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Full text of "Oeuvres;"

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UNIV.  OF 

TOIU)N'I  U 

I.iHKAKV 


i*      \ 


IC 


iféù 


V 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/oeuvresmoreOOmore 


ΠII Y  R  E  S 


l»K 


K  Ë  (1 É  S I  P  V  K    M  0 11 E  A 1 


^■; 


PARIS     —     IMPRIMERIE     EDOUARD     BlOT 

nie  Sailli  Loiiir;,  4C,  an  Marais 


A& 


^ 


OEUVRES 


]>Y. 


HllGÉSIPPE  MOREAU 


Nouvelle    Edition 

p  R  K  c  )•:  1)  i';  E  n  '  i:  n  k   notice   m  t  t  k  h  a  i  it  i: 

PAR     M.     SAINTE-BEUVE 

l>  K     t.' A  I-  A  \>  {■  \\  \V      r  II   \  N  Ç  \  I  S  K 


\     Â"         l'arviilos  110  ili>siiiii.is. 
^  \i  iiMiiN. 


^V 


LR    MYOSOTIS 

IMIKSIKS    |l|\r.HSKS 
t    O  N  T  K  s      K.  N      I'  Il  O  s  y. 


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(iARMi'ii  lurni  s,  I  ii;n  \im  s  i.ni  ni  its 

•',  lu  I   M  <  <MNTs  PI  m  -^ ,  I  r  rvi  ii-i  H"Mi  .  il' 


I  S  .;  \ 


HÉGÉSIPPE     MOREAU 


ll('j^«'si|)|)e  iMui'cau,  né  à  l*aris  l'u  umH  ISIO,  riail 
lils  d'im  lioinnu!  qui  devint  proIVssiMii'  au  c'olléj;e  de 
Provins,  (M  il  fui  conduit,  tout  cnraiil,  dans  c'(4te  ville. 
Sa  naissance  lut  irrc^ulicrc,  l)icn  (ju'il  connut  ses 
l)aivnts.  Son  père  le  laissa  orphelin  en  l»asài;v;sa 
mère  se  plaça  clie/  une  dame  de  l*i(»\ins,  niadaino 
Guéranl.  dei)uis  madame  Tas  ici-.  e(  reiitaïU.  recueilli 
par  cette  hienlaitrice,  grandit  pivs  d'elle;  les  lils  dt»  la 
maison  sui'Ioiil  sinhTcssaienl  lendiHMueiil  à  lui.  Il 
coinmencail  à  preiidn»  des  leçons  au  colh'^e  de  Pro- 
vins, lorscpie  des  ciiconslances  liivul  (|uiltei'  la  \ille  à 
ses  bienl'aileui's  .  (jui  allèrenl  liahiler  la  campagne, 
(l'est  alois  ((ii'il  lui  placé,  dahord  au  pelil  séminaire 


2  HEGESIPPE    MOREAU 

de  Meaiix,  puis  à  celui  d'Avon,  près  Fontainebleau,  où 
il  lit  ses  études,  d'excellentes  études  classiques,  sans 
oublier  les  vers  latins  qu'il  variait  et  tournait  sur  tous 
les  rliythmes  d'Horace.  Au  sortir  du  collège,  sa  mère 
n'était  plus.  Il  pouvait  se  croire  orphelin  dans  le  monde 
et  délaissé;  mais  non,  c'eût  été  une  injustice;  lui- 
même  nous  le  dit  : 

Car  de  l'école  à  peine  eus-je  franchi  les  grilles, 
Que  je  tombai  joyeux  aux  bras  de  deux  familles. 

Madame  Favier,  retirée  à  Champ- Benoist,  lui  conti- 
nuait encore  ses  soins  ;  surtout  il  trouvait  un  accueil 
affectueux  et  délicat  auprès  de  madame  Guérard,  sa 
belle-lille,  qui  le  recevait  à  sa  ferme  de  Saint-Martin  : 
Moreau  a  consacré  le  souvenir  de  cette  hospitalité  par 
la  charmante  romance  de  la  Fermière.  Vers  le  temps 
de  sa  sortie  du  collège,  il  enti-a  en  apprentissage  dans 
l'imprimerie  de  M.  Lebeau,  maintenant  encore  impri- 
meur à  Provins.  La  fdle  de  celui-ci,  mademoiselle 
Louise  Lebeau  (aujourd'hui  madame  J.),  est  celle 
même  qu'il  a  célébrée  si  purement  et  si  chastement 
sous  le  nom  de  ma  sœur  dans  quelques-unes  de  ses 
plus  jolies  pièces,  et  à  laquelle  il  a  dédié  ses  Contes. 
((  Je  m'étais  arrêté,  dit-il  quelque  part,  dans  une  im- 
primerie toute  petite,  mais  proprette,  coquette,  hospi- 


llKGESllU't:    MU  lit  AL"  3 

lalièrc;  vous  la  connaissez,  ma  sœur.  »  Mon  cœar^ 
dit-il  encore  : 


Mou  cœur,  ivre  à  beize  ans  de  vuluplé  céleste, 
S'emplit  d'un  chaste  amour  dont  le  parfum  lui  re.>le. 
J'ai  rêvé  le  bonheur,  mais  le  rêve  fut  court. 


11  y  eut  en  ces  années  ini  lléi^ésippe  Moreau  piimilil, 
pur,  naturel,  adolescent,  non  irrité,  point  irrélii^icux. 
dans  toute  sa  lleur  de  sensibilité  et  de  bonté,  animé  de 
tous  les  instincts  i>énéreiix  et  non  encore  atteint  des 
maladies  du  siècle.  31omeiit  uni(iue  et  rapide  ([uil  a 
essayé  de  ressaisir  plus  d'une  fois,  de  retracer  dans  ses 
vers,  et  qui  nous  en  niai(|ue  aujoui'd'liiii  les  plus  doux 
passaj^es.  Il  y  a  ainsi  en  chacun  de  nous,  pour  peu  ipie 
notre  fonds  originel  soit  bon.  un  éli'e  piimilif.  id('\'il. 
(pie  la  iialure  a  (bassiné  de  sa  main  la  plus  It-i^érc  cl  la 
pins  malenicllr.  mais  ipic  riiommc  hop  soiinciiI  ic- 
convre.  éloiili'c  on  corrompt.  Ceux  ipii  nous  ont  connu 
el  nui  nous  (tnl  aimé  sous  celle  l'oinie  picmière  C(Ui- 
limn'fil  de  nous  \oir  ainsi;  el,  si  l'on  a  le  bonheur 
d'avoir  une  sieiir  (jui  ail  coiilinué  elle-même  de  \ivre 
d'une  \'w  simple  el  miih)rnie,  d'une  \ie  lidèle  juix  son- 
Miiirs.  elle  nous  conserve  à  jamais  présent  dans  cette 
pureté  adolescente;  elle  nous  garde  un  culle  dans  son 


4  HEGESIPPEMOREAU 

cœur,  elle  nous  adore  telle  que  nous  étions  alors  sous 
ces  premiers  traits  d'un  développement  aimable  et 
pudique.  Ce  nous-même  d'autrefois,  qui  souvent, 
hélas  f  n'est  plus  actuellement  en  nous,  subsiste  en 
elle  et  vit  comme  un  ange  de  Fra-Bartolommeo  peint 
sur  l'autel  dans  l'oratoire. 

Hég'ésippe  Moreau  a  eu  ce  bonheur  au  milieu  de 
toutes  ses  infortunes,  et  aujourd'hui,  si  l'on  interroge 
sur  le  compte  du  poëte  celle  qu'il  appelait  alors  sa 
sœm%  elle  répond  en  nous  montrant  au  fond  de  son 
souvenir  ce  Moreau  de  seize  ans,  «  de  l'âme  la  plus 
délicate  et  la  plus  noble,  d'une  sensibilité  exquise, 
ayant  des  larmes  pour  toutes  les  émotions  pieuses  et 
pures.  » 

Je  prends  plaisir  à  marquer  ces  premiers  traits , 
parce  que  ceux  qui  ont  le  plus  loué  Moreau  à  l'heure 
de  sa  mort  en  ont  fait  un  poëte  de  guerre,  de  haine  et 
de  colère.  Il  l'était  trop  devenu  en  effet,  mais  il  ne 
l'était  point  d'abord  ni  aussi  essentiellement  qu'on  le 
voudrait  dire.  Étendu  sur  son  lit  de  mort  à  l'hospice 
de  la  Charité,  le  caractère  qui  était  le  plus  empreint 
sur  sa  face,  me  dit  une  personne  qui  ne  l'a  vu  que  ce 
jour-là,  était  une  remarquable  douceur. 

En  parlant  ici  d'Hégésippe  Moreau,  je  ne  viens  faire, 
on  peut  le  croire,  le  procès  ni  à  la  société  ni  aux  poètes. 
Les  poètes  sonl  une  race  à  part,  une  race  des  plus 


HEG?:SIPPE    MOREAU  5 

intéressantes  quand  elle  est  sincère,  quand  l'imitation 
et  la  singerie  (comme  il  arrive  si  souvent)  ne  s'y  mêlent 
pas;  mais,  dans  aucun  temps,  cette  race  délicate  ou 
sublime  n'a  paru  se  distinguer  par  une  connaissance 
bien  exacte  et  bien  pratique  de  la  réalité.  Quant  à  la 
société,  c'est-à-dire  à  la  généralité  des  hommes  réunis 
et  établis  en  civilisation ,  ils  demandent  cpi'on  fasse 
comme  eux  tous  en  arrivant,  qu'on  se  mette  à  \env 
suite  dans  les  cadres  déjà  tracés ,  ou  si  l'on  veut  en 
sortir,  qu'alors,  pour  justifier  cette  prétention  et  cette 
exception,  on  les  serve  hautement  ou  ((u'on  les  amuse; 
et,jns(iu'à  ce  qu'ils  aient  découvert  en  quelqu'un  ce 
don  singulier  de  chai'me  ou  ce  mérite  de  haute  utilité, 
ils  sonl  naturellement  fort  inattentifs  et  occupés  cha- 
cun de  sa  |)ropre  allaire.  Pciil-on  son  éloiuKM':' 

llégésippe  Moreau  ,  en  cnlraul  dans  la  vit^ .  avait 
pourtant  rcnconti'é  (iciix  faiiiillcs.  dii  l'a  \n,  phis  (juo. 
dis|)()sé(\s  à  racciu'illir  et  pr«'S(|in'  à  l'adopltM'.  Dès 
son  premier  pas  dans  le  inonde,  v\  lioi's  de  son  pi'c.nicM' 
C(M('I(>  .  il  lr()n\a  t'^alenicnl  de  l'appui.  .M.  Lebrun, 
lanliMir  de  Mnric  Sfntt/f,  et  noti'e  conhvre  à  l'At'a- 
déniie,  n'est  pas  né  à  Pr<)\ins.  mais  il  en  est  depuis 
longues  aiin(''es  par  les  habilutbs  (>t  par  les  liens  dt» 
familh*.  i'oéle  dont  chacun  sait  le  talent,  mais  lioninn» 
dont  C(Mi\  (pii  l'ont  approché  sa\(Mit  seuls  touli'  la 
nobl(\ss(^   et   la    délicatesse   de   cdMU-,    il   considérait 


tt  HÉGÉSTPPR    MOREAU 

comme  un  devoir,  lui,  arrivé  le  premier,  de  tendre 
la  main  à  ceux  qui  viendraient  ensuite,  et  nous  le 
trouvons  également  aux  débuts  d'Hégésippe  Moreau 
et  à  ceux  de  Pierre  Dupont.  Moreau  connut  M.  Lebrun 
dès  1828;  il  était  alors  âgé  de  dix-huit  ans  :  c'était  au 
moment  où  Charles  X  revenait  d'un  voyage  que  lui 
avait  fait  faire  M.  de  Martignac.  Le  roi  passa  par 
Provins,  et,  h  cette  occasion,  Moreau  fit  sa  chanson 
patriotique  qui  a  pour  litre  :  Vive  le  roi!  et  pour 
refrain  :  Vive  la  liberté  !  J'ai  sous  les  yeux  quelques 
pièces  de  vers  manuscrites  adressées,  vers  cette  époque, 
par  le  jeune  homme  à  M.  Lebrun,  ou  écrites  d'après 
ses  conseils,  ime  pièce  notamment  en  l'honneur  de 
La  Fayette,  après  son  voyage  triomphal  d'Amérique. 
Moreau  vint  à  cette  époque  à  Paris,  et,  toujours  par 
les  conseils  de  M.  Lebrun,  il  adressa  à  M.  Didot  son 
È pitre  sur  l'Imprimerie ,  qu'on  peut  lire  dans  ses 
Poésies,  et  dans  laquelle  se  trouvent  quelques  jolis 
vers  descriptifs  : 

Au  lieu  de  fatiguer  la  plume  vigilante , 
De  consumer  sans  cesse  une  activité  lente 
A  reproduire  en  vain  ces  écrits  fugitifs, 
Abattus  dans  leur  vol  par  les  ans  destructifs  ; 
Pour  flonner  une  forme,  un  essor  aux  pensées, 
Des  signes  voyageurs,  sous  des  mains  exercées, 


IIKGKSIPPE    MOREAU 


Vont  saisir  on  courant  lour  place  dans  un  mot  ; 
Sur  00  métal  uni  l'encre  passe,  et  bientôt. 
Sortant  multiplié  de  la  presse  rapide. 
Le  discours  parle  aux  yeux  sur  une  feuille  humide. 


Mais  la  fin  ôo  l'Épître  est  surtout  lieurcuso  :  lo  jeuno 
compositeur  s'y  montre  dévoré,  souvent  du  (lésii*  d'iTiliv. 
([q,  composer  pour  son  propre  compte,  tandis  (|nil  est 
ohlii-é  d'iniprimer  les  autres. 


Ilélas!  pourquoi  faut-il  qu'aveuglant  la  jtMmesse, 
(iomme  tous  les  phusirs,  l'étude  ait  son  ivresse? 
Les  chefs-d'œuvre  du  goût,  par  mes  soins  reproduits, 
Ont  occupé  mes  jours,  ont  (Miciiaiili''  mes  nnils, 
El  souviMil ,  insensé!  j'ai  répandu  des  liimies, 
S«'nd)lal)le  au  loi>;('ntu  (pu,  lut'piiiiuil  {\v<  luines, 
Avide  iW<,  expidils  ipi'il  ne  piuiiige  pas, 
Sillle  lu)  air  hellicjuenx  et  rè\e  ^\o>  eoiulials... 


Moreati .  à  celle  dah^.  n'avait  que  dix-iienl'  ans. 
Il  fut  admis  (hnis  rinipiimtMii*  de  M.  Didoi .  \'\w  Jacob. 
jusIemeiU  en  lace  de  c(M  liospici»  de  la  Charité,  où 
depuis...  — .  i>|;ic,'>  p^j  de  temps  après  jiiilbM  iS.'tO.  à 
la  diivclioii  (le  llinpiiineiie  roNale.  M.  Lebrun  cher- 
cha à  \   inlrnduiri»  Morcaii;  mais  celui-ci.  (|ui  avait 


8  HEGESIPPE    MOREAU 

quitté  rimprimerie  Didot ,  suivait  dès  lors  une  autre 
voie ,  et  il  n'était  pas  de  ceux  qui  se  laissent  protéger 
aisément. 

Moreau  ressentait  vivement  les  tortures  secrètes 
de  cette  pauvreté  que  La  Bruyère  a  si  bien  peinte , 
et  qui  rend  l'homme  honteux,  de  peur  d'être  ridi- 
cule. Ainsi ,  la  première  fois  qu'il  avait  dû  voir 
M.  Lebrun  à  Provins ,  il  n'avait  pas  voulu  lui  faire 
cette  visite  parce  qu'il  avait  des  bas  bleus.  Il  ne  se 
guérit  point  de  cette  disposition  à  Paris,  lors  même 
que  les  privations  les  plus  réelles,  les  souffrances 
positives  et  poignantes  vinrent  y  joindre  leur  ai- 
guillon. 

On  me  le  peint  alors  déjà  atteint  par  le  souffle 
d'irritation  et  d'aigreur  qui  se  fait  si  vite  sentir  sous 
les  soleils  trompeurs  de  Paris,  méfiant,  aisément 
effarouché,  en  garde  surtout  contre  ce  qui  eiit  semblé 
une  protection ,  ayant  le  dédain  et  la  peur  de  la  pro- 
tection; ne  se  laissant  plus  apprivoiser  comme  il 
s'était  laissé  faire  à  Provins  quelques  années  plus  tôt; 
enfin  ayant  contracté  déjà  cette  maladie  d'amour-propre 
et  de  sensibilité  qui  est  celle  du  siècle,  celle  de  l'aris- 
tocratique René  aussi  bien  que  du  plébéien  Oberman 
ou  du  mondain  Adolphe ,  celle  de  Jean-Jacques  avant 
eux  tous ,  comme  depuis  eux  elle  l'a  été  de  tant  d'au- 
tres qui  ont  eu  la  même  maladie  sous  des  formes  et 


HKOKSÎPPE    MOREAU  9 

(les  variétés  difTérentes.  Il  nous  siéi'ait  peu,  à  nous 
qui  parlons,  do  nous  montrer  trop  sévère,  l'aNiuit 
ressentie  h  notre  jour  et  même  décrite  autrefois  dans 
notre  jeunesse.  Moreau  fut  donc  malade  de  ce  que 
j'appellerai  la  petite  vérole  courante  de  son  temi)s  : 
il  fut  mécontent,  sauvac^e,  ulcéré,  évitant  ou  repous- 
sant ce  qui  eût  été  possible,  voulant  autre  chose  que 
ce  qui  s'offrait  à  lui ,  et  ne  se  définissant  pas  cette 
outre  chose.  Pauvre  ,  timide  et  fier,  et  à  xiivj^i  ans ,  on 
est  aisément  pour  les  doctrines  ardentes  qui  promet- 
tent le  bouleversement  du  présent  cl  la  remise  en 
question  de  l'avenir,  de  même  qu'à  cinquante^  ans, 
établi,  rassis,  ayant  éi)uisé  les  passions,  et  raison- 
nant i)lus  ou  moins  à  son  aise  sur  les  vicissitudes  di- 
verses, on  est  naturellement  iH)ur  un  sfafu  quo  plus 
saj^e.  Noire  saj^a^sse  ou  notre  folie  n'est  i^^uère  en  j;é- 
néral  que  b*  l'ésultatde  notre  àjçe  et  de  notre  situation. 
Tour  s'élever  au-dessus  de  ces  circonstances  ,  en  (piel- 
(|ue  soite  nialérielles  et  pliysi(|nes,  diMix  choses  sont 
nécessaires,  el  elles  son!  ran^s  :  du  cnructhe  et  des 
/)rin('i/)rs.  Ilé^ésippe  Moreau  n'avail  ni  l'un  ni  l'autre; 
il  avail  de  l'àine  el  du  lalenl  ,  mais  son  caraelere 
élail  faible,  eoiunie  e"esl  tiop  souvent  le  cas  des  orga- 
nisations d'artiste,  el  bvs  impressions  du  dehors  i)re- 
naient  fortement  et  inésistibltMnent  sur  lui.  Ses  poésies 
et  ses  inspirations,  du  inonient  (pi'elhs  cessenl  d  èln' 

I. 


10  HÉGÉSIPPE    MOREAU 

intimes,  ne  sont  pour  la  plupart  que  le  reflet  ardent 
et  mélangé ,  le  conflit  des  divers  éclairs  qui  se  croi- 
saient orageusement  alors  dans  l'atmosphère  poli- 
tique. 

Après  les  journées  de  juillet  1830 ,  auxquelles  il 
avait  pris  part  vaillamment,  Moreau  quitta  pendant 
un  temps  l'imprimerie  ;  il  s'était  fait  maître  d'études , 
mais  ce  n'était  pas  une  carrière.  Il  s'accoutuma,  du- 
rant cette  période  fatale  et  fiévreuse  de  deux  ou  trois 
années,  à  une  vie  irrégulière,  désordonnée,  errante, 
toute  d'émotions  et  de  convulsions.  Il  avait  faim ,  et 
il  composait  à  travers  cela  des  chants  qui  se  ressen- 
taient de  ce  cri  intérieur,  par  leur  âpreté  et  leur  amer- 
tume. Il  rêvait  au  suicide  ;  il  commençait  à  se  détruire. 

11  eût,  en  1833,  une  première  maladie  qui  le  força 
d'entrer  h  l'hospice.  Convalescent ,  une  bonne  pensée 
le  saisit;  il  partit  pour  Provins  et  alla  demander  l'hos- 
pitalité à  madame  Guérard,  à  la  ferme  de  Saint- 
Martin.  Là ,  aux  derniers  rayons  d'automne,  repassant 
ses  douloureux  souvenirs ,  ceux  de  sa  maladie ,  ceux 
de  l'insurrection  et  des  émeutes,  et  du  choléra,  rap- 
pelant même  ses  imprécations  de  colère,  il  se  rétrac- 
tait d'une  manière  touchante  : 


Ainsi  jo  m'égarais  à  des  vœux  imprudents, 
Et  j'attisais  de  pleurs  mes  ïambes  ardents. 


HÉGÉSIPPR    MOREAU  j  1 

Jo  liaïssais  alors,  car  la  souffranco  irrito; 

Mais  un  peu  do  bouhour  m'a  converti  bien  vite. 

Pour  que  son  vers  clément  pardonne  au  f^enre  humain , 

Que  faut-il  au  poêle?  Un  baiser  et  du  pain. 

Dieu  ménagea  le  vent  à  ma  pauvreté  nue  ; 

Mais  le  siècle  d'airain  pour  d'autres  continue... 

Et  se  considérant  liii-niémc  conimo  délivré  des  souris 
à  l'approclio  i\o  l'Iiivor,  il  souhaitait  à  daiilivs  le 
même  soula?;cment  et  la  même  douceur  : 

Dieu ,  r('v('l(>-t(ti  bon  pour  tous  connue  pour  moi  ! 
Que  ta  manne,  eu  tombant,  étonlTc  If  blasphème, 
l'iiiiprciic  de  soiiIVrii",  luii-^ciiic  lu  veux  (m'on  aiiuf  ; 
i'niir  ([lia  It's  lils  <''lus.  Ifs  (ils  (it-slir-iités 
Ne  liiiicciil  plus  ircii  bas  des  regards  irrités, 
Aii\  jiflils  (li's  nis(MU\  loi  ipii  ijniiiics  pi'iliirc, 
N(»inri>  lnulrs  les  lniiiis;  ;i  Iniil  tliiiis  la  iialiiit' 
Une  ton  hiver  soit  doux;  et,  son  rè^ne  lini , 
l-c  pot'lr  cl  roiscau  chanlcniMl  :  Suis  bt-ni  ! 

l)(Mi\;iiis:ipivs.  lesouvenird»'  ('(Mli^  diuice  In^spitalilê 
lui  i"ev(Miail  à  l;i  nit''ni;Mi"t\  cl  il  (Mi\(i\ail  piuii'  t'Ii'eiHies 
fjanviiM'  iS.'IC))  ('('Itc  (bdiciiMise  roiuaiice  à  c-'lle  à(|iii  il 
avait  (In,  poui'  un  jour  du  iu<Mii<  .  m's  pures  et  iuiio- 
('cnhs  (',h;u  incites  : 


12  HÉGÉSIPPE    MOREAU 


LA     FERMIÈRE 

Amour  à  la  fermière  !  elle  est 

Si  gentille  et  si  douce  ! 
C'est  l'oiseau  des  bois  qui  se  plaît 

Loin  du  bruit  dans  la  mousse. 
Vieux  vagabond  qui  tends  la  main , 

Enfant  pauvre  et  sans  mère, 
Puissiez-vous  trouver  en  chemin 

La  ferme  et  la  fermière  ! 

De  l'escabeau  vide  au  foyer 

Là  le  pauvre  s'empare , 
Et  le  grand  bahut  de  noyer 

Pour  lui  n'est  point  avare  ; 
C'est  là  qu'un  jour  je  vins  m'asseoir, 

Les  pieds  blancs  de  poussière; 
Un  jour  ..  puis  en  marche  !  et  bonsoir 

La  ferme  et  la  fermière  ! 

Mon  seul  beau  jour  a  dû  finir, 

Finir  dès  son  aurore  ; 
Mais  pour  moi  ce  doux  souvenir 

Est  du  bonheur  encore  : 
En  fermant  les  yeux  je  revois 

L'enclos  plein  de  lumière , 
La  haie  en  fleur,  le  petit  bois, 

La  ferme  et  la  fermière  ! 


HÉGÉSIPPE    MORKAT  I  .T 

Si  Diou,  comme  notre  curé 

Au  prône  le  répète, 
l\'iye  un  bienfait  (même  égare), 

Ah  !  (ju'il  songe  à  ma  dette! 
Qu'il  prodigue  au  vallon  les  fleurs, 

ï.a  joie  à  la  chaumière! 
Kt  garde  des  vents  et  des  pleurs 

l.a  ferme  et  la  fermière. 

(Iliaque  hiver  qu'un  groupe  d'enfants 

A  son  fuseau  sourie, 
Comme  les  Anges  aux  fils  lilancs 

De  la  Vierge  Marie  ; 
Oiie  tous,  par  la  main,  j)as  à  pas, 

(iiiidanl  un  petit  frère, 
iléjouissent  de  leurs  ébats 

l,a  ternie  et  la  termière. 


K  N  N'  0  I 


IVÎa  r.liansoiniette,  prends  (on  vol! 

Tu  n'es  qu'un  raii)le  lionunai^e; 
Mais  (pi'eii  avril   le  rossi^^'iiol 

rhanli*  et  la  dédommage. 
Ou'elVrayi'  piir  ses  cliiinls  d  aiiimir. 

L'oiseau  du  ciiiielièie 
I.onf;l(Mnps,  loiif^lenqjs  se  taise  pour 

i,a  ferme  et  la  fermière  î 


14  HÉGÉSIPPE    MOREAU 

Il  fallait  à  Hégésippc  Moreau,  comme  à  tous  les 
poètes  doux  et  faibles,  sauvages  et  timides,  tendres 
et  reconnaissants,  il  lui  aurait  fallu  une  femme,  une 
sœur,  une  mère,  qui,  mêlée  et  confondue  avec  l'a- 
mante, l'eût  dispensé  de  tout,  hormis  de  chanter, 
d'aimer  et  de  rêver. 

Cependant,  avec  la  santé  qui  lui  revenait,  la  né- 
cessité, et  aussi  le  génie  ou  le  démon  qui  ne  par- 
donne pas,  le  ressaisirent.  C'était  le  moment  du  grand 
succès  de  Barthélémy,  et  sa  Némésis  produisait  çà  et 
là  des  imitations  et  des  contrefaçons  oii  il  n'entrait 
guère  que  des  violences.  Hégésippe  Moreau  essaya  de 
faire  à  Provins  une  Némésis  à  sa  manière ,  un  journal 
en  vers  sous  le  titre  de  Diogène,  un  vilain  patron  qu'il 
avait  adopté  depuis  quelque  temps,  et  que  le  doux 
automne  passé  cà  Saint-Martin  ne  lui  avait  pas  fait 
assez  ahjurer.  Le  talent  qu'il  y  montra  ne  put  sauver 
une  telle  publication  partout  très-aventurée,  et  qui 
rétait  surtout  au  milieu  des  rivalités  et  des  suscepti- 
bilités d'une  petite  ville.  Il  avait  eu  beau  faire  appel 
à  toute  la  contrée  de  Brie  et  de  Champagne,  et  s'éciier  : 

Qu'il  me  vienne  un  public!  ma  poésie  est  mûre, 

le  public  répondit  peu.  Le  poète  blessa  et  aliéna 
ceux  même  qui  l'avait  d'abord  soutenu.  Il  eut  finale- 


HÉGÉSIPPE    MOREAU  15 

ment  un  duel,  el  dut  s'en  rovcnir  bientôt  à  Paris,  di'-s- 
appointéde  nouveau  et  irrité  comme  après  un  échec. 
De  1834  à  1838,  sa  vie  ne  fut  qu'une  lutte  pénit)li^  et 
haletante,  oîi  son  talent,  de  plus  en  plus  réel,  el  qui 
achevait  de  se  dégager  chaque  jour,  ne  put  triomplier 
de  la  dureté  des  circonstances  ni  supj)léer  aux  inlir- 
mités  du  caractère ^  Qu'il  sullise  de  rappeler  qu'Hégt'- 


1,  Dans  tout  ce  que  j':ii  touché  là  du  caraclùrc  et  de  la  vie 
intime  de  Moreau,  j'ai  été  guidé  de  la  manière  la  pins  sûre  par 
des  lettres,  par  des  renseignements  directs  provenant  des  personnes 
qui  Tout  le  mieux  connu.  Ces  documents  qui  ont  servi  à  mon 
ami,  M.  Octave  Lacroix,  dans  son  édition  d'IIégésippe  Moreau, 
m'ont  été  connnuniqucs  à  moi-même  :  je  n'en  ai  fait  usage 
qu'avec  pudeur  et  discrétion.  Les  personnes  de  Provins  qui  ont 
le  plus  connu  et  le  mieux  aimé  Moreau  de  son  vivant  ont  pain 
me  savoir  gré  de  ce  sentiment  à  la  lois  de  réserve  et  de 
sympathie.  J'ai  donc  été  un  jieu  surpris  (si  jamais  c  qui  est 
peu  raisonnable  pouvait  surprendre)  de  lin>  dans  la  Fenille  de 
Vrovins,  du  7  juin  1851,  un  article  de  M'"^'  C.  .\ngehert,  dans 
Icipiel  C(>tte  personne  à  principes  et  à  sentiments  me  reproche 
d'avoir  l'ail  tort  ;i  Moiv.ui  dans  mon  appréciation  morale  tout 
indulgente.  Kilo  continue  de  vouloir  faire  de  Moreau  l'homme 
d'une  cause  ]tolitique.  Si  M"'"  .\ngehert  tient  plus  à  la  vérité  qu'à 
la  fausse  exaltation,  elle  peut  aisément  s'informer  à  son  tour 
.■mpirs  des  personnes  de  lMo\ins  (|ni  nous  (Mil  li'  mieux  initie  à  la 
connaissance  de  ce  louchant  mais  trop  faihle  caractère;  elle  |xHit, 
par  exemple,  demander  à  M""'  Guérard  connnnnication  des  lettiv.s 
de  Moreau  écrites  en  janvier  1834,  el  elle  verra  ipiil  faut  se 
résoudn>,  (juauil  on  a  le  sens  juste  et  bieuveillaut.  à  ne  voir  dans 
le  chantre  (!»>  la  \otd/.ie  qii'un  poète. 


16  HÉGÉSIPPE    MOREAU 

sippe  Moreaii,  au  moment  où  il  venait  de  trouver  un 
éditeur  pour  ses  vers,  et  où  le  Myosotis,  publié  avec 
luxe  (1838)  et  déjà  loué  dans  les  journaux,  allait  lui 
faire  une  réputation,  entrait  sans  ressource  à  l'hospice 
de  la  Charité  et  y  mourait  le  20  décembre  1838, 
renouvelant  l'exemple  lamentable  de  Gilbert  et  fai- 
sant un  pendant  trop  fidèle  au  drame  émouvant  de 
Chatterton,  dont  l'impression  était  encore  toute  vive 
sur  la  jeunesse.  Il  n'avait  pas  vingt-neuf  ans. 

Si  l'on  considère  aujourd'hui  le  talent  et  les  poésies 
d'Hégésippe  Moreau  de  sang-froid  et  sans  autre  préoc- 
cupation que  celle  de  l'art  et  de  la  vérité,  voici  ce 
qu'on  trouvera,  ce  me  semble.  Moreau  est  un  poëte  ; 
il  l'est  par  le  cœur,  par  l'imagination,  par  le  style  : 
mais  chez  lui  rien  de  tout  cela,  lorsqu'il  mourut, 
n'était  tout  à  fait  achevé  et  accompli.  Ces  trois  parties 
essentielles  du  poëte  n'étaient  pas  arrivées  à  une  pleine 
et  entière  fusion.  Il  allait,  selon  toute  probabilité, 
s'il  avait  vécu,  devenir  un  maître,  mais  il  ne  l'était 
pas  encore.  Trois  imitations  chez  lui  sont  visibles  et  se 
font  sentir  tour  à  tour  :  celle  d'André  Chénier  dans 
les  ïambes ,  celle  surtout  de  Barthélémy  dans  la  sa- 
tire et  celle  de  Béranger  dans  la  chanson.  Dans  ce  der- 
nier genre  pourtant,  quoiqu'il  rappelle  Béranger,  Mo- 
reau a  un  caractère  à  lui,  bien  naturel,  bien  franc  et  bien 
poétique  ;  il  a  du  drame,  de  la  gaieté,  de  l'espièglerie. 


HÉCtÉSIPPE   MOREAU  17 

un  peu  libertine  parfois,  mais  si  vive  et  si  ]éç^he  qu'on 
la  lui  passe.  Qu'on  relise  le  Joli  Costume,  les  Modistes 
hospitalières.  Une  des  pièces  sérieuses  qui  me  sem- 
blent le  plus  propre  à  démontrer  ses  qualités  et  ses 
défauts  est  celle  qui  a  pour  titre  :  Un  quart  d'heure  de 
dévotion.  Le  poëte,  qui  s'est  vanté  d'être  un  pa'ien  de 
l'Attique  ï\\GC  André  Cliénier  et  avec  Verc^niaud,  qui  a 
été  trop  souvent  impie  ,  irrévérent  jusqu'à  l'insulte ,  a 
un  bon  retour  pourtant.  Un  joiu'  de  tristesse,  un  soir,  il 
est  entré  dans  l'éi^lise  de  Saint-Ktienne-du-Moiit.  Il 
n'y  entrait  (jue  pnr  désncuvrenieiil  d'abord,  pour  rc- 
jçarder  et  admirer  comme  d'autres  curieux  les  uwv- 
veilles  (rarcbitecture  élégante  et  fine  qu'ollVe  celle 
éjçlise  : 


VA  la  rou^'oiir  an  front  jp  j'avonrai  moi-m^mo.... 
Dans  U»  l(Mn[il('  au  liasanl  j  avt'iitiirais  nus  pas, 
Mi  j'«'fll«Mirais  l'iUiU'l  »'t  je  m'  juiais  pas. 


iMais  insensibleuKMil  il  se  rappelli»  l('  lenips  (tii,daiis 
sa  premièi'e  eiifaiice,!!  piiail .  el  oi'i  il  sciAail  iiièiiie 
le  prèli'e  à  l'a  ni  cl  : 


Anln»rois  poin*  juicr,  mes  Irvrcs  (Mil'anlines 
hclli's  ni("'iiics  's"oiivr;iit'iit  ;iii\  svlhln's  |;ilini' 


18  HÉGÉSIPPE    MOREAU 

Et  j'allais  aux  grands  jourS;  blanc  lévite  du  chœur, 
Répandre  devant  Dieu  ma  corbeille  et  mon  cœur. 
Mais  depuis 

et  il  énumère  toutes  les  manières  diverses  d'écja- 
rements  et  de  chutes  parmi  lesquelles  il  a  eu  la 
sienne  : 

Combien  de  jeunes  cœurs  que  le  doute  rongea  ! 

Combien  de  jeunes  fronts  qu'il  sillonne  déjà  ! 

Le  doute  aussi  m'accable,  hélas!  et  j'y  succombe  : 

Mon  âme  fatiguée  est  comme  la  colombe 

Sur  le  flot  du  désert  égarant  son  essor; 

Et  l'olivier  sauveur  ne  flemlt  pas  encor... 

Ces  mille  souvenirs  couraient  dans  ma  mémoire , 
Et  je  balbutiai  :  «  Seigneur,  faites-moi  croire  !  » 
Quand  soudain  sur  mon  front  passa  ce  vent  glacé 
Qui  sur  le  front  de  Job  autrefois  a  passé. 
Le  vent  d'hiver  pleura  sous  le  parvis  sonore , 
Et  soudain  je  sentis  que  je  gardais  encore 
Dans  le  fond  de  mon  cœur,  de  moi-même  ignoré, 
Un  peu  de  vieille  foi,  parfum  évaporé. 

Sous  cette  impression  intérieure,  sous  le  rayon  de 
cette  ferveur  retrouvée,  le  poëte,  agenouillé  devant  le 
tombeau  de  Racine  (qui  se  trouve  dans  cette  église). 
fait  un  vœu.  Ce  vœu,  ce  n'est  pas  d'aller  à  Jérusalem 


IllUlKSlI'lM-:    MORE  AT  \9 

en  p«*lcrin,  mais  c'est  d'y  aller  en  idée  et  en  poi'sie. 
c'est  de  retracer  à  sa  manii're,  en  une  suite  de  cliants, 
quelques-uns  des  sujets  saints,  à  peu  pr(îs,  j'iniac^ine, 
comme  M.  Victor  de  Laprade  l'a  pu  faire  depuis  dans 
ses  Poëmes  évanc^éliques.  Et  réfléchissant  avec  humi- 
lité à  l'étincelle  qui  peut  jaillir  sur  les  âmes  de  celte 
œuvre  modestement  accomplie,  le  porte  se  rappelle 
et  s'applique  un  fabliau  charmant  que  son  aïeule  bre- 
tonne, dit-il.  Ini  a  souvent  raconté.   Ov  ce  fabliau  b' 
voici  :  Un  jonr,  Dieu  permit,  dans  ses  desseins,  que  l'é- 
lément de  vie,  le  f(Mi.  s(>  retirât  tout  à  coup  de  l'aii'.  et 
vînt  à  manquer  à  la  nalni(\  Tirand  cflroi  soiulain  parmi 
lesoiseaux.Touss'eflVaveiil,  se  ('oiisI(M'fi<mi1  ous'eUarenl. 
Les  vautours  en  devienneni  plus  ini'clianls  de  tenvnr. 
et  s'entre-balteiil  de  plus  belle.  Le  rossiii'uol  si»  (b'coii- 
raj^e.  et.  a_\anl  chanté  sa  dernière  chanson,  il  cache  sa 
tète  dans  son  nid.  L'ai,^le  liii-niènie.  habiliK' à  porter 
la  foudre,  la  laiss(»  s'éteindre  ccWo  bus  ei  s'i'chapptM'. 
Dans  celle  a,i;(uiie  nniverselle .  il  n'\  cul  (pTun  senl  oi- 
seau .  le  plus  pelil  .  le  |)lus  hiiinble  de  tous,  le  roitelet. 
qui  ne  se  dt'coiu'aj^iM   point  .  et  (pii  \ollii^'ea  laul  l'I  ^i 
bien,  (pi'il  alla  jusipi'au  haut  des  cicux  riNsai^ii'  li-lin- 
C(>ll(>  p(UM'  la  rapporter  au  monde.  Mais  il  lut  coFisumé 
en  la  lui  rendant. 

On  seul  tout  ce  (pi'uni^  telle  pièc(»  a  d"t'le\('.  dt'  |»oé- 
liqiie  el  (i(*  louchant:  (|ue   lui  inaucpu'-l-il  donc  pour 


20  HÉGÉSIPPE    MOREAU 

être  un  chef-d'œuvre  ?  Il  lui  manque  la  pureté  et  le 
goût  dans  le  style.  Dès  l'abord  le  poëte  nous  montre 
le  curieux,  l'amateur  artiste,  qui  entre  à  Saint-Etienne 
regardant  et  admirant  les  sculptures  et  les  tableaux  : 

Époussetant  de  l'œil  chaque,  peinture  usée. 

Ailleurs  il  parlera  du  livre  des  Évangiles  : 

Page  de  vérité  qu'à  sa  ligne  dernière 

Le  Golgotha  tremblant  sabla  de  sa  poussière. 

C'est  ainsi  que  dans  une  autre  pièce,  représentant  l'en- 
trée du  Tasse  à  Rome  au  milieu  d'une  pluie  de  cou- 
ronnes et  de  fleurs,  il  dira  : 

Le  pauvre  fou  sentit,  dans  la  ville  papale, 
Une  douche  de  fleurs  inonder  son  front  pâle. 

Epousseter^  sabler,  douche  de  fleurs;  voilà  le  détestable 
style  moderne,  le  style  matériel,  prétentieux  et  gros- 
sier, que  certes  on  ne  s'aviserait  jamais  d'aller  cher- 
cher si  près  du  tombeau  de  Racine,  et  qui,  j'ose  le 
dire,  n'aurait  jamais  dû  entacher  non  plus  et  charger 
le  berceau  de  notre  École  romantique,  telle  du  moins 
que  je  l'ai  toujours  conçue.  Oui,  l'on  pouvait  se  mon- 


HÉGÉSllM'i:    M  OUF,  AU  21 

trci"  plus  voisin  de  la  nature  encore,  de  la  l'éalilé 
simple,  niodesle  et  sensible,  que  ne  l'avaient  été  nos 
illustres  poètes  classiques,  sans  toniber  pour  cela  dans 
ce  style  lourd,  plaqué  et  technique  qui  prévaut  presque 
partout  aujoui'd'liui.  Hégésippe  Moreau  a  eu  le  tort  d'y 
trop  sacrifier  en  commençant,  et  il  n'a  pas  vécu  assez 
pour  s'en  débarrasser  et  s'en  alFrancliir. 

Ofi  nous  assure  pourtant  qu'il  était  tout  à  lait  iv>emi, 
vers  la  lin,  de  l'illusion  (pie  lui  avai<'nl  laite  certains 
portes  ou  rimeurs  matériels  et  mécaniipies,  et  philùt 
robustes  que  réellement  puissants. 

Une  de  ses  pièces  iri'éprocliables,  et  (pron  aime  lou- 
joui's  à  citer,  est  son  VA("/ic  à  la  Voul/ic,  jolie  livicre 
ou  ruisseau  du  pays  où  il  était  venu  passer  son  enfance, 

l)lu('l  ûclus  [lariiii   les   roses  ilc   Provins. 

On  n'aiiiail  |)(»iiit  paib'  coiiNciiahliMiMMil  de  Moi'caii.  si 
i On  ne  iii|»|U'l:iil  chatiuc  lois  à  son  sujet  ses  \crs  dcli- 
cieux,  où  il  a  coiiinic  raliaiclii  son  lalcnl  cl  s(in  iiinc 


S'il  csl  lin  nom  Itii'ii  doux,  liiil  ponr  la  poésir, 
Oli!   (lih's,  n'csl-cr  |ta>  le  nom  df  la  NOnl/.ic? 
I.a  \  (Mil/.ic  ,  ('>l-c('  nn  IIciinc  aii\  mandes  ilo  ?  Nnii  : 
Mais,  avec  nn  nun'innre  aii>si  Ao\\\  (juc  xhi  nom. 


22  HEGÉSIPPE    MOREAU 

Un  tout  petit  ruisseau  coulant  visiiile  à  peine  ; 
Un  géant  altéré  le  boirait  d'une  haleine; 
Le  nain  vert  Obéron,  jouant  au  bord  des  llols, 
Sauterait  par-dessus  sans  mouiller  ses  grelots. 
Mais  j'aime  la  Voulzie  et  ses  bois  noirs  de  mûres. 
Et  dans  son  lit  de  fleurs  ses  bonds  et  ses  nmrmures. 
Enfant,  j'ai  bien  souvent,  à  l'ombre  des  buissons, 
Dans  le  langage  humain  traduit  ces  vagues  sons; 
Pauvre  écolier  rêveur  et  qu'on  disait  sauvage, 
Quand  j'émiettais  mon  pain  à  l'oiseau  du  rivage. 
L'onde  semblait  me  dire  :  «  Espère!  aux  mauvais  jours, 
Dieu  te  rendra  ton  pain.  »  —  Dieu  me  le  doit  toujours  ! 

Et  rappelant  tous  ses  malheurs,  ses  pertes  doulou- 
reuses, tous  ses  mécomptes  et  même  ses  colères,  il 
ajoute  dans  un  sentiment  attendri  et  qu'on  lui  voudrait 
plus  habituel  : 

Pourtant  je  te  pardonne,  o  ma  Voulzie!  et  même. 
Triste,  j'ai  tant  besoin  d'un  confident  qui  m'aime. 
Me  parle  avec  douceur  et  me  trompe,  qu'avant 
De  clore  au  jour  mes  yeux  battus  d'un  si  long  vent, 
Je  veux  faire  à  les  bords  un  saint  pèlerinage. 
Revoir  tous  les  buissons  si  chers  à  mon  jeune  âge, 
Dormir  encor  au  bruit  de  tes  roseaux  chanteurs, 
Et  causer  d'avenir  avec  tes  Ilots  menteurs. 

81  .Moreau  a  pardonné  à  la  Voulzie,  ces  charmants 
vers  t'ont  aussi  qu'on  pardonne  beaucoup  à  Moreau.  On 


H  É  G  É  s  1 1»  1'  1::    M  u  u  1-:  A  U  'l] 

jctlc  un  voile  sur  ses  faiblesses  et  sur  ses  erreurs;  on 
Noudrait  ai)olir  toute  trace  des  quelques  taches  aflli- 
i^eantes  de  sa  muse.  Lui-même,  dans  une  pièce  A  mon 
Ame,  l'exhortant  à  s'envoler  vers  les  cieux,  et  à  laisser 
ce  corps  qu'il  a  troi)  souillé,  il  lui  dit  : 

Fuis,  Aniu  blanche,  un  corps  malade  cl  iiii; 
Fuis  en  chantant  vers  le  monde  inconmi  ! 
Fuis  sans  lremi)ler  :  veiil"  d'une  sainte  amie, 
Quand  du  i)laisir  j'ai  senti  le  besoin, 
De  mes  erreurs,  loi,  (loloudie  endormie, 
Tu  n'as  été  complice  ni  témoin. 
iNe  trouvant  pas  la  manu*'  (ju'elle  implore, 
Ma  faim  mordit  la  [RUissicre  (insensé! j; 
Mais  loi,  mon  Ame,  à  hieu ,  ton  liancé, 
Tu  peux  demain  le  dire  vi('i|:i'  luicore! 

(Ml  voit  ((lie  Aioi'eaii  l'eiuiiividle  en  un  p(niil  la  doeliiiie 
indulj;eiile  de  eci  tains  nivsli(|ues,  (|ui  ne  foiil  point 
l'àine  ii'sponsahlc  cl  e(Mnpliee  des  absences  et  des  dis- 
Iraehons  du  corps,  .le  ne  pndciuK  \)<s  doiniei"  etda 
pour  de  la  théologie  exacte,  mais  [loui'  de  la  poésie 
charmante. 

Les  Coules  en  proc  d'ilé^ésippe  Moreaii  sont  1(MiI 
à  lait  purs  et  iiK'proehables;  ils  pouriali  lit  nit-nu' se 
détacher  du  reste  des  (HCuMi's  et  se  vendre  en  ini 
fascicule   à  paît  pour   se   donner  a    lire  aux   ji  unes 


24  HÉGÉSIPPE    MOREAU 

personnes  et  aux  enfants.  On  y  voit  à  nu  le  fond 
(le  son  âme  et  de  son  imagination  aux  heures  riantes 
et  aux  saisons  heureuses.  Tel  il  était  auprès  de  sa  sœm\ 
à  seize  ans,  avant  d'avoir  laissé  introduire  dans  son 
âme  rien  d'amer  ni  d'insultant.  Conter  chez  lui  n'était 
pas  une  moindre  vocation  que  de  chanter  : 

Je  préfère  un  conte  en  novembre 
Au  doux  murmure  du  printemps. 

La  pitié,  le  sentiment  fraternel  porté  jusqu'au  culte, 
la  compassion  féminine  la  plus  exquise,  respirent 
dans  le  Gui  de  chêne.  La  faiblesse  tendre  qui  a 
besoin  d'appui,  la  souffrance  et  le  martyre  d'un  être 
délicat,  se  retrouvent  mêlés  à  de  l'espièglerie  et  à  de  la 
lutinerie  gracieuse  dans  la  Souris  blanche;  c'est  le  plus 
joli  conte  de  fées  et  le  plus  attendrissant;  c'est  moins 
naïf  que  Perrault,  mais  aussi  aimable,  aussi  léger,  et 
cela  ne  se  peut  lire  jusqu'à  la  fin  sans  une  larme  dans 
un  sourire.  Que  dites- vous  de  cette  Fée  des  Pleurs,  la 
consolatrice  des  affligés  qui  voltige  plutôt  qu'elle  ne 
marche  sur  la  pointe  des  gazons  et  des  ileurs  ?  «  Elle 
avait  adopté  cette  allure,  de  peur,  disait-elle  à  ceux  qui 
s'en  étonnaient,  de  mouiller  ses  brodequins  dans  la  ro- 
sée; mais,  en  effet,  parce  qu'elle  craignait  d'écraser  ou 
de  blesser  par  mégarde  la  cigale  qui  chante  dans  le 


HÉGÉSIPPB    MUHEAU  25 

sillon,  et  le  lézard  qui  frétille  au  soleil;  car  elle  était  si 
prodii^aie  de  soins  et  d'amour,  la  bonne  fée!  qu'elle  en 
répandait  sur  les  plus  humbles  créatures  de  Dieu.  «  Tel 
nous  apparaît  Moreau  avant  la  politique,  avant  la  misère 
extrême,  avant  l'aii^n'eur;  tel  il  se  retrouva  sans  doute 
à  l'heure  expirante  et  aux  approches  du  grand  moment 
(jui  élève  les  belles  âmes  et  les  pacide.  On  devine,  en 
lisant  ces  jolis  récits  et  celui  des  Petits  SouHcts,  et 
celui  même  de  Thârhe  Sureau,  à  voir  celte  imai^nna- 
tion.  cette  gaieté,  cctic  invention  de  délai!,  combien  il 
devait  être  charmant  ({iiand  il  osait  étiv  familier,  et 
qu'il  consentait  à  être  heureux. 

SAINT  K  •  H  F.  U  V  V. . 


LE    MYOSOTIS 


nix-iniT  ANS 


.r.ii  (li\-liiiil,  ;ms  :  loiil  clKinj^'o,  cl  rKspcM'anri» 
Vers  riiorizon  ino  condiiil  par  Li  niaiii. 
Miifoii;  III)  jour  à  liaiiHM-  ma  soiitlVaiic)', 
l']|  le  lionliciir  iiic  sniiiira  (Icinaiii. 
.!(»  vois  (It'jà  croiliM^  pour  ma  ((iiHdiiiH» 
QiK'lipics  laiiritMS  dans  1rs  nciHN  du  piinltMiip- 
(l'csl  lin  dt'diiv...  Ah!  (pùiii  me  le  pardoiiiu'  : 
J'ai  di\-liiiil  ans! 


raimc  l'idviiis,  j'aime  ers  vieilles  tomlws 
Où  les  Aiiumis  vont  clii'irlicr  d»'<  aliri^; 
Tes  murs  dc^crls  (pilialutciil  les  colombes, 
l'.l  dont  mes  pas  t'oiil  Iremhirr  les  dt'hris. 


28  LE    MYOSOTIS 

Là,  je  m'assieds,  rêveur,  et  dans  l'espace 
Je  suis  des  yeux  les  nuages  flottants. 
L'oiseau  qui  vole  et  la  femme  qui  passe  : 
J'ai  dix-huit  ans! 

Bercez-moi  donc,  ô  rêves  pleins  de  charmes! 
Rêves  d'amour!...  Mais  l'aquilon  des  mers 
A  jusqu'à  moi  porté  le  bruit  des  armes  : 
La  Grèce  appelle  en  secouant  ses  fers. 
Loin  de  la  foule  et  loin  du  bruit  des  villes, 
Dieux  !  laissez-moi  respirer  quelque  temps. 
Le  temps  d'aller  mourir  aux  Thermopyles  : 
J'ai  dix-huit  ans! 

Mais  quel  espoir!  la  France,  jeune  et  fière. 
S'indigne  aussi  de  vieillir  en  repos; 
Des  cieux,  émus  par  quinze  ans  de  prière, 
La  Liberté  redescend  à  propos. 
Foudre  invisible  et  captif  dans  la  nue. 
Hier  encor,  je  te  disais  ;  Attends! 
Mais  aujourd'hui,  parais;  l'heure  est  venue  : 
J'ai  dix-huit  ans  ! 


1828. 


LH    MYOSOTIS  "29 


VrVK    LE    HOI 


Vivo  l«'  nti!...  Comino  los  faux  j)ropliètos 
I/oul  (Miivn''  (le  »•(>  souhait  Iroiui'tMir! 
(loiniiic  (III  a  vu  {jriuiac(M'  à  st^s  frfos 
La  Vanil.',  riiilt-ivl  cl  la  Peur! 
Au  lniiil  (le  l'or  cl  des  croix  (|u'ou  ramasse, 
Dcvaul  le  cliar  (oui  s'csl  pivcipilé; 
Et  s«Mil,  (Ichoiil,  je  iiiiiiiiiiirc  à  voix  l>a<sc  : 
Vive  la  liltcrh'! 

Vive  le  roi!  (Juaiid  des  luai^es  serviles 
I)  iiii  lM)-u  iiiorlel  llallaieiil  aiii>i  l'oif^ueiL 
lu  aiiire  «ri,  t(imi>aul  des  Tlienuopylt'S, 
Viiil  (oui  à  eoiip  (  liaii-er  leur  l'èle  eu  deuil. 
De  l'Areliipel  ,iu\  rives  du  UoNpluue, 
Après  mille  au>>.  réélu»  l'a  n''p(''l«''. 
I",l  la  xicloiie  a  pour  desise  encore  : 
\  ive  la  lilterle! 

2. 


30  LE    MYOSOTIS 

Vive  le  roi  !  de  nos  vieilles  tourelles 
Ce  cri  souvent  ébranla  les  arceaux, 
Quand  les  seigneurs  faisaient  pour  leurs  querelles, 
Au  nom  du  prince,  égorger  les  vassaux. 
Dans  ces  débris,  où  leur  ombre  guerrière 
Agite  encor  son  glaive  ensanglanté. 
Le  voyageur  écrit  sur  la  poussière  : 
Vive  la  liberté  ! 

Vive  le  roi!  La  voix  de  la  vengeance 
Se  perd  toujours  au  bruit  de  ce  refrain  ; 
Pour  endormir  son  éternelle  enfance. 
Voilà  comment  on  berce  un  souverain  ; 
Mais  quand  la  foudre  éclate  et  le  réveille, 
Seul,  sans  flatteurs,  le  prince  épouvanté 
Entend  ces  mots  gronder  à  son  oreille  : 
Vive  la  liberté! 

Provins,  1828. 


LE    MYOSOTIS  31 


BÉRANGRR 

La  Liberté  rhfz  nous  se  réfugie; 
Joyeux  buveurs,  à  tal)Ie  et  loin  du  jour, 
Que  Déranger,  pour  terminer  l'orgie, 
De  ses  refrains  nous  enivre  à  son  lonr. 
Cliargé  (le  gloire  et  «l'injures  nouvelles. 
Des  bnis  dini  i)euple  il  tombe  dans  les  fers; 
Il  est  eaj)lif,  mais  sa  muse  a  des  ailes  : 
Tout  bas,  tout  bas,  amis,  cbantons  ses  vers! 

Quand  tour  à  lonr,  au  iiied  di»  nos  Iropbées, 
Les  rois  (ond);iienl,  i:nploi';nil  leur  i);iiilon, 
De  son  hei'iMMU.  (|ne  li;il;iiu;aieiil  les  iV-es, 
Il  s't'JMnea,  réveiih'  i);n'  un  nom... 
(!e  nom  s:ieré,  (pTil  n'ii  pu  d(''s;i|>piendre, 
l'^.st  mainlenani  prosnil  d;nis  l'univers; 
l?éi'angei'  seul  ose  le  l'aiie  enlendie  : 
Tout  bas,  tout  bas,  amis,  clianlons  ses  \ersl 

l'i'ondant  labiis  de  la  victoire  même, 
\\i  roi  des  rois  il  n'a  saeiilio 


32  LE    MYOSOTIS 

Que  sur  sa  tombe,  et  quand  du  diadème 
Par  le  malheur  il  fut  purifié. 
Le  vieux  soldat,  dont  il  sèche  les  larmes, 
Brûlant  encor  de  souvenirs  bien  chers. 
Semble  écouter  si  l'on  appelle  aux  armes  : 
Tout  bas,  tout  bas,  amis,  chantons  ses  vers! 

Qu'ai-je  osé  dire?  Ah!  je  sens  que  ma  muse. 
Rebelle  aussi,  déraisonne  en  buvant  : 
Comme  le  vin,  qui  sera  mon  excuse, 
La  poésie  enivre  bien  souvent; 
Mais  aujourd'hui,  quand  Thémis  au  poète 
Fait  expier  des  sarcasmes  amers. 
Pour  les  venger,  la  France  les  répète  : 
Tout  bas,  tout  bas,  amis,  chantons  ses  vers  ! 

On  l'a  frappé  dans  sa  noble  misère; 
Il  faut  de  l'or,  et  je  n'ai  que  des  pleurs  : 
Jeune  soldat,  quêtant  pour  Bélisaire, 
Ma  voix  du  moins  attendrira  les  cœurs. 
Qui  ne  voudrait,  bravant  la  tyrannie. 
Payer  sa  gloire  au  prix  de  ses  revers? 
Enflammons-nous  aux  rnyons  du  génie  : 
Tout  bas,  tout  bas,  amis,  chantons  ses  vers  ! 

1828. 


LR    MYOSOTIS  33 


ËPITRE    A    M.    FIRMIN    DIDOT 

SUR     I-'  I  M  P  R  r  M  K  R  I  F. 

Quand  les  miisos,  pIcMirant  la  gloire  de  la  Franre, 
Avec  (les  souvenirs  lui  leiideiil  l'espiMance, 
Poëte  et  citoyen,  dr  (|iicl  d'il  |)('ux-lii  voir 
Une  limie  hypocrite  aliunicr  le  poiiviiii-, 
Et,  IViipiiaut  au  {guichet  de  S;iiiile-lV'l;i;4ie, 
Taulùl  pour  la  chanson,  laulùl  poui-  l'idéf^ie. 
Avec  le  l'cr  des  lois  poursuivre  sans  repos 
l'u  ail  dont  lit  luiuici'c  a  Irahi  ses  coinpiols? 
Mais  de  TtipinioM,  souveraine  iinniorlelle. 
Il  éclaire  les  jtas,  il  liiouiplie  avec  elle, 
Va  le  poiilile-roi,  lulniinanl  un  «Mit, 
l'!n  vain  sur  leiu"  euipiic  a  lau( c  l'iiilerdil. 
Ils  ne  son!  plus  ces  leuips  où  la  sainte  parole 
Tonnait  et  foudroyait  du  linut  du  ('.apitoie; 
(Ml  la  raison  liinide,  eu  Initie  aii\  oppresseurs, 
Dans  l'exil  ou  hvs  l'ers  suivait  ses  d(''fenseurs. 


34  LE    MYOSOTIS 

Et,  comme  leurs  écrits,  aux  pieds  du  saint  office 

Les  voyait  quelquefois  brûler  en  sacrifice. 

Zélateurs  du  passé,  qui  vers  cet  âge  d'or 

Prétendez  aujourd'hui  nous  repousser  encor. 

N'avez  vous  donc  jamais  déroulé  ses  annales? 

Elles  offrent  à  peine,  à  de  longs  intervalles, 

Au  lecteur,  fatigué  de  tableaux  odieux. 

Quelques  pages  de  gloire  où  reposer  ses  yeux. 

Comme  le  diamant  perdu  dans  la  poussière, 

Qui  n'attend  pour  briller  qu'un  rayon  de  lumière, 

Que  de  talents  alors  méconnus,  avilis. 

Dans  un  cercueil  obscur  tombaient  ensevelis  ! 

Un  Voltaire,  un  Rousseau,  sous  le  chaume  champêtre. 

Ignorés  de  leur  siècle,  et  d'eux-mêmes  peut-être. 

Expiraient  tout  entiers  ;  l'étude  au  feu  divin. 

Qui,  captif  dans  leur  âme,  y  bouillonnait  en  vain, 

Pour  éclairer  le  monde  eût  ouvert  un  passage. 

L'étude...  Mais,  hélas!  de  ce  trésor  du  sage 

Les  peuples  malheureux  ne  sachant  pas  jouir 

A  l'ombre  des  autels  le  laissaient  enfouir. 

Ces  transfuges  légers  de  Grèce  et  d'Ausonie, 

Ces  livres,  où  les  dieux  du  goût  et  du  génie 

Traçaient  pour  l'avenir  leurs  oracles  sacrés. 

Voltigeaient  au  hasard,  dispersés,  déchirés. 

Semblables  dans  leur  suite  aux  réponses  qu'envoie 


LK    MÏUSUTIS  3H 

La  Sibylle  île  Cuiiie  à  l'exilé  de  Troie. 

Un  peuple  envahissant,  l'incendie  à  la  main. 

Foule  aux  pieds  les  débris  du  colosse  romain, 

Et  le  vent  du  désert  sur  l'Europe  tremblante 

Souffle,  pour  l'engloutir,  sa  poussière  brûlante. 

Déjà  tout  s'obscurcit  :  mais  lorsque,  avec  elîroi. 

Ramenant  du  passé  mes  yeux  autour  de  moi. 

Je  cherche  les  fléaux  (ju'il  semblait  nous  prédire, 

Quel  contraste!  partout  le  Fanatisme  exitire; 

A  la  voix  (le  la  {gloire  et  de  la  liberté. 

Un  autre  enthousiasme  a  partout  éclaté. 

Plus  fécond  en  exploits  que  cette  frénésie 

Dont  l'Europe  chrétienne  éintuvanlait  l'Asie, 

Terrible,  mais  laissant  an\  [leuples  satisfaits 

Après  un  jour  (l'elVroi,  des  siècles  de  bionfails. 

Qui  donc  précipita  ce  moiiNcnient  rapide, 

Et  connue  les  Hébreux ,  ([uand  lont  inarcliail  >an>  |;;;uide^ 

Quel  nuaj^e  de  llaunnc  éclaira  par  degrés 

l'ne  ronle  inconiuic  aux  iicuples  égarés? 

Iloinienr  à  (inti-nbcrj^î  »'t  pMi>M'  (Tàue  en  d'âge 

Son  nom  Nivrc  cl  |;iandii'  ain^i  (|ne  son  onvrai^e! 

lloniiiMn'  a  loi,  .MaNciucl  il  a  dans  tc^  remparts 

Découvert  l'ail  ma^itpie  inile  a  tous  les  arts. 

An  lien  de  l'ali^nei'  la  plume  vi|;ilaiile, 

Hc  consumer  sans  cesse  une  activité  lent" 


36  LE    MYOSOTIS 

A  reproduire  en  vain  ces  écrits  fugitifs. 
Abattus  dans  leur  vol  par  les  ans  destructifs. 
Pour  donner  une  forme,  un  essor  aux  pensées. 
Des  signes  voyageurs,  sous  des  mains  exercées. 
Vont  saisir  en  courant  leur  place  dans  un  mot; 
Sur  ce  métal  uni,  l'encre  passe,  et  bientôt, 
Sortant  multiplié  de  la  presse  rapide. 
Le  discours  parle  aux  yeux  sur  une  feuille  humide. 
0  vous,  que  dépouillaient  des  vainqueurs  insolents, 
Muses!  ne  craignez  plus  que  vos  trésors  bridants 
Éclairent  leur  triomphe,  ou  que  la  tyrannie 
Dans  la  prison  d'un  sage  enferme  le  génie. 
Ou  que  sur  un  bûcher  elle  étouffe  sa  voix  : 
Bravant  la  faux  du  temps  et  le  sceptre  des  rois. 
L'œuvre  de  la  pensée  est  rapide  comme  elle, 
Comme  elle  insaisissable,  et  comme  elle  immortelle. 
Sans  peine,  l'univers  s'unira  bien  souvent 
Aux  rêves  du  poëte,  aux  veilles  du  savant. 
Le  génie  en  courroux,  qui,  dans  un  beau  délire. 
Contre  les  oppresseurs  fait  révolter  la  lyre. 
Croit  voir  autour  de  lui  le  monde  s'assembler. 
Le  peuple  s'émouvoir  et  les  tyrans  trembler; 
Ainsi,  lors([ue  la  Grèce,  ivre  de  chants  épiques, 
A  grands  flots  se  pressait  aux  fêles  olympiques. 
Agités  par  les  sons  du  luth  national, 


L  !•:    M  ï  (J  s  U  'l' i  b  3" 

Tons  les  cœurs  [)ali»it;ii(Mil  (11111  iikhim'iiiciiI  ci^al, 

Tous  les  cris  iiienaçaicnl  la  jmissaiicc  ii>iir|tt'M», 

Tous  les  bras  (Houdus  iuiploniiciil  une  ('pce. 

Les  peuples  aveu^'lés,  frappés  par  W  j)ouvoii', 

(Jui  traînaient  dans  la  nuit  kiirs  cliaînes  sans  les  voir, 

Se  n'Ièveiit  eiiliii,  se  parlent,  s(»  répondent; 

Puis,  connue  les  (htuieiu's,  les  plaintes  se  conlondcnl, 

Kt  ne  l'ornicnt  hirnlul  (piiiii  snd  cii  menaçant  : 

Libertt'!  —  Si  ce  nom  fut  Mtiiilir'  par  le  san^, 

S'il  lut  im  cri  de  moit  contic  Ir  diadème, 

l.a  f;l(iirc,  la  vciln...  c'est  (pic  le  peuple  mcme 

Des  fers  du  despotisme  armait  la  liberté, 

Kt,  SMccesscnr  des  l'ois,  comme  eii\  ("tait  Halle; 

(l'est  (pi'aiix  pieds  des  bomicauv  la  presse,  cncor  miu'tic 

N'osait  à  1.1  douleur  ollVir  un  inlerpièle. 

.Mais,  terrible  et  lecdiid,  Idra;:»'  s'est  euliii, 

l.e  ciel  s'e>l  (''pin('':  c'est  en  Nain  (pi  aiijoiird  liiii 

h'iiiie  épo(pie  saiiiilaiite  on  roiiM'e  les  abiines, 

l\l  (|ue  pour  allument  on  sihiIi'Nc  des  crimes: 

i.ibcih'',  c'e>l  en  Nain  (pi'oii  clierclie  à  le  IbMiir! 

lu  ne  lieux  iiiaiiileiiaiit  l'(''^arer  ni  mourir. 

Nul  abus  ne  pourra  grandir  dans  je  silence; 

(.oillre  le  (lespotiMue  cl  Cdiilie  la  licence 

Les  partis  lonl  Inniier  leur  conrrou\  elotpieiit. 

lA  la  lumière  entre  eii\  jaillit  d'un  choc  lre(pieiit. 


38  LE    MYUtSUTlS 

Ainsi  la  vérité^  faible  solliciteuse. 
Qui,  comme  la  prière,  à  la  cour  est  boiteuse, 
Moins  timide  et  moins  lente,  osera  quelquefois 
A  travers  leur  conseil  se  glisser  jusqu'aux  rois. 
Ils  entendront  les  cris  de  la  douleur  plaintive; 
La  gloire  poursuivra  la  vertu  fugitive, 
Et,  quand  même  Thémis  oublîrait  de  frapper. 
Les  forfaits  au  carcan  ne  pourront  échapper. 
Chaque  jour,  un  essaim  d'écrits  périodiques, 
Innombrables  hérauts  des  combats  politiques. 
Signalant  les  dangers,  vole  à  l'appui  des  lois 
Rallier  tous  les  cœurs,  armer  toutes  les  voix. 
Le  jeune  citoyen,  que  cet  écho  réveille, 
S'enflanniie  chaque  jour  aux  débats  de  la  veille^ 
Lt  peut-être,  embrassant  un  avenir  flatteur^ 
Du  temps  qui  le  vieillit  accuse  la  lenteur^ 
Soulïre  de  tous  les  maux  de  la  patrie  esclave^ 
Et  rêve  en  contemplant  le  buste  de  Barnave. 
Avec  un  autre  siècle  ils  ont  fui  pour  toujours. 
Ces  héros  de  scandale  honorés  dans  les  cours, 
(jui,  d'un  nom  glorieux  subissant  l'ironie. 
Savaient  au  plaisir  seul  sacrifier  leur  vie. 
Le  Français,  jeune  encore,  échappant  au  repos. 
Verse,  pour  l'ennoblir,  son  sang  sous  les  drapeaux, 
Et  lorsque  avec  la  paix  les  muses  consolantes 


[.  K    MVOSdTIS  30 

VieiiiKMit  jeter  des  Heurs  sur  des  palmes  suDglaiiles, 

Tantôt  associant  1  étude  à  ses  plaisirs. 

Des  jeux  de  Melponiène  il  iharnie  ses  loisirs; 

Tantôt,  ivre  d'espoir,  à  la  tril)Uii(;  il  vole 

D'iuie  bouche  élo(juente  épier  la  parole; 

Tanlôt,  dans  un  convoi,  siiiviuit  la  {gloire  en  dcnil. 

Il  dispute  l'iionnenr  de  jiorlcr  ini  cercueil. 

Qu'on  Ircnihlc  d'rloulTcr  ces  nninines  généreuses! 
C'est  en  les  inilanl  (pi'on  les  rend  dani^ereuses. 
Kn  \;iin  le  despotisme,  aiMné  du  l'er  des  lois, 
(Commandait  le  silence  à  l:i  presse  aux  cent  voix, 
Kteij^nanl  les  fanaux  sur  le  Itoid  de  rabiine, 
De  son  Iriomplie  même  il  lïit  lond))'  sielime; 
lit,  s'il  l'aul  d'un  exeiii|i|e  a|tjinyer  mes  di>cours^ 
\oye/de  l'Oiienl  les  peuples  e(  les  coins  : 
Au  lil  du  sniiNcrain^  la,  le  >alnt'  ([ui  Neillc 
D'un  niurninie  indisciel  |n-e>erve  son  oreille; 
Inaccessible  même  à  la  \ni\  du  leinord. 
Au  sein  (le>  \o|u|»le>  il  se  |t|ou;^e  cl  s'eiiduil. 
Il  doi'l...  niai>  loul  à  coup  la  re\oll(>  liar<lie 
Dans  >on  palais  en  (eu  uronde  a\ei'  rimcndie; 
lad-uièuie  louibe  aux  pied^  de  ce  peuple  rampaiil, 
i;i  l'oia^e  imprcNU  IV'elaiie  imi  le  iVappanl. 
l.onirc  les  allenlals  dime  aNcu:^le  pui>«^ance 


40  LE    MYOSOTIS 

Déjà  que  de  douleurs  se  soulevaient  en  France  ! 

Menacés  par  les  lois,  que  d'artisans  obscurs 

S'entretenaient  tout  bas  de  leurs  destins  futurs. 

Et,  loin  de  la  patrie  esclave  et  désolée. 

Se  choisissaient  d'avance  une  tombe  exilée  ! 

Jeune  encore  et  tremblant  pour  l'art  qui  m'a  nourri. 

Moi,  j'ai  pleuré  comme  eux,  et  comme  eux  j'ai  souri, 

Lorsque  de  nos  cités,  à  la  douleur  en  proie. 

S'élevèrent  des  feux  et  des  concerts  de  joie. 

Non,  sur  des  bords  lointains  il  ne  faudra  jamais 

Devant  ses  ennemis  rougir  du  nom  français. 

Et,  dans  l'état  obscur  où  le  ciel  nous  fit  naître. 

Notre  sort  coulera  paisible,  heureux  peut-être  ! 

Quand  l'art  hospitalier  nous  laisse  des  loisirs. 

Ainsi  qu'à  nos  besoins,  il  veille  à  nos  plaisirs. 

Et  qui  donc  n'a  jamais  puisé  dans  la  lecture 

Un  oubli  consolant,  une  volupté  pure? 

Les  livres,  autrefois  vendus  au  poids  de  l'or, 

Dont  l'avare  opulence  amassait  le  trésor, 

Des  cloîtres,  des  palais  secouant  la  poussière. 

Se  sont  enfin  glissés  jusque  dans  la  chaumière; 

Pénates  vigilants,  en  tous  lieux  aujourd'hui 

Ils  bercent  les  douleurs  et  dissipent  l'ennui  ; 

Souvent  ils  sont  fêtés  même  par  l'ignorance. 

Notre  cœur  languit-il  en  deuil  d'une  espérance. 


L  K     M  Y  0  s  (  I  T  I  s  41 

Df»tromi>é  d'aniitié,  désenchanté  d'amour, 

Walter  Scott  à  nos  yeux  fait  passer  tour  à  tour 

L<'s  Ijii^ands  féodaux  (jui  coiuaiciit,  pleins  de  zèle, 

Puiilier  leurs  mains  dans  le  sauf;  infidèle, 

Ou  ses  ^ais  l)oliémi<Mis,  ou  ses  chefs  helli(jueux, 

Kt  des  temps,  des  climats  aussi  hizarres  (iii'enx. 

Le  lecteur,  IVancliissant  l'espîu'e  des  années. 

Vil  de  leurs  passions  el  de  leurs  destinées, 

Kt  (le  ces  grands  malheurs,  (pi'il  essaye  un  moment. 

Vers  les  siens  plus  lé^eis  il  revoie  gainuMit. 

Ilélas!  |Miunpi(»i  faul-il  (lu'aveii^laut  la  jeunesse, 

Connue  tous  les  plaisirs,  l'élude  ail  sou  ivresse? 

Les  cliers-(r(euvre  du  f^oùl,  par  mes  soins  reproduils, 

Oui  (Mcup*'  mes  jours,  oui  eurliaule  mes  uuils, 

Etsoiiseiil,  iiiseiis)' !  jai  n'-pandu  des  larmes  : 

Semhlahle  au  Ini^cron  ipii,  pii-paranl  des  armes, 

Avide  des  evploils  (pi'il  ne  parla^e  pas, 

Sil'lle  un  air  helliipieux  el  rè\e  de>  (•oiul>al>... 


f829. 


42  LE    MYOSOTIS 


DIOGÈNE 

FANTAISIE     POÉTIQUE» 


P  P,  F,  F  A  C  R     D  K     T,  A  U  T  F,  (1  P, 

Du  fond  de  son  tonneau,  tribune  populaire, 

Il  exhalait  sans  peur  sa  maligne  colère; 

La  censure  pour  lui  n'avait  pas  de  bâillons, 

Le  glaive  de  la  loi  respectait  ses  haillons. 

Au  passant,  dont  l'aumône  était  sa  nourriture, 

En  revanche  il  jetait  quelque  sot  en  pâture; 

Pour  enivrer  le  peuple  et  consoler  ses  maux. 

Comme  un  vin  |)ur,  sa  tonne  épanchait  les  bons  mots. 

Puis,  sou  front  soucieux,  ridé  par  la  satire. 

Aux  phalènes  d'amour  que  sa  lanterne  attire 


1.  Cette  pit^ce  et  tontes  celles  qui  suivent,  jnsqu'aiix  Modistes 
hospitalières  exclnsivement,  composent  la  collection  entit've  de  Pidcène, 
ijni  fnt  publiée  en  1833. 


LE    MYOSOTIS  43 

Soiiriîiil,  ol,  narguant  ses  rivaux  él)nliis. 
Il  IVotlail  sa  laidour  aux  charmes  de  Laïs... 

Quand  l'usafio,  al)>()Iii,  n-giic  i»ar  ordonnanr<>s. 

Et  que  tout  se  nivelle  au  joug  des  convenances. 

Malheur  à  l'imprudent  qui  s'égare  dini  pas 

Mors  dii  ccrric  hanal  (ju'a  tracé  h'  compas! 

l)r\anl  des  ;^ueii\,  (l(»rés  de  litres  cl  de  izrades. 

S'il  (yse  elTronh'menl  liiiei-  leurs  mascarades, 

I.a  loide  do  It'pieiix  s'écarle  avec  cITioi  : 

C'est  un  (\oi(pie:  —  l^h  hien!  je  sois  cynique,  omi! 

I",l,  p(»ur  di)ter  IMdvius  d'uoe  muse  iodiuèoe, 

.l'ose  la  baptiser  do  0(»m  de  Dio^zèoel 

Ooi,  ce  droit  m  a|»piolienl,  moi  qoi  roole  ii  lous  veoh, 

tlomoie  loi  son  loiioe;ni,  mes  pi'oales  iooo\aiils; 

.Moi  qoi,  perstMiil»''  de  visiteurs  saos  oomhre, 

loqtalieol  eiilio  tic  ;^rel(»ller  à  l'oodoe. 

Quand  ils  me  prooieltuicnl  assislamc  el  conseil. 

N'ai  répoodo  (pion  mol  :  (l;ire  dr  mon  xileilî 

l*oor  èhe,  jcooe  cncoi',  \it'u\  au  mdier  de  ^au'e. 

Il  m'a  l'allu  soliii'  oo  rode  aii|ireolissage. 

<  onooe  UarlIieieoiN ,  rapsode  loarx'illai^  . 

Dool  la  \oi\  m'a  Irooble  lorsqoe  p»  M>onneill.iiN, 

haos  la  Inise  sool'Hanl  de  la  (Irèct»  ou  de  Hou>e, 

Je  oai  |Miinl  respir/'  dt>  p(M''li(|ue  aronie. 


44  LE    MYOSOTIS 

Kt,  né  loin  dn  Midi,  je  n'eus  pas  même,  enfant, 

A  défaut,  de  soleil,  un  foyer  réchauffant. 

Un  ogre,  ayant  (lairé  la  chair  qui  vient  de  naître, 

M'emporta  vagissant,  dans  sa  robe  de  prêtre, 

Et  je  grandis,  captif,  parmi  ces  écoliers. 

Noirs  frelons  que  Montrouge  essaime  par  milliers, 

Slupides  icoglans,  que  chaque  diocèse 

Nourrit  pour  les  pachas  de  l'Église  française. 

Je  suais  à  traîner  les  }»lis  du  noir  manteau; 

Le  camail  me  brûlait  comme  un  san-henito; 

Regrettant  mon  enfance  et  ma  libre  misère, 

J'égrenais  dans  l'ennui  mes  jours,  comme  un  rosaire. 

Oh  !  quand  les  peupliers,  long  rideau  du  dortoir. 

Par  la  fenêtre  ouverte  à  la  l)rise  du  soir. 

Comme  un  store  mouvant  rafraîchissaient  ma  couche, 

Je  croyais  m'éveiller  au  souffle  d'une  bouche; 

Devant  le  crucifix  et  le  saint  bénitier. 

Profane!  j'enviais  le  sort  d'Alain  Chartier! 

Et  quand  le  mois  de  mai,  pour  la  reine  des  vierges, 

Faisait  neiger  les  lis  et  rayonner  les  cierges. 

Priant  avec  amour  l'idole  au  doux  souris. 

Je  convoitais  un  ciel  parfumé  de  houris. 

Dans  la  forêt  de  pins,  grand  orgue  qui  soupire. 

Parfois  comme  un  oracle  interrogeant  Shakspeare, 

Je  l'ouvrais  au  hasard,  et,  (jnaud  mon  œil  tombait 


LK    MYOSOTIS  45 

Sur  la  prédiction  d'Iphictone  à  Ma('l)etli, 

Berçant  de  rêves  d'or  ma  jeunesse  orpheline, 

11  nie  semblait  ouïr  une  voix  sibylline 

Qui  murmurait  aussi  :  «  i/avenir  est  ii  Idi; 

l-;i  Poésie  est  reine;  enfant,  tu  scnis  roi!  » 

Vains  présages,  hélas!  in;i  muse  voyageuse 

A  tenté,  sur  leur  loi,  cette  mer  orageuse 

On,  comme  Adamaslor  debout  sur  un  écueil. 

Le  spectre  de  dilixTl  pliiiie  sur  ini  cercueil. 

J'ai  visité  P;iris;  Paris,  sol  plus  aride 

Au  malheur  su|)pli:inl  «pie  les  rocs  de  Tiiinide; 

On  l'air  man(|Me  iiiix  ai^^ioiis  niédil;iiil  leur  cssoi-; 

Où  les  jeunes  t.dents,  cahotés  pur  le  sort, 

Tivbuchaut  ;i  la  lin,  de  stMoiisse  en  secousse, 

(loutre  la  l'osse  ouverte  où  dis|tarHl  Mscousse, 

N'ont  plus,  en  s'abordant,  (|m  un  saint  à  s"olTiir, 

la'  saint  monacal  :  Frères,  il  tant  mourir! 

Mon  doux  pays,  alors,  me  Muniait  en  rêves, 

(.oinnie  à  .lean-.lac(pie  eidant  son  beau  lac  elsesgrrv»^; 

Je  revoyais  Provins  et  ses  coteaux  aimes, 

Pe  tant  de  souvenirs,  de  tant  de  llenrs  semés; 

Son  dôme  occidental,  dont  cliaipie  soir  le  l'aile 

S'illumine  au  soli'il  connue  pour  une  tV-te; 

Sa  tour,  dont  le  lichen  crevasse  le  granit. 

Où  la  guerre  tonnait,  où  foiseau  fait  <on  nid  : 

3. 


46  LE    MYOSOTIS 

Géants  contemporains  qui,  le  front  dans  la  nue. 
Se  parlent  tête  à  tête  une  langue  inconnue; 
Médailles  des  césars  ou  des  rois,  Sphynx  jumeaux, 
Qui  jettent  aux  passants  des  énigmes  sans  mots... 

Pour  semer  de  mes  vers  un  sol  vivace  en  friche. 
J'ai  choisi  Seine-et-Marne,  et  mon  domaine  est  riche 
C'est  Meaux,  d'où  les  éclairs  de  l'aigle  gallican 
Effrayaient  le  hihou  qui  règne  au  Vatican; 
Provins,  docte  ruine  oià  l'histoire  s'épelle; 
La  cité  d'Amyot,  veuve  de  Lachapelle; 
Fontainebleau,  qui  dort  à  l'ombre  de  ses  bois, 
Où  ne  résonnent  plus  le  cor  et  les  abois. 
Et  montre  avec  orgueil,  dans  ses  cours  féodales, 
Le  pied  de  l'empereur  imprimé  sur  les  dalles. 

Sur  les  partis  heurtés  j'aurai  les  yeux  ouverts. 
Et  leur  choc  trouvera  de  l'écho  dans  mes  vers. 
La  marotte  n'est  pas  mon  attribut  unique  : 
Je  mentirai  souvent  à  mon  titre  cynique; 
Souvent  j'exhumerai  quelque  vieux  fabhau; 
Mon  journal  poétique,  au  dernier  folio. 
Pour  le  lectour  suant  d'une  longue  tirade, 
Sèmera  de?  couplets,  en  guise  de  charade; 
Mais,  épi(juo  ou  badin,  mon  vers  précipité 


LK    MYOSOTIS  47 

Chaulera  toujours  Dieu,  l'Amour,  la  Liherlé! 

La  Liberté  surtout  !  ee  uoui  jdeiu  d'iiaruiouie 
Sur  mes  lèvres  de  feu  n'est  pas  une  ironie; 
Car  je  l'ai  confessé,  non  tout  bas,  à  luiis  clos. 
Dans  les  refrains  qu'on  jcltc  à  des  murs  sans  échos; 
Non  comme  l'orateur  du  bancjiiet  iioi)ulaire. 
Dont  la  flauunc  du  jimitii  ;ittise  la  colère; 
Counne  un  boiilluii  iU'  clid)  dans  ses  parades,  non! 
Mais  les  pieds  dans  le  sani:,  en  race  dii  canon. 
Quand  une  dièle  année,  en  Imis  jnnrs  de  séance, 
S(Mis  les  [loiiinai'ds  d'nn  roi  voliul  sa  décliéance; 
Quand,  p(inr  sanver  l'Klal  el  clianu't'r  S(tn  deslin. 
Des  balles  rein|ila(;aieiil  les  hoides  du  scniliii, 
Ll  (|ne,  de  |(»ns  lùlé's,  les  villes  dn  lov.innie 
LnvoyaienI  des  eliis  à  ce  j^i'and  Jeu  de  |i;nnne. 
Pour  mes  cnneiloyeiis  j'(»|»inais  sans  mandai  , 
Kl  Proxins  enl  aii>si  ^on  de|iult''-M.|dal. 

Pour  i^laner  des  snjeN.  si  nos  leuïps  sont  aride<. 
Ma  innse  ronilleia  dans  les  é|i|ieint''rides; 
Sur  chaque  anniversaire  on  de  joie  on  île  denil, 
.le  IroiiNei.ii  le  lemps  de  ulisser  ni)  coup  dtcil; 
Quand  sur  nos  boulevards  le  mmiI  d'aulonnie  pleure. 
Je  \eu\  \   nicdiler  une  i''l('':^ie.  ;"i  l'Iienre. 


48  LE    MYOSOTIS 

A  riieure  même  où,  purs  de  crainte  et  de  remord. 
Les  Girondins  martyrs  chantaient  lem-  chant  de  mort; 
Et,  sans  doute,  le  mien  remûra  l'auditoire. 
Car  notre  nom  se  mêle  à  leur  funèhre  histoire  : 
C'est  parmi  nos  aïeux,  c'est  à  notre  foyer, 
Que  le  bourreau  jaloux  redemanda  Boyer! 

J'ai  médité  longtemps  ces  noms  que  je  murmure; 
Qu'il  me  vienne  un  public  :  ma  poésie  est  mûre. 
Prêtez-moi  donc  secours,  habitants  riverains 
Du  sol  qu'ont  baptisé  les  deux  fleuves  parrains; 
Souffrirons-nous  toujours  que  le  proverbe  rie 
Des  talents  champenois  comme  des  vins  de  Brie? 
Diogène  aux  railleurs  porte  un  défi  mortel  : 
Frères,  j'attends  vos  noms  pour  signer  le  cartel. 

1833. 


L'ABEILLE 


Comme  l'abeille  fugitive 

Qui  fait  son  miel  en  voyageant; 


LE    MYOSOTIS  49 

I,t'  cliansdiinicr  de  rive  ni  rivo 
V;i  l)()nril(inii;iiil  cl  V(»lli;i<'iinl  ; 
r.oinnie  elle,  du  iiiyile  à  lii  Iroilie, 
Il  recomnionce  vin^l,  délours  : 
Vole,  Vdic,  p«^,til(^  al)uille, 
Volo,  vole,  vole  lonjoiirs. 

llélas!  je  rampais,  demi-niie, 
Sans  ailes  d'or,  sans  aifziiillon, 
(jiiaiid  Idiil  iiinii  essaim  vers  la  mie 
S'eii\()la  dans  im  t(»iirl)ill(»ii  ; 
Mais  Dieu  incî  sourit,  Dieu  (|ui  veille 
Sur  im  insecte  sans  secours. 
Me  dit  :  «  Vole,  petite  abeille, 
»  Vole,  vole,  vole  loujoiu's. 

))  Loin  i\o>  tomltillons  de  poussière 

»  U"e  lonl  les  {grands  et  lems  latpiais, 

»  Dans  la  mansarde  ou  la  cliaumièrc 

»  Murmure  à  de  joycuv  bainpiets; 

»  Mais  en  l'uvanl,  |ti<pic  à  lorcillc 

»  l,es  Midas  (pii  peuplent  les  couin  : 

))  \(>lc,  vole,  petite  altejlle. 

»  Vole.  vole.  \(i|e  IdUjours. 


oO  LE    MYOSOTIS 

»  Oui,  garde  bien,  pauvre  orpheline, 
»  Un  dard  caché  pour  les  méchants; 
»  Mais  si  quelque  vierge  enfantine 
»  Cueille  des  bluets  dans  les  champs, 
»  Va  bourdonner  dans  sa  corbeille, 
»  Et  fais-la  rêver  aux  amours  : 
»  Vole,  vole,  petite  abeille, 
»  Vole,  vole,  vole  toujours. 

»  Mon  souffle  a  reverdi  la  terre, 

»  Teinte  du  sang  des  oppresseurs; 

»  Longtemps  l'éclat  du  cimeterre 

»  Sur  l'Hymette  effraya  tes  sœurs; 

»  Mais  il  la  Grèce  qui  s'éveille, 

»  La  Liberté  rend  ses  beaux  jours. 

»  Vole,  vole,  petite  abeille, 

»  Vole,  vole,  vole  toujours.  » 

Moi,  dans  les  paroles  divines 
Je  me  confie,  et  sans  savoir 
Si  sur  des  fleurs  ou  des  épines 
Il  faudra  m'endormir  le  soir; 
Quand  vient  la  brise,  je  sommeille, 
Et  je  m'abandonne  à  son  cours  : 


LE    MYOSOTIS 

Vole,  volo,  potito  ;i1)(mI1p, 
Volo,  \()W,  volo  toujours. 


54 


1828. 


LE    PAHTT    BONAPA  1{  T  I  S  T  K 

A     JOSEPH     B  0  N  A  P  V  n  T  F. 

VA  loi,  vicilliinl,  .'lussi!  lu  virus  diius  \o  cliinui»  clos 
Où  l;i  plunit'  cduihal,  <iù  rciirrr  cdiili'  à  lliils, 
.Ich'i'  aux  fadious,  dispiilanl  la  |iuissauc(*, 
Ku  l'orme  de  cailrl  un  acir  de  uaissaurc! 
A  Iravt'i's  les  ^zrauds  ikmus,  rrlVaiu  de  iKts  débals. 
Ton  nom  mys((''ii(Mi\  est  jirouitnrr  loul  has. 
(Jn('|(|ut's  afiilalt'urs,  ralliés  |iour  drlruiii', 
Sol(lal('si|m'  sans  IVcin  (|u"(in  rniit;il  de  conduir»'. 
Ourlant  |iarlnul  un  rlifl"  pour  di'lioucr  un  loi. 
De  iidus  eu  rrliis  soni  londx's  juxju'à  loi. 


Mais  le  in'\\u\  \\'c>\  \Au<,  ri  les  uain^  de  >a  racf 
nonuiraicid  aiséuirnl  lilolli>  dans  sa  ruira«>Mi; 
Tous  ses  paionN  oliscurs.  l'nMi's,  so-ius  ri  nr\ru\. 


52  LE    MYOSOTIS 

Qiii  poiir  Sun  héritage  osent  former  des  vœux, 
De  l'astre  impérial  satellites  sans  nombre. 
Depuis  quil  s'est  éteint  sont  retombés  clans  l'ombre. 
L'orphelin  dans  Texil  n'a  qu'un  moment  langui  : 
Sur  le  chêne  abattu  le  vent  frappa  le  gui. 
I/empire,  dont  la  chute  a  fait  trembler  les  pôles, 
Pour  vestige  ici-bas  n'a  laissé  que  deux  saules  : 
L'un,  que  brûle  au  midi  le  simoun  étouffant, 
L'autre,  pendant  au  nord  sur  un  tombeau  d'enfant. 

Bonaparte  !  où  trouver  dans  ta  biographie, 
A  côté  de  ce  nom.  rien  qui  le  justifie? 
Ton  glorieux  aîné,  dans  ses  obscm^  cadets. 
Vit  dix  ans  une  tache  au  veloms  de  son  dais. 
11  les  brodait  en  vain  d'or  sur  chaque  couture, 
Sous  leur  habit  de  prince  on  flairait  la  rotme. 
Lorsque,  du  nord  au  sud,  le  pontife  des  camps 
Les  sacrait  rois  d'un  jour  sur  les  trônes  vacants, 
De  l'orgueil  fratern»^!  leur  vanité  complice 
Se  courbait  à  ses  pieds  sous  un  brillant  cilice. 
A  l'hommage  des  cours  le  dédaigneux  vainqueur 
Les  jetait  en  passant,  comme  ce  dieu  moqueur 
Qui  livre  dans  l'Asie  aux  prières  publiques 
Ses  excréments  divins,  façonnés  en  reliques. 
Tel  le  sabre  adoré  des  héros  osmanlis 


LK    MYOSOTIS  o3 

Découpe  aux  ico^lans  le  monde  en  paclialiks; 
Tel  secouant,  la  peau  du  lion  de  Némée, 
Hercule  en  fait  loudxM-  loul  un  jicuple  pygnu'c 

Malheiu-  aux  potentats  créés  par  son  dédain. 

S'ils  l'olTensaient  d'un  niol  (tu  d'un  ^estc!  Soudain 

Happ  courait  clifilirr  la  majesté  vassale; 

Kl  (|u  nid  SCS  éperons  résoimaicnt  dans  la  salle. 

Sous  son  miniti'an  de  roi  le  coupable  suait, 

Treudilanl  connu*'  un  piiciia  surpiiN  piu'  le  murl  ! 

(Jufl  ennui  rt'IonlVail  dans  rKscurial  sond)n' ! 

Sur  Ion  lil  sans  sonnneil  tu  croyais  voir  dans  riunitn' 

Klamlioycr  W  poignard  ri  Td'ij  (Tim  guérillas; 

VA  puis,  Icrmanl  !('>>  yeux,  lu  n'V(»yais,  hélas! 

Ij's  montaf;iH's  dont  l'air  cnivic  la  poilrin»', 

i.a  plaine  >alilonnen<e  el  la  roclif  marine. 

On,  sans  pii'voir  du  sort  les  (•cueils  inc(tunus. 

KufanI  in^oiieieiix  lu  bondissais  pieds  uu«<! 

Aussi,  ipiand  hieu  liii>a  l'idole  clianrelauh', 
Nile  lu  secouas  la  couroinu'  hrnlanl»'. 
Oue  dis-je?  ;^iàce  à  loi,  le  monde  n'-xolle 
De  ipielipies  juurN  plus  |o|  diUa  sa  liberlt''. 
Oui,  l'aii^le  impc'iial.  Iianele  dans  son  air»\ 
Se  deball.iii  eucoi'  poui-  saisir  un  loniierii'; 


54  LE    MYOSOTIS 

Les  barbares,  tremblant  de  profaner  Paris, 
S'arrêtaient  sous  ses  murs,  fascinés  et  surpris; 
Mais,  dépouillant  un  rôle  écrasant  pour  ta  taille, 
Par  un  sauve-qui-peut  !  tu  cédas  la  bataille. 
Et  c'est  toi  qui  voudrais  déployer  pour  drapeau 
La  redingote  grise  et  le  petit  chapeau! 

Non,  la  gloire  pour  toi  n'eut  jamais  de  baptême  ! 
Non,  Joseph  tu  n'es  pas  Bonaparte,  et  quand  mêmeî, 
Quand  même  il  reviendrait  gigantesque,  celui 
Devant  qui  peuples,  rois,  empereurs,  tout  a  fui  ; 
Quand  même  du  tombeau  le  nouvel  Encelade 
Bondirait,  et  des  cieux  tenterait  l'escalade, 
Pense-t-on  qu'à  la  soif  de  l'aigle  renaissant 
La  France-Prométhée  irait  livrer  son  sang? 
0  vous  qui  l'adorez,  tribuns  dont  la  colère 
S'allume  au  nom  du  roi  dans  le  club  populaire, 
C'est  alors  qu'il  faudrait  hurler  le  désespoir. 
Sur  le  tableau  des  droits  jeter  un  voile  noir. 
Et  se  taire  ou  trenibhn'  :  de  sa  main  colossale. 
Qui  de  Saint-Cloud  jadis  a  balayé  la  salle. 
Il  vous  briserait,  vous  et  vos  tréteaux  forains, 
Et  vous  regretteriez,  la  baïonnette  aux  reins. 
Ces  bourreaux  palernels  dont  le  clysoir  talonne 
L'émeute  Pourceaugnac  autour  de  la  colonne. 


LE    MYOSOTIS  55 

Vous  qui  crachez  l'iujurc  au  uiiliaill(nir  on  froc, 
Avez- vous  oublié  (juc  l'iiounno  de  Saiul-Hocli, 
Flélri  d'un  souvenir  qu'aucun  exploit  u'eiïace, 
A  son  (l('l)ii(  s;m^'Iiiii(  nous  api)aru(  en  face 
Dans  ce  Paris  (|u'au  jour  {\('i<  san^ilanls  désespoirs 
I.e  canon  blasonna  d'Iiiérof^lyphcs  noirs? 
nisliufiuez-vous  (jucl  mot  «'sl  ^Mavé  sur  la  pierre? 
(-Iiai'le  ou  Napoléon?  Juillel  on  Vrndéiiiiairt'? 
Oin'l  or  espérez-vous,  (piand  vos  cn'usels  liai'dis 
Fondent  (pialre-viii;:l-li('i/t'  avec  mil  Imil  c«'iil  di\? 
A  vos  yeu\,  si  Hrutus  vous  a  sourib'-  son  àuir, 
I,a  race  de  Tai'(pun  est  niir  wur  iiilïiiiir. 
Craclii'/,  di)Mr  >\iv  >;\  ('ciidii'  ahaiiddUiicc  aii\  viMiK. 
Ntitt'Z  des  écliidaiids  à  ses  rcslcs  vivants, 
()n"]\>  meuri'ul  aluciivés  de  lentes  aiionie-^, 
VA  (pnm  les  liaine  morts  aux  vers  des  p''monie<. 
(i'esl  peu  :  ressnseile/  contre  iU'<.  noiiiN  maudit^ 
l,es  lois  dont  le  lilas|ilièMie  était  IVappé  jadi<. 
IMiililez  par  le  fer,  liiùle/.  par  les  acides 
La  ItoMclie  qui  xonnl  les  sons  lilierticide"^: 
Car,  si  l'un  ('voqnidt  l'ondire  du  soldat-mi. 
I.a  lilterlé'  l"ec(»iide  avdileiait  d'elTmi. 
Mais  il  dori  sans  réveil,  le  ^^tMol  de  l'empire: 
l,"\nulais  a  bien  c|niii'>  le  cercueil  du  vampire. 
Ou'nn  n'(»ppnse  don<'  plM<  ^ur  d  aiitiqu«'<  penn<>n< 


56  LE    MYOSOTIS 

L'aigle  à  la  fleur  de  lis  et,  des  noms  à  des  noms. 
La  science  héraldique  est  éteinte,  et  la  France, 
En  vieillissant,  confond  dans  son  indifférence 
Sa  race  tricolore  et  ses  blancs  souverains. 
L'huile  de  Notre-Dame  et  l'ampoule  de  Reims... 

Mais,  que  fais-je?  et  pourquoi,  sur  un  bruit  populaire, 

Traîner  devant  ma  barre  un  homme  consulaire. 

Qui,  sans  doute,  ignorant  le  factum  publié, 

Oublieux  des  partis,  s'en  croyait  oublié. 

Heureux  colon  !  semblable  au  pasteur  de  Virgile, 

Tu  couronnes  de  fleurs  tes  pénates  d'argile. 

Dans  un  riche  désert,  que  peuplent  à  la  fois 

Les  révolutions  et  la  haine  des  rois, 

Tranquille  au  bord  des  mers,  comme  une  écume  immonde. 

Tu  repousses  du  pied  le  bruit  de  l'ancien  monde, 

Et  si,  frappant  chez  toi,  les  partis  pèlerins 

Pour  leur  pavois  désert  quêtent  des  souverains  : 

Insensés!  réponds-tu,  quel  espoir  vous  anime? 

Pourquoi  dans  son  jardin  troubler  Abdolonyme? 

La  couronne  avant  l'âge  a  blanchi  mes  cheveux; 

J'en  connais  trop  le  poids  :  il  suffit  à  mes  vœux 

Que  mon  pré  soit  en  fleurs  et  que  mon  champ  jaunisse. 

Peuples  qui  mendiez  des  rois,  Dieu  vous  bénisse! 

27  juillet  1833. 


LE    MYUSUTIS  iil 


LA    PRINCESSE 

Ne  parlons  plus  de  liberté  : 
Je  viens  de  voir  une  itiiiieesse. 
Pour  mettre  aux  picils  de  Son  Altesse 
A  iM(»ii  lour,  (jue  nai-je  hérité 
DiMi  \H'\i  (le  lé^itiinilé! 
Kllc  scrail,  pour  ma  eliandirelli', 
I  II  meuble  lorl  joli,  ma  foi; 
Mais  piiis(|u'elle  n'es!  pas  j^riselle, 
Ali!  (|iiel  hoiilieur  si  j'étais  roi! 

hès  (|u'eii  soi!  cliar  cllr  a  paru, 
IMoiidr  l'I  ri<mlc  à  la  |iorliéi'(\ 
A  travers  do  Ilots  de  poussière 
Am'c  la  louli'  j'ai  couru, 
lauprrssc  (le  \oii,  cl  j'ai  mi... 
.1  ai  NU  son  Iroiil  (|ui  >c  colore, 
Sou  seiii  i|u"a:;ilc  uu  doux  «'iiioi  ; 
.Mai^.  piiiir  \ow  un  peu  mieux  encore. 
Ah!  ({uel  bonheur  si  jetais  roi! 


58  LE    MÏUSOTIS 

Je  veux  prendre  aussi  mon  essor  : 
L'ambition  devient  vulgaire, 
Tel  sot,  qui  végétait  naguère. 
Se  réveille  plus  sot  encor. 
Chargé  d'honneurs  et  cousu  d'or. 
D'un  souhait  qui  semble  frivole 
Vous  riez  sans  doute,  et  pourquoi? 
Amis,  la  Providence  est  folle  -, 
Ah!  quel  bonheur  si  j'étais  roi! 

Sous  les  palais,  comme  un  volcan, 
La  Liberté  s'allume  et  gronde; 
Ne  puis-je  trouver  en  ce  monde, 
Oii  les  trônes  sont  à  l'encan, 
Quelque  petit  trône  vacant? 
Dussé-je,  en  prince  bon  apôtre. 
Caresser  le  peuple  et  la  loi, 
Dussé-je  régner  comme...  un  autre, 
Ah!  quel  bonheur  si  j'étais  roi! 

Je  le  sais,  l'Hymen  et  l'Amour 
Traitent  les  rois  connne  la  foule, 
Et  l'on  dit  qu'à  la  sainte  ampoule. 
D'âge  en  âge  et  dé  cour  en  cour. 
Lé  diable  a  joué  plus  d'un  tour; 


Mais  bi  dans  les  devoirs  suprêmes 
Mon  peuple  usurpait  mon  eini)!oi, 
Du  moins  il  })aîrait  les  baptêmes  : 
Ali!  quel  bonheur  si  j'étais  roi! 

D'un  loi  espoir  j»'  m'enivrais; 
Mais  (iih'l  ivvcil  ri  (picl  viu'arin»'! 
L(^  galop  liiiilal  d'un  gendarme 
Tout  à  ((Hip  me  renverse  auprès 
De  l'idcdc  (|iit'  j'addiiiis. 
Dans  le  lnnii»ill(iii  de  ses  ^ardt'>, 
Klle  luil  vers  le  LdiiMc,  el  moi 
Je  gagne  en  boilanl  les  mansardes... 
Ah!  i(ut'l  hdidieur  si  j'étais  roi! 


MKULI.N     l)i:    ÏIIKKNN  ILM 

(''ranyais  régénérés  de  la  i^rande  semaine. 
Suivons  le  déni!  uniixcan  (|iie  la  i.ihi'ile  mène! 
l'ille  perd  cliaiine  jniir  ses  derniers  \eleran''. 
VA,  eonmie  Niobe,  nunrl  sur  ses  lils  inonranis.. 


trO  LE     MYOSOTIS 

HéJas!  quand  le  tribun  du  peuple  et  de  l'année, 
Merlin  de  Thionville  est  mort,  la  renommée. 
Qui  suivait  à  grand  bruit  le  triomphe  d'un  roi. 
N'a  point  jeté  les  yeux  sur  cet  obscur  convoi. 
Rien  ne  s'émut  autour  de  cette  gloire  morte; 
Quelques  rares  amis  ont  seuls  formé  l'escorte. 
Et  les  mille  clochers  dont  il  fondait  Tairahi 
Pour  voter  un  budget  au  peuple  souverain. 
Et  les  mille  canons  qu'il  pointait  aux  batailles, 
N'ont  point  hurlé  dans  l'air  un  glas  de  funérailles  ; 
Et  rien  ne  rappela  qu'il  fut  un  des  cent  rois 
Devant  qui  tous  les  rois  chancelaient  à  la  fuis. 
Puissant  par  la  parole  et  puissant  par  l'audace, 
H  résume  en  lui  seul  l'époque  à  double  face 
Que  d'une  explosion  de  gloire  deux  volcans 
Éclairaient  à  la  fois,  la  tribune  et  les  camps. 
Fallait-il  dégrader  Dumouriez  ou  Custines, 
Rallier  au  drapeau  des  légions  mutines. 
Réveiller  dans  nos  rangs  la  victoire  qui  dort, 
Et  noyer  dans  le  Rhin  les  Pharaons  du  nord? 
Carnut  montrait  du  doigt  la  frontière  entamée, 
Et  Merlin  y  tombait  pesant  comme  une  armée. 
Dans  leur  métier  de  feu  qu'il  n'avait  point  appris, 
11  révélait  un  maître  aux  généraux  surpris; 
Debout,  le  sabre  en  main,  sur  l'alTùt  oratoire. 


L  E     M  Y  0  s  0  T  1  s  (^1 

La  veille  du  combat,  décrélail  la  victoire. 

Et,  dans  les  rangs  prussiens  iilongeant  seul  bien  bouvent. 

En  rapportait  le  droit  de  crier  :  En  avant! 

Puis,  des  bords  enllannués  du  Hiiin  ou  de  la  Saïubre, 

Quand  un  coup  de  tocsin  l'appelait  à  la  chambre. 

Plus  intrépide  encor  dans  un  nouveau  danger. 

Sur  l'ardente  montagne  il  revenait  siéger. 

A  ta  place,  Merlin,  la  séance  est  ouverte. 

Des  triumvirs  jaloux  onl  médité  sa  perte. 

Il  regarde  pensif  les  vides  (pieu  lombanl 

Danton  et  Desmoulins  dul  laissés  sur  leur  banc; 

Mais,  nouveau  Danioclr^,  rciKinvaulc  dans  rame, 

H  ne  restera  [las  acciouiii  scms  la  lame. 

C.onlre  ses  ennemis,  silnl  {[u'ils  iiaraitioiit. 

Il  s'armera  du  Ter  qu'ils  prudt'iil  >iir  miu  IViinl; 

El,  piiisipi'à  leius  ^riidiiv  Tliciiiis  |iàle  s'esl  lue, 

Détomiiera  mm'  eux  le  Imrs  la  l"i  i|Mi  lue, 

ll()bes|iierre  esl  |iuissml.  Uobesiiiene  a  |Minr  lui 

Des  piipies  doul  l'ecliiir  eu  \aiii  n  a  jam.u>  lui. 

Des  canous  deiuandanl  audience  a  la  purle. 

Les  raubuurgs,  une  ainn'e  el  Sainl-Jusll  mai>  qu  imj'orle? 

Sa  Voix  releuliiii,  qu'où  lapplauilisse  ou  uou. 

Plus  liaiil  (|ue  les  laubouriis,  Sainl-Jusl  el  le  eauon. 


62  LE    MYOSOTIS 

Le  bouillant  proconsul^  venu  de  la  Gironde^ 
Assiège  le  premier  Ja  tribune  qui  gronde. 
Écoutez!...  Oli!  jamais^  sur  les  glacis  d'un  fort. 
Les  cœurs  avant  l'assaut  n'ont  palpité  plus  fort. 
Le  Sina,  d'où  tombaient  des  lois  et  des  tempêtes, 
La  montagne  ébranlée  a  fendu  ses  deux  crêtes. 
Et  les  pics  fraternels,  s'entre- choquant  tous  deux, 
Volcanisent  le  sol,  qui  palpite  autour  d'eux. 
De  spectateurs  béants  la  salle  est  crénelée; 
Comme  un  troupeau  de  loups  qui  flaire  la  mêlée, 
La  plèbe  anthropophage  attend  là,  pour  savoir 
Quelle  chair  et  quel  sang  on  lui  promet  ce  soir... 
Mais  tout  à  coup  le  monstre  hésite  à  s'en  repaître  : 
Le  lion  d'Androclès  a  reconnu  son  maître; 
Les  décrets  promulgués  expirent  sous  les  cris; 
Des  bras  nus  et  sanglants  relèvent  les  proscrits; 
Par  tous  ses  soupiraux^  le  vieil  Hôtel  de  Ville, 
Haletant,  a  souftlé  la  tempête  civile, 
Et  sur  les  quais  bruyants  oi^i  Paris  est  debout 
Aux  feux  de  thernndor  la  séchtion  bout. 
Merhn  se  lève  alors,  fier  d'un  rôle  à  sa  taille; 
Encor  poudreux  des  camps,  il  vole  à  la  bataille. 
H  part;  les  cris  de  mort  ne  l'intimident  point; 
11  plonge  dans  l'émeute,  un  pistolet  au  poing, 
Devant  les  conjurés  se  dresse,  loi  vivante, 


L  E     M  V  0  s  0  T  I  s  ft3 

Comme  dans  un  filet,,  les  prend  dans  rt'i)ouvanlo, 
Et,  sans  qu'ils  aient  tiré  le  glaive  du  fourreau, 
Les  ramasse  treniblanls  et  les  jette  au  bourreau, 
r/est  bien  :  justice  est  faile,  el,  joyeux  dnns  leur  tonijje, 
Les  cordeliers  martyrs  acceptent  l'iiécalouibe. 
Un  nouveau  roi  déclin  lait  liomma^je  à  Samsdu: 
L;i  hache,  (prébrécliail  une  longue  moisson, 
ilimiidc  d'un  siiii^'  pur,  diins  le  sauu  esl  lavée. 

Merlin,  repose-loi,  la  séance  est  levée! 

Kn  face  d'im  tel  homme,  uhî  (piils  semhlent  petits, 
(les  lé^isliitenis  nains  dans  le  ccnlie  iiiollis! 
(les  rhéteurs  lanfanMis  à  la  voix  menaçante, 
Uni  tonnent  sans  (lan;4er  contre  rémenle  alt-^enle, 
l'it  râlent  un  Ion:;  cri  d'é|ionvant(>  et  de  denil. 
Sitôt  (pi'nn  lunit  snspeci  honidoime  sur  le  senil! 
Si,  (lu  moins,  surgissait  dans  un  coin  de  leur  salle 
Hn  siècle  Av^,  ^l'anls  ipichpn»  ombre  colossale!... 
Mais  sur  nos  vieux  tribnns,  hisloriipies  landu'aux. 
L'oubli  pesait  axant  la  [lieire  des  lond»ean\. 
(Juand  le  lion  rugit  les  trois  jours  dr  colère, 
Sans  doute  le  Nicillard  hiMut  la  nouvelle  è|-e. 
Ml,  coinuii'  le  pays,  connue  la  liluTte. 
l*our  im  avenir  d"(ir  se  crut  re^su^citi'-. 


64  LE    MYOSOTIS 

Sans  doute  il  espéra  que  la  voix  des  collèges 
Aux  sénateurs  déchus  restitCirait  leurs  sièges. 
Vain  espoir  î  ce  grand  nom  retentissait  trop  fort. 
Peut-être,  en  l'écartant,  la  France  n'eut  pas  tort. 
Quand  on  eût  présenté  Merlin  de  Thionville 
Comme  un  épouvantai!  à  la  chambre  servile. 
Quand  sur  nos  girondins  le  fougueux  montagnard 
Eût  lancé  sa  parole  et  brandi  son  poignard. 
Oh!  sans  doute,  devant  cet  homme  de  l'histoire. 
Reculant  de  terreur,  comme  devant  Grégoire, 
Dans  les  bras  de  la  France  ils  auraient  rejeté 
Le  tribun  glorieux  de  son  indignité... 

Quoi  !  des  récits  menteurs,  que  la  peur  accrédite. 
Font  de  l'époque  sainte  une  époque  maudite  ! 
Par  des  auteurs  vendus  tout  royal  attentat 
Est  absous  et  paré  du  nom  de  coup  d'État, 
Et  pour  les  nations  il  n'est  point  d'indulgence! 
Après  avoir  longtemps  amassé  sa  vengeance. 
Lorsque  le  peuple-roi  se  relève,  et  s'assied 
Sur  les  partis  vaincus  qui  le  mordent  au  pied. 
Il  faudrait  qu'il  n'eût  pas  de  fiel  dans  les  entrailles. 
Qu'il  étoudàt  la  soif  des  justes  représailles. 
Et  ne  réveillât  pas  contre  ses  ennemis 
Le  beffroi,  chaud  encor,  des  Saints-Barthélemisî 


LE    MYOSOTIS  65 

Pour  les  Foiiqiiiers  royaux  l'Iiisloire  est  sans  colères, 

Kt  ne  pardonne  pas  aux  Jeffreys  populaires! 

Ef  quand  même  ils  auraient  frappé  d'aveugles  coups, 

Lâches  accusateurs,  silence!  oubliez-vous 

Que  leur  âme  de  feu  purifiait  leurs  œuvres? 

Oui,  d'un  pied  gigantesque  écrasant  les  couleuvres. 

Par  le  fer  et  la  flamme  ils  voulaient  aplanir 

l'ne  route  aux  Français  vers  un  ho\  avenir. 

Us  niarcliairnl  pleins  de  foi,  {lieins  d'amour,  et  l'histoire 

Absoudra,  comme  Dieu,  (|ui  sut  aimer  et  croire. 

Sem])lal)les  au  Mogol,  pourvoyeur  de  vautours. 

Oui  de  crânes  humains  édiliail  des  tours, 

Au  dieu  (lu'ils  confessaient  votant  d'horribles  fêtes, 

Pnui'  lui  hàlir  un  leni|»le  ils  entassaienl  les  têtes; 

VA,  (juand  il  le  lalhit,  résignés  au  malheur, 

(louroniiaitMit  rr-dilict^  en  y  jtorlant  la  leur. 

Sans  doute  il  leur  fallait,  d'une  main  pacillcjne, 

Caresser  des  mt'cliaiits  la  lace  prolirapie, 

Au  lieu  de  fatiguer  la  hache  du  tn'pas; 

(lonnne  (Ml  nos  jours  de  honte  il  fallait,  n'est-ce  pas? 

(iaridllei-  de  rubans,  déporter  dans  les  places. 

Mes  ennemis  vaincus  (|ui  hurlent  des  menaces, 

Fl,  plutôt  ipi'un  mandat,  jeter  un  passe-port 

A  ces  preux  chevaliers  galopant  vers  le  nord. 

Uni.  pour  tailler  en  liefs  la  Kranc(>  di'coujiee, 

i. 


66  LE    MYOSOTIS 

Aux  sabres  des  uhlans  aiguisaient  leur  épée... 
Eh  bien  !  moi,  je  vous  dis  que  leur  pied  trop  clément 
Sur  l'hydre  féodale  a  pesé  mollement; 
Car  elle  siffle  encor,  car  le  monstre  vivace, 
Des  qu'ils  furent  passés,  a  bondi  sur  leur  trace; 
Ils  n'ont  régné  qu'un  jour,  et  quand,  le  lendemain. 
Sur  la  couronne  à  terre  un  Cromwell  mit  la  main, 
Pour  son  infâme  Rump  il  sut  trouver  des  membres, 
Repeupla,  d'un  coup  d'œil,  les  vieilles  antichambres, 
Et  fit  dans  le  château  surgir,  on  ne  sait  d'où. 
Les  mannequins  vivants  balayés  le  dix  août. 

A  l'anathème,  un  jour,  substituant  l'éloge. 

On  fera  de  leurs  noms  un  saint  martyrologe  ; 

Un  jour  on  votera  des  honneurs  immortels 

A  leurs  tombeaux  maudits  transformés  en  autels. 

Mais  nous,  dont  le  cœur  chaud  repousse  un  froid  système. 

Nous,  peuple,  qui  voulons  la  liberté  quand  même, 

Devançons  l'avenir,  et  d'un  pieux  accueil 

Honorons  ces  proscrits,  au  moins  dans  le  cercueil. 

Qu'en  guise  de  cyprès,  le  chêne  populaire 

Prodigue  à  leur  sommeil  son  ombre  séculaire! 

Décoré  de  leurs  noms,  pavoisé  de  drapeaux. 

L'arbre  poussera  bien  dans  le  champ  du  repos; 

Car  du  tronc  à  la  tige  une  chaude  poussière 


L  E    M  Y  0  s  0  T  I  s  67 

Circulera  chanfiéo  on  sève  nourricière; 

Dan^  chacun  des  rameaux  qui  frissoniioiit  an  vent 

Nos  (ils  vénéreront  un  ancctre  vivant, 

Kt  le  soir,  allontifs  au  conseil  que  leur  iloinic 

I  11  jiioplièto  semblable  à  celui  de  Dodone, 

Alix  jours  de  grande  alarme  ils  diront  à  f^enoux  : 

Mânes  de  nos  aïeux,  (pie  l'aire?  iiispirez-nous!... 


A    l\l.    C.    OPOIX,    DK    PROVINS 


K  X  -  r.  0  N  V  K  N  T  I  O  N  N  K  I, 


\y  jmi'te  aux  dt''l»ris  vtnia  loujdurs  nu  eiilli'  : 

Pour  uii(>  âme  ivveusc  ils  oui  iiii  cliariut'  omdle. 

l/ima^inaliou  fii  l'ail  sortir  drs  voix 

Oui  parlriil  ;mx  vivaiils  des  choses  d'aulrefois, 

l',l  le  veis  iM»ii»('  hicii,  ('(iiiimi'  la  ^ironct>, 

Alix  ei('\asN(>s  diMi  mur,  au  iiii'ii  dim  iiiausolt'c. 

Oh!  rouvrir  sous  mes  pas.au  descrl  d'Oricul, 

l.i's  Iracesdc  l5Nrou  t't  do  (.haleauhiiaud  ; 

llespinu',  aceoiiiit'  sur  un  Iroue  do  eolouuo. 

I,a  poussièro  ipii  lui  l'aliiiMc  ou  rv;ih\|iiiii' . 


68  LE    MYOSOTTS 

Quel  bonheur  !  mais,  hélas  !  c'est  un  rêve  :  le  sort 

A  de  sa  main  de  fer  encloué  mon  essor. 

Et,  comme  le  chevreau  captif  au  pied  d'un  chêne. 

Pour  brouter  quelques  fleurs,  je  tiraille  ma  chaîne. 

Du  sol  natal  au  moins  j'exploite  les  trésors. 

Et  que  me  servirait  d'aller,  de  bords  en  bords , 

Évoquer  du  tombeau  quelque  nation  morte? 

Une  grande  ruine  est  debout  à  ma  porte. 

Oui,  venez  parmi  nous,  curieux  pèlerins. 

Dont  la  voile  frissonne  à  tous  les  vents  marins. 

Des  voyageurs  ont  dit  que  dans  sa  vieille  enceinte 

Provins  rappelle  aux  yeux  Jérusalem  la  sainte. 

Voilà  pourquoi  sans  doute,  infidèle  au  Jourdain, 

La  fleur  qu'y  moissonna  le  comte  paladin. 

Cessant  de  grelotter  loin  du  soleil  d'Asie, 

Comme  au  fleuve  natal  se  mire  à  la  Voulzie. 

Là,  quand  le  vent  du  soir  gémit,  on  croit  encor 

Sur  quelque  pont-levis  ouïr  le  son  du  cor, 

Ou  descendre,  furtifs,  des  créneaux  dans  les  plaines. 

Les  appels  amoureux  des  dames  châtelaines; 

Là,  quand  dans  les  roseaux  il  chante  comme  un  luth, 

Le  passant  rêve  et  dit  :  Comte  Thibaut,  salut! 

Et,  si  vous  ignorez  quel  savant  artifice 

Des  temps  qui  ne  sont  plus  restaure  l'édifice, 

Vous  interrogerez  l'ermite  qui,  souvent. 


LE    MYOSOTIS  (H> 

A  travers  ces  débris  erre,  (lt''I)ris  viviiiil. 

Commo  Cluimpollioii  an  pays  des  califes, 

Il  vous  oxpliiiucra  de  vieux  hiéro^ly[>lios. 

Et  la  baguetlo  il'or  de  ce  maf^icien 

l'Aliumera  pour  vous  l'Agendicum  aucien. 

Hegardez  :  il  chancelle  en  foulant  des  décombres, 

Cet  homme  séculaire,  ombre  parmi  les  ombres; 

Le  bâton,  qui  soutient  ses  pas  mal  assurés, 

Frap|)e  au  séjour  des  morts,  coniinc  pour  dire  :  Ouvrez! 

SiU'  son  front  chauve,  Mina  blanc  de  neige  et  (pii  brûle. 

De  (piatre-vingls  hivers  le  fardeau  s'accimnde; 

Mais,  cpiand  rncnie  la  fondic  on  les  vents  pluvieux 

Dégraderaient  encore  cr  nioiuinicnt  si  vieux, 

Ou;uid  il  ne  resterait  de  cet  homme  débile 

(Ju'ini  son  dans  l'air;  semblable  à  rauTnpie  ^ihvlle, 

(di!  celte  voix  sérail  un  itracle  |tour  nous. 

Nous  en  recueillei-joiis  la  itarole  à  genoux; 

(!ar  aux  jeinies  croyants  tpi'atlire  rerniita^e 

l'!ll(i  n'|)i'leiait  (sublime  radotage!) 

(les  mots  (pii  dans  les  C(eins  bn'danls  de  pnberli' 

Ne  toud)enl  jamais  froids  :   Vnfiii'  rt  Lil>n(r  ! 

La  sainte  l.ibeile,  naissante  an  Jen  de  paume. 

Connue  Ciiicinnalns.  Peideva  sons  le  cliamne. 

Certes,  ce  n"elaienl  pas  ;ilois  de  vils  crétins 

Uni  de  la  noble  l'iance  agitaient  1(>n  desiinv. 


70  LE    MYOSOTIS 

Des  écoliers  barbons^  tremblants  sous  la  férule, 
Automates  mouvants  sur  la  chaise  curule, 
Bétail  que  le  pouvoir  engraisse  de  ses  dons, 
Bâillonne  d'un  frein  d'or  et  sangle  de  cordons; 
Alors  les  députés  haranguaient  les  tempêtes, 
Ballottaient  au  scrutin  leurs  boules  et  leurs  têtes; 
Le  bourreau  ramassait  tous  les  partis  tombants, 
La  mort  à  plein  sillon  fauchait  entre  les  bancs, 
Le  tocsin  dans  la  Chambre  étouffait  la  sonnette, 
Et  rémeute  y  frappait  à  coups  de  baïonnette... 
Eh  bien  !  s'enveloppant  d'un  héroïsme  obscur, 
De  l'époque  sanglante  il  sortit  le  front  pur; 
Il  osa  pour  Capet  armer  sa  boule  blanche, 
Au  pied  de  la  Montagne  affronter  l'avalanche. 
Et,  bravant  du  malheur  le  contact  dangereux, 
Coudoyer  sans  pâlir  les  girondins  lépreux... 
Que  sont-ils  devenus,  ces  hommes  consulaires? 
Ceux  qu'on  n'a  point  jetés  aux  lions  populaires 
Ont  traîné  dans  l'exil  leurs  destins  ignorés. 
Et  la  terre  d'exil  les  a  tous  dévorés. 
Si  de  la  France  un  jour  l'idolâtrie  avide 
Revendiquait  leurs  os  pour  le  Panthéon  vide, 
Dans  un  large  sillon,  creusé  du  sud  au  nord. 
Il  nous  faudrait  glaner  sur  les  pas  de  la  Mort, 
Et,  labourant  le  sol  de  chaque  cimetière. 


L  !•:    An  0  s  U  T  1  s 


CoiiiiiK'  iiiitî  J(»sai)lial  loiiillcr  rii;uro[tc  eiiliciv. 
En  vain  la  Liberté,  renaissaule  aux  trois  jours, 
llappelu  ces  proscrits  :  hélas I  les  morts  sont  sourds! 


Lui  (lu  nioius  nous  rcsia  :  la  vicillL'  dynastie 
N'atteignit  pas  son  IVonl  des  coups' de  l'anniistie. 
Connue  l'italieu,  harcelé  de  héros, 
(Jui,  dans  un  lein|ile  ouvert,  se  sauve  des  hoiureaux. 
Le  vieillard;  poursuivi  par  Tarlide  et  Hasile, 
S'enfuit  vers  Ir  l'amasse,  en  s'éeiianl  :  Asile! 
Mais,  dé(lai;«'u»'ii\  du  iiiondr  ri  de  ses  lauriers  \aiu>, 
(loniiue  Mil  linceul  pit-cocc  il  ic\cli(  Provins; 
Lt  l'aiule,  i|ui  peul-clie  eùl  (K'Noré  l'espace. 
Se  lapil,  \er  olisciir,  &i\\\>  celle  cininnicc. 
C'est  le  iiiatiicicii  dr  nos  hois  encli;inlcs. 
I,e  l'anloine  iddeur  de  nos  di'luis  llanlé^; 
Il  ordonna  Ircnic  an>  ce  Innclirc  niu>ée, 
Trenle  an>  é|ionsN('la  cliat|nc  iicinluic  usée, 
Ll  \ien\,  pour  reconi|ien>e  il  ne  deniaudii  iien. 
liien,  <|ue  l'Iionnenr  olisein'  d Cn  nionrir  le  ^ardn-n. 
hu  liaul  de  nos  leniparis.  philosophe  shiile, 
IMananI  sur  le  champ  clos  (»n  Ijjnope  indile. 
Il  \oil,  depuis  (|uin/.e  ans,  \o\.iuer  Innr  .i  Inni 
Les  iMinihttns  hi^^ilils,  les  Honrhons  de  reionr. 
i;i,  del(»innanl  l'oreille  au  luuil  de  leur  passuf:»», 


72  LE    MYUSUTIS 

Il  dort,  enveloppé  dans  le  manteau  du  sage. 

Nul  rayon  de  faveur  sur  ses  vieux  jours  n'a  lui; 

Les  rois  (se  souvenant!)  reculaient  devant  lui. 

Quand  juillet  s'alluma,  du  moins  on  pouvait  croire 

Qu'il  se  réchaufferait  à  ce  soleil  de  gloire. 

Qu'une  langue  de  feu  Tirait  chercher;  mais  non  : 

Rien  aux  puissants  du  jour  ne  révéla  son  nom. 

Et  seule,  quand  il  pleut  tant  de  croix  dans  l'ornière, 

La  rose  de  Provins  brille  à  sa  boutonnière. 

Que  dis-je?  son  pays  renia  ses  travaux; 

11  lui  fallut  subir  d'ironiques  bravos, 

L'outrage  médité,  l'insulte  irréfléchie. 

Essuyer  des  crachats  sur  sa  barbe  blanchie. 

Et  passer,  sous  les  yeux  des  pharisiens  jaloux. 

Vêtu,  comme  le  Christ,  de  la  robe  des  fous. 

11  dut  se  rappeler,  dans  ces  jours  d'amertume. 

Que  de  vieillards,  sans  foi  dans  leur  gloire  posthume. 

De  l'âge  et  du  malheur  ont  cunmlé  le  faix. 

Et  recueilli  l'injure  en  semant  des  bienfaits  : 

Dante  a  bu  lentement  une  agonie  amère. 

Et  des  chiens  ont  bavé  sur  les  haillons  d'Homère! 

Dors  en  paix  maintenant,  Nestor  des  Provinois, 
Je  veille  à  ton  repos,  comme  l'enfant  chinois. 
Dont  l'éventail  défend  la  tête  paternelle 


LE     MYOSOTIS  73 

Du  luouclieruii  «jui  peut  rerileurer  df  buii  aile; 

Je  ne  traliquc  pas  d'un  hommage  vendu  : 

Mon  lulli  aux  lambris  d'or  ne  fut  jamais  pendu  : 

Mais  si,  montrant  du  doigt  le  Iront  nu  d'Elisée. 

On  l'insultait  encor  d'une  lâche  risée, 

Oh  !  mon  vers  gronderait,  semblable  à  l'ours  vengeur 

Qui,  s'élançant  des  buis  vers  le  saint  voyageur, 

Dispersa,  déchira  sou  escorte  insolente, 

Kt  lui  lécha  les  pieds  de  sa  fiueule  sanglante... 

le  ne  te  connais  pas;  d«»s  accents  de  la  voix 

Mon  oreille  est  encor  vierge;  mais  (pie  de  lois. 

Dans  la  bruyante  rue  on  dans  la  solilud»-, 

J'ai  suivi  ton  pas  lent  avec  sollicitude! 

J'aurais  voulu  pour  loi  ramollir  le  clicmiu; 

El  ma  main  s'égarail,  prèle  à  saisir  la  niaiu; 

J'épiais  siu'  ta  bouche  un  sourire  prospère, 

Kt  la  miemu*  s'ouvrait  jMiur  te  dire  .  Mou  père... 

VA  puis,  je  veu\  seuirr  aliu  de  recueillir  : 

Moi,  liévreux  de  jnuiesse,  il  luc  l'iiudra  vieillir; 

l/liuile,  nu  jour,  dnil  luiuupu'r  :i  ma  Nrillr  ;i»i(lu«>; 

Le  Ncut  emporleia  ma  pamlc  perdue; 

Mais  (piaiiil,  (lé>eiir|i;ml(«  de  mes  rêves  (Teuraid, 

l/oultli  m'auia  cdUNerl  d'uu  linceul  éloulVaul; 

Ouaud  mes  coucitoNeiis,  eu  me  \o\aul  paraiire. 

Se  diront  :  ()uv\  es|-il?  et  pa»ei(>ul;  peul-èire 


74  LE    MYOSOTIS 

De  la  sainte  vieillesse  un  poëte  amoureux 
Les  fera  souvenir  que  j'ai  chanté  pour  eux, 
Réjouira  mon  cœur  d'une  parole  amie^ 
Versera  des  parfums  sur  ma  gloire  momie. 
Et,  payant  au  rimeur  la  dette  du  savant, 
De  funèbres  lauriers  m'embaumera  vivant. 


LE    POETE    EN    PROVINCE 


Le  moi  présomptueux  de  Montaigne  et  de  Sterne 
Est  mal  reçu,  venant  d'un  auteur  subalterne  ; 
Mais  comme  un  premier-né,  Diogène  m'est  cher; 
Je  ne  distingue  pas  mon  œuvre  de  ma  chair, 
Et  je  dois  me  laver  des  reproches  qu'on  lance 
Tantôt  à  mes  discours,  tantôt  à  mon  silence; 
Sur  des  abus  flagrants,  dit-on,  je  me  suis  tu^ 
J'ai  porté  des  défis  et  n'ai  point  combattu; 
Puis,  j'avais  annoncé  qu'en  un  large  domaine 
Mon  Pégase  ouvrirait  un  sillon  par  semaine; 
Je  n'ai  pas  su  tenir  ce  que  je  promettais. 
Et  mon  jeune  crédit  mourra  sous  les  protêts... 


Lt    MYUSUTIS  75 

Hélus!  j'ai  préludé  sous  de  riants  auspices; 

Tout  semblait  à  uiuii  vol  olVrir  des  cieux  propices; 

Ceux  même  qu'autrefois,  dans  ma  {^aîté  sans  frein, 

J'avais  égratignés  d'un  insolent  refrain. 

Oui,  tuteurs  généreux  de  ma  muse  inconnue. 

Prèle  des  ailes  d'or  à  son  épaule  nue; 

La  voix,  <ii(i  )n'a  troublé  lorsque  je  sommdllais. 

Applaudit  ma  satire  à  ses  premiers  feuillets. 

A  vous,  braves  amis  dont  le  bravo  m'accueille, 

Quand  ni<»n  poème  au  vent  s'en  allait  feuille  à  feuille; 

A  vous,  dont  la  pilié  récliaulïa  ilans  son  sein 

Ces  passereaux  frileux  effarés  par  essaim, 

Honneur!  honneur  >inl(»iil  ;i  ces  ànies  fer\enles, 

Dans  notre  Béotie  antithèses  vivantes, 

(Jiii  <le  leurs  conseils  d'or  inOid  paNe  le  tribut; 

Honneur  à  vous,  C***,  M***  et  C***! 

Je  suis  las  de  ciimpir  sur  Notre  h-rriluire. 

De  pi'odij^ner  des  chanl>  (|ui  n'ont  point  d  auditoire  î 

Je  l>ars,  et  de  ces  hoiiU,  ipp-  je  cro\;n>«  amis, 

Je  secoue,  en  luviuit,  la  poudre  et  les  foiuini^; 

Je  piirs,  ni'iis  >;nis  iidieu  :  mii  satire  allumée 

Iji  (  in(|  explorions  ne  ^'e>t  pa>  eon^^unn'e; 

Je  pour>uiNrai  suis  peur  mon  lole  jusqu'au  bout  : 

I,e  Ihéàlre  a  crouh',  mais  l'aeleur  e^t  delmul. 

r.it'aneiers  de  mes  xers;  poiii' a('t|niller  ma  délie 


76  LE    MYOSUTIS 

Je  serais  s'il  le  faut,  et  manœuvre  et  puëte  ; 
De  l'art  et  du  travail  cumulant  les  eimuis^ 
Je  sûrai  le  matin  sur  l'œuvre  de  mes  nuits.., 


Vous  dont  j'entends  gronder  le  bruyant  anatlièiiie, 
Savez-vous  bien  (hélas  !  je  l'ignorais  moi-même  !j 
Savez-vous  quel  fardeau  je  m'étais  imposé? 
Quel  miracle  inouï  je  rêvais,  quand  j'osai 
En  forme  d'Hélicon  tailler  notre  montagne. 
Et  dire  fiât  lux  aux  brouillards  de  Champagne? 
Comme  le  voyageur  dans  son  nautique  essor. 
Baptisant  de  son  nom  une  île  vierge  encor. 
Insensé,  j'avais  cru,  Cook  de  la  poésie, 
Conquérir  le  premier  les  bords  de  la  Voulzie  ; 
0  mes  concitoyens,  pardonnez!  je  le  vois. 
Vos  gloires  pour  fleurir  n'attendaient  pas  ma  voix. 
Heureux  pays!  ton  sol  fourmille  d'Aristarques; 
Tes  Solons  inconnus  attendent  des  Plutarques  ; 
Rivaux  des  troubadours  qui  t'illustraient  jadis, 
Tes  nouveaux  lauréats,  grands  hommes  inédits. 
De  l'ombre  d'un  bureau,  du  fond  d'une  boutique ;, 
Régnent  sur  les  beaux-arts  et  sur  la  politique. 
Et  l'on  ne  peut  toucher  à  ce  double  terrain 
Sans  attenter  aux  droits  d'un  orgueil  suzerain. 


LE    MYOSOTIS  77 

Poëte  infortuné,  sous  ta  plumo  prufUMito, 

En  vain  tu  retiendras  l'épigramme  pendante  ; 

A  chaque  livraison  un  jury  menaçant 

Donnera  la  torture  au  poëme  innocent  : 

11  flairera  partout  des  délits  et  des  crimes, 

Ainsi  qu'iui  or  suspect  contrôlera  tes  rimes, 

VA  les  fera  sonner  leur  à  lour,  à  dessein 

D'en  lirer  (|url(jii('  i)ruit  ressemblant  an  locsin. 

Ou  monlrera  du  (loiizt  à  la  tonle.  i;.'n(tnuitc 

L'injure  personnelle,  à  cIkkhic  mol  flagrante. 

Tu  m.igislrat,  dit-on,  par  l'un  (>sl  hafoué; 

L'autre  IVapp»'  im  notaire,  et  l'autre  un  avoué; 

I/autre  un  bourgeois  du  lieu,  colossal  d'importance. 
Dont  loi  scnl  n'avais  pas  soupçoiiiK'  rcxisteiice. 
Lances-tu  des  cailloux  aux  (loliatlis  des  cours! 
Sur  (picl(pic  IVoul  obscur  ils  ricochent  toujours. 
A  la  lace  des  rois,  jcllcs-lu  Ar  la  bouc? 
lu  maire  cl  deux  adjoiuls  vmil  s'essuver  la  joue; 
l'',l  des  ollicieux,  eu  ;_'riuiacaul  l'iMYroi, 
Te  paileroiil  tout  bas  du  procureiu"  du  roi... 
|)oiiiies-lu  (iuel(|ues  pleurs  à  Ion  noble  Mécène, 
honl  l'exil  iniprcNu  (il  inuruuirer  la  Seine? 
L'iK'Uiislicbe.  à  Midun,  se  glissant  pai  hasard, 
Khunbloie  aux  murs  dore^  d'ini  p«>tit  JtalthaNar. 
I.l.  des  ju^'e<  tardifs  excilanl  les  enquêtes. 


78  LE    MYOSOTIS 

Le  proconsul  jaloux  veut  te  livrer  aux  bêtes; 
As-tu  blessé  l'orgueil  d'un  bel  esprit  mutin? 
Pour  sauver  ton  repos,  fuis,  ou,  quelque  matin. 
Pâle  encor  d'une  veille,  il  faudra  que  tu  coures 
Brûler  au  nez  d'un  fat  tes  vers  cbangés  en  bourres... 

Hélas!  c'est  mou  bistoire...  Eb  bien!  à  vous  aussi, 
Zoïles  spadassins,  je  répondrai  :  merci! 
Vous  avez  retrempé  mon  cœur  dans  l'amertume; 
Le  fiel  dont  il  est  plein  déborde  sous  ma  plume. 
Pourtant,  dormez  en  paix  :  de  mon  brûlant  coiutoux 
Je  n'égarerai  point  un  seul  éclair  sur  vous; 
Je  ne  vous  rendrai  pas  outrage  pour  outrage, 
Car  vos  bourdonnements  ne  sont  pas  un  orage. 
Vous  ne  méritez  pas  que  l'on  vous  crache  un  vers. 
Et  d'un  large  mépris  je  vous  ai  tous  couverts. 
Pour  la  prostituer,  j'estime  trop  ma  haine; 
L'ouragan,  dont  le  vol  courbe  l'orgueil  du  chêne, 
Dédaigne  d'effleurer  l'insolent  végétal. 
Qui  se  carre  au  soleil  sur  le  fumier  natal. 
Pour  cible  hebdomadaire,  à  mes  coups  polémiques. 
Je  veux  des  fats  titrés,  des  sots  académiques, 
Je  veux  des  ennemis  que  je  puisse,  en  chemin. 
Écarter  d'un  soufflet  sans  me  salir  la  main. 
Venez,  gens  du  pouvoir,  dans  son  nouveau  refuge, 


LI-:    MYOSOTIS  7H 

Kelanccr  et.  traquer  l'insolent  qui  vous  juj^e. 

Comme  un  épouvantail  dressez-vous  devant  moi! 

Je  suis  plus  fort  (\\u\  vous,  c'est  pour  vous  qu'est  l'elTroi. 

Qu'importe  qu'on  m'enlève  une  presse,  qu'importe 

Que  riiospitalité  ferme  sur  moi  sa  porte; 

Qu'inijtorlc,  pour  s'asseoir,  au  poëte  rêvant, 

La  chaise  du  foyer  ou  lii  borne  en  plein  vent  ! 

Quand  il  s<»  iVolle  au  peuple,  un  contact  électriipie 

Fait  jaillir  de  son  sein  la  llamme  satirique. 

Je  ne  m'inspire  pas  sur  des  coussins  moelleux, 

Je  liens  mal  une  iilnnie  entre  mes  doifits  calleux; 

Je  n'écris  pas,  je  rliaiile,  cl.  Minerve  nouvelle. 

Ma  satire  s'élance  en  bloc  de  ma  cervelle. 

Qu'on  m'encliainc,  ma  voix  est  liiire,  c'est  assez; 

Oui,  lanl  (|u'oii  n'osera,  f(»nnne  aux  siècles  passés, 

Par  le  fer  cl  la  llaunne  éloulVer  le  blasphème. 

Il  landra  (pi'on  ineiileiule;  et,  diissi'-je  luoi-nièine 

Quêler  des  auditeurs,  comme  ces  lroubadoui"s 

Dont  roiuue  savoyard  nasille  aux  canelours, 

.ranieiilerai  le  pciqtle  à  mes  vérit«'S  crues. 

Je  pnqihéliserai  sur  le  trépied  des  rues... 

('.ha(|iie  iniir,  placardt'  d'iiii  vers  n'>publieaiii. 

.StM'a  poiii-  uu'<  la/./i^  le  socle  de  Pasquin. 


f^O  LE    MYOSOTTS 


A    HENRI    Y 


Henri  Cinq!  à  ce  nom  n'augurez  point  d'outrage 
Pour  l'héritier  des  lis,  emporté  par  l'orage. 
Où  l'on  salue  un  roi,  je  ne  vois  qu'un  enfant, 
Et  respecte  le  front  que  sa  candeur  défend. 
Pourquoi  te  maudirai-je?  infortuné!  sans  doute, 
Tu  hais  la  royauté  plus  qu'on  ne  la  redoute; 
Je  garde  ma  colère  à  tes  bourreaux,  à  ceux 
Qui  stimulent  pour  toi  l'avenir  paresseux. 
Et  qui,  pour  t' ajuster  à  la  robe  virile. 
T'imposent  un  effort  douloureux  et  stérile. 
Les  cruels  t'ont  volé  ton  âge  d'or!  ils  ont 
Imprimé  sur  le  tien  les  soucis  de  leur  front; 
Te  versant  goutte  à  goutte  une  espérance  acide, 
ils  consomment  dans  l'ombre  un  long  infanticide. 
Ah!  maudit  soit  le  jour,  où  Paris  étonné 
Comme  un  présent  d'enfer  accepta  Bieudonnél 
Hélas  !  quand  les  valets  du  trône  héréditaire 
De  l'auguste  naissance  adoraient  le  mystère, 
Quand  le  canon  hurlait  l'avis  officiel, 


LR    MYOSOTIS  81 

Par  pitié  pour  la  France  et  pour  toi,  plût  au  riel 
Onun  boliémien,  fouillant  dans  ton  berceau  de  fête, 
Au  l)apteme  royal  eût  dérobé  ta  tête! 
Tu  pourniis  aiijounVbui  danser  sous  tes  haillons, 
La  chevelure  au  vont,  courir  les  papillons, 
Moissonner,  à  pleins  bras,  les  campagnes  fleuries, 
Écloses  sans  parfum  sur  tes  tapisseries, 
l'I  l'eudormir  à  l'aise  aux  portes  du  palais 
Oui  fait  peser  sur  toi  ses  murs  et  ses  valets. 
Ivre  (le  joie  et  d'air,  riclie  d'un  ImkIj-M'I  mine»». 
Tu  vivrais  mendiant,  toi  (jni  véfiètes  prince. 
hit'M  iK^  l'a  pas  voidu  '  siw  des  panjut'ts  luisants. 
Tu  licnrtes  les  j^enoux  au  front  ih'^  courtisans, 
VA  les  ambassadeurs,  (pTun  Iniissicr  te  iiréscMitc, 
lirisent  les  hoclicis  d'or  dans  Icnr  marcin»  pi^sanle. 
Piiisses-tn  sMccomluM"  à  cfl  ennui  profond! 
Car  l'avenir  ponr  loi  s'ouvre  noir  et  sans  fond, 
Car  les  perst'cntenrs  font  briller  sur  la  tèti^ 
Un  joyan,  dont  l'aimant  allire  la  tempête... 
Ta  raison,  disent-ils,  a  nniri  prnmplement, 
Tn  lis  (ioMbe  et  Sebiller  sur  le  texte  allemand; 
l'di  bien!  tn  comprendras  mon  arrêt  jHoplietitpie, 
KnfanI  !  si  (piebiue  joni'  la  elianee  poliliipie 
Te  renvoyait  an  trône,  et  courbait  son<  ta  Itii 
l'n  |teuple  frtMnissanl  (pii  ne  veut  pa^  de  loi  : 

l). 


82  LE    MYOSOTIS 

Si  lu  (levais  un  jour  (ce  qu'au  destin  ne  plaise  !) 
Allonger  d'un  Bourbon  la  chronique  française, 
Une  émeute  sans  fin  bourdonnerait  dans  l'air. 
Et  livrerait  Paris  aux  brigands  de  Schiller. 
Pour  chasser  les  démons  ardents  à  ta  poursuite, 
Tu  t'armerais  en  vain  d'un  aumônier  jésuite  ; 
Tu  flairerais  de  loin  chaque  placet,  de  peur 
Que  son  pli  n'exhalât  une  horrible  vapeur; 
Sand  heurterait  encore  au  seuil  des  ministères, 
Staabs  irait  troubler  tes  fêtes  militaires; 
I.ouvel  de  son  tombeau  sortirait  furibond; 
Son  vivace  poignard  a  soif  du  sang  Bourbon. 

Mais  ne  te  flatte  pas  même  d'un  jour  prospère; 
Tu  ne  dois  pas  mourir  de  la  mort  de  ton  père; 
Et,  si  tu  te  mêlais  à  des  brigands  bénis. 
On  creuserait  ta  fosse  ailleurs  qu'à  Saint-Denis. 
Miraculeux  sauveur,  n'écoute  pas  les  mages, 
Dont  ta  crèche  dorée  attire  les  hommages  : 
On  dit  que,  pour  tenter  l'Achille  de  treize  ans. 
Ils  glissent  une  épée  à  travers  leurs  présents. 
Ah!  si  par  leurs  conseils  ta  jeunesse  est  trompée. 
Malheur!  car  nous  aussi  nous  t'ofl'rons  une  épée; 
Mais,  sentant  à  la  fin  notre  clémence  à  bout. 
Nous  te  la  présentons  par  la  pointe,  et  debout!... 


LE    MYOSOTIS  83 

Et  qu'as-tu  pour  appui?  Quelquns  Ivlos  ridées, 

Dont  les  cheveux  de  neige  ont  glacé  les  idées. 

Des  menins  du  régent,  des  docteurs  es  l)Iasou, 

Imbéciles  Calebs  de  ta  vieille  maison, 

Dont  le  sang,  rare  et  froid,  se  figeant  sous  hi  liii(ln% 

A  la  main  du  bourreau  ne  ferait  point  de  tache, 

Parmi  ces  noms  obscurs,  il  en  est  un  brillant, 

Un  que  nous  t'envions,  un  seul  :  Chateaubriand  ! 

Mais,  sur  les  l;iuriers  veris  qui  lornient  son  trophée, 

Pâle  tige  (le  lis,  eu  viiin  il  l'a  grefl'ée. 

Son  génie  est  puissant  cl  nous  le  délions; 

Hélas!  il  est  passé  le  temps  des  Anq)liions... 

Sur  les  palais  détruits,  ses  pleurs  et  ses  prières. 

Abondants,  (ml  coidé  sans  émouvoir  les  jiierres. 

INtnr  écuiitcr  ce  |nvlrr  aux  cIkuiIs  iiK'IodiruN, 

Nous  voyons  trop  les  vers  ipii  nmticiil  ses  liiiix  dii'ii\. 

Sa  voix,  loisipi'à  l:i  ciiiisc  il  jmmiik'I  I;i  vitloire. 

Pitiir  i;i  pit'iniric  lois  se  jicrd  s;ms  aiidilniit'; 

Kl,  (Lilis  s;i  l(i\;iiilt''  de  clirviiruT  cliit'i  itMi. 

Il  perd  son  Mvciiir  siiiis  rf^liiiircr  le  lien. 

his  donc  à  <•<'  vieillard,  piiisipril  daigne  ^f  nn'llrc 

Aux  ficiionx  d'un  tMilaiil  qu'il  appelle  son  niaili-e. 

Dis-lui  de  lefiiser  aux  profanes  débals 

Des  mois  (pli  ne  son!  point  la  lanuue  d'ici-bas; 

De  se  jvfiiuier  an  monde  (pTil  s)>  crée. 


84  L  E     M  Y  0  S  0  T  1  S 

Et  de  ne  point  offrir  une  tête  sacrée 

Où  la  vieillesse  pèse,  où  tant  de  gloire  a  lui. 

Au  glaive  que  la  loi  craint  d'égarer  sur  lui. 

Quant  aux  preux  chevaliers  que  ton  exil  attire. 

Qui  vont,  gras  et  vermeils  de  trois  ans  de  martyre, 

Prosterner  à  tes  pieds  leur  dévoûment  profond, 

Pour  hâter  ton  retour,  sais-tu  bien  ce  qu'ils  font? 

Ils  élèvent  au  ciel  leurs  mains  et  leurs  prières, 

Attisent  de  soupirs  des  feux  incendiaires; 

Comme  le  peuple  juif,  dans  un  heu  souterrain, 

Aux  profanes  regards  cachant  leur  sanhédrin. 

Avides  du  grand  jour  qui  ne  doit  jamais  naître. 

Quand  la  tempête  gronde,  ils  ouvrent  leur  fenêtre. 

Poussent  un  cri  de  joie,  et  regardent  en  l'air 

Si  l'envoyé  du  ciel  tombe  dans  un  éclair. 

Je  me  trompe  :  aux  grands  jours,  la  basilique  ouverte 

Nous  lâche,  pour  défi,  sa  procession  verte, 

Et,  quand  la  nuit  est  sombre,  un  marguillier  tremblant 

A  son  clocher  honteux  arbore  un  haillon  blanc. 

Ton  nom  remue  encore,  au  fond  des  sacristies, 

Des  fous  que  nos  dédains  ont  couverts  d'amnisties, 

Et  ces  Bretons,  marqués  du  type  originel. 

Suçant  l'horreur  des  bleus  sur  le  sein  maternel. 

Bétail  aveugle  et  sourd  qu'un  Gondi  populaire 

Fouette  vers  rabatteur  à  coups  de  scapiilaire. 


\.  ]■]    MYOSOTIS  .*^5 

Mais,  chaquo  jour,  pâlit  leur  fanatique  instinct; 
Le  grand  buisson  ardent  de  lui-même  s'éteint. 
Tu  seras  homme  à  peine,  et  déjà  l'Armorique 
Ne  verra  plus  en  toi  qu'un  fantôme  historique. 
Si  lu  parais  alors,  si  quelque  Ilot  marin 
Jette  sur  les  récifs  l'élève  de  Tharin, 
Les  pêcheurs,  oublieux  d'iuiç  épo([uc  eiïacée. 
Demanderont  d'où  vient  l'étrange  cétacée, 
VA,  connue  les  débris  d'un  navire  lépreux, 
(lonniic  les  os  (Tini  plioipie  anonyme  pour  eux. 
Repousseront  du  pied,  à  la  mer  (|ui  l'apporte. 
Le  cadîivre  (lottani  de  la  royauté  morte. 
Si  ton  clan  vagabond,  pour  vaincre  sans  danger. 
Se  glissait  dans  nos  ports  derrière  l'étranger, 
La  terre  de  l'ouest,  giasse  de  funérailh^s, 
\\\\  français  nMiégats  ouvrirait  ses  entrailles; 
A  Tapitel  de  Sinon,  les  ennemis  venns 
heeideraienl  (rellVoi  devant  ces  bords  connns, 
Car  ils  verraient  iMicore  ini  linceid  d'aligné  verte 
Honler  des  (»s  hlancliis  sur  la  pla;^e  diserte, 
l'ît  le  Hot  pro|ili(''li(|ne,  an\  conps  de  l'aviron, 
Hépondiail  I  II  gidiidanl  :  (,Miibeidii  !  O'dberoii! 

l'.coute,  cepiMidant  :  (piaiid  lu  pleures  la  France. 
Si  le  mal  dn  pavs  es!  la  seule  sniilTiance, 


86  LE    MYOSOTIS 

Si  l'exil  t'est  mortel,  espère  ;  mais  attends 

Que  les  nouveaux  Bourbons  aient  achevé  leur  temps. 

Un  règne  à  l'agonie  aurait  peur  d'un  fantôme, 

Un  trône  chancelant  craint  le  choc  d'un  atome  ; 

Ta  légitimité  doit  effrayer  la  leur, 

Mais  tu  n'es  rien  pour  nous,  que  faiblesse  et  malheur. 

Phis  radieux  après  une  éclipse  totale. 

Quand  juillet  brillera  sur  notre  capitale. 

Fuis  ta  prison  dorée,  et  viens,  sans  appareil. 

Libre  et  seul,  refleurir  à  ton  premier  soleil. 

Nous  aurons  oublié  quel  fut  ton  apanage, 

Nous  fermerons  les  yeux  sur  ton  pèlerinage  ; 

Viens  :  nous  te  promettons  un  spectacle  inouï. 

Dont  les  fêtes  des  rois  ne  t'ont  point  ébloui. 

Alors  quelque  David,  aux  dessins  gigantesques. 

Prenant  le  Champ  de  Mars  pour  toile  de  ses  fresques, 

Devant  la  Liberté  fera  mouvoir  les  chœurs 

Des  citoyens  joyeux  et  des  guerriers  vainqueurs. 

Qui  sait?  le  tourbillon  de  cette  farandole 

T'entraînera  peut-être  aux  pieds  de  notre  idole  ; 

La  voix  du  sang  français,  dans  ton  cœur  enfantin, 

Étouffera  la  voix  du  sang  napolitain, 

VA,  fier  de  partager  notre  gloire  future. 

Tu  solliciteras  des  lettres  de  roture. 

Alors,  si  des  bivouacs  fument  à  l'horizon, 


I.  K    M  Y  0  s  0  T  1  s  Hl 

Soldat,  va  «'onquérir  un  liiiiricr  [loiir  Idiisou, 
Et,  commo  Ivanhoë  Irtinsfiii^c  do  SolyniP, 
Élonnaiil  son  pays  d'un  coiirapo  anonyme, 
Dans  le  tournoi  sanglîint  (ju^nivrc  la  Liberté, 
Fais  dire  aux  spécial eiirs  :  filoire  nu  (Uahéritpl 

Oui,  confonds  pour  jamais  ton  avenir  an  iiôlre, 

Sois  vraimenl  fih  de  France ,  el  jilùl  an  cifl  (pie  rinilrr... 

L'autre  orphelin,  débris  d'nn  empire  pins  ix-an. 

Pût  revenir  aussi  de  Texil  dn  lonilieanl... 

Mais  (pic  seil  (rcinbrasstT  nne  vaine  cliinière? 
Ils  sont  perdus  Ittus  deux  pour  la  France,  leur  mère. 
Dans  la  grande  cité  (pii  leur  donna  son  iail. 
Ma  pitié  caressante  en  vain  les  rappelait  : 
L'un  ne  peut  soulever  la  pierre  si'pniciaie. 
L'autre,  ininnui'  vivant  dan^  sa  pourpic  royale, 
(irelolle  cfiiniHc  lui  sitns  l(>s  brouillarils  du  nord. 
Je  p;u"lais  à  deux  som-iis  ;  rét.'oï»snit'  cl  la  mort. 


88  LE    MYOSOTIS 


L'APPARITTON 


0  vous  !  qui,  recueillant  ma  première  parole. 

Au  ménestrel  quêteur  glissâtes  votre  obole. 

Je  vous  devais  un  hymne,  et  je  soupire  un  lai  ; 

Au  poëte  insolvable  accordez  un  délai. 

J'ai  promis  d'exploiter  les  trésors  de  nos  fastes; 

A  tous  nos  jours  de  gloire,  à  tous  nos  jours  néfastes, 

J'ai  promis  un  salut,  et  ma  voix  sommeillait 

Quand  celle  du  canon  cria  :  Vingt-neuf  Juillet. 

La  rime,  dont  Boileau  se  plaignait  à  Molière, 

Regimbe  quelquefois  sous  ma  plume  écolière; 

Il  est  de  ces  moments  de  fatigue  et  d'ennuis 

Où  l'on  dort,  enfumé  par  la  lampe  des  nuits. 

Où  le  front  soucieux  est  labouré  de  rides. 

Sans  qu'il  fleurisse  un  vers  dans  leurs  sillons  arides. 

Pour  déranger  le  vol  des  habitants  de  l'air, 

11  ne  faut  qu'un  atome  ;  or,  il  advint  qu'hier, 

Mon  sylphe  pèlerin,  dansant  autour  du  globe, 

S'égara  par  hasard  dans  les  plis  d'une  robe. 


L  E    M  Y  0  s  0  T  1  s  89 

Et  depuis,  loin  du  jour,  formant  ses  ailes  d'or, 

Dans  ce  filet  de  soie  il  se  berce  et  s'endort. 

Et  pourtant,  je  rêvais  à  co  plan  d'épopée, 

Le  plus  large  de  ceux  qu'on  taille  à  coups  d'épée  ; 

Je  voulais  étourdir  sur  les  chagrins  présents, 

Les  Français,  à  ma  voix  rajeunis  de  trois  ans  ; 

dalvaniser,  armer  pour  leur  œuvre  qui  tombe, 

Ces  morts  (|u'im  deuil  railleur  insulte  dans  loin-  Um\\)o  ; 

Ce  peuple  qui,  sur  Vor  jonché  devant  ses  pas, 

Vainqueur,  marchait  pieds  nus,  et  ne  se  baissait  pas  : 

Et  ces  adolescents  déjà  mûrs  poiu*  la  ^Moire, 

Déjà  tiers  de  mourir,  t>t  (pii  ne  pouvaient  croire, 

Hélas!  (pi'ils  s»»  livraient  en  pâture  aux  canons 

Pour  C()nf|uérir  des  mots  et  détrôner  des  noms; 

Et  puis,  j'aurais  fouetté  d'ardentes  philippicpies 

Les  Thersites  fuyards  de  nos  (•onil)ats  éiM(|iies, 

Spectateiu's  iiniiciial.inls  (|ni,  de  leiii-  italcon  d'or. 

Applaudissaient  Paris  coiiinie  un  lon-ador; 

Oui,  le  diaine  aciievt',  lonilièreiil  de  leur  loi;e 

Pour  s'inscrire  vivants  sur  un  niarlvroloL'e, 

S'enivrer  an  banquet  dressé  pour  les  vaincpuMirs. 

VA.  rougir  d(»  cordons  leurs  jioilrint's  sans  (MPurs. 

Je  marchais  :  les  ravons  qui  bn'daienl  nie^  jtanpières, 
(lonnne  des  dianianis  l'aisaienl  brilliM'  les  |»iene«s. 


90  LE    MYOSOTIS 

Et  je  me  rappelais  qu'aux  Trois-Jours  le  soleil 
Sur  les  dalles  du  Louvre  étincelait  pareil. 
J'explorais  du  regard  les  maisons  pavoisées 
De  bannières  au  vent,  de  femmes  aux  croisées  : 
Errant  de  groupe  en  groupe,  avec  des  yeux  ravis, 
Je  m'arrêtai  soudain, car  je  vis...  oh!  je  vis 
Une  de  ces  beautés  qu'entre  mille  on  rencontre, 
Que  le  ciel  ironique  un  seul  instant  nous  montre, 
Frais  mirage  qui  glisse  aux  yeux  du  pèlerin 
Dans  un  désert  brûlant  et  sous  un  ciel  d'airain, 
Types  de  la  peinture  et  de  la  statuaire. 
Si  pures  que  leur  toit  devient  un  sanctuaire. 
Si  belles  qu'un  cœur  mort  s'épanouit  auprès. 
Et  qu'en  se  rappelant,  un  demi-siècle  après, 
Cette  femme  sans  nom  qu'on  n'a  plus  retrouvée, 
On  se  dit  :  L'ai-je  vue  ou  bien  Tai-je  rêvée? 
L'étendard,  agitant  son  ombre  sur  le  sol. 
Nous  éventait  tous  deux  de  son  frais  parasol  ; 
Mais,  rouge  de  pudeur,  la  figure  charmante 
S'abrita  sous  ses  plis,  comme  sous  une  mante. 
Immobile  à  la  place  oi^i  son  œil  me  troubla, 
Je  répétai  longtemps  encore  :  Elle  était  là  ! 
Et  cependant  la  foule  inondait  l'avenue... 
Je  tressaillis,  touché  par  une  main  connue, 
El  la  voix  d'un  ami  :  Par  Apollon,  mon  cher. 


LE    MYOSOTIS  9i 

Qiiello  rime,  béani,  flaires-fu  (kmc  Anu^  l'air? 

Dans  mon  obscur  Éden  pourlant  j'avais  une  Eve 

(jue  je  m'étais  créée  et,  (jue  j'aimais  eu  r^ve. 

Pour  essuyer  des  pleurs,  le  succube  ciirri 

[nclinait,  sur  mes  yeux  ses  yeux  bleus  île  pf'ri. 

Ses  baisers  enivraient  mes  lèvres  altérées. 

Mes  (loif^ls  vierges  palpaient  ses  loiiues  étbérées: 

Je  m'élançais  la  nuit,  euiportt'  dans  ses  bras. 

Vers  un  monde  id(''al  i>arsemé  d'Alliambras, 

VA  lorsque,  fatigués  de  leurs  mélamorpboses. 

Les  Sylpbes  V(mt  dormir  dans  le  liiimac  des  roM's  ; 

A  ce  soir,  disait-il  imi  fuyaid  ;  cl  le  xtii-. 

Sur  mes  ^enoiix  tiicnrc  il  levt'Uiiil  siisscdii-. 

De  ma  bhinclic  sliduf,  ici-bas  s;uis  modelé, 

Je  fus  lonj^lciiips  IV-poux  cl  le  pivlic  lidcle; 

Mais  je  l'iii  vue,  ô  loi  dont  jijjuoi-c  le  nom. 

Je  r.ii  vue,  et,  soudain,  iionicux  ry^malion, 

T'iuau}4uranl  d/'cssc  en  mon  âme  «'\all»''e. 

J'ai  sur  sou  pii'dcsial  bris»'  ma  (ialalt-c; 

Toulrc  mi  doux  souvenir  jai  lulli',  mai^  en  vain  : 

l/an^e  a  ployé  Jacob  sons  >ou  i^cnou  divin. 

Patriole>  marlyrs,  pardonne/....  Mais,  (pie  «lis-je?... 
Uuelie  l«''le  brûlante  est  pure  de  Ncrli^e? 


92  LE    MYOSOTIS 

Ceux  que  j'ai  vus  passer  sur  le  fatal  brancard. 

Que  mes  pleurs  ont  bénis  clans  leur  fosse  à  l'écart. 

Quand  ils  tombaient  aux  pieds  des  Suisses  victimaires, 

Soupiraient  d'autres  noms  que  le  nom  de  leurs  mères. 

En  donnant  des  baisers  à  des  cadavres  saints, 

Le  peuple  fossoyeur  découvrait  sur  leurs  seins 

Des  boucles  de  cheveux,  odorantes  encore, 

Scapulaires  d'amour  qu'à  vingt  ans  l'on  adore. 

Les  tribuns  précurseurs,  dont  le  nom  nous  est  cher, 

Dans  leur  forte  poitrine  avaient  un  cœur  de  chair  : 

Danton,  l'ours  montagnard,  souffrant  qu'on  le  muselle, 

Grognait  d'amour,  charmé  par  des  yeux  de  gazelle  ; 

Louvet,  dans  les  déserts  où  la  loi  le  traqua, 

Comme  la  liberté  pleurait  Lodoïska; 

Un  ange  blond  veillait  au  chevet  de  Camille; 

Vergniaud,  pour  parer  un  sein  de  jeune  fille. 

Condamné,  détachait  de  son  sein  de  martyr 

La  montre  qui  tintait  le  moment  de  partir  ; 

Et  quand  Chénier  frappait  sa  tête  volcanique, 

Que  livrait  à  la  hache  un  tribunal  inique. 

Sentant  battre  son  cœur  qu'une  image  brûla, 

11  pouvait  dire  aussi  :  «  J'ai  quelque  chose  là.  » 

Et  nous  prétendrions,  nous,  enfants  que  nous  sommes. 
Marcher  droit  dans  la  route  où  chancelaient  des  hommes! 


1.  h:    M  Y  0  s  U  T  1  b  93 

Oh  !  nous  pouvons  conniK;  (3ux  unir  avec  lierté 
Au  culte  de  l'honneur  celui  de  la  beauté. 
Grâce  à  ton  souvenir,  toi  que  j'ai  vue  écloie 
Au  soleil  de  juillet,  sous  un  [ili  tricolore, 
Avec  plus  de  ferveur  mes  hymnes  saliiront 
L'étendard  amoureux  (jui  caressa  ton  Iront, 
Et  je  me  souviendrai,  si  son  vul  me  réclame, 
Uue  ces  nobles  couleurs  sont  celles  de  ma  ilame... 

Mais,  paladin  rêveur,  mou  cultes  e\trava{^aul 
N'aura  pas  eoïKpiis  lunnc  un  baiser  sur  le  j^ant  : 
Connue  dans  un  liarein,  captive  au  {gynécée. 
Nul  souflle  ne  Icrnit  sa  limi)ide  pensée; 
Dans  les  sentiers  cunniis  on  ne  la  froisse  pa>. 
Le  f;rand  air  e>l  trop  nII  poiu'  ses  t'iilciK  appa^, 
Ainsi,  dans  nos  vallons  la  rose  orieiilale, 
Que  Thibaut  transplanta  de  la  rive  natale, 
S'cxilanl  à  l'écart,  semble  dire  à  ikis  ILmus  : 
l'aies  lilles  du  N(tid,  vous  n'èlo  pas  nii's  Meni>>. 
Si  la  presse  demain,  bruyante  enlienietteoM', 
î.ni  {glisse,  buinide  enciir,  mon  cpitre  llatteuse, 
Hélas!  connue  au  liasard,  sa  main  lioidtMtUNrira 
Celle  paf^e  (pii  brûle,  et  tien  ne  Ini  dira 
(ju'nn  souille  de  sa  boucbe  a  t'ait  \ibrer  ma  Ivre, 
Que  son  regard  créa  les  vers  (pi'il  Nient  de  lire; 


94  LE    MYOSOTIS 

Et,  peut-être,  la  feuille  où  je  les  ai  semés 
Bouclera  sur  son  front  ses  cheveux  parfumés. 


6  août  1833. 


LES    NOCES    DE    GANA 


De  Cana  l'on  sait  l'aventure. 
Mais  d'un  vieux  grimoire  je  tiens 
Quelques  détails,  dont  l'Écriture 
iN'a  pas  égayé  les  chrétiens. 
Un  peu  gourmet,  quoi  qu'on  en  dise, 
Le  Bon  Dieu,  qui  s'était  grisé. 
Se  permit  mainte  gaillardise 
Dont  Judas  fut  scandalisé* 

Car  chaque  apôtre  se  signait, 
Et  Judas  surtout  s'indignait  : 
Hélas!  disait-il,  mes  amis, 
Le  Bon  Dieu  nous  a  compromis; 


L  f-:     MYOSOTIS  95 

D'abord,  en  comptant  les  bouteilles, 
Frères,  dit-il,  en  vérilé. 
De  mes  jours  si  pleins  de  merveilles 
Ce  jour  sera  le  mieux  fêté  : 
Mes  prêtres  futurs,  en  mémoire 
D'un  tour  de  ^'obelet  divin. 
Vendant  des  oremus  pour  boire. 
Changeront  l'eau  bénite  en  vin. 


Et  diaiiue  apùtre  se  signait. 
Et  Judas  surtout  s'indifçnait  • 
Hélas!  disait-il,  mes  amis, 
Le  l3on  Dieu  nous  u  C(Uiiproim>. 


Aux  t'poiix,  liéros  de  la  IV'lc, 
Il  (lit  d"uM  Ion  d  épicurien  ; 
Uuve/,  triii(|Ui'/,  loi  de  pitti'lirlc, 
li'Amour,  ce  Miir,  n'y  [icrdra  rii'ii; 
Mon  prési'iit  de  noce  e>l  un  rr.sle 
ht'  te  \in  iiinnne  on  n'm  l'ail  pln.s. 
Oui,  pour  (ItMiipln-  un  im  r>li'. 
Hajt'innl  un  de  mes  élu.>... 

\'A  cliiiipic  apôlre  se  signait, 
\l  Jiida>  surlont  ^'indi^nait  : 


96  LE    MYOSOTIS 

Hélas!  disait-il^  mes  amis. 

Le  Bon  Dieu  nous  a  compromis. 

Puis  à  Madeleine  la  sainte, 
Qui,  belle  de  honte  et  d'attraits. 
Détournait,  loin  de  cette  enceinte, 
Vers  le  désert  ses  yeux  distraits  : 
De  ce  monde,  Yotre  conquête, 
Pourquoi,  dit-il,  vous  séparer? 
Ma  sœur,  ce  n'est  qu'en  tête  à  tête 
Qu'au  désert  il  faut  s'égarer... 

Et  chaque  apôtre  se  signait. 
Et  Judas  surtout  s'indignait  : 
Hélas!  disait-il,  mes  amis. 
Le  Bon  Dieu  nous  a  compromis. 

Narguant  le  pharisien  qui  gronde, 
Oui,  poursuit- il,  faites  toujours 
Des  bienheureux  en  ce  bas  monde. 
Pour  qu'on  vous  canonise  un  jour. 
Au  ciel,  pénitente  confuse. 
Quand  vous  frapperez  en  mon  nom. 
Ne  craignez  point  qu'on  vous  refuse. 
Vous  qui  jamais  n'avez  dit  :  Non. 


L  t    M  Y  U  ij  U  II  S 

Et  clia(iue  apôtre  se  signait. 
El  Judas  surtout  s'indignait  : 
Hélas  !  disait-il,  mes  amis. 
Le  Bon  Dieu  nous  a  compromis. 

Moi-même,  je  veux  à  plein  verre 
Boire  roubli  du  lendemain; 
("-lia(iue  instant  me  pousse  au  Calvaire. 
J'en  veux  égayer  le  climiin. 
Suivez  donc  mes  Iraci's  divines  : 
En  atlendanl  (pie  les  douleurs 
Viennent  vous  couronner  d'éiiino, 
Enfants,  couronnez-vous  de  llenr>. 

Et  cJKKpie  ;ipùlre  se  sif^nail, 
Et  Judas  .siiitout  s'indif:Mail  : 
Hélas!  disait-il,  nies  amis, 
Le  Bon  Dieu  nous  a  c(tlllpl(lllli^. 

Des  convives  Irouhlant  la  \iie, 
Sur  leiiis  plai->iiN  l'auhe  a\ail  lui; 
Mais  ipiaiid  riiiimaiiil«'  \aiiiciie 
Toiiiltail  en  loiile  autour  de  lui  ; 
Miracle  1  iiilrepide  à  sa  placr, 
L'Homme-hieu,  se  versant  toujours. 


98  LE    MYOSOTIS 

Détonnait  un  liynnie  d'Horace 
Sur  le  Falerne  et  les  Amours. 

Et  cha(iue  apôtre  se  signait, 
Et  Judas  surtout  s'indignait  : 
Hélas!  disait-il,  mes  amis, 
Le  Bon  Dieu  nous  a  compromis. 


LE    HAMEAU    INCENDIÉ 


Dans  ces  bois,  où  souvent  une  muse  chérie 

S'est  révélée  à  moi  comme  une  autre  Égérie* 

Hier,  épouvanté,  je  vis  à  l'horizon. 

Où  riait  un  hameau,  fumer  un  noir  tison> 

Et  j'osai  blasphémer  :  Oh!  si  j'étais  l'Archange 

Que  Dieu  fait  voyager  dans  nos  chemins  de  fange. 

Le  visiteur  sanglant  que^  pour  sauver  les  siensj 

Il  envoya  heurter  aux  seuils  égyptiens, 

Du  moins  je  choisirais  avec  intelligence 

La  place  où  doit  frapper  le  glaive  de  vengeance, 


L  K    MYOSOTIS  m 

Et  je  rospccterais  le  loit  j)atiianal 
Dont  le  poteau  reçut  le  baptême  pascal. 
Je  balaîrais  du  sol,  au  vont  de  ma  col«''re, 
Les  nouveaux  Baltliazars  que  le  monde  tolère  ; 
Et  sur  les  noirs  débris  de  leurs  palais  en  fen 
Je  graverais  ces  mots  :  Tyrans,  il  est  un  Dieu  ! 
Mais  si  je  rencontrais,  errant  de  pla}i;e  en  plaj.'e, 
Dans  un  désert  en  fleuis  l'oasis  d'un  villa{j;e, 
Où,  (lu  travail  des  jours  se  délassant  le  soir. 
Les  vierges  vont  danser  et  les  vieillards  s'asseoir, 
Tribu  qu'im  long  soleil  vil  ni;in  lier  liiilrhinlc, 
VA  (\\\\,  trouviinl  cnlin  oii  di'ployer  sa  Inili', 
Hespire  la  l'raîebeiir  sous  le  figuier  (U's  piiils. 
Je  leur  dirais  :  Kid'anis,  pidx  et  conra;^»';  cl  piiiv. 
De  |iein"  iVon  (Varei'  siii-  eux  les  étincelles. 
Je  passerais  bien  vile  en  repliant  mes  ;Mle<. 

Mais  l'Ange  lut  aveugle,  et  le  hameau  dé-lruil! 

0  Fontaine-Dianle!  il  |t;iss;iit,  clunpie  nuit. 
Dans  tes  clieuiins  obscurs,  tout  noirs  de  i:ramiueeN. 
Des  brodequins  l'uitils,  des  jand»es  aviné-es; 
Chaque  brise  envoyait  à  tes  échos  dormants 
Des  relVains  de  buveurs  et  des  soupir^  (rinn,inl><. 
Tu  ciiùniiiis  nue  fêle  ('ternelle  et   p.iiviliji'. 


100  LE    MYOSOTIS 

Et,  dans  le  fond  des  bois,  ton  orchestre  invisible 
Semblait  au  voyageur,  épiant  chaque  son, 
Un  nid  mélodieux  caché  dans  un  buisson. 


Embaume  de  tes  fleurs  la  jeune  fille  morte, 
0  muse!  elle  a  passé  dans  l'ombre;  mais  qu'importe? 
Quand  un  tourbillon  gronde  et  ravage,  souvent, 
Dédaigneux  des  palais  qui  croulent  à  sa  vue. 
Le  poëte  rêveur  suit  des  yeux,  dans  la  nue, 
La  feuille  qui  tournoie  au  vent. 

Quand  ses  pas  cadencés  foulaient  la  molle  arène, 
La  veille  encor,  du  bal  on  la  saluait  reine  : 
Elle  entraînait  les  cœurs  dans  son  joyeux  essor; 
Mais  tout  sceptre  est  fragile,  et  les  Parques  moroses 
Hélas!  foulent  aux  pieds  les  couronnes  de  roses, 
Comme  les  diadèmes  d'or. 

Nul  pressentiment  froid  n'a  glacé  son  épaule  ; 
Elle  ne  chante  pas  la  romance  du  Saule, 
Comme  Desdemona  sur  sa  couche  d'hymen  : 
Non,  dans  ses  souvenirs  s'endormant  satisfaite, 
Aux  voluptés  du  bal,  à  sa  robe  de  fête, 
Elle  semblait  dire  :  A  demain. 


LE    MYOSOTIS  iO\ 

I/espf^ranre  ol  l'iimoiir  !'af^itai(Mil  :  duiicos  (ièvros  ! 
ï.es  syllabes  d'un  nom  s'échappaiont  de  ses  lèvres. 
Quand,  tout  ù  coup,  du  seuil  qu'il  venait  d'embraser, 
Le  feu,  comme  Othello,  bondissant  sur  sa  couche, 
Interrompit  le  mot  commencé  i)ar  sa  bouche, 
Et  l'étoufl'a  dans  un  baiser. 

Mainlenant,  dites-moi  ce  qu'elle  est  devenue! 
Peut-être  t'oulons-nous  sa  poussière  inconnue  : 
La  llamme  s'acharna  sur  ce  corps  frais  et  benu, 
E\,  (juand  on  étei^^nit  le  bûcher  funéraire, 
ïlorrenr!  il  n'en  resliiit  |»;is  inniie  de  (pioi  fiiin^ 
t'n  cadavre  pour  le  lniid)Ciiii. 


Plaignons  aussi,  mêlan!  ce  (pic  le  l)t>stin  niclc. 
Dans  ccl  iiiilo-da-lc  son  père  mkhI  cominc  elle, 
Lt  sa  mère  surloul,  sa  incrc  qui  la  vit 
Dans  son  linceul  bnilaul  se  (It'hallrc...  cl  ijui  vil! 
L'est  assez  :  dclouriioiis  les  ycn\  Ao  celle  rive. 
On  la  voix  de  Itacliel.  (|ui  san;il»>le,  luarrivc. 
On  l'on  heuilf  du  pied  iW<  débris  et  des  (»s. 
On  les  âmes  iU'<>  morts  pleurei\l  dans  les  ros«»an\. 
Où,  dans  les  doux  parfums  ipie  la  brise  pi'oinèue. 
Ou  craint  de  respirer  une  ptiussit'ii'  humaine. 

«. 


i02  LE     MYOSOTIS 

Frères,  dans  votre  cœur  mon  cantique  de  mort 

Réveillera  du  moins  des  douleurs  sans  remord  ! 

Oh!  si  mes  chants  obscurs  s'élevaient  jusqu'au  trône, 

A  l'avare  trésor  j'arracherais  l'aumône; 

Au  soleil  de  Juillet,  nous  verrions  du  tombeau 

Le  village  phénix  ressusciter  plus  beau; 

Dans  ce  mois  qu'on  dédie  à  la  Liberté-Reine, 

Elle-même  à  l'enfant  servirait  de  marraine. 

D'un  souvenir  de  gloire  ennobli  pour  toujours. 

Il  serait  appelé  le  hameau  des  TROIS-JOURS  ! 

Et  vous  dont  le  shako,  civil  ou  militaire, 

Étincela  dans  l'ombre  au  reflet  du  cratère. 

Artisans  dont  le  feu  tatoua  les  bras  nus, 

D'une  Iliade  obscure  Achilles  inconnus, 

Sur  vos  seins  fraternels,  sillonnés  par  la  flamme. 

Les  roses  de  l'honneur  pleuvraient  comme  un  dictanie. 

Aux  malheureux  chassés  de  leurs  toits  en  débris 
Hélas  !  ouvrons  du  moins  nos  foyers  pour  abris  ; 
Ne  laissons  pas,  semblable  au  voyageur  biblique, 
Le  pèlerin  gémir  dans  la  place  publique. 
Riches,  dont  l'existence  est  un  banquet  sans  fin, 
C'est  à  vous  de  jeter  à  la  soif,  à  la  faim. 
Les  miettes  du  gâteau  que  votre  main  découpe. 
L'écume  du  nectar  débordant  de  la  coupe. 


L  E     M  Y  0  S  0  T  l  S  1  O.T 

J»;  ne  vous  dirai  pas,  comm»^  le  vioiix  ciin''. 

Que  J(^sus  mendiant  pleure,  Iransli^uré; 

Je  ne  vous  dirai  pas  :  «  Pour  que  Dieu  vous  pardonne. 

»  Donnez,  car  c'est  ii  lui  (pie  la  cliarih''  doiuu'. 

»  Au  suppliant  qui  frappe  ouvrez,  car  le  ^'rillun 

»  Est  propice  au  foyer,  la  ci^'ale  au  sillon  ; 

»  Car  le  bonheur  souril  aux  toits  (pic  riiiniU'it'ilt' 

»  Réjouit  de  ses  chants  et  (^aresse  ù  coujts  d'aiic...  » 

Non;  car  dans  tous  les  coMirs  la  vieille  foi  s'cndorl, 

Kt  siu'  i'aiilcl  dt'scri  on  a  mis  le  venu  d'or. 

Je  dirai  seulement  :  Donnez,  poiii-  que  lii  fouie 

()uhli(»,  eu  le  haisiinl,  ipie  voire  pied  l;i  foule; 

Pour  (pie  votre  or,  siK'  par  tant  de  lualiieureux, 

l^JoulTe  leurs  soupirs  en  reloiidiaiit  sur  eu\; 

l\»iir  (pie  voire  Piielole,  iilile  diuis  su  coince. 

Fasse,  comme  le  Nil,  perdre  tW<  veux  sa  source, 

Et  poiir(|ue  le  p;iss;nil  vous  tende  un  jour  l,i  m;iiu. 

Si  votre  cliai-  vous  jelle  ;iu\  eailioiiv  du  clieiuiii; 

Donnez,  car,  agitant  tW:^  loiclies  fun(''raires, 

1-e  spectre  de  Midnciif  pièclie  di>s  lois  ;it:raires  ; 

l,e  sol  es!  un  volcan;  il  luMuhle,  e(,  C(tmme  Dieu. 

I.;i  Prison  vitus  diia  :  j.'.iuinône  «'leiiit  le  feu. 

(jii.nit  M  moi,  pi"'l(Miu,  jouet  de  l;i  foilune. 

Oui  me  cli;nilTe  .ni  soleil  el  dor<  au  clair  de  lime. 

Moi,  (pii  11:0  pour  tout  Meii.  couime  nu  ::ueu\  espa^'UoI, 


iOA  LE    MYOSOTIS 

Que  mes  cliaiUs,  ma  j^uilare,  un  beau  ciel,  un  beau  sol. 
Je  n'ai  pu  leur  jeter  l'obole  qui  me  manque  ; 
Mais  je  quête  en  leur  nom  :  sans  puiser  à  la  Banque, 
Mon  portefeuille  est  riche;  et  de  ses  plis  ouverts 
J'ai  secoué  sur  eux  mes  seuls  trésors  :  des  vers. 

19  juillet  1833. 


UN    SOUVENIR    A    L'HOPITAL 


Sur  ce  grabat,  chaud  de  mon  agonie. 
Pour  la  pitié  je  trouve  encor  des  pleurs; 
Car  un  parfum  de  gloire  et  de  génie 
Est  répandu  dans  ce  lieu  de  douleurs  ; 
C'est  là  qu'il  vint,  veuf  de  ses  espérances, 
Chanter  encor,  puis  prier  et  mourir  : 
Et  je  répète  en  comptant  mes  souffrances  : 
Pauvre  Gilbert  *,  que  tu  devais  souffrir!  ' 


1.  Ce  nom  fatal  vient  se  placer  comme  de  lui-même  sons  les  jennes 
plnmes  qni  tremblent  en  l'écrivant.  L'auteur  de  la  Satire  du  dix-huitième 


LE    MYOSOTIS  <0» 

Ils  me  disaient  :  Fils  des  Muses,  courage! 
Nous  veillerons  sur  ta  lyre  et  ton  sort  ; 
Ils  le  disaient  hier,  et  dans  l'oraj^e 
La  Pitié  seule  aujourd'hui  m'ouvre  un  port. 
Tremhiez,  méchants',  mon  dernier  vers  s'allume, 
Et  si  je  meurs,  il  vit  pour  vous  flétrir... 
Hélas!  mes  doi{.;ts  laissent  tomher  la  |)lunie  : 
Pauvre  Gilhert,  (|ue  tu  devais  souffrir  ! 

Si  seulement  une  v(»ix  consolante 
Me  répondait  (piiiinl  jiii  lontiteinps  iiruù  ! 
Si  je  pouviiis  scnlii-  ma  main  Ircmhlanlt' 
Se  réchaiilTcr  dans  la  main  d'un  ami! 
.Mais  (pir  d'amis,  som'ds  à  ma  voix  plainlixi', 
A  leui's  l)an(juels,  ce  soir,  vont  acconrii-. 
Sans  remaniucr  raliscncc  d'un  convivi'!... 
Paiivi-c  (iilbcil,  (pic  lu  (lrvai<  soutïrir! 

.l'ai  hien  maudit  le  jour  ()ui  m'a  vu  naître: 


.v/Vr/é"  ost  une  gloiro  con.sacréo  dovnnt  laqueUo  on  s\ippnoiiilIfl  on  ffrm.TiM 
livs  y*M)x.  Ponr  quironquf  oso  1ns  ouvrir,  il  flst  évidtMil  ipie  (lilbort  ne  fut 
ni  un  C.hattiMtoii,  ni  un  .Vndru  Clu'uior,  ni  mdmo  un  M.illil.itrA:  iu«is  il 
ilnt  à  son  ngonii'  solitairo  une  m.ignill(|uc  inspir.ition,  i>t  »r.s  .-iilicui  .H  U 
vio,  que  tout  lo  monde  .Kait  par  ca>ur,  siiftlraiont  m;uIs,  aujourd'hui  qu'il 
a  pris  rang  jvirnu  los  vrrilables  iK><^tes,  pour  faire  l.iir«  .\  sos  j>i«Hl«  loul 
ri>|iio('lio  d'nsurpatitu).  H.    Mi>nr\i. 


106  LE    MYOSOTIS 

Mais  la  iiatnre  est  brillante  d'attraits. 
Mais  chaque  soir  le  vent  à  ma  fenêtre 
Vient  secouer  un  parfum  de  forêts. 
Marcher  à  deux  sur  les  fleurs  et  la  mousse, 
Au  fond  des  bois  rêver,  s'asseoir,  courir. 
Oh!  quel  bonheur!  oh!  que  la  vie  est  douce!. 
Pauvre  Gilbert,  que  tu  devais  souffrir! 

1832. 


1/  H  I V  E  K 

Adieu  donc  les  beaux  jours  !  Le  froid  noir  de  novembie 

Condamne  le  poëte  à  l'exil  de  la  chambre. 

Où  riaient  tant  de  fleurs,  de  soleil,  de  gaîté. 

Rien,  plus  rien;  tout  a  fui  comme  un  songe  d'été. 

Là-bas,  avec  sa  voix  monotone  et  touchante. 

Le  pâtre  seul  détonne  un  vieux  noël;  il  chante. 

Et  des  sons  fugitifs  le  vent  capricieux 

M'apporte  la  moitié;  l'autre  s'envole  aux  cieux. 

La  femme  de  la  Bible  erre,  pâle  et  courbée, 

Glanant  le  long  des  bois  quelque  branche  tombée. 


LK     M  VU  SUT  l  S  107 

Four  attiser  eiicor  son  foyer,  pour  nourrir 

Encore  quelques  joui's  son  entant,  et  mourir. 

Plus  d'amour  sous  l'ombrage,  et  la  torèt  complice 

(iémit  sous  les  frimas  comme  sous  un  cilice. 

La  foret,  autrefois  belle  nympbe,  laissant 

Aller  ses  cheveux  verts  au  zéphyr  carcîssant, 

Maigre  et  chauve  aujourd'hui,  sans  parfum,  sans  toilette, 

Sans  vie,  agite  en  l'air  ses  grands  os  de  squelette. 

Un  bruit  mystérieux  par  intervalle  en  suri. 

Semblable  à  cetti;  voix  qui  disait  :  Pan  e>t  muri  ! 

Oui,  la  nature  entière  agonise  à  cette  heure. 

Et  pourtant  ce  n'est  pas  de  son  deuil  cpic  je  idiur»' 

Non,  car  je  me  souviens  et  songe  avec  elTroi 

(Jue  Voici  lu  ^ilis(»ll  dr  la  faim  et  du  froid: 

Une  plus  d'un  mallicurcux  trendjle  et  ><>  dit  :  u  Om-  n  ai-jr, 

»)  Pour  m't'iivolcr  aus>i,  l(»in  de  iio>  cli.iini'^^  de  in'ii:e, 

))  JA's  ailes  de  I'oImmu,  (jui  sa  clicrclicr  aillt'Ui'«« 

•)  Du  griiin  dans  h'.s  sillons  el  dt'>  iiiiU  iliiii>  les  llt'in>>! 

I)  Vers  ces  boriU  >iiii>  liiv.r  (|iif  rontiiucr  ii.uriiiue, 

»  Où  l'dii  a  pour  foNcr  le  Vounc  qui  ruine, 

);  Où  devant  les  palais,  sur  le  marbre  iillit'di, 

»  l,e  Niipoliliùn  dml  aux  ray(tn<>  du  midi, 

«)  Oli  !  <|ui  m'euiiKtitera?..,  »  Mais  riqdif  à  sa  |ilaee. 

Ilela^!  le  piiUM'e  nieurl  d;iiis  >a  priMiu  de  i;laee: 

Il  nu'nil.  el  eependanl  le  riche  in^uncieuv 


108  LE    MYOSOTIS 

De  son  char  voyageur  fatigue  les  essieux. 

Les  beaux  jours  sont  passés  ;  qu'importe  !  heureux  du  monde  ! 

Abandonnez  vos  parcs  au  vent  qui  les  émonde  ; 

Tombez  de  vos  châteaux  dans  la  ville,  où  toujours 

On  peut  avec  de  l'or  se  créer  de  beaux  jours. 

Dans  notre  Babylone,  hôtellerie  immense^ 

Pour  les  élus  du  sort  le  grand  festin  commence. 

Ruez-vous  sur  Paris  comme  des  conquérants; 

Précipitez  sans  frein  vos  caprices  errants; 

A  vous  tous  les  plaisirs  et  toutes  les  merveilles_, 

Le  pauvre  et  ses  sueurs,  le  poète  et  ses  veilles. 

Les  fruits  de  tous  les  arts  et  de  tous  les  climats. 

Les  chants  de  Rossini,  les  drames  de  Dumas; 

A  vous  les  nuits  d'amour,  la  bacchanale  immonde  : 

A  vous  pendant  six  mois  Paris,  à  vous  le  monde!... 

Ne  craignez  pas  Thémis  :  devant  le  rameau  d'or, 

Cerbère  à  triple  gueule,  elle  s'apaise  et  dort. 

Mais,  pour  bien  savourer  ce  bonheur  sohtaire 

Qu'assaisonne  d'avance  un  jeûne  volontaire, 

Ne  regardez  jamais  autour  de  vous;  passez 

De  vos  larges  manteaux  masqués  et  cuirassés. 

Car,  si  vos  yeux  tombaient  sur  les  douleurs  sans  nombre 

Qui  rampent  à  vos  pieds  et  frissonnent  dans  l'ombre. 

Connue  un  frisson  de  fièvre,  à  la  porte  d'un  bal, 


LK    MYOSOTIS  100 

La  pitié  vous  i)ren(lrail,  et  lu  pitié  l'ait  mal. 

Votre  face  vermeille  on  devieiulrait  morose, 

Et  le  soir  votre  couche  aurait  un  pli  de  rose. 

Tremblez,  quand  le  punch  bout  dans  son  cratère  ardeni, 

D'éj^arer  vers  la  porte  un  coup  d'œil  imprudent; 

Vos  ris  (!;vo(}ueraient  un  fantôme  bizarre, 

Et  vous  rencontreriez  face  à  face  Lazare 

Qui,  béant  à  l'odeur,  voudrait  et  n'ose  pas 

Disputer  à  vos  cliiciis  les  uiirllcs  du  rt'i>as. 

Éblouissant  les  yciix  de  l'or  (|ui  le  blasoune, 

Quand  votre  char  bondit  sur  un  pont  (pu  lésonue, 

I*assez  vite,  de  peur  d'eulcudro  JM>(pj'à  vous 

Monter  le  bmil  (pie  l'ont  ceu.v  (pii  passent  dessouh; 

Car  voici  W  moment  de  la  débâcle  hinuaine; 

La  Mordue  va  ix^lier  les  corps  (pie  l'eau  i>romène  ; 

L'éyo'isme,  en  siillan,  joiiil  el  rè^ne  ;  il  a 

Des  crimes  à  ciiclier,  el  son  15  spliore  est  là... 

il  «  st  vrai,  (pielpiel'ois  mie  plainie  N'j^ère 
r.lesse  la  map'>lé  du  riche  (pii  dip-n»; 
Des  liouunes,  (pie  la  l'aini  moissonne  par  million^^. 
En  se  complani  des  \en\  disent  :  Si  nous  \oulious! 
Le  sanglot  de\ienl  cri.  la  douleur  >e  coin  ronce. 
El  plus  d'une  cile  rei:arde  la  (adix-Uous>e. 
Mais  (pioi!  n'ave/.-vous  pas  des  oralein>  lervenls 


no  LE    MYOSOTIS 

Qui,  par  un  qaos  ego,  savent  calmer  les  vents  ; 
Qui,  pour  le  tronc  du  pauvre  avares  d'une  obole. 
Daignent  lui  prodiguer  le  pain  de  la  parole. 
Et,  comme  l'Espagnol  qui  montre,  en  l'agaçant. 
Son  écharpe  écarlate  au  taureau  menaçant. 
Jettent,  pour  fasciner  ses  grands  yeux  en  colère. 
Un  lambeau  tricolore  au  tigre  populaire? 

Oh!  quand  donc  viendra-t-il,  ce  jour  que  je  rêvais. 

Tardif  réparateur  de  tant  de  jours  mauvais. 

Ce  niveau  qui,  selon  les  écrivains  prophètes, 

Léger  et  caressant  passera  sur  les  têtes? 

Jamais,  dit  la  raison,  le  monde  se  fait  vieux; 

Il  ne  changera  pas;  —  et  dans  mon  cœur  :  Tant  mieux, 

Ai-je  dit  bien  souvent;  au  jour  de  la  vengeance 

Si  l'opprimé  s'égare,  il  est  absous  d'avance. 

Spartacus  ressaisit  son  glaive  souverain. 

Il  va  se  réveiller,  le  peuple  souterrain. 

Qui,  paraissant  au  jour  des  grandes  saturnales_^ 

De  mille  noms  hideux  a  souillé  nos  annales  : 

Truands,  mauvais  garçons,  bohémiens,  pastoureaux^ 

Tombant  et  renaissant  sous  le  fer  des  bourreaux; 

Et  les  repus  voudront  enfui,  pour  qu'il  s'arrête. 

Lui  tailler  une  part  dans  leur  gâteau  de  fête; 

Mais  lui^  beau  de  vengeance  et  de  rébellion  : 


LK    MYOSOTIS  !11 

A  moi  toutes  les  iiarts,  je  nie  noiuiiie  lion  ! 
Alors  s'accomiilira  l't'iiouvuntable  scène 
Qu'Isnard  prophétisait  au  peuple  ilc  la  Seine: 
Au  rivage  désert  les  barbares  surpris. 
Demanderont  où  fut  ce  qu'on  nonnnait  l*aris. 
Pour  eiïacer  du  sol  la  reine  des  Sodomes, 
(Jiie  ne  di'fendra  i)as  l'aiguille  de  ses  dûmes, 
La  foudre  éclatera;  les  quatre  venls  du  ciel 
Sur  le  terrain  fumant  feront  {jrêler  du  sel; 
Et  moi,  j'api)laudirai  :  ma  jeunesse  enj^ourdie 
Se  récliauiïera  bien  à  ce  {irand  incendie. 

Ainsi  je  m'é{^arais  à  des  vcrux  iiiipiiidi  iils, 

VA  j'attisais  de  pleurs  mes  ïambes  iiideiils. 

Je  baissais  alors,  car  la  sonlTrinice  irrile; 

iMais  un  peu  de  bonlnMir  iii';i  coiiveili  bien  \ile. 

Pour  (jiie  son  vers  ch'inenl  paiduiine  au  ;^eiire  lium;iiii. 

(Jue  laul-il  au  pnele?  l'ii  b;ii>er  et  du  pain. 

hieii  méuai^ea  le  vent  à  ma  pnuMele  nue; 

Mais  le  siècle  d'iiirain  p(mr  d'autres  continue, 

Kl  {\v>  iiiiiux  rinteiiieU  mon  etnn*  est  eu  émoi. 

Dieu,  révèle*U>i  bon  pour  tous  comme  pour  uioi. 

(Jiie  ta  maïuie  en  toudtanl  éloulTe  le  blaspliènie; 

KnipOcbe  de  soulTrir,  piiisipie  lu  \eii\  ipi'oii  .onir; 

l'onr  (pie  les  lils  élus,  les  tils  déshérités 


112  L  E     M  Y  0  S  U  T  1  S 

Ne  lancent  plus  d'en  bas  des  regards  irrités, 
Aux  petits  des  oiseaux  toi  qui  donnes  pâture, 
Nourris  toutes  les  faims  j  à  tout  dans  la  nature 
Que  ton  hiver  soit  doux  ;  et,  son  règne  fini. 
Le  poëte  et  l'oiseau  chanteront  :  Sois  béni  ! 

Saiat-Martin ,  novembre  1833. 


LES    MODISTES    HOSPITALIÈRES 


ANECDOTE    DE    JUILLET    1830 


Un  pauvre  diable  de  héros. 
Laissé  pour  mort  la  veille. 

Dans  un  bon  lit  frais  et  dispos 
Tout  à  coup  se  réveille. 

Il  admire,  en  se  récriant, 

Des  nymphes  au  minois  riani. 
Friand  : 


LE    MYOSOTIS  113 

Oh!  oli!  oli!  oh!  ah!  nii!  ah!  ali! 
Qiinl  joli  couvent  celait  h'i, 
La  la! 

Paix  (loue!  murinure  avec  douceur 

Quelcju'un  i)rès  de  sa  couche  ; 
Et  puis  la  houche  d'une  sœur 
Vient  lui  fermer  la  houche. 
De  ce  rappel  au  règlement 
Le  mode  lui  semhla  vraiment 

(1  h  armant  : 
Oh!  oh!  etc. 

A  son  lit  point  de  noir  ahlié. 

Point  de  d(Mi<'ur  prorane. 
Dans  les  luaius  d'une  saiule  \\vht\ 

Va\  ^:ui^e  de  tisane. 
Le  convalescent  diMailli 
\'(»il  niou.sMT  d'un  n'd  fhahi 

L'ai  : 
Oh!   oh  î  vU\ 

!\!ira(le  î  le  voilà  ^uéri  î 

Lt  deux  lionnes  {gentilles 
OIVrenI  au  jeniic  homiiit»  altciitln 


H4  LE    MYOSOTIS 

Leurs  bras  nus  pour  béquilles. 
Sur  ce  bâton ,  sans  se  blesser, 
On  le  voit  parfois  se  laisser 

Glisser. 
Oli  !  oh  !  etc. 

Le  chroniqueur,  un  peu  succinct, 
Ne  dit  pas  et  j'ignore 

Quel  est  dans  ce  cloître  le  saint 
Que  la  recluse  adore; 

Mais  les  bons  cœurs  le  béniront , 

Mais  les  chrétiens  qui  me  liront 
Diront  : 

Oh!  oh!  oh!  oh!  ah!  ah!  ah!  ah! 

Quel  joli  couvent  c'était  là, 
La  la  ! 


VIVE    LA    BEAUTÉ 

Dès  l'aurore  quand  pour  boire 
Adam  Billaut  se  levait, 
Un  baiser  rend  la  mémoire 


L  K     MYOSOTIS  H  5 

A  ma  Suzon  qui  rôvait  ; 
Dans  ses  bras,  heureux  esclave , 
Je  dis  au  vieux  chansonnier  : 
Tu  peux  descendre  à  la  cave , 
Moi,  je  suis  bien  au  grenier. 

Vous  dont  le  cœur  bat  au  ventre , 
Chantez  Bacclius  et  Cornus  ; 
Pour  moi ,  s'il  faut  opter  entre 
Les  divinités  en  ?/s, 
Dieux  gourmands,  je  vous  né;^lige, 
l"]t  suivant  un  rit  i)lus  beau , 
C'est  ù  Vénus  Callypige 
(Jue  je  (lis  :  Introibo. 

L'Alcoran,  (pic  je  n'vrre, 
Traite  le  vin  de  juùson  : 
Le  vin  noie  au  loiu!  d  im  verre 
l/amoiu"  eouiiut>  l.i  imIsmi. 
I/inforliUK' ,  (ju'il  (Miivre  , 
CliinuM'lie  (>u  pail.mt  d  auioin'; 
l'i  donc  !  raïuiiul  (pii  s;ut  vivre 
Ne  doit  t(»iulter  (pi'à  sou  Ituir. 

Tout  votre  ov  dcvicnl  polid)lo  , 


LE    MYOSOTIS 

Et  bien  souvent  au  dessert, 
Gourmands,  vous  quittez  la  table 
Comme  on  quitte  un  tapis  vert. 
Prodiguez  :  je  suis  avare, 
Et  le  soir,  quand  je  m'endors, 
Pour  que  rien  ne  m'en  sépare , 
J'ai  la  main  sur  mes  trésors. 

Sur  les  genoux  de  ma  belle 
Je  dîne,  et,  pour  un  amant. 
Cette  méthode  nouvelle 
Offre  plus  d'un  agrément. 
A  l'étiquette  on  échappe. 
Puis,  à  la  fin  du  repas. 
On  n'a  qu'à  lever  la  nappe , 
Et  l'on  met  la  table  à  bas. 

En  vain  un  docteur  morose 
Me  dit  :  Jouir  c'est  vieillir; 
Une  guêpe  est  dans  la  rose, 
Prends  des  gants  pour  la  cueillir. 
Au  hasard  je  marche  et  j'aime. 
Aventureux  pèlerin; 
Vive  la  beauté  quand  même  ! 
Sera  toujours  mon  refrain. 


LR    MYOSOTIS  117 


L'AMANT    TIMIDE 


A  scizo  ans,  |);mvr('  cl  liinidr 
Dovaiit  les  [)liis  IViiis  appas, 
1^0  cd'iir  itallaiil,  l'iril  liiimidi'. 
Jo  voulais  cl  n'osais  pas, 
Kl  j(;  priais,  et  sans  cesso 
J«^  répétais  dans  mes  vœux  ; 
«Jésus!  rien  (pTunc  niaîlrcsso, 
Uicii  qu'une  ui.iilrcssc...  nu  deux  î  » 

ïiOi's  une  lieault',  (pii  daiiiue 
M'af^acer  d'un  air  UKMpieur, 
Me  dit  :  *.  Kn'aul ,  loii  cd'ur  saij^ne, 
l']|  l'ai  [litic  de  loii  (MeiU'. 
l'dur  le  iîiiérir  ipn»!  didaïue 
l"aiil-il  doue  ,  paiivn»  auioiueux? 
—  Oli!  lieu  (pi'uu  It.ii^er.  iuad;uuc! 
Oli  !  lieu  ipi'uu  liai^cr...  ou  deux  '. 


H8  LE    MYOSOTIS 

Puis  le  beau  docteur,  qui  raille , 

Me  tâte  le  pouls ,  et  moi , 

En  façon  de  représaille , 

Je  tâte  je  ne  sais  quoi  ! 

«  Où  vont  ces  lèvres  de  flamme  ? 

Oii  vont  ces  doigts  curieux? 

—  Puisque  j'en  tiens  un ,  madame , 
Laissez-moi  prendre  les  deux.  » 

La  coquette  sans  alarmes 

Rit  si  bien  de  mon  amour. 

Que  j'eus  à  baiser  des  larmes 

Quand  je  riais  à  mon  tour. 

Elle  sanglote  et  se  pâme  : 

«  Qu'avons-nous  fait  là,  grands  dieux? 

—  Oh  !  rien  qu'un  enfant,  madame. 
Oli!  rien  qu'un  enfant...  ou  deux!  » 


L  E     M ^' 0  s  0 T  1  s  no 


LES 


JEUX    DE    L'AMOrn    ET    DU    HASARD 


Quoi  !  vous  qui  demeuriez  sans  voix 
Devant  un  couplet  trop  f^rivois, 
Vous  si  juiiilt',  niadeniolselle. 
C'est  V(»ns  (|ui  me  donnez...  Ali  !  Dieu  ! 
Peut -on  liiilicr  à  si  l)e;ui  jeu  ? 
J'ai  i[i\{im  la... 
I,a  prime  ;^  ec^  jeu-là  , 
Et  ponriant  Hose  est  i)res(|ne  lidèit'. 

I/un  de  mes  frères  lis  rimenis 
M'amait  il  sounit'  ses  primeurs? 
Il  n't'st  plus  de  muse  pueelle , 
!•',(  les  Itdis  du  l*iud(>.  malsains. 
Mènent  tout  droit  aux  (".apueins. 
J'ai  f^a^né ,  df. 


120  LEMYOSOTIS 

Apprenant  que  Châtel  dort  mal 
Dans  son  grenier  pontifical , 
Par  pure  obligeance  aurait-elle 
Accepté  l'honneur  hasardeux 
D'être  papesse  une  heure  ou  deux? 
J'ai  gagné,  etc. 

Feu  mon  curé,  plein  d'onction, 
En  un  vase  d'élection 
Vint-il  exprès  changer  ma  belle , 
Pour  que  Satan,  son  héritier. 
Se  brûlât  dans  un  bénitier  ? 
J'ai  gagné,  etc. 

Mais  non  :  Rose  voit  de  travers 
Les  marchands  de  prose  et  de  vers, 
Les  dieux  de  facture  nouvelle  ; 
Et  quant  au  goût  du  tonsuré , 
Trois  lycéens  m'ont  rassuré. 
J'ai  gagné ,  etc.     • 

Fermons  les  yeux,  pour  cent  raisons; 
S'il  le  faut  même,  supposons 
Quelque  ange  ou  diable  amoureux  d'otle 
Amants  chrétiens,  imitez-moi  : 


LE    MYOSOTIS 

Pour  vivre  en  paix  ayez  la  foi. 
J'ai  gagné  la... 
I.a  prime  à  ce  jeu-là, 
Et  ])Ourtant  Rose  est  presque  iidèle 


CHANSON    PATRIOTIQUE 


I)  K  s     DANS  F,  r  S  F.  S     1)  K     I.  0  I'  K  II  A 


Pour  (êler  l'anniversaire  de  la  Réïolution  de  Juillet. 


\)o  pdliliipu^  et  cïvtera 
S'occiip;iiit  ;i|)irs  boiic, 

l.i's  (hiiiics  (In  i^iiiiid  Opi'ia 
Hier  clianlail  :  \  irloiii»  ! 
A  s'iMiiaiicipcr  aiis<i 
la'S  Amours  oui  rciissi  : 
\ii\  marcliaiiiU  de  lor-iicIlcN 

.liiillcl  (In  moins  ;i  prolilc. 
\  ivcnt  les  pii-oucllcN  ! 
\  i\('  la  lilicrlc  ! 


122  LE    MYOSOTIS 

Devant  des  galbes  et  des  nus. 
Tartufe,  qui  s'indigne. 

Dans  nos  jardins  coiffait  Vénus 
D'une  feuille  de  vigne  : 
Il  eût,  sans  des  jours  meilleurs. 

Aux  marchands  de  lorgnettes 
Juillet  du  moins  a  profité. 
Vivent  les  pirouettes  î 
Vive  la  liberté! 

Consolez-vous,  gens  maladroits. 

D'être  vainqueurs  et  dupes  : 
Si  là-bas  on  rogne  vos  droits. 

On  rogne  ici  nos  jupes. 

Votre  étendard,  vieux  haillon. 

Vaut-il  un  frais  cotillon? 

Aux  marchands  de  lorgnettes 
Juillet  du  moins  a  profité. 

Vivent  les  pirouettes  ! 

Vive  la  liberté  ! 

Contre  nous,  sans  nous  effrayer 

Caton  crie  au  scandale, 
El  la  Chambre  veut  nous  rayer 


LE    MYOSOTIS  123 

De  son  budf,'et  vandale. 
Que  de  pantins  il  paîra 
Même  ailleurs  qu'à  l'Opéra! 
Aux  marchands  de  lorgnolles 
Juillet  du  moins  a  profité. 
Vivent  les  pirouettes  ! 
Vive  la  liberté! 

Au  duc,  soucieux  et  levant. 

La  sylphide  coipiettc, 
FHc  flaCf  dit  en  jclaiil  au  vcnl 

Les  ]»lis  de  sa  jiKiuelle  : 

Vous  (|ui  iilcuK'Z  (!liaiies  dix, 

\\\v/.  (Idiic  :  Vdilii  (les  lis  ! 

Aux  iiiarciiiiiids  de  lnif^iictlts 
Jiiillt^l  du  iiioius  a  piolitt'. 

VivtMit  les  iiiioucUcs! 

\  ivc  la  liltcilt'  ! 

Vous  (jui  salMvz,  lainbour  ballant, 

Les  iMutMitcs  civiles, 
A  nous,  bourj^eois  :  vous  aime/,  tant 

i,(»s  victoires  faciles! 

Tuer  esl  elianuanl  :  (TaiM-ord; 

Mais  peupler  n.uiI  mieux  eiieor. 


124  LE    MYOSOTIS 

Aux  marchands  de  lorgnettes 
Juillet  du  moins  a  profité. 
Vivent  les  piroueltes  ! 
Vive  la  liberté  ! 

Républicains,  ayez  de  l'or. 

Vous  aurez  des  prêtresses; 
Nous  nous  sentons  d'humeur  encor 

A  devenir  déesses. 

Vos  aînés,  francs  étourdis, 

Ont  vécu  :  De  profundis. 

Aux  marchands  de  lorgnettes 
Juillet  du  moins  a  profité. 

Vivent  les  pirouettes  ! 

Vive  la  liberté! 


L^ËGOLIÈRE 

Approchez,  aimable  écolière. 
Vous  qui  fûtes  maîtresse  im  jour; 
Approchez,  et,  moins  familière 
Avec  Lhomond  qu'avec  l'amour, 


LE    MYOSOTIS  125 

Instruisez- vous  :  chacun  son  tour. 
Mais,  i»ar  un  doux  air  de  folie. 
Grand  Dieu!  comme  elle  est  embellie. 
Finissez,  Rose,  finissez  : 
Est-ce  l'instant  d'être  jolie? 
Finissez,  Rose,  finissez. 
Je  suis  le  maitre,  obéissez. 

Quoi!  vous  épelez,  incertaine, 
Même  un  chapitre  de  nmian; 
Attendez-vous  la  soixantaine 
Pour  savoir  lire  couiainnuMil 
I.es  jM'tils  vers  de  voli'e  aniaiil? 
Mais  (jue  (leniaiide  ce  Miiuire? 
i*oiir(|iioi  ce  bra^  nu  (|ui  m'allire? 
Finissez,  Rose,  linissez  : 
K>l-ce  dans  mes  yeux  (|u'il  laiil  lire? 
Finissez,  R(»se,  finissez. 
Je  suis  le  maître,  obéissez. 

La  prammaire  V(»ns  clTaroncln\ 
Ft  j'entends  rire  à  mon  côté 
Lorsque  les  S  tians  votre  bombe 
Isurpent  la  place  des   T  : 
Onel  NMilllel  pour  ma  vanité  ! 


126  LE     MYOSOTTS 

Mais  cette  bouche  que  j'accuse 
Veut  se  défendre  par  la  ruse. 
Finissez,  Rose,  finissez  : 
Un  baiser  n'est  pas  une  excuse. 
Finissez,  Rose,  finissez  : 
Je  suis  le  maître,  obéissez. 

Hélas!  elle  est  encor  maîtresse; 

Le  livre  échappe  de  sa  main  : 

II  tombe  et  s'effeuille...  Ah!  traîtresse. 

Vous  le  foulez  avec  dédain  ! 

Vous  triomphez,  mais  c'est  en  vain. 

Ne  pas  céder  est  mon  système  : 

Passons  au  chapitre  deuxième. 

Vite,  vite,  recommencez, 

(Dût  la  leçon  finir  de  même!) 

Vite,  vite,  recommencez  : 

Je  suis  le  maître,  obéissez. 


l.K    MYOSOTIS  127 


n  K  R  A  N  G  E  R 


Il  dort  sous  dos  onil)ragos  voris, 

Qiiiind  la  lil)(M"l<'  le  r;iit|M'll('  : 

Il  (lorl,  lo  poi'le,  inlidèlo 

A  cos  cajjlifs  (|ui,  dans  los  fers, 

Alt(Midai(Mi(  l'auinoiio  d*iin  vors. 

VA  pas  (\o  lyros  (|ni  les  |ilaiuiiiMil, 

Pas  un  nioudcl  pour  soidatitT 

Tons  CCS  Cd'in'^-de-Lioft  (pii  sai;4ncnl  !... 

Ail  Dieu!  si  j'('lais  Hi'rim^cr! 

Ail  î.ii\tMnl)(iiirL',  niiin  vers  vcnjzciir 

Irail  IVapitaiil  dt»  slallc  en  slallc, 

l'^l  sa  cliiiiiiciiaiidc  liriilalc 

An  IVoiil  d'airain  dn  \it'ii\  jn^ciir 

l'rrail  funnallrc  la  roii^ciir. 

Je  saurais  dci^'onlcr,  j'csjicri», 

i;i  l'cnin  Daiidin  de  jniior, 

i'.l  Pelil-.ItMii  d'èlre  Odoipèrc... 

Ali  ni(Mi  !  si  |"('lais  lltMaii:.')'!-  ! 


128  LE    MYOSOTIS 

Je  consolerais  les  Amours  : 
De  la  beauté  j'ai  vu  les  larmes 
Couler  sur  des  gants  de  gendarmes. 
Et  sa  plainte  tomber  toujours 
Sur  des  cœurs  et  des  barreaux  sourds. 
Triste,  en  rêvant  au  long  mailyre 
Qu'on  lui  défend  de  partager, 
Lisette  a  perdu  son  sourire... 
Ah  Dieu!  si  j'étais  Béranger! 

L'avenir  est  si  beau  là-bas!... 
A  des  chants  d'espoir  tout  l'engage. 
A-t-il  remis  sa  montre  en  gage. 
Le  poëte?  et  ne  sait-il  pas 
Combien  le  temps  a  fait  de  pas? 
Pour  montrer  du  doigt  sur  la  rive. 
Au  siècle  qui  va  naufrager, 
Les  fleurs  dont  le  parfum  m' arrive, 
Ah  Dieu!  si  j'étais  Béranger! 

Lui-même  a  vingt  fois  en  chantant 

Bravé  les  bêtes  du  prétoire  ; 

De  dormir  avant  la  victoire. 

Après  avoir  guerroyé  tant, 

11  a  droit,  sans  doute,  et  pourtant... 


LE    MYOSOTIS 

Il  l'aiil,  viciiiK'iil  les  représailk's, 
VitMiiK'  un  Juillet  »ni  rétranger. 
In  Tyilrc  aux  cliamiis  do  halaillcs!... 
Ali  Dieu!  si  j'étais  Déranger! 


1  2'.) 


I83b. 


L  A    M  V  S  i: 


Nyiniilic,  ([iii  ^U('lli'>  ;iu  passage 
L'écolier  (lu  ii;i\s  liilni. 
Assez  laide  pdur  èlre  sage, 
(juti  mauvais  sort  le  lit  catin? 
Hélas!  n''|i(tuil,  un  peu  eduliiNe, 
La  (•onrli>ane  au  bas  emlti'. 
Vous  vitye/,  une  jtau\re  Muse; 
Soyez  heureux  par  charité! 


iN'e  rie/.  |ias,  dui,  de  la  l.dire 
J't'galais  [tiexpie  l,i  Sapin»; 
.l'élais  i^enlille,  el  l'audiloiie, 
i-omuellt'  en  main,  (  riail  l-im  >>. 


30  LE    MYUSUTIS 

D'un  gros  garçon  et  d'un  poëme 
J'enrichis  la  postérité. 
Entre  nous,  le  père  est  le  même  ; 
Soyez  heureux  par  charité  ! 

A  Paris_,  un  journaHste  ivre 
Prôna  mes  vers  qu'il  ne  lut  pas_, 
Ce  monsieur,  pour  juger  mon  livre. 
Avait  feuilleté  mes  appas. 
Quand,  d'une  main,  le  bon  apôtre 
Brochait  l'article  à  mon  côté, 
Dieu  sait  ce  qu'il  faisait  de  l'autre  !. 
Soyez  heureux  par  charité  ! 

Dans  les  salons  je  fus  admise. 
Mes  conquêtes  ont  fait  du  bruit  : 
J'ai  vu  Lamartine  en  chemise 
Et  Byron  en  bonnet  de  nuit. 
Sur  mon  sein  traçant  une  épître, 
En  le  baisant  ils  l'ont  chanté. 
Je  mets  en  vente  leur  pupitre. 
Soyez  heureux  par  charité  ! 

Mais  survint  une  maladie. 
Adieu  la  gloire,  adieu  l'amour! 


LK     MÏUSOTIS  1:51 

Il  fallut  tomber,  enlaidie, 

De  lord  Byroii  à  lord  Seyiiiour. 

Je  n'ai  d'autre  espoir  que  l'iiospice, 

Sauf  un  roman  frais  édité. 

Pauvre  Muse  l  Dieu  te  bénisse  ! 

Soyez  heureux  par  charité! 


I. r:   TOCSIN 


l'n  peu  d'or,  je  ne  sais  cuninuMil, 
Du  ciel  me  tombe,  et  vilt; 

A  mangcM'  mon  avoir  ^'aînicnl, 
Amis,  je  vous  invile. 

Accourez  ;i  ce  gai  lin  lin 

Tiiilin,  lintin.  liiiliii,  ilintinliii, 

Accoure/,  à  ce  iiM  linlin 
Tinlin  •  c'est  le  tocsin! 

C'est  le  ttu'sin,  ri  diins  l'aris 
Sitôt  qu'il  lions  rasscndilc, 
(iendarmes,  lillclles^  maris. 


132  LE    MYOSOTIS 

Pour  cent  raisons  tout  tremble. 
Gisquet  y  perdra  son  latin 
Tintin,  tintin^  tinlin,  rJintintin^ 
Gisquet  y  perdra  son  latin 

Tintin  :  c'est  le  tocsin  I 

A  sac  les  cabarets!  à  sac! 

Écoliers,  en  besogne! 
Comme  au  bon  temps  des  Armagnac, 

Le  mot  d'ordre  est  Bourgogne; 
On  peut  y  joindre  Chambertin 
Tintin,  tintin,  tintin,  rlintintin. 
On  peut  y  joindre  Chambertin 

Tintin  :  c'est  le  tocsin  ! 

Puis,  faisons  l'amour  en  passant  : 

Sur  le  cœur  d'une  femme 
Ce  son  magique  est  tout-puissant 
Comme  :  Ouvre- toi,  Sézame. 
Tout  va  flamber  :  punch  et  catin 
Tintin,  tintin,  tintin,  rlintintin. 
Tout  Ya  flamber  :  punch  et  catin 
Tintin  :  c'est  le  tocsin  ! 

Il  faut  des  Midas  au  pouvoir 


L1-:    MYOSOTIS  133 

(nintoiiillor  les  on'illcs  : 
lN)iir  le  fliarivaii  du  soir 

Vidons  Ireiite  lioulcilles  : 
liisiir^coiis  le  iiays  latin 
Tiiiliii,  tinlin^  tiiiiii),  riiiitiiitiii, 
liisui'i^euns  le  pays  ialiii 

Tiiitiii  :  c'est  le  tocsin! 

J'ai,  pour  vous  |tousser  aux  combats. 

De  réltMiui'Ucc  (Ml  iMM'Iie, 
El  si  (iU('l(iU('  diahit'  n'a  pas, 

AvanI,  fondu  la  cloclie, 
Je  somiciai  jnM|u'au  malin 
Tin  lin,  linlin,  linlin,  rlinlinlin. 
Je  somii'i'iii  iuMpTau  malin 

Tinlin  :  (•'r>l  le  loisin  ! 


SOI  vi:mhs  i)'i:n  i  am:k 

Après  dix  ans  je  vous  revoie, 
\()us,  (pie  l'aimai  luntc  pclile  ; 
(Mii,  Noii.i  liicn  lc>  Nfux,  la  \«ii\ 

8 


■134  LE     MYOSUTIS 

El  le  bon  cœur  de  Marguerite. 
Vous  m'avez  dit  :  «  Rajeunissons 
Ces  souvenirs  pleins  d'innocence.  » 
Ah  !  j'y  consens,  recommençons 
Un  des  beaux  jours  de  notre  enfance. 

Comme  ils  sont  loin  ces  jours  si  beaux  ! 
Gais  enfants  que  le  jeu  rassemble, 
En  souliers  fins,  en  gros  sabots, 
Sur  Therbe  nous  courions  ensemble. 
Dans  la  vie,  où  nous  avançons. 
Nous  ne  marchons  plus  qu'à  distance. 
Ah!  j'y  consens,  recommençons 
Un  des  beaux  jours  de  notre  enfance. 

Pauvre  ignorant,  vous  m'instruisiez 

Avec  une  peine  infinie; 

Plus  d'une  fois,  lorsqu'à  vos  pieds 

J'épelais  Paul  et  Virginie, 

Je  fus  distrait  à  vos  leçons. 

Pour  y  rester  en  pénitence  : 

Ah  !  j'y  consens,  recommençons 

Un  des  beaux  jours  de  notre  eid'ance. 

Quoi!  je  chante  et  pas  un  souris, 


LE    MYOSOTIS  13.'; 

Pas  un  regard  (|ni  iii'iipphiudisse  ! 
Autrefois,  quand  je  vous  appris 
L'air  dont  m'a  bercé  ma  nourrice, 
Un  baiser  fut  de  mes  cban.-ons 
Le  refrain  et  la  récompense  : 
Aiil  j'y  consens,  recommençons 
Un  des  l)eaux  jours  de  notre  enfance. 


LA    FAUVETTE    DU    CALVAIUE 

I    \  n  I.  I  \  »'     N  i>  U  M  A  N  I> 

Aux  amis  de  M.  M***,  qui  me  conseillaienl  de  lui  rendre  lisile 
pour  le  consoler  d'un  grand  malheur, 

(Ml!  non,  je  n'irai  pas,  sous  son  titil  solitaire. 
Troubler  ce  jn>lt'  l'U  pli'iirs  |t;ir  li'  bruit  «le  mes  pas; 
Car  il  esl,  voye/.-vitiis,  de  friands  dniiU  >iir  l.i  ItMi»', 
iJi'vaul  ijui  ranulii'  dttil  priiT  cl  se  taire: 
Oli  !  non,  je  n'irai  pas. 

Lors(|ue  de  ses  douleurs  1(>  blond  tils  dt>  Mari»*. 


136  LE    MYOSOTIS 

Mourant,,  réjouissait  Sion  et  Sauiarie^ 

Hérode,  Pilate  et  l'enfer; 
Sou  agonie  émut  d'une  pitié  profonde 
Les  anges  dans  le  ciel,  les  femmes  en  ce  monde 

Et  les  petits  oiseaux  dans  l'air. 

Et,  sur  le  Golgotha  noir  du  peuple  infidèle , 

Quand  les  vautours,  à  grand  bruit  d'aile. 
Flairant  la  mort,  volaient  en  rond  ; 

Sortant  d'un  bois  en  fleur  au  pied  de  la  colline. 
Une  fauvette  pèlerine 

Pour  consoler  Jésus  se  posa  sur  son  front. 

Oubliant  pour  la  Croix  son  doux  nid  sur  la  branche. 
Elle  chantait,  pleurait  et  piétinait  en  vain, 
Et  de  son  bec  pieux  mordait  l'épine  blanche. 

Vermeille,  hélas  !  du  sang  divin  : 

Et  l'ironique  diadème 
Pesait  plus  douloureux  au  front  du  moribond, 
Et  Jésus,  souriant  d'un  sourire  suprême, 

Dit  à  la  fauvette  :  A  quoi  bon?... 

A  quoi  bon  te  rougir  aux  blessures  divines? 
Aux  clous  du  saint  gibet  à  quoi  bon  fécorcher? 
il  est,  petit  oiseau,  des  maux  et  des  épines 


LE    MYOSOTIS  137 

(Jiio  (lu  front,  ol  <lu  ccrur  ou  no  [mmiI  arracher. 

La  tempête  qui  m'environne 

Jette  au  vent  ta  [ilnme  et  ta  vui.v. 
Et  ton  stérile  effort,  au  poids  de  ma  couronne, 
Sans  même  l'efleuiller  ajoute  un  iiuuve;ui  iioids. 

La  fauvette  comprit,  et,  déployant  son  aile, 
Au  perchoir  éiiincux  dé'ciiii-ée  à  moitié, 
Dans  !;on  nid,  (pic  hcrrail  la  hraiiche  maternelle. 
Courut  ensevelir  ses  clianls  et  sa  pitié. 

Oh!  ncn,  je  n'irai  pas,  sous  ce  toit  solitaire. 
Troubler  ce  juste  eu  [ilcurs  p;u-  le  bruit  de  mes  pas; 
('ar  il  est,  voye/.-vous,  de  j^'iiuids  deuils  sur  la  terre, 
Devaul  (pii  ramili(''  doit  prier  et  se  taire; 
Ob',  non,  je  n'irai  |tas. 


A    UN    AUTI-rU    IIKUM ArilHOniTF 

!''(''('  ou  dtMuon,  niai:icienue  ou  sorrier, 
.11'  le  uiaiiili^^  de  manil  coMir  el  pour  cau^e  : 

S. 


138  LE    MYOSOTIS 

Depuis  hier  je  suis  ton  créancier. 
Quand  j'implorais  un  sourire  de  Rose^ 
La  pauvre  enfant  sanglotait  sur  ta  prose  ; 
Elle  y  perdit  un  bon  quart  d'heure^  et  moi, 
Mille  baisers,  baisers  de  bon  aloi, 
Baisers  sonnants...  Adonc,  Muse  immortelle, 
En  t'acquittant,  fais  acte  de  vertu  ; 
Mille  baisers  sont  une  bagatelle; 
Tu  me  les  dois  :  quand  donc  me  paîras-tu? 


LE    JOLI    COSTUME 


Dans  l'alcôve  de  ma  voisine. 
Un  mardi  gras,  me  réveillant. 
Sous  mes  habits  je  vois  Rosine 
Qui  se  mirait  en  souriant  : 
A  sa  bouche  un  cigare  fume  ; 
D'un  grivois  elle  a  le  maintien  : 

Oh  !  (\\ielle  est  bien  ! 

Oh  !  (\nil  est  bien  î 
Ronii  masque,  à  ce  joli  costume 


LE    MYOSOTIS  \39 

Pour  mon  bonlieur  no  clian^^o  rien. 

Je  comprends  que  d'un  jeune  esclave 

Virgile  ait  soupiré  le  nom; 

Je  comprends  les  mœurs  du  conrlnve 

Et  les  soupers  d'Auaoroon. 

Mais  son  Batliyle,  je  présuuie, 

Aiu'ait  pâli  rival  du  mien  : 

Oh  !  qu'e//e  est  bien  ! 

Oh  !  qniJ  est  bien  ! 
Reau  mascjue,  à  ce  joli  coslinur 
Pour  mou  hoidicur  ne  (liante  rien. 

Mais,  sur  une  lèle  iiii^iKnuie, 
Eufaiit,  ce  chapeau  ditil  iicscr. 
I.cs  ciit'vcux  iKiii's  ([u'ii  (MU|iiis(>uui' 
Hier  appelaicul  le  baiser. 
I.aisse-les  suiv;iul  la  couluiue, 
Kluller  s;mis  voile  el  sans  lien  : 

Oli  !  t|u'»  !h'  e.sj  lijcn  ! 

Oli  !  t|u'//  e^l  bien  ! 
heau  luascpie,  à  ce  joli  coslume 


(iiàce  poui'  deux  eaplils  «Mieore  ! 


140  LE    MYOSOTIS 

Oui^  foule  aux  pieds  ce  frac  étroit. 
En  vain,  sur  la  vitre  sonore, 
L'aquilon  souffle  humide  et  froid  : 
Mon  cœur,  que  le  désir  consume, 
Palpitera  chaud  près  du  tien  : 

Oh  !  qnelle  est  bien  ! 

Oh  I  qu'il  est  bien  ! 
Beau  masque,  à  ce  joli  costume 
Pour  mon  bonheur  ne  change  rien. 

Et  je  poursuis,  et  la  fillette. 
Riant  toujours,  toujours  cédant. 
Se  voit  réduite  à  la  toilette 
Qui  parait  Eve  aux  yeux  d'Adam. 
Trésor  à  trésor,  sur  la  plume. 
Je  puis  recompter  tout  mon  bien  : 

Oh  !  qu'elle  est  bien  ! 

Oh!  quil  est  bien! 
Beau  masque,  à  ce  joli  costume 
Pour  mon  bonheur  ne  change  rien. 


LE    MYOSOTIS  144 


A  JEAN  DE   PAIUS 

IraproTisé  à  une  représenlalioii  de  Don  Jaaa. 

J(';m  {\o  l^iris,  l)r;iY(t!  r;i(li(Mi\'  diiiis  la  l^>^o, 

Prodij^iic  ;i  Ion  |ialn»ii  {U'>  sourires  (l'rioj,'»'; 

Tu  peux  balln»  dos  mains  à  ses  inoiiosscs,  mais 

l/imilcr,  rai'cmciil,  le  comiirriKlrr,  jamais. 

l/cscrimr  fali;.'iia  les  mains  iiKifciiin'Cs; 

Ttin  |iisl()l(l,  an  lir  aballil  ('«Mit  |iom[»('('s, 

l*ar  la  canne  dansante  ini  cnranl  ('rilrini» 

Plt'inT,  cl  In  le  Ineras  jiarce  (|n'il  a  plcnn''; 

lit  In  dira^,  le  soii\  l'niissanl  nn  coriK  de  fcinint^  : 

«  Ks-ln  cniilenl  de  moi,  don  .In.ni,  mon  mailrc?  >i  Infâme! 

Non,  In  n'es  pas  don  .Inan;  car  don  .Inan,  le  mandil, 

A  l'crii  cmeivcill»'  connm»  nn  specire  i^randil. 

Auprès  de  ce  f^t'anl  In  n'as  pas  nne  lojse; 

il  viMiail  de  renier,  loi  In  viens  de...  INmloise. 

Il  ciianlail,  il  raillail,  cl  loi.  In  n'es  «pùm  ^,,1 

On'on  peni  hier  d"nn  vers,  cl  bâillonner  d'nn  mol. 


142  LE    MYOSOTIS 

C'était  un  oiseleur  qui^  d'un  coup  de  résille, 

Attrapait  Elvira^  Léonor,  Inésille, 

Papillons  qu'au  Prado  le  soir  voyait  courir, 

Si  frêles  qu'un  baiser  trop  lourd  les  fit  mourir. 

Et  si  beaux  qu'on  aurait  enrichi  vingt  chapelles 

Avec  la  poudre  d'or  que  secouaient  leurs  ailes. 

Convoitait-il  un  ange  aux  cheveux  noirs  o:\  blonds, 

Son  échelle  de  soie  avait  tant  d'échelons 

Qu'il  eût,  de  cieux  en  cieux,  pu  monter,  je  parie. 

Pour  baiser  les  pieds  nus  de  la  vierge  Marie. 

Si  la  foudre  eût  bougé,  prêt  à  tous  les  combats, 

A  la  vieille  grondeuse  il  aurait  dit  :  Plus  bas! 

Par  une  corde  à  puits  te  hissant  aux  gouttières. 

Toi,  tu  vas  dénicher  des  fdles  de  portières; 

Auprès  de  la  beauté  qui  te  doit  sa  pâleur, 

La  duègne,  qui  plaida  ta  cause  avec  chaleur, 

Ne  froisse  étincelants  ni  missel  ni  rosaire, 

A  des  haillons  pour  mante,  et  pour  nom  :  la  Misère. 

L'oiseau  dans  les  filets  ne  tomba  pas  vaincu 

A  l'appel  de  ton  chant,  mais  au  son  d'un  écu. 

Tu  n'as  rien,  fils  du  nord,  de  ce  sang  qui  pétille 

Sous  un  regard  de  femme,  au  soleil  de  Castille  ; 

Sang  créateur  des  Cids,  qui  plus  tard  même  a  pu 

Produire  encor  des  Juans,  lorsqu'il  s'est  corrompu. 

Le  peuple,  ivre  de  faim,  qui  ronfle  au  coin  des  bornes. 


I.  K    M  V  U  S  U  T  1  S  1 43 

Quand  le  taureau  royal  le  pique  de  ses  cornes, 
Se  réveillant  d'un  bond  du  lourd  sommeil  qu'il  dort, 
I.iii  du  moins  sait  combatlre  en  beau  toréador. 
Mais  toil...  soulève  encor  des  bruits  de  Baccbanales; 
Essuie  encor  du  sanj,'  ù  des  gorges  vénales; 
Crève  encor  des  chevaux,  blesse  encor  des  maris; 
Tu  ne  seras  jamais  rien...  que  Jean  de  Paris. 

Oli!  si  le  plébéien  (pie  Un\  pi>t(tlel  lue 

Sur  sa  lusse  à  Clamart  revivait  en  slalue, 

Kt  (pTaii  son  de  minuit,  cpiand  nieuil  le  gaz  Irenililaiil, 

(JuillaiM  son  piédestal,  l'Iionnin'  de  marbre  blanc, 

Dans  le  sondjre  calé  que  la  visilc  liinKirc, 

Allongeait  ses  pas  lourds  sin-  la  dalle  hmiuk'  ; 

l*oiu'  le  manpier  au  IVunt  d'un  .^i^iic  llélrissaul, 

Il  n'aurait  pas  Irenqté  son  index  dans  le  sang; 

Non,  mais  ses  doigts  de  picnc,  en  sout'llelanl  la  joue, 

V  laisseraient  eni[)ieiiile  une  lailie  de  Ixiue, 

Large,  noire,  et  sa  voix  loimeiMil  en  ees  mots; 

«Ton  eiil'ei-  n'e>l  pas  pirl,  làelie  auteur  de  iiie^  tnaux... 

»)  \  i>  :  hieu  le  eoiiMi' eiieoi' d'un  mépris  dcltoiiiiaire  ; 

»  Tu  ne  dois  pas  mourir  par  un  coup  de  toiiiienc  : 

»  Sous  le  poids  du  mépris,  \ieux  sans  aM'ir  \eeu, 

>'   lii  niouiras...  tu  mourras  tl'un  eoiqi  de  ..!  >' 


144  LE    MYOSOTIS 


SURGITE    MORTUI 

Coiiplds  chantés  à  m  déjeunec  doni  lous  les  conviïes 
aïaienl  tenlé  ou  médité  le  suicide. 

Vous,  qui  mourez  à  tout  propos 
Et  six  fois  par  semaine,, 
Çà  reprenez  haleine  : 
Le  dimanche  est  jour  de  repos. 
Sortis  de  terre 
Par  un  mystère. 
Morts,  buvons  frais  :  le  suicide  altère; 
Déjeunons  encor,  puis  mourons... 
Mourons  de  rire,  ou  bien  courons 
Nous  pendre  ailleurs...  à  des  bras  blancs  et  ronds. 
Surgite,  pour  me  suivre, 
Mortuif  qu'on  s'enivre; 
Le  verre  en  main,  essayons  de  revivre! 

Bien  qu'aux  mansardes  logés  tous, 
L'Espérance  nous  reste; 


\a:  mv(js'jtis  14o 

ilal)iluiite  côlcslc, 
I)«;  i»laiii  pieil  elle  entre  chez  nous. 
Sous  la  tutelle 
De  riinniortelle. 
Mai't'lioiis  unis  :  Knrore  ini  jour,  dit-elle; 
Deuiain  les  roses  lleuriront, 
Demain  les  viynes  unniionl, 
Demain  vos  (llnisis  du  loiulieau  sculironl. 
SimjUe,  poiu'  nie  suivre, 
Mortui,  (|n  ou  s'enivre; 
\a\  verre  en  main,  essayons  de  revivre! 

lloucoulani  d'amour  sur  un  loit. 
Vrai  ('(eur  de  Uiurlcrclle, 
(Juaiid  lu  niiiiir;iis  pour  elle. 
Ami,  Claire  vivail  ponr  l(»i  : 
Maiiiciemic, 
Aérieime, 
De  sa  rniètn'  elle  lorgnait  l.i  tienne, 
lit  par  les  l'enles  du  Vdicl, 
Vers  Ion  l'ioiil  soiis  le  pisjolcl 
De  ses  d(ti;;ls  l»lane>  un  l»iu>er  s'euvulail. 
SnrijUr,  pour  me  suivre, 
Mi>r(ui \  ipi'ou  s'enivre  ; 
Le  verre  en  main,  essavon>  de  re\i\rel 


i46  LE    MYOSOTIS 

Point  de  blasphèmes  :  autant  vaut 
Aboyer  à  la  luiie^ 
La  Gloire  et  la  Fortune 
On  fait  leurs  nids  d'aigle  bien  haut; 
Mais  en  campagne 
Sur  la  montagne, 
Jeunes  chasseurs,  si  le  sommeil  vous  gagne, 
Qu'au  voisin  glacé  par  le  vent 
Un  camarade  bon  vivant 
Tende  sa  gourde  et  répète  :  En  avant  ! 
Surgite,  pour  me  suivre, 
Mortuiy  qu'on  s'enivre; 
Le  verre  en  main,  essayons  de  revivre  ! 

J'ai  quelque  droit,  vous  le  sentez, 
De  prêcher  sur  ce  thème  : 
J'en  suis  au  quatrième 
De  mes  suicides  tentés. 
En  vain  je  blâme 
Ce  siècle  infâme  ; 
En  vain  cent  fois  j'ai  dit  :  Variez,  mon  àinc! 
Que  Dieu  seul  la  pousse  dehors; 
Rose  y  tient  :  je  garde  mon  corps; 
Ses  jolis  yeux  font  revenir  les  morts. 
Surgite,  i)our  me  suivre, 


IJ-:    MYOSOTIS  II 

Mtjviul,  (ju'oii  b'eiiivrc  ; 
l.c  verre  cii  main,  essayons  de  revivre  ! 

Snieide,  monstre  odieux, 
DevanI,  iiolriî  eau  héiiile 
lleidre  aux  enfers  l)i<'n  vih;... 
Mais  il  vieni  e(  sur  nous,  ^'rands  dieux! 
Frelon  morose, 
Il  se  repose  : 
Pour  1(5  chasser  prenons  le  seliall  di'  Uoso. 
Les  eidiinls  ms  dans  ce  repas 
D'une  rasade  cl  d'un  Taux  jias 
Vivront  cciil  ans,  cl  ne  se  lucronl  p.i>'... 
SuvQÏtc,  pour  me  sniM'c, 
Moi  lui ,  qu'on  s'enivre  ; 
l,c  vcire  en  main,  essayons  de  rc\i\rc! 


ij:   ni:uMi:n  .nu  ii 

J'ai  dil  vouvcnl  :  hirii  ctiiilondc 
Ce  monde  c(  inul  a\cc  lui  ! 


148  LE    MYOSOTIS 

Mais,  (luaiul  de  ce  pauvre  monde 
Le  jour  suprême  aura  lui, 
Changeant  de  ton  dès  l'aurore, 
Je  dirai,  j'en  fais  l'aveu  : 
Pauvre  globe,  tourne  encore. 
Tourne,  tourne  encore  un  peu. 

A  cette  heure  épouvantable. 
Tous  vos  hôtels  trembleront. 
Riches;  et  de  votre  table 
Bien  des  miettes  tomberont. 
Aiïamés,  qu'on  se  restaure  ! 
Dirai-je,  et  trinquons,  morbleu! 
Pauvre  globe,  etc. 

L'effroi  que  ce  jour  fait  naître 
(Et  pour  ma  part  j'en  ris  bien) 
Empêche  de  reconnaître 
Son  lit,  sa  femme  et  son  bien. 
Plus  de  bourgeois  matamore. 
Plus  d'huissiers!  le  Code  au  feu! 
Pauvre  globe,  etc. 

Le  vieux  soleil  (ile,  fdc, 

Et  s'éteint  dans  le  brouillard  : 


I,  K     MYOSOTIS 

Allons,  truands,  |i;ir  l;i  villt; 
Jouer  à  (-oliii-iii.'iill.'U'd. 
Tn'Uil»l<'z,  Hoso,  HorlcMisc^,  I,;uu'(' 
.l'iii  lii  niiiiii  liciirciisc  ;iu  jeu. 
pMiivrc  gl(tl)»',  lîlc. 

I-'J  vile,  (lie/  la  iciiicllc 
Dmil  III)  soii'  ji'  lus  r|iris. 
Allons  (le  ma  (•liaii^^oiiiiciic 
Hr-clanici-  iiannciil  le  |iri\. 
Aiiv  appas  (pi'cn  vers  j'adort' 
Allons  dire  en  jirosc  adieu. 
PaiiMc  filolu',  «'le. 

Puis  à  mon  liôle  <ir<''|-'oir»' 
llt'prloii>>,  le  vi'iTc  m  main  : 
N'ayr/,  souci  du  im-moirc, 
J'allriids  mon  prir  demain. 
Car  (pii  ma  la  il  ?  .1  •  l'it^iiore. 
Mon  f'riilo  dil  iine  cCsi  Dieu. 
Pan\  ic  ulidic,  clc. 


40 


Je  IVcdonnais  de  la  sorle, 
normaiil.  rèvaiil  à  demi, 
Onand  loni  à  eonp  ,i  ma  porte 


50  LE    MYOSOTIS 

Retentit  un  pas  ami. 
Avril  en  llcur  vient  d'écloro, 
Mes  vitres  ont  un  ciel  bleu  : 
Pauvre  globe,  tourne  encore, 
Tourne,  tourne  encore  un  jieu. 


LES    5    ET    f)    JUIN    1832 

CHANT      FUNÈBRK 

Ils  son!  tous  morts,  morts  en  liéros, 
Et  le  désespoir  est  sans  armes; 
Du  moins,  en  face  des.bourreaux 
Ayons  le  courage  des  larmes! 

Ces  enfants  qu'on  croyait  bercer 
Avec  le  hochet  tricolore 
Disaient  tout  bas  :  11  faut  presser 
L'avenir  paresseux  d'éclore; 
Quoi  !  nous  retomberions  vainqueurs 
Dans  les  filets  d(i  l'esclavage  ! 
Hélas!  pour  foudroyer  trois  fleurs 


LE    MYOSOTIS  151 

Fall;iil.-il  donc  trois  jours  d'orale? 

Ils  sont  tous  moils,  moils  on  lirros, 
Et  le  désespoir  est  sans  armes; 
Du  moins,  on  face  des  bourreaux 
Ayons  le  courag;e  des  larmes  ! 

Le  peuple,  ouvrant  les  yeux  onlin, 
Murniin'ail  :  On  liiihil  ma  cause; 
l'ii  roi  s'cngi'aissc  do  ma  faim 
Au  Louvre,  (jiif  ludii  sani,'  arroso; 
Moi,  dont  les  [tiods  nus  lonlaionl  l'or. 
Moi,  (loni  l.i  iiiiiiii  Itiisiiil  ini  liônt\ 
(Jlliilld  clli'  |icill  ((iliiliiillli'  rnciil', 

Irai-jo  la  ioiidi-o  à  raumôin'? 

Ils  soiil  Ions  morjs,  moih  en  Ihtos, 
l'.l  le  (l(''M's|i(iir  csl  sans  .u'incs; 
Du  moins,  en  laci'  iU'^'  \un\v\v,\\\\ 
Ayons  le  (•ouraL;o  {U'>  larinos! 

l.a  lil)i'il«>  |)l(Mir:iil  <-i'|ni 

(Jucllc  ins|iii-.i  >i  liicn  naunèii'; 

.M.ii^  nn  fer  saorik-^o  ;i  lui, 

l'.l  l'omlirt'  pon>^^l•  ini  ci  i  tic  ::ni'rn'  : 


152  LE    MYOSOTIS 

Guerre  et  mort  aux  profanateurs  ! 
Sur  eux  le  sang  versé  retombe, 
Et  les  Français  gladiateurs 
S'égorgent  devant  une  tombe. 

Ils  sont  tous  morts,  morts  en  béros, 
Et  le  désespoir  est  sans  armes; 
Du  moins,  en  face  des  bourreaux 
Ayons  le  courage  des  larmes! 

Alors  le  bataillon  sacré 
Surgit  de  la  foule,  et  tout  tremble  ; 
Mais  contre  eux  Paris  égaré 
Leva  ses  mille  bras  ensemble. 
On  prêta,  pour  frapper  leur  sein. 
Des  poignards  à  la  tyrannie, 
Et  les  derniers  coups  du  tocsin 
N'ont  sonné  que  leur  agonie. 

Ils  sont  tous  morts,  morts  en  béros, 
Et  le  désespoir  est  sans  armes  ; 
Du  moins,  en  face  des  bourreaux 
Ayons  le  courage  des  larmes! 

Non,  non,  ils  ne  s'égaraient  pas 


LE    MYOSOTIS 

Vers  un  avenir  illusoire  : 

Ils  ont,  prouvé  par  leur  In-pas 

Qu'aux  Déeius  on  pouvait  croire. 

0  ma  pallie  !  ô  liberté! 

Quel  réveil,  (piaud  sur  nos  frontières 

I-a  Hépuhliipic  aui'ail  jclé 

(!e  laisecaii  de  liuiipcs  i^uerriénsî 

Ils  sont  tous  morts,  morts  en  Immck, 
VA  If  (lé'scspoir  est  sans  aiiiics; 
Du  moins,  en  Tact'  iU'^  hoinicaux 
Ayons  11'  eoMl'a^'c  des  l.iiiiK's  ! 

Sous  Ir  dômr  tlu  Panllit'on, 
Vous  tpii  rrvic/  au  ('.apitoie, 
Knfanls,  ipir  l'iipprl  du  (muoii 
l'il  hondii"  drs  lianes  iriuic  ('•colc. 
Au  loi!  (pu  icrui  vos  adieux 
(Juc  les  douli'urs  orront  amères, 
Lorsipic  d'un  liiompln'  odiruv 
l.c  liruil  cvcilli'iji  mk  nirii'-  ! 


153 


Ils  sont  tous  morl<,  morts  en  lii-ros, 
l"",l  le  di'sespoir  ol  san^  iiiiucs; 
\h]  nioin^,  en  fiicc  des  hoiureaux 


454  LE    MYOSOTIS 

Ayons  le  courage  des  larmes  ! 

On  insulte  à  ce  qui  n'est  plus, 
Et  moi  seul  j'ose  vous  défendre  : 
Ali  !  si  nous  les  avions  vaincus, 
Ceux  qui  crachent  sur  votre  cendre, 
Les  lâches,  ils  viendraient,  absous 
Par  leur  défaite  expiatoire, 
Sur  votre  cercueil  à  genoux. 
Demander  grâce  à  la  victoire. 

Ils  sont  tous  morts,  morts  en  héros, 
Et  le  désespoir  est  sans  armes; 
Du  moins,  en  face  des  bourreaux 
Ayons  le  courage  des  larmes! 

Martyrs,  à  vos  hymnes  mourants 
Je  prêtais  une  oreille  avide; 
Vous  périssiez,  et  dans  vos  rangs 
La  place  d'un  frère  était  vide. 
Mais  nous  ne  formions  qu'un  concert, 
Et  nous  chantions  tous  la  patrie. 
Moi  sur  la  couche  de  Gilbert*, 

1.  Voir  page  104t 


LE    MYOSOTIS  \:\^ 

Vous  sur  l'échafaud  de  Borie. 

Ils  sont  tous  morts,  morts  eu  liéros, 
Et  le  (It^scspoir  est  sans  armes  ; 
Du  moins,  en  face  îles  Ijourreanx 
Ayons  le  coura^'e  des  larmes! 


MIL    HUIT    CENT    TUENTK-SIX 

«  Tu  ne  tueras  pas  !  d 
(  Dh'aiflijkt'. 

nirii  l'ordonne,  cl  je  vous  en  l>rie, 
.Miii  i|iii  v.iis  ('li;inl;nil  sur  vo^  \k\>^ 
Mrinc  pour  >;niV('r  l:i  pairie, 
0  mes  IVrri's,  iii'  lue/  |>a>! 
Quanti  (('lit'  aiinr  (|ui  lnmi>  cneort' 
\  Iniinc,  mon  vers  Irieolore 
H('(  nia  soudain  Manr  d'cnVoi  : 
iMa  itili(''  di'vint  dn  délire, 
l'.l,  K'uianl  ses  dicoN,  ma  Ivre 
A  niununi't'  :  Vivr  le  roi  î 


\nc^ 


LE    MYOSOTIS 


Quand  un  jury  tue,  à  la  face 
Si  nous  lui  jetons  le  remord; 
Si  du  code  rouge  on  efface 
Par  degrés  la  phrase  de  mort, 
A  Tliémis,  tant  de  fois  trompée, 
Si  l'on  veut  arracher  l'épée 
Où  pendent  des  gouttes  de  sang  ; 
Ce  n'est  pas  pour  que,  dans  la  rue, 
Le  fer  justicier  tom])e  et  tue, 
Ramassé  par  vous  en  passant. 

Dans  le  palais,  aux  jours  d'alarme, 
Regardez  :  ne  voyez-vous  rien, 
Rien,  que  le  sahre  du  gendarme 
Ou  du  marchand  prétorien? 
Oh!  quoi  qu'ait  prêché  dans  ce  livre. 
Dont  le  parfum  de  sang  enivre, 
Saint-Just,  l'apôtre  montagnard, 
Enfants,  la  morale  éternelle 
Au  seuil  des  rois  fait  sentinelle 
Pour  en  écarter  le  poignard. 


Forgeron,  laisse  sur  l'enclume 
Le  fer  vengeur  inachevé  : 
L'arme  du  siècle,  c'est  la  plume. 


LE    MYOSOTIS 


\'M 


L(;vi«M-  (|ir.\r(Iiiiiir(I('  ii  \v\r  ! 
Écrivons  :  (juaiid  |itmr  la  patrie 
La  jilumc  fie  1er  veille  et  erie 
Alix  mains  dn  talent.  indi;;n«'', 
Hois,  prinees,  valets,  tout  ensemble 
S'énicnl...  cl  la  |ilimH>  dor  Ireiiilile 
ncvaiil  l'airèt  (juVIle  a  si;j;né... 

Mais,  Idcii  (|iie  mon  vcis  f:r(tiide  cl  prêche 

Ne  eraii^nc/  pas  pour  volic  ami 

Tne  insnile  à  la  l'ossc  IVaiclic 

On  vos  san^lols  l'onl  endormi. 

Laissant  à  l'esclave  tni  Ici  i-ôlc. 

.le  dirai,  dùl  à  ma  parole 

l'n  brnil  de  venons  relcnlii'  : 

«  Apôlres  des  sani^lanls  systèmes, 

»  Nns  cnllcs  ne  soid  pas  les  mèine><, 

)i  Mais  vous  com|i|e/.  nn  beau  marivr!  »» 


l'J  (piel  pr-re  n'a  vn  ses  lille^ 
Honorer  de  picnis  iniii-nns 
l.c  p'niic  liei(K  CM  ^^ncnilles, 
l.c  beau  paliiole  an\  pied^  nns? 
Il  sanva  des  Ilots  Inné  d'elles, 
l'.l  leurs  ;iiii(Hirs  lin  snni  lidelc^... 


158  LE    MYOSOTIS 

Donnez  des  lis,  car  il  n'est  plus  ! 
Des  lis,  des  pleurs,  ô  jeunes  filles  : 
Car  son  sang  tacha  ses  guenilles; 
I/écliafaud  meurtrit  ses  pieds  nus  ! 

Jeune,  et  sans  pain,  sans  fiancée, 
Des  rêves  d'amour  l'ont  nourri. 
Et  l'ombre  de  Cymodocée 
Au  Martyr  du  peuple  a  souri. 
Sous  notre  chêne  populaire. 
Que  la  sainte  croix  tumulaire 
Prodigue  l'ombre  à  son  tombeau; 
Si  le  Dieu  chrétien  qu'il  adore 
Le  repousse  en  tonnant,  Eudoro 
Prîra  Jésus  pour  Alibaud. 

Hélas  !  de  l'hymne  funéraire 
Qu'aujourd'hui  j'abandonne  au  vent. 
J'aurais  voulu,  mon  noble  frère. 
Parer  ton  front,  ton  front  vivant  : 
Tel,  quand  chaud  de  mille  agonies, 
Ankastroëm  aux  Gémonies 
Doutait,  on  vit  ou  l'on  crut  voir. 
Pour  parfumer  la  claie  infâme, 
Des  mains  d'un  auge  ou  d'une  femme 


LE    MYOSOTIS  i59 

Quelques  l)rins  de  lauriers  pleuvoir. 

Gagnons  les  bourreaux  de  vitesse, 
Disais-je,  Alibaud  va  mourir  : 
Vers  le  Gol^^otlia  de  Lutèce 
Le  char  court  :  Muse,  il  faut  courir. 
Mais  un  vers  me  fuyait  encore, 
Et  déjà  du  coteau  sonore 
Tombai!  ce  cri  :  Mort  en  héros! 
I/œuvre  rivale  riait  complète  : 
J'arrivais  trop  lartl  ;  le  poi'lc 
Étail  vaincu  par  les  bmiireaux. 


N  I  C  0  L  A  S 

Chanson  à  boire  écn'.c  sur  h  carie  à  paver  d'un  reslauraleur. 

An;  :  /'m  Cun-  </<•  Voiuponr. 

Chez  Nicolas,  inni,  je  me  l•lai•^, 

Malf^ré  sou  air  si>vère. 
\près  Imire  au  ne/,  dcx  valeK 

Si  l'on  jelle  ^(Hi  verre. 


inO  LE    MYOSOTIS 

Si  l'on  s'oscrime  avec  les  plats, 
Il  gronde  et  veut  qu'on  parte  : 
Ne  vous  emportez  pas, 

Nicolas; 
Mettez  ça  sur  la  carte. 

Ce  mot  apaise  en  un  moment 
Notre  hôte  qui  s'effraie; 

Sous  ce  bon  prince  on  a  vraiment 
Les  libertés  qu'on  paie. 

Attable-t-on  certains  appas. 
Il  gronde  et  veut  qu'on  parte  : 
Ne  vous  emportez  pas, 

Nicolas; 
Mettez  ça  sur  la  carte. 

Priant  de  ne  pas  l'oublier, 
Quand  la  gentille  Rose 

Voit  chacun  dans  son  tablier 
Lui  glisser  quelque  chose. 

Il  gronde  et  veut  qu'on  parte  : 
Ne  vous  emportez  pas, 

Nicolas; 
Mettez  ça  sur  la  carte. 


I.E    MYOSOTIS 

Si  (|iifl(jii('  vt'iil,  loil  ;i  |ii(>|M)s 
Kleijjnaiil  lii  cIiiiikIcIIc, 

l'iiil  li('lni(li('r  parmi  les  puis 
Son  r|Miils<'  lidrlc, 

Si  (le  la  iiapp i  l'ail  (l('^  draps, 

Il  ^ioikIc  cl  vciil  (lu'oii  jiaile 
Ne  vous  «Miipoiic/,  pas, 

Nicdias; 
.Mcllc/-  r,\  sur  la  carie, 

F.c  pmivnir  ol  de  ses  amis  : 
Dans  un  cnin  de  la  salle 

Il  a  \\i\'j.\  l'ois  mis  cl  riMnis 
<!eilain  liuslc  ini  peu  sale. 

Uii-iiid  le  plàlrc  vdl,.  rn  ('-clals, 
Il  f,'iitndc  cl  Vcnl  (pi'on  parle 
Ne  vous  emporic/,  pas, 

Nicolas; 
Melle/,  ça  sm-  la  carte. 


ICI 


Nicolas,  di;.'ne  pclil-llls 

De  madame  (in''i,'(ùrc, 
Toii  \in  in'ins|iiiail  (piand  je  lis 

Ces  coii|)|(>|s  à  |;i  i:|iiiic. 
Ton  vni  cs|  JKin.  mes  \civ  sont  plaN 


162  LE    MYOSOTIS 

Mais  il  fiuit  que  je  parle  : 
Je  te  les  offre,  hélas  ! 

Nicolas, 
Pour  acquitter  la  carie. 


LES    CROIX    D'HONNEUR 


Vieux  chevalier,  blanchis  par  tant  d'exploits, 
Sous  vos  haillons  cachez  bien  votre  croix. 

Elle  brillait  d'un  éclat  fabuleux. 
L'étoile  sainte,  aujourd'hui  dérisoire, 
Quand,  pour  parer  des  uniformes  l)leus^ 
Elle  pendait  aux  mains  de  l'Ilomme-Gloire. 

Vieux  chevaliers,  blanchis  par  tant  d'exploits. 
Sous  vos  haillons  cachez  bien  votre  croix. 

A  ce  trésor^  que  son  sang  achetait. 
Le  mutilé,  dont  la  mori  élail  sûre, 


LK    MYOSOTIS  103 

Tondait,  joyoïix  lo  !)ras  ((ui  lui  rosluii, 
FI  (If  huiliers  piirriimiiit  sa  l)l('SMir('. 

Vieux  cliovaliors,  Ijlaiiciiis  par  laul  (Toxiildils, 
Sous  vos  haillons  caclioz  Iticu  voiro  croix'. 

li'asirc  (l'Iionnour,  sous  la  lenlo,  au  loruiu, 
Lanrail  toujours  ses  rayons  au  jilus  (li^uic; 
l*oiu'  nos  S(»l(lals  ce  nouveau  laltarum 
IVtrlail  ('ciil  :  Tu  vdùicras  jxir  ce  sùjne! 

Vieux  elieviiliers,  Maneliis  [nw  tiuil  d'exploils, 
Sous  vos  haillons  e;iclie/.  iiini  voire  eroix. 

.l'iii  vu,  (|iiiii/.e  an^,  Ioiin  les  iMiiivoirs  iii(i(|Meiirs 
Pour  leurs  Viilels  eu  fiiire  inie  livn'e; 
•lai  VII,  (|uin/.e  ans,  i\v>  jxiilriues  sans  cirurs 
S'eiiller  dormieil  sous  l'i-loile  s;ien''e. 

Vieux  elievaliers,  l»l;ulelli•^  par  l.iiil  (rcxploils. 
Sons  vos  haillons  eacluv.  hieu  volii'  eroix. 

Ou'ai-ji»  dil?  non  :  le  iieiiple  saiiia  hieu. 
Vous  S(''|iiuaul  d'une  li^iie  euuemie. 
Au  lâche  esclave,  an  iiohie  eilo\eii. 


CI  LE    MYOSOTIS 

Tailler  leur  part  de  gloire  ou  d'infamie. 

Vieux  clievaliers,  blaucliis  par  tant  d'exploits, 
Sur  vos  haillons  étalez  votre  croix. 

A  vous  la  honte,  à  vous,  brillants  valets! 
Prévenez  tous  le  grand  jour  de  colère  : 
Pour  que  le  feu  consume  vos  ])revets, 
N'attendez  pas  la  foudre  populaire  ! 

Et  vous,  guerriers,  blanchis  par  tant  d'exploits. 
Sur  vos  haillons  étalez  votre  croix. 


F/ILE    DES    BOSSUS 


CONTE  -  CHANSON 


Dans  le  pays  dos  bossus, 
Il  faut  rétro 
Ou  le  paraître  : 
Les  dos  plats  sont  mal  reçus 


L  K     M  V  U  S  U  T  I  S 


lO.i 


Au  pays  des  bossus. 

Uu  jour,  le  veut  iiKxpKMir  y  jclle 
lu  |uiiiié  (le  Jciiii  de  Calais; 
Jean  débaiHiiic  cl  [urnd  sa  loi'^iicile  : 
«  Tudieu  !  que  ces  niaj^ols  mmiI  l;iid>  1  » 

Et  Jean,  d'un  air  sii|iL'il>e, 

Les  loise  à  clia(iu(î  pas  ; 

Car  il  csl  iiii  piovcilic 

(Jue  Jeau  ne  eoniiail  p.is  : 

Dans  le  pays  i\c<  lios^us, 
Il  Tau!  l'être 

Ou  le  iiiiiailrc  : 
I.i'S  dos  pliils  sont  mal  rcru> 
Au  pays  des  Itossu>. 


D'un  air  li'ioni|ili;iiil  .  il  >V'lal(' 
!.«' siiir  aux  lîmillrN;  mais  ^(tudai^ 
Autour  de  lui  ,  de  slallc  l'W  >lall('  . 
nourdounr  un  rire  de  dcdaiii. 
Maint  l'ai^mr  d'cpiurannur 
Cric  :  A  la  poitc  !  il  \a 
l'"inrc  .iNoi  Ici  le  di.nnc 
1^1   la  iloittt  (Itia. 


(3<i  LE    MYOSOTIS 

Dans  le  pays  des  bossus  ; 
Il  faut  l'être 

Ou  le  paraître  ; 
Les  clos  plats  sont  mal  reçus 

Au  pays  des  bossus. 

Jean  le  comprit ,  et  d'une  haleine 
Vite  à  son  auberge  il  courut 
Endosser  deux  bosses  de  laine; 
Puis  dans  le  monde  il  reparut  : 
Et  soudain  chaque  belle , 
Prise  à  ce  tour  subtil , 
Du  beau  Polichinelle 
Voulut  tenir  le  fil. 

Dans  le  pays  des  bossus, 
Il  faut  l'être 

Ou  le  paraître  : 
Les  dos  plats  sont  mal  reçus 

Au  pays  des  bossus. 

Mainte  yieillc,  à  la  dérobée. 
Épuisa  pour  lui  soins  et  lard; 
Mainte  fois  sa  bosse  est  londjée 
Aux  pieds  d'une  autre  Putiphar; 


LK     MVUSUTIS  1C7 

Ijiliii,  i»()uv;iii(  à  [iciiic 
Sullirc  à  son  bonheur, 
.It'iiii  (riiiic  énorme  reine 
l'nl...  i'éeuyer  d'iioinieur. 

Diins  le  pays  des  bossus, 
li  laul  l'être 
On  U\  inii'nili'c,  • 
Les  dos  plats  son!  n\;\\  irnis 
An  pays  des  l>ossus. 

Mais  (In  mi  Ponl  il  \il  la  lillc; 
I.'aufinsle  enlanl,  des  pins  jolis, 
Kpouvnniail  de  >a  raniillc, 
Avait  poussé  didil  ronnnc  un  lis. 

I)e  ce  coli'  s;nis  ecssc 

.Icioi  sun|iii(',  cl,  viiiiKpicnr 

An\  pinls  de  la  princesse 

M(!t  su  busse  et  son  l'o-nr. 

Diins  II'  |i;iys  des  bossus , 
Il  l'anl  l'rliv 
On  le  pin.iiln'  : 

l.cs  (lus  pliils  MMll   ni. il  K'ciiv 
An  pa\s  des  Imssus. 


168  LE    MYOSOTIS 

Tous  deux  s'esquivent  ;  bon  voyage! 
Puis  en  France  ils  vont  saintement 
Ajouter  à  leur  mariage 
La  formule  du  sacrement. 

Bref,  de  sa  double  bosse. 

Inutile  à  Calais, 

Pour  danser  à  la  noce, 

Jean  se  lit  des  mollets. 

Dans  le  pays  des  bossus, 
11  faut  l'être 
Ou  le  paraître  : 
Les  dos  plats  sont  mal  reçus 
Au  pays  des  bossus. 

H  eul  un  enfant,  deux,  trois,  quatre, 
Fut  éclievin  et  marguiller, 
Vit  des  abus  sans  les  combattre^ 
Écouta  des  sots  sans  bâiller. 

Et,  vieux,  de  la  jeunesse 

Devenu  le  Mentor, 

Au  sortir  de  la  messe 

il  fredonnait  encor  i 

Dans  le  pays  des  bossus. 


LH    M  VU  SUT  1  S  IbU 

Il  faut  rrin; 
On  11',  |i;ii;iilr(!  : 
Les  dos  plais  soiil,  mal  rorus 
Au  pays  tics  bossus. 


I.  A    !•  i:  Il  Al  1 1:  i;  i: 


K  O  M  A  N  t  K 


Élrennes  à  niadame  0*** 

AiiKiiii"  à  la   rcriiiiiMc  !    clic  est 

Si  i^tMililIc  et  si  (Iducc  1 
C/csl  l'oiseau  des  liois  (pii  >c  plail 

Loin  du  luiiil  dans  la  mousse. 
\  icu\  va;4al>oud  i[ui  lcnd>  la  maiu  , 

l'adaul  |»aUMc  cl  saii^  mcre  , 
Puissiez. -vous  lroii\cr  eu  chemin 

I,a  fciiuc  cl  la  fciniicrc  ! 

He   l'escahcau   vide  au  foyer 

Là  le  pauMc  s'empare  , 
l'.l  le  -raud  jtahul  de  u<t\cr 


170  LE    MYOSOTIS 

Pour  lui  n'est  point  avare; 
C'est  là  qu'un  jour  je  vins  m'asseoir, 

Les  pieds  blancs  de  poussière; 
Un  jour...  puis  en  marche  !  et  bonsoir 

La  ferme  et  la  fermière  ! 

Mon  seul  beau  jour  a  dû  linir^ 

Finir  dès  son  aurore  ; 
Mais  pour  moi  ce  doux  souvenir 

Est  du  bonheur  encore  : 
En  fermant  les  yeux  je  revois 

L'enclos  plein  de  lumière^ 
La  haie  en  fleur^  le  petit  bois, 

La  ferme  et  la  fermière  ! 

Si  Dieu,  comme  notre  curé 

Au  prône  le  répète , 
Paye  un  bienfait  (même  égaré). 

Ah  !  qu'il  songe  à  ma  dette! 
Qu'il  prodigue  au  vallon  les  Heurs, 

La  joie  à  la  chaumière! 
Et  garde  des  vents  et  des  pleurs 

La  ferme  et  la  fermière. 

Chaque  hiver  qu'un  gruui)c  d'enfants 


LK    MYOSOTIS 


171 


A  son  riisfvin  sourie, 
(loiiimi^  les  Auges  aux  (ils  lilaucs 

De  la  Vicrgo  Mario  ; 
Que  tous,  par  la  main,  pas  à  pas, 

Guidant  un  [iclit  frèn», 
Iléjouissent  (le  leurs  ébals 

!-a  feruK^  et  la  rermièn». 


Ma  Cliansonnelli»,  prends  Ion  vol! 

Tu  n'es  (pTiin  l'uiltle  li(innn;me; 
Mais  (pi'eii  avril  le  ros>i},'Uol 

(  liiHile  el  la  (l<''(!i)nnnai:e. 
Ou'elïrayé  par  ses  cliaiils  (ranioui\ 

l/(iise;iu  du  cinielière 
I.(Ui;«'(enips,  Imi^leiups  m'  laise  pour 

l.a  l'eriuf  ri  la  leiinirre  ! 


J.iini.r  |s.i(.. 


172  LE    MYOSOTIS 


SI    vous    M'AIMIEZ 


ROMANCE 


Ménestrel,  qui  vais  par  le  monde, 
N'ayant  rien  que  mon  gai  savoir, 
Si  vous  m'aimiez,  ô  belle  blonde, 
Je  me  croirais  un  riche  avoir; 
Comme  Pétrarque  aux  pieds  de  son  idole , 
A  vos  genoux  courbé  bien  bas,  bien  bas, 
J'oublierais  tout,  voire  le  Capitole, 
Si  vous  m'aimiez...  mais  vous  ne  m'aimez  pas. 

Si  vous  m'aimiez,  ô  belle  blonde,' 
De  vos  baisers  seuls  j'aurais  faim. 
Et,  sourd  à  son  voisin  qui  gronde. 
Mon  cœur  s'enivrerait  enfin; 
Cœur  mendiant,  il  va,  de  femme  en  femme, 
Criant  misère,  et  sans  secours,  hélas! 
Le  pauvret  meurt  :  il  renaîtrait,  madame. 
Si  vous  m'aimiez...  mais  vons  ne  m'aimez  pas. 


LE    MYOSOTIS  173 

El  iMOs  cliirnsoiis  friiiclics  (''clo  es, 

Au  vcnl.  (In  innliii  et  du  soir, 

Iraient  à  vous,  comme  les  roses 

Oui  pieuveut  devant  l'ostensoir. 
PiH'iOaMt  l'air  de  Paiis,  madame, 
Où  vous  iriez  j'irais,  <'t,  sur  vos  pas, 
Comme  un  parfum  je  hrfderais  mon  âme, 
Si  vous  m'aimiez...  mais  vous  ne  m'aimez  pas. 

Sur  vous,  prand'  dame  que  \\)\\  flalle, 

l'n  Idi'iJiKtn  d'oi'  s'est  promeut' , 

VA  par  le  iiiend  d'une  cravate 

N'oilà  voli'e  eti'ui'  eiieliaim''. 
IVoii  plus  heureux  tpie  riioiiim;i;^'e  vous  plaise 
Souriez-lui ,  m;ueliez  lièi'e  à  s(tn  liras  : 
Son  hiMs!  deuiiiiu  je  sauiais  ei'  (pi'il  |ȏse, 
Si  vous  m'aimiez...  mais  nous  ue  m'aimez  |»as. 


«0. 


174  LE    MYOSOTIS 


A    UNE    DAME 

Qui  se  plaigaail  de  voir  aux  Tuileries  sa  chaise  entourée 
de  jeunes  gens,     . 

Blonde  à  l'œil  bleu,  lis  tremblant  sur  sa  tige, 
Vous  vous  plaignez,  lorsque,  prenant  l'éveil, 
Autour  (le  vous  la  jeunesse  voltige 
Comme  un  essaim  qui  bourdonne  au  soleil. 
Plaignez  un  peu  les  jeunes  cœurs  sans  nombre 
En  plein  midi  soupirant  sur  vos  pas; 
Plaignez  surtout  ceux  qui  battent  dans  l'ombre 
Belle,  mais  ne  vous  })laignez  pas! 


LES    DEUX    AMOURS 

Pourquoi  donc^  jeune  Laïs, 
Rêveuse  au  bord  do  ma  rouelie , 


LE  MYOSOTIS  17:; 

Sur  mes  amours  au  pays 
M'intorro^or  bouche  à  bouche? 
J'ai,  i»our  eux,  daus  nos  déserts, 
Chauhî  sur  toutes  les  notes... 
Mais ,  à  propops  de  mes  vers , 
Fuites  donc  vos  papillotes. 
Vous  soupirez,  et  jtounpioi? 

Riez  vite! 

Ma  petite  : 
Vous  soupirez,  et  pourquoi? 
niez  vile,  ri  l»;iis(7.-iii(ii. 

Ihi  angf  snl  iik»  cliiiiiiicr, 
Vi\  aii^^'c  .111  ('(l'iii-  piii'  cl  Ifiith"!'  ; 
De  loin ,  nmjciil  de  r.iiiiicr, 
1)(»,  la  voir  cl  de  j'ciilcndre, 
.\c  la  suiviMs  sans  icpos, 
l\l  mes  Icvrcs  ciir;iiilincs 
Haisaicul  sa  Iracc...  A  i>i-opos. 
Délacez  doue  V(k  bollines. 
Vous  soupirez  ,  et  pounpioi  '.' 

Hie/  vile , 

Ma  petite  : 
Vous  soupire/ .  cl  |MMinpioi  ? 
Hie/,  vile ,  cl  It.nsez-nioi. 


76  LE    MYOSOTIS 

De  sa  bouche  quand  j'ai  su 
Obtenir  enfin  :  Je  l'aime! 
Les  mains  jointes  j'ai  reçu 
Son  baiser  comme  un  baptême  ; 
J'ai,  le  front  sur  ses  genoux, 
Prié  des  heures  entières... 
A  propos,  qu'attendez- vous? 
Otez  donc  vos  jarretières. 
Vous  soupirez,  et  pourquoi? 

Riez  vite. 

Ma  petite  : 
Vous  soupirez,  et  pourquoi? 
Riez  vite,  etbaisez-moi. 

Oh!  si  j'avais  par  hasard 
Effleuré  de  mon  haleine, 
Profané  de  mon  regard. 
Son  sein  rond  sous  la  baleine. 
J'aurais  dit  cent  fois  :  Pardon  ! 
Moi,  bàtnrd  de  Diogène... 
A  propos,  débouclez  donc 
La  ceinture  qui  nous  gêne. 
Vous  soupirez,  et  pourquoi? 

Riez  vite. 

Ma  petite  : 


L  ?:     MYOSOTIS 

Vous  soiipiroz,  cl  ponr([noi? 
Hicz  vil(^,  cl  l)iiis('/,-m(ti. 

Cos  hc.aux  jours  sont  onvolrs  : 
One  le  souvenir  en  niinirc! 
I.ors(|ii('  vous  me  consolez, 
Peul-êlre  ([n'en  sa  deiiieure, 
lléliis  !  son  onitli  in'iiltsoul 
T)e  rnon  plaisir  inlidèle  : 
Amours  purs,  eioyanees,  tout 
ST'Ieinl...  soufllez  la  eliaihielle. 
Vous  soupirez,  et  |M>ur<pi(ti? 

niez  vile, 

Ma  petite,  : 
Vous  soupirez,  el  poiuipioi? 
niez  vile,  el  liaisez-nioi. 


177 


Li:S     CI)  NTKS 


Oiplieliu,  sous  un  eiel  avan\ 
HaiielilTe  m  .1  ilouue  son  l.iil  : 
Puis  (je  |;i  reine  de  Navarre. 


17S  LE    MYOSOTIS 

Je  devins  amant  cl  varlci. 
Schérazade  est  ma  faYorite, 
Et  la  nuit,  rimeur  ennuyé, 

Sur  ma  petite 

Couche  d'ermite, 

Quand  je  m'agite, 

Si  par  pitié 
La  sultane  entrait  chez  moi,  vite 
Elle  en  obtiendrait  la  moitié. 

Je  préfère  un  conte  en  noYcmbre 
Aux  doux  murmures  du  printemps. 
Bons  amis,  qui  peuplez  ma  chambre. 
Parlez  donc,  j'écoute  et  j'attends  : 
Tombant  des  tréteaux  de  la  foire. 
Ou  glissant  du  sopha  des  cours. 

Que  YOtre  histoire 

Soit  blanche  ou  noire. 

Chante  la  gloire 

Ou  les  amours, 
Vieil  enfant,  je  promets  d'y  croire  : 
Contez,  amis,  contez  toujours. 

En  tremblant,  voilà  qu'un  beau  page  ^ 

A  sa  dame  écrit  ses  douleurs; 


LK    MYOSOTIS  171» 

Il  écril,  L'I  sur  i:li;i(|uc  [K\^(' 
Il('[i;iii(l  moins  de  vers  ([11(3  de  |ileurs. 
Pauvre  Artluir!  son  leinl  Irais  se  [tlunibe; 
.Mais  eu  loucoulaut  sous  les  lours, 

Tendre  coluinbe, 

Quand  il  succombe, 

L'n  baiser  tondx; 

Sur  ses  yeu\  lourds; 
(!e  baiser  reulève  à  la  Inmbc... 

—  (IdUlt'Z,  amis,  ((luli-z  l(Hi|nui>. 

Pèli'riu,  dans  l'Iiôlellerie, 

Vois  :  de  y,\\\'^  les  draps  soûl  lacliés; 

An\  irons  de  la  lapissi'iie 

Vois  les  \t'n\  {{('<•  Iiri;^auds  caclics. 

Ib'las!  sulTixiiK'  par  la  crainl»', 

(louliT  ('u\  il  san^lolc  :  Au  secours! 

Mais  minuil  liulc  I... 

!>(•  leur  allt'inlc, 

(  >  \  irrp'  sainte, 

S.uivc/.  ses  jour>! 

—  Hailumons  uolir  lam|t('  clciid»'. 
Mes  amis,  cl  «•onle/,  toujours. 

Uni  balMlle  eu  cet  ttraloircV 


180  LE    MYOSOTIS 

Ce  sont  les  nymphes  d'un  couvent, 
Long  cliapelet  aux  grains  d'ivoire 
Que  dévide  un  moine  fervent; 
Le  jour  en  chaire  il  moraUse; 
Mais,  sans  bruit,  au  déclin  des  jours, 

Hors  de  l'église, 

11  catéchise 

Quelque  Héloïse 

En  jupons  courts... 
—  Un  instant,  que  j'embrasse  Élise, 
Mes  amis,  et  contez  toujours. 

Ou  bien,  histoires  plus  charmantes, 
Épanchons  nos  cœurs,  et  parlons 
De  nos  sœurs  et  de  nos  amantes; 
Parlons  de  cheveux  noirs  ou  blonds. 
Doux  secrets  que  le  monde  ignore. 
Allez,  partez  :  les  murs  sont  sourds. 

En  vain  l'aurore, 

Qui  vient  d'éclore, 

Brille  et  veut  clore 

Nos  longs  discours  : 
Jusqu'à  la  nuit  contons  encore, 
Jusqu'à  demain  contons  toujours. 


LU    MYOSOTIS 


SI 


I.'OISKAL    (JUE    J'ATTENDS 


Il  0  M  A  N  t  E 


Les  Ihsuix  sok'ils  iiKirls  V(tii(  iciKiiliv, 
VA  \oi(i  (l<'|ii  mille  (tiscaux 
l'ciidiiiil  leur  iiiil  à  la  fciirlrc, 
l'ciiplaiil  les  bois,  rasaiil  les  eaux. 
Tous  les  matins  un  doux  hiiiil  irailcs 
Me  ri'vciljt',  cl  jVs|irr('...  In''la>! 
A  mes  carreaux,  noirs  (riiinmdelles, 
l/oiscau  (jue  j'allcnds  ne  viciil  pas. 


I.'and)itii)n  m**  lui  comme. 
Un. nul  je  \i>  l'ai-le  au  lar^c  \o|. 
In  jour,  eonlenijdci'  de  la  nuo 
Les  in^cclcs  |Hiudreux  du  sol  ; 
-le  vois  à  la  Icmpclc  noire 
1/ai^le,  eneor  livrer  des  comhab; 


11 


82  LE     MYOSOTIS 

Je  le  vois  sans  rêver  la  gloire  : 
L'oiseau  que  j'attends  ne  vient  pas. 

Voici  le  rossignol,  qui  cueille 
Un  brin  d'herbe  pour  se  nourrir, 
Puis  se  cache  au  bois  sous  la  feuille 
Pour  chanter  un  jour,  et  mourir  : 
Il  chante  l'amour. . .  Ironie  ! 
Oiseau  moqueur,  chante  plus  bas; 
Et  qu'ai-je  besoin  d'harmonie? 
L'oiseau  que  j'attends  ne  vient  pas. 

Plus  loin,  le  martinet  des  grèves, 
Sur  un  beau  lac  d'azur  et  d'or, 
Gomme  un  poëte  sur  ses  rêves^ 
Se  berce,  voltige  et  s'endorl. 
Dors  et  vole  à  ta  fantaisie> 
Heureux  frère  ;  devant  mes  pas, 
Moi,  j'ai  vu  fuir  la  poésie  : 
L'oiseau  que  j'attends  ne  vient  pas. 

Arrive  enfin,  je  l'en  supplie. 
Noir  messager  dont  Dieu  se  sert; 
Corbeau  qui,  sur  les  pas  d'ÉHe, 
Émiettais  du  pain  au  désert. 


L  !•:    MYOSOTIS 

Porluiit  la  purt  que  Dion  iii'ii  l'iiilr, 
Ai'iÎNc,  il  est  Iciiips...;  iimis,  lirlio! 
Moil  Siiiis  (loiile  avec  l(!  iiroplirlc, 
L'uiscau  (juc  j'allemU  ne  vieiiL  pus. 


183 


LKS    Cf. ( m: m: S 

Par  ma  IciuMn'  s'csl  ciiruic 
l/lllii^ioii,  cl  |i(Hir  jaiiiais  ! 
|)(Hi\  ir\('s,  adini  :  jf  nrriiiiiiic 
An  son  des  rlorlics  que  j  aimais, 
h'iiilci  int'lcr  It'iir  liaiiilla{;t', 
l*(M'lt',  à  sfi/.c  ans  j Vns  le  dini. 
l'oin-  IV'Irr  le  saini  Aw  villa^zc. 
Les  rliiclics  tlivairnl  :  Alltm>  donc! 

Arii\»'/  donc  ! 

\rii\c/.  donc  ! 

ArriM'/,  donc  ! 


Mais  jr  snis  peu  dc\ol,  cl  nicun' 
Il  me  Mm\  iciil  d  a>oir  (»s(' 


LE    MYOSOTIS 

Faire  un  gai  repas  en  carême. 
Repas  d'amis  bien  arrosé. 
Hommes  de  Dieu,  point  de  reproches 
Il  excuse  un  jour  d'abandon; 
Puis...  c'était  la  faute  des  cloches 
Qui  nous  répétaient  :  Allons  donc! 

Grisez-vous  donc! 

Grisez- vous  donc! 

Grisez-vous  donc! 

Quand  je  donnai  mon  cœur  à  celle 
Qui  n'en  veut  plus,  et  l'a  toujours, 
Le  tocsin  même  et  la  crécelle 
Parlaient  aux  vents  de  nos  amours. 
A  l'ombre  des  bois,  sur  la  mousse, 
Rêvant  mieux  que  sur  l'édredon, 
i\ous  entendions,  de  leur  voix  douce, 
Les  cloches  nous  dire  :  Allons  donc  ! 

Aimez- vous  donc! 

Aimez-vous  donc  ! 

Aimez-vous  donci 

Puis,  j'arrivai,  jeune  et  plein  d'àme. 
Dans  la  grand' ville  en  pèlerin; 
Le  Te  Deum  de  Notre-Dame 


LE    MYOSOTIS  «85 

Alors  borçiul  un  souverain  ; 

Miiis  à  iï'lcr  s.i  bionvenuo, 
(juiind  on  i'iili^iiiiit  le  Itonnloii, 
J'nsp«'rais,  moi;  car  dans  la  nnc 
l/aiiiiin  {^Tommclail  :  Allons  donc! 

Armez-vons  lionc  ! 

Arnu'z-vons  d(»nc  î 

Armc/.-vons  donc! 

|N>nr  moi  les  cloches^  [lanvrc  Kiancc, 
N'onl  |ilns  nn  lan^^aj^c  an>si  cl;nr: 
D'innonr,  (W  iiUmv  et  d'cspciancc, 
l*onr  moi,  rien  ne  parle  dans  l'inr. 
Je  n'entends,  connne  loni  le  monde, 
Oii'nn  ('■leinel  drelin  dindon. 
Une  l:i  it'pnltlitpie  vons  l'onde! 
(lloclies  li;iv;ii(les.  allons  donc  î 

Taise/,  vons  donc  ! 

Taise/.-V(ins  donc  ! 

'l'aisez-viMis  donc  ! 


186  LE    MYOSOTIS 


LE     REVENANT 


J'ai  lu  Pytliagore,  et  souvent 
Je  me  confie 
A  sa  philosophie. 
Après  la  mort,  son,  flamme  ou  vent, 
Chose  légère  comme  avant, 
J'aimerai  ce  que  j'aime  en  vie  : 
Fuyons  un  corps  que  nul  ne  bénira, 
Vers  mon  pays  mon  âme  s'en  ira. 

Si,  rêveuse  après  mon  trépas, 
Vous,  pleurez,  Laure, 
Et  visitez  encore 
Ces  champs  où  croissaient  sous  nos  pas 
Des  fleurs...  que  je  ne  voyais  pas; 
A  votre  appel,  sœur  que  j'adore, 
Un  feu  follet  en  dansant  vous  suivra  : 
Pour  vous  aimer  mon  ume  survivra. 


LE    MYOSOTIS  <87 

Quand,  sylplio  joyeux  des  Iiivors, 
Le  iiuncli  blouâtre 
Danse  et  rit  devant  l'àln»; 
Amis,  si  vous  cliantez  les  vers 
DonI  je  |i;irruiM!iis  vos  desscrls; 
ToiH"  à  IdUi'  |)l;iiiilir  ou  l'olàlfc, 
Siu'  la  iiKiulaunc  uu  ('rlm  s'culi'udi'a 
A  vos  cliansuns  mou  âme  r('|»oudia. 

(Juaud  s(»uu('  riiliii  riicuiv  d'oS(M-, 
S'il  vous  anivc 
(Juc  la  liraïUi'  ciiiiulivc 
l'essaie  cucorc  de  rrru<('r 
l'.l  uiuiMiurc  >oMs  h'  Itai^rr; 
l']ui|Mii'laul  >a  |ilaiiHi'  lardi\i'. 
In  vcnl  comiilicc  l'ulii'  rjlc  cl  \niis  luira 
A  V(K  amours  mou  ùmo  sourira. 

.!•'  ui(MU>!  t>l  |iourlaul,  I.ilirrli'. 
Tu  lions  a|tp('llt'> 
A  des  IV'It's  nouvelles, 
tjne  Ion  elièiie  ri'ssuseili''. 
Sur  ma  I'osm»  ;m  nioin«<  s(»ii  |i|.iiUe  ! 
Ml  elianlaul  el  l»allaul  de<  aile»;, 
i^e  Inam  lie  en  luMiirlie  une  f.iuvelte  iia  : 


LE    MYOSOTIS 
A  ton  réveil  mon  âme  applaudira. 

J'ai  lu  Pythagore ,  et  souvent 
Je  me  confie 
A  sa  philosophie. 
Après  la  mort,  son,  flamme  on  vent. 
Chose  légère  comme  avant, 
J'aimerai  ce  que  j'aime  en  vie  : 
Fuyant  un  corps  que  nul  ne  bénira. 
Vers  mon  pays  mon  âme  s'en  ira. 


BORDEAUX 


ODE 


A  madame  ***,  de  la  Gironde, 

Bordeaux,  paradis  de  mes  anges, 
Olympe  de  mes  dieux,  Bordeaux. 
J'irai  te  chanter  des  louanges, 
La  besace  homérique  au  dos. 


LE     MYOSOTIS  189 

Sur  le  grand  clieniiii  noir  de  itluic 
Ou'nn  biniic  rayon  toiniK'  o\  l'essnit^ 
Et  demain,  tronhadonr  |)it't(»n, 
Dans  la  liai»'  an\  fzi"a|»|»es  vcrnicillcs. 
Où  dansent  mes  sœurs  les  abeilles, 
Je  veux  nn'  lailler  un  liàlnn. 

Humble  oiseau,  ma  voix  (rcniblc,  il  nri^'e... 

ncllf  veuve  du  beau  nM<-os, 

JNiMi'  diie  les  L'Ioires,  <|iie  n'iii-je 

l'n  liilli  IV-eoiid  en  mille  tM-ln^! 

Vers  la  rive.  (|u'il  a  clioisie, 

'{'((Ml  mon  ileiive  de  |Mt(''sie 

Ilnndirail,  di'Norant  ses  bords, 

Kl  eli;i(|ne  v;iL'Ue,  cliiniiie  rime, 

Bordeaux,  l'eiiiil  le  iiniil  sublime 

Un»'  liiil  rOet'an  dans  les  |M»rls. 

Aux  i-'rands  por-tes,  et»  faraud  rôle. 
I,es  [lieds  |iendanl>  au  lil  de  re;iM. 
Moi,  j'aime  à  r«"'ver  sous  un  sude 
Avec  l'iunanle  dOlliclio  ; 
Kl  pourlanl.  voiei  la  semaine 

HiUlLie  dune  jier.iliiiniti'   iMUU.iine. 
Ib»u:.:e  du  '^awj.  de  \  in::!  Iieros. 

i\. 


i90  LE    MYOSOTIS 

Qui  jetaient,  fiers  et  sans  murmures, 
Leurs  belles  têtes  demi-mûres 
Dans  la  corbeille  des  bourreaux. 

J'ai  caché  de  la  Muse  antique 
L'autel  proscrit  dans  mon  grenier. 
Je  suis  un  païen  de  l'Attique, 
Comme  Vergniaux  et  les  Chénier. 
Dans  tes  troupeaux  à  blanche  laine, 
0  ma  fermière  châtelaine, 
Laisse-moi  choisir  deux  agneaux. 
Deux  agneaux  noirs,  car  je  veux  faire 
Un  sacrifice  funéraire 
Aux  mânes  plaintifs  de  Vergniaux. 

«  Enfant,  la  Liberté  momie 

»  De  ton  cœur  vierge  eut  les  primeurs; 

»  Tu  crois  ton  amante  endormie; 

»  Pauvre  enfant,  elle  est  morte...  Meurs!  » 

Ainsi,  dans  leur  funèbre  ronde. 

Les  fantômes  de  ta  Gironde 

M'entraînaient  lorsque  je  te  vis. 

fiirondine,  qui  me  répèles  : 

«  J'aime  à  veiller  sur  les  poètes  : 

»  Espère  en  moi,  ])oëtc,  et  vis.  » 


L  E    M  Y 0  s  0  T  I  s  \\)[ 

Du  pain  quo  chaque  jour  m'apporto, 

C'est  par  toi  que  je  me  uouriis; 

C'est  toi  (|Mi  vas,  de  porte  eu  porle, 

Pour  mes  vers  queler  uu  souris. 

Contre  moi  si  l'enfer  se  lève, 

Sur  le  serjM'iil  tu  mets  comme  Eve 

Tnii  picii  sacré,  ton  pied  vainqueur. 

Knlrc  mes  idoles  jumelles, 

Oli  !  viens  donc,  viens  réf^ner  comme  dlc^ 

Dans  le  Panlliéon  de  m(tu  cœur, 

Nos  murs  N'urcuv  par  ton  lialciiic 

Siiiil  A  pciiic  [loriliés; 

Nos  pav(''S  sales  ont  à  peine 

Poussé  (juelques  Heurs  sous  les  iiied^: 

l",l    In   luis,    ViililL'e  cnldmiie, 

Tu  liiiv!...  Si  Ion  l'Ioile  en  luiuhe, 

llt'lii>!  mon  (  iel  sera  jiieu  noir  : 

Où  |;ianer  un  souris  de  iViniMe? 

A  quelle  finie  iillunier  inon  Ame  V 

iVllls  ipiel  d'il  hleil  elierelier  lespoir? 

Au  pays  ipi)>  la  Ivre  lioiiore. 
J'irai,  j'irai  :  (le|,'i  lu  voi»;, 
Comme  ;iii  \eiil  nu  rose. m  sonore. 


102  LE    MYOSOTIS 

S'éveiller  la  mienne  à  ta  voix. 
Toujours  à  la  nef  voyageuse, 
Qu'elle  fende  une  onde  orageuse, 
Ou  se  berce  en  un  doux  chemin, 
Toujours  l'hymne  pieux  d'Horace! 
Toujours  deux  pieds  nus  sur  la  trace! 
Toujours  deux  lèvres  sur  ta  main  ! 

Bordeaux,  paradis  de  mes  anges, 
Olympe  de  mes  dieux,  Bordeaux, 
J'irai  te  chanter  des  louanges, 
La  besace  homérique  au  dos. 
Sur  le  grand  chemin  noir  de  pluie. 
Qu'un  blanc  rayon  tombe  et  l'tssuie, 
Et  demain,  troubadour  piéton, 
Dans  la  haie  aux  grappes  vermeilles, 
Oi^i  dansent  mes  sœurs  les  abeilles. 
Je  veux  me  tailler  un  bâton. 


1 


LE    MYOSOTIS  iO.T 


L  ACENAIH  R     POKTR 


...  Mais,  (lira-t-on,  il  f;iit  des  vers  ! 
—  C'est  donc  une  donn'-o  bien  rare  que 
les  vers  ?  .1.  .1. 


(juiiinl  il  faisiiil  des  v«'rs  dans  sa  diTuirr»*  vrille, 

(livdnir  au\  iiiillr  V(ii\  i|iii  rt-ju-lait'iil  :  McrNcilIc  ! 

Il  t'sl  duiK-  viai,  disiiis-jt',  un  imicIc  voleur  ! 

l'ii  |ii)ël(^  assassin  !  Iiélas!  el  ma  douleur 

(^hercliait  (|uerelle  à  Dieu,  qui  voidul  (|u'en  iioln»  Aizo 

La  sainte  [joésio  essuyai  cel  outrage. 

Noire  père  Villon,  (|ue  harcelai!  sans  lin 

Ce  dt''ni(»n  leulaleur  (|u'ou  a|i|ielle  la  Fniin, 

M»''dila  de  sou  leiups  nioius  de  ver^  (|ue  de  ruses; 

Salvalor  se  jela  Itaudil  dans  les  \i)ru/7.es. 

l'-t  l'eseopelle  au  |M>iuu',  liivouai|uaul  vur  I(>n  monts, 

Pour  mieux  |it>iudr"  lenler  \eeul  elie/.  Ii>s  demon<. 

Mais  autour  du  premiei-,  de  liaul>  vo^mun  sui^  nondin» 

t.ouNonuuaienI  au  soleil  ee  (juil  leulail  A.w]^  l'oudire. 


^94  LE    MYOSOTIS 

Et  Ton  dut  pardonner  au  troubadour  forain 

D'avoir,  Immble  vassal,  les  goûts  d'un  suzerain.' 

De  MaSaniello  le  poétique  élève 

Contre  la  tyrannie  avait  brisé  son  glaive, 

Et  pour  sauver  ses  jours,  le  proscrit  montagnard 

Des  morceaux  qui  restaient  dut  se  faire  un  poignard. 

Mais  tuer  sans  combat,  égorger  qui  sommeille, 

Ramasser  un  écu  dans  le  sang  d'une  vieille, 

Et  pouvoir  dire  après  :  Je  suis  poëte!...  Non! 

Car  il  ne  suffit  pas,  pour  mériter  ce  nom. 

D'emprunter  au  public  de  banales  pensées 

Qu'on  rejette  au  public  en  phrases  cadencées  : 

Le  poëte,  amoureux  du  bien  comme  du  beau. 

Attend  deux  avenirs  par  delà  le  tombeau, 

Et  riche,  en  vieilhssant,  de  candeur  enfantine. 

N'a  rien  à  démêler  avec  la  guillotine. 

Le  poëte  ne  voit  qu'un  seul  bourreau  de  près  : 

Le  Malheur!  ou,  frappé  par  d'iniques  arrêts. 

S'il  meurt,  c'est  en  martyr,  et  le  ciel  est  en  fête, 

Et  personne  ici-bas  ne  dit  :  Justice  est  faite! 

Interrogez  Samson  :  depuis  qu'André  Chénier 

D'un  sang  si  précieux  parfuma  son  panier. 

Jamais  son  doigt  savant  (Thémis  en  soit  bénie!) 

Sur  un  front  condamné  ne  palpa  le  génie. 

C'est  un  roi  qu'iui  poëte,  et  la  hache  des  lois 


LK    MYOSOTIS  lOii 

Tiin  Cliriiit  r  ilii  tomps  que  l'on  liiiiil  les  ntis... 

Mais  cliacun  peut  tracer  des  lignes  parallèles. 

Accorder  en  duo  des  syllabes  jumelles; 

ï.a  rime,  dont  Boileau  trouvait  Ir  jouji  pcsaul, 

Au  moindre  appel  (voyez!)  obéit  à  présent, 

I-^l  d'AiiiolplM'  iiujourd'bui  la  naïve  écolièrc 

Au  jeu  du  corhiUon  ferait  capot  M(tliùrc. 

nadaihl  <iiii,  sur  la  foi  d'un  (Awjlv  odieux, 

(Jonfonds  l'ariiot  du  baigne  et  la  langue  dcv  diciix. 

Admires  eu  tremblant  I-accnain*,  et  soidiaites 

In  iiaisi'i-  (If  sa  veuve  au  dniiicr  des  ikicIcn, 

Adiniit'  cl  liTin'olt'  inniiis  :  mit  ton  i  nïnc  int'i,'al, 

I.a  sottise  en  relie!"  eût  (''|Miuvinili''  (iidl. 

Des  rêves  d'arf^enl  seuls  onl  li(»ul»li''  Ion  iilcc'ive, 

l,";nillnnéti(|ue  seide  \\<\\  la  |ilnine  eliiinve  : 

l'.li  bien!  |ienilaiil  deux  nnils  lunlle  sni"  un  Kevj.mi, 

Dors  snr  nn  Kii  lielel,  el  in  poiuMas  bientôt, 

.\p|trenli  de  hi  veille  el  di'jà  passt'  maille. 

Anner  dinis  Ion  eoinpioir  la  strophe  et  riiexamèlie. 

VA  ponrtani,  loni  l';ni>  à  lassiissin  li m- 

Soniil,  el  dévora  se<.  \ers  ihns  ji-nr  |trinii  nr. 
Onini  anieur  iilT.nne.  ponr  lailler  ini  \olnnie. 
Tasse  avee  le  poii^nard  IValerniser  la  plnnie 


196  LE    MYOSOTIS 

De  vin  et  de  biscuit,  pour  nourrir  son  caquet, 
Qu'on  agace  au  perchoir  riiorrible  perroquet, 
Qu'on  secoue  un  album  teint  de  sang  rime  à  rime, 
De  l'argot  en  patois  qu'on  traduise  le  crime  : 
Bien!  il  faut  que  Paris  ait  du  roman  nouveau, 
Que  Lacenaire  mort  renaisse  in-octavo, 
Que  la  presse  en  travail  donne  un  frère  à  Justine, 
Et  qu'on  batte  monnaie  avec  la  guillotine!... 
Mais  sans  être  argousin,  bourreau  ni  romancier, 
Aux  veilles  du  cachot  on  vint  s'associer. 
Les  mains  de  ce  lépreux  dégoûtant  d'infamies 
Tombaient  à  son  réveil  entre  des  mains  amies. 
Et  les  journaux  du  temps,  souillés  de  ses  envois, 
A  nous  dire  sa  gloire  enrouaient  leurs  cent  voix. 
Pour  enivrer  cet  homme  et  son  pale  complice. 
Si  Ton  eût  annoncé,  la  veille  du  supplice, 
A  Paris,  où  l'hiver  fait  grêler  tant  de  mnux. 
Un  raout  au  profit  des  assassins  jumeaux, 
La  charité  dansante,  avare  de  centimes. 
Eût  secoué  de  l'or  à  ce  bal  de  victimes,.. 
Que  dis-j€?  la  comtesse,  au  sortir  de  son  bain, 
Caressait  dans  son  cœur  le  hideux  chérubin, 
Et  sous  un  i)li  coquet,  à  travers  les  gendarmes. 
Lui  glissait  cachetée  une  aumône  de  larmes. 
0  femmes  de  Paris!  sur  son  grabat  désert, 


LK    MYOSOTIS  i!t' 

Un  souriro  do  vous  aurait  sauv»''  fiilbort  ! 

Et  dans  sos  (ils  nombreux  Gilbert  n-spire  oncore  ; 

Il  leur  souflla,  mourant,  i'àm(;  cpii  les  (h'-vore. 

Ml!  sur  les  éclios  sourds  la  lyre  est  sans  |MMiV(iir! 

Il  ImuI  (les  (  (nidiunnés  à  mort  pour  t'émouvoir, 

l*aris!  Kli  bien!  rcoiilc  :  ici,  coMMut'  à  \'enist', 

lu  p('npl(!  coiidamur'  sous  les  plombs  ajJîonise. 

i.e  Malheur,  les  preuanl  loudx's  du  sein  niil.d, 

Manpia  ces  {.'iaours  de  son  cachet  fatal, 

l'!l  sur  leur  iVonl.  depuis,  ;^liss;nit  avec  .k  t'uiiih  l 

Nul  baiser  n'essuya  cet  infernal  baptême. 

Sans  éveiller  de  bruits,  sans  prètie  ;i  leiu's  côtés. 

Ils  vniil  moiiiir,  cciiv-l;!,  diueiiieul  cidioh'S. 

(iliaipie  jonr  le^  c(iud;uuue,  et  cdiiuue  au  roi  (pii  p.isse. 

A  chaipie,  iendeiiiinu  iU  deiM;nidi'Ul  leur  i.'ràce. 

I/Msp('rauce.  avociil  ;i  l;i  uiai^iipie  vni\. 

Les  haine  \\\\\>.\  lnMi:leiup>  de  pourvois  eu  pourvois... 

Mais  piireji  ;iii  Ikmiiic.ui.  (pii  vieiil  cl  frappe  à  riieure. 

i.e  Suiciilc  eidiii  les  prend...  cl  nid  ne  pienre; 

Nnl  ne  mène  le  deinl  \ers  le  ('Ii,unp  du  rolier, 

|'",l  le  pofle  mort  :^il  |j.  nioil  loni  entier... 

\nè|e/-vous  :ni  bord  de  la  Iosm*  dKscousse. 
l'.nliniK  \ien\  de  donlenrs  ipie  son  ("loile  \   pouss.-. 


lOS  LE    MYOSOTIS 

Plus  de  chants,  plus  d'espoir  :  sur  votre  muse  en  deuil 

Comment  des  éditeurs  appeler  le  coup  d'œil  ? 

Pour  y  saisir  au  vol  une  chanson,  peut-être 

Tous  veillent  maintenant  au  guichet  de  Bicêtre, 

Et  le  public,  sans  foi  dans  vos  noms  sans  crédit. 

S'abonne  chez  Darmaing  au  scandale  inédit... 

Mais  votre  impatience  en  frémissant  m'écoule. 

Vous  pairiez  sans  murmure  un  grand  nom,  cpioi  qu'il  coûte; 

Eh  bien  !  pour  éblouir  et  fixer  le  regard, 

Secouez  devant  vous  les  éclairs  d'un  poignard; 

Marchez,  frappez,  d'un  meurtre  ensanglantez  les  rnes; 

Devant  la  Renommée  et  la  garde  accourues, 

Fiers,  et  pour  piédestal  prenant  un  corps  humain, 

Relevez-vous  alors,  des  chansons  à  la  main! 


LE    CORSE 

A  l'heure  où,  pAle  encore,  le  jour  hésite  à  nnllre. 
Une  étrange  rumeur  passa  sons  ma  fenêtre, 
«  N'est-ce  pas  au  réveil  la  voix  dn  carnaval?  » 
Dis-je;  et  dans  le  brouillard  déchiré  par  les  sabres, 


L[-     MYOSOTIS  !!)!• 

Je  vis,  (•(Uiiiiic  011  on  Y(»il  dans  les  danses  niacahros. 
Passer  dos  ombres  à  cheval. 

l'nis  1111  jxMiiilc  liidenx,  dont  le  vrai  nom  s'ignore, 
Tombant,  je  ne  sais  d'on,  sur  le  pavi'  sonore, 
fironillait...  un  même  espoir  scnililail  le  iviimcr. 
Allin''  |tar  le  sani:  don!  le  pairnin  Triiivre, 
I-e  Paris  de  l'iVonl  s'en  rcicvail,  pour  suivre 
In  Imninin  (]u'<in  allai!  lucr. 

Onand  la  r.(tr>e  eut  doiiiK'  Napolt'oii  an  nioiidc. 
De  si's  conciles  de  i;loire  arrière-laix  iinnionde, 
l!lle  y  jeta  l-"iesclii,  ropproltie   imil   vivaiil. 
Mais  ne  lè;ine-t-il  pas  ini  icniords  ;i  iiolie  'i-e, 
(!et  lionime?  el  son  déclin  csi-il  \\'\i>\\  mmi  oiin  ratie? 
(Jni  sait?  miinniiiai-je  en  rèvaiil... 

Il  va  rendre  au  supplice  une  àine  iiieii  Irempée, 
nil-on;  ne  pou\ait  il  s'allor.Lcr  m  ('pée, 
(!e  poignard  ipii  frappa  ^ans  demander  pour  <pii? 
I.e  lie!,  dans  ce  iiravil  (pii  meiirl  aux  pieds  d  im  prrire, 
Voulul  doiiuei'  au  monde  un  urand  liouiuie  peiU-èlre. 
1,1  le  monde  lui  reud...  l'iesclii  ! 

Si  l"(''iude  eùl  passi'  sur  cet  âpre  :^enie. 


200  LE    MYOSOTIS 

S'il  eût  bu  In  morale  à  sa  source  bénie. 
Quand  il  gardait  pieds  nus  ses  chèvres  au  coteau; 
Si  le  monde  eût  ouvert  à  sa  jeune  fortune 
Ce  chemin  qu'il  voulut,  dans  la  foule  importune, 
Se  tailler  à  coups  de  couteau  ! 

On  va  bien  loin,  guidé  par  une  étoile  amie; 
Entre  l'homme  de  gloire  et  l'homme  d'infamie. 
Pour  combler  la  distance  il  fallait  un  peu  d'or. 
De  l'orl  un  horizon  plus  large  que  le  nôtre, 
Et  Fieschi,  l'enfant  corse,  eût  grandi  comme  l'autre, 
Le  beau  Corse  de  messidor. 


A    MÉDOR 


Heureux  Médor,  si  j'ai  bonne  mémoire, 
Je  t'ai  connu  jadis  maigre  et  hideux; 
Chien  sans  pâtée,  et  poëte  sans  gloire, 
Dans  le  ruisseau  nous  barbotions  tous  deux. 
Lorsqu'à  mes  chants  si  peu  d'échos  s'émeuvent. 


I.  K     iMVUSOTlS  "201 

Lorsijuc  (lu  rit'l  mou  pjiiii  loiiihc  à  rrjjn't, 
A  tes  abois  Dieu  suiinl,  Its  us  iilciivciil  : 
Chien  parvenu,  (lujiue-niui  luu  b«.'ciet. 

Aux  cliiens  h'in'cux,  oui,  le  luiillicur  lu  rf;;ilc  : 
Liallu  (.les  veiils,  par  la  loulc  oulra^é, 
Si  je  caresse,  ou  a  peui-  de  la  i-'air; 
Si  j'é^ratigne,  on  nfaiiiicllc  ciuaj^é. 
Pour  qu'au  Itoulicur  jr  [nii»!'  l'uliu  n-uailu'. 
Dieu  sait  pourlaul  (pi'uu  jh'U  d'or  >unirail; 
Miru  peu...  relui  de  lou  collirr  pcul-rlic  : 
('.liicii  itaivt'iMi,  doinic-iuoi  Ion  sccirl. 

J'eus  coiiiiue  loi  lues  lon^s  jours  de  paresse, 

lu  lit  UKM'Ilcux  cl  de  IViauds  luorct'auN  ; 

J'ai  fiisscnuM'  sous  plus  d'uuc  ean'sse, 

h'idxiis  iU(Hpi('ui>  j'ai  laiouiu'  les  sols. 

l'uis  daus  la  inul»'  où  l'ou  pou^x',  où  l'on  ln-u^le, 

J'ai  vu  s'eiduir  IMutu>  t\\\\  >"ei:arail  : 

Poui'  di'vruir  \r  chiru  d<'  cel  aNeui:le. 

(.lùru  paiNciui,  doimr-uioi  lou  secit'I. 

Au\  douiiuos  >ai>  lu  (ouiuit'iil  l'ou  liii  le  ? 
Nouveau  lVui>>,  ailtilre  de  Itraulc 
As-lu  (louuc  la  pouuuc  à  la  plu^  riclic. 


202  LE    MYOSOTIS 

Fait  le  gentil,  fait  le  mort,  ou  sauté? 

Ton  sort  est  beau  :  moi,  chien  d'humeur  bizarre, 

Pour  égayer  le  Riche  à  son  banquet, 

Je  ne  sais  rien...  rien  que  flatter  Lazare  : 

Chien  parvenu,  donne-moi  ton  secret. 

Tombé,  dit-on,  dans  un  pays  de  fées, 
Dont  la  laideur  mit  le  peuple  en  émoi, 
On  essuya  tes  pattes  réchauffées. 
De  blanches  mains  te  bercèrent;  mais  niui  !... 
Chien  trop  crotté  pour  que  la  beauté  m'aime, 
Si  j'entrais  là,  le  pied  me  balaîrait> 
Hué  de  tous,  et  mordu  par  toi-même  : 
Chien  parvenu,  donne^moi  ton  secret. 


Les  voleurs 


Dame  Justice  a  fait  merveille! 
Disais-je,  croyant  voir  un  jour 
Douze  voleurs,  libres  la  veille, 


I-K     MÏUSUTIS 

Huilier  caplils  devant  la  loiir. 
Avant  ([ue  l'écrilcau  (riisaizc 
A  leur  [lilori  .soil  collé, 
Lavater,  sur  leur  jdat  visage. 
Lirait  (li'jà  ([u'ils  ont  vulé. 

(Ict  lioiiiiiic  au  Iront  cliaiive,  à  r(L'il  lerue^ 

Est  uu  usurier  Itiru  cuiuiu; 

Le  passant  ([ui,  dans  sa  caverne, 

Lntre  alïann'',  sort  dcini-uu. 

Au  front  d'aiiain,  au  co'ur  Av  rocln', 

11  rit  du  pauvre  dç>ol»'', 

L'iulanie  !...  et  justpie  dans  ma  poche 

Il  a  volt',  volé,  volé. 

Ce  pelil  drôle,  ipii  rt';^ard<' 
Les  poches  du  voi>in  sou\cnl  ; 
(Monsieur  (luillanine,  prenez,  uardc' 
C'est  l*ateliu  toujours  sisauL 
Pour  omei'  le  drap  ipi  il  derohe. 
Ii"aulre  jour  luènie  il  a  collé 

I  n  rulian  lon^e  sur  >a  ruhe... 

II  a  Noii",  Vi»le,  \(iK'. 


:io;j 


^'oilvl  de>  lourn.»eius  d'arniéc  : 


204  LE    MYOSOTIS 

Lorsqu'aux  pieds  d'un  vainqueur  treniblautj 

La  France  tombait^  renfermée 

Vivante  dans  un  linceul  blanc; 

Ces  alchimistes^  pêle-mêle, 

Autour  du  soldat  immolé, 

Soufllaienl  de  l'or  dans  la  gamelle  : 

Ils  ont  volé,  volé,  volé. 

Salut  au  baron  de  Wormspire  ! 
Littérateur,  blagueur,  voleur, 
Sur  le  Parnasse,  dès  l'empire. 
Il  a  fait  métier  d'oiseleur. 
Métiez-vous,  s'il  vous  accueille. 
Frères  :  tout  poëme  envolé 
S'est  pris  l'aile  à  son  portefeuille  : 
Il  a  volé,  volé,  volé. 

Mais  las  !  l'erreur  était  complète  : 
Mon  voisin  Prudliomme  l'expert. 
Où  je  croyais  voir  la  sellette. 
M'indiqua  les  jurés  au  i)air; 
Et  tous  CCS  voleurs,  (ju'entre  mille 
Au  bagne  on  eût  dit  racolés, 
Y  jetaient  un  gueux  sans  asile 
Pour  de  l'air  et  du  pain  volés! 


L  K    MYOSOTIS  205 


M.     PAILLA  Kl) 


Et  lloii,  flou,  lluii,  misrreiT, 
Monsieur  Paillard  csl  ciiterré. 

A(li«Mi,  jM'i'c  (le  la  (MMiiimiiH', 
Dit  If  HosMicl  (In  momnil  ; 
Mais  an  (Irliiiil  f;anlaiil  iaiii'uiii>, 
Le  itauMc  ii('in>li;  dil  fiaiiiicnl  : 

Et  11(111,  lion,  lion,  miscivic, 
Munsieur  Paillard  est  iiilcnv. 

Traitant  la  niis('M»'  en  vassale, 
IMeniicr  ina^i>tial  dn  caillou, 
Aux  |>auvr(>>s('s.  de  >ii  main  sait», 
M(»iiS(M{;u(Mn'  priMiail  le  menton. 

i:t  lion,  lion,  etc. 


12 


•JOO  LE    MYOSOTIS 

Lui  volaient-elles  noix  ou  ponnne, 
Sous  le  pommier,  sous  le  noyer, 
A  l'instant  même  le  digne  homme 
Les  jetait  bas  pour  se  payer. 

Et  lion,  tlon,  etc. 

Fredonnant  de  sa  voix  de  chantre. 
Flânait-il  dans  quelque  dessein, 
Ses  breloques  sur  son  gros  ventre 
Alentour  sonnaient  le  tocsin. 

Et  lion,  tlon,  etc. 

Jacques,  défends-lui  bien  la  porte. 
De  peur  qu'au  logis,  en  tremblant. 
Ta  l'ennne,  cet  hiver,  n'apporte 
De  rinfamie  et  du  pain  blanc; 

Et  lion,  lion,  etci 

A  la  vertu  la  mieux  armée, 


L'or  en  main,  portant  des  délis, 
11  lenle  la  mère  alTamée 


L  !•:    MYOSOTIS  20' 

Aujtn's  (lu  iR'i'ccaii  de  son  lils. 

RI,  flou,  lion,  etc. 

IHiis  quand  il  u,  sans  rien  déballro. 
Payé  son  trioniitlie  insolent. 
Il  so  dit,  lier  comme  Henri  Qualre 
Tudieii,  je  suis  un  vert  calant! 

Kt  flun,  ilun,  elr. 

i;i  le  cuit'  jt'  (  auouix'  ; 

Il  me  danmeiail,  moi,  (lio>-Iean  ; 

Mais  ciiMmic  au  It ,  à  l'éiilise. 

Il  eu  aura  jmur  mui  ar^'eul, 

i;i  lion,  lion,  11(111,  iiiisertM'e. 
.MtiUNicur  l\iill;n'd  i-^l  l'iilcnv. 


20.S  LE    MYOSOTIS 


RÉPONSE     A    UNE     INVITATION 


Sur  l'adresse  de  cette  lettre, 
Quelle  erreur  fit  tomber  mon  nom? 
Est-ce  bien  moi  qu'on  daigne  admettre 
Aux  plaisirs  brillants  d'un  salon? 
Où  la  mode  commande  en  reine. 
Hélas!  on  m'accueillerait  mal. 
Je  suis  moins  heureux  que  Sedaine.., 
Non,  non,  je  n'irai  pas  au  bal. 

Là,  sous  les  lois  de  l'étiquette. 
Il  faut  plier  à  tout  moment; 
Chaque  pas  est  une  courbette, 
Et  chaque  phrase  un  compliment. 
Moi,  j'ose,  dans  mes  épigrammes. 
Contester  en  vrai  libéral. 
L'empire  absolu  même  aux  femmes  : 
Non,  non,  je  n'irai  pas  au  bal. 

Aurais-je  assez  de  patience 


LE    MYOSOTIS  200 

Pour  souffrir,  sans  les  bafouer. 
Ces  beaux  esprits  dont  la  science 
Se  boriKî  à  l'art  do  saluer? 
Contre  les  clercs  (jiii  font  merveilles. 
Un  bon  mol  immiI  in'être  fatal  ; 
Tous  ces  messieurs  ont  dos  oreilles  : 
Non,  non,  je  n'irai  pas  au  bal. 

T.orsque  les  n«*aux  do  la  vio 
Sur  mes  pas  ploiivaioiil  tour  à  tour. 
Dans  los  bras  iW.  la  |>(K^sio 
J'écliappais  du  moins  à  l'amour  : 
Mais  tnMublons!  partout  ou  n'prlo 
(juo,  sous  l(^  voilo  nnplial, 
Tuo  Cràco  (irnora  la  IV-lo  : 
Non,  non,  jo  n'ii'ai  pas  an  bal. 


T.  A     CONM'^ESSÎON 


(Jnoi!  lu  l'as  dit,  phis  d'amours  à  ta  suito! 
Oii"i!  tu  voudrais.  rolTonillant  xuin  la  croix. 


210  LE    MYOSOTIS 

Rose,  ma  Rose,  égayer  un  jésuite, 

De  tes  péchés,  un  peu  des  miens,  je  crois! 

Ah!  pèche  encor,  pécheresse  gentille; 

Et  si  nos  cœurs  de  quelque  ennui  sont  lourds, 

Couple  fervent,  l'un  à  l'autre  sans  grille 

Confessons-nous,  confessons-nous  toujours. 

Jeunes  beautés,  avec  les  hirondelles. 
Quand  vous  voyez  les  sylphes  accourir, 
Lorsqu'au  doux  bruit  de  leurs  battements  d'ailes, 
Vous  vous  sentez  défaillir  et  mourir. 
Pas  n'.est  besoin  contre  un  charme  éphémère 
Du  beau  curé  ni  de  ses  beaux  discours  : 
Cœur  de  seize  ans,  au  cœur  de  votre  mère 
Confessez-vous,  contessez-vous  toujours. 

Mais,  tôt  ou  tard,  l'hymen,  l'hymen  despote, 
A  vos  beaux  yeux  enseignera  les  pleurs. 


Qu'en  suppliant  alors  Trilby  s'arrête. 
Un  soir  d'orage  au  coin  de  votre  feu. 
Grondez  bien  bas...  puis,  après  la  tempête. 
Confessez-vous,  contessez-vous  à  Dieu. 


LE    MYOSOTIS  2il 

Vous  qui  marchez  pieds  nus,  cl,  sur  la  roule. 
Dans  le  ruisseau  trempez  votrt>  pain  noir; 
Vous  qui  cliantez  sans  que  la  dame  écoute, 
I.à-l»as,  pcucliéo  au  l)al(M)M  du  niaïKiir; 
Vous  qui  rêvez  amour,  gloire,  cliimère, 
Puis,  au  réveil,  le  cœur  battant  d'eiïroi. 
Les  bras  lendus,  vous  écrie/,  :  Ma  mère!... 
Confessez-vous,  confessez-vous  à  mui. 

Mainte  l)lessiu('  à  Tauii  le  plus  tendre 
Souvent  échappe  et  saij^'uc  à  l'abandon; 
Sduveut  pour  l'Iionnue  il  serait  doux  d'eulendie 
Au  noui  de  Dieu  sonner  le  mot  jiai'dnn: 
Mais  la  soutaiu'  ii  balayé  la  laniie. 
Mais  le  péelit'  iVélille  pai'-dessoUN. 
Ouaud  tu  verras  tdiubci'  du  rici  un  anu'e. 
Aveilis-inoi,  llose,  et  edidessons-ncais; 
N  ilc  à  ses  pieds,  vile  conlcssons-non^. 


l  AIM.  K 

<(  Que  je  sui^  bien  sou-^  mon  ciel  dt>  i  ri^t.ilî 
A  me  UinuTii-  la  terre  est  »''|iuiNft' ; 


212  LE    MYOSOTIS 

A  moi  chaleur  et  lumière  et  rosée  : 
Certes,  je  suis  un  noble  végétal!  » 
Ainsi  parlait  maint  cornichon  sous  verre  : 
Le  jardinier  passe,  et,  d'un  ton  sévère, 
A  ces  vantards  dit  :  <(  Taisez-vous,  mes  fils  : 
Un  coup  de  vent  peut  briser  votre  cloche; 
Vous  mûrissez,  et  le  bocal  approche; 
Encore  un  jour,  et  vous  serez  confits.  » 

Hélas!  hélas!  philosophe,  astronome. 

D'un  ciel  étroit  coitîés,  quand  nous  marchons, 

Fiers  et  clamant:  «  L'homme  est  tout,  gloire  à  l'homme  !  » 

Dieu  tonne  et  dit  :  «  Taisez-vous,  cornichons!  » 


L'ISOLEMENT 


ELEGIE 


A  Madame 


*  ** 


De  mon  riche  avenir  vous  voilà  créancière. 
Madame;  quand  l'oubli  me  jetait  en  poussière. 


LE    MYOSOTIS  2i3 

Sur  moi,  poëte  obscur,  l'autre  jour,  on  passant. 

Vous  laissîMes  tomber  un  mot  compatissant. 

Un  mot,  voilà  tout...  mais,  quand  vous  fûtes  passée. 

Celte  parole  d'or,  oli!  je  l'ai  ramassée. 

J'ai  caclié  dans  mon  sein  ma  relique,  et,  depuis, 

Je  la  porte  les  jours,  je  la  baise  les  nuits. 

Si  ma  reconnaissance  avec  délire  éclate, 

Si  mon  baiser  brutal  mord  la  main  (jui  me  flatte, 

Madame,  pardonnez,  c'est  <pie  voilà  deux  ans 

(Et  deux  ans  à  porter  tout  seid  sont  bien  pesants!) 

Qu'aux  tourments  de  mon  cœui-  nul  cdMir  ne  s'.issocie, 

Kt  j'avais  onblit'  comment  (tu  remercie. 

J'ai  support»'  deux  ans  le  mépris  et  la  faim 

Sans  mrler  do  blasphème  à  ma  iilidnte  sans  lin. 

Je  disais,  résij^'ué  :  Lorsipic  Dii'ii  l'ail  un  lioiiiiU(\ 

De  st's  boidiewrs  futurs  il  lui  coniiilc  la  soiiiiiio  : 

((  Prends,  lui  dll-il,  cl  niarclicl  »  cl  moi,  drs  le  dt'parl, 

l'rodif^uo  voyai^eur,  j'ai  dévoré  ma  i)arl. 

Kid'anI,  j'ai  vu  passer  dans  ma  vauue  luéuïoire 
Des  prêtres  (pn  clianlairMl  sur  nue  bièie  noire; 
A  travers  les  sanglots,  de  niouient  en  inomeiil. 
l'u  U(tui  (lier  maniNail...   mais  ee  souvenir  uienl  ; 
Car  de  l'éc(tle  à  pi'ine  eu^-je  rramlii  le^  ;:iilles, 
(Jiie  le  londiai  joNenx  aux  bra^  de  deux  laniilles; 


214  L  E    M  Y  0  S  0  T  I  S 

Moi  qui  la  veille,  hélas!  rêvant  un  autre  accueil. 
Me  croyais  orphelin  sur  la  foi  d'un  cercueil. 

Mon  cœur,  ivre  à  seize  ans  de  volupté  céleste. 

S'emplit  d'un  chaste  amour  dont  le  parfum  lui  reste. 

J'ai  rêvé  le  bonheur,  mais  le  rêve  fut  court... 

L'ange  qui  me  berçait  trouva  le  fardeau  lourd. 

Et.  pour  monter  à  Dieu  dans  son  vol  solitaire. 

Me  laissa  retomber  tout  meurtri  sur  la  terre. 

Où  depuis  mon  regard  dans  l'horizon  lointain 

Plongeait  sans  voir  venir  le  bon  Samaritain. 

Je  veux  bien  acquitter  mes  dettes  amassées. 

Et  payer  en  douleurs  mes  délices  passées. 

Dieu  !  mais  puisque  ta  loi  défend  de  murmurer. 

Fais-nous  donc  des  tourments  que  l'on  puisse  endurer! 

La  Pauvreté  n'est  pas  l'hôte  que  je  redoute; 

Je  l'aime,  c'est  ma  sœur;  la  Faim,  sans  qu'il  en  coûte 

Une  heure  à  mon  sommeil,  un  vers  à  mes  chansons. 

Entre  s'assied  chez  moi,  car  nous  nous  connaissons. 

Je  n'ai  pas  convoité  sur  mon  lit  d'agonie 

L'or  du  voisin,  qui  sonne  avec  tant  d'ironie; 

Ce  qu'il  me  faut  à  moi,  ce  n'est  pas  seulement 

Le  vin  de  la  vendange  et  le  pain  de  froment  ; 

Mo  prière  avant  tout  demande  à  Dieu  pour  vivre 

le  pain  qui  nourrit  l'Ame  et  le  vin  qui  l'enivre 


LE     MYOSOTIS  215 

L'amour!...  Et  je  suis  scul^  déjà  seul,  quand  j'entends 

Frémir  encor  l'airain  (jui  m'a  sonné  vingt  ans! 

La  fatigue  m'endort  cl  le  besoin  m'éveille 

Sans  qu'un  souliait  ami  caresse  mon  oreille. 

Uuand  j'allais  au  printemps  chercher  dans  vos  jardins 

Un  sentier  vierge  encor  du  pied  des  citadins, 

Sur  mon  cœur  solitaire  et  qu'un  vague  amour  lue. 

J'ai  pressé  bien  souvent  un  socle  de  statue; 

El,  mirach;  du  (,i(.'lî  bien  souvent  j'ai  cru  voir 

Lu  froide  Galatée  en  mes  bras  s'émouvoir, 

Voir  des  pleurs  «le  pilié  pendus  à  sa  i)aupière. 

Voir  des  souris  éclos  de  ses  lèvres  de  pierre; 

Kl  (juand  in;i  plainte  au  m;irbre  inspirait  lanl  d'émoi^ 

Les  cœurs  vivants  restaient  pélriliés  pom*  moi! 

Oh!  voilà  le  ((luiiiicnl  iiiupiel  rien  n'habitue, 
(Jui  dévore  les  nuits  et  les  jours,  et  ipii  lue. 
(le  supplice  iuoui,  (piand  je  nous  le  nounnais. 
Vous  m;  eompieuie/,  pas  :  w  eoiiipreuez  jamais, 
Madame!...  Au  j^rand  désert  de  voire  eapilale, 
I/hounne  seul,  voye/.-vous,  c'est  l'aiillipi»'  Tanlale; 
C'est  le  serpeni  coupé,  \i\ace  el  bondissani, 
hoill  elia<|Me  liduçoii  veiil'  pour>uil  >on  livre  ab>i'nl  ; 
C.'esl  riiomuie  enseveli  loiil  \i\aul  dan>^  la  londte 
(Jui  se  réveill<>  au  bruil  d»*  l.t  l<'i  ic  (|ui  tombe, 


216  LE    MYOSOTIS 

Et,,  hurlant  des  appels  que  le  ver  entend  seul. 

Se  débat  convulsif  dans  les  plis  du  linceul. 

Mais  au  bonheur,  après  celte  agonie  amère. 

Vous  m'avez  fait  renaître,  et  vous  êtes  ma  mère. 

Pour  me  guérir  enfin  du  coup  qui  m'étourdit. 

Il  ne  fallait  qu'un  mot  :  ce  mot,  vous  l'avez  dit. 

Et  tout  à  coup  voyez  comme  le  charme  opère  : 

«  Courage!  »  et  je  suis  fort  :  «  Espérance!  »  et  j'espère; 

Et  d'un  sommeil  fiévreux  je  me  réveille  sain. 

Honteux  de  ne  pouvoir  payer  le  médecin. 

Oh!  patience!  un  jour  j'acquitterai  ma  dette. 

J'ignore  quel  sera  mon  destin  de  poète  : 

Dois-je,  tendant  ma  coupe  à  l'Amour  échanson, 

De  l'écume  qui  tombe  arroser  la  chanson; 

Phalène  qui  tournoie  à  l'éclair  d'une  épée, 

ïrai-je  dans  le  sang  picorer  l'épopée, 

Cueillir  la  blanche  idylle  en  fleur  dans  le  hameau. 

Ou  du  saule  pleureur  effeuiller  un  rameau. 

Je  doute  encor;  mais  cette  moisson  de  gloire. 

Vous  l'aurez  fait  éclore,  et  j'ai  longue  mémoire. 

Et,  de  mon  frais  butin  parfumant  vos  genoux, 

«  Prenez,  dirai-je  alors  :  tout  cela,  c'est  à  vous!...  » 


I.E    MYUSUTIS  217 


SOYEZ     J5ÉNIE 


Je  soupirais,  triste  et  malade  : 

«  Que  sont  devenus  le  fuseau. 

Et  le  baiser  et  la  ballade 

Qui  ni'endurniaienl  dans  mou  bcivcau?)) 
Mes  [ileurs  coulaient...  lorscinuiic  iMnliaiileresse 
Me  dit  :  «  Ijifant,  verse-les  dans  mon  sein.  » 
Soyez  bénie,  ù  vous  dont  la  tendresse 

Donne  une  mère  à  rorpiielin! 

Je  réjtélais  :  u  Du  moins  (|ue  n'ai-jc 
Ton  liras  pour  i^iiide  cl  pour  appui, 
l'rèrc  '  (piCii  un  linceul  de  neii^'e 
I.e  vriil  (In  nord  itérée  aujourd'hui!...  »> 
Mais,  lonl  à  coup,  une  chaule  caresse 
Snr  mon  l'ioni  paie  cs^nya  le  cliaijiin  : 
Soyez,  hcnic,  ô  vous  (K»ul  la  Icndresse 
Donne  une  sieur  à  rori>licliu! 

1.  Sohl.(t  ilo  lu  gtaïuto  aniue,  inorl  eu  lUi6»ic. 

13 


218  LE    MYOSOTIS 

En  Vtun,  ardent  à  me  poursuivre,, 
Le  destin  flétrit  mes  beaux  jours; 
De  tous  les  bonheurs  je  m'enivre. 
Car  j'aime  de  tous  les  amours. 
L'astre  charmant  levé  sur  ma  jeunesse 
Promet  encor  d'échauffer  mon  déclin  : 
Soyez  bénie,  ô  vous  dont  la  tendresse 
Est  le  trésor  de  l'orphelin  î 


SUR 


LA  MORT  D'UNE  COUSINE  DE  SEPT  ANS 


Hélas!  si  j'avais  su^  lorsque  ma  voix  qui  prêche 
T'ennuyait  de  leçonS;,  que,  sur  toi,  rose  et  fraîche, 
Le  noir  oiseau  des  morts  planait  inaperçu; 
Une  la  fièvre  guettait  sa  proie,  et  (jue  la  porte 
Où  tu  jouais  hier  te  verrait  passer  morte..* 
Hélas!  si  j'avais  sul... 

Je  t'aurais  fait,  enfant,  l'existence  bien  douce; 
Sous  chacun  de  tes  pas  j'aurais  mis  de  la  mousse; 


LE    MYOSUTlii  219 

Tes  ris  auraient  sonné  chacun  de  les  instants; 
Et  j'aurais  fait  tenir  dans  ta  petite  vie 
Un  trésor  de  Ijonheur  immense...  à  faire  envie 
Aux  lieurcux  de  cent  ans  ! 

Loin  des  bancs  où  pâlit  l'enfance  prisonnière. 
Nous  aurions  fait  tous  deux  l'école  buissonnière 
Dans  les  bois  pleins  de  chants,  de  parfum  cl  il'amour; 
J'aurais  vidé  leurs  nids  pour  emplir  ta  corbeille; 
Et  je  t'aurais  donné  plus  de  lleurs  (ju'une  abeille 
N'en  peut  voir  (lan>  un  jour. 

Puis,  (pumd  le  vieux  Janvier,  les  épaules  draiiécs 
D'un  lon{4  manteau  de  ncific,  et  suivi  de  [>ou[tées. 
De  lua^ots,  de  piuilius,  luiuuit  Miuiiaul,  aecourl; 
Au  milieu  des  cadeaux  «pii  pleu\enl  pour  elreuue, 
Je  t'aurais  fait  asseoir  eoumie  luu'  jeune  reine 
Au  milieu  de  sa  cour. 

iM;ii>  je  ne  siivais  pus...  el  je  pièeliai>  eueoie; 
Sur  de  Idu  uNeiiir,  je  le  pressais  d'eelure, 
(Juaud  loul  à  eiiup,  pleuraul  lui  lou^  e^poii"  deMi. 
1U>  les  pelile>  uiaiii>^  je  \is  (tuidier  le  livre; 
lu  cessas  a  la  luis  de  lu'euleudrc  el  de  \i\iv... 
llclasi  si  iavai>  su! 


220  LE    MYOSOTIS 


L'ENFANT    MAUDIT 


CONTE 


A  mon  jeune  ami  Paul  B*** 

Autrefois  dans  Bagdad^  la  ville  des  merveilles^ 
Grandissait  Abdallah^  fils  du  cheik  El-Modi^ 

Que  les  derviches  et  les  vieilles^ 
Dont  ses  propos  moqueurs  échauffaient  les  oreilles. 
Nommaient  dans  leur  colère  Abdallah  le  Maudit. 

11  n'avait,  orphehn,  ni  mère  ni  sœur  tendre, 
Hélas  !  pour  l'enchaîner  doucement  au  devoir. 
Pour  payer  son  travail  par  les  baisers  du  soir. 
Ou  punir  sa  paresse  en  les  faisant  attendre. 
Une  mère,  une  sœur,  c'est  le  premier  des  biens  : 
Vous  le  savez,  enfants...  et  moi,  je  m'en  souviens! 

Passe  encor  s'il  n'eût  fait  qu'agacer  par  derrière 
Le  derviche  immobile  en  son  culte  fervent 
Et  lui  tirer  la  barbe,  ou  bourrer  de  poussière 


L  E    M  Y  0  s  0  T  1  s  221 

La  pipft  du  soldat  qui  dormait  on  pioin  voni  ; 

Mais  fiourmand  fit  voleur!...  oui,  j'ai  lu  dans  riiislnirc 

(Jn'il  aimait  un  pou  trop  la  figno  ot  lo  raisin 

Dn  voisin; 
Fécond  en  malins  tours,  il  y  mettait  sa  gloire, 

Et  cadis,  marchands,  bateleurs, 
Dit-on,  se  méfiaient  de  lui  les  jours  de  foire 

Plus  (pit;  des  Quarante  voleurs! 

Las  enfin  d'en  ftémir,  à  sa  folle  conduite 

l'u  viril  oni'le  l'aliaudoiiiia  ; 
IVAlxIallidi  if  .Maudit  (iiacun  se,  (It'tourua; 
Le  liruil  seul  de  ses  pas  iiictlail  les  jeux  tMi  Inilc 
Il  it'llécliit  alors  :  la  voix  ipTil  éloulTail, 

(]elte  eouipa^'ue  intéricuii' 

Qui  cliaulc  de  Joie  un  i|ni  [ilcurc, 

Suivant  (pi'ou  a  hini  mi  mal  l'ail, 
La  ronseit'iirc  en  lui  ;;rouila,  jut:»'  iiiiplaialtlc 

Alors  dans  le  ih-scil  un  saiiil  lioiiiiiit>  vivail 
IVaiunôuc  et  d'iMO,  jrayaut  «pic  Ir  roc  pour  rlicviM, 
Ll,  pli'iiic  de  pardons,  (piaud  sa  main  vi'Ut'ialilt' 

Les  rt'iiaudait  swv  un  coiipahli'. 
A  l'arrrl  iuspin''  toujours  Dieu  soiisciivail  : 

«  II  iu«'  panloiiiit'ra  sans  tloiili'. 


222  LE    MYOSOTIS 

S'il  pardonne  au  remords,  »  dit  l'enfant,  et  voilà 
An  milieu  du  désert  ses  petits  pieds  en  route  :  — 
Le  désert  est  bien  grand  !  Dieu  conduise  Abdallah  ! 

Le  désert  est  bien  grand,  et  presque  infranchissable  : 
C'est  un  champ  de  poussière  et  de  feu;  rien  n'y  croît, 
Ni  mûres  ni  bluets,  enfants,  et  l'on  n'y  voit 

Que  du  soleil  et  du  sable. 

Tantôt  d'un  rocher  caverneux, 
Aux  pieds  du  voyageur  égaré  dans  l'espace. 
Un  boa  sort,  fouettant  la  terre  de  ses  nœuds; 

Tantôt  c'est  un  lion  qui  passe, 
Calme  et  superbe,  avec  de  la  chair  vive  aux  dénis, 
Et  de  gros  yeux  pareils  à  des  charbons  ardents. 

A  travers  le  soleil  et  les  vents  et  l'orage. 
Notre  pénitent  va,  n'ayant  pour  tout  fardeau 
Qu'un  gâteau  de  maïs,  un  bâton  de  voyage, 
Et,  pendante  au  côté,  sa  gourde  pleine  d'eau. 

Mais  voilà  qu'au  désert  un  cri  mourant  l'implore  : 
C'était  un  pauvre  chien  qui,  sur  le  sable  ardent, 
Dévoré  par  la  soif,  hurlait  en  le  mordant. 
La  route  à  parcourir  était  bien  longue  encore; 
Sa  gourde  résonnait  à  moitié  vide  :  eh  bien  î 


LE    MYOSOTIS  223 

II  en  épuisa  l'oaii  dans  la  ^iionl(»  du  cImcu; 

VA  lo  clnen  bondissant,  tout  joycuv  de  rciiirilrc, 

Dit  par  une  caresse  :  «  Abdallali,  sois  mon  maître.  » 

Il  marche,  il  marclio  cncor,  puis  s'arrclo,  voyant 
Son  nouveau  compagnon  Iremltlcr  eu  alioyanl  : 
Un  serpent,  au  soleil  s(»  dr»^ssail  sur  sa  (jueue; 
Le  serpent-roi,  cclin  (pToii  appelle  Deviu; 
VA,  sous  les  mille  ('clairs  de  son  écaille  Itlcue, 
l'n  oiseau  fasciné  se  déliallail  eu  Viuii. 
Noire  héros  s'élance,  iuvoipie  le  Proplirjt», 
l!l,  loi!  i\r  sa  jiili»',  jorl  du  secouis  (li\iii. 
Frappe  à  coU|>s  redouMt's  le  iiioii'>lre  swv  ta  li'-le. 
I,e  Devin  se  loidil  sui'  le  sahle  et  sil'lla, 

IMiis  luoiu'ut  aux  pieds  d'Alidallali. 

I,e  vaiiupienr  dan>  sou  sein  mil  Toiseau,  sa  con(pièli», 

l'.l  le  haise,  eudoiini  snr  >-(»n  mol  oreiller, 

MoMcemeul.  doncenieiil.  de  peui"  de  IV'veiller. 

I.e  voilà  parvenu  devant  la  iiiolle  sainl(\ 

ladiu!...  et  snr  le  senil  il  lii'silc,  n'osant. 

laii  coupable  et  |ioiidien\,  luofatier  celle  iMiccinle; 

Mais,  ù  sm'pri^e!  aux  |iieds  A\\  vieillard  impit^anl, 

(Jnand  le  Mandil  conibait  la  t»"'le, 
\r  chien  (|ni  le  snivail  à  la  porte  ::ratta. 


224  LE    MYOSOTIS 

L'oiseau  battit  de  l'aile  au  réveil  et  chanta; 
Et  le  saint  comprit  tout,  car  il  était  prophète; 
Sur  le  front  du  pécheur  alors  il  étendit 

Ses  deux  mains  tremblantes,  et  dit  : 

«  Levez-Yous,  Abdallah  :  Dieu  pardonne  et  vous  aime 

En  paix  avec  le  ciel,  en  paix  avec  vous-même, 

Allez  :  vous  n'êtes  plus  Abdallah  le  Maudit. 

Pour  que  Dieu  le  bénisse,  un  enfant  doit  soumellre 

Ses  caprices  mutins  aux  volontés  d'un  maître; 

Il  doit  n'être  gourmand,  espiègle  ni  moqueur; 

Mais  sur  les  vertus  les  plus  hautes 
Ce  qui  l'emporte,  et  peut  racheter  bien  des  fautes, 
Ne  l'oubliez  jamais,  enfant  :  c'est  un  bon  cœur  !  » 


LES     SIGNES     DE     CROIX 

Là-bas,  là-bas,  dans  la  forêt  bretonne. 
Un  vieux  château  pend  au  flanc  d'un  rocher; 
Là  des  enfers  le  chœur  danse  et  détonne. 
Les  pèlerins  n'osent  en  approcher. 
Sur  h»  manoir 


L  E    M  Y  0  s  0  T  1  s  225 

Volent  on  corcln  noir 
Mille  oiseaux  de  malhonr... 
Hélas,  ma  bonne,  liélas,  (pie  j'ai  f:ran(r|)(Mirî 

D'nn  rlififelain  arborant  la  baniiirre, 
Satan  Irioniitlie  en  ce  séjour  de  inorl. 
La  jeune  Iseult  lanfinil  sa  prisonnière  : 
Tu  eéderas,  dit-il,  ou,  par  la  inoil...! 
Par  le  saint  nom 

Klle  a  jiné  cpie  non, 

il  l)(»ii(lil  de  foriMir... 
Hélas,  ma  Itoinic,  ln'las,  {\\\o  j'ai  ^'rand'pfnr! 

Fort  à  propos  nn  coi-  d'ivoire  sonne  : 
(l'est  Enj^nerraiid,  le  vaillaiil  paladin; 
Mais  en  cliaiiiii  clos  Salan  ne  craiiil  piM'sonne. 
I,a  llenr  d»'s  preux  va  pt'rir,  tpiaiid  Mtodaiii 
iscnll  lui  dit  : 

Sij^ne-toi,  le  iii:iudit 

Faiblira  de  terrein"... 
Hélas,  ma  bomic.  \u'\;\<,  que  j'ai  lirand'penr! 

Il  s'est  sif^né  trois  fois,  trois  rri^  d'alainif 
()\\\  l'iappc'  l'air,  et  Satan  s'est  l'ofiii. 
ht'  nos  cxpluils,  (lit  le  pit'iiv  ipTon  ili's.nnu'. 

«3. 


220  LE    MYOSOTIS 

Grâce  à  l'amour,  payons-nous  aujourd'hui. 
Il  dit,  mais  las! 
Le  héros  est  bien  las, 
La  vierge  est  dans  sa  fleur... 

Hélas,  ma  bonne,  hélas,  que  j'ai  grand'peur! 

* 

Il  traite  un  peu  sa  grand'dame  en  fillette. 
Puis  tout  à  coup  se  lève,  au  désespoir  : 
Du  diable  soit  le  noueur  d'aiguillette  ! 
Il  m'a  charmé  :  damoiselle,  au  revoir! 
Mais,  restant  coi, 
Iseult  dit  :  Signe -toi, 
Mon  doux  maitre  et  seigneur... 
Hélas,  ma  bonne,  hélas,  que  i'ai  grand'peur! 


A  cette  voix  dont  il  connaît  l'empire, 
Il  obéit,  se  signe,  et  fait  si  bien 
Que  douze  fois  la  colombe  soupire  : 
Honneur,  amour  au  chevalier  chrétien  ! 
Et  douze  fois 
L'écho  joyeux  des  bois 
Répète  :  amour,  honneur... 
Hélas,  ma  bonne,  hélas,  que  j'ai  grand'peur! 

Oui,  j'ai  grand'peur  que  ce  récit  n'éveille 


LE    MYOSOTIS  227 

V.n  rcilain  lion  dos  rogrols  superflus  : 
Si  ma  cliiiusoii,  Hoso,  vous  (^morvoillo, 
Si,  |ii'oiiaiit  ^'(imI  aux  ovploils  (U'>  rliis, 
Vous  vous  llallo/. 

De  les  voir  iuiilôs 

Pai-  moi,  piiiivro  [lôclicur, 
Ilf'las,  ma  bouuo,  lii'las,  (|ii(^  fai  firaud'pour! 


UN    QUAUT    D'IIKrUi:    l)i:    DKVOTION 

\'(ius  (Icmamlo/.,  ami<,  roimncnl  s'osi  ('cli-ippôo 
Dr  ma  pliiiiii'  pi'olanc  imo  >aiiil<'  t'pop(''o? 
Ilcoiiioz  :  l'àiiic  on  dcnil,  cl  la  lii>li'ssi>  mi  fmiil, 
In  soir,  jo  visilai  Sain! -I^limno  du  Monl. 


A  tcllo  licnit'  sai'ivo,  licuro  où  la  nnil  oonmiouco. 
Ou(>l(pios  raro>;  (  Ini'lions  pi'npItMil  sonl>  rondin*  immtMi^o 
r'osl  l'oidanl  à  la  Ixhh  lie  ciicoi'  Idanolio  de  l;iii, 
HiM  dans  SOS  doii^ls  vriinoils  (''::ivno  nn  oliiipt'ld. 
I'!l  scndilo  drmandor.  dan^  >a  IVaiflu'  |tiii"'H', 
lu  soinis  IValorm'l  iin\  clu-ndiiu^  df  piorr»': 


228  LE    MYOSOTIS 

La  pfile  mère  en  deuil,  devant  un  crucifix. 

Au  vainqueur  de  la  mort  redemandant  son  fils; 

Le  vieillard  qui  mourant,  de  ses  lourdes  sandales, 

Comme  pour  dire  :  ouvrez,  heurte  aux  funèbres  dalles, 

Et  prêt  à  s'endormir  de  son  dernier  sommeil. 

Aux  pieds  de  Jésus-Christ  s'étend  comme  au  soleil... 

Mais  plus  souvent,  hélas!  c'est  l'artiste  profane 

Contemplant  aux  piliers  l'acanthe  qui  se  fane. 

Admirant  des  couleurs  sur  la  toile  où  revit 

Le  fait  miraculeux  qu'un  siècle  expiré  vit, 

Époussetant  de  l'œil  chaque  peinture  usée, 

Et  du  seuil  à  la  nef  parcourant  un  musée. 

Au  milieu  des  autels  qui  s'écroulent  partout. 

L'autel  païen  des  arts  est  seul  resté  debout. 

Et  la  rougeur  au  front,  je  l'avoûrai  moi-même. 
Qui  suspens  à  la  croix  l'ex-voto  d'un  poëme, 
Dans  le  temple,  au  hasard,  j'aventurais  mes  pas 
Et  j'effleurais  l'autel  et  je  ne  priais  pas. 

Autrefois,  pour  prier,  mes  lèvres  enfantines 
D'elles-mêmes  s'ouvraient  aux  syllabes  latines. 
Et  j'allais  aux  grands  jours,  blanc  lévite  du  chœur, 
Répandre  devant  Dieu  ma  corbeille  et  mon  cœur. 
Mais  depuis,  au  courant  du  monde  et  de  ses  fêtes 


LE    MYOSOTIS  2*20 

Emporté,  j'ai  suivi  les  pas  des  faux  prophôlos. 

("omplicfi  dos  docteurs  ot  dos  pharisiens, 

J'ai  blasphémé  le  Christ,  persécuté  les  siens. 

Quand  l'émeute  aux  bras  nus,  pour  la  traîner  au  fleuve. 

Arrachant  une  croix  à  la  coupole  veuv(», 

Insultait,  blasphémail  Dieu  {disant  sur  le  sol, 

De  loin  sur  les  inaiilt'aux  je  veillais  connue  S;iul. 

Mais  (le  vagues  remords  assailli  de  bonne  heure  : 

Où  |uiiser,  ai- je  dit,  la  jtaix  intérieure? 

Où  inarclier  dans  l;i  iniit  sans  éloiles  aux  rieux. 

l'it  sans  ^uide  ici-bas?  Knfants  insoucieux. 

Les  uns,  poin*  ne  lien  voir  ih'<  lioinnies  ni  {h'<  clioses. 

Abaissent  sur  leur  front  leurs  couronnes  de  roses; 

D'autres,  eu  proclamant  l'idole  liberté. 

Sous  le  glaive  l(';_';d  toinbeid  avec  lierlé, 

l",l  jiroMietleul.  iMourauls,  de  leur  voix  falidit|ue. 

Au  Teulati's  moderne  uu  culte  druidi(|ue; 

Ou,  xiufnanl  la  terreur  sui-  rtliilise  et  Tlltat, 

Toiuieut,  biiiyanis  échos,  autour  de  l'apostat. 

Oui,  ili>ciple  du  C.brisl,  au  finnl  sanulant  du  maître 

Posa  le  bonnet  i'oui:e,  avec  ses  mains  de  |irèlre. 

Ooudueu  de  jeiuies  c(ruis  (|ue  le  doute  rouijea  î 

r.oudtieu  lie  jeunes  iVonIs  ipi'il  silloinu'  d('«jji  ! 

I.e  doute  aus>i  m'accable,  ludasl  et  j'y  succinubt»  : 

Mon  àme  fatiguée  e>^l  connue  la  coloudie 


230  LE    MYOSOTIS 

Sur  le  flot  du  désert  égarant  son  essor; 
Et  l'olivier  sauveur  ne  fleurit  pas  encor... 

Ces  mille  souvenirs  couraient  dans  ma  mémoire; 
Et  je  balbutiai  :  «  Seigneur,  faites-moi  eroire!  » 
Quand  soudain  sur  mon  front  passa  ce  vent  glacé 
Qui  sur  le  front  de  Job  autrefois  a  passé. 
Le  vent  d'hiver  pleura  sous  le  parvis  sonore, 
Et  soudain  je  sentis  que  je  gardais  encore 
Dans  le  fond  de  mon  cœur,  de  moi-même  ignoré. 
Un  peu  de  vieille  foi,  parfum  évaporé. 

Cependant  mon  genou,  fléchi  par  la  prière. 
Se  heurta  contre  un  livre  oublié  sur  la  pierre. 
Et  la  secrète  voix  qui  parle  aux  cœurs  élus 
Murmura  dans  le  mien  :  «  Prends,  et  Hs;  »  et  je  lus, 
Je  lus  avec  amour  ces  quatre  chants  sublimes. 
Dont  l'auteur  s'est  voilé  de  quatre  pseudonymes. 
Mais  où  sur  chaque  mot  le  poète  à  dessein 
Imprima  son  génie  à  défaut  de  son  seing. 
Page  de  vérité,  qu'à  sa  ligne  dernière. 
Le  Golgotha  tremblant  sabla  de  sa  poussière. 
Quand  je  me  relevai  plus  léger  de  remords. 
Comme  au  dedans  de  moi,  c'était  fête  au  dehors  : 
La  vitre  occidentale,  allumant  sa  rosace. 


1 


LE    MYOSOTIS  TW 

D'une  laiifiiio  dr  feu  m'illumina  la  kcc; 

Los  (Ipux  l»lan('s  cliônihiMs,  lovant  leur  IVonl  coiirlK', 

AvftC  pins  (lo  n^rvonr  priôrent  an  jnbé; 

Et  l'orgue,  s'éveillant  sous  un  doigt  invisible, 

D'im  long  et  iloux  murmure  emplit  la  nef  pai>il)le. 

El  je  versai  des  pleurs,  et  reconquis  à  Dieu, 

Au  tombeau  de  Racine  alors  je  fis  un  vœu. 

Ce  vœu,  je  l'accomplis  en  écrivant  ces  pages. 
I>es  temps  (étaient  |)assés  des  sainis  jirlerinages  • 
Je  ne  j)0uvais  aller,  cduibé  sous  le  bourdon, 
lîoii'e  au  Jourdain  caplir  le  céb'sle  pardon; 
Au  rivage  où  llcinit  la  parole  divine 
Ma  muse  ira  du  moins.  Pars,  muse  pèlerine, 
Conduite  à  nelldéem  par  Icloile  i\o<.  rois, 
Au  Ciloria  (\i'>  cieux  mêle  la  douée  voix; 

llalliinK»  l'àlre  éleiiil  de  Mai  II I  de  Marie; 

Consulte  le  voyant  an  puils  de  Sainarit'; 
)''!,  lidèle  au  i^ibel  de  loii   Dieu  luéconnu. 
Sous  le  sang  ii'deinplcur  pro>^lerne  Ion  IVonl  nu. 
Puis,  malgn''  iluerédide  e|  ses  bruils  de  risi-e, 
Delève  lièreinenl  la  lèle  baplisc'e. 

Dieu  bénira  mes  cbanis;  siu'  les  auli'N  ilivers 
rMiNi|irou  sème  des  Heurs,  on  peut  jeltT  d»'^  ver<. 


232  LE    MYOSOTIS 

Depuis  le  temps  antique,  où  vibrait  à  tes  fêtes 
La  harpe  de  David  et  des  anciens  prophètes,    ■ 
N'est-ce  pas,  ô  Seigneur,  un  encens  précieux 
Que  l'encens  du  poëte?  et  les  anges  des  cieux 
Ne  se  courbaient-ils  pas,  avides,  pour  entendre 
Jean  Racine  toucher  son  luth  pieux  et  tendre, 
Quand  il  eut  pour  le  cloître  abandonné  les  cours 
Et  dans  ton  amour  pur  éteint  tous  ses  amours? 
Et  puis,  mon  grain  d'encens,  qui  sait,  fera  peut-être 
Pétiller  l'urne  éteinte  entre  les  mains  du  prêtre. 

J'ai  dans  mes  souvenirs  un  fabliau  bien  vieux 
Dont,  au  bruit  de  la  mer  et  des  vents  pluvieux, 
Mon  aïeule  bretonne,  à  la  voix  sibylline. 
Berçait  pendant  la  nuit  mon  enfance  orpheline. 
Un  jour,  Dieu  sait  pourquoi,  l'élément  nourricier 
Qui  prodigue  la  vie  à  ce  limon  grossier. 
Le  feu,  manqua  dans  l'air;  la  nature  vivante 
Tressaillit  tout  à  coup  de  froid  et  d'épouvante. 
Les  oiseaux,  qu'un  vent  noir  chassait  en  tourbillons. 
Désertaient  effarés  les  bois  et  les  vallons. 
Plus  cruels  de  terreur,  dans  l'atmosphère  humide. 
Les  vautours  se  battaient;  Le  rossignol  timide- 
Dit  sa  chanson  de  mort,  et,  lorsqu'elle  finit. 
Se  cacha  résigné,  la  tête  dans  son  nid. 


LE    MYOSOTIS  l?:i'{ 

Tnligiié  d'un  long  vol,  l'oiseau  porto-tonnorro 

Reidia  sa  grande  aile  et  dormit  dans  son  aire. 

Seid  pour  sauver  le  monde  agonisaot  déjà, 

T.e  petit  roitelet  voltigea,  voltigea 

Jusqu'au  sommet  des  cieux;  mais,  couvert  d'étincelles, 

A  l'élémt^nt  conquis  il  se  brida  les  ailes, 

Et  dans  les  bois,  chantant  pour  le  bénir  eu  chœur, 

!>('  Promélhée  obscur  tomba  mort  et  vainqueur. 

Que  je  succombe  ou  non  à  l'œuvre  expiatoire, 
A  celui  (pii  m'insi)ire,  à  Pieu  lonamic  et  f/Zonr.' 
Quand  la  brise  du  soir  eu  i)assaul  à  tiavt'rs 
L'orgue  du  marécage,  aux  millf  tuyaux  verts. 
En  pouss(*  vers  le  ciel  une  plaiule  toucliaiile, 
Voyageur,  ne  dis  pas  :  «  (Iloire  au  roseau  qui  chaule!  » 
Mais,  le  loidaiit  aux  pieds,  dis  :  ((  (iloire  au  Hieii  \ivaul 
Qui  l'écoude  la  boue  et  qui  conuuaiide  au  veiil  !  » 


234  LE    MYOSOTIS 


LE    CHANT    DES    ANGES 


ROMANCE  1 


A  fêter  la  Vierge  suprême, 
Là-haut,  chaque  ange  est  invité; 
Et  mon  ange  gardien  kii-même 
Dès  l'aurore,  hélas  î  m'a  quil  té. 
Bel  ange,  à  la  reine  céleste 
Porte  Ion  bouquet,  moi,  je  reste, 
La  reine  de  mon  cœur  est  là, 
Et  pour  célébrer  ses  louanges. 
J'emprunte  le  refrain  des  anges . 
Ave  Maria,  ave  Maria. 

Je  lui  coûtai,  petit  encore. 
Petit  comme  l'enfant  Jésus, 


1.  Composée  pour  le  jeune  Paul  B***,  qui  Ta  mise  en  musique  et 
dédiée  à  sa  mèi'e,  qui  se  nomme  Marie,  le  jour  de  sa  fête. 


LE    MYOSOTIS  235 

Dm\  (les  alnrmos  qu'on  ignoro, 
Ri(Mi  (l«'s  ^ilciirs  (juc  DirMi  S(Mi1  a  mis. 
Chassant  Tinsocto  qui  bourilonno, 
Combien  de  fois,  douro  madone, 
Près  de  ma  couclie  elle  veilla  ! 
Aussi,  pour  clianter  ses  louanges. 
J'emprunte  le  refrain  des  anges  : 
Ave  Maria,  ave  Maria. 

Au  front  de  la  sainte  (pie  j'aime, 

i!('lasî  j'aurais  voulu  jioser 

Des  étoiles  pour  diadème... 

Je  n'y  peux  nicllic  (piun  baiser.  • 

Mais  espérance,  ù  ma  piiliunnc. 

J'ose  révei'  poui-  la  roiimniu* 

Quelques  lauiicrs...  el  jusque-là 

A  les  jiieiU  eliiinliuil  le<  louanges. 

Je  veux  l'ediic»  avec  le<  aiiiies  : 

Ave  Maria,  ave  Maria. 


236  LE    MYOSOTIS 


LA    SOEUR    DU    TASSE 


Pans  l'ombre  de  mon  cœur  mes  pins  fraîches  amours, 
Mes  amours  de  seize  ans  refleuriront  toujours. 

B  R  I  Z  E  U  X  . 


Oh  !  bien  avant  Mercœur,  la  Sapho  de  la  Loire, 
Le  poëte  a  servi  de  pâture  à  la  gloire, 
Sphinx  dévorant  qui  veille  aux  portes  de  Paris; 
Et  peut-être  (qui  sait?)  de  la  chambre  oià  j'écris 
Le  Tasse  un  jour  fat  l'hôte,  et  ma  table  de  hêtre 
Boiteuse  sous  son  coude  a  chancelé  peut-être. 
Assis  sur  fescabeau,  peut-être,  oi^i  je  m'assieds. 
Il  écoutait  Paris  bourdonner  à  ses  pieds. 
Et  pensif,  arrêtant  chaque  nue  au  passage, 
Pour  son  pays  lointain  la  chargeait  d'un  message. 
Il  ne  l'envoyait  pas  à  Ferrare,  où  pourtant 
Aux  genoux  d'une  Armide  il  dormit  un  instant; 
Non  :  sa  blessure  au  cœur  était  enfin  guérie; 
Non,  mais  il  soupirait  :  «  Loïsa,  sœur  chérie, 
Mes  premières  amours,  que  faites-vous  là-bas? 


LK    M  VU  S  UT  I S  237 

(Jnaiid  j(5  jette  au  Uesliii  le  j^aj^e  des  combats, 

Dame  de  ma  pensée,  au  Christ  d'un  oratoire 

Sans  doute  vos  soupirs  demandent  ma  victoire. 

Oli!  [>riez  :  veuf  de  vous,  mon  co'ur  n'a  point  vécu; 

Mais  je  ne  reviendrai  (pi'après  avoir  vaincu. 

Vous  sauriez  l)ien  encor,  généreuse  en  silence, 

De  votre  pauvreté  me  faire  une  o[»ulence; 

Mais  pour  dot  à  ma  sœin-  je  n'irai  plus  olTrir 

Mon  trésor  de  misère,  et  je  saurai  souIVrir. 

La  Poésie  aidant!...  pour  conduire  ma  plnme, 

Seid  llambcau  de  mes  imils,  (juaiid  Id'il  d'un  ciiiil  ï>'allmnc. 

Des  clid'urs  (r('>prils  lollcls,  puéliipies  sahlials, 

Viennent  llcurir  sons  moi  la  paille  iW>  firahats; 

Des  palmiers,  (\r>  drapeaux  IVissonneiil  vur  ma  joue  : 

Salul,  W\  OrienI  !  adieu,  Paiis  de  luiue! 

Clievalier.s,  ouvrez-moi  vos  ran{j;s  liosi»ilaliers; 

l^our  le  (llnisi  el  rimiuieur,  ((Huballons,  clievalieis...  ; 

Puis,  vient  l'Auitiur  Piolt'e  et  >es  métamorphoses  : 

llemmd,  l'honnnc  de  1er,  se  rouille  >ur  des  roses; 

Cloriutle  l'iulidèle  expire,  et  Sdii  amant 

llaptise  avec  ses  pleurs  ini  i'iunt  pâle  et  cliannant. 

Mais  l'Illusion  luit  1<>  jour  ipii  riutimide; 

11  brille,  et  tout  s'en  \a  :  les  pr«  u\,  (.lorinde,  Aiiuide, 

Les  arnu's,  les  drapeaux,  le^  pahnier>.  tout  enliu. 

Tout  :  il  lU'  ^e^^e  là  ipi'un  poète  el  la  l'aim  ! 


238  LE    MYOSOTIS 

Oli  !  Sorreiîte^  Sorrente  !  et^  sur  la  i)lage  verle^ 
Lue  blanche  villa  que  le  pampre  a  couverte; 
Un  banc  sous  l'oranger  d'où  tombe  la  fraîcheur, 
Et  là  nos  entretiens  si  doux  que  le  pêcheur 
S'écriait,  quand  le  son  en  frappait  son  oreille  : 
«  Longue  nuit,  longs  amours  aux  époux  de  la  veille  !  » 

La  Fièvre  n'osait  plus  s'asseoir  à  mon  chevet; 
Même  avant  la  douleur  le  remède  arrivait; 
Vous  jugiez  mes  travaux,  querelliez  ma  paresse; 
Et  toujours  sur  mon  front  pendait  une  caresse. 
Souvent  mon  cœur,  saisi  d'un  prophétique  émoi, 
Me  révélait  quelqu'un  debout  derrière  moi; 
Puis,  sur  mes  yeux  tombait  une  main  enfantine; 
Puis,  entre  deux  baisers,  on  me  disait  :  Devine  ! 
Je  devinais  toujours  :  des  parfums  inconnus 
Annonçaient  aux  païens  l'invisible  Vénus. 
Ainsi^  ({uand  un  nuage  à  mes  yeux  vous  dérobe. 
De  vos  cheveux  bouclés,  des  plis  de  votre  robe, 
Je  ne  sais  quel  parfum  d'une  exquise  douceur 
Se  répand  et  m'enivre,  et  vous  trahit,  ma  sœur  ! 

Aussi,  j'ai  bien  souvent  frémi  d'un  doute  étrange, 
Et  les  yeux  sur  vos  yeux  dit  .  «  Est-ce  pas  un  ange? 
M  P(3ndant  que  je  suivais  là-bas  un  paladin, 


LE     MÏUSUTIS  '16\) 

))  Lu  deuil  sur  la  luaisuii  Cbl-il  luiiibé  suiulaiii? 

))  Derrière  moi  sans  bruit  la  vieille  Alix  a-t-elle 

))  Dans  un  linceul  liirLil'  cuusu  ma  sœur  murtelle? 

»  El.^  puur  troniixT  mon  cœur,  cet  an^c  au  IVuiil  ^i  beau 

»  Daii^ua-lil  emprunter  un  nom  sur  un  lumbeau?  » 

Des  bienfaits  ijruilij^^jués  [tar  vulre  amuiu'  céleslc, 

Dût  cet  amour  s  éteindre,  un  souvenir  me  reste, 

El  ce  lon<^  souvenir  est  encore  un  bienfait; 

Oui,  ce  (|ue  vous  faisiez,  votre  inia{^(;  le  fait  : 

i'ar  le  méchant  ([ui  rèj^ne  et  le  sot  (jui  [iros[ièr('. 

Coudoyé,  si  je  pleure  et  si  je  ilésespère. 

Kilo  est  là  :  sou  souris  me  défend  de  i»leurer; 

Son  œil,  ardent  de  foi,  m'ordoime  d'espérer. 

Oli!  le  siècle  eidendra  les  cli;inl>  ([Uf  je  lui  livre; 

Il  naura  pas  ouvcil  nia  lombe  avant  mon  livre; 

Ce  livre,  }irucl;un;nit  Nuire  sninlc  iiniilit', 

hini  avriiir  cdntpiis  Nous  proniel  lu  moitié; 

1^1  «piiuid,  ^ur  nos  |ond)eau\,  relu  pur  des  Noi\  lendie^. 

Voix  de  so'urs  ou  d'.unaiih,  il  ivnnu'uiios  cenilre>; 

Nos  spetires  enlacés  vt»llij^eri>nt  près  il'eux; 

Nous  ne  ferons,  ma  sieur,  (pi'une  gloire  à  nous  deux! 

La  yloire!...  en  répélanl  «e  mol  vide  et  >onore, 
Il  souril  de  pilie;  pin>,  d'espérance  encore; 


240  LE    MYOSOTIS 

Il  s'endormit  rêvant  bonheur  et  gloire,  mais 

L'mie  arriva  bien  tard,  l'autre  ne  vint  jamais. 

Quand  il  revit  Sorrente,  et,  sur  la  plage  verte, 

La  villa  tant  aimée,  il  la  trouva  déserte. 

Au  vent  de  ses  destins,  alors  de  cour  en  cour, 

De  prison  en  prison  il  tomba;  puis,  un  jour, 

Le  pauvre  fou  sentit,  dans  la  ville  papale. 

Une  douche  de  fleurs  inonder  son  front  pfde. 

«  Pour  qui  donc  cette  pompe  et  ce  peuple  à  genoux?  » 

Disait-il,  et  chacun  lui  répondait  :  «  Pour  vous! 

Pour  vous  Rome  est  en  fête,  et  son  prince  en  étole 

Avec  les  saintes  clefs  ouvre  le  Capitole; 

Pour  vous  il  s'illumine,  et  ses  joyeux  échos 

Chantent  comme  ils  chantaient  sur  les  pas  des  héros; 

Car  vous  avez  tenté  des  conquêtes  plus  rares, 

0  poète,  et  comme  eux  triomphé  des  barbares; 

Car  d'un  laurier  rival  vous  êtes  possesseur  : 

Voyez...  »  —  «  Hélas!  dit-il,  je  ne  vois  pas  ma  sœur!  » 


LE    MYOSOTIS 


241 


LA  voulzip: 


E  L  K  C  I  K 


S'il  est  iiii  nom  Iticii  dniix  l'iiil  [Htiii'  la  |iut''sit". 
Oh!  dites,  n'cst-t'e  pas  \v  iiiuii  ili'  la  Vdiil/.ic? 
I.a  Voiilzic,  est-ce  un  lleiive  aux  i^iaiides  ilesV  .Non; 
Mais,  avec  un  iimiimire  aussi  doux  (|ue  sou  nom. 
Un  Imil  [letiL  ruisseau  (-(ndaul  vi>ilile  à  [leine; 
Vn  géant  altéré  le  boirait  d'iuie  haleine; 
Le  nain  \eit  OIm'imu,  jouant  au  hoid  Ao>-  l1ol>, 
Sautiirait  pai-dessus  sans  mouiller  >es  firelols. 
Mais  j'aime  la  NOul/ie  el  ses  Ihhs  noirs  de  imires, 
VA  dans  >ou  lit  de  lleurs  S(\s  bonds  el  >es  murnnue>. 
l'jdanl,  j"ai  bien  souvent,  à  Tondue  des  buiNM>u>, 
Dans  le  lani;ai:e  bum.iin  traduit  ees  vamie^  ^ons; 
l'.nivre  écolier  rèveui-,  el  (|u"on  dirait  sauxai^e, 
Unand  j\Mniellais  mon  pain  à  l'oiseau  du  rivaf^e, 
i.'ondc  sendijail  me  dir«'  :  u  l'lsi»cre  !  aux  mausais  jtuus 
Dieu  te  rendra  Ion  pain.  »  —  Dieu  lue  le  doit  toujours! 

I  i 


I 

242  LE    MYOSOTIS 

Celait  mon  Égérie,  et  l'oracle  prospère 

A  toutes  mes  douleurs  jetait  ce  mot  :  «  Espère! 

Espère  et  chante,  enfant  dont  le  berceau  trembla. 

Plus  de  frayeur  :  Camille  et  ta  mère  sont  là. 

Moi,  j'aurai  pour  tes  chants  de  longs  échos...  »  —  Chimère  ! 

Le  fossoyeur  m'a  pris  et  Camille  et  ma  mère. 

J'avais  bien  des  amis  ici-bas  quand  j'y  vins, 

Bluet  éclos  parmi  les  roses  de  Provins  : 

Du  sommeil  de  la  mort,  du  sommeil  que  j'envie,  m 

Pres(iue  tous  maintenant  dorment,  et,  dans  la  vie. 

Le  chemin  dont  l'épine  insulte  à  mes  lambeaux. 

Comme  une  voie  antique  est  bordé  de  tombeaux. 

Dans  le  pays  des  sourds  j'ai  promené  ma  lyre; 

J'ai  chanté  sans  échos,  et^  pris  d'un  noir  délire. 

J'ai  brisé  mon  lulh,  puis  de  l'ivoire  sacré 

J'ai  jeté  les  débris  au  vent...  et  j'ai  [deuré! 

Pourtant,  je  te  pardonne,  ô  ma  Voulzie!  et  méme^ 

Triste,  tant  j'ai  besoin  d'un  confident  qui  m'aime^ 

Me  parle  avec  douceur  et  me  trompe,  qu'avant 

De  clore  au  jour  mes  yeux  battus  d'un  si  long  vent^ 

Je  veux  faire  à  tes  bords  un  saint  i»èlerinage. 

Revoir  tous  les  buissons  si  cliers  à  mon  jeune  fige, 

Dormir  encore  au  bruit  de  tes  roseaux  chanteurs. 

Et  causer  d'avenir  avec  tes  flots  menteurs; 


LE    MYOSOTIS 


L'4:î 


LE    BAPTKME 

]o  iiK'ditiiis  iino  (Klt\  011  pis  poiil-rlro, 
Oiiiiiid  tout  à  ('(»ii|t  i-Tiind  hrnil  dans  1»^  qnarlitM' 
«  A  r«Milro-S()l  un  ^'invon  vient  de  nailre; 
»  Noire  |iorlière  aceonclie  d'un  |Muiier!...  » 
OrnanI  de  Heurs  ses  lau^'es  un  peu  sales, 
je  l'ai  vn  iieaii,  itean  e(tnnne  un  lils  de  mi. 
Pleurer  an  biuil  iU's  <d(>tiies  |)a|ilisniale<  : 
I)(»i's,  mon  eidanl,  rien  n'a  S(tnnt'  pour  loi. 

A  fou  haplèiue  un  emv  bon  apôli'e. 
nuel(|ues  voisins,  (piehpies  luoc^  de  vin  vieux. 
Cela  sullil  :  le  voilà  (dinnie  nn  anii-e 
Coltnifirr  (lu  Viii/itunir  Jes  riruA'. 
Convive  ailleurs  d'un  plus  friand  liaplT-nie, 
Si  (pielqne  saint,  firas  martyr  île  la  loi. 
r»('Miil  loni  II, ml.  piii<  murmun*  :  Anatlirmi>î 
Hors,  mon  enfant,  dors,  ee  n'est  pas  sur  loi. 


In  n'as  |ininl   \  ii  la  roiie  et  la  linanee 


244  LE   MYOSOTIS 

Crier  bravo  lorsque  tu  vagissais; 

Tu  n'as  point  eu,  comme  un  enfant  de  France, 

A  digérer  maint  discours  peu  français. 

Pour  premiers  bruits,  le  monde  à  ton  oreille 

N'a  point  jeté  des  paroles  sans  foi, 

Près  d'un  berceau  si  la  trahison  veille, 

Dors,  mon  enfant,  dors,  ce  n'est  pas  chez  toi. 

Dors,  fils  du  pauvre  :  on  dit  qu'il  est  une  heure 
Lente  à  passer  sur  les  fronts  criminels; 
Le  fils  du  riche  alors  s'éveille  et  pleure 
Au  bruit  que  font  les  remords  paternels. 
Lorsque  minuit  descend  plaintif  des  dômes, 
En  secouant  leur  linceul  et  l'effroi, 
On  dit  qu'au  Louvre  il  revient  des  fantômes  : 
Dors^  mon  enfant,  Dieu  seul  entre  chez  toi. 

A  l'hôpital,  sur  le  champ  de  bataille. 
Chair  à  scalpel,  chair  à  canon,  partout 
Tu  souffriras,  et  lorsque  sur  la  paille 
Tu  dormiras,  la  Faim  crira  ;  Debout! 
Tu  seras  peuple,  enfin;  mais  bon  courage  ! 
Souffrir,  gémir,  c'est  la  commune  loi. 
Sur  un  palais,  j'entends  gronder  l'orage  : 
Dors,  mon  enfant,  il  glissera  sur  toi. 


LE    MYOSOTIS  21o 


A    MON    AME 


Fuis,  Amo  blanclio,  un  corps  nialado  cl  nii  ; 
Fuis  en  chantant  vers  un  monde  inconnu! 

A  (lix-huil  ans,  je  n'«Miviais  pas,  certes! 
Le  froid  bandeau  (pii  presse  les  yeux  niitrls. 
Dans  les  grands  Ititis,  dans  les  canip.iizncs  vrrics, 
Je  me  plonfi;eais  avec  d(Mice  alors; 
Alors  les  vents,  le  soleil  cl  la  pluie, 
Faisaient  rèv(>r  mes  yeux  toujours  (tuverls; 
Pleurs  et  sueurs  depuis  les  oui  eoiiverls; 
Je  connais  trop  ce  monde...  et  je  m'emuiie; 

Fuis,  hww  Itlauejie,  un  corps  malade  et  lui; 
Fuis  eu  cli.uilaut  vers  le  monde  inconnu! 

ï-as  cl  ])oudreu\  d'une  route  oratreuse. 
Je  clianeeliiis  sur  un  salili-  llollanl  ; 
Hepose-loi,  pauvre  .une  vo\aL:eu^e; 
Fin»  oasis,  là-liaul,  sduvre  et  l'allend. 

U. 


240  LE    MYOSOTIS 

Le  ciel  qui  roule,  étoile,  sans  nuage, 
Parmi  des  lis  semble  des  flots  d'azur  : 
Pour  te  baigner  dans  un  lac  frais  et  pur, 
Jette  en  plongeant  tes  haillons  au  rivage  ! 

Fuis,  âme  blancbe,  un  corps  malade  et  nu; 
Fuis  en  chantant  vers  le  monde  inconnu! 

Fuis,  sans  pitié  pour  la  chair  fraternelle  : 
Chez  les  méchants  lorsque  je  m'égarais. 
Hier  encor  tu  secouais  ton  aile 
Dans  ta  prison  vivante...  et  tu  pleurais; 
Oiseau  captif,  tu  pleurais  ton  bocage; 
Mais  aujourd'hui,  par  la  fièvre  abattu, 
Je  vais  mourir,  et  tu  gémis!...  Crains-tu 
Le  coup  de  vent  qui  brisera  ta  cage? 

Fuis,  àme  blanche,  un  corps  malade  et  nu; 
Fuis  en  chantant  vers  le  monde  inconnu! 

Fuis  sans  trembler  :  veuf  d'une  sainte  amie, 

Quand  du  plaisir  j'ai  senti  le  besoin. 

De  mes  erreurs,  toi,  colombe  endormie. 

Tu  n'as  été  complice  ni  témoin. 

Ne  trouvant  pas  la  manne  qu'elh;  implore, 


LE    MYOSOTIS  247 

Mil  fniin  nionlil  la  poussière  (insensé!); 
Mills  loi,  mon  âmo,  à  Dion,  ton  fiMiicr, 
Tu  poux  demain  le  dire  vierj:,'e  encoie. 

Fuis,  âme  blandie,  un  corps  malade  cl  un  ; 
JMiJs  en  cliantant  vers  le  monde  inconnu! 

Tu  veilleras  sur  tes  sœurs  de  ce  monde, 

De  l'autre  monde  où  Dieu  nous  tend  les  hras; 

Quand  d<'S  enfaiils  à  trie  fraîciic  cl  iiloiidc 

Auprès  i]o>  iMorls  ioi'intiil,  lu  souriras  : 

Tu  souriras  lorsque  sur  ma  poussièn* 

lis  cueilleront  les  siiiuts  pavois  Ircinblanis, 

Tu  soiniias  l()rs(pravcc  mes  os  Mancs 

lis  ahallroul  les  noix  du  ciiuclicrc... 

l'nis,  âme  Itlmclif,  un  coi|k  nialinlc  cl  un; 
l'uis  CM  cliaulaiil  vers  le  inoiidr  inroiinn  ! 


248  LE    MYOSOTIS 


A    MES    CHANSONS 


Au  Val-Bénit  partez,  fils  de  ma  muse  ! 
A  peine  éclos,  c'est  là  qu'il  faut  aller; 
Parlez  sans  moi ,  vous  direz  pour  excuse  . 
((  Il  n'a  pas,  lui,  d'ailes  pour  s'envoler.  » 

Lisant  Rousseau  qu'aiment  tous  les  poètes , 
Là,  j'ai  coulé  peu  de  jours  bien  remplis; 
Mais  sans  remords  j'ai  quitté  mes  Gharmettes; 
L'air  en  est  pur,  ma  pervenche  est  un  lis. 

Oh  !  quel  bonheur  de  revêtir  la  brume 
Sur  le  coteau  comme  un  linceul  flottant, 
Et  de  chercher  à  l'horizon  qui  fume, 
Là-bas,  là-bas,  le  toit  qu'on  aime  tant; 

Et  de  poursuivre  aux  champs,  aux  bois,  sans  terme. 

Un  papillon,  un  rêve,  un  feu  follet. 

Sûr  de  trouver,  de  retour  à  la  ferme , 

Un  doux  accueil ,  du  pain  blanc  et  du  lait  ! 


LE    MYOSOTIS  249 

Avec  \o,  pàlro  au  ravin  j'allais  boiro. 
M'inspiranI  là,  {taiivre  et  gai,  j'y  vécus; 
Fontaine  aux  vers,  quel  conte  dérisoire 
T'a  fait  nommer  la  fontaine  aux  écus  ? 

Je  n'eus  jamais  ce  qu'a  la  boulangère; 
Mais  quand  l'amour  me  caressait  alors,' 
S'il  étreignait  une  bourse  légère, 
Il  sentait  battre  un  cœur  plein  d(»  trésurs. 

Trésors  perdus  !  la  semenc»^  diviin» 
Qik;  |'('lalais,  vanilcnv  possesscnu', 
S'est  cnvolt'e,  et  l'icn  n'a  piis  racine, 
VA  (•('|i('M(liiiil  jt'  lui  disais  :  Ma  Sd'Ui'. 

l'ii  IxMii  i.iiirici'  siii'  votre  froiil  d'ivoire 
Heiiiiiliieeia  la  rose  du  lunsson. 
Je  le  (lisids  el  iimn  ivve  de  gloire 
A,  comme  tout,  Uni  par  des  eliauMUis, 

Au  Val-Ht'iiil  iiarle/ ,  lils  de  ma  iniiS(<  ! 
A  pi'ini'  (mIos,  e'est  là  (pi'il  faiil  ;dler; 
Piii  le/,  saM^  Miiii  .   viiiis  diic/.  poui"  excuse  : 
«t  il  n'a  pas,  lui,  d'ailes  pitiU'  >*envoler.  » 


CONTES 


A  MA  SœUR 


CONTES 


I.K    (il   I     l)i:    cil  KM- 


1  11  jiuii',  lu  (l;ilt'  procisc  inï'(li;ni|n' ,  iiiiiis  (•"('liiit  tltMi\  .iii> 
l'iiviinii  ;i|in''S  lii  iiKirl  (riicrciili',  il  y  ;iv;iit  fjiiiiulf  roiilr  ri 
j:i;iii(l  hiiiil  à  hrlplics.  Ce  jour  élail  le  tlciiiirr  des  jen\ 
pNliiieiis,  el,  chose  iiioiiie  !  les  liilles  cl  ic>  ((HUm's  t'\|iii  ;iiriil 
Siiiis  sjiecliileiirs,  les  iillilèles  el  les  ((mIicis  lrioiii|i|i;iiciit 
ineoMliiis,  el  l'on  dil  iiiciiie  (|iic  1(>  jMM'Ie  Simoiiidc,  i|iii  cli.m- 
liiil  ulois  en  plein  veid  la  ;;loirc  de  je  ne  sais  (juel  elieval,  n'eut, 
ou  [)en  s'en  l'.iid,  (pie  son  Iii'tos  pour  audileur.  Mais  si  l'arèiie 
élail  vide,  en  revanclie  la  foule  déliord  lil  du  teuiplo  d'Apollon. 
In  nnti,  un  mol  uia^iipie  avait  siilli  pour  l'y  pn''eipiler  : 
Voici  les  llciaclidcs  1  ri  ce  mouNciiicnl  de  toiil  un  peuple 
souli  \v  par  un  iioiii,  \ou>  le  couipreudrc/,  sans  peine,  ma 
sieur  :  il  nesl  pas  nue  Kraui^'aise,  je  pcii>c.  tpii  ueiil  sacriliô 
tle   ?:raiid   iieur   une    lo^e   au   speclaile   pour   Noir  le  lil>  dc 


254  LE     GUI     DK     CHÊNE 

Napoléon  (ce  pâle  jeune  Iionnne  qui  s'est  laissé  voir  si  peu  de 
temps!)  Eh  bien!  Hercule  était  le  Napoléon  de  cette  époque, 
et  les  Héraclides  étaient  ses  fils.  Un  mois  auparavant,  Athènes 
les  avait  trouvés,  à  son  réveil,  détrônés,  persécutés,  sans  asile, 
et  embrassant  sur  la  place  publique  l'autel  de  la  Miséricorde. 
Leur  plainte  y  avait  remué  tous  les  cœurs  et  toutes  les  épées, 
et  la  ville  hospitalière,  armée  en  leur  faveur,  les  envoyait  en 
ce  moment  à  la  tète  d'une  théorie,  interroger,  suivant  T usage, 
l'oracle  de  Delphes  sur  l'issue  de  la  guerre.  Delphes,  connue 
vous  le  savez  sans  doute,  était  une  ville  sainte  et  pleine  de 
merveilles,  mais  tout  le  monde  traversait  alors  ces  merveilles 
avec  indifférence,  et  je  ferai  comme  lout  le  monde.  Je  ne  vous 
promènerai  pas  du  Parnasse  à  l'Hippodrome  et  de  l'Hippo- 
drome au  trépied,  bien  convaincu  que  vous  avez  fait  depuis 
longtemps  ce  pèlerinage  avec  le  jeune  Anacharsis,  cicérone 
plus  habile  que  moi;  et  d'ailleurs,  je  l'avouerai,  j'ai  hâte  aussi 
de  voir  ces  fameux  Héraclides. 

La  Grèce  entière,  à  leur  aspect,  n'éprouva  qu'un  senliment, 
l'admiration;  et  ce  senliment  éclata  par  une  exclamation 
unanime  et  bruyante  :  «  Dieux  innnortels  I  qu  ils  sont  grands 
et  forts!  » 

Un  vieillard  de  haute  taille,  qu'à  son  bâton  doré  et  à  son 
bandeau  de  laine  blanche  on  pouvait  reconnaître  pour  un  des 
vingt  rois  de  la  Grèce,  se  pencha  vers  l'oreille  d'un  prêtre 
d'Apollon,  qui  traversait  le  temple,  portant  une  cassolette  de 
parfums  : 

—  J'ai  connu  beaucoup  Hercule  et  Déjanire,  dit-il,  et  nC 
leur  savais  que  trois  fils.  Quelle  est  donc  cette  vierge  voilée^ 
assise  au  même  banc  (j[ue  les  Héraclides  ? 


—  Vous  ne  vous  trompez  })as,  mon  père  :  Hercule  n'eut 
({lie  liuis  enfants  de  Déjanin;;  mais  sa  dernière  épouse,  lolc... 

—  C'est  juste!  interrompit  le  vieillard,  se  frappant  le  front 
du  doif^t  (Ml  si}^ne  de  réminiscence  :  Philoctcte  m'a  viu^l  fuis 
raconté  ces  détails,  mais...  deux  siècles  en  londjani  sur  iiin' 
tèt(î  y  peuvent  bien  ébranler  la  mémoire...  Oui,  je  nu;  rappelle 
liarfaileuieuLà  celle  heure  (pTuue  lille  est  née  de  ce  mariap\.. 

—  \'\n\  lille  et  un  garçon,  mon  père,  prononça  nue  voix 
douce  derrière  le  vieux  roi.  Il  tourna  la  tète  et  vil  un  adoles- 
cent [làle  et  frêle  (pii  portait  le  costume  de  l'Ar^olid»'. 

—  L'ue  lille  et  un  garçon,  réi»éla  rinterruptein-  en  rougis- 
sant :  Ixus  et  iMacaria. 

VA  le  vieillard  sourit  :  —  Voyez,  dil-il  au  jirèlre  ;  ou  admire 
ma  science  à  l'ylos,  et  voilà  mainleuaul  (pi'Arj^os  m'eUNoie 
ses  écoliers  pour  nriu>lruire. 

—  Oui  vous  a  si  bien  appris,  et  couuueiit  vous  aiipe!e/.-\ous, 
niou  bel  eufaut? 

J\lais  l'adolesceul,  sans  répondre,  ;j;lissa  sous  une  i'are»e  de 
Nestor,  car  c'élail  lui,  cl  se  perdil  dans  la  ioide. 

I,a  mèuu'  louante  y  bourdounail  >.ins  variaules  :  u  Hieiix! 
(inils  sont  {grands  et  foris!  » 

l'!u  France,  ce  compliiueiil  vous  parait  sans  doiile  bien 
étrange  et  pres(pu'  iroiiiipie;  mais  songez,  (pie  \ous  èles  ici 
dans  un  pays  (pie  les  caprices  du  terrain  et  de  linubiliou 
découiiaieni  eu  nIu^I  pelils  i;i;ils,  dont  les  roitelets  lier>  et 
iiar^lU'UX  elaieul  >erres  les  mis  contre  les  autres  et  se  cou- 
«loyaienl  eu  f;rou(lant,  et  (mi  l'usaj^e,  counnuu  à  toute  l'anli- 
(piit('\  de  cond).itlre  homme  à  houuue  et  cor[>s  à  corps,  faisait 
de  la   force   physi(pu;  la  ^n\W  puissance,  je  dirai  pres(pie  la 


2o(i  LE    GUI    DE    CHÊNE 

seule  vei'lii.  Ou  augurait  alors  du  mérite  d'après  les  poiuj^s  et 
Uîs  épaules^  comme  on  le  cherche  à  présent  sur  le  front  et 
dans  les  yeux.  Enfin,  et  c'est  tout  dire.  Hercule,  la  personni- 
fication de  la  force,  Hercule  était  dieu  ! 

La  pythie  tardait  bien  à  paraître,  et  Ton  n'entendait  pour- 
tant aucun  murmure  d'impatience.  La  curiosité  publique  avait 
sa  pâture.  Hyllus,  l'aîné  des  Héraclides,  attirait  surtout  les 
regards.  C'était  un  guerrier  gigantesque,  aux  bras  musculeux 
et  nus,  à  la  grosse  face  insouciante,  et  qui,  une  peau  de  lion 
sur  les  épaules,  une  massue  à  la  main,  atVectait  les  poses  pa- 
ternelles :  on  eût  dit  Hercule  lui-même.  Hercule  à  vingt  ans. 
Anténor,  le  puîné  d'Hyllus,  avait  les  trails  plus  fins  et  la  taille 
plus  élancée.  Il  se  drapait  avec  complaisance  dans  sa  divinité 
luule  neuve,  soiu'iait  aux  jeunes  Grecques,  et,  les  narines 
gonlîées,  humait  avec  délices  les  parfums  de  l'admiration.  En 
un  mot,  le  divin  Anténor  était  ce  que  nous  autres  mortels  nous 
appelons  vulgairement  un  fat.  Quant  à  leur  frère  Égyste,  il 
n'avait  rien,  sauf  la  force  et  la  bravoure,  de  commun  avec  ses 
aînés.  C'était  à  cette  époque  et  dans  ce  pays  un  anachronisme 
vivant.  Chose  étrange  !  il  avait  les  cheveux  blonds,  et  sa  figure 
exprimait  la  mélancolie ,  sentiment  tout  moderne  et  tout 
chrétien.  11  revenait  des  combats  les  plus  terribles,  doux  et 
timide  à  la  maison  :  on  eût  dit,  sous  le  soleil  de  l'Attique,  un 
de  ces  blonds  guerriers  du  Nord  qui  terrassaient  des  géants  et 
des  monstres,  puis  courbaient  la  tête  sans  murmurer  sous  la 
baguette  d'une  petite  fée.  U  sendjlait,  en  regrettant  Argos, 
pleurer  quelque  chose  de  mieux  qu'un  trône.  OiJ  donc  s'en- 
volaient ses  soupirs?  au  foyer  d'un  ami?  au  tombeau  d'une 
mère?  Nul  ne  le  sait,  car  il  n'a  jamais  dit  son  secret  à  per- 


f 


LK     r,UT     DE     rHKNK  2:17 

soniio,  pas  nirinc  à  sa  jciiiic  sa-iir  Macaii;i,  la  ((tiiliili'iilc 
pourtant  dos  douleurs  de  tojito  la  famille  !  A  côlé  de  lui  iMacai  ia 
priait.  Pardonnez-moi,  ma  sœur,  d'avoir  si  longtemps  oïdilir- 
la  vicr^^e  poin*  les  héros.  N'est-ce  pas  sa  faute?  Voyez!  cachée 
à  l'ondjre  de  ses  frères,  elle  fait  tout  pour  (\\ù\u  l'onhlie  :  elle 
n'a  pas  encore  levé  son  voile,  et  ses  traits  vous  sont  inconnus; 
mais  vous  l'aimez  d'avance,  n'est-ce  pas  ?  car  vous  savez  déjà 
(pi'elle  est  pieuse  et  modeste. 

On  annonce  enlin  la  pylhie  :  toute  hrisi'-e  encore  de  ses 
dernières  convulsions  prophérupies ,  elle  se  traîne  lentement 
jns(|u"ini  Iréjiied ,  appuyée  sui' deux  prêtres  d'Apollon.  Voilà 
Ion!  à  coup  ipi'aii  fond  du  saiichiaiit'  une  porte  >'ouvrr  à  deuv 
hatlants,  cl  (|iriiiic  houHV'c  de  veut  s'en  précipite,  large  et 
soiioi'c,  l)id;iy;iiit  l;i  l'iinit'e  des  sacrifices,  et  secoiiiiiit  >iii'  l'as- 
seud)lée  cet  avis  sacramentel  prononcé  diuie  voix  lounaule  : 
Le  diul  voici  le  tJirii  !  Déjà  la  proj^n'le^se  diiu<  la  doideui- 
s'agite  sur  le  trépied,  cl  Ton  écoule,  r.e  riirenl  d'ahord  des 
sanglots,  puis  de>  ssllabes  plainlives,  iU'>  niol^  iusaisissahles. 
l-jilin  le  dieu  [wuia  : 

«  Minerve  oomliatlia!...  Sur  son  casqno  ilivin 
I)  Le  liibou  (lit  :  J'ai  soif,  et  so  ili'l'al  en  vain... 

»  Minerve  appelle  la  Victoire... 
»  I-a  Victoire  est  sa  siiMir,  et  no  la  fnit  jamais... 
•  J(<  i'eiitiMiils  :  elli'  arrive  ;\  grantl  lunil  d'ailos...  mais 
t.  l.e  liihon  (lit  :  J'ai  soif  ^  et  vont  ilu  san;;  à  boin\ 
u  Arpn.s  attend  ses  rois  potir  les  déiller  : 
M  Tremble,  Argos!  le  hibou,  dans  son  vol  homicide, 
»  'lonmo,  et  cherche  un  front  pnr  qu'il  faut  .<i,icrifler, 
»  Tourne,  tourne  et  s'abat...  Uiou  !  sur  un  llls  d'Alcide  !  • 

A    ccll(>   cpoipie    si    r.il.de   pour    les    llt'raclides ,   il  n'v  eul 


258  LE    GUI    DE    CHÊNE 

dans  le  temple  que  trois  hommes  qui  ne  frémirent  pas  :  les 
Héraclides. 

—  Désigne  la  victime  par  son  nom,  cria  Hyllus  à  la  pythie. 
Mais  elle  haletait  presque  mourante  sur  les  marches  du 

trépied. 

—  Le  dieu  a  été  bien  terrible,  et  une  seconde  épreuve  la 
tuerait,  dit  solennellement  le  chef  des  prêtres;  qu'un  des 
Héraclides  se  dévoue. 

—  Je  me  dévoue,  cria  dans  la  foule  une  douce  voix,  la 
mf-me  qui  tout  à  l'heure  avait  parlé  derrière  Nestor. 

—  Qui  es-tu,  et  comment  te  nommes-tu?  dit  le  prêtre  d'un 
ton  sévère. 

—  Je  suis  un  (ils  d'Hercule,  et  je  m'appelle  Ixus. 

Un  bourdonnement  de  surprise  accueillit  cette  réponse. 

—  S'il  dit  vrai,  il  est  bien  nommé,  murmura  une  voix 
railleuse. 

Vous  saurez,  ma  sœur,  qu'Ixus  est,  ou  peu  s'en  faut,  un 
mot  grec  qui  signifie  le  gui.  Les  parents  de  l'enfant,  à  sa 
naissance,  lui  avaient  sans  doute  jeté  ce  nom  dans  leur  dé- 
dain, et,  en  eflet,  cette  débile  créature,  entée  sur  une  aussi 
forte  race,  ressemblait  beaucoup  à  la  petite  plante  parasite 
qui  frissonne  au  vent  sur  les  grands  chênes. 

—  Nous  t'avions  défendu  de  nous  suivre  à  Delphes,  dit 
Anténor,  qui  s'avança  menaçant  vers  ïxus...  Mais  la  hlle 
d'Hercule,  immobile  dans  l'ombre  jusqu'alors,  s'élança  entre 
les  deux  frères,  saisit  la  main  du  plus  jeune,  et  l'entraîna 
hors  du  temple,  sourde  à  la  voix  d'Hyllus  qui  la  rappelait, 
sourde  à  l'admiration  qui  murmurait  sur  son  passage,  car 
dans  la  rapidité  de  sa  marche  son  voile  s'était  soulevé  de  lui- 


LE  on   DE  ni  î:ne  2:;o 

mr'mo,  Pl  Mararia  élail  licllc!  1m-1Ip  de»  IkmuIi'  cl  do  jiiràct»,  «'t 
Ix'llc  siiiloiil  (Ml  ('('  moiiiciil  de  celle  \\\\w  dans  les  yeux  et 
dans  la  voix.  (|iii  embellirait  la  laideur  nièiiie. 

De  retour  à  Alliènes,  où  le  inènie  char  ramena  loute  la 
famille,  les  trois  {guerriers  décidèrent  (ju'ils  tireraient  au  sort 
le  lendemain,  dans  le  temple  de  Minerve,  pour  savoir  leijuel 
d'entre  eux  devait  mourir.  Mais  (juand  le  pauvre;  Ixus  arriva, 
tout  joyeux  et  tonl  lier,  pour  glisser  son  nom  dans  l'urne  avec 
ses  frères,  ils  le  repoussèrent,  pensant  cpie  ce  sérail  insnller 
les  dieux  (jue  de  piV-seidei-  ainsi  au  j)e>liii,  souvent  moiiueur, 
roccasioii  (le  leiii-  jelei'  celle  (tlTraiide  uiaii^re  et  dérisoire. 
Ouaid  à  Macaria ,  ils  ne  soullVii'enl  pas  iiou  plus,  mais  jidur 
nue  raison  dilTérenle,  (pTclle  couiùt  avec  eux  une  chance  de 
morl.  VA\o  élait  liancée  à  Lycus,  un  iU'^  chefs  iidliu'uls  d'A- 
thèm's  (d'AthèiU's  (pii  s'armail  pour  eux),  et,  soit  politique, 
soit  reconnaissance,  ils  exij^èrcnl  (pie  les  préparatifs  du  ser- 
vice n'inlei'rompisseut  eu  rien  ceux  des  noces.  Aussi  Macaria 
Irouva-t-elle  au  retour  sa  chaudtre  loule  |»arfumée  des  pré- 
seuls  lie  l.ycus.  Mais  dans  un  pareil  niouieiil ,  s(S  peuxM's, 
(pii  d'avance  poilaienl  le  deuil  d'iui  fièie,  u'i'laieiil  pas  des 
pensées  (riiynieu;  et  pnuilaul  la  ::uiilande  nuptiale  ('lait  com- 
posée de  si  heauv  lis  (pie,  d'une  uiaiu  di>lraile  et  presipie 
iuvoloidaii'cment,  Macaria  la  posa  sur  son  fnud.  Mlle  enlendil 
eu  ce  uioiuenl  im  soupir  mal  éloulïé  derrière  elle  et  se  re- 
htuiiia...  ('('lait  l\u^,  Ixus  son  frère,  et  dont  elle  l'iait  la  mère 
autant  (pie  la  S(cui';  Ixun,  qu'elle  enlaçait  de  ses  soins  parce 
(pi'il  ('lail  soulVrant  et  dédaiiziK' ;  Ixus,  ipii  ne  pouvait  pas  faire 
ini  pas  dans  la  uiaiNon  sans  Iroiiver  Macaria  pour  lui  sourire. 
•'1  à   "pii  la  luaiNou  allait  semhler  hieu   vidi<  cl   bien  uraud»» 


260  LE    GUI    DE    CHÊNE 

lorsque  Ma<'aria  no  l'omplirail,  jiliis.  Il  rogai'daiL  los  lleurs 
symboliques  avec  des  yeux  brillants  de  larmes ,  ei  sa  figure 
alors  exprimait  une  telle  douleur  que  sa  sœur,  habituée  pour- 
tant depuis  douze  ans  à  le  voir  souffrir,  en  fut  épouvantée. 

—  Oh!  pauvre  enfant,  dit-elle,  pardonne-moi. 

—  Te  pardonner,  Macaria  !  quoi  donc  ?  tous  les  bonheurs 
que  tu  me  fais  ? 

—  Ne  me  remercie  plus  de  mes  soins  pour  toi  :  c'est  une 
dette,  c'est  une  expiation... 

Les  regards  ébahis  de  l'enfant  sollicitaient  le  mot  de  cette 
énigme. 

((  —  Écoute,  dit-elle,  il  y  a  quatre  ans  (tu  en  avais  huit 
alors,  et  moi  quatorze),  il  s'est  passé  dans  notre  famille  des 
clioses  merveilleuses  et  fatales  que  mon.  père  et  mes  frères 
ont  toujours  ignorées. 

»  Tu  te  souviens  de  cette  cabane  qu'ils  bâtirent  au  bord  de 
la  mer,  pour  se  dérober  à.  de  nombreux  et  puissants  persécu- 
teurs? Un  soir,  mon  père  et  mes  frères  étaient  à  la  chasse  : 
las  d'avoir  couru  tout  le  matin  p;ir  les  bois,  tu  venais  de  t'en- 
dormir  d'un  profond  sommeil,  bercé  par  le  bruit  monotone  de 
la  pluie  sur  la  cabane  .  la  nuit  était  tombée  depuis  longtemps, 
et  mon  père  et  mes  frères  ne  rentraient  pas  encore.  Enfin, 
j'entendis  heurter  à  la  porte,  et  j'ouvris,  croyant  leur  ouvrir. 
C'était  un  voyageur  qui  sollicitait,  pour  un  instant,  un  abri  et 
un  foyer.  Il  entra.  Assise  à  ton  chevet,  pendant  qu'il  faisait 
sécher  ses  habits  devant  l'àtre,  je  vis  avec  surprise  une  douce 
et  vague  lumière  courir  sur  ses  cheveux  blonds.  J'attribuai 
cela  d'abord  au  reflet  du  foyer;  mais  le  foyer  s'éteignit,  et  le 
front  du  voyageur  resta  lumineux.  Alors  je  reconnus  Apollon  ; 


LE    on     T)E    THÊNE  261 

Apollon  qui,  clinssn  «le  l'Olyinpp,  courait  (léiiuisé  par  1»» 
mondo  ,  mais  (pii  n'avait  pu  parvenir  ii  ('Icindir  tout  à  fait 
son  auréole. 

»  —  Grand  Dieu!  m'écriai-jo  on  joiirnanl  les  mains,  (pie 
voulez- vous  de  moi? 

»  —  Rion,  me  répondit-il,  rien  qu'un  abri;  mais  le  temps 
va  se  faire  beau  et  je  pars  :  reçois  cv  baiser  d'adieu. 

»  Alors  je  m'avançai  fremblanle  an-devant  de  mon  oiicN'  ; 
et  le  conduisant  par  la  main  vers  la  couche  où  tu  dormais  en- 
core :  —  Caressez  plutôt  ce  pauvre  eiilaiit,  lui  dis-jf,  car 
aucun  dieu  ne  le  caresse;  tondiez  ses  joues  pâles  poiu"  (ju'elles 
refleurissent,  et  sonflle/,  sur  ses  lèvres  pour  qu'elles  cliaiileiil. 

»  Le  (lien  sourit  à  ma  prière;  il  se  pruclia  siu*  lui  el  sdullla 
sur  la  bouciie;  mais  celte  haleine  ardente  j^lissant  jusqu'à  Ion 
cieur  Tenqdit  et  le  jj;onlla...  el  voilà  poiu'ipioi  ce  cirur  brrde 
et  [iali)ih'  toujours;  voilà  pourquoi  tu  lan;^uis  cl  lu  meurs, 
pauvre  enfant...  Kt  mainlen;uit  «pie  tu  sais  loul,  dis,  me  par- 
donnes-tu ?  » 

l\us  l'embiassa  :  c'éliiil  rt'inmilrc. 

«  —  Mil  bien!  prouve  It'-iiioi  doue  «mi  suivant  mes  «-(insciU. 
Imprudent!  par  «pie!  Iicuiriix  prodii.'i'  ire>-lu  pa<  moi!  de 
faim  el  de  soif  sur  le  loiij^  cluMuin  «l'Athi'MH's  à  Delplh's  ! 

—  Oh!  dit  l\us,  j'avais  l'ail,  de»;  h»  malin,  ma  «hanstin  de 
voya|4«\  O'iiiiid  je  v«)yais  sur  une  maison  la  fuun'e  d'un  bau- 
«puM  ,  je  frappais  à  la  porte  en  clianlaul  el  liiu  m'ouvrail 
l«Mijoms. 

—  Chauson  merviMlleust»  î  dit  Ma«'aria  «mï  souriant;  il  faut 
m«'  l'apinvndre,  l\us,  pour  (pit>  je  la  (hante  au^^^i.  mt»i  quand 
j'iiai  à  Delphes  ou  à  (>lympi«\  " 

i5. 


262  LR    GUT    DE    rilENE 

Ixds,  par  une  coquette  modestie,  commune,  à  ce  qu'il  pa- 
raît, aux  faiseurs  de  cliansons  de  toutes  les  époques,  se  lit 
prier  (juelque  temps,  puis  céda. 


CHANSON     D'IXUS 


Ouvrez!  je  suis  Ixiis,  le  pauvre  gui  de  chêne  qu'un  coup 
de  vent  ferait  mourir. 

Un  jour,  il  y  a  douze  ans,  un  pygmée  tomba  de  la  peau  de 
îion  d'Hercule  :  ce  pygmée,  c'était  moi.  Mon  père  ne  m'ai- 
mait pas,  parce  que  j'étais  faible  et  petit  ;  et  lorsque,  enfant, 
je  me  heurtais  à  ses  genoux,  j'entendais  sur  ma  tête  une  voix 
gronder  comme  l'orage.  Mes  frères  me  battent  quand  je  les 
appelle  tout  haut  mes  frères,  et  pourtant  je  veux  vivre,  car 
j'ai  une  sœur,  une  sœur  qui  m'aime...  Elle  est  si  bonne, 
Macaria! 

Ouvrez,  je  suis  Ixus,  le  pauvre  gui  de  chêne  qu'un  coup  de 
veni  ferait  mourir. 


II 


Mes  frères  m'ont  dit  un  jour  :  «  Sois  bon  à  quelque  chose; 
appivuds  à  élever  des  statues  et  des  autels,  car  nous  serons 


LR    n  ri    DR    CIIKNR  îll.'l 

(lionx  poiil-rlro.  »  El  j'ossayai  (r()l)fMr  à  nios  fivrps,  mais  le 
cisoaii  cl  le  niarlcaii  ('laicnl  bien  lourds!  El  itiiis  i\r>  vivions 
Plraugos  passaient,  passaient  sans  cesse  enirc  moi  cl  le  bloc 
(le  Paros;  cl  mon  (loijzt  distrait  écrivait  sm-  la  poussière  un 
nom,  toujours  le  mcine,  le  doux  nom  de  Macaria. 

Ouvrez!  je  suis  Ixiis,  1(^  panvie  gui  de  clicnc  (pi'nn  cou[t  de 
veni  lerait  mourir. 


ni 


Alors  mes  frcns  m'oid  dit  :  «  Nous  avons  pour  liôle  au 
palais  un  blanc  viciilaid  de  la  Clialdée,  (jui  sail  lire  dan^  le 
ciel  les  clioses  à  venir  :  écoute  ses  leçons,  et  dis-non<  >i  tu 
vois  dans  les  nues  venir  des  trésors  ou  des  victoires.  »  El  jai 
(écouté  le  vieillard ,  j'ai  itiissé  de  longues  nuils  sereines  à  re- 
garder le  ciel;  mais  je  n'ai  vu  ni  victoires  ni  trésors,  je  n'ai 
vu  (|ue  des  étoiles  bumides  cl  brillantes  (pu  me  reganlaient 
avec  amoui'...  connue  les  yeux  de  MaciU'ia. 

Ouvre/!  je  suis  Ixus,  le  |tauvre  gui  de  cbène  (puni  coup  d«> 
vent  l'eiiiii  mourir. 


IV 


Aloi's  mes  l'rèris  nTonl  dit  :  «  Prends  un  \\\v  et  «les  flèclies, 
et  va  cliass(»r  dans  les  bois.  »  Et  j'ai  couru  par  les  bois  avec 
un  arc  et  iU'<.  Ilèclies;  mais  j'oubliai  bientôt  la  cliasse  et  mes 
trères.  iV'udanl  (pie  j'écoulais   cbanler  les  vents  et  les  rossi- 


264  LE    GUI    DR    CHÊNE 

gnols,  une  biche  mangea  mon  pain  dans  ma  robe^  et  un  petit 
oiseau,  fatigué  d'un  long  yoI,  vint  s'endormir  dans  mon  car- 
quois. Je  l'ai  porté  à  Macaria. 

Ouvrez!  je  suis  Ixus,  le  pauvre  gui  de  chêne  qu'un  coup  de 
vent  ferait  mourir. 


Alors  mes  frères  m'ont  dit  :  «  Tu  n'es  bon  à  rien,  »  et  m'ont 
battu;  mais  je  n'ai  pas  pleuré,  parce  que  je  pensais  à  ma 
sœur.  Et  demain,  on  me  prendra  ma  sœur,  et  demain,  quand 
Macaria,  assise  au  banquet  nuptial,  dira  :  «  Quelle  est  donc 
cette  fumée  bleue  qui  monte  là-bas  derrière  ce  bois  de  lau- 
riers ?  —  Oh  !  ce  n'est  rien,  diront  les  convives. 

—  C'est  le  bûcher  d'Ixus,  le  pauvre  gui  de  chêne  qu'un 
coup  de  vent  a  fait  mourir. 

—  Non,  tu  vivras!  s'écria  la  jeune  fille  attendrie.  Je  t'abri- 
terai si  bien  dans  mon  cœur  que  toutes  les  tempêtes  passeront 
sans  que  le  moindre  souflle  t'en  arrive.  Lycus  est  heureux  et 
fêté,  lui,  et  les  vierges  d'Athènes  sont  nombreuses.  A  toi, 
seul  et  soutîrant,  toutes  mes  heures  et  tous  mes  amours  ! 
Pauvre  gui  de  chêne!  tu  pareras  mon  sein  mieux  que  le  bou- 
quet des  mariées.  Tiens,  mon  frère,  tiens,  mon  poète,  voilà  le 
prix  de  ta  chanson...  Et  arrachant  de  ses  cheveux  la  guirlande 
nuptiale,  elle  la  jeta,  trempée  de  larmes,  aux  pieds  d'Ixus. 
Ixus  voulut  répondre;  mais  foudroyé  d'émotions  imprévues,  le 
pauvre  enfant  eut  à  peine  la  foi'ce  d'une  exclamation.  «  Oh!  » 


LE    OUI     DE    CHÊNE  26.i 

fil-il  ;  ot  portant  la  inuiii  à  son  cdîur,  il  tomba.  I.a  fièvre  l'aj^ita 
toute  la  nuit,  et  toute  la  iniit  Maciuia  veilla  et  jilenra  près  de 
la  condie  de  son  frère. 

C'«!tait  le  lendemain  ipie  les  trois  Héracliiles  devaient  aller 
au  temple  interroger  sur  le  choix  de  la  vicliine.  Ils  se  présen- 
tèrent à  raiitcl  coinmo  au  coinl)at  :  intrépides  et  insouciants. 
Après  les  cérémonies  d'usage,  réi>étition  à  peu  près  exacte  de 
ce  (jue  nous  avons  vu  à  Delphes,  un  prêln;  de  Minerve  ballotta 
les  noms  dans  l'urne.  Un  enfant  s'approcha,  les  yeux  couverts 
d'un  baiidt'iui.  Sa  main  emcurait  déjà  les  bords  du  vase  sacré 
pour  en  sorlir  bientôt  avec  un  arrêt  de  mort...  (juand  loiil  à 
coup  une  voix  de  fcunne  relenlit  au  seuil  du  temple, 

—  Arrêtez!  voici  la  victime. 

C'était  I\Iacaria  (pii  s'avançait  lentement  vers  r;iulrl;  M.icaria 
pâle  et  parée,  (M,  balanraiil  sur  sou  be;ni  iVdiil  Is  baudi'lelles 
fuiièbics.  Ki^'vsle  s'élança  vei's  elle  :  —  \Oiis  ici,  ma  su-iir  ! 
vous  m'aviez,  piomis  de  rester  près  d'Ixiis! 

—  l\us!  (lit  elle  eu  ('loulViiut  un  s.iuulot,  uKtrl '...  VA  uiaiu- 
leuiMil  rien  ne  iirempèelie  de  mourir  pour  vous. 

lit  elle  [loursuivit  sa  marche  lenle  vers  l'aulel. 

La  foule  applaudit,  les  llt'rai'lides  s»»  rcsijiuèrcut.  A  celle 
épO(pie,  où  l'on  croyait  voir  la  main  des  dieux  derrière  toutes 
les  choses  extraordinaires,  ou  attribua  naturellcmenl  à  ime 
inspiration  un  dt'vonemeut  si  sublime.  Aussi  Mai'aria  s'a^e- 
nouilla-l  elle  sans  obstai'le  deviiut  raulel.  l'.lle  arrêta  d'un 
p'>le  le  fer  iiup.ilieul  du  sacrilicateur,  jiour  jeter  sou  derui»M- 
sourire  à  ses  frères;  puis  ferma  les  yeux,  eutr'ouvrit  le  voiK' 
(pii  couvrait  son  sein... 

VA  deux  miiuites  après,  son  corp<  p.alpitait  ^ur  l'autil. 


206  LE    GUI    DR    CHÊNE 

On  ne  fit  qu'un  bûcher  pour  Ixus  et,  Macaria.  Et  alors^  par 
un  prodige  ou  une  illusion  qui  se  répéta  plus  tard  au  supplice 
de  notre  Jeanne  Darc,  on  vit  ou  l'on  crut  voir  quelque  chose 
qui  s'élança  des  flammes  vers  la  nue^  avec  un  doux  bruit 
d'ailes. 

Ce  qui  contribua  sans  doute  à  propager  cette  tradition  tou- 
chante^ c'est  qu'après  la  victoire  des  Héraclides,  victoire  payée 
trop  cher  pour  que  les  dieux  la  leur  fissent  longtemps  attendre, 
les  habitants  de  Mycènes,  après  avoir  inauguré  en  triomphe  la 
statue  d'Hercule  au  bord  des  mers,  y  surprirent  un  jour  deux 
alcyons  dans  la  peau  du  lion  de  Némée. 

Fà  voilà  comment  passèrent  un  jour,  à  travers  un  siècle 
antique,  les  deux  plus  belles  choses  de  ce  monde  et  de  tous 
les  siècles  :  la  Poésie  et  la  Vertu  ! 


I.A     S  omis     lU.  AXCIIR 


Il  y  .'iviiil  uiio  [dis,  mn  sœur,  un  viliiin  loi  de  Frniitt^, 
lioimiK'  Louis  \l,  ri  un  ticnlil  (l;niii|iin,  i\\ùtu  ;i|i|M'l;iit  (Ji.nlol, 
eu  iillciiiliinl  (|u"il  s'iiii|ii'|;'il  Cliiuif'v  \  111.  1)  ni-ilin;iin\  le  vifiix 
l'oi,  sup(M'slili(Mi\  cl  in;iliiilt',  rt'ijniiil,  liriiilthiil  cl  sonlTr;iil, 
iiivisil)lc,  à  l'oiiibrc  des  rpaissos  iiun-aillcs  ih>  sou  cliàlciui  du 
Plossis-lc/,-Toui's.  .Mais,  vci's  le  milieu  de  j'aïuu'c  I  is.{,  il 
venait  de  se  IraiiUT  eu  pclerina^^e  à  Nuire-naine  de  (iléry, 
souleuu  par  Trislau  rileruiile,  son  boiUTeau,  Coietier,  son 
inédeeiii,  cl  l'iançois  Ar  Paule,  sou  ('oufe^i'ur;  car  il  avail 
;>'rand'p(MU-,  le  vieux  lyi;ni,  {U'>  liouiines,  de  la  uiori  cl  Ac 
nien.  l'ii  souvcuii'  de  saiiL',  cuire  luille,  celui  ilc  la  luori  de 
.lac(pics  d'Aïaua^uac,  duc  de  >('Uiour>,  louiiuciiliiil  <{\\\  au'ouie. 
(!e  i^raud  vassal  avail  jadis  payi'  de  sa  Icle  une  leulidive  de 
rébellion  conlre  sou  su/,eiaiu.  .lu^(pic-l,i  cT'Iail  jusiice;  mais 
le  cruel  vaiuipicur  avail  forci'  les  Irois  jeunes  enfaul^  ilu 
con(lamn(''  d'assisler  au  snppli«'e  de  Icm*  père,  el  dcpui< 
lon^jcmps  il  se  repeulail  devaul  Hicu  de  ce  luxe  de  \en- 
fjeance;  il  se  l'cpculiul.  dis-je.  el  pourlaut  il  ih'  s'amendait 
pas.  I*ar  luic  iucoiiMMpuMic»»  étranue,  mais  comnnme  ;\  bien 
de^  luccliiuils.  le  remords  clic/,  lui  uCl.iil  pas  la  pitié,  cl. 
dau^  le  momcul   mcme  m'i  il  plaçait  eu  Ircuddanl  sa  maiKuic 


208  LA    SOURIS     BLANCHE 

enli'o  lui  et,  le  fantôme  de  Nemours,  un  des  fils  innocents  du 
feu  duc  languissait  et  mourait  dans  un  cachot  du  Plessis-lez- 
Tours. 

C'était  une  demeure  terrible  et  mystérieuse  que  ce  château  : 
ses  vestibules  noirs  de  prêtres,  ses  cours  étincelantes  de 
soldats,  ses  chapelles  toujours  ardentes,  ses  pont-levis  tou- 
jours en  émoi,  lui  donnaient  le  double  aspect  d'une  citadelle 
et  d'un  couvent.  On  parlait  bas  et  l'on  marchait  sur  la  pointe 
du  pied  dans  ces  grandes  salles,  comme  dans  un  cimetière. 
Et,  eu  eiïet,  des  captifs,  par  centaines,  gémissaient  ensevelis 
dans  les  souterrains;  ceux-ci  pour  avoir  parlé  du  roi,  ceux-là 
pour  avoir  parlé  du  peuple,  les  autres  enfin,  et  c'était  le  plus 
grand  nombre,  pour  rien.  Chaque  dalle  du  château  pouvait 
être  regardée  comme  la  pierre  funèbre  d'un  vivant;  et  c'était 
là  que  grandissait,  oisif  avec  un  esprit  aventureux,  seul  avec 
une  âme  ardente,  le  dauphin  Charles,  alors  dans  sa  douzième 
année.  Pauvre  fils  de  roi  !  il  cherchait  en  vain  oii  reposer  ses 
yeux  des  horreurs  qui  l'entouraient.  Une  forêt  verte  et  fraîche 
ondoyait  au  pied  du  château;  mais  les  chênes  y  balançaient 
moins  de  glands  que  de  pendus.  La  Loire  serpentait  vive  et 
joyeuse  à  l'horizon;  mais  chaque  nuit  la  justice  du  roi  trou- 
blait et  ensanglantait  son  cours.  Aussi,  quand  il  avait  long- 
temps ébréché  son  épée  vierge  aux  murailles,  longtemps  épelé 
les  majuscules  rouges  et  bleues  du  Rosier  des  guerres  ou  du 
Saint  Évangile,  l'enfant  rêveur,  accoudé  à  sa  fenêtre,  passait 
le  temps  à  regarder  le  beau  ciel  de  Touraine  et  à  chercher 
dans  les  formes  changeantes  de  la  nue  des  armées  et  des 
batailles. 

Un  jour  pourtant  ses  gestes  et  sa  physionomie  trahissaient 


L.V    SOURIS    HLANCIiK  2C,\) 

lin  cmiiii  pins  vit  cl  do  moins  vngnos  piTorciipalinns.  \,  Ai- 
il<:lns  (le  midi  linlait  d«''jà,  et  son  ropas  du  matin,  cumiinsé, 
sur  sa  demande,  de  pâtisseries  léfîères  et  de  sucreries,  l'aiiarail 
vaiiK'ineiil  de  ses  parfums,  et  restait  inlad  sur  iiin'  |;di'r  (|iii' 
le  jeune  prince  frappait  du  poing  avec  impaliciice.  Il  >c  le\;iii 
par  inlervalles,  JM-aiit,  iialclant  d'espérance  et   (rinqnit-liidc, 
l'oicille  an  ;-'iicl,  cl  rcptHant  :  «  lîlanclietle,  HIanclictIc,  viens 
donc!  le  déjeuner  fond  au  soleil,  et  si  tu  tardes  encore,  les 
mouches  vont  mau'.'er  ta  part.  »  El,  comme  l'oiildieux  convive 
ne  répondait  pas  à  l'appel,  le  i)auvre  ampliylrion  nM-ommcncait 
à  se  dé'solcr  et  à  lié»  pi  fin  ci-  de  plus  liellc.  Tout  à  coup  un  lt''L:ei' 
lniiil   dans   la   la[tisseiie   le    lit    lic»aiirn';    il    tourna    la  lèjc, 
poussa  un  cri    et   rctoinlia  sin-  smi   fauteuil,   ivie  de  jdic,  cl 
iiiiiniiiiiaiit  avec  un  xmpir  :  «  'jiHn  1  »  N'ous  muiv  iin;i;:iii('/ 
sans  doiile,  ma  so-iir,  que  celle    illanclielte  lanl  désin'-e  l'Iait 
(piel(pic   iioltle   daine,  Mciir  on  confine  du  jrime  |irince;  d»'- 
ti'oinpez-voiis  :    r.lanclieltc   l'Iail  tout  simplement    un»'  petite 
souris  hlam'lie,  connue  son  nom  l'indique  ;  si   vive  (pi'on  eTil 
dit,  à  la  voir  trotlei'.  un  rayon  de  soleil  (pii  filisse;  el  >i  gen- 
tille, (pTcllc  eut  Iroiivt' L'ràce  en  tcuqis  de  guerre  devant  (iiip- 
pcminaiid,   llodill, nd  cl    H(tniinau'-rnl»is,  soudard^  peu  deli'  al», 
(•(Uiiine    voii^   savez.   C.liaile»   «-aressa   la  jolie   visii.  iisc.  il    la 
conlcniplii  liiiii^tciiqK  avec   di'licrs   piMidanI   ipi'clle  ::riun(>lail 
un  lii^ciiil  dans  sa  main:  puis,  se  souven.iiil  qu'il  devait  à  sa 
di^^uiti'  de  fjiDiiiJci  un  peu  :  .»  \||  çj,  mademoiselle,  dit-il  d'un 
Ion   plaiNanimcnl    i^iave,  urappreudre/-vou»  enlin   ce  que  je 
dois  peiisrr  d'une  pareille  conduite  ?  (louuuent!  on  vous  traite 
ici  coiniiie  une  duchesse:  j'ai  dcfeiiilii   ma   porte  à   Olivier  le 
haini .  don!  la  pliNsimiomie  cl   l  allure  .1.    .Iiii    \..iix  .IT.iinii- 


270  LA    SOURIS    BLANCHE 

client;  Bec-d'Or,  mon  beau  faucon^  en  est  mort  de  jalousie;  et 
tous  les  soirs  vous  me  quittez,  ingrate^  pour  courir  les  champs 
comme  une  souris  sans  aveu!  Et  où  allez-vous  de  la  sorte, 
sans  souci  de  vos  dangers  et  de  mes  in(|uiétudes?  Où  allez- 
vous?  répondez!  je  veux  le  savoir,  je  le  veux!  »  L'interro- 
gatoire était  pressant,  et  pourtant,  comme  vous  le  pensez 
bien,  la  pauvre  Blanchette  n'y  répondit  pas;  mais,  fixant  d'un 
air  triste  ses  petits  yeux  intelligents  sur  ceux  de  l'enfant 
grondeur,  elle  cliiiïonna  les  pages  d'un  Évangile  entr'ouvert 
sur  la  table,  et  arrêta  ses  pattes  roses  sur  ces  paroles  :  Visiter 
les  lyrisonnien.  Charles  demeura  surpris  et  confus,  comme  il 
advient  aux  présomptueux  qui  reçoivent  une  leçon  à  finslant 
même  où  ils  croyaient  en  donner  une;  car  plus  d'une  fois  il 
avait  entendu  raconter  des  choses  étranges  sur  les  habitants 
souterrains  du  Plessis-lez-Tours,  e"t  plus  d'une  fois  il  avait 
médité  un  pieux  pèlerinage  à  la  prison  de  ce  jeune  d'Armagnac 
dont  l'âge  et  la  naissance  excitaient  plus  particulièrement  sa 
curiosité  et  sa  sympathie;  mais  la  terreur  que  lui  inspirait 
sou  père  l'avait  retenu  jusqu'alors,  et  maintenant  il  se  repro- 
chait sa  prudence  comme  un  crime.  Dès  le  soir  même  il  résolut 
de  l'expier.  Quelques  minutes  après  le  couvre -feu,  il  s'esquiva 
de  sa  tourelle,  suivi  d'un  jeune  valet  chargé  d'une  corbeille 
qui  renfermait  du  pain,  du  vin  et  des  fruits,  et  descendit 
dans  une  des  cours  intérieures  du  chfiteau.  Une  compagnie  de 
la  garde  écossaise  y  rôdait  au  clair  de  lune  le  long  des  mu- 
railles. «  Qui  vive?  cria  une  voix  rauque  et  menaçante. 
—  Charles,  dauphin.  —  On  ne  passe  pas!  »  Mais  Charles 
s'approcha  de  l'officier  de  ronde,  et  lui  souffla  deux  mots  à 
l'orfulle.  ((  S'il  en  est  ainsi,  allez,  monseigneur!  dit  alors  le 


LA   sornis   n LANfiir.  271 

soldai,  visihlomoiil  (l('('oii('orU',  alh^zl  cl  (jin'  Hit'u  Vdus  pro!«';:o; 
car  si  vous  ôtos  (I('coiiv(mIj  j(^  suis  pcKlii.  »  Nolro  Ih'tos 
eniitloya,  pour  ('veiller  le  {zartlien  des  prisons  el.  lever  ses 
scrupules,  le  inriuo  moyeu  avec  le  même  succès,  rciil-rlic, 
ma  sœur,  êtos-vous  curieuse  de  couiiaUre  les  nia^i(iues  paroh-s 
qui,  dans  la  liouclie  d'un  enfant,  faisaient  baisser  les  éitées  et 
loniher  les  verrous;  les  voici  :  Le  roi  est  biiii  mahnJe.  (lliarles 
avait  foi  dans  celle  formule  dont  il  avait  souvent  éprouvt'  la 
loule  puissance  :  car  elle  rappelait  ;iux  fiens  du  vieux  Louis  \i, 
sold;ils,  coinlisans,  geôlier  ou  valets,  qu'une  bouderie  d'enfant 
pouvait  se  clianfier  tout  à  cou[i  eu  luic  bonne  el  silide  rancune 
de  l'oi. 

liC  daupliin  cl  je  pa{^e,  sous  la  coiuluile  du  i:côlier,  s'aven- 
linvicul,  non  sans  (piclipic  li(''>itati(>ii,  s(iii<  uni-  vnùtc  buniide 
<'l  sond»re,et  \o  Um'^  d'un  escalier  en  s|iiralc  dnni  cliaqiie 
mai'cli(»  ^'luanle  les  menaçait  d'un  l'au\  pa<.  Tons  Irois  mar- 
cliaieiit  à  la  lueur  précair(>  d'une  torche  de  résine,  tantôt  battue 
pai'  l'aile  aveugle  des  chauves-souris,  tantôt  ai.'onisaiil  stius  les 
{4outt<'s  d'eau  (pu»  suait  la  vitùle.  Ijilin  un  binit  vaf:ue  d'aboni, 
mais  plus  distinct  de  pas  en  pas,  un  bruit  de  plaintes  el  (!e 
soupirs  lem-  aininnça  je  Iciiih'  du  voNa::e.  i-e  izuidc  >"r'loiuna, 
cl  ('liarlcs  iccula  dhorrrur  dcNanl  le  s|i,'(laclc  qu'il  avait  <oUn 
les  yeux.  Ki;,'iMc/.-\(ins,  ma  S(cur,  une  caiie  de  ici"  >ccllee  dans 
le  mni\  ba<-e,  (''Iroile.  o\i  chaque  niouveuicnl  devait  elle  une 
douleur,  (tù  le  sonnucil  devait  être  un  cauchemar,  et  tlaiis  la- 
»|ue|le  gt'missait  el  ^«' tordait  un  cnriut!  Je  dis  c/</(nj/,  quoique 
le  dnc  de  NeiiKims,  l'hôte  de  cette  alTieusc  demeure,  altei- 
f^nit  hieulôt  sa  di\-seplième  aum''e;  mais,  à  le  v«>ir  si  };rèle  el 
si  pâle,  on  lui  eùl    sii|i|i(ise  dnu/e  ans  ;iii  plu<.  A  peine  dau< 


272  LA    SOURIS     BLANCHE 

l'adolescence,  il  avait  tant  soufler^  qu'il  émorvoillait  ses  bour- 
reaux par  sa  tenace  longévité,  et  que  le  geôlier,  dont  il  rece- 
vait la  crnclie  d'eau  et  le  pain  noir  quotidien,  hésitait  chaque 
jour  sur  le  seuil  du  cachot,  se  demandant  s'il  ne  vaudrait  pas 
mieux  envoyer  à  sa  place  le  fossoyeur.  Le  dauphin,  pour  abor- 
der le  prisonnier,  chercha  de  douces  paroles  et  ne  trouva  que 
des  larmes.  Nemours  comprit  ce  muet  salut,  et  y  répondit  par 
un  sourire  de  reconnaissance;  puis  tous  deux  causèrent  à  tra- 
vers les  barreaux.  Quand  l'un  déclina  timidement  sa  qualité 
de  lils  de  Louis  XI,  l'autre  ne  put  se  défendre  d'un  mouve- 
ment de  surprise  et  d'effroi  ;  mais  cette  fâcheuse  impression  ne 
tint  pas  longtemps  contre  la  parole  et  la  figure  si  franches  du 
dauphin.  Étranger  depuis  dix  ans  aux  choses  de  ce  monde,  le 
reclus  fit  d'abord  à  son  noble  visiteiir  de  naïves  questions  qui 
rappelaienf  celles  des  anachorètes  demandant  aux  rares  voya- 
geurs dans  le  désert  :  Bâtit-on  encore  des  villes?  célèbre-t-on 
encore  des  mariages?  lorsqu'une  circonstance  imprévue  donna 
un  tour  nouveau  et  plus  piquant  cà  la  conversation.  Un  tiers 
vint  se  jeter  étourdiment  entre  nos  vieux  amis  d'une  heure, 
et  ce  personnage  mal  appris,  j'ai  honte  de  l'avouer,  ma  sœur, 
n'était  autre  que  la  commensale  du  dauphin,  la  rivale  de  Bec- 
d'Or,  Blanchette,  puisqu'il  faut  l'appeler  par  son  nom;  pas- 
sant au  travers  des  grilles  à  la  faveur  de  sa  petite  taille,  elle 
escaladait  les  jambes  et  les  bras  enchaînés  de  Nemours,  et  pro- 
diguait au  prisonnier  des  caresses  toutes  semblables,  sinon 
plus  vives,  à  celles  que  le  prince  avait  obtenues  le  jour  même  : 
«  Tiens!  vous  connaissez  Blanchette?  dit  Charles  surpris  et 
piqu('.  —  Si  je  la  connais!  répondit  Nemours,  depuis  dix  ans 
c'est  ma  souris  à  moi,  c'est  mon  amie,  c'est  ma  sœur,  —  L'in- 


LA     SOL"  m  S     MLANCllK  273 

^ratf!  LT'  malin  encore  elle  partageait  au  cliàleau  les  biscuits 
de  mon  déjeuner.  —  Depuis  dix  ans,  monseigneur,  elle  \icnt 
dans  mon  cachot  partager  mon  pain  noir.  —  Jour  dr  DiruI  » 
murmura  le  jeune  princ»;...  Mais  sa  colère  enfantine  s'évanouit 
devant  un  sourire  malicieux  de  iNemours.  «  Je  crois,  nionsei- 
gneur,  dit  le  jeune  duc,  (|ue  vous  me  feriez  volontiers  l'Iiun- 
ninn-  de  rompre  une  lance  avec  moi  [)our  les  beaux  yeux  d'une 
souris.  Il  m'est  impossible  en  ce  moment  de  répondre  au  car- 
tel :  voyez...  »  \'A  il  soulevait  aux  yeux  de  son  rival  ses  bras 
(pii  pliaient  sous  les  cluiines.  Alors  s'éunil  un  (It'bal  original  et 
lonclianl  eniri  le  lil>  de  Louis  XI  el  le  |iriM.»unier  de  Louis  M, 
cliat  nu  d'eux  prétendant  surpasser  l'aulre  en  mallieiu';  Inu 
faisaid.  tourlier  à  son  adversaire  les  paiois  humides  et  les  bar- 
reaux épais  d(!  sa  [irison,  l'autre  peignani  ralmos[ilière  d'ennui 
et  la  chaîne  viv  iiile  de  courlisans  el  d'e^pinus  dont  le  poids 
l'étoulTail  ;  l'un  inoiihinil  son  corps  lorlin-t',  l'aulre  son  cienr 
sai};nanl,  el  Ions  deux  Irriniiiiinl  Icnr  plaidoyer  par  l.i  même 
coii«'ln>ion  :  u  Tu  viti>  bien,  >rnioni's, —  \om«^  mimv.  bien, 
m(in>ei;:nenr,  —  tpie  j'ai  besoin  de  Hlaiiebelle  pour  m'aider  à 
vivre  e|  à  souflrir.  »  Aprè^  une  di^cn^inn  lon^n  ■  el  sleiile.  ils 
linirenl  par  on  ils  ainaienl  dû  roiniUi  n»  i'i- :  il>  couNinieiil  de 
preuilre  l'ubjel  même  dn  debal  pour  arbitre.  «  Voyons,  made- 
iiKtiM  Ile ,  dil  le  (lanpliin  à  {{iaiiebelle ,  déclare/  franchemeul 
auquel  de  nous  deu\  \ous  de.sire/.  appai tenir.  »  l'.l  Hiudain 
vous  eus>ie/.  vu  la  petite  soinis  aller  de  l'un  à  I  aulre  aNcc  force 
genlilless«'S,  puis  sairèler  rnlie  eii\  m  les  reganlaut  lour  a 
lonr  avec  ,ves  petits  Neu\  brdl.int>  ipn  M-ndilaienl  tlne  :  .1  tous 
(/t'//.r,  nus  nif'unls! 

Ici,  ma   Mcnr,  j'epinnve   le   bevoin    (l'uii   a\eu  «pie  j'avais 


274  LA    SOURIS     BLANCHE 

ditleré  jusqu'à  présent  dans  l'intérêt  dramatique  tie  niun  récit. 
L'esprit^  le  bon  cœur  et  les  manières  de  Blancliette  vous  éton- 
nent sans  doute^  et  je  le  conçois;  car  moi-même^  qui  eus 
autrefois  mainte  occasion  d'étudier  de  près  le  }»euple  intéres- 
sant des  souris^  jamais^  je  l'avoue,  je  n'ai  rien  observé  de  sem- 
blable. Il  est  donc  urgent  de  'e  dire,  Blancbette  n'avait  d'une 
souris  qne  la  forme,  Blancbette  était  une  fée!  Les  liistoriens 
du  temps,  il  est  vrai,  n'ont  rien  dit  de  cette  métamorpliose; 
mais  je  puis  vous  en  garantir  l'autlienticilé,  et  de  plus  vous 
en  révéler  les  causes  secrètes,  sur  la  foi  de  certain  manuscrit 
gros  et  gras  de  science,  qui  m'est  écbu  pour  lot  dans  riiérilage 
de  ma  grand'tante.  Des  rats  bibUopbiles  en  ont  mangé  les  trois 
quarts,  les  vers  l'ont  illustré  de  broderies  à  jour,  et  ce  n'est 
pas  sans  peine,  je  vous  jure,  que  je  suis  parvenu  à  décliitlrer 
et  à  traduire  pour  vous,  de  la  langue  romane  en  français  mo- 
derne, le  cbapitre  suivant,  intitulé  ;  Comme  quoi  la  Fée  des 
Pleurs  fut  cJuunjée  en  blanche  sourctte. 

Un  jour,  jour  de  printemps  et  de  nouvelle  lune,  il  se  fit  un 
grand  mouvement  dans  le  royaume  des  fées.  Les  sylpbides 
s'éveillaient  avant  l'aurore  pour  se  parfumer  avec  la  poussière 
des  lis;  les  ondines  cbercbaient,  pour  se  mirer,  l'endroit  le 
plus  clair  de  leur  fontaine  ;  les  dames  des  bois  oubliaient  d  aga- 
cer et  d'égarer  les  voyageurs,  pour  se  couronner  de  violettes 
et  d'anémones;  car  toutes  étaient  conviées  à  une  grande  fête 
que  domiait  le  soir  même  la  reine  des  fées  à  son  peuple.  A 
1  beure  conveiuie,  comme  vous  le  pensez  bien,  ces  dames  arri- 
vèrent en  foule,  exactes  et  empressées,  cbacune  voyageant  à 
sa  manière,  Tune  dans  une  conque  de  sapliir  attelée  de  pa- 
pillons, l'autre  dans  une  feuille  de  rose  em[)ortée  par  le  vent; 


I 


•17: 


LA     SOI' 111  S     in.A.NCllK  j.iO 

•  riiiilrcs  ('iiliii,  et  (T  lui  le  jiliis  yrainl  ikhiiIhv^  ili('\;nirli;iiit  en 
CTuui»(',  ti)iil,  l)(tiiii(iiiciil ,  ((iiuiDc  (le.  simples  reines,  iivec  un 
clievjilier  de  la  'ral)le-J{oii(le.  L'nc  seule  luaiKiiiail  au  ivikIc/.- 
voiis.  Dès  le  malin,  riiiic  des  Miivanles  Ar  la  ifinc,  Aii^t'liiia, 
surnommée  la  Fcc  des  rieurs  à  cause  d»;  sa  iiilié  vij:ilanle 
ituur  toules  les  inlorlinieSj  était  sortie  i'm'livenn'iit  du  palais. 
I/oi';^ane  de  l'ouïe,  chez  (die  plus  délicat  encore  tpie  «liez  ce 
fameux  f^éant  Finc-Oreillr  (lui  entrndait  h'icr  le  hjô,  dit  l'Iiis- 
loiic,  lui  faisait  distinguer  de  loin  les  plus  timides  palpitations 
«les  cuMirs  soulTranls,  et  jamais  un  appel  de  celle  naluic  ne 
l'avail  iu>(pral<ir>  liunvt'»'  Miurde  ou  né<;li<;ente.  Or,  des  ciis 
plainlifs,  des  cris  d(  idanl  lavaieiil  éveillée  en  sursaut,  et  mhi- 
dain  (die  s'élail  diiigi'-r  vers  l'eiidioil  d'iu'i  venait  le  luuil  :  l<'> 
cheveux  au  \v\\\,  vrluc  d'une  rohe  llotlaute  oi"  et  a/nr,  tenant 
à  la  main  la  ha^uette  d'ivoire,  manpic  de  >a  jtuissance,  et  vol- 
ligeant  plut(>t  (pi'tdie  ne  marchait  >ur  la  pointe  des  |^a/.ons  et 
{W<,  Heurs.  I'!lle  avait  adopté'  celle  allure,  de  peur,  disait-elle 
à  ceux  «pii  s'en  ('lonnaicid  ,  iV'  UKHiilIcr  ses  hrodiMpiins  dan> 
la  i"o.>ée ,  m. lis  en  clVrl  parce  tpiidle  craii;nait  d  écraser  tui  de 
hiesseï'  par  UK-vardc  la  ci;:a!i'  ipii  clianlr  dans  le  sillon,  et  h' 
li'/ard  tpii  IVclilIc  au  Milcil;  car  elle  elail  >i  protli::u<'  d»'  N'iu^ 
cl  daniour,  la  hoinir  IVt  !  (pirllr  v\\  n'-pandait  ^ur  les  plus 
humilies  créalm'es  de  Uieii.  Apiè>>a\oir  inaiché  l(»n^tt'mp>  de 
la  Mirle,  elle  s'arréla  riiliu  devaiil  une  petite  cahaue  sur  la  li- 
.sière  d'une  ron''t.  Il  serait  inutile  de  vous  en  faire  la  descrip- 
tion, ma  Mi'Ui",  car  je  soupçonne  rml  (pie  viuin  avez  eu  ronnne 
moi  le  lioiilii  iir  d'y  l'aiie  plus  d'un  voyai^e  en  compagnie  de 
renchanteur  Peiranll.  Nnus  croyez  la  nMonnaitu' ,  et  vous  n«* 
voii.s  liompe/,  pas  :  celle  cahane  du  hùclieion  c^l  luen  celle  du 


276  LA    SU  U  lus    BLAiNGHE 

Petit  Poucet.  Ce  {^rand  personnage  historique  était  alors  bien 
jeune,  et  ne  préludait  pas  encore  au  rôle  important  qu'il  joua 
depuis  dans  le  monde.  C'était  lui,  c'étaient  ses  frèies  dont  les 
plaintes  avaient  éveillé  Angélina  :  leurs  parents,  occupés  au 
loin  dans  la  forêt,  y  avaient  passé  la  nuit  pour  être  prêts  au 
travail  dès  l'aurore,  et,  ne  les  voyant  pas  revenir  à  l'heure 
accoutumée,  la  jeune  famille  avait  eu  grand'peur. 

La  visite  de  la  fée,  que  ces  pauvres  enfants  connaissaient 
déjà,  ramena  pour  quelque  temps  la  paix  et  la  joie  dans  la  ca- 
bane. A  la  chute  du  jour,  Angélina  se  souvint  que  la  fête  allait 
commencer  et  voulut  partir;  mais  tous,  rendus  familiers  par 
■  sa  complaisance,  la  rappelaient  et  la  retenaient  à  l'envi,  qui 
par  un  pan  de  sa  robe,  qui  par  une  tresse  de  ses  cheveux,  qui 
par  le  bout  de  sa  baguette  magique;  et  la  boiuie  fée  résistait 
un  peu  d'abord,  puis  souriait  et  cédait.  Cependant  un  grillon, 
venu  on  ne  sait  comment  du  palais  des  fées  (lui-même  en  était 
une  peut-être),  se  mit  à  crier  dans  l'àtre  :  «  A  table,  Angélina! 
le  prince  Charmant  vient  d'arriver,  on  n'attend  plus  personne, 
et  le  banquet  solennel  commence  :  on  verra  figurer  au  dessert 
les  nèfles  et  les  noisettes  dont  le  prince  Myrtil  a  fait,  l'autre 
jour,  hommage  à  la  reine.  A  table',  à  table!  car,  de  mémoire 
de  grillon,  jamais  on  ne  vit  plus  beau  festin.  » 

Puis  voilà  qu'un  papillon  du  soir  vint  danser  autour  de  la 
lampe  en  répétant  :  «  Au  bal,  Angélina  !  la  salle  est  déjà  pleine 
d'harmonie  et  de  lumière,  j'ai  failli  tout  à  l'heure  m'y  brûler 
les  ailes  à  certaine  lampe  merveilleuse  qu'un  beau  jeune  homme 
vient  d'apporter  d'Arabie.  Au  bal!  au  bal!  car,  de  mémoire  de 
pbiilène,  jamais  on  ne  vit  plus  brillante  soirée.  » 

[il  Angélina  voulait  partir;  mais  les  enfants  la  retenaient 


LV    S  OU  lus    1JLANCH1-:  277 

avec  des  cris  et  des  pleui's.  a  Oliî  ne  nous  qiiillez  pas  encore, 
disaient-ils;  et  (jne  deviendrons-nous,  bon  Dieu!  seuls,  hi 
nuit,  (juitnd  la  lampe  s'éteindra,  (piand  le  loup  nionlreia 
ses  grands  yeux  à  travers  les  feules  de  la  porte,  et  (pn* 
nous  entendrons  dans  la  clairière  silller  les  vents  et  les 
voleurs.  » 

Kt  la  honue  I'im^  souriait  et  cédait  toujours  ;  mais  rnlin  l«'s 
esitrits  de  l'air,  Ironhlés,  lui  apporléirul  à  la  lialc  Irs  sous 
d'une  voix  loiiuaulc  :  a  Aiii^dina!  Angélina!  »  C'était  la  reine 
des  fées  (jui  l'appclail,  irritée  d'uur  >i  Inuf^ue  absence.  K|m(u- 
vantée,  Anj^élina  se  débarrassa  des  i)etites  maius  (pii  l'eurli.ii- 
naient  et  S(»rlit  vile.  Tidji  vile,  lit'las!  car,  dans  sou  Inuible, 
elle  oublia  sa  baguette,  dnul  le  plus  jeune  des  enfants  s'était 
fait,  sans  songer  à  mal,  un  bocliet  dans  S(»n  berceau.  Or,  V(iu> 
saurez,  ma  soMir,  qu'une  fée  tpii  [lerd  si  baguette  e>l  une  fée 
perdue.  I,a  pauvre  Angt'liiui  no  s'aperud  de  son  malbeur  tpia 
I  expjosinii  (le  niuiiuui'o  ipii  salua  son  reloui'  au  palais,  l'ar 
ce  fut  un  giaud  xaiidale  pour  toutes  les  |V'e>  ,  et  ime  uraiide 
joie  pour  les  \  ieilles,  eiicbaulees  il'luuuilier  euliu  uue  eoui- 
pauiie  doiil  lo  cliaiiues  cl  la  boule  laisaieiil  ressortir  leur  ma- 
lice el  leur  Liideur.  Ouel.pies  jiMUies  gens  aus>i,  primes,  sor- 
ciers et  encbaiiteurs,  dont  Augelina,  toute  bonne  (pi'eile  était, 
n'avait  pu  s'em|iè{|ier  de  railler  (juelipitd'ttis  la  sutlisanee, 
triompliaient  de  sa  coid'usiou.  uParole  d'Iiouneur,  répétait  au.\ 
eunes  fées  b'  prince  Mi/rlil,  (pii  n'était  pas  sorcier,  avec  ses 
grands  airs  de  \erlu,  uolie  Au;^eliua  u'e>l  ipTinu'  bégueule. 
Ali!  elle  a  penlu  sa  ba-uelle'.,.  I.li  bien!  ligure/,-vous.  nu»s- 
dauies ,  (jii'iin  jour  je  maxi-ai  de  louelier  à  (elle  baguette 
uiaudile.el  ipie  la  [M'iile  uiasipie  m'en  donna  >«ur  les  «loiyls  >i 

lli 


27S  LA    SOURIS    BLA.NCHE 

lorl^  si  furl,  (^110  je  fus  un  mois  sans  pouvoir  me  servir  d'un 
casse-noisette.  » 

Bref^  la  coupable  fut  traduite  devant  un  tribunal  i»rcsidé 
par  la  reine  et  composé  de  vieilles  fées,  dont  la  baguette^  de- 
venue béquille  ;  faisait  peur  aux  enfants,  qui  n'avaient  garde 
d'y  touclier.  La  bonne  Urgèle  essaya  vainement  quelques  ob- 
servations en  faveur  de  sa  jeune  amie  :  le  délit  était  llagrant 
et  la  loi  précise  ;  or,  cette  loi  portait  contre  la  condamnée  une 
peine  singulière  :  elle  devait  courir  le  monde  un  siècle  durant, 
sous  la  forme  d'un  animal  à  son  choix.  Angélina  fut  quelque 
temps  indécise  ;  rossignol,  elle  eût  chanté  sous  la  fenêtre  de 
la  jeune  iille  qui  veille  et  qui  travaille  au  chevet  de  sa  mère 
malade;  rouge-gorge,  elle  eût  donné  la  sépulture  sous  des 
feuilles  aux  enfants  égarés  et  morts  dans  les  bois;  chien 
d'aveugle,  elle  eût  présenté  l'aumônière  avec  une  grâce  ca- 
pable de  toucher  le  cœur  le  plus  dur  et  d'ouvrir  la  main  la 
plus  avare  ;  mais  le  privilège  exclusif  de  pénétrer  dans  les  gre- 
niers et  les  prisons  la  tentait  surtout  et  la  décida.  Et  voilà,  ma 
sœur,  comme  quoi  la  Fée  des  Fleurs  fut  changée  en  blanche 
sourette,  et  c'est  ainsi  qu'elle  se  promenait,  depuis  quatre- 
vingt-dix-neuf  ans  et  plus,  du  palais  à  la  prison  (deux  prisons, 
bien  souvent!)  et  de  douleur  en  douleur,  rongeant  sans  pitié 
tous  les  mauvais  livres  (on  n'en  voit  plus  de  ces  souris-là!)  et 
grignotant  parfois  des  arrêts  de  mort  jusque  dans  les  poches 
de  Tristan. 

Ce  digne  comi)ère  de  Louis  XI  ne  tarda  pas  à  revenir  au 
château,  et  son  maître  avec  lui,  et  avec  eux  la  déliance  et  la 
terreur.  Cependant  le  prince  n'en  continua  pas  moins  ses 
visites  au  i)risonnier.  Elles  devinrent  de  jour  en  jour  plus  Ion- 


LA    SOrRTS    TîLAXriIK  279 

f,Mios  oX  i»lns  fiéqiioiilcs,  et  iiir-mo,  c.o  qui  irpùt  pas  mnnqiU' 
(l'évc'illor  les  soupçons  (riin  (Mifant  moins  caiidido  rpio  le  daii- 
])liin  Cliarles,  le  geôlier,  qui  jusqu'alors  n'avait  été  qu'à  regret 
cl.  (pTen  tremblant  complice  de  ces  entrevues,  semblait  main- 
tenant les  encourager  et  les  provoquer  par  sa  comi)laisance. 
Un  soir,  ils  causaient  comme  à  l'ordinaire,  Charles  accoudé  sur 
la  parlie  saillante  du  guichet,  et  IManchelle  Iroltanl  de  l'iui  à 
l'înitre  el  leiu'  distribuant  ses  caresses  avec  une  édilianlc  im- 
partialité, f.a  conversation,  longtemps  vagabonde,  tomba  entin 
et  s'arivla  sur  les  jtrojels  de  Charles  pour  son  règne  futur. 
«  Voyons,  (joe  ferez-vous  (piand  vous  serez  mi?  dit  gaiemtMit 
le  prisomiit'i',  qui,  plus  vieux  (rannées  et  surtout  de  malheurs, 
avait  dims  la  conversation  une  supériorité  manpiée  sur  son 
jeinie  anii.  —  licllc  (leniaiidf  !  jr  IViiii  la  ::ui'rre.  —  Nemours 
sourit  Irisicmcnl.  —  Oui,  pouisui\il  le  dauphin  en  se  frappant 
le  IVoul  de  l'index,  depuis  Inu^lemps  j'ai  mou  projet  là.  D'abord 
j'iiai  eouipiérir  l'ilalie  :  l'Italie,  vois-tu,  Nemours,  c'est  un 
pays  merveilleux,  où  les  nu-s  sont  pleinc^s  de  nmsique,  les 
buissons  couverts  d'oranges,  et  où  il  y  a  autant  d'églises  que 
de  maisons,  le  ;,'arderai  l'Italie  pour  moi:  puis  j'irai  pp'udre 
en  passant  (ioiislautiiiople  pour  mou  ami  André  l'al('olo::ue  ; 
et  enliu,  avec  l'aide  de  Dieu,  je  compte  bien  délivrer  le  Saiiil- 
Sépidere. 

—  Kt  après?  dit  malignement  le  jeune  due,  —  Paine? 
a|)rès...  après...  après...  répéta  l'ignorant  daiqdiin,  (luelijue 
peu  embarrassé,  j'aurai  le  temps  iteut-ètre  de  eonquèler  en- 
core d'autres  royaumes,  s'il  y  eu  a.  —  l'.t  le  soin  de  vt>tre 
^loir(»  vous  fera-t-il  négliger  voire  pt»uple?  ne  lerez-vons  rien 
pom'  lui,  mouseiiineur?  —  Si  vraiment!  et  d'abord,  avant  tb' 


280  LA    SOURIS    BLANCHE 

parlir^  je  (luiiiierai  Olivier  et  ïrislan  au  diable,  s'il  en  veut; 
je  supprimerai  les  bourreaux.  » 

Et  comme  Blanchette,  à  ces  mots,  frétillait  plus  joyeuse  et 
plus  caressante  que  jamais  :  «  Je  ferai,  poursuivit-il  gaiement, 
quelque  chose  aussi  pour  toi.,  Blanchette  :  je  supprimerai  les 
chats.  » 

Tous  deux  éclatèrent  de  rire  à  cette  saillie  ;  mais  leur  accès 
de  pétulante  gaieté  n'eut  que  la  durée  d'un  éclair.  Us  s'arrê- 
tèrent tout  à  coup,  et  se  regardèrent  avec  épouvante;  car  il 
leur  avait  semblé  que  d'autres  éclats  de  rire ,  trop  différents 
des  leurs  pour  en  être  un  écho,  retentissaient  à  côté  d'eux 
dans  l'ombre...  Ils  finirent  néanmoins  par  se  rassurer. 

«  Espérance  et  courage  !  »  dit  alors  le  dauphin  au  jeune 
duc  en  lui  tendant  la  main  en  signe  d'adieu.  Le  pauvre  captif 
se  souleva  pour  saisir  et  presser  cette  main  consolante;  mais 
ses  membres,  engourdis  par  une  longue  torture,  servirent 
mal  son  pieux  désir.  Il  poussa  un  cri  de  douleur,  et  retomba 
sur  son  escabeau  :  «  Mon  Dieu!  quand  donc  serai-je  roi?  » 
ne  put  s'empêcher  de  dire  le  jeune  prince  ému  jusqu'aux 
larmes. 

—  Bientôt!  Dieu  le  veuille!  dit  Nemours.  —  Jamais,  répliqua 
un  troisième  interlocuteur,  jusqu'alors  invisible.  Et  Louis  XI 
parut,  puis  Tristan,  puis  Coictier,  et  quelques  autres  familiers 
du  vieux  roi.  A  la  lueur  d'une  lanterne  qu'un  d'eux  avait  tenue 
jusqu'alors  cachée  sous  son  manteau,  le  dauphin  put  voir  le 
terrible  vieillard  s'avancer  à  pas  lents,  comme  un  spectre,  en 
murmurant  ces  mois,  entrecoupés  par  une  toux  opiniâtre: 
«  Ah  !  galant  damoiseau,  tu  fais  de  mon  vivant  les  doux  yeux 
à  ma  couronne!...  Ah  !  fils  pieux  et  prévoyant,  tu  songes 


LA    SOURIS    BLANC  HE  *28l 

(l'avanco  à  mes  fum'iailles!...  Misi'niljlcî  Idii  ôikh*!  »>  In  m-crs 
(le  toux,  plus  violent  que  les  autres,  riiiterromiiit.  (.liarles  ne 
fit  aucune  résistance;  seulement  il  repoussa,  par  un  geste  d'in- 
dignation, Tristan  qui  s'avançait  pour  le  désarmer,  et  remit  de 
lui-même  son  épée  à  l'un  des  gentilsliommes  présents.  Hientôf, 
sur  nu  sifiii(>  du  roi,  il  disparut- entraîné  par  {U'>  gardes. 
Louis  \l,  avant  de  (|iiitt(M'  le  si»ut(>rrain,  jela  un  r(';.ard  plein 
d«;  Jiaine  sur  la  cage  de  sa  victime,  puis,  se  penchant  vers  son 
compère  Tristan,  lui  glissa  queljues  mois  dans  l'oreille. 

«  J'entends,  répondit  le  boinreau;  il  faut  en  finir:  conq)tez 
sur  moi;  dès  ce  soir  à  minuit...  »  VA,  complélani  par  la  pan- 
tomime le  sens  d'une  phrase  déjà  trop  claire,  il  frappait  s;i 
main  gauche  du  revers  de  la  droite.  Puis  le  cortège  s'éloigna, 
cl,  au  niiheu  du  bruit  (!('(  loissaiil  i\v>  pas,  Nemours  jiul  dis- 
tinguer longtemps  encore  la  V(ti\  du  despote  moribond  qui 
toussait,  grondait  et  crachait  des  arrêts  de  moi  t  avec  ses  der- 
nières dents. 

Pauvre  Nemours!  ce  doux  rayon  du  ciel  «pi'on  nomme  l'espé- 
rance n'avait  donc  glissé  dans  son  cachot  tjue  pour  lui  en  faire 
paraîlreensuite  l'obscuritc'  plus  profonde.  «Avoir  sei/.e  ans.pen- 
sail-il,  un  livre  comme  le  dauphin  (Iharles,  une  sieur  comme 
nianchette,  et  mourir  !  »  Kl,  dans  chaipie  son  vague  et  lointain 
lie  la  grosse  horloge  du  château  ipii  lui  mesnrail  s»s  dernières 
heures,  il  iToyait  distinguer  ces  mots  :  Mourir,  il  faut  mourir! 

l'Ji  elVet ,  le  long  escalier  en  spirale,  qui  eondiii.sait  au 
souterrain,  retentit  bientôt  smis  des  pas  précipités,  lu  ruban 
de  lumière,  échappé  .sans  doute  à  la  lanterne  des  bourreaux, 
lapissa  le  .seuil  de  la  porte.  Alors  le  cond.unné.  sentant  bien 
<pie  son  heure  était  venue,  mit  i)recipitanum  nf  à  terre  lasimris- 

Hi. 


282  LA    SOURIS    BLANCHE 

fée.  qu'il  tenait  pressée  sur  son  cœur.  «  Adieu,  ma  sourelte, 
dit-il,  sauve-toi  vite^,  et  cache-toi  bien  :  ils  te  tueraient  aussi.  » 
Cependant  le  bruit  redoubla  par  degrés,  le  ruban  de  lumière 
s'élargit,  la  porte  roula  sur  ses  gonds;  et  alors,  croyant  voir 
déjà  se  dessiner  gigantesque  sur  le  mur  la  silhouette  de  Tristan, 
Nemours  joignit  les  mains,  ferma  les  yeux,  recommanda  pour 
la  dernière  fois  son  âme  à  Dieu,  et  attendit...  Il  n'attendit  pas 
longtemps. 

«  Duc  de  Nemours,  dit  une  voix  douce  et  bien  connue, 
vous  êtes  libre.  »  Le  captif  tressaillit  à  ces  mots,  hasarda  ti- 
midement un  regard  autour  de  lui,  et  crut  rêver  :  Charles 
était  là,  non  plus  timide,  contraint,  abattu  comme  la  veille, 
mais  calme,  grave,  parlant  et  marchant  en  maître,  déjà  mûri 
et  grandi  par  une  heure  de  royauté.  De  nobles  dames  l'entou- 
raient, contemplant  le  jeune  prisonnier  dans  sa  cage,  avec  des 
sourires  et  des  pleurs;  puis  les  gentilshommes  qui,  devant  cet 
outrage  à  l'enfance ,  chose  sacrée  pour  la  chevalerie ,  tour- 
mentaient de  la  main,  par  un  mouvement  convulsif  d'indi- 
guation,  le  pommeau  de  leur  épée;  et  enfin,  des  varlets,  des 
pages,  dos  écuyers  en  foule,  portant  des  flambeaux,  et  agi- 
tant aux  cris  de  :  Vive  le  roi  !  leurs  loques  de  velours  em- 
panachées. 

«  Oui,  poursuivit  Charles  Vlll,  le  ciel,  depuis  une  heure, 
m'a  fait  orphelin  et  roi.  Nemours,  pardonnez  à  mon  père,  et 
priez  Dieu  pour  son  âme.  »  Puis,  se  tournant  vers  sa  suite  : 
«  Qu'on  abatte  cette  cage  à  l'instant,  et  qu'on  en  jette  les 
débris  à  la  Loire;  car  il  n'en  doit  rester  ni  vestige  ni  sou- 
venir. )) 

Les  ouvriers,  mandés  d'avance,  se  mirent  à  l'œuvre  avec 


LA    SOriUS    T5  LA  NT  II  F, 


^2.^:^ 


ardeur;  luiiis,  ô  sur[ii'iso!  la  lime  s'élondail  aux  harroaiix  sans 
y  inonli'e,  cl,  la  [licrrc  dans  latjiiclle  ils  élaient  scclKs,  iiK-- 
liiaidahlc ,  ne  répondait  aux  cmuts  de  marlcaii  (jiic  ji.ir  un 
lirnil,  sonni  cl  mrxiiicnr. 

«  Siro,  dit  un  vieux  moine  en  liocliani  la  Irle,  Ions  les 
elToi'ls  Iniinaiiis  seraieni,  ini|inissants  à  cxceuler  vos  ordres; 
car,  ajonla-t-il  en  nionlranl  la  cn^o,  ceci  n'est  pas  œuvre  hu- 
maine. J'ai  ouï  dire  qu'un  lîoliémien,  sorcier  comme  ils  le 
sont,  fous,  l)àlit  celle  cai:e  juitrefois,  afin  de  se  racheter  de  la 
potence.  Il  l'aiidiail.  poiu"  la  renverser  aujourd'hui,  la  ha- 
^uelle  d'une  IV'c  (mais  il  n'existe  plus  j^'uère  de  fi't's  (|ut'  je 
sache),  ou  bien  enrorc  |;i  m;nn  inrcniid»'  (|U!  l'a  construile; 
mais  depuis  lon;.;!('nips  le  i'dlM'uiicn  a  disp.iiii, 

—  (Ju'on  (•Imm'cIic  cet  iKiminc  ri  (pi'on  r;nn.''ne  ,  dit  le  \n\. 
A  (pii  le  dt'couviira  honneurs  et  larj^cssesî  un  diamant  de  ma 
roinomie  s'il  est  noble  ;  son  pesant  d'or  si  c'est  un  vilain  !  » 
VA  d'un  {^este  il  conjiédia  son  brillant  corttV'c, 

Les  deux  amis,  dememvs  seuls,  saut"  (pudipies  paires  (pii 
veillaient  sur  (Uix  à  distance,  se  re^'ardi'rent  silencieux,  l'm» 
inipiii'ludr  Icnible,  cl  (pTils  n'osaient  se  commnuitpicr,  t';us;nt 
batli'c  b'urs  comus  à  l'unisson  :  «  Si  l'ouvrier  m.iuiiiuc  cl. ni 
lUHil,  pcu^aicul  ils,  si  |;i  c;!;^!'  cnclianlt'c  ne  s'ouvrait  plu<!  » 
VA  ils  pIcnraiiMil  ;  et.  rhoNC  (''t^au^»'!  IMauchetle,  pour  la  pn*- 
mière  l'ois,  semblait  m^  pas  s'émouvoir  de  leiu's  larmes,  (l'esj 
(pi'uue  préoccupation  bien  vive  (  t  bien  nalmelle  j'aiiitail  alors. 
Vous  vous  rappelé/,,  ma  sicur,  que  la  nK'tamtMpliose  expiatoire 
devait  durer  cent  ans.  Oi\  il  y  avait,  au  moment  où  nous  jtar- 
lons,  !M)  ans  ."{il'i  joiu's  '2'.\  hennis  et  il!»  miniiles  qu'AnpMina 
('lait  devenui'  Hiam  bette.  l.'lioili>i:e  ibi  ries.si/.-|e/,-Tours  s'é- 


2.^4  LA    SOURIS    BLANCHE 

branla  pour  sonner  une  heure.  Et  voilà  qu'aussitôt  le  sombre 
et  fétide  souterrain  s'emplit  de  parfums  et  de  lumière^  la  cage 
de  fer  s'émut  d'un  bloc  comme  un  décor  théâtral  de  nos  join-s^ 
et  s'abîma...  Dieu  sait  où...  sans  doute  dans  l'enfer  qui  avait 
inspiré  l'architecte  inconnu.  Les  orphelins  épouvantés  crurent 
que  la  foudre  venait  d'éclater  dans  la  prison.  «  Blanchette, 
Blanchette,  où  es-tu?  s'écrièrent-ils,  tremblant  pour  l'exis- 
tence de  leur  sœur  adoplive.  —  Me  voici,  mes  enfants,  ré- 
pondit une  voix  douce  au-dessus  de  leurs  têtes.  »  Alors,  levant 
les  yeux,  ils  aperçurent,  ébahis,  Angélina  dans  son  costume 
de  fée,  debout  sur  le  piédestal  d'un  nuage,  et  tenant  à  la  main 
sa  baguette  reconquise.  «  N'ayez  pas  peur,  enfants,  poursui- 
vit'elle  :  c'est  moi  que  vous  appeliez  Blanchette;  mes  com- 
pagnes m'appellent  la  Fée  des  Pleurs...  Les  vôtres  viennent 
de  tarir,  et  ma  mission  près  de  vous  est  accomplie...  Adieu!  » 

Le  petit  duc  et  le  petit  roi,  comme  jadis  les  enfants  du  bû- 
cheron, répétaient  enjoignant  les  mains  :  «  Bonne  petite  fée! 
ne  nous  abandonnez  pas  encore!  —  Il  le  faut,  répliqua-t-elle 
d'un  air  grave:  vous  n'avez  plus  besoin  de  consolations,  vous, 
et  l'on  en  réclame  ailleurs.  J'entends  près  d'ici  une  petite  men- 
diante dont  les  sanglots  m'appellent,  et  j'y  cours...  Adieu, 
sire;  adieu,  monseigneur.  » 

Elle  dit,  et  disparut  dans  un  éclair. 


LES    PETITS    SOULIERS 


I>o  r»  janvier  177(1,  joui-  de  ri^piphanio,  il  so  passa  sur 
]o  ^'aiilanl  (rairiri'c  du  viiisstMii  IVaiiçais  Ir  lîcroîi  imc  iiclilc 
scène  assez  piijiiante  |)()iir  iiK-rilcr  (pi'(ni  la  raconic.  Tous  les 
officiers  que  le  service  de  I  «Mjnipai^e  ne  nclainait  pas  aillenrs 
se  promenaient,  cansant  et  fninantsnr  le  pont,  lorsipi'ini  jennc 
aspirant  de  marine,  montant  l'escalier  cpii  condnisait  à  la 
cliand)r('  (\\i  ca|)ilaine,  |)arnt  et  s'écria  :  (lliapcan  bas,  mes- 
sieurs! voici  la  reine!... 

Et  cependani ,  Marie-Antoinette  n'avait  pas  (piillé  Ver- 
sailles; à  r.iide  d'Asinodc'e  ou  de  la  st'conde  vur  des  moiita- 
lafziiiirds  d'Ecosse,  on  l'aurail  pu  voii- en  ce  niuneul  ,  dans 
un  coin  du  cliàlean,  à  l'aliri  di-  rt'li(pielli' ,  son  eiuiemic  in- 
linic,  jouer  la  coun'die  eu  ramille  ,  recevant  sa  rt'plitpie  du 
eoiule  (TArlois,  cl  ayant  pour  sdiillleur  le  comte  de  Provence, 
tous  ihMix  ses  heanx-frères.  VMo  remi)lissait  le  rôle  itrinci|ial 
dans  /('  Jh'vin  ilii  VilhKir,  et  chantait  : 

J'ai  jxMiln  mon  soivitiMir. 

J'ai  |>(*ri{ii  tout  iiioii  iKuilionr... 

paioles  (pi'cjle  eul  depuis  roi'ca>itin  de  n'-pcter  hieu  îles  luis 


2.Sfi  LES    PETITS    SOULIERS 

sans  chanter!  cette  pauvre  reine  qui  est  déjà  tombée  dans 
l'histoire,  et  qui  tombera  bientôt  dans  le  drame,  aussi  poéti- 
que, aussi  belle  et  plus  pure  que  Marie  Stuart. 

Quelle  était  donc  l'usurpatrice  qui  ramassait  alors  à  douze 
cents  lieues  de  Versailles  le  sceptre  que  la  reine  légitime 
abandonnait  un  instant  pour  la  houlette? 

Hâtons-nous  de  le  dire,  il  n'y  avait  là  ni  fourberie  ni  crime 
de  lèse-majesté.  La  royauté  que  saluait  l'équipage  du  Héron 
n'était  que  l'innocente  et  fugitive  royauté  de  la  fève.  Elle  ve- 
nait d'échoir,  par  la  grâce  du  sort,  à  une  jolie  petite  créole  de 
la  Martinique,  parente  du  capitaine,  et  qui,  sous  la  conduite 
d'une  vieille  tante,  allait,  comme  la  Virginie  de  Bernardin 
de  Saint-Pierre,  poursuivre,  dans  la  métropole,  de  vagues  es- 
pérances de  fortune  et  d'héritage. 

Et  c'était  dommage^  en  vérité,  que  la  jeune  reine  ne  fut 
qu'une  reine  pour  rire;  car  elle  s'acquittait  de  ses  hautes  et 
nouvelles  fonctions  avec  un  aplomb  et  une  grâce  qu'eussent 
enviés  Catherine  III  et  Marie-Thérèse. 

«  A  genoux!  beau  page,  disait-elle  au  jeune  aspirant  qui 
»  l'avait  annoncée;  ne  voyez-vous  pas  que  j'ai  laissé  tomber 
))  mon  gant?—  A  moi  !  mon  conseil  des  ministres,  et  ne  rie? 
»  pas,  messieurs,  car  le  cas  à  discuter  est  grave.  J'aime  mion 
»  peuple,  entendez-vous,  et  je  veux  que  mon  peuple  m'aime; 
»  il  s'agit  de  décider  si ,  pour  attirer  à  mes  pieds  ses  hom- 
))  mages,  une  rosette  bleue  sur  mes  souliers  ne  siérait  p;is 
»  mieux  qu'une  rosette  blanche.  —  Comment  donc!  je  crois 
»  que  mon  premier  médecin  se  permet  de  lancer  au  nez  de 
))  sa  souveraine  des  bouffées  de  tabac,  en  guise  d'encens! 
))  Qu'un  de  mes  ambassadeurs  monte  sur  l'Iiippogriffe  à  l'in- 


LKS     l'KTfTS    SOTMKIîS  2S7 

))  slaiil ,  |i(»iii'  iillcr  voir  (l;iii>  la  lune  >i  la  raison  du  Ihmi  (Iko 
»  leur  n'aurait  pas  suivi  ce  malin,  ;ii»rès  boire,  le  même  clie- 
»  min  (pie  celle  de  feu  Uolanil...  » 

El  mille  innocentes  saillies,  mille  coipiels  enlanlillages  dnnl 
tous  ces  bons  marins  riaient  de  si  j^rand  cœur  et  si  lon^^lemps 
que  leurs  grosses  pipes  s'éteignaient  oisives  entre  leurs  mains. 

Mais  celui  de  Itius  (pu  semblait  se  réjouir  le  plus  du  IridUi- 
plie  de  l'aimable  cnfanl  ('lail  im  vieux  malelol  breton  mmimé 
Pierre  Hello,  ayant  moins  de  ride>  (pic  de  blessures,  (pii  ce 
jour-là  même  avait  rrrii  une  métlaille  d'iionueur,  tardive  ré- 
compense de  ses  longs  services!  et  iiu'à  celle  «■(in>idéraliou  le 
capitaine  venait  d'admellre  à  sa  table,  au  rejias  présidé  par 
les  deux  dames  créoles,  ses  i»arenles.  Marie-Rose,  ainsi  se 
nommait  la  jeune  lille,  s'était  émerveillée  depuis  longtemps 
au  récit  des  belles  actions  de  IMerre  llello.  Llle  l'avait  com- 
plimenté, caressé,  et  le  co'ur  du  rude  vieillard,  neuf  encore  à 
de  [lareilles  émotions,  avait  palpil»',  suus  ces  caresses  d'eidant, 
aussi  lurl  (pi'à  la  n'ccpliou  de  sa  médaille  d'Iioiun'iii-.  C'clail 
lin  >v\\\  (pii  la  servait  :  c'était  ciuore,  ou  peu  >'en  l'anl  ,  lui 
seul  (pli  xeillail  sur  elle  ;  car  la  laiilc  de  Maiic-Uox' ,  bonne 
vieille  cloU(''e  sur  >a  eliaise  par  la  ^nulte  ,  pa>>ait  toid  le  jour 
absorbée  dans  la  lecture  de  saint  Augustin,  ne  l'interroiupanl 
par  iider\alles  (pie  pour  dire  :  »*  Ici,  Minette!  i»  i .  Maric- 
Ho^el  »  (|uaud  elle  voyait  son  clial  courir  dans  la  cale  après 
une  souris,  ou  sa  nièce  sur  le  pont  après  un  rayon  de  soleil. 
Mais  élevée ,  connu»'  la  plupart  des  tilles  de  colons ,  dans  la 
plu>  tarife  iudepeiidaiiee  .  Marie-Hose  n'e»(»utail  pa^  ou  lei- 
guail  de  ne  pa>  entendre,  lanlol  elle  montait  aux  eebell«'>  el 
se  balant^ait  aux  cordages,  et   alors  Pierre  lldlo  la  rejjardail 


288  LES    PETITS    SOULIERS 

d'en  bas,  prêt,  si  elle  tombait  sur  le  pont,  à  la  recevoir  dans 
ses  larges  mains,  conmie  il  eût  reçu  un  oiseau  que  la  fatigue 
abat,  ou  à  la  repêcher  à  la  nage  si  le  vent  l'eût  jetée  à  la  mer. 
Tantôt  elle  amusait  l'équipage  oisif  par  ses  chansons  et  par  ses 
danses,  et  alors  Pierre  Hello,  attentif,  semblait  avoir  trouvé 
tout  à  coup  de  l'intelligence  pour  comprendre  les  vers,  et  du 
goût  pour  sentir  la  grâce.  Le  lendemain  de  l'Epiphanie  et  de 
sa  courte  royauté,  l'aimable  enfant  parut  triste  et  pensive,  et 
le  vieux  loup  de  mer  se  posa  devant  elle,  inquiet  et  silencieux 
comme  un  caniche  qui  voit  pleurer  son  maître.  Elle  ne  put 
s'empêcher  de  répondre  par  une  confidence  à  ce  regard  com- 
patissant et  interrogateur.  Une  vieille  négresse  marronne,  qui 
passait  pour  sorcière,  et  à  (jui  Marie-Rose  portait  en  cachette 
du  pain  dans  les  bois,  lui  avait  fait  une  prédiction  étrange  qui 
la  préoccupait,  et  dont  elle  avait  retenu  les  paroles  textuelles  : 

c(  Bonne  petite  maîtresse ,  moi  avoir  vu  dans  la  nue  grand 
»  condor  monter  bien  haut,  bien  haut,  avec  rose  dans  son 
»  bec...  Toi,  être  Rose...  Toi,  bien  malheureuse^  puis  toi 
»  reine,  puis  grande  tempête,  et  toi  mourir.  » 

■ —  )'ai  été  reine  hier,  ajouta-t-elle,  et  je  n'attends  plus 
maintenant  que  la  tempête  qui  doit  m'emporter... 

—  N'ayez  pas  peur,  mademoiselle,  répondit  Hello;  s'il  arri- 
vait malheur  au  Héron,  vous  n'auriez  qu'à  saisir  le  pan  de  ma 
ceinture...  là...  comme  ceci,  et,  avec  l'aide  de  Dieu  et  de 
mon  patron  (un  grand  saint,  voyez- vous!  car  il  marchait  sur 
l'eau  sans  enfoncer,  ce  qui,  foi  de  marin,  est  un  bien  beau 
miracle!)  vous  aborderiez  aussi  doucement  à  terre  qu'une 
goélette  remorquée  par  un  trois-mâts. 

Marie-Rose,  un  peu  rassurée,  paya  le  dévouement  du  brave 


LHS     PKTITS    SOULIRRS  '2S0 

hoiniiH'-  <Mi  lui  cliiiiilaiit  iiiio  romance  (\\w,  j»  Tsoniio  n'avait 
encore  entendnr.  (délaient,  ([iiand  son  départ  lui  décidé,  ses 
adieux  et  ses  plaintes  (|n'un  jeune  créole,  son  voisin,  avait 
mis  pour  elle  en  vers  et  en  nnisiipic  : 

Petit  uoprc,  au  camp  qui  flcnronne, 
Va  moissonner  pour  ma  couronne  : 
La  négresse  fuyant  aux  bois, 

Marronne , 
M'a  prédit  la  grandeur  des  rois 

Vingt  fois. 

Petit  nègre,  va,  qui  l'arrcle  ? 
Serait-ce  déjà  la  teaipèto 
(Jiii  doit  effleurer  si  souvent 

Ma  tète, 
Kl  i'tu'  mon  hoiiheur  niniivanl 

Au  veut? 

Las  !  j'en  pleure  dt!Jà  la  perte. 
Adieu  ilunc,  pour  la  mer  déserte, 
I.i  rivière  des  Trois-llels 

Si  verte, 
<hi,  dans  ma  tiarquo  aux  bloudsi  tlleb, 

J'allais  ! 

Adieu  :  les  vents  m'unl  eutrainéo  , 
Ma  patrie  et  ma  suMir  ainée  ! 
La  fleur  veut  mourir  ou  la  fleur 

Kst  née , 
Et  j'étais  si  bien  sur  ton  ctrur , 

Ma  sirur  ! 

Mais  il  e>t  un  àf:e  où  Imiles  l(»s  doMleiu's  passent  lép'Tes  el 
lii:iili\es,  où  la  nidancolic  du  soir  >t'"i  lie  .m  malin  coinmc  la 
rosée;  et  Marie-Uose  a\ail  cel  aue.  le  N'iulemain  .  «die  dan- 

17 


2!J0  LES    PETITS    SOULIERS 

sait  encore;  les  jours^  les  semaines  s'écoulèrent^  sans  user 
cette  gaieté  pétulante  ;  mais  il  n'en  fut  pas  de  même  de  ses 
petits  souliers.  Le  dernier  bond  d'une  farandole  en  emporta 
les  derniers  lambeaux.  Par  malheur,  la  garde-robe  de  ces 
dames  était  légère  ;  elles  allaient  à  Paris,  et  avaient  cru  de- 
voir, pour  la  remonter,  attendre  les  conseils  de  la  Mode  dans 
son  empire.  Bientôt  Marie-Rose  fut  réduite  à  s'asseoir  immo- 
bile à  côté  de  sa  tante ,  cachant  ses  pieds  nus  sous  sa  robe , 
remuant  la  tête  et  le  corps  dans  un  besoin  fébrile  du  mouve- 
ment, mais  n'osant  risquer  un  pas,  semblable  à  cette  Daphné 
des  Tuileries  dont  le  buste  est  vivant  encore  quand  ses  pieds 
ont  déjà  pris  racine.  La  petite  reine  pleurait  là,  captive  comme 
dans  une  tour  enchantée ,  et  attendant  qu'un  chevalier,  pas- 
sant, la  délivrât. 

Ce  chevalier  passa,  et  ce  fut  Pierre  Hello.  «  Laisser  nus  de 
si  jolis  pieds,  disait-il  avec  l'accent  de  l'indignation,  il  fau- 
drait n'avoir  pas  pour  deux  hards  de  cœur  !  »  Mais  si  le  poète 
a  dit  :  L'indignation  fait  des  vers ,  il  n'a  pas  dit  qu'elle  put 
faire  des  souliers.  Pierre  Hello  réfléchit,  se  frappant  le  front, 
se  grattant  la  tète,  et  promenant  d'une  joue  à  l'autre,  ce  mor- 
ceau de  tabac  que  les  marins  ont  l'habitude  de  mâcher...  enfin 
sa  chique.  C'est  un  vilain  mot;  mais  pardon,  il  n'y  en  avait 
qu'un  }tour  exprimer  la  chose,  et  cette  chose  est  trop  impor- 
tante quand  il  s'agit  de  mœurs  maritimes,  pour  qu'un  narra- 
teur consciencieux  n'en  parle  pas.  La  chique  est  à  la  pensée 
du  matelot  ce  que  l'aiguille  est  à  l'horloge  :  quand  la  pensée 
va,  la  chique  tourne.  C'est  qu'aussi  il  s'était  posé  une  ques- 
tion bien  ardue  j[)our  un  mathématicien  novice  :  Faire  quelque 
chose  avec  rieuj  problème  que  Dieu  seul  a  pu  résoudre. 


LES     l'KTITS    SOUL  11:11  S  291 

tt  Un  iiiurcoau  do  cuir  !  ma  iiipo  cl,  ma  mcdaiile  pour  un 
morceau  de  cuir!  »  disail-il  avec  l'cucrgio  dcses[)ért'c  de 
Ricliiinl  III,  criaul  :  «  Une  épée  î  mon  loyaume  pour  une 
épée!  »  Certes,  tous  les  lilcU  de  rc(pnpage  se  fussent  dé- 
ployés bien  vile  à  la  mer  s'il  eût  connu  riii>loire  de  don  Oui- 
cliotte,  et  osé  se  llatter  d'avoir  la  main  au.ssi  heureuse  que 
Sanclio  l*ança,  (pii,  jetant  ses  hameçons  aux  truites,  y  voyait 
mordre  {W<<  savates.  Il  chercha,  fureta,  renma  ;  sa  main  passa 
jtaitoul  où  nm»  souris  pouvait  passer.  Enlin,  il  poussa  un  cri 
de  joie  ,  un  cii  stMublahle  à  celui  d'nar[»ayon  retrouvant  su 
cassette,  ou  de  J.-J.  Housseau  cituvantdes  yeux  sa  pervenche. 
Ce  n'était  [las  une  Ih-iir,  ce  n'était  pas  un  lrés(»r  (pic  Pierre 
llello  vciinil  de  d»''((in\rir,  c'était  ipiclcpie  chose  de  iiicii  plus 
précieux,  ma  fui:  c'était  une  liollcl  la  luillf  dim  >uldal  du'' 
dans  im  abordaj^e;  elle  avait  niuN'  daus  un  (("in  de  la  cale. 
Dieu  sait  cduuneni  !  Depuis  elle  (•lait  re>U''e  là  ,  pnil.iul  le 
deuil  de  sa  scrur  jumelle  novi-e  dans  la  mei-  mi  ensevelir  dans 
le  veutre  d'un  leipnn;  (  t  croyaiil  Itien,  ciiiiiiiic  Ir  rai  de  La 
Udulaine,  (pie  1»  s  choses  (rici-itas  ne  la  reuardaicnl  plus.  Mais 
Pierre  Ihdlo  eu  décida  aiilrciiienl  :  se  servant  de  son  poi|;nard 
en  ^Miise  d'alcue  cl  de  Iraiiclicl,  il  piMça,  il  tailla  si  bien,  (piil 
lit  en  moins  d'une  licuic...  je  voudrais  bien  pou\oir  dire  ipul 
lit  nue  paire  de  souliers;  mais,  par  re>pecl  pour  la  \erité,  je 
n'use...  Ce  (piil  lil,  ce  n'était  précisément  in  des  souliers, 
ni  {W>  biddiMpiins,  ni  dr>  bottines,  ni  des  chaussons,  ni  dos 
soctpu's,  ni  des  cothurnes,  ni  des  baboucin's ,  ni  îles  mocas- 
sins; c'était,  dans  l'art  de  la  chaussure,  ime  (cuvre  orifiinale, 
fanlasti(pi(> ,  romantiipic,  une  chose  sans  nom;  mais  enlin 
cette  chose  sans  nom  pouvait  ù  la  rii^ueur  sinleri)oser  connue 


292  LES    PETITS    SOULIERS 

une  armure  défensive  entre  l'épiderme  du  pied  humain  et  le 
parquet.  Le  brave  Hello  courut  aussitôt  à  la  cabine  de  Marie- 
Rose^  où  après  avoir,  à  grand'peine  et  aux  éclats  de  rire  de 
la  jeune  fille,  emboîté,  ficelé  ses  pieds  nus  dans  cette  bouf- 
fonne chaussure,  il  se  releva,  croisa  triomphalement  ses  bras 
sur  sa  poitrine,  et  dit  :  Voilà!...  et  une  heure  après,  la  baya- 
dère  dansait  encore,  dansait  avec  un  poids  à  chaque  pied,  aux 
applaudissements  de  son  parterre,  conquis  cette  fois  à  double 
titre,  car  il  y  avait  dans  cette  danse  le  mérite  combiné  de  l'art 
et  (lu  tour  de  force  :  c'était  mademoiselle  Taglioni  et  madame 
Saqui  résumées  d'avance  en  deux  jambes. 

Enfin,  après  une  longue  traversée,  la  vigie  cria  :  Terre  !  Et 
ce  fut,  je  vous  assure,  une  scène  vraiment  touchante  que  celle 
du  matelot  et  de  la  jeune  créole.  «  Je  penserai  toujours  à  vous 
et  je  garderai  vos  souliers  comme  un  souvenir,  comme  une 
relique,  disait  Marie-Rose  pour  consoler  Pierre  Hello,  qui  pas- 
sait sur  ses  yeux  humides  le  revers  de  sa  main  calleuse.  — 
Oh!  répondait-il  en  secouant  la  tête,  vous  allez  à  Paris,  où  de 
nouveaux  amis  vous  feront  perdre  le  souvenir  du  pauvre  Hello, 
qui  ne  vous  occupera  guère.  —  Toujours!  »  répéta-t-elle,  en- 
traînée par  sa  tante.  U  la  suivit  longtemps  des  yeux  ;  elle  se 
retourna  souvent,  et  il  ne  pouvait  déjà  plus  l'entendre  qu'elle 
répétait  encore  en  agitant  son  mouchoir  :  «  Toujours,  Hello, 
toujours!  » 

Pierre  Hello  ne  put  savoir  si  la  jeune  fille  tint  parole,  car 
il  toucha  bien  rarement  la  terre,  et  fut  tué  dans  la  guerre 
d'Amérique.  Quanta  Marie-Rose... 

Mais  voici,  au  travers  de  mon  histoire,  le  grand  fleuve  de  la 
révolution  française  qui  passe  ;  fleuve  étrange  et  qu  on  ne  sait 


LES    PETITS    SOULIERS  293 

comment  nommer  :  Pactole  au  salile  d'or,  Simoïs  teint  de 
sang,  Enrôlas  anx  lauriers-roses.  Son  bruit  et  sa  profondeur 
vous  causeraient  des  vertiges.  Donnez-nioi  la  main,  ma  so'iir, 
fermez  les  yeux  et  sautons  par-dessus... 

Bien!  nous  voici  tombés  au  milieu  de  l'empire,  et  nous 
sommes  à  la  Malmaison,  retraite  de  la  noble  et  mallieureuse 
Joséphine,  veuve,  par  une  séparation  légale,  de  Napoléon  vi- 
vant encore,  mais  toujours  impératrice  et  toujours  adorée  des 
Français,  qui  l'avaient  épousée,  eux  aussi,  dans  le  cœur,  et 
qui  n'avaient  point  souscrit  au  divorce. 

Accoudée  dans  sa  chaud)re  stn-  la  boîte  d'un  piano,  elle 
écoutait  en  souriant  une  députatioii  de  jeunes  demoiselles  at- 
tachées à  sa  personne,  et  qui  sollicitaient,  tnMnblantes,  la 
permission  de  jouer  des  proverbes  au  château,  a  Volontiers, 
mes  enfants,  répondit  la  bonne  Joséphine;  je  veux  même 
me  charger  des  costumes.  (îràce  à  la  générosité  de  l'em- 
pereur, ma  garde-robe  y  peut  abondamment  fournir.  Tenez, 
voici  ce  (piiî  Marchand  vient  encore  de  in'appoilrr  toul  à 
l'heure.  » 

Et  elle  repoussait  négligemmenl  du  pied  une  fourrure  l'ien- 
due  sur  le  la[MS.  (leth^  parure  était  si  belle,  (pie  niademoi- 
selli;  S. -il.,  la  plus  jeune  des  and)assadrices,  ne  put  sempè- 
cher  de  dire,  en  frappant  l'une,  contre  l'autre  ses  blanches 
mains  en  signe  d'admiration  : 

«  Dieu'  (pu»  Voire  Majesté  est  heureuse  ! 

—  IleuiciiM'!  iMiMinura  Joséphine,  heureuse!...  »> 

lOlle  parut  n''ver  un  inoniinl,  i>t  ses  doigt>  «listraits,  errant 
sur  les  touches  de  sou  piano,  en  tirèrent  qnehpies  notes  de  la 
romance  cpie  nous  connaissons  di'jà  : 


294  LES    PETITS    SOULIERS 


La  fleur  veut  mourir  où  la  fleur 

Est  née , 
Et  j'étais  si  bien  sur  ton  cœur. 

Ma  sœur  ! 


Puis,  secouant  les  souvenirs  qui  l'oppressaient,  elle  se  leva  : 

«  Qui  m'aime  me  suive,  mesdemoiselles;  venez  voir  et 
choisir  vos  costumes.  » 

Et,  précédant  le  jeune  et  fol  essaim,  elle  entra  dans  sa 
garde-robe.  Toutes  les  jeunes  fdles  ouvrirent  alors  des  yeux 
émerveillés,  comme  le  fils  du  biiclieron  descendu  pour  la  pre- 
mière fois  dans  la  caverne  d'Ali- Baba.  Il  y  avait  là  des  gazes 
si  légères ,  qu'elles  se  fussent  envolées  comme  les  fils  de  la 
Vierge,  n'eût  été  le  poids  des  pierreries  qui  les  bordaient;  il 
y  avait  là  des  mantilles  espagnoles,  des  mezzaros  italiens,  des 
peignoirs  d'odalisques,  tout  imprégnés  encore  des  parfums  du 
harem  et  de  la  poudre  d'Aboukir,  et  enfin  des  robes  de  ma- 
done si  belles,  que  la  Vierge  de  Lorette  elle-même  ne  les  eût 
mises  autrefois  que  le  jour  de  l'Assomption. 

«  Prenez,  enfants,  dit  la  bonne  impératrice,  et  amusez-vous 
bien.  Je  vous  abandonne  toutes  ces  belles  choses  qui  vous 
font  ouvrir  de  si  grands  yeux,  toutes,  hormis  une  seule,  car 
celle-là  m'est  trop  précieuse  et  trop  sacrée  pour  qu'on  y 
touche.  » 

Puis,  voyant  à  ces  mots  la  curiosité  étincelante  sous  toutes 
les  paupières  :  «  Je  puis  cependant  vous  faire  voir  ce  trésor,  » 
ajoula-t-elle. 

Je  vous  laisse  à  penser,  ma  sœur,  si  l'imagination,  cette 


LES    PETITS    SOULIERS  2'.).'i 

folle  (lu  lo(jif^,  qui  en  ost  la  maltresse  à  quinze  ans,  prit  ses 
éi)ats  dans  toutes  ces  tètes  enfantines. 

nu'élait-ce  donc  que  celte  merveille  qu'il  était  défendu  de 
toucher  quand  ou  froissait  à  loisir  tant  de  merveilles? 

Une  robe  couleur  du  temps,  de  la  lune  ou  du  soleil,  comme 
dans  Peau  d'Ane?  Cet  œuf  d'oiseau  qui,  suivant  les  contes 
arabes,  est  un  diauiant  et  peut  n'iulrc  invisible?  Un  évent;iil 
fidt  avec  les  ailes  d'un  j^'énie  de  rAlliand)ra?  Le  voile  d'une 
IV'c,  ou  bif'u  (|uel(pie  ouvraiic  jilus  pn'cieux  (Micor»»  commandé 
|»;u-  rem[tereur  à  l'un  de  ses  démons  familiers,  Icpctit  homme 
rùwjc  ou  le  petit  homme  vert  ?  (ju'élait-ce  donc? 

Uniin,  jinMiant  pilié  de  la  curiosité  impatiente  qu'elle  ve- 
nait dinilcr  clle-mènie  avec  une  innocente  malice,  Joséphine 
fouilla  dans  un  coin  de  sa  {4arde-rol)e  impériale  et  en  tira.     . 

Ce  n'élail  ,  crllc  loi<,  ma  sn'ur,  ni  un  ciidciiu  tic  N;qttilt''ou 
ni  ro'iivi'e  triin  ^t'-iiit'  :  (•'(•Liil  l'iruvic  cl  li'  |ii-c-ciil  du  marin 
bit  IdU,  IMcii'c  llclio,  c'(''liiiciil  les  souliers  de  .M;irie-Hose. 

Uai\  vous  l'iiNe/  (leviiii'  i|e|."i  ,  riiii|ii''r;illiee  .lost'pbine  e|  l;i 
danseuse  iiu\  pieds  nus  ne  vont  (prune  iiièiiii»  personne  et 
un  nièuie  eu'ur.  (Juand  l'i'pi'e  île  l^onaparte  coimnençail  à  dé- 
couper rUiiropc  comnie  un  L'àleau,  .lo>épbine-.V(//7V-i{()Sc 
Tascber  de  l.a  Pa^'crie,  lieiircusc  celle  fois,  eut  la  fève  et  re- 
fîna. l'Ile  réj.'na  lon^leuqx;  mais  voilà  (pi'un  jour  il  se  tit  tout 
à  coup  une  ;jrande  tiMUpèli»  en  i'.urope;  les  neiges  de  la  \\\\>- 
sie  se  souhnèrciil  d'elles  mèiues  pour  r(»tond>er  en  blanc  lin- 
ceul sur  nos  soldats;  les  quati'c  veuts  nous  soufllèrenl  tles 
avalanches  (renneiuis,  et  il  y  cul  ;dors  en  l'rance,  aux  éclairs 
du  sabre  (M  du  c;mon  ,  et  sous  le>;  lourds   pii'MinemeutN  de  la 


200  LES    PETITS    SOULIERS 

bataille^  des  tremblements  de  terre  aussi  forts  que  ceux  des 
Antilles...  Lorsque  enfin  notre  ciel  redevint  beau,  la  prédic- 
tion de  la  négresse  était  accomplie  tout  entière...  le  grand 
condor  foudroyé  avait  laissé  tomber  la  rose,  et  la  créole  des 
Trois-llets,  deux  fois  reine,  était  morte  dans  la  tempête! 


T  II  K  R  K  SE    S  r  U  E  A  V 


Je  nànais  un  juur  avec  délice,  bouche  liéante  et  le  nez  en 
l'air,  sons  les  niarronniurs  en  llciirs  du  jardin  des  Plantes;  car 
ce  jour  élait  un  dim.iiiclie,  et  j'clais  alors  de  mon  un-ticr  coin- 
positeur  d'iniprinicritî;  or,  par  la  littérature  (jui  court,  c'est 
un  lorrihlc  métier,  je  vous  jure.  Ki^urez-vous  (jue  j'avais  pâli 
vX  hàillé  toute  la  semaine  sur  le  nouveau  nunan  «l'un  auteur 
en  vo|.;ue.  «  Mais  [lourcpioi  donc,  avais-je  nnu'uuué  vinj^t  fois, 
»  soulllcter  ainsi,  hrulalemenl  et  à  tout  propos,  Vaut.'elas, 
»  Hestaul  cl  Wailly,  avec  Icsfiuels  je  gagerais  que  ce  monsieur 
»  n'enl  jamais  ri»Mi  à  démêler!...  »  Ans>i,  dès  le  malin  du  jour 
libérateur,  ma  main,  romiilico  involonlairc  cl  noire  en('(»re  de 
mille  atU'nlals  à  la  lanj^ue,  .s'i'lait  cacliée  honteuse  sous  un 
{^anl.  I,e  dimanche,  comme  vous  savez,  est  pour  le  peuple  un 
jour  de  ini'tamorphoses;  je  m'avisai  ce  jour-là  d'être  f^alant. 

Parmi  les  iMdinemnus  f^roupés,  toujours  curieux  <'t  toujours 
1(S  mêmes,  devant  rcnceinle  close  où  >e  pavane  relépliant,  je 
venais  d'apercevoir  une  jeune  dame  don!  j'avais  peine  à 
nre\pli(pier  la  présence  en  pareil  lieu,  car,  bien  tpie  >a  mise 
IVil  d'une  grande  simplicité,  sa  ligure,  éclatante  de  pâleur  >ous 
un  bandeau  Ai'  cheveux  noirs,  ne  maïupiait  \k\>  tic  distinclivm, 
et  ses  lèvres  plu>  d'une  l'ois  avaient  accueilli  par  un  mouvc- 

17. 


?98  LES    PETITS    SOULIERS 

ment  ironique  les  sottes  observations  qui  pleuvaient  autour  de 
nous.  J'épiais  l'occasion  de  lui  adresser  la  parole  :  elle  ne  se 
fit  pas  attendre.  Son  sac,  qu'elle  avait  ouvert,  m'avait  laissé 
voir,  entre  un  rouleau  de  papier  et  un  in-octavo,  trois  petites 
pommes  de  reinette.  Un  mouvement  de  l'inconnue  me  fit 
croire  qu'elle  voulait,  elle  aussi,  payer  son  tribut  au  vorace 
animal  :  «  Prenez  garde,  lui  dis-je;  une  dame,  dimanche 
dernier,  avançait  étourdiment  comme  vous  le  bras  oià  pendait 
son  sac  pour  offrir  un  échaudé  à  l'éléphant,  et  ce  gastronome 
peu  délicat  happa  et  engloutit  du  même  coup  le  sac  et  l'é- 
cliaudé  ;  prenez  garde  !  »  —  Encouragé  par  un  sourire  de  ma 
voisine,  je  poursuivis  ;  «  Tenez,  lui  dis-je,  c'est  ainsi  qu'il 
faut  s'y  prendre.  »  Et,  saisissant  une  des  pommes  entre  le 
pouce  et  l'index,  je  l'offris  à  l'animal.  Il  l'avala  de  si  bonne 
grâce  que  je  pris  à  l'instant  la  seconde,  qui  disparut  comme 
sa  sœur.  J'aurais  fait  suivre  le  même  chemin  à  la  dernière,  si 
la  main  que  j'étendais  n'eût  plongé  dans  le  vide  :  la  jolie  pro- 
meneuse avait  disparu. 

Je  m'éloignais,  soucieux  et  marchant  au  hasard,  lorsqu'au 
détour  d'un  sentier  solitaire,  j'aperçus  l'objet  de  ma  préoccu- 
pation. Assise  sur  un  banc  de  pierre,  la  dame  aux  pommes  de 
reinette  en  croquait  à  belles  dents  la  dernière,  sans  la  peler,  et, 
tout  en  mangeant,  parcourait  des  yeux  et  de  la  main  les  pages 
du  livre  déployé  sur  ses  genoux.  Je  m'arrêtai  à  quelques  pas, 
pétrifié  de  surprise  et  de  confusion.  Hélas  !  je  le  comprenais 
eniin,  mais  trop  tard,  ce  n'était  point  à  l'éléphant  qu'était 
destiné  ce  plat  de  dessert,  et,  dans  ma  gauche  courtoisie, 
j'avais  volé  à  la  dame  de  mes  pensées  les  deux  tiers  de  son 
déjeuner.  Que  faire?  c'eût  été  ajouter  à  la  sottise  et  à  l'offense 


THÉRÈSE    SUREAU  299 

que  (le  lui  en  offrir  brutalement  d'autres,  et  cependant  je 
mourais  d'envie  d'acquitter  ma  dette. 

Son  repas  pylliagorien  fini,  elle  continuait  sa  lecture  qui 
paraissait  l'intéresser  beaucoup.  Alors  j'eus  une  idée  bizarre. 
Je  me  souvins  (ju'un  étudiant  de  mes  amis  avait  conquis 
autrefois  les  bonnes  grâces  d'une  reine  de  comptoir  en  usur- 
pant le  nom  de  Casimir  Delavigne,  et  soudain  mon  projet  fut 
arrêté.  Au  moment  où  la  jeune  lectrice,  par  un  mouvement 
d'admiration  idolâtre,  touchait  de  ses  lèvres  roses  un  feuillet 
du  livre  :  «  Merci,»  dis-je  braveniriit,  et  je  m'avaneai.  I.  in- 
connue leva  les  yeux  :  «  ('.onunenl,  dit-elle,  rouL'e  i-oiiiiue  une 
cerise,  vous  seriez...  »  Je  rinterrompis  en  m'iuelinant  d'un 
air  modeste.  Alors  vous  eussiez  vu  la  jKiuvre  enfant  fn'iuir 
d'un  saint  respect,  et  vous-même,  vous  frémiriez  d'indiiznation, 
lecteur,  si  je  vous  disais  de  (pielle  auréole  poétique  je  m'étais 
elTronlément  coilïé.  J'olïris  mon  bras  à  la  i»romeneuse  solitaire, 
il  va  sans  dire  (|u'il  lut  accepté.  ('.Iiemin  faisant,  ma  compa^'ne 
me  prodigua  les  C(iiilitlences  :  c'était  une  fennne  auteur, 
fraîchement  débaniuiM»,  eoiinui'  tant  d'autn  s,  de  la  province 
(pii  ne  la  comprenait  pa-;,  à  Paris,  (pii  se  soueiail  fort  peu  de 
la  «'omprendre.  Klle  avait  composé  lidini  ht  solitude  et  le  silence^ 
disait-elle,  lui  volume  de  juiésie,  (pii  courait  i:rand  riscpie, 
pensai-je.  de  mourir  connue  il  était  ur.  He  plus,  elle  venait  de 
jeter  dans  les  cartons  d'un  théâtre  du  boulevard  un  drame  en 
cinij  actes,  intitulé»,  autaid  ipi'il  m'en  souvient,  '/Anot'ir.  \.c 
soufth'ur,  ralluineur,  le  machiniste  et  autres  lilléralcurs  lui 
avaient  eon>eille,  dans  l'intérêt  de  la  pièce,  d'y  tailler  un  rùlo 
pour  un  éléphant,  ( c  qui  m  expli(piail  enliii  son  altenlion  de 
tout  à  Iheure  aux  allures  du  yii^anliVNpie  (omcilien.  ilelasl  la 


300  THÉRÈSE    SUREAU 

pauvre  dévote  croyait  se  confesser  au  grand  prêtre  de  la  reli- 
gion romantique;  et  moi,  je  l'écoutais,  rougissant  et  balbutiant, 
comme  l'écolier  espiègle  qui  s'est  caclié,  la  veille  de  Pâques, 
dans  un  confessionnal  pour  surprendre  aux  jolies  pénitentes 
Taveu  de  leurs  péchés  mignons.  Notre  promenade  vagabonde 
nous  avait  entraînés  hors  du  jardin.  J'allais,  j'allais  toujours, 
et  ma  compagne  suivait  sans  détiance;  ce  n'était  pas  un 
homme,  mais  un  poëte  qu'elle  suivait.  Pour  elle,  le  bourdon 
de  Notre-Dame,  sonnant  vêpres,  sonnait  ma  gloire  ;  pour  elle 
je  portais  sur  le  front  une  flamme  bleue  comme  les  Génies  des 
contes,  et,  sur  la  foi  de  cette  étoile,  elle  m'eût  suivi  sans 
hésiter  jusque  dans  la  Cour  des  Miracles.  Nous  nous  trouvâmes 
ainsi,  loin,  bien  loin  de  notre  point  de  départ,  en  face  d'une 
jolie  guinguette  que  je  connais.  «  Si  nous  entrions  là,  lui  dis-je, 
nous  serions  plus  à  l'aise  pour  causer,  »  et,  sans  attendre  de 
réponse,  je  franchis  le  seuil,  entraînant  avec  moi  la  naïve  pro- 
vinciale, quelque  peu  étonnée  de  ces  lestes  façons,  et  les 
attribuant  sans  doute  in  petto  à  l'originalité,  compagne  ordi- 
naire du  génie.  Les  deux  pommes  volées  m'avaient  pesé 
jusque-là  sur  la  conscience;  mais  enfin  mes  remords  s'éva- 
nouirent entre  un  rôti  et  un  dessert.  Cependant  la  conversation 
ne  cessait  pas  d'aller  son  train.  —  «  Comment  me  conseillez- 
vous  de  signer  mon  nouveau  recueil?  dit  la  muse  :  vous  le 
savez,  un  nom  sonore  impose  quelquefois  au  lecteur,  et  Ton 
aurait  grand'peine  à  croire  au  talent  d'un  poëtu  qui  s'appelle- 
rait prosaïquement  Thérèse  Sureau.  » 

Je  bondis  à  ce  nom  bien  connu,  et,  béant,  immobile,  je  fixai 
sur  celle  qui  me  parlait  des  yeux  épouvantés.  —  «  Ma  cousine  !  » 
balbutiai-je  en  retombant  sur  ma  chaise. 


THl'RÈSE    SUREAU  301 

Elle  trahit  par  un  geste  son  désappointement.  «  Non,  je  ne 
suis  pas  un  poëte  et  je  vous  ai  trompée,  poursuivis-je  en  pré- 
venant ses  questions.  Je  suis  tout  simplement,  jjelle  muse, 
Pierre- Jacques,  votre  cousin,  ouvrier  imprimeur...  pour  vuus 
servir!  » 

Et  en  effet  c'était  bien  Thérèse,  Tliérèse,  la  mieux  aimée  de 
mes  compagnes  d'enfance,  et  dont,  sous  un  masque  récent  de 
pfdeur,  la  figure,  autrefois  si  rose,  n'avait  d'abord  éveillé  chez 
moi  (lu'uii  vague  souvenir.  A  dix-sept  ans,  elle  était  devenue 
ma  cousine  (rien  (jue  ma  cousine,  hélas!)  en  épousant  un 
gros,  gras  et  riciie  fermier,  mon  parent,  qui  ne  tarda  pas  à  la 
laisser  veuve,  en  tombant  un  soir,  après  de  ferventes  libations 
au  saint  du  village,  dans  un  i)i(';:(î  à  loup,  d'où  on  le  r  lira 
mort  le  lendemain. 

Élevée  par  les  dames  du  chàleau,  el  leur  deuioiselle  de 
compagnie  avant  ce  mariai^e,  la  jeune  veuve  se  laissa  bientôt 
aller  à  la  vie  élégante  (ju'elle  avait  essayée  autrefois  et  à  la 
poésie,  ses  premières  amours.  Iiiondt'  de  pluie,  de  grêle  et  de 
procès,  son  pelit  doiuaiiie  s'en  alla  sous  ses  {lieds  eoimue  un 
sable  mouvant,  tandis  (pi'elle  regardait  le  ciel.  A  sou  arrivée 
à  Paris,  elle  ('-(ait  riche  encore  d'une  vigne  et  d'un  pré;  mais 
il  fallait  [layer  les  frais  d'impression  de  ses  poésies,  mais  il 
fallait  jeter  un  peu  de  poudre  d'or  sur  les  feuillettms,  si  bien 
(jue  la  jeune  fermière  n«'  possédait  plus  rien  au  soleil  (jue  sii 
jeunesse  et  sa  beauté;  et  Thérèse  n'entendait  rien,  Dieu  merci! 
à  l'exploitation  d'un  pareil  fonds. 

Après  un  nioniciil  de  silenee  :  u  Je  n'essaierais  pas.  lui 
dis-je.  de  vous  détourner  d'ime  carrière  à  la(|uelle  vous  seriez 
fatalement   prédestinée;   mais  ètes-vous   bien    >ùre  tle   votre 


302  THÉRÈSE    SUREAU 

vocation?  De  quel  droit  vous  proclamez-vous  poëte?  Est-ce 
pour  avoir  quelquefois  aligné  des  alexandrins  et  accouplé  des 
rimes?  Mais,  à  ce  compte,  je  suis  poëte  aussi,  moi  ;  mon  voisin 
l'étudiant,  mon  antipode  l'épicier,  le  sont  encore;  et  mon  por- 
tier, qui  l'est  tant  soit  peu  lui-même,  balaie  tous  les  malins 
de  la  poésie  à  chaque  étage.  Prenez  garde  de  vous  tromper,  et 
de  prendre  pour  votre  étoile  un  feu  follet  qui  vous  conduirait... 
Dieu  sait  où  !  à  la  misère,  à  la  honte,  à  la  mort  !  Mon  élat, 
cousine,  me  donne  le  droit  de  vous  parler  ainsi.  La  typographie, 
voyez-vous,  est  l'antichambre  de  la  littérature,  et,  comme  tout 
valet  de  grande  maison,  je  regarde  quelquefois  par  le  trou  de 
la  serrure.  L'autre  jour,  par  exemple,  le  prote  me  députa  chez 
un  auteur  qui  faisait  attendre  de  la  copie.  C'était,  comme 
vous,  Thérèse,  une  jeune  fille  de  vingt  ans.  Je  la  trouvai 
malade,  au  lit,  et  soignée  par  sa  mère.  Elle  écrivait.  De  temps 
en  temps  sa  tête  fatiguée  retombait  sur  sa  poitrine,  la  plume 
s'arrêtait  sous  ses  doigts  amaigris,  et  alors  elle  demandait  une 
tasse  de  café.  C'était  pour  s'inspirer,  disaitelle;  mais  la  perfide 
liqueur  lui  versait  à  la  fois  la  lièvre  et  l'inspiration,  et  chaque 
phrase,  chaque  vers  coûtait  à  la  malade  un  quart  d'heure  de 
vie.  «  Hàtez-vous,  madame,  lui  avais-je  dit  étourdiment,  car 
nous  attendons,  et  nous  avons  besoin  de  travailler.  —  Vous 
avez  besoin  de  travailler,  murmura-t-elle  en  regardant  sa 
mère,  et  moi  donc!...  » 

«  Ceci  n'est  pas  un  roman,  cousine;  la  jeune  muse  chantait 
liier  encore;  elle  est  muette  aujourd'hui,  et  si  vous  désirez 
savoir  son  nom... 

—  Silence,  grâce,  dit  vivement  Thérèse!  ce  nom,  je  le 
connais  ;  cette  histoire,  je  la  sais.  Pauvre  sœur  aînée,  si  le 


TIIKRi:S-E    SrUKAU  303 

sommeil  de  la  mort  a  des  n-ves,  ta  gloire  posthume  du  moins 
te  console  aujourd'hui  dans  la  tomhe! 

—  Sa  gloire,  cousine!  interrompis-je  en  souriant  avec  tris- 
tesse. 

—  Oseriez-vous  l'allaquer? 

—  A  Dieu  ne  plaise  que  je  veuille  arracher  avec  mes  mains 
noires  quelques  hrins  de  laurier  à  une  tête  de  mort  !  Mais  si 
j'étais  père  et  qu'on  m'eût  invite,  comme  tant  d'autres,  à 
souscrire  pour  le  monument  funèbre  de  la  jeune  hretuiuie  : 
«  De  grand  cœur,  aurais-je  répondu;  mais  à  condition  ({u'un  y 
gravera  pour  épilaphe  :  r/-;//7  une  honnête  fille  tuée  à  vin(jt  a//s 
par  la  manie  d'écrire,  et  plus  has  :  IJ  c^t  ih'fiUihi  do  dq)oser 
des  vers  sur  cette  tomtie. 

»  Et  quand  même  la  foi  qtie  vous  ave/,  dans  votre  génie  ne 
serait  pas  une  erre  ur,  écrire,  eliaiiter,  jeter  de  l'éclat  et  faire 
du  bruit,  est-ce  bien  là,  Thérèse,  le  rôle  (jui  convient  à  une 
femme?  (|u'eii  dites-vous?  Pour  moi,  le  cdMir  me  saigne  et  la 
rougeur  me  moule  au  froul.  to\iles  les  fois  que  je  lis  dans  un 
journal  ces  paroles  ou  riMpiivaleut  : 

))  l'ne  jeum»  dauie  ([ui  se  e;i(lie  sous  le  i*siMi(lonyuie  trans- 
»  jtarent  de  •'  •  •■  vient  de  puMier  un  nouveau  roman  auquel 
»  la  vogue  est  assurée,  (.itte  fois,  plus  de  voile  sur  les  situa- 
»  lions,  plus  de  réticence  dans  les  e\pressi(tns.  On  devine 
»  (|ue  l'aimable  auteur  s'est  inspirée  de  ses  souvenirs,  etc. 
))  l'riv  :  7  fr.  .'iO  c.  » 

»  r.ett(>  annonce,  à  votre  avis,  n'e>t-eUc  pas  le  di^ne  pendant 
de  c(>lte  auli(>  (pie  j'entendis  un  jour  hurler  siu'  les  tréteaux 
de  la  foire  : 

»  r.nirc/..   Messieurs  et    Dames;   viMis  y   verrez    la    petite 


304  THÉRÈSE    SUREAU 

))  Ourliska,  princesse  de  Caramanie,  qui  a  eu  des  malheurs. 
»  Elle  est  âgée  de  seize  ans,  danse  sur  la  corde  sans  balancier, 
»  marche  sur  la  tête  comme  un  ange,  et  fait  le  grand  écart... 
»  Que  c'est  étonnant  pour  son  âge!  Entrrrrez...  ça  ne  coûte 
»  que  deux  sous  !...  » 

»  Un  honnête  homme,  dit-on,  à  qui  des  Bohémiens  avaient 
enlevé  sa  fille  au  berceau,  faillit  devenir  fou  de  douleur  en  la 
retrouvant  un  jour  déguisée  en  princesse  de  Caramanie.  Et  que 
dirait  le  vôtre,  cousine,  le  vôtre,  qui  est  pieux  et  qui  sait  lire, 
s'il  vous  rencontrait  un  beau  matin,  dansant  sur  la  phrase 
dans  un  journal  ou  faisant  le  grand  écart  dans  un  roman  ?  » 

Une  larme  coula  sur  la  joue  de  Thérèse. 

«Victoire!  dis-je;  voici  une  perle  assez  précieuse  pour 
acheter  le  pardon  d'un  père.  Courons  lui  offrir  cette  larme 
chaude  encore  :  son  baiser  l'essuiera,  j'en  réponds.  » 

Elle  résista,  mais  j'insistai;  elle  discuta,  mais  je  suppliai; 
bref,  je  fis  près  de  ma  cousine,  pour  la  ramener  à  Dieu,  ce 
que  j'eusse  fait  près  d'une  autre  pour  la  gagner  au  diable;  si 
bien  que  le  soir  même  je  l'entraînai  à  la  diligence  avec  ses 
bagages  (presque  aussi  légers  qu'elle  !  ),  et  que  le  lendemain 
nous  roulions  tous  deux  sur  la  roule  de  Champagne,  elle  pâle 
et  souffrante  encore  de  sa  gloire  avortée,  moi  gai,  triomphant, 
et  criant  au  postillon  :  «  Ne  verse  pas,  camarade  :  tu  portes 
une  Muse  et  sa  fortune  !  » 

Je  ne  pus  assister  à  l'entrevue  de  l'enfant  prodigue  et  de  son 
père,  je  m'étais  arrêté  en  chemin,  à  deux  lieues  du  village, 
dans  une  imprimerie  toute  petite,  mais  proprette,  coquette, 
hospitalière  (vous  la  connaissez,  ma  sœur),  où  je  me  reposais 
voluptueusement  sur  d'innocentes  affiches  de  la  littérature 


THÉRÈSE    SUREAU  30:; 

parisienne.  Mais  le  dimanche  suivant,  comme  vous  pensez 
bien,  j'arriviii  cliez  mon  oncle  presque  aussitôt  (pie  l'aurore. 
Je  trouvai  ma  cousine  chantant  à  sa  fenêtre  pour  bercer  un 
petit  enfant  tourmenté  par  la  dentition  ;  et  si,  d'aventure,  vous 
êtes  curieuse  de  connaître  sa  romance,  je  l'ai  relemie,  la 
voici  : 

LES     DENTS    DE     LAIT 


Pauvre  muse  dédaignée 
Dans  le  pays  des  luccliants, 
A  ton  berceau,  résiguée, 
Lois,  j'apporte  mes  cbants; 
Cette  fois ,  ma  gloire  est  sûre  : 
Mon  public  est  sans  sifflet , 
Et  son  baiser  sans  nlbrsure  : 
Il  n'a  (pio  ses  dents  de  lait. 

Dans  les  sentiers  de  la  vie, 
A  tous  les  buissons  pendant. 
Un  finit  nommé  Pvi'sie 
Tente  la  main  et  la  dent; 
A  l'enfant  qui  le  regarde 
Sa  couleur  veiinfillo  pl.iît  : 
Hoau  Lois,  un  jour,  prends  garde 
D'agacer  tes  dents  île  lait  ! 

Le  ciel  de  la  ville  est  sombre  : 

Oiseau  tidèle  ;\  ton  nid  , 

Si  tu  chantes,  clianle  ;\  l'onibrr 

De  noire  doclier  bruit. 

Potir  b>  bonlieur  seul  respire. 

Et  mt''nic>,  à  riionre  ijn'il  osf  , 


300  THÉRÈSE    SUREAU 

Qu'en  dormant  nn  long  sourire 
Laisse  voir  tes  dents  de  lait. 

Oui,  qu'une  douce  chimère 
Caresse  ton  front  vermeil  ; 
Rêve  des  baisers  de  mère, 
Je  vais,  pendant  ton  sommeil, 
Au  pâle  éclair  de  la  houille, 
Filant  comme  elle  filait, 
Demander  à  sa  quenouille 
Du  pain  pour  tes  dents  de  lait. 

Bravo!  m'écriai-je^  et  d'un  bond  je  fus  dans  la  chambre. 
Tliérèse  m'accueillit  cordialement,  mais  d'un  air  un  peu  froid. 
Ses  manières  trahissaient  une  préoccupation  secrète,  et  faisaient 
soupçonner  que  la  jeune  métromane  n'était  pas  tout  à  fait 
guérie,  mais  seulement  convalescente.  Je  me  trouvai  nn  mo- 
ment après  attablé  entre  elle  et  son  père,  devant  une  excel- 
lente soupe  au  choux  que  l'ex-muse  prétendit  avoir  faite  elle- 
même  et  sans  collaboration,  la  vaniteuse  !  Le  repas  fut  gai  :  on 
rit,  on  jasa  beaucoup,  je  soupçonne  même  que  l'on  déraisonna 
un  peu  :  la  piquette  et  la  joie  font  de  ces  tours.  Malheureuse- 
ment, comme  je  portais  mon  mouchoir  à  mes  yeux,  attendri 
par  les  remercîments  du  bonhomme,  le  mouvement  fit  sauter 
de  ma  poche  une  lettre  à  l'adresse  de  Thérèse.  Pendant  que  je 
présidais,  à  Paris,  au  transport  de  ses  effets,  allant  et  venant 
du  troisième  étage  à  la  rue,  son  portier  m'avait  remis  pour 
elle  ce  billet,  qui  était  resté  jusque-là  oublié  et  enseveli  dans 
la  poche  de  mon  habit  des  dimanches.  Hélas!  plût  à  Dieu  que 
les  souris  de  ma  chambrette  eussent  mangé  la  lettre  et  l'habit! 
c'était  une  invitation  d'un  directeur  de  théâtre  à  l'auteur  de 


THÉRÈSE    Si:  ri:  AT  307 

Zénobie,  que  Ton  attendait,  disait-il,  pour  cominoncer  !•■<  ré- 
pétitions de  son  drame,  reçu  la  veille  par  acclamation.  Tliérùse 
en  fit  leclure  à  liante  voix,  et  dés  lors  je  sentis  que  c'en  était 
fait  de  son  boniieur.  Nous  n'opposâmes  (luuiic  résistance  faible 
et  sans  espoir  à  l'invincible  fascination  (jui  l'entraînait  :  elle 
[larlit...  et  sans  retour! 

Un  mois  après  nous  pleurions,  son  pérc  et  moi,  sur  une 
lettre  au  cacbet  noir  portant  le  timbre  île  Paris.  Tbérèse  impa- 
tiente de  partir,  n'avait  trouvé,  aux  messa^'eries  de  la  ville 
voisine,  de  place  vacante  (|ue  sur  l'impériale,  et  battue  tout 
un  jour  \mr  l;i  pluie  cl  le  vent,  avait  pa?;sé,  à  son  arrivée,  de 
la  voiture  sur  un  lit  d'agonie.  La  {.doirc  l'eut  ^'uérie  peut-être; 
mais  à  l'insliinl  même  on  elle  se  traînait  avec  clïort  vers  le 
lliéàlre  dont  les  appels  l'av.iient  égarée,  ce  Ibéàlre,  comme 
par  une  vengeance  du  ciel,  croulait  dans  les  namnies  avec  ses 
oripeaux,  ses  décors,  ses  cartons,  bêlas  !  et  le  drame  de  Zrnobic! 
Dès  lors  la  fièvre  reditnbla  et  eut  bon  marclié  de  sa  victime, 
l'ne  circonstance  singulière  mar([ua  les  derniers  moments  tie 
Tbérèse;  connue  son  bùtesse  l'invitait  à  essayer  de  (pielipie 
iiounilun^  : 

((  .le  diiiiM'ai  (M>  soir,  dil-elle  avec  l'air  et  l'aeeenl  du  délire, 
je  diiierai  en  belle  et  nombreuse  eniMpagnit*  !  )-> 

l".l,  d'tnie  main  li-embl;uite,  elle  se  mil  à  tracer  des  invita- 
lions.  Or,  voici  (pielle  ('tait  la  liste  iW>  convives  : 

Dryden,  Mallilàlre,  Savage,  Cballirloii,  (iilb'vl,  l'scousso, 
l'jisa  MercuMU" 

Les  jours,  les  siMuaines,  les  mois  (pii  suivirent  ces  falale< 
nouvelles,  buent  j'our  moi,  citmme  vous  pense/  bien,  remplis 
de  distractions  douloureuses.   Les  caractères  répondaionl  les 


\ 


308 


THÉRÈSE    SUREAU 


uns  pour  les  aulres  à  l'appel  de  mes  doigts  talonnants  :  je  me 
barbouillais  d'encre  en  essuyant  mes  pleurs,  et  une  fois  entre 
autres,  m'étant  pencbé  sur  la  forme  humide  d'un  placard  qui 
devait  annoncer  la  mise  en  location  de  je  ne  sais  quel  appar- 
tement, je  trouvai,  en  me  relevant,  ces  mots,  imprimés  sur 
mon  gilet,  à  l'endroit  du  cœur  :  a  Vacant  par  suite  de  décès.  » 


Note.  —  «  Thérèse  Sureau  était  dans  l'origine  nn  feuilleton  plutôt  qu'une 
n  Ti.elle.  Le  drame  (si  drame  il  y  a)  servait  là  de  prétexte  au  développement 
t.  un  paradoxe.  Des  conseils  prudents,  mais  tardifs,  imposèrent  à  l'auteur  de 
larges  suppressions  qui ,  faites  sur  Y  épreuve  et  quand  il  était  trop  tard  poxir 
supprimer  la  pièce  entière ,  l'ont  dénaturée  complètement.  « 

HÉGÉSIPPE  MoREAU.    (Édition  de  1838.) 

Nous  devons  ajouter  à  cette  Note ,  trop  sévère  à  la  fois  et  trop  modeste, 
que  Thérèse  Sureau  est  restée ,  à  travers  toutes  les  corrections,  un  des  plus 
jolis  contes,  d'un  haut  intérêt  et  d'une  moralité  profonde. 

0.  L. 


LE    NEVKU    DE    LA    FiUITIÈKE 


«  Commont,  niallicureux  !  —  iviu'lait  à  son  lils  le  père  Lazare, 
cuisinier  à  Versailles, —  lu  auras  six  ans  à  Noël,  et  lu  ne  |>os- 
sètles  pas  enrore  le  niuimlre  talent  d'ai^rénienl  :  lu  ne  sai>  ni 
tuuriier  la  broelie,  ni  ('runier  le  |i(ttî  » 

\A  il  laut  avduer  (jue  le  [lère  l.a/.are  avait  (puM(jue  raison 
dans  ses  réiiriniandes,  car,  au  iiiniMeiil  où  se  jiasse  cette  scène, 
en  1771),  il  venait  »le  siuprendre  son  héritier  présomiilif  en 
lla;^ranl  ilélil  d'esplèj^leric  et  de  paresse,  s'eseriuiant ,  armé 
d  une  liroclietle  en  f^uise  de  llcunl,  coidrc  le  mur  enfumé  de 
la  cuisine,  sans  souci  diiuc  volaille  (pii  alleudail  pileusejnenl 
sur  la  l;d»lf'  le  nionicnl  d'être  ein|ia!ee.  et  de  la  marnùle  pater- 
nelle, qui  jelail  eu  murmurant  des  cascades  d'écume  dans  les 
cendres. 

—  Allons,  pardoiiue/.-lui  el  eud)ra>^c/.-le,  c(>  pauvre  enfant  : 
il  ne  le  fera  plus, — disait  ime  paysmue  jeune  encore!  frui- 
tière à  Montreuil,  el  s(eur  de  l'irritable  cuisinier.  —  iMarlIie 
(celait  son  nom)  était  venue  à  \ersailles  sons  prétexte  tie  eon- 
sulti'r  son  frère  sur  je  ne  sais  ipiel  procès,  mais  en  elTet  pour 
apporter  d(»s  baistMs  et  d''s  pèches  à  son  neveu  ilt>nt  elle  était 
folle,  l'ont,  dans  le  caractère  el  rcxlerieur  de  cet  enfant.  p»>u- 
vail  iu>ldicr  celle  alVection  exlraonliuaire;  cai   il  était  espièjîlc 


310  LE    NEVEU    DE    LA    FRUITIERE 

et  turbulent,  mais  bon  et  sensible,  et  gentil,  gentil!...  qu'on 
se  tenait  à  quatre  en  le  voyant  pour  ne  pas  manger  de  caresses 
ses  petites  joues,  plus  fraîches  et  plus  vermeilles  que  les  pêches 
de  sa  tante.  Mais  le  père  Lazare  grondait  toujours.  —  Six  ans! 
—  répétait-il,  —  et  ne  pas  savoir  écumer  le  pot!  je  ne  pourrai 
jamais  rien  faire  de  cet  enfant-là  ! 

Le  père  Lazare,  voyez-vous,  était  un  de  ces  cuisiniers  ren- 
forcés et  fanatiques,  qui  regardent  leur  métier  comme  le  pre- 
mier de  tous,  comme  un  art,  comme  un  culte,  dont  la  main 
est  posée  tièremenl  sur  un  couteau  de  cuisine  comme  celle  d'un 
pacha  sur  son  yatagan;  qui  dépouillent  une  oie  avec  l'air 
solennel  cVun  hiérophante  consultant  les  entrailles  sacrées^ 
battent  une  omelette  avec  la  majesté  de  Xercès  fouettant  la 
mer;  qui  blanchissent  sous  l'inamovible  bonnet  de  coton,  et 
tiendraient  volontiers,  en  mourant,  la  queue  d'une  poêle^ 
comme  les  Indiens  dévots  tiennent,  dit-on,  la  queue  d'une  vache. 

11  n'y  a  plus  de  ces  hommes- là. 

Quant  à  Marthe  la  fruitière,  c'était  une  bonne  et  simple 
créature,  si  bonne  qu'elle  en  était».,  non  pas  bete  comme  on 
dit  ordinairement,  mais,  au  contraire,  spirituelle.  Oui,  elle 
trouvait  parfois  dans  son  cœur  des  façons  de  parler  touchantes 
et  passionnées,  que  M.  de  Voltaire  lui-même,  le  grand  homme 
d'alors,  n'eût  jamais  trouvées  sous  sa  perruque. 

Il  y  a  encore  de  ces  femmes-là. 

—  Frère,  —  dit-elle,  émue  et  pleurant  presque  de  voir  pleurer 
son  petit  Lazare,  —  vous  savez,  ce  grand  bahut-que  vous  trou- 
viez si  commode  pour  serrer  la  vaisselle,  et  que  j'ai  refusé  de 
vous  vendre?  je  vous  le  céderai  maintenant  si  vous  le  voulez. 

—  J'en  donne  encore  dix  livres,  connue  avant. 


LE    NHVKL'     !)!•:    LA     F  I{  Il  T  I  L  H  L  .ill 

—  Vivre,  j'rii  veux  (hivantafio. 

—  Allons,  dix  livres  dix  sous,  vX  n'en  piirloiis  [ilus. 

—  Oli!  j'en  exi^e  plus  encore.  C'e^t  un  hésor(iue  ju  veuxl 
Le  père  Lazare  regarda  sa  sœur  lixcinenl,  connue  pour  voir 

si  elle  n'était  pas  folle. 

—  Oui,  —  poursuivit-elle  —  je  veux  mon  petit  Lazare  chez 
moi,  et  pour  moi  toute  seule.  Dès  ce  soir,  si  vous  y  consentez, 
le  bahut  est  à  vous,  et  j'cnnnène  le  petit  à  Monlreuil. 

Le  frère  de  Marthe  lit  bien  quebiues  dilTicultés,  car  au  fond 
il  éliiil  bon  iionnne  et  bon  pèie;  mais  l'enfant  en  liligc  lui 
faisait  faire, suivant  son  expression,  tant  de  mauvais  sainj  v[  de 
mauvaises  sauces!...  les  instances  de  Marthe  étaient  ^i  vives... 
et,  d'un  aulre  côté,  le  bahut  en  (jutslion  élait  si  conmiode  [luur 
serrer  la  vaisselle!...  enlin,  il  céda. 

—  Viens,  nu»n  enfant;  viens,  —  disait  Marihe,  en  enlraiuant 
11'  pdil  Lazai'i;  vers  sa  carriole, —  lu  seras  mieux  chez  moi,  au 
milieu  de  mes  pununes  dapi,  (|ue  lu  nian|;es  avec  tant  de 
t»laisir,  (jue  dans  la  S(tciélé  des  oies  rôlies  de  ton  père.  l'auvie 
enfani  !  tu  au  mis  pi'-ii  i  la  us  celle  fumée...  Ndis  [i  lu  loi,  —  .ijnul.i- 
l-elle  a\ee  une  iiaive  épouvaule,  —  niitu  bnni|Ue|  de  \iulclles,  ^i 
frais  Iniit  à  l'heure,  est  (h'-jà  faut'!  Oh  !  \ii  us  cl  marcluin>  \ile  : 
si  Ion  père  allait  se  déilire  el  h;  iciuuloiv! 

Lt  elle  enlraiuail  sa  proie  ^i  \ile,  (pie  les  passants  l'eussent 
prise  à  coup  sûr,  sans  sa  mise  ilécente  et  l  allure  libre  el  ^aic 
de  son  jeune  compai;non ,  pour  une  bohémienne  voleuse 
d'enfants. 

Le  premier  soin  (pu*  prit  la  bouut'  laule,  après  avoir  in>lallé 
son  neveu  chez  elle,  fut  de  lui  apprendre  elle-mèuie  à  lin»,  ce 
dont  le  père  Lazare  ne  ^e   fût  jamais  avise;  car,  totalement 


312 


LE    NEVEU    DE    LA     FRUITIERE 


dépourvu  d'instruction ,  le  brave  homme  n'en  connaissait  pas 
le  prix,  et  on  l'eût  bien  étonné,  je  vous  jure,  en  lui  apprenant 
qu'une  des  plumes  qu'il  arrachait  avec  tant  d'insouciance  à 
l'aile  de  ses  oies  pouvait,  tombée  entre  des  mains  habiles, 
bouleverser  le  monde.  Le  petit  Lazare  apprit  vite,  et  avec  tant 
d'ardeur,  que  l'institutrice  était  souvent  obligée  de  fermer  le 
livre  la  première,  et  de  lui  dire  :  «  Assez,  mon  ange,  assez  pour 
aujourd'hui;  maintenant,  va  jouer,  sois  bien  sage,  et  amuse- 
toi  bien.  »  Et  l'enfant  d'obéir  et  de  chevaucher  à  grand  bruit 
dans  la  maison  ou  devant  la  porte,  un  bâton  entre  les  jambes. 
Quelquefois  l'innocente  monture  semblait  prendre  le  mors  aux 
dents.  —  Mon  Dieu,  mon  Dieu!  il  va  tomber,  —  s'écriait  alors 
la  bonne  Marthe  qui  suivait  l'écuyer  des  yeux;  mais  elle  le 
voyait  bientôt  dompter,  diriger,  éperonner  son  manche  à  balai 
avec  toute  la  dextérité  et  l'aplomb  d'une  vieille  sorcière,  et, 
rassurée,  lui  souriait  de  sa  fenêtre  comme  une  reine  du  haut 
de  son  balcon. 

Cet  instinct  belliqueux  ne  fit  qu'augmenter  avec  l'âge;  si 
bien  qu'à  dix  ans,  il  fut  nommé,  dune  voix  unanime,  général 
en  chef  par  la  moitié  des  bambins  de  Montreuil  qui  disputaient 
alors,  séparés  en  deux  camps,  la  possession  d'un  nid  de  merle, 
liuitile  de  dire  qu'il  justifia  cette  distinction  par  des  prodiges 
d'habileté  et  de  valeur.  On  prétend  qu'il  lui  arriva  même  de 
gagner  quatre  batailles  en  un  jour,  fait  inouï  dans  les  annales 
militaires.  (Napoléon  lui-même  n'alla  jamais  jusqu'à  trois.) 
Mais  son  haut  grade  et  ses  victoires  ne  rendirent  pas  Lazare 
plus  fier  qu'auparavant,  et  lous  les  soirs  le  baiser  filial  accou- 
tumé n'en  claquait  pas  moins  franc  sur  les  joues  de  la  fruitière. 
Mais,  hélas!  la  guerre  a  des  chances  terribles,  el  un  beau  jour 


LE    NKVEU    D1-:     LA    F  UT  I  T  I  K  R  L  313 

le  conquérant  éprouva  une  mésaventure  (lui  faillît  le  dégoûter 
à  jamais  de  la  manie  des  conquêtes.  Voici  le  fait  :  connue  il  se 
baissait  pour  observer  les  mouvements  de  l'enneiiu,  la  iiiaiu 
appuyée  sur  un  tronc  d'arbre  et  à  peu  près  dans  la  posture  de 
Napoléon  pointant  une  batterie  à  Montmirail,  le  pantalon  du 
général  observateur  craqua,  et  se  décbira  par  derrière,  où  vous 
savez,  laissant  pendre  et  flotter  un  large  bout  de  la  petite  clie- 
mise  que  Marthe  avait  blanchie  et  repassée  la  veille.  A  celte 
vue,  les  héros  de  Monlreuil  poulTèrent  de  rire,  aussi  fort  que 
l'eussent  pu  faire  les  dieux  d'Homère,  grands  rieurs  comme 
chacun  sait.  L'armée  se  mutina,  le  général  cul  beau  crier 
comme  Henri  IV  dont  il  avait  lu  l'histoire  :  «  Soldats,  ralliez- 
vous  à  mon  panache  blanc!  »  on  lui  répondit  (|u'un  panache 
ne  se  mettait  pas  là,  et  qu'on  ne  pouvait,  sans  faire  injure  aux 
couleurs  françaises,  les  arborer  sur  une  pareille  brèche;  si  bien 
que  le  pauvre  général  brisa  sur  le  dos  d'un  mutin  son  bàluu 
de  connnandement,  et  rentra  dans  ses  foyers,  triste  et  penaud 
connue  les  Anglais  abordant  à  Douvres  après  la  bataille  île  i'on- 
lenoy...  Ce  nom  me  rappelle  une  circonstance  que  j'aurais  tort 
d'omettre,  car  cil»!  iidlua  bi'aucoui»  sur  le  caniclcrc  cl  la  des- 
tinée du  licros  de  cette  histoire,  lii  p.iuvre  sieuv  xildiil  (|ui 
venail  de  Irmps  en  temps  chez  .Marthe,  ^ii  parente  cloi;:nee. 
fumer  sa  pipe  au  cdiii  de  làlre,  cl  se  rcch.ndïer  le  cirur  d  un 
verre  île  ralalia,  ir,iN;ul  pas  nian(|né  d'y  ra«onlei  Inutilement 
connue  quoi  lui  et  le  maréchal  de  Saxe  avaient  uiif^ne  la  célèbre 
bataille.  Je  vous  laisse  à  piMiser  si  ce  n'cit  ine\acl,  mais  chaud, 
avait  dû  enilinumer  l'imaizinaliiin  du  jeune  ainlileiu'.  Depuis 
lors,  endornn  ou  i-veilli',  il  enîendail  sans  cesse  pialler  l«'s  che- 
vaux, sil'ller  les  halles,  cl  gronder  les  canons;  e|  plu>  d'une 

18 


314  LE    NEVEU    DE    LA    FRUITIÈRE 

fois,  seul  dans  sa  petite  chambre,  il  se  fit  en  pensée  acteur  de 
ce  grand  drame  militaire. 
11  eût  fallu  le  voir  alors  trépigner,  bondir  et  crier  : 
—  Tirez  les  premiers,  messieurs  les  Anglais!  —  Maréchal, 
notre  cavalerie  est  repoussée  î  —  La  colonne  ennemie  est  iné- 
branlable !  —  En  avant  la  maison  du  roi  !  —  Pif  !  paf  !  Baound! 
baound  !  —  Bravo  !  le  carré  anglais  est  enfoncé  !  —  A  nous  la  vic- 
toire! vive  le  roi!  Le  pauvre  Lazare  se  croyait  pour  le  moins 
alors  écuyer  de  Louis  XV  ou  colonel.  Une  pareille  ambition 
vous  fait  rire  sans  doute!  C'eût  été  miracle,  n'est-ce  pas,  que 
le  neveu  de  la  fruitière  pût  s'élever  si  haut?  Oui,  mais  sou- 
venez-vous que  nous  approchons  de  1789,  époque  féconde  en 
miracles,  et  écoutez  : 

Lazare,  engagé  d'abord  dans  les  gardes  françaises,  malgré 
les  larmes  de  sa  tante,  qu'il  tâchait  en  partant  de  consoler  par 
ses  caresses,  ne  tarda  pas  à  devenir  sergent.  Puis  le  siècle 
marcha,  et  la  fortune  de  bien  des  sergents  aussi.  Enfin,  de 
grade  en  grade,  il  devint...  devinez.  —  Colonel?  —  Il  n'y  avait 
plus  de  colonels.  —  Écuyer  du  roi?  -^  Il  n'y  avait  plus  de  roi. 
—  Vous  ne  devinez  pas?  Eh  bien  !  Lazare,  le  fils  du  cuisinier, 
Lazare,  le  neveu  de  la  fruitière,  devint  général;  non  plus 
général  pour  rire,  et  en  casque  de  papier;  mais  général ^îour 
de  bon,  avec  un  cliapeau  empanaché  et  un  habit  brodé  d'or; 
général  en  chef,  général  d'une  grande  armée  française,  rien 
que  cela,  et  si  vous  en  doutez,  ouvrez  l'histoire  moderne,  et 
vous  y  lirez  avec  attendrissement  les  belles  et  grandes  actions 
du  général  Hoche.  Hoche  était  le  nom  de  famille  de  Lazare. 
Hâtons -nous  de  dire  à  sa  louange  que  ses  victoires,  bien 
sérieuses  cette  fois,  le  laissèrent  aussi  modeste  et  aussi  bon  que 


LE    NEVEU    DE    L\    FRUITIÈRE  31", 

SOS  victoires  enfantines  à  Montreuil.  Aussi,  lorsqu'un  jour  de 
revue ,  il  passait  au  galop  devant  le  front  de  son  armée ,  il  y 
avait  encore,  à  une  fenêtre  près  de  là,  une  bonne  vieille  femme 
qui  couvait  des  yeux  le  beau  général,  balelante  de  plaisir  et  de 
crainte,  et  répétant  comme  vingt  ans  auparavant  :  «  Mon  Dieu  ! 
mou  Dieu!  il  ta  tondx'r!  »  Oiiant  au  cuisinier  grondeur  de 
Versailles,  il  était  là  aussi,  émerveillé  d'avoir  donné  un  héros 
à  la  patrie,  répétant  avec  un  certain  air  de  suflisance,  à  ceux 
qui  l'en  félicitaient:  —  Vous  ne  sauriez  croire  combien  j'iii  eu 
de  peine  à  élever  cet  enfant-là!  Figurez-vous,  citoyens,  (pià 
six  ans  il  ne  savait  pas  écumer  le  pol  ! 


I  I  \ 


I 


TABLE 


PAfilS 

IIÉGÉSIPPE  MOREAl) 1 

Dix -huit  ans 27 

Vive  le  roi 29 

Déranger 31 

Kpitre  à  M.  Firuiin  Uidol,  sur  rimpriiiierK; 33 

DioGÉNE,  fantaisie  poétique.  —  Piéfaee  de  rAutciu 42 

L'Abeille 43 

I.fi  Parti  bonapartiste,  à  Joseiih  Honaparic 51 

l.a  l'rincesse ."j? 

Merlin  de  Thionville 59 

A  M.  C.  Opoix,  do  Provins,  cx-convenlionnel OT 

Le  PiW'te  en  iirovinrc "4 

A  Henri  V 80 

L'Apparition î»!< 

Les  Noces  de  C,:\ua 94 

Le  Hameau  incendié.    ...                    .     .  98 

l'n  Souvenir  à  l'hôpital tOl 

L'Hiver t^'b 

les  .Modi.stfs  ho.'ipitalii'rei,  anocilolo  iK'  Juillet  lS3ti ••- 

Vive  la  lloauté .11» 

1/Aniant  tinude .     .  IIT 

Les  J(>iu  .le  lAinoiir  et  dn  ll.is;ir.l .  it".^ 


318  TABLE 

PAGES 

Chanson  patriotique  des  Danseiises  de  TOpéra ,  pour  fêter  l'anniversaire 

de  la  Révolution  de  Juillet 121 

L'Écolière 124 

Béranger 127 

La  Muse 120 

Le  Tocsin 131 

Souvenirs  d'enfance 133 

La  Fauvette  du  Calvaire,  fabliau  normand.     .    .    .' 135 

A  un  Auteur  iiermaphrodite 137 

Le  Joli  Costume. 138 

A  Jean  de  Paris,  improvisé  à  une  représentation  de  Don  Juan.  .    .    .  141 
Surgile  mortui ,  couplets  chantés  à  un  déjeuner  dont  tous  les  convives 

avaient  tenté  o\\  médité  lo  suicide 144 

Le  Dernier  Jour 147 

Les  5  et  6  Juin  1832,  chant  funèbre 150 

Mil  hiiit  cent  trente -six.  .    .    .    , 155 

Nicolas,  chanson  à  boire  écrite  sur  la  carte  à  payer  d'un  restaurateur.  159 

Les  Croix  d'honneur.   .     .     .     .- 162 

L'Ile  des  Bossus,  conte -clianson 1G4 

La  Fermière,  romance Ifi9 

Si  vous  m'aimiez,  romance 172 

A  une  Dame  qui  se  plaignait  de  voir  aux  Tuileries  sa  chaise  entourée 

de  jeunes  gens 174 

Les  Deux  Amours 174 

Les  Contes 177 

L'Oiseau  que  j'attends ,  romance l8l 

Les  Cloches 1S3 

Le  Revenant 186 

Bordeaux,  ode  à  Madame  ***,  de  la  Gironde 188 

Lacenaire  poëte 193 

Le  Corse 198 

A  Médor 200 

Les  Voleurs 202 

M.  Paillard 205 

Réponse  à  une  invitation 208 


TAbLK  319 

PAGES 

La  Confession 209 

Fable iilt 

L'holement,  élégie,  à  Madame  *•* 21i 

Soyez  bénie  ! 217 

Sur  la  Mort  d'une  Cousine  de  sept  ans 218 

L'Bnfant  maudit ,  conte 22o 

Les  Signes  de  croix tii 

Un  Quart  d'Heure  de  dévotion 227 

Le  Ciiaut  des  Anges,  romance 234 

La  Sœur  du  Tasse 237 

la  Voulzie,  élégie 2 il 

Le  Haptème 213 

A  mou  Ami; iVj 

A  mes  Chansons ^iS 

Contes.  —  Le  Gui  de  chiliio ili3 

La  Souris  blaïuiio -67 

Les  Petit:;  Snuliers iSo 

Thérèse  Sureau 2",»7 

Le  Neveu  de  la  Fruilicrc 3u'.» 


IIN    1)1.    I..\    1  Ali  1.1 


i'MUS  —    IWrUlMLUlU    LIH'UAM)    ULOt,    RUE    S  A  l  .N  T  -  LU  U  l  S  ,    41 


rLF  Moreau,    Hégésippe 


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