HANDBOUN'D
AT THE
UNT\ERSITY OF
TORONTO PRESS
(E U V RE s
D E
J. RACINE.
TOME SECOND,
? <E U VRES
J. RACINE,
DE VACADÈMIE FRANÇOISE.
Nouvelle Edition, j>îus correêle ïfglus
ample que les précédentes,
TOME SECOND.
A PAR
p-f"
Chez Barbou, rue Saint Jacques ,
aux Cicognes.
M. Dec. L X.
Avec Approbation (f Privikgt du Rou
fîîb
BÉRÉNICE,
TRAGEDIE,
Tome. IL
A MONSEIGNEUR
CO LBERT,
Secrétaire d'Etat , Contrôleur Général des
Finances , Sur - Intendant des Eâtimens ,
Grand Tréforier âes Ordres du Roi ,
Marquis de Seignelai , &c,.
Mon
SEIGNEUR,
Q UE L Q UE jujle défiance que faye de moi-même
6» de mes ouvrages, j'cfe efpérer que vous ne condamnerez
pas la liberté que je prens de vous déiier cette Tragédie,
Vous ne l'avei pas jugée tout-à-fait indign: de votre
approbation. Mais ce qui fait fon plus grand mérite au-
près de vous , c'ejl , MONSEIGNEUR, jue vous
ave[ été témoin du bonheur qu'elle a eu de ne pas déplaire
à Sa Majejlé,
L'on/ait que les moindres chofes vous dev'îennent conjl'
éérahUs , pour peu qu'elles puiffem fervir ou à fa gloire
ou à fon plaijlrt Et c^ejl ce qui fait qiCau milieu de tant:
Ai;
É P I T R E.
d^'importantes occupations ^ où le lèle de votre Prince 6»
le Bien Public vous tiennent continuellement attaché jvous
ne dédaigneipas quelquefois de defcenire jufqiCà nous ,
pour nous demander compte de notre loijîr.
J'aurais ici une belle occajîon de m'étendrefur vos
louanges ,Ji vous me permettiez de vous louer. Et que ne
dirois-je point de tant de rares qualités gui vous ont attiré
V admiration de toute la France ; de cette pc'nctration à la-
quelle rien n^ échappe ; de cet efprit vafte, qui embraffe, qui
exécute tout à la fois tant de grandes chofes; de cette ams.
çue rien n'étonne j que rien ne fatigue.
Mais, MONSEIGNEUR, il faut être plus re-
tenu d vous parler d€ vous-même ; ^ je craindrais de nCex-
pofer, par un éloge importun, d vous faire repentir de Vac-^
tention favorable dont vous m'aveihonoré. Il vaut mieux
quejefonge àla mériter par quelque nouvel ouvrage. AuJJî-
hien, c'eft le plus agréable remerciment qiCon vouspuijf^
faire. Je fuis (ivec un profond refpe^,
MONSEIGNEUR,
-Votre très-humble &
iCrès-.obéiflant ferviteur ,
RACINE.
PREFACE,
J. nus reginamBerenicm, cu'i etiam nuptlaspollicl-
tus ferebatur j Jîatim ah urbe dimijît invitus invitam.
C'eft-à-dirc , que Titus , qui aimoic paflionnémenÉ
Bérénice, &: qui même, à ce qu'on croyoic , lui avoir
promis de Tépoufer , la renvoya de Rome , malgré lui^
& malgré cHc , dès les premiers jours de fon Empire*
Cette aaion eft très-fameufe dans l'hiftoire 5 &: je l'ai
trouvée très-propre pour le théâtre , par la violence
des paffions qu'elle y pouvoir exciter. En effet , nous
n'avons rien de plus touchant dans tous les Poètes ,
que la feparation d'Enée & de Didon , dans Virgile. Ec
qui doute que ce qui a pu fournir alTèz de matière pour
tout un chant d'un Poème Héroïque , où l'aftion dure
plufisurs jours , ne puifle lufEre pour le fujet d'untf
Tragédie , dont la durée ne doit être que de quelques
heures î II eft vrai que je n'ai point pouffé Bérénice
jufqu'à fe tuer comme Didon ; parce que Bérénice
n'ayant pas ici avec Titus Tes derniers engagemens que
Didon avoir avec Enée , elle n'eft pas obligée , comme
elle , de renoncer à la vie. A cela près, le dernier
^dieu qu'elle dit à Titus , & l'effort qu'elle fe fait pour
s'en féparer , n'eft pas le moins tragique de la pièce ;
& j'ofe dire qu'il renouvelle affez bien , dans le cœur
des fpeûateurs , l'émotion que le refte y avoit pu exci-
ter. Ce n'eft poinç une néceffiçé qu'il y aie du fang &
A iij
PRÉFACE.
des morts dans une tragédie 5 il fuffit que l'aifiîon en
foit grande , que les adeurs en foient héroïques , que
les partions y foient excitées, Se que tout s'y reflènte de
cette trifteflc majeflueufe qui fait tout le plaifir de la
Tragédie.
Je crus que je pourrois rencontrer toutes ces parties
dans mon fujet. Mais ce qui m'en plut davantage , c'eft
que je le trouvai extrêmement fîmple. II y avoit long-
temps que je voulois eflayer lî je pourrois faire une tra-
gédie avec cette fimplicité d'aûion qui a été fi fort
du goût des anciens. Car c'eft un des premiers pré-
ceptes qu'ils nous ont lailTés. 33 Que ce que vous ferez
33 d t Horace, foit toujours lîmple, & ne foit qu'un. 33
Ils ont admiré l'Ajax de Sophocle , qui n'eft autre
chofc qu'Ajax qui fe tue de regret, à caufe de la fureur
où il étoit tombé , après le refus qu'on lui avoit fait des
armes d'Achille. Ils ont admiré le Philodete , dont
tout le fujet eft Ulyfle , qui vient pour furprendre les
fièches d'Hercule. L'CEdipe même , quoique tout plein
de reconnoifl'ances , eft moins chargé de matière que la
plus fîmple tragédie de nos jours. Nous voyons enfin
que les partifans de Tércnce , qui l'élèvent avec raifon
au-deflus de tous les poètes comiques, pour l'élégance
de fa diûion , & pour la vraifcmblance de fes mœurs ,
ne laiffentpas deconfeiler que Plaute a un grand avan-
tage fur lui, par la fimplicité qui eft dans la plupart des
fujets de Plaute. Et c'eft fans doute , cette fimplicité
nicrveilleufe qui a attiré à ce dernier toutes les louan-
ges que les anciens lui ont données. Combien Ménan-
PRÉFACE.
dre étoit-îl encore plus fimple , puifque Térence eft
obligé de prendic deux comédies de ce Poète , pour çq,
faire une des ûennes ?
Et il ne faut point croire que cette règle ne fbit fon-
dée que fur la fantaisie de ceux qui l'ont faite. 11 n'y a
que le vraifemblable qui touche dans la Tragédie.^ Ec
quelle vraifemblance y a-t-il qu'il arrive en un jour une
multitude de chofes qui pourroient à peine arriver en
plufieurs fcmaines ? Il y en a qui penfent que cette {Im-
plicite eft une marque de peu d'invention. Ils ne fon-
gent pas qu'au contraire toute l'invention confiflc à
faire quelque chofc de rien, &que tout ce grand nom-
bre d'incidents a toujours été le refuge des Poètes qui
ne fentoient dans leur génie ni aflez d'abondance, ni
allez de force , pour attacher durant cinq a£les leurs
fpcdateurs , par une aiflion fimple , foutenuc de la
violence des paflîons , de la beauté des fentimens , 6c
de l'élégance de l'expreffion. Je fuis bien éloigné de
croire , que toutes ces chofes fe rencontrent dans mon
ouvrage. Mais aufll je ne puis croire que le public me
fâche mauvais gtc de lui avoir donné une tragédie ,
qui a été honorée de tant de larmes , & dont la tren-
«icme repréfentation a été auffi fuivie que la première.
Ce n'eft pas que quelques perfonnes ne m'ayent re-
proché cette même fimplicité que j'avois recherchée
avec tant de foin. Ils ont cru qu'une tragédie, qui
ctoit fi peu chargée d'intrigues , ne pouvoit être félon
les règles du Théâtre. Je m'informai s'ils fe plai-
gnoieat qu'elle les euç ennuyés. On me dit qu'ils
Aiv
PRÉFACE.
avouoîent tous qu'elle n*ennuyoit point , qu^elle les
touchoic même en plufieurs endroits , & qu'ils ia ver-
roient encore avec plaifîr. Que veulent-ils davantage î
Je les conjure d'avoir aflez bonne opinion d'eux-
mêmes , pour ne pas croire qu'une Pièce qui les touche ,
& qui leur donne du plaifir, puifle être abfolumenc
contre les règles. La principale règle eft de plaire
& de toucher. Toutes les autres ne font faites que
pour parvenir à cette première. Mais toutes ces règles
font d'un long détail , dont je ne leur confeille pas de
s'embaraffer. Ils ont des occupations plus importantes.
Qu'ils fe repofent fur nous de la facigue d'éclaircir les
difficultés de la Poétique d'Ariftote. Qu'ils fe réfer-
vent le plailîr de pleurer & d'être attendris , & qu'ils
me permettent de leur dire ce qu'un Mulicien difoit à
Philippe , Roi de Macédoine , qui prétendoit qu'une
chanfon n'étoit pas félon les règles : 33 A Dieu ne
w plaife , Seigneur, que vousfoyez jamais fi malheureux
n que de favoir ces chofes-là mieux que moi ! 33
Voilà tout ce que j'ai à dire à ces perfonnes, à qui je
ferai toujours gloire de plaire j car pour le libelle que
l'on a fait contre moi , je crois que les leûeurs me dif-
penferont volontiers d'y répondre. Et que répondrois-
je à un homme qui ne penfe rien , & qui ne fait pas
même confhuire ce qu'il penfe ? Il parle de Protafe
comme s'il entendoit ce mot , & veut que cette pre-
mière des quatre parties de la Tragédie foit toujours la
plus proche de la dernière , qui eft la Cataftrophe. Il fe
plaint que la trop grande connçiffauce des règles l'em-
PRÉFACE.
pêche de fe divertir à la Comédie. Certainement fi l'on
en juge par fa. difTertation , il n'y eut jamais de plainte
plus mal fondée. II paroît bien qu'il n'a jamais lu So-
phocle, qu'il loue très-injuftement d'une grande multi-
plicité d'incîdens ; Se qu'il n'a même jamais rien lu de
la Poétique , que dans quelques Préfaces de Tragédies.
Mais je lui pardonne de ne pas favoir les règles du
Théâtre, puifqu'hcureufementpour le public il ne s'ap-
plique pas à ce genre d'écrire. Ce que je ne lui pardonne
pas , c'eft: de favoir fi peu les règles de la bonne plai-
fanterie , lui qui ne veut pas dire un mot fans plaifanter.
Croit-il réjouir beaucoup les honnêtes gens par ces hélas
depochesyces mefdemoifelles mes Règles^ôc quantité d'au-
tres baffes affedacions qu'il trouvera condamnées dans
tous les bons Auteurs , s'il fe mêle jamais de les lire ?
Toutes ces critiques font le partage de quatre ou
cinq petits auteurs infortunés , qui n'ont jamais pu par
eux-mêmes exciter la curiofitc du public. Ils attendent
toujours l'occafîon de quelque ouvrage qui réuflifTe ,
pour l'attaquer : non point par jaloufie , car fur quel
fondement feroicnt-ils jaloux ? mais dans l'efpérance '
qu'on fe donnera la peine de leur répondre , Se qu'on
les tirera de l'obfcurité où leurs propres ouvrages ks
auroicat lùSks toute leur vie.
n^i
ACTEURS.
TITUS, Empereur de Rome.
BÉRÉNICE, Reîne de Paleftîne.
A N T I O C H U S , Roi de Comagcne.
PAULIN, Confident de Titus.
A R S A C E , Confident d'Antiochus.
P H É N I C E , Confidente de Béréaice*
RUTILE, Romain.
SUJTEDETITUS.
La Scène ejl à Rome, dam un Calînet, qui eji entre
VJpparteînem ds Titus kf celui ds Bérénice,
BERENICE^
TRAGÉDIE.
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
ACTE PREMIER,
SCENE PREMIERE.
ANTIOCHUS, ARSACE.
Ahtiochus»
y^RRETOKS un moment. La pompe de cts lieux.
Je le vois bien , Arface , cft nouvelle à tes yeux.
Souvent ce cabinet, fuperbe & folitaire.
Des fccrets de Titus eft le dépofitaire.
C*eft ici quelquefois qu'il fe cache à fa cour ,
Lorfqu'il vient à la reine expliquer fon amour.
De fon appartement cette porte eft prochaine ,
Et cette auçre conduit dans celui de la reine.
A vj
Il BÉRÉNICE,
Va cher elle. Dis-lui qu'importun â regret,
J'ofe lui demander un entretien fecret.
A R s A C E.
Vous , Seigneur , importun ? Vous , cet ami fîdclle ,
Qu'un foin fi généreux intéreflc pour elle ?
Vous, cet Antiochus, Ton amant autrefois ?
Vous , que l'Orient compte entre fcs plus grands rois ?
Quoi , déjà de ïitus époufe en efpérance ,
Ce rang entr'clle & vousanet-il tant de diftance ?
Antiochus.
Va , dis- je ; & fans vouloir te charger d'autres foins ,
Voi fi je puis bien-tot lui parle^rfans témoins,
SCENE IL
Antiochus feid.
-tA É BIEN , Antiochus , es-tu toujours le même ?
Pourrai-jc , fans trembler , lui dire, je vous aime î ■
Mais quoi , déjà je trembie , & mon cœur agité
Craint autant ce moment que je l'ai fouhaiié,
Bérénice autrefois m'ôta toute efpérance j
Elle m'impcfa même un éternel filence.
Je me fuis tû cinq ans ; & , jufqucs à ce jour 3
D'un voile d'amitié j'ai couvert mon amour.
Dois-je croire qu'au rang , où Titus la deftine,
Elle m'écoute mieux que dans la Paleftine î
Il répoufe. Ai-je donc attendu ce moment ,
Pour me venir encor déclarer fon amant ?
Quel fraie me reviendra d'un aveu téméraire ?
Ah, puifqu'il faut partir , partons fans lui déplaire ï
Retirons-nous , fortons ; Se , fans nous découvrir.
Allons loin de fcs yeux l'oublier , ou mourir.
Hé quoi, fouffrir toujours un tourment qu'elle igno-re?
Toujours verfer des pleurs qu'il faut que je dévore ?
Quoi , même en la perdant, redouter fon courroux î
"Etdk reine , & pourquoi vous offenuTexiei-vous l
T.R A G È D 1 E. 1}
Vicns-je vous demander que vous quicticz l'empire ,
Que vous m'aimiez î Hclas ! Je ne viens que vous dire
Qu'aprcs m'être long-temps flatté que mon rival
Trouveroit à Ces vœux quelque obftade fatal ,
Aujourd'hui qu'il peut tout, que votre hymen s'avance ,
Exemple infortuné d'une longue confiance ,.
Après cinq ans d'amour & d'eipoir fuperflus ,
Je pars , fidèle encor , quand je n'efpère plus.
Au lieu de s'ofFenfer , elle pourra me plaindre.
Quoiqu'il enfoit, parlons, c'eftaflez nous contraindre.
Et que peut craindre , hélas ! un amant fans efpoir ,
Qui peut bien fe réfoudre à ne la jamais voir ?
SCENE I I L
ANTIOCHUS, ARSACE.
Antiochus.
A RSACE, entrerons-nous ?
A R s A C ï.
Seigneur , j'ai vil la rcmc
Mais , pour me faire voir , je n'ai percé qu'i peine
Les flots toujours nouveaux d'un peuple adorateur ,
Qu'attire fur Ces pas fa prochaine grandeur.
Titus , après huit jours d'une retraite auftère ,
Cefiè enfin de pleurer Veipafien fon père.
Cet amant fc redonne aux foins de fon amour ;
Et fi j'en crois , Seigneur, l'entretien de la cour.
Peur-être , avant la nuit, l'heureufe Bérénice,
Change le nom de reine au nom d'impératrice.
Antiochus.
Hélas !
A R s A c E.
Quoi , ce difcours pourroit-il vous troubler ?
Antiochus.
Âinû dçnc , fans cémoins , je ne lui puis parler ^
14 BÉRÉNICES
A R s A C E.
Vous la verrez , Seigneur : Bérénice eft înftruîte
Que vous voulez ici la voir feule , & fans fuite»
La reine , d'un regard , a daigné m'avertir
Qu'à votre emprellèmenc elle alloit confentir.
Ec , fans doute, elle attend le moment favorable
Pour difparoître aux yeux d'une cour qui l'accable»
Antiochus.
Il fuffit. Cependant n'as- tu rien négligé
Des ordres importans dont je t'avois chargé ?
A R s A c E.
Seigneur , vous connoiffcz ma prompte obéiflancfi.
Des vailTeaux dans Oilic armés en diligence ,
Prêts à quitter le port de momens en momens ,
N'attendent, pour partir , que vos commandemcns»
Mais qui renvoyez-vous dans votre Comagène î
Aktiochus.
Arface , il faut partir quand j'aurai vu la reine*
A B. s A c £.
Qui doit partir ?
Antiochus,
Moi.
A R s A c E.
Vous ?
A N ï I G c H U s.
En fortant du palais.
Je fors de Roiuf , Arface , & j'en fors pour jamais.
A R s A c £,
Je fuis furpriff fans doute, & c'eft avec juftice.
Quoi , depuis (i long-temps la reine Bérénice
Vous arrache , Seigneur , du fein de vos états.
Depuis trois ans dans Rome elle arrête vos pas ;
Et lorfque cette reine , afTiuant fa conquête ,
Vous attend pour témoin de cette illuftre fête.
Quand l'amoureux Titus , devenant fon époux.
Lui prépare un éclat qui rejaillit fur vous . . .
Antiochus.
Arface, laifle-la jouir de fa fortune ,
E; quitte un entretien dont le cours m'importune
TRAGÉDIE, ij
A R s A C E.
Je vous entens , Seigneur. Ces mêcnes dignités
Ont rendu Bérénice ingrate à vos bontés.
L'inimitié fuccède à l'amitié trahie.
Antiochus.
Non , Arface , jamais je ne l'ai moins haïe.
A R s A c £.
Quoi donc 1 De fa grandeur dcjA trop prévenu ,
Le nouvel Empereur vous a-t-il méconnu ?
Quelque prellentimenc de fon indifférence
Vous tait-il loin de Rome éviter fa préfence ?
Antiochus.
Titus n'a point pour moi paru fc démentir ,
J'aurois tort de me plaindre.
A R s A c E.
Et pourquoi doiîc partît î
Quel caprice vous rend ennemi de vous-même ?
Le Ciel met fur le trône un prince qui vous aime ,
Un prince , qui jadis témoin de vos combats.
Vous vit chercher la gloire & la mort fur Ces pas ;
Et de qui la valeur par vos foins fécondée ,
Mit enfin fous le joug la rebelle Judée.
Il Ce fouvient du jour illuftre & douloureux
Qui décida du fort d'un long fiège douteux.
Sur leur triple rempart les ennemis tranquilles
Contemploient , fans péril , nos aflaucs inutiles.
Le bélier impuiflant les menaçoit en vain.
Vous feul, Seigneur, vous fcul, une échelle à la main.
Vous portâtes la mort jufques fur leurs murailles.
Ce jour prefqoe éclaira vos propres funérailles 5
Titus vous embrafl'a mourant entre mes bras ,
Et tout le camp vainqueur pleura votre trépas.
Voici le temps , Seigneur, où vous devez attendre
Le fruit de tant de fang qu'ils vous ont vu répandre»
Si , preffé du défir de revoir vos états ,
Vous vous laflcz de vivra , où vous ne régnez pas J
Faut-il que fans honneur l'Euphrate vous revoie î
Attendez pour partir que Céliar vous renvoie
i& BÉRÉNICE,
Triomphant, &: chargé des titres fouverains.
Qu'ajoute encore aux rois l'amitié des Romains.
Rien ne peut-il , Seigneur , changer votre entreprife ^
Vous ne répondez point.
Antiochus.
Que veux-tu que je dife >
J'attens de Bérénice un moment d'entretien.
A R s A. c E.
Hé bien , Seigneur ?
A N T I o c H u s.
Son fort décidera du mien.
A R s A c E.
Comment ?
Antiochus.
Sur fon hymen j'attens qu'elle s'explique.
Si fa bouche s'accorde avec la voix publique j
S'il eft vrai qu'on l'élève au trône des Céfars 5
Si Titus a parlé , s'il l'époufe , je pars»
A R s A c E.
Mais qui rend à vos yeux cet hymen iî funefte ?
Antiochu s.
Quand nous ferons partis , je te dirai le rcfte.
A R s A c E.
Dans quel trouble , Seigneur , jette2-vous mon cfprîc :
Antiochus.
La reine vient. Adieu. Fais tout ce que j'ai dit.
SCENE IV.
BÉRÉNICE , ANTIOCHUS , PHÉNIQE.
BÉRÉNICE.
Jlj NFiN je me dérobe à la joie importune
De tant d'amis nouveaux que me fait la fortune»
Je fuis de leurs refpeds l'inutile longueur ,
Pour chercher un ami qui me parle du cœur.
TRAGÉDIE. 17
II ne faut point mentir : ma jufte impatience
Vous acculbit déjà de quelque négligence.
Quoi ! Cet Antiochus , difois-je y dont les foins
One eu tout l'Orient Se Rome pour témoins j
Lui , que j'ai vu toujours, confiant dans ïnes traverfcs.
Suivre d'un pas égal mes fortunes diveifes ;
Aujourd'hui que le Ciel feuîble nie préfager
Un honneur, qu'avec vous je prétens partager ;
Ce même Antiochus , fe cachant à ma vue ,
Me laifle à la merci d'une foule inconnue ?
Antiochus.
Il e(l donc vrai, Madame ? Et , félon ce difcours.
L'hymen va fuccédcr à vos longues amours 1
BÉRÉNICE.
Seigneur , je vous veux bien confier mes allarmes.
Ces jours ont vu mes yeux baignés de quelques larmes.
Ce long deuil, que Titus impofoit .1 fa cour ,
Avoir , même en fecret, fufpendu fon amour.
Il n'avoir plus pour moi certe ardeur aflidue ,
Lorfqu'il pallbit les jours, arraché fur ma vue.
Muet , chargé de foins , &: les larmes aux yeux ,
Il ne me lailïbit plus que de triftes adieux.
Jugez de ma douleur , moi , dont l'ardeur extrême ,
Je vous l'ai dit cent fois , n'aime en lui que lui-même :
Moi , qui loin des grandeurs, donc il elt revêtu,
Aurois choifi fon cœur, & cherché fa vertu.
Antiochus.
Il a repris pour vous fa tendrcfTe première î
BÉRÉNICE.
Vous fûtes fpcûateur de cette nuit dernière ,
Lorfque , pour féconder C<is foins religieux.
Le Sénat a placé fon père entre les Dieux,
De ce jufte devoir fa piété contente ,
A fait place , Seigneur, aux foins de fon amante.
Et, même en ce moment, fans qu'il m'en ait parle.
Il eft dans le Sénat par fon ordre aflemblé.
Là , de la Paleftine il étend la frontière j
Il y joini; l'Arabie &c la Syrie entière.
i8 BÉRÉNICE,
Et , fi de {es amis j'en dois croire la voix ,
Si j'en crois Ces fermens redoublés mille fois,
11 va fur tant d'états couronner Bérénice ,
Pour joindre à plus de noms celui d'impératrice*
Il m'en viendra lui-uiême aflûrer en ce lieu.
Antiochus.
Et je viens donc vous dire un éternel adieu.
Bérénice.
Que dites-vous ? Ah Ciel ! Quel adieu ? Quel langage î
Prince, vous vous troublez & changez de vifage î '
Anti ochus.
Madame , il faut partir.
BÉRÉNICE.
Quoi ! Ne puis- je favoir
Quel fujet. . . .
Antiochus à part.
Il falloir partir fans la revoir.
BÉRÉNICE.
Que craignez-vous ? Parlez ; c'eft trop long-temsfe taire.
Seigneur , de ce départ quel eft donc le myllère î
Antiochus.
Au moins, fouvenez-vous que je cède à vosloix.
Et que vous m'écoutez pour la dernière fois.
Si dans ce haut degré de gloire &: de puiflance ,
Il vous fouvient des lieux où vous prîtes naiflancc ,
Madame , il vous fouvient que mon cœur en ces lieux
Reçut le premier trait qui partit de vos yeux.
J'aimai , j'obtins l'aveu d' Agrippa votre frère.
Il vous parla pour moi. Peut-être fans colère
Alliez- vous de mon cœur recevoir le tribut ;
Titus , pour mon malheur , vint , vous vit, & vous plut.
Il parut devant vous dans tout l'éclat d'un homme
Qui po'te entre fcs mains la vengeance de Rome.
La Judée en pâlit. Le trille Antiochus
Se compta le premier au nombre des vaincus.
Bien-tôt, de mon malheur interprète févère.
Votre bouche à la- mienne ordonna de fe taire.
TRAGÉDIE. t9
Je difputaî long-temps , je fis parler mes j-eux.
Mes pleurs & mes foupirs vous fuivoient en tous lieux.
Enfin , votre rigueur emporta la balance ;
Vous fûtes ra'impofer l'exil ou le lîlence ;
Il fallut le promettre , & même le jurer.
Mais , puifqu'en ce moment j'ofe me déclarer ,
Lorfque vous m'arrachiez cette injufte pronif^flc ,
Mon cœur faifoit ferment de vous aimer fans celle»
Bérénice.
Ah ! Que me dites-vous ?
Antiochus.
Je me fuis tû cinq ans ,
Madame , Se vais encor me taire plus long- temps.
De mon heureux rival j'accompagnai ics armes.
J'efpérai de verfer mon fang après mes larmes j
Ou qu'au moins, jufqu'à vous porté par mille exploits.
Mon nom pourroit parler , au défauc de ma voix.
Le Ciel fembla promettre une fin à ma peine.
Vous pleurâtes ma mort , hélas 1 trop peu certaine.
Inutiles périls ! Quelle étoit mon erreur l
La valeur de Titus furpaflbit ma fureur.
Il faut qu'à fa vertu mon ertime réponde.
Quoiqu'attendu , Madame, à l'empire du Monde »
Chéri de l'univers , enfin aimé de vous ,
Il fcmbloit à lui feul appcller tous les coups ;
Tandis que , fans efpoir , haï , lalfé de vivre ,
Son malheureux rival ne fembloit que le fuivre.
Je vois que votre cœur m'applaudit en fccret ;
Je vois que l'on m'écoute avec moins de regret 5
Et que, trop attentive à ce récit fijnefte ,
En faveur de Titus , vous pardonnez le relie.
Enfin, après un fiègc aufli cruel que lent ,
Il dompta les mutins , reftc pâle & fanglanc
Des flammes, de la faim , des fureurs inteftincs ?
Et laiffa leurs remparts cachés fous leurs ruines.
Rome vous vit. Madame , arriver avec lui.
Dans i'Otient défert quel devint mon ennui î
to BÉRÉNICE,
Je demeurai long-temps errant dans Céfarcc ,
Lieux charmans , où mon cœur vous avoit adorée.
Je vous redcmandois à vos trilles états ;
Je cherchois , en pleurant , les traces de vos pas.
Mais enfin, fuccombant à ma mélancolie ,
Mon defefpcrir tourna mes pas vers l'Italie.
Le fort m'y rétervoit le dernier de Tes coups.
Titux , en m'embraffant , m'amena devant vous.
Un voile d'amitié vous trompa l'un &c l'autre ,
Et mon amour devint le confident du votre.
Mais toujours quelque efpoir flattoit mes déplaifirs.
Rome , Vefpalien , traveifoien; vos foupirs.
Après tant de combats , Titus cédoit peut-être.
Vefpatîen eft mort , & Titus eft le maître.
Que ne fuyois-je alors ! J'ai voulu quelques jours
De Ton nouvel empire examiner le cours.
Mon fort eil accompli. Votre gloire s'apprête.
Allez d'autres , fans moi , témoins de cecte ièze ,
A vos heureux tranfports viendront joindre les leurs^
Pour moi , qui ne pourrois y mêler que des pleurs ,
D'un inutile amour trop conftante vidime ,
Heureux dans mes malheurs, d'en avoir pu , fans crime.
Conter toute l'hilloire aux yeux qui les ont faits.
Je pars plus amoureux que je ne fus jamais.
BÉRÉNICE.
Seigneur, je n'ai pas cru que dans une journée.
Qui doit avec Céfar unir ma dellinée ,
Il fût quelque mortel , qui pût impunément
Se venir à mes yeux déclarer mon amant.
Mais de mon amitié mon lllence eft un gage.
J'oublie, en fa faveur , un difcours qui m'outrage j;-
Je n'en ai point troublé le cours injurieux.
Je fais plus. A regret je reçois vos adieux.
Le Ciel fait qu'au milieu des honneurs qu'il m'envoie.
Je n'atteadois que vous pour témoin de ma joie»
Avec tout l'univers j'honorois vos vertus ;
Titus vous chérilToiç , vous admiriez Titus.
TRAGÉDIE. iî
Cent fols je me fuis fait une douceur extrême
D'encretenir Titus dans un autre lui-même.
Antiochus.
Et c'eft ce que je fuis. J'évite , mais trop tard.
Ces cruels entretiens, où je n'ai point de part.
Je fuis Titus. Je fuis ce nom qui m'inquiète ,
Ce nom qu'à tous momens votre bouche répète.
Que vous dirai-je enfin ? Je fuis àcs yeux diftraits ,
Qui me voyant toujours, ne me voyoient jamais.
Adieu. Je vais , le cœur trop plein de votre image ,
Attendre , en vous aimant , la mort pour mon partage.
Sur-tout , ne craignez point qu'une aveugle douleur
Remplifle l'univeis du bruit de mon malheur :
Madame , le feul bruit d'une mort que j'implore ,
Vous fera fouvcnir que je vivois encore.
A Dieu.
SCENE V.
BÉRÉNICE, PHÉNICE,
P H É N I G E.
V^ UE je le plains ! Tant de fidélité i
Madame , méritoit plus de profpérité.
Ke le plaignez-vous pas î
B É R. Ê N I c E.
Cette prompte retraite
Me laifTc , je l'avoue , une douleur fecrettc.
P H É N I c E.
Je l'aurois retenu.
Bérénice.
Qui , moi î Le retenir ?
J'en dois perdre plutôt jufques au fouvenir.
Tu veux donc que je flatte une ardeur infenféc î
P H É N I c E.
Titus n*a poinç encore expliqué fa penfcc.
il BÉRÉNICE,
Rome vous voit, Madame , avec des yeux jaloux ;
La rigueur de Ces loix m'épouvante pour vous.
L'hymen chez les romains n'admet qu'une romaine,
Rome hait tous les rois : fie Bérénice elè reine.
Bérénice.
Le temps n'efl plus , Phénice , où je pouvois trembler.
Titus in'aime 5 il peut tout , il n'a plus qu'à parler.
Il verra le Sénat m'apporter Ces hommages ,
Et le peuple , de fleurs couronner nos images.
De cette nuit , Phénice , as-tu vu la fplendeur ?
Tes yeux ne font-ils pas tout pleins de fa grandeur ?
Ces flambeaux , ce bûcher , cette nuit enflammée ,
Ces aigles , ces faifceaux, ce peuple , cette armée.
Cette foule de rois , ces confuis , cefénat,
Qui tous de mon amant empruntoicnt leur éclat;
Cette pourpre, cet or, que rehauflbit fa gloire.
Et ces lauriers encor témoins de fa viftoire ;
Tout ces yeux qu'on voyoit venir de toutes parts ,
Confondre fur lui feul leurs avides regards ;
Ce port majeftueux , cette douce préfence :
Ciel , avec quel refped Se quelle complaifance ,
Tous les cœurs , en fecret, l'alluroient de leur foi î
Parle. Peut-on le voir fans penfer , comme moi,
Qu'en quelque obfcurité que le fort l'eût fait naître ,
Le monde , en le vovant , eût reconnu fon maître ?
Mais, Phénice, où m'emporte un fouvenir charmant î
Cependant Rome entière, en ce même moment ,
Fait des vœux pour Titus ; &, pat des faciifices ,
De fon règne naiflànt confacre les prémices.
Que tardons-nous? Allons, pour fon empire heureux.
Au Ciel , qui le protège , offrir aufli nos vœux.
Auifi-tôt , fans l'attendre , & fans être attendue ,
Je reviens le chercher ; &, dans cette entrevue.
Dire tout ce qu'aux cœurs, l'un de l'autre concens j
J.nfpirant des tranfports retenus fi long-temps,
Fin du premier Acîe,
TRAGÉDIE,
A C T E IL
SCENE PREMIERE.
TITUS.PAUL IN, Suite,
Titus.
A...
-ON vîi de ma part le roi de Comagcne »
Sait-il que je Tattens î
P A U L I N.
J'ai couru chez la reine :
Dans fon appartement ce prince avoir paru 5
Il en étoit forti , lorfque j'y fuis couru.
De vos ordres , Seigneur , j'ai dit qu'on l'avertifTe.
Titus.
Il fuiïît. Et que fait la reine Bérénice ?
Paulin.
La reine, en ce moment, fenfible à vos bontés j;
Charge le Ciel de vœux pour vos profpérités.
Elle forcoit , Seigneur.
Titus.
Trop aimable prîncellc l
Hélas î
Paulin.
En fa faveur d'où naît cette trîftcflè î
L'Orient prefque entier va fléchir fous fa loi 5
Vous la plaignez ?
Titus.
Paulin , qu'on vous laifTc avec moi.
14 BÉRÉNICE,
SCENE IL
TITUS, PAULIN.
Titus.
Jrl É BIEN , de mes defTeins Rome encore înceruîne t
Attend que deviendra le dellin de la reine,
Paulin i & les fecrets de ion cœur & du mica
Sont de^iout l'univers devenus Tentrecien.
Voici leteraps enfin qu'il faut que je m'explique.
De la reine ôc de moi que dit; la voix publique î
Parlez. Qu'encendez-vous î
Paulin.
J'entens de tous côtés
Publier vos venus , Seigneur , &c fc: HcdUtés.
Titus.
Que dit-on des foupits que je poufle pour elle i
Quel fuccès attend- on d'un amour fi fidèle ?
Paulin.
Vous pouvez tout. Aimez , ceflez d'être amoureux f
La cour fera toujours du parti de vos vœux,
Titus.
Er je l'ai vue auflî cette cour peu fincère ,
A fes maîtres toujours trop foigneufe de plaire ;
Des crimes de Néron approuver les horreurs :
Je l'ai vue à genoux confacrer Ces fureurs.
Je ne prens point pour juge une cour idolâtre;
Paulin. Je me propofe un plus ample théâtre j
Et , fans prêter l'oreille â la voix des flatteurs ;
Je veu:^ par votre bouche entendre tous les cœurs.
Vous nîc l'avez promis. Le refpeû & la crainte
Ferment autour de moi le pafiage à la plainte.
Pour mieux voir , cher Paulin , & pour entendre mieUX»
Je vous ai demandé des oreilles , des yeux.
J'ai mis même â ce prix mon amitié fecrette :
J'ai YQuIu que des cœurs vous fuffiez l'interprète ;
Qu'au
TRAGÉDIE. 15
Qu'au travers des flatteurs votre fincérité
Fît toujours jufqu'à moi pafler la vérité.
Parlez donc. Que faut-il que Béréiiice efpère î
Rome lui fera-t-elle indulgente ou févère î
Dois-je croire qu'affife au trône des Céfars ,
Une lî belle reine offcnfât fes regards î
Paulin.
N'eu doutez point, Seigneur. Soit raifon, foît caprice.,
Rome ne l'attend point pour fon impératrice.
On lait qu'elle ell charmante. Et de li belles mains
Semblent vous demander l'empire des humains.
Elle a même , dit-on , le cœur d'une Romaine.
Elle a raille vertus. Mais , Seigneur , elle eft reine.
Rome, par une loi qui ne fe peut changer ,
N'admet avec fon fang aucun fang étranger;
Et ne reconnoît point les fruits illégitimes
Qui uaifTent d'un hymen contraire à fes maximes.
D'ailleurs, vouslefavez, en banniflant fes rois ,
Rome , à ce nom fi noble , &c fi faint autrefois ,
Attacha, pour jamais , une haine puillantc ;
Et, quoiqu'à fes Céfars fidèle, obéiflante ,
Cette haine , Seigneur, rcfte de fa fierté ,
Survit dans tous les cœurs après la liberté.
Jules , qui le premier la foumit à Ces armes.
Qui fit taire les loix dans le bruit des allarmcs f
Brûla pour Cléopatre ; & , fans fc déclarer.
Seule dans l'Orient la laifla foupirer.
Antoine , qui l'aima jufqu'à Tidolatric,
OubZia dans fon fein fa gloire & fa patrie ,
Sans ofer toutefois fe nommer fon époux.
Rome l'alla chercher jufques à Ces genoux f
Et ne défarma point fa fureur vengercflc ,
Qu'elle n'eût accablé l'amant Se la maîtrelTe.
Depuis ce temps , Seigneur , Caligula , Néron «
Monrtres , dont à regret je cite ici le nom ,
Et qui ne confervant que la figui^e d'homme ,
Foulèrent à leurs pied!s toutes les loix de Rome ,
Tome I/, B
xô BÉRÉNICE,
Ont craint cette loi feule , & n'ont point, d nos yeur,
Allumé le flambeau d'un hymen odieux.
Vous m'avez conurfandé fur-tout d'être fincèrc.
De l'affranchi Pallas nous avons vu le frère.
Des fers de Claudius Félix cncor flétri,
De deux reines, Seigneur , devenir le mari ;
Et, s'il faut jufqu'au bout que je vous obéifle.
Ces deux reines étoicnt du fang de Bérénice.
Et vous croiriez pouvoir , fans blefier nos regards ,
Faire entrer une reine au lit de nos Céfars i
Tandis que l'Orient, dans le lit de Ces reines.
Voit palier un efclave au fortir de nos chaînes *
C'eft ce que les Romains penfent de votre amour.
Et je ne répons pas , avant la fin du jour.
Que le fénat , chargé des vœux de tout l'empire.
Ne vous redife ici ce que je viens de dire ;
Et que Rome , avec lui , tombant à vos genoux ,
Ne vous demande un choix digne d'elle &: de vous.
Vous pouvez préparer, Seigneur, votre réponfe.
T I r u s.
Hélas , à quel amour on veut que je renonce ï
Paulin.
Cet amour eft ardent , il le faut confeflèr.
Titus.
Plus ardent mille fois que tu ne peux penfer,
Paulin. Je me fuis fait un plaifir néceflaire
De la voir chaque jour , de l'aimer , de lui plaîrc*
J'ai fait plus. Je n'ai rien de fecret à tes yeux.
J'ai pour elle, cent fois, rendu grâces aux Dieux,
D'avoir choifi mon père au fond de i'Idumée ,
D'avoir rangé fous lui l'Orient Se l'armée j
Et, foulevant encor le refte des humains.
Remis Rome fanglanre en {es paifibles mains.
J'ai même fouhaité la place de mon père ;
Moi , Paulin , qui , cent fois , fi le fort moins févcre
Eût voulu de fa vie étendre les liens ,
Aurois donné mes jours pour prolonger les fiens;
TRAGÉDIE. X7
Tout cela , qu'un amant fait mal ce qu'il defîre l
Dans l'cfpoiu d'élever Bérénice à l'empire 5
De reconnoître un jour fon amour &: fa foi.
Et de voir à fes pieds tout le Monde avec moi.
Malgré tout mon amour , Paulin , & tous fes charmes.
Après mille fermens appuyés de mes larmes ,
Maintenant que je puis couronner tant d'attraits ,
Maintenant que je l'aime encor plus que jamais ;
Lorfqu'un heureux hymen, joignant nos dellinées.
Peut payer, en un jour , les vœux de cinq années ,
Je vais , Paulin . . . O Ciel 1 Puis-je le déclarer î
Paulin.
Quoi j Seigneur î
Titus.
Pour jamais je vais m*en féparer.
Mon cœur, en ce moment j ne vient pas de fe rendre.
Si je t'ai fait parler, fi j'ai voulu t'entendre ,
Je voulois que ton zèle achevât en fccret
De confondre un amour qui fe taît à regrec.
Bérénice a long-temps balancé la victoire 5
Et fi je penche enfin du côté de ma gloire ,
Crois qu'il m'en a coûté , pour vaincre tant d'amour ,
Des combats, dont mon cœur faignera plus d'un jour.
J'aimois , je foupirois dans une paix profonde.
Un autre étoit chargé de l'empire du Monde.
Maître de mon deftin , libre dans mes foupirs ,
Je ne rendois qu'à moi compte de mes defirs.
Mais à peine le Ciel eut rappelle mon père ;
Dès que ma trifte main eut fermé fa paupière ,
De mon aimable erreur je fus defabufé :
Je fentis le fardeau qui m'étoit impofé.
Je connus que bien-tot , loin d'être à ce que j'aime ,
11 falloir , cher Paulin , renoncer à moi-même ;
Et que le choix des Dieux , contraire à mes amour» ,
Livroit à l'univers le rcfte de mes jours.
Rome obferve aujourd'hui ma conduite nouvelle.
Quelle honte pour moi J Quel préfage pour clic ,
it BÉRÉNICE,
Si , dès le premier pas , renvcrfant tous Ces droits ,
Je fondois mon bonheur fur le débris des loix î
Réfolu d'accomplir ce cruel facrifice ,
J'y voulus préparer la trilte Bérénice.
Mais par où commencer ? Vingt fois , depuis huit jours.
J'ai voulu devant elle en ouvrir le difcours ;
Et, dès le premier mot ma langue cmbarraflee ,
Dans ma bouche , vingt fois, a demeuré glacée.
J'efpérois que, du moins, mon trouble & ma douleur
Lui feroient prefFentir notre commun malheur.
Mais , fans me foupçonner , fenlîble à mes ailarmes ,
Elle m'offre fa main pour eflliyer mes larmes ;
Et ne prévoit rien moins, dans cette obfcurité.
Que la fin d'un amour qu'elle a trop mérité.
Enfin , j'ai ce matin rappelle ma confiance.
Il faut la voir , Paulin , & rompre le filence.
J'attens Antiochus , pour lui lecommander
Ce dépôt précieux que je ne puis garder.
Jufques dans l'Orient je veux qu'il la remène.
Demain Rome , avec lui , verra partir la reine»
Elle en fera bien-tot inftruite par ma voix ;
Et je vais lui parler pour la dernière fois.
Pau lin.
Je n'attendois pas moins de cet amour de gloire.
Qui par-tout , après vous, attacha la victoire.
La Judée aflervic , & fes remparts fumans ,
De cette noble ardeur éternels monumens ,
Me répondoient aflej que votre grand courage
Ne voudroit pas, Seigneur, détruire fon ouvrage Jî
Et qu'un héros , vainqueur de tant de nations,
Sauroit bien , tôt ou tard , vaincre Cas paffions.
Titus.
Ah , que fous de beaux noms cette gloire eft cruelle î
Combien mes triftes yeux la trouveroient plus belle ,
S'il ne falloit encor qu'affi-onter le trépas '.
Que dis-je ? Cette ardeur que j'ai pour Ces appas,
Bérénice en mon fein l'a jadis allumée.
Tu ae l'ignores pas ; toujours la renoaimcc
TRAGÉDIE, zp
Avec le même éclat n'a pas femé mon nom.
Ma jeunelTè , nourrie à la cour de Néron ,
S'égaroic, cher Paulin , par l'exemple abufée.
Et fuivoit du plaiiîr la pente trop aifée.
Bérénice me plur. Que ne fait point un cœur
Pour plaire à ce qu'il aime , & gagner fon vainqueur?
Je prodiguai mon fang. Tout fit place à mes armes.
Je revins triomphant. Mais le fang & les larmes
Ne me fuffifoient pas pour mériter Tes vœux.
J'entrepris le bonheur de mille malheureux.
On vit de toutes parcs mes bontés fe répandre ;
Heureux , & plus heureux que tu ne peux comprendre.
Quand je pouvois paroître à fcs yeux fatisfaits ,
Chargé de mille cœurs conquis par mes bienfaits î
Je lui dois tout , Paulin. Récompenfe cruelle I
Tout ce que je lui dois va retomber fur elle.
Pour prix de tant de gloire. Se de tant de vertus ,
J- lui dirai j Partez, 6c ne me voyez plus.
Paulin.
Hé quoi. Seigneur , hé quoi ? Cette magnificence «
Qui va jufqu'à l'Euphrate étendre fa puiflànce ;
Tant d'honneurs , dont l'excès a furpris le fénat.
Vous laifl'ent-ils encor craindre le nom d'ingrat ?
Sur cent peuples nouveaux Bérénice commande.
Titus.
Foibles amufemens d'une douleur fi grande î
Je connois Bérénice, & ne fais que trop bien
Que fon cœur n'a jamais demandé que le mien.
Je l'aimai , je lui plus. Depuis cette journée ,
Dois-je dire funefte , hélas , ou fortunée I
Sans avoir , en aimant , d'objet que fon amour ,
Etrangère dans Rome, inconnue a la cour.
Elle pafTe fcs jours , Paulin , fans rien prétendre
Que quelque heure à me voir, & le refte à m'attendrc.
Encor fi , quelquefois, un peu moins aflidu ,
Je pafie le moment où je fuis attendu ,
Je la revois bien-tôt de pleurs toute trempée ;
Ma main à les fccher eft long-temps occupée.
Biij
jo BÉRÉNICE,
Enfin , tout ce qu'amour a de nœuds plus puîiïans,
Doux reproches , tranfports fans ceflè renaiflans ,
Soin de plaire fans art , crainte toujours nouvelle ,
Beauté , gloire , vertu , je trouve tout en elle.
Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois ,
Et crois toujours la voir pour la première fois.
N'y fongeons plus. Allons, cher Paulin , plus j'y penfe.
Plus je fcns chanceler ma cruelle confiance.
Quelle nouvelle , ô Ciel, je lui vais annoncer !
Encore un coup , allons, il n'y faut plus penfcr.
Je connois mon devoir , c'eft à moi de le fuivre.
Je n'examine point (î j'y pourrai furvivrc.
SCENE I I L
TITUS, PAULIN, RUTILE.
Rutile.
JJÉRÉNicE , Seigneur, demande à vous parler.
Titus.
Ah , Paulin !
Paulin.
Quoi , déjà vous femblez reculer ?
De vos nobles projets, Seigneur, qu'il vous fouvienne.
Voici le temps,
Titus.
Hé bien , voyons-la. Qu'elle vienne.
SCENE IV,
BÉRÉNICE, TITUS,PAULIN, PHÉNICE.
BÉRÉNICE.
i\ E VOUS ofFenfcz pas , fî mon zèle îndifcrc;
De voçrç folitude inçerrompt le fecrei;.
TRAGÉDIE. rr
Tandis qu'autour de moi votre cour aflèmblée
Retentir d^s bienfaits dont vous m'avez comblée',
Eft-il jufte, Seigneur, que feule, en ce moment»
Je demeure fans voix oc fans rellèntiment î
Mais, Seigneur , ( car je fai que cet ami iîncère
Du fecret de nos cœurs connoît tout le myllère )
Votre deuil ell fini, rien n'arrête vos pas.
Vous êtes feul enfin , & ne me cherchez pas.
J'entcns que vous m'offrez un nouveau diadème.
Et ne puis cependant vous entendre vous-même.
Hélas, plus de repos , Seigneur, & moins d'éclat î
Votre amour ne peut-il paroître qu'au fénat ?
Ah , Titus , ( car enfin l'amour fuit la contrainte
De tous CCS noms que fuit le refpeft & la crainte )
De quel foin votre amour va-t-ii s'importuner !
N'a-t-il que des états qu'il me puiiTe donner ?
Depuis quand croyez-vous que raa grandeur me touche I
Un foupir, un regard, un mot de votre bouche ,
Voilà l'ambition d'un cœur comme le mien.
Voyez-moi plus fouvent , &: ne me donnez rien.
Tous vos momens font-ils dévoués à l'empire î
Ce cœur , après huit jours , n'a-t-il rien à me dire ?
Qu'un mot va raflurer mes timides efprits l
Mais padiez-vous de moi , quand je vous ai furpris î
Dans vos fecrets difcours étois-je intéreflee ,
Seigneur î Etois-je , au moins préfente à la penfée î
Titus.
N*cn doutez point. Madame , Se j'atteftc les Dieux
Que toujours Bérénice eft préfente à mes yeux.
L'abfcnce , ni le temps , je vous le jure encore ,
ous peuvent ravir ce cœur qui vous adore.
BÉRÉNICE.
Hé quoi , vous me jurez une éternelle ardeur ,
Et vous me la jurez avec cette froideur !
Pourquoi même du Ciel attefter la puifTancc ?
Faut-il par des fermens vaincre ma défiance ?
Mon cœur ne prétend point , Seigneur, vous démentir.
Et je vous en croirai fur un ûmple foupir.
Biv
31 BÉRÉNICE»
Tz T u s.
Madame ...
BÉRÉNICE.
Hé bien , Seigneur î Mais quoi , fans me répondre ,
Vous détournez les yeux , & fcmblez vous confondre î
Ne m'oftrirez-vous plus qu'un vifage interdit ?
Toujours la mort d'un père occupe votre efprit ?
Rien ne peut-il charmer l'ennui qui vous dévore ?
Titus.
Plût aux Dieux que mon père , hélas , vécût encore î
Que je vivrois heureux î
BÉRÉNICE.
Seij^neur, tous ces regrets
De votre piété font de juftes effets.
Mais vos pleurs ont allez honoré fa mémoire.
Vous devez d'autres foins à Rome , à. votre gloire.
De mon propre intérêt je n'ofc vous parler.
Bérénice autrefois pouvoir vous confcler.
Avec plus de plaiiir vous m'avez écoutée.
De combien de malheurs , pour vous perfécutée ,"
Vous ai-je, pour un mot , facrifié mes pleurs ?
Vous regrettez un père. Hélas , foibles douleurs î
JEcmoi ( ce fouvenir me fait frémir encore )
On vouloit m' arracher de tout ce que j'adotc ,
Moi, dont vous connoiflez le trouble &: le tourment ,
Quand vous ne me quittez que pour quelque moment:
Moi , qui mourrois le jour qu'on voudrok m'interdire
De vous . . .
Titus.
Madame , hélas , que me venez-vous dire :
Quel tems choififfez-vous ? Ah , de grâce, arrêtez I
C'efttrop, pour un ingrat, prodiguer vos bontés.
BÉRÉNICE.
Pour un ingrat. Seigneur ! Et le pouvez-vous être?
Ainii donc mes bontés vous fatiguent peut-être î
Titus.
Non, Madame. Jamais, puifqu'il faut vous parler.
Mon cœur de plus de feux ne fe fentit brûler.
Mais . . .
TRAGÉDIE, 53
BÉRÉNICE.
Achevez.
T I ï u s.
Hélas I
BÉRÉNICE.
Parlez.
Titus.
Rome.. . L'empire. ..
Bérénice.
Hé bien ?
Titus.
Sortons , Paulin , je ne lui puis rien dire.
SCENE V.
BÉRÉNICE, PHÉNICE.
Bérénice.
\^ uoi, me quitter fl-tôt, & ne me dire rien î
Chère Phénicc , hélas, quel funeftc entretien î
Qu'ai-je fait ? Que veut-il ? Et que dit ce fllence î
P H É N I c E.
Comme vous, je me perds d'autant plus que j'y penfe.
Mais ne s'offi:e-t-il rien à votre fouvenir ,
Qui contre vous, Madame, ait pu le prévenir j
Voyez , examinez.
BÉRÉNICE.
Hélas , tu peux m'en croire ?
Plus jcjvcux du parte rappeller la mémoire ,
Du jour que je le vis jufqu'à ce trifte jour ,
Plus je vois qu'on me peut reprocher trop d'amour.
Mais tu nous entcndois. Il ne faut rien me taire }
Parle. N'ai-je rien dit qui lui puilFe déplaire î
Que fai-je ? J'ai peut-être , avec trop de chaleur,
Rabaillé fcs préfens, ou blâmé fa douleur.
34 BÉRÉNICE,
N'eft-ce point que de Rome il redoute la haine ?
Il craint peut-être, il craint d'époufer une reine.
Hélas , s'il croit vrai 1 . . . Mais non , il a, cent fois ,
Ralluré mon amour contre leurs dures loix.
Cent fois. . . Ah î Qu'il m'explique un filence û rude.
Je ne rcfpire pas dans cette incertitude.
Moi , je vivrois , Phénice , & je pourroîs penfer
Qu'il me néglige , ou bien que j'ai pu l'otFenfcr ?
Retournons fur Tes pas. Mais, quand je m'examine»
Je crois de ce dcfordre entrevoir l'origine,
Phénice ; il aura fù tout ce qui s'eft pafle :
L'amour d'Anciochus l'a peut-être offenfé.
Ilartend, m'a-t-ondit, le roi de Comagène.
Ne cherchons point ailleurs le fujct de ma peine.
Sans doute, ce chagrin, qui vient de m'allarmer,
N'eft qu'un léger foupçon facile à defarmer.
Je ne te vante point cette foible vidoire ,
Tirus. Ah, plût au Ciel , que , fans bleflèr ta gloire.
Un rival plus puiflant voulût tenter ma foi.
Et pût mettre à mes pieds plus d'empires que toi ;
Que de fceptres fans nombre il pût payer ma ilam:ne|
Que ton amour n'eût rien à donner que ton ame 1
C'cft alors, cher Titus , qu'aimé, vidorieux ,
Tu verrois de quel prix ton cœur eft; à mes yeux.
Allons , Phénice , un mot pourra le fatisfaire.
RalTurons-nous , mon cœur , je puis encor lui plaire.
Je me compte is trop roc au rang dzs malheureuXi
Si Titus efl jaloux , Titus eft amoureux.
Fin du feconi Aclz,
T R A G JE D I E. 5 5
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
TITUS, ANTIOCHUS, ARSACE.
Titus.
Q
_ uoi , prince, vous partiez ? Quelle raîfon fubite
Prefle votre départ, ou plutôt votre fuite ?
Vouliez-vous me cacher jufques à vos adieux î
Eft-ce comme ennemi que vous quittez ces lieux ?
Que diront avec moi , la cour , Rome , l'empire î
Mais , comme votre ami , que ne puis-je vous dire î
De quoi m'accufez-vous ? Vous avois-je, fans choix.
Confondu jufqu'ici dans la foule des rois î
Mon cœur vous fut ouvert tant qu'a vécu mon père:
C'étoit le feul prélent que je pouvois vous faire.
Et lorfqu'avec mon cœur ma main peut s'épancher ,
Vous fuyez mes bienfaits tout prêts à vous chercher;
Penfez-vous qu'oubliant ma fortune pafiee ,
Sur ma feule grandeur j'arrête ma penfée;
Et que tous mes amis s'y préfentent de loin
Comme autant d'inconnus, dont je n'ai plus bcfoin ?
Vous-même, à mes regards qui vouliez vous fouftraire .
Prince, plus que jamais vous m'êtes néceflaire,
A N T I o c H u s.
Moi, Seigneur ?
Titus.
Vous.
Antiochus.
Hélas , d'un prince malheureux ,.
Que pouvez- vous, Seigneur, attendre, quedes vœux-l-
Titus.
Je n'ai pas oublié , prince , que rca vidoirc,
Devoii à y-os exploits la moipé de Ca gloire ;
Bv;
3^ ^BÉRÉNICE,
Que Rome vit pafTcr au nombre des vaincus
Plus d'un captif, chargé des fers d'Antiochus 5
Que dans le capitole elle voit attachées
I.cs dépouilles des Juifs par vos mains arrachées.
Je n'attcns pas de vous de ces fanglaus exploits 5
Et je veux feulement emprunter votre voix.
Je fais que Bérénice, â vos foins redevable ,
Croit polit der en vous un ami véritable.
Elle ne voit dans Rome , & n'écoute que vous.
Vous ne faites qu'un cœur &: qu'une ame avec nous»
Au nom d'une amitié 11 confiante Se Ci belle ,
Employez le pouvoir que vous avez fur elle.
Voyez-la de ma part.
Antiochus.
Moi , paroître à Ces yeux 5
La reine, pour jamais, a reçu mes adieux.
Titus,
Prince , il faut que pour moi vous lui parliez encor^
Anxiochus.
Ah , parlez-lui, Seigneur I La reine vous adore.
Pourquoi vous dérober vous-même , en ce moment ,
Le plaifîr de lui faire un aveu û charmant î
Elle l'attend , Seigneur , avec impatience.
Je répons , en partant , de fon obéïllance ;
Et même elle m'a dit que , prêt à l'époufer.
Vous ne la verrez plus que pour l'y difpôTcr.
Titus.
Ah , qu'un aveu fî doux auroit lieu de me plaire î
Que je ferois heureux , fi j^avois à le faire !
Mes tranfports aujourd'hui s'attendoient d'éclater 5
Cependant aujourd'hui , prince, il faut la quitter»
Antxochus.
La quitter ! Vous, Seigneur î
T I T u s.
Telle ell ma deftinéc.
Pour elle & pour Titus il n'eft plus d'hyménée.
D'un efpoir fi charmant je me flattois en vain.
Prince , il faut avec vous qu'elle parte demain.
TRAGÉDIE. n
Antiochus.
Qu'entens-je î O Ciel I
Titus.
Plaignez ma grandeur importune.
Maître de l'Univers, je règle la fortune.
Je puis faire les rois, je puis les dépofcr ,
Cependant de mon cœur je ne puis difpofcr.
Rome , contre les rois de tout temps fculevée.
Dédaigne une beauté dans la pourpre élevée.
L'éclat du diadème , & cent rois pour aycux ,
Deshonorent ma flamme, & blcflcnt tous les yeux.
Mon cœur, libre d'ailleurs , fans craindre les murmures.
Peut brûler à fon choix dans des flammes obfcures 5
Et Rome , avec plaifir , recevroit de ma main
La moins digne beauté qu'elle cache en fon fein.
Jules céda lui-même au torrent qui m'entraîne.
Si le peuple demain ne voit partir la reine ,
Demain elle entendra ce peuple furieux
Me venir demander fon départ à {z% yeux.
Sauvons de cet aiïiront mon nom & fa mémoire ;
Et puifqu'il faut céder , cédons à notre gloire.
Ma bouche & mes regards , muets depuis huit jours ,
L'auront pu préparer à ce trifte difccurs.
Et même , en ce moment , inquiète , emprefïee ,
Elle veut qu'à fcs yeux j'explique ma penfée.
D'un a.-nant interdit foulagcz le tourment.
Epargnez à mon cœur cet édairciflcmenr.
Allez, expliquez-lui mon trouble & mon filence.
Sur-tout , qu'elle me laillè éviter fa préfence.
Soyez le feul témoin de fcs pleurs & des miens.
Portez-lui mes idieux , & recevez les ficns.
Fuyons tous deux , fuyons un fpedaclc funeftc.
Qui de notre confiance accableroit le refte.
Si l'efpoir de régner &: de vivre en mon cœur ,
Peut de fon infortune adoucir la rigueur ,
Ah, prince, jurez-lui que , toujours trop fidelle,.
Génxiilant dans ma cour , & plus exilé <][u'elk ,
3» BÉRÉNICE,
Portant jufqu'au tombeau le nom de 1bn amant,
Mon règne ne fera qu'un long banniflcmem.
Si le Ciel , non concent de aie l'avoir ravie,
Veu: encor m'affiiger par une longue vie ,
Vous , que l'amirié feule attache fur fes pas ,
Prince , dans fon malheur ne l'abandonnez pas.
Que l'Orient vous voie arriver à fa fuite ;
Que ce foit un triomphe , &: non pas une fuite.
Qu'une amitié fi belle ait d'éternels liens ;
Que mon nom foit toujours dans tous vos entretiens.
Pour rendre vos états plus voilîns l'un de l'autre ,
J'Euphrate bornera fon empire & le vôtre. ^
Je fais que le fénat , tout plein de votre nom ,
D'une commune voix confirmera ce don..
Je joins la Cilicie à votre Comagène. *
Adieu. Ne quittez point ma princefle, ma reine ',
Tout ce qui de mon cœur fut l'unique défir ,
Tout ce que j'aimerai jufqu'au dernier foupir.
SCENE IL
ANTIOCHUS, ARSACE,
A BL s A C E.
A
■ta- IN S I le Ciel s'apprête à vous rendre juftîce.
Vous partirez, Seigneur, mais avec Bérénice.
Loin de vous la ravir , on va vous la livrer.
Antiochus.
Arface , laiflè-moi le temps de rcfpirer.
Ce changement efi: grand , ma furprifc eft extrême.
Titus , entre mes mains , remet tout ce qu il aime î
Dois-je croire. Grands Dieux, ce que je viens d'ouir :
Et, quand je le croirois, dois-je m'en réjouir?
A R s A c E.
Mais, moi-même. Seigneur, que faut-il que je crçie ?
Quel obflacle nouveau s'opporc â vçtre joie.î
TRAGÉDIE. -,3
Me trompicz-vous tantôt au fortir de ces lieux ",
Lorfqu'encor tout ému de vos derniers adieux ,
Tremblant d'avoir ofé s'expliquer divant elle ,
Votre cœur me contoit fon audace nouvelle ?
Vous fuyiez un hymen cjui vous faifoit trembler.
Cet hymen cft rompu. Quel foin peut vous troubler î
Suivez les doux tranfports où l'Amour vous invite.
Antiochus.
Arface, je me vois chargé de fa conduite.
Je jouirai long-temps de fes chers entretiens :
Ses yeux même pourront s'accoutumer aux miens ^
Et peut-être fon cœur fera la différence
Des froideurs de Titus à ma perfévérancc.
Titus m'accable ici du poids de fa grandeur :
Tout difparoît dans Rome auprès de fa fplendeur ;
Mais quoique l'Orient foit plein de fa mémoire ,
"^^rénice y verra des traces de ma gloire.
^ . •• A R s A C E.
^n doutez point , Seigneur , tout fuccède à vos vœux.
An tiochus.
Ah, que nous nous plaifons à nous tromper tous deux î
A R s A c E.
pourquoi nous tromper î
Antioc hus.
Quoi , je lui pourrois plaire î
énics à mes veux ne fcroit plus contraire l
. énicc , d'un mot , flatteroit mes douleurs ?
ifes-tu feulement que , parmi fes malheurs ,
and l'Univers entier négligeroit fes charmes ,
igrate me permît de lui donner des larmes 5
< qu'elle s'âbaiHat jufques à recevoir
i foins qu'à mon amour elle croiroit devoir î
A R. s A c E.
Et qui peu: mieux que vous confoler fa difgracc ?
Sa fortune , Seigneur , va prendre une autre faco,
1 nus la quiîçe.
40 É È R È N I C E,
Antiochus.
Hélas , de ce grand changement i
Il ne me reviendra que le nouveau tourment
D'apprendre par ics pleurs à quel point elle l'aime.
Je la verrai gémir , je la plaindrai moi-même.
Pour fruit de tant d'amour , j'aurai le trille emploi
De recueillir des pleurs qui ne font pas pour moi.
A R s A c E.
Quoi ? Ne vous plairez-vous qu'à vous gêner fans cefTe î
Jamais dans un grand cœur vit-on plus de foibleffe ?
Ouvrez ks yeux, Seigneur 5 & fongeons , entre nous.
Par combien de raifons Bérénice eft à vous.
Puifqu'aujourd'hui Titus ne prétend plus lui plaire ,
Songez que votre hymen lui devient nécelFaire,
Antiochus.
Néceflàire î
A R s ACE.
A fcs pleurs accordez quelques jours y
De fes premiers fanglots lailTez palïer le cours.
Tout parlera pour vous , le dépit, la vengeance,
L'abfence de Titus , le temps , votre préfence ,
Trois fceptres que fon bras ne peut feul foutenir ,
Vos deux états voifîns, qui cherchent à s'unir.
I^'intérêt, la raifon, l'amitié, tout vous lie.
Antiochus.
Ah , je rcfpire , Arface , & tu me rens la vie.
J'accepte avec plailîr un préfage fî doux.
Que tardons-nous ? Faifbns ce qu'on attend de nous»
Entrons chez Bérénice 5 & , puifqu'on nous l'ordonjie.
Allons lui déclarer que Titus l'abandonne.
Mais plutôt demeurons. Que faifois-je ? Eft-çe à moi ,
Arface , à me charger de ce cruel emploi ?
Soit vertu , foit amour , mon cœur s'en effarouche.
L'aimable Bérénice entendroit de ma bouche ,
Qu'on l'abandonne ! Ah , reine î Et qui l'auroit pejifé ,
Que ce œoç dût jamais vous être pronoucé î
TRAGÉDIE. 41
A R s A C E.
(La haîne fur Titus tombera toute entière.
'Seigneur , fi vous parlez, ce n'ell qu'à fa prière.
Antiochus.
Non, ne la voyons point. Refpedons fa douleur.
Afl'ez d'autres viendront lui conter fon malheur.
Et ne la crois-tu pas alTez infortunée
D'apprendre à quel mépris Titus Ta condamnée ,
Sans lui donner encor le déplaifir fatal
D'apprendre ce mépris par fon propre rival ?
Encore un coup , fuyons ; & , par cette nouvelle ,
N'allons point nous charger d'une haine immortelle.
A R s A c E.
Ah , la voici , Seigneur , prenez votre parti.
Antiochus.
O Ciel î
SCENE I I L
BÉRÉNICE , ANTIOCHUS, ARSACE , PHÉNICE.
BÉRÉNICE.
H
É QUOI, Seigneur, vous n'êtes point parti?
Antiochus.
M::dame , je vois birti que vous êtes déçue ,
Et que c'éroii Céfar que chcrchoit votre vue.
Mais n'accufez que lui , fi , malgré mes adieux.
De ma préfcnce encor j'importune vos yeux.
Peut être , en ce moment, je ferois dans Oftic ,
S'il ne m'eût de fa cour défendu la fortie.
Bérénice.
Il voua cherche vous f:ul. Il nous évite tous.
Antioc hus.
Il ne m'a retenu que pour parler de voitt.
BÉRÉNICE*
De moi , Prince î
4i BÉRÉNICE,
Antiochus.
Oui , Madame.
BÉRÉNICE,
Et quVt-il pu vous dire ?
Antiochus.
Mille autres, mieux que moi, pourront vous en inftiUi. c ,
BÉRÉNICE
Quoi, Seigneur ; . . .
Antiochu s.
Sulpcndez votre renentiment.
D'autfes, loin de fe taire en ce même moment ,
Triompberoient peut-être , & , pleins de confiance ,
Cédcroicnt avec joie à votre impatience.
Mais moi, toujours tremblant, moi, vous le favez bien ,
A qui votre repos efl plus cher que Je mien ,
Pour ne le point troubler , j'aime mieux vous déplaire.
Et crains votre douleur plus que votre colère.
Avant la fin du jour vous me juftinerez.
Adieu, Madame.
Bérénice.
O Ciel , quel difcours î Demeurez.
Prince , c'eft trop cacher mon trouble à votre vue.
Vous voyez devant vous une reine éperdue ,
Qui , la mort dans le fein , vous demande deux mots.
Vous craignez , dites-vous , de troubler mon repos ;
Et vos refus cruels , loin d'épargaer ma peine ,
Excitent ma douleur , ma colère, ma haine.
Seigneur, fi mon repos vous eft Ci précieux ,
Si moi-même jamais je fus chère à vos yeux ,
EclaircifTez le trouble où vous voyez mon amc.
Que vous a die Titus ?
Antiochus.
Au nom des Dieux , Madame . . .
Bérénice.
Quoi, vous craignez fi peu de me dcfobéir ?
Antioch us.
Je n'ai qu'à vous parler pour rae faire haïr.
TRAGÉDIE. +3
B Ê R É N I C I.
Te veux que vous parliez.
Antiochus.'
Dieux , quelle violence l
Madame , encore un coup , vous louerez mon fîience.
BÉRÉNICE.
Prince, dès ce moment, contentez mes fouhaits ,
Ou foycz de ma haine afluré pour jamais.
Antiochus.
Madame, après cela , je ne puis plus me taire.
Hé bien , vous le voulez , il faut vous latisfaire.
Mais ne vous flattez point. Je vais vous annoncer
Peut-être des malheurs, où vous n'ofez penfer.
Je connois votre cœur. Vous devez-vous arrendre
Que je le vais frapper par l'endroit le plus tendre.
Titus m'a commandé . . .
BÉRÉNICE.
Quoi?
A N T I O C H U s.
De vous déclarer
i^.i.u.:, 1 Lia de l'autre il vous faut féparer.
BÉRÉNICE.
'' -nrer î Qui î Moi ? Titus de Bérénice ?
Antiochus.
Il uul que, devant vous , je lui rende juflicc.
Tout ce que , dans un cœur fcnfible & généreux.
L'amour au defcfpoir peut raflêmbler d'affreux ,
Je l'ai vu dans le ficn. Il pleure , il vous adore.
Mais enfin , que lui fert de vous aimer encore î
Une reine eft lu.pccie à l'empire romain.
Il faut vous fcparer , & vous partez demain.
BÉRÉNICE.
Nous fcparer ! Hélas, Phénice !
P H É N I c E.
Hé bien , Madame i
li iaut ici ragnçrcr la grandeur de votre a'jic.
44 BÉRÉNICE,
Ce coup , fans doute , cft rude , il doic vous étonner,
BÉRÉNICE.
Apres tant de fermens Titus m'abandonner !
Titus qui me juroit . . . Non , je ne le puis croire :
Il ne me quitte point , il y va de fa gloire.
Contre fon innocence on me veut piévenir.
Ce piège n*eft tendu que pour nous defunir.
Titus m'aime , Titus ne veut point que je meure»
Allons le voir. Je veux lui parler tout à l'heure.
Allons.
Antiochus.
Quoi , vous pourriez ici me regarder î . •
Bérénice.
Vous le fcuhaitez trop pour me perfuadcr.
Non, je ne vous crois point. Mais,quoi qu'il en puifTs êcrei;
Pour jama s â mes yeux gardez-vous de paroître.
( d Phénke. )
Ne m'abandonne pas dans l'état où je fuis.
Hélas , pour me tromper je fiais ce que je puis.
SCENE IV.
ANTIOCHUS, ARSACr.
Antiochus.
i\ ïji^E trompai-je point ? L'ai-je bien entendue!
Que j5-%e garde , moi, de paroître à fa vue I
Je m'en gaideiai bien. Et ne partois-j^ pas ,
Si Ti.us , malgré moi , n'eût arrêté mes pas ?
Sans doute , il faut partir. Continuons , Arfacc.
Elle croit m'affl'ger. Sa haine me fait grâce.
Tu me vcyois tantôt inquiet , égaré ;
Je partois amoureux , jaloux , defefpéré ;
Et maintenant, Arface , après cette défcnfc.
Je partirai peut-être avec indifférence.
TRAGÉDIE. 45
A R. s A C E.
ioîns que jamais , Seigneur, il vous faut éloigner.
Antiochus.
•foi, je demeurerai pour me voir dédaigner î
3cs fioideurs de Titus je ferai refponfahle I
e me verrai puni , parce qu'il elt coupable î
i.vec quelle injuftice & quelle indignité ,
'A\c douce , à mes yeux , de ma fincérité l
Titus l'aime, dit-elle, & moi je l'ai trahie,
/ipgrate , ra'accufer de cette perfidie !
Il dans quel temps encor ? Dans le moment fatal
iuc j'étale à fcs yeux les pleurs de mon rival ;
iue , pour la confoler, je le faifois paroître
amoureux & conftant , plus qu'il ne l'eft peut-être;
A R. s A c E.
't de quel foin , Seigneur , vous allez- vous troubler ï
,aiflcz à ce torrent le temps de s'écouler.
Dans huit jours, dans un mois, n'importe, il faut qu'il paflc^
Demeurez feulement.
Antiochus.
Non , je la quitte , Arface.
c icns qu'à fa douleur je pourrois compatir:
via gloire , mon repos , tout m'excite â partir.
MIons i & de fi loin évitons la cruelle ,
^\iz de long-temps, Arface, on ne nous parle d'cllcii
Toutefois il nous refte encore aflcz de jour,
fc tais dans mon palais attendre ton retour,
^''a voir fi fa douleur ne l'a point trop faific«
^urs 3 & partons du moins affûtés de fa vie«, Jf
Fin du troîjîême Aciu
BÉRÉNICE,
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
BÉRÉNICE.
X HÊNicE ne vient point ? Momens trop rigoureux ,
Que vous paroillcz lents à mes rapides vœux I
Je m'agite , je cours , languillànte , abattue ;
La force m'abandonne , & le repos me tue.
Phénice ne vient point î Ah , que cette longueur
D'un préfage funerte épouvante mon cœur 1
Phénice n'aura point de réponfe à me rendre.
Titus, l'ingrat Titus n'a point voulu l'entendre j
Il fuit, il fe dérobe à ma juftç fureur.
SCENE IL
BÉRÉNICE, PHÉNICE.
BÉRÉNICE.
Vj HERE Phénice , hé bien , as-tu vu Tempereui' ?
Qu'a-t-il dit ? Yiendra-t-il î
Phénice.
Oui, jel'aivîi, Madame j
Et j'ai peint à Ces yeux le trouble de votre ame.
J'ai vu couler des pleurs qu'il vouloit retenir.
B É R. É N j c E.
Vient-il î
P H EN I c E.
N'en doutez point. Madame, il va venir.
Mais voulez-vous paroître en ce defordre extrême ?
Remettez-Yous, Madame, & rentrez en vous-même
TRAGÉDIE. 47
[-âiflèr-moi relever ces voiles détachés ,
Il ces cheveux épars dont vos yeux font cachés.
>oui&ez que de vos pleurs Je répare l'outrage.
BÉRÉNICE.
.aiflc, laifTe, Phénice , il verra fon ouvrage.
•"t que m'importe , hélas, de ces vains ornemens ?
»i ma foi , fi mes pleurs , fi mes gémiflemens ;
Aiis que dis-jc , mes pleurs ? fi ma perte certaine,
ii ma mort toute prête enfin ne le ramène !
^is-moi, que produiront tes fecours fuperflus,
il tout ce foible éclat qui ne le touche plus î
Phénice.
Pourquoi lui faites-vous cet injufte reproche î
'entens du bruit , Madame , & l'empereur s'approche,
'enez , fuyez la foule , & rentrons promptement.
'ous l'cnîteticndrez feul dans votre appartement.
SCENE I 1 L
TITUS, PAULIN, Suite*
Titus.
L) E LA reine , Paulin , flattez l'inquiétude,
e vais la voir. Je veux un peux de folitude.
2uc l'on me laifle.
Paulin d part.
O Ciel , que je crains ce combat T
îrands Dieux, fauvez fa gloire & l'hoûncur de Tétaç î
'oyons la reine.
44*
48 BÉRÉNICE,
^iMB— W^—— ■^— iW— it^— — — IMIIIWIII ■■■Il lin
'■ ' I
SCENE IV.
TITUS /eu/.
Xi È BIEN , Titus , que viens-tu faire î
Bérénice t'attend. Où viens-tu , téméraire ?
Tes adieux font-ils prêts î T'es-tu bien confulté î
Ton cœur te promet-il allez de cruauté ?
Car enfin au combat, qui pour toi fc prépare,
C'eft peu d'être conftant, il faut être barbare.
Soutiendrai-je fes yeux , dont la douce langueur
Sait 11 bien découvrir les chemins do mon cœur ?
Quand je verrai ces yeux armés de tous leurs charmes,
Attachés fur les miens, m'accabler de leurs larmes.
Me fouviendrai-je alors de mon trifte devoir î
Pourrai-je dire enfin : Je ne veux plus vous voir ?
Je viens percer un cœur que j'adore, qui m'aime.
Et pourquoi le percer ? Qui l'ordonne î Moi-même,
Car enfin , Rome a-t-elle expliqué fes fouhaits î
L'entendons-nous crier autour de ce palais î
Vois-je l'état penchant au bord du précipice î
Ne le puis-je fauver que par ce facrifice ?
Tout fe taît 5 & moi feul, trop prompt à me troubler,
J'avance des malheurs que je puis reculer.
Et qui fait fi , fenfible aux vertus de la reine ,
Rome ne voudra point l'avouer pour romaine ?
Rome peut par fon choix jjjftifier le mien.
Non, non, encore un coup, ne précipitons rien.
Que Rome , avec fes loix, mette dans la balance
Tant de pleurs , tant d'amour, tant de perfévcrancc
Rome fera pour nous. Titus, ouvre les yeux.
Quel air refpires-tu ? N'es-tu pas dans ces lieux
Où la haine des rois, avec le lait fucée ,
Par crainte , ou par amour , ne peut être effacée ?
Rome jugea ta reine en condamnant Ces rois.
N'as-tu pas , en naiflànt, entendu cette voix î
TRAGÉDIE. 45
Et n'as-tu pas encore oui la renommée
T'annonccr ton devoir jufques dans ton armée î
Et, iorfque Bérénice arriva fur tes pas ,
Ce que Rome en jugeoit, ne i'entendis-tu pas ?
Faut- il donc tant de fois te le faire redire î
Ah, lâche , fais l'amour, oc renonce à l'empirir.
Au bout de l'univers va, cours te confiner.
Et fais place à des cœurs plus dignes de régner.
Sont-ce là ces projets de grandeur àc de gloire ,
Qui dévoient dans les cœurs confacrer ma mémoire.
Depuis huit jours je règne ; & , jufques à ce jour,
Qu'ai-je fait pour l'honneur ? J'ai tout fait pour l'amour.
D'un temps lî précieux quel compte puis-je rendre î
Où font ces heureux jours que je faifois attendre î
Quels pleurs ai-je féchés î Dans quels yeux fatisfaits
Ai- je déjà goûté le fruit de mes bienfaits ?
L*univers a-t-il vu changer ùs dcilinécs ?
Sais-je combien le ciel m'a compté de journées ?
Et de ce peu de jours , fi long-temps attendus ,
Ah , malheureux , combien j'en ai déjà perdus î
Ne tardons plus. Faifons ce que l'iionneur exige.
Rompons le fcul lien . . ,
SCENE V,
BÉRÉNICE, TITUS.
Bérénice en entrant»
JL^ ON, laifTez-moi, vous dis-/c;
En vain tous vos confcils me retiennent ici.
Il faut que je le voie. Ah , Seigneur , vous voici !
Hé bien, il cil donc vrai que Titus m'abandonne î
U faut nous féparcr ; & c'ell lui qui l'ordonne.
Titus.
N'accablez point , Madame, un prince malheureux.
U ne faut point ici nous acçeudrir cous deux.
Tome IL C
50 B É R É N I C S,
Un trouble afTez cruel m'agite & me dévore ,
Sans que des pleurs iî chers me déchirent encore.
Rappeliez bien plutôt ce cœur, qui, tant de fois.
M'a fait de mon devoir reconnoître la voix.
Il en eft temps. Forcez votre amour à fe taire ;
Et d'un œil , que la gloire & la raifon éclaire ,
Contemplez mon devoir dans toute fa rigueur.
JVous-même contre vous fortifiez mon cœur.
Aidez-moi, s'il fe peut, à vaincre fa foiblelîè,
A retenir des pleurs qui m'échappent fans celle.
Ou , Il nous ne pouvons commander à nos pleurs ,
<^ue la gloire du moins foutienne nos douleurs 5
Et que tout l'univers reconnoiffe , fans peine ,
Les pleurs d'un empereur, &: les pleurs d'une reine.
Car enfin , ma princefle , il faut nous féparer,
BÉRÉNICE.
Ah , cruel ! Eft-il temps de me le déclarer ?
Qu'avez-vous fait , hélas ! Je me fuis crue aimée.
Au plaifîr de vous voir mon ame accoutumée
Ne vit plus que pourvcus^gnoriez-vous vosloix ,
Quand je vous l'avouai pour la première fois î
A quel excès d'amour m'avez-vous amenée î
Que ne me difiez-vous : princefle infortunée.
Où vas-tu t'engager , & quel eft ton efpoir ?
Ne donne point un cœur qu'on ne peut recevoir.
Ne l'avez-vous reçu , cruel, que pour le rendre.
Quand de vos feules mains ce cœur voudroit dépendre î
Tout l'empire a vingt fois confpiré contre nous.
Il étoit temps cncor. Que ne me quittiei-vous î
Mille raifons alors confoloient ma mifère.
Je pouvois de ma mort accufer votre père.
Le peuple , le fénat , tout l'empire romain ,
Tout l'univers , plutôt qu'une lî chère main.
Leur haine , dès long-temps , contre moi déclarée ;
M'avoit à mon malheur , dès long-temps , préparée.
Je n'aurois pas. Seigneur, reçu ce coup cruel,
Daûs le semps que j'efpère un bonheur irtimortcl y
TRAGÉDIE. 5t
Quand votre heureux amour peut tout ce qu'il déruc i
Lorique Rome fe tait 5 quand votre père expire j
Lorlque tout l'univers tiechic à vos genoux ;
Enfin, quand je n'ai plus à redouter que vous.
Titus.
Et c'eft moi feul aufli qui pouvois me détruire.
Je pouvois vivre alors 3c me laiiler féduire. ■<
Mon cœur £e gardoit bien d'aller dans l'avenir
Chercher ce qui pouvoit un jour nous defunir.
Je voulois qu'à mes voeux rien ne fût invincible 5
Je n'examinois rien, j'efpérois l'impolTible.
Que fais-je ? J'efpérois de mourir à vos yeux.
Avant que d'en venir à ces cruels adieux.
Les obliaclcs fembloient renouvcller ma flamme.
Tout l'empire parloit. Mais la gloire. Madame,
Ne s'étoit point encor fait entendre à mon cœur ,
Du ton, dont elle parle au cœur d'un empereur.
Je fais tous les tourmens où ce deflein me livre.
Je fens bien que , fans vous , je ne faurois plus vivre 5
Que mon cœur de moi-même efl prêt à s'éloigner :
Mais il ne s'agit plus de vivre , il faut régner.
BÉRÉNICE.
Hé bien, régnez, cruel, contentez votre gloire.
Je. ne difpute plus. J'attcndois, pour vous croire ,
Que cette même bouche , après mille fcrmens
D'un amour, qui devoir unir tous nos momens ,
Cetce bouche, à mes yeux, s'avouant inHdeiie,
M'ordonnât elle-même une abfence éternelle.
Moi-même j'ai voulu vou5 entendre en ce lieu ;
Je n'écoute plus rien , & pour jamais adieu.
Four jamais , ah , Seigneur , fongez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel eft aô'reux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment fouffrirons-nouî.
Seigneur, que tant de mers me féparent de vous î
Que le jour recommence , & que le jour finifle,
Sans que jamais Titus puifle voir Bérénice î
Sans que , de tout le jour, je puifle voir Titus î
Mais quelle cft mon erreur , & que de foins perdu» •
Ci)
ji BÉRÉNICE,
L'ingrat , de mon départ , confolé par avance ,
Daignera-t-il compter les jours de mon abfcnce ?
Ces jours, fi longs pour moi, luifembleront trop courts
Titus.
Je n'aurai pas , Madame , à compter tant de jours.
J'efpère que bien-tôt la trifte renommée
Vous fera confefTer que vous étiez aimée.
Vous verrez que Titus n'a pu , fans expirer . . .
BÉRÉNICE.
Ah , Seigneur , s'il eft: vrai , pourquoi nous féparcr ?
Je ne vous parle point d'un heureux hymcnée :
Rome à ne vous plus voir m'a-t-elle condamnée î
Pourquoi m'enviez-vous l'air que vous refpirez î
Titus.
Hélas, vou;: pouvez tout. Madame ! Demeurez ,
Je n'y réfilte point. Mais je fens ma foiblefle.
Il faudra vous combattre & vous ciaindre fans cefle $
Et fans cefle veiller à retenir mes pas.
Que vers vous , à toute heure , entraînent vos appas.
Que dis-je ? En ce moment, mon cœur, hors de lui-même,'
S'oublie , & fe fouvient feulement qu'il vous aime.
BÉRÉNICE.
Hé bien , Seigneur , hé bien qu'en peut-il arriver ?
Voyez-vous les Romains prêts à fe foulever ?
Titus.
Et qui fait de quel oeil ils prendront cette injure ?
S'ils parlent , fi les cris fuccèden: au murmure ,
Faudra-t-il , par le fang, jufliifier mon choix ?
S'ils fc taifent. Madame , & me vendent leurs loîx;
A quoi m'expofez-vous ? Par quelle complaifancc
Faudra-t-il, quelque jour , payer leur patience î
Que n'oferont-ils point alors me demander ?
Maintiendrai-je des loix que je ne puis garder ?
BÉRÉNICE.
Vous ne comptez pour rien les pleurs de Bérénice,
Titus.
^c les compte pour rien 1 Ah , Ciel î quelle injuftice
TRAGÉDIE. 55
BÉRÉNICE.
Quoi , pour d'injuftes loix que vous pouvez changer.
En d'éternels chagrins vous même vous plonger !
Rome a fes droics, Seigneur ; n'avez-vous pas les vôtres î
Ses intérêts font-ils plus facrés que les nôtres î
Dites , parlez.
Titus.
Hélas , que vous me déchirez î
Bérénice.
^ v-ui êtes empereur. Seigneur, & vous pleurez?
Titus.
Oui , Madame, il eft vrai , je pleure , je foupire ,
Je frémis : mais enfin , quand j'acceptai l'empire,
Rome me fit jurer de maintenir fes droits.
II les faut maintenir. Déjà , plus d'une fois ,
Rome a de mes pareils exercé la confiance.
Ah , fi vous remontiez jufques à fa naiflance.
Vous les verriez toujours à Ces ordres fournis.
L*un, jaloux de fa foi , va chez les ennemis
Chercher , avec la mort , la peine toute prête.
D'un fils viûorieux l'autre profcrit la tête-
L'autre avec des yeuxfecs, & prefque indifTércns,
Voit mourir fes deux fils, par fon ordre cxpirans.
Malheureux ! Mais toujours la patrie & la gloire
Dnt , parmi les Romains , remporté la vidoire.
le fais , qu'en vous quittant , le malheureux Titua
Pafle l'aulléritc de toutes leurs vertus ;
r^u'cllc n'approche point de cet effort infigne.
Mais, Madame, après tout, me croyez-vous indigne
De laifTer un exemple à la poftérité ,
^ui, fans de grands efforts, ne puiffe être imité î
BÉRÉNICE.
"*îon, je crois tout facile à votre barbarie.
ie vous crois digne , ingrat , de m'arracher la vie.
Oc tous vos fentimens mon cœur eft cclairci.
fe ne vous parle plus de me laifler ici.
Jui , moi ? J'aurois voulu, honteufc & mépriféc ,
y an peuple qui me hait foutejiir la rifée î
Ciij
54 s È R É N I C s.
J'ai voulu vous poufler jufques à ce refus.
C'en cft fait ; & bien-tot vous ne me craindrez plus.
N'attendez pas ici que j'éclate en injures 5
Que j'attelle le ciel ennemi des parjures : ;l|
Non , fi le ciel encore eft touché de mes pleurs , "
Je le prie, en mourant, d'oublier mes douleurs.
Si je forme des voeux contre votre injuftice j
Si, devant que mourir, la trifte Bérénice
Vous veut di fan trépas laifler quelque vengeur ,
Je ne le cherche , ingrat , qu'au fond de votre coeur.
Je fais que tant d'amcur n'en peut être effacée ;
Que ma douleur préfente , & ma bonté pafTée ,
Mon fang qu'en ce palais je veux même vcrfer ,
Sont au au: d'ennemis que je vais vous laifler.
Et , fans me repentir de ma perfévérance.
Je me remets- fut eux de toute ma vengeance.
Ad eu.
SCENE V L
TITUS, PAULIN.
Paulin.
D,
'ans quel deflein vient- elle de fortir ,
Seigneur ? Elt-clie enfin difpofée à partir î
Titus.
Paulin , je fuis perdu , je n'y pourrai furvivre.
La reine veut mourir. Allons , il faut la fuivre,
Courons à fon feceurs.
Paulin.
Hé quoi, n'avez-voas pas
Ordonné , dès tantôt , qu'on obferve fes pas ?
Se« femmes , à toute heure , autour d'elle empreflxes ,
Sauront la détourner de ces triftes penfées.
Non, non, ne craignez rien. Voilà les plus grands coups,
Seigneur j continuez , la viâoiie efl à vous.
TRAGÉDIE. n
Je fais que, fans pitié, vous n'avez pu l'entendre;
Moi-même, en la voyant , je n'ai pu m'en défendre.
Mais regardez plus loin. Songez, en ce malheur.
Quelle gloire va fuivre un moment de douleur ,
Quels applaudillcmens l'univers vous prépare ,
Quel rang dans l'avenir.
Titus.
Non , je fuis un barbare î
Moi-même je me hais. Néron , tant dételle ,
N'a poinr à cet excès poufle fa cruauté.
Je ne foufFrirai point que Bérénice expire.
Allons , Rome en dira ce qu'elle en voudra dire.
Paulin.
Quoi , Seigneur I
Titus.
Je ne fais, Paulin , ce que je dis.
L'excès de ma douleur accable mes efprits.
Paulin.
Ne troublez point le cours de votre renommée.
Seigneur. De vos adieux la nouvelle eft femée.
Rome , qui gémiflbit , triomphe avec raifon.
Tous les temples ouverts fument en votre nom ;
Et le Peuple , élevant vos vertus jufqu'aux nues ,
Va par-tout de lauriers couronner vos ilatucs,
Titus.
Ah, Rome ! Ah, Bérénice ! Ah, prince malheureux î
Pourquoi fuis-je empereur? Pourquoi fuis-jc amoureux?
SCENE VIL
TITUS , ANTIOCHUS , PAULIN , ARSACE.
A N T I G C U s.
\/ u'avez-vous fait, Seigneur ? L'aimable Bérénice
Va , peut-être , expirer dans les bras de Phénice.
Civ
^6 BÉRÉNICE,
Elle n'entend , ni pleurs, ni confeil , ni raifonj
Elle implore à grands cris le fer & le poifon.
Vous leul vous lui pouvez arracher cette envie ;
On vous nomme , Se ce nom la rappelle a la vie.
Ses yeux toujours tournés vers votre appartement.
Semblent vous demander de moment en moment.
Je n'y puis réllflcr , ce fpeftacle me tue.
Allez , Seigneur , allez vous montrer à la vue.
Sauvez tant de vertus , de grâces , de beauté ,
Ou renoncez, Seigneur, à toute humanité.
Dites un mot.
Titus.
Hélas, quel mot puîs-je lui dire I
Moi-même , en ce moment , fais-je fi je refpire î
SCENE V I I L
TITUS, ANTIOCHUS, PAULIN, ARSACE ,
RUTILE.
Rutile.
O EiGNEUR , tous les ttibuns , les confuls, le fénat.
Viennent vous demander au nom de tout l'état ,
Un grand peuple les fuit, qui , plein d'impatience ,
Dan> votre appartement attend votre préfence.
Titus.
Je vous entends, grands Dieux ! vous voulez ralTurer
Ce cœur que vous voyez tout prêt à s'égarer.
1? A U L l N.
Venez , Seigneur, padbns dans la chambre prochaine ;
Allons voir le fénat.
Antioc hus.
Ah , courez chez la reine !
Paulin.
Quoi, vous pourriez. Seigneur , par cette indignité ;
De l'empire à vos pieds fouler la majefté 1
TRAGÉDIE. SI
Rnme . . .
Titus.
II fuffic , Paulin , nous allons les entendre»
( à Antiochus. )
Prince , de ce devoir je ne puis me défendre.
■Voyez la reine. Allez. J'efpère, à mon retour,
Qu'elle ne pourra plus douter de mon amour.
Fin du quatrième Acle^
C?
y8 BÉRÉNICE.
mnnnmmmnmmm
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
A R S A C E.
v^ ù POUR.RAI-JE trouver ce prince trop fîdel ?
Ciel , conduirez mes pas , & fécondez mon zèle.
Faites qu'en ce moment je lui puifTe annoncer
Un bonheur , où peut-être il n'ofe plus penfer
SCENE IL
ANTIOCHUS. ARSACE,
A R s A C E.
J\ H, QUEL heureux deftin en ces lieux vous rcnvolcj
Seigneur ?
Antiochus.
Si mon retour t'apporte quelque joie,
Arface , rends-en grâce à mon feul défeipoir.
A R s A c E.
La reine part, Seigneur.
Antiochus».
File part ?
A R s A c E.
Des ce foir i
Ses ordres font donnés. Elle s'eft offenfée
Que Titus à fes pleurs l'a't fi long-temps laifïee.
Un généreux dépit fuccède à fa fureur.
Bérénice renonce à Rome , à l'empereur 5
TRAGÉDIE, 55
Et même veut partir , avant que Rome inftruîte
Puilîe voir ion défordrc , & jouir de fa fuite.
Elle éciic à Céfar.
Antiochus.
O Ciel, qui l'auroit cru î
Et Titus ?
A R s A C E.
A Ces yeux Titus n'a point paru.
Le peuple , avec tranfport , l'arrête , l'environne ,'
ApplaudilTant aux noms que le fénat lui donne.
Et CCS noms , ces refpeds , ces applaudiflcmens ,
Deviennent pour Titus autant d'engagcmens ,
Qui le liant , Seigneur, d'une honorable chaîne ,
Malgré tous {es foupirs , & les pleurs de la reine ,
Fixent dans fon devoir fes vœux irréfolus.
C'en eft fait. Et peut-être il ne la verra plus.
Antiochus.
Que_de fujets d'cfpoir , Arface , je l'avoue î
Mais d'un foin fi cruel la fortune me joue ;
J'ai vu tous mes projets tant de fois démentis ,
Que j'ccouce, en tremblant , tout ce que tu me dis.
Et mon cœur prévenu d'une crainte importune ,
Croit même en efpérant , irriter la fortune.
Mais que vois-je ? Titus porte vers nous fcs pas.
Que veut-il ?
SCENE III.
TITUS, ANTIOCHUS, ARSACE.
Titus à fa fuite,
lJ emeurez , qu'on ne me fuivc pas»-
Enfin , prince, je viens dégager ma promefle,
Béiépicc m'occupe , & m'afflige fans cciT'e.
Gvj
6o BÉRÉNICE,
Je viens, le coeur percé de vos pleurs & des {îcns ,
Calmer des déplai/îrs moins cruels que les miens.
Venez , prince , venez, je veux bien que vous-même.
Pour la dernière fois , vous voyiez fi je l'aime.
SCENE IV.
ANTIOCHUS, ARSACF,
Antiochu s.
Xi É BIEN , voilà refpoir que tu m'avois rendu ?
Et tu vois le triomphe où j'ctois attendu î
Bérénice parroit juftement irritée ?
Pour ne la plus revoir Titus l'avoit quittée?
Qu'ai-je donc fait, grands Dieux ! Quel cours infortuné
A ma funefte vie avicz-vous delliné I
Tous fcs momens ne font qu'un éternel paflage ,
De la crainte à l'efpoir , de l'cfpoir à la rage.
Et je refpire encor ? Bérénice I Titus !
Dieux cruels, de mes pleurs vous ne vous rirez plus.
SCENE V.
TITUS, BÉRÉNICE, PHÉNÎCE.
Bérénice.
irH o N , je n'écoute rien; Me voilà réfolue.
Je veux partir. Pourquoi vous montrer à ma vue î
Pourquoi venir encore aigrir mon defcfpolr ?
N'êres-vous pas content ? Je ne veux plus vous voir.
Titus.
Mais, de grâce, écoutez.
TRAGÉDIE. Si
BÉRÉNICE.
Il n'eft plus temps.
Un mot.
Non.
Titus.
BÉRÉNICE.
Madame ,
Titus.
Dans quel trouble elle jette mon ame ï
Ma princc{îc , d'cù vient ce changement foudain î
BÉRÉNICE.
C'en eft tait. Vous voulez que je parte demain.
Et, moi, j'ai rclblu de partir tout à l'heure,
Et je pars.
Titus.
Demeurez.
BÉRÉNICE.
Ingrat , que je demeure 3
Et pourquoi? Pour entendre un peuple injurieux.
Qui fait de mon malheur retentir tous ces lieux ?
Ne l'cntendez-vous pas cette cruelle joie.
Tandis que dans les pleurs moi feule je me noie î
Quel crime, quelle offenfe a pu les animer ?
Hélas I Et qu'ai-je fait que de vous trop aimer î
Titus.
Ecoutez-vous , M.idame , une foule infcnfee ?
Bérénice.
Je ne vois rien ici dont je ne fois bleffcc.
Tout cet appartement préparé par vos foins.
Ces lieux, de mon amour fî long-temps les témoins ,
Qui fembloient pour jamais me répondre du vôtre ,
Ces fcftons , où nos noms , enlacés l'un dans l'autre ,
A mes triftcs regards viennent par-tout s'ctfrir ,
Sont autant d impofteurs que je ne puis fouiirir^
Allons, Phcnioc
6z BÉRÉNICE,
Titus.
O ciel, que vous êtes injuftc î
Bérénice.
Retournez, retournez vers ce fénat augufte.
Qui vient vous applaudir de votre cruauté.
Hé bien , avec plailîr , l'avez-vous écouté ?
Et€s-vous pleinement content de votre gloire ?
Avez-vous bien promis d'oublier ma mémoire ?
Mais ce n'ell pas aflez expier vos amours.
Avez-vous bien promis de me haïr toujours ?
Titus.
Non , je n'ai rien promis. Moi , que je vous haïfle î
Que je puiffc jamais oublier Bérénice !
Ah , Dieux ! Dans quel moment fon injufte rigueur ,
De ce cruel foupçon vient affiiger mon cœur 1
Connoiilez-moi , Madame , & , depuis cinq années ,
Comptez tous les momens, & toutes les journées
Où par plus de tranfports , & par plus de foupirs ,
Je vous ai'dc mon coeur exprimé lt"s délirs 5
Ce jour furpaffe tout. Jama s , je le confefïè ,
Vous ne fûtes aimée avec tant de tendrefTe 5
Et jamais . . .
BÉRÉNICE.
Vous m'aimez , votis me k foutenez,
Et cependant je pars , & vous me l'ordonnez ?
Quoi, dans mon défefpoir trouvez-vous tant de charmes î
Craignez-vous que mes yeux verfent trop peu de larmes ?
Que me fert de ce cœur l'inutile retour î
Ah, cruel, par pitié , montrez-moi moins d'amour î
Ne me rappeliez point une trop chère idée ;
Er lailléz-moi , du moins , partir perfuadée
Que , déjà de votre ame exilée en fecret ,
J'abandonne un ingrat qui me perd fans regreCr
( Titus lit une lettre. )
Vous m'avez arraché ce que je viens d'écrire,-
Voilà de votre amour tout ce que je déûre.
TRAGÉDIE, €i
Lifez , ingrat , lifcz , & me laifîcz fortîr.
Titus.
Vous ne forcirez point, je n'y puis confentir.
Quoi , ce départ n'eft donc c^u'un cruel ftuitagème ?
Vous cherchez à mourir ' Et de tout ce que j'aime
Il ne reftcra plus qu'un trille fouvenir ?
Qu'on cherche Antiochus , qu'on le falfe venir.
( Bérénice fe laiffe tomber fur un Jiége. )
SCENE VI.
TITUS, BÉRÉNICE,
jVl ADAME , il faut vous faire un aveu véritable,
Lorfque j'envifageai le moment redoutable ,
Où , prelîc par les loix d'un auftère devoir ,
II faîloit pour jamais renoncer â vous voir ;
Quand de ce trille adieu je prévis les approches ,
Mes craintes , mes combats , vos larmes, vos reproches ,
Je m'attendis , Madame , â toutes les douleurs
Que peuc faire fencir le plus grand des malheurs ,
Mais , quoique je craignifl'e , il faut que je le die ,
Je n'en avois prévu que la moindre partie.
Je croyois ma vertu moins prête â fuccombcr 5
Er j'ai honte du trouble cù je la vois tomber.-
J'ai vu devant mes yeux Rome entière aflembléc.
Le fénat ra'a parlé ; mais mon amc accablée
Fcoutoit fans entendre , & ne leur a laifie.
Pour prix de leurs tranfports, qu'un filence glacé.
Kome de votre fort eft encor incertaine.
Moi-même , à tous niomens , je me fouviens à peine
Si je fuis empereur, ou fi je fuis romain.
Je fuis venu vers vous , fans favoir mon deffein.
Mon amour m'entraînoit, & je vcncis peut-être
Pour me chercher moi-mcmc, & pour me reconnoître»
g 4 BÉRÉNICE,
Qu'ai-ie t^rouvé ? Je vois la mort peinte en vos yeux ;
Je vois , pour la chercher , que vous quittez ces lieux.
C'en ell trop. Ma douleur , à cette trille vue ,
A fon dcrniffr excès eft enfin parvenue.
Je relTcns tous les maux que je puîs reflentîr ;
Mais je vois le chemin par où j'en puis fortir.
Ne vous attendez point que , las de tant d'allarmes.
Par un heureux hymen je tariilè vos larmes.
En quelque cxcrémité que vous m'ayez réduit ,
Ma gloire inexorable à toute heure me fuit.
Sans celle, elle préfente à mon ame étonnée.
L'empire incompatible avec votre hymcnée ;
Me dit qu'après l'éclat, & les pas que }'ai faits.
Je dois vous époufer encor moins que jamais.
Oui , Madame ; & je dois moins encore vous dire ,
Que je fuis prêt , pour vous, d'abandonner l'empire.
De vous fuivre , & d'aller , trop content de mes fers.
Soupirer avec vous au bout de l'univers.
Vous même rougiriez de ma lâche conduite.
Vous verriez , à regret , marcher à votre fuite
Un indigne empereur , fans empire, fans cour.
Vil fpectacle aux humains des foibleffes d'amour.
Pour fortir des rourmens, dont mon ame eft la proie ,
Il eft , vous le favez, une plus noble voie.
Je me fuis vu , Madame, enfei ,ner ce chemin ,
Et par plus d'un héros , & par plus d'un romain.
Lorfque trop de malheurs ont lafte leur conftance ,
Ils ont tous expliqué cette perfévérance ,
Dont le fort s'attachoit à les perfécuter ,
Comme un ordre fecret de n'y plus réfifter.
Si vos pleurs plus long-temps viennent fiapperma vue ;
Si toujours à mourir je vous vois rcfolue ;
S'il faut qu'à tous momens je tremble pour vos jours ;
Si vous ne me jurez d'en refpeûer le cours ;
Madame i à d'autres pleurs vous devez vous attendre.
En l'état où je fuis je puis tout entreprendre ;
Et je ne réponds pas que ma ma n , à vos yeux ,
N'enfanglante à la fin nos funeftes adieux.
TRAGÉDIE, ^S
BÉKÉNICE.
Hclas ;
Titus.
Non , il n'efi; tien dont je ne fois capable.
Vous voilà de mes jours maintenant refponfable.
Songcz-y bien , Madame ; & fi je vous fuis cher. ...
SCENE DERNIERE.
TITUS, BÉRÉNICE, ANTIOCHUS.
Titus.
V ENEz , prince , venez, je vous ai fait chercher.
Soyez ici témoin de toute ma foibleflè.
Voyez 11 c'eft aimer avec peu de tcndrefîe.
Jugez-nous.
Antiochus.
Je crois tout. Je connois votre amour.
Mais, vous , connoifl'ez-moi , Seigneur, à votre tour.
Vous m'avez honoré , Seigneur , de votre eftime 5
Et moi , ')z puis ici vous le jurer fans crime ,
A vos plus chers amis, j'ai difputé ce rang.
Je l'ai difputé même aux dépens de mon fang.
Vous m'avez, malgré moi , confié l'un & l'autre ,
La reine , fon amour , & vous , Seigneur , le votre.
La reine, qui m'entend , peut me défavouer :
Elle m'a vu toujours , ardent à vous louer ,
Répondre , par mes foins , à votre confidence.
Vous croyez m'en devoir quelque reconnoifîance.
Mais croir!cz-vous , Seigneur , en ce moment fatal ,
Qu'un ami fi fidèle étoit votre rival.
Titus.
Mon rival ?
Aktiochu s.
Il cft temps que je vous édaîrciflè.
Oui, Seigneur, ^'ai toujours adoïc Bérénice j
U BÉRÉNICE. J
Pour ne la plus aimer , j'ai cent fois combattu. ^
Je n'ai pu l'oublier ; au moins , je me fuis tu.
De votre changement la flatceufe apparence ,
M'avoic rendu tantôt quelque foible efpérance.
Les larmes de la reine ont éteint cet efpoir.
Ses yeux ». baignés de pleurs, demandoient à vous voir.
Je fuis venu , Seigneur, vous appeller moi-même ,
Vous êtes revenu. Vous aimez , on vous aime j
Vous vous êtes rendu , je n'en ai point douté.
Pour la dernière-fois je me fuis confuké ,
J'ai fait de mon courage une épreuve dernière ,
Je viens de rappeller ma raifon toute entière,
Jamais je ne me fuis fenti plus amoureux.
11 faut ti'autres efforts pour rompre tant de nœuds ,
Ce n'ell qu'en expirant que je puis les détruire.
J'y cours. Voilà de quoi j'ai voulu vous initruire.
Oui , Madame , vers vous j'ai rappelle Ces pas.
Mes foins ont rcuflî , je ne m'en lepens pas,
Puille le ciel verfer fur tomes vos années
Mille profpérités l'une à l'autre enchaînées.
Ou , s'il vous garde encore un relie de couroux.
Je conjure les Dieux d'épuifer tous les coups ,
Qui pourroient menacer une lî belle vie ,
Sur ces jours malheureux que je vous facrific»
BÉKÉNicEyè levant.
Arrêtez. Arrêtez , princes trop généreux.
En quelle extrémité me jettez-vous tous deux î
Soit que je vous regarde , ou que je l'envifage ,
Par-tout du défefpoir je rencontre l'image :
Je ne vois q Je djs pleurs ; & je n'entends parler
Que de trouble , d'horreurs , de fang prêt à couler»
( d Tirus. )
Mon cœur vous cit connu , Seigneur , & je puis dire
Qu'on ne l'a jama s vu foupirer pour l'empire.
La grandeur des romains , la pourpre des Céfars,
N'a point , vous Irfavez , attiré mes regards.
J'aimois , Se gneur , j'aimois , je voulois être aimée
Ce jour , je l'avouerai , je me fuis aliarmée.
TRAGÉDIE. 67
J'ai cru que votre amour alloit finir fon cours.
Je connois mon erreur , & vous m'aimez toujours.
Votre cœur s'eft troublé , j'ai vu couler vos larmes.
Bérénice , Seigneur , ne vaut pas tant d'allarmes 5
Ni que par votre amour l'univers malheureux ,
Dans le temps que Titus attire tous fcs vœux ,
Et que de vos vertus il goûte les prémices ,
Se voie en un moment enlever fes délices.
Je crois, depuis cinq ans, jufqu'à ce dernier jour.
Vous avoir afiuré d'un véritable amour.
Ce n'eft pas tout , je veux , en ce moment funefte ,
Par un dernier effort , couronner tout le relte.
Je vivrai, je fuivrai vos ordres abfolus.
Adieu , Seigneur , régnez , je ne vous verrai plus.
( d Antiochus.
Prince , après cet adieu, vous jugez bien vous-même.
Que je ne confcns pas de quitter ce que j'aime ,
Pour aller , loin de Rome, écouter d'autres vœux.
Vivez , & faites-vous un effort généreux.
Sur Titus & fur moi réglez votre conduite.
Je l'aime , je le fuis. Titus m'aime , il me quitte.
Portez loin de mes yeux vos foupirs &c vos fers.
Adieu. Servons tous trois d'exemple à l'univers
De l'amour la plus tendre & la plus malheureufe.
Dont il pu'fl'e garder l'hiftoire dculoureufe.
Tout eîl prcr. On m'at.cnd. Ne fuivcz point mes pas.
( d Titus. )
Pour la dernière fois , adieu , Seigneur.
Antiochus.
Hélas
F I !^.
1
B A J A Z E T ,
TRAGÉDIE.
PREFACE.
O Ult AN Amurat, ou fultanMorat, empereur des
Turcs , celui qui prit Babylone en i ^3 8 , a eu quatre
irères« Le premier , c'eft à favoir Ofman , fut empe-
reur avant lui, & régna environ trois ans , au bout def-
quels les janiflaircs lui ôtèrent l'empire & la vie. Le
fécond fe nommoit Orcan. Amurat , dès les premiers
jours de fon régne , le fit étrangler. Le troifième étoic
Bajazet , prince de grande cfpérance j &: c'efl; lui qui
cft le héros de ma Tragédie. Amurat , ou par politi-
que, ou par amitié , l'avoit épargné jufqu*au fiège de
Babylone. Après la prife de cette ville , le fultan vic-
torieux envoya un ordre à Conftantinople pour le
faire mourir ; ce qui fut conduit & exécuté à peu près
de la manière que je le repréfcme. Amurat avoit en-
core un frère , qui fut depuis le fultan Ibrahim , & que
ce mcme Amurat négligea comme un prince ftupide
qui ne lui donnoit point d'ombrage. Sultan Mahomet,
qui règne aujourd'hui , eft fils de cet Ibrahim , & par
confcquent neveu de Bajazet.
Les particularités de la mort de Bajazet ne font en-
core dans aucune hiftoire imprimée. M. le Comte de
Ckzy ctoit ambafTadeur à Conftantinople , iorfque cet-
te avanture tragique arriva dans le fcrrail. Il fut inC
tniitdes amours de Bajazet, & des jaloufics de la ful-
tanc. II vi: mcme pluficurs fois Bajazet, à qui on per-
PRÉFACE.
mettoic de fe promener quelquefois à la pointe du fer*
rail fur le canal de la mer noire. M. le Comte de Cézy
difoit que c'étoit un prince de bonne mine. Il a écrie
depuis les circonftances de fa mort ; & il y a encore
pluficurs perfonnes de qualité qui fe fouviennent de lui
en avoir entendu faire le récit lorfqu'il fut de retour en
France.
Quelques lecteurs pourront s'étonner qu'on ait o£é
mettre fur la fcène une hiftoire fi récente j mais je n'ai
rien vu dans les règles du poème dramatique qui
dût me détourner de mon entreprife. A la vérité , je
ne confeillerois pas à un auteur de prendre pour fujcc
d'une tragédie une aûion auffi moderne que celle-ci,
fi elle s'étoit paflée dans le pays où il veut faire repré-
fenter fa tragédie , ni de mettre des héros fur le
théâtre , qui auroient été connus de la plupart des
fpedtateurs. Les perfonnages tragiques doivent être
regardés d'un autre œil que nous ne regardons d'ordi-
naire les perfonnages que nous avons vus de fi près. On
peut dire que le tcCpeâ que l'on a pour hs héroî
s'augmente à mefure qu'ils s'éloignent de nous , major
è longiaguoreverentia. L'éloignement des pays répare en
quelque forte la trop grande proximité des temps ;
car le peuple ne met gueres de différence entre ce qu-
eft, fi j'ofe ainfi parler , à mille ans de lui , & ce qui er
eft à mille lieues. C'eft ce qui fait , par exemple , que
les perfonnages Turcs , quelque modernes qu'ils foient
ont de la dignité fur notre théâtre. On les regarde dt
bonne heure con;me anciens. Ce font des mœurs & de
coutume
PRÉFACE.
coutumes toutes diffécntes. Nous avons fî peu de com-
merce avec les princes , & les autres perfonnes qui vi-
vent dans le ferrail , que nous les confidérons, pour
ainfi dire , comme des gens qui vivent dans un autre
fiècle que le nôtre.
C'étoit à peu près de cette manière que les Perfans
étoient anciennement confidcrés des Athéniens. Aufïi
le Poète Efchyle ne fit point de difficulté d'introduire
dans une tragédie la raere de Xerxès , qui étoit peut*
être encore vivante , & de faire repréfenter fur le
théâtre d'Athènes la défolation de la cour de Perfc ,
après la déroute de ce prince. Cependant ce même Ef-
chyle s'étoit trouvé en perfonne à la bataille de Sala-
mine où Xcxcès avoit été vaincu ; & il s'étoit trouvé
encore â la défaite des Iicu:enans de Darius père de
Xerxès dans la plaine de Marathon ; car Efchyle étoic
homme de guerre , & il croit frère de ce fameux Cy-
négire , dont il efl: tant parlé dans l'antiquité, Se qui
mourut fi glorieufement en atttiquant un des vaiffcauK
du roi de Perfe.
Tome 12,
J C T E U R s.
B A J A Z E T , frère du Sultan Araurat.
R O X A N E , Sultane favorite du Sultan Amuraç»
A T A L I D E , Fille du Sang Ottoman.
A C O M A T , Grand Vifir.
O S M I N, Confidçnc du Grand Vifiiv;
Z A T I M E , Efclavc de la Sultane,
ZAÏRE, Efclare d'Atalide,.
GARDES,
la Scène ejl â Conjîantmple , autrement dite ByfancCi
dans k Serrait du Grand - Seigneur,
^^K*;xxxxxx:*xxxxxxxx>:^;xx
B A J A Z E T,
TRAGÉDIE,
ACTE PREMIER,
SCENE PREMIERE.
A C O M A T , O S M I N.
A C O M A T.
V lENS, fuis-moi. La fultane en ce lieu Ce doit rendre.
Je pourrai, cependant, te parler Se t'enrendre.
O s M I N.
Et depuis quand , Seigneur , entre-t-on dans ces lieux ,
Dont l'accès étoit même interdit à nos yeux î
Jadis une mort prompte eût fuivi cette audace,
A c o M A T.
Quand tu feras inftruit de tout ce qui fe pafle,
Mon entrée en ces lieux ne te furprendra plus.
Mais , laifTons , cher Ofmin , les difcours fuperflus.
Que ton retour tardoit à mon impatience 1
El que, d'un œil content , je te vois dans Byfance î
Inftruis-moi des fecrets que peut t'avoir appris
Un voyage fi long pour moi feul entrepris.
De ce qu'ont vu tes yeux, parle en témoin fincère«
Songe que du récit , Ofmin , que tu vas faire ,
Dij
7C B A J A Z ET,
Dépendent les deftins de l'empire Ottoman.
Qu'as- tu vu dans l'aimée , & que fait le fultan ?
O s M I N.
Bahylone , Seigneur , à Ton prince fidelle ,
Voyoit, fans s'étonner, notre armée autour d'elle 5
Les Pcrfans raflemblés marchoient à fon fecours ,
Et du camp d'Amurat s'approchoient tous les jours.
Lui-même , facigué d'un long fîcge inutile ,
Sembloit vouloir laiiTer Babylone tranquille j
Et fans renouveller Ces aflàuts impuiffans ,
Réfolu de combattre , attendoit ks Perfans.
Mais , comme vous favcz , malgré ma diligence;
Un long chemin fépare & ie camp & Byfance.
Mille obitacles divers m'ont même travcrfé j
Et je puis ignorer tout ce qui s'eft pafTé.
A C o M A T.
Que faifoîent cependant nos braves Janiflaîrcs ?
Rendent- ils au fultan dzs hommages lïncères ?
Dans le fecret des cœurs , Ofmin , n'as- tu rien lu !
Amurat jouit-il d'un pouvoir abfolu î
O s M J N.
Amurat eft content, fi nous le voulons croire.
Et fcmbloit fe promettre une heureufe vidoirc.
Mais en vain par ce calme il croit nous éblouir.
Il atïeûe un repos dont il ne peut jouir.
C'eft en vain que, forçant Ces foupçons ordinaires*
Il fe rend acceinble à tous les Janilîaircs.
Il fe fouvient toujours que fon inimitié.
Voulut de ce grand corps retrancher la moitié ,
Lorfque , pour affermir fa puiflance nouvelle ,
II vouloir, difoit-il , fortir de leur tutelle.
Moi-même j'ai fouvent entendu leurs difcours ;
Comme il les craint fanscefle, iis le craignent toujcurti
Ses careflès n'ont point effacé cette injure.
Votre abfence eft pour eux un fujer de murmure.
Ils regrettent le temps , à leur grand cœur fi doux ,
Lorf^u'afîiirés de vaincre ils combattoient fous vous.
TRAGÉDIE. 77
A C O M A T.
Quoi , tn croîs , cher Ofinin , que ma gloire paflee
Flatte encor leur valeur , & vie dans leur penfée î
Crois-tu qu'ils me fuivroicnt encor avec plai(îr.
Et qu'ils reconnoîtroicnt la voix de leur vifir î
O s M I N.
Le fuccès du combat réglera leur conduite.
Il faut voir du fultan la viûoire ou la fuite.
Quoiqu'à regret. Seigneur, ils marchent fous fes loix.
Ils ont à foutenir le bruit de leurs exploits.
Ils ne trahiront point l'honneur de tant d'années.
Mais, enfin , le fuccès dépend àes deftinées.
Si l'heureux Amurat , fécondant leur grand cœur ,
Aux champs de Babylone eft déclaré vainqueur ,
Vous les verrez fournis rapporter dans Byfance
L'exemple d'une aveugle & baffe obéiffance.
Mais , fi dans le combat le deftin plus puiffant
Marque de quelque affront fon empire naiffant ;
S'il fuit ; ne doutez point que , fiers de fa difgrace ,
A la haine bientôt ils ne joignent l'audace ,
Et n'expliquent , Seigneur , la perte du combat.
Comme un arrêt du Ciel qui réprouve Amurat.
Cependant , s'il en faut croire la renommée ,
Il a > depuis trois mois, fait partir de l'armée
Un cfclave chargé de quelque ordre fccrct.
Tout le camp interdit trembloit pour Bajazer.
On craignoit qu'Amurat, par un ordre févère ,
N'envoyât demander la téce de fon frère,
A c o M A T.
Tel étoît fon deffein. Cet Efdave eft venu ;
Il a montré fon ordre , &: n'a rien obtenu.
O s M I N.
Quoij Seigneur, le fultan reverra fon vifagc.
Sans que de vos refpefts il lui porte ce gageî
A c o M A T.
Cet efclave n'eft plus. Un ordre , cher Ofmin ,
L'a &it précipiter dans le fond de l'Euxin.
Diij
78 B A J A Z E T,
O s M 1 s.
Ma's le fuîtan , furpris d'une trop Jongue abfcnce ,
En cherchera bien-tôt la caufe & Ja vengeance.
Que lui répondrez-vous ?
A C O M A T.
Peut-être avant ce temps ,
Je faurai l'occuper de foins plus importans.
Je fais bien cju'Amurat a juré ma ruine.
Je fais à fon retour l'accueil qu'il me deftine.
Tu vois , pour m'arracher du cœur de Ces foldats ,
Qu'il va chercher , fans moi , les fièges , les combats :
Il commande l'armée ; & moi , dans une Ville,
Il me laifle exercer un pouvoir inutile.
Quel emploi , quel féjour, Ofmin , pour un vilîr î
Mais j'ai plus dignement employé ce loifîr.
J'ai lu lui préparer des craintes & des veilles 5
Et le bruit en ira bien- tôt à fes oreilles.
O s M I N.
Quoi donc, qu'avez-vcus fait ?
A c o M A T.
J'efpère qu'aujourd'hui
Bajazet fe déclare, &: Roxane avec lui.
O 5 M I N.
Quoi , Roxane , Seigneur , qu'Amurat a choific
Entre tant de beautés , dont l'Europe oc l'Alîe
Dépeuplent leurs états, & rempliflent fa cour î
Car on dit qu'elle feule a fixé fon amour ;
Et même il a voulu que l'heureufe Roxane ,
Avant qu'elle eût un fils , prît Je nom de fulcane.
A c o M A T.
Il a fait plus pour elle , Ofmin. II a voulu
Qu'elle eût dans fon abfence un pouvoir abfolu.
Tu fais de nos fultans les rigueurs ordinaires.
Le frère rarement laifTe jouir Ces frères
De l'honneur dangereux d'être fortis d'un fang ,
Qui les a de trop près approchés de fon rang.
L'imbécillc Ibrahim , fans craindre fa naiilance ,
Traîne , exempt de péril, une éternelle enfance 5
TRAGÉDIE, 79
Indigne également de vivre & de mouiir ^
On l'abandonne aux mains qui daignent le nourrir.
L'autre, trop redoutable, & trop digne d'envie ,
Voit fans celle Amurat armé contre la vie.
Car enfin , Bajazet dédaigna de tout temps
La molle oilîvcté des enlans des fukans.
Il vint chercher la guerre au fortir de l'enfance ,
Et même en fit fous jnoi la noble expérience.
Toi-mêiue tu l'as vu courir dans les combats,
Emporter après lui tous les cœurs des foldats ;
El goûter, tout fanglant , le plaifir Se la gloire.
Que donne aux jeunes cœurs la première viûoire*
Mais, malgré fes fou pçons, le cruel Amurat ,
Avant qu'un fils naifl'ant eût rafluré l'état ,
N'ofoit facrifier ce frère à fa vengeance ,
Ni du fang Ottoman profcrire l'efpérance.
Ainfi donc , pour un temps , Amurat défarmé $
Lailla dans le ferrail Bajazet enfermé»
Il partit , & voulut que , fidèle à fa haine ,
Et des jours de fon frère arbitre fouveraine,
Roxane , au moindre bruit , & , fans autres raifons.
Le fît facrifier à fes moindres foupçons.
Pour moi , demeuré feul , une jufte colère
Touina bien-tôt mes vœux du côté de fon frère.
J'entretins U fultane , & , cachant mon dcflcin ,
Lui montrai d'Amurat le retour incertain ,
Les murmures du camp, la fortune des armes.
Je plaignis Bajazet , je lui vantai fes charmes ,
Qui, par un foin jaloux dans l'ombre retenus ,
Si voifins de Ces yjux , leur étoient inconnus.
Que te dirai-je enfin ? ï-a fulcanc éperdue
N'eut £lus d'autres défirs que celui d,e fa vue.
O s M I N.
Mais pouvoîent-ils tromper tant de jaloux regards ,
Qui femblent mettre entre eux d'invincibles remparts i
A c o M A T.
Peut-être il te fouvient qu'un récit peu fidèle
De la more d'Amurat fit courir la nouvelle.
Div
8o B A J A Z ET,
La fultane , i ce bruit , feignant de s'effrayer ;
Par des cris douloureux eut loin de l'appuyer.
Sur la foi de feî pleurs fcs efclaves tremblèrent J
De l'heureux Bajazet les gardes fe troublèrent ;
Tt \z$ dons achevant d'ébranler leur devoir ,
Leurs captifs , dans ce tiouble , ofèrent s'entrevoir.
Roxane vit le prince ; elle ne put lui taire
L'ordre dont eï\ç. feule étoit dépoiitaire.
Bajazet efr aimable ; il vit que fon falut
Dépendoit de lui plaire , &: bien-tot il lui plut.
Tout confpiroit pour lui. Ses foins , fa complaifance ,
Ce fccrec découvert, & cette intelligence.
Soupirs d'autant plus doux qu'il les fallait celer ,
L'embarras irritant de ne s'ofer parler.
Même témérité , périls , craintes communes ,
Lièrent pour jamais leurs cœurs & leurs fortunes.
Ceux-mêmes, dont \qs yeux les dévoient éclairer.
Sortis de leur devoir, n'ofèrent y rentrer.
O s M I N.
Quoi , Roxane d'abord leur découvrant fon ame ,
Ofa-t-clle à leurs yeux faire éclater fa flamme î
A C o M A T,
Ils l'ignorent encore ; &, jufques à ce jour,
Acaiide a pêcé fon nom à cet amour.
Du père d'Amurat Atalide eft la nièce.
Et même , avec ks fils partageant fa tcndreflè ,
File a vu fon enfance élevée avec eux.
Du prince , en apparence , elle reçoit les vœux ,
Mais elle les reçoit pour les rendre à Roxane,
Et veut bien fous fon nom qu'il aime la fultane.
Cependant , cher Ofmin , pour s'appuyer de moi.
L'un & l'autre ont promis Atalide à ma foi.
O s M I N.
Quoi , vous l'aimez , Seigneur î
A c o M A T.
Voudrois^tu qu'à mon âge
Je fijÛTe de l'amour le vil apprcntUTage î
TRAGÉDIE, 8i
Qu'un cœur, qu'ont endurci la fatigue & les ans.
Suivît d'un vain plaifir les confeils imprudens î
C'ell par d'autres attraits qu'elle plaît à ma vue»
J'aime en elle le fang dont elle cil: defcendue.
Par elle Bajazet, en m'approchant de lui,
Me va, contre lui-même, afTurcr un appui.
Un vilîr aux fultans fait toujours quelque ombrage 5
A peine ils l'ont choifi , qu'ils craignent leur ouvrage.
Sa dépouille eft un bien qu'ils veulent recueillir,
Ef jamais leurs chagrins ne nous laifTent vieillir.
Bajazet aujourd'hui m'honore & me careiTe ;
Ses périls, tous les jours, réveillent fa tendreflè.
Ce même Bajazet , fur le trône affermi ,
Méconnoîtra peut-être un inurile ami.
Et moi, fi mon devoir , fi ma foi ne l'arrête ,
S'il ofe quelque jour me demander ma tête . . .
Je ne m'explique point , Ofmin ; mais je prétens
Que , du moins, il faudra la demander long-temps.
Je fais rendre aux fultans de fidèles fcrvices ;
Mais je laifl'e au vulgaire adorer leurs caprices ,
Et ne me pique point du fcrupule infenfé
De b^nir mon trépas , quand ils l'ont prononcé.
Voilà donc de ces lieux ce qui m'ouvre l'entrée ;
Et comme enfin Roxane à mes yeux s'eft montrée.
Invifibic d'abord elle cntcndoit ma voix ,
Et craignoit du ferrail les rigoureufes loix ;
Mais enfin , banniflant cette importune crainte ,
Qui dans nos entretiens jettoit trop de contrainte.
Elle-même a choifi cet endroit écarté ,
Où nos cœurs à nos yeux parlent en liberté.
Par un chemin obfcur une cfclave me guide ,
Et . . . . Mais on vient. C'ell elle , & fa chère Atalide.
Demeure ; & , s'il le faut , fois prêt à confirmer
Le récit important dont je vais l'informer.
:<*;
^
D?
Si B A J A Z E T,
SCENE IL
ROXANE, ATALIDE, ZATIME,
ACOMAT, OSMIN.
A C O M A T.
Xj a vérité s*accorde avec la renommée.
Madame, Ofmin a vu le fukan & l'armée.
Le fuperbe Amurat ell toujours inquiet ,
Et toujours tous les cœurs panchent vers Bajazct :
D'une commune voix ils l'appellent au trône.
Cependant \cs Perfans marchoient vers Babylone ,
Et bien-tôt les deux camps , aux pieds de fon rempart,
Dévoient de la bataille éprouver le hafard.
Ce combat doit , dit-on , fixer nos dcltinées ;
Et même , fi d'Ofmin je compte les journées ,
Le Ciel en a déjà réglé l'événement ;
Et le fultan triomphe , ou Fuit en ce moment.
Déclarons-nous , Madame , & rompons le filence.
Fermons-lui , dès ce jour, les portes de Byfancc ;
Et, fans nous informer s'il triomphe eu s'il fuit.
Croyez-moi, hâtons-nous d'en prévenir le bruit.
S'il fuit, que craignez-vous ? S'il triomphe, au contraire.
Le confeil le plus prompt eft le plus falutaije.
Vous voudrez, mais trop tard, fouftraire à fon pouvoir
Un peuple , dans {es murs prêt à le recevoir.
Pour moi, j'ai fu déjà , par mes brigues fecrettes ,
Gagner de notre loi \qs facrés interprètes.
Je fais , combien , crédule en fa dévotion ,
Le peuple fuit le frein de la religion.
Souffrez que Bajazet voie enfin la lumière.
Des murs de ce palais cuvrea-lui la barrière ,;
Déployez en fon nom cet étendart fatal ,
Des extrêmes périls l'ordinaire fignal.
Les peuples , prévenus de ce nom favorabîe,"
Savent que fa vertu le rend feule coupable.
TRAGÉDIE. 8j
D'ailleurs, un bruit confus, par mes foins confirme ,
Fait croire heureufemenc à ce peuple alarmé ,
Qu'Amuratle dédaigne, &c veut, loin de By^incc ,
Tranfjporar déformais fon trône & fa préfencc.
Déclarons le péril dont fon frère eH prefle.
Montrons l'ordre cruel qui vous fut adrefl'é.
Sur-tout, qu'il fe déclare , & fe montre lui-même ,
Et falle voir ce front digne du diadème.
R O X A N E.
Il fuffît. Je tiendrai tout ce que j'ai promis.
Alkz, brave Acomat, affembler vos amis.
De tous leurs fcntimehs venez me rendre compte ,
Je vous rendrai moi-même une réponfe prompte.
Je verrai Bajazet. Je ne puis dire rien ,
Sans favoir lî fon cœur s'accorde avec k mien.
Allez , & revenez.
SCENE I I L
ROXANE, ATALIDE, ZATIME,
R o X A N E.
lit NFiN , belle Atalîdc ,
Il faut de nos dcftins que Bajazet décide.
Pour la dernière fois je le vais confuli;er.
Je vais favoir s'il m'aime.
A T A I, I D E.
Eft-il temps d'en douter,
Madame ? Hâtez-vous d'achever votre ouvrage.
us avez du viiir entendu le langage.
' .jazjt vous ell ciier. Savez-vous fi demain
Sa liberté , fcs jours feront en votre main î
Peut-être en ce moaacnt , Amurat en furie
S'approche pour trancher une fi belle vie.
Dvj
84 B A J A Z E T,
Et pourquoi de fon cœur doutez-vous aujourd'hui ?
R G X A N E.
Mais m'en répondez-vous , vous qui parlez pour lui ?
A T A L I D E.
Quoi, Madame, les foins qu'il a pris pourvcu,'; plaire,
Ce que vous avez fait, ce que vous pouvez faire ,
Ses périls , fcs refpeds , & fur -tout vos appas ,
Tout cela de fon cœur ne vous répond-il pas î
Croyez que vos bontés vivent dans fa mémoire.
R G X A N E.
Hélas , pour mon repos que ne le puis-je croire l
Pourquoi faur-il au moins que , pour me confolcr ,
L'ingrat ne parle pas comme on le fait parler ?
Vingt fois, fur vos difcours pleine de confiance.
Du trouble de fon cœur fouillant par avance.
Moi-même j'ai voulu m'alîiirer de fa foi ,
Et l'ai fait en fecret amener devant moi.
Peut-être trop d'amour me rend trop difficile.
Mais , fans vous fatiguer d'un récit inutile ,
Je ne retrouvois point ce trouble , cette ardeur ;
Que m'avoit tant promis un difcours trop flatteur.
Enfin , û je lui donne & la vie & l'empire ,
Ces gages incertains ne me peuvent fuffire.
A T A L I D E.
Quoi donc ? A fon amour qu'allez-vous propofer ?
R G X A N E.
s'il m'aime , dès «e jour il me doit époufer.
A T A L I D E.
Vous époufer I O Ciel , que prétendez-vous faire î
R o X A N E.
Je fais que des fultans l'ufagc m'cft contraire 5
Je fais qu'ils fe font fait une fupcrbe loi
De ne point à l'hymen aflujettir leur foi.
Parmi tant de beautés qui briguent leur tendrelTè,
Ils daignent quelquefois choifir une maîtrefle ;
Mais, toujours inquiète avec tous Ces appas,
Efclave, elle reçoit fon maîçre dans ks bras j
TRAGÉDIE. 8î
Et , fans fortir du joug où leur loi la condamne ,
II faut qu'un fils nailfant la déclare fultane.
Amurat plus ardent^ & feul , jufqu'à ce jour ,
A voulu que l'on dût ce titre à fon amour.
J'en reçus la puifîance aufli-bien que le titre ;
Et des jours de Ton frère il me laiflà l'arbitre.
Mais ce même Amurat ne me promit jamais
Que l'hymen dût un jour couronner Ces bienfaits ;
Et moi , qui n'afpirois qu'à cette feule gloire ,
De ics autres bienfaits j'ai perdu la mémoire.
Toutefois , que fert-il de me juftifier î
Bajazet , il eft vrai, m'a tout fait oublier.
Malgré tous fes malheurs , plus heureux que fon frère ,
11 m'a plu , fans peut-être afpirer à me plaire.
Femmes , gardes , vifîr, pour lui j'ai tout féduit }
En un mot , vous voyez jufqu'où )g l'ai conduit.
Grâces à mon amour , je me fuis bien fervie
Du pouvoir qu' Amurat me donna fur fa vie.
Bajazet touche prefque au trône des fultans :
Il ne faut plus qu'un pas ; mais c'efl où je l'attends.
Malgré tout mon amour , fi , dans cette journée ,
II ne m'attache à lui par un julle hyménée j
S'il ofe m'alléguer une odieufe loi ;
Quand je fais tout pour lui , s'il ne fait tout pour moî.
Dès le même moment , fans fonger (i je l'aime ,
Sans confulter enfin fi je me perds moi-même ,
J'abandonne l'ingrat , & le laifle rentrer
Dans l'état malheureux, d'où je l'ai fu tirer.
Voilà fur quoi je veux que Bajazet prononce.
Sa perte ou fon falut dépend de fa réponfe.
Je ne vous preffe point de vouloir aujourd'hui
Me prêter votre voix pour m'expliquer à lui.
Je veux que , devant moi , fa bouche &: fon vifage
Me découvrent fon cœur , fans me laiflcr d'ombrage J
Que lui-même , en fecret amené dans ces lieux ,
Sans être préparé, fe préfente à mes yeux.
Adieu. Vgus fauiez jgui après cette entrevue,
Î6 B A J A Z E T,
SCENE IV.
ATALIDE, ZAÏRE.
A T A L I D E.
^AÏRE , c'en eft fait , Atalide eft perdue,
Z A ï R E.
Vous ?
Atalide.
Je prévois déjà coût ce qu'il faut prévoir.
Mon unique elpérancc ell dans mon défefpoir,
Zaïre.
Mais , Madame , pourquoi ?
Atalide.
Si tu venois d'entendre
Quel funefle dclTein Roxane vient de prendre 5
Quelles conditions elle veut impofer î
Bajazet doit périr, dit-elle, ou l'époufcr.
S'il fe rend , que deviens-je en ce malheur extrême î
Et , s'il ne fe rend pas, que devient-il lui-même 1
Z A ï R E.
Je conçois ce malheur. Mais , à ne point mentir ,
Votre amour , dès long-temps , a du le prelTcmir.
Atalide.
Ah , Zaïre ! L'amour a-t-il tant de prudence î
Tout fembloit avec nous être d'intelligence.
Roxane , fe livrant toute entière à,ma foi ,
Du cœur de Bajazet fe rcpofoit fur moi ;
M'abandonnoit le foin de tout ce qui le touche J
Le voyoit par mes yeux, lui parloir par ma bouche 5
Et je croyois toucher au bienheureux moment,
Oùj'allois, par fes mains, couronner mon amanç.
Le Ciel s'eft déclaré contre mon artifice.
Et , que falloiç-il doue, Zaïre, que je fiffe î
T R A<; È D l E. %7
A l'firreur de Roxane ai- je dû m'oppofer.
Et perdre mon amant pour la defabufer ?
Avant que dans fon coeur cette amour fût formée,
J'aimois , & je pouvois m'aflurer d'être aimée.
Des nos plus jeunes ans , tu t'en Ibuviens allez ,
L'amour ferra les nœuds par le fang commencés.
Elevée avec lui dans le fein de fa mère ,
J'appris à dillinguer Bajazet de fon frère ;
Elle-même , avec joie , unit nos volontés :
Et , quoiqu'après fa mort l'un de l'autre écartés ,
Confervant , fans nous voir, le délir de nous plaire ^
Nous avons fu toujours nous aimer &: nous taire.
Roxanc qui depuis, loin de s'en défier ,
A fes dcflèins fecrets voulut m'ailocier ,
Ne put voir , fans amour , ce héros trop aimable.
Elle courut lui tendre une main favorable,
Bajazet étonné rendit grâce à (es foins ,
Lui rendit des refpeds. Pouvoit-il faire moins !
Mais qu'aifément i'amour croit tout ce qu'il fouhaite 5
De (ti moindres refpeûs Roxanc fatisfaice
Nous engagea tous deux , par fa facilité ,
A la laiffcr jouir de fa crédulité.
Zaïre, il faut pourtant avouer ma foiblefie»
D'un mouvement jaloux je ne fus pas maîtrefle»
Ma rivale , accablant mon amant de bienfaits,
Oppofoit un empire à mes foibles attraits ;
Mille foins la rendoient préfente à fa mémoire ;
Elle l'entretcnoit de fa prochaine gloire :
Et moi, je ne puis rien. Mon cœur, pour tout difeours,
N'avcit que des foupirs qu'il répétoit toujours.
Le Ciel feul fait combien j'en ai vcrfé de larmes.
Mais , enfin , Bajazet diflipa mes allarmes.
Je condamnai nîes pleurs , &, jufques aujourd'hui i^
Je l'ai prefle de feindre , & j'ai parlé pour lui.
Hclas, tout ert fini ! Roxanc méprifée.
Bien-tôt de fon erreur fera défabuféc.
Car , enfin , Bajazet ne fait point fe cacher ;
Je conjttois fa vertu prompte à s'effaroucher.
n B A J A Z ET,
Il faut qu'à tous momens , tremblante & fecôurable ,
Je donne à Tes difcours un fens plus favorable.
Bajazet va fe perdre. Ah , fî comme autrefois ,
Ma rivale eût voulu lui parler par ma voix ?
Au moins fi j'avois pu préparer fon vifage !
Mais, Zaïre , je puis Tactendre à fon paÎTage.
D'un mot, ou d'un regard je puis le fecourir.
Qu'il l'époufe , en un mot , plutôt que de périr.
Si Roxane le veut , fans doute , il faut qu'il meure.
Il fe perdra, te dis- je. Atalide, demeure.
Laiife , fans t'alarmer , ton amant fur fa foi.
Penfes-tu mériter qu'on fe perde pour toi î
Peut-être Bajazet, fécondant ton envie.
Plus que tu ne voudras , aura foin de fa vie.
Zaïre.
Ah, dans quels foins. Madame, allez-vous vous plonger î
Toujours , avant le temps , faut-il vous affliger ?
Vous n'en pouvez douter , Bajazet vous adore.
Sufpendez, ou cachez l'ennui qui vous dévore.
N'allez point par vos pleurs déclarer vos amours»
La main qui l'a fauve le fauvera toujours,
Pourvu qu'entretenue en fon erreur fatale ,
Roxane , jufqu'au bout , ignore fa rivale.
Venez en d'autres lieux enfermer vos regrets ,
Et de leur entrevue attendre le fuccès.
Atalide.
Hé bien, Zaïre, allons. Et toi , fi ta juftîce
De deux jeunes amans veut punir l'artifice ,
O Ciel , fi notre amour eft condamné de toi.
Je fuis la plus coupable , épuife tout fur moi»
Fin du premier Atle,
TRAGÉDIE, Î9
ACTE IL
SCENE PREMIERE.
BAJAZET, ROXANE,
R O X A N E.
L RiNci , l'heure fatale eft enfin arrivée
iu'à votre liberté le Ciel a réfervée.
lien ne me retient plus ; & je puis , dès ce jour,
accomplir le delFein qu'a formé mon amour.
ion , que vous all'uiant d'un triomphe facile j
c mette entre vos mains un empire tranquile ;
c fais ce que je puis , je vous i'avois promis.
'arme votre valeur contre vos ennemis,
'écarte de vos jours un péril manifefte,
"otrc vertu , Seigneur, achèvera le refte.
)ùxûa a vu l'armée :, elle panche pour vous,
-cs chefs de notre loi conlpirent avec nous ,
-c vifir Acomat vous répond de Byfance ,
r ,,.-^i ^ YQus le favez, je tiens fous ma puiflance
Toulc de chefs, d'efclavcs, de muets ,
, .-• que dans cts murs renferme ce palais j
t dont , à ma faveur , les âmes afTervics
l'ont vendu, des long-temps, leur filcncc & leurs vies.
Commencez maintenant. C'eft à vous de courir
^ans le champ glorieux que j'ai fu vous ouvrir.
''eus n'entreprenez point une injufte carrière ,
''eus rcpouflèz , Seigneur, une main meurtrière.
.'exemple en eft commun ; & , parmi les fultans ,
-C chemin à l'empire a conduit de tout temps.
»f ais.pour mieux commenccr,hâtons-nous l'un & l'autfe
3'aûurcr à la fois mon bonheur ôc le vôtre.
90 B A J A Z E T,
A^ontrez à l'univers, en m'attachant à vous ,
Que , quand je vous fervois , je fervois mon époux ,
Et , par le nœud facré d'un heureux hyménée ,
Jullifiez la foi que je vous ai donnée.
B A j A z E T.
Ah , que propofez-vous , Madame !
R O X A N E.
Hé quoi , Seigneur î
Quel obftack fecret trouble notre bonheur î
B A J A 2 E T.
Madame , ignorez-vous que l'orgueil de l'empire . . .
Que ne m'épargnez-vous la douleur de le dire ?
R o X A N E.
Oui , je fais que, depuis qu'un de vos empereurs ,
Bajazet, d'un barbare éprouvant les fureurs,
Vit au char du vainqueur fon époufe enchaînée ,
Et par toure l'Alie à fa fuite traînée , .
De l'honneur Ottoman fes fucc«lleurs jaloux
Ont daigné rarement prendre le nom d'époux.
Mais l'amour ne fuit point ces loix imaginaires ;
Et , fans vous rapporter des exemples vulgaires ,
Soliman, vous favez qu'entre tous vos aïeux,
Dont l'univers a craint le bras victorieux.
Nul n'éleva fi haut la grandeur Octomane ;
Ce Soliman jetta les yeux fur Roxclane.
Malgré tout fon orgueil, ce monarque fi fier
A fon trône, à fon lit daigna l'alFocier ;
Sans qu'elle eût d'autres droits au rang d'impératrice ;
Qu'un peu d'attraits peut-être , & beaucoup d'artifice
Bajazet.
Il eft vrai. Mais auflî voyez ce que je puis ,
Ce qu'étoit Soliman, & le peu que je fuis.
Soliman jouiflbic d'une pleine puillance.
L'Egypte ramenée à fon obéïlîance ,
Rhodes , des Ottomans ce redoutable écueil,
De tous fes défenfcurs devenu le cercueil.
Du Danube afl'ervi les rives défolées ,
De l'empire Perfan les bornes reculées ,
TRAGÉDIE. 51
)ans leurs climats brûlans les Africains domptés ,
aifoient taire les loix devant {es volontés.
)ue fuis-je ? J'attends tout du peuple ôc de l'armée.
les malheurs font encor toute ma renommée.
nfortuné, profcrit , incertain de régner ,
)ois-jc irriter les cœurs au lieu de les gagner?
'émcins de nos plaiiirs, plaindront-ils nos mifères î
}roiront-ils mes périls & vos larmes hncères î
ongez , fans me flatter du fort de Soliman ,
lU meurtre tout récent du malheureux Ofman.
)ans leur rébellion les chefs des janifîaires ,
cherchant à colorer leurs dclleins fanguinaires,
e crurent à fa perte allez autoril'és
'ar le fatal hymen que vous me propofez.
lue vous dirai-je enfin ? Maître de leur fufFragc ,
'eut-être avec le temps j'oferai davantage.
4e précipitons rien. Et daignez commencer
1. me mettre en état de vous récompenfer.
R O X A N E.
e VOUS entends, Seigneur. Je vois mon imprudence,
e vois que rien n'échappe à votre prévoyance.
'ous avez preflènti jufqu'au moindrc.dangcr ,
>ù mon amour trop prompt vous alloit engager.
'our vous, pour votre honneur vous en craignez les fuites J
•t je le crois , Seigneur, puifque vous me le dites.
'lais avcz-vous prévu , fi vous ne m'épcufcz,
xs périls plus certains où vous vous expcfez ;
iongczrvous que, fans moi, tout vous devient contraire î
lue c*e{l à moi , fur-tout, qu'il importe de plaire ;
■^"";ez-vous que je tiens les portes du palais î
) ■ puis vous l'ouvrir , ou fermer pour jamais î
^ j'ai fur votre vie un empire fuprême î
^e vous ne refpircz qu'autant que je vous aime ?
-t, fans ce même amour qu'ofFenfent vos refus ,
•ongez-vous , en un mot, que vous ne feriez plus ?
B A J A 2 E T.
")ui. Je tiens tout de vous , ôc j'avois Heu de croire
iuc c'étoit pour vous-même une allez grande gloire ,
i»r B A J A Z ET,
En voyant devant moi tout l'empire à genoux j
De m'entendra avouer que je tiens tout de vous.
Je ne m'en détends point. Ma bouche Icconfefle,
Et mon refpeft fauia le eonfiimer ians celle.
Je vous dois tout mon fang. Ma vie ell votre bien.
Mais enfin voulei-vous . . .
R O X A N E.
Non , je ne veux plus rien.
Ne m'importune plus de tes railons forcées ,
Je vois coinbien tes voeux font loin de mes penfées »
Je ne te prefle plus , ingrat , d'y confentir ,
Rentre dans le néant dont je t'ai fait fortir.
Car enfin qui ra'ariêce ? Et quelle autre afîurance
Demandsrois-je encor de fon inditFéience ?
L'ingrat eft-il touché de mes empreffemens ?
L'amour même entre-t-il dans fes raifonnemens ?
Ah , je vois tes defieins. Tu crois , quoi que je faife.
Que mes propres périls t'afl'urent de ta grâce j
Qu'engagée avec toi par de- fi forts liens ,
Je ne puis Itparer tes intérêts des miens.
Mais je m'aflure encore aux bontés de ton frère 5
Il m'aime , tu le fais ; & , malgré fa colère ,
Dans ton perfide fang je puis tout expier ,
Et ta mort fuifira pour me juflifier.
N'en doute point, fy cours , &: dès ce moment mêm
Bajazet , écoutez , je fcns que je vous aime.
Vous vous perdez. Gardez de me lailfer fortir.
Le chemin cil encor ouvert au repentir.
Ne défcfpércz point une amante en furie.
S'il m'échappoit yn mot, c'eft fait de votre vie,
B A J A Z E T.
Vous pouvez me l'ôter, elle eft entre vos mains ,
Peut-êcre que ma mort, utile à vos defièins ,
De l'heureux Amurat obtenant votre grâce ,
Vous rendra dans fon coeur votre première place.
R o X A N E.
Dans fon cœur ? Ah , crois-tu quand il le voudroit bic
Que fi je perds l'efpoir de régner dans le tien ,
TRAGÉDIE. gy
)'une Cl douce erreur (î long- temps poUédée,
c puiflé dcforaiais foiittrir une autre idée ;
l'i que je vive enfin , li je ne vis peur roi î
e te donne , cruel , des aunes contre moi ,
ans doute , & je devrois retenir ma foiblefle.
is en triompher. Oui , je te le confefle ,
.tois à tes yeux une faulîe fierté.
'. lOi dépend ma joie &: ma félicité.
)c ma fanglante mort ta mort fera fuivîe.
>uel fruit de tant de foins que j'ai pris pour ta vie ?
u foupircs enfin , Se fcmbles te troubler,
chevc, parle.
B A J A Z E T.
O Ciel, que ne puis-jc parler î
R O X A N E.
îaoî donc ? Que dites-vous ? Et que vien$-je d'entendre ?
eus avez des fecrets que je ne puis apprcndi^^e i
{uoi, de vos fentimens je ne puis m'éclaircir i
B A j A z E T.
[adame , encore un coup , c'ell à vous de choifîr.
>aignez m'ouvrir au trône un chemin légitime ;
'U bien , me voilà prêt , prenez votre vidtiuic.
R o X A N E.
h, c*en eft trop enfin , tu feras fatisfait.
oli, gardes, qu'on vienne.
■t
SCENE IL
ROXANE, BAJAZET, ACOMAT.
R o X A N E.
/acomat, c'en efl faic.
ous pouvez retourner , je n'ai rien à vous dire,
'ufultan Amurat je reconnois l'empire ;
îrtcz. Que le fcrrail foit déformais fermé;
t que tout rentre ici dans l'ordic accoutumé»
^4 B A J A Z E T,
SCENE I I L
BAJAZET, ACOMAT.
A C O M A T.
ô EiGNEUR, qu'ai-je entendu î Quelle furprife extrême 1
Qu'dllez-vous devenir î Que deviens-je moi-même î
D'où naît ce changement ? Qui dois-jc en accufer î
O Ciel I
B A J A Z E T.
Il ne faut point ici vous abufcr.
Roxane ell offenfée , & court à la vengeance.
Un obftacle éternel rompt notre intelligence.
Vifir , fongez à vous , je vous en averti ;
Et, fans compter fur moi , prenez votre para,
A c o M A T.
Quoi î
B A J A 2 E T,
Vous & vos amis , cherchez quelque retraite;
Je fais dans quels périls mon amitié vous jette j
Et j'efpérois un jour vous mieux récompenfer.
Mais c'en eft fait, vous dis-je , il n'y faut plus penfe
A c o M A T.
tt quel eft donc. Seigneur, cet -obftacle invincible ;
Tantôt dans le ferrail j'^i laiflTé tout paifîble.
iQueile fureur faifît votre efprit & le lien î
B A J A z E T.
Hle veut , Acomat , que je l'époufc.
A c o M A T.
Hé bien >
L'ufage des fultans à Ces vœux eft contraire ;
Mais cet ufage , enfin, eft-cc une loi févère,
fs>u'aux dépens de vos jours vous deviez obferver î
ta plus Cainçe des loix, ah , c'eft de vous fauver î
TRAGÉDIE. 5j
Et d'arracher , Seigneur , d'une mort manîfefte ,
Le fang des Ottomans dont vous faites le refte,
B A J A Z E T.
Ce refte malheureux feroit trop acheté.
S'il faut le conferver par une lâcheté.
A c o M A T.
Et pourquoi vous en faire une image fî noire î
L'hymen de Soliman ternit-il fa mémoire i
Cependant Soliman n'étoit point menacé
Des périls évidens dont vous êtes preflé.
B A J A z ET.
Et ce font ces périls , & ce foin de ma vie ,
3ui d'un fervile hymen feroient l'ignominie,
Soliman n'avoit point ce prétexte odieux.
Son efHâve-trouva grâce devant fes yeux ;
Et , fans fubir le joug d'un hymen nécefl'airc ,
Il lui fit de fon cœur un préfent volontaire.
A c o M A T.
Mais vous aimez Roxane.
B A J A z E T.
Acomat, c*efl: alTez
Te me plains de mon fort moins que vous ne penfez.
La mort n'efl: point pour moi le comble des difgraces :
l'ofai , tout jeune encor , la chercher fur vos traces 5
Et l'indigne prifon où je fuis renfermé ,
\ la voir de plus près m'a même accoutumé.
Amurat à mes yeux l'a vingt fois prcfentéc.
Elle finit le cours d'une vie agitée.
rtclas , fi je la quitte avec quelque regret . , .
Pardonnez , Acomat, je plains avec fujet
Des cœurs , dont les bontés trop mal lécompenfées ,
M'avoient pris pour objet de toutes leurs penfccs.
Acomat.
Kh , fi nous pcrifTons , n'en accufez que vous.
Seigneur. Dites un mot , ôc vous nous fauvez tous.
Tout ce qui refte ici de braves janiflaires ,
De la Religion les faints dépofitaites ,
5^ B A J A Z ET,
Du peuple Byfancin ceux, qui , plus rcfpe£lcs ,
Par leur exemple fcùl régienc Ces volontés ,
Sont prêts de vous conduire à la porte facrée ,
D'où les nouveaux fuitans font leur pretnière entrée.
B A J A Z E T.
Hé bien , brave Acomat, fi je leur fuis (î cher.
Que des mains de Roxanc ils viennent m'arracher 5
Du fcrrail, s'il le faut, venez forcer la porte.
Entrez accompagné de leur vaillante efcorte.
J'aime mieux en fortir fangiant , couvert de coups»
Que chargé, malgré moi, du nom de ion époux.
Peut-être je faurai , dans ce défordre extrême ,
Par un beau défefpoir me fecourir moi-même ;
Attendre , en combattant , l'elFet de votre foi ,
Er vous donner le temps de venir jufqu'à moi.
Acomat.
Hé , pourrai-je empêcher , malgré ma diligence ,
Que Roxane, d'un coup, n'aiiure fa vengeance ?
Alors qu'aura fervi ce zèle impétueux ,
Qu'à charger vos amis d'un crime infrud^ueux ?
Promettez. Affranchi du péril qui vous prefl'e ,
Vous verrez de quel poids fera votre promeire.
15 a J A z E T.
Moi!
Acomat.
Ne rougifTèz point. Le fang des Ottoman*
Ne doit point en efciave obéir aux fcrmens. »
Confultez ces héros , que le droit de la guerre W
Mena victorieux jufqu'au bout de la terre. ■
Libres dans leur viftoii e , & maîtres de leur foi >
L'intérêt de l'état fut leur unique loi ;
Et d'un trône fi faint la moitié n'efl fondée
Que fur la foi promife & rarement gardée.
Je m'emporte , Seigneur.
B A J A z E T.
Oui , je fais, Accmat »
Jurqu*oû Us a ponés rintérêt de l'état.
Ma'
TRAGÉDIE. $j
Mais ces mêmes héros , prodigues de leur vie ,
Ne la rachecoient point par une perfidie.
A c o M A T.
O courage inflexible 1 O trop confiante foi ,
Que , même en périfTant, j'admire malgré moi !
Faut-il qu'en un moment un fcrupule timide
Perde... Mais qUcI bonheur nous envoie Atalide î
SCENE IV.
ATALIDE, BAJAZET, ACOMAT.
A c o M A T.
l\ H , Madame , venez avee moi vous unir.
Il fe perd.
Atalide.
C'eft de quoi je viens l'entretenir.
Mais laiflez-nous. Roxane , à fa perte animée
Veut que de ce palais la porte foit fermée.
Toutefois, Acomat, ne vous éloignez pas 5
Peut-être on vous fera revenir fur vos pas.
— ■ ■ ' ■ ■
SCENE V.
BAJAZET, ATALIDE.
B a J A 2 E T.
±1 i bien! C'eft maintenant qu'il faut que je vous laide.
Le Ciel punit ma feinte , 8c confond votre adreflè.
Rien ne m'a pu parer contre ces deniiers coups 5
Il falloir , ou mourir, ou n'être plus à vous.
De quoi nous a fervi cette indigne contrainte ?
Je meurs plus tard. Voilà tout le ftuic de ma feinte
Jomc 11, E
9'S B A J A Z ET,
Je vous l'avois prédit. Mais vous l'avez voulu.
J'ai reculé vos pleurs autant que je l'ai pu.
Belle Atalide , au nom de cette complailance ,
Daignez de la fultane éviter la préfence.
Vos pleurs vous trahiroient , cachez-les à Cas yeux ,
Et ne prolongez point de dangereux adieux.
Atalide.
Non , Seigneur. Vos bontés pour une infortunée
Ont allez difputé contre la Jeltinée.
11 vous en coûte trop pour vouloir m'épargner.
Il faut vous rendre. Il faut me quitter & régner.
B A J A 2 E T.
Vous quitter ?
A T A L X D E.
Je le veux. Je me fuis confultée.
De mille foins jaloux jufqu'alors agitée.
Il ert vrai , je n'ai pu concevoir fans effroi ,
Que Bajazet pût vivre , & n'être plus à moi ;
Et lorfque quelquefois de ma rivale heureufc
Je me repréfentois l'image douloureufe ,
Votre mort ( pardonnez aux fureurs des amans )
Ne me paroifToit pas le plus grand des tourmens.
Mais , à mes trilles yeux , votre mort préparée
Pans toute fon horreur ne s'étoit pas montrée.
Je ne vous voyois pas , ainfi que je vous vois ,
Prêt à me dire adieu pour la dernière fois.
Seigneur , je fais trop bien avec quelle confiance
Vous allez de la mort affronter la préfence.
Je fais que votre cœur fe fait quelques plailîrs
De me prouver fa foi dans Ces derniers foupirs.
Mais , hélas , épargnez une ame plus timide i
Mefurez vos malheurs aux forces d'Atalide ;
Et ne m'expofez point aux plus vives douleurs.
Qui jamais d'une amante épuifèrent les pleurs
B A jr A z E T.
Et que deviendrez-vous, fl, àhs cette journée.
Je célèbre à vos yeux ce funefte hyménée î
TRAGÉDIE. $j
A T A L I D E.
Ne vous informez point ce que je deviendrai.
Peut-être à mon delèin , Seigneur , j'obéïrai.
Que fais-je î A ma douleur je cjiercherai des charmej.
Je longerai peut-être , au milieu de mes larmes ,
Qu'à vous perdre pour moi vous étiez réfolu.
Que vous vivez, qu'enfin c'eft moi qui l'ai voulu.
B A J A Z E T.
Non , vous ne verrez point cette fête cruelle.
Plus vous me commandez de vous être infidèle.
Madame , plus je vois combien vous méritez
De ne point obtenir ce que vous fouhaitez.
Quoi I Cet amour fi tendre , & né dans notre enfance.
Dont les feux , avec nous, ont crû dans le filenccj
Vos larmes que ma main pouvoir feule arrêter 5
Mes fermens redoublés de ne vous point quitter :
Tout cela finiroit par une perfidie î
J'épouferois, &: qui ? ( s'il faut que je le die )
Une efclave attachée à fes feuls intérêts ,
Qui préfente à mes yeux des fupplices tout prêts,
Qui m'offre ou fon hymen , ou la mort infaillible y
Tandis qu'à mes périls Atalide fenfible ,
Et trop digne du fang qui lui donna le jour ,
Veut me facrificr jufques à fon amour.
Ah , qu'au jaloux fultan ma tête foit portée ,
Puii'r.i'i! faut à ce prix qu'elle foit rachetée i
Atalide.
icigncur, vous pourriez vivre , & ne me point trahir.
B A J A z E T.
Parlez. Si je le puis, je fuis prêt d'obcïr.
Atalide.
La fultanc vous aime • &: , malgré fa colère ,
Si vous preniez , Seigneur, plus de foin de lui plaire ;
Si vos foupirs daignoicnt lui faire preflentir
Qu'un jour . . .
B A J A z E T.
Je vous entends, je n'y puis confemîr.
Eij
xoo B A J A Z E Ty
Ne vous figurez point que, dans cette journée.
D'un lâche défefpoir ma vertu conlternée ,
Craigne les foins d'un trône où je pourrois monter ,
Et par un prompt trépas cherche à les éviter.
J'écoute trop peut-être une imprudente audace.
Mais , fans celle occupé des grands noms de ma race ,
J'efpérois que , fuyant un indigne repos ,
Je piendrois quelque place entre tant de héros.
Mais, quelque ambition, quelque amour qui me brûlci
Je ne puis plus tromper une amante crédule.
En vain , pour me fauver , je vous l'aurois promis.
Et ma bouche & mes yeux , du menfonge ennemis.
Peut-être dans le temps que je voudrois lui plaire ,
Feroient par leur défordre un effet tout contraire ;
Et de mes froids foupirs fes regards offenfés ,
Verroient trop que mon cœur ne les a point pouffes»
O Ciel I Combien de fois je l'aurois éclaircie ,
Si je n'euffe à fa haine expofé que ma vie ;
Si je n'avois pas craint que Ces foupçons jaloux
N'euffent trop aifément remonté jufqu'à vous ?
Et j'irois l'abufer d'une fauffe promeffe î
Je me parjurerons ? Et , par cette baffefîe . . .
Ah, loin de m'ordonner cet indigne détour,
Si votre cœur étoit moins plein de fon amour ,
Je vous verrois, fans doute , en rougir la première.
Mais , pour vous épargner une injuile prière ,
Adieu , je vais trouver Roxane de ce pas j
Et je vous quitte.
A T A L I D JE.
Et moi , je ne vous quitte pas.
Venez, cruel, venez, je vais vous y conduire 5
Et de tous nos fecrets c'eft moi qui veux rinftruire.
Puifque , malgré mes pleurs, mon amant furieux
Se fait tant de plaifir d'expirer à mes yeux ;
Roxane , malgré vous , nous joindra l'un &: l'autre
Elle aura plus de foif de mon fang que du vôtre 5
Et je pourrai donner à vos yeux effrayés
Le fpedade fanglant q^ue vous me prépariez.
TRAGÉDIE. loi
B A J A Z E T.
O Ciel , que faites-vous î
A X A L I D E.
Cruel , pouvez-vous croire
Que je fois, moins que vous, jaloufe de ma gloire î
Penfez-vous que cent fois , en vous faifant parler ,
Ma rougeur ne fût pas prête à me déceler î
Mais on me préfentoit votre perte prochaine.
Pourquoi faut-il, ingrat, quand la mienne eil certaine,.
Que vous n'oficz pour moi ce que j'ofois pour vous î
Peut-être il futfira d'un mot un peu plus doux.
Roxane dans fon coeur peut-être vous pardonne.
Vous-même , vous voyez le temps qu'elle vous donne,
A-t-elIe , en vous quittant, fait fortir le vifîr ?
Des gardes à mes yeux viennent-ils vous faifir ?
Enfin , dans fa fureur , implorant mon adrcfle ,
Ses pleurs ne m'ont-ils pas découvert fa tendreflè ?
Peut-être elle n'attend qu'un efpoir incertain ,
Qui lui fafle tomber les armes de la main.
Allez , Seigneur , fauvez votre vie & la mienne.
B A J A 2 E T.
Hé bien. Mais quels difcours faut-il que je lui tienne ?
A T A L I D E.
Ah, daignez fur ce choix ne me point confulter.
L'occafion , le Ciel pourra vous les dicker.
Allez. Entre elle &: vous je ne dois point paroître.
Votre trouble ou le mien nous feroit reconnoître.
Allez , encore un coup, je n'ofe m'y trouver.
Dites... tout ce qu'il faut, Seigneur , pour vous fauver.
Fin du fécond Acte,
£ iij
rox B A J A Z E Ty
ACTE III.
SCENE PREMIERE,
ATALIDE, ZAÏRE.
A T A L I D E.
^ AÏRE , il eft donc vrai , fa grâce eft prononcée î
Z A ï R E.
Je vous l'ai dit , Madame : une efclave emprefléc ,
Qui couroit de Roxane accomplir le défir ,
Aux portes du ferrail a reçu le vifîr.
Ils ne m'ont point parlé. Mais,mieux qu'aucun langage.
Le tranfport du vidr marquoit fur fon vifage
Qu'un heureux changement le rappelle au palais.
Et qu'il y vient figner une éternelle paix.
Roxane a pris fans doute une plus douce voie.
A T A L I D E.
Ainfî , de toutes parts , les plaifîrs & la joie
M'abandonnent, Zaïre , & marchent fur leurs pas.
J'ai fait ce que j'ai dû , je ne m'en repens pas.
Z A ï R E.
Quoi , Madame ? Quelle eft cette nouvelle aîlarme ?
A T A L I JO E.
Et ne t'a-t-on point dit , Zaïre ; par quel charme ,
Ou , pour mieux dire enfin , par quel engagement,
Bajazet a pu faire un il prompt changement ?
Roxane en fa fureur paroifi'oit inflexible ;
A-t-elle de fon cœur quelque gage infaillible ?
Parle. L'époufe-t-il ?
Z A ï R E.
Je n'en ai rien appris.
Mais enfin , s'il n'a pu fe fauver qu'à ce prix ,
TRAGÉDIE. loi
S'iJ fait ce que vous-même avez fu lui prefcrire ;
S'il répoule en un mot.
A T A L 1 D E.
S'il l'cpoufe , Zaïre ?
Z A ï R E.
Quoi ! Vous repentez-vous des généreux difcours ,
Que vous dicioit le foin de conferver fes jours î
A X A L I D E.
Non , non , il ne fera que ce qu'il a dû faire.
Sentimens trop jaloux , c'eft à vous de vous taire,
Si Bajazet l'époufe , il fuit mes volontés ,
Refpedez ma vertu qui vous a furmonrés.
A ces nobles confeils ne mêlez point le vôtre ;
Et , loin de me le peindre entre les bras d'une autre ,
Laiflcz-moi , fans regret , me le repréfenter
Au trône, où mon amour l'a forcé de monter.
Oui, je me reconnois, je fuis toujours la même.
Je voulois qu'il m'aimât , chère Zaïre , il m'aime.
Et du moins cet efpoir me confole aujourd'hui ,
Que je vais mourir, digne , oc contente de lui.
Zaïre-
>Iourir ! Quoi, vous auriez un delTcin fi funefte î
A T A L I D E.
J'ai cédé mon amant ; tu t'étonnes du rcfte.
Peux-tu compter , Zaïre, au nombre des malheurs
Une mort , qui prévient & finit tant de pleurs ?
Qu'il vive , c'eft alTez. Je l'ai voulu , fans doute ;
Et je le veux toujours, quelque prix qu'il m'en coûte:
Je n'examine point ma joie ou mon ennui.
J'aime allez mon amant pour renoncer à lui.
Mais, hélas, il peut bien penfer, avecjufticc.
Que fi j'ai pu lui faire un fi grand facriftce ,
Ce cœur , qui de Ces jours prend ce funefte foin ,
L'aime trop pour vouloir en être le témoin.
Allons , je veux (avoir . , •
Eiv
104 B A J A Z E Ty
Z A ï R E.
Modérez- VOUS, de grâce
On vient vous informer de tout ce qui fe pafTe.
C'ell le vifîr.
SCENE IL
AT AL IDE, ACOMAT, ZAÏRE.
A C O M A T^
JLj nfin nos amans font d'accord ,
Madame. Un calme heureux nous remet dans le port.
La fultane a lailTé défarmer fa colère j
Elle m'a déc'aré fa volonté dernière;
Et , tandis qu'elle montre au peuple épouvanté
Du prophète divin l'étendart redouté ,
Qu'à marcher fur mes pas Bajazct fe difpofe ,
Je vais de ce fignal faire entendre la caufe ;
Remplir tous les efprits d'une jufte terreur ;
Et proclamer enfin le nouvel empereur.
Cependant permettez que je vous renouvelle
Le fouvenir du prix qu'on promit à mon zèle.
i>i'attendez point de moi ces doux emportemens ,'
Tels que j'en vois paroître au coeur de ces amans.
Mais fi , par d'autres foins plus dignes de mon âge »"
Par de profonds rcfpeûs , par un long efclavage ,
Tel que nous le devons au fang de nos fultans ,
Je puis ....
A T A L I D î.
Vous m'en pourrez inftruîre avec le temps.
Avec le temps auffi vous pourrez me connoître.
Mais quels font ces tranfports qu'ils vous ont fait paroi treî
A C G M A T.
Madame , doutez-vous des foupirs enflammés
De deux jeunes amans l'un de l'autre charmés î
TRAGÉDIE. loj
A T A L I D E.
Non. Mais, à dire vrai , ce miracle m'étonne 5
Et dit-on à quel prix Roxane lui pardonne î
L'époufe-c-il enfin ?
A C G M A T.
Madame , je le croî.
Vcici tout ce qui vient d'arriver devant moi.
Surpris, je l'avouerai, de leur fureur commune.
Querellant les amans , l'amour, & la fortune,
J'étois de ce palais forti défefpérc.
Déjà , fur un vailTeau dans le port préparé ,
Chargeant de mon débris les reliques plus chères j
Je méditois ma fuite aux terres étrangères.
Dans ce trille defTein au palais rappelle ,
Plein de joie & d'efpoir, j'ai couru , j'ai volé.
La porte du ferrail à ma voix s'eft ouverte ,
Et d'abord une efclaveà mes yeux s'eft offerte.
Qui m'a conduit fans bruit dans un appartement.
Où Roxane attentive écoutoit fon amanr.
Tout gardoit devant eux un augufte filcnce.
Moi-même , réllftant à mon impatience ,
Ec refpcdant de loin leur fecrei entretien ,
J'ai long-remps , immobile , obfervé leur maintien.
Enfin , avec des yeux qui découvroient fon ame.
L'une a tendu la main pour gage de fa flamme ;
L'autre , avec des regards éloquens , pleins d'amour ,
L'a de [es feux , Madame , afluré , à fon îpur»
A T A L I D £«
Hélas:
A c O M A T.
Ils m*ont alors apperçu l'un & l'autre.
-.ilâ , m'a-t-elle dit , votre prince &: le notre.
Je vais, biave Acomar, le remettre en vos mains^
Allez lui préparer les honneurs fouverains.
Qu'uQ peuple obéifTant l'attende dans le temple.
Le ferrail va bien-tôt vous en donner l'exemple» e
Aux pieds de Bajazct alors je fuis tombé.
Et foudain à leurs yeux je me fuis dérobé,
Ev
lotf BAJAZEJy
Trop heureux d'avoir pu , par un récit fidèle ,
De leur paix , en palVant , vous conter la nouvelle ,
Et m'acquictervers vous de mes refpeéls profonds.
Je vais le couronner , Madame , Se j'en réponds
SCENE I 1 L
ATALIDE, ZAÏRE.
A T A L I D E
J\ LIONS, retirons-nous, ne troublons point leur joie.
Z A ï R E.
Ah , Madame , croyez . . .
A T A L I D E.
Que veux-tu que je croie l
Quoi donc , à ce fpeûacle irai-je m'expofer î
Tu vois que c'en eft fait. Ils fe vont époufer.
La fultane eft contente , il l'afl'ure qu'il l'aime.
Mais je ne m'en plains pas , je l'ai voulu moi-même.
Cependant croyois-tu , quand , jaloux de fa foi ,
Il s'alloit , plein d'amour , facrifier pour moi ;
Lorfque fon cœur tantôt m'exprimant fil tendrefle ,
Refufoit à Roxane une fimple promefic 5
Quand mes larmes en vain tâchoient de l'émouvoir 5
Quand je m'applandiflbis de leur psu de pouvoir :
Croyois-tu que fon cœur, contre toute apparence ,
Pour la perfuader trouvât tant d'éloquence ?
Ah, peut-être, après tout , que fans trop fe forcer.
Tout ce qu'il a pu dire , il a pu le penfer 1
Peut-être , en la voyant , plus fenfîble pour elle ,
Il a vu dans Ces yeux quelque grâce nouvelle.
Elle aura , devant lui , fait parler fes douleurs»
Elle l'aime , un empire autorife fes pleurs.
Tant d'amour touche enfin une am« généreufe.
Hélas , t^ue dç raifçns conçre une malheureufe î
TRAGÉDIE. to7
Z A ï R. E.
Mais ce fuccès , Madame, eft encore incercaîn.
Auendez.
A T A L I D E.
Non, vois-tu , je le nieroîs en vain.
Je ne prends point plaifir à croître ma mifère.
Je fais pour fe fauver tout ce qu'il a dû faire.
Quand mes pleurs vers Roxane ont rappelle Tes pas ,
Je n'ai point prétendu qu'il ne m'obéit pas.
Mais , après les adieux que je venois d'entendre.
Apres tous les rranfports d'une douleur fî tendre.
Je fais qu'il n'a point dû lui faire remarquer
La joie & les tranfports qu'on vient de m'cxpliquer.
Toi-même, juge nous , & vois 11 je m'abufe.
Pourquoi de ce confeil moi feule fuis-jc exdufe ?
Au fort de Bajazct ai-je fi peu de part ?
A me chercher lui-même attendroit-il fi tard ?
N'étoit que de fon cœur le trop jufte reproche
Lui fait peut-être, hélas, éviter cette approche ?
Mais, non , je lui veux bien épargner ce fouci.
T! ne me verra plus.
Z A ï R. E.
Madame , le voici.
SCENE IV.
BAJAZET, ATALIDE, ZAÏRE,
B A J A z E T.
V-« 'en efl: fait , j'ai parlé , vous êtes obéie.
Vous n'avez plus , Madame , à craindre pour ma vie 5
Et je ferois heureux, fi la foi , Ci l'honneur
Ne me rcprochoi: point mon injufte bonheur ;
Si mon cœur, dont le trouble en fecret me condamne ,
PouYoit me pardonner auffi-bien que Roxane. •
Ev>
io8 B A J A Z E T,
Mais enfin , je me vois les armes à la main.
Je fuis libre , &: je puis contre un frère inhumain ,
Non plus , par un fîlence aidé de votre adrelTc ,
Difputer en ces lieux le cœur de fa maîcrefre.
Mais par de vrais combats, par de nobles dangers ,
Moi-même le cherchant aux climats étrangers ,
Lui difputer les cœurs du peuple & de l'armée j
Et pour juge entre nous prendre la renommée.
Que vois-je ? Qu'avez-vous î Vous pleurez î
A T A L I D E,
Non , Seigneur ,
Je ne murmure point contre votre bonheur.
Le Ciel , le jufte Ciel vous dcvoit ce miracle.
Vous favez fi jamais j'y formai quelque obllacle.
Tant que j'ai refpiré , vos yeux me font témoins
Que votre fcul péril occupoit tous mes foins j
Et puifqu'il ne pouvoit finir qu'avec ma vie,
C'etl fans regret aufîî que je la facrifie.
Il ell vrai ; fi le Ciel eût écouté mes vœux.
Qu'il pouvoit m'accorder un trépas plus heureux.
Vous n'en auriez pas moins époufé ma rivale î
Vous pouviez l'afilirer de la foi conjugale :
Mais vous n'auriez pas joint à ce titre d'époux.
Tous ces gages d'amour qu'elle a reçus de vous,
Roxane s eftimoit allez récompenfée ,
Etj'aurois, en mourant , cette douce penfée ;
Que vous ayant moi-même impofé cette loi.
Je vous ai vers Roxane envoyé plein de moi ;
Qu'emportant chez les morts toute votre tendrefle.
Ce n'eft point un amant en vous que je lui laide.
B A j A z E T.
Que parlez-vous. Madame, & d'époux & d'amamî
O Ciel , de ce difcours quel eft le fondement î
Qui peut vous avoir fau ce récit infidèle ?
Moi , j'aimerois Roxane , ou je vivrois pour elle ,
Madame ! Ah , croyez-vous que , loin de le penfer.
Ma bouche feulement; eût pu le prononcer i
TRAGÉDIE, 109
Maïs l'un ni l'autre enfin n'étoit point néceflaire,
La fultane a fuivi fon penchant ordinaire ;
Et , foit qu'elle ait d'abord expliqué mon retour
Comme un gage certain qui marquoit mon amour.
Soit que le temps trop cher la prelFâc de fe rendre ,
A peine ai-je parlé , que , fans prefque m'entendre ,
Sts pleurs précipités ont coupé mes difcours.
Elle met dans ma main fa fortune &: ks jours j
Et fe fiant enfin à ma reconnoiflance.
D'un hymen infaillible a formé l'efpérance.
Moi-même , rougifl'ant de fa crédulité ,
Et d'un amour li tendre &: li peu mérité ,
Dans ma confufion , que Roxane , Madame ,
Atttibuoit encore à l'excès de ma flamme,
Je me trouvois barbare , injufte , criminel.
Croyez qu'il m'a fallu , dans ce moment cruel.
Pour garder jufqu'au bout un filence perfide ,
Rappeller tout l'amour que j'ai pour Atalide.
Cependant , quand je viens , après de tels efforts ,
Chercher quelque fecours contre tous mes remords.
Vous même , contre moi , je vous vois , irritée ,
Reproci»er votre mort à mon ame agitée.
Je vois enfin , je vois qu'en ce même moment
Tout ce que je vous dis vous touche foiblement.
Madame , finiflbns & mon trouble & le vôtre.
- nous affligeons point vainement l'un &: l'autre»
Roxane n eft pas loin. Laiflcz agir ma foi.
J'irai , bien plus content & de vous & de moi ,
Détromper fcn amour d'une feinte forcée ,
Que je n'ailois tantôt déguifer ma penfée.
La voicL
Atalide.
Jufte Ciel ! Où va-t-il s'expofer ?
Si vous m'aimez, gardez de la défabufet.
B A J A Z ET,
SCENE V.
ROXANE, BAJAZET, ATALIDE.
R O X A N E.
V ENEz, Seigneur, venez. Il eft temps de paroîtrc ,
Et que tout le leirail reconnoilîè fon maître.
Tout ce peuple nombreux , dont il eft habité ,
Aflemblé par mon ordre , attend ma volonté.
Mes efclaves gagnés , que le reile va fuivre ,
Sont les premiers fujjts que mon amour vous livre.
L'auricz-vous cru, Madame, & qu'un fi prompt retour
Fît à tant de fureur fuccéder tant d'amour î
Tantôt , à me venger fixe bc déterminée ,
Je jurois qu'il voyoit fa dernière journée.
A peine cependant Bajazet m'a parlé ,
L'amour fit le ferment , l'amour l'a violé.
J'ai cru dans fon défordre entrevoir fa tendre/Tc.
J'ai prononcé fa grâce , & je crois fa promefle.
Bajazet.
Oui , je vous ai promis , & j'ai donné ma foi
De n'oublier jamais tout ce que je vous doi.
J'ai juré que mes foins , ma jufte complaifance ,
Vous répondront toujours de ma reconnoiflancQ.
Si je puis à ce prix mériter vos bienfaits ,
Je vais de vos bontés attendre les efiets.
SCENE VI.
ROXANE, ATALIDE.
R O X A N E.
U E QUEL étonnement , ô Ciel , ,fuis-jc frappée l
Eft-ce un fongeîEt mes y eux ne xn'ont-ils point trompée?
TRAGÉDIE, m
Quel eft ce fombre accueil , & ce difcours glacé
Qui femble révoquer tout ce qui s'eft paflé ?
Sur quel efpoir croit-il que je me fois rendue ,
Et qu'il ait regagné mon amit?é perdue ?
J'ai cru qu'il me juroit que , jufques à la mort.
Son amour me laifloit maîtrelle de fon fort.
Se repcnt-il déjà de m' avoir appaifée ?
Mais moi-même tantôt me ferois-jc abufée î
Ah 1 .„ Mais il vous parloir. Quels étoient Ces difcours.
Madame !
A T A L I D E.
Moi , Madame ! Il vous aime toujours.
R O X A N E.
Il y va de fa vie , au moins que je le croie.
Mais , de grâce , parmi tant de fujets de joie .
Répondez- moi : comment pouvez-vous expliquer
Ce chagrin , qu'en fortant il m'a fait remarquer ?
A T A L I D F..
Madame , ce chagrin n'a point frappé ma vue.
Il m'a de vos bontés long-temps entretenue ,
Il en ctoit tout plein quand je l'ai rencontré.
J'ai cru le voir fortir tel qu'il étoit entré.
Mais, Madame, après tout, faut-il être fur prife
Que , tout près d'achever cette grande entreprife ,
Bajazet s'inquiète, & qu'il laifle échapper
Quelque uiarque des foins qui doivent l'occuper i
R o X A N E.
Je vois qu'à l'excufer votre adreflTe eft extrême.
Vous parlez mieux pour lui qu'il ne parle lui-même.
A T A L I D E.
El quel autre intérêt . . .
R o X A N E.
Madame, c*eft aflez.
Je conçois vos raîfons mieux que vous ne penfez.
Laiflcz^moi. J'ai befoin d'un peu de folicudc.
Ce jour me jette auiïi dans quelque inquiétude.
J ai , comme Bajazet , mon chagrin & mes foins ,
Et je Ycu^- ua moment y penfer fans témoins.
B A J A Z E T,
SCENE VIL
R o X A N E feule.
M-J E TOUT ce que je vois que faut-il que je penfe î
Tous deux à me tromper font-ils d'intelligence ?
Pourquoi ce changement , ce difcours, ce départ?
N'ai-je pas même entre eux furpris quelque regard î
Bajazet interdit I Atalide étonnée !
O Ciel , â cet affront m'auricz-vous condamnée î
De mon aveugle amour feroient-ce là les fruits ,
Tant de jours douloureux , tant d'inquiètes nuits ,
Mes brigues , mes complots , ma trahifon fatale ,
N'aurois-je tout tenté que pour une rivale ?
Mais peut-être qu'aulïi, trop prompte à m'affligcr ,
J'obferve de trop près un chagrin paflager.
J'impute à fon amour l'effet de fon caprice.
N'eùt-il pas jufqu'au bout conduit fon artifice î
Prêt à voir le fuccès de fon déguifement ,
Quoi , ne pouvoit-il pas feindre encore un moment ?
Non, non, raffurons-nous. Trop d'amour m'intimide.
Et pourquoi dans fon cœur redouter Atalide ?
Quel feroit fon deffein ? Qu'a-t-elle fait pour lui ?
Qui de nous deux enfin le couronne aujourd'hui î
Mais, hélas, de l'amour igrxorons-hous l'empire ï
Si par quelque autre charme Atalide l'attire ,
Qu'importe qu'il nous doive & le fceptre & le jour ?
Les bienfaits dans un coeur balancent-ils l'amour ?
Et fans chercher plus loin, quand l'ingrat me fut plaire,
Ai-je mieux reconnu les bontés de fon frère î
Ah , fi d'une autre chaîne il n'étoit point lié ,
L'offre de mon hymen l'eût- 1 tant efi'rayé ?
N'eût- il pas, fans regret , fécondé mon envie ?
L'eût-il refufé même aux dépends de fa vie ?
Que de juftes raifons . . . Mais ^ui vient me parier ?
Que veut-on î
TRAGÉDIE. 115
SCENE V I I L
ROXANE, ZATIME,
Z A T I M E.
i: AR.DONNEZ , fl j'ofe VOUS troublcr.
Msùs, Madame , un efclave arrive de l'armée ;
Et, quoique fur la mer la porte fût fermée ,
Les gardes , fans tarder, l'ont ouverte à genoux
Aux ordres du fultan qui s'adrcflent à vous.
Mais, ce qui me furprend , c'eft Orcan qu'il envole,
R O X A N E.
Oxcan !
Z A T I M E.
Oui , de tous ceux que le fultan emploie ,
Orcan le plus fidèle à fcrvir fcs dclieins,
Né fous le Ciel brûlant des plus noirs Africains.
Madame , il vous demande avec impatience.
Mais , j'ai cru vous devoir avertir par avance ,
Et fouhaitant, fur- tout , qu'il ne vous furprît pas ,
Dam votre appartement j'ai retenu ics pas.
R o X A N E.
Quel malheur imprévu vient encor me confondre »
Quel peut être cet ordre, & que puis-je répondre ?
Il n'en faut point douter , le l'ultan inquiet
Une féconde fois condamne Bajazet.
On ne peut fur fes jours , fans moi, rien entreprendre.
Tout m'obéit ici. Mais dois-je le défendre ?
Quel cil mon empereur î Bajazet ? Amurat ?
J*ai trahi l'un 5 mais l'autre cft peut-être un ingrat.
114 B A J A Z E T,
Le temps prefle , que faire en ce doute funefte ?
Allons. Employons bien le moment qui nous reftc.
Us ont beau fe cacher, l'amour le plus difcret
Laifle par quelque marque échapper fon fecret.
Obfervons Bajazet. Etonnons Atalide ;
El couronnons l'amant, ou perdons le perfide.
Fin du troijîèmi A£le»
TRAGÉDIE, II j
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
ATALIDE, ZAÏRE.
A T A L I D E.
J\ H ! Sais-tu mes frayeurs ? Sais-tu que dans ces lieux
J'ai vu du fier Orcan le vifage odieux ?
En ce moment fatal que je crains fa venue !
Que je crains . . . Mais dis-moi , Bajazet t'a-t-il vue ?
Qu'a-t-il dit ? Se rend-il , Zaïre, à mes raifons î
Ira-t-il voir Roxane , & calmer fes foupçons ?
Z A ï R E.
I. ne peut plus la voir fans qu'elle le commande
Roxane ainfî l'ordonne , elle veut qu'il l'attende.
Sans doute à cet efclave elle veut le cacher.
J'ai feint , en le voyant , de ne le point chercher.
J*ai rendu votre lettre, & j'ai pr-s fa rcponfe.
Madame, vous verrez ce qu'elle vous annonce.
A T A L I D E.
Après tant -.Vinjufles détours ,
Fauz-il qu^à feindre encor votre am(^r me convie^
Mais je veux bien prendre foin d'une vie ,
Dont vous jurei que dépendent vos jours.
Je verrai lafultane ; 6*, par ma complaifance ,
Far de nouveaux ferwens de ma reconnoijfance ,
Tappaiferai, fi je puis , fon courroux,
N'exigei rien de plus. Ni la mort, ni vous même ,
Ne me ferei jamais prononcer que je Vaime ,
Puifque jamais je n'aimerai que vous.
Hélas , que me dit il î Croit- il que je l'ignore 1
Ne fais-jc pas allez qu'il m'aiine , qu'il m adore î
ii6 B A J A Z E T,
Eft-ce ainfî qu'à mes vœux il fait s'accommoder ?
C'eft Roxane , & non moi , qu'il faut perfuader.
De quelle crainte encor me laiflè-t-il faifîe ?
Funelle aveuglement ! Perfide jaloufie î
Récit menteur ! Soupçons que je n'ai pu celer,
Falloir-il vous entendre , ou falloit-il parler î
C'étoit fait , mon bonheur furpalToit mon attente.
J'étois aimée , heuteufe , & Roxane contente.
Zaïre , s'il fe peut , retourne fur tes pas.
Qu'il l'appaife. Ces mots ne rne futîiient pas.
Que fa bouche , Ces yeux , tout ralTurc qu'il l'aime.
Qu'elle le croie enfin. Que ne puis- je moi-même,
Echaulïant par mes pleurs fes foins trop languilfans ,
Mettre dans fes difcours tout l'amour que je fens l
Mais à d'autres périls je crains de le commettre.
Z A ï R E.
Roxane vient à vous.
A T A L I D E.
Ah , cachons cette lettre.
SCENE IL
ROXANE, ATALIDE, ZATIME , ZAÏRE,
Roxane d Zatime.
Y lENS. J'ai reçiPcet ordre. Il faut l'intimider.
A T a L 1 D E à Zaïre.
Va , cours 3 & tâche enfin de le perfuader.
TRAGÉDIE. 117
SCENE III.
ROXANE, ATALIDE, ZATIME.
R O X A N E.
1\ l ADAME, j'ai reçu des lettres de l'arméc«
De tout ce qui s'y palïè êtes-vous informée î
A T A L I D E.
On in*a dit que du camp un efclavc eft venu.
Le rcftc eft un fecret qui ne m'cft pas connu.
R o X A N E.
' 'irat eft heureux, la fortune eft changée ,
iame j & fous fes loix Babylonc eft rangée»
A T A L I D E.
Hé quoi , Madame ? Ofmin . . .
R o X A N E.
Etoit mal averti 5
depuis fon départ, cet efclave eft parti.
1 eft fait.
A T A L I D E d part.
Quel revers I
R o X A N E.
Pour comble de difgraces,
te fultan qui l'envoie eft parti fur fes traces,
A T A L I D E.
Quoi , les Pcrfans armés ne l'arrêtem donc pas ?
R o X A N E.
Non, Madame. Vers nous il revient â grands pas.
A T A L I D E.
Que je vous plains , Madame ? Et qu'il eft néceflaire
D'achever promptcmcnt ce que vous vouliez faire î
ii8 B A J A Z E T,
R O X A N E.
Il eft tard de vouloir s'oppofer au vainqueur.
A T A L I D E d part.
O Ciel :
R o X A N E.
Le temps n'a point adouci fa. rigueur.
Vous voyez dans mes mains fa volonté fuprême»
A T A L I D E.
Et que vous mande- t-il ?
R o X A N E.
Voyez. Lifez vous-même.
Vous connoiflez, Madame, ôc la lettre, & le feing.
A T A L I D E.
Du cruel Amurat je reconnois la main.
( elle lit. )
Avant que Babylone éprouvât ma pmffance,
Je vous ai fait porter mes ordres abfolus.
Je ne veux point douter de votre obéijfance.
Et crois que maintenant Baja\et ne vit plus.
Je laijfefous mes loix Babylone ajjervie ,
Et confirme en partant mon ordre fouverain.
Vous j fi vous ave\foin de votre propre vie,
Ne vous montre^ d moi que fil tête d la main.
R o X A N E.
Hé bien ?
A r A L I D E d part.
Cache tes pleurs , malheureufe Atalide.
R o X A N E.
Que vous femble !
Atalide.
Il pourfuit fon defTein parricide»
Mais il penfe profcrire un prince fans appui.
Il ne fait pas l'amour qui vous parle pour lui ;
Que vous &c Bajazet vous ne faites qu'une ame 5
Que plutôt , s'il le faut, vous mourrez . . .
R O X A N E.
Moi, Madame
TRAGÉDIE. ti9
; voudroîs le fauver, je ne le puis haïr.
lais . . .
A T A L I D E.
Quoi donc ? Qu'avez-vous réfolu ?
R O X A K E.
D'obéir.
A T A L I D E.
►»obéir I
R o X A N E.
Et que faire en ce péril extrême î
le faut.
A T A L I D E,
Quoi ! Ce prince aimable.. . qui vous aime,
erra finir fcs jours qu'il vous a deftinés I
R o X A N E.
le faut j Se déjà mes ordres font donnés,
A T A L I D E.
; me meurs.
Z A T I M E,
Elle tombe , & ne vit plus qu'à peine.
R o X A N E.
lier, conduifez-la dans la chambre prochaine.
ais au moins obfervez fcs regards , fes difcours ,
out ce qui convaincra leurs perfides amours.
SCENE IV,
R o X A N E ftule.
▼1 A RIVALE à mes yeux s'efl: enfin déclarée.
oili fur quelle foi je m'étois aflurée.
epuis fix mois entiers j'ai cru que, nuit & jour,
rdcntc elle veilloit au foin de mon amour :
cc*eft moi , qui du ficn mi«iftre trop Hdclle ,
.'mblc , depuis fix mois , ne veiller que pour clic
iio B A J A Z ET,
Qui me fuis appliquée à chercher les moyens
De lui facilicer tant d'heureux entretiens ;
Ec qui même fouvent, prévenant ion envie.
Ai hdté les momens les plus doux de fa vie.
Ce n'eft pas tout. Il faut maintenant m'éclaircîr.
Si dans fa perfidie elle a fu réuflir.
Il faut . . Mais que pourrois-je apprendre davantage?
Mon malheur n'eft-il pas écrit fur fon vifage î
Vois-je pas , au-travers de fon faifïflcment,
Un cœur , dans Ces douleurs , content de fon amant
Exempte des foupçons dont je fuis tourmentée ,
Ce n'ell que pour Ces jours qu'elle ell épouvantée.
N'importe. Pourfuivons. Elle peut , comme moi ,
Sur des gages trompeurs s'affurer de fa foi.
Pour le faire expliquer tendons-lui quelque piège.
Mais quel indigne emploi moi-même m'impofai-jc î
Quoi donc ! A me gêner appliquant mes efprits »
J'irai faire à mes yeux éclater fes mépris ?
Lui-même il peut prévoir & tromper mon adrefîè.
D'ailleurs, l'ordre , l'efclave & le vifir me prefFc.
Il fout prendre parti , l'on m'attend. Faifons mieux.
Sur tout ce que j'ai vu fermons plutôt les yeux.
Laiflbns de leur amour la recherche importune.
Pouffons à bout l'ingrat, &: tentons la fortune.
Voyons iî par mes foins fur le trône élevé ,
Il ofera trahir l'amour qui l'a fauve 5
Et fî de mes bienfaits lâchement libérale
Sa main en ofera couronner ma rivale.
Je faurai bien toujours retrouver le moment;
De punir , s'il le faut , la rivale & l'amant.
Dans ma jufte fureur, obfervant le perfide ,
Je faurai le furprendre avec fon Atalide ;
Et d'un même poignard les uniffant tous deux ,
Les percer l'un & l'autre , & moi-même après eux.
Voilà, n'en doutons point, le parti qu'il faut pren.
Je veux tout ignorer.
SCE2
TRAGÉDIE.
SCENE V.
ROXANE, ZATIME.
R O X A N E.
u\ H , que viens-tu m'apprendre î
Zatîme , Bajazet en eft il amoureux î
Vo is-tu, dans fcs difcours, qu'ils s'entendent tous deux î
Z A T I ME.
Elle n'a point parlé. Toujours évanouie ,
Madame , elle ne marque aucun refte de vie ,
Que par de longs foupirs & des gémillcnicns ,
Qu'il femble que fon cœur va fuivre â tous momens.
Vos femmes , dont le foin à l'envi la foulage ,
Ont découvert fon fcin pour leur donner paflage.
Moi-même , avec ardeur fécondant ce deflein,
''■:: trouvé ce billet enfermé dans fon fein.
prince votre amant j'ai reconnu la lettre ;
j'ai cru qu'en vos mains je djvois le remettre,
R o X A N E.
^ nnc. Pourquoi frémir î Et quel trouble foudain
çlace â cet objet , &: fait trembler ma main î
eut l'avoir écrit fans m'avoir offenfce.
eut même . . . Lifons , & voyons fa penfée,
Ni la mort, ni vous même j
me ferei jamais prononcer que je Vaime,
Puifque jamais je n'aimerai que vous.
, de la tralîifon me voilà donc inlbuite î
'cconnois l'appas dont ils m'avoicnt féduite,
û donc mon amour étoit récompenfé ,
iic, indigne du jour que je t'avois laillc ?
, je refpire enfin ; & ma joie eft extrême
'-• le traitrc , une fois, fe foit trahi lui-même,
rc des foins cruels où j'ailois m'engager,
i tranquille fureur n'a plus qu'à fc venger.
Tome n, F
lii B A J A Z E T,
Qu'il meure. Vengeons-nous. Courez. Qu'on le faiflflc»
Que la main des muets s'arme pour fon fupplice.
Qu'ils viennent préparer ces nœuds infortunés,
Pat qui de Ces pareils les jours font terminés.
Cours , Zatirac , fois prompte à fervir ma colère.
Z A T I M E.
Ah, Madame I
R G X A N E,
Quoi donc î
Z A T I M E.
Si , fans trop vous déplaire ,
Dans les jufles tranfports , Madame , où je vous vois ,
J'ofois vous faire entendre une timide voix :
Bajazct , il eft vrai, trop indigne de vivre ,
Aux mains de ces cruels mérite qu'on le livre.
Mais , tout ingrat qu'il eft , croyez-vous aujourd'hui
Qu'Amurat ne foit pas plus à craindre que lui î
Et qui fait lî déjà quelque bouche infidelle
Ne l'a point averti de votre amour nouvelle ?
Des coeurs , comme le fien , vous le favez aflez ,
Ne fe regagnent plus, quand ils font ofîenfés ;
Et la plus prompte mort , dans ce moment févère.
Devient de leur amour la marque la plus chère,
R G X A N E.
Avec quelle infolence , & quelle cruauté ,
Ils fe jouoient tous deux de ma crédulité !
jQuel penchant , quel plaifir je fentois à les croire î
Tu ne rempottois pas une grande viftoire ,
Perfide , en abufant ce cœur préoccupé ,
Qui lui-même craignoit de fe voir détrompé.
Tu n'as pas eu befoin de tout ton artifice.
Et je veux bien te faire cncor cette juftice ;
Toi-même , je m'alTure , as rougi plus d'un jour,
Du peu qu'il t'en coûtoit poUr tromper tant d'amour.
Moi qui , de ce haut rang, qui me rendoit fi fière ,
Dans le fein du malheur t'ai cherché la première ,
Pour attacher des jours tranquilles, fortunés.
Aux périls dont tes jours étoient environnés ;
TRAGÉDIE. iij
Après tant de bonté, de foin , d'ardeurs extrêmes I
Tu ne faurois jamais prononcer que tu m'aimes !
Mais dans quel fouvenir me laillc-je égarer ?
Tu pleures , malheureufe î Ah , tu devois pleurer,
Lorlque, d'un vain deiîr à ta perte poufiée ,
Tu conçus de le voir la première penfée !
Tu pleures ? Ft l'ingrat , tout prêt à te trahir,
Prépare les difcours dont il veut t'éblouir.
Pour plaire à ta rivale il prend foin de fa vie.
Ah, traître , tu mourras ! Quoi , tu n'es point partie ?
Va. Mais nous-mème allons, précipitons nos pas.
Qu'il me voye , attentive au foin de fon trépas.
Lui montrer à la fois, & l'ordre de fon frère ,
Et de fa trahifon ce gage trop iîncère.
Toi , Zatime , retiens ma rivale en ces lieux.
Qu'il n'ait , en expirant, que Ces cris pour adieux.
Qu'elle foit cependant fideliement fervie. -
Prends foin d'elle. Ma haine a befoin de fa vie.
Ahn, pour fon amant facile à s'attendrir,
La peur de fon trépas la fit prefque mourir ;
OucI furcroît de vengeance & de douceur nouvelle ,
j montrer bien-tôt pâle ôc mort devant elle i
. oir fur cet objet fes regards arrêtés
Me payer les plaifir^ que je leur ai prêtés î
Va, retiens-là« Sur-tour, garde bien le filencc.
Moi . . . Mais qui vient ici différer ma vengeance î
SCENE V L
; X A N E, A C O M A T , O S M I N.
A C G M A T.
'^
UE faites-vous , Madame ? En quels rctardemcns
•1 jour (î précieux pcrdcz-vous les momens î
ncc , par mes foins prefque entière aflcrabléc,
-roge fes chefs, de leur crainte troublée }
Fi;
114 B A J A Z ET,
Et tous , pour s'expliquer , ainfî que mes amis ,
Attendent le fignal que vous m'aviez promis.
D'où vient que , fans répondre à leur impatience.
Le ferrail cependant garde un trifte fîlcnce ?
Déclarcz-vous , Madame 5 &, fans plus différer ....
R O X A N E.
Oui , vous ferez content , je vais me déclarer.
A c o M A T.
Madame , quel regard , & quelle voix févère.
Malgré votre difcours , m'alliire du contraire î
Quoi , déjà votre amour àzs obftacles vaincu . . .
R o X A N E.
Bajazet eft un traître , &: n'a que trop vécu.
A c o M A T.
Lui î
R O X A N E.
Pour moi, pour vous-même également perfide s
Il nous trompoit tous deux.
A c o M A T.
Comment î
R o X A N E.
Cette Atalide ,
Qui même n'étoit pas un aflez digne prix
De tout ce que pour lui vous avez entrepris . . .
A c o M A r.
Hé bien ?
R o X A N E.
Lifez. Jugez , après cette infolence ,
Si nous devons d'un traître emUafler la détenfe.
Obéiflbns plutôt à la jufte rigueur
D'Amurat qui s'approche & retourne vainqueur $
Et livrant, fans regret, un indigne complice .
Appaifons le fultan par un prompt facrifice.
K c o u A r lui reniant le billet.
Oui , puifquc jufques-là l'ingrat m'ofe outrager ,
>Ioi-même, s'il le faut, je m'offre à vous venger.
Madame. Laiffez-moi nous laver l'un & l'autre
Du crime que fa vie a jetré fur la nôtre.
TRAGÉDIE, lis
Montrez-moi le chemin , j'y cours.
R O X A N E.
Non , Acomacr
Laiflez-moi le plaifir de confondre l'ingrat.
Je veux voir fon défordre , & jouir de fa honte.
Je perdrois ma vengeance en la rendant û prompte»
Je vais tout préparer. Vous, cependant allez
Difperfer promptemcnt vos amis affemblés.
SCENE VIL
A C o M A T, O S M I N.
A C o M A T.
D
EMEUK-E.Iln'eft pas temps, cher Ofmin,que je forte,
O s M I N.
Quoi.jufqucs-là.Seigneur, votre amour vous tranfportc î
N'avcz-vous pas poufle la vengeance aflèz loin ?
Voulez-vous de fa mort être encor le témoin ?
A c o M A T.
Que veux-tu dire î Es-tu toi-même fi crédule ,
Que de me foupçonner d'un courroux ridicule ?
Moi jaloux ? Plût au Ciel , qu'en me manquant de foi.
L'imprudent Bajazet n'eût otfenfé que moi 1
O s M I N.
Et pourquoi donc , Se'gneur , au lieu de le défendre .».
A c o M A T.
Et la fuitane cft-elle en état de m'entendre ?
Ne voyois-tu pas bien , quand je l'allois trouver ,
Que j'allois avec lui me pc;dre , ou me fauvcr ?
Ah , de tant de confeils événement finiftie I
Prince aveugle I Ou plutôt trop aveugle miniftrc ,
Il te fied bien d'avoir , en de fi jeunes mains ,
Chargé d'ans & d'honneurs , confié tes dcfTcins ;
Et laiflè d'un vifir la fortune flottante ,
Suivre de ces amans la conduite imprudente !
F iij
ia6 B A J A Z E T,
O s M I N.
Hé , laiflez-Ies entre eux exercer leur courroux.
Bajazet veut périr , Seigneur , fonger à vous.
Qui peut de vos delleins révéler le inyftère ,
Sinon quelques amis engagés à fe taire î
Vous venez , par fa mort , le fultan adouci.
A C o M A T.
Roxane , en fa fureur, peut raifonner ainfî.
Mais moi qui vois plus loin ; qui , par un long ufagc.
Des maximes du trône ai fait l'apprentiffage ;
Qui, d'emplois en emplois , vieilli fous trois fultans.
Ai vu de mes pareils les malheurs éclatans ;
Je fais, fans me flatter, que de fa feule audace
Un homme , tel que moi , doit attendre fa grâce j
Et qu'une mort fanglante eft l'unique traité
Qui refte entre l'efclave & le maître irrité,
O s M I N.
Fuyez donc.
A c o M A T.
J'approuvois tantôt cette penféc.
Mon entreprife alors étoit moins avancée.
Mais il m'elt déformais trop dur de reculer.
Par une belle chute il faut me ligualer ;
Et laifler un débris , du moins , après ma fuite ,
Qui de mes ennemis retarde la pouifuite.
Bajazet vit encor. Pourquoi nous étonner?
Acomat de plus loin a fu le ramener.
Sauvons-le, malgré lui , de ce péril extrême.
Pour nous , pour nos amis , pour Roxane elle-même.
Tu vois combien fon cœur, prêt à le protéger ,
A retenu mon bras trop prompt à la venger.
Je connois peu l'amour ; mais j'ofe te répondre
Qu'il n'ell pas condamné, puifqu'on veut le confondre ;
Que nous avons du temps. Malgré fon défefpoir ,
Roxane l'aime encore , Ofmin , & le va voir.
O s M I N.
Enfin , que vous infpire une fi noble audace î
Si Roxane l'ordonne , il faut quitter la place.
TRAGÉDIE. txj
Ce palais cft tout plein . . .
A C O M A T.
Oui , d'efclaves obfcurs ,
Nourris , loin de la guerre , à l'ombre dfe fes murs.
Mais , toi , donc la valeur d'Araurat oubliée ,
Par de communs chagrins à mon fort s'eft liée ,
Voudras-tu )ufqu'au bout féconder mes fureurs ?
O s M I N.
Seigneur , vous m'offenfez. Si vous mourez , je meurs.
A c o M A T.
D'amis & de foldats une troupe hardie
Aux portes du palais attend notre fortie.
La fultane d'ailleurs fe fie à mes difcours.
Nourri dans le ferrail , j'en connois les détours.
Je fais de Bajazct l'ordinaire demeure.
Ne tardons plus. Marchons. Et, s'il faut que je meure.
Mourons : moi , cher Ofmin , comme un vifîr j ôc toi»
Comme Je favori d'un homme tel que moi.
Fm du quatrième A6lc,
Piv
lis B A J A Z E Ty
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
A T A L I D E.
i~l ÉLAS, je cherche en vain. Rien ne s*offre à ma vue.
Malheuteufe ! Commenr puis-je l'avoir perdue ?
Ciel , aurois-tu permis que mon funefte amour
Expofâc mon amant tant de fois en un jour ?
Que, pour dernier malheur, cette lettre fatale
Fût encor parvenue aux yeux de ma rivale ?
j'étois en ce lieu même 5& ma timide main ,
Quand Roxane a paru , Ta cachée en mon feini
Sa préfence a furpris mon ame défolée.
Ses menaces , fa voix, un ordre m'a troublée.
J'ai fenti défaillir ma force & mes efprits.
Ses femmes m'entouroient quand je les ai repris j
A mes yeux étonnés leur troupe eft difparue.
Ah , trop cruelles mains , qui m'avez fecourue ,
Vous m'avez vendu cher vos fecours inhumains ;
Et , par vous , cette lettre a pafle dans fes mainr.
Quels delTcins maintenant occupent fa penfée ?
Sur qui fera d'abord fa vengeance exercée ?
Quel fang pourra fuiîire à fon refientiment î
Ah, Bajazet eft mort , ou meurt en ce moment
Cependant on m'arrête , on me tient enfermée.
On ouvre. De fou fort je vais être informée.
TRAGÉDIE. ïi^
SCENE IL
ROXANE.ATALIDE, ZATIME, Gardes.
B. o X A N E d Atalide,
Sx £TIRE2-V0US.
Atalide.
Madanie . . . Excufez l'embarras . . ,
R o X A N E.
Retirez-vous, vous-dis-je , & ne répliquez pas.
Gardes , qu'on la retienne.
S QE N E I I L
ROXANE, ZATIME.
R o X A N E.
V^ ui, tout eft prêt, Zatimc,
Orcan & \et muets attendent leur viftime.
Je fuis pourtant toujours maîtrefle de Ton fort.
Je puis le retenir. Mais s'il fort , il eft mort.
Yicnt-il î
Z A T 1 M E.
Oui , fur mes pas un cfclave l'amène 5
Et , loin de foupçonner fa difgrace prochaine ,
Il m'a paru , Madame , avec empreflcmcnt
Sortir, pour vous chercher, de fon appartement»
R o X A K E.
Ame lâche , & trop digne enfin d'être déçue ,
Peux-tu fouflFrir encor qu'il paroilfe à ta vue ?
Crois-tu, par tes d cours , le vaincre ou l'étcnncr ?
Quand même il fc rcndroit , peux-tu lui pardonner î
Fv
I30 B A J A Z E T,
Quoi , ne devrois-tu pas êcre déjà vengée ?
Ne crois -tu pas encore être aflez outragée î
Sans perdre tant d'efforts fur ce cœur endurci.
Que ne le lailTons-nous périr ? . . Mais le voicii
SCENE' rv.
BAJAZET, ROXANE.
R G X A N E.
J E NE vous ferai point de reproches frivoles.
Les momens font trop chers pour les perdre en paroles.
Mes foins vous font connus. En un mot, vous vivez j
Et je ne vous dirois que ce que que vous favez. ,
MaJgic tout mon amour, fi je n'ai pu vous plaire ,
Je n'en murmure point. Quoiqu'à Ae vous rien taire ,
Ce même amour, peut-être, & ces mêmes bienfaits ,
Auroient dû fuppléer à mes foibles attraits.
Mais je m'étonne enfin que, pour reconnoilTance ,
Pour prix de tant d'amour , de tant de confiance ,
Vous ayez fi long-temps, par des détours fi bas.
Feint un amour pour moi que vous ne fentiez pas.,
B A J A z E T.
Qui , moi , Madame î
R O X A N E.
Oui, toi. Voudroîs-tu point encore
Me nier un mépris que tu crois que j'ignore ?
Ne prétendrois-tu point , par tes fauHès couleurs,
Déguifer un amour qui te retient ailleurs j
Et me jurer enfin , d'une bouche perfide.
Tout ce que tu ne fcns que pour ton Atalide ?
B A J A z E T.
Atalide , Madame ! O Ciel ! Qui vous a dit . . ,
R o y A N E.
Tiens, perfide , regarde , & démens cet écriç..
TRAGÉDIE. m
B A j A z E T après avoir regardé la lettre.
Je ne vous dis plus rien. Cette letue fincère
D'un malheureux amour contient tour le myftère.
Vous favez un fecrec que , tout prêt à s'ouvrir.
Mon cœur a mille fois voulu vous découvrir ,
J'aime , je le confeile. Et devant que votre ame ,
Prévenant mon efpoir , m'eût déclaré fa flamme ,
Déjà plein d'un amour dès l'enfance formé ,
A tout autre deiîr mon cœur étoit fermé.
Vous me vîntes offrir, & la vie , èc l'empire ;
Et même votre amour , fi j'ofe vous le dire ,
Confultanc vos bienfaits , les crut , &, fur leur foi ,
De tous mes fentimens vous répondit pour moi.
Je connus votre erreur. Mais que pouvois-je faire ?
Je vis , en même temps, qu'elle vous étoit chère.
Combien le trône tente un cœur ambitieux !
Un fi noble préfent me fit ouvrir les yeux.
Je chéris , j'acceptai , fans taidcr davantage,
L'heureufe occafion de fortir d'efclavage j.
D'autant plus qu'il falloit l'accepter ou périr :
D'autant plus que vous-même , ardente à me Toffrir ,
Vous ne craigniez rien tant que d'être refufée ;
Que même mes refus vous auroient expoféc ;
Qu'après avoir ofc me voir & me p.irler.
Il étoic dangereux pour vous de reculer.
Cependant je n'en veux pour témoins que vos plaintes.
Ai-je pu vous tromper par des promeflcs feintes ?
Songez combien de fois vous m'avez reproché
Un filence , témoin de mon trouble caché.
Plus l'effet de vos foins, & ma gloire étoicnt proches ,
Plus mon cœur interdit fe taifoit de reproches.
Le Ciel, qui m'entendoit, fait bien qu'en même temps
Je ne m'arcctois pas à des vœux impuiffans.
Et fi l'effet enfin , fuivant mon efpérance ,
Eût ouvert un champ libre à ma rcccnnoifîance ,
J'aurois par tant d'honneurs , par tant de dignités ,
Contenté votre orgueil , & payé vos bontés.
Que vous même peuç-êue , . .
Fv)
iji B A J A Z ET,
R O X A N £.
Et que pourrois-tu faîrc î
Sans l'offre de ton cœur par où peux- tu me plaire î
Quels feroient de tes voeux les inutiles fruits î
Ne te fouvient-il plus de tout ce que je luis î
Maitrellè du ferrail , arbitre de ta vie ,
Et même de l'Etat qu'Amurat me confie ,
Sultane , & , ce qu'en vain j'ai cru trouver en toi.
Souveraine d'un cœur qui n'eût aimé que moi:
Dans ce comble de gloire où je fuis arrivée,
A quel indigne honneur m'avois-tu réfcrvéc ?
Trainerois-je en ces lieux un fort infortuné ,
Vil rebut d'un ingrat que j'aurois couronné ,
De mon rang defcendue , à mille autres égale ,
Ou la première efclave , enfin , de ma rivale ?
I.aiflbns ces vains difcours ; & , fans m'importuner.
Pour la dernière fois veux-tu vivre & régner?
J ai Tordre d'Amurat , & je puis t'y fourtraire.
Mais tu n'as qu'un moment. Parle.
B A J A 2 E T.
Que faut- il faire ?
R o X A N £.
Ma rivale efl ici. Snis-moi fans différer.
Dans \ts mains des muets viens la voir expirer ;
Et , libre d'un amour à ta gloire funefte.
Viens m'engager ta foi ; le temps fera le relie»
Ta grâce ell à ce prix , fi tu veux l'obtenir.
B A J A Z E T.
Je ne l'accepterois que pour vous en punir ;
Que pour faire éclater , aux yeux de tout l'empire ,
L'horreur & \z mépris que cette offre m'infpire.
Mais à quelle fureur me laifTant emporter.
Contre (es triftes jours vais-je vous irriter ?
De mes emporremens elle n'eft point complice ,
Ni de mon amour même , & de mon injuftice.
Loin de me retenir par des confcils jaloux ,
Elle me conjuroit de me donner à vous.
TRAGÉDIE. ij?
En un mot , fcp.irez Ces vertus de mon crime.
Pouduivcz, s'il le faut , un courroux légitime ;
Aux ordres d'Amurat hâtez-vous d'obéir :
Mais laiiîez-moi , du moins , mourir fans vous haïr»
Amurat avec moi ne Ta point condamnée.
Epargnez une vie aflez infortunée.
Ajoutez cetce grâce à tant d'autres bontés.
Madame j & fi jamais je vous fus cher . . .
R O X A N E.
Sortez.
SCENE V.
ROXANE, ZATIME.
R o X A K E.
Jr OUR. la dernière fois , perfide , tu m'as vne^
Et tu vas rencontrer la peine qui t'eft due«
Z A T I M E.
Atal-ide à vos pieds demande à fe jetter ,
Et vous prie un moment de vouloir l'écouter.
Madame. Elle vous veut faire l'aveu fidèle
D'un fecrct important qui vous touche plus qu'elle,
R o X A N E.
Oui , qu'elle vienne. Et , toi , fuis Bajazet qui fort ;
Et , quand il fera temps , viens m'apprcndre fon Ibrt.
SCENE VI.
ROXANE, ATALIDE.
A T A L I D E.
• ' E KE viens plus, Madame, à feindre difpofcCs
Tromper votre bonté fi long-temps abuféc.
îH B A J A Z ET,
Confure, & digne objet de vos inimitiés»
Je viens mettre mon cœur & mon crime à vos pieds.
Oui, Madame , il cil vrai que je vous ai trompée.
Du foin de mon amour feulement occupée.
Quand j ai vu Bajazct, loin de vous obéir.
Je n'ai , dans mes difcours , fongé qu'à vous trahir.
Je l'aimai dès l'enfance ; & dès ce temps , Madame ,
J'avois, par mille foins, fu prévenir fan ame.
La fultane fa mère , ignorant l'avenir ,
Hélas , pour fon malheur , fe plut à nous unir î
Vous l'aimâtes depuis. Plus heureux l'un & l'autre ,
Si connoilîant mon coeur , ou me cachant le vôtre ,
Votre amour de la mienne eût fu fe défier 1
Je ne me noircis point pour le juftifier.
Je jure par le Ciel , qui me voit confondue ,
Par ces grands Ottomans , dont je fuis defcendue,
Et qui tous, avec moi , vous parlent à genoux,
Pour le plus pur du fang qu'ils ont tranfmis en nous ,
Baj-azet à vos foins , tôt ou tard plus fenfîble.
Madame, à tant d'attraits n'étoit pas invincible.
Jalcufe , &: toujours prête à lui repréfenter
Tout ce que je croyois digne de l'arrêter,
Je n'ai rien négligé , plaintes, larmes, colère.
Quelquefois atteftant les mânes de fa mère ;
Ce jour même, àts jours le plus infortuné ,
Lui reprochant l'efpoir qu'il vous avoit donné ,
Ec àc ma mort enfin le prenant à partie ,
Mon importune ardeur ne s'cft point rallcntie ,
Qu'arrachant . malgré lui , des gages de fa foi.
Je ne fois parvenue à le perdre avec moi.
Mais pourquoi vos bontés fcroient-elles lafiées î
Ne vous arrêtez point à £zs froideurs paflees.
C'ell moi qui l'y forçai. Les nœuds que j'ai rompus,
Se rejoindront bien-tôt, quand je ne feiai plus.
Quelque peine pouirant qui foit due à mon crime.
N'ordonnez pas vous-même une mort légitime j
Et ne vous montrez point à fon cœur éperdu ,
Couverte de mon fang par vos mains répandu.
TRAGÉDIE. 13 j
D'un cœur trop tendre encore épargnez la foiblefic.
Vous pouvez de mon fort me laiffcr la maîcrefTe ,
Madame , mon trépas n'en fera pas moins prompt.
Jouiflez d'un bonheur dont ma mort vous répond.
Couronnez un héros dont vous ferez chérie.
J'aurai foin de ma mort, prenez foin de fa vie.
Allez, Madame, allez. Avant votre retour ,
J'aurai d'une rivale affranchi votre amour.
R G X A N E.
Je ne me mérite pas un li grand facrifice.
Je me connois. Madame , &c je me fais juftîce,
Loin de vous féparcr , je prétends aujourd'hui ,
Par des noeuds éternels vous unir avec lui.
Vous jouirez bientôt de fon aimable vue.
Levez-vous. Mais qua veut Zatime toute émue ?
SCENE VIL
ROXANE, ATALIDE, ZATIME.
Zatime.
J\ H , venez vous montrer , Madame , ou déformais
Le rebelle Acomac eft maître du palais 1
Profanant des fultans la demeure facrée ,
Ses criminels amis en ont forcé l'entrée^
Vos efclaves tremblans, dont la moitié s'enfuit.
Doutent fi le vifir vous fcrt ou vous trahit.
R G X A N E.
Ah , les traîtres. Allons, & courons le confondre.
Toi , garde ma captive , & fonge à m'en répondrc-
13^ B A J A Z E T,
SCENE VIII.
ATALIDE, ZATIME.
A T A L I D E.
JLX ÉLAS , pour qui mon cœur doiril faire dss vœux ;
J'ignore quel defl'ein les anime tous deux.
Si de tant de malheurs quelque pitié te touche ,
Je ne demande point, Zatime , que ta bouche
Trahifle, en ma faveur, Roxane & fon fecret.
Mais , de grâce , dis-moi ce que fait Bajazet.
L'as-tu vu ? Pour Tes jours n'ai-jc encor rien à craindre ?
Zatime.
Madame, en vos malheurs je ne puis que vous plaindre,
A T A L I D E.
Quoi, Roxane déj-a i'a-t-«lle condamné ?
Zatime.
Madame , le fecret m'eft fur- tout ordonné.
A T A L I D E.
Malheureufe , dis-moi feulement s'il refpire.
Zatime.
11 y va de ma vie , & je ne puis rien dire.
A T A L I r) E.
Ah, c'en eft trop, cruelle ! Achevé, & que ra main
Lui donne de ton zèle un gage plus certain.
Perce , toi-même , un cœur que ton fîlence accabljc ,
D'une efclave barbare efclave impitoyable.
Prccipite d^s jours qu'elle me veut ravir :
Montre-toi , s'il fe peut, digne de la fervir.
Tu me retiens en vain ; & , dès cette même heure ,
Il faut que je le voie , ou du moins que je meure.
TRAGÉDIE, ny
SCENE IX,
ATALIDE, ACOMAT, ZATIME.
A C O M A T.
■t\ H , que fait Bajazec ? Où \z puis- je trouver ,
Madame ? Aurai- je encor le temps de le fauver î
Je cours tout le ferrail ; & , même dès l'entrée.
De mes braves amis la moitié féparée
A marché fur les pas du courageux Ofmin j
Le refte m'a fuivi par un autre chemin.
Je cours , & je ne vois que des troupes craintives
D'cfclaves eliraycs , de femmes fugitives.
A T A L I D E.
Ah , je fuis de fon fort moins inftruite que vous ?
Cette efdave le fait. ,
A c o M A T.
Crains mon juftc courroux.
Malheureufc, répons.
SCENE X
ATALIDE, ACOMAT, ZATIME, ZAÏRE.
Z A ï F. E.
iVl ADAME.
A T A L 1 D 2.
Hé bien , Zaïre *
Qu'cft-cc ?
Z A ï K E.
Ne craignez plus. Votre ennemie expire.
i}8 B A J A Z ET,
A T A L I D E.
Roxane ?
Z A ï R E.
Et ce qui va bien plus vous étonner ,
Orcan lui-mcme , Orcan vient de raflafliner.
A T A L I D £.
Quoi , lui ?
Z A ï R E.
Défefpéré d'avoir manqué fon crime ,
Sans doute , il a voulu prendre cette victime.
A T A L I D E.
Jufte C.'el , l'innocence a trouvé ton appur.
Bajazet vit encor ; vifir , courez à lui.
Z A ï R E.
Par la bouche d'Ofrain vous ferez mieux inftruite »
Il a tout vu.
SCENE XL
ATALIDE, ACOMAT, ZAÏRE, OSMIN.
A C G M A T.
^ ES yeux ne l'ont-ils point féduite î
Roxane eft-elie morte ?
O s M I N.
Oui , j'ai vu l'afTaffin
Retirer fon poignard tout fumant de fon fein.
Orcan, qui mcditoit ce cruel ftratagême,
La fervoit , à deffein de la perdre elle-même ;
Et le fultan l'avoit chargé fecrettement
De lui facrifier l'amante après l'amant.
Lui-même , d'aufli loin qu'il nous a vu paroître,
Ad rei , a-t-il dit , l'ordre de votre maître ;
De fon augufle feing reconnoijfei les traits t
PerJîieSj (s'fortei de ce facré palais.
TRAGÉDIE. ijp
A CCS difcours , laifTant la fultane expirante ,
II a marché vers nous ; & d'une main ianglante
Il nous a déployé l'ordre , dont Am.urac
Autorife ce monftre à ce double attentat.
Mais , Seigneut, fans vouloir l'écouter davantage ,
Tranfportés à la fois de douleur &: de rage ,
Nos bras impatiens ont puni fon forfait ,
Et vengé dans fon fang la mort de Bajazeç,
A X A L I D E.
Bajazet I
A c o M A r.
Que dis-tu î
O s M I N.
Bajazet eft fans vie ?
L'ignorez-vous ?
A T A L 1 D E.
O Ciel ?
O s M I N.
Son amante en furie
Près de ces lieux, Seigneur , craignant votre fccours,
Avoit au nœud fatal abandonné Ces jours.
Moi-même des objets j'ai vu le plus funefte,
Et di fa vie en vain j'ai cherché quelque refte.
Bajazet étoit mort. Nous l'avons rencontré
De morts & de mourans nobleinent entouré ,
Que , vengeant fa défaite , & cédant fous le nombre ,
Ce héros a forcés d'accompagner fon ombre.
Mais, puifque c'en ell fait, Seigneur, fongcons à nous.
A c o M A T.
Ah ! Deftins ennemis , où me réduifcz-vous I
Je fais en Ba)azet la perte que vous faites ,
Madame. Je fais trop qu'en l'état où vous êtes,
Il ne m'appartient point de vous ofFrir l'appui
De quelques malheureux qui n'cfpéroicnt qu'en lui.
Saifi , défefpéré d'une mort qui m'accable ,
Je vais , non point fauvcr cette tcte coupable ,
Mais, redevable aux foins de mes triftes amis,
Dcfeadre j;ufqu'au bout leurs jours qu'ils m'oaç cçmmis.
140 B A J A Z ET,
Pour vous, fi vous voulez qu'en quelque autre contrée
Nous allions confier votre tête facrée.
Madame , confukez. Maître de ce palais ,
Mes fidèles amis attendront vos fouhaits ;
Et moi , pour ne point perdre un temps fi falutaire.
Je cours où ma préfence elt encor néceflaire ;
Et , jufqu'au pied des murs que la mer vient laver.
Sur mes vaillèaux tout prêts je viens vous retrouver.
SCENE DERNIERE.
ATALIDE ZAÏRE,
A T A L I D E.
1-j NFiN , c'en cft donc fait. Et par mes artifices ,
Mes injulèes foupçons, mes funeftes caprices ,
Je fuis donc arrivée au douloureux moment,
Où je vois , par mon crime , expirer mon amant.
N'étoit-ce pas aflèz, crusile deftinée,
Qu'à lui furvivre , hélas , je tuffe condamnée I
Et falloit-il eacor que , pour comble d'horreurs.
Je ne pulle imputer fa mort qu'à mes fureurs '.
Oui , c'eft moi , cher amant, qui t'arrache la vie ;
-Roxane, ou le fultan, ne te l'ont point ravie.
Moi feule , j'ai tilTu le lien malheureux ,
Dont tu viens d'éprouver les déteftables noeuds.
Et je puis , fans mourir, en fouiFrir la penfée ?
Moi , qui n'ai pu tantôt , de ta mort menacée.
Retenir mes cfprits , prompts à m'abandonner l
Ah , n'ai-je eu de l'amour que pour t'allalfiner î
Mais c'en eft trop. Il faut, par un prompt facrifice ,
Que ma fidèle main te venge , & me puniflè.
Vous, de qui j'ai troublé la gloire & le repos.
Héros , qui deviez tous revivre en ce héros ;
Toi , mère malheureufe, &qu:, dès notre enfance ,
Me confias fon cœur dans une autre efpérance ,
TRAGÉDIE. 141
infortuné vifir, amis défefpérés,
^oxane , venez tous, contre moi conjurés,
rourmenier à la fois une amante éperdue 5
( elle fe tue. )
Et prenez la vengeance enfin qui vous eft due.
Z A ï R. E.
Ah , Madame . . . Elle expire. O Ciel ! En ce malheur»
Que ne puis-je avec elle expirer de douleur l
FIN.
MITHRIDATE,
TRJGEDIE.
PRÉFAC
PREFACE.
llL N'vAguèiesde nom plus connu que celui de Michrî-
iatc. Sa vie & fa more font une partie conildérable
le Thiftoire Romaine , & j fans compter les viâoires
lu'il a remportées , on peut dire que {es feules défaites
)nt fait prefque toute la gloire de trois des plus grands
rapitaines de la république , c'eft à favoir , de Sylla ,
le Luculîus & de Pompée. Ainfî je ne penfe pas qu'il
bit befoin de citer ici mes auteurs. Car, excepté qucl-
jucs événemens que j'ai un peu rapproché par le droit
{uc dorme la poéfîe , tout le mondj reconnoîtra aifé-
ncnt que j'ai fuivi l'hiftoire avec beaucoup de fidélité.
In effet , il n'y a guères d'adions éclatantes dansla vie
e Mithridate , qui n'aycnt trouvé place dans ma tra-
édic. J'y ai inféré tout ce qui pouvoir mettre en jour
:s moeurs & les fcntimens de ce prince, je veux dire , fa
<dnc violente contre les Romains , fon grand courage,
» fincfle , fa difllmulation ; &: enfin cette jaloufic qui
JÎ ctoit fi naturelle, & qui a tant de fois coûté la vie à
s maîtreJGTcs. La feule chofe qui pourroit n'être pas
ifli connue que le refte , c'eft le deflein que je lui fais
rendre de pafTer dans ritalie. Comme ce deflèin m'a
>*rni une àts fcènes qui ont le plus réuflî dans ma
Tomz IL G
PRÉFACE.
tragédie , je crois que le plaifîr du leéieur pourra re
doubler , quand il verra que prefque tous les hiftorier
ont dit ce que je fais dire ici à Mithridate.
Fiorus , Plutarque & Dion Caffius nomment h
pays par où il devoir pafler. Appien d'Alexandr
entre plus dans le détail j & , après avoir marqué l
facilités & les fecours que Mithridate efpéroit trouv
dans fa marche , il ajoute que ce projet fut le prétex
dont Phacnace fe fetvit pour faire révolter toute l'a
mée , & que les foldats effrayés de Tentreprife de fc
père , la regardèrent comme le défefpoir d'un prin
qui ne cherchoit qu'à périr avec éclat,
Ainfi elle fut en partie caufe de fa mort, qui <
Taclion de ma tragédie. J'ai encore lié ce delTein
plus près à mon fujet. Je m'en fuis fervi pour fa
connojitre à Mithridate leç fecrers fentimens de
deux fils. On ne peut prendre trop de précaution pc
ne rien mettre fur le théâtre qui ne foit très-nécelTair
& les plus belles fcènes font en danger d'ennuyé
du moment qu'on les peut féparer de l'aûion ,
qu'elles l'interrompent au lieu de la conduire y
fy. fin.
Voici la réflexion que fait Dion Caffius fur
defTein de Mithridate. so Cet homme étoit véritab
« ment né pour entreprendre de grandes cho
PRÉFACE
) Comme il avok fouvent éprouvé la bonne & la
3 mauvaife fortune, il ne croyoit rien au-deflus de Ces
3 cfpérances & de fon audace , & mefuroic Ces defleins
3 bien plus à la grandeur de fon courage , qu'au mau-
3 vais état de fes affaires ; bien réfolu , (î fon entre-
> ptife ne réuffifToit point, de faire une fin digne d'un
) grand roi , Se de s'cnfevelir lui-même fous les ruines
) de fon empire , plutôt que de vivre dans l'obfcurité
) & dans la baffenè. 33
J'ai choifî Monime entre les femmes que Mithri-
j atc a aimées. Il paroît que c'eft celle de toutes qui a
:é la plus vertueufe , &: qu'il a aimée le plus tendre-
: Plutarque femble avoir pris plaifir à décrire le
-ar & les fentimcns de cette princcfle. C'eil lui
ukm'a donné l'idée de Monime ; & c'cft en partie fur
peinture qu'il en a faite, que j'ai fondé un caradère
ic je puis dire qui n'a point déplu. Le ledeur trou-
rabon que je rapporte fes paroles telles qu'Atuyotles
traduites ; car elles ont une grâce dans le vieux ftylc
• ce traduûcur, que je ne crois point pouvoir égaler
iQt notre langue moderne.,
Cette-cî étoit fort renommée entre les Grecs , pour ce
t çuelçues follicitations que lui Jut faire le roi en
tn amoureux , jamais ne voulut entendre â toutes fes
imites jufqu! à ce qu'il y eût accord de mariage pajfc
Gij
PRÉFACE,
entre eux, 6* qu'il lui eût envoyé le diadème ou handec
royale 6" appelle royne. La pauvre dame, depuis que c
roi Veut époujce, avoit vécu en grande dcplaifance , n
faifant cominuellement autre chofe que de plorer la ma
heureufe leauté defon corps ylaquelle,aulieu d'unmari h
avait donné un maître ; ^ , au lieu de compagnie conji
gale , 6* que doit avoir une dame d'honneur, lui ave
haîlléune garde 6* garnifon d'hommes barbares qui la t
noit comme prifonnière loin du doux pays de la Gréa
en lieu où elle n' avait qu'un fonge t:fune ombre de bien
6» aucontraire avoit réellement perdu les véritables,dc
elle jouijfoit aux pays de fa naijfance. Et quand l'eunu^
fut arrivé devers elle , 6* lui eut fait commandement
par le roi qu'elle eût à mourir, adonc elle s'arracha d'
Isntour de la tête fon bandeau royal , (s^felenouan
Ventour du col , s'en pendit. Mais le bandeau nefiit]
affe^fort, (:ffe rompit incontinent. Et lors ellefepr
dire ; 33 O maudit & malheureux tifTu , ne me fervir
33 tu point au moins à ce trifte fervice « î En difant
paroles , elle le jetta contre terre , crachant dejfus
tendit la gorge d l'eunuque^
Xipharès étoit fils de Mithridate &: d'une de Ces f
mes qui fe nomraoit Stratonice. Elle livra aux Rom
une place de grande importance , où étoient les cri
4c Mithridate , pour mettre fon fils Xipharès dan
PRÉFACE.
lonnes grâces de Pompée. Il y a des hiftoriens qui pré-
:eiident que Mithridate fit mourir ce jeune prince,
Dour fe venger de la perfidie de fa mère,
j Je ne dis rien de Pharnace. Car qui ne fait pas que ce
•lit lui qui fouleva contre Mithridate ce qui lui reftoic
le troupes, & qui fiarça ce prince à fe vouloir empoi-
onner , & à fe pafTer fon épée au travers du corps ,
pour ne pas tomber entre les mains de Ces ennemis
C'cft ce même Pharnace qui fut vaincu depuis par Jules
C-'ar , Se qui fut tué enfuite dans une autre bataille.
Gu)
ACTEURS.
MITHRIDATF. , Roi de Pont, & de quantité
d'autres Royaumes.
M O N I M E , accordée avec Mithridate , èc déjà dé-
clarée Reine.
PHARNACE,'^ piis j, Mithridate , mais âc
XIPHARÉS, J «différentes Mères.
A R B A T E , Confident de Mithridate , &c Gouver-
neur de la Place de Nymphée.
P H (E D I M E , Confidente de Moninie.
A R C A S , Domeftique de Mithridate.
GARDES.
La Scène tfl à Nymplée , Port de mer fur le Bofphor>
Qimmérkn , dans la Tauri^ue Cherfonnèfe,
MITRHIDATE,
TRAGEDIE.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
XIPHARÉS, ARBATEU
XlPHARÉS.
yj N nous faifoit, Arbare , un fidèle rapport.
Rome , en effer , triomphe , & Mithridare eft mort.
Les Romains, vers l'Etiphracc, ont attaqué mon perC;
Ec trompé, dans Ja nuit , fa prudence ordinaire.
Apres un long comiiat , tout fon camp dilpeile ,
Dans la foule des morts , en fuyant , l'a laifl'é ;
Et j'ai fu qu'un foldat , dans les mains de Pompée ,
Avec fon diadème a remis fon épée.
Ainfi , ce roi , qui feul a , durant quarante ans ,
Lallé tout ce que Rome eut de chefs importans ,
Et qui, dans l'Orient balançant la fortune ,
Vengcoir de tous les rois la querelle commune ,
Meurt , & laific aprèô lui , pour venger fon trépas ,
Deux fils infortunés qui ne s'accordent pas.
A a. E A T E.
Vous, Seigneur ! Quoi, l'ardeur de récjner en fa place ,
Rend déjà Xipharès ennemi du* Pharnace î
G iv
zji M ITH R I D AT E,
XlPHARÉS.
Non , je ne prétends point , cher Arbace , à ce prix ,
D'un malheureux empire acheter le débris.
Je fais en lui des ans rcfpefter l'avantage ;
Et content des états marqués pour mon partage.
Je verrai , fans regret, tomber entre fes mains
Tout ce que lui promet l'amitié des Romains.
A R B A T E.
L'amitié des Romains ? Le fils de Mithridate ,
Seigneur ? Eft-il bien vrai ?
XlPHARÉS.
N'en doute point, Arbare.
Pharnace, dès long-temps, tout Romain dans le cœur.
Attend tout maintenant de Rome & du vainqueur.
Et moi , plus que jamais à mon père fidèle ,
Je conferve aux Romains une haine immortelle.
Cependant & ma haine & fes prétentions
Sont les moindres fujets de nos divifîons.
A R B A T E.
Et quel autre intérêt contre lui vous anime ?
XlPHARÉS.
Je m*en vais t'éconner. Cette belle Monime ,
Qui du roi notre père attira tous les vœux ,
Dont Pharnace , après lui , fe déclare amoureux . . .
A R B A T E.
Hé bien , Seigneur !
XlPHARÉS.
Je l'aime , & ne veux plus m'en taire ,
Puifqu'cnfin^pour rival je n'ai plus que mon frère.
Tu ne t'attendois pas, fans doute , à ce difcours.
Mais ce n'eft point , Arbate , un fecret de deux jours.
Cet amour s'eft long-temps accru dans le filence ,
Que n'en puis-je à tes yeux marquer la violence ,
Et mes premiers foupirs , & mes derniers ennuis I
Mais , en l'état funefte où nous fanâmes réduits ,
Ce n'eft guère le temps d'occuper ma mémoire
A rappeller le cours d'un araoureufe hiftoire.
TRAGÉDIE. 153
Qu'il te fufïîfe donc, pour me juftifîer, ^
Que je vis , que j'aimai la reine le premier ;
Que mon pcie ignoroit jufqu'au nom de Monime ,
Quand je conçus pour elle un amour légitime.
Il la vit. Mais , au lieu d'offrir à fcs beautés
Un hymen , & des voeux dignes d'être écoutés ;
Il crut que, fans précendre une plus haute gloire.
Elle lui céderoit une indigne victoire.
Tu fais par quels efforts il tenta fa vertu ;
Et que , laflé d'ayoit vainement combattu,
Abfcnt , mais toujours plein de fon amour extrême.
Il lui Ht par ces mains porter fon diadème.
Juge de m.es do'ulcurs, quand àzs bruits trop certains
M'annoncèrent du roi l'amour & les delTeins j
Quand je fus qu'à fon lit Monime réfervée
Avoit pris , avec toi , le chemin de Nymphée.
Hélas I Ce fut encor dans ce temps odieux ,
Qu'aux offres des Romains ma mère ouvrit les yeux.
Ou pour venger fa foi par cet hymen trompée ,
Ou ménageant pour moi la faveur de Pompée ,
Elle trahit mon père , &c rendit aux Romains
La place & les tréfors confiés en Ces mains.
Quî devins-je au récit du crime de ma mère '.
Je ne regardai plus mon rival dans mon père.
J'oubliai mon amour par le fien travcrfé.
Je n'eus devant les yeux que mon père cficure.
J'anaquai les Romains ; ôc ma mère éperdue.
Me vit, en reprenant cette place rendue ,
A mille coups mortels contre eux me dévouer ;
Et chercher, en mourant, à la défavouer.
L'Euxin , depuis ce temps , fut libre, & l'eft encore ;
Et des rives du Pont aux rives du Bofphore,
Tout reconnut mon père, & fes heureux vaifTeaux
N'eurent plits d'cnnem.is que les vents Se les eaux.
Je voulois faire plus. Je prétcndois, Arbate ,
Moi-même , à fon fccours m' avancer vers l'Euphrate,
Je fus foudain frappé du bruit de fon trépas.
Au milieu de mes pleurs , je ne le cèle pas ,
Gv
154 M I TH R I D AT Ey
Monime , qu'en tes mains mon père avoit laififce ,
Avec tous Ces attraits revint en ma penfée.
Que dis-je ? En ce malheur je tremblai pour fcs jours.
Je redoutai du roi les cruelles amours.
Tu fais combien de fois fes jaloufes tendrelles
Onrpris foin d'aflurer la mort de fes maîtreffcs.
Je volai vers Nymphée 5 & mes triftes regards
Rencontrèrent Pharnace au pied de fes remparts.
J'en conçus, je l'avoue, un préfage funeftc.
Tu nous reçus tous deux , & tu fais tout le refte.
Pharnace , en fcs dcfleins toujours impétueux ,
Ne diffimula point fcs vœux préfomptueux.
De mon père à la reine il conta la difgrace ,
L'aflura de fa mort , oc s'offrit en fa place.
Comme il le dit , Arbate , il veut l'exécuter.
Mais enfin, à mon tour, je prétends éclater.
Autant que mon amour refpefta la puiflance
D'un père à qui je fus dévoué dès l'enfance ;
Autant ce même amour, maintenant révolté ,
De ce nouveau rival brave l'autorité.
Ou Monime , à ma flamme elle-même contraire.
Condamnera l'aveu que je prétends lui faire ;
Ou bien , quelque malheur qu'il en puifîe avenir ,
Ce n'eft que par ma mort qu'on la petit obtenir.
Voilà tous hs fecrets que je voulois t'apprendre.
C'eft à toi de choifir quel parti tu dois prendre 5
Qui des deux te paroît plus digne de ta foi ,
L'efclave des romains , ou le fils de ton roi.
Fier de leur amitié , Pharnace croit peut-être
Commander dans Nymphée , ôc me parler en maîii.
Mais ici mon pouvoir ne connoît point le fien.
Le Pont eft fon partage, & Colchos eft le mien ;
Et l'on fait que toujours la Colchide Se {es princes
Ont compté ce Bofphore au rang de leurs provinces.
Commandez-moi , Seigneur. Si j'ai quelque pouvoir j
Mon choix eft déjà faiç , je ferai mou devoir.
TRAGÉDIE. ijy
Avec le même zèle , avec la même audace ,
Que je fervois le père , & gardois cette place.
Et contre votre frère & même coritre vous.
Après la mort du roi, je vous fers contre tous.
Sans vous, ne fais-je pas que ma mort afTurée
De Pharnace en ces lieux alloit fuivrc l'entrée !
Sais-je pas que mon fang , par fes mains répandu ,
Eût fouillé ce rempart contre lui défendu î
AfTurez-vous du cœur & du choix de la reine.
Du refte, ou mon crédit n'efi: plus qu'une ombre vaînc.
Ou Pharnace , laillant le Bofphore en vos mains.
Ira jouir ailleurs des bontés des R.omains.
X I P H A RÉ s.
Que ne devrai-je point à cette ardeur extrême ?
Mais on vient. Cours, ami. C'efl; la reine elle-même ,
SCENE IL
MONIME, XIPHARÉS.
M G N I M E.
*J EiGNEUR , je viens à vous. Car enfin , aujourd'hui.
Si vous m'abandonnez , quel fera mon appui '.
Sans parens, fans amis, défolée &c craintive ,
Reine long-temps de nom, mais en effet captive.
Et veuve maintenant fans avoir eu d'époux.
Seigneur , de mes malheurs ce font là ]^s plus deux.
Je tremble à vous nommer l'ennemi qui m'opprime.
J'efpèrc , toutefois, qu'un cœur fi magnanime
Ne f^ifiera point les pleurs des malheureux
Aux intérêts du fang qui vous unit tous deux.
Vous devez à ces mots reconnoître Pharnace.
C'eft lui, Seigneur, c'cft lui, dont la coupable audace
Veut , la force à la main , m'attacher à fon fort ,
Par un hymen , pour mgi, plus cruel que la more
G vj
1^6 MITHRIDATE,
Sous quel aftie ennemi fauc-il que je fois née ?
Au joug d'un autre hymen fans amour deftinée ,
A peine je fuis libre , & goûte quelque paix ,
Qu'il faut que je me livre à tout ce que je hais.
Peut-être je devrois , plus humble en ma mifère.
Me fouvenir du moins que je parle à fon frère.
Mais , foit raifon , dellin , loit que ma haine en lui
Confonde les Romains dont il cherche l'appui ,
Jamais hymen formé fous le plus noir aufpice,
De l'hymen que je crains n'égala le fupplice.
Et fi Monime en pleurs ne vous peut émouvoii" ,
Si je n'ai plus pour moi que mon feul défefpoir i
Au pied du même autel , où je fuis attendue ,
Seigneur , vous me verrez , à moi-même rendue »
Percer ce trifte cœur qu'on veut tyrannifer ,
Et dont jamais encor je n'ai pu difpofcr,
X I p H A R É s.
Madame , aflurez-vous de mon obéiflance.
Vous avez dans ces lieux une entière puiflance.
Pharnace ira, s'il veut, fc faire craindre ailleurs :
Mais vous ne favez pas encor tous vos malheurs.
Monime.
Hé, quel nouveau malheur peut af&iger Monime,
Seigneur î
X 1 p H A R É s.
Si vous aimer c'eft faire un fi grand crimç,
Pharnace n'en eft pas feul coupable aujourd'hui 5
Et je fuis mille fois plus criminel que lui.
Monime.
Vous I
X I p H A R É s.
Mettez ce malheur au rang des plus funeftes,
Atteftez, s'il le faut, ies puillances céleftes
Contre un fang malheureux, né pour vous tourmenter.
Père , enfans animés à vous perfecutcr.
Mais , avec quelque ennui que vous puifliez apprendre
Cet amour criminel qui vient de vous furprcndre »
TRAGÉDIE, 157
Jamais tous vos malheurs ne fauroient approcher
Des maux que j'ai Ibuftèrts en le voulant cacher.
Ne croyez point pourtant que , fcmblable à Pharnace,
Je vous ferve aujourd'hui pour me mettre en fa place.
Vous voulez être à vous , j'en ai donné ma foi 5
Et vous ne dépendrez ni de lui , ni de moi.
Mais , quand je vous aurai pleinement fatisfaite ,
En quels lieux avcz-vous choifi votre retraite ?
Sera-ce loin, Madame , ou près de mes états î
Me fera-t-il permis d'y conduire vos pas î
Verrez vous d'ui\ même œil le crime ôc l'innocence ?
En fuyant mon rival , fuirez-vous ma préfencc î
Pour prix d'avoir fi bien fécondé vos fouhaits ,
Faudra-t-il me réfoudre à ne vous voir jamais ?
M O N I M E.
Ah , que m'apprcnez-vous î
X I p h'a r é s.
Hé quoi , belle Monime >
Si le temps peut donner quelque droit légitime ,
Faut-il vous dire ici que le premier de tous
Je vous vis , je formai le defiein d'être à vous ,
Quand vos charmes naifTans, inconnus à mon père,
N'avoient cncor paru qu'aux yeux de votre mère ?
Ah , fi par mon devoir forcé de vous quitter.
Tout mon amour alors ne put pas éclater ,
Ne vous fouvient-il plus , fans compter tout le rcfte >
Combien je me plaignis de ce devoir funcfte !
Ne vous fouvient-il plus, en quittant vos beaux yeux,
Qucl'e vive douleur attendrit mes adieux ï
Je m'en fouvicns tout feu). Avouez-le, Madame,
Je vous rappelle un fonge effacé de votre ame.
Tandis que, loin de vous, fans cfpoir de retour ,
Je nourriflbis encore un malheureux amour , '
Contente & réfolue à l'hymen de mon père ,
Tous les malheurs du fils ne vous affligeoient guère.
Monime.
Hélas I
ij8 M IT H RI D AT E»
XlPHARÊs.
Avez-vous plaint un moment mes ennuis ^
M O N I M E.
Pilnce . , . N'abulez point de l'état où je fuis.
X I P H A R É s.
En abufer ! O Ciel î Quand je cours vous défendre.
Sans vous demander rien, fans ofer rien prétendre:
Que vous dirai-je enfin ? Lorfque je vous promets
De vous mettre en état de ne me voir jamais.
M o N I M E.
Ceft me promettre plus que vous ne fauriez faire.
X I p H A R É s.
Quoi, malgré mes f:rmens , vous croyez le contraire î
Vous croyez qu'abufant de mon autorité ,
Je prétends attenter à votre liberté.
On vient. Madame, on vient. Expliquez-vous de grâce.
Un mot.
M o N i M E.
Défendez-moi des fureurs de Pharnace.
Pour me faire. Seigneur , confenrir à vous voir ,
Vous n'aurez pas befoin d'un injulle pouvoir.
XlPHARÉS.
Ah, Madame !
^1 o N I M E.
Seigneur, vous voyez votre frère.
SCENE I I L
MONIME, PHARNACE, XIPHARÉS.
Pharnace.
J usQUEs à quand, Madame, attendrez-vous mon père.
Des témoins de fa more viennent, à tous momens.
Condamner votre doute Se vos retardemens.
Venez, fuyez l'afped de ce climat fauvage ,
Qui ne parle â vos yeux que d'un triile efclavage.
TRAGÉDIE. 15^
Un peuple obéilTant vous attend à genoux ,
Sous un Ciel plus heureux Se plus digne de vous.
Le Pont vous reconnoît dès long-temps pour fa reine.
Vous en portez encor la marque louveraine ;
Et ce bandeau royal fut mis fur votre front
Comme un gage affuré de l'empire de Pont.
Maître de cet état que mon père me laide ,
Madame , c'ell à moi d'accomplir fa promefTe.
Mais il faut , croyez-moi , fans attendre plus tard ,
Ainfî que notre hymen , prelTer notre départ.
Nos intérêts communs & mon cœur le demandent.
Prêts à vous recevoir, mes vaifleaux vous attendent 5
Et du pied de l'autel vous y pouvez monter ,
Souveraine des mers qui vous doivent porter.
M G N I M E.
Seigneur , tant de bontés ont lieu de me confondre.
Mais, puifque le temps prclTe, &: qu'il faut vous répondre
Puis-je , laiflant la feinte & les déguifemens ,
Vous découvrir ici mes fecrets fentimens i
Pharnace.
Vous pouvez tout.
M O N I M E.
Je crois que je vous fuis connue.
Ephcfe eft mon pays. Mais je fuis defcendue
D'ayeux, ou rois. Seigneur, ou héros, qu'autrefois
Leur vertu , chez les grecs , mit au-deflus des rois.
Mithridate me vit. Ephèfe & l'Ionie
A fon heureux em.pire étoit alors unie.
11 daigna m'envoycr ce gage de fa fo?.
Ce fut pour ma famille une fuprême loi.
Il fallut obéir. Efclave couronnée
Je partis pour l'hymen où j'étois dcftinée.
Le roi, qui m'attendoir au fein de fcs états ,
Vit emporter ailleurs fes dcdeins & Ces pas ;
Et , tandis que la guerre occupoit fon courage ,
M'envoya dans ces lieux éloignés de l'orage.
J'y vins. J'y fuis encor. Mais cependant. Seigneur»
Mon père paya cher ce dangereux honneur j
'^o M ITH R I D AT E,
Et les Romains vainqueurs, pour première victime.
Prirent Piiilopœmcn le père de Monime.
Sous ce titre funefte il fe vit immoler ,
Et c'cft de quoi, Seigneur, j'ai voulu vous parler.
Quelque julle fureur dont je fois animée ,
Je ne puis point à Rome oppofer une armée.
Inutile témoin de tous Ces attentats ,
Je n'ai , pour me venger, ni fceptre ni foldacs.
Enfin , je n'ai qu'un cœur. Tout ce que je puis faire
C'eft de garder la foi que je dois à mon père ,
De ne point dans fon fang aller tremper mes mains,
En époufant en vous l'allié des Romains.
Pharnace.
Que parlez-vous de Rome & de fon alliance ? *
Pourquoi tout ce difcours Se cette défiance ?
Qui vous dit qu'avec eux je prétends m'allier ?
Mo N I M E.
Mais vous-même. Seigneur, pouvez-vous le nia-r î
Comment m'offiiriez-vous l'entrée Se la couronne
D'un pays que par-tout leur armée environne ,
Si le traité fecret, qui vous lie aux Romains,
Ne vous en afluroit l'empire & les chemins î
P H A R N A C E.
De mes intentions je pourrois vous inftruire
Et je fais les raifons que j'aurois à vous dire.
Si, laifTant en effet les vains déguifemens,
Vous m'aviez expliqué vos fecrets fcntimens.
Mais enfin je commence , après tant de traverfes ,
Madame , à ralTembler vos excufes diverfes.
Je crois voir l'intérêt que vous voulez celer.
Et qu'un autre qu'un père ici vous fait parler.
XlPHARÉS
Quel que foit l'intérêt qui fait parler la reine ,
La réponfe , Seigneur , doit-elle être incertaine î
Et, contre les Romains, votre relTentiment
Doit-il, pour éclater, balancer un moment?
Quoi , nous aurons d'un père entendu la difgrace ,
Ec, lents à le venger , prompts à remplir fa place ,
TRAGÉDIE. i6i
Kou5 mettrons notre honheur & fon fang en oubli î
Il cfl mort. Savons-nous s'il eft enfcveli î
Qui fait , fi dans le temps que votre ame empreffee
Forme d'un doux hymen l'agréable penfée ,
Ce roi, que l'Orient tout plein de Ces exploits.
Peut nommer juftement le dernier de fes rois ,
Dans {es propres états privé de fépulture.
Ou- couché , fans honneur , dans une foule obfcurc ,
N'accufe point le Ciel qui le laide outrager.
Et des indignes fils qui n'ofcnt le venger î
Ah , ne languifTons plus dans un coin du Bofphorc î
Si , dans tout l'univers quelque roi libre encore ,
Parthe , Scythe , ou Sarmare , aime fa liberté ,
Voilà nos alliés. Marchons de ce coté.
Vivons, ou périffbns dignes de Mithridate ;
Etfongeons bien plut6t,quelque amour qui nous flatte,
A défendre du joug Se nous & nos états ,
Qu'à contraindre des cœurs qui ne fe donnent pas.
Pharnac£.
Il fait vos fentimens. Me trompois-je , Madame ?
Voilà cet intérêt fi puillant fur votre ame ,
Ce père , ces Romains que vous me reprochez.
XlPHARÊS.
J'ignore de fon cœur ics fentimens cachés ;
Mais je m'y foumettrois fans vouloir rien prétendre ,
Si, comme vous. Seigneur, je croy ois les entendre.
Phaknace.
Vous feriez bien ; & moi , je fais ce que je doi.
Votre exemple n'eft pas une règle pour moi.
XlPHARÉS.
Toutefois, en ces lieux je ne connois perfonne.
Qui ne doive imiter l'exemple que je donne.
PHAR.NACE.
Vous pourriez à Colchos vous expliquer ainfi.
X I P H A R. É s.
Je le puis à Colchos , & jcle puis ici.
Pharnace.
Ici vous y pourriez rencontrer votre perte. , >
i<fi M ITH R I D AT E,
SCENE IV.
MONIME, PH A RN A CE, XI PHARES.
P H (K D I M E.
P H Œ D i M E.
i RINCES , toute la mer eft de vaifTeaux couverte 5
Et bicn-tot , démentant le faux bruit de fa mort ,
Mithridate lui-même arrive dans le port.
M 0 N I M E.
Mithridate î
XlPHARÉS.
Mon Père !
Pharnace.
Ah , que viens-je d'entendi.^ '.
P H Œ D I M E.
Quelques vaifleaux légers font venus nous l'apprendre,
C'eft lui-même j & déjà , prefl'é de fon devoir,
Arbate, loin du bord , l'eft allé recevoir.
XiPHAKÉs d Monime,
Qu'avons nous fait i
Monime d Xipharès.
Adieu , prince. Quelle nouvelle î
SCENE V.
PHARNACE, XlPHARÉS.
Pharnace d part.
JM iTHRiDATE revient 1 Ah, fortune cruelle ï
Ma vie & mon amour tous deux courent hazard.
Les Romains que j'attends arriveront trop tard.
( d Xipharès. )
Comment faire ? J'entends que votre cœur foupire,
Et j'ai conçu l'adieu qu'elle vienç de vous dire,
TRAGÉDIE, 16}
Prince. Mais ce difcours demande un autre temps.
Nous avons aujourd'hui des foins plus impottans.
Michridatc revient , peut-être inexorable.
Plus il cil malheureux, plus il eil redoutable.
Le péril eft preflant plus que vous ne pcnfez.
Nous fommes criminels , & vous le connoiflez.
Rarement l'amitié délarme fa colère.
Ses propres fils n'ont point de juge plus févère ;
Et nous l'avons vu même, à fes cruels foupçons ,
Sacrifier deux fils pour de moindres raifons.
Craignons pour vous,pourmoi,pour la reine elle-mêmej
Je la plains, d'autant plus que Mithridate l'aime.
Amant avec tranfport , mais jaloux fans retour.
Sa haine va toujours plus loin que fon amour.
Ne vous aiïurez point fur l'amour qu'il vous porte.
Sa jaloufc fureur n'en fera que plus forte.
Songez-y. Vous avez la faveur des foldats ,
Et, j'aurai des fecours que je n'explique pas.
M'en croirez-vous ? Courons affurer notre grâce.
Rendons-nous , vous & moi , maîtres de cette place ?
Et faifons qu'à Ces fils il ne puifTe didcr
Que les conditions qu'ils voudront accepter.
X I p H A R É s.
Je fais quel eft mon crime , & je connois mon père J
Et j'ai par-dcfTus vous le crime de ma mère.
Mais quelque amour encor qui me pût éblouir.
Quand moK. père paroît , je ne fais qu'obéir.
P H A p. N A C E.
Soyons-nous donc au moins fidèles l'un à l'autre.
Vous favcz mon fecret , j'ai pénétré le vôtre.
Le roi , toujours fertile en dangereux détours.
S'armera contre nous de nos moindres difcours.
Vous favcz fa coutume, &: fous quelles tendrcffcs
Sa haine fait cacher Ces trompcufes adrefles.
Allons. Puifqu'il le faut, je marche fur vos pas.
Mais, en obéillant, ne nous trahilTons pas.
Fin du premier ASlz*
ib'4 MITHRIDATE
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
M O N I M E , P H (S D I M E.
P H CE D I ME.
V: uoi, vous êtes ici quand Mithridate arrive î
Quand, pour le recevoir , chacun court fur la rive l
Que faites-vous , Madame ? & quel reflbuvenir
Tout-à- coup vous arrête , & vous fait revenir ?
N'offenferez-vous point un roi qui vous adore ,
Qui, prefque votre époux ? . . .
M o N I M E.
II ne l'eft pas encore:
Phœdime ; & jufques-Ià, je crois que mon devoir
Eft de l'attendre ici , fans l'aller recevoir.
P H Œ D J M E.
Mais ce n'eft point , Madame, un amant ordinaire.
Songez qu'à ce grand roi promifc par un père ,
Vous avez de fss feux un gage folemnel ,
Qu'il peut , quand il voudra , confirmer à rautel.
Croyez-moi , montrez-vous, venez à fa renconue.
M o N I M E.
Regarde en quel état tu veux que je me montre.
Vois ce vifage en pleurs ; &, loin de le chercher.
Dis-moi plutôt , dis-moi que je m'aille cacher.
Phœdime.
Que dites-vous ? O Dieux I
M o N I M E.
Ah, retour qui me tue l
Malheureufe, comment paroîtrai-je à fa vue ,
Son diadème au front , & , dans le fond du cœur ,
Phcedime î . . Tu m'entends, & tu vois ma rougeur.
TRAGÉDIE, 1^5
P HCI DIME.
Ainfi vous retombez dans les mêmes allarmes
Qui vous ont dans la Grèce arraché tant de larmes î
Et toujours Xipharès revient vous traverfer.
M O N I M E.
Mon malheur eft plus grand que tu ne peux pcnfer.
Xipharès ne s'ofFroit alors à ma mémoire,
Que tout plein de vertus, que tout brillant de gloire 5
Et je ne favois pas que , pour moi plein de feux,
Xipharès des mortels fut le plus amoureux.
P H Œ D I M E.
U vous aime , Madame ! Et ce héros aimable . . ,
M o N I M E.
Eft auffi malheureux que je fuis miférable.
Il m'adore , Phœdime ; & les mêmes douleurs
Qui m'affligeoient ici , le tourmcntoient ailleurs.
P H (F D I M E.
Sait-il en fa faveur jufqu'où va votre eftime î
Sait-il que vous l'aimez î
M o N I M E.
Il l'ignore , Phœdime.
Les Dieux m'ont fccourue , & mon cœur aftcrmi
N'a rien dit, ou du moins n'a parlé qu'à demi.
Hélas , fi tu favois, pour garder le filencc.
Combien ce triftc cœur s'ell fait de violence ;
Queb affauts , quels combats j'ai tantôt foutenus 5
Phœdime , fi je puis , je ne le verrai plus.
Malgré tous les efforts que je pourrois me faire ,
Je vcrrois fes douleurs, je ne pourrois me taire.
11 viendra, malgré moi , m'arracher cet aveu.
Mail n'importe, s'il m'aime, il en jouira peu
Je lui vendrai fi cher ce bonheur qu'il ignore.
Qu'il vaudroic mieux pour lui qu'il l'ignorât encore.
Phœdime.
On vient. Que faites-vous. Madame î
M o N I M E.
Je ne puis.
le ne paroîtrai point dans le trouble où je fuis.
166 M IT H R I D AT E
SCENE IL
MITHRIDATE , PHARNACE, XIPHARÉS ,
A R B A T E , Gardes.
MiTHRiDATE.
X RINCES, quelques raifons que vous me puîffiez dire.
Votre devoir ici n'a point dû vous conduire ,
Ni vous faire quitter , en de fî grands befoins ,
Vous le Pont, vous Colchos, confiés à vos foins.
Mais vous avez pour juge un père qui vous aime.
Vous avez cru des bruits que j'ai femés moi-même.
Je vous crois innocens 5 puifque vous le voulez ,
Et je rends grâce au Ciel qui nous a rafTemblés.
Tout vaincu que je fuis , & voilîn du nauflage,
Je médite un deliein digne de mon courage.
Vous en ferez tantôt inltruits plus amplement.
Allez, 6c lailTez-moi repofer un moment.
SCENE III.
MITHRIDATE, ARBATE.
MiXHRZDATE.
JOj NFiN , après un an , tu me revois , Arbate :
Non plus , comme autrefois , cet heureux Mithridatc,
Qui, de Rome toujours balançant le deftin,
Tenois entre elle &c moi l'univers incertain.
Je fuis vaincu. Pompée a faifi l'avantage
D'une nuit qui laifToit peu de place au courage.
Mes foldats prefque nuds , dans l'ombre intimidés J
Les rangs , de coures parts, mal pris & mal gardés 5
TRAGÉDIE. 1^7
Le défordre par-tout redoublant hs allarmes ;
Nous-mêmes, contre nous, tournant nos propres armcsj
Les cris que les rochers renvoyoient plus afticux 5
Enfin toute l'horreur d'un combat ténébreux :
Que pouvoir la valeur dans ce trouble funeftc ?
Les uns font morts , la fuite a fauve tout le reftej
Et je ne dois la vie , en ce commmun effroi ,
Qu'au bruit de mon trépas que je laifl'e après moi.
Quelque temps , inconnu , j'ai travcrfé le Phafe;
Et dc-là pénétrant jufqu'au pied du Caucafe,
Bien-tôt dans des vaillcaux fur l'Euxin préparcs, ~^
J'ai rejoint de mon camp les reftes féparés.
Vpilà par quels malheurs pouflé dans le Bofphore ,
l'y trouve des malheurs qui m'attendoient encore.
Toujours du même amour tu nie vois enflammé.
Ce cœur , nourri de fang , ôc de guerre affamé.
Malgré le faix des ans & du fort qui m'opprime,
î . lue par-tout l'amour qui l'attache à Monime;
"a point d'ennemis, qui lui foient odieux,
ius que deux fils ingrats que je trouve en ces lieux,
A R B A T E.
i"Deux fils , Seigneur î
M1THB.1DATE.
Ecoute. A travers ma colprc
fe v«Hx bien diftinguer Xipharès de fon frère,
Refais que , de tout temps à mes ordres fournis,
U hait autant que moi nos communs ennemis 3
Et j'ai vu fa valeur, à me plaire attachée ,
Tuftifier pour lui ma tendreffc cachée.
ïe fais même, je fais avec quel défefpoir ,
\tout autre intérêt préférant fon devoir ,
îl courut démentir une mère infidcllc ,
ît tira de fon crime une gloire nouvelle,
ît je ne puis encor, ni n'cferois penfer
^uc ce fils fi fidèle ait voulu m'oftenfer.
V[ais tous deux en ces lieux que pouvoient-îls attendre I
-*un ôc l'autre à la reine ont-ils ofc prétendre i
1^8 MITHRIDATE,
Avec qui fcmble-t-elle en fecret s'accorder ?
Moi-même de quel œil dois-je ici l'aborder ?
Pa,ilc. Quelque delir qui m'entraîne auprès d'elle,
II me faut de leurs cœurs rendre un compte iîdèle.
Qu'eft-ce qui s'cil pafle ? Qu'as-tu vu ? Que fais-tu ?
Depuis quel temps, pourquoi, cornaient t'es-tu rendu?
A R JB A T E.
Seigneur, depuis huit jours, l'impatient Pharnace
Aborda le premier au pied de cette place ;
Et de votre trépas autorifant le bruit ,
Dans Ces murs auUl-tôt voulut être introduit.
Je ne m'arrêtai point à ce bruit téméraire ;
Et je n'écoutois rien , fi le prince fon frère ,
Bien moins par fes difcours, Seigneur, que par fes pleurs.
Ne m'eût , en arrivant , confirmé vos malheurs.
M I T H R I D A T E.
Enfin , que firent-ils ?
A R B A T E.
Pharnace entroît à peine ,
Qu'il courut de fes feux entretenir la reine j
Et s'offrit d'afîurer , par un hymen prochain ,
Le bandeau qu'elle avoir reçu de votre riiain.
MiTHRIDATE.
Traître , fans lui donner le loifir de répandre
Les pleurs que fon amour auroit dûs à ma cendre ?
Et fon frère î
A R B A T E.
Son frère, au moins jufqu'à ce jour ,
Seigneur , dans fes defTeins n'a point marqué d'amour;
Et toujours avec vous fon cœur d'intelligence.
N'a femblé refpirer que guerre & que vengeance.
MiTHRIDATE.
Mais encor quel deflein le conduifoit ici î
A R B A T E.
Seigneur , vous en ferez tôt ou tard éclaîrcî.
MiTHRIDATE
TRAGÉDIE. 'les
MiTHRiDATE.
Parle , je te l'ordonne, & je veux tout apprendre.
A ^ B A T E.
Seigneur, jufqu'à ce jour ce que j'ai pu comprendre.
Ce prince a cru pouvoif , après votre trépas ,
Compter cette province au rang de fes érats ;
Et, fans connoître ici de loix que fon courag-c.
Il vcnoit par la force appuyer fon partage.
M I T H K. I D A T E.
Ah , c'cft le moindre prix qu'il Ce doit propofcr.
Si le Ciel de mon fort me lailFe difpofer.
Oui , je refpirc , Arbate , ôc ma joie efl: extrême.
Je tremblois , je l'avoue , & pour un fils que j'aime ,
Et pour moi, qui craignois de perdre un tel appui.
Et d'avoir à combattre un rival tel que lui.
Que Pharnace m'olïcnfe , il oftie à ma colère
Un rival, dès long-temps, foigneux de me déplaire ;
Qui, toujours des Romains admirateur fecret ,
Ne s'ell jamais contre' eux déclaré qu'à regret ;
fit s'il faut que pour lui Monime prévenue
Ait pu porter ailleurs une amour qui m'ell due ;
Malheur au criminel- qui vient me la ravir ,
Et qui m'ofc offcnfer, ÔC n'ofe me fervir.
L'avne-t-elle î
Arbate.
Seigneur , je vois venir la reine.
M I T H R I D A T E.
Dieux , qui voyez ici mon amour &c ma haine.
Epargnez mes malheurs, &: daignez empêcher
Que je ne trouve encor ceux que je vais chercher»
Atb"a;:c , c'eit aûez : qu'on mc'laifle avec elle.
'^:^:^,
Tome II, Il
170 M IT H R I D AT E »
■ ■ — > : : ^— *
SCENE VI.
MITHRIDATE, MONIME.
MlTHMDATE.
iVl ADAME , enfin le Ciel près de vous me rappelle 5
Ec, fécondant , du moins, mes plus tendres fouhaits.
Vous rend à mon amour plus belle que jamais.
Je ne m'attendois pas que de notre h/menée
Je dufTe voir fi tard arriver la journée ;
Ni qu'en vous retrouvant, mon funefte retour
Fît voir mon infortune , & non pas mon amour,
C'eft pourtant cet amour, qui, de tant de retraites.
Ne m,e laiffe choifir que les lieux où vous êtes ;
Et les plus grands malheurs pourront mefemblerdoux.
Si ma préfencc ici n'en eft point un pour vous.
C'ell vous en dire aflez, fi vous voulez m'entendre.
Vous devez à ce jour , dès long-temps , vous attendre J
Et vous portez, Madame, un gage de ma foi.
Qui vous dit tous les jours que vous êtes à moi.
Allons donc allurer cette foi mutuelle.
Ma gloire , loin d'ici , vous Se moi nous appelle J
Et , fans perdre un moment pour ce noble deflein ,
Aujourd'hui votre époux , il faut partir demain.
M 0 N I M E.
Seigneur , vous pouvez tout. Ceux par qui je refpire
Vous ont cédé fur moi leur fouverain empire ;
Et , quand vous uferez de ce droit tout-puifTant ,
Je ne vous répondrai qu'en vous obéifTant.
MlTHRIDATE.
Ainfl , prête à fubir un joug qui vous opprime ,"
Vous n'allez à l'autel que comme une vid^imc ;
Et moi , tyran d'un cœur qui fe refufe au mien ,
Même en vous poUédant , je ne vous devrai rieiu
TRAGÉDIE. 171
Ah , Madame , eft-ce là de quoi me fatisfaire î
Fauc-il que déformais , renonçant à vous plaire ?
Je ne prétende plus qu'à vous tyrannifer ?
Mes malheurs , en un mot , me font-ils méprifer >
Ah , pour tenter encor de nouvelles conquêtes ,
Quand je ne verrois pas des routes toutes prêtes j,
Quand le fort ennemi m'auroir jette plus bas ,
Vaincu, perfécuté, fansfccours, fans états ,
Errant de mers en mers , &: moins roi que pi' ate ,
Confervant pour tous biens le nom de Mithridate ,
Apprenez que , fuivi d'un nom Ci glorieux ,
Par-tout de l'univers j'atcacherois les yeux ;
Et qu'il n'eft point de rois , s'ils font dignes de l'être ,
Qui , fur le trône afiîs , n'envialTsnt peut-être
Au delTus de leur gloire un naufrage élevé.
Que Rome & quarante ans ont à peine achevé.
Vous-même, d'un autre œil me vcrriez-vous, Madame,
Si ces Grecs vos ayeux revivoient dans votre ame î
Et puifqu'il faut enfin que je fois votre époux,
N'étoit-il pas plus noble , Se plus digne de vous»
De joindre à ce devoir votre propre fufFrage ,
IXoppofer votre eftime au dcltin qui m'outrage ,
^' de me rafTurcr , en flattant ma douleur ,
itre la défiance attachée au malheur ?
- quoi , n'avez-vous rien , Madame , à, me répondre »
1 out mon emprefTement ne fert qu'à vous confondre.
Vous demeurez muette ; &, loin de me parler,
Je vois , malgré vos foins , vos pleurs prêts à couler.
M O N I M E.
Moi , Seigneur ? Je n'ai point de larmes à répandre.
Pobéis. N'eft-cc pas allez me faire cntciidreî
Bc ne fuffic-ii pas î . . .
Mithridate,
Non , ce n'efl: pas adès,
fe TOUS entends ici mieux que vous ne pcnfcz.
Te vois qu'on m'a dit vrai. Ma jufte jaloufie
?ar vos propres difcours eft trop bien éclaircic.
Hij
l
jyi M I T H R I DAT E,
Je vois qu'un fils perfide , épris de vos beautés,"
Vous a parlé d'amour, & que vous l'écoutcz.
Je vous j::tcc pour lui dans des craintes nouvelles.
Mais il jouira peu de vos pleurs infidèles ,
Madame 5 &: déformais tout eft fourd à mes loix ,
Ou bien vous l'avez vu pour la dernière fois.
Appeliez Xipliarès.
M 0 N r M E.
Ah , que voulez-vous faire ?
Xipharês ....
MiTHRiDATE.
Xipharês n'a point trahi fon père.
Vous vous prelîcz en vain de le dcfavouerj
Et ma tendre amitié ne peut que s'en louer.
Ma honte en feroit moindre , ainfi que votre crime,
Si ce fils , en eflPet digne de votre eftime,
A quelque amour encore avoir pu vous forcer.
Mais quk'un traître , qui n'cil hardi qu'à m'offenfer ,
De qui nulle vertu n'accompagne l'audace ;
Que Pharnace , en un mot, ait pu prendre ma placC;
Qu'il foit airné. Madame, & que je fois haï î
SCENE V.
MITHRIDATE, MONIME, XIPHARÊS
MlXHRIDATE.
V ENF.z ,, mon fils , venez , votre père eft trahi.
Un fils audacieux infulte à m.a ruine,
Traverfe mes defleins , m'outrage , m'arTafline ,
Aime la reine , enfin , lui plaît , & me ravie
Un cœur que fon devoir à moi feul aflervit.
Heureux , pourtant heureux , que dans cette difgrac*
Je ne puiflè accufer quc_ la main de Pharnace j
Qu'une mère infidelle , un frère audacieux ,
Vous préfentcnç en vain leur exemple odieux. ;
TRAGÉDIE. I7Î
Oui , mon fils , c'eft vous feul fur qui je me repofe ,
Vous feul qu'aux grands deflbins que mon cœur fe propofe
J'aichoilî, dès long-ceuips , pour digne compagnon.
L'héritier de mon fccpcre , ôc fur-tout de mon nom.
Pharnace , en ce moment , & ma flamme ofFenfée
Ne peuvent pas tous fculs occuper ma penfée.
D'un voyage important les foins & les apprêts.
Mes vaifTeaux qu'à partir il faut tenir tout prêts ,
Mes foldats , dont je veux tenter la complaifance.
Dans ce même moment demandent ma préfence.
Vous , cependant ici veillez pour mon repos.
D'un rival infolent arrêtez les complots.
Ne quittez point la reine ; &, s'il fe peut , vous-mcnxâ
Rçndez-ia moins contraire aux vœux d'un roi qui l'aime.
Détournez- la, mon fils , d'un choix injurieux.
Juge fans intérêt , vous la convaincrez mieux.
En un mot, c'cft alTez éprouver ma fciblede.
Qu'elle ne pouffe point cette même tendrefle ,
( Que fais-je ? ) à des fureurs , dont mon cœur outragé
Ne fe repentiroit qu'après s'être vengé.
SCENE V L
MONIME. XIPHARÉS.
X I P H A R i. S,
\f UE diraî-je, Madame; Se comment doîs-je entendre
Cet ordre , ce difcours que je ne puis comprendre ?
Scroit-il vrai, grands Dieux ! que trop aimé de vous ,
Pharnace eût , en effet , mérité ce courroux ?
Pharnace auroit-il part à ce défordre extrême î
M O N I M E»
Pharnace ? O Ciel, Pharnace ! Ah, qu'entcnd$-jc moî-mcmc î
Ce n'ell donc pas affcz que ce funefte jour
A wut ce que j'aimois m'arrache fans retour,
H in
174 MITHRIDATEs
Et que de mon devoir efclavc infortunée ,
A d'éternels ennuis je me voie enchaînée?
Il Fauc qu'on joigne encor l'outrage à mes douleurs.
A l'amour de Pharnace on impute mes pleurs.
Malgré toute ma haine, on veut qu'il m'ait fu plaire.
Je le pardonne au roi , qu'aveugle fa colère ,
Et qui de mes fecrets ne peut être éclairci.
Mais vous, Seigneur, mais vous, me traitez-vous ainfî?
X I P H A R É s.
Ah, Madame , cxcufez un amant qui s'égare ^
Qui , lui-mcme lié par un devoir barbare.
Se voit prêt de tout perdre , & n'ofe fe venger î
Mais des fureurs du roi que puis-je enfin juger ?
Il fe plaint qu'à fes voeux un autre amour s'oppofe.
Quel heureux criminel en peut être la caufe i
Qui ; Parlez.
M O N I M E.
Vous cherchez , prince , à vous tourmenter
Plaignez vo:re malheur , fans vouloir raugmenicr.
XlïHARÉS.
Je fais trop quel tourm.ent je m'apprête moi-même.
C'cft peu de voir un père époufer ce que j'aime.
Voir encore un rival honoré de vos pleurs ,
Sans doute, c'eft pour moi le comble des malheurs.
Mais , dans mon défefpoir , je cherche à les accroîtr'
Madame , par pitié , faires-le moi connoître :
Quel ell-il cet amant ? Qui dois-je foupçonner ?
M o N I M E.
Avez-vous tant de peine à vous l'imaginer ?
Tantôt , quand je fuyois une injufte contrainte ,
A qui , contre Pharnace , ai-je adreflé ma plainte^
Sous quel appui tantôt mon cœur s'eft-il jette î
Quel amour ai-je enfin fans colère écouté î
XlPHARÉS
O Ciel î Quoi , je ferois ce bienheureux coupabi*
Que vous avez pu voir d'un regard favorable î
TRAGÉDIE. I7Î
Vos pleurs pour Xipharès auroient daigné couler î
M O N I M E.
Oui , prince, il n'eft plus temps de le diflîmuler ,
Ma douleur , pour Ce taire , a trop de violence.
Un rigoureux devoir me condamne au fîlcnce ,
Mais il faut bien enfin , malgré Ces dures loix.
Parler pour la première & la dernière fois.
Vous m'aimez dès long-temps. Une égale tendreflc ,
Pour vous, depuis long-temps, m'afflige & m'intciclFe.
Songez depuis quel jour ces funeltes appas
Firent naître un amour qu'ils ne méritoient pas.
Rappeliez un efpoir qui ne voUs dura guère ,
Le trouble où vous jecta l'amour de votre père.
Le tourment de me perdre , &: de le voir heureux ,
Les rigueurs d'un devoir contraire à tous vos vœux ;
Vous n'en fauricz, Seigneur, retracer la mémoire ,
Ni conter vos malheurs, fans conter mon hilloire ;
Et, lorfque ce matin j^en écoutois le cours,
Mon cœur vous répondoit tous vos mêmes difcours.
Inutile, ou plutôt funefle fympathie I
Trop parfaite union par le fort démentie î
Ah î par quel foin cruel le Ciel avoit-il joint
Deux cœurs que l'un pour l'autre il ne deftinoit point?
Car, quel que foit vers vous le penchant qui m'attire.
Je vous le dis , Seigneur , pour ne plus vous le dire ,
Ma gloire me rappelle & m'entraîne à l'autel ,
Où je vais vous jurer un filence éternel.
J'entends , vous gémiiïèz. Mais telle eft ma mifèrc :
Je ne fuis point à vous ; je fuis à votre père.
Dans ce delFein, vous-même, il faut me foutenir ;
Et de mon foible cœur m'aider à vous bannir.
J'attends du moins, j'attends de votre complaifancc.
Que déformais, par- tout , vous fuirez ma préfence.
J'en viens de dire aflcz pour vous perfuadcr
Que j'ai trop de raifons de vous le commander.
Mais, après ce moment , fi ce cœur magnanime
D'un véritable amour a brûlé pour Monime ,
H W
17^ MITHRIDATE,
Je ne reconnois plus la foi de vos difcours ,
Qu'au loin ijuc vous prendrez de m'éviter toujours.
X I P H A R. É s.
Quelle marque, grands Dieux, d'un amour déplorable l
Combien , en un moment , heureux Se miférabie I
De quel comble de gloire & de félicités ,
Dans quel abîme aft'rcux vous me précipitez !
Quoi , j'aurai pu toucher un cœur comme le vôtre î
Vous aurez pu m'aimcr ? Et cependant un autre
Pollédera ce cœur dont j'attirois hs vœux ?
Pèrcinjufte, cruel, mais d'ailleurs malheureux î
Vous vouiez que je fuie , & que je vous évite î
Ft cependant le roi m'attache à votre fuite.
Que dira-t-il î
M o N I M E.
N'importe , il me faut obéir.
Inventez des raifons qui puilient l'éblouir.
D'un héros tel que vous c'eft-là l'efFort fuprcmc :
Cherchez,prince, cherchez, pour vous trahir vous-même.
Tout ce que , pour jouir de leurs contentemens >
L'amour fait inventer aux vulgaires amans.
Enfin , je me connois , il y va de ma vie.
De mes foibles cfForts ma vertu fe défie.
Je fais , qu'en vous voyant , un tendre fouvenîr
Peut m'arracher du cœur quelque indigne foupir.
Que je verrai mon ame , en fecret déchirée ,
Revoler vers le bien dont elle cft féparée.
Mais je fais bien aufli que , s'il dépend de vous
De me faire chérir un fouvenir fi doux,
Vous n'empêcherez pas que ma gloire ofFenfée
N'en punilîe aufli- tôt la coupable penfée;
Que ma main, dans mon cœur, ne vous aille chercher
Pour y laver ma honte, & vous en arracher.
Que dis-je î En ce moment, le dernier qui nous refte ,
Je me fens arrêter par un plaifir funefte.
Plus je vous parle , ôc plus , trop foible que je fuis.
Je cherche à prolonger le péril que je fuis.
TRAGÉDIE.
Ï77
Il faut pourtant , il faut fe faire violence : .
Et , fans perdre en adieux un relie de conftaîice ,
Je fuis. Souvenez -vous , prince, de m'éviter ,
Et méritez les pleurs que vous m'allez coûter.
XlPHARÉS.
Ah, Madame ! . . .Elle fuit, & ne veut plus m'entendre.
Malheureux Xipharcs , quel parti dois-tu prendre î
On t'aime , on te bannit ; toi-même tu vois bien
Que ton propre devoir s'accorde avec le (len.
Cours, par un prompt trépas , abréger ton fupplicp.
Toutefois , attendons que ion fort s'éciaitciflè }
Et s'il faut qu'un rival la raville à ma foi ,
Du mçiûs , en expirant , ne la cédons qu'au roL
Fin du fécond ASie.
II y
178 M I T H R I DAT E ,
ACTE III.
SCENE PREMIERE.
MITHRIDATE, PHARNACE, XIPHARÉS.
MiTHRIDATE.
Approchez, mes enfans. Enfin l'heure eft venue
Qu'il fauc que mon fecret éclate à votre vue.
A mes nobles projets je vois tout confpirer 5
Il ne me relie plus qu'à vous les déclarer.
Je fuis : ainfi le veut la fortune ennemie.
Mais vous favez trop bien l'hiftoire de ma vie ,
Pour croire que , long-temps foigneux de me cacher ,
J'attende en ces déferts qu'on me vienne chercher.
La guerre a fes faveurs , ainfi que Ces difgraces.
Déjà , plus d'une fois retournant fur mes traces ,
Tandis que l'ennemi , par ma fuite trompé ,
Tcnoit après fon char un vain peuple occupé y
Et gravant en airain fes frêles avantages ,
De mes états conquis enchaînoic les images j
Le Bofphore m'a vu , par de nouveaux apprêts ,
Ramener la terreur du fond de Ces marais;
Et, chaflant les Romains de l'Afic étonnée,
Renverfer , en un jour, l'ouvrage d'une année.
D'autres temps , d'autres foins. L'Orient accablé
Ne peut plus foutenir leur etFort redoublé.
Il voit , plus que jamais, Ces campagnes couvertes
De Romains que la guerre enrichit de nos pertes.
Des biens des nations ravifïèurs altérés ,
Le bruit de nos tréfors les a tous attirés ;
Ils y courent en foule ; &c , jaloux l'un de I*aurre ,
Déferrent leur pays pour inonder le notre.
Moi feul je leur réfifte. Ou laflés , ou fournis ,
Ma funefte amitié pèfe à tous mes auiis«
TRAGÉDIE, 179
Chacun à ce fardeau veut dérober fa tête.
Le grand nom de Pompée aflure fa conquête.
C'eil l'effroi de l'Aile. Et , loin de l'y chercher ,
C'eft à Rome, mes fils , que je prétends marcher.
Ce dtfTein vous furprend, & vous croyez peut-être ,
Que le feul défefpoir aujourd'hui le fait naître.
J'excufe votre erreur. Et , pour être approuvés ,'
De femblables projets veulent être achevés.
Ne vous figurez point que , de cette contrée ,
Par d'éternels remparts Rome foit féparéc.
Je fais tous les chemins par où je dois pafler ;
Et fi la mort bien-tôt ne me vient travcrfer.
Sans reculer plus loin l'effet de ma parole ,
Je vous rends , dans trois mois , au pied du Capîtole.
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte, en deux jours.
Aux lieux où le Danube y vient finir fon cours j
Que du Scythe , avec moi, l'alliance jurée.
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée î
Recueilli dans leurs ports , accru de leurs foldars.
Nous verrons notre camp groffir à chaque pas.
Daces , Pannoniens , la fière Germanie ,
Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannîcé
Vous avez vu l'Efpagne , &: fur-tôut les Gaulois ,
Contre ces mêmes murs qu'ils ont pris autrefois ,
Exciter ma vengeance , & , jufques dans la Grèce ,
Par des ambaffadeurs accufer ma pareflc.
Ils favent que fur eux , prêt à fe déborder ,
Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder ;
Et vous les verrez tous , prévenant fon ravage ,
Guider dans l'Italie, & fuivre mon paflage.
C'cft-Ià qu'en arrivant , plus qu'en tout le chemin ,
Vous trouverez par-tout l'horreur du nom Romain 5
Et la triftc Italie encor toute fumante
Des feux qu'a rallumés fa liberté mourante.
Non , princes , ce n'eft point au bout de l'univers
Que Rome fait fentir tout le poids de fes fers ;
Et, de près, infpirant les haînes les plus fortes ,
Tes plus grands eaaciuis , Rome , font à tes portes.
Hvj
t8ô MITHRIDATE,
Ah , s'ils ont pu choiiir pour leur libérateur,
Spartacus , un efclave , un vil gladiateur I
S'ils fuivent an combat des brigans qui les vengent ,
De quelle noble ardeur pcnfez vous qu'ils fe rangent
Sous les drapeaux d'un roi long- temps victorieux ,
Qui voit jufqu'à Cyrus remonter {es ayeuxî
Que dis-jc ? En quel état croyez-vous la furprendre î
Vuide de légions qui la puilîènt défendre ,
Tandis que tout s'occupe à me perfécuter,
Leurs femmes , leurs enfans pourront-ils m'arréter ?
Marchons , & dans fon fein rejettons cette guerre
Que fa fureur envoie aux deux bouts de la terre.
Attaquons dans leurs murs ces conquérans iî fiers ;
Qu'ils tremblent, à leur tour, pour leurs propres foyers^
Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme.
Jamais on ne vaincra les Romains que dans Roaae.
Noyons-la dans fon fang juîlement répandu.
Brûlons ce Capitole , où j'étois attendu.
Détruifons fes honneurs , &: faifons difparoîtrc
La honte de cent rois , & la mienne peut-être :
Et, la flamme à la main , effaçons tous ces noms
Que Rome y confacroit à d'éternels affronts.
Voilà l'ambition dont mon ame eft faifîe.
Ne croyez point pourtant qu'éloigné de l'Afie ,
J'en laifle les Romains tranquilles podelFeurs.
Je fais où je lui dois trouver des défenfeurs.
Je veux que d'ennemis , par-tout enveloppée ,
Rome rappelle en vain le fecours d-e Pompée.
Le Parche , des Romains , comme moi , la terreur^
Confent de fucccder à ma jufte fureur ,
Prêt d'unir avec moi fa haine Se fa famille ,
Il me demande un fils pour époux à fa fille.
Cet honneur vous regarde , & j'ai fait choix de vous ^
Pharnace. Allez, foycz ce bienheureux époux.
Demain , fans différer , je prétends que l'aurore
Découvre mes vaiffeaux déjà loin du Bofphore.
Vous, que rictt n'y retient, partez dès ce moment ,
Eç méritez mon choix par voçre empreflèment.
TRAGÉDIE. i8i
•\. ncvez cet hymen. Et , repafTant l'Euphrate ,
s voir à TAlie un autre Mithridate.
nos tyrans communs en pâlillent d'effroi ,
Et que le bruit à Rome en vienne jufqu'à moi.
Pharnace.
Seigneur, je ne vous puis déguifer ma Turprife.
J'écoute avec tranfport cette grande entreprife j
Je Tadmire. Et jamais un plus hardi deffein
Ne mit à des vaincus les armes à la main.
Sur-tout, j'admiie en vous ce cœur infatigable ,
! '"' femble s'affermir fous le faix qui l'accabk.
, li j'ofe parler avec ffncérité ,
r:es-vous réduit à cette extrémité ?
Pourquoi tenter fi loin des courfes inutiles ,
Quand vos états encor vous ofi-rent tant d'afyles ?^
El vouloir affronter des travaux infinis ,
Dignes plutôt u un chef de malheureux bannis ,
Que d'un roi qui , n'agucre , avec quelque apparence.
De l'aurore au couthant portoit fon efpérance 3
^ doit fur trente états fon trône floriflànt ,
: le débris eft même un empire puiffant ?
s fcul. Seigneur, vous feul, après quarante annéw,
. =z encor lutter contre les dcltinées.
^acable ennemi de Rome &c du repos,
prcz-vous vos foldats peur autant de héros ?
jz-vous que ces cœurs, tremblans de leur défaite ,
:ués d'une longue & pénible retraite ,
chent avidement, fous un ciel étranger >
Li^ mort oc le travail , pire que le danger ?
Vaincus, plus d'une fois, aux yeux de la patrie.
Soutiendront- ils ailleurs un vainqueur en furie ?
Sera-t-il moins terrible, & le vaincront-ils mieux
Dans le fein de fa ville , à l'afped de fes dieux ?
Le Parthc vous rccherche,&: vous demande un gendrej
Mais ce Parthe , Seigneur , ardent à nous défendre
Lorfquc tout l'univers fembloit nous protéger.
D'un gendre , faas appui , voudra-t-il fc charg^er ^
i8i M I TH R I DA T E,
M'en irai-je , moi feul , rebuc de la fortune ,
EjGTuyer l'inconftance au Parthe fi commune ;
Et, peut-être, pour fruit d'un téméraire amour,
Expofer votre nom au mépris de fa cour î
Du moins , s'il faut céder ; fi , contre notre ufagei
Il faut d'un fuppliant emprunter le vifage,
Sans m'envoyer du Parthe embrafler les genoux ,
Sans vous-même implorer des rois moindres que vous,
Ne pourrions-nous pas prendre une plus fûre voie i
Jettons-nous dans les bras qu'on nous tend avec joie.
Rome, en votre faveur , facile à s'appaifer . . .
XlPHARÉS.
Rome , mon frère î O Ciel î Qu'ofez-vous propofer î
Vous voulez que le roi s'abaifTe Se s'humilie ?
Qu'il démente , en un jour, tout le cours de fa vie ?
Qu'il fe fie aux Romains , & fubifTe des loix ,
Dont il a, quarante ans, défendu tous les rois ?
Continuez , Seigneur. Tout vaincu que vous êtes ;
La guerre , les périls font vos feules retraites.
Rome pourfuit en vous un ennemi fatal ,
Plus conjuré contre elle , & plus craint qu'Annibal.
Tout couvert de fon fang, quoi que vous puilïiez faite,
N'en attendez jamais qu'une paix fanguinaire ,
Telle qu'en un feul jour , un ordre de vos mains
La donna dans l'Afîe à cent mille Romains.
Toutefois , épargnez votre tête facrée.
Vous-même n'allez point , de contrée en contrée ,
Montrer aux nations Miduidate détruit ,
Et de votre grand nom diminuer le bruit.
Votre vengeance eft jufte ; il la faut entreprendre.
Brûlez le Capitole , &: mettez Rome en cendre.
Mais c'eft afTez pour vous d'en ouvrir les chemins i
Faites porter ce feu par de plus jeunes mains j
Et , tandis que l'Afie occupera Pharnace,
De cette autre entreprife honorez mon audace.
Commandez. LaifTez-nous, de votre nom fuivis,
Juftifier , pa«r-ÇQUt, que ngus fonimes vçs fils*
TRAGÉDIE, 183
Embrafez , par nos mains , le couchant Se l'aurore»
Remplillez l'univers , fans fortir du Bofphore.
Que ks Romains , prclles de l'un à l'autre bout ,
Doutent où vous ferez, & vous trouvent par-tout.
Dès ce même moment ordonnez que je parte.
Ici tout vous retient 5 & , moi , tout m'en écarte 5
Et , fi ce grand deflein furpafle ma valeur.
Du moins ce défefpoir convient à mon malheur.
Trop heureux d'avancer la fin de ma mifère ,
J'irai . . . J'effacerai le crime de ma mère ,
(fejettant aux pieds de Mithridate. )
Seigneur , vous m'en voyez rougir à vos genoux.
J'ai honte de me voir fi peu digne de vous.
Tout mon fang doit laver une tache fi noire,
Mais ,c cherche un trépas utile à votre gloire ;
Et Rome , unique objet d'un défefpoir fi beau ,
Du fii^ de Mithridate cil le digne tombeau.
MlTHRIDATEyè Uvaut.
Mon fils , ne parlons plus d'une mère infidelle.
Votre père eft content , il connoît votre zèle.
Et ne vous verra point affronter le danger,
Qu'avec vous fon amour ne veuille partager.^
Vous me fuivrez , je veux que rien ne nous fépare.
Et vous, àm'obcir, prince, qu'on fe préparc.
Les vaiiî'eaux font tout prêts. J'ai moi-même ordonne
La fuite &: l'appareil qui vous eft deftiné.
Arbate , à cet hymen chargé de vous conduire ,
De votre obcifTance aura foin de m'inftruire.
Allez ; & , foutenant l'honneur de vos ayeux ,
Dans cet cmbraflèment recevez mes adieux.
Phaknace.
Seigneur . . .
Mithridate.
Ma volonté , prince , vous doit fuffire.
Obéiffez. C'eft trop vous le faire redire.
Pharnace.
Seigneirr , fi, pour vous plaire , il ne faut que périr.
Plus ardent qu'aucun au^rc on m'y verra courir»
iS4 MITHRIDATE,
Combattant à vos yeux , permettez que je meure.
M I T H R 1 D A T E.
Je vous ai commande de partir tout à l'heure.
Mais , après ce moment. . . prince , vous m'entendez ,
Et vous êtes perdu h vous me répondez.
Phahn ace.
Duflîez-vous préfenter mille morts à ma vue ^^
Je ne faurois chercher une fille inconnue.
Ma vie efl en vos mains.
MiTHRIDATE,
Ah , c'eil où je t'attends.
Tu ne faurois partir, perfide, & je t'entends.
Je fais pourquoi tu fuis l'hymen où je t'envoie.
Il te fâche 3 en ces lieux , d'abandonner ta proie 5
Monime te retient. Ton amour criminel
Prétendoit l'arracher à l'hymen paternel.
Ni l'ardeur dont tu fais que je l'ai recherchée ,
Ni déjà fur fon front ma couronne attachée ,
Ni cet afyk même où je la fais garder ,
Ni mon jufte courroux n'ont pu t'intimider.
Traître , pour les Romains tes lâches complaifances
N'étoient pas à mes yeux d'affez noires offenfes.
Il te manquoit encor ces perfides amours ,
Pour être le fupplice & l'horreur de mes jours.
Loin de t'en repentir, je vois, fur ton vifage ,
Que ta confufion ne part que de ta rage.
Il te tarde déjà , qu'échappé de mes mains ,
Tu ne coures me perdre, &: me vendre aux Romains»
Mais, avant que partir , je me ferai juftice»
Je ;e l'ai dit. Holà , gardes.
m.
TRAGÉDIE. 185
S C E NE I L
IITHRIDATE, PHARNACE, XIPHARÉS.
Garies,
M1XHB.1DATE..
Q
_ u'oN le faififle.
)uî , luî-même , Pharnace. Allez , & , de ce pas ,
Qu'enfermé dans la tout on ne le quicce pas.
Phaknace.
iécbien, fans me parer d'une innocence vaine,
il cft vrai , mon amour mérite votre haine,
f'aime. L'on vous a fait un fidèle récit.
^lais , Xipharès , Seigneur , ne vous a pas tout dît.
C*cft le moindre fecrct qu'il pouvoir vous apprendre.
Et ce fils fi fidèle a dû vous faire entendre ,
^uc , des mêmes ardeurs dès long-temps enflammé ,
Il aime auflî la reine , àc même en eft aimé.
SCENE I 1 L
MITHRIDATE, XI PHARE S.
XlïHAILÉS.
U E:GNEua.,Ie croirez-vous qu'un defTeîn ix coupable.
MlTHRIDATE.
Mon fils , je fais de quoi votre frère eft capable.
Me préferve le Ciel de foupçonner jamais.
Que d'un prix.n cruel v».us payez mes bienfaits ;
Qu'un fils , qui fut toujours le bonheur de ma vie ,
Ait pu percer ce cœur qu'un père lui confie.
Je ne le croirai point. Allez , loin à'y fonger.
Je ne yai« déformais penfer qu'à nous venger.
i8$ M ITH RJ DATE,
SCENE IV,
MiTHRIDATE feuL
J E NE le croirai point ? Vain efpoir qui me flatte ?
Tu ne le crois que trop , malheureux Mithridatc.
Xiphaiès mon rival ? Et, d'accord avec lui,
La reine auroic ofé me tromper aujourd'hui î
Quoi I De quelque côté que je tourne la vue,
La foi de tous les cœurs cft pour moi difparue?
Tout m'abandonne ailleurs ? Tout me trahit ici ?
Pharnace , amis , maîtrefle î Et toi , mon fils auflî ?
Toi , de qui la vertu , confolant ma difgracc . . .
Mais ne connois-je pas le perfide Pharnace î
Quelle foibleiTe à moi d'en croire un furieux ,
Qu'arme contre fon frère un delFein envieux ,
Ou dont le défcfpoir , me troublant par des fables <"
Grofïit , pour fe fauver , le nombre des coupables ?
Non, ne l'en croyons point ; & , fans trop nous preflè
Voyons , examinons. Mais par où commencer ?
Qui in'en éclaircira î Quels témoins ? Quel indice ?
Le Ciel, en ce moment, m'infpire un artifice.
Qu'on appelle la reine. Oui, fans aller plus loin.
Je veux l'ouir. Mon choix s'artêre à ce témoin.
L*amôur avidement croit tout ce qui le flatte.
Qui peut de fon vainqueur mieux parler que l'ingrate
Voyons qui fon amour accufera des deux.
S'il n'cft digne de moi , le piège efl: digne d'eux.
Trompons qui nous trahit. Et,pour connoître un traîtr
Il n'ell point de moyens . . . Mais je la vois paroître ,
Feignons ; & de fon cœur , d'un vain efpoir flatté ,
Par un menfonge adroit tirons la vérité.
TRAGÉDIE, 187
SCENE V.
MITHRIDATE, MONIME.
MlTHRIÛATl.
ijj NFiN j'ouvre les yeux , & je me fais jufticc.
C'elt taire à vos beautés un trifte facrifice,
Que de vous prcfenter , Madame , avec ma foi ,
Tout l'âge & le malheur que je traîne avec moi.
Juiqu'ici la fortune & la victoire mêmes
Cachoient mes cheveux blancs fous trente diadèmes.
Mais ce lemps-là n'ert plus. Je régnois, &: je fuis.
Mes ans fc font accrus. Me5 honneurs font détruits ;
Et mon front, dépouillé d'un fi noble avantage ,
Du temps , qui l'a flétri , laille voir tout l'outrage.
D'ailleurs, mille defl'eins partagent mes efprits.
D'un camp, prêt à partir, vous entendez les cris.
Sortant de mes vailTeaux, il faut que j'y remonte.
Quel temps, pour un hymen, qu'une fuite iî prompte.
Madame ! Et de quel front vous unir à mon fort ,
Quand je ne cherche plus que la guerre &: la mort î
Celiez pourtant, celiez de prétendie à Pharnace.
Quand je me fais juflice , il faut qu'on fe la faflè.
Je ne foutFrirai point que ce fils cdieux.
Que je viens pour jamais de bannir de mes yeux ,
Poflédant un amour qui me fut déniée ,
Vous faflc des Romains devenir l'alliée.
Mon trône vous eft du. Loin de m'en repentir.
Je vous y place même , avant que de partir ,
Pourvu que vous vouliez qu'une main qui m'eft chère,
Un fils , le digne objet de l'amour de fon père ,
Xipharès, en un mot, devenant votre époux ,
Me venge de Pharnace , & m'acquitte envers vous.
M O N I M £.
Xipharès ! Lui, Seigneur î
x8S M IT H R I D AT E,
M I T H R I D A T E.
Oui , lui-même y Madame.
D'où peut naître , à ce nom , le trouble de votre ame
Contre un d jurte choix qui peut vous révolter ?
Eil-ce quelque mépris qu'on ne puifie dompter î
Je Je répète encor. C'eit un autre nioi-même ,
Un fils victorieux , qui me chérit, que j'aime.
L'ennemi des Romains , l'héritier & l'appui
D'un empire & d'un nom qui va renaître en lui ;
Ft , quoi que votre amour ait ofé fe promettre,
Ce n'cft qu'entre Ces mains que je puis vous remettre.
M G N I M E.
Que dites-vous ? O Ciel î Pourriez-vous approuver?..
Pourquoi, Seigneur, pourquoi voulez-vous m'éprouvcrl
Celiez de tourmenter une ame infortunée..
Je fais que c'eft à vous que je fus deftinée.
Je fais qu'en ce moment , pour ce nœud folemnel ,
La vidime , Seigneur , nous attend à l'autel.
Venez,
MlTHRlDATE.
Je le vois bien : quelque effort que je fafTe t.
Madame , vous voulez vous garder à Pharnacc.
Je reconnois toujours vos injuftcs mépris ;
Us ont même paiTé fur mon malheureux fils»
M o N I M E.
Je le méprife T
M I T H R I D A T E.
Hé bien , n'en parlons plus, Madame;
Continuez. Brûlez d'une honteufe flamme.
Tandis qu'avec mon fils je vais, loin de vos yeux,
Chercher au bout du monde un trépas glorieux j
Vous cependant ici fervez avec fon frère ,
Et vendez aux Romains le fang de votre père.
Venez. Je ne faurois mieux punir vos dédains ,
Qu'en vous mettant moi-même en Ces ferviles mains J
Et, fans plus me charger du foin de votre gloire ,
Je veux laiflcr de vous jufqu'à votre mémoire.
TRAGÉDIE. 185
Allons , Madame , allons. Je m'en vais vous unir.
M O N I M E.
?lut6t de mille morts duffiez-vous me punir I
M I T H R I D A T E.
/ous réfiftcz en vain , & j'entends votre fuite.
M o N I ME.
-n quelle extrémité , Seigneur , fuis-je réduite î
' ■ . enfin je vous crois, & je ne puis pcnfer
. feindre fi long-temps vous puifliez vous forcer,
lieux me font témoins , qu'à vous plaire bornée ,
ame à tout fon fort s'étoit abandonnée.
, l\ quelque foiblclFe avoit pu m'allarmer,
cous fes ctfoits mon cœur a dû s'armer ;
aoyez point, Seigneur, qu'auteur de mes allarmes,
t'harnace m'ait jamais coûté les moindres larmes.
3c fils vidoricux que vous favorlfez.
Cette vivante image en qui vous vous plaifez ,
3ct ennemi de Rome & cet autre vous même ;
Enfin , ce Xipharès que vous voulez que j'aime . . ;
M I T H B. I D A T E.
• Vous Taimez ?
M o N I M E.
si le fort ne m'eût donnée à vous ,
Mon bonheur dépendoit de l'avoir pour époux.
Avant que votre amour m'eût envoyé ce gage ,
Nous nous aimions.. Seigneur, vous changez de vifage î
M1THB.1DATE.
' , Madame. Il fuffit. Je vais vous l'envoyer.
/,. Le temps eft cher , il le faut employer.
Je vois qu'à ra'obcir vous êtes difpofée.
Je fuis content.
M o N I M E en s'en allant.
O Ciel ! Me ferois-je abufce î
190
M IT H R I DAT E
SCENE V L
MiTHRIDATE fcul.
I Ls s*aîment. C'eft ainfî qu'on fe jouok de nous;
Ah , fils ingrat ! Tu vas me répondre pour tous;
Tu périras. Je fais combien ta renommée.
Et tes fauffes vertus ont féduit mon armée.
Perfide , je te veux porter des coups certains.
II faut , pour te mieux perdre, écarter les mutins J
Et faifant à mes yeux partir les plus rebelles ,
Ne garder près de moi que des troupes fidelles.
Allons. Mais , fans montrer un vifage oftenfé ,
Difliraulons encor , comme j'ai commencé.
Fin du troîjïème Âfle*
TRAGÉDIE. 191
' A C T E I V.
CENE PREMIERE.
M O N I M E , P H (S D I M E.
M O N I M E.
HdDiME , au nom des dieux , fais ce que je dcfîre.
i roir ce qui fc paflc , & reviens me le dire.
ne fais. Mais mon cœur ne fe peut rafTurer.
illc foupçons affreux vienncnc me déchirer.
ic tarde Xipharès î Et d'où vient qu'il diffère
féconder des vœux qu'autorife fon père î
n père, en me quittant , me Talloit envoyer.
aii il feignoit peut-être ; il falloit tout nier.
roi feignoit ? Et moi, découvrant ma penfce . . .
Dieux ! En ce péril m'auriez-vous délaiflee*
(c pourroit-il bien qu'à fon redentimcnt
on amour indifcret eût livré mon amant ?
Joî, prince I Quand, tout plein de ton amour extrême,
»ur favoir mon fccret tu me prcfTois toi-même ,
zs refus trop cruels vingt fois te l'ont caché j
t*ai même puni de l'avoir arraché ;
quand de toi peut-être un père fe défie ,
lie dis-je î Quand peut-être il y va de ta vie ;
parle ; & , trop facile d me lailTer tromper ,
lui marque le cœur où fa main doit frapper.
P H (E D I M E.
1, traitez-le , Madame , avec plus de juftice î
1 grand roi defccnd-il jufqu'd cet artifice î
"•■rndrc ce détour qui l'auroit pu forcer ?
nurmure , à Fautel vous l'alliez devancer.
• it-il perdre un fils qu'il aime avec tendrefle i
ici les effets fécondent fa promefle
t
rc»! MITHRIDATE,
Madame , il vous difoic qu'un imporcanc defïèîn ;
Malgré lui, le forçoic à vous quitter demain.
Ce leul dcfTeiu l'occupe 5 6c , hâtant fon voyage ,
Lui-même ordonne tout-, préfent fur le rivage.
Ses vailleaux en tous lieux fe chargent de foldats.
Et par-tout Xipharès accompagne les pas.
D'un rival en fureur eft-ce là la conduite î
Et voit-on fes difcours démentis par la fuite î
M O N I M E.
Pharnace , cependant , par fon ordre arrêté ;
Trouve en lui d'un rival toute la dureté.
Phœdime , à Xipharès fora-t-il plus de grâce ?
P H Œ D I M E.
C'eft l'ami dos Romains qu'il punit en Pharnace j
L'amour a peu de part à fes jultes foupçons. .
M o N I M E.
Autant que je le puis , je cède à tes raifons ;
Elles calment un peu l'ennui qui me dévoie.
Mais pourtant Xipharès ne paroît point encore.
Phœdime.
V^inc erreur des amans , qui , pleins de leurs defirs .
Vcudroient que tout cédât au foin de leurs plai!'
Qui , prêts à s'irriter contre le moindre obîtacL .
M o N I M E.
Ma Phœdime , & qui peut concevoir ce miracle ?
Après deux ans d'ennuis, dont tu fais tout le poids
Quoi, je puis refpirer pour la première fois ?
Quoi , cher prince , avec toi je me verrois unie '
Et loin que ma tendreflê eût expofé ta vie ,
Tu verrois ton devoir , je verrois ma vertu
Approuver un amour fi long-temps combattu ?
Je pourrois tous les jours t'affurer que je t'aime î
Que ne vienscu î
SCEl
oC^
TRAGÉDIE. i9i
SCENE IL
MONIME, XIPHARÉS, PH(EDIME.
M O N I M E.
O EiGNEUR. , je pailois de vous-même.
Mon ame fouhaitoic de vous voir en ce lieu ,
Pour vous ....
X I P H A R È s.
C'cft maintenant qu'il faut vous dire adieu.
M o N I M E.
Adieu , vous î
X I p H A R É s.
Oui, Madame, & pour toute ma vie.
M o N I M E.
Qu'entends-jcîOnmcdifoit...Hélas , ils m'ont trahie î
X I p H A R É s.
Madame , je ne fais quel ennemi couvert.
Révélant nos fecrets , vous trahit oc me perd.
Mais le roi, qui tantôt n'en croyoit point Pharnace ,
Maintenant dans nos cœuis fait tout ce qui fe palle.
Il feint ; il me catefle , &: cache fon dellcin.
Mais moi, qui, dès l'enfance , élevé dans fon feih.
De tous fes mouvcmens ai trop d'intelligence ,
J'ai lu dans Ces regards fa prochame vengeance.
II prefTe , il fait partir tous ceux , dont mon malheur
Pourroit à la révolte exciter la douleur.
Pc fes fauffes bontés j'ai connu la contrainte.
Un mot même d'Arbatc a confirmé ma crainte ;
II a fu m'abordcr ; & , les larmes aux yeux :
On fait tout , m'a-t-il dit , fauvez-vous de ces lieux ,
Ce mot m'a fait frémir du péril de ma reine j
Et ce cher intérêt eft le feul qui m'amène.
Je vous crains pour vous-même , ôc je viens â genoux
Vous prier , ma princcUè , Se vous fléchir pour vgus.
T(/m« //, I
Ï54 M IT H R I D AT E ,
Vous dépendez ici d'une main violente ,
Que le fang le plus cher rarement épouvante ;
Et je n'oie vous dire à quelle cruauté
Mithridate jaloux s'ell Ibuvent emporté.
Peut-être c'eft moi feul que fa fureur menace.
Peut-être , en me perdant , il veut vous faire grâce.
Daignez, au nom des dieux, daignez en profiter.
Par de nouveaux refus n'allez point l'irriter.
Moins vous l'aimez , &: plus tâchez de lui complaire.
Feignez. Eftbrcez-vous. Songez qu'il eft mon père.
Vivez ; & permettez que , dans tous mes malheurs ,
Je puiflè à votre amour ne coûter que des pleurs,
M G N I M E.
Ah , je vous ai perdu I
X I P H A R É s.
Génércufe Monîmc,
Ne vous imputez point le malheur qui m'opprime.
Votre feule bonté n'eft point ce qui me nuit ,
Je fuis un malheureux que Je deftin pourfuit.
C'ell lui qui m'a ravi l'amitié de mon père ,
Qui le fit mon rival , qui révolta ma mère ;
Et vient de fufciter , dans ce moment affreux ,
Un fecret ennemi pour nous trahir tous deux.
M O N I M E.
Hé quoi ? Cet ennemi vous l'ignorez encore î
X I P H A R É s.
Pour furcroît de douleur, Madame, je l'ignore.
Heureux , fi je pouvois, avant que m'immoler ,
Percer le traître cœur qui m'a pu déceler.
M o N I M E.
Hé bien , Seigneur , il faut vous le faire connaîtrevj
Ne cherchez point ailleurs cet ennemi , ce traître
Frappez. Aucun refped ne vous doit retenir.
J'ai tout fait j & c'ell moi que vous devez punir.
X I P rt A R É s.
Vous l
TRAGÉDIE. i,j
M O N I M E.
Ah , fi vous faviez , prince , avec quelle adiefTe
Le cruel cil venu furprendre ma tendrelle I
Quelle amicié fincère il aRettoit pour vous I
Conreni , s'il vous voyoit devenir mon époux.
Qui n'auroit cru ? ... Mais, non, mon amour plus cimida
Devoir moins vous livrer à ia bonté perfide.
Les dieux qui m'infpiroienc , 6c que f ai mal fuivis ,
M'ont fait taire trois fois par de fecrets avis.
J'ai du continuer. J'ai dû dans tout le refte . . .
Que fais-je enfin î J'ai dû vous être moins funefte.
J'ai dû craindre du roi les dons empoifonnés ,
Et ;e m'en punirai , li vous me pardonnez,
KiPHAILÉS.
Quoi, Mada»ie ? C'cft vous, c'eft l'amour qui ra'expofe î
Mon malheur eft parti d'une li belle caufe î
Trop d'amour a trahi nos fecrets amoureux ?
Et vous vous excufez de m'avoir fait heureux î
Que voudrois-je de plus ? Glorieux & fidèle ,
Je meurs. Un autre fort au trône vous appelle :
Confcntez-y , Madame ; & , fans plus rélifter.
Achevez un hymen qui vous y fait monter.
M o N I M E.
Quoi, vous me demandez que j'époufe un barbare.
Dont l'odieux amour pour jamais nous fépare î
X I P H A R É s.
Songez que , ce matin , foumife à fes fouhaits ,
Vous deviez l'épcufer , & ne me voir jamais,
M G N I M E.
connoiflbis-je alors toute fa barbarie ?
Ne voudriez-vous point, qu'approuvant fa furie,
Apres vous avoir vu tout percé de fes coups,
Je fuivilfe à l'autel un tyranni^ue époux ;
Et que , dans une main de votie fang fumante,
J'aliâfl'e mettre , hélas , la main de votre amante I
Allez : de Cc% fureurs fongez à vous garder ,
Sans perdre ici le temps à me pcrfuader.
19^ MITHRIDATE,
Le Ciel m'infpireia quel parci je dois prendre.
Que leroit-ce, grands Dieux, s'il vcnoic vous furprendrcî
Que dis-je ? On vient. Allez. Courez. Vivez enfin j
Et du moins attendez quel fera mon deftin.
SCENE III.
MONIME, PHŒDIME,
P H Œ D 1 M E.
M
AD AME, à quels périls il expofoit fa vie ï
C'efl le roi.
M O N I M E. ^
Cours l'aider à cacher fa fortîe.
Va , ne le quitte point ; & qu'il fe garde bien
D'ordonner de fou fort , fans être inftruit du mien.
SCENE IV.
MITHRIDATE, MONIME.
MiTHRIDATE.
J\ LLONS , Madame , allons. Une raifon fecrett« à
Me fait quitter ces lieux , & hâter ma retraite.
Tandis que mes foldats , prêts à fuivre leur roi ,
Rentrent dans mes vaifleaux pour partir avec moi.
Venez, & qu'à l'autel , ma promeiîè accomplie ,
Par des noeuds éternels l'un à l'autre nous lie.
M o N I M E.
Nous , Seigneur î
M I T H R I D A T E.
Quoi, Madame, ofez-vous balancer J
M o N I M £.
Eç ne m'avez-vous pas dcfendu d'y penfer ?
TRAGÉDIE. 157
MiTHRiDATE.
J'eus mes raifons alors. Oublions-ks, Madame.
Ne longez maintenant qu'à répondre à ma flamme.
Songez que votre cœur eft un bien qui m'efl dû.
M G N I M E.
Hé , pourquoi donc , Seigneur , me l'avez-vous rendu ?
MiTHRiDATE.
Quoi , pour un fils ingrat toujours préoccupée ,
Vous croiriez ? . . .
M O N I M E.
Quoi , Seigneur , vous m'auriez donc trompée ?
MlTHRIDATE.
Perfide, il vous fied bien de tenir ce difcours ,
Vous, qui gardant au cœur d'infidèles amours ,
Quand je vous élevois au comble de la gloire,
M'avez des trahifons préparé la plus noire.
Ne vous fouvient-il plus , cœur ingrat &: fans foi.
Plus que tous les Romains conjuré contre moi ,
De quel rang glorieux j'ai bien voulu defcendre ,
Pour vous porter au trône, où vous n'ofiez prétendre ?
Ne me regardez point vaincu , perfécuté.
Revoyez-moi vainqueur, & par-tout redouté.
Songez de quelle ardeur dans Ephèfe adorée.
Aux filles de cent rois je vous ai préférée j
Et négligeant pour vous tant d'heureux alliés ,
Quelle foule d'états je mettois à vos pieds.
Ah ! Si d'un autre amour le penchant invincible
Dès-lors à mes bontés vous rendoit infenfible »
Pourquoi chercher fi loin un odieux époux î
Avant que de partir, pourquoi vous taifiez-vous?
Atrendiez-vous, pour faire un aveu fi funefte »
Que le fort ennemi m'eût ravi tout le refte ;
Et que, de toutes parts me voyant accabler,
J'eulle en vous le feul bien qui me pût confoler î
Cependant , quand je veux oublier cet outrage.
Et cacher à mon cœur cette funefte image ,
Vous ofcz à mes yeux rappellcr le pafré ;
Vous m'accufez encor, quand je fuis offcnCé,
lii)
15)8 MITHRIDATE,
Je vois que pour un traître un fol efpoir vous flatte.
A quelle épreuve , ô Ciel, réduis-tu Mirhridate ?
Par quel charme fecret lailFai-je retenir
Ce couroux {i févère , & fi prompt à punir ?
Profitez du moment que mon amour vous donne.
Pour la dernière fois, venez, je vous l'ordonne.
N'attirez point fur vous des périls fuperflus ,
Pour un fils infolent que vous ne verrez plus.
Sans vous parer pour lui d'une foi qui m'eft due ,
Perdez-en la mémoire , aufll-bien que la vue j
Et déformais , fenfible à ma feule bonté ,
Méritez le pardon qui vous elt préfenté.
M G N I M E.
Je n'ai point oublié quelle reconnoi/Tance,
Seigneur, m'a dû ranger fous votre obéiflance.
Quelque rang où jadis foient montés iiaes aycux ,
Leur gloire de fi loin n'éblouit point mes yeux.
Je fonge avec refpeû de combien je fuis née
Au-delfous des grandeurs d'un fi noble hymenée :
Et, malgré mon penchant & mes premiers defleins
Pour un fils , après vous , le plus grand des humains ',
Du jour que fur mon front on mit ce diadème ,
Je renonçai , Seigneur , à ce prince , à moi-même.
Tous deux d'intelligence à nous facrifier ,
Loin de moi , par mon ordre , il couroit m'oublier.
Dans l'ombre du fecret ce feu s'alloit éteindre ;
Et même de mon fort je ne pouvois me plaindre ,
Puifqu'enfin, aux dépends de mes vœux les plus doux,
Je faifois le bonheur d'un héros tel que vous.
Vous feu]. Seigneur, vous fcul, vous m'avez arrachée
A cette obéiflance , où j'étois attachée ;
Et ce fatal amour dont j'avois triomphé ,
Ce feu que , dans l'oubli, je croyois étouffé.
Dont la caufe à. jamais s'éloignoit de ma vue ,
Vos détours l'ont furpris , & m'en ont convaincue.
Je vous l'ai confefFé , je le dois foutenir.
En vain vous en pourriez perdre le fouvcnir j
TRAGÉDIE.. ï$9
Et cet aveu honteux , où vous m'avez forcée ,
Demeurera toujours préfent à ma penfée.
Toujours je vous croirois incertain de ma foi.
Et le tombeau, Seigneur, eft moins trille pour moi.
Que le lit d'un époux , qui m'a fait cet outrage ,
Qui s'eft acquis fur moi ce cruel avantage ;
Et qui , me préparant un éternel ennui ,
M'a fait rougir d'un feu , qui n'étoit pas pour lui.
MiTHRIDATE.
C'eft donc votre réponfe. Et, fans plus me complaire,
Vous refufez l'honneur que je voulois vous faire ?
Penfez-y bien. J'attends pour me déterminer.
M O N I M E.
Non , Seigneur , vainem.ent vous croyez m'étonncr.
Je vous connois. Je fais tout ce que je m'apprête ;
Et je vois quels malheurs j'aflemble fur ma tête.
Mais le deflein eft pris. Rien ne peut m'ébranler.
Jugez-en , puifqu'ainfi je vous ofe parler j
Et m'emporte au dc-là de cette modeftie ,
Dont , jufqu'à ce moment , je n'étois point fortîc.
Vous vous êtes fervi de ma funefte main ,
Pour mettre à votre fils un poignard dans le fein.
De fis feux innoccns j'ai trahi le myftère j
Et quand il n'en perdroit que l'amour de fon père.
Il en mourra, Seigneur. Ma foi , ni mon amour
Ne feront point le prix d'un fi cruel détour.
Après cela jugez. Perdez une rebelle.
Armez-vous du pouvoir qu'on vous donna fur elle.
J'attendrai mon arrêt , vous pouvez commander.
Tout ce qu'en vous quittant j'ofe vous demander.
Croyez ( à la vertu je dois cette juftice )
Que je vous trahis feule, & n'ai point de complice;
Et que , d'un plein fuccès , vos voeux feroient fuivis,
Si j'en croyois, Seigneur, les vœux de voue fils.
lîy
M IT H R I D AT E
SCENE V.
MITHRIDATE fcul,
xl LLE me quitte î Et moi , dans un lâche filence.
Je femble de fa fuite approuver l'infolence î
Peu s'en fauc que, mon cœur penchant de fon coté ,
Ne me condamne encor de trop de cruauté î
Qui fuis-je ? Eft-ce Monime î Et fuis-je Mithridate ?
Non, non, plus de pardon, plus d'amour pour l'ingrate.
Ma colère revient, & je me reconnois.
Immolons , en partant , trois ingrats à la fois.
Je vais à Rome ; &: c'eft par de tels facrifices
Qu'il faut à ma fureur rendre les dieux propices.
Je le dois , je le puis , ils n'ont plus de fupport.
Les plus féditieux font déjà loin du bord.
Sans dift nguer entre eux qui je hais, ou qui j'aime ,
Allons , & commençons par Xipharès lui-même.
Mais quelle eft ma fureur ? Et qu'ell-ce que je dis ?
Tu vas facrifier : qui , malheureux ? Ton fils 1
Un fils que Rome craint ? Qui peut venger fon père ?
Pourquoi répandre un fang qui ra'eft lî nécelTaire î
Ah , dans l'état funefte où ma chute m'a mis ,
Eft-ce que mon malheur m'a laifle trop d'amis ?
Songeons plutôt, fongcons à gagner fa tendrefle.
J'ai befoin d'un vengeur , & non d'une maîtreflè.
Quoi, ne vaut-il pas mieux, puifqu'il faut m'en priver,
La céder à ce fils que je veux conferver î
Cédcns-la. Vains efforts , qui ne font que m'inftruire
Des foiblefTes d'un cœur qui cherche à fe féduire I
Je brûle , je l'adore 5 & , loin de la bannir . . .
Ah, c'eft un crime encor dont je la veux punir ;
Mon amour trop long-temps tient ma gloire captive.
Qu'elle périiïe feule , & que mon fils me fuive.
Un peu de fermeté , puniflant fes refus ,
Me va mettre en état de ne la craindre plus.
TRAGÉDIE. ior
Quelle pitié retient mes fcntimens timides ?
N'en ai-je pas déjà puni de moins perfides ?
O Monime ! O mon fils ! Inutile courroux î
Et vous, heureux Romains, quel triomphe pour vous.
Si vous faviez ma honte , &: qu'un avis fidèle
De mes lâches combats vous portât la nouvelle !
Quoi ? Des plus chères mains craignant les trahifons ,
J'ai pris foin de m'armer contre tous les poifons. ♦
J'ai fa , par une longue & pénible induftrie ,
Des plus mortels venins prévenir la furie.
Ah, qu'il eût mieux valu , plus fage èc plus heureuj: ,
Et repouflant les traits d'un amour dangereux.
Ne pas laifler remplir d'ardeurs erapoifonnées ,
Un coeur déjà glacé par le froid des années I
De ce trouble fatal par où dois-je fortir î
SCENE V L
' I I T H R I D A T E , A_R BATE.
A R B A T E.
^ EiGNEUR. , tous vos foldats ne veulent plus partir ?
Pharnace les retient , Pharnace leur révèle
Que vous cherchez à Rome une guerre nouvelle,
MlTHRIDATE.
Pharnace >
A R. B A T E.
Il a féduit fes gardes les premiers i
Et le fcul nom de Rome étonne les plus fiers.
De mille affreux- périls ils fe forment l'image.
Les uns avec tranfport embraflènt le rivage ;
Les autres , qui partoient, s'élancent dans les floty»
Ou préfentcnt leurs dards aux yeux des matelots.
Le défordre eft par-tout 5 &, loin de nous entendre.
Ils demandent la paix , ôc parlent de fe rendre»
Iv
lox MITHRIDATE,
Pharnace eft à leur tcte ; &c, flatrant leurs fouhaîts.
De la part des Roiiiains il leur promet la paix.
MiTHRIDATE.
Ah , le traître 1 Courez. Qu'on appelle fon frère ;
Qu'il me fuive, qu'il vienne au fecours de Ion père.
A R B A T E,
J'ignore fon deffein. Mais un foudain tranfport
Ua. déjà fait defcendre , & courir vers le port j
Et l'on dit que , fuivi d'un gros d'amis fideies ,
On Ta vu fe mêler au milieu des rebelles.
C'eft tout ce que j'en fais.
MiTHRIDATE.
Ah , qu'eft-ce que j'entends î
Perfides , ma vengeance a tardé trop long-temps.
Mais je ne vous crains point. Malgré leur infolcnce.
Les mutins n'oferoient foutenir mapréfence.
Je ne veux que les voir 5 je ne veux qu'à leurs yeux
Immoler de ma main deux fils audacieux.
SCENE VIL
MITHRIDATE,ARBATE,ARCAS.
A R C A s.
S
EiGNEUR, tout eft perdu. Les rebelles, Pharnace,
Les Romains font en foule autour de cette place.
MiTHRIDATE.
hes Romains I
A R c A s.
De Romains le rivage eft chargé ,
Et bien-tôt dans ces murs vous êtes alfiégé.
MiTHRiDATE.
{ â Arcas. )
Ciel , courons I Ecoutez. Du malheur qui me prefic ,
Tu ne jouiras pas , infidelle princeftè.
Fin iu quatrième ASie.
TRAGÉDIE. 205
XKXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX
A C T E V.
SCENE PREMIERE.
MONIME, PHCKDIME.
P H <E D I M E.
iVl ADAME, OÙ courez-vous ? Quels aveugles tranfports
Vous font tenter fur vous de criminels eftbrts î
Hé quoi, vous avez pu, trop cruelle à vous-même.
Faire un affreux lien d'un facré diadème ?
Ah , ne voyez-vous pas , que les dieux plus humains
Ont eux-mêmes rompu ce bandeau dans vos mains I
M G N I M E.
Hé , par quelle fureur , obftinée à me fuivrc,
Toi-même , malgré moi, veux-tu me faire vivre ?
Xipharès ne vit plus. Le roi défcfpéré
Lui-même n'attend plus qu'un trépas afluré.
Quel fruit te promets-tu de ta coupable audace î
Perfide , prétends-tu me livrer à Pharnace î
P H Œ D I M E.
I , du moins attendez qu'un fidèle rapport ,
De fon malheureux frère ait confirme la mort.
Dans la confufion que nous venons d'entendre.
Les yeux peuvent-ils pas aifément fe méprendre?
D'abord, vouslefavez, un bruit injurieux
Le rangcoit du parti d'un camp féditieux ;
Maintenant on vous dit que ces mêmes rebelles
Ont tourna contre lui leurs armes criminelles.
Jugez de l'un par l'autre , & daignez écouter ....
M O N I M E.
Xîpharcs ne vît plus , il n'en faut point douter.
L'événement n'a point démenti mon attente.
Quand je n'en aurois pas la nouvelle fanglante ,
Ivj
io4 M I T H R I D AT E,
Il cft mort ; &: j'en ai , pour garants trop certains ,
Son courage & fon nom trop fufpeds aux Romains,
Ah , que d'un Ci beau lang , dès long-temps altérée ,
Rome tient maintenant fa vidtoire alFurée î
Quel ennemi fon bras leur alioit oppofer !
Mais fur qui , malheureufe , cfes-tu t'excufer ?
Quoi, tu ne veux pas voir que c'eft toi qui Topprimes,
Et dans tous fcs malh;;urs reconnoître tes crimes î
De combien d'afTaffins l'avois-je enveloppé ?
Comment à tant de coups feroit-il échappé î
Il évitoit en vain les Romains & fon frère ;
Ne le livrois-je pas aux fureurs de fon père ?
C'eft moi , qui , les rendant l'un de l'autre jaloux ,
Vins allumer le feu qui les embrafe tous 5
Tifon de la difcorde, & fatale furie,
Que le démon de Rome a formée & nourrie.
Et je vis ? Et j'attends que de leur fang baigné
Pharnace des Romains revienne accompagné î
Qu'il étale à mes yeux fa parricide joie ?
La mort au défefpoir ouvre plus d'une voie.
Oui , cruelles , en vain vos injuftes fccours
Me ferment du tombeau les chemins les plus courts.
Je trouverai la mort jufques dans vos bras même.
Et toi, fatal tiflu , malheureux diadème,
Inftrument & témoin de toutes mes douleurs ;
Bandeau que , mille fois, j'ai trempé de mes pleurs,
Au moins , en terminant ma vie &: mon fupplicc ,
Ne pouvois-tu me rendre un funefte fervicc }
A mes triftes regards , va , cefTe de t'offrit ,
D'autres armes ^ fans toi , fauront me fecourir ;
Et périfle le jour, & la main meurtrière
Qui jadis fur mon front t'attacha la première.
P H Œ D I M E.
On vient. Madame , on vient ; & j'cfpére qu'Arcas,
Pour bannir vos frayeurs , pone vers vous fes pas.
TRAGÉDIE. 2oy
SCENE IL
MONIME, PHŒDIME, ARCAS.
M O N I M E.
JlL n eft-ce fait, Arcas, &z le cruel Pharnace?
A R c A s.
Ne me demandez rien de tout ce qui Ce paflè ,
Madame. On m'a chargé d'un plus funefte emploi ,
Et ce poifon vous dit les volontés du roi,
P H Œ D I M E.
Malheureufe princcfie !
M o N I M E.
Ah, quel comble de joie ?
Donnez. Dites , Arcas , au roi qui me l'envoie ,
Que de tous ies préfens que m'a faits fa bonté ,
Je reçois le plus cher & le plus fouhaité.
A la fin je rcfpire ; & le Ciel me délivre
Des fecours importuns qui me forçoient de vivre.
MaicrefTe de moi-même , il veut bien qu'une fois
uiflè de mon fort difpofer à mon choix.
P H <K D I M E.
Hélas >
M o N I M E.
Retiens tes cris , & , par d'indignes larmes ,
De cet heureux moment ne trouble point les charmes.
Si tu m'aimois, Phoedime, il falloit me plflircr.
Quand d'un titre funefte on me vint honorer ;
Et lorfque , m'arrachant du doux fein de la Grèce ,
Dans ce climat barbare on traîna ta maîtreffe.
Retourne maintenant chez ces peuples heureux;
Et , ù mon nom cncor s'eft confcrvé chez eux.
Dis-leur ce que tu vois , & de toute ma gloire ,
Phœdime , conte-leur la malheureufe hiiloire ,
205 MITHRIDATE,
Et toi, qui de ce cœur, dont tu fus adoré,"
Par un jaloux dcftin fut toujours féparé ,
Héros, avec qui même, en terminant ma vie
Je n'ofe en un tombeau demander d'être unie
Reçois ce facrifice , & puiiîe , en ce moment ,
Ce poifon expier le fang de mon amant.
SCENE I I I.
MONIME , ARBATE , PHCSDIME , ARC AS.
A R B A T E.
RRETEz, arrêtez.
A
A K C A s.
Que faites-vous , Arbate ?
A R B A T E.
Arrêtez. J'accomplis l'ordre de Mithridate.
M o N I M E.
Ah , laiflèz-moi ....
ARBATE jettant le poîfon.
Celiez, vousdis-je, & laiflèz-moî
Madame , exécuter ks volontés du roi.
Vivez } Se vous, Arcas , du fuccès de mon zèle
Courez à Mithridate apprendre la nouvelle.
SCENE IV.
MONIME, ARBATE, PHCSDIME.
M o N I M E.
Ah
trop cruel Arbate , à quoi ra'expofez-vous
Eft-ce qu'on croit encor mon fupplice trop doux î
Et le roi , m'enviant une mort fi foudaine ,
Veut-il plus d'un trépas pour contenter fa haine î
TRAGÉDIE. ao7
A R B A T E.
"> uus l'allez voir paroître, ôc j'ofe m'afTuier
Que vous-mcme , avec moi , vous allez le pleurer.
M O N I M E.
Quoi , le roi I . . .
A R B A T E.
Le roi touche d fon heure dernière ,
Madame , & ne voit plus qu'un relia de lumière.
Je l'ai laifTé fanglant, porté par des foldats ,
Et Xipharès en pleurs accompagne leurs pas.
M O N I M E.
Xipharès ? Ah , grands Dieux I Je doute fi je veille ,
Et n'ofe qu'en tremblant en croire mon oreille ,
Xipharès vit encor ? Xipharès que mes pleurs . . .
A R B A T E.
Il vit, chargé de gloire , accablé de douleur?.
De fa mort en ces lieux la nouvelle feméc
Ne vous a pas vous feule &: fans caufc allarméc.
Les Romains , qui par-tout l'appuyoient jar des cris.
Ont par ce bruit fatal glacé tous hs efprits.
Le roi, trompé lui-même, en a verfé des larmes.
Et déformais certain du malheur de fes armes.
Par un rebelle fils de toutes parts prelTé ,
Sans efpoir de fecours , tout près d'être forcé ,
Et voyant , pour furcroît de douleur &: de haine
Parmi Ces étendarts porter l'aigle Romaine ,
Il n'a plus afpiré qu'à s'ouvrir des chemins,
Pour éviter l'aiîront de tomber dans leurs mains.
D'abord il a tenté les atteintes mortelles
Des poifons que lui-même a crus les plus fidèles }
Il hs a trouves tous fans force & fans vertu.
Vain fecours , a-t-il dit, que j'ai trop combattu !
Contre tous les poifons foi gneux de me défendre ,
Tai perdu tout le fruit que fen pouvais attendre.
Ejfayons maintenant des fecours plus certains ,
Et cherchons un trépas plus f une jle aux Romains,
Il parle ; & défiant leurs nombreufcs cohortes.
Du palais , à ces mots , il fait ouvrir les porces..
zo8 M ITH R I D AT E ;
A l'afpefk de ce front , dont la noble fureur
Tant de fois , dans leurs rangs, répandit la terreur ,
Vous les eulTicz vus tous , retournant en arrière ,
LailFer entre eux &c nous une large carrière ;
Et déjà quelques-uns couroisnt épouvantés,
Jufques dans les vaiiTeaux qui les ont apportés.
Mais le dirai-je, ô Ciel ! Ralfurés par Pharnace ,
Et la honte en leurs cœurs réveillant leur audace ,
Ils reprennent courage , ils attaquent le roi.
Qu'un relie de foldars défendoit avec moi.
Qui pourroit exprimer par qu.ls faits incroyables ;
Quels coups , accompagnés de regards effroyables.
Son bras , fe lîgnalant pour la dernière fois ,
A de ce grand héros terminé les exploits ^
Enfin , las & couvert de fang & de pouflîère ,
Il s'étoit fait de morts une noble barrière.
Un autre bataillon s'eft avancé vers nous.
Les Romains, pour le joindre, ont fufpendu leurs coup5.
Ils vouloiens tous enfemble accabler Mithridate.
Mais lui : C'en efl ajfei , m'a-t-il dit , cher Arhate ,
Le fang 6* ma fureur m' emportent tro^ avant»
Ne livrons pasjîir-tout Mithrilate vivant.
Auffi-tôt dans Ton fein il plonge fon épée.
Mais la mort fuit encor fa grande ame trompée.
Ce héros dans mes bras eft tombé tout fanglant ,
Foible , & qui s^irritoit contre un trépas ii lent j
Et fe plaignant à moi de ce refte de vie ,
Il foulevoit encor fa main appefantie ,
Et , marquant à mon bras la place de fon cœur ;
Sembloit d'un coup plus fur implorer la faveur.
Tandis que , pofledé de ma douleur extrême ,
Je fongc bien plutôt à me percer moi-même ,
De grands cris ont foudain attiré mes regards.
J'ai vu , qui l'auroit cru ? J'ai vu de toutes parts
Vaincus ôc renverfés les Romains , Se Pharnace ,
Fuyant vers leurs vaifTeaux , abandonner la place '
Et le vainqueur , vers nous s'avançant de plus près ,
A mes yeux éperdus a montré Xipharès,
TRAGÉDIE, to9
M O N I M E.
fufte Ciel !
A R B A T E.
Xipharès , toujours refté fidèle ,
It qu'au fort du combat une troupe rebelle ,
'ar ordre de fon frère , avoit enveloppé ,
vlais qui, d'entre leurs bras à la fin échappé,
■orçant les plus mutins , & regagnant le refte ,
•leurcux & plein de joie en ce moment funefte ,
V travers mille morts , ardent, viûorieuXj
î'étoit fait vers fon père un chemin glorieux.
. 7. de quelle horreur cette joie ell fuivie.
.iras aux pieds du roi l'alloit jetter fans vie.
ai5 on court , on s'oppofc à fon emportement.
jc roi m'a regardé dans ce trifte moment,
ù m'a dit , d'une voix qu'il pouflbit avec peine :
i'il en efi temps encor , cours , (3" fauve la reine.
^es mots m'ont fait trembler pour vous, pour Xipharès.
'ai craint , j'ai foupçonné quelques ordres fecrets.
~out laflé que j'étois, ma frayeur & mon zèle
•l'ont donné, pour courir, une force nouvelle ;
.t , malgré nos malheurs , je me ncns trop heureux
)'avoir paré le coup qui vous perdoit tous deux.
M o N I M E.
vh que - de tant d'horreurs juftement étonnée ,
e plains de ce grand roi la trifle deftinéc !
iclas , &: plût aux dieux, qu'à fon fort inhumain
■loi-même j'cuflè pu ne point prêter la main ;
•t que, fimple témoin du malheur qui l'accable,
c le pulfe pleurer (ans en être coupable !
1 vient. Quel nouveau trouble excite en mes efprits
X fang du père, ô Ciel, & les larmes du fils î
4-
M IT H R I D AT E
SCENE DERNIERE.
MITHRIDATE, MONIME, XlPHARf
ARBATE, ARCAS, Gardes gui foutiennen
Mithridate,
M O N 1 M E.
J\ H que vois-je , Seigneur, & quel fort eft le vôtre
Mithridate.
Cédez , & retenez vos larmes l'un & l'autre.
( montrant Xipharès. )
Mon fort , de fa tendrefle & de votre amitié ;
Veut d'autres fentimens que ceux de la pitié 5
Et ma gloire, plutô: digne d'être admirée ,
Ne doit point par des pleurs être déshonorée.
J'ai vengé l'univers autant que je l'ai pu.
La mort dans ce projet m'a feule interrompu.
Ennemi des Romains & de la tyrannie ,
Je n'ai point de leur joug fubi l'ignominie ;
Et j'ofe me flatter qu'entre les noms fameux ,
Qu'une pareille haine a fîgnalés contre eux ,
Nul ne leur a plus fait acheter la vidoire ,
Ni de jours malheureux plus rempli leur hiftoire.
Le Ciel n'a pas voulu , qu'achevant mon defTein ,
Rome en cendre me vît expirer dans fon fein.
Mais au moins quelque joie en mourant me confole.
J'expire environné d'ennemis que j'immole ;
Dans leur fang odieux j'ai pu tremper mes mains ,
Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.
A mon fils Xipharès je dois cette fortune ;
Il épargne à ma mort leur préfence importune.
Que ne puis- je payer ce fervice important
De tout ce que mon trône eut de plus éclatant ?
Mais vous me tenez lieu d'empire & de couronne ;
Vous feule me reliez. Souffrez que je vous donne ,
TRAGÉDIE. m
iaclame ; & tous ces vœux que j'exigeois de vous ,
ion cœur, pour Xiphaiès, vous les demande tous.
M G N I M E.
''ivez, Seigneur , vivez, pour nous voir l'un Se l'autre
iacrifier toujours notre bonheur au vôtre,
'ivez pour triompher d'un ennemi vaincu ,
*our venger. . .
MiTHRIDATE.
C'en efl fait, Madame, Se j'ai vécu.
•ion fils , fongez à vous. Gaidez-vous de prétendre
iue de tant d'ennemis vous puifTiez vous défendre.
Jicn-tôt tous Its Romains , de leur honte irrités ,
Tiendront ici , fur vous, fondre de tous cotés.
«le perdez point le temps que vous laifle leur fuite ,
i rendre à mon tombeau des foins dont je vous quitte.
Tant de Romains fans vie , en cent lieux difpeifés ,
•uffifent à ma cendre , & l'honorent afiez,
>achez-lcur pour un temps vos noms Se votre vie.
Ulcz, réfervez-vous . . .
X 1 V H A K É s.
Moi, Seigneur, que je fuie î
^ue Pharnacc impuni , les Romains triomphans
■^'éprouvent pas bien-tôt . . .
MiTHRIDATE.
Non, je vous le défends.
rôt ou tard il faudra que Pharnace périfle ;
riez-vous aux Romains du foin de fon fupplice.
Mais je fens aftoiblir ma force Se mes efprits,
'efens que je me meurs. Approchez-vous , mon fils.
Oans cet embraflement , dont la douceur me flatte ,
/cncz, & recevez l'ame de Mithridate.
M o N I M E.
îl expire.
X I P H A R É s.
Ah, Madame, uniiïbns nos douceurs ,
^t par tout l'univers cherchons-lui des vengeurs.
FIN,
IPHIGENIE,
TRAGEDIE.
PREFACE.
[ L n'y a rien de plus célèbre dans les Poètes, que le
"acrifice d'Iphigcnie. Mais ils ne s'accordent pas tous en-
cmbJc fur les plus importantes particularités de ce fa-
irifîce. Les uns, comme Efchyle dans Agamemnon, Se»
>hoclc dans Eledra ; & après eux, Lucrèce, Horace,
jc beaucoup d'autres , veulent qu'on ait, en effet , ré-
pandu le fang d'Iphigénie , fille d'Agamemnon , &
ju'clle foit morte en Aulide. Il ne faut que lire Lucrèce
!U commencement de fon premier livre :
Auliie quo pa6îo Trîviaï vîrgînîs aram
Iphianajfaï twparuntfanguinefœiè
Ducîores Danaûrriy (^c.
"t Clytcmncftre dit dans Efchyle, qu'Agamemnon fon
Tiari , qui vient d'expirer , rencontrera dans les enfers
énic fa fille qu'il a autrefois immolée.
^'autres ont feint que Diane ayant eu pitié de cette
«ine princeflc , l'avoir enlevée & portée dans la Tau-
. au moment qu'on l'alloit facrifier ; 8c que la
iè avoit fait trouver en fa place , ou une biche , ou
,.utrc viûimc de cette nature. Euripide a fuivi cette
, & Ovide l'a mife au nombre des Métamor-
y a une tioifième opinion, qui n'efl pas moins an-
eqiîc les deux autres, fur Iphigénie. Plufîeurs Au-
PRÉFACE.
tcurs , & entr' autres Stefichorus , l'un des plus fanicu
& des plus anciens Poètes lyriques, ont écrit qu'
étoit bien vrai qu'une princell'e de ce nom avoit été fa
crifiée , mais que cette Iphigénie étoit une fille qu'Hc
lènc avoit eue de Thélee. Hélène , difent ces auteurs
ne l'avoit ofé avouer pour fa fille , parce qu'elle n'ofo
déclarer à Ménélas qu'elle eût été mariée en fecr<
avec Théfée. Paufanias * rapporte & le témoignage i.
les noms des Poètes qui ont été de ce fentiment ; &
ajoute que c'ctoit la créance commune de tout le pa}
d'Argos.
Homère enfin ^ le père des Poètes, a fi peu prétend
qu'Iphigénie , fille d'Agamemnon , eût été ou facrifit
en Aulide, ou tranfportée dans la Scytliie, que dans
neuvième livre deriliiade, c'eft-à-dire , près de di
ans depuis l'arrivée des Grecs devant Troie -, Aga
mcmnon fait of&ir en mariage à Achille, fa fille Iph:
génie , qu'il a, dit-il , laiflee à Mycène dans fa maifoi
J'ai rapporté tous ces avis fi différents , & fur-rout
paflage de Paufanias , parce que c'eft à cet auteur qi
je dois l'heureux pcrfonnage d'Eriphile, fans lequel
n'aurois jamais ofé entreprendre cette Tragédie. Quel
apparence que j'eufiè fouillé la fcène par le meurti
horrible d'uiie perfonne auffi vertucufe & aufli aimab.
qu'il falloir repréfenter Iphigénie î Et quelle appt
lence encore de dénouer ma tragédie par le fecou
d'une Déefle & d'une machine , & par une métamoi
phofe qui pouvoit bien trouver quelque créance <^
* Corinth.p, 115.
PRÉFACE.
temps d*Eunpiclej mais qui feroit trop abfutde Se trop
incroyable parmi nous ?
Je puis dire donc que j'ai été très- heureux de trou-
ver dans les anciens cette autre Iphigénie, que j'ai pa
répréfenter telle qu'il m'a plu, &; qui , tombant dans le
malheur où cette amante jaloufe vouloir précipiter la
rivale , mérite en quelque façon d'être punie , fans être
pourtant tout-à-fait indigne de compafîion. Ainfî le
dénouement de la pièce eft tiré du fond même de la
pièce. Et il ne faut que l'avoir vue repréfenter, pour
comprendre quel plaifîr j'ai fait au fpeûatcur, Se en
fauvant à la fin une princefle vertucufe pour qui il s'eft
fi fort intérefle dans le cours de la tragédie , & en la
fauvant par une autre voie que par un miracle , qu'il
n'auroit pu fouffrir, parce qu'il ne le fau r oit jamais
croire.
Le voyage d'Achille à X-cfbos , dont ce héros Ce
rend maître , & d'où il enlève Eriphile avant que de
venir en Aulide , n'eft pas non p!us fans fondement.
Euphorion de Chalcide , Poète trcs-connu parmi les
anciens , &c dont Virgile * Se Quintilicn font une men-
tion honorable , parloit de ce voyage de Lefbos. Il di-
foit dans un de fes poèmes , au rapport de Parthenius,
qu'Achille avoic fait la conquête de cette ille avant
que de joindre l'armée des Grecs, Se qu'il y avoic
ncmc trouvé une princefle qui s'étoit éprife d'amour
30ur lui.
Voilà les principales chofes, en quoi je me fuis un
♦ Eglog. lo. Injlit. l. 10.
Tome IL ^
PRÉ FACE.
peu cloigné de l'économie & de la fable d'Euripuie,
Pour ce qui regarde les paflîons , je me fuis attaché à
U Cuivre plus exa£lement. J'avoue que je lui dois ua
bon nombre des endroits qui ont été le plus approu-
vés dans ma tragédie. Et je l'avoue d'autant plus vo-
lontiers , que ces approbations m'ont confirmé dans
l'ellime ôc dans la vénération que j'ai toujours eue pour
les ouvrages qui nous relient de l'antiquité. J'ai re-
connu avec plaifîr , par l'eiïèc qu'a produit fur notre
théâtre tout ce que j'ai imité ou d'Homère ou d'Eu-
ripide , que le bon fens Se la raifon étoient les mêmes
dans tous les fiècles. Le goût de Paris s'eft trouvé con-
forme à celui d'Athènes. Mes fpedateurs ont été émus
des mêmes chofes qui ont mis autrefois en larmes le
plus favant peuple de la Grèce , Se qui ont fait dire
qu'entre les Poètes, Euripide étoit extrêmement tra-
gique , Tpay<)c«T«T6î , c'cft à dire , qu'il favoit mer-
veilleufcment exciter la compaflîon Se la terreur, qui
font les véritables effets de la tragédie.
Je m'étonne , après cela , que des modernes ayent
témoigné depuis peu tant de dégoût pour ce grand
Poète dans le jugement qu'ils ont fait de fon Alcefte. Il
ne s'agit point ici de l' Alcefte 5 mais , en vérité , j'ai
trop d'obligation à Euripide, pour ne pas prendre
quelque foin de fa mémoire , & pour laifler échapper
l'occalion de le réconcilier avec ces Mefficurs. Je m'af-
fure qu'il n'efl: fi mal dans leur efprit , que parce qu'il?
n'ont pas bien lu 'l'ouvrage fur lequel ils l'ont con-
damné. J'ai choill la plus importante de leurs objec
PRÉFACE.
lions, pour leur montrer que j'ai raifon de parler ainfi.
Je dis laplus importante de leurs objections iczt ils la ré-
pètent à chaque page , & ils ne foupçonnent pas feule-
ment que l'on y puifTe répliquer.
Il y a dans l'Alcefte d'Euripide une fcène merveil-
leufe , où Alcefte qui fe meurt, Se qui ne peut plus Ce
foutenir , dit à fon mari les derniers adieux. Admète ,
tout en larmes , la prie de reprendre Ces forces , & de
ne fe point abandonner elle-même. Alcefte, qui a l'i-
mage de la mort devant les yeux , lui parle ainll ;
Je vois déjà la rame & la barque fatale ,
J'entends le vieux Nocher fur la rive infernale.
Impatient il crie : on t'attend ici bas ,
Tout efiprêty defcends , viens ^ ne me retardes pas,
J'aurois fouhaité de pouvoir exprimer dans ces vers
les grâces qu'ils ont dans l'original. Mais au moins en
voilà le fcns. Voici comme ces Meflieurs les ont enten-
dus. Il leur eft tombé entre les mains une malheureufc
Sdition d'Euripide, où l'Imprimeur a oublié de mettre
dans le latin à côté de ces vers un AL qui fignific que
:*cft Alcsfte qui parle j & à côté des vers fuivans un
4i. qui fignific que c*cft Admète qui répond. JÀ defTus
l leur eft venu dans l'efprit la plus étrange penfée du
nonde. Ils ont mis dans la bouche d'Admète les pa-
oles qu'Alcefte dit à Admète , & celles qu'elle fe fait
lite par Caron. Ainfî ils fuppofent qu'Admctc, quoi-
[U*il foit en parfaite fanté , penfe voir déjà Caron qui le
îent prendre. Et au lieu que dans ce paiïagc d'Euripide.
PRÉFACE.
Caron impatient prefTe Alceftc de le venir trouver, fé-
lon ces MeflTieurs, c'efl Admètc effrayé qui cft l'impa-
tient, &: qui prelle Alceftc d'expirer de peur que Caron
ne le prenne. Il r exhorte j ce font leurs termes, à avoir
courage, due pas faire une lâcheté, 6* à mourir de bonne
grâce ;il interrompt les adieux d'AlceJle pour lui dire de
Ji dépêcher de mourir. Peu s'en fautj à les entendre ,
qu'il ne la fafle mourir lui-même. Ce fentiment leur a
paru /orc vilain. Et ils ont raifon. Il n'y a perfonne qui
n'en fût très-fcandalifé. Mais comment i'ont-ils pu at-
tribuer à Euripide î En vérité , quand toutes les autres
Editions où cet Al. n'a point été oublié , ne donne-
roient pas un démenti au malheureux Imprimeur qui
les a trompés , la fuite de ces quatre vers , & tous les
difcours qu'Admètc tient dans la même fccnc, étoienc
plus que futFifans pour les empêcher de tomber dans
une erreur Ci déraifonnable. Car Admète , bien éloigné
de preflèr A.lcefte de mourir , s'écrie 33 que toutes les
« mofts enfemble lui feroient moins cruelles , que de
M la voir dans l'état où il la voit. Il la conjure de l'cn-
>3 traîner avec elle. Il ne peut plus vivre fï elle meurt,
jj II vit en elle. Il ne refpire que pour elle. 33
Ils ne font pas plus heureux dans les autres objec-
tions. Ils difent, par exemple, qu'Euripide a fait deux
époux furannés d'Admète & d'Alcefte ; que l'un eft un
vieux mari y & l'autre une princejfe déjajîir Vdge. Eu-
ripide a pris foin de leur répondre en unfeul vers, où il
fait dire par le choeur , qu'Alcefte toute jeune &c dans
la première fleur de fon âge\ expire pour fon jejinc
époux.
PRÉFACE,
Ib reprochent encore à Alcefte qu'elle a deux
grands enfans à marier. Comment n'ont-ils point lu le
contraire en cent endroits , & fur-tout dans ce beau ré-
cic, où l'on dépeint Alcefte mourante au milieu de fss
deux petits enfans qui la tirent en pleurant par larobe^
& qu'elle prend fur fes bras l'un après l'autre pour les
baifer ?
Tout le refte de leurs critiques eft à-peu-près de la
force de celles-ci. Mais je crois qu'en voilà aflèz pour
la défenfe de mon auteur. Je confeille à ces Meflieurs
de ne plus décider û légèrement fur les ouvrages des
anciens. Un homme tel qu'Euripide méritoit au moins
qu'ils l'examinaflent , puifqu'ils avoient envie de le
cojidamner. Ils dévoient fe fouvenir de ces fages pa-
roles de Quintilien : 3d II faut être extrêmement cir-
« confpeû & tr^s-retenu à prononcer fur les ouvrages
33 de ces grands hommes , de peur qu'il ne nous ar-
55 rive, comme àplufieurs, de condamner ce que nous
3-i n'entendons pas. Et, s'il faut tomber dans quelque
33 excès, encore vaut-il mieux pécher en admirant tout
>î dans leurs écrits , qu'en y blâmant beaucoup de
n chofcs : nModeJlè tamen Cp» circumJpeSlo juiicio de tan-
tii viris pronuntlanium efl , ne y quoi plerifque accîii:,
damnent qux non intdligunt. Acjî necejfe efiînalteram
errare partent , omnïa eorumlegentihus placerGr, qudm
multa iifplicere , maluerim.
Kiij
ACTEURS.
AGAMEMNON.
A C H I L L î:.
ULYSSE.
CLYTEMNESTRE, Femme d'Agamemnon.
IPHIGÉNIE, fille d'Agamemnon.
ERIPHILE, Fille d'Hélène fie de Théfée.
EURYBATE,n
V, Domeftîques d'Agamemnon.
ARCAS, J
/E G I N E , Femme de la fuite de Clytem%e(lrc.
D O R I S , Confidente d'Eriphilc.
GARDES.
La Scène ejl en Aulîde , dans la Tente i*Agamemn:n.
•*■ + + + + + +++++ + + 'h + + -ï-++ + + + 'î- + * + + + + -J-î-+ .^,
.;- +-i--f-î-i' + + + + + -i--i" + + + + -i- + T + -5'-î' + + + + + 4- + -f+ iij.
IPHIGENIE,
TRAGEDIE.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
AGAMEMNON, ARCAS.
Agamemnon.
Vy u I , c'cfl Agamemnon , c'eft tcn roi qui r'éveîlle.
Viens , reconnois la voix qui frappe ton oreille.
A K c A s.
C'eft vous-même , Seigneur ! Quel important befoin
Vous a fait devancer l'aurore de fi loin î
A peine un foible jour vous éclaire & me guide.
Vos yeux feuls Se les miens font ouverts dans l'AuIidc.
Avez-vous, dans les airs> entendu quelque bruit ?
Les vents nous auroient-ils exaucés cette nuit î
Mais tout dort , & l'armée , & les vents, & Neptune.
Agamemnon.
Heureux qui , facisfait de fon humble fortune ,
Libre du joug fupcrbe où je fuis attaché ,
Vit dans l'état obfcur où les dieux l'ont caché I
A R. c A s.
lit depuis quand. Seigneur, tenez- vous ce langage î
Comblé d; tant d'honneurs , par quel fjcrec outrage
K iv
114 I P H I G E N I Ey
Les dieux, à vos défirs toujours fi complaîfans,
Vous font-ils méconnoître 8c haïr leurs préfens ?
Rui , père, époux heureux, fils du puiflant Acrée,
Vous poflédez des Grecs la plus riche contrée.
Du fang de Jupiter iflu de tous côtés ,
L'hymen vous lie encore aux dieux dont vous fortez.
Le jeune Achille enfin, vanté par tant d'oracles ,
Achille , à qui le Ciel promet tant de miracles ,
Recherche votre fille , & d'un hymen fi beau
Veut, dans Troie embrafée , allumer le flambeau.
Quelle gloire, Seigneur, quels triomphes égalent
Les fpedtacles pompeux que ces bords vous étalent ;
Tous CCS mille vailleaux , qui , chargés de vingt rois ,
N'attendent que les vents pour partir Tous vos loix î
Ce long calme , il eft vrai , retarde vos conquêtes.
Ces vents, depuis trois mois, enchaînés fur nos tètes,
D'Ilion , trop long-temps, vous ferment le chemin.
Mais, parmi tant d'honneurs, vous êtes homme enfin.
Tandis que vous vivrez, le fort, qui toujours change.
Ne vous a point promis un bonheur fans mélange.
Bien-rôt . . . Mais quels malheurs, dans ce billet tracés,
Vous arrachent. Seigneur, les pleurs que vous verfcz î
Votre Orellc, au berceau , va-t-il finir fa vie î
Pleurez-vous Clytcmneftre , ou bien Iphigénie ?
Qu'eit-cc qu'on vous écrit ? Daignez m'en avertir.
.-'l G A M E M N O N.
Non , tu ne mourras point, je n'y puis confentir I
A R c A s.
Seigneur . . .
A G A M E M N o N.
Tu vois mon trouble, apprend ce qui le caufc î
Et juge, s'il ell temps, ami , que je repofe.
Tu te fouviens du jour qu'en Aulide affemblés
Nos vailleaux, par les vents, fembloient être appelles.
Nous partions. Et déjà , par mille cris de joie.
Nous menacions , de loin , les rivages de Troie.
Un prodige étonnant fit taire ce tranfport.
Le vent, qui nous flattoit , nous laifla dans le port.
TRAGÉDIE. il;
Il fallut s'ariêcer , Se la. rame inutile
Fatigua vainement une mer immobile.
Ce miracle inoui me fit tourner les yeux
Vers la divinité qu'on adore en ces lieux.
Suivi de Ménélas, de Neftor, & d'Ulyflè,
J'offris fur ùs autels un fecret facrifice.
Quelle fut fa réponfe 1 Et quel devins-je, Arcas,
Quand j'entendis ces mots prononcés par Calchas î
Vous armei contre Troie une puiffance vaine,
Si } dans un facrifice augujîe (:ffolemnel ,
Une fille dufang d^Hélène ,
De Diane , en ces lieux, iVenfanglante V autel.
Four obtenir les vents , que le Ciel vous dénie ,
Sacrifiei Iphigénie.
Arcas.
Votre fille !
Agamemnon.
Surpris , comme tu peux pcnfer,
Je fcntîs dans mon corps , tout mon fang fe glacer.
Je demeurai fans voix , Se n'en repris l'ufagc
Que par mille fanglots qui fe firent paflage.
Je condamnai les dieux ; &, fans plus rien ouir,
Fis vœu, fur leurs autels, de leur défobéir.
Que n'en croyois-je alors ma tendrefle allarméc !
Je voulois fur le champ congédier l'armée.
Ulyflc , en apparence , approuvant mes difcours ,
De ce premier torrent laifla pader le cours.
Mais bien-tôt , rappellant fa cruelle indulhic ,
Il me rcpréfcnta l'honneur Se la patrie ,
Tout ce peuple , ces rois , à mes ordres foumis »
Et l'empire d'Afie à la Grèce promis :
De quel front , immolant tout l'état à ma fille ,
Roi fans gloire , j'irois vieillir dans aia famille.
Moi-même, je l'avoue avec quelque pudeur ,
Charmé de mon pouvoir, & plein dj ma grandeur ,
Ces noms de roi des rois, &: de chef de la Grèce,
Chatouilloient de mon cœur l'orgucilleufc foiblefle.
Kv
tz5 IP H I G E N I E,
Pour comble de malheur, les dieux, toutes les nuits,
Des cju'un léger fommeil furpcndoit mes ennuis ,
Vengeant de leurs autels le fanglant privilège ,
Me Ycnoient reprocher ma pitié facrilège ;
Et préfcntant la foudre à mon efprit confus ,
Le bras déjà levé , menaçoient mes refus.
Je me rendis , Arcas ; & vaincu par Ulyfle ,
De ma fille, en pleurant, j'ordonnai le fupplîce.
Mais des bras d'une mère il falloir l'arracher.
Quel funclle artifice il me fallut chercher I
D'Achille , qui l'aimoit , j'empruntai le langage.
J'écrivis en Argos pour hâter ce voyage,
Que ce guerrier, preffé de partir avec nous,
Vouloit revoir ma fille , & partir fon époux.
Arcas.
Et ne craignez-vous point l'impatient Achille î
Avezvous prétendu que, muet & tranquille ,
Ce héros, qu'armera l'amour & la raifon.
Vous laifle pour ce meurtre abuier de fon nom î
Verra-t-il à les yeux fon amante immolée î
Agamemnon.
Achille étoit abfent , & fon père Pelée,
D'un voifîn ennemi redoutant les pfForts,
L'avoir, tu t'en fouviens, rappelle de ces bords J
Et cette guerre, Arcas, félon toute apparence,
Auroit dû plus long-temps prolonger fon abfence.
Mais qui peut dans fa courfe arrêter ce torrent î
Achille va combattre , & triomphe en courant ;
Et ce vainqueur, fuivant de près fa renommée ,
Hier avec la nuit arriva dans l'armée.
Mais àcs nœuds plus puifians me retiennent le bras.
Ma fille , qui s'approche 8c court à fon trépas ,
Qui , loin de foupçonner un arrêt fi févère,
Peut-être s'applaudit des bontés de fon père ;
Ma fille ... Ce nom fcul , dont les droits font Ci faints ,
Sajeunede, mon fang , n'eft pas ce que je plains.
Je plains mille vertus , une amour mutuelle ,
Sa piété pour moi, ma tendrefie pour elle.
T R A Gt D I E, ai7
Un refpcct qu'en fon cœur rien ne peut balancer,
Fc que j'avois promis de mieux réeompenfer.
Non , je ne croirai point, ô Ciel, que ta juilict
Approuve la fureur de ce noir facrihce !
l'es oracles, fans doute, ont voulu m'éprouvcr j
Et tu me punirois fi j'ofois l'achever.
Arcas, je t'ai choifi pour cette confidence,
Tl faut montrer ici ton zèle &: ta prudence.
La reine , qui dans Sparte avoit connu ta foi ,
T'a placé dans le rang que tu tiens près de moi.
Prends cette lettre. Cours au-devant de la reine ,
Et fuis , fans t'arrêter, le chemin de Mycènc.
Dès que tu la verras défends-lui d'avancer ;
Et rends-lui ce billet que je viens de tracer.
Mais ne t'écartc point. Prends un fidèle guide.
Si ma fille une fois met le pied dans l'AuIide ,
I- Ile eft morte. Calchas, qui l'atrend en ces lieux.
Fera taire nos pleurs , fera parler les dieux 5
Et la religion , contre nous irritée,
Par les timides Grecs fera feule écoutée.
Ceux-mêmes dont ma gloire aigrit l'ambition ,'
Réveilleront leur brigue & leur prétention ;
M'arracheront peut être un pouvoir qui les blelTe . . •
Va, dis-je, fauve-la de ma propre foiblefl'e.
Mais fur-tout ne va point , par un zèle indifcret ,
Découvrir à Ces yeux mon funcfte fecret.
Que , s'il fe peut, ma fille, à jamais abufée ,
Ignore à quel péril je l'avois expofée.
D'une mère en fureur épargne-moi hs cris ;
Et que ta voix s'accorde avec ce que j'écris.
Pour renvoyer la fille , & la mcie olFenfée,
Je leur écris qu'Achille a changé de penfée ;
Et qu'il veut déformais, jufques à fon retour,
Diftérer cet hymen que prefToit fon amour.
Ajoute, tu le peux, que des froideurs d'Achille,
On accufe en fecret cette jeune Eriphile ,
Que lui-même captive amena de Lcfbos ,
Ec qu'auprès de ma fille on garde dans Argos,
K vj
tiS I P H ï G E N I Ey
C'efi: leur en dire allez. Le refte, il le faut taire.
Déjà le jour plus grand nous frappe &: nous éclaire.
Déjà même l'on entre , & j'entends quelque bruit.
C'ell Achille. Va, pars. Dieux, Dlyiic le fuit i
SCENE IL
AGAMEMNON, ACHILLE, ULYSSE.
A G A M E M N G N.
\^ uoi , Seigneur, fe peut-il que d'un cours (î rapide
La victoire vous ait ramené dans l'Aulide î
I^'un courage naifTant font-ce là les eflais ? -
Quels triomphes fuivront de fi nobles fuccès !
La ThelTalie entière , ou vaincue ou calmée ,
Lefbos même conquife en attendant l'aimée ,
De toute autre valeur éternels monumens ,
Ne font d'Achille oifif que \cs amufemens.
Achille.
Seigneur, honorez moins une foible conquête.
Et que puifTe bien-tôt le Ciel, qui nous arrête ,
Ouvrir un champ plus noble à ce cœur excité
Par le prix glorieux dont vous l'avez flatté.
Mais cependant , Seigneur, que faut-il que je croie
D'un bruit qui me fuvprend , & me comble de joie ?
Daignez-vous avancer le fuccès de mes vœux ?
Et bien-tôt des mortels fuis-je le plus heureux ?
On dit qu'Iphigénie , en ces lieux amenée,
Doit bien-tôt à fon fort unir ma deftinée.
Agamemnon.
Ma fille ? Qui vous dit qu'on la doit amener î
Achille.
Seigneur, qu'a donc ce bruit qui vous doive étonner ]
TRAGÉDIE. ÎZ5
Agamemnon à Ulyjfe.
Jufte Ciel î Sauroit-il mon tuneftc artifice i
Ulysse.
Seigneur , Agamemnon s'ctonne avec juftîce.
Songez-vous aux malheurs qui nous menacent tous ?
O Ciel ! Pour un hymen, quel temps choifilTez-vous ?
Tandis qu'à nos vailfeaux la mer toujours fermée
Trouble toute la Grèce , & confume l'armée 5
Tandis que , pour fléchir l'inclémence des dieux ,
Il faut du fang peut-être , & du plus précieux ,
Achille feul, Achille à fon amour s'applique ?
Voudioit-il infulter à la crainte publique ?
Et que le chef des Grecs , irritant les deftins ,
Préparât d'un hymen la pompe &: les feftins ?
Ah , Seigneur ? Eft-ce ainlî que votre amc attendrie
Plaint le malheur des Grecs , & chérit la patrie i
Achille,
Dans les champs Phrygiens les effets feront foi ,
Qui la chérit le plus ou d'Ulyfle ou de moi.
Jnfqucs-là je vous laifle étalei votre zèle.
Vous pouvez à loilîr faiie des vœux pour elle.
Rcmplifl'ez les autels d'offrandes & de fang ,
Des victimes vous-même interrogez le flanc ,
Du filencc des vents demandez-leur la caufe ;
Mais moi, qui de ce foin fur Calchas me repofe i
Souiîrez, Seigneur, foufïrez que je coure hâter
Un hymen ,. dont les dieux ne fa uroicnt s'irriter.
Tranfporté d'une ardeur qui ne peut être oifive ,
Je rejoindrai bien-tôt les Grecs fur cette rive.
J'aurois trop de regret , (î quelqu'autre guerrier
Au rivage Troycn defcendoit le premier.
Agamemnon.
O Ciel 1 Pourquoi faut-il que ta fecrette envie
Ferme à de tels héros le chemin de l'Afie î
N*aurai-je vu briller cette noble chaleur ,
Que pour m'en retourner avec plus de douleur ?
U L I s s E.
Dieux : Qu'ell-ce que j'entends î
zio I P H J G E N I E,
Achille.
Seigneur, qu'ofez-vous dire î
Agamemnon.
Qu'il faut , princes, qii'il'fauc que chacun fe retire ;
Que d'un crédule efpoir , trop long-temps abufés ,
Nous attendons les vents , qui nous font refufes.
Le Ciel protège Troie ; &:, par trop de préfages,
Son courroux nous défend d'en chercher les palTàges.
Achille.
Quels préfages affreux nous marquent fon courroux;
A G A M E H N G N.
Vous même confultez ce qu'il prédit de vous.
Que fert de fe flatter ? On fait qu'à votre tête
Les dieux ont d'IJion attaché la conquête.
Mais on fait que , pour prix d'un triomphe fi beau ,
Ils ont aux champs Troyens marqué votre tombeau j
Que votre vie ailleurs , èc longue & fortunée ,
Devant Troie , en fa fleur , doit être moinTonnée.
Achille.
Ainfi , pour vous venger, tant de rois aflfemblés ,
D'un opprobre éceinel retourneront comblés.
Et Paris , couronnant fon infolente flamme ,
Retiendra fans péril la fœur de votre femme.
Agamemnon.
Hé quoi ? Votre valeur , qui nous a devancés y
N'a-t-elle pas pris foin de nous venger aflez ?
Les malheurs de Lefbos par vos mains ravagée
Epouvantent encor toute la mer Egée :
Troie en a vu la flamme ; &c , jufques dans Ces ports ,
Les flots en ont poufl"é les débris & les morts.
Que dis-je ? Les Troyens pleurent une autre Hélène ,
Que vous avez captive envoyée à Mycène.
Car je n'en doute point , cette jeune beauté
Garde en vain un fecret que trahit fa fierté ;
Et fon filence même , accufant fa noblelfe ,
Nous dit qu'elle nous cache une iiluilrc princeflè.
TRAGÉDIE. 151
Achille.
Non, non, tous ces décours font trop ingénieux.
Vous lifez de trop loin dans les feciets des dieux.
Moi, je m'arrêteiois à de vaines menaces 1
Et je fuirois l'honneur qui m'arrend fur vos traces î
Les parques à ma mère, il eft vrai, l'ont prédit,
Lorfqu'un époux mortel fut reçu dans fon lit.
Je puis choiiir, dit-on, ou beaucoup d'ans fans gloire.
Ou peu de jours fuivis d'une longue mémoire.
Mais , puifqu'il faut enfin que j'arrive au tombeau,
Voudrois-jc , de la terre inutile faideau ,
Trop avare d'un fang reçu d'une dés/ls ,
Attendre chez mon père une obfcure vieillellc ;
Et , toujours de la gloire évitant le fcntier ,
Ne laiiïèr aucun nom , Se mourir tout entier ?
Ah , ne nous formons point ces indignes obftacles î
L'honneur parle, il fuffir, ce font-lànos oracles.
Les dieux font de nos jours les maîtres fouverains ;
Mais, Seigneur, notre gloire eft dans nos propres mains.
Pourquoi nous tourmenter de leurs ordres fuprêmcs ?
Ne fongeons qu'à nous rendre immortels commecuA-méme
Et , laifl'ant faire au fort, courons où la valeur
Nous promet un deftin aufli grand que le T^ur.
C'eîl à Troie, &: j'y cours ; &, quoi qu'on me prédifc.
Je ne demande aux dieux qu'un vent qui m'y conduife5
Et quand moi feul enfin il faudroit l'affiéger ,
Patrode & moi , Seigneur, nous irons vous venger. «
Mais non , c'eft en vos mains que le deftin la livre.
Je n'afpire , en effet , qu'à l'honneur de vous fuivre.
Je ne vous preQe plus d'approuver les tranfports
D'un amour, qui m'alloit éloigner de ces bords;
Ce mè.ne amour , foigneux de votre renommée,
eut qu'ici mon exemple encourage l'armée ;
î i me défend , fur-tout, de vous abandonner
Aux ciinides confcUs qu'on ofe vous donner.
X
Z31 I P H I G E N I E,
SCENE III.
A G A M E M N O N , ULYSSE.
Ulysse,
^ EiGNEURjVOUs cntendez.QucIque prix qu'il en coure.
Il veut voler à Troie , &: pourfuivre fa roucc.
Nous craignions Ton amour i Se lui-même aujourd'hui.
Par une heureufe erreur , nous arme contre lui.
A G A M E M N o N.
Hélas î
U L y s SE.
De ce foupir que faut-il que j'augure ?
Du fang qui fe révolte eft-ce quelque murmure î
Croirai-je qu'une nuit a pu vous ébranler ?
Eft-ce donc votre cœur qui vient de nous parler î
Songez-y : vous devez votre fille à la Grèce :
Vous nous l'avez promifc 5 & , fur cette promelTc ,
Calchas , par tous les Grecs confulté chaque jour ,
Leur a prédit des vents l'infaillible retour.
A Ces prédidions Ci l'effet ell contraire ,
Penfez-vous que Calchas continue à fe taire î
Que fes plaintes , qu'en vain vous voudrez appaifer,
Laiiïent mentir les dieux , fans vous en accufcr ?
Et qui fait ce qu'aux Grecs, fruftrés de leur vidime ,
Peut permettre un courroux qu'ils croiront légitime ?
Gardez-vous de réduire un peuple furieux ,
Seigneur , à prononcer entre vous & les dieux.
N'eft-ce pas vous enfin , de qui la voix preffante
Nous a tous appelles aux campagnes du Xante î
Et qui, de ville en ville , atteftiez les fermens ,
Que d'Hélène autrefois firent tous les arnans.
Quand prcfque tous les Grecs , rivaux de votre frère ,
La demandoienc en foule à Tyndare fon père ?
TRAGÉDIE. 135
De quelque heureux époux que Ton dût faire choix ,
Nous jurâmes , dès-lors , de défendre fes droits j
Ec , fî quelque infolent lui voloit fa conquête ,
.nains du ravilTeur lui promirent la tête.
, fans vous , ce ferment que l'amour a dicié ,
lianes de cet amour , l'aurions-nous refpefté !
Vous feul, nous arrachant à de nouvelles flammes.
Nous avez fait laifler nos enfans &c nos femmes.
Et quand , de toutes parts , alfemblés en ces lieux.
L'honneur de vous venger brille feul à nos yeux ;
Quand la Grèce, déjà vous donnant fon fuffrage ,
Vous rcconnoît l'auteur de ce fameux ouvrage ;
Que Ces rois , qui pouvoient vous difputer ce rang ,
Sont prêts, pour vous fervir, de vcrfer tout leur ikng;
Le f.-ul Agamemnon, refufant la vidoire ,
N'ofe d'un peu de fang acheter tant de gloire ?
Et, dès le premier pas , fe laiflant cftrayer ,
Ne commande les Grecs que pour les renvoyer ?
Agamemnon.
Ah, Seigneur, qu'éloigné du malheur qui m'opprime ,
Votre cœur aifément fc montre magnanime !
Mais que, fi vous voyiez, ceint du bandeau mortel.
Votre fils Télémaque approcher de l'autel ,
Nous vous verrions , troublé de cette aftrcufc image ,
Changer bien- tôt en pleurs ce fuperbe langage ,
Eprouver la douleur que j'éprouve aujourd'hui,
Et courir vous jetier entre Calchas &: lui.
*^ • n-ur, vous le favez, j'ai donné ma parole ;
li ma fille vient, je confens qu'on l'immole.
- ...u , malgré tous mes foins , fi fon heureux dellin
La retient dans Argos , ou l'arrête en chemin 5
Souffrez que , fans prcffcr ce barbare fpeûacle ,
En faveur de mon fang j'explique cet obftacle ;
Que j'ofe pour ma fille accepter le fecours
De quelque dieu plus doux qui veille fur fcs jours.
Vosconfeilsfurmon cœur n'ont eu que trop d'empire ;
£c je rougis . . .
254 IPHIGENIE,
SCENE IV.
AGAMEMNON , ULYSSE , EURYBATE.
eurybate.
osigneuk . . ,
Agamemnok.
Ah , que vient-on me dire
EURYBATE.
La reine , dont ma courfe a devancé les pas.
Va remettre bien-tot fa fille entre vos bras ;
Elle approche. Elle s'cft quelque temps égarée
Dans ces bois , qui du camp femblent cacher l'entrée
A peine ncus avons , dans leur obfcurité ,
Retrouvé le chemin que nous avions quitté,
Agamemnon.
Ciel :
EuRYBATE.
Elle amène auffi cette jeune Eriphile ,
Que Lefbos a livrée entre les mains d'Achille ;
Et qui, dcfondeftin, qu'elle ne connoît pas ,
Vient , dit-elle , en Aulide ii>:erroger Calchas,
Déjà de leur abord la nouvelle eft femée 3
Et déjà , de foldats une foule charmée ,
Sur-tout d'Ipbigénie admirant la beauté ,
Pouffe au Ciel mille vœux pour fa félicité.
Les uns, avec refpcft, environnoient la reine ;
D'autres me deinandoient le fujet qui l'amène.
Mais tous ils confeffoient que , fi jamais les dieux
Ne mirent fur le trône un roi plus glorieux ,
Egalement comblé de leurs faveurs fecrettes ,
Jamais père ne fut plus heuieux que vous l'êtes.
Agamemnok.
Euryhate , il fuffit. Vous pouvez nous laifîer.
Le relie me regarde , & je vais y penfer.
TRAGÉDIE, 135
SCENE V.
AGAMEMNON, ULYSSE.
Agamemnon.
J USTE Ciel , c'eft aînfi qu'afTurant u vengeance,
Tu romps tous les rellbrts da ma vaine prudence 1
Encor fl je pouvois, libre dans mon malheur ,
Par des larmes, au moins, foulager ma douleur î
Trifte deftin des rois ! Efclaves que nous fommes
Et des rigeurs du fort, & des difcours des hommes.
Nous nous voyons , fans cefle , afliégés de témoins ,
Et les plus malheureux ofent pleurer le moins.
Ulysse.
Je fuîs pcre , Seigneur , & foible comme un autre.
Mon cœur fe met , fans peine , en la place du vôtre j
Et , fiémifian: du coup qui vous fait foupirer ,
Loin de blâmer vos pleurs , je fuis prêt de pleurer.
Mais votre amour n'a plus d'excufe légitime.
Les dieux ont à Calchas amené leur victime :
Il le fait , il l'attend } &:, s'il la voit tarder ,
Lui-même , â hauie voix , viendra la demander.
Nous fommes fculs encor. Hâtez-vous de répandre
Des pleurs que vous arrache un intérêt fî tendre.
Pleurez ce fang , pleurez. Ou plutôt , fans pâlir ,
Confidérez l'honneur qui doit en rejaillir.
Voyez tout rHcliefpont blanchiflant fous nos rames ,
Et la perfide Troie alandonnce aux flammes.
Ses peuples dans vos fers, Priam â vos genoux ,
Hélène , par vos mains , rendue à fon époux.
Voyez de vos vailTeaux les poupes couronnées.
Dans cetie même Aulide avec vous retournées ;
Et ce triomphe heureux , qui s'en va devenir
L'éternel entretien des ficelés à venir.
xi6 I P H I G E N I E,
Agamemn on.
Seigneur , de mes efforts je connois l'impuifTance.
Je cèdi , & lailTe aux dieux opprimer l'ianoceiKe.
La vi£time bien-tôt marchera fur vos pas ,
Allez. Mais cependant faites taire Calchas ;
Et , m'aidant à caclier ce funefte myftère ,
Laiiïèz-moi de l'autel écarter une mère.
Fin du premier A6le.
TRAGÉDIE. ijr
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
ERIPHILE, PORIS.
N
LES contraignons point, Doris, retirons-nous i
Laiilons-ies dans les bras d'un père & d'un époux.
Et , tandis qu'à i'envi leur amour fe déploie ,
Mettons en liberté ma trillefle & leur joie,
D O R I s.
Quoi, Madame, toujours irritant vos douleurs,
Croirez-vous ne plus voir que des fujets de pleurs ?
Je fais que tout déplaît aux yeux d'une captive ;
Qu'il n'elt point, dans les fers , de plaifir qui la fuive.
Mais, dans le temps fatal que , repallànt les Hors ,
Nous fuivions, malgré nous, le vainqueur de Lcfbos;
Lorfque, dans fon vailîeau, prifonnieie timide ,
Vous voyiez devant vous ce vainqueur homicide ,
Le dirai-je î Vos yeux , de larmes moins trempés ,
A pleurer vos malheurs étoient moins occupés.
Maintenant tout vous rit. L'aimable Iphigénie
D'une amitié finccre avec vous cft unie ;
Elle vous plaint , vous voit avec des yeux de fœur ;
Et vous feriez dans Troie avec moins de douceur.
Vous vouliez voir l'AuIidc , où fon père l'appelle.
Et l'Aulidc vous voit arriver avec elle.
Cependant, par un fort que je ne conçois pas.
Votre douleur redouble , & croît à chaque pas,
E R. I P H I L E.
Hé quoi , te fcmble-t-il que la trille Erphile
Doive être de leur joie un témoin fi tranquille î
Crois-tu que mes chagrins doivent s'évanouir
A Tafpe^ d'un bonheur , dont je ne puij jouir î
138 I P H I G E N I E,
Je vois Iphigénic encre les bras d'un père ;
Elle fait tout l'orgueil d'une fuperbe mère ;
Et moi, tcujouis en buccc à de nouveaux dangers,
Remife, dès l'enfonce , en des bras étrangers ,
Je reçus , & je vois le jour que je refpire ,
Sans que mère ni père ait daigné me fourire.
J'ignore qui je fuis ; &, peur comble d'horreur.
Un oracle effrayant m'attache à mon erreur ;
Et, quand je veux chercher le fang qui m'a fait naîtti
Me dit que, fans périr, je ne me puis connaître.
D o ». I s.
Non , non , jufques au bout vous devez le chercher.
Un oracle toujours fe plait à fe cacher ;
Toujours , avec un fcns, il en prcfentc un autre.
En perdant un faux nom , vous reprendrez h vôtre.
C'eit-là tout le danger que vous pouvez courir 5
Et c'ell:, peut-être , ainli que vous devez périr.
Songez que votre nom fut changé dès l'enfance.
E R I P H I L E.
Je n'ai de tout mon fort que cette connoifTance y
Et ton père, du refte infortune témoin.
Ne me permit jamais de pénétrer plus loin.
Hélas, dans cette Troie , où j'étois attendue.
Ma gloire, difoit-il, m'alloit être rendue !
J'allois, en reprenant 6c mon nom & mon rang.
Des plus grands rois, en moi, reconnoitre le fang.
Déjà je découvrois cette fameufe Ville.
Le Ciel mène à Lefbos l'impitoyable Achille ;
Tout cède , tout reiïcnt Ces funelles efforts.
Ton père , enfeveli dans la foule des morts ,
Me laiffe dans les fers à moi-même inconnue ;
Et, de tant de grandeurs, dont j'étois prévenue,'
Vile efclave des Grecs , je n'ai pu conferver
Que la fierté d'un fang que je ne puis prouver.
D o R I s.
Ah, que perdant, Madame, un témoin fî fîdele,
La main qui vous l'ota vous doit f^mbler cruelle i
TRAGÉDIE. ii9
Mais Calchas eft ici, Calclias fi renommé,
^ui des lecrcts des dieux fut toujours informe,
.e Ciel ibuvent lui parle. Inihuit par un tel maître,
■z coui ce qui fut, & rout ce qui doit être.
; oit-il de vos jours ignorer les auteurs î
-e camp même eft pour vous tout plein de proteûeurs.
iicn-tot Iphigénie, en époufant Achille,
''eus va, fous fon appui, prcfcntcr un afylc ;
îlle vous l'a promis, & juré devant moi.
Ze gage eft le premier qu'elle attend de fa foi.
E R I P H I L E.
iue dirois-tu, Doris , lî , paflant tout le refte ,
3c: hymen , de mes maux , étoit le plus funeftc î
D O B. I Sj
^uoi , Madame î
E R I P H I L E.
Tu vois, avec étonncment,
Juc ma douleur ne fouflfre aucun foulagement.
:coute , & tu te vas étonner que je vive.
Ve[\ peu d'être étrangère , inconnue & captive,
^c dcftruûeur fatal des triftcs Lefbicns,
>ct Achille , l'auteur de tes maux Se des miens,
)ont la fangiante main m'enleva prifonnièic ,
^ui m'arracha, d'un coup, ma naifl'ance ic ton père,
)e qui, jufqucs au nom , tout doit m'êae odieux,
-ft de tous les mortels le plus cher à mes yeux,
D G R I s.
Ah , que me dites-vous î
E a. I P HI L E.
e me flattois , fans cefTe ,
iu'un filencc éternel cachcroit ma foiblcfTe.
lais mon coeur, trop prefie, m'arrache ce difcour* »
t te parle une fois , pour fe taire toujours.
4c me demande point , fur quel efpoir fondée,
)e ce fatal amour je me vis pofltdée.
fe n'en accufc point quelques feintes douleurs,
^Ont je crus voir Acliillc honorer mes malheur»»
140 I P H I G E N I E,
Le Ciel s*eft fait, fans doute, une joie inhumaine
A rafleinbler fur moi tous l:s tiaits de fa haine.
R.nppellcrai-je encor le fouveuir atHeux
Du jour, qui dans les fcis nous jctta toutes deux >
Dans les cruelles mains , par qui je fus ravie ,
Je demeurai, long-temps, fans lumière & fans vie,
Enfin, mes foibles yeux cherchèrent la clarté j
Et, me voyant prclTcr d'un bras enfanglantc ,
Je frémifl'ois, Doris, & d'un vainqueur lauvage
Craignois de rencontrer l'effroyable vifage.
J'entrai dans fon vaiiTeau , déteftanc fa fureur.
Et toujours détournant ma vue avec horreur.
Je le vis. Son afpeét n'avoir rien de farouche.
Je fentis le reproche expirer dans ma bouche.
Je fentis , contre moi , mon cœur fc déclarer ;
J'oubliai ma colère , & ne fus que pleurer.
Je me lailîai conduire à cet aimable guide.
Je l'aimois à Lefbos , & je l'aime en Aulide.
Iphigénie en vain s'ofire à me protéger ,
Et me tend une main prompte à me foulager.
Trille efiet des fureurs dont je fuis tourmentée l
Je n'accepte la main qu'elle m'a préfentée ,
Que pour m'armer contre elle , &, fans me dccouvri
Traverfcr fon bonheur que je ne puis foufirir.
Doris.
Et que pourroît contre elle une impuifTante haine î
Ne valoit-il pas mieux , renfermée à Mycène ,
Eviter les tourmens que vou^ venez chercher.
Et combattre des feux contraints de fe cacher ï
E R I P H I L E.
Je le voulois, Doris. Mais, quelque trifte image
Que fa gloire à mes yeux montrât fur ce rivage ,
Au fort qui me traînoit il fallut confcntir.
Une fecrette voix m'ordonna de partir j
Me dit qu'offrant ici ma préfcncc importune.
Peut-être j'y pourrois porter mon infortune ;
Que peut-être, approchant ces amans trop heurcUX,
Quelqu'un de mes malheurs fc répandroic fur eux.
Vol
TRAGÉDIE. 141
Voilà ce qui m'amène , & non l'impatience
D'apprendre à qui je dois une crifte nailîance :
Ou plutôt leur hymen me ferviia de loi ;
S'il s'achève , il fuffit , tout eft fini pour moî.
Je périrai , Doris ; &c , par une mort prompte ,
Dans la nuit du tombeau j'enfermerai ma honte ,"
Sans chercher des parens lî long-temps ignorés ,
Et que ma folle amour a trop deshonorés,
Doris.
Que je vous plains, Madame 1 Et que pour votre vie . . . i
Eriphile.
Tu vois Agamemnon avec Iphigénie,
SCENE IL
AGAMEMNON , IPHIGÉNIE, ERIPHILE ,
DORIS.
Iphigénxe.
^ EiCNEOR. , OÙ courez-vous ! Et quels empreflcraear
Vous dérobent fi-tôt i nos embraflemens î
A qui dois-je imputer cette fuite foudaine i
Mon refpe£i a fait place aux tranfports de la reine j
Un moment, à mon tour, ne vous puis-je arrêter !
Et ma joie, â vos yeux, n'ofe-c-elle éclater î
Ne puis-je. . .
AcAMEMNON.
Hé bien , ma fille , embraflèz votre pcre ,"
Il rous aime toujours.
Iphicénie.
Que cette amour ra'eft chère
Quel plaifir de vous voir &: de vous contempler
Dans ce nouvel éclat dont je vous vois briller î
Quels honneurs î Quel pouvoir î Déjà la renommée
Par d'étonnans récits m'en avoit informée.
Tome IL L
i4L I P H I G E N I E.
Mais que , voyant de près ce fpedaclc charmant ;
Je fens croître ma joie & mon étonnement !
Dieux , avec quel amour la Grèce vous révère î
Quel bonheur de me voir la fille d'un tel père i
Agamemnon.
Vous méritiez, ma fille , un père plus heureux.
Iphigénie.
Quelle félicité peut manquer à vos vœux ?
A de plus grands honneurs un roi peut-il prétendre ?
J'ai, cru n'avoir au Ciel que des grâces à rendre.
Agamemnon d part.
Grands dieux, à /on malheur dois-je la préparer î
Iphigénie.
Vous vous cachez, Seigneur, & femblez foupirer.
Tous vos regards fur moi ne tombent qu'avec peine.
Avons-nous fans votre ordre abandonné Mycène î
Agamemnon.
Ma fille , je vous vois toujours des mêmes yeux ;
Mais les temps font changés auflî-bien que les lieux.
D'un foin cruel ma joie eft ici combattue.
Iphigénie.
Hé , mon père , oubliez votre rang à ma vue.
Je prévois la rigueur d'un long éloignement,
N'ofez-vous, fans rougir, être père un moment î
Vous n'avtz devant vous qu'une jeune princefTe,
A qui j'avois pour moi vanté votre tendreflè.
Cent fois , lui promettant mes foins, votre bonté.
J'ai fait gloire à Ces yeux de ma félicité.
Que va-t-elle penfer de votre indifférence ?
Ai-jc tlatté Ces vceux d'une fauflc efpérance î
N'éclaircirez-vous point ce front chargé d'ennuis ?
Agamemnon.
Alî, ma fille:
Iphigénie.
Seigneur , pcurfuivez,
Agamemnon.
Je ne puis.
TRAGÉDIE. t4j
Iphigénie
X càiïè le Troyen auteur de nos allarmes l
Agamemnon.
Sa perte à Ces vainqueurs coûcera bien des larmes,
Iphigénie.
Les dieux daignent fur-tout prendre foin de vos jours î
Agamemnon.
Les dieux, depuis un temps , me font cruels & fourdi,
Iphigénie.
Calchas, dit-on, prépare un pompeux facriHce.
Agamemnon..
PuiiTai-je auparavant fléchir leur injuftice l
Iphigénie.
L'ofirira-t-on bien-tôt î
Agamemnon.
Plutôt que je ne vcax»
Iphigénie,
Me fcra-t-il permis de me joindre à vos vœux î
Vcrra-t-on à l'autel votre heurcufe famille î
Agamemnon,
Hélas :
Iphigénie.
Vous vous taifez ?
Agamemnon.
Vous y fercr, ma fille.
Adî
icu.
SCENE 1 I L
IPHIGÉNIE, ERIPHILE.DORI s.
Iphigénie.
i-^ £ cet accueil que dois-je foupçonncr î
D'une fccrctte horreur j: me fens friflbnner.
Je crains, malgré moi-même, un malheur que j'ignore,
Juftts dieux, vous favcz pour qui je vous implore l
h»
Î44 l P H I G E N I E,
E R I P H I L E.
Quoi, parmi tous les foins qui doivent l'accabler,"
Quelque froideur fuftîc pour vous faire trembler î
Hélas , à quels foupirs fuis-je donc condamnée,
Moi qui, de mes parens toujours abandonnée.
Etrangère par-tout, n'ai pas, même en naiilant.
Peut-être reçu d'eux un regard cateflant î
Uu moins , Il vos refpeds font rejettes d'un père ,
Vous en pouvez gémir dans le fein d'une mère ;
Et , de quelque difgrace enfin que vous pleuriez.
Quels pleurs par un amant ne font point efluyés î
I p H I G É N I E.
Je ne m'en défends point. Mes pleurs, belle Eripliîle,
Ne tiendront pas long-temps contre les foins d'Achille.
Sa gloire, fon amour, mon père, mon devoir.
Lui donnent fur mon amc un trop jufte pouvoir.
Mais de lui-même ici que faut-il que je penieî
Cet amant, pour me voir , brûlant d'impatience.
Que les Grèce de ces bords ne pouvoient arracher,
Qu'un père , de fi loin , m'ordonne de chercher i
S'empreiTe-t-il allez pour jouir d'une vue ,
Qu'avec tant de tranfports je croyois attendue ?
Pour moi, depuis deux jours qu'approchant de ces lîeuri
Leur afpeft fouhaité fe découvre à nos yeux ,
Je Fattendois par-tout ; & d'un regard timide.
Sans ceffe parcourant les chemins de l'Aulide,
Mon cœur, pour le chercher, voloit loin devant moî.
Et je demande Achille à tout ce que je voi.
Je viens , j'arrive erifin , fans qu'il m'ait prévenue.
Je n'ai percé qu'à peine une foule inconnue ,
Lui feul ne paroît point. Le trille Agamemnon
Semble craindre à mes yeux de prononcer fon nom.
Que fait-il ? Qui pourra m'expliquçr ce myftère i
Trouverai-je l'amant glacé comme le père ?
Et les foins de la guerre auroient-ils , en un jour,
Eteint dans tous les cœurs la tendrefle & l'amour.
Mais non. C'eft l'ofFenfer par d'injuftes allarmes.
C'eft à moi que l'oa dçiç le fecours de ks armes.
TRAGÉDIE. 145
IJ n'étoif point à Sparte entre tous ces amans ,
Dont le père d'Hélène a reçu les fermens.
Lui feul de tous les Grecs , maître de fa parole,
S'il part contre liion , c'cft pour moi qu'il y vole j
Et, latisfait d'un prix qui lui femble fî doux ,
Il veut même y porter le nom de mon époux.
SCENE IV.
CLYTEMNESTRE , IPHIGÉNIE, ERIPHILE ,
D O R I S.
Clytemkesïre.
iVl A FILLE, il faut partir fans que rien nous retienne.
Et fauver, en fuyant, votre gloire & la mienne.
Je ne m'étonne plus qu'interdit & diftrait ,
Votre père ait paru nous revoir à regret.
Aux affronts d'un refus craignant de vous commettre ,
Il m'avoit par Arcas envoyé cette lettre.
Arcas s'eft vu trompé par notre égarement.
Et vient de me la readrc en ce même moment.
Sauvons, encore un coup, notre gloire offenfée.
Pour votre hymen Achille a changé de penfée;
Et, refufant l'honneur qu'on lui veut accorder,
Jufques à fon retour il veut le retarder.
E R I P H I L E,
Qu'entcns-je ?
Clytemnestri.
Je vous vois rougir de cet outrage.
Il faut d'un noble orgueil armer votre courage.
Moi-même, de l'ingrat approuvant le deflein.
Je vous l'ai dans Argos préfenté de ma main j
Et mon choix , que flatcoit le bruit de fa noblefïè ,
Vous donnoit avec joie au fils d'une déeflc.
Mais puifquc déformais fon lâche repentir
Dément Je fang des dieux , dont on le fait fortir ,
L iij
24^ I P H I G E N I Ey
Ma fille , c'eft à nous de montrer qui nous fommes
Et de ne voir en lui que le dernier des hommes.
Lui ferons-nous pcnfer, par un plus long féjcur.
Que vos vœux de Ion coeur attendent le retour î
Rompons avec plaifîr un hymen qu'il diffère.
J'ai fairde mon deflein avertir votre père 5
Je ne l'attends ici que pour m'en fépaier ;
Et pour ce prompt départ je vais tout préparer.
( d Eri finie. )
Je ne vous prefTc point. Madame, de nous fuivre.
En de plus chères mains ma retraite vous livre.
De vos dclTcins fecrets on efl: trop éclairci ;
Et ce n'eft pas Calchas que vous cherchez ici.
SCENE V.
IPHIGÉNIE, ERIPHILE, DORIS.
Ifhigênie.
E
N quel funefte état ces mots m'ont-ils laiffec î
Pour mon hymen Achille a changé de penfée ;
Il me faut fans honneur retourner fur mes pas ;
Et vous cherchez ici quclqu'autre que Calchas î
E R I P H I L E.
Madame , à ce difcours je ne puis rien comprendre.
Iphigénie.
Vous m'entendez aflèz , fî vous voulez m'entendre.
Le fort injurieux me ravit un époux ,
Madame , à mon malheur m'a'oandonnerez-vcus î
Vous ne pouviez fans moi demeurer à Mycène.
Me vcrra-t-on , fans vous , partir avec la reine î
E R I p H I L E.
Je voulois voir Calchas avant que de partir.
Iphigénie.
Que tardez-vous. Madame , à le faire avertir.
TRAGÉDIE. 247
E R. I P H I L E.
D'Argos , ùùus un moment, vous reprenez la route.
I P K I G É N I E.
' •! moment quelquefois éclaircit plus d'un doute.
;;S , Madame, je vois que c'cft trop vous preffcr.
Je vois ce que jamais je n'ai voulu penfer.
Achille . . . .Vous brûlez que je ne fois partie.
E R I p H I X E.
.1 I Vous me foupçonnez de cette perfidie?
Koi, j'aimerois, Madame, un vainqueur furieux,
Qui, toujours tout fanglant , fe préfente à mes yeux ;
Qui k flamme à la main , £c de meurtres avide ,
Mu en cendres Lefbos . . .
Iphicénie.
Oui, vous l'aimez, perfide.
Te ces mêmes fureurs que vous me dépeignez ;
5 bras que dans le fang vous avez vus baignés ;
' morts , cette Lefbos , ces cendres , cette flamme ,
p.t Izs traits dont Tamcur l'a gravé dans votre amc 5
, loin d'en dételVer le cruel fouvenir ,
:'^ vous plaifea encore à m'en entretenir.
,1 , plus d'une fois, d.";ns vos plaintes forcées
J a' dû voir, & j'ai vu le fond de vos penfées.
^ais toujours fur mes yeux ma facile bonté
A remis le bandeau que j'avois écarté.
Vous l'aimez. Que faifois-je ! Et quelle erreur fatale
M'a fait entre mes bras recevoir ma rivale ?
Crédule je l'aimois. Mon cœur, même aujourd'hui,
De fon parjure amant lui promeitoit l'appui.
:'i donc le triomphe où j'étois amenée I
i-mcmc à votre char je me fuis enchaînée.
Je vous pardonne , hélas ! des voeux intéreflés,
Ft la perte d'un cœur que vous me laviflèz.
' is que , fans m'avcrtir du piège qu'on me drefie ,
.is me laiflicz chercher jufqu'au fond de la Grèce
I ;rat , qui ne m'attend que pour m'abandonncr ,
Hdc , cet afi'ront fc peut-il pardonner î
IV
14* IPHIGENIE,
E R I P H I L E
Vous me donnez des noms qui doivent me furprendrc,
Madame. On ne m'a pas inltruitc à les entendre ;
Et les dieux , contre moi dès long-temps indignés,
A mon ore Ile encor les avoient épargnés.
Mais il faut des amans excufer Tinjulticc.
Et de quoi vouliez-vous que je vous avertifTe ?
Avez-vous pu penfer qu'au fang d'Agamemnon
Achille préférât une fille fans nom.
Qui de tout fon deftin ce qu'elle a pu comprendre ,
C'eft qu'elle fort d'un fang qu'il biiile de répandre.
I p H I G É N I E.
Vous triomphez , cruelle, & bravez ma douleur.
Je n'avois pas encor fenti tout mon malheur i
Et vous ne comparez votre exil & ma gloire.
Que pour mieux relever votre injufte vidoire.
Toutefois vos tranfports font trop précipités.'
Ce même Agamemnon à qui vous infultez ,
Il commande à la Grèce , il cil mon père , il m'aime ;
Il reflent mes douleurs beaucoup plus que moi-même.
Mes larmes par avance avoient fû le toucher.
J'ai furpris fcs foupirs qu'il me vouloit cacher.
Hé'as, de fon accueil condamnant la triflefle,
J'ofois me plaindre à lui de fon peu de tendrefie l
S C E N E V L
ACHILLE, IPHIGÉNIE, ERIPHILE , DORIS.
Achille.
J. L eft donc vrai , Madame , & c'eft vous que je vos
Je foupçonnois d'erreur tout le camp à la fois.
Vous en Aulide ? Vous ? Hé , qu'y venez-vous faire ?
D'où vient qu'Agamemnon m'affuroit le contraire î
IPHIGÉNIE
Seigneur, rafTurez-vous. Vos vœux feront contens.
Iphigénie encot n'y fera pas long- temps.
TRAGÉDIE, 149
SCENE VIL
ACHILLE, ERIPHILE,DORI s.
Achille.
JlLlle mefuîc! Veillai-jc î Ou n'eft-cepointunfonge î
Dans quel trouble nouveau cette fuite me plonge î
Madame , je ne fais fi , fans vous irriter ,
Achille devant vous pourra fe préfenter.
Mais , fi d'un ennemi vous fouflfrez la prière i
Si lui-mcme fouvent a plaint fa prifonnière ,
Vous favez quel fujet conduit ici leurs pas.
Vous favez . . .
E R I P H I L E.
Quoi , Seigneur, ne le favez-vous pas »
Vous, qui, depuis un mois, brillant fur ce rivage ,
Avez conclu vous-même , & hâté leur voyage ?
Achille,
De ce même rivage ahfent depuis un mois ,
Je le revis hier pour la première fois.
E R I p H I L E.
Quoi, lorfqu'Agamemnon écrivoit à Mycène ,
Votre amour, votre main n'a pas conduit la fîenne ?
Quoi ? Vous, qui de fa fille adoriez its attraits...
A c H I L L E.
Vous m'en voyez encore épris plus que jamais.
Madame ; & , fi l'effet eût fuivi ma penféc ,
Moi-même dans Argos je l'aurois devancée.
Cependant on me fuit. Quel crime ai-je commis ?
Mais je ne vois par-tout que des yeux ennemis.
Que dis-je ? En ce moment Calchas , Ncftor, UliiTe ,
De leur vainc éloquence employant l'artifice,
Combattoient mon amour, ôc fembicient m'annoncer>
Qufc , fi j'en crois ma gloire , il y faut renoncer.
Lv
2J0 I P H I G È N I E,
Quelle entrepiife ici pourroit être formée»
Suis-je , fans le favoir , la fable de i'armée ?
Entrons. C'cft un fecrct qu'il leur faut arracher.
SCENE V I 1 L
ERIPHILE, DORIS.
Eriphile.
X-) lEUx, qui voyez ma honte, où me dois-je cacher ^
Orgueilleufe rivale , on t'aime , & tu murmures I
SoulFrirai-je à la fois ta gloire & tes injures ?
Ah, plutôt .... Mais, Doris, ou j'aime à me flatter.
Ou fur eux quelque orage cit tout près d'éclater.
J'ai des yeux. Leur bonheur n'eft pas encor tranquille.
On trompe Iphigénie. On fe cache d'Achille.
Agamcmnon gémit. Ne défefpérons point ;
Et , {i le fort contre elle à ma haine fe joint ,
Je faurai profiter de cette intelligence ,
Pour ne pas pleurer feule , &: mourir fans vengeance»
Fin du fécond A£le.
TRAGÉDIE. iji
XXXXXXXXXXXXXXXKXXXXXX
ACTE I I L
SCENE PREMIERE.
A G A M E M N O N , C L Y T E M N E S T R E.
Clytemnestre.
yJ u I, Seigneur,nous partions ;& mon jufte courroux
Laiflbit bien-tôt Achille & le camp loin de nous.
Ma fille dans Argos couroit pleurer fa honte.
Mais, lui-même étonné d'une fuite (î prompte.
Par combien de fermens , dont je n'ai pu douter.
Vient-il de me convaincre , & de nous arrêter !
Il prellè cet hymen , qu'on prétend qu'il diftcre.
Et vous cherche, brûlant d'amour & de colère.
Près d'impofer filence à ce bruit impofteur,
Achille en veut connoître & confondre l'auteur,
BannifTez ces foupçons qui troubloient notre joie.
AGAMtMNON.
Madame, c'eft aflèz. Je confens qu'on le croie.
Je reconnois l'erreur qui nous avoir féduits ,
Et reflens votre joie autant que je le puis.
Vous voulez que Calchas l'unifle à n:a famille;
Vous pouvez à l'autel envoyer votre fi'lc ;
Je l'attends. Mais , avant que de palfer plus loin.
J'ai voulu vous parler un moment fans témoin.
' ous voyez en quels lieux vous l'avez amenée.
lout y reffent la guerre, & non point l'hyménécr
Le tumulte d'un camp , foldats & matelots ,
Un autel hérifle de dards , de javelots ,
Tout ce fpeftade enfin, pompe digne d'Achille,
Pour attirer vos yeux n'cft point allez tranquille»
Et les Grecs y verroicnt l'époufe de leur roi ,
Dans un état indigne & de vous & de moi.
Lvj
1^1 I P H I G E N I Ey
M'en croircz-vous î Laifiez , de vos femmes fuîvie,
A cet hymen, fans vous, marcher Iphigénie,
Clytemnestre.
Qui , moi î Que remettant ma fille en d'autres bras ,
Ce que j'ai commencé, je ne l'achève pas ?
Qu'après l'avoir d'Argos amenée en Aulide,
Je rcfufe à l'autel de lui fervir de guide î
Dois-je donc de Calchas être moins près que vous :
Et qui préfentcra ma fille à fon époux ?
Quelle autre ordonnera cette pompe facrée î
Agamemnon.
Vous n'êtes point ici dans le palais d'Atrée.
Vous êtes dans un camp . . .
Cly temnestre.
Où tout vous efl: fournis J
Où le fort de l'Afie en vos mains efl remis ;
Où je vois fous vos loi^ marcher la Grèce entière ;
Où le fils de Thétis va m'appeller fa mère.
Dans quel palais fuperbe , ôc plein de m.a grandeur ,
Puis-je jamais paroître avec plus de fplendeur ?
Agamemnon.
Madame , au nom des dieux , auteurs de notre race ,
Daignez à mon amour accorder cette grâce.
J'ai mes raifons.
CXYTEMNESTRE.
Seigneur , au nom des mêmes dieux.
D'un fpedtacle fi doux ne privez point mes yeux.
Daignez ne point rougir ici de ma préfence.
Agamemnon.
J'avoîs plus efpéré de votre complaifance.
Mais, puifque la raifon ne vous peut émouvoir ,
Puifqu'enfin ma prière a fi peu de pouvoir ,
Vous avez entendu ce que je vous demande ,
Madame. Je le veux , &: je vous le commande.
ObéiiTez.
TRAGÉDIE. zsj
SCENE IL
Clytemkestr b feule.
D
'ou vient que, d'un foin fi cruel,
L'injufte Agamcmnon m'écarte de l'autel ?
Fier de fon nouveau rang m*ofe-t-il méconnoître î
Me croit-il à fa fuite indigne de paroître ?
Ou , de i'empiie encor timide poflèfTeur î
N'oferoit-il d'Hélène ici montrer la fœur ?
Et pourquoi rue cacher î Et, par quelle injuftice,
Faut-il que fur mon front fa honte rejailliflè ?
Mais n'importe, il le veut, & mon cœur s'y réfout.
Ma H!le , ton bonheur me confole de tout 1
Le Ciel te donne Achille , & ma joie efl: extrême
De t'entendre nommer. . . Mais le voici lui-même»
i
SCENE I I I.
ACHILLE, CLYTEMNESTRE,
JL ooTfuccèdc, Madame, à mon emprcfTcmcnt.
Le roi n'a point voulu d'autre éclaircifiement ;
Il en croie mes tranfports ; &, fans prefque m'entendrc.
Il vient , en m'embrafiant, de m'accepter pour gendre.
Il ne m'a dit qu'un mot. Mais vous a-il conté
Quei bonheur dans le camp vous avez apporté ?
Les dieux von: s'appaifcr. Du moins Calchas publie
Qu'avec eux , dans une heure , il nous reconcilie 5
Que Neptune àc les vents , prêts à nous exaucer,
N'attendent que le fang que fa main va vcrfcr.
Déjà dans les vaiffeaux la voile fe déploie,
Déjà, fur fa parole, ils fe tournent vers Troie.
2J4 I P H I G E N I Ey
Pour moî , quoique le Ciel , au gré de mon amour ,
Duc encore des vencs retarder le retour ,
Que je quitte, à regret, la rive fortunée
Où je vais allumer les flambeaux d'hyménée I
Puis-je ne point chérir l'heureufe occafion
D'aller du fang Troyen fceller notre union ,
Et de lailler bien-tôt, fous Troie enfevclie ,
Le deshonneur d'un nom à qui le mien s'allie î
SCENE IV.
ACHILLE , CLYTEMNESTRE , IPHIGÉNIE ,
ERÎPHILE, DORIS, itGINE.
Achille.
X RiNCESSE , mon boiihcur ne dépend que de vous.
Votre père à l'autel vous delline un époux.
Venez-y recevoir un cœur qui vous adore.
Iphigénie.
Seigneur, il n'eft pas temps que nous partions encore.
La reine permettra que j'ofe demander
Un gage à votre amour qu'il me doit accorder.
Je viens vous préfenter une jeune princefTe j
Le Ciel a fur fon front imprimé fa noblefïe j
De larmes, tous les jours, fcs yeux font arrofesj
Vous favez fes malheurs , vous les avez caufés.
Moi-même, où m'emporroit une aveugle colère I
J'ai tantôt, fansrefped, affligé fa mifere.
Que ne puis-je aufîi-bicn, par d'utiles fecours.
Réparer prompteir.ent mes injuft^s difcours l
Je lui prête ma voix : je ne puis davantage.
Vous feul pouvez. Seigneur, détruire votre ouvrage.
Elle eft votre captive ; & tbs fers que je plains ,
Quand vous l'ordonnerez, tomberont de fes mains
Commencez donc par-là cette heurcufe journée.
Qu'elle puifle à nous voir n'ctrc plus condamnée.
TRAGÉDIE. 15 î
Montrez cjue je vais fuivre au pied de nos autels
Un roi qui , non content d'effrayer les mortels ,
A des embrafemcns ne borne point fa gloire ,
LaifTe aux pleurs d'une épouie attendrir fa viûoire 5
Et, par les malheureux quelquefois défarmé,
Sait imiter, en tout, les dieux qui l'ont formé.
E R I P H 1 L E.
Oui , Seigneur , des douleurs foulagez la plus vive.
La guerre dans Lefbos me fit votre captive 5
Mais c'eft pouffer trop loin Ces droits injurieux.
Qu'y joindre le tourment que je foufire en ces lieux»
Achille.
Vous, Madame?
Er IP H I L E.
Ou*, Seigneur ; &, fans conter le refte ,
Pouvez-vous m'impofer une loi plusfunefte.
Que de rendre mes yeux les triftes fpedateurs
De la félicité de mes perfécuteurs ?
J'entends de toutes parts menacer ma patrie;
Je vois marcher contre elle une armée en furie ;
Je vois déjà l'hymen , pour mieux me déchirer.
Mettre en vos mains le feu qui la doit dévorer.
Souffrez que , loin du camp & loin de votre vue.
Toujours infortunée & toujours inconnue.
J'aille cacher un fort fi digne de pitié.
Et dont mes pleurs encor vous taifent la moitié.
Achille,
C'eft trop , belle princeffc. Il ne faut que nous fuivre.
Venez, qu'aux yeux des Grecs Achille vous délivre j
"^ ' "ue le doux moment de ma félicité
le moment heureux de votre liberté.
x^S I P H I G E N I E,
SCENE V.
ACHILLE, CLYTEMNESTRE , IPHIGÉNIE ,
ERIPHILE, ARCAS, ^GINE , DORIS.
A B. C A s.
iVi ADAME , tout eft prêt pour la cérémonie.
Le roi près de l'autel attend Iphigénie ,
Je viens la demander. Ou plutôt, contre lui,
Seigneur , je viens pour elle implorer votre appui*
Achille.
Ai'cas, gue dites-vous ?
Clytemkestre.
Dieux ! que vient-il m'apprendre \
A R c A s à Achille.
Je ne vois plus que vous qui puifïiez la défendre.
Achille.
Contre qui î
A R c A s.
Je le nomme & l'accufe à regrer.
Autant que je l'ai pu , j'ai gardé fon fecret.
Mais le fer, le bandeau , la flamme eft toute prête.
Dût tout cet appareil retomber fur ma tête ,
li faut parler.
Clytemnestre.
Je tremble. Expliquez- vous , Arcas,
Achille.
<2iuî que ce foït , parlez , & ne le craignez pas,
A R c A s.
Vous êtes fon amant , & vous êtes fa mère ;
Gardez-vous d'envoyer la princefTe à fon père,
Clytemnestre.
Pourquoi le craindrons-nous î
TRAGÉDIE. 157
Achille.
Pourquoi m'en défier J
A R c A s.
Il l'attend à l'autel pour la facrifier.
A C H I L L £.
Lui!
Clytemnestri.
Sa fille î
Iphigênie.
Mon père 1
E K I P H I L E.
O Ciel , quelle nouvelle !
A c H I L L E.
Quelle aveugle fureur pourroit l'aimer contre elle ?
Ce difcours, fans horreur, .fc peut-il écouter ?
A R c A s.
Ah , Seigneur, plût au (]iel que je pufTe en douter I
Par la voix de Calchas rcracl: la demande ;
De toute autre vidtimc il refufe l'ofîrande ;
Et les dieux , jufques-.'à , protedeurs de Paris ,
Ne nous promettent Troie Se les vents qu'a, ce prix.
Clytemnestre.
Les dieux ordonneroient un meurtre abominable?
IPHlGÉNIE.
Ciel , pour tant de rigueur, de quoi fuis- je co<ipabIe ?
Clytemnestre.
Je ne m'étonne plus de cet oidre cru I
Qui m'avoit interdit l'appiochc de l'autel,
Iphigênie à Achille.
Et voilà donc l'hymen cù j'ctois deftinée î
A R c A s.
Le roi, pour vous tromper , feignoit cet hymenéc.
Tout le camp même encore eft trompé comme vous.
Clytemnestre.
Seigneur, c'efl: donc à moi d'embraffer vos genoux.
A c H I L L E /fl relevant.
Ah , Madame I
iî8 I P H I G E N I E,
Clytemnestre.
Oubliez une gloire importune.
Ce trifte abaiffemenc convient à ma fortune.
Heureufe , h mes pleurs peuvent vous attendrir I
Une mère à vos pieds peut tomber fans rougir.
C'eft votre époufe , héJas , qui vous eft enlevée I
Dans cet heureux efpoir je Tavois élevée.
C'eft vous que nous cherchions fur ce funcfte bord 5
Et votre nom , Seigneur , la conduit à la mort.
Ira-t-ellc , des dieux implorant la juftice ,
Embraller leurs autels parcs poui fon fupplice ?
Elle n'a que vous feul. Vous êtes en ces lieux
Son père, fon époux, fon afyle , fes dieux.
Je lis dans vos regards la douleur qui vous preHe.
Auprès de votre époux, ma fille , je vous laiiTe.
Seigneur , daignez m'attendre, èc ne la point quitte
A mon perfide époux je cours me prcfenter.
Il ne fouriendra point la fureur qui m'anime.
Il faudra que Caichas cherche une autre vidime.
Ou , fi je ne vous puis dérober à leurs coups ,
Ma fille, ils pourront bien m'immoler avant vous.
SCENE V L
ACHILLE, IPHIGÉNIE,
Achille.
iVl ADAME , je me tais , & demeure immobile.
Eft-ce à moi que Ton parle , & connoît-on Achille
Une mère, pour vous, croit devoir me prier.
Une reine, à mes pieds , fe vient humilier.
Et, me deshonorant par d'injuftes allarmes ,
Pour attendrir mon cœur on a recours aux larmes.
Qui doit prendre à vos jours plus d'intérêt que moi ?
Ah, fans doute, on s'en peut repofer fur ma foi.
TRAGÉDIE. 255
L'outrage me regarde ; &, quoi qu'on entreprenne,
Je reponds d'une vie , où j'attache la mienne.
Mais ma juftc douleur va plus loin m'engager.
• C'eft peu de vous défendre ^ & je cours vous venger j
Et punir à laibis le cruel Ibarageme
Qui s'ofe de mon nom armer contre vous-même.
IPHIGÉNIE.
Ah, demeurez. Seigneur, &: daignez m'écouter.
Achille.
Quoi , Madame , un barbare ofera m'infuker ?
Il voit que de fa fceur je cours venger l'outrage.
II fait que , le premier lui donnant mon fulirage ,
Je le fis nommer chef de vingt rois fcs rivaux ;
Çt, pour fruit de mes foins , pour fruit de mes travaux,
Pour tout le prix enfin d'une illuftre vidoire ,
Qui le doit enrichir, venger, combler de gloire ,
Content & glorieux du nom de votre époux ,
Je ne lui demandois que l'honneur d'être à vous.
'Cependant, aujourd'hui , fanguinaire , parjure ,
' C'cft peu de violer l'amitié , la nature ;
C'eft peu que de vouloir, fous un couteau mortel ,
Me montrer votre coeur fumant fur un autel.
D'un appareil d'hymen couvrant ce facrifice ,
II veut que ce foit moi qui vous mène au fupplice ?
Que ma crédule main conduife le couteau ?
Qu'au lieu de votre époux , je fois votre bourreau î
Et quel ctoit pour vous ce fanglant hyménée,
Si je fuiïe arrivé plus tard d'une journée ?
Quoi donc , à leur fureur livrée en ce moment.
Vous iriez à l'autel me chercher vainement ;
Et d'un fer imprévu vous tomberiez frappée,
En accufant mon nom qui vous auroit trompée i
II faut de ce péril , de cette trahifon ,
Aux yeux de tous les Grecs lui demander raîfon.
A l'honneur d'un époux vous-même iniércffée ,
Madame , vous devez approuver ma penfée.
Il faut que le cruel , qui m'a pu méprifer,
Apprenne de quel nom il ofoit abufer.
i5c l P H I G E N I E,
Iphigénie.
Hélas ! fi vous m'aimez, fi, pour grâce dernière;
Vous daigniez d'une amante écouter Ja prière,
C'eft maintenant, Seigneur, qu'il faut me le prouver.
Car enfin ce cruel , que vous allez braver ,
Cet ennemi barbare , injufte, fanguinaire.
Songez, quoi qu'il ait fait, fongez qu'il eft mon pèr
Achille.
Lui, votre père ? Après fon horrible deflèin ,
Je ne le connois plus que pour votre affaflin.
Iphigénie.
C'eft mon père , Seigneur, je vous le dis encore ,
Mais un père que j'aime , un père que j'adore ,
Qui me chérit lui-même , '& dont, jufqu'à ce jour.
Je n'ai jamais reçu que dss marques d'amour.
Mon cœur, dans ce refpeci élevé d;s l'enfance ,
Ne peut que s'affliger de tout ce qui l'offenfe ;
Et loin d'ofer ici, par un prompt changement,
Approuver la fureur de votte emportcuient.
Loin que par mes difccurs je l'attife moi-même ,
Croyez qu'il faut aimer autant que je vous aime.
Pour avoir pu fouffrir tous les noms odieux ,
Dont votre amour le vient d'outrager à mes yeux.
Et pourquoi voulez-vous qu'inhumain & barbare ,
Il ne gémilTe pas du coup qu'on me prépare î
Quel père de fon fang fe plaît à fc priver ?
Pourquoi me perdroit-il , s'il pouvoit me fauver ?
J'ai vu, n'en doutez point, fes larmes fe répandre.
Faut-il le condamner avant que de l'entendre ?
Hélas I de tant d'horreurs fon cœur déjà troublé ,
Doit-il de votre haine être encore accablé î
Achille.
Quoi, Madame, parmi tant de fujets de crainte.
Ce font-là les frayeurs dont vous êtes atteinte l
Un cruel ( comment puis- je autrement l'appcller î )
Par la main de Calchas s'en va vous immoler ;
Et lorfqu'à fa fureur j'oppofe ma tendrelTe ,
Le foin de fon repos el\ le feul qui vous prelTe l
TRAGÉDIE. x€i
On me ferme la bouche 1 On l'excufe I On le plaint I
C'cll pour lui que l'on tremble, & c'elt moi que l'on craint •
Trille etîèt de mes feins 1 Eil-ce donc là , Madame,
Tout ic progrès qu'Achillj avoir fait dans votre ame î
I P H I G É N I E.
Ah , cruel î cet amour, dont vous voulez douter ,
Ai-je attendu Ix caid pour le faire éclater i
Vous voyez de quel œii , & comme indifférente.
J'ai reçu de ma mort la nouvelle fanglante.
Je n'en ai point pâli. Que n'avez-vous pu voir
A quel excès tantôt alloit mon délèfpoir ,
Quand , preiqu'en arrivant , un récit peu fidèle
M'a de votre inconftance annoncé la. nouvelle î
Quel trouble ! Quel torrent de mots injurieux
Accufoit à la fois les hommes & les dieux I
Ah , que vous auriez vu , fans que je vous le die ,"
De combien votre amour m'ell plus cher que ma vî*
Qui fait même , qui fait (i le Ciel irrité
A pu fouftrir l'excès de ma félicité 1
Hélas , il me fembloit qu'une flamme fi belle
M'élevoit audeflus du fort d'une mortelle 1
Achille.
Ah , fi je vous fuis cher , ma princelTe , viver.
SCENE VIL
CLYTEMNESTRE , IPHIGÉNIE. ACHILLE j
REGINE.
Clytemnestre. ]
1 DUT eft perdu. Seigneur, fi vous ne nous fauvez^
Aganjemnon m'évite , &: , craignant mon vifage ,
Il me fait de l'autel refufer le pafTage.
162. I P H I G E N I E,
Des gardes , que lui-même a pris foin de placer.
Nous ont de toutes parts défendu de pafler.
Il me fuit. Ma douleur étonne Ion audace.
Achille.
Hé bien , c'eft donc à moi de prendre votre place.
Il me verra. Madame, oc je vais lui parler.
, Iphigénie.
Ah, Madame 1 ...Ah, Seigneur, où voulez-vous aller
Achille.
Et que prétend de moi votre injuftc prière ?
Vous faudra-t-il toujours combattre la première î
Clytemnestre.
Quel cil votre deffein , ma fille î
Iphigénie.
Au nom des dieiu
Madame , retenez un amant furieux.
De ce trifte entretien détournons les approches.
Seigneur , trop d'amertume aigriroit vos reproches.
Je fais jufqu'où s'emporte un amant" irrité j
Et mon père eft jaloux de fon autorité.
On ne connoît que trop la fierté des Atrides.
Laiflez parler, Seigneur, des bouches plus timides.
Surpris , n'en doutez point de mon retardement.
Lui-même il me viendra chercher dans un moment.
Il entendra gémir une mère oppreflee ;
Et que ne pourra point m'infpirer la pcnfée
De prévenir les pleurs que vous verfericz tous ,
D'arrêter vos tranfports , & de vivre pour vous î
Achille.
Enfin vous le voulez. Il faut donc vous complaire.
Donnez-lui , l'une & l'autre , un confeil falutaire ,
Rappeliez fa raifon , perfuadez-le bien ,
Pour vous , pour mon repos, & fur-tout pour le lîei
Je perds trop de momens en des difcours frivoles.
Il faut des adions , & non pas des paroles.
TRAGÉDIE,
( â Clytemnejlre )
Madame , à vous fervir je vais tout difpofcr.
'Dans votre appartement allez vous repolcr.
Votre fille vivra, je puis vous le prédire.
Croyez du moins, croyez que, tant que je refpîre ,
îLes dieux auront en vain ordonné fon trépas.
Cet oracle eft plus fur que celui de Calchas.
z^j
Fin du troîjième ACle.
1^ I P H I G E N I E,
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
E R_I P HILE. DORIS,
D O R. I s.
x\ H , que me Hites-vous ? Quelle étrange manie
Vous peur faite envier le fort d'Iphigénie ?
Dans une heure elle expire. Et jamais, dites- vous,
Vos yeux de fcn bonheur ne furent plus jaloux.
Qui le croira, Madame ? Et quel coeur fi farouche .
E R. I P H I L E.
Jamais rien de plus vrai n'eft forci de ma bouchci
Jamais de rant de foins mon efprit agité
Ne porta plus d'envie à fa félicité.
Favorables périls ! Efpérance inutile !
N'as -tu pas vu fa gloire, & le trouble d'Achille i
J'en ai vu , j'en ai fui les fîgnes trop certains. \
Ce héros, fi terrible au refte des humains ,
Qui ne connoît de pleurs que ceux qu'il fait répandre
Qui s'endurcit contre eux.dès l'âge le plus rendre»
Et qui , fi l'on nous fait un fidèle difcours ,
Suça même le fang des lions & des ours,
Pour elle de la crainte a fait l'apprentiflage :
Elle Ta vu pleurer Se changer de vifage.
Et tu la plains, Doris ? Par combien de malheurs
Ne lui voudrois-je point difputer de tels pleurs î
Quand je devrois, comme elle, expirer.dans une heure.
Mais que dis-je expirer ! Ne crois pas qu'elle meure.
Dans un lâche fommeil crois-tu qu'enfeveli ,
Achille aura pour elle impunément pâli ?
Achille à fon malheur faura bien mettre obftadc.
Tu verras que ie5 dieux n*onc di6lé cet oracle,
TRAGÉDIE. i^j
Que pour croîcre à la fois fa gloire & mon tourment ,
Et la rendre plus belle aux yeux de fon amant.
Hé quoi ! ne vois-tu pas tooat ce qu'on fait pour elle î
On fupprime des dieux la fcntence mortelle 5
Et, quoique le bûcher foit déjà préparé.
Le nom de la vii^ime eit encore ignoré.
Tout le camp n'en fait rien. Dons, à ce fîlencc "
Ne reconnois-tu pas un père qui balance ?
Et que fera-t-il donc ? Quel courage endurci
Soutiendront les afîauts qu'on lui prépare ici ?
Une mère en fureur, les larmes d'une fille ,
Les cris , le défefpoir de toute une famille ,
Le fang à ces objets facile à s'ébranler ,
Achille menaçant tout prêt à l'accabler :
Non , te dis-je , les dieux l'ont en vain condamnée ?
Je fuis , &: je ferai la feule infortunée.
Ah, fi je m'en croyois !
D O R I s.
Quoi , que méditez-vous ?
E R I P H I L E.
Je ne fais qui m'arrête & retient mon courroux ;
Que , par un prompt avis de tout ce qui fe paflè ,
Je ne coure des dieux divulguer la menace ,
Et publier par-tout les complots criminels
Qu'on fait ici contre eux & contre leurs autels.
D o R 1 s.
Ah , quel dcfTein , Madame 1
Eriphile.
Ah , Doris , quelle joie î
Que d'encens brûleroit dans les temples de Troie I
Si , troublant tous les'Grecs &c vengeant ma prifon ,
Je pouvois contre Achille armer Agamemnon j
Si leur haine , de Troie oubliant la querelle ,
Tournoit contre eux le fer qu'ils aiguifen't contre eilc;
Et fi, de tout le camp, mes avis dangereux
Faifoicnt à ma patrie un facrifice heureux.
Tome lU M
z6C I P H I G E N I E,
D O B. I s.
J'entends du bruit. On vient, Clytemneftre s'avance.
Remettez-vous , Madame , ou fuyez fa préfence.
E R. I P H I L E.
Rentrons. Et, pour troubler un hymen odieux,
Confultons des fureurs qu'autorifcnt les dieux.
SCENE IL
CLYTEMNESTRE, .EGINE.
Cl ytemnest-re.
xHi GiNE , tu le vois , il faut que je la fuie.
Loin que ma fille pleure , Se tremble pour fa vie ,
Elle excufe fon père, & veut que ma douleur
Refpeéle encor la main qui lui perce le cœur.
O conftajice î O refpeft ! Pour prix de fa tendrefTc ,
Le barbare , à Tautel fe plaint de fa parefle.
Je l'attens. \l viendra m'en demander raifon :
Il croit pouvoir encor cacher fa trahifon.
Il vient. Sans éclater contre fon injufticc.
Voyons s'il foutiendra fon indigne artifice.
SCENE I I L
AGAMEMNON, CLYTEMNESTRE, .EGINE.
Agamemnon,
\/ UE faites-vous. Madame ? Et d'oiJ vient que ces lieux
N'offrent point avec vous votre fille à mes yeux ?
Mes ordres par Arcas vous l'avoient demandée :
Qu'attend-t-elle 3 Eft-cc vous qui l'avez retardée ?
A mes juftes dcfîrs ne vous rendez-vous pas ?
Ne peut-elle à l'autel aiarchcr que fur vos pas f
TRAGÉDIE. xC-i
Parler,
Clytemnestr-E.
S'il faut partir, ma fille eft toute prête.
Mais vous, n'avez-vous rien, Seigneur, qui vous arrête î
Agamemnon.
Moi , Madame ?
Clytemkestre.
Vos foins ont-ils tout préparé î
Agamemnon.
Calchas eft prêt. Madame, oc l'autel eft paré.
J'ai fait ce que m'ordonne un devoir légitime.
Clytemnestre.
Vous ne me parlez point , Seigneur , de la vidime.
Agamemnon.
Que me voulez-vous dire ? Et de quel foin jaloux . . ,
SCENE IV.
AGAMEMNON, C L YTE MNESTRE,
IPHIGÉNIE, iEGINE.
Clytemnestre.
V eneï , venez, ma fille , on n'attend plus que vous 5
Venez remercier un père qui vous aime ,
Et qui veut â l'autel vous conduire lui-même.
Agamemnon.
Que vois-je ! Quel difcours ! Ma fille , vous pleurez ,
Et baiflez devant moi vos yeux mal affûtés.
Quel trouble ! Mais tout pleure , & la fille & la mère.
Ah , malheureux Arcas , tu m'as trahi î
Iphigénie.
Mon père ,
Cciïcz de vous troubler, vous n'êtes point trahi.
Quand vous commanderez, vous ferez obéi.
Ma vie eft votre bien. Vous voulez le reprendre.
yos ordres, fans détgurs , PQUVQleaî fe faire entendre.
Mij
i(J8 I P H I G E N I E,
D'un œil aufll content, d'un cœur auflî fournis
Que j'acceptois l'époux que vous m'aviez promis'.
Je faurai, s'il le faut, vidlime obéiffante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente ;
Et , refpedant le coup par vous-même ordonné ,
Vous rendre tout le fang que vous m'avez donné.
Si pourtant ce refpeû, îi cette obéifiance
Paroît digne à vos yeux d'une autre récompenfe ;
Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis j
J'ofe vous dire ici qu'en l'état où je fuis ,
Peut-être aflez d'honneurs environnoient ma vie ,
Pour ne pas fouhaiter qu'elle me fût ravie ,
Ni qu'en me l'arrachant, un févère deftin ,
Si près de ma naiflance , en eût marqué la fin.
Fille d'Agamemnon , c'eft moi qui la première ,
Seigneur , vous appellai de ce doux ncm de père.
C'ell moi qui , fi long-temps le plaifir de vos yeux ,
Vous ai fait de ce nom remercier les dieux ;
Et pour qui, tant de fois prodiguant vos carefles ,
Vous n'avez point du fang dédaigné les foiblefles.
Hélas , avec plaifir jç me faifois conter
Tous les noms des pays que vous allez domtcr.
Et , déjà d'Ilion piéfageant la conquête.
D'un triomphe fi beau je préparois la fête.
Je ne m'attendois pas que, j)our le commencer ,
Mon fang fût le premier que vous dufliez verfer.
Non que la peur du coup , dont je fuis menacée ,
Me fafle rappeiler votre bonté pafiée.
Ne craignez rien. Mon cœur, de votre honneur jaloux.
Ne fera point r.ougir un père tel que vous ;
Et , fi je n'^vois eu que ma vie à défendre , -^
J'aurois fu renfermer un fouvenir ii tendre.
Mais à mon trille fort, vouslefavez. Seigneur,
Une mère , un amant attachoient leur bonheur.
Un roi digne de vous a cru voir la journée
Qui devoir éclairer notre iîl.uftre hyménée.
Déjà fur de mon cœur à fa flamme promis ,
Il s'eftiiiioit heureux : v.ous me l'aviez permis,
TRAGÉDIE. i6<)
Il fait votre defTein , jugez de £es allarmes.
Ma mère eft devant vous , & vous voyez fes larmes.
Pardonnez aux efForcs que je viens de tenter,
Pour prévenir les pleurs que je leur vais coûter.
Agamemno».
Ma fille, il eft trop vrai. J'ignore pour quel crime
La colère des dieux demande une viftime.
Mais ils vous ont nommée. Un oracle cruel
Veut qu'ici votre fang coule fur un autel.
Pour défendre vos jours de leurs loix meurtrières.
Mon amour n'avoir pas attendu vos prières.
Je ne vous dirai point combien j'ai réiîfté.
Croycz-en cet amour, par vous-même attefté.
Cette nuit même encore , on a pu vous le dire ,
J'avois révoqué l'ordre où l'on me fit foufcrire.
Sur l'intérêt des Grecs vous l'aviez emporté.
Je vous facrifiois mon rang, ma fureté.
Arcas alloit du camp vous défendre l'entrée.
Les dieux n'ont pas voulu qu'il vous ait rencontrée.
Ils ont trompé les foins d'un père infortuné,
Qui protégeoit en vain ce qu'ils ont condamné.
Ne vous affurez point fur ma foible puifTance,
Quel frein pourroit dHin peuple arrêter la licence ,
Quand les dieux, nous livrant à fon zèle indifcret ,
L'afFranchifîent d'un joug qu'il portoit à regret î
Ma Fille, il faut céder. Votre heure eft arrivée.
Songez-bien dans quel rang vous êtes élevée.
Je vous donne un confeil qu'à peine je reçoi ;
Du coup qui vous attend , vous mourrez moins que moi.
Montrez, en expirant, de qui vous êtes née.
Faites rougir ces dieux qui vous ont condamnée.
Allez. Et que les Grecs, qui vont vous immoler,
Reconnoiflent mon fang en le voyant couler,
Clïtemnestre.
Vous ne démentez point une race funefte.
Oui , vous êtes le fang d'Atrée &: de Thyefte.
Bourreau de votre fille, il ne vous relie enfin
Que d'en faire à fa mère un horrible feftin.
Miij
170 I P H I G E N 1 E y
Barbare ! C'eft donc là cet heureux facrifîce
Que vos foins préparoienr avec tant d'artifice î
Quoi , l'horreur de foufcrire à cet ordre inhumain ,
N'a pas, en le traçant, arrêté votre main 1
Pourquoi feindre à nos yeux une fauflè triftefle ?
Penfez-vous par des pleurs prouver votre tendrelfe ?
Où font-ils ces combats que vous avez rendus î
Quels flots de fang pour elle avez-vous répandus ?
Quel débris parle ici de votre réfiftance ?
Quel champ couvert de morts me condamne au filencc ?
Voilà par quels témoins il falloit me prouver.
Cruel , que votre amour a voulu la fauver.
Un oracle fatal ordonne qu'elle expire.
Un oracle dit-il tout ce qu'il femble dire ?
Le Ciel, le jufte Ciel, par le meurtre honoré.
Du fang de l'innocence eft-il donc altéré ?
Si du crime d'Hélène on punit fa famille.
Faites chercher à Sparte Hermione fa fille.
Laiflez à Ménélas racheter d'un tel prix
Sa coupable moitié dont il eft trop épris.
Mais vous , quelles fureurs vous rendent fa viûime ?
Pourquoi vous impofer la peine de fon crime ?
Pourquoi , moi-même enfin me déchirant le flanc ,
Payer fa folle amour du plus pur de mon fang î
Que dis-je ? Cet objet de tant de jaloufie ,
Cette Hélène, qui trouble & l'Europe & l'Afie,
Vous femble-r-elle un prix digne de vos exploits î
Combien nos fronts pour elle ont-ils rougi de fois î
Avant qu'un nœud fatal l'unit à votre frère,
Théfée avoir ofé l'enlever à fon père ,
Vous favez, & Calchas mille fois vous l'a dit ,
Qu'un hymen clandeftin mit ce prince en fon lit ,
Et qu'il en eut pour gage une jeune prjncefle ,
Que fa mère a cachée au retle de la Grèce.
Mais non , l'amour d'un frère , & fon honneur blcffé
Sont les moindres des foins, dont vous êtes prcfle.
Cette foif de régner, que rien ne peut éteindre ,
L'orgueil de voir vingt rois vous fcrvir & vous craindre,
TRAGÉDIE, 371
Tcus les droits de l'Empire en vos mains confies ,
Cruel ! c'eft à ces dieux que vous facrifiez ;
Et loin de repouflcr le coup qu'on vous prépare ,
Vous voulez vous en faire un mérite barbare.
Trop jaloux d'un pouvoir qu'on peut vous envier ,
De votre propre fang vous courez le payer ;
Et voulez , par ce prix , épouvanter l'audace
De quiconque vous peut difputer votre place.
Eil-ce donc être père ? Ah, toute ma raifon
Cède à la cruauté de cette trahifon.
Un prêtre , environné d'une foule cruelle.
Portera fur ma fille une main criminelle l
Déchirera fon fein l Se , d'un œil curieux,
Dans fon coeur palpitant confultera les dieux ï
Et moi, qui l'amenai triomphante , adorée ,
Je m'en retournerai feule Se défefpérée î
Je verrai les chemins encor tout parfumés
Des fleurs , dont fous fes pas on les avoit femés l
Non , je ne l'aurai point amenée au fupplice ,
Ou vous ferez aux Grecs un double facrihce.
Ni crainte , ni refpeû ne m'en peut détacher.
De mes bras tout fanglans il faudra l'arracher*
Auill barbare époux qu'impitoyable pçre ,
Venez , fi vous l'ofez , la ravir à fa mère.
Et vous , rentrez , ma fille , &: du moins à mes loix
Obéiflez encor pour la dernière fois.
SCENE V.
ACAMEMNON fcuU
l\ DE moindres fureurs je n'ai pas du m'attendre.
Voilà , voilà les cris que je craignois d'entendre.
Heureux , fi dans le trouble où fiottent mes efprits.
Je n'avois toutefois à craindre que fes cris I
Kélae , en m'impofant une loi ù févère ,
Grands dieux , me dcvicz-vous laiflèr un cœur de père î
M iv
i7i I P H I G E N I E,
SCENE V L
ACHILLE, AGAMEMNON.
Achille.
w N bruit aflèz étrange cft venu jufqu'à moi ,
Seigneur ; je l'ai jugé trop peu digne de foi.
On dit , & fans horreur je ne puis le redire ,
Qu'aujourd'hui par votre ordre Iphigénie expire ;
Que vous-même , étouffant tout fentimcnt humain ,*
Vous l'allez à Calchas livrer de votre main.
On dit que, fous mon nom à l'autel appellée.
Je ne l'y conduifois que pour être immolée 5
Et que , d'un faux hymen nous abufant tous deux ,
Vous voulez me charger d'un emploi fî honteux.
Qu'en dites-vous. Seigneur ? Que faut-il que j'en penfe î
Ne fcrez-vous pas taire un bruit qui vous offenfe î
Agamemnon.
Seigneur, je ne rends point compte de mes deflcîns.
^a fille ignore encor mes ordres Ibuverains j
Et , quand il fera temps qu'elle en foit informée ,
Vous apprendrez fon fort , j'en inftruirai l'armée.
Achille.
Ah , je fais trop le fort que vous lui réfervez I
Agamemnon.
Pourquoi le demander, puifque vous le favez î
Achille.
Pourquoi je le demande ? O Ciel , le puis-je croire
Qu'çn ofe des fureurs avouer la plus noire !
Vous croyez qu'approuvant vos deffeins odieux ,
Je vous laiffe immoler votre fille à mes yeux ?
Que ma foi, mon amour, mon honneur y confente \
Agamemnon.
Mais vous , quj me parlez d'un voix menaçante ,
TRAGÉDIE. 173
Oubliez-vous ici qui vous iaterrogez ?
Achille.
Oubliez-vous qui j'aime, & qui vous outragez î
A G A M E M N O N.
Er qui vous a chargé du foin de ma famille ?
Ne pourrai-je, fans vous, difpofer de ma fille î
Ne fuis-je plus fon père ? Etes-vous fon époux i
Et ne peut-elle ....
Achille.
Non elle n'eft plus â vous.
On ne m'abufe point par des promeffes vaines.
Tant qu'un refte de fang coulera dans mes veines.
Vous deviez à mon fort unir tous Css momens.
Je défendrai mes droits fondés fur vo3 fermens ;
Et n'cft-ce pas pour moi que vous l'avez mandée ?
Agamemnon.
Plaignez-vous donc aux dieux qui me l'ont demandée.
Accufez & Calchas Se le camp tout entier ,
UlylTe , Ménélas , & vous tout le premier.
Achille.
Moi I
Agamemnon.
Vous qui , de l'Afie embraiTant la conquête ,
Querellez tous les jours le Ciel qui vous arrête ;
Vous qui , vous offenfant de mes juftes terreurs ,
Avez dans tout le camp répandu vos fureurs.
Mon cœur, pour la fauver , vous ouvroit une voie ;
Mais vous ne demandez, vous ne cherchez que Troie.
Je vous fermois le champ , où vous voulez courir.
Vous le voulez, partez, fa mort va vous l'ouvrir,
Achille.
Jufte Ciel ! puis-je entendre & fouffrir ce langage î
Eft-ce ainfi qu'au parjure on ajoute l'outrage !
Moi, je voulois partir aux dépens de fes jours î
Et que m'a fait à moi cette Troie où je cours ?
Au pied de Ces remparts quel intérêt m'appelle î
Pour qui , fourd à la voix d'une mère immortelle ,
Mv
174 IP H I G E N I E,
Et d'un père éperdu négligeant les avis ,
Vais-jc y chercher la mort tant prédite à leur fils ?
Jamais vaifleaux partis des rives du Scamandre ,
Aux champs ThefTaliens ofèrent-ils defcendre î
Et jamais dans Larifle un lâche raviflèur
>ïe vint-il enlever ou ma femme ou ma foeur ?
Qu'ai-je à me plaindre ? Où font les pertes que j'ai faites ?
Je n'y vais que pour vous, barbare que vous èzçs;
Pour vous , à qui des Grecs moi feul je ne dois rien ;
Vous, que j'ai fait nommer & leur chef & le mien ;
Vous, que mon bras vengeoit dans Lelbos enflammée ,
Avant que vous euffiez allemblé votre armée.
Et quel fut le deflein qui nous aflembla tous ?
Ne courons-nous pas rendre Hélène à fon époux ?
Depuis quand penîe-t-on qu'inutile à moi-même ,
Je me laifle ravir une époufe que j'aime ?
Seul , d'un honteux affront votre frère blefïe ,
A-t-il droit de venger fon amour offenfé ?
Votre fille me plut, je prétendis lui plaire.
Elle cft de mes fermens feule dépofitaire.
Content de fon hymen , vaifleaux , armes , foldats ,
Ma foi lui promit tout , & tien à Ménéias.
Qu'il poufuive , s'il veut , fon époufe enlevée ;
Qu'il cherche une viûoire à mon fang réfervée.
Je ne connois Priam , Hélène , ni Paris.
Je voulois votre fille , & ne pars qu'à ce prix.
Agamemnon.
Fuyez donc Retournez dans votre Thcflalie.
Moi-même je vous rends le ferment qui vous lie.^
Aflez d'autres viendront , à mes ordres foumis ,
Se couvrir des lauriers qui vous furent promis ;
Et par d'heureux exploits , forçant la deftinée ,
Trouveront d'Ilion la fatale journée.
J'entrevois vos mépris, & juge , à vos difcours ,
Combien j'acheterois vos fuperbes fecours.
De la Grèce déjà vous vous rendez l'arbitre ;
Ses rois , à vous ouir , m'ont paré d'un vain titre.
i
TRAGÉDIE. x-j^
Fîet de vôtre valeur , tout , fi je vous en croîs.
Doit marcher, doit fléchir, doit trembler fous vos loix.
Un bienfait reproché tint toujours lieu d'ofFenfe.
Je veux moins de valeur, &: plus d'obéiflance.
Fuyez. Je ne crains point votre impuillant courroux 5
Et je romps tous les nœuds qui m'attachenc à vous.
A C H i L L E.
Rendez grâce au feul nœud qui retient ma colère.
D'Iphigénie encor je rerpeûe le père.
Peut-être , fans ce nom, le chef de tant de rois
M'auroit ofé braver pour la dernière fois.
Je ne dis plus qu'un mot, c'eft à vous de m'entendre»
J'ai votre fille enfemble & ma gloire à défendre.
Pour aller jufqu'au cœur, que vous voulez percer.
Voilà par quels chemins vos coups doivent palFer.
SCENE VIL
ACAMEMNON ftliU
X_j T voilà ce qui rend fa perte inévitable.
Ma fille toute feule étoit plus redoutable.
Ton infolent amour, qui croit m'épouvantet;
Vient de hâter le coup que tu veux arrêter.
Ne délibérons plus. Bravons fa violence.
Ma gloire intéreflee emporte \z balance.
Achille menaçant détermine mon cœur ,
Ma pitié fembleroit un effet de ma peur»^
Holà, Gardes, à moi.
Hv;
275 I P H I G E N I E,
SCENE VIII.
A G AME MN ON, EURYBATE, Cardes.
EURYEATE.
•^ EIGNEUR.
Agamemnon
Que vais-je faire î
Puis-je leur prononcer cet ordre fanguinaire î
Cruel, à quel combat faut-il te préparer I
Quel eft cet ennemi que tu leur vas livrer î
Une n:»ère m'attend , une mère intrépide ,
Qui défendra fon fang contre un père homicide.
Je verrai mes foldats , moins barbares que moi >
Refpeûer dans fes bras la fille de leur roi.
Achille nous' menace, Achille nous méprife.
Mais ma fille en eft-elle à mes loix moins foumife ?
Ma fille , de l'autel cherchant à s'échapper ,
<jémit-elle du coup dont je la veux frapper ?
Que dis-je ? Que prétend mon facrilege zèle ?
Quels vœux, en l'immolant, formerai-je fur elle ?
Quelques prix glorieux qui me foient propofés ,
Quels lauriers me plairont de fon fang arrofés î
Je veux fléchir des dieux la puiflance fuprême.
Ah, quels dieux me feroient plus cruels que moi-même I
Non, je ne puis. Cédons au fang, à l'amitié.
Et ne rougiflbns plus d'une jufte pitié.
Qu'elle vive. Mais quoi ? Peu jaloux de ma gloire ,
Dois-je au fuperbe Achille accorder la viâoire î
Son téméraire orgueil, que je vais redoubler.
Croira que je lui cède, & qu'il m'a fait trembler.
De quel frivole foin mon efprit s'cnibarraflTe ?
Ne puis-je pas d'Achille humilier l'audace ?
Que ma fille à Ces yeux foit un fujet d'ennui :
Il l'aime. Elle vivra pour un autre que lui.
TRAGÉDIE. 277
Eurybate , appeliez la piincefTe, la reine.
Qu'elles ne craignent point.
SCENE IX.
A G -A M E M N O N , Gardts.
Agamemnon
vjr RANDs dieux , fi votre haine
Perfévèi-e à vouloir l'arracher de mes mains ,
Que peuvent devant vous tous les foibles humains î
Loin de la fecourir , mon amitié l'opprime ;
Je le fais. Mais , grands dieux, une telle vidime
Vaut bien que , confirmant vos rigoureufes loix ,
Vous me la demandiez une féconde fois.
SCENE X
AGAMEMNON, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE,
ERIPHILE , EURYBATE , DORIS , Garizs.
Agamemnon.
/* iLEz , Madame , allez, prenez foin de fa vie.
Je vous rends votre fille , & je vous la confie.
Loin de ces lieux cruels précipitez fcs pas.
Mes Gardes vous fuivront commandés par Arcas.
Je veux bien excufer fon heureufc imprudence.
Tout dépend du fecret & de la diligence.
Ulyfie ni Calchas n'ont point encor parlé 5
Gardez que ce départ ne leur fuit révélé.
Cachez bien votre fille, & que tout le camp croie
Que je la retiens feule, ôc que je vous renvoie.
Fuyez. Puifîent les dieux, de mes larmes contens»
A mes triftes regards ne l'offrir de long-temps.
i78 IP H I G E N l E,
Gardes fuivez la reine.
Clytemnestre.
Ah , Seigneur l
Iphxcenie.
Ah , mon pèrs I
Agamemnon.
■Prévenez de Calchas rcmpreflement févèrCt
Fuyez , vous dis-je. Et moi, pour vous favorifer i
Par de feintes raifons je m'en vais l'abufer ;
Je vais faire fufpendre une pompe funefte ,
Et de ce jour, au moins , lui demander le refte.
SCENE IX.
ERIPHILE, DORIS.
E R I P H I L E.
^ uis-moî. Ce n'eft pas là , Doris, notre chemin,
D O B. 1 s .
Vous ne les fuivez pas ?
E R I P H I L E«
Ah , je fuccombe enfin
Je reconnois reffet àcs tendrefTes d'Achille.
Je n'emporterai point une rage inutile.
Plus de raifons. Il faut ou la perdre ou périr.
Viens, te dis-je. A Calchas je vais tout découvrir.
Fin du quatrième Aâe^
TRAGÉDIE. 17^
ACTE V.
SCENE PREMIERE.
IPHIGENIE, iEGINE.
Iphigénie.
V-< ESSE de m'arrêter. Va , retourne à ma mère ,"
^gine , il faut des dieux appaifer la colère.
Pour ce fang malheureux qu'on veut leur dérober >
Regarde quel orage eft tout prêt â tomber.
Conlîdère l'état où la reine eft réduite.
Voi comme tout le camp s'oppofe à notre fuite ;
Avec quelle infolence, ils ont, de toutes parts ,
Fait briller à nos yeux la pointe de leurs dards.
Nos gardes repoufTés, la reine évanouie . . .
Ah , c'eft trop l'expofer , foufFre que je la fuie !
Et , fans attendre ici Ces fecours impuiflans ,
LaiflTe moi profiter du trouble de fcs fens.
Mon père même , hélas 1 puifqu'il faut te le dire ,
Mon père , en me fauvant , ordonne que j'expifte.
^ G I N E.
Lui, Madame I Quoi donc ? Qu'eft-ce qui s'cft pafiTé î
Iphigénie.
Achille trop ardent l'a peut-être offenfé.
Mais^c roi, qui le hait, veut que je le haiflè*
Il ordonne à mon cœur cet affreux facrifice ,
Il m'a fait par Arcas expliquer fes foubaits ,
itgine , il me défend de lui parler jamais.
iE G 1 N E.
Ah , Madame !
Iphigénie.
Ah , fcntence ! Ah , rigueur inouïe l
Dieux plus doux , vqus n'avez demandé que ma vie l
z8o IPHIGENIE,
Mourons , cbéiflbns.. Mais qu'eft-ce que je voi ?
Dieux, Achille I
SCENE IL
ACHILLE, IPHIGÉNIE,
Achille.
V ENEz , Madame , fuivez-moî.
Ne craignez ni les cris , ni la foule impuiflante
D'un peuple qui Ce preiïe autour de cette tente.,
Paroiflèz ; 5c bientôt, fans attendre mes coups ,
Ces flots tumultueux s'ouvriront devant vous.
Patrocle , & quelques chefs qui marchent à ma fuite ,
De mes Theflaliens vous amènent l'élite.
Tout le refte , alfemblé près de mon étendart ,
Vous offie de fes rangs l'invincible rempart.
A vos perfécuteurs oppofons cet afyle.
Qu'ils viennent vous chercher fous les tentes d'Achille.
Quoi , Madame , eft-ce ainfi que vous me fécondez î
Ce n'eft que par des pleurs que vous me répondez.
Vous fiez-vous encore à de û foiblcs armes ?
Hâtons-nous. Votre père a déjà vu vos larmes.
Iphigéniî.
Je le fais bien , Seigneur. Auflî tout mon efpoir
N'eft plus qu'au coup mortel que je vais recevoir.
Achille.
Vous , mourir î Ah , ceflez de tenir ce langage I
Songez-vous quel ferment vous & moi nous engage ï
Songez-vous, pour trancher d'inutiles difcours ,
Que le bonheur d'Achille eft fondé fur vos jours I
Iphigénje.
Le Ciel n'a point aux jours de cette infortunée
Attaché le bonheur de votre deftinée.
Notre amour nous trompoit ; &c les arrêts du fore
Veulent que ce bonheur foie un fruit de ma morç.
TRAGÉDIE. 18 1
Songez, Seigneur, fongez à ces nioifiTons de gloire
Qu'a vos vaillances mains préfente la viftoire.
Ce champ il glorieux, où vous afpirez tous,
on fang ne l'arrofe , eft ftcrile pour vous.
ell la loi des dieux à mon père dictée.
r.ii vain , fourd à Calchas, il l'avoit rejettée.
Par la bouche des Grecs contre mot conjurés ,
Leurs ordres éternels fe font trop déclarés.
Partez. A vos honneurs j'apporte trop d'obftacles.
Vous-même dégagez la foi de vos oracles.
Signalez ce héros à la Gicce promis ,
Tournez votre douleur contre fes ennemis.
Déjà Priam pâlit. Déjà Troie , en allarmes ,
Redoute mon bûcher , 6c frémit de vos larmes.
Allez ; &, dans fes murs vuides de citoyens ,
Faites pleurer ma mort aux veuves des Troyens.
le meurs dans cet efpoir fatisfaite &: tranquille.
Si je n'ai pas vécu la compagne d'Achille ,
l'efpère que du moins un heureux avenir,
A vos faits immortels joindra mon fouvenir ;
Et qu'un jour mon trépas , fource de votre gloire ,
Ouvrira le récit d'une li belle hiftoire.
Adieu, prince, vivez digne race des dieux.
Achille.
"Non, je ne reçois point vos funeftcs adieux.
En vain , par ce difcours , votre cruelle adrclîe
Veut fervir votre père , & tromper ma tendreiTe.
En rain vous prétendez, obUinée à mourir,
IntérefTer ma gloire à vous lailîer périr.
Ces moiffbns de lauriers, ces honneurs, ces conquêtes.
Ma main , en vous fervant , les trouve toutes prêtes.
Et qui de ma faveur fe voudroit honorer ,
Si mon hymen prochain ne peut vous aflurer î
Ma gloire , mon amour, vous ordonnent de vivre.
Venez , Madame , il faut les en croire , & me fuivre.
•I p H I G Ë N I E.
Qui, moi ? Que, contre un père ofant me révolter.
Je mérite la mort que j'icois éviter î
z8z I P H I G E N I E,
Où feroit le refpeû , & ce devoir fuprcme . . »
A C H I L L I.
Vous fuivrez un époux avoué par lui-même.
C'eft un titre qu'en vjin il prétend me voler.
Ne fait-il des fermons que pour les violer î
Vous-même, que retient un devoir lî févère ,
Quand il vous donne à moi, n'eft-il point votre père
Suivez-vous feulement fes ordres abfolus ,
Quand il cefle de l'être , & ne vous connoît plus î
Enfin c'ell: trop tarder , ma princcfle 5 & ma crainte. .
Iphigénie.
Quoi, Seigneur, vous iriez jufques à la contrainte ?
D'un coupable tranfport écoutant la chaleur ,
Vous pourriez ajouter ce comble à mon malheur î
Ma gloire vous feroit moins chère que ma vie i
Ah, Seigneur , épargnez la trifte Iphigénie l
AfTervie à des loix que j'ai dû refpeder ,
C'eft déjà trop pour moi que de vous écouter.
Ne portez pas plus loin votre injufte viftoirc.
Ou, par mes propres mains immolée à ma gloire ,
-Je fàurai m'afFranchir , dans ces extrémités ,
Du fecours dangereux que vous me préfentez.
Achille.
Hé bien , n'en parlons plus. Obéiflez, cruelle,
Et cherchez une mort qui vous fsrable fi belle.
Portez à votre père un cœur, où j'entrevoi
Moins de refpcft pour lui, que de haine pour moi.
Une jufte fureur s'empare de mon ame.
Vous allez à l'autel , & moi , j'y cours , Madame.
Si de fang & de morts le Ciel eft affamé ,
Jamais de plus de fang fes autels n'ont fumé :
A mon aveugle amour tout fera légitime.
Le prêtre deviendra la première vidime.
Le bûcher , par mes mains détruit Se renverfé ,
Dans le fang des bourreaux nagera difperfé.
Et fi, dans les horreurs de ce défordre extrême ,
Votre père frappé tonabe , OC périt lui-même ,
TRAGÉDIE. 283
Alors, de vos refpc(fls voyant les triftes fruits ,
Reconnoiiïez les coups que vous aurez conduits.
Iphigénie.
Ah, Seigneur! Ah, cruel ! . .Mais il fuit, il m'échappe.
O , toi, qui veux ma mort , me voilà feule , frappe ,
Termine , jufte Ciel , ma vie & mon effroi ;
!Et lance ici des traits qui n'accablent que moi 1
SCENE I I L
CLYTEMNESTRE , IPHIGENIE, REGINE ,
EURYBATE, Gardes,
Clytemnestre.
v^ Ui, je la défendrai contre toute l'armée.
Lâches, vous trahiflcz votre reine opprimée !
E u R V B A T E.
Non , Madame, il fuffit que vous nous commandiez.
Vous nous verrez combattre , & mourir à vos pietîs.
Mais de nos foiblcs mains que pouvez-vous attendre î
Contre tant d'ennemis qui pourra vous défendre î
Ce n'eft plus un vain peuple en défordre aflcmblé.
C'efl: d'un zèle fatal tout le camp aveuglé.
Plus de pitié. Ca'lchas fcul règne, fcul commande.
La piété févèrc exige fon offrande.
Le roi , de fon pouvoir, fc voit dépofleder ;
Et lui-même au torrent nous contraint de céder.
Achille à qui tout cède , Achille à cet orage
Voudroit lui-même en vain oppofer fon courage.
Que fera-t-il , Madame ? Et qui peut diffipcr
Tous les flots d'ennemis prêts à l'envelopper î
Clytemnestre.
Qu'ils viennent donc fur moi prouver leur zèle impîe «
Et m'arrachent ce peu qui me refte de vie.
La mort feule , la mort pourra rompre les noeuds
Dont mes bras nous vont joindre & lier toutes deux.
284 I P H I G E N I E,
Mon corps fera plutôt féparé de mon ame ,
Que je fouf&e jamais ... Ah , ma fille I
Iphigénie.
Ah, Madame
Sous quel aftre cruel avez-vous mis au jour
Le malheureux objet d'une fi tendre amour î
Mais que pouvez-vous faire en l'état où nous fommes ;
Vous avez à combattre & les dieux & les hommes.
Contre un peuple en fureur vous expoferez-vous ?
N'allez point, dans un camp rebelle à votre époux ,
Seule à me retenir vainement obftinée ,
Par des foldats peut-être indignement traînée ,
Préfenter , pour tout fruit d'un déplorable effort ,
Un fpeûacle à mes yeux plus cruel que la mort.
Allez. LaifTez aux Grecs achever leur ouvrage ,
Et quittez pour jamais un malheureux rivage.
Du bûcher , qui m'attend, trop voifîn de ces lieux ,
La flamme de trop près viendroit frapper vos yeux.
Sur-tout , fi vous m'aimez , par cet amour de mère ,
Ne reprochez jamais mon trépas à mon père.
CLYTEMNESTR.E.
Lui, par qui votre cœur à Calchas préfenté ! . . .
Iphigénie
Pour me rendre à vos pleurs que n'a-t-il point tenté î
Clytemnestre,
Par quelle trahifon le cruel m'a déçue I
Iphigénie.
Il me cédoit aux dieux, dont il m'avoît reçue.
Ma mort n'emporte pas tout le fruit de vos feux.
De l'amour qui vous joint vous avez d'autres nœuds.
Vos yeux me reverront dans Orefte mon frère.
PuifiTe-t-il être , hélas , moins funefte à fa mère î
D'un peuple impatient vous entendez la voix.
Daignez m'ouvrir vos bras pour la dernière fois ,
Madame ; & rappellant votre vertu fublimc . . .
Eurybate , à l'autel conduifez 1^ Yi(^iine.
TRAGÉDIE. 285
^^ii^W^— WMi I wi—i. mil I,
SCENE IV.
CLYTEMNESTRE, ^GINE, Gardes.
Clvtemnestre.
/x H , vous n'irez pas feule , & je ne prétens pas . . .
Mais on fe jette en foule au-devant de mes pas.
Perfides, contentez votre foif fanguinaire.
JE G I ti E.
Où courez-vous , Madame î Et que voulez-vous faire î
Clytemnestre.
Hélas , je me confume en impuiffans efforts,
;Et rentre au trouble affreux , dont à peine je fors.
Mourrai-je tant de fois , fans fortir de la vie î
JE c i s E.
Ah , favez-vous le crime , Se qui vous a trahie ,
Madame ? Savez-vous quel ferpent inhumain
Iphigénic avoit retiré dans fon fcin î
Eriphilc , en ces lieux par vous-même conduite ,
A feule à tous les Grecs révélé votre fuite.
Clytemnestre.
O monîlre , que Mégère en fes flancs a porté î
Mondre , que dans nos bras les enfers ont jette î
Quoi, tu ne mourras point î Quoi, pour punir fon crime..
Mais ou va ma douleur chercher une victime ?
Quoi , pour noyer les Grecs &: leurs mille vaiflèaux.
Mer , tu n'ouvriras pas des abîmes nouveaux ?
Quoi , lorfque les challant du port qui les recèle ,
L'Aulide aura vomi leur flote criminelle ,
Les vents , les mêmes vents fi long-temps accufés,
Ne te couvriront pas de fes vaiflèaux brifés î
Et toi , Soleil , & toi , qui , dans cette contrée,
Rcconnois l'héritier & le vrai fils d'Atrée ;
Toi , qui n'ofas du père éclairer le fellin ,
Recule , ils t'ont appris ce funefl:e chemin î
zU I P H I G E N I E,
Mais , cependant , q Ciel î O mère infortunée î
De feftons odieux ma fille couronnée ,
Tend la gorge aux couteaux , par foa père apprêtés.
Calchas va dans fon fang . . . barbares , arrêtez ;
C'eft le pur fang du Dieu qui lance le tonnerre.
J'entends gronder la foudre , &: fcns trembler la terre
Un Dieu vengeur , un Dieu fait retentir fes coups.
SCENE V.
CLYTEMNESTRE , .ÏGINE , ARCAS , Caries.
A R C A Sé
N'
'en doutez point, Madame, un Dieu combat pour
Achille en ce moment exauce vos prières ;
Il a brifé des Grecs les trop foibles barrières.
Achille eft à l'autel. Calchas eft éperdu.
Le fatal facrifice eft cncor fufpendu.
On fe menace , on court, l'air gémit, le fer brille^
Achille fait ranger autour de votre fille
Tous £cs amis , pour lui prêts à fe dévouer.
Le trifte Agamemnon , qui n'ofe l'avouer.
Pour détourner fes yeux des meurtres qu'il préfàge,"
Ou pour cacher fes pleurs j s'eft voilé le vifage.
Venez , puifqu'il fe taît , venez par vos difcours
De votre défenfeur appuyer le fecours.
Lui-même de fa main , de fang toute fumante J
I veut entre vos bras remettre fon amante ;
Lui-même il m'a chargé de conduire vos pas.
Ne craignez rien.
Clytemnestre.
Moi, craindre ! Ah, courons, cher Arcas
Le plus affreux péril n'a rien dont je pâlifle.
J'irai par-tout. Mais dieux î ne vois-je pas Ulyffe ^
C'eft lui. Ma fille eft morçe , Arcas , il n'eft plus tcmp
TRAGÉDIE. 187
SCENE DERNIERE.
ULYSSE, CLYTEMNESTRE, ARCAîù
^ G I N E , Gardes.
Ulysse.
JN ON , Madame , elle vit , & les dieux font contens.
•Raflurei-vous. Le Ciel a voulu vous la rendie,
Clytemnestke.
iEllc vit ! Et c*eft vous qui venez me l'apprendre î
Ulysse.
Oui.c'eft moi, qui.long-temps contre elle & contre vous,
Ai cru devoir, Madame, atFermir votre époux :
Moi qui, jaloux tantôt de l'honneur de nos armes ,
Par d'auftèrcs confeils ai fait couler vos larmes 5
Et qui viens, puifqu'cnfin le Ciel eft appaifc ,
Réparer tout l'ennui que je vous ai caufé.
Clytemnestre.
Ma fille î Ah , Prince 1 O Ciel 1 Je demeure éperdue.
Quel miracle, Seigneur, quel dieu me l'a rendue î
Ulysse.
Vous m'en voyez moi-même , en cet heureux moment,
Saifi d'horreur , de joie , & de raviflement.
Jamais jour n'a paru fi mortel à la Grèce.
Déjà de tout le camp la difcorde maîtrefle
Avoir fur tous les yeux mis fon bandeau fatal »
Et donné du combat le funcfte fignal.
De ce Tpedacle affreux votre fille allarmée,
Voyoit pour elle Achille , &: contre clic l'armce.
Mais, quoique fcul pour elle, Achille furieux
Epouvantoit l'armée , & partageoit les dieux.
Déjà de traits en l'air s'élcvoit un nuage ;
Déjà couloit le fang , prémices du carnage.
Entre les deux partis Calchas s'eft avancé.
L'œil farouche , l'air fombre , &c le poil hcrifle.
288 I P H I G E N I E,
Terrible , &: plein du dieu qui l'agiroic fans doute :
' Vous y Achille j a-r-il-dit, &* vous Grecs , qu'on m' écouta
Le Dieu qui maintenant vous parle par ma voix ,
M'explique fon oracle j, 6" m'inflruit defon choix.
Un autre jang d'Hélène^ une autre Iphigénie
Sur ce bord immolée y doit laijferfa vie.
ThéJ'ée avec Hélène unifecrettement
Fitjiiccéder l'hymen àfon enlèvement.
Une fille enfortit, que fa mère a celée.
Du nom d'iphigénie elle fut appellée.
Je vis-moi-même alors ce fruit de leurs amours.
D'un Jînifire avenir je menaçai fes jours.
Sous un nom emprunté fa noire defiinée ,
Et fes propres fureurs ici l'ont amenée.
Elle me voit , m'entend ^ elle efi devant vos yeux ^
Et c'efi elle , en un mot , que demandent les dieux.
Ainfi parle Calchas. Tout le camp immobile
L'écoute avec frayeur, & regarde Eriphile.
Elle étoit à l'autel ; & peut-être en fon coeur
Du fatal facrifice accufoit la lenteur.
Elle-même tantôt , d'une courfe fubite ,
Etoit venue aux Grecs annoncer votre fuite.
On admire en fecret fa naillance &: fon fort.
Mais i puifque Troie enfin eft le prix de fa mort ,
L'armée , à haute voix , fe déclare contre elle >
Et prononce à Calchas la fencence mortelle.
Déjà , pour la faiiîr , Calchas levé le bras-
Arrête j a-t-elle dit , 6* ne m'approche pas.
Lefang de ces héros, dont tu me fais défendre ;
Sans tes profanes mains faura bienfe répandre,
Furieufe elle vole, & fur l'autel prochain
Prend le facré couteau, le plonge dans fon fein.
A peine fon fang coule , & fait rougir la terre ,
Les dieux font fur l'autel entendre le tonnerre ,
Les venrs agitent l'air d'heureux frémiflemens ,
Et la mer leur répond par fes mugiflemens.
La rive au loin gémit, blanchiffante d'écume.
La âajzune du bûcher d'elle-mcmc s'allume.
TRAGÉDIE. tS9
Le Ciel brille d'éclairs, s'cntr'ouvre, & parmi nous
Jcne une fainte horreur, qui nous rafl'ure cous.
Le foldat étonné dit que dans une nue
Jufqucs fur le bûcher Diane eft defcendue ;
Et croit que, s'élcvanc au travers de fes feux ,
Elle portoit au Ciel notre encens & nos vœux.
Tout s'emprefle , tout part. La feule Iphigénie
Dans ce commun bonheur pleure fon ennemie.
Des mains d'Agamemnon venez la recevoir.
Venez. Achille & lui brûlant de vous revoir,
Madame , & déformais tous deux d'intelligence ,
Sont prêts à confirmer leur augulle alliance.
Clytemnestre.
Par que' prix, quel encens, ô Ciel , puis-je jamais
Récompenfcr Achille , & payer tes bienfaiçs 1
FIN.
Tme II.
N
PHEDRE.
TRj4GÉdIE.
Nii
PREFACE.
Y' oici encore une Tragédie dont le fujet eft pris
d'Euripide. Quoique j'aye fuivi une route un peu difté-
rente de celle de cet Auteur pour la conduite de l'ac-
tion, je n'ai pas laifTé d'enrichir ma pièce de tout ce
qui m'a paru le plus éclatant dans la {îenne. Quand je
ne lui dcvrois que la feule idée du caradère de Phèdre ,
je pourrois dire que je lui dois ce que j'ai peut-être mis
de plus raifonnable fur le Théâtre. Je ne fuis point
étonné que ce caraûère ait eu un fuccès f\ heureux du
temps d'Euripide , & qu'il ait encore fi bien réufll dans
notre fièdc ; Puifqu'il a toutes les qualités qu'Ariftote
demande dans le héros de la tragédie , & qui font
propres à exciter la Compaffion & la terreur. En effet,
Phèdre n'cll ni tout-à-fait coupable , ni tout- à- fait
innocente. Elle eft engagée , par fa deftinée & par la
colère des dieux, dans une paflion illégitime, dont
elle a horreur toute la première. Elle fait tous fcs
efforts pour la furmonter. Elle aime mieux fe lailTcr
mourir, que de la déclarer à perfonne. Et, lorfqu'ellc
eft forcée de la découvrir, elic en parle avec une con-
fufion, qui fait bien voir que fon crime eft plutôt une
punition des dieux , qu'un mouvement de fa volonté.
Niij
PRÉFACE.
J'ai même pris foin de k rendre ufi peu raoms
odieufc qu'elle n'cft dans les tragédies des anciens,
où elle fe réfout d'elle-même à accufer Hippolyte.
J'ai cru que la calomnie avoit quelque cbofe de trop
bas & de trop noir pour la mettre dans la bouciie d'une
princefTe , qui a d'ailleurs des fentimens Ci nobles & û
vertueux. Cette baffefle m'a paru plus convenable à
une nourrice , qui pouvoir avoir des inclinations plus
ferviles , & qui néanmoins n'entreprend cette fauflc
accufation que pour fauvcr la vie & l'honneur de
fa maîtrefTe. Vhèdtç n'y donne les mains que parce
qu'elle eft dans une agitation d'efprit qui la met hors
d'elle-même ; & tlle vient un moment après dans
le deflein de juftifier l'innocence & de déclarer la
vérité.
Hippolyte eft accufé dans Euripide & dans Sénèque
d'avoir en effet violé fa belle-mère : vim corpus tulit.
Mais il n'eft ici accufé que d'en avoir eu deflein. J'ai
voulu épargner à Théfée une confuflon qui l'auroic pu
rendre moins agréable aux fpedateurs.
Pour ce qui eft du perfonnage d'HippoIyte, j'avois
remarqué dans les anciens , qu'on reprochoit à Eu-
ripide de l'avoir repréfenté comme un philofopiie
exemt de toute imperfedion; ce qui faifoit que la mort
de ce jeune prince caufçiç beaucoup plus d'indignation
PRÉFACE.
que de pitié. Pai cru lui devoir donricr quelque foi-
blefle qui le rendroit un peu coupable envers fon père»
fans pourtant lui rien ôter de cette grandeur d'amc
avec laquelle il épargne l'honneur de Phèdre , & fe
laifTe opprimer fans Taccufer. J'appelle foiblefTe la
pafllon qu'il reflent, malgré lui , pour Aricie , qui eft
la fille & la fœur des ennemis mortels de fon père.
Cette Aricie n'ell peint un perfonnage de mon in-
vention. Virgile dit qu'Hippôlyte l'époufa , & en eut
un fils , après qu'Efculape l'eut rcflufcité. Et j'ai lu en-
core dans quelques auteurs qu'Hippolyte avoit époufé
& emmené en Italie une jeune Athénienne de grande
naiflance , qui s'appelloit Aricie , & qui avoit donné
fon nom à une petite ville d'Italie.
Je rapporte ces autorités , parce que je me fuis très-
fcrupuleufement attaché à fuivre la fable. J'ai même
fuivi l'hiftoirc de Théfée , telle qu'elle eft dans Plu-
tarquc.
C'eft dans cet hiftoiien que j'ai trouvé que ce qui
avoit don né occafion de croire que Théfée fût defcendu
dans les enfers pour enlever Proferpine , étoit un
voyage que ce prince avoit fait en Epire vers la fource
de l'Achéron, chez un roi dont Pirithous vouloit en-
lever la femme , &: qui arrêta Théfée prifonnier , après
avoir fait mourir Pirithous, Ainfi j'ai tâché de confer-
Niv
PRÉFACE.
ver la vraifembJance de l'hiftoire , fans rien perdre
des ornemens de la fable qui fournit extrêmement à la
poefic. Et le bruit de la mort de Théfée , fondé fur ce
voyage fabuleux , donne lieu à Phèdre de faire une
déclaration d'amour , qui devient une des principales
caufes de fon malheur , & qu'elle n'auroit jamais ofé
faire tant qu'elle auroit cru que fon mari étoit vivant.
Au refte , je n'ofe encore aflurcr que cette pièce
foit en effet la meilleure de mes tragédies. Je lailîc ,
& aux lefteurs, & au temps , d décider de fon véri*
table prix. Ce que je puis aflurer , c'eft que je n'en ai
point faite où la vertu foit plus mife en jour que dans
celle-ci. Les moindres fautes y font févérement punies.
La feule penfée du crime y eft regardée avec autant
d'horreur que le crime même. Les foibleflTes de l'amour
y palTent pour de vraies foibleflcs. Les paflions n'y font
préfentées aux yeux que pour montrer tout le défordrc
dont elles font caufe ; & le vice y eft peint par-tout
avec des couleurs qui en font connoître & hair la dif-
formité. C'eft-là proprement le but que tout homme
qui travaille pour le public doit fe propofer 5 & c'eft ce
que les premiers poètes tragiques avoient en vue fur
toute chofe. Leur théâtre étoit une école où la vertu
n'éroit pas moins bien enfeignée que dans les écoles
des philofophes, Auffi Ariftote a bien voulu donner
PRÉFACE,
âss règles du poemc dramatique 5 & Socrate , le plus
fage des philofophes , ne dédaignoit pas de mettre Ja
main aux tragédies d'Euripide. Il feroit à fouhaiterque
nos ouvrages fuirent aufli folides & auflî pleins d'utiles
inftrudions que ceux de ces poètes. Ce feroit peut-être
un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de
perfonnes célèbres par leur piété &c par leur doctrine ,
qui l'ont condamnée dans ces derniers temps, & qui en
)ugeroient fans doute plus favorablement , Ci les au-
teurs fongeoient autant à inftruire leurs fpeftateurs
qu'à les divertir , & s'ils fuivoienç en cela la vériçable?
intention de la tragédie.
Nv
Jl C T E U R s.
THÉSÉE, Fils d'Egée , Roi d'Athènes.
PHÈDRE, Femme de Théfée, Fille de Minos & de
Pafiphaé.
HIPPOLYTE, Fils de Théfée & d'Antiopc, Reine
dus Amazones.
A R I C I E , PrincefTe du fang Royal d'Athènes,
CE N O N E , Nourrice & Confidente de Phèdre.
THÉRAMÉNE, Gouverneur d'Hippolyte.
I S M É N E , Confidente d'Aricie.
P A N O P E , Femme de Ja fuite de Phèdre,
GARDES.
'La Scène efi à Tréiène , VilU du Péloj^onèfe.
PHÈDRE,
TRAGÉDIE.
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
HIPPOLYTE, THÉRAMÉNE,
HlPPOLYTE.
J-J E deflcin en eft pris , je pars , cher Théramcne ,
Et quitte le féjour de l'ainjable Trézène.
Dans le doute mortel , dont je fuis agité ,
Je commence à rougir de mon oiiîvetc :
Depuis plus de fix mois, éloigné de mon pcre,"
J'ignore le deftin d'une tête û chère.
J'ignore jufqu'aux lieux qui le peuvent cacher. _
Théraméne.
Et dans quels lieux,Seigneur,l'alIcz-vous donc chercher?
Déjà , pour fatisfaire à votre jufte crainte ,
J'ai couru les deux mers que fépare Corinthe,
J'ai demandé Théfée aux peuples de ces bords
Où l*on voit l'Achéron fe perdre chez les morts.
J'ai vifité l'Elide , &, lailîànt le Ténare ,
Paflc jufqu'à la mer qui vit tomber Icare.
Sur quel efpoir nouveau, dans quels heureux climats
Croyez-vous découvrir la trace de fcs pas ?
Nvj
300 PHEDRE,
Qui fait même , qui fait fi le roi votre père
Veut que de fon abfence on fâche le myllèic ?
Et fî , lorfqu'avec vous nous trem.blons pour fes jours ,
Tranquille , & nous cachant de nouvelles amours ,
Ce héros n'attend point qu'une amante abufce . . #
HlPPOLYTE.
Cher Théramène , arrête & refpefte Thcfée.
De {es jeunes erreurs déformais revenu ,
Par un indigne obftacîe il n'efl: point retenu ;
Et, fixant de Ces vœux l'inconftance fatale ,
Phèdre , depuis long-temps , ne craint plus de rivale.
Enfin , en le cherchant, je fuivrai mon devoir ,
Et je fuirai ces lieux que je n'ofe plus voir.
Théramène.
Hé, depuis quand, Seigneur, craignez-vous la préfcnce
De ces paifibles lieux , iî chers à votre enfance ,
Et dont je vous ai vu préférer le féjour
Au tumulte pompeux d'Athène & de la cour ?
Quel péril , ou plutôt quel chagrin vous en chafTe î
HiPPOLYTE.
Cet heureux temps n'ell plus. Tout a changé de face
Depuis que, fur ces bords, les.dieux ont envoyé
La fille de Minos & de Pafîphaé.
Théramène.
J'entends. De vos douleurs la caufe m'eft connue.
Phèdre ici vous chagrine , & blefTe votre vue.
Dangereufe marâtre , à peine elle vous vit ,
Que votre exil d'abord fignala fon crédit.
Mais fa haine fur vous , autrefois attachée ,
Ou s'efl évanouie, ou s'eft bien relâchée.
Et d'ailleurs , quels périls vous peut faire courir
Une femme mourante , & qui cherche à mourir ?
Phèdre , atteinte d'un mal qu'elle s'obftine à taire ,
Lafle enfin d'elle-mêm.e, & du jour qui l'éclairé,
Peut-elle contre vous former quelques defleins î
HiPPOLYTE.
Sa vainc inimitié n'efl: pas ce que je crains.
I
TRAGÉDIE. 501
Hippolyte, en partant , fuit une autre ennemie.
Je fuis , je l'avouerai , cette jeune Aricie ,
Refte d'un fang fatal conjuré contre nous,
Thêkaménb.
Quoi, vous-même. Seigneur, la perlecutez-vons ?
Jamais l'aimable f«-eur des cruels Pallantidcs
Trempa-t-elle aux complots de Ces frères perfides î
Et devez-vous hair fcs innocens appas î
H I P P O L Y T E.
Si je la haiflbis, je ne la fuirois pas»
Théraméne^
Seigneur, m'eft-il permis d'expliquer votre fuite?
Pourriez-vous n'être plus ce fuperbe Hippolyte,
Implacable ennemi des amourcufes loix ,
Et d'un joug que Théfée a fubi tant de fois ?
Vénus, par votre orgueil fi long-temps méprifée ,
VoMdroit-elIe à la fin juftifier ïhéfce î
Et vous mettant au rang du refte des mortels ,
Vous a-t-elle forcé d'enccnfcr fes autels ?
Aimeriez-vous, Seigneur?
Hippolyte.
Ami , qu'ofes-tu dire ?
Toi qui connoîs mon cœur depuis que^je refpire ,
Des fentimens d'un cœur fi fier, fi dédaigneux ,
Peux-tu me demander le défaveu honteux î
C'cft peu qu'avec fon lait une mère Amazone
M'ait fait fuçer encor cet orgueil qui t'étonne.
Dans un âge plus mûr moi-même parvenu ,
Je me fuis applaudi , quand je me fttis connu.
Attaché, près de mot, par un zèle fincère ,
Tu me ccntois alors l'hilloire de mon père.
Tu fais combien mon ame , attentive à ta voix ,
S'échauffoit au récit de Ces nobles exploits 5
Quand tu me dépeignois ce héros intrépide ,
Confolant les mortels de l'abfcncc d'Alcide ,
Les monftres étouffés , &: les brigands punis ,
Piocufte, Cercyon, &: Scyrron, ôcSinjiis»
301 PHEDRE,
Et les os difpeifés du Géant d'Epidaure ,
Et la Crète fumant du fang du Minotaure.
Mais quand tu récitois des faits moins glorieux ,
Sa foi par-tout offerte > &: reçue en cent lieux j
Hélène à Ces parens dans Sparte dérobée }
Salamine témoin des pleurs des Péribée ;
Tant d'autres , dont les noms lui font même échappés J
Trop crédules efprits que fa flamme a trompés î
Ariane aux rochers contant fes injuftices ;
Phèdre enlevée enfin fous de meilleurs aufpices ;
Tu fais comme , à regret , écoutant ce difcours ,
Je te prefTois fouvent d'en arrêter le cours.
Heureux , fî j'avois pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d'une Ci belle hiftoire.
Et moi-même, à mon tour, je me verrois lié ?
Et les dieux jufq^es-là m'auroient humilié ?
Dans mes lâches foupirs d'autant plus méprifable ,
Qu'un long amas d'honneurs rend Théfée excufable ,
Qu'aucuns monftres par moi domtésjufqu'aujourd'fiui.
Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui.
Quand même ma lîerté pourroit s'être adoucie ,
Aurois-je pour vainqueur dû choifîr Aricie î
Ne fouviendroit-il plus à mes fens égarés
De l'obftacle éternel qui nous a féparés ?
Mon père la réprouve 5 &, par des loix févères ,'
Il défend de donner des neveux à Ces frères.
D'une tige coupable il craint un rejetton.
Il veut avec leur fœur enfevelir leur nom ;
Et que , jufqu'au tombeau , foumife à f^ iUtelle ;
Jamais les feux d'hymen ne s'allument pour elle.
Dois-je époufer Ces droits contre un père irrité î
Donnerai-je l'exemple à la témérité ?
Et dans un fol amour ma jeunefTe embarquée ....
Théraméne.
Ah , Seigneur, fi votre heure eft une fois marquée ,
Le Ciel de nos raifons ne fait point s'informer.
Théfée ouvre vos yeux en voulant les fermer 5
TRAGÉDIE. 303
Et fa haine , irritant une flamme rebelle ,
Prête à Ton ennemie une grâce nouvelle.
Enfin , d'un chafte amour pourquoi vous effrayer î
S'il a quelque douceur , n'ofez-vous l'eflkyer î
En croirez-vous toujours un farouche fcrupule î
Craint-on de s'égarer fur les traces d'Hercule ?
Quels courages Vénus n'a-t-elle pas domtés ?
Vous-même où feriez-vous , vous, qui la combattez ,
Si toujours Antiope , à fes loix oppofée ,
D'une pudique ardeur n'eût brûlé pour Théfec î
Mais que fert d'afFeéler un fuperbe difcours ?
Avouez-le, tout change 5 & , depuis quelques jours ,
On vous voit moins fouvent , orgueilleux & fauvage ,
Tantôt faire voler un char fur le rivage ,
Tantôt , favant dans l*art par Neptune inventé ,
Rendre docile au frein un courfier indompté.
Les forets de nos cris moins fouvent retentiflent.
Chargés d'un feu fecret vos yeux s'appefantiflent.
Il n'en faut point douter, vous aimez, vous brûlez ,
Vous périfTez d'un mal que vous difîimulez.
La charmante Aricie a- 1- elle fu vous plaire î
HlPPOLYTE.
Théramènc , je pars & vais chercher mon père.
Théraméne.
Ne verrez-vous point Phèdre avant que de partir ,
Seigneur î
HiPPOLYXE.
C'eft mon dcflcin ; tu peux l'en avertir.
Voyons la , puifqu'ainfi mon devoir me l'ordonne.
Mais quel nouveau malheur trouble fa chère CEnone î
)*:•*(■*;
504 PHEDRE,
SCENE IL
HIPPOLYTE, (SNONE, THÉRAMÉNE.
(E N O N E.
JLJ. ÉLAs.Seigneur, quel trouble au mien peut être égal?
La reine touche prelique à fon terme fatal.
En vain à l'obferver jour & nuit je m'attache ,
Elle meurt dans mes bras d'un mal qu'elle me cache»
Un défordre éternel règne dans fon efprit.
Son chagrin inquiet l'arrache de fon lit.
Elle veut voir le jour ; & fa douleur profonde
M'ordonne toutefois d'écarter tout le monde , . .
Elle vient.
HirPOLYTE.
Il fuffît, je la laillè en ces lieux ;
Et ne lui montre point un vifage odieux.
SCENE III.
PHÈDRE, (SNONE.
P H È D K E.
N'
I 'allons point plus avant.Demeurons,chère (Enone.
Je ne me foutiens plus. Ma force m'abandonne.
Mes yeux font éblouis du jour que je revoi ;
Et mes genoux tremblans fe dérobent fous moi.
Hélas 1
( Elle s'ajfit. )
(Enone.
Dieux tout-puiffans , que nos pleurs vous appaifent î
P H É D R. E.
Que ces vains ornemens , que ces voiles me pèfeni î
TRAGÉDIE. 30Î
Quelle importune mam, en formant tous ces nœuds ,
A pris foin fur mon front d'aflembler mes cheveux ?
Tout m'aîîligc & me nuit , & confpire à me nuire.
(E N O N E.
Comme on voit tous fes vœux l'un l'autre fe détruire !
Vous-même , condamnant vos injuftes defleins.
Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains,
Vous-même , rappcllant votre force première ,
Vous vouliez vous montrer & revoir la lumière.
Vous la voyez , Madame ; & prête à vous cacher ,
Vous haiflèz le jour que vous veniez chercher î
Phèdre.
Noble & brillant auteur d'une trifte famille ,
Toi , dont ma mère ofoit fe vanter d'être fille ,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois ,
Soleil , je te viens voir pour la dernière fois l
(ffi N o N E.
Quoi , vous ne perdrez point cette cruelle envie ?
Vous verrai-je toujours , renonçant à la vie ,
Faire de votre mort les funeftes apprêts ?
Phèdre.
Dieux, que ne fuis-je afliflc à l'ombre des forêts î
Quand pourrai-je, au travers d'une noble pouffière ,'.
Suivre de l'œil un char fuyant dans la carrière i
(ER N o N E.
Quoi , Madame ?
Phèdre.
Infenfée , où fuis-je , & qu'ai-je dit î
Où laifTai-je égarer mes vœux & mon efprit ?
Je l'ai perdu. Les dieux m'en ont ravi l'ufage.
(Enonc, la rougeur me couvre le vifage.
Je te laifTe trop voir mes honteufes douleurs ;
Et mes yeux , malgré moi , fe remplirent de pleurs.
(K N o N E,
Ah, s*il vous fatrt rougir, rougiflèz d'un fîlence ,
Qui de vos maux encore aigrit la violence.
Rebelle à tous nos foins , fourde à tous nos difcours ,
Vculcz-vous , fans pitié , Jaifler finir vos jours i
3oé PHEDRE,
Quelle fureur les borne au milieu de leur courfc ?
Quel charme ou quel poifon en a tari la fource î
Les ombres par crois fois ont cbfcurci les cieux ,
Depuis que le fommeil n'eft encré dans vos yeux ;
Ec le joui a trois fois chafle la nuic obfcure ,
Depuis que vocre corps languit fans nourriture,
A quel atfreux deflein vous laiilcz-vous tenter ?
De quel droit fur vous-même ofez-vous attenter î
Vous offenfez les dieux auteurs de votre vie j
Vous trahiflez l'époux à qui la foi vous lie ;
Vous trahiilez enfin vos enfans malheureux ,
Que vous précipitez fons un joug rigoureux.
Songez qu'un même jour leur ravira leur mère ,
Et rendra l'efpérance au fils de l'étrangère ,
A ce fier ennemi de vous , de votre fang ,
Ce fils qu'une Amazone a porté dans fon flanc ,
Cet Hippolyte. . . .
P H É D R I.
Ah, Dieux I
(S N O K E.
Ce reproche vous touche î
Phèdre.
Malheureufe , quel nom eft forti de ta bouche î
(5 N G K E.
Hé bien, votre colère éclate avec raifon ,
J'aime à vous voir frémir à ce funefte nom.
Vivez donc. Que l'amour, le devoir vous excite.
Vivez , ne foufïrez pas que le fils d'une Scythe ,
Accablant vos enfans d'un empire odieux ,
Commande au plus beau fang de la Grèce ôc des dieux
Mais ne différez poinc, chaque moment vous tue.
Réparez promptemenc votre force abatue.
Tandis que, de vos jours prêts à fe confumer ,
Le flambeau dure encore Se peut fe rallumer.
Phèdre.
J'en ai trop prolongé la coupable durée.
(E N O N E.
Quoi î De quelques remords êtes-vous déchirée ?
TRAGÉDIE. 507
Quel crime a pu produire un trouble fi prefTant î
Vos mains n'onc point trempé dans le fang innocent.
Phèdre.
Grâces au ciel mes mains ne font point criminelles.
Plut aux dieux que mon cœur fut innocent comme elles !
(ff. N O N E.
Et quel affreux projet avez-vous enfanté ,
Dont votre cœur encor doive être épouvanté ?
Phèdre.
Je t'en ai dit affez. Epargne-moi le refte.
Je meurs pour ne point faire u* aveu fi funefte.
(E N o N E.
Mourez donc , & gardez un filence inhumain.
Mais, pour fermer vos yeux, cherchez une autre main.
Quoiqu'il vous relte à peine une foible lumière ,
Mon ame chez les morts defcendra la première ,
Mille chemins ouverts y conduifent toujours ,
Et ma jufte douleur choifira les plus courts.
Cruelle , quand ma foi vous a-t-elle déçue .'
Songez-vous qu'en naiilant mes bras vous ont reçue ?
Mon pays , mes enfans , pour vous j'ai tout quitté.
Réfcrviez-vous ce prix à ma fidélité ?
Phèdre.
Quel fruit efpères-tu de tant de violence ?
Tu frémiras d'horreur fi je romps le filence.
(K N o N E.
Et que me direz-vous, qui ne cède , grands dieux ,
A l'horreur de vous voir expirer à mes yeux ?
Phèdre.
Quand tu fauras mon crime , & le fort qui m'accable ,
Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable.
(E N o N e.
Madame , au nom des pleurs que pour vous j'ai verf^a,
Par vos foiblcs genoux que je tienj embraflés,
Délivrez mon efprit de ce funefte doute.
Phèdre,
Tq le veux. Lève-toi.
3o8 P H E D R E,
(E N O N E.
Parlez. Je vous écoute.
Phèdre.
Ciel , que lui vais-je dire , &c par où commencer !
GX N o N E.
Par de vaines frayeurs cefTez de m'offenfer.
Phèdre.
O haine de Vénus ! O fatale colère !
Dans quels égaremens l'amour jctta ma mère l
(S N o N E.
Oublions-les , Madame 5 & qu'à tout l'avenir
Un lilence éternel cache ce fouvenir.
Phèdre.
Ariane ma fœur, de quel amour blefTée ,
Yous mourûtes aux bords où vous fûtes laiffée t
(E N o N E,
Que faites-vous, Madame ? Et quel mortel ennuî
Contre tout votre fang vous anime aujourd'hui î
Phèdre.
Puifque Vénus le veut , de ce fang déplorable
Je péris la dernière & la plus miférable,
(E N o N E.
Aimez-vous ?
Phèdre.
De l'amour j'ai routes ks fureurs.
(E N o N E.
Pour qui ?
Phèdre.
Tu vas ouir le comble des horreurs.
J'aime .... A ce nom fatal je tremble, je friflbnne.
J'aime ....
(E N o N E,
Qui ?
• Phèdre.
Tu connois ce fils de l'Amazone ,
TRAGÉDIE. 50^
Ce prince fi long-temps par moi-même opprime.
(S N 0 N E.
Hippplyte ? Grands Dieux î
Phèdre.
C'eft toi qui l'as nommé.
(ffi N 0 N E.
Juftc Ciel , tout mon fang dans mes veines fe glace J
O défefpoir ! O crime ! O déplorable race I
Voyage infortuné 1 rivage malheureux ,
Falloit-il approcher de tes bords dangereux î
Phèdre.
Mon mal vient de plus loin. A peine au fîls d'Egée,
Sous les loix de l'hymen , je m'étois engagée ,
Mon repos, mon bonheur fembloit être affermi.
Athènes me montra mon fuperbe ennemi.
Je le vis , je rougis, je pâlis à fa vue.
Un trouble s'éleva dans mon ame éperdue.
Mes yeux ne voyoient plus, je ne pouvois parler.
Je fcntis tout mon corps &: tranfîr &c brûler.
Je reconnus Vénus & fes feux redoutables ,
D'un fang qu'elle pourfuit tourmens inévitables.
Par des vœux aflîdus je crus les détourner.
Je lui bâtis un temple , & pris foin de l'orner.
De victimes moi-même à toute heure entourée ,
Je cherchois dans leur flanc ma raifon égarée.
D'un incurable amour remèdes impuiflans !
En vain fur les autels ma main brûloit l'encens.
Quand ma bouche imploroit le nom de la déclic ,
J'adorois Hippolyte ; & , le voyant fans celle j
Même au pied des autels que je faifois fumer ,
J'oftrois tout à ce Dieu que je n'ofois nommer.
Je l'évitois par-tout. O comble de mifère !
Mes yeux le retrouvoient dans les traits de fon père.
Contre moi-même enfin j'ofai me révolter.
J'excitai mon courage â le perfécuter.
Pour bannir l'ennemi dont j'ctois idolâtre ,
J'aâc^tai ks chagrins d'une injuile marâtre.
310 PHEDRE,
Je preflai Ton exil 5 Se mes cris éternels
L'arrachèrent du fein & des bras paternels.
Jerelpirois, CEnone ; & , depuis fon abfence ,
Mes jours moins agités couloient dans l'innocence.
Soumife à mon époux , & cachant mes ennuis ,
De fon fatal hymen je cultivois les fruits.
Vaincs précautions l Cruelle defHnée I
Pai mon époux lui-même à Trézène amenée ,"
J'ai revu l'ennemi que j'avois éloigné.
Ma bleffure trop vive aufli-cot a faigné.
Ce n'elt plus une ardeur dans mes veines cachée ;
C'cft Vénus toute entière à fa proie attachée.
J'ai conçu pour mon crime une jufte terreur.
J'ai pris la vie en haine , &: ma flamme en horreur.
Je voulois, en mourant, prendre foin de ma gloire ,
Et dérober au jour une flamme fi noire.
Je n'ai pu foutenir tes larmes, tes combats.
Je t'ai tout avoué , je ne m'en repens pas ;
Pourvu que de ma mort refpcdant les approches.
Tu ne m'affliges plus par d'injuftes reproches ;
Et que tes vains fecours cefl'ent de rappeler
Un relie de chaleur , tout prêt à s'exhaler.
SCENE IV.
PHÉDilE, (ENONE, PANOPE,
P A N 0 P E.
J E voudroîs vous cacher une trille nouvelle ,
Madame 5 mais il faut que je vous la révèle.
La mort vous a ravi votre invincible époux ,
Et ce malheur n'ell plus ignoré que de vous.
(S N O N E.
Panope , que dis-tu î
P A N o p E,
Que la reine abufée
Ea vain demande au ciel le retour de Théfée l
TRAGÉDIE. 3n
Et que , par des vaifleaux arrivés dans le port,
Hippolyte fon fils vient d'apprendre fa mort.
Phèdre.
Cielî
P A N O P E.
Pour le choix d'un maître Athènes fe partage.
Au prince votre fils l'un donne fon fufFrage ,
Madame ; & de l'état l'autre oubliant les loix ,
Au fils de l'étrangère ofe donner fa voix.
On dit même qu'au trône une brigue infoîente
Veut placer Aricie , &c le fang de Pallante.
J'ai cru de ce péril vous devoir avertir.
Déjà même Hippolyte eft tout prêt à partir ;
Et l'on craint, s'il paroît dans ce nouvel orage ,
Qu'il n'entraîne après lui tout un peuple volage ,
(S N o N E.
Panope, c*efl aflez. La reine, qui t'entend ,
Ne négligera point cet avis important.
SCENE V.
PHÈDRE, (KNONE.
(ffi N o N E.
iVl ADAMF, je ccflbis de vous prefler de vivre }
Déjà même au tombeau je fongeois à vous fuivre ;
Pour vous en détourner je n'avois plus de voix.
Mais ce nouveau malheur vous prefcrit d'autres loîx.
Votre fortune change, & prend une autre face.
Le roi n'eft plus , Madame , il faut prendre fa place.
Sa mort vous laifle un fils à qui vous vous devez,
Efclave s'il vous perd , & roi li vous vivez.
Sur qui , dans fon malheur, voulez-vous qu'il s'appuîcî
Ses larmes n'auront plus de main qui les cifuie ;
Et fe$ cris innncens , portés jufqucs aux dieux ,
Iront contre fa mère irriter fcs ayeux.
3IZ PHEDRE,
Vivez ; vous n'avez plus de reproche à vous faire.
Votre flamme devient une flamme ordinaire.
Thcfée , en expirant , vient de rompre hs nœuds
Qui faifoicnt tout le crime &: l'horreur de vos feux.
Hippolyte pour vous devient moins redoutable.
Et vous pouvez le voir fans vous rendre coupable.
Peut-être , convaincu de votre averflon ,
Il va donner Un chef à la fédition.
Détrompez fon erreur, fléchiffezfon courage.
Roi de ces bords heureux, Trézène cft fon partage.
Mais il fait que les loix donnent à votre fils
Les fuperbes remparts que Minerve a bâtis.
Vous avez l'un & l'autre une jufte ennemie.
Unifiez-vous tous deux pour combattre Aricie.
Phèdre.
Hé bien , à tes confeils je me laifle entraîner.
Vivons , fî vers la vie on peut me ramener ,
Et fi l'amour d'un fils , en ce moment funefte ,
De mes foibles cfprits peut ranimer le refte.
Fin du prermer Acte,
ACTI
TRAGÉDIE. 513
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
ACTE II.
SCENE PREMIERE.
ARICIE, ISMENE.
A R I C I E.
Xx ippoLYTE demande à me voir en ce lieu ?
Hippolyte me cherche Se veut me dire adieu î
Ifmène, dis-tu vrai ? N'es-tu point abufée î
I s M E N E.
C'eft le premier effet de la mort de Théfée.
Préparez-vous, Madame, à voir de tous cotés
Voler vers vous les cœurs par Théfée écartés.
Aricic à la fin de fon fort eft maîtrefîe ,
Et bien-tôt à Ces pieds verra toute la Grèce. ,
A R. I c I E.
Ce n'cll donc point, Ifmène , un bruit mal afFermî ?
Je celle d'être efclave , & n'ai plus d'ennemi î
I s M E N E.
Non, Madame , les dicux'ne vous font plus contraires.
Et Théfée a rejoint les mancs de vos frères.
A R. I c I E.
Dit-on quelle aventure a terminé fes jours î
I s M E N E.
On sème de fa mort d'incroyables difcours.
On dit que, ravifîèur d'une amante nouvelle ,
Les flots ont englouti cet époux infidèle.
On dit même, & ce bruit eft par-tout répandu ,
Qu'avec Pirithoiis aux enfers dcfcendu ,
11 a vu le Cocyte &: les rivages fombrcs ,
Et s'cft montré vivant aux infernales ombres ;
Mais qu'il n'a pu fortir de ce trifte féjour ,
Et rcpafTcr les bords qu'on paflc fans retour.
Tome II, o
314 PHEDRE,
A R I C I E.
Groîraî-je ^u'un mortel , avant fa dernière heure ,
Peut pénétrer des morts la profonde demeure î
Quel charme l'attiroit fur ces bords redoutés î
I s M E N E.
Théfée eft mo;t , Madame , àc vous feule en doutez,
Athènes en gémit , Trézène en eft inftruite ,
Et déjà pour fon roi reconnoît Hippolytc.
Phèdre , dans ce palais tremblante pour fon fils.
De fes amis troublés demande les avis.
A R I c I E.
Et tu crois que , pour moi , plus humain que fon pcrc,
Hippolyte rendra ma chaîne plus légère i
Qu'il plaindra mes malheurs î
I s M £ N f .
Madame, je le croî.
A R I c I E.
L'infenfîble Hippolyte eft-il connu de toi î
Sur quel frivole cfpoir penfes-tu qu'il me plaigne i
Et refpecte en moi feule un féxe qu'il dédaigne ?
Tu vois depuis quel temps il évite nos pas ,
Et cherche tous les lieux où nous ne fommes pas.
I s M E N E.
Je fais de fes froideurs tout ce que l'on récite.
Mais j'ai vu près de vous ce fuperbe Hippolyte 5
Et même , en le voyant, le bruit de fa fierté
A redoublé pour lui ma curiofité.
Sa préfence , à ce bruit, n'a point paru répondre.
Dès vos premiers regards je l'ai vu fe confondre.
Sqs yeux , qui vainement vouloient vous éviter ,
Déjà pleins de langueur ne pouvoient vous quitter,
Le nom d'amant peur-être ofiinfe fon courage 5
Mais il en a les yeux , s'il n'en a le langage.
A R. I c I E.
Que mon coeur , chère Ifmcne , écoute avidement
Un difcours qui , peut-être, a peu de fondement î
O toi, qui me connois , te fembloit-il croyable
Que le trifte jouet d'un fort impitoyable ,
TRAGÉDIE. 31J
Un cœur toujours nourri d'amertume ÔJ de pleurs ,
Dut connoître l'imour & fes folles douleurs ?
Refte du fang d'un roi, noble fils de la terre ,
Je fuis feule échappée aux fureurs de la guerre.
J'ai perdu , dans la fleur de leur jeune failon ,
Six frères , quel efpoir d'une illulhe maifon î
Le fer moiflonna tout j & la terre humedée
But, à regret , le fang des neveux d'Eredée.
Tu fais , depuis leur mort, quelle févère loi
Défend à tous les Grecs de foupirer pour moi.
On craint que de la fœur les flammes téméraires
Ne raniment un jour la cendre de Ces frères.
Mais tu fais bien aufli de quel œil dédaigneux
Je regardois ce foin d'un vainqueur foupçonneux.
Tu fais que , de tout temps à l'amour oppofée ,
Je rendois fouvcnt grâce à l'injufte Théfée ,
Dont l'heureufc rigueur fecondoit mes mépris.
Mes yeux alors , mes yeux n'avoient pas vu fon fils.
Non que , par les yeux feuls lâchement enchantée ,
J'aime en lui fa beauté , fa grâce tant vantée ,
Préfcns dont la nature a voulu l'honorer ,
Qu'il méprife lui-même , & qu'il femble ignorer.
J'aime, je prife en lui de plus nobles richefles ,
Les vertus de fon père , &C non point les foibleflcs.
J'aime , je l'avouerai , cet orgueil généreux
Qui jamais n'a fléchi fous le joug amoureux.
Phèdre en vain s'honoroit des foupirs de Théfée.
Pour moi, je fuis plus hère , & fuis la gloire aiféc
D'arracher un hommage à mille autres ofl^ert ,
Et d'entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.
Mais de faire fléchir un courage inflexible ,
De porter la douleur dam une ame infenfiblc ,
D'enchaîner un captif de Ces fers étonné ,
Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné J
C'c(t-là ce que je veux , c'eft-là ce qui m'irrite.
Hercule d defarmcr coûtoit moins qu'HippoIyte ;
Et vaincu plus fouvcnt , &: plutôt furmonté ,
Préparoit moins de gloire aux yeux qui l'ont domtc.
Oij
n 6 PHEDRE,
Mais, chère Ilmène, hélas, quelle ell mon imprudence I
On ne m'oppofera que trop de réiîllance.
Tu m'entendras peut-être , humble dans mon ennui ,
-Gémir du même orgueil que j'admire aujourd'hui,
Hippolyte aimeroic ! Par quel bonheur extrême
Aurois-je pu fléchir. . .
I s M E N E.
Vous l'entendrez lui-mùne.
Il vient à vous.
SCENE IL
HIPPOLYTE, ARICIE, ISMENE.
Hippolyte.
jMÏ A0AME , avant que de partir ,
J*ai cru de votre fort vous devoir avertir.
Mon père ne vit plus. Ma jufte défiance
Préfagcoit les raifons de fa trop longue abfence,
La mort feule , bornant fcs travaux éclatans ,
Pouvoir à l'univers le cacher û long-temps.
Les dieux livrent enfin à la parque homicide
L'ami , le compagnon , le fuccellèur d'Alcide,
Je crois que votre haine, épargnant fes vertus ,
Ecoute , fans regret , ces noms qui lui font dus.
Un efpoir adoucie ma triftcfTc mortelle.
Je puis vous affranchir d'une auflère tutelle.
Je révoque des loix dont j'ai plaint la rigueur.
Vous pouvez difpofer de vous, de votre cœur ;
Et, dans cette Trézène , aujourd'hui mon partage ,
De mon ayeul Pitthée autrefois l'héritage ,
Qui m'a , fans balancer , reconnu pour fon roi ,
Je vous laiflè auffi libre, Se plus libre que moi.
A R I C I E.
Modérez des bontés , don: l'excès m'embarraflè.
D'un fpin fi généreux honorer ma difgracc , '
TRAGÉDIE. 317
Seigneur , c'eft me ranger , plus que vous ne penfez ,
Sous ces auftères loix donc vous me difpenfez.
HiPPOLYTE.
Du choix d'un fuccelTeur Athènes incertaine
Parle de vouSj me nomme, £c le fils de la reine^
A R. I c I E.
De moi, Seigneur ?
HiPPOLYTE.
Je fais , fans vouloir me flatter ,
Qu'une fuperbe loi femble me rejetcer. ,
La Grèce me reproche une mère étrangère.
Mais, fi pour concurrent je n'avois que mon frère,
Madame , j'ai fur lui de véritables droits
Que je faurois fauver du caprice des loix.
Un frein plus légitime arrête mon audace.
Je vous cède , ou plutôt je vous rends une place ,
Un fceptre que jadi^ vos ayeux ont reçu
De ce fameux mortel que la terre a conçu.
L'adoption le mit entre les mains d'Egée,
Athènes , par mon père accrue & protégée ,
Reconnut avec joie un roi fi généreux ,
Et lailFa dans l'oubli vos fières malheureux.
Athènes dans fcs murs maintenant vous rappelle.
ACitz elle a gémi d'une longue querelle ;
Aflv-z dans fes filions votre fang englouti
A fait fumer le champ dont il étoit forti.
Trézène m'obéit. Les campagnes de Crète
Offrent au fils de Phèdre une riche retraite.
L'Attique cft votre bien. Je pars, & vais pour vous
Réunir tous les vœux partagés entre noys.
A R. I c I E.
De tout ce que j'entends étonnée & confufe ,
Je crains prefque , je crains qu'un fonge ne m'abufc.
Veillai-je > Puis-je croire un femblable dcficin î
Quel dieu, Seigneur, quel dieu l'a mis dans votre fein.
Qu'à bon droit votre gloire en tous lieux eft femée I
Et que la vérité pafiTe la renommée !
O iij
?i8 PHEDRE,
Vous-même, en ma faveur vous voulez vûus trahir î
N'éroit-ce pas aflez de ne me point hair î
Et d'avoir, fi Jong-temps , pu défendre votre ame
De cette inimitié. . . .
HlPPOLYTE.
Moi, vous hair. Madame!
Avec quelques couleurs qu'on ait peint ma fierté ,
Croit-on que dans Ces flancs un monlbe m'ait porté
Quelles fauvages mœurs , quelle haiiae endurcie
Pourroit, en vous voyant, n'être point adoucie î
Ai-;e pu réfîfter au charme décevant ... *
A R I C I E.
Quoi , Seigneur I
HlPPOLYTE.
Je me fuis engagé trop avant.
Je vois que la raifon cède à la violence.
Puifque j'ai commencé de rompre le filence ,
Madame , il faut pourfuivre. Il faut vous informer
D'un fecret que mon cœur ne peut plus renfermer.
Vous voyez devant vous un prince déplorable ,
D'un téméraire orgueil exemple mémorable.
Moi, qui, contre l'amour fièrement révolté ,
Aux fers de i'cs captifs ai long- temps infulté j
Qui , des foibles mortels déplorant les naufrages ,
Penfois toujours du bord contempler les orages 5
AiFervi maintenant fous la commune loi ,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi î
Un moment a vaincu mon audace imprudente.
Cette ame fî fuperbe eft enfin dépendante.
Depuis près de fix mois , honteux , défefpéré ,
Portant par-tout le trait dont je fuis déchiré ,
Contre vous , contre moi vainement je m'éprouve.
Préfente je vous fuis , abfente je vous trouve.
Dans le fond des forêts votre image me fuit.
La lumière du jour , les ombres de la nuit ,
Tout rerrace à mes yeux les charmes que j'évite 5
Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolyte.
TRAGÉDIE. 31^
Moi-même , pour tout fruit de mes foins fupetflus ,
Maintenant je me cherche , & ne me trouve plus.
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m'importune.
Je ne me fouviens plus des leçons de Neptune.
Mes feuls gémiflemens font retentir les bois ,
Et mes courfîers oiûfs ont oublié ma voixv
Peut-être le récit d'un amour fi fauvage
Vous fait, en m'écoutant, rougir de votre ouvrage.
D'un cœur qui s'offre ivous quel farouche entretien !
Quel étrange captif pour un fi beau lien 1
Mais l'offrande à vos yeux en doit être plus chère.
Songez que je vous parle une langue étrangère ;
Et ne rejettez pas des vœux mal exprimés ,
Qu'Hippolyte , fans vous , n'auroit jamais formés.
SCENE I I L
HIPPOLYTE, ARICIE, THÉRAMENE,
I S M E N E.
S
Thêramene.
EjGNEUR, la reine vient , & je l'ai devancée 5
Elle vous cherche.
HlPPOLYTE.
Moi ?
Thêramene.
J^'ignore fa penfee ;
?îaîs on vous eft venu demander de fa part.
Phèdre veut vous parler avant votre départ.
HlPPOLYTE.
Phèdre I Que hii dirai-je î Et que peut-elle attendre
A R I C I E.
Seigneur , vous ne pouvez refufer de l'entendre.
Quoique trop convaincu de fon inimitié ,
Vous devez à fw pleurs quelque ombre de piçié.
Oiv
jxo PHEDRE,
HiPPOLYTE.
Cependant vous forcez. Et je pars. Et j*ignore
Si je n'offenfe point les charmes que j'adore.
J'ignore fi ce cœur que je lajllc en vos mains . . .
A R I C I E.
Partez , prince , & fuivez vos généreux deffèins.
Rendez de mon pouvoir Athènes tributaire.
J'accepte tous les dons que vous me voulez faire.
Mais cet empire enfin , il grand , fi glorieux ,
N'eft pas de vos préfens le plus cher à mes yeux.
SCENE IV.
HIPPOLYTE, THÉRAMENE.
HiPPOLYTE.
■/iMi, tout eft-il prêt ? Mais la reine s'avance.
Va , que pour le départ tout s'arme en diligence.
Fais donner le fignal , cours, ordonne, & revien
Me délivrer bien-tot d'un fâcheux entretien.
SCENE V.
PHEDRE, HIPPOLYTE, (EN ONE.
Phèdre à (Znone j dans le fond du Théâtre^
Xj e voici. Vers mon coeur tout mon fang fe retire.
J'oublie , en le voyant, ce quç je viens lui dire.
(S N O N E.
Souvenez-YOUS d'un fils qui n'efpère qu'en vous.
Phèdre.
On dit qu'un prompt; départ vous éloigne de nous ,
TRAGÉDIE, 3^1
Seigneur. A vos douleurs je viens joindre mes larmes.
Je vous viens pour un fils expliquer mes allarmes.
Mon fils n'a plus de père , &c le jour n'ell pas loin
Qui de ma mort encor doit le rendre témoin.
Déjà mille ennemis attaquent fon enfance.
Vous feul pouvez contre eux cmbrafTer fa défenfe. »
Mais un fecret remords agite mes efprits.
Je crains d'avoir ferme votre oreille à fes cris.
Je tremble que fur lui votre jufte colère
Ne pourfuive bien- tôt une odieufe mère.
HiPPOLYTE.
Madame , ;c n'ai point des fcntimens fi bas.
Phèdre.
Quand vous me haïriez je ne m'en plaindroîs pas ,
Seigneur. Vous m'avez vue attachée à vous nuire ;
Dans le fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire.
A votre inimitié j'ai pris foin de m'offirir.
Aux bords que j'habitois je n'ai pu vous fouffrir.
En public , en fecret, contre vous déclarée ,
J'ai voulu par des mers en être féparée.
J'ai même défendu , par une exprelîè loi ,
Qu'on ofàt prononcer votre nom devant moi.-
Si pourtant à l'ofFenfe on mefure la peine ;
Si la haine peut feule attirer votre haine ,
Jamais femme ne fut plus digne de pitié ,
Et moins digne , Seigneur, de votre inimitié..
HiPPOLYTE.
Des droits de fes enfans une mère jaloufc
Pardonne rarement aux fils d'une autre époufe ,
Madame , je le fais. Les foupçons importuns
Sont d'un fécond hymen les fruits les plus communs.
Tout autre auroit pour moi pris les mêmes ombrages ,
Et j'en aurois peut-ècre efluyé plus d'outrages.
Phèdre.
Ah, Seigneur , que le Ciel, j'ofe ici l'attcftsr ^
De cette loi commune a voulu m'cxcepter !
Ov
5ii PHEDRE,
Qu'un foin bien diffeient me trouble & me dévore l
HlPPOLYTE.
Madame, il n'eft pas temps de vous troubler encore.
Peut-être votre époux voit encore le jour.
Le Ciel peut à nos pleurs accorder fon retour.
Neptune le protège, & ce Dieu tutélaire
Ne fera pas en vain imploré par mon père.
Phèdre.
On ne voit point deux fois le rivage des morts.
Seigneur. Puifque Théfée a vu les fombres bords ,
En vain vous efpérez qu'un Dieu vous le renvoie ;
Et l'avare Achéron ne lâche point fa proie.
Que dis-je ?I1 n'eft point mortpuifqu'il refpire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux.
Je le vois , je lui parle 5 & mon cœur ... Je m'égaie ,
Seigneur 3 ma folle ardeur, malgré moi, fe déclare»
Hll'POLYTE.
Je vois de votre amour l'efFet prodigieux.
Tout mort qu'il eft , Théfée eft préfent â vos yeux.
Toujours de fon amour votre ame eft embrafée.
P H E JD R E.
Oui, prince, je languis , je brûle pour Théfée,
Je l'aime , non point tel que l'ont vu hs enfers ,
Volage adorateur de mille objets divers ,
Qui va du Dieu des mores deshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier , & même un peu farouche ,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après foi,
Tel qu'on dépeint nos dieux , ou tel que je vous voi.
Il avoir votre port , vos yeux , votre langage ,
Cette noble pudeur coloroit fon vifage ,
Lorfque de notre Crète il traverfa les flots ,
Digue fujec des vœux des filles de Minos.
Que faifiez-vous alors ? Pourquoi, fans Hippolyce ,
Des héros de la Grèce afièmbla-t-il l'élite ?
Pourquoi, trop jeune encor , ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaifleau qui le mit fur nos bords î
Par vous auroit péri le monftte de la Crète ^
Malgré îous les déjours de fa vafte retraite»
TRAGÉDIE. 3is
Pour en développer l'embarras incertain ,'
Ma fœur du fil fatal eût armé votre mr.in.
Mais non , dans ce delîein je l'aurois devancée.
L'amour m'en eut d'abord infpiré la penfée.
C'eft moi , prince , c'ell moi , dont l'utile fecou»
Vous eût du Labyrinthe enCeigné les détours.
Que de foins m'eût coûté cette tête charmante î
Un fil n'eût point afl'ez ralTuré votre amante.
Compagne du péril qu'il vous falloir chercher ,
Moi-même devant vous j'auroj^ voulu marcher 5
E: Phèdre au labyrinthe avec vous defcendue ,
Se feroit avec vous retrouvée ou perdue.
HiPPOLYTE.
Dieux , qu'eft-ce que j'entends ? Madame , oublier-vous
Que Théfée eft mon père , & qu'il eft votre époux i
Phèdre.
Et fur quoi jugez-vous que j'en perds la mémoire ,
Prince ? Aurois-je perdu tout le foin de ma gloire ?
HiPPOLYTE.
Madame, pardonnez. J'avoue , en rougiflant ,
Que j'accufois à tort un difcours innocent.
Ma honte ne peut plus foutenir votre vue 5.
Et je vais . . .
Phèdre.
Ah , cruel, tu m'as trop entendue.
Je t'en ai dit aflez pour te tirer d'erreur.
Hé bien, connois donc Phèdre & toute fa fureur.
J'aime. Ke penfc pas qu'au moment que je t'aime ,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même j.
Ni que du fol amour qui trouble ma raifon y
Ma lâche complaifance ait nourri le poifon.
Objet infortuné des vengeances céleftes ,
Je m'abhorre encor plus que tu ne me déteftes.
Les dieux m'en font témoins, ces dieux qui, dans mon flan
Ont allumé le feu fatal à tout mon fang ;
Ces dieux qui fe font fait une gloire cruelle
De réduire le cœur d'une foiblc mortelle.
G vj
3i4 PHEDRE,
Toi-même en ton efprit rajjpelle lepafle.
C'eft peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chaire.
J'ai voulu te paroître odieufe , inhumaine.
Pour mieux te réfifter , j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles foins î
Tu me haillois plus , je ne t'aimois pas moins.
Tes malheurs te prêtoient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui , j'ai féché dans les feux , dans les larmes.
Il fuffit de tes yeux pour t'en perfuader ,
Si tes yeux , un momeiu, pouvoient me regarder.
Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire ,
Cet aveu fi honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n'ofois trahir ,
Je te venois prier de ne le point hair.
Foibles projets d'un cœur trop plein de ce qu'il aime I
Hélas, je ne t'ai pu parler que de coi-même I
Vcnges-coi, punis-moi d'un odieux amour.
Digne fils du héros qui t'a donné le jour ,
Délivre l'univers d'un monftre qui t'irrite.
La veuve de Théfée ofe aimer Hippolyte I
Crois-moi, ce monftre affi'eux ne doit point t'échappcr.
Voilà mon cœur. C'eft-là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d'expier fcn otFenfe ,
Au devant de ton bras je le fens qui s'avance.
Frappe. Ou G. tu le crois indigne de tes coups ,
Si ta haine m'envie un fupplicc fi doux ,
Ou fi d'un fang trop vil ta main feroit trempée ,
Au défaut de ton bras , prête-moi ton épée.
Donne.
(E N O N E.
Que faites-vous , Madame ! Jufte.s dieux î
Mais on vient. Evitez des témoins odieux.
Venez, rentrez , fuyez un honte certaine.
TRAGÉDIE, 52J
SCENE VI.
HIPPOLYTE, THÉRAMENE.
Théramene.
JlIi st-ce Phèdre qui fuit, ou plutôt qu'on entraîne ?
Pourquoi, Seigneur, pourquoi ces marques de douleur?
Je vous vois fans épée, interdit, fans couleur.
H I P P G L Y T E.
Théramène, fuyons. Ma furprife eft extrême.
J^ ne puis fans horreur me regarder moi-même.
Phèdre.. Mais non,grands dieux,qu'en un profond oubS
Cet horrible fecret demeure enfeveli l
Théramène.
Si vous voulez partir , la voile eft préparée.
Mais Athènes , Seigneur , s'ell déjà déclarée.
Ses chefs ont pris les voix de toutes £cs tribus »
Votre fière l'emporte , Se Phèdre a le deifus,
HiPPOLYTE,
Phèdre î
Théramène.
Un héraut chargé des volontés d'Athènes i
De l'état en {es mains vient remettre les rênes.
Son fils eft roi, Seigneur.
HiPPOLYTE,
Dieux, quila connoiflezî
Eft-ce donc fa vertu que vous rccompenfcz î
Théramène.
Cependant un bruit fourd veut que le roi refpire»
On prétend que Thcfée a paru dans l'Epirc 5
315 PHEDRE,
Mais moi, qui l'y cherchai. Seigneur, je fais trop bien.
HiPPOLYTE.
N'importe , écoutons tout, & ne négligeons rien»
Examinons ce bruit , remontons à fa fource.
S'il ne mérite pas d'interrompre ma courfe ,
Partons 5 &: quelque prix qu'il en puille coûter ,
Mettons le fceptre aux mains dignes de le porteîr
Findu fécond Aâcn
TRAGÉDIE. JZ7
A C T E I I I.
SCENE PREMIERE.
PHEDRE, (EN ONE.
Phèdre.
/v H, QUE l'on porte ailleurs les honneurs qu'on m' envoi
Importune , peux-tu louhaitcr qu'on me voie ?
De quoi viens-tu flatter mon eiprit défolé ?
Cache- moi bien plutôt ; je n'ai que trop parlé.
Mes fureurs au dehors ont ofé f& répandre.
J'ai dit ce que jamais on ne devoit entendre.
Ciel , comme il m'écoutoit î Par combien de détours
L'infenfible a long-temps éludé mes difcours !
Comme il ne refpiroit qu'une retraite prompte l
Et combien fa rougeur a redoublé ma honte t
Pourquoi détournois-tu mon funefte defTèin ?
Hélas , quand Ion épée alloit chercher mon fein ,:
A-t-il pâli pour moi ! Me Ta-t-il arrachée I
Il fuffit que ma main l'ait une fois touchée ,
Je l'ai rendue horrible à fes yeux inhumains y
Et ce fer malheureux profaneroit Ces mainy,
(S N O N E.
Ainfî, dans vos malheurs ne fongeant qu'à vous plaindra
Vous nourrilfcz un feu qu'il vous faudroit éteindre.
Ne vaudroir-il pas mieux , digne fang de Minos ,
Dans de plus nobles foins chercher votre repos ?
Contre im ingrat qui plaît recourir à la fuite î
Régner , & de l'état embrafler la. conduite ?
Phèdre,
Moi, régner ! Moi, ranger un état fous ma loi ,
Quand ma foible raifon ne règne plus fur moi 1
Lorfque j'ai de mes fcns abandonné l'empire !
Quand fous un joug honteux à peine je refpife l
Quand je me meurs 1
5x8 PHEDRE,
CE N O N E.
Fuyez.
Phèdre.
Je ne le puis c^aîtter.
(E N o N E.
Vous rofâtes bannir , vous n'ofez. l'éviter.
Phèdre.
Il n'eft plus temps. Il fait mes ardeurs infenfées.
De Taulière pudeur les bornes font paflees.
J'ai déclaré ma honte aux yeux de mon vainqueur ;
Et Tefpoir, malgré moi, s'eft glille dans mon cœur.
Toi-même, rappellant ma force défaillante ;
Et mon ame déjà fur mes lèvres errante ,
Par tes confeils flatteurs tu m'as fu ranimer ,
Tu m'as fait entrevoir que je pouvois l'aimer.^
(S N o N E.
Hélas I de vos malheurs innocente ou coupable ,
De quoi, pour vous fauver, n'étois-je point capable
Mais , fi jamais l'ofFenfe irrita vos efprits ,
Pouvez-vous d'un fuperbe oublier les mépris ?
Avec quels yeux cruels fa rigueur obftinée
Vous lailîbit à fes pieds, peu s'en faut , profternce I
Que fon farouche orgueil le rendoit odieux !
Que Phèdre, en ce moment, n'avoit-elle mes yeux î
Phèdre.
(Enone , il peut quitter cet orgueil qui te bleflè ,
Nourri dans les forêts , il en a la rudcfTc.
Hippolyte , endurci par de fauvagcs loix ,
Entend parler d'amour pour la première fois.
Peut-être fa furprife a caufé fon filence ;
Et nos plaintes pcut-ccre ont trop de violence,
(Enone.
Songez qu'une barbare en fon fein l'a formé.
Phèdre.
Quoique Scythe & barbare , elle a pourtant aimé.
TRAGÉDIE. iZ9
(S N O N E.
Il a pour tout le fèxc une haine fatale.
P H E DR E.
Je ne me verrai point préférer de rivale.
Enfin , tous tes conleiJs ne font plus de faifon :
Sers ma fureur , (Knone , Se non point ma raifon.
II oppofe à l'amour un cœur inacceffible ;
Cherchons, pour rattac[uerj quelque endroit plus fcnfibk.
Les charmes d'un empire ont paru le toucher,
Athènes l'attiroit , il n'a pu s'en cacher ;
Déjà de Ces vaiflèaux la pointe étoit tournée ,
Et la voile flottoit aux vents abandonnée. ■
Va trouver de ma part ce jeune ambitieux ,
(Enone. Fais briller la couronne à Ces yeux.
Qu'il mette fur fon front le facré diadème :
Je ne veux que l'honneur de l'attacher moi-même.
Cédons-lui ce pouvoir que je ne puis garder.
Il inftruira mon fils dans l'art de commander.
Peut-être il voudra bien lui tenir lieu de père ;
Je mets fous fon pouvoir Se le fils &c la mère.
Peur le fléchir enfin tente tous les moyens.
Tes difcours trouveront plus d'accès que les miens.
Prefle , pleure, gémis , peins-lui Phèdre mourante ,
Ne rougis point de prendre une voix fuppliante,
Je t'avouerai de tout, je n'efpère qu'en toi.
Va , j'attends ton retour pour difpofer de moi.
SCENE IL
T H E D R E feule.
V_/ TOI , qui vois la honte où je fuis defcendue ;
Implacable Vénus, fuis- je aflcz confondue î
Tu ne faurois plus loin poufl'cr ta cruauté.
Ton triomphe eft parfait, tous tes traits ont porté.
Cruelle, fi tu veux une gloire nouvelle ,
Attaque un ennemi qui te foit plus rebelle»
5ÎO PHEDREr
Hippolytc te fuit, &, bravant ton courroux.
Jamais à tels autels n'a fléchi les genoux.
Ton nom femble offenfer fcs fuperbes oreilles.
DéefTe , venge-toi, nos caufcs font pareilles.
Qu'il aime. Mais déjà tu reviens fur tes pas ,
(Snone î On me détc^ïcy on ne t'écouie pas.
SCENE I I L
PHEDRE, (KNONE.
(K N O N E.
X L FAUT d'un vain amour étouffer la penfée,
Madame. Rappeliez votre vertu paflee.
Le roi , qu'on a cru mort , va paroître à vos yeux.
Théfce eft arrivé , Théfée eft en ces lieux.
Le peuple, pour le voir, court & fe précipite.
Je fortois par votre ordre, & cherchois Hippolyte ,
Lorfque, jufques au Ciel , mille cris élancés . . .
Phèdre.
Mon époux eft vivant , (Enonc , c'eft aflez.
J'ai fait l'indigne aveu d'un amour qui l'outrage ;
Il vit. Je n-e veux pas en favoir davantage.
(E N O N E.
Quoi ?
Phèdre.
Je te l'ai prédit, mais tu n'as pas voulu ,
Sur mes juftes remords tes pleurs ont prévalu.
Je mourois ce matin digne d'être pleuîée ;
J'ai fuivi tes confeils , )c meurs déshonorée.
(Snone.
Vous mourez I
Phèdre.
Jufte Ciel 1 qu'ai-jc fait aujourd'hui v
Mon époux va paroître , ôc fgn B,h avec lui.
TRAGÉDIE. 55ï
Je verrai le témoin de ma flamme adultère ;•
Oblerver de quel front j'ofe aborder ion père ,
Le cœur gros de fcnipirs qu'il n'a point écoutés ,
L'œil humide de pleurs par l'ingrat rebutés.
Penfes-tu que, fcnfible à l'honneur de Théfée ,
Il lui cache l'ardeur dont je fuis embrafée i
I.aiflera-t-il trahir ôc fon père & fon roi î
Pourra-t-il contenir l'horreur qu'il a pour moi ?
Il fc tairoit en vain. Je fais mes perfidies ,
(Knone , & ne fuis point de ces femmes hardies ,
Qui , goûtant dans le crime une tranquille paix ,
Ont fu fe faire un front qui ne rougit jamais.
Je connois mes fureurs , je les rappelle toutes.
Il me femble déjà que ces murs, que ces voûtes
Vont prendre la parole , &, prêts à m'accufer ,
Attendent mon époux pour le défabufer.
Mourons. De tant d'horreurs qu'un trépas me délivrer
Elt-ce un malheur fi grand que de cefler de vivre ?
La mort aux malheureux ne caufe point d'effroi.
Je ne crains que le nom que je laiflè après moi.
Pour mes triftes enfans quel affreux héritage î
Le fang de Jupiter doit enfler leur courage.
Mais , quelque jufte orgueil qir'infpire un fang fi beau.
Le crime d'une mère eft un'pcfant fardeau.
Je tremble qu'un difcours , hélas , trop véritable ,
Un jour ne leur reproche une mère coupable 1
Je tremble qu'opprimés de ce poids odieux ,
L'un ni l'autre jamais n'ofe lever les yeux,
(S N G N E.
Il n'en faut point douter, je les plains l'un & l'autre,
Jamais crainte ne fut plus juftc que la votre.
Mais à de tels affronts pourquoi les expofer ?
Pourquoi contre vous-même allez-vous dépcfcr î
C'en eft fait» On dira que Phèdre, trop coupable,
De fon époux trahi fuit râCpcCt redoutable»
Hippolyte eft heureux qu'aux dépends de vos jours,
Vous-mciiie, en expirant, appuyiez fes difcours.
îjx PHEDRE,
A votre accufateur que pourrai-jc répondre ?
Je ferai devant lui trop facile à confondre.
De fon triomphe affreux je le verrai-jouir ,
Et conter votre honte à qui voudra I*ouir. yM
Ah , que plutôt du Ciel la flamme me dévore î ">•
Mais ne me trompez point, vous eft-il cher encoxe î
De quel œil voyez-vous ce prince audacieux i
Phèdre.
Je le vois comme un monftre effroyable à mes yeux.
(E N O N E.
Pourquoi donc lui céder une vidloire entière î
Vous le craignez. Ofez l'accufer la première
Du crime dont il peut vous charger aujourd'hui.
Qui vous démentira ? Tout parle contre lui.
Son épée en vos mains heureufement laifTée ,
Votre trouble préfent, votre douleur paflcc ,
Son père par vos cris dès long-temps prévenu ,
Et déjà fon exil par vous-même obtenu.
P H E D R-E.
Moi, que j'ofe opprimer Se noircir l'innocence I
(S N o N E.
Mon zèle n'a befoîn que de votre filence.
Tremblante , comme vous , j'en fens quelques remord.
Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.
Mais, puifque je vous perds fans ce trille remède ,
Votre vie eft pour moi d'un prix à qui tout cède.
Je parlerai. Théfée , aigri par mes avis ,
Bornerafa vengeance à l'exil de fon fils.
Un père , en punifîant , Madame , eft toujours père 5
Un fupplice léger fuffir à fa colère.
Mais , le fang innocent dût-il être verfé ,
Que ne demande point votre honneur menacé î
C'eft un tréfor trop cher pour ofer le commettre.
Quelque loi qu'il vous diéle , il faut vous y foumettrc
Madame ; &, pour fauver notre honneur combattu.
Il faut immoler tout, & même la vertu.
On vient, je vois Théfée,
R A G É D I E. 3 j 5
P H E D B E.
Ah, je vois Hîppolyte 5
Dans Tes yeux infolens je vois ma perte écrite.
Fais ce que tu voudras , je m'abandonne à toi.
Dans le trouble où je fuis , je ne puis rien pour moi.
SCENE IV.
THÉSÉE, HIPPOLYTE, PHEDRE, (ENONE.
THÉRAMENE.
Thésée.
J-J A FORTUNE à mes vœux celTe d'être oppofcc ,
Madame , & dans vos bras met, . .
P H E D i\ E.
Arrêtez, Théfcc ,
Et ne profanez point des tranfports fi charmans.
Je ne mérite plus ces doux empreflemens.
Vous êtes oftenfe. La fortune jaloufe
N'a pas, en votre abfence , épargné votre époufe.
Indigne de vous plaire ôc de vous approcher ,
Je ne dois déformais fonger qu'à me cacher ,
SCENE V.
THÉSÉE , HIPPOLYTE , THÉRAMENE.
Thésée.
\f UEL eft rétrange accueil qu'on fait à votre père ,
Mon fils î
Hîppolyte.
Phèdre peut feule expliquer ce myftcre.
Mais , fi mes voeux ardens vous peuvent émouvoir ,
Permettez-moi i Seigneur, de ne la plus revoir :
}J4 PHEDRE,
Souffrez cjue pour jamais le tremblant Hippolytc
DifparoiUê des lieux que .votre époufe habite.
Thésée.
Vous , mon fils , me quitter î
HlPPOLYXE.
Je ne la cherchois pas
Ceft vous qui fur ces bords conduisîtes Css pas.
Vous daignâtes, Seigneur, aux rives de Trézène
Confier en partant Aricie Se la. reine ;
Je fus même chargé du foin de les garder.
Mais quels foins déformais peuvent me retarder ?
Affez dans les forêts mon oifîve jeunefle
Sur de vils ennemis a montré fon adrefle.
Ne pourrai-je, en fuyant un indigne repos ,
D'un fang plus glorieux teindre mes javelots I
Vous n'aviez pas encor atteint l'âge où je touche.
Déjà plus d'un tyran , plus d'un monthc farouche
Avoir de votre bras fenti la pefanteur.
Déjà , de l'infolence heureux perfécuteur ,
Vous aviez des deux mers afTuré les rivages.
Le libre voyageur ne craignoit plus d'outrages.
Hercule , refpirant fur le bruit de vos coups ,
Déjà de foji travail fe repofoit fur vous.
Et, moi , fils inconnu d'un fi glorieux père ^
Je fuis même encor loin des traces de ma mère.
Souffrez que mon courage ofe enfin s'occuper.
Souffrez, fi quelque monftre a pu vous échapper
Que j'apporte à vos pieds fa dépouille honorable j
Ou que d'un beau trépas la mémoire durable ,
Eternifant des jours fi noblement finis ,
Prouve à tout l'univers que j'étois votre fils.
Thésée.
Que voîs-je ! Quelle horreur, dans ces lieux répandue s
Fait fuir devant mes yeux ma famille éperdue î
Si je reviens il craint , & fi peu defiré ,
O Ciel , de ma prifon pourquoi m'as-tu tiré î
Je n'avois qu'un ami. Son imprudente flamme
Du tyran de l'Epirc alloitravi;: la femme.
TRAGÉDIE. 335
Je fcrvois à regret Ces dcflcins amouieux ;
Mais le fort irrité nous aveugloit tous deux.
Le tyran m'a fijrpris fans défenfc & fans armes.
J'ai vu Piritholis , trifte objet de mes larmes ,
Livré par ce barbare à des monftrcs cruels ,
Qu'il nourrilFoit du fang dus malheureux morrelst
Moi-même, il m'enferma dans des cavernes fombres ,
Lieux profonds & voifins de l'empire des ombres.
Les dieux , après lîx mois, enfin m'ont regardé.
J'ai fu tromper les yeux par qui j'écois gardé.
D'un perfide ennemi j'ai purgé la nature.
A fcs monftres lui-même a fervi de pâture.
Et lorfqu'avec tranfport je penfe m'approcher
De tout ce que les Dieux m'ont laillé de plus cher ;
Que dis-je ? Quand mon amc , à foi-même rendue ,
Vient fe raiFaficr d'une fi chère vue ;
Je n'ai pour tout accueil que des frémiflcmens.
Tout fliit , tout fe refufe à mes embrallemens.
Et moi-même , éprouvant la terreur que j'infpirc »
Je voudrois être encor dans les prifons d'Epire.
Parlez. Phèdre fe plaint que je fuis outragé.
Qui m'a trahi ? Pourquoi ne fuis-je pas vengé ?
La Grèce, à qui nion bras fut tant de fois utile ,
A-t-elle au criminel accordé quelque afyle ?
Vous ne répondez point. Mon fils , mon propre fils
Eft-il d'intelligence avec mes ennemis î
Entrons. C'ell trop garder un doute qui m'accable*
Connoiiïbns à la fois le crime Se le coupable.
Que PUcdre explique enfin le trouble où je la voi.
iiS PHEDRE,
SCENE VI.
HIPPOLYTE, THÉRAMENE.
H I P P O L Y T E.
V_y u TENDOiT ce difcours qui m'a glacé d'effroi ?
Phèdre, toujours en proie à fa fureur extrême ,
Veut-elle s'accufer & fe perdre elle-même ?
Dieux î Que dira le roi ? Quel funefte poifon
L'amour a répandu fur toute fa maifon !
Moi-même , plein d'un feu que fa haine réprouve ,
Quel il m^a vu jadis ; & quel il me retrouve ?
De noirs prefiTentimens viennent m'épouvanter.
Mais l'innocence enfin n'a rien à redouter.
Allons , cherchons ailleurs par quelle hcureufe adreflc
Je pourrai de mon père émouvoir la tendrefTe ;
Et lui dire un amour qu'il peut vouloir troubler ,
Mais que tout fon pouvoir ne fauroit ébranler.
Fin du. troîjième Acie.
ACTE
TRAGÉDIE, ?J7
ACTE IV.
SCENE PREMIERE.
THÉSÉE, (KNONE.
Thésée,
J\ H,qu'eft-ce que j'entends ? Un traître , un téméraire
Préparoit cet outrage à l'honneur de fon père î
Avec quelle rigueur, deftin , tu me pourfuis 1
Je ne fais où jç vais , je ne fais où je fuis.
O tendrefle ! O bonté trop mal récompenfée î
Projet audacieux ! Déteftable penfée î
Pour parvenir au but de Ces noires amours ,
L'infolent de la force empruntoit le fecours.
J'ai reconnu le fer , inftrumcnt de fa rage ,
Ce fer dont je l'armai pour un plus noble ufage.
Tous les liens du fang n'ont pu le retenir I
Et Phèdre différoit à le faire punir !
Le filence de Phèdre épargnoit le coupable !
Cffi N o N E.
Phèdre épargnoit plutôt un père déplorable.
Honteufc du deflein d'un amant furieux ,
Et du feu criminel qu'il a pris dans Ces yeux ,
Phèdre mouroit. Seigneur, & fa main meurtrière
Eteignoit de fes yeux l'innocente lumière.
J'ai vu lever le bras , j'ai couru la fauver.
Moi feule à. votre amour j'ai fu la conferver.
Et, plaignant à la fois fon trouble & vos allarmcs ,
J'ai fcrvi , malgré moi, d'interprète à fes larmes.
Thésée.
Le perfide I II n'a pu s'empêcher de pâlir.
De crainte , en m'abordant , je l'ai vu treiraillir.
Je me fuis étonné de fon peu d'allégrelfe.
Ses froids cmbraircmens ont glace ma tendrefle*
Tome IL P
5j3 PHEDRE,
Mais ce coupable amour, dont il efl: dévoré ,
Dans Athènes déjà s*étoit-il déclaré î
(K N G N E.
Seigneur , fouvenez-vous des plaintes de la reine.
Un amour criminel caufa toute fa haine.
Thésée.
Et ce feu dans Trézène a donc recommence î
ŒE N G N E.
Je vous ai dit. Seigneur, tout ce qui s'ert: pafie,
C'eft trop laifler la reine à fa douleur mortelle.
Souffrez que je vous quitte , & me range auprès d'elle.
SCENE IL
THÉSÉE, HIPPOLYTE.
Thésée.
jTV h , le voici. Grands dieux , à ce noble maintien ,
Quel œil ne feroit pas trompé comme le mien î
Faut-il que fur le front d'un profane adultère ,
Brille de la vertu le facré caractère ?
Et ne devroit-on pas , à des fignes certains ,
Reconnoître le cœur des perfides humains î
HiPPGLYTE.
Puis-je vous demander quel funefte nuage ,
Seigneur, a pu troubler votre augufte vifage î
N'ofez-vous confier ce fecret à ma foi î
Thésée.
Perfide , ofcs-tu bien te montrer devant moi ?
Monftrc, qu'a trop long- temps épargné le tojinerrc ,
Relie impur des brigar.ds dont j'ai purgé la terre.
Après que le tranfport d'un amour plein d'horreur ,
Jufqu'au lit de ton père a porté ta fureur ,
Tu m'ofes préfenter une têce ennemie ! ,
Tu parois dans des lieux pleins de ton infamie ;
Et ne vas pas chercher, fous un ciel inconnu ,
Des pays où mon nom ne foit point parvenu î
TRAGÉDIE. si^
Fuis , traîcre. Ne viens point brkver ici ma haine »
Et tenter un courroux que je retiens à peine,
C'cll bien aflez pour moi de l'opprobre éternel
D'avoir pu mettre au jour un Hls fi criminel ,
Sans que ta mort encor , honteufe à ma mémoire ,
De mes nobles travaux vienne fouiller la gloire.
Fuis. Et , (i tu ne veux qu'un cliâtiment ibudain
T'ajoute aux fcélérats qu'a punis cette main ,
Prends garde que jamais l'aitre qui nous éclaire
Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire.
Fuis , dis-je ; &c , fans retour , précipitant tes pas ,
De ton horrible afpeél purge tous mes états.
Et toi, Neptune, & toi, il jadis mon courage
D'infâmes aflaflins nettoya ton rivage ,
Souviens-toi que , pour prix de mes efforts heureux.
Tu promis d'exaucer le premier de mes voeux.
Dans les longues rigueurs d'une prifon cruelle ,
Je n'ai point imploré ta puiflance immortelle.
Avare du fecours que j'attends de tes foins ,
Mes vœux t'ont réfervé pour de plus grands befoins.
Je t'implore aujourd'iiui. Venge un malheureux père :
J'abandonne ce traître à toute ta colère.
Etouffe dans fon fang Ces délits effrontés.
Théféc à ces fureurs connoitra tes bontés.
HiPPOLYTE.
D'un amour criminel Phèdre accufe Hippolyte I
Un tel excès d'horreur rend mon ame interdite.
Tant de coups imprévus m'accablent à la fois ,
Qu'ils m'otent la parole , & m'étouffcnt la voix.
Thésée.
Traître , tu prétcndois qu'en un lâche filencc
Phèdre enfeveliroit ta brutale infolence.
Il falloir, en fuyant , ne pas abandonner
Le fer qui , dans fes mains , aide à te condamner.
Ou plutôt il falloit, comblant ta perfidie ,
Lui ravir tout d'un coup la parole & la vie.
Hippolyte.
D'un mcnfonge fi noir juftement irrité.
Je dcvrois feirc ici parler la vérité , P î
540 PHEDRE,
Seigneur. Mais je fupprime un fecret qui vous touche.
Approuvez le refped qui me forme la bouche ;
Ec, fans vouloir vous-même augmenter vos ennuis ,
Examinez ma vie , & fongez qui je fuis.
Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes.
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes ,
Peut violer enfin les droits les plus facres.
Ainfî que la vertu , le crime a Ces degrés 5
Et jamais on n'a vu la timide innocence
Pafler fubitement à l'extrême licence.
Un jour fcul ne fait point d'un mortel vertueux
Un perfide aflaffin , un lâche inceftueux.
Elevé dans le fein d'une chafte Héroïne ,
Je n'ai point de fon fang démenti l'origine,
Pitthée , eftimé fagc entre tous les humains ,
Daigna m'inftruire encore au fortir de Ces mains.
Je ne veux point me peindre avec trop d'avantage.
Mais , fi quelque vertu m'cft tombée en partage ,
Seigneur , je crois fur-tout avoir fait éclater
La haine Aas forfaits qu'on ofe m'imputer.
C'cfl; par-là qu'Hippolytc eft connu dans la Grèce.
J'ai pouffé la vertu jufques à la rudeffe.
On fait de mes chagrins l'inflexible rigueur.
Le jour n'eft pas plus pur que le fond de mon cœur ,
Et l'on veut qu'HippoIyte épris d'un feu profane. . .
Thésée.
Oui , c'efl: ce même orgueil , lâche, qui te condamne.
Je vois de tes froideurs le principe odieux.
Phèdre feule charmoit tes impudiques yeux 5
Et pour tout autre objet ton ame indifférente
Dédaignoit de brûler d'une flamme innocente.
H I P P o L Y T E.
Non , mon père , ce coeur, c'eft trop vous le celer ,
N'a point d'un chaflre amour dédaigné de brûler.
Je confeffe à vos pieds ma véritable offenfe.
J'aime , j'aime , il eft vrai , malgré votre défcnfe.
Aricie à fes loix tient mes vœux affervis.
La fille de Pallante a vaincu votre Bis.
TRAGÉDIE. 341
Je l'adore ; & mon ame , à vos ordres rebelle ,
Ne peut ni foupirer , ni brûler que pour elle.
Thésée.
Tu l'aimes î Ciel I Mais non , l'artifice efl; grofïîer.
Tu te feins criminel pour te juftificr.
HiPPOLYTE,
Seigneur, depuis fix mois je l'évite , & je l'aime.
Je vcnois , en tremblant , vous le dire à vous-même.
Hé quoi , de votre erreur rien ne vous peut tirer ?
Par quel affreux ferment faut-il vous raflurer î
Que la terre , le ciel, que toute la nature . . .
Thésée.
Toujours les fcélérats ont recours au parjure.
CefTe, cefTe , & m'épargne un importun difcours >
Si ta faufle vertu n'a point d'autre fecours,
HiPPOLYTE.
Elle vous paroît faulTe , & pleine d'artifice.
Phèdre au fond de fon cœur me rend plus de juftice.
Thésée.
Ah , que ton impudence excite mon courroux !
HiPPOLYTE.
Quel temps à mon exil , quel lieu prefcrivcz-vous î
Thésée.
Fufles-tu par-delà les colonnes d'Alcide ,
Je me croirois encor trop voifin d'un perfide.
HiPPOLYTE.
Chargé du crime affreux dont vous me foupçonnez ,
Quels amis me plaindront quand vous m'abandonnez '
Thésée.
Va chercher des amis dont l'cftime funefte
Honore l'adultère, applaudiilc à l'incefte ;
Des ttaîtres , des ingrats , fans honneur & fans loi.
Dignes de protéger un méchant tel que toi.
HiPPOLYTE.
Vous me parlez toujours d'incefte & d'adultère ,
Je me tais. Cependant Phèdre fort d'une mère ,
Phèdre eft d'un fang, Seigneur, vous le faveztrop bien.
De toutes ces horreurs plus rempli que le mien.
Piij
341 PHEDRE,
Thésée.
Quoi ta rage à mes yeux perd toute retenue ?
Pour la dernière fois ôte-toi de ma vue.
Sors , traître. N'attends pas qu'un père furieux
Te farte avec opprobre arracher de ces lieux.
SCENE III.
THÉSÉE feul.
iVl isÉRABLE , tu cours à ta perte infaillible.
Neptune , par le fleuve aux dieux mêmes terrible ,
M'a donné fa parole , & va l'exécuter.
Un Dieu vengeur te fuit , tu ne peux l'éviter.
Je t'aimois 5 & je fens que , malgré ton ofFenfe ,
Mes entrailles pour toi fe troublent par avance.
Mais à te condamner tu m'as trop engagé.
Jamais père , en effet , fut-il plus outragé ?
Juftes dieux , qui voyez la douleur qui m'accable ,
Ai-je pu mettre au jour un enfant il coupable î
SCENE IV.
PHÈDRE, THÉSÉE.
Phèdre.
O EiGNEUR , je viens à vous pleine d'un jufte ef&oi
Votre voix redoutable a pafTé jufqu'à moi.
Je crains qu'un prompt effet n'ait fuivi la menace ,
S'il en eft temps encore , épargnez votre race ,
Refpedtez votre fang , j'ofe vous en prier ,
Sauvez-moi de l'horreur de l'entendre crier.
Ne me préparez point la douleur éternelle
De l'avoir fait répandre à la main paternelle.
TRAGÉDIE. 343
Thésée.
Non, MadamCjCn mon fang ma main n'a point trempé ;
Mais Tingrat toutefois ne m'eft point échappé.
Une immortelle main de fa perte eft chargée,
Neptune me la doit, & vous ferez vengée. ,
Phèdre.
Neptune vous la doit ! Quoi , vos vœux irrités. . ,
Thésée.
Quoi , craignez-vous déjà qu'ils ne foient écoutés î
Joignez-vous bien plutôt à mes vœux légitimes.
Dans toute leur noirceur retracez-moi Tes crimes.
Echauffez mes tranfports trop lents , trop retenus.
Tous Ces crimes encor ne vous font pas connus.
Sa fureur contre vous fc répand en injures.
Votre bouche, dit-il, eft pleine d^impoftures»
Il foutient qu'Aricie a fon cœur , a fa foi >
Qu'il l'aime.
Phèdre.
Quoi , Seigneur ?
Thésée.
II Pa dit devant moi.
Mais je fais rejetter un frivole artifice.
Efpérons de Neptune une prompte juftice.
Je vais moi-même encore , au pied de (es autels ,
Le prefTer d'accomplir fcs fermens immortels.
SCENE V.
PHÈDRE ftule.
XL SORT. Quelle nouvelle a frappé mon oreille î
Quel feu ^al étouffé dans mon cœur fe réveille ?
Quel coup de foudre , ô ciel î & quel funeftc avis î
Je volois toute entière au fecours de fon fils ;
Et m'arrachant des bras d'(ffinone épouvantée ,
Je cédois au remords dont j'étois tourmentée.
Qui fait même où m'alloit porter ce repentir î
Peut-être à m'accufer j'aurois pu confentir.
riv
544 PHEDRE,
Peut-être , fi ]a voix ne m'eût été coupée ,
L'afFreufe vérité me feroit échappée.
Hippolyte eft fenfîble , & ne fent rien pour moi î
Aricie a fon cœur ! Aricie a fa foi !
Ah , dieux ! Lorfqu'à mes vœux l'ingrat inexorable
S'armoit d'un œil li fier, d'un front lî redoutable ,
Je penfois qu'à l'amour fon cœur toujours fermé ,
Fût contre tout mon fèxe également armé.
Une autre cependant a fléchi fon audace.
Devant Ces yeux cruels une autre a trouvé grâce.
Peut-être a-t-il un cœur facile à s'attendrir.
Je fuis le fcul objet qu'il ne fauroit fouffrir.
Et je me chargerois du foin de le défendre I
SCENE V I.
PHÈDRE, (ENONE.
Phèdre.
V-< HERE CŒnone , fais-tu ce que je viens d'apprendre ?
(E N G N E.
Non. Mais je viens tremblante, â ne vous point mentir.
J'ai pâli du deflein qui vous a fait fortir.
J'ai craint une fureur à vous-même fatale.
Phèdre.
(Snone , qui l'eût cru ? J'avois une rivale.
(E N O N E.
Commeiic ?
Phèdre.
Hippolyte aime , & je n'en puis douter.
Ce farouche ennemi , qu'on ne pouvoir domter ,
Qu'ofFenfoit le refped , qu'importunoit la plainte ,
Ce tigre , que jamais je n'abordai fans crainte ,
Soumis , apprivoifé , reconnoît un vainqueur.
Aricie a trouvé le chemin de fon cœur.
(E N o N £.
Aricie ?
TRAGÉDIE. 345
Phèdre.
Ah , douleur non encore éprouvée l
A quel nouveau tourment je me fuis réfervée î
Tout ce que j'ai fouifert, mes craintes , mes tranfports,
La fureur de mes feux , l'horreur de mes remords ,
Et d'an refus cruel l'infuportable injure ,
N'étoit qu'un foible eflai du tourment que j'endure.
Ils s'aiment ! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux?
Comment fe font-ils vus ? Depuis quand ? Dans quels lieux ?
Tu le favois. Pourquoi me laiflbis-tu féduire î
De leur furtive ardeur ne pouvois-tu m'inftruire ?
Les a-t-on vus fouvent fe parler , fe chercher î
Dans le fond des forêts alloient-ils fe cacher î
Hélas , ils fe voyoient avec pleine licence I
Le ciel de leurs foupirs approuvoit l'innocence.
Ils fuivoient , fans remords, leur penchant amoureux.
Tous les jours fe levoient clairs &: fereins pour eux.
Ft moi , trifle rebut de la nature entière ,
Je me cachois au jour , je fuyois la lumière ;
La mort eft le feul dieu que j'ofois implorer»
J'attcndois le moment où j'allois expirer ,
Me nourrifTant de fiel , de larmes abreuvée.
Encor dans mon malheur de trop près oblervée ,"
Je n'ofois dans mes pleurs me noyer à loilîr.
Je goûtois , en tremblant , ce funefte plailîr ;
Et , fous un front ferein déguifant mes aJlarmcs ,
Il falloir bien fouvent me priver de mes larmes ,
(S N O NE.
Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours î
Ils ne fe verront plus.
Phèdre.
Ils s'aimeront toujours.
Au moment que je parle, ah , mortelle pcnfée l
Ils bravent la fureur d'un amante infenfée.
Malgré ce même exil , qui va les écarter ,
Ils font mille fcrmens de ne fe point quitter.
Non , je ne puis fouffrir un bonheur qui m'outrage >
(Enone. Prends pitié de ma jaloufe rage.
Pv
34^ PHEDRE,
Il faut peidrc Aiicie. Il faut de mon époux ,
Contre un fang odieux , réveiller le courroux.
Qu'il ne fe borne pas à des peines légères ,
Le crime de la fœur pafTe celui des frères.
Dans mes jaloux tranfports je le veux implorer.
Que fais -je ? Où ma raifon fe va-t-elle égarer ?
Moi jaloufe ? Et Théfée eft celui que j'implore !
Mon époux eft vivant, & moi je brûle encore !
Pour qui ? Quel eft le coeur où prétendent mes vœux
Chaque mot fur mon front fait dreflcr mes cheveux.
Mes crimes déformais ont comblé la mefure.
Je rcfpire à la fois l'incefte Se l'impofture.
Mes homicides mains , promptes à me venger ,
Dans c fang innocent brûlent de fe plonger.
Miférable ! Et je vis ? Et je fouticns la vue
De ce facré foleil dont je fuis defcendue ?
J'ai pour ayeul le père & le maître des dieux.
Le ciel , tout l'univers eft plein de mes ayeux.
Où me cacher î Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? Mon père y tient l'urne fatale.
Le fort, dit-on , l'a mifc en Ces févères mains.
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah , combien frémira fon ombre épouvantée ,
Lorfqu'il verra fa fille , à fes yeux préfentée ,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers ,
Et des crimes, peut-être inconnus aux enfers !
Que diras-tu , mon père , à ce fpedtacle horrible ?
Je crois voir de ta main tomber l'urne terrible ;
Je crois te voir, cherchant un fupplice nouveau ,
Toi-même de ton fang devenir le bourreau.
Pardonne. Un Dieu cruel a perdu ta famille.
Reconnois fa vengeance aux fuicurs de ta fille.
Hélas , du crime afFrcux dont la honte me fuit ,
Jamais mon trifte cœur n'a recueilli le fruit 1
Jufqu'au dernier foupir de malheurs pourfuivie ,
Je rends dans les tourmens une pénible vie.
(Œ N G N E.
Hé, repouflcz. Madame, une injufte terreur.
Regardez d'un autre œil une excufablc erreur.
TRAGÉDIE. 347
Vous aimez. On ne peut vaincre fa deftinéc.
Par un charme fatal vous fûtes entraînée.
Eft-ce donc un prodige inoui parmi nous î
L'amour n'a-t-il encor triomphé que de vous ?
La foibleffe aux humains n'eft que trop naturelle.
Mortelle , fubiflez le fort d'une mortelle.
Vous vous plaignez d'un joug impofé dès long-temps.
Les dieux mêmes , hs dieux de l'Olympe habitans ,
Qui d'un bruit fi terrible épouvantent les crimes ,
Ont brûlé quelquefois de feux illégitimes.
Phèdre.
Qu'entends-je , quels confeils ofe-t-on me donner ?
Ainfî donc jufqu'au bout tu veux m'empoifonner ,
Malhcureufe ! voilà comme tu m'as perdue.
Au jour que je fuyois c'eft toi qui m'as rendue.
Tes prières m'ont fait oublier mon devoir.
J'évitois Hippolyte , &: tu me l'as fait voir.
De quoi te chargeois-tu ? Pourquoi ta bouche impie
A-t-elle , en î'accufant , ofé noircir fa vie ?
Il en mourra peut-être , &: d'un père infenfé
Le facrilège vœu peut-être eft exaucé.
Je ne t'écoute plus. Va-t-en , monftre exécrable.
Va , laifle-moi le foin de mon fort déplorable.
PuifTe le jufte ciel dignement te payer j
Et puifle ton fupplice à jamais effrayer
Tous ceux qui , comme toi , par de lâches adrefTes ,
Des princes malheureux nourriflent les foiblcfles ,
Les pouffent au penchant où leur cœur eft enclin ,
Et leur ofent du crime applanir le chemin :
Détcftables flatteurs , préfent le plus funefte
Que puiffc faire aux rois la colère céleftc.
^ N o N E feule.
Ah , dieux ! Pour la fervir , j'ai tout fa-t, tout quitté ;
Et j'en reçois ce prix 1 Je l'ai bien mérité.
Fin du guatrîlme ÂCle,
Pv)
348 PHEDRE,
xxxxxxxxxxx xxxxxxxxxxx
A C T E V.
SCENE PREMIERE.
HIPPOLYTE, ARICIE, ISMENE.
A R I c I E.
\^ uoi , vous pouvez vous taire en ce péril excrême î
Vous laillez dans l'erreur un père qui vous aime i
Cruel , fi, de mes pleurs méprifant le pouvoir >
Vous confentez fans peine à ne me plus revoir ,
Partez , féparez-vous de la trifte Aricie,
Mais du moins, en partant , aflurez votre vie.
Défendez votre honneur d'un reproche honteux ,
Et forcez votre père à révoquer les vœux.
Il en ell temps encor. Pourquoi ! Par quel caprice
Laillez-vous le champ libre à votre accufatrice i
Eclaircillèz Théfée.
HiPPOLYTE.
Hé, que n'ai-je point dit ?
Ai-je dû mettre au jour l'opprobre de fou lit î
Devois-je, en lui faifant un récit trop fincère ,
D'une indigne rougeur couvrir le front d'un père î
Vous feule avez percé ce myftère odieux.
Mon cœur, pour s'épancher, n'a que vous & les dieux.
Je n'ai pu vous cacher , jugez fî je vous aime ,
Tout ce que je voulois me cacher à moi-même.
Mais fongez fous quel fceau je vous l'ai révélé.
Oubliez , s'il fe peut, que je vous ai parlé ,
Madame ; & que jamais une bouche fî pure
Ne s'ouvre pour conter cette horrible aventure.
Sur l'équité des dieux ofons nous confier :
Ils ont trop d'intérêt à me jullifier ;
Et Phèdre , toc ou tard , de fon crime punie ,
N'en fauroit éviter la jufte ignominie.
TRAGÉDIE. 549
C'eft l'un^ue xeC^cù. que j'exige de vous.
Je permets tout le refte â mon libre courroux.
Sortez de l'efclavage où vous êtes réduite ;
Ofez me fuivre. Oiez accompagner ma fuite.
Arrachez-vous d'un lieu funefïe &c profané ,
Où la vertu refpire un air empoifonné.
Profitez, p©ur cacher votre prompte retraite y
De la confufion que ma difgracc y jette.
Je vous puis de la fuite allurer les moyens,
Vous n'avez jufqu'ici de gardes que les miens.
De puilfans défenfeurs prendront notre querelle.
Argos nous tend hs bras, & Sparte nous appelle.
A nos amis communs portons nos jufles cris.
Ne foulFrons pas que Phèdre , alTemblant nos débris ,
Du trône paternel nous chafTe l'un & l'autre ,
Et promette à fon fils ma dépouille & la votre.
L'occafion cft belle, il la faut embrafTer.
Quelle peur vous retient ? Vous femblez balancer ?
Votre feul intérêt m'infpire cette audace.
Quand je fuis tout de feu, d'où vous vient cette glace î
Sur les pas d'un banni craignez-vous de marcher >
A R. 1 c I E.
Hélas, qu'un tel exil. Seigneur, me feroit cher •
Dans quels ravifTemens , à votre fort liée ,
Du rcfte des mortels je vivrois oubliée !
Mais , n'étant point unis par un lien fi doux ,
Me puis-je , avec honneur , dérober avec vous ?
Je fais que, fans blcfler l'honneur le plus févère ,
Je me puis affranchir des mains de votre père.
Ce n'clt point m'arrachcr du fein de mes parens ;
Et la fuite eft permifc à qui fuit fes tyrans.
Mais vous m'aimez. Seigneur. Et ma gloire allarmée...
HiPPOLYTE.
Non , non , j'ai trop de foin de votre renommés.
Un plus noble deflcia m'amène devant vous.
Fuyez vos ennemis , & fuivez votre époux.
Libres dans nos malheurs , puifque le ciel Tordonnc ,
Le don de notre foi ne dépend de perfonne.
5fo PHEDRE,
L'hymen n'eft point toujours entouré de flambeaux",
Aux portes de Trézène , & parmi ces tombeaux ,
Des princes de ma race antiques fépultures ,
Eft un temple facré formidable aux parjures.
C'eft-là que les mortels n'ofent jurer en vain.
Le perfide y reçoit un châtiment foudain.
Lt craignant d'y trouver la mort inévitable ,
Le menfonge n'a point de frein plus-redoutable.
Là , fi vous m'en croyez , d'un amour éternel
Nous irons confirmer le ferment folemnel.
Nous prendrons à témoin le Dieu qu'on y révère.
Nous le prierons tous deux de nous l'ervir de père.
Des dieux les plus facrés j'attefterai le nom j
Et la chafte Diane , & l'auguftc Junon ,
Et tous les dieux enfin , témoins de. mes tendrefies ,
Garantiront la foi de mes faintes promefles.
A R I C I E.
"Le TOI vient. Fuyez , Prince , & partez promptement
Pour cacher mon départ je demeure un moment.
Allez 5 &: laiflèz-moi quelque fidèle guide ,
Qui conduire vers vous ma démarche timide.
SCENE IL
THÉSÉE, ARICIE, ISMENE.
Thésée.
M-J lEUx , éclairez mon trouble, &c daignez d mes yeux
Montrer la vérité que je cherche en ces iicux.
A R I G I E.
Songe à tout, chère Ifmène , & fois prête à la fuite..
TRAGÉDIE.
3ÎI
SCENE I I L
THÉSÉE, ARICIE.
Thésée.
V<
ous changez de couleur , & fcmblez interdite ,
Madame. Que failbic Hippolyte en ce lieu î
A R. I c I E.
Seigneur , il me difoir un éternel adieu.
Thésée.
Vos yeux ont $ii dompter ce rebelle courage ;
Et fes premiers foupirs font votre heureux ouvrage.
A R I C I E.
Seigneur , je ne vous puis nier la vérité.
De votre injufte haine il n'a pas hérité.
Il ne me traitoit point comme une criminelle.
Thésée.
J'entends. Il vous juroit une amour éternelle.
Ne vous adurez point fur ce cœur inconftant ;
Car à d'autres que vous il en juroit autant,
A R 1 c I E.
Lui , Seigneur ?
Thésée.'
Vous deviez le rendre moins volage.
Comment foufFriez-vous cet horrible partage ?
A K I C I E.
Et comment fouffrcz-vous que d'horribles difccurs
D'une Cl belle vie ofcnt noircir le cours ?
Avcz-vous de fon coeur fi peu de connoiflancc ?
Difccrnez-vous fi mal le crime & l'innocence î
Faut-il qu'à vos yeux fculs un nuage odieux
Dérobe fa vertu qui brille à tous les yeux ?
Ah , c'eft trop le livrer à drs langues perfides î
Ceiïcz. Rcpcntcz-vous de vos vcrux homicides.
Hi PHEDRE,
daignez , Seigneur, craignez que le Ciel rigoureux
Ne vous haiflc aflcz pour exaucer vos vœux.
Souvent dans fa colère il reçoit nos vidimes.
Ses préfens font fouvent la peine de nos crimes.
Thésée.
Non, vous voulez en vain couvrir fon attentar.
Votre amour vous aveugle en faveur de l'ingrat.
Mais j'en crois dss témoins certains , irréprochables»
J'ai vu , j'ai vu couler des larmes véritables»
A R I c I E.
Prenez garde, Seigneur. Vos invincibles mains
Ont de monftres fans nombre affranchi les humains ;
Mais tout n'cll pas détruit , &: vous en laillez vivre
Un... Votre fils, Seigneur, me défend de pourfuivre.
Inftruite du refped qu'il veut vous confervcr y
Je l'afïîigcrois trop fi j'ofois achever.
J'imite fa pudeur , & fuis votre préfence ,
Pour n'être pas forcée à rompre le filence.
SCENE IV.
THÉSÉE feule,
\f UELLE eft donc fa penfée?Et que cache un difcours
Commencé tant de fois , interrompu toujours î
Veulent-ils m'éblouir par une feinte vaine ?
Sont-ils d'accord tous deux, pour me mettre à la gêne î
Mais moi-m-ême , malgré ma févère rigueur ,
Quelle plaintive voix crie au fond de mon cœur î
Une pitié fecrette & m'afflige ëc m'étonne.
Une féconde fois interrogeons (ff.none.
Je veux de tout le crime être mieux édairci.
Gardes. Qu'CSnone forte & vienne feule ici.. ^
^
TRAGÉDIE.
3n
SCENE V.
THÉSÉE, PANOPE.
P A N O P E.
J 'ignore le projet que la reine médite ,
Seigneur. Mais je crains tout du tranfport qui J'agite.
Un mortel défefpoir fur Ion vifagc eft peint.
La pâleur de la mort eft déjà fur fon teint.
Déjà , de fa préfencc avec honte challée ,
Dans la profonde mer (ffinone s'eft lancée.
On ne fait point d'où part ce defTcin furieux ;
Et les flots pour jamais l'ont ravie à nos yeux.
Thés é e.
Qu'entends- je î
P A N o p E.
Son trépas n'a pas calmé la reine.
Le trouble femble croître en fon ame incertaine.
Quelquefois , pour flatter fes fecrettes douleurs ,
Elle prend Ces enfans, & les baigne de pleurs ;
Et foudain, renonçant à l'amour maternelle ,
Sa main avec horreur les repoufle loin d'elle.
Elle porte au hafard fes pas irréfolus.
Son ccil tout égaré ne nous reconnoît plus.
Elle a trois fois écrit ; & , changeant de pcnfée ,
Trois fois elle a rompu fa lettre commencée.
Daignez la voir, Seigneur, daignez la fecourir.
Thé s é e.
O ciel , (Enone eft morte , & Phèdre veut mourir î
Qu'on rappelle mon fils , qu'il vienne fe défendre ;
Qu'il vienne me parler , je fuis prêt de l'entendre..
(feul)
Ne précipite point tes funeftes bienfaits ,
Neptune. J'aime mieux n'ètte exaucé jamais.
3H PHEDRE,
J'ai peut-être trop cru des témoins peu fidèles i
Et j'ai trop tôt vers toi levé mes mains cruelles.
Ah , de quel défefpoir mes vœux feroient fuivis î
SCENE VI.
THÉSÉE, THÉRAMENE.
Thésée.
J. HÉRAMENE , cft-cc toi ? Qu'as-tu fait de mon fils î
Je te l'ai confié dès l'âge le plus tendre.
Mais d'où naiflènt les pleurs que je te vois répandre î
Que fait mon fils ?
Théramene.
O foins tardifs & fuperflus î
Inutile tendrefle I Hippolyte n'efl plus.
Thésée.
Dieux î
Théramene.
J'ai vu des mortels périr le plus aimable ,
Et j'ofe dire encor , Seigneur , le moins coupable.
Thésée.
Mon fils n'efl plusîHé quoi I Quand je lui tends les bras,
Les dieux impatiens ont hâté fon trépas ?
Quel coup me l'a ravi ? Quelle foudre foudaine ? . . .
Théramene.
A peine nous fortions des portes de Trézène,
Il étoit fur fon char. Ses gardes affligés
Imicoient fon iîlence, autour de lui rangés.
Il fuivoit tout penfif le chemin de Mycènes.
Sa main fur les chevaux laifibir flotter les rênes.
Ses fuperbes courfiers , qu'on voyoit autrefois
Pleins d'une ardeur fi noble obéir à fa voix.
L'œil morne maintenant &: la tcre baiffee ,
Scmbloient fe conformer à fa trifte pcnfée.
1
TRAGÉDIE, 3n
Un eflfiroyablc cri, forti du fond des flots ;
Des airs , en ce moment, a troublé le repos ;
Et du fein de la terre une voix formidable
Répond , en gémiflant , à ce cri redoutable.
Jufqu'au fond de nos cœurs notre fang s'eft glacé.
Des courfîers attentifs le crin s'eft hérifle.
Cependant, fur le dos de la plaine liquide ,
S'élève à gros bouillons une montagne humide.
Uonde approche , fe brife, & vomit à nos yeux ,
Parmi des flots d'écume , un monftre furieux.
Son front large eft armé de cornes menaçantes ;
Tout fon corps eft couvert d'écaillés jauniflantes.
Indomptable taureau , dragon impétueux ,
Sa croupe fe recourbe en replis tortueux j
Ses longs mugiflemens font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monftre fauvagc.
La terre s'en émeut , l'air en eft infedré ,
Le flot , qui l'apporta, recule épouvanté.
Tout fuit ; & fans s'armer d'un courage inutile ,
Dans le temple voifin chacun cherche un afyle.
Hippolytc lui fcul , digne fils d'un héros ,
Arrête les courfiers , faifit fes javelots ,
PoufTeau monftre, &:, d'un dard lancé d'une main fûre,
Il lui fait dans le flanc une large bleflure.
De rage & de douleur le monftre bondiflant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugiffant ,
Se roule, & leur préfente un gueule enflammée ,
Qui les couvre de feu , de fang , & de fumée.
La frayeur Iss emporte 5 de , fourds à cette fois ,
Ils ne connoiffent plus ni le frein , ni la voix. «
En efforts impuiflans leur maître fe confumc.
Ils rougiflcnt le mords d'une fanglante écume.
On dit qu'on a vu même , en ce défordre affreux ,
Un dieu , qui d'aiguillons preflbit leur flanc poudicux.
A travers les rochers la peur les précipite.
L'cflicu crie & fc rompt. L'intrépide Hippolytc
Voit voler en éclats tout fon char fracaflc.
Dans les rênes lui-même il tombe embatrairé.
35^ P HE D R E,
Excufcz ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une fource éternelle.
J'ai vu, Seigneur , j'ai vu vçtre malheureux fils
Traîné par les chevaux que fa. main a nourris.
Il veut les rappeller , & fa voix les effraie.
Ils courent. Tout fon corps n'eft bien-tôt qu'une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit.
Leur fougue impétueufe entin fe ralentit.
Ils s'arrêtent , non loin de ces tombeaux antiques ,
Où des rois fcs ayeux font les froides reliques.
Je cours , en foupirant , Ôc fa garde me fuir.
De fon généreux fang la trace nous conduit.
Les rochers en font teints. Les ronces dégouttantes
Portent de fes cheveux les dépouilles fanglantes.
J'arrive , je l'appelle ; & me tendant la main ,
Il ouvre un œil mourant, qu'il referme foudain :
Le cielj dit-il j rn'arrache une innocente vie.
Prend foin , après ma mort, de la trijle Aricie,
Cher ami , fi mon père un jour défabufé
Plaint le malheur d^un fils faujfement accufé ,
Pour appaifer mon fang 6* mon ombre plaintive ,
Dis-lui qu'avec douceur il traite fa captive ,
QuHl lui rende ... A ce mot ce héros expiré
N'a lailTé dans mes bras qu'un corps défiguré ;
Trifte objet où des dieux triomphe la colère ,
Et que méconnoîtroit l'œil même de fon père.
Thésée.
O mon fils \ Cher efpoir que je me fuis ravi !
Inexorables dieux, qui m'avez trop fervi I
A quels mortels regrets ma vie eft réfervée l
Thékamene..
La timide Aricie eft alors arrivée.
Ellevenoit, Seigneur, fuyant votre courroux ,
A la face des dieux l'accepter pour époux.
Elle approche. Elle voit l'herbe rouge & fumante.
Elle voit ( quel objet pour les yeux d'une amante l )
Hippolyte étendu , fans forme & fans couleur.
Elle veut quelque temps douter de fon malheur 5
TRAGÉDIE, 557
Et ne connoiffaac plus ce héros qu'elle adore ,
Elle voit Hippolyte , & le dcinar]yfle encore,
Mais , trop fûrc à la Hn qu'il eft devant fes yeux ,
Par un trifte regard elle accufe les dieux ;
-Et froide , gémillante , ôc prefque inanimée ,
Aux pieds de fon amant elle tombe pâmée.
Ifmènc eft auprès d'elle. Ifmène toute en pleurs
La rappelle â la vie, ou plutôt aux douleurs.
Et moi , je fuis venu , déteftant la lumière ,
Vous dire d'un héros la volonté dernière ;
Et m'acquitter , Seigneur , du malheureux emploi ,
Dont fon cœur expirant s'eft rcpofé fur moi.
Mais j'appcrçois venir fa mortelle ennemie.
SCENE DERNIERE.
THÉSÉE, PHEDRE, THÉRAMEN-E
H
P A N O P E , Gardes.
Thésée.
É BIEN , vous triomphez , Se mon fils eft fans vie.
Ah , que j'ai lieu de craindre ! & qu'un cruel foupçon
L'excufant dans mon cœur , m'allarme avec raifon !
Mais , Madame , il eft mort , prenez votre vidimc,
Jouiflèz de fa perte , injufte ou légitime.
Je confens que mes yeux foient toujours abufés.
Je le crois criminel , puifque vous l'accufez.
Son trépas à mes pleurs olîre aflèz de matières ,
Sans que j'aille chercher d'odicufes lumières,
Qui , ne pouvant le rendre à ma jufte douleur ,
Peu[,-êtrc ne feroient qu'accroître mon malheur.
Lai(Tcz-moi , loin de vous , &: loin de ce rivage ,
De mon {ils déchiré fuir la fanglantc image.
Confus, perfeçuté d'un mortel fouvenir ,
De l'univers entier je voudrois rac bannir.
3î8 PHEDRE,
Tout femble s'élever contre mon injufticc.
L'éclat de njon nom e^ême augmente mon fupplicc.
Moins connu des mortels , je me cacherois mieux.
Je hais jufques aux foins dont m'honorent hs dieux;
Et je m'en vais pleurer leurs faveurs meurtrières ,
Sans plus les fatiguer d'inutiles prières.
Quoi qu'ils fiiïènt pour moi, leur funefte bonté
Ne me fauroit payer de ce qu'ils m'ont ôté.
P H E u R E.
Non , Théfee , il faut rompre un injufte filcnce.
Il faut à votre fils rendre fon innocence.
Il n'étoit point coupable.
Thésée.
Ah , père infortuné I
Y.t c'eft fur votre foi que je l'ai condamné !
Cruelle, penfez-vous être afîez excufée ! . , .
Phèdre.
Les momens me font chers , écoutez-moi , Théfée.
C'eft moi qui , fur ce fils challe Se refpeftueux ,
Ofai jetter un œil profane , inceftueux.
Le ciel mit dans mon fein une flamme funelle.
La déteftable (Snone a conduit tout le rcfte.
Elle a craint qu'Hippolyte , inftruit de ma fureur ,
Ne découvrît un feu qui lui faifoit horreur.
La perfide , abufant de ma foibleffe extrême ,
S'eft hâtée à vos yeux de l'accufer lui-même.
Elle s'en eft punie ; & , fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un fupplice trop doux.
Le fer auroit déjà tranché ma deftinée ,
Mais je laiflbis gémir la vertu foupçonnée.
J'ai voulu, devant vous expofant mes remords ;
Par un chemin plus lent defccndre chez les morts.
J'ai pris , j'ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poifon que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jufqu'à mon cœur le venin parvenu ,
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu.
Déjà je ne vois plus qu'à travers un nuage ,
Et le ciel ôc l'époux que ma préfcnce outrage ;
T R A '^ ^ ^ E' 5 59
Et la mort , à mes ye- dérobant la clarté ,
Rend au jour, qu''^o"'^oie"t, toute fa pureté.
P A N O P E,
Elle expire, Se^i^ur.
Thésée.
D'une aftion Ci noire
Ouc ne pr ^^^'^ ^^^^ expirer la mémoire I
AUony *^ '"°^ erreur , hélas , trop éclaircis ,
j^j «1 jos pleurs au lang de mon malheureux fils,
.kixons de ce cher fils embraflèr ce qui refte.
Expier la fureur d'un vœu que je dételle.
Rendons-lui les honneurs qu'il a trop mérités.
Et , pour mieux appaifcr fes mânes irrités ,
Que , malgré les complots d'une injuftc famille ,
Son amante aujourd'hui me tienne lieu de fille.
FI N.
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F R A G M'Z N T
DE BÉRÉNICL.
ACTE QUATRIEME,
SCENE IX.
A N T I O C H US, A R S A C E.
A N T I O C H U s.
Jt\ RSAqii , que dis-tu de toute ma conduite î
Rien ne pouvoit tantôt s'oppofer à ma fuite.
Bérénice & Titus offenfoient mes regards.
Je partois pour jamais. Voilà comme je pars.
Je rentre, & dans les pleurs je retrouve la reine.
J'oublie en même temps ma vengeance & fa haine.
Je m'attendris aux pleurs qu'un rival fait couler.
Moi-même , à fon fecours , je le viens .ippeller ;
Et , fl fa diligence eût fécondé mon zèle ,
J'allois , viâiorieux, le conduire auprès d'elle.
Malheureux que je fuis ! Avec quelle chaleur
Je travaille fans cefle à mon propre malheur î
C'en eil trop. De Titus porte-lui les promelles,
Arface. Je rougis de toutes mes foiblefles.
Défefpéré, confus, à moi-même odieux ,
LaifTe-moi : je me veux cacher même à tes yeux*
FIN DU SECOND VOLUME.
J%«ii«iur 11^1.9 ^*r i . I . JUL H 15,
PQ Racine, Jean Baptiste
1885 Oeuvres
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