 126.
2. Lit. : « make ».
3. Herer-t, this word, which is féminine, bas the gênerai sensé of
« reptile » ; cf. Planche V, E, and H. >
4. Lit. : « remounts » (the river in a bark).
BlBL. ÉQYPT., T. XXXIV. 6
82 THE BOOK OF HADES
)) The gods say to the inhabitant of the Amenti : Exal-
tation to the infernal one, acclamation to the inhabitant of
Amenti! Thy son Horus has replaced thy crown; he pro-
teets thee, lie massacres thy enemies, lie brings for thee the
joy in thy members, Osiris inhabitant of the Amenti.
» The inhabitant of the Amenti says : Corne to me, my son
Horus ! Défend me from those who act in opposition to
me : throw ' them to the Master of destruction who is the
guardian of the pits.
» Horus says to the gods who arc bchind the naos : Exa-
mine forme, gods, into what is behind the inhabitant of the
Amenti. Rise ! do not retreat ! Be strong ! Corne !
Feed2 on the bread of Hu and the drink of Ma. Live on
what my l'ather lives on. (Your) office in the retreat is for
you to be behind the naos, in accordancc with Ra's com-
inand. I call you, and beliold I act according to your
things. Their food is (composed) of bread, their drink of
liquor léser, their refreshment is water. Their food is
given to them as guardians of the things in the naos.
» Horus says to thèse gods : Strike the enemies of my
l'ather, chastise in your pits3 for the evil they hâve donc to
the greatone who lias been found (to be) my father. Your
particular duties in Hades are to keep the pits of lire, in
accordance with Ra's command, which J make known to
you, behold, acting according to your things.
» This god stands opposite to the pits. »
Fiftii Division. — Tablets 7. (i and 5
Door
« The great god reaches this porch, and enters this porch,
this great god is worshipped by the gods who are there. »
1. Ut (?).
2. Terp.
3. On this word, cf, Naville, La Litanie du Soleil, p. 78.
THE BOOK OF HADES. 83
The porch Arit. The guardians of the passage hâve
jackal's heads and are clothed in white : the one at the en-
trance is Aau\ and the one at the exit Tekemi. Inside
nine mummies, thefourth Ennead, and opposite tliem :
« Let our doors be thrown aside, let our porches open for
Ra-Har-Khuti. 0 Ra, corne to us. great god, mysterious
image" ! »
Door of the serpent Tek-her.
« He who is on this door opens to Ra. Sau says to Tek-
her : Open thy door to Ra, throw aside the leaf of thy door
for Khuti. He shall illuminate the darkness of the night,
and lie shall bring light into the hidden dwelling. The
door closes after the ëntrance of this great god, and those
who are in this porch cry ont, when they hear this door
shut. M
Scènes
B. Twelve menin an attitude of adoration, the worship-
pers who are in Hacles. Twelwe bearers qfcord in du'
infernal régions)3. Opposite, four gods with sceptres.
C. The bark and the infernal ones. Nine persons en-
veloped with protruding elbows, holding a long serpent,
the bearers qfNenut-i. Twelwe mon walking, the human
soûls which are in Hades. Opposite, a god with a sceptre,
he who is at Iiis angle.
D. Horuswith a hawk's head, leanibgupona long stick,
and sixteen men called the M en, the An mu, t/ie Nahesu,
the Tarnehu*. Twelwe personages carrying a long serpent,
above which and behind each of them except the last, is
1. Amu, after thetomb of Seti L, Champollion. Notices, vol. I, p. 770.
2. « Masterof mysteries » ; idem, ibid.
3. Cf. Champollion. Notices, vol. I, Tomb of Seti L. p. 772.
4. The Egyptians, the Asiatics, the Negroes, and the Libyans[; cf.
plus haut. p. 55 du présent volume, le mémoire intitulé Les quatre
races au jugement dernier].
84 THE BOOK OF HADES
the hieroglyph of the duration, the bearers ofthe duration
in the Amenti. Kiglit persons, the divine chiefs qfHades.
Legends 1
« B. They do homage to Ra in the Amenti, and exalt
Har-Khuti; they hâve known Ra on the earth, and hâve
made oblations to him ; their otïerings are in their place, and
their honours in the holy place of the Amenti. They say
to Ra : Corne Ra ! remount Hades ! Glory to thee ! Enter
amongst the holy things under the serpent Mehen ! Ra
says to them : Ofterings"2 for you, blessed ones ! I am sa-
tisfied with what you did for me, whether I was shining
in the Eastern heavens, or whether I was setting in the
sanctuary of my Eve. Their food is (composed) of Ra's
bread, their drink of his liquor t'eser; their refreshment is
water. Oiïering is made to them on earth, on account of
the homage (which they render) to Ra in the Amenti.
» The bearers of cord in the Amenti, those who prépare
the fields of the elect. Take the cord, draw, measure3 the
fields of the Mânes, who are elect in your dwellings, gods
in your résidences, deified elect in order to rejoin the coun-
try, proved elect, in order to be within (the boundary of
the cord; justification is for those who are (there), andthere
is no justification for those who are not there. Ra says to
them : Jt is justice, the cord in the Amenti. Ra is satis-
fied with the measurement. Your own possessions, gods.
and your own domains, elect, are y ours*. Ra créâtes your
fields and appoints you your food : eat.
1. In the Notices ol Champollionf, t. I], this division is l'ound entire-
ly. aller the tomb of Seti I. (p. 77"» to 772), which allowa some corree-
tioîia and additions to texl oi the sarcophaguâ ; cf. Dcnkrnàler, III, 136.
2. In Ra's discourse, the textplays apon the différent meanings ofthe
w ord hatap.
3. Sta.
4. Ci. Champollion, Notices, vol. I, p. 77^.
THE BOOK OF HADES 85
» Oh ! advance, Khuti ! thc gods are satisfied with their
possessions, the elect are satisfied with their dwellings.
Their food is from the country of Aalu and their nou-
rishment is (composed) of what it produces. Offerings
are made to them on earth, for the fields of the country of
Aalu.
» Ra says to them : Holiness to you, cultivators, who are
the Lords of the cord in the Amenti ! (Oh ! settle some
iields, and give to the gods and the elect, ail of them, what
lias been measured in the country of Aalu. They give field
and méat to the gods and to the soûls tliat are in Hades.
Their nourishment is from the country of Aalu, and their
food is (composed) of what it produces'.)
» C. The great god is clrawn by the infernal gods and
advances into the retreat. Draw for me, infernal ones !
Do me homage, you who are in the stars2, in order (to hâve)
strength in your cords with which you draw me, firmness
in your arms, swiftness in your legs, protection for your
soûls, praise for your hearts. Open the good way to the
caverns of mysterious things !
» Those who are in tins picture, bearers of tins serpent,
draw, and Ra3 reaches them to place himself in the porch
Neb-t-Hau*. The serpent goes towards it without passing
beyond. Ra says to them : Draw Nenut'i ! Do not leave
him any outlet that I may rise above you. Covering to
your arms, destruction to what you guard, you who guard
what my forms become, you who wrap up what my splen-
dours become ! Their food is to hear the word of tins god.
Offerings are made to them, because they hear the word of
Ra in Hades.
1. Cf. Châmpollion, Notices, vol. I, p. 772.
2. The astronomical ceilings of the royal tombs represent the divine
barkas drawn by stars personified in Hades.
3. Cf. Châmpollion, Notices, vol. I, p. 770.
4. The next porch. This naine means « the mistress of duration ».
86 THE BOOK OF HADES
» Those avIio hâve spoken thc trutli on oarth, and magni-
fiée! the forms of god. Ra says to them : Fraise be to your
soûls, breath to your nostrils, and vegetables for you from
yourcountry of Aalu ! You are from amongsttherighteous.
Your dwellings are for you, at the angle where those who
are with me examine words1 in it. Their food is (compo-
sée!) of bread, and their drink of liquor t'eser; their refresh-
ment is water. Ofîerings are made to them on earth as
blessed ones, according to what belongs to them. Ra says
to thisgod : Let the great one who is at bis angle call the
soûls of the righteous and put them in their dwellings, near
the angle of those who are with me myself.
» D. Horus says to Ra's flocks, which are in the Hades
of Egypt and the Désert : Protection for you, flocks of Ra,
born of the great one who is in the heavens, breath to your
nostrils, overthrow to your coffins ! You yourselves are
tears of my Eve, in your persons of superior Men*. You,
I hâve created you in your persons of Aamu3 : Sekhet lias
created them, and she défends ; their soûls. You. I hâve
shed abroad my seed for you, and 1 hâve comforted myself
with a multitude corne forth from me in your persons of
Xcgroes : IIorus lias created them, and ho défends their
soûls. (You), I hâve sought my Eye and 1 hâve created you
in your persons of Tahennu ' : Sekhet lias created them, and
she défends their soûls. Those who sottie the duration,
make the days of the s. mis who are in the Amenti dawn,
and appoinl for the place of destruction. Ra says to them :
Being the gods, inhabitants of i fades, who carry Meterui
1. Cf. Champollion, Notices, vol. I. p. 772.
2. Rut, Egj pi ians.
3. Asiatics.
I. M. Naville thinks thia word means here « to create » ; cf. La Li-
tanie du Soleil, |). 2'A.
."). Libyans.
6 Name of the Berpent thaï serves as a cord for thèse gods ; the naine
means « cquity ».
THE BOOK OF HADES 87
to measure the duration, draw Meterui, measure the du-
ration, by him, of the soûls that are in the Amenti appoin-
ted for the place of destruction, destroy the soûls of enemies,
appoint them for the place of destruction ! Let them not
see the mysterious retreat ! There are the divine magis-
trates who destroy the enemies. Their food is that of the
veridical ones. Offerings are made to them on earth, be-
cause the true word is in them. They order destruction
and its registering for the duration of the soûls in the
Amenti. Let your destructions be for the enemies, and
your registry for the place of destruction! I am corne,
(I), the great one, Horus, to examine m y body and to send
scourges upon my enemies. Their food is (composed) of
bread, their drink of liquor t'eser, their refreshment is wa-
ter. (Offerings are made to them on earth, (as being those
who) do not enter the place of destruction'). »
Sixth Division. — Plates 5, 18 and 19
Door
» The god arrives at tins pylon, and enters this pylon :
this great god is glorifiée! by those who are there. »
The pylon Neb-t-hau. At the entrance Ma-ab (the just
heart), and at the outside Sheta-ab (the mysterious heart) ;
in the interior, twelwe mummies, the gods and the god-
desses who are in this pylon. Opposite them :
» Come to us, thou who art on the horizon, great god,
who openest the retreat ! open the holy gâtes, draw back
the mysterious doors. »
Between this portion of the pylon and the door occurs a
scène which is accompanied by legends in secret writing.
\. Cf. Champollion, Notices, vol. I, p. 772.
88 THE BOOK OF HADES
Scène
Overhead appears the inscription : Ser her tuau set tenu,
(Osîris, master of Hades, Earth and Tanen). A sort of eeil-
ing is then placed over the scène : it bears in the npper
portion a row of ornaments like tliose of the alleys, and in
the lower part four heads upside down, which Champollion '
and Mr. Goodwin" hâve taken l'or heads of gazelles, and
which are named ha hi-u (perhaps oxen).
Osiris, or Ser, is seated on a throne at the top of a stair-
ease, the nine steps of which bear eacli a personage : the
nine persons compose the Enncod which accompanies Sev.
Before the god is a mummy supporting on its shoulder a
pair of scales, in one of the scales of which is the bird of
evil.
Behind the mummy a boat is moving away which con-
tains a monkey which is driving a pig, the devourer oj the
arm, symbol of Typhon, as author of the éclipses or of the
phases of the moon'. The sarcophagus of T'aho1 lias fur-
ther, on the same level as the boat, and behind the mummy,
a person raising a hatchet towards Osiris.
Jn the npper part, and tnrned towards Osiris, is Anubis,
who lias nourished his Jather (Osiris). Below, under the
throne, are the enemies of Ser.
Legends
Mr. Goodwin8 lias translated a portion of the legends
whidi accompany this scène, availing himself , with regard
1. Notices, I II. p. 1 '.'-.
2. Zcilschrift, 1873, p. 139.
:;. Cf. Todtenbuch, ch. 112; Plutarch, Ists and Osiris, 8, 18, \2, 55,
and Herodotus, II. 47, 48. (isii'is w;ts represented in nue of his eba-
racters as ;i lunar ^rod.
■4. Musciim ni t Ne Loin v<\
5. Zeitschriftj 1873, p. 138.
THE BOOK OF HADES 89
to the enemies of Osiris, of the sarcophagus of T'aho, on
which the same passage is written in ordinary hierogly-
phics. Mr. Le Page Renouf lias modifiée! the interpréta-
tions of Mr. Goodwin in some points, from the tomb of
Rameses VI.2, which furnishes some usefiri variants.
The two scholars could not understand the portion of
the inscription which proceeds from Osiris to Anubis, be-
cause they hâve not remarked that it is divided into two
parts, one of which refers to Osiris, and the other to the
animais. The first appears to be blended with the second,
which is placed over it without any separating space, on
the sarcophagus of Seti I., although their columns do not
correspond the one with the other; but the distinction of
the two texts appears on the tomb of Rameses VI., in their
gênerai order, as well as in their interior arrangement. It
would be easy to divide them on the version of the sarco-
phagus by drawing a horizontal line from the feet of
Anubis.
The first text is written in the usual order, and the se-
cond in a rétrograde order3. The texts of the tomb and of
the sarcophagus are very incorrect hère, but on comparing
them their faults appear. Thus, the first two columns of
the legend of animais ought to be read, according to the'
tomb, au ntesen sheta nti-u Kliu-u, while on the sarcopha-
gus the word Khu-u terminâtes the first line instead of ter-
minating the second, and the sh of sheta has been carried
back to the beginning of the third line where it is wrongly
followed by the marks of the plural. In the legend of Osi-
ris, the order of the first two lines is inverted on the sarco-
phagus, and the final groups of the two versions, which
follow the words neter kha-f repeatecl in a confused man-
1. Zeîtschrift, 1874, p. 101-105.
2. Champollion, Notices, t. II, p. 495-496.
3. The same order occurs in the two legends which are under the
throne of Oairis.
90 THE BOOK OF HADES
ner. appear as if they ought to be read : ar-f tua-u-f
tennu.
Now, the following is an interprétation of ail the legends,
an interprétation supported by several remarks made by
Mr. Goodwin and Mr. Le Page Renouf, but necessarily
remaining conjectural in certain parts.
Legend of the enemies :
« His enemies (are) beneath liis feet ; the gods and the eleet
(are) bel'orc him ; enemy of the infernal dead, lie keeps
back the enemies, he destroys them, he accomplishes their
massacre. »
Legend of the bearers of the hatchet and of the scales :
« The bearers of the hatchet and the bearer of the scales
protect the inhabitant of the Amcnti, (who) takes his re-
pose in Hades, and traverses the darknessand the shadows.
Happiness (is) above, and justice below. The god reposes,
and sheds light produced by truth which he has pro-
duce cl. »
Legend of the monkey :
a The diver, (when) this god rises, lie gives up (the pig)
to the plagues. »
Legend of Anubis :
« ( ) ye who bring the word just or false to me, he, Thoth,
examines (lie words. »
Legend of the animais :
« They, they hidethose which are in thestate of the elect.
They, the country (belonging) to them, is Ameh in the
land. Behold, thèse are they whose heads issue. What
a mystery is their appearance, (the appearance) of your
images ! »
I ,egend of < >siris :
a The examination of the words takes place, and hestrikes
down wickedness, he who has a just heart, be who bears
the words in the scales, in the divine place of the exami-
oation of the mystery of mysteries of the spirits. The
THE BOOK OF HADES 91
god who rises lias made his infernal (companions) ail1. »
Door of the serpent Set-m-ar-f (lie who has lire in
his eye) :
« He who is on tins door opens to Ra. Sau says to Set-
m-ar-f : Open thy gâte to Ha, put back thy door for Khuti.
He will illuminate the darkness and the shades, and place
light in the hidden abode. The door is closed after the en-
trance of this great god, and those who are in this pylon cry
out, when they hear tins door closing. »
EXTERIOR SIDES OF THE LID
Scènes
There remains only one fragment of the scènes and of the
legends of this division, but Champollion has given an ana-
lysis of it after the tomb of Rameses VI.2 and his ATotices
will fill up some gaps hère.
A. Five persons bearing on their head a loaf , or a bread-
basket according to Champollion. Six other persons bear-
ing on their heads an ostrich feather. The first, (the happy
ones, bearers) of food, ought to be twelve in number as
well as the second, the just ones (bearers qf the emblem of
justice*).
B. Two of the four infernal ones. Tum and a séries of
six posts with the head of a jackal, to each of which are
attached two prisoners, called, with the exception of the
second and sixth posts, the enemies. By the side of the
first post, the post qf Ra, are two sacred eyes, called hère
neter, after what is in the tomb of Rameses III., quoted by
Champollion; by the side of the second post, Tum, a person
in a mummy shape and with prominent elbows, A fat; by
1. Oneof the infernal abodes.
2. Notices, t. II, p. 501-504.
3. Idem, t. I, p. 415, tomb of Rameses II J.
92 THE BOOK OF HADES
the side of the tliird. which ought to be Kheper, according
to the tomb of Rameses III., tlie person in a mummy shape
isnot Ankh, as in this tomb, but its namc begiris witha t
and ends with an a ; by the side of the fourth post, or Shu,
a person in a mummy shape, Sent-u; by the side of the
fifth, or Seb, a person in a mummy shape, Aka-se; from the
tombs of Rameses III. and of Rameses VI., the sixth post
ought to be Ser, vvho had as an attendant Aaker; a se-
venth post, which is wanting hère, is Shaf-her (tomb of
Rameses VI.) or Her-shqf-her^ (tomb of Rameses III.). A
gocl with a sceptre stood before this scène (tomb of Ra-
meses VI.).
C. Five persons who bend towards an enormous ear of
corn \ those who labourai theharvest in the infernal plains).
A bearer of a sickle with this inscription : thèse {are the
reapers); On the tomb of Rameses VI., the fïrst persons
arc preceded by a god leaning on a staff, the masterofjoy ;
they arc twelwe in number, and there are seven reapers.
Legends
« A. (Those who hâve olïercd incensc to their gods, the
purifiers of their persons !)
» The jusl ones, their justice is verified, for them, in pré-
sence of the great god destroyer of wickedness. Osihis
says to them : You arc jiist, truly. Be happy, thanks* to
whal \ -ou hâve donc, in the (saine) state as those who follow
me, and vvho dwelî in the abode of him whose spirits are
lioly. Live on your food and on t hoirs ! be masters of
i he waters of your lake 2
i) IS. The great god is pulled along by the infernal gods,
and those who pull Ra along, say : Lel the disk arise!) '
(The greal god arrives al the posts of Seb, by which the
1. Surname oi Horus, assimilated in K lions. Ci. Denkniâler, III, 274,
2. Lacunae.
THE BOOK OF HADES 93
enemies are counted after the examination of the words in
the Amenti. Sau says to this god arriving at the posts of
Seb, place of reckoning1 : Ra, fchou arrivest at the post of
Seb. Tum says to the posts : Guard the enemies, punisli
the wicked ! Gods who are behind the posts and who are
behind Seb, Igrant you permission to strike the prisoners,
and to guard the wicked. Let them not escape from your
hands, let them not fly from your fîngers, being enemies.
Watch over the massacre, according to the orders you hâve
received from the Founder ~ of his body who created
Hades, by his limbs1. He lias marked you ont to strike,
he examines you with regard to what you do -
» C. (They labour at the harvest, they collect the Corn '
and the nutritious grain. Their seeds are favoured in the
land by the light of Ra, when he appears, warms (them)
again, and rises abovethem. The lord of joy says to them :
May your seeds be favoured, that your shoots may grow
green, that your offerings may be for Ra) -, that the
Corn may grow, that Ser may become the nourisher of
the infernal ones, at the sight of * It is lie who is in
the fields of Hades. They collect their harvest, and they
say to Ra : May prosperity be in the infernal fields! That
Ra may shine on the limbs of Sefi ! When thon shinest
forth, végétation springs up, great god, creator of the
grain! Their food is (made of grain, their drink of the
liquor t'eser, their refreshment is of water. Oblations are
madeto them for the harvests of the infernal fields.
» Thebearersof sickles reap the grain in their fields. Ra
1. Heseb, according to the totnb of Rameses VI.
2. Laeunse.
3. Sent-u. Cf. on this word, Naville, La Litanie du Soleil, p. 34, 44
55.
4. This word has the divine determinative. The Corn-god is named
in t he « Instructions of Amenemha I. », Heeords of the Past [, 1" Sé-
ries], vol. II, p. 9, second édition.
94 THE BOOK OF HADES
says to them : Take your sickles! (Reap your grain. It
is granted you ' your abodes that you mav unité your-
selves to me in the cavern of the most mysterious of forms.
Honour to you, reapers ! Their food is (made) of bread,
their drink of the liquor t'eser, their refreshment is of wa-
ter. Ofîerings are made to them, on earth, as bearers of
sickles in the fields) of Hades. »
Seventh Division. — Plate lJi
What remains of tins division includes five fragments,
the second of which wrongly occupies the third place on
Plate 19*. Champollion lias given an «iccount of the scènes
and legends from the tomb of Rameses VI.3
Door
« ' this god (is glorified) by the gods that are there. »
The guardian of the egrcss is Shepi; inside nine nuini-
mies, and opposite them :
a 1 god vvho openest theretreat, open the holy pylons,
put back the mysterious door. »
Door of the serpent A khen-ar-ti (closed eyes).
« Ile who is on this door opens to Ra; Sau says : 1
Ile will drive away the darkness and the shades, and place
light in the concealed abode. The door closes 1 The
soûls who are in this pylon cry out w lien they hear the
door closing. »
Scènes
A. Three complète bcarers of rope4, and seven others,
1. Lacunse.
2. Cf. pi. I.
.'.. Notices, t. II, p. 504,505.
4. Thèse figures are entire, those on the other fragment are portions
only.
THE BOOK OF HADES 95
the lower part of the body of which alone remains, the
bearers of the rope (who bring fort h the mysteries, the
bearers of the decourer, who bring forth the infernal
ones). On the tomb of Rameses VI., the rope lias the head
of a serpent.
B. The solar bark. Seven gods carrying a sceptre in
their hand, the masters of the (things in the Amenti).
Two mummies, the maie gods. On the tomb ol Rameses VI,
there are twelwe of the former and four of the latter.
C. A god leaningon a staff, he who conceals the myste-
ries. Six mummies stretched ont flat, and their arms
pushed forward on infernal couches, the elect ' benefi-
cent. According to Cliampollion, they would hâve been
named the divine chiefs on the tomb of Rameses XI.
Le g ends
a A. Those who hold the rope and earry it. Ra rises,
and the heads issue which are in the rope. They pull along
Ra towards their pylon, while they pull back towardsthe
gâte of Nun. They examine '
» B. This great godis pulled along by the infernal gods.
They say, those who pull along Ra : Let those who are in
Hades shout aloud to Ra who is in the mysteries ! Let
him examine your words, and destroy the enemy for
you ' Mystery to your forms, stability to your forms.
Pay homage to him in your transformations ' (masters)
of the things in Amenti. Examine me in your examina-
tions, order punishment for my enemies, as I hâve granted
it to you (in) my justice, order ' to défend his son.
What belongs to thee in Tanen, is that thy sacred* body
ma y hâve peace in Amenti : what belongs to thee in Nu, it is
1. Lacune.
2. Ter-t instead of Tesw-t. Cf., pi. VIII, A, and pi. IX.
96 THE BOOK OF HADES
that thy soûl should govern heaven. Their food is (made)
of bread, and their drink of the li(|uor t'eser '
» C. lie who conceals the mysteries says to them : Oh,
elect ! Oh, infernal ones ! unveiling of your faces ! Disap-
pearance of your darkness ! ' Proceed, corne, seize the
source, invoke the soûls, be provided, seize the food, feed
yourselves ' draw up for yourselves fresh water in the
lakes of the angles of Hades ' »
INSIDE OF THE SARCOPHAGUS
Eighth Division. — Plates 15, 14, 13
Door
« The great god arrives at this pylon, and enters this py-
Ion : this great god is adored by the gods who are there. »
The pylon Bekhekhi. At the outrance Benen, andat (lie
inside Hèpti. In the inner part, nine mummies, the En-
nead. Opposite them :
« Coine to us, thou who art on the horizon, great god, who
openest the retreat ! open the holy pylons, draw back the
mysterious door. »
Door of the serpent Set-her (face of lire) :
« lie who is on this dooropens to Ra. Sau says to Set-
her : Open thy gâte to Ra, draw back thy door for Khuti.
He will illuminate the darkness and the shades, and place
light in the concealed abode. The door closes after the ou-
trance of this great god, and the soûls who are' in this pylon
ci\ out, when they hear the door closing. »
1. Lacune.
THE BOOK OF HADES 97
Scènes 1
A. Twelve persons proceeding, the divine chiefs who
give bread and offer vegetables to the soûls in the lake of
flame; nine birds, with a human head and two arms in ado-
ration, the sou/s ic/io arc in the lake qf flame; opposite, a
god carrying a sceptre.
B. The boat and the infernal oncs. A god leaning on
a staff, he who is in the Nun; a long tank containing, in
groups of four, according to the différent positions of swim-
ming, sixteen persons, those who batlie, those who float,
those who swim, and those who dive*.
C. Horus leaning on a staff and twelve men, the burnt
enemies qfOsiris, having their arms tied in différent ways,
in groups of four. Opposite the first and flinging lire in Iris
face, the enormous serpent Kheti, or fi re, the body of
which forms seven folds, and supports between each fold a
raummified god. The gods who arc upon Kheti are seven
in number.
Legends
« A. They lead the soûls over the vegetables in the lake
of flame. Ra says to them : 3 Magistrates of the
gods, great ones* of the lake of flame, who place the soûls
over their vegetables, let them possess their bread for them-
selves ! offer your loaves, bring your vegetables to the soûls
marked ont for nourishment in the lake of flame. They
say to Ra : The loaves aregiven, the vegetables are brought
to the soûls whom thou hast marked out (l'or) nourishment
in the lake of flame. Oh! the way is good ! He invokes
1. For the scènes and legends, cf. Chain pollion, Notices, t. II, p. 516-
510, tomb of Rameses VI.
2. Chabas, Antiquité historique^ p. 75; cf. Booh of the Inferior He-
misp/iere, lOth hour.
3. A word wanting.
4. Shenn-u.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 7
98 THE BOOK OF HADES
thee, lie who is in Amenti', and they invoke thee, who are
in Tatnen\ Their t'ood is (made) of bread, their drink is
of the liquor t'eser. Ofïerings are made to them on earth
as called from among the divine magistrates.
)) They are in the country offlame; they receive their
bread and are in possession of this tank. They cry out to
this great god. Ra says to them : Eat your vegetables, feed
on your bread. Repletion to your stomachs, glory to your
hearts ! Your vegetables are from the tank3 of (lame :
inaccessible is your tank. Cry out to me, invoke me : I am
the great one, the body of Hades'. They say to Ra :
Glory to thee, the greatest of masters. Praise to thee,
greatness ! Hades is thine at thy will : thou hast made it
secret for those who are in its caverns; heaven is thine, at
thy will : thou hast made it mysterious for those who are
in it. The earth belongs to thy mummy, heaven belongs
to thy soûl; place thyself, Ra, in what thou hast created.
Their food is (made) of bread, and their vegetables of an-
imal plants'; their refreshment is of water. Offerings are
made to them on earth as soûls11 from the lake of flame.
)) B. The great god is towed along by the infernal gods,
and they, those who tow along Ra, say : Praise in heaven
to the soûl of Ra, adoration7 on earth to his body ! for hea-
ven is renewed with his soûl, for the earth is renewed with
his body. Oh, we open to thee the retreat, we prépare for
thee the ways of Aker-t. Unité thyself, Ra, to what thou
1. Osiris.
2. The earth. Cf., pi. VII, B. The word is équivalent hère to Amenti :
elsewhere (pi. XIX, H), it is opposed to heaven.
3. Littéral)' « his tank ».
4. Cf., pi. XVIII, B.
5. Ci', the word \\ liieli M. Chabas has translated « iïesh vegetables »,
Mélanges ègyptologiques, 3rd séries, vol. 11. p. 128.
6. Cf. tomb of Rameses VI.
7. Saa-u. This word has the determinative of land, through confu-
sion wil h another \\ ord.
THE BOOK OF HADES 99
hast made mysterious : tlie mysteries are adored in thy
forms. Oh, \ve pull thee along, Ra, \ve guide thee, great
one who dwellest in heaven. Approach the submerged who
are in the water, and advance over them.
» The dweller in Nun says to the submerged who are in
(the water), to the swimmers who are in the water : See
Ra who rises in lus boat, the greatest of mysteries ! He
orders the things of thegods, he acts according to the things
of the elect. Oh arise, Mânes ! Corne, Ra orders your
things. Ra says to them : Lift up to your heads, bathers,
movement to your arms, y ou who float, swiftness to your
legs, swimmers, breath into your nostrils, divers ! Be mas-
ters of your waters, repose yourselves in your tank, walk
into the Nun, move onwards in the water. Your soûls are
on land : they eat their food without being destroyed.
Their food is (made) of oiïerings of the land. Oblations
are made to them on earth as to liim who is in possession
of his otïerings in the wide earth, and as to him whose
soûl is not in the earth. Their food is (made) of bread,
their drink of the liquor t'eser, their refreshment is water.
» C. What Horus does for his fatlier Osiris. The ene-
mies who are in this scène, Horus adjudges to them their
punishment. Horus says to them : Ties ' to your arms,
enemies of my father, l)e deprived of power from your arms
to your heads, powerless ! You are bound behind, wicked
ones2. Ra3 will sacrifice you, you shall be no longer in
existence, your soûls shall be destroyed. They shall live
no longer, on account of what you hâve donc against my
father Osiris4 : you hâve despisecl the mysteries, you hâve
torn the image from the sanctuary. Powerful is the word
of my father Osiris against you, powerful is my word
1. Senehu, cf. tomb of Ranieses VI,
2. Cf. tomb of Rameses VI.
3. The word is not on the tomb of Rameses VI.
4. Ser, on the tomb of Rameses VI.
100 TUE BOOK OF HADES
against you. You hâve rejected tlie mysteries for the re-
pose of the great one who has begotten me in Hades : Oh,
be no longer in existence, destroyed !
» Hokus says : My Kheti, great lire, of which tins flame
which is in my Eve is the émission, and of which my child-
ren guard the folds, open thy mouth, draw wide thy jaws,
laiinch thy flame against the enemies of my father, burn
tlieir bodies, consume their soûls, by this tire from thy
mouth, by this flame which is in thy belly. My children
are against them : they. destroy (their) soûls1 ; those who
hâve issued from (me)2, are against them : they exist no
longer! The fire which is in this serpent bursts forth, a
scourge against the enemies, when Horus calls him.
» He whocan charm this serpent is as one who goes not to
his fire, (and as one whose soûl is not in the earth. Their
food is made of bread, their drink of the liquor t'eser, their
refreshment is of water3.) Offerings are made to those who
are upon this great serpent. »
Ninth Division. — Plates 13 and 12
Door
« The great god arrives at this pylon and entefs this
pylon; this great god is adored by the gods who are
there. »
The pylon Aa-t shefsheft-u. At the outrance Aneh-f-ta,
and at the inside Ramen-ta. In the interior nine mummies,
the Ennead. < Ipposite them :
« Corne tu ns, dweller on the horizon, great god, \\ li<» ope-
1. Ba-u, on the tonib of Rameses VI.
2. Tomb ol Rameses VI.
3. It seema a-- il there was some confusion betweea the end of this
legend, and the end of the former legend.
THE BOOK OF HADES 101
nest the retreat ! open tlie holy1 pylons, draw back the
mysterious door. »
Door of the serpent ^4 b-ta :
« He who is on tins door opens to Ra : Sau says to Ab-
ta : Open thy gâte to Ra, draw back thy door for Khuti.
He will illuminate the darkness and the shades in the con-
cealed abode. This door closes after the entrance of this
god, and the soûls which are in this pylon cry ont when
they hear this door closing. »
Scènes '
A. Four gods oft the south, bearing instead of a head the
crown of the south and the urœus, pull a rope which ap-
pears to bring towards them a stafï surmounted by a head
bearing the crown of the south : the rope is held opposite
them by a person named the master of the prou: . This scène
lias a corresponding one, an analogous group, in which the
crowns of the south are replaced by those of the north,
and in which the person who is opposite the four gods of
the north is the master of the stem. Between the two
groups, a hawk-headed sphinx bearing the crown of the
south, Horus who is in the boat, lias on its back a human
head, Ana, bearing hère the crown of the south, and on the
tomb of Rameses VI., the complète crown"; this head be-
longs to a second sphinx on the tomb of Rameses IIP. On
the hawk-headed sphinx, a god with the head of Horus and
of Set, double-Iieaded' , stretches its arms towards the two
heads of the sphinx; the head of Horus is turned towards
1. Ser, this word is hère in secret writing.
2. Cf. for the scènes and legends, Champollion, Notices, t. II, p. 519-
522, tomb of Rameses VI.
3. That is, composed of that of the South and that of the Xorth of
Egypt.
4. Champollion, Notices, t. I, p. 420.
5. Cf. pi. X, B.
102 THE BOOK OF HADES
the hawk's hcad, and thc gods of the south; the head of
Set tpwards the human head and the gods of the north !
Horus consequently appears to represent the god of the
south, and Set the god of the north ' : hère the human head
which is on the side of Set lias nevertheless the crown of
the south, but this crown belongs àlso to Set'2. A double
serpent having on each side four heads and four pairs of
legs, Shemti : between it and in front, aperson named Apu .
Another double serpent, Bâta, each head of which bears
the crown of the south : over it is a sort of double reptile,
Tepi3, having on each side four pairs of legs and four hu-
man heads, the first of which raises two arms in adoration :
between it, Abt; opposite, two persons holding by the two
ends a bent object, which on the tomb of Rameses VI. is
a net.
B. The boat and the four infernal ones. Six persons
holding the same object in the form of a wand, as the two
persons of the former scène, the masters of irords which
fascinate ; four monkeys, the protectors of Ra, also hol-
ding a net; three pikemen, holding in one hand a lance,
and in the other a rope, which terminâtes in the hand of a
person stretched out on the ground, Aai or the Assi : he
lias on lus head the solar disk, by the sides of which are the
two ears <>(' an ass, and he seems to raise himself by the
means of the rope. Opposite him the serpent Apap, over
which is the serpent Shes-shes, which forms the end of the
tail of a crocodile.
C. Four persons with a human head, the soufs qf
1. Cf. the Sallier Calendar, 29th of Atliyr.
2. Cf. Tablet oj 400 years, in Records o) the Past[, lsl Séries],
vol. IV, p. 33.
3. Cf. Champollion, Notices, t. II, p, 525, 612, (322, tomb of Rame-
ses VI.
4. Cf. Diodorus, I, 97, Champollion, Notices, t. I, p. 428, 429, 755;
Lepsius, Denkmâler, III, 303; Naville, /." Litaniedu Soleil, p. 49, 50,
55, 55, and Tudlcnbuch, ch- 125, 1. 40.
THE BOOK OF HADES 103
Amenti, four with the head of the Ibis, those ta ho accom-
pany Thoth, four hawk-headed personages, those who ac-
company Horus, and four ram-headed, those who accom-
pany Ra, holding a rope which terminâtes at the body of
a double serpent, having two heads and two pairs of legs,
Khepri. On a coil which appears to belong to this serpent, is
perched a hawk with thepschent on its head, Har-tuau-ti,
with an urseus on each side'. Opposite, the rope issues
from beneath the serpent and is carried by eight persons,
the masters.
Legends
«A. Those who are in this scène rise for Ra. RAsaysto
them : Take your heads, gods ! Pull forward with your
rope of the prow ! Oh, be born, gods ! Oh, shine forth,
gods ! Be born, gods! Shine forth, gods, at my birth in
the retreat, at my shillings in the place of concealed things!
This god arises for Ra; the two headed, this double god,
enters when Ra rises above him. Ra says to them : Let
your heads be yours, gods ! Oh, take your crowns of the
North, pull with the rope of the stem of the boat, of him
who is born of me'2. It is Horus with the royal counte-
nance.
» He who is in tins scène traverses the refuge : he retreats
towards Ka-Temt, the gâte3 of Amenti. Those who are in
it are the Eaten Heads : they breathe the odour of Shemti,
of whom Apu is the guardian.
» He who is in this scène rises for Ser4. He has struck
down5 the soûls of the impious which are in Hades. He
1. Cf. Boule of the Inferior Hémisphère, lOth liour.
2. Horus is considered hère as the son of Ra, assimilated to Osiris.
3. Ari-t. In the Todtenbuch the Ari-t is determined and figured as
the pylon, eh. 144.
4. Cf. tomb of Rameses VI ; it refers to Osiris assimilated to Ra.
5. Asp : cf. aspu, Todtenbuch, en. 9, 1. 3 ; 73, 1. 2. Perhaps we
ought to read hère sap, « to count ».
104 THE BOOK OF HADES
traverses the refuge and retreats towards the pylon Teser-
t-ba-u, towards the gâte of Amenti. Tepi enters Bâta.
Those who are in it are the Eaten Heads. They breathe
the odour of Ba-ta, of whom Abt is the guardian.
» Thèse are the gods who charm for , Har-Khuti in
Amenti. They, the masters of their nets, charm those who
are in the nets which are in their hands : (they are veridi-
cal in Hades').
» B. This great god is towed along by the infernal gods.
They, those who tow along Ra, say : The god cornes to his
body, the god is towed along towards his mummy2. Coin-
fort thy body, we tow thee3 along, safe in thy! retreat.
Corne, Ra, comfort thy body', defended by the masters of
the net.
» Those who are in this scène walk before Ra : they charm
for him Apap, and retreat towards the gâte of the horizon.
They rise with him towards heaven; they are, for him,
in the two sanctuaries, and they makc him rise in Nu.
They, the charniers, say : Oh impious, cruel one, Apap
who spreadest thy wickedness ! Thy face shall be des-
troyed, Apap ! Approach the place of tonnent. The
Nem-u are against thee : thou shalt be struck down. The
Aai-u* are against thee : thou shalt be destroyed. The
pikemen strike thee : thou art charmed by us through the
1. Cf. tomb of Rameses VI.
2. The hieroglyph is thaï oi a shade » : the word « shade » and
a soûl » are often employed the one for the other, but the « shade o
characterisea also tlie mummy in the représentations in which the dc-
ceased receives its heart. its essence, and ils mummy. The analogy in-
dicates hère the meaning which must be seiected.
3. Cf. tomb of Rameses VI.
4. Lit. : « his )>.
5. This body appears to be god Aai, represented mummifled on tlie
tomb of Rameses VI.
G. Persons named Nem-u and Aai-u, appear on the last division but
one; cf. pi. X, C, and Champollion, Notices, t. II, p. 539.
THE BOOK OF HADES 105
means of what is in our hands. Oh ! tliou art destroyed,
crushed, punished, (serpent) Sessi1.
» Those who are in this scène with their spears, guard the
rope of Aai, and do not allow this serpent to mount towards
the boat of the great god. They rise behind this god to
heaven. They say, those who Hght for this god in Nu2.
» C. Those who are in this scène hold in their hands the
rope which is attachée! to the leg of Khepri, who retreats
towards the gâte of the horizon. They bear this rope near
this god towards the horizon and tow him along in Nu.
They live on things from the South, they feed on things
from the Nortli, on their issuing from the mouth of Ra.
The outery of this Khepri is borne into the retreat when
Ra enters heaven. They say to Ra : Come, corne, after
thy transformations ! Corne, Ra, after thy transformations !
Come forth, come forth, after thy transformations, come
forth, Ra, after thy transformations, towards heaven,
towards the great heaven ! Oh, we point thee out for thy
abodes, by the virtue which is in our words, (thou who art)
the greatest of forms in the retreat.
» He who is in this scène, the infernal Horus raises his
head from him, and the forms issue from (his) coils. Ra
calls this god which his two urœi join together. Now
Horus having entered Khepri hears when Ra calls him.
» They hold in their hands the rope which is attachée! to
the leg of Khepri; they say to Ra : The paths of the retreat
are cleared for thee, (the gâtes) ' which are in the earth arc
open for thee, for the soûl which Nu '' loves. We guide thee
in thy flight in the land. Oh ! enter the East. Come forth
from the belly of thy mother. »
1. This serpent is doubtless the one who lollows Apap in the scène,
where he is named Shes-shes.
2. The words of thèse gods are wanting.
3. Cf. tomb of Rameses VI.
4. « For thy soûl which is joined again to Nu », tomb of Rameses VL
106 THE BOOK OF HADES
Tenth Division. — Plates 12, 11 and 10
Dooi'
« Thegreat god arrives at tins pylon, and enters this py-
lon; this great god is adored by the gods who are there. »
The pylon Seri-L, or the chapel. At the entrance Nemi,
holding a knife, and at the inside Ke/f, robed in white. In
the interior, sixteen ursei. Opposite them :
« Come to us, dweller on the horizon, great god, who
opened the refuge ! Open the holy gâtes, draw back the
mysterious door. »
Door oi the serpent Stu :
a He who is on this door opens to Ra. Sau says to Stu :
Open thy gâte, draw back thy door. He will illuminate the
darkness and the shades, and (will place) light in the con-
cealed abocle. This door closes aller the entrance of this
great god, and the ursei which are in this pylon cry out
when they hear this door close. »
Scènes '
A. Four persons, the Anti-u, or thosewhojîx, holding
with one hand a knife and with the other a kind of liook of
rope or a club; four other persons armed with the same, but
having each four ursei for a head, the Hati-u'1 or bearers of
the club. Opposite, the serpent Apap, of which it is said :
His cry is wq/'tedmto hell, He is tied by the neck with a
chain on which the goddess Serk3, one of the forms of Jsis,
is drawn out. The chain is hcld by four men, Stefi-u, or
1. Cf., for the scènes ;unl the legends, Champollion, Notices, t. II,
p. 532 t" 536, tomb of Rameses.
2. Cf. tombof \i; sses VI., .■nul Chabas, Egyptologie, 187(5. p. 20.
'■'>. Cf. Sarcophagus ol' T'a-ho, Muséum of tlie Louvre,
THE BOOK OF HADES 107
those whojîre, placed opposite the Anti-u and the Hati-u.
Twelve gods, T'atiu with the strong arm, holding also the
chain and turning their back to the Steji-u. Aq enormous
hand, the concealed body drawing towards it the chain,
which then rises over five serpents (the first of which is
Uammeti) eaeh attachée! by the means of a small chain to
the larger one by Sel), Mesta, Hapi, Kebhsenuf and Tiiau-
matef, armed with hooks and clubs; thèse five gods issue
by half from the great chain, and face the preceding gods.
The chain ends at the feet of Osiris, Inhabitant of Amenti.
B. The boat of Ra and the infernal ones, aperson, Unti,
who with one hand raises a star and with the other hand
raises another star. Four gods squatted, bearing on their
head an urseus with a long tail. Horus (hawk-headed),
Serek, Abesh, and Sekhet (lion-headed). Three persons,
the stars, each raising a star with one hand, and with the
other hand drawing by a rope towards the solar bari a small
boat in which is, half-surrounded by an urseus, a human
head, the head of the disk, a winged serpent which rises
up, Se mi ; a person, Besi, pouring flame on the head of a
bull placed at the end of a stick struck with a sword. An
uneus standing up, Ankhi, with its head flanked by two
human heads. Four women, the Invocators, in a posture
of adoration. Two bows supporting each three ursei, the
diadem qfthe urœi. In the middle, with one foot placed
on each bow, the Double-headed, with the head of Set and
of Horus, with four arms in adoration.
C. Twelve bearers of oars, the gods Akhem-u Sek-u\
Twelve women holding a rope, the hours which tow along.
Four gods with a sceptre : Banti, or the monkey, with an
animal's head, Seshesha, who lias a star over his head, the
Bull of Amenti, with the head of a bull, and He who names
1. « The unknown who row », thesé are the cireumpolar stars; the
other stars, having a rising and setting, are tlie Akhem-u Urt-u, or
« the unknown who repose themselves ».
108 THE BOOK OF HADES
the star* with a star over his liead. Opposite, on a brackét,
and over his head a star, a monkey namecl the god of Ruten
(Syria). On another bracket a large sacred eye. A god
with a sceptre, the master of his lioase, advancing towards
the sacred eye.
Legends
« A. Those who are in this scène rise for Ra, whoarises1
and approaches them. (They say to Ra2) : Arise, Ra ;
Rule, Khuti. They beat down Apap in his bonds'. Do
not ascend, Ra. towards thy enemy; thy enemy does not as-
cend, Ra. May thy holy things which hâve a place in
Mehen be brought forth. Apap is stricken with his sword :
lie is sacrified ! Ra rises at the finishing hour : the great
god ascends when his chain is tixed.
» The serpent which is in this scène, Serek flings away
his chain. The boat of this great god advances towards the
narrow pass of Apap. The great god cornes when his chain
is lixed.
» Those who are in this scène drag the chains of this evil-
doer. They say to Ra : Come Ra; advance, Khuti! The
chain is placed on Neha-her, and Apap is in his bonds.
» Those who are in this scène as guardians of the Fomen-
ters of trouble, watch over the murderous chain which is in
the hand of the Concealed Body, in the compass of which
aie placed the dead at the pylons of the Inhabitant of
Amenli. The god says : Darkness to thy countenance,
Uammeti! Destruction to von, Fomenters of trouble, (by)
the concealed hand, which causes (you) evil by themeansof
the deadly chain which is in it ! Seb guards your bonds,
and the threads of the chain place the murderous chain on
1. Autl-n, M. Naville.
2. Tomb ot Rameses VI,
:{. The words « for R-i » .*" re wron.irly l'cpoatcil hero ; cl. fomb i»f
Rameses \'l.
THE BOOK OF HADES 109
you. Watch uncler the inspection of thc Inhabitant of
Amenti.
» Those who are in this scène load the chains of the Fo-
menters of trouble, and the boat of the good gocl advances.
)) B. The great god is towed along by the gods of Hell,
and they say, those who tow along Ra : Let us tow along
towards heaven. Let us tow along towards heaven, Ser-
vants1 of Ra and of Nu. Take possession, Ra, of thy
countenance, thy truth. Unité thyself, Ra, to thy counte-
nance, thy truth \ Let the countenance of Ra open, and let
the eyes of Klwti enter ! Let him drive away the darkness
of Amenti, let him shed light where lie had sent shade.
» He rises for Ra, placing3 himself over Unti : this god
guides him4, and the hour fulfils its duties.
» Those who are in this scène, the inhabitants of the earth '
guard them. They rise for Ra. They are seatcd (on)1 a
large image which is under them, and they raise themselves
behind Ra with the mysterious image which is under
them.
» Those who are in this scène invoke with their stars.
They drag the rope, before this boat, and they enter Nu.
» This countenance of Ra glides along and advances in
the land : those who are in hell invoke him.
» It rises for Ra; it guides the god through hell towards
the eastern horizon.
» He rises for Ra : he throws flame on the head, and the
1. Tomb of Rameses VI.
2. Tomb of Rameses VI : « Take possession, Ra, of thy countenance.
Arise higher ! Unité thyself, Ra, to thy mysterious head ! » The mean-
ing of this symbolism is that the sun, having become by night ram-
headed (pi. 5, C), i. e, « soûl », as if he was dead, résumes in the morn-
ing a luminous countenance.
3. Xa/tap, tomb of Rameses VI.
' 4. Su, idem.
5. The serpents.
110 THE BOOK OF HADES
weapon ("?)' which is in the hand of t lie warrior servant of
this god appears.
)) It rises for Ra : the lengtli of time marked out in years
is established by this urseus, who makes it ascend with him
towards heaven.
» Tliey say those who eall Ra : Corne, Ra ! Oh! corne,
son of liell ! Corne, child2 of heaven. Oh ! arise, Ra.
» It is the diadem of the ursei; lie traverses" hell.
» The bows'' bear the Donble-headed in his mystery.
They direct Ra to the eastern horizon of the heavens, and
they advance on high with him.
» C. Those who are in this seene rise for Ra and take
their oars in this cavern of Unti. Their appearance, to them,
is for the births of Ra in Nu; their appearances are for
the births of Ra : they issue from Nun with him. They
navigate for this great god when lie places himself on the
eastern horizon of the heavens. Ra says to them : Take
your oars, unité yourselves to your stars'' ! Your manifes-
tations are (my) manifestations, your births are my births.
Oh, my pilots, you shall not perish, gods Akhemu Seku.
» Those who arc in this scène take the rope to tow along
Ra in Nu : they tow along Ra and prépare the pathwavs
in Nu. Thèse are the goddesses who guide this great god
in Nu; Ra says to them : take the rope, take your places,
pull towards you, my followers to heaven, guide (me)' in
the pathways. My births are" your births, my manifesta-
1. Or « the gift », /", according to the tomb of Rameses VI. The gift,
perhaps called Unis through irony, is the blow of a kuife. Is tliere any
allusion hère to the sacrifice of the bull?
~'. Atu, cf. Naville, /.''/"//y o/Sun, p. 85.
3. Mehp.n is masculine, cf. Book oj ihr Lou er Hemisphere,llth. hour.
1. The two bows of hell are mentioned on the tomb of Rameses III.;
cf. Champollion, Notices, vol. I, p. 716.
5. Cf. tomb of Rameses VI.
6. S, and on tin1 tomb of Rameses VI, su; in the corresponding part
THE BOOK OF HADES 111
tions are your manifestations. Oh ! establish tbe length of
the years (for)' him who is with us.
» The gocl in tins scène calls out that the gâtes of Ra be
opened : he rises with him.
» The god in tins scène calls on the stars for the births of
tins great god : he lises with him.
» The god in this scène calls on the gods of the boat of
Ra, and rises with him''.
» The god in tins scène places the stars in their dwelling,
and rises with him, this great god.
» It is the Ut a' of Ra : this god imites it to him, and it
rejoices in its place in the boat.
» He opens the gâte of this cavern : lie remains in his
place, and does not lise with Ra1. »
Eleve.ntii Division. — Plates 10 and 9
Door*
« The god arrives at this pylon ; this great god enters this
pylon; this god is adored by the gods who are there. »
The pylon Sheta-bes-u or the most mysterious q) pas-
sages. At the entrance, Mates, or the eœecutioner ; and
inside, Shetau, — each holding an enormuus knife. In the
interior, two sceptres over which are two crowns of the
South. By the side of one, Ser; by the side of the other,
Horus, and between the two sceptres :
« They sa y ' to Ra : (Corne) in peace (twice), in peace
of the sentence there is sut, which varies in other texts with ! ut-as, an
expression very fréquent in the solar Litany.
1. Cf. tomb of Ramses VI.
2. Kher-f, tomb of Rameses VI.
3. The sacred eye.
4. Cf. Champollion, Notices, vol. II. p. 530, tomb of Rameses VI.
5. Tomb of Rameses VI.
112 THE BOOK OF HADES
(twice). Many-shaped ! t h y soûl is in heaven and thy body
on the earth; thou hast willed it, o great one ! thyself1. »
Gâte of the serpent Am-net-u-f.
« Ile who is on this gâte opens to Ra. Sau says to Am-
net-u-f : Open thy gâte to Ra, draw back thy door for
Khuti : ho will illuminate the darkness and the shacles,
and will place light in the concealed abode. The door
closes al'ter the entrance of this great god, and the gods
who are in this pylon cry ont (when) they hear this door
closing. »
Scènes s
A . Four persons each holding a disk, the bearers qf light.
Four bearers of stars. Four persons with a sceptre in their
hands, those who go ont. Four ram-headed persons with
a sceptre, Ba, ATtun, Pente/', Tent. Four hawk-headed
persons with a sceptre, Horus, Shenebt, Sapt, and he who
is in his double boat. Eight women seated on unei, and
each holding a star with one hand, the protecting hou rs.
A crocodile-headed pcrson with a sceptre (Sebek-ra)3,
holding behing him a serpent in an erect position.
B. The boat and the infernal ones. Nine persons, four
of which arc wolf-headed, each holding a large staff with a
liook, and a knife, the nine who slay Apap. Apap tied by
chains attached to five objects like the hieroglyph Senb,
the cord of Horus. Foui' monkeys, each holding an enor-
mous hand. Two women wearing on their heads the dia-
dems of Qpper and Lower Egypt, Amenti. A person with
a sceptre in his hand, Sebekh-ti.
C. Four men with the crown of the South, the Royal
1. Tomb of Rameses VI. The text of the saccopliagus would Iead us
t<> understand « the land united for thee ».
2. For the seenes and legenda, cf. Champollion, Notices, vol. II,
p. 536 to 539, tomb of Rameses VI.
'à. Tomb "i Rameses VI.
THE BOOK OF HADES 113
Heads. Four men bare-headed, the Afflicted. Four men
with the crown of the North, the Nem-u. Four men bare-
headed, the Remua. Four women with the crown of the
North (the Nemtu)\ Four women without a crown (the
Afflicted)'. Four men liait' bent, the Aaui-u\ A cat-
headedgod, Mati3, holding behind him a serpent in an erect
position.
Legends
« A. Those who are in this scène bear the disk of Ra.
They guide (in)2 lioll and in heaven by this'' shape which is
in theirhands. Thèse are they who (?) 5 speak to the pylon
of Aker-t'2 that Ra may place himself in the bosom of
Nu.
» Those who are in this scène carry stars. When the
arms of Nun receive Ra, they shout with their stars, they
raise themselves with him towards heaven, and they place
themselves in the bosom of Nu.
» Those who are in this scène, their sceptres in their
hands, settle the possessions of this god in heaven, and in
return Ra points out their abodes.
» Those who are in this scène, their sceptres in their
hands, furnish (?) the food of the gods who are in heaven,
and pass over (?) 6 the water, Ra not having (as yet) arrived
at Nun.
» Those who are in this scène, their sceptres in their
hands, place the naos, put their hands to the side of the
double boat of the god, when lie issues from.te gâte of Sam7,
1. Tomb of Ranieses VI. Three of them bave complète crown there.
2. Tombof Rameses VI.
3. Mautij on the tombof Rameses VI.
4. Peu on the tomb of Rameses VI.
5. A/i ; there is ba, or « the soûl » on the tomb of Rameses VI.
6. Xu(i. This word seerna an altération of skat.
7. Cf. tomb of Rameses VI. It is the country of the reunion, Hades.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 3
114 THE BOOK OF HADF.S
and place the oars in Nu (when the présent) hour is boni
in it, and (when the preceding) hour reposes in it.
» Those who are in tins scène, their uraei under them and
their hands holding stars, issue from the double sanctuary of
this great god, four to the east and four to the west. They
call the soûls of the east, they invoke this god, and adore
him on his going out (when) Setti issues in his shapes1 ; they
direct the navigation of the pilots of the boat of this great
god.
» B. The gods of hell say : Issuing from Amenti, in-
stallation in the double extent of Nun, and accomplishment
of the transformations in the arms of Nun ! The god does
not enter heaven, lie opens hell to heaven, in his shapes
whicli are in Nun. What opens hell for Nu are the arms
of Amen-ran-j"1 ; lie is in the black night, whence light
issues from the shade.
» Those who are in this scène, their staves in their hands,
take their weapons and strike Apap : they accomplish his
sacrifice, and inflict blows on (his) coils, which are in hea-
ven. The chains3 of this wicked one are in the hands of
the children of Horus : they raise themselves towards this
god, their ropes in their fmgers. The god counts* his
members, when lie whose arms are concealed opens to make
a way for Ra*.
» The serpent who is in this scène, the sons of Horus
strike him. They are placed in Nu in this scène. They
weigh down his chains, and if his coils are in heaven, his
venom falls into Amenti.
» Those who are in this scène direct Ra to the easterri
horizon of heaven. They direct this god, their Creator;
with their hands, two to the east and two to the west, in
1. Tho going «ml retors to the scène of the Twelfth Division.
2. The « m.vsterious being », Osiris.
3. Kha-u ; cf. totub of ltameses VI., where this word lias the deter-
nainative oi iope.
THE BOOK OF HADES 115
the two sanctuaries of this god. They issue behind him,
and give praise to his soûl when it sees them.
» Those who are in this scène turn away Set' from this
pylon (of Tuau-ti) : they open the cavern and fortify the
mysterious (?) pylon. Their soûls arise behind Ra*.
» C. Those who are in this scène place the white crown
of the gods who follow Ra. They remain in hell : their
soûls arise and remain in the pylon.
» Those who are in this scène in this pylon lament over
Osiris3, when Ra issues from Amenti : (their)" soûls rise
after him. They are behind Osiris2.
» Those who are in this scène join Ra, producing his
births on earth. Their soûls rise behind him, and their
bodies remain in their places.
)) Those who are in this scène name Ra, and magnify the
names of ail his shapes. Their soûls rise behind him, and
their bodies remain in their places2.
» Those who are in this scène raise Truth and place it in
the naos of Ra, when Ra places himself in Nu. Their
soûls ascend behind him, and their bodies remain in their
places.
» Those who are in this scène lix the length of time, and
cause the existence of years for the guardians of the damned
in hell and for the living in heaven. They follow this
god.
» Those who are in the scène in (this) pylon - in their wail-
ing lament over themselves in présence of the great god in
Amenti. They drive away Set from this pylon, and do not
enter2 heaven.
» Those who are in this scène adore Ra, and invoke him.
1. Set, as in the lines following this, has no determinative. The Booh
ofthe Louer Hémisphère places Set-Nehes to the east (lOtli. liour).
2. Tomb of Rame<es VI.
3. Ser on the tomb of Ratneses VI.
116 THE BOOK OF HADES
They give praise to the gods who are in hell, guardians of
the gâte of the refuge (they remain in their places)1.
» The porter of the cavern remains in his place1. »
Twelfth Division. — Plates 9 and 15
Gâte'
« This great god arrives at this pylon : tins great god is
adored by the gods who are in it. »
The pylon Teser-t ba-u, or the most holy of soûls. At
the entrance Pi or perhaps Ba, and in the inside Akhekki.
In the interior, two heads at the end of two long pôles ; over
one is the scarabaîus, hieroglyph of the god Khepra, over
the other the solar disk, and the word Tant. Between the
two pôles :
« They hold themselves on their heads, they are on their
pôles in this pylon. The heads rise in this pylon. »
Door of the serpent Sehi :
« He who is on this door opens to Ra. Sau says to
Sebi : Open thy gâte to Ra, draw back thy door for Khuti :
he will leave the refuge and will place himself in the bosom
of A7u. The door closes, and the soûls which are in Amenti
cry out when they hear this door elosing. »
Doorof the serpent lleri , almost touchingthe former one.
« Ile who is on this door opens to Ra. Sau says to
Reri : Open thy gâte to Ra, draw back thy door to Khuti ;
he will leave the refuge and will place himself in the bo-
som of Nu. This door closes, and the soûls in Amenti cry
ont when they hear this door elosing. »
By the side of this door two uriei, Isis and Neplithys,
the lirst above and the second below.
1. Tomb of Rameses VI.
'Z. Cf. Champollion, Satires, t. II, p. 510, tomb of Rameaes VI.
THE BOOK OF HADES 117
« They guard this mysterious door of Amenti, and raise
themselves behind this god. »
Scènes and Legends*
Above, Osikis forms a circle with his body : it is Osîris
who surrounds hell. He raises his arms towards the god-
dess Nu, standing on his head : it is Nu who receives this
god places himself in t/ie boat\ Around the scarabseus
are the rjods who are in it (the boat). Thèse are beginning
at the side of the door and at the stern, San, Hu, Hak,
Shu, and Seb : then Isis and Nephthys stretching out their
hands under the scarabaeus, then Seba-u (gâtes or door) going
forward. The boat is supported by Nun, whose bust and
arms only are to be seen : thèse arms issue from the water
and bear up this god. The entire scène is surrounded by
the waves of Nun, which shows that the Egyptians looked
upon the earth (or Osiris), as a spherical body floating
through the waves towards a spot where a disk is repre-
sented on a band. This band, studded with dots, indicates
the earth', from which the sun is about to issue, and
it completely frames in the divisions of the Book of Hades,
which is contained in the inside of the sarcophagus. The
divisions of the outside of the sarcophagus were framed in
the same way, and the dotted band appears also under the
divisions of the cover.
1. Cf. Champollion, Notices, t. II, p. 541, tomb of Rameses VI.
2. Aat.
3. Cf. Préface, p. 64 [du présent volume].
118 THE BOOK OF HADES
END OF THE BOOK OF HADES
OUTER SIDE OF THE COVER
Horizontal Inscriptions
Under the dotted band which sùrrounds the 6th: and
7th. divisions of the Book of Hades, on the outside of the
cover, tliere are fragments of a horizontal inscription divi-
ded into two halves : the first is on the right side (pi. 18),
the second beginsat the edge and is continuée! on the left
side (pi. 18 and 19). We inust remark that the second
fragment of pi. 19 ought to be the third.
Plate 18
« D. Nu the great says : I hâve made him great, I hâve
made him a soûl, I hâve made him powerful, I hâve made
him master in the bosom of his mother Tefnu, I who never
bring forth, I corne, I unité myself to Osims, King. »
Plates 18 and 19
« D. Tiiotii says : M y son, Master of the Two Lancls,
RA(menma) Osiris, King, Master of the Two Lands,
KA(menma), the son of Ra, master in cloing things, who
is Seti-rnerenptah, truthful, his soûl lives for ever
d The son of Ra, Master of the Diadems, who is
Seti-Merenptah in this naine of mine from Nu. I do
not départ from (him). »
[NNER side of THE (OVER
Right side. — Plate 18
F. Thoth between two fragments of wings, remains of
THE BOOK OF HADES 119
the gênerai décoration of the inside cover, pulls with both
his hands a rope attached to heaven, as in certain portions
of chapter 161 of the Todtenbuch.
« of the gods by him. He is like with the great
breath, the great one of heaven, the great Sahu, who is in
the middle of the spirits of Heliopolis1 .
» H in Memphis. He lias made the things of the
altar (?) of the lord of Sekhem to breathe. He has led
the men to Nemti to raise on the partition2. »
Below, a horizontal line gives the beginning of the 72nd.
chapter of the Todtenbuch.
« F. (Health) to you, lords of justice, who are free from
iniquity, you who live for ever, for the double periods of
eternity ! Let pass the Osmis (King), RA(menma), truth-
ful, towards earth; powerful in qualities, Master »
Left Side. — Plate 19
L. Thoth and the hieroglyph of niglit as on the right
side.
« in the tank of flame; he extinguishes the fire3. »
Below, a horizontal line, which is continued on the frag-
ments N and M, contains the continuation of the text, which
begins at the corresponding line of the right side.
« (do not close) the door against me, because
(my) drinks are in Tep. My arms are joined in the divine
abode which (my father) has gïven me.
» (there is corn and) barley in them, no one knows
how much. There is prepared for me, (there a festival)
» by the son of my body. Give me funeral oft'erings
of incense, of oil »
In N, M, 0 and P, fragments of a text which accompanies
1. Chap. xxin of tbe Todtenbuch.
2. Text foreign to the Todtenbuch.
3. Cf. Todtenbuch, ch. 22, 1. 3.
120 THE BOOK OF HADES
the Litanij of the Sun, in the royal tombs', and which also
occurs in some Books of the Dead of the good period2.
« N The master of the two Lands, who is Ramenma,
truthful, in hell, lie lie cornes ont of it. The arms of
Tatnen receive (him) Stretch ont your arms to me!
I know the gâtes, lead (me) invoke, be ye glad for my
sake he lias (placed) food for you, be ye masters
I ara his son on earth. I hâve macle the way
)) M (let) him pass The headdress of Amen-
ran-f..... (gods) who cross through hell, order that de-
liver the Osmis, King, Master of the Two Lands'.
» 0 with perishable shapes : open raise yourselves
on your funeral couches ; order it so that he reposes himself
in (draw back) for him your doors; open for him (your)
locks (it is the guide) of the soûls, it is'' the conductor
of the gods in their abodes the companion of the hus-
bandmen I hâve made my ofïerings
» P friends of Ra who follow his soûl truthful,
by your towing (it is the image) of Ra ! Towers the
Osiris, son of Ra, Master of the Diadems, Seti-(ineren-)
ptah in Amen ti. He says ' : Hail to thee thy splen-
dour, in making transformations »
1. Cf. Naville, Litany oflhe Sun, p. 98, and pi. 15, 21, 31 and 40.
2. Cf. Pierret, Études ègyptologiques, fasc. I., p.. 8'.) to 92 and papy-
rus without a name from the Louvre n° 3073.
3. This arrangement of the text does not correspond with that of the
royal tombs, but it is round in the papyrus without a name in the
Louvre.
4. Tut, as in the papyrus without a name in the Louvre; the royal
tomb hâve Sut, which is a variantof su as may be scen in pi. IL c.
~). Beginning of a new text.
THE BOOK OF HADES 121
LOWER PORTION OF THE UPPER PART
OF THE COVER
Plate 18
« E. Runners of the divine hall Seti-meren( ptah)
truthful, in every place where lie is to lead this soûl to
me (Ra)menma, truthful. Thou wilt find the eye of
Horus taking part against thee the watchers : does lie
rest, those who rest in of eities in him. If lie were
carried away ' »
BOTTOM OF THE SARCOPHAGUS
Plates 16 and 17
The goddess Nun, lier arms hanging down, and lier body
wrapped round with folcled wings, is surrounded with texts.
She lias over her head the hieroglyphs of lier naine, the last
of which, that of heaven, is studded with stars.
« Words of Osiris, King, Master of the Two Lands,
who is Ramenma, truthful, of the son of Ra who is Seti-
merenptah, truthful. He says : Nu, support me! I am
thy son. Separate2 my weakness from what makes it so.
» Nu, inhabiting of the Hennu, says : (0) this son, the
Osiris, King, Master of the Two Lands, who is Ramenma,
truthful, the son of Ra, of this loins, who loves him, Master
of the Diadems, the Osiris who is Seti-merenptah !
» Seb says : This chosen one, who is Ramenma, and
who loves me, I hâve given him purity on earth, and power
in heaven, to the Osiris, King, Master of the Two Lands,
1. Chap. lxxxix of the Todtenbuch ; cf. pi. 17, where the same text
occurs with some différences in the beginning.
2. Lit. : « destroy » ; i. e., destroy my weakness (by separating it)
from what makes it so.
122 THE BOOK OF HADES
who is Ra-men-ma, truthful, to the son of Ra, who loves
Nu, and who is Seti-nierenptak, truthful, in the présence
of the lords of hell.
» Speech. (O) Osiris, King, Master of the Two Lands,
who art Ramenma, son of Ra, of his loins, who art Seti-
merenptah, truthful ! Thy mother Nu stretches for thee
lier arms over thee, Osiris, King, Master of the Two Lands,
who art Ramenma truthful, son of Ra, who loves him,
Master of the Diadems, Seti-merenptah, truthful. Thy
mother Nu lias given thee the health which is in lier for thy
safety. Thou art in her arms. Thou shalt never die. Re-
in» >ved and discarded are the evils which remainecl for thee.
That will corne no more to thee, that will ascend no more
to thee, Osiris, King, Master of the Two Lands, who art
Ramenma, truthful : Horus stands behind thee, Osiris, son
of Ra, Master of the Diadems, Seti-merenptali, truthful,
sincc thy mother Nu is corne to thee : she purifies thee,
she unités herself to thee, sherenews1 thee as a god, vivified,
establislied among the god.
» Nu, the very great, says : I hâve made him a soûl,
I hâve made him powerful, I hâve made him master in the
bosom of l lis mother Tefnu, I who never bring forth. I hâve
united him, the Osihis, King, Master of the Two Lands,
Ramenma, truthful, son of Ra, the Master of the Diadems,
who is Seti-merenptfxh, truthful, with life, stability, and
happiness. Ile shall no longer die. 1 am Nu with the
powerful heart. I hâve placed a sced in the bosom of his
mother Tefnu, m this name of mine, Nu, of the mother of
whom no one is master. I hâve entirely fullilled ail m y
splendours : The entireearth, I hâve taken possession of it,
I bave taken possession of the south and of the north, and
I hâve surrounded ;ill things in my arms to restore the life,
the life of the Osiris, King, Master of the Two Lands, who
1 . Lit. : « destroys ».
THE BOOK OF HADES 123
is Ramenma, the son of Ra, of his loins, loving Sakar, the
Master of the Diadems, the Sovereign with joyous heart,
Seti-merenptah , truthful. His soûl will live for ever.
)) Nu, says the Osmis, King, who is Seti-merenptah,
truthful, support me ! I am thy son. Separate my weak-
ness from what m a de it exist.
)) The sovereign of the two parts of Egypt, who is
Ramenma, truthful, the son of Ra, who is Seti-merenptah,
truthful. »
Chapter to bring out the day and to pass through .4 mmah ' .
« Speech of Osiris, King, Master of the Two Lands, who
is Ramenma, truthful, of the son of Ra, of his loins, who
loves him, Master of Diadems, who is Seti-merenptah,
truthful. Hesays : Health to you, lords of justice, who are
free from iniquity, and who are living for ever, for the
double period of eternity ! (The Osiris, King, Master of
theTwo Lands) who is Ramenma, truthful, the son of Ra, of
his loins, who loves him, the Master of the Diadems, who
is Seti-merenptah, he cornes to us; lie is powerful by his
qualities ; lie is master of his (magical) virtues, he is endowed
with protective (formulse). Deliver the Osiris, King, Mas-
ter of the Two Lands, who is Ramenma, truthful, the son
of Ra, Master of the Diadems, who is Seti-merenptah , from
the crocodile of this tank of the just. His mouth is his, he
speaks by it. Let him be granted liberty to act in your
présence, because I know you : I know your naines: 1 know
this great god to whose nostrils you présent exquisite
things, Rekem is his name : lie passes to the eastern hori-
zon of heaven ; Rekem, he départs, I départ; he is safe, I am
safe. May I not be destroyed on the Mesak ! May the
impious not take possession of me ! Do not drive me from
your doors, do not close your arms for the Osiris, King,
Master of the Two Lands, who is Ramenma, truthful, for
1. Chap. lxxii of the Todtcnbuch .
124 THE BOOK OF HADES
the son of Ra, of his loins, who loves him, the Master of
the Diadems, who is Seti-merenptah, truthful, because (my)
bread is in Pa, and my drink is in Tep. M y arms are
united in the divine house which my father has given me.
Ile lias established for me a dwelling above the earth ; there
are corn and barley in it, the quantity of which no one
knows. A festival is celebrated there for me by my son,
of my body. Give me funeral offerings, incense, oil, and
ail good and pore things, upon which the god feeds. The
Osiris, King, Ramenma, truthful, the son of Ra, of his
loins, who loves him, the Master of the Diadems, the So-
vereign with the joyous heart, Seti-merenptah, truthful,
exists for ever in ail shapes which please him, lie navigates
in ascending and in descending the plain of Aaru, he is
united to life for ever in the plains of offerings. It is I, the
double lion.
» Said by Osiris, King, Master of the Two Lands, Ra-
menma, truthful, by the son of Ra, who loves him, Seti-
merenptah, truthful : Oh ! keep that destroyer of my father
for me, the Osiris, King, Master of the Two Lands, Ra-
menma, truthful, for he is my father, who is under my legs
which ri>c, ( Isiris, son of Ra, Master of the Diadems. Seti-
merenptah, truthful, strike him with thy liand ! Search
him, for ho is taken bv thy liand ! Osiris, Kinar, Master
of the Two Lands, Ramenma, truthful, thon shalt not grow
weak ! Nu cornes to thee, she protects thy weakness, she
collects thy limbs, she imites thy heart to thy bowels, she
lias placed thee among living essences. Osiris, King,
Master of the Two Lands, Ramenma, truthful, before the
good god, Lord of Taser-t.
n Said by Osiris, King, Master of the Two Lands, Ra-
\ii.\ ma, truhful, soiioI'Ra, of his loins, and who loves him,
the Master of fche Diadems, Seti-merenptah, truthful1 : O
1. Chap. lxxxix of the Todtenbuch,
THE BOOK OF HADES 125
ravishers ! (0) runners ! Oh ! do not seize me1, great god ;
grant that this soûl of mine may come to me in every place
where I shall be. If thou delayest in leading this soûl to
me in every place where I shall be, thou wilt find the eye
of Horus placing itself against thee in the same way as the
watchers. Is it that lie lies down of those who lie down
in Heliopolis, a country where there are thousands of
towns ? If my soûl, with which is m y state of elect". is
brought to me in every place where I shall be, thou shalt
hâve laboured, guardian of heaven and earth, for this soûl
of mine: (yet) if thou delayest in making my body see its
sonl, thou wilt find the eye of Horus placing itself against
thee in the same way (as the watchers). O (you), thèse
gods who tow theboat of the Lord of Multitudes, who lead
heaven to hell, who clear (the path)3 of Nu, who make the
soûl approach the mummy, its hands full of bonds, seize
and grasp with chains, destroy the enemy. The boat re-
joices, the great god passes in peace; behold, you hâve
granted that this soûl may issue from Osiris, King Ra-
men-ma, trutliful, with his legs, on the eastern horizon of
heaven, for ever, for ever.
» Words of Osiris, King, Master of the Two Lands,
who is Ra-men-ma-aat-ra, trutliful, of the son of Ra,
loving Ptah-Sakar, of the Master of Diadems, who is
Seti-merenptah, trutliful. Ile says : Let the great ones
pass behind me. May thèse limbs of mine never grow
weak !
The Osiris, King, Master of the Two Lands, who is Ra-
men-ma-ra, trutliful, the son of Ra, of his loins, v\ ho loves
him, the Master of Diadems who is Seti-merenptah, trutli-
ful, says : Nu, support me ! I am thy son. Separate (my)
1. Lit. : « him ».
2. Khu.
'ù. Cf. Todtenbuch. ebap. lxxxix, 5.
126 THE BOOK OF HADES
weakness from what makes it exist. Osiris, King, Master
of the Two Lands, who art Ra-men-ma-ra, truthful, son of
Ra, of his loins, and who loves him, Master of the Diadems,
who art Seti-merenptah, truthful, I hâve given thee thy
head of thy bocly, there shall not grow weak any of those
limbs of the Master of Diadems, who is Seti-merenptah,
truthful. »
End of the Sarcophagus of Seti I.
Appendix
It lias beensaid that the tombsof Seti I.' and Merenptahl.4
gïve a différent version of the Book of Hades, completely
différent from that which the other tombs and the sarco-
phagus of Seti I. présent. The following is the version
from the tomb of Seti I.
Gâte
« The god arrives at tins pylon, and enters tins pylon :
this great god is adored by the gods who are there1. »
The pylon Neb-hau', the lower part of which is injured.
« At the entrance Ma-ab, in the interior six maie mum-
mies, the gods and goddesses also are in opposite them.
)) Corne to us, Inhabitant of the Horizon, great god, who
opened the refuge! Open. »
In Champollion's copy the représentation of the pylon is
accompanied by a large scène which, perhaps, takes the
place of the Psychostasis, and which is described thus :
« The god IIorus presenting the Pharaoh-Osiris to his
father Osiris, assisted by the goddess of Amenti. »
1. Champollion, Notices, t. I, p. 132 ami 770 to 77.').
L\ A/., p. 827 and 829.
3. /'./., p. 772.
4. Id., p. 773.
THE BOOK OF HADES 127
Door of the serpent Set-m-ar-f\
« He who is on this door opens to Ra. Sau says to Set-
m-ar-f: Open tby gâte to Ra; draw back thy door for Khuti.
Hewill illuminate the darkness and theshades andwill place
light in the concealed dwelling. The door closes ai' ter the
entrance of this great god, and those who are in this pylon
cry out when tliey hear this door closing. »
Scènes
First Lim:
A. Twelve bearers offorked sticks. Twelve bearers of
the Devourer ofthe coilsfrom which heads issue. Twelve
bearers ofthe ropefrom which the /tours issue. The De-
vourer is a serpent which lias twelve human heads on his
back. The rope is double, and over it twelve stars; it
terminâtes at a standing mummy, Kena, which is opposite
the other persons.
Second Lixe
B. The boat and the infernal ones. Two persons, stand-
ing, their arms wrapped up in yellow, blue or red mantles,
concealed arms, bearers of mysteries. Eiglit gods ofthe
the temples. Four gods who dwell there.
Third Line
C. Tuauti, the Infernal Horus, standing, and leaningon
a staff, before a funeral couch made of the serpent Nëhap,
which supports twelve mummies, those who accompany
Osiris, the sleepers who are in repose. Four persons,
between whom is wiïtten the word Khasit, lowering their
arms in sign of adoration.
1. Champollion, Notices.
128 THE BOOK OF HADES
Le g ends
First Line
« A. Ra says to them : Take your staves and strike.
Go, o y ou, against the Devourer ! Oh ! strike on him.
Let the heads corne out of him, and let him draw back.
They say to Ra : Our staves are for Ra. We strike the
evildoing serpent, o Ra, because lie has eaten the heads.
They issue from his coils ; lie draws back. Thèse are the
gods who are in the boat. They drive Apap from Nu, and
they raise themselves in hell. They drive avvay Apap, far
from Ra, in Amenti, (where) the Infernal guide this god.
Their food is (made) of breacl, their drink of the liquor
t'eser, their refreshment is of water. Offerings are made
to them on earth, because they drive away the impious far
from Ra in Amenti.
» Thèse are the gods who sacrifice the evil-doers to over-
tlirow the enemies of Ra. They strike the wicked one
and make the heads which were in him corne forth. (Ra)
says to them : Make the wicked one retreat ; make Apap
draw back. Let the heads which were in him corne forth.
Let him perish. lie calls them : He is destroyed, oh eaten
heads; you that were eaten, you that were devoured, corne
out of him. (Ra) calls them and they corne out of him,
whose coils had absorbed them to raise himself over them.
Now the heads had entered their coils, because this serpent
does not see, does not feel, does not hear; he feeds on their
crics, he lives on calling on himself. Their food is of offer-
ings (made) on earth, when Ra issues from hell. Oblations
are made to them as they remain under trees. (Ra says) :
Pull the rope, tear (it) from the mouth of Ken! Make
your hours corne forth. Take your opportunity for your-
selves, by them, and place yourselves in your dwellings.
(When) the rope which has entered Aken cornes out, the
THE BOOK OF HADES 129
hour is not (yet) born : Ra calls it, and it puts itself in its
place, for Akn swallows the rope\ They say to Ra : The
rope i> with AK, and the hours are with thy divine (soûl ?),
Ra, when thou shinest, thou whose bo Iy is the most mys-
terious of things. Their fond is (made) of bread, and their
drink of liquor t'eser, their refreshment is of water.' Offer-
ings are made to thera on earth, because they make(?) the
rope rise i?) out of him. »
Second Like
« B. Thegrcatgod is tovved by the Infernal. The}- say
to Ra : Towing for thee, great god, the Master ùf the Hours,
aeting according to vvhat is in the earth : The gods live by
hispowers, and the elect (by) the sightof his shapes. Ra
says to them : Power to you, towers; holiness to you,
towers! I come for the things of hell. Tow me towards
the dwelling of stable things. Free yourselves on this
mysterious mountain of the horizon.
» They possess the mystery of the great god, the danger-
ous (?), (when) those who are in hell see him, and (when)
the dead who burn in Ha-ben-ben* sec him, on the spot
where the body of this god is. Ra says to them : Let us
take, o you, m y image, embrace your mysteries in Ha-
ben-ben, in the place where mv body is, which is with me.
Mystery to what is in thee ! The mystery of hell is what
your arms conceal. They say to Ra : That your soûl may
be in heaven, Inhabitant of the Horizon, let thy shadow
ascend to the refuge. May thy body be on earth, thou
who dwellest in heaven; we give him Ra in him. Ra (?),
feed thyself and unité thvself to thy body, which is in
hell. Their food is (made) of the nutriment of Temet3, in
1. Cf. the Oknos of Mie Greeks (Pausanias. X. 24) and the Festival
of the Ass at Acanthopolis (Diodorus, I, 97;.
2. Ha-ben-ben was the naine of the great temple of Heliopolis.
3. Foi-m of Ra; cf. the Litany of the Sun.
BlBL. ÉQYPT., T. XXXIV. 9
130 THE BOOK OF HADES
which the soûls repose. Ofïerings are made to them on
earth because they see the liglit in hell.
» They are at the gâte of Ha-ben-ben; they see what Ra
sees, enter witli his mysterious image and examine what the
great ones bring. Ra says to them : My food is your food,
my nutriment is your nutriment. You are those who are
with my mysteries. Hère I ara to protect my mysteries
which are in Ha-ben-ben. Glory to you! tliat your soûls
may live. Their nutriment is the nutriment of Khuti.
)) Tuauti says to them1 : 0 gods, who dwell in hell, who
are with us and the sovereign of Amenti, you who cheer
yourselves in your places and who recline on your beds,
rai.se up your flesh, unité your boues, close together your
limbs, collect together your flesh, that the agreeable breath
be wafted to (your nostrils). »
Third Line
« C. Tuauti says to them : 0 gods who dwell in hell,
who are with the sovereign of Amenti, who cheer yourselves
in your places and who are reposing on your beds, mise up
your flesh, unité your bones, close together yourlimbs, bring
together your llesh, that the agreeable breath be wafted
to your nostrils. Uverturning to your collins, carrying off
to your headdresses' that your divine ey es may glisten. See
the liglit by them. Arouse yourselves from your swoon !
Reçoive for yourselves your fields in theplaiu Neb-hatap-u,
Fields are yours of this plain, and its water is yours. Unité,
thanks tome, fields in Neb-hatap-u. Their refreshment is
of water. Xi. n \i' is lie who places their bodies; their soûls
arise there towards the plain of Aaru, which is given (to
them) to refresh themselves there. Tins land produces
1. 'J'hi-- end is tho beginning — mit of ils place — oi the following
line.
2. Ant, instead "i Afent.
THE BOOK OF HADES 131
their food and their méat, their refreshment is of water.
Oft'erings hâve been made to them on earth as to the mum-
my which reposes on its bed.
» They are in the circuit of tins Khaset, there is an
urseus erect in tins Khaset. The water of tins Khaset is
of fire. The gods of the earth and the soûls of the land
do not descend towards tins Khaset, on account of the
flame of this uraeus. This great god who is in hell lives
on the water of this Khaset. Ra says to them : Oh ! return
to gods and soûls of the holy Khaset given for the water
which is in Auker ! The water of this Khaset is Osiris1,
and this tank the inhabitant of hell. Thy fire being bur-
ning, be devouring for the mouth of the soûls, which rise
towards thee. 0 Osiris, thou dost not perish ! 0 Khaset,
thou dost not perish. The gods do not take possession of
it and take care of his water. Their food is (made) of bread,
and their drink of the liquor t'eser, their refreshment is
of water. Ofïerings are made to them on earth as to
the destroyer in Amenti. Neb-hatap-u2 , there are fields
of this plain for you, and its water is yours. Return
thanks to me, to fields in Neb-hatap-u. Their refreshment
is of water, Nehap is lie who places their bodies. Their
soûls rise towards the plains of Aaru to take possession of
(their tanks). »
1. The assimilation of Osiris to water is known by other texts.
2. Thèse last sentences, which hâve already been given. are wrongly
repeated hère.
13*2 THE BOOK OF HADES
NOTE
D'après des notes que l'auteur ajouta à son exemplaire, les divi-
sions du Book of Hades doivent être remaniées de la façon sui-
vante :
lre Division, qui comprendrait les lre et 2e Div. du texte publié.
2e — — la 3° Division —
3« — — la 4- — —
4« — — la 5e — —
5« — — la 6« — —
6e — « Exterior side of the lid », non
numéroté dans le texte publié.
7e — — la 7e Division du texte publié.
8- la 8» - —
9° — — la 9" — -
10« — — la 10« — —
11- — la lie — —
La version donnée à VAppendix, d'après le tombeau de Séti Ier,
serait à rapprocher de la 5e division (6e du texte publié), Osiris et le
porc.
Nous axons introduit dans le texte publié aux Records of the
Past les corrections notées par Lefébure en marge de son exem-
plaire.
DISCOURS
Prononcé à 1 "ouverture des
CONFÉRENCES D'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE
A LA FACULTÉ DES LETTRES DE LYON
Le 26 avril 1879*
Messieurs,
L'étude de l'Egypte ancienne sollicite votre intérêt à plu-
sieurs titres, et ce sont ces titres qu'il faut avant tout vous
soumettre, afin d'expliquer, s'il est nécessaire, la portée de
l'enseignement qui vous est proposé. La meilleure manière
d'y réussir sera sans doute d'exposer simplement à votre
bienveillante attention l'origine, le développement et les
résultats de la science égyptologique. Ce résumé va être
tenté d'une façon bien insuffisante : puisse la cause triom-
pher de son défenseur! Il n'y a pas de fausse modestie à
vous mettre en garde contre lui, Messieurs, et à vous
demander une indulgence trop nécessaire, en présence des
maîtres qui représentent ici l'éclat de la parole et l'honneur
des lettres.
1. Publié en brochure séparée, aux frais de la Faculté des Lettres
de Lyon, sous forme de brochure in-8°, Lyon, Pitrat, 1879, 22 pages.
- G. M.
134 DISCOURS PRONONCÉ A L'OUVERTURE
Un esprit d'analyse et de critique, correspondant au be-
soin de précision qui caractérise les sciences, renouvelle
depuis près d'un siècle l'étude de l'antiquité. A côté de
l'histoire des historiens, souvent défigurée par la passion et
l'ignorance, on a reconnu d'autres témoignages, moins liés
mais plus authentiques, qui subsistent épars dans les ins-
criptions, les temples, les tombeaux, les armes, les instru-
ments, bref, dans tous les débris matériels des peuples morts
ou des siècles écoulés. C'est au milieu de semblables docu-
ments, sans cesse augmentés par les trouvailles ou les
fouilles, que grandit l'archéologie, qui reconstruit le passé
avec ses propres ruines, et qui recule parfois les bornes de
nos connaissances jusqu'aux questions d'origine. Unie et
parfois confondue avec la linguistique, elle suit les traces
des Phéniciens et des Celtes, jette un jour nouveau sur
l'Italie comme sur la Grèce, et pénètre au cœur du monde
assyrien, pour ne citer que quelques exemples de ses pro-
grès. Mais nulle part elle ne trouve un champ plus fécond
et plus vaste que dans la civilisation pharaonique, où l'abon-
dance des matériaux ne le cède point à la nouveauté du
sujet.
L'Egypte est le pays des ruines : on peut dire que l'his-
toire de plusieurs milliers d'années s'y lit sur des pierres
sans nombre. Ses anciens habitants se flattaient d'élever des
temples et de creuser des tombeaux pour l'éternité, préten-
tion vraiment à demi justifiée, car les pyramides de Gi/eli
et la forêt de tours de Karnak subsisteront peut-être aussi
longtemps que la terre même qui les porte: les ressources de
la mécanique moderne s'épuiseraient à les détruire. D'autres
monuments son! moins durables, mais leur nombre com-
pense leur fragilité relative. La haine dos Pasteurs] la folie
de Cambyse, la barbarie des Turcs et l'avidité des fellahs
ont promené en vain leurs ravages aux bords du Nil : elles
n'ont pu appauvrir cette prodigieuse mine historique dont
les couches successives s'enfoncent au delà des âges connus.
DES CONFÉRENCES D' ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE 135
Les membres de la Commission d'Egypte commencèrent a
exploiter ces richesses, que depuis Champollion les savants
européens n'ont pas cessé de recueillir, et pourtant les
fouilles heureuses de M. Mariette continuent d'arracher des
monuments nouveaux aux sables et à l'oubli.
Une telle abondance de documents est d'autant plus pré-
cieuse que l'Egypte resta peu ou mal connue des anciens,
qui ne s'éloignaient guère par l'esprit des centres grec el
romain. Plusieurs ont visité le pays des Pharaons, comme
Hérodote, Diodore, Strabon, et peut-être Solon, Pythagore
et Platon, d'autres l'ont habité, comme Théocrite et Juvé-
nal, d'autres y sont nés, comme Plotin. La civilisation
grecque s'y est même transportée presque tout entière avec
les Ptolémées; Rome y a emprunté des cultes qui ne de-
mandaient qu'à se produire, nosci volentes, suivant l'ex-
pression de Lucain : aucun écrivain de l'antiquité n'a compris
et utilisé de première main, cependant, la langue et la
littérature d'une nation regardée alors comme l'institutrice
des autres. Les touristes et les fonctionnaires se bornaient
de leur côté à voir les Pyramides, à écouter Memnon, à
disserter sur les sources du Nil, et ils semblent avoir mis les
vins du Delta au-dessus de cette vieille sagesse égyptienne
qu'ils admiraient sur parole.
Les récits d'un voyageur souvent crédule, Hérodote, d'un
compilateur sans beaucoup de critique peut-être, Diodore,
d'un géographe consciencieux, mais ici trop bref, Strabon,
les renseignements plus directs sur les dynasties, le cycle
osirien et quelques symboles, recueillis principalement par
Eusèbe, Plutarque et Horapollon, nombre de détails épars
dans les poètes, les philosophes, les polygraphes et les
Pères de l'Église, tout cela formait encore, à la lin du
XVIIIe siccle, un amas confus de vérités et d'erreurs sur
lequel la critique moderne avait à peine prise, et d'où elle
n'avait su tirer qu'une compilation estimable, le Panthéon
de Jablonski. Seule, entre les mains de quelques savants,
136 DISCOURS PRONONCÉ A L'OUVERTURE
l'étude du copte préparait dans sa mesure la découverte qui
allait, grâce à notre expédition en Egypte, percer comme un
trait de lumière le secret du vieux sphinx.
Le général Bonaparte ne se doutait guère, quand il lit
décréter l'expédition d'Egypte par le Directoire, que le
résultat le plus réel du vaste déploiement de forces provoqué
par lui serait la lecture des hiéroglyphes. C'est pourtant
ce qui arriva. La guerre aboutit véritablement à la conquête,
non de l'Egypte moderne, mais de l'Egypte ancienne, vic-
toire qui vaut celle des Pyramides, et à laquelle le patrio-
tisme trouve son compte aussi bien que la science, car un
Français la remporta avec des armes françaises, c'est-à-
dire avec l'aide des matériaux réunis par les savants de
l'expédition.
On a raconté bien des fois comment la découverte d'un
texte bilingue, la pierre de Rosette, permit à Champollion
de comparer quelques noms royaux écrits en caractères
grecs et égyptiens, puis comment les signes alphabétiques
lus ainsi l'amenèrent à retrouver dans les hiéroglyphes une
langue analogue au copte, que parlait l'Egypte chrétienne.
Telle fut, en effet, la marche de la découverte, mécanisme
fort simple quand on l<i connaît, et que plusieurs érudits
avaient d'ailleurs soupçonné comme Champollion; mais là
n'est pas le mérite du maître. Son mérite consiste dans le
parti qu'il sut tirer de ces premières données, c'est-à-dire,
en somme, dans l'étendue du savoir et la sagacité de l'es-
prit portées au point où leur réunion devient du génie. Il
ne fallut rien moins que du génie, en effet, pour pénétrer
dans le dédale des écritures égyptiennes, et en tirer cette
admirable Grammaire que Champollion nommait sa carte
de visite à la postérité. Si l'on en juge par les lents débuts
du déchiffrement des cunéiformes, aucun savant n'aurait
osé rêver un pareil résultai : de même qu'il fallait Ulysse
pour tendre l'arc d'Ulysse, Champollion seul pouvait peut-
être accomplir l'œuvre de Champollion. C'est donc justice
DES CONFÉRENCES d' ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE 137
de commencer par son éloge, quand on parle de la science
qu'il a créée : ses successeurs eurent assurément beaucoup
à taire, mais ils ne l'ont dépassé qu'en l'imitant, et c'est
en définitive à lui, se survivant dans sa méthode, qu'on doit
toutes les découvertes accomplies jusqu'à ce jour.
Le principe de ces découvertes a été l'explication du sys-
tème graphique, et l'on peut apprécier ici la grandeur de
l'effort qui a conduit Champollion à la tombe et à la gloire.
Il est souvent difficile, parfois même impossible, de lire une
dépèche habilement chiffrée dont on n'a pas la clef, et
cependant les clefs diplomatiques ne comportent guère
d'autres éléments que des chiffres et des lettres exprimant
quelque langue connue par des combinaisons restreintes.
Mais que dire d'un immense cryptogramme à milliers de
signes, où un seul caractère pourrait être une lettre, une
syllabe, un polyphone, un mot et un déterminatif, où le
même son se rendrait souvent et successivement cle plusieurs
manières, où les textes recevraient presque toutes les direc-
tions possibles, où les voyelles seraient tantôt écrites, tan-
tôt supprimées, dont chaque élément se détonnerait au
point que le tracé le plus cursif ne rappellerait [tas plus son
type que notre a ne rappelle un aigle, et dont entin la
langue même resterait à reconstruire, car l'égyptien ne res-
semble guère plus au copte que l'espagnol au latin ! Main-
tenant que toutes les difficultés sont aplanies , le chaos
hiéroglyphique ne nous offre plus, au lieu d'un tel aspect,
qu'un tout harmonieux, dans lequel l'alphabet se joue, avec
une sorte de grâce, autour de signes syllabiques rappelant le
son ou le sens d'une foule de mots, tandis que les mots eux-
mêmes sont distribués en catégories ingénieuses par des
caractères qui les déterminent, et que chaque anomalie est
une élégance qui s'explique par son contexte. De plus, on
se trouve en présence d'une langue claire et logique, aussi
simple que sa représentation est compliquée.
Une barrière, qu'on s'étonne de ne plus trouver insurmon-
138 DISCOURS PRONONCÉ A L'OUVERTURE
table, se dressait devant les recherches : un seul homme l'a
renversée, et dès lors il a suffi d'une génération de savants
pour porter la connaissance des hiéroglyphes à un tel point,
qu'au bout de quarante ans la découverte du décret bilingue
de Canope n'a pu rien apporter à la science, si ce n'est une
éclatante justification de la méthode suivie. D'illustres sa-
vants, qui n'ont pas tous dit leur dernier mot, MM. de
Rougé et C ha bas, en France, Lepsius et Brugsch, en Alle-
magne, Birch et Goodwin, en Angleterre, ont avancé à la
fois l'étude de la grammaire, du dictionnaire, de la chrono-
logie, de la géographie et de l'histoire, facilitant, par leurs
admirables ouvrages, la tâche des travailleurs qui se mul-
tiplient dans toute l'Europe. Ceux-ci, parmi lesquels il
serait difficile de choisir sans injustice quelques noms, per-
fectionnent à leur tour l'œuvre collective qu'ils ne termine-
ront sans doute pas. Les grandes publications du British
Muséum, de la Commission prussienne, du Musée de Leyde
et du vice-roi d'Egypte, sans parler des recueils à venir,
accumulent trop de ressources pour que l'égyptologie ne
reste pas longtemps encore une science progressive, c'est-à-
dire inachevée, mais certaine, et digne d'attention par les
problèmes qu'elle résout comme par les questions qu'elle
pose.
Telle qu'elle existe ainsi, l'archéologie égyptienne pré-
sente une physionomie toute spéciale. Jeune encore, elle
n'apporte pas lentement des résultats secondaires, mais elle
découvre rapidement les faits capitaux de l'histoire qu'elle
recompose : elle est, dans sa sphère, maîtresse et non ser-
vante, c'est-à-dire qu'elle est aidée et non dominée par les
documents classiques, qui n'ont de valeur que s'ils con-
firment les siens. De plus, elle trouve sans cesse à s'exercer
sur «les matériaux inexplorés, qui presque Ions offrent des
gages de certitude. Beaucoup de monuments, en effet,
portenl soil une date de règne, soit un nom de roi. cir-
constance qui a permis de discerner d'après (\r* règles fixes
DES CONFÉRENCES D'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE 139
les caractères appartenant, selon les époques, aux diffé-
rentes œuvres d'art ou de littérature. Enfin, les traits les
plus généraux, comme les détails les plus ténus, ne sau-
raient échapper longtemps à la connaissance de la langue,
due à un système d'analyse qui a fait ses preuves, et qui ne
demande le sens des mots qu'à la comparaison des textes.
Ici, la fécondité du sujet, l'appât des découvertes et l'ingé-
niosité de l'écriture peuvent attirer l'esprit sans grand péril :
les faux systèmes sont vite renversés, et il n'y a plus place
pour les hypothèses qui viennent troubler les science- à
leur début.
Il existe sans doute bon nombre de lacunes dans les con-
naissances acquises, et, sur beaucoup de points, on ne saurait
porter encore un jugement général. Certaines nuances de
l'épigraphie ptolémaïque nous échappent, le fil de la chro-
nologie reste brisé en maints endroits, l'économie politique,
l'organisation administrative, la géographie, le calendrier et
le vocabulaire présentent plus d'une incertitude, la mytho-
logie garde presque tout son mystère, mais ces difficultés
sont le charme et non l'écueil d'une science qui a trop de
solidité, maintenant, pour attendre d'un obstacle autre chose
que le plaisir de le vaincre.
D'ailleurs, bien des résultats importants sont déjà obte-
nus. D'un côté, les liens qui unissaient plus ou moins direc-
tement l'Egypte aux autres peuples se révèlent ou se con-
firment : d'un autre côté, l'aspect individuel de la race se
dégage assez nettement pour qu'on puisse le suivre dans ses
grandes lignes. C'est en se plaçant à ce double point de vue
qu'on appréciera le mieux les fruits d'une méthode qui, dès
à présent, permet de marquer la place de l'Egypte dans
l'histoire du monde.
Et d'abord, les documents élucidés intéressent l'histoire
classique comme l'histoire juive, pour ne parler que de
celles qui nous touchent de plus près : ils se rattachent par
là aux annales des peuples qui ont fait l'Europe ce qu'elle
140 DISCOURS PRONONCÉ A L'OUVERTURE
est aujourd'hui. Objet d'une lointaine admiration pour les
contemporains d'Homère, but do voyage pour Abraham
et Jacob, tantôt alliée et tantôt ennemie des rois hébreux
ou des confédérations helléniques, l'Egypte fut mêlée aux
deux races par l'invasion des Pasteurs sémitiques et l'in-
troduction des mercenaires grecs, jusqu'à ce qu'enfin,
réunissant après sa conquête par Alexandre les doctrines
platoniciennes et les croyances juives avec les siennes pro-
pres, elle devint le centre du singulier mouvement d'exal-
tation religieuse qu'on nomme le gnosticisme. Les monu-
ments qu'elle a élevés pendant une aussi longue suite de
siècles ne peuvent manquer de jeter sur ses voisins quel-
ques lumières nouvelles. Tout en prouvant qu'il faut rece-
voir parfois avec défiance le témoignage de l'antiquité
classique, souvent rectifié par eux, ces monuments montrent
encore, dans les Grecs, un peuple plus ancien qu'il ne le
croyait lui-même. Bien avant l'époque assignée à la guerre
de Troie, et vers le temps de Moïse, certaines populations
ioniennes et italo-grecques, taisant déjà le métier de pirates,
se coalisaient pour attaquer l'Egypte par mer. C'est ce que
nous apprennent, avec de curieux détails sur les armes, les
costumes et les mœurs, quelques inscriptions de Karnak et
de Médinet-Habou, confirmées par le grand papyrus Harris.
Les Sardiniens étaient dès lors à la solde des Pharaons, et
les Celles eux-mêmes paraissent avoir laissé leur trace, an-
térieurement a Moïse, dans l'hypogée de Séti Ier où les
liommes du Nord figurent, avec la barbe blonde et les yeux
bleus, parmi les quatre divisions de l'espèce humaine.
Mais les Égyptiens connaissaient mieux les races sémi-
tiques (pie les races indo-européennes, séparées d'eux par la
Méditerranée. Au temps de leurs conquêtes, alors qu'ils oc-
cupaienl militairement la Syrieet la Palestine, ils poussaient
la manie «lu sémitisme jusqu'à emprunter des mots ou des
nom- à leurs voisins immédiats, dont ils visitaient les villes
dans des voyages spéciaux : il reste encore les notes d'un
DES CONFÉRENCES d' ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE 111
scribe sur ce dernier sujet. De leur côté, les populations
limitrophes affluaient souvent vers la Basse Egypte, et une
scène d'un hypogée de Béni-Hassan figure, avant Joseph,
l'arrivée d'une troupe d'Asiatiques accompagnés de leurs
ânes. Les papyrus nous ont même conservé le nom des
Hébreux, qu'ils représentent comme traînant la pierre pour
les constructions de Ramsès. L'histoire de Moïse et celle de
Joseph, toutes deux d'une couleur locale si vraie, s'encadrent
parfaitement dans les données égyptiennes. On admet que
Moïse naquit sous Ramsès II, pharaon dont les filles sont
représentées sur des monuments où se trouve ainsi, sans
doute, le portrait de la princesse qui recueillit l'enfant
sauvé des eaux. Il existait encore entre les Égyptiens et les
Hébreux d'autres rapports plus intimes, que les monuments
l'ont ressortir, et qui consistent en une certaine communauté
d'idées ou de coutumes religieuses, telles que la pratique de
la circoncision, l'emploi du lin pour les vêtements sacer-
dotaux, l'horreur du porc, la croyance à une ancienne des-
truction de l'humanité corrompue, et une conception parfois
analogue de Dieu comme auteur et maître du monde.
On trouve la l'indice d'une parenté à l'appui de laquelle
viennent en outre d'incontestables analogies linguistiques,
surtout dans les procédés grammaticaux. D'autres ressem-
blances ont été signalées entre le vocabulaire égyptien et
celui des racines aryennes, de sorte que les études égypto-
logiques apportent leur part de renseignements sur une
question encore obscure, celle de savoir si les langues carac-
térisant les deux grandes divisions de la race blanche ont
ou n'ont pas une souche commune.
Bien que pressée de différents côtés, comme on vient de le
voir, par des populations sémitiques ou aryennes, et malgré
des relations nombreuses avec la race noire, l'Egypte a su
pourtant rester elle-même jusqu'à la naissance du christia-
nisme, c'est-à-dire pendant toute la première moitié de
l'histoire du monde. Sous plusieurs dominations étrangères,
142 DISCOURS PRONONCÉ A L'OUVERTURE
elle a vécu pendant des siècles de sa vie propre, en main-
tenant son organisation, sa religion, son art et sa littérature,
toutes choses qui sont nées de son caractère ou qui l'expri-
ment. Ce sera terminer le tableau des conquêtes de la science
que de retracer autant que possible, dans son principe et
ses manifestations, ce caractère profondément original.
Les Égyptiens sont, d'après leur type et leur langue,
un peuple de la race blanche établi depuis un temps immé-
morial dans la longue vallée étroite qui suit le Nil jusqu'aux
cataractes. Isolés sur cette mince bande de terre que deux
déserts bornent, ils durent, pour vivre, s'y livrer à des tra-
vaux d'agriculture qu'heureusement la fertilité du sol fa-
vorisa. Ils furent avant tout des laboureurs, mais, comme
on s'adonne volontiers à ce qui réussit, des laboureurs in-
dustrieux et riches. Dès les premières dynasties, les pein-
tures de leurs tombeaux montrent que la culture du blé, du
lin. delà vigne et des jardins, l'arrosage, l'élève des bestiaux,
le soin de la basse-cour, du cellier et du ménage, en un mot,
que la maison rustique égyptienne valait la maison rustique
européenne, avant du moins l'invention des machines qui
renouvellent celle-ci. Do plus, les métiers et les arts d'uti-
lité et de luxe en usage chez les anciens apportaient déjà
leur concours au bien-être commun.
Mais cette prospérité tenait au Nil, père et nourricier du
sol, qui, après l'avoir formé de son limon, le fertilisait ou
le stérilisait suivant la hauteur de sa crue périodique.
Visités tour à tour par l'abondance et la disette, les premiers
Égyptiens songèrent à assurer l'une en prévenant l'autre, et
s'associèrent pour gouverner leur fleuve. Leurs petites peu-
plades primitives, dont quelques traces paraissent dans la
persistance des religions et des querelles locales, se grou-
pèrent peu à peu sous un pouvoir unique, maître de toutes
les forces de la société par le sacrifice qu'on lui lit de l'indé-
pendance ou de la propriété personnelles. Une direction
forte, active, vigilante, éleva partout des terrassements et
DES CONFÉRENCES D' ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE 143
des chaussées pour placer et relier les villes, couvrit le pays
de canaux, de digues et de réservoirs destinés à recevoir ou
à distribuer l'eau selon l'année, et occupa à mouvoir ce vaste
système de prévoyance toute une aristocratie hiérarchisée
d'administrateurs.
Ainsi le besoin d'agir en masse, centralisant une popu-
lation» agricole, devint le support où s'appuya l'énorme
puissance des Pharaons. Une autre cause, en même temps,
contribuait à fonder et à fortifier cette puissance. Certaines
inscriptions sépulcrales, l'invasion des Hycsos et l'histoire
de Joseph prouvent que la vallée du Nil offrait, par sa
position, un lieu de refuge ou un but de conquête aux Asia-
tiques, guidés par l'isthme de Péluse comme par un chemin.
Il fallut prévenir l'encombrement ou le danger de ces
arrivées, et entourer les paisibles travaux champêtres d'un
cercle de soldats, placés sous les ordres immédiats des rois
pour la promptitude et l'unité de l'action. Aussi, les titres
sculptés dans les tombeaux voisins et contemporains des
pyramides indiquent-ils, déjà, la complication savante des
rouages par lesquels le Pharaon dirigeait l'administration
militaire et civile, l'entretien du fleuve et le service de sa
maison.
En s'organisant dans le inonde pour vivre, les Egyptiens
avaient songé à expliquer le monde ainsi qu'à recommencer
la vie, et leur religion s'était développée à travers leur
société suivant ce besoin, naturel à l'homme, de demander
au Dieu qu'il devine dans l'univers l'achèvement du bonheur
pour lequel il se sent né. Au contraire des Bouddhistes,
pour qui l'action est vaine puisqu'elle passe, les Egyptiens,
heureux d'un travail prospère, d'un climat sain et d'une
constitution vigoureuse, fondèrent leur foi sur leur tendance
à agir et leur amour de vivre.
Ils crurent à la persistance de l'énergie vitale chez
l'homme, et ils adorèrent la bienfaisance de la force créatrice
dans la nature. Cette force se manifestait, aux bords du
144 DISCOURS PRONONCÉ A L'OUVERTURE
Nil, (Tune façon trop éclatante sous les formes de l'humidité
et de la chaleur, pour que le soleil et l'eau n'y fussent pas sur-
tout divinisés. Assimilée au ciel qui lui ressemble, l'eau fut
généralement prise, à cause de sa passivité, pour la mère et
l'épouse du soleil. De son côté, le soleil, ce roi de la vie qui
s'engendre lui-même au firmament par son activité propre,
devint une sorte de pharaon céleste adoré partout, et en
conséquence le Dieu suprême, âme de l'univers, dont les
autres dieux, ciel, air, terre, lune ou étoiles, n'étaient que
les dérivations, ou, pour employer une expression égyp-
tienne, les personnes.
Toutes ces divinités, qui peuplèrent le panthéon égyptien
par triades de pères, de mères et de fils, veillaient sur les
vivants, mais surtout protégeaient les morts. La croyance
à l'immortalité de l'homme, regardé comme une image du
soleil nocturne ou Osiris, forma en effet la partie vive, le
cœur de la religion nationale, dans ce pays où le jeu des
phénomènes naturels imite si bien une résurrection inces-
sante par sa régularité nue et fixe. Au milieu du prompt
renouvellement des choses, qui jamais ne s'y lasse, ne s'y
arrête ou ne s'y varie d'un accident qui le voile, il était
difficile de croire que l'homme, cette puissance aussi active
que les autres, perdrait seul, en un instant et pour toujours,
le bonheur d'être.
11 est vrai qu'après la mort l'âme quitte le corps qui se
dissout, niais cette dissolution l'ut combattue et ce départ
expliqué. On regarda la putréfaction comme l'œuvre d'une
force ennemie, d'un Dieu malfaisant qui cherchait, comme
Typhon dans la légende d'Osiris, a disperser le corps pour
le détruire, et on immobilisa la fuite de la forme humaine
par des aromates, des bandelettes, des cercueils triples ou
des tombeaux murés. Quant a l'âme, puisque le sentiment
du bien et du mal enseigne qu'il faut mériter pour obtenir,
on pensa qu'un jugement du tribunal divin la réunissait au
corps, ou bien la condamnait à une mort nouvelle, suivant
DES CONFÉRENCES D' ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE 145
la somme et le poids de ses vertus et de ses vices. Un tel
soin de la momie exagéra certainement le pouvoir des prê-
tres, mais une telle sanction de la justice contint peut-être
le despotisme des Pharaons, tout en valant à l'Egypte des
lois que l'antiquité admira.
De même que la société, la religion était constituée d'une
manière définitive dès les premiers rois : c'est sous cette
forme ancienne qu'elles ont laissé leur empreinte dans la
littérature qui, à travers les changements partiels qu'une
race ne saurait éviter, exprime dans son ensemble un état
d'esprit antérieur à Mènes, on tout au moins contemporain
des pyramides.
Si l'on est loin de posséder tous les livres qui devaient
remplir la bibliothèque d'un lettré ou d'un prêtre, on a du
moins retrouvé et interprété bien des textes et bien des
papyrus contenant des traités de morale, de mathématiques
ou de médecine, des lettres familières, des pièces de comp-
tabilité, des dossiers judiciaires, des compositions mytho-
logiques, des exercices littéraires, des hymnes, des poèmes,
des contes et des récits historiques : pourtant, dans cet en-
semble qui embrasse a peu près tous les objets de la pensée,
rien ne révèle des tendances spéculatives ou progressives.
Vers le début de la période historique, lorsque toutes les
inventions nécessaires au bien-être furent connues, l'esprit
égyptien semble s'être fermé à toute réflexion et à toute
impression nouvelles, pour s'appuyer sur les données, les
axiomes et les procédés acquis. La composition ou la révé-
lation des textes les plus vénérés de la religion, de la morale
ou de la médecine, étaient rapportées aux règnes des pre-
mières dynasties.
En conséquence de tels principes, la partie utile des
sciences connues, assez avancée d'abord et fondée sur quel-
ques découvertes empiriques, ne progressa point : la partie
théorique resta dans l'enfance. L'astronomie, par exemple,
malgré de bonnes observations, ne présente jamais dans les
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 10
146 DISCOURS PRONONCÉ A L'OUVERTURE
textes ptolémaïques comme dans les hiéroglyphes anciens,
d'autre système que celui-ci : sur une mer sans fin que l'air
soutient au-dessus du globe terrestre, le soleil tourne le jour
autour de la terre qu'il traverse la nuit, tiré dans son cours
par le mouvement des étoiles agissant à la façon d'une sorte
de contre-poids. En toutes choses on regardait la civilisation,
établie au temps où les dieux régnaient ici-bas, comme une
œuvre plus qu'humaine à laquelle il ne fallait rien changer,
et dont il restait simplement à tirer le meilleur parti
possible.
C'est ce qu'indiquent bien les livres de maximes, qui re-
commandent l'obéissance aux dieux, aux rois et aux parents,
le respect de la hiérarchie, l'esprit de famille, l'affabilité et
la prudence dans les rapports sociaux, en un mot, tout ce
qui peut rendre la vie agréable dans un État constitué :
il n'y a point là de déductions philosophiques, mais, outre
une morale pure et une vraie bonté, le fonds d'expérience
nécessaire pour devenir habile en restant honnête. Quelques
exercices épistolaires décèlent aussi, dans la comparaison
des différents métiers, ce sens pratique qui n'a jamais fait
défaut aux Égyptiens, et qui se rencontre là même où on le
soupçonnerait le moins : les textes funéraires et religieux,
comme les recettes médicales, contiennent en effet un très
grand nombre de prières ou d'hymnes ayant pour seul but
de mettre les fidèles, les défunts ou les malades, hors de
toute atteinte malfaisante sous la protection des dieux in-
voqués. La grande compilation qu'on nomme le Livre des
Morts n'est, entre autres, qu'un recueil de formules magi-
ques destinées à procurer des avantages spéciaux.
Le sens pratique est le contraire du génie poétique;
néanmoins, comme aucun sentiment naturel ne peut manquer
totalement à L'âme d'une race, l'esprit positif n'exclut pas
la poésie, mais il la limite, et, en l'enfermant dans la sphère
où il se complait lui-même, il lui ôte à la fois les ailes et
l'horizon, c'est-à-dire l'élan qui l'emporte vers les objets
DES CONFÉRENCES D'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE 147
qu'elle préfère. La poésie se rencontre donc peu dans la
littérature de l'Egypte, et moins qu'ailleurs peut-être dans
les œuvres d'apparat faites à la louange des rois ou des dieux,
malgré le rythme des versets et le cliquetis des assonances,
contrastant avec l'allure si simple des récits ou des contes.
Ce genre officiel, où les épithètes banales comme les titres
connus tiennent trop de place et où l'emphase ne corrige
pas la froideur, a pour type une composition très admirée
sous Ramsès II qu'elle célébrait : c'est le poème de Pen-
taour, dont le principal mérite est de marquer le niveau lit-
téraire du peuple qui, à son plus beau siècle, l'a jugé un
chef-d'œuvre. La verve n'anime guère que les sujets ana-
créontiques, comme le montrent certains papyrus récemment
étudiés : dans ces chants de la rose et de l'œillet qui se
disaient à table avec accompagnement de cithare, et dans
quelques épitres satiriques qui pour nous les commentent, la
crudité des détails compose une peinture grossière mais
vivante, qui révèle la nature de talent propre aux Égyptiens,
et qui présente l'aspect de la réalité, mais n'éveille pas
l'idée de la beauté.
Si, quittant le domaine de l'archéologie pour celui de
l'esthétique, on cherchait le beau égyptien, c'est à l'art et
non à la littérature qu'il le faudrait demander. Là, bien que
le manque habituel d'initiative ait conservé d'anciennes im-
perfections et changé les renaissances en retour vers le
passé, la recherche du réel fît produire au moins à la sculp-
ture des œuvres dignes de tout éloge : l'architecture sur-
tout, alliant le simple au grand, grâce au défaut d'imagi-
nation et à l'appui du despotisme, parvint à une incompa-
rable puissance d'effet. Mais l'égyptologie n'a pas à juger
un art qui peut être apprécié en dehors d'elle, qui l'a été,
et à qui elle demande, pour sa part, des renseignements
plutôt que des impressions : il n'y a donc pas à insister sur
ce point.
Ainsi, l'étude des hiéroglyphes révèle avec certitude dans
148 DISCOURS PRONONCÉ A L'OUVERTURE
les Égyptiens un peuple arrivé, dès le début de sa vie his-
torique, à une civilisation avancée qu'il a maintenue sans
la dépasser ou la changer, et dont la partie matérielle l'em-
portait sur le côté intellectuel. Plus apte aux jouissances du
bien-être qu'aux spéculations de l'esprit, l'Egypte s'est
longuement immobilisée, sous le despotisme protecteur de
ses rois, dans un profond attachement à la vie, présente et
future. Pendant toute la période de l'antiquité qui précéda
le christianisme, elle a subsisté de même, utilitaire et
stationnaire à la fois, avec la solidité grandiose des monu-
ments qu'elle élevait, soit que la nécessité du travail et de
la règle ait fait d'elle le peuple pratique et docile que mon-
trent son manque de poésie et son attachement aux vieilles
coutumes, soit qu'une réelle infériorité de race l'ait retenue
dans le culte d'un passé dont elle ne pouvait renouveler
l'effort, soit que, dans un sens plus large, son état repré-
sente une des haltes nécessaires de l'humanité sur la route
du progrès, halte prolongée ici par la plus heureuse situation
géographique de la terre.
Quelle que soit sa cause, cet arrêt tant de fois séculaire
nous a légué des bienfaits dont les sciences dites préhis-
toriques nous enseigneront peut-être toute l'étendue. Si
nous ne connaissons pas entièrement la part de l'Egypte
dans l'invention ou la transmission des industries et des
arts, au moins savons-nous déjà que sa longue durée inities
races voisines à même de lui emprunter, à leurs heures, des
découvertes qui lui sont propres : on lui doit ainsi non
seulement le papier, mais encore l'alphabet, c'est-à-dire en
somme le livre, qui a doté l'esprit d'un si puissant moyen
de progrès, et qui a aidé a la mémoire autant que l'impri-
merie supplée a l'écriture on la vapeur à la marche.
Mais l'Egypte a lait pins que nous laisser l'outillage ma-
tériel de la pensée, puisque, en retraçant par lui toute la
partie du passé qu'elle a reflété ou vécu, elle nous donne mi
nous promet (et c'est i'i le grand intérêt de son étude) les
DES CONFÉRENCES D'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE 149
plus anciens renseignements qu'on possède et qu'on puisse
espérer peut-être sur l'état de la flore et de la faune antiques,,
comme sur celui des races humaines aux débuts de la civi-
lisation. Par là, l'Egypte a permis de la placer elle-même
au seuil de L'histoire, et maintenant sa ligure imposante,
mais incomplète encore, apparaît au premier rang dans
cette famille de types, ressuscites par l'étude, auxquels
l'humanité présente demande la conscience de son passé
comme l'intuition de son avenir.
C'est à la génération actuelle qu'il appartient, Messieurs,
de mettre dans une lumière de plus en plus éclatante une
race vénérable entre toutes, puisqu'elle se montre à nous
comme l'aïeule des nations civilisées. Peut-être même le
siècle qui s'achève saura-t-il déjà rétablir dans ses parties
essentielles et comme redresser sur sa base ce grand mono-
lithe de l'histoire. La France, pour sa part, n'a point failli
jusqu'à ce jour à la tâche que lui impose l'honneur des pre-
mières découvertes. La chaire de Champollion, par exemple,
a trouvé des successeurs clignes du maître en M. de Rougé,
qui a laissé partout l'empreinte définitive d'une critique
presque infaillible, et en M. Maspero, pour qui les nuances
les plus délicates de la langue n'ont plus de secrets. D'un
autre côté, la région même de notre pays dont Lyon est le
centre a contribué, dans une large mesure, aux progrès de
l'archéologie égyptienne. N'est-ce pas à Grenoble que les
entretiens de Fourier ont déterminé la vocation de Cham-
pollion, et n'est-ce pas à Chalon-sur-Saône que M. Chabas a
pris rang parmi les égyptologues les plus éminents de
l'Europe ? N'est-ce pas enfin dans Lyon même que l'un des
habitants de cette ville, avec une magnificence éclairée digne
des grands citoyens de l'Italie au temps de la Renaissance,
vient d'offrir une place à l'Egypte ancienne dans le palais
qu'il destine aux arts de l'Orient'.' Rien n'empêche d'espérer
que d'aussi nobles exemples seront suivis dans les limites du
possible, car, il ne faut pas l'oublier, si l'archéologie égyp-
150 CONFÉRENCES D'ARCHÉOLOGIE ÉGYPTIENNE
tienne exige dans tous les détails qu'elle comporte les pré-
cautions patientes d'une analyse minutieuse, la découverte
y est parfois plus grande que la peine : in tenui labor, at
tenuis non gloi'ia.
LES
ni
RACES CONNUES DES EGYPTIENS
Aucune nation ne remonte aussi loin que l'Egypte dans
le passé : nous ne saurions, par conséquent, attacher trop
d'importance à ce qu'elle nous apprend sur nous-mêmes,
c'est-à-dire sur l'ancienneté, la filiation ou la parenté des
grandes races historiques. Jusqu'à l'avènement de l'Assyrie
et de la Grèce, elle a été comme le centre involontaire du
monde civilisé, attirant toutes les curiosités et toutes les
cupidités qui venaient lui ravir, chez elle, la jouissance de
ses richesses ou la connaissance de ses secrets. Presque tou-
jours inurée, comme une Chine africaine, elle n'a cédé que
conquise son alphabet aux Sémites, et, pour la rendre à
l'histoire avec ses innombrables monuments, il a fallu
toute la science des temps modernes. Mais la grande dé-
couverte de Champollion a été heureusement aussi fruc-
tueuse qu'éclatante; nous pouvons enfin interroger l'Egypte,
et, dans des documents qui datent presque tous de la grande
époque du Nouvel Empire, c'est-à-dire au moins du temps
de Moïse, elle nous a déjà révélé sa durée, ses affinités
ethnographiques, ses différentes conceptions de l'espèce
humaine, et une grande partie de ce qu'elle savait sur les
1. Publié dans les Annales du Musée Guinxet, 1880, t. I, p. 61-76;
tirage à part de cinquante exemplaires, grand in-8", chez Pitrat, 1880,
20 pages. — G. M.
152 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
peuples qui furent ses contemporains. Ce sont là des ren-
seignements qui méritent d'être analysés.
I
La chronologie égyptienne fournit peu de dates, mais le
• aïeul approximatif et le calcul rigoureux s'accordent,
d'après des éléments divers, pour donner à la monarchie
fondée par Mènes une durée d'au moins 4.000 ans avant l'ère
chrétienne. On sait même, par la mention d'un lever de
Sirius, que l'an 3010 avant Jésus-Christ coïncide avec l'an 9
du règne de Menkhérès, quatrième pharaon de la IVe dy-
nastie, et auteur de la plus petite des grandes pyramides.
Il serait impossible de dater avec la même précision les
faits concernant les races, mais il est utile néanmoins de
rappeler ici les grandes divisions chronologiques de l'histoire
égyptienne, c'est-à-dire l'Ancien Empire, comprenant les
six premières dynasties, le Moyen Empire allant jusqu'à
la fin de la XVIIe dynastie, au moment de l'expulsion des
Pasteurs, et le Nouvel Empire allant jusqu'à la fin de la
XXXIe dynastie, que remplacèrent les souverains grecs.
La plus brillante époque de cette histoire est celle des
XVIIIe, XIX0 et XX dynasties, les premières du Nouvel
Empire : c'est aux tableaux dont les Pharaons d'alors ont
couverl les murs immenses des hypogées et dc^ sanctuaires
thèbains que sont empruntés surtout les documents qui vont
être utilisés. Les rois dont les hauts laits revivent dansées
antiques peintures sont les Thotmès et les Aménophis de la
XVIIIe dynastie, avec les Ramsès de la XIX" et de la XX" :
les pins illustres sont Thotmès III, Séti Ier, père de Ram-
II, Ramsès II, le Sésostris des Grecs, sons lequel vécul
Moïse comme nous l'indiquent les textes égyptiens, Mé
neptah Ier, fils de Ramsès II, el enfin Ramsès III, le
deuxième pharaon de la XX" dynastie,
LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS 153
II
L'Egypte est appelée Mitsraïm dans la Bible, et Mudraya
dans les cunéiformes, désignation qui ne se retrouve mal-
heureusement pas dans les hiéroglyphes, où le pays est dit
simplement Kémi, la terre noire, tandis que le désert envi-
ronnant est Tesher, la terre rouge. Le nom de la contrée ne
nous apprend donc rien sur l'origine de ses habitants; mais
leur religion, comme leur langue, montre qu'ils sont venus
de l'Asie et non de l'Afrique.
L'antiquité classique les croyait descendus des Ethiopiens,
sur la foi des Ethiopiens eux-mêmes. On en donnait pour
preuve, et la civilisation commune aux deux peuples, et la
formation du Delta, sans songer, ou plutôt sans savoir que
l'Ethiopie s'était modelée sur l'Egypte a une époque peu
ancienne, tandis que l'âge du Delta comportait au contraire
des siècles nombreux. Du reste, les plus anciens monuments
apparaissent dans la Basse Egypte, vers la pointe du Delta,
et le premier des Pharaons passait pour avoir bâti Memphis.
Les prêtres disaient même encore du temps d'Hérodote, et
conformément à leur opinion constante, que le Nil sortait
de deux grottes situées dans le voisinage d'Éléphantine,
idée qui n'a pu naître que chez des riverains du bas Nil, et
qui ne serait pas venue à des voisins de la Nubie, puisque
l'inondation commence plus haut que la Nubie. Enfin, à en
croire les Égyptiens eux-mêmes, leurs divinités seraient
originaires d'une contrée orientale comprenant, sous les
noms de Terre sainte et de Pays des dieux, l'Arabie à l'est
et la Phénicîe au nord.
La valeur de cette tradition pourrait être confirmée par
des faits nombreux, reliant les croyances et les rites des
Egyptiens à ceux des Sémites. Il suffira d'indiquer la pra-
tique de la mutilation ou de la circoncision, et l'impureté
du pourceau.
154 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
Un monument contemporain de Ramsès II, et par consé-
quent de Moïse, figure la cérémonie de la circoncision. Le
héros du Conte des Deux Frères, sorte de mythe analogue à
ceux qui se rattachaient à la déesse syrienne et à l'Adonis
phénicien, se mutile lui-même. Le Soleil avait voulu
s'émasculer, d'après un chapitre du Livre des Morts. De
plus, un roi de la XVIIIe dynastie, Khounaten, qui essaya
d'imposer à l'Egypte le culte unique du globe solaire, était
(Va près ses portraits devenu eunuque, après avoir eu d'ail-
leurs un certain nombre d'enfants. On a remarqué, en étu-
diant les cérémonies de la nouvelle religion, que la reine
mère prit alors une grande importance, que les princesses
eurent le pas sur les princes, et que les courtisans imi-
tèrent le pharaon, particularités qui font de Khounaten,
ou la splendeur du disque, un véritable Héliogabale égyp-
tien.
Quant à l'impureté du pourceau, elle est attestée par les
écrivains grecs, cl surtout par une légende mythologique
du Livre des Morts. Horus avait été attaqué par Typhon
qui, changé en un pourceau noir, cherchait à dévorer l'œil
d'Horus, c'est-à-dire le soleil ou la lune. Horus brûla son
ennemi, emblème des ténèbres ou des éclipses, et institua
en commémoration de sa victoire le sacrifice du porc.
L'ancienneté de «'elle légende se trouve contestée, d'une
manière indirecte, par l'opinion 1res répandue aujourd'hui
que le pourceau aurait été introduit en Egypte vers le temps
des Pasteurs. Il n'existe en effet de cet animal qu'une seule
représentation, si confuse qu'elle est douteuse, dans les
texte- publiés <h' l'Ancien Empire, mais la question est tran-
chée par une peinture de la magnifique collection apparte-
nant ;i M. Guimet. Cette peinture fait partie d'une série de
tableaux qui ont figuré ;i l'Exposition universelle de 1 S78 et
(pii ont été copiés dans la tombe d'un haul fonctionnaire de
la Ve dynastie, nommé Ti : on y voit les domaines du mort,
personnifiés par des femmes, apportant diverses offrandes
LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS 155
funéraires parmi lesquelles se trouve un petit cochon de lait
dans une cage.
L'Egypte se rapprochait du groupe sémitique non seule-
ment par sa religion, mais encore par sa langue, et c'est là
un fait sur lequel il est inutile d'insister, puisque tous les
savants l'admettent. Un autre indice reporterait même au
delà des pays sémitiques le point de départ des Egyptiens,
car leur vocabulaire paraît renfermer un certain nombre de
racines aryennes appartenant aux catégories d'idées les
plus importantes et les plus usuelles.
Au point de vue linguistique, les riverains du Nil, consi-
dérés comme chamites par certains savants, et comme
proto-sémites par d'autres, seraient donc de la race blanche;
l'anatomie confirme cette donnée, mais montre en eux,
néanmoins, des caractères assez tranchés pour qu'on ait pu
y voir les indices d'un véritable type, que personne du reste
ne songe à séparer de la race blanche.
Aux particularités de structure révélées par les momies,
s'ajoute encore la couleur rouge que les Égyptiens s'attri-
buaient sur les monuments, mais cette couleur rouge, qui
n'existait plus du temps d'Hérodote, n'avait rien d'absolu,
car on l'attribuait rarement aux femmes, soustraites parleur
genre de vie à l'action prolongée du soleil. Les femmes
étaient caractérisées, dans les peintures, par la nuance jaune
clair, ce qui trahit sans doute une sorte de retour vers l'état
primitif du teint.
III
Si l'on interroge maintenant les Égyptiens eux-mêmes
sur ce qu'ils savaient ou pensaient de l'espèce humaine, on
trouvera qu'ils la divisaient tantôt arbitrairement d'après
les quatre points cardinaux, tantôt logiquement d'après ses
différentes variétés.
La première classification, qui place l'Egypte au centre
156 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
du monde, se rencontre dans des textes de toutes les
époques, et particulièrement dans une inscription religieuse
du temple ptolémaïque d'Edfou. Les peuples étrangers sont
représentés là comme produits par les alliés du mauvais
principe, qui se dispersèrent après leur défaite, de sorte
i|u'/7 en alla au sud, ce fui la race éthiopienne, au nord;
ce furent les Sémites, à l'occident, ce furent les Européens,
et à l'orient, ce lurent les Bédouins. Les Égyptiens, au
contraire, avaient été les serviteurs de Dieu, et, si une lé-
gende du tombeau de Séti Ier leur attribue une antique
rébellion contre l'autorité du roi divin Ra ou le Soleil, on
voit dans le même texte qu'ils redevinrent promptement les
alliés du dieu.
La seconde énumération, plus scientifique, existait au
temps de la XVIIIe dynastie : elle faisait partie d'un en-
semble de textes décrivant les douze divisions de l'enfer
que parcourait le Soleil pendant les douze heures de la nuit.
A la cinquième division, Horus conduit les Égyptiens, les
Asiatiques, les Nègres et les Septentrionaux, vers le dieu
Osiris, qui va les juger. Le texte est ainsi conçu :
« Horus dit aux troupeaux du -Soleil, qui sont dans l'en-
fer de l'Egypte et du désert : 1 humeur à vous, troupeaux du
Soleil, nés du grand qui est dans le ciel ! Air a vos narines,
renversement ;i vos cercueils ! Vous, vous êtes les pleurs de
mon Œil (le Soleil), en vos personnes d'hommes supérieurs
I i dire d'Égyptiens). Vous, je vous ai créés en vos
personnes d'Asiatiques; Sekhel (la couronne ou la radiation
solaire) les a i-irri^: ("Ile a produit leurs âmes. Vous, j'ai
répandu ma semence pour vous, et je me suis soulagé par
une multitude sortie de moi en vos personnes de Nègres;
Horus les a créées ; il .1 produit leurs âmes. Vous, j'ai cher-
mon Œil et je vous ai créés en vos personnes de Septen-
trionaux : Sekhel les a créées, el e'esl elle (pli a prodllil
leur- aine-. »
Ces paroles décrivent la créai toi] panthéistique de l'huma-
LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS 157
nité, dont trois types sur quatre émanent de la lumière. Le
type nègre sort d'une forme spéciale d'Horus représenté
dans son rôle nocturne de Khem (sans doute le Cham bi-
blique), ce qui expliquait la nuance sombre des Nègres :
par une antithèse facile à comprendre, la naissance des
blancs purs était opposée à celle des vrais noirs, et le dieu
cherchant son œil produisait les uns aussitôt après les autres.
On voit que les Égyptiens distinguaient nettement la race
noire, née de la nuit, de la race blanche, issue de la lu-
mière, et qu'ils avaient aussi une idée juste de la ditïérence
comme de l'unité des trois types les plus importants pour
eux de la race blanche, c'est-à-dire des Sémites, qu'ils
peignaient en jaune, des Européens, auxquels ils donnaient
une teinte rosée, et d'eux-mêmes, qu'ils représentaient
comme rouges.
Dans une autre scène des tombes royales, on retrouve
une classification analogue de l'espèce humaine, mais l'in-
tolérance de la légende ptolémaïque y apparaît dans un dé-
tail significatif où se trahit l'orgueil de race : c'est que les
Égyptiens sont debout, avec les bras libres, tandis que les
autres hommes sont à genoux, dans la posture des captifs.
Du reste, les Egyptiens considérèrent d'abord leurs voi-
sins comme des ennemis, car ils les désignèrent par plusieurs
mots qui signifient les archers : le nom de Neuf-Arcs s'ap-
pliquant à l'ensemble des barbares, celui de Terre de l'Arc
à la Nubie, celui de Sagittaires (ou Sati) aux Asiatiques, et
celui d'Archers (ou An, peut-être les Anamim de la Bible),
à une population qui habita d'abord l'Egypte, puis les en-
virons du pays, la Libye, le Sinaï et la Nubie, et qui com-
prenait des tribus noires.
IV
L'examen des textes et des monuments nous révèle, avec
assez de détails, ce qu'étaient les races connues de l'Egypte
158 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
depuis les premières dynasties jusqu'à la fin de la grande
époque pharaonique.
Pour les Égyptiens, un type rouge ayant quelque ressem-
blance avec le leur existait au pays des Somalis, qui faisait
partie alors d'une vaste zone géographique comprenant les
côtes de l'Arabie et de l'Afrique situées au nord, à l'est et
au midi de l'Egypte. Les Égyptiens, qui appelaient cette
région Poun et Terre sainte, en tiraient surtout des aro-
mates pour les besoins du culte : ils en regardaient l'orient
comme le pays des dieux. Les Pharaons envoyèrent des
troupes à Poun pour l'achat des parfums, au moins de la
XIe dynastie à la XXe.
L'expédition la plus connue remonte au temps d'une
reine de la XVIIIe dynastie, qui fit partir cinq vaisseaux à
trente rames, montés chacun par une quarantaine de ma-
rins, afin d'échanger pour les gommes odoriférantes des bra-
celets, des colliers, des poignards et des haches. Les pro-
duits et les arbres du pays où ils abordèrent le placent sur
la côte africaine ; les Egyptiens y achetèrent de l'ébène, de
l'ivoire, de l'or, du cosmétique pour les yeux, des lévriers,
des bois précieux, des ouvriers du pays, des boeufs, des
singes, des peaux de panthères du Midi, une panthère vi-
vante, une girafe, et trente et un arbres à parfums, ainsi
que des gommes dont la reine se lit un cosmétique, but
peut-être de l'expédition, qui lui rendit la peau brillante
comme /es étoiles.
Les naturels habitaient des cabanes rondes dans lesquelles
<»n montait au moyen d'échelles, et leur bétail se reposait
sous des dattiers; ils avaient le profil des Sémites, avec la
peau rouge des Égyptiens, et la femme d'un chef, qui vint
-m -mu âne au devant des envoyés, semble atteinte de cette
difformité qui existe chez les Hottentots comme chez les
Somalis, h qu'on aomme stéatopygie.
D'autres habitants de Poun, qui visitèrent l'Egypte sous
le dernier Pharaon de la XYIIE dynastie, se rapprochent
LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS 159
plutôt du type nègre. Il y avait en effet des Nègres à Poun;
mais le type rouge y dominait, s'il faut admettre la réalité
d'un semblable type, que plusieurs indices signalent. Les
Phéniciens venus, suivant Hérodote, des bords de la mer
Rouge, portaient un nom qui parait signifier rouge; il en
était de même des Himyarites, qui rappellent les El-Akhmar
des plaines du Sennaar. La nuance qui caractérisait, d'après
les Égyptiens, les habitants de Poun, persiste en Afrique,
où on la retrouve de la mer Rouge au Sénégal, en passant
par le Soudan, chez les Barabras du haut Nil, les nègres
Danakils, les nègres Tibbous, les Touaregs méridionaux, et
surtout chez les Foulahs, qui, venus de l'Orient, ont ré-
pandu l'islamisme dans la plus grande partie du Soudan.
V
Les Nègres habitaient surtout la Nubie et l'Ethiopie,
mêlés à une population sémitique et rouge. Ils fournissaient,
sous la VIe dynastie, des soldats aux Pharaons. Les nom-
breuses tribus de la Nubie et de l'Ethiopie faisaient aussi
de fréquentes incursions en Egypte, de sorte qu'on voit les
Pharaons de la XIIe dynastie veiller avec soin à leur fron-
tière méridionale, et ceux du Nouvel Empire installer en
Ethiopie une sorte de gouverneur militaire et civil appelé
le fils royal d'Ethiopie. La civilisation égyptienne s'intro-
duisit ainsi parmi les noirs, comme le montre une curieuse
ambassade représentée sur un monument thébain de la
XVIIIe dynastie.
On recrutait parmi les Nègres des esclaves et des domes-
tiques, tels que des cochers, des écuyers et des porte-om-
brelles. Leur aptitude à servir était connue, ainsi que la
facilité avec laquelle ils apprenaient « les langues des
Égyptiens, des Syriens et de toutes les nations étran-
gères ».
160 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
Les Nègres amenaient de plus en Egypte du bétail, bœufs,
chèvres et moutons, du bois, des pierres, des gemmes, de
l'or, de l'ivoire, de l'ébène, des peaux, et des animaux
rares.
VI
Les Nègres sont représentés avec le nez épaté, les grosses
lèvres et la chevelure crépue qui les caractérisent; les Sé-
mites ont de leur côté le profil fin, le nez arqué, la barbe en
pointe et la chair peinte en jaune. Sous les noms généraux
d'Archers et de Peuples, ils se divisaient principalement en
Shasou, Kharou, Routen, et Khétas, c'est-à-dire en Bé-
douins, Syriens, Lydiens (d'après Champollion) et Héthiens.
Les Shasou, comparables aux Bédouins d'Arabie et de
Syrie, habitaient depuis les confins de l'Egypte jusqu'au
nord du Liban, et leurs bandes pillardes, cachées dans les
bois ou les défilés, infestaient la Palestine; elles fournirent
des espions aux Khétas dans une guerre contre Ramsès II,
près d'Alep.
Le nom général de Shasou n'apparaît qu'au début du
Nouvel Empire; un roi de la VI" dynastie envoya cependant
contre la tribu des Herousha, ou maîtres (/es sables, une
expédition qui détruisit leurs récoltes, coupa leurs arbres et
ramena de nombreux captifs. Au Moyen Empire, un pha-
raon bâtit une grande muraille pour arrêter les nomades.
Les Bédouins étaient donc bien connus à ces époques recu-
lées. La première année de son règne, Séti Ier les poursuivit
de la frontière de l'Egypte au haut Liban. Les Shasou con-
duisaient leur bétail avec eux jusque sur les domaines des
Pharaons, ci l'on a cru retrouver dans leur nom celui des
Pasteurs, ou Eïycsos, hikshasou, les dominateurs Shasou.
Us durent dans tous les cas l'aire partie de ces derniers, dont
les traits ajoutent, d'après certaines représentations, une
rudesse singulière au type sémitique.
LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS 161
Les Kharou, ou Syriens, occupaient le même territoire
que les Shasou, c'est-à-dire la Syrie, la Phénicie et la Pa-
lestine. Ils en formaient la population stable, plus spéciale-
ment désignée sous l'Ancien Empire par le nom de Menti ou
Sédentaires, au moins pour les Sémites du Sinaï. Séti Ier,
qui battit les Syriens avec les Bédouins, reçut de l'une de
leurs villes un tribut d'or et de vases. Parmi les objets de
toute nature qu'ils exportaient par mer en Egypte, on re-
marque le bois, par exemple les bâtons pour les esclaves,
les fouets pour les chars, et surtout le cèdre pour les con-
structions.
Le mot de Khar, d'où vient celui de Syrie, n'est qu'un
terme général qui n'exclut pas les désignations particu-
lières.
Kefat, habituellement associée à l'île de Chypre ou Masi, •
est laPhénicie, dont les habitants, soumis par Aménophis II,
trafiquaient avec les peuples du Nord dès le début du Nou-
vel Empire : dans un tableau d'un hypogée thébain, ils se
présentent ensemble devant Thotmès III, à qui ils apportent
des pierreries, des vases élégants et riches, des monnaies
d'or en forme d'anneaux, des colliers, des parfums, des
liqueurs et même une dent d'éléphant. Sidon et Tyr dans
la mer existaient au temps de Ramsès II, ainsi que plusieurs
autres villes célèbres de la Syrie et de la Palestine, comme
Alep, Damas, Asealon, Beyrouth, Gaza et Joppé : c'est à
Mageddo que se concentrèrent les Routen coalisés contre
Thotmès III, et c'est à Qodesh sur l'Oronte que se groupa
contre Ramsès II une confédération dirigée par les Khétas.
il reste à étudier ce qu'étaient ces deux derniers peuples,
les Routen et les Khétas.
Les Routen habitaient un pays ordinairement divisé en
supérieur et en inférieur; il comprenait la Syrie, la Mésopo-
tamie et l'Assyrie.
Les peuples de Routen furent battus par Thotmès Ier, en
Mésopotamie; par Aménophis Ier, qui fit pendre au retour
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 11
162 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
sept de leurs chefs à Thèbes et à Napata ; par Aménophis II,
qui soumit Ninive et Accad; par Thotmès III, qui, vain-
queur à Mageddo en Palestine, poussa jusqu'à Ninive, où il
prit à la chasse cent vingt éléphants; enfin par Séti Ier, qui
s'empara des princes du Routen inférieur, et dont les in-
scriptions assimilent les chefs de Routen à ceux de Reme-
nen, peut-être l'Arménie. On voit par là que les Routen
occupaient de vastes contrées qui indiquent l'étendue de
leurs conquêtes et de leurs alliances à l'époque la plus bril-
lante de leur histoire. C'est grâce à eux que l'Assyrie fut
connue de l'Egypte sous les XVIIIe et XIXe dynasties,
époque où ils entraînaient dans leur ligue les princes de
Babylone et d'Assur; l'un de ces derniers était resté célèbre
en Palestine au temps de Ram ses IL
Les tributs qu'Assur remit à Thotmès III consistaient en
vases et en lapis-lazuli. Les tributs des Routen consistaient
surtout en bois, en métaux, en gemmes, en bétail, en grains,
en liqueurs et en fruits, ainsi qu'en différents ouvrages de
luxe, tels que chars, vases, harnais et cuirasses, incrustés
d'or et de pierreries.
Vers le commencement de la XIXe dynastie, la puissance
des Routen passa aux Khétas, dont le pays était situé vers
la haute Syrie, au voisinage d'Alep, et où l'on pouvait aller
pai' mer. Battus, mais non pas écrasés, par Séti Ier et par
Ramsès il, les Khétas conclurent avec ce dernier un traité
d'alliance défensive qui montre en eux les égaux des égyp-
tiens ; mais ils déclinent dès le règne du successeur de
Ramscs II. Ce Pharaon les secourut dans une disette, et
leur lit conduire des vaisseaux chargés de blé par un peuple
voisin du Sinaï. Sous Ramsès III, ils fuient dispersés et
déracinés, ainsi que les populations de la Palestine, par
une grande invasion, <■! le même pharaon, qui les vainquit
aussi, ne fait mention de ce triomphe sans gloire que dans
un tableau où il a rassemblé les chefs de presque tous ses
ennemis.
LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS 163
L'ensemble des documents montre que la civilisation des
Sémites ne le cédait guère à celle des Égyptiens : les trente-
sept Asiatiques du Sinaï représentés émigrant en Egypte,
dans une tombe du Moyen Empire, c'est-à-dire vers le temps
d'Abraham, révèlent par leur costume, leurs armes et leur
équipement, des industries et des arts parvenus à un état
voisin de la perfection. Plus tard, les Pasteurs adoptèrent
les coutumes égyptiennes, adorèrent un dieu égyptien et
connurent l'écriture hiéroglyphique, à laquelle ils emprun-
tèrent (si l'emprunt n'avait pas encore été fait) l'alphabet
que les Phéniciens répandirent sur tout le littoral de la
Méditerranée ; les rois Khétas étaient accompagnés de
scribes. La coiffure habituelle des Sémites (Ascaloniens,
Amorites, Routen, etc.) était une sorte de bonnet rond
ressemblant à celui des Égyptiens, mais, en temps de
guerre au moins, les Khétas, les Bédouins et les Syriens,
portaient aussi un bonnet pointu ou à aigrette. Le progrès
de l'art militaire, et, par suite, de la centralisation adminis-
trative, chez différentes nations de l'Asie occidentale, se
reconnaît à l'emploi constant de la cavalerie. Les chevaux
et les chars de la Mésopotamie sont mentionnés sous Thot-
mès Ier; Thotmès III prit à Mageddo plus de deux mille
chevaux et neuf cent vingt-quatre chars de guerre. Un
autre Pharaon recevait des chevaux blancs du pays de Rou-
ten, d'où l'on tirait aussi des chars; les cavaliers khétas
figurent souvent sur les monuments.
Les religions syro-phéniciennes existaient dans leurs traits
essentiels aux mêmes époques. Les principaux dieux de leur
panthéon, Baal, Baalis, Astarté, Anaïtis, etc., se rencon-
trent après l'invasion des Pasteurs : Baal est même nommé
avant. Le culte spécial des déesses se révèle en différents
endroits, et le Conte des Deux Frères, roman qui ne peut
être postérieur a la XIX0 dynastie, place dans la vallée du
Cèdre, c'est-à-dire en Phénicie, un personnage qui n'est pas
sans ressemblance avec Adonis.
164 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
VII
Si les Pasteurs sémitiques firent une fois la conquête de
l'Egypte, les pirates aryens la tentèrent souvent : ils guer-
royaient avec les Pharaons dès la XIe dynastie, et ils for-
mèrent en tout ou en partie quatre grandes coalitions au
inoins contre le Nouvel Empire. Au nord, les habitants
d'Ilion, les Dardaniens, les Mysiens et les Lyciens, prirent
part à la ligue des Khétas contre Ramsès II ; les Pélestas,
les Troyens, les Sicules, les Dauniens, les Osques, et sans
doute les Étrusques, attaquèrent l'Egypte par la Syrie au
temps de Ramsès III; à l'occident, les Libyens et les
Mashouashas, avec les Sardiniens, les Sicules, les Achéens,
et les Étrusques sous Méneptah Ier, ainsi que les Mashoua-
shas joints à d'autres peuplades libyennes sous Ramsès III,
assaillirent deux fois l'Egypte par mer.
Tous ces peuples forment quatre divisions importantes.
Les habitants d'Ilion, les Dardaniens, les Mysiens, les Ly-
ciens, les Pélestas et les Teucriens appartiennent à l'Asie
Mineure, comme les Achéens à la Grèce; les Sardiniens,
les Sicules, les Dauniens, les Etrusques et les Osques se
rattachent à l'Italie, et les Libyens avec les Mashouashas à
la côte septentrionale de l'Afrique.
Les Pélestas et les Teucriens portaient des toques rayées.
Les Dauniens et les Osques avaient les mêmes toques, mais
la coi Hure des Étrusques était un bonnet pointu; celle des
Sicules un casque ayant deux cornes, et celle des Sardi-
niens auxiliaires de l'armée égyptienne un casque sem-
blable, surmonté en outre d'une boule. Tous, sauf peut-être
les derniers, sont caractérisés par une courte tunique à
franges et quadrillée; ils ont en général le profil aquilin ou
le nez droit. Les vaisseaux des alliés rappellent les navires
égyptiens, mais leur carène se relève à angle droit et se ter-
mine ;ui\ deux bouts en tête de cygne. Les armes sont une
LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS 165
courte épéeà deux tranchants, avec un bouclier, et en outre
une pique pour les Sicules et les Sardiniens auxiliaires. Les
confédérés, qui n'avaient ni arcs ni flèches, possédaient des
chars de guerre ; ils étaient suivis aussi par des chariots
de transport en osier ou en bois, à roues pleines, attelés de
bœufs et renfermant les enfants et les femmes. On a signalé
la ressemblance des chariots, des épées et des vaisseaux,
avec les chariots germains de la colonne Antonine, avec les
épées gauloises d'avant Jules César, et avec les barques de
certaines monnaies celtiques.
Il vient d'être dit que des Sardiniens servaient dans l'ar-
mée de Ramsès III, où ils étaient même accompagnés
d'Étrusques; Ramsès II avait déjà gardé à sa solde des
Sardiniens prisonniers. Ces auxiliaires sont quelquefois ap-
pelés Sardiniens de la mer.
Le peuple qui a laissé son nom au groupe du Nord de
l'Afrique, les Libyens, est nommé pour la première fois
sous Ramsès II; il tint, sous la conduite d'un roi, la tête de
la vaste confédération dirigée contre Méneptah Ier. Ils avaient
des chevaux, des arcs, des monnaies d'argent et d'or, des
vases, et du bétail composé de bœufs, de chèvres et d'ânes.
La tribu des Mashouashas domine dans l'armée libyenne
qui envahit l'Egypte sous Ramsès III. Entraînés par leurs
voisins contre l'Egypte, ils avaient emmené leurs femmes;
on leur prit des épées de trois et de cinq coudées, des arcs,
des chars, des carquois, des piques, des chevaux et des ânes.
Ils n'en continuèrent pas moins à fournir des auxiliaires à
l'Egypte, avec une autre peuplade libyenne qui servait
surtout de corps de police.
Les peuples d'Asie Mineure, de Grèce, d'Italie et d'Afrique
énumérés jusqu'à présent appartiennent en général au type
brun de la race blanche; le type blond apparaît chez les
Libyens. Ceux-ci comptaient parmi les Tahennou, ou
hommes blancs d'Afrique, et les Tamehou, ou hommes
blonds du Nord. Il est facile de voir que ces deux appella-
166 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
tiens, sans doute identiques au fond, sont des noms ap-
proximatifs donnés par les Egyptiens à une population qui,
pendant un certain temps, leur apparut comme blanche ou
blonde. On ne saurait conclure de là que tous les Libyens
étaient blancs ou blonds, mais seulement qu'une invasion,
venue du Nord, s'était répandue sur la côte africaine qui
fait face à l'Europe.
Le costume des émigrants se distinguait par une riche
tunique, ainsi que par une coiffure propre aux Tahennou,
aux Tamehou et aux Libyens : c'est une coupe en rond des
cheveux avec deux longues tresses pendantes en avant, ou
bien une imitation du môme arrangement au moyen d'un
couvre-chef particulier.
La date de l'arrivée des Tamehou, ou Septentrionaux,
est fort ancienne. La division de l'humanité en quatre
branches dont ils forment la dernière existait à la XVIIIe dy-
nastie. Sous Thotmès III, les habitants des îles du milieu
de la mer, qui viennent avec les Phéniciens offrir des tri-
buts au roi, ont avec la tunique des Italo-Grecs la coiffure
des Septentrionaux. On a signalé certaines représentations
d'hommes blonds à yeux bleus dans les tombes de la XIIe dy-
nastie. Enfin, un Pharaon du Moyen Empire, Sankhara,
avait battu les peuples du Nord ou Hanebou, et ce dernier
nom, qui désigne les nations européennes en général, se
rencontre dans un texte, malheureusement fragmenté, ap-
partenant aux premières dynasties. On voit qu'il est possible
que l'arrivée des Septentrionaux remonte aux débuts de
l'empire pharaonique. Ils ont laissé des traces de leur pas-
sage dans les constructions mégalithiques de l'Algérie, en-
core en usage chez les Kabyles du Djurjura, et dans la per-
sistance du type blond sur toute la ligne de l'Ai las, parmi
les Berbers, qui touchent d'un côté à l'Europe par ce type,
d'un autre côté à l'Egypte par leur langue.
LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS 167
VIII
Si l'on cherche maintenant à tirer la conclusion de ce qui
précède, on remarquera que les documents égyptiens, si
loin qu'ils remontent dans le passé, nous mettent partout en
présence de races dont le type n'a pas varié. Sous l'Ancien
et le Moyen Empire, l'Egypte connaissait peu ses voisins,
mais plus tard, quand se produisit le grand mouvement as-
syrien qui jeta les Pasteurs sur elle, et quand une suite de
ce mouvement ramena vers le Nil les Routen, puis les peuples
de l'Asie Mineure, puis les habitants de la Méditerranée,
l'Egypte ne put ignorer alors ce qu'étaient tous ces Archers,
qu'elle attirait comme Rome attira les Barbares : si elle fut
vaincue par eux, elle les battit à son tour, et c'est grâce à
leurs défaites qu'elle nous a conservé leurs noms, leurs
figures et leurs costumes, leur physionomie enfin, avec une
précision et une authenticité incontestables. Le Sémite
d'Asie, le blanc d'Europe et le Nègre d'Afrique, ressuscites
pour nous sur les murs des temples et des hypogées thé-
bains, diffèrent peu de leurs descendants qui foulent au-
jourd'hui le même sol qu'eux. Les grandes cités de l'Asie,
énumérées dans les récits de conquêtes, sont bien aussi
celles qui existent encore ou que l'antiquité classique a
connues : leurs noms subsistaient dans la réalité ou dans le
souvenir, quand on les a déchiffrés dans des hiéroglyphes
antérieurs à Moïse. Les peuples durent moins que les villes;
mais leur persistance, plus grande qu'il n'eût semblé avant
la découverte de Champollion, est démontrée par les textes,
qui reculent l'existence de certaines nations indo-euro-
péennes jusqu'à une date qu'on ne soupçonnait même pas.
Et ce n'est point seulement l'ancienneté des types, des
villes et des peuples, qui ressort pour nous des monuments
pharaoniques : c'est encore l'ancienneté de la civilisation
elle-même,
168 LES RACES CONNUES DES ÉGYPTIENS
Si l'on rencontre quelques vestiges de la fusion des deux
grandes provinces de la Thébaïde et du Delta, sous les pre-
mières dynasties, ou quelques traces d'emprunt à l'Egypte
chez les Pasteurs, ce genre d'indices est loin d'attester l'en-
fance des industries et des arts : sauf pour l'écriture,
l'Egypte ne nous en montre l'origine ni chez elle ni chez
ses voisins. Elle et eux nous apparaissent munis, dès le dé-
but, de toutes les ressources dont l'homme a disposé jus-
qu'aux grandes découvertes modernes : la domestication des
espèces animales, la culture des espèces végétales, le tra-
vail des métaux, la connaissance des outils, la confection
des ustensiles, le tissage des étoffes, l'usage des armes et la
construction des demeures, rien de tout cela ne manquait à
l'Egypte ou à son entourage de Sémites, de Nègres et d'Eu-
ropéens. En outre, partout où les documents sont assez ex-
plicites pour jeter quelque jour sur la vie intime ou collective
des différents peuples, on voit ceux-ci en possession de cer-
tains arts raffinés, comme l'orfèvrerie, qui suppose l'élé-
gance, et la musique, qui suppose la poésie; on reconnaît
aussi l'existence de véritables institutions militaires, poli-
tiques et religieuses, ou même littéraires comme chez les
Khétas. Est-ce à dire pourtant que tout était fait, et que le
cercle de la civilisation antique avait été parcouru? Assu-
rément non : après la conquête du bien-être, il restait à ac-
complir cet entier développement de la pensée humaine qui
s'acheva en Grèce et qui avorta en Egypte. Homère sans
doute pouvait naître, mais le monde n'était mûr ni pour
Aristote ni pour Platon.
NOTE
LES CHARS DE GUERRE
La question que vous soulevez au sujet de la courroie des-
tinée à retenir le combattant est difficile. Je viens de l'exa-
miner et voici ce que j'y vois, sauf erreur :
1° « Quand la courroie est représentée , les rênes ne le sont
pas )). Le char des Denkmâler est dégradé, et le char de la
Description de l'Egypte est confus : mais, si mauvaise que
soit cette dernière copie, il est certain pour moi; néanmoins,
que l'ennemi ne saisit pas les rênes du pharaon, mais lève
en l'air son arc ou son fouet, et peut-être même encore une
corde symbolique liant un groupe d'ennemis (comme aux
Denkm., III, 128 et 130).
2° Le point d'appui de la courroie n'est pas la grosse
1. Publiée dans le Bulletin du Congrès provincial des Orientalistes
français, Session de St-Étienne, t. II, 1880, p. 471-472. Elle est insérée
dans le Bulletin à la suite de l'Étude sur les chars de guerre égyp-
tiens, par le baron Textor de Ravisi, et précédée de ces quelques lignes :
« M. E. Lelebure. ayant pris connaissance de ce mémoire lorsqu'il
était sous presse, a bien voulu nous adresser des observations sur un
point de détail sur lequel il lui semble qu'on peut faire des réserves.
Nous nous empressons de publier les notes critiques de ce savant égyp-
tologue, comme complément utile de notre Étude sur les chars de
guerre égyptiens, »
170 NOTE SUR LES CHARS DE GUERRE
boule qui figure à peu prés toujours au-dessus de la croupe
du cheval pour les chars royaux, et quelquefois pour les
chars princiers, ou même pour les chars des chefs ennemis
[Denkm. } III, 130). La courroie passe tantôt au-dessus, tantôt
au-dessous de la boule, tantôt même dessus, indifféremment,
mais plutôt au-dessous.
Je vois dans la boule soit un objet d'ornement, soit un
point de mire séparant pour l'œil la place des deux che-
vaux et ayant son utilité au moment d'atteler, par exemple,
ou dans les cas de confusion. Cette boule ne figure ni au
char de Florence, ni au char du temps de Thotmès III, qui
ne sont pas royaux.
Je ne la trouve bien expliquée que par un char africain de
la XVIIIe dynastie {Denkm., III, 117 et US).
Les deux moins du joug, qui s'évasent de chaque côté en
se recourbant pour retenir les harnais de la tête et du cou,
forment une disposition que Wilkinson a mal comprise, car
son dessin place la boule et les deux branches sur le dos
d'un seul cheval (II, 10), tandis que la boule devait être
entre les deux chevaux, dont chacun portait une des moitiés
du joug.
3° Si les rênes ne sont pas représentées quand la courroie
l'est, et si la courroie ne s'appuie pas sur la boule, il y a
chance pour que rênes et courroie soient une même chose.
En effet, la courroie se continue toujours jusqu'au mors des
chevaux, sauf dans le dessin tiré des Denkmàler que vous
avez publié et où le tracé est interrompu par une lacune.
Pour le grand attelage de la planche II, figure 9, il y a deux
c roies; celle de droite aboutit visiblement au mors, mais
• ■elle de gauche disparaîl derrière le corps du cheval. Ce
sonl bien la deux rênes.
Los ennemis combattaient, quelquefois, avec la courroie
liée au corps de l'archer par un nœud d'attache visible
[Denkm., III, 130). La courroie se bifurque, et l'homme y
porte la main comme pour conduire. Quand il n'y a dans le
NOTE SUR LES CHARS DE GUERRE 171
char qu'un porteur de bouclier et qu'un porteur d'arc, c'est
ce dernier qui a la courroie.
L'exemple que je connais d'une disposition du même
genre sur les chars égyptiens n'est pas concluant, car le
porteur du bouclier paraît tenir les rênes avec celle de ses
mains qui est cachée : ce serait autour de lui, et non autour
de l'autre combattant, que la courroie serait passée, dans le
cas où elle aurait été attachée (Denkm., III, 1(30).
LE
PUITS DU DEIR-EL-BAHARI*
Depuis quelque temps les découvertes se multiplient en
Egypte et inaugurent ainsi, d'une manière brillante, la nou-
velle administration de M. Maspero, le digne successeur de
Mariette. La trouvaille du puits de Deir-el-Bahari, en par-
ticulier, fera véritablement époque pour l'égyptologie.
M. Maspero, dont l'attention était éveillée par un certain
nombre d'objets funéraires mis en vente, soupçonnait les
Arabes d'avoir fait main basse sur un tombeau qu'on jugeait
être celui du roi Pinedjem, d'après quelques indices. Lors
de son premier voyage dans la Haute Egypte, en mars et
avril 1881, il fit saisir et emprisonner un des délinquants,
afin d'obtenir quelques révélations, et se livra en outre à des
recherches qui, pour le moment, restèrent infructueuses.
C'est seulement à la fin du mois de juin suivant, qu'un
autre, mécontent de ses complices, se décida à parler, et
révéla l'existence, non d'un simple hypogée, mais de tout
un puits de Pharaons, découverte inattendue et merveil-
leuse, qui rappelle celles du Sérapéum et du tombeau de
Séti Ier.
1. Publié dans les Annales du Musée Guiinet, 1881, t. IV, p. 3-17;
tirage à part de cinquante exemplaires, grand in-8°, chez Pitrat, Lyon,
1881, 15 pages. — G. M.
174 LE PUITS DE DEIR-EL-BAHARI
I
La cachette de Deir-el-Bahari, sorte de souterrain creusé
en pente douce dans la montagne, non loin de Biban-el-Mo-
louk, à Thèbes, contenait, entassées pêle-mêle, vingt-cinq
momies royales ou princières (sans compter cinq momies de
grands personnages) et une partie du matériel funéraire
(coffrets, offrandes, statuettes innombrables) ayant accom-
pagné ceux des cercueils de la XXIe dynastie qui se trou-
vaient là.
Le tout avait appartenu, en effet, aux grands prêtres de
la XXIe dynastie, qui furent obligés, à une certaine époque,
de s'exiler en Ethiopie, et qui, peut-être au moment de
leur départ, cachèrent à Deir-el-Bahari ce qu'ils ne pou-
vaient emporter, en scellant le puits de sceaux aux titres de
leur dieu, dont les empreintes subsistent encore dans l'ar-
gile.
Il est difficile de savoir pourquoi et comment les grands
prêtres d'Ammon, qui remplacèrent à Thèbes les Rames-
sides, s'étaient approprié les momies des plus grands Pha-
raons de l'Egypte : peut-être, à l'époque de troubles où ils
vécurent, s'en faisaient-ils des titres à la légitimité.
Quoi qu'il en soit, la saisie et le transfert des cercueils
royaux n'allaient pas sans de certaines formalités légales, et
plusieurs sarcophages portent des inscriptions hiératiques
mentionnant les grands prêtres qui ordonnèrent leur enlè-
vement, ainsi que les fonctionnaires qui l'accomplirent. Les
plus anciennes inscriptions révèlent même une sorte de
crainte religieuse, par une attestation, faite à la face du ciel
personnifié, qu'il n'y a aucune mauvaise intention contre la
momie dans son transport.
Les momies déplacées ne séjournaient pas toujours dans
le même endroit : la tombe de Séti Ier et la pyramide
LE PUITS DE DEIR-EL-BAHARI 175
d'une reine, dont on a le corps, avaient, entre autres, servi
d'entrepôts, d'après les textes qui viennent d'être men-
tionnés.
La cachette contenait, en outre, sur une assez grande
planche et sur un beau papyrus, un autre texte hiératique,
reproduisant un décret du dieu Ammon qui permettait
d'ensevelir, avec les honneurs divins, une princesse du
temps de la XXIe dynastie, Nesi-Khonsu, dont la momie
s'est trouvée dans le puits. Cette princesse est dite avoir
vécu en bonne intelligence avec Pinedjem III, le dernier
grand prêtre de la dynastie, et l'espèce de certificat qui lui
est délivré ainsi montre quelle inquisition exerçait alors lu
parti sacerdotal.
II
En laissant de côté les menus objets, parmi lesquels on
remarque un coffret au nom de la célèbre reine Hatasu,
de la XVIIIe dynastie, et un autre coffret au nom de
Ramsès IX, de la XX", voici, dans l'ordre chronologique
et en trois groupes, la liste des momies de famille royale
trouvées dans le puits de Deir-el-Bahari, d'après un cata-
logue général dressé par les soins de M. Emile Brugsch,
conservateur-adjoint au Musée de Boulaq, et de l'École
française d'archéologie au Caire, pour être transmis à
M. Maspero.
Au premier groupe, qui est du commencement de la
XVIIIe dynastie, se rattachent :
1° Le roi Seken-en-Ra-Taaten, nouveau Pharaon, qui
prend place après Taa II vers la fin de la XVIIe dynastie;
2° Le roi Ahmès ou Amosis, qui chassa les Pasteurs et
fonda la XVIIIe dynastie;
3° La reine Ahmès-Nefertari, femme d'Ahmès, qu'on
croit depuis longtemps, d'après certains indices, avoir été
de race noire;
176 LE PUITS DE DEIR-EL-BAHARI
4° La reine Ah-hotep, fille des deux précédents, et femme
de son frère Aménophis Ier;
5° Aménophis Ier ;
6° Thotmès II;
7° Thotmès III, le plus grand Pharaon de la XVIIIe dy-
nastie ;
Puis un prince et plusieurs princesses ou reines, encore
mal classées ou inconnues, de la même époque. Ce sont :
8° Le prince Se-Amen, qui mourut très jeune, et qu'on
peut dire fils d'Ahmès, tant son cercueil est semblable à
celui du roi ;
9° La princesse Se-t-Amen ;
10° La princesse Meri-t-Amen:
11° La reine Hen-t-Taméhu, peut-être fille d'Améno-
phis Ier;
12° La reine Se-t-Ka, qui est dite clairement avoir
épousé son frère, car ses titres sont : « la fille royale, la
sœur du roi et sa principale épouse » ;
13" Enfin, la reine inconnue dont la pyramide reçut pen-
dant quelque temps les Pharaons arrachés à leurs tombes.
Cette reine, dont le nom rappelle celui des Antef de la
XIe dynastie, était d'une taille remarquable, lm 85, si l'on
peut s'en rapporter à un premier mesurage.
Le second groupe de la XIXe dynastie se compose des
deux plus illustres Pharaons de l'Egypte :
1° fSÉTi I"' ;
2° Ramsès II.
Le dernier groupe de la XXIe dynastie thébaine des
grands piètres d'Ammon, dont il permet de retrouver la
série, comprend :
1" La reine Ned.iem-t, femme du grand prêtre Her-hor,
ihrl' de la dynastie;
2° Le grand prêtre Pinedjem Ier, petit-fils de Her-hor;
3° et 4" Une reine contemporaine de Pinedjem Ier,
Ra-ma-ka, qui mourut sans doute en couches, car elle a
LE PUITS DE DEIR-EL-BAHARÏ 177
dans son cercueil la petite momie de sa fille Mau-t-em-
ha-t ;
5° Le roi Pinedjem II, qui s'était approprié le cercueil de
Thotmès Ier, de la XVIII" dynastie;
G0 Une reine contemporaine de Pinedjem II, Tua-t-Hat-
HOR-HEN-T-TA-UI ;
7° Le (ils de Pinedjem II, le grand prêtre Masaharota,
personnage au nom d'apparence sémitique, qu'on ne con-
naissait pas encore, et qui mourut vers l'an 24 ou ^5 du
règne de son père ;
8° La fille de Masaharota, qui fut la femme du grand
prêtre Ra-men-Kheper, frère de Masaharota, la reine As-
t-em-Kheb ;
9° Une princesse nouvelle, Nesi-Khonsu, fille d'un roi
ou d'un prétendant qui n'est pas nommé;
10° Un prince de la famille des Ramessides, qui n'était
pas éteinte sous la domination des grands prêtres, et qui
conservait des prétentions à la royauté, Djet-Ptah-au-f-
ANKH.
En résumé, il y a là vingt-cinq momies de différentes
époques, sur lesquelles, si on les déroule, on pourra faire
des observations de toutes sortes qui ne manqueront point
d'intérêt.
La reine Ahmès-Nefertari, à qui son cercueil donne le
teint jaune des Égyptiennes et le profil aquilin des Sémites,
était-elle ou non de race noire? Séti Ier et Ramsès II étaient-
ils d'origine syrienne? Le maximum de la taille avait-il
baissé après les grandes guerres dans les familles royales qui
ne s'alliaient qu'entre elles ?
Il n'est permis, pour le moment, de fournir des indica-
tions que sur ce dernier point, et encore d'après des mesures
prises à la hâte, en petit nombre, et sur des corps envelop-
pés de bandelettes, avec la supposition arbitraire que l'agran-
dissement causé par les bandelettes est compensé par le
rétrécissement qu'a produit la momification.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 12
178 Le puits de deir-el-bahari
L'ancienne reine dont il a déjà été parlé avait. ... lm 85
Ahmès lm 80
La reine Se-t-Ka lm 70
Thotmès III lm 55
Séti Ier lm 75
Ramsès II lm 80
La reine Nedjem-t lm 65
Pinedjem Ier l,n 75
Pinedjem II lm 00
III
On sait depuis longtemps que les momies étaient maintes
fois accompagnées de papyrus funéraires (ou Livre des
Morts) à leur nom, renfermés dans des statuettes d'Osiris,
et destinés à fournir au défunt, dans l'autre monde, les for-
mules de prières ou d'imprécations dont la magie toute-
puissante soumettait jusqu'aux dieux. On n'a cependant re-
trouvé ici, grâce aux vols antérieurs des Arabes, que trois
papyrus de ce genre, qui ne sont pas encore déroulés : un
au nom de la princesse Ncsi-Khonsu, un autre au nom de la
reine As-t-em-Kheb, et un dernier, donl le début frappe
par la beauté des couleurs et la netteté des hiéroglyphes,
au double nom de Ra-ma-ka et de Maut-em-ha-t, sa fille.
Exceptionnellement, un Livre des Morts, appartenant à
Thotmès III, était écrit sur des morceaux de toile qui ont
été retrouvés parmi les bandelettes de la mmiiie.
Si presque tous les papyrus sur lesquels on pouvait
compter manquent, il a été découvert, par contre, tassé
dans un coin, un objet remarquable, qu'on ne s'attendait
guèreà voir au milieu de l'attirail funèbre contenu dans le
puits : c'est une belle tente, en cuir de différentes nuances,
au dais seméd'étoiles roses, jaunes ou blanches, sur un ciel
1 i las clair, et aux quatre pan- décorés de scarabées, d'urseus
LE PUITS DR DEIR-EL-BAHARI 179
ou de cartouches au nom de Pinedjem II, le tout bordé
d'inscriptions finement découpées dans un fond vert cousu
sur un fond jaune. Cette tente, d'après les hiéroglyphes qui
l'ornent, appartenait à la princesse As-t-em-Kheb, fille du
grand prêtre Masaharota, petite-fille du roi Pinedjem II, et
plus tard femme de son oncle, le grand prêtre Ra-men-
kheper.
Par une liaison d'idées assez naturelle en Egypte, le re-
pos qu'As-t-em-Kheb pouvait goûter sous sa tente avait
rappelé celui de la tombe, et, en conséquence, une des in-
scriptions souhaite à la jeune princesse la paix dans les bras
des dieux, aux jours des cérémonies funèbres:
« Qu'elle repose doucement en son asile suprême, enve-
loppé de parfums et d'encens, rayonnant de fleurs de toute
espèce et embaumé comme l'Arabie ! »
« Qu'elle repose doucement dans les bras de Khons :
c'est lui qui est le maître de la Thébaïde ! Il sauve ceux
qu'il aime, fussent-ils en enfer, et il livre les autres à la
géhenne. »
IV
Les cercueils trouvés à Deir-el-Bahari sont tous en bois, à
figure humaine et en forme de momie : on les classera suffi-
samment, au moins d'une manière générale, en disant que
les plus anciens sont recouverts d'un entoilage peint en
blanc, et que les plus récents, ceux de la XXIe dynastie,
sont enduits d'un vernis jaune.
Pourtant cette distinction ne doit pas être acceptée sans
réserve, quant à l'âge de la momie renfermée dans un sar-
cophage, car ici apparaissent des fraudes nombreuses. On
s'emparait souvent des plus riches cercueils, et on exilait
leurs possesseurs dans des caisses moins belles. Huit mo-
mies au moins, sur vingt-cinq, c'est-à-dire le tiers, reposent
dans d'autres cercueils que les leurs, et on ne les reconnaît
180 LE PUITS DE DEIR-EL-BAHAÏtI
qu'à leur nom écrit en hiératique sur leur poitrine, ou peint
en surcharge sur leur caisse.
L'ancienne reine, dont la taille était si élevée, a été mise
dans le cercueil de Raa, nourrice d'Ah mès-Nefer tari. La
princesse Méri-t-Amen, dans le cercueil d'un scribe nommé
Sennu, et la reine Se-t-Ka, dans un mauvais cercueil de la
XXI'' dynastie. Le roi Ramsès Ie1', dont la momie manque,
avait eu le même sort, car les débris d'un cercueil à enduit
jaune portent son nom en surcharge. Le roi Pinedjem II
avait, pour sa part, usurpé le cercueil de Thotmès Ier, qu'il
lit sans doute orner à nouveau et dont la cuve fut couverte
de prières a son nom. Enfin, la princesse Nesi-Khonsu et le
prince Djet-Ptah-au-f-ankh avaient aussi usurpé leurs cer-
cueils.
Une princesse de la XVIIIe dynastie, Mes-hen-t-Taméhu,
probablement fille de la reine Hen-t-Taméhu, car son nom
a justement ce sens, fut dépossédée comme bien d'autres,
mais son sarcophage a révélé de plus une tromperie d'un
autre genre et tout à l'ait inattendue : il contient ma1 fausse
momie, sorte de poupée faite de chiffons qui entourent un
morceau de cercueil destiné a imiter le corps et datant de
la XXIe dynastie, ou à peu pics, car il est à enduit jaune.
L'extérieur d'une momie est parfaitement imité, et même
un manche de miroir s'est trouvé, comme d'habitude, sous
les premières toiles. On songe involontairement à ces prin-
cesses des Miller! une Nuits qui se faisaient passer pour
mortes et si' sauvaient du harem, pendant qu'on enterrait
un morceau de bois a leur place.
V
Ces réserves faites au sujet des erreurs que peut suggérer
;i première vue l'extérieur d'un sarcophage, il faut remar-
quer encore qu'il n'y a pas conformité absolue de couleur
LE PUITS DE DEIR-EL-BAHARI 181
ou do facture dans chacune des séries de cercueils qui ont
été distinguées tout à l'heure. Chaque série offre des variétés
intéressantes, et, en dehors des grandes lignes au moins,
l'uniformité apparente se résout en différences réelles.
Le sarcophage de Taaten est blanc, comme ceux de son
groupe; mais il garde, particulièrement sur le contour de la
poitrine, des traces de dorure prouvant qu'il avait été doré
partout, comme les cercueils des rois Autel, de la XI" dy-
nastie. Les hiéroglyphes, qui s'étenclenl des pieds à la tête
en une bande verticale, ont été peints en brun sur l'entoi-
lage et repassés a la pointe sur la dorure.
Le cercueil est d'une grande taille, et, a cote, les caisses
d'Ahmès et de son fils paraissent exiguës. Celle d'Ahmès est
pour ainsi dire collante, au point que le corps y semble à
l'étroit. Toutes deux sont peintes en jaune, contrairement à
l'habitude, et sans ornements. Il est possible, du reste, qu •
r<^ petits cercueils aient été mis dans de plus grands, comme
c'est le cas pour la reine Ahmès-Nefertari, qui a deux sarco-
phages, l'un de taille ordinaire, peint en brun, et renfermant
la momie, l'autre énorme, dont le buste s'ouvre comme un
coffre, et qui contient le premier. La reine Ah-hotep a un
grand sarcophage tout à l'ait semblable à celui de sa mère.
Dressés, les deux monuments feraient deux colosses, surtout
avec la couronne ronde et les plumes droites, qui surmon-
taient primitivement leur tète, et dont il subsiste quelques
parties. Leurs figures, peintes en jaune et un peu communes
d'expression, ont une bonhomie de géantes qui ne leur
messied pas.
Les autres cercueils de la même dynastie sont de dimen-
sions moindres, quoique raisonnables. L'enduit blanc qui les
couvre est coup*' de bandes jaunes croisées, sur lesquelles
les noms et de courtes prières sont peints en noir. Le de-
dans de la cuve est souvent noir, la figure est jaune et la
coiffure noire ou bleue.
La coiffure de Thotmès III parait néanmoins avoir été do-
182 LE PUITS DE DEIR-EL-BAHARI
rée; mais le coffre est tellement gratté et tailladé partout,
qu'on ne peut guère se figurer ce qu'il a pu être. Celui de
Thotmès Ier, qui présente des traces de dorure et d'émaux,
peut avoir été orné ainsi par son usurpateur, Pinedjem II, à
l'époque duquel ce genre de décoration était usité.
Le cercueil de Séti Ier est blanc, assez long, sans autres
inscriptions que les noms du roi, écrits à l'encre au-dessus
de deux textes hiératiques de la XXIe dynastie, et il ne pré-
sente rien d'original ou de frappant, tandis que celui de
Ramsès II, fils de Séti Ier, n'a pas son pareil dans la trou-
vaille (pi. I et II).
C'est un simple coffre en bois de grandeur ordinaire, en
forme de momie, c'est-à-dire de corps enveloppé, et n'ayant
guère quelques linéaments depeinturequ'à la tète et aux mains.
La sévérité inattendue de ce bois nu ne fait que mieux ressor-
tir l'apparence humaine et vivante de la sculpture. Le héros
semble couché dans son manteau de guerre, prêt à se lever
au premier coup de clairon. L'effet serait autre, mais plus
grand peut-être, si, acceptant l'idée de résurrection que
suggère le monument, on redressait cette simple statue de
bois qui contient Sésostris sur un haut piédestal où il appa-
raîtrait comme le génie de l'Egypte guerrière.
Les doubles et triples coffres de la XXL dynastie, aux
masques dorés ou bronzés, sont tout l'opposé de ce chef-
d' œuvre, et l'ornementation les surcharge. Là, au dedans et
au dehors, sur un vernis jaune qui sert de fond, papillotent
toutes les couleurs de la palette égyptienne, en hiéroglyphes
«•t eu divinités innombrables. Seuls, quelques cercueils à
incrustations età émaux, comme celui de la reine Nedjem-t,
varient l'impression par l'espèce de miroitement glacé qui
les revêt.
VI
Aucun peuple n'a embelli ou du moins part' la mort
comme les Egyptiens, et par suite on se sent presque ton-
BlBL. ÉGYPTOL., T. XXXIV
PL. I.
COUVERCLE DU SARCOPHAGE DE RAMSÈS II
D'après une photographie du Musée de Boulaq.
BlBL. ÉGYPTOL., T. XXXIV.
Pl. Il
(Ti
■S]
en
-s. -
c s
E3
LE PUITS DE DEIR-EL-BAHARI 183
jours tenté, en présence d'un sarcophage, de voir à nu la
momie qui est dedans.
C'est un désir qu'il faut perdre. Les têtes de la reine
Nedjem-t et du roi Pinedjem II, ainsi que le corps tout en-
tier de Thotmès III, déroulés par M. E. Brugsch en présence
de l'école française, sont maintenant visibles, et montrent
que la mort est toujours la mort, quoi qu'on fasse. Le vieux
conquérant surtout, cassé en trois morceaux noirâtres, ap-
paraît dans ses langes, comme un cadavre défiguré par
quelque horrible maladie.
Mariette ;i beau dire : il n'y a pas de belles momies, ou,
en d'autres termes, plus une momie est belle dans son genre,
plus elle est laide en réalité. Le mauvais embaumement ne
donne qu'un bloc informe, tandis (pie l'embaumement par-
fait accentue d<-> détails repoussants. Le nez ouvre deux
trous sans fond, la bouche tire la langue de travers, les yeux
sont crevés, les mains noires semblent des pattes, et l'en-
semble a une apparence misérable, diminuée, desséchée, qui
n'est ni d'un corps ni d'un squelette, mais qui représente
quelque chose de hideusement intermédiaire, un corps ou
un squelette contre nature, et, si l'on veut, une variété de
l'un et de l'autre, le corps sans la chair et le squelette avec
la peau. Ce qu'il y a de touchant clans la lutte inutile tentée
contre la mort en Egypte no saurait pallier l'horreur défi-
nitive du résultat.
La science, qui dissèque les cadavres, ouvrira les momies.
C'est son droit de rechercher, dans le passé aussi bien que
dans le présent, tout ce que l'hérédité, les passions et les
circonstances font du corps humain; mais, pour qui ne dé-
roule pas les Pharaons, il y a quelque chose de plus agréable
à voir que leur dépouille, c'est leur toilette.
Rien de joli comme cette enveloppe faite d'une toile un
peu jaunie (de la nuance nommée aujourd'hui couleur crème),
sous un entrecroisement coquet de bandelettes roses. L'en-
semble rappelle, si l'on peut dire, ces boîtes de bonbons
184 LE PUITS DE DEIR-EL-BAHARI
nouées de rubans qui s'offrent après un baptême, ou mieux,
ces fiancées arabes que l'on promène encore clans les rues du
Caire, et «pie l'on conduit à leurs fiancés entièrement voilées
et masquées.
Presque toutes les momies ainsi parées sont couvertes de
guirlandes sèches et de lotus fanés qui ont traversé intacts
des milliers d'années, et nulle part la suspension du temps,
l'arrêt de la destruction ne sauraient se comprendre mieux
qu'à la vue de ces fleurs immortelles sur ces corps éternisés.
C'est bien là l'image d'un sommeil sans lin. Une momie
pointant, celle d'Aménophis Ier, dont un masque jaune aux
yeux d'émail moule la ligure adolescente, semble, comme
lasse du repos, s'éveiller en souriant dans son lit de fleurs.
Ce gracieux tableau résume l'impression que laisse, au
fond, la trouvaille de Deir-el-Baliari. A part quelques docu-
ments précieux pour l'histoire de la XXIe dynastie et
quelques prières sur toile qu'on a chance de trouver avec
les momies de la XVIII'', il n'y a peut-être la matière nia
de longues recherches ni à de grands résultats. L'intérêt de
la découverte est ailleurs. Il est dans le coup de théâtre qui
ramone suintement à la lumière nue assemblée de rois et
<|iii nous l'ait toucher de si près des choses que Ion croyail
si loin. Jl est aussi dans l'apparition de ce poétique entou-
rage que l'Egypte savait donner a la mort, ci dans lequel
s'encadrent encore, sons nos yeux, quelques-unes des traces
ou des reliques les plus fugitivesde la vie, depuis le chasse-
mouches de ThotmèSj trouvé dans son cercueil, jusqu'au
sourire d'Aménophis.
Le Caire, 6 août 1881.
SUR
DIFFERENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS'
Les textes thebains dos tombes royales présentent cer-
taines particularités, entre autres l'habitude de mentionner
souvent deux fois, et avec variantes, les noms ou les sur-
noms des personnages divins. En réunissant à ces exemple
d'autres variantes moins directes que fournissent les mêmes
textes, on peut grouper des renseignements assez nombreux
sur les suffixes qui servent à tirer des substantifs ou des
verbes, des noms d'agent, des ethniques ou des adjectifs, et
qui n'ont le sens passif qu'en des cas assez rares, comme
dans 8 (l^QfK variante de 8 fi ^\\ :l et \\ \ mas-
culin, ', féminin, avec la signification de « l'immolé,
_ û c^
le supplicié, la suppliciée ».
Quelques-uns des noms ou surnoms, dont il s'agit, sont
figurés en écriture secrète : i=Fp y a la valeur — *— , \T^ la va-
leur (1 , K^ la valeur <=z>, et Igs^ ainsi que \\ la valeur
vY Ces valeurs ont déjà été signalées par MM. Goodwin,
Le Page Renouf et Maspero. En dehors de l'écriture
1. Publié clans le Recueil de Travaux, 1883, t. IV, p. 5-11. — G. M.
2. Chain pollion, Notices, t. II, p. 510,
3. Ici., p. 593.
4. Ici., p. 593.
5. Id., p. 510.
186 SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS
secrète, il sera encore utile de noter les variantes s=> pour
pour "t" 1 , et A pour ^ ou s=>,
w * 1 # w 0 '
comme dans A ~ pour "™* ou A/Ws™ et ~1 i )L3 pour
(Jim ■ iii iii NDq oKA '
Dn . L'équivalence de fi et de ^ ou s=> se retrouve
dans des textes analogues à ceux des tombes royales, ainsi
le mot Q •=$=• ~ , du tombeau de Séti Ier \ est écrit R *=$=* s=s |
dans le passage correspondant, au papyrus publié par
M. Lanzone.
Il y a quatre divisions à faire parmi les variantes des
noms dérivés que fournissent les textes des tombes royales :
Ou le suffixe est supprimé,
Ou il est exprimé par la lettre t,
Ou il est exprimé par la lettre i pouvant se réunir au t,
Ou il est exprimé par diverses combinaisons que caracté-
rise la présence de la voyelle u.
Suppression du suffixe
A S
Quelquefois le suffixe ne s'écrit pas, comme dans (I
i
pour \\ S (m ^ i ", dans <==> 31 pour i\[\\ dan
j\ vu ■ <=^> in j\
'■ =nii'' d;,,,s lui |"""' ^jim ■*•"""
1. Champollion, Notices, t. I. p. 767.
2. A/., t. II. ]». 526 et 597.
3. /'/.. p. 594.
1. Id., t. I, p. 782.
5. Lanzone, Le Domicile il<,s Esprits, pi. II, 2r registre.
6. Champollion, Notices, t. I, p. 782.
7. Denkmâler, III. 203, b, I. 23.
8. Champollion, Notices. I . I. p. 75 I.
9. Id., i, II, p. 585.
10. Denkmâler, III. p. 79.
SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS 187
analogue à <=^> <^\ \ et dans 0 pour ^w-, (1 (r analogue
à Q ^wvna (l(j^\ etc. On remarquera dans les deux derniers
exemples le redoublement de la consonne finale et l'on ren-
contrera encore d'autres exemples du même genre, recon-
naissables malgré l'absence de variantes immédiates comme
AAAAAA AAAAAA ^ WWM p, r\ ^
\\ '', le frappeur, au féminin (1(1 <=> \\ '.
Ces cas de redoublement ne sont ni assez nombreux, ni
assez concluants pour qu'on puisse y voir avec certitude
une manière d'exprimer le suffixe qui serait propre surtout
aux mots en n, et qui se rapprocherait ainsi d'une termi-
naison n entrevue par M. Maspero pour le suffixe des par-
ticipes. On trouve au tombeau de Ramsès IV le mot
~*§^cz^(|(] J)i\ ceux du pays de Mafek (l'Orient),
pour j^ u l^âîM7' et' au sarc°Phage de Séti Ier-
I If ^frv1*' ^es contempteurs, ceux qui mettent
derrière eux ( / l 'W *|\ <© , d'après une phrase du
contexte) : malheureusement le passage qui parle des Orien-
taux est bien incorrect, et, sur le sarcophage de Séti Ier, le
0 doit être une erreur pour o, variante de *^% et de O1', qui
détermine dans le même texte les noms donnés aux ennemis
ou aux mânes, comme (1(1^ V> i , c±3^è\(l(] (sic),
1. Champollion, Notices, t. II, p. 42^.
2. Id., t. I, p. 760.
3. Id., t. II, p. 600.
4. Id., t. I, p. 78.~i .
5. Id., p. 789.
6. Id., t. II, p. 641.
7. Id., p. 639.
8. Shai'pe et Bonomi, Le Sarcophage de Sèti I", 14, ç.
9. Champollion, Notices, t. II, p. 518.
188 SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS
y^i'> "li^oVl'. variante de U^
I, ., ,. , . ® O . • o .
i : il y a encore la la variante *^=^_ ' pour^_
I ' û i m ' ^ i i i
Emploi du T
Quand le suffixe n'est pas vocalisé, tantôt il s'écrit par un
simple tj au féminin, comme dans jj I pour fr \ orientale,
et mémo au masculin, comme dans ^_ <=> pour , dans
ra^|\ ra€\ Qyf pour _ v\ (sic)7, le rugissant, mot
analogue à _t|(]s; et dans : J Jl pour ,J (cf. la
forme , e/^- c^u Pronom relatif, au pluriel10, et ^=^_
pour ^ °~, — »— pour J^o, etc.) ; tantôt les deux i remplacent
la terminaison it pour le féminin et la terminaison U pour
les deux genres comme dans r\ ^c , l'adoratrice 1 1 , mot
écrit ailleurs ^ (1(1 ^u; dans P<wwv\ Il , nom d'un dieu
dont la forme féminine est |^ww> J 0(]Q,:l 5 dans
5 co^,
1. Sarcophage de Sêti I", 1*1, c.
2. /'/.. b.
3. Charapollion, Notices, t. II. p, 518.
4. /'/., '/"'/.
5. Sarcophage de Sèti 1", 15, c.
fi. Champollion, Notices, t. II. p. l~s.
7. /^/..t. I, p. 440.
8. /'/.. t. II. p. 600.
ï). Denkmâler, III, 113; cf. Notices, t. 1. p. 138, el Sarcophage deTaho
10. Champollion, Notices, t. II. p. 645, 653 el 657; Lepsius, Denk-
màler,Vl, 115, b, 1. 1 à 4.
11. Champollion, Notices, l. II. p. 568.
12. /'/., }». 588.
13. Jtf., p. 574 et 575.
11. Id., p. 510.
SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS 189
û
1, au sarcophage de T'aho 0
cl
w
, le divin ; et
, qui esl la transcription en écriture secrète
du nom féminin ^û^|r, nesu-t, écrit ailleurs *— * ©
) i\ ', lignée ; on trou
jjl 3, l'ignée ; on trouve aussi le nom de déesse
qui équivaut à ^ j^'.
Emploi de lV
Tantôt le suffixe se présente dans ce cas sous sa forme la
plus simple (1, par exemple dans (1 *u^_ (K variantes (]k^.\\
et (j k^=_1k\ \ au sarcophage de T'alio (1 r> ; dans
celui delà flèche, mot qui équivaut pour le sens à
'•', l'archer, le sagittaire, etc.
izxa
U s
W
ou
W
Tantôt i varie avec il au féminin, et avec itl , comme dans :
(](]'u, nom de criocéphale, écrit ailleurs (£ 11 dans
Denhmâler, III, 113.
Champollion, Notices, t. II, p. 529.
Id., p. 591.
Sarcophage de Sèti I", 9, a.
Champollion, Notices, t. I, p. 828.
W., p. 438.
Denkmàler, III, 113.
Champollion, Notices, t. I,p. 784; cf. Brugsch, Zeitsclœift, 1880,
Champollion. Notices, t. I,
. /</., t. II, p. 542.
. A/., p. 506.
. Ztf., p. 527.
. 7t/., t. I, p. 799.
r86.
190 SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS
pour ^ (]()~' et [l]*iy(l pour (IJ^-.
noms féminins; dans £3%(l(| I1 pour £4^ °111^jf'
et dans >|\ ûfl ^ ' pour <=>|\ SC^g J';, le pieu-
$*
reur, mot dans lequel, comme dans J J
/wwv\ /www
w
7, apparaît une forme en iti, née sans doute du
besoin de distinguer le suffixe en i des terminaisons qui,
féminines ou non, ont persisté dans certaines finales en e ou
en i du copte.
Tantôt, dans les noms pouvant s'écrire par un seul syl la-
bique, la réduplication du signe remplace la finale ti\
comme dans 1 II pour I hfr, celui qui parle, plutôt que la
double parole; dans I pour J ,0, celui du vête-
À À À À /WVW\ r> ÀA
ment, plutôt que le double vêtement, <$ au sarcophage
cwww c^
de T'aho ; dans pour ", le dominant, plutôt que le
double maître: dans r r [ c^t: H H , pour r nm | et
CTZ1
•elui du séjour du dieu ou des dieux plutôt que
le double séjour du dieu ou des dieux (on remarquera que
le déterminât! f crm n'est pas redoublé); dans i]ni||] [)})l| pour
1. Champollion, Notices, t. I. p. 800.
2. Id., p. 800.
:!. Sarcophage de Sèti I", 1 I, c.
4. Champollion, Notices, t. II, ]). 518.
5. Id., t. I, p. 754.
6. Denkmaler, III, 203, h. 1. 29.
7. Id., III, 204, 1. 72.
8. Cf. K. Piebl, Zeitschrift, 1879, p. 145, et Naville, id., 1880, p. 21
-i 25.
9. Champollion, Notices, t. I. p. 439.
Kl. /(/.. p. 777.
11. />/., ibid.
12. /</., p. 777 et 778.
SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS 191
000 i (avec un seul déterminatif aussi), celui de la cam-
\\ I
pagne plutôt que la double campagne, et dans "ç^^^, le
guide, plutôt que le double guide" : (dans | pour |
ouï] ', MM. Naville et Piehl voient de même le dieu
local et non le dieu des deux régions). Le redoublement du
déterminatif parait avoir eu, au moins quelquefois, la même
valeur que le redoublement du syllabique, comme dans
^ o ^"^1= ^ pour ^ ^ " j^ , le vipérin, plutôt
que la double vipère*.
Tantôt enfin, it varie avec ti, au féminin, comme dans
^^^tP^X^J 2= pour —*— (1(15 ; et ti varie avec iti, comme
d,ms .Mil-* p°ur i!uCâ ' " "' oubien avec
ti-i, comme dans : -J-JnT Pour ' (1LU équivaut à
-'■^iL.l.lr. La forme merti-i au masculin n'a rien d'invrai-
semblable, car il existe un féminin qui pourrait lui corres-
pondre, ïï y^UO u'> l'Infernale, si l'on veut lire ce mot
ament-i-it. On remarquera toutefois que, dans ces deux
derniers cas, Mil pouvait n'être aussi qu'un simple redouble-
ment graphique, analogue à d'autres phénomènes de redou-
blement signalés par M. de Rougé. Bai ce qui concerne la
combinaison \\ 0(1 , M de Rougé lit haiet non hai-i ' ' le groupe
1. Champollion, Notices, t. I, p. 77'.'.
2. Ici., p. 788.
3. Zeitsehrift,lS80, p.25-26et 05; cf. Champollion, Notices, 1. 1. p. 440.
4. Champollion, Notices, t. II. p. 5*27.
5. Ici, p. 529.
6. Ici., t. I, p. 406.
7. Ici, t. II, p. 628.
8. Ici., p. 614.
9. Ici., p. 629.
10. Sarcophage de Sèti /"r, pi. 9,.b, et Champollion, Not., t. II. p. 537.
11. Chrestomathie, 3" fascicule, p. 84.
192 SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS
ra"v\ (](] , ai et non ail le groupe 0(1(1 \ etc., et de
même ^, % M ' 2 ou ri ° (] (j ffl ' , variantes de -^ ' ou
de V Iflûfl i \ suggèrent les lectures semlti et nebuî, plutôt
que les lectures semuiiet nebuii. D'un autre côté, quand le
syllabique "Î^X ou *K\ , ti, intervient comme marque du
suffixe, il peut être accompagné soit par l'un de ses complé-
ments phonétiques, le t ou 17, soit par tous les deux; on
/WW\A I
trouve en conséquence le t complémentaire dans %=> i\ ceux
qui sont, ^ \\ ^tvi7, les iustes, variante ^ Jr !'\
1 o .m ÎLÏ i ' o \\ vil i
f J^\''' variante f J"'"' les 0rientaux> etft^j"- les
Occidentaux, mot analogue à fî^. J),â- On trouve 17' com-
plémentaire, par contre, des \\ ^H^^)"011 H
AAfflM
(](](£> J)14 ; et enfin on trouve les deux lettres dans (1 e>(](|
\^i".flQ ^.l'habitant", pour (ffl) ^".^
1. Chrestomathie, 2e fascicule, p. 101).
2. Champollion, Notices, t. II. p. 583.
3. /t/., p. 028.
4. /</.. p. 583.
5. /t/.. p. 614.
(i. Sarcophage de Sèti /", 14, a.
7. W., 6, c.
-s. /(/., ibid.
9. Champollion, Notices, t. Il, p. 5IÎ8.
lu. Sarcophage de Sèti I", 9, a.
11. /t/., 6, B.
12. Champollion, Notices, t. II, p. 641.
13. /</.. p. 499.
l I. /</., p. 500.
15. Denkmàler, 111. 303, b, 1. 5.
16. Champollion, Notices, t. I, p. 784.
17. A/., p. ti07, etc.
SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS 193
i ' , *~ V\ Mes ennemis, etc. Dans le Papyrus de
i <=> j^ iii
Turin qui reproduit l'un des textes des tombes royales, le nom
de l'Amenti est écrit ft*%\ ', et \ ^ f^^'. Ces obser-
vations montrent qu'il faut lire ti et non ai le suffixe ^fc^Ul]
signalé par M. de Rougé\ et qu'il n'est pas nécessaire de
chercher une distinction entre des mots, comme (J S (1 0 V\ y> »
°c^ 8 U û ^ y "^ > Par exemple, et leurs variantes : (I S OU
vè\ aw^ | et ««s R l\l\ X> 2S£S\ L'on conclura donc, en der-
-H /www i Ail _ZT I I I *v-~\_ oy ^
nier lieu, qu'il y a beaucoup de chances pour que (I (I
soit mer-ti, et ft^\ (](] Amen-Ut.
Emploi de l'U
Quand les noms d'agent prennent la finale u dans laquelle
M. de Rougé7 a déjà vu un véritable suffixe du participe,
d'après un exemple à la vérité peu concluant, il se présente
des cas assez variés.
Tantôt Vu est seul, comme dans le nom d'un ibiocéphale,
V> s=^ [) \>^ "', mot analogue à "y\~" (l(l *1 ", le porteur,
dans v\cr^=v\, le lanceur, — *- y>1°> l*3 repousseur, etc.,
noms qui, au nombre de six, en accompagnent six autres du
1. Charupollion, Notices, t. I, p. 592.
2. Id., p. 787.
3. Lanzone, Le Domicile des Esprits, pi. 9, 1. 52.
4. Id., pi. 10, 1. 68.
5. Chrestomathie, 2e fascicule, p. 35.
6. Lanzone, Le Domicile des Esprits, pi. 2, 3e registre.
7. Chrestomathie, 2e fascicule, p. 83.
8. Champollion, Notices, t. I, p. 767.
9. Id., t. II, p. 621.
10. Id., t. I, p. 784 et 785.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 13
194 SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS
même genre, dont un sans suffixe, deux avec suffixe en a,
deux avec suffixe en ti, et un avec redoublement de la
dernière consonne radicale, , le frappeur1. Une
série analogue2, composée de treize noms, en a deux sans
suffixe, un avec suffixe en a, un avec suffixe en ti, rendu
par le redoublement du syllabique, un avec suffixe en ti (au
moins à ce qu'il semble), rendu par l'hiéroglyphe *gv , un
avec redoublement du o final, et quatre avec finale en \\,
parmi lesquels ^E= %, le preneur (cf. *™ M, l'éclaireur3).
Tantôt le suffixe i ou ti est précédé par la lettre u, comme
dans ^^ t\ \\ \ celui du sceptre, mot dont la forme
a — D\_B^_zr\\ k\\\\
féminine paraît être ]U(JQ'> et dont la racine est djam-t,
au pluriel ""1 v\ ^^w\ 116; comme dans ser-uti, variante de
ser-i, déjà cité7, et comme dans <z=>y|\ y>(j(I yC>* pour
rem-i9 ou rem-i-ti 1 °, au féminin rem-it " , de la racine
laquelle, sans le suffixe, suffit à rendre l'idée de pleureur.
Tantôt Vu figure après le suffixe en i ou en ti, comme
dans "kllS^Th mot analogue a S£ Vfch
1. Cbampollion, Notices, t. I. p. 785.
2. A/., p. 788 à 790.
3. Id., p. 429.
I. Id., p. 780.
5. Id., p. 784.
G. Id., p. 778.
7. Id., t. II. |». 506 et 542.
8. Id., t. I. p. 755.
9. Id., p. 754.
10. Denkmâler, III, 203, b, 1. 29.
II. Id., III. 79.
12. Champollion, Notices, t. II. p. 678.
13. Id., i. I. p. 753.
1 1. Sarcophage </<■ Sèti 1 ", 4, i .
SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS 195
les morts, dans : o jj J \\ %l^s w) ''' va"ante a J] j
i2, de la racine abeb-t, pique, au pluriel- a ]
\\
Î^SIIi
ÛÛ^X3, dans : \\> Q6, variante probable de S S M ° J57,
dans : ^J(](j^^s, pluriel a J (j (j j \ etc.
On remarquera l'analogie des désinences u, ui et iu, qui
sont masculines, avec les désinences plurielles du masculin,
lesquelles ne sont pas toujours accompagnées du détermi-
natif i , par exemple dans s=> ^è\ du papyrus publié par
M. Lanzone 10, variante de — »
i du tombeau
deSétiIer1\dans^(j(j^,'2)variantede^(](j^|1,.etdaiis
>k ll[l yV *, variante de ic [1(1 11% pour le pluriel en u et en m;
enfin dans ^-^ ^o (](] 1\ les guides, dans - L- ,7, habitants,
(accompagnant, il est vrai, un substantif), mot écrit aussi
1. Champollion, Notices, t. II, p. 521.
2. Sarcophage de Séti I'\ 12, b.
3. Id., 12, b, et Champollion, Notices, t. II, p. 522.
4. /rf., t. I, p. 755.
5. Id., p. 428.
6. Id., p. 428.
7. Denkmàler, III, 203, 6, 74.
8. Champollion, Notices, t. II, p. 515.
9. Id., p. 515.
10. PL 2, 3e registre.
11. Champollion. Notices, t. I, p. 785.
12. Id., t. II, p. 517.
13. Sarcophage de Sèti I", 14, a.
14. Champollion, Notices, t. II, p. 534.
15. Sarcophage de Sètil", 11, b.
16. Champollion, Notices, t. Il, p. 583.
17. Id., p. 513.
190 SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS
i, n n tk i, . -, en d
(] - -^n w V\ i ' pour \\ - -v\ i ' et dans (j h , variante de
Dgll^Kr', pour le pluriel en wï correspondant aux
pluriels coptes en otti et o-ye.
L'expression du pluriel est moins visible encore dans
v\ i , les ennemis, dans -f^ \ ceux qui sont, et dans
ïï ïSk'''' ^es Occidentaux, ce qui pourrait expliquer pourquoi
le surnom de Khen-ament d'Osiris, sous sa forme habituelle
de Khent-amenti ou Khenti-amenti, est écrit tantôt avec la
marque du pluriel \\\\\ (I i i i
/WWV\ \\ 1 /WW\A [j£j*J /WW» _C£\S lO O P^ I
pour TT ^ ' e^ flTh f ^ 10, tantôt sans la marque du pluriel
*WW\A o ^n O /WWW (\ .uiniini, cj .-.
1. J^"' il » IZ^ïfh "*«• éprise
comme un singulier, l'expression Khenti-Amenti paraît avoir
donné naissance à deux personnages divins du tombeau de
-<2>- m Ql] f"™^ ^
RamsèsVI, rv riïh (I , Osiris qui est dans l'Ament,
— u— u— \ \ I AA/WV\ 1 1
e^ ^J ir <N-> ' l'Amenti qui est avec Osiris13.
L'absence assez fréquente de la marque déterminative du
pluriel fera reconnaître des pluriels véritables dans certains
singuliers des tombes royales. Ainsi, dans la Litanie du
1. Lanzone, Le Domicile des Esprits, pi. 1. 3e registre.
2. Champollion, Notices, t. I, p. 7~(.'.
:!. Sarcophage de Sèti I", 14, b.
I. Champollion, Notices, t. II, p. 41)1) et 545; cf. Grébaut, Hymne à
A mmon-Ra, p. 2G.
5. Champollion, Notices, t. II, p. 500.
ii. ld., p. 646.
7. ld., p. 601.
8. ld.. p. 533.
9. Sarcophage de Sèti /", 11. a.
10. Papyrus sans nom du Louvre, 1" texte.
II. Champollion, Notices, t. II. p. 193.
12. ld., 500; cf. Denkmaler, II, 81, 98, etc.
13. Champollion, Notices, t. II, p. 514.
SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS 197
Soleil, où soixante-quinze formes de Ra sont successivement
adorées, quelques-unes d'entre elles représentent des groupes
de personnages réunis sous une seule dénomination, laquelle
correspond à l'un des aspects du dieu : trois momies, par
exemple, les Aat, sont appelées - — û(](] vV dans le tableau,
et dans la légende \\ <^> v\ <&< 7) - ou V\ <:=^:,
y <^*ï J|- Dans le dernier exemple, le nom des Aat-u
n'éveille plus que l'idée d'un personnage unique et la voyelle
u y est le seul reste du pluriel primitif. On remarquera
encore l'unification des Veilleurs, trois momies allongées dont
les pieds touchent à un disque, et dont le nom est ^^ on
dans le tableau4 : le texte en fait Yurshi-u ^^r-rc-i
Jn\ On retrouvera de même les suppliciés dans le
mot ^aaa(1 r^^nnv^^ déterminé par un seul personnage",
et les pleureurs dans le mot [j'vx^z^ J(](j "y^^J)7- Les
urshi-u et les aakebi-u sont représentés par groupes de
quatre personnages isolés au tombeau de Ramsès VF : il y a
même là quatre aakebi-u, hommes, et quatre akebi-t-u,
femmes. Quant aux neki-u, leur séjour, r /ww« (1 ^3^
SS V^à1" est menti°nné sur un texte appartenant aux
tombes royales. En dehors des Litanies solaires, un des
noms cités plus haut, Kebi-u, accompagne un groupe de
1. Champollion, Notices, t. I, p. 428.
2. Ici., p. 754.
3. Dcnkrnàler, III, 203, b, 1. 23.
4. Champollion, Notices, t. I, p. 779.
5. Denkmâler, III, 203, b, 1. 67.
6. Champollion, Notices, t. I, p. 429.
7. Ici., p. 755.
8. Ici., t. II, p. 623 et 629; cf. Sarcophage de Sèti Ier, 10, c, et 9, c.
9. Cf. Papyrus sans nom du Louvre, premier chapitre, 1. 22.
198 SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS
quatre hommes renversés, \qa \ (111^^, le (1 ^,s==> (1 (] @ > Ie
@ et le <=> (1(1 <5 1 : l'analogie donne à penser qu'il y a
là encore des collectifs, d'autant plus que, dans un autre
groupe de quatre personnages, chacun d'eux est dit . J
\\\[ au pluriel.
Faut-il voir aussi des pluriels dans certains des autres
noms d'agent en u, déjà mentionnés, comme utes-u, khesef-
u, shep-u, etc. ? 11 est difficile de le dire, et de savoir jus-
qu'à quel point les observations précédentes peuvent être
étendues dans le domaine des textes appartenant aux tombes
royales, ou dans le domaine des autres testes. Il suffira, pour
le moment, d'avoir noté plusieurs points qui ne sont pas
douteux.
Les noms cités jusqu'ici dans ce paragraphe sont mas-
culins : au féminin Vu ne parait subsister ni pour le singulier,
car on n'en trouve pas d'exemples, ni pour le pluriel, car on
a alors seulement des formes comme°w° (1(1 , féminin de
passage du Papyrus sans nom du Louvre4), féminin de
-m\
/WAW , W_
" «ai \ fé-
i i i s=> ^ III
mininde 8 ou s=> \\ 9 et
<2 I I I A/WWV Ji i i i
i i i
I. Champollion, Notices, t. II, p. 515.
■2. Id., p. 500 et 501.
:!. Sarcophage de Sètil", 12, b, et 13, c.
4. Premier chapitre, 1. 9.
5. Champollion, Notices, t. II, p. 5:>0.
fi. /ri., ibid.
7. Sarcophage de Sèti /", 9, c
8. Champollion, Notices, t. I. p. 538.
9. Sarcophage de Sèti I", 10, c
10. Id., 7, c'
I I. Champollion, Notices, f. II, p. 640.
SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS 199
s)
(celles) qui sont dans, etc. Dans le mot féminin ^k ^4
', remorqueuses, le signe (? est un déterminatif et non
la lettre u. Quant aux mots sem-u et sem-ui2, qui ont été
cités plus haut et qui désignent des déesses, leur apparence
masculine parait avoir sa raison d'être dans ce fait, que les
personnages indiqués sont appelés Akhemu-Seku par un
papyrus du Louvre qui reproduit la même série1 : les
Akhemu-Seku, qui, partout ailleurs, sont des dieux, auront
été remplacés par des déesses sans qu'on ait songé à modi-
fier complètement, dans ce sens, la légende explicative. Au
féminin pluriel, le mot guide est en égyptien ^^^ ' et
au féminin singulier _^ fl <] » ^. (1 (] (1 ^ ^ "' •
Récapitulation
En ajoutant à ces exemples les formes pour lesquelles il
n'existe pas de variantes, comme » M z=> 3 " (cf. w (](r)
pour le masculin, et  J s=>s pour le féminin, on obtien-
dra le tableau suivant, dont la composition montre que les
différentes expressions du suffixe n'ont aucune répugnance
à s'échanger entre elles, puisqu'on a, pour le mot pleureur,
par exemple, (rem), rem-i, rem-i-ti, rem-u-i-ti, etc.
1. Sarcophage de Sàti I", 11, c.
2. Champollion, Notices, t. II, p. 583.
3. Dëvéria, Catalogue des mss, égyptiens du Musée du Louvre, p. 41.
4. Sarcophage de Sêti I", 11, c.
5. Id., 11, b, et Champollion, Notices, t. II, p. 578.
6. Champollion, Notices, t. II, p. 578 et ô87.
7. Id., t. I, p. 429.
8. Id., t. II, p. 595.
200 SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS
MASCULIN
FEMININ
t
t
tt
U
a
»
i
i
u
u
u-i
Li-i-i
i-u
))
a
\ tu
i-ti
n
ti-i
ti-it
u-i-
■ti
))
i-u-
■ti
»
Dans ce tableau, le t simple ou double du masculin est une
abréviation évidente pour ti, comme l'indiquent les variantes,
ce qui montre que it masculin équivaut à iti; le t et Xi du
féminin sont de même des expressions régulièrement in-
complètes de la syllabe it; enfin les formes ti-i pour le
masculin et ti-it, u, ui-i pour le féminin sont douteuses. Si
l'on considère, de plus, le rôle de Vu comme n'ayant pas été
analysé encore d'une manière suffisante, il restera seulement :
MASCULIN
FÉMININ
a, i
it
ti
iti
( ti
j tt
( tit.
Et maintenant, puisque plusieurs variantes sonl purement
graphiques, il reste encore à savoir si, dans le tableau final,
les formes ti <•( tit ne sont pas de ce genre, l'une avec la
valeur U que lui attribue M. Piehl1, l'autre avec la valeur
1. Zeitsckrift, 1879, p. 143.
SUR DIFFÉRENTES FORMES DES MOTS DÉRIVÉS 201
tit que M. Maspero' penche à lui donner. De plus, le rôle du
t dans ti n'étant pas précisé, et la fonction de Yi dans i-ti ne
paraissant pas mieux déterminée que celle de Yu en général
(car i et u peuvent ne figurer, dans certains cas du moins,
que comme allongement du radical ou comme voyelle de
liaison), on se retrouve ainsi, au point de vue de la certitude,
en présence des deux suffixes fondamentaux, i pour le mas-
culin et it pour le féminin, tandis que les autres suffixes
offrent des problèmes qui demeurent difficiles à résoudre,
dans l'état actuel de la science. Pour difficiles que soient ces
problèmes, il ne faut pas moins chercher à en réunir les
éléments d'après les différents groupes de textes, car c'est là
le point de départ d'une solution, et ceci justifiera jusqu'à
un certain point la méthode employée dans le présent tra-
vail, qui a pour but de décrire, plutôt que d'expliquer.
Le Caire, mai 1881.
1. Zeitschrift, 1880, p. 44.
UN
CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE1
i
La légende dont la traduction suit occupe une partie de
l'un des papyrus de Turin fac-similés par M. Rossi, et pu-
bliés par M. Pleyte, àLeide, de 1869 à 1876 (pi. 31, 77 et
131-138.)
L'écriture du papyrus présente le type de la bonne
époque, et M. Pleyte le croit de la XXe dynastie. L'écri-
ture du verso semble d'un autre scribe que celle du recto :
de plus, le commencement et la fin du recto manquent,
tandis que le verso, qui n'a pas son commencement non
plus, a conservé sa fin, comme l'indique la formule, c'est
bien fini, heureusement. Les deux côtés contiennent chacun
quatre pages entières et une moitié de page : c'est leur der-
nière page qui est fragmentée.
Le papyrus est une collection de formules magiques,
ayant pour but de conjurer l'effet de la morsure des ser-
pents. La légende étudiée ici en forme de beaucoup la par-
tie la plus considérable, car elle occupe tout le recto, depuis
la 12e ligne de la lre page jusqu'à la 5e ligne de la 4" page :
elle ne présente pas de lacunes réelles.
I. Publié dans la Zeitschrift fur œgyptische Sprache, 1883, p. 27-33.
204 UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE
Le fac-similé parait suffisamment exact, bien que quelques
mots soient peut-être moins distincts dans la publication
qu'ils ne l'étaient sur la copie de M. Rossi, suivantM. Pleyte
(p. 180). Il y a lieu d'accorder, pour les passages difficiles,
une certaine confiance aux lectures de M. Pleyte, qui avait
sous les yeux la copie de M. Rossi, et dont la sagacité de
déchiffrement a été d'ailleurs remarquée par M. Chabas.
M. Pleyte a transcrit et traduit les textes publiés par lui,
mais, pour être mené à bonne fin, ce travail ne pouvait être
que sommaire, eu égard au nombre et à l'état des papyrus.
L'essai de M. Pleyte donne à peu près l'impression que pro-
duit une première lecture, et, sous ce rapport, son utilité
est grande: il épargne bien des tâtonnements qui seraient
inévitables en présence de textes hiératiques, pour la plu-
part fragmentés, dont il faudrait déterminer la nature et le
sens.
Telle qu'elle est, néanmoins, cette sorte'd'ébauche ne
saurait dispenser d'études plus complètes, ce que l'on com-
prendra sans peine si l'on compare, pour le Conte du Jardin
des Fleurs, par exemple, la traduction de M. Chabas à celle
de M. Pleyte.
La légende du papyrus magique demandait aussi à être
interprétée de nouveau, car le vrai sens en avait échappé au
savant éditeur.
Il
PI. CXXXl
L. 12-13 Chapitre du dieu divin, existant par lui-même,
auteur du ciel, de la terre, de l'air vital, du feu,
des dieux, des hommes, des fauves, des troupeaux,
des reptiles, des oiseaux et des poissons,
le roi des hommes et des dieux réunis,
L. 14 dont les siècles sont les années,
aux nombreux noms, qui ne sont pas connus
et que ne connaissent pas les dieux.
UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE 205
Or, Isis était une femme
pi. cxxxn habile (en) paroles, son cœur était dégoûté
L. 1 du monde des hommes, elle préférait le monde des
[dieux,
elle estimait (mieux) le monde des esprits.
Ne pouvait-elle pas, au ciel et sur la terre, de
même que Ra,
posséder la terre et (être) déesse,
pensait-elle en son cœur,
L. 2 par le moyen du nom du dieu auguste?
Or, Ra venait chaque jour
.à la tête de ses nochers,
installé sur le trône du double horizon.
Le dieu avait vieilli ; la bouche lui gouttait,
L. 3 la salive lui coulait vers la terre,
et ce qu'il bavait tombait sur le sol.
Isis pétrit cela de sa main :
avec de la terre et ce qui était dessus,
L. 4 elle en composa un serpent sacré;
elle le fit en forme de dard.
Il ne marcha pas dressé devant elle :
elle le laissa couché sur la route
par laquelle le dieu grand passait,
L. 5 suivant le désir de son cœur, dans son double
[royaume.
Le dieu auguste parut au dehors
Les dieux compagnons de (ce) pharaon, V. S. F.,
[à sa suite :
il se traînait comme chaque jour.
Le serpent sacré le mordit :
la flamme de vie sortie de lui-même
L. 6 dompta celui qui réside dans la (forêt de) cèdres.
Le dieu divin ouvrit la bouche,
et le cri de sa Majesté, V. S. F., monta jusqu'au
[ciel.
206 UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE
Son cycle divin de (dire) : « Qu'est-ce que c'est ? »
et ses dieux de (dire) : a Quoi donc? »
L. 7 II ne trouva pas (la possibilité) de répondre sur cela.
Ses mâchoires claquaient,
tous ses membres frissonnaient ;
le venin s'emparait de sa chair
L. 8 comme le Nil s'empare de son domaine.
Le dieu grand raffermit son cœur,
il cria à ses compagnons :
« Allons, à moi ! enfants de mes membres,
dieux sortis de moi !
Expliquez cela à Khepra.
L. 9 Quelque chose de douloureux m'a transpercé;
mon cœur a perçu cela, et mes yeux ne l'ont pas vu,
ma main ne l'a pas causé ;
je n'ai connaissance de personne qui me l'a fait.
Je n'ai pas senti de douleur comme celle-là :
L. 10 il n'y a pas de mal au-dessus.
Je suis le chef, fils du chef,
l'émanation issue de Dieu;
je suis le grand, fils du grand,
mon père a médité mon nom ;
je suis le myrionyme,
le multiforme,
L. 11 mon être existe en chaque dieu.
Acclamé par Tum et Horus les Nomenclateurs,
mon nom a été dit par mon père et par ma mère,
(puis) il a été caché dans mon sein par qui m'a en-
gendré,
L. 12 afin de ne pas laisser être le maître l'enchanteur
[qui m'enchanterait.
j'étais sorti dehors pour voir ce que j'ai créé,
j'allais par les deux royaumes que j'ai faits,
L. 13 quand quelque chose (m')a piqué que je ne con-
fiais pas :
UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE 207
Est-ce du feu?
Est-ce de l'eau ?
Mon cœur est un brasier,
Mes chairs tremblent,
L. 14 tous mus membres éprouvent les elîets d'un frisson
[terrible.
Qu'on m'amène les fils des dieux,
aux paroles bienfaisantes,
qui connaissent leur bouche,
et dont l'influence atteint le ciel. »
PI. CXXXIII
L. 1 Chaque fils divin vint à lui en se lamentant ;
Isis vint avec ses sortilèges,
sa bouche (pleine) de souffles de vie,
ses formules pour détruire les maux,
L. 2 et ses paroles vivifiant les gosiers morts.
Elle dit : « Qu'est-ce que c'est, père divin?
Quoi donc? Un serpent a répandu les maux en toi,
un que tu as créé a dressé sa tête contre toi ?
L. 3 Oh ! il sera renversé par des charmes efficaces,
je le ferai reculer à la vue de tes rayons. »
Le dieu saint ouvrit la bouche :
« Moi, je passais sur le chemin,
j'allais par les deux royaumes de ma terre,
L. 4 selon le désir de mon cœur, pour voir ce que j'ai
[créé :
je fus piqué par un serpent, sans l'avoir vu.
Est-ce du feu ?
Est-ce de l'eau ?
Je suis plus froid que l'eau,
Je suis plus brûlant que le feu.
L. 5 Tous mes membres sont en sueur,
je suis tremblant, mon œil est sans force,
je ne distingue plus le ciel,
208 UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE
l'eau monte à ma face comme dans la saison de l'été. »
L. 6 Isis dit à Ra :
« Oh ! dis-moi ton nom, père divin.
Celui-là vivra qui sera délivré par son nom. »
« J'ai fait le ciel et la terre, arrangé les montagnes,
et créé les êtres qui sont dessus ;
L. 7 j'ai fait l'eau, créé le grand abîme,
et fait le Taureau-de-sa-mère,
auteur de la jouissance ;
j'ai fait le ciel, et voilé les deux horizons,
L. 8 j'ai placé l'âme des dieux dedans;
je suis celui qui, s'il ouvre les yeux, produit la lu-
[mière,
et qui, s'il ferme les yeux, produit les ténèbres;
l'eau du Nil monte quand il l'ordonne,
L. 9 et les dieux ne connaissent pas son nom ;
je fais les heures et produis les jours,
j'envoie les fêtes de l'année et crée les inondations,
je produis le feu vivant
L. 10 pour purifier les maisons.
Je suis Khepra le matin, Ra à midi,
et Tum le soir. »
Le venin n'était pas chassé, il progressait,
L. 11 et le dieu grand ne marchait plus.
Isis dit à Ra :
« Ce n'est pas ton nom, rénumération que tu m'as
[faite;
oh ! dis-le-moi, et le venin sortira.
Celui-là vivra dont le nom sera révélé. »
L. 12 Le venin brûlait comme du feu ;
il était plus fort que flamme et que fournaise.
La Majesté de Ra dit :
« Je consens à être fouillé par Isis,
(et à ce que) mon nom passe de mon sein dans son
[sein. »
UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE 209
L. 13 Le dieu se cacha pour les dieux :
large était la place dans la barque des millions
[d'années.
Quand vint le moment de la sortie du cœur,
elle dit à (son) fils Horus :
« Qu'il s'engage par un serment divin
L. 14 (à) livrer ses deux yeux ».
Le dieu grand son nom lui fut enlevé,
et Isis, la grande magicienne, (dit) :
« Coulez, poisons, sortez de Ra !
PI. XXI, LXXVII
L. 1 Œil d'Horus, sors du dieu ! Resplendis hors de sa
[bouche !
Moi, j'agis,
Moi, j'envoie tomber sur la terre le venin dompté,
car le nom du dieu grand lui a été enlevé.
Ra, qu'il vive !
Que le venin meure, au contraire !
L. 2 Un tel, fils d'une telle, qu'il vive!
Que le venin meure, au contraire ! »
(C'est) ce qu'a dit Isis, la grande, la régente des
[dieux,
Celle qui connaît Ra (par) son propre nom.
Paroles à dire sur
L. 3 une image de Tum et d'Horus les Nomenclateurs,
sur une représentation d'Isis
et sur une image d'Horus.
Ecrit à mettre dans (une dissolution) avalée par la
L. 4 personne. On le fait pareillement sur un morceau
de vrai lin mis à son cou. C'est un remède efficace.
On fait une potion avec de la bière ou du vin (pour
être) bue par la personne que le mal (tient). C'est
L. 5 la destruction du venin, parfaitement, et pour tou-
jours.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 14
210 UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE
III
Cette légende reflète avec une fidélité remarquable les dif-
férents aspects du développement religieux, indiquant ainsi,
dans sa mesure, que les mythes égyptiens ont obéi aux
mêmes lois que ceux des autres peuples.
Le vieux fond naturaliste s'accuse dans le nom et le rôle
delà divinité principale, Ra, c'est-à-dire le soleil. Déplus,
les titres de Ra révèlent une tendance prononcée à établir
l'unité dans le polythéisme, puisque le dieu est représenté
comme le créateur des choses et même des dieux, mais cette
unité est panthéistique : Ra existe en chaque dieu et crée
par voie d'émanation, comme le montre la naissance du ser-
pent tiré de sa salive par Isis. Ce dernier épisode repose sur
une allégorie symbolisant l'effet pernicieux de la chaleur
solaire, preuve que les phénomènes physiques avaient con-
servé en partie leur signification, au dernier temps de la
croissance des mythes.
C'est bien à une période de ce genre que nous reporte
l'idée toute évhémériste de la légende, qui change en une
simple femme Isis, l'une des principales figures du Pan-
théon. Tandis qu'Horus, au moins dans son rôle et sa forme
de Nomenclateur, reste encore dieu, Isis n'est plus qu'une
sorte d'Eve, qui cherche, avec l'aide du serpent, à obtenir
la divinisation en s'emparant de la science suprême.
IV
Les monuments et les papyrus ne nous ont conservé qu'un
petit nombre de légendes. Le Livre des Morts on contient
deux ou trois, qui sont plutôt effleurées que racontées. Les
textes du mythe d'Horus et de la destruction des hommes,
UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE 211
publiés par M. Naville, sont plus précis. Les recueils de ma-
gie, comme le Papyrus Harris, prennent quelquefois aussi
une allure narrative, mais on peut dire qu'en général les
compositions religieuses sont plus riches d'allusions que de
faits, ce qui les rend fort obscures : on ne réussira bien à les
comprendre que si l'on parvient à connaître suffisamment
le. vaste cycle des fables qui leur servait de support. Plu-
tarque a donné jusqu'à un certain point la clef de ce qui
concerne Osiris, mais l'existence d'une histoire de Ra n'était
même pas soupçonnée quand le récit de la destruction des
hommes a divulgué, il y a quelques années, un des épisodes
de la chronique solaire.
La légende qu'on vient de lire est un morceau du même
genre, à peu près du même temps, tiré peut-être du même
livre, et se rapportant, par un heureux hasard, à une même
période de la vie du dieu suprême, c'est-à-dire à la fin de
son règne terrestre.
Les deux incidents se relient d'autant plus étroitement
qu'ils ont trait aux causes qui déterminent le dieu à quitter
la terre. La destruction des hommes décide entièrement Ra,
que le repentir ronge et qui reconnaît que son mal vient
d'avoir été avec eux, car leur massacre, dit-il, est la cause
de ma faiblesse; mais au moment de son départ il n'oublie
pas l'aventure du serpent, il admoneste sévèrement le dieu
de la terre, Seb, l'engage à veiller sur ses reptiles et l'aver-
tit que des psylles le charmeront à son tour. Voici le pas-
sage (pi. e, 1. 56 à 62) :
L. 56 La majesté de ce dieu dit à Thoth : « Crie un :
viens à moi ! à la Majesté de Seb, en disant :
Viens vite, sur-le-champ. » La Majesté de Seb
vint, et la Majesté de ce dieu lui dit : « Sois ré-
primandé
L. 57 pour tes serpents qui sont en toi, car ils m'ont fait
craindre pour mon existence. Connais donc leur
212 UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE
bien : va-t-en vers le lieu où est mon père Nun,
et dis lui : Garde
L. 58 les reptiles de la terre et de l'eau. » Fais aussi un
écriteau pour chacun des trous où sont les serpents,
savoir : « défense absolue de nuire ». Qu'ils sachent
que je m'éloigne,
L. 59 mais que je luirai sur eux. Or, leur soin concerne
leur père, car tu es un père pour cette terre, à ja-
mais. Qu'on prenne donc garde à cela.
L. 60 Des enchanteurs les charmeront, avec mon propre
charme magique. Je m'en dépouillerai, mais ce ne
sera pas pour ceux que j'en aurai privés, par la
grandeur de
L. 61 l'Ancien ! Je les désignerai à ton fils Osiris : leurs
enfants périront, et le cœur de leurs chefs sera
découragé. Ceux-là (seuls) prospéreront qui fe-
ront ce
L. 62 qu'ils voudront sur la terre entière,, en charmant
les reptiles. »
Ce souci des reptiles n'est pas justifié par le récit du mas-
sacre de l'humanité, et il ne trouve son explication que dans
un fait antérieur, c'est-à-dire dans l'événement que rap-
porte le papyrus magique de Turin.
On remarquera que les deux textes, avec une irrévérence
qui les date, en quelque sorte, font du soleil une espèce de
vieux roi de comédie, bafoué par les hommes et trompé par
une femme. Les aventures sont complaisamment détaillées,
surtout dans la dernière légende, qui confine ainsi au conte,
en laissant voir par quelle dégradation de nuances les
mythes primitifs ont passé pour devenir des romans,
comme ceux de Bâta, du prince prédestiné, de Setna, et
de Rampsinit.
On peut espérer que de nouvelles recherches révéleront,
parmi les textes publiés ou inédits, d'autres documents de
UN CHAPITRE DE LA CHRONIQUE SOLAIRE 213
même nature : il y a dans ces écrits une source d'informa-
tions qui n'est pas à dédaigner, car ils font suivre la marche
totale des mythes, de leur point de départ à leur point
d'arrivée. L'histoire des religions en tirera certainement
profit.
L'ART EGYPTIEN1
Si l'on réfléchit que les arts, malgré des décadences par-
tielles, bénéficient pourtant dans leur ensemble de 1 expé-
rience si lentement et si péniblement acquise par 1 humanité,
on éprouvera plus de gratitude que de dédain pour les essais,
d'abord inhabiles, qui dégrossirent peu à peu le bloc in-
forme d'où la beauté est enfin sortie : on comprendra, en
outre, que l'analyse de l'un de ces débuts a par elle-même
son intérêt, puisqu'elle met forcément en lumière la grandeur
des difficultés qu'il a fallu vaincre d'âge en âge, depuis le
moment où cette âme collective qui apparaît dans 1 histoire
s'éveilla non plus à la vie, mais à l'idée.
L'art égyptien est, en effet, l'un des plus antiques de a
terre et ce n'est pas sans étonnement que l'on contemple
aujourd'hui, dans les musées, ces formes plusieurs fois mil-
lénaires par lesquelles la pensée primitive s'exprima si ener-
giquement, que le temps n'a pas toujours depoh 1 epiderme
granitique des sphinx, ni parfois défraîchi les peintures des
hypafquel prodige de durée, et quel effort vers l'éternel
cet art nous est-il parvenu? Quelles causes aussi 1 ont fait
ce qu'il fut, puissant et minutieux, mais emprisonne comme
une momie dans une gaine étroite de conventions ou d ha-
1 Publié dans le Bulletin de l'Institut égyptien, 2; série t. IV, 1883,
p. 90-99. Tirage à part à cinquante exemplaires in-8 , Caire, IBM,
vingt pages. — G. M.
216 l'art égyptien
bitudes qui maintenaient la raideur jusque dans la grâce, et
déparaient les plus belles œuvres par des miracles de ma-
ladresse ? Un coup d'œil jeté sur ce qu'il en reste révélera
le secret de ces surprenantes antithèses en montrant les ten-
dances et les limites du génie égyptien, qui, dénué d'ima-
gination, s'exprima d'une manière évidente par la pauvreté
dans l'invention comme par la patience dans le faire.
Cette forme d'esprit parait dans le peu d'efforts (pie lit
l'art pharaonique pour se dégager d'une circonstance qui lui
donna son aspect particulier, et qui fut l'abondance des
pierres dans les montagnes voisines du Nil. La conquête
facile des blocs granitiques ou calcaires inclina d'abord les
Égyptiens vers l'architecture et la sculpture, et ils n'en
sortirent point. Chez eux les bas-reliefs abrègent avec quel-
ques variantes de convention les statues coloriées, les pein-
tures abrègent les bas-reliefs et les dessins abrègent les
peintures : toutes les vignettes du Livre des Morts semblent
des copies de tableaux sculptés. Les innombrables signes,
simplifiés peu à peu, de l'écriture sur papyrus, réduisent
les hiéroglyphes monumentaux, et une partie de ces derniers
reparaissent d'une manière exacte dans les couvres purement
artistiques. C'est ainsi que le petit signe qui suit en démo-
tique les noms des statues se trouve la minuscule des plus
gigantesques colosses. L'art égyptien n'est au fond que de
la pierre travaillée, et l'habitude de ce travail forma des
ouvriers et des maîtres d'une habileté surprenante dans le
maniement ou la taille des blocs.
Soutenus par les immenses ressources que leur prodi-
guaient les Pharaons, ils ont élevé ainsi en architecture des
œuvres, temples, obélisques et pyramides, véritablement
saisissantes, et qui laissent à l'esprit une impression aussi
nette que celle de leurs lignes sur le ciel. Mais la beauté
architecturale n'esl pas ton juins pure : elle dépend, en
quelques parties, de la qualité des matériaux, et de la des-
tination ou de l'étendue des édifices, choses auxquelles le
l'art égyptien 217
génie d'un architecte ou d'un peuple peut ajouter son em-
preinte. L'Inde, entassant par piles innombrables et sans
raison apparente les étages de ses pagodes, a symbolisé la
richesse d'une imagination remplie par le foisonnement des
formes. L'Europe chrétienne, à qui la flèche des cathédrales
fut imposée, parait-il, par l'impossibilité où l'on était
d'abord, d'employer d'autres matériaux que le bois, sut
faire de ce premier type l'expression magnifique ou tour-
mentée de son élan vers le ciel. L'Egypte au contraire,
n'ajouta aux nécessités architecturales que la sûreté pra-
tique de ses constructeurs. La forme légèrement pyramidale
du temple égyptien, qui lui prête une sorte de grâce, a pour
but unique de le mieux asseoir. Le temple lui-même, pla-
fond couché sur des colonnes, est resté dans son ensemble
la maison plate d'un pays sans pluie : l'obélisque est une
pierre commémorative bien taillée, et la pyramide, un tu-
mulus régularisé par des architectes. Ces travaux nous
étonnent jusqu'à l'admiration, mais seulement par la simpli-
cité et par la masse. Leur énormité me rend d'un seul coup
et comme d'un bloc, sans surcharges, la puissance exagérée
qui les a faits. Réduits, ils perdent, comme les lacs ou les
rochers, la moitié cle leur beauté d'emprunt, la grandeur.
Les petites pyramides en brique que l'on voit encore en
Nubie, les obélisques d'un quart de mètre que l'industrie
fabrique aujourd'hui, et les naos, qui sont des temples
diminués, ne nous frappent guère à côté des obélisques de
cent pieds de haut, des montagnes évidées en tombeaux ou
en temples, des énormes sanctuaires de Karnak et des pyra-
mides de Gizéh, subites apparitions du despotisme.
La statuaire n'est pas plus variée que l'architecture, parce
que des artistes qui ne sentent pas vivre dans leur esprit la
forme mobile, c'est-à-dire l'homme ou l'animal, se contentent
de la figurer sous son aspect le plus ordinaire et le plus
simple. Au commencement il fallut prendre modèle sur la
nature, et l'on tira ainsi de la pierre, avec la scrupuleuse
218 l'art égyptien
persévérance égyptienne, des copies parfaitement exactes,
telles que la statue de Khafra, celle de l'hiérogrammate qui
est au Louvre et quelques autres, en sorte que les plus belles
œuvres se rencontrent, dès les premières dynasties, à côté
d'essais grossiers qui semblent marquer l'enfance de l'art
par la rudesse du ciseau et la grosseur des têtes. Mais, peu
à peu, lorsqu'on fut parvenu à des représentations satisfai-
santes, on se borna à copier ces copies, et à y choisir les deux
ou trois poses les plus faciles à rendre de l'homme assis ou
debout, pour les conserver toujours les mêmes, avec des
jambes et des bras raides.
Cette docilité d'une imagination paresseuse eut dans les
bas-reliefs, où la vie s'exprime avec plus de variété que dans
les statues, l'inconvénient de perpétuer une attitude impos-
sible du corps humain, représenté de profil avec le buste de
face. La cause d'une pareille faute, qu'on retrouve en Assyrie
et ailleurs, tient à une sorte de convention particulière aux
époques primitives de l'art. On admet alors pour les bas-
reliefs le profil qui est aisé à imiter, qui supprime la per-
spective el (pii pose également bienles personnages vis-a-vis
les uns (\ci< autres. Mais, comme le profil exactement rendu
masque l'un des bras dans les poses calmes qu'on préfère, on
tache d'y remédier en ramenant de face l'épaule cachée. On
arrive ainsi à une sorte de vérité relative, car l'être vivant,
avec la gesticulation habituelle dont il s'entoure, ne semble
pas manchot comme le paraîtrait un bas-relief fixant le
profil réel d'un homme en marche. On est encore amené à
supprimer l'opposition des deux mains qu'on place dans le
même sens cl non en sens contraire, ce qui donnerait trop
au personnage l'air de quelqu'un de face qui détournerait
la tète. En Egypte, on alla plus loin, et, par une sorte de
logique, on négligea presque toujours l'opposition des deux
pieds. Mu m ;ms<i l'œil de face, comme en Assyrie, afin de
ne pas dis simuler l'organe qui résume le mieux la vie, et l'on
donna de même aux bœufs passants des cornes de face,
l'art égyptien 219
petites ruses qui ne déplaisent pas parce qu'on les remarque
peu. Rien ne choque plus, au contraire, que les autres sub-
terfuges. Un peuple comme les Grecs s'en dégage vite par
des attitudes et des gestes variés : au moyen âge, même,
par un artifice assez ingénieux, les faces sont souvent tour-
nées vers le spectateur, dans les bas-reliefs, comme celles
d'acteurs en scène. Les Égyptiens, peu artistes, ne sentirent
pas le besoin du mieux et s'en tinrent à la gaucherie primi-
tive, sans y être obligés, comme on le dit souvent, par des
lois sacerdotales. Rien ne prouve en effet que de telles règles
aient existé : elles n'eussent pas alors été violées dans cer-
taines oeuvres de choix, où des Égyptiens mieux doués que
les autres sont sortis de l'ordinaire, comme dans le groupe
connu des deux prêtres harpistes, qui touchent leurs instru-
ments avec des mains vraisemblables. L'obligation hiéra-
tique ne fut autre chose, à ce qu'il semble, qu'une habitude
prise. Les scribes finirent certainement par avoir des cahiers
complets de modèles tout faits, qui leur épargnaient la peine
d'observer ou de réfléchir, et les images, apprises dès l'enfance,
leur venaient aux doigts d'instinct, avec une aisance qu'égale
la dextérité du ciseau qui suivait leurs esquisses dans la
pierre. Ainsi s'explique l'uniformité qui, à travers les siècles,
perpétua les mêmes images dans les scènes les plus diverses,
et remplit l'art de signes graphiques. Tel oiseau qui marche
dans une basse-cour est une lettre, tel quadrupède une
syllabe, le sphinx de Gizéh lui-même est un mot. Les ta-
bleaux religieux sont littéralement envahis par des hiéro-
glyphes, dont quelques-uns, animés, reçoivent des yeux, des
bras ou des jambes. Pareils aux signes de l'écriture figura-
tive, les personnages sont presque toujours des calques
abstraits, qui montrent l'aspect d'une race et non le carac-
tère d'un homme, en marquant seulement la différence des
époques : ils sont même précieux pour ce motif, parce qu'ils
donnent de fidèles tableaux ethnographiques, où l'on aperçoit
nettement les têtes sévères et lourdes du premier Empire,
220 l'art égyptien
la grâce élancée du temps des Ramessides, et la bonhomie
souriante de l'époque Saïte, ainsi que le profil sérieux et
lin des peuples sémitiques, et la démarche dégingandée des
nègres. La beauté un peu grêle delà femme égyptienne est
aussi parfaitement rendue, parfois même avec un soin ou
des détails, comme celui des danseuses vues de dos, où l'on
reconnaît des artistes qui n'étaient pas toujours insensibles
à la grâce des poses. Mais tous ces types, découpés avec
une sûreté qui arriva à l'élégance, ne changent pas pendant
des siècles, et figurent presque toujours les mêmes person-
nages, sans différence d'âge ou de traits, dans des scènes
identiques. A plus forte raison, la figure, quel que soit l'acte
accompli, reste-t-elle étrangère à tout sentiment; c'est à
peine si l'on remarque parfois, dans ces masques immobiles,
l'ouverture d'une bouche qui chante, ou la rondeur d'une
joue qui souffle dans une flûte. On sent des artistes qui
fuyaient l'inconnu pour se borner à ce qu'ils savaient, c'est-
à-dire aux offrandes faites ou reçues par les défunts ou les
rois, et à la marche des personnages divins au ciel ou dans
la nuit. Ils ont vite quitté pour les représentations funéraires
et religieuses la vie agricole et la vie guerrière tentées, les
unes sous les premières dynasties memphites, les autres au
temps glorieux des Thotmès et des Ramsès. Ces essais,
intéressants pour la connaissance des mœurs, trahissent
l'embarras d<^ habitudes quittées. Lorsqu'il s'agit de gestes
inusités, les corps se contournent disgracieusement, les bras
et les jambes se cassent plutôt qu'ils ne se plient. La com-
position des groupes, par exemple dans les combats de terre
et de mer, est d'une gaucherie enfantine. Les animaux sont
manques comme les hommes, dans les mouvements brusques
ou un pou extraordinaires. Mais les types des races animales
ressortenl avec une clarté d'autanl plus grande néanmoins,
que l'âme pou compliquée dos bêtes s'exprime souvent tout
entière et d'une façon toute spéciale dans la saillie de cer-
tain.> membres. Ici, l'exactitude générale des Égyptiens
l'art égyptien 221
suffit, et leurs animaux, dont la marche dégage naturelle-
ment les quatre membres, et que ne défigure aucune con-
vention voyante, ne dépareraient pas un traité de zoologie.
Le bec gourmand des canards, le museau des chiens qui les
tire en avant, odora canum vis, la marche rampante et douce
des félins, le cou patiemment enfoncé dans les plumes des
palmipèdes qui attendent la proie, la légèreté au vol et au
poser des petits oiseaux, tous ces traits sont frappants.
Quant aux couleurs appliquées sur les bas-reliefs et sur les
esquisses de bas-reliefs qu'on appelle peintures égyptiennes,
elles sont uniformes, toujours blanches, noires, vertes,
bleues, rouges ou jaunes, à peu près sans mélanges ni
nuances. Sauf de rares essais vagues, par exemple le sol
imité au moyen de bandes brunes croisées sur un fond rose,
ou les feuilles vertes de quelques arbres reliées entre elles
par une teinte plus pâle, le reste appartient moins à la pein-
ture qu'à l'ornementation qui réussit, en Egypte, par la
même raison que l'architecture ; pour orner, comme pour
bâtir, il n'est pas nécessaire d'inventer. Trois ou quatre
formes naturelles ou géométriques, comme la ligne droite
ou brisée, le lotus, le scarabée, et d'autres emblèmes, suf-
fisent par leur agencement et leur répétition, la vivacité de
leurs couleurs, le choix de la matière et la régularité du tra-
vail, pour donner le fini de la perfection à des vases, à des
plafonds, à des bijoux. Les meubles ou les ustensiles, dont
chaque forme est moulée sur un besoin et sur l'objet naturel
qui, d'abord, y correspondit le mieux, comme la calebasse
pour la coupe, les instruments, qui ne sont d'ordinaire que
des mains, des doigts ou des bras supplémentaires, présentent
comme autant de sujets tout trouvés qu'un peu de légèreté
et de richesse doue aisément de la beauté qui leur convient,
l'élégance. Depuis les colonnes des temples, les murs des
tombeaux et les coffres des momies qu'il bariola d'hiéro-
glyphes, jusqu'aux gemmes les plus fines qu'il émiettait on
petites merveilles, le génie égyptien développa surtout cette
222 l'art égyptien
branche inférieure de l'art, ainsi qu'il est généralement
arrivé aux races encore voisines de l'état sauvage.
Les races dites primitives, en effet, lorsqu'elles profitèrent
de leur groupement en sociétés plus ou moins unies ou
nombreuses pour tendre à une existence facile et agréable,
ne durent avoir pour première tâche qu'un perfectionnement
de l'outillage nécessaire aux progrès futurs, et leurs cons-
tructions comme leurs bijoux montrent que les produits
artistiques de ces essais n'atteignirent d'abord que le gigan-
tesque et le joli. Le développement de chacune d'elles ayant
de plus ses limites, comme toutes choses, leur invention
put s'user à la découverte des arts, et celles qui s'arrêtèrent
ainsi dès les premiers pas continuèrent à mettre, par une
contradiction apparente, des procédés déjà supérieurs au
service d'idées encore grossières. Il eût fallu, pour s'élever
plus haut, une sorte de génie natif ou une certaine culture
reçue que ne paraît pas avoir eues l'Egypte, d'ailleurs tout
entière, lors de son début et dans son isolement, au travail
que lui coûtèrent le fleuve et le sol dont elle vécut. Peu
douée ou mal préparée, elle lit peut-être plus d'efforts
qu'elle n'obtint de résultats, et on peut dire qu'elle repré-
sente, avec la Chine et le Mexique, les premières civilisations
barbares. Son goût pour l'architecture colossale et la dé-
coration minutieuse, œuvres de force et de patience où
excellent les peuples à demi-policés, marque, avec son im-
puissance à donner la flamme de vie aux contours humains,
le point d'arrêt où elle se fixa dans une perfection relative.
L'emblème le plus exact de son art qui cherche toujours le
simple et le facile, et n'a guère qu'un caractère graphique,
est l'hiéroglyphe, copie soignée qui sculpte l'écriture, mais
écrit la sculpture, et qui suffit à dire, mais non à exprimer
les choses.
SUR
L'ANCIENNETÉ DU CHEVAL
EN EGYPTE'
I
M. Guimet a t'ait récemment l'acquisition, pour son
Musée, d'un petit cylindre gravé dont il veut bien autoriser
et faciliter la publication dans l'un des prochains numéros
de ce Recueil, au cours d'une étude sur quelques monu-
ments du Musée Guimet.
C'est une sorte d'amulette en terre cuite, percée dans le
sens de sa longueur, et couverte de petites figures semées
un peu au hasard, comme dans certaines imitations assy-
riennes. On y remarque l'obélisque, le signe de l'or, le
sphinx ailé, les deux déesses ailées et affrontées comme les
Chéroubim, le cartouche de Thotmès III, et surtout un roi en
char poussant ses chevaux empanachés vers des Asiatiques.
Ce sont bien là les images qui devaient hanter l'esprit
des scribes et des artistes, au temps des dynasties conqué-
rantes, alors que s'élevaient les grands temples aux longues
avenues, et que la maison militaire des Thotmès ou des
Ramsès passait au galop dans les villes syriennes. Au-
1. Publié dans l'Annuaire de la Faculté des Lettres de Lyon,
2* année, n° 1, 1884, p. 1-11; tirage à part de cinquante exemplaires.
— G. M.
224 sur l'ancienneté du cheval en Egypte
jourd'hui encore, quiconque a feuilleté les atlas égyptolo-
giques, ne se représente guère un pharaon autrement que
debout sur son char, dans l'attitude de la lutte ou du triom-
phe, et on aurait quelque peine à se figurer les grands rois
de l'Ancien Empire, Chéops, par exemple, partant en guerre
à pied ou sur le dos d'un âne.
Il faut pourtant reconnaître, à ce propos, qu'on n'a pas
encore signalé sur les monuments de l'Ancien Empire, c'est-
à-dire dans les nombreux tombeaux de Gizéh et de Saqqa-
rali, quelque tableau ou quelque titre permettant d'admettre
l'existence ou de la cavalerie dans l'armée égyptienne, ou
du cheval en Egypte, sous les premières dynasties.
On a même l'habitude de dire que le cheval n'a pas été
connu en Egypte avant l'invasion des Hyskos, parce qu'on
ne le trouve pas représenté aux époques antérieures, tandis
que la mention des chars et des chevaux est fréquente à
partir d'Ahmès Ier, qui chassa les Pasteurs.
M. Lenormant a appuyé cette opinion de son autorité1,
et il a induit, du double fait qui la motive, que le cheval est
arrivé en Egypte avec les Pasteurs. Depuis, M. Piètrement,
qui a étudié particulièrement l'histoire du cheval, est allé
plus loin, en affirmant que ce sont des « chevaux du type
» dongolâwi ou mieux touranien, à front bombé, que les
» Hyksos conduisirent incontestablement en Egypte, et
» sans doute dans les états barbaresques'2 ».
Ces assertions sont trop précises pour ne pas mettre en
défiance. Quand d'ailleurs M. Lenormant nie l'existence du
porc en Egypte dans la haute antiquité, malgré une repré-
sentation des Denkmâler3 , où il veut voir une erreur de
1. Compte rendu de l'Académie des Sciences, t. LXX. 1870, p. 1(15;
et Les premières civilisations »1874, t. I, ch. 2, /-'■ cheval dans le Nou
i el Empire égyptien.
2. Ethnographie des Tamahu, dans la Reoue archéologique, 1875,
p. 321.
3. III, pi. 3.
sur l'ancienneté du cheval en Egypte 225
copie1, et qui est corroborée par un texte du Moyen Empire*,
ou bien quand M. Piètrement affirme que les Aryens avaient
domestiqué le cheval « à une époque antérieure à l'an 1937
» avant Jésus-Christ" », on ne peut s'empêcher de faire la
remarque que ces deux savants ont cédé parfois trop vite
au désir de conclure.
Tout autre a été la réserve de M. Chabas, qui s'est occupé
aussi du cheval dans son ouvrage sur Y Antiquité historique.
Si les monuments et les textes, dit-il au sujet des animaux
domestiques en Egypte, sont restés muets « sur un fait
quelconque, ce n'est point une preuve suffisante que ce fait
n'a point existé. Cette règle doit être observée dans tous les
ordres de recherches, mais elle est surtout indispensable
quand il s'agit des choses de l'Egypte, parce que le nombre
des monuments inexpliqués, inaccessibles ou restant encore
à découvrir est extrêmement considérable, et qu'il faut
s'attendre à des révélations nouvelles '. »
Il y aurait même lieu d'ajouter ici que les monuments
ou les textes peuvent parler sans qu'on les entende, et que
des renseignements publiés peuvent passer inaperçus, ce
qui n'a rien d'extraordinaire, en présence delà quantité de
faits qui restent à cataloguer.
Ainsi, dans la page même de M. Chabas qui vient d'être
citée, et dans celle qui la précède, il est dit que ni le chat,
ni la poule ne se rencontrent dans les scènes des monuments
égyptiens; pourtant, il y a longtemps que Champollion
avait signalé deux poules dans un tombeau du Moyen Em-
pire, celui de Nehera-si-Numhotep à Béni-Hassan", et une
1. Les premières civilisations, t. I, 1874, p. 331.
2. Cf. Maspero, Du genre èpistolaire, p. 52.
3. Trutat et Cartailhac, Matériaux pour seroir à l'histoire positive
de l'homme, 1870, p. 280.
4. P. 407.
5. Notices, t. II, p. 387.
BlBL. KC.YPT., T. XXXIV. 15
226 sur l'ancienneté du cheval en Egypte
chatte guettant un rat dans un tombeau voisin, celui de
Menhotep1.
Le genre d'omission dont il s'agit a eu lieu justement
au sujet du cheval. Antérieurement à la plupart des travaux
de MM. Lenormant, Piètrement et Chabas, M. Liehlein
avait publié en 1871 son Dictionnaire des noms hiérogly-
phiques, où l'on aurait pu trouver nombre de renseignements
sur la question. M. Chabas s'en aperçut sans doute par la
suite, car il signala le premier, dans son journal l'Égypto-
loyie* l'existence du cheval sous les anciennes dynasties.
M. Pierret lit de son côté la même constatation, d'après
un des monuments utilisés par M. Lieblein' : « la stèle de
Boulaq, datée de l'an XXX d'Amenemha Ier et de l'an X
d'Ousertesen Ier, porte un nom propre formé par le nom du
cheval, hedjer, variante de heter (j. de Rougé, Inscript.,
pi. VIII) \ » La variante hedjer pour heter a été notée par
M. Mariette, d'après un texte du Ramesséum '.
M. Chabas n'a pas cité d'exemples, et M. Pierret n'en a
cité qu'un, ce qui ne suffit pas pour asseoir une preuve,
car, d'un côté, une assertion ne vaut pas un fait, et, d'un
autre côté, un fait isolé n'a pas la valeur d'un groupe de
faits : on peut même toujours, en matière hiéroglyphique,
supposer une erreur de copie dans une citation unique,
comme l'a fait M. Lenormant au sujet du porc. Il sera donc
permis de revenir sur la question, et d'extraire du Recueil
de M. Lieblein les exemples suivants, qui appartiennent
tous à des monuments du Moyen Empire :
Hedjer /, n° 112, strie du British Muséum, datant d'Usertesen Ier.
Heter, n° 146, stèle de Florence n° 2506, datant d'Amenemha III.
1. Notices, t. II. p. 181 ; cf. Lepsius, Denhnxalor, II. pi. 130.
2. 1877, p. 191.
:i. Dictionnaire des noms hiéroglyphiques, n°99.
1. ZeitschriJ't fur Mgyptische Sprache, 1S7'.>. p. lit*».
5. Revue archéologique, 18G7, p. 291.
sur l'ancienneté du cheval en Egypte 227
Hedjev, n° 218. stèle de Boulaq, famille d'un Mentuhotep.
Hedjera, n° 300, stèle de Boulaq, nom de femme.
Heter, n° 380. stèle du British Muséum n° 248.
Heter, n° 433. stèle du Musée de Turin, nom de femme, famille
d'un Ameni.
heter, nù 533, bas-relief du Musée de Turin ; même personnage
qu'au n° 433.
Heteru, n° 500, stèle de Boulaq n° 86.
Heter, n° 549, stèle du Musée du Louvre C 39, nom de femme'.
Ainsi, voilà huit personnages du Moyen Empire, hommes
et femmes, qui s'appellent le cher ni ou la cavale.
Deux observations incidentes s'offrent ici d'elles-mêmes,
l'une, que le signe des pays étrangers (si, à la vérité, il ne
figure pas abusivement aux nos 433 et 533 pour le syllabique
te/-) aurait pu terminer le mot cheval, l'autre que le nom
de Cheval ou de Cavale aurait, d'après YOnomasticon de
M. Lieblein, été porté par des Egyptiens seulement sous le
Moyen Empire. Ces deux ordres de faits semblent indiquer
que le commerce et l'usage du cheval eurent alors une cer-
taine importance.
II
D'autres documents, moins précis mais significatifs à leur
manière, s'ajoutent à ceux-ci, et font au moins entrevoir un
des emplois du cheval sous le Moyen Empire.
M. Chabas a déjà cité5 une tradition rapportée par Plu-
tarque1, d'après laquelle Horus aurait déclaré à Osiris que
l'animal le plus utile à la guerre est le cheval, parce qu'avec
son aide on disperse et on détruit l'ennemi : c'est évidem-
ment en souvenir de cette tradition qu'a été sculpté le mo-
1. Cf. Stèle du Louvre C 19? ; E. de Rougé, Notices. 3' édit., p. 150;
et Pierret, Études ègyptologiques. 8e livraison, p. tiT.
2. Études sur l'antiquité historique, p. 423.
3. Traité d'Isis et d'Osiris, 19.
22S sur l'ancienneté du cheval en Egypte
miment de basse époque qui représente Horus, en cavalier
romain, perçant un crocodile de sa lance'.
Plutarque était donc bien renseigné sur le rôle mythique
du cheval, au moins aux derniers temps ; mais ce rôle datait
<\e plus loin. Une inscription monumentale de Karnak dit
Séti Ier cavalier comme le fils d'Isis (Horus) et archer au
bras fort comme Mentu*.
Le texte dit proprement que le roi monte à cavale, « le
» mot cavale étant une des dénominations poétiques du
» cheval3 ».
On voit (ju'il s'agit du roi partant en guerre comme Horus,
et comme le Mars égyptien Mentu : cet indice nous per-
mettra de faire un nouveau pas. Si le cheval d'Horus sym-
bolisait l'attaque et la poursuite de l'ennemi, il en était de
même d'un monstre mythologique souvent cité à la bonne
époque, et composé avec certaines parties des animaux réels
dont les qualités correspondaient à ses attributions. Cet
animal, dans lequel on reconnaît sans peine une des per-
sonnifications de l'orage, comme dans les Harpies et les
Centaures, était le griffon, sorte de quadrupède ailé, à queue
t\ phonienne, à tête d'aile (cf. l'aquilon) et quelquefois à
pieds faits comme ceux du cheval : c'est ainsi qu'on l'avait
sculpté à Karnak', dans l'attitude fringante du cheval qui
se ramasse '.
Son nom égyptien, akhekh, est en rapport étymologique
visible avec le mot akhekh, signifiant planer et voler.
Ramsès II, dans le poème de Pentaour, poursuit les Khétas
sur son char comme un griffon8, et les Tameliu vaincus
disent de Ramscs III, dans le grand texte de Médinet-Abou :
1. Clermont-Ganneau, Revue archéologique,, 1X7G.
2. Champollion, Notices, t. II, \>. Tii.
\i. Cliabas, Études sur l'antiquité historique, )>. 438.
4. Champollion, Notices, II, p. 124.
5. Cf. Denkinàler, III, '.•:<.
6. ld.; cf. E. de liougé. Recueil de Travaux, vol. I, liv. 1. \>. '<■
sur l'ancienneté du cheval en Egypte 229
comme un griffon il nous poursuit pour nous égorger'1.
Or, une variante au moins très probable du griffon est
le Seka (cf. le mot seka, aller). Le Seka avait les mamelles
de la truie, la queue de l'animal typhonien, la tête et l'aile
de l'épervier, les pattes de devant comme celles du lion, et
les jambes de derrière comme celles du cheval.
On sait que le porc, symbole très répandu et parfois ailé
des fléaux atmosphériques (cf. le sanglier d'Adonis, la laie
de Crommyon, etc.), était une des formes du Typhon égyp-
tien, l'orage par excellence, puisque les Grecs lui ont donné
le nom qui, dans leur langue, désignait l'orage. On sait, de
plus, que l'épervier comme le lion2 étaient des emblèmes
d'Horus, et que l'épervier comme le lion se comparaient au
cheval, dans les textes hiéroglyphiques, par exemple dans
l'inscription déjà citée de Médinet-Abou, 1. 24-25.
On retrouve ainsi dans le Seka le caractère bellii pieux et
turbulent qui convient au griffon comme au cheval, mais il
reste à décider si l'on doit bien assimiler aux sabots du
cheval les pieds toujours représentés d'une façon trop som-
maire de ces monstres à demi typhoniens et à demi divins,
comme le personnage mythique qui a la tète d'Horus et la
tète de Set sur les épaules. L'allure du griffon ne convient
ni au bœuf, ni à l'âne, mais seulement a la gazelle et au cheval ;
quant au Seka, ses jambes sont trop massives pour appar-
tenir à la gazelle, et ne rappellent que celles du bœuf, de
l'âne, ou du cheval.
Toutefois, la gazelle n'éveillant point l'idée de férocité, et
ni le bœuf ni l'àne celle d'agilité, il demeure au moins vrai-
semblable que les pieds du griffon et du Seka sont plutôt
ceux du quadrupède de guerre et de course choisi par
1. L. 46; cf. Diimichen, Historische Inschrlften, pi. 47.
2. Cf. Xaville, Te. nés relatifs nu mythe d'Horus, XVIII, 2; J. de
Rougé, Monnaies des nomes d'Egypte, p. 47-48; E. de Rougé, Notices,
3e édition, p. 192, etc.
230 sur l'ancienneté du cheval en Egypte
Horus, le cheval plus prompt que le vent' et Jlawant les
batailles*-. La férocité et l'agilité sont aussi les caractères
distinctifs des autres monstres du même genre que le Seka
et le griffon, c'est-à-dire du sedja « à tête et cou de serpent,
» corps tigré fauve », du sefer, « espèce de griffon ailé blanc »
ou d'oiseau Roch', du s/ta ou lévrier du Typhon, portant
ici l'un des noms ordinaires du chien1, et de l'once ayant une
tête humaine ailée sur le dos '. Sur les coupes phéniciennes,
ces animaux sont résumés dans le lion ailé, à tête d'homme
ou d'épervier6.
On remarquera, maintenant, que le Seka est figuré sous
la forme qui vient d'être décrite, dans un tombeau du Moyen
Empire à Béni-Hassan, celui de Menhotep7, parmi les autres
bêtes mythologiques que le défunt rencontrait dans l'autre
monde, quand il se livrait au plaisir de la chasse, comme
l'Orion d'Homère" ou comme les personnages des coupes
phéniciennes, visiblement inspirées par quelques tableaux
égyptiens. Cette ancienne peinture d'une sorte de griffon à
pieds de cheval, qui nous ramène toujours au cavalier Horus
poursuivant ses ennemis, nous permettra, non pas assuré-
ment de conclure, mais au moins d'induire qu'avant l'inva-
sion des Pasteurs, le cheval pouvait fort bien être utilisé
pour la guerre au bord du Nil, où il était déjà connu.
1. Zeitschrift, 1876, p. 89.
2. Job, 30, 25.
3. Cf. Revilloul, Transactions of the Society oj Biblical Archœology,
vol. VIII, parti, p. 14.
4. Champollion, Notices, I. II, p. ;160 et 337.
5. Denkmàler, II, pi. 128.
ii. ./mimai asiatique, 1880, n" 2, I. 2, 3, 4 el 6.
~. Champollion, Monuments, t. IV, pi. 382.
x. Odyssée, chant XI-
sur l'ancienneté du cheval en Egypte 231
III
Si le cheval était connu sous le Moyen Empire, Tétait-il
sous l'Ancien ?
Les renseignements qui précèdent, depuis le récit de
Plutarque jusqu'à la représentation du Seka, conduisent à
le conjecturer, parce qu'ils peuvent se rattacher, comme
c'est généralement le cas pour les mythes, à des conceptions
préhistoriques, mais il faut reconnaître qu'il n'y a plus là
qu'une vraisemblance.
Cette vraisemblance, qui se rapporte à des époques si
éloignées de nous, pourra être fortifiée par un fait qui a sa
valeur si on le prend pour ce qu'il vaut, c'est-à-dire à titre
d'indice et non de preuve. Il consiste dans une forme fau-
tive', hedjer-t (la cavale), du nom de l'hyène het-t\ qui
existe dans un des tombeaux de l'Ancien Empire : l'un des
domaines destinés alors à fournir les offrandes funéraires
s'appelait parfois du nom de l'hyène, peut-être parce qu'il
désignait les fermes situées dans le voisinage du désert.
Dans le cas où l'erreur signalée ici ne serait pas imputable
au copiste moderne, il deviendrait clair que le scribe égvp-
tien a confondu, en la commettant, deux noms d'animaux
qui lui étaient familiers.
Enfin, une considération générale, mise en avant par
M. Chabas, ne doit pas être omise parce qu'elle a son poids :
c'est que le cheval existait en Palestine à l'âge de pierre,
d'après une observation de l'abbé Morétain, recueillie par
M. Arcelin'. « Le cheval syrien, fait observer M. Chabas,
» n'a pas dû abandonner la Palestine depuis l'âge dit de
1. Lepsius, Denkmàler, II, pi. 28.
2. Cî.ld., pi. 15 et 21.
3. L'Industrie primitive en Egypte et en Syrie.
232 sur l'ancienneté du cheval en Egypte
» pierre'. » D'après M. de Mortillet, l'aire d'habitation du
cheval quaternaire traversait l'Europe et l'Asie2.
S'il en a été ainsi, l'Egypte a pu d'autant mieux connaître
le cheval syrien, sous l'Ancien Empire, que son horizon
géographique était déjà assez vaste. Les plus anciens monu-
ments historiques nous montrent, sur les rochers de la pé-
ninsule Sinaïtique, quatre rois des IIIe, IVe, Ve et VIe dy-
nasties terrassant les Asiatiques. La grande stèle d'Una,
datée de la VIe dynastie, mentionne une guerre avec cer-
tains peuples sémitiques, qui eut assez d'importance pour
nécessiter, outre l'enrôlement d'auxiliaires nègres, une levée
en masse depuis la frontière de la Nubie jusqu'il celle du
Delta". Les iles mêmes de la Grèce, et peut-être les pays
situés au delà, n'étaient pas non plus ignorés de l'Egypte :
dès la IVe dynastie, un texte religieux parle du circuit de
la Méditerranée sous le nom de cercle des Hanebu ', peuples
assimilés plus tard aux Grecs dans les hiéroglyphes.
Il serait étonnant que, dans ses relations ou ses échanges
avec toutes ces nations voisines, l'Egypte n'ait pas songé à
s'approprier le cheval, qui vivait depuis si longtemps en
Europe et en Asie, s'il n'habitait pas déjà en Egypte.
Mais il est temps de quitter ce terrain, où les hypothèses
tiendraient trop de place, pour récapituler les résultats
obtenus, ce qui peut se faire en deux mots, de la manière
suivante. Sous le Moyen Empire, le cheval existait certai-
nement en Egypte, où on l'employait probablement à la
guerre, et il en était peut-être de même clans l'Ancien
Empire.
Voilà ce que l'on doit conclure des documents aujourd'hui
connus.
1. Etudes sur l'antiquité historique, p. 449.
2. Sur l'origine des animaux domestiques, extrait du Bulletin <!<' In
Société d'Anthropologie de Paris, 1879, p. • >.
3. E.de Rougé, Mémoires sur les six premières dynasties, \>. 122 à 124.
4. Dcn/.mulcr, II, pi. '.»'.), <<
sur l'ancienneté du cheval en Egypte 233
Ceci admis, il reste certain qu'en tout cas la cavalerie
égyptienne ne prit un véritable développement qu'à partir
de la XVJIIe dynastie. Jusque-là, les titres militaires men-
tionnés dans les tombeaux n'ont trait qu'à l'infanterie, dont
le nom sous l'Ancien Empire est significatif, le fantassin
s'appelant masha, c'est-à-dire marcheur. Assurément l'art
militaire existait déjà, puisque l'armée ou le régiment
portait alors le nom de tes, qui veut dire ordre de bataille,
comme le mot grec -i^, et qu'elle avait des recrues, des
coureurs, des chefs, des intendants, et même des ministres
de la guerre.
Mais si l'armée avait une certaine consistance, elle était
loin de la perfection. On ne voit pas, clans les textes ou sur
les monuments, qu'elle ait possédé une existence régulière,
en dehors peut-être de quelques réserves plus ou moins
locales et d'un noyau d'instructeurs. L'instruction d'Una,
qui nous fait assister à l'enrôlement, à l'instruction, et aux
razzias des troupes, sous la VIe dynastie, prouve qu'on ne
rassemblait les soldats qu'en cas de guerre déclarée, ce qui
est assurément l'enfance de l'art'. Le même texte est assez
développé pour qu'on puisse conclure de son silence au
sujet de la cavalerie que cette arme n'était pas encore uti-
lisée sérieusement.
Elle n'apparaît ainsi qu'au Nouvel Empire; lorsque la
continuité des guerres de défense ou de conquête imposa
la création d'armées permanentes, la cavalerie devint le
nerf de la guerre, et sa rapidité lui donna une importance
égale à celle qu'a maintenant l'artillerie.
Auparavant, les Égyptiens ne songèrent sans doute pas à
tirer du cheval tous les services qu'il pouvait rendre, et on
voit dans la Bible que les choses se passèrent à peu près
de même pour les Juifs. Ceux-ci, dans le principe, ne
voulaient point faire usage de chevaux, pour ne pas favoriser
1, Cf. La Fontaine, L'Armée romaine, p. 14 et 15,
234 sur l'ancienneté nu cheval en Egypte
rétablissement de la tyrannie chez eux, et ils brûlaient les
chars ou coupaient le jarret des chevaux pris à l'ennemi.
Mais cette politique ne put tenir devant la nécessité. Les
Juifs allèrent bientôt jusqu'en Egypte chercher des chevaux
et des chars, trop heureux de posséder aussi, contre l'étran-
ger, cette arme jugée par eux si terrible qu'on entend re-
tentir encore, dans les livres de leurs prophètes, le galop
redouté des escadrons de Chaldée et d'Assour.
SUR QUELQUES
FOUILLES ET DÊBLAYEMENTS
A FAIRE DANS LA
VALLÉE DES ROIS À THÈBES'
I
Le site thébain de la Vallée des Rois, exploré surtout par
Champollion, le Dr Lepsius et M. Naville, n'est pas plus
épuisé que les autres groupes de ruines qui existent en
Egypte : là, comme ailleurs, différents points restent à
fouiller, et partout où l'on peut fouiller, on peut trouver.
Les obstacles qui s'opposent à la connaissance complète
des monuments de Bab-el-Molouk sont de quatre sortes :
la présence de pierres laissées dans les tombes au moment
de leur fermeture définitive, les engorgements produits par
l'action des eaux, les éboulements survenus dans certaines
parties des excavations, et les amas de décombres entassés
jadis à l'entrée ou plutôt sur l'entrée des sépultures, pour
les cacher.
Le premier obstacle se rencontre aux tombes nos 6. 9, 11,
15 et 19, sans parler du n° 14 (Taoser et Setnekht), dans
1. Publié dans les Actes du sixième Congrès international des Orien-
talistes tenu en 1883 à Leyde, 1884, p. 183-196; tirage à part de cin-
quante exemplaires. — G. M.
Col» SUR QUELQUES FOUILLES ET DÉBLAYEMENTS
lequel les éclats du roc qui encombrent les grandes salles
funéraires et quelques chambres ne gênent pas d'une ma-
nière absolue l'examen des scènes ou des textes.
Au n" G (Ramsès IX), il y aurait à déblayer le premier
et le deuxième corridor, où sont en partie masqués, et les
deux scènes initiales de droite et de gauche, et le début de
l;i composition que plusieurs égyptologues nomment le
Livre noir, et la Litanie du Soleil, et les chapitres 125
et 139 du Livre 'les Morts. La salle du sarcophage, au n° 6,
est aussi remplie de pierres, mais tout le stuc qui se trou-
vait derrière ces pierres est tombé, et leur enlèvement
n'aurait pas d'intérêt.
Au n" 9 (Ramsès VI), plusieurs passages d'un précieux
exemplaire du Livre de l'Hémisphère inférieur restent à
déblayer clans les cinquième et sixième couloirs à droite et
à gauche.
Aux n"s 11 et 15 (Ramsès III et Séti II), le bas des lignes
de la Litanie solaire qui se trouvent dans le premier corridor
est caché : de plus, au n° 15, divers fragments sculptés,
comme il en existe près de la porte, en dehors, gisent sans
doute dans lamas qui encombre le corridor.
Au n" Jî) (le prince Ramsès Mentouherkhepeshef), un
énorme las de pierres, déplacé depuis Chanipollion, obstrue
au milieu e1 a la lin du couloir plusieurs scènes, ainsi (pie le
bas des jambages de la porte, où sont les titres et les (''loges
du prince.
L'ensablement produit parleseauxa plus d'inconvénients
que l'embarras causé par les pierres. En ell'et, sauf au n" 17
(Séti Ier) el ;iu début d<^ nos 7 (Ramsès II) et 8 (Ménép-
tah I"j, ainsi que de quelques autres tombes, l'ornementa-
tion des parois est creusée dans un stuc (pie l'eau détériore
quand elle l'atteint. La sculpture ne résiste guère que dans
les endroits où, par hasard, le ciseau a laissé dans le roc, a
travers le stuc, des traces en qui persiste, si faibles ou si
ées qu'elles -oient, comme une sorte d'ébauche des dé-
A FAIRE DANS LA VALLÉE DES ROIS A THÈBES 237
cotations endommagées. On pourrait mettre en cloute les
ravages de l'eau, si l'on s'en rapportait au dire des voyageurs
affirmant, d'Hérodote à la Commission d'Egypte, qu'il ne
pleut jamais dans la Thébaïde; mais la vérité est qu'il
tombe à Bab-el-Molouk, une ou deux t'ois par an, dos pluies
d'orages que le roc calcaire dont la vallée est faite ne saurait
absorber, et qui forment ainsi de vrais torrents coulant sur
une pente rapide et entraînant tout ce qu'ils rencontrent
dans la montagne, c'est-à-dire des pierres, des graviers et
du sable : ces matières, poussées dans les creux où l'eau
pénètre, s'y déposent en lits plus ou moins réguliers, et
détruisent presque toujours les sculptures qu'elles effleurent
ou qu'elles masquent. L'effet de l'eau seule est presque le
même, comme on peut le voir au n° S (Ménéptah Ier), où
il y avait encore, en mars dernier, des traces d'humidité
très apparentes : là, l'ancien niveau de l'eau est marqué sur
les murs de la salle à quatre piliers, au-dessus des lits de
sable, par une ligne nettement horizontale.
Les tombes plus ou moins obstruées par l'action des eaux
sont les n0s 5, 7, 8, 10,12, 13, 20 et 21, ainsi que diverses
excavations, sans sculptures apparentes, qui n'ont pas (Hé
numérotées par Wilkinson; aux nos T>, 7, 12. 13 et 20,
d'anciens trous de fouilleurs serpentent encore visiblement,
mais à demi obstrués, à travers les couches de sable.
Le n° 5 (anonyme) est comblé jusqu'à l'entrée. C'était
sans doute une tombe royale, car on y distingue, au jam-
bage gauche de la porte, les traces de la déesse ailée qui
figure au même endroit dans les autres tombeaux des rois,
surtout jusqu'à Ramsès III inclusivement.
Le n° 7 (Ramsès II) qui était comme fermé quand la
Commission d'Egypte visita Thèbes en 1799, n'a encore de
vraiment accessible que le côté gauche du premier corridor,
déblayé en 1829 par Champollion.
Les nos 8 et 10 (Ménéptah Iec et Amenmésès) sont ensa-
blés d'une manière plus ou moins incomplète avant leur
238 SUR QUELQUES FOUILLES ET DÉBLAYEMENTS
deuxième salle, et d'une manière complète après cette salle.
Le n° 12, sépulture anonyme, dont le plan ne rappelle en
aucune façon celui des tombes royales, est à peu près obstrué
à partir de l'escalier qui suit la salle d'entrée.
Le n" 13, découvert par Belmore et Corry, est la tombe
d'un grand chancelier dans lequel on peut voir, avec une
quasi-certitude, le grand chancelier Baï, qui se vante sur
quelques monuments d'avoir fait régner Siptah : cette
tombe, inachevée et ensablée, touche presque, en effet, à
celle de Taoser, où Siptah (dont la sépulture manque) figure
comme pharaon et sans doute comme époux de la reine.
Le n" ïQ (anonyme) est une succession de couloirs qui
décrivent en plongeant une sorte de grand demi-cercle dans
la montagne. Il a été vu par la Commission d'Egypte, et le
1)' Lepsius en a relevé le plan dans sa partie la plus acces-
sible, sur une longueur d'environ soixante-dix-sept mètres ;
il sciait difficile aujourd'hui d'en franchir le second couloir.
Le ir' 21 (anonyme) reste enfoui même à l'entrée, et les
pierres amenées par les eaux occupent encore la moitié de
la porte.
Quant aux autres excavations plus ou moins ensablées et
non numérotées, elles se composent de cinq puits et de trois
hypogées dans lesquels, comme aux n"s 20 et 21, on ne re-
marque aucune trace de décoration.
Le troisième obstacle, ou l'éboulement, n'existe qu'au
commencement du n° 16 (Ramsès Ier) et à la lin du n" 17
(Séti Ier) : l'entrée du n" 16 est depuis peu recouverte par
suite d'un accident de ce genre, tandis que l'espèce de sou-
terrain creusé, sans doute en vue du sarcophage, dans la
granch,' salle de Séti Ier, est interrompu de la même façon
depuis un temps immémorial.
La dernière des dillicultés à vaincre, et assurément la plus
grande, est celle qui résulte de l'enfouissement (1rs tombes
par les Égyptiens eux-mêmes.
On n'a pas encore exploré complètement la partie du site
A FAIRE DANS LA VALLÉE DES ROIS A THÈBES 239
que les Arabes appellent l'Ouadi-ên, c'est-à-dire l'embran-
chement qui contient deux tombes de la XVIIIe dynastie,
celles d'Aménophis III et d'Aï, avec deux autres petites
tombes anonymes et nues. L'opinion générale est «pic la
plupart des Pharaons de la XVIIIe dynastie avaient là leurs
sépultures, et, en effet, le nombre de graffiti hiératiques,
d'enceintes en pierre ayant abrité les ouvriers, et de tas de
décombres qu'on y remarque en différents endroits, indique
un travail plus considérable que celui de quatre tombes
dont une seule a de l'importance. Dès maintenant, on peut
remarquer, dans l'espèce de cirque où s'ouvre la tombe
d'Aménophis III, à droite, une grande cavité, soit naturelle,
soit artificielle comme celle qui a déjà trompé Rhind : elle
est imparfaitement bouchée par de grosses pierres que quel-
ques hommes écarteraient sans beaucoup de peine.
Une autre excavation facile à retrouver existe de l'autre
côté de la montagne. C'est une tombe composée de deux
corridors et de quatre chambres, qui a rencontré le plafond
du quatrième corridor au n° 9 (Ramsès VI), et dont les
travaux ont été interrompus pour ce motif : les murs en
sont nus, au moins dans leur partie visible, mais la porte
d'entrée demeure enfouie tout entière.
II
Telle est, en peu de mots, la liste des fouilles ou déblaye-
ments à entreprendre dans la Vallée des Rois : il convient
d'examiner maintenant dans quelle mesure ces travaux
seraient utiles et possibles.
On ne saurait se dissimuler que certaines opérations
pourraient être dangereuses, ou du moins qu'il ne faudrait
toucher sans précautions ni au souterrain du n° 17, ni aux
couloirs du n° 20, à cause des éboulements à craindre dans
des excavations aussi profondes et aussi étroites. Dans ces
240 SUR QUELQUES FOUILLES ET DÉBLAYEMENTS
doux numéros, il serait intéressant de vérifier l'état des
lieux, en recherchant si le souterrain du n° 17 s'arrête avec
la couche de calcaire, comme le pensait Mariette, et si le
n° 20, contrairement à l'idée exprimée dans le Guide Murray,
est bien une tombe analogue aux autres, avec des différences
qui tiendraient à son ancienneté.
Quoi qu'il en soit, deux détails montrent que ces deux
excavations étaient bien destinées au transport des sarco-
phages : d'une part les parois du n° 20 ont de place en place
des encoches ou entailles comme il en existe dans presque
toutes les tombes, et, d'autre part, le souterrain du n° 17
commence par un escalier dont le milieu se compose d'un
plan incliné lisse, dispositions qui s'expliquent, si on les
suppose destinées à faciliter un travail de traction.
Ce sont les fouilles de pure recherche qui promettent le
plus de résultats, et qui présentent le plus de difficultés,
surtout dans l'Ouadi-ên.
Les deux bifurcations de l'Ouadi-ên, encombrées d'énormes
rocs, se prêtent peu aux investigations; y creuser un fossé
continu au long de la montagne, comme on l'a proposé,
serait impraticable. Avant de travailler là, il serait bon de
s'éclairer, par tous les moyens possibles, aussi bien en se
livrant à de patientes observations personnelles qu'en utili-
sant le flair et l'expérience des fouilleurs arabes qui habitent
dans le voisinage à Gournah. Ils savent depuis longtemps
que la Vallée des Rois ne contient ni momies, ni trésors, de
sorte qu'ils verraient sans trop de jalousie des fouilles dirir
gées de ce côté : ils les aideraient même, s'ils en bénéficiaient.
L'un des plus intelligents et des plus relativement honnêtes
affirmait, cet hiver, connaître une dizaine de tombes nou-
velles à Bab-el-Molouk et dans l'Ouadi-ên : c'est là une
parole d'Arabe, mais peut-être, au lieu de dix tombes, en
connaît-il une.
L'hypogée, qui a rejoint celui de Ramsès VI et dont
l'entrée est inconnue', aurait ici, à ce qu'il semble, l'avantage
A FAIRE DANS LA VALLÉE DES ROIS A THÈBES 241
de renseigner exactement sur la manière dont on fermait et
cachait les sépultures : de plus, il est extrêmement pro-
bable qu'on trouverait là le nom d'un des derniers Rames-
sides, car il n'y a point à Bab-el-Molouk un seul hypogée,
taillé sur le plan royal, qui n'ait eu sa porte sculptée aux
noms et aux titres d'un pharaon.
L'enlèvement ou le déplacement des éclats de pierres
oubliés dans les tombes serait plus aisé que le reste, s'il
était moins fructueux.
En ce qui concerne la Litanie du Soleil, bien connue
depuis la belle publication de M. Naville, on ne pourrait
retrouver que des variantes ; il en serait de même pour les
scènes du Livre noir, mais non pour un de ses textes,
presque entièrement inédit, qui occupe les vingt-trois co-
lonnes terminant la paroi droite du premier corridor au
n° 6 (Ramsès IX). Une partie, inédite aussi, du Livre de
l'Hémisphère inférieur reste cachée au cinquième corridor
du n° 9 (Ramsès VI).
Les décombres du premier couloir, au n° 15 (Séti II), re-
cèlent, à ce qu'il semble, des documents d'un autre genre,
qui pourraient renseigner sur le roi Amenmésès, dont la
tombe (n° 10) est cependant assez éloignée de celle-ci. Un
morceau de beau calcaire blanc, qui se trouve à quelques pas
de ces débris, en dehors, a l'un des cartouches d' Amenmésès,
et deux lignes fragmentées d'hiéroglyphes, peints en bleu :
la disposition de ces lignes sur deux parties de la pierre qui
se rejoignent à angle droit indique la quelque chose comme
un couvercle de sarcophage. Les autres morceaux du mo-
nument, quel qu'il soit, ne sauraient se trouver bien loin,
et leur réunion aurait sans doute un intérêt historique
d'autant plus grand, que la place d' Amenmésès dans la
XIXe dynastie est encore peu connue.
Les dernières opérations, c'est-à-dire les déblayements à
l'aire dans les cavités remplies par le sable, seraient moins
longues et moins pénibles qu'il ne semblerait au premier
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 16
242 SUR QUELQUES FOUILLES ET DÉBLAYEMENTS
abord. Les matières poussées par l'eau s'entassent surtout
dans les parties étroites et engorgent ainsi les portes plutôt
que les salles. Si l'on tient compte de cette remarque, on
verra que la dépense de temps et d'argent serait relative-
ment minime aux nos5,7, 8 et 10 : mais, — quoique minime,
— serait-elle productive? Il est permis de l'espérer.
On courrait d'abord la chance de trouver quelque sarco-
phage, en mauvais état à la vérité, tous les sarcophages
royaux ayant été endommagés, notamment celui du n° 8,
dont quelques fragments en granit rose se voient sur le
chemin même du tombeau. Au n° 10, creusé pour Amen-
mésès et attribué successivement à deux reines, à Takhat
dans la première salle et à Baktournour dans la seconde, la
fin du tombeau pourrait révéler en outre quel fut en réalité
le dernier occupant ou la dernière occupante.
A un autre point de vue, la connaissance complète des
nos 8 et 10 fixerait le moment précis d'une modification
capitale dans le plan des hypogées royaux, c'est-à-dire le
moment où leur axe ne varie plus.
A la fin de la XVIIIe dynastie et au commencement de
la XIXe, les tombes complètes (celles d'Aménophis III, de
Séti Ier et de Ramsés II) ne suivent pas la même direction
dans toute leur longueur. La tombe d'Aménophis III dévie
deux fois, a ses deux grandes salles, c'est-à-dire à la salle
qui précède les corridors de YAp-ro, et à la salle du sarco-
phage. La tombe de Séti Ier dévie à la salle qui précède les
corridors de YAp-ro, et celle de Ramsôs II à la salle du sar-
cophage, chacune de ces deux dernières sépultures retenant
et perdant ainsi quelque chose du plan antérieur.
Depuis Ramsès II, au contraire, toutes les parties connues
des U unîtes royales de Bab-el-Molouk s'enfoncent en ligne
droite dans la montagne, excepté au tombeau de Ramsès III
qui fait un coude entre ses deuxième et troisième corridors,
mais pour un motif accidentel, la rencontre du tombeau
d'Amenmésès.
A FAIRE DANS LA VALLÉE DES ROIS A THÈBES 243
C'est seulement au n° 14 (Taoser) que s'observe pour la
première fois la véritable rectification du plan, qui devient
dès lors définitive. Les tombes des souverains compris entre
Taoser et Ramsès II, celles de Ménéptah Ier (n° 8), de Séti II
(n° 15) et d'Amenmésès (n° 10), s'arrêtent, soit en réalité,
soit en apparence, à l'endroit où pourrait commencer leur
première déviation, c'est-à-dire aux corridors de YAp-ro,
lesquels manquent certainement au n° 15 : manquent-ils aux
nos 8 et 10? C'est là ce qu'il importerait de savoir et ce
qu'un déblayement nous apprendrait ; les deux hypogées,
enfouis au point précis où leurs corridors de \'Ap-ro devaient
s'ouvrir, semblent se prolonger à partir de là d'une manière
rectiligne et ne pourraient, s'il en est ainsi, ressembler au
n° 17 (Séti Ier), mais ils pourraient ressembler au n° 7
(Ramsès II), dont la grande salle dévie, en admettant toute-
fois qu'ils aient une grande salle, fait douteux pour la tombe
d'Amenmésès, roi peu important, et possible pour celle de
Ménéptah Ier, l'un des derniers grands pharaons. Quoi qu'il
en soit, on saurait d'une manière certaine, en explorant ces
deux hypogées, à quelle époque remonte l'abandon de tra-
dition qu'il s'agit de dater.
Le roi Siptah n'a pas été mis ici en ligne de compte, bien
qu'il ait perdu la couronne ou la vie avant Taoser : c'est
que sa tombe, encore inconnue, ne saurait avoir été consi-
dérable, vu le peu de durée de son règne, dont la date la
plus élevée est l'an III. Siptah accompagne Taoser dans le
premier corridor du tombeau de cette reine (n° 14) avec ses
cartouches surchargeant ceux de Séti II, puis il disparaît
complètement, et Taoser cesse d'être traitée comme une
reine pour tenir le rôle d'un véritable roi dans le tombeau,
décoré dès lors comme celui d'un roi et non plus comme
celui d'une reine. Siptah n'a donc participé au long règne
de Taoser que juste le temps de faire remplacer dans un
corridor les cartouches du premier associé de la reine par
les siens, et cela est assurément l'indice d'une domination
244 SUR QUELQUES FOUILLES ET DÉBLAYEMENTS
éphémère. On pourrait à la rigueur lui attribuer le n° 5,
qui est enfoui, ou le n° 18, qui est surchargé, parce que ces
deux petites tombes ont à leur porte une déesse ailée qui ne
figure plus guère dans la décoration après Ramsès III, mais
ce seraient là des conjectures qu'il n'est pas besoin d'émettre
pour montrer le peu de place que Siptah doit tenir dans
l'histoire.
Il ne reste plus qu'a mettre en relief l'importance d'un
dernier déblayement, celui du n° 7 (Ramsès II). Fort peu
connu encore, sauf dans son plan général publié par le
D1' Lepsius, le n° 7 ne semble guère ensablé qu'à l'entrée
ou dans sa première moitié, et il serait vite mis à la dispo-
sition de la science, qui y trouverait un profit certain. Si
endommagé qu'on le suppose, en effet, il est difficile de le
croire entièrement dénué de scènes et de textes : or, les
moindres indices, comme un reste de figure ou d'hiéroglyphe,
suffiraient pour jalonner les recherches à faire sur les com-
positions, nouvelles ou non, qui pouvaient orner l'hypogée
du conquérant.
On peut bien restituer, a priori, par analogie, plus de la
moitié de ce tombeau. Ainsi, le premier corridor devait être
consacré, comme le second, à la Litanie du Soleil, le troi-
sième, a deux heures du Livre de l'Hémisphère inférieur,
la première salle à la réception du roi par différents dieux
infernaux, les trois salles suivantes à deux divisions du
Livre de V Enfer, à trois heures du Livre de V Hémisphère
inférieur et au culte de Sôti Ier, les quatrième et cinquième
corridors au Livre de l'Ap-ro (l'ouverture de la bouche des
statues royales), et enfin la salle où aboutissent ces deux
corridors à une nouvelle réception du roi par certaines
divinités.
Mais la grand*.1 salle sépulcrale vient ensuite, et différentes
questions se posent, auxquelles, pour le moment, on ne
-aurait répondre.
En premier lieu, la grande salle de Ramsès II étant plus
A FAIRE DANS LA VALLÉE DES ROIS A THÈBES 245
conforme, par la disposition de ses huit colonnes et de ses
quatre chambres annexes, aux grandes salles de Taoser et
de Ramsès III qu'à celles de Séti Ier et d'Aménophis III,
faut-il en conclure qu'on avait adopté là une décoration
semblable a celle des nos 14 et 11 (Taoser et Ramsès III), et
qu'ainsi le Licrc noir, qui rend si confuses par son manque
de cohérence les parties des tombes où il domine, aurait fait
sa première apparition sous le règne de Ramsès II ? Si, au
contraire, la ressemblance avec les tombes plus récentes
devait se borner au plan, la grande salle de Ramsès II
était-elle ornée comme les monuments plus anciens, et
avait-elle comme le n° 17 un souterrain? Enfin, où était
placé le sarcophage ?
En second lieu, cette salle a une chambre annexe de plus
que la grande salle d'Aménophis III, laquelle en a deux de
plus que la grande salle de Séti Ier, preuve qu'on pouvait
alors ajouter indéfiniment de nouvelles chambres à un tom-
beau dont le développement régulier était accompli, ce qui
n'a plus lieu dès le règne de Taoser, époque à laquelle le
plan des tombeaux est systématisé. Inférerons-nous de là
qui' l'excavation ajoutée ainsi à la grande salle, en dehors
de l'analogie, avait sa décoration particulière, et quelle
pouvait être ici cette décoration? Y entrait-il des textes
nouveaux, et lesquels ?
Voilà une série de problèmes qui ne seront résolus que
sur les lieux, et dont l'énoncé montrera, peut-être, que rien
n'esta négliger en matière de documents, surtout lorsqu'il
s'agit de ce qu'on faisait, on pensait, au plus beau siècle et
sous le plus grand roi d'un pays.
Que les considérations qui précèdent atteignent on non
leur but, et reportent ou non l'attention soit sur toute la
Vallée des Rois, soit sur l'un de ses hypogées les plus impor-
tants, il n'en est pas moins légitime de les présenter. Thèbes
est trop riche en ruines pour que le grand nombre n'en
246 SUR QUELQUES FOUILLES ET DÉBLAYEMENTS
fasse pas négliger quelques-unes : l'imagination se fatigue
ou se blase parmi tant de souvenirs, et c'est ainsi qu'il est
devenu nécessaire de rappeler la tombe oubliée d'un Sésos-
tris. Laisserait-on ailleurs les sépultures d'Alexandre ou de
César, si elles existaient encore, accessibles seulement aux
vipères et aux chauves-souris, quand il suffirait de quelques
centaines de francs, à peine, pour les rendre à l'examen des
savants et à la curiosité des voyageurs?
UNE SCÈNE DE HAREM
L'ANCIEN EMPIRE EGYPTIEN'
Les représentations de l'Ancien Empire ne nous montrent
guère que des scènes, soit de funérailles, soit d'offrandes ou
de préparations d'offrandes, qui se passent dans la tombe,
sur le fleuve, ou dans la campagne. Un des tombeaux de
Saqqarah, le n° 31 de Lepsius, nous introduit par exception
dans l'intérieur d'un harem : c'est le tombeau, publié en
partie dans les Denkmâler*, du scribe en chef Ptahhotep.
Là, le harem reçoit le nom assez rare de n J] (la maison
des femmes, le gynécée), mot caractérisé par l'absence de la
marque du pluriel, assez souvent omise sous l'Ancien Em-
pire3, et par une pose des jambes du personnage assis qui
appartenait plus particulièrement à l'homme W, mais qu'on
donnait aussi à la femme ; : l'hiéroglyphe manque au type
de Berlin. D'autres recueils nous fourniraient sans doute
d'autres exemples du même mot à la même époque, mais
on ne le retrouve aux Denkmâler, pour l'Ancien Empire,
qu'au tombeau n°24 de Gizéh, où sont représentés plusieurs
1. Publiée dans les Études dédiées à M. le D1 C. Leemans, p. 69-72;
tirage à part à vingt-cinq exemplaires in-4°. — G. M.
2. Mariette, Description du parc égyptien, 1867, p. 29-34.
3. Cf. Denkmâler, II, 3, 13, 43, d, 148 ; etc.
4. Id., II, 47 et 143, 2; cf. Prisse d'Avennes, L'Art égyptien, texie,
p. 82.
248 UNE SCÈNE DE HAREM
hommes devant le défunt avec la mention *J^ J) V vue
•<s>- n SU
de l'administration du gynécée. A une époque plus récente,
l'expression reparait sous la forme Jj '" et _n3 :
elle ne doit pas être confondue avec (1(1 Jj % femme de
maison. Le tombeau n° 31 occupe les planches 101-104 des
Denkmâler, II. A la planche 101, on voit s'éloigner du
gynécée', dont un homme ferme la porte, le cortège funèbre
de Ptahhotep, c'est-à-dire la vache traînant ou précédant
la momie, le prêtre en costume, les danseuses, ou recluses
du kiosque < (J , les chanteuses", Q I , et les
A/WvAA /WWV\ 11 I I /\ I /rz—U
personnages de marque. Vient ensuite la navigation de la
momie et du matériel funéraire en deux pavillons clos que
supportent deux barques remorquées7 : c'est le dernier
voyage, la traversée d'Orient en Occident, le passage du
fleuve, l'acheminement depuis le gynécée jusqu'au (bon) ci-
metière vers le dieu grand, 1 1"%\ l\ nJ <ow|
_ & I ^J^> A_S^ £1 t m. a,
© ca ♦ a.
A . L opposition marquée par les prépositions ^\ et
<==> entre le point de départ et le point d'arrivée prouve
bien que lenJ] est le contraire de la tombe, n^l, ou
° u n,„
1. Denkmâler, II, 20.
2. Stèle de Piankhi, 1. 34.
::. Stèle Métier nich, Brugsch, Zeitschrift, 1879, p. 2.
4. Mariette, Abydos, t. I, pi. 6, 1. 47.
5. Cf. Denkmâler, II, 43.
6. Trémaux, Egypte et Ethiopie, p. 190, et Cailliaud, Voyage à
de Thèbes, p. 103, 1.
7. Cf. Champollion, Notices, I, p. 836.
8. Dûmichen, Historische Inschriften, II, 40, a.
9. Denkmâler, II. 50, a.
10. Zeitschrift, 1872, p. 31.
j I 1 » I
bien U \\ o ^vLJ©", et même, d'après M. Goodwin,
D
sous l'ancien empire égyptien 249
La planche 102 montre une arrivée de bœufs et de gazelles
devant le défunt, sous la conduite d'un préposé de l'étable,
tandis que la planche 103 nous ramène au gynécée, où se
passent, sous la présidence en quelque sorte idéale du défunt,
assis avec sa femme accroupie devant lui, deux genres de
scènes connexes, figurant la livraison des objets de toilette,
par le gynécée ou les gynécées, pour le défunt1. Les détails
de ces scènes s'entremêlent dans les trois registres qui
subsistent du tableau.
Au registre supérieur, devant les jambes du défunt, deux
hommes reçoivent deux colliers, qui paraissent offerts par
deux femmes, dont l'une dit : « Qu'Hathor octroie la vie à
mon surveillant » A ^\ ■¥• aaaa^(1 - (]; un autre homme dit à
'huile douce »
une femme : « Donne de
une autre femme dit en remettant à un homme un objet co
nique, sans doute un gâteau : « (En) voici à souhait »,
(I ^è\ aaama o \j — «— . Le verbe (l >h s'employait assez souvent
alors avec le sens de voici, ou c'est, comme dans (I v> U
« c'est pour ton génie », phrase adressée à la Suten rekh-t
Nepher-s, dont la tombe est à Gizéh2.
Au deuxième registre, -deux préposés du coffre et un
3 réposé de sac se tiennent debout entre un chancelier
U^V)' et un scribe du don du coffre, pQi f\ À 3 : ils
attendent les offrandes, dont plusieurs petites scènes figu-
rent l'apport d'une manière en quelque sorte anecdotique.
« Donne une étoffe vraiment bonne », ^\ ' 1 1 î S^7 , dit un
homme à un préposé du gynécée, 5k nJ; « donne une
ki"'""i ri ^ <d^> Ll
M (I , dit un autre collecteur à une
femme qui répond : « Qu'Hathor octroie la vie à mon sur-
1. Cf. Denkmâler, III, pi. 21.
2. Denkmâler, II, 90.
3. Cf. Denkmâler, II, 96.
250 UNE SCÈNE DE HAREM
veillant, le maître ». Une nouvelle transmission du même
genre se fait en silence, mais les conversations recommen-
cent avec deux femmes portant des paquets ; l'une d'elles
se retourne vers l'autre : « charmante, la vue de ton étoffe »,
|\ — ^ 1 1 £=*. Un préposé et un directeur du
gynécée, ^ n 3 et y n 3 , portent chacun un paquet et
une bande d'étoffe, de même qu'un personnage marchant
devant eux, qui arrive auprès d'un tas de ligues qu'on me-
sure au boisseau : « Allons, maître des figues », dit-il à un
scribe du gvnécée qui tient une figue, « voici un vêtement
(que)jelivre» Ajy ^J^()^f jpy^];
Au troisième registre, on mesure devant des greniers
deux tas de grains extraits d'épis et de gousses (du blé et
des pois) ; ces grains proviennent des gynécées, du don de
quantité (grande) des gynécées |X ft fl fl •
_Hr^ /www I i w i £ii îil îli
« Ferme, cache le grenier », crie un surveillant à l'homme
qui tient le boisseau pour le blé5. Après les greniers figurent
les pains, comptés par un scribe du pain : « donne du pain »,
dit un homme à une femme avec laquelle il échange un
paquet, 1\ rvflvN^w^ a , « voici de l'or, livre », ou :
o voici de l'or (que je) livre ». Le dernier verbe n'a malheu-
reusement pas de pronom, ce qui empêche de savoir si la
livraison (\^ pains se fait sur paiement, en échange de
quelques objets en or, ou bien si, d'après l'analogie du
deuxième registre, l'on a voulu dire simplement : « Je
donne de l'or, tu peux bien donner du pain. »
Dans tous ces petits discours, 1\ équivaut à -|s^, forme
ordinaire du mot donner, livrer. Cette valeur est suffisam-
ment indiquée par le contexte, ainsi que par les pronoms
s=5 et <^z^. L'espèce de marché public reproduit aux Denk-
1. Cf. Lieblein, Dictionnaire des noms propres, n" 124.
2. Cf. Champollion. Notices, II, p. 317, S".
sous l'ancien empire égyptien 251
mâler\ d'après la tombe n° 1 de Saqqarab, fournit plusieurs
exemples du même genre : fe*- " (j), .Jk- *l^_ j, «donne
une sandale, donne un éventail ». etc.; au tombeau de
Ptahhotep, la phrase : « Donne du pain » , est écrite €\ A
en parlant à une femme2 et, en parlant à un homme,
Le dernier tombeau, pour l'ensemble duquel on peut con-
sulter une notice de M. Mariette1, se termine aux Denk-
mâler par le transport à la nécropole des meubles et des
comestibles, en dix-huit barques, dont quelques-unes ont
une femme au gouvernail. Le Dr Lepsius a ajouté à cette
scène trois petits tableaux détachés, qui montrent une statue
de Ptahhotep qu'on traîne à la corde, ainsi que des bœufs et
des gazelles qu'on amène3.
En ce qui concerne la vie intime d'un grand seigneur
égyptien, les scènes du tombeau de Ptahhotep rappellent
assez les curieuses Lamentations d'Isis et de Nephtys, les
invocations efficaces faites par les deux sœurs de la maison
d'Osiris roJr', pour ramener à la vie et au gynécée
Osiris mort, qualifié là de taureau fécondant, ami du harem ' ,
QA (I . Voici le début des deux discours d'Isis et
<^ > d rV aa/ww I I I
de Nephtys.
o Appel d'Isis. Elle dit : « Viens à ta maison ! » (bis)
. Ani. viens a ta maison ! les ennemis ne
sont plus. O beau lévite, viens à ta maison! Regarde-moi,
je suis ta sœur qui t'aime. Ne te détourne pas de moi.
1. Denkmâler, II, 96.
2. ld., 103.
3. Ici., 104, b.
4. Description du parc égyptien, 1867, p. 29-34.
5. Denkmâler, II, 104.
6. J. de Horrack, Les Lamentations d'Isis et de Nephtys, p. 1, 1. 2.
7. ld., p. 5, 1. 4.
252 UNE SCÈNE DE HAREM
0 beau jeune homme, viens à ta maison, vite, vite ! Je ne
te vois plus et mon désir est de t'embrasser. Mes veux te
cherchent. Je te cherche pour te voir. Est-ce que cela n'est
pas ma chose de te voir. 1 4^f "ik (](] J) — ^ '^z* (bis) ?
Beau seigneur, est-ce que cela n'est pas ma chose de te voir
(bis)'l C'est bon de te voir (bis). Ani, c'est bon de te voir.
Mens à ton amie, Unnefer véridique ! Viens à ta sœur,
Urt-al) ! Viens à la maîtresse de ta maison! Je suis ta sœur
de mère ' . »
« Appel de Nephtys. Elle dit : « O beau seigneur, viens
à ta maison! Calme ton cœur, tes ennemis ont péri, tous!
Tes deux sœurs sont auprès de toi, pour la garde de ton lit,
à t'appeler en pleurant. Tu es renversé sur ton lit. Vois les
belles, I J||2> cilu' parlent avec nous, seigneur notre
maître. Détruis tous les chagrins qui sont dans nos cœurs.
Tes compagnes, il (1(1 3 i, d'entre les dieux et les hommes
sont à te regarder. A elles ta face, seigneur notre maître3. »
Bien que les Lamentations d'Isis et de Nephtys soient de
beaucoup postérieures au tombeau de Ptahhotep, néanmoins
le papyrus ptolémaïque et le vieux monument donnent tous
deux une même idée générale du harem. Voici ce que la
tombe de Ptahhotep nous apprend du harem, ou plus exacte-
ment du harem des hauts fonctionnaires sous l'Ancien Em-
pire. 11 était la résidence intime de la Camille, et la momie
partait de là pour aller au puits funéraire. Ses habitants
étaient la femme en titre (souvent sans doute sœur aînée
• lu maître, suivant la coutume que rappellent les Lamen-
tations d'Isis et de Nephtys), les concubines'', ou tout au
1. J. de Ilorrack, Les Lamentations d'Isis, p. 2, 1. 1 et suiv.
2. Cf. Mariette, Ab'ydos, t. I, pi. 6, 1. 17; Champollion, Notices, I,
p. 546; Dumicben, Tempel Inschriften, I, 32, etc.
3. .1. M- Horrack, Les Lamentations d'Isis, p. 3, 1. 1 et suiv.
4. Cf. Denkmâler, II, 143, et Reinisch, /Egyptische < 'hrestoniaihie, I,
pi. 21, 1. 12.
sous l'ancien empire égyptien 253
moins les recluses1, chanteuses et danseuses (les nefer-t-u
ou « jeunes belles » des époques postérieures), et tout un
personnel administratif, préposés ou intendants, scribes et
directeur, sans parier des domestiques mâles et femelles. Les
dépendances comprenaient des fruitiers, des greniers, des
boulangeries et des parterres ou parcs avec pavillons de
plaisance, qu'égayaient les danseuses. La grande quantité
d'étoffes fournies par les femmes suggère l'idée qu'on fabri-
quait du linge à domicile : la confection complète des habits
de la famille était, en effet, un des travaux d'intérieur les
plus habituels dans les temps anciens. Il est inutile d'ajouter
que, malgré cette abondance de ressources, le harem ne
pouvait pas toujours se suffire à lui-même, comme le prou-
vent les scènes d'achat en place publique dont il a été parlé
plus haut. Enfin on remarquera que la même famille se divi-
sait ici en plusieurs gynécées, prenant part au deuil, d'après
le tableau où sont mentionnés les dons en grains des harems,
soit qu'il s'agisse de la mère, des filles ou des sœurs du
défunt, qui pouvaient avoir leurs maisons particulières,
surtout en qualité de femmes mariées'2, soit que le défunt
lui-même, comme ce roi de Sparte qui avait deux maisons
parce qu'il avait deux femmes", possédât plusieurs gynécées,
rattachés plus ou moins directement à une maison principale.
.1. Cf. Dévéria, Le Papyrus judiciaire de Turin, col. 4, pi. 2, 1. 2, et
col. 5, pi. 3, 1. 1.
2. Cf. Mariette, Abydos, t. III, p. 281, n° 844.
3. Hérodote, V, 40.
LETTRE A M. DE MILLOUÉ
SUR UN
MONUMENT DE THOTMÈS III
Monplaisir, le 3 juillet 1883.
Cher Monsieur,
Le sens de la petite inscription gravée sur le Nou r- — , de
Déir-el-Bahari est : le dieu bon Ra-men-kheper (c'est le pré-
nom de Thotmès III), fondation pour Amenserk hou, c'est-
à-dire souvenir' de Thotmès III et de lafondation du temple
Amenserkhou. C'est un objet commémorant la construction
d'un édifice religieux, édifice déjà identifié, mais sur lequel
je ne pourrais vous renseigner en ce moment plus au long,
n'ayant pas sous la main le Dictionnaire géographique de
Brugsch. Ce n'est pas là d'ailleurs un point essentiel. Ce
qu'il importe, c'est de déterminer le sens de l'inscription,
qui se retrouve sur différents objets funéraires trouvés à
l'Assasif, comme on peut le voir au catalogue du Musée de
Boulaq, que je vous envoie (cf. p. 202-3). Malgré l'embarras
de Mariette devant ce texte, je le crois d'un sens assez clair.
La fondation de Y Amenserkhou ayant été une œuvre pie,
1. Inédit. Cette lettre a été communiquée par M. de Miiloué, con-
servateur du Musée Guimet, à M. Virey, qui a bien voulu me la com-
muniquer à son tour. — G. M.
256 LETTRE A M. DE MILLOUÉ
les objets consacrés en cette circonstance avaient bénéficié
cl' la bénédiction générale répandue sur l'œuvre par le dieu
et le roi. < >n les avait donc placés dans les tombes comme
amulettes douées d'une efficacité spéciale, de sorte qu'ils rap-
pellent à la fois nos médailles commémoratives et nos chape-
lets bénis.
Le Nou avait pour but d'ouvrir magiquement la bouche
et les yeux des momies comme des statues divines et hu-
maines, afin de permettre à l'esprit qui devait les animer de
s'y introduire. C'est le pendant exact de l'idée qui a inspiré
la cérémonie japonaise que M. Guimet a eu l'obligeance de
me signaler. Trois tombes royales à Bab-el-Molouk con-
tiennent, avec variantes, le Livre de l'ouverture de la bouclie,
publié par Schiaparelli d'après l'hypogée de Séti Ior. Le livre
montre que l'on consacrait une statue du mort en la touchant
aux yeux et à la bouche avec différents instruments, et qu'en-
suite l'ombre du mort revenait habiter la statue, croyait-on.
L'ombre était préalablement reprise en rêve dans la tombe
par un prêtre représentant le fils; il la ressaisissait dans un
tilet sous la l'orme d'un insecte, scarabée, mante religieuse,
ou guêpe. Schiaparelli n'a pas compris cette partie infini-
ment curieuse du Livre, faute de comparaisons faites par
lui avec les croyances des peuples peu civilisés ou très
anciens.
En résumé, le Nou de Thotmès 111 était un bon Nou,
dûment béni dans une circonstance solennelle. 11 ne se trou-
\ ai t certainement pas dans le sarcophage du Pharaon, car il
aurait été imprégné en ce cas de l'odeur de momie qu'exhalent
les petits objets ci-joints, que je prends la liberté d'offrir à
M. Guimet1. Ils viennent de la momie même de Thotmès 111,
1. Les objets auxquels il est lait allusion se trouvent au Musée
Guimet, dan- la vitrine royale de la Salle égyptienne, sauf le morceau
'!•■ chasse mouches, qui a dû être égaré, ou peut-être déplace sans indi-
cation, luis du transfert du Musée de Lyon à Paris. — Note de M. Virey,
i après des indications fournies par M. de Milloué.
SUR UN MONUMENT DE THOTMÈS III 257
au déroulement de laquelle j'ai assisté, et se composent de
deux morceaux de la toile entourant le cadavre, de quelques
parties de guirlandes composées d'une petite fleur qui sem-
ble être celle du Sant ou acacia égyptien, analogue, sauf
l'odeur, à la fleur de cassier, puis d'un fragment de chasse-
mouches posé sur la momie avec les guirlandes, et d'un
morceau d'une des trois petites rames qui flanquaient le
corps, sans doute pour aider à la navigation d'outre-
tombe
Ma femme est heureusement accouchée d'un garçon le
23 juin. Sans être malade elle est encore souffrante, ce qui
m'empêche de venir vous apporter moi-même les renseigne-
ments sur le Non, comme j'aurais désiré le faire, afin de
pouvoir présenter à M. Guimet l'expression de ma recon-
naissance la plus vive pour le précieux concours qu'il veut
bien apporter à l'Ecole du Caire '
1. Ce passage fait allusion aux négociations alors engagées par
M. Lefébure pour publier, dans les Annales du Musée Guimet, les
inscriptions des hypogées royaux tbébains, qu'il avait copiées l'hiver
précédent. — G. M.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 17
^ tM
LE CONTE
Personne n'ignore qu'il a existé dans l'antiquité et qu'il
existe encore aujourd'hui une littérature enfantine et popu-
laire, celle des contes, qui durant de longs siècles n'a jamais
eu rien à souffrir ni à craindre des révolutions du goût, des
différentes conceptions de l'art, et même des grands dépla-
cements d'idées qui ont bouleversé la face du monde. L'hu-
manité a passé de l'antiquité au moyen âge, et du moyen
âge à l'ère moderne, les civilisations grecque et romaine, le
paganisme, la féodalité et bien d'autres choses ont vécu, mais
ni le Petit Poucet ni le Petit Chaperon rouge ne sont morts,
et ils sont pourtant plus vieux que tout cela.
Quelle est, au fond, cette littérature d'une vitalité assez
puissante pour assurer à des récits de nourrice l'immortalité
qu'obtiennent si difficilement les chefs-d'œuvre ? Peut-on,
malgré son ancienneté et son étendue, l'apprécier avec
connaissance de cause ?■ Peut-on déterminer ses caractères,
ses origines et ses limites ?
11 ne paraît pas que ce soit impossible.
1. Conférence municipale du 29 février 1884. Le texte en fut publié
dès 1885, à Lyon, chez Pitrat, en une brochure in-8° de 18 pages. —
G. M.
260 LE CONTE
I. — Caractères
Un des principaux caractères du conte est assurément celui
qui vient d'être signalé, sa durée, et sa durée tient à son
public, les enfants grands et petits dont l'humanité est en
partie composée.
Voici à peu près comment et pourquoi.
Un conte, comme on le verra tout à l'heure, est généra-
lement un ancien mythe, et un exemple suffira pour montrer
ce qu'est un mythe. Quand on disait, en Grèce, Persée est
le libérateur d'Andromède, c'est-à-dire le Ravageur délivre
la Bienfaitrice, c'est-à-dire les luttes atmosphériques de
l'aurore et du printemps ramènent la lumière et la chaleur,
les Grecs personnifiaient ainsi des phénomènes naturels
en leur donnant une apparence humaine : ils créaient un
mythe.
On voit que le mythe, possibilité future du conte, est une
fable tirant ses héros des phénomènes. A ce titre, il ne peut
manquer d'attribuer aux personnages qu'il met en jeu des
facilités particulières de locomotion et de transformation ;
c'est ce qu'on appelle le merveilleux. Les scènes du merveil-
leux ressemblent parfaitement à celles du rêve, et l'on sait
que l'enfant est un rêveur éveillé, toujours en train, dans
ses jeux, d'animer les choses d'une vie factice, momentanée
et changeante. Un besoin en quelque sorte prophétique le
pousse a prendre possession, grâce à la mimique plus ou moins
habile c| ;ni décor plus ou moins ressemblant qu'il crée, des
rôles d'homme ou de femme auxquels il se sent prédestiné.
11 est le dramaturge et l'acteur par excellence, puisqu'il passe
son temps a jouer lui-même et à faire jouer aux choses le
drame ou la comédie aux cent actes de la vie. C'est cette
aptitude à l'illusion plus ou moins clairvoyante, lui faisant
prendre pour autanl d' temps qu'il le veut un bâton pour un
LE CONTE 261
cheval, par exemple, qui le rend éminemment propre à goûter
le conte, image exacte de son esprit : le conte est une féerie
dramatique et l'enfant est un auteur dramatique, il y a
donc de l'un à l'autre une convenance et une adaptation
parfaites.
Mais il n'y a pas en ce monde d'enfants que les enfants.
Sans parler du bon La Fontaine, le plus grand enfant qui ait
jamais existé, il y a toujours eu, clans les classes populaires
surtout, des hommes et des femmes à l'imagination neuve et
jeune. Il y a eu chez les anciens des peuples et il y a chez les
sauvages des tribus d'une tournure d'esprit analogue; il y a
au désert les Arabes, il y a partout les nourrices, tous gens
qui font d'une manière imaginative ce que l'enfant fait d'une
manière scénique, c'est-à-dire qui aiment à déplacer le pos-
sible et à supprimer l'impossible, pour voir eux et les choses
autres qu'ils ne sont en réalité, par un besoin de déguisement
et de renouvellement analogue à celui qui fait encore aujour-
d'hui la fortune du Mardi gras. Ce sont là autant d'auditeurs
ou de narrateurs composant le public habituel des contes.
On remarquera maintenant que, pour l'enfant, la nourrice,
le sauvage, l'Oriental, etc., ce monde-ci n'a pas d'histoire, ou
plutôt n'en a qu'une, variée d incidents et de fond identique,
le cercle de la vie. Pour eux, le développement de l'humanité,
qui modifie sans cesse les événements comme les croyances,
n'existe pas : ils l'ignorent. Ils voient les choses rouler sans
tin dans la carrière bornée de l'existence pour l'homme et de
l'année pour la nature. La marche de la civilisation passe
au-dessus ou à côté de ces esprits naïfs, dont l'activité intel-
lectuelle se dépense dans le même rêve d'une vie métamor-
phosée, et métamorphosée à peu près de la même manière
pour tous, parce qu'ici toute variation historique est absente.
La même littérature leur suffit donc éternellement, en offrant
à des besoins toujours semblables des satisfactions toujours
les mêmes.
Ainsi, l'une des particularités du conte est la durée.
262 LE CONTE
A côté de cette caractéristique il en existe une autre, qui
est, si l'on peut dire, l'universalité.
Dans la naïve littérature dont le recueil de Perrault ne nous
représente qu'une bien faible partie, la même donnée se re-
trouve souvent presque sous les mêmes formes chez un grand
nombre de peuples, et de peuples très éloignés ou très diffé-
rents les uns des autres. Quand on ne sort pas d'une même
famille de peuples, ou tout au moins de langues, le fait
s'explique : dans l'intérieur du groupe indo-européen, par
exemple, dont la langue s'est développée et ramifiée d'une
façon régulière et connue depuis la période qui a précédé la
civilisation hindoue, les contes ont pu et ont dû se trans-
mettre de peuple à peuple, avec la langue et avec tout un
bagage commun de croyances, d'idées et de coutumes. Il n'y
a par suite rien d'étonnant si l'on rencontre la même fable dans
l'Inde, la Grèce, l'Allemagne, etc.
Mais les contes ne sont pas seulemcment manifestés de
cette manière relativement simple : ils semblent encore, au
moins à première vue, avoir passé d'une race à une autre,
sans qu'on aperçoive aujourd'hui quels chemins ils auraient
pu prendre, et de quels intermédiaires ils auraient pu se
servir. Ainsi, la fable des Sirènes était commune à la Grèce, à
l'Irlande et à l'Allemagne, ce qui n'est pas surprenant ; mais
que dire quand on constate que la ballade où Goethe dépeint,
si poétiquement, le pouvoir fatal de l'Ondine, n'aurait rien
appris aux indigènes de Madagascar? Que dire quand on
voit l'histoire de Cendrillon aussi familière aux Égyptiens
qu'aux Hindous? Faut-il simplement reconnaître son igno-
rance et l'impossibilité actuelle où l'on est d'adapter une
explication plausible à des singularités de ce genre? Car il
semble vraimenl que la littérature des contes ait eu sa Tour
de Babel et sa dispersion miraculeuse sur toute la surface
du globe.
Il y a la sans doute une difficulté, mais elle n'est point
insoluble, et l'on a déjà mis en avant plusieurs causes pour
LE CONTE 263
le fait à éclaircir, par exemple, l'existence possible de tra-
ductions littéraires, servant de véhicules à certains contes,
ou bien l'esclavage transportant un peu partout, grâce aux
femmes, les récits enfantins des différentes races ; toutefois,
de semblables explications, valables en certains cas, n'ont
point l'ampleur nécessaire pour rendre compte du remarquable
phénomène dont il s'agit, l'ubiquité des contes, et elles. lais-
sent subsister une interprétation plus compréhensive, fondée
sur l'analogie.
Dans le domaine des mythes, très voisin de celui des contes,
on a déjà remarqué chez différents peuples des coïncidences
singulières au premier abord, mais explicables à la réflexion
par le motif que voici : le fond d'un mythe est généralement
une métaphore suscitée par un fait, et le fait générateur du
mythe suggérera plutôt, chez les spectateurs, la même image
que des images différentes.
C'est ainsi que, presque partout, les nuages et les ténèbres
ont été considérés comme des monstres engloutissant la
lumière ; que, par suite de cette idée, les éclipses de lune
ou de soleil ont passé presque partout pour être produites
par un monstre en train d'avaler l'astre, et que, presque par-
tout aussi, on a cherché à effrayer ce monstre en lui faisant
un charivari. Ces conceptions sont assez naturelles pour qu'on
n'ait pas besoin de supposer une entente entre les peuples
qui les possèdent. L'exemple ici n'a rien d'embarrassant, mais
en voici un autre où la rencontre est plus singulière.
La constellation de la Grande Ourse, que nous appelons
aussi le Chariot ou le Chariot de David, a été souvent re-
gardée par les anciens comme un attelage de bœufs, conduit
par un personnage stellaire nommé Bootès ou le Bouvier par
les Grecs, tandis que la constellation elle-même a été appelée
par les Latins le Septentrion, c'est-à-dire les sept bœufs, du
mot triones, qui désignait les bœufs dans la langue des
paysans du Latium. En Egypte, la Grande Ourse est aussi
un bœuf, et, si l'on demande d'où viennent de semblables
264 LE CONTE
assimilations, on reconnaîtra que la Grande Ourse tournant
très visiblement autour du pôle Nord, c'est-à-dire autour de
l'axe du ciel, elle semble par suite le faire tourner, d'où son
nom d'Hélice en grec. Or, l'animal que les anciens em-
ployaient d'habitude pour faire tourner l'axe des pressoirs ou
des machines à eau était le bœuf ; c'est donc le bœuf qu'on
a choisi instinctivement pour représenter le moteur supposé
de l'axe céleste, c'est-à-dire la Grande Ourse.
Un troisième exemple révélera une nouvelle coïncidence
plus difficile peut-être à comprendre, mais encore possible à
éclaircir. En Egypte, en Grèce et à Sumatra, dans la Malaisie,
le Temps a eu pour emblème une corde tressée par un homme
et mangée par un animal. Pourquoi? C'est que le Temps,
avec son alternance de jours et de nuits, éveille aisément
l'idée d'une trame toujours faite et toujours défaite, comme
la toile de Pénélope. L'auteur du Temps est un dieu bon,
représenté comme tel sous la forme humaine ; le destructeur
du Temps est un dieu mauvais représenté comme tel sous la
forme bestiale, et nous retrouvons ainsi, sans trop d'efforts,
tous les éléments du mythe, conçu de la même manière en
Egypte, en Grèce et à Sumatra.
11 serait facile de multiplier les comparaisons de ce genre;
mais les trois exemples cités montrent assez que ce qui a eu
lieu pour les mythes a pu et a dû avoir lieu aussi pour les
contes, qui ne sont à l'origine que la mise en œuvre, par le
narrateur ou l'aède, de mythes déjà combinés par le sorcier
ou le prêtre. Voici, en conséquence, le critérium à adopter:
lorsqu'un sujet de conte se retrouve chez les peuples d'une
même race, il peut dériver, par emprunt, d'une souche com-
mune ; lorsqu'un sujet de conte se retrouve chez (les peuples
de race différente, il peut provenir, sans emprunt, d'une
conception identique.
LE CONTE 265
II. — Origines
Nous venons de constater deux traits importants de la lit-
térature des contes, c'est-à-dire son extension et sa vitalité;
en négligeant ses attributs littéraires, tels que la simplicité,
la candeur, l'enfantillage, attributs qui sont trop connus
pour qu'on les rappelle et qui tiennent à l'état d'esprit déjà
analysé de son public, il reste à déterminer son origine et à
présenter sa définition.
Si le conte est très souvent un ancien mythe, comme il a
été dit plus haut, en quoi est-il un mythe, et comme quoi
est-il un ancien mythe? La réponse à ces deux questions ne
saurait être douteuse aujourd'hui.
En premier lieu, la littérature dont nous parlons doit être
regardée comme mythique par la raison fort simple qu'on
ne pourrait expliquer autrement ni sa naissance, ni sa nature.
Rien ne vient de rien, et comme c'est dans la mythologie
seule qu'on trouve l'analogie de l'absurde et du merveilleux
qui sont le propre du conte, il est naturel et nécessaire d'ex-
pliquer le conte par la mythologie. Voici un exemple qui
fera comprendre la corrélation signalée.
Il n'est personne qui ne connaisse, de nom bien entendu,
le chapeau de Fortunatus, qui a la propriété de rendre in-
visible d'après nos contes européens. Ce chapeau a-t-il été
inventé de but en blanc, par un pur caprice d'imagination,
qui en aurait fait une sorte de création ex nihilo? Il n'y a
guère apparence : tout a sa cause en ce monde, le caprice
comme le reste et le chapeau de Fortunatus comme le caprice.
Cette merveilleuse coilîure n'a pas tellement de pouvoir
qu'elle rende invisible jusqu'à son origine, qui n'a rien d'ex-
traordinaire. Il existait en elïet, dans la mythologie grecque,
un certain casque de Pluton qui rendait invisible : Pluton
peut se traduire par riche, et c'est ainsi l'équivalent exact de
266 LE CONTE
Fortunatus. Son casque rendait invisible pour une raison
bien simple; c'est qu'il symbolisait ce voile de plomb qui
s'étend sur la vue et la pensée quand on meurt et qu'on va
disparaître de ce monde, ou, en d'autres termes, devenir in-
visible pour les vivants. Le casque de Pluton a donc sa raison
d'être dans une métaphore très naturelle, que nous employons
aussi dans notre langue quand nous disons un voile de mort
ou le voile du trépas. Peut-être se rappellera-t-on ici un
poème de V. Hugo, le Voile, dans lequel une femme arabe
qui a levé son voile est tuée par ses frères pour ce motif. Elle
dit en mourant :
Sur mes regards qui s'éteignent
S"étend un voile de trépas,
et ses frères lui répondent :
C'en est un que du moins tu ne lèveras pas.
Voila, sous la forme la plus simple, le casque de Pluton
des m\ fches et le chapeau de Fortunatus des contes.
La jolie non voile allemande de l'Homme qui a perdu son
ombre trouve de môme son explication dans une croyance
ancienne. Cette croyance était qu'un homme mort n'a plus
d'ombre, et, en effet, un corps couché et immobile ne pro-
jette plus, comme le l'ait un corps debout et en marche, ce
simulacre animé de lui-même que les hommes primitifs
confondaient avec l'âme. D'après les Grecs, tout homme ou
tout animal qui entrait dans le temple du Jupiter arcadien,
sur le mont Lycée, perdait son ombre et mourait dans l'année,
ce qui veut «lire, sans doute, qu'à uni; certaine époque on
sacrifiait la tout être vivant qui pénétrait dans l'enceinte du
temple : pour qui commit le sens de la croyance, en effet, ce
n'est pus la perle de l'ombre qui causait la mort, mais c'est
la mort qui entraînait la perte de l'ombre. Voilà sur quels
LE CONTE 267
fondements, peut-être inconnus de lui, Adalbert de Chamisso
a composé une des œuvres les plus agréables de la littérature
allemande.
Nous venons de remonter jusqu'aux temps homériques
pour expliquer une nouvelle du commencement de ce siècle.
Il faut aller encore plus loin et recourir au plus ancien livre
de l'Inde, le Rig-Véda, si l'on veut savoir ce que signifie le
Petit Chaperon rouge.
L'héroïne du conte est une petite fille à coiffure rouge, qui
s'attarde à cueillir des fleurs dans les bois et qui est mangée
par un loup. Les hymnes du Rig-Véda parlent aussi d'une
jeune fille mangée par un loup et personnifiant l'Aurore. Le
Petit Chaperon rouge est donc quelque chose comme l'aube
du jour, ou si l'on veut la lumière du jour, à chapeau d'au-
rore, que le loup, c'est-à-dire la nuit, mange comme sa
grand'mère, la vieille aurore de la veille.
Ainsi le conte a été un mythe à l'origine, mais à quel signe
reconnaît-on qu'il n'est plus un mythe?
Simplement à ceci qu'il n'est plus religieux, c'est-à-dire à
ce qu'il s'est détaché de l'ensemble mythologique pour des-
cendre dans une région inférieure, où s'atténuent de plus en
plus ses anciennes relations avec les grands phénomènes
naturels. C'est dès lors un mythe déchu, qui se souvient des
cieux sans doute, mais qui en est tombé, et qui a par là même
conquis une liberté d'allure favorable et indispensable à sa
transformation ou à sa déformation, si l'on veut, dans le sens
du roman : il est le roman primitif et rudimentaire.
Il ne devient pas le roman proprement dit, sans doute, car
il est trop alourdi par ses origines pour rejeter l'absurde et
le merveilleux qui le caractérisent; mais il cesse clairement
d'être le mythe, puisqu'il oublie dans ses héros le phénomène
pour l'homme, et qu'il est entraîné ainsi à refondre ses élé-
ments constitutifs pour donnera leur combinaison une appa-
rence plus humaine et plus romanesque, mieux appropriée,
en un mot, à un désir bien naturel, celui de tirer d'une
268 LE CONTE
situation dramatique toute la somme d'émotions agréables
qu'elle peut donner.
Il suit de là un fait nouveau et remarquable; c'est qu'il se
forme, pour les besoins de ces nouveaux arrangements, une
réserve d'incidents, de personnages ou même d'instruments,
séparés désormais de tout support, et servant simplement de
lieux communs à la littérature populaire ou enfantine dont
ils font partie.
Ainsi, les coiffures qui rendent invisible, et les bottes de
.sept lieues, composent, avec bien d'autres objets, l'outillage
des contes. Quant au personnel, si l'on peut employer ce mot,
il comprend principalement, en Europe, d'abord les jeunes
princesses ou endormies comme la Belle au bois dormant, ou
persécutées comme la princesse Aurore, ou déguisées comme
Peau-d'Ane, toutes héroïnes qui sont les images de la lumière
ou de l'aurore cachées sous le nuage, sous l'horizon ou dans
la nuit ; viennent ensuite les princes libérateurs, reflets des
héros atmosphériques ou solaires qui chassent tous les
monstres et lèvent tous les voiles de l'obscurité; les petits
héros habiles et industrieux qui se glissent partout comme le
Petit Poucet, et comme le vent dont il semble l'image, s'il
est, ainsi qu'on l'a dit, analogue au Mercure grec, une des
formes du vont ; l'Ogre, toujours affamé comme l'enfer qu'il
personnifiait jadis en Italie sous le nom presque identique
d'Omis; enfin les fées bonnes ou mauvaises qui président
aux incidents et aux métamorphoses, parce qu'elles repré-
sentent à, la l'ois et les Parques, auteurs de la destinée
humaine, et les sorcières d'origine plus ancienne encore que
les Parques, car elles remontenl elles el leurs baguettes jus-
qu'à la période du fétichisme. Tous ces personnages à noms
européens se retrouvenl ailleurs sous des qualifications di-
verses, bien entendu, par exemple dans le magicien, le
djinn, la ghoule, l'Avisé, le sultan el la favorite des coules
arabes.
Un épisode emprunté au Roland furieux de l'Ariostc, et
LE CONTE 269
comparé à quelques mythes grecs, montrera avec netteté
quelle est la part d'indépendance conquise par le conte.
L'Arioste, érudit comme l'étaient les poètes de la Renais-
sance, avait puisé beaucoup plus aux sources de l'antiquité
classique qu'à celles du moyen âge, tout en choisissant ses
emprunts avec un tact que bien d'autres poètes n'ont pas eu.
Il s'est approprié de la sorte une foule d'éléments mythiques
qui font de son poème un conte ancien autant qu'un roman
de chevalerie.
C'est aux 8e, 9e et 10e chants du Roland furieux que se
trouve l'épisode dont il s'agit. L/Arioste y représente une de
ses héroïnes préférées, Angélique, prisonnière dans une île
du Nord, où existait la coutume d'offrir tous les jours une
jeune fille en pâture à un monstre marin. Angélique est en-
chaînée au bord de la mer et le monstre s'avance pour la
dévorer quand survient un paladin, Roger, monté sur un
hippogriffe et armé d'un bouclier magique dont la splendeur
aveugle et stupéfie. Grâce à son bouclier et à sa monture, le
chevalier délivre la jeune fille. Nous n'avons pas de peine à
retrouver ici le mythe grec de Persée et d'Andromède,
introduit dans le poème comme hors-d'œuvre ou comme
simple incident ; mais que de changements apportés à l'ancien
fond ! Roger a une monture ailée et Persée n'en a pas : c'est
Bellérophon, héros de Corinthe analogue au Persée d'Argos,
qui monte Pégase pour combattre la Chimère, mais Pégase
est un cheval, tandis que l'hippogriffe tel que le conçoit
l'Arioste n'a du cheval que le fait de servir de monture, et
appartient à la race des griffons septentrionaux à tête d'aigle,
qui représentaient les vents du Nord, les aquilons.
Roger a un bouclier à l'éclat magique, tandis que Persée
porte simplement la tête de la Gorgone, de Méduse, image de
l'éclair qui aveugle et de la foudre qui pétrifie. La tête de la
Gorgone ne se fixe sur un bouclier qu'avec la Pallas athé-
nienne, déesse qui a parmi ses attributs celui de personnifier
aussi la foudre et l'éclair. Enfin, Andromède est exposée à
270 LE CONTE
Joppé, c'est-à-dire au midi, tandis qu'Angélique est exposée
au nord, à l'imitation d'une autre héroïne des mythes grecs,
l'Hésione troyenne, et la cause de la condamnation est em-
pruntée aussi, non à la légende d'Andromède, mais à celle
d'Hésione, avec des différences qui tiennent, d'une part au
caractère un peu léger donné par l'Arioste à son poème,
d'autre part, à la nécessité de relier l'aventure d'Angélique
aux aventures environnantes, et notamment aux récits con-
cernant la cour de Charlemagne.
Si nous examinions de même la propre légende de Persée,
nous verrions qu'elle avait commencé aussi à se rappro-
cher du conte chez les Grecs, dès le temps d'Hésiode, et
qu'elle s'était grossie d'éléments disparates étrangers à la
conception primitive. Persée avait par exemple le casque de
Pluton, qui le rendait invisible, et les talonnières d'Hermès,
qui lui permettaient de voler. Ces talonnières, analogues à
nos bottes de sept lieues, symbolisaient la course rapide du
vent. Ni les talonnières ni le casque n'appartenaient à Persée :
on les lui avait donnés sans qu'il en eût besoin, lui qui était
un des demi-dieux de l'ouragan, pour expliquer ou pour
s'expliquer comment un homme avait pu se soutenir dans
l'air, puis aborder Méduse sans être aperçu par le regard du
monstre, qui l'eût pétrifié.
On avait commencé à retoucher le mythe, signe qu'il était
entré en dégénérescence.
Si le mythe de Persée tourne au conte et le conte de
l'Arioste au roman, on vient de voir que, dans l'Arioste, le
conte tourne aussi à l'histoire, ou du moins qu'il comporte
une donnée vaguement historique, ayant le nom de Charle-
magne pour centre.
Le caractère mixte du conte lui permet en etïet de confiner
à L'histoire, mais il ne le fait naturellement que dans sa me-
sure; comme il ignore profondément les faits réels, il ne
leur prend que ce qu'ils lui imposent, c'est-à-dire quelques
situations assez éclatantes pour pénétrer jusque dans son
LE CONTE 271
domaine et assez romanesques pour s'identifier avec les
siennes, comme celle de la chevalerie. Quant aux rois ou aux
empereurs dont il finit par adopter, non pas les exploits, mais
les noms, il faut aussi que ces personnages, Salomon, Alexan-
dre, Charlemagne ou Barberousse, soient assez illustres pour
se confondre, dans l'imagination populaire, avec les héros
ou avec les dieux.
Ainsi, pour résumer ce qui précède, le conte, cher aux
enfants de tous les âges et aussi ancien que répandu, est d'or-
dinaire un mythe humanisé, ou une combinaison de mythes
humanisés. En d'autres termes, c'est une donnée roma-
nesque extraite d'éléments mythiques dont le sens est perdu
et dont la forme est restée.
III. — Limites
Au fond, et en définitive, la véritable place du conte est
entre le mythe et le roman. Presque aussi merveilleux que
le premier, presque aussi humain que le second, il tire sa forme
et son charme de cet état intermédiaire, entre ciel et terre,
si l'on peut dire, qui le relie à deux de nos sentiments les
plus puissants, la religion et la sympathie, et qui lui permet
de toucher à la fois à presque tous les genres, sans s'attacher
à aucun.
Dès qu'il admet un nouveau degré de développement, il
perd son mobile équilibre et se transforme, ce qui lui arrive
souvent, en vertu de sa nature un peu flottante. Mais cette
facilité de transformation va nous révéler toute la puissance
du conte, qui a par là donné naissance aux œuvres les plus
diverses dans les littératures de tous les temps.
Renfermé en lui-même, il s'est montré, tour à tour, simple
et naïf dans les différents patois populaires, plus raffiné dans
les vastes recueils de l'Orient, comme les Mille et une Nuits,
digne de La Fontaine dans le livre immortel de Perrault, et
272 LE CONTE
aussi précieux pour les enfants que pour les archéologues
dans le recueil des frères Grimm.
Dosé de façons différentes, il a produit ou abordé presque
tous les genres littéraires qui relèvent de l'imagination. Avec
l'addition de l'élément poétique, il est devenu une épopée sur
la lyre d'Homère, Y Odyssée, et il s'est transformé en fantai-
sies exquises dans La Tempête de Shakespeare, par exemple,
YObéron de Wieland, le Lai la Rookh de Moore et la Fée
aux Miettes de Nodier. Avec l'addition de l'élément poétique
et de l'élément superstitieux, il est devenu un cauchemar
dramatique ou grandiose sous la plume d'Hoffmann et
d'Edgar Poe. Avec l'addition de l'élément historique et
héroïque, il est devenu le roman de chevalerie, depuis la
Chanson de Roland jusqu'à YAmadis de Gaule. Avec l'élé-
ment licencieux, il est devenu Y Ane d'or d'Apulée et toutes
les œuvres plus ou moins avouables qui s'en inspirent. Avec
l'élément moral, il est devenu la fable hindoue, grecque,
latine et française, qui a immortalisé Ésope et La Fontaine.
Avec l'élément satirique, si cher à notre caractère gaulois, il
est devenu le fabliau des vieux trouvères. Avec l'élément
satirique assaisonné d'érudition, il est devenu le Gargantua
et le Pantagruel, ces débauches de savoir et de génie, où la
Renaissance a donné la mesure du dévergondage de ses mœurs
et de la profondeur de ses vues. Avec l'élément satirique et
philosophique, il est devenu le conte du dix-huitième siècle,
qui a mis en circulation tant d'idées puissantes sous des
dehors frivoles. Aujourd'hui, enfin, où l'élément scientilique
le pénètre, le conte subit encore une nouvelle transformation,
qui indique à la vérité l'arrêl définitif de son développement,
parce que le point de vue scientifique s'impose de plus en
plus et que la science, n'admettanl pas le merveilleux, ne
peut le remplacer que par l'extraordinaire, ce qui n'est pas du
tout la même chose.
I ).uis ees conditions, levéritable conte, enfantin et primitif,
ne sera bientôl plus qu'un objet d'étude, une partie de l'ar-
LE CONTE 273
chéologie scrutée avec d'autant plus d'intérêt qu'elle reste dès
maintenant le seul témoin et le seul dépositaire de choses à
jamais disparues.
En effet, les différentes rédactions d'un même conte ren-
ferment, suivant les temps ou les lieux, et nonobstant l'im-
mutabilité du fond, des détails très variés, très curieux, très
intimes, très locaux et souvent uniques, sur les mœurs, les
caractères, les croyances et les superstitions, tous détails
dont la vérité naïve était comme exigée par l'auditoire
spécial du conte. La chevillette et la bobinette fermant la
porte de la mère grand, dans le Chaperon rouge, offrent un
bon exemple des humbles particularités que l'on recueille
dans le conte et que l'on ne trouve pas dans l'histoire. C'est
grâce à cette richesse de détritus qu'il roule dans son sein que
le conte fournit maintenant à l'étude un sujet fécond et vaste,
dont les principales lignes seulement sont arrêtées, mais qui
attire de plus en plus l'attention et les recherches. L'exemple
des frères Grimm a été suivi dans toutes les directions et
surtout dans le champ indo-européen, qui nous est plus
accessible que les autres. Sous le nom spécial de Folk-lore,
ou tradition populaire, le conte en est arrivé à former le centre
d'un véritable mouvement archéologique, ayant ses recueils
et ses journaux, par exemple, en France, la Mélusine.
Cette curiosité empressée est assurément de mauvais
augure pour le conte. On se hâte, parce qu'il va disparaître;
mais du moins, avant de céder ainsi aux envahissements de
la science partout où pénétrera la civilisation européenne, il
nous aura laissé le meilleur de lui-même, qu'il contenait en
germe dès le principe. Ce meilleur de lui-même est le roman,
qui, dans le livre ou sur le théâtre, représente depuis long-
temps l'élément humain du conte purifié de tout alliage,
et qui est capable d'exprimer dans tous leurs détails toutes
les possibilités de la vie, sans plus les faire, malheureu-
sement peut-être, autres qu'elles ne sont. Si l'on peut et
si Ton doit dire tout le mal possible du roman quand il est
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 18
274 LE CONTE
mauvais, il a du moins le rare mérite, quand il est bon, de
relever un peu notre âme trop souvent écrasée ou rabaissée
sous les exigences et les compromis de tous les jours. N'est-ce
pas en effet le roman qui sait, mieux que toute autre œuvre,
ramasser et éclairer, en quelques types saisissants et en quel-
ques situations dramatiques, les traits épars ou cachés de
vertu, de grandeur et d'héroïsme, dont nos sociétés modernes
sont moins dépourvues qu'on ne pourrait le croire?
REMARQUES
DIFFERENTES QUESTIONS HISTORIQUES
y 1
M. le docteur Eisenlohr consacre aux tombes royales de
Tkèbes, dans l'avant-dernier fascicule de la Zeitschrift, une
page du récit de son récent voyage en Egypte5.
Il a visité le puits de Deir-el-Bahari, et il le croit en com-
munication avec le n° 20 de la Vallée des Rois. Il a vu les
Arabes mettre en vente différents objets qui lui semblent
provenir d'une tombe royale, entre autres le portrait d'un
prince Mentu/.opesef, et il se refuse à voir dans cette tombe,
qu'il croit nouvelle, le n° 19, regardé par lui comme l'hypo-
gée du sixième fils de Ramsès III, le prince Mentu/.opesef.
Enfin, il a cherché au tombeau de Tauser le cartouche de
Séti II, que Champollion y a copié, mais, ne l'ayant pas vu,
il conclut que Champollion a pris pour le prénom de Séti II
celui de l'usurpateur du tombeau, Setne/t. M. Eisenlohr
soulève ainsi des questions qui ont leur intérêt, et qui peu-
vent être ou résolues, ou tout au moins traitées dès main-
tenant : leur examen fait l'objet du présent mémoire.
1. Publié dans la Zeitschrift fur àgyptische Sprache und Alter-
thumskunde, 1885, t. XXIII, p. 121-127. — G. M.
2. Zeitschrift, 1885, t. XXIII, p. 54-55. — G. M.
276 SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES
I
Séti II était-il contemporain de Tauser?
M. Eisenlohr a passé ici à côté de la solution qu'il cher-
chait. Le cartouche-prénom de Séti II, Râuser/eperumer-
amen, ne se trouve pas, ou ne se trouve plus, au tombeau
de Tauser, mais on voit encore là quelques traces du car-
touche-nom de Séti II, Sétimerenptah.
A la troisième scène de la paroi gauche du premier cor-
ridor, le roi Siptah offre Ma-t à Isis, et dans son cartouche-
nom propre, écrit Ptahmerensiptah, on distingue en outre
les signes (I et ™™ disposés ainsi :
^n^\ Le docteur Lepsius ' a même vu, à la suite du signe
( , un second (1 presque confondu avec le déterminatif
du premier nom de Ptah appartenant au cartouche
de Siptah. Le môme savant a noté sur la paroi d'en
face (2e scène), une lettre U engagée dans les dernières
lettres du cartouche-nom propre de Siptah2. Or, à la
lin de la XIXe dynastie, c'est dans le nom de Set/meivqttah
seul que figurent, à la même place, les lettres dont il s'agit.
On ne peut donc voir là que Séti II.
Cette constatation et celle de Champollion se confirment
et se fortifient mutuellement. Si l'un des cartouches de
Séti II se, trouvait deux fois au premier corridor de Tauser,
à côté des deux seules représentations de Siptah qui existent
dans le tombeau, il n'y a rien d'étonnant à ce que Cham-
pollion ait copié l'autre cartouche de Séti II au second cor-
ridor '. 11 est inutile de supposer ici, comme l'a fait M. Chabas
<l;ms ses Recherches sur la XIXe dynastie, une erreur de
1. Denkmâler, III, 206.
2. Denkmâler, III, 201 bis.
3. Champollion, Notices, t. I, p. 451.
ISM^I
SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES 277
gravure remplaçant /.a-u du cartouche-prénom de Setne/.t
par /eper-u du cartouche-prénom de Séti II. Le cartouche-
prénom de Setne/.t est partout écrit dans le tombeau
Rauser/ausetepenrameramen, tandis que le prénom relevé
par Champollion est beaucoup plus court : Rauser/eperu-
meramen.
La destruction va vite aux tombes royales, et il est im-
possible qu'un corridor presque entièrement dégradé du
temps de Champollion' ne soit pas en plus mauvais état au
bout de 55 ans. Dans ce corridor, aujourd'hui ruiné, figu-
raient le roi adorant Anubis, et les gardiens des l1", 2e, 3e,
4e et 6e portes du chapitre 145 du Todtenbuch. Chacune des
portes était accompagnée d'un texte où entrait le nom du
roi : c'est là sans doute, au début de la paroi de droite, que
Champollion a lu le cartouche qu'il donne.
Si l'on veut savoir maintenant qui a régné le premier de
Séti II ou de Siptah, il n'y a qu'à examiner sur place quel
est le cartouche qui a été surchargé a la troisième scène du
premier corridor (paroi gauche). La vérification à faire et la
conclusion à tirer sont aussi simples l'une que l'autre.
Le groupe d'hypogées auquel appartient la tombe de
Tauser, c'est-à-dire les nos 13, 14 et 15, est véritablement
très curieux au point de vue historique. Le n° 13, qui n'a
pas été poussé loin, appartenait sans aucun doute au grand
chancelier Bai, un Ramesside, protecteur de Siptah. Le
n° 14, usurpé postérieurement par Setne/.t et creusé pour
Tauser, porte au début les cartouches de Siptah et de Séti II,
comme on vient de le voir, tandis qu'à la fin Tauser, régnant
seule, prend le titre royal complet, et ajoute à son premier
cartouche celui que Lepsius a découvert sur la paroi gauche
de la première salle à huit piliers, avant la voûte'. Enfin,
le n° 14, qui appartenait à Séti II, Sétimerenptah, présente
1. Champollion, Notices, t. I, p. 450.
2. Denk/nàler, III, 206, b.
278 SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES
au début des traces incontestables de surcharge dans les
cartouches du Pharaon, qui sont superposés à d'autres car-
touches où se lisait aussi le nom de Ptah.
II
Le quartier des Memnonia était-il en communication
souterraine avec la Vallée des Rois ?
L'hypothèse de M. Eisenlohr relative à une jonction entre
le puits de Deir-el-Bahari et le n° 20 de Bab-el-Molouk est
très vraisemblable. Le prolongement en souterrain du tom-
beau de Séti Ier et le long développement en demi-cercle
des corridors du n° 20 ne s'expliquent guère que si l'on
suppose aux anciens Égyptiens l'intention, plus ou moins
bien réalisée, de mettre le quartier des Memnonia en rapport
direct avec la Vallée des Rois.
On sait de bonne source que plusieurs tombes royales
avaient des souterrains, entre autres les quatre pyramides
qui communiquaient ainsi, d'après Hérodote1, avec les quatre
angles du Labyrinthe, monument dans lequel se trouvaient
sans doute les temples funéraires des rois de la XIIe dynastie.
Le témoignage du Papyrus Abbott, au sujet de la tombe
d'Aménophis Ier est aussi précis que celui d'Hérodote au
sujet des pyramides du Fayoum :
« L'horizon éternel du roi Sorka, fils du Soleil, Amen-
» hotep, qui a 120 coudées de profondeur à sa chambre
» principale ; le long corridor qui en dépend est au nord
o de l'Aménophium du vignoble" » :
1. Hérodote, II, 148.
2. Traduction de M. Cliabas, Troisièmes Mélanges, t. II, p. 60;
cf. Maspero, Une Enquête judiciaire, p. 13.
SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES 279
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Le fait que le couloir du tombeau d'Aménophis débou-
chait vers un Aménophium conduit à penser que cet Amé-
nophium n'était autre chose que le temple funéraire du
tombeau, tous les grands édifices de la rive gauche, à Thèbes,
étant des temples funéraires. L'hypogée d'Aménophis Ier,
creusé dans la montagne puisque sa grande salle avait
120 coudées de profondeur, n'était donc pas trop éloigné du
quartier des temples, et il n'y aurait pas grande hardiesse
à induire de là qu'il pourrait bien ne pas différer du n° 20 :
il avait servi pour un temps de cachette aux principales
momies royales de Deir-el-Bahari, ce qui conviendrait bien
à un endroit situé entre la Vallée des Rois et le puits de
Deir-el-Bahari, comme le n° 20.
L'excavation numérotée ainsi est creusée en effet d'après
le plan des tombes royales, qui se divisent, lorsqu'elles sont
un peu développées, en deux parties bien distinctes, formant
comme un tombeau faux et un tombeau vrai. La première
partie se compose de corridors qui aboutissent à une
chambre originairement à puits (Aménophis III et Séti Ier),
et assez souvent accompagnée d'une ou de plusieurs salles
à colonnes ; la deuxième partie s'ajuste à la première avec
une déviation de l'axe du tombeau dans les anciennes tombes
(Aménophis III et Séti Ier), et se compose aussi de couloirs
aboutissant à une ou à plusieurs salles.
Dans ce qu'il a de connu, le n° 20 reproduit cette dispo-
sition. Il comprend deux couloirs de début, une salle à puits,
1. Papyrus Abbott, p. 2, 1. 2, 3 et 4.
280 SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES
et un nouveau couloir s'embranchant à droite d'après le plan
de Lepsius1 : la suite reste enfouie.
On remarquera que l'excavation présente, comme les
autres tombes, dans les murs de son premier corridor, des
trous carrés faits évidemment pour aider au transport du
sarcophage; si elle n'a pas d'inscriptions, la tombe d'Amé-
nophis III, jadis décorée sur stuc, n'en a pas non plus, au-
jourd'hui, dans sa partie correspondante.
Enfin, les différences qu'on peut remarquer entre le n°20
et les autres tombes, plus développées en largeur qu'en
longueur, s'expliqueraient bien par le fait que la tombe
d'Aménophis Ier est sinon la première, au moins l'une des
premières qui aient été creusées dans la montagne par les
Pharaons : de là des tâtonnements, avant d'arriver à la con-
ception complète d'un plan, qui fut d'ailleurs aussitôt mo-
difié qu'obtenu.
La preuve qu'avant Aménophis Ier les rois n'étaient pas
ensevelis dans des grottes se poursuit jusqu'à la XIIe dy-
nastie, avec la longue chaîne de pyramides qui va de Mem-
phis au Fayoum, tandis que, de la XIIIe à la XVIIe dynastie,
toutes les tombes royales mentionnées au Papyrus Abbott
sont aussi dites pyramidales, Y ^S^ /\ czrzi". L'hypogée
d'Aménophis Ier, bien que compris dans le total cle ces
tombes, y reçoit soûl le nom de Montagne de l'horizon éter-
nel, l'une des désignations cle Bab-el-Molouk d'après les
graffiti de la vallée. Le changement dans le mode de sépul-
ture remonterait donc au règne de ce Pharaon ou tout au
plus au règne de son père, le fondateur de la XVIIIe dy-
nastie, car les Taaet Kamès, qui terminèrent la XVIIe dy-
nastie, avaient des pyramides, construites sans aucun doute
1. Denkmàler, I, 96.
2. Papyrus Abbott, p. 2, 1. 1.
SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES 281
clans le quartier des Memnonia au milieu des tombeaux des
particuliers, comme celles de la XIIIe dynastie'.
Quand Aménophis Ier, par une conception hardie, prit la
montagne elle-même pour pyramide, il ne voulut sans doute
pas séparer son hypogée de son temple, la tombe égyptienne
se composant essentiellement d'un puits et d'une chapelle,
de sorte qu'il unit par un long souterrain le temple à l'hypo-
gée, ce qui pourrait être aussi le cas pour l'édifice funéraire
d'Hatsepsu, reine dont la tombe ne serait alors que le pro-
longement du temple de Deir-el-Bahari.
L'extension en longueur qu'Aménophis Ier dut donner à
son tombeau concorde bien avec l'idée qu'on se faisait de
l'hypogée royal, conçu comme un passage. Le Papgrus
Mayer A du Musée de Liverpool, étudié par M. Goodwin2,
donne le nom général de ,_ i , the corridor-houseSj
I .A i
aux tombes de Ramsès II et de Séti Ier, tout en désignant
la dernière d'après son nom particulier de tombe Quarante,
d'après M. Goodwin, à peu près comme on l'appelle au-
L_ i — <j>—
jourd'hui le n° 17. M. Goodwin rapproche le du
cq — (D— . . ^\
, couloir sacré, et, en effet, un des grafliti hiératiques
du tombeau de Ramsès IX donne, pour désigner l'extraction
hors de la tombe, l'expression de mise hors du sacré cou-
loir, v @ y\^\ v uru.
En somme, que le n° 20 soit ou non l'hypogée d' Améno-
phis Ier, il n'en est pas moins vrai que cet hypogée très pro-
fond, et prolongé en souterrain vers les temples de la rive
gauche du Nil, ressemblait fort au n° 20, ce qui appuie
l'opinion de M. Eisenlohr qu'une communication cachée
existait entre la montagne et la plaine.
1. Pap;/rus Abbott, p. 3.
2. Zeitschrift, 1873, p. 39, et 1874, p. (31-65.
282 SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES
III
Le prince Ramsès Mentalier/epesef était-il Jîls
de Ramsès III ?
M. Eisenlohr pense que les Arabes exploitent en ce mo-
ment une nouvelle tombe royale appartenant à l'un des
Ramessides. Il n'y a la rien d'impossible. On ne connaît pas
tous les hypogées royaux de la XX- dynastie, et, de plus,
quelques excavations de Bab-el-Molouk restent inexplorées,
entre autres les nos 5, 12 et 21 : à la place de cette dernière,
dont la porte même est ensablée aujourd'hui, Belzoni indique
sur son plan et dans son livre une excavation étendue et
décorée 1 .
On remarquera toutefois, au sujet de la figure qui porte
le nom de Mentu/.opesef, qu'il y a plusieurs raisons pour
qu'elle ne vienne pas d'une nouvelle tombe de Bab-el-Mo-
louk. En premier lieu, ce personnage n'a pas le cartouche,
et c'est par une exception rare, ainsi que pour des motifs
particuliers, qu'un prince pouvait être enseveli au milieu des
rois. Ensuite, la ligure dont parle M. Eisenlohr (elle serait
,i examiner) peut tort bien provenir du tombeau n° 19, où
plusieurs portraits du possesseur, Ramsès Mentuherxepesef,
sont masqués par un énorme tas de décombres qui a été dé-
placé, sans doute par Lepsius, depuis la visite de Cham-
pollion.
Une dernière observation à ce propos, mais assez impor-
tante, est que le prince du n° 19 ne peut être identifié,
comme on le croit pourtant et comme le dit M. Eisenlohr,
avec un de ces fils de Ramsès III qui sont représentés à
Médinel Abou, tenant le flabellum à plume d'autruche qui
1. Narratioe o) the Opérations andrecent Discoveries in Egypt <m<l
Nubia, pi. 39.
SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES 283
a fait prendre par Hécatée, au Ramesséum, les fils royaux
pour des juges'.
Ici, deux objections se présentent.
Et d'abord, un simple coup d'œil jeté sur le portrait du
prince figuré au n° 19, et sur le portrait de Ramsès III d'après
son tombeau2, montrera que ces deux œuvres d'art appar-
tiennent à des époques bien différentes. Si au contraire on
compare le profil tout sémitique du prince avec celui de
Ramsès IX', on sera frappé de la ressemblance; mais les
analogies ne se bornent pas là quand on examine les tom-
beaux de ces deux derniers personnages, les nos 6 et 19.
Leur entrée a été conçue clans de vastes proportions, le
stuc qui revêt leurs murs est d'une blancheur et d'une finesse
remarquables, les dieux thébains Ammon et Khons y
figurent, on y remarque une même tendance, dans les textes
ordinaires, à un remaniement du système graphique, ten-
dance visible seulement, aux tombes antérieures, dans cer-
taines compositions d'origine ou d'allure archaïques, qui
donnent les curieuses variantes i — n pour Osiris, pour
Isis, ©^ pour H , ^^ pour 0 n ^
_32r mi1 1<=r> i i i r Q
pour Atum, etc. Puis, ce qui est encore plus caractéris-
tique, l'entrée de deux couloirs est flanquée, dans ces deux
tombes seulement, de portes non décorées peintes sur les
parois, et il se trouve sur ces portes des inscriptions en
hiératique, ou analogues, c'est-à-dire le chapitre 123 du
Livre des Morts (n° 19) et le début du chapitre 130 (n° 6),
ou identiques, c'est-à-dire le texte des quatre Qàsi-u,
mis==*(J i gai.
1. Diodore de Sicile, I, 48.
2. Denlanàler, III, 215 et 216 ; cf. Prisse d'Avennes, L'Art égyptien,
planches.
3. Rosellini, / Monumenti dcll' Egitto e delta Nubia, t. I, pi. 8,
n°31.
284 SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES
Rien de cela ne se voit au tombeau de Ramsès III ; or, la
décoration et le plan des tombes royales s'étant modifiés de
règne en règne, une certaine concordance d'ensemble et
surtout de détails ne peut appartenir là qu'à des monuments
contemporains l'un de l'autre. C'est évidemment pour ce
motif que le docteur Lepsius rattachait avec toute raison à
l'époque de Ramsès III cette reine Titi que plusieurs savants
se sont obstinés à confondre avec la reine Taia de la
XVIIIe dynastie. Champollion avait bien remarqué aussi,
dans la Vallée des Reines, l'analogie de style qu'ont entre
elles et avec Médinet-Abou les tombes de certaines prin-
cesses ' .
Ramsès IX serait un des lils de Ramsès III, comme le
croit M. Ermaiv, que l'hypogée du premier n'en manifes-
terait pas moins une autre époque de l'art que l'hypogée du
second. Or, si Ramsès Mentuher/epesef était encore un
fils du fondateur de la XXe dynastie, mort du vivant de
son père, son tombeau ressemblerait certainement à celui
de Ramsès III et non à celui de Ramsès IX.
Arguer maintenant que le prince aurait pu mourir au
temps de Ramsès IX, tout en étant le lils do Ramsès III,
serait se heurter directement à la seconde objection, plus
forte encore que la première : c'est qu'il est impossible que
le prince soit lils de Ramsès III.
Le Mentuxppesef de Médinet-Abou était au moins le
sixième lils du Pharaon', tandis que le prince Mentu-
herxepesef du n° 19 était le lils aîné et l'héritier présomptif
d'un r<»i, ce <pii explique pourquoi il a pu se préparer une
sépulture dans la Vallée des Rois, en prévision de son pro-
pre règne. Les inscriptions de son hypogée, qui le nomment
I "'II1'!" /*v <^,
Ion jours Jj iïj l /vw /* '" h*^^, le disent :
1. Notices, t. I, p. 395 et 396.
2. Die Sohne Ramsès III, dans la Zeitschrift, 1883, p. 60-61.
3. Erman, Die Sohne Ramsès III, ibid., p. 00-01.
SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS HISTORIQUES 285
D
M
®==f_£r|j^ \n qK
AA/WV\
— — U 1 _-/_i A/VWV\ A
Dira-t-on que 1"^^ est un titre qui ne désigne pas néces-
sairement le fils d'un roi, comme l'a montré M. Wiede-
mann 2 ? Mais ce n'est pas le cas ici, puisque la filiation est
nettement indiquée par les mots *"ww y | *R *^ et *wwvs a, 1 1 .
Dira-t-on aussi que I <%\ ne signifie pas nécessairement
le fils aîné d'un roi, en s'autorisant de ce fait que, dans la tombe
d'une reine anonyme, les textes appellent premier fils du
roi, 1 , le prince AK fî , qui était le cinquième
fils de Ramsès III d'après la liste de Médinet-Abou ? Mais
ici l'explication se présente d'elle-même. C'est qu'il s'agit,
non d'un aîné de tous les fils royaux, car le prince n'est ni
semés, ni erpâ, mais seulement du premier fils que le roi a
eu de la reine dans le tombeau de laquelle ce fils et ce roi
figurent. Au contraire, le n° 19, où il n'est pas question de
reine, concerne bien l'aîné de la famille, i¥\ — *— , l'héritier
de la couronne, □ , et par conséquent le véritable premier
nè> iN^*n' ^e tous ^es en*ants du rcn sans distinction de
mères.
L'identification adoptée jusqu'à présent pour Ramsès
Mentuher/.epesef ne saurait donc être maintenue.
1. Cf. Champollion, Notices, t. I, p. 464, 809 et 813, et Lepsius,
Denkmàler, III, 217, a-d.
2. Zeitschrift, 1885, p. 79 et 80.
3. Champollion, Notices, t. I, p. 395-6; et Lepsius, Denkmàler, III,
217, /et g.
286 SUR DIFFÉRENTES QUESTIONS^HISTORIQUES
Ainsi, sur la parenté du prince jadis enseveli au n° 19
comme sur l'absence du cartouche de Séti II dans l'hypogée
de Tauser, il est impossible de partager l'opinion de M. Ei-
senlohr; mais, relativement à l'existence d'une ancienne
communication entre Bab-el-Molouk et les Memnonia, les
conjectures du savant égyptologue sont par contre fort
acceptables.
Paris, le 30 octobre 1885.
LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
L'EXODE, LE CANAL DE LA MER ROUGE
M. Naville devait exposer le résultat de ses fouilles en
Egypte dans la Revue de ï Histoire des Religions, mais
d'importants travaux l'ont empêché de donner suite à ce
projet, et maintenant l'ouvrage où il présente le tableau
détaillé de ses découvertes en 1883 vient de paraître ; il
devient donc possible, comme l'a pensé M. le Directeur de
la Revue, de suppléer au compte rendu de M. Naville par
l'analyse de son livre, The Store-City of Pithom and the
Route qfthe Exodus.
I
La Société anglaise The Egypt Exploration Fund a
entrepris la grande tâche d'explorer l'orient du Delta, avec
le désir de résoudre le problème de l'Exode ; elle a chargé
des fouilles à faire le savant égyptologue genevois, et il est
inutile d'ajouter qu'elle ne pouvait choisir mieux.
M. Naville n'a pas seulement le goût des recherches, il a
l'instinct des découvertes ; à ce point de vue, c'est assuré-
ment Tégyptologue qui aura rendu de son propre chef, et
1. Publié dans la Revue de l'Histoire des Religions, 1885, p. 302-
326. Tirage à part de cinquante exemplaires. — G. M.
288 LES FOUILLES DE M. NA VILLE A PITHOM
sans secours étrangers, le plus de services à la science des
religions. On lui doit, aussi les Textes du temple d'Edjbu,
relatifs au Mythe d'Horus, composition rassemblant une
foule de légendes locales dans le cadre à demi épique d'un
voyage divin; la Litanie du Soleil, où s'affirme de la façon
la plus nette le panthéisme officiel du Nouvel Empire ;
enfin le Conte déjà célèbre de la destruction des hommes
par les dieux, extrait, comme la Litanie solaire, des hypo-
gées royaux, et montrant, par un exemple qui s'ajoute à
bien d'autres, avec quelle persistance s'imposait aux pre-
miers peuples civilisés l'idée d'un grand cataclysme ancien,
placé sur les limites de l'histoire et de la préhistoire.
En dehors de ces publications d'initiative privée, M. Na-
ville a entrepris en 1875, conformément au désir exprimé
par le Congrès des orientalistes, une édition du Livre des
Morts, destinée à réunir les différentes versions ou va-
riantes que présente le grand recueil funéraire de l'Egypte
à l'époque thébaine. Cette œuvre immense, qui a nécessité
de longues recherches dans les principaux musées, va bien-
tôt paraître et apporter, par conséquent, une foule de révé-
lations sur l'écriture, la langue, les idées et les croyances
du peuple égyptien.
Préparé de la sorte à l'examen et à la comparaison des
documents et des monuments, M. Naville pouvait accepter
avec une entière compétence la difficile mission qui lui était
proposée.
II
Les nouvelles fouilles dans le Delta eurent lieu pendant
l'hiver de 1883, à partir du mois de février, vers le point
central de l'isthme ut du canal de Suez, c'est-à-dire à quelque
distance d'Ismaïliah. De Tell-el-Kébir à cette dernière ville
s'étend l'Ouadi-Toumilat, vallée que suivent côte à côte non
seulement le chemin de 1er et le canal d'eau douce allant
l'exode, le canal de la mer rouge 289
de Zagazig vers Ismaïliah et Suez, mais encore les deux
anciens canaux, toujours reconnaissables, qu'on appelle le
canal de l'Ouadi et le canal des Pharaons; c'est dans l'Ouadi-
Toumilat, entre les anciens canaux et le nouveau, que s'élève,
à plusieurs kilomètres d'Ismaïliah, la butte de décombres
qui était comme désignée d'avance aux premières fouilles.
En effet, le monolithe d'où elle tire son nom actuel de Tell-
el-Maskhoutah, la colline de la Statue, représente Ramsès II
entre deux divinités, Toum et Ra, et le Dr Lepsius avait vu
là l'indice d'un temple dédié au Pharaon, de sorte que la
ville ruinée n'aurait été autre que la ville de Ramsès bâtie
avec Pithom par les Hébreux, d'après Y Exode. Corroborée
en apparence par la découverte faite en 1876, au même
endroit, de quelques monuments au nom de Ramsès II,
l'opinion du Dr Lepsius avait été adoptée par la majorité,
mais non par la totalité des savants; M. Brugsch, auteur
ou plutôt rénovateur d'une théorie de l'Exode, plaçait au
contraire Ramsès à Tanis, et M. Chabas l'identifiait avec
Péluse.
Il y avait donc là une vérification d'autant plus intéres-
sante à tenter qu'on était sur le terrain de l'Exode, et que
le site paraissait assez riche en ruines pour suggérer quel-
ques conclusions instructives.
Outre le monolithe de Ramsès II, les membres de la
Commission d'Egypte avaient déjà signalé à Tell-el-Mas-
khoutah, alors Tell-Abou-Keyched, plusieurs blocs de grès
et de granit couverts d'hiéroglyphes. Plus tard, en creu-
sant le canal d'eau douce, on avait déterré là des momies
contenues dans des jarres et un grand nombre de sarco-
phages en calcaire, dont quelques-uns étaient sculptés en
forme de momies. De plus, en 1876, pendant les derniers
travaux nécessités par le percement de l'isthme, on avait
mis à jour, près du monolithe, les monuments dont il a été
parlé plus haut, c'est-à-dire un monolithe semblable au
premier, deux sphinx en granit noir aux cartouches de
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 19
290 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
Ramsès II, un naos en grès rouge du même règne, conte-
nant une sorte de sphinx à tête humaine, une stèle de
Ramsès II en granit rouge, couverte d'un texte malheureu-
sement banal, et pareille à une autre stèle trouvée près de
là depuis longtemps, enfin, deux fragments de statuettes en
granit noir, l'une d'un personnage dont il ne reste que le
surnom, qui la date, Raneferab-nebpehti (Raneferab est le
prénom de Psammétik II), l'autre d'un prêtre de l'endroit,
VAnhaou qui habite l'horizon de Toum de Thoukou, le
nourricier de Harsamtaoui (le jeune dieu du temple).
M. Naville reprit les fouilles du côté où avaient eu lieu
celles de 1876, à l'angle sud-ouest d'une vaste enceinte
rectangulaire encore visible par places, faite de briques
crues, et contenant le Tell ou butte des décombres que si-
gnale le nom de l'endroit. Il constata que les monolithes et
les sphinx déjà connus marquaient l'avenue d'un temple à
l'entrée de l'enceinte, que le naos trouvé plus loin corres-
pondait au sanctuaire du temple, et que l'édifice tout entier
n'occupait qu'une faible partie du rectangle. Cet édifice,
d'ailleurs, n'avait pas été achevé, à en juger par les pierres
à demi taillées, l'une par exemple en stèle, l'autre en statue,
qui jonchaient encore le voisinage du sanctuaire. Il formait,
comme la grande enceinte qui l'enveloppe, un rectangle
entouré de murs extérieurs en briques. Ses murs intérieurs
étaient laits d'un calcaire friable dont il ne reste plus que
de menus débris, où apparaissent çà et là des traces d'hié-
roglyphes ; ses parties conservées, comme le naos, les sphinx,
etc., et quelques blocs transformés plus tard en meules ou
en mortiers, ont généralement pour matière soit le granit
rouge ou noir, soit une sorte de grès rouge.
Le temple une fois reconnu et délimité, M. Naville diri-
gea les recherches vers l'angle nord-est du grand carré, et
rencontra ainsi un groupe étendu de singulières construc-
tions, entièrement recouvertes par le sable. Ce sont de
Qombreuses chambres rectangulaires, sans communication
l'exode, le canal de la mer rouge 291
les unes avec les autres, destinées à n'être accessibles que
par le haut, et formées de murs épais solidement construits
en briques crues, qu'un peu de mortier relie entre elles.
M. Naville, ayant désensablé deux de ces chambres, observa
qu'un peu au-dessus du fond chaque mur était percé de trous
correspondants où l'on avait enfoncé des poutres, que chaque
chambre avait une niche à égale hauteur, et que les murs
avaient été enduits de plâtre blanc à leur partie supérieure.
A la basse époque, pour niveler le sol et asseoir un camp,
les Romains remplirent toutes les chambres avec .des briques,
du sable, de la terre, des débris de calcaire, etc. M. Naville
y trouva la tète et le buste d'une belle statue en granit noir,
représentant un roi assis , probablement un Bubastite
(XXIIe dynastie), et un fragment de pilier en calcaire du
règne de Nectanébo Ier (XXXe dynastie), orné de scènes
d'offrande au dieu Toum, et entièrement doré sur une de ses
faces. Cet assemblage de chambres était évidemment un
groupe de magasins ou de greniers, renfermés avec le
temple dans la grande enceinte comme dans une forteresse.
Les magasins ont été envahis autrefois, du côté de l'est,
par les maisons de la ville romaine qui s'étendait autour de
la grande enceinte. M. Naville, qui a poussé ses fouilles
jusqu'au nouveau canal d'eau douce dans l'espoir de ren-
contrer la nécropole, n'a trouvé là que de petites briques
crues, des monnaies de cuivre, des fragments de pierre dure
convertis en mortiers, des poteries brisées ou intactes,
coupes, cruches ou grandes amphores, enfin une sorte d'édi-
fice d'un genre à part, consistant en deux masses de briques
qui imitent à peu près un pignon et qui recouvrent un puits
où des os d'homme, des os de chien et des arêtes de pois-
son étaient mêlés à quelques amulettes de petite dimension.
En négligeant divers objets de médiocre importance,
parmi lesquels se trouve toutefois une base de statue aux
deux cartouches d'Arsinoé Philadelphe, et des fragments
de corniches en calcaire où le nom d'Osorkon II a été peint
292 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
en rouge, les principaux monuments découverts en 1883
dans l'emplacement ou le voisinage du temple sont, d'après
l'ordre chronologique suggéré par M. Naville :
1. Un épervier de granit noir (emblème d'Horus) avec le
cartouche de Ramsès II.
2. Un fragment de grès rouge appartenant au naos, déjà
connu, du temple : on y lit les cartouches de Ramsès II, le
nom géographique de Thoukou et le titre divin de Maître
de Thoukou.
3. Une pierre calcaire à trois faces gravées, où figure un
roi adorant un Horus à pschent dont la figure est dé-
truite, — tenant l'arc et la massue, — et traînant un pri-
sonnier par les cheveux; le bas des cartouches royaux existe
encore, mais semble indéchiffrable à M. Naville, qui con-
jecture que le monument pourrait être de la XXe dynastie.
4. Un petit fragment de stèle en granit noir, où deux
déesses reçoivent les offrandes du roi Sheshonk Ier, de la
XXIIe dynastie.
5. Une statue en granit rouge, représentant un homme
assis, le lieutenant d'Osorkon 11 (XXIIe dynastie), le lieute-
nant de Thoukou, le grand inspecteur du palais, le bon com-
mémorateur de Pa-Toum-neb-An (c'est-à-dire du temple
de Toum, Le maître d'An-), Ankh-renp-nefer.
6 <'t 7. Un fragment d'une slatue d'homme et un fragment
d'une stator de femme, qui avaient été érigées ensemble,
comme leur ressemblance générale l'indique, et que M. Na-
ville croit de la XXVIe dynastie. L'homme est dit l'Anhaou,
le supérieur de la production de L'offrande (mesuten), l'in-
tendant du magasin (nier ai), lo scribe du temple de Toum
de Thoukou, le prophète d'Hator dame d'An, le prophète
Pe mes-hes-t. Le nom et !<■ titre de la femme manquent,
mai- les quelques hiéroglyphes qui restent sur la statue
montrenl qu'elle appartient à une famille d'Anhaou (classe
de prêtres locaux), <•( mentionnenl Horsamtaoui, l'un des
dieux de la ville.
L EXODE, LE CANAL DE LA MER ROUGE 293
8. Une statue en granit noir, représentant un homme
assis qui tient un Osiris clans un naos, ie noble héritier de
Sapt, maitre de l'Orient (Horus, dieu du nome Arabique),
le chef des prophètes de Tum, le prophète supérieur de
Thoukou, le Keb-aa (ou Ma-aa, titre inconnu, peut-être la
grande confiance, d'après une interprétation de M. Chabas1)
de Pa-Toum et de Bast ou Bubaste, Aak, contemporains
peut-être de Nectanébo Ier (XXXe dynastie). Ce monument
donne, dans une prière adressée à la classe sacerdotale par
le défunt, le titre complet de certains prêtres locaux, An-
iment ounti (probablement le portier* géant, par allusion à
quelque légende).
9. Une stèle ptolémaïque, de quatre pieds de haut sur
trois de large, qui a été trouvée près de l'endroit où était
le naos, et qui est la pièce capitale de la découverte. Ptolé-
mée II Philadelphe, son auteur, y est représenté trois fois en
adoration, d'abord devant Toum, le grand dieu de Thoukou-t,
Osiris, le maitre de Ro-Ab (l'Arabie?) qui habite Pi-Kehe-
ret, Horus, Hator ou Isis, et la reine Arsinoé en déesse, avec
deux cartouches, — ensuite devant Toum, Hator et Arsinoé,
— enfin devant un roi divinisé, qui est évidemment Ptolé-
mée Ier, le chef de la dynastie. Le texte, malheureusement
peu lisible et peu clair, mentionne l'achèvement et la dédi-
cace de Pi-Keheret, du temps de Toum, le grand dieu
immortel de Thoukou ; il parle aussi de chevaux amenés de
To-neter (l'Arabie), de Pa-Toum, des bienfaits du roi qui
a arrosé les sables au moyen du grand canal oriental de
l'Egypte, et d'un voyage du roi en compagnie d' Arsinoé,
l'an XII, voyage pendant lequel furent fixés certains reve-
nus du temple, en nature et en argent ; puis il ajoute que le
roi vint au port de Kemour-ma ; qu'il fonda (?) une grande
ville au nom de sa sœur ; qu'un sanctuaire contenant les
statues des dieux Philadelphes fut élevé en l'honneur de la
1. Chabas, Troisièmes Mélanges, t. II, p. 282.
294 LES FOUILLES DE M. NA VILLE A PITHOM
reine et que la dédicace en fut faite par les prêtres de
Touin; que le roi envoya son premier général de Kemour-
ma au pays des Nègres par la mer Rouge : que le général
franchit le lac du Scorpion (dans le 8e nome) et fonda (en
Ethiopie) une ville au nom du roi, sans doute Ptolémaïs
Thérôn, et ramena un grand nombre d'éléphants qui furent
transportés par le canal de l'Orient ; en outre, qu'après ces
choses, le roi honora Apis et Mnévis, les taureaux sacrés, et
les réunit pendant quelque temps. La stèle se termine par
l'indication d'un revenu annuel de '.'50 argentei, alloué au
sanctuaire de Pi-Keheret, sur les impôts de la ville (par
maison comme par habitant), par la mention des revenus
de même provenance alloués à tous les temples de l'Egypte,
la vingtième année du règne, sur le pied de 90.000 uten
d'argent, taxe des maisons, et de 660.000 argentei, taxe des
habitants, enfin, par ce renseignement, que le roi fit la
dédicace du temple de Toum le jour anniversaire de son
couronnement, qui devint le jour de fête de la ville.
10 et 11. — Deux inscriptions latines. La première, gra-
vée sur un fragment de porte voisin du monolithe, linit.
après cinq signes peu lisibles, par :
POLIS
ERO
CASTRA.
L'autre, qui porte les noms de Maximien et de Severus, em-
pereurs, ainsi que do Maximin et de Constantin, Césars.
indique une distance de neuf milles entre llero et Clusma :
ABEROINCLVSMA
M VIII 0
l'exode, le canal de la mer rouge 295
III
Lorsqu'on ne connaissait encore d'Abou-Keyched ou Tell-
el-Maskhoutah que le monolithe de Ramsès II, assis entre
Ra et Toum, M. Chabas, dans un remarquable mémoire sur
lequel il eut le tort de revenir, avait conclu, de ce que Toum
est le dieu principal du groupe, qu'il était le dieu principal
du temple : il y avait là un Pa-Toum, et il ne fallait pas
chercher Pithom ailleurs. Avant les fouilles, M. Naville
avait conclu de même sur le simple vu des objets décou-
verts en 1876. Depuis les fouilles, le doute n'est plus permis.
Des neuf monuments pharaoniques qui viennent d'être
énumérés d'après l'ouvrage de M. Naville, cinq, c'est-à-
dire tous ceux qui contiennent quelques indications géogra-
phiques, mentionnent la région de Thoukou-t; de ces cinq
derniers, deux mentionnent la localité de Pa-Toum, et quatre
le dieu Toum, qui était la grande divinité de Thoukou-t,
d'après les monuments d'Aak, de Pe-mes-hes-t et de Phi-
ladelphe. Il s'agit donc bien de Thoukou ou Thoukou-t, ainsi
que du culte de Toum, et l'on sait depuis longtemps que le
mot Thoukou-t, qui s'emploie tantôt comme nom de con-
trée, tantôt comme nom de ville, a pour variante, dans le
dernier cas, le mot Pa-Toum.
Thoukou-t était le nom vulgaire, et Pa-Toum, ou quelque-
fois Ha-Toum, le nom sacré de la capitale du huitième nome,
dans la Basse Egypte. On avait déjà, par les listes géogra-
phiques, plusieurs renseignements sur le huitième nome,
sur sa capitale, ses sanctuaires Pa-Toum et As-Keheret ou
Pi-Keheret, sa consécration au dieu Toum, ses prêtresses,
ses arbres et ses serpents sacrés, son port Kharma, son lac
Sha-serek (l'étang du Scorpion), son territoire d'An ou An-t,
et sa proximité de la frontière; un des papyrus Anastasi
relate la permission donnée aux chefs arabes d'Atouma,
296 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
l'an VIII de Ménéptah Ier, de venir au fort du roi, à Thoukou,
vers les étangs de Pa-Tum de Ménéptah de Thuku, pour
nourrir leurs troupeaux à la grande ferme du Pharaon1. On
possédait ainsi la description, mais on ignorait la situation
du huitième nome (et il en est encore ainsi pour plusieurs
nomes de la Basse Egypte). Tout change, grâce aux fouilles
de M. Naville. Le huitième nome ne peut plus côtoyer le
lac Menzaléh, comme le croyait M. Brugsch, et une grande
découpure de la topographie encore flottante du Delta se
fixe et se précise immédiatement, autour du site de Tell-
el-Maskhoutah.
Voici les conséquences que M. Naville tire de sa décou-
verte :
Au point de vue de la géographie, — Thoukou-t est Souc-
coth de la Bible, comme l'avait déjà constaté M. Brugsch.
Pa-Toum est Pithom de la Bible, le Patoumos arabe d'Héro-
dote, et non le Thou, Tohu, Tlioum, etc., de l'itinéraire
d'Antonin. Pi-Keheret, le sanctuaire osirien ou le Séra-
péum do la capitale, est Pi-Hahiroth de la Bible. Ero ou
Héroopolis (la ville des magasins, en égyptien ar-u) est le
nom grec de Pithom. Kemour-ma est un port de Kemour,
qui est le lac Timsah. Atouma, pays voisin d'un étang salé
nommé Kemour d'après le Papyrus n° 1 de Berlin (XII0 dy-
nastie), n'es) pas Edom, mais la lisière arabe du lac Timsah
(encore fréquentée aujourd'hui par la tribu des Éthamis)'.
Les Tennu, qui, d'après le Papyrus n° 1 de Berlin , formaient
une tribu d' Atouma, sont les Daneon de Pline, dont le port
était joint aux lacs Amers par un canal. An-t est le Aent ou
golfe Eïéroopolite du même auteur. Enfin, Arsinoé, appe-
lée aussi Cléopatris, est Clusma, l'ancien port de la mer
Rouge, et, comme Clusma se trouvait à neuï milles d'IIé-
roopolis, d'après la deuxième inscription latine, la mer
1. Papyrus Anastasi Vf, 4.
2. F. de Le eps, dan P. Merruau, L'Egypte contemporaine, p. 312.
l'exode, le canal de la mer rouge 297
Rouge se serait étendue, au temps de la domination romaine,
jusqu'aux environs de Tell-el-Maskhoutah, c'est-à-dire jus-
qu'à Ismaïliah et au lac Timsah. Au point de vue de l'Exode,
— tout le début de l'itinéraire des Hébreux s'explique
maintenant, bien qu'on ne sache pas encore avec certitude
où placer la contrée de Ramsès, que la Genèse' assimile à
Gessen, c'est-à-dire à Héroopolis clans le pays de Ramsès,
d'après la version grecque, et, d'après la version copte, à
Pithom, dans le pays de Ramsès. Les Hébreux partirent de
Ramsès, ville et région assez rapprochée de Pithom, comme
on vient de le voir, et située peut-être à l'un des bouts du
canal dont Pithom occupait l'autre bout2. Leur deuxième
station est à Succoth, c'est-à-dire à Pithom; leur troisième
à Etham, dans le désert, c'est-à-dire au pays d'Atouma, et
leur quatrième, à la suite d'un retour en arrière, devant
Pi-Hahiroth, entre Migdol et la mer, en face de Baal-Tsé-
phon, c'est-à-dire près du quartier ou faubourg de Pithom
nommé Pi-Kaheret, dans le voisinage d'un sanctuaire arabe
(Baal-Tséphon) et d'une citadelle égyptienne, Migdol, nom
donné souvent aux forteresses pharaoniques de l'isthme.
Au point de vue de l'histoire, — le fondateur de Pithom
est Ramsès II, conformément au récit biblique, d'après
lequel les Hébreux bâtirent Ramsès en même temps que
Pithom, et par conséquent Ramsès II est le Pharaon de
l'oppression, ce qui maintient l'Exode sous Ménéptah Ier.
Après Ramsès II, les Bubastites de la XXIIe dynastie,
notamment Sheshonk Ier et Osorkon II, embellirent ou for-
tifièrent Pithom, ainsi que le premier Pharaon de la dernière
dynastie nationale, Nectanébo Ier. Il est à remarquer que
ce sont les mêmes noms royaux qu'on retrouve vers l'autre
extrémité du canal, dans les ruines de Bubaste. Ptolémée II
fit pour le huitième nome presque autant que Ramsès II
1. Genèse, xlvi, 28, et xlvii, 6 et 11.
2. Lepsius, Chronologie der /E<jyptei\ p. 358.
298 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
lui-même; il y vint plusieurs fois, il y rétablit le canal de la
mer Rouge, il y fonda la ville d'Arsinoé pour favoriser le
commerce avec les régions les plus lointaines de l'Ethiopie
et de l'Arabie, il y institua le culte de sa sœur Arsinoé
(considérée sans doute comme une divinité égyptienne légi-
timant les droits des Ptolémées à la couronne), et il y
acheva le temple de Pi-Kaheret. Moins soucieux du culte,
les Romains ne songèrent qu'à fortifier Pithom et en firent
un camp, Ero castra, pour l'installation duquel ils détrui-
sirent le temple de Toum et ensablèrent les greniers des
Pharaons.
IV
Tel est le résultat des recherches de M. Naville. Plein de
faits groupés avec une clarté parfaite, et discutés avec une
haute compétence, le livre The Store-City qf' Pithom and
the Route qf the Exodus atteint complètement son but,
puisqu'il détermine, avec autant de précision que faire se
peut, et le début de l'itinéraire et l'emplacement de la
ville.
Mais ces deux points ne sont pas les seuls que l'ouvrage
de M. Naville signale a l'attention. On a vu qu'il touche
aussi d'une manière plus ou moins directe, suivant les
hasards (\r* fouilles el des trouvailles, à différentes questions
-m lesquelles il fournil presque toujours de précieux ren-
seignements. Il sciait difficile autant que délicat de revenir
ici sur l'étude serrée que M. Naville a t'ait de toutes ces
questions; toutefois deux sujets, en quelque sorte centraux,
auxquels ramènenl les déductions et les documents du livre,
on! hop d'importance pour qu'on ne les examine pas de
nouveau à la lumière des récentes découvertes. Il s'agit,
en effet, du synchronisme égyptien de l'Exode et du per-
cemenj ancien de l'isthme.
l'exode, le canal de la mer rougk 299
V
Relativement à l'époque de l'Exode, deux opinions sont
en présence, la plus ancienne rapportant le fait au règne de
Ménéptah I", et la plus récente à des règnes postérieurs.
La première théorie invoque la construction de Pithom et
de Ramsès sous un Pharaon qui ne peut être qu'un Ramsès,
■ — le très long règne de ce souverain qui ne peut être que
Ramsès II, père du Pharaon de l'Exode, puisque c'est le
seul Ramesside ayant régné très longtemps ; - - enfin le
témoignage de Manéthon, qui place l'Exode sous le fils de
Ramsès II. M. Chabas, à la vérité, n'a pas tenu compte du
récit de Manéthon', accepté par MM. Lepsius et de Rougé,
mais il a signalé d'autre part quelques textes égyptiens,
d'après lesquels certains étrangers, nommés Aperi-ou, tra-
vaillaient aux constructions de Ramsès II.
La seconde théorie, qui a obtenu assez de vogue pour
pénétrer jusque dans les ouvrages anglais de vulgarisation",
s'appuie sur ce fait que l'affaiblissement de l'Egypte s'accen-
tua surtout vers la fin de la XIXe dynastie, époque à
laquelle eut lieu une invasion syrienne.
La découverte de Pithom donne un poids nouveau à la
première théorie, en faveur de laquelle il ne semble pas,
d'ailleurs, qu'on ait épuisé tous les arguments à fournir :
ces deux considérations rendent possible de revenir sur le
sujet.
Ramsès II fut le grand Pharaon de l'Egypte, mais on sait
ce que coûtent les règnes glorieux, et Ménéptah pourrait
bien avoir reçu de son prédécesseur une armée déjà affai-
blie et un trésor déjà amoindri.
1. Chabas, Recherches sur la XIX" dynastie, p. 111-113 et 158; cf.
Robiou, Le Système chronoloyique de M. Lieblein, p. 20-22.
2, Watkins, Popular History o/Egtjpt, p. 269-270.
300 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
En effet, l'invasion de Libyens et d'insulaires qui assaillit
l'Egypte l'an V de Ménéptah I1'1 désorganisa certainement
le pays jusqu'au sud du Delta, où les Barbares avaient
atteint Prosopis. La grande inscription hiéroglyphique qui
raconte leur défaite montre et dit que l'Egypte fut éprou-
vée alors comme au temps des Pasteurs2 :
« L'abattement s'était fait dans les terres arrosées par le
Nil ; elles voulaient se soumettre à l'ennemi qui avait violé
toutes les frontières du pays, les armes à la main.
» (Mais le roi prit des mesures) pour protéger Hélio-
polis, la ville de Toum, pour défendre Memphis, la forte-
resse de Tonen, et pour remettre en état ce qui était
désorganisé.
» (Il établit des postes) devant Pa-Baris, aux environs
du canal Shakana, au nord de l'étang d'Horus (d'après
M. Brugsch3, le canal Miti, du nome Héliopolite),
» (sur un terrain) non cultivé qu'on avait laissé en
pâturages à cause des Barbares. Cet endroit était infesté
dès le temps des ancêtres
» Vous tremblez comme des oies, dit le roi à ses offi-
ciers, et vous ne savez pas ce qu'il est bon de faire; on ne
répond pas
» (a l'ennemi, et l'Egypte) désolée est abandonnée aux
incursions de toutes les nations: les Barbares dévastent ses
frontières; dos révoltés la violent chaque jour; tout le
inonde pille.
» Les ennemis dévastent nos havres mêmes; ils pénètrent
dans les campagnes do l'Egypte; le Nil les arrêtera-t-il ?
Ils demeurent des jours et des mois; ils s'établissent
» (dans le pays). Qesl arrivé qu'ils sont parvenus jusqu'aux
montagnes du pays d'Outi, qu'ils ont ravagé h1 pays de
1. Cl. Maspero, Zeitschrift fur œgyptische Sprache, 1883, p. 65.
2. Chabas, Recherches sur In XIX dynastie, p. 84-89,
:;. Histoire d'Egypte, 2' édition, [>. 141.
l'exode, le canal de la mer rouge 301
To-ahou (il s'agit des oasis) en exacte analogie (de ce qui
s'est passé) dès les rois appartenant à d'autres temps, aux
époques inconnues
» On n'avait pas vu cela au temps des rois de la Basse
Egypte, lorsque le pays d'Egypte leur appartenait et que
le fléau se tenait debout,
» à l'époque des rois de la Haute Egypte. On n'avait pas
pu les repousser alors. Cet état de choses dura (jusqu'à ce
que les dieux fussent touchés) de l'amour de leur fils et
qu'ils voulussent que l'Egypte fût gouvernée par son sei-
gneur, afin de restaurer les temples de l'Egypte selon les
prescriptions de la valeur divine pour la suite des an-
nées'. »
Cette dernière phrase, dont on n'a peut-être pas signalé
l'importance, rattache indirectement l'invasion des Libyens
à la sortie d'Egypte, telle qu'elle est racontée dans la ver-
sion indigène qui fut connue d'Hécatée d'Abdère2, recueillie
par Manéthon, et imitée plus tard, d'une manière fautive
ou burlesque, par Chérémon et Lysimaque.
Le fils de Ramsès II, Aménophis (c'est-à-dire Méné-
ptah Ier, appelé dans les listes Aménophis, Aménoptah,
Aménéphthis, etc.), voulut voir les dieux comme l'avait fait
un de ses prédécesseurs, Horus, et consulta, à ce sujet, un
sage nommé Aménophis, fils de Paapios. Le sage conseilla
au roi de purifier d'abord le pays en chassant tous les lépreux
et tous les impurs, de sorte que le roi les envoya aux
carrières, mais il se trouvait parmi eux des prêtres, et le
fils de Paapios comprit que les dieux s'irriteraient de cette
violence faite à des prêtres ; il devina en outre qu'un secours
viendrait aux Impurs, qui domineraient l'Egypte pendant
treize ans. Ce secours fut une nouvelle invasion des Pasteurs,
1. Traduction de M. Chabas.
2. Fragia. Hist. grœc, édit. Didot. t. II, p. 391-2; cf. Diodore,
XXXIV, 1.
302 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
qui s'établirent à Avaris avec les Impurs, sous la conduite du
prêtre héliopolitain Osarsiph, ou Moïse. Aménophis quitta
le pays avec les animaux sacrés (qui pouvaient en effet
voyager'), mit en sûreté son (ils Séthon, âgé de cinq ans
(Séti II), et se réfugia en Ethiopie ; il revint au bout de
treize ans et chassa les Impurs, ainsi que les Pasteurs, avec
l'aide de son fils2.
Telle est la version égyptienne de l'Exode. Elle ajoute aux
détails fournis par la Bible la mention d'un retour offensif
des Pasteurs, ce qui ne doit pas surprendre : puisque
l'Egypte fut envahie sous Ménéptah Ier par les peuples de
la Méditerranée, elle a pu l'être aussi par ceux de la Syrie,
qui, sous Ramsês II lui-même, gardaient, sans aucun doute,
un pied en Egypte. En effet, la stèle de l'an 400, trouvée à
Tanis, est datée rétrospectivement du régne de l'un des
rois pasteurs, et dédiée à Set, le dieu des Pasteurs, « nou-
velle preuve, d'après M. Mariette, que, sous Ramsès II. la
Basse Egypte nourrissait un fond dépopulations étrangères
auxquelles la civilisation égyptienne n'avait pas enlevé leur
complète autonomie. N'oublions pas, ajoute le même savant,
que, parmi ces populations, vivaient, confondus avec les
descendants des Hycsos, ces mêmes Israélites (pie, quelques
années plus tard, Moïse devait ont rainer à sa suite, et qui,
eux aussi, avaient conservé sans doute une partie de leurs
institutions nationales :. »
La visite aux dieux entreprise par le roi est une sorte
d'inspection dos temples, comme celle (pie lit l'Ethiopien
Piankhi4. Lorsque Ramsès III rétablit l'ordre en Egypte,
il lit aussi inspecter et purifier les temple '. Le roi Ilorus,
qui aurait lait une visite aux dieux avant Ménéptah Ier, est
1. Ci. Naville, The Store-City, etc., p. 18 et 19.
2. Josèphe, Contre A-pion, I, 26-27.
3. Catalogue '/" Musée de Boulaq, 3e édit., p. 279-280.
1. Stèle de Piankhi, 1. *.)7 et 105 ; cf. Stèle du Son<jr, 1. 15 et 10.
5. Papyrus Harris n" /, pi. 25, 1. 8 et 10.
l'exode, le canal de la mer rouge 303
l'Horemheb de la XVIIIe dynastie, qui succéda aux rois
hérétiques et à qui il était naturel, par conséquent, que le
désir vînt de purifier le pays ; il restaura les temples des
gouffres d'Ateh à To-Kens, c'est-à-dire du Delta à la Nubie'.
Manéthon ne nous dit pas pourquoi Ménéptah Ier eut le
même désir, mais la grande inscription de Karnak nous
l'apprend : ce fut à l'occasion de sa victoire sur les envahis-
seurs libyens.
On peut jusqu'ici admettre sans difficulté le récit de
Manéthon : toutefois, l'intervention d'Aménophis, fils de
Paapios, ne supporte pas l'examen. Ce personnage fabuleux,
cité sur les monuments égyptiens depuis l'époque d'Amé-
nophis III, avait à Thèbes le même rôle de savant légendaire
qu'Imhotep, fils de Ptah, a Memphis, avec cette différence
qu'Imhotep, le Dédale égyptien, était un dieu.
Si l'on passe sur ce détail, d'ailleurs profondément égyp-
tien, le reste de l'histoire reprend sa vraisemblance et se
réduit à ceci : une persécution des Sémites restés en Egypte,
un retour offensif des Sémites de Syrie faisant reculer le
vieux roi, peu belliqueux de son naturel 2, et l'expulsion finale
des Impurs, parmi lesquels se trouvait Moïse. Quoi qu'en
dise Josèphe, le témoignage de Manéthon n'est pas en con-
tradiction ici avec celui de la Bible, tel que l'ont compris
la plupart des égyptologues. Les monuments égyptiens, il
est vrai, ne mentionnent pas la défaite de Ménéptah, mais
on sait qu'ils ne mentionnent que les victoires. Il existe
d'ailleurs un moyen de savoir si Ménéptah a été heureux
jusqu'au bout : en déblayant l'hypogée du Pharaon, acces-
sible aujourd'hui jusqu'à sa deuxième salle seulement, on
verrait si son plan et sa décoration indiquent, comme c'est
le cas pour les autres tombes, une lin de règne troublée ou
1, Zeitsehrift fur œyyptisclic Sprachc, 1879, p. 169.
2. Cf. Diodore, I, 59, et Chabas, Reclicrclws sur la XIXe dynastie,
p. 87.
304 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
tranquille. On peut déjà remarquer, en attendant, et que
la deuxième salle du monument a été sculptée avec négli-
gence, et que la grande chambre annexée à cette salle est
restée presque entièrement nue.
Malerré le silence des monuments, les malheurs du Plia-
raon de l'Exode ont trouvé place jusque dans les récits des
historiens grecs, et l'on reconnaît certaines concordances
avec ce que disent ManéthoD et la Bible, dans une légende
racontée par Hérodote et Diodore au sujet du fils de Sésos-
tris1. Irrité contre le Nil qui ravageait le pays, le Pharaon lui
lança des flèches, et fut frappé d'aveuglement en punition
de son impiété. La cécité du roi, qui dura plus de dix ans,
d'après Hérodote, l'appelle assez bien son exil de treize ans
dans Manéthon, et les dégâts causés par le Nil débordé ne
sont pas sans analogie avec les plaies d'Egypte, eaux rouges,
sauterelles, rats, grenouilles, mort des bestiaux et des pre-
miers-nés. On sait qu'aux époques de troubles la canalisation
du Nil n'étant plus surveillée ni maintenue, la répartition
des eaux se fait mal, de sorte qu'il s'ensuit d'ordinaire toute
une série de calamités.
L'hymne au Nil des Papyrus Sallier II et Anastasi VII,
datés du lils de Ménéptah Ier, Séti II, donne quelques dé-
tails sur les fléaux d'Egypte, qui étaient au nombre de sept,
d'après un autre papyrus' :
« S'il y a un fléau venu du ciel, les dieux (tombent) sur
la face, les hommes périssent, la terre tout entière se fend
pour les bestiaux, les grands et les petits sont sur le lit
funèbre » ;
El :
« Quand ou demande l'eau annuelle, on voit les gens de
la Thébaïde et du Nord, on voit tout porteur d'outils, pas
un ne rejoignant l'autre; plus d'habits pour habiller, plus
1. Hérodote, IF, 1 II. el Diodore, I, 59.
2. Chabas, /.<■ Calendrier Sallier, p. 79.
l'exode, le canal de la mer rouge 305
ne se parent les filles de la noblesse ; plus de dieux dans la
nuit. »
Les calamités de ce genre qui eurent lieu sous Méné-
ptah Ier durent être terribles, puisqu'elles ont laissé un écho
retentissant dans la mémoire des Egyptiens aussi bien que
dans celle des Hébreux. Un exemple semblable d'une tradi-
tion commune aux deux peuples se retrouve dans Hérodote1
et dans la Bible" au sujet de l'invasion de Sennachérib, ra-
contée de même des deux côtés pour le fond, mais avec des
détails différents.
Ainsi l'antiquité tout entière avait conservé ou recueilli
le souvenir, confus et profond, des grands désastres surve-
nus sous le règne du fils de Ramsès II. Ce sont là des événe-
ments qui ont accompagné et facilité l'Exode. Les fouilles
de Pithom confirment cette conclusion d'une manière inat-
tendue, en montrant, selon M. Naville, que la ville de
Pithom a été construite par Ramsès II et non par un autre
roi : la Bible plaçant l'Exode sous le règne qui suivit celui
du fondateur de Pithom, on se trouve encore ramené au
temps de Ménéptah Ier.
M. Naville pense que Pithom date de Ramsès II, non
seulement parce qu'il n'a trouvé dans ses fouilles aucun
monument qui lui paraisse antérieur à ce Pharaon, mais
encore parce que, à Tell-el-Maskhoutah, le naos et les co-
losses du temple sont de Ramsès II, qui aurait ainsi élevé
le temple à lui seul : les colosses correspondent, en effet,
au commencement, et le naos, à la fin de l'édifice. Présentée
ainsi, l'opinion de M. Naville est un peu exclusive.
Le huitième nome de la Basse Egypte, qui avait Pithom
pour capitale, n'était pas de création récente, et il semble
bien mentionné sur un monument de l'Ancien Empire'. En
tout cas, il était antérieur à Ramsès II, car il figure au temple
1. Hérodote, II, 141.
2. Ezùchiel,ch. xxxvu ; Rois, liv. II, xix; Clivonv[iws, liv. II, xxxn.
3. Lepsius, Denkmdler, II, p. 3.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 20
306 LES FOUILLES DE M. NA VILLE A PITHOM
de Séti Ier à Abvdos dans une salle construite et décorée
sous ce dernier roi. M. Maspero, qui a publié dans la Revue
archéologique un des deux sphinx découverts en 1876, doute
qu'il soit de Ramsès II malgré les cartouches qu'il porte, et
se montre disposé à y voir un monument de la XIIe dynastie :
le sphinx aurait pu alors être amené d'ailleurs, mais il aurait
pu aussi être usurpé sur place, et emprunté à un vieux sanc-
tuaire local.
Du reste, la pierre sculptée de trois côtés, que M. Naville
croit de la XXe dynastie, porte deux cartouches mutilés,
dont les parties visibles correspondent aux cartouches de
Séti Ier et ne correspondent qu'à ceux-là. Si la sculpture était
mauvaise, il ne faudrait pas rejeter pour cela L'assimilation,
car on connaît de mauvaises sculptures du temps de Séti Ier,
même au temple d'Abydos'. De plus, le roi représenté sur
cette pierre est deux fois accompagné par un personnage
allant de pair avec lui, en qualité d'égal ou d'associé. Or,
Ramsès II fut associé dès l'enfance à Séti Ier, son père, dont
les travaux de fortification et de canalisation de l'isthme sont
bien connus. Il est donc vraisemblable que la construction
ou la reconstruction de Pithom fut commencée sous le
double règne de Séti Ier et de Ramsès II, ce qui modilie un
peu la proposition de M. Naville discutée ici. Toutefois, la
(•(inclusion de ce savant sur la date de l'Exode ne saurait
die ébranlée par la. Que Ramsès ait commencé seul ou non
a bâtir on à rebâtir la ville, il n'en reste pas moins vrai que
les premiers grands travaux connus y sont de lui, confor-
mémenl au texte biblique. Il est même certain que ces tra-
vaux, continués un moment sous les Bubastites, n'avaient pas
été replis avec activité par les Ramessidcs qui succédèrent
;i Ramsès II, puisqu'aucun de leurs cartouches ne se trouve
dans les ruines et que le temple demeura inachevé. Ramsès II,
construisant Pithom, correspond bien au puissant roi de
1. Mariette, Abydos, t. I, p. 24, cour A.
l'exode, le canal de la mer rouge 307
l'oppression, tandis que Ménéptah Ier, négligeant Pitliom,
rappelle bien le Pharaon malheureux de la fuite.
Si l'on ajoute ces faits à ceux qui viennent d'être étudiés
ou cités, on reconnaîtra qu'il existe, en faveur de l'ancienne
théorie sur l'Exode, tout un faisceau de concordances dont
il faut tenir compte. On s'apercevra, de plus, que l'impres-
sion laissée par le règne de Ménéptah n'est pas entièrement
favorable au système qui se fonde sur elle pour rajeunir
l'Exode, car on peut la résumer maintenant dans la question
que voici : l'Egypte réduite à un état d' « abattement que
signalent les inscriptions » avait-elle conservé trop de co-
hésion et de force néanmoins, sous un vieillard faible et
inactif, pour rendre possible « la fuite d'une bande d'es-
claves1 » cantonnés à la frontière? En admettant que les
deux systèmes rivaux aient pu se faire équilibre, l'équilibre
sera vraisemblablement dérangé par les constatations de
M. Naville.
VI
Il reste à rechercher l'idée que l'on doit se former, d'après
les récentes découvertes, sur l'isthme et son canal dans
l'antiquité.
A la faveur de l'inscription latine qui place un Klusma
près d'Héroopolis, tandis que les auteurs anciens parlent d'un
Klusma situé sur le golfe, M. Naville ramène jusqu'à Hé-
roopolis la pointe du golfe avec ses villes riveraines, Klus-
ma et Arsinoé. Il réduit ainsi la longueur du canal au par-
cours de l'Ouadi-Toumilat, mais cette conclusion ne saurait
être acceptée que dans une mesure très restreinte.
Assurément c'est la mer Rouge qui a formé les lacs Amers
en se retirant, et le fait peut être d'une époque relativement
récente, comme l'a pensé Linant-Bey ; on peut même, dans
le silence des textes, le croire postérieur à Ramsès II, mais
1. Cf. Maspero, Histoire ancienne de l'Orient, 1" édition, p. 253-259.
308 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
dès qu'on se trouve en présence des premiers documents
écrits relatifs au canal, c'est-à-dire des Histoires d'Héro-
dote, le doute n'est plus possible.
M. Naville s'appuie pourtant sur le texte même d'Héro-
dote', qu'il juge fautif et qu'il corrige d'après Larcher, dont
la traduction est ainsi conçue : « le canal a de longueur
quatre journées de navigation, et assez de largeur pour que
deux trirèmes puissent y voguer de front. L'eau dont il est
rempli vient du Nil, et y entre un peu au-dessus de Bu-
bastis. Le canal aboutit à la mer Erythrée, près de Patoumos,
ville de l'Arabie. »
Les éditions ordinaires coupent le texte d'une manière
bien différente, et font dire à Hérodote que le canal aboutit
à la mer Rouge après s'être embranché près de Patoumos
(traduction de Lepsius) ou après s'être dirigé vers Patoumos
(traduction deGuiget), suivant le sens qu'on donne à la pré-
position -t'A (tJxtoh 8s xaxuirepôe ôXi'^ov Boubàdrioç TtôXioç irapà flaTOOfJLOV
-:>;, 'Apa6(T,v -)•./. Dans le premier cas, il y aurait eu au com-
mencement du canal une ville arabe de Patoumos qui serait
identique à Thumde l'itinéraire d'Antonin, comme l'a pensé
M. Lepsius, et qui serait distincte de Pithom ; dans le se-
cond cas, la ville de Patoumos, située sur le parcours et
non an commencement du canal, serait la même ville que
Pithom.
Mais, qu'on puisse l'entendre ou non des deux manières,
le texte d'Hérodote est correct, et la modification adoptée
par M. Naville devient impossible à maintenir quand on
considère la suite du chapitre : « On commença à le creuser
dans cette partie de la plaine d'Egypte qui est du côté de
l'Arabie. La montagne qui s'étend vers Memphis, et dans
laquelle sont les carrières, est au-dessus de cette plaine, et
lui est contiguë. Le canal commence donc au pied delà mon-
tagne; il va d'abord, pendant un long espace, d'Occident en
1. Hérodote, II. loS.
l'exode, le canal de la mer rougk 309
Orient, à-' li-àor,; -poç ~.i,-* f^, il passe ensuite par les gorges
de cette montagne et se porte au Midi dans le golfe d'Ara-
bie1 », mot à mot à partir de la montagne du coté du
Midi et du Notos, vers le golfe Arabique, obrà toû oupeoç irpôç
[XE(Ta|xëpi7)V te scat vôxov àvE'jiov. ï; xôv v.'.i-.'yi xàv 'Apaêiov.
La signification du passage et l'intention de l'auteur sont
visibles : Hérodote décrit les deux directions du canal, l'une
de l'ouest à l'est dans le sens de l'Ouadi-Toumilat, l'autre
de l'est au sud, dans le sens des lacs Amer.-;. La montagne
dont il parle est le versant méridional de la chaîne qui longe
l'Ouadi, et la gorge de cette montagne correspond à l'ouver-
ture septentrionale du bassin qui contient les lacs Amers.
La topographie de l'historien ne s'accorde en aucune façon
avec la carte de M. Naville, qui place l'ancien rivage de la
mer Rouge entre Pi-Keheret et le lac Timsah, ne laissant
ainsi aucun moyen de .tracer le coude décrit par le canal
de l'est au sud, ni de comprendre, en outre, comment les
vingt lieues de l'Ouadi-Toumilat auraient exigé quatre jours
de voyage, quand la journée de navigation, en Egypte, était
de treize à quatorze lieues.
On remarquera que la description d'Hérodote est confirmée
de plusieurs manières, et notamment par les traces du ca-
nal creusé ou recreusé par les Perses, depuis les lacs Amers
jusqu'aux environs de Suez. Entre ces deux points, la Com-
mission d'Egypte a découvert des ruines et des inscriptions
du temps de Darius, surtout dans le voisinage de Chalouf,
près de l'ancien canal, appelé aujourd'hui canal des Pharaons,
qui fut retrouvé par le général Bonaparte.
Les ruines de Tell-Kolzoum, à quelques minutes de Suez,
conservent encore le nom, et sans doute marquent encore
l'emplacement de Klusma, le vieux port du golfe.
Enfin, les passages où Pline et Strabon parlent du canal
le montrent clairement, malgré des inexactitudes de détail,
1. Traduction de Larcner.
310 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
ou franchissant les lacs Amers (Strabon), ou aboutissant aux
lacs Amers en partant de la mer Rouge (Pline). Il traverse
les laCS Amers, v.a^sEl 8è xat Stà xtov 7tœp5>v xaXou[jiÉvu>v Xtjxvîôv, dit
Strabon ', qui représente ces lacs comme dessalés par le canal,
soit qu'il prenne quelque partie pour le tout, soit qu'il con-
fonde les lacs avec le canal lui-même, qui était large2 et pois-
sonneux3.
Pline, qui, selon sa coutume, a compilé ici sans réfléchir,
supprime la partie du canal comprise entre Bubastis et
Pithom, et croit, ou plutôt dit, que le canal de Sésostris, de
Darius et de Ptolémée, partait de la mer Rouge, et s'arrêtait
aux lacs Amers. Daneon portas, ex quo naur'gabilem aheum
perducere in Nilum, qua parte ad Delta dictum decurrit,
— primus omnium Sésostris JEcjypti rex cogitavit, mox
Darius Persarum, dcinde Pto/emeus sequens, qui et duxit
Jossam, — usque ad Fontes amaros. Ultra deterruit i non-
dation is metusk.
.Les lacs Amers de Pline et de Strabon ne peuvent se
placer ailleurs qu'entre le canal de Darius et le Patoumos
d'Hérodote, c'est-à-dire dans le site actuel des lacs du
même nom. On ne saurait donc accorder à M. Navillc qu'il
n'a pas existé de canal entre le lac Timsali et la mer Rouge.
Par conséquent, les textes, en apparence contradictoires, qui
groupent Klusma, Héroopolis, et Arsinoc au bord de la mer
Rouge, demandent à être expliqués, si possible.
Une première solution est suggérée au sujet de Klusma
par l'énorme différence qui existe entre les distances de
Héro à Klusma, signalées dans ['Itinéraire d'Antoninet sur
la pierre de Pithom. La pierre indique neuf milles de Héro
;i Klusma, tandis que ['Itinéraire dit que Héro étail à vingt-
quatre milles d'une ville de Thoum, et à dix-huit milles de
1. Strabon, liv. XVII.
2. lit., et Hérodote, II, 158.
:'.. Élien, Anim., XII, 29.
4. Pline, VI, 2!».
l'exode, le canal de la mer rouge 311
Serapiu qui était à cinquante milles de Klusma. Le mot
Klusma, qui signifie port, pouvait désigner bien des localités
différentes, comme les mots Migdol ou forteresse, Serapiu,
Sérapéum, etc.; il y avait donc deux Klusma dans l'isthme,
l'un sur la mer Rouge, l'autre sur le lac Timsah, qui est un
véritable port intérieur, suivant l'expression de M. de
Lesseps.
La solution qui convient pour Klusma ne convient pas
pour Arsinoé, parce qu'aucun texte ne motiverait un dé-
doublement de cette ville, dont le site reste douteux. Quant
à Héroopolis, la ville des magasins, qui était située à Tell-
el-Maskhoutah et qui avait néanmoins donné son nom au
golfe, l'absence de documents formels ne permet guère non
plus de la dédoubler. Or, si l'on n'admet pas deux Héroo-
polis, il n'y a plus qu'une explication possible : c'est que les
anciens, qui appelaient mer toute grande étendue d'eau, ont
regardé les lacs Amers et leur canal tantôt comme faisant
partie et tantôt comme ne faisant pas partie de la mer
Rouge. On ne peut même comprendre autrement le passage
où Aristote dit que Sésostris, le premier, essaya de canaliser
la mer Rouge, xr(v Ipuepàv eaXaxtav — ï-nziSh, Siopu-c-eeiv (Métêo-
rolog., I, 14). Les lacs Amers étaient une sorte de mer inté-
rieure à peine séparée de l'autre, si bien qu'on pouvait les
réunir toutes deux sous un même nom, quand le sujet
n'exigeait pas une précision d'ailleurs peu conforme aux
habitudes de l'antiquité. On voit que Strabon, par exemple,
décrit les choses grosso modo, quand il dit qu' Arsinoé a
dans son voisinage, à la pointe du golfe, Héroopolis, Cléo-
patris (ville qu'il vient pourtant d'identifier avec Arsinoé),
et des ports, des villages, des canaux et des lacs (liv. XVII).
Ces détails conviennent mieux aux environs de Pithom qu'à
ceux de Suez.
En définitive, les fouilles de Pithom ne modifient pas les
indications fournies par les anciens sur le canal qu'a connu
Hérodote, et qu'ont creusé ou déblayé tour à tour les Égyp-
312 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
tiens avec Néchao, les Perses avec Darius, et les Grecs avec
Philadelphe; par conséquent, l'isthme, le canal, les lacs et
la mer Rouge différaient peu de ce qu'ils sont aujour-
d'hui.
Le canal partait des environs de Bubastis, suivait la vallée
ouverte devant lui, aboutissait à Pithom, Patoumos ou Hé-
roopolis, traversait les lacs et finissait à Klusma, absolu-
ment comme le canal d'eau douce qui va de Zagazig à
Ismaïliah, d'une part, et, d'autre part, comme le canal ma-
ritime qui va d'Ismaïliah à Suez. Héroopolis, avec son port,
correspond à Ismaïliah sur le lac Timsah. Le Klusma des
Grecs correspond à Suez, et il n'est pas jusqu'au canal d'eau
douce partant du Caire, qui n'ait son prototype dans le
canal de Trajan creusé entre Babylone et Héroopolis1.
La configuration du sol a indiqué d'elle-même le tracé
des canaux comme l'emplacement des villes, et puisque ces
canaux, comme ces villes, gardent à peu de chose près leur
ancien site, c'est que la configuration du sol n'a guère
changé.
Ces conclusions ne sont valables qu'à dater de Darius.
Nous ne savons pas. en effet, à quelle époque le Nil a été
mis en communication avec la mer, et les fouilles de Tcll-
el-Maskhoutah nous laissent ignorer si, contrairement à
l'opinion de Letronne, mais conformément au dire des an-
ciens, Ramsès II avait songé au canal de la mer Rouge.
La découverte de Pithom ne nous apporte ici qu'une sug-
gestion, mais une suggestion qui a son importance. C'est
que le canal arrosant l'Ouadi-Toumilat, ou Gessen, allait,
sous Ramsès II, jusqu'à Pithom, qui n'aurait pu subsister
s;ins eau ; que !'• canal, arrivé à Pithom, touchait presque au
lac Timsah, qui lui oiïrait un débouché naturel; que le lac
Timsah était facile à mettre en communication avec la mer
Rouge, si même il n'en faisait pas partie alors, et qu'ainsi le
1. Ptolémée, IV, 5, 54.
l'exode, le canal de la mer rouge 313
problème du percement de l'isthme devait être déjà posé,
ou résolu.
En somme, M. Naville aura retrouvé la ville la plus im-
portante de l'Exode, fixé les premières stations des Hébreux,
apporté certains renseignements sur l'époque de leur fuite,
comme sur l'état de l'isthme à la même date, et mis au jour,
par suite des constatations, une foule de documents géo-
graphiques ou historiques d'un haut intérêt. Peu de travaux
auront porté plus de fruits. De quelque manière qu'on en-
visage à présent l'ouvrage qui les résume, la découverte de
Pithom demeure inattaquable, et c'est seulement du côté
des conclusions secondaires que la critique fait ou fera quel-
ques réserves : personne en effet ne saurait, avec des ma-
tériaux aussi contradictoires parfois que ceux qui se trouvent
ici en présence, atteindre du premier coup toute la vérité.
Comme toutes les œuvres de ce genre, le livre de M. Naville
peut donc avoir ses parties faibles ou obscures, mais cette
espèce de pénombre ne fait que mieux ressortir le point cen-
tral qui projette, sur une scène ou sur un sujet chers à tant
de peuples, une des plus vives lumières que l'archéologie
ait apportée à l'histoire.
Depuis l'impression de cet article, il a paru à Londres,
dans le journal The Academy, du 20 juin, une notice de
M. Naville sur ses fouilles les plus récentes, celles de l'hiver
dernier.
Le résultat le plus important de cette nouvelle campagne,
a été « ce que je considère comme la solution, dit M. Na-
ville, d'une question géographique, le site du pays de
Goshen », la résidence habituelle des Hébreux en Egypte.
Le nom de Goshen, Gessen ou Gesem, en grec Phacousa
(avec l'article égyptien), se retrouve dans le mot Kes ou
Kesem qui désignait une des villes et même la capitale du
314 LES FOUILLES DE M. NAVILLE A PITHOM
nome arabique : la version des Septante appelle le pays de
Goshen Gesem d'Arabie.
M. Na ville a découvert les ruines de Kes au village de
Saft-el-Henneh, dans le voisinage de la station d'Abou-
Hammed, et non loin cle Zagazig. Ce village, où se tient
chaque semaine un des marchés les plus importants de
rOuadi-Toumilat, a pour place publique un Tell, sorte de
butte de décombres, où se voient encore les traces d'un de
ces- murs en briques qui entouraient les constructions reli-
gieuses des Pharaons.
Il y a une vingtaine d'années, les paysans trouvèrent là
un naos monolithe en granit noir, qu'un pacha fit briser
pour voir s'il contenait de l'or. Les fragments furent dis-
persés : deux restèrent sur place, et deux autres allèrent au
Musée de Boulaq.
L'examen de ceux-ci montra que le monument datait de
Nectanébo II, le dernier Pharaon indigène, qui l'avait dédié
au dieu du nome arabique, Sopt. Les autres fragments,
recueillis par M. Navillc, donnent le nom de la localité :
le roi vint à Kes pour faire des offrandes au vénérable
dieu Sopt sur son trône, et les images des dieux de Kes,
avec celle chapelle, ont été faites sous le règne du roi, etc.
Le site contient d'autres monuments de Ramsès II, de
Nectanébo Ier, et de Ptolémée-Philadelphe, ainsi qu'une
grande quantité de fragments en pierres dures, granit,
diorite et porphyre, sans parler d'un certain nombre d'ins-
criptions qui ont été endommagées depuis par les habitants.
Le nom du village moderne, Saft-el-Henneh, a retenu
celui du dieu ancien Sopt. On identifiait généralement
Goshen, Kes, Phacousa, avec une localité située au nord de
Tell-el-Kébir, et appelée Fakous : M. Naville promet de
réfuter cette identification dans le mémoire qu'il va publier
sur les monuments de Saft-el-Henneh.
LE
NOM ÉGYPTIEN DE L'ICHNEUMON*
Les communications faites en mars 1885 à la Société
d' Archéologie biblique contiennent, entre autres mémoires
d'un grand intérêt, une notice du Rév. A. Lôwy sur la
belette et le chat, d'après le Dr Placzek, et cette notice
peut donner lieu à quelques remarques additionnelles.
Si la belette, chez les Sémites, a précédé le chat comme
animal domestique, sous le nom de choled ou chulda, et si
le chat l'a remplacée sous le nom de shurra ou de chat/ml,
nous retrouvons la même désignation appliquée en Egypte
à un animal qui ne parait pas à la vérité avoir supplanté le
chat, mais qui du moins a rendu et rend encore quelquefois
les mêmes services : cet animal est l'ichneumon ou rat de
Pharaon, en copte uj^-&ot'à, en égyptien ®T \ yciïru ou
-/aOur} mot qui n'a pas encore été signalé dans les hiéro-
glyphes.
Au tombeau de Ramsès VI (Champollion, Xotices, t. II,
p. 512-513), le nom de yaftur est donné à un ichneumon qui
est là une forme d'Horus em /eut mer-ti, 5=£5_J|£=
, dieu adoré particulèrementàOmbos, et cer-
11111 q \\<2>-
tainement aussi à Héracléopolis, centre du culte de l'ichneu
1. Publié dans les Proceedings of the Socleti/ of Biblicaî Archœo-
loqy, 1885, p. 93-94, — G. M.
316 LE NOM ÉGYPTIEN DE L'iCHNEUMON
mon (Strabon, liv. xvn). On trouve le personnage ichneu-
monien, Khatri, T <è\ (1(1 , associé avec un personnage à
tête de rat, A(fi, (j *~*~N\ <X {Denkmàler, III, 224, A),
sans doute la musaraigne d'eau (cf. le mot copte g^feAcAe) :
la musaraigne était consacrée aussi à Horus (Maspero,
Guide au Musée de Boulaq, p. 159).
Le culte de l'iehneumon paraît fort ancien : dès la XIIe dy-
nastie, Aménemhat III est dit, au Labyrinthe, l'ami du dieu
Khatru, T^X ° \\^\ {Denkmàler, II, 140). La domes-
tication de l'animal, qui a certainement favorisé son apo-
théose (cf. Plutarque, D'Isis et d'Osiris, 74), n'a donc pas
été précédée, au moins d'après les textes connus, par celle
du chat qui n'est nommé qu'à partir de la XIIe dynastie
(Champollion, Notices, t. II, p. 381), tandis que l'iehneu-
mon semble déjà représenté dans quelques tableaux de l'An-
cien Empire (Denkmàler, II, pi. 12, 60, 77, etc., et Mariette,
La Gâterie de l'Egypte ancienne, 1878, p. 26). Le chat
était, comme l'iehneumon, divinisé sous le Moyen Empire
(Lepsius, Aelteste Texte, pi. 3, 1. 35, etc.; et Zeitschrift,
1885, p. 9). Il est clair que le point de départ de ces divini-
sations doit être reporté à une époque encore antérieure.
On voit que l'observation du Rév. A. Lowy sur l'emploi
d'un même nom pour désigner différents animaux se trouve
confirmée ici, car il n'y a pas de doute que la racine du
nom égyptien de l'iehneumon ne soit la même que celle du
nom sémitique de la belette et du chat.
SUR UN SYLLABIQUE1
i
M. Le Page Renouf lit aines ou amesi'1 le syllabique qui
représente le nom du dieu que les égyptologues appellent
habituellement Khem.
Cette lecture, si elle était juste, ne donnerait pas un mau-
vais sens; ^è\ ^< ou < ¥^v ' étant le nom d'un sceptre
attaché à un fouet, et le dieu ayant d'ordinaire un fouet à
la main, ames-i signifierait alors le fouetteur, fia<rctYo<popo;,
et c'est à peu près ainsi que se le représentait Suidas',
quand il le dépeignait comme fouettant la lune. Mais la
lecture âmes est-elle acceptable?
Tout d'abord, il faut écarter la forme (1 ~~ JH, que
M. W. Budge6 a cru rencontrer sur une stèle publiée aux
Denkmâler, mais où il est clair que àm-s signifie celui qui
est en elle, c'est-à-dire dans le ciel.
La difficulté se trouve ailleurs : elle gît tout entière dans
un passage du Livre des Morts, chap. xvn, 1. 11 et 12, où
1. Publié dans les Proceedings of the Society of Biblical Archœo-
loc/y, 1886, p. 192-201.
2. Transactions, t. VIII, part 2, p. 204, et Zeitschrift, 1877, p. 98.
3. Todtenbuch, chap. cxlix, passim.
4. Lepsius, JEltestc Texte, pi. 38.
5. S. v. Priapos.
6. Transactions, t. VIII, part 3, p. 305 et 318.
318
SUR UN SYLLABIQUE
certains textes anciens que vient de réunir M. Naville dans
son édition du Todtenbuch thébain ont f^-Hw Jj et -O-Hw Jj
au lieu de ^p Jr . M. Le Page Renouf admet que f^ est là
pour - -, et fonde sa lecture sur cette assimilation.
Pourtant, les deux signes ne sont pas des variantes l'un
de l'autre. Ils ont été quelquefois confondus, comme dans
un texte où le tombeau de Séti Ier a cizd ^^ n .n.
^ U i i i i i i <r=> 1 ' '
¥\ >2 et le sarcophage du même roi ^~~lkk, *>
leurs offrandes sont auprès de celui qui est en elle. Mais le
fait est rare, et on remarquera que les papyrus qui donnent
la variante ■fH'W n'ont pas f\ pour la syllabe àm - -, non
plus que le sarcophage de Mentuhotep4 et un texte qui est
aux Denkmàler* : ils distinguent les deux signes -(-. Donc,
n u
f-j- n'est pas - -.
Les deux signes ont été confondus dans un seul papyrus
pour le nom du dieu, qui est là Hh\\ J) et (1 — Jj)*,
mais que faut-il conclure a priori de ce fait isolé, sinon que
le scribe du papyrus a été seul ici à prendre un hiéroglyphe
pour un autre? Pareille confusion avait lieu de temps en
temps entre des signes qui se ressemblent : on trouve encore,
dans Les belles publications de M. Naville, des cas de mé-
prise entre y et - - ou A7, ce qui ne veut certainement pas
dire que - - ou A puissent se lire yem ou se/em.
1. Naville, Das JEgyptische Todtenbuch, t. II, p. 41.
2. Champollion, Notices, t. I, p. 792, 1. 26-29.
'A. Sharpe et Bonomi, T/w Alabaster Sarcophagus, 4, B.
4. Lepsius. Mlteste Texte, 7, 32, et 8, 67 et 76.
5. Denkmàler, III, 38, e.
6. Naville. Todtenbuch, t. II, p. 41.
7. ld., \>. 73, 71, et 441; cf. Naville, Transactions, t. VIII, part 3,
I». 416, et Denkmàler, III, 262. a 4.
SUR UN SYLLABIQUE 319
On pourrait répondre que c'est le papyrus unique dont il
s'agit qui possède la vraie leçon, bien que l'argument ait
contre lui toute vraisemblance, mais il ne saurait tenir, en
outre, devant les considérations suivantes :
Un surnom du dieu Khem est bien certainement [ Q 1\\\
titre que M. de Rougé a signalé depuis longtemps', et dont
M. Pierret a cité les variantes |s I et Q (r. Or, on
trouve le groupe M-pj- I, (a If^NV, aux textes d'Edfou',
où il désigne, dans le second cas, un dieu de la pêche,
o
^b^^te. ^v"^^ maître des oiseaux et des poissons,
aux provisions nombreuses, 9 -R- \j) \ w (m
Ce type divin, auquel on peut rattacher un ra in-
fernal5, n'est autre évidemment que le dieu Khem, signalé
comme dieu pêcheur dans ses deux nomes, par différents
noms géographiques.
Le pehu du nome Panopolite était v^~~ savII , la pêche de
ra Q <S=d
Khem, le canal du nome Coptite était w««|\ , et le
mouillage de la barque sacrée à Coptos, a5\ . On
remarquera que les caravanes ou les troupes qui allaient de
Coptos à la mer Rouge devaient être accompagnées de
pêcheurs, comme l'indique une stèle de Ramsès IV \ D'après
les textes du Mythe d'Horus1, Khem possédait un ^=œ,
1. Naville, Todtenbuch, t. II, p. 41.
2. Études sur le Rituel, p. 47, et Mélanges d'Archéologie, 3e fasci-
cule, p. 104.
3. Vocabulaire hiéroglyphique, p. 381.
4. J. de Rougé, Edfou,'t. I, pi. 40, 14, et t. II, pi. 102, 19.
5. Tombeau de Ramsès VI, troisième corridor, paroi gauche.
6. Stèle de Hamamat, 1. 16.
7. 2, 1, et 7, 1.
320 SUR UN SYLLABIQUE
\\ 8 ^rr-n- typique, et le mot àh, qui pourrait désigner
le collier §§| \ a certainement aussi le sens de filet*,
comme le montre le texte d'une scène de Karnak3. Ram-
sès II, précédé par Num et suivi par Horus, tire avec eux
la corde d'un filet devant Tlioth, qui dit : Tire ta nasse, tes
mains sur la corde du filet uftH, avec tes deux frères
filet', et n S (1(1 ', tresse). Le ^nnr de Khem est probablement
l'objet de forme analogue parfois représenté" en combinaison
ou non avec y, derrière le dieu, qui en est dit le maître7.
Le y, devenu une sorte de mât de cocagne, (J^, v-^7^ dans
les jeux gymniques8 exécutés devant Khem9, serait le pieu
auquel on attachait le filet, et auquel on donnait des formes
très variées10.
Mais quand même le dieu Khem n'aurait pas été le pê-
cheur Heqes, il n'en resterait pas moins vrai, d'après les
deux exemples cités plus haut, que le groupe heqes pouvait
recevoir le f\ pour déterminatif, et par suite pour sylla-
bique, conformément aux lois de l'écriture. C'est ce qui est
arrivé au chapitre xvn du Todtenbuch, où l'on trouve dans
1. Denkmàler, IV, 90, d.
2. Cf. Pierret, Vocabulaire, p. 11.
'À. Champollion, Monuments, t. III, pi. 287, et Notices, t. II, p. 42.
4. Brugsch, Dictionnaire, p. 922.
5. Brugsch, Dictionnaire, p. 128.
6. Denkmàler, II, 149, c, 151, k; III, 275, c, etc.; Champollion, Mo
numents, t. III, pi. 211 et 288; Prisse d'Avennes, Monuments égyptiens,
pi. ') et 8, etc.
7. Denkmàler, III, 283.
8. Cf. Hérodote, II, 91.
9. Denkmàler, IV, 42, b.
10. Cf. Champollion, Notices, t. II, p. 380, et E. de Hougé. Études
sur />■ Rituel funéraire, pi. 4 et 5.
SUR UN'SYLLABIQUE 321
le même papyrus j ? |1\\ et fl-Ow'. La valeur heqes de
l'hiéroglyphe f\ a été signalée depuis longtemps par
M. J. de Rougé dans le nom d'un Pehu, celui du huitième
nome de la Haute Egypte, lequel touchait au nome Pano-
polite : les variantes donnent f\ et ^ ^f\ ou Ni*.
Puis donc qu'on trouve au Livre des Morts f\ accom-
pagné de son complément phonétique I et même remplacé
par | § jl\\, on est forcé de conclure que f^ vaut bien là
heqes, phonétique déjà connu du signe, et surnom déjà connu
du dieu. La lecture heqes étant fondée, la lecture contra-
dictoire iimes, fournie par un seul texte, ne saurait plus être
défendue.
II
Il se peut que -p|-, qui détermine tant de mots différents3,
entre autres un nom d'habit1, représente ici quelque engin
de pêche, un filet, par exemple, puisqu'il accompagne les
mots ^'^ -ft- et ^"tx c^z> ft , signifiant filet et
pêcher ! .
Si le heqes était un filet, il serait possible de rapprocher
ce mot de la racine henkes, hensek, henk, Q Ml ,
q „Yv — M — 0 /VA/WVS ^ a/vwsa — h —
Q \U , q • qui veut dire tresse de cheveux, de
même que Senun signifiant à la fois chevelure etjilet. Henkes
serait une forme nasalisée de heqes, comme 8 r est
une forme nasalisée de <w "èx r T.
1. Naville, Todtenbuch, II, 41.
2. Reçue archéologique, 1867, p. 335, 336; cf. Edfou, pi. 20 et 51.
3. Cf. Grand Papyrus Harris, passirn.
4. Schiaparelli, 77 Libro del Funerali, t. I, p. 68.
5. Todtenbuch, chap. cxm; cf. Naville, Todtenbuch, II, 74 et 433.
6. Naville, Todtenbuch, II, 150 et 222.
7. Brugsch, Dictionnaire, p. 971, et Pierret, Vocabulaire, p. 365.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. il
322 SUR UN SYLLABIQUE
On remarquera ici que, dans les deux cas, la lettre s ne
semble pas faire partie de la racine1, puisqu'il y a une forme
(] pour le titre du dieu, qui se rattache ainsi à plu-
sieurs noms de l'Ancien Empire', et une forme fi pour
le nom de la tresse, qui se rattache ainsi à une des désigna-
^ I | ooo\
Strabon dit qu'autrefois la population de Panopolis se
composait en partie de tisserands. Ainsi Khem aurait été,
dans ses deux nomes, le dieu des tisserands comme des pê-
cheurs. Si l'on se rappelle que seyet signifie à la fois filet
et tissage, on ne s'étonnera pas de la relation signalée ici
entre les idées de filet, de tissage et même de chevelure :
au fond, c'est la notion de tresse qui est en jeu.
La disparition de Ys, dont il vient d'être parlé, explique
deux mots cités par M. Brugsch dans le Supplément de son
Dictionnaire1, fi A , qui signifie pêcher, et fi fi v^' l11*
est en rapport avec la chevelure. Le dernier mot explique
lui-même une expression de la Litanie solaire, où on lit à
la 53e invocation :
Salut à toi, Ra, à la liante puissance, corne étincelante,
croissant des étoiles, a^w^IK jy^--^^
boucle <le la coiffure (cf. la boucle en demi-cercle y^ens, et
le dieu lunaire Khons).
1);iiis la forme keha, le déplacement de la première lettre
n'aurait rien que d'ordinaire : ainsi, l'on trouve, pour le nom
de la chèvre sauvage, les variantes heqes et kehes, fi ^ 4y?t
1. Cl'. Brugscb, Dictionnaire, p. 971.
2. Cf. Lieblein, Dictionnaire des noms propres, n0* 248, 371, 383,
551, 552, etc.
3. Champollion, Notices, t. II. p. 310 et 361.
4. 1'. N57 el 859.
5. Naville, /." Litanie du Soleil, p. 60.
• '». Pierret, Vocabulaire hiéroglyphique, p. 381, et Lieblein, Die
Mgyptische Denknxàler, pi. 3:'., n 50.
SUR UN SYLLABIQUE 323
et s| l^a, mots qui nous ramènent directement au sur-
nom heqsi du dieu Khem.
On vénérait, en effet, dans une des deux villes du dieu, à
Coptos, la dorcas femelle, suivant le témoignage d'Élien1,
confirmé par les médailles des nomes'. Or, le copte s^ci,
(S'ooce, (î'ooc, caprea, dama, gemella, dérivé de heqes ou
kehes comme <s^£ de S8 W» damula3, est féminin, et c'est
très vraisemblablement par suite d'un jeu de mots sur le
nom du dieu et le nom de l'animal que la (-lièvre a été con-
sacrée à Heqes.
Elien ajoute que la dorcas était chère à Isis. Elle repré-
sentait sans doute la sœur jumelle de la déesse, Nephtliys,
femme du dieu Set à tête de gazelle4; il y a, au Livre de
l'Hémisphère inférieur, à la première division, une Ne-
phtliys, TT, appelée la chèvre sauvage, <rr> <C-v '.
III
Si l'on examine maintenant les variantes du nom même
de Khem, une nouvelle question se présente. Faut-il ra-
mener à la lecture heqes ou heqs-i, comme l'a fait dans un
cas M. de Rougé, les formes (h " du sarcophage de Mentu-
hotep6, ^= du Ramesséum7, b=^\ ^", et ^z'° des pa-
1. Hist. Anim., X, 23.
2. J. de Rougé, Monnaies des Nomes, p. 12-14.
3. Brugscb, Supplément au Dictionnaire, p. 1305.
4. Cf. Langlois, Numismatique des Nomes, Nome Coptite.
5. Denkmâler, III, 224, 1 ; cf. Description de l'Egypte, Atlas, t. V.
p. 41.
6. Lepsius, sEUcstc Texte, 1, 7.
7. E. de Rougé, Mélanges d'Archéologie, fascicule 3, p. 104.
8. Naville, Todtenbuch, t. II, p. 329.'
9. Id., p. 381, et Lepsius, JEltcste Texte, p. 35.
10. Naville, Todtenbuch, t. II, p. 381.
324 SUR UN SYLLABIQUE
pyrus funéraires? Cela n'est pas probable a priori, puisqu'il
faudrait alors attribuer au syllabique -**- la valeur lièges
et rejeter la lecture yem.
De ces formes, la première se réduit à v " , yem (ou plu-
tôt yem-i), comme l'a compris le Dr Lepsius', car Yà appar-
tient là au groupe précédent, , écrit (1 pour [|,
avec la suppression du petit trait qui est fréquente dans ce
texte quand les lettres sont serrées2. Le groupe Ç\ fl'^T'3
doit se lire aussi Horù-Kliem-ti, et non Hor-Akhem-ti.
En second lieu, la forme ~»~ est une fausse lecture de
M. de Rougé, réunissant le déterminatif d'un mot avec le
syllabique d'un autre. Le texte, reproduit au Ramesséum
et à Médinet-Abou, est i) "^flll \^? i== 'QQ — 4, d'où
^in\<rz>ll > ' f ilooo
il suit (jue ooo ne représente là que le déterminatif bien
connu du mot meri, qui désigne une espèce d'arbre ou de
bois. Quant à 0^3, qui visiblement est pour -*»=-, il ne fait
que fournir un exemple de la confusion des signes allongés.
— =JOC^
Enfin, ~~*~ et ^z, dont il existe une curieuse variante
au Papyrus de Neb-qed \ ne représentent qu'un redouble-
ment graphique du syllabique : en ciïet, le mot Khem, sou-
vent écrit ^?,!, se rendait par — *— aussi bien que par -«a-,
autre forme de l'objet.
Jamais on n'a trouvé le surnom | 8 l\\ ou f\ l\\ accom-
pagné du support ^f~, qui, au contraire, accompagne si
1. Mlteste Texte, pi. 9, 1. 7, p. 32.
2. Cf. id., pi. 1, 1.28.
3. Lieblein, Dictionnaire des noms propres, n" 106").
1. Cf. Charapollion, Monuments, t. III, pi. 213; Rosellini, / Monu-
menti dell' Ecjitto, t. III, pi. 75 et 85, et Denkmâler, III, 163 et 212.
5. Pi. '■». 1. 7.
(5. Cf. Lepsius, /Elteste Texte, p. 52; Naville, Todtenbuch, t. II,
|, il et 381; Grand Papyrus Harris, 61, a, 12, etc.
SUR UN SYLLABIQUE 325
souvent le nom ^°^-} qu'il y a des cas où le simple mot
support s écrit (I ^\<=iVT_w[ • Heqsi n est donc pas une
variante phonétique du syllabique, mais une variante my-
thologique du dieu, au même titre qu'Horus et Ammoir
dans le rôle obscène où se réunissaient quelquefois ces trois
types divins, comme à Edfou : vs, / -=&*>- (1 '. Baba
_illi\5 I /W\AAA
aurait pu aussi alterner avec Khem, d'après la variante
SB-- On trouve fréquemment l'échange entre eux des noms
ou des épithètes d'un dieu dans les exemplaires du Livre
des Morts, par exemple : Unnefer pour Osiris5, Anubis
pour Ap-ua-t-u6, Ra pour Tum7, Horus pour Bak\ etc.
Il ne reste plus à expliquer que la forme indiquée par le
redoublement du syllabique ou bien par la finale ti, dans
-dOt=- M H
Ici, l'emploi simultané de deux représentations un peu
différentes du même signe n'a rien de contraire aux lois du
système graphique; c'est ce qu'on remarque dans CJ ©,
accom-
pagnant différents mots, (I x quand ce groupe est déter-
miné ou exprimé par une ligure spéciale pour chaque cha-
pelle10, etc.
î. Naville, Todtenbuch, t. II, p. 113 et 193.
2. Le Page Renouf, Transactions, t. VIII, part 2, p. 201.
3. J. de Rougé, Edfou, t. II, pi. 103.
4. Tombeau de Rainsès IX, troisième Corridor, Paroi droite.
5. Naville, Todtenbuch, t. II, p. 29.
G. Id., p. 114.
7. Id., p. 23 et 63.
8. Id., p. 198.
9. Todtenbuch, chap. cxlv, 4.
10. Naville, Todtenbuch, t. Il, p. 83; Textes relatifs au mythe d'Ho-
rus, 19, 3; J. de Rougé, Edfou, pi. 101, 15, et 102, lb\ etc.
326 SUR IN SYLLABIQUE
Mais cette répétition du signe, et la finale ^ dont les va-
H H
riantes „ " ' et v-^k-2 ont retenu chacune une lettre, indi-
quent-elles un suffixe, ou bien un redoublement du mot,
/cm/cm ou yymcnr! Les deux explications peuvent se sou-
tenir. Voici, toutefois, quelques remarques à l'appui de la
seconde.
Une forme redoublée yjemem parait s'être conservée dans
la prononciation grecque ^éfifjiiç3, du nom de Panopolis (ori-
ginairement distincte de yepê pour yeb), dans la prononcia-
tion copte ^xiijul, ujjuiu , du même nom, en égyptien v^r~ ~,
dans la prononciation arabe du même nom encore Akhmim,
Akhmin, et dans la dernière prononciation égyptienne du
nom de Khem, Min, le Pamulès de Plutarque d'après
M. Ebers5. La forme Min, qui semble un archaïsme", rap-
pelle peut-être moins le nom d'Ammon qu'une forme y/ni m ,
/.min, avec chute de la gutturale aspirée.
Cette chute s'observe dans Num pour /nain, nom du
dieu d'Éléphantine, à l'époque pharaonique7, et à l'époque
grecque dans Armaios8 pour Armakhis, nom du sphinx de
Gi/eh (cf., dans Ératosthène9, yyoùëoç pour nub, «l'or))).
Plutarque aussi donne a Horus le surnom de Kaimin,
avec le sens (le ce qui est visible, Kai'fjuv, 07cep ècmv ôpa>|xevov10,
1. Lepsius, Mltcste Texte, 1.7; Licblein, Dictionnaire (1rs noms
propres, n" 1304 el |>- 170; Maspero, Sur quelques Papyrus du Louvre,
p. 88. et Zeitschrift, 1885, p. 5.
2. Naville, Todtenbuch, t. II. p. 381.
:{. Hérodote, II, Dl, el Plutarque, D'Is. et d'Os., 11; cf. Diodore,
I, 18.
1. Champollion, L'Egypte sous les Pharaons, I. I, p. 05.
5. Zeitschrift, 1868, |>. 10.
6. Cf. Maspero, Zeitschrift, 1882, p. 129.
7. ('i. E. de Rougé, Chrestomathie, t. I. p. '.15.
8. Diodore, I. 64.
9. Dana le Syncelle, I. 190.
10. Traité d'Isis et d'Osiris, 56,
SUR UN SYLLABIQUE 327
par allusion sans doute aux apparitions du dieu que signa-
lent le nom de sa fête <=> vy « l'Apparition », et le témoi-
gliage d'Hérodote, tÔv ïlzoïii çaîveaGai, ô Bepa&b<; iirKpaîveffeat1. S'il
faut accepter le rapprochement fait entre Kaimin et Min
par le Dr Lepsius* (qui lit xa> Mîv), cette transcription indi-
quera encore un redoublement. On remarque une semblable
tendance au redoublement dans les mots égyptiens, coptes,
hébreux et arabes, ayant une même racine yem et dési-
gnant la chaleur.
Ainsi, le Pan égyptien avait pour surnom l'épithëte de
Heqs-i, signifiant sans doute le Pécheur, et c'est là tout ce
qu'on peut conclure des variantes qui ont été discutées. Rien
ne porte atteinte à la prononciation yem de son véritable
nom, démontrée, non pas assurément par la variante $ 3\
d'un papyrus peu correct3, mais par deux preuves qu'on
peut dire irréfutables : d'abord les milliers d'exemples qui
prouvent la valeur yem du syllabique -=><*=- (cf. JEL^^p)1,
syllabique qu'on n'a aucune raison pour regarder comme un
polyphone; ensuite, la transcription grecque xé^fiiç et Xejxuio
de v^-@. Panopolis, ville éponyme de Khem : tcôXiv iTttivufiov,
v.%-% -t(v 6T,oa(oa xaXoujiéviiv alv înzb :ôjv i-r/iozlio-i XefifAU), fxeGsofxiriveoo-
;i.ivT,v 8è [lavât; itôXiv5.
En soumettant cette discussion à la sagacité de M. Le
Page Renouf, qui rend de si grands services à l'étude de la
religion égyptienne, sera-t-il permis de le féliciter incidem-
ment sur son curieux article relatif à l'expression Unnefer,
et de lui demander, à ce sujet, si le lièvre Osiris* ne serait
1. Hérodote, II, 91.
2. Lepsius, /Elteste Texte, p. 34.
3. Id., ibid.
4. Brugsch, Géographie, t. I, n" 977; cf. Champollion, Notices, t. I,
p. 233.
5. Diodore, I, 18.
6. Cf. Maspero, Guide au Musée de Boulaq, p. 273.
328 SUR UN SYLLABIQUE
pas, dans certains cas, par allusion au rôle lunaire du dieu
(cf. ■^a ), ce lièvre que tant de mythologies voient dans
AAAAAA © . . . -,
la lune, qui a l'air, en eftet, de dormir la nuit comme le
lièvre, les yeux ouverts 1 ?
1. Cf. Plutarque, Quœstionum Concivalium, IV, 5, 2.
L'ÉTUDE DE LA RELIGION ÉGYPTIENNE
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS'
Introduction à un cours sur la religion de ïÉgr/pte
à l'École des Hautes Études (Section des Sciences religieuses)
Quand on aborde un sujet d'étude, la première chose à
faire est évidemment de le déterminer avec précision, c'est-
à-dire de rechercher quels sont ses éléments propres, ses
parties connues et inconnues, ses sources, ses limites, et sa
philosophie générale. Il y a là un état de situation à dresser,
ou, si l'on veut, un plan de campagne à établir, condition
préalable sans laquelle on risquerait fort de marcher à
tâtons et de piétiner sur place. Cette précaution est peut-
être plus utile que partout ailleurs, si c'est possible, quand
il s'agit de la religion égyptienne, encore si obscure et toute
hérissée de difficultés, aussi bien extérieures qu'intérieures.
Les quelques explications qui vont suivre donneront peut-
être une idée de la question.
1. Publié dans la Reoue de l'Histoire des Religions, 1886, t. XIV,
p. 26-48. - G. M.
330 l'étude de la religion égyptienne
I
Les auteurs anciens, d'accord en ceci avec les représen-
tations monumentales, nous dépeignent l'Égyptien comme
presque noir, avec de fortes lèvres, un gros corps sur des
jambes grêles, et un parler guttural ; ils nous signalent là
un type qui n'a certainement rien de caucasique. Lorsque
de plus, et d'accord avec les textes originaux, ils nous
montrent encore dans l'Égyptien une nature indolente, sen-
suelle, superstitieuse, insolente et poltronne à la fois, ne
reconnaît-on pas là aussi une race qu'on ne saurait considérer
comme réellement supérieure, quelle qu'ait pu être sa
parenté ethnographique, encore douteuse aujourd'hui ?
Vraies ou fausses, ces considérations s'accordent en tous
cas avec le caractère de la religion égyptienne, dont les
côtés élevés existent avec des parties grossières qui ne se
retrouvent plus, ou qui s'accusent à peine, chez les nations
sémitiques et aryennes telles que nous les voyons dans
l'histoire.
Un peuple sauvage garde sans les dépasser ses supers-
titions barbares; un peuple affiné, comme les Grecs ouïes
[ndous, en vient promptement à des schismes qui trans-
forment ses croyances ou à des philpsophies qui les sup-
priment. Mais les Égyptiens, qu'ils doivent ou non leurs
conceptions les plus hautes à une conquête, se sont trouvés
dans une sorte de juste milieu entre le manque et l'excès
d'activité intellectuelle, si bien qu'ils ont poussé sans entrave
leur religion jusqu'au développement le plus complet qu'elle
pouvait atteindre.
C'est ce développement, auquel ne manque ni une cer-
taine grandeur ni une certaine harmonie, qu'il faudrait
d'abord examiner sous ses différents aspects, c'est-à-dire
dans les conceptions relatives aux ancêtres, aux choses et
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 331
aux animaux, aux dieux d'en haut, aux dieux d'en bas, et
au dieu suprême.
II
Les premiers monuments que nous connaissons de l'Egypte
sont des tombeaux, conçus d'une manière gigantesque et
hors de proportion avec l'idée qu'on se fait aujourd'hui de la
sépulture. C'est qu'autrefois, et à peu près partout, le culte
des morts gardait une importance particulière dans la
société, que plusieurs savants ont pu croire fondée sur lui.
Les anciens s'imaginaient que les relations n'étaient pas
interrompues entre les morts, qui avaient besoin d'être
honorés par les vivants, et les vivants, qui avaient besoin
d'être protégés par les morts.
Ces derniers habitaient le grand sépulcre collectif de
l'enfer, et communiquaient avec leurs familles par la voie
des tombeaux particuliers. Mais en Egypte, plus qu'ailleurs,
cette opinion était remplie ou entourée de ce qu'on appelle
aujourd'hui des survivances. Ainsi, on momifiait le cadavre
parce que la conservation du corps est indispensable à
l'existence de l'âme, on offrait â date lixe des libations et
des repas au mort, parce que l'âme endure la faim comme
la soif, et on consacrait des statues à l'âme parce qu'il lui
faut des supports pour assister dans sa chapelle aux ban-
quets funèbres.
Malgré cela, on admettait très bien, dès l'Ancien Empire,
que les esprits s'en allaient à l'Occident comme le soleil,
dans le pays de la Justice, où des dieux spéciaux proté-
geaient les dévots et punissaient les impies; on assimilait
aussi les mânes aux étoiles, et surtout aux étoiles circumpo-
laires, qui symbolisaient l'immortalité parce qu'elles ne se
couchent pas.
Du reste, et dès une époque immémoriale, l'âme avait
été dédoublée en deux parties dont la plus ancienne, ou le
332 l'étude de la religion égyptienne
génie, habitait plutôt les statues, et dont la plus récente, ou
l'esprit, habitait plutôt les espaces, — le ka et le ba.
Ce fut la conception de l'esprit, indépendant et puissant,
qui domina à l'époque historique, bien que les scènes des
vieux mastabas, à Sakkarah et à Gizeh, paraissent se rap-
porter encore, en partie, au séjour de l'âme dans la tombe.
Le côté fétichiste de la religion égyptienne ne prit pas et
ne garda pas une moindre importance que le culte des
mânes. L'emploi des formules et des conjurations soumet-
tant les esprits et les dieux, l'espèce de vie ou de force mys-
térieuse attribuée aux sistres, aux sceptres, à la plume d'au-
truche, aux amulettes de tout genre, aux statues, à certaines
plantes, à certains objets et même aux noms, la conviction
que les malades étaient des possédés et que par conséquent
la magie faisait partie de la médecine, toutes ces idées se
font jour dans les livres religieux, aussi bien que dans les
inscriptions monumentales. Mais c'est surtout dans le culte
des animaux que s'accentue le fétichisme égyptien, à prendre
le mot fétichisme dans le sens qu'on lui donne le plus
souvent.
Ce culte apparaît dès le début de l'histoire, dans la men-
tion du bœuf Apis, et il conserve sa durée comme sa vigueur
aussi longtemps que subsiste la civilisation pharaonique.
Chaque nome vénérait uneespèce animale dont on s'abstenait
de manger. D'ordinaire, un représentant de cette espèce
était logé dans le temple du dieu local ; mais quelques bêtes,
en vertu d'une sorte de hiérarchie, possédaient des sanc-
tuaires et même, s'il faut en croire les Grecs, des harems.
De plus chaque temple parait avoir eu comme protecteur
un serpent sacré.
Deux explications se présentent au sujet de l'adoration des
animaux par les Égyptiens. Ou bien, comme dans le toté-
misme des sauvages, les animaux sacrés étaient à l'origine
des protecteurs ou des ancêtres choisis par les différentes
tribus, grâce à des rapports obscurément établis entre cer-
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 333
tains animaux et les âmes humaines ou les forces naturelles ;
ou bien, au contraire, les animaux sacrés n'étaient que les
emblèmes ou les hiéroglyphes des dieux auxquels ils ont été
rattachés. Cette dernière explication peut être vraie dans
certains cas; toutefois la plupart du temps, le point de con-
tact entre le dieu et l'animal n'apparaît guère. Comment
par exemple retrouver Ptah dans le bœuf Apis à Memphis,
Ra dans le taureau Mnévis à Héliopolis, Osiris dans le bouc
à Mendès, Horus dans l'ichneumon à Héracléopolis, et
Uadji dans la musaraigne à Bouto? N'y a-t-il pas eu, dans
les villes qui viennent d'être citées, une juxtaposition de
cultes, au moins à l'origine?
III
Cette juxtaposition, que les prêtres expliquaient en disant
que les âmes des dieux sont clans les animaux, nous révèle
un autre aspect de la religion égyptienne, c'est-à-dire son
côté polythéiste, ou, si l'on veut, son côté mythologique;
qui dit l'un dit l'autre, une mythologie n'ayant pour but,
ou plutôt pour effet, que de personnifier sous des formes
multiples les grandes forces ou les grands corps naturels
sous la dépendance desquels l'homme se sent si intimement
placé. Les personnages divins obtenus de la sorte sont essen-
tiellement agissants, puisqu'ils représentent des actions et
des réactions, d'où il suit que la succession, le conflit et
l'union des phénomènes physiques, transposés, deviennent
des naissances, des guerres, des mariages, etc., bref des
mythes.
En Egypte, tous les aspects bienfaisants ou malfaisants
de la nature étaient divinisés dès l'Ancien Empire, l'air, la
rosée, le vent, l'eau, la terre, le Nil, le ciel, la chaleur, la
sécheresse, l'humidité, le nuage, la tempête, la lune, les
étoiles et le soleil. Ici, comme ailleurs, s'était formée toute
334 l'étude de la religion égyptienne
une couche de récits en apparence historiques, mêlés de
détails de mœurs et compliqués par ce genre d'explications
sui generis qui fait de la science primitive une chronique
romanesque.
Toutefois il ne faudrait pas croire qu'il y ait là un fouillis
inextricable de fables et de dieux. Malgré l'introduction de
quelques cultes étrangers dans le panthéon national, une
certaine unité de conception, la conception égyptienne en
somme, avait produit dans les différents nomes (\i^ divinités
et des mythes qui n'étaient souvent que des variantes les
uns des autres. On peut ainsi ramener à quelques tètes de
ligne ces myriades de milliers de dieux dont parlent les
textes.
En général les principaux dieux mythologiques sont
célestes ou infernaux. Ici les types célestes furent les dieux
et les déesses de l'espace et de la lumière, en lutte avec les
monstres de la terre, de l'orage ou de l'obscurité.
La déesse égyptienne avait, à ce point de vue. deux
formes distinctes, qui pouvaient d'ailleurs exister sous le
même nom. Comme divinité de l'espace, elle était la mère
du soleil, c'est-à-dire la vache (ou même le troupeau de
vaches), qui, dans l'Inde, figura la nuée (Isis, Hathor, Nut).
Comme déesse de la lumière, elleétait fille du soleil, c'est-à-
dire la lionne, la chatte ou cet urœus dont nous avons fait
le basilic, qui personnifiait la couronne brûlante ou l'œil
étincelant du soleil, en d'autres termes la chaleur et la,
clarté; on la dédoublait parfois, comme le diadème pharao-
nique, suivant les deux divisions méridionale et septentrio-
nale de l'Egypte et du monde (Nekheb, Qadji, Tefnut,
Sekhel ci Bast). Les dieux célestes personnifiaienl aussi
l'espace et la lumière. Dans le premier cas, ils ne repré-
sentaient guère que la matière humide ou éthérée, répandue
autour du monde (Num, Klinum, et peut-être Ammon.)
Dans h' second cas, ils étaient atmosphériques on solaires;
mais ces deux aspects, dont le premier correspond a Eïorus
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 335
et le second à Ra, se sont intimement confondus, et ce qu'on
discerne le mieux maintenant dans le type unifié, c'est sa
forme naissante, sa forme belliqueuse ou sa forme vieillis-
sante. Le dieu était donc l'enfant, ou le héros, ou le vieil-
lard en barque, l'épervier et le scarabée essorant, planant
ou descendant, selon qu'il sortait des ténèbres à l'aurore,
après l'orage, et après l'hiver (Horus,-Nefer-Tum, Khepra),
ou qu'il régnait au ciel pendant le jour et pendant l'été
(Har-Khuti, Shu, Ra, Month), ou qu'il rentrait dans l'ombre
du soir, du nuage, ou de l'hiver (Ra, Tum).
Les divinités célestes avaient pour antagonistes les nuages,
les orages, les vents, et même la terre ou l'enfer qui semble
leur donner naissance ; c'est-à-dire le serpent dont le siffle-
ment et les torsions rappellent le vent et le nuage (Apap),
puis le crocodile, l'hippopotame, l'âne et le porc, dont la
voracité ou la grossièreté symbolisaient les grands fléaux
naturels (Set). De là vient sans doute l'idée, ou plutôt le
renforcement de l'idée d'impureté, attachée dans presque
toute l'Egypte aux bêtes typhoniennes, qu'on immolait dans
les sacrifices, tandis que d'autres animaux, comme l'éper-
vier, l'urceus, le lion et le chat, bénéficiaient de leur asso-
ciation avec les personnages atmosphériques et solaires.
Il va sans dire que le culte était l'image du mythe : on
élevait en conséquence aux divinités de cette classe des
temples figurant l'espace, d'où la lumière émerge pour
triompher, et on les honorait par des fêtes en rapport avec
la naissance ou la victoire des héros du firmament.
Le type qui domine parmi les dieux célestes est donc
celui d'un personnage actif ; au contraire, le type qui do-
mine parmi les dieux infernaux est celui d'un personnage
mort, confiné dans l'autre monde au milieu de monstres
ténébreux, serpents et crocodiles, dont l'enfer est la retraite
ou qui sont l'image de l'enfer. Avec les mânes dont il est
le roi, il habite la vaste tombe souterraine, et sa famille,
c'est-à-dire son fils Horus, le dieu belliqueux qui le vengera,
336 l'étude de la religion égyptienne
et sa femme ainsi que sa sœur, Isis et Nephthys, les déesses
de l'espace qui l'ont enseveli, avait institué en son honneur
toutes les cérémonies des funérailles humaines. Ce dieu est
Osiris, la momie ou la mort par excellence, bien plus com-
plet dans ce rôle que ses variantes (en quelques points) de
Memphis et de Coptos, Sakar et Khem.
Il est aussi l'astre qui pendant le jour reste dans l'ombre
et ne montre que la nuit sa face morte, la lune ; il est enfin
le soleil vaincu à son coucher par les puissances malfaisantes,
car toutes les idées que peut suggérer la disparition d'un
être bon se groupent autour de la personne osirienne, qui
représente encore la végétation flétrie comme le Nil tari.
Néanmoins, il semble bien au fond copié sur l'homme, et
non par exemple sur le soleil, avec lequel il ne se confond
pas. Ce dernier persiste à côté d'Osiris. Il n'habite pas
l'enfer, il le traverse (Ra, Tum et Af) ; s'il y rentre chaque
soir, c'est comme une âme qui revient visiter sa tombe ou sa
momie, en conséquence de quoi il prend à l'Occident la tête
de bélier qui symbolise l'âme. Or, cette tombe ou cette
momie, c'est dans bien des cas Osiris lui-même, confondu
alors avec l'enfer et par suite avec la terre, car les dieux
terrestres, ainsi que les déesses célestes, tendaient à deve-
nir infernaux, comme pères et mères des choses, des dieux,
et du soleil ou de ses variantes,
Mais l'Egypte ne voyait pas que la mort dans le type in-
fernal, elle y voyait aussi la résurrection. Tous les jours, le
soleil se couche, puis il se lève, tous les mois la lune
s'échancre, puis elle se remplit, tous les ans la végétation
reparaît et le Nil remonte. Et si Osiris, Nil, végétation, lune
et soleil, renaît chaque jour, chaque mois et chaque année,
pourquoi l'homme, dont il est aussi l'image, ne renaîtrait-
il pas?
Partout, dans l'éclosion d'un insecte connu, dans la réap-
parition (rime «''toile, l'Égyptien trouvait autour de lui des
images et des promesses de résurrection et d'immortalité:
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 337
il en trouvait aussi en lui, dans les figures ou les voix des
esprits qu'il pensait voir ou entendre, et dans sa conviction
si fermement établie que la mort ne faisait que séparer le
corps de l'âme.
Toutefois, la difficulté était de revivre heureux, ce que
l'on visait à obtenir par différents moyens : en se munissant,
contre les mauvais génies, de talismans et de formules, en
s'associant au sort d'Osiris par la connaissance ou la repro-
duction des différentes scènes de son existence, et en prati-
quant la justice. On chargeait donc les momies de textes
et d'amulettes : on gravait et on mimait, dans des sanc-
tuaires construits à l'image du tombeau, les mystères
osiriens, et, par exemple, suivant un rite qui rappelle les
Jardins d'Adonis, on faisait tous les ans une statue d'Osiris
sur laquelle on semait du blé; enfin on cherchait à gagner
la faveur et à éviter la colère des dieux et des monstres in-
fernaux, par une stricte obéissance aux lois morales et re-
ligieuses, de manière à devenir un personnage à la voix ou
à la parole toute-puissante dans l'autre monde, un ma-
kheru.
Ici apparaît un sentiment supérieur, qui introduisit dans
l'enfer une personnification nouvelle, la déesse de la Justice,
Ma, aussi ancienne que l'Empire égyptien, car dès les pre-
mières dynasties, l'enfer est représenté comme le pays de
cette divinité. Qu'elle ait pris naissance ou non au milieu
des mythes infernaux, en tout cas elle y a une place impor-
tante; c'est devant elle et devant sa balance qu'Osiris, de-
venu le juge des enfers, examinait les morts avec l'assistance
de son greffier Thoth, et de quarante-deux assesseurs en
rapport de nombre avec les quarante-deux péchés qu'il ne
fallait pas commettre.
En dépit ou à côté des divinités du sort bon ou mauvais,
Shai et Renen, l'homme trouvait ainsi dans la Justice une
règle et un appui : la vie avait un sens, une logique, un but.
Et le rôle de la Justice ne se limitait pas à l'enfer : fille ou
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 22
338 l'étude de la religion égyptienne
substance du soleil, elle l'accompagnait au ciel dans son ins-
pection journalière, et, en définitive, elle gouvernait le inonde
comme une loi, mais, il faut le remarquer, comme une loi
subordonnée à une volonté divine.
IV
L'idée d'un dieu supérieur aux autres s'imposait en effet à
l'Egypte. Cette idée s'indique dans le système des Ennéades,
d'après lequel chaque grand dieu pouvait présider comme
chef à d'autres divinités, prises clans son groupe religieux
ou simplement dans son voisinage géographique. Elle s'ac-
centue dans le système des Triades, d'après lequel les prin-
cipaux sanctuaires étaient le plus ordinairement dédiés à
un dieu père, accompagné d'une déesse mère et d'un dieu
fils. Ces deux genres de cycles, suggérés sans doute par les
renaissances successives et les aspects multiples d'Horus, de
Ra et d'Osiris, étaient pleinement artificiels, car ils juxta-
posaient souvent des mythes sans liaison entre eux ; mais
par cela même qu'ils étaient artificiels, ils montrent bien
avec quelle puissance le besoin de l'unité divine se produisit
ou se renforça en dépit des obstacles.
Aussi les prêtres, bien qu'ils ne fussent guère fixés sur le
nom, la nature et les attributs du dieu suprême, Font-ils
toujours adoré pendant l'époque historique, au moins à ce
qu'il semble : dans chaque grande ville ils le reconnaissaient
sous un nom local, avec cette tendance d'ailleurs naturelle
au polythéisme de combler de perfections le dieu qu'on
adore au moment où on l'adore. Aux pyramides royales, on
rencontre déjà la trace, relativement aux dieux élémentaires,
des plus hautes abstractions de la théologie.
On concevait ordinairement le dieu suprême comme un
être unique, organisateur de l'univers et auteur des dieux
qui n'étaient que ses formes, ou, selon l'expression égyp-
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 339
tienne, ses membres. Mais les dieux personnifiant les diffé-
rentes parties du monde, l'être collectif qu'ils composaient
ne pouvait se distinguer entièrement du monde, à ce qu'il
semble ; le monothéisme égyptien aurait donc été panthéis-
tique. Bien des hymnes et bien des textes confirment cette
appréciation : d'autres documents laissent la question indé-
cise, en ne s'expliquant pas sur un problème que nous nous
posons à présent, mais qui n'existait peut-être pas pour les
Égyptiens.
Dans tous les cas, l'être unique était au fond une âme
composée d'éléments matériels et immatériels. Les prêtres,
en spéculant là-dessus, s'étaient arrêtés à deux théories
principales, l'une particulière à Mendès, où l'on adorait un
bélier, hiéroglyphe de l'âme, l'autre propre à Hermopolis,
où l'on adorait non seulement le dieu lunaire Thot, régula-
teur du temps, puis par suite calculateur et inventeur par
excellence, mais encore quatre couples de singes, person-
nifiant les quatre grands aspects de la divinité.
A Mendès, l'âme divine, ou le bélier à quatre têtes, était
la réunion des quatre principes élémentaires, le feu ou Ra,
l'eau ou Osiris, la terre ou Seb, et l'air ou Shu. A Hermo-
polis, par une conception plus raffinée, on divisait la divi-
nité en quatre couples mâles et femelles, Nun ou l'humide,
c'est-à-dire la matière, Heh, ou le temps, c'est-à-dire le
mouvement, Keku ou l'obscurité, c'est-à-dire le vide, et
Nen ou le repos, c'est-à-dire l'inertie. L'école d'Hermopolis
avait entrevu ainsi les deux principes fondamentaux de la
philosophie hégélienne, d'un côté l'être, c'est-à-dire la ma-
tière et le mouvement, de l'autre le néant, c'est-à-dire le
vide et l'inertie. Là est, à ce qu'il semble bien, le suprême
degré de la spéculation égyptienne.
Il était difficile, pour les prêtres, de dégager complète-
ment l'être unique qu'ils entrevoyaient dans la pluralité
des dieux. Trop d'éléments divers, avec lesquels il fallait
compter, existaient dans la religion comme dans la nation.
340 l'étude de la religion égyptienne
La classe supérieure pouvait bien grouper le panthéon
sous quelques types principaux qu'elle tendait à identifier,
mais la classe inférieure n'en était pas là. Le sentiment re-
ligieux a des degrés. Entre le pontife qui connaissait les
quatre hypostases de la divinité, et le paysan qui adorait
les serpents de sa hutte, sa vaisselle de terre et les parties
gauche ou droite de la tète ou des épaules, il y avait toute
une série de conditions sociales et d'aptitudes intellectuelles.
Sans doute le porcher, le marin, le marchand, le tailleur de
pierres, le tisserand, le fellah et même l'homme du bas
clergé, c'est-à-dire en somme la presque totalité du peuple,
les impurs, les vils et les humbles, ceux-là ne nous ont guère
laissé de monuments religieux, et pour cause ; néanmoins
il est impossible de ne pas admettre qu'ils s'étaient fait des
croyances à leur niveau, empruntées au fétichisme ou tout
au plus à la mythologie. Ces esprits étroits pour qui le dieu
du voisin restait un ennemi, à preuve les guerres des
nomes, étaient loin de s'élever à la hauteur d'un monothéisme
devant l'expression définitive duquel la pensée sacerdotale
elle-même hésita toujours.
Comment n'aurait-elle pas hésité? Si les dieux de chaque
groupe entrevu différaient peu dans l'ensemble, ils diffé-
raient beaucoup dans le détail. Chacun d'eux avait une
existence, un passé, une histoire, un culte, un rôle et une
place trop distincts pour qu'on les fît disparaître du pan-
théon et du sol : il eût fallu raser les temples.
Et, en dernière analyse, c'étaient les principaux types
<li\ ins qui résistaient le plus au syncrétisme. Le type solaire,
par exemple, l'emportait dans la conception du personnage
qui gouverne le monde, mais non dans la conception du
personnage qui crée le monde, de sorte qu'on pouvait tou-
jours, et qu'on peut encore se demander, qui était et où
était le véritable dieu égyptien.
Était-ce le Ptah de Memphis, dieu momifié, c'est-à-dire
père et primordial, qu'on assimilait a la terre ou à l'eau
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 341
sous les titres de Ptah-Nun ou de Ptah Tan en ? Etait-ce
l'Ammon de Thèbes, que les Grecs assimilaient à l'air ou à
Zeus, tandis que les Égyptiens le représentaient criocé-
phale comme l'âme, et bleu comme le ciel ? Était-ce le
Khnum d'Éléphantine, dieu des cataractes et par extension
des eaux, puis par extension encore de la création sortie
des eaux ? Était-ce le dieu Ra d'Héliopolis, ou le soleil dans
toute l'étendue de son rôle, de son symbolisme et de son
indépendance, lorsqu'il en arrive, lui qui naît tous les jours,
à supprimer son père et à devenir le dieu qui se donne
naissance à lui-même, Klieper djesej ?
Au point de vue théologique comme au point de vue po-
litique, le problème restait difficile à résoudre, car adopter
un dieu local c'était théologiquement et politiquement
amoindrir les autres dieux. Tout ce qu'on put faire, pour
donner satisfaction aux deux parties du pays, ce fut d'unir
les deux principales divinités de la Haute et de la Basse
Egypte, Ra d'Héliopolis et Ammon de Thèbes, en un seul
type, Ammon-Ra.
Mais la part n'était pas égale entre les deux dieux : si
le criocéphale Ammon avait un rôle plus philosophique,
l'hiéracocéphale Ra avait un rôle plus actif, et le rôle actif
l'emporta presque toujours. Les tendances envahissantes du
culte solaire sont sensibles dans l'histoire de la religion
égyptienne, comme M. de Rougé l'a fait remarquer depuis
longtemps. Soit que la pureté particulière du ciel égyp-
tien, où le soleil règne en maître, ait favorisé ces tendances,
soit qu'elles existent en général dans les religions poly-
théistes, tout le inonde sait que le type solaire s'est, en
Egypte, mêlé et souvent substitué aux autres.
Cette prééminence se marque bien dans le fait que le
Pharaon passait pour le fils et l'image non d' Ammon ou de
Ptah, par exemple, mais du soleil, dont il était pour ainsi
dire le fétiche, de sorte qu'il y avait deux soleils, l'un au
342 l'étude de la religion égyptienne
ciel, l'autre en Egypte, chacun d'eux prêtant et empruntant
à l'autre une partie de sa puissance.
Il s'ensuivit que l'union de Ra et d'Ammon fut plus ap-
parente que réelle, puisque le premier l'emportait en un
sens sur le second. On vit donc, au plus haut point de la
grandeur pharaonique, et sous la pression peut-être de ri-
valités sacerdotales ou gouvernementales, se produire le
seul schisme qui ait déchiré l'Egypte, c'est-à-dire la religion
exclusivement solaire de Khunaten, le quatrième Améno-
phis de la XVIIIe dynastie. Mais la tentative était trop
hardie et trop brusque pour réussir. Il eût fallu sauver au
moins les apparences, comme on l'avait fait avec le symbo-
lisme osirien qui fut atténué, mais non supprimé, dans les
livres royaux des hypogées pharaoniques. L'hérésie était si
peu viable, qu'aussitôt après la mort de Khunaten Ammon-
Ra reparut comme si rien de nouveau ne s'était produit.
La décadence de l'Empire, au reste, vint briser l'unité du
culte] avec l'unité du gouvernement, et le dieu national
perdit ce que perdait le souverain national. Aussi quand
l'Egypte fut définitivement soumise à l'étranger, le soleil
qui n'avait pas su la défendre fut-il négligé, puis délaissé
(au moins comme divinité, car son symbolisme avait laissé
partout une empreinte trop profonde pour disparaître). Les
Ptolémées ne songèrent pas à lui, mais à Osiris et à Apis,
lorsqu'ils instituèrent pour les Grecs et les Egyptiens le
culte mixte de Sérapis. Sous Auguste, le service même avait
cessé dans le temple déjà ruiné d'Héliopolis, la ville solaire
par excellence, tandis que d'autres cultes restaient en pleine
vigueur, ceux, par exemple, d'Hator, de Thoth et d'IIorus,
mais surtout ceux d'Isis et d'Osiris, dieux funéraires à qui
la promesse d'immortalité, que leur mythe offrait aux
fidèles, fit. faire le tour et presque la conquête du monde
romain.
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 343
V
Voilà, bien suffisamment tracé, le tableau général de la
religion égyptienne : avant d'aborder la philosophie du
sujet, il reste à indiquer les sources d'étude, et à préciser
les points déjà éclaircis comme les points encore à éclaircir.
Le culte des mânes nous est connu par les textes ou les
scènes des tombeaux memphitiques et thébains de l'An-
cien et du Nouvel Empire, par le livre de YAp-Ro ou de
l'ouverture de la bouche des statues, et par le Rituel de
l'Embaumement. Il serait intéressant de rechercher d'après
ces documents, qu'ont étudiés en grande partie MM. Schia-
parelli, Maspero, Le Page Renouf et Dùmichen, dans quelle
mesure ont pu se développer et s'accorder en coexistant les
croyances à l'âme habitant la tombe et à l'âme habitant
l'enfer.
Les superstitions fétichistes ont laissé des traces dans les
traités de médecine, tels que le papyrus Ebers, dans la
stèle de Bakhtan, dans le calendrier Sallier, dans les re-
cueils de conjurations guérissant ou préservant de la mor-
sure des animaux dangereux tels que certains papyrus ma-
giques publiés par MM. Pleyte, Rossi et Chabas, dans les
innombrables amulettes des différents musées, dans les
stèles du Sérapéum relatives au bœuf Apis, dans la stèle de
Mendès, dans les temples d'Edfou et de Dendérah, où les
principaux animaux sacrés concourent à certaines céré-
monies, dans les monnaies des nomes, et dans les récits
d'Hérodote, de Diodore, de Plutarque, de fStrabon et
d'Élien, où se révèle l'étonnement que l'adoration des
animaux causait aux Grecs ; enfin dans l'immense collection
des Pères de l'Eglise, qui n'a pas encore été complètement
dépouillée en ce qui concerne les croyances égyptiennes.
Bien que signalé au XVIIIe siècle par de Brosses dans un
344 l'étude de la religion égyptienne
livre aujourd'hui célèbre, le sujet n'a guère été étudié de
nos jours que par M. Pietschmann. Il faudrait déterminer
maintenant l'analogie que les croyances des Égyptiens pré-
sentent avec les superstitions des sauvages, notamment avec
le totémisme, et dresser le tableau des animaux adorés ou
abhorrés dans les différents nomes; l'histoire du bœuf Apis,
notamment, serait à faire.
Sur les dieux du ciel et de la lumière, on rencontre des
renseignements un peu partout : dans les tableaux des
temples qui sont reproduits aux recueils de Champollion,
Rosellini, Lepsius et Mariette, ainsi qu'au grand ouvrage
de la Commission d'Egypte, dans les papyrus de Londres,
de Turin et de Leyde, dans le Papyrus magique Harris,
dans la Stèle Metternich, clans les différents exemplaires
du Livre des Morts et dans les recueils analogues, dans le
Livre des heures du jour, dans la Léyeride de la destruetion
des hommes, dans les Textes relatifs au mythe d'Horus, et
dans les auteurs anciens déjà cités, en y ajoutant quelques
Pires de l'Église, comme Clément d'Alexandrie et Eusèbe.
Ces documents ont été étudiés dans le Panthéon de Cham-
pollion, dans l'ouvrage deWilkinson, dans les notices de
MM. Bircli et de Rougé sur les musées égyptiens de Londres
et de Paris, enfin dans les différents mémoires de MM. Lep-
sius, Birch, Pleyte, Chabas, Goodwin, Naville, Golénischeff,
Pierret et Brugsch. Dès le siècle dernier, Jablonski avait
très bien résumé les renseignements contenus dans les
auteurs anciens. Ici, le travail à faire consisterait dans la
monographie de chaque dieu et dans le classement des
dieux par cycles, par époques et par nomes; toutes ces di-
vinités se son! on elïet partagé l'Egypte et le mythe de
l'une n'est pas toujours celui de l'autre, malgré certains
points de contact : il y a en particulier une grande quantité
d'Horus dissemblables qu'il serait utile de distinguer dans
une histoire d'1 [orus. Les travaux de MM. Pleyte et Meyer
sur le dieu Sel foui nira ien t d'excellents guides pour lamé-
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 345
thode à suivre. Quant au principal secours pour ces classi-
fications, il se trouverait dans le Dictionnaire géographique
de Brugsch, d'où il serait facile d'extraire la liste par
nomes des dieux locaux, ainsi que la nomenclature des
prêtres, des prêtresses, des barques, des arbres sacrés, et
des fêtes de ces dieux. M. J. de Rougé a donné un aperçu
de la matière dans ses mémoires sur la géographie des
nomes.
Pour l'ensemble du culte, encore peu étudié, si ce n'est
par MM. Brugsch, E. de Rougé et Dûmichen, dans leurs
recherches sur les calendriers de fêtes, on rencontrera aux
grands recueils la représentation d'une foule de cérémonies.
L'Abydos et le Dendérah de Mariette, entre autres, con-
tiennent l'un le rituel de l'habillement des statuettes di-
vines, valable pour les morts comme pour toutes les classes
de dieux, l'autre les détails les plus circonstanciés sur tout
ce qui se pratiquait dans un grand temple. L'étude de M. de
Rochemonteix sur le temple d'Apet montrera par contre ce
qu'était un petit temple. De plus le Papyrus Harris n° 1 ,
mis à profit par MM. Birch, Eisenlohr et Piehl, est rempli
de renseignements sur le personnel et le matériel des sanc-
tuaires. Chaque culte local avait sans doute ses rites parti-
culiers, mais, de même qu'il existait certains cultes princi-
paux, n'y avait-il pas certains rites principaux, sur lesquels
on se réglait dans les différents nomes? Voilà encore un
problème à résoudre.
Les matériaux relatifs au monde infernal et à ses dieux
abondent. Ce sont surtout les Textes des Pyramides royales,
le Livre des Morts, le Livre des Soujfles, les Papyrus Rhind,
les Hypocéphales, V Hymne à Osiris de la Bibliothèque
nationale, le Livre d'honorer Osiris, les Lamentations d'Isis
et de Nephthys, le Livre de l 'Hémisphère inférieur, le Livre
de VEnfér, le Livre des Heures de la nuit, le Livre des
Cavernes, qui ont été résumés ou utilisés dans la décoration
de certains sarcophages, comme celui de T'aho, les cercueils
346 l'étude de la religion égyptienne
du temps des Ramessides et des Saïtes, le Conte de l'Ile du
Ka, le temple de Séti Ier à Abydos, les chambres d'Osiris
à Dendérah, et le traité de Plutarque sur Isis et Osiris.
Ces différents matériaux ont été publiés ou étudiés par
MM. Maspero, Lepsius, Naville, Dévéria, Pierret, Brugsch,
de Horrack, Szedlo, Rossi, Birch, Guieysse, Pleyte, Golé-
nischeff, Leemans, Chabas, Mariette, Dumichen,Loret, Lan-
zone et de Bergmann, mais il reste encore beaucoup à faire :
par exemple, les Textes des Pyramides et du Livre des
Morts à commenter, le culte ainsi que le mythe d'Osiris à
décrire dans l'infinie variété de leurs détails, et une édition
comparée à donner des Livres relatifs au monde infernal.
Les personnifications plus ou moins abstraites, comme la
déesse de la Justice, les dieux des sens, les dieux génies, les
dieux du sort et les élémentaires, sont connus seulement par
des textes disséminés et relativement rares. Le mythe de
la Justice a été étudié par MM. Grébaut, Pierret, Stern et
Wiedemann, tandis que le groupement des dieux élémen-
taires a été déterminé par MM. Lepsius, Dumichen et
Brugsch. Il y aurait là matière à quelques monographies in-
téressantes.
Bien plus nombreux sont les textes relatifs au dieu su-
prême, sous ses noms de Ptah, d'Ammon et de Ra. Ce sont
surtout les beaux hymnes du Livre des Morts, de la Litanie
du Soleil, du temple d'El-Khargéh et des papyrus de Leyde,
de Berlin et de Boulaq, traduits par MM. Chabas, Goodwin,
Birch, Grébaut, Pierret, Brugsch et Naville. Ici il y aurait
;i l'aire, pour chaque type divin, le départ de ce qui lui ap-
partient en propre, de ee qui lui appartient comme person-
nage plus ou moins assimilé au soleil, et de ee qui lui appar-
tient comme dieu suprême.
Les documents relatifs à L'hérésie de la XVIIIe dynastie
sont au\ Denkmàler de Lepsius; ils ont été appréciés dans
les différentes histoires de l'Egypte, et, récemment, par
M. Bouriant. On pourrait dégager en outre, à ce propos,
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 347
les concordances qui ont dû exister entre la divinisation du
Pharaon et celle du soleil, car les deux cultes semblent bien
avoir progressé ensemble. L'adoration des rois est très ap-
parente sous les XVIIIe et XIXe dynasties, et cela dans les
temples comme dans les tombes, où elle a surtout pour
objet Aménophis Ier et sa mère, Thotmès III, Aménophis III
et Ramsès II. Elle s'atténue dès les premiers revers subis
par les Ramessides, pour reparaître un instant sous les pre-
miers Ptolémées; plus tard, les livres hermétiques la men-
tionnent encore.
VI
On voit qu'il a été beaucoup fait et qu'il reste beaucoup
à faire dans le vaste champ de la religion égyptienne. Une
étude d'ensemble aujourd'hui serait assurément prématurée :
on doit s'en tenir aux remarquables travaux de vulgarisation
qui ont été publiés dans ces derniers temps par MM. Tiele,
Le Page Renouf, Pierret, Lanzone, Brugsch et Lieblein.
Ces travaux indiquent avec netteté le point d'arrêt de la
science, et on peut les considérer dans une certaine mesure
comme définitifs en ce qui concerne la religion officielle, qui
a livré son secret.
Il subsiste seulement quelques réserves à faire sur les
tendances de M. Tiele à trop subordonner les changements
religieux aux changements politiques, comme si chaque
groupe de dynasties eût renouvelé le culte, et sur les ten-
dances de M. Pierret à trop voir la clef du symbolisme
solaire dans la division du monde en sud et nord par les
deux yeux du soleil levant : les Égyptiens auraient alors
regardé l'œil droit du soleil comme celui du nord et son
œil gauche comme celui du sud, tandis que c'est le contraire
qui a eu lieu, comme le prouvent, entre autres documents,
les textes du mythe d'Horus. D'autre part, M. Le Page
Renouf, d'un esprit pourtant si fin et si perspicace, semble
348 L'ÉTUDE DE LA RELIGION ÉGYPTIENNE
peut-être un peu trop enclin à retrouver l'aurore dans les
mythes égyptiens.
D'aussi légères taches, si elles existent, n'infirment en
rien la valeur des ouvrages qui viennent d'être cités ; désor-
mais l'extérieur, ou, si l'on peut dire, le revêtement de la
religion égyptienne, nous est connu, et il faut déjà songer à
mieux, c'est-à-dire à pénétrer plus avant dans le détail
comme dans l'ensemble.
Le détail, c'est l'œuvre de demain; quant à l'ensemble,
rien n'empêche d'examiner dès maintenant les quelques
théories, applicables ici, dont la philosophie religieuse dis-
pose. Peut-être n'y aura-t-il pas lieu d'en choisir une, mais
ce sera déjà quelque chose que d'envisager le sujet clans son
ampleur et que de considérer, même à distance, les trois
ou quatre hypothèses parmi lesquelles gît sans doute l'ex-
plication cherchée.
Nul ne conteste qu'en général un système religieux,
comme tout autre groupe de faits historiques, obéit à une
loi d'évolution qui règle sa marche. Mais cette marche est-
elle toujours la même? Quel est son point de départ, quel
est son point d'arrivée, et quels sont ses stages intermé-
diaires? D'où vient-elle, comment se dirige-t-elle, et où
aboutit-elle ?
On a fait, depuis le commencement du siècle, plusieurs
réponses bien connues à la principale de ces questions, celle
du point de départ, qui contient implicitement toutes les
autres.
La première réponse a été fournie par Creuzer, pour qui
l'Orient avait maintenu et propagé, sous des formes symbo-
liques, la profonde philosophie monothéiste dont le Plato-
nisme dégagea lentement la formule. L'opinion de Creuzer,
abandonnée presque partout aujourd'hui, a encore sa place
dans !<• domaine égyptologique, où plusieurs savants ad-
mettent, après MM.deRougé et Chabas, que lepolythéisme
égyptien eut pour fond un monothéisme primitif : le dieu
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 349
unique, symbolisé par le soleil, aurait été fractionné en di-
vinités secondaires.
Sous le coup des grands découvertes philologiques de ce
siècle, la doctrine du symbolisme a été généralement rem-
placée par une théorie bien différente, celle de la maladie
du langage, à laquelle Max Mùller a attaché son nom et
qu'on peut résumer ainsi : d'une part, l'animation apparente
que les mots prêtent aux choses aurait entraîné la person-
nification des phénomènes ; d'autre part, chaque dieu aurait
reflété dans ses formes et ses légendes les divers sens des
mots qui lui auraient donné naissance. D'après certains
savants, ce travail du langage aurait principalement porté
sui les phénomènes solaires, et, d'après d'autres, sur les
phénomènes atmosphériques. Parmi les égyptologues,
MM. Brugsch et Le Page Renouf semblent adopter en
grande partie les théories de Max Mùller. Aucun système
n'a obtenu plus de faveur et de défaveur que celui-là. Un
de ses grands torts est qu'il a régné, et que de hautes ré-
putations scientifiques se sont échafaudées sur lui : on s'est
lassé de l'entendre appeler juste, et l'on a appris à ses dé-
fenseurs, un peu durement peut-être, qu'une hypothèse a
le droit de se proposer, mais non de s'imposer.
L'opinion qui lui fait échec aujourd'hui est que, dans le
principe, l'homme regardait les phénomènes comme pro-
duits par des personnes, humaines ou bestiales, ce qui sup-
prime l'intervention du langage. Les partisans du nouveau
système attachent tous une grande importance au culte des
fétiches, qui seraient, soit l'un et l'autre, soit l'un ou l'autre,
suivant les auteurs, les deux sources du polythéisme. Ils
insistent en outre, et particulièrement M. Lang, sur certains
développements mythiques et légendaires qui seraient dus,
non aux aspects de l'orage ou du soleil, mais à de grossières
tentatives pour expliquer les choses de la vie et du monde,
d'après l'analogie de coutumes ou d'idées plus ou moins
barbares. Les égyptologues ont fait aussi quelques em-
350 l'étude de la religion égyptienne
prunts à cette école, comme MM. Le Page Renouf , Maspero
et Dùmichen relativement aux mânes, et comme M. Pietsch-
mann relativement aux fétiches.
VII
Telles sont les trois grandes théories qu'on pourrait ap-
pliquer en ce moment à l'étude de la religion égyptienne,
religion qui serait le produit, ou du monothéisme ancien, ou
du langage mythologique, ou de la pensée sauvage. En
outre, il faudrait se prononcer dans le détail sur la préémi-
mence à donner aux mythes du soleil ou aux mythes de
l'orage, et au culte des ancêtres ou au culte des fétiches.
Malheureusement aucune des trois théories n'est encore
acceptée ni rejetée d'une manière définitive pour TKgypte,
de sorte qu'il serait prématuré de se régler sur l'une d'elles,
au moins dès l'abord, et avant un examen complet. Chacune
a ici sa part de vérité.
Rien ne prouve, par exemple, qu'avant l'époque histo-
rique la religion égyptienne ne s'est pas constituée grâce à
une sorte d'accord, ou de compromis, entre les croyances
plus élevées d'un peuple conquérant et les superstitions
plus grossières d'un peuple conquis, comme le pense dans
une certaine mesure M. Flinders Pétrie. Rien ne prouve
aussi que l'animisme et le fétichisme n'ont point prospéré
pendant toute la durée de la civilisation pharaonique, car la
momification des cadavres et l'adoration des animaux ne
sauraient s'expliquer autrement. Quant aux mythes nés du
langage ou rattachés aux phénomènes solaires et atmosphé-
riques, on reconnaît aisément la trace des premiers dans les
calembours des textes religieux, et la trace des seconds
dans la légende du soleil, d'Horus et d'Osiris.
D'ailleurs, une difficulté spéciale et qu'on a déjà dû en-
trevoir se présente : c'est que nous ne pouvons fournir la
SON ÉTAT ACTUEL ET SES CONDITIONS 351
chronologie d'une évolution qui paraît s'être produite avant
l'époque historique. Pour l'Inde, on connaît par le RigVéda
une période pendant laquelle les dieux naturistes existaient
à peu près seuls ; pour la Grèce, on sait que l'institution
des mystères, qui prépara la philosophie, est postérieure à
Homère et même à Hésiode; mais en Egypte il semble que
tout était fait avant Menés. On ne voit plus ensuite que des
changements de détail, comme ceux qui ont été signalés
plus haut à propos d'Ammon, de Ra et d'Osiris, et, si l'on
cherche le pourquoi des grandes modifications fondamen-
tales, on est obligé de sortir du sujet, en invoquant soit des
conquêtes et des diversités de races, soit des explications
purement théoriques.
Il y a donc là des éléments dont la coordination s'est faite
suivant une loi qui nous échappe. Rien ne nous oblige pour
le moment à remplacer cette loi par une hypothèse. Les
tronçons que nous ne pouvons rapprocher encore se prêtent
à des recherches spéciales dont les résultats suffisent, et
au delà, pour payer les travailleurs de leur peine aussi bien
que de leur attente.
En définitive, l'Egypte a développé et maintenu, comme
nul autre peuple ne l'a fait, toutes les parties qu'un système
religieux peut comporter : l'animisme, le fétichisme, le po-
lythéisme et le monothéisme. De ces parties, nous connais-
sons mieux les dernières (et surtout la dernière), que des
sources plus abondantes nous révèlent et que notre culture
intellectuelle et morale nous rend plus aptes à comprendre.
Ce qui nous manque, c'est de savoir quand, comment et
pourquoi des matériaux en apparence aussi dissemblables
se sont groupés puisque la religion de l'Egypte s'offre à
nous toute formée. Nous assistons à sa longue maturité et
à son lent déclin, mais sa jeunesse nous reste aussi cachée
que les sources du Nil. Les choses étant ainsi, nous ne
pouvons demander plus de lumière qu'aux nouveaux progrès
352 l'étude de la religion égyptienne
de la science égyptologique en particulier, et de la science
religieuse en général, avec le ferme espoir que le succès ne
se fera pas attendre. Si en effet l'égyptologie ne peut ré-
soudre à elle seule les problèmes qui la sollicitent, comme
c'est encore le cas aujourd'hui, le flux toujours montant des
conquêtes intellectuelles ne manquera point de lui donner
quelque jour une impulsion décisive, à peu près comme la
marée soulevant les barques restées à sec sur la plage :
l'essentiel, ici, sera de ne pas laisser la barque hors de la
portée du flot.
UN DES PROCÉDÉS
DU
DÉMIURGE ÉGYPTIEN
i
Dans son mémoire sur le texte qui concerne les quatre
races humaines au Livre de V Enfer, M. Lieblein a atteint
le but qu'il se proposait, et a très bien mis en lumière un
fait que personne n'avait remarqué, l'allitération portant
sur les noms de races. On peut même dire que le savant nor-
végien n'a pas été assez loin en n'admettant point d'allitéra-
tion pour le nom de la quatrième race, celle des Temeh-u;
l'assonance du mot Temeh avec le hek est aussi prononcée
que celles de
Ret-u avec remi-t,
Aam-u avec aa-ten ,
et Nehes-u avec nenuh.
Ces jeux de mots ne sont guère que ce que nous appelons
des calembours par à peu près, et M. Lieblein s'est proba-
blement trompé en voyant un calembour complet dans la
phrase qui concerne la deuxième race. Il en lit le début
aa-mou, c'est-à-dire grande essence, d'après le sarcophage
de Séti Ier, mais le texte est corrompu et par conséquent
1. Publié dans les Annales du Musée Guimet, 1887, t. X, p. 553-558.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIY. 23
354 UN DES PROCÉDÉS DU DÉMIURGE ÉGYPTIEN
douteux. La version que donne le tombeau du même roi'
porte aa-ten, c'est-à-dire : « Soyez grands, parce que je
» vous ai créés, en votre nom d'Aam-u! » Ce début est
analogue au commencement du discours précédent, adressé
aux Égyptiens : « Honneur à vous, troupes de Ra ! »
II
Ici, l'erreur de M. Lieblein n'est pas grande, si elle existe,
mais il y a un autre point, la création des noirs, sur lequel
il est plus important d'insister.
Le texte dit clairement : Vois, je me suis masturbé pour
vous, et je me suis soulagé par une multitude sortie de
moi sous votre nom de Nègres. Le mot saillant, dans cette
phrase, est nenuh, que M. Lieblein rapproche du verbe
copte signifiant excutere, agitari, concuti, « de qui, pense-
t— il, on peut facilement dériver le sens de travailler ». —
a J'ai préparé pour vous ma paix de millions d'années. »
Le sens de nenuh serait nouveau et donnerait une alliance
d'idées peu satisfaisantes : secouer une paix, pour dire la
préparer. Mais le verbe nenuh, sans lui chercher un nou-
veau sens, en possède un qui est bien connu par la confes-
sion négative du Livre des Morts, où il désigne d'une
manière certaine la masturbation, dans une déclaration faite
à un dieu de la ville de Memphis, où l'obscénité était parti-
culièrement prohibée4. C'est ainsi qu'on a toujours compris
le mot nenuh de la confession négative3, et les variantes
réunies par M. Naville lui donnent presque toutes le phallus
pour déterminatif : « Je ne me suis pas masturbé (nenuh
et nenu). » — « Je ne me suis pas souillé (nek et nenek) '. »
1. Annales du Musée Guimet, t. IX. partie II, pi. IV.
2. J. de Rougé, Edfou, t. II, pi. 143.
3. Brugsch, Dictionnaire hiéroglyphique, p. 782.
4. Todtenbuch, ctiap. cxxv, 1. 25, et Naville, Todt., t. II, p. 302.
UN DES PROCÉDÉS DU DÉMIURGE ÉGYPTIEN 355
Le même mot se retrouve sous la forme nenu au début du
chapitre xcm' : O ce phallus de Ra qui s'agite (nenu) dans
la tempête! et sous sa forme plus usitée, nenuh, dans un
papyrus inédit du British Muséum, étudié par M. Pleyte :
tes membres sont délassés, y est-il dit à Osiris, par l'agi-
tation amoureuse ou nenuh2 . Il est probable que ie délasse-
ment est exprimé là par le mot hetep, comme dans le texte
d'El-Khargéh relatif à la création des dieux1, et comme
dans le texte du Livre de l'Enfer, relatif à la création des
noirs par Horus.
L'acte obscène d'Horus était plus spécialement attribué à
sa forme d'Horus-Khem. C'est à cause de cela qu'au tom-
beau de Ramsès VI, dans une description de l'enfer, les races
ont pour gardien Horus-Khem (surnommé dans le texte
khent an merti, parce que sous ce nom il représente un
animal consacré à Khem"). Dans le tableau, Horus-Khem est
précédé immédiatement par les Nègres5, dont il était d'ail-
leurs le dieu spécial en Egypte, puisqu'un prêtre noir était
attaché à son culte".
Les Egyptiens figuraient assez souvent la masturbation
de Khem sur les murs des temples7, c'était un symbole de
création et de fécondation.
III
Les textes qui ont trait à la cosmogonie employaient la
même image pour exprimer l'acte du démiurge agissant seul.
1. Naville, Todtenbuch, t. II, p. 24.
2. Recueil de Travaux, t. III, p. 59.
3. Ligne 29.
4. Cf. J. de Rougé, Monnaies des Nomes, p. 18, et Maspero, Guide
au Musée de Boulaq, p. 159.
5. Champollion, Notices, t. II, p. 671.
6. Ramesséum et Médinet-Abou.
7. Champollion, Notices, t. I, p. 70, et t. II, p. 81.
356 UN DES PROCÉDÉS DU DÉMIURGE ÉGYPTIEN
M. de Rougé a signalé depuis longtemps la curieuse défi-
nition du dieu de l'Amenti, donnée par le chapitre xvn du
Todtenbuch : C'est l'âme de Ra, ee lui qui jouit en lui-même
(nek-f am-f t'es-f), qui mœchatur in se ipso\
La phrase manque dans les textes correspondants de la
XIIe dynastie, mais l'idée, par contre, se trouve d'une ma-
nière plus développée et plus énergique dans les vieilles
formules des pyramides royales, à la VIe dynastie.
C'est Tiun Kheper qui vient se masturbe?^ dans Hélio-
polis (le déterminatif représente l'acte). // met son phallus
dans son poing et il jouit par là, et il enfante deux ju-
meaux, le couple de Shu et TefnuV.
Le papyrus du British Muséum, qui a été cité plus haut
et qui date du commencement de l'époque ptolémaïque,
raffine et renchérit sur cette conception dans un passage où
il fait parler le créateur Khepra :
C'est moi qui ai été mon mari avec mon poing , j' ai for-
niqué dans mon ombre. Je suis sorti de ma propre bouche
(autre allusion à l'émanation), je me suis vomi en forme de
S/m (l'air), et j'ai dégoutté de Tefnut (l'eau)3.
IV
Quand ce sont les déesses qui créent, elles peuvent prendre
un rôle analogue, Isis en particulier.
Le papyrus du British Muséum rappelle cette particu-
larité du mythe d'isis dans une sorte d'éloquente lamenta-
tion :
.I/o// cœur se consume, dit la déesse à Osiris, de ce que
tu es renversé <nt milieu de cela (les ténèbres). Moncwur
se co nsume, (car) //' m'as tourné le dos. Jamais tu n'avais
1. Ligne !•. et E. de Rougé, Étude sur le Rituel, p. 45.
2. Recueil <!•■ Travaux, t. VII, p. 70.
:: Proceedings, novembre 1886, p. 21-25.
UN DES PROCÉDÉS DU DÉMIURGE ÉGYPTIEN 357
imaginé cela contre moi. Le danger est de chaque coté : les
chemins sont perdus. Je cherche à cause de mon désir de
te voir. Me voici dans la ville aux immenses remparts ; je
suis inquiète au sujet de ton amour pour moi. Viens seul,
ne t'éloigne pas. Ton fils j'era reculer l'ennemi vers son
égorgeoir. Je me suis dérobée dans les roseaux pour cacher
tonjils, afin qu'il réponde [jour toi. J'ai cheminé seule. J'ai
erré dans les roseaux pour écarter le monstre de tonjils.
Une femme par la figure, un mâle (en réalité)'/
La virilité d'Isis est mentionnée plus longuement au Livre
d'honorer Osiris, où on lit :
Je suis ta sœur Isis. Il n'y a ni dieux ni déesses, ayant
fait ce que j'ai fait. J'ai fait le mâle, étant femme, afin de
faire vivre ton nom sur la terre* .
Dans X Hymne à Osiris, traduit par M. Chabas, il est dit
seulement que la déesse aspira la semence du dieu et fit un
enfant qu'elle allaita toute seule''; Plutarque rappelle cette
atténuation du symbolisme quand il rapporte qu'Isis eut
commerce avec Osiris mort, après quoi elle mit au monde
avant terme un Horus boiteux '.
La légende à laquelle Plutarque l'ait allusion est figurée
et décrite au chapitre xxn du Livre des Morts', où l'on voit
Isis penchée au-dessus d'un lion qui est le phallus d'Osiris
(cf. les phallus divins à tète de lion)" :
Celui qui a déployé ses cheveux sur lui et qui hésite
à l'entrée de son chemin, c'est Isis qui se cache. Voilà
qu'elle a ramené ses cheveux sur elle (comme une veuve7,
1. Proceedings, novembre 1886, p. 16-17.
2. Pierret, Études ègyptologiques, fasc. 1, p. 22; cf. Chabas, L'Ègyp-
tologie, t. I, p. 21.
3. Ligne 16.
4. D'Isis et d'Osiris, 19.
5. Lignes 86-93.
6. Mariette, Dendêrah, t. IL pi. LXXVI.
7. Cf. Hérodote, IL 36.
358 UN DES PROCÉDÉS DU DÉMIURGE ÉGYPTIEN
sans doute. La chevelure d'Isis était d'ailleurs célèbre').
Au chapitre cxv du Livre des Morts, qui a pour but d'ex-
pliquer l'origine des différents sacerdoces héliopolitains*,
entre autres celui de Yur-maa, l'institution de la prêtresse-
nommée Henkesti vient de ce que le grand dieu solaire, pour
engendrer son fils Ur-maa, à ce qu'il semble, s'était changé
eu une femme, henkesti, c'est-à-dire chevelue.
Aux basses époques, apparaissent les dieux phalliques à-
tête de déesses et les déesses à phallus', toujours en vertu
de la croyance que le dieu père ou la déesse mère avaient pu
créer seuls.
Cette conception passa dans l'histoire naturelle des Egyp-
tiens et même des Grecs, puis des Romains. Pour les Égyp-
tiens, tous les scarabées étaient mâles* et tous les vautours
femelles5, de sorte que les premiers engendraient sans
femelles et les seconds sans mâles, le tout parce que le sca-
rabée était l'hiéroglyphe du mot et du dieu Khepra, créa-
teur et père, et le vautour, l'hiéroglyphe du mot et de la
déesse Maut , ou créatrice, comme le savait encore Hora-
pollon r'.
1. Plutarque, Questions naturelles, 2r>, et Lucien, Contre un igno--
rant bibliomane, 14; cf. N'avilie, Un Ostracon égyptien (Annales du
Musée Guimet, t. I, p. 51-60).
2. Naville, Un Ostracon égyptien (Annales du Musée Guimet, t. I,
p. 51-60).
3. Todtenbuch, chap. clxiii et clxiv.
1. Plutarque, D'Isis et d'Osiris, 74; Horapollon, I, 10; A ris to te,
Histoire des Animaux, V, 19; Elien, De la nature des animaux, X,
15, etc.
5. Plutarque, Questions romaines, 93; Horapollon, I, 11; Elien, De
la nature des animaux, II, 16; Ammien Marcellin, XVII, etc.
6. I, 10 et 11.
UN DES PROCÉDÉS DU DÉMIURGE ÉGYPTIEN 359
V
Au papyrus du British Muséum, le dieu créateur ajoute
ceci à sa description de la création primitive :
« J'ai rassemblé mes membres et j'ai pleuré sur eux : les
hommes naquirent des pleurs sortis de mon œil » (p. 26).
Cette forme de l'émanation, par les pleurs, est celle qu'in-
dique le texte des quatre races relativement à la naissance
des Égyptiens et des Tameh-u : il n'y a donc rien d'étonnant
si l'émanation par la semence figure aussi dans les deux
textes.
L'ŒUF DANS LA RELIGION ÉGYPTIENNE1
i
Deux partis se faisaient une guerre acharnée, au royaume
de Lilliput, parce que les uns cassaient les œufs par le gros
bout et les autres par le petit bout. Il ne paraît pas que,
dans le monde réel, l'œuf ait causé de telles discordes :
toutefois, les superstitions qui le concernent ont été et sont
encore très répandues. On comprend qu'à un certain point
de vue, pour un sauvage, par exemple, l'œuf ait quelque
chose de mystérieux et d'inquiétant : son contenu n'est
d'abord qu'une matière informe, et voilà qu'il en sort un
être vivant, un oiseau, un crocodile ou un serpent :
Quatenus in pullos animales vertier ova
Cernimus alituum
Scire licet gigni posse ex non sensibu' sensus*.
Ne semble-t-il pas que le sauvage doit voir là un effet sur-
naturel, un sortilège analogue à celui qu'il soupçonne dans
le fusil, la montre ou la boussole de l'Européen? L'œuf ne
sera-t-il pas toujours, pour lui, le domicile d'un esprit3?
Même aujourd'hui, l'usage persiste chez nous de briser
1. Publié dans la Reçue de l'Histoire des Religions, 8e année, t. XVI,
p. 16 25. — G. M.
2. Lucrèce, II, 927-930.
3. Tylor, Civilisation primitive, trad. française, t. II, p. 199.
362 l'œuf dans la religion égyptienne
sur son assiette les coquilles des œufs qu'on a mangés, et le
fait s'explique par une survivance, au même titre que les
souhaits adressés à une personne qui éternue.
Puisque nous agissons ainsi, nous ne nous étonnerons pas
si, de nos jours, les Touaregs s'abstiennent de manger des
œufs', et si, d'autre part, dans l'antiquité, quelques super-
stitieux regardaient comme un malheur de casser un œuf,
Ocoque pericula rvpto*,
soit par hasard, soit dans quelque pratique de l'ooscopie,
comme celle que mit en usage Livie, quand elle couva un
œuf pour savoir si elle aurait un fils ou une fille3.
Par suite, sans doute, de ces idées superstitieuses, l'œuf,
avait pris dans certaines religions de l'antiquité une véri-
table importance symbolique, indépendamment de son em-
ploi dans les lustrations. Les Pythagoriciens et les Orphi-,
ques s'abstenaient de manger des œufs, des cœurs et des
cervelles, qu'ils regardaient comme des principes de vie*;
dans ses Propos de table, Plutarque parle d'un songe ayant,
provoqué la même abstinence pour le même motif, au sujet
de l'œuf. Macrobe, dans les Saturnales*, dit que les initiés
aux mystères de Bacchus vénéraient l'œuf, et l'appelaient,
à cause de sa rondeur, le simulacre du monde, mundi sitnu-
lacrum. On attribuait ces conceptions à Orphée6.
1. Henri Duveyrier, Les Touarc</s.
2. IVr<o, Hist. Nat., V, 185.
3. Pline, X. 76.
4. Plutarque, Quœst. Conmoalium, II, 3.
5. VII, 46.
6. Cf. Athdnagore, Legatio pro Christianis; Damascius, Quœst. de
prim. principe 55 et 122; Proclus, In Platon. Tint., II, 130.
l'œuf dans la religion égyptienne 363
II
On doit s'attendre à retrouver des croyances analogues en
Egypte, où le plus haut point du développement religieux
correspond assez exactement à la période des mystères chez'
les Anciens. En effet, les Égyptiens, comme les Grecs, les
Assyriens1, les Perses2, leslndous3, etc., voyaient dans l'œuf
le principe de certaines naissances divines, sans compter que
l'œuf, dans leur écriture, servait à désigner le mot fils et à
déterminer le genre féminin.
Une tradition bien connue sur le démiurge est celle que
rapporte Eusèbe au sujet de Kneph : le dieu avait émis par
la bouche un œuf d'où était sorti Ptah, et cet œuf était le
monde, èpfzeveôeiv 8s xô ojôv xôv x6<r{jiov\ Kneph, c'est-à-dire
Khnum ou Num, le principe humide, « est quelquefois re-
présenté façonnant sur un tour à potier une figure d'homme
ou l'œuf mystérieux d'où la légende fait sortir le genre
humain et la nature entière' ». Un texte d'Edfou dit du
démiurge : « Tu es le dieu unique qui est devenu deux
dieux, tu es le créateur de l'œuf, et le générateur de tes
jumeaux". ». Ces jumeaux, figurés hiéroglyphiquement par
deux oiseaux7, sont le dieu Shu et la déesse Tefnut, sans
doute l'Arès et l'Aphrodite d'Horapollon, qui semble bien
les dire nés de deux œufs de corneille. La corneille, ici,
serait le nycticorax (en copte, A*ï), hiéroglyphe de lame
divine et humaine (en égyptien, ba) : d'après le chap. lxxxv
1. Hygin, Fab., 197.
2. Plutarque, De Is. et Os., 47.
3. Lois de Manou, début.
4. Préparation êoangèlique, m, 11.
5. E. de Rougé, Notice sommaire, 4e édit., p. 106.
6. J. de Rougé, Edfou, t. I, pi. 59.
7. Cf. Todtenbuch, chap. xvii, 44.
364 l'œuf dans la religion égyptienne
du Todtenbuch (1. 10), lame divine se faisait un nid, et une
scène ptolémaïque représente l'offrande de l'œuf à Shu et à
Tefnut'. Il y a, à Dendérah, une divinité ayant l'œuf pour
hiéroglyphe2.
La ville de Thèbes était surnommée l'œuf qui a produit
les dieux3, et c'est peut-être là la ville de l'Œuf des pyra-
mides royales*.
Ptah est « figuré quelquefois portant l'œuf humain comme
Noum 3 ». M. de Rougé, qui donne ce détail dans sa Notice
sommaire, ajoute que c'est sans doute à l'œuf de Ptah que
fait allusion l'une des formes du dieu, « calquée sur celle de
l'embryon" », parfois en môme temps sur celle du scarabée7,
et, d'après Mariette8, couvée par les déesses. Il semble bien,
du moins, qu'on ait songé à représenter ainsi ou un état du
fœtus, ou, en tout cas, quelque chose d'approchant, comme
l'a pensé le Dr Parrot\ L'idée de l'œuf et celle de l'embryon
se reliaient, pour les Egyptiens, qui louaient souvent le
Pharaon d'avoir remporté des victoires lorsqu'il était encore
dans l'œuf, c'est-à-dire dans le sein maternel. Dans un sens
très général, nous disons de même, quoiqu'en partant d'une
;i utre idée, ah ooo. On remarquera qu'Osiris, à la basse
époque, reçoit parfois une forme ovoïde"' qui rappelle l'em-
bryon de Ptah.
En général, les dieux égyptiens ayant forme d'oiseaux
(épervier, ibis ou phénix) pouvaient être dits nés d'un œuf,
1 Champollion, Notices, t. I, p. 37'.».
2. Mariette, Dendérah, III, 12.
3. Brugsch, Dictionnaire géographique, Supplément, p. 123;}.
1. Recueil de Traoaux, t. V, p. 54, et t. VII, |>. 140.
h. K. île Rougé, Notice sommaire, p. 108.
6. Id., ibid., p. 108-10').
7. H., ibid., p. 129.
8. Catalogue du Musée de Bonite/, 3e édit., p. 114-115.
9. Recueil de Travaux, t. II. p. 129-133.
10. E. de Rougé, Notice sommaine, p. 120.
l'œuf dans la religion égyptienne 365
comme l'Éros, les Dioscures et les Molionides des Grecs1.
Différents textes parlent des nids d'Osiris à Sais1, et
d'Horus aux marais de Bouto]3. Les papyrus hiératiques
mentionnent aussi le nid de l'ibis sacré du dieu Thot4.
D'après un papyrus grec interprété par M. Goodwin, le
magicien disait, en consacrant la bague d'Hermès et son
scarabée : « Je suis l'œuf de l'ibis, l'œuf de l'épervier, le
petit du phénix". » Les anciens parlent assez souvent du nid
et de l'œuf du phénix" :
Seque ovi teretis colligit in speciem 7.
Enfin, le chapitre de l'Épervier d'or, au Todtenbuch,
commence ainsi : « Je m'élève sous la forme d'un grand
épervier d'or sortant de son œuf8. »
III
Le soleil avait aussi son œuf, qui était son disque9 :
« O Soleil, qui es dans ton œuf et qui brilles dans ton dis-
que10! » lit-on au chapitre xvn du Livre des Morts dans
un passage qui existait déjà à la XIIe dynastie11. Ptah avait
1. Cf. Athénée, II, 50.
2. Brugsch, Dictionnaire géographique, p. 755 et 572, et Inscription
d'El-Khargeh, 1. 32; cf. Hérodote, II. 170, et Strabon, XVII, 1, 23.
3. Brugsch, Zeitschrift, 1879, p. 6 et 13 (stèle Metternich), et Dic-
tionnaire géographique, Supplément, p. 1140.
4. Pierret, Études ègypto logiques, t. I, p. 55.
5. Chabas, Le Papyrus magique Harris, 183.
6. Hérodote, II, 73; Tacite, Annales, VI, 28; Pline, X, 2. etc.
7. Lactance, Carmen de Phœnice, 104.
8. Todtenbuch, chap. lxxvii, 1.
9. Cf. Todtenbuch, chap. c, 5.
10. Todtenbuch, chap. xvn, 50.
11. Lepsius, atteste Texte, III, 1. 41; XVIII, 1. 38, et XXXIII,
1. 58-59.
366 l'œuf dans la religion égyptienne
créé l'œuf du soleil et de la lune1; mais l'œuf du soleil
avait encore un autre auteur, l'oie du dieu de la terre, sorte
de poule aux œufs d'or des mythes égyptiens.
Le dieu de la terre, dont le nom a été lu jusqu'à présent
Seb et qui pourrait bien s'être appelé Keb, d'après les obser-
vations de M. Brugsch2, avait pour hiéroglyphes une oie
(l'un des noms de l'oie était Keb3), et un œuf (l'un des noms
de l'œuf, suh, devait être aussi keb\ d'où le jeu de mot
suh se-keb', c'est-à-dire un œuf brillant ; cf. les radicaux
sémitiques signifiant boule et peloton, cf. aussi les noms
sémitiques de l'étoile, qui varie quelquefois dans les hiéro-
glyphes avec l'oie et l'œuf pour désigner le dieu).
En mythologie, c'était cette oie qui avait pondu cet œuf"
en gloussant dans la nuit7. Le fait est mentionné au Livre
des Morts, avec des détails assez instructifs qui montrent
bien quelles étaient la part et l'importance du calembour
dans les conjurations magiques. Il s'agissait de rendre l'air
ou le souille au défunt, et, comme le mot suh, qui signifie
œuf, signifiait aussi air, l'idée de l'œuf intervenait par là
dans la conjuration : « 0 Tum (le dieu ancêtre, l'Adam ou
le héros égyptien, le Héron des Grecs), donne-moi l'air dé-
licieux qui est dans tes narines. Je suis cet œuf de la grande
glousseuse. Je veille sur ce grand œuf qu'envoie Seb (ou
Keb) pour la terre. Je prospère, il prospère, réciproque-
ment. Je vis, il vit8. » Le texte d'un des chapitres suivants"
1. Mariette, Catalogue du Musée de Boulaq, p. 114.
2. Zeitschrift, 1886, p. 1-5.
:{. Denkmàler, II, 61.
4. Cf. Brugsch, Zeitschrift, 1N<SG, p. 2, et Dictionnaire géographique,
p. 904.
5. Denkmàler, III, 29, a : Cbampollion, Notices, t. II, p. 628; etc.
0. Cl. Le Page Renouf, Transactions qfthe Soc ofBibl. Archœol.,
t. VIII, part 2, p. 217.
7. Chabas, Le Papyrus magique Harris, VII, 6 et 7.
8. Todtenbuch, chap. llv, 1 et 2.
9. îd., chap. lvi, 2.
l'œuf dans la religion égyptienne 367
ajoute : « Je respire l'air, il respire l'air » (sans que les
Égyptiens aient su pour cela que le poussin respire dans
sa coquille, assurément).
C'est aussi à l'œuf de Seb ou Keb que fait allusion ce texte
égyptien, cité par Diodore1, dans lequel Osiris dit : « Je
suis l'aîné de Kronos (Seb ou Keb), je suis sorti d'un œuf
beau et noble, et je suis devenu la semence de même ori-
gine que le jour », ix /.aÀo^ -e /.aï eÙYsvoùç ûoù, etc., d'après la
leçon généralement adoptée.
Si ce que les anciens croyaient de la belette est bien
égyptien, comme ils semblent le dire2, qu'elle pondait un
œuf par la bouche et qu'elle avalait ses petits3, cette fable
pourrait avoir été, à une certaine époque, une variante du
mythe de la terre enfantant le soleil le matin et l'englou-
tissant le soir.
L'œuf solaire ou lunaire est encore mentionné dans une
conjuration ayant pour but de charmer l'eau, qu'on pronon-
çait à l'avant des barques royales, un œuf d'argile à la
main4 : « Œuf de l'eau5 (céleste), émanation de la terre,
essence des Huit (dieux élémentaires), grand au ciel d'en
haut, grand au ciel d'en bas, toi qui résides dans les nids
qui sont à Aatestes" (l'oasis de Dakhleh, considérée comme
l'occident ou l'enfer) ! Je sors avec toi de l'eau, je passe
avec toi hors de ton nid, je suis Khem de Keb-t », Coptos.
Il est probable que Khem de Coptos intervient ici à cause
de la prononciation Keb de l'un des noms de l'œuf.
1. Diodore, I, 27.
2. Cf. Plutarque, De Is. et Os., 74, et Horapollon, II, 110.
3. Plutarque, De Solert. anim., 33.
4. Chabas, Le Papyrus magique Harris, VI, 11, 13.
5. Cf. Champollion, Notices, t. I, p. 906, et Brugscb, Dictionnaire
géographique, Supplément, p. 1066.
6. Cf. Inscriptions d'El-Kliargéh, 1. 27.
368 l'œuf dans la religion égyptienne
IV
La divinité de l'œuf ne pouvait manquer d'avoir quelque
effet et de laisser quelque trace dans les prescriptions reli-
gieuses.
Ainsi, c'était une grande impiété que de blasphémer
contre l'œuf ou son contenu, comme le montrent les quali-
fications des damnés à la première division du Livre de
l'Enfer : « les fléaux de la grande salle du Soleil (le monde),
ceux qui ont négligé le Soleil sur terre, qui ont maudit
celui qui est dans l'œuf, qui ont repoussé la justice, et pro-
féré des menaces contre Armacliis' ».
Les prêtres égyptiens, d'après Chérémon, cité par Por-
phyre'2, s'abstenaient dans les purifications de toute nour-
riture animale, et même d'œufs, soit que leur abstinence ait
eu réellement pour cause l'impureté de la nourriture ani-
male, soit qu'elle ait été motivée par la sainteté de l'œuf
divin, comme chez les Orphiques.
Une autre prescription défendait même de casser des
œufs, non pas sans doute aux cuisiniers qui en servaient sur
la table des Pharaons ', mais, en tout cas, aux Pharaons eux-
mêmes, tenus à une pureté particulière et astreints à des
pratiques innombrables1. Le jeune dieu, appelé l'enfant
dans son nid", comme le dernier jour épagomène, le jeune
(/ni est (huis son nid'', ne dit-il pas, au chapitre lxxxv du
Todtenbuch : « Que mon nid ne soit pas vu, que mon œuf
ne soit pas brisé »? ce qui rappelle incidemment les dan-
1. Bonomi et Xharpe, Le Sarcophage de Sèti /'''. 4 et 3. D.
2. De Abstinentia, IV, (> et 7.
3. Cf. Papyrus Anastasi II l.
4. Cf. Diodore, I, 70 et 71.
5. Todtenbuch, chap. liv, 3.
6. Chabas, Le Calendrier des jours fastes et néfastes, p. 106.
l'œuf dans la religion égyptienne 369
gers encourus dans les contes arabes par ceux qui brisent
l'œuf fabuleux de l'oiseau Rokh1.
Un roi égyptien se glorifie de n'avoir pas enfreint la dé-
fense dont il est question ici. C'est Ramsès IV, qui fait
montre d'une piété un peu exagérée dans ses deux stèles
d'Abydos, soit qu'il ait ressenti le besoin d'une protection
divine plus grande, dans la décadence de l'empire, soit qu'il
n'ait pas eu la conscience très nette au sujet de la mort de
son père : celui-ci, qui eut certainement à se défendre contre
les complots de son harem2, passait pour s'être suicidé3
(d'après Diodore, qui l'avait confondu avec Ramsès II), et
son testament, le grand Papyrus Harris, semble bien une
pièce forgée pour les besoins d'une cause. Quoi qu'il en soit,
voici l'espèce de confession négative que fait Ramsès IV
sur la plus grande des stèles :
« Je n'ai pas repoussé mon père, je n'ai pas écarté ma
mère. Je n'ai pas repoussé le Nil (du lieu) où il vient. Je
n'ai pas marché à l'encontre d'un dieu en face de lui dans
son temple. J'en jure par mon amour pour le dieu au jour
de sa naissance dans le lac enflammé ! Je n'ai pas fait de con-
juration contre un dieu. Je n'ai pas offensé de déesse. Je n'ai
pas cassé d' œuf pondu. Je n'ai pas mangé de ce qui est im-
pur pour moi. Je n'ai pas tourmenté le faible pour ses biens.
Je n'ai pas massacré le malheureux. Je n'ai pas enlevé les
poissons du vivier d'un dieu. Je n'ai pas jeté le filet, je n'ai
pas lancé la flèche contre le lion fascinateur à la fête de Bu-
bastis. Je n'ai pas juré par le bouc de Mendès dans le temple
des dieux. Je n'ai pas proféré le nom de Tanen (le dieu de
la terre) et n'ai pas diminué ses pains''. »
1. Cf. Lane, The Thousand and One Nights, chap. xx, note 62 :
« the Egg of the Rukh, and the conséquence of breaking it ».
2. Papyrus judiciaire de Turin.
3. Diodore, I, 58.
4. Piehl, Zeitschrift, 1884, p. 39, 1. 15-17, et 1885, 15 et 16.
BlBL. ÉGYPT., T. XXXIV. 24
370 l'œuf dans la religion égyptienne
Dans ce texte, les restrictions apportées aux défenses ne
manquent point d'intérêt.
On pouvait chasser le lion (qui devait son antique1 sur-
nom de /oscillateur à ses yeux brillants et perçants2),
excepté le jour de la fête de Bubastis, déesse dont le fils
se nommait le Lion fascinateur, Ma-hes3.
Il était permis aussi de casser un œuf, pourvu qu'il ne
fût né (kheper-tu), c'est-à-dire pondu. Ici, la restriction,
qui est très étroite, montre qu'on s'était posé un curieux
problème de casuistique : celui qui casse un œuf dans des
circonstances ordinaires est coupable ou souillé, puisqu'il
commet une contravention évidente, mais le chasseur, par
exemple, dont la flèche brise un œuf dans le ventre d'un
oiseau? Dans des cas de ce genre, où la responsabilité ne
saurait être mise en cause, la règle avait dû fléchir. Le
pharaon pouvait donc casser un œuf avant la ponte. Telle
est la loi qui ressort de la confession de Ramsès IV, con-
firmant, s'il en est encore besoin, la remarque d'Hérodote
que les Égyptiens étaient les plus religieux, c'est-à-dire les
plus superstitieux de tous les hommes.
1. Cf. Recueil de Travaux, t. MI. p. loi.
2. Plutarque, Moral., t. II, édit. Didot, p. 814; Quœst. Convioal.,
Manéthon, Fragm. Ilist. Grœc., t. II, p. 616; Ëlien, Anim., xn, 7, et
Horapollon, I, 17.
3. Brugsch, Dictionnaire (jèograpJiiniie, p. 177.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Notice biographique, par Ph. Virey i-xci
Hymnes au Soleil 1-9
<=>1\ \\ , le Per m hrou. Étude sur la vie
future chez les Égyptiens 11-29
Le chapitre cxv du Livre des Morts 31-54
Les quatre races au jugement dernier 55-60
The Book of Hades (from the Sarcophagus of Seti I.) . . 61-132
Discours prononcé à l'ouverture des Conférences d'ar-
chéologie égyptienne, à la Faculté des Lettres de
Lyon, le 26 avril 1879 133-150
Les races connues des Égyptiens 151-168
Note sur les chars de guerre 169-171
Le puits de Deir-el-Bahari 173-184
Sur différentes formes des mots dérivés 185-201
Un chapitre de la Chronique solaire 203-213
L'art égyptien 215-222
Sur l'ancienneté du cheval en Egypte 223-234
Sur quelques fouilles et déblayements à faire dans la
Vallée des Rois à Thèbes 235-246
Une scène de harem sous l'Ancien Empire 247-253
Lettre à M. de Milloué, sur un monument de Thot-
mès III 255-257
372 TABLE DES MATIERES
Le conte 259-074
Remarques sur différentes questions historiques 275-286
Le< fouilles de M. Xaville à Pithom. L'Exode, le canal
de la mer Rouge 287-316
Le nom égyptien de l'ichneumon 315-316
Sur un syllabique 317-328
L'étude de la religion égyptienne, son état actuel et ses
conditions. — Introduction à un cours sur la religion
de l'Egypte à l'École des Hautes Études, section des
Sciences religieuses 329-352
Un des procédés du démiurge égyptien 353-359
L'œuf dans la religion égyptienne 361-370
CHALON-SUR-SAONK, IMP. FRANÇAISE ET ORIENTALE E. BERTRAND. 55Ï
pj Lefébure, Eugène Jean
1027 Baptiste Louis Joseph
L4 Oeuvres diverses
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