Ca
n
n
OPINION
DE M. DU PONT,
DÉPUTÉ DU BAILLIAGE DE NEMOURS,
SUR LE REVENU PUBLIC
PRODUIT PAR LA VENTE DU TABAC,
Prononcée à l’AfTemblée Nationale le 23 Avril 1790.
Messieurs^
Personne ne me foupçoniîera de penfer >
êc bien moins encore de vouloir perfuader
contre ma penfée , qu’un privilège exclufif ne
foit pas une inftitution très - injufte & très~
fâcheufe. Perfonne ne me foupçonnera d’être
un partifan trop zélé des importions indirectes.
Mais, nourri dans les travaux de I’Adminif-
tration , '& dans robfervation des faits d’après
lefquels 011 peut fe déterminer fur les opérations
politiques , j’avouerai que plufieurs importions
indiredes confidérables , veuant d’être changées
tout-à-coup en impofitions dont la plus grande
partie font diredes , le plus redoutable des
inconvéniens me paraîtrait d’ordonner encore h
A
IBENEWBERiUf'
. £JSfUR)f
1
transformation fubite d\me très-forte impofition
indirecte en une nouvelle impofition directe :
transformation qui d’ailleurs ,dans lefpèce dont
ii s’agit 5 préfenterait quelque injufticè.
L’impofition du Tabac me feinble une de
celles qui doivent être diminuées ou fupprimées
auiïi- tôt que i’étàt des Finances ôc la fupériorité
des revenus fur les befoins le permettront. Ce
n’eft pas une de celles qui peuvent être rem-
placées par une autre impofition. On ne doit
pas impofer le travail au foiilagement des fan-
taifies 5 ôc faire payer trente millions par an au
grand nombre de Citoyens qui ne prennent
point de tabac , afin de le procurer à meilleur
marché au petit nombre de ceux qui en prennent*
car ceux qui prennent du tabac font le petit
nombre, puifque la ■contommatiori générale du
Royaume n’excède pas fei^e millions de livres
pefant , pour vingt- quatre millions d individus
qui forment la population des Départemens où
le privilège exclufif du Tabac eft établi. La
confommation de ceux qui en ufent même
modérément „ n’eft pas au- défions de Jix livres
par année; de forte qui! fe trouve prouvé qu’il
n y a pas plus d "un homme fur neuf qui prenne
du tabac en France. H en faudrait donc impofer
huit qui n’ont aucun intérêt de le défit er , ôc
3
qui , certainement , ne le défirent pas , pour
faite plaifir a ce neuvième , qui , en effet , {. eut
Vouloir fortement qu’on charge fes Voifins d’im-
pofitions j afin que le tabac lui coûte moins cher*
Dans le vœu de huit contre un , 5c d’un contré
huit » quel eft celui 5 Melfieuts , qui doit em-
porter la balance ?
Ce qui demeure clair > efl que les pétitions
de quelques habitans des Villes 5c des Côtes »
qui font les principaux preneurs de tabac * ne
doivent pas être regardées comme le vœu général
de la Nation.
j’ai dans les mains une multitude de délibé*
rations 5c de proclamations de Municipalités d’en^
viron la moitié des Dépàftemens du Royaume *
qui demandent d’être préfervées * âürant qu’il fer*,
poffible, de nouvelles importions directes, & qui
préfèrent la confervation de la forme a duel le de
l’impôt du Tabac. M. le Contrôleur-Général me
les a fait paifer hier au fou* , pour en faire parc
à M. le Rapporteur , dont il’ ignorait la demeure ,
5c , conjointement avec lui 5 au Comité des
Finances.
Le paquet efi: très-confîdérabîe ; il eft accom--
pagné du billet dont je vais vous donner le&ufe*
« M. le Contrôleur-Général a Fhonneitr. d’en-
A %
4
„ voyer - à M. Du Pont ce qu il lui a, cto
j3 poftibîe de raflTembler d’Àrrêtés de de Délibé-
?» rations des Municipalités fur la perception des
» droits en général } & particulièrement fur la
vente exclufive du Tabac . Il ne doute pas que
,> le Comité des Finances & l’Aflemblée Natio-
& uale ne foient frappés de Funanimité de toutes
*» les Provinces , & même de l’intérieur de la Pi-
a cardie , pour la confervation du Tabac.
» II auroit déliré qu’il lui eût. été poffîble d’en
faire faire le catalogue, ou au moins un extrait;
» mais il a été obligé, faute de temps , de fe
„ borner à les faire ranger par ordre alphabé-
» tique.
« Les Délibérations d’Amiens , Bordeaux ,
„ Caen, Châtillon-fur-Seine , Grenoble , Orléans,
?» Paris , la Guiilotière fauxboiirg de Lyon , Nar-
» bonne. Tours & Valence méritent fur-tout
33 de fixer l’attention de l’ÂlTemblée Natio-
35 nale ».
Mais, Meilleurs, quand la fuppreffion de Tim-
pofition aduelle du Tabac ferait plus générale-
ment denrée qu’elle ne 1 eft , il faudrait encore
fe garder de croire trop légèrement à cette pre-
mière parole, que ceux qui réclament contre cette
impofition donnent pour Topinion publique , 3c
5
qui peut meme être devenue pendant un temps
cette opinion dans quelques Provinces , a cette
parole perfuaùve& trompeufe : Nous aimons mieux'
payer le double .
Ce difeours ^ qu’on répète fouvent , peut être
fincère au moment où il eft prononcé. C’eft îe
cri de ceux qui font vivement touchés du mal
préfent .
Mais impofez-Ies feulement au quart de ce
qu’ils demandent , ou à la moitié de ce qu ils
payaient précédemment , comme vous Pavez fp.it
pour la Gabelle , 8c bientôt l’impôt de rempla-
cement, quelque faible qu’il puifTe être , deviendra
le mal préfent contre lequel tous les murmures
s’élèveront.
Il ne faut donc pas fe borner à confulter
1 opinion publique j il faut la juger au Tribunal
févère de la raifon.
S’il ne faut point accorder trop de confiance
à la promelfe de payer volontairement plus que
la même imposition, il faut encore moins que
PAflemblée des Repréfentans de la Nation s’en'
laide impofer par les difeours de ceux qui dtfent
que « le Peuple ou que les Habita ns de tel ou
sa tel lieu ne voudront pas fe prêter à;- telle cm
» telle forme d'impefitien ».
A S
- 6
C’eft un des plus grands délits qu'on ptiifle
commettre , que de féduire le Peuple en lui
perfuadant que la volonté particulière de quel-
ques Citoyens pourra mettre obftacle à l’exécu-
tion de la volonté générale.
Les flatteurs de Peuples font auflï méprifables
8c ne font pas moins dangereux que les flatteurs
de Rois.
La Souveraineté réflde dans le Peuple , fans
doute y mais ce n’eft pas dans le Peuple de tel
ou tel Canton ; c’eft dans la volonté générale
de tout le Peuple du Royaume , légalement ex-
primée, après une délibération fuffifante , par fes
Repréfentans.
Chacun , de cette manière , concourt à la légif-
Jation j il y concourt de fon defir , de fes lu-
mières 8c par l’organe qu’il a choifl : mais quand
l’union générale eft 8c doit être fouveraine > cha-
cun en particulier n’eft que fujet ; 8c c’eft ce
refped de la Société qui doit être recommandé,
infpiré , maintenu en tous lieux , par tous les
Citoyens dignes d’en porter le nom,
Ain fl , puifque nous reconnaiflhns qu’il eft
utile 8c néceflaite , dans la circonftance , de con-
ferver un revenu fondé fur la vente du Tabac,
il ne faut être arrêté par aucune répugnance f
ni par aucune oppofition particulière. Nulle Pro-
vince & nulle efpèce de privilège ne fautaient
y mettre obftacle, puifqu’il n’y a plus de Pro-
vinces , ni de privilèges de Province.
Celles qui ont le plus influé fur la Révolution ,
la Bretagne, le Dauphiné ont renoncé à l’être.
Les Départemens font forcis de votre geme ,
comme Minerve du cerveau de Jupiter, tout ar-
més ; ils en font fortis , en un feul jour , frétés,
égaux , fans droit d’aînefle.
J’entends dire autour de moi , mais l’Alface ,
maïs la Flandre, mais l'Artois?
Où eft l’Artois , Meilleurs ? Où eft l’Ahace .
Où eft la Flandre ?
Je me fouviens confufément qu’on en par ait
autrefois dans nos livres de Géographie , comme
on parlait de Nobleflé & de Clergé dans notre
Conftitution politique. Rien de cela nexifte
plus. 11 ne refte qu’ane France dont. nous fommes
tous les enfans , dont nous devons tous refpec-
ter les Loix & le Régime.
Celui qui, prétendrait s’y refufer fe déclarerait
l’ennemi de la Partie , de la très-puiflante Pa-
trie qui jamais ne fera bravee en vain. ^
Elle doit commander , & doit être obéie ; car
elle eft mère & maùrefle.
A 4
8
* Mais, puisqu'elle eft mère , elle doit comman-
der avec fageffe 8c bonté.- Elle ne doit & ne
peut erre occupée que du plus grand intérêt de tous.
Eiie j voudra fans- doute, dans la conjoncture où.
Xe trouve l’Etat , ménager autant qu'il -fera pofi-
fibre les Proprietaires des terres. Elle craindra
d elever trop rapidement les imppfitions directes.
Elle voudra conferver un revenu qui exifte fur
une jouifiance volontaire , mais elle examinera
wus examinerez pour elle avec le plus grandi
foin quel doit ctre le régime de cette contribution»
La queftion n’eft pas auffi fimple qu’elle le
parait au premier coup d’œil.
Elle fe divife en deux grandes branches , fuf-
ceptibles chacune de placeurs ramifications.
11 faut choifir entre deux partis principaux :
Chercher le revenu, dans le Commerce du
Tabac , en fe privant de fa culture }
Chercher le revenu fur le Commerce du
Tabac , en permettant fa culture.
Chacune de ces deux réfqlutions comporte
pltifieurs régimes différens.
-L’un eft celui qui a été fuivi jufqu’à pré-
fent dans îa plus grande partie du Royaume
Le Tabac eft acheté pour le compte de la
K ai ion par mie Compagnie de Fermiers ou de
9
RegilTèms qui le font fabriquer , &c qui maîtres
de la totalité de la marchandife , la vendent au
prix fixé par la Loi.
Ce régime, fur les Provinces où il était établi,
produifait environ trente millions de revenu.
Etendu fur la totalité du Royaume , il produi-
rait ce revenu, ou meme un plus confidérable,
avec diminution d'un cinquième dans le prix.
Une autre maniéré de fuivre le plan qui fup-
pofe la prohibition de la culture du Tabac,
eonfifteiait a faire payer au Tabac en feuilles un
droit confidérable d’entrée dans le Royaume,
tel par exemple que de dix, de quinze, ou même
vingt fols par livre ;
De faire payer un droit de fabrication aux
Manufactures de Tabac ;
De faire payer un trbifièribe droit à feutrée
des Villes ;
Et enfin un droit de licence aux Débi-
tans.
Un Membre diftiugué de cette Aflèmbl'ée
M. le Marquis de la Fayette } s’eft autrefois livré
avec moi a un travail étendu pour examiner îa
poffibilité de réalifer ce régime; & nous avons
reconnu qü on ne pourrait parvenir à retirer le
revenu de vingt- huit à trente millions que pro-
dait la vente du Tabac , qu’en portant le pris
de cette marchandée à cinquante- deux fols la.
livre à la vente en gtos.
Mais ce prix , Meilleurs , ne peut pas être
établi pour le Tabac , fans lever fur les Con-
fommateurs & fur les plus pauvres Confom-
mateurs , un impôt beaucoup plus lourd que
celui qu’exigent les befoins publics. C eft ce qu il
eft utile que vous confidériez.
Le Tabac fe vend en onces, en demi - onces ,
en quarts-d’once , & ce font les plus pauvres
Gonfommateurs qui l’achètent en fi petite quan-
tité.
Or comme nous n’avons pas de monnaie au-
delTous d’un liard , il eft nécelTaire que le prix
de la vente en détail du Tabac doit fixe à des
fournies compofées de feize fols en nombres,
ronds. Le Confommateur en petite mefure ne
peut le payer qu’à un des quatre prix de trente-
deux fols' de quarante-huit fols , de trois livres
quatre fols , ou de quatre francs la livre ; c eft
à ce dernier prix qu’il l’achète aujourd’hui , tandis
que la Ferme-générale le vend en gros pour le
compte de la Nation , trois livres dou^e fols.
Le -tabac fabriqué revient à-peu- près à vingt-
quatre fols la livre. Ainfi , à le vendre cinquante-
1 1
deux fols , iî y aurait à-peu-près vingt-huit fols
par livre de profit j &: le débitant alors qui le
vendrait trois livres quatre fols , jouirait d en-
viron le quart en fus du prix total de la mar-
çhandîfe, bénéfice compris.
Il aurait à fon profit les trois dixièmes de
l’impôt levé fur le Peuple , Sc ce profit ferait
à celui du Gouvernement dans la proportion de
trois à fept ; certainement ce ferait une ma ri-
vai fe combinaifon d’impôt que celle qui, tous
autres frais faits, en abandonnerait trente pour
cent au dernier percepteur.
Cette obfervation , Meilleurs , vous offre la
raifon du prix que l’on cherche actuellement à
établir dans les Provinces où l’impôt du Tabac a
fouffert le plus d’atteintes , dans la Picardie &
dans le Boulonnais. On y fait crier dans les
rues par quelques perfonnes du Peuple 3 qu’il
faut mettre le Tabac à trente-fx fols . Pourquoi
ce prix plutôt qu’un autre ? C’eft que ce font
les Débitans de Tabac, ou ceux qui veulent le
devenir , qui excitent l’infurredion , & que fi
ce prix était généralement adopté pour le Tabac,
jls feraient allurés de le vendre en détail qua-
rante-huit fols , c’eft- à- dire , d’avoir pour eux
le quart du prix total, ou la moitié du bénéfice
de la marchandife.
Vous voyez de -là, MeUseors, coin ment cm
fomente les opinions populaires, quelles font
les perfonnes qui le Font, & par quel intérêt
elles font animées.
Le Tabac élevé au prix de cinquante-deux fols> par
les quatre impôts dont il faudrait le charger à
Feutrée du Royaume y à Feutrée des Villes , à la
fabrication & au débit , ne pourrait donc être
vendu par le commerce moins de trois livres
quatre fols ;
Ce prix , qtfon pourrait établir tout de
même par une voie plus limple , ainfi que j’auras
llioimeur dé vous l’expofer plus bas , lailferaie
encore un grand attrait à la contrebande \ 6c
comme elle pourrait avoir lieu t
iQ. A rentrée du tabac fabriqué; 2®. à l’entrée
du tabac en feuilles dans le Royaume ; 3 *. à
Feutrée de l’uh 6c de l’autre dans les Villes ÿ
4®. à la fabrication dont on diiîimulerait une
partie au Régllfeur ; 5 au débit que le prix de h
licence engagerait placeurs perfonnes à faire
fans permiffion , on rifquerait de n’avoir pas avec
sûreté le revenu qu’on aurait voulu fe procurer.
Ce revenu ferait beaucoup plus expofé que lorf-
qu’il ne s’agit que de prévenir l’introduéFion
frauduleiife , fok du tabac en feuilles, foit du
tabac fabriqué , 6c que la Nation > joui (Tant feule
M
du droit de fabriquer ou faire fabriquer , a pour
s’oppofer aux coiitrefa&eurs un très-grand avanr
cage.
Examen fait des deux plans qui fuppofent la
prohibition de la culture du Tabac, vous voyez.
Meilleurs , que celui qui a été fuivi jufqu’à ce jour,
eft à ia-fois le plus (impie 8c le plus sûr. Il eû en
même-temps le moins vexatoire, car il n’exige une
furveillance acbive qu’à l’entrée du Royaume ^ il
n’en demande qu’une modérée au débit; 8c l’autre
demanderait furveillance à l’entrée du Royaume ,
furveillance à l’entrée des Villes, furveillance à
la fabrication , furveillance au débit , toutes quatre
difpendieufes 8c gênantes.
Mais vous n’oubliez point. Meilleurs, 8c je n’ai
pas oublié non plus, que je vous dois l’examen
des autres fyftêmes de revenu public fur le Tabac,
qui fuppofent que cette plante fera cultivée dans
le Royaume.
C’eft une idée dont les âmes honnêtes ^c les
efprits éclairés font toujours frappés agréablement,
que celle d’une prohibition de moins.
Perfonne en France n’a fait fon noviciat en
adminiftration , fans fonger à y rétablir la cul-
ture du Tabac.
J’ai fouvent cherché , comme un autre, à rendre
l’exécution de cette idée polïible ; en confervant
*4
néanmoins le revenu que la Nation tire du Table,
que je n’ofais propofer , ni de fupprimec dans
l’écar où je voyais les Finances , ni de remplacer
par un impôt général & régulier. G’eft avec un
extrême regret que j ai trouvé qu’en réfervanC
cette condition, néceffaire dans l’état ou les em-
prunts de la génération paffée ont réduit la gé-
nération préfente , rétabliiTement de la culture
du Tabac 3 au-lieu d’être une liberté de plus, né
ferait que l’inftùution d’un, privilège exclulif de
plus j ôc d’un grand nombre de vexations de plus.
En effet , fi on kiffait la culture du Tabac en-
tièrement libre à tout le monde , fans aucune
infpe&ioii , ni aucun règlement , ce qui eft la
véritable manière dont une culture doit être libre j
êc peut être appelée telle , on ne tirerait du
Tabac aucun revenu particulier. Cette culture
prendrait avec les autres cultures un niveau na-
turel. Son produit tiendrait la place d’un autre
produit ; elle pourrait avoir quelqu’avantage dans
quelques Provinces où la terre y ferait plus propre;
mais la totalité de la valeur du tabac en feuilles
néceffaire à la confommation du Royaume,, n’ex-
cédant pas huit à neuf millions , 6c la cubure
du Tabac exigeant des foins Ôc des travaux multi-
pliés 6c difpendieux qui abforbent les cinq dixiè-
mes du produit, cette récolte de neuf millions
1 5
ne pourrait donner plus de quinze cent mille
francs de revenu. En fuppofant que cette cul-
ture fût d’un dixième plus avantageufe qu’une
autre dans les lieux où ou la préférerait , Ion
avantage fe réduirait donc à cinquante mille e'cus
répandus fur la totalité du Royaume , & qui ne
pourraient payer plus de, cinquante mille francs
d’impoftion.
Mais çe font trente millions de revenu qu’il s’agit
de procurer à l’Etat & d’épargner aux Contribuables
par la vente du Tabac , en les prenant fur la fan-
t ai lie de ceux à qui fa confommation eft précieufe.
En permettant la culture , on ne pourrait im-
pofer avec juftice, ni avec fagelîe, le Tabac plus
qu’une autre production , ni le revenu produit
par fa culture plus qu’un autre revenu. Car, (i
l’on prenait ce parti , ce ne ferait déjà plus la
liberté de la culture du Tabac qu’on voudrait éta-
blir , ce ferait une furcharge particulière & in-
jufte qu’on voudrait impofer fur ceux qui fe
livreraient à cette culture \ & cette furcharge ne
produirait pas la refïource qu’on y chercherait
pour les Finances.
Il ne peut y avoir aucune raifon d’impofer une
culture dans une plus forte proportion qu’une autre.
C’eft par leur revenu refpeélif qu’on doit régler
leur impofidon $ & dans aucune partie du
%4
Royaume , mille francs de revenu ne doivent
pas payer plus que mille autres francs de revenu,
quelle que foie leur origine.
Si Ton voulait faire porter à la culture du Tabac
une iiijpQ.fi don plus forte, relativement à fon re-
venu , que celle mife fur les autres cultures , il
faudrait reftraindre fa liberté , & lui donner une
furveil lance particulière , pour l’empêcher d’é-
dliapper à l’impofition.
Ain fi , en bornant la faculté de cultiver le
Tabac à un certain nombre d’atpens , on donne-
rait un privilège exclufif aux Propriétaires de ces
ar'pens j tte en les foumettant à uneinquifition par-
ticulière , on allierait ce privilège exclufif nuifible
aux autres Citoyens , à une fervitude nuifible au
Concefiionnaire du privilège. Moralement & conf-
mutionnelletnent, cela ferait infoutenable j fifcale-
ment, cela ferait impraticable, ou fans utilité dans
le cas particulier dont il s’agit.
La culture du Tabac per mife , trois feules ma-
nières pourraient produire fur elle pour le fife un
revenu au-defius de l’impôt légitimement dû par
une culture quelconque en raifon de fon produit
net. Toutes trois feraient plus vexatoires que le
régime a&uel 5 toutes trois feraient infuffifantes.
JLa première ferait d’impofer U culture j
- La
17
La féconds , d’impofer la fabrication 3c le
débit j
La troisième, de réferver a l’Etat le privilège
excluSif de cette fabrication.'
Le produit de quarante mille arpens cultivés
en tabac fuffit à la confommation du Royaume , Sc
même la furpallerait. On ne pourrait donc cul-
tiver plus que les quarante mille arpens. Car Si
on le fallait , la production ferait fans débit dans
le Royaume ; on ferait réduit à l’exportation
pour chercher des confôipmateurs étrangers, 3c,
nos tabacs ne pourraient foutenir ailleurs la con-
currence des tabacs d’Amérique, très - fypénçurs
en qualité*
Pour retirer fur quarante mille arpens, par un
impôt direél , trente millions de revenu public»
il faudrait les impofer à fept cent cinquante tiv.
par arpent : on fent combien une telle imposi-
tion repouderait la culture , Si avec quelle faci-
lité une efpèce de culture qui peut fe faire en
très - petites parties , au milieu ces bois & des
rochers , efquiver-ait une telle imposition. Il n@
relierait donc de la culture qu’on aurait voulu
établir 5 que quelques parcelles fugitives êc igno»
liées. L’impôt qu’on aurait voulu fonder fur eile ç
B
iS
fce rendrait rien ; fon excès meme l’empècherak
d’être d’aucune relfource à l’Etat.
Voudrait-on employer le fécond moyen, 3c
partager l’impôt entre la culture, la fabrication
3c le débit ? Si ce partage était égal , il faudrait
encore demander deux cent cinquante livres à
farpent de terre \ ce qui ferait encore fuir la cul-
ture , ce qui obligerait encore à Femprifonner
entre plufieurs barrières de formalités inquififo-
riales } 3c il faudrait de plus trouver entre le fa-
bricant de le débitant un autre impôt de ’ vingt
à vingt- deux fols par livre pefant.
Le plus (impie bon-fens dit qu’il ferait im-
poffible cle percevoir un tel impôt fur une fabri-
que 3c un débit diffémines dans le Royaume ,
fans les vibres domiciliaires les plus rigoureufes
ôc les plus multipliées , fans un régime audi
dur 3c a u fii minutieux que celui qui vient d’être
détruit, relativement à l’impôt fur les cuirs 3c
a l’impôt fur les amidons. Ce régime devrait
augmenter de rigueur, (i l’on voulait alléger 1 im-
pôt fur la culture \ car alors il faudrait hanffer
l’impôt fur la fabrication 3c fur le débit.
11 ne refee donc qu’une manière de tenter d e-
tablir un revenu public approchant de celui dont
on a befoin fur le Tabac, en permettant fa
î9
culture ï c eft de referver a î Etat le privilège
exclufif de la fabrication.
Le régime qu’exigerait cette forme eft encore
bien loin d’être doux.
D abord, pour conferver le privilège exclufif
de la fabrication , il faudrait , comme vous
1 avez déjà remarqué , Meilleurs , limirer 1 éten-
due de la culture ,- afin de bivoir où prendre la
récolte.
Il faudrait donc donner d’une main le privi-
lège exclufif de cette culture à un certain nom-
bre de Propriétaires ; & c’eft ce privilège exclufif
qu’on appellerait liberté de la culture .
Il faudrait tenir 1 autre main perpétuellement
étendue fur ces Propriétaires privilégiés , pour
mefurer leurs champs , compter , phyfquement
compter , le nombre des plantes qui les couvriraient,
pefer livre a livre, ces plantes, lors delà récolte
qui fe fait feuille a feuille, les vifiter & les repefer
a plufieurs reprifes , depuis le moment de la récolte
jufqu a celui de la délivrance au Fabricant pri-
vilégié de 1 Etat , 8c pendant les premières pré-
parations que le Cultivateur lui' même doit donner*
îl faudrait infpeéter fans ceffe tous les champs
du Royaume, pour s’affurer que le privilège ex-
clufîf, donné aux Propriétaires des quarante mille
B 2
lO
jzrpèns dé%nés , ne, ferait pas enfreint ; & tour-
menter juiques dans leurs ni ai fo ns ces trilles Pri-
vilégiés pour s’ailurer queux-mêmes ne mettraient
point à part, pour leur jouiffance perfonnelle ,
ou : pour, vendre à un autre qu’au Régiileur,
quelques portions de leur récoke.
Et , quand on aurait pris toutes ces précau-
tions , elles feraient infuffîfantes.
Il y a dans l’Homme , & plus particulièrement
"d a ii*s i i’ Homme Français, un penchant invinci-
ble à ré Filer à l’opprefiion individuelle Sc per-
fonnelle. Une Loi , même dure , qui embraffe
tout le Monde , eft obère", comme l’empire de
là néceffité. Une Loi particulière 5 un Privilège ,
privata Lex , appelle Pinfraction,
La culture s’étendrait donc au-delà des qua-
rante mille arpens auxquels elle paraîtrait refer-
vée-: le produit des cultures clandeftines fe con-
fondrait eufuite avec les réferves que le* Culti-
vateurs autorifés & privilégiés, ou leurs nombreux
agens, auraient faites fur leurs récoltés, maigre la
vigilance des Commis, ou par la connivence que
.L’humanité feule pourrait fouvent leur infpirer
car il ferait fi dur de faire à un Propriétaire ou
à un Culîirweur «a procès férieux pour quel-
1 l
ques feuilles de tabac , fruits de fes fueurs , &c
nées fur fon propre champ !
Ainfi la rigueur des Loix ferait rendue il lu-
foire par la douceur des mœurs , & les calculs
de Finance feraient trompés : on ne tirerait pas
vingt millions , peut-être pas quinze, peut être pas
Jix , de ces privilèges entalFes fur des privilèges^ 8c
de ces vexations accumulées fur des vexations
ou’on aurait ridiculement décorées du titre de li-
berté rendue à la Culture .
Les Habitans des ci-devant Provinces , à qui
leur patriotifme fait fentir aujourd’hui qu’ils ne
peuvent demander la confervation d u n privilège %
une forte denobleffe vis-à-vis de leurs Concitoyens
des autres Départemens , un régime différent de
travail j de culture & d’impofition, & que tout doit
à l’avenir être égal & uniforme dans notre libre
France: les fîncères Artéfiens , les honnêtes 8c
bons Flamands, les loyaux Aifaciens., qui vou-
draient étendre fur tout le Royaume le régime
a&uel dont ils éprouvent les ^ avantages , ne
remarquent pas que ce régime n a reelle ment
d’avantage pour eux eue parce qu il n eft pas
celai du rpfte du Royaume v & que parce qu i!
neff en aucune manière celui auquel ils feraient
obligés de fe fou mettre le jour même ou exau«
B 3.
21'
çant leurs demandes, on aurait étendu à quelques
arpens de toutes les parties du Royaume la fa-
culté de prendre part au privilège exclu hf de la
culture du Tabac , 8c où il aurait fallu priver
de la fabrication de cette marcha ndi'fe ceux qui
jouirent aujourd’hui fans reftridion de la liberté
de la fabriquer 8c de la cultiver.
Lorfque toutes les Paroi Tes de la domination
Françaife pourraient demander à cultiver du
Tabac, 8c qu’il faudrait ne le permettre à cha-
cune d’elles que pour un certain nombre d’arpens
proportionne aux demandes formées par toutes
les autres Paroi Te s , de manière qu’en totalité
il n’y eût pas plus de quarante mille arpens de
cultivés, les Provinces maintenant cultivatrices de
Tabac feraient obligées de réduire extrêmement
leur culture. Un grand nombre de ParoiTes du
Hainaut , du Cambrefis , de la Flandre , de
l’Artois, de PAlface , de la Franche-Comté , ou,
pour mieux parler, des Départemens qui ont au-
trefois été ces Provinces , feraient privées de la
plus confdérable partie de leurs exploitations ac-
tuelles en ce genre. Elles ne forment guère que
le dixième du Royaume; elles ne pourraient donc
obtenir la continuation de la culture que fur
environ quatre mille arpens répartis entre les fix
23
Provinces , ou les Départemens dans lefquels elles
ont été fubdivifées ; ce ferait à peine le tiers
de ce qu’elles cultivent aujourd’hui; 8c les deux
autres tiers de leur culture de Tabac feraient donc
abfolument perdus pour les Cultivateurs de ces
Provinces.
L’autre tiers ne ferait pas très-alfuré.
L’infériorité de qualité dégoûterait de leurs
tabacs , quand on en aurait au même prix , de
meilleurs. On ne voudrait plus de tabac d’Alface
ni d’Artois , iorfqu’on en pourrait avoir de Ton-
neins, de Clairac 8c de Turenne. La Régie fe-
rait obligée, pour foutenir fon débit, de pré-
férer les bons tabacs. Elle ferait obligée de payer
les bons, les médiocres , les mauvais félon leurs
qualités $ car il ne ferait pas jufte de faire payer
à la Nation le mauvais tabac comme le bon.
Pour évaluer le prix , pour faire juftice aux Cul-
tivateurs , pour prévenir de leur part le foupçon
de l’arbitraire , pour prévenir de celle de la Na-
tion le reproche de prodigalité , il faudrait en-
voyer à l’Etranger , au principal marche de 1 Eu-
rope j en Hollande , des échantillons de ces dif-
fère ns tabacs , afin de favoir avec jufleffe le prix
que le cours du Commerce leur donnerait félon
leur qualité. Alors 5 tous les tabacs inferieurs cef-
B 4
- ■ • -’/ • - ■ . -
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feraient de valoir la peine d'être cultivés. Ils!®
font aujourd’hui parce que leur prix eft exagéré j
8c il eft exagéré parce que les Provinces où le
Tabac fé cultive, en verfent en abondance fur
celles où le privilège excluftf eft établi.
Les Provinces cultivatrices de tabac fe font
donc il lof on fur le profit qu’elles pourraient re-
tirer du régime qu’elles fol licite ne. Cette culture,
diminuée chez elles des deux tiers dans fa quotité,
8c d’aura nt peut-être fur le prix du tiers qui fub-
lifterait encore , deviendrait pour elles de nulle
importance.
'La culture du Tabac eft détruite , à compter de
ce jour, de par un décret de la Providence , dans
les Département Alfaciens de Belgiques ^ car ou
elle fera établie dans tout le Royaume, & alors
ils ne pourront pas la foutenir , ou elle fera
proferite dans tout îe Royaume , de alors ils ne
pourront pas la conferver. L’intérêt de ces Dé-
parcemens n’entre donc pour rien dans la quef-
rion : celui qu’ils pouvaient avoir n’exifte plus \ ôc
il faut fe décider pour le plan qui donnera le
plus de revenu à l’Etat de qui exigera le moins
d’inquifitions de de vexations* Or ce plan, ce
parti le plus produéhf de le moins vexatoire , eft
celui qu’on fuit depuis très-long- rems dans les
neuf dixièmes du Royaume.
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Quelques perfonnes font cependant touchées
d’une confidération : Nous fommes , difent-elles 9
tributaires de V Amérique pour notre approvifionne-
ment de tabac *
C'eft une chofe fout hngulière que cette ex-'
preflion des préjugés commerciaux , &c que cette
manie des gens qui voudraient faire un grand
commerce étranger , à la charge de ne rien ache-
ter à l’Etranger • qui confondent un achat dont on
reçoit la valeur , avec un tribut pour lequel on ne
reçoit rien ) qui ne favent pas que l’unique prin-
cipe du Commerce eft de vendre le plus cher que
la concurrence pnifie le permettre, les chofes
qu’on recueille ou qu’on fabrique, & de fe pour-
voir de celles dont on a befoin où on les trouve
à meilleur marché ; Sc qui mettent fur-tout une
grande importance à être payés ou à payer d’une
manière plutôt que d’une autre : comme h une livre
de plomb était plus lourde qu’une livre de plume!
comme fi mille écus en argent valaient un fol de
plus que mille écus en marchandifes ! comme lî
de l’argent acheté avec des marchandifes, puis
revendu contre d’autres marchandifes qui con-
courront à la matfe des productions , ou des
travaux avec lefquels on rachètera d autre argent,
ne formaient pas la circulation dont 1 activité eit
!
i6
par- root utile 8c fert par-tout a unir les Nations ,
à faire fubfifrer les Hommes , à les rendre plus
heureux 8c meilleurs.
Il faut j fans doute, vendre fes marchandées
toutes les fois qu’on le peut, mais il ne s’en fuit pas
qu’il ne faille jamais rien acheter avec l’argent
qu’on s’eft procuré en vendant fes marchandées.
Les Américains 3 dit - on , ne prennent encore
que peu de marchandifes françaifes.
Quant à nos étoffes , la faute en eft principa-
lement à la ftupidité de notre Adminiftration
commerciale, qui , jufqu’à ce jour^ n’a fu que
vexer nos Fabriques par des règîemens inexécuta-
bles, les tourmenter par des infpe&ions inutiles,
les rançonner par des droits de plombs 8c de
marques qu’il faut fouvenc aller chercher loin
des atteliers à grands frais; 8c qui n’a encore pu
apprendre à faire les dépeiées néceffaires , pour fe
procurer les machines qui font fleurir l’induflrie
dans un pays où la main d’eruvre eft beaucoup plus
chère qu’en France, ni pour acquérir 8c multi-
plier les belles races de beftiaux , ni pour en-
courager les Génies inventeurs , ni pour récom-
penfer les Cultivateurs intelligens 8s, les Artiftes
habiles. Cette nullité de viles ceffera ; on doit la re-
garder comme finie : car, vraifemhlablement, dans
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notre nouvelle Conftimnon , la dire&ion des
travaux utiles fera donnée à la-capacité, a l’aéh-
vicé , au zèle patriotique ,, 8c Lon n’achetera plus ni
difpenfe de lumières , ni privilège exclulif pour
devenir Adminiftrateur.
Ce changement une fois confommé dans notre
Adminiftration , nos Fabriques ne tarderont pas
à. reprendre la Supériorité qu’elles doivent atten-
dre de l’induftrie nationale , 8c du prix modéré
de notre main-d’œuvre.
Quant à nos vins 8c à nos eaux-de- vie les Amé-
ricains en achètent 8c en achèteront de plus en
plus j a mefure que la facilité de s’en procurer 8c
de les payer en tabacs , leur fera perdre l’habi-
. tude des vins de Madère, qui font moins agréa-
bles pour l’iifage journalier.
Les Américains prennent de nos favons \ ils
tirent de France toute leur, poudre à canon, pref-
que toutes leurs armes, la batifte, les linons, dont
leur confommation e(F allez considérable \ 8c ce
ne ferait pas un moyen de les exciter a étendre
leurs achats , que de repouiïer la principale mar-
chandife qu’ils ayent à nous vendre.
Les vues commerciales fuffiraient pour nous
rendre très-réfervés à tenir une pareille conduite.
Les vues politiques doivent nous empêcher en-
fièrement d’écouter les confeils qui pourraient
nous y porter.
Quoique le progrès général des îpmières doive
à l’avenir éloigner les Anglais de la guerre ,
8c que Fafpeét impofant d’un Etat au mo-
ment où il vient de fonder fa Conftitution
femble nous alfurer que la paix fera
durable , il eft pofiible encore qu’un, relie
ct’animofiré de la part de nos voifins , ou l’en-
vie de profiter du .défor dre apparent qui ac-
compagne toujours une révolution , nous expofe
a quelque attaque de la part de l’Angleterre. Je
crois que fi cette attaque a lieu * ce fera la
dernière , & que les deux nations ne fe me*
foreront plus qu’une fois; mais, fi cette fois
unique peut arriver, il ne nous eu pas d’une petite
importance d’avoir les Etats-Unis d’Amérique
pour alliés ; 6c rien ne ferait moins propre à
à refierrer les nœuds d’une alliance fi utile ,
que le foin que nous prendrions de détruire le
plus important lien de commerce que nous
ayons avec ce Peuple, qui nous doit fa liberté,
mais qui ne fera' cas de notre affection qu’eu
raifon des avantages ultérieurs qu’elle lui pro-
curera.
Le prétendu tribut que nous payons aux
19
â'méuicams , & qu’il ne tiendra qu'à nous de
leur payer totalement en échange de marchan-
dées , dès que nous aurons pevfeâuouné notre
adminiftration commerciale , & relevé nos fa-
briques , ce prétendu tribut eft donc par lui-
même une relation unie , & c’eft, de plus , une
relation qu’il ferait dangereux de rompre.
Nous devons encore conlîdérer, relativement
a la liberté individuelle de nos concitoyens , que
la régie du privilège exclufif de la fabrication
du Tabac fera beaucoup moins vexatoire, beaucoup
moins tigoureufe , & incomparablement plus fa-
cile à foutenir , quand la totalité de l’approvifion-
nement fêta mife dans les Ports de met entre
les mains du Régiffeur. Une bonne, garde éta-
blie à la frontière, ne lai (1er a plus dans 1 in-
térieur d’autre police à exercer fur les citoyens
que celle qui a eu lieu jufqu’à ce jour entre
les différens Marchands & Ârtifans dont h
profefiîon était en jurande: police fâcheufe fans
doute , comme tout privilège exclufif , mais qui
du moins pourrait être fuivie par les Tribunaux
& dans les formes de la juftice ordinaire , pour
une production dont il n’y aurait dans le Pays
ni récolte , ni magafiu habituel.
Cette régie pourra devenir moins dure encore
30
ii le prix de la marchandise étant baille , la
contrebande devient moins aétive ; & fi pon
eft a duré d’une baiffè fucceiîive à raifon de
ce que l’extin&ion des rentes viagères, ou le
le remboursement des autres dettes, laiflfera des
revenus libres applicables. Sans qu’il Soit'be-
Som d’impofitions nouvelles , aux dépenSes que
la vente du Tabac lolde aujourd’hui.
On pourrait dès ce jour diminuer d’un cin-
quième le prix du Tabac au Consommateur;
& la diminution de la contrebande , jointe à la
consommation des Provinces exemptes aujour-
dhui de cet impôt, compenserait pour les Fi-
nances la bai (Te du prix, & affinerait au moins
le môme revenu.
On pourrait enSuite indiquer quatre époques
où le prix diminuerait d’un huitième, & une
cinquième époque où le privilège Serait anéanti.
• La katffe a&uelle du prix, & la certitude d’une
baùTe ’ Succeifive & progteflîve , rendrait plus
facile 1 etabhflement de l’uniformité entre les Dé-
parremens, fur-tout lorfqu’on aurait fait voir que
la conservation d’une culture reftrainte, limitée
Sc réglementée, comme celle que réclament fix
de nos anciennes Provinces ne ferait pour elles
prefque d aucun avantage, & Soumettrait dans
31
toutes les Paroifles du Royaume tous les Citoyens
à une très- rude inquifition.
Quelques autres opérations pourraient encore
adoucir le palPage.
Si la ville de Strasbourg relie un port franc
comme le débraie M. Colbert y la fabrication qui
eü: le plus important avantage que 1 Alfacetrouve
à fon régime a&uei , fe trouverait confervée dans
le feul point de cette Province où elle ait
lieu.
Si l’on adoptait , comme le propofent plufieurs
Membres de l’Atfemblée , l’idée de laiffer la li-
berté de la culture , fur la rive extérieure de
l’Alface, de la Franche-Comté &c des Provinces
Beigiques , dans la largeur des trois lieues placées
entre les deux cordons d’Employes, êc fous la
réferve de la fabrication pour le compte de l’Etat,
ce ferait encore un moyen d’accommodement avec
l’opinion : moyen qu’on pourrait ne pas regarder
comme un privilège , mais comme une compen-
fanon de la gêne que l’établiiïement de la double
ligne d’ Employés des traites rend inévitable fur
la frontière , ou même comme un régime qui
ferait applicable au Royaume entier. Ci i on pou-
vait y employer un auffi grand nombre de furveil™
lans , & fi fa Conftitution ne s ’oppofait pas aux
fondions qu’ils auraient à y remplir*
3*
Ce ne font pas , Meilleurs , des projets que je
vous préfente, ce font des vues que je vous ex-
pofe, & des considérations que je vous foumets.
Je m’en rapporte à vos lumières pour les juger,
& je vous invite à confulcer celles du Comité
d’Impofitions , du Comité des Finances & du
Comité d’Agriculture Ôc de Commerce , avant
de prendre un parti définitif.
Trois feules chofes me font clairement démon-
trées :
L une , qu’il faut , aujourd’hui , conferver un
revenu fur le Tabac-
L’autre que le régime de fa perception doit être
général & uniforme ;
La troifième , que le prix de cette marchandife
doit être baifie d’un cinquième dès aujourd’hui, en
compenfation de l’extenfion fur tour le Royaume
& continuer de baifier progrefiivement à des épo-
ques indiquées par la libération des dettes pu-
bliques.
Le choix entre lesdiftérens régimes, les détails de
la législation , me parai fient devoir être l’objet du
travail de vos Comités Sc d’une décision ulté-
rieure de votre part.
Tel eft 1 ’efprit du’ Projet de Decret que j’ai
l,knnnpnr tinur •-» /'> ..
H
PROJET DE DÉCRET.
L’Assemblée Nationale a décrété & décrété:
Que le revenu public provenant de la vente du
ï abac j fera confetvé^
Que les Loix relatives à fa perception & à fou
Adminiftration feront rendues générales &
uniformes ?
Qu’à la faveur de cette uniformité , qui em-
braiera un plus grand nombre de contribuables &
qui teftraind'ra la contrebande , le prix duTabac
fera diminués
Qu’il continuera de l’être progreffivement , juf-
qu’/àr l’entière fuppreffion du Privilège, à mefure
que l’extinâtion ou le rembourfement des dettes
publiques laiieront des revenus libres & appli-
cables aux dépeufes que l’impôt du Tabac folde
aujourd’hui *, . ,
Er que le Comité de l’Impoiîtion fera charge ,
après avoir eonféré avec les Comités des Ftnan
ces, d’Agricuiture & de Commerce , de mettre
dans huit jours au plus tard fous les yeux e
/
54
l’Aflemblée j les avantages & les inconvénient
àes différent régimes propres à produire la recette
actuellement néceffaire dans cette branche de re-
venu, avec l’avis des trois Comités fur la forme
cL Régie qui pourra rendre la perception de
1 impôt du Tabac la plus douce qu’il fera poflî-
ble pour les contribuables , & fuffifamment utile
aux Finances*
A "'iv ATrnvfir' D ° LT 1 N » Imprimeur de r’ASSEMBLÉE
NATIONALE, rue du Foin-Su-Jacques , N" jr.