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in 2010 with funding from
University of Ottawa
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PARIS — IMPRIMERIE EDOUARD BlOT
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HllGÉSIPPE MOREAU
Nouvelle Edition
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PAR M. SAINTE-BEUVE
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HÉGÉSIPPE MOREAU
ll('j^«'si|)|)e iMui'cau, né à l*aris l'u umH ISIO, riail
lils d'im lioinnu! qui devint proIVssiMii' au c'olléj;e de
Provins, (M il fui conduit, tout cnraiil, dans c'(4te ville.
Sa naissance lut irrc^ulicrc, l)icn (ju'il connut ses
l)aivnts. Son père le laissa orphelin en l»asài;v;sa
mère se plaça clie/ une dame de l*i(»\ins, niadaino
Guéranl. dei)uis madame Tas ici-. e( reiitaïU. recueilli
par cette hienlaitrice, grandit pivs d'elle; les lils dt» la
maison sui'Ioiil sinhTcssaienl lendiHMueiil à lui. Il
coinmencail à preiidn» des leçons au colh'^e de Pro-
vins, lorscpie des ciiconslances liivul (|uiltei' la \ille à
ses bienl'aileui's . (jui allèrenl liahiler la campagne,
(l'est alois ((ii'il lui placé, dahord au pelil séminaire
2 HEGESIPPE MOREAU
de Meaiix, puis à celui d'Avon, près Fontainebleau, où
il lit ses études, d'excellentes études classiques, sans
oublier les vers latins qu'il variait et tournait sur tous
les rliythmes d'Horace. Au sortir du collège, sa mère
n'était plus. Il pouvait se croire orphelin dans le monde
et délaissé; mais non, c'eût été une injustice; lui-
même nous le dit :
Car de l'école à peine eus-je franchi les grilles,
Que je tombai joyeux aux bras de deux familles.
Madame Favier, retirée à Champ- Benoist, lui conti-
nuait encore ses soins ; surtout il trouvait un accueil
affectueux et délicat auprès de madame Guérard, sa
belle-lille, qui le recevait à sa ferme de Saint-Martin :
Moreau a consacré le souvenir de cette hospitalité par
la charmante romance de la Fermière. Vers le temps
de sa sortie du collège, il enti-a en apprentissage dans
l'imprimerie de M. Lebeau, maintenant encore impri-
meur à Provins. La fdle de celui-ci, mademoiselle
Louise Lebeau (aujourd'hui madame J.), est celle
même qu'il a célébrée si purement et si chastement
sous le nom de ma sœur dans quelques-unes de ses
plus jolies pièces, et à laquelle il a dédié ses Contes.
(( Je m'étais arrêté, dit-il quelque part, dans une im-
primerie toute petite, mais proprette, coquette, hospi-
llKGESllU't: MU lit AL" 3
lalièrc; vous la connaissez, ma sœur. » Mon cœar^
dit-il encore :
Mou cœur, ivre à beize ans de vuluplé céleste,
S'emplit d'un chaste amour dont le parfum lui re.>le.
J'ai rêvé le bonheur, mais le rêve fut court.
11 y eut en ces années ini lléi^ésippe Moreau piimilil,
pur, naturel, adolescent, non irrité, point irrélii^icux.
dans toute sa lleur de sensibilité et de bonté, animé de
tous les instincts i>énéreiix et non encore atteint des
maladies du siècle. 31omeiit uni(iue et rapide ([uil a
essayé de ressaisir plus d'une fois, de retracer dans ses
vers, et qui nous en niai(|ue aujoui'd'liiii les plus doux
passaj^es. Il y a ainsi en chacun de nous, pour peu ipie
notre fonds originel soit bon. un éli'e piimilif. id('\'il.
(pie la iialure a (bassiné de sa main la plus It-i^érc cl la
pins malenicllr. mais ipic riiommc hop soiinciiI ic-
convre. éloiili'c on corrompt. Ceux ipii nous ont connu
el nui nous (tnl aimé sous celle l'oinie picmière C(Ui-
limn'fil de nous \oir ainsi; el, si l'on a le bonheur
d'avoir une sieiir (jui ail coiilinué elle-même de \ivre
d'une \'w simple el miih)rnie, d'une \ie lidèle juix son-
Miiirs. elle nous conserve à jamais présent dans cette
pureté adolescente; elle nous garde un culle dans son
4 HEGESIPPEMOREAU
cœur, elle nous adore telle que nous étions alors sous
ces premiers traits d'un développement aimable et
pudique. Ce nous-même d'autrefois, qui souvent,
hélas f n'est plus actuellement en nous, subsiste en
elle et vit comme un ange de Fra-Bartolommeo peint
sur l'autel dans l'oratoire.
Hég'ésippe Moreau a eu ce bonheur au milieu de
toutes ses infortunes, et aujourd'hui, si l'on interroge
sur le compte du poëte celle qu'il appelait alors sa
sœm% elle répond en nous montrant au fond de son
souvenir ce Moreau de seize ans, « de l'âme la plus
délicate et la plus noble, d'une sensibilité exquise,
ayant des larmes pour toutes les émotions pieuses et
pures. »
Je prends plaisir à marquer ces premiers traits ,
parce que ceux qui ont le plus loué Moreau à l'heure
de sa mort en ont fait un poëte de guerre, de haine et
de colère. Il l'était trop devenu en effet, mais il ne
l'était point d'abord ni aussi essentiellement qu'on le
voudrait dire. Étendu sur son lit de mort à l'hospice
de la Charité, le caractère qui était le plus empreint
sur sa face, me dit une personne qui ne l'a vu que ce
jour-là, était une remarquable douceur.
En parlant ici d'Hégésippe Moreau, je ne viens faire,
on peut le croire, le procès ni à la société ni aux poètes.
Les poètes sonl une race à part, une race des plus
HEG?:SIPPE MOREAU 5
intéressantes quand elle est sincère, quand l'imitation
et la singerie (comme il arrive si souvent) ne s'y mêlent
pas; mais, dans aucun temps, cette race délicate ou
sublime n'a paru se distinguer par une connaissance
bien exacte et bien pratique de la réalité. Quant à la
société, c'est-à-dire à la généralité des hommes réunis
et établis en civilisation , ils demandent cpi'on fasse
comme eux tous en arrivant, qu'on se mette à \env
suite dans les cadres déjà tracés , ou si l'on veut en
sortir, qu'alors, pour justifier cette prétention et cette
exception, on les serve hautement ou ((u'on les amuse;
et,jns(iu'à ce qu'ils aient découvert en quelqu'un ce
don singulier de chai'me ou ce mérite de haute utilité,
ils sonl naturellement fort inattentifs et occupés cha-
cun de sa |)ropre allaire. Pciil-on son éloiuKM':'
llégésippe Moreau , en cnlraul dans la vit^ . avait
pourtant rcnconti'é (iciix faiiiillcs. dii l'a \n, phis (juo.
dis|)()sé(\s à racciu'illir et pr«'S(|in' à l'adopltM'. Dès
son premier pas dans le inonde, v\ lioi's de son pi'c.nicM'
C(M('I(> . il lr()n\a t'^alenicnl de l'appui. .M. Lebrun,
lanliMir de Mnric Sfntt/f, et noti'e conhvre à l'At'a-
déniie, n'est pas né à Pr<)\ins. mais il en est depuis
longues aiin(''es par les habilutbs (>t par les liens dt»
familh*. i'oéle dont chacun sait le talent, mais lioninn»
dont C(Mi\ (pii l'ont approché sa\(Mit seuls touli' la
nobl(\ss(^ et la délicatesse de cdMU-, il considérait
tt HÉGÉSTPPR MOREAU
comme un devoir, lui, arrivé le premier, de tendre
la main à ceux qui viendraient ensuite, et nous le
trouvons également aux débuts d'Hégésippe Moreau
et à ceux de Pierre Dupont. Moreau connut M. Lebrun
dès 1828; il était alors âgé de dix-huit ans : c'était au
moment où Charles X revenait d'un voyage que lui
avait fait faire M. de Martignac. Le roi passa par
Provins, et, h cette occasion, Moreau fit sa chanson
patriotique qui a pour litre : Vive le roi! et pour
refrain : Vive la liberté ! J'ai sous les yeux quelques
pièces de vers manuscrites adressées, vers cette époque,
par le jeune homme à M. Lebrun, ou écrites d'après
ses conseils, ime pièce notamment en l'honneur de
La Fayette, après son voyage triomphal d'Amérique.
Moreau vint à cette époque à Paris, et, toujours par
les conseils de M. Lebrun, il adressa à M. Didot son
È pitre sur l'Imprimerie , qu'on peut lire dans ses
Poésies, et dans laquelle se trouvent quelques jolis
vers descriptifs :
Au lieu de fatiguer la plume vigilante ,
De consumer sans cesse une activité lente
A reproduire en vain ces écrits fugitifs,
Abattus dans leur vol par les ans destructifs ;
Pour flonner une forme, un essor aux pensées,
Des signes voyageurs, sous des mains exercées,
IIKGKSIPPE MOREAU
Vont saisir on courant lour place dans un mot ;
Sur 00 métal uni l'encre passe, et bientôt.
Sortant multiplié de la presse rapide.
Le discours parle aux yeux sur une feuille humide.
Mais la fin ôo l'Épître est surtout lieurcuso : lo jeuno
compositeur s'y montre dévoré, souvent du (lésii* d'iTiliv.
([q, composer pour son propre compte, tandis (|nil est
ohlii-é d'iniprimer les autres.
Ilélas! pourquoi faut-il qu'aveuglant la jtMmesse,
(iomme tous les phusirs, l'étude ait son ivresse?
Les chefs-d'œuvre du goût, par mes soins reproduits,
Ont occupé mes jours, ont (Miciiaiili'' mes nnils,
El souviMil , insensé! j'ai répandu des liimies,
S«'nd)lal)le au loi>;('ntu (pu, lut'piiiiuil {\v< luines,
Avide iW<, expidils ipi'il ne piuiiige pas,
Sillle lu) air hellicjuenx et rè\e ^\o> eoiulials...
Moreati . à celle dah^. n'avait que dix-iienl' ans.
Il fut admis (hnis rinipiimtMii* de M. Didoi . \'\w Jacob.
jusIemeiU en lace de c(M liospici» de la Charité, où
depuis... — . i>|;ic,'> p^j de temps après jiiilbM iS.'tO. à
la diivclioii (le llinpiiineiie roNale. M. Lebrun cher-
cha à \ inlrnduiri» Morcaii; mais celui-ci. (|ui avait
8 HEGESIPPE MOREAU
quitté rimprimerie Didot , suivait dès lors une autre
voie , et il n'était pas de ceux qui se laissent protéger
aisément.
Moreau ressentait vivement les tortures secrètes
de cette pauvreté que La Bruyère a si bien peinte ,
et qui rend l'homme honteux, de peur d'être ridi-
cule. Ainsi , la première fois qu'il avait dû voir
M. Lebrun à Provins , il n'avait pas voulu lui faire
cette visite parce qu'il avait des bas bleus. Il ne se
guérit point de cette disposition à Paris, lors même
que les privations les plus réelles, les souffrances
positives et poignantes vinrent y joindre leur ai-
guillon.
On me le peint alors déjà atteint par le souffle
d'irritation et d'aigreur qui se fait si vite sentir sous
les soleils trompeurs de Paris, méfiant, aisément
effarouché, en garde surtout contre ce qui eiit semblé
une protection , ayant le dédain et la peur de la pro-
tection; ne se laissant plus apprivoiser comme il
s'était laissé faire à Provins quelques années plus tôt;
enfin ayant contracté déjà cette maladie d'amour-propre
et de sensibilité qui est celle du siècle, celle de l'aris-
tocratique René aussi bien que du plébéien Oberman
ou du mondain Adolphe , celle de Jean-Jacques avant
eux tous , comme depuis eux elle l'a été de tant d'au-
tres qui ont eu la même maladie sous des formes et
HKOKSÎPPE MOREAU 9
(les variétés difTérentes. Il nous siéi'ait peu, à nous
qui parlons, do nous montrer trop sévère, l'aNiuit
ressentie h notre jour et même décrite autrefois dans
notre jeunesse. Moreau fut donc malade de ce que
j'appellerai la petite vérole courante de son temi)s :
il fut mécontent, sauvac^e, ulcéré, évitant ou repous-
sant ce qui eût été possible, voulant autre chose que
ce qui s'offrait à lui , et ne se définissant pas cette
outre chose. Pauvre , timide et fier, et à xiivj^i ans , on
est aisément pour les doctrines ardentes qui promet-
tent le bouleversement du présent cl la remise en
question de l'avenir, de même qu'à cinquante^ ans,
établi, rassis, ayant éi)uisé les passions, et raison-
nant i)lus ou moins à son aise sur les vicissitudes di-
verses, on est naturellement iH)ur un sfafu quo plus
saj^e. Noire saj^a^sse ou notre folie n'est i^^uère en j;é-
néral que b* l'ésultatde notre àjçe et de notre situation.
Tour s'élever au-dessus de ces circonstances , en (piel-
(|ue soite nialérielles et pliysi(|nes, diMix choses sont
nécessaires, el elles son! ran^s : du cnructhe et des
/)rin('i/)rs. Ilé^ésippe Moreau n'avail ni l'un ni l'autre;
il avail de l'àine el du lalenl , mais son caraelere
élail faible, eoiunie e"esl tiop souvent le cas des orga-
nisations d'artiste, el bvs impressions du dehors i)re-
naient fortement et inésistibltMnent sur lui. Ses poésies
et ses inspirations, du inonient (pi'elhs cessenl d èln'
I.
10 HÉGÉSIPPE MOREAU
intimes, ne sont pour la plupart que le reflet ardent
et mélangé , le conflit des divers éclairs qui se croi-
saient orageusement alors dans l'atmosphère poli-
tique.
Après les journées de juillet 1830 , auxquelles il
avait pris part vaillamment, Moreau quitta pendant
un temps l'imprimerie ; il s'était fait maître d'études ,
mais ce n'était pas une carrière. Il s'accoutuma, du-
rant cette période fatale et fiévreuse de deux ou trois
années, à une vie irrégulière, désordonnée, errante,
toute d'émotions et de convulsions. Il avait faim , et
il composait à travers cela des chants qui se ressen-
taient de ce cri intérieur, par leur âpreté et leur amer-
tume. Il rêvait au suicide ; il commençait à se détruire.
11 eût, en 1833, une première maladie qui le força
d'entrer h l'hospice. Convalescent , une bonne pensée
le saisit; il partit pour Provins et alla demander l'hos-
pitalité à madame Guérard, à la ferme de Saint-
Martin. Là , aux derniers rayons d'automne, repassant
ses douloureux souvenirs , ceux de sa maladie , ceux
de l'insurrection et des émeutes, et du choléra, rap-
pelant même ses imprécations de colère, il se rétrac-
tait d'une manière touchante :
Ainsi jo m'égarais à des vœux imprudents,
Et j'attisais de pleurs mes ïambes ardents.
HÉGÉSIPPR MOREAU j 1
Jo liaïssais alors, car la souffranco irrito;
Mais un peu do bouhour m'a converti bien vite.
Pour que son vers clément pardonne au f^enre humain ,
Que faut-il au poêle? Un baiser et du pain.
Dieu ménagea le vent à ma pauvreté nue ;
Mais le siècle d'airain pour d'autres continue...
Et se considérant liii-niémc conimo délivré des souris
à l'approclio i\o l'Iiivor, il souhaitait à daiilivs le
même soula?;cment et la même douceur :
Dieu , r('v('l(>-t(ti bon pour tous connue pour moi !
Que ta manne, eu tombant, étonlTc If blasphème,
l'iiiiprciic de soiiIVrii", luii-^ciiic lu veux (m'on aiiuf ;
i'niir ([lia It's lils <''lus. Ifs (ils (it-slir-iités
Ne liiiicciil plus ircii bas des regards irrités,
Aii\ jiflils (li's nis(MU\ loi ipii ijniiiics pi'iliirc,
N(»inri> lnulrs les lniiiis; ;i Iniil tliiiis la iialiiit'
Une ton hiver soit doux; et, son rè^ne lini ,
l-c pot'lr cl roiscau chanlcniMl : Suis bt-ni !
l)(Mi\;iiis:ipivs. lesouvenird»' ('(Mli^ diuice In^spitalilê
lui i"ev(Miail à l;i nit''ni;Mi"t\ cl il (Mi\(i\ail piuii' t'Ii'eiHies
fjanviiM' iS.'IC)) ('('Itc (bdiciiMise roiuaiice à c-'lle à(|iii il
avait (In, poui' un jour du iu<Mii< . m's pures et iuiio-
('cnhs (',h;u incites :
12 HÉGÉSIPPE MOREAU
LA FERMIÈRE
Amour à la fermière ! elle est
Si gentille et si douce !
C'est l'oiseau des bois qui se plaît
Loin du bruit dans la mousse.
Vieux vagabond qui tends la main ,
Enfant pauvre et sans mère,
Puissiez-vous trouver en chemin
La ferme et la fermière !
De l'escabeau vide au foyer
Là le pauvre s'empare ,
Et le grand bahut de noyer
Pour lui n'est point avare ;
C'est là qu'un jour je vins m'asseoir,
Les pieds blancs de poussière;
Un jour .. puis en marche ! et bonsoir
La ferme et la fermière !
Mon seul beau jour a dû finir,
Finir dès son aurore ;
Mais pour moi ce doux souvenir
Est du bonheur encore :
En fermant les yeux je revois
L'enclos plein de lumière ,
La haie en fleur, le petit bois,
La ferme et la fermière !
HÉGÉSIPPE MORKAT I .T
Si Diou, comme notre curé
Au prône le répète,
l\'iye un bienfait (même égare),
Ah ! (ju'il songe à ma dette!
Qu'il prodigue au vallon les fleurs,
ï.a joie à la chaumière!
Kt garde des vents et des pleurs
l.a ferme et la fermière.
(Iliaque hiver qu'un groupe d'enfants
A son fuseau sourie,
Comme les Anges aux fils lilancs
De la Vierge Marie ;
Oiie tous, par la main, j)as à pas,
(iiiidanl un petit frère,
iléjouissent de leurs ébats
l,a ternie et la termière.
K N N' 0 I
IVÎa r.liansoiniette, prends (on vol!
Tu n'es qu'un raii)le lionunai^e;
Mais (pi'eii avril le rossi^^'iiol
rhanli* et la dédommage.
Ou'elVrayi' piir ses cliiinls d aiiimir.
L'oiseau du ciiiielièie
I.onf;l(Mnps, loiif^lenqjs se taise pour
i,a ferme et la fermière î
14 HÉGÉSIPPE MOREAU
Il fallait à Hégésippc Moreau, comme à tous les
poètes doux et faibles, sauvages et timides, tendres
et reconnaissants, il lui aurait fallu une femme, une
sœur, une mère, qui, mêlée et confondue avec l'a-
mante, l'eût dispensé de tout, hormis de chanter,
d'aimer et de rêver.
Cependant, avec la santé qui lui revenait, la né-
cessité, et aussi le génie ou le démon qui ne par-
donne pas, le ressaisirent. C'était le moment du grand
succès de Barthélémy, et sa Némésis produisait çà et
là des imitations et des contrefaçons oii il n'entrait
guère que des violences. Hégésippe Moreau essaya de
faire à Provins une Némésis à sa manière , un journal
en vers sous le titre de Diogène, un vilain patron qu'il
avait adopté depuis quelque temps, et que le doux
automne passé cà Saint-Martin ne lui avait pas fait
assez ahjurer. Le talent qu'il y montra ne put sauver
une telle publication partout très-aventurée, et qui
rétait surtout au milieu des rivalités et des suscepti-
bilités d'une petite ville. Il avait eu beau faire appel
à toute la contrée de Brie et de Champagne, et s'éciier :
Qu'il me vienne un public! ma poésie est mûre,
le public répondit peu. Le poète blessa et aliéna
ceux même qui l'avait d'abord soutenu. Il eut finale-
HÉGÉSIPPE MOREAU 15
ment un duel, el dut s'en rovcnir bientôt à Paris, di'-s-
appointéde nouveau et irrité comme après un échec.
De 1834 à 1838, sa vie ne fut qu'une lutte pénit)li^ et
haletante, oîi son talent, de plus en plus réel, el qui
achevait de se dégager chaque jour, ne put triomplier
de la dureté des circonstances ni supj)léer aux inlir-
mités du caractère ^ Qu'il sullise de rappeler qu'Hégt'-
1, Dans tout ce que j':ii touché là du caraclùrc et de la vie
intime de Moreau, j'ai été guidé de la manière la pins sûre par
des lettres, par des renseignements directs provenant des personnes
qui Tout le mieux connu. Ces documents qui ont servi à mon
ami, M. Octave Lacroix, dans son édition d'IIégésippe Moreau,
m'ont été connnuniqucs à moi-même : je n'en ai fait usage
qu'avec pudeur et discrétion. Les personnes de Provins qui ont
le plus connu et le mieux aimé Moreau de son vivant ont pain
me savoir gré de ce sentiment à la lois de réserve et de
sympathie. J'ai donc été un jieu surpris (si jamais c qui est
peu raisonnable pouvait surprendre) de lin> dans la Fenille de
Vrovins, du 7 juin 1851, un article de M'"^' C. .\ngehert, dans
Icipiel C(>tte personne à principes et à sentiments me reproche
d'avoir l'ail tort ;i Moiv.ui dans mon appréciation morale tout
indulgente. Kilo continue de vouloir faire de Moreau l'homme
d'une cause ]tolitique. Si M"'" .\ngehert tient plus à la vérité qu'à
la fausse exaltation, elle peut aisément s'informer à son tour
.■mpirs des personnes de lMo\ins (|ni nous (Mil li' mieux initie à la
connaissance de ce louchant mais trop faihle caractère; elle |xHit,
par exemple, demander à M""' Guérard connnnnication des lettiv.s
de Moreau écrites en janvier 1834, el elle verra ipiil faut se
résoudn>, (juauil on a le sens juste et bieuveillaut. à ne voir dans
le chantre (!»> la \otd/.ie qii'un poète.
16 HÉGÉSIPPE MOREAU
sippe Moreaii, au moment où il venait de trouver un
éditeur pour ses vers, et où le Myosotis, publié avec
luxe (1838) et déjà loué dans les journaux, allait lui
faire une réputation, entrait sans ressource à l'hospice
de la Charité et y mourait le 20 décembre 1838,
renouvelant l'exemple lamentable de Gilbert et fai-
sant un pendant trop fidèle au drame émouvant de
Chatterton, dont l'impression était encore toute vive
sur la jeunesse. Il n'avait pas vingt-neuf ans.
Si l'on considère aujourd'hui le talent et les poésies
d'Hégésippe Moreau de sang-froid et sans autre préoc-
cupation que celle de l'art et de la vérité, voici ce
qu'on trouvera, ce me semble. Moreau est un poëte ;
il l'est par le cœur, par l'imagination, par le style :
mais chez lui rien de tout cela, lorsqu'il mourut,
n'était tout à fait achevé et accompli. Ces trois parties
essentielles du poëte n'étaient pas arrivées à une pleine
et entière fusion. Il allait, selon toute probabilité,
s'il avait vécu, devenir un maître, mais il ne l'était
pas encore. Trois imitations chez lui sont visibles et se
font sentir tour à tour : celle d'André Chénier dans
les ïambes , celle surtout de Barthélémy dans la sa-
tire et celle de Béranger dans la chanson. Dans ce der-
nier genre pourtant, quoiqu'il rappelle Béranger, Mo-
reau a un caractère à lui, bien naturel, bien franc et bien
poétique ; il a du drame, de la gaieté, de l'espièglerie.
HÉCtÉSIPPE MOREAU 17
un peu libertine parfois, mais si vive et si ]éç^he qu'on
la lui passe. Qu'on relise le Joli Costume, les Modistes
hospitalières. Une des pièces sérieuses qui me sem-
blent le plus propre à démontrer ses qualités et ses
défauts est celle qui a pour titre : Un quart d'heure de
dévotion. Le poëte, qui s'est vanté d'être un pa'ien de
l'Attique ï\\GC André Cliénier et avec Verc^niaud, qui a
été trop souvent impie , irrévérent jusqu'à l'insulte , a
un bon retour pourtant. Un joiu' de tristesse, un soir, il
est entré dans l'éi^lise de Saint-Ktienne-du-Moiit. Il
n'y entrait (jue pnr désncuvrenieiil d'abord, pour rc-
jçarder et admirer comme d'autres curieux les uwv-
veilles (rarcbitecture élégante et fine qu'ollVe celle
éjçlise :
VA la rou^'oiir an front jp j'avonrai moi-m^mo....
Dans U» l(Mn[il(' au liasanl j avt'iitiirais nus pas,
Mi j'«'fll«Mirais l'iUiU'l »'t je m' juiais pas.
iMais insensibleuKMil il se rappelli» l(' lenips (tii,daiis
sa premièi'e eiifaiice,!! piiail . el oi'i il sciAail iiièiiie
le prèli'e à l'a ni cl :
Anln»rois poin* juicr, mes Irvrcs (Mil'anlines
hclli's ni("'iiics 's"oiivr;iit'iit ;iii\ svlhln's |;ilini'
18 HÉGÉSIPPE MOREAU
Et j'allais aux grands jourS; blanc lévite du chœur,
Répandre devant Dieu ma corbeille et mon cœur.
Mais depuis
et il énumère toutes les manières diverses d'écja-
rements et de chutes parmi lesquelles il a eu la
sienne :
Combien de jeunes cœurs que le doute rongea !
Combien de jeunes fronts qu'il sillonne déjà !
Le doute aussi m'accable, hélas! et j'y succombe :
Mon âme fatiguée est comme la colombe
Sur le flot du désert égarant son essor;
Et l'olivier sauveur ne flemlt pas encor...
Ces mille souvenirs couraient dans ma mémoire ,
Et je balbutiai : « Seigneur, faites-moi croire ! »
Quand soudain sur mon front passa ce vent glacé
Qui sur le front de Job autrefois a passé.
Le vent d'hiver pleura sous le parvis sonore ,
Et soudain je sentis que je gardais encore
Dans le fond de mon cœur, de moi-même ignoré,
Un peu de vieille foi, parfum évaporé.
Sous cette impression intérieure, sous le rayon de
cette ferveur retrouvée, le poëte, agenouillé devant le
tombeau de Racine (qui se trouve dans cette église).
fait un vœu. Ce vœu, ce n'est pas d'aller à Jérusalem
IllUlKSlI'lM-: MORE AT \9
en p«*lcrin, mais c'est d'y aller en idée et en poi'sie.
c'est de retracer à sa manii're, en une suite de cliants,
quelques-uns des sujets saints, à peu pr(îs, j'iniac^ine,
comme M. Victor de Laprade l'a pu faire depuis dans
ses Poëmes évanc^éliques. Et réfléchissant avec humi-
lité à l'étincelle qui peut jaillir sur les âmes de celte
œuvre modestement accomplie, le porte se rappelle
et s'applique un fabliau charmant que son aïeule bre-
tonne, dit-il. Ini a souvent raconté. Ov ce fabliau b'
voici : Un jonr, Dieu permit, dans ses desseins, que l'é-
lément de vie, le f(Mi. s(> retirât tout à coup de l'aii'. et
vînt à manquer à la nalni(\ Tirand cflroi soiulain parmi
lesoiseaux.Touss'eflVaveiil, se ('oiisI(M'fi<mi1 ous'eUarenl.
Les vautours en devienneni plus ini'clianls de tenvnr.
et s'entre-balteiil de plus belle. Le rossiii'uol si» (b'coii-
raj^e. et. a_\anl chanté sa dernière chanson, il cache sa
tète dans son nid. L'ai,^le liii-niènie. habiliK' à porter
la foudre, la laiss(» s'éteindre ccWo bus ei s'i'chapptM'.
Dans celle a,i;(uiie nniverselle . il n'\ cul (pTun senl oi-
seau . le plus pelil . le |)lus hiiinble de tous, le roitelet.
qui ne se dt'coiu'aj^iM point . et (pii \ollii^'ea laul l'I ^i
bien, (pi'il alla jusipi'au haut des cicux riNsai^ii' li-lin-
C(>ll(> p(UM' la rapporter au monde. Mais il lut coFisumé
en la lui rendant.
On seul tout ce (pi'uni^ telle pièc(» a d"t'le\('. dt' |»oé-
liqiie el (i(* louchant: (|ue lui inaucpu'-l-il donc pour
20 HÉGÉSIPPE MOREAU
être un chef-d'œuvre ? Il lui manque la pureté et le
goût dans le style. Dès l'abord le poëte nous montre
le curieux, l'amateur artiste, qui entre à Saint-Etienne
regardant et admirant les sculptures et les tableaux :
Époussetant de l'œil chaque, peinture usée.
Ailleurs il parlera du livre des Évangiles :
Page de vérité qu'à sa ligne dernière
Le Golgotha tremblant sabla de sa poussière.
C'est ainsi que dans une autre pièce, représentant l'en-
trée du Tasse à Rome au milieu d'une pluie de cou-
ronnes et de fleurs, il dira :
Le pauvre fou sentit, dans la ville papale,
Une douche de fleurs inonder son front pâle.
Epousseter^ sabler, douche de fleurs; voilà le détestable
style moderne, le style matériel, prétentieux et gros-
sier, que certes on ne s'aviserait jamais d'aller cher-
cher si près du tombeau de Racine, et qui, j'ose le
dire, n'aurait jamais dû entacher non plus et charger
le berceau de notre École romantique, telle du moins
que je l'ai toujours conçue. Oui, l'on pouvait se mon-
HÉGÉSllM'i: M OUF, AU 21
trci" plus voisin de la nature encore, de la l'éalilé
simple, niodesle et sensible, que ne l'avaient été nos
illustres poètes classiques, sans toniber pour cela dans
ce style lourd, plaqué et technique qui prévaut presque
partout aujoui'd'liui. Hégésippe Moreau a eu le tort d'y
trop sacrifier en commençant, et il n'a pas vécu assez
pour s'en débarrasser et s'en alFrancliir.
Ofi nous assure pourtant qu'il était tout à lait iv>emi,
vers la lin, de l'illusion (pie lui avai<'nl laite certains
portes ou rimeurs matériels et mécaniipies, et philùt
robustes que réellement puissants.
Une de ses pièces iri'éprocliables, et (pron aime lou-
joui's à citer, est son VA("/ic à la Voul/ic, jolie livicre
ou ruisseau du pays où il était venu passer son enfance,
l)lu('l ûclus [lariiii les roses ilc Provins.
On n'aiiiail |)(»iiit paib' coiiNciiahliMiMMil de Moi'caii. si
i On ne iii|»|U'l:iil chatiuc lois à son sujet ses \crs dcli-
cieux, où il a coiiinic raliaiclii son lalcnl cl s(in iiinc
S'il csl lin nom Itii'ii doux, liiil ponr la poésir,
Oli! (lih's, n'csl-cr |ta> le nom df la NOnl/.ic?
I.a \ (Mil/.ic , ('>l-c(' nn IIciinc aii\ mandes ilo ? Nnii :
Mais, avec nn nun'innre aii>si Ao\\\ (juc xhi nom.
22 HEGÉSIPPE MOREAU
Un tout petit ruisseau coulant visiiile à peine ;
Un géant altéré le boirait d'une haleine;
Le nain vert Obéron, jouant au bord des llols,
Sauterait par-dessus sans mouiller ses grelots.
Mais j'aime la Voulzie et ses bois noirs de mûres.
Et dans son lit de fleurs ses bonds et ses nmrmures.
Enfant, j'ai bien souvent, à l'ombre des buissons,
Dans le langage humain traduit ces vagues sons;
Pauvre écolier rêveur et qu'on disait sauvage,
Quand j'émiettais mon pain à l'oiseau du rivage.
L'onde semblait me dire : « Espère! aux mauvais jours,
Dieu te rendra ton pain. » — Dieu me le doit toujours !
Et rappelant tous ses malheurs, ses pertes doulou-
reuses, tous ses mécomptes et même ses colères, il
ajoute dans un sentiment attendri et qu'on lui voudrait
plus habituel :
Pourtant je te pardonne, o ma Voulzie! et même.
Triste, j'ai tant besoin d'un confident qui m'aime.
Me parle avec douceur et me trompe, qu'avant
De clore au jour mes yeux battus d'un si long vent,
Je veux faire à les bords un saint pèlerinage.
Revoir tous les buissons si chers à mon jeune âge,
Dormir encor au bruit de tes roseaux chanteurs,
Et causer d'avenir avec tes Ilots menteurs.
81 .Moreau a pardonné à la Voulzie, ces charmants
vers t'ont aussi qu'on pardonne beaucoup à Moreau. On
H É G É s 1 1» 1' 1:: M u u 1-: A U 'l]
jctlc un voile sur ses faiblesses et sur ses erreurs; on
Noudrait ai)olir toute trace des quelques taches aflli-
i^eantes de sa muse. Lui-même, dans une pièce A mon
Ame, l'exhortant à s'envoler vers les cieux, et à laisser
ce corps qu'il a troi) souillé, il lui dit :
Fuis, Aniu blanche, un corps malade cl iiii;
Fuis en chantant vers le monde inconmi !
Fuis sans lremi)ler : veiil" d'une sainte amie,
Quand du i)laisir j'ai senti le besoin,
De mes erreurs, loi, (loloudie endormie,
Tu n'as été complice ni témoin.
iNe trouvant pas la manu*' (ju'elle implore,
Ma faim mordit la [RUissicre (insensé! j;
Mais loi, mon Ame, à hieu , ton liancé,
Tu peux demain le dire vi('i|:i' luicore!
(Ml voit ((lie Aioi'eaii l'eiuiiividle en un p(niil la doeliiiie
indulj;eiile de eci tains nivsli(|ues, (|ui ne foiil point
l'àine ii'sponsahlc cl e(Mnpliee des absences et des dis-
Iraehons du corps, .le ne pndciuK \)<s doiniei" etda
pour de la théologie exacte, mais [loui' de la poésie
charmante.
Les Coules en proc d'ilé^ésippe Moreaii sont 1(MiI
à lait purs et iiK'proehables; ils pouriali lit nit-nu' se
détacher du reste des (HCuMi's et se vendre en ini
fascicule à paît pour se donner a lire aux ji unes
24 HÉGÉSIPPE MOREAU
personnes et aux enfants. On y voit à nu le fond
(le son âme et de son imagination aux heures riantes
et aux saisons heureuses. Tel il était auprès de sa sœm\
à seize ans, avant d'avoir laissé introduire dans son
âme rien d'amer ni d'insultant. Conter chez lui n'était
pas une moindre vocation que de chanter :
Je préfère un conte en novembre
Au doux murmure du printemps.
La pitié, le sentiment fraternel porté jusqu'au culte,
la compassion féminine la plus exquise, respirent
dans le Gui de chêne. La faiblesse tendre qui a
besoin d'appui, la souffrance et le martyre d'un être
délicat, se retrouvent mêlés à de l'espièglerie et à de la
lutinerie gracieuse dans la Souris blanche; c'est le plus
joli conte de fées et le plus attendrissant; c'est moins
naïf que Perrault, mais aussi aimable, aussi léger, et
cela ne se peut lire jusqu'à la fin sans une larme dans
un sourire. Que dites- vous de cette Fée des Pleurs, la
consolatrice des affligés qui voltige plutôt qu'elle ne
marche sur la pointe des gazons et des ileurs ? « Elle
avait adopté cette allure, de peur, disait-elle à ceux qui
s'en étonnaient, de mouiller ses brodequins dans la ro-
sée; mais, en effet, parce qu'elle craignait d'écraser ou
de blesser par mégarde la cigale qui chante dans le
HÉGÉSIPPB MUHEAU 25
sillon, et le lézard qui frétille au soleil; car elle était si
prodii^aie de soins et d'amour, la bonne fée! qu'elle en
répandait sur les plus humbles créatures de Dieu. « Tel
nous apparaît Moreau avant la politique, avant la misère
extrême, avant l'aii^n'eur; tel il se retrouva sans doute
à l'heure expirante et aux approches du grand moment
(jui élève les belles âmes et les pacide. On devine, en
lisant ces jolis récits et celui des Petits SouHcts, et
celui même de Thârhe Sureau, à voir celte imai^nna-
tion. cette gaieté, cctic invention de délai!, combien il
devait être charmant ({iiand il osait étiv familier, et
qu'il consentait à être heureux.
SAINT K • H F. U V V. .
LE MYOSOTIS
nix-iniT ANS
.r.ii (li\-liiiil, ;ms : loiil clKinj^'o, cl rKspcM'anri»
Vers riiorizon ino condiiil par Li niaiii.
Miifoii; III) jour à liaiiHM- ma soiitlVaiic)',
l']| le lionliciir iiic sniiiira (Icinaiii.
.!(» vois (It'jà croiliM^ pour ma ((iiHdiiiH»
QiK'lipics laiiritMS dans 1rs nciHN du piinltMiip-
(l'csl lin dt'diiv... Ah! (pùiii me le pardoiiiu' :
J'ai di\-liiiil ans!
raimc l'idviiis, j'aime ers vieilles tomlws
Où les Aiiumis vont clii'irlicr d»'< aliri^;
Tes murs dc^crls (pilialutciil les colombes,
l'.l dont mes pas t'oiil Iremhirr les dt'hris.
28 LE MYOSOTIS
Là, je m'assieds, rêveur, et dans l'espace
Je suis des yeux les nuages flottants.
L'oiseau qui vole et la femme qui passe :
J'ai dix-huit ans!
Bercez-moi donc, ô rêves pleins de charmes!
Rêves d'amour!... Mais l'aquilon des mers
A jusqu'à moi porté le bruit des armes :
La Grèce appelle en secouant ses fers.
Loin de la foule et loin du bruit des villes,
Dieux ! laissez-moi respirer quelque temps.
Le temps d'aller mourir aux Thermopyles :
J'ai dix-huit ans!
Mais quel espoir! la France, jeune et fière.
S'indigne aussi de vieillir en repos;
Des cieux, émus par quinze ans de prière,
La Liberté redescend à propos.
Foudre invisible et captif dans la nue.
Hier encor, je te disais ; Attends!
Mais aujourd'hui, parais; l'heure est venue :
J'ai dix-huit ans !
1828.
LH MYOSOTIS "29
VrVK LE HOI
Vivo l«' nti!... Comino los faux j)ropliètos
I/oul (Miivn'' (le »•(> souhait Iroiui'tMir!
(loiniiic (III a vu {jriuiac(M' à st^s frfos
La Vanil.', riiilt-ivl cl la Peur!
Au lniiil (le l'or cl des croix (|u'ou ramasse,
Dcvaul le cliar (oui s'csl pivcipilé;
Et s«Mil, (Ichoiil, je iiiiiiiiiiirc à voix l>a<sc :
Vive la liltcrh'!
Vive le roi! (Juaiid des luai^es serviles
I) iiii lM)-u iiiorlel llallaieiil aiii>i l'oif^ueiL
lu aiiire «ri, t(imi>aul des Tlienuopylt'S,
Viiil (oui à eoiip ( liaii-er leur l'èle eu deuil.
De l'Areliipel ,iu\ rives du UoNpluue,
Après mille au>>. réélu» l'a n''p(''l«''.
I",l la xicloiie a pour desise encore :
\ ive la lilterle!
2.
30 LE MYOSOTIS
Vive le roi ! de nos vieilles tourelles
Ce cri souvent ébranla les arceaux,
Quand les seigneurs faisaient pour leurs querelles,
Au nom du prince, égorger les vassaux.
Dans ces débris, où leur ombre guerrière
Agite encor son glaive ensanglanté.
Le voyageur écrit sur la poussière :
Vive la liberté !
Vive le roi! La voix de la vengeance
Se perd toujours au bruit de ce refrain ;
Pour endormir son éternelle enfance.
Voilà comment on berce un souverain ;
Mais quand la foudre éclate et le réveille,
Seul, sans flatteurs, le prince épouvanté
Entend ces mots gronder à son oreille :
Vive la liberté!
Provins, 1828.
LE MYOSOTIS 31
BÉRANGRR
La Liberté rhfz nous se réfugie;
Joyeux buveurs, à tal)Ie et loin du jour,
Que Déranger, pour terminer l'orgie,
De ses refrains nous enivre à son lonr.
Cliargé (le gloire et «l'injures nouvelles.
Des bnis dini i)euple il tombe dans les fers;
Il est eaj)lif, mais sa muse a des ailes :
Tout bas, tout bas, amis, cbantons ses vers!
Quand tour à lonr, au iiied di» nos Iropbées,
Les rois (ond);iienl, i:nploi';nil leur i);iiilon,
De son hei'iMMU. (|ne li;il;iiu;aieiil les iV-es,
Il s't'JMnea, réveiih' i);n' un nom...
(!e nom s:ieré, (pTil n'ii pu d(''s;i|>piendre,
l'^.st mainlenani prosnil d;nis l'univers;
l?éi'angei' seul ose le l'aiie enlendie :
Tout bas, tout bas, amis, clianlons ses \ersl
l'i'ondant labiis de la victoire même,
\\i roi des rois il n'a saeiilio
32 LE MYOSOTIS
Que sur sa tombe, et quand du diadème
Par le malheur il fut purifié.
Le vieux soldat, dont il sèche les larmes,
Brûlant encor de souvenirs bien chers.
Semble écouter si l'on appelle aux armes :
Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers!
Qu'ai-je osé dire? Ah! je sens que ma muse.
Rebelle aussi, déraisonne en buvant :
Comme le vin, qui sera mon excuse,
La poésie enivre bien souvent;
Mais aujourd'hui, quand Thémis au poète
Fait expier des sarcasmes amers.
Pour les venger, la France les répète :
Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !
On l'a frappé dans sa noble misère;
Il faut de l'or, et je n'ai que des pleurs :
Jeune soldat, quêtant pour Bélisaire,
Ma voix du moins attendrira les cœurs.
Qui ne voudrait, bravant la tyrannie.
Payer sa gloire au prix de ses revers?
Enflammons-nous aux rnyons du génie :
Tout bas, tout bas, amis, chantons ses vers !
1828.
LR MYOSOTIS 33
ËPITRE A M. FIRMIN DIDOT
SUR I-' I M P R r M K R I F.
Quand les miisos, pIcMirant la gloire de la Franre,
Avec (les souvenirs lui leiideiil l'espiMance,
Poëte et citoyen, dr (|iicl d'il |)('ux-lii voir
Une limie hypocrite aliunicr le poiiviiii-,
Et, IViipiiaut au {guichet de S;iiiile-lV'l;i;4ie,
Taulùl pour la chanson, laulùl poui- l'idéf^ie.
Avec le l'cr des lois poursuivre sans repos
l'u ail dont lit luiuici'c a Irahi ses coinpiols?
Mais de TtipinioM, souveraine iinniorlelle.
Il éclaire les jtas, il liiouiplie avec elle,
Va le poiilile-roi, lulniinanl un «Mit,
l'!n vain sur leiu" euipiic a lau( c l'iiilerdil.
Ils ne son! plus ces leuips où la sainte parole
Tonnait et foudroyait du linut du ('.apitoie;
(Ml la raison liinide, eu Initie aii\ oppresseurs,
Dans l'exil ou hvs l'ers suivait ses d(''fenseurs.
34 LE MYOSOTIS
Et, comme leurs écrits, aux pieds du saint office
Les voyait quelquefois brûler en sacrifice.
Zélateurs du passé, qui vers cet âge d'or
Prétendez aujourd'hui nous repousser encor.
N'avez vous donc jamais déroulé ses annales?
Elles offrent à peine, à de longs intervalles,
Au lecteur, fatigué de tableaux odieux.
Quelques pages de gloire où reposer ses yeux.
Comme le diamant perdu dans la poussière,
Qui n'attend pour briller qu'un rayon de lumière,
Que de talents alors méconnus, avilis.
Dans un cercueil obscur tombaient ensevelis !
Un Voltaire, un Rousseau, sous le chaume champêtre.
Ignorés de leur siècle, et d'eux-mêmes peut-être.
Expiraient tout entiers ; l'étude au feu divin.
Qui, captif dans leur âme, y bouillonnait en vain,
Pour éclairer le monde eût ouvert un passage.
L'étude... Mais, hélas! de ce trésor du sage
Les peuples malheureux ne sachant pas jouir
A l'ombre des autels le laissaient enfouir.
Ces transfuges légers de Grèce et d'Ausonie,
Ces livres, où les dieux du goût et du génie
Traçaient pour l'avenir leurs oracles sacrés.
Voltigeaient au hasard, dispersés, déchirés.
Semblables dans leur suite aux réponses qu'envoie
LK MÏUSUTIS 3H
La Sibylle île Cuiiie à l'exilé de Troie.
Un peuple envahissant, l'incendie à la main.
Foule aux pieds les débris du colosse romain,
Et le vent du désert sur l'Europe tremblante
Souffle, pour l'engloutir, sa poussière brûlante.
Déjà tout s'obscurcit : mais lorsque, avec elîroi.
Ramenant du passé mes yeux autour de moi.
Je cherche les fléaux (ju'il semblait nous prédire,
Quel contraste! partout le Fanatisme exitire;
A la voix (le la {gloire et de la liberté.
Un autre enthousiasme a partout éclaté.
Plus fécond en exploits que cette frénésie
Dont l'Europe chrétienne éintuvanlait l'Asie,
Terrible, mais laissant an\ [leuples satisfaits
Après un jour (l'elVroi, des siècles de bionfails.
Qui donc précipita ce moiiNcnient rapide,
Et connue les Hébreux , ([uand lont inarcliail >an> |;;;uide^
Quel nuaj^e de llaunnc éclaira par degrés
l'ne ronle inconiuic aux iicuples égarés?
Iloinienr à (inti-nbcrj^î »'t pMi>M' (Tàue en d'âge
Son nom Nivrc cl |;iandii' ain^i (|ne son onvrai^e!
lloniiiMn' a loi, .MaNciucl il a dans tc^ remparts
Découvert l'ail ma^itpie inile a tous les arts.
An lien de l'ali^nei' la plume vi|;ilaiile,
Hc consumer sans cesse une activité lent"
36 LE MYOSOTIS
A reproduire en vain ces écrits fugitifs.
Abattus dans leur vol par les ans destructifs.
Pour donner une forme, un essor aux pensées.
Des signes voyageurs, sous des mains exercées.
Vont saisir en courant leur place dans un mot;
Sur ce métal uni, l'encre passe, et bientôt,
Sortant multiplié de la presse rapide.
Le discours parle aux yeux sur une feuille humide.
0 vous, que dépouillaient des vainqueurs insolents,
Muses! ne craignez plus que vos trésors bridants
Éclairent leur triomphe, ou que la tyrannie
Dans la prison d'un sage enferme le génie.
Ou que sur un bûcher elle étouffe sa voix :
Bravant la faux du temps et le sceptre des rois.
L'œuvre de la pensée est rapide comme elle,
Comme elle insaisissable, et comme elle immortelle.
Sans peine, l'univers s'unira bien souvent
Aux rêves du poëte, aux veilles du savant.
Le génie en courroux, qui, dans un beau délire.
Contre les oppresseurs fait révolter la lyre.
Croit voir autour de lui le monde s'assembler.
Le peuple s'émouvoir et les tyrans trembler;
Ainsi, lors([ue la Grèce, ivre de chants épiques,
A grands flots se pressait aux fêles olympiques.
Agités par les sons du luth national,
L !•: M ï (J s U 'l' i b 3"
Tons les cœurs [)ali»it;ii(Mil (11111 iikhim'iiiciiI ci^al,
Tous les cris iiienaçaicnl la jmissaiicc ii>iir|tt'M»,
Tous les bras (Houdus iuiploniiciil une ('pce.
Les peuples aveu^'lés, frappés par W j)ouvoii',
(Jui traînaient dans la nuit kiirs cliaînes sans les voir,
Se n'Ièveiit eiiliii, se parlent, s(» répondent;
Puis, connue les (htuieiu's, les plaintes se conlondcnl,
Kt ne l'ornicnt hirnlul (piiiii snd cii menaçant :
Libertt'! — Si ce nom fut Mtiiilir' par le san^,
S'il lut im cri de moit contic Ir diadème,
l.a f;l(iirc, la vciln... c'est (pic le peuple mcme
Des fers du despotisme armait la liberté,
Kt, SMccesscnr des l'ois, comme eii\ ("tait Halle;
(l'est (pi'aiix pieds des bomicauv la presse, cncor miu'tic
N'osait à 1.1 douleur ollVir un inlerpièle.
.Mais, terrible et lecdiid, Idra;:»' s'est euliii,
l.e ciel s'e>l (''pin('': c'est en Nain (pi aiijoiird liiii
h'iiiie épo(pie saiiiilaiite on roiiM'e les abiines,
l\l (|ue pour allument on sihiIi'Nc des crimes:
i.ibcih'', c'e>l en Nain (pi'oii clierclie à le IbMiir!
lu ne lieux iiiaiiileiiaiit l'(''^arer ni mourir.
Nul abus ne pourra grandir dans je silence;
(.oillre le (lespotiMue cl Cdiilie la licence
Les partis lonl Inniier leur conrrou\ elotpieiit.
lA la lumière entre eii\ jaillit d'un choc lre(pieiit.
38 LE MYUtSUTlS
Ainsi la vérité^ faible solliciteuse.
Qui, comme la prière, à la cour est boiteuse,
Moins timide et moins lente, osera quelquefois
A travers leur conseil se glisser jusqu'aux rois.
Ils entendront les cris de la douleur plaintive;
La gloire poursuivra la vertu fugitive,
Et, quand même Thémis oublîrait de frapper.
Les forfaits au carcan ne pourront échapper.
Chaque jour, un essaim d'écrits périodiques,
Innombrables hérauts des combats politiques.
Signalant les dangers, vole à l'appui des lois
Rallier tous les cœurs, armer toutes les voix.
Le jeune citoyen, que cet écho réveille,
S'enflanniie chaque jour aux débats de la veille^
Lt peut-être, embrassant un avenir flatteur^
Du temps qui le vieillit accuse la lenteur^
Soulïre de tous les maux de la patrie esclave^
Et rêve en contemplant le buste de Barnave.
Avec un autre siècle ils ont fui pour toujours.
Ces héros de scandale honorés dans les cours,
(jui, d'un nom glorieux subissant l'ironie.
Savaient au plaisir seul sacrifier leur vie.
Le Français, jeune encore, échappant au repos.
Verse, pour l'ennoblir, son sang sous les drapeaux,
Et lorsque avec la paix les muses consolantes
[. K MVOSdTIS 30
VieiiiKMit jeter des Heurs sur des palmes suDglaiiles,
Tantôt associant 1 étude à ses plaisirs.
Des jeux de Melponiène il iharnie ses loisirs;
Tantôt, ivre d'espoir, à la tril)Uii(; il vole
D'iuie bouche élo(juente épier la parole;
Tanlôt, dans un convoi, siiiviuit la {gloire en dcnil.
Il dispute l'iionnenr de jiorlcr ini cercueil.
Qu'on Ircnihlc d'rloulTcr ces nninines généreuses!
C'est en les inilanl (pi'on les rend dani^ereuses.
Kn \;iin le despotisme, aiMné du l'er des lois,
(Commandait le silence à l:i presse aux cent voix,
Kteij^nanl les fanaux sur le Itoid de rabiine,
De son Iriomplie même il lïit lond))' sielime;
lit, s'il l'aul d'un exeiii|i|e a|tjinyer mes di>cours^
\oye/de l'Oiienl les peuples e( les coins :
Au lil du sniiNcrain^ la, le >alnt' ([ui Neillc
D'un niurninie indisciel |n-e>erve son oreille;
Inaccessible même à la \ni\ du leinord.
Au sein (le> \o|u|»le> il se |t|ou;^e cl s'eiiduil.
Il doi'l... niai> loul à coup la re\oll(> liar<lie
Dans >on palais en (eu uronde a\ei' rimcndie;
lad-uièuie louibe aux pied^ de ce peuple rampaiil,
i;i l'oia^e imprcNU IV'elaiie imi le iVappanl.
l.onirc les allenlals dime aNcu:^le pui>«^ance
40 LE MYOSOTIS
Déjà que de douleurs se soulevaient en France !
Menacés par les lois, que d'artisans obscurs
S'entretenaient tout bas de leurs destins futurs.
Et, loin de la patrie esclave et désolée.
Se choisissaient d'avance une tombe exilée !
Jeune encore et tremblant pour l'art qui m'a nourri.
Moi, j'ai pleuré comme eux, et comme eux j'ai souri,
Lorsque de nos cités, à la douleur en proie.
S'élevèrent des feux et des concerts de joie.
Non, sur des bords lointains il ne faudra jamais
Devant ses ennemis rougir du nom français.
Et, dans l'état obscur où le ciel nous fit naître.
Notre sort coulera paisible, heureux peut-être !
Quand l'art hospitalier nous laisse des loisirs.
Ainsi qu'à nos besoins, il veille à nos plaisirs.
Et qui donc n'a jamais puisé dans la lecture
Un oubli consolant, une volupté pure?
Les livres, autrefois vendus au poids de l'or,
Dont l'avare opulence amassait le trésor,
Des cloîtres, des palais secouant la poussière.
Se sont enfin glissés jusque dans la chaumière;
Pénates vigilants, en tous lieux aujourd'hui
Ils bercent les douleurs et dissipent l'ennui ;
Souvent ils sont fêtés même par l'ignorance.
Notre cœur languit-il en deuil d'une espérance.
L K M Y 0 s ( I T I s 41
Df»tromi>é d'aniitié, désenchanté d'amour,
Walter Scott à nos yeux fait passer tour à tour
L<'s Ijii^ands féodaux (jui coiuaiciit, pleins de zèle,
Puiilier leurs mains dans le sauf; infidèle,
Ou ses ^ais l)oliémi<Mis, ou ses chefs helli(jueux,
Kt des temps, des climats aussi hizarres (iii'enx.
Le lecteur, IVancliissant l'espîu'e des années.
Vil de leurs passions el de leurs destinées,
Kt (le ces grands malheurs, (pi'il essaye un moment.
Vers les siens plus lé^eis il revoie gainuMit.
Ilélas! |Miunpi(»i faul-il (lu'aveii^laut la jeunesse,
Connue tous les plaisirs, l'élude ail sou ivresse?
Les cliers-(r(euvre du f^oùl, par mes soins reproduils,
Oui (Mcup*' mes jours, oui eurliaule mes uuils,
Etsoiiseiil, iiiseiis)' ! jai n'-pandu des larmes :
Semhlahle au Ini^cron ipii, pii-paranl des armes,
Avide des evploils (pi'il ne parla^e pas,
Sil'lle un air helliipieux el rè\e de> (•oiul>al>...
f829.
42 LE MYOSOTIS
DIOGÈNE
FANTAISIE POÉTIQUE»
P P, F, F A C R D K T, A U T F, (1 P,
Du fond de son tonneau, tribune populaire,
Il exhalait sans peur sa maligne colère;
La censure pour lui n'avait pas de bâillons,
Le glaive de la loi respectait ses haillons.
Au passant, dont l'aumône était sa nourriture,
En revanche il jetait quelque sot en pâture;
Pour enivrer le peuple et consoler ses maux.
Comme un vin |)ur, sa tonne épanchait les bons mots.
Puis, sou front soucieux, ridé par la satire.
Aux phalènes d'amour que sa lanterne attire
1. Cette pit^ce et tontes celles qui suivent, jnsqu'aiix Modistes
hospitalières exclnsivement, composent la collection entit've de Pidcène,
ijni fnt publiée en 1833.
LE MYOSOTIS 43
Soiiriîiil, ol, narguant ses rivaux él)nliis.
Il IVotlail sa laidour aux charmes de Laïs...
Quand l'usafio, al)>()Iii, n-giic i»ar ordonnanr<>s.
Et que tout se nivelle au joug des convenances.
Malheur à l'imprudent qui s'égare dini pas
Mors dii ccrric hanal (ju'a tracé h' compas!
l)r\anl des ;^ueii\, (l(»rés de litres cl de izrades.
S'il (yse elTronh'menl liiiei- leurs mascarades,
I.a loide do It'pieiix s'écarle avec cITioi :
C'est un (\oi(pie: — l^h hien! je sois cynique, omi!
I",l, p(»ur di)ter IMdvius d'uoe muse iodiuèoe,
.l'ose la baptiser do 0(»m de Dio^zèoel
Ooi, ce droit m a|»piolienl, moi qoi roole ii lous veoh,
tlomoie loi son loiioe;ni, mes pi'oales iooo\aiils;
.Moi qoi, perstMiil»'' de visiteurs saos oomhre,
loqtalieol eiilio tic ;^rel(»ller à l'oodoe.
Quand ils me prooieltuicnl assislamc el conseil.
N'ai répoodo (pion mol : (l;ire dr mon xileilî
l*oor èhe, jcooe cncoi', \it'u\ au mdier de ^au'e.
Il m'a l'allu soliii' oo rode aii|ireolissage.
< onooe UarlIieieoiN , rapsode loarx'illai^ .
Dool la \oi\ m'a Irooble lorsqoe p» M>onneill.iiN,
haos la Inise sool'Hanl de la (Irèct» ou de Hou>e,
Je oai |Miinl respir/' dt> p(M''li(|ue aronie.
44 LE MYOSOTIS
Kt, né loin dn Midi, je n'eus pas même, enfant,
A défaut, de soleil, un foyer réchauffant.
Un ogre, ayant (lairé la chair qui vient de naître,
M'emporta vagissant, dans sa robe de prêtre,
Et je grandis, captif, parmi ces écoliers.
Noirs frelons que Montrouge essaime par milliers,
Slupides icoglans, que chaque diocèse
Nourrit pour les pachas de l'Église française.
Je suais à traîner les }»lis du noir manteau;
Le camail me brûlait comme un san-henito;
Regrettant mon enfance et ma libre misère,
J'égrenais dans l'ennui mes jours, comme un rosaire.
Oh ! quand les peupliers, long rideau du dortoir.
Par la fenêtre ouverte à la l)rise du soir.
Comme un store mouvant rafraîchissaient ma couche,
Je croyais m'éveiller au souffle d'une bouche;
Devant le crucifix et le saint bénitier.
Profane! j'enviais le sort d'Alain Chartier!
Et quand le mois de mai, pour la reine des vierges,
Faisait neiger les lis et rayonner les cierges.
Priant avec amour l'idole au doux souris.
Je convoitais un ciel parfumé de houris.
Dans la forêt de pins, grand orgue qui soupire.
Parfois comme un oracle interrogeant Shakspeare,
Je l'ouvrais au hasard, et, (jnaud mon œil tombait
LK MYOSOTIS 45
Sur la prédiction d'Iphictone à Ma('l)etli,
Berçant de rêves d'or ma jeunesse orpheline,
11 nie semblait ouïr une voix sibylline
Qui murmurait aussi : « i/avenir est ii Idi;
l-;i Poésie est reine; enfant, tu scnis roi! »
Vains présages, hélas! in;i muse voyageuse
A tenté, sur leur loi, cette mer orageuse
On, comme Adamaslor debout sur un écueil.
Le spectre de dilixTl pliiiie sur ini cercueil.
J'ai visité P;iris; Paris, sol plus aride
Au malheur su|)pli:inl «pie les rocs de Tiiinide;
On l'air man(|Me iiiix ai^^ioiis niédil;iiil leur cssoi-;
Où les jeunes t.dents, cahotés pur le sort,
Tivbuchaut ;i la lin, de stMoiisse en secousse,
(loutre la l'osse ouverte où dis|tarHl Mscousse,
N'ont plus, en s'abordant, (|m un saint à s"olTiir,
la' saint monacal : Frères, il tant mourir!
Mon doux pays, alors, me Muniait en rêves,
(.oinnie à .lean-.lac(pie eidant son beau lac elsesgrrv»^;
Je revoyais Provins et ses coteaux aimes,
Pe tant de souvenirs, de tant de llenrs semés;
Son dôme occidental, dont cliaipie soir le l'aile
S'illumine au soli'il connue pour une tV-te;
Sa tour, dont le lichen crevasse le granit.
Où la guerre tonnait, où foiseau fait <on nid :
3.
46 LE MYOSOTIS
Géants contemporains qui, le front dans la nue.
Se parlent tête à tête une langue inconnue;
Médailles des césars ou des rois, Sphynx jumeaux,
Qui jettent aux passants des énigmes sans mots...
Pour semer de mes vers un sol vivace en friche.
J'ai choisi Seine-et-Marne, et mon domaine est riche
C'est Meaux, d'où les éclairs de l'aigle gallican
Effrayaient le hihou qui règne au Vatican;
Provins, docte ruine oià l'histoire s'épelle;
La cité d'Amyot, veuve de Lachapelle;
Fontainebleau, qui dort à l'ombre de ses bois,
Où ne résonnent plus le cor et les abois.
Et montre avec orgueil, dans ses cours féodales,
Le pied de l'empereur imprimé sur les dalles.
Sur les partis heurtés j'aurai les yeux ouverts.
Et leur choc trouvera de l'écho dans mes vers.
La marotte n'est pas mon attribut unique :
Je mentirai souvent à mon titre cynique;
Souvent j'exhumerai quelque vieux fabhau;
Mon journal poétique, au dernier folio.
Pour le lectour suant d'une longue tirade,
Sèmera de? couplets, en guise de charade;
Mais, épi(juo ou badin, mon vers précipité
LK MYOSOTIS 47
Chaulera toujours Dieu, l'Amour, la Liherlé!
La Liberté surtout ! ee uoui jdeiu d'iiaruiouie
Sur mes lèvres de feu n'est pas une ironie;
Car je l'ai confessé, non tout bas, à luiis clos.
Dans les refrains qu'on jcltc à des murs sans échos;
Non comme l'orateur du bancjiiet iioi)ulaire.
Dont la flauunc du jimitii ;ittise la colère;
Counne un boiilluii iU' clid) dans ses parades, non!
Mais les pieds dans le sani:, en race dii canon.
Quand une dièle année, en Imis jnnrs de séance,
S(Mis les [loiiinai'ds d'nn roi voliul sa décliéance;
Quand, p(inr sanver l'Klal el clianu't'r S(tn deslin.
Des balles rein|ila(;aieiil les hoides du scniliii,
Ll (|ne, de |(»ns lùlé's, les villes dn lov.innie
LnvoyaienI des eliis à ce j^i'and Jeu de |i;nnne.
Pour mes cnneiloyeiis j'(»|»inais sans mandai ,
Kl Proxins enl aii>si ^on de|iult''-M.|dal.
Pour i^laner des snjeN. si nos leuïps sont aride<.
Ma innse ronilleia dans les é|i|ieint''rides;
Sur chaque anniversaire on de joie on île denil,
.le IroiiNei.ii le lemps de ulisser ni) coup dtcil;
Quand sur nos boulevards le mmiI d'aulonnie pleure.
Je \eu\ \ nicdiler une i''l('':^ie. ;"i l'Iienre.
48 LE MYOSOTIS
A riieure même où, purs de crainte et de remord.
Les Girondins martyrs chantaient lem- chant de mort;
Et, sans doute, le mien remûra l'auditoire.
Car notre nom se mêle à leur funèhre histoire :
C'est parmi nos aïeux, c'est à notre foyer,
Que le bourreau jaloux redemanda Boyer!
J'ai médité longtemps ces noms que je murmure;
Qu'il me vienne un public : ma poésie est mûre.
Prêtez-moi donc secours, habitants riverains
Du sol qu'ont baptisé les deux fleuves parrains;
Souffrirons-nous toujours que le proverbe rie
Des talents champenois comme des vins de Brie?
Diogène aux railleurs porte un défi mortel :
Frères, j'attends vos noms pour signer le cartel.
1833.
L'ABEILLE
Comme l'abeille fugitive
Qui fait son miel en voyageant;
LE MYOSOTIS 49
I,t' cliansdiinicr de rive ni rivo
V;i l)()nril(inii;iiil cl V(»lli;i<'iinl ;
r.oinnie elle, du iiiyile à lii Iroilie,
Il recomnionce vin^l, délours :
Vole, Vdic, p«^,til(^ al)uille,
Volo, vole, vole lonjoiirs.
llélas! je rampais, demi-niie,
Sans ailes d'or, sans aifziiillon,
(jiiaiid Idiil iiinii essaim vers la mie
S'eii\()la dans im t(»iirl)ill(»ii ;
Mais Dieu incî sourit, Dieu (|ui veille
Sur im insecte sans secours.
Me dit : « Vole, petite abeille,
» Vole, vole, vole loujoiu's.
)) Loin i\o> tomltillons de poussière
» U"e lonl les {grands et lems latpiais,
» Dans la mansarde ou la cliaumièrc
» Murmure à de joycuv bainpiets;
» Mais en l'uvanl, |ti<pic à lorcillc
» l,es Midas (pii peuplent les couin :
)) \(>lc, vole, petite altejlle.
» Vole. vole. \(i|e IdUjours.
oO LE MYOSOTIS
» Oui, garde bien, pauvre orpheline,
» Un dard caché pour les méchants;
» Mais si quelque vierge enfantine
» Cueille des bluets dans les champs,
» Va bourdonner dans sa corbeille,
» Et fais-la rêver aux amours :
» Vole, vole, petite abeille,
» Vole, vole, vole toujours.
» Mon souffle a reverdi la terre,
» Teinte du sang des oppresseurs;
» Longtemps l'éclat du cimeterre
» Sur l'Hymette effraya tes sœurs;
» Mais il la Grèce qui s'éveille,
» La Liberté rend ses beaux jours.
» Vole, vole, petite abeille,
» Vole, vole, vole toujours. »
Moi, dans les paroles divines
Je me confie, et sans savoir
Si sur des fleurs ou des épines
Il faudra m'endormir le soir;
Quand vient la brise, je sommeille,
Et je m'abandonne à son cours :
LE MYOSOTIS
Vole, volo, potito ;i1)(mI1p,
Volo, \()W, volo toujours.
54
1828.
LE PAHTT BONAPA 1{ T I S T K
A JOSEPH B 0 N A P V n T F.
VA loi, vicilliinl, .'lussi! lu virus diius \o cliinui» clos
Où l;i plunit' cduihal, <iù rciirrr cdiili' à lliils,
.Ich'i' aux fadious, dispiilanl la |iuissauc(*,
Ku l'orme de cailrl un acir de uaissaurc!
A Iravt'i's les ^zrauds ikmus, rrlVaiu de iKts débals.
Ton nom mys((''ii(Mi\ est jirouitnrr loul has.
(Jn('|(|ut's afiilalt'urs, ralliés |iour drlruiii',
Sol(lal('si|m' sans IVcin (|u"(in rniit;il de conduir»'.
Ourlant |iarlnul un rlifl" pour di'lioucr un loi.
De iidus eu rrliis soni londx's juxju'à loi.
Mais le in'\\u\ \\'c>\ \Au<, ri les uain^ de >a racf
nonuiraicid aiséuirnl lilolli> dans sa ruira«>Mi;
Tous ses paionN oliscurs. l'nMi's, so-ius ri nr\ru\.
52 LE MYOSOTIS
Qiii poiir Sun héritage osent former des vœux,
De l'astre impérial satellites sans nombre.
Depuis quil s'est éteint sont retombés clans l'ombre.
L'orphelin dans Texil n'a qu'un moment langui :
Sur le chêne abattu le vent frappa le gui.
I/empire, dont la chute a fait trembler les pôles,
Pour vestige ici-bas n'a laissé que deux saules :
L'un, que brûle au midi le simoun étouffant,
L'autre, pendant au nord sur un tombeau d'enfant.
Bonaparte ! où trouver dans ta biographie,
A côté de ce nom. rien qui le justifie?
Ton glorieux aîné, dans ses obscm^ cadets.
Vit dix ans une tache au veloms de son dais.
11 les brodait en vain d'or sur chaque couture,
Sous leur habit de prince on flairait la rotme.
Lorsque, du nord au sud, le pontife des camps
Les sacrait rois d'un jour sur les trônes vacants,
De l'orgueil fratern»^! leur vanité complice
Se courbait à ses pieds sous un brillant cilice.
A l'hommage des cours le dédaigneux vainqueur
Les jetait en passant, comme ce dieu moqueur
Qui livre dans l'Asie aux prières publiques
Ses excréments divins, façonnés en reliques.
Tel le sabre adoré des héros osmanlis
LK MYOSOTIS o3
Découpe aux ico^lans le monde en paclialiks;
Tel secouant, la peau du lion de Némée,
Hercule en fait loudxM- loul un jicuple pygnu'c
Malheiu- aux potentats créés par son dédain.
S'ils l'olTensaient d'un niol (tu d'un ^estc! Soudain
Happ courait clifilirr la majesté vassale;
Kl (|u nid SCS éperons résoimaicnt dans la salle.
Sous son miniti'an de roi le coupable suait,
Treudilanl connu*' un piiciia surpiiN piu' le murl !
(Jufl ennui rt'IonlVail dans rKscurial sond)n' !
Sur Ion lil sans sonnneil tu croyais voir dans riunitn'
Klamlioycr W poignard ri Td'ij (Tim guérillas;
VA puis, Icrmanl !('>> yeux, lu n'V(»yais, hélas!
Ij's montaf;iH's dont l'air cnivic la poilrin»',
i.a plaine >alilonnen<e el la roclif marine.
On, sans pii'voir du sort les (•cueils inc(tunus.
KufanI in^oiieieiix lu bondissais pieds uu«<!
Aussi, ipiand hieu liii>a l'idole clianrelauh',
Nile lu secouas la couroinu' hrnlanl»'.
Oue dis-je? ;^iàce à loi, le monde n'-xolle
De ipielipies juurN plus |o| diUa sa liberlt''.
Oui, l'aii^le impc'iial. Iianele dans son air»\
Se deball.iii eucoi' poui- saisir un loniierii';
54 LE MYOSOTIS
Les barbares, tremblant de profaner Paris,
S'arrêtaient sous ses murs, fascinés et surpris;
Mais, dépouillant un rôle écrasant pour ta taille,
Par un sauve-qui-peut ! tu cédas la bataille.
Et c'est toi qui voudrais déployer pour drapeau
La redingote grise et le petit chapeau!
Non, la gloire pour toi n'eut jamais de baptême !
Non, Joseph tu n'es pas Bonaparte, et quand mêmeî,
Quand même il reviendrait gigantesque, celui
Devant qui peuples, rois, empereurs, tout a fui ;
Quand même du tombeau le nouvel Encelade
Bondirait, et des cieux tenterait l'escalade,
Pense-t-on qu'à la soif de l'aigle renaissant
La France-Prométhée irait livrer son sang?
0 vous qui l'adorez, tribuns dont la colère
S'allume au nom du roi dans le club populaire,
C'est alors qu'il faudrait hurler le désespoir.
Sur le tableau des droits jeter un voile noir.
Et se taire ou trenibhn' : de sa main colossale.
Qui de Saint-Cloud jadis a balayé la salle.
Il vous briserait, vous et vos tréteaux forains,
Et vous regretteriez, la baïonnette aux reins.
Ces bourreaux palernels dont le clysoir talonne
L'émeute Pourceaugnac autour de la colonne.
LE MYOSOTIS 55
Vous qui crachez l'iujurc au uiiliaill(nir on froc,
Avez- vous oublié (juc l'iiounno de Saiul-Hocli,
Flélri d'un souvenir qu'aucun exploit u'eiïace,
A son (l('l)ii( s;m^'Iiiii( nous api)aru( en face
Dans ce Paris (|u'au jour {\('i< san^ilanls désespoirs
I.e canon blasonna d'Iiiérof^lyphcs noirs?
nisliufiuez-vous (jucl mot «'sl ^Mavé sur la pierre?
(-Iiai'le ou Napoléon? Juillel on Vrndéiiiiairt'?
Oin'l or espérez-vous, (piand vos cn'usels liai'dis
Fondent (pialre-viii;:l-li('i/t' avec mil Imil c«'iil di\?
A vos yeu\, si Hrutus vous a sourib'- son àuir,
I,a race de Tai'(pun est niir wur iiilïiiiir.
Craclii'/, di)Mr >\iv >;\ ('ciidii' ahaiiddUiicc aii\ viMiK.
Ntitt'Z des écliidaiids à ses rcslcs vivants,
()n"]\> meuri'ul aluciivés de lentes aiionie-^,
VA (pnm les liaine morts aux vers des p''monie<.
(i'esl peu : ressnseile/ contre iU'<. noiiiN maudit^
l,es lois dont le lilas|ilièMie était IVappé jadi<.
IMiililez par le fer, liiùle/. par les acides
La ItoMclie qui xonnl les sons lilierticide"^:
Car, si l'un ('voqnidt l'ondire du soldat-mi.
I.a lilterlé' l"ec(»iide avdileiait d'elTmi.
Mais il dori sans réveil, le ^^tMol de l'empire:
l,"\nulais a bien c|niii'> le cercueil du vampire.
Ou'nn n'(»ppnse don<' plM< ^ur d aiitiqu«'< penn<>n<
56 LE MYOSOTIS
L'aigle à la fleur de lis et, des noms à des noms.
La science héraldique est éteinte, et la France,
En vieillissant, confond dans son indifférence
Sa race tricolore et ses blancs souverains.
L'huile de Notre-Dame et l'ampoule de Reims...
Mais, que fais-je? et pourquoi, sur un bruit populaire,
Traîner devant ma barre un homme consulaire.
Qui, sans doute, ignorant le factum publié,
Oublieux des partis, s'en croyait oublié.
Heureux colon ! semblable au pasteur de Virgile,
Tu couronnes de fleurs tes pénates d'argile.
Dans un riche désert, que peuplent à la fois
Les révolutions et la haine des rois,
Tranquille au bord des mers, comme une écume immonde.
Tu repousses du pied le bruit de l'ancien monde,
Et si, frappant chez toi, les partis pèlerins
Pour leur pavois désert quêtent des souverains :
Insensés! réponds-tu, quel espoir vous anime?
Pourquoi dans son jardin troubler Abdolonyme?
La couronne avant l'âge a blanchi mes cheveux;
J'en connais trop le poids : il suffit à mes vœux
Que mon pré soit en fleurs et que mon champ jaunisse.
Peuples qui mendiez des rois, Dieu vous bénisse!
27 juillet 1833.
LE MYUSUTIS iil
LA PRINCESSE
Ne parlons plus de liberté :
Je viens de voir une itiiiieesse.
Pour mettre aux picils de Son Altesse
A iM(»ii lour, (jue nai-je hérité
DiMi \H'\i (le lé^itiinilé!
Kllc scrail, pour ma eliandirelli',
I II meuble lorl joli, ma foi;
Mais piiis(|u'elle n'es! pas j^riselle,
Ali! (|iiel hoiilieur si j'étais roi!
hès (|u'eii soi! cliar cllr a paru,
IMoiidr l'I ri<mlc à la |iorliéi'(\
A travers do Ilots de poussière
Am'c la louli' j'ai couru,
lauprrssc (le \oii, cl j'ai mi...
.1 ai NU son Iroiil (|ui >c colore,
Sou seiii i|u"a:;ilc uu doux «'iiioi ;
.Mai^. piiiir \ow un peu mieux encore.
Ah! ({uel bonheur si jetais roi!
58 LE MÏUSOTIS
Je veux prendre aussi mon essor :
L'ambition devient vulgaire,
Tel sot, qui végétait naguère.
Se réveille plus sot encor.
Chargé d'honneurs et cousu d'or.
D'un souhait qui semble frivole
Vous riez sans doute, et pourquoi?
Amis, la Providence est folle -,
Ah! quel bonheur si j'étais roi!
Sous les palais, comme un volcan,
La Liberté s'allume et gronde;
Ne puis-je trouver en ce monde,
Oii les trônes sont à l'encan,
Quelque petit trône vacant?
Dussé-je, en prince bon apôtre.
Caresser le peuple et la loi,
Dussé-je régner comme... un autre,
Ah! quel bonheur si j'étais roi!
Je le sais, l'Hymen et l'Amour
Traitent les rois connne la foule,
Et l'on dit qu'à la sainte ampoule.
D'âge en âge et dé cour en cour.
Lé diable a joué plus d'un tour;
Mais bi dans les devoirs suprêmes
Mon peuple usurpait mon eini)!oi,
Du moins il })aîrait les baptêmes :
Ali! quel bonheur si j'étais roi!
D'un loi espoir j»' m'enivrais;
Mais (iih'l ivvcil ri (picl viu'arin»'!
L(^ galop liiiilal d'un gendarme
Tout à ((Hip me renverse auprès
De l'idcdc (|iit' j'addiiiis.
Dans le lnnii»ill(iii de ses ^ardt'>,
Klle luil vers le LdiiMc, el moi
Je gagne en boilanl les mansardes...
Ah! i(ut'l hdidieur si j'étais roi!
MKULI.N l)i: ÏIIKKNN ILM
(''ranyais régénérés de la i^rande semaine.
Suivons le déni! uniixcan (|iie la i.ihi'ile mène!
l'ille perd cliaiine jniir ses derniers \eleran''.
VA, eonmie Niobe, nunrl sur ses lils inonranis..
trO LE MYOSOTIS
HéJas! quand le tribun du peuple et de l'année,
Merlin de Thionville est mort, la renommée.
Qui suivait à grand bruit le triomphe d'un roi.
N'a point jeté les yeux sur cet obscur convoi.
Rien ne s'émut autour de cette gloire morte;
Quelques rares amis ont seuls formé l'escorte.
Et les mille clochers dont il fondait Tairahi
Pour voter un budget au peuple souverain.
Et les mille canons qu'il pointait aux batailles,
N'ont point hurlé dans l'air un glas de funérailles ;
Et rien ne rappela qu'il fut un des cent rois
Devant qui tous les rois chancelaient à la fuis.
Puissant par la parole et puissant par l'audace,
H résume en lui seul l'époque à double face
Que d'une explosion de gloire deux volcans
Éclairaient à la fois, la tribune et les camps.
Fallait-il dégrader Dumouriez ou Custines,
Rallier au drapeau des légions mutines.
Réveiller dans nos rangs la victoire qui dort,
Et noyer dans le Rhin les Pharaons du nord?
Carnut montrait du doigt la frontière entamée,
Et Merlin y tombait pesant comme une armée.
Dans leur métier de feu qu'il n'avait point appris,
11 révélait un maître aux généraux surpris;
Debout, le sabre en main, sur l'alTùt oratoire.
L E M Y 0 s 0 T 1 s (^1
La veille du combat, décrélail la victoire.
Et, dans les rangs prussiens iilongeant seul bien bouvent.
En rapportait le droit de crier : En avant!
Puis, des bords enllannués du Hiiin ou de la Saïubre,
Quand un coup de tocsin l'appelait à la chambre.
Plus intrépide encor dans un nouveau danger.
Sur l'ardente montagne il revenait siéger.
A ta place, Merlin, la séance est ouverte.
Des triumvirs jaloux onl médité sa perte.
Il regarde pensif les vides (pieu lombanl
Danton et Desmoulins dul laissés sur leur banc;
Mais, nouveau Danioclr^, rciKinvaulc dans rame,
H ne restera [las acciouiii scms la lame.
C.onlre ses ennemis, silnl {[u'ils iiaraitioiit.
Il s'armera du Ter qu'ils prudt'iil >iir miu IViinl;
El, piiisipi'à leius ^riidiiv Tliciiiis |iàle s'esl lue,
Détomiiera mm' eux le Imrs la l"i i|Mi lue,
ll()bes|iierre esl |iuissml. Uobesiiiene a |Minr lui
Des piipies doul l'ecliiir eu \aiii n a jam.u> lui.
Des canous deiuandanl audience a la purle.
Les raubuurgs, une ainn'e el Sainl-Jusll mai> qu imj'orle?
Sa Voix releuliiii, qu'où lapplauilisse ou uou.
Plus liaiil (|ue les laubouriis, Sainl-Jusl el le eauon.
62 LE MYOSOTIS
Le bouillant proconsul^ venu de la Gironde^
Assiège le premier Ja tribune qui gronde.
Écoutez!... Oli! jamais^ sur les glacis d'un fort.
Les cœurs avant l'assaut n'ont palpité plus fort.
Le Sina, d'où tombaient des lois et des tempêtes,
La montagne ébranlée a fendu ses deux crêtes.
Et les pics fraternels, s'entre- choquant tous deux,
Volcanisent le sol, qui palpite autour d'eux.
De spectateurs béants la salle est crénelée;
Comme un troupeau de loups qui flaire la mêlée,
La plèbe anthropophage attend là, pour savoir
Quelle chair et quel sang on lui promet ce soir...
Mais tout à coup le monstre hésite à s'en repaître :
Le lion d'Androclès a reconnu son maître;
Les décrets promulgués expirent sous les cris;
Des bras nus et sanglants relèvent les proscrits;
Par tous ses soupiraux^ le vieil Hôtel de Ville,
Haletant, a souftlé la tempête civile,
Et sur les quais bruyants oi^i Paris est debout
Aux feux de thernndor la séchtion bout.
Merhn se lève alors, fier d'un rôle à sa taille;
Encor poudreux des camps, il vole à la bataille.
H part; les cris de mort ne l'intimident point;
11 plonge dans l'émeute, un pistolet au poing,
Devant les conjurés se dresse, loi vivante,
L E M V 0 s 0 T I s ft3
Comme dans un filet,, les prend dans rt'i)ouvanlo,
Et, sans qu'ils aient tiré le glaive du fourreau,
Les ramasse treniblanls et les jette au bourreau,
r/est bien : justice est faile, el, joyeux dnns leur tonijje,
Les cordeliers martyrs acceptent l'iiécalouibe.
Un nouveau roi déclin lait liomma^je à Samsdu:
L;i hache, (prébrécliail une longue moisson,
ilimiidc d'un siiii^' pur, diins le sauu esl lavée.
Merlin, repose-loi, la séance est levée!
Kn face d'im tel homme, uhî (piils semhlent petits,
(les lé^isliitenis nains dans le ccnlie iiiollis!
(les rhéteurs lanfanMis à la voix menaçante,
Uni tonnent sans (lan;4er contre rémenle alt-^enle,
l'it râlent un Ion:; cri d'é|ionvant(> et de denil.
Sitôt (pi'nn lunit snspeci honidoime sur le senil!
Si, (lu moins, surgissait dans un coin de leur salle
Hn siècle Av^, ^l'anls ipichpn» ombre colossale!...
Mais sur nos vieux tribnns, hisloriipies landu'aux.
L'oubli pesait axant la [lieire des lond»ean\.
(Juand le lion rugit les trois jours dr colère,
Sans doute le Nicillard hiMut la nouvelle è|-e.
Ml, coinuii' le pays, connue la liluTte.
l*our im avenir d"(ir se crut re^su^citi'-.
64 LE MYOSOTIS
Sans doute il espéra que la voix des collèges
Aux sénateurs déchus restitCirait leurs sièges.
Vain espoir î ce grand nom retentissait trop fort.
Peut-être, en l'écartant, la France n'eut pas tort.
Quand on eût présenté Merlin de Thionville
Comme un épouvantai! à la chambre servile.
Quand sur nos girondins le fougueux montagnard
Eût lancé sa parole et brandi son poignard.
Oh! sans doute, devant cet homme de l'histoire.
Reculant de terreur, comme devant Grégoire,
Dans les bras de la France ils auraient rejeté
Le tribun glorieux de son indignité...
Quoi ! des récits menteurs, que la peur accrédite.
Font de l'époque sainte une époque maudite !
Par des auteurs vendus tout royal attentat
Est absous et paré du nom de coup d'État,
Et pour les nations il n'est point d'indulgence!
Après avoir longtemps amassé sa vengeance.
Lorsque le peuple-roi se relève, et s'assied
Sur les partis vaincus qui le mordent au pied.
Il faudrait qu'il n'eût pas de fiel dans les entrailles.
Qu'il étoudàt la soif des justes représailles.
Et ne réveillât pas contre ses ennemis
Le beffroi, chaud encor, des Saints-Barthélemisî
LE MYOSOTIS 65
Pour les Foiiqiiiers royaux l'Iiisloire est sans colères,
Kt ne pardonne pas aux Jeffreys populaires!
Ef quand même ils auraient frappé d'aveugles coups,
Lâches accusateurs, silence! oubliez-vous
Que leur âme de feu purifiait leurs œuvres?
Oui, d'un pied gigantesque écrasant les couleuvres.
Par le fer et la flamme ils voulaient aplanir
l'ne route aux Français vers un ho\ avenir.
Us niarcliairnl pleins de foi, {lieins d'amour, et l'histoire
Absoudra, comme Dieu, (|ui sut aimer et croire.
Sem])lal)les au Mogol, pourvoyeur de vautours.
Oui de crânes humains édiliail des tours,
Au dieu (lu'ils confessaient votant d'horribles fêtes,
Pnui' lui hàlir un leni|»le ils entassaienl les têtes;
VA, (juand il le lalhit, résignés au malheur,
(louroniiaitMit rr-dilict^ en y jtorlant la leur.
Sans doute il leur fallait, d'une main pacillcjne,
Caresser des mt'cliaiits la lace prolirapie,
Au lieu de fatiguer la hache du tn'pas;
(lonnne (Ml nos jours de honte il fallait, n'est-ce pas?
(iaridllei- de rubans, déporter dans les places.
Mes ennemis vaincus (|ui hurlent des menaces,
Fl, plutôt ipi'un mandat, jeter un passe-port
A ces preux chevaliers galopant vers le nord.
Uni. pour tailler en liefs la Kranc(> di'coujiee,
i.
66 LE MYOSOTIS
Aux sabres des uhlans aiguisaient leur épée...
Eh bien ! moi, je vous dis que leur pied trop clément
Sur l'hydre féodale a pesé mollement;
Car elle siffle encor, car le monstre vivace,
Des qu'ils furent passés, a bondi sur leur trace;
Ils n'ont régné qu'un jour, et quand, le lendemain.
Sur la couronne à terre un Cromwell mit la main,
Pour son infâme Rump il sut trouver des membres,
Repeupla, d'un coup d'œil, les vieilles antichambres,
Et fit dans le château surgir, on ne sait d'où.
Les mannequins vivants balayés le dix août.
A l'anathème, un jour, substituant l'éloge.
On fera de leurs noms un saint martyrologe ;
Un jour on votera des honneurs immortels
A leurs tombeaux maudits transformés en autels.
Mais nous, dont le cœur chaud repousse un froid système.
Nous, peuple, qui voulons la liberté quand même,
Devançons l'avenir, et d'un pieux accueil
Honorons ces proscrits, au moins dans le cercueil.
Qu'en guise de cyprès, le chêne populaire
Prodigue à leur sommeil son ombre séculaire!
Décoré de leurs noms, pavoisé de drapeaux.
L'arbre poussera bien dans le champ du repos;
Car du tronc à la tige une chaude poussière
L E M Y 0 s 0 T I s 67
Circulera chanfiéo on sève nourricière;
Dan^ chacun des rameaux qui frissoniioiit an vent
Nos (ils vénéreront un ancctre vivant,
Kt le soir, allontifs au conseil que leur iloinic
I 11 jiioplièto semblable à celui de Dodone,
Alix jours de grande alarme ils diront à f^enoux :
Mânes de nos aïeux, (pie l'aire? iiispirez-nous!...
A l\l. C. OPOIX, DK PROVINS
K X - r. 0 N V K N T I O N N K I,
\y jmi'te aux dt''l»ris vtnia loujdurs nu eiilli' :
Pour uii(> âme ivveusc ils oui iiii cliariut' omdle.
l/ima^inaliou fii l'ail sortir drs voix
Oui parlriil ;mx vivaiils des choses d'aulrefois,
l',l le veis iM»ii»(' hicii, ('(iiiimi' la ^ironct>,
Alix ei('\asN(>s diMi mur, au iiii'ii dim iiiausolt'c.
Oh! rouvrir sous mes pas.au descrl d'Oricul,
l.i's Iracesdc l5Nrou t't do (.haleauhiiaud ;
llespinu', aceoiiiit' sur un Iroue do eolouuo.
I,a poussièro ipii lui l'aliiiMc ou rv;ih\|iiiii' .
68 LE MYOSOTTS
Quel bonheur ! mais, hélas ! c'est un rêve : le sort
A de sa main de fer encloué mon essor.
Et, comme le chevreau captif au pied d'un chêne.
Pour brouter quelques fleurs, je tiraille ma chaîne.
Du sol natal au moins j'exploite les trésors.
Et que me servirait d'aller, de bords en bords ,
Évoquer du tombeau quelque nation morte?
Une grande ruine est debout à ma porte.
Oui, venez parmi nous, curieux pèlerins.
Dont la voile frissonne à tous les vents marins.
Des voyageurs ont dit que dans sa vieille enceinte
Provins rappelle aux yeux Jérusalem la sainte.
Voilà pourquoi sans doute, infidèle au Jourdain,
La fleur qu'y moissonna le comte paladin.
Cessant de grelotter loin du soleil d'Asie,
Comme au fleuve natal se mire à la Voulzie.
Là, quand le vent du soir gémit, on croit encor
Sur quelque pont-levis ouïr le son du cor,
Ou descendre, furtifs, des créneaux dans les plaines.
Les appels amoureux des dames châtelaines;
Là, quand dans les roseaux il chante comme un luth,
Le passant rêve et dit : Comte Thibaut, salut!
Et, si vous ignorez quel savant artifice
Des temps qui ne sont plus restaure l'édifice,
Vous interrogerez l'ermite qui, souvent.
LE MYOSOTIS (H>
A travers ces débris erre, (lt''I)ris viviiiil.
Commo Cluimpollioii an pays des califes,
Il vous oxpliiiucra de vieux hiéro^ly[>lios.
Et la baguetlo il'or de ce maf^icien
l'Aliumera pour vous l'Agendicum aucien.
Hegardez : il chancelle en foulant des décombres,
Cet homme séculaire, ombre parmi les ombres;
Le bâton, qui soutient ses pas mal assurés,
Frap|)e au séjour des morts, coniinc pour dire : Ouvrez!
SiU' son front chauve, Mina blanc de neige et (pii brûle.
De (piatre-vingls hivers le fardeau s'accimnde;
Mais, cpiand rncnie la fondic on les vents pluvieux
Dégraderaient encore cr nioiuinicnt si vieux,
Ou;uid il ne resterait de cet homme débile
(Ju'ini son dans l'air; semblable à rauTnpie ^ihvlle,
(di! celte voix sérail un itracle |tour nous.
Nous en recueillei-joiis la itarole à genoux;
(!ar aux jeinies croyants tpi'atlire rerniita^e
l'!ll(i n'|)i'leiait (sublime radotage!)
(les mots (pii dans les C(eins bn'danls de pnberli'
Ne toud)enl jamais froids : Vnfiii' rt Lil>n(r !
La sainte l.ibeile, naissante an Jen de paume.
Connue Ciiicinnalns. Peideva sons le cliamne.
Certes, ce n"elaienl pas ;ilois de vils crétins
Uni de la noble l'iance agitaient 1(>n desiinv.
70 LE MYOSOTIS
Des écoliers barbons^ tremblants sous la férule,
Automates mouvants sur la chaise curule,
Bétail que le pouvoir engraisse de ses dons,
Bâillonne d'un frein d'or et sangle de cordons;
Alors les députés haranguaient les tempêtes,
Ballottaient au scrutin leurs boules et leurs têtes;
Le bourreau ramassait tous les partis tombants,
La mort à plein sillon fauchait entre les bancs,
Le tocsin dans la Chambre étouffait la sonnette,
Et rémeute y frappait à coups de baïonnette...
Eh bien ! s'enveloppant d'un héroïsme obscur,
De l'époque sanglante il sortit le front pur;
Il osa pour Capet armer sa boule blanche,
Au pied de la Montagne affronter l'avalanche.
Et, bravant du malheur le contact dangereux,
Coudoyer sans pâlir les girondins lépreux...
Que sont-ils devenus, ces hommes consulaires?
Ceux qu'on n'a point jetés aux lions populaires
Ont traîné dans l'exil leurs destins ignorés.
Et la terre d'exil les a tous dévorés.
Si de la France un jour l'idolâtrie avide
Revendiquait leurs os pour le Panthéon vide,
Dans un large sillon, creusé du sud au nord.
Il nous faudrait glaner sur les pas de la Mort,
Et, labourant le sol de chaque cimetière.
L !•: An 0 s U T 1 s
CoiiiiiK' iiiitî J(»sai)lial loiiillcr rii;uro[tc eiiliciv.
En vain la Liberté, renaissaule aux trois jours,
llappelu ces proscrits : hélas I les morts sont sourds!
Lui (lu nioius nous rcsia : la vicillL' dynastie
N'atteignit pas son IVonl des coups' de l'anniistie.
Connue l'italieu, harcelé de héros,
(Jui, dans un lein|ile ouvert, se sauve des hoiureaux.
Le vieillard; poursuivi par Tarlide et Hasile,
S'enfuit vers Ir l'amasse, en s'éeiianl : Asile!
Mais, dé(lai;«'u»'ii\ du iiiondr ri de ses lauriers \aiu>,
(loniiue Mil linceul pit-cocc il ic\cli( Provins;
Lt l'aiule, i|ui peul-clie eùl (K'Noré l'espace.
Se lapil, \er olisciir, &i\\\> celle cininnicc.
C'est le iiiatiicicii dr nos hois encli;inlcs.
I,e l'anloine iddeur de nos di'luis llanlé^;
Il ordonna Ircnic an> ce Innclirc niu>ée,
Trenle an> é|ionsN('la cliat|nc iicinluic usée,
Ll \ien\, pour reconi|ien>e il ne deniaudii iien.
liien, <|ue l'Iionnenr olisein' d Cn nionrir le ^ardn-n.
hu liaul de nos leniparis. philosophe shiile,
IMananI sur le champ clos (»n Ijjnope indile.
Il \oil, depuis (|uin/.e ans, \o\.iuer Innr .i Inni
Les iMinihttns hi^^ilils, les Honrhons de reionr.
i;i, del(»innanl l'oreille au luuil de leur passuf:»»,
72 LE MYUSUTIS
Il dort, enveloppé dans le manteau du sage.
Nul rayon de faveur sur ses vieux jours n'a lui;
Les rois (se souvenant!) reculaient devant lui.
Quand juillet s'alluma, du moins on pouvait croire
Qu'il se réchaufferait à ce soleil de gloire.
Qu'une langue de feu Tirait chercher; mais non :
Rien aux puissants du jour ne révéla son nom.
Et seule, quand il pleut tant de croix dans l'ornière,
La rose de Provins brille à sa boutonnière.
Que dis-je? son pays renia ses travaux;
11 lui fallut subir d'ironiques bravos,
L'outrage médité, l'insulte irréfléchie.
Essuyer des crachats sur sa barbe blanchie.
Et passer, sous les yeux des pharisiens jaloux.
Vêtu, comme le Christ, de la robe des fous.
11 dut se rappeler, dans ces jours d'amertume.
Que de vieillards, sans foi dans leur gloire posthume.
De l'âge et du malheur ont cunmlé le faix.
Et recueilli l'injure en semant des bienfaits :
Dante a bu lentement une agonie amère.
Et des chiens ont bavé sur les haillons d'Homère!
Dors en paix maintenant, Nestor des Provinois,
Je veille à ton repos, comme l'enfant chinois.
Dont l'éventail défend la tête paternelle
LE MYOSOTIS 73
Du luouclieruii «jui peut rerileurer df buii aile;
Je ne traliquc pas d'un hommage vendu :
Mon lulli aux lambris d'or ne fut jamais pendu :
Mais si, montrant du doigt le Iront nu d'Elisée.
On l'insultait encor d'une lâche risée,
Oh ! mon vers gronderait, semblable à l'ours vengeur
Qui, s'élançant des buis vers le saint voyageur,
Dispersa, déchira sou escorte insolente,
Kt lui lécha les pieds de sa fiueule sanglante...
le ne te connais pas; d«»s accents de la voix
Mon oreille est encor vierge; mais (pie de lois.
Dans la bruyante rue on dans la solilud»-,
J'ai suivi ton pas lent avec sollicitude!
J'aurais voulu pour loi ramollir le clicmiu;
El ma main s'égarail, prèle à saisir la niaiu;
J'épiais siu' ta bouche un sourire prospère,
Kt la miemu* s'ouvrait jMiur te dire . Mou père...
VA puis, je veu\ seuirr aliu de recueillir :
Moi, liévreux de jnuiesse, il luc l'iiudra vieillir;
l/liuile, nu jour, dnil luiuupu'r :i ma Nrillr ;i»i(lu«>;
Le Ncut emporleia ma pamlc perdue;
Mais (piaiiil, (lé>eiir|i;ml(« de mes rêves (Teuraid,
l/oultli m'auia cdUNerl d'uu linceul éloulVaul;
Ouaud mes coucitoNeiis, eu me \o\aul paraiire.
Se diront : ()uv\ es|-il? et pa»ei(>ul; peul-èire
74 LE MYOSOTIS
De la sainte vieillesse un poëte amoureux
Les fera souvenir que j'ai chanté pour eux,
Réjouira mon cœur d'une parole amie^
Versera des parfums sur ma gloire momie.
Et, payant au rimeur la dette du savant,
De funèbres lauriers m'embaumera vivant.
LE POETE EN PROVINCE
Le moi présomptueux de Montaigne et de Sterne
Est mal reçu, venant d'un auteur subalterne ;
Mais comme un premier-né, Diogène m'est cher;
Je ne distingue pas mon œuvre de ma chair,
Et je dois me laver des reproches qu'on lance
Tantôt à mes discours, tantôt à mon silence;
Sur des abus flagrants, dit-on, je me suis tu^
J'ai porté des défis et n'ai point combattu;
Puis, j'avais annoncé qu'en un large domaine
Mon Pégase ouvrirait un sillon par semaine;
Je n'ai pas su tenir ce que je promettais.
Et mon jeune crédit mourra sous les protêts...
Lt MYUSUTIS 75
Hélus! j'ai préludé sous de riants auspices;
Tout semblait à uiuii vol olVrir des cieux propices;
Ceux même qu'autrefois, dans ma {^aîté sans frein,
J'avais égratignés d'un insolent refrain.
Oui, tuteurs généreux de ma muse inconnue.
Prèle des ailes d'or à son épaule nue;
La voix, <ii(i )n'a troublé lorsque je sommdllais.
Applaudit ma satire à ses premiers feuillets.
A vous, braves amis dont le bravo m'accueille,
Quand ni<»n poème au vent s'en allait feuille à feuille;
A vous, dont la pilié récliaulïa ilans son sein
Ces passereaux frileux effarés par essaim,
Honneur! honneur >inl(»iil ;i ces ànies fer\enles,
Dans notre Béotie antithèses vivantes,
(Jiii <le leurs conseils d'or inOid paNe le tribut;
Honneur à vous, C***, M*** et C***!
Je suis las de ciimpir sur Notre h-rriluire.
De pi'odij^ner des chanl> (|ui n'ont point d auditoire î
Je l>ars, et de ces hoiiU, ipp- je cro\;n>« amis,
Je secoue, en luviuit, la poudre et les foiuini^;
Je piirs, ni'iis >;nis iidieu : mii satire allumée
Iji ( in(| explorions ne ^'e>t pa> eon^^unn'e;
Je pour>uiNrai suis peur mon lole jusqu'au bout :
I,e Ihéàlre a crouh', mais l'aeleur e^t delmul.
r.it'aneiers de mes xers; poiii' a('t|niller ma délie
76 LE MYOSUTIS
Je serais s'il le faut, et manœuvre et puëte ;
De l'art et du travail cumulant les eimuis^
Je sûrai le matin sur l'œuvre de mes nuits..,
Vous dont j'entends gronder le bruyant anatlièiiie,
Savez-vous bien (hélas ! je l'ignorais moi-même !j
Savez-vous quel fardeau je m'étais imposé?
Quel miracle inouï je rêvais, quand j'osai
En forme d'Hélicon tailler notre montagne.
Et dire fiât lux aux brouillards de Champagne?
Comme le voyageur dans son nautique essor.
Baptisant de son nom une île vierge encor.
Insensé, j'avais cru, Cook de la poésie,
Conquérir le premier les bords de la Voulzie ;
0 mes concitoyens, pardonnez! je le vois.
Vos gloires pour fleurir n'attendaient pas ma voix.
Heureux pays! ton sol fourmille d'Aristarques;
Tes Solons inconnus attendent des Plutarques ;
Rivaux des troubadours qui t'illustraient jadis,
Tes nouveaux lauréats, grands hommes inédits.
De l'ombre d'un bureau, du fond d'une boutique ;,
Régnent sur les beaux-arts et sur la politique.
Et l'on ne peut toucher à ce double terrain
Sans attenter aux droits d'un orgueil suzerain.
LE MYOSOTIS 77
Poëte infortuné, sous ta plumo prufUMito,
En vain tu retiendras l'épigramme pendante ;
A chaque livraison un jury menaçant
Donnera la torture au poëme innocent :
11 flairera partout des délits et des crimes,
Ainsi qu'iui or suspect contrôlera tes rimes,
VA les fera sonner leur à lour, à dessein
D'en lirer (|url(jii(' i)ruit ressemblant an locsin.
Ou monlrera du (loiizt à la tonle. i;.'n(tnuitc
L'injure personnelle, à cIkkhic mol flagrante.
Tu m.igislrat, dit-on, par l'un (>sl hafoué;
L'autre IVapp»' im notaire, et l'autre un avoué;
I/autre un bourgeois du lieu, colossal d'importance.
Dont loi scnl n'avais pas soupçoiiiK' rcxisteiice.
Lances-tu des cailloux aux (loliatlis des cours!
Sur (picl(pic IVoul obscur ils ricochent toujours.
A la lace des rois, jcllcs-lu Ar la bouc?
lu maire cl deux adjoiuls vmil s'essuver la joue;
l'',l des ollicieux, eu ;_'riuiacaul l'iMYroi,
Te paileroiil tout bas du procureiu" du roi...
|)oiiiies-lu (iuel(|ues pleurs à Ion noble Mécène,
honl l'exil iniprcNu (il inuruuirer la Seine?
L'iK'Uiislicbe. à Midun, se glissant pai hasard,
Khunbloie aux murs dore^ d'ini p«>tit JtalthaNar.
I.l. des ju^'e< tardifs excilanl les enquêtes.
78 LE MYOSOTIS
Le proconsul jaloux veut te livrer aux bêtes;
As-tu blessé l'orgueil d'un bel esprit mutin?
Pour sauver ton repos, fuis, ou, quelque matin.
Pâle encor d'une veille, il faudra que tu coures
Brûler au nez d'un fat tes vers cbangés en bourres...
Hélas! c'est mou bistoire... Eb bien! à vous aussi,
Zoïles spadassins, je répondrai : merci!
Vous avez retrempé mon cœur dans l'amertume;
Le fiel dont il est plein déborde sous ma plume.
Pourtant, dormez en paix : de mon brûlant coiutoux
Je n'égarerai point un seul éclair sur vous;
Je ne vous rendrai pas outrage pour outrage,
Car vos bourdonnements ne sont pas un orage.
Vous ne méritez pas que l'on vous crache un vers.
Et d'un large mépris je vous ai tous couverts.
Pour la prostituer, j'estime trop ma haine;
L'ouragan, dont le vol courbe l'orgueil du chêne,
Dédaigne d'effleurer l'insolent végétal.
Qui se carre au soleil sur le fumier natal.
Pour cible hebdomadaire, à mes coups polémiques.
Je veux des fats titrés, des sots académiques,
Je veux des ennemis que je puisse, en chemin.
Écarter d'un soufflet sans me salir la main.
Venez, gens du pouvoir, dans son nouveau refuge,
LI-: MYOSOTIS 7H
Kelanccr et. traquer l'insolent qui vous juj^e.
Comme un épouvantail dressez-vous devant moi!
Je suis plus fort (\\u\ vous, c'est pour vous qu'est l'elTroi.
Qu'importe qu'on m'enlève une presse, qu'importe
Que riiospitalité ferme sur moi sa porte;
Qu'inijtorlc, pour s'asseoir, au poëte rêvant,
La chaise du foyer ou lii borne en plein vent !
Quand il s<» iVolle au peuple, un contact électriipie
Fait jaillir de son sein la llamme satirique.
Je ne m'inspire pas sur des coussins moelleux,
Je liens mal une iilnnie entre mes doifits calleux;
Je n'écris pas, je rliaiile, cl. Minerve nouvelle.
Ma satire s'élance en bloc de ma cervelle.
Qu'on m'encliainc, ma voix est liiire, c'est assez;
Oui, lanl (|u'oii n'osera, f(»nnne aux siècles passés,
Par le fer cl la llaunne éloulVer le blasphème.
Il landra (pi'on ineiileiule; et, diissi'-je luoi-nièine
Quêler des auditeurs, comme ces lroubadoui"s
Dont roiuue savoyard nasille aux canelours,
.ranieiilerai le pciqtle à mes vérit«'S crues.
Je pnqihéliserai sur le trépied des rues...
('.ha(|iie iniir, placardt' d'iiii vers n'>publieaiii.
.StM'a poiii- uu'< la/./i^ le socle de Pasquin.
f^O LE MYOSOTTS
A HENRI Y
Henri Cinq! à ce nom n'augurez point d'outrage
Pour l'héritier des lis, emporté par l'orage.
Où l'on salue un roi, je ne vois qu'un enfant,
Et respecte le front que sa candeur défend.
Pourquoi te maudirai-je? infortuné! sans doute,
Tu hais la royauté plus qu'on ne la redoute;
Je garde ma colère à tes bourreaux, à ceux
Qui stimulent pour toi l'avenir paresseux.
Et qui, pour t' ajuster à la robe virile.
T'imposent un effort douloureux et stérile.
Les cruels t'ont volé ton âge d'or! ils ont
Imprimé sur le tien les soucis de leur front;
Te versant goutte à goutte une espérance acide,
ils consomment dans l'ombre un long infanticide.
Ah! maudit soit le jour, où Paris étonné
Comme un présent d'enfer accepta Bieudonnél
Hélas ! quand les valets du trône héréditaire
De l'auguste naissance adoraient le mystère,
Quand le canon hurlait l'avis officiel,
LR MYOSOTIS 81
Par pitié pour la France et pour toi, plût au riel
Onun boliémien, fouillant dans ton berceau de fête,
Au l)apteme royal eût dérobé ta tête!
Tu pourniis aiijounVbui danser sous tes haillons,
La chevelure au vont, courir les papillons,
Moissonner, à pleins bras, les campagnes fleuries,
Écloses sans parfum sur tes tapisseries,
l'I l'eudormir à l'aise aux portes du palais
Oui fait peser sur toi ses murs et ses valets.
Ivre (le joie et d'air, riclie d'un ImkIj-M'I mine»».
Tu vivrais mendiant, toi (jni véfiètes prince.
hit'M iK^ l'a pas voidu ' siw des panjut'ts luisants.
Tu licnrtes les j^enoux au front ih'^ courtisans,
VA les ambassadeurs, (pTun Iniissicr te iiréscMitc,
lirisent les hoclicis d'or dans Icnr marcin» pi^sanle.
Piiisses-tn sMccomluM" à cfl ennui profond!
Car l'avenir ponr loi s'ouvre noir et sans fond,
Car les perst'cntenrs font briller sur la tèti^
Un joyan, dont l'aimant allire la tempête...
Ta raison, disent-ils, a nniri prnmplement,
Tn lis (ioMbe et Sebiller sur le texte allemand;
l'di bien! tn comprendras mon arrêt jHoplietitpie,
KnfanI ! si (piebiue joni' la elianee poliliipie
Te renvoyait an trône, et courbait son< ta Itii
l'n |teuple frtMnissanl (pii ne veut pa^ de loi :
l).
82 LE MYOSOTIS
Si lu (levais un jour (ce qu'au destin ne plaise !)
Allonger d'un Bourbon la chronique française,
Une émeute sans fin bourdonnerait dans l'air.
Et livrerait Paris aux brigands de Schiller.
Pour chasser les démons ardents à ta poursuite,
Tu t'armerais en vain d'un aumônier jésuite ;
Tu flairerais de loin chaque placet, de peur
Que son pli n'exhalât une horrible vapeur;
Sand heurterait encore au seuil des ministères,
Staabs irait troubler tes fêtes militaires;
I.ouvel de son tombeau sortirait furibond;
Son vivace poignard a soif du sang Bourbon.
Mais ne te flatte pas même d'un jour prospère;
Tu ne dois pas mourir de la mort de ton père;
Et, si tu te mêlais à des brigands bénis.
On creuserait ta fosse ailleurs qu'à Saint-Denis.
Miraculeux sauveur, n'écoute pas les mages,
Dont ta crèche dorée attire les hommages :
On dit que, pour tenter l'Achille de treize ans.
Ils glissent une épée à travers leurs présents.
Ah! si par leurs conseils ta jeunesse est trompée.
Malheur! car nous aussi nous t'ofl'rons une épée;
Mais, sentant à la fin notre clémence à bout.
Nous te la présentons par la pointe, et debout!...
LE MYOSOTIS 83
Et qu'as-tu pour appui? Quelquns Ivlos ridées,
Dont les cheveux de neige ont glacé les idées.
Des menins du régent, des docteurs es l)Iasou,
Imbéciles Calebs de ta vieille maison,
Dont le sang, rare et froid, se figeant sous hi liii(ln%
A la main du bourreau ne ferait point de tache,
Parmi ces noms obscurs, il en est un brillant,
Un que nous t'envions, un seul : Chateaubriand !
Mais, sur les l;iuriers veris qui lornient son trophée,
Pâle tige (le lis, eu viiin il l'a grefl'ée.
Son génie est puissant cl nous le délions;
Hélas! il est passé le temps des Anq)liions...
Sur les palais détruits, ses pleurs et ses prières.
Abondants, (ml coidé sans émouvoir les jiierres.
INtnr écuiitcr ce |nvlrr aux cIkuiIs iiK'IodiruN,
Nous voyons trop les vers ipii nmticiil ses liiiix dii'ii\.
Sa voix, loisipi'à l:i ciiiisc il jmmiik'I I;i vitloire.
Pitiir i;i pit'iniric lois se jicrd s;ms aiidilniit';
Kl, (Lilis s;i l(i\;iiilt'' de clirviiruT cliit'i itMi.
Il perd son Mvciiir siiiis rf^liiiircr le lien.
his donc à <•<' vieillard, piiisipril daigne ^f nn'llrc
Aux ficiionx d'un tMilaiil qu'il appelle son niaili-e.
Dis-lui de lefiiser aux profanes débals
Des mois (pli ne son! point la lanuue d'ici-bas;
De se jvfiiuier an monde (pTil s)> crée.
84 L E M Y 0 S 0 T 1 S
Et de ne point offrir une tête sacrée
Où la vieillesse pèse, où tant de gloire a lui.
Au glaive que la loi craint d'égarer sur lui.
Quant aux preux chevaliers que ton exil attire.
Qui vont, gras et vermeils de trois ans de martyre,
Prosterner à tes pieds leur dévoûment profond,
Pour hâter ton retour, sais-tu bien ce qu'ils font?
Ils élèvent au ciel leurs mains et leurs prières,
Attisent de soupirs des feux incendiaires;
Comme le peuple juif, dans un heu souterrain,
Aux profanes regards cachant leur sanhédrin.
Avides du grand jour qui ne doit jamais naître.
Quand la tempête gronde, ils ouvrent leur fenêtre.
Poussent un cri de joie, et regardent en l'air
Si l'envoyé du ciel tombe dans un éclair.
Je me trompe : aux grands jours, la basilique ouverte
Nous lâche, pour défi, sa procession verte,
Et, quand la nuit est sombre, un marguillier tremblant
A son clocher honteux arbore un haillon blanc.
Ton nom remue encore, au fond des sacristies,
Des fous que nos dédains ont couverts d'amnisties,
Et ces Bretons, marqués du type originel.
Suçant l'horreur des bleus sur le sein maternel.
Bétail aveugle et sourd qu'un Gondi populaire
Fouette vers rabatteur à coups de scapiilaire.
\. ]■] MYOSOTIS .*^5
Mais, chaquo jour, pâlit leur fanatique instinct;
Le grand buisson ardent de lui-même s'éteint.
Tu seras homme à peine, et déjà l'Armorique
Ne verra plus en toi qu'un fantôme historique.
Si lu parais alors, si quelque Ilot marin
Jette sur les récifs l'élève de Tharin,
Les pêcheurs, oublieux d'iuiç épo([uc eiïacée.
Demanderont d'où vient l'étrange cétacée,
VA, connue les débris d'un navire lépreux,
(lonniic les os (Tini plioipie anonyme pour eux.
Repousseront du pied, à la mer (|ui l'apporte.
Le cadîivre (lottani de la royauté morte.
Si ton clan vagabond, pour vaincre sans danger.
Se glissait dans nos ports derrière l'étranger,
La terre de l'ouest, giasse de funérailh^s,
\\\\ français nMiégats ouvrirait ses entrailles;
A Tapitel de Sinon, les ennemis venns
heeideraienl (rellVoi devant ces bords connns,
Car ils verraient iMicore ini linceid d'aligné verte
Honler des (»s hlancliis sur la pla;^e diserte,
l'ît le Hot pro|ili(''li(|ne, an\ conps de l'aviron,
Hépondiail I II gidiidanl : (,Miibeidii ! O'dberoii!
l'.coute, cepiMidant : (piaiid lu pleures la France.
Si le mal dn pavs es! la seule sniilTiance,
86 LE MYOSOTIS
Si l'exil t'est mortel, espère ; mais attends
Que les nouveaux Bourbons aient achevé leur temps.
Un règne à l'agonie aurait peur d'un fantôme,
Un trône chancelant craint le choc d'un atome ;
Ta légitimité doit effrayer la leur,
Mais tu n'es rien pour nous, que faiblesse et malheur.
Phis radieux après une éclipse totale.
Quand juillet brillera sur notre capitale.
Fuis ta prison dorée, et viens, sans appareil.
Libre et seul, refleurir à ton premier soleil.
Nous aurons oublié quel fut ton apanage,
Nous fermerons les yeux sur ton pèlerinage ;
Viens : nous te promettons un spectacle inouï.
Dont les fêtes des rois ne t'ont point ébloui.
Alors quelque David, aux dessins gigantesques.
Prenant le Champ de Mars pour toile de ses fresques,
Devant la Liberté fera mouvoir les chœurs
Des citoyens joyeux et des guerriers vainqueurs.
Qui sait? le tourbillon de cette farandole
T'entraînera peut-être aux pieds de notre idole ;
La voix du sang français, dans ton cœur enfantin,
Étouffera la voix du sang napolitain,
VA, fier de partager notre gloire future.
Tu solliciteras des lettres de roture.
Alors, si des bivouacs fument à l'horizon,
I. K M Y 0 s 0 T 1 s Hl
Soldat, va «'onquérir un liiiiricr [loiir Idiisou,
Et, commo Ivanhoë Irtinsfiii^c do SolyniP,
Élonnaiil son pays d'un coiirapo anonyme,
Dans le tournoi sanglîint (ju^nivrc la Liberté,
Fais dire aux spécial eiirs : filoire nu (Uahéritpl
Oui, confonds pour jamais ton avenir an iiôlre,
Sois vraimenl fih de France , el jilùl an cifl (pie rinilrr...
L'autre orphelin, débris d'nn empire pins ix-an.
Pût revenir aussi de Texil dn lonilieanl...
Mais (pic seil (rcinbrasstT nne vaine cliinière?
Ils sont perdus Ittus deux pour la France, leur mère.
Dans la grande cité (pii leur donna son iail.
Ma pitié caressante en vain les rappelait :
L'un ne peut soulever la pierre si'pniciaie.
L'autre, ininnui' vivant dan^ sa pourpic royale,
(irelolle cfiiniHc lui sitns l(>s brouillarils du nord.
Je p;u"lais à deux som-iis ; rét.'oï»snit' cl la mort.
88 LE MYOSOTIS
L'APPARITTON
0 vous ! qui, recueillant ma première parole.
Au ménestrel quêteur glissâtes votre obole.
Je vous devais un hymne, et je soupire un lai ;
Au poëte insolvable accordez un délai.
J'ai promis d'exploiter les trésors de nos fastes;
A tous nos jours de gloire, à tous nos jours néfastes,
J'ai promis un salut, et ma voix sommeillait
Quand celle du canon cria : Vingt-neuf Juillet.
La rime, dont Boileau se plaignait à Molière,
Regimbe quelquefois sous ma plume écolière;
Il est de ces moments de fatigue et d'ennuis
Où l'on dort, enfumé par la lampe des nuits.
Où le front soucieux est labouré de rides.
Sans qu'il fleurisse un vers dans leurs sillons arides.
Pour déranger le vol des habitants de l'air,
11 ne faut qu'un atome ; or, il advint qu'hier,
Mon sylphe pèlerin, dansant autour du globe,
S'égara par hasard dans les plis d'une robe.
L E M Y 0 s 0 T 1 s 89
Et depuis, loin du jour, formant ses ailes d'or,
Dans ce filet de soie il se berce et s'endort.
Et pourtant, je rêvais à co plan d'épopée,
Le plus large de ceux qu'on taille à coups d'épée ;
Je voulais étourdir sur les chagrins présents,
Les Français, à ma voix rajeunis de trois ans ;
dalvaniser, armer pour leur œuvre qui tombe,
Ces morts (|u'im deuil railleur insulte dans loin- Um\\)o ;
Ce peuple qui, sur Vor jonché devant ses pas,
Vainqueur, marchait pieds nus, et ne se baissait pas :
Et ces adolescents déjà mûrs poiu* la ^Moire,
Déjà tiers de mourir, t>t (pii ne pouvaient croire,
Hélas! (pi'ils s»» livraient en pâture aux canons
Pour C()nf|uérir des mots et détrôner des noms;
Et puis, j'aurais fouetté d'ardentes philippicpies
Les Thersites fuyards de nos (•onil)ats éiM(|iies,
Spectateiu's iiniiciial.inls (|ni, de leiii- italcon d'or.
Applaudissaient Paris coiiinie un lon-ador;
Oui, le diaine aciievt', lonilièreiil de leur loi;e
Pour s'inscrire vivants sur un niarlvroloL'e,
S'enivrer an banquet dressé pour les vaincpuMirs.
VA. rougir d(» cordons leurs jioilrint's sans (MPurs.
Je marchais : les ravons qui bn'daienl nie^ jtanpières,
(lonnne des dianianis l'aisaienl brilliM' les |»iene«s.
90 LE MYOSOTIS
Et je me rappelais qu'aux Trois-Jours le soleil
Sur les dalles du Louvre étincelait pareil.
J'explorais du regard les maisons pavoisées
De bannières au vent, de femmes aux croisées :
Errant de groupe en groupe, avec des yeux ravis,
Je m'arrêtai soudain, car je vis... oh! je vis
Une de ces beautés qu'entre mille on rencontre,
Que le ciel ironique un seul instant nous montre,
Frais mirage qui glisse aux yeux du pèlerin
Dans un désert brûlant et sous un ciel d'airain,
Types de la peinture et de la statuaire.
Si pures que leur toit devient un sanctuaire.
Si belles qu'un cœur mort s'épanouit auprès.
Et qu'en se rappelant, un demi-siècle après,
Cette femme sans nom qu'on n'a plus retrouvée,
On se dit : L'ai-je vue ou bien Tai-je rêvée?
L'étendard, agitant son ombre sur le sol.
Nous éventait tous deux de son frais parasol ;
Mais, rouge de pudeur, la figure charmante
S'abrita sous ses plis, comme sous une mante.
Immobile à la place oi^i son œil me troubla,
Je répétai longtemps encore : Elle était là !
Et cependant la foule inondait l'avenue...
Je tressaillis, touché par une main connue,
El la voix d'un ami : Par Apollon, mon cher.
LE MYOSOTIS 9i
Qiiello rime, béani, flaires-fu (kmc Anu^ l'air?
Dans mon obscur Éden pourlant j'avais une Eve
(jue je m'étais créée et, (jue j'aimais eu r^ve.
Pour essuyer des pleurs, le succube ciirri
[nclinait, sur mes yeux ses yeux bleus île pf'ri.
Ses baisers enivraient mes lèvres altérées.
Mes (loif^ls vierges palpaient ses loiiues étbérées:
Je m'élançais la nuit, euiportt' dans ses bras.
Vers un monde id(''al i>arsemé d'Alliambras,
VA lorsque, fatigués de leurs mélamorpboses.
Les Sylpbes V(mt dormir dans le liiimac des roM's ;
A ce soir, disait-il imi fuyaid ; cl le xtii-.
Sur mes ^enoiix tiicnrc il levt'Uiiil siisscdii-.
De ma bhinclic sliduf, ici-bas s;uis modelé,
Je fus lonj^lciiips IV-poux cl le pivlic lidcle;
Mais je l'iii vue, ô loi dont jijjuoi-c le nom.
Je r.ii vue, et, soudain, iionicux ry^malion,
T'iuau}4uranl d/'cssc en mon âme «'\all»''e.
J'ai sur sou pii'dcsial bris»' ma (ialalt-c;
Toulrc mi doux souvenir jai lulli', mai^ en vain :
l/an^e a ployé Jacob sons >ou i^cnou divin.
Patriole> marlyrs, pardonne/.... Mais, (pie «lis-je?...
Uuelie l«''le brûlante est pure de Ncrli^e?
92 LE MYOSOTIS
Ceux que j'ai vus passer sur le fatal brancard.
Que mes pleurs ont bénis clans leur fosse à l'écart.
Quand ils tombaient aux pieds des Suisses victimaires,
Soupiraient d'autres noms que le nom de leurs mères.
En donnant des baisers à des cadavres saints,
Le peuple fossoyeur découvrait sur leurs seins
Des boucles de cheveux, odorantes encore,
Scapulaires d'amour qu'à vingt ans l'on adore.
Les tribuns précurseurs, dont le nom nous est cher,
Dans leur forte poitrine avaient un cœur de chair :
Danton, l'ours montagnard, souffrant qu'on le muselle,
Grognait d'amour, charmé par des yeux de gazelle ;
Louvet, dans les déserts où la loi le traqua,
Comme la liberté pleurait Lodoïska;
Un ange blond veillait au chevet de Camille;
Vergniaud, pour parer un sein de jeune fille.
Condamné, détachait de son sein de martyr
La montre qui tintait le moment de partir ;
Et quand Chénier frappait sa tête volcanique,
Que livrait à la hache un tribunal inique.
Sentant battre son cœur qu'une image brûla,
11 pouvait dire aussi : « J'ai quelque chose là. »
Et nous prétendrions, nous, enfants que nous sommes.
Marcher droit dans la route où chancelaient des hommes!
1. h: M Y 0 s U T 1 b 93
Oh ! nous pouvons conniK; (3ux unir avec lierté
Au culte de l'honneur celui de la beauté.
Grâce à ton souvenir, toi que j'ai vue écloie
Au soleil de juillet, sous un [ili tricolore,
Avec plus de ferveur mes hymnes saliiront
L'étendard amoureux (jui caressa ton Iront,
Et je me souviendrai, si son vul me réclame,
Uue ces nobles couleurs sont celles de ma ilame...
Mais, paladin rêveur, mou cultes e\trava{^aul
N'aura pas eoïKpiis lunnc un baiser sur le j^ant :
Connue dans un liarein, captive au {gynécée.
Nul souflle ne Icrnit sa limi)ide pensée;
Dans les sentiers cunniis on ne la froisse pa>.
Le f;rand air e>l trop nII poiu' ses t'iilciK appa^,
Ainsi, dans nos vallons la rose orieiilale,
Que Thibaut transplanta de la rive natale,
S'cxilanl à l'écart, semble dire à ikis ILmus :
l'aies lilles du N(tid, vous n'èlo pas nii's Meni>>.
Si la presse demain, bruyante enlienietteoM',
î.ni {glisse, buinide enciir, mon cpitre llatteuse,
Hélas! connue au liasard, sa main lioidtMtUNrira
Celle paf^e (pii brûle, et tien ne Ini dira
(ju'nn souille de sa boucbe a t'ait \ibrer ma Ivre,
Que son regard créa les vers (pi'il Nient de lire;
94 LE MYOSOTIS
Et, peut-être, la feuille où je les ai semés
Bouclera sur son front ses cheveux parfumés.
6 août 1833.
LES NOCES DE GANA
De Cana l'on sait l'aventure.
Mais d'un vieux grimoire je tiens
Quelques détails, dont l'Écriture
iN'a pas égayé les chrétiens.
Un peu gourmet, quoi qu'on en dise,
Le Bon Dieu, qui s'était grisé.
Se permit mainte gaillardise
Dont Judas fut scandalisé*
Car chaque apôtre se signait,
Et Judas surtout s'indignait :
Hélas! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis;
L f-: MYOSOTIS 95
D'abord, en comptant les bouteilles,
Frères, dit-il, en vérilé.
De mes jours si pleins de merveilles
Ce jour sera le mieux fêté :
Mes prêtres futurs, en mémoire
D'un tour de ^'obelet divin.
Vendant des oremus pour boire.
Changeront l'eau bénite en vin.
Et diaiiue apùtre se signait.
Et Judas surtout s'indifçnait •
Hélas! disait-il, mes amis,
Le l3on Dieu nous u C(Uiiproim>.
Aux t'poiix, liéros de la IV'lc,
Il (lit d"uM Ion d épicurien ;
Uuve/, triii(|Ui'/, loi de pitti'lirlc,
li'Amour, ce Miir, n'y [icrdra rii'ii;
Mon prési'iit de noce e>l un rr.sle
ht' te \in iiinnne on n'm l'ail pln.s.
Oui, pour (ItMiipln- un im r>li'.
Hajt'innl un de mes élu.>...
\'A cliiiipic apôlre se signait,
\l Jiida> surlont ^'indi^nait :
96 LE MYOSOTIS
Hélas! disait-il^ mes amis.
Le Bon Dieu nous a compromis.
Puis à Madeleine la sainte,
Qui, belle de honte et d'attraits.
Détournait, loin de cette enceinte,
Vers le désert ses yeux distraits :
De ce monde, Yotre conquête,
Pourquoi, dit-il, vous séparer?
Ma sœur, ce n'est qu'en tête à tête
Qu'au désert il faut s'égarer...
Et chaque apôtre se signait.
Et Judas surtout s'indignait :
Hélas! disait-il, mes amis.
Le Bon Dieu nous a compromis.
Narguant le pharisien qui gronde,
Oui, poursuit- il, faites toujours
Des bienheureux en ce bas monde.
Pour qu'on vous canonise un jour.
Au ciel, pénitente confuse.
Quand vous frapperez en mon nom.
Ne craignez point qu'on vous refuse.
Vous qui jamais n'avez dit : Non.
L t M Y U ij U II S
Et clia(iue apôtre se signait.
El Judas surtout s'indignait :
Hélas ! disait-il, mes amis.
Le Bon Dieu nous a compromis.
Moi-même, je veux à plein verre
Boire roubli du lendemain;
("-lia(iue instant me pousse au Calvaire.
J'en veux égayer le climiin.
Suivez donc mes Iraci's divines :
En atlendanl (pie les douleurs
Viennent vous couronner d'éiiino,
Enfants, couronnez-vous de llenr>.
Et cJKKpie ;ipùlre se sif^nail,
Et Judas .siiitout s'indif:Mail :
Hélas! disait-il, nies amis,
Le Bon Dieu nous a c(tlllpl(lllli^.
Des convives Irouhlant la \iie,
Sur leiiis plai->iiN l'auhe a\ail lui;
Mais ipiaiid riiiimaiiil«' \aiiiciie
Toiiiltail en loiile autour de lui ;
Miracle 1 iiilrepide à sa placr,
L'Homme-hieu, se versant toujours.
98 LE MYOSOTIS
Détonnait un liynnie d'Horace
Sur le Falerne et les Amours.
Et cha(iue apôtre se signait,
Et Judas surtout s'indignait :
Hélas! disait-il, mes amis,
Le Bon Dieu nous a compromis.
LE HAMEAU INCENDIÉ
Dans ces bois, où souvent une muse chérie
S'est révélée à moi comme une autre Égérie*
Hier, épouvanté, je vis à l'horizon.
Où riait un hameau, fumer un noir tison>
Et j'osai blasphémer : Oh! si j'étais l'Archange
Que Dieu fait voyager dans nos chemins de fange.
Le visiteur sanglant que^ pour sauver les siensj
Il envoya heurter aux seuils égyptiens,
Du moins je choisirais avec intelligence
La place où doit frapper le glaive de vengeance,
L K MYOSOTIS m
Et je rospccterais le loit j)atiianal
Dont le poteau reçut le baptême pascal.
Je balaîrais du sol, au vont de ma col«''re,
Les nouveaux Baltliazars que le monde tolère ;
Et sur les noirs débris de leurs palais en fen
Je graverais ces mots : Tyrans, il est un Dieu !
Mais si je rencontrais, errant de pla}i;e en plaj.'e,
Dans un désert en fleuis l'oasis d'un villa{j;e,
Où, (lu travail des jours se délassant le soir.
Les vierges vont danser et les vieillards s'asseoir,
Tribu qu'im long soleil vil ni;in lier liiilrhinlc,
VA (\\\\, trouviinl cnlin oii di'ployer sa Inili',
Hespire la l'raîebeiir sous le figuier (U's piiils.
Je leur dirais : Kid'anis, pidx et conra;^»'; cl piiiv.
De |iein" iVon (Varei' siii- eux les étincelles.
Je passerais bien vile en repliant mes ;Mle<.
Mais l'Ange lut aveugle, et le hameau dé-lruil!
0 Fontaine-Dianle! il |t;iss;iit, clunpie nuit.
Dans tes clieuiins obscurs, tout noirs de i:ramiueeN.
Des brodequins l'uitils, des jand»es aviné-es;
Chaque brise envoyait à tes échos dormants
Des relVains de buveurs et des soupir^ (rinn,inl><.
Tu ciiùniiiis nue fêle ('ternelle et p.iiviliji'.
100 LE MYOSOTIS
Et, dans le fond des bois, ton orchestre invisible
Semblait au voyageur, épiant chaque son,
Un nid mélodieux caché dans un buisson.
Embaume de tes fleurs la jeune fille morte,
0 muse! elle a passé dans l'ombre; mais qu'importe?
Quand un tourbillon gronde et ravage, souvent,
Dédaigneux des palais qui croulent à sa vue.
Le poëte rêveur suit des yeux, dans la nue,
La feuille qui tournoie au vent.
Quand ses pas cadencés foulaient la molle arène,
La veille encor, du bal on la saluait reine :
Elle entraînait les cœurs dans son joyeux essor;
Mais tout sceptre est fragile, et les Parques moroses
Hélas! foulent aux pieds les couronnes de roses,
Comme les diadèmes d'or.
Nul pressentiment froid n'a glacé son épaule ;
Elle ne chante pas la romance du Saule,
Comme Desdemona sur sa couche d'hymen :
Non, dans ses souvenirs s'endormant satisfaite,
Aux voluptés du bal, à sa robe de fête,
Elle semblait dire : A demain.
LE MYOSOTIS iO\
I/espf^ranre ol l'iimoiir !'af^itai(Mil : duiicos (ièvros !
ï.es syllabes d'un nom s'échappaiont de ses lèvres.
Quand, tout ù coup, du seuil qu'il venait d'embraser,
Le feu, comme Othello, bondissant sur sa couche,
Interrompit le mot commencé i)ar sa bouche,
Et l'étoufl'a dans un baiser.
Mainlenant, dites-moi ce qu'elle est devenue!
Peut-être t'oulons-nous sa poussière inconnue :
La llamme s'acharna sur ce corps frais et benu,
E\, (juand on étei^^nit le bûcher funéraire,
ïlorrenr! il n'en resliiit |»;is inniie de (pioi fiiin^
t'n cadavre pour le lniid)Ciiii.
Plaignons aussi, mêlan! ce (pic le l)t>stin niclc.
Dans ccl iiiilo-da-lc son père mkhI cominc elle,
Lt sa mère surloul, sa incrc qui la vit
Dans son linceul bnilaul se (It'hallrc... cl ijui vil!
L'est assez : dclouriioiis les ycn\ Ao celle rive.
On la voix de Itacliel. (|ui san;il»>le, luarrivc.
On l'on heuilf du pied iW< débris et des (»s.
On les âmes iU'<> morts pleurei\l dans les ros«»an\.
Où, dans les doux parfums ipie la brise pi'oinèue.
Ou craint de respirer une ptiussit'ii' humaine.
«.
i02 LE MYOSOTIS
Frères, dans votre cœur mon cantique de mort
Réveillera du moins des douleurs sans remord !
Oh! si mes chants obscurs s'élevaient jusqu'au trône,
A l'avare trésor j'arracherais l'aumône;
Au soleil de Juillet, nous verrions du tombeau
Le village phénix ressusciter plus beau;
Dans ce mois qu'on dédie à la Liberté-Reine,
Elle-même à l'enfant servirait de marraine.
D'un souvenir de gloire ennobli pour toujours.
Il serait appelé le hameau des TROIS-JOURS !
Et vous dont le shako, civil ou militaire,
Étincela dans l'ombre au reflet du cratère.
Artisans dont le feu tatoua les bras nus,
D'une Iliade obscure Achilles inconnus,
Sur vos seins fraternels, sillonnés par la flamme.
Les roses de l'honneur pleuvraient comme un dictanie.
Aux malheureux chassés de leurs toits en débris
Hélas ! ouvrons du moins nos foyers pour abris ;
Ne laissons pas, semblable au voyageur biblique,
Le pèlerin gémir dans la place publique.
Riches, dont l'existence est un banquet sans fin,
C'est à vous de jeter à la soif, à la faim.
Les miettes du gâteau que votre main découpe.
L'écume du nectar débordant de la coupe.
L E M Y 0 S 0 T l S 1 O.T
J»; ne vous dirai pas, comm»^ le vioiix ciin''.
Que J(^sus mendiant pleure, Iransli^uré;
Je ne vous dirai pas : « Pour que Dieu vous pardonne.
» Donnez, car c'est ii lui (pie la cliarih'' doiuu'.
» Au suppliant qui frappe ouvrez, car le ^'rillun
» Est propice au foyer, la ci^'ale au sillon ;
» Car le bonheur souril aux toits (pic riiiniU'it'ilt'
» Réjouit de ses chants et (^aresse ù coujts d'aiic... »
Non; car dans tous les coMirs la vieille foi s'cndorl,
Kt siu' i'aiilcl dt'scri on a mis le venu d'or.
Je dirai seulement : Donnez, poiii- que lii fouie
()uhli(», eu le haisiinl, ipie voire pied l;i foule;
Pour (pie votre or, siK' par tant de lualiieureux,
l^JoulTe leurs soupirs en reloiidiaiit sur eu\;
l\»iir (pie voire Piielole, iilile diuis su coince.
Fasse, comme le Nil, perdre tW< veux sa source,
Et poiir(|ue le p;iss;nil vous tende un jour l,i m;iiu.
Si votre cliai- vous jelle ;iu\ eailioiiv du clieiuiii;
Donnez, car, agitant tW:^ loiclies fun(''raires,
1-e spectre de Midnciif pièclie di>s lois ;it:raires ;
l,e sol es! un volcan; il luMuhle, e(, C(tmme Dieu.
I.;i Prison vitus diia : j.'.iuinône «'leiiit le feu.
(jii.nit M moi, pi"'l(Miu, jouet de l;i foilune.
Oui me cli;nilTe .ni soleil el dor< au clair de lime.
Moi, (pii 11:0 pour tout Meii. couime nu ::ueu\ espa^'UoI,
iOA LE MYOSOTIS
Que mes cliaiUs, ma j^uilare, un beau ciel, un beau sol.
Je n'ai pu leur jeter l'obole qui me manque ;
Mais je quête en leur nom : sans puiser à la Banque,
Mon portefeuille est riche; et de ses plis ouverts
J'ai secoué sur eux mes seuls trésors : des vers.
19 juillet 1833.
UN SOUVENIR A L'HOPITAL
Sur ce grabat, chaud de mon agonie.
Pour la pitié je trouve encor des pleurs;
Car un parfum de gloire et de génie
Est répandu dans ce lieu de douleurs ;
C'est là qu'il vint, veuf de ses espérances,
Chanter encor, puis prier et mourir :
Et je répète en comptant mes souffrances :
Pauvre Gilbert *, que tu devais souffrir! '
1. Ce nom fatal vient se placer comme de lui-même sons les jennes
plnmes qni tremblent en l'écrivant. L'auteur de la Satire du dix-huitième
LE MYOSOTIS <0»
Ils me disaient : Fils des Muses, courage!
Nous veillerons sur ta lyre et ton sort ;
Ils le disaient hier, et dans l'oraj^e
La Pitié seule aujourd'hui m'ouvre un port.
Tremhiez, méchants', mon dernier vers s'allume,
Et si je meurs, il vit pour vous flétrir...
Hélas! mes doi{.;ts laissent tomher la |)lunie :
Pauvre Gilhert, (|ue tu devais souffrir !
Si seulement une v(»ix consolante
Me répondait (piiiinl jiii lontiteinps iiruù !
Si je pouviiis scnlii- ma main Ircmhlanlt'
Se réchaiilTcr dans la main d'un ami!
.Mais (pir d'amis, som'ds à ma voix plainlixi',
A leui's l)an(juels, ce soir, vont acconrii-.
Sans remaniucr raliscncc d'un convivi'!...
Paiivi-c (iilbcil, (pic lu (lrvai< soutïrir!
.l'ai hien maudit le jour ()ui m'a vu naître:
.v/Vr/é" ost une gloiro con.sacréo dovnnt laqueUo on s\ippnoiiilIfl on ffrm.TiM
livs y*M)x. Ponr quironquf oso 1ns ouvrir, il flst évidtMil ipie (lilbort ne fut
ni un C.hattiMtoii, ni un .Vndru Clu'uior, ni mdmo un M.illil.itrA: iu«is il
ilnt à son ngonii' solitairo une m.ignill(|uc inspir.ition, i>t »r.s .-iilicui .H U
vio, que tout lo monde .Kait par ca>ur, siiftlraiont m;uIs, aujourd'hui qu'il
a pris rang jvirnu los vrrilables iK><^tes, pour faire l.iir« .\ sos j>i«Hl« loul
ri>|iio('lio d'nsurpatitu). H. Mi>nr\i.
106 LE MYOSOTIS
Mais la iiatnre est brillante d'attraits.
Mais chaque soir le vent à ma fenêtre
Vient secouer un parfum de forêts.
Marcher à deux sur les fleurs et la mousse,
Au fond des bois rêver, s'asseoir, courir.
Oh! quel bonheur! oh! que la vie est douce!.
Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir!
1832.
1/ H I V E K
Adieu donc les beaux jours ! Le froid noir de novembie
Condamne le poëte à l'exil de la chambre.
Où riaient tant de fleurs, de soleil, de gaîté.
Rien, plus rien; tout a fui comme un songe d'été.
Là-bas, avec sa voix monotone et touchante.
Le pâtre seul détonne un vieux noël; il chante.
Et des sons fugitifs le vent capricieux
M'apporte la moitié; l'autre s'envole aux cieux.
La femme de la Bible erre, pâle et courbée,
Glanant le long des bois quelque branche tombée.
LK M VU SUT l S 107
Four attiser eiicor son foyer, pour nourrir
Encore quelques joui's son entant, et mourir.
Plus d'amour sous l'ombrage, et la torèt complice
(iémit sous les frimas comme sous un cilice.
La foret, autrefois belle nympbe, laissant
Aller ses cheveux verts au zéphyr carcîssant,
Maigre et chauve aujourd'hui, sans parfum, sans toilette,
Sans vie, agite en l'air ses grands os de squelette.
Un bruit mystérieux par intervalle en suri.
Semblable à cetti; voix qui disait : Pan e>t muri !
Oui, la nature entière agonise à cette heure.
Et pourtant ce n'est pas de son deuil cpic je idiur»'
Non, car je me souviens et songe avec elTroi
(Jue Voici lu ^ilis(»ll dr la faim et du froid:
Une plus d'un mallicurcux trendjle et ><> dit : u Om- n ai-jr,
») Pour m't'iivolcr aus>i, l(»in de iio> cli.iini'^^ de in'ii:e,
)) JA's ailes de I'oImmu, (jui sa clicrclicr aillt'Ui'««
•) Du griiin dans h'.s sillons el dt'> iiiiU iliiii> les llt'in>>!
I) Vers ces boriU >iiii> liiv.r (|iif rontiiucr ii.uriiiue,
» Où l'dii a pour foNcr le Vounc qui ruine,
); Où devant les palais, sur le marbre iillit'di,
» l,e Niipoliliùn dml aux ray(tn<> du midi,
«) Oli ! <|ui m'euiiKtitera?.., » Mais riqdif à sa |ilaee.
Ilela^! le piiUM'e nieurl d;iiis >a priMiu de i;laee:
Il nu'nil. el eependanl le riche in^uncieuv
108 LE MYOSOTIS
De son char voyageur fatigue les essieux.
Les beaux jours sont passés ; qu'importe ! heureux du monde !
Abandonnez vos parcs au vent qui les émonde ;
Tombez de vos châteaux dans la ville, où toujours
On peut avec de l'or se créer de beaux jours.
Dans notre Babylone, hôtellerie immense^
Pour les élus du sort le grand festin commence.
Ruez-vous sur Paris comme des conquérants;
Précipitez sans frein vos caprices errants;
A vous tous les plaisirs et toutes les merveilles_,
Le pauvre et ses sueurs, le poète et ses veilles.
Les fruits de tous les arts et de tous les climats.
Les chants de Rossini, les drames de Dumas;
A vous les nuits d'amour, la bacchanale immonde :
A vous pendant six mois Paris, à vous le monde!...
Ne craignez pas Thémis : devant le rameau d'or,
Cerbère à triple gueule, elle s'apaise et dort.
Mais, pour bien savourer ce bonheur sohtaire
Qu'assaisonne d'avance un jeûne volontaire,
Ne regardez jamais autour de vous; passez
De vos larges manteaux masqués et cuirassés.
Car, si vos yeux tombaient sur les douleurs sans nombre
Qui rampent à vos pieds et frissonnent dans l'ombre.
Connue un frisson de fièvre, à la porte d'un bal,
LK MYOSOTIS 100
La pitié vous i)ren(lrail, et lu pitié l'ait mal.
Votre face vermeille on devieiulrait morose,
Et le soir votre couche aurait un pli de rose.
Tremblez, quand le punch bout dans son cratère ardeni,
D'éj^arer vers la porte un coup d'œil imprudent;
Vos ris (!;vo(}ueraient un fantôme bizarre,
Et vous rencontreriez face à face Lazare
Qui, béant à l'odeur, voudrait et n'ose pas
Disputer à vos cliiciis les uiirllcs du rt'i>as.
Éblouissant les yciix de l'or (|ui le blasoune,
Quand votre char bondit sur un pont (pu lésonue,
I*assez vite, de peur d'eulcudro JM>(pj'à vous
Monter le bmil (pie l'ont ceu.v (pii passent dessouh;
Car voici W moment de la débâcle hinuaine;
La Mordue va ix^lier les corps (pie l'eau i>romène ;
L'éyo'isme, en siillan, joiiil el rè^ne ; il a
Des crimes à ciiclier, el son 15 spliore est là...
il « st vrai, (pielpiel'ois mie plainie N'j^ère
r.lesse la map'>lé du riche (pii dip-n»;
Des liouunes, (pie la l'aini moissonne par million^^.
En se complani des \en\ disent : Si nous \oulious!
Le sanglot de\ienl cri. la douleur >e coin ronce.
El plus d'une cile rei:arde la (adix-Uous>e.
Mais (pioi! n'ave/.-vous pas des oralein> lervenls
no LE MYOSOTIS
Qui, par un qaos ego, savent calmer les vents ;
Qui, pour le tronc du pauvre avares d'une obole.
Daignent lui prodiguer le pain de la parole.
Et, comme l'Espagnol qui montre, en l'agaçant.
Son écharpe écarlate au taureau menaçant.
Jettent, pour fasciner ses grands yeux en colère.
Un lambeau tricolore au tigre populaire?
Oh! quand donc viendra-t-il, ce jour que je rêvais.
Tardif réparateur de tant de jours mauvais.
Ce niveau qui, selon les écrivains prophètes,
Léger et caressant passera sur les têtes?
Jamais, dit la raison, le monde se fait vieux;
Il ne changera pas; — et dans mon cœur : Tant mieux,
Ai-je dit bien souvent; au jour de la vengeance
Si l'opprimé s'égare, il est absous d'avance.
Spartacus ressaisit son glaive souverain.
Il va se réveiller, le peuple souterrain.
Qui, paraissant au jour des grandes saturnales_^
De mille noms hideux a souillé nos annales :
Truands, mauvais garçons, bohémiens, pastoureaux^
Tombant et renaissant sous le fer des bourreaux;
Et les repus voudront enfui, pour qu'il s'arrête.
Lui tailler une part dans leur gâteau de fête;
Mais lui^ beau de vengeance et de rébellion :
LK MYOSOTIS !11
A moi toutes les iiarts, je nie noiuiiie lion !
Alors s'accomiilira l't'iiouvuntable scène
Qu'Isnard prophétisait au peuple ilc la Seine:
Au rivage désert les barbares surpris.
Demanderont où fut ce qu'on nonnnait l*aris.
Pour eiïacer du sol la reine des Sodomes,
(Jiie ne di'fendra i)as l'aiguille de ses dûmes,
La foudre éclatera; les quatre venls du ciel
Sur le terrain fumant feront {jrêler du sel;
Et moi, j'api)laudirai : ma jeunesse enj^ourdie
Se récliauiïera bien à ce {irand incendie.
Ainsi je m'é{^arais à des vcrux iiiipiiidi iils,
VA j'attisais de pleurs mes ïambes iiideiils.
Je baissais alors, car la sonlTrinice irrile;
iMais un peu de bonlnMir iii';i coiiveili bien \ile.
Pour (jiie son vers ch'inenl paiduiine au ;^eiire lium;iiii.
(Jue laul-il au pnele? l'ii b;ii>er et du pain.
hieii méuai^ea le vent à ma pnuMele nue;
Mais le siècle d'iiirain p(mr d'autres continue,
Kl {\v> iiiiiux rinteiiieU mon etnn* est eu émoi.
Dieu, révèle*U>i bon pour tous comme pour uioi.
(Jiie ta maïuie en toudtanl éloulTe le blaspliènie;
KnipOcbe de soulTrir, piiisipie lu \eii\ ipi'oii .onir;
l'onr (pie les lils élus, les tils déshérités
112 L E M Y 0 S U T 1 S
Ne lancent plus d'en bas des regards irrités,
Aux petits des oiseaux toi qui donnes pâture,
Nourris toutes les faims j à tout dans la nature
Que ton hiver soit doux ; et, son règne fini.
Le poëte et l'oiseau chanteront : Sois béni !
Saiat-Martin , novembre 1833.
LES MODISTES HOSPITALIÈRES
ANECDOTE DE JUILLET 1830
Un pauvre diable de héros.
Laissé pour mort la veille.
Dans un bon lit frais et dispos
Tout à coup se réveille.
Il admire, en se récriant,
Des nymphes au minois riani.
Friand :
LE MYOSOTIS 113
Oh! oli! oli! oh! ah! nii! ah! ali!
Qiinl joli couvent celait h'i,
La la!
Paix (loue! murinure avec douceur
Quelcju'un i)rès de sa couche ;
Et puis la houche d'une sœur
Vient lui fermer la houche.
De ce rappel au règlement
Le mode lui semhla vraiment
(1 h armant :
Oh! oh! etc.
A son lit point de noir ahlié.
Point de d(Mi<'ur prorane.
Dans les luaius d'une saiule \\vht\
Va\ ^:ui^e de tisane.
Le convalescent diMailli
\'(»il niou.sMT d'un n'd fhahi
L'ai :
Oh! oh î vU\
!\!ira(le î le voilà ^uéri î
Lt deux lionnes {gentilles
OIVrenI au jeniic homiiit» altciitln
H4 LE MYOSOTIS
Leurs bras nus pour béquilles.
Sur ce bâton , sans se blesser,
On le voit parfois se laisser
Glisser.
Oli ! oh ! etc.
Le chroniqueur, un peu succinct,
Ne dit pas et j'ignore
Quel est dans ce cloître le saint
Que la recluse adore;
Mais les bons cœurs le béniront ,
Mais les chrétiens qui me liront
Diront :
Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah!
Quel joli couvent c'était là,
La la !
VIVE LA BEAUTÉ
Dès l'aurore quand pour boire
Adam Billaut se levait,
Un baiser rend la mémoire
L K MYOSOTIS H 5
A ma Suzon qui rôvait ;
Dans ses bras, heureux esclave ,
Je dis au vieux chansonnier :
Tu peux descendre à la cave ,
Moi, je suis bien au grenier.
Vous dont le cœur bat au ventre ,
Chantez Bacclius et Cornus ;
Pour moi , s'il faut opter entre
Les divinités en ?/s,
Dieux gourmands, je vous né;^lige,
l"]t suivant un rit i)lus beau ,
C'est ù Vénus Callypige
(Jue je (lis : Introibo.
L'Alcoran, (pic je n'vrre,
Traite le vin de juùson :
Le vin noie au loiu! d im verre
l/amoiu" eouiiut> l.i imIsmi.
I/inforliUK' , (ju'il (Miivre ,
CliinuM'lie (>u pail.mt d auioin';
l'i donc ! raïuiiul (pii s;ut vivre
Ne doit t(»iulter (pi'à sou Ituir.
Tout votre ov dcvicnl polid)lo ,
LE MYOSOTIS
Et bien souvent au dessert,
Gourmands, vous quittez la table
Comme on quitte un tapis vert.
Prodiguez : je suis avare,
Et le soir, quand je m'endors,
Pour que rien ne m'en sépare ,
J'ai la main sur mes trésors.
Sur les genoux de ma belle
Je dîne, et, pour un amant.
Cette méthode nouvelle
Offre plus d'un agrément.
A l'étiquette on échappe.
Puis, à la fin du repas.
On n'a qu'à lever la nappe ,
Et l'on met la table à bas.
En vain un docteur morose
Me dit : Jouir c'est vieillir;
Une guêpe est dans la rose,
Prends des gants pour la cueillir.
Au hasard je marche et j'aime.
Aventureux pèlerin;
Vive la beauté quand même !
Sera toujours mon refrain.
LR MYOSOTIS 117
L'AMANT TIMIDE
A scizo ans, |);mvr(' cl liinidr
Dovaiit les [)liis IViiis appas,
1^0 cd'iir itallaiil, l'iril liiimidi'.
Jo voulais cl n'osais pas,
Kl j(; priais, et sans cesso
J«^ répétais dans mes vœux ;
«Jésus! rien (pTunc niaîlrcsso,
Uicii qu'une ui.iilrcssc... nu deux î »
ïiOi's une lieault', (pii daiiiue
M'af^acer d'un air UKMpieur,
Me dit : *. Kn'aul , loii cd'ur saij^ne,
l']| l'ai [litic de loii (MeiU'.
l'dur le iîiiérir ipn»! didaïue
l"aiil-il doue , paiivn» auioiueux?
— Oli! lieu (pi'uu It.ii^er. iuad;uuc!
Oli ! lieu ipi'uu liai^cr... ou deux '.
H8 LE MYOSOTIS
Puis le beau docteur, qui raille ,
Me tâte le pouls , et moi ,
En façon de représaille ,
Je tâte je ne sais quoi !
« Où vont ces lèvres de flamme ?
Oii vont ces doigts curieux?
— Puisque j'en tiens un , madame ,
Laissez-moi prendre les deux. »
La coquette sans alarmes
Rit si bien de mon amour.
Que j'eus à baiser des larmes
Quand je riais à mon tour.
Elle sanglote et se pâme :
« Qu'avons-nous fait là, grands dieux?
— Oh ! rien qu'un enfant, madame.
Oli! rien qu'un enfant... ou deux! »
L E M ^' 0 s 0 T 1 s no
LES
JEUX DE L'AMOrn ET DU HASARD
Quoi ! vous qui demeuriez sans voix
Devant un couplet trop f^rivois,
Vous si juiiilt', niadeniolselle.
C'est V(»ns (|ui me donnez... Ali ! Dieu !
Peut -on liiilicr à si l)e;ui jeu ?
J'ai i[i\{im la...
I,a prime ;^ ec^ jeu-là ,
Et ponriant Hose est i)res(|ne lidèit'.
I/un de mes frères lis rimenis
M'amait il sounit' ses primeurs?
Il n't'st plus de muse pueelle ,
!•',( les Itdis du l*iud(>. malsains.
Mènent tout droit aux (".apueins.
J'ai f^a^né , df.
120 LEMYOSOTIS
Apprenant que Châtel dort mal
Dans son grenier pontifical ,
Par pure obligeance aurait-elle
Accepté l'honneur hasardeux
D'être papesse une heure ou deux?
J'ai gagné, etc.
Feu mon curé, plein d'onction,
En un vase d'élection
Vint-il exprès changer ma belle ,
Pour que Satan, son héritier.
Se brûlât dans un bénitier ?
J'ai gagné, etc.
Mais non : Rose voit de travers
Les marchands de prose et de vers,
Les dieux de facture nouvelle ;
Et quant au goût du tonsuré ,
Trois lycéens m'ont rassuré.
J'ai gagné , etc. •
Fermons les yeux, pour cent raisons;
S'il le faut même, supposons
Quelque ange ou diable amoureux d'otle
Amants chrétiens, imitez-moi :
LE MYOSOTIS
Pour vivre en paix ayez la foi.
J'ai gagné la...
I.a prime à ce jeu-là,
Et ])Ourtant Rose est presque iidèle
CHANSON PATRIOTIQUE
I) K s DANS F, r S F. S 1) K I. 0 I' K II A
Pour (êler l'anniversaire de la Réïolution de Juillet.
\)o pdliliipu^ et cïvtera
S'occiip;iiit ;i|)irs boiic,
l.i's (hiiiics (In i^iiiiid Opi'ia
Hier clianlail : \ irloiii» !
A s'iMiiaiicipcr aiis<i
la'S Amours oui rciissi :
\ii\ marcliaiiiU de lor-iicIlcN
.liiillcl (In moins ;i prolilc.
\ ivcnt les pii-oucllcN !
\ i\(' la lilicrlc !
122 LE MYOSOTIS
Devant des galbes et des nus.
Tartufe, qui s'indigne.
Dans nos jardins coiffait Vénus
D'une feuille de vigne :
Il eût, sans des jours meilleurs.
Aux marchands de lorgnettes
Juillet du moins a profité.
Vivent les pirouettes î
Vive la liberté!
Consolez-vous, gens maladroits.
D'être vainqueurs et dupes :
Si là-bas on rogne vos droits.
On rogne ici nos jupes.
Votre étendard, vieux haillon.
Vaut-il un frais cotillon?
Aux marchands de lorgnettes
Juillet du moins a profité.
Vivent les pirouettes !
Vive la liberté !
Contre nous, sans nous effrayer
Caton crie au scandale,
El la Chambre veut nous rayer
LE MYOSOTIS 123
De son budf,'et vandale.
Que de pantins il paîra
Même ailleurs qu'à l'Opéra!
Aux marchands de lorgnolles
Juillet du moins a profité.
Vivent les pirouettes !
Vive la liberté!
Au duc, soucieux et levant.
La sylphide coipiettc,
FHc flaCf dit en jclaiil au vcnl
Les ]»lis de sa jiKiuelle :
Vous (|ui iilcuK'Z (!liaiies dix,
\\\v/. (Idiic : Vdilii (les lis !
Aux iiiarciiiiiids de lnif^iictlts
Jiiillt^l du iiioius a piolitt'.
VivtMit les iiiioucUcs!
\ ivc la liltcilt' !
Vous (jui salMvz, lainbour ballant,
Les iMutMitcs civiles,
A nous, bourj^eois : vous aime/, tant
i,(»s victoires faciles!
Tuer esl elianuanl : (TaiM-ord;
Mais peupler n.uiI mieux eiieor.
124 LE MYOSOTIS
Aux marchands de lorgnettes
Juillet du moins a profité.
Vivent les piroueltes !
Vive la liberté !
Républicains, ayez de l'or.
Vous aurez des prêtresses;
Nous nous sentons d'humeur encor
A devenir déesses.
Vos aînés, francs étourdis,
Ont vécu : De profundis.
Aux marchands de lorgnettes
Juillet du moins a profité.
Vivent les pirouettes !
Vive la liberté!
L^ËGOLIÈRE
Approchez, aimable écolière.
Vous qui fûtes maîtresse im jour;
Approchez, et, moins familière
Avec Lhomond qu'avec l'amour,
LE MYOSOTIS 125
Instruisez- vous : chacun son tour.
Mais, i»ar un doux air de folie.
Grand Dieu! comme elle est embellie.
Finissez, Rose, finissez :
Est-ce l'instant d'être jolie?
Finissez, Rose, finissez.
Je suis le maitre, obéissez.
Quoi! vous épelez, incertaine,
Même un chapitre de nmian;
Attendez-vous la soixantaine
Pour savoir lire couiainnuMil
I.es jM'tils vers de voli'e aniaiil?
Mais (jue (leniaiide ce Miiuire?
i*oiir(|iioi ce bra^ nu (|ui m'allire?
Finissez, Rose, linissez :
K>l-ce dans mes yeux (|u'il laiil lire?
Finissez, R(»se, finissez.
Je suis le maître, obéissez.
La prammaire V(»ns clTaroncln\
Ft j'entends rire à mon côté
Lorsque les S tians votre bombe
Isurpent la place des T :
Onel NMilllel pour ma vanité !
126 LE MYOSOTTS
Mais cette bouche que j'accuse
Veut se défendre par la ruse.
Finissez, Rose, finissez :
Un baiser n'est pas une excuse.
Finissez, Rose, finissez :
Je suis le maître, obéissez.
Hélas! elle est encor maîtresse;
Le livre échappe de sa main :
II tombe et s'effeuille... Ah! traîtresse.
Vous le foulez avec dédain !
Vous triomphez, mais c'est en vain.
Ne pas céder est mon système :
Passons au chapitre deuxième.
Vite, vite, recommencez,
(Dût la leçon finir de même!)
Vite, vite, recommencez :
Je suis le maître, obéissez.
l.K MYOSOTIS 127
n K R A N G E R
Il dort sous dos onil)ragos voris,
Qiiiind la lil)(M"l<' le r;iit|M'll(' :
Il (lorl, lo poi'le, inlidèlo
A cos cajjlifs (|ui, dans los fers,
Alt(Midai(Mi( l'auinoiio d*iin vors.
VA pas (\o lyros (|ni les |ilaiuiiiMil,
Pas un nioudcl pour soidatitT
Tons CCS Cd'in'^-de-Lioft (pii sai;4ncnl !...
Ail Dieu! si j'('lais Hi'rim^cr!
Ail î.ii\tMnl)(iiirL', niiin vers vcnjzciir
Irail IVapitaiil dt» slallc en slallc,
l'^l sa cliiiiiiciiaiidc liriilalc
An IVoiil d'airain dn \it'ii\ jn^ciir
l'rrail funnallrc la roii^ciir.
Je saurais dci^'onlcr, j'csjicri»,
i;i l'cnin Daiidin de jniior,
i'.l Pelil-.ItMii d'èlre Odoipèrc...
Ali ni(Mi ! si |"('lais lltMaii:.')'!- !
128 LE MYOSOTIS
Je consolerais les Amours :
De la beauté j'ai vu les larmes
Couler sur des gants de gendarmes.
Et sa plainte tomber toujours
Sur des cœurs et des barreaux sourds.
Triste, en rêvant au long mailyre
Qu'on lui défend de partager,
Lisette a perdu son sourire...
Ah Dieu! si j'étais Béranger!
L'avenir est si beau là-bas!...
A des chants d'espoir tout l'engage.
A-t-il remis sa montre en gage.
Le poëte? et ne sait-il pas
Combien le temps a fait de pas?
Pour montrer du doigt sur la rive.
Au siècle qui va naufrager,
Les fleurs dont le parfum m' arrive,
Ah Dieu! si j'étais Béranger!
Lui-même a vingt fois en chantant
Bravé les bêtes du prétoire ;
De dormir avant la victoire.
Après avoir guerroyé tant,
11 a droit, sans doute, et pourtant...
LE MYOSOTIS
Il l'aiil, viciiiK'iil les représailk's,
VitMiiK' un Juillet »ni rétranger.
In Tyilrc aux cliamiis do halaillcs!...
Ali Dieu! si j'étais Déranger!
1 2'.)
I83b.
L A M V S i:
Nyiniilic, ([iii ^U('lli'> ;iu passage
L'écolier (lu ii;i\s liilni.
Assez laide pdur èlre sage,
(juti mauvais sort le lit catin?
Hélas! n''|i(tuil, un peu eduliiNe,
La (•onrli>ane au bas emlti'.
Vous vitye/, une jtau\re Muse;
Soyez heureux par charité!
iN'e rie/. |ias, dui, de la l.dire
J't'galais [tiexpie l,i Sapin»;
.l'élais i^enlille, el l'audiloiie,
i-omuellt' en main, ( riail l-im >>.
30 LE MYUSUTIS
D'un gros garçon et d'un poëme
J'enrichis la postérité.
Entre nous, le père est le même ;
Soyez heureux par charité !
A Paris_, un journaHste ivre
Prôna mes vers qu'il ne lut pas_,
Ce monsieur, pour juger mon livre.
Avait feuilleté mes appas.
Quand, d'une main, le bon apôtre
Brochait l'article à mon côté,
Dieu sait ce qu'il faisait de l'autre !.
Soyez heureux par charité !
Dans les salons je fus admise.
Mes conquêtes ont fait du bruit :
J'ai vu Lamartine en chemise
Et Byron en bonnet de nuit.
Sur mon sein traçant une épître,
En le baisant ils l'ont chanté.
Je mets en vente leur pupitre.
Soyez heureux par charité !
Mais survint une maladie.
Adieu la gloire, adieu l'amour!
LK MÏUSOTIS 1:51
Il fallut tomber, enlaidie,
De lord Byroii à lord Seyiiiour.
Je n'ai d'autre espoir que l'iiospice,
Sauf un roman frais édité.
Pauvre Muse l Dieu te bénisse !
Soyez heureux par charité!
I. r: TOCSIN
l'n peu d'or, je ne sais cuninuMil,
Du ciel me tombe, et vilt;
A mangcM' mon avoir ^'aînicnl,
Amis, je vous invile.
Accourez ;i ce gai lin lin
Tiiilin, lintin. liiiliii, ilintinliii,
Accoure/, à ce iiM linlin
Tinlin • c'est le tocsin!
C'est le ttu'sin, ri diins l'aris
Sitôt qu'il lions rasscndilc,
(iendarmes, lillclles^ maris.
132 LE MYOSOTIS
Pour cent raisons tout tremble.
Gisquet y perdra son latin
Tintin, tintin^ tinlin, rJintintin^
Gisquet y perdra son latin
Tintin : c'est le tocsin I
A sac les cabarets! à sac!
Écoliers, en besogne!
Comme au bon temps des Armagnac,
Le mot d'ordre est Bourgogne;
On peut y joindre Chambertin
Tintin, tintin, tintin, rlintintin.
On peut y joindre Chambertin
Tintin : c'est le tocsin !
Puis, faisons l'amour en passant :
Sur le cœur d'une femme
Ce son magique est tout-puissant
Comme : Ouvre- toi, Sézame.
Tout va flamber : punch et catin
Tintin, tintin, tintin, rlintintin.
Tout Ya flamber : punch et catin
Tintin : c'est le tocsin !
Il faut des Midas au pouvoir
L1-: MYOSOTIS 133
(nintoiiillor les on'illcs :
lN)iir le fliarivaii du soir
Vidons Ireiite lioulcilles :
liisiir^coiis le iiays latin
Tiiiliii, tinlin^ tiiiiii), riiiitiiitiii,
liisui'i^euns le pays ialiii
Tiiitiii : c'est le tocsin!
J'ai, pour vous |tousser aux combats.
De réltMiui'Ucc (Ml iMM'Iie,
El si (iU('l(iU(' diahit' n'a pas,
AvanI, fondu la cloclie,
Je somiciai jnM|u'au malin
Tin lin, linlin, linlin, rlinlinlin.
Je somii'i'iii iuMpTau malin
Tinlin : (•'r>l le loisin !
SOI vi:mhs i)'i:n i am:k
Après dix ans je vous revoie,
\()us, (pie l'aimai luntc pclile ;
(Mii, Noii.i liicn lc> Nfux, la \«ii\
8
■134 LE MYOSUTIS
El le bon cœur de Marguerite.
Vous m'avez dit : « Rajeunissons
Ces souvenirs pleins d'innocence. »
Ah ! j'y consens, recommençons
Un des beaux jours de notre enfance.
Comme ils sont loin ces jours si beaux !
Gais enfants que le jeu rassemble,
En souliers fins, en gros sabots,
Sur Therbe nous courions ensemble.
Dans la vie, où nous avançons.
Nous ne marchons plus qu'à distance.
Ah! j'y consens, recommençons
Un des beaux jours de notre enfance.
Pauvre ignorant, vous m'instruisiez
Avec une peine infinie;
Plus d'une fois, lorsqu'à vos pieds
J'épelais Paul et Virginie,
Je fus distrait à vos leçons.
Pour y rester en pénitence :
Ah ! j'y consens, recommençons
Un des beaux jours de notre eid'ance.
Quoi! je chante et pas un souris,
LE MYOSOTIS 13.';
Pas un regard (|ni iii'iipphiudisse !
Autrefois, quand je vous appris
L'air dont m'a bercé ma nourrice,
Un baiser fut de mes cban.-ons
Le refrain et la récompense :
Aiil j'y consens, recommençons
Un des l)eaux jours de notre enfance.
LA FAUVETTE DU CALVAIUE
I \ n I. I \ »' N i> U M A N I>
Aux amis de M. M***, qui me conseillaienl de lui rendre lisile
pour le consoler d'un grand malheur,
(Ml! non, je n'irai pas, sous son titil solitaire.
Troubler ce jn>lt' l'U pli'iirs |t;ir li' bruit «le mes pas;
Car il esl, voye/.-vitiis, de friands dniiU >iir l.i ItMi»',
iJi'vaul ijui ranulii' dttil priiT cl se taire:
Oli ! non, je n'irai pas.
Lors(|ue de ses douleurs 1(> blond tils dt> Mari»*.
136 LE MYOSOTIS
Mourant,, réjouissait Sion et Sauiarie^
Hérode, Pilate et l'enfer;
Sou agonie émut d'une pitié profonde
Les anges dans le ciel, les femmes en ce monde
Et les petits oiseaux dans l'air.
Et, sur le Golgotha noir du peuple infidèle ,
Quand les vautours, à grand bruit d'aile.
Flairant la mort, volaient en rond ;
Sortant d'un bois en fleur au pied de la colline.
Une fauvette pèlerine
Pour consoler Jésus se posa sur son front.
Oubliant pour la Croix son doux nid sur la branche.
Elle chantait, pleurait et piétinait en vain,
Et de son bec pieux mordait l'épine blanche.
Vermeille, hélas ! du sang divin :
Et l'ironique diadème
Pesait plus douloureux au front du moribond,
Et Jésus, souriant d'un sourire suprême,
Dit à la fauvette : A quoi bon?...
A quoi bon te rougir aux blessures divines?
Aux clous du saint gibet à quoi bon fécorcher?
il est, petit oiseau, des maux et des épines
LE MYOSOTIS 137
(Jiio (lu front, ol <lu ccrur ou no [mmiI arracher.
La tempête qui m'environne
Jette au vent ta [ilnme et ta vui.v.
Et ton stérile effort, au poids de ma couronne,
Sans même l'efleuiller ajoute un iiuuve;ui iioids.
La fauvette comprit, et, déployant son aile,
Au perchoir éiiincux dé'ciiii-ée à moitié,
Dans !;on nid, (pic hcrrail la hraiiche maternelle.
Courut ensevelir ses clianls et sa pitié.
Oh! ncn, je n'irai pas, sous ce toit solitaire.
Troubler ce juste eu [ilcurs p;u- le bruit de mes pas;
('ar il est, voye/.-vous, de j^'iiuids deuils sur la terre,
Devaul (pii ramili('' doit prier et se taire;
Ob', non, je n'irai |tas.
A UN AUTI-rU IIKUM ArilHOniTF
!''(''(' ou dtMuon, niai:icienue ou sorrier,
.11' le uiaiiili^^ de manil coMir el pour cau^e :
S.
138 LE MYOSOTIS
Depuis hier je suis ton créancier.
Quand j'implorais un sourire de Rose^
La pauvre enfant sanglotait sur ta prose ;
Elle y perdit un bon quart d'heure^ et moi,
Mille baisers, baisers de bon aloi,
Baisers sonnants... Adonc, Muse immortelle,
En t'acquittant, fais acte de vertu ;
Mille baisers sont une bagatelle;
Tu me les dois : quand donc me paîras-tu?
LE JOLI COSTUME
Dans l'alcôve de ma voisine.
Un mardi gras, me réveillant.
Sous mes habits je vois Rosine
Qui se mirait en souriant :
A sa bouche un cigare fume ;
D'un grivois elle a le maintien :
Oh ! (\\ielle est bien !
Oh ! (\nil est bien î
Ronii masque, à ce joli costume
LE MYOSOTIS \39
Pour mon bonlieur no clian^^o rien.
Je comprends que d'un jeune esclave
Virgile ait soupiré le nom;
Je comprends les mœurs du conrlnve
Et les soupers d'Auaoroon.
Mais son Batliyle, je présuuie,
Aiu'ait pâli rival du mien :
Oh ! qu'e//e est bien !
Oh ! qniJ est bien !
Reau mascjue, à ce joli coslinur
Pour mou hoidicur ne (liante rien.
Mais, sur une lèle iiii^iKnuie,
Eufaiit, ce chapeau ditil iicscr.
I.cs ciit'vcux iKiii's ([u'ii (MU|iiis(>uui'
Hier appelaicul le baiser.
I.aisse-les suiv;iul la couluiue,
Kluller s;mis voile el sans lien :
Oli ! t|u'» !h' e.sj lijcn !
Oli ! t|u'// e^l bien !
heau luascpie, à ce joli coslume
(iiàce poui' deux eaplils «Mieore !
140 LE MYOSOTIS
Oui^ foule aux pieds ce frac étroit.
En vain, sur la vitre sonore,
L'aquilon souffle humide et froid :
Mon cœur, que le désir consume,
Palpitera chaud près du tien :
Oh ! qnelle est bien !
Oh I qu'il est bien !
Beau masque, à ce joli costume
Pour mon bonheur ne change rien.
Et je poursuis, et la fillette.
Riant toujours, toujours cédant.
Se voit réduite à la toilette
Qui parait Eve aux yeux d'Adam.
Trésor à trésor, sur la plume.
Je puis recompter tout mon bien :
Oh ! qu'elle est bien !
Oh! quil est bien!
Beau masque, à ce joli costume
Pour mon bonheur ne change rien.
LE MYOSOTIS 144
A JEAN DE PAIUS
IraproTisé à une représenlalioii de Don Jaaa.
J(';m {\o l^iris, l)r;iY(t! r;i(li(Mi\' diiiis la l^>^o,
Prodij^iic ;i Ion |ialn»ii {U'> sourires (l'rioj,'»';
Tu peux balln» dos mains à ses inoiiosscs, mais
l/imilcr, rai'cmciil, le comiirriKlrr, jamais.
l/cscrimr fali;.'iia les mains iiKifciiin'Cs;
Ttin |iisl()l(l, an lir aballil ('«Mit |iom[»('('s,
l*ar la canne dansante ini cnranl ('rilrini»
Plt'inT, cl In le Ineras jiarce (|n'il a plcnn'';
lit In dira^, le soii\ l'niissanl nn coriK de fcinint^ :
« Ks-ln cniilenl de moi, don .In.ni, mon mailrc? >i Infâme!
Non, In n'es pas don .Inan; car don .Inan, le mandil,
A l'crii cmeivcill»' connm» nn specire i^randil.
Auprès de ce f^t'anl In n'as pas nne lojse;
il viMiail de renier, loi In viens de... INmloise.
Il ciianlail, il raillail, cl loi. In n'es «pùm ^,,1
On'on peni hier d"nn vers, cl bâillonner d'nn mol.
142 LE MYOSOTIS
C'était un oiseleur qui^ d'un coup de résille,
Attrapait Elvira^ Léonor, Inésille,
Papillons qu'au Prado le soir voyait courir,
Si frêles qu'un baiser trop lourd les fit mourir.
Et si beaux qu'on aurait enrichi vingt chapelles
Avec la poudre d'or que secouaient leurs ailes.
Convoitait-il un ange aux cheveux noirs o:\ blonds,
Son échelle de soie avait tant d'échelons
Qu'il eût, de cieux en cieux, pu monter, je parie.
Pour baiser les pieds nus de la vierge Marie.
Si la foudre eût bougé, prêt à tous les combats,
A la vieille grondeuse il aurait dit : Plus bas!
Par une corde à puits te hissant aux gouttières.
Toi, tu vas dénicher des fdles de portières;
Auprès de la beauté qui te doit sa pâleur,
La duègne, qui plaida ta cause avec chaleur,
Ne froisse étincelants ni missel ni rosaire,
A des haillons pour mante, et pour nom : la Misère.
L'oiseau dans les filets ne tomba pas vaincu
A l'appel de ton chant, mais au son d'un écu.
Tu n'as rien, fils du nord, de ce sang qui pétille
Sous un regard de femme, au soleil de Castille ;
Sang créateur des Cids, qui plus tard même a pu
Produire encor des Juans, lorsqu'il s'est corrompu.
Le peuple, ivre de faim, qui ronfle au coin des bornes.
I. K M V U S U T 1 S 1 43
Quand le taureau royal le pique de ses cornes,
Se réveillant d'un bond du lourd sommeil qu'il dort,
I.iii du moins sait combatlre en beau toréador.
Mais toil... soulève encor des bruits de Baccbanales;
Essuie encor du sanj,' ù des gorges vénales;
Crève encor des chevaux, blesse encor des maris;
Tu ne seras jamais rien... que Jean de Paris.
Oli! si le plébéien (pie Un\ pi>t(tlel lue
Sur sa lusse à Clamart revivait en slalue,
Kt (pTaii son de minuit, cpiand nieuil le gaz Irenililaiil,
(JuillaiM son piédestal, l'Iionnin' de marbre blanc,
Dans le sondjre calé que la visilc liinKirc,
Allongeait ses pas lourds sin- la dalle hmiuk' ;
l*oiu' le manpier au IVunt d'un .^i^iic llélrissaul,
Il n'aurait pas Irenqté son index dans le sang;
Non, mais ses doigts de picnc, en sout'llelanl la joue,
V laisseraient eni[)ieiiile une lailie de Ixiue,
Large, noire, et sa voix loimeiMil en ees mots;
«Ton eiil'ei- n'e>l pas pirl, làelie auteur de iiie^ tnaux...
») \ i> : hieu le eoiiMi' eiieoi' d'un mépris dcltoiiiiaire ;
» Tu ne dois pas mourir par un coup de toiiiienc :
» Sous le poids du mépris, \ieux sans aM'ir \eeu,
>' lii niouiras... tu mourras tl'un eoiqi de ..! >'
144 LE MYOSOTIS
SURGITE MORTUI
Coiiplds chantés à m déjeunec doni lous les conviïes
aïaienl tenlé ou médité le suicide.
Vous, qui mourez à tout propos
Et six fois par semaine,,
Çà reprenez haleine :
Le dimanche est jour de repos.
Sortis de terre
Par un mystère.
Morts, buvons frais : le suicide altère;
Déjeunons encor, puis mourons...
Mourons de rire, ou bien courons
Nous pendre ailleurs... à des bras blancs et ronds.
Surgite, pour me suivre,
Mortuif qu'on s'enivre;
Le verre en main, essayons de revivre!
Bien qu'aux mansardes logés tous,
L'Espérance nous reste;
\a: mv(js'jtis 14o
ilal)iluiite côlcslc,
I)«; i»laiii pieil elle entre chez nous.
Sous la tutelle
De riinniortelle.
Mai't'lioiis unis : Knrore ini jour, dit-elle;
Deuiain les roses lleuriront,
Demain les viynes unniionl,
Demain vos (llnisis du loiulieau sculironl.
SimjUe, poiu' nie suivre,
Mortui, (|n ou s'enivre;
\a\ verre en main, essayons de revivre!
lloucoulani d'amour sur un loit.
Vrai ('(eur de Uiurlcrclle,
(Juaiid lu niiiiir;iis pour elle.
Ami, Claire vivail ponr l(»i :
Maiiiciemic,
Aérieime,
De sa rniètn' elle lorgnait l.i tienne,
lit par les l'enles du Vdicl,
Vers Ion l'ioiil soiis le pisjolcl
De ses d(ti;;ls l»lane> un l»iu>er s'euvulail.
SnrijUr, pour me suivre,
Mi>r(ui \ ipi'ou s'enivre ;
Le verre en main, essavon> de re\i\rel
i46 LE MYOSOTIS
Point de blasphèmes : autant vaut
Aboyer à la luiie^
La Gloire et la Fortune
On fait leurs nids d'aigle bien haut;
Mais en campagne
Sur la montagne,
Jeunes chasseurs, si le sommeil vous gagne,
Qu'au voisin glacé par le vent
Un camarade bon vivant
Tende sa gourde et répète : En avant !
Surgite, pour me suivre,
Mortuiy qu'on s'enivre;
Le verre en main, essayons de revivre !
J'ai quelque droit, vous le sentez,
De prêcher sur ce thème :
J'en suis au quatrième
De mes suicides tentés.
En vain je blâme
Ce siècle infâme ;
En vain cent fois j'ai dit : Variez, mon àinc!
Que Dieu seul la pousse dehors;
Rose y tient : je garde mon corps;
Ses jolis yeux font revenir les morts.
Surgite, i)our me suivre,
IJ-: MYOSOTIS II
Mtjviul, (ju'oii b'eiiivrc ;
l.c verre cii main, essayons de revivre !
Snieide, monstre odieux,
DevanI, iiolriî eau héiiile
lleidre aux enfers l)i<'n vih;...
Mais il vieni e( sur nous, ^'rands dieux!
Frelon morose,
Il se repose :
Pour 1(5 chasser prenons le seliall di' Uoso.
Les eidiinls ms dans ce repas
D'une rasade cl d'un Taux jias
Vivront cciil ans, cl ne se lucronl p.i>'...
SuvQÏtc, pour me sniM'c,
Moi lui , qu'on s'enivre ;
l,c vcire en main, essayons de rc\i\rc!
ij: ni:uMi:n .nu ii
J'ai dil vouvcnl : hirii ctiiilondc
Ce monde c( inul a\cc lui !
148 LE MYOSOTIS
Mais, (luaiul de ce pauvre monde
Le jour suprême aura lui,
Changeant de ton dès l'aurore,
Je dirai, j'en fais l'aveu :
Pauvre globe, tourne encore.
Tourne, tourne encore un peu.
A cette heure épouvantable.
Tous vos hôtels trembleront.
Riches; et de votre table
Bien des miettes tomberont.
Aiïamés, qu'on se restaure !
Dirai-je, et trinquons, morbleu!
Pauvre globe, etc.
L'effroi que ce jour fait naître
(Et pour ma part j'en ris bien)
Empêche de reconnaître
Son lit, sa femme et son bien.
Plus de bourgeois matamore.
Plus d'huissiers! le Code au feu!
Pauvre globe, etc.
Le vieux soleil (ile, fdc,
Et s'éteint dans le brouillard :
I, K MYOSOTIS
Allons, truands, |i;ir l;i villt;
Jouer à (-oliii-iii.'iill.'U'd.
Tn'Uil»l<'z, Hoso, HorlcMisc^, I,;uu'('
.l'iii lii niiiiii liciirciisc ;iu jeu.
pMiivrc gl(tl)»', lîlc.
I-'J vile, (lie/ la iciiicllc
Dmil III) soii' ji' lus r|iris.
Allons (le ma (•liaii^^oiiiiciic
Hr-clanici- iiannciil le |iri\.
Aiiv appas (pi'cn vers j'adort'
Allons dire en jirosc adieu.
PaiiMc filolu', «'le.
Puis à mon liôle <ir<''|-'oir»'
llt'prloii>>, le vi'iTc m main :
N'ayr/, souci du im-moirc,
J'allriids mon prir demain.
Car (pii ma la il ? .1 • l'it^iiore.
Mon f'riilo dil iine cCsi Dieu.
Pan\ ic ulidic, clc.
40
Je IVcdonnais de la sorle,
normaiil. rèvaiil à demi,
Onand loni à eonp ,i ma porte
50 LE MYOSOTIS
Retentit un pas ami.
Avril en llcur vient d'écloro,
Mes vitres ont un ciel bleu :
Pauvre globe, tourne encore,
Tourne, tourne encore un jieu.
LES 5 ET f) JUIN 1832
CHANT FUNÈBRK
Ils son! tous morts, morts en liéros,
Et le désespoir est sans armes;
Du moins, en face des.bourreaux
Ayons le courage des larmes!
Ces enfants qu'on croyait bercer
Avec le hochet tricolore
Disaient tout bas : 11 faut presser
L'avenir paresseux d'éclore;
Quoi ! nous retomberions vainqueurs
Dans les filets d(i l'esclavage !
Hélas! pour foudroyer trois fleurs
LE MYOSOTIS 151
Fall;iil.-il donc trois jours d'orale?
Ils sont tous moils, moils on lirros,
Et le désespoir est sans armes;
Du moins, on face des bourreaux
Ayons le courag;e des larmes !
Le peuple, ouvrant les yeux onlin,
Murniin'ail : On liiihil ma cause;
l'ii roi s'cngi'aissc do ma faim
Au Louvre, (jiif ludii sani,' arroso;
Moi, dont les [tiods nus lonlaionl l'or.
Moi, (loni l.i iiiiiiii Itiisiiil ini liônt\
(Jlliilld clli' |icill ((iliiliiillli' rnciil',
Irai-jo la ioiidi-o à raumôin'?
Ils soiil Ions morjs, moih en Ihtos,
l'.l le (l(''M's|i(iir csl sans .u'incs;
Du moins, en laci' iU'^' \un\v\v,\\\\
Ayons le (•ouraL;o {U'> larinos!
l.a lil)i'il«> |)l(Mir:iil <-i'|ni
(Jucllc ins|iii-.i >i liicn naunèii';
.M.ii^ nn fer saorik-^o ;i lui,
l'.l l'omlirt' pon>^^l• ini ci i tic ::ni'rn' :
152 LE MYOSOTIS
Guerre et mort aux profanateurs !
Sur eux le sang versé retombe,
Et les Français gladiateurs
S'égorgent devant une tombe.
Ils sont tous morts, morts en béros,
Et le désespoir est sans armes;
Du moins, en face des bourreaux
Ayons le courage des larmes!
Alors le bataillon sacré
Surgit de la foule, et tout tremble ;
Mais contre eux Paris égaré
Leva ses mille bras ensemble.
On prêta, pour frapper leur sein.
Des poignards à la tyrannie,
Et les derniers coups du tocsin
N'ont sonné que leur agonie.
Ils sont tous morts, morts en béros,
Et le désespoir est sans armes ;
Du moins, en face des bourreaux
Ayons le courage des larmes!
Non, non, ils ne s'égaraient pas
LE MYOSOTIS
Vers un avenir illusoire :
Ils ont, prouvé par leur In-pas
Qu'aux Déeius on pouvait croire.
0 ma pallie ! ô liberté!
Quel réveil, (piaud sur nos frontières
I-a Hépuhliipic aui'ail jclé
(!e laisecaii de liuiipcs i^uerriénsî
Ils sont tous morts, morts en Immck,
VA If (lé'scspoir est sans aiiiics;
Du moins, en Tact' iU'^ hoinicaux
Ayons 11' eoMl'a^'c des l.iiiiK's !
Sous Ir dômr tlu Panllit'on,
Vous tpii rrvic/ au ('.apitoie,
Knfanls, ipir l'iipprl du (muoii
l'il hondii" drs lianes iriuic ('•colc.
Au loi! (pu icrui vos adieux
(Juc les douli'urs orront amères,
Lorsipic d'un liiompln' odiruv
l.c liruil cvcilli'iji mk nirii'- !
153
Ils sont tous morl<, morts en lii-ros,
l"",l le di'sespoir ol san^ iiiiucs;
\h] nioin^, en fiicc des hoiureaux
454 LE MYOSOTIS
Ayons le courage des larmes !
On insulte à ce qui n'est plus,
Et moi seul j'ose vous défendre :
Ali ! si nous les avions vaincus,
Ceux qui crachent sur votre cendre,
Les lâches, ils viendraient, absous
Par leur défaite expiatoire,
Sur votre cercueil à genoux.
Demander grâce à la victoire.
Ils sont tous morts, morts en héros,
Et le désespoir est sans armes;
Du moins, en face des bourreaux
Ayons le courage des larmes!
Martyrs, à vos hymnes mourants
Je prêtais une oreille avide;
Vous périssiez, et dans vos rangs
La place d'un frère était vide.
Mais nous ne formions qu'un concert,
Et nous chantions tous la patrie.
Moi sur la couche de Gilbert*,
1. Voir page 104t
LE MYOSOTIS \:\^
Vous sur l'échafaud de Borie.
Ils sont tous morts, morts eu liéros,
Et le (It^scspoir est sans armes ;
Du moins, en face îles Ijourreanx
Ayons le coura^'e des larmes!
MIL HUIT CENT TUENTK-SIX
« Tu ne tueras pas ! d
( Dh'aiflijkt'.
nirii l'ordonne, cl je vous en l>rie,
.Miii i|iii v.iis ('li;inl;nil sur vo^ \k\>^
Mrinc pour >;niV('r l:i pairie,
0 mes IVrri's, iii' lue/ |>a>!
Quanti (('lit' aiinr (|ui lnmi> cneort'
\ Iniinc, mon vers Irieolore
H('( nia soudain Manr d'cnVoi :
iMa itili('' di'vint dn délire,
l'.l, K'uianl ses dicoN, ma Ivre
A niununi't' : Vivr le roi î
\nc^
LE MYOSOTIS
Quand un jury tue, à la face
Si nous lui jetons le remord;
Si du code rouge on efface
Par degrés la phrase de mort,
A Tliémis, tant de fois trompée,
Si l'on veut arracher l'épée
Où pendent des gouttes de sang ;
Ce n'est pas pour que, dans la rue,
Le fer justicier tom])e et tue,
Ramassé par vous en passant.
Dans le palais, aux jours d'alarme,
Regardez : ne voyez-vous rien,
Rien, que le sahre du gendarme
Ou du marchand prétorien?
Oh! quoi qu'ait prêché dans ce livre.
Dont le parfum de sang enivre,
Saint-Just, l'apôtre montagnard,
Enfants, la morale éternelle
Au seuil des rois fait sentinelle
Pour en écarter le poignard.
Forgeron, laisse sur l'enclume
Le fer vengeur inachevé :
L'arme du siècle, c'est la plume.
LE MYOSOTIS
\'M
L(;vi«M- (|ir.\r(Iiiiiir(I(' ii \v\r !
Écrivons : (juaiid |itmr la patrie
La jilumc fie 1er veille et erie
Alix mains dn talent. indi;;n«'',
Hois, prinees, valets, tout ensemble
S'énicnl... cl la |ilimH> dor Ireiiilile
ncvaiil l'airèt (juVIle a si;j;né...
Mais, Idcii (|iie mon vcis f:r(tiide cl prêche
Ne eraii^nc/ pas pour volic ami
Tne insnile à la l'ossc IVaiclic
On vos san^lols l'onl endormi.
Laissant à l'esclave tni Ici i-ôlc.
.le dirai, dùl à ma parole
l'n brnil de venons relcnlii' :
« Apôlres des sani^lanls systèmes,
» Nns cnllcs ne soid pas les mèine><,
)i Mais vous com|i|e/. nn beau marivr! »»
l'J (piel pr-re n'a vn ses lille^
Honorer de picnis iniii-nns
l.c p'niic liei(K CM ^^ncnilles,
l.c beau paliiole an\ pied^ nns?
Il sanva des Ilots Inné d'elles,
l'.l leurs ;iiii(Hirs lin snni lidelc^...
158 LE MYOSOTIS
Donnez des lis, car il n'est plus !
Des lis, des pleurs, ô jeunes filles :
Car son sang tacha ses guenilles;
I/écliafaud meurtrit ses pieds nus !
Jeune, et sans pain, sans fiancée,
Des rêves d'amour l'ont nourri.
Et l'ombre de Cymodocée
Au Martyr du peuple a souri.
Sous notre chêne populaire.
Que la sainte croix tumulaire
Prodigue l'ombre à son tombeau;
Si le Dieu chrétien qu'il adore
Le repousse en tonnant, Eudoro
Prîra Jésus pour Alibaud.
Hélas ! de l'hymne funéraire
Qu'aujourd'hui j'abandonne au vent.
J'aurais voulu, mon noble frère.
Parer ton front, ton front vivant :
Tel, quand chaud de mille agonies,
Ankastroëm aux Gémonies
Doutait, on vit ou l'on crut voir.
Pour parfumer la claie infâme,
Des mains d'un auge ou d'une femme
LE MYOSOTIS i59
Quelques l)rins de lauriers pleuvoir.
Gagnons les bourreaux de vitesse,
Disais-je, Alibaud va mourir :
Vers le Gol^^otlia de Lutèce
Le char court : Muse, il faut courir.
Mais un vers me fuyait encore,
Et déjà du coteau sonore
Tombai! ce cri : Mort en héros!
I/œuvre rivale riait complète :
J'arrivais trop lartl ; le poi'lc
Étail vaincu par les bmiireaux.
N I C 0 L A S
Chanson à boire écn'.c sur h carie à paver d'un reslauraleur.
An; : /'m Cun- </<• Voiuponr.
Chez Nicolas, inni, je me l•lai•^,
Malf^ré sou air si>vère.
\près Imire au ne/, dcx valeK
Si l'on jelle ^(Hi verre.
inO LE MYOSOTIS
Si l'on s'oscrime avec les plats,
Il gronde et veut qu'on parte :
Ne vous emportez pas,
Nicolas;
Mettez ça sur la carte.
Ce mot apaise en un moment
Notre hôte qui s'effraie;
Sous ce bon prince on a vraiment
Les libertés qu'on paie.
Attable-t-on certains appas.
Il gronde et veut qu'on parte :
Ne vous emportez pas,
Nicolas;
Mettez ça sur la carte.
Priant de ne pas l'oublier,
Quand la gentille Rose
Voit chacun dans son tablier
Lui glisser quelque chose.
Il gronde et veut qu'on parte :
Ne vous emportez pas,
Nicolas;
Mettez ça sur la carte.
I.E MYOSOTIS
Si (|iifl(jii(' vt'iil, loil ;i |ii(>|M)s
Kleijjnaiil lii cIiiiikIcIIc,
l'iiil li('lni(li('r parmi les puis
Son r|Miils<' lidrlc,
Si (le la iiapp i l'ail (l('^ draps,
Il ^ioikIc cl vciil (lu'oii jiaile
Ne vous «Miipoiic/, pas,
Nicdias;
.Mcllc/- r,\ sur la carie,
F.c pmivnir ol de ses amis :
Dans un cnin de la salle
Il a \\i\'j.\ l'ois mis cl riMnis
<!eilain liuslc ini peu sale.
Uii-iiid le plàlrc vdl,. rn ('-clals,
Il f,'iitndc cl Vcnl (pi'on parle
Ne vous emporic/, pas,
Nicolas;
Melle/, ça sm- la carte.
ICI
Nicolas, di;.'ne pclil-llls
De madame (in''i,'(ùrc,
Toii \in in'ins|iiiail (piand je lis
Ces coii|)|(>|s à |;i i:|iiiic.
Ton vni cs| JKin. mes \civ sont plaN
162 LE MYOSOTIS
Mais il fiuit que je parle :
Je te les offre, hélas !
Nicolas,
Pour acquitter la carie.
LES CROIX D'HONNEUR
Vieux chevalier, blanchis par tant d'exploits,
Sous vos haillons cachez bien votre croix.
Elle brillait d'un éclat fabuleux.
L'étoile sainte, aujourd'hui dérisoire,
Quand, pour parer des uniformes l)leus^
Elle pendait aux mains de l'Ilomme-Gloire.
Vieux chevaliers, blanchis par tant d'exploits.
Sous vos haillons cachez bien votre croix.
A ce trésor^ que son sang achetait.
Le mutilé, dont la mori élail sûre,
LK MYOSOTIS 103
Tondait, joyoïix lo !)ras ((ui lui rosluii,
FI (If huiliers piirriimiiit sa l)l('SMir('.
Vieux cliovaliors, Ijlaiiciiis par laul (Toxiildils,
Sous vos haillons caclioz Iticu voiro croix'.
li'asirc (l'Iionnour, sous la lenlo, au loruiu,
Lanrail toujours ses rayons au jilus (li^uic;
l*oiu' nos S(»l(lals ce nouveau laltarum
IVtrlail ('ciil : Tu vdùicras jxir ce sùjne!
Vieux elieviiliers, Maneliis [nw tiuil d'exploils,
Sous vos haillons e;iclie/. iiini voire eroix.
.l'iii vu, (|iiiii/.e an^, Ioiin les iMiiivoirs iii(i(|Meiirs
Pour leurs Viilels eu fiiire inie livn'e;
•lai VII, (|uin/.e ans, i\v> jxiilriues sans cirurs
S'eiiller dormieil sous l'i-loile s;ien''e.
Vieux elievaliers, l»l;ulelli•^ par l.iiil (rcxploils.
Sons vos haillons eacluv. hieu volii' eroix.
Ou'ai-ji» dil? non : le iieiiple saiiia hieu.
Vous S(''|iiuaul d'une li^iie euuemie.
Au lâche esclave, an iiohie eilo\eii.
CI LE MYOSOTIS
Tailler leur part de gloire ou d'infamie.
Vieux clievaliers, blaucliis par tant d'exploits,
Sur vos haillons étalez votre croix.
A vous la honte, à vous, brillants valets!
Prévenez tous le grand jour de colère :
Pour que le feu consume vos ])revets,
N'attendez pas la foudre populaire !
Et vous, guerriers, blanchis par tant d'exploits.
Sur vos haillons étalez votre croix.
F/ILE DES BOSSUS
CONTE - CHANSON
Dans le pays dos bossus,
Il faut rétro
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
L K M V U S U T I S
lO.i
Au pays des bossus.
Uu jour, le veut iiKxpKMir y jclle
lu |uiiiié (le Jciiii de Calais;
Jean débaiHiiic cl [urnd sa loi'^iicile :
« Tudieu ! que ces niaj^ols mmiI l;iid> 1 »
Et Jean, d'un air sii|iL'il>e,
Les loise à clia(iu(î pas ;
Car il csl iiii piovcilic
(Jue Jeau ne eoniiail p.is :
Dans le pays i\c< lios^us,
Il Tau! l'être
Ou le iiiiiailrc :
I.i'S dos pliils sont mal rcru>
Au pays des Itossu>.
D'un air li'ioni|ili;iiil . il >V'lal('
!.«' siiir aux lîmillrN; mais ^(tudai^
Autour de lui , de slallc l'W >lall(' .
nourdounr un rire de dcdaiii.
Maint l'ai^mr d'cpiurannur
Cric : A la poitc ! il \a
l'"inrc .iNoi Ici le di.nnc
1^1 la iloittt (Itia.
(3<i LE MYOSOTIS
Dans le pays des bossus ;
Il faut l'être
Ou le paraître ;
Les clos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.
Jean le comprit , et d'une haleine
Vite à son auberge il courut
Endosser deux bosses de laine;
Puis dans le monde il reparut :
Et soudain chaque belle ,
Prise à ce tour subtil ,
Du beau Polichinelle
Voulut tenir le fil.
Dans le pays des bossus,
Il faut l'être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.
Mainte yieillc, à la dérobée.
Épuisa pour lui soins et lard;
Mainte fois sa bosse est londjée
Aux pieds d'une autre Putiphar;
LK MVUSUTIS 1C7
Ijiliii, i»()uv;iii( à [iciiic
Sullirc à son bonheur,
.It'iiii (riiiic énorme reine
l'nl... i'éeuyer d'iioinieur.
Diins le pays des bossus,
li laul l'être
On U\ inii'nili'c, •
Les dos plats son! n\;\\ irnis
An pays des l>ossus.
Mais (In mi Ponl il \il la lillc;
I.'aufinsle enlanl, des pins jolis,
Kpouvnniail de >a raniillc,
Avait poussé didil ronnnc un lis.
I)e ce coli' s;nis ecssc
.Icioi sun|iii(', cl, viiiiKpicnr
An\ pinls de la princesse
M(!t su busse et son l'o-nr.
Diins II' |i;iys des bossus ,
Il l'anl l'rliv
On le pin.iiln' :
l.cs (lus pliils MMll ni. il K'ciiv
An pa\s des Imssus.
168 LE MYOSOTIS
Tous deux s'esquivent ; bon voyage!
Puis en France ils vont saintement
Ajouter à leur mariage
La formule du sacrement.
Bref, de sa double bosse.
Inutile à Calais,
Pour danser à la noce,
Jean se lit des mollets.
Dans le pays des bossus,
11 faut l'être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.
H eul un enfant, deux, trois, quatre,
Fut éclievin et marguiller,
Vit des abus sans les combattre^
Écouta des sots sans bâiller.
Et, vieux, de la jeunesse
Devenu le Mentor,
Au sortir de la messe
il fredonnait encor i
Dans le pays des bossus.
LH M VU SUT 1 S IbU
Il faut rrin;
On 11', |i;ii;iilr(! :
Les dos plais soiil, mal rorus
Au pays tics bossus.
I. A !• i: Il Al 1 1: i; i:
K O M A N t K
Élrennes à niadame 0***
AiiKiiii" à la rcriiiiiMc ! clic est
Si i^tMililIc et si (Iducc 1
C/csl l'oiseau des liois (pii >c plail
Loin du luiiil dans la mousse.
\ icu\ va;4al>oud i[ui lcnd> la maiu ,
l'adaul |»aUMc cl saii^ mcre ,
Puissiez. -vous lroii\cr eu chemin
I,a fciiuc cl la fciniicrc !
He l'escahcau vide au foyer
Là le pauMc s'empare ,
l'.l le -raud jtahul de u<t\cr
170 LE MYOSOTIS
Pour lui n'est point avare;
C'est là qu'un jour je vins m'asseoir,
Les pieds blancs de poussière;
Un jour... puis en marche ! et bonsoir
La ferme et la fermière !
Mon seul beau jour a dû linir^
Finir dès son aurore ;
Mais pour moi ce doux souvenir
Est du bonheur encore :
En fermant les yeux je revois
L'enclos plein de lumière^
La haie en fleur^ le petit bois,
La ferme et la fermière !
Si Dieu, comme notre curé
Au prône le répète ,
Paye un bienfait (même égaré).
Ah ! qu'il songe à ma dette!
Qu'il prodigue au vallon les Heurs,
La joie à la chaumière!
Et garde des vents et des pleurs
La ferme et la fermière.
Chaque hiver qu'un gruui)c d'enfants
LK MYOSOTIS
171
A son riisfvin sourie,
(loiiimi^ les Auges aux (ils lilaucs
De la Vicrgo Mario ;
Que tous, par la main, pas à pas,
Guidant un [iclit frèn»,
Iléjouissent (le leurs ébals
!-a feruK^ et la rermièn».
Ma Cliansonnelli», prends Ion vol!
Tu n'es (pTiin l'uiltle li(innn;me;
Mais (pi'eii avril le ros>i},'Uol
( liiHile el la (l<''(!i)nnnai:e.
Ou'elïrayé par ses cliaiils (ranioui\
l/(iise;iu du cinielière
I.(Ui;«'(enips, Imi^leiups m' laise pour
l.a l'eriuf ri la leiinirre !
J.iini.r |s.i(..
172 LE MYOSOTIS
SI vous M'AIMIEZ
ROMANCE
Ménestrel, qui vais par le monde,
N'ayant rien que mon gai savoir,
Si vous m'aimiez, ô belle blonde,
Je me croirais un riche avoir;
Comme Pétrarque aux pieds de son idole ,
A vos genoux courbé bien bas, bien bas,
J'oublierais tout, voire le Capitole,
Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.
Si vous m'aimiez, ô belle blonde,'
De vos baisers seuls j'aurais faim.
Et, sourd à son voisin qui gronde.
Mon cœur s'enivrerait enfin;
Cœur mendiant, il va, de femme en femme,
Criant misère, et sans secours, hélas!
Le pauvret meurt : il renaîtrait, madame.
Si vous m'aimiez... mais vons ne m'aimez pas.
LE MYOSOTIS 173
El iMOs cliirnsoiis friiiclics (''clo es,
Au vcnl. (In innliii et du soir,
Iraient à vous, comme les roses
Oui pieuveut devant l'ostensoir.
PiH'iOaMt l'air de Paiis, madame,
Où vous iriez j'irais, <'t, sur vos pas,
Comme un parfum je hrfderais mon âme,
Si vous m'aimiez... mais vous ne m'aimez pas.
Sur vous, prand' dame que \\)\\ flalle,
l'n Idi'iJiKtn d'oi' s'est promeut' ,
VA par le iiiend d'une cravate
N'oilà voli'e eti'ui' eiieliaim''.
IVoii plus heureux tpie riioiiim;i;^'e vous plaise
Souriez-lui , m;ueliez lièi'e à s(tn liras :
Son hiMs! deuiiiiu je sauiais ei' (pi'il |ȏse,
Si vous m'aimiez... mais nous ue m'aimez |»as.
«0.
174 LE MYOSOTIS
A UNE DAME
Qui se plaigaail de voir aux Tuileries sa chaise entourée
de jeunes gens, .
Blonde à l'œil bleu, lis tremblant sur sa tige,
Vous vous plaignez, lorsque, prenant l'éveil,
Autour (le vous la jeunesse voltige
Comme un essaim qui bourdonne au soleil.
Plaignez un peu les jeunes cœurs sans nombre
En plein midi soupirant sur vos pas;
Plaignez surtout ceux qui battent dans l'ombre
Belle, mais ne vous })laignez pas!
LES DEUX AMOURS
Pourquoi donc^ jeune Laïs,
Rêveuse au bord do ma rouelie ,
LE MYOSOTIS 17:;
Sur mes amours au pays
M'intorro^or bouche à bouche?
J'ai, i»our eux, daus nos déserts,
Chauhî sur toutes les notes...
Mais , à propops de mes vers ,
Fuites donc vos papillotes.
Vous soupirez, et jtounpioi?
Riez vite!
Ma petite :
Vous soupirez, et pourquoi?
niez vile, ri l»;iis(7.-iii(ii.
Ihi angf snl iik» cliiiiiiicr,
Vi\ aii^^'c .111 ('(l'iii- piii' cl Ifiith"!' ;
De loin , nmjciil de r.iiiiicr,
1)(», la voir cl de j'ciilcndre,
.\c la suiviMs sans icpos,
l\l mes Icvrcs ciir;iiilincs
Haisaicul sa Iracc... A i>i-opos.
Délacez doue V(k bollines.
Vous soupirez , et pounpioi '.'
Hie/ vile ,
Ma petite :
Vous soupire/ . cl |MMinpioi ?
Hie/, vile , cl It.nsez-nioi.
76 LE MYOSOTIS
De sa bouche quand j'ai su
Obtenir enfin : Je l'aime!
Les mains jointes j'ai reçu
Son baiser comme un baptême ;
J'ai, le front sur ses genoux,
Prié des heures entières...
A propos, qu'attendez- vous?
Otez donc vos jarretières.
Vous soupirez, et pourquoi?
Riez vite.
Ma petite :
Vous soupirez, et pourquoi?
Riez vite, etbaisez-moi.
Oh! si j'avais par hasard
Effleuré de mon haleine,
Profané de mon regard.
Son sein rond sous la baleine.
J'aurais dit cent fois : Pardon !
Moi, bàtnrd de Diogène...
A propos, débouclez donc
La ceinture qui nous gêne.
Vous soupirez, et pourquoi?
Riez vite.
Ma petite :
L ?: MYOSOTIS
Vous soiipiroz, cl ponr([noi?
Hicz vil(^, cl l)iiis('/,-m(ti.
Cos hc.aux jours sont onvolrs :
One le souvenir en niinirc!
I.ors(|ii(' vous me consolez,
Peul-êlre ([n'en sa deiiieure,
lléliis ! son onitli in'iiltsoul
T)e rnon plaisir inlidèle :
Amours purs, eioyanees, tout
ST'Ieinl... soufllez la eliaihielle.
Vous soupirez, et |M>ur<pi(ti?
niez vile,
Ma petite, :
Vous soupirez, el poiuipioi?
niez vile, el liaisez-nioi.
177
Li:S CI) NTKS
Oiplieliu, sous un eiel avan\
HaiielilTe m .1 ilouue son l.iil :
Puis (je |;i reine de Navarre.
17S LE MYOSOTIS
Je devins amant cl varlci.
Schérazade est ma faYorite,
Et la nuit, rimeur ennuyé,
Sur ma petite
Couche d'ermite,
Quand je m'agite,
Si par pitié
La sultane entrait chez moi, vite
Elle en obtiendrait la moitié.
Je préfère un conte en noYcmbre
Aux doux murmures du printemps.
Bons amis, qui peuplez ma chambre.
Parlez donc, j'écoute et j'attends :
Tombant des tréteaux de la foire.
Ou glissant du sopha des cours.
Que YOtre histoire
Soit blanche ou noire.
Chante la gloire
Ou les amours,
Vieil enfant, je promets d'y croire :
Contez, amis, contez toujours.
En tremblant, voilà qu'un beau page ^
A sa dame écrit ses douleurs;
LK MYOSOTIS 171»
Il écril, L'I sur i:li;i(|uc [K\^('
Il('[i;iii(l moins de vers ([11(3 de |ileurs.
Pauvre Artluir! son leinl Irais se [tlunibe;
.Mais eu loucoulaut sous les lours,
Tendre coluinbe,
Quand il succombe,
L'n baiser tondx;
Sur ses yeu\ lourds;
(!e baiser reulève à la Inmbc...
— (IdUlt'Z, amis, ((luli-z l(Hi|nui>.
Pèli'riu, dans l'Iiôlellerie,
Vois : de y,\\\'^ les draps soûl lacliés;
An\ irons de la lapissi'iie
Vois les \t'n\ {{('<• Iiri;^auds caclics.
Ib'las! sulTixiiK' par la crainl»',
(louliT ('u\ il san^lolc : Au secours!
Mais minuil liulc I...
!>(• leur allt'inlc,
( > \ irrp' sainte,
S.uivc/. ses jour>!
— Hailumons uolir lam|t(' clciid»'.
Mes amis, cl «•onle/, toujours.
Uni balMlle eu cet ttraloircV
180 LE MYOSOTIS
Ce sont les nymphes d'un couvent,
Long cliapelet aux grains d'ivoire
Que dévide un moine fervent;
Le jour en chaire il moraUse;
Mais, sans bruit, au déclin des jours,
Hors de l'église,
11 catéchise
Quelque Héloïse
En jupons courts...
— Un instant, que j'embrasse Élise,
Mes amis, et contez toujours.
Ou bien, histoires plus charmantes,
Épanchons nos cœurs, et parlons
De nos sœurs et de nos amantes;
Parlons de cheveux noirs ou blonds.
Doux secrets que le monde ignore.
Allez, partez : les murs sont sourds.
En vain l'aurore,
Qui vient d'éclore,
Brille et veut clore
Nos longs discours :
Jusqu'à la nuit contons encore,
Jusqu'à demain contons toujours.
LU MYOSOTIS
SI
I.'OISKAL (JUE J'ATTENDS
Il 0 M A N t E
Les Ihsuix sok'ils iiKirls V(tii( iciKiiliv,
VA \oi(i (l<'|ii mille (tiscaux
l'ciidiiiil leur iiiil à la fciirlrc,
l'ciiplaiil les bois, rasaiil les eaux.
Tous les matins un doux hiiiil irailcs
Me ri'vciljt', cl jVs|irr('... In''la>!
A mes carreaux, noirs (riiinmdelles,
l/oiscau (jue j'allcnds ne viciil pas.
I.'and)itii)n m** lui comme.
Un. nul je \i> l'ai-le au lar^c \o|.
In jour, eonlenijdci' de la nuo
Les in^cclcs |Hiudreux du sol ;
-le vois à la Icmpclc noire
1/ai^le, eneor livrer des comhab;
11
82 LE MYOSOTIS
Je le vois sans rêver la gloire :
L'oiseau que j'attends ne vient pas.
Voici le rossignol, qui cueille
Un brin d'herbe pour se nourrir,
Puis se cache au bois sous la feuille
Pour chanter un jour, et mourir :
Il chante l'amour. . . Ironie !
Oiseau moqueur, chante plus bas;
Et qu'ai-je besoin d'harmonie?
L'oiseau que j'attends ne vient pas.
Plus loin, le martinet des grèves,
Sur un beau lac d'azur et d'or,
Gomme un poëte sur ses rêves^
Se berce, voltige et s'endorl.
Dors et vole à ta fantaisie>
Heureux frère ; devant mes pas,
Moi, j'ai vu fuir la poésie :
L'oiseau que j'attends ne vient pas.
Arrive enfin, je l'en supplie.
Noir messager dont Dieu se sert;
Corbeau qui, sur les pas d'ÉHe,
Émiettais du pain au désert.
L !•: MYOSOTIS
Porluiit la purt que Dion iii'ii l'iiilr,
Ai'iÎNc, il est Iciiips...; iimis, lirlio!
Moil Siiiis (loiile avec l(! iiroplirlc,
L'uiscau (juc j'allemU ne vieiiL pus.
183
LKS Cf. ( m: m: S
Par ma IciuMn' s'csl ciiruic
l/lllii^ioii, cl |i(Hir jaiiiais !
|)(Hi\ ir\('s, adini : jf nrriiiiiiic
An son des rlorlics que j aimais,
h'iiilci int'lcr It'iir liaiiilla{;t',
l*(M'lt', à sfi/.c ans j Vns le dini.
l'oin- IV'Irr le saini Aw villa^zc.
Les rliiclics tlivairnl : Alltm> donc!
Arii\»'/ donc !
\rii\c/. donc !
ArriM'/, donc !
Mais jr snis peu dc\ol, cl nicun'
Il me Mm\ iciil d a>oir (»s('
LE MYOSOTIS
Faire un gai repas en carême.
Repas d'amis bien arrosé.
Hommes de Dieu, point de reproches
Il excuse un jour d'abandon;
Puis... c'était la faute des cloches
Qui nous répétaient : Allons donc!
Grisez-vous donc!
Grisez- vous donc!
Grisez-vous donc!
Quand je donnai mon cœur à celle
Qui n'en veut plus, et l'a toujours,
Le tocsin même et la crécelle
Parlaient aux vents de nos amours.
A l'ombre des bois, sur la mousse,
Rêvant mieux que sur l'édredon,
i\ous entendions, de leur voix douce,
Les cloches nous dire : Allons donc !
Aimez- vous donc!
Aimez-vous donc !
Aimez-vous donci
Puis, j'arrivai, jeune et plein d'àme.
Dans la grand' ville en pèlerin;
Le Te Deum de Notre-Dame
LE MYOSOTIS «85
Alors borçiul un souverain ;
Miiis à iï'lcr s.i bionvenuo,
(juiind on i'iili^iiiiit le Itonnloii,
J'nsp«'rais, moi; car dans la nnc
l/aiiiiin {^Tommclail : Allons donc!
Armez-vons lionc !
Arnu'z-vons d(»nc î
Armc/.-vons donc!
|N>nr moi les cloches^ [lanvrc Kiancc,
N'onl |ilns nn lan^^aj^c an>si cl;nr:
D'innonr, (W iiUmv et d'cspciancc,
l*onr moi, rien ne parle dans l'inr.
Je n'entends, connne loni le monde,
Oii'nn ('■leinel drelin dindon.
Une l:i it'pnltlitpie vons l'onde!
(lloclies li;iv;ii(les. allons donc î
Taise/, vons donc !
Taise/.-V(ins donc !
'l'aisez-viMis donc !
186 LE MYOSOTIS
LE REVENANT
J'ai lu Pytliagore, et souvent
Je me confie
A sa philosophie.
Après la mort, son, flamme ou vent,
Chose légère comme avant,
J'aimerai ce que j'aime en vie :
Fuyons un corps que nul ne bénira,
Vers mon pays mon âme s'en ira.
Si, rêveuse après mon trépas,
Vous, pleurez, Laure,
Et visitez encore
Ces champs où croissaient sous nos pas
Des fleurs... que je ne voyais pas;
A votre appel, sœur que j'adore,
Un feu follet en dansant vous suivra :
Pour vous aimer mon ume survivra.
LE MYOSOTIS <87
Quand, sylplio joyeux des Iiivors,
Le iiuncli blouâtre
Danse et rit devant l'àln»;
Amis, si vous cliantez les vers
DonI je |i;irruiM!iis vos desscrls;
ToiH" à IdUi' |)l;iiiilir ou l'olàlfc,
Siu' la iiKiulaunc uu ('rlm s'culi'udi'a
A vos cliansuns mou âme r('|»oudia.
(Juaud s(»uu(' riiliii riicuiv d'oS(M-,
S'il vous anivc
(Juc la liraïUi' ciiiiulivc
l'essaie cucorc de rrru<('r
l'.l uiuiMiurc >oMs h' Itai^rr;
l']ui|Mii'laul >a |ilaiiHi' lardi\i'.
In vcnl comiilicc l'ulii' rjlc cl \niis luira
A V(K amours mou ùmo sourira.
.!•' ui(MU>! t>l |iourlaul, I.ilirrli'.
Tu lions a|tp('llt'>
A des IV'It's nouvelles,
tjne Ion elièiie ri'ssuseili''.
Sur ma I'osm» ;m nioin«< s(»ii |i|.iiUe !
Ml elianlaul el l»allaul de< aile»;,
i^e Inam lie en luMiirlie une f.iuvelte iia :
LE MYOSOTIS
A ton réveil mon âme applaudira.
J'ai lu Pythagore , et souvent
Je me confie
A sa philosophie.
Après la mort, son, flamme on vent.
Chose légère comme avant,
J'aimerai ce que j'aime en vie :
Fuyant un corps que nul ne bénira.
Vers mon pays mon âme s'en ira.
BORDEAUX
ODE
A madame ***, de la Gironde,
Bordeaux, paradis de mes anges,
Olympe de mes dieux, Bordeaux.
J'irai te chanter des louanges,
La besace homérique au dos.
LE MYOSOTIS 189
Sur le grand clieniiii noir de itluic
Ou'nn biniic rayon toiniK' o\ l'essnit^
Et demain, tronhadonr |)it't(»n,
Dans la liai»' an\ fzi"a|»|»es vcrnicillcs.
Où dansent mes sœurs les abeilles,
Je veux nn' lailler un liàlnn.
Humble oiseau, ma voix (rcniblc, il nri^'e...
ncllf veuve du beau nM<-os,
JNiMi' diie les L'Ioires, <|iie n'iii-je
l'n liilli IV-eoiid en mille tM-ln^!
Vers la rive. (|u'il a clioisie,
'{'((Ml mon ileiive de |Mt(''sie
Ilnndirail, di'Norant ses bords,
Kl eli;i(|ne v;iL'Ue, cliiniiie rime,
Bordeaux, l'eiiiil le iiniil sublime
Un»' liiil rOet'an dans les |M»rls.
Aux i-'rands por-tes, et» faraud rôle.
I,es [lieds |iendanl> au lil de re;iM.
Moi, j'aime à r«"'ver sous un sude
Avec l'iunanle dOlliclio ;
Kl pourlanl. voiei la semaine
HiUlLie dune jier.iliiiniti' iMUU.iine.
Ib»u:.:e du '^awj. de \ in::! Iieros.
i\.
i90 LE MYOSOTIS
Qui jetaient, fiers et sans murmures,
Leurs belles têtes demi-mûres
Dans la corbeille des bourreaux.
J'ai caché de la Muse antique
L'autel proscrit dans mon grenier.
Je suis un païen de l'Attique,
Comme Vergniaux et les Chénier.
Dans tes troupeaux à blanche laine,
0 ma fermière châtelaine,
Laisse-moi choisir deux agneaux.
Deux agneaux noirs, car je veux faire
Un sacrifice funéraire
Aux mânes plaintifs de Vergniaux.
« Enfant, la Liberté momie
» De ton cœur vierge eut les primeurs;
» Tu crois ton amante endormie;
» Pauvre enfant, elle est morte... Meurs! »
Ainsi, dans leur funèbre ronde.
Les fantômes de ta Gironde
M'entraînaient lorsque je te vis.
fiirondine, qui me répèles :
« J'aime à veiller sur les poètes :
» Espère en moi, ])oëtc, et vis. »
L E M Y 0 s 0 T I s \\)[
Du pain quo chaque jour m'apporto,
C'est par toi que je me uouriis;
C'est toi (|Mi vas, de porte eu porle,
Pour mes vers queler uu souris.
Contre moi si l'enfer se lève,
Sur le serjM'iil tu mets comme Eve
Tnii picii sacré, ton pied vainqueur.
Knlrc mes idoles jumelles,
Oli ! viens donc, viens réf^ner comme dlc^
Dans le Panlliéon de m(tu cœur,
Nos murs N'urcuv par ton lialciiic
Siiiil A pciiic [loriliés;
Nos pav(''S sales ont à peine
Poussé (juelques Heurs sous les iiied^:
l",l In luis, ViililL'e cnldmiie,
Tu liiiv!... Si Ion l'Ioile en luiuhe,
llt'lii>! mon ( iel sera jiieu noir :
Où |;ianer un souris de iViniMe?
A quelle finie iillunier inon Ame V
iVllls ipiel d'il hleil elierelier lespoir?
Au pays ipi)> la Ivre lioiiore.
J'irai, j'irai : (le|,'i lu voi»;,
Comme ;iii \eiil nu rose. m sonore.
102 LE MYOSOTIS
S'éveiller la mienne à ta voix.
Toujours à la nef voyageuse,
Qu'elle fende une onde orageuse,
Ou se berce en un doux chemin,
Toujours l'hymne pieux d'Horace!
Toujours deux pieds nus sur la trace!
Toujours deux lèvres sur ta main !
Bordeaux, paradis de mes anges,
Olympe de mes dieux, Bordeaux,
J'irai te chanter des louanges,
La besace homérique au dos.
Sur le grand chemin noir de pluie.
Qu'un blanc rayon tombe et l'tssuie,
Et demain, troubadour piéton,
Dans la haie aux grappes vermeilles,
Oi^i dansent mes sœurs les abeilles.
Je veux me tailler un bâton.
1
LE MYOSOTIS iO.T
L ACENAIH R POKTR
... Mais, (lira-t-on, il f;iit des vers !
— C'est donc une donn'-o bien rare que
les vers ? .1. .1.
(juiiinl il faisiiil des v«'rs dans sa diTuirr»* vrille,
(livdnir au\ iiiillr V(ii\ i|iii rt-ju-lait'iil : McrNcilIc !
Il t'sl duiK- viai, disiiis-jt', un imicIc voleur !
l'ii |ii)ël(^ assassin ! Iiélas! el ma douleur
(^hercliait (|uerelle à Dieu, qui voidul (|u'en iioln» Aizo
La sainte [joésio essuyai cel outrage.
Noire père Villon, (|ue harcelai! sans lin
Ce dt''ni(»n leulaleur (|u'ou a|i|ielle la Fniin,
M»''dila de sou leiups nioius de ver^ (|ue de ruses;
Salvalor se jela Itaudil dans les \i)ru/7.es.
l'-t l'eseopelle au |M>iuu', liivouai|uaul vur I(>n monts,
Pour mieux |it>iudr" lenler \eeul elie/. Ii>s demon<.
Mais autour du premiei-, de liaul> vo^mun sui^ nondin»
t.ouNonuuaienI au soleil ee (juil leulail A.w]^ l'oudire.
^94 LE MYOSOTIS
Et Ton dut pardonner au troubadour forain
D'avoir, Immble vassal, les goûts d'un suzerain.'
De MaSaniello le poétique élève
Contre la tyrannie avait brisé son glaive,
Et pour sauver ses jours, le proscrit montagnard
Des morceaux qui restaient dut se faire un poignard.
Mais tuer sans combat, égorger qui sommeille,
Ramasser un écu dans le sang d'une vieille,
Et pouvoir dire après : Je suis poëte!... Non!
Car il ne suffit pas, pour mériter ce nom.
D'emprunter au public de banales pensées
Qu'on rejette au public en phrases cadencées :
Le poëte, amoureux du bien comme du beau.
Attend deux avenirs par delà le tombeau,
Et riche, en vieilhssant, de candeur enfantine.
N'a rien à démêler avec la guillotine.
Le poëte ne voit qu'un seul bourreau de près :
Le Malheur! ou, frappé par d'iniques arrêts.
S'il meurt, c'est en martyr, et le ciel est en fête,
Et personne ici-bas ne dit : Justice est faite!
Interrogez Samson : depuis qu'André Chénier
D'un sang si précieux parfuma son panier.
Jamais son doigt savant (Thémis en soit bénie!)
Sur un front condamné ne palpa le génie.
C'est un roi qu'iui poëte, et la hache des lois
LK MYOSOTIS lOii
Tiin Cliriiit r ilii tomps que l'on liiiiil les ntis...
Mais cliacun peut tracer des lignes parallèles.
Accorder en duo des syllabes jumelles;
ï.a rime, dont Boileau trouvait Ir jouji pcsaul,
Au moindre appel (voyez!) obéit à présent,
I-^l d'AiiiolplM' iiujourd'bui la naïve écolièrc
Au jeu du corhiUon ferait capot M(tliùrc.
nadaihl <iiii, sur la foi d'un (Awjlv odieux,
(Jonfonds l'ariiot du baigne et la langue dcv diciix.
Admires eu tremblant I-accnain*, et soidiaites
In iiaisi'i- (If sa veuve au dniiicr des ikicIcn,
Adiniit' cl liTin'olt' inniiis : mit ton i nïnc int'i,'al,
I.a sottise en relie!" eût (''|Miuvinili'' (iidl.
Des rêves d'arf^enl seuls onl li(»ul»li'' Ion iilcc'ive,
l,";nillnnéti(|ue seide \\<\\ la |ilnine eliiinve :
l'.li bien! |ienilaiil deux nnils lunlle sni" un Kevj.mi,
Dors snr nn Kii lielel, el in poiuMas bientôt,
.\p|trenli de hi veille el di'jà passt' maille.
Anner dinis Ion eoinpioir la strophe et riiexamèlie.
VA ponrtani, loni l';ni> à lassiissin li m-
Soniil, el dévora se<. \ers ihns ji-nr |trinii nr.
Onini anieur iilT.nne. ponr lailler ini \olnnie.
Tasse avee le poii^nard IValerniser la plnnie
196 LE MYOSOTIS
De vin et de biscuit, pour nourrir son caquet,
Qu'on agace au perchoir riiorrible perroquet,
Qu'on secoue un album teint de sang rime à rime,
De l'argot en patois qu'on traduise le crime :
Bien! il faut que Paris ait du roman nouveau,
Que Lacenaire mort renaisse in-octavo,
Que la presse en travail donne un frère à Justine,
Et qu'on batte monnaie avec la guillotine!...
Mais sans être argousin, bourreau ni romancier,
Aux veilles du cachot on vint s'associer.
Les mains de ce lépreux dégoûtant d'infamies
Tombaient à son réveil entre des mains amies.
Et les journaux du temps, souillés de ses envois,
A nous dire sa gloire enrouaient leurs cent voix.
Pour enivrer cet homme et son pale complice.
Si Ton eût annoncé, la veille du supplice,
A Paris, où l'hiver fait grêler tant de mnux.
Un raout au profit des assassins jumeaux,
La charité dansante, avare de centimes.
Eût secoué de l'or à ce bal de victimes,..
Que dis-j€? la comtesse, au sortir de son bain,
Caressait dans son cœur le hideux chérubin,
Et sous un i)li coquet, à travers les gendarmes.
Lui glissait cachetée une aumône de larmes.
0 femmes de Paris! sur son grabat désert,
LK MYOSOTIS i!t'
Un souriro do vous aurait sauv»'' fiilbort !
Et dans sos (ils nombreux Gilbert n-spire oncore ;
Il leur souflla, mourant, i'àm(; cpii les (h'-vore.
Ml! sur les éclios sourds la lyre est sans |MMiV(iir!
Il ImuI (les ( (nidiunnés à mort pour t'émouvoir,
l*aris! Kli bien! rcoiilc : ici, coMMut' à \'enist',
lu p('npl(! coiidamur' sous les plombs ajJîonise.
i.e Malheur, les preuanl loudx's du sein niil.d,
Manpia ces {.'iaours de son cachet fatal,
l'!l sur leur iVonl. depuis, ;^liss;nit avec .k t'uiiih l
Nul baiser n'essuya cet infernal baptême.
Sans éveiller de bruits, sans prètie ;i leiu's côtés.
Ils vniil moiiiir, cciiv-l;!, diueiiieul cidioh'S.
(iliaipie jonr le^ c(iud;uuue, et cdiiuue au roi (pii p.isse.
A chaipie, iendeiiiinu iU deiM;nidi'Ul leur i.'ràce.
I/Msp('rauce. avociil ;i l;i uiai^iipie vni\.
Les haine \\\\\>.\ lnMi:leiup> de pourvois eu pourvois...
Mais piireji ;iii Ikmiiic.ui. (pii vieiil cl frappe à riieure.
i.e Suiciilc eidiii les prend... cl nid ne pienre;
Nnl ne mène le deinl \ers le ('Ii,unp du rolier,
|'",l le pofle mort :^il |j. nioil loni entier...
\nè|e/-vous :ni bord de la Iosm* dKscousse.
l'.nliniK \ien\ de donlenrs ipie son ("loile \ pouss.-.
lOS LE MYOSOTIS
Plus de chants, plus d'espoir : sur votre muse en deuil
Comment des éditeurs appeler le coup d'œil ?
Pour y saisir au vol une chanson, peut-être
Tous veillent maintenant au guichet de Bicêtre,
Et le public, sans foi dans vos noms sans crédit.
S'abonne chez Darmaing au scandale inédit...
Mais votre impatience en frémissant m'écoule.
Vous pairiez sans murmure un grand nom, cpioi qu'il coûte;
Eh bien ! pour éblouir et fixer le regard,
Secouez devant vous les éclairs d'un poignard;
Marchez, frappez, d'un meurtre ensanglantez les rnes;
Devant la Renommée et la garde accourues,
Fiers, et pour piédestal prenant un corps humain,
Relevez-vous alors, des chansons à la main!
LE CORSE
A l'heure où, pAle encore, le jour hésite à nnllre.
Une étrange rumeur passa sons ma fenêtre,
« N'est-ce pas au réveil la voix dn carnaval? »
Dis-je; et dans le brouillard déchiré par les sabres,
L[- MYOSOTIS !!)!•
Je vis, (•(Uiiiiic 011 on Y(»il dans les danses niacahros.
Passer dos ombres à cheval.
l'nis 1111 jxMiiilc liidenx, dont le vrai nom s'ignore,
Tombant, je ne sais d'on, sur le pavi' sonore,
fironillait... un même espoir scnililail le iviimcr.
Allin'' |tar le sani: don! le pairnin Triiivre,
I-e Paris de l'iVonl s'en rcicvail, pour suivre
In Imninin (]u'<in allai! lucr.
Onand la r.(tr>e eut doiiiK' Napolt'oii an nioiidc.
De si's conciles de i;loire arrière-laix iinnionde,
l!lle y jeta l-"iesclii, ropproltie imil vivaiil.
Mais ne lè;ine-t-il pas ini icniords ;i iiolie 'i-e,
(!et lionime? el son déclin csi-il \\'\i>\\ mmi oiin ratie?
(Jni sait? miinniiiai-je en rèvaiil...
Il va rendre au supplice une àine iiieii Irempée,
nil-on; ne pou\ait il s'allor.Lcr m ('pée,
(!e poignard ipii frappa ^ans demander pour <pii?
I.e lie!, dans ce iiravil (pii meiirl aux pieds d im prrire,
Voulul doiiuei' au monde un urand liouiuie peiU-èlre.
1,1 le monde lui reud... l'iesclii !
Si l"(''iude eùl passi' sur cet âpre :^enie.
200 LE MYOSOTIS
S'il eût bu In morale à sa source bénie.
Quand il gardait pieds nus ses chèvres au coteau;
Si le monde eût ouvert à sa jeune fortune
Ce chemin qu'il voulut, dans la foule importune,
Se tailler à coups de couteau !
On va bien loin, guidé par une étoile amie;
Entre l'homme de gloire et l'homme d'infamie.
Pour combler la distance il fallait un peu d'or.
De l'orl un horizon plus large que le nôtre,
Et Fieschi, l'enfant corse, eût grandi comme l'autre,
Le beau Corse de messidor.
A MÉDOR
Heureux Médor, si j'ai bonne mémoire,
Je t'ai connu jadis maigre et hideux;
Chien sans pâtée, et poëte sans gloire,
Dans le ruisseau nous barbotions tous deux.
Lorsqu'à mes chants si peu d'échos s'émeuvent.
I. K iMVUSOTlS "201
Lorsijuc (lu rit'l mou pjiiii loiiihc à rrjjn't,
A tes abois Dieu suiinl, Its us iilciivciil :
Chien parvenu, (lujiue-niui luu b«.'ciet.
Aux cliiens h'in'cux, oui, le luiillicur lu rf;;ilc :
Liallu (.les veiils, par la loulc oulra^é,
Si je caresse, ou a peui- de la i-'air;
Si j'é^ratigne, on nfaiiiicllc ciuaj^é.
Pour qu'au Itoulicur jr [nii»!' l'uliu n-uailu'.
Dieu sait pourlaul (pi'uu jh'U d'or >unirail;
Miru peu... relui de lou collirr pcul-rlic :
('.liicii itaivt'iMi, doinic-iuoi Ion sccirl.
J'eus coiiiiue loi lues lon^s jours de paresse,
lu lit UKM'Ilcux cl de IViauds luorct'auN ;
J'ai fiisscnuM' sous plus d'uuc ean'sse,
h'idxiis iU(Hpi('ui> j'ai laiouiu' les sols.
l'uis daus la inul»' où l'ou pou^x', où l'on ln-u^le,
J'ai vu s'eiduir IMutu> t\\\\ >"ei:arail :
Poui' di'vruir \r chiru d<' cel aNeui:le.
(.lùru paiNciui, doimr-uioi lou secit'I.
Au\ douiiuos >ai> lu (ouiuit'iil l'ou liii le ?
Nouveau lVui>>, ailtilre de Itraulc
As-lu (louuc la pouuuc à la plu^ riclic.
202 LE MYOSOTIS
Fait le gentil, fait le mort, ou sauté?
Ton sort est beau : moi, chien d'humeur bizarre,
Pour égayer le Riche à son banquet,
Je ne sais rien... rien que flatter Lazare :
Chien parvenu, donne-moi ton secret.
Tombé, dit-on, dans un pays de fées,
Dont la laideur mit le peuple en émoi,
On essuya tes pattes réchauffées.
De blanches mains te bercèrent; mais niui !...
Chien trop crotté pour que la beauté m'aime,
Si j'entrais là, le pied me balaîrait>
Hué de tous, et mordu par toi-même :
Chien parvenu, donne^moi ton secret.
Les voleurs
Dame Justice a fait merveille!
Disais-je, croyant voir un jour
Douze voleurs, libres la veille,
I-K MÏUSUTIS
Huilier caplils devant la loiir.
Avant ([ue l'écrilcau (riisaizc
A leur [lilori .soil collé,
Lavater, sur leur jdat visage.
Lirait (li'jà ([u'ils ont vulé.
(Ict lioiiiiiic au Iront cliaiive, à r(L'il lerue^
Est uu usurier Itiru cuiuiu;
Le passant ([ui, dans sa caverne,
Lntre alïann'', sort dcini-uu.
Au front d'aiiain, au co'ur Av rocln',
11 rit du pauvre dç>ol»'',
L'iulanie !... et justpie dans ma poche
Il a volt', volé, volé.
Ce pelil drôle, ipii rt';^ard<'
Les poches du voi>in sou\cnl ;
(Monsieur (luillanine, prenez, uardc'
C'est l*ateliu toujours sisauL
Pour omei' le drap ipi il derohe.
Ii"aulre jour luènie il a collé
I n rulian lon^e sur >a ruhe...
II a Noii", Vi»le, \(iK'.
:io;j
^'oilvl de> lourn.»eius d'arniéc :
204 LE MYOSOTIS
Lorsqu'aux pieds d'un vainqueur treniblautj
La France tombait^ renfermée
Vivante dans un linceul blanc;
Ces alchimistes^ pêle-mêle,
Autour du soldat immolé,
Soufllaienl de l'or dans la gamelle :
Ils ont volé, volé, volé.
Salut au baron de Wormspire !
Littérateur, blagueur, voleur,
Sur le Parnasse, dès l'empire.
Il a fait métier d'oiseleur.
Métiez-vous, s'il vous accueille.
Frères : tout poëme envolé
S'est pris l'aile à son portefeuille :
Il a volé, volé, volé.
Mais las ! l'erreur était complète :
Mon voisin Prudliomme l'expert.
Où je croyais voir la sellette.
M'indiqua les jurés au i)air;
Et tous CCS voleurs, (ju'entre mille
Au bagne on eût dit racolés,
Y jetaient un gueux sans asile
Pour de l'air et du pain volés!
L K MYOSOTIS 205
M. PAILLA Kl)
Et lloii, flou, lluii, misrreiT,
Monsieur Paillard csl ciiterré.
A(li«Mi, jM'i'c (le la (MMiiimiiH',
Dit If HosMicl (In momnil ;
Mais an (Irliiiil f;anlaiil iaiii'uiii>,
Le itauMc ii('in>li; dil fiaiiiicnl :
Et 11(111, lion, lion, miscivic,
Munsieur Paillard est iiilcnv.
Traitant la niis('M»' en vassale,
IMeniicr ina^i>tial dn caillou,
Aux |>auvr(>>s('s. de >ii main sait»,
M(»iiS(M{;u(Mn' priMiail le menton.
i:t lion, lion, etc.
12
•JOO LE MYOSOTIS
Lui volaient-elles noix ou ponnne,
Sous le pommier, sous le noyer,
A l'instant même le digne homme
Les jetait bas pour se payer.
Et lion, tlon, etc.
Fredonnant de sa voix de chantre.
Flânait-il dans quelque dessein,
Ses breloques sur son gros ventre
Alentour sonnaient le tocsin.
Et lion, tlon, etc.
Jacques, défends-lui bien la porte.
De peur qu'au logis, en tremblant.
Ta l'ennne, cet hiver, n'apporte
De rinfamie et du pain blanc;
Et lion, lion, etci
A la vertu la mieux armée,
L'or en main, portant des délis,
11 lenle la mère alTamée
L !•: MYOSOTIS 20'
Aujtn's (lu iR'i'ccaii de son lils.
RI, flou, lion, etc.
IHiis quand il u, sans rien déballro.
Payé son trioniitlie insolent.
Il so dit, lier comme Henri Qualre
Tudieii, je suis un vert calant!
Kt flun, ilun, elr.
i;i le cuit' jt' ( auouix' ;
Il me danmeiail, moi, (lio>-Iean ;
Mais ciiMmic au It , à l'éiilise.
Il eu aura jmur mui ar^'eul,
i;i lion, lion, 11(111, iiiisertM'e.
.MtiUNicur l\iill;n'd i-^l l'iilcnv.
20.S LE MYOSOTIS
RÉPONSE A UNE INVITATION
Sur l'adresse de cette lettre,
Quelle erreur fit tomber mon nom?
Est-ce bien moi qu'on daigne admettre
Aux plaisirs brillants d'un salon?
Où la mode commande en reine.
Hélas! on m'accueillerait mal.
Je suis moins heureux que Sedaine..,
Non, non, je n'irai pas au bal.
Là, sous les lois de l'étiquette.
Il faut plier à tout moment;
Chaque pas est une courbette,
Et chaque phrase un compliment.
Moi, j'ose, dans mes épigrammes.
Contester en vrai libéral.
L'empire absolu même aux femmes :
Non, non, je n'irai pas au bal.
Aurais-je assez de patience
LE MYOSOTIS 200
Pour souffrir, sans les bafouer.
Ces beaux esprits dont la science
Se boriKî à l'art do saluer?
Contre les clercs (jiii font merveilles.
Un bon mol immiI in'être fatal ;
Tous ces messieurs ont dos oreilles :
Non, non, je n'irai pas au bal.
T.orsque les n«*aux do la vio
Sur mes pas ploiivaioiil tour à tour.
Dans los bras iW. la |>(K^sio
J'écliappais du moins à l'amour :
Mais tnMublons! partout ou n'prlo
(juo, sous l(^ voilo nnplial,
Tuo Cràco (irnora la IV-lo :
Non, non, jo n'ii'ai pas an bal.
T. A CONM'^ESSÎON
(Jnoi! lu l'as dit, phis d'amours à ta suito!
Oii"i! tu voudrais. rolTonillant xuin la croix.
210 LE MYOSOTIS
Rose, ma Rose, égayer un jésuite,
De tes péchés, un peu des miens, je crois!
Ah! pèche encor, pécheresse gentille;
Et si nos cœurs de quelque ennui sont lourds,
Couple fervent, l'un à l'autre sans grille
Confessons-nous, confessons-nous toujours.
Jeunes beautés, avec les hirondelles.
Quand vous voyez les sylphes accourir,
Lorsqu'au doux bruit de leurs battements d'ailes,
Vous vous sentez défaillir et mourir.
Pas n'.est besoin contre un charme éphémère
Du beau curé ni de ses beaux discours :
Cœur de seize ans, au cœur de votre mère
Confessez-vous, contessez-vous toujours.
Mais, tôt ou tard, l'hymen, l'hymen despote,
A vos beaux yeux enseignera les pleurs.
Qu'en suppliant alors Trilby s'arrête.
Un soir d'orage au coin de votre feu.
Grondez bien bas... puis, après la tempête.
Confessez-vous, contessez-vous à Dieu.
LE MYOSOTIS 2il
Vous qui marchez pieds nus, cl, sur la roule.
Dans le ruisseau trempez votrt> pain noir;
Vous qui cliantez sans que la dame écoute,
I.à-l»as, pcucliéo au l)al(M)M du niaïKiir;
Vous qui rêvez amour, gloire, cliimère,
Puis, au réveil, le cœur battant d'eiïroi.
Les bras lendus, vous écrie/, : Ma mère!...
Confessez-vous, confessez-vous à mui.
Mainte l)lessiu(' à Tauii le plus tendre
Souvent échappe et saij^'uc à l'abandon;
Sduveut pour l'Iionnue il serait doux d'eulendie
Au noui de Dieu sonner le mot jiai'dnn:
Mais la soutaiu' ii balayé la laniie.
Mais le péelit' iVélille pai'-dessoUN.
Ouaud tu verras tdiubci' du rici un anu'e.
Aveilis-inoi, llose, et edidessons-ncais;
N ilc à ses pieds, vile conlcssons-non^.
l AIM. K
<( Que je sui^ bien sou-^ mon ciel dt> i ri^t.ilî
A me UinuTii- la terre est »''|iuiNft' ;
212 LE MYOSOTIS
A moi chaleur et lumière et rosée :
Certes, je suis un noble végétal! »
Ainsi parlait maint cornichon sous verre :
Le jardinier passe, et, d'un ton sévère,
A ces vantards dit : <( Taisez-vous, mes fils :
Un coup de vent peut briser votre cloche;
Vous mûrissez, et le bocal approche;
Encore un jour, et vous serez confits. »
Hélas! hélas! philosophe, astronome.
D'un ciel étroit coitîés, quand nous marchons,
Fiers et clamant: « L'homme est tout, gloire à l'homme ! »
Dieu tonne et dit : « Taisez-vous, cornichons! »
L'ISOLEMENT
ELEGIE
A Madame
* **
De mon riche avenir vous voilà créancière.
Madame; quand l'oubli me jetait en poussière.
LE MYOSOTIS 2i3
Sur moi, poëte obscur, l'autre jour, on passant.
Vous laissîMes tomber un mot compatissant.
Un mot, voilà tout... mais, quand vous fûtes passée.
Celte parole d'or, oli! je l'ai ramassée.
J'ai caclié dans mon sein ma relique, et, depuis,
Je la porte les jours, je la baise les nuits.
Si ma reconnaissance avec délire éclate,
Si mon baiser brutal mord la main (jui me flatte,
Madame, pardonnez, c'est <pie voilà deux ans
(Et deux ans à porter tout seid sont bien pesants!)
Qu'aux tourments de mon cœui- nul cdMir ne s'.issocie,
Kt j'avais onblit' comment (tu remercie.
J'ai support»' deux ans le mépris et la faim
Sans mrler do blasphème à ma iilidnte sans lin.
Je disais, résij^'ué : Lorsipic Dii'ii l'ail un lioiiiiU(\
De st's boidiewrs futurs il lui coniiilc la soiiiiiio :
(( Prends, lui dll-il, cl niarclicl » cl moi, drs le dt'parl,
l'rodif^uo voyai^eur, j'ai dévoré ma i)arl.
Kid'anI, j'ai vu passer dans ma vauue luéuïoire
Des prêtres (pn clianlairMl sur nue bièie noire;
A travers les sanglots, de niouient en inomeiil.
l'u U(tui (lier maniNail... mais ee souvenir uienl ;
Car de l'éc(tle à pi'ine eu^-je rramlii le^ ;:iilles,
(Jiie le londiai joNenx aux bra^ de deux laniilles;
214 L E M Y 0 S 0 T I S
Moi qui la veille, hélas! rêvant un autre accueil.
Me croyais orphelin sur la foi d'un cercueil.
Mon cœur, ivre à seize ans de volupté céleste.
S'emplit d'un chaste amour dont le parfum lui reste.
J'ai rêvé le bonheur, mais le rêve fut court...
L'ange qui me berçait trouva le fardeau lourd.
Et. pour monter à Dieu dans son vol solitaire.
Me laissa retomber tout meurtri sur la terre.
Où depuis mon regard dans l'horizon lointain
Plongeait sans voir venir le bon Samaritain.
Je veux bien acquitter mes dettes amassées.
Et payer en douleurs mes délices passées.
Dieu ! mais puisque ta loi défend de murmurer.
Fais-nous donc des tourments que l'on puisse endurer!
La Pauvreté n'est pas l'hôte que je redoute;
Je l'aime, c'est ma sœur; la Faim, sans qu'il en coûte
Une heure à mon sommeil, un vers à mes chansons.
Entre s'assied chez moi, car nous nous connaissons.
Je n'ai pas convoité sur mon lit d'agonie
L'or du voisin, qui sonne avec tant d'ironie;
Ce qu'il me faut à moi, ce n'est pas seulement
Le vin de la vendange et le pain de froment ;
Mo prière avant tout demande à Dieu pour vivre
le pain qui nourrit l'Ame et le vin qui l'enivre
LE MYOSOTIS 215
L'amour!... Et je suis scul^ déjà seul, quand j'entends
Frémir encor l'airain (jui m'a sonné vingt ans!
La fatigue m'endort cl le besoin m'éveille
Sans qu'un souliait ami caresse mon oreille.
Uuand j'allais au printemps chercher dans vos jardins
Un sentier vierge encor du pied des citadins,
Sur mon cœur solitaire et qu'un vague amour lue.
J'ai pressé bien souvent un socle de statue;
El, mirach; du (,i(.'lî bien souvent j'ai cru voir
Lu froide Galatée en mes bras s'émouvoir,
Voir des pleurs «le pilié pendus à sa i)aupière.
Voir des souris éclos de ses lèvres de pierre;
Kl (juand in;i plainte au m;irbre inspirait lanl d'émoi^
Les cœurs vivants restaient pélriliés pom* moi!
Oh! voilà le ((luiiiicnl iiiupiel rien n'habitue,
(Jui dévore les nuits et les jours, et ipii lue.
(le supplice iuoui, (piand je nous le nounnais.
Vous m; eompieuie/, pas : w eoiiipreuez jamais,
Madame!... Au j^rand désert de voire eapilale,
I/hounne seul, voye/.-vous, c'est l'aiillipi»' Tanlale;
C'est le serpeni coupé, \i\ace el bondissani,
hoill elia<|Me liduçoii veiil' pour>uil >on livre ab>i'nl ;
C.'esl riiomuie enseveli loiil \i\aul dan>^ la londte
(Jui se réveill<> au bruil d»* l.t l<'i ic (|ui tombe,
216 LE MYOSOTIS
Et,, hurlant des appels que le ver entend seul.
Se débat convulsif dans les plis du linceul.
Mais au bonheur, après celte agonie amère.
Vous m'avez fait renaître, et vous êtes ma mère.
Pour me guérir enfin du coup qui m'étourdit.
Il ne fallait qu'un mot : ce mot, vous l'avez dit.
Et tout à coup voyez comme le charme opère :
« Courage! » et je suis fort : « Espérance! » et j'espère;
Et d'un sommeil fiévreux je me réveille sain.
Honteux de ne pouvoir payer le médecin.
Oh! patience! un jour j'acquitterai ma dette.
J'ignore quel sera mon destin de poète :
Dois-je, tendant ma coupe à l'Amour échanson,
De l'écume qui tombe arroser la chanson;
Phalène qui tournoie à l'éclair d'une épée,
ïrai-je dans le sang picorer l'épopée,
Cueillir la blanche idylle en fleur dans le hameau.
Ou du saule pleureur effeuiller un rameau.
Je doute encor; mais cette moisson de gloire.
Vous l'aurez fait éclore, et j'ai longue mémoire.
Et, de mon frais butin parfumant vos genoux,
« Prenez, dirai-je alors : tout cela, c'est à vous!... »
I.E MYUSUTIS 217
SOYEZ J5ÉNIE
Je soupirais, triste et malade :
« Que sont devenus le fuseau.
Et le baiser et la ballade
Qui ni'endurniaienl dans mou bcivcau?))
Mes [ileurs coulaient... lorscinuiic iMnliaiileresse
Me dit : « Ijifant, verse-les dans mon sein. »
Soyez bénie, ù vous dont la tendresse
Donne une mère à rorpiielin!
Je réjtélais : u Du moins (|ue n'ai-jc
Ton liras pour i^iiide cl pour appui,
l'rèrc ' (piCii un linceul de neii^'e
I.e vriil (In nord itérée aujourd'hui!... »>
Mais, lonl à coup, une chaule caresse
Snr mon l'ioni paie cs^nya le cliaijiin :
Soyez, hcnic, ô vous (K»ul la Icndresse
Donne une sieur à rori>licliu!
1. Sohl.(t ilo lu gtaïuto aniue, inorl eu lUi6»ic.
13
218 LE MYOSOTIS
En Vtun, ardent à me poursuivre,,
Le destin flétrit mes beaux jours;
De tous les bonheurs je m'enivre.
Car j'aime de tous les amours.
L'astre charmant levé sur ma jeunesse
Promet encor d'échauffer mon déclin :
Soyez bénie, ô vous dont la tendresse
Est le trésor de l'orphelin î
SUR
LA MORT D'UNE COUSINE DE SEPT ANS
Hélas! si j'avais su^ lorsque ma voix qui prêche
T'ennuyait de leçonS;, que, sur toi, rose et fraîche,
Le noir oiseau des morts planait inaperçu;
Une la fièvre guettait sa proie, et (jue la porte
Où tu jouais hier te verrait passer morte..*
Hélas! si j'avais sul...
Je t'aurais fait, enfant, l'existence bien douce;
Sous chacun de tes pas j'aurais mis de la mousse;
LE MYOSUTlii 219
Tes ris auraient sonné chacun de les instants;
Et j'aurais fait tenir dans ta petite vie
Un trésor de Ijonheur immense... à faire envie
Aux lieurcux de cent ans !
Loin des bancs où pâlit l'enfance prisonnière.
Nous aurions fait tous deux l'école buissonnière
Dans les bois pleins de chants, de parfum cl il'amour;
J'aurais vidé leurs nids pour emplir ta corbeille;
Et je t'aurais donné plus de lleurs (ju'une abeille
N'en peut voir (lan> un jour.
Puis, (pumd le vieux Janvier, les épaules draiiécs
D'un lon{4 manteau de ncific, et suivi de [>ou[tées.
De lua^ots, de piuilius, luiuuit Miuiiaul, aecourl;
Au milieu des cadeaux «pii pleu\enl pour elreuue,
Je t'aurais fait asseoir eoumie luu' jeune reine
Au milieu de sa cour.
iM;ii> je ne siivais pus... el je pièeliai> eueoie;
Sur de Idu uNeiiir, je le pressais d'eelure,
(Juaud loul à eiiup, pleuraul lui lou^ e^poii" deMi.
1U> les pelile> uiaiii>^ je \is (tuidier le livre;
lu cessas a la luis de lu'euleudrc el de \i\iv...
llclasi si iavai> su!
220 LE MYOSOTIS
L'ENFANT MAUDIT
CONTE
A mon jeune ami Paul B***
Autrefois dans Bagdad^ la ville des merveilles^
Grandissait Abdallah^ fils du cheik El-Modi^
Que les derviches et les vieilles^
Dont ses propos moqueurs échauffaient les oreilles.
Nommaient dans leur colère Abdallah le Maudit.
11 n'avait, orphehn, ni mère ni sœur tendre,
Hélas ! pour l'enchaîner doucement au devoir.
Pour payer son travail par les baisers du soir.
Ou punir sa paresse en les faisant attendre.
Une mère, une sœur, c'est le premier des biens :
Vous le savez, enfants... et moi, je m'en souviens!
Passe encor s'il n'eût fait qu'agacer par derrière
Le derviche immobile en son culte fervent
Et lui tirer la barbe, ou bourrer de poussière
L E M Y 0 s 0 T 1 s 221
La pipft du soldat qui dormait on pioin voni ;
Mais fiourmand fit voleur!... oui, j'ai lu dans riiislnirc
(Jn'il aimait un pou trop la figno ot lo raisin
Dn voisin;
Fécond en malins tours, il y mettait sa gloire,
Et cadis, marchands, bateleurs,
Dit-on, se méfiaient de lui les jours de foire
Plus (pit; des Quarante voleurs!
Las enfin d'en ftémir, à sa folle conduite
l'u viril oni'le l'aliaudoiiiia ;
IVAlxIallidi if .Maudit (iiacun se, (It'tourua;
Le liruil seul de ses pas iiictlail les jeux tMi Inilc
Il it'llécliit alors : la voix ipTil éloulTail,
(]elte eouipa^'ue intéricuii'
Qui cliaulc de Joie un i|ni [ilcurc,
Suivant (pi'ou a hini mi mal l'ail,
La ronseit'iirc en lui ;;rouila, jut:»' iiiiplaialtlc
Alors dans le ih-scil un saiiil lioiiiiiit> vivail
IVaiunôuc et d'iMO, jrayaut «pic Ir roc pour rlicviM,
Ll, pli'iiic de pardons, (piaud sa main vi'Ut'ialilt'
Les rt'iiaudait swv un coiipahli'.
A l'arrrl iuspin'' toujours Dieu soiisciivail :
« II iu«' panloiiiit'ra sans tloiili'.
222 LE MYOSOTIS
S'il pardonne au remords, » dit l'enfant, et voilà
An milieu du désert ses petits pieds en route : —
Le désert est bien grand ! Dieu conduise Abdallah !
Le désert est bien grand, et presque infranchissable :
C'est un champ de poussière et de feu; rien n'y croît,
Ni mûres ni bluets, enfants, et l'on n'y voit
Que du soleil et du sable.
Tantôt d'un rocher caverneux,
Aux pieds du voyageur égaré dans l'espace.
Un boa sort, fouettant la terre de ses nœuds;
Tantôt c'est un lion qui passe,
Calme et superbe, avec de la chair vive aux dénis,
Et de gros yeux pareils à des charbons ardents.
A travers le soleil et les vents et l'orage.
Notre pénitent va, n'ayant pour tout fardeau
Qu'un gâteau de maïs, un bâton de voyage,
Et, pendante au côté, sa gourde pleine d'eau.
Mais voilà qu'au désert un cri mourant l'implore :
C'était un pauvre chien qui, sur le sable ardent,
Dévoré par la soif, hurlait en le mordant.
La route à parcourir était bien longue encore;
Sa gourde résonnait à moitié vide : eh bien î
LE MYOSOTIS 223
II en épuisa l'oaii dans la ^iionl(» du cImcu;
VA lo clnen bondissant, tout joycuv de rciiirilrc,
Dit par une caresse : « Abdallali, sois mon maître. »
Il marche, il marclio cncor, puis s'arrclo, voyant
Son nouveau compagnon Iremltlcr eu alioyanl :
Un serpent, au soleil s(» dr»^ssail sur sa (jueue;
Le serpent-roi, cclin (pToii appelle Deviu;
VA, sous les mille ('clairs de son écaille Itlcue,
l'n oiseau fasciné se déliallail eu Viuii.
Noire héros s'élance, iuvoipie le Proplirjt»,
l!l, loi! i\r sa jiili»', jorl du secouis (li\iii.
Frappe à coU|>s redouMt's le iiioii'>lre swv ta li'-le.
I,e Devin se loidil sui' le sahle et sil'lla,
IMiis luoiu'ut aux pieds d'Alidallali.
I,e vaiiupienr dan> sou sein mil Toiseau, sa con(pièli»,
l'.l le haise, eudoiini snr >-(»n mol oreiller,
MoMcemeul. doncenieiil. de peui" de IV'veiller.
I.e voilà parvenu devant la iiiolle sainl(\
ladiu!... et snr le senil il lii'silc, n'osant.
laii coupable et |ioiidien\, luofatier celle iMiccinle;
Mais, ù sm'pri^e! aux |iieds A\\ vieillard impit^anl,
(Jnand le Mandil conibait la t»"'le,
\r chien (|ni le snivail à la porte ::ratta.
224 LE MYOSOTIS
L'oiseau battit de l'aile au réveil et chanta;
Et le saint comprit tout, car il était prophète;
Sur le front du pécheur alors il étendit
Ses deux mains tremblantes, et dit :
« Levez-Yous, Abdallah : Dieu pardonne et vous aime
En paix avec le ciel, en paix avec vous-même,
Allez : vous n'êtes plus Abdallah le Maudit.
Pour que Dieu le bénisse, un enfant doit soumellre
Ses caprices mutins aux volontés d'un maître;
Il doit n'être gourmand, espiègle ni moqueur;
Mais sur les vertus les plus hautes
Ce qui l'emporte, et peut racheter bien des fautes,
Ne l'oubliez jamais, enfant : c'est un bon cœur ! »
LES SIGNES DE CROIX
Là-bas, là-bas, dans la forêt bretonne.
Un vieux château pend au flanc d'un rocher;
Là des enfers le chœur danse et détonne.
Les pèlerins n'osent en approcher.
Sur h» manoir
L E M Y 0 s 0 T 1 s 225
Volent on corcln noir
Mille oiseaux de malhonr...
Hélas, ma bonne, liélas, (pie j'ai f:ran(r|)(Mirî
D'nn rlififelain arborant la baniiirre,
Satan Irioniitlie en ce séjour de inorl.
La jeune Iseult lanfinil sa prisonnière :
Tu eéderas, dit-il, ou, par la inoil...!
Par le saint nom
Klle a jiné cpie non,
il l)(»ii(lil de foriMir...
Hélas, ma Itoinic, ln'las, {\\\o j'ai ^'rand'pfnr!
Fort à propos nn coi- d'ivoire sonne :
(l'est Enj^nerraiid, le vaillaiil paladin;
Mais en cliaiiiii clos Salan ne craiiil piM'sonne.
I,a llenr d»'s preux va pt'rir, tpiaiid Mtodaiii
iscnll lui dit :
Sij^ne-toi, le iii:iudit
Faiblira de terrein"...
Hélas, ma bomic. \u'\;\<, que j'ai lirand'penr!
Il s'est sif^né trois fois, trois rri^ d'alainif
()\\\ l'iappc' l'air, et Satan s'est l'ofiii.
ht' nos cxpluils, (lit le pit'iiv ipTon ili's.nnu'.
«3.
220 LE MYOSOTIS
Grâce à l'amour, payons-nous aujourd'hui.
Il dit, mais las!
Le héros est bien las,
La vierge est dans sa fleur...
Hélas, ma bonne, hélas, que j'ai grand'peur!
*
Il traite un peu sa grand'dame en fillette.
Puis tout à coup se lève, au désespoir :
Du diable soit le noueur d'aiguillette !
Il m'a charmé : damoiselle, au revoir!
Mais, restant coi,
Iseult dit : Signe -toi,
Mon doux maitre et seigneur...
Hélas, ma bonne, hélas, que i'ai grand'peur!
A cette voix dont il connaît l'empire,
Il obéit, se signe, et fait si bien
Que douze fois la colombe soupire :
Honneur, amour au chevalier chrétien !
Et douze fois
L'écho joyeux des bois
Répète : amour, honneur...
Hélas, ma bonne, hélas, que j'ai grand'peur!
Oui, j'ai grand'peur que ce récit n'éveille
LE MYOSOTIS 227
V.n rcilain lion dos rogrols superflus :
Si ma cliiiusoii, Hoso, vous (^morvoillo,
Si, |ii'oiiaiit ^'(imI aux ovploils (U'> rliis,
Vous vous llallo/.
De les voir iuiilôs
Pai- moi, piiiivro [lôclicur,
Ilf'las, ma bouuo, lii'las, (|ii(^ fai firaud'pour!
UN QUAUT D'IIKrUi: l)i: DKVOTION
\'(ius (Icmamlo/., ami<, roimncnl s'osi ('cli-ippôo
Dr ma pliiiiii' pi'olanc imo >aiiil<' t'pop(''o?
Ilcoiiioz : l'àiiic on dcnil, cl la lii>li'ssi> mi fmiil,
In soir, jo visilai Sain! -I^limno du Monl.
A tcllo licnit' sai'ivo, licuro où la nnil oonmiouco.
Ou(>l(pios raro>; ( Ini'lions pi'npItMil sonl> rondin* immtMi^o
r'osl l'oidanl à la Ixhh lie ciicoi' Idanolio de l;iii,
HiM dans SOS doii^ls vriinoils (''::ivno nn oliiipt'ld.
I'!l scndilo drmandor. dan^ >a IVaiflu' |tiii"'H',
lu soinis IValorm'l iin\ clu-ndiiu^ df piorr»':
228 LE MYOSOTIS
La pfile mère en deuil, devant un crucifix.
Au vainqueur de la mort redemandant son fils;
Le vieillard qui mourant, de ses lourdes sandales,
Comme pour dire : ouvrez, heurte aux funèbres dalles,
Et prêt à s'endormir de son dernier sommeil.
Aux pieds de Jésus-Christ s'étend comme au soleil...
Mais plus souvent, hélas! c'est l'artiste profane
Contemplant aux piliers l'acanthe qui se fane.
Admirant des couleurs sur la toile où revit
Le fait miraculeux qu'un siècle expiré vit,
Époussetant de l'œil chaque peinture usée,
Et du seuil à la nef parcourant un musée.
Au milieu des autels qui s'écroulent partout.
L'autel païen des arts est seul resté debout.
Et la rougeur au front, je l'avoûrai moi-même.
Qui suspens à la croix l'ex-voto d'un poëme,
Dans le temple, au hasard, j'aventurais mes pas
Et j'effleurais l'autel et je ne priais pas.
Autrefois, pour prier, mes lèvres enfantines
D'elles-mêmes s'ouvraient aux syllabes latines.
Et j'allais aux grands jours, blanc lévite du chœur,
Répandre devant Dieu ma corbeille et mon cœur.
Mais depuis, au courant du monde et de ses fêtes
LE MYOSOTIS 2*20
Emporté, j'ai suivi les pas des faux prophôlos.
("omplicfi dos docteurs ot dos pharisiens,
J'ai blasphémé le Christ, persécuté les siens.
Quand l'émeute aux bras nus, pour la traîner au fleuve.
Arrachant une croix à la coupole veuv(»,
Insultait, blasphémail Dieu {disant sur le sol,
De loin sur les inaiilt'aux je veillais connue S;iul.
Mais (le vagues remords assailli de bonne heure :
Où |uiiser, ai- je dit, la jtaix intérieure?
Où inarclier dans l;i iniit sans éloiles aux rieux.
l'it sans ^uide ici-bas? Knfants insoucieux.
Les uns, poin* ne lien voir ih'< lioinnies ni {h'< clioses.
Abaissent sur leur front leurs couronnes de roses;
D'autres, eu proclamant l'idole liberté.
Sous le glaive l(';_';d toinbeid avec lierlé,
l",l jiroMietleul. iMourauls, de leur voix falidit|ue.
Au Teulati's moderne uu culte druidi(|ue;
Ou, xiufnanl la terreur sui- rtliilise et Tlltat,
Toiuieut, biiiyanis échos, autour de l'apostat.
Oui, ili>ciple du C.brisl, au finnl sanulant du maître
Posa le bonnet i'oui:e, avec ses mains de |irèlre.
Ooudueu de jeiuies c(ruis (|ue le doute rouijea î
r.oudtieu lie jeunes iVonIs ipi'il silloinu' d('«jji !
I.e doute aus>i m'accable, ludasl et j'y succinubt» :
Mon àme fatiguée e>^l connue la coloudie
230 LE MYOSOTIS
Sur le flot du désert égarant son essor;
Et l'olivier sauveur ne fleurit pas encor...
Ces mille souvenirs couraient dans ma mémoire;
Et je balbutiai : « Seigneur, faites-moi eroire! »
Quand soudain sur mon front passa ce vent glacé
Qui sur le front de Job autrefois a passé.
Le vent d'hiver pleura sous le parvis sonore,
Et soudain je sentis que je gardais encore
Dans le fond de mon cœur, de moi-même ignoré.
Un peu de vieille foi, parfum évaporé.
Cependant mon genou, fléchi par la prière.
Se heurta contre un livre oublié sur la pierre.
Et la secrète voix qui parle aux cœurs élus
Murmura dans le mien : « Prends, et Hs; » et je lus,
Je lus avec amour ces quatre chants sublimes.
Dont l'auteur s'est voilé de quatre pseudonymes.
Mais où sur chaque mot le poète à dessein
Imprima son génie à défaut de son seing.
Page de vérité, qu'à sa ligne dernière.
Le Golgotha tremblant sabla de sa poussière.
Quand je me relevai plus léger de remords.
Comme au dedans de moi, c'était fête au dehors :
La vitre occidentale, allumant sa rosace.
1
LE MYOSOTIS TW
D'une laiifiiio dr feu m'illumina la kcc;
Los (Ipux l»lan('s cliônihiMs, lovant leur IVonl coiirlK',
AvftC pins (lo n^rvonr priôrent an jnbé;
Et l'orgue, s'éveillant sous un doigt invisible,
D'im long et iloux murmure emplit la nef pai>il)le.
El je versai des pleurs, et reconquis à Dieu,
Au tombeau de Racine alors je fis un vœu.
Ce vœu, je l'accomplis en écrivant ces pages.
I>es temps (étaient |)assés des sainis jirlerinages •
Je ne j)0uvais aller, cduibé sous le bourdon,
lîoii'e au Jourdain caplir le céb'sle pardon;
Au rivage où llcinit la parole divine
Ma muse ira du moins. Pars, muse pèlerine,
Conduite à nelldéem par Icloile i\o<. rois,
Au Ciloria (\i'> cieux mêle la douée voix;
llalliinK» l'àlre éleiiil de Mai II I de Marie;
Consulte le voyant an puils de Sainarit';
)''!, lidèle au i^ibel de loii Dieu luéconnu.
Sous le sang ii'deinplcur pro>^lerne Ion IVonl nu.
Puis, malgn'' iluerédide e| ses bruils de risi-e,
Delève lièreinenl la lèle baplisc'e.
Dieu bénira mes cbanis; siu' les auli'N ilivers
rMiNi|irou sème des Heurs, on peut jeltT d»'^ ver<.
232 LE MYOSOTIS
Depuis le temps antique, où vibrait à tes fêtes
La harpe de David et des anciens prophètes, ■
N'est-ce pas, ô Seigneur, un encens précieux
Que l'encens du poëte? et les anges des cieux
Ne se courbaient-ils pas, avides, pour entendre
Jean Racine toucher son luth pieux et tendre,
Quand il eut pour le cloître abandonné les cours
Et dans ton amour pur éteint tous ses amours?
Et puis, mon grain d'encens, qui sait, fera peut-être
Pétiller l'urne éteinte entre les mains du prêtre.
J'ai dans mes souvenirs un fabliau bien vieux
Dont, au bruit de la mer et des vents pluvieux,
Mon aïeule bretonne, à la voix sibylline.
Berçait pendant la nuit mon enfance orpheline.
Un jour, Dieu sait pourquoi, l'élément nourricier
Qui prodigue la vie à ce limon grossier.
Le feu, manqua dans l'air; la nature vivante
Tressaillit tout à coup de froid et d'épouvante.
Les oiseaux, qu'un vent noir chassait en tourbillons.
Désertaient effarés les bois et les vallons.
Plus cruels de terreur, dans l'atmosphère humide.
Les vautours se battaient; Le rossignol timide-
Dit sa chanson de mort, et, lorsqu'elle finit.
Se cacha résigné, la tête dans son nid.
LE MYOSOTIS l?:i'{
Tnligiié d'un long vol, l'oiseau porto-tonnorro
Reidia sa grande aile et dormit dans son aire.
Seid pour sauver le monde agonisaot déjà,
T.e petit roitelet voltigea, voltigea
Jusqu'au sommet des cieux; mais, couvert d'étincelles,
A l'élémt^nt conquis il se brida les ailes,
Et dans les bois, chantant pour le bénir eu chœur,
!>(' Promélhée obscur tomba mort et vainqueur.
Que je succombe ou non à l'œuvre expiatoire,
A celui (pii m'insi)ire, à Pieu lonamic et f/Zonr.'
Quand la brise du soir eu i)assaul à tiavt'rs
L'orgue du marécage, aux millf tuyaux verts.
En pouss(* vers le ciel une plaiule toucliaiile,
Voyageur, ne dis pas : « (Iloire au roseau qui chaule! »
Mais, le loidaiit aux pieds, dis : (( (iloire au Hieii \ivaul
Qui l'écoude la boue et qui conuuaiide au veiil ! »
234 LE MYOSOTIS
LE CHANT DES ANGES
ROMANCE 1
A fêter la Vierge suprême,
Là-haut, chaque ange est invité;
Et mon ange gardien kii-même
Dès l'aurore, hélas î m'a quil té.
Bel ange, à la reine céleste
Porte Ion bouquet, moi, je reste,
La reine de mon cœur est là,
Et pour célébrer ses louanges.
J'emprunte le refrain des anges .
Ave Maria, ave Maria.
Je lui coûtai, petit encore.
Petit comme l'enfant Jésus,
1. Composée pour le jeune Paul B***, qui Ta mise en musique et
dédiée à sa mèi'e, qui se nomme Marie, le jour de sa fête.
LE MYOSOTIS 235
Dm\ (les alnrmos qu'on ignoro,
Ri(Mi (l«'s ^ilciirs (juc DirMi S(Mi1 a mis.
Chassant Tinsocto qui bourilonno,
Combien de fois, douro madone,
Près de ma couclie elle veilla !
Aussi, pour clianter ses louanges.
J'emprunte le refrain des anges :
Ave Maria, ave Maria.
Au front de la sainte (pie j'aime,
i!('lasî j'aurais voulu jioser
Des étoiles pour diadème...
Je n'y peux nicllic (piun baiser. •
Mais espérance, ù ma piiliunnc.
J'ose révei' poui- la roiimniu*
Quelques lauiicrs... el jusque-là
A les jiieiU eliiinliuil le< louanges.
Je veux l'ediic» avec le< aiiiies :
Ave Maria, ave Maria.
236 LE MYOSOTIS
LA SOEUR DU TASSE
Pans l'ombre de mon cœur mes pins fraîches amours,
Mes amours de seize ans refleuriront toujours.
B R I Z E U X .
Oh ! bien avant Mercœur, la Sapho de la Loire,
Le poëte a servi de pâture à la gloire,
Sphinx dévorant qui veille aux portes de Paris;
Et peut-être (qui sait?) de la chambre oià j'écris
Le Tasse un jour fat l'hôte, et ma table de hêtre
Boiteuse sous son coude a chancelé peut-être.
Assis sur fescabeau, peut-être, oi^i je m'assieds.
Il écoutait Paris bourdonner à ses pieds.
Et pensif, arrêtant chaque nue au passage,
Pour son pays lointain la chargeait d'un message.
Il ne l'envoyait pas à Ferrare, où pourtant
Aux genoux d'une Armide il dormit un instant;
Non : sa blessure au cœur était enfin guérie;
Non, mais il soupirait : « Loïsa, sœur chérie,
Mes premières amours, que faites-vous là-bas?
LK M VU S UT I S 237
(Jnaiid j(5 jette au Uesliii le j^aj^e des combats,
Dame de ma pensée, au Christ d'un oratoire
Sans doute vos soupirs demandent ma victoire.
Oli! [>riez : veuf de vous, mon co'ur n'a point vécu;
Mais je ne reviendrai (pi'après avoir vaincu.
Vous sauriez l)ien encor, généreuse en silence,
De votre pauvreté me faire une o[»ulence;
Mais pour dot à ma sœin- je n'irai plus olTrir
Mon trésor de misère, et je saurai souIVrir.
La Poésie aidant!... pour conduire ma plnme,
Seid llambcau de mes imils, (juaiid Id'il d'un ciiiil ï>'allmnc.
Des clid'urs (r('>prils lollcls, puéliipies sahlials,
Viennent llcurir sons moi la paille iW> firahats;
Des palmiers, (\r> drapeaux IVissonneiil vur ma joue :
Salul, W\ OrienI ! adieu, Paiis de luiue!
Clievalier.s, ouvrez-moi vos ran{j;s liosi»ilaliers;
l^our le (llnisi el rimiuieur, ((Huballons, clievalieis... ;
Puis, vient l'Auitiur Piolt'e et >es métamorphoses :
llemmd, l'honnnc de 1er, se rouille >ur des roses;
Cloriutle l'iulidèle expire, et Sdii amant
llaptise avec ses pleurs ini i'iunt pâle et cliannant.
Mais l'Illusion luit 1<> jour ipii riutimide;
11 brille, et tout s'en \a : les pr« u\, (.lorinde, Aiiuide,
Les arnu's, les drapeaux, le^ pahnier>. tout enliu.
Tout : il lU' ^e^^e là ipi'un poète el la l'aim !
238 LE MYOSOTIS
Oli ! Sorreiîte^ Sorrente ! et^ sur la i)lage verle^
Lue blanche villa que le pampre a couverte;
Un banc sous l'oranger d'où tombe la fraîcheur,
Et là nos entretiens si doux que le pêcheur
S'écriait, quand le son en frappait son oreille :
« Longue nuit, longs amours aux époux de la veille ! »
La Fièvre n'osait plus s'asseoir à mon chevet;
Même avant la douleur le remède arrivait;
Vous jugiez mes travaux, querelliez ma paresse;
Et toujours sur mon front pendait une caresse.
Souvent mon cœur, saisi d'un prophétique émoi,
Me révélait quelqu'un debout derrière moi;
Puis, sur mes yeux tombait une main enfantine;
Puis, entre deux baisers, on me disait : Devine !
Je devinais toujours : des parfums inconnus
Annonçaient aux païens l'invisible Vénus.
Ainsi^ ({uand un nuage à mes yeux vous dérobe.
De vos cheveux bouclés, des plis de votre robe,
Je ne sais quel parfum d'une exquise douceur
Se répand et m'enivre, et vous trahit, ma sœur !
Aussi, j'ai bien souvent frémi d'un doute étrange,
Et les yeux sur vos yeux dit . « Est-ce pas un ange?
M P(3ndant que je suivais là-bas un paladin,
LE MÏUSUTIS '16\)
)) Lu deuil sur la luaisuii Cbl-il luiiibé suiulaiii?
)) Derrière moi sans bruit la vieille Alix a-t-elle
)) Dans un linceul liirLil' cuusu ma sœur murtelle?
» El.^ puur troniixT mon cœur, cet an^c au IVuiil ^i beau
» Daii^ua-lil emprunter un nom sur un lumbeau? »
Des bienfaits ijruilij^^jués [tar vulre amuiu' céleslc,
Dût cet amour s éteindre, un souvenir me reste,
El ce lon<^ souvenir est encore un bienfait;
Oui, ce (|ue vous faisiez, votre inia{^(; le fait :
i'ar le méchant ([ui rèj^ne et le sot (jui [iros[ièr('.
Coudoyé, si je pleure et si je ilésespère.
Kilo est là : sou souris me défend de i»leurer;
Son œil, ardent de foi, m'ordoime d'espérer.
Oli! le siècle eidendra les cli;inl> ([Uf je lui livre;
Il naura pas ouvcil nia lombe avant mon livre;
Ce livre, }irucl;un;nit Nuire sninlc iiniilit',
hini avriiir cdntpiis Nous proniel lu moitié;
1^1 «piiuid, ^ur nos |ond)eau\, relu pur des Noi\ lendie^.
Voix de so'urs ou d'.unaiih, il ivnnu'uiios cenilre>;
Nos spetires enlacés vt»llij^eri>nt près il'eux;
Nous ne ferons, ma sieur, (pi'une gloire à nous deux!
La yloire!... en répélanl «e mol vide et >onore,
Il souril de pilie; pin>, d'espérance encore;
240 LE MYOSOTIS
Il s'endormit rêvant bonheur et gloire, mais
L'mie arriva bien tard, l'autre ne vint jamais.
Quand il revit Sorrente, et, sur la plage verte,
La villa tant aimée, il la trouva déserte.
Au vent de ses destins, alors de cour en cour,
De prison en prison il tomba; puis, un jour,
Le pauvre fou sentit, dans la ville papale.
Une douche de fleurs inonder son front pfde.
« Pour qui donc cette pompe et ce peuple à genoux? »
Disait-il, et chacun lui répondait : « Pour vous!
Pour vous Rome est en fête, et son prince en étole
Avec les saintes clefs ouvre le Capitole;
Pour vous il s'illumine, et ses joyeux échos
Chantent comme ils chantaient sur les pas des héros;
Car vous avez tenté des conquêtes plus rares,
0 poète, et comme eux triomphé des barbares;
Car d'un laurier rival vous êtes possesseur :
Voyez... » — « Hélas! dit-il, je ne vois pas ma sœur! »
LE MYOSOTIS
241
LA voulzip:
E L K C I K
S'il est iiii nom Iticii dniix l'iiil [Htiii' la |iut''sit".
Oh! dites, n'cst-t'e pas \v iiiuii ili' la Vdiil/.ic?
I.a Voiilzic, est-ce un lleiive aux i^iaiides ilesV .Non;
Mais, avec un iimiimire aussi doux (|ue sou nom.
Un Imil [letiL ruisseau (-(ndaul vi>ilile à [leine;
Vn géant altéré le boirait d'iuie haleine;
Le nain \eit OIm'imu, jouant au hoid Ao>- l1ol>,
Sautiirait pai-dessus sans mouiller >es firelols.
Mais j'aime la NOul/ie el ses Ihhs noirs de imires,
VA dans >ou lit de lleurs S(\s bonds el >es murnnue>.
l'jdanl, j"ai bien souvent, à Tondue des buiNM>u>,
Dans le lani;ai:e bum.iin traduit ees vamie^ ^ons;
l'.nivre écolier rèveui-, el (|u"on dirait sauxai^e,
Unand j\Mniellais mon pain à l'oiseau du rivaf^e,
i.'ondc sendijail me dir«' : u l'lsi»cre ! aux mausais jtuus
Dieu te rendra Ion pain. » — Dieu lue le doit toujours!
I i
I
242 LE MYOSOTIS
Celait mon Égérie, et l'oracle prospère
A toutes mes douleurs jetait ce mot : « Espère!
Espère et chante, enfant dont le berceau trembla.
Plus de frayeur : Camille et ta mère sont là.
Moi, j'aurai pour tes chants de longs échos... » — Chimère !
Le fossoyeur m'a pris et Camille et ma mère.
J'avais bien des amis ici-bas quand j'y vins,
Bluet éclos parmi les roses de Provins :
Du sommeil de la mort, du sommeil que j'envie, m
Pres(iue tous maintenant dorment, et, dans la vie.
Le chemin dont l'épine insulte à mes lambeaux.
Comme une voie antique est bordé de tombeaux.
Dans le pays des sourds j'ai promené ma lyre;
J'ai chanté sans échos, et^ pris d'un noir délire.
J'ai brisé mon lulh, puis de l'ivoire sacré
J'ai jeté les débris au vent... et j'ai [deuré!
Pourtant, je te pardonne, ô ma Voulzie! et méme^
Triste, tant j'ai besoin d'un confident qui m'aime^
Me parle avec douceur et me trompe, qu'avant
De clore au jour mes yeux battus d'un si long vent^
Je veux faire à tes bords un saint i»èlerinage.
Revoir tous les buissons si cliers à mon jeune fige,
Dormir encore au bruit de tes roseaux chanteurs.
Et causer d'avenir avec tes flots menteurs;
LE MYOSOTIS
L'4:î
LE BAPTKME
]o iiK'ditiiis iino (Klt\ 011 pis poiil-rlro,
Oiiiiiid tout à ('(»ii|t i-Tiind hrnil dans 1»^ qnarlitM'
« A r«Milro-S()l un ^'invon vient de nailre;
» Noire |iorlière aceonclie d'un |Muiier!... »
OrnanI de Heurs ses lau^'es un peu sales,
je l'ai vn iieaii, itean e(tnnne un lils de mi.
Pleurer an biuil iU's <d(>tiies |)a|ilisniale< :
I)(»i's, mon eidanl, rien n'a S(tnnt' pour loi.
A fou haplèiue un emv bon apôli'e.
nuel(|ues voisins, (piehpies luoc^ de vin vieux.
Cela sullil : le voilà (dinnie nn anii-e
Coltnifirr (lu Viii/itunir Jes riruA'.
Convive ailleurs d'un plus friand liaplT-nie,
Si (pielqne saint, firas martyr île la loi.
r»('Miil loni II, ml. piii< murmun* : Anatlirmi>î
Hors, mon enfant, dors, ee n'est pas sur loi.
In n'as |ininl \ ii la roiie et la linanee
244 LE MYOSOTIS
Crier bravo lorsque tu vagissais;
Tu n'as point eu, comme un enfant de France,
A digérer maint discours peu français.
Pour premiers bruits, le monde à ton oreille
N'a point jeté des paroles sans foi,
Près d'un berceau si la trahison veille,
Dors, mon enfant, dors, ce n'est pas chez toi.
Dors, fils du pauvre : on dit qu'il est une heure
Lente à passer sur les fronts criminels;
Le fils du riche alors s'éveille et pleure
Au bruit que font les remords paternels.
Lorsque minuit descend plaintif des dômes,
En secouant leur linceul et l'effroi,
On dit qu'au Louvre il revient des fantômes :
Dors^ mon enfant, Dieu seul entre chez toi.
A l'hôpital, sur le champ de bataille.
Chair à scalpel, chair à canon, partout
Tu souffriras, et lorsque sur la paille
Tu dormiras, la Faim crira ; Debout!
Tu seras peuple, enfin; mais bon courage !
Souffrir, gémir, c'est la commune loi.
Sur un palais, j'entends gronder l'orage :
Dors, mon enfant, il glissera sur toi.
LE MYOSOTIS 21o
A MON AME
Fuis, Amo blanclio, un corps nialado cl nii ;
Fuis en chantant vers un monde inconnu!
A (lix-huil ans, je n'«Miviais pas, certes!
Le froid bandeau (pii presse les yeux niitrls.
Dans les grands Ititis, dans les canip.iizncs vrrics,
Je me plonfi;eais avec d(Mice alors;
Alors les vents, le soleil cl la pluie,
Faisaient rèv(>r mes yeux toujours (tuverls;
Pleurs et sueurs depuis les oui eoiiverls;
Je connais trop ce monde... et je m'emuiie;
Fuis, hww Itlauejie, un corps malade et lui;
Fuis eu cli.uilaut vers le monde inconnu!
ï-as cl ])oudreu\ d'une route oratreuse.
Je clianeeliiis sur un salili- llollanl ;
Hepose-loi, pauvre .une vo\aL:eu^e;
Fin» oasis, là-liaul, sduvre et l'allend.
U.
240 LE MYOSOTIS
Le ciel qui roule, étoile, sans nuage,
Parmi des lis semble des flots d'azur :
Pour te baigner dans un lac frais et pur,
Jette en plongeant tes haillons au rivage !
Fuis, âme blancbe, un corps malade et nu;
Fuis en chantant vers le monde inconnu!
Fuis, sans pitié pour la chair fraternelle :
Chez les méchants lorsque je m'égarais.
Hier encor tu secouais ton aile
Dans ta prison vivante... et tu pleurais;
Oiseau captif, tu pleurais ton bocage;
Mais aujourd'hui, par la fièvre abattu,
Je vais mourir, et tu gémis!... Crains-tu
Le coup de vent qui brisera ta cage?
Fuis, àme blanche, un corps malade et nu;
Fuis en chantant vers le monde inconnu!
Fuis sans trembler : veuf d'une sainte amie,
Quand du plaisir j'ai senti le besoin.
De mes erreurs, toi, colombe endormie.
Tu n'as été complice ni témoin.
Ne trouvant pas la manne qu'elh; implore,
LE MYOSOTIS 247
Mil fniin nionlil la poussière (insensé!);
Mills loi, mon âmo, à Dion, ton fiMiicr,
Tu poux demain le dire vierj:,'e encoie.
Fuis, âme blandie, un corps malade cl un ;
JMiJs en cliantant vers le monde inconnu!
Tu veilleras sur tes sœurs de ce monde,
De l'autre monde où Dieu nous tend les hras;
Quand d<'S enfaiils à trie fraîciic cl iiloiidc
Auprès i]o> iMorls ioi'intiil, lu souriras :
Tu souriras lorsque sur ma poussièn*
lis cueilleront les siiiuts pavois Ircinblanis,
Tu soiniias l()rs(pravcc mes os Mancs
lis ahallroul les noix du ciiuclicrc...
l'nis, âme Itlmclif, un coi|k nialinlc cl un;
l'uis CM cliaulaiil vers le inoiidr inroiinn !
248 LE MYOSOTIS
A MES CHANSONS
Au Val-Bénit partez, fils de ma muse !
A peine éclos, c'est là qu'il faut aller;
Parlez sans moi , vous direz pour excuse .
(( Il n'a pas, lui, d'ailes pour s'envoler. »
Lisant Rousseau qu'aiment tous les poètes ,
Là, j'ai coulé peu de jours bien remplis;
Mais sans remords j'ai quitté mes Gharmettes;
L'air en est pur, ma pervenche est un lis.
Oh ! quel bonheur de revêtir la brume
Sur le coteau comme un linceul flottant,
Et de chercher à l'horizon qui fume,
Là-bas, là-bas, le toit qu'on aime tant;
Et de poursuivre aux champs, aux bois, sans terme.
Un papillon, un rêve, un feu follet.
Sûr de trouver, de retour à la ferme ,
Un doux accueil , du pain blanc et du lait !
LE MYOSOTIS 249
Avec \o, pàlro au ravin j'allais boiro.
M'inspiranI là, {taiivre et gai, j'y vécus;
Fontaine aux vers, quel conte dérisoire
T'a fait nommer la fontaine aux écus ?
Je n'eus jamais ce qu'a la boulangère;
Mais quand l'amour me caressait alors,'
S'il étreignait une bourse légère,
Il sentait battre un cœur plein d(» trésurs.
Trésors perdus ! la semenc»^ diviin»
Qik; |'('lalais, vanilcnv possesscnu',
S'est cnvolt'e, et l'icn n'a piis racine,
VA (•('|i('M(liiiil jt' lui disais : Ma Sd'Ui'.
l'ii IxMii i.iiirici' siii' votre froiil d'ivoire
Heiiiiiliieeia la rose du lunsson.
Je le (lisids el iimn ivve de gloire
A, comme tout, Uni par des eliauMUis,
Au Val-Ht'iiil iiarle/ , lils de ma iniiS(< !
A pi'ini' (mIos, e'est là (pi'il faiil ;dler;
Piii le/, saM^ Miiii . viiiis diic/. poui" excuse :
«t il n'a pas, lui, d'ailes pitiU' >*envoler. »
CONTES
A MA SœUR
CONTES
I.K (il I l)i: cil KM-
1 11 jiuii', lu (l;ilt' procisc inï'(li;ni|n' , iiiiiis (•"('liiit tltMi\ .iii>
l'iiviinii ;i|in''S lii iiKirl (riicrciili', il y ;iv;iit fjiiiiulf roiilr ri
j:i;iii(l hiiiil à hrlplics. Ce jour élail le tlciiiirr des jen\
pNliiieiis, el, chose iiioiiie ! les liilles cl ic> ((HUm's t'\|iii ;iiriil
Siiiis sjiecliileiirs, les iillilèles el les ((mIicis lrioiii|i|i;iiciit
ineoMliiis, el l'on dil iiiciiie (|iic 1(> jMM'Ie Simoiiidc, i|iii cli.m-
liiil ulois en plein veid la ;;loirc de je ne sais (juel elieval, n'eut,
ou [)en s'en l'.iid, (pie son Iii'tos pour audileur. Mais si l'arèiie
élail vide, en revanclie la foule déliord lil du teuiplo d'Apollon.
In nnti, un mol uia^iipie avait siilli pour l'y pn''eipiler :
Voici les llciaclidcs 1 ri ce mouNciiicnl de toiil un peuple
souli \v par un iioiii, \ou> le couipreudrc/, sans peine, ma
sieur : il nesl pas nue Kraui^'aise, je pcii>c. tpii ueiil sacriliô
tle ?:raiid iieur une lo^e au speclaile pour Noir le lil> dc
254 LE GUI DK CHÊNE
Napoléon (ce pâle jeune Iionnne qui s'est laissé voir si peu de
temps!) Eh bien! Hercule était le Napoléon de cette époque,
et les Héraclides étaient ses fils. Un mois auparavant, Athènes
les avait trouvés, à son réveil, détrônés, persécutés, sans asile,
et embrassant sur la place publique l'autel de la Miséricorde.
Leur plainte y avait remué tous les cœurs et toutes les épées,
et la ville hospitalière, armée en leur faveur, les envoyait en
ce moment à la tète d'une théorie, interroger, suivant T usage,
l'oracle de Delphes sur l'issue de la guerre. Delphes, connue
vous le savez sans doute, était une ville sainte et pleine de
merveilles, mais tout le monde traversait alors ces merveilles
avec indifférence, et je ferai comme lout le monde. Je ne vous
promènerai pas du Parnasse à l'Hippodrome et de l'Hippo-
drome au trépied, bien convaincu que vous avez fait depuis
longtemps ce pèlerinage avec le jeune Anacharsis, cicérone
plus habile que moi; et d'ailleurs, je l'avouerai, j'ai hâte aussi
de voir ces fameux Héraclides.
La Grèce entière, à leur aspect, n'éprouva qu'un senliment,
l'admiration; et ce senliment éclata par une exclamation
unanime et bruyante : « Dieux innnortels I qu ils sont grands
et forts! »
Un vieillard de haute taille, qu'à son bâton doré et à son
bandeau de laine blanche on pouvait reconnaître pour un des
vingt rois de la Grèce, se pencha vers l'oreille d'un prêtre
d'Apollon, qui traversait le temple, portant une cassolette de
parfums :
— J'ai connu beaucoup Hercule et Déjanire, dit-il, et nC
leur savais que trois fils. Quelle est donc cette vierge voilée^
assise au même banc (j[ue les Héraclides ?
— Vous ne vous trompez })as, mon père : Hercule n'eut
({lie liuis enfants de Déjanin;; mais sa dernière épouse, lolc...
— C'est juste! interrompit le vieillard, se frappant le front
du doif^t (Ml si}^ne de réminiscence : Philoctcte m'a viu^l fuis
raconté ces détails, mais... deux siècles en londjani sur iiin'
tèt(î y peuvent bien ébranler la mémoire... Oui, je nu; rappelle
liarfaileuieuLà celle heure (pTuue lille est née de ce mariap\..
— \'\n\ lille et un garçon, mon père, prononça nue voix
douce derrière le vieux roi. Il tourna la tète et vil un adoles-
cent [làle et frêle (pii portait le costume de l'Ar^olid»'.
— L'ue lille et un garçon, réi»éla rinterruptein- en rougis-
sant : Ixus et iMacaria.
VA le vieillard sourit : — Voyez, dil-il au jirèlre ; ou admire
ma science à l'ylos, et voilà mainleuaul (pi'Arj^os m'eUNoie
ses écoliers pour nriu>lruire.
— Oui vous a si bien appris, et couuueiit vous aiipe!e/.-\ous,
niou bel eufaut?
J\lais l'adolesceul, sans répondre, ;j;lissa sous une i'are»e de
Nestor, car c'élail lui, cl se perdil dans la ioide.
I,a mèuu' louante y bourdounail >.ins variaules : u Hieiix!
(inils sont {grands et foris! »
l'!u France, ce compliiueiil vous parait sans doiile bien
étrange et pres(pu' iroiiiipie; mais songez, (pie \ous èles ici
dans un pays (pie les caprices du terrain et de linubiliou
découiiaieni eu nIu^I pelils i;i;ils, dont les roitelets lier> et
iiar^lU'UX elaieul >erres les mis contre les autres et se cou-
«loyaienl eu f;rou(lant, et (mi l'usaj^e, counnuu à toute l'anli-
(piit('\ de cond).itlre homme à houuue et cor[>s à corps, faisait
de la force physi(pu; la ^n\W puissance, je dirai pres(pie la
2o(i LE GUI DE CHÊNE
seule vei'lii. Ou augurait alors du mérite d'après les poiuj^s et
Uîs épaules^ comme on le cherche à présent sur le front et
dans les yeux. Enfin, et c'est tout dire. Hercule, la personni-
fication de la force, Hercule était dieu !
La pythie tardait bien à paraître, et Ton n'entendait pour-
tant aucun murmure d'impatience. La curiosité publique avait
sa pâture. Hyllus, l'aîné des Héraclides, attirait surtout les
regards. C'était un guerrier gigantesque, aux bras musculeux
et nus, à la grosse face insouciante, et qui, une peau de lion
sur les épaules, une massue à la main, atVectait les poses pa-
ternelles : on eût dit Hercule lui-même. Hercule à vingt ans.
Anténor, le puîné d'Hyllus, avait les trails plus fins et la taille
plus élancée. Il se drapait avec complaisance dans sa divinité
luule neuve, soiu'iait aux jeunes Grecques, et, les narines
gonlîées, humait avec délices les parfums de l'admiration. En
un mot, le divin Anténor était ce que nous autres mortels nous
appelons vulgairement un fat. Quant à leur frère Égyste, il
n'avait rien, sauf la force et la bravoure, de commun avec ses
aînés. C'était à cette époque et dans ce pays un anachronisme
vivant. Chose étrange ! il avait les cheveux blonds, et sa figure
exprimait la mélancolie , sentiment tout moderne et tout
chrétien. 11 revenait des combats les plus terribles, doux et
timide à la maison : on eût dit, sous le soleil de l'Attique, un
de ces blonds guerriers du Nord qui terrassaient des géants et
des monstres, puis courbaient la tête sans murmurer sous la
baguette d'une petite fée. U sendjlait, en regrettant Argos,
pleurer quelque chose de mieux qu'un trône. OiJ donc s'en-
volaient ses soupirs? au foyer d'un ami? au tombeau d'une
mère? Nul ne le sait, car il n'a jamais dit son secret à per-
f
LK r,UT DE rHKNK 2:17
soniio, pas nirinc à sa jciiiic sa-iir Macaii;i, la ((tiiliili'iilc
pourtant dos douleurs de tojito la famille ! A côlé de lui iMacai ia
priait. Pardonnez-moi, ma sœur, d'avoir si longtemps oïdilir-
la vicr^^e poin* les héros. N'est-ce pas sa faute? Voyez! cachée
à l'ondjre de ses frères, elle fait tout pour (\\ù\u l'onhlie : elle
n'a pas encore levé son voile, et ses traits vous sont inconnus;
mais vous l'aimez d'avance, n'est-ce pas ? car vous savez déjà
(pi'elle est pieuse et modeste.
On annonce enlin la pylhie : toute hrisi'-e encore de ses
dernières convulsions prophérupies , elle se traîne lentement
jns(|u"ini Iréjiied , appuyée sui' deux prêtres d'Apollon. Voilà
Ion! à coup ipi'aii fond du saiichiaiit' une porte >'ouvrr à deuv
hatlants, cl (|iriiiic houHV'c de veut s'en précipite, large et
soiioi'c, l)id;iy;iiit l;i l'iinit'e des sacrifices, et secoiiiiiit >iii' l'as-
seud)lée cet avis sacramentel prononcé diuie voix lounaule :
Le diul voici le tJirii ! Déjà la proj^n'le^se diiu< la doideui-
s'agite sur le trépied, cl Ton écoule, r.e riirenl d'ahord des
sanglots, puis de> ssllabes plainlives, iU'> niol^ iusaisissahles.
l-jilin le dieu [wuia :
« Minerve oomliatlia!... Sur son casqno ilivin
I) Le liibou (lit : J'ai soif, et so ili'l'al en vain...
» Minerve appelle la Victoire...
» I-a Victoire est sa siiMir, et no la fnit jamais...
• J(< i'eiitiMiils : elli' arrive ;\ grantl lunil d'ailos... mais
t. l.e liihon (lit : J'ai soif ^ et vont ilu san;; à boin\
u Arpn.s attend ses rois potir les déiller :
M Tremble, Argos! le hibou, dans son vol homicide,
» 'lonmo, et cherche un front pnr qu'il faut .<i,icrifler,
» Tourne, tourne et s'abat... Uiou ! sur un llls d'Alcide ! •
A ccll(> cpoipie si r.il.de pour les llt'raclides , il n'v eul
258 LE GUI DE CHÊNE
dans le temple que trois hommes qui ne frémirent pas : les
Héraclides.
— Désigne la victime par son nom, cria Hyllus à la pythie.
Mais elle haletait presque mourante sur les marches du
trépied.
— Le dieu a été bien terrible, et une seconde épreuve la
tuerait, dit solennellement le chef des prêtres; qu'un des
Héraclides se dévoue.
— Je me dévoue, cria dans la foule une douce voix, la
mf-me qui tout à l'heure avait parlé derrière Nestor.
— Qui es-tu, et comment te nommes-tu? dit le prêtre d'un
ton sévère.
— Je suis un (ils d'Hercule, et je m'appelle Ixus.
Un bourdonnement de surprise accueillit cette réponse.
— S'il dit vrai, il est bien nommé, murmura une voix
railleuse.
Vous saurez, ma sœur, qu'Ixus est, ou peu s'en faut, un
mot grec qui signifie le gui. Les parents de l'enfant, à sa
naissance, lui avaient sans doute jeté ce nom dans leur dé-
dain, et, en eflet, cette débile créature, entée sur une aussi
forte race, ressemblait beaucoup à la petite plante parasite
qui frissonne au vent sur les grands chênes.
— Nous t'avions défendu de nous suivre à Delphes, dit
Anténor, qui s'avança menaçant vers ïxus... Mais la hlle
d'Hercule, immobile dans l'ombre jusqu'alors, s'élança entre
les deux frères, saisit la main du plus jeune, et l'entraîna
hors du temple, sourde à la voix d'Hyllus qui la rappelait,
sourde à l'admiration qui murmurait sur son passage, car
dans la rapidité de sa marche son voile s'était soulevé de lui-
LE on DE ni î:ne 2:;o
mr'mo, Pl Mararia élail licllc! 1m-1Ip de» IkmuIi' cl do jiiràct», «'t
Ix'llc siiiloiil (Ml ('(' moiiiciil de celle \\\\w dans les yeux et
dans la voix. (|iii embellirait la laideur nièiiie.
De retour à Alliènes, où le inènie char ramena loute la
famille, les trois {guerriers décidèrent (ju'ils tireraient au sort
le lendemain, dans le temple de Minerve, pour savoir leijuel
d'entre eux devait mourir. Mais (juand le pauvre; Ixus arriva,
tout joyeux et tonl lier, pour glisser son nom dans l'urne avec
ses frères, ils le repoussèrent, pensant cpie ce sérail insnller
les dieux (jue de piV-seidei- ainsi au j)e>liii, souvent moiiueur,
roccasioii (le leiii- jelei' celle (tlTraiide uiaii^re et dérisoire.
Ouaid à Macaria , ils ne soullVii'enl pas iiou plus, mais jidur
nue raison dilTérenle, (pTclle couiùt avec eux une chance de
morl. VA\o élait liancée à Lycus, un iU'^ chefs iidliu'uls d'A-
thèm's (d'AthèiU's (pii s'armail pour eux), et, soit politique,
soit reconnaissance, ils exij^èrcnl (pie les préparatifs du ser-
vice n'inlei'rompisseut eu rien ceux des noces. Aussi Macaria
Irouva-t-elle au retour sa chaudtre loule |»arfumée des pré-
seuls lie l.ycus. Mais dans un pareil niouieiil , s(S peuxM's,
(pii d'avance poilaienl le deuil d'iui fièie, u'i'laieiil pas des
pensées (riiynieu; et pnuilaul la ::uiilande nuptiale ('lait com-
posée de si heauv lis (pie, d'une uiaiu di>lraile et presipie
iuvoloidaii'cment, Macaria la posa sur son fnud. Mlle enlendil
eu ce uioiuenl im soupir mal éloulïé derrière elle et se re-
htuiiia... ('('lait l\u^, Ixus son frère, et dont elle l'iait la mère
autant (pie la S(cui'; Ixun, qu'elle enlaçait de ses soins parce
(pi'il ('lail soulVrant et dédaiiziK' ; Ixus, ipii ne pouvait pas faire
ini pas dans la uiaiNon sans Iroiiver Macaria pour lui sourire.
•'1 à "pii la luaiNou allait semhler hieu vidi< cl bien uraud»»
260 LE GUI DE CHÊNE
lorsque Ma<'aria no l'omplirail, jiliis. Il rogai'daiL los lleurs
symboliques avec des yeux brillants de larmes , ei sa figure
alors exprimait une telle douleur que sa sœur, habituée pour-
tant depuis douze ans à le voir souffrir, en fut épouvantée.
— Oh! pauvre enfant, dit-elle, pardonne-moi.
— Te pardonner, Macaria ! quoi donc ? tous les bonheurs
que tu me fais ?
— Ne me remercie plus de mes soins pour toi : c'est une
dette, c'est une expiation...
Les regards ébahis de l'enfant sollicitaient le mot de cette
énigme.
(( — Écoute, dit-elle, il y a quatre ans (tu en avais huit
alors, et moi quatorze), il s'est passé dans notre famille des
clioses merveilleuses et fatales que mon. père et mes frères
ont toujours ignorées.
» Tu te souviens de cette cabane qu'ils bâtirent au bord de
la mer, pour se dérober à. de nombreux et puissants persécu-
teurs? Un soir, mon père et mes frères étaient à la chasse :
las d'avoir couru tout le matin p;ir les bois, tu venais de t'en-
dormir d'un profond sommeil, bercé par le bruit monotone de
la pluie sur la cabane . la nuit était tombée depuis longtemps,
et mon père et mes frères ne rentraient pas encore. Enfin,
j'entendis heurter à la porte, et j'ouvris, croyant leur ouvrir.
C'était un voyageur qui sollicitait, pour un instant, un abri et
un foyer. Il entra. Assise à ton chevet, pendant qu'il faisait
sécher ses habits devant l'àtre, je vis avec surprise une douce
et vague lumière courir sur ses cheveux blonds. J'attribuai
cela d'abord au reflet du foyer; mais le foyer s'éteignit, et le
front du voyageur resta lumineux. Alors je reconnus Apollon ;
LE on T)E THÊNE 261
Apollon qui, clinssn «le l'Olyinpp, courait (léiiuisé par 1»»
mondo , mais (pii n'avait pu parvenir ii ('Icindir tout à fait
son auréole.
» — Grand Dieu! m'écriai-jo on joiirnanl les mains, (pie
voulez- vous de moi?
» — Rion, me répondit-il, rien qu'un abri; mais le temps
va se faire beau et je pars : reçois cv baiser d'adieu.
» Alors je m'avançai fremblanle an-devant de mon oiicN' ;
et le conduisant par la main vers la couche où tu dormais en-
core : — Caressez plutôt ce pauvre eiilaiit, lui dis-jf, car
aucun dieu ne le caresse; tondiez ses joues pâles poiu" (ju'elles
refleurissent, et sonflle/, sur ses lèvres pour qu'elles cliaiileiil.
» Le (lien sourit à ma prière; il se pruclia siu* lui el sdullla
sur la bouciie; mais celte haleine ardente j^lissant jusqu'à Ion
cieur Tenqdit et le jj;onlla... el voilà poiu'ipioi ce cirur brrde
et [iali)ih' toujours; voilà pourquoi tu lan;^uis cl lu meurs,
pauvre enfant... Kt mainlen;uit «pie tu sais loul, dis, me par-
donnes-tu ? »
l\us l'embiassa : c'éliiil rt'inmilrc.
« — Mil bien! prouve It'-iiioi doue «mi suivant mes «-(insciU.
Imprudent! par «pie! Iicuiriix prodii.'i' ire>-lu pa< moi! de
faim el de soif sur le loiij^ cluMuin «l'Athi'MH's à Delplh's !
— Oh! dit l\us, j'avais l'ail, de»; h» malin, ma «hanstin de
voya|4«\ O'iiiiid je v«)yais sur une maison la fuun'e d'un bau-
«puM , je frappais à la porte en clianlaul el liiu m'ouvrail
l«Mijoms.
— Chauson merviMlleust» î dit Ma«'aria «mï souriant; il faut
m«' l'apinvndre, l\us, pour (pit> je la (hante au^^^i. mt»i quand
j'iiai à Delphes ou à (>lympi«\ "
i5.
262 LR GUT DE rilENE
Ixds, par une coquette modestie, commune, à ce qu'il pa-
raît, aux faiseurs de cliansons de toutes les époques, se lit
prier (juelque temps, puis céda.
CHANSON D'IXUS
Ouvrez! je suis Ixiis, le pauvre gui de chêne qu'un coup
de vent ferait mourir.
Un jour, il y a douze ans, un pygmée tomba de la peau de
îion d'Hercule : ce pygmée, c'était moi. Mon père ne m'ai-
mait pas, parce que j'étais faible et petit ; et lorsque, enfant,
je me heurtais à ses genoux, j'entendais sur ma tête une voix
gronder comme l'orage. Mes frères me battent quand je les
appelle tout haut mes frères, et pourtant je veux vivre, car
j'ai une sœur, une sœur qui m'aime... Elle est si bonne,
Macaria!
Ouvrez, je suis Ixus, le pauvre gui de chêne qu'un coup de
veni ferait mourir.
II
Mes frères m'ont dit un jour : « Sois bon à quelque chose;
appivuds à élever des statues et des autels, car nous serons
LR n ri DR CIIKNR îll.'l
(lionx poiil-rlro. » El j'ossayai (r()l)fMr à nios fivrps, mais le
cisoaii cl le niarlcaii ('laicnl bien lourds! El itiiis i\r> vivions
Plraugos passaient, passaient sans cesse enirc moi cl le bloc
(le Paros; cl mon (loijzt distrait écrivait sm- la poussière un
nom, toujours le mcine, le doux nom de Macaria.
Ouvrez! je suis Ixiis, 1(^ panvie gui de clicnc (pi'nn cou[t de
veni lerait mourir.
ni
Alors mes frcns m'oid dit : « Nous avons pour liôle au
palais un blanc viciilaid de la Clialdée, (jui sail lire dan^ le
ciel les clioses à venir : écoute ses leçons, et dis-non< >i tu
vois dans les nues venir des trésors ou des victoires. » El jai
(écouté le vieillard , j'ai itiissé de longues nuils sereines à re-
garder le ciel; mais je n'ai vu ni victoires ni trésors, je n'ai
vu (|ue des étoiles bumides cl brillantes (pu me reganlaient
avec amoui'... connue les yeux de MaciU'ia.
Ouvre/! je suis Ixus, le |tauvre gui de cbène (puni coup d«>
vent l'eiiiii mourir.
IV
Aloi's mes l'rèris nTonl dit : « Prends un \\\v et «les flèclies,
et va cliass(»r dans les bois. » Et j'ai couru par les bois avec
un arc et iU'<. Ilèclies; mais j'oubliai bientôt la cliasse et mes
trères. iV'udanl (pie j'écoulais cbanler les vents et les rossi-
264 LE GUI DR CHÊNE
gnols, une biche mangea mon pain dans ma robe^ et un petit
oiseau, fatigué d'un long yoI, vint s'endormir dans mon car-
quois. Je l'ai porté à Macaria.
Ouvrez! je suis Ixus, le pauvre gui de chêne qu'un coup de
vent ferait mourir.
Alors mes frères m'ont dit : « Tu n'es bon à rien, » et m'ont
battu; mais je n'ai pas pleuré, parce que je pensais à ma
sœur. Et demain, on me prendra ma sœur, et demain, quand
Macaria, assise au banquet nuptial, dira : « Quelle est donc
cette fumée bleue qui monte là-bas derrière ce bois de lau-
riers ? — Oh ! ce n'est rien, diront les convives.
— C'est le bûcher d'Ixus, le pauvre gui de chêne qu'un
coup de vent a fait mourir.
— Non, tu vivras! s'écria la jeune fille attendrie. Je t'abri-
terai si bien dans mon cœur que toutes les tempêtes passeront
sans que le moindre souflle t'en arrive. Lycus est heureux et
fêté, lui, et les vierges d'Athènes sont nombreuses. A toi,
seul et soutîrant, toutes mes heures et tous mes amours !
Pauvre gui de chêne! tu pareras mon sein mieux que le bou-
quet des mariées. Tiens, mon frère, tiens, mon poète, voilà le
prix de ta chanson... Et arrachant de ses cheveux la guirlande
nuptiale, elle la jeta, trempée de larmes, aux pieds d'Ixus.
Ixus voulut répondre; mais foudroyé d'émotions imprévues, le
pauvre enfant eut à peine la foi'ce d'une exclamation. « Oh! »
LE OUI DE CHÊNE 26.i
fil-il ; ot portant la inuiii à son cdîur, il tomba. I.a fièvre l'aj^ita
toute la nuit, et toute la iniit Maciuia veilla et jilenra près de
la condie de son frère.
C'«!tait le lendemain ipie les trois Héracliiles devaient aller
au temple interroger sur le choix de la vicliine. Ils se présen-
tèrent à raiitcl coinmo au coinl)at : intrépides et insouciants.
Après les cérémonies d'usage, réi>étition à peu près exacte de
ce (jue nous avons vu à Delphes, un prêln; de Minerve ballotta
les noms dans l'urne. Un enfant s'approcha, les yeux couverts
d'un baiidt'iui. Sa main emcurait déjà les bords du vase sacré
pour en sorlir bientôt avec un arrêt de mort... (juand loiil à
coup une voix de fcunne relenlit au seuil du temple,
— Arrêtez! voici la victime.
C'était I\Iacaria (pii s'avançait lentement vers r;iulrl; M.icaria
pâle et parée, (M, balanraiil sur sou be;ni iVdiil Is baudi'lelles
fuiièbics. Ki^'vsle s'élança vei's elle : — \Oiis ici, ma su-iir !
vous m'aviez, piomis de rester près d'Ixiis!
— l\us! (lit elle eu ('loulViiut un s.iuulot, uKtrl '... VA uiaiu-
leuiMil rien ne iirempèelie de mourir pour vous.
lit elle [loursuivit sa marche lenle vers l'aulel.
La foule applaudit, les llt'rai'lides s»» rcsijiuèrcut. A celle
épO(pie, où l'on croyait voir la main des dieux derrière toutes
les choses extraordinaires, ou attribua naturellcmenl à ime
inspiration un dt'vonemeut si sublime. Aussi Mai'aria s'a^e-
nouilla-l elle sans obstai'le deviiut raulel. l'.lle arrêta d'un
p'>le le fer iiup.ilieul du sacrilicateur, jiour jeter sou derui»M-
sourire à ses frères; puis ferma les yeux, eutr'ouvrit le voiK'
(pii couvrait son sein...
VA deux miiuites après, son corp< p.alpitait ^ur l'autil.
206 LE GUI DR CHÊNE
On ne fit qu'un bûcher pour Ixus et, Macaria. Et alors^ par
un prodige ou une illusion qui se répéta plus tard au supplice
de notre Jeanne Darc, on vit ou l'on crut voir quelque chose
qui s'élança des flammes vers la nue^ avec un doux bruit
d'ailes.
Ce qui contribua sans doute à propager cette tradition tou-
chante^ c'est qu'après la victoire des Héraclides, victoire payée
trop cher pour que les dieux la leur fissent longtemps attendre,
les habitants de Mycènes, après avoir inauguré en triomphe la
statue d'Hercule au bord des mers, y surprirent un jour deux
alcyons dans la peau du lion de Némée.
Fà voilà comment passèrent un jour, à travers un siècle
antique, les deux plus belles choses de ce monde et de tous
les siècles : la Poésie et la Vertu !
I.A S omis lU. AXCIIR
Il y .'iviiil uiio [dis, mn sœur, un viliiin loi de Frniitt^,
lioimiK' Louis \l, ri un ticnlil (l;niii|iin, i\\ùtu ;i|i|M'l;iit (Ji.nlol,
eu iillciiiliinl (|u"il s'iiii|ii'|;'il Cliiuif'v \ 111. 1) ni-ilin;iin\ le vifiix
l'oi, sup(M'slili(Mi\ cl in;iliiilt', rt'ijniiil, liriiilthiil cl sonlTr;iil,
iiivisil)lc, à l'oiiibrc des rpaissos iiun-aillcs ih> sou cliàlciui du
Plossis-lc/,-Toui's. .Mais, vci's le milieu de j'aïuu'c I is.{, il
venait de se IraiiUT eu pclerina^^e à Nuire-naine de (iléry,
souleuu par Trislau rileruiile, son boiUTeau, Coietier, son
inédeeiii, cl l'iançois Ar Paule, sou ('oufe^i'ur; car il avail
;>'rand'p(MU-, le vieux lyi;ni, {U'> liouiines, de la uiori cl Ac
nien. l'ii souvcuii' de saiiL', cuire luille, celui ilc la luori de
.lac(pics d'Aïaua^uac, duc de >('Uiour>, louiiuciiliiil <{\\\ au'ouie.
(!e i^raud vassal avail jadis payi' de sa Icle une leulidive de
rébellion conlre sou su/,eiaiu. .lu^(pic-l,i cT'Iail jusiice; mais
le cruel vaiuipicur avail forci' les Irois jeunes enfaul^ ilu
con(lamn('' d'assisler au snppli«'e de Icm* père, el dcpui<
lon^jcmps il se repeulail devaul Hicu de ce luxe de \en-
fjeance; il se l'cpculiul. dis-je. el pourlaut il ih' s'amendait
pas. I*ar luic iucoiiMMpuMic»» étranue, mais comnnme ;\ bien
de^ luccliiuils. le remords clic/, lui uCl.iil pas la pitié, cl.
dau^ le momcul mcme m'i il plaçait eu Ircuddanl sa maiKuic
208 LA SOURIS BLANCHE
enli'o lui et, le fantôme de Nemours, un des fils innocents du
feu duc languissait et mourait dans un cachot du Plessis-lez-
Tours.
C'était une demeure terrible et mystérieuse que ce château :
ses vestibules noirs de prêtres, ses cours étincelantes de
soldats, ses chapelles toujours ardentes, ses pont-levis tou-
jours en émoi, lui donnaient le double aspect d'une citadelle
et d'un couvent. On parlait bas et l'on marchait sur la pointe
du pied dans ces grandes salles, comme dans un cimetière.
Et, eu eiïet, des captifs, par centaines, gémissaient ensevelis
dans les souterrains; ceux-ci pour avoir parlé du roi, ceux-là
pour avoir parlé du peuple, les autres enfin, et c'était le plus
grand nombre, pour rien. Chaque dalle du château pouvait
être regardée comme la pierre funèbre d'un vivant; et c'était
là que grandissait, oisif avec un esprit aventureux, seul avec
une âme ardente, le dauphin Charles, alors dans sa douzième
année. Pauvre fils de roi ! il cherchait en vain oii reposer ses
yeux des horreurs qui l'entouraient. Une forêt verte et fraîche
ondoyait au pied du château; mais les chênes y balançaient
moins de glands que de pendus. La Loire serpentait vive et
joyeuse à l'horizon; mais chaque nuit la justice du roi trou-
blait et ensanglantait son cours. Aussi, quand il avait long-
temps ébréché son épée vierge aux murailles, longtemps épelé
les majuscules rouges et bleues du Rosier des guerres ou du
Saint Évangile, l'enfant rêveur, accoudé à sa fenêtre, passait
le temps à regarder le beau ciel de Touraine et à chercher
dans les formes changeantes de la nue des armées et des
batailles.
Un jour pourtant ses gestes et sa physionomie trahissaient
L.V SOURIS HLANCIiK 2C,\)
lin cmiiii pins vit cl do moins vngnos piTorciipalinns. \, Ai-
il<:lns (le midi linlait d«''jà, et son ropas du matin, cumiinsé,
sur sa demande, de pâtisseries léfîères et de sucreries, l'aiiarail
vaiiK'ineiil de ses parfums, et restait inlad sur iiin' |;di'r (|iii'
le jeune prince frappait du poing avec impaliciice. Il >c le\;iii
par inlervalles, JM-aiit, iialclant d'espérance et (rinqnit-liidc,
l'oicille an ;-'iicl, cl rcptHant : « lîlanclietle, HIanclictIc, viens
donc! le déjeuner fond au soleil, et si tu tardes encore, les
mouches vont mau'.'er ta part. » El, comme l'oiildieux convive
ne répondait pas à l'appel, le i)auvre ampliylrion nM-ommcncait
à se dé'solcr et à lié» pi fin ci- de plus liellc. Tout à coup un lt''L:ei'
lniiil dans la la[tisseiie le lit lic»aiirn'; il tourna la lèjc,
poussa un cri et rctoinlia sin- smi fauteuil, ivie de jdic, cl
iiiiiniiiiiaiit avec un xmpir : « 'jiHn 1 » N'ous muiv iin;i;:iii('/
sans doiile, ma so-iir, que celle illanclielte lanl désin'-e l'Iait
(piel(pic iioltle daine, Mciir on confine du jrime |irince; d»'-
ti'oinpez-voiis : r.lanclieltc l'Iail tout simplement un»' petite
souris hlam'lie, connue son nom l'indique ; si vive (pi'on eTil
dit, à la voir trotlei'. un rayon de soleil (pii filisse; el >i gen-
tille, (pTcllc eut Iroiivt' L'ràce en tcuqis de guerre devant (iiip-
pcminaiid, llodill, nd cl H(tniinau'-rnl»is, soudard^ peu deli' al»,
(•(Uiiine voii^ savez. C.liaile» «-aressa la jolie visii. iisc. il la
conlcniplii liiiii^tciiqK avec di'licrs piMidanI ipi'clle ::riun(>lail
un lii^ciiil dans sa main: puis, se souven.iiil qu'il devait à sa
di^^uiti' de fjiDiiiJci un peu : .» \|| çj, mademoiselle, dit-il d'un
Ion plaiNanimcnl i^iave, urappreudre/-vou» enlin ce que je
dois peiisrr d'une pareille conduite ? (louuuent! on vous traite
ici coiniiie une duchesse: j'ai dcfeiiilii ma porte à Olivier le
haini . don! la pliNsimiomie cl l allure .1. .Iiii \..iix .IT.iinii-
270 LA SOURIS BLANCHE
client; Bec-d'Or, mon beau faucon^ en est mort de jalousie; et
tous les soirs vous me quittez, ingrate^ pour courir les champs
comme une souris sans aveu! Et où allez-vous de la sorte,
sans souci de vos dangers et de mes in(|uiétudes? Où allez-
vous? répondez! je veux le savoir, je le veux! » L'interro-
gatoire était pressant, et pourtant, comme vous le pensez
bien, la pauvre Blanchette n'y répondit pas; mais, fixant d'un
air triste ses petits yeux intelligents sur ceux de l'enfant
grondeur, elle cliiiïonna les pages d'un Évangile entr'ouvert
sur la table, et arrêta ses pattes roses sur ces paroles : Visiter
les lyrisonnien. Charles demeura surpris et confus, comme il
advient aux présomptueux qui reçoivent une leçon à finslant
même où ils croyaient en donner une; car plus d'une fois il
avait entendu raconter des choses étranges sur les habitants
souterrains du Plessis-lez-Tours, e"t plus d'une fois il avait
médité un pieux pèlerinage à la prison de ce jeune d'Armagnac
dont l'âge et la naissance excitaient plus particulièrement sa
curiosité et sa sympathie; mais la terreur que lui inspirait
sou père l'avait retenu jusqu'alors, et maintenant il se repro-
chait sa prudence comme un crime. Dès le soir même il résolut
de l'expier. Quelques minutes après le couvre -feu, il s'esquiva
de sa tourelle, suivi d'un jeune valet chargé d'une corbeille
qui renfermait du pain, du vin et des fruits, et descendit
dans une des cours intérieures du chfiteau. Une compagnie de
la garde écossaise y rôdait au clair de lune le long des mu-
railles. « Qui vive? cria une voix rauque et menaçante.
— Charles, dauphin. — On ne passe pas! » Mais Charles
s'approcha de l'officier de ronde, et lui souffla deux mots à
l'orfulle. (( S'il en est ainsi, allez, monseigneur! dit alors le
LA sornis n LANfiir. 271
soldai, visihlomoiil (l('('oii('orU', alh^zl cl (jin' Hit'u Vdus pro!«';:o;
car si vous ôtos (I('coiiv(mIj j(^ suis pcKlii. » Nolro Ih'tos
eniitloya, pour ('veiller le {zartlien des prisons el. lever ses
scrupules, le inriuo moyeu avec le même succès, rciil-rlic,
ma sœur, êtos-vous curieuse de couiiaUre les nia^i(iues paroh-s
qui, dans la liouclie d'un enfant, faisaient baisser les éitées et
loniher les verrous; les voici : Le roi est biiii mahnJe. (lliarles
avait foi dans celle formule dont il avait souvent éprouvt' la
loule puissance : car elle rappelait ;iux fiens du vieux Louis \i,
sold;ils, coinlisans, geôlier ou valets, qu'une bouderie d'enfant
pouvait se clianfier tout à cou[i eu luic bonne el silide rancune
de l'oi.
liC daupliin cl je pa{^e, sous la coiuluile du i:côlier, s'aven-
linvicul, non sans (piclipic li(''>itati(>ii, s(iii< uni- vnùtc buniide
<'l sond»re,et \o Um'^ d'un escalier en s|iiralc dnni cliaqiie
mai'cli(» ^'luanle les menaçait d'un l'au\ pa<. Tons Irois mar-
cliaieiit à la lueur précair(> d'une torche de résine, tantôt battue
pai' l'aile aveugle des chauves-souris, tantôt ai.'onisaiil stius les
{4outt<'s d'eau (pu» suait la vitùle. Ijilin un binit vaf:ue d'aboni,
mais plus distinct de pas en pas, un bruit de plaintes el (!e
soupirs lem- aininnça je Iciiih' du voNa::e. i-e izuidc >"r'loiuna,
cl ('liarlcs iccula dhorrrur dcNanl le s|i,'(laclc qu'il avait <oUn
les yeux. Ki;,'iMc/.-\(ins, ma S(cur, une caiie de ici" >ccllee dans
le mni\ ba<-e, (''Iroile. o\i chaque niouveuicnl devait elle une
douleur, (tù le sonnucil devait être un cauchemar, et tlaiis la-
»|ue|le gt'missait el ^«' tordait un cnriut! Je dis c/</(nj/, quoique
le dnc de NeiiKims, l'hôte de cette alTieusc demeure, altei-
f^nit hieulôt sa di\-seplième aum''e; mais, à le v«>ir si };rèle el
si pâle, on lui eùl sii|i|i(ise dnu/e ans ;iii plu<. A peine dau<
272 LA SOURIS BLANCHE
l'adolescence, il avait tant soufler^ qu'il émorvoillait ses bour-
reaux par sa tenace longévité, et que le geôlier, dont il rece-
vait la crnclie d'eau et le pain noir quotidien, hésitait chaque
jour sur le seuil du cachot, se demandant s'il ne vaudrait pas
mieux envoyer à sa place le fossoyeur. Le dauphin, pour abor-
der le prisonnier, chercha de douces paroles et ne trouva que
des larmes. Nemours comprit ce muet salut, et y répondit par
un sourire de reconnaissance; puis tous deux causèrent à tra-
vers les barreaux. Quand l'un déclina timidement sa qualité
de lils de Louis XI, l'autre ne put se défendre d'un mouve-
ment de surprise et d'effroi ; mais cette fâcheuse impression ne
tint pas longtemps contre la parole et la figure si franches du
dauphin. Étranger depuis dix ans aux choses de ce monde, le
reclus fit d'abord à son noble visiteiir de naïves questions qui
rappelaienf celles des anachorètes demandant aux rares voya-
geurs dans le désert : Bâtit-on encore des villes? célèbre-t-on
encore des mariages? lorsqu'une circonstance imprévue donna
un tour nouveau et plus piquant cà la conversation. Un tiers
vint se jeter étourdiment entre nos vieux amis d'une heure,
et ce personnage mal appris, j'ai honte de l'avouer, ma sœur,
n'était autre que la commensale du dauphin, la rivale de Bec-
d'Or, Blanchette, puisqu'il faut l'appeler par son nom; pas-
sant au travers des grilles à la faveur de sa petite taille, elle
escaladait les jambes et les bras enchaînés de Nemours, et pro-
diguait au prisonnier des caresses toutes semblables, sinon
plus vives, à celles que le prince avait obtenues le jour même :
« Tiens! vous connaissez Blanchette? dit Charles surpris et
piqu('. — Si je la connais! répondit Nemours, depuis dix ans
c'est ma souris à moi, c'est mon amie, c'est ma sœur, — L'in-
LA SOL" m S MLANCllK 273
^ratf! LT' malin encore elle partageait au cliàleau les biscuits
de mon déjeuner. — Depuis dix ans, monseigneur, elle \icnt
dans mon cachot partager mon pain noir. — Jour dr DiruI »
murmura le jeune princ»;... Mais sa colère enfantine s'évanouit
devant un sourire malicieux de iNemours. « Je crois, nionsei-
gneur, dit le jeune duc, (|ue vous me feriez volontiers l'Iiun-
ninn- de rompre une lance avec moi [)our les beaux yeux d'une
souris. Il m'est impossible en ce moment de répondre au car-
tel : voyez... » \'A il soulevait aux yeux de son rival ses bras
(pii pliaient sous les cluiines. Alors s'éunil un (It'bal original et
lonclianl eniri le lil> de Louis XI el le |iriM.»unier de Louis M,
cliat nu d'eux prétendant surpasser l'aulre en mallieiu'; Inu
faisaid. tourlier à son adversaire les paiois humides et les bar-
reaux épais d(! sa [irison, l'autre peignani ralmos[ilière d'ennui
et la chaîne viv iiile de courlisans el d'e^pinus dont le poids
l'étoulTail ; l'un inoiihinil son corps lorlin-t', l'aulre son cienr
sai};nanl, el Ions deux Irriniiiiinl Icnr plaidoyer par l.i même
coii«'ln>ion : u Tu viti> bien, >rnioni's, — \om«^ mimv. bien,
m(in>ei;:nenr, — tpie j'ai besoin de Hlaiiebelle pour m'aider à
vivre e| à souflrir. » Aprè^ une di^cn^inn lon^n ■ el sleiile. ils
linirenl par on ils ainaienl dû roiniUi n» i'i- : il> couNinieiil de
preuilre l'ubjel même dn debal pour arbitre. « Voyons, made-
iiKtiM Ile , dil le (lanpliin à {{iaiiebelle , déclare/ franchemeul
auquel de nous deu\ \ous de.sire/. appai tenir. » l'.l Hiudain
vous eus>ie/. vu la petite soinis aller de l'un à I aulre aNcc force
genlilless«'S, puis sairèler rnlie eii\ m les reganlaut lour a
lonr avec ,ves petits Neu\ brdl.int> ipn M-ndilaienl tlne : .1 tous
(/t'//.r, nus nif'unls!
Ici, ma Mcnr, j'epinnve le bevoin (l'uii a\eu «pie j'avais
274 LA SOURIS BLANCHE
ditleré jusqu'à présent dans l'intérêt dramatique tie niun récit.
L'esprit^ le bon cœur et les manières de Blancliette vous éton-
nent sans doute^ et je le conçois; car moi-même^ qui eus
autrefois mainte occasion d'étudier de près le }»euple intéres-
sant des souris^ jamais^ je l'avoue, je n'ai rien observé de sem-
blable. Il est donc urgent de 'e dire, Blancbette n'avait d'une
souris qne la forme, Blancbette était une fée! Les liistoriens
du temps, il est vrai, n'ont rien dit de cette métamorpliose;
mais je puis vous en garantir l'autlienticilé, et de plus vous
en révéler les causes secrètes, sur la foi de certain manuscrit
gros et gras de science, qui m'est écbu pour lot dans riiérilage
de ma grand'tante. Des rats bibUopbiles en ont mangé les trois
quarts, les vers l'ont illustré de broderies à jour, et ce n'est
pas sans peine, je vous jure, que je suis parvenu à décliitlrer
et à traduire pour vous, de la langue romane en français mo-
derne, le cbapitre suivant, intitulé ; Comme quoi la Fée des
Pleurs fut cJuunjée en blanche sourctte.
Un jour, jour de printemps et de nouvelle lune, il se fit un
grand mouvement dans le royaume des fées. Les sylpbides
s'éveillaient avant l'aurore pour se parfumer avec la poussière
des lis; les ondines cbercbaient, pour se mirer, l'endroit le
plus clair de leur fontaine ; les dames des bois oubliaient d aga-
cer et d'égarer les voyageurs, pour se couronner de violettes
et d'anémones; car toutes étaient conviées à une grande fête
que domiait le soir même la reine des fées à son peuple. A
1 beure conveiuie, comme vous le pensez bien, ces dames arri-
vèrent en foule, exactes et empressées, cbacune voyageant à
sa manière, Tune dans une conque de sapliir attelée de pa-
pillons, l'autre dans une feuille de rose em[)ortée par le vent;
I
•17:
LA SOI' 111 S in.A.NCllK j.iO
• riiiilrcs ('iiliii, et (T lui le jiliis yrainl ikhiiIhv^ ili('\;nirli;iiit en
CTuui»(', ti)iil, l)(tiiii(iiiciil , ((iiuiDc (le. simples reines, iivec un
clievjilier de la 'ral)le-J{oii(le. L'nc seule luaiKiiiail au ivikIc/.-
voiis. Dès le malin, riiiic des Miivanles Ar la ifinc, Aii^t'liiia,
surnommée la Fcc des rieurs à cause d»; sa iiilié vij:ilanle
ituur toules les inlorlinieSj était sortie i'm'livenn'iit du palais.
I/oi';^ane de l'ouïe, chez (die plus délicat encore tpie «liez ce
fameux f^éant Finc-Oreillr (lui entrndait h'icr le hjô, dit l'Iiis-
loiic, lui faisait distinguer de loin les plus timides palpitations
«les cuMirs soulTranls, et jamais un appel de celle naluic ne
l'avail iu>(pral<ir> liunvt'»' Miurde ou né<;li<;ente. Or, des ciis
plainlifs, des cris d( idanl lavaieiil éveillée en sursaut, et mhi-
dain (die s'élail diiigi'-r vers l'eiidioil d'iu'i venait le luuil : l<'>
cheveux au \v\\\, vrluc d'une rohe llotlaute oi" et a/nr, tenant
à la main la ha^uette d'ivoire, manpic de >a jtuissance, et vol-
ligeant plut(>t (pi'tdie ne marchait >ur la pointe des |^a/.ons et
{W<, Heurs. I'!lle avait adopté' celle allure, de peur, disait-elle
à ceux «pii s'en ('lonnaicid , iV' UKHiilIcr ses hrodiMpiins dan>
la i"o.>ée , m. lis en clVrl parce tpiidle craii;nait d écraser tui de
hiesseï' par UK-vardc la ci;:a!i' ipii clianlr dans le sillon, et h'
li'/ard tpii IVclilIc au Milcil; car elle elail >i protli::u<' d»' N'iu^
cl daniour, la hoinir IVt ! (pirllr v\\ n'-pandait ^ur les plus
humilies créalm'es de Uieii. Apiè>>a\oir inaiché l(»n^tt'mp> de
la Mirle, elle s'arréla riiliu devaiil une petite cahaue sur la li-
.sière d'une ron''t. Il serait inutile de vous en faire la descrip-
tion, ma Mi'Ui", car je soupçonne rml (pie viuin avez eu ronnne
moi le lioiilii iir d'y l'aiie plus d'un voyai^e en compagnie de
renchanteur Peiranll. Nnus croyez la nMonnaitu' , et vous n«*
voii.s liompe/, pas : celle cahane du hùclieion c^l luen celle du
276 LA SU U lus BLAiNGHE
Petit Poucet. Ce {^rand personnage historique était alors bien
jeune, et ne préludait pas encore au rôle important qu'il joua
depuis dans le monde. C'était lui, c'étaient ses frèies dont les
plaintes avaient éveillé Angélina : leurs parents, occupés au
loin dans la forêt, y avaient passé la nuit pour être prêts au
travail dès l'aurore, et, ne les voyant pas revenir à l'heure
accoutumée, la jeune famille avait eu grand'peur.
La visite de la fée, que ces pauvres enfants connaissaient
déjà, ramena pour quelque temps la paix et la joie dans la ca-
bane. A la chute du jour, Angélina se souvint que la fête allait
commencer et voulut partir; mais tous, rendus familiers par
■ sa complaisance, la rappelaient et la retenaient à l'envi, qui
par un pan de sa robe, qui par une tresse de ses cheveux, qui
par le bout de sa baguette magique; et la boiuie fée résistait
un peu d'abord, puis souriait et cédait. Cependant un grillon,
venu on ne sait comment du palais des fées (lui-même en était
une peut-être), se mit à crier dans l'àtre : « A table, Angélina!
le prince Charmant vient d'arriver, on n'attend plus personne,
et le banquet solennel commence : on verra figurer au dessert
les nèfles et les noisettes dont le prince Myrtil a fait, l'autre
jour, hommage à la reine. A table', à table! car, de mémoire
de grillon, jamais on ne vit plus beau festin. »
Puis voilà qu'un papillon du soir vint danser autour de la
lampe en répétant : « Au bal, Angélina ! la salle est déjà pleine
d'harmonie et de lumière, j'ai failli tout à l'heure m'y brûler
les ailes à certaine lampe merveilleuse qu'un beau jeune homme
vient d'apporter d'Arabie. Au bal! au bal! car, de mémoire de
pbiilène, jamais on ne vit plus brillante soirée. »
[il Angélina voulait partir; mais les enfants la retenaient
LV S OU lus 1JLANCH1-: 277
avec des cris et des pleui's. a Oliî ne nous qiiillez pas encore,
disaient-ils; et (jne deviendrons-nous, bon Dieu! seuls, hi
nuit, (juitnd la lampe s'éteindra, (piand le loup nionlreia
ses grands yeux à travers les feules de la porte, et (pn*
nous entendrons dans la clairière silller les vents et les
voleurs. »
Kt la honue I'im^ souriait et cédait toujours ; mais rnlin l«'s
esitrits de l'air, Ironhlés, lui apporléirul à la lialc Irs sous
d'une voix loiiuaulc : a Aiii^dina! Angélina! » C'était la reine
des fées (jui l'appclail, irritée d'uur >i Inuf^ue absence. K|m(u-
vantée, Anj^élina se débarrassa des i)etites maius (pii l'eurli.ii-
naient et S(»rlit vile. Tidji vile, lit'las! car, dans sou Inuible,
elle oublia sa baguette, dnul le plus jeune des enfants s'était
fait, sans songer à mal, un bocliet dans S(»n berceau. Or, V(iu>
saurez, ma soMir, qu'une fée tpii [lerd si baguette e>l une fée
perdue. I,a pauvre Angt'liiui no s'aperud de son malbeur tpia
I expjosinii (le niuiiuui'o ipii salua son reloui' au palais, l'ar
ce fut un giaud xaiidale pour toutes les |V'e> , et ime uraiide
joie pour les \ ieilles, eiicbaulees il'luuuilier euliu uue eoui-
pauiie doiil lo cliaiiues cl la boule laisaieiil ressortir leur ma-
lice el leur Liideur. Ouel.pies jiMUies gens aus>i, primes, sor-
ciers et encbaiiteurs, dont Augelina, toute bonne (pi'eile était,
n'avait pu s'em|iè{|ier de railler (juelipitd'ttis la sutlisanee,
triompliaient de sa coid'usiou. uParole d'Iiouneur, répétait au.\
eunes fées b' prince Mi/rlil, (pii n'était pas sorcier, avec ses
grands airs de \erlu, uolie Au;^eliua u'e>l ipTinu' bégueule.
Ali! elle a penlu sa ba-uelle'.,. I.li bien! ligure/,-vous. nu»s-
dauies , (jii'iin jour je maxi-ai de louelier à (elle baguette
uiaudile.el ipie la [M'iile uiasipie m'en donna >«ur les «loiyls >i
lli
27S LA SOURIS BLA.NCHE
lorl^ si furl, (^110 je fus un mois sans pouvoir me servir d'un
casse-noisette. »
Bref^ la coupable fut traduite devant un tribunal i»rcsidé
par la reine et composé de vieilles fées, dont la baguette^ de-
venue béquille ; faisait peur aux enfants, qui n'avaient garde
d'y touclier. La bonne Urgèle essaya vainement quelques ob-
servations en faveur de sa jeune amie : le délit était llagrant
et la loi précise ; or, cette loi portait contre la condamnée une
peine singulière : elle devait courir le monde un siècle durant,
sous la forme d'un animal à son choix. Angélina fut quelque
temps indécise ; rossignol, elle eût chanté sous la fenêtre de
la jeune iille qui veille et qui travaille au chevet de sa mère
malade; rouge-gorge, elle eût donné la sépulture sous des
feuilles aux enfants égarés et morts dans les bois; chien
d'aveugle, elle eût présenté l'aumônière avec une grâce ca-
pable de toucher le cœur le plus dur et d'ouvrir la main la
plus avare ; mais le privilège exclusif de pénétrer dans les gre-
niers et les prisons la tentait surtout et la décida. Et voilà, ma
sœur, comme quoi la Fée des Fleurs fut changée en blanche
sourette, et c'est ainsi qu'elle se promenait, depuis quatre-
vingt-dix-neuf ans et plus, du palais à la prison (deux prisons,
bien souvent!) et de douleur en douleur, rongeant sans pitié
tous les mauvais livres (on n'en voit plus de ces souris-là!) et
grignotant parfois des arrêts de mort jusque dans les poches
de Tristan.
Ce digne comi)ère de Louis XI ne tarda pas à revenir au
château, et son maître avec lui, et avec eux la déliance et la
terreur. Cependant le prince n'en continua pas moins ses
visites au i)risonnier. Elles devinrent de jour en jour plus Ion-
LA SOrRTS TîLAXriIK 279
f,Mios oX i»lns fiéqiioiilcs, et iiir-mo, c.o qui irpùt pas mnnqiU'
(l'évc'illor les soupçons (riin (Mifant moins caiidido rpio le daii-
])liin Cliarles, le geôlier, qui jusqu'alors n'avait été qu'à regret
cl. (pTen tremblant complice de ces entrevues, semblait main-
tenant les encourager et les provoquer par sa comi)laisance.
Un soir, ils causaient comme à l'ordinaire, Charles accoudé sur
la parlie saillante du guichet, et IManchelle Iroltanl de l'iui à
l'înitre el leiu' distribuant ses caresses avec une édilianlc im-
partialité, f.a conversation, longtemps vagabonde, tomba entin
et s'arivla sur les jtrojels de Charles pour son règne futur.
« Voyons, (joe ferez-vous (piand vous serez mi? dit gaiemtMit
le prisomiit'i', qui, plus vieux (rannées et surtout de malheurs,
avait dims la conversation une supériorité manpiée sur son
jeinie anii. — licllc (leniaiidf ! jr IViiii la ::ui'rre. — Nemours
sourit Irisicmcnl. — Oui, pouisui\il le dauphin en se frappant
le IVoul de l'index, depuis Inu^lemps j'ai mou projet là. D'abord
j'iiai eouipiérir l'ilalie : l'Italie, vois-tu, Nemours, c'est un
pays merveilleux, où les nu-s sont pleinc^s de nmsique, les
buissons couverts d'oranges, et où il y a autant d'églises que
de maisons, le ;,'arderai l'Italie pour moi: puis j'irai pp'udre
en passant (ioiislautiiiople pour mou ami André l'al('olo::ue ;
et enliu, avec l'aide de Dieu, je compte bien délivrer le Saiiil-
Sépidere.
— Kt après? dit malignement le jeune due, — Paine?
a|)rès... après... après... répéta l'ignorant daiqdiin, (luelijue
peu embarrassé, j'aurai le temps iteut-ètre de eonquèler en-
core d'autres royaumes, s'il y eu a. — l'.t le soin de vt>tre
^loir(» vous fera-t-il négliger voire pt»uple? ne lerez-vons rien
pom' lui, mouseiiineur? — Si vraiment! et d'abord, avant tb'
280 LA SOURIS BLANCHE
parlir^ je (luiiiierai Olivier et ïrislan au diable, s'il en veut;
je supprimerai les bourreaux. »
Et comme Blanchette, à ces mots, frétillait plus joyeuse et
plus caressante que jamais : « Je ferai, poursuivit-il gaiement,
quelque chose aussi pour toi., Blanchette : je supprimerai les
chats. »
Tous deux éclatèrent de rire à cette saillie ; mais leur accès
de pétulante gaieté n'eut que la durée d'un éclair. Us s'arrê-
tèrent tout à coup, et se regardèrent avec épouvante; car il
leur avait semblé que d'autres éclats de rire , trop différents
des leurs pour en être un écho, retentissaient à côté d'eux
dans l'ombre... Ils finirent néanmoins par se rassurer.
« Espérance et courage ! » dit alors le dauphin au jeune
duc en lui tendant la main en signe d'adieu. Le pauvre captif
se souleva pour saisir et presser cette main consolante; mais
ses membres, engourdis par une longue torture, servirent
mal son pieux désir. Il poussa un cri de douleur, et retomba
sur son escabeau : « Mon Dieu! quand donc serai-je roi? »
ne put s'empêcher de dire le jeune prince ému jusqu'aux
larmes.
— Bientôt! Dieu le veuille! dit Nemours. — Jamais, répliqua
un troisième interlocuteur, jusqu'alors invisible. Et Louis XI
parut, puis Tristan, puis Coictier, et quelques autres familiers
du vieux roi. A la lueur d'une lanterne qu'un d'eux avait tenue
jusqu'alors cachée sous son manteau, le dauphin put voir le
terrible vieillard s'avancer à pas lents, comme un spectre, en
murmurant ces mois, entrecoupés par une toux opiniâtre:
« Ah ! galant damoiseau, tu fais de mon vivant les doux yeux
à ma couronne!... Ah ! fils pieux et prévoyant, tu songes
LA SOURIS BLANC HE *28l
(l'avanco à mes fum'iailles!... Misi'niljlcî Idii ôikh*! »> In m-crs
(le toux, plus violent que les autres, riiiterromiiit. (.liarles ne
fit aucune résistance; seulement il repoussa, par un geste d'in-
dignation, Tristan qui s'avançait pour le désarmer, et remit de
lui-même son épée à l'un des gentilsliommes présents. Hientôf,
sur nu sifiii(> du roi, il disparut- entraîné par {U'> gardes.
Louis \l, avant de (|iiitt(M' le si»ut(>rrain, jela un r(';.ard plein
d«; Jiaine sur la cage de sa victime, puis, se penchant vers son
compère Tristan, lui glissa queljues mois dans l'oreille.
« J'entends, répondit le boinreau; il faut en finir: conq)tez
sur moi; dès ce soir à minuit... » VA, complélani par la pan-
tomime le sens d'une phrase déjà trop claire, il frappait s;i
main gauche du revers de la droite. Puis le cortège s'éloigna,
cl, au niiheu du bruit (!('( loissaiil i\v> pas, Nemours jiul dis-
tinguer longtemps encore la V(ti\ du despote moribond qui
toussait, grondait et crachait des arrêts de moi t avec ses der-
nières dents.
Pauvre Nemours! ce doux rayon du ciel «pi'on nomme l'espé-
rance n'avait donc glissé dans son cachot tjue pour lui en faire
paraîlreensuite l'obscuritc' plus profonde. «Avoir sei/.e ans.pen-
sail-il, un livre comme le dauphin (Iharles, une sieur comme
nianchette, et mourir ! » Kl, dans chaipie son vague et lointain
lie la grosse horloge du château ipii lui mesnrail s»s dernières
heures, il iToyait distinguer ces mots : Mourir, il faut mourir!
l'Ji elVet , le long escalier en spirale, qui eondiii.sait au
souterrain, retentit bientôt smis des pas précipités, lu ruban
de lumière, échappé .sans doute à la lanterne des bourreaux,
lapissa le .seuil de la porte. Alors le cond.unné. sentant bien
<pie son heure était venue, mit i)recipitanum nf à terre lasimris-
Hi.
282 LA SOURIS BLANCHE
fée. qu'il tenait pressée sur son cœur. « Adieu, ma sourelte,
dit-il, sauve-toi vite^, et cache-toi bien : ils te tueraient aussi. »
Cependant le bruit redoubla par degrés, le ruban de lumière
s'élargit, la porte roula sur ses gonds; et alors, croyant voir
déjà se dessiner gigantesque sur le mur la silhouette de Tristan,
Nemours joignit les mains, ferma les yeux, recommanda pour
la dernière fois son âme à Dieu, et attendit... Il n'attendit pas
longtemps.
« Duc de Nemours, dit une voix douce et bien connue,
vous êtes libre. » Le captif tressaillit à ces mots, hasarda ti-
midement un regard autour de lui, et crut rêver : Charles
était là, non plus timide, contraint, abattu comme la veille,
mais calme, grave, parlant et marchant en maître, déjà mûri
et grandi par une heure de royauté. De nobles dames l'entou-
raient, contemplant le jeune prisonnier dans sa cage, avec des
sourires et des pleurs; puis les gentilshommes qui, devant cet
outrage à l'enfance , chose sacrée pour la chevalerie , tour-
mentaient de la main, par un mouvement convulsif d'indi-
guation, le pommeau de leur épée; et enfin, des varlets, des
pages, dos écuyers en foule, portant des flambeaux, et agi-
tant aux cris de : Vive le roi ! leurs loques de velours em-
panachées.
« Oui, poursuivit Charles Vlll, le ciel, depuis une heure,
m'a fait orphelin et roi. Nemours, pardonnez à mon père, et
priez Dieu pour son âme. » Puis, se tournant vers sa suite :
« Qu'on abatte cette cage à l'instant, et qu'on en jette les
débris à la Loire; car il n'en doit rester ni vestige ni sou-
venir. ))
Les ouvriers, mandés d'avance, se mirent à l'œuvre avec
LA SOriUS T5 LA NT II F,
^2.^:^
ardeur; luiiis, ô sur[ii'iso! la lime s'élondail aux harroaiix sans
y inonli'e, cl, la [licrrc dans latjiiclle ils élaient scclKs, iiK--
liiaidahlc , ne répondait aux cmuts de marlcaii (jiic ji.ir un
lirnil, sonni cl mrxiiicnr.
« Siro, dit un vieux moine en liocliani la Irle, Ions les
elToi'ls Iniinaiiis seraieni, ini|inissants à cxceuler vos ordres;
car, ajonla-t-il en nionlranl la cn^o, ceci n'est pas œuvre hu-
maine. J'ai ouï dire qu'un lîoliémien, sorcier comme ils le
sont, fous, l)àlit celle cai:e juitrefois, afin de se racheter de la
potence. Il l'aiidiail. poiu" la renverser aujourd'hui, la ha-
^uelle d'une IV'c (mais il n'existe plus j^'uère de fi't's (|ut' je
sache), ou bien enrorc |;i m;nn inrcniid»' (|U! l'a construile;
mais depuis lon;.;!('nips le i'dlM'uiicn a disp.iiii,
— (Ju'on (•Imm'cIic cet iKiminc ri (pi'on r;nn.''ne , dit le \n\.
A (pii le dt'couviira honneurs et larj^cssesî un diamant de ma
roinomie s'il est noble ; son pesant d'or si c'est un vilain ! »
VA d'un {^este il conjiédia son brillant corttV'c,
Les deux amis, dememvs seuls, saut" (pudipies paires (pii
veillaient sur (Uix à distance, se re^'ardi'rent silencieux, l'm»
inipiii'ludr Icnible, cl (pTils n'osaient se commnuitpicr, t';us;nt
batli'c b'urs comus à l'unisson : « Si l'ouvrier m.iuiiiuc cl. ni
lUHil, pcu^aicul ils, si |;i c;!;^!' cnclianlt'c ne s'ouvrait plu<! »
VA ils pIcnraiiMil ; et. rhoNC (''t^au^»'! IMauchetle, pour la pn*-
mière l'ois, semblait m^ pas s'émouvoir de leiu's larmes, (l'esj
(pi'uue préoccupation bien vive ( t bien nalmelle j'aiiitail alors.
Vous vous rappelé/,, ma sicur, que la nK'tamtMpliose expiatoire
devait durer cent ans. Oi\ il y avait, au moment où nous jtar-
lons, !M) ans ."{il'i joiu's '2'.\ hennis et il!» miniiles qu'AnpMina
('lait devenui' Hiam bette. l.'lioili>i:e ibi ries.si/.-|e/,-Tours s'é-
2.^4 LA SOURIS BLANCHE
branla pour sonner une heure. Et voilà qu'aussitôt le sombre
et fétide souterrain s'emplit de parfums et de lumière^ la cage
de fer s'émut d'un bloc comme un décor théâtral de nos join-s^
et s'abîma... Dieu sait où... sans doute dans l'enfer qui avait
inspiré l'architecte inconnu. Les orphelins épouvantés crurent
que la foudre venait d'éclater dans la prison. « Blanchette,
Blanchette, où es-tu? s'écrièrent-ils, tremblant pour l'exis-
tence de leur sœur adoplive. — Me voici, mes enfants, ré-
pondit une voix douce au-dessus de leurs têtes. » Alors, levant
les yeux, ils aperçurent, ébahis, Angélina dans son costume
de fée, debout sur le piédestal d'un nuage, et tenant à la main
sa baguette reconquise. « N'ayez pas peur, enfants, poursui-
vit'elle : c'est moi que vous appeliez Blanchette; mes com-
pagnes m'appellent la Fée des Pleurs... Les vôtres viennent
de tarir, et ma mission près de vous est accomplie... Adieu! »
Le petit duc et le petit roi, comme jadis les enfants du bû-
cheron, répétaient enjoignant les mains : « Bonne petite fée!
ne nous abandonnez pas encore! — Il le faut, répliqua-t-elle
d'un air grave: vous n'avez plus besoin de consolations, vous,
et l'on en réclame ailleurs. J'entends près d'ici une petite men-
diante dont les sanglots m'appellent, et j'y cours... Adieu,
sire; adieu, monseigneur. »
Elle dit, et disparut dans un éclair.
LES PETITS SOULIERS
I>o r» janvier 177(1, joui- de ri^piphanio, il so passa sur
]o ^'aiilanl (rairiri'c du viiisstMii IVaiiçais Ir lîcroîi imc iiclilc
scène assez piijiiante |)()iir iiK-rilcr (pi'(ni la raconic. Tous les
officiers que le service de I «Mjnipai^e ne nclainait pas aillenrs
se promenaient, cansant et fninantsnr le pont, lorsipi'ini jennc
aspirant de marine, montant l'escalier cpii condnisait à la
cliand)r(' (\\i ca|)ilaine, |)arnt et s'écria : (lliapcan bas, mes-
sieurs! voici la reine!...
Et cependani , Marie-Antoinette n'avait pas (piillé Ver-
sailles; à r.iide d'Asinodc'e ou de la st'conde vur des moiita-
lafziiiirds d'Ecosse, on l'aurail pu voii- en ce niuneul , dans
un coin du cliàlean, à l'aliri di- rt'li(pielli' , son eiuiemic in-
linic, jouer la coun'die eu ramille , recevant sa rt'plitpie du
eoiule (TArlois, cl ayant pour sdiillleur le comte de Provence,
tous ihMix ses heanx-frères. VMo remi)lissait le rôle itrinci|ial
dans /(' Jh'vin ilii VilhKir, et chantait :
J'ai jxMiln mon soivitiMir.
J'ai |>(*ri{ii tout iiioii iKuilionr...
paioles (pi'cjle eul depuis roi'ca>itin de n'-pcter hieu îles luis
2.Sfi LES PETITS SOULIERS
sans chanter! cette pauvre reine qui est déjà tombée dans
l'histoire, et qui tombera bientôt dans le drame, aussi poéti-
que, aussi belle et plus pure que Marie Stuart.
Quelle était donc l'usurpatrice qui ramassait alors à douze
cents lieues de Versailles le sceptre que la reine légitime
abandonnait un instant pour la houlette?
Hâtons-nous de le dire, il n'y avait là ni fourberie ni crime
de lèse-majesté. La royauté que saluait l'équipage du Héron
n'était que l'innocente et fugitive royauté de la fève. Elle ve-
nait d'échoir, par la grâce du sort, à une jolie petite créole de
la Martinique, parente du capitaine, et qui, sous la conduite
d'une vieille tante, allait, comme la Virginie de Bernardin
de Saint-Pierre, poursuivre, dans la métropole, de vagues es-
pérances de fortune et d'héritage.
Et c'était dommage^ en vérité, que la jeune reine ne fut
qu'une reine pour rire; car elle s'acquittait de ses hautes et
nouvelles fonctions avec un aplomb et une grâce qu'eussent
enviés Catherine III et Marie-Thérèse.
« A genoux! beau page, disait-elle au jeune aspirant qui
» l'avait annoncée; ne voyez-vous pas que j'ai laissé tomber
)) mon gant?— A moi ! mon conseil des ministres, et ne rie?
» pas, messieurs, car le cas à discuter est grave. J'aime mion
» peuple, entendez-vous, et je veux que mon peuple m'aime;
» il s'agit de décider si , pour attirer à mes pieds ses hom-
)) mages, une rosette bleue sur mes souliers ne siérait p;is
» mieux qu'une rosette blanche. — Comment donc! je crois
» que mon premier médecin se permet de lancer au nez de
)) sa souveraine des bouffées de tabac, en guise d'encens!
)) Qu'un de mes ambassadeurs monte sur l'Iiippogriffe à l'in-
LKS l'KTfTS SOTMKIîS 2S7
)) slaiil , |i(»iii' iillcr voir (l;iii> la lune >i la raison du Ihmi (Iko
» leur n'aurait pas suivi ce malin, ;ii»rès boire, le même clie-
» min (pie celle de feu Uolanil... »
El mille innocentes saillies, mille coipiels enlanlillages dnnl
tous ces bons marins riaient de si j^rand cœur et si lon^^lemps
que leurs grosses pipes s'éteignaient oisives entre leurs mains.
Mais celui de Itius (pu semblait se réjouir le plus du IridUi-
plie de l'aimable cnfanl ('lail im vieux malelol breton mmimé
Pierre Hello, ayant moins de ride> (pic de blessures, (pii ce
jour-là même avait rrrii une métlaille d'iionueur, tardive ré-
compense de ses longs services! et iiu'à celle «■(in>idéraliou le
capitaine venait d'admellre à sa table, au rejias présidé par
les deux dames créoles, ses i»arenles. Marie-Rose, ainsi se
nommait la jeune lille, s'était émerveillée depuis longtemps
au récit des belles actions de IMerre llello. Llle l'avait com-
plimenté, caressé, et le co'ur du rude vieillard, neuf encore à
de [lareilles émotions, avait palpil»', suus ces caresses d'eidant,
aussi lurl (pi'à la n'ccpliou de sa médaille d'Iioiun'iii-. C'clail
lin >v\\\ (pii la servait : c'était ciuore, ou peu >'en l'anl , lui
seul (pli xeillail sur elle ; car la laiilc de Maiic-Uox' , bonne
vieille cloU(''e sur >a eliaise par la ^nulte , pa>>ait toid le jour
absorbée dans la lecture de saint Augustin, ne l'interroiupanl
par iider\alles (pie pour dire : »* Ici, Minette! i» i . Maric-
Ho^el » (|uaud elle voyait son clial courir dans la cale après
une souris, ou sa nièce sur le pont après un rayon de soleil.
Mais élevée , connu»' la plupart des tilles de colons , dans la
plu> tarife iudepeiidaiiee . Marie-Hose n'e»(»utail pa^ ou lei-
guail de ne pa> entendre, lanlol elle montait aux eebell«'> el
se balant^ait aux cordages, et alors Pierre lldlo la rejjardail
288 LES PETITS SOULIERS
d'en bas, prêt, si elle tombait sur le pont, à la recevoir dans
ses larges mains, conmie il eût reçu un oiseau que la fatigue
abat, ou à la repêcher à la nage si le vent l'eût jetée à la mer.
Tantôt elle amusait l'équipage oisif par ses chansons et par ses
danses, et alors Pierre Hello, attentif, semblait avoir trouvé
tout à coup de l'intelligence pour comprendre les vers, et du
goût pour sentir la grâce. Le lendemain de l'Epiphanie et de
sa courte royauté, l'aimable enfant parut triste et pensive, et
le vieux loup de mer se posa devant elle, inquiet et silencieux
comme un caniche qui voit pleurer son maître. Elle ne put
s'empêcher de répondre par une confidence à ce regard com-
patissant et interrogateur. Une vieille négresse marronne, qui
passait pour sorcière, et à (jui Marie-Rose portait en cachette
du pain dans les bois, lui avait fait une prédiction étrange qui
la préoccupait, et dont elle avait retenu les paroles textuelles :
c( Bonne petite maîtresse , moi avoir vu dans la nue grand
» condor monter bien haut, bien haut, avec rose dans son
» bec... Toi, être Rose... Toi, bien malheureuse^ puis toi
» reine, puis grande tempête, et toi mourir. »
■ — )'ai été reine hier, ajouta-t-elle, et je n'attends plus
maintenant que la tempête qui doit m'emporter...
— N'ayez pas peur, mademoiselle, répondit Hello; s'il arri-
vait malheur au Héron, vous n'auriez qu'à saisir le pan de ma
ceinture... là... comme ceci, et, avec l'aide de Dieu et de
mon patron (un grand saint, voyez- vous! car il marchait sur
l'eau sans enfoncer, ce qui, foi de marin, est un bien beau
miracle!) vous aborderiez aussi doucement à terre qu'une
goélette remorquée par un trois-mâts.
Marie-Rose, un peu rassurée, paya le dévouement du brave
LHS PKTITS SOULIRRS '2S0
hoiniiH'- <Mi lui cliiiiilaiit iiiio romance (\\w, j» Tsoniio n'avait
encore entendnr. (délaient, ([iiand son départ lui décidé, ses
adieux et ses plaintes (|n'un jeune créole, son voisin, avait
mis pour elle en vers et en nnisiipic :
Petit uoprc, au camp qui flcnronne,
Va moissonner pour ma couronne :
La négresse fuyant aux bois,
Marronne ,
M'a prédit la grandeur des rois
Vingt fois.
Petit nègre, va, qui l'arrcle ?
Serait-ce déjà la teaipèto
(Jiii doit effleurer si souvent
Ma tète,
Kl i'tu' mon hoiiheur niniivanl
Au veut?
Las ! j'en pleure dt!Jà la perte.
Adieu ilunc, pour la mer déserte,
I.i rivière des Trois-llels
Si verte,
<hi, dans ma tiarquo aux bloudsi tlleb,
J'allais !
Adieu : les vents m'unl eutrainéo ,
Ma patrie et ma suMir ainée !
La fleur veut mourir ou la fleur
Kst née ,
Et j'étais si bien sur ton ctrur ,
Ma sirur !
Mais il e>t un àf:e où Imiles l(»s doMleiu's passent lép'Tes el
lii:iili\es, où la nidancolic du soir >t'"i lie .m malin coinmc la
rosée; et Marie-Uose a\ail cel aue. le N'iulemain . «die dan-
17
2!J0 LES PETITS SOULIERS
sait encore; les jours^ les semaines s'écoulèrent^ sans user
cette gaieté pétulante ; mais il n'en fut pas de même de ses
petits souliers. Le dernier bond d'une farandole en emporta
les derniers lambeaux. Par malheur, la garde-robe de ces
dames était légère ; elles allaient à Paris, et avaient cru de-
voir, pour la remonter, attendre les conseils de la Mode dans
son empire. Bientôt Marie-Rose fut réduite à s'asseoir immo-
bile à côté de sa tante , cachant ses pieds nus sous sa robe ,
remuant la tête et le corps dans un besoin fébrile du mouve-
ment, mais n'osant risquer un pas, semblable à cette Daphné
des Tuileries dont le buste est vivant encore quand ses pieds
ont déjà pris racine. La petite reine pleurait là, captive comme
dans une tour enchantée , et attendant qu'un chevalier, pas-
sant, la délivrât.
Ce chevalier passa, et ce fut Pierre Hello. « Laisser nus de
si jolis pieds, disait-il avec l'accent de l'indignation, il fau-
drait n'avoir pas pour deux hards de cœur ! » Mais si le poète
a dit : L'indignation fait des vers , il n'a pas dit qu'elle put
faire des souliers. Pierre Hello réfléchit, se frappant le front,
se grattant la tète, et promenant d'une joue à l'autre, ce mor-
ceau de tabac que les marins ont l'habitude de mâcher... enfin
sa chique. C'est un vilain mot; mais pardon, il n'y en avait
qu'un }tour exprimer la chose, et cette chose est trop impor-
tante quand il s'agit de mœurs maritimes, pour qu'un narra-
teur consciencieux n'en parle pas. La chique est à la pensée
du matelot ce que l'aiguille est à l'horloge : quand la pensée
va, la chique tourne. C'est qu'aussi il s'était posé une ques-
tion bien ardue j[)our un mathématicien novice : Faire quelque
chose avec rieuj problème que Dieu seul a pu résoudre.
LES l'KTITS SOUL 11:11 S 291
tt Un iiiurcoau do cuir ! ma iiipo cl, ma mcdaiile pour un
morceau de cuir! » disail-il avec l'cucrgio dcses[)ért'c de
Ricliiinl III, criaul : « Une épée î mon loyaume pour une
épée! » Certes, tous les lilcU de rc(pnpage se fussent dé-
ployés bien vile à la mer s'il eût connu riii>loire de don Oui-
cliotte, et osé se llatter d'avoir la main au.ssi heureuse que
Sanclio l*ança, (pii, jetant ses hameçons aux truites, y voyait
mordre {W<< savates. Il chercha, fureta, renma ; sa main passa
jtaitoul où nm» souris pouvait passer. Enlin, il poussa un cri
de joie , un cii stMublahle à celui d'nar[»ayon retrouvant su
cassette, ou de J.-J. Housseau cituvantdes yeux sa pervenche.
Ce n'était [las une Ih-iir, ce n'était pas un lrés(»r (pic Pierre
llello vciinil de d»''((in\rir, c'était ipiclcpie chose de iiicii plus
précieux, ma fui: c'était une liollcl la luillf dim >uldal du''
dans im abordaj^e; elle avait niuN' daus un (("in de la cale.
Dieu sait cduuneni ! Depuis elle (•lait re>U''e là , pnil.iul le
deuil de sa scrur jumelle novi-e dans la mei- mi ensevelir dans
le veutre d'un leipnn; ( t croyaiil Itien, ciiiiiiiic Ir rai de La
Udulaine, (pie 1» s choses (rici-itas ne la reuardaicnl plus. Mais
Pierre Ihdlo eu décida aiilrciiienl : se servant de son poi|;nard
en ^Miise d'alcue cl de Iraiiclicl, il piMça, il tailla si bien, (piil
lit en moins d'une licuic... je voudrais bien pou\oir dire ipul
lit nue paire de souliers; mais, par re>pecl pour la \erité, je
n'use... Ce (piil lil, ce n'était précisément in des souliers,
ni {W> biddiMpiins, ni dr> bottines, ni des chaussons, ni dos
soctpu's, ni des cothurnes, ni des baboucin's , ni îles mocas-
sins; c'était, dans l'art de la chaussure, ime (cuvre orifiinale,
fanlasti(pi(> , romantiipic, une chose sans nom; mais enlin
cette chose sans nom pouvait ù la rii^ueur sinleri)oser connue
292 LES PETITS SOULIERS
une armure défensive entre l'épiderme du pied humain et le
parquet. Le brave Hello courut aussitôt à la cabine de Marie-
Rose^ où après avoir, à grand'peine et aux éclats de rire de
la jeune fille, emboîté, ficelé ses pieds nus dans cette bouf-
fonne chaussure, il se releva, croisa triomphalement ses bras
sur sa poitrine, et dit : Voilà!... et une heure après, la baya-
dère dansait encore, dansait avec un poids à chaque pied, aux
applaudissements de son parterre, conquis cette fois à double
titre, car il y avait dans cette danse le mérite combiné de l'art
et (lu tour de force : c'était mademoiselle Taglioni et madame
Saqui résumées d'avance en deux jambes.
Enfin, après une longue traversée, la vigie cria : Terre ! Et
ce fut, je vous assure, une scène vraiment touchante que celle
du matelot et de la jeune créole. « Je penserai toujours à vous
et je garderai vos souliers comme un souvenir, comme une
relique, disait Marie-Rose pour consoler Pierre Hello, qui pas-
sait sur ses yeux humides le revers de sa main calleuse. —
Oh! répondait-il en secouant la tête, vous allez à Paris, où de
nouveaux amis vous feront perdre le souvenir du pauvre Hello,
qui ne vous occupera guère. — Toujours! » répéta-t-elle, en-
traînée par sa tante. U la suivit longtemps des yeux ; elle se
retourna souvent, et il ne pouvait déjà plus l'entendre qu'elle
répétait encore en agitant son mouchoir : « Toujours, Hello,
toujours! »
Pierre Hello ne put savoir si la jeune fille tint parole, car
il toucha bien rarement la terre, et fut tué dans la guerre
d'Amérique. Quanta Marie-Rose...
Mais voici, au travers de mon histoire, le grand fleuve de la
révolution française qui passe ; fleuve étrange et qu on ne sait
LES PETITS SOULIERS 293
comment nommer : Pactole au salile d'or, Simoïs teint de
sang, Enrôlas anx lauriers-roses. Son bruit et sa profondeur
vous causeraient des vertiges. Donnez-nioi la main, ma so'iir,
fermez les yeux et sautons par-dessus...
Bien! nous voici tombés au milieu de l'empire, et nous
sommes à la Malmaison, retraite de la noble et mallieureuse
Joséphine, veuve, par une séparation légale, de Napoléon vi-
vant encore, mais toujours impératrice et toujours adorée des
Français, qui l'avaient épousée, eux aussi, dans le cœur, et
qui n'avaient point souscrit au divorce.
Accoudée dans sa chaud)re stn- la boîte d'un piano, elle
écoutait en souriant une députatioii de jeunes demoiselles at-
tachées à sa personne, et qui sollicitaient, tnMnblantes, la
permission de jouer des proverbes au château, a Volontiers,
mes enfants, répondit la bonne Joséphine; je veux même
me charger des costumes. (îràce à la générosité de l'em-
pereur, ma garde-robe y peut abondamment fournir. Tenez,
voici ce (piiî Marchand vient encore de in'appoilrr toul à
l'heure. »
Et elle repoussait négligemmenl du pied une fourrure l'ien-
due sur le la[MS. (leth^ parure était si belle, (pie niademoi-
selli; S. -il., la plus jeune des and)assadrices, ne put sempè-
cher de dire, en frappant l'une, contre l'autre ses blanches
mains en signe d'admiration :
« Dieu' (pu» Voire Majesté est heureuse !
— IleuiciiM'! iMiMinura Joséphine, heureuse!... »>
lOlle parut n''ver un inoniinl, i>t ses doigt> «listraits, errant
sur les touches de sou piano, en tirèrent qnehpies notes de la
romance cpie nous connaissons di'jà :
294 LES PETITS SOULIERS
La fleur veut mourir où la fleur
Est née ,
Et j'étais si bien sur ton cœur.
Ma sœur !
Puis, secouant les souvenirs qui l'oppressaient, elle se leva :
« Qui m'aime me suive, mesdemoiselles; venez voir et
choisir vos costumes. »
Et, précédant le jeune et fol essaim, elle entra dans sa
garde-robe. Toutes les jeunes fdles ouvrirent alors des yeux
émerveillés, comme le fils du biiclieron descendu pour la pre-
mière fois dans la caverne d'Ali- Baba. Il y avait là des gazes
si légères , qu'elles se fussent envolées comme les fils de la
Vierge, n'eût été le poids des pierreries qui les bordaient; il
y avait là des mantilles espagnoles, des mezzaros italiens, des
peignoirs d'odalisques, tout imprégnés encore des parfums du
harem et de la poudre d'Aboukir, et enfin des robes de ma-
done si belles, que la Vierge de Lorette elle-même ne les eût
mises autrefois que le jour de l'Assomption.
« Prenez, enfants, dit la bonne impératrice, et amusez-vous
bien. Je vous abandonne toutes ces belles choses qui vous
font ouvrir de si grands yeux, toutes, hormis une seule, car
celle-là m'est trop précieuse et trop sacrée pour qu'on y
touche. »
Puis, voyant à ces mots la curiosité étincelante sous toutes
les paupières : « Je puis cependant vous faire voir ce trésor, »
ajoula-t-elle.
Je vous laisse à penser, ma sœur, si l'imagination, cette
LES PETITS SOULIERS 2'.).'i
folle (lu lo(jif^, qui en ost la maltresse à quinze ans, prit ses
éi)ats dans toutes ces tètes enfantines.
nu'élait-ce donc que celte merveille qu'il était défendu de
toucher quand ou froissait à loisir tant de merveilles?
Une robe couleur du temps, de la lune ou du soleil, comme
dans Peau d'Ane? Cet œuf d'oiseau qui, suivant les contes
arabes, est un diauiant et peut n'iulrc invisible? Un évent;iil
fidt avec les ailes d'un j^'énie de rAlliand)ra? Le voile d'une
IV'c, ou bif'u (|uel(pie ouvraiic jilus pn'cieux (Micor»» commandé
|»;u- rem[tereur à l'un de ses démons familiers, Icpctit homme
rùwjc ou le petit homme vert ? (ju'élait-ce donc?
Uniin, jinMiant pilié de la curiosité impatiente qu'elle ve-
nait dinilcr clle-mènie avec une innocente malice, Joséphine
fouilla dans un coin de sa {4arde-rol)e impériale et en tira. .
Ce n'élail , crllc loi<, ma sn'ur, ni un ciidciiu tic N;qttilt''ou
ni ro'iivi'e triin ^t'-iiit' : (•'(•Liil l'iruvic cl li' |ii-c-ciil du marin
bit IdU, IMcii'c llclio, c'(''liiiciil les souliers de .M;irie-Hose.
Uai\ vous l'iiNe/ (leviiii' i|e|."i , riiii|ii''r;illiee .lost'pbine e| l;i
danseuse iiu\ pieds nus ne vont (prune iiièiiii» personne et
un nièuie eu'ur. (Juand l'i'pi'e île l^onaparte coimnençail à dé-
couper rUiiropc comnie un L'àleau, .lo>épbine-.V(//7V-i{()Sc
Tascber de l.a Pa^'crie, lieiircusc celle fois, eut la fève et re-
fîna. l'Ile réj.'na lon^leuqx; mais voilà (pi'un jour il se tit tout
à coup une ;jrande tiMUpèli» en i'.urope; les neiges de la \\\\>-
sie se souhnèrciil d'elles mèiues pour r(»tond>er en blanc lin-
ceul sur nos soldats; les quati'c veuts nous soufllèrenl tles
avalanches (renneiuis, et il y cul ;dors en l'rance, aux éclairs
du sabre (M du c;mon , et sous le>; lourds pii'MinemeutN de la
200 LES PETITS SOULIERS
bataille^ des tremblements de terre aussi forts que ceux des
Antilles... Lorsque enfin notre ciel redevint beau, la prédic-
tion de la négresse était accomplie tout entière... le grand
condor foudroyé avait laissé tomber la rose, et la créole des
Trois-llets, deux fois reine, était morte dans la tempête!
T II K R K SE S r U E A V
Je nànais un juur avec délice, bouche liéante et le nez en
l'air, sons les niarronniurs en llciirs du jardin des Plantes; car
ce jour élait un dim.iiiclie, et j'clais alors de mon un-ticr coin-
positeur d'iniprinicritî; or, par la littérature (jui court, c'est
un lorrihlc métier, je vous jure. Ki^urez-vous (jue j'avais pâli
vX hàillé toute la semaine sur le nouveau nunan «l'un auteur
en vo|.;ue. « Mais [lourcpioi donc, avais-je nnu'uuué vinj^t fois,
» soulllcter ainsi, hrulalemenl et à tout propos, Vaut.'elas,
» Hestaul cl Wailly, avec Icsfiuels je gagerais que ce monsieur
» n'enl jamais ri»Mi à démêler!... » Ans>i, dès le malin du jour
libérateur, ma main, romiilico involonlairc cl noire en('(»re de
mille atU'nlals à la lanj^ue, .s'i'lait cacliée honteuse sous un
{^anl. I,e dimanche, comme vous savez, est pour le peuple un
jour de ini'tamorphoses; je m'avisai ce jour-là d'être f^alant.
Parmi les iMdinemnus f^roupés, toujours curieux <'t toujours
1(S mêmes, devant rcnceinle close où >e pavane relépliant, je
venais d'apercevoir une jeune dame don! j'avais peine à
nre\pli(pier la présence en pareil lieu, car, bien tpie >a mise
IVil d'une grande simplicité, sa ligure, éclatante de pâleur >ous
un bandeau Ai' cheveux noirs, ne maïupiait \k\> tic distinclivm,
et ses lèvres plu> d'une l'ois avaient accueilli par un mouvc-
17.
?98 LES PETITS SOULIERS
ment ironique les sottes observations qui pleuvaient autour de
nous. J'épiais l'occasion de lui adresser la parole : elle ne se
fit pas attendre. Son sac, qu'elle avait ouvert, m'avait laissé
voir, entre un rouleau de papier et un in-octavo, trois petites
pommes de reinette. Un mouvement de l'inconnue me fit
croire qu'elle voulait, elle aussi, payer son tribut au vorace
animal : « Prenez garde, lui dis-je; une dame, dimanche
dernier, avançait étourdiment comme vous le bras oià pendait
son sac pour offrir un échaudé à l'éléphant, et ce gastronome
peu délicat happa et engloutit du même coup le sac et l'é-
cliaudé ; prenez garde ! » — Encouragé par un sourire de ma
voisine, je poursuivis ; « Tenez, lui dis-je, c'est ainsi qu'il
faut s'y prendre. » Et, saisissant une des pommes entre le
pouce et l'index, je l'offris à l'animal. Il l'avala de si bonne
grâce que je pris à l'instant la seconde, qui disparut comme
sa sœur. J'aurais fait suivre le même chemin à la dernière, si
la main que j'étendais n'eût plongé dans le vide : la jolie pro-
meneuse avait disparu.
Je m'éloignais, soucieux et marchant au hasard, lorsqu'au
détour d'un sentier solitaire, j'aperçus l'objet de ma préoccu-
pation. Assise sur un banc de pierre, la dame aux pommes de
reinette en croquait à belles dents la dernière, sans la peler, et,
tout en mangeant, parcourait des yeux et de la main les pages
du livre déployé sur ses genoux. Je m'arrêtai à quelques pas,
pétrifié de surprise et de confusion. Hélas ! je le comprenais
eniin, mais trop tard, ce n'était point à l'éléphant qu'était
destiné ce plat de dessert, et, dans ma gauche courtoisie,
j'avais volé à la dame de mes pensées les deux tiers de son
déjeuner. Que faire? c'eût été ajouter à la sottise et à l'offense
THÉRÈSE SUREAU 299
que (le lui en offrir brutalement d'autres, et cependant je
mourais d'envie d'acquitter ma dette.
Son repas pylliagorien fini, elle continuait sa lecture qui
paraissait l'intéresser beaucoup. Alors j'eus une idée bizarre.
Je me souvins (ju'un étudiant de mes amis avait conquis
autrefois les bonnes grâces d'une reine de comptoir en usur-
pant le nom de Casimir Delavigne, et soudain mon projet fut
arrêté. Au moment où la jeune lectrice, par un mouvement
d'admiration idolâtre, touchait de ses lèvres roses un feuillet
du livre : « Merci,» dis-je braveniriit, et je m'avaneai. I. in-
connue leva les yeux : « ('.onunenl, dit-elle, rouL'e i-oiiiiue une
cerise, vous seriez... » Je rinterrompis en m'iuelinant d'un
air modeste. Alors vous eussiez vu la jKiuvre enfant fn'iuir
d'un saint respect, et vous-même, vous frémiriez d'indiiznation,
lecteur, si je vous disais de (pielle auréole poétique je m'étais
elTronlément coilïé. J'olïris mon bras à la i»romeneuse solitaire,
il va sans dire (|u'il lut accepté. ('.Iiemin faisant, ma compa^'ne
me prodigua les C(iiilitlences : c'était une fennne auteur,
fraîchement débaniuiM», eoiinui' tant d'autn s, de la province
(pii ne la comprenait pa-;, à Paris, (pii se soueiail fort peu de
la «'omprendre. Klle avait composé lidini ht solitude et le silence^
disait-elle, lui volume de juiésie, (pii courait i:rand riscpie,
pensai-je. de mourir connue il était ur. He plus, elle venait de
jeter dans les cartons d'un théâtre du boulevard un drame en
cinij actes, intitulé», autaid ipi'il m'en souvient, '/Anot'ir. \.c
soufth'ur, ralluineur, le machiniste et autres lilléralcurs lui
avaient eon>eille, dans l'intérêt de la pièce, d'y tailler un rùlo
pour un éléphant, ( c qui m expli(piail enliii son altenlion de
tout à Iheure aux allures du yii^anliVNpie (omcilien. ilelasl la
300 THÉRÈSE SUREAU
pauvre dévote croyait se confesser au grand prêtre de la reli-
gion romantique; et moi, je l'écoutais, rougissant et balbutiant,
comme l'écolier espiègle qui s'est caclié, la veille de Pâques,
dans un confessionnal pour surprendre aux jolies pénitentes
Taveu de leurs péchés mignons. Notre promenade vagabonde
nous avait entraînés hors du jardin. J'allais, j'allais toujours,
et ma compagne suivait sans détiance; ce n'était pas un
homme, mais un poëte qu'elle suivait. Pour elle, le bourdon
de Notre-Dame, sonnant vêpres, sonnait ma gloire ; pour elle
je portais sur le front une flamme bleue comme les Génies des
contes, et, sur la foi de cette étoile, elle m'eût suivi sans
hésiter jusque dans la Cour des Miracles. Nous nous trouvâmes
ainsi, loin, bien loin de notre point de départ, en face d'une
jolie guinguette que je connais. « Si nous entrions là, lui dis-je,
nous serions plus à l'aise pour causer, » et, sans attendre de
réponse, je franchis le seuil, entraînant avec moi la naïve pro-
vinciale, quelque peu étonnée de ces lestes façons, et les
attribuant sans doute in petto à l'originalité, compagne ordi-
naire du génie. Les deux pommes volées m'avaient pesé
jusque-là sur la conscience; mais enfin mes remords s'éva-
nouirent entre un rôti et un dessert. Cependant la conversation
ne cessait pas d'aller son train. — « Comment me conseillez-
vous de signer mon nouveau recueil? dit la muse : vous le
savez, un nom sonore impose quelquefois au lecteur, et Ton
aurait grand'peine à croire au talent d'un poëtu qui s'appelle-
rait prosaïquement Thérèse Sureau. »
Je bondis à ce nom bien connu, et, béant, immobile, je fixai
sur celle qui me parlait des yeux épouvantés. — « Ma cousine ! »
balbutiai-je en retombant sur ma chaise.
THl'RÈSE SUREAU 301
Elle trahit par un geste son désappointement. « Non, je ne
suis pas un poëte et je vous ai trompée, poursuivis-je en pré-
venant ses questions. Je suis tout simplement, jjelle muse,
Pierre- Jacques, votre cousin, ouvrier imprimeur... pour vuus
servir! »
Et en effet c'était bien Thérèse, Tliérèse, la mieux aimée de
mes compagnes d'enfance, et dont, sous un masque récent de
pfdeur, la figure, autrefois si rose, n'avait d'abord éveillé chez
moi (lu'uii vague souvenir. A dix-sept ans, elle était devenue
ma cousine (rien (jue ma cousine, hélas!) en épousant un
gros, gras et riciie fermier, mon parent, qui ne tarda pas à la
laisser veuve, en tombant un soir, après de ferventes libations
au saint du village, dans un i)i(';:(î à loup, d'où on le r lira
mort le lendemain.
Élevée par les dames du chàleau, el leur deuioiselle de
compagnie avant ce mariai^e, la jeune veuve se laissa bientôt
aller à la vie élégante (ju'elle avait essayée autrefois et à la
poésie, ses premières amours. Iiiondt' de pluie, de grêle et de
procès, son pelit doiuaiiie s'en alla sous ses {lieds eoimue un
sable mouvant, tandis (pi'elle regardait le ciel. A sou arrivée
à Paris, elle ('-(ait riche encore d'une vigne et d'un pré; mais
il fallait [layer les frais d'impression de ses poésies, mais il
fallait jeter un peu de poudre d'or sur les feuillettms, si bien
(jue la jeune fermière n«' possédait plus rien au soleil (jue sii
jeunesse et sa beauté; et Thérèse n'entendait rien, Dieu merci!
à l'exploitation d'un pareil fonds.
Après un nioniciil de silenee : u Je n'essaierais pas. lui
dis-je. de vous détourner d'ime carrière à la(|uelle vous seriez
fatalement prédestinée; mais ètes-vous bien >ùre tle votre
302 THÉRÈSE SUREAU
vocation? De quel droit vous proclamez-vous poëte? Est-ce
pour avoir quelquefois aligné des alexandrins et accouplé des
rimes? Mais, à ce compte, je suis poëte aussi, moi ; mon voisin
l'étudiant, mon antipode l'épicier, le sont encore; et mon por-
tier, qui l'est tant soit peu lui-même, balaie tous les malins
de la poésie à chaque étage. Prenez garde de vous tromper, et
de prendre pour votre étoile un feu follet qui vous conduirait...
Dieu sait où ! à la misère, à la honte, à la mort ! Mon élat,
cousine, me donne le droit de vous parler ainsi. La typographie,
voyez-vous, est l'antichambre de la littérature, et, comme tout
valet de grande maison, je regarde quelquefois par le trou de
la serrure. L'autre jour, par exemple, le prote me députa chez
un auteur qui faisait attendre de la copie. C'était, comme
vous, Thérèse, une jeune fille de vingt ans. Je la trouvai
malade, au lit, et soignée par sa mère. Elle écrivait. De temps
en temps sa tête fatiguée retombait sur sa poitrine, la plume
s'arrêtait sous ses doigts amaigris, et alors elle demandait une
tasse de café. C'était pour s'inspirer, disaitelle; mais la perfide
liqueur lui versait à la fois la lièvre et l'inspiration, et chaque
phrase, chaque vers coûtait à la malade un quart d'heure de
vie. « Hàtez-vous, madame, lui avais-je dit étourdiment, car
nous attendons, et nous avons besoin de travailler. — Vous
avez besoin de travailler, murmura-t-elle en regardant sa
mère, et moi donc!... »
« Ceci n'est pas un roman, cousine; la jeune muse chantait
liier encore; elle est muette aujourd'hui, et si vous désirez
savoir son nom...
— Silence, grâce, dit vivement Thérèse! ce nom, je le
connais ; cette histoire, je la sais. Pauvre sœur aînée, si le
TIIKRi:S-E SrUKAU 303
sommeil de la mort a des n-ves, ta gloire posthume du moins
te console aujourd'hui dans la tomhe!
— Sa gloire, cousine! interrompis-je en souriant avec tris-
tesse.
— Oseriez-vous l'allaquer?
— A Dieu ne plaise que je veuille arracher avec mes mains
noires quelques hrins de laurier à une tête de mort ! Mais si
j'étais père et qu'on m'eût invite, comme tant d'autres, à
souscrire pour le monument funèbre de la jeune hretuiuie :
« De grand cœur, aurais-je répondu; mais à condition ({u'un y
gravera pour épilaphe : r/-;//7 une honnête fille tuée à vin(jt a//s
par la manie d'écrire, et plus has : IJ c^t ih'fiUihi do dq)oser
des vers sur cette tomtie.
» Et quand même la foi qtie vous ave/, dans votre génie ne
serait pas une erre ur, écrire, eliaiiter, jeter de l'éclat et faire
du bruit, est-ce bien là, Thérèse, le rôle (jui convient à une
femme? (|u'eii dites-vous? Pour moi, le cdMir me saigne et la
rougeur me moule au froul. to\iles les fois que je lis dans un
journal ces paroles ou riMpiivaleut :
)) l'ne jeum» dauie ([ui se e;i(lie sous le i*siMi(lonyuie trans-
» jtarent de •' • •■ vient de puMier un nouveau roman auquel
» la vogue est assurée, (.itte fois, plus de voile sur les situa-
» lions, plus de réticence dans les e\pressi(tns. On devine
» (|ue l'aimable auteur s'est inspirée de ses souvenirs, etc.
)) l'riv : 7 fr. .'iO c. »
» r.ett(> annonce, à votre avis, n'e>t-eUc pas le di^ne pendant
de c(>lte auli(> (pie j'entendis un jour hurler siu' les tréteaux
de la foire :
» r.nirc/.. Messieurs et Dames; viMis y verrez la petite
304 THÉRÈSE SUREAU
)) Ourliska, princesse de Caramanie, qui a eu des malheurs.
» Elle est âgée de seize ans, danse sur la corde sans balancier,
» marche sur la tête comme un ange, et fait le grand écart...
» Que c'est étonnant pour son âge! Entrrrrez... ça ne coûte
» que deux sous !... »
» Un honnête homme, dit-on, à qui des Bohémiens avaient
enlevé sa fille au berceau, faillit devenir fou de douleur en la
retrouvant un jour déguisée en princesse de Caramanie. Et que
dirait le vôtre, cousine, le vôtre, qui est pieux et qui sait lire,
s'il vous rencontrait un beau matin, dansant sur la phrase
dans un journal ou faisant le grand écart dans un roman ? »
Une larme coula sur la joue de Thérèse.
«Victoire! dis-je; voici une perle assez précieuse pour
acheter le pardon d'un père. Courons lui offrir cette larme
chaude encore : son baiser l'essuiera, j'en réponds. »
Elle résista, mais j'insistai; elle discuta, mais je suppliai;
bref, je fis près de ma cousine, pour la ramener à Dieu, ce
que j'eusse fait près d'une autre pour la gagner au diable; si
bien que le soir même je l'entraînai à la diligence avec ses
bagages (presque aussi légers qu'elle ! ), et que le lendemain
nous roulions tous deux sur la roule de Champagne, elle pâle
et souffrante encore de sa gloire avortée, moi gai, triomphant,
et criant au postillon : « Ne verse pas, camarade : tu portes
une Muse et sa fortune ! »
Je ne pus assister à l'entrevue de l'enfant prodigue et de son
père, je m'étais arrêté en chemin, à deux lieues du village,
dans une imprimerie toute petite, mais proprette, coquette,
hospitalière (vous la connaissez, ma sœur), où je me reposais
voluptueusement sur d'innocentes affiches de la littérature
THÉRÈSE SUREAU 30:;
parisienne. Mais le dimanche suivant, comme vous pensez
bien, j'arriviii cliez mon oncle presque aussitôt (pie l'aurore.
Je trouvai ma cousine chantant à sa fenêtre pour bercer un
petit enfant tourmenté par la dentition ; et si, d'aventure, vous
êtes curieuse de connaître sa romance, je l'ai relemie, la
voici :
LES DENTS DE LAIT
Pauvre muse dédaignée
Dans le pays des luccliants,
A ton berceau, résiguée,
Lois, j'apporte mes cbants;
Cette fois , ma gloire est sûre :
Mon public est sans sifflet ,
Et son baiser sans nlbrsure :
Il n'a (pio ses dents de lait.
Dans les sentiers de la vie,
A tous les buissons pendant.
Un finit nommé Pvi'sie
Tente la main et la dent;
A l'enfant qui le regarde
Sa couleur veiinfillo pl.iît :
Hoau Lois, un jour, prends garde
D'agacer tes dents île lait !
Le ciel de la ville est sombre :
Oiseau tidèle ;\ ton nid ,
Si tu chantes, clianle ;\ l'onibrr
De noire doclier bruit.
Potir b> bonlieur seul respire.
Et mt''nic>, à riionre ijn'il osf ,
300 THÉRÈSE SUREAU
Qu'en dormant nn long sourire
Laisse voir tes dents de lait.
Oui, qu'une douce chimère
Caresse ton front vermeil ;
Rêve des baisers de mère,
Je vais, pendant ton sommeil,
Au pâle éclair de la houille,
Filant comme elle filait,
Demander à sa quenouille
Du pain pour tes dents de lait.
Bravo! m'écriai-je^ et d'un bond je fus dans la chambre.
Tliérèse m'accueillit cordialement, mais d'un air un peu froid.
Ses manières trahissaient une préoccupation secrète, et faisaient
soupçonner que la jeune métromane n'était pas tout à fait
guérie, mais seulement convalescente. Je me trouvai nn mo-
ment après attablé entre elle et son père, devant une excel-
lente soupe au choux que l'ex-muse prétendit avoir faite elle-
même et sans collaboration, la vaniteuse ! Le repas fut gai : on
rit, on jasa beaucoup, je soupçonne même que l'on déraisonna
un peu : la piquette et la joie font de ces tours. Malheureuse-
ment, comme je portais mon mouchoir à mes yeux, attendri
par les remercîments du bonhomme, le mouvement fit sauter
de ma poche une lettre à l'adresse de Thérèse. Pendant que je
présidais, à Paris, au transport de ses effets, allant et venant
du troisième étage à la rue, son portier m'avait remis pour
elle ce billet, qui était resté jusque-là oublié et enseveli dans
la poche de mon habit des dimanches. Hélas! plût à Dieu que
les souris de ma chambrette eussent mangé la lettre et l'habit!
c'était une invitation d'un directeur de théâtre à l'auteur de
THÉRÈSE Si: ri: AT 307
Zénobie, que Ton attendait, disait-il, pour cominoncer !•■< ré-
pétitions de son drame, reçu la veille par acclamation. Tliérùse
en fit leclure à liante voix, et dés lors je sentis que c'en était
fait de son boniieur. Nous n'opposâmes (luuiic résistance faible
et sans espoir à l'invincible fascination (jui l'entraînait : elle
[larlit... et sans retour!
Un mois après nous pleurions, son pérc et moi, sur une
lettre au cacbet noir portant le timbre île Paris. Tbérèse impa-
tiente de partir, n'avait trouvé, aux messa^'eries de la ville
voisine, de place vacante (|ue sur l'impériale, et battue tout
un jour \mr l;i pluie cl le vent, avait pa?;sé, à son arrivée, de
la voiture sur un lit d'agonie. La {.doirc l'eut ^'uérie peut-être;
mais à l'insliinl même on elle se traînait avec clïort vers le
lliéàlre dont les appels l'av.iient égarée, ce Ibéàlre, comme
par une vengeance du ciel, croulait dans les namnies avec ses
oripeaux, ses décors, ses cartons, bêlas ! et le drame de Zrnobic!
Dès lors la fièvre reditnbla et eut bon marclié de sa victime,
l'ne circonstance singulière mar([ua les derniers moments tie
Tbérèse; connue son bùtesse l'invitait à essayer de (pielipie
iiounilun^ :
(( .le diiiiM'ai (M> soir, dil-elle avec l'air et l'aeeenl du délire,
je diiierai en belle et nombreuse eniMpagnit* ! )->
l".l, d'tnie main li-embl;uite, elle se mil à tracer des invita-
lions. Or, voici (pielle ('tait la liste iW> convives :
Dryden, Mallilàlre, Savage, Cballirloii, (iilb'vl, l'scousso,
l'jisa MercuMU"
Les jours, les siMuaines, les mois (pii suivirent ces falale<
nouvelles, buent j'our moi, citmme vous pense/ bien, remplis
de distractions douloureuses. Les caractères répondaionl les
\
308
THÉRÈSE SUREAU
uns pour les aulres à l'appel de mes doigts talonnants : je me
barbouillais d'encre en essuyant mes pleurs, et une fois entre
autres, m'étant pencbé sur la forme humide d'un placard qui
devait annoncer la mise en location de je ne sais quel appar-
tement, je trouvai, en me relevant, ces mots, imprimés sur
mon gilet, à l'endroit du cœur : a Vacant par suite de décès. »
Note. — « Thérèse Sureau était dans l'origine nn feuilleton plutôt qu'une
n Ti.elle. Le drame (si drame il y a) servait là de prétexte au développement
t. un paradoxe. Des conseils prudents, mais tardifs, imposèrent à l'auteur de
larges suppressions qui , faites sur Y épreuve et quand il était trop tard poxir
supprimer la pièce entière , l'ont dénaturée complètement. «
HÉGÉSIPPE MoREAU. (Édition de 1838.)
Nous devons ajouter à cette Note , trop sévère à la fois et trop modeste,
que Thérèse Sureau est restée , à travers toutes les corrections, un des plus
jolis contes, d'un haut intérêt et d'une moralité profonde.
0. L.
LE NEVKU DE LA FiUITIÈKE
« Commont, niallicureux ! — iviu'lait à son lils le père Lazare,
cuisinier à Versailles, — lu auras six ans à Noël, et lu ne |>os-
sètles pas enrore le niuimlre talent d'ai^rénienl : lu ne sai> ni
tuuriier la broelie, ni ('runier le |i(ttî »
\A il laut avduer (jue le [lère l.a/.are avait (puM(jue raison
dans ses réiiriniandes, car, au iiiniMeiil où se jiasse cette scène,
en 1771), il venait »le siuprendre son héritier présomiilif en
lla;^ranl ilélil d'esplèj^leric et de paresse, s'eseriuiant , armé
d une liroclietle en f^uise de llcunl, coidrc le mur enfumé de
la cuisine, sans souci diiuc volaille (pii alleudail pileusejnenl
sur la l;d»lf' le nionicnl d'être ein|ia!ee. et de la marnùle pater-
nelle, qui jelail eu murmurant des cascades d'écume dans les
cendres.
— Allons, pardoiiue/.-lui el eud)ra>^c/.-le, c(> pauvre enfant :
il ne le fera plus, — disait ime paysmue jeune encore! frui-
tière à Montreuil, el s(eur de l'irritable cuisinier. — iMarlIie
(celait son nom) était venue à \ersailles sons prétexte tie eon-
sulti'r son frère sur je ne sais ipiel procès, mais en elTet pour
apporter d(»s baistMs et d''s pèches à son neveu ilt>nt elle était
folle, l'ont, dans le caractère el rcxlerieur de cet enfant. p»>u-
vail iu>ldicr celle alVection exlraonliuaire; cai il était espièjîlc
310 LE NEVEU DE LA FRUITIERE
et turbulent, mais bon et sensible, et gentil, gentil!... qu'on
se tenait à quatre en le voyant pour ne pas manger de caresses
ses petites joues, plus fraîches et plus vermeilles que les pêches
de sa tante. Mais le père Lazare grondait toujours. — Six ans!
— répétait-il, — et ne pas savoir écumer le pot! je ne pourrai
jamais rien faire de cet enfant-là !
Le père Lazare, voyez-vous, était un de ces cuisiniers ren-
forcés et fanatiques, qui regardent leur métier comme le pre-
mier de tous, comme un art, comme un culte, dont la main
est posée tièremenl sur un couteau de cuisine comme celle d'un
pacha sur son yatagan; qui dépouillent une oie avec l'air
solennel cVun hiérophante consultant les entrailles sacrées^
battent une omelette avec la majesté de Xercès fouettant la
mer; qui blanchissent sous l'inamovible bonnet de coton, et
tiendraient volontiers, en mourant, la queue d'une poêle^
comme les Indiens dévots tiennent, dit-on, la queue d'une vache.
11 n'y a plus de ces hommes- là.
Quant à Marthe la fruitière, c'était une bonne et simple
créature, si bonne qu'elle en était»., non pas bete comme on
dit ordinairement, mais, au contraire, spirituelle. Oui, elle
trouvait parfois dans son cœur des façons de parler touchantes
et passionnées, que M. de Voltaire lui-même, le grand homme
d'alors, n'eût jamais trouvées sous sa perruque.
Il y a encore de ces femmes-là.
— Frère, — dit-elle, émue et pleurant presque de voir pleurer
son petit Lazare, — vous savez, ce grand bahut-que vous trou-
viez si commode pour serrer la vaisselle, et que j'ai refusé de
vous vendre? je vous le céderai maintenant si vous le voulez.
— J'en donne encore dix livres, connue avant.
LE NHVKL' !)!•: LA F I{ Il T I L H L .ill
— Vivre, j'rii veux (hivantafio.
— Allons, dix livres dix sous, vX n'en piirloiis [ilus.
— Oli! j'en exi^e plus encore. C'e^t un hésor(iue ju veuxl
Le père Lazare regarda sa sœur lixcinenl, connue pour voir
si elle n'était pas folle.
— Oui, — poursuivit-elle — je veux mon petit Lazare chez
moi, et pour moi toute seule. Dès ce soir, si vous y consentez,
le bahut est à vous, et j'cnnnène le petit à Monlreuil.
Le frère de Marthe lit bien quebiues dilTicultés, car au fond
il éliiil bon iionnne et bon pèie; mais l'enfant en liligc lui
faisait faire, suivant son expression, tant de mauvais sainj v[ de
mauvaises sauces!... les instances de Marthe étaient ^i vives...
et, d'un aulre côté, le bahut en (jutslion élait si conmiode [luur
serrer la vaisselle!... enlin, il céda.
— Viens, nu»n enfant; viens, — disait Marihe, en enlraiuant
11' pdil Lazai'i; vers sa carriole, — lu seras mieux chez moi, au
milieu de mes pununes dapi, (|ue lu nian|;es avec tant de
t»laisir, (jue dans la S(tciélé des oies rôlies de ton père. l'auvie
enfani ! tu au mis pi'-ii i la us celle fumée... Ndis [i lu loi, — .ijnul.i-
l-elle a\ee une iiaive épouvaule, — niitu bnni|Ue| de \iulclles, ^i
frais Iniit à l'heure, est (h'-jà faut'! Oh ! \ii us cl marcluin> \ile :
si Ion père allait se déilire el h; iciuuloiv!
Lt elle enlraiuail sa proie ^i \ile, (pie les passants l'eussent
prise à coup sûr, sans sa mise ilécente et l allure libre el ^aic
de son jeune compai;non , pour une bohémienne voleuse
d'enfants.
Le premier soin (pu* prit la bouut' laule, après avoir in>lallé
son neveu chez elle, fut de lui apprendre elle-mèuie à lin», ce
dont le père Lazare ne ^e fût jamais avise; car, totalement
312
LE NEVEU DE LA FRUITIERE
dépourvu d'instruction , le brave homme n'en connaissait pas
le prix, et on l'eût bien étonné, je vous jure, en lui apprenant
qu'une des plumes qu'il arrachait avec tant d'insouciance à
l'aile de ses oies pouvait, tombée entre des mains habiles,
bouleverser le monde. Le petit Lazare apprit vite, et avec tant
d'ardeur, que l'institutrice était souvent obligée de fermer le
livre la première, et de lui dire : « Assez, mon ange, assez pour
aujourd'hui; maintenant, va jouer, sois bien sage, et amuse-
toi bien. » Et l'enfant d'obéir et de chevaucher à grand bruit
dans la maison ou devant la porte, un bâton entre les jambes.
Quelquefois l'innocente monture semblait prendre le mors aux
dents. — Mon Dieu, mon Dieu! il va tomber, — s'écriait alors
la bonne Marthe qui suivait l'écuyer des yeux; mais elle le
voyait bientôt dompter, diriger, éperonner son manche à balai
avec toute la dextérité et l'aplomb d'une vieille sorcière, et,
rassurée, lui souriait de sa fenêtre comme une reine du haut
de son balcon.
Cet instinct belliqueux ne fit qu'augmenter avec l'âge; si
bien qu'à dix ans, il fut nommé, dune voix unanime, général
en chef par la moitié des bambins de Montreuil qui disputaient
alors, séparés en deux camps, la possession d'un nid de merle,
liuitile de dire qu'il justifia cette distinction par des prodiges
d'habileté et de valeur. On prétend qu'il lui arriva même de
gagner quatre batailles en un jour, fait inouï dans les annales
militaires. (Napoléon lui-même n'alla jamais jusqu'à trois.)
Mais son haut grade et ses victoires ne rendirent pas Lazare
plus fier qu'auparavant, et lous les soirs le baiser filial accou-
tumé n'en claquait pas moins franc sur les joues de la fruitière.
Mais, hélas! la guerre a des chances terribles, el un beau jour
LE NKVEU D1-: LA F UT I T I K R L 313
le conquérant éprouva une mésaventure (lui faillît le dégoûter
à jamais de la manie des conquêtes. Voici le fait : connue il se
baissait pour observer les mouvements de l'enneiiu, la iiiaiu
appuyée sur un tronc d'arbre et à peu près dans la posture de
Napoléon pointant une batterie à Montmirail, le pantalon du
général observateur craqua, et se décbira par derrière, où vous
savez, laissant pendre et flotter un large bout de la petite clie-
mise que Marthe avait blanchie et repassée la veille. A celte
vue, les héros de Monlreuil poulTèrent de rire, aussi fort que
l'eussent pu faire les dieux d'Homère, grands rieurs comme
chacun sait. L'armée se mutina, le général cul beau crier
comme Henri IV dont il avait lu l'histoire : « Soldats, ralliez-
vous à mon panache blanc! » on lui répondit (|u'un panache
ne se mettait pas là, et qu'on ne pouvait, sans faire injure aux
couleurs françaises, les arborer sur une pareille brèche; si bien
que le pauvre général brisa sur le dos d'un mutin son bàluu
de connnandement, et rentra dans ses foyers, triste et penaud
connue les Anglais abordant à Douvres après la bataille île i'on-
lenoy... Ce nom me rappelle une circonstance que j'aurais tort
d'omettre, car cil»! iidlua bi'aucoui» sur le caniclcrc cl la des-
tinée du licros de cette histoire, lii p.iuvre sieuv xildiil (|ui
venail de Irmps en temps chez .Marthe, ^ii parente cloi;:nee.
fumer sa pipe au cdiii de làlre, cl se rcch.ndïer le cirur d un
verre île ralalia, ir,iN;ul pas nian(|né d'y ra«onlei Inutilement
connue quoi lui et le maréchal de Saxe avaient uiif^ne la célèbre
bataille. Je vous laisse à piMiser si ce n'cit ine\acl, mais chaud,
avait dû enilinumer l'imaizinaliiin du jeune ainlileiu'. Depuis
lors, endornn ou i-veilli', il enîendail sans cesse pialler l«'s che-
vaux, sil'ller les halles, cl gronder les canons; e| plu> d'une
18
314 LE NEVEU DE LA FRUITIÈRE
fois, seul dans sa petite chambre, il se fit en pensée acteur de
ce grand drame militaire.
11 eût fallu le voir alors trépigner, bondir et crier :
— Tirez les premiers, messieurs les Anglais! — Maréchal,
notre cavalerie est repoussée î — La colonne ennemie est iné-
branlable ! — En avant la maison du roi ! — Pif ! paf ! Baound!
baound ! — Bravo ! le carré anglais est enfoncé ! — A nous la vic-
toire! vive le roi! Le pauvre Lazare se croyait pour le moins
alors écuyer de Louis XV ou colonel. Une pareille ambition
vous fait rire sans doute! C'eût été miracle, n'est-ce pas, que
le neveu de la fruitière pût s'élever si haut? Oui, mais sou-
venez-vous que nous approchons de 1789, époque féconde en
miracles, et écoutez :
Lazare, engagé d'abord dans les gardes françaises, malgré
les larmes de sa tante, qu'il tâchait en partant de consoler par
ses caresses, ne tarda pas à devenir sergent. Puis le siècle
marcha, et la fortune de bien des sergents aussi. Enfin, de
grade en grade, il devint... devinez. — Colonel? — Il n'y avait
plus de colonels. — Écuyer du roi? -^ Il n'y avait plus de roi.
— Vous ne devinez pas? Eh bien ! Lazare, le fils du cuisinier,
Lazare, le neveu de la fruitière, devint général; non plus
général pour rire, et en casque de papier; mais général ^îour
de bon, avec un cliapeau empanaché et un habit brodé d'or;
général en chef, général d'une grande armée française, rien
que cela, et si vous en doutez, ouvrez l'histoire moderne, et
vous y lirez avec attendrissement les belles et grandes actions
du général Hoche. Hoche était le nom de famille de Lazare.
Hâtons -nous de dire à sa louange que ses victoires, bien
sérieuses cette fois, le laissèrent aussi modeste et aussi bon que
LE NEVEU DE L\ FRUITIÈRE 31",
SOS victoires enfantines à Montreuil. Aussi, lorsqu'un jour de
revue , il passait au galop devant le front de son armée , il y
avait encore, à une fenêtre près de là, une bonne vieille femme
qui couvait des yeux le beau général, balelante de plaisir et de
crainte, et répétant comme vingt ans auparavant : « Mon Dieu !
mou Dieu! il ta tondx'r! » Oiiant au cuisinier grondeur de
Versailles, il était là aussi, émerveillé d'avoir donné un héros
à la patrie, répétant avec un certain air de suflisance, à ceux
qui l'en félicitaient: — Vous ne sauriez croire combien j'iii eu
de peine à élever cet enfant-là! Figurez-vous, citoyens, (pià
six ans il ne savait pas écumer le pol !
I I \
I
TABLE
PAfilS
IIÉGÉSIPPE MOREAl) 1
Dix -huit ans 27
Vive le roi 29
Déranger 31
Kpitre à M. Firuiin Uidol, sur rimpriiiierK; 33
DioGÉNE, fantaisie poétique. — Piéfaee de rAutciu 42
L'Abeille 43
I.fi Parti bonapartiste, à Joseiih Honaparic 51
l.a l'rincesse ."j?
Merlin de Thionville 59
A M. C. Opoix, do Provins, cx-convenlionnel OT
Le PiW'te en iirovinrc "4
A Henri V 80
L'Apparition î»!<
Les Noces de C,:\ua 94
Le Hameau incendié. ... . . 98
l'n Souvenir à l'hôpital tOl
L'Hiver t^'b
les .Modi.stfs ho.'ipitalii'rei, anocilolo iK' Juillet lS3ti ••-
Vive la lloauté .11»
1/Aniant tinude . . IIT
Les J(>iu .le lAinoiir et dn ll.is;ir.l . it".^
318 TABLE
PAGES
Chanson patriotique des Danseiises de TOpéra , pour fêter l'anniversaire
de la Révolution de Juillet 121
L'Écolière 124
Béranger 127
La Muse 120
Le Tocsin 131
Souvenirs d'enfance 133
La Fauvette du Calvaire, fabliau normand. . . .' 135
A un Auteur iiermaphrodite 137
Le Joli Costume. 138
A Jean de Paris, improvisé à une représentation de Don Juan. . . . 141
Surgile mortui , couplets chantés à un déjeuner dont tous les convives
avaient tenté o\\ médité lo suicide 144
Le Dernier Jour 147
Les 5 et 6 Juin 1832, chant funèbre 150
Mil hiiit cent trente -six. . . . , 155
Nicolas, chanson à boire écrite sur la carte à payer d'un restaurateur. 159
Les Croix d'honneur. . . . .- 162
L'Ile des Bossus, conte -clianson 1G4
La Fermière, romance Ifi9
Si vous m'aimiez, romance 172
A une Dame qui se plaignait de voir aux Tuileries sa chaise entourée
de jeunes gens 174
Les Deux Amours 174
Les Contes 177
L'Oiseau que j'attends , romance l8l
Les Cloches 1S3
Le Revenant 186
Bordeaux, ode à Madame ***, de la Gironde 188
Lacenaire poëte 193
Le Corse 198
A Médor 200
Les Voleurs 202
M. Paillard 205
Réponse à une invitation 208
TAbLK 319
PAGES
La Confession 209
Fable iilt
L'holement, élégie, à Madame *•* 21i
Soyez bénie ! 217
Sur la Mort d'une Cousine de sept ans 218
L'Bnfant maudit , conte 22o
Les Signes de croix tii
Un Quart d'Heure de dévotion 227
Le Ciiaut des Anges, romance 234
La Sœur du Tasse 237
la Voulzie, élégie 2 il
Le Haptème 213
A mou Ami; iVj
A mes Chansons ^iS
Contes. — Le Gui de chiliio ili3
La Souris blaïuiio -67
Les Petit:; Snuliers iSo
Thérèse Sureau 2",»7
Le Neveu de la Fruilicrc 3u'.»
IIN 1)1. I..\ 1 Ali 1.1
i'MUS — IWrUlMLUlU LIH'UAM) ULOt, RUE S A l .N T - LU U l S , 41
rLF Moreau, Hégésippe
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