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Full text of "Opinion de J.P.F. Duplantier, député de la Gironde, sur l'impot du tabac : séance du 21 fructidor an 6."

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CORPS  LEGISLATIF. 


CONSEIL  DES  CINQ -CENTS. 


OPINION 

D E 

J.  P.  F.  DUPLANTÏER, 

Député  de  la  Gironde  , 

SUR  L'IMPOT  BU  TABAC 

Séance  du  21  fru&idor  an  6, 


Citoyens  Législateurs, 

En  demandant  la  parole  pour  défendre  le  projet  de 
réfolution  qui  vous  a été  préfenté  par  votre  commiffion 
des  finances  fur  le  tabac  , je  ne  viens  point  appuyer  ni 
contredire  les  principes  que  j’ai  entendu  profeflsr  fur  la 
3 A 

thenewber&y 

UBRARY 


/ 


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théorie  des  contributions  publiques.  Un  temps  viendra , au 
fein  de  la  paix,  où  il  fera  permis  de  fe  livrer  fans  danger 
à cette  grande  difcuffioo  $ mais  ici  nos  befoins  ne  peuvent 
s’ajourner,  ôc  tout  doit  céder  | à' la  néceüité  de  loutenir 
gloneufement  les  efforts  du  génie  de  la  liberté,  ôc  de 
mettre  dans  les  mains  du  gouvernement  des  moyens  for- 
midables , pour  quJil  puiffe  lutter  avec  la  fupériorité  ordi- 
naire de  la  grande  nation  contre  les  relies  de  la  coalition 
gigantefque,  de  la  perfidie  , du  crime  ôc  de  la  barbarie  ; 
il  faut,  en  un  mot,  détruire  Carthage  , ôc  ajouter  au  titre 
glorieux  de  libérateurs  des  peuples  , celui  plus  précieux 
encore  de  bienfaiteurs  de  Thumanité  Ôc  de  pacificateurs  de 
l’Europe. 

L’impôt  fur  les  fabricans  de  tabac  , qui  vous  offre  une 
rentrée  de  dix  millions  , contribuera  en  partie  à ce  grand 
œuvre.  Cet  impôt  ne  peut  rappeler  le  monopole  infâme 
fur  cette  matière  dont  la  révolution  a fait  juflice.  Il  n’en  gêne, 
comme  lui } ni  la  culture ni  le  commerce , ni  la  fabrication  ; 
Ôc  c’eft , fuivant  moi , de  tous  les  impôts  indire&s,  celui  qui 
eft  le  moins  imparfait  ôc  le  moins  onéreux.  On  ne  peut  faire 
aucune  com parai fon  raifonnable  entre  ce  qu’on  propofe  Ôc 
ce  qui  exiftoit  autrefois,  8c  une  foible  patente  fpéciale  de 
quelques  centimes  par  livre  de  tabac  eft  une  chofe  li 
modique  ôc  lî  limple  , qu’en  vérité  , dans  les  momens 
difficiles  où  nous  nous  trouvons , l’on  ne  peut  fe  récrier contre 
une  propofition  qui  n’offre  point  les  défavantages  ôc  les 
entraves  que  préfentent  prefque  tous  les  autres  impôts 
ïndireéls. 

On  a prétendu  que  le  tabac  étoit  devenu  un  objet  de  première 
néceffité.  Je  nie  cette  affertion  • car  , indépendamment  du 
grand  nombre  d’individus  qui,  dans  les  communes  popu- 
leufes  , n’en  fait  pas  ufage  , il  eft  beaucoup  de  départe- 
mens  où  il  n’exifte  que  deux  ou  trois  perfonnes  dans  les 
communes  rurales  qui  en  aient  contrarié  rhabitude  $ elle 
n’a  pu  même  être  introduite  dans  nos  campagnes  que 


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contre  la  nature  des  chofes  ; les  travaux  pénibles  & la 
frugalité  des  cultivateurs  vous  répondent  allez  du  peu  de 
beloin  qu'ils  ont  de  chercher  des  moyens  feaétoires  autres 
que  ceux  que  leur  offre  une  tranfpiration  abondante  , qui 
eft  même  pour  eux  une  déperdition  réelle. 

Le  tabac  tient  le  milieu  entre  les  objets  confidérés  comme 
faiiant  partie  des  premiers  befoins  de  l’homme  & ceux 
qu’on  regarde  comme  étant  l’apanage  du  luxe  ; il  doit  par 
conféquent  concilier  les  opinions  des  divers  fyftêmes  que 
j’ai  entendu  foutenir  fur  la  matière  que  doit  plus  fpéciale- 
ment  atteindre  l’impôt;  & quand  je  dis  qu’il  occupe  ce  point 
intermédiaire  , j’ai  pour  moi  la  certitude  qu’il  exifte  plus 
d’individus  qui  n’en  ont  pas  l’ufage  , que  de  ceux  qui  en 
ont  comtra&é  l’habitude , 8c  fur-tout  l’exemple  de  perfonnes 
qui  regardant  le  tabac  comme  l’un  de  leurs  premiers  be- 
loins  & ayant  été  par  des  circonftances  imprévues  mifes 
dans  le  cas  de  ne  pouvoir  s’en  procurer  , ont  fini  par  en 
perdre  l’ufage  fans  éprouver  aucun  dérangement. 

Le  tabac  peut  donc  être  impofé  fans  danger;  & la  ma- 
nière dont  l’impôt  eft  propofé  le  rend  , pour  ainfî  dire  * 
infenfible. 

Ce  qui  aggrave  la  condition  du  peuple  dans  la  percep- 
tion des  impofitions  indire&es  , c’eft  fur-tout  les  frais  que 
cette  perception  occafionne  ; & ici  vous  avez  l’avantage 
inappréciable  de  voir  que  ces  frais  feront  prefque  nuis; 
tandis  que  la  manière  dont  cette  partie  étoit  adminiftréq 
dans  l’ancien  régime  néceftitoit  une  dépenfe  double  de 
qui  rentroic  au  tréfor  public. 

Le  commerce,  la  fabrication  , la  culture,  dans  la  plus 
grande  partie  de  la  France  , tout  ce  qui  tient  en  un  mot 
à la  liberté  , étoit  prohibé  fous  l’ancien  régime  ; 8c  ici , au 
contraire  , tout  cela  eft  libre  êc  permis.  Le  nouveau  fyftême  , 
bien  loin  de  nuire  à l’induftrie  nationale  , pourroit  au  con- 
traire lui  donner  une  plus  grande  aétivi ré , fi  nos  relations 
commerciales  pouvaient  fe  concilier  avec  une  reftridiota 


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plus  févère  fur  l’importation.  Mais  gardez-vous  bien  , ci- 
toyens repréfèhtàris  d’adopret  l'amendement  qui  vous  a 
été  fait , d alîujectir  à un  droit , quelque  modique  qu’il 
foit , la  feuille  indigène  : c’eft  alors  que  l’impôt  feroit  fenti 
par  le  peuple  8c  qu’il  provoqueroit  de  juües  plaintes  de  la 
part  du  cultivateur. 

Gardez-vous  fur- tout  de  jetter  un  regard  en  arrière  fur 
le  projet  dpiit  notre  collègue  Pifoti  - Dugalland  vous  fie 
l’apologie  dans  la  féance  du  19  de  ce  mois.  Ce  projet  a 
été  rejeté  , à une  immenfe  majorité  , après  une  difcufllon 
aufii  lumineufe  que  folemneile;  8c  quoiqu’il  ait  été  dit  qu’un 
membre  du  Confeii  des  Anciens  en  a parlé  avec  éloge  lors 
du  rapport  qu’il  fit  de  la  première  réfolution  fur  cette  ma- 
tière , il  n’en  efi  pas  moins  confiant  que  ce  projet  étoit 
& feroit  toujours  contraire  aux  principes  de  la  liberté,  def- 
truCtif  de  l’induftrie  nationale  , Sç  défaftreux  pour  l’agri- 
culture. 

Iltendoit  à augmenter  confidérabîèment  les  droits  d’entrée 
fur  les  tabacs  étrangers  8c  à les  porter  a une  fomme  telle 
quelle  auroit  été  double  de  leur  véritable  valeur;  droits  qui 
feroient  cependant  devenus  nuis  par  le  privilège  qu’accor- 
doir  ce  projet  aux  cinq  manufactures  nationales , qu’il  ré- 
tablifioit , de  ne  pas  y être  afiajetties  : car  nul  fabricant  par- 
ticulier ne  s’eu  feroit  approvifionné  par  la  voie  ordinaire 
du  commerce,  fi  toutefois,  avec  ces  établifiemens  privilégiés  , 
il  eût  pu  exifter  des  manufactures  particulières  ; ce  qui  eft 
phyfiquement  impofiible , à moins  que  la  contrebande  n’eûc 
été  facile  & abondante.  Mais  comme  on  ne  doit  pas  le 
fuppofer , il  eft  évident  que  ce  projet  alioit  fur-le-champ 
frapper  de  ftérilité  Finduftrie  individuelle  , & réduire  dans 
l’état  le  plus  déplorable  ces  nombreux  fabricans  8c  ouvriers 
que  la  révolution  a fait  éclore  & qui  vivifient  la  culture  du 
tabac  dans  la  plupart  de  nos  départemens,  qu’elle  ferti- 
life  & enrichit.  Il  auroit  bien  véritablement  produit  un 
privilège  exclufif,  quelque  foin  qu’on  eût  apporté  à dite 


que  la  fabrication  particulière  étoit  entièrement  libre  puif- 
qu  aucun  fabricant  n’eût  pufoutenir  la  concurrence,  & la  conf- 
mution  a profcrit  tous  les  privilèges.  Gérait,  en  un  mot, 
rétablir  1 ancien  monopole  fous  d’autres  formes , & fans 
en  préfenter^  tout  l’odieux  &*  toutes  les  vexations  ce  projet 
eut  produit  a peu  près  le  même  effet.  Ce  monopole  feroit 
devenu,  comme  autrefois , en  définitif,  l’apanage  d’une 
compagnie  ou  de  fermiers  non  moins  avides  à groffir  leur 
fortune  individuelle  au  détriment  de  la  République,  & par 
la  rume  d une  foule  de  fpéculareurs  utiles  & dartifans  la- 
borieux, qui , depuis  l’aurore  de  notre  liberté  , ont  confidéra- 

ement  agrandi  cette  branche  d indu  (trie.  Joutes  les  com- 
munes commerçantes  ont  affez  éprouvé  de  pertes  & de 
malheurs  3 pour  avoir  des  droits  facrés  à fa  confervation  dans 
toute  la  plénitude. 

JNotre  collègue  Pifon  a dit  que  ce  projet  n’excita  , dans 
Je  temps  , des  réclamations  générales  ? que  parce  qu’on  vouloir 
happer  d un  impôt  particulier  la  culture  du  tabac  dans  l’in- 
eneur  de  la  France  • ce  qui  fit  que  Villers  eut  contre  fon 
projet  les  cultivateurs  & lesfabricans , tandis  qu’en  abandon- 
nant ce  dernier  point,  il  n’y  auroit  de  réclamations  fondées 
que  de  la  part  des  fabr/cans  feuls;  comme  ii  Ton  ne  devoir 
voir  au^un  egard  aux  juftes  réclamations  des  hommes  utiles 
? laborieux  qui  vivifient  le  commerce  & l’indultrie  : comme 

1 agriculture  n ecoit  pas  également  frappée  par  le  privilège 
qu  auraient  les  manufactures  nationales"  de  sapprovi  fion- 
ner  cnez  etranger  fans  payer  des  droits  d’entrée , 8c 
out  par  «.  mine  8c  inactivité  des  fabrications  particulières; 

1 * Cn  ?n  mot'  la  diminution  qui  en  réïuirefort 
nécefTairemenc  dans  la  confommation  ne  ■diminuerait  pas 

j’/’L'  ^Ure . e déparremens  du  nord.  Ce  réfultat  feroir 
d autant  plus  defaftreux  qu’il  auroit  le  double  défavantage  de 
paralyferun  revenu  précieux  pour  le  cultivateur,  & de  dimi- 

ri rhp(TS  ^.nsrals  <îui  contribuent  fi  puiffamment  à accroître  les 
îichefles  de  1 agriculture.  Je  n’ignore  pas  qu’on  a prétendu 


que  le  tabac  effrite  la  terre  -,  cela  leroit  vrai  u ^ uc 
lui  rendoit  aucun  des  principes  que  cette  plante  lui  a enleves  ; 
mais  comme  Tes  débris  font  crès-conïidérables , le  tabac  rend 
plus  à la  terre  quil  ne  lui  a confommé  de  futytance.  b il 
étoit  néceiïaire  de  vous  le  prouver,  je  vous  dirms  que  p us 
les  plantes  ont  de  hauteur  & de  furhces  extérieures  & plus 
elles  s'approprient  de  principes  de  végétation  dans  le  torrent 
des  fucs  fubftantiels  & nourriciers  que  chane  l atmoiphere, 

& quelles  fixent  ainfi  fur  le  champ  qui  leur  donna  le  jour 
& identifient  à la  terre  dans  laquelle  le  foc  de  la  charue 
les  enfouir;  mais,  l’expérience  particulière  du  cultivateur  me 
difpenfe  d’eutrer  dans  des  explications  pins  étendues,  ÔC 
tous  ceux  de  nos  collègues  qui  ont  été -,a  portée  dobletver 
les  réfui cats  de  la  culture  du  tabac  , vous  diront  que  le 
plus  beau  champ  de  bled  eft  celui  qui  a donne , 1 annee 
précédente , une  abondante  récolte  de  tabac. 

Quel  peut  donc  être  réellement  l’avantage  du  projet 
de  Vitlers?  de  donner,  dit-on , un  produit  plus  abondant 
& plus  certain.  Je  répondrai  d’abord  que  je  ne  puis  con- 
cevoir aucun  avantage  pour  la  République  , lorfque  vous 
patalyfez  une  partie  de  fon  commerce  & de  fon  agricultuie, 
parce  que  c’eft  là  qu’eft  fa  véritable  riche  (Te.  Je  dis  enfuite, 
comme  Bailleul  , qu’il  faudroit,  pour  relever  les  anciennes 
roanufa&ures  nationales,  une  mife  dehors  immenfe  ; & , 
d’après  les  calculs  de  notre  collègue  Riou  , dans  fon  opinion 
du  26  frimaire  dernier , que  je  tiens  à la  main  , il  eft  prouve 
qu’il  faudroit  au  moins  une  avance  de  francs, 

laquelle  avance  , en  fuppofant  que  les  manufactures  natio- 
nales euffent  le  fuccès  le  plus  complet , ne  donnerait  de 
produit  à la  fin  de  la  première  année  que  21,000,000  , X 
par  conféquent  de  bénéfice  net,  c’eft- a- dire  , de  revenu 
feulement  i,652,5'oo  francs  : encore  faut-il  une ^ année  de 
préparation  pour  commencer  la  vente;  a.nfi  vous  n a iriez 
même  ce  modique  produit  qu’en  1 an  8.  Peut-on  , dap  es 
cela,  hafarder  en  ce  moment , ou  les  befoms  font  les  plus 


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urgens , une  avance  de  près  de  20  millions  pour  avoir 
un  réfultat  aufli  foible  ? Toutes  ces  confîdérations  doivent 
donc  vous  déterminer  en  faveur  du  nouveau  projet  de  la 
commifïion , qui  n’apporte  aucune  entrave  à la  culture,  ni 
à L’induftrie  individuelle , 8c  qui  vous  donnera  un  produit 
réel , fans  avance,  privilège,  ni  monopole. 

Mais  l’on  a dit  que  ce  nouveau  projet  eft  inexécutable. 
Sans  doute  il  a des  imperfeétions , comme  en  aura  toujours 
ce  qui  fera  l’ouvrage  4es  Hommes';  mais  c’eft  le  moins 
imparfait  8c  le  moins  vexatoire  de  tous  les  projets  qui  ont 
été  préfencés.  La  fraude  ni  l’arbitraire  ne  nuiront  point 
d’une  manière  fen&ble  à la  perception  de  l’impôt  , fi 
les  adminiftrations  municipales  remplirent  leurs  devoirs 
avec  le  zèle  paternel  qui  doit  les  caraCtérifer  : 8c  l’on  doit 
compter  pour  beaucoup  l’inutilicé  de  nouvelles  régie?,  8c 
l’avantage  de  popularifer  ainfî  l’impôt  indired.  Si  vous 
fuppofez  les  adminiftrations  malveillantes  ou  paftîonnées  , 
je  conçois  qu’on  pourroit  avoir  quelques  craintes.  Ce  11e 
feroit  pas  alors  feulement  à l’impôt  du  tabac  quelles  por- 
reroient  atteinte,  mais  à toutes  les  lois  de  la  République,  8c 
vous  devez  à cet  égard  vous  repofer  entièrement  fur  la 
furveillance  du  Directoire  exécutif,  & fur  les  moyens 
répreflifs  que  la  conftitution  a placés  dans  fes  mains. 

Quant  aux  calculs  de  notre  collègue  Pifon  , je  ne  puis 
ni  les  avouer,,  ni  les  contredire,  ni  les  regarder  comme  plus 
exaéts  que  ceux  de  Bailleul.  D’ailleurs , veuillez  confïdérer , 
citoyens  repréfentans  , que  la  liberté  de  la  culture  8c  de  la 
fabrication  du  tabac  en  a confîdérablement  accru  la  con- 
fommation.  D’ailleurs  , l’expérience  nous  fera  connoître  les 
imperfections  qui  pourroient  exifler  dans  la  loi  propofée , 
8c  vous  fournira  les  moyens  d’y  remédier. 

Je  dois  obferver  en  ftmflant  , que  fi  je  vote  pour  l’impôt 
du  tabac  & pour  le  projet  de  la  commifïion  , je  fuis  bien 
éloigné  de  vouloir  favorifer  ceux  qui  en  ont  calculé  les 


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chances  pour  emmagafiner  le  tabac  fabriqué , & je  defire 
que  la  commiffion  cherche  les  moyens  de  les  atteindre. 

Je  réclame  donc  la  queftion  préalable  fur  tous  les  anciens 
projets , fur  tous  les  amêndemens  qui  auroient  pour  but 
d’alTujettir  à quelque  droit  la  feuille  indigène  , & qu’on 
aille  aux  voix  fur  le  projet  a&uel  de  la  commiflion , dont  je 
demande  l’adoption , en  y ajoutant  l’amendement  que  je 
viens  de  propofer. 


A PARIS , DE  L’IMPRIMERIE  NATIONALE, 
Fru&idor  an  6.