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Full text of "Cours de composition musicale"

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/p1coursdecompositi12indy 


COURS 


DE 


COMPOSITION    MUSICALE 

PREMIER   LIVRE 


.   VINCENT     D'INDY 


COURS 

DE 

COMPOSITION    MUSICALE 


PREM 


1ER   LIVRE    \-:l,^:^\ 


REDIGE   AVEC    LA    COLLABORATION    DE 

AUGUSTE     SÉRIEYX 

D'après  les  notes  prises  aux  Classes  de  Composition 
DE  LA  SCHOLA    CANTORUM 

EN    1897-98 


5=     EDITION 


PARIS 

A.    DURAND    ET    Fils,    Éditeurs 

DURAND   ET  Ce 

4,  Place  de  la  Madeleine 

PROPRIÉTÉ    POUR  TOUS    PAYS,    TOUS    DROITS    DE   TRADUCTION    RÉSERVÉS 
COPYRIGHT  BY  DURAND  et  C",  igia 


•V 


I  à'à'Z 


-,  I 


AVANT-PROPOS 


L'homme  est  un  microcosme. 

La  vie  humaine,  en  ses  états  successifs,  peut  représenter  chacune  des 
grandes  périodes  de  l'humanité. 

Il  semble  donc  naturel  que  l'artiste,  dont  la  condition  première  est  de 
connaître  à  fond  l'art  qu'il  a  choisi,  revive  lui-même  la  vie  de  cet  art,  et, 
au  moyen  de  l'intelligence  des  formes  créées  par  l'évolution  artistique, 
en  arrive  à  dégager  sa  propre  personnalité  d'une  manière  infiniment 
plus  sûre  que  s'il  procédait  empiriquement. 

Le  but  du  présent  ouvrage  est  de  faciliter  à  l'élève,  qui  veut  mériter 
le  beau  nom  d'artiste  créateur,  la  connaissance  logique  de  son  art,  au 
moyen  de  l'étude  théorique  des  formes  musicales,  et  de  l'application  de 
cette  théorie  aux  principales  œuvres  des  maîtres  musiciens,  examinées 
dans  leur  ordre  chronologique. 

Telle  est  la  pensée  qui  a  présidé  à  l'ordonnance  du  Cours  de  composi- 
tion musicale^  dont  la  base  naturelle  est  la  division  de  l'histoire  de  la 
Musique  en  trois  grandes  époques: 
I"  Epoque  rythmo-monodique,, 
du  ni»  au  xiii*  siècle  (i). 
2*  Epoque  polyphonique^ 

du  xni*  au  xvn'  siècle. 


(i)  Il  est  difficile  d'assigner  à  chacune  de  ces  grandes  époques  des  dates  précises,  un  com- 
mencement et  une  fin,  car  elles  empiètent  naturellement  l'une  sur  Tautrc,  quant  aux  mani- 
festations qui  en  font  le  caractère  ;  les  délimitations  que  nous  donnons  ici  ne  sont  donc 
qu'approximatives,  en  prenant  pour  point  de  départ  les  plus  anciens  textes  musicaux  suffi- 
samment connus  et  dignes  de  foi. 


6  AVANT-PROPOS 

3»  Epoque  métrique  : 

du  XVII*  siècle  Jusqu'à  nos  jours. 
C'est  ainsi  qu'en  ce  premier  livre,  l'élève  sera  appelé  à  étudier  succes- 
sivement : 

le  i^j^Z/zme,  élément  primitif  et  primordial  de  tout  art,  et  son  appli- 
cation spéciale  à  la  Musique  (chap.  i)  ; 

la  Mélodie,  issue  du  langage  par  Vaccent  (chap.  ii)  ; 

les  Signes  graphiques  qui  représentent  le  rythme  et  la  mélodie 
(chap.  m)  et 

les  Formes  musicales  limitées  à  ces  deux  éléments 
(Époque  rythmo-monodique,  chap.  iv,  v). 

'    Il  étudiera  ensuite  : 

V origine  et  la  théot^ie  de  THa^^monie  (chap.  vi)  servant  de  base  à 

la  Tonalité  (chap.  vu)  et  concourant  avec  elle  à 

VExp7^ession{ch.3iY).  viii)  ; 

Puis  r///5/o/re  de  cette  théorie  de  l'Harmonie  (chap.  ix)  et  son 

Application  dans  les  mélodies  simultanées  de  l'Epoque   polypho- 
nique (chap.  X  et  xi)  ; 

Enfin,  un  rapide  coup  d'œil  sur 

V Evolution  progj^essive  de  VArt  (chap.  xii)  donnera  à  l'élève  les 
notions  synthétiques  qui  lui  sont  nécessaires  pour  opérer  le  rattache- 
ment de  ces  deux  premières  époques  à  la  troisième  (Epoque  métrique), 
dont  l'étude,  plus  développée  à  mesure  qu'elle  se  rapproche  de  nous, 
fera  l'objet  des  autres  parties  de  cet  ouvrage. 

A  la  fin  de  chacun  des  livres  qui  constituent  le  Cours  de  composi- 
tion, se  trouve  formulée  en  appendice  l'indication  des  travaux  que  doit 
fournir  l'élève,  au  fur  et  à  mesure  que  connaissance  lui  est  donnée  des 
divers  chapitres  du  Cours. 

Si  ces  travaux  ne  sont  indiqués  que  d'une  façon  générale,  c'est  que 
l'auteur  estime  que  tout  enseignement  d'art  devant  être  oral,  une  com- 
plète latitude  doit  être  laissée  au  maître-enseignant,  dont  la  mission  est 
'de  s'inspirer  de  la  nature  et  du  tempérament  intellectuel  do  chacun  de 
ses  élèves,  dans  la  distribution  des  travaux  à  effectuer  par  ceux-ci. 

L'auteur  désire  aussi  bien  établir  que,  dans  l'introduction  qui  traite  de 
la  philosophie  de  l'Art,  il  n'a  point  entendu  employer  les  dénominations 


AVANT-PROPOS  7 

adoptées  pour  l'enseignement  actuel  de  la  classe  de  philosophie,  en  leur 
donnant  la  signification  exacte  que  leurattribuent  lesprofesseursofficiels; 
il  demande  donc  qu'on  veuille  bien  excuser  et  admettre  sa  terminologie 
philosophique  spéciale. 

Il  en  sera  de  même  pour  un  certain  nombre  de  termes  (par  exemple  : 
idée,  phrase, période),  doni  la  signification  musicale,  bien  que  fort  diffé- 
rente du  sens  que  leur  donne  la  littérature,  est  tellement  établie  qu'il 
serait  malséant  de  prétendre  introduire  à  leur  place  des  vocables  nou- 
veaux, que  seuls  le  temps  et  l'usage  sont  capables  de  faire  adopter. 

En  terminant  ce  préambule,  l'auteur  tient  à  remercier  son  élève  et  ami 
Auguste  Sérieyx,  qui  enseigne  actuellement  les  matières  de  ce  Premier 
Livre  à  la  Scola  Catitoriim,  de  l'aide  précieuse  et  intelligente  qu'il  lui 
a  apportée  dans  la  rédaction  et  la  coordination  logique  du  Cours  de 
Composition;  il  tient  aussi  à  lui  laisser  la  paternité,  disons  même  la 
responsabilité,  de  certaines  démonstrations  et  de  certaines  idées  qui 
méritaient,  en  raison  de  leur  valeur,  d'être  recueillies  dans  cet 
ouvrage. 


Vincent  d'Indt. 

Paris,  1903, 


INTRODUCTION 


I.  L'Art. 

II.  L'Œuvre  d'art  et  l'Artiste.  —   La  création  artistique.   —  Les    facultés   artistiques  de 
l'âme.  —  Caractères  de  l'œuvre  d'art. —  Caractéristique  de  l'artiste. 

III.  Le    Rythme  dans   l'Art.  —  La    perception    artistique.  —  Classifications    anciennes  des 
arts.  —  Les  éléments  de  la  musique. 


L'ART 

L'Art  (en  grec  :  téxvri,  moyen)  est  un  moyen  de  vie. 

Moyen  de  vie  pour  le  corps,  sous  forme  d'arts  utiles  ou  usuels. 

Moyen  de  vie  pour  l'âme,  sous  forme  d'arts  libéraux  ou  libres. 

Des  arts  utiles  (industrie,  commerce,  agriculture,  mécanique,  loco- 
motion, etc.)  qui  ont  pour  propagateur  et  principal  moteur  la  science, 
nous  ne  nous  occuperons  ici  qu'en  ce  qui  touche  leurs  rapports  avec 
les  arts  libéraux. 

Les  seuls  qui  nous  intéressent  sont  ces  arts  dits  libéraux^  parce  qu'ils 
rendent  véritablement  et  complètement  libre  l'artiste  qui  les  cultive. 
C'est  cette  liberté  absolue  qui  fait  de  la  carrière  artistique  l'une  des 
plus  hautes  et  des  plus  nobles  qui  soient,  si  l'artiste  a  conscience  de  sa 
mission  et  sait  employer  dignement  sa  liberté. 

Au  point  devue  objectif,  nous  définirons  donc  l'Art  :  un  moyen  de  yie 
pour  l'âme,  c'est-à-dire  un  moyen  de  nourrir  l'àme  humaine  et  de  la 
faire  progresser,  en  lui  procurant  le  double  aliment  du  présent  et  de 
ravenir,car  l'àme  humaine,  ce  n'est  point  seulement  l'àme  individuelle, 
mais  encore  l'àme  collective  des  générations  appelées  à  profiter  de  l'en- 
seignement fourni  par  les  œuvres. 

L'Art  est  donc  un  moyen  de  nourrir  l'àme  de  l'humanité,  et  de  la  faire 
vivre  et  progresser  par  la  durée  des  œuvres. 

Au  point  devue  subjectif,  une  autre  définition  assez  satisfaisante  de 
l'Art  a  été  donnée  par  Tolstoï  :  «  L'Art,  dit-il,  est  l'activité  humaine  par 
«  laquelle  une  personne  peut,  volontairement,  et  au  moyen  de  signes 


lo  INTRODUCTION.  —  L'ART 

«  extérieurs,  communiquera  d'autres  les  sensations  et  sentiments  qu'elle 
«  a  éprouvés  elle-même.  «(L.  Tolstoï  :  Qu'est-ce  que  l'Art  ?  1898.) 

Un  exposé  des  origines  de  l'Art,  des  qualités  de  l'artiste  et  des  carac- 
tères de  l'œuvre  d'art,  fera  mieux  comprendre  comment  ces  deux  défi- 
nitions se  corroborent  mutuellement  :  «  moyen  de  progrès  »,  disons- 
nous,  «  puissance  de  communication  »,  ajfïirme  Tolstoï,  c*est  toujours  la 
condition  essentielle  à' enseigneme^it  que  nous  allons  retrouver  à  la  base 
de  tout  art. 


o 

Un  des  premiers  besoins  de  l'homme  fut  de  se  mettre  à  l'abri  des  in- 
tempéries du  climat  ;  il  dut  se  construire  des  habitations. 

De  cette  nécessité  est  ïssntVArchitectuj^e^  première  manifestation  tan- 
gible de  l'esprit  humain  dans  le  domaine  de  l'Art. 

L'appropriation  à  un  usage  spécial  des  parties  de  l'habitation  donna 
naissance  à  la  Sculpture.  Confondue  avec  l'architecture  au  début,  elle 
ne  tarda  pas  à  vivre  de  sa  vie  propre  sous  une  forme  plus  définie  :  la 
statuaire. 

La  coloration  nécessaire  de  certaines  surfaces  ou  de  certaines  saillies 
du  bâtiment  engendra  la  Peifiture,  accessoire  de  l'architecture  à  l'ori- 
gine, ainsi  que  le  montrent  ses  formes  les  plus  anciennes,  la  mosaïque, 
la  fresque  murale.  Comme  la  sculpture,  la  peinture  acquit  plus  tard  par 
le  tableau  une  existence  distincte. 

Les  sentiments  d'admiration  pour  les  héros  ou  pour  les  beautés  na- 
turelles donnèrent  bientôt  au  langage  son  vêtement  artistique,  et  la 
Littérature  prit  naissance,  sous  forme  de  poésie  primitive  ou  de 
chant  simple. 

En  même  temps,  ou  peut-être  un  peu  plus  tard,  le  poète,  obéissant 
au  désir  d'union  inhérent  à  la  nature  humaine,  voulut  associer  tout  le 
peuple  à  ses  pensées  et  le  faire  chanter  avec  lui.  Alors  apparut  le  chant 
collectif,  la  monodie  rythmée,  origines  delà  Musique. 

Telle  paraît  être  la  genèse  primitive  des  cinq  arts  libéraux  : 
Architecture,  Sculpture,  Peinture,  Littérature,  Musique. 

Mais  l'état  dans  lequel  nous  venons  d'examiner  ces  arts  n'a  trait  qu'à 
rw///z7e  de  la  vie  ;  pour  les  //èeVer  de  leur  attache  corporelle,  il  fallait  un 
mobile  plus  élevé,  le  quid  dimmim  du  poète,  qui  va  nous  faire  assister  à 
la  transmutation  de  cet  état  utilitaire  en  état  religieux.  En  effet,  le  prin- 
cipe de  tout  art  libre  est  incontestablement  la  foi  religieuse. 

Sans  la  Foi,  il  n'est  point  d'Art. 

C'est  par   la  foi,    et   même,   si   l'on  veut,  par  la  religiosité  que  l'art 


INTRODUCTION.  -  L'ART  ii 

utile^  répondant  aux  besoins  de  la  vie  du  corps,  se  transforme  en  art 
libéral,  moyen  de  vie  pour  i'àme. 

Et  c'est  ici  le  lieu  de  dire  que  les  cinq  formes  d'art  citées  plus  haut 
Revivent  que  d'une  même  vie,  et  se  pénètrent  mutuellement,  à  tel  point 
qu'il  est  parfois  difficile  d'établir  d'une  façon  certaine  leurs  limites  res- 
pectives. Ce  sont  bien,  en  effet,  non  pas  des  arts  différents^  mais  des 
formes  diverses  de  l'Art,  de  I'Art  unique. 

L'Art  est  un,  en  soi  ;  seule  l'expression,  la  manifestation  diffère  sui- 
vant le  procédé  employé  par  l'artiste  pour  exprimer. 

La  raison  de  cette  unité  de  l'Art  est  d'ordre  surnaturel  :  au-dessus  de 
tous  les  besoins  humains  plane  l'aspiration  vers  la  Divinité,  l'élan  de 
la  créature  vers  son  Auteur;  et  c'est  dans  l'Art,  sous  toutes  ses  formes, 
que  Vâme  cherche  le  mo/en  de  rattacher  sa  vie  à  l'Être  qui  en  est  le 
principe. 

L'antiquité  même  attribuait  à  l'Art  une  puissance  supra-naturelle 
sur  les  êtres  animés  ou  inanimés;  les  mythes  d'Orphée  et d'Amphyon, 
pour  ne  citer  que  ce  qui  a  trait  à  la  Musique,  sont  là  pour  en  faire 
foi. 

L'idée  de  l'Art  nous  apparaît  donc,  dès  l'origine,  indissolublement 
liée  à  ridée  religieuse,  à  l'adoration  ou  au  culte  divin. 

C'est  ainsi  que  la  maison  de  Thomme  devient  le  temple  de  Dieu,  avec 
ses  sculptures  symboliques  et  ses  peintures  sacrées.  Appliquée  à  des 
actes  d'adoration  collective,  la  Poésie  devient  la  Prière.  Le  corps  s'unit 
à  Tàme  par  la  prière  mimée,  dans  une  simultanéité  de  mouvements 
réglée  par  le  rythme  ;  à  la  psalmodie  monotone  succède  enfin  la  mélodie 
du  cantique,  élévation  musicale  de  l'âme  vers  Dieu  (i). 

Un  tel  sujet  prêterait  à  des  développements  sans  fin,  que  nous  nous 
contenterons  de  résumer  dans  le  tableau  ci-dessous,  pour  démontrer  la 
transformation  de  l'art  utilitaire  en  art  libre  et  religieux.  * 


Architecture    .     .    .       Logement  humain.      .     .    .  Temple  de  la  Divinité. 

Sculpture Appropriation  des  matériaux  Ornementation  des  façades, 

de    l'habitation  ,    pierres  ,  des  voûtes  et  des  colonnes 

poutres,  supports  du  faîte.  (arbres  figurés). 

Peinture Conservation  des  parties  ex-  Mosaïques,  fresques  repré- 
posées à  l'air  ou  à  l'usure.  sentatives,  sujets,  images. 

Littérature  ....       Exposé  historique  ou  légen-  Célébration  de   la  Divinité. 

daire  des  faits  héroïques. 

Musique Récréation  populaire.     .     .  Célébration  collective.  Prière 


(i)  Voy.  F.  de  Lamennais  :  De  l'art  et  du  beau.  La  description  du  temple   chrétien. 


•  2  INTRODUCTION.  —  L'ŒUVRE  D'ART  ET  L'ARTISTE 

Unique  dans  son  principe  divin,  l'Art,  nous  venons  de  le  voir,  est 
multiple  dans  ses  réalisations  humaines.  Il  peut  revêtir  une  foule  de 
formes  diverses  suivant  le  procédé  mis  en  œuvre  par  l'homme  :  pierres, 
reliefs,  couleurs,  paroles,  sons.  Entre  ces  divers  moyens,  l'artiste  choi- 
sit celui  qui  répond  le  mieux  au  désir  et  au  pouvoir  d'expression  qui 
sont  en  lui. 


II 
L'ŒUVRE    D'ART    ET    L'ARTISTE 

LA    CRÉATION    ARTISTIQUE 

La  force  qui  pousse  l'artiste  à  créer,  c'est  le  besoin  d'exprimer  ses 
sentiments  (i)  et  de  les  communiquer  aux  autres  d'une  façon  durable 
par  des  œuvres. 

Cette  expression  artistique  a  pour  cause  nécessaire  une  impy^ession 
préalable,  laquelle  peut,  d'ailleurs,  n'avoir  été  ni  immédiate,  ni  même 
consciente  ;  il  n'est  pas  rare,  en  effet,  qu'une  idée  artistique  provienne 
d'impressions  reçues  très  antérieurement  à  sonéclosion,  et  sans  aucune 
prévision  du  rôle  que  ces  impressions  seront  appelées  à  jouer  dans  la 
genèse  de  Xidée  (2). 

Quoi  qu'il  en  soit,  Torigine  de  tout?  œuvre  d'art  est  dans  Vimpression. 
Celle-ci,  en  effiçurant  l'âme,  y  produit  le  sentiment  ;  par  sa  durée  elle 
détermine  Vémotion,  qui,  dans  sa  forme  la  plus  aiguë,  peut  aller  jusqu'à 
son  terme  extrême  :  \apassion  (3). 

Pour  créer,  au  sens  artistique  du  mot,  il  est  donc  nécessaire  d'a- 
voir été  ému^  et  d'avoir  la  volonté  de  traduire  son  émotion. 

Il  faut  avoir  senti  et  souffert  son  œuvre,  avant  de  la  réaliser.  A  ce 
prix  seulement,  l'œuvre  sera  vraiment  sincère,  expresssive,  durable. 


(1)  La  Musique,  plus  encore  peut-être  que  toute  autre  forme  d'art,  a  pour  effet  d'expri- 
mer des  sentiments  et  non  des  objets,  aberration  grotesque  qu'on  a  fort  sottement  reprochée 
à  R.  Wai^ncr.  On  n'exprime  pas  des  objets  :  le  thème  dit  de  VEpée,  dans  le  Ring  des 
Nibelungen,  ne  peut  exprimer  une  épée,  mais  bien  un  sentiment  héroïque  commun  à  plusieurs 
personnages. 

(2)  L'impression  photographique  des  plaques  est  en  tous  points  comparable  à  ces  impres- 
sions humaines:  la  plaque  que  l'on  développe  (expression,  réalisation)  ne  porte  aucune  trace 
apparente  (inconscience)  de  l'impression  lumineuse,  reçue  parfois  très  antérieurement. 

(3)  On  pourrait  poser  ainsi  cette  sorte  de  règle  de  proportion  :  L'impression  est  au  sentiment 
ce  que  l'émotion  est  à  la  passion. 


Facultés  créatrices  <X Ivipression   \ 


INTRODUCTION.  —  L'ŒUVRE  D  ART  ET  L'ARTISTE  i3 

LES    FACULTÉS    ARTISTIQUES    DE    l'aME 

Les  facultés  mises  en  action  par  l'âme  humaine  dans  l'œuvre  de  créa- 
tion artistique  sont  au  nombre  de  sept  : 

Imagination. 
Cœur. 
Esprit. 
Facultés  créatrices  d'£':vjt?re55zon   J  Intelligence. 

Mémoire. 

(  Volonté. 
Facultés  créatrices  de /?e^/z5a//on   j  Conscience. 

L'œuvre  d'art  est  la  résultante  du  travail  de  ces  sept  facultés  chez 
l'homme  pourvu  do-don  créateur. 

Examinons  maintenant  le  rôle  spécial  de  chacune  de  ces  facultés. 

h' Impression,  préalable  à  l'éclosion  de  l'œuvre  d'art,  met  tout  d'abord 
en  jeu  deux  facultés  primordiales  :  Vlmaginatioji^  dont  l'effet  est  de  re- 
présenter des  images^  et  le  Cœur[\),  qui  se  manifeste  par  les  sentiments. 
On  doit  considérer  le  Cœur  comme  la  plus  importante  des  facultés  artis- 
tiques, car  c'est  de  l'Amour  [Caritas)  que  découlent  les  plus  hautes  et 
les  plus  nobles  manifestations  de  la  pensée  humaine. 

Pour  parvenir  à  l'Expression,  trois  autres  facultés  sont  nécessaires  : 

1°  UEsprit{2),  qui  crée  des  rapports  superficiels  entre  les  objets,  les 
actes  et  les  personnes  ;  il  a  pour  effet  le  trait  ;  —  2'  V Intelligence,  qui 
perçoit  les  rapports  élevés,  profonds  et  étendus  ;  son  effet  est  Vidée  ;  — 
3*  la  Mémoire^  qui  conserve  les  connaissances  acquises,  par  l'effet  du 
souvenir. 

Ces  facultés  d'impression  et  d'expression  suffiraient  à  la  pro- 
duction virtuelle  de  l'œuvre  d'art  ;  mais,  pour  en  opérer  la  réalisation, 
il  faut  encore  faire  intervenir  deux  facteurs  puissants  de  la  création  ar- 
tistique :  la  Volonté^  qui  met  en  œuvre  les  facultés  créatrices,  et  la  Co;i- 
science^  qui  les  discerne. 

(i)  Ce  que  nous  appelons  ici  le  cœur,  c'est  une  des  formes  rte  la  factiltéde  râmc  que  les 
philosophes  désignent  généralement  sous  le  nom  de  sensibilité. 

(2)  Par  esprit,  nous  entendons  ici  la  qualité  de  l'homme  d'esprit,  du  trait  d'esprit,  du 
mot  spirituel,  et  non  pas  le  concept  de  l'Esprit  opposé  par  les  philosophes  à  celui  de  la 
Matière. 

La  dilTcrence  entre  l'esprit  et  Vintelligence  pourrait  assez  justement  se  comparer  aux 
notions  mathématiques  de  surface  et  de  volume. 

La  surface  se  mesure  par  deux  dimensions  (longueur  et  largeur),  elle  est  essentiellement 
«  dans  le  plan  »  ;  —  de  même,  l'esprit  apprécie  seulement  les  rapports  superficiels  entre  les 
idées  et  les  choses. 

Le  volume,  au  contraire,  se  mesure  par  trois  dimensions  (longueur,  largeur  et  profon- 
deur), il  est  essentiellement  t  dans  l'espace  »  ;  — de  même,  l'intelligence  perçoit  les  rapports 
intimes,  profonds  entre  les  idées  et  les  choses,  dont  elle  pénètre  les  raisons. 


INTRODUCTION.  -  L'ŒUVRE  D'ART  ET  L'ARTISTE 


CARACTERES    DE    L  ŒUVRE    D  ART 

En  vertu  de  la  définition  même  de  l'Art,  l'œuvre  doit  avoir  avant 
tout  un  caractère  d' EfiseigJîemeiit,  câr  elle  doit  contribuer  à  l'exaltation 
du  sentiment  esthétique  chez  les  autres  hommes  par  la  communication 
des  impressions  de  l'artiste,  le  rôle  de  l'Art  étant  de  faire  progresser 
l'humanité. 

La  Diu^ée  est  donc  une  condition  nécessaire  à  l'œuvre  d'art,  puisque 
c'est  par  elle  que  la  vie  artistique  est  transmise  aux  générations  sui- 
vantes. 

Aux  yeux  des  anciens  artistes,  la  durée  de  l'œuvre  était  considérée 
comme  de  première  importance  ;  aujourd'hui,  certains  artistes  ont  le 
tort  de  s'en  préoccuper  beaucoup  moins  ;  on  travaille  trop  vite  dans 
notre  siècle  utilitaire,  et  c'est  aux  dépens  de  la  durée  des  œuvres  (i). 

Mais  c'est  surtout  la  durée  morale  qu'il  conviendrait  d'avoir  en  vue, 
et  celle-ci  ne  se  saurait  atteindre  sans  la  Sincérité^  troisième  caractère 
fondamental  de  l'œuvre  d'art.  Quand  l'œuvre  est  vraiment  sincère^ 
c'est-à-dire,  quand  elle  n'a  point  été  conçue  dans  un  but  de  gloire  per- 
sonnelle ou  de  profit,  mais  dans  un  esprit  d'enseignement,  elle  mérite 
de  durer  et  elle  durera.  Au  cas  contraire,  elle  tombera  fatalement  dans 
l'oubli. 

CARACTÉRISTIQUE    DE    L*ARTISTE 

La  sincérité  de  l'œuvre  relève  de  la  Conscience  at^tistique. 

On  méconnaît  ou  on  ignore  trop  souvent  de  nos  jours  cette  précieuse 
faculté,  dont  le  double  effet  est  de  discerner  en  soi-même,  en  premier 
lieu  si  l'on  est  appelé  à  la  carrière  d'artiste,  et  secondement  quelle  sorte 
d'art  on  doit  pratiquer . 

La  première  de  ces  deux  questions  n'est  pas  toujours  facile  à  résoudre. 
Tout  artiste  doit  arriver  cependant  à  se  bien  connaître,  s'il  s'interroge 
sincèrement  et  sans  orgueil. 

Mais  combien  plus  délicate  est  la  solution  de  la  seconde  question  : 

(i)  Les  peintres  du  moyen  âge  préparaient  et  broyaient  eux-mêmes  les  matières  compo- 
sant leurs  couleurs,  comme  les  sculpteurs  de  ce  même  temps,  véritables  ouvriers  d'art,  tra- 
vaillaient eux-mêmes  la  pierre,  ne  se  contentant  point  de  faire  mouler  une  maquette.  Ces 
soins  minutieux  indiquent  bien  le  souci  de  la  durée.  Les  oeuvres  de  ces  peintres  nous  sont,  du 
reste,  parvenues,  sans  avoir  rien  perdu  delà  fraîcheur  de  leur  coloris  ;  il  en  serait  de  même 
des  œuvres  de  ces  sculpteurs,  si  le  vandalisme  révolutionnaire  n'avait  point  passé  parla. 

Quelle  différence  avec  certains  tableaux  modernes,  que  nous  avons  retrouvés  après  moins 
de  dix  ans  complètement  décomposés  et  poussés  au  noir,  et  avec  certaines  statues  que 
l'action  du  temps,  bien  loin  de  les  magnifier,  arrive  à  rendre  grotesques. 


INTRODUCTION.  —  L'fKUVRE  D'ART  ET  LARTISTE  tb 

«  Quelle  est,  en  Art,  l'aptitude  personnelle  et  spéciale  de  chacun  ?  » 
L'étude  critique  des  œuvres  d'art  pourra  être  d'un  grand  secours  pour 
s'éclairer  soi-même  sur  ce  point.  On  y  constatera  que  bien  des  artistes, 
et  non  des  moindres,  n'ont  pas  su  discerner  toujours  quel  genre  d'art 
était  le  plus  en  rapport  avecleurs  facultés  individuelles.  Les  erreurs  où 
ils  sont  tombés  nous  seront  un  précieux  enseignement  (  i). 

Les  facultés  créatrices,  dont  nous  venons  d'étudier  le  fonctionnement 
et  le  résultat,  peuvent,  en  raison  de  leur  plus  ou  moins  de  plénitude, 
imprimera  l'artiste  des  caractéristiques  différentes  qu'il  convient  d'exa- 
miner. 

L'artiste  peut  être  de  génie  ou  de  talent. 

Le  Géjiie  est  l'ensemble  des  facultés  de  l'âme  élevées  à  leur  plus 
haute  expression. 

Le  génie  a  pour  effet  la  création  (iroieTv)  ;  il  est  le  prototype  de  tout  ce 
qui  engendre. 

Le  Talent  est  l'ensemble  des  facultés  de  l'âme  suffisant  pour  s'assi- 
miler les  œuvres  du  génie,  mais  non  assez  puissant  pour  créer  des 
œuvres  essentiellement  originales. 

Il  y  a  eu,  il  y  a,  il  y  aura  des  génies  latents,  qui,  faute  d'avoir  acquis 
le  fa/e?2^  nécessaire  pour  s'exprimer,  n'ont  laissé  et  ne  laisseront  après 
eux  nulle  trace,  nulle  œuvre  de  beauté  durable.  Le  génie  est  inné.,  nul 
maître  ne  peut  l'enseigner,  nulle  puissance  humaine  ne  peut  le  susciter 
là  on  il  n'est  pas;  mais  le  talent  s'acquiert  par  l'enseignement  raisonné 
et  l'étude  logique  :  le  talent  est,  pour  ainsi  parler,  la  nourrice  du  génie; 
c'est  par  le  talent  et  seulement  avec  son  aide  que  le  génie  peut  croître, 
grandir,  se  vivifier,  et  enfin  se  manifester  d'une  façon  complète  par 
des  œuvres. 

Le  génie  sans  le  talent  serait  lettre  morte  :  il  faut  donc  que  Vartiste 
absolu  soit  doué  de  génie  et  pourvu  de  talent. 

Mais  il  faut  encore  qu'il   possède  le  Goût.,  c'est-à-dire  cette  aptitude 


(i)  Pour  prendre  des  exemples  sur  des  génies  véritables,  nous  pouvons  constater  que 
Schubert,  en  composant  ses  œuvres  de  musique  symphonique,  et  Beethoven,  en  écrivant 
ses  lieder,  se  sont  sans  doute  trompés  l'un  et  l'autre  sur  ce  point  spécial  de  leurs 
aptitudes. 

Les  lieder  de  Schubert  sont  d'admirables  modèles  en  ce  genre,  sa  musique  symphonique 
est  relativement  faible,  parce  que,  la  plupart  du  temps,  mal  construite.  Les  lieder  de 
Beethoven  sont,  pour  la  plus  grande  partie,  dénués  d'intérêt  ;  ses  sonates,  quatuors  et 
symphonies  resteront  comme  des  types  d'art  parfait.  Il  y  a  là  daux  exemples  opposes  d'er- 
reurs commises  de  bonne  foi  par  la  conscience  artistique  chez  deux  artistes  de  génie. 

Il  n'en  va  pas  toujours  ainsi  ;  on  pourrait  citer  dans  l'époque  contemporaine,  et  non  pas 
seulement  parmi  les  sémites,  bien  des  compositeurs  qui  se  sont  détournés  sciemment  de 
leur  véritable  voie,  dans  un  but  plus  ou  moins  avouable  ;  à  ceux-là,  la  sincérité  artistique 
fait  défaut. 


,6  INTRODUCTION.  —  L'ŒUVRE  D'ART  ET  L'ARTISTE 

fine  et  délicate  à  discerner  les  qualités  ou  les  défauts  dans  les  œuvres 
des  autres  et  dans  les  siennes  propres,  et  à  les  apprécier  par  un  juge- 
ment sain. 

Le  génie  crée. 

Le  talent  imite. 

Le  goût  apprécie. 
L'éducation  artistique,  si  excellente  et  si   complète  qu'elle   soit,  ne 
saurait,  nous  l'avons  dit,  donner  le  génie,  mais  elle  peut  faire  naître 
le  talent  et  doit  former  le  goût. 

Favoriser  l'éclosion  du  génie,  en  développant  le  talent  et  le  goût  par 
l'étude  raisonnée  et  critique  des  œuvres,  tel  est  le  but  que  nous  nous  pro- 
posons d'atteindre  ici,  au  point  de  vue  spécial  de  l'Art  musical. 

Mais  que  l'élève,  appelé  à  mériter  le  titre  d'artiste,  ne  perde  Jamais 
de  vue  qu'outre  ses  dons  naturels,  trois  vertus  lui  sont  néces- 
saires pour  arriver  au  maximum  d'expression  qu'il  lui  est  donné  d'at- 
teindre, trois  vertus  énoncées  dans  le  texte  d'une  des  antiennes  du 
Jeudi-Saint,  dont  la  musique  est  aussi  admirable  que  les  paroles  sont 
élevées  : 

Maneant  in  vobis  Fides,  Spes,  Caritas, 

Tria  haec  :  major  autem  horum  est  Caritas  (i). 

Oui,  l'artiste  doit  avant  tout  avoir  la  Foi,  la  foi  en  Dieu,  la  foi  en 
l'Art,  car  c'est  la  Foi  qui  l'incite  à  cojwaitre^  et,  par  cette  connaissance, 
à  s'élever  de  plus  en  plus  sur  l'échelle  de  l'Etre,  vers  son  terme  qui  est 
Dieu.  ^ 

Oui,  l'artiste  doit  pratiquer  V Espéi^ance^  car  il  n'attend  rien  du  temps 
présent  ;  il  sait  que  sa  mission  est  de  set^pir,  et  de  contribuer  par  ses 
œuvres  à  l'enseignement  et  à  la  vie  des  générations. qui  viendront 
après  lui. 

Oui,  l'artiste  doit  être  touché  de  la  sublime  Charité,  «  la  plus  grande 
des  trois  »  ;  aimer  est  son  but,  car  l'unique  principe  de  toute  création 
c'est  le  grand,  le  divin,  le  charitable  Amour. 


(i)  Qu'en  vous  demeurent  ces  trois  vertus  : 

Foi,  Espérance,  Amour; 
Mais  ia  plus  grande  des  trois,  c'est  l'Amour. 


INTRODUCTION.  —  LE  RYTHME  DANS  L'ART  17 

III 
LE    RYTHME    DANS    L'ART 

LA    PERCEPTION    ARTISTIQUE 

Nous  avons  vu  par  la  définition  subjective  de  l'Art  (Tolstoï)  que  la 
communication  aux  autres  des  sentiments  éprouvés  par  l'artiste  s'opère 
au  moyen  de  signes  extérieurs. 

Ces  signes  varient  avec  les  diverses  formes  d'art,  et  se  perçoivent  de 
deux  manières  différentes. 

Dans  certains  arts,  architecture,  sculpture,  peinture^  l'ensemble  appa- 
raît avant  le  détail  :  l'assimilation  de  l'œuvre  se  produit  du  général  au 
particulier. 

Dans  les  autres,  au  contraire,  littérature^  musique,  le  détail  frappe 
d'abord  et  conduit  à  l'appréciation  de  l'ensemble  :  l'assimilation  se 
produit  du  particulier  au  gérerai. 

Pour  mieux  faire  comprendre  la  différence  dans  la  réception  des  im- 
pressions artistiques,  examinons  la  cathédrale^  par  exemple  Notre-Dame 
de  Paris. 

Un  magnifique  ensemble,  une  ligne  générale  harmonisée  en  beauté, 
un  aspect  de  majesté  dans  la  proportion  :  voilà  ce  qui  nous  frappe  tout 
d'abord  ;  puis,  en  analysant,  nous  découvrons  petit  à  petit  tous  les 
détails  d'architecture,  colonnes,  piliers,  portails,  vitraux  et  ces  admira- 
bles statues  des  galeries  extérieures,  à  peine  visibles  du  parvis,  tout 
cela  concourant  à  l'impression  d'ensemble  primitive. 

Écoutons  maintenant  une  symphonie,  la  V*=  de  Beethoven,  par 
exemple.  Que  percevons-nous  en  premier  lieu?  ^-^'i^z^rr^^  un  détail, 
un  dessin  particulier  et  précis  auquel  notre  esprit  s'attache,  une  idée 
que  nous  suivons  avec  intérêt  à  travers  tous  ses  développements 
jusqu'à  son  épanouissement  final.  La  mémoire,  constamment  en  jeu 
dans  ce  travail  d'assimilation,  nous  rappelle  l'idée  principale  chaque 
fois  qu'elle  reparaît  sous  un  aspect  nouveau,  et  nous  nous  élevons  ainsi 
progressivement  à  l'impression  synthétique  d'ensemble,  par  la  percep- 
tion successive  des  détails  (i). 

Les  arts  sont  donc  de  deux  sortes  :  les  uns  que  l'on  pourrait  appeler 


(i)  On  voit  par  I^,  l'importance  de  Vidée  music.ile  dans  la  construction  de  l'œuvre  :  il 
importe  qu'elle  soit  très  claire  et  très  précise,  pour  que  la  mémoire  la  puisse  saisir  rapide- 
ment et  retrouver  sans  trop  d'cllort. 

Cours  de  composition.  % 


,8  INTRODUCTION.  -   LE  RYTHME  DANS  L'ART 

arts  d'essence  plastique  ou  de  dessin,  se  rattachent  à  l'idée  d'Espace; 
les  autres,  arts  d'essence  successive,  dérivent  de  l'idée  de  Temps. 
Dans  l'Espace  comme  dans  le  Temps,  des  lois  communes  d'ordre  et 
de  proportion  régissent  tous  les  arts. 

V Ordre  et  la  Proportion  dans  V Espace  et  dans  le  Temps  :  telle 
est  la  définition  du  Rythme. 

Le  Rythme  est  donc  un  élément  premier  commun  à  toutes  les  sortes 
d'art;  c'est  lui  qui  engendre  la  bonne  ordonnance  des  lignes,  des  formes, 
des  couleurs  et  des  sons. 

Il  n'est  pas  surprenant,  dès  lors,  que  le  Rythme  ait  occupé  une  si 
grande  place  dans  les  premières  classifications  des  arts. 

CLASSIFICATIONS    ANCIENNES    DES    ARTS 

Les  Grecs  avaient  divisé  l'Art  en  neuf  genres  différents. 
En  vertu  de  la  tendance  de  leur  esprit  à  revêtir  les   symboles  d'une 
forme   sensible,   ils  avaient   personnifié  leurs  arts  par  les  neuf  Muses^ 
que  Ton  groupa  en  trois  triades  : 
Clio^  muse  de  \  Histoire, 
Polymnie,  muse  de  la  RhétoriquCy 
Uranie,  muse  de  VAstrojiomie, 
composaient  la  première,  celle  des  arts  du  Raisoîinement. 
Les  arts  du  Rythme  parlé  formaient  la  seconde,  avec  : 
Thalie,  muse  de  la  Comédie, 
Calliope,  muse  de  la  Poésie  épique^ 
Erato,  muse  de  la  Poésie  fugitive. 
Enfin,  dans  la  dernière  triade,  les  arts  du  Rythme  proprement  dit 
étaient  représentés  par  : 

Melpo?nène,  muse  de  la  Tragédie, 
Terpsichore,  muse  de  la  Danse^ 
Euterpe,  muse  de  la  Musique. 
Les  arts  rythmiques  tenaient,  on  le  voit,  une  place  considérable  dans 
l'antique  civilisation  grecque. 

Au  moyen  âge,  au  contraire,  à  partir  de  Charlemagne  (ix^  siècle),  le 
Rythme,  notamment  dans  son  application  aux  mouvements  du  corps 
(la  Danse),  est  considéré  comme  d'ordre  inférieur. 

Par  une  loi  de  réaction  toute  naturelle,  les  arts  du  Raisonnement  se 
multiplient  à  l'excès,  reléguant  le  Rythme  dans  la  seule  Musique  qu'on 
enseigne  non  comme  art,  mais  comme  science.  Les  philosophes  du 
moyen  âge  distinguaient  dans  les  arts  deux  branches,  deux  voies  diffé- 
rentes : 


INTRODUCTION.  —  LE  RYTHME  DANS  L'ART  fg 

le   Trivhtm^  comprenant  : 

la  Grammaire^ 

la  Rhétorique, 

la  Dialectique, 
arts  du  raisonnement  dans  le  langage  ; 
le  Qiiadrivium,  composé  de  : 

V  Arithmétique, 
la  Géométrie^ 

Y  Astrologie, 

arts  du  raisonnement  pur,  et  enfin  de   : 

la  Musique, 
seul  art  du  rythme,  rangé,  comme  on  le  voit,  à  la  suite  des  véritables 
sciences  (i). 

LES    ÉLÉMENTS   DE    LA    MUSIQUE 

Considérée,  suivant  les  époques  et  les  pays,  tantôt  comme  art, 
tantôt  comme  science,  la  Musique  tient  en  réalité  de  l'art  et  de  la  science  : 
aussi  les  nombreuses  tentatives  faites  pour  la  définir  n'ont-elles  abouti 
pour  la  plupart  qu'à  jeter  la  confusion  sur  cette  question  (2).  Sans  pro- 
poser ici  une  nouvelle  définition,  dont  le  seul  effet  serait  d'accroître  le 
nombre  déjà  considérable  de  ses  devancières  sans  les  mettre  d'accord, 
nous  dirons  seulement  que  la  Musique  a  pour  base  les  vibrations 
sonores;  pour  éléments,  le  rythme,  la  mélodie,  l'harmonie;  pour  but, 
l'expression  esthétique  des  sentiments. 

Il  suffira    donc,  pour  entreprendre  utilement  l'étude   historique  et 
critique  des  formes  de  l'art  musical,   d'en  bien  connaître    les  trois  élé- 
ments constitutifs  :  Rythme, 
Mélodie, 
Harmonie, 

(i)  Le  rythme  artistique  était  alors,  môme  pour  ce  qui  regarde  les  arts  plastiques,  codifié 
pour  ainsi  dire  scientifiquement.  Les  règles  sirictcs  des  rapports  entre  la  philologie,  la 
philosophie  et  l'esthétique  se  trouvent  énoncées  en  maints  ouvrages,  comme  :  Les  noces 
de  Mercure  et  de  la  Philologie, le  compendieux  traité  de  Martianus  Capella,  ou  les  Etymo- 
logies  d'Isidore  de  Séville,  mais  surtout  dans  les  Miroirs  de  Vincent  de  Beauvais  compre- 
nant quatre  livres  : 

lo  le  Miroir  de  la  nature  ; 
2»  le  Miroir  de  la  science  ; 
3*  le  Miroir  moral  ; 
4»  le  Miroir  historique. 
Tout  l'art  médiéval  est  basé  sur  cette  division. 

Voy.  au  sujet  du  Trivium  et  du  Quadrivium  :  Emile  Ma'e  :  L'Art  religieux  du  XIII* 
siècle  en  France  (page  ii5). 

(2)  Hoené  Wronski  et  après  lui  Camille  Durutte  appellent  la  musique  un  «  art  science  • 
et  la  définissent;  la  corporification  de  l'Intelligence  dans  les  sons  (Voy.  Durutie:  Technie 
harmonique.  Introd.   p.    vu.) 


ao  INTRODUCTION.  —  LE  RYTHME  DANS  L'ART 

et  d'établir  le  lien  qui  rattache  ces  trois  éléments  à  une  branche  de  la 
science  générale. 

Ainsi  se  vérifiera  le  double  caractère  scientifique  et  aî^tistique  de  la 
Musique. 

Le  Rfthme^  résultant  de  l'inégalité  des  temps,  s'exprime  par  des 
nombres  et  dépend  des  lois  arithmétiques. 

La  Mélodie^quï  prend  son  origine  dans  l'accent,  procède  de  la  linguis- 
tique. 

h'  H arjnonie  enûn,  basée  sur  la  résonnance  des  corps,  obéit  aux  lois 
des  pibî'atio7is. 

La  Musique  relève  donc  à  la  fois  des  sciences  mathématiques  par  le 
Rythme,  des  sciences  ?iaturelles  par  la  Mélodie,  des  sciences  physiques 
par  l'Harmonie. 

Toutefois,  ces  trois  éléments,  d'origine  scientifique,  ne  peuvent 
atteindre  l'effet  artistique,  VExpression,  qu'à  la  condition  d'être  en 
mouvement^  car  la  Musique,  nous  venons  de  le  voir,  est  essentiellement 
un  art  de  succession... 

Seul,  des  trois  éléments  de  la  Musique,  le  Rythme  est  commun  à  tous 
les  arts,  il  en  est  l'élément  primordial  et  esthétique  (i). 

Le  Rythme  est  universel,  il  apparaît  dans  le  mouvement  des  astres, 
dans  la  périodicité  des  saisons,  dans  l'alternance  régulière  des  jours  et 
des  nuits.  On  le  retrouve  dans  la  vie  des  plantes,  dans  le  cri  des  ani- 
maux et  jusque  dans  l'attitude  et  la  parole  de  l'homme. 

On  doit  considérer  le  Rythme  comme  antérieur  aux  autres  éléments 
de  la  Musique;  les  peuples  primitifs  ne  connaissent  pour  ainsidirepas 
d'autre  manifestation  musicale. 

La  Mélodie.^  directement  issue  du  langage  par  l'accent,  est  presque 
aussi  répandue  que  le  Rythme  ;  ces  deux  éléments  combinés  ont  suffi 
pendant  de  longs  siècles  à  constituer  un  art  musical  très  avancé. 

Quant  à  V Harmonie,  basée  sur  la  simultanéité  des  mélodies,  elle  est 
l'effet  d'une  conception  relativement  récente,  mais  accessible  seulement 


(i)  «  Les  Grecs  rythment  le  temple. 

«  Ils  adoptent  pour  chacune  de  leurs  constructions  une  unité  de  mesure  (rythmique) 
«  différente,  un  module  qui  est  le  diamètre  moyen  de  la  colonne.  Chaque  partie  du  monu- 
«  ment  est  commandée,  non  par  sa  destination  naturelle,  mais  par  les  proportions  de 
«  l'ensemble.  Aussi,  la  beauté  y  atteint  la  perfection  la  plus  inexpt-essive. 

«  Nos  maîtres  du  moyen  âge  avaient  adopté  un  autre  module:  Vliomme.  Ils  avaient  une 
«  échelle  vivante.  De  là,  l'émotion  dont  ils  font  trembler  la  pierre  française. 

«  Cet  homme,  pour  lequel  ils  édifient  la  merveille,  cette  vivante  unité  de  rythme  qu'ils  ne 
«  veulent  point  perdre  de  vue,  ils  la  répètent  partout  dans  les  formes  de  leur  folle 
«  statuaire. 

«  Au  reste,  ils  déterminent  l'harmonie  de  la  Cathédrale  avec  autant  de  rigueur  que  firent 
t  les  Grecs,  et  ils  en  calculent  les  équilibres  avec  une  splendidc  sûreté.  » 

Adrien  Mithouard  {le  Tourment  de  VUnité). 


INTRODUCTION.  —  LE  RYTHME  DANS  L'ART  21 

h  une  élite,  relativement  peu    nombreuse  encore,   et   affinée  par  une 
éducation  plus  complète. 

Bien  des  peuples  ignorent  l'Harmonie,  quelques-uns  peuvent  même 
ignorer  la  Mélodie;  aucun  n'ignore  le  Rythme. 

C'est  donc  par  le  Rythme  que  nous  commencerons  l'étude  esthétique 
de  la  Musique,  car  il  est,  dans  la  genèse  de  l'Art,  l'élément  vivifiant  et 
fécond,  tel,  dans  la  genèse  de  l'univers,  le  Fiat  lux,  le  Verbe  de  Dieu  ; 
et  elle  portait  plus  loin  qu'il  ne  le  pensait  peut-être  lui-même,  la  spiri- 
tuelle boutade  du  célèbre  chef  d'orchestre  Hans  de  Blilow,  alors  qu'il 
disait,  paraphrasant  à  sa  manière  le  texte  de  saint  Jean  : 
«  Au  commencement  était   le  Rythme  !  » 


«^ 


I 


LE   RYTHME 


Le  rythme  musical.  —  Constitution  du  rythme  musical.  —  Rythme  binaire,  rythme  icmaire. 
—  Rythme  masculin,  rythme  féminin.  —  Le  rythme  et  la  mesure. —  Le  rythme  de  la 
parole  et  le  rythme  du  geste. 


LE    RYTHME    MUSICAL 

Nous  avons  défini  le  rythme  en  général  :  «  L'Ordre  et  la  Proportion, 
dans  l'Espace  et  dans  le  Temps.  »  Pour  la  musique,  art  de  succession^ 
basée  sur  la  division  esthétique  du  Temps,  le  rythme  est  plus  spéciale- 
ment :  Tordre  et  la  proportion  dans  le  Temps. 

Le  rythme  musical,  en  effet,  résulte  des  rapports  de  temps^  établis 
par  l'esprit  humain,  entre  les  sons  perçus  successivement  par  l'oreille. 

Il  est  bien  entendu  que  l'expression  rapports  de  temps  doit  être 
interprétée  ici  dans  son  sens  le  plus  large.  Carie  rythme  s'applique  non 
seulement  à  la  durée  relative  des  sons,  mais  encore  à  leurs  relations 
d'intensité^  et  même  d'acuité,  — qualités  qui  dérivent  aussi  de  l'idée  de 
temps,  puisqu'elles  dépendent  àeV amplitude  on  de  la  rapidité  des  vibra- 
tions sonores,  dans  un  temps  donné. 

Ces  rapports  de  durée,  d'intensité  ou  d'acuité,  considérés  en  eux- 
mêmes,  ne  sont  qu'une  pure  abstraction  de  notre  esprit,  indépendante 
du  bruit  ou  du  son  perçu,  quel  qu'il  soit. 

On  peut  s'en  rendre  compte  en  observant  une  succession  de  bruits 
suffisamment  égaux  entre  eux,  comme  ceux  que  font  entendre  les  oscil- 
lations d'un  métronome  de  Maelzel. 

Nous  pouvons  considérer  ces  bruits  successifs  comme  identiques,  et 
les  figurer  en  notation  musicale  par  : 

JrJrJvJrJ 

I,       2,       3,      4,       5,     etc. 

Quand  nous  les  écoutons  attentivement,  sans  regarder  le  balancier, 
notre  esprit  ne  peut  s'empêcher  de  leur  accorder   une  importance  iné- 


24  LE  RYTHME 

gale,  de  déterminer  entre  certains  d'entre  eux  et  les  autres  une  relation, 
un  rapport,  c'est-à-dire  un  rythme. 

Tantôt,  par  exemple,  les  bruits  de  rang  impair  nous  paraîtront  plus 
longs, 

J     J  V  J     J  r  J 

j^,     2,       _3,     4,      2»     ^^'^^ 

OU  plus  forts  : 

JrJvJrJvJ 

_!_,        2,        3,        4,       2'  ^^'^• 

tantôt,  au  contraire,  c'est  aux  bruits  de  i^n^pair  que  nous  accorderons 
cette  prépondérance  en  durée, 

J  r  J    J  r  J    J 

1,     ^,    3,      4,     5,    etc. 
ou  en  intensité  : 

JvJ_\'JvJ_vJ 

I,       2_,      3,       4,      5,    etc. 

La  possibilité  qui  est  en  nous  de  choisir,  par  un  simple  effet  de  notre 
volonté,  l'une  ou  l'autre  de  ces  inégalités  arbitraires  établit  clairement 
que  le  rythme  provient,  non  des  bruits  eux-mêmes,  mais  d'une  néces- 
sité de  notre  esprit,  qui,  à  l'audition  de  battements  égaux  en  force  et  en 
durée,  est  pour  ainsi  dire  forcé  de  créer  son  rythme. 

Envisagés  à  ce  point  de  vue,  les  bruits  ou  les  sons  déterminent  dans 
notre  entendement  une  sorte  d'impression  vague,  dépourvue  de  tout 
caractère  esthétique. 

CONSTITUTION    DU    RYTHME    MUSICAL 

L'artiste,  en  donnant  volontairement  une  prépondérance  effective  h 
certains  sons  parleurdurée,  leur  intensité  ou  leuracuité,  crée  le  rythme 
musical  et  l'exprime,  en  l'imposant  à  l'auditeur,  sous  une  forme  déter- 
minée. 

L'adjonction  au  métronome  d'un  timbre  qu'on  fait  résonner  simulta- 
nément avec  les  battements  impairs  par  exemple, 

^Métronome  îJvJvJvJvJ 
(Sonnerie  :        f  f=  f 

I,      2,       3,       4,       5,    etc. 

figure,  —  d'une  façon  très  grossière  il  est  vrai,  —  cette  intervention  de 
la  volonté  créatrice  de  l'artiste.  Par  la  sonnerie  du  timbre,  l'attention 
de  l'auditeur  est  attirée  sur  les  bruits  de  rang  impair  (i,  3,  5,  etc.)  à 
l'exclusion  des  autres  (2,  4,)  :  le  rythme  est  exprimé. 


LE  RYTHME  aj 


Le  rythme,  dans  la  musique,  suppose  donc  une  inégalité  r'éelle  dans 
la  durée,  dans  l'intensité  ou  dans  l'acuité  des  sons.  Pour  le  déterminer, 
il  faut  au  moins  deux  émissions  de  son,  un  minimum  de  deux  temps 
rythmiques  inégaux  :  un  temps  léger  et  un  temps  lourd  (i),  qu'on  peut 
figurer  ainsi  : 


J    I    i 

Temps    léger  j  Temps  lourd 


RYTHME    BINAIRE    RYTHME    TERNAIRE 


Toute  succession  de  ce  genre  constitue  un'  groupe  rythmique,  dont 
les  répétitions  successives  engendrent  le  rythme  binaire,  lorsqu'elles 
ont  lieu  sans  interruption  : 

Rythme  binaire  :  J  J   J  J   J   J   etc. 

le  métronome  dont  la  sonnerie  se  fait  entendre  avec  les  battements,  de 
deux  en  deux,  formule  un  rythme  binaire  (2). 

Par  la  prolongation  du  temps  lourd,  ou  par  suite  d'une  interruption 
entre  ses  répétitions  successives,  le  même  groupe  rythmique  devient 
rythme  ternaire  : 

par  prolongation  :   J      J        J      J        J      J   etc. 
par  interruption    :J      J\'J      JvJ      J   etc. 


Rythme  ternaire 


on  pourrait  figurer  le  rythme  ternaire  en  inclinant  le  métronome  de 
façon  à  donner  une  durée  double  à  l'un  de  ses  battements,  par  rapport 
à  l'autre  :  interruption  dans  les  répétitions  du  groupe  rythmique  (3). 

(i)  Hugo  Riemann  [Musikalische  Katechismen)  emploie  des  expressions  que  nous  iraduisons 
ici  par  temps  léger,  temps  lourd,  de  préférence  aux  mots  temps  faible,  temps  fort  que  les 
traités  de  solfège  appliquent  beaucoup  trop  exclusivement  aux  temps  pairs  ou  impairs 
d'une  même  mesure. 

(3)  Un  autre  exemple  de  rythme  binaire  exprimé,  c'est  le  pas  de  l'homme  et  d'un  grand 
nombre  d'animaux.  Si  nous  comptons,  en  marchant  :  Un  !  (deux)  trois!  (quatre)  cinq  !  etc., 
avec  des  accentuations  variables  alternativement,  cela  tient  à  ce  que  nous  fixons  notre 
attention  sur  le  mouvement  de  l'une  des  deux  jambes,  laquelle  passe  réellement  de  la  posi- 
tion I  à  la  position  3,  etc. 

Si  on  regarde  le  balancier  du  métronome,  il  marque  de  môme  un  rythme  binaire 
exprimé,  puisqu'il  n'est  réellement  dans  la  même  position  qu'avec  les  battements  i,  3,  3, 
etc.  (ou  2,  4,  6,  etc.).  Aussi  avons-nous  spécifié  au  paragraphe  précédent  qu'il  s'agissait 
seulement  des  bruits  égaux  que  fait  entendre  cal  instrument. 

(3)  Les  pulsations  du  cœur  humain,  sur  lesquelles  J.-Séb.  Bach  avait  coutume  de  se 
régler  pour  la  détermination  du  mouvement  daus  ses  œuvres,  sont,  en  elles-mêmes,  d'or- 
dre ternaire  :  cette  particularité,  peu  sensible  lorsqu'on  «  tâte  le  pouls  »  à  l'artcre  du  poi- 
gnet (rythme  en  quelque  sorte  indifférent),  se  perçoit  nettement  en  auscultant  directement 
les  mouvements  du  Cœur. 

En  supposant  qu'une  contraction  du  cœur  ait  une  durée  représentée  par  le  chiffre  3, 
l'observation  montre  que  la  contraction  des  oreillettes  peut  être  à  peu  de  chose  près  évaluée 
à  I,  la  contraction  des  ventricules  à  I,  et  l'intervalle  de  repos  pareillement  à  i. 

Admirable  application  delà  prolongation  du  temps  lourd  et  du  principe  de  l'unité  trinitairel 


36 


LE  RYTHME 


RYTHME    MASCULIN 


RYTHME    FEMININ 


Réduit  ainsi  à  sa  plus  simple  expression,  le  rythme  musical  réside 
dans  le  plus  petit  groupe  indivisible  d'une  succession  de  sons. 

Si  nous  nommons  incise  ce  fragment  indivisible  de  la-  mélodie, 
cette  monade  ou  cellule  pourvue  d'une  existence  propre  et  distincte,  le 
rythme  devra  être  défini  dans  la  musique  :  la  plus  petite  incise  d'une 
période  mélodique. 

Pour  simplifier,  nous  avons  jusqu'ici  figuré  cette  monade  rythmique 
par  son  minimum  de  sons  : 

J    I.  J 

Temps  léger  î  Tempî  lourd 

mais  dans  la  constitution  rythmique  d'une  mélodie,  le  temps  léger  ou 
le  temps  lourd  peuvent  être  formés  eux-mêmes  d'un^row^ede  plusieurs 
notes  ou  neume. 

Le  neume^  dans  la  cantilène  monodique,  se  compose  de  deux,  trois, 
ou  quatî^e  notes  au  plus  :  on  peut  le  considérer  comme  une  sorte  de 
syllabe  musicale,  servant  à  établir  le  discours  musical,  par  le  moyen  des 
groupes  et  des  périodes  mélodiques. 

Comme  Xts  syllabes  du  langage,  les  neumes  servant  à  constituer  des 
mots  ou  groupes  rythmiques  sont  susceptibles  de  se  terminer  par  une 
désinence  masculine  ou  féminitie  . 

Quel  que  soit  le  nombre  des  sons  qui  apparaissent  sur  le  temps 
léger,  on  appellera  masculin  le  rythme  dont  le  temps  lourd  ne  contient 
qu'?/«  seul  S071,  et  féminin  celui  dont  le  temps  lourd  est  formé  d'un  son 
principal  accentué  et  suivi  d'un  ou  de  plusieurs  autres  sons  dont  l'in- 
tensité décroît  comme  celle  de  nos  syllabes  muettes  : 


Rythme  masculin  :    J.  J  J 

Vemps   léger 


Temps  lourd 


Rythme  féminin 


Temps  léger  |  Temps  lourd 


LE     RYTHME    ET   LA     MESURE 


Les  expressions  temps  léger.,  temps  lourd,  dont  nous  nous  sommes 
servis  à  dessein,  ne  sont  nullement  équivalentes  à  celles  de  temps 
faible  et  de  temps  fort,  qu'on  emploie  dans  tous  les  traités  de  solfège. 

Les  temps  îythmiquc's^  auxquels  nous  appliquons  les  qualificatifs  de 
Jége?'s  ou  de  lourds,  ne  coïncident  pas  nécessairement  avec  les  temps 
de  la  mesure,  entre  lesquels  les  professeurs  de  musique  distinguent  à 
tort  des  «  temps  forts  »  et  des  «  temps  faibles  ». 

Le  rythme  ne  coïncide  pas  davantage  avec  la  mesure,  qu'on  est  beau- 
coup trop  souvent  tenté  de  confondre  avec  lui. 


LE  RYTHME  «7 

La  mesure  est  une  figuration  fort  imparfaite  du  rythme.  Elle  aide  h 
rendre  plus  saisissablcs  certains  rythmes  étroits  et  serviles,  mais  elle 
oblige  au  contraire  à  représenter  les  rythmes  libres  d'une  façon  compli- 
quée, qui  les  rend  moins  apparents,  et  en  paralyse  fréquemment  l'exé- 
cution. 

Battt^e  la  mesure  et  rythmer  une  phrase  musicale  sont  deux  opéra- 
tions complètement  différentes,  souvent  opposées.  Les  nécessités  de 
l'exécution  d'ensemble  obligent  à  discerner  par  le  geste  les  temps  de  la 
mesure;  mais  le  premier  temps  qu'on  appelle  frappé  est  tout  à  fait 
indépendant  de  Vaccentuation  rythmique^  ainsi  que  nous  le  verrons  dans 
l'étude  de  la  mélodie  (chap.  ii). 

La  coïncidence  du  rythme  et  de  la  mesure  est  un  cas  tout  à  fait 
particulier,  qu'on  a  malencontreusement  voulu  généraliser,  en  propa- 
geant cette  erreur  que  «  le  premier  temps  de  la  mesure  est  toujours 
fort  »  (i). 

Cette  identification  du  rythme  avec  la  mesure  a  eu  pour  la  musique 
des  conséquences  déplorables  ;  c'est  même  une  des  plus  fâcheuses  inno- 
vations que  nous  ait  léguées  le  xvii*  siècle,  si  fertile  en  fausses  théories. 
Sous  prétexte  de  reconstituer  l'ancienne  Métrique^  à  l'aide  de  quelques 
vieux  documents  plus  ou  moins  bien  interprétés,  on  a  complètement 
perdu  de  vue,  à  cette  époque,  les  lois  plus  larges  et  pourtant  tout 
aussi  anciennes  de  la  Rythmique,  seules  compatibles  avec  l'art  véritable. 

Ainsi  le  rythme,  soumis  aux  exigences  restrictives  de  la  mesure, 
s'est  appauvri  rapidement,  jusqu'à  la  plusdésolante  platitude  :  telle,  dans 
un  arbre,  une  branche  qui.  comprimée  fortement  par  une  ligature, 
s'étiole  et  s'atrophie,  tandis  que  ses  voisines  absorbent  toute  la  sève. 

LE  RYTHME  DE  LA  PAROLE  ET  LE  RYTHME  DU  GESTE 

Dans  l'antiquité,  on  accordait  au  rythme  la  place  prépondérante  qu'il 
doit  occuper  dans  l'Art.  Appliquées  à  \!à  pai'ole  récitée  on  chantée,  aussi 
bien  qu'aux  mouvements  du  corps^  à  la  déclamation  et  à  la  musique 
comme  à  la  mimique  et  à  la  danse^  les  lois  rythmiques  régissaient  en- 
semble le  Temps  et  l'Espace,  car,  seules  peut-être  parmi  les  arts,  la 
danse  et  la  mimique  sont  à  la  fois  des  arts  successifs  et  plastiques,  des 
arts  du  Temps  et  de  l'Espace:  aussi  étaient-ils  considérés  par  les  Anciens 
comme  des  arts  sacrés,  qu'on  réservait  le  plus  souvent  aux  cérémonies 
religieuses. 

Sous  l'influence    du  christianisme,    qui  proclame   la  suprématie  de 

fi)  On  pourrait  même  avancer  que,  /c  ;7/Mi  .^OMVÉ'M/,  le  premier  temps  delà  mesure  est 
rythnùquemtnt  un  temps  faible  ;  l'adoption  de  ce  principe  éviterait  bien  des  erreurs  et 
bien  des  fautes  d'interprétation. 


28  LE  RYTHME 

l'àme  sur  le   corps,   ces   deux  arts  sont,  dès  le  début  du  moyen  âge, 
exclus  du  culte  divin,  en  tant  que  manifestations  artistiques. 

Ainsi  s'oblitère  et  disparaît  progressivement  le  rythme  qui  réglait 
les  belles  attitudes  du  corps,  tandis  que  le  rythme  de  la  parole  chantée 
s'affine  et  se  conserve,  en  raison  même  de  l'idée  religieuse,  comme  on 
le  constatera  dans  l'étude  de  la  cantilène  grégorienne. 

Exclue  de  l'église,  la  danse  antique  subsiste  seulement  dans  le  peuple, 
mais  elle  s'y  transforme,  s'y  vulgarise,  et  perd  en  grande  partie  son 
caractère  artistique. 

Ces  derniers  vestiges  de  l'ancien  rythme  du  corps  se  retrouvent  à  peu 
près  exclusivement  dans  la  chanson  populaire^  différant  du  chant  reli- 
gieux par  ses  périodes  mélodiques  plus  symétriquement  cadencées, 
parce  qu'elles  sont  destinées  à  la  danse. 

Ainsi,  au  cours  des  deux  premières  époques  de  l'histoire  musicale 
(époque  rythmo-vionodiqne  et  époque  polyphonique),  l'art  de  la  jcaro/e 
rythmée  se  retrouve  dans  la  Tcms\c\\ie  religieuses^  tandis  que  Tart  du  geste 
rythmé  est  passé  presque  exclusivement  dans  la  musique  profane. 

Dans  la  troisième  époque,  au  contraire  (époque  métîHque)^  les  lois  de 
l'ancienne  rythmique,  paralysées  par  la  prépondérance  de  la  barre  de 
mesureront  perdu  toute  influence  apparente  sutXq.  musique  ;  mais  elles 
n'en  conservent  pas  moins  un  rôle  occulte  dont  le  double  effet  provient 
toujours  de  la  distinction  première  entre  le  rythme  de  \a  parole  et  le 
rythme  du  geste. 

Celui-ci,  en  effet,  après  avoir  accompli  son  évolution  populaire,  a 
donné  naissance  à  notre  genre  instrumental  ou  purement  symphonique.^ 
tandis  que  notre  musique  dramatique  contemporaine  a  pour  point  de 
départ  le  rythme  de  la  parole  récitée  et  chantée  . 

La  mystérieuse  puissance  du  rythme  n'a  donc  jamais  cessé  d'agir  sur 
les  destinées  de  l'art,  et  il  n'est  pas  déraisonnable  de  penser  que,  libre 
dans  l'avenir  comme  il  le  fut  dans  le  passé,  le  rf^/z  me  régnera  de  nouveau 
sur  la  musique,  et  la  libérera  de  l'asservissement  où  l'a  tenue,  pendant 
près  de  trois  siècles,  la  domination  usurpatrice  et  déprimante  de  lamesure 
mal  comprise. 


II 
LA    MÉLODIE 

L'ACCENT 


L'accent.  —  Accent  tonique,  accent  expressif.  —  La  mélodie.  —  Place  de  l'accent  tonique 
dans  le  groupe  mélodique.  —  Principe  de  l'accentuation  :  la  rythmique  mélodique.  — 
Principe  du  mouvement  :  la  période.  —  Principe  du  repos  :  la  phrase.  —  Principe  de  la 
tonalité  :  la  modulation  mélodique.  —  Formes  de  la  mélodie  :  types  primaire,  binaire, 
ternaire.  —  La  phrase  carrée.  —  Analyse  d'une  mélodie. 


L  ACCENT 

La  Mélodie  est  une  succession  de  so7îs  dij^érant  entre  eux  par  leur  durée, 
leur  intensité  et  leur  acuité. 

Le  point  de  départ  de  la  mélodie  est  Vaccent. 

Dans  toutes  les  langues  humaines,  la  prononciation  successive  des 
sj'llabes  et  des  mots  est  caractérisée  par  certaines  variations  de  durée, 
d'intensité  ou  d'acuité  :  cette  application  de  la  rythmique  au  langage 
constitue  Vacce?it. 

De  tout  temps,  l'accent  de  la  parole  fut  associé  à  l'accent  musical  : 
chez  les  Grecs  et  les  Latins,  la  déclamation  du  vers  lyrique  étaitune  sorte 
de  chant  ;  la  voix  de  l'orateur  était  soutenue  au  moyen  d'un  instrument 
rudimentaire  qui  en  réglait  l'intonation  (i). 

Au  moyen  âge,  nous  retrouvons  l'association  de  l'accent  musical  à 
celui  de  la  parole  dans  la  psalmodie,  récitation  collective  de  la  prière 
sur  une  note  unique  [chorda),  avec  inflexion  simultanée  des  voix  au  der- 
nier accent  de  chaque  phrase. 

Le  langage  musical  et  le  langage  parlé  sont,  en  effet,  régisd'une  façon 
identique  par  les  lois  de  l'accent.  L,q.s  groupes  rythmiques,  nousVixwons 
constaté,  sont  l'image  musicale  des  sj-llabes,  dont  la  succession  engendre 
les  7nots  et  les  phrases. 

(i)  «  L'accent  est,  dans  le  discours,  un  citant  moins  éclatant,  un  air  étoulTc.  »  (Ciccron.) 


3o  LA.  MÉLODIE 

Cette  similitude,  plusfrappante  dans  le  c^a«/(issude  l'art  delaparolë), 
par  la  juxtaposition  étroite  des  deux  langages,  est  aussi  vraie  dans  la 
musique  pure  (issue  de  Tartdu  geste)^  à  laquelle  s'appliquent  également 
les  principes  de  l'accentuation. 

ACCENT  TONIQUE  —  ACCENT  EXPRESSIF 

L'accent  affecte  les  mots  et  les  phrases  ;  tonique  dans  le  premier  cas, 
il  est  exp?^essif  àRns>  le  second. 

V accent  tonique  porte  sur  l'une  des  syllabes  du  mot,  comme  sur  l'un 
des  temps  du  groupe  rythmique. 

Le  mot  important  d'une  phrase  reçoit  un  accent  plus  fort  ;  le  groupe 
rythmique  qu'on  veut  rendre  plus  apparent  dans  une  succession  de 
mots  musicaux  est  souligné  par  Vaccent  expressif.  Celui-ci  peut  être 
appliqué  différemment,  suivant  qu'il  se  rapporte  à  la  signification  du 
mot  ou  au  sentiment  général  de  la  phrase,  mais  //  l'empoî^te  toujours 
sur  Vaccent  tonique. 

Comme  le  sentiment  est  le  principe  créateur  de  tout  art,  en  déclama- 
tion comme  en  musique,  l'accent  expressif  de  sentiment,  ou  pathétique^ 
l'emporte  à  son  tour  sur  l'accent  logique  ou  de  signification. 

On    peut  s'en    rendre   compte    par  les    accentuations  diverses  que 
prend  une  phrase  simple,  suivant  qu'on  l'énonce  d'une  manière  indifi- 
férente  (A),  interrogative  (B)  ou  affirmative  [C)  —  par  exemple  : 
A)  Énonciation  d'un  fait  indifférent  : 

^  ^  J^  J;  J'  J^ 

Il      a    quit-té      la  ville. 

Deux  accents  logiques.  —  Pas  d'accent  pathétiqua. 

la  phrase   est  prononcée  recto  tono,    avec   une  nuance  égale  d'intensité 
sur  les  syllabes  accentuées  des  deux  mots  importants  :  quit/e,  W/le. 
B)  Interrogation  : 

Il      a     quit-  té  la  ville  ?... 
(Accent  tonique.)  (Accent  pathétique. 

la  phrase  se  précipite,  le  mot  ville  prend  l'accent  pathétique  ;  son  into- 
nation monte. 

G)  Affirmation  : 

^   i^   i^  ?    J^  "^ 

Il     a    quit-té      la  ville. 
(Acent  pathétique.)  (Accent  tonique.) 


LA  MELODIE  3i 

la  phrase  se  ralentit;  le  mot  quitté  reçoit  l'accent  principal  :  son  into- 
nation monte  légèrement  ;  le  mot  ville  prend  une  forme  concluante  : 
son  intonation  descend. 

Ainsi,  sous  l'influence  de  sentiments  divers,  cette  phrase,  d'abord 
indifférente,  inerte,  oii  l'on  distinguait  à  peine  un  rythme,  devient 
vivante  par  l'effet  de  Vaccent  (i). 

Plus  rapides  ou  plus  lentes,  plus  fortes  ou  plus  faibles,  plus  aiguës 
ou  plus  graves,  les  sylhibes  semblent,  pour  ainsi  dire,  se  musicaliser. 
Que  leur  manque-t-il  encore  pour  devenir  mélodie?  Une  détermina- 
tion précise  dans  leurs  rapports  d'intonation.. 

LA    MÉLODIE 

La  mélodie  n'est  donc  autre  chose  qu'une  succession  de  s(7is  déter- 
minés, dijférant  entre  eux  à  la  fois  par  leur  durée,  par  leur  intensité 
et  par  leur  intonation  (gravité,  acuité). 

La  mélodie  suppose  le  rythme  et  ne  saurait  exister  sans  lui  ;  il  suffit 
en  effet  que  deux  sons,  émis  successivement,  diffèrent  par  une  seule 
d£  leurs  qualités  intrinsèques  (durée,  intensité,  acuité)  pour  constituer 
le  rythme.  La  mélodie,  au  contraire,  suppose  l'émission  de  sons  succes- 
sifs, différant,  non  plus  par  une  seule  de  leurs  qualités,  mais  par 
toutes  les  trois. 

Il  faut  donc  ajouter  au  tniniymun  rythmique  que  nous  avons  figuré 
par  - 

J  jJ 

Temps  léger      Temps  lourd 

des  signes  y  déterminant  les  relations  de  durée,  d'intensité  et  d'into- 
nation, pour  représenter  la  mélodie  élémentaire,  le  minimujn  mélodique. 
Telle  sera,  par  exemple,  la  formule  : 


Temps  legeriTeinps  lourd 


1°  Sa  relation  d^  durée  (ou  a^o^/^we)  est  figurée  par 


Temps  léger 


Temps  lourd 


(précipitation  rythmique  du  temps  léger  sur  le  temps  lourd 

2*»  Sa  relation  d'intensité  {ou  dynamique)  est  figurée  par 


Temps  léger  j   Temps  lourd 
(accentuation  du  temps  léger.) 

(t)   Acce»tus  atiima  vocis  :  L'accent  est  l'âme  de  lu  voix. 


3a  LA  MÉLODIE 

3°  Sa  relation  d'intonation  (ou  purement  jnélodique)  est  figurée  par 


m 


Temps  léger  |  Temps  lourd 
(abaissement  mélodique  du  temps  léger  vers  le  temps  lourd). 

L'exemple  que  nous  venons  d'examiner,  sous  ses  trois  aspects  diffé- 
rents, constitue  une  sorte  de  cellule  ou  de  rythme  mélodique. 

On  appelle  groupe  ?nélodique  une  succession  de  ces  sortes  de  rythmes, 
et  mélodie  musicale^  une  succession  de  groupes  mélodiques  soumis  à 
certaines  lois  d'accentuation,  de  mouvement,  de  repos  et  de  tonalité. 

C'est  ici  tout  simplement  une  adaptation  plus  large  aux  groupes,  des 
principes  appliqués  aux  50725,  dans  notre  première  définition;  cai 
Vaccentuation  n'est  qu'une  forme  de  Vinlensité  ;  le  mouvement  et  le  repos 
sont  des  manifestations  de  la  durée  ;  la  tonalité  est  une  conception  plus 
complexe  de  Vintonation. 

PL\CE    DE    l'accent   TONIQUE    DANS   LE    GROUPE    MÉLODIQUE 

De  même  que  dans  les  jnots  du  langage,  la  désinence  masculine  ou 
féminine  des  rythmes  mélodiques  modifie  la  place   de  Vaccent  tonique. 

Dans  un  rythme  masculin  (v.  chap.  i,  p.  26)  l'accent  tonique  se 
place  sur  le  temps  léger;  le  temps  lourd  (chute)  n'est  que  la  consé- 
quence de  l'accent. 

Ainsi,  par  exemple,  la  cellule  ou  rythme  mélodique  que  nous 
venons  d'examiner  porte  l'accent  tonique  sur  sa  première  note  : 

Accent 
tonique 

Rythme  masculin  • 

Tempi  léger  !  Temps  lourd 

Dans  un  vyxhmt  féininin,  au  contraire  (v.  chap.  i,  p.  26),  l'accent 
tonique  affecte  le  temps  lourd  de  manière  que  la  désinence  féminine 
devient,  pour  ainsi  dire,  un  rebondissement  de  l'accent.  Si  nous 
féminisons  l'exemple  précédent,  l'accent  tonique  changera  de  place  : 

Accent 
tonique 

Rythme  féminin  -     "^ 


"-  ^ 


^^^ 


(i)  Ce  principe  est  le  seul  qui  puisse  expliquer  les  accents  nécessaires  de  la  syncope  et  de 
Yappoggiature,  que  prescrivent  les  traités  de  solfège  sans  en  donner  la  vraie  raison. 
A    .  A 

La  syncope  :    (^yrg=^^z^r=: |ijrji:^    est  un  rythme  masculin,  et  porte,    en  conséquence, 

T.  légeqT.  lourd  A  A 

l'accent  tonique  sur  le  temps  léger,  tandis  que  l'appoggiature  :    fty    h     ^rid^z:  ^^zg^—: 


T.  lég.iT.  lourd 
produisant  un  rythme  féminin,  entraîne  naturellement  l'appui  sur  le  lemps  lourd. 


LA  MELODIE 


33 


Ce  que  nous  disons  ici  du  rythme  mélodique  s'étend  au  groupe  qui 
n'est  qu'une  succession  de  rythmes,  et  nous  lirons  de  cette  extension 
la  règle  suivante  : 

Dans  tout  groupe  masculin,  la  place  de  l'accent  tonique  est   sur  la 
fraction  légère  du  groupe. 


Accent 
tonique 


Exemple  :    -fet?-p 


anacrouse 


-i^ 


Accent 
tonique 

A 


gÈ£g:|:j5a^^;^gg^^^^^:r— 


Fr.  légère 


Fr. 

lourde 


1er  groupe 


Fraction  îciicrc 

_',■  [groupe 


!     Fr. 

lourde 


Beethoven 
(  V'Symphonie) 


Il  est  facile  en  effet  de  ramener  ce  fragment  de  mélodie  à  un  schème 
rythmique  masculin  : 

A 

Rythme  masculin  :      ^^ — ! — —  '"^V^^ 


Temps  léger         :T.  lourd 


A 

— I — 


4: 


Temps  léger 


T.  lourd 


Dans  tout  groupe  y^'wmzVz,  l'accent  tonique  sera  naturellement  placé 
sur  la  fraction  lourde  du  groupe,  qui  contient  la  désinence. 


Exemple  :  ^^^^^f^w^^^^^fjrrj^ 


Accent 
tonique 

A 


Fraction  légère 


Fraction  lourde 


Beethoven 
(VI°  Symphonie) 


Le  schème  rythmique  de  ce  fragment  est  évidemment  féminin  : 

i  h 

Rythme  féminin  :     ^  J  j^^^^j  .J"  f  * 


Temps  léger 


Temps  lourd 


Nous  arrivons  ainsi    à  déterminer  dans  la  mélodie  le  principe   de 
V  accentuation. 

PRINCIPE    DE    l'accentuation    :    LA    RYTHMIQUE    MÉLODIQUE 

A)  La  place  de  Vaccent  tonique  varie  suivant  la  forme^  masculine  ou 
féminine^  du  groupe  mélodique. 

Vaccentuation  tient  à  l'essence  même  de  la  mélodie;  elle  lui 
donne  sa  signification  en  y  déterminant  la  lythmique  mélodique.  Dans 
la  musique  pure,  aussi  bien  que  dans  le  chant,  un  simple  changement 
d'accentuation  modifie  à  la  fois  le  sens  rythmique  et  la  signification 
musicale. 

Cours  ds  composition  3 


Î4 


LA  MÉLODIE 


Dans  la  fraction  légère  du  groupe  féminin  que  nous  venons  d'exa- 
miner (p.  33)  par  exemple,  le  premier  rythme  est  masculin  ;  il  perdrait 
tout  son  caractère  si  on  l'accentuait  comme  un  rythme  fémijiin  (i)  : 


I      Rythme  masculin      j 


Accent 

tonique 

A 


r 


Ryihme  féminin 


Accent 
tonique 

A 


Temps  léger  jTenips  lourd 


Tempi  léger    {Temps  lourd 


De  même,  les  deux  périodes  mélodiques  ci-dessous,  presque  iden- 
tiques en  apparence,  surtout  lorsqu'on  les  transcrit  dans  la  même 
tonalité  et  avec  les  mêmes  valeurs  de  notes,  comme  nous  le  faisons  ici, 
sont,  en  raison  de  leur  accentuation,  très  différentes  à  l'audition  (2)  : 


1er  groupe  masculin 


Accents  toniques  .     .     /^ 

a]  Période  masculine  fe^ 


^nè 


fr.  lourde 


Beethoven 

(Quintette, 
op.   16) 


anacrouse 


Accents  toniques  .... 

b)  Période  féminine  ^  ^  ^  ■ 


1er  groupe  féminin    |    anacr. 


^ 


fr.  légère 


fr.  lourde 
I 


^ 


2e  groupe  féminin 


^s^ 


Mozart 
{Don  Juan) 


fr.  légère  1  f.  lourde 

I : I 


En  effet,   la  première  est  plutôt  masculine,   malgré  les  petites    notes 
ornementales 


==r^'~ri'^—     qui   occupent  la  fraction 


lourde  de  chaque  groupe,  et  qui  sont  trop  peu  importantes  pour  en 
modifier  le  genre.  Quant  à  la  seconde,  elle  est  nettement /e';;»'«me. 


B)  Il    n'est   point   de   mélodie  qui  commence    sur   un   temps    lourd. 
On  remarquera  que   ces   deux  périodes  commencent  par   leur  frac- 


(ij  II  est  curieux  de  constater  que  cette  période  initiale  de  la  Symphonie  pastorale  est,  le 
plus  souvent,  interprétée  avec  l'accentuation  la  plus  fausse  qu'il  soit  possible  de  lui  donner, 


celle 


-ci:P^ 


triste  résultat  de  la  tyrannie  de  la  barre  de  mesure  et  de 


l'enseignement  antirythmique  du  solfège. 

(2)  Nous  avons  choisi  intentionnellement  ces  deux  exemples,  dans  lesquels  la  barre  de  me- 
sure divise  les  groupes  selon  le  rythme,  disposition  qui  n'est  pas  toujours  observée,  même 
par  les  compositeurs  de  géni;. 


LA  MELODIE 


35 


tion  légère  :  on  peut  donc  les  réduire   aux  deux  schémas  rythmiques 
suivants  : 

A  — ^  A 

a)  Rythme  masculin  :     /k^     F    -;     J  J^ 


T.  léger    jT.  lourd||T.  léger 


m 


ï.  lourd 


b)  Rythme  féminin  :       (!jy^-J^g^||_^  !~^P~i 

T.  léger   jT.  lourd||T,  Icgerj  T.  lourd 

La  place  respective  des  temps  légers  et  lourds  est  identique  dans  la 
plus  grande  partie  des  mélodies;  aussi,  Hugo  Riemann  (voir  chap.  ix) 
a-t-il  formulé  d'une  façon  absolue  cette  règle  d'accentuation,  qui  ne 
comporte  guère  d'exceptions  : 

«  Il  n'est  point  de  mélodie  qui  commence  par  un  temps  lourd.  » 

Comme  complément  h  cette  règle  de  Riemann,  nous  pouvons  dire  : 

«  Toute  mélodie  commence  par  une  anacrouse  exprimée  ou  sous- 
entendue,  j 

On  appelle  anacrouse  la  préparation  de  l'accent  :  en  effet,  le  premier 
groupe  d'une  mélodie  commence  le  plus  souvent  par  une  ou  plusieurs 
notes  accessoires  formant  une  sorte  d'entrée  en  matière.  Si  le  groupe 
est  masculin,  ces  notes  ont  pour  effet  de  préparer  immédiatement  le 
premier  accent  tonique  et  constituent  une  anacrouse. 

Si  le  groupe  est  féminin,  la  préparation  du  premier  accent  est  faite 
par  toute  la  fraction  légère  du  groupe;  en  ce  cas,  les  notes  accessoires 
du  début  (ou,  si  l'on  veut,  l'entrée  en  matière)  ayant  pour  effet  d'allonger 
cette  fraction  légère  (ou  anacrouse),  contribuent  au  renforcement  du 
premier  accent  tonique  ;  car  celui-ci  sera  d'autant  plus  marqué  que 
la  chute  sur  la  fraction  lourde  aura   tardé  davantage  à  s'opérer. 

Mais  cette  anacrouse,  exprimée  la  plupart  du  temps,  comme  dans 
Icxemple  ^,  ci-dessus  p.  84  (i),  est  parfois  sous-entendue  ou  élidée, 
comme  dans  l'exemple  a.  Dans  ce  dernier  cas,  et  dans  presque  tous 
ceux  du  même  genre,  le  deuxième  groupe  de  la  période  donne  l'indi- 
cation de  ce  qu'aurait  pu  être  l'anacrouse  élidée  du  premier  groupe. 

Ainsi,  dans  l'exemple  dont  il  s'agit  [a,  p.  34),  le  second  groupe  : 


ag^^i^^ 


i= 


anacrouse 


doit  être  considéré  comme  issu  du  groupe  initial 

A 


anacrouse 


(i)  Voyez  aussi   l'anacrouse  nettement   exprimée  au  début  de  la  période  initiale  de  lan- 
dante  de  la  \'''  symphonie  de  liccihoven,  ci-dessus  p.  33. 


36  LA  MELODIE 


dont  les  deux  premières  notes  {la,  sib)  ont  été  élidées  et  remplacées  par 
une  simple  respiration  : 


^g^j^:^!^ 


C)  L'accent  expressif    Vempor^te   toujours    en   intensité    sur  l'accent 
tonique. 

La  musique  étant,  nous  l'avons  dit,  un  art  où  le  sentiment  prend 
un  rôle  prépondérant,  l'accent  expressifs  dont  on  peut  constater  les 
effets  quasi  musicaux  dans  le  langage  parlé  lui-même  (voir  les  exemples 
page  3o),  exerce  une  influence  autocratique  sur  la  rythmique  musicale, 
à  tel  point  que  devant  lui  tout  accent  tonique  s'atténue  ou  même  dis- 
paraît. 

L'accent  expressif  découle  d'ordinaire  du  mouvement  général  de  la 
phrase  mélodique  ;  néanmoins  il  trouve  aussi  son  application  dans  le 
groupe  simple,  notamment  lorsque  deux  notes  placées  sur  le  même 
degré  se  suivent  immédiatement.  Dans  ce  cas,  l'une  des  deux  est  généra- 
lement affectée  de  l'accent  expressif. 

Prenons  pour  exemple  le  groupe  féminin  : 

Accent  tonique 


^m 


Accent  expressif.     .  r 

fraction  légère 


^ 


fr.  lourde 


L'accentuation  du  second  fa  #  (note  expressive)  prend  une  telle  im- 
portance que  c'est  à  peine  si  Tappoggiature  (?w/,  ré)  doit  être  marquée, 
et  l'interprète  qui  ne  tiendrait  compte  ici  que  du  seul  accent  tonique 
commettrait  un  crime  de  lèse-rythmique. 

Nous  voyons  donc,  par  tout  ce  qui  précède,  que  \t  groupe  mélodique, 
véritable  wo/  musical,  est  affecté  par  l'accent  de  la  même  manière  que 
le  i7ïot  du  langage  usuel,  et  contribue,  au  même  titre  que  ce  dernier,  à 
l'intelligence  du  discours  musical,  au  moyen  de  l'accentuation,  qui  nous 
donne  la  clef  de  la  rythnique. 

PRINCrPK    DU    MOUVEMENT  :    LA    PÉRIODE 

Le  mouvement  mélodique  consiste  en  une  suite  ininterrompue  de 
groupes,  partant  du  point  initial  pour  aboutir  au  poijit  final  de  la 
période. 

Toute  portion  mélodique  comprise  entre  le  point  où  commence  le 
mouvement  et  celui  où  il   s'arrête  constitue  une  période^  laquelle  se 


LA  MELODIE 


comporte,  vis-à-vis  de  ses  groupes,  comme  les  groupes  eux-mêmes  vis- 
à-vis  de  leurs  rythmes  constitutifs. 

La  fin  de  la  période  se  détermine  par  un  jrrcV  du  mouvement,  mais 
cet  arrêt  n'est  jamais  que  momentané,  et  ne  .peut  constituer  un  état  de 
repos  qu'après  la  dernière  période  d'une  phrase.  Il  est  caractérisé 
musicalement  par  la  demi-cadence^  lorsqu'il  se  produit  sur  une  note 
n'émanant   pas  directement  du  sentiment  de  la  tonique. 

Le  nombre  des  groupes  dont  se  compose  la  période  n'est  pas  limité. 

Nous  donnons  ci-dessous  quatre  exemples  de  périodes  mélodiques 
comprenant  des  groupes  dénombre  et  de  genres  différents  : 


Accents   toniques 


1er  groupe 
(masculin) 


2e  g^roupe 
(féminin) 


lourd 


Accents  expressifs 


léger 


J.-S.  Bach 

(Pastorale 
pour  orgue) 


lourd 


Cette  période  est  composée  de  deux  groupes  de  genre  différent,  dont 
les  accents  toniques  et  expressifs  coïncident  ;  l'arrêt  se  produit  sur  le 
sentiment  de  la  tonique  et  n'amène,  conséquemment,  point  de  demi- 
cadence. 


Ace.  expr. 


Beethoven 

:      (Adagio  du 
:    Vn*  quatuor, 
op.  3q) 


Cette  période,  composée  de  quatre  groupes  féminins,  est,  de  ce  fait, 
parfaitement  symétrique,  et  ne  doit  son  effet  douloureux  qu'à  la  place 
des  accents  expressifs,  qui  viennent  contrebalancer  le  rythme  monotone 
des  accents  toniques. 


3° 


>  er    gr.                                                             2e  gr. 
(masculin)                                                    (mascùliri) 
Accents  toniques.    ^ y^ 


I     '■• 


V       L 


^  1  -p^    janacr.  ^  :*: 


Accents  expressifs. 


^4: 


:>e  gr.  4e  gr. 

(masculin)  (masc.) 

Accents  ton.    .  /y yy 


Weber 


\'  \  (Eutyantke 


Accents  eipr. 


38 


LA  MÉLODIE 


Cette  longue  période,  formée  de  six  groupes,  présente  une  particula- 
rité assez  fréquente,  celle  de  Vélision  de  la  fraction  lourde  d'un 
groupe  masculin  (le  quatrième)  dans  la  fraction  légère  d'un  groupe 
féminin  (le  cinquième).  La  fusion  de  ces  deux  fractions  non  accentuées 
en  une  seule  produit  une  sorte  de  rebondissement  mélodique  presque 
toujours  caractérisé  par  l'appel  d'un  accent  expressif  plus  intense.  Dans 
ce  cas,  notre  métrique  moderne  exige  un  allongement  du  dernier  accent 
avant  l'arrêt,  pour  que  la  mélodie  redevienne  symétrique,  ainsi  que  nous 
l'observons  dans  ce  même  exemple,  où  le  sixième  groupe  est  d'une 
valeur  pllis  longue  que  les  précédents. 


Accents  toniques.    .  yv 
an.  s.-ent. 


4 


^F 


Accents  expressifs 


1er  gr. 
(masculin) 


2e  gr. 
(féminin) 


R.  Wagner 
(Meistersinger 


Ici.  la  période  ne  comprend  que  deux  groupes  de  genre  différent  abou- 
tissant, comme  dans  les  deux  exemples  précédents,  à  une  demi-cadence 
qui  constitue  le  terme  de  la  période. 

Nous  avons  appliquédans  tousces  exemples  les  règlesde  la  rythmique 
basées  sur  l'accentuation,  et  non  celles  de  la  métrique  usuelle,  notable- 
ment différentes,  comme  on  peut  le  voir. 

Si  Ton  examine  une  mélodie  7?îesurée,  il  sera  facile  de  se  convaincre 
du  caractère  anacrousique  de  certaines  me^wre^,  par  rapport  aux  autres 
mesures  de  la  même  mélodie. 

Cette  observation  nous  révèle  l'existence,  dans  la  musique  mesurée,  de 
mesures  fortes  et  de  mesures  faibles,  et  nous  en  tirerons  cette  consé- 
quence qu'il  convient  souvent  de  dédoubler  la  mesure  pour  retrouver  le 
véritable  rythme. 

On  pourrait  écrire  ainsi,  par  exemple,  le  thème  du  finale  de  la 
IX'  symphonie  de  Beethoven  : 


I         mesure 
I   anacrousique 

Accents  toniques     .     . 


mesure 
forte 


mesure 
faible 


^^^^^3 


^Ese^ 


Accents  expressifs. 


La  première  mesure  est  une  véritable  anacrouse  ;  c'est  d'autant  plus 
certain  que  l'accent  tonique  et  l'accent  expressif  tombent  sur  la  même 
note  ;  mais  le  défaut  de  coïncidence  entre  les  deux  sortes  d'accent  n'y 


LA  MÉLODIE 


39 


changerait  absolument  rien,   comme  on  peut  le  voir  dans  cet  autre 
exemple  : 


mesure 
anacrousiquo 


(■nlc 


Accents  toniques A A 


Accents  expressifs  .     . 


Beethoven 

(iVndante  du 
trio,  op.  (j-j) 


L'accent  tonique^  qui  détermine  le  temps  lourd  dans  le  rythme  fémi- 
nin, est  ici  à  la  seconde  mesure  :  la  première  est  donc  anacrousique  (i), 
et  l'accent  expressif  qui  s'y  trouve  alfecte  un  temps  léger,  non  accentué 
en  rythme  féminin  ;  cette  circonstance,  nous  l'avons  expliqué,  ne  l'em- 
pêche nullement  de  l'emporter  dans  l'interprétationsur  l'accent  tonique. 

Bach  et  les  auteurs  de  son  époque  employaient  volontiers  cette  dis- 
position en  grandes  mesures^  contenant  deux  ou  même  quatre  de  nos 
mesures  actuelles;  la  facilité  de  lecture  y  perdait  peut-être,  mais  la 
représentation  rythmique  y  gagnait  certainement  ;  on  pouvait  mieux 
suivre,  de  la  sorte,  le  mouvement  de  la  période  mélodique. 


PRINCIPE    DU    RKPOS    .     LA     PHRASE 


Tout  effort  mélodique  nécessite  un  repos  qui  se  manifeste  par  la  cadence. 

Tout  mouvement,  de  quelque  nature  qu'il  soit,  est  le  résultat  d'un 
effort  qui,  tôt  ou  tard,  doit  se  résoudre  en  une  détente. 

Nous  avons  déjà  vu  que  l'arrêt  marquant  la  fin  de  la  période  forme  ce 
que  nous  avons  appelé  une  demi-cadence,  nous  réservant  d'expliquer  ce 
terme  ;  toute  succession  de  périodes  mélodiques,  séparées  par  des 
repos  prouisoires  (demi-cadences),  constitue  une  phrase  {2)  dont  le  point 
terminal  est  caractérisé  par  un  repos  définitif. 

La  phrase  musicale  se  comporte  à  l'égard  de  ses  périodes  compo- 
santes comme  celles-ci  vis-à-vis  de  leurs  groupes  mélodiques  successits; 
il  y  a  donc  dans  une  phrase  des  périodes  fortes  et  des  périodes  faibles. 

Les  î^epos  sont  caractérisés  par  certaines  formules    mélodiques^  véri- 

(i)  Dans  rhypothèsc  de  l'anacrousc  élidée  : 


la   première    mesure   complète    ne    pourrait   évidemment  pas   davantage   recevoir  l'accent 
tonique. 

(2)  Il  faut  remarquer  que, contrairement  à  la  signification  adoptée  pour  le  discours  parle, 
dans  lequel  le  mot  période  est  employé  pour  désigner  un  ensemble  de  p/jrjst"s,  la  période 
musicale  est  seulement  une  partie  de  la  phrase,  laquelle  se  constitue  par  un  enchaînement 
de  périodes  :  la  période  musicale  est  donc  l'équivalent  de  la  proposition  grammaticale. 


40  LA.  MÉLODIE 

tables  cadences^  suspensives  ou  conclusives  suivant  les  cas,  comme  la 
cadence  harnionique  dont  il  sera  question  au  chapitre  vn. 

Entre  les  périodes  et  les  cadences,  il  existe  certaines  corrélations  de 
symétrie,  qui  concourent  puissamment  au  bon  équilibre  de  la  phrase. 

Ainsi,  lorsqu'une  formule  mélodique  de  cadence  se  reproduit  (soit 
sur  des  degrés  différents,  soit  sur  les  mêmes),  à  la  fin  de  deux  périodes 
correspondantes,  il  s'ensuit  une  sorte  de  rime  musicale^  comparable  en 
tout  point  à  la  rime  poétique. 

Deux  périodes  rimant  entre  elles  peuvent  être  consécutives  (rimes 
régulières),  séparées  par  une  période  intermédiaire  (rimes  croisées), 
ou  même  par  deux  (tercets),  etc..  etc.. 

Une  proportion  existe  également  entre  les  longueurs  relatives  des 
périodes  ;  mais  il  ne  faudrait  point  conclure  de  là  à  la  nécessité  de  leur 
carrwe,  c'est-à-dire  delà  symétrie  de  leurs  mesures,  étroitement  limi- 
tée au  nombre  4  et  à  ses  multiples.  La  carrure  est  au  contraire  un 
élément  de  vulgarité,  rarement  utile  en  dehors  de  certaines  formes  spé- 
ciales à  la  musique  de  danse. 

Le  caractère  conclusif  ou  suspensif  des  cadences  mélodiques  dépend 
de  leur  tonalité. 

PRINCIPE    DE    LA    TONALITÉ!    LA    MODULATION    MÉLODIQUE 

La  tonalité  est  le  rapport  des  sons  et  des  groupes  constitutifs  de  la 
mélodie  à  im  son  déterminé  qu'on  nonune  tonique. 

Lsi  tonique  occupe  dans  le  discours  musical  le  premier  rang,  la  prin- 
cipale fonction. 

Tant  que  chacun  des  sons  ou  des  groupes  d'une  même  mélodie  reste 
en  rapport  avec  la  même  tonique,  il  occupe  relativement  à  elle  le  même 
rang,  c'est-à-dire  la  même /owc/zow  (dominante,  médiante,  etc.),  et  la 
tonalité  demeure  constante. 

Si,  au  contraire,  \afo?iction  des  mêmes  sons  ou  groupes  vient  à  être 
modifiée,  la  tonalité  varie  :  il  y  a  modulation. 

Toute  formule  mélodique  de  cadence  suspensive  est,  par  cela  même, 
modulante,  et  le  sentiment  de  la  tonalité  initiale  ne  peut  être  rétabli 
qu'à  l'aide  d'une  formule  de  cadence  définitive  ou  tonale. 

La  modulation  doit  toujours  être  motivée  par  une  raison  expressive  : 
dans  l'ordre  dramatique,  c'est  le  sens  des  paroles  qui  la  détermine  ;  dans 
l'ordre  symphonique  ou  purement  instrumental,  c'est  le  caractère 
général  des  sentiments  à  exprimer  (voir  chap.  vin). 

On  a  rhabitude  de  rapporter  uniquement  à  l'harmonie  les  phéno- 
mènes de  la  cadence  et  de  la  modulation  ;  c'est  là  un  effet  de  notre  con- 
ception moderne  de  la  tonalité,  basée  principalement  sur  les  rapports 


LA  MÉLODIE  41 

harmoniques  des  sons.  Il  ne  faut  pas  oublier  cependant  que  la  notion  de 
tonalité  est  très  antérieure  à  toute  espèce  d'harmonie  (i)  :  dans  toute  la 
musique  de  l'époque  rythmo-monodique,  le  principe  de  tonalité  se  mani- 
feste, mais  sous  une  forme  exclusivement  mélodique,  avec  ses  véritables 
cadences  et  modulations,  purement  mélodiques^  elles  aussi.  On  y  dis- 
tingue nettement  la  modulation  dominante  et  la  modulation  médiane.  Ce 
sont  peut-être  les  seules  qu'on  rencontre  avant  le  xvi^  siècle,  mais  il  n'en 
faut  pas  davantage  pour  prouver  que  le  rôle  de  l'harmonie,  encore  que 
très  important  dans  la  modulation,  n'y  est  nullement  nécessaire. 

FORMES    DE    LA    MÉLODIE:    TYPES    PRIMAIRE,    BINAIRE,    TERNAIRE 

Accentuation  ;  mouvement  et  repos  ;  tonalité:  tels  sont  donc  les  prin- 
cipes constitutifs  du  groupe  mélodique,  de  la  période  et  de  la.  phrase 
musicale. 

Celle-ci,  en  raison  du  nombre  et  de  l'agencement  de  ses  périodes  et 
de  ses  groupes,  affecte  une  infinité  dQ  formes  différentes,  qu'on  peut 
généralement  ramener  à  l'un  des  ^ro/5  types  suivants: 

A)  Nous  appellerons /7r/wa/re  la  phrase  constituée  en  une  seule  période 
mélodique,  dont  le  sens  est  terminé  avec  le  groupe  final.  Cette  forme 
ne  comporte  donc  point  de  repos  suspensifs,  ni,  par  conséquent,  de  ca- 
dences modulantes.  Elle  ne  présente  qu'une  seule  cadence  tonale  à  la  fin. 

Toute  phrase  chantée  qui  ne  nécessite  pas  de  virgule,  mais  seulement 
un  point  final,  est  du  genre  primaire  ;  par  exemple  :  les  phrases  courtes 
des  Gloria  du  chant  grégorien.  (Exemple  :  Gloria  des  Anges  :  Liber 
Gradualis  de  Solesmes,  2*  édition,  page  1 5*.) 

Dans  l'ordre  de  la  musique  pure,  on  peut  citer  comme  phrase  primaire 
le  thème  de  l'andante  de  la  V^  symphonie  de  Beethoven. 

B)  Deux  périodes  mélodiques  séparées  par  un  repos  constituent  une 
phrase  binaire.  Cette  forme  suppose  donc  une  cadence  modulante  et  une 
cadence  tonale. 

L'exemple  le  plus  frappant  qu'on  en  puisse  trouver  dans  l'ordre  dra- 
matique, c'est  le  veî'set  de  la  psalmodie.  Les  ^^We  simples,  comme  celui 
de  la  Messe  des  morts,  sont  aussi  du  type  binaire.  (L.  Gr.  2®  éd.  p.  [i3o].) 

L'andante  du  trio  de  Beethoven  (op.  97J,  que  nous  avons  déjà  cité, 
présente,  dans  l'ordre  symphonique,  un  bel  exemple  du  même  type. 

C)  La  phrase  teniai?'e^  la  plus  usuelle  de  toutes,  est  constituée  en  trois 
périodes  mélodiques,  séparées  par  deux  repos  suspensifs  ;  elle  comporte 
donc  deux  cadences  modulantes  et  une  cadence  tonale. 

(i)  On  verra  au  chapitre  vu  que  la  notion  de  towa/i'/e  est  applicable  à  chacun  des  éléments 
de  la  musique  :  rythme,  mélodie,  harmonie. 


42  LA  MÉLODIE 


Dans  le  chant  grégorien,  le  Kyrie  des  fêtes  doubles  (Messe  des  Anges  -. 
L.  Gr.,  2«  éd.,  p.  i5*),  les  Alléluia^  sont  des  exemples  ternaires. 

Cette  forme  est  devenue,  dans  notre  musique  symphonique,  la  carac- 
téristique des  phrases  d'a«<ia«?e,  là  forme-lied.  L'andante  delà  IIP  sym- 
phonie de  Beethoven  (Héroïque)  en  offre  un  beau  spécimen. 


LA  PHRASE  CARREE 


Quant  aux  phrases  dites  carrées  ou  à  quatre  périodes,  leur  examen 
attentif  montre  qu'elles  sont  pour  la  plupart,  soit  des  phrases  ternaires 
dont  une  période  est  répétée  deux  fois,  soit  même  des  phrases  binaires 
avec  deux  répétitions  :  l'antienne  du  Jeudi  Saint  :  Maneant  in  vobis 
[L.  Gr.,  2^  éd.,  p.  184),  par  exemple,  présente  dans  son  exposition  quatre 
périodes  distinctes,  dont  la  dernière  n'est  que  la  répétition  de  la  pre- 
mière :  c'est  donc  une;  phrase  ternaire. 

La  mélodie  populaire  :  Au  clair  de  la  lune...  est  du  type  binaire,  mal- 
gré son  apparence  carrée  :  elle  est  constituée  par  une  première  période 
répétée  deux  fois,  par  une  seconde  période,  et  enfin  par  une  nouvelle 
répétition  de  la  première. 

On  pourrait  faire,  dans  l'ordre  symphonique,  des  observations  ana- 
logues sur  la  phrase  de  l'andante  de  la  IX^  symphonie  de  Beethoven 
(ternaire),  et  sur  le  thème  du  finale  de  la  même  symphonie  (binaire). 

Les  exemples  de  mélodies  ne  rentrant  dans  aucune  des  trois  catégories 
que  nous  venons  de  déterminer  sont  extrêmement  rares  (voir  l'exemple 
ci-après,  p.  44). 


ANALYSE  D  UNE  MELODIE 


Quel  que  soit,  du  reste,  le  type  d'une  mélodie,  le  procédé  d'analyse  est 
toujours  le  même  ;  il  consiste  : 

I  °,  à  éliminer  dans  chaque  phrase  les  périodes  répétées,  en  ne  tenant 
compte  que  des  périodes  réelles  ; 

2",  à  éliminer  successivement  dans  chacune  de  celles-ci  les  notes  acces- 
soires, d'ordre  purement  ornemental,  pour  ne  tenir  compte  que  des 
notes  réelles. 

Ces  deux  opérations  faites,  on  se  trouve  en  présence  d'une  sorte  de 
schème  mélodique  ou  même  purement  rythmique^  dont  l'analyse  devient 
facile. 

Dans  une  mélodie  bien  constituée,  l'agencement  des  phrases  et  des 
périodes  ainsi  réduites  à  leur  schème  doit,  autant  que  possible,  satisfaire 
aux  conditions  suivantes  : 

i»,  au  cours  d'une  même  période,  le  même  degré,  —  c'est-à-dire  la 
même  fonction  d'une  note  de  la  gamme,  — ne  doit  pas  être  entendu 
plusieurs  fois  dans  le  même  sentiment  tonal  ; 


LA  MELODIE 


2®,  la  conduite  tonale  de  chaque  période  doit  avoir  toujours  unbutbicn 
déterminé,  et  ce  but  doit  être  atteint  dans  la  période  suivante  ; 

3%  les  phrases  musicales  enfin,  formées  chacune  de  deux  ou  trois  pé- 
riodes et  appelées  à  constituer  dans  leur  ensemble  Vidée  musicale,  comme 
nous  l'expliquerons  au  chapitre  de  la  Souate  (deuxième  livre),  doivent 
être  toutes  dépendantes  Tune  de  l'autre,  bien  que  diverses  d'aspect. 

Lorsque  ces  trois  conditions  sont  remplies,  la  Mélodie  répond  vrai- 
ment au  but  de  l'Art,  qui  est  la  Variété  dans  l'Unité . 

Nous  donnons  ci-après  trois  exemples  d'analyse  mélodique  établie  au 
moyen  de  la  réduction  de  la  phrase  à  son  scheme  rythmique.  Cet  état  sim- 
plifié ne  contient  naturellement  que  des  accents  toniques  (a),  l'accent 
expressif  (=-)  ressortant  de  l'état  complet  de  la  mélodie,  dont  Vambitus 
entraîne  parfois  le  déplacement  de  l'accent. 

Il  est  à  remarquer  que  les  plus  belles  phrases  musicales  sont  celles  qui, 
puisant  leur  force  dans  leur  propre  élément,  \a  mélodie  ?y'thmée,  ne  per- 
dent rien  à  être  présentées  sans  vêtement  harmonique.  Tel  est  le  cas  des 
exemples  suivants,  choisis  dans  trois  différentes  époques  de  l'histoire  mu- 
sicale, mais  offrant  une  égale  pureté  de  ligne  unie  à  une  égale  hauteur 
d'inspiration. 


J.jrjn 


Schème 
rythmique. 


VJgT.  (masc.) 


2'lgr.  (masc.) 


3£gr. 


(fém.) 


l^i^gr.  (masc.) 


2«gr.  (masc.)  3!:gr. 


m 


<^._       3  groupes 


î 


l'^'L'"  Iif'r.l. 


î 


j  i',rir> 


m 


i  h  V    ^ 


*-. 


(fcm.) 


l''.''gr.  (masc.) 


44 


LA  MÉLODIE 


(uiasc.)  l^Jgr.  (masc.)  2l9-j.  (masc.) 

J.-S.  Bach  (Sonate  pour  violon  et  clavecin  en  ut  mineur  —  Adagio  —  vers  lySo). 

Cette  phrase  tertiaire,  composée  de  dix  groupes,  est  essentiellement 
symétrique  :  la  première  période  est  reproduite  deux  fois,  et  les  rythmes 
delà  seconde  correspondent  absolument  à  ceux  de  la  troisième. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  l'exemple  suivant,  type  admirable  autant 
que  rare  d'une  phrase  carrée,  c'est-à-dire  formée  de  quatre  périodes 
mélodiques  différentes.  Cette  mélodie,  comme  celle  du  premier  exemple, 
est  constituée  en  dix  groupes,  mais  les  troisième  et  quatrième,  hui- 
tième et  neuvième,  ont  une  durée  moindre  que  celle  des  autres 
groupes  de  la  même  mélodie,  c'est  pourquoi  on  peut  la  qualifier  de 
phrase  serrée. 


Schème 
mélodique 


(I)  Ici  racccnt  tonique  est  absolument  détruit, ou  plutôt  déplacé  par  l'accent  expressif,  qui 
est  lui  même  renforce  par  une  anacrouse  également  expressive 

Même  remarque  peut  être  faite  en  maint  autre  endroit  de  cctic  même  mdodie  et  de  la 
suivante. 


LA  MELODIE 


3_CT0llpP£ 


^m^ 


^^^^^1^ 


Beethoven  (Sonate  pour  piano  en  la  p.  op.   iio  —  Anoso  —  ib22). 


Quant  au  troisième  exemple,  c'est  une  phrase  qu'on  pourrait  appeler 
décroissante^  chacune  des  trois  périodes  de  cette  belle  mélodie  ternaire 
présentant  un  groupe  de  moins  que  la  période  précédente  (5  groupes 
pour  la  première,  4  pour  la  seconde,  3  pour  la  troisième). 


rf  pcr.  [ 


Schème 


rythmique.       (g    ■^      -t^ 


ll-^gr.  (féni.) 


2î  s^r.   (îém.) 


]■  I  ^,  uc:y4:g^jaj=ffl=i 


5  groupes 


l>''"P^'i 


^ 


=?=? 


r-9 


32  gr.dnasc.) 


4ï  gr.  (nmsc.) 


5£  gr.  (fém.) 


l'-l'gr. 


46 


LA  MELODIE 


(fém.) 


3S  gr,  (mase.) 


(masc.)  li''gr.(uiasc.)  2£  gr.  (fém.) 


3£  gr.  (fém.) 


CÉSAR  Franck   (Prélude  choral  et  fugue  pour  piano  —  2°  partie  —  1884). 

(Enoch  et  0«,  éditeurs.) 


^ 


III 
LA  NOTATION 


La  notation  et  l'écriture.  Ecritures  idtlographiques,  syllabiques,  alphabétiques.  Notation  en 
lignes,  en  tieumes,  en  notes.  —  La  notation  neumatique.  La  notation  ponctuée.  —  Gui 
d'Are^f^o  :  Les  noms  des  notes.  La  portée.  —  La  notation  proportionnelle  :  Notation 
noire,  notation  blanche.  —  Erreurs  des  plain-chantistes  du  xvue  siècle.  —  Notations 
conventionnelles  et  notation  traditionnelle.  —  Les  Tablatures.  —  Transformation  des 
signes  traditionnels  :  Silences.  Mesures.  Clés.  Accidents.  —  Imperfections  de  la  notation 
contemporaine. 


LA     NOTATION     ET      L  ECRITURE 

ÉCRITURES    IDÉOGRAPHIQUES,    SYLLABIQUES,    ALPHABÉTIQUES 

NOTATIONS  EN  LIGNES,  EN  NEUMES,   EN  NOTES 

La  notation  musicale  sert  à  représenter  graphiquement  le  langage 
des  sons,  au  même  titre  et  de  la  même  manière  que  l'écriture  représente 
le  langage  des  mots. 

L'identité  d'origine  de  ces  deux  manifestations  de  l'esprit  humain  ne 
saurait  être  mise  en  doute  :  la  déchéance  de  l'homme  mortel  et  Timper- 
fection  de  ses  facultés  ont  entraîné  pour  lui,  dès  les  premiers  âges,  la 
nécessité  de  recourir  à  des  signes  conventionnels,  tracés  de  sa  main,  afin 
de  subvenir  aux  défaillances  de  sa  mémoire,  et  de  transmettre  à  ses 
semblables  ses  propres  connaissances,  aussi  bien  dans  le  domaine  de  l'Art 
que  dans  celui  de  la  Pensée. 

Une  comparaison  sommaire  entre  les  grandes  évolutions  de  l'écriture 
et  celles  de  la  notation  révèle  une  fois  de  plus,  entre  la  parole  et  la  mélo- 
die, l'étroite  corrélation  constatée  déjà  à  propos  des  lois  communes  de 
mouvement,  de  repos  et  d'accentuation  qui  régissent  ces  deux  lan- 
gages. 

Les  plus  anciens  documents  de  l'écriture  humaine  tendent  h  établir 


48  LA  NOTATION 

qu'elle  consista  d'abord  en  des  schèmes  ou  dessins  grossiers  représentant 
les  créatures,  les  objets,  ou  symbolisant  par  eux  les  idées  abstraites  qui 
y  étaient  attachées. 

Ace  premier  état,  que  les  linguistes  appellent  idéographique,  succéda 
peu  à  peu  un  système  plus  précis,  dans  lequel  les  signes  graphiques 
représentèrent,  tantôt  les  idées  ou  les  symboles,  tantôt  les  articulations 
mêmes  des  mots  par  lesquels  on  désignait  les  objets  dessinés.  Dans  cette 
phase  nouvelle  ou  phonétique,  l'écriture  consiste  en  une  sorte  de  j^ébus, 
dans  lequel  un  même  schème  peut  avoir  plusieurs  acceptions,  et  oij 
l'idée  n'est  évoquée  qu'à  l'aide  d'un  groupement  d'articulations  dif- 
férentes ou  syllabes.  Des  écritures  de  cette  espèce  existent  encore  de 
nos  jours  en  Orient  et  sont  dites  Sfllabiques. 

Le  génie  plus  analytique  de  certaines  langues  ne  tarda  pas  à  amener, 
surtout  en  Occident,  un  nouveau  perfectionnement  du  phonélisme  sjlla- 
bique.  En  raison  de  la  complexité  plus  grande,  soit  dans  les  idées  à  repré- 
senter, soit  dans  l'interprétation  des  caractères,  ceux-ci  subirent  une 
véritable  désagrégation,  et  chaque  signe  syllabique  se  décomposa  en  ses 
éléments  premiers.  Ainsi  prit  naissance  le  système  alphabétique  des 
lettres,  lesquelles,  suivant  leur  ordre  de  groupement,  servent  à  repré- 
senter des  articulations  ou  syllabes  différentes. 

Les  écritures  occidentales  contemporaines  sont  basées  sur  des  carac- 
tères alphabétiques,  dont  le  nombre  tend  à  diminuer  et  la  forme  à  s'u- 
nifier de  plus  en  plus. 

Tout  porte  à  croire  que  la  notation  musicale  a  traversé  des  phases 
identiques. 

Dans  l'état  primitif  ou  idéographique,  la  ligne  mélodique  devait  être 
représentée  par  une  ligne  graphique,  dont  les  sinuosités  figuraient  les 
inflexions  de  la  voix,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  les  ondulations  du 
geste  musical,  car  nous  avons  vu,  dès  l'origine,  que  les  mouvements 
simultanés  du  corps  humain  accompagnaient  le  chant  collectif.  (V.  Intro- 
duction, p.  1 1.) 

Les  premières  formes  des  munies  médiévaux  résultent  sans  doute  de 
la  fragmentation  progressive  de  cette  ligne  idéographique  en  véritables 
syllabes  musicales,  destinées  à  être  chantées  d'une  seule  émission  de 
voix. 

Peu  à  peu,  l'esprit  d'analyse,  appliqué  à  ce  mode  instinctif  et  tradition- 
nel de  notation  musicale,  l'a  érigé  en  système  véritable,  basé  sur  les 
mouvements  ascendants  et  descendants  de  la  voix  ou  du  geste,  c'est-à- 
dire  sur  les  accents  aigu  et  grave. 

Une  dernière  transformation  restait  à  accomplir  :  la  décomposition 
des  neumes  en  noies  distinctes  comme  les  lettres  d'un  alphabet  ;  nous  ver- 
rons comment  elle  s'est  opérée,  à  l'aide  de  la  diastématie  ou  localisation 


LA  NOTATION  49 

des  neumes  sur  des  lignes  horizontales,  fixant  leur  intonation  relative  par 
rapport  à  un  son  fixe. 

La  notation  musicale  contennporaine  est  donc  —  comme  l'écriture  — 
le  résultat  logique  d'évolutions  naturelles  et  progressives,  communes  à 
toutes  les  représentations  graphiques  de  la  Pensée  humaine. 

Notre  système  alphabétique  des  notes  est  né  du  système  syllabique 
des  neumes^  issu  lui-même  d'une  forme  primitive  idéographique^  dont  il 
nous  reste  peu  de  documents  (i). 

Beaucoup  plus  précises  sont  nos  données  sur  la  notation  syllabique  des 
neumes  fragmentaires,  dont  l'usage  remonte  au  moins  au  viiie  siècle. 

LA  NOTATION  NEUMATIQUE.  —  LA  NOTATION  PONCTUÉE 

Dès  le  vni®  siècle,  les  mouvements  ascendants  et  descendants  de  la 
voix  servent  de  base  à  un  système  véritable,  dont  la  psalmodie  fournit  les 
éléments  primordiaux.  Le  changement  du  chœur,  au  milieu  de  chaque 
verset,  est  caractérise  par  une  élévation  des  voix,  indiquant  la  suspension 
du  sens  littéraire,  et  le  verset  se  termine  par  un  abaissement  des  voix, 
indiquant  la  conclusion. 

A  ce  premier  mouvement  ascendant  correspond  Vaccent  aigu,  ou 
virga^  tracé  de  bas  en  haut  (/)  ;  à  la  chute  finale  correspond  Vaccent 
grave  ou  punctum^  tracé  de  haut  en  bas  (  \  )  et  plus  court  que  la  virga. 

Ces  deux  signes  élémentaires  sont,  à  vrai  dire,  d'ordre  grammatical, 
et  c'est  seulement  à  l'aide  de  leur  groupement  qu'on  peut  noter  les 
inflexions  véritablement  musicales  de  la  voix. 

Les  accents  aigu  et  grave,  simplement  juxtaposés,  s'appelèrent  suivant 
leur  ordre  :  podatus  (</),  note  grave  précédant  une  note  plus  aiguë,  et 
clipis  (/*),  note  aiguë  précédant  une  note  plus  grave.  Notre  accent  cir- 
conflexe moderne  (^)  n'est  pas  autre  chose  que  la  clipis  du  système  neu- 
matique. 

Groupés  par  trois,  les  accents  donnèrent  les  quatres  neumes  suivants  : 

_/^,  torculus,  note  aiguë  entre  deux  notes  graves. 

/y,  porrectus,  note  grave  entre  deux  notes  aiguës. 

,/,  scandicus^  trois  notes  ascendantes. 

^,  climacus,  trois  notes  descendantes. 

(O  M.  Pierre  Aubry,  à  qui  nous  devons  l'intéressant  rapprochement  qui  précède,  entre 
l'Ecriture  et  la  Notation,  cite  cependant  à  ce  propos  un  Psautier  lamaïque  thibétain  (de 
Lhassa),  dans  lequel  le  chant  est  ctTectivement  représenté  à  l'aide  de  longs  traits  sinueux, 
figurant  grossièrement  les  inflexions  de  la  voix.  Cet  ouvrage,  qui  date  seulement  de  trois  ou 
quatre  siècles,  paraît  être  une  copie  relativement  récente  de  textes  contemporains  des  pre- 
mières notations  neumatiques,  et  même  antérieurs  à  elles.  (V.  Tribune  de  SaintGeryjis,  avril 
1900,  no  4,  p.  130.) 

Cours  de  composition.  a 


bo  LA  NOTATION 

Outre  ces  formes  simples,  on  rencontre  encore  à  cette  époque  une  infi- 
nité de  signes  plus  compliqués  (wv^^^v^''^  /xV"*^'  ^^^•)'  ^^'^^  lesquels 
on  peut  aisément  reconnaître  les  vestiges  des  lignes  sinueuses  constituant 
l'écriture  primitive. 

Petit  à  petit,  ces  signes  se  simplifient  et  disparaissent,  à  mesure  que  la 
préoccupation  de  déterminer  les  différences  d'intonation  apparaît  claire- 
ment. 

Déjà  certains  scribes,  notamment  en  Aquitaine,  remplaçaient  dans 
leurs  manuscrits  les  lignes  neumatiques  par  leurs  points  essentiels,  dont 
la  position  respective  figurait  approximativement  les  intervalles  entre 
les  sons  (^"  _,  au  lieu  de     Z""^). 

Certains  copistes  plus  soigneux  prenaient  même  la  précaution  de 
tracer,  à  la  pointe  sèche  d'abord,  plus  tard  à  l'encre,  une  ligne  horizon- 
tale pour  séparer  les  fragments  mélodiques  plus  élevés,  notés  au-dessus, 
des  plus  graves,  écrits  au-dessous  ;  une  lettre  indicatrice  au  commence- 
ment de  la  ligne  faisait  connaître  la  note  moyenne  servant  à  établir  cette 
grossière  division  (généralement  la  lettre  F  ou  fa). 

Mais  cette  ligne  unique  fut  bientôt  jugée  insuffisante  pour  la  fixation 
exacte  des  intervalles,  et  l'emploi  simultané  de  deux  ou  de  plusieurs 
lignes  directrices  devint  de  plus  en  plus  fréquent,  tandis  que  la  notation 
en  points,  plus  précise,  se  mélangeait  avec  la  notation  traditionnelle,  en 
petites  lignes  sinueuses,  indéterminées. 


GUI    D  AREZZO 
LES  NOMS  DES  NOTES.  —    LA  PORTEE 

L'ordonnancement  de  ces  divers  éléments  s'imposait  :  c'est  à  Gui 
d'Arezzo,  moine  bénédictin,  que  cette  importante  réforme  est  généra- 
lement attribuée. 

Gui,  Guido  ou  Guion,  que  les  uns  disent  originaire  de  la  ville  d'Arezzo, 
et  les  autres  tout  simplement  de  Paris,  où  il  aurait  été  élevé  au  couvent 
de  Saint-Maur,  naquit  en  996  et  mourut  en  i  o5o. 

Deux  innovations, également  importantes  dans  l'histoire  de  la  notation, 
ont  immortalisé  son  nom,  à  tort  ou  à  raison  :  i**  les  noms  actuels  des 
principales  notes  de  la  gamme  ;  2°  la  portée. 

r  Depuis  la  plus  haute  antiquité,  on  avait  eu  recours  aux  lettres  de 
l'alphabet  pour  désigner  les  sons  musicaux,  soit  dans  leur  ordre  descen- 


LA  NOTATION 


il 


dant,  soit  dans  leur  ordre  ascendant  ;  au  temps  de  Gui  d'Arezzo,  les  sept 
sons  constituant  la  gamme  n'avaient  donc  point  d'autres  noms  que  : 

A,B,C,D,E,  F,G(i). 

Dans  une  réponse  à  un  ami  qui  lui  demandait  un  moyen  de  retenir 
l'intonation  représentée  par  chacune  de  ces  lettres,  le  savant  moine 
observe  que  chaque  fragment  mélodique  de  la  première  strophe  de 
l'hymne  Utqueant  Iaxis...  (IP'' vêpres  de  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste) 
commence  précisément  par  chacune  des  six  premières  notes  de  la  gamme 
dans  leur  ordre  normal  : 


(i)  Cette  désignation  des  notes  parles  lettres  de  l'alphabet  semble  môme  avoir  servi  de 
base  à  une  sorte  de  notation  grossière,  dont  le  mécanisme  est  assez  mal  connu,  et  l'inter- 
prétation plus  mal  connue  encore. 

On  fixait  arbitrairement  comme  point  de  départ  une  note  moyenne,  commune  à  toutes  les 
voix,  et  placée  dans  leur  médium. 

Les  lettres  de  l'alphabet  servaient  à  représenter  les  intervalles  mélodiques  au-dessus  et 
au-dessous  de  ce  point  fixe  appelé  tnèse. 

L'octave  au-dessous  de  la  mèse  était  représentée  par  les  majuscules  : 

A,  B,  C,  D,  E,  F,  G. 

L'octave  au-dessus  de  la  mèse,  par  les  minuscules  : 

a,  b,  c,  d,  e,  f,  g. 
La  double  octave  au-dessus  de  la  mèse  par  des  doubles  minuscules  : 

aa,  bb,  ce,  dd,  ee,  ff,  gg. 

A  cet  ensemble  permettant  de  représenter  trois  octaves,  on  ajoutait  parfois,  au  grave,  une 
note,  inférieure  à  l'octave  des  majuscules,  et  sur  l'intonation  de  laquelle  on  n'est  pas 
d'accord. 

Cette  note  ajoutée  postérieurement  s'appelait  «  la  note  moderne  «  et  était  représentée  par 
un  r  [gamma),  d'où  notre  mot  gamme. 

Quelle  était  au  juste  la  gamme  ainsi  notée  (  C'est  là  que  gît  la  difficulté.  Plusieurs  solu- 
tions ont  été  proposées.  La  plus  vraisemblable  est  celle  dite  des  tétracorJes  descendants  soit 
conjoints: 


./2  t. 


1/2  t. 


UT  IctracorJc 


=î=^ 


2e  tétracordi; 


soit  disjoints 


1/2  t. 


l/2  t. 


I        1er   tétracordo       1  2c   tétracordc 


mais  la  lumière  est  loin  d'être  faite  sur  la  théorie  des  tétracordcs. 

Les  données  fort  vagues  qu'on  possède  sur  cette  espèce  de  notation  sont  tout  à  fait  pro- 
blématiques en  ce  qui  concerne  l'intonation,  nulles  en  ce  qui  concerne  le  rythme.  Tout  au 
plus  a-t-on  quelques  probabilités  à  l'aide  des  paroles,  sur  les  documents  représentant  des 
chants. 


53  LA  NOTATION 


■! 

5 

,    •    ■ 

«    - 

1 

'Sr 

■     F"        Si 

■     ■           ■      '     * 

^  ■    -  n. 

-     1 

n.  - 

■            •     '           ■     ■ 

-     fk     -      i                                 ■-     - 

UT    que-ant    la-xis 
C 

RE-soiiâ-re    fibris 
D 

Mira    gesiô- 
E 

rum 

FA-muli 
F 

tu- 6- ru  m 

jf 

'■■            ■     ■           1     ' 

■    ■         !    ■ 

. 

% 

■     ■ 

■    » 

> 

■      -     1 

—       1 

1       .     ,         -    1 

SOLve  poUû-ti         LAbi- i    le-â-tum    Sancte    lo- ânnes. 
G  A  (I) 

(Paroissien  de  Solesmes,  p.  868.) 


C'estàce  simpleprocédé  mnémonique  que  sont  dues  les  dénominations 
des  notes  en  usage  depuis  bientôt  dix  siècles. 

2°  Il  appartenait  aussi  à  Gui  d'Arezzo  de  fixer  la  diastématie  des  neumes 
à  l'aide  des  quatre  lignes  qui,  pendant  plusieurs  siècles,  constituèrent  la 
portée. 

La  première  ligne  directrice  dont  les  copistes  avaient  fait  usage  corres- 
pondait à  la  lettre  F  (note/a)  :  cette  ligne  fut  tracée  en  rouge  dans  les 
manuscrits  de  Gui  d'Arezzo.  Une  autre  ligne  correspondant  à  la  lettre  C 
(note  w/)  fut  tracée  au-dessus,  en  couleur  J aime.,  généralement  ;  deux 
lignes  secondaires  noires  complétaient  la  portée  ; 


Ligne  jaune  -T**- 

Ligne  noire  

Ligne  rouge  .  y 
Ligne  noire  _£_. 


Cette  disposition  si  pratique  ne  tarde  pas  à  se  généraliser;  on  trouve 
même  une  disposition  inverse  pour  les  mélodies  plus  aiguës,  où  la  ligne  C 
{ut)  est  en  bas,et  rinterligne  F  {fa,  a.  Toctave)  est  légèrement  teinté  en 


rose 


Interligne  rose  '^ 
Ligne  jaune         \J/'' 


Peu  h  peu,  les  neumes  transcrits  sur  la  portée  s'y  adaptent  et  prennent 
une  forme  précise.  Dès  les  xii^et  xiii^  siècles,  leurs  extrémités  s'enflent, 
leur  corps  s'amaigrit,  et,  par  une  ingénieuse  combinaison  avec  la  notation 
en  points,  leur  forme  aboutit  à  la  belle  notation  carrée  du  xV  siècle, 
encore  en  usage  dans  les  livres  de  plain-chant. 


(i)  C'est  seulement  vers  le  xvi»  siècle  que  le  nom  de  la  note  B  {si),  emprunté  aux  initiales 
des  deux  derniers  mots  de  cette  strophe  (iancte  yoannes),  prévalut  définitivement. 


LA  NOTATION  b3 

'  punctum 

1  virga 

3  podatus 

f"  clivis 

■^  torculus 

^3  porrectus 

?  scandicus 

V«  climacus 

LA  NOTATION  PROPORTIONNELLE 
NOTATION  NOIRE.  —  NOTATION  BLANCHE 

Il  manquait  cependant  à  la  notation  neumatique  une  indication  essen- 
tielle :  celle  delà  durée  relative  des  sons.  Dans  la  monodie  grégorienne, 
cette  indication  était  peu  importante  :  toutes  les  notes  ayant,  quoi  qu'on 
en  ait  dit,  une  durée  à  peu  près  égale,  lorsqu'on  voulait  marquer  un 
allongement,  on  répétait  plusieurs  fois  le  signe  correspondant  à  la  note 
longue  (i). 

Ce  procédé  rudimentaire  devint  bientôt  insuffisant;  car  la  musique 
mesurée  [Ars  mensurabilis),  qui,  depuis  les  débuts  du  xii*  siècle,  tendait 
à  supplanter  la  monodie  rythmique,  se  vulgarisait  et  se  répandait  chaque 
jour  davantage.  En  même  temps,  Tusage  se  généralisait  de  superposer 
harmoniquement  une  partie  vocale  figurée  au-dessus  du  cantiis  Jîrmus 
ou  plain-chant,  comme  nous  le  verrons  à  propos  des  origines  de  l'Har- 
monie (chap.  vi,  p.  92). 

La  détermination  exacte  de  la  durée  relative  de  chaque  note  devenait 
nécessaire  :  une  notation  proportionnelle,  inventée  à  cet  effet  par  des 
théoriciens,  ne  tarda  pas  à  s'établir. 

Dans  sa  première  forme,  cette  notation  se  réduisait  à  quatre  signes,  de 
couleur  noire,  empruntés  aux  figures  des  neumes  simples,  et  groupés  en 

(i)  Ainsi  s'expliquent  les  neumes  suivants  : 


— *fi 

Pressus  :   "^^^  ^- 


Strophicus  :  distropha 


ti  istropha 


Oriscus  '  ou  •.Jlt.'xa  strophica. 


Ces  divers  signes  de  durée  sont  désignés,   chez  beaucoup  d'auteurs    (notamment  Jean  de 
Mûris),  sous  le  nom  générique  de  pressus. 


54  LA  NOTATION 

ligatures  affectant  des  formes  identiquec  à  celles  des  neumes  compo- 
sés : 

m   duplex  longa  ou  maxima 

^    longa  perfecta 

■    brevis 

•    semibrevis 

Ces  quatre  signes,  sur  la  valeur  desquels  on  n'est  pas  absolument  d'ac- 
cord, firent  place,  vers  le  xve  siècle,  à  une  notation  blanche,  plus  com- 
plexe sans  être  beaucoup  plus  précise.  Celle-ci  comporte  sept  signes  de 
valeurs  proportionnelles,  issus  à  la  fois  de  la  notation  noire  et  des  neu- 
mes ; 


(=3 

maxima 

^ 

longa 

a 

brevis 

0 

semibrevis 

i 

minima 

i 

semiminima 

i 

fusa 

ERREURS  DES   PLAIN-CHANTISTES  DU  XVII'    SIECLE 

La  coexistence  de  la  notation  neumatique  avec  la  notation  propor- 
tionnelle a  persisté  pendant  plusieurs  siècles  :  elle  a  eu  pour  effet  de  jeter 
la  plus  grande  incertitude  dans  l'interprétation  des  documents  musicaux 
de  cette  époque. 

L'enseignement  du  plain-chant  au  xvii°  siècle  a  propagé  certaines 
erreurs,  qu'on  a  beaucoup  de  peine  à  redresser,  même  de  nos  jours,  et 
dont  l'origine  doit  être  attribuée  à  cette  coexistence  de  deux  modes  de 
notation,  employant  les  mêmes  figures  de  notes  avec  des  significations 
différentes. 

La  virga  du  plain-chant,  par  exemple  (f),  est  simplement  une  note 
plus  aiguë  que  \t  punctum  (■)  qui  la  suit.  N'en  a-t-on  pas  fait  bien  sou- 
vent une  note  plus  longue,  à  cause  de  sa  similitude  de  forme  avec  la 
lo7iga  (l)de  la  notation  proportionnelle  ?  Et  inversement,  n'a-t-on  pas 
enseigné  que  le  losange  du  plain-chant  (♦),  simple  forme  accidentelle  du 
punctum  carré  dans  le  climacus  (^VOi  étdÀx.  une  note  rapide,  le  confondant 
en  cela  avec  la  semi-brève  (♦)  de  la  notation  proportionnelle  (i)  ? 

(i)  Le  losange  n'est, en  eflet,  pas  autre  chose  qu'un  punctum,  ou  note  descendante  :  dans  le 
climacus,  seul  cas  où  le  punctum  affecte  la  forme  losangée,  cette  modification  déforme  tient 
sans  doute  à  ce  que  le  copiste  tournait  légèrement  la  main  de  façon  à  tracer  les  deux  notes 
descendantes  d'un  seul  mouvement,  oblique  par  rapport  aux  lignes  de  la  portée. 


LA  NOTATION  55 

Quoi  qu'il  en  soit,  lesdifFcrents  systèmes  de  notation  proportionnelle 
noire  ou  blanche  constituent  rintermédiaire  nécessaire  entre  les  neumes 
du  plain-chant  et  notre  notation  moderne  ;  et  c'est  à  eux  qu'on  doit  la 
décomposition  définitive  des  5;'//a^es  neumatiques  en  notes  isolées  con- 
stituant notre  alphabet  musical. 

Cette  dernière  évolution  s'accomplit  définitivement  vers  le  xvn*  siè- 
cle, lors  de  l'apparition  de  la  barre  de  mesure,  qui  relègue  de  plus  en  plus 
au  second  plan  l'ancienne  notation  des  neumes. 

Telle  est  sommairement  la  genèse  de  notre  notation  musicale  contem- 
poraine, essentiellement  modifiable  et  perfectible,  comme  le  génie  hu- 
main, dont  elle  est  l'œuvre  lente  et  progressive. 


NOTATIONS  CONVENTIONNELLES  ET    NOTATION    TRADITIONNELLE 

Les  plus  ingénieux  essais  faits  pour  créer  de  toutes  pièces  des  sys- 
tèmes différents,  ont  eu  le  sort  des  écritures  et  des  langages  conven- 
tionnels. 

Appliqués  seulement  par  un  groupe  d'individus,  par  une  école,  ils 
ont  toujours  été  impuissants  à  modifier  le  cours  naturel  des  évolutions 
de  la  notation  traditionnelle,  qui  leur  empruntait  parfois,  en  passant, 
quelques  éléments  de  détail. 

Les  plus  utiles  à  connaître,  parmi  les  quelques  tentatives  intéressantes 
de  notation  qui  se  produisirent  entre  le  ix'  et  le  xi*  siècle,  et  qui  eurent 
une  certaine  influence  sur  notre  système  traditionnel,  sont  celles  d'Hiic- 
bald,  de  Romanus  et  d'Hermaun  Contract. 

l'HucBALD,  moine  flamand  (né  en  840,  mort  en  gSo),  considéré,  à 
tort  ou  à  raison,  comme  l'auteur  de  l'ouvrage  intitulé  :  Musica  enchiriadis^ 
serait  l'inventeur  d'un  système  de  notation  vocale  oij  l'on  retrouve  le 
principe  de  \a.  portée. 

Ce  système  consiste  à  disposer  les  syllabes  mêmes  du  texte  entre  des 
lignes  parallèles,  figurant  les  intervalles  de  la  gamme  par  tétracordes. 

Des  initiales  placées  au  commencement  des  interlignes  indiquent  siTin- 
tervalle  figuré  est  égal  à  un  ton  i  T,  tonus)  ou  à  un  demi-ton  (S,  semitonus). 

La  formule   du   Gloria  du  MI'  ton,  par  exemple: 


se  représenterait  ainsi  :     \      /^^îL 


Glo-n-a...  ^^ 

2"  Romanus.  moine  qui  vécut,   dit-on,  au  ix*  siècle,  dans  le  couvent 
de  Nomeniola,  essaya  aussi  un  système  de  notation  vocale  consistant 


5b  LA  NOTATION 

à  surmonter  chaque  voyelle  d'une  hampe  plus  ou  moins  haute, 
suivant  l'intonation  sur  laquelle  devait  se  chanter  la  syllabe  corres- 
pondante. Ces  hampes  étaient  elles-mêmes  surmontées  de  traits 
transversaux,  dont  la  direction  indiquait,  comme  les  neumes,  les 
inflexions  de  la  voix  vers  le  grave  ou  vers  l'aigu. 
La  même  formule  de  Gloria  se  représentait  ainsi  : 


% 


ù  ri  a 


C'est  aussi  à  Romanus  qu'on  attribue  l'adjonction  aux  manuscrits 
neumatiques  des  fameux  épicèmes  romaniens,  sur  Tinterprétation  des- 
quels on  discute  encore  de  nos  jours. 

3°  Hermann  CoNTRACT,  moinc  du  couvent  de  Reichenau(né  en  ioi3, 
mort  en  io54),  qui  doit  ce  surnom  de  «  Contract  >;  {contractus)  a.  la. 
paralysie  dont  il  fut  atteint  dès  son  jeune  âge,  imagina,  lui  aussi,  un  sys- 
tème de  notation,  où  les  lettres,  au  lieu  de  signifier  les  sons  eux-mêmes, 
étaient  simplement  l'initiale  rappelant  les  noms  des  intervalles  séparant 
les  notes  du  chant. 

La  lettre  e  signifiait  l'unisson  [equaliter) 

—  s         —      le  demi-ton  {semitoîius) 

—  t         —      le  ton  [tonus] 

—  ts       —      la  tierce  mineure  [tonus  et  semitonus) 

—  tt  ou  8  —      la  tierce  majeure  (ditonus) 

—  d         —      la  quarte  [diatessaron] 

—  A  —      la  quinte  [diapente] 

Notre  exemple  de  Gloria  s'écrivait  donc  à  peu  près  ainsi  : 


E    / 

d\s/s/t- 

-    e 

Glo- 

ri~ 

LES    TABLATURES 

a 

Il  eût  été  superflu  de  nous  arrêter  sur  ces  variétés  particulières  de 
notation  vocale,  dont  la  vie  fut  relativement  éphémère  et  l'application 
localisée,  si  leurs  principes  divers  n'avaient  donné  naissance  à  tout  le 
système  de  notation  instrumentale  qui  resta  seul  en  usage  depuis  la  fin 
du  XV*  siècle  jusqu'au  xvii'  siècle,  et  ne  disparut  totalement  que  dans  les 
premières  années  du  xviii®. 


LA  NOTATION  by 

Cette  notation  est  connue  sous  le  nom  de  tablature. 

Tandis  que  les  instruments  essentiellement  mélodiques,  tels  que  les 
violes  ou  leurs  succédanés,  et  aussi  les  Jlùtes^  les  hautbois^  les  cornets^ 
\estrombones,  adoptaient  la  notation  employée  pourles  voix,  il  n'en  était 
pas  de  même  des  instruments  polyphones,  ayant  pour  propriété  par- 
ticulière de  faire  entendre  simultanément  plusieurs  sons,  comme  Vorgve, 
le  clavecin  et  la  si  nombreuse  famille  des  luths  (i). 

Chacun  de  ces  instruments  fut  doté,  suivant  sa  nature  et  son  lieu 
d'origine,  d'une  tablature  spéciale,  ayant  pour  point  de  départ,  non 
plus  la  figuration  de  l'accent,  comme  la.  notation  neumatique, 
mais  la  représentation  du  doigté  nécessaire  pour  obtenir  chaque 
son. 

La  tablature  allemande  d'orgue  et  de  clavecin  était  alphabétique,  de 
A  {la)  à  G  (sol)  ;  chacune  des  parties  effectives  était  notée  sur  un  même 
alignement  ;  quelquefois,  la  partie  supérieure  était  figurée  en  notation 
traditionnelle  ordinaire. 

Pour  l'écriture  du  luth,  on  employait  en  Allemagne  des  séries  de 
lettres  et  de  chiffres,  disposés  de  telle  façon  que  chacun  d'eux  corres- 
ponde à  un  son  déterminé  ;  ces  séries  recommençaient  de  quarte  en 
quarte  sur  la  même  corde. 

La  tablature  française  du  luth  consiste  en  cinq  lignes  parallèles  re- 
présentant les  cinq  cordes  supérieures  de  l'instrument,  disposées  de  bas 
en  haut,  suivant  leur  ordre  logique  d'acuité.  Les  dix  positions  chroma- 
tiques des  doigts  étaient  figurées  par  des  lettres,  de  a  à  /,  placées  sur  les 
lignes. 

La  tablature  italienne  procédait  en  sens  inverse  :  elle  figurait  les  six 
cordes  de  l'instrument  par  six  lignes  horizontales  parallèles,  dont  la  plus 
basse  était  attribuée  à  la  corde  la  plus  aiguë  et  la  plus  haute  à  la 
corde  la  plus  grave.  Sur  ces  six  lignes,  des  chiffres,  de  o  (corde  à  vide) 
àX(io)  indiquaient,  par  leur  doigté,  les  degrés  chromatiques  ascen- 
dants. 

Dans  toutes  ces  notations,  les  valeurs  rythmiques  sont  représentées 
par  des  signes  usuels  de  durée  (blanche,  noire,  croche,  etc.)  placés  au- 
dessus  des  lettres  et  chiffres,  ou  au-dessous  dans  la  tablature  ita- 
lienne. 

On  voit  par  ce  rapide  exposé  comment  la  notation  en  tablature  pro- 
cède des  systèmes  d'Hucbald  et  de  Romanus  par  la  figuration  convention- 
nelle de  l'acuité  relative  des  sons,  et  de  celui  d'Hcrmann  Contract  par 
l'emploi  des  lettres  significatives. 


(i)  Le  luth  joua    pendant  tout   le  xvi»  siècle  le  rôle  qui  échut  ensuite  au  clavecin,  pu'i  à 
notre  piano  moderne. 


58 


LA  NOTATION 


Voici,  par  exemple,  une  série  chromatique  traduite   en   tablature  de 
luth. 


Tablature 
allemande. 


0 rCordc ^ ^-~ 

2?  .. -_^ d.jL..a..t..è:.. 

•_ 3-   ..   3..c../i n  s  z  c  A  n  s  z... 

...4-  ..  .^....owr^  € . . . .a  rtLT u.- ^.^. 

—5'  •  -.../yi^i  — .-. 


Accord      1 
du         < 
luth        1 

y 

y 

w~^""" 

-.J?Corde 
...2?  .. 
...3?  .. 

Tablature 

cJ     #  — 

o^ 

...4?  .. 

J  0- 

r\ 

1 . ' — "J    A-C n 

f  n   h    i  h   1 

fl       /*    /7      A       / 

J  ^  n   l  K  L  ■ 
A    / 

^  J  9  "■  ^ 
L  c  A  z u 

Tablature 
italienne. 


Accord 

du 

luth 


.(^Cordi 

.5? 

.3? 

.2"- 
V 


J    P     X 

o     c^     /l 

^       t       n       o       A 

-a^i  2 — 1 

(Les  lettres  et  les  chiffres  superposés 
désignent  les  différents  doigtés  suscep- 
tibles d'être  employés  pour  produire  le 
même  son.) 


LA  NOTATION 


59 


Nous  donnons  ci-après  les  premières  mesures  de  la  chanson  populaire 
allemande  :  Innsbriick^  ich  muss  dicli  lassen,  notées  dans  les  diverses 
tablatures  en  usage  au  xvi*  siècle. 


;^ 


^ 


-^r^r-^ 


Tablature  allemande 
d'orgue  : 

(La  partie  supé- 
rieure est  notée  sur 
une  portée,  et  les  pé- 
dales désignées  par 
des  lettres  majus- 
cules.) 


Tablature  allemande 
de  luth 


Tablature  française 
de  luth 


Tablature  italienne 
de  luth 


ï 


^ 


± 


Traduction 
en 

notation  moderne: 


^ 


^       G 

J   r  r 
y  d  b 


f 

J. 

c 

fa 


^  J      r 

c     f        e 

J  J 

a       b 


J 

f  : 

J 

c    î: 
J 


J^ 


J  ?  r 

l  h  0 

r  r 

J   r  r 

1    g  TT) 

r  ^ 


J      J 


J 


J 

c 

r  J 
1  f 


r  J 

c   l 

J 


J 


xl     X 


c 

J 

1  J^ 


1  r  r 


-^^-^ 


-i3- 


-A^- 


-<Z- 


-<2- 


r  r  r  w  r  r  1  I 


^ 


^- 


-<A 


-^ 


-^Z- 


a    c 


ca    c 


-a- 


0 

1 

r\ 

" 

0 

/-\ 

r. 

0  /-\ 

0 

r\ 

1 

0 

0 

0 

3 

0 

0 

1 0 — 

—r^ 

-^ — 

0-. 

J  J  ;  ;  n  nrn  i  } 


^^ 


6o 


LA  NOTATION 


TRANSFORMATION  DES    SIGNES    TRADITIONNELS 
SILENCES.       —     MESURES.      CLES.      —      ACCIDENTS 

Un  coup  d'œil  récapitulatif  sur  les  transformations  successives  des 
notations,  aboutissante  nos  signes  musicaux  actuels,  montre  nettement 
que  leurs  formes  proviennent,  pour  la  plus  grande  partie,  de  la  notation 
traditionnelle. 


NOTATION    NBUMATIQUE 


NOTATION 
PROPORTIONNELLE 


VIII* 

siècle 


Xllle 


XV«  siècle 


XVII« 
siècle 


Punctum 


Virga 


Podatus.    , 
Clivis    .    . 

Torculus  , 

Porrectus  . 

Scandicus 
Climacus 


X 

^ 

■ 

■ 

y 

7 

T 

T 

-/ 

J 

9 

A* 

7 

\ 

y 

- 

J" 

J^ 

A 

— 

N 

V 

f4 

._ 

J 

.^ 

/ 

- 

/v 

h. 

% 

♦ 

t 


t 


NOTATION    MODERNE 


XIX» 

siècle 


r 
r 


m 


t 


Ronde. 
3Ianche. 

Noire. 
Soupir. 

Demi-soupir. 
Ligatures  de  croches. 


Croche. 


Comment  certains  neumes  tombés  en  désuétude,  comme  la  clivis  et 
le  podatus^  se  sont-ils  transîormés  en  signes  de  silence,  tandis  que  d'au- 
tres, comme  le  torculus  et  le  porrectus,  sont  devenus  nos  ligatures  de 
croches  ?  c'est  ce  qui  serait  difficile  à  expliquer  (  i  ) . 

Quant  aux  signes  de  mesure,  la  notation  proportionnelle  n'en  connais- 
sait que  deux  : 

(0  II  n'est  pas  douteux,  non  plus,  que  les  signes  d'agrément  si  nombreux  et  si  divers 
[pincé, Jlalté,  trille,  etc  ),  dont  l'emploi  était  général  aux  xviio  et  xviii'  siècles,  ne  tirent  leur 
origine,  en  tant  que  figuration  graphique,  des  neumes  alors  tombés  en  désuétude. 


LA  NOTATION  6i 

Q,  tempus peî-fectum  ou  mesure  ternaire,  considérée  comme  parfaite 
parce  qu'elle  est  l'image  de   la  Trinité. 

C,  tempus  imperfectum  ou  mesure  binaire.  Ce  dernier  signe  a  subsisté 
avec  une  signification  équivalente  (C  mesure  à  4  temps). 

L'autre,  au  contraire  (O)?  a  totalement  disparu,  et,  aveclui,  le  principe 
de  la.  perfection^  ou  division  ternaire  des  valeurs  de  notes.  Dans  notre 
système  actuel,  on  a  remédié  tant  bien  que  mal  à  cette  grave  lacune 
à  l'aide  du  point,  allongeant  de  moitié  la  durée  de  la  note,  et  à  l'aide  du 
triolet  ;  mais  ce  ne  sont  là  que  des  expédients  :  la  véritable  notation  ter- 
naire nous  fait  défaut. 

A  mesure  que  les  dénominations  mnémotechniques  des  notes,  indi- 
quées par  Gui  d'Arezzo,  se  substituent  dans  le  langage  à  l'ancienne 
désignation  par  lettres,  dernier  vestige  de  l'Antiquité,  la  plupart  de  ces 
lettres  disparaissent.  Seules,  les  lettres  indicatrices  (C,  ut,  F,  fa, 
G,  sol),  placées  au  commencement  des  lignes  de  la  portée,  subsistent 
Qui  ne  reconnaîtrait  là  nos  clés  actuelles,  dont  la  position  variable  sur 
la  portée  constitue  une  si  grande  complication  de  lecture  ? 


Clé  d'UT 


Clé  de  FA. 


Clé  de  SOL 


Xllle        XV» 
siècle     siècle 


C 


XVIIe 

siècle 


XIXe 
siècle 


Quanta  la  lettre  B,  correspondant  à  notre  note  si,  elle  eut  une  singu- 
lière destinée. 

Cette  note,  altérée  déjà,  dans  certaines  cantilènes  grégoriennes,  par  le 
fait  de  la  transposition  à  la  quinte  grave,  nécessitait  deux  représentations 
différentes,  selon  qu'elle  était  le  B  adouci,  amolli,  le  si  bémol,  ou  le  B  nor- 
mal, carré,  le  si  bécarre.  —  Il  est  curieux  de  constater  que  les  Allemands 
ont  fait  de  ce  bécarre  (g)  l'H  par  laquelle  ils  désignent  encore  aujourd'hui 
la  tonalité  de  si  naturel.  C'est  du  reste  par  cette  septième  note  de  la 
gamme,  laissée  sans  nom  dans  la  nomenclature  de  Gui  d'Arezzo,  parce  B, 
tantôt  t>  {mollis),  tantôt  a  (quadratus),  par  ce  5/modulant,  que  tout  le 
chromatisme  moderne  s'est  introduit  dans  la  musique  médiévale,  entraî- 
nant à  sa  suite  la  série  des  accidents  d'écriture,  véritable  plaie  de  notre 
notation  contemporaine. 


62  LA  NOTATION 


IMPERFECTIONS  DE  LA   NOTATION    CONTEMPORAINE 

Il  ne  nous  appartient  pas  de  faire  ici  la  critique  détaillée  de  notre  sys- 
tème actuel  de  représentation  graphique  des  sons  musicaux.  Ne  pou- 
vons-nous pas  dire  cependant  que  le  défaut  de  notation  ternaire,  la  mul- 
tiplicité inutile  des  clés,  et  les  signes  accidentels  d'altération,  constituent 
aujourd'hui  dans  l'écriture,  si  parfaite  par  ailleurs,  trois  points  défectueux 
auxquels  il  ne  serait  peut-être  pas  impossible  d'apporter  une  améliora- 
tion (i)? 

(i)  Ces  trois  principaux  défauts  de  notre  notation  actuelle  sont-ils  tout  à  fait  Irrémé- 
diables ? 

a)  En  ce  qui  concerne  la  notation  ternaire  les  signes  J^tJ^,  c^  >  ^^c.,  encore  inutilisés,  ne 
pourraient-ils  avantageusement  compléter  notre  notation  uniquement  binaire,  et  réduire, 
sinon  supprimer  l'emploi  du  point  d'allongement  ?  on  aurait  alors  deux  séries  parallèles 
de  valeurs  de  note  : 

o    équivalant  à  trois  à    ,  tandis  que  la  •    équivaut  à  deux  J 

cj  —  à  trois  ^  >      —       ~        J  —       à  deux  J^ 

cf»  —  à  trois  eP  ,      —       —        J^         —       à  deux  Jr 

et  ainsi  de  suite. 

b)  Les  clés  usuelles  ne  pourraient-elles  être  totalement  unifiées  au  point  de  vue  de  la  lec- 
ture, tout  en  réservant  leur  forme  actuelle  à  une  simple  indication  d'octave  ? 

On  généraliserait  ainsi  la  lecture  de  la  clé  de  sol  deuxième  ligne,  aujourd'hui  la  plus 
répandue.  Il  suffirait  pour  cela  d'employer  toujours  la  clé  de  fa  sur  la  cinquième  ligne, 
et  de  placer  la  clé  d'M^,  une  fois  pour  toutes,  dans  le  troisième  interligne  : 


r  r  r  r        3^^-^-  M^      r^r  r  r  r 


ut,       ré,       mi,     fa,  etc.  ut,       ré,     mi,       fa,  etc.  ut,       ré,      mi,     fa,  etc. 

c)  La  suppression  même  des  accidents  est-elle  impraticable?  Pourquoi  les  degrés  de  notre 
portée,  au  lieu  de  représenter,  suivant  les  cas,  des  intervalles  de  ton  ou  de  demi-ton,  dont  on 
modifie  la  valeur  et  la  lecture,  à  l'aide  de  dièses,  de  bémols  et  de  bécarres,  n'auraient-ils 
point  une  valeur  déterminée  et  immuable  :  celle  du  demi-ton  tempéré,  véritable  unité  indi- 
visible de  notre  système  musical  à  dou^e  degrés  égaux  ? 

On  obtiendrait  de  la  sorte  une  figuration  unique  et  constante  pour  tous  les  intervalles, 
véritable  représentation  graphique  de  leur  valeur  relative,  et  ce  progrès  compenserait  ample- 
ment l'inconvénient  —  si  c'en  est  un  — causé  par  l'extension  plus  grande  sur  le  papier, dans 
les  accords  et  arpèges 


ton 

1 


1  1/2  ton    I     ton     J  J  l/2  ton       l/2  ton      1/2  ton      1/2  ton    1 


sol     —     la       --      si     —      ut 


ré                    ré  /  fa  X  \     /soi  J\    /  sol  X  \      /la  JJ\     /  la  x  \ 

si  I    sol    Mlab  /        la  B    Msi  b/        si!3   I 

sol  \latJb/                     \sibt>/                    \utb/ 

L'étude  de  semblables  questions  ne  saurait  ici  trouver  sa  place,  mais  on  peut  se  rendre 


LA  NOTATION  63 

Loin  de  nous  la  pensée  d'une  réforme  brutale  qui  Jetterait  partout,  et 
sans  profit,  la  perturbation  et  le  désarroi;  l'usage  est  le  seul  consécrateur 
des  réformes. 

Le  vrai  progrès  doit  être  lent  :  on  peut  le  souhaiter,  le  provoquer 
même  s'il  y  a  lieu,  mais  non  l'imposer. 


compte  par  cet  aperçu  sur  «  ce  qu'on  pourrait  faire  »,  que  le  dernier  mol  est  loin  d'être  dit 
en  cette  matière. 

Nous  avons  cru  devoir  accueillir  ici  l'ingénieux  exposé  ci-dessus,  contenant  l'indication  de 
possibles  réformes,  tout  en  en  laissant  l'entière  responsabilité  à  son  auteur,  M.  Auguste 
Scrieyx,  professeur  à  la  Scola  Çantorum.  (Note  de  l'auteur.) 


1^ 


IV 

LA  CANTILÈNE  MONODIQUE 


La  Cantilène  monodique.  —  Genre  primitif:  ses  deux  aspects. —  Genre  ornemental: 
a)  les  antiennes,  b)  les  alléluia  et  les  traits,  c)  les  ornements  symboliques.  —  Genre 
populaire  :  a)  les  hymnes,  b)  les  séquences.  —  Hypothèse  du  Cycle  grégorien.  —  L'ex- 
pression dans  la  Cantilène  monodique  médiévale.  — Etats  corrélatifs  de  l'ornement  dans 
la  monodie  et  dans  la  graphique  médiévales.  —  Les  timbres. 


LA    CANTILENE    MONODIQUE 

Nous  avons  donné  le  nom  de  rfthmo-monodiqiie  à  la  musique  de  la 
première  époque^  parce  qu'elle  consiste  en  une  mélodie  libre,  de  lythme 
varié,  mais  non  mesuré,  destinée  à  être  chantée  seide^  sans  accom- 
pagnement, soit  par  une  voix  unique,  soit  plutôt  par  une  collectivité 
à  l'unisson  ou  à  l'octave. 

Cette  forme,  dite  7?ionodie,  ou  cantilène  monodique^  remonte  à  la  plus 
haute  antiquité.  Tout  porte  à  croire  que  la  musique  des  Grecs  était  pure- 
ment monodique  et  qu'ils  ne  connaissaient  point  d'autre  forme.  Mais  on 
ne  peut  guère  émettre  à  ce  propos  que  des  hypothèses,  car  les  seuls 
documents  qui  subsistent  sur  cette  matière  sont  des  critiques  ou  des  ap- 
préciations, et  non  des  textes  musicaux.  On  se  trouve  donc  h  l'égard  de  la 
musique  antique  dans  une  situation  comparable  à  celle  d'un  individu  du 
trentième  siècle,  qui,  pour  reconstituer  l'état  actuel  de  notre  art,  aurait 
seulement  à  sa  disposition  un  certain  nombre  de  chroniques  musicales 
extraites  de  revues  contemporaines,  ou  quelques  traités  d'harmonie.  Con- 
venons que  ce  serait  insuffisant  pour  servir  de  base  à  un  travail  sérieux,  et 
ne  cherchons  pointa  remonter  plus  haut  que  les  premiers  siècles  de  TE- 
glise  chrétienne,  dont  les  chants  nous  ont  été  conservés  assez  fidèlement. 

Il  importe  peu  de  savoir  si  ces  monodies  liturgiques  sont  vraiment  de 
création  chrétienne,  ce  qui  nous  semble  très  admissible,  ou  si  elles  sont 
seulement,  comme  le  voudrait  notamment  M.  G^vaert,  l'éminent  direc- 

COURS    DE    COMPOSITION.  > 


66  LA  CANTILÉNE  MONODIQUE 

teurdu  Conservatoire  de  Bruxelles,  la  reproduction  plus  ou  moins  fidèle 
de  mélodies  païennes  antérieures  au  christianisme  :  dans  l'un  ou  l'autre 
cas,  elles  constituent  les  premiers  textes  musicaux  suffisamment  authen- 
tiques et  intelligibles  pour  qu'il  soit  possible  d'en  faire  l'analyse  et 
l'examen  critique. 

Nous  commencerons  donc  l'étude  des  formes  de  la  première  époque 
par  les  mélodies  liturgiques  médiévales.  Le  principe  de  tout  art  n'est-il 
pas,  du  reste,  d'ordre  purement  religieux,  et  la  première  manifestation 
musicale  ne  fut-elle  point  une  prière,  un  chant  sacré  ? 

Cette  cantilène  liturgique  du  moyen  âge  se  présente  a  nous  sous  une 
foule  d'aspects  différents  qu'on  peut  ramener  à  trois  catégories  princi- 
pales :1e  genre  primitifs  le  genre  ornemental  qi  le  ^enrQ  populaire» 

GENRE   primitif:  SES    DEUX   ASPECTS 

A)  Certains  chants,  probablement  les  plus  anciens,  sont  entièrement 
syllabiques  et  se  rapprochent  beaucoup  du  récitatif  ou  de  la  psalmodie. 
Ils  consistent  en  une  note  moyenne,  ou  chorda^  infléchie  suivant  les 
accents  et  les  cadences,  et  sont  composés  seulement  de  neumes  simples 
(fM;zc/«w,2^/>^ti).  Rarement,  aux  cadences,  ony  rencontre  quelqueneumc 
binaire  (c//V/5,jPoia/W5).  LeG/ona  des  fêtes  simples  (L.  Gr.^  2«  éd.,  p.  36*) 
est  un  bel  exemple  du  chant  de  cette  espèce,  que  saint  Augustin  décrit 
ainsi  :...  ita  ut  pronuntianti  vicinior  esset quam psallenti  (i).  (iv« siècle). 


chorda 


,    ■     ■     ■      ■     ■ i— 

a  ■ 


(seul  neume  binaire       ,         », 

de  toute  la  pièce  :)       ^HZIZZZZZZI 
Glori- a  in  excelsis  De-o...  etc.  ...Jesu  Christe. 

Voyez  aussi  :  Credo  [ibid.  p.  45*). 

Leçon   III  du   Jeudi  Saint  (Paroissien  de  Solesmes, 
p.  297). 

B)  Dans  d'autres  pièces  primitives,  l'accent  prend  une  plus  grande 
importance  expressive.  Les  neumes  binaires  y  sont  plus  fréquents,  et 
quelques  neumes  ternaires  s'y  rencontrent  de  temps  à  autre,  pour  sou- 
ligner l'accent.  Telles  sont  notamment  les  antiennes^  pièces  qui  remon- 
tent aux  premiers  siècles  de  l'Église,  et  qui  contiennent  souvent  un 
exposé  de  doctrine,  sorte  de  petit  drame  mélodique,  sublime  d'expres- 
sion vraie  et  de  concision.  Nous  citerons,  comme  type  de  cette  espèce, 
la  communion  du  mercredi  après  le  IV«  dimanche  de  Carême  (L.  Gr., 
2*éd.,p.  i3i),  dite:  antienne  àtV aveugle-né. 

(1) Comme  s'il  se  rapprochait  davantage  de  la  récitation  que  de  la  psalmodie. 


LA  CANTILÈNE  MONODIQUE  67 


■-fi 


a-'— ^=f. 


Lutum  fe-cit        ex  sputo 
5 

Dôminus, 

et 

lini-vit  ô-culos  me- 

os 

.  et  âbi-  i, 

et  la-  vi, 

et 

6            1 

■-          ■        3  ■  '     •  • 

-  >-î   '           ' 

vi-di,      et  cré-didi  De-o. 

Remarquer  la  gradation  des  quatre  périodes  finales,  se  terminant  après 
une  modulation  médiane  sur  une  splendide  affirmation. 
Voyez  aussi  les  antiennes  : 

Nemo  te  condemnavit^  mulier  (de  la  femme  adultère)   [L.  Gr.^ 
2«  éd.,   p.    124),  une   sorte  de  drame  sacré  en  raccourci, 
consistant   en    trois    actes  :    1°   question  ;    2°  réponse  ; 
3°  affirmation,  et  une  exhortation  finale; 
Video  cœlos  apertos  [L.  Gj\^  p.  38); 
Descendit  (Par.,  p.  526)  ; 
Ave  Regina  cœloî^um  [Par. ^  p.  84); 

Maneant   in  vobis  Fides,  Spes.  Caritas  (L.  G/\,  p.  184); 
Ubî  Caritas  et  Amor  {ibid.^  p.  i85). 

GENRE     ORNEMENTAL. 
a)    les    antiennes,     —    b)    les    ALLELUIA     ET     LES     TRAITS.     —     c)     LES     ORNEMENTS 

SYMBOLIQUES 

A)  Un  grand  nombre  d'antiennes,  apparemment  plus  récentes,  appar- 
tiennent au  genre  ornetnental ;  par  exemple,  la  communion  du  IX^  di- 
manche après  la  Pentecôte  [L.  Gr.,  2e  éd  ,  p.  3 1 6). 

h-       r.lN  ■  I  ■  J  >  ^  '    '    ^'*'  -^1  P   ^   s VI 


Qui  mandû-cat  me-am  car-  nein,  et  bibit  me-um  Mingui-    nem,  in  me  ma-  net,      et  c- 


fl  -7-tT 


Ni  ■  1      ^^V^ 


Mt 


^ 


« — s       «on 


go     in      e-  o,     di-  cit  Dôminus.^ 

Voyez  aussi  les  antiennes  : 

Qui  vult  (L.  Gr.^  p.  [12]); 

Cum  audissent,  du  dimanche  des  Rameaux  [ibid.  ^  p.  157); 
remarquer  les  clameurs  populaires  presque  dramatiques  ; 

O  sacrum   (Par.,  p.  494); 

Verba  mea  {L.  Gr.^  p.  122),  introït  qui  présente  avec  ses  trois 
périodes  et  ses  trois  modulations  (dominante,  médiane, 
ionique),   l'aspect   de  la  phrase  lied  moderne    complète. 

Tous  les  neumes  d'accent,  d'expression  ou  d'ornement  se  rencontrent 
dans  les  pièces  de  ce  genre  ;  l'ossature  de  la  mélodie  primitive  y  est 


68 


LA  CANTILÊNE  MONODIQUE 


revêtue  de  broderies  plus  ou  moins  riches,  mais  l'expression  drama- 
tique n'y  est  pas  moins  conservée. 

B)  Les  alléluia  et  les  ti-aits  sont  aussi  de  forme  ornementale  ;  mais  ils 
diffèrent  des  antiennes  de  l'espèce  précédente  en  ce  que  leur  ligne  mélo- 
dique est  presque  uniquement  décorative  et  formulaire.  Sans  doute, 
l'expression  dramatique,  voilée  sous  cette  profusion  d'entrelacs  et  d'ara- 
besques vocales,  est  ici  plus  difficile  à  percevoir,  parfois  plus  indéter- 
minée .  Elle  subsiste  tout  au  moins  dans  l'esprit  général  de  chaque  pièce, 
et,  le  plus  souvent,  dans  l'appropriation  de  la  ligne  mélodique  au  sens  des 
mots  importants  du  texte. 

En  ce  qui  concerne  les  alléluia^  il  y  a  lieu  de  distinguer  entre  la 
vocalise  du  mot  alléluia  lui-même.  —  sorte  de  refrain  populaire,  issu  par 
conséquent  des  arts  du  geste  ou  de  la  danse,  —  et  le  verset  qui  suit,  lequel 
est  toujours  en  corrélation,  plus  ou  moins  immédiate,  avec  le  sens  des 
paroles  :  ce  verset  est  donc  d'ordre  dramatique,  tandis  que  la  vocalise 
jubilatoire  du  mot  alléluia  est  d'essence  purement  symphonique. 

On  peut  considérer  les  jubila  d'alleluia  comme  le  principe  de  la 
variation  ornée  qu'on  rencontre  fréquemment  à  la  fin  d'une  phrase  mélo- 
dique,—  soit  vocale,  soit  instrumentale,  —  jusque  vers  le  xvni^  siècle, 
notamment  chez  Bach(i).  Cette- vocalise  grégorienne  pourrait  donc  être 
regardéecommel'étatprimitif  de  la  ^ra^cYe  variation  amplificatrice^  que 
nous  retrouverons  plus  tard,  plus  particulièrement  chez  Beethoven. 


(i)  On  peut  citer  comme  exemples  de  finales  ornées,  provenant,  chez  Bach,  des  anciennes 
vocalises  de  Vallehiia  grégorien  : 
a)  Dans  le  genre  vocal,  l'admirable  récit  du  reniement  de  saint  F'icrre: 


Chant 
Orgue  \ 


Da  çe.dach-te      Pe.trus  an      die    Wor  -  te       Je  .  su,  undgin^h- 


J'-S.  Bach  [Johannis  Passion), 


LA  CANTILÈNE  MONODIQUE 


69 


Vallduia  de  la  fête  de  l'Assomption  [L.  Gr.^  2*  éd.,  p.  537)  est  un  beau 
modèle  de  cette  espèce  : 


h 


-H  ■     ■ 


Aile-   lu-  ia. 

Voyez  aussi  :  Fcte  de  la  Dédicace  {ibid.,  [p.  7 1  )]  sur  le  même  timbre  (i). 

Comme  dans  presque  toutes  les  pièces  du  genre  ornemental,  il  serait 
facile  de  reconstituer  ici  l'ossature  primitive  de  la  mélodie,  en  la  dé- 
pouillant de  ses  ornements.  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  constater  qu'on 
retrouverait  de  la  sorte,  dans  le  premier  alléluia,  le  thème  initial  de  la 
séquence  Lauda  Sion...  (L.  Gr.,  2^  éd.,  p.  28S). 

e ■  ■■    ■ 


Lauda,  Si-  on,  Salvatorem 

Voyez  aussi  : 

Fête  du  Saint-Sacrement  {ibid.,  p.  287).    j 

—  de  la  Transfiguration  [ibid.,  p.  528]    - 

—  de  saint  Michel  [ibid.^p.  555)  ' 

—  de  la  Couronne  d'épines  [ibid.,  p.  [166]) 
On  rencontre  dans  cette  pièce  une  formule  mélodique  : 

qui  devint  par  la  suite  essentiellement  populaire  et  fut  employée  par 
nombre  de  compositeurs,  notamment  par  Vitoria  (voir  chap.  x)  et  par 
J.-S.  Bach  'voir  deuxième  livre). 

b)  Dans  le  genre  instrumental: 


sur  le  même  timbre. 


h 


Récit. 


Pos. 


Péd. 


cirr    ^'^   ^ 


riton 


J.-S.  Bach,  (Chorals  d'orgue  :   Wir  glauben  all'an    einen  Cott. 
Ed.  Peters,  n*  62,  vol.  VII,  p.  S2). 
(i)  Voir,  à  propos  du  mot  timbre,  la  note  2,  p.  77. 


70 


LA  CANTILENE  MONODIQUE 


Quant  aux  tf^aits^  ils  sont  construits  comme  de  véritables  psaumes,  où 
les  versets  sont  terminés  le  plus  souvent  par  des  formules  ornementales 
tonales. 

Chaque  verset  du  trait  est  divisé,  suivant  son  sens  et  sa  ponctuation,  en 
deux  ou  trois  parties,  séparées  par  des  formules  suspensives  marquant  les 
cadences  ;  il  constitue  donc  par  lui-même  une  phrase  binaire, ou  ternaire, 
avec  une  ou  deux  modulations,  purement  mélodiques,  caractérisant  les 
périodes  ou  membres  de  phrase. 

Dans  la  formule  tonale  du  trait  aussi  bien  que  dans  la  vocalise  jubila- 
toire  de  Valleluia,  on  ne  peut  méconnaître  l'influence  de  la  musique 
populaire,  issue  de  l'ancien  art  de  la  danse  :  ces  formules  sont  de  véri- 
tables refrains  destinés^  comme  ceux  des  chansons,  à  reposer  l'attention 
de  l'auditoire. 

Le  plus  bel  exemple  de  trait  qu'on  puisse  citer,  c'est  celui  du  IIP  di- 
manche de  Carême  (L.  G?.,  2"  éd.,  p.  112). 


h 


i53=:5vSî 


A)  Grande 

»fM ; « 


î-fJ-TT~^^ 


iKt 


^^=V 


Ad  te  le-        \â-vi 


o-    cu-los  me-  os,     qui  hâ-      bi-tas  in  cae- 


formule  tonale  aiguë 


i3^'^4.^=^:^:»t:1--;=i::^çî 


^♦_„_-l»»__^_:_,^ 


♦-i-i*fc-H-5-= 


♦^.Zi^P 


-%- 


r:^z5=:=:^ 


lis.  if'.  Ecce  sic-        ut  ô-xii-li    ser\6-      rum 


B)  Formule  tonale 


■fc  .  al  f^i-t-^-^-rr  l^v,  /       "^s-p^ya^T-j-'-'^^^^-piS--^^^^^^^ 


in  ma     nibus  domi-nô-  rum  su-6rum. 


y.  Et  sic-    ut 


B)  Formule  tonale 


^jf!r^-.v-^-i^^a^^E|:;z:^lg:;:5]gI^^^Î^^ 


J    cu-li        ancil-    lœ        in  ma- nibus        dô-  mi-nœ  su- ae 


C)  Formule 


!zr;i7^rz3sa:mt^l:asr'*'-^^''-«-r-|-     3- 


jj^gr-ruy^ip^^ 


ta         6-    cu-li  no-  stri.  ad  Dôminum  De-      um  no-    strum 


ton.ilc 


^^^^^I^I^UTV^-^^?^^ 


'^-:;i::îi 


^^ 


f 


-v-"-Ka'4- 


do-nec  nii-    sc-re-âtur      noslri.  jf.  Mise-ré-re  no-      bis  Dômi-  ne. 


u 


C)  Fcirm.  ton. 


D)  Grande  forinule  fiiiaU 


v^av:t"M^--^^fP-»->r^-=  •  ||^giïï5^g^:!!6:'V.ri^'!g5E| 


mi-    se-  ré-  re    nobis. 


LA  CANTILINE  MONODIQUE  71 

Ce  superbe  trait,  renfermant  quatre  formules  tonales  (A,  B,  C,  D)  de 
l'échelle  aiguë,  est  divisé  en  cinq  parties  bien  distinctes  : 

!'■'=  partie  :  Exposition.  —  «  J'ai  levé  les  yeux  vers  toi  qui  habites  dans 

les  cieux.  » 
2=  et  3^  partie  :  Comparaison.  —  «  Ainsi  que  les  yeux  des  serviteurs 

sont  fixés  sur  les  mains  de  leurs  maîtres.» 
«  Ainsi  que  les  yeux  de   la  servante   sont 
fixés  sur  les  mains  de  sa  maîtresse.  » 
4'  partie  :  Conclusion.  —  «  De  même,  nos  yeux  resteront  tournés  vers 

le    Seigneur,  jusqu'à  ce   qu'il  nous  prenne 
en  pitié.  » 
5e  partie  :  Invocation  terminale.  —  «  Aie  pitié  de  nous,  Seigneur,  aie 

pitié  de  nous,  )> 
Voyez  aussi:  Qiiihabitat{L.  Gr.,2'éd.,p.83),qui  présente  des  formules 

tonales  graves. 
Abstraction  faite  des  formules  tonales  exclusivement  ornementales,  le 
trait  n'en  demeure  pas  moins,  comme  Valleliiia,  d'ordre   dramatique, 
quant  au  fond  de  sa  mélodie. 

C)  Au  milieu  des  ornements  plus  ou  moins  compliqués  dont  la  canti- 
lènemonodique  est  surchargée,  il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  certaines 
formes  mélodiques  presque  conventionnelles,  qui  puisent  certainement 
leur  origine  dans  les  idées  de  symbolisme  communes  à  tous  les  arts  du 
moyen  âge  (i). 

Dans  le  X/r/e  des  messes  solennelles, par  exemple  (L.Gr.,2^éd.,p.  9*), 
trois  formules  mélodiques  différentes  symbolisent  les  trois  personnes  de 
laTrinité  (2). 


(formule  du  fère)  _  /   , c^l  »..    h  -  -  ~~ 

forme  mélodique  ascendante  «S  ■  '  »      3  ■  I  J  '  %  [■'\^   m  à   ï- 


Ky-       ri-e  e-lé-  i-son. 


[tormule  du  Fils)  .  ^-^  -      a  *^k^  - 

forme  mélodique  descendante  -     V»^     P"  ♦pif^      ■■■ 


Chri-      ste  e-lé-  i  son. 

[Formule  du  Saint-Esprit)  f      1  .^^ 


forme   glorifiante   de   quinte   ascendante,  à   la-  ^*    *  1  »"  ■»,    .'^"^à 

Quelle  viennent  s'adjoindre  successivement  les  J  ^  ^  ^ '^   ♦.  ■   3   ■   * 

eux  éléments   mélodiques   des  deux  autres 

personnes.  Ky-ri-e  e-lé- i  son. 

(0  C'est  surtout  dans  la  sculpture  que  les  préoccupations  symbolistes  du  moyen  àgc  sont 
évidentes. 

Remarquer,  par  exemple,  le  //j7>oi/,  qui  symbolise  l'aveuglement  du  peuple  juif. 

Il  est  curieux  d'observer,  dans  le  même  ordre  d'idées,  que  les  ornements  sculptés,  véritable 
«  flore  de  pierre  »,  se  présentent  successivement  dans  l'ordre  du  développement  des  véi;c- 
taux  suivant  le  cours  des  saisons  :  au  xii*  siècle,  ce  sont  des  bourgeons,  des  feuilles  roulées  ; 
au  XIII»  siècle,  des  branches,  des  tiges  de  rosiers,  des  «  jets  «  ;  au  xv'  siècle,  on  voit 
apparaître   le   chardon. 

(3)   t.e  symbolisme  trinitairc  a  subsiste,   quant  à  son  emploi,  jusqu'au   xviii»  siècle  ;  ainsi 


72  LA  CANTILÈNE  MONODIQUE 

Voyez  aussi  :  trait  de  la  Trinité  {L.  Gr.,  p.  [7 3]),  l'un  des  plus  curieux 
comme  symbolisme  trinitaire,  avec  Tappesantissement  sur  le 
mot  :  sohis^  clé   de  voûte  du  dogme,  qui  forme  le  milieu  et  le 
soutien  de  toute  la  pièce. 
—  Ant.  :Adoîvia  thalamiim  [ibid.^  p.  4oi),  sorte  de  petit  drame  aux  déve- 
loppements symboliques  et  en  trois  actes  :  Sion,  Marie,  Siméon. 
Voyez  enfin  le  t?^ait  :  Ad  te  levavi^  cité  plus  haut,  p.  70. 
Outre  son  harmonieuse  ordonnance,  cette  pièce  présente  un  intérêt 
tout  particulier  au  point  de  vue  de  l'expression  symbolique.  On  remar- 
quera, en  effet,  que  le  mot  ocidos^ocidi^  qui  s'y  rencontre  quatre  fois,  est 
employé  dans  deux  significations  différentes  :  la  première  et  la  quatrième 
fois  dans  le  sens  des  yeux  de  l'âme,  la  deuxième  et  la  troisième,  dans  l'ac- 
ception corporelle  ;  or,  à  chacune  de  ces  deux  significations  correspond 
une  formule  mélodique  spéciale,  de  façon  que  le  mo///'musical  affecté  aux 
3'eux  du  corps  :  ocidi  se7^vorum^  oculi  ancillœ^  ne  puisse  être  confondu 
avec  le  motif  désignant  les  yeux  de  l'esprit  :  ocidos  meos,  ocidi  nostri  ; 
preuve  évidente  de  la  préoccupation  expressive  qui  présida  à  la  compo- 
sition des  mélodies  grégoriennes. 

genre  populaire 
a)  les  hymnes.  —  b)   les  séquences 

A)  Les  hymnes  dont  l'usage  remonte,  dit-on,  au  vi^  siècle,  sont  des  can- 
tiques d'allure  populaire  et  libre,  sur  des  paroles  en  vers.  Leur  ligne 
mélodique,  généralement  syllabique,  ou  peut  s'en  faut,  consiste  en  une 
phrase  unique  ou  timbre[i)^  répétée  autant  de  fois  qu'il  y  a  de  couplets 
dans  le  texte.  Telle  est,  par  exemple,  l'hymne  célèbre  qu'on  chante  aux 
vêpres  de  l'office  des  Confesseurs  [Y^d^r.^  p.  642)  {2). 


j 

—' 1  ■      ,      ■    1     . 

—, ,  ,     1     J 

^*'fii      3  T"    ■     ■     .  •  ■    ■ 

■  .    •      . 

• 

ta,       ■    1               1    ■    ■    ■ 

1             ■           ■    , 

'  ■             1 

Iste  Confesser  Dômini  coléntes  Quem  pi-e  laudant  Pôpuli  per  orbem,Hac  di-e  laeius 

■P  ■  ■  ■      . 

%                     ■  . 

■  ■        ■ 

■    ■  ■ 

Méiu-it  be-â-tas  Scândere  sedes. 

Voyez  aussi  :  Stabat  Mater  [ibid.^  p.  801). 

Ut  queant  Iaxis  {ibid.^  p.  868,  et  ci-dessus  p.  52). 

J.-S.  Bach,  dans  le  troisième  de  ses  Kyrie  pour  orgue,  le  plus  admirable  de  ces  trois  chefs- 
d'œuvre,  n'a  pas  craint  de  suivre  la  tradition  grégorienne,  en  formant  le  thème  de  l'Esprit- 
Saint  d'une  combinaison  contrapontique  des  thèmes  du  Père  (ascendant)  et  du  Fils  (descen- 
dant), exactement  comme  dans  l'exemple  ci-dessus.  (Voyez  Ed.  Peters,  Chorals  d'orgue, 
vol.  VII,  page  18  et  suiv.) 

(i)  Voir  à  propos  du  mot  timbre,  la  note  2,  p.  77. 

(a)  Cette  hymne  fut  composée  en  l'honneur  de  saint  Martin,  évêque  de  Tours. 


LA  CANTILÈNE  MONODIQUE  7^ 

B)  A  partir  du  x'  siècle,  on  voit  peu  à  peu  le  vers  rimé  remplacer 
Pancien  nombre  prosodique  ;  par  là  s'introduit  dans  la  mélodie  le  rythme 
cadencé  et  symétrique,  précurseur  de  VArs  mensurabilis.  De  ce  genre 
sont  les  proses  ou  séquences^  destinées,  dit-on,  à  remplacer  les  formules 
jubilatoires  des  alléluia^  devenues  trop  compliquées  pour  le  peuple.  Le 
plus  ancien  auteur  de  séquences  dont  le  nom  nous  ait  été  conservé  est 
NotkerBalbulus,  moine  de  Saint-Gall  (840  f  912). 

Les  séquences  sont  de  forme  syllabique  comme  les  hymnes,  mais  elles 
se  composent  le  plus  souvent  d'une  suite  de  couplets,  dont  la  musique 
n'est  jamais  répétée  plus  de  deux  fo'is^  soit  consécutivement,  soit  alterna- 
tivement. Au  lieu  du  timbre  unique  qui  caractérise  les  hymnes,  il  y  a 
donc  dans  les  séquences  une  série  de  formules  mélodiques  différentes, 
chacune  de  ces  formules  servant  seulement  à  deux  couplets  du  texte. 

La  belle  séquence  de  la  fête  de  Pâques  (L.  G>\^  2^  éd.,  p.  2 1 7) 


6 

_ 

■    "  ■ 

1  '    • 

•  , 

■      ■    .  - 

>          ■ 

■  ■  - 

Vîctiiiiae  Paschâ-li  laudes  îmmo-lent  Christi-  âni. 

est  le  vrai  type  du  chant  religieux  populaire  médiéval.  Elle  présente  cinq 
formules  mélodiques  différentes  :  la  première  et  la  dernière  ne  se  répètent 
pas  ;  la  seconde  se  reproduit  deux  fois  consécutivement  ;  la  troisième  et 
la  quatrième,  deux  fois  aussi,  mais  alternativement. 

Voyez  aussi  :  Lauda  Sion  Salvatorem  (L.  G7\^  p.  288). 
Emicat  me?^idies  [ibid.^  p.  [219]). 

Ces  formes  régulièrement  mesurées,  qui  constituent  le  genre  vraiment 
populaire,  en  raison  de  leur  parenté  indéniable  avec  les  chants  profanes 
destinés  aux  danses,  se  remarquent  surtout  dans  les  pièces  liturgiques 
qu'on  s'accorde  à  considérer  comme  plus  récentes  et  plus  rapprochées  de 
l'époque  des  théories  mensuralistes. 

Malgré  la  haute  antiquité  des  premières  hymnes,  le  genre  populaire 
semble  donc  être  postérieur  aux  autres,  si  toutefois  il  est  permis  d'assi- 
gner un  âge  même  approximatif  aux  monodies  grégoriennes. 

HYPOTHÈSE    DU    CYCLE    GREGORIEN 

Les  trois  genres  ou,  si  l'on  veut,  les  trois  états  de  la  cantilène  mono- 
dique  nous  apparaîtraient  de  la  sorte  comme  les  phases  d'une  évolution 
lente,  partie  du  sfllabismepsalmodique  des  pièces  primit ires ^  pour  aboutir 
2iU  Sfllabisme  métrique  des  pièces  populaires,  en  passant  par  toutes  les 
recherches  décoratives  et  sj-mboliques  des  pièces  orueiueutales. 


74  LA  CANTILÊNE  MONODIQUE 

Mais  la  question  de  savoir  si  ces  trois  états  sont  vraiment  apparus 
successivement^  dans  cet  ordre  déterminé,  est  encore  très  controversée,  et 
de  savants  travaux  sur  la  date  de  nos  chants  liturgiques  sembleraient 
même  infirmer  cette  opinion. 

Quoi  qu'il  en  soit,  notre  hypothèse  d'une  sorte  de  cycle  grégorien  n'a 
rien  d'inadmissible.  Elle  serait  même  tout  à  fait  conforme  à  l'évolution 
du  génie  humain,  laquelle  repasse  d'ordinaire,  après  des  périodes  plus 
ou  moins  longues,  par  un  point  voisin  de  son  point  d'origine, mais  jamais 
par  ce  point  lui-même  :  telles  les  orbites  planétaires  dans  leurs  révolu- 
tions successives  à  travers  l'espace. 


LE    CARACTERE  EXPRESSIF    DE    LA    CANTILENE    MONODIQUE  MEDIEVALE 

On.a  contesté,  nié  même,  le  caractère  éminemment  expressif  au  chant 
grégorien,  chant  admirable  entre  tous,  par  son  émotion  naïve,  sincère, 
et  si  profondément  humaine.  Il  est  cependant  hors  de  doute  que  les 
créateurs  de  la  cantilène  monodique  ont  eu  la  préoccupation  de  traduire 
musicalement,  dans  leur  ensemble,  sinon  dans  le  détail  des  mots,  les 
sentiments  exprimés  par  les  textes  sacrés. 

Comment,  du  reste,  pourrait-il  en  être  autrement,  alors  que,  dans  tous 
les  autres  arts  florissant  au  moyen  âge,  cette  préoccupation  expressive 
est  tout  à  fait  flagrante  ? 

La  Musique  seule  serait  donc  déshéritée  ? 

Si  les  formules  mélodiques  composées  de  neumes  sont  bien,  comme 
nous  l'avons  démontré,  de  véritables  mots  ?nusicaux^  en  tout  point  com- 
parables aux  mots  du  langage^  on  peut  se  demander  pourquoi  ces  for- 
mules n'auraient  pas  été  appliquées  intentionnellement  aux  paroles  du 
texte. 

Si  la  seule  raison  d'être  de  ces  mots  musicaux  n'était  pas,  au  contraire, 
dans  les  mots  du  langage^  l'adjonction  de  la  musique  aux  paroles  serait 
tout  à  fait  inutile  et  dénuée  d'intérêt.  Une  pareille  anomalie,  bien  peu 
probable  en  vérité,  n'eût  pas  manqué  de  nuire  singulièrement  à  l'im- 
mense propagation  du  plain-chant,  et  à  sa  popularité  plusieurs  fois  sé- 
culaire. 

Dans  notre  art  musical  dramatique  contemporain,  ne  voyons-nous 
pas  les  périodes  et  les  phrases  mélodiques,  assimilables,  elles  aussi,  aux 
mots  et  aux  membres  de  phrases  parlées,  se  conformer  plus  ou  moin* 
étroitement  au  sens  des  paroles?  Ce  serait  une  erreur  de  croire  que  cette 
application  de  la  musique  au  texte  est  toute  d'invention  moderne,  et  que 
le  chant  grégorien,  père  de  notre  musique  dramatique,  est  dépourvu  de 
ce  caractère  expressif,  qui  fait,  au  contraire,  son  principal  attrait. 


LA  CANTII.ÈNE  MONODIQUE  ^b 

Les  arguments  qu'on  invoque  en  faveur  de  cette  étrange  opinion  ne 
sont  pas  du  reste  tout  h  fait  pcremptoires. 

On  cite  notamment  le  texte  du  chapitre  xv  du  Micrologue  de  Gui 
d'Arezzo,  intitulé  :  De  commoda  componenda  modulationc. 

Les  paragraphes  3  et  5  de  ce  chapitre  s'étendent  longuement  sur  la 
façon  dont  les  groupes  mélodiques,  qui  composent  les  mots  musicaux, 
doivent  se  correspondre  entre  eux,  comme  de  véritables  rimes  ou  for- 
mules symétriques  de  cadences. 

Mais  ces  rimes  ne  nuisent  pas  plus  à  l'expression  des  sentiments 
que  les  rimes  poétiques  ne  nuisent  au  sens  du  vers. 

Le  paragraphe  1 1  recommande  de  proportionner  la  longueur  des 
neumes  à  la  quantité  prosodique  des  syllabes  correspondantes  :  conseil 
parfaitement  logique  et  nullement  contraire  au  caractère  expressif  de  la 
monodie. 

Enfin,  le  paragraphe  12  dit  en  propres  termes  que  «  l'effet  du 
«  chant  doit  chercher  à  imiter  les  événements  racontés  par  les  pa- 
«  rôles  ;  que  les  neumes  graves  doivent  être  réservés  aux  circonstances 
«  tristes,  les  neumes  gracieux  aux  choses  tranquilles,  les  neumes  exul- 
«  tants  aux  idées  de  prospérité  »  etc..  (i). 

Ce  texte,  contemporain  de  la  floraison  du  plain-chant,  ne  pose-t-il  pas 
le  principe  de  l'expression,  c'est-à-dire  la  correspondance  entre  le  sen- 
timent des  paroles  et  le  style  de  la  monodie  ? 

Sans  doute,  on  ne  rencontre  pas  toujours  dans  la  cantilène  grégo- 
rienne notre  adaptation  dramatique,  toute  moderne,  de  chaque  mot  im- 
portant à  une  formule  qui  letraduit  musicalement.  Dans  bien  des  pièces, 
surtoutdu  genre  orné,  l'expression  résulte  de  la  formegénérale,  de  l'ossa- 
ture mélodique,  de  la  construction  rythmique,  plutôt  que  du  dessin 
lui-même  (2).  Celui-ci,  purement  ornemental,  n'a  qu'un  but  décoratif, 
tout  à  fait  comparable  aux  enluminures  et  aux  arabesques  plus  ou  moins 
compliquées  qui  ornent  les  majuscules  des  manuscrits  médiévaux,  et 
surchargent  plus  ou  moins  leurs  contours  primitifs,  sans  les  faire  jamais 
disparaître  complètement. 


(i)  Micrologue  de  Gui  d'Arezzo,  chapitre  xv  : 

§  II.  —  Item  ut  in  unum  terminentur partes  et  distinctiones  atque  verborum  nec  ténor  lon- 
^us  in  quibusdam  bvevibus  syllabis,  aut  brevis  in  iongis  sit,  quia  obscœnitatem  parif,  quad 
\amen  raio  opus  erit  curare. 

§  1  2.  —  Item  ut  rerum  eventus  sic  cantionis  imitetiir  effectus,  ut  in  tristibus  rébus  graves 
tint  neumœ,  m  tranquillis  rébus  jticundce,  in  prosperis  exsultantes,  et  rel. 

(2)  La  grande  vocalise  purement  ornementale  que  nous  rencontrons  dans  le  quintette 
des  Me(Stersinger,  de  Wagner,  empichc-tclle  cette  scène  d'dirc  expressive  et  drama- 
tique i 


76 


LA  CANTILÈNE  MONODIQUE 


ETATS  CORRELATIFS  DE  L  ORNEMENT 
DANS  LA  MONODIE  ET  DANS  LA  GRAPHIQUE  MÉDIÉVALES 

Les  transformations  successives  de  l'art  de  la  miniature  et  de  Tor- 
nement  des  documents  écrits  présentent  d'ailleurs  un  parallélisme  des 
plus  curieux  et  des  plus  suggestifs,  avec  les  évolutions  de  la  cantilène 
grégorienne. 

Si  l'on  compare  les  types  graphiques  des  majuscules,  du  vi"  au 
XV'  siècle,  avec  les  types  monodiques  correspondants,  on  retrouve 
exactement  la  même  progression,  comme  on  peut  s'en  rendre  compte  par 
les  spécimens  reproduits  ci-après. 


VI»  siècle. 


VI»  siècle. 


X"  siècle 


(^-^     woyvc 


LETIRES  PRIMITIVES 


LA  CANTILÉNE  MONODIQUE  77 

Qui  ne  reconnaîtrait  dans  ces  lettres  des  vie,  viiic  et  x*  siècles,  le 
même  esprit  de  simplicité  qui  règne  dans  les  pièces  primitives  de  plain- 

chant? 

Ces  riches  majuscules  des  XIV  et  xvg  siècles  ne  sont-elles  pas  l'image 
frappante  de  nos  antiennes  ornementales,  de  nos  traits,  de  nos  alléluia 
enfin,  avec  leur  longue  vocalise  jubilatoire,  telle  la  branche  immense  qui 
serpente  au-dessous  de  cet  E  majuscule,  surchargé  d'ornements  ? 

XII*  siècle 
{Rouleau  mortuaire  de  St- Vital.) 


LETTRE  SYMBOLIQUE 

Quant  à  cet  admirable  T  initial  (i),  extrait  du  Rouleau  mortuaire  de 
Saint-Vital  (xii"  siècle),  et  qui  représente  Satan  vomissant  deux  juifs  et 
porté,  comme  sur  un  piédestal,  par  le  Cerbère  antique,  nul  n'oserait 
dire  que  ce  ne  soit  là  de  l'art  symbolique  et  expressif,  s'il  en  fut  I 

LRS      TIMBRES 

On  a  soutenu  néanmoins  que  la  musique  religieuse  du  moyen  âge  ne 
participait  pas  aux  qualités  expressives  inhérentes  à  tout  l'art  de  cette 
époque  ;  et  on  veut  baser  cette  assertion  sur  l'usage  des  timbres  (2),  ou 

(i)  Dans  la  symbolique  médiévale,  le  tau  (T)  était  la  lettre  impure  et  maudite, 
(i)    En   musique,  le    mot    timbre    a    trois    acceptions    principales,  correspondant    toutes 
trois  h  une  idée  d'inertie: 

a)  Le  timbre  d'un  son  est  la  qualité  particulière  qui  le  différencie  d'un  autre  son  émis 
dans  des  conditions  identiques  de    urée,  d'intensité  et  d'acuité:  le  timbre  résulte  de  Vitienie 

k  la  matière  sonore  réagissant  sur  le  son  émis.  (Voir  chap.  vni.) 

b)  Le  tmbre  d'un  tambour  consiste  en  une  cordelette  double,  tendue  sur  celle   des  deux 


^8  LA  CANTILENE  MONODIQUË 

mélodies-types,  que  les  compositeurs  auraient  employées  indistincte- 
ment, et  sans  souci  du  sens  des  paroles,  pour  des  sujets  totalement  diffé- 
rents. 

Il  est  exact,  en  effet,  qu'un  assez  grand  nombre  de  textes  de  la  liturgie 
sont  chantés  sur  la  même  musique  :  l'usage  de  ces  timbres  est  fréquent 
dans  la  monodie  grégorienne,  et  cela  n'a  rien  qui  puisse  surprendre. 
On  ne  pouvait  trouver  des  mélodies  différentes  pour  chacune  des 
pièces  des  innombrables  offices  ;  et,  puisque  beaucoup  de  ces  offices  ont 
des  textes  communs,  il  est  naturel  que  la  musique,  —  assurément 
mo'ns  facile  à  faire  qu'une  adaptation  de  l'Écriture  à  la  fête  d'un  saint, 
—  ait  pu  servir  à  plusieurs  textes  différents. 

Mais  si  l'on  examine  attentivement  cette  appropriation  d'une  mélodie 
unique,  ou  timbre,  à  des  paroles  diverses,  on  constate  qu'elle  n'a  point 
été  faite  au  hasard,  loin  de  là  !  La  musique  du  timbre  utilisé  est  la 
plupart  du  temps  asservie,  non  seulement  au  sens,  mais  même  à  l'accent 
des  paroles,  et  modifiée  en  conséquence.  Il  y  a  changement  de  musique 
lorsque  les  paroles  changent  de  sentiment  ou  d'accent:  tout  le  principe 
dramatique  est  là.  Bien  plus,  l'emploi  du  même  timbre  est  le  plus  sou- 
vent limité  à  des  textes  qui,  bien  que  différents,  se  réfèrent  à  un 
sentiment  général  identique  (i). 

On  peut  s'en  rendre'compte  par  l'examen  simultané  des  trois  alléluia 
suivants  : 

A.  Conversion  de  saint  Paul  [L.  Gr.,  2e  éd.,  p.  394). 

B.  Election  de  saint  Barjiabé  [ibid.^  p.  478). 

C.  CojJimun  de plusieui's  martyi^s  [ibid.^  p.  [26]). 

C'est  bien  la   même  idée  de  gloire  et  de  splendeur  éternelle  qui  a 

peaux  qui  n'est  pas  destinée  à  la  percussion.  Cette  cordelette  n'a  d'autre  but  que  d'accroître 
la  sonorité  de  l'instrument,  par  une  réaction  due  à  son  inertie. 

c)  Le  timbre  d'une  chanson  est  un  dessin  mélodique  unique,  indifférent,  inerte^  qui  s'ap- 
plique indistinctement  à  tous  les  couplets  de  cette  chanson,  ou  même  d'autres  chansons, 
qui  n'ont  aucun  rapport,  ni  comme  paroles,  ni  comme  sentiment. 

(i)  Nous  constaterons  ultérieurement,  dans  l'étude  de  l'Art  dramatique  de  la  troisième 
époque  (troisième  livre),  de  curieuses  manifestations  de  cette  tendance  qui  entraîne  certains 
auteurs  à  employer,  peut-être  inconsciemment,  les  mêmes  formules  musicales,  comme  de 
véritables  timbres,  pour  exprimer  des  sentiments  identiques,  dans  des  œuvres  et  avec  des 
paroles  différentes. 

Telle  est  par  exemple  laf  orme    caractéristique: 


dcnpo 


employée  par   Gluck  dans  A!ceste,  dans  Armide,  dans  Iphigénie  en  Tauride,  et  toujouf» 
appliquée  par  lui  à  une  idée  ce  plainte  ou  de  douleur. 

Le  discours  musical,  à  l'aide  duquel  le  musicien  exprime  ses  sentiments,  serait-il  donc 
comme  un  langage  réel,  avec  ses  expressions  et  ses  formules,  variables  suivant  les  indivi- 
dus, mais  constantes  pour  chacun  d'eux?  ou  serait  tenté  de  le  croire. 


LA  CANTILENE  MONODIQUE 


79 


guidé  dans  le  choix  de  ce  timbre,  notablement  modifié  par  l'artiste,  sui- 
vant le  sens  des   paroles,   afin  de  souligner  différemment  les  mots  im- 
portants, et  de  réserver  l'interminable  vocalise  du  milieu  pour  le   point 
culminant    de  chacun  des  textes  : 
Voyez  :    A.  —  wocalhe  sur  fflo?'i/ican dus» 

B.  —  vocalise  sur  fructiis. 

C.  —  vocalise  sur  ddectentur. 


\ 


-  ^'fl  -°H^'4-,:Vr'  f^'\^o^±^-^f^fi^ 


Al-  le-  lu-  ia. 


isir-s-^MT 


1— rrMTT^: 


;8^nV 


■r^v 


f.  Ma-  gnus  sanctus  Pau- 


lus  vas 


e-  le-cti-  6- 


6 


:3--tî^i^:ft 


ÎT-XÏTl 


U±T[ï;: 


f.    E-  go     vos    e-      lé- 


^VrY 


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i        de  mun-  do,  ut    e-    â-  tis 


e 


jz=::5zz:^la=? 


T~?~K 


y.  Ju-  sti        e-pu-      lén-  tur    et  ex-sûl-   tent  in  conspe-      ctu 


S 1 

A        -    j 

■   ■■              -  "^ 

J"     N 

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^^^SEt5 


nis,        vere  digne      est  glori- 


-• — ■ — r«%»«p, 

et  fru-  ctum 


fi-cân- 


^ 


!:ir!!^,  j,,^'  ^  U-^^^^^^^ttnrG 


af-fe-         râ- 


cr:^^ 


De-      i. 


Tftr 


tis  :  et  tru- 

lit; 


^ 


et  dele- 


ffi^t^^EB 


A  ^^^i^^^^^^^^^^^^^^^3 


B^^^^^ 


dus,  qui  et  méru-  it  thronum  du-o-dé-    cimum  pos-  si 


ifcti^ 


iC^ 


'^^^^^ 


tur 


in  lae- 


8o  LA  CANTILÈNE  MONODIQUE 


dére. 


B  Jl?H_'J_/sat:h?^'.  ^  '\1:g:-'-Â^^>^rr,r; 


ma-      ne-at. 


te 


cJ^H^^^^-P^^  I  /»;'•»,  I  ■'  ^^^^-^rvr 


tî-         ti-a. 

Sans  doute,  les  adaptations  d'un  même  timbre  n'ont  pas  toujours  été 
aussi  soigneusement  faites  ;  on  en  rencontre  même  qui  sont  assez  défec- 
tueuses (i).  Tel  timbre,  composé  pour  une  pièce  liturgique  spéciale, 
y  est  excellent  ;  appliqué  maladroitement  à  une  autre,  il  est  moins  bon, 
mauvais  peut-être.  Ces  cas  sont  plutôt  rares  :  on  doit  les  déplorer,  mais 
non  point  en  tirer  un  argument  contre  le  c-aractère  expressif  de  la  can- 
tilène  grégorienne. 

En  dépit  de  ces  fâcheuses  exceptions,  on  ne  saurait  étendre  au  timbre 
liturgique  les  caractères  du  timbre  dans  la  chanson  populaire,  ou  dans 
le  vaudeville  (2).  Celui-ci  ne  change  Jamais  avec  les  paroles  :  c'est  une 
simple  formule  cadencée  et  symétrique,  invariablement  répétée,  qui 
tire  son  origine  de  la  danse,  et  n'a  |>our  ainsi  dire  aucun  rapport  avec 
l'expression  dramatique  d'un  sentiment.  Le  timbre  du  plain-chant,  au 
contraire,  représente  dans  la  musique  la  tradition^  cette  tradition  dont 
l'influence  se  retrouve   dans    toute   espèce   d'art  au   moyen  âge  (3), 

(i)  On  cite  souvent,  comme  exemple  de  mauvaise  adaptation  d'un  même  timbre,  le  gra- 
duel de  la  messe  de  mariage  (L.  Gr.,  2«  éd  p.  [126])  et  le  graduel  de  la  messe  des  morts 
(ibid.  p.  [i3i]). 

Ce  timbre,  qui  très  certainement  a  été  fait  pour  les  paroles  de  la  messe  des  morts  Requiem 
œlemam  dona  eis,  Domine...,  est  évidemment  moins  bon  pour  les  paroles  de  la  messe  de 
mariage  Uxor  tua  sicut  vitis  abundans...,  mais  cette  adaptation  n'est  pas  aussi  fautive  qu'on 
pourrait  le  croire.  Au  point  de  vue  du  sentiment  général,  il  n'y  a  pas  entre  ces  deux  cir- 
constances l'incompatibilité  qu'on  veut  bien  y  voir.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'Eglise 
n'attache  aucune  idée  de  tristesse  à  la  mort,  entrée  des  âmes  dans  la  vie  éternelle,  comme 
le  mariage  représente  l'entrée  dans  la  vie  d'époux,  dans  la  vie  commune  terrestre.  Quant  à 
ce  qui  est  de  la  musique  elle-même,  il  y  a  entre  ces  deux  pièces  des  différences  capitales, 
motivées  par  la  nécessité  de  l'expression  différente  des   deux  textes. 

(2)  Ce  timbre  populaire,  devenu  le  couplet,  a  aussi  son  intérêt  :  c'est  lui,  en  effet,  qui  ser- 
vira, comme  nous  le  verrons  plus  loin,  de  transition  entre  l'état  antique  de  la  danse  et  l'art 
symphoiiique  moderne. 

(3)  La  /rad/rfon  impérieuse  qui  fait  mettre,  dans  toutes  les  sculptures  représentant  le  juge- 
ment dernier,  l'enfer  à  gauche  et  les  âmes  des  justes  à  droite,  n'est  pas  autre  chose  que  le 
timbre. 

De  même,  les  cano«s  étroits  qui  règlent  minutieusement  dans  la  peinture  l'attitude  tradi- 
tionnelle des  personnages  sacrés. 

Ces  traditions,  ces  canons,  —  ces  timbres  —  empêchent-ils  la  sculpture  et  la  peinture 
médiévales  d'être  expressives,  et  de  vivre  d'une  v/e  intense,  infiniment  plus  humaine  que  la 
vie  factice  et  conventionnelle  issue  des  faux  principes  de  la  Renaissance  ? 


f,A  CANTFLKNE  MONODIQUE  8i 

comme  le  fait  remarquer  fort  à  propos  M.  Emile  Mâle,  dans  son 
si  remarquable  ouvrage  :  L'art  religieux  du  xiiig  siècle  en  France. 

«  La  tradition  écrite,  dit-il  (p.  3o5),  n'est  pas  tout  dans  l'Art  du 
«  moyen  âge  ;  il  faut  tenir  le  pl;is  grand  compte  de  ce  qu'on  peut  appe- 
rt 1er  la  tradition  artistique. . . 

«  Un  geste,  un  regard,  une  attitude,  telle  fut  la  part  d'invention  de 
«  nos  graves  artistes.  Ils  exprimaient  sobrement,  tout  en  restant  fidèles 
«  aux  règles.)  Vémotion  qu'ils  ressentaient  à  la  lecture  de  l'Évangile  et  des 
«  livres  saints.  » 

N'est-ce  point  là  l'éternelle  recherche  du  «  sentiment  humain  »  dans 
son  expression  artistique,  le  «  moyen  de  vie  pour  l'âme  »,  la  préoccu- 
pation de  «  communiquer  aux  autres  nos  impressions  »  ? 

Et  les  créateurs  de  la  cantilène  monodique,  —  comme  les  peintres 
et  les  sculpteurs,  —  ont-ils  fait  autre  chose  que  d'exprimer  sobrement, 
tout  en  restant  fidèles  aux  timbres  tradiiionneis,  leur  sincère  et  naïve 
émotion  ? 


Cours  de  compositiou. 


V 
LA  CHANSON  POPULAIRE 


Le  chant  populaire  profane.  —  Origine  des  monodies  populaires.  —  Le  rythme  populaire. 
Le  couplet.  —  Les  trois  états  successifs  du  couplet.  —  Le  refrain  :  son  rôle  dans  la 
musique  symphonique. 


LE  CHANT  POPULAIRE  PROFANE 


Le  principe  de  tout  art  est  d'ordre  religieux  :  nous  avons  eu  plusieurs 
fois  l'occasion  de  le  rappeler,  et  c'est  pour  cette  raison  notamment  que, 
dans  l'étude  de  la  musique  rythmo-monodique,  nous  avons  examiné 
d'abord  le  chant  liturgique,  plus  ancien  assurément  que  tous  les  autres, 
auxquels  il  a  souvent  servi  de  modèle. 

Mais  le  ca.T3.cthre  populaire  de  nos  cérémonies  religieuses  devait  natu- 
rellement réagir  sur  les  formes  de  la  musique  d'église  ;  aussi  avons- 
nous  constaté,  à  propos  des  séquences,  les  tendances  simplistes  du 
peuple,  auxquelles  on  doit  la  substitution  progressive  des  formes  caden- 
cées et  symétriques  aux  vocalises  surchargées  des  alléluia  du  genre 
ornemental. 

Après  avoir  étudié  ce  que  nous  avons  appelé  le  genre  populait^e  dans 
la  cantilène  monodique,  il  pourrait  sembler  à  peine  utile  de  consacrer 
un  chapitre  spécial  à  la  chanson  populaire  profane  du  moyen  âge,  dont 
les  formes  semblent,  surtout  au  début,  très  analogues  à  celles  du  chant 
liturgique. 

Cependant,  une  raison  fort  importante  Justifie  cette  étude  séparée  : 
le  chant  populaire  en  effet,  malgré  ses  fréquents  emprunts  au  chant 
religieux,  n'en  conserve  pas  moins  une  différence  de  destination  carac- 
téristique, et  absolument  incompatible  avec  les  formes  du  culte  chrétien  : 
la  danse. 

Ainsi  que  l'observe  M.  Tiersot,  «  dans  les  quelques  textes  de  la  pre- 
«  mière  période  du  moyen  âge  où  il  est  question  de  chants  populaires, 
«  ceux-ci  sont,  d'une  manière  constante,  présentés  comme  spécialement 
«  destinés  à  la  danse.  »  {Histoire  de  la  chanson  populaire  en  France^ 
p.  324.)  C'est  donc  h  l'ancien  art  du  rythme  dans  le  geste^  reparaissant  au 


84  LA  CHANSON  POPULAIRE 

moyen  âge  sous  la  forme  de  danse  profane,  que  nous  devons  la  chanson 
populaire,  tandis  que  le  chant  religieux  provient  de  l'art  du  rythme 
parlé,  comme  nous  l'avons  dit  au  chapitre  i,  p.  28. 

En  vertu  de  cette  différence  primordiale,  la  chanson  populaire,  affectée 
à  la  danse,  continuera  dans  notre  troisième  époque  de  l'histoire  musi- 
cale à  ne  se  point  confondre  avec  la  cantilène  liturgique.  Car  les  pre- 
mières formes  de  la  musique  instrumentale,  c'est-à-dire  symphonique, 
sont  directement  issues  du  chant  profane,  tandis  que  le  chant  sacré  sert 
de  point  de  départ  à  notre  art  de  l'expression  vocale  ou  dramatique. 

ORIGINE    DES     MONODIES    POPULAIRES 

Le  peuple  n'est  point  créateur,  il  est  au  contraire  un  merveilleux 
adaptateur. 

Que  quelques  mélodies  aient  été  composées  par  des  trouvères  ou  des 
troubadours  (i)  pour  la  propagation  de  leurs  poèmes,  c'estpossible,  pro- 
bable même;  mais  les  mélodies  primitives  vraiment  populaires,  celles 
qui  ont  subsisté  à  travers  les  âges,  et  se  chantent  encore  dans  les  pays  où 
n'a  point  pénétré  l'ignoble  chanson  de  café-concert,  sont  presque  toutes, 
il  est  difficile  d'en  douter,  des  interprétations  de  monodies  liturgiques. 
Il  est  tout  naturel,  en  effet,  de  penser  que  le  peuple,  alors  religieux,  ne 
connaissant  d'autre  musique  que  celle  qu'il  entendait  dans  les  églises, 
profita  des  éléments  réunis  dans  sa  mémoire  pour  les  adapter  à  ses 
propres  besoins,  en  les  modifiant,  en  les  pétrissant  pour  ainsi  dire  à  son 
image,  suivant  les  exigences  rythmiques  des  danses  diverses  en  usage 
dans  les  différentes  provinces. 

Des  recherches  faites  en  ce  sens  ont  démontré  la  vérité  de  cette  asser- 
tion (2),  qui  n'a  rien  d'anormal,  puisque  nous  retrouvons  dans  un 
grand  nombre  d'airs  populaires  plus  récents  (xviii*  siècle)  des  adap- 
tations de  simples  airs  d'opéra  ou  de  ballet.  Mais  la  mélodie  popu-" 
laire,  malgré  cette  origine  religieuse,  n'en  a  pas  moins  gardé  son  sens 
spécial,  sa  signification  toute  particulière,  en  raison  de  la  forme  que 

(i)  Au  surplus,  il  n'est  nullement  démontré  que  les  trouvères  et  les  troubadours  aient  été 
des  mendiants  ou  des  miséreux  comparables  à  nos  chanteurs  des  rues  contemporains.  Cette 
opinion  est  de  jour  en  jour  plus  contestée,  et  il  paraît  tout  à  fait  probable,  au  contraire,  que 
beaucoup  de  ces  musiciens  ambulants  avaient  reçu  une  instruction  assez  complète. 

Quelques-uns,  artistes  véritablement  indépendants,  voyageaient  pour  leur  satisfaction  per- 
sonnelle, mais  le  plus  grand  nombre  circulait  pour  le  compte  de  certaines  personnalités 
puissantes,  dans  un  butde  propagande, d'influence  ou  d'information  plus  ou  moins  politique. 
Investis  de  missions  de  confiance,  ces  «  pauvres  hères  »  de  la  légende  n'étaient  assurément 
pas  les  premiers  venus,  et  leur  rôle,  même  au  point  de  vue  artistique,  pourrait  fort  bien 
n'avoir  point  été  aussi  inconscient  qu'on  le  croit  d'ordinaire. 

(3)  Voir  Chansons  populaires  du  Vivarais,  recueillies  par  Vincent  d'Indy.  (Durand  et  fils  éd. 

—  Recherches  historiques  sur  l'origine  de  la  mélodie  :  La  Pernette  (pages  j5-i7). 


LA  CHANSON  POPULAIRE  85 

IMnfluence  populaire  lui  donna  pour  l'approprier  à  sa  manière  d'être,  et 
aux  mouvements  du  corps  ordonnés  par  la  danse. 

LE  RYTHME  POPULAIRE.  —  LK  COUPLET 

D'après  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  ne  faut  donc  point  s'étonner  si 
les  plus  anciens  spécimens  du  chant  populaire  empruntent  leur  forme 
mélodique  auxmonodies  grégoriennes  du  genre  des  alléluia^  traits,  etc.  ; 
c'est,  en  effet,  avec  ces  formes  ornementales  qu'apparaissent  les  longues 
vocalises  rythmées,  véritables  refrains  populaires  tout  désignés  pour 
recevoir  une  application  à  des  paroles  profanes. 

Toutefois,  deux  différences  capitales,  qui  séparent  définitivement  les 
deux  genres  de  musique,  ne  tardent  pas  à  s'établir:  leîythme  etlecouplet. 

A)  Dès  ses  premières  apparitions,  la  chanson  populaire  est,  en  effet, 
caractérisée  par  la  forme  spéciale  de  son  rythme.  Celui-ci  prend  un  aspect 
cadencé  suivant  une  symétrie  plus  ou  moins  régulière  :  il  est  plus  vul- 
gaire et  plus  facile  à  retenir,  en  raison  même  de  sa  périodicité,  que  les 
rythmes  du  chant  grégorien,  sans  cesse  modifiés  par  l'accent  des  paroles. 
Visiblement  destiné  à  la  danse,  il  représente  pour  nous  les  derniers 
vestiges  de  l'ancien  art  du  geste,  qui,  revenu  à  une  forme  plus  rudimen- 
taire,  a  pénétré  dans  les  habitudes  du  peuple,  après  avoir  été  délaissé 
complètement,  en  tant  qu'art  véritable,  depuis  la  décadence  des  civili- 
sations antiques. 

Ce  besoin  de  symétrie  grossière  ne  tarde  pas  à  influer  sur  la  musique 
elle-même  ;  il  donne  bientôt  naissance  aux  théories  des  mensuralistes 
(xii*  siècle  :  Aïs  mensuj^abilis)^  auxquelles  nous  devons  la  notation  pro- 
portionnelle, avec  ses  mille  subtilités  encore  enveloppées  de  ténèbres, 
et  aussi  la  pauvreté  rythmique  des  formes  mesurées,  contre  lesquelles 
on  a  tant  de  peine  à  réagir  dans  notre  époque  contemporaine.- 

B)  La  périodicité  rythmique  de  la  chanson  populaire  engendre  natu- 
rellement le  couplet.)  ou  retour  régulier  du  même  dessin  mélodique, 
quel  que  soit  le  sens  des  paroles  à  exprimer. 

Là  encore  se  différencient  profondément  le  chant  profane  et  le  chant 
sacré  :  tandis  que,  dans  la  cantilène  grégorienne,  le  timbre  est  modifié 
pour  s'adapter  le  mieux  possible  au  texte,  le  couplet  de  la  chanson 
populaire  reste  invariable.  Nous  n'y  retrouvons  même  pas  les  alter- 
nances de  deux  formes  différentes,  comme  dans  la  séquence,  où  l'on  sent 
encore  la  préoccupation  expressive  d'ordre  dramatique.  Le  thème  du 
couplet  est  unique,  sa  forme  dépend  du  nombre  des  vers  et  non  de  leur 
sens  ;  tout  au  plus  pourrait-on  comparer  cette  forme  h  celle  des 
hymnes,  différente  toutefois  par  son  rythme,  qui  n'est  point  destiné  à  la 
danse. 


86 


LA  CHANSON  POPULAIRE 


A  mesure  que  ia  date  des  chansons  populaires  devient  plus  récente, 
l'intention  expressive  disparaît  de  plus  en  plus  dans  le  couplet,  qui  prend 
le  caractère  d'un  simple  dessin  purement  instrumental  ou  sympho- 
nique,  auquel  les  paroles  viennent  se  juxtaposer,  sans  nul  souci  du  sen- 
timent, ni  même  de  l'accentuation. 


LES   TROIS  ETATS  SUCCESSIFS  DU  COUPLET 

D'après  l'intéressant  ouvrage  de  M.  Tiersot,  que  nous  avons  déjà  cité, 
et  auquel  sont  empruntés  tous  les  exemples  qui  vont  suivre,  on  peut  dis- 
tinguer dans  la  forme  du  couplet  trois  états  successifs  différents. 

A)  Vers  le  xi*  siècle,  le  couplet  est  formé  par  un  seul  vers,  et  la  mélodie 
par  une  période  unique  correspondante,  qui  se  répète  indéfiniment. 

De  ce  genre  est  le  Lai  des  Aînans,  pièce  certainement  très  ancienne 
(Tiersot,  p.  407)  : 


Hé,  Diex,  mercy  quant  aven-ra    Ke   celé    faice  mon  vo-  loir  ! 


Mais  le  plus  souvent,  ce  vers  unique  est  composé  de  dix  syllabes,  et 
séparé  en  deux  hémistiches  égaux  par  une  assonance,  comme  dans  le 
Lai  d'Aalis,  très  probablement  postérieur  au  précédent  :  la  forme  musi- 
cale consiste  toujours  en  une  période  unique,  à  peine  modifiée  une  fois 
sur  deux  (Tiersot,  p.  408)  : 


^r'  r  r  '^  ^^^ 


^ 


Fran-ce  déboinaire,  de  ta  grant  franchise 


A  (légèrement  modifié) 


S 


Ne  porrait  retraire  nus  en  nulle  guise. 


La  Dance  delà  régine  Amnllouse  (Tiersot,  p.  42)  présente  aussi  un  type 
mélodique  de  la  même  époque  :  malgré  la  forme  plus  compliquée  de  la 
poésie  (quatre  vers  égaux  sur  une  rime  unique,  et  un  cinquième  plus 
court),  cette  mélodie  consiste  aussi  en  une  période  unique, dont  les  quatre 
répétitions  sont  interrompues  par  des  formules  tonales,  comparables  aux 
vocalises  qui  terminent  les  phrases  des  traits,  dans  le  chant  grégorien. 


LA  CHANSON  POPULAIRE 


87 


"Nous  voyons  apparaître  ici  pour  la  première  fois  le  refrain  en   forme 
ornée,  destine  à  être  repris  et  dansé  par  le  peuple  : 


A  I 


A  2 


A3 


^^rrfn--^^igfii;;^a!igHH^^Lj  r'i-j'JTr  f  I  r  r  r  J  if 


Al  en  tradc  del  tens  clar,      E-   ya.    Pir  joi-    e  recomençar,  E-    ya.  Et  pir   jalous  irritar, 

Coda 


E-     ya.  Vol  la    re-gi-ne  mostrar  Kelc  est  si  a-mo-rour  se. 

i 

REFRAIN  (vite) 


Alla       vi',  a'ia        vi-     e,  ja- 


lous. 


Las-saz  nos,  las-saz  nos  ballar 


^-ÇT^^ 


en-trc    nos,    en-tre  nos. 

^)  Dès  le  xii«  siècle,  le  couplet  d'un  seul  vers  a  disparu  :  sa  forme  la 
plus  usuelle  est  faite  de  deux  vers  égaux,  et  comporte  par  conséquent  deux 
périodes  mélodiques  différentes,  généralement  suivies  d'un  refrain  (i). 
Tel  est,  par  exemple,  le /^jZ'//aM  d'Aucassm  et Nicoléte  [Tiersot^  p.  409}» 
dont  le  refrain  n'est  qu'une  simple  formule  finale  : 


|;gsEË3r  r    J^a^^^M^^ 


Qui  vau-rait  bons  vers  o- 


îr  Del  dépari  du  vieil  catif? 


Tant  par      est    dou-  ce 

Dans  les  pièces  de  la  même  époque  où  le  couplet  se  compose  de  quatre 
vers,  chacune  des  deux  périodes  mélodiques  est  répétée,  comme  dans  le 
Jeu  de  Robin  et  Marion  (Tiersot,  p.  i53);  le  refrain  qui  encadre  cette 
mélodie  est  tiré  de  la  seconde  période  :  ses  paroles  consistent  en  une 
série  d'onomatopées  bizarres  et  dépourvues  de  toute  espèce  de  significa- 
tion, comme  presque  tous  les  refrains  des  chansons  de  cette  époque  : 

•%•   REFRAIN. 


|^=°"^?F^g^^1^giC-i  r-  -"-"^Q^zna 


Trai-    ri    dc-luriau,  de-lu-    riau,  de-lu- riè-      le. 


i 


itrrr'  g  r  1  fg 


^^ 


Trai-     ri    de-luriau,  dc-Iu-    riau,  de-     lu- 


(1)  Quelquefois,  mais  rarement,  le  couplet  de  la  chanson  de  cette  époque  est  fait  de  trois 
vers  cette     disposition  ne  modifie  pas  la  forme  mélodique. 


»s 


LA  CHANSON  POPULAIRE 


Hui-main  je  chevauchoie  Lès  l'o-riè-re  d'un  bois. 


B  bis 


^^r^Hp^f    P    f    ^5l^ 


Trouvai  gentil    bre- giè-re,  Tant  bè-le  ne  vit      roys. 


C)  Ce  couplet  de  quatre  vers  devient  de  plus  en  plus  fréquent,  et  reste, 
à  partir  des  xnf  etxiv^  siècles,  la  forme  type  du  chant  populaire,  généra- 
lement sans  refrain  ;  il  donne  naissance  alors  à  deux  espèces  de  mélodies: 

1°,  une  forme  binaire,  c'est-à-dire  à  deux  périodes,  composées  chacune 
de  deux  vers,  forme  qui  diffère  peu  de  la  précédente  ; 

2°,  une  forme  ternaire,  c'est-à-dire  à  trois  périodes,  dont  une,  la  pre- 
mière de  préférence,  est  répétée  deux  fois.  YJÉpib^e  farcie  pour  la  fête 
du  jour  de  l'an  (Tiersot,  p.  408)  rentre  dans  cette  dernière  catégorie  : 


3E£ 


^ 


A  bis 


^mk 


Bonne   gent  pour  qui  sau- 


vement       Dieu  de    chair  ves-tir  se  daigna,       Et  en 


bercheul  vit  hum- 


ble-ment  Qui  tout 


le   monde 


main  a  (i). 


Quelquefois,  les  trois  périodes  de  la  mélodie  ternaire  sont  enchaînées 
sans  aucune  répétition.  La  chanson  Rotins  m'arme,  par  exemple,  dont 
l'auteur  est  Adam  delà  Halle  (Tiersot,  p.  5 11),  peut  se  décomposer  en 
deux  périodes  différentes  mais  d'égale  longueur,  suivies  d'une  troisième 
beaucoup  plus  courte  : 


'^=:à=^^^~^-^-A-J=^^t^r    I    fi'     [   ^^    I    ^    ^M    J 


22 


Robins        m'ay-  me,  Robins    m'a...  Robins  m'a        deman- 


dé- 


Si  m'a-  ra. 


On  trouve  aussi,  vers  la  même  époque,  des  chansons  avec  refrain  : 
celui-ci  est  fait,  le  plus  souvent,  avec  l'une  ou  l'autre  des  périodes  du 
couplet,  comme  nous  l'avons  vu  déjà  dans  des  pièces  plus  anciennes 
(voir  le  Jeu  de  Robin  et  Marion  ci-dessus,  p.  87). 


(i) Comme  types  de  l'ancienne  chanson  populaire  française  à  quatre  vers  sans  refrain,  on 
peut  citer  encore  celle  du  Roy  Loys  et  celle  àc  Jean  Renaud,  bien  connues  l'une  et  l'autre,  et 
aussi  curieuses  par  leur  texte  que  par  leur  mélodie. 


LA  CHANSON  POPULAIRE 


89 


Voici  un  exemple  intéressant  de  mélodie  ternaire,  avec  répétition  de 
la  première  période, et  refrain  tiré  de  la  seconde  :  la  Bêle  Yolaiis  (Ticrsot, 
p. 414): 


A  bis 


^^f3mEî^^i=m^ 


-j--j-L_j-ifrJ^  j  J I  r  L*^- 


Bè-le  Yo-    lans   en  ses  chambres 


se-    oit;      D'un  bœn  sa-  miz     u-  ne    robe 


co-    soit, 


A  son 


mi  tra-mètrc  la      vo-     loit  ; 


(période  B) 


En     sos-pi-  rant,  ces-te 


&3igll^=EE? 


-ri-j-y^^^^î^ 


chanson  chan-toit 


Dex, 


tant  est  dous  li  nous  d'amors, 


nen        cuidai 


sen-tir    do- 


lors, 


Les  chansons  relativement  plus  récentes,  dont  les  couplets  sont  faits 
de  six  ou  huit  vers,  n'ont  point  donné  naissance  à  des  formes  mélodiques 
différentes  :  elles  sont  toutes  tet^naires^  et  semblables  par  conséquent  à 
l'un  ou  à  l'autre  des  types  que  nous  venons  d'examiner. 

En  résumé,  les  trois  états  successifs  du  couplet  peuvent  se  ramener 
aux  trois  types  primaire,  binaire,  ternaire,  dont  nous  avons  étudié  la 
forme  à  propos  delà  phrase  mélodique.  (Voirchap.  11,  p.  41  et  suiv.) 

Il  semblerait  qu'en  raison  de  son  adaptation  à  la  danse,  la  construction 
de  la  mélodie  populaire  du  moyen  âge  ait  dû  être  toujours  soumise  à  la 
carrure,  ou  division  symétrique  des  mesures  en  4,  et  en  multiples  de  4. 
Bien  au  contraire,  cette  forme  carrée  qu'on  croit  souvent  populaire,  alors 
qu'elle  est  seulement  vulgaire,  était  à  peu  près  inconnue  avant  le 
xvn*  siècle  :  elle  est  donc  postérieure  à  la  Renaissance,  et  doit  certaine- 
ment une  grande  partie  de  son  succès  au  mauvais  goût  prétentieux  de 
toute  cette  époque  (i). 


(i)  La  forme  carrée  est  contemporaine  de  la  barre  de  mesure,  de  la  basse  continue,  et  de 
la  forme  irrégulière  de  la  gamme  mineure,  dite  improprement  «  gamme  harmonique  ». 
(Voir.  ch.  VI,  p.  loi  et  suiv.) 

Bien  que  toutes  ces  innovations,  plus  ou  moins  regrettables,  datent  seulement  du  xvn«  siè- 
cle, elles  sont  ducs  très  certainement  à  l'esprit  de  la  Renaissance  (xvi»  siècle),  dont  les  ten- 
dances pleines  de  préiention  et  de  vaine  personnalité  firent  subir  au  dcveloppemcnt  de 
tous  les    arts  un  arrêt  dont  nous  souffrons  encore. 

L'art  musical,  nous  l'avons  déjà  constaté,  n'échappe  jamais  aux  évolutions  —  bonnes  ou 
mauvaises  —  qui  se   succèdent  dans   les   ans  plastiques  (architecture,  sculpture,  peinture). 


90  LA  CHANSON  POPULAIRE 

LE    REFRAIN 
SON     RÔLE    DANS    LA    MUSIQUE    SYMPHONIQUE 

Quant  au  refrain,  il  est  à  peu  près  impossible  de  lui  assigner  des 
formes  déterminées.  On  a  vu  par  les  exemples  précédents  que  son  adjonc- 
tion au  couplet  est  faite  le  plus  souvent  sans  la  moindre  préoccupation 
de  correspondance  poétique,  ou  même  musicale.  C'est  un  simple  cri, 
une  vocalise,  une  onomatopée,  ou  bien  quelques  paroles  sans  suite,  que 
le  peuple  répète  en  dansant,  sans  chercher  à  comprendre. 

Le  refrain  offrirait  donc  par  lui-même  peu  d'intérêt,  s'il  n'avait  eu 
plus  tard  un  rôle  important  dans  la  genèse  de  certaines  formes  musi- 
cales de  la  troisième  époque. 

On  verra  notamment,  à  propos  du  rondeau^  comment  cette  forme 
instrumentale,  éminemment  française,  a  son  origine  dans  l'alternance 
régulière  du  couplet  et  du  refrain. 

Qui  ne  reconnaîtrait  également  dans  l'apparition  traditionnelle  du 
tutti  après  le  solo^  cette  vieille  coutume  du  peuple,  reprenant  le  refrain 
après  le  couplet  du  chanteur  ? 

Ainsi  se  vérifie  de  plus  en  plus  cette  espèce  de  filiation,  qui  rattache 
nos  formes  symphoniques  contemporaines  aux  anciens  arts  du  rythme 
dans  le  geste,  par  l'intermédiaire  des  danses  et  chansons  populaires  du 
moyen  âge. 

Toutefois  il  n'en  reçoit  généralement  le  contre-coup  qu'après  un  temps  plus  ou  moins  long. 
Ainsi  s'explique  cette  différence  équivalant  à  un  siècle  environ,  entre  la  Renaissance  propre- 
ment dite  (xvi«  siècle)  et  ce  que  nous  pourrions  appeler  la  Renaissance  musicale  (xvii*  siècle. 
Voir  chap.  xii). 


f 


VI 

UHARMONIE 

L'ACCORD 


Notions   générales.  —  Origine    de    l'harmonie:    Diaphonie;  déchant;  contrepoint;  poly- 
phonie. —  L'Accord.  —  Notions  d'acoustique.  —  Résonnance  supérieure  :  accord  majeur. 

—  Résonnance    inférieure  :  accord  mineur.  —  Les  deux  aspects  de  l'Accord.   —  Les  deux 
aspects  de  la  gamme  ;  les   modes.  —   Genèse    de  la  gamme.  —    Les   rapports  simples. 

—  Rôle  respectif  de  l'harmonique  3  (quinte)  et  de  l'harmonique  5  (tierce)  dans  la  genèse 
de  la  gamme.  —  Le  cycle  des  quintes. 


NOTIONS    GENERALES 

On  appelle  Harmonie  l'émission  simultanée  de  plusieurs  mélodies 
différentes. 

Cette  émission  simultanée  donne  naissance  à  des  combinaisons  de 
sons  auxquelles  les  traités  d'harmonie  ont  donné  le  nom  d'accoi^ds. 

La  Musique  étant  un  art  de  mouvement  et  de  succession,  les  accords,  en 
tant  que  combinaisons  de  sons,  n'apparaissent  que  par  l'effet  d'un  arrêt 
dans  le  mouvement  des  parties  mélodiques,  dont  ils  sont  composés  néces- 
sairement. 

Musicalement,  les  accords  n'existent  pas,  et  l'harmonie  n'est  pas  la 
science  des  accords. 

L'étude  des  accords/^owr  eux-mêmes  est,  au  point  de  vue  musical,  une 
erreur  esthétique  absolue,  car  l'harmonie  provient  de  la  mélodie,  et  ne 
doit  jamais  en  être  séparée  dans  son  application. 

La  notation  représente  la  succession  (mélodie)  dans  le  sens  horizontal, 
et  la  simultanéité  (harmonie)  dans  le  sens  vertical. 

Les  phénomènes  musicaux  doivent  toujours  être  envisagés,  graphi- 
quement, dans  le  sens  hori:{ontal {système  de  la  mélodie  simultanée)  et 
non  dans  le  sens  vertical,  comme  le  fait  la  science  harmonique,  telle 
qu'elle  est  enseignée  de  nos  jours. 


ga  L'HARMONIE 

ORIGINE    DE    l'harmonie 

DIAPHONIE  ;  déchant;  contrepoint;  polyphonie 

En  raison  de  la  structure  de  leurs  organes  vocaux,  les  enfants  et  les 
femmes  chantent  d'ordinaire  à  l'octave  aiguë,  par  rapport  aux  voix 
d'hommes. 

Une  cantilène  monodique,  exécutée  par  une  collectivité  d'individus 
d'âge  et  de  sexe  différents,  ne  constitue  point,  comme  on  le  dit  commu- 
nément, un  chant  à  Vunisson^  mais  une  véritable  successiofi  d'octaves. 

Cette  disposition,  due  à  une  cause  physiologique,  est  dépourvue  de 
tout  caractère  hannonique,  car  elle  présente  un  redoublement  de  la 
même  mélodie  et  non  des  mélodies  différejites  exécutées  simidtanément. 

Le  peuple  associé,  comme  on  l'a  vu,  au  chant  liturgique  depuis  les 
premiers  siècles  de  l'Église  chrétienne, chanta  donc  à  l'origine  enoctapes. 

Toutefois,  certaines  voix  peu  exercées,  atteignant  difficilement  les 
notes  trop  aiguës  ou  trop  graves  pour  elles,  leur  substituèrent  instinc- 
tivement dans  la  mélodie  des  sons  intermédiaires  plus  accessibles. 

Ainsi  qu'il  arrive  encore  de  nos  jours  dans  les  campagnes,  chacun  dut 
s'efforcer  de  faire  une  sorte  d'accommodation  individuelle  de  la  cantilène 
grégorienne  à  ses  moyens  vocaux  :  les  uns  suivant  rigoureusement  la 
mélodie  des  chantres-,  d'autres  la  doublant  à  l'octave,  d'aucuns  enfin 
hésitant  entre  les  deux,  en  raison  des  limites  étroites  de  leur  voix,  et 
créant  ainsi  une  sorte  de  partie  nouvelle,  qui  formait  avec  le  chant 
principal  un  ensemble  parfois  heureux,  barbare  le  plus  souvent. 

C'est  sans  doute  en  observant  cet  état  de  choses  que,  dès  le  x^  siècle, 
certains  musiciens  reconnurent  l'utilité  de  déterminer  et  d'écrire  ces 
parties  intermédiaires,  en  réglementant  leur  juxtaposition  avec  la 
mélodie  principale. 

Il  en  résulta  d'abord  cette  sorte  d'accompagnement  parallèle  en 
quartes  et  quintes  —  rarement  en  tierces  —  qu'on  nomma  diaphonie  ou 
organum  (voir  chap.  x).  A  vrai  dire,  ces  premiers  essais  de  mélodies 
simultanées  sont  d'un  effet  assez  médiocre. 

Les  progrès  de  la  diaphonie^  pendant  plus  de  trois  siècles,  semblent 
avoir  été  à  peu  près  nuls  ;  car  des  exemples  du  xiii^  siècle,  qui  nous  ont 
été  conservés,  présentent  encore  des  agglomérations  de  sons  tout  à  fait 
inacceptables  pour  notre  entendement  moderne  (voir  chap.  x). 

Le  goût  de  l'ornementation,  très  développé  à  partir  de  cette  époque, 
fit  bonne  justice  de  la  diaphoîiie  barbare  et  servile,  et  lui  substitua  petit  à 
petit  une  forme  nouvelle  plus  libre  et  plus  artistique,  qu'on  peut  consi- 
dérer comme  la  première  manifestation  caractérisée  de  Vharmoiiie. 

Autour  du  chant  principal  {cantus  firmus)  que  les  voixde  la  foule  tenaient 


L'HARMONIE  gî 

(d'où  le  nom  de  teneur —  en  bas  latin  :  teuor]^  des  chantres  exercés  impro- 
visaient des  sortes  de  broderies,  en  forme  dialoguée,  qu'on  appela  déchant 
ou  chant  sur  le  lipide. 

Plus  tard,  ces  improvisations  libres  revêtirent  des  formes  déterminées 
qu'on  figura  par  des  points  diversement  placés  contre  ceux  qui  représen- 
taient la  mélodie  principale. 

Le  co/z/rejcc)/;// se  perfectionna  fort  lentement;  jusqu'au  xv^  siècle,  ce 
n'est  encore  qu'un  art  assez  rudimentaire.  Il  fallut  l'habileté  géniale  des 
maîtres  du  xvi«  siècle  pour  l'élever  jusqu'aux  formes  si  expressives  de  la 
musique  polyphonique. 

Depuis,  par  suite  de  la  recherche  et  du  raffinement  exagérés  introduits 
dans  l'écriture  contrapontique,  cette  forme  est  tombée  en  désuétude  ; 
mais  l'usage  de  faire  entendre  simultanément  plusieurs  parties  vocales 
ou  instrumentales  différentes  n'en  a  pas  moins  subsisté,  et  tout  porte  à 
croire  qu'il  est  entré  dans  notre  art  musical  d'une  manière  définitive. 

Cet  usage,  relativement  récent,  comme  on  peut  le  voir  par  ce  rapide 
exposé  de  ses  origines,  a  enrichi  la  musique  contemporaine  d'un  élément 
nouveau,  considéré  aujourd'hui  comme  très  important  :  Vharmonie. 

Uhainnonie  résulte  donc  de  la  superposition  de  deux  ou  de  plusieurs 
mélodies  différentes. 

C'est  seulement  vers  le  xvn®  siècle,  plus  de  quatre  cents  ans  après  les 
premiers  essais  de  juxtapositions  mélodiques,  que  des  théoriciens  com- 
mencèrent à  discerner  et  à  dégager  de  la  polyphonie  le  véritable  principe 
générateur  de  l'harmonie^  c'est-à-dire  VAccot^d. 


L  ACCORD 

L'^ccor^  consiste  dans  l'émission  simultanée  de  plusieurs  sons  diffé- 
rents, dont  les  rapports  d'intonation  sont  déterminés  par  la  résonnance 
natuî^elle  des  corps  sonores. 

L'Accord  étant  le  principe  générateur  de  l'harmonie  ne  saurait  en  être 
le  but. 

Les  combinaisons  appelées  accords  dans  les  traités  d'harmonie  ne  con- 
stituent pas  davantage  un  but,  puisqu'elles  n'ont  pas  d'existence  réelle: 
ce  sont  des  moyens  harmoniques,  artificiels  le  plus  souvent. 

Il  n'y  a,  en  musique,  qu'un  seul  accord. 

L'étude  de  la  mélodie  nous  a  déjà  révélé  l'existence  de  relations 
d  intojiation,  de  rapports  ou  intervalles  perçus  par  notre  oreille,  en  vertu 
d'une  faculté  réflexe,  développée  par  l'éducation  musicale. 

Il  s'établit  en  effet  dans  notre  entendement,  entre  les  notes  consé- 
cutives d'une  mélodie   isolée,  une   perpétuelle   comparaison,  laquelle 


94  L'HARMONIE 

s'applique  également  aux  notes  simultanées  de  deux  ou  de  plusieurs 
mélodies  concomitantes. 

Les  rapports  des  sons  entre  eux  se  manifestent  donc  à  la  (ois  mélodt- 
quement  et  harmoniqueme7it. 

Dans  ce  travail  inconscient  de  comparaison  et  de  classement,  chaque 
note  prend,  en  raison  de  ses  rapports  avec  les  autres,  une  valeu?^  à  laquelle 
elle  doit  sa  signification  et  son  effet  esthétiques. 

Aussi  bien  dans  les  rapports  mélodiques  que  dans  les  rapports 
harmoniques,  cette  valeur  peut  être  absolue  ou  relative. 

Une  note  dont  nous  apprécions  la  valeur  absolue  est  dite  pritne  {prima 
ratio),  parce  qu'elle  constitue  un  poijît  de  départ  auquel  nous  rapportons 
les  autres  notes  pour  juger  de  leur  valeur  (i). 

Une  note  dont  nous  n'apprécions  la  valeur  (\}ie  par  rapport  à  une  autre 
est  dite  dérivée  (seconde,  tierce,  quinte,  etc.). 

On  nomme  intervalle  le  rapport  existant  entre  les  intonations  de  deux 
sons. 

Uintonation  de  chaque  son  varie  suivant  le  fiombre  des  vibrations 
sonores  qui  le  constituent.  • 

NOTIONS   d'acoustique 

Les  lois  qui  régissent  les  rapports  des  sons,  c'est-à-dire  les  rapports 
des  vibrations,  sont  du  domaine  de  la  science,  et  plus  spécialement  de 
V  acoustique. 

L'étude  des  mouvements  vibratoires  est  une  des  branches  les  plus 
vastes  et  les  plus  fécondes  de  la  physique  :  ce  n'est  point  ici  le  lieu  de 
l'entreprendre.  Il  est  toutefois  utile  d'exposer  brièvement  ce  qui  con- 
cerne les  vibrations  sonores. 

Tout  corps  possède  à  des  degrés  différents  la  propriété  de  vibrer,  c'est 
à-dire  que  ses  molécules  constitutives,  écartées  par  une  cause  extérieure 
quelconque  de  leur  point  d'équilibre  naturel,  tendent  à  y  revenir  par 
une  série  d'oscillations  de  plus  en  plus  petites  de  part  et  d'autre  de  ce 
point. 

Ces  oscillations  ou  vibrations  sont  tout  à  fait  comparables  au  mouve- 
ment d'un  pendule  qu'on  éloigne  avec  la  main  de  sa  position  verticale, 
pour  l'abandonner  ensuite  à  lui-même. 

Les  vibrations  sonores  se  propageant  à  travers  un  milieu  élastique 
(l'air,  généralement)  viennent  frapper  notre  oreille  et  constituent  le 
son. 

(i)  Le  qualificatif  de  prime,  avec  cette  signification,  est  emprunté  à  Hugo  Riemann  {Har- 
monie simplifiée,  trad.  française,  p.  2). 


I.'HARMOMfF  gî 

On  utilise  pour  la  production  des  sons  musicaux^  soit  des  corps  solides 
(métaux,  bois,  tissus  animaux)  mis  en  vibration  par  \a percussion  (tim- 
bales, piano),  par  Ieyro//emff/// (instruments  à  archet)  ou  parle  pincement 
(harpes,  guitares),  —  soit  une  co/o««(?  ^'a/r  limitée  à  l'intérieur  d'un 
tuyau  rigide  (instruments  à  vent,  orgue). 

Dans  cette  dernière  catégorie  d'instruments,  en  effet,  ce  n'est  point, 
comme  on  le  croit  souvent,  le  tuyau  qui  vibre,  mais  la  colonne  d'air. 
Celle-ci  se  comporte  sensiblement  comme  une  cor<ie  tendue  entre  deux 
points  fixes. 

On  conçoit  que  la  mise  en  vibration  de  cette  sorte  de  corde  aérienne  ne 
puisse  s'opérer  à  l'aide  des  procédés  employés  pour  les  corps  solides  :  on 
l'obtient  par  le  souffle.,  humain  ou  artificiel,  sous  certaines  conditions  de 
tension  et  d'émission. 

Les  modes  de  production  du  son  varient  donc  suivant  la  nature  du 
corps  vibrant,  mais  les  phénomènes  sonores  restent  identiques. 

Le  nombre  des  vibrations  qu'un  corps  peut  exécuter  dans  un  espace 
de  temps  déterminé  est  en.  rapport dir^ect  et  rigoureusement  constant  a\ec 
l'acuité  du  son  qui  en  résulte.  Ainsi,  au  nombre  de  435  vibrations  à  la 
seconde,  par  exemple,  correspondra  toujours  un  son  identique  :  le  la 
du  diapason  normal,  quelles  que  soient  d'ailleurs  la  matière  vibrante  et 
l'intensité  d'émission. 

Tout  corps  sonore  peut  faire  entendre  une  infinité  de  sons  d'acuité 
différente,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'apporter  un  changement  dans  ses 
dimensions,  sa  tension,  sa  température,  sa  densité,  etc.. 

Tant  qu'aucune  de  ces  conditions  n'est  modifiée,  un  corps  qui  vibre 
isolément  et  dans  touie  son  étendue  fait  entendre  un  son  invariable,  le 
plus  grai'e  de  tous  ceux  qu'il  soit  susceptible  d'émettre. 

Ce  son  donne  naissance  à  tous  les  autres  plus  aigus,  et  détermine  leur 
intonation  relative,  en  vertu  des  lois  immuables  sur  lesquelles  repose 
tout  notre  système  harmonique,  comme  on  va  le  voir  par  les  deux  expé- 
riences suivantes. 

RÉSONNANCE  SUPERIEURE.  —  ACCORD  MAJEUR 

Supposons,  par  exemple,  que  le  son  le  plus  grave  émis  par  une  corde 
convenablement  tendue  soit  Vut: 


•)'        ri 129,3  vibialionJ 


cette  corde,  en  exécutant  dans  toute  sa  longueur  un  nombre  déterminé 
de   vibrations   par  seconde,  présente   entre  ses    deux   extrémités  une 


96 


L'HARMONIE 


sorte  de   renflement  qu'on  peut,    en  l'exagérant,  figurer   approxima- 
tivement de  cette  façon-ci  : 


■iil 


Il  suffit  de  la  toucher,  même  très  légèrement,  aumilieu  de  sa  longueur, 
pour  déterminer  immédiatement  des  vibrations  partielles  dans  chacune 
de  ses  moitiés,  de  part  et  d'autre  du  point  touché.  Ce  phénomène,  bien 
connu  de  ceux  qui  jouent  de  la  harpe  ou  d'un  instrument  àarchet,  a  pour 
effet  de  double?^  le  nombre  des  vibrations  et  d'élever  le  son  émis  d'wwe 
octave  : 


i 


258,6  vibrations 


la  corde  prend  alors  cet  aspect-ci  : 


Hnnnim- 


et  elle  continue  de  vibrer  à  l'octave  aiguë,  même  après  qu'on  a  cessé  de 
la  toucher  au  milieu  (i). 

Pareille  opération  peut  se  faire  aussi  en  touchant  la  corde  au  tiers  de 
sa  longueur  ; 


(i)  On  ne  saurait  trop  insister  sur  le  caractère  essentiellement  naturel  des  phénomènes  de 
la  résonnance    harmonique  dont  il  est  question  ici. 

Les  corps  sonores  ont  une  véritable  prédisposition  à  vibrer  de  préféroice  dans  leurs  par- 
ties aliquotes  les  plus  simples  [\,  %,  etc.)  et  à  faire  entendre  leurs  harmoniques  consonnants 
(octave,  quinte,  etc.). 

La  plupart  des  instruments  à  vent  ne  produisent  môme  que  des  sons  harmoniques.  L'orgue 
seul  utilise  les  sons  fondamentaux  ;  encore  l'émission  de  ces  sons  présente-telle  parfois,  dans 
les  registres  graves,  de  véritables  difficultés  pour  les  constructeurs. 

Quant  aux  cordes,  leur  propension  à  vibrer  partiellement  est  presque  aussi  manifeste.  On 
vient  de  voir  que  le  nombre  des  vibrations  de  l'octave  supérieure,  par  rapport  au  son  pris 
comme  point  de  départ,  est  rigoureusement  égal  au  double.  Il  semblerait  logique  que  le 
phénomène  de  l'octave  harmonique  ne  puisse  se  réaliser  sur  une  corde  tendue  que  par 
i'effet  de  sa  division  en  deux  parties  rigoureusement  égales.  L'expérience  démontre  au  con- 
traire que  cette  division  peut  supporter  un  écart  considérable,  sans  modifier  le  son  pro- 
duit. 

Qui  oserait  en  effet  qualifier  d'exacte  (au  sens  mathématique  du  mot)  l'opération  qui  con- 
siste à  toucher  une  corde  dans  sa  région  moyenne  avec  l'épaisseur  de  la  main,  comme  le 
font  les  harpistes,  ou  avec  la  largeur  du  doigt,  comme  le  font  les  violonistes,  pour  faire 
entendre  l'octave  harmonique  ? 

La  justesse  des  sons  ainsi  émis,  en  quelque  sorte  automatiquement,  provient  donc,  à  n'en 
pas  douter,  d'un  phénomène  naturel,  indépendamment  de  la  difficulté,  ou  même  de  l'im- 
possibiliié  qu'on  éprouve  à  produire  les  harmoniques  plus  élevés,  au  delà  d'une  certaine 
limite  variable  suivant  les  instruments. 

Cette  sorte  d'émission  automatique  étant  impraticable  également  pour  les  harmoniques 
inférieurs,  on  a  cru  pouvoir  contester  leur  caractère  naturel,  leur  existence,  et  même  la 
légitimité  des  déductions  relatives  à  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  la  résonance  inférieure. 
La  lecture  de  ce  qui  suit  (p.  98  et  suiv.)  suffira,  croyons-nous,  à  montrer  la  valeur  de  cette 
objection. 


L'HARMONIE 


97 


le  nombre  des  vibrations  est  triplé  ;  la  corde  sonne    à  la  quinte   au- 
dessus  : 


i 


387,3  vibrations 


au  quart  de  sa  longueur 


le  nombre  des  vibrations  est  quadruplé  ;  la  corde  sonne  à  la   double 
octave  : 


517,3  vibrations 


au  cinquième  de  sa  longueur  : 


le  nombre  des   vibrations   est  quintuplé  ;  la  corde  sonne  à  la   tierce 
majeure  : 

m 

au  sixième  de  sa  longueur  : 


649,2  vibrations 


le   nombre   des  vibrations   est  sextuplé  ;    la   corde   sonne    à  Voctave 
au-dessus  de  la  quinte  : 


$ 


774,6  vibrations 


Chacun  de  ces  sons  différents  continue,  comme  la  première  octave,  à  se 
faire  entendre  naturellement^  tant  que  la  corde  vibre  :  c'est  là  le  phéno- 
mène connu  sous  le  nom  de  résonnance  harmonique  supérieure. 

Les  six  premiers  sons  ainsi  obtenus  forment,  par  rapport  au  son  gé- 
nérateur, les  intervalles  d'octave,  quinte,  double  octave,  tierce  majeure^ 
octave  de  la  quinte  : 


Nombre  de  vibrations 


En  supprimant  les  redoublements,  ils  se  réduisent  à  trois  : 


P 


Cours  de  composition. 


qB  L'HARMONIE 

dont  l'émission  simultanée  constitue   l'harmonie  désignée  communé- 
ment sous  le  nom  d'accord  paî-fait  majeur. 

RÉSONNANCE  INFERIEURE.   —  ACCORD  MINEUR 

Choisissons  maintenant  une  corde  telle  que  la  sixième  partie  de  sa 
longueur  totale  produise  un  son  déterminé  :  par  exemple,  le  7ni  aigu^ 


—     649,2  vibration» 


qui  caractérise  l'accord  majeur  engendré  par  l'expérience  précédente.  Il 
suffit,  nous  l'avons  vu,  de  toucher  légèrement  la  corde  au  point  convena- 
ble, pour  déterminer  le  nombre  de  vibrations  partielles  correspondant  à 
ce  wn",  que  nous  allons  prendre  ^omv point  de  départ^  sans  nous  préoc- 
cuper du  reste  de  la  corde,  figuré  ici  en  pointillé  (  i  )  : 


(î)  Dans  cette  seconde  expérience,  nous  avons  considéré  la  fraction  de  corde  prise  pour 
point  de  départ  comme  égale  à  g,  afin  de  fixer  les  idées,  et  de  rendre  notre  démonstration 
plus  accessible  aux  esprits  peu  familiarisés  avec  les  raisonnements  mathématiques.  Il  con- 
vient toutefois  d'observer  que  cette  expérience  n'est  pas  entièrement  réalisable  dans  les 
conditions  énoncées  ci-dessus. 

Pour  obtenir  la  résonnance  naturelle,  en  effet,  il  est  nécessaire  que  la  partie  vibrante  de  la 
corde  soit  en  même  tempsjjarf/e  aliquote,  c'est-à-dire  égale  à  |,  |,  \.  |,  |  etc,...  ^. 

Le  cas  se  vérifie  lorqu'on  double  la  longueur  prise  comme  unité  : 
I  +  H  =  I  =  I,  partie  aliquote, 
et  lorsqu'on  la  triple  : 

1  +  1  +  1  =  1  =  1.  partie  aliquote  ; 
mais  il  ne  se  vérifie  plus  lorsqu'on  la  quadruple: 

l+s  +  l  +  l  =  t  =  l,  irréductible, 
ou  lorsqu'on  la  quintuple: 

1  +  1  +  1  +  5  +  5  =  1.  irréductible. 

Dans  ces  deux  derniers  cas,  les  harmoniques  inférieurs  ne  peuvent  donc  se  produire  na- 
turellement, en  touchant  légèrement  la  corde  au  point  convenable.  C'est  pour  cette  raison 
qu'en  choisissant  la  longueur  ^  pour  point  de  départ,  nous  ne  nous  sommes  pas  préoccupés 
du  reste  de  la  corde. 

Mais  il  ne  faudrait  pas  en  conclure  que  cette  seconde  expérience  a  été  faite  pour  les  besoins 
de  la  cause,  et  ne  repose  pas  sur  des  faits  réels. 

Qu'on  veuille  bien  prendre  une  corde  10  fois  plus  longue,  et  choisir  pour  point  de  départ 
une  fraction  égale  à  ^,  c'est-à-dire  une  longueur  égale  à  celle  que  nous  avons  choisie  :  on 
constatera  que  le  phénomène  de  la  résonnance  inférieure  se  vérifie  pratiquement  et  naturel- 
lement sur  toute  l'étendue  de  la  corde. 

En  effet,  chaque  longueur  correspondant  à  un  son  de  l'accord  mineur  est  en  même  temps 
partie  aliquote  de  la  corde,  savoir  : 

le  mf,  prime.  =^ -es 

le  mi,  octave  grave    .    .         .    .  =  ^  =r  ^ 

le  la,  quinte  grave =  ^  =  ^ 

le  mi,  double  octave  grave  .  .  =  ^  =  ^ 
Vui,  tierce  majeure  grave  .  .  .  =  ^  =  ^ 
U  la,  octave  de  la  quinte  grave  z=  ^  =z  ^ 


L'HARMONIE 

En  doublaîît  la  longueur  de  la  partie  vibrante, 


99 


on  diminuera  de  moitié  le  nombre  des  vibrations,  et  le  son  émis  baissera 
d'tme  octave  : 


m 


324,6  vibrations 


En  /rzjc/df;;/ cette  longueur, 


le  nombre  des  vibrations  s'abaissera  au  tiet^s,  et  le  son,  à  la  quinte  grave 


/  217,3  vibrations 


En  quadruplant  \i\  longueur, 


le  nombre  des  vibrations  sera  du  quaj^t  ;  le  son  sera  la  double  octave 
grave  : 


^ 


162,3  vibrations 


En  quintuplant  la  longueur, 


le  nombre  des  vibrations  sera  du  cinquième  ;  le  son  sera  la  tierce  majeure 
grave  : 


(29,3  vibrations 


Enfin,  en  sextuplant  la   longueur  de  corde  prise  comme  point  de  dé- 
part. 


le  nombre  des  vibrations,  réduit  au  sixième  du  premier  nombre,  corres- 
pondra, au  grave,  à  Voctave  de  la  quinte. 


s 


108,7  vibrations 


L'HARMONIE 


Dans  cette  seconde  expérience,  on  obtiendra  donc,  successivement, 
des  sons  de  plus  en  plus  graves,  présentant  entre  eux  les  mêmes  inter- 
valles que  ceux  de  l'expérience  précédente,  mais  en  sens  inverse  :  oc- 
tave^  quinte^  double  octave^  tierce  jnajeure,  octave  de  la  quinte. 

C'est  le  phénomène  de  la  7'ésonna7ice  harmonique  infériem^e. 


Longueur  de   corde     :  Simple  Double  Triple  Quadruple        Quintuple         Sextuple 

Nombre   de  vibrations     : 


Entier 


Moiti 


Tiers        I        Quart  Cinquième 


32Z 


Sixième 


Ces  six  sons  se  réduisent  aussi  à  trois 


(i 


1 


lesquels,  entendus  simultanément,   produisent  l'harmonie  connue  sous 
le  nom  à.\iccord  parfait  mineur. 


LES    DEUX    ASPECTS    DE    L  ACCORD 


Il  y  a  donc  s3Amétrie  complète  entre  les  deux  résonnances  harmoni- 
ques qui  fournissent  les  intervalles  constitutifs  de  Y  Accord. 

Ces  intervalles,  nous  l'avons  constaté,  sont  toujours  les  mêmes  :  quinte, 
tierce  majeure. 

L\4c<:or<i,  résultant  de  leur  combinaison,  est  donc  w^z/i/z/e  en  principe, 
ainsi  que  nous  en  avons  émis  l'affirmation  (page  gS),  puisqu'il  est  tou- 
jours composé  des  mêmes  éléments  ;  il  se  présente  toutefois  sous  deux 
aspects  différents,  suivant  qu'il  est  engendré  par  la  résonnance  supérieure 
ou  par  la  résonnance  inférieiwe. 

Dans  îe  premier  cas,  les  intervalles  se  produisent  du  grave  à  l'aigu  : 
le  son  pî^ime,  auquel  nous  rapportons  les  autres,  est  le  plus  grave  des 
trois  ;  l'accord  est  dit  majeur. 

Dans  le  second  cas,  les  intervalles  se  produisent  de l'azg-M ^m  grave: 
le  son  prit7îe  est  \e  plus  aigu  des  trois  ;  l'accord  est  dit  mineur. 


Résonnance  supérieure 
(du  grave  à  l'aigu) 


1^  Mi'j  llHicb  majeure. 


Ji)  iiiilnittt: 

0^  Sun  prin;« 

Aspect  majeur. 


Résonnance  inférieure 
(de  l'aigu  au  grave) 

a)   son  prime 


C)  tierce  majeure. 

Aspect  mineur. 


L'HARMONFE 


Lorsqu'on  rapproche  ses  notes  constitutives,  l'Accord  présente  une 
superposition  d'intervalles  de  tierces  ;;/a/>z/;-e  et  mineure  : 


Résonnance  supérieure. 


(Icroe  œlceore. 
tIercA  majearo. 
Boa  prime. 


R^sonnance  inférieure. 


son  prime, 
erce   majeure, 
rce  mineure. 


-^Hg'.''; 


il  est  toujours  composé  des  mêmes  éléments  ;  seul,  l'ordre  de  superpo- 
sition détermine  la  différence  entre  ses  deux  aspects. 

La  prépondérance  attribuée  parles  harmonistes  à  la  note  grave  (i)  a 
fait  généralement  considérer  la  plus  grave  des  deux  tierces  comme  ca- 
ractéristique de  l'accord  :  de  là  les  dénominations  de  majeur  et  mineur 
appliquées  indistinctement  aux  accords  parfaits,  aux  gammes  ou  aux 
modes.  Ces  dénominations  sontpeu  justifiées,  puisque,  dans  l'accord  dit 
mineur^  —  lequel  n'est  n\i\\emQiit  plus  petit  que  l'autre,  — la  note  princi- 
pale ou  jcr/me  est  la  plus a/^z^ë des  trois:  c'est  donc  elle  qui  doit  être  prise 
comme  point  de  départ,  non  seulement  pour  Vacco7^d^  mais  aussi  pour  la 
gamme  qui  en  découle,  en  vertu  de  la  loi  de  symétrie  qui  régit  les  phéno- 
mènes de  la  résonnance  harmonique. 


LES  DEUX  ASPECTS  DE  LA    GAMME. 
LES  MODES. 


Puisque  l'accord  improprement  qualifié  mineur  reproduit  en  ordre 
Inverse  les  éléments  constitutifs  de  l'accord  dit  majeur^  il  doit  en  être 
de  même  des  gammes  correspondant  h  ces  deux  formes. 

Rien  n'est  plus  vrai  :  il  suffit  en  effet  de  disposer  dans  leur  ordre  nor- 
mal, du  grave  à  l'aigu^  les  sons  de  la  gamme  diatonique^  en  prenant  pour 
point  de  départ  le  son  prime  f//,  de  la  résonnance  harmonique  supérieure^ 
et  de  les  disposer  ensuite  inversement  de  Y  aigu  au  grave,  en  partant  du 
son  prime  Mi,  de  la  résonnance  harmonique  inférieur^e^  pour  constater 
la  parfaite  symétrie  de  ces  deux  échelles  musicales  : 


Résonnance  supérieure 


Infervalles: 


1  ton 


Degrés:        "l. 


=ë=n: 


TT 


IL     UI.  IV,     V.     VL  vn.viii. 


Résonnance  inférieure 


IL     III.  IV.     V.     VI.  VII.VIIL 


Tous  les  éléments   de  la  première  (A),  qui  constitue  notre  gamme 
majeure^  se  retrouvent  dans  l'autre  (B),  mais  en  ordre  inverse.  Nous 


(i)  Cette  prépondérance  remonte  à  l'établissement  de  la  basse  continue,  l'un  des    principes 
delà  Renaissance  qui  ont  le  plus  contribué  à  fausser  l'étude  de  l'harmonie. 


103  L'HARMONIE 

sommes  donc  autorisés  à  considérer  cette  gamme  descendante  du  mi 
au  mi  comme  la  véritable  gamme  relatipe  de  celle  d'Ut  majeur,  comme 
le  type  du  mode  viineur. 

Cette  conception  du  mode  mineur  n'est  point  nouvelle  :  un  grand 
nombre  de  monodies  antiques  et  médiévales  étaient  écrites  dans  ce 
mode.  C'est  seulement  vers  l'époque  du  xvn®  siècle  que,  par  une 
fausse  application  des  théories  harmoniques,  rapportant  tout  à  la  basse, 
on  lui  substitua  notre  mode  mineur  actuel,  avec  sa  gamme  hybride  et 
irrégulière. 

Ce  qui,  pour  nous,  constitue  le  Mode,  c'est  tout  simplement  le  sens 
suivant  lequel  on  envisage  l'Accord  et  sa  gamme  correspondante  :  selon 
qu'on  prend  pour  point  de  départ  la  note  prime  de  la  résonnance  supé- 
rieure, ou  celle  de  la  résonnance  inférieure,  le  mode  est  majeur  ou  mineur, 
pour  employer  ces  termes  impropres,  que  l'usage  a  consacrés. 

Le  Mode,  comme  V Accord  qui  lui  fournit  ses  intervalles  caractéris- 
tiques, est  donc  unique  en  principe,  et  susceptible  de  revêtir  /feMA:  aspects 
différents  et  opposés. 


GENESE  DE  LA  GAMME 


Il  faut  toutefois,  pour  constituer  le  Mode,  outre  les  notes  de  V Accord, 
les  degrés  complémentaires  de  la  gamme,  qui  ne  tirent  point  directe- 
ment leur  origine  des  phénomènes  de  la  résonnance  naturelle. 

On  peut  évidemment  continuer  au  delà  du  sixième  son,  vers  l'aigu  ou 
vers  le  grave,  les  deux  expériences  précédentes  ;  mais  on  obtient  ainsi, 
au  lieu  d'une  gamme  régulière,  une  succession  indéfinie  de  sons,  dont 
les  intervalles  deviennent  de  plus  en  plus  petits,  et  les  rapports  de  plus 
en  plus  compliqués. 


U  k  \^  ^ 


Dans  cette  série,  illimitée  comme  celle  des  nombres,  les  sons  harmo- 
niques impairs,  seuls,  présentent  des  intervalles  nouveaux  ;  les  autres  ne 
peuvent  être  en  effet  que  des  redoublements  d'octave  des  précédents. 

Beaucoup  de  ces  intervalles  nouveaux  sont  complètement  étrangers  à 
notre  système  de  gamme,  et  ne  peuvent  même  être  figurés  avec  nos 


L'HARMONIE  ,o3 

signes  d'intonation:  tels  sont  les  harmoniques  7,  11,  i3,  14,  figurés  en 
noir  dans  le  tableau  ci-dessus,  et,  au-dessus  du  16%  un  nombre  toujours 
croissant. 

Les  sons  7  et  11  de  la  résonnance  supérieure^  par  exemple,  sont 
notablement  plus  graves  que  les  notes  5/  b  et  /a  5  de  notre  gamme  ; 
le  son  1 3  est  au  contraire  plus  élevé  que  notre  \a  \>  ,  etc. 

Ces  particularités  se  retrouvent  en  sens  inverse  dans  les  harmoniques 
correspondants  de  la  résonnance  inférieure  :  les  sons  7  et  i  i  sont  ici 
plus  élevés  que  le /as  et  le  si  b  de  notre  gamme  ;  le  son  i  3  est  plus  bas 
que  notre  sol  n  ,  etc. 

L'impression  pénible  et  déroutante  produite  sur  nous  par  ces  sons 
7,  II,  i3,  etc.,  et  la  tendance  marquée  de  notre  oreille  à  leur  substituer 
les  sons  chromatiques  tempérés  :  si  \> ,  fa  n ,  la  \y  ^  etc.,  résultent 
sans  doute  d'une  habitude  prise,  c'est-à-dire  de  notre  éducation  musi- 
cale. 

Il  est  toutefois  intéressant  de  constater  que  cette  habitude  ou  cet  in- 
stinct ont  leur  raison  scientifique. 

LES    RAPPORTS    SIMPLES 

L'oreille  humaine,  en  effet,  procède  toujours  par  les  voies  les  plus 
simples  dans  le  travail  réflexe  de  comparaison  et  de  classement,  par 
lequel  elle  apprécie  les  rapports  des  sons. 

L'impression  toute  spéciale  de  repos  et  de  satisfaction  que  provoque 
dans  notre  entendement  l'accord  parfait,  basé  sur  les  rapports  de 
vibrations  les  plus  simples  de  tous,  est  la  meilleure  preuve  de  cette  ten- 
dance de  notre  esprit. 

Il  n'est  pas  surprenant  dès  lors  que  l'oreille  humaine  préfère  aux  har- 
moniques naturels,  7,  II,  i3,  —  plus  compliqués  que  ceux  de  l'accord 
parfait,  3,  5,  —  des  sons  dont  le  rapport  d'intonation  j.^eut  s'établir  avec 
les  éléments  mêmes  de  cet  accord,  c'est-à-dire  avec  les  plus  simples  de 
tous  les  nombres  :  3  et  5. 

Si  donc  l'oreille  tend  à  substituer,  à  l'harmonique  7  de  la  résonnance 
supérieure,  la  note  si  b  de  notre  système  tempéré,  cela  tient  à  ce  que 
celle-ci  est  la  quinte  de  la  quinte  grave  (i/3  de  i/3)  du  son  prime  Ut; 
c'est-à-dire  que  les  vibrations  du  si  t»  sont  à  celles  d'ut  comme  celles 
d'w^sont  à  celles  de  ré,  ou  comme  i  est  à  9. 

Le  rapport  de  i  à  9,  c'est-à-dire  le  tiers  du  tiers,  est  plus  facilement 
appréciable  que  celui  de  i  à  7. 

On  peut  expliquer  pareillement  la  préférence  de  notre  oreille  pour  le 
véritable^iz 5,  tierce  majeure[\lb)  du  rc,  plus  haut  que  l'harmonique  i  i, 
ou  pour  le  sol%,  tierce  majeure  du  ;;//,  plus  bas  que  l'harmonique  1  3,  etc. 


to4  L'HARMONIE 

Ce  raisonnement  mathématique  corrobore  pleinement  l'habitude  de 
notre  oreille,  qui  exclut  instinctivement  de  notre  système  musical  tous 
les  sons  harmoniques  correspondant  aux  nombres  premiers  et  h  leurs 
multiples,  exception  faite  pour  les  nombres  premiers  3  et  5,  constitutifs 
de  l'Accord. 

Ainsi  se  trouvent  successivement  éliminés  de  la  série  illimitée  des  sons 
harmoniques  : 

1°  les  nombres  pai?^s  (multiples  de  2),  comme  redoublements  d'oc- 
tave ; 

2°  les  nombres  premiers  au-dessus  de  7  inclusivement,  ainsi  que 
leurs  multiples,  comme  trop  compliqués  pour  notre  oreille. 


ROLE    RESPECTIF    DE    l'hARMONIQUE    3    (qUINTE)  ET    DE     l'hARMONIQUE    5    (tIERCe) 
DANS  LA  GENÈSE    DK  LA    GAMME 

Restent  les  harmoniques  3  et  5,  qui,  avec  leurs  multiples,  suffisent  à 
engendrer,  non  seulement  l'Accord,  mais  tous  les  sons  de  notre  système 
musical  moderne. 

Toutefois,  l'importance  de  chacun  de  ces  deux  chiffres  est  fort  diffé- 
rente dans  la  genèse  de  la  gamme. 

Si  l'on  se  sert  en  effet  durapport  5  (tierce  majeure),  on  n'aboutit  point 
à  une  gamme  complète. 

En  résonnance  supérieure,  par  exemple,  la  tierce  inajeure  de  la  tiei'ce 
7najeu7~e  (i/5  de  i/5)  est  un  son  nouveau  {sols,  par  rapport  à  Ut 
prime)  utilisable  dans  notre  gamme  ;  mais  la  tierce  majeure  [si  5  )  de 
ce  dernier  son  reproduit  à  si  peu  de  chose  près  (moins  de  trois  vibrations 
pour  cent  par  seconde)  une  oc^az^e  du  son  prime  Ut,  que  notre  oreille 
ne  saurait  apprécier  la  différence  entre  ces  deux  sons. 

Pareille  opération  pratiquée  en  résonnance  inférieure,  c'est-à-dire  de 
l'aigu  au  grave,  ne  déterminerait  point  de  sons  nouveaux.  On  retrouve- 
rait les  trois  mêmes  sons  que  précédemment  [Mi  prime,  ut  et  sol  s  ou 
la  b  ,)  et  au  delà,  un  /a  b  ,  impossible  à  distinguer  pratiquement  du 
mi,  octave  du  son  pt^ime. 

Tout  autre  est  le  résultat,  lorsqu'on  opère  avec  le  plus  simple  de  tous 
les  rapports  musicaux,  le  nombre  3,  la  quinte. 

Qu'on  aille  vers  le  grave  ou  vers  l'aigu,  chaque  quinte  nouvelle(i/3  de 
la  quinte  précédente)  produit  un  son  nouveau,  qui,  par  une  simple  trans- 
position d'octave,  vient  prendre  place  dans  notre  gamme  chromatique  : 
c'est  seulement  après  avoir  engendré  de  la  sorte  les  dou';{e  sons  de  cette 
gamme,  que  nous  retrouvons,  par  la  voie  des  quintes,  le  son  terminus  {si  5, 
par  exemple)  confondu  par  notre  oreille  avec  le  son  prime   Ut,  en  vertu 


L'HARMONIE  io5 

decettetolcranced'intonation  due  à  l'imperfection  tout  humaine  denotre 
organe  auditif  (i). 

LE    CYCLE  DES  QUINTES 

Le  rapport  de  quinte  est  donc  le  seul  capable  de  fournir  dans  un  ordre 
logique  tous  les  éléments  de  la  gamme,  à  l'exclusion  de  tout  élément 
étranger. 

Présentés  suivant  cet  ordre,  qu'on  peut  figurer  par  un  cercle,  les  sons 
se  répartissent  naturellement  en  diatoniques  et  en  chromatiques. 

Les  dénominations  différentes,  que  l'usage  du  dièse  et  du  bémol  nous 
oblige  à  employer  pour  un  même  son,  se  superposent  en  unmême  point. 
Les  sons  primes  de  deux  gammes  relatives  de  mode  différent  [Ut  et  A//, 
par  exemple)  sont  placés  symétriquement,  et  ces  modes  eux-mêmes  ne 
sont  qu'un  changement  de  sens. 

Enfin,  chacun  des  sons  de  notre  système  nous  apparaît  dans  une  sorte 


(i)  Entre  les  sons  obtenus,  soit  par  la  série  des  tierces  (sol  5  tierce  de  mi,  par  rapport  à  Ut 
prime,  par  exemple),  soit  par  la  série  des  quintes  (si  b,  quinte  grave  de/i3,  par  rapport  à  Ut 
prime,  par  exemple)  et  les  sons  tempérés  normaux,  il  n'y  a  aucune  différence  d'intonation 
pratiquement  appréciable.  Il  y  a  seulement  un  écart  de  calcul  purement  théorique,  et  sans 
effet  notable  sur  les  sons  eux-mêmes. 

lien  est  bien  autrement  entre  ces  mêmes  sons  tempérés  et  ceux  des  sons  harmoniques  que 
notre  oreille  rejette,  pour  les  motifs  que  nous  venons  d'exposer.  Leurs  écarts  d'intonation 
sont  parfaitement  appréciables,  et  rendraient  impraticable  une  substitution  des  uns  aux 
autres. 

Qu'on  en  juge  par  l'exemple  suivant  : 

Dans  l'octave  moyenne  accordée  au  diapason  normal,  le  si  \j  tempéré,  7^ 


correspond  à  un  nombre  de  vibrations  égal  à  460,  8  par  seconde  :  le  si  t?  de  la  série  des 
quintes  en  diffère  seulement  par  un  peu  moins  de  deux  vibrations,  car  il  est  égal  à  459. 

Or,  ce  SI  b,  quinte  grave  de  la  quinte  grave,  par  rapport  à  Vut  tempéré,  supporte  déjà  deux 
erreurs  qui  s'ajoutent  ;  la  différence,  dans  cette  octave,  entre  la  quinte  tempérée  et  la  quinte 
exacte  n'atteint  donc  pas  une  vibration  par  seconde,  sur  des  nombres  pouvant  varier  entre 
25o  et  5oo  vibrations. 

L'observation,  même  la  plus  superficielle,  de  l'accord  des  instruments  de  musique  nous 
révèle  des  écarts  notablement  plus  grands,  soit  entre  deux  exécutants  quelconques,  jouant  ou 
chantant  aussi  juste  que  possible,  soit  entre  deux  notes  rigoureusement  accordées  entre  elles 
à  l'octave  ou  à  l'unisson,  sur  deux  instruments  à  sons  fixes,  tels  que  le  piano,  l'orgue,  la 
flûte,  etc.  ;  et  la  netteté  des  exécutions  n'en  est  nullement  troublée. 

Le  septième  harmonique  au  contraire  présente,  par  rapport  à  ce  même  si  b  tempéré,  une 
différence  qui  dépasse  huit  vibrations  à  la  seconde,  car  il  est  égal  à  453,6.  Il  est  donc  nota- 
blement plus  bas,  et  nul  auditeur  ne  tolérerait  sans  protester  un  écart  de  cette  importance 
entre  deux  quelconques  des  exécutants  d'un  orchestre  ou  d'un  ensemble  vocal. 

Cet  exemple,  dont  on  peut  faire  l'application  à  tous  les  sons  tempérés,  suffit  pour  réduire 
à  sa  valeur  toute  une  catégorie  d'objections  plus  ou  moins  spécieuses,  soulevées  par  d'habiles 
théoriciens,  au  nom  de  l'esactitude  mathématique,  dans  le  but  d'infirmer  certains  principes 
physiques  et  métaphysiques  basés  sur  les  rapports  de  vibrations,  et  notamment  sur  la /oi  des 
quintes. 

L'explication  rationnelle  de  notre  système  musical  par  les  doutée  quintes  n'en  demeure  pas 
moins  la  plus  satisfaisante,  parmi  toutes  les  théories  auxquelles  a  donné  lieu  jusqu'ici  la 
genèse  de  notre  gamme  actuelle. 


io6 


L'HARMONIE 


d'équilibre  harmonique  entre  ses  deux  voisins,  situés  à  égale  distance, 
l'un  à  la  quinte  supérieure^  l'autre  à  la  quinte  inférieure  (i)  : 


@ 

Le  génie  créateur  du  musicien  vient  rompre  et  rétablir  tour  à  tour  cet 
équilibre  'nsiable,  au  moyen  de  tous  les  artifices  que  lui  suggèrent  sa 
science  et  son  inspiration. 

Mais,  quelque  compliqué  que  puisse  paraître  le  procédé  employé  pour 
la  rupture  ou  le  rétablissement  de  cet  équilibre,  le  mouvement  qui  en 
résulte  ne  peut  être  qu'une  oscillation  d'un  côté  ou  de  l'autre  :  vers  les 
quintes  aiguës  ou  vers  les  quintes  graves^  comme  on  s'en  rendra  compte 
par  l'étude  de  la  Tonalité   et  de  la  Modulation. 

(i)  La  figure  représentant  ici  le  Cycle  des  quintes  a  été  établie,  ainsi  que  tout  l'exposé  de 
ce  système,  par  M.  Auguste  Sérieyx  ;  l'auteur  du  Cours  de  composition  tient  à  rendre  à  son 
collaborateur  ce  qui  lui  est  dû. 


# 


VII 

LA    TONALITÉ 


Valeur  esthétique  de  l'Accord  ;  la  tonique.  —  La  tonalité  dans  les  trois  éléments  de  !a 
musique,  —  Le  rôle  de  la  quinte.  —  Les  trois  fonctions  tonales.  —  Tableau  des  fonctions 
tonales.  —  La  cadence  et  ses  divers  aspects.  —  Constitution  de  la  tonalité  ;  parenté  des 
sons.  —  Limite  de  la  tonalité.  —  Application  du  principe  de  tonalité  à  la  connaissance  de 
l'harmonie.  —  Analyse  de  l'harmonie  à  l'aide  des  fonctions  tonales. 


VALEUR    ESTHETIQUE  DE  L  ACCORD.  —  LA  TONIQUE 

En  vertu  de  la  loi  générale  de  mouvement  ou  de  succession  qui  sert 
de  base  à  la  musique,  l'Accord,  de  même  que  chaque  note  d'une  mélodie, 
est  dépourvu  de  tout  efifet  esthétique  s'il  est  entendu  isolément,  c'est-à- 
dire,  en  état  d'immobilité. 

Il  n'acquiert  sa  î'a/eî/r  musicale  que  par  l'effet  d'une  comparaison,  d'une 
mise  en  rapport  avec  ce  qui  le  suit  ou  le  précède,  c'est-à-dire  lorsqu'il  est 
(?«  mouvement. 

Mais  ce  travail  latent  de  comparaisons  successives  ne  se  fait  point  au 
hasard  dans  notre  entendement  :  il  procède  au  contraire  méthodique- 
ment, suivant  certaines  lois  et  à  l'aide  de  certains  points  de  î'epère, 
nécessités  par  l'impossibilité  où  nous  sommes  d'apprécier  les  valeurs  en 
elles-mêmes,  c'est-à-dire  d'une  façon  absolue. 

Toutes  les  opérations  de  notre  esprit,  en  effet,  sont  essentiellement 
relatives,  et,  pour  acquérir  quelque  précision,  doivent  être  rapportées  à 
un  point  de  départ  plus  ou  moins  invariable,  h  un  terme  unique  de 
comparaison,  ou  plus  exactement,  à  une  commune  mesure. 

Si  nous  voulons  nous  rendre  compte  des  mouvements,  nous  cherchons 
un  point  fixe  ;  pour  évaluer  les  distances,  nous  choisissons  une  longueur 
type,  une  unité  de  longueur,  etc. 

Il  en  est  de  même  évidemment  des  phénomènes  musicaux,  qui,  comme 
les  nombres  dont  ils  sont  la  manifestation  esthétique,  sont  sans  cesse 
perçus,  consciemment  ou  non,  par  rapport  à  un  point  de  départ,  la 
tonique,  jouant  ici  le  rôle  du  point  fixe,  de  l'unité  de  longueur,  en  un  mot 
de  la.  commune  mesure. 


io8  LA  TONALITÉ 

La  tonique  est  donc  la  commune  mesure  nécessaire  pour  déterminer 
la  valeur  relative  de  tous  les  phénomènes  qui  se  succèdent  dans  un 
fragment  musical  quelconque. 

LA  TONALITÉ  DANS  LES  TROIS  ELEMENTS 
,  DE  LA  MUSIQUE 

Cette  commune  mesure,  on  le  conçoit  sans  peine,  ne  saurait  être  tou- 
jours la  même  :  tous  les  mouvements  que  nous  percevons  ne  peuvent 
être  rapportés  au  même  point  fixe,  ni  toutes  les  distances  à  la  même 
unité  de  longueur. 

De  même  en  musique,  lorsqu'il  s'agit  surtout  d'une  composition  un 
peu  longue  et  complexe,  les  périodes  et  les  phrases  qui  s'y  succèdent  ne 
se  rapportent  pas  toutes  à  la  même  tonique. 

Toutes  les  successions  musicales  susceptibles  d'être  mises  en  rapport 
par  notre  esprit  avec  une  tonique  déterminée  sont  dites  dans  la  même 
tonalité. 

La  Tonalité  peut  donc  être  définie  :  t  ensemble  des  phénomènes  musicaux 
que  V  entendement  humain  peut  appj^éciey^  par  comparaison  directe  avec  un 
phénomène  constant  —  la  tonique  — pris  comme  terme  invariable  de  com- 
paraison. 

La  notion  de  tonalité  est  extrêmement  subtile,  en  raison  de  son  carac- 
tère subjectif:  elle  varie,  en  effet,  suivant  les  différences  d'éducation 
musicale  et  le  degré  de  perfection  de  notre  entendement. 

Elle  s'applique  du  reste  aux  trois  éléments  de  la  musique  ;  chez  cer- 
tains peuples  sauvages,  où  le  seul  caractère  musical  appréciable  est  la 
succession  symétrique  des  bruits,  la  tonalité,  simple  unité  de  te7nps^  est 
purement  îythnique  {i). 

Les  monodies  médiévales,  dans  lesquelles  les  relations  entre  les  for- 
mules décoratives  accessoires  et  la  note  principale  s'établissent  successi- 
vement, sont  conçues  dans  des  tonalités  exclusivement  mélodiques  (2). 

Tout  autre  est  notre  tonalité  contemporaine,  basée  principalement  sur 
la  constitution  harmonique  des  périodes  et  des  phrases,  c'est-à-dire  sur 
les  parentés  ou  affinités  existant  entre  les  sons,  en  raison  de  leur  réson- 
nance  harmonique  naturelle,  supérieure  ou  inférieure. 


(i)  Cette  sorte  de  tonalité  purement  rythmique  n'est  nullement  une  hypothèse  ;  on  peut 
môme  en  citer  un  curieux  exemple. 

De  nos  jours,  certains  instrumentistes  tout  à  fait  illettrés  et  dépourvus  d'éducation  musicale, 
comme  ceux  des  fanfares  des  Tirailleurs  algériens,  ne  discernent  au  premier  abord,  dans  les 
airs  qu'on  leur  joue  pour  les  leur  enseigner,  aucune  différence  mélodique  d'intonation  ;  ils 
n'en  perçoivent  et  n'en  retiennent  que  les  relations  rythmiques,  lesquelles  revêtent  dans 
leur  entendement  le  caractère  d'une  véritable  musique  avec  sa  tonalité  propre. 

{2)  Voir  au  chap.  n  ,  page  40,  ce  qui  concerne  la  tonalité  mélodique. 


LA  TONALITÉ  109 

LE    RÔLE    DE    LA    QUINTE 

Pour  nous,  la  tonalité  résulte  de  la  valeur  harmonique  ({ue  nous  attri- 
buons à  l'Accord,  et  cette  valeur  doit  nécessairement  s'établir  par 
comparaison. 

Toute  comparaison  suppose  au  moins  deux  termes  différents  :  V Accord^ 
pour  devenir  déterminatif  d'une  tonalité^  doit  donc  être  entendu  au 
moins  deux  îo'is^  de  deux  façons  différentes  et  comparables. 

Mais  comme  l'Accord  reste  identique  à  lui-même  tant  qu'il  est  engen- 
dré dans  le  même  sens,  —  ou  dans  le  même  mode,  —  par  une  noteprime 
déterminée, —  ou  par  ses  octaves,  —  il  faut  nécessairement  changer  cette 
note  prime,  pour  obtenir  les  deux  termes  différents  de  comparaison,  ser- 
vant à  établir  la  valeur  harmonique  de  l'Accord. 

La  même  raison  qui  a  fait  préférer  le  rapport  de  quinte  à  tout  autre 
pour  la  genèse  de  la  gamme  (  i  )  s'applique  ici  à  la  genèse  de  la  tonalité  :  la 
quinte étantle  plus  simple  des  intervalles  réels  (i/3),  un  son  quelconque 
est  plus  aisément  comparable  avec  sa  quinte,—  aiguë  ou  grave, —  qu'avec 
tout  autre  ;  et,  par  voie  de  conséquence,  l'harmonie  naturelle  d'un  son 
quelconque  est  plus  aisément  comparable  avec  celle  de  sa  quinte, —  aiguë 
ou  grave,  —  qu'avec  toute  autre. 

Ainsi,  l'accord  ayant  pour  prime  Ut  en  résonnance  supérieure  par 
exemple,  a  plus  d'affinité  et  s'enchaîne  plus  naturellement  avec  l'accord 
ayant  pour  prime  soit  sa  quinte  supérieure  Sol,  soit  sa  quinte  inférieure 
Fa,  qu'avec  n'importe  quel  autre. 

La  mise  en  rapport,  par  émission  successive,  d'un  accord  quelconque 
avec  celui  de  sa  quinte  supérieure  ou  inférieure,  constitue  le  minimum 
nécessaire  à  l'établissement  d'une  tonalité. 

LES    TROIS    FONCTIONS    TONALES 

On  nomme  fonction  tonale  de  l'Accord  le  caractère  spécial  que  cet 
accord  prend  dans  notre  esprit  suivant  qu'il  nous  est  présenté  : 

1"  comme  jpozn/  de  départ  ou  commune  mesure  ; 

2°  comme  déterminatif  d'une  oscillation  vers  la  quiîite  supérieure  ; 

3°  comme  déterminatif  d'une  oscillation  vers  la  quinte  iîiférieure. 

Les  fonctions  to7iales  de  V Accord  sont  donc  de  trois  sortes,  et  rigou- 
reusement symétriques  dans  les  deux  modes. 

En  mode  majeur  (résonnance  supérieure)  : 

1°  l'accord  qui  sert  de  poi?it  de  départ  remplit  la  fonction  de  tonique  ; 

2°  l'accord  de  quinte  supérieure  est  dit  fonction  de  dominante  ; 

3°  l'accord  de  quinte  itiférieure  est  dit  fonction  de  sous-dominante. 

H)  Voir  chap.  vi,  p.  104  et  suiv. 


no  LA  TONALITÉ 

En  mode  viineur  (résonnance  inférieure),  l'accord  origine  remplit 
aussi  la  fonction  de  ?o«/^we;  mais  comme  il  apour/»r/me  sa  note  aîguè\ 
c'est  l'accord  de  quinte  inférieure  qui  joue  le  rôle  de  dominante  et  l'accord 
de  la  quinte  supérieure  qui  fait  fonction  de  sous-dominante. 

Le  tableau  suivant  permet  de  se  rendre  compte  de  la  parfaite  symétrie 
des  trois  fonctions  tonales  de  V Accord  dans  chacun  des   deux  modes  (i). 

TABLEAU    DES    FONCTIONS    TONALES 


Pommante 


TONIQDE 


Sous-dominante     f^   -la-ul 


LA     CADENCE    ET    SES    DIVERS    ASPECTS 

On  appelle  cadences  harmoniques  les  formules  harmoniques  à  l'aide 
desquelles  on  marque  dans  le  discours  musical  des  repos  provisoires  ou 
définitifs,  comparables  à  ceux  que  déterminent  dans  le  langage  les  signes 
de  ponctuation.  Ces  formules,  dont  l'aspect  varie  à  l'infini,  ont  toutes  pour 
principe  l'enchaînement  de  l'accord  en  fonction  de  tonique  à  Yune  des 
deux  autres  fonctions. 

Si  l'enchaînement  procède  de  la  fonction  de  tonique  à  l'une  des  deux 
autres,  il  y  a  ^zV^r^ewce;  le  sens  de  la  phrase  est  incomplet,  la.  cadence 
est  dite  suspensive. 

Dans  le  cas  contraire,  c'est-à-dire  lorsque  l'enchaînement  procède  de 
la  fonction  de  dominante  ou  de  la  fonction  de  sous-dominante,  à  la  fonc- 
tion de  tonique,  il  y  a  convergence  ;  la  phrase  est  complète,  la  cadence  est 
dite  conclusive. 

On  appelle  plus  particuVièreTnent  parfaite  celle  des  deux  cadences  con- 
clusives  qui  est  formée  de  la  dojninante  suivie  de  la  tonique  ;plagale  celle 
qui  s'opère  par  la  succession  des  fonctions  de  sous-dominante  et  de 
tonique. 

La  différence  entre  ces  deux  formes  de  la  cadence  conclusive  n'est  pas 


(i)  Comparer  avec  le  Cycle  des  quintes,  p.  lofi, 


LA  TONALITÉ  iit 

autre  chose  qu'une  substitution  de  mode,  c'est-à-dire  un  changement  de 
sens. 

Dans  notre  mode  mineur  inverse,  en  effet,  l'accord  en  fonction  de 
dominante  [ré-fa-LA),  ayant  pour  jcr/me  le  cinquième  degré  [LA)  de  la 
gamme  descendante  du  mi  au  mi,  coïncide  précisément  avec  l'accord  dit 
de  sous-dominante  [Ré-fa-la),  placé  sur  le  quatrième  degré  [Ré]  de  la 
gamme  ascendante  du  /a  au  la,  en  mode  mmQuv  vulgaire. 

La  véritable  cadence  parfaite  consiste  donc  dans  les  enchaînements 
suivants  : 


Cadence 
parfaite  : 


Résonnance  supérieure 
(mode  majeur) 


K^ 


Dominante 


Tonique 


B 


Résonnance  inférieure 
(mode  mineur) 


Dominante 


Tonique 


et  la véritablejc/a^a/e est  constituée  ainsi: 


Cadence 
plagale  : 


Résonnance  supérieure 
(mode  majeur) 


^ 


Sous-Dominante 


Tonique 


D 


Résonnance  inférieure 
(mode  mineur) 


0 ^ 

rj 

A.                   ri 

/î 

Sous-Dominante 

Tonique 

'-^ O 

r.d~.   . 

La  cadence  parfaite  mineure  (B)  est  une  simple  transposition  dans  ce 
mode  de  \a  plagale  majeure  {Q;  de  même,  la  cadence  parfaite  majeure 
(A)  est  une  transposition  dans  ce  mode  de  la  plagale  mineure  (D). 

Enfin,  les  deux  formes  suivantes  : 


Résonnance  supérieure 
(mode  majeur) 


t ° 

=^  — 

^ \r^ 

^ 

^ \ 

Sous-Dorainante 

Tonique 

*f 

\ 

/ 

rj 

D' 


I 


Résonnance  inférieure 
(mude  mineur) 


Sous-Dominante 


¥ 


Tonique 


proviennent  d'une  simple  substitution  de  mode,  pratiquée  seulement  sur 
Vune  des  deux  fonctions  tonales  formant  cadence. 


112  LA  TONALITÉ 

On  peut  aisément  se  rendre  compte  que  la  première  (C)  est  une  pla- 
gale  majein^e  dont  la  fonction  de  sous-dominante  a  été  empruntée  au 
mode  mineur  de  même  tonique. 

Quant  à  l'autre  (D'),  dont  on  a  fait  très  improprement  la  cadence  par- 
faite du  mode  mineur  moderne,  elle  n'est  pas  autre  chose  en  réalité 
qu'une  plagale  mineure  empruntant  pareillement  sa  fonction  de  sous- 
dominante  au  mode  majeur  de  même  tonique.  La  seule  cadence  parfaite 
mineure  est  celle  que  nous  avons  établie  (B)  symétriquement  à  la  ca- 
dence parfaite  majeure  (A).  C'est  du  reste  la  seule  employée  dans  les 
pièces  musicales  construites  sur  la  véritable  gamme  mineure  inverse^ 
jusque  vers  le  xvie  siècle  ;  et  cette  cadence,  improprement  qualifiée  au- 
jourd'hui de  plagale,  est  la  seule  qui  convienne  vraiment  au  mode 
mineur,  basé  sur  la  résonnance  harmonique  inférieure. 

La  Cadence  est  donc,  comme  l'Accord,  unique  dans  son  principe,  et 
variable  dans  ses  aspects,  en  raison  du  sens  suivant  lequel  s'opère  le 
mouvement  d'oscillation  harmonique  qu'elle  détermine. 

Ce  mouvement  symétrique  de  la  Cadence  dans  chacun  des  deux  modes 
est  rendu  plus  frappant  encore,  lorsqu'on  ajoute  à  la  réalisation  une 
cinquième  partie  contenant  une  note  de  passage  dissonnante. 


A 


Dominante 


S 


Tonique 


rta.-ô^lmte  I 


Cadence  plagale  majeure 


Cadence  plagale  mineure 


Le  mouvement  mélodique  de  cette  partie  ajoutée  montre  nettement 
que  les  aspects  de  la  Cadence  ne  sont  que  des  changements  de  sens  (i)  : 
descendant  àdiRs  les  cadences /7ar/*ai7e  majeure  (A)  et  plagale  mineure  (D), 
ce  mouvement  est  ascendant  dans  les  cadences  parfaite  mineure  (B)  et 
plagale  majeure  (C). 


(i)  Certains  auteurs  ont  donné  le  nom  At  polarité  à  ces  transformations  symétriques  de 
la  Cadence,  auxquelles   le  mot  réversibilité  conviendrait  mieux. 


LA  TONALITÉ 


ii3 


Ainsi  se  vérifie  de  nouveau  l'unité  de  la  cadence,  dont  les  formes 
plagaîes  (G,  D)  procèdent  respectivement  en  sens  inverse  des  formes 
parfaites  (A,  B\  de  même  que  les  formes  mineures  (B,  D)  procèdent  en 
sens  inverse  de  formes  majeures  (A,  G). 

Il  n'est  pas  inutile  de  remarquer  que,  dans  les  exemples  cités  plus 
haut,  les  notes  dissonnantes  (fa  et  si  dans  les  c^àtncQs  parfaites^  ré  dans 
les  plagaîes)  expliquent  mélodiquement  les  combinaisons  que  les  traités 
d'harmonie  appellent  accords  de  septième  : 


FA 

r  ^^ 

f  ut 

/    RÉ 

ré 
si 

B 

1   fa 
1   ré 

C 

fa 

D 

)  sol 

sol 

l      SI 

[    RÉ 

(  mi 

Si  l'on  ajoute  même  à  ces    exemples  la  dissonnance    résultant   du 
mouvement  de  la  tonique  à  la  sous-dominante; 


note  [ 
dissonnanta 


on  aura  toutes  les  espèces  de  septièmes  cataloguées  dans  les  traités 
sous  de   bizarres  et  fantaisistes  dénominations. 

Dans  ces  combinaisons,  la  véritable  dissonnance,  comme  on  peut  le 
voir,  est  tantôt  à  Vaigu  (A,  D,  E),  tantôt  au  grave  (B,  G)  :  cette  par- 
ticularité démontre  plus  clairement  encore  l'inexistence  des  prétendus 
accords  de  septième,  simples  juxtapositions  passagères  dues  à  l'enchaî- 
nement înélodique  des  parties  en  mouvement. 

L'effet  de  la  cadence  est  de  préciser  le  sens  de  ce  mouvement  par 
rapport  aux  fonctions  tonales  de  l'Accord,  c'est-à-dire  de  déterminer  la 
Tonalité   dans  laquelle  une  période  ou  une  phrase  est  établie. 

Il  reste  à  examiner  par  quels  éléments  une  tonalité  est  constituée  et 
dans  quelles  limites  elle  est  circonscrite. 


CONSTITUTION  DE  LA  TONALITE 
PARENTÉ    DES   SONS 


Chacun  des  douze  sons  de  notre  système  musical  moderne  peut  ser- 
vir de  point  de  départ  à  une  tonalité. 

Cours  de  composition.  b 


114 


LA  TONALITE 


Lorsque,  par  l'effet  d'une  cadence  exprimée  ou  sous-entendue,  l'un 
quelconque  de  ces  douze  sons  a  revêtu  le  caractère  de  tonique,  tous  les 
autres  sont  susceptibles  d'être  mis  en  rapport  avec  lui,  c'est-à-dire 
d'appartenir  à  sa  tonalité. 

Il  existe  en  effet  entre  un  son  choisi  comme  tonique  (UT  tJiaj'eut^  pai 
exemple)  et  chacun  des  autres  sons  de  la  gamme,  une  parenté  plus  ou 
moins  immédiate,  une  affinité  plus  ou  moins  grande,  basée  à  la  fois  sur 
l'ordre  des  quintes  et  sur  la  résonnance  harmonique. 

Cette  parenté  ou  cette  affinité  peut  être  limitée  à  trois  catégories  diffé- 
rentes : 

I®  la  parenté  àe.  premier  ordre  relie  la  tonique  à  sa  quinte^  supérieure 
ou  inférieure  (UT  k  Sol,  UT  k  Fa)  et  à  ses  hatvnoniques  naturels 
consonnants  {UT  k  Mi  et  à  Sol]. 

2°  la  parenté  de  second  ordre  relie  la  tonique  aux  harmoniques  natu- 
rels consonnants  de  sa  quinte.,  supérieure  ou  inférieure  {UT  à  si  et  à 
ré,  par5o/;  —  UTk  la,  par  Fa.) 

Ainsi,  l'harmonie  des  trois  fonctions  tonales  [UT-mi-sol,  tonique. 
Sol-si-ré,  dominante.  Fa-la-ut,  sous-dominante)  contient  tous  les  sons 
reliés  à  la  tonique  par  la  parenté  de  premier  ou  de  second  ordre.  Cet 
ensemble  constitue  la  tonalité  diatonique,  c'est-à-dire  un  groupe  de 
sept  sons  principaux,  qui,  ramenés  à  l'ordre  générique  des  quintes,  se 
succèdent  régulièrement   entre  la   sous-dominante  et  la  sensible  : 


Sens 
du  mode 
majeur 


3°  Mais  la  tonalité  diatonique,  qui  n'occupe  que  la  moitié  du  cycle 
des  quintes,  est  essentiellement  incomplète  si  l'on  n'y  ajoute  les  cinq 
sons,  vulgairement  appelés  clwomatiques,  qui  se  succèdent  régulière- 
ment entre  la  sensible  et  la  sous-dominante,  et  forment  l'autre  moitié  du 
cycle  : 


LA  TONALITÉ 


ii6 


Sens  du  mode 
majeur 


S;I 

un 

solb 

uiPf- 

f  y 

f'éb 

■#' 

Sens  du  mode 
mineur 


Ces  cinq  sons  complémentaires  font  partie  intégrante  de  la  tonalité, 
mais  ils  n'y  ont  pas  un  rôle  aussi  prépondérant  que  les  sept  sons  prin- 
cipaux, dits  diatoniques,  car  leur  parenté  avec  la  tonique  est  plus  éloignée 
et  plus  complexe. 

Cette  parenté  de  tf^oisième  ordre  s'établit  suivant  les  cas,  de  diverses 
façons;  elle  s'étend  notamment: 

à)  aux  harmoniques  naturels  consonnants  des  sons  reliés  à  la  tonique 
par  la  parenté  de  second  ordre  ;  par  exemple  : 

/a  fl,  harmonique  de  ré,  parent  d'f/T  par  5o/; 
reJî,  harmonique  de  si,  parent  d'UT  par  Sol; 
ut^,  harmonique  de  la,  parent  d'C/T"  par  Fa; 

b)  aux  harmoniques  de  mode  différent  provenant  des  sons  reliés  à 
la  tonique  par  la  parenté  de  premier  ou  de  second  ordre;  par  exemple  ; 

mi  t»,  harmonique  inférieur  de  Sol,  parent  à*  UT  ; 

si  b,  harmonique  inférieur  de  re  parent  à' UT  par  Sol  ; 


etc.  etc. 


LIMITE    DE   LA   TONALITÉ 


La  parenté  de  troisième  ordre  peut  être  considérée  comme  la  limite 
extrême  de  la  Tonalité,  en  l'état  actuel  de  notre  éducation  musicale. 
Les  sons  rangés  dans  cette  dernière  catégorie  tendent  à  s'éloigner  de 
plus  en  plus  de  la  tonique  primitive,  et  à  entrer  en  rapport  avec 
d  autres  toniques  plus  rapprochées  d'eux,  c'est-à-dire  à  modifier  la 
Tonalité,  h  moduler.  Cette  tendance  modulante  est  due  à  l'inertie  de 
notre  entendement,  qui  préfère  une  opération  plus  simple  à  une  opéra- 
tion plus  compliquée.  (Voirchap.  vi,  p.  io3.) 

Il  est  facile  toutefois  de  se  rendre  compte  que  les  sons  reliés  ii  la 
tonique  par  la  parenté  de  troisième  ordre,  et  improprement  qualifiés  par 


Il6  La  tonalité 

l'usage  d'altéi'ês  ou  de  chromatiques^  ne  sont  nullement  étrangers  à  la 
tonalité  établie. 

Le  principe  de  tonalité  permet  donc  de  rattacher,  à  l'aide  de  la 
résonnance  harmonique  et  de  l'ordre  des  quintes,  tous  les  sons  de  notre 
gamme  musicale  à  wi  seul  d'entre  eux:  la  Tonique. 

On  conçoit  dès  lors  l'importance  extrême  de  ce  principe,  qui  sert  de 
base  à  toute  l'harmonie. 

APPLICATION  DU    PRINCIPE  DE  TONALITÉ  A  LA  CONNAISSANCE  DE  l'haRMONIE 

L'harmonie,  due  à  la  superposition  de  mélodies  différentes,  n'est 
pas  autre  chose  que  la  mise  en  mouvement  de  l'Accord  ;  or  ce  mou- 
vement est  une  perpétuelle  oscillation  entre  les  quintes  aiguës  et  les 
quintes  graves,  entre  les  dominantes  et  les  sous-dominantes. 

La  connaissance  de  l'harmonie  se  réduit  donc  au  discernement  des 
trois  fonctions  tonales  de  l'Accord,  à  l'aide  des  cadences,  c'est-à-dire  à  la 
stricte  application  du  jcr/wci/je  <ie  tonalité. 

Ainsi  envisagée,  la  notion  de  l'harmonie  est  des  plus  simples  et  peut 
se  résumer  de  la  façon  suivante: 

i^;  il  n'y  a  qu'ww  seul  accord^  l'Accord  parfait^  seul  consonnant,  parce 
que,  seul,  il  donne  la  sensation  de  repos  ou  d'équilibre; 

2"  l'Accord  se  manifeste  sous  deux  aspects  différents,  l'aspect  majeur 
et  l'aspect  mineur.,  suivant  qu'il  est  engendré  du  grave  à  l'aigu  ou  de 
l'aigu  au  grave. 

3"  l'Accord  est  susceptible  de  revêtir  trois  fonctions  tonales  diffé- 
rentes, suivant  qu'il  est  Tonique.,  Dominante  ou  Sous-dominante. 

Tout  le  reste  n'est  qu'artifice  :  ce  que  l'on  est  habitué  de  nommer 
disson?iance  n'est  que  la  modification  passagère  apportée  à  l'Accord,  soit 
par  l'adjonction  de  notes  jnélodiques  n'ayant  avec  celles  de  l'accord 
parfait  qu'une  parenté  médiate,  soit,  ce  qui  revient  au  même,  par  l'alté- 
ration d'une  ou  plusieurs  notes  mélodiques  de  cet  accord  consonnant. 

Toute  dissonnance  ou  altération  ne  peut  être  entendue  ou  expliquée 
que  mélodiquemeîît^  parce  que,  détruisant  la  sensation  de  repos  donnée 
par  l'Accord,  elle  appelle  une  succession,  une  suite  mélodique. 

Toutes  les  combinaisons  de  sons  qu'on  appelle  «  accords  dissonnants  » 
proviennent  de  successions  mélodiques  en  mouvement.,  et  peuvent  tou- 
jours être  ramenées  à  l'une  des  trois  fonctions  tonales  de  l'Accord: 
Tonique,  Dominante,  Sous-dominante. 

Ces  combinaisons  nécessitant,  pour  être  examinées,  un  arrêt  artificiel 
dans  les  mélodies  qui  les  constituent,  n'ont  point  d'existence  propre, 
puisqu'en  faisant  abstraction  du  mouvement  qui  les  engendre,  on 
supprime  leur  unique  raison  d'être. 


LA  TONALITE 


»»7 


Toute  considération  sur  les  accords,  en  eux-mêmes  et  poureux-mêmes, 
est  donc  étrangère  à  la  musique  :  cette  étude  très  intéressante  a  donné 
lieu  à  des  théories  et  même  à  des  découvertes  des  plus  curieuses. 
Mais,  en  la  transportant  du  domaine  de  la  Science  dans  celui  de  l'Art, 
on  a  propagé  cette  erreur  esthétique  si  dangereuse  qui  consiste  à  classer 
les  accords,  et  à  établir  des  règles  différentes  pour  chacun  d'eux,  en  leur 
accordant  par  cela  même  une  réalité  distincte. 

C'est  ainsi  que  les  accords  sont  trop  souvent  devenus  le  but  de  la 
musique,  alors  qu'ils  n'y  devraient  jamais  être  autre  chose  qu'un  moyen. 
une  conséquence,  un  phénomène  passager. 


ANALYSE  DE  L  HARMONIE  A  L  AIDE  DES  FONCTIONS  TONALES 

L'analyse  de  l'harmonie  ne  consiste  donc  pas  à  rattacher  telle  ou 
telle  agglomération  de  sons  à  un  catalogue  forcément  arbitraire,  mais 
seulement  à  rechercher  les  fonctions  tonales  de  l'Accord,  c'est-à-dire  : 

1°  à  déterminer  exactement  les  changements  réels  dans  la  tonalité,  de 
façon  à  n'apprécier  jamais  les  phénomènes  harmoniques  que  par  rap- 
port à  la  tonalité  établie  au  moment  où  ils  se  produisent  •  il  convient 
ici  de  ne  pas  confondre  des  combinaisons  passagères  d'aspect  modulant 
avec  de  véritables  modulations  ; 

2"  à  éliminer  toutes  les  notes  artificielles  dissonnantes,  dues  uni- 
quement au  mouvement  mélodique  des  parties,  mais  étrangères  à  l'Ac- 
cord (i). 

(i)  Considérons,  par  exemple,  cette  disposition  harmonique  tant  de  fois  répétée  dans  Tris- 
tan und  Isolde  de  R.  Waçrner: 


Les  harmonistes  professionnels  s'ingénieraient  à  nommer  le  premier  accord  des  appella- 
tions les  plus  bizarres  et  les  plus  compliquées,  soit: 

«  Accord  de  seconde   augmentée,  troisième  renversement  de    l'accord  de   septième  dimi- 
nuée sur  sol  avec  altération  du  ré.  » 
ou  bien  encore  : 

«  Accord  de  sixte  sensible,  deuxième  renversement  de  l'accord  de  septième  de  dominante 
sur  si,  avec  altération  de  la  quinte  et  appoggiature  inférieure  de  la  septième.  » 

Cet  accord  énigmatique  dont  l'audition  faisait  crier  Berlioz,  n'est  cependant  point  autre 
que  l'accord  tonal  de  la  en  fonction  sous-dominante,  contracté  mélodiquement  sur  lui-même, 
et  la  succession  harmonique  dont  voici  le  schème  est,  en  somme,  la  plus  simple  du 
monde  : 


ê 


^ 


^s 


Fonction 
sous-dominante 


Fonction 
dominante 


na 


LA  TONALITÉ 


Ces  deux  opérations  faites,  on  se  trouve  en  présence  d'une  sorte  de 
schème  harmonique  coitsonriant,  soumis  aux  mêmes  conditions  que  le 
schème  mélodique  dont  il  a  été  question  au  chapitre  ii  (p.  42)  : 

i^'au  cours  d'une  période  établie  dans  une  tonalité,  la  même  fonction 
tonale  de  l'Accord  ne  doit  généralement  pas  reparaître  plusieurs  fois  de 
suite  ; 

2°  la  conduite  tonale  d'une  période  doit  marquer  une  tendance  soit 
vers  les  .^«/«^es  a/^î/è^  (dominantes),  soit  vers  les  quintes  graves  {sous- 
dominantes),  et  la  contre-partie  de  cette  tendance  doit  se  trouver  dans 
les  périodes  suivantes  ; 

3°  l'enchaînement  des  fonctions  tonales  de  l'Accord  dans  chaque 
période  doit  être  différent,  tout  en  restant  soumis  aux  grandes  lois  ryth- 
miques d'Ordre  et  de  Proportion  qui  sont  la  base  de  l'Art. 

Nous  donnons  ci-après  trois  exemples  d'analyse  harmonique  :  d'a- 
bord, l'étrange  et  géniale  transition  du  ton  de  mi  mineur  à  celui  de  sol 
mineur  dans  le  grand  prélude  {Fantasia)  pour  orgue  en  sol  mineur  de 
J.-S.  Bach;  ce  passage,  ainsi  expliqué,  n'offre  aucune  difficulté  d'ana- 
lyse ;  le  second  exemple  est  tiré  d'un  quatuor  de  Beethoven,  et  le 
troisième,  du  duo  du  second  acte  de  Tristan.  On  verra  par  ces  trois 
analyses  que  la  plus  compliquée  n'est  point  celle  qu'on  pourrait  pen- 
ser, étant  donnée  la  réputation  que  les  ignorants  ont  faite  au  système 
harmonique  de   Richard  Wagner. 


IfanueL 


Ped. 


ScJbeme 
barmonique 


Fonctions:     D 
Tonalités:  @^*^ 

Harmonie  \    Dominante  (de  Mi) (conduit) 

générale   \ 


(i)  Dans  ces  analyses,  comme,  au  reste,  pendant  tout  le  cours  de  cet  ouvrage,  nous  dési- 
gnons les  tonalités  majeures  par  des  lettres  majuscules  (UT),  et  les  tonalités  mineures  par 
des  lettres  minuscules  (ut). 


LA  TONALITE 


119 


Dominante 


J.-S.  Bach.  (Prélude  en  sol  mineur  pour  orgue.) 
(Ed.  Peters,  II«  liv.  d'orgue,  p.  23.) 


2° 


Schème 
harmonique 


^ 


i  h  m  m  1  ^  m 


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3ïS; 


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f^F# 


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m^ 


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^ 


Fonctions: .    .   .  T 

Tonalités:.  .    .(^.    .    . 

Harmonie/  .  >p^nique . 

générale   )  'f 


S      T 


r 


É 


LA  TONALITE 


P^    J^^,^ 


le  (on  de  la  Dom 

H.gen:      (conduit) 


Saus-dom. 


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actiot) 


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U    .J^r 


^ 


Fonct  ; 


S       D  T  S    D 


Ton; 

H.gén: 


excursion   passagère  retournant 
iU  au  ton  de  la  Tonique. 

(conduit) Tonique. 

Beethoven  (X«  Quatuor,  op.  74.  —  Adagio. 


30 


Schème 
harmonique' 


Fonctions: .    .    .    T 
Tonalités:  .    .    .  (^).    .    . 

Harmonie  j..    .    .  Tonique 
générale  \  ^ 


LA  TONALITE 


,§i%rJJJjJ^ 


M-^i.,.  ï^n  1 1, 


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^Ig^àfe:^ 


(el"  ajoutée) 


^ 


:t=^ 


Fonctj 
Ton: 


(conduit). 


(fa^    vers 

Dominante 


-0— 
D 


du  ton  relatif. 
R.  Wagner.  (Tristan  und  /solde,,  acte  IL  Breitkopf  et  Hfirte),  éditeurs.) 


VIII 

L'EXPRESSION 


L'action  expressive  dans  les  trois  éléments  de  la  Musique.  —  L'Agogique.  — La  Dynami- 
que.—  Le  rôle  spécial  du  Timbre  dans  la  Dynamique.  —  La  Modulation.  —  Parenté  des 
tonalités.  —  Tonalités  voisines.  —  Loi  de  la  Modulation  entre  les  tonalités  de  même  mode. 
—  Différence  entre  les  dominantes  et  les  sous-dominantes.  —  Loi  de  la  Modulation  entre 
les  tonalités  de  mode  différent.  —  Raison  expressive  de  la  Modulation. 


l'action  expressive  dans  les  trois  éléments  de  la  musique 

L'Expression  est  la  mise  en  valeur  des  sentiments  par  rapport  les 
uns  aux  autres. 

La  musique  étant  un  art  de  succession,  ses  divers  éléments  sont  sou- 
mis à  des  lois  communes  de  mouvement  ou  d'oscillation,  que  nous  avons 
dû  étudier  séparément,  en  ce  qui  concerne  le  rythme,  la  mélodie  et  l'har- 
monie. 

Bien  que  ces  lois  se  manifestent  à  nous  de  façons  très  diverses,  elles 
concourent  toutes  à  un  effet  unique,  l'Expression,  qui  est  le  but  de 
l'art. 

La  recherche  expressive,  inhérente  à  l'art  de  tous  les  temps  et  plus 
encore  sans  doute  à  l'art  du  moyen  âge,  nous  est  apparue  déjà  dans 
l'étude  de  la  cantilène  monodique.  (Voir  chap.  iv,  p.  74  et  suiv.) 

Chacun  des  éléments  de  la  musique  —  on  l'a  constaté  notamment  à 
propos  de  l'Accent  et  de  la  Mélodie  (chap.  11,  p.  3o)  —  est  susceptible 
de  revêtir  un  caractère  expressif;  mais  ce  caractère  n'est  en  quelque 
sorte  qu'Un  côté,  qu'un  aspect  particulier  de  l'expression,  et  non  l'Ex- 
pression elle-même. 

L'Expression,  en  effet,  embrasse  les  trois  éléments  constitutifs  de  la 
musique.  Elle  consiste  dans  la  traduction  des  sentiments  et  des  impres- 
sions, à  l'aide  de  certaines  modifications  caractéristiques,  affectant  à  la 
fois  les  formes  rythmiques,  mélodiques  et  harmoniques  du  discours 
musical. 


114  L'EXPRESSION 

On  appelle  plus  particulièrement  : 

Agogique^  le  procédé  expressif  du  Rythme, 
Dynamique^  celui  de  la  Mélodie, 
Modulation^  celui  de  l'Harmonie. 


LAGOGIQUE 

U Agogique  consiste  dans  les  modifications  apportées  au  mouvement 
rythmique  :  précipitation,  ralentissement,  interruptions  régulières  ou 
irrégulières,  etc. 

VAgogiquea  pour  effet  de  traduire  les  impressions  relatives  de  cabne 
et  d'agitation. 

On  trouve  dans  la  S/mphonie  pastorale  de  Beethoven  une  application 
typique   du  procédé    agogique.    C'est    la    transformation  du    dessin  : 


m 


zâ=t 


^ 


marquant,  dans  le  premier  morceau,  le  calme  et  le  repos,  en  cette  se 
conde  manière  d'être  : 


^  r  TTjE^ 


qui  donne  au  final  un  caractère  plus  agité,  une  nuance  différente,  celle 
du  calme  relatif  après  l'orage. 

LA  DYNAMIQUE 

La  Dynamique  consiste  dans  les  modifications  apportées  à  l'intensité 
relative  des  sons,  des  groupes  ou  des  périodes  mélodiques  constituant 
les  phrases  :  renforcement,  atténuation,  accroissement  ou  diminution 
progressive  de  sonorité,  etc. 

La  Dynamique  a  pour  effet  de  traduire  les  impressions  relatives  de 
force  et  de  faiblesse. 

L'emploi  du  procédé  dynamique  est  extrêmement  fréquent  ;  telle  est, 
pour  choisir  dans  la  même  symphonie  un  exemple  assez  frappant,  l'op- 
position entre  le  passage  de  force  : 


^m^^ 


^ 


L'EXPRESSION  126 


et  la  réponse  pleine  de  douceur  et  de  suavité  qui  vient  après,  et  qui 
provient  du  même  dessin  mélodique  : 


LE  RÔLE  SPÉCIAL  DU  TIMBRE   DANS  LA    DYNAMIQUE 

La  Dynamique  se  manifeste  aussi,  en  tant  que  procédé  expressif,  sous 
une  forme  spéciale  à  laquelle  on  a  donné  le  nom  de  timbre  (i). 

Le  timbre  d'un  son  est  cette  qualité  particulière  qui  le  différencie 
d'un  autre  son  émis,  dans  des  conditions  identiques  de  durée,  d'inten- 
sité et  d'acuité.  C'est  par  l'effet  du  timbre  que  les  sons  d'un  instrument 
ou  d'une  voix  acquièrent  le  caractère  personnel  ou  individuel  qui  les 
empêche  d'être  confondus  avec  les  mêmes  sons  émis  par  un  autre  in- 
strument ou  par  une  autre  voix. 

Au  point  de  vue  scientifique,  on  s'accorde  généralement  à  expliquer 
le  phénomène  du  timbre  par  la  résonnance  harmonique  inhérente  à 
toute  émission  de  son. 

Aucun  corps  sonore  ne  réalise  exactement  les  conditions  énoncées  au 
chapitre  de  l'Harmonie  (page  95).  Toutes  les  fois  qu'un  corps  vibre  iso- 
lément et  dans  toute  son  étendue,  il  vibre  en  même  temps,  mais  avec 
une  intensité  moindre,  dans  ses  parties  aliquotes  (1/2,  i/3,  1/4,  i/5, 
1/6,  etc.).  Ces  vibrations  harmoniques  accessoires  sont  sans  effet  sur 
l'intonation  du  son  unique  perçu  par  notre  oreille,  mais  elles  en  atté- 
nuent plus  ou  moins  la  pureté. 

Helmholtz  attribue  à  la  prédominance  relative  de  ces  harmoniques 
concomitants,  variables  suivant  la  forme  et  la  matière  du  corps  sonore, 
l'effet  caractéristique  qu'on  appelle  le  timbrée. 

Dans  la  voix  humaine  par  exemple,  les  voyelles  diffèrent  par  leur 
timbre  :  dans  les  voyelles  a,  0,  om,  les  harmoniques  plus  graves  sont 
prédominants  ;  dans  les  voyelles  é,  /,  m,  au  contraire,  ce  sont  les  har- 
moniques aigus. 

La  différence  de  timbre  entre  les  instruments  est  la  même  qu'entre  les 
voyelles. 

Le  timbre  résulte  de  Vinertie  des  corps  sonores,  et  ne  saurait  être  con- 
fondu avec  les  qualités  actives  du  son,  —  durée,  intensité,  acuité, — 
seules  susceptibles  de  modifier  son  caractère  exp?'essif. 

Le  //m^r^  n'est  donc  pas  un  véritable  facteur  expressif.  S'il  contribue 

(i)  Voir  chap.  iv,  p.  77,    les  diverses  acceptions  du  mot  timbre. 


136 


L'EXPRESSION 


souvent  à  l'expression,  c'est  comme  procédé  de  renforcement  ou  d'affai- 
blissement, par  conséquent  en  qualité  d'agent  dynamique. 

Il  en  est  du  timbrée  dans  la  Musique  comme  de  la  couleur  dans  la  Pein- 
ture ;  si  la  richesse  du  coloris  peut  contribuer  à  la  puissance  expressive 
d'un  tableau,  c'est  également  par  un  effet  dynamique,  en  soulignant  le 
trait,  en  renforçant  les  ombres,  en  accroissant  la  netteté  du  relief  et  de 
la  perspective. 


LA     MODULATION 


La  Modulation  consiste  dans  les  modifications  apportées  à  la  tonalité 
des  diverses  périodes  ou  phrases  constituant  le  discours  musical  :  elle 
s'opère  au  moyen  du  déplacement  de  la  tonique^  de  son  oscillation  vers 
les  quintes  aiguës  ou  vers  les  quintes   graves. 

La  Modulation  a  pour  effet  de  traduire  les  impressions  relatives  de 
clarté  et  d'obscurité. 

On  doit  considérer  la  modulation  comme  un  procédé  harmonique, 
parce  qu'elle  repose  principalement  sur  notre  conception  moderne  de 
la  tonalité,  c'est-à-dire  sur  la  constitution  harmonique  des  périodes  et 
des  phrases  (i). 

L'Accord,  toujours  identique  à  lui-même,  serait  impropre  à  tout  effet 
expressif,  s'il  n'était  essentiellement  déterminatif  de  la  tonalité  à  l'aide 
de  ses  fonctions  tonales  qi  des  cadences. 

La  Modulation,  en  tant  que  procédé  expressif  d'éclairement  ou  d'as- 
sombrissement,  est  relativement  récente  dans  l'art  musical,  où  elle 
n'apparaît  guère  que  dans  la  troisième  époque  avec  les  formes  cycliques 
de  la  symphonie  et  du  drame.  Un  seul  exemple  suffira  ici  à  faire  com- 
prendre l'effet  expressif  à" éclairemeiit  dû  à  la  modulation  :  l'entrée  du 
thème  principal  au  cor  en  fa,  dans  le  premier  mouvement  de  la 
IIP  symphonie  (Héroïque)  de  Beethoven  : 


dolce 


précédant  de  quelques  mesures  la  rentrée  définitive  de  tout  l'orchestre 
à  la  tonalité  principale,  plus  sombre,  de  Mit>. 


Tutti 


(i)  Nous  avons  constaté  au  chapitre  de  la  Mélodie  (page  40)  que  la  modulation,  comme  la 
tonalité,  pouvait  quelquefois  se  présenter  sous  une  forme  purement  mélodique.  Mais  cette 
sorte  de  modulation  tout  à  fait  élémentaire  ne  saurait  suffire  à  constituer  un  procédé 
expressif  complet. 


L'EXPRESSION 


127 


Une  étude  plus  complète  de  la  modulation  sera  faite  ultérieurement, 
jvec  des  exemples  dans  l'ordre  symphonique  et  dans  l'ordre  drama- 
tique :  nous  nous  bornerons  à  exposer  ici  brièvement  ses  principes  gé- 
néraux. 

PARENTÉ  DES    TONALITÉS  —  TONALITES  VOISINES 

On  a  vu  au  chapitre  précédent  (p.  1 13)  que  les  douze  sons  de  notre 
système  musical  sont  susceptibles  d'appartenir  à  la  même  tonalité,  et, 
en  même  temps,  de  servir  de  point  de  départ  (de  tonique)  à  autant  de 
tonalités  différentes,  dans  chaque  mode. 

Il  s'établit  ainsi  entre  les  tonalités  des  relations  de  parenté,  plus  ou 
moins  immédiate,  basée,  comme  la  parenté  des  sons,  sur  la  résonnance 
harmoîiique  et  sut  l'ordre  cyclique  des  quintes. 

Un  son  quelconque  et  sa  résonnance  harmonique  étant  pris  comme 
accord  en  fonction  de  Tonique  (l'accord  d'UT  ynajeur  par  exemple),  tous 
les  accords  de  tonique  contenant  un  ou  plusieurs  sons  communs  avec 
ceux  de  cet  accord,  seront  reliés  à  lui  par  une  parenté  directe  ou  de 
premier  ordre. 

On  appelle  tonalités  voisines  celles  dont  les  accords  de  tonique  sont 
reliés  entre  eux  par  cette  parenté  directe. 

Si  l'on  considère  l'accord  UT-mi-sol  comme  déterminatif  de  la  tona- 
lité à' UT  majeur,  par  exemple,  cette  tonalité  sera  voisine  de  celles  de  ; 

FA   majeur,  par  la  note  ut,      à  cause  de  Taccord  :  FA-la-w/. 

—  —  LAb-wf-mit>. 

—  —  3f/-sol5-si. 

—  —  LA-utff-mi. 

—  —  50L-si-ré. 

—  —  MIl>-50/-sil>. 

Mais  il  s'agit  ici  d'accords  et  non  de  sons  isolés  ;  or,  par  le  phéno- 
mène double  de  la  résonnance  harmonique,  tout  accord  peut  se  présen- 
ter sous  deux  aspects,  deux  modes  différents. 

Il  existe  donc,  outre  les  six  accords  majeurs,  ci-dessus  énumérés,  un 
nombre  égal  d'accords  mineurs  directement  parents,  par  leurs  notes 
communes,  avec  l'accord  UT-mi-sol. 

La  tonalité  d'C/T"  majeur  est  donc  aussi  voisine  des  tons  appelés  : 

la  mineur,  par  les  notes  ut  et  mi,  à   cause  de  l'accord  :     la-M/-.\//. 

ut           —  par  les  notes  ut  et  sol,  —                 —                 ut-m\^-SOL. 

fa            —  par  la  note      ut,  —                 —                 fa-la t>-i77'. 

mi          —  par  les  notes  mi  et  sol,  —                 —                 mi-solSl. 

ut  5       —  par  la  note      mi,  —                —                ui8-mi-S0LS. 


LAD 

— 

— 

ut. 

MI 

— 

— 

mi. 

LA 

— 

— 

mi, 

SOL 

— 

— 

sol, 

MIt> 

— 

— 

sol. 

138  L'EXPRESSION 

et  devait  être  enfin  pareillement  voisine  du  ton  de 

sol  mineur,   par  la  note  sol,  à   cause   de    l'accord  :  soZ-sib-RÉ. 

Mais  en  ce  qui  concerne  cette  dernière  tonalité,  une  restriction  sera 
nécessaire. 

Inversement,  si  nous  considérons  un  accord  tnineur  comme  tonique  : 
par  exemple,  îa-ut-MI,  déterminatif  de  la  tonalité  dite  «  la  mineur  » 
—  dont  la  note  prime  est  le  MI  aigu,  —  cette  tonalité  sera  voisine, 
d'une  part,  de  celles  de  : 

mi    mineur,  par  la  note  îtii,  à  cause  d;  l'accord    mi-sol-SI. 

ut  5      —  —  mi,        —  —         ut  lI-mt-SOL  jf. 

fa         —  —  ut,        —  -         fa-la  tJ-.  UT. 

ut         —  —  ut,        —  —         ur-mib-SOL. 

ré         —  —  la,        —  —         ré-fa-Li4. 

fa*      —  —  la,       —  —        fa  ff-Za-UT  jj. 

d'autre  part,  de  celles  de  : 

UT  majeur,  par  les  notes  mi  et  ut,  a  cause  de  l'accord  UT-mi-io\. 

LA      —  par  les  notes  mi  et  la,         —  —  Li4.-ut  î^-mi. 

MI      —  par  la  note  mi,  —  —  Af/-sol  Jî-si. 

FA      —  par  les  notes  ut  et  la,  —  —  FA-la-ut. 

LAt)  —  par  la  note  ut,  —  —  LAt>  -Jifruit». 

et  devrait  être  enfin  pareillement  voisine  du  ton  de 

RÉ  majeur,   par  la  note  la,  à  cause  de  l'accord  RÈ-faQ-la., 

Mais  cette  dernière  tonalité  se  trouvant,  par  rapport  à  celle  de  la  mineur^ 
exactement  dans  la  même  situation  que  la  tonalité  de  sol  mineur^  par 
rapport  à  celle  d' UT  majeur,  est  soumise  à  la  même  restriction. 

Notre  éducation  musicale,  en  effet,  se  refuse,  jusqu'à  présent,  à 
admettre  la  parenté  directe  entre  une  tonalité  quelconque  et  celle  de  sa 
dominante  de  mode  opposé,  malgré  l'existence  d'une  note  commune 
aux  deux  accords  de  tonique,  savoir  : 

sol,  note  commune  à  l'accord  majeur  :  UT-mi-sol,  et  à  l'accord  mineur 
de  sa  dominante  :  sol-si  b  -RÉ  ; 

la,  note  commune  à  l'accord  mineur  :  la-ut-MI,Qt  à  V accord. majeur  de 
sa  dominante  :  RÉ-faH-la. 

Cette  anomalie  s'explique  difficilement  :  elle  tient  probablement  h 
l'influence  caractéristique  que  nous  attribuons  dans  notre  système  tonal 
à  la  médiante  (tierce  de  la  tonique),  d'une  part,  et  de  l'autre,  à  la  sen- 
sible (tierce  de  la  dominante). 

Lorsqu'en  UT  majeur,  par  exemple,  le   si  b   apparaît  en  qualité  de 


L'EXPRESSION 


ijg 


meW/i3«/e,  caractéristique  du  ton  de  sol  mineur,  c'est  forcément  au  détri- 
ment de  l'effet  caractéristique  du  si  naturel  en  qualité  de  sensible  du  ton 
d'UT. 

Inversement,  dans  le  ton  dit  la  mineur,  ayant  pour  prime  AfI,  l'appa- 
rition du  fa  9  en  tant  que  médiante,  caractéristique  du  ton  de  RÉ  majeur, 
détruit  l'effet  du  fa  naturel,  qui,  en  qualité  de  sensible  descendante^ 
caractérisait  le  ton  de  la  jnineur. 

On  pourrait  donc  dire  que  deux  tonalités,  dans  l'une  desquelles  In 
médiante  ne  peut  apparaître  qu'en  détruisant  la  sensible  de  l'autre,  ne 
sauraient  être  parentes  ou  voisines;  mais  cette  explication  est  tout  à  fait 
insuffisante. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  devons  tenir  compte  de  cette  restriction 
relative  aux  dominantes  de  mode  opposé  :  dès  lors,  le  nombre  des 
tonalités  voisines  d'une  tonalité  quelconque,  majeure  ou  mineure,  doit 
être  limité  à  on'^e  ;  le  tableau  suivant  permet  d'apprécier  leur  plus  ou 
moins  grande  proximité  ainsi  que  leur  parfaite  symétrie  dans  les  deux 
modes. 

TABLEAU    DES    TONALITES    VOISINES 


RÉSONNANCE  SUPÉRIEURE 


:LAfc>-   ut    -  mi  p  : 

;ut+î-  mi     -  SOLS: 
•Ml    -  sol  5  -  si 
li    -  sol     -  SI 


:1a        ut     -  MI 
LA   -  utlt-  mi 

ut    -  mit)  -  SOL  : 

MIt>  -  sol     -  SI  t> 


UT  majeur 


LA  \)  majeur 
ut  jj  mineur 
MI  majeur 
ml  mineur 


la  mineur 


ut  JJ  mmeur 
LA  majeur 
fa  mineur 
FA  majeur 


Fonctions  tonales 

SOL  majeur 
FA  majeur 
fa  mineur 


re  mmeur 
mi  mineur 
MJ  majeur 


la  mineur 

LA  majeur 

ut  mineur 

tAl\}  majeur 


UT  majeur 

ut  mineur 

LA  t)  majeur 

fa  5  mineur 


RÉSONNANCE  INFÉRIEURE 


:  ut  jî-  mi    -  SOL 
:LA   -  utt;-  mi  : 
fa    -  la  t,  -  DT  • 
FA  -  la     -  ut  : 


UT    -"lni~^  sel 
ut     -  mi  t)-  SOL 
:  LAt)  -  ut    -  mi  t)  : 
Tfa  S-liT^^T^: 


La  tonalité  principale  est  placée  au  centre  du  tableau,  entre  celles  de 
sa  sous-dominante  et  celle  de  sa  dominante.  Cet  ensemble  de  trois 
tonalités  qui  reproduit  exactement  les  trois  fonctions  tonales,  forme  un 
groupe  particulier  qui  contient  tout  le  principe  de  la   modulation. 

Les  autres  tonalités  voisines  sont,  pour  ainsi  dire,  secondaires,  et 
leur  eff'et  expressif  d'éclaiiement  ou  d'assombrissement  ne  peut  s'expli- 

COURS    DE    COMIOSITION.  9 


i3o  L'EXPRESSION 

quer  qu'à  l'aide  de  la  relation  de  quinte  existant  entre  les  notes  primes 
des  accords  du  groupe  central  [FA^UT^SOL  en  majeur...  LA^MIySI 
en  mineur). 

LOI  DE  LA  MODULATION  ENTRE  LES  TONALITES  DE  MEME  MODE 

C'est,  en  effet,  suivant  Vordre  cyclique  des  quintes  que  la  lumière  et 
l'ombre  se  distribuent  dans  toutes  les  modulations  de  même  mode. 

Toutes  les  fois  qu'une  modulation  aboutit  à  une  tonalité  située,  sur  le 
cycle  des  quintes,  du  côté  de  la  quitite  aiguë  du  ton  principal  (50/,  ré, 
la,  mi,  par  rapport  à  ut,  par  exemple),  l'effet  expressif  est  comparable 
à  la  montée  vers  la  lumière,   à  l'expansion  lumineuse. 

Toutes  les  fois,  au  contraire,  qu'une  modulation  aboutit  à  une  tona- 
lité située  du  côté  de  la  quinte  grave  [fa,  si  \>  ,  7ni  \,  ,  la  ^  ,  par  rapport 
à  ut),  l'effet  est  comparable  à  la  chute  vers  les  ténèbres^  à  la  concen- 
tration dans  robscurité. 

En  mode  majeur,  par  conséquent,  la  modulation  vers  les  dominantes 
éclaire,  la  modulation  vers  les  sous-dominantes  obscurcit. 

Inversement,  en  mode  mineur,  la  modulation  vers  les  dominantes 
obscurcit,  la  modulation  vers  les  sous-dominantes  éclaire. 

Dans  le  ton  de  la  mineur,  par  exemple,  la  véritable  fonction  de 
dominante,  par  rapport  à  l'accord  de  tonique  la-ut-MI  (ayant  pour 
prime  MI),  est  constituée  par  l'accord  ré-fa-LA  (ayant  pour  prime  LA), 
c'est-à  dire  par  l'accord  situé  à  la  quinte  grave,  tandis  que  la  véritable 
fonction  de  sous-dominante  est  occupée  par  l'accord  situé  à  la  quinte 
aiguë  :  mi-sol-SI  (ayant  pour  prime  SI). 

Les  tonalités  de  ré  mineur,  sol  mineur,  ut  mineur,  etc.,  plus  som- 
bres que  celles  de  la  mineur,  sont  donc  bien  du  côté  de  la  dominante, 
tandis  que  celles  de  ?ni  mineur,  si  mineur, /a  s  mineur,  plus  claires, 
sont  du  côté  de  la  sous-donntia?ite. 

Mais  l'usage  a  fait  prévaloir  des  dénominations  contraires  à  la 
réalité,  car  on  appelle  communément  dominante  la  quinte  aiguë  et 
sous-dojninante  la  quinte  grave,  aussi  bien  en  mode  mineur  qu'en 
mode  majeur. 

En  langage  vulgaire,  on  peut  donc  dire  d'une  manière  absolue  que, 
dans  les  deux  modes,  la  modulation  vers  les  dominantes  éclaire, 
tandis  que  la  modulation  vers  les  sous-domitiantes  obscurcit  {i). 

DIFFÉRENCE  ENTRE    LES  DOMINANTES  ET   LES  SOUS-DOMINANTES 

L'impression  d'expansion  causée  par  les  modulations  vers  les  domi- 

(1)  Le  côté  sous-dominante  pourrait  être  comparé  au  violet  du  prisme,  tandis  que  le  rouge 
figurerait  le  côté  dominante. 


L'EXPRESSION  i3i 

liantes  {quintes  aiguës)  doit  être  attribuée  à  un  effort,  à  une  tension 
de  la  volonté  créatrice  du  musicien,  quelque  chose  comme  une  force 
mécanique,  mise  en  action  pour  sortir  de  la  tonalité  et  monter  plus 
haut  (i). 

Sitôt  que  cette  force  cesse  d'agir,  il  se  produit  une  réaction^  une  chute, 
un  retour  vers  le  point  de  départ  :  la  tonalité  initiale  reparaît  pour 
ainsi  dire  mécaniquement,  naturellement.  C'est  pourquoi  la  modula- 
tion à  la  dominante  (quinte  aiguë)  n'est  pas   destructive  de  la  tonalité. 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  modulations  vers  les  sous-dominantes 
[quintes  o-raves)  :  l'impression  déprimante  qu'elles  provoquent  n'est  plus 
attribuable  à  un  effort,  à  une  force  mécanique,  mais  au  contraire  à  une 
détente,  à  un  affaissement  de  la  volonté  créatrice, qui  se  laisse  aller  à 
sortir  de  la  tonalité. 

Dès  lors,  il  ne  suffit  pas  que  cette  détente  cesse,  pour  que  la  tonalité 
initiale  reparaisse  :  il  faudrait  un  effort  nouveau  pour  y  remonter.  Ainsi 
s'explique  cette  tendance  bien  connue  de  la  modulation  vers  la  sous- 
dominante  (quinte  grave)  à  devenir  définitive,  et  à  se  substituer 
rapidement  à  la  tonalité  initiale,  laquelle,  en  reparaissant,  produit  alors 
l'effet  d'une  dominante. 

Un  corps  lancé  en  l'air  redescend  naturellement  par  une  trajec- 
toire égale  à  sa  montée  :  c'est  le  cas  de  la  modulation  vers  la  domi- 
nante. 

Un  corps  qu'on  laisse  tomber  reste  sur  le  sol,  et  ne  tend  pas  à  remon- 
ter :  c'est  le  cas  de  la  modulation  vers  la  sous-dominante. 

LOI  DE  LA  MODULATION  ENTRE  LES  TONALITÉS  DE  MODE    DIFFÉRENT 

Quant  aux  modulations  entre  les  tonalités  de  mode  différent,  elles  sem- 
blent procéder  du  clair  à  l'obscur  lorsqu'elles  passent  du  mode  majeur 

(i)  L'idée  de  hauteur  relative  appliquée  aux  phénomènes  musicaux  'sons  harmoniques, 
tonalités)  n'est  pas,  comme  on  pourrait  le  croire,  \in&  figure  empruntée  à  la  représentation  gra- 
phique des  notes  sur  la  portée:  elle  tire  son  origine  de  l'ordre  physique  des  milieux  sonores. 

Pour  l'homme,  en  etïet,  la  densité  relative  des  milieux  ambiants  décroît  normalement 
depuis  les  profondeurs  du  sol  jusqu'aux  limites  extrêmes  de  l'atmosphère,  depuis  le  bas 
jusqu'en  haut. 

Or,  de  deux  corps  sonores,  différant  par  leur  densité,  mais  identiques  sous  tous  les  autres 
rapports  (dimensions,  tension,  température,  etc.),  le  plus  dense  sera  susceptible  d'émettre  les 
vibrations  les  plus  lentes,  et,  par  conséquent,  le  son  le  plus  grave. 

Toutes  choses  égales  d'ailleurs,  les  sons  les  plus  giaves  sont  donc  produits  par  les  vibra- 
tions des  milieux  les  plus  denses,  c'est-à-dire  les  plus  bas  dans  l'ordre  physique. 

La  génération  naturelle  de  l'accord  majeur  à  l'aide  des  harmoniques  aigus,  procède  réelle- 
ment de  bas  en  haut  :  il  n'est  pas  surprenant  dès  lors  que  la  modulation  vers  la  dominante 
ou  quinte  supérieure  (harmonique)  provoque  l'impression  de  montée,  et,  par  suite,  de  lumière. 

Inversement,  l'accorJ  mineur,  formé  des  harmoniques  graves,  procède  de  haut  en  bas  : 
la  modulation  vers  la  quinte  inférieure  (dominante  réelle  en  mineur  ;  sous-dominante  eu 
majeur)  doit  donc  logiquement  produire  l'effet  opposé  :  descente,  chute,  assombris^ement. 


i3j  L'EXPRESSION 

au  mode  mineur,  de  l'obscur  au  clair  quand  elles  passent  d'une  tonalité 
mineure  à  une  tonalité  majeure.  Mais  ce  phénomène,  plus  apparent 
que  réel,  n'est  nullement  comparable  à  ceux  qui  caractérisent  les  modu- 
lations entre  tonalités  de  même  mode  :  il  doit  être  attribué  à  des  causes 
différentes  qui  seront  étudiées  dans  le  deuxième  livre  de  cet  ouvrage. 

RAISON  EXPRESSIVE  DE  LA  MODULATION 

Tels  sont  les  principes  généraux  de  la  modulation,  dont  nous  aurons 
à  examiner  plus  tard  le  fonctionnement  et  l'application  dans  les  formes 
musicales  de  la  troisième  époque. 

Comme  l'Agogique  et  la  Dynamique,  la  Modulation  n'a  pas  d'autre 
but  que  de  concourir  à  l'Expression. 

L'Expression  est  l'unique  raison  d'être  de  la  modulation  :  c'est  là 
une  vérité  sur  laquelle  on  ne  saurait  trop  insister,  pour  mettre  en  garde 
les  compositeurs  contre  cette  tendance  trop  fréquente  à  moduler  sans 
motif. 

Il  faut  un  but  dans  la  marche  progressive  des  modulations,  comme 
dans  les  diverses  étapes  de  la  vie  :  lorsque  le  musicien  a  fait  choix  d'un 
point  de  départ  sur  le  cycle  des  quintes,  c'est-à-dire  d'une  tonique,  il  ne 
doit  point  s'en  éloigner  au  hasard. 

La  raison,  la  volonté,  la  foi,  qui  guident  l'homme  dans  les  mille  tri- 
bulations de  la  vie,  guident  pareillement  le  musicien  dans  le  choix  des 
modulations. 

Aussi  les  modulations  inutiles  et  contradictoires,  la  fluctuation  indé- 
cise entre  la  lumière  et  l'ombre,  produisent-elles  sur  l'auditeur  une 
impression  pénible  et  décevante,  comparable  à  celle  que  nous  inspire 
un  pauvre  être  humain,  faible  et  inconsistant,  ballotté  sans  cesse  entre 
l'orient  et  l'occident,  au  cours  d'une  lamentable  existence,  sans  but  et 
sans  croyance  I 


IX 

HISTOIRE 

DES  THÉORIES  HARMONIQUES 


Le  problème  de  l'harmonie  dans  l'histoire.  —  Zarlino  (iSiy  f  i5go).  —  Rameau  (i683  -f- 
i7t)4).  —  Tartini  (1692  f  1770).  —  Barbereau  (1799  f  1879).  —  Durutte  (i8o3  f  1881).  — 
Hauptmann  (1792  f  i86s).  — Helmholtz  (i8ji  f  1894).  —  Von  Œttingen  (i836). —  Rie- 
mann  (i  84g). 


LE    PROBLEME    DE  L  HARMONIE   DANS  L  HISTOIRE 

«  Il  n'y  a  dans  l'univers  qu'une  seule  harmonie,  et  celle  des  sons  en 
est  l'image.  » 

Cette  idée,  exprimée  par  Cicéron,  montre  que  déjà  de  son  temps,  et 
sans  doute  bien  avant  lui,  les  préoccupations  de  l'harmonie  et  des 
nombres  agitaient  les  esprits  des  philosophes  :  Pythagore,  Ptolémée, 
Aristoxène,  pour  ne  citer  que  les  principaux,  ont  recherché  dans  l'étude 
des  rapports  simples  les  grandes  lois  harmoniques  des  mondes.  Ils 
furent  eux-mêmes  précédés  très  probablement  dans  cette  voie  par  les 
Druides  de  notre  terre  celtique,  dont  les  connaissances  astronomiques  et 
métaphysiques  avaient  émerveillé  les  conquérants  romains  lors  de  leurs 
invasions. 

On  conçoit,  en  effet,  que  cet  éternel  problème  du  Nombre,  clé  véri- 
table de  la  genèse  mondiale,  soit  apparu,  dès  l'origine,  à  l'intelligence 
humaine,  consciente  d'elle-même  et  de  son  principe  divin,  comme  la 
plus  mystérieuse  et  la  plus  abstraite  de  toutes  les  connaissances  aux- 
quelles cette  merveilleuse  faculté  soit  susceptible  de  s'élever. 

Remonter  ici  au  point  de  départ  des  théories  que  nous  avons  essayé 
d'exposer  sur  l'Harmonie,  l'Accord,  la  Tonalité,  la  Modulation,  etc.,  ce 
serait  refaire  l'histoire  de  l'homme  lui-même,  depuis  la  Genèse,  où 
l'influence  symbolique   des   nombres    se   manifeste   presque  à  chaque 


l34  HISTOIRE  DES  THÉORIES  HARMONIQUES 

verset,  jusqu'aux  conceptions  modernes  les  plus  ardues,  sur  l'unité 
des  forces  physiques  et  la  série  illimitée  des  mouvements  vibratoires. 

Un  pareil  travail  ne  saurait  être  entrepris  utilement  :  il  nous  suffira 
de  faire  connaître  sommairement  les  principaux  auteurs  ayant  laissé 
quelques  travaux  précis  sur  les  phénomènes  naturels  de  la  résonnance 
harmonique,  et  sur  l'ordre  des  quintes,  c'est-à-dire  sur  les  deux  prin- 
cipes générateurs  de  notre  système  harmonique  et  tonal. 

Ce  n'est  guère  qu'à  partir  du  xiv'  siècle  qu'on  retrouve  la  trace  des 
recherches  métaphysiques  sur  l'harmonie;  on  ne  peut  s'empêcher  d'être 
frappé  par  la  coïncidence  de  cette  époque  avec  celle  des  grandes  décou- 
vertes astronomiques. 

La  gravitation  des  astres  offre  en  effet  plus  d'une  analogie  avec  les  lois 
harmoniques  ;  et  l'accomplissement  du  cycle  tonal  fermé  à  la  douzième 
quinte  par  l'enharmonie,  qui  limite  le  domaine  musical,  peut  fort  bien 
se  comparer  aux  découvertes  de  Christophe  Colomb  et  de  Galilée,  au 
tour  du  Jiionde  qui  limite  notre  domaine  terrestre,  notre  cycle  géogra- 
phique.  Le  premier  auteur  connu  qui  se  soit  occupé  des  principes  na- 
turels de  l'harmonie  vivait  en  effet  au  temps  de  Galilée. 

ZARLINO 

GiosEFFO  Zarlino,  né  à  Chioggia  en  ibiy,  entra  dans  l'ordre  des 
franciscains  en  i537,  à  Venise;  il  fut  nommé  diacre  en  1541,  et  eut 
pour  maître  dans  l'étude  de  la  musique  Adrian  Willaert,  dont  nous 
retrouverons  le  nom  dans  l'histoire  du  madrigal  et  des  origines  du 
drame  (i).  Zarlino  fut  ensuite  maître  de  chapelle  à  l'église  San  Marco 
de  Venise,  où  il  succéda  en  i565  à  Cyprian  de  Rore  (2),  et  revint  enfin 
comme  chanoine  à  Chioggia  en  i582  ;  il  mourut  à  Venise  en  iSgo. 

L'ouvrage  principal  de  Zarlino,  Institu-{ioHe  armoniche  (3),  date  de 
i558.  Cet  ouvrage  fut  complété  en  iByi  par  les  Dimostraiione  armo- 
niche (4)  au  moment  de  la  grande  polémique  entre  l'auteur  et  Vicenzo 
Galilei  (père  del'astronome),  à  propos  du  chant  collectif  et  du  50/0.  Les 
théories  musicales  des  philosophes  de  l'antiquité  préoccupaient  déjà  les 
esprits,  car,  dans  cette  querelle  entre  Zarlino  et  Galilei,  le  premier 
s'appuyait  sur  Ptolémée,  le  second  sur  Pythagore,  sans  qu'on  ait 
jamais  bien  su  pourquoi. 

Les  Sopplimenti  musicali  (5),  dernier  ouvrage  de  Zarlino,  parurent  en 
i588,  deux  ans  avant  sa  mort. 

(i)  Voir  ci-après,  chapitre  xi,  et  le  troisième  livre  de  cet  ouvrage. 
{2)  Voir  ci-après,  chapitre  xi. 

(3)  Principes  harmoniques. 

(4)  Démonstrations  de  l'harmonie. 

(5)  Suppléments  musicaux. 


HISTOIRE  DES  THÉORIES  HARMONIQUES  03 

C'est  dans  le  premier  de  ces  ouvrages  {Institu\ione  armoniche)  qu'on 
trouve  l'exposition  du  principe  de  l'Accord  consonnant  unique,  sous 
son  double  aspect  (majeur  et  mineur). 

Zarlino,  en  effet,  base  l'accord  majeur  sur  la  division  harmonique  ôq 
la  corde  (  i,  1/2,  i/3,  1/4,  i/5,  1/6,  —  résonnancc  supérieure),  et  l'ac- 
cord mineur  sur  la  division  arithmétique  (i,  2,3,4,5,  6, — résonnancc 
inférieure). 

Mais  cette  théorie,  pourtant  fort  simple,  avait  le  tort  d'être  incompa- 
tible, par  plusieurs  points,  avec  la  routine  de  la  basse  continue.  Elle 
n'eut  donc  aucun  succès,  lors  de  sa  première  apparition,  et  c'est  plus 
d'un  demi-siècle  après  que  nous  la  retrouvons,  présentée  différemment, 
chez  Rameau  et  Tartini. 

RAMEAU 

Jean-Philippe  Rameau,  dont  nous  aurons  à  nous  occuper  plus  spécia- 
lement comme  compositeur  (i),  est  l'auteur  d  un  Traité  de  Iharmonie 
réduite  à  ses  principes  Jiaturels  (Paris,  1722),  oij,  pour  la  première  fois, 
est  exposé  méthodiquement  le  système  du  renversement,  permettant 
de  ramener  l'accord  à  son  état  fondamental. 

Rameau  reproduit  l'expérience  de  Zarlino  pour  ladivision harmonique 
de  la  corde  (i,  1/2,  i/3,  1/4,  i/5,  1/6),  et  déclare  que  l'accord  parfait 
est  donné  par  la  nature. 

Mais  il  est  moins  catégorique  en  ce  qui  concerne  la  division  arithmé- 
tique (i,  2,  3,  4,  5,  6,  résonnancc  inférieure)  donnant  l'accord  parfait 
mineur.  Il  est  très  probable  cependant  que  sa  conviction  intime  sur  ce 
dernier  point  était  conforme  à  celle  de  Zarlino;  en  effet,  l'auteur  ano- 
nyme d'un  ouvrage  paru  en  1762  et  intitulé:  Eléments  de  musique 
théorique  et  pratique ,  suivant  les  principes  de  M.  Rameau,  énonce  for- 
mellement, page  20,  le  principe  de  la  résonnance  inférieure  (2). 

Consciemment  ou  non,  ce  principe  apparaît  du  reste  en  maint  endroit, 
dans  les  divers  ouvrages  de  Rameau,  et  même  dans  son  traité. 

Son  système  de  la  Basse  fondamentale,  impliquant  le  déplacement  du 
son  générateur  de  l'accord,  \a. prime,  n'est  pas  autre  chose  que  l'idée  de 
Zarlino.  Cette  théorie  est  une  innovation,  par  rapport  à  l'usage  de  la 
basse  continue,  ainsi  que  Rameau  prend  la  peine  de  nous  l'apprendre, 
page  206: 

(i)  Voir  les  deuxième  et  troisième  livres. 

(2)  Cet  ouvrage  est  attribué  à  d'Alembert:  toutefois,  Condiliac,  dans  l'approbation  qu  il 
fut  chargé  de  formuler  au  nom  du  roi,  s'exprime  ainsi  : 

«  M.  Rameau  doit  être  Hatté  de  voir  à  la  portée  de  tout  lecteur  intelligent  un  systcmedont 

•  il  a  découvert  les  principes,  et  qui,  cerne  semble,  pour  dtre  apprécié  n'a  besoin  que  d'être 

«  connu.  » 

«  A  Paris,  ce  33  novembre  x-'bi.  » 


i36 


HISTOIRE  DES  THEORIES  HARMONIQUES 


«  Il  ne  faut  pas  confondre,  dit-il,  la  progression  diatonique  d'une 
basse  dont  nous  parlons  à  présent  (basse  continue)  avec  la  progression 
consonnante  dont  nous  avons  donné  des  exemples.  Cette  basse  que  nous 
appelons  fondameîitale  ne  porte  que  des  accords  parfaits  ou  de  septième, 
pendant  que  la  basse  ordinaire,  que  nous  appelons  continue^  porte  des 
accords  de  toute  espèce.  Ainsi,  cette  basse  fondamentale  servira  de 
preuve  à  tous  nos  ouvrages.  » 

Rameau  déclare  en  propres  termes,  page  ix,  «  qu'il  n'y  a  qu'un  seul 
accord  dont  tous  les  autres  proviennent  ».  Cependant  il  reconnaît  une 
existence  distincte  aux  deux  accords  parfaits  et  à  l'accord  de  septième. 

Dans  un  exemple  où  il  veut  prouver  la  genèse  de  cet  accord  de  sep- 
tième, il  reproduit  une  cadence  de  Zarlino  (page  68): 


i 


h  laquelle  il  ajoute  une  basse  fondamentale  : 


"5V~^l 

— i ?^ 

i Il 

/• 

.  / 

^                                                   1 

f^ 

OÙ  l'on  peut  voir  le  principe  des  deux  cadences  de  sens  opposé  en  mineur 
et  en  majeur. 


B 


%-=^i 


Tonique  Dom'' 


22: 


A 


^— > 


-S- 


lï o^ 

Dom''    Ton. 

•Z22: 


a 


Un  fait  plus  significatif  vient  à  l'appui  de  cette  opinion  :  Rameau 
appelle  sixte  ajoutée  la  note  supérieure  (re,  par  exemple)  dans  la  dispo- 
sition harmonique  bien  connue  : 


et  il   traite  cette  note  mélo- 


dique ascendante,  ajoutée  à  l'accot^d parfait,  comme  une  vraie  disson- 
nance,  qu'il  ne  confond  nullement  avec  la  septième. 

Il  est  difficile  de  ne  pas  voir  là  le  principe  même  à  Taide  duquel  nous 
avons  vérifié  le  sens  différent  du  mouvement  mélodique,  suivant  le 
mode,  dans  chacune  des  cadences  (voir  chap.  vu,  p.  112).  On  ne 
saurait  cependant  rien  affirmer  sur  les  idées  de  Rameau  relativement 
aux  modes  de  sens  inverse  :  il  a  sans  doute  pressenti  la  véritable  théorie, 
plutôt  qu'il  ne  l'a  comprise  nettement. 

Au  surplus,  la  rédaction  de  son  traité  est  extrêmement  lourde  et  dif- 
fuse :  en  maint  endroit,  il  énonce  des  principes  contradictoires. 


HISTOIRE  DES  THEORIES  HARMONIQUES  13; 

C'est  ainsi  notamment  qu'après  avoir  déclaré  (page  1 38)  que  «  la  mé- 
lodie provient  de  l'harmonie  »,  il  constate  (page  329)  qu'«  il  est  difficile 
de  réussir  parfaitement  dans  les  pièces  à  deux  et  à  trois  parties,  si  l'on  ne 
compose  toutes  les  parties  ensemble,  parce  que  chaque  partie  doit  avoir 
un  chant  coulant  et  gratieux  »  {sic). 

Cette  dernière  assertion,  plus  raisonnable  que  l'autre,  nous  autorise 
à  considérer  Rameau  comme  ayant  vraiment  compris  le  rôle  prépondé- 
rant de  la  mélodie  dans  la  musique,  et  celui  des  deux  résonnances  natu- 
relles dans  la  formation  de  l'harmonie. 

Après  Rameau,  c'est  au  célèbre  violoniste  Tartini,  auteur  du  «  Trille 
du  diable  »,  qu'on  doit  la  reprise  et  la  continuation  des  théories  avancées 
par  Zarlino. 

TARTINI 

GiusEPPE  Tartini,  né  à  Pirano  en  1692,  mourut  à  Padoue  en  1770, 
après  une  existence  assez  agitée.  Outre  ses  compositions  musicales 
(sonates  et  concertos),  Tartini  a  laissé  plusieurs  ouvrages  théoriques, 
dont  le  principal  est  intitulé:  Trattato  di  musica,  secondo  la  vera  scien-a 
deirarmonia[\).  Ce  traité,  paru  en  1734,  réalise  un  progrès  notable  sur 
celui  de  Rameau,  au  point  de  vue  de  la  netteté  des  idées.  L'auteur  exclut 
de  notre  système  musical  l'harmonique  7,  et  oppose  directement  l'une 
à  l'autre  les  deux  résonnances  engendrant  les  deux  modes  (pages  65, 
66,91). 

On  doit  aussi  à  Tartini  d'intéressantes  découvertes  sur  la  production 
des  sons  résultants  qui  proviennent  de  la  différence  entre  le  nombre 
des  vibrations  de  deux  sons  réels,  émis  simultanément. 

Tartini  avait  remarqué  notamment  que  l'émission  sur  un  violon  de 

la  sixte  (<p    ^  -I  engendre  un  troisième  son  beaucoup  plus  grave  :  ^' — 


et  plusieurs  autres,  moins  perceptibles,  dont  les  rapports  avec  celui-ci 
suivent  les  lois  de  la  progression  harmonique  ascendante. 

Mais  il  était  réservé  à  Von  Œttingen,  dont  nous  parlerons  ci-après, 
de  tirer  de  cette  découverte  toutes  les  conséquences  qu'elle  comporte. 

AprèsTartini,il  semble  que  pendant  près  d'un  siècle  la  théorie  harmo- 
nique soit  totalement  tombée  dans  l'oubli.  La  routine  de  la  ^^755^  conti- 
nue règne  en  souveraine  absolue  sur  toute  la  musique  de  cette  époque. 

Les  divers  traités  parus  entre  1760  et  1840  ne  sont  que  des  manuels 
de  basse  chiffrée,  dénués  de  tout  fondement  rationnel. 

C'est   seulement    en    1845   que    nous   voyons  reparaître  en    France 

(0  Traité  de  musique,  selon  la  vraie  science  de  l'harmonie. 


,38  HISTOIRE  DES  THÉORIES  HARMONIQUES 

quelques  idées  plus  saines  et  plus  élevées  sur  renseignement  de  l'har- 
monie et  les  origines  de  la  gamme. 

BARBKREAU 

Auguste  Barbereau,  né  à  Paris  en  1799,  fut  élevé  à  Reicha,  obtint  le 
prix  de  Rome  en  1824,  et  fut  plus  tard  professeur  au  Conservatoire.  Il 
mourut  à  Paris  en  1879.  Barbereau  s'occupa  de  musique  surtout  au 
point  de  vue  historique  et  didactique.  Il  avait  constaté  l'insuffisance, 
déjà  notoire  à  son  époque,  de  l'enseignement  de  h.  composition,  et  fit 
de  très  louables  efforts  pour  y  porter  remède  ;  mais  son  Traité  de  com- 
position musicale,  paru  en  1846  et  conçu  sur  des  plans  fort  vastes,  est 
malheureusement  resté  inachevé 

Dans  cet  ouvrage,  l'auteur  considère  notre  gamme  moderne  comme 
directement  issue  d'une  série  illimitée  de  quintes  allant  soit  vers  le  grave, 
soit  vers  l'aigu.  Cette  théorie  est  exposée  plus  en  détail  dans  son  Etude 
sur  V origine  du  système  musical^  parue  en  i852  et  inachevée  également. 

Il  appartenait  à  Durutte  de  reprendre  plus  scientifiquement  les  idées 
de  Barbereau,  et  de  démontrer  mathématiquement  leur  concordance 
avec  la  progression  harmonique. 

durutte 

Le  comte  Camille  Durutte,  né  à  Ypres  en  i8o3,  polytechnicien  dis- 
tingué, vécut  à  Metz,  où  il  se  livra  à  l'étude  approfondie  de  la  mathéma- 
tique musicale,  et  mourut  à  Paris  en  1881. 

Dans  sa  Technie  harmonique,  parue  en  i8d5,  et  complétée  en 
1876,  Durutte,  malheureusement  imbu,  comme  tous  ses  contempo- 
rains, des  théories  qui  reconnaissent  à  chaque  accord  consonnant  ou 
dissonnant  une  réalité  distincte,  se  livre  à  des  calculs  mathématiques 
fort  abstraits  sur  toutes  les  combinaisons  possibles  avec  les  tierces  ma- 
jeures et  mineures,  depuis  l'accord  parfait,  jusques  et  y  compris  les 
accords  de  onzième  et  de  treizième. 

Cette  étude  ne  saurait  se  concilier  avec  notre  conception  beaucoup 
plus  simple  de  l'harmonie;  mais  elle  est  précédée  d'une  introduction 
remarquable,  empruntée  en  grande  partie  aux  écrits  du  philosophe 
slave  Hœné  Wronski,  et  d'un  résumé  d'acoustique,  qui  méritent  d'être 
signalés. 

Cette  introduction  établit  l'insuffisance  de  la  série  des  harmoniques 
pour  la  genèse  de  notre  gamme,  la  nécessité  d'un  rapport  unique  pour 
servir  de  base  à  notre  système  musical,  et  la  limite  de  perception  des 
organes  auditifs  de  l'homme,  en  ce  qui  concerne  la  distinction  entre  les 
diverses  intonations  des  sons. 


HISTOIRE  DES  THÉORIES  HARMONIQUES  i3g 

Le  résumé  d'acoustique  montre  que  les  systèmes  proposés,  depuis  et 
y  compris  Pytliagore,  pour  la  genèse  de  notre  gamme,  se  résument 
tous  dans  \' échelle  des  quintes,  et  que  le  tempérament  empêche  de  dis- 
cerner l'écart  théorique  de  calcul  entre  les  quintes  exactes  et  les  quintes 
tempérées  (voirchap.  vi,  p.  io5,  note). 

En  dépit  de  cette  constatation,  énoncée  explicitement  en  note  au  bas 
de  la  page  52'",  l'auteur  n'en  continue  pas  moins  à  attribuer  une  person- 
nalité différente  à  chacun  des  sons  que  notre  oreille  identifie  par  l'enhar- 
monie. L'échelle  des  quintes  se  présente  donc  à  lui  sous  la  forme  d'une 
ligne  droite  indéfinie,  et  non  d'un  cycle  fermé. 

Quant  au  mode  mineur,  Durutte  semble  n'en  point  connaître  d'autre 
que  celui  dont  le  type  est  la  gamme  mineure  de  la,  avec  altération  de  la 
sensible  {soin).  Il  s'ingénie  vainement  à  en  fournir  une  explication 
rationnelle. 

X^'est  en  Allemagne  que  nous  retrouvons,  à  peu  près  à  la  même 
époque,  le  principe  des  deux  gammes  opposées,  et  des  modes  symé- 
triques. 

HAUPTMANN 

MoRiTZ  Hauptmann,  né  à  Dresden  en  i  792,  étudia  surtout  avec  Spohr, 
sous  l'égide  duquel  il  obtint  en  1842  le  titre  de  cantor  à  l'école  Saint- 
Thomas  de  Leipzig,  et  celui  de  maître  en  théorie  au  Conservatoire 
de  la  même  ville,  où  il  mourut  en  1868. 

Hauptmann  a  laissé  des  œuvres  musicales  remarquables  surtout  par 
leur  construction,  et  plusieurs  ouvrages  théorian^s  dont  le  principal 
est  intitulé  :  Die  Natur  der  Harmonik  und  der  Ahirik  (i).Cet  ouvrage, 
paru  en  i858,  postérieurement  à  ceux  de  Barbereau  et  de  Durutte, 
repose  entièrement  sur  les  deux  résonnances  harmoniques  (supérieure 
et  inférieure).  Cependant,  Hauptmann  recule  encore  devant  les  consé- 
quences de  son  système,  et  n'ose  affirmer  le  caractère  prépondérant  de 
la  note  jor/me  a/^Më  dans  l'accord  mineur. 

Depuis  Hauptmann,  la  recherche  des  théories  harmoniques  parait 
s'être  concentrée  presque  exclusivement  en  Allemagne. 

HELMHOLTZ 

Hermann  Helmholtz,  né  à  Potsdam  en  1821  et  mort  à  Berlin  en 
1894,  après  une  carrière  de  professeur  tout  à  fait  étrangère  à  la  musi- 
que, s'est  beaucoup  occupé  des  phénomènes  acoustiques.  On  lui  doit  les 
ingénieuses  observations  que  nous  avons  résumées  sur  le  rôle  des  har- 

Ci)  La  nature  de  l'harmonie  et  de  la  métrique. 


140 


HISTOIRE  DES  THÉORIES  HARMONIQUES 


moniques  dans  la  diversité  des  timbres  et  dans  la  distinction  des  voyel- 
les (i).  Dans  son  ouvrage  principal  Lehre  von  den  Tonempjindungen  als 
phfsiologîsche  Grundlage  der  Musik  (2),  paru  en  i863,  Helmholtz  émet 
l'idée  qu'un  accord  peut  être  représenté  par  un  son  unique  [Klangver- 
tretutig),  idée  conforme  à  celle  du  son  générateur  chezZarlino  et  Rameau; 
mais  sa  théorie  de  l'accord  mineur  est  toute  différente,  car  il  cherche  à 
l'établir  à  l'aide  des  harmoniques  supérieurs,  10,  12,  i  5  (m/,  so/,  si),  ce 
qui  détruit  toute  la  loi  de  symétrie  des  deux  modes.  Plusieurs  autres 
erreurs  se  sont  glissées  du  reste  dans  cet  ouvrage,  dont  la  valeur  histo- 
rique est  seule  indiscutable. 


VON     ŒTTINGEN 


Arthur  Von  Œttingen,  né  en  i836  à  Dorpat.  en  Livonie  (où  il  est 
encore  actuellement  professeur),  physicien  et  musicien  tout  à  la  fois, 
a  fait  paraître  en  1866  un  ouvrage  intitulé  Harmoniesystem  in  diialer 
Entii'ickelung  (3),  dans  lequel  il  combat  avec  énergie  les  erreurs 
d'Helmholtz. 

Von  Œttingen  reprend,  en  la  complétant,  l'idée  de  Tartini  à  propos 
des  sons  résultants.  Il  constate  que  le  même  intervalle  de  sixte,  dont  les 
sons  résultants  au  grave  sont  placés  dans  l'ordre  de  la  résonnance  har- 
monique supérieure  (voir  ci-dessus,  page  1 37),  peut  fournir  aussi  une 
autre  série  symétrique  de  sons  résultants  à  l'aigu,  placés  dans  l'ordre 
de  la  résonnance  harmonique  inférieure.  Ainsi  se  vérifie,  à  l'aide  de 
l'intervalle  incomplet  et  neutre  de  la  sixte  majeure  ^E^=E=  5  toute  la 
genèse  des  accords  parfaits  majeur  et  mineur. 


, :      Son 

1  Rcsultanl 

;  ou  de  coniLinnisoji 


RÈSOl 

Sons  ;  SIXTE  :  Sons 

Résultants  jmajeure:  Résultants 

graves.  •               •  aigus. 


Son 
rhoniquo' 

supérieur 

ou  (te  inultiplîcntm, 


Dans  cette  expérience,  où  les  harmoniques  majeurs  sont  numérotés 


(1)  Voir  chap,  vm,   p.  124. 

(2)  Traité  de  la  Tonalité  comme  base  physiologique  de  la  musique. 

(3)  Système  de  l'Harmonie  dans  sa  double  évolution. 


HISTOIRE  DES  THÉORIES  HARMONIQUES  141 

en  chiffres  arabes  et  les  harmoniques  mineurs  en  chiffres  romains,  on 
remarque: 

1°,  que  la  sixte  majeure  qui  sert  de  point  de  départ  est  constituée  par 
les  harmoniques  3  et  3  (ou  m  et  v)  des  deux  résonnances. 

2°,  que  le  quinzième  harmonique  de  chacune  des  résonnances  har- 
moniques résultantes  coïncide  avec  le  son  prime  de  l'autre  : 

ut  =  \  ou  XV  ;  5/  =  1 5  ou  I. 

Von  Œttingen  a  donné  le  nom  de  son  résultant  ou  de  combinaison  à 
VUT  grave  qui  sert  de  prime  à  la  résonnance  majeure,  et  le  nom  de  son 
phonique  supérieur  ou  de  multiplication  au  Si  aigu  (résultant  de  la 
multiplication  des  deux  harmoniques,  sol  3  et  mi  5,  l'un  par  l'autre) 
servant  de  prime  à  la  résonnance  mineure. 

La  symétrie  absolue  des  deux  résonnances  est  rendue  tout  à  fait  appa- 
rente par  l'expérience  de  Von  Œttingen,  et  cette  explication  des  phéno- 
mènes harmoniques  se  confirme  de  jour  en  jour  dans  les  travaux  pos- 
térieurs à  son  ouvrage  et  notamment  dans  ceux  de  Riemann. 

RIEMANN 

Hugo  Riemann,  né  près  de  Sondershausen  en  1849,  est  actuellement 
professeur  de  musique  à  l'université  de  Leipzig.  Il  a  publié  de  nom- 
breux ouvrages  théoriques  sur  la  musique,  parmi  lesquels  il  faut 
citer  : 

1°  Sa  thèse  de  doctorat,  parue  en  \^^2),  mt\t\i\éQ  Musikalische  Logik[\) 
et  contenant  toute  la  théorie  des  harmoniques  inférieurs,  exposée 
d'une  façon  claire  et  certaine  ; 

2°  Son  traité  intitulé  Handbuch  der  Harmonielehre  (2),  paru  sous 
forme  d'essai  en  1880,  complété  et  réédité  en  1887  et  traduit  en 
français  par  M.  G.  Humbert  (à  Londres,  chez  Augener).  Cet  ouvrage 
explique  la  genèse  de  l'accord  à  l'aide  des  deux  expériences  que  nous 
avons  reproduites  au  chapitre  de  l'Harmonie  (pages  gS  et  suiv.). 

Mais  la  raison  de  l'exclusion  des  sons  harmoniques  7,  11,  i3,  etc., 
n'y  apparaît  pas,  et  l'auteur  reste  muet  sur  la  question  du  cycle  des 
quintes,  qui  fournit  précisément  la  solution  de  cette  difficulté.  Le  traité 
de  Riemann  est  cependant  basé  sur  les  trois /b;zc//o;/5  tonales  (Tonique, 
Dominante  et  Sous-Dominante),  c'est-à-dire  sur  la  relation  de  quinte 
entre  les  notes  pynmes  ;  mais  le  principe  de  cette  relation  n'y  est  pas 
nettement  dégagé.  Cet  ouvrage  est  du  reste  assez  aride,  en  raison  de  sa 
terminologie  peu  usuelle,  et  de  son  nouveau  système  de  chiffrage  des 

(i)  Logique  musicale. 
(3)  Manuel  d'harmonie. 


141  HISTOIRE  DES  THÉORIES  HARMONIQUES 

harmonies  ;  il  réalise  toutefois  un  grand  progrès  en  ce  qui  concerne  les 
notions  de  tonalité,  de  fonction  tonale  et  de  valeur  esthétique  de 
l'accord. 

3°  Le  Dictionnaire  de  Musique  de  Riemann,  paru  en  1896  et  traduit 
en  français  en  1899  par  M.  G.  Humbert,  mérite  aussi  d'être  signalé. 
Cet  ouvrage  reprend  la  même  théorie  harmonique,  et  fournit,  outre 
sa  documentation  historique  très  sérieuse,  un  certain  nombre  d'aperçus 
nouveaux  sur  les  rapports  des  sons,  sur  les  divers  systèmes  de  gammes, 
sur  la  parenté  des  sons  et  des  harmonies,  sur  les  tonalités  voisines,  etc., 
le  tout  en  parfaite  concordance  avec  la  théorie  harmonique  et  tonale 
exposée  dans  les  précédents  chapitres  du  présent  ouvrage. 

Sans  doute,  en  pareille  matière,  rien  ne  peut  être  donné  comme  abso- 
lument définitif,  car  nos  idées.,  nos  connaissances  et  notre  nature  elle- 
même  sont  éminemment  modifiables,  sinon  perfectibles.  On  ne  peut 
nier  cependant  qu'une  théorie  comme  la  nôtre  ait  de  grandes  chances 
d'être  vraie,  lorsqu'elle  réunit  en  sa  faveur  tous  les  esprits  distingués 
dont  nous  venons  de  retracer  les  laborieuses  recherches. 

A  chacun  de  la  contrôler,  de  s'en  pénétrer  et  de  la  compléter  encore 
par  son  travail  personnel  de  réflexion  et  d'application. 


X 

LE  MOTET 


Formes  polyphoniques  primitives.  —  Forme  de  la  pièce  liturgique.  —  Forme  du  motet.  — 
Constitution  de  la  phrase  dans  le  motet.  —  Forme  du  répons.  —  Histoire  des  formes 
polyphoniques  primitives  :  les  déchanteurs  et  les  théoriciens.  —  Histoire  du  motet. 
Période  franco-flamande. —  Période  italo-espagnole. —  Période  italo-aliemande. 


FORMES    POLYPHONIQUES    PRIMITIVES 

La  musique  de  la  deuxième  époque  est  qualifiée  de  polyphonique 
(à  plusieurs  voix),  parce  qu'elle  consiste  en  un  certain  nombre  de  parties 
mélodiques  différentes  destinées  à  être  chantées  simultanément  sans 
aucun  accompagnement  instrumental  (i). 

Les  premiers  essais  de  musique  polyphonique  furent  la  diaphonie  et 
le  déchant. 

On  s'accorde  à  faire  remonter  l'apparition  de  la  diaphonie  (appelée 
aussi  orga?ium)  à  l'époque  du  x*  siècle.  Cette  forme  consistait  à  faire 
entendre,  avec  une  mélodie  donnée  [cantus  Jîrmus)^  une  succession  de 
quintes  au-dessus  ou  de  quartes  au-dessous,  dont  la  marche,  absolu- 
ment parallèle,  n'était  interrompue  que  par  de  rares  unissons  ou  des 
octaves  sur  la  finale  de  la  période. 

Ces  superpositions,  incompatibles  avec  nos  habitudes  musicales 
contemporaines,  pouvaient  n'être  pas  sans  charme,  si  Ton  tient  compte 
de  ce  fait  que  les  voix  chargées  de  tenir  le  cantus  Jîrmus  étant  en  nom- 
bre infiniment  supérieur  à  celles  qui  dessinaient  la  diaphonie,  cette 
partie  vocale  devait  jouer  un  rôle  analogue  à  celui  que  jouent  encore 
actuellement  dans  la  registration  de  la  musique  d'orgue  le  nasard^  la 
quinte  et  les  fournitures. 

(i)  Le  qualificatif  de  po/ym^.'oi/<7ue,  appliqué  par  M.  Gédalge  à  ce  genre  de  musique  dans 
son  Traité  de  fugue,  semblerait  en  effet  plus  exact,  mais  il  n'est  point  encore  passé  dans 
l'usage. 


,44  LE  MOTET 

Voici  un  exemple  de  diaphonie  du  xni^  siècle 


Diaphonie 
coutra 


lenor)    i"^   |     |     f  zg  Fr  f=FEF=r:  I     M     i     "^=^^1     \\     \=X^^^-\     I     '     F    '     |     I     '     ' 


Cantus  firmus 
ténor) 


Agnus  De-        i,  qui      toi- lis  pec-ca-     ta    mun-di,  misère-      re      no-      bi? 


^n^^^'^^^-^-^^î 


Quant  dM  déchant ^  il  ne  fut  tout  d'abord  qu'une  mélodie  accompa- 
gnant note  contre  note  le  chant  grégorien,  et  improvisée  par  les  chan- 
tres; on  rappelait  aussi,  en'cette  forme  primitive  :  Canto  alla  mente^ 
ou  Chant  sur  le  livre;  son  caractère  particulier  était  de  procéder  plu- 
tôt par  mouvements  contraires,  au  lieu  d'employer,  comme  la  diaphonie, 
des  mouvements  parallèles. 

On  trouve,  dans  le  traité  fort  curieux  de  Franchino  Gafori  inti- 
tulé :  Practica  musicœ  sive  miisicœ  actiones  (1496),  des  exemples  de 
déchant. 

Nous  reproduisons  ici  un  court  fragment  emprunté  à  des  Litanîœ 
mortuorum  discordantes  qui  se  chantaient  dans  la  cathédrale  de  Milan 
le  jour  des  morts,  et  qui  paraissent  justifier  pleinement  leur  titre. 

Il  est  cependant  probable  que  le  mot  discordantes^  n'est  point 
employé  ici  dans  le  sens  du  mot  français  discordant^  mais  signifie 
chanté  sur  deux  notes^  ou  sur  deux  cordes. 


Cantus  firmus 


-t^H  r  r  ^T^^ 


N     -     -      -     -     -       .    o-  ra  pro  no-bis. 
Discantus        (^-/-j-J^^^zJ      J      I     J     J     J     J      J 


Voici  un  autre  spécimen  tiré  du  même  ouvrage  ;  il  est  écrit  pour 
trois  voix  et  appartient  sans  doute  à  une  catégorie  de  déchant  plus  per- 
fectionné, car  les  notes  de  passage,  les  ornements  et  même  le  principe 
de  l'imitation  commencent  à  y  apparaître  : 


Discantus       / 
(contra-tenor) 


Cantus  firmus 


(tcnor)  \ 


Dis  antus 


Dans  le  Spéculum  musicœ  (Miroir  de  la  musique),  de  Jean  de  Munis, 


LE  MOTET 


14^ 


ouvrage  qui  remonte  à  l'année  i325,  on  trouve  déjà  des  exemples 
de  déchant  présentant,  sous  le  nom  de  diniinulio  contrapunctiy  des  suites 
de  plusieurs  notes  contre  une  seule  : 


Discanlus 
(Dira,  contr.) 

Cantus  firmus 


On  a  donné  le  nom  àt  faux-bourdon  à  une  variété  de  diaphonie,  ori- 
ginaire d'Angleterre,  si  l'on  en  croit  Guilhelmus  Monachus  [De  prœ- 
ceptis  artis  musicœ,  fin  du  xiv®  siècle),  présentant  l'emploi  continu  de 
tierces  parallèlement  au  cantus  Jirmus.  On  le  notait  ainsi  ; 


Contra-tenor 
Tenor 
Discant 


r^^^î^ 


^ 


Mais  le  discatitus,  étant  une  voix  aiguë,  sonnait,  en  réalité,  à  l'octave 
supérieure,  et  l'effet  pour  l'oreille  était  le  suivant  : 


C'est  très  probablement  de  cette  transposition  de  la  basse  écrite  que 
vient  le  terme  falso-bordone^  dont  la  traduction  exacte  est  :  basse  enfaus- 
set,  le  mot  italien  bordone  étant,  à  cette  époque,  synonyme  de  basse  (i). 

On  peut  juger,  par  ces  notions  sommaires  sur  la  diaphonie  et  le 
déchant,  du  progrès  notable  qui  restait  à  accomplir  avant  d'aboutir  aux 
formes  si  parfaites  du  contrepoint  vocal,  dont  le  motet  offre  une  admirable 
synthèse. 

Dès  le  début  du  xv'  siècle,  les  pièces  contrapontiques  commencent 


^i)  Dans  sa  Commedia,  Dante  Alighieri  dit,  en  parlant  des  oiseaux  du  Paradis  terrestre 

Ma  con  piena  letizia  l'are  prime, 
Cantando,  ricevieno  intra  le  foglie 
Che  tenevan  bordone  allé  sue  rime. 

(Purgalorio,  c.  XxvlII,  ▼.  l5-l8.) 

«  Mais,  avec  pleine  joie,  en  chantant,  ils  (les  oiseaux)  recevaient  les  premières  brises, 
parmi  les  feuilles,  qui  faisaient  la  basse  de  leurs  accents.  » 

Il  est,  du  reste,  remarquable  de  trouver  en  ce  même  poème,  qui  contient,  il  est  vrai,  toute 
la  science  du  moyen  âge,  une  véritable  définition  du  déchant  : 

E  corne  in  voce  voce  si  discerne 
Quand'una  é  ferma  e  l'allra  va  e  riede. 

(Paratiito,  c.  vlll,  v.   17-18.) 

•  De  môme  que,  dans  un  concert,  on  peut  discerner  une  voix  qui  reste  immobile  tandis 
que  l'autre  va  et  revient.  » 

Cours  de  composition.  io 


146  LE  MOTET 

à  revêtir  des  formes  déterminées  qu'on  peut  répartir  en  deux  grandes 
catégories  : 

1"  la  pièce  liturgique; 

2°  le  motet. 


FORME    DE    LA    PIECE    LITURGIQUE 

La  pièce  liturgique,  qui  reproduit  le  texte  même  de  l'office  divin,  se 
rapproche,  au  moins  originellement,  de  l'art  du  déchant. 

De  ce  genre  sont  les  messes  et  les  psaumes,  dont  la  musique  n'est 
d'ordinaire   qu'une  amplification  du  thème  grégorien. 

Avant  la  réforme  de  la  musique  d'église,  prescrite  par  le  concile  de 
Trente  et  accomplie  en  Italie  par  Palestrina,  les  compositeurs  de  messes 
s'attachaient  à  traiter  contrapontiquement  les  thèmes  les  plus  connus  de 
la  musique  liturgique.  Ces  thèmes,  nous  l'avons  vu  aux  chapitres  de  la 
Cantilène  monodique  (p.  69,  72)  et  de  la  Chanson  (p.  83,  84),  s'adaptaient 
si  bien  au  rythme  populaire  qu'ils  devenaient  parfois  eux-mêmes  des 
timbres  de  chansons  en  langue  vulgaire,  et  que  le  peuple  connaissait 
mieux  leurs  paroles  profanes  que  leur  texte  latin  primitif.  On  en  était 
même  arrivé,  au  xv*  siècle,  à  désigner  les  messes  sous  le  titre  de  la  chanson 
qui  leur  avait  emprunté  leur  thème  (i).  Afin  de  remédier  à  cet  état  de 
choses  profondément  irrévérencieux  pour  la  majesté  du  culte,  le  pape 
Pie  IV  enjoignit  à  Palestrina,  alors  maître  de  chapelle  à  Sainte-Marie- 
Majeure,  de  composer  des  messes  sur  des  thèmes  originaux,  ou  tout 
au  moins  extraits  du  chant  grégorien  pur. 

Le  premier  résultat  connu  de  ce  mouvement  artistique  fut  la  messe 
dite  du  Pape  Maîxel. 

Quoi  qu'il  en  soit,  avant  comme  après  la  réforme  palestrinienne,  la 
seule  apparence  de  forme  musicale  qu'on  rencontre  dans  les  parties  de 
contrepoint  des  messes,  c'est  l'usage  assez  fréquent  d'une  sorte  de  des- 
sin dominant  qui  reparaît  dans  les  différents  morceaux  de  l'œuvre. 

Cependant  le  compositeur,  renfermé  dans  les  limites  du  texte  sacré, 
est  sans  cesse  arrêté  dans  ses  élans  dramatiques  par  une  sorte  de  senti- 
ment de  respect  qui  l'empêche  de  se  donner  libre  carrière. 

Il  n'en  est  plus  ainsi  dans  les  pièces  libres,  lesquelles,  pour  la  mu- 
sique religieuse,  se  résument  en  une  seule  forme,  le  fnotet,  que  nous 
allons  étudier  spécialement. 


(i)  L'un  des  timbres  les  plus  célèbres  fut  celui  de  la  chanson:  l'Homme  armé,  dont  les 
paroles  licencieuses  étaient  dans  toutes  les  mémoires.  Ce  timbre  fut  employé  par  un  grand 
nombre  de  compositeurs  de  messes.  On  trouve  aussi  des  messes  intitulées  :  L'amour  de  moy, 
Quant  j'ay  au  corps,  Bayse-moy  ma  mye,  etc. 


LE  MOTET 


>47 


FORME    DU    MOTET 


Au  point  de  vue  de  l'évolution  historique  des  formes  musicales,  le 
rôle  du  motet  est  de  première  importance. 

Cette  forme,  éminemment  expressive,  a  donné  naissance,  non  seule- 
ment à  celle  du  répons^  qui  en  est  peu  différente,  mais  encore  à  la  plu- 
part des  formes  polyphoniques  profanes,  et,  plus  tard,  à  la  forme 
fugue,  première  manifestation  de  Tart  symphonique  dans  la  troisième 
époque  de  notre  histoire  musicale. 

Le  motet  n'est  pas  astreint  à  un  plan  déterminé  dans  sa  construction  ; 
il  n'a  pas  de  forme  synthétique  fixe,  celle-ci  y  étant  essentiellement 
subordonnée  à  l'expression  du  texte. 

Le  texte  du  juotet  consiste  en  une  citation,  ordinairement  assez  courte, 
de  paroles  latines  tirées  d'un  office  ou  d'une  pièce  connue. 

Quant  à  la  musique  du  motet,  qu'elle  soit  la  paraphrase  d'un  thème 
grégorien  ou  la  manifestation  d'un  art  plus  personnel,  elle  n'en  procède 
pas  moins,  en  principe,  de  la  belle  monodie  médiévale,  à  laquelle  le 
compositeur  vient  ajouter  l'eff'et  de  sa  propre  émotion,  par  l'emploi  de 
l'accent  expressif  et  l'ornementation  de  la  période  mélodique. 

Le  principe  musical  du  motet  est  celui-ci  : 

A  chaque  phrase  du  texte  Vinévâire pr^ésejitant  un  sens  complet  corres- 
pond une  phî'ase  musicale,  qui  s'adapte  exactement  à  ce  texte,  et  se  déve- 
loppe sur  elle-même  Jusqu'à  ce  que  toutes  les  parties  récitantes  l'aient 
exposée  à  leur  tour. 

L'exemple  suivant  montre  la  genèse  de  la  phrase  musicale  dans  un 
motet  de  Palestrina  : 


Superius 


AUus 


Ténor  I 


Ténor  II 


fiassus 


S 


<;.       .       .       . 

.    . 

.    Phrase  complète 

VS  période 

2£  période 

<A 

1«B 

1 

P^î  :r  r  r 


=t 


f  r  r-  p  r  r 


Cce_  nan     .       ti_bus       il      „     lis,                ac-ce\,  pit     Je        -         sus 
rr  ir= 


^m 


jii.'j  I  j  j 


Cœ    _    nan 


ti.bus       il 


lis,    ac  _  cé-pit     Je.sus 


f    \n  ^ 


Coe    -      nân 


ti   -  bus 


14^ 


LE  MOTET 


pa 


nem;   ac  _  ce.pit     Je.sus   pa 
Ili 


nem, 


ce  -  pit    Je 


sus     pa 


.     netOf 


On  peut  voir  qu'à  l'exception  de  Y  ornement  Jinal^  légèrement  différent 
dans  les  diverses  expositions,  la  phrase  musicale,  traduction  expressive 
du  texte,  reste  partout  identique  à  elle-même  ;  bien  plus,  chaque  mot, 
s'iPse  présente  plusieurs  fois,  reste  affecté  du  même  contour  mélodique 
qui  lui  avait  été  primitivement  assigné. 

Il  n'y  a  donc,  dans  cette  forme  d'art,  aucune  partie  de  remplissage, 
romme  on  en  rencontre  dans  les  choeurs  d'écriture  harmonique  ;  toutes 


LE  MOTET 


'49 


les  voix  sont  égales  devant  la  mélodie,  et  se  meuvent  librement  dans 
l'espace,  sans  dépendre  ni  de  la  ^asse,  comme  au  xvii«^  siècle,  ni  de  la 
partie  supérieure,  comme  dans  l'opéra  italien. 

La  phrase  de  l'exemple  précédent  nous  montre  une  exposition  simple, 
dans  laquelle  chaque  voix  expose  soit  le  thème,  soit  une  réponse  tonale 
à  ce  thème  (voir  l'entrée  des  parties  d'alto  et  de  basse),  principe  que 
nous  retrouverons  dans  la  fugue. 

Parfois  aussi,  surtout  dans  la  deuxième  période  de  l'histoire  du  motet, 
on  trouve,  en  même  temps  que  le  thème  et  sur  les  mêmes  paroles,  une 
sorte  de  dessin  accompagnant  que  les  contrapontistes  appelaient  cornes 
(compagnon). 

Ce  dessin,  ou  contre-sujet,  suit  les  évolutions  du  thème,  tout  en  res- 
pectant l'accentuation  expressive  du  texte. 

Une  exposition  de  cette  espèce  était  qualifiée  de  duplex  (double).  Telle 
est  la  phrase  ci-dessous,  tirée  du  beau  motet  de  Vitoria  :  Duo  seraphim 
clamabant  : 


tus,   Sanc 


lus. 


LE  MOTET 


ba   _   oih 


P^ 


"»rB" 


yr  r  r 


^ 


^:?^ 


-     ba  _   oth,    Dô 


mi.nus       Dt 
rs 


p^t^ 


etc. 


T^=r=^ 


ba 


oth.       Dô 


Do   - 


Chaque  fois  que  le  texte  présente  de  nouvelles  paroles,  une  phrase 
musicale  nouvelle  s'établit,  et  se  répercute,  comme  la  première,  dans 
toutes  les  parties  vocales,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans  l'exemple  pré- 
cédent, aux  mots  :  Domimis  Deus  sabaoth. 

Tout  le  principe  essentiellement  dramatique  de  la  composition  du 
motet  réside  dans  cette  adaptation  rigoureuse  de  la  musique  aux  expres- 
sions du  texte,  et  même  aux  divisions  imposées  par  la  forme  gramma- 
ticale de  chaque  phrase  littéraire. 

CONSTITUTION    DE    LA    PHRASE    DANS    LE    MOTET 


Dans  l'écriture  du  motet,  le  yythme  est  libre  et  généralement  contrarié 
entre  les  parties,  sans  aucune  préoccupation  de  mesure,  ni  surtout 
d'accentuation  sur  les  temps  correspondants  de  deux  ou  de  plusieurs 
mesures  consécutives. 

La  mélodie  y  procède  directement  des  formes  de  la  cantilène  mo- 
nodique  dans  ses  divers  états  :  on  trouve  en  effet  dans  le  motet,  et 
souvent  au  cours  de  la  même  phrase,  certains  passages  exposés  simul- 
tanément par  les  parties  en  forme  purement  syllabique,  comme  les 
monodies  primitives;  d'autres,  plus  varié»  et  de  forme  plus  agogique, 
empruntés  au  genre  ornemental  ;  ce  sont  les  plus  fréquents,  et  il  s'y 
mêle  parfois  de  véritables  recherches  symboliques,  reconnaissables,  par 
exemple,  à  la  même  forme  plastique  reproduite  intentionnellement  dans 
la  mélodie,  sur  des  mots  de  même  signification  ;  enfin,  certaines  expo- 
sitions affectent  une  allure  tout  à  fait  populaire,  soit  par  leur  forme,  soit 
par  le  caractère  de  leur  thème. 

Quant  à  Vharmonie  à\i  motet,  elle  est  basée,  nous  l'avons  vu,  sur  la 
polyphonie,  et  résulte  uniquement  delà  marche  combinée  des  mélodies. 
Parfois  cependant,  les  voix  se  réunissent  en  un  mouvement  simultané 


LE  MOTET  i5i 

qui,  sans  jamais  bannir  la  mélodie,  forme  vraiment  une  agrégation 
harmonique  ;  ces  successions  sont  d'ordinaire  de  courte  durée,  et  n'en- 
travent consëquemment  jamais  l'indépendance  des  lignes  mélodiques 
générales. 

Uiinité  tonale  est  toujours  respectée  dans  le  motet,  mais  la  cadence 
terminale  s'établit  indistinctement  soit  à  la  tonique,  soit  à  la  dominante^ 
dernier  vestige  des  modes  graves  ou  aigus  du  plain-chant. 

L'emploi  de  la  modulation  comme  moyen  expressif  y  est  relativement 
rare. 

Enfin,  ce  qui  contribue  puissamment  à  faire  du  motet  une  forme 
éminemment  artistique,  c'est  la  parfaite  proportion  et  l'harmonieux 
équilibre  qui  régnent  toujours  entre  les  divers  fragments  qui  le  com- 
posent, comme  on  pourra  s'en  convaincre  par  les  analyses  qui  terminent 
ce  chapitre  (pages  i56,  i63,   169,  173). 

Cette  proportion  et  cet  équilibre  que  nous  trouvons  déjà  établis  dans 
le  motet,  malgré  son  origine  d'ordre  dramatique,  deviendront,  nous  le 
verrons  plus  tard,  les  règles  absolues  de  toute  composition  sympho- 
nique. 

FORME    DU    RÉPONS 

Le  répons  n'est  qu'une  variante  abrégée  du  motet  offrant  la  particu- 
larité d'être  toujours  divisé  en  deux  parties,  savoir:  1°  le  re/'o;/5  pro- 
prement dit,  qui  se  termine  le  plus  souvent  par  une  prière  ;  2*'  le  ver- 
set, court  fragment,  généralement  de  moindre  intérêt,  à  la  suite  duquel 
on  répète,  pour  finir,  la  phrase  terminale  de  la  première  partie,  ou 
prière. 

Le  répons  n'est  jamais  isolé;  il  procède  toiijours  par  groupe  de  trois 
sur  un  même  sujet,  division  que  l'on  peut  tout  naturellement  rapporter 
à  la  forme  picturale  connue  sous  la  dénomination  de  triptyque. 

Tous  les  répons  d'un  même  groupe,  ou,  si  l'on  veut,  d'un  même 
tf^iptj^que.)  sont  écrits  dans  la  même  tonalité,  et  suivent  presque  toujours 
une  marche  tonale  identique. 

En  dehors  de  ces  quelques  détails,  la  construction  du  répons  n'est 
aucunement  différente  de  celle  du  motet.  (A'oir  les  exemples  analysés, 
pages  i65  et  171 .) 

HISTOIRE    DES    FORMES    POLYPHONIQUES    PRIMITIVES 
LES    DÉCHANTEURS    ET    LES    THÉORICIENS 

L'apparition  des  premiers  motets  dignes  de  ce  nom  fut  précédée 
d'une   assez   longue    période    d'incubation.  Cette  forme  si  parfaite   ne 


i53  LE  MOTET 

pouvait  point  éclore  et  se  développer  sans  une  série  de  travaux  prépa- 
ratoires et  d'essais  plus  ou  moins  heureux. 

Toutefois,  les  œuvres  et  les  traités  théoriques  qui  contribuèrent  à 
l'avènement  du  motet  n'ont  pas  encore  été  mis  en  lumière,  sauf  d'assez 
rares  exceptions.  Quant  aux  noms  des  maîtres  (déchanteurs  ou  théori- 
ciens) auxquels  revient  le  mérite  d'avoir  créé  et  codifié  le  bel  art  du 
contrepoint  vocal,  ils  sont  encore  moins  connus.  Il  importe  pourtant 
de  ne  les  point  ignorer;  aussi  rappellerons-nous  ici,  brièvement,  les 
principaux  : 

DÈCHAN1EURS 

Pérotin  ou  Magister  Pct^otinus  magnus^  qui  fut  maître  de  chapelle  à 

Notre-Dame  de  Paris  au  xii^  siècle. 
Francon  l'aîné,  ou  Francon   de  Paris,   également  maître  de  chœur 

à  Notr^e-Dame  vers  la  fin  du  xn*  siècle. 
Francon  de  Cologne,  prieur  de   l'abbaye  des  Bénédictins  de  Cologne 

en  1 190  et  à  peu  près  contemporain  du  précédent,  célèbre  par 

ses  écrits  sur  la  réglementation  de  la  musique  proportionnelle. 

THÉORICIENS 

Franco-flamands  : 

Jérôme  de  Moravie,  Dominicain  au  couvent  de  h  rue  Saint-Jacques, 
à  Paris,  en  1260. 

Philippe  de  Vitry,  né  vers  i2  3o,  mort  évêque  de  Meaux  en  i3i6, 
paraît  avoir  été  le  premier  à  introduire  le  terme  Contra  punctus 
à  la  place  de  Discantus. 

Jean  de  Mûris  vécut  dans  la  première  moitié  du  xiv'  siècle  ;  il  est 
l'auteur  d'un  des  plus  vastes  et  des  plus  anciens  traités  de  mu- 
sique :  le  Spéculum  musicœ,  ouvrage  divisé  en  7  livres  compre- 
nant chacun  un  grand  nombre  de  chapitres:  i"  livre  :  Généralités 
(76  chap.);  2®  livre  :  Les  intervalles  {i23  chap.);  3"  livre:  Les 
proportions  (56  chap.);  4*  livre:  Consonnance  et  dissonnance 
(5i  chap.);  6«  livre:  La  musique  des  anciens,  d'après  Boëce 
(62  chap.);  6®  livre  :  Les  modes  ecclésiastiques  (11 3  chap.); 
7«  livre:  La  musique  proportionnelle  et  le  déchant  (46  chap.). 
Voir  ci-dessus  p.   144. 

Jean  Tinctor  ou  Jean  de  Waein'ere  (1446  f  i5ii),  chanoine  de 
Nivelles,  auteur  du  plus  ancien  dictionnaire  de  musique  connu 
(1475),  et  d'une  messe  sur  la  chanson  de  VHomme  armé. 

Anglais  : 
"Walter  Odington,  bénédictin  anglais,  mort  après  i3i6. 
Simon   Tunstede    ou  Dunstede,    maître   de  chœur    du   couvent  des 
Franciscains  d'Oxford,  mort  en  1369. 


LE  MOTET  i53 

Jean  Hothby  ou  Fra  Ottobi,  maître   de  chant  au  couvent  des  Car- 
mélites de  Lucques,  de  14G7  à  i486,  mort  à  Londres  en  1487. 

Allemands  : 

Sebald   He'yden  (1498  -î"  i56i),  recteur  de  l'école  de  Saint-Sebald  à 

Nuremberg. 
Glaréan  ou  Heinrich  Loris  de  Claris  (i488-i-  i  563)  ;  bien  connu  par 

son  Dodekachordon   (1547),  traité  des  modes   ecclésiastiques, 

au  cours  duquel  il  cite   de   nombreux  exemples   des  maîtres 

du  contrepoint  de  son  époque. 

Italieyis  : 

Marchettus  de  Padoue  vécut  au  commencement  du  xiv*  siècle. 
Franchino  Gafori  ou  Franchinus  Gafurius  (145 1  -J-  i522),  maître  de 

chœur   du  Duomo  de  Milan  et  premier  maître  de  chapelle  du 

duc  Ludovic   Sforza  en  1484.   (Voir  ci-dessus  p.    144.) 
CiosEFFO   Zarlino   (i5i7  i*    1^90),  franciscain   et  maître  de  chapelle 

de  Saint-Marc  à  Venise.    (Voir  le  chapitre  de    l'Histoire  des 

théories  harmoniques,  page  134.) 

HISTOIRE    DU    MOTLT 

L'art  du  motet,  comme  celui  du  déchant,  paraît  avoir  pris  naissance 
en  Flandre  et  dans  le  nord  de  la  France,  vers  le  xv*  siècle  ;  on  le  retrouve 
un  peu  plus  tard  en  Italie,  avec  l'admirable  école  palestrinienne,  dont  la 
puissante  floraison  s'étend  jusqu'en  Espagne  au  milieu  du  xvi*  siècle. 
A  la  fin  de  ce  même  siècle,  l'art  du  motet  passe,  par  Venise,  en  Alle- 
magne, où  il  disparaît  bientôt  pour  faire  place  aux  formes  sympho- 
niques  (i  ). 

Cet  art,  venu  du  Nord,  semble  donc  y  être  retourné  pour  y  mourir, 
après  avoir  atteint  une  rapide  et  absolue  perfection  dans  les  contrées 
méridionales;  aussi  peut-on  diviser  l'histoire  du  motet  en  trois  pé- 
riodes distinctes  qui  correspondent  à  la  fois' à  ses  émigrations  et  aux 
évolutions  de  sa  forme;  nous  les  nommerons: 

i"  Période  franco-flamande; 
2"  Période  italo-espagnole  ; 
3"  Période  italo-allemande. 


(i)  Au  wii*  siècle,  le  nom  de  motet  fut  appliqué  à  un  genre  de  composition  qui  lient  le 
milieu  entre  la  cantate  et  l'oratoi  io,  mais  qui  n'a  plus  aucun  rapport  avec  le  motet  propre- 
ment dit. 


i54 


LE  MOTET 


PÉRIODE    FRANCO-FLAMANDE    (l) 


Guillaume  Dufay     .     . 

Jakob  Hobrecht  . 

Jan  de   Okeghem     .     . 

JOSQUIN    DePRÈS    .       .       . 

Heinrich  Isaak   . 
Jean  Mouton  .... 
Jean  Richafort  .     .     . 

Claudin  de  Sermizy 
Heinrich  Finck  . 
Jakob  Clemens  non  papa 
LuDWiG  Senfl     .     .     . 
Claude  Goudimel    .     . 


1400  f 

1474 

1480  i 

[5o6 

1430  1 

495 

1450  f 

521 

1450  -{" 

i5.. 

14..  ■[ 

522 

14..  t 

[547 

14  ••  t 

5.. 

14..  t 

[5.. 

1475  1 

567 

1492  t  I 

555 

i5o5  t  1 

572 

Guillaume  Dufay,  flamand,  fut  chanteur  de  la  chapelle  pontificale 
en  1428,  puis  maître  de  chapelle  du  duc  de  Bourgogne  Philippe  le  Bon 
en  1437;  il  mourut  en  1474,  chanoine  de  Cambrai.  Il  fut  l'un  des 
principaux  réformateurs  de  l'écriture  musicale. 

Jakob  Hobrecht  ou  Obrecht,  né  à  Utrecht,  où  il  fut  maître  de  cha- 
pelle en  1465,  et  d'où  il  passa  en  1492  à  la  cathédrale  d'Anvers,  On 
connaît  de  lui  douze  messes  et  un  grand  nombre  de  motets.  Hobrecht 
fut,  dit-on,  le  maître  de  musique  d'Erasme  de  Rotterdam. 

Jan  de  Okeghem,  néerlandais,  probablement  élève  de  Dufay  vers 
1450,  premier  chapelain  et  compositeur  du  roi  Charles  VH  de  France 
en  1454,  vécut  constamment  à  Paris,  et  fut  même  chargé  de  plu- 
sieurs missions  diplomatiques.  Il  écrivit  au  moins  dix-sept  messes 
et  sept  motets,  plus  un  Deo  gratias  à  trente-six  voix  (à  neuf  canons). 
On  a  attribué  à  Okeghem  l'invention  ou  du  moins  la  régularisation 
du  canon. 

Josquin  Deprès,  flamand,  surnommé  par  ses  contemporains  le 
«  prince  de  la  musique  »,  fut  élève  d'Okeghem,  et  vécut  longtemps  à 
Rome  et  en  Italie.  Ses  principales  œuvres  sont  trente-deux  messes 
imprimées  de  i  5o5  à  i  5 1 6  et  un  certain  nombre  de  motets,  parmi  lesquels 
les  suivants  méritent  principalement  d'être  étudiés. 


(1)  Ce  cours  de  composition  n'étant  pas  un  livre  d'érudition  historique,  l'auteur  n'a  en- 
tendu citer  dans  chaque  genre  que  les  noms  des  compositeurs  les  plus  importants,  ceux 
seulement  qu'il  n'est  pas  permis  d'ignorer,  renvoyant  pour  le  surplus  aux  ouvrages  qui 
traitent  spécialement  des  questions  historiques. 


LE  MOTET  ib5 

a)  Ave  Chrîste  îmmolate  (Anthologie  des  Maîtres  religieux,  vol.  I, 
p.  41),  en  deux  parties,  à  quatre  voix. 

b)  Ave  veriim  corpus  (Anthol.  vol.  II,  p.  61),  à  deux  et  trois  voix. 
Le  deuxième  verset  est  la  reproduction  du  premier,  avec  adjonction 
d'une  troisième  partie  mcModique. 

c)  Miserere  tnei  Deus,  psaume  à  cinq  voix,  en  trois  parties  (Anthol. 
vol.  I,  p.  I  22). 

Ce  psaume  est  particulièrement  à  étudier  en  ce  qu'il  offre  une  preuve 
convaincante  de  l'emploi  de  la  résonnance  harmonique  inférieure  appli- 
quée à  la  gamme. 

Les  trois  parties  sont  régies  par  un  thème  unique,  le  cantus  Jîrmus  : 


Mi-  se-       re- re        mc-i         De-         us. 

Ce  thème  est  perpétuellement  confié  à  la  cinquième  voix,  quintus  ou 
V agan s  {i),  qui  l'expose  après  chaque  verset,  sur  un  degré  différent  de 
la  gamme. 

Dans  la  première  partie  du  psaume,  composée  de  huit  versets,  les 
expositions  successives  du  cautus  Jinnus  se  font  en  descendant,  sur  tous 
les  degrés  de  la  gamme  mineure,  telle  qu'elle  résulte  de  la  résonnance 
inférieure,  en  partant  delà  noxt  prime  aiguë.  (V.  chapitre  vi,  p.  loi.) 

12345678 


'^-{Ù)x^^:, 


Dans  la  seconde  partie,  en  huit  versets  également,  le  vagans  parcourt 
en  montant  les  huit  degrés  de  la  même  gamme  : 


7      8 


Enfin,  dans  la  troisième  partie,  composée  seulement  de  cinq  versets, 
le  vagans  redescend  par  les  mêmes  degrés  qu'au  début,  mais  il  s'arrête 
au  cinquième,  c'est-à-dire  à  la  tonique: 


^■^ 


^^^^Eim 


(i)  La  ciiiquième  voix  prenait  la  dénomination  de  vagaus  (voix  errante),  parce  qu'elle 
était  écrite  tantôt  au  soprano,  tantôt  à  l'alto,  au  ténor  ou  à  la  basse.  Le  cahier  de  la  voix 
de  quintus  errait  donc  litteralenacnt  d'une  partie  à  l'autre,  suivant  la  pièce  interprétée,  d'où 
le  nom  de  vagans. 


iS6 


LE  MOTET 


d)  Ave  Maria  gratîa  plena  (Anthol.  vol.  I,  p.  92),  motet  à  quatre 
voix  dont  nous  donnons  ci-dessous  l'analyse  complète. 

Ce  motet,  d'un  style  très  pur  directement  issu  du  chant  grégorien, 
peut  se  diviser  en  trois  parties.  La  construction  en  est  édifiée  de  telle 
sorte  que  chacune  de  ces  trois  parties,  sans  éveiller  aucune  idée  de 
symétrie,  est  cependant  corrélative  des  deux  autres,  et  forme  avec  elles 
un  triptyque  du  plus  harmonieux  effet. 

Voici,  d'après  le  texte,  la  disposition  de  l'ossature  mélodique  qui 
comprend  sejp?  phrases  : 


Ave  Maria, 
Gratia   plena, 
Dominus  tecum, 
Virgo  serena. 

Ave  cœlorum  domina, 
Maria  plena  gratia, 
Cœlestia,  terrestria. 
Mundum  replens  lae- 
[titia. 


!•  phrase 
(ternaire) 


2*  phrase 
(ternaire) 


3*  phrase 
(binaire) 


Ave  cujus  Nativitas     \ 

Nostra  fuit  solemnilas,  / 

Ut  lucifer,  lux  oriens   ) 

Verum  solem  praeve-  \ 
[niens.  ; 

Ave  pia  humilitas,        \ 

Sine  viro  fecunditas,  (  4*  r'^''^*^ 


Avepraclaraomnibus\  g.  p^^^,^ 
Angelicis  virtutibus,    / 
Cujus  fuit  Assutnptio  l  (ternaire) 
Nostra  glorificatio.       / 


Cujus  Annuntiatio 
Nostra  fuit  salvatio. 

Ave  vera  virginitas, 
Immaculata  castitas, 
Cujus  Purificatio 
Nostra  fuit  purgatio. 


i    (ternaire) 

\5*  phrase 
/  (ternaire) 
[point  culminant 
/de  la  pièce 


O  Mater  Dei, 
^îemento  met. 
Amen(l). 


)  7*  phrase 
>  (bimire) 
'Invocation 


r«pér.. 


_j      2î  pér. 


'  I rf  phrase:!^  J        ^>  [^    ^ 


('•    r  'J  J 


A    -    ve 


Ma 

_j    IT  pér.  (bis). 


^ra    _    ti  -  a 
j    Zl  pér.. 


TtT\'^Qf-^    I-  f  r  r  :i 


i^ 


pie    - 


-     na, 
.ornement  final. 


Do  -  mLnus     te 


cum, 


Vir    _     go     se . 


â 


LT  ^    ^  U  \ 


p  f   r  r 


;   <■> 


r."  pér. 


^  -   {'   {'   f  'r   r  r'  PC  ^g 


2'î'' phrase: 


2Spér.- 


A    .     ve         cœ    .    lo  _    rum   Do 

_j      35  pér. 


mi  -  na, 


^^ 


-  ^  '^  r  '('  r^ 


Ma  .  ri  -  a         pie  .    na  gra.ti  _  a, 


cœ.  les  _  ti 


a,     ter.  res.tri   . 


.ornement. 


^fe^£j±-fa:j:i;  r  f  Fr^ 


zvr^ 


a,       niun 


Awn       re    .    plens  \is 


ti    .    a. 


M)  Salut,  Marie,  pleine  de  grâce,  le  Seigneur  est  avec  toi,  Vierge  sereine. 
Salut, reinedes  cieux,  Mar.e  pleine  de  grâce, qui  remplis  dejoie  le  ciel, la  terre,  le  monde  entier 
Salut,  celle  dont  la  Nativité  fut  notre  solennité,  lumière  précédant  le  soleil  comme  l'étoile 

du  matin. 
Salut,  pieuse  humilité,  fécondité  sans  tache,  dont  l'Annonciation  fut  notre  rédemption. 
Salut,  vraie  virginité,  chasteté  immaculée,  dont  la  Purification  fut  notre  absolution. 
Salut,  brillante  de-toutes  les  vertus  angéliques,  dont  l'Assomption  fut  notre  glorification. 
O  Mère  de  Dieu,  souviens-toi  de  moi.  Ainsi  soit-il. 


LE    MOTET 


«37 


11"  pér. 


3'S"phrasf.|~jjC       j        f^'        f      ^ 


-^    lC«ppr.(bis) 


ve       eu  -  jus 


Na   -    ti 


ut     Lu-ci-fer     lux    o  .    ri  -  ens,  ve.rum  So.lem  prœ    ve  .  ni  .  ens. 


11*  per. 


_^     11«  pér.  (bis)_ 


'r^^^^^'^^^^M^T  i  r  f'-f"'^    °      I  ('  ^^^ 


A   _    ve    pi  _  a            hu.mi     _       li    .    tas,                  Si  _   ne  vi  _  ro 
_^    2:  pér 


I,  ^  r  ''  "     If  r  rT^'^  ^  J  j-  Jji 


fe-cuîi     .     di   _    tas,  eu-  jusÀn.nun 

3! pér ornemeni  final. 


ti    .   a     .     ti 


r  a      "pc 


r   r   ir   r  ^r  rin'    r  '"' 


nos  -   tra         fu    .     it  sal    -    va 

11"  pér.. 


ti    _     o. 


S-^/phrasr:^^^ 


J    J    J    M     ^ 


A    -    ve         ve     .      ra 


s^^^ 


^ 


ll^'-r- (bjs)_ 


vir    .     ^1 
2î  pér.- 


ni     _     tas, 


g^'-M      J     ^      f    J        I  J^f—^^^^ i 


im  -  ma-  eu    -    la     .     ta        cas    .     ti    -    tas,                eu   -   jus          Pu  .   ri      .      fi 
^    3:  pér 


r  ^,^vt=^i  w    r 


p .{'    r 


-  ca     -      ti      _      o                  nos  _  tra         fu  _    it               pur.ga    .    ti    _    o. 
11?  pér _, 


/F^i;^^^^-f  r   i-   rr^   ^  r   ^J 


11*  pér.  (bis). 


ve      prre  .  cla 


ni   _  bus 
^    25  pér 


rr  i-  tj^^=f^^m 


^ 


ti  an    .     ge  .    li   .    cis 

a. 


vir  -  fu 

3î  pér. 


ti   -    bus, 


eu  .  jui      fu  _ 


'^ 


:t~c£" 


T  :('•  ^f  r  m 


it       Àssumpti    .    o 

v:  [MT. 


7 1"' phrase 


Ê 


nos.tra    glo  -   ri    .    fi     -      ca     .      ti    .     o. 
^  2îpér , 


7—77 


I»    i.o 


O        Ma-lcr     De  -    1, 


mémento     me  .    i.  A  -   men. 


i58 


LE  MOTET 


Chacune  des  parties  correspond,  nous  l'avons  dit,  aux  autres,  non 
seulement  par  la  construction,  mais  encore  par  le  procédé  employé  dans 
l'exposition  de  ses  phrases  mélodiques. 

Chaque  partie  de  ce  motet  commence  en  effet  par  des  entrées  succes- 
sives des  voix,  soit  individuellement,  soit  deux  à  deux,  l'une  étant 
employée  comme  contre-sujet. 

A  la  fin  de  la  première  phrase  de  chaque  division  du  motet,  les  voix 
se  réunissent  sur  la  cadence;  dans  la  dernière  phrase,  au  contraire,  elles 
se  font  entendre  chaque  fois  sous  forme  d'agrégation  harmonique,  et 
cette  forme  contribue  puissamment  à  Teffet  si  varié  que  produit  cette 
belle  pièce. 

Nous  citons  ici  les  deux  passages  harmoniques  qui  terminent  les 
deux  premières  parties,  passages  absolument  remarquables  par  le  rôle 
tout  spécialement  mélodique  et  expressif  que  joue  la  voix  de  ténor. 


Sup/ 


Alt. 


Ten. 


Bass. 


2°!'^ phrase  (3S  pér.) 


m 


F^ 


les     -       ti 


res      _     tri 


^ 


coj  .   les 


ter      .      res 


tri 


^ 


f       iff   f 


â^ 


cœ_  les  .  ti 


CCS  -   les      .       ti 


ter 


res-tri  .  a, 


ter  .    res     ..      tri 


mun  -  dum 


pions    lœ  .    ti 


ti.a,       lœ. 


LE  MOTET 


ID9 


"  ^ 

^ 

^ 

^ 

• 

ra  lient. 
ti         ■     - 

_1 

- 

=ir= 

~t(^- — 1 

L-J 

f 



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a. 
— cT^ 

F-^ 

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i 

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■•-.     ^"^ 

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7 

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.      1 

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a. 

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» 

^__ 

.y 

»> 

^i^ 

.   ti  .  ti 

5'î!^  phrase. 


Slip. 


Alt. 


Tén. 


Bass. 


ir'  r  n  ir     r  !(    Mr    Mr  rr 


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i6o  LE  MOTET 

Heinrich  Isaak,  en  italien  Arrhighis^  ou  Arrhigo  Tedesco^  néerlan- 
dais, contemporain  de  Josquin,  fut  organiste  à  la  cour  de  Laurent  de 
Médicis,  de  1477  à  1489,  puis  chef  des  «  symphonistes  »  de  l'empereur 
Maximilien  I".  On  connaît  de  cet  auteur  environ  vingt  messes  et  plu- 
sieurs livres  de  motets. 

Jean  Mouton,  né  aux  environs  de  Metz,  étudia  sous  Josquin  et  fut 
maître  de  Willaert,  le  célèbre  compositeur  de  madrigaux.  Il  fit  partie 
de  la  chapelle  de  Louis  XII  et  de  François  I*"",  et  mourut  à  Saint- 
Quentin.  Son  style  a  grand  rapport  avec  celui  de  Josquin  Deprès,  et 
l'on  a  parfois  attribué  à  l'un  des  œuvres  de  l'autre.  Il  écrivit  neuf 
messes  et  une  quarantaine  de  motets  ;  les  plus  connues  de  ces  œuvres 
sont  :  la  messe  «  Dittes-moy  toutes  vos  pensées  »,  celle  intitulée  Sme 
cadentia,  et  le  motet  Nesciens  mater^  quadruple  canon  à  huit  voix. 

Jean  Richafort,  également  élève  de  Josquin  et  maître  de  chapelle  à 
Bruges,  de  1548  à  1647,  est  l'auteur,  entre  autres  choses,  du  motet  : 
Chris  tus  resuy^gens  ex  lîwrtuis,  a  quatre  voix,  en  deux  parties  (Anthol. 
vol.II,  p.  35). 

Claudin  de  Sermizy,  français,  maître  de  chapelle  de  François  I"  et 
Henri  II,  de  i53o  à  i56o. 

Heinrich  Finck,  allemand,  fut  au  service  des  rois  de  Pologne,  de 
1492  à  i5o6.  On  ne  connaît  encore  que  peu  d'œuvres  de  ce  compo- 
siteur. 

Jakob  Clemens  non  papa,  néerlandais,  maître  de  chapelle  de  Charles- 
Quint,  dont  nous  citerons  les  motets  :  Tu  es  Petrus  (Anthol.  vol.  I, 
p.  7)  et  Eî^ravi  sicut  ovis  {ibid.  vol.  II,  p.  10),  divisés  en  deux  parties 
l'un  et  l'autre. 

LuDwiG  Senfl,  né  aux  environs  de  Bâle,  succéda  à  son  maître 
Isaak  comme  maître  de  chapelle  de  la  cour  de  Vienne,  et  mourut  à 
Munich  en  i555  ;  dans  la  bibliothèque  de  cette  ville  sont  conservées  la 
plupart  de  ses  œuvres  encore  manuscrites. 

Claude  Goudimel,  français,  né  à  Besançon,  arriva  dès  i535  à  Rome 
où  il  devint  le  fondateur,  de  l'école  romaine  qu'illustrèrent  ses  élèves 
Palestrina,  Animuccia,  Nanini  et  tant  d'autres. 

Goudimel  est  surtout  connu  par  son  œuvre  la  moins  importante,  la 
réalisation  en  chorals  des  psaumes  calvinistes  de  Clément  Marot  et 
Th.  de  Bèze(i566),  travail  qui  fut  peut-être  la  cause  de  sa  mort,  car  il 
fut  tué  à  Lyon  en  1572,  parce  qu'on  le  croyait  huguenot. 


LE  MOTET  i6l 


Ses  messes  et  motets  reposent  encore,  manuscrits  en  grande  partie, 
dans  les  archives  du  Vatican  et  de  Santa  Maria  in  Vaticella,  à  Rome. 
11  écrivait  le  plus  souvent  à  cinq  voix. 


PÉRIODE     ITALO-ESPAGNOLE 


Italiens 


COSTANZO  FeSTA I4..    f    1645 

Giovanni  Animuccia i5..  •{•  iSyi 

Andréa  Gabrieli .  i5iof  i586 

Giovanni   Pierluigi  da  Palestrina  .     .  i5i5  -i*  1^94 

Giovanni  Maria  Nanini 1645  f  1607 

Espagnols 

Cristofano  Morales 1490  f  i553 

Francisco  Guerrero i528  f  1B99 

TOMASO    LUDOVICO    DA  VlTORIA  ....         I  540   f    1 6o8 

Flamand 
Roland  de  Lassus i53o  f  1594 

Avec  cette  seconde  période,  nous  sommes  en  pleine  floraison  du 
motet;  l'écriture  s'épure,  la  forme  s'élargit,  le  style  devient  plus  noble 
et  plus  élevé,  sinon  plus  expressif. 

CosTANZo  Festa,  engagé  en  i5i7  comme  chanteur  de  la  chapelle 
pontificale,  paraît  avoir  été  le  véritable  précurseur  des  grands  maîtres 
de  cette  période,  celui  qui  opéra  la  fusion  entre  la  gravité  flamande  et 
la  grâce  italienne.  On  a  conservé  de  lui  un  certain  nombre  de  motets 
à  trois  et  quatre  voix,  et  un  Te  Deum  qui  est  encore  au  répertoire  de  la 
Chapelle  Sixtine. 

Giovanni  Animuccia,  maître  de  chapelle  de  Saint-Pierre  de  Rome 
avant  Palestrina,  puis  du  Vatican,  en  i555,  est  moins  connu  pour 
ses  recueils  de  messes  et  de  motets  que  par  la  création  de  Vora- 
torio,  qui  lui  est,  peut-être  un  peu  à  tort,  attribuée.  Nous  le  retrou- 
verons lorsque  nous  traiterons  de  ce  genre,  dans  la  troisième  partie 
de  cet  ouvrage. 

Andréa  Gabrieli,  vénitien,  élève  de  Willaert  et  attaché  à  la  chapelle 
de  Saint-Marc,  de  i536  à  i566,  publia  des  motets  sous  les  titres  de  : 
Sacrœ  cantioncs  (i565),  à  cinq  voix,  Cantiones  ecclesiasticœ  (1576), 
à  quatre  voix,  Cantiones  sacrje[\b']^)^  de  six  à  seize  voix. 

COURS   DE   COMPOSITION.  Il 


lôa  LE  MOTET 

Voir  le  motet  Sacerdos  et  Pontifex  (Anthol.,  vol.  I,  p.  i88),  con- 
stitué en  trois  grandes  périodes  ou  phrases, 

Sacerdos  et  Pontifex 
Et  virtutum  opifex, 
Pastor  bone  in  populo, 

avec  une  invocation  terminale, 

Ora  pro  nobis  Dominum, 

qui  offre  cette  particularité,  peu   commune  alors,  d'un  développement 
agogique  du  thème  par  diminution. 

Giovanni  Pierluigi  (nommé  aussi  Gianetto),  né  à  Palestrina,  et 
universellement  connu  sous  le  nom  de  son  lieu  de  naissance,  fut  appelé 
à  l'âge  de  trente-cinq  ans  au  poste  de  maître  de  chapelle  de  Saint- 
Pierre  de  Rome,  puis  admis  par  le  pape  Marcel  II  au  nombre  des 
chanteurs  de  la  chapelle  pontificale;  mais  cet  emploi,  exclusivement 
résen'^é  aux  ecclésiastiques,  lui  fut,  en  raison  de  son  mariage,  retiré 
par  Paul  IV.  Palestrina  devint  alors,  en  i555,  maître  de  la  chapelle  de 
Saint-Jean  de  Latran,  pour  laquelle  il  composa  les  célèbres  Impf^operia 
(i56o),  revendiqués  par  le  pape  Pie  IV  comme  propriété  de  sa  chapelle 
privée,  et  exécutés  chaque  année  à  la  Sixtine,  le  Vendredi  saint.  En 
i56i,  Palestrina  passa  à  la  basilique  de  Sainte-Marie-Majeure,  oij  il 
resta  dix  ans.  Lors  de  la  décision  du  concile  de  Trente  au  sujet  de  la 
musique  d'église,  Palestrina  fut  chargé  de  présider  à  cette  réforme,  et 
sauva  par  son  génie  le  style  polyphonique,  qui  risquait  d'être  banni 
de  l'église.  Il  fut,  à  ce  propos,  nommé  compositeur  de  la  chapelle 
papale,  position  qu'il  conserva  jusqu'à  sa  mort.  La  revision  du  chant 
grégorien,  longtemps  attribuée  à  Palestrina,  fut  en  réalité  opérée  par 
son  élève  Guidetti,  et  fort  imparfaitement  mise  en  lumière  par  son  fils 
Hyginius. 

Ses  œuvres  principales  sont,  outre  les  Impr^opena^  près  d'une  centaine 
de  messes,  parmi  lesquelles  la  célèbre  Messe  du  pape  Marcel  (iSôy), 
cent  trente-neuf  motets  de  quatre  à  douze  voix,  trois  livres  de 
Magnificat,  et  le  Stabat  Mater  à  deux  chœurs,  l'une  de  ses  œuvres 
les  plus  connues. 

Comme  modèles  du  motet  palestrinien  on  peut  citer  : 

a)  Assumpta  est  {Anthol.,  vol.  II,  p.  63),  dont  la  seconde  partie, 
Quœ  est  ista,  est  en  parfaite  concordance  de  construction  avec  la 
première. 

b)  Peccantem  me  quotidie,  à  cinq  voix  (Anthol.,  vol.  I,  p.  4),  dont 
nous  donnons  ici  Tanalyse. 


LE  MOTET  i63 

Ce  motet  peut  se  diviser  en  trois  parties, 

I  Peccantem  me  quotidie 
/    par  le     |  et  non  me  pœnitentem, 

2"  partie       Timor  mortis  conturbat  me, 
/  Quia  in  inferno 
"  \  nulla  est  redemptio, 

suivies  d'une  invocation  : 

Miserere  mei,  Deus,  et  salva  me  (r). 

La  première  et  la  troisième  partie  constituent  chacune  une  phrase 
mélodique  à  deux  périodes  procédant  par  entrées  successives  très  ser- 
rées, tandis  que  la  seconde  s'expose  en  un  solennel  et  mystérieux 
groupement  harmonique. 

Voici  la  ligne  mélodique  générale  de  toute  la  pièce  : 


1'-"  phrase 


lL«per.. 


i  ■  o    -U^  ^^  ^  r  ni-  r 

Pec    _   can     -      tem  me  quo.ti  .         di 


2î:pér. 

3É 


et 


r  r  r  r  i^^^ 


me       pœ  _  ni 


ten 


:é^ 


22  phrase 
(harmonique) 


3- phrase 


fi    ^J      ^J 


Ti   _    mor 
11®pe'r.  _ 


mûr  .  tis 


Qui 


^^ 


fer 


I 


2::pp'r.. 


^^ 


con  -  tur  _  bat         me, 


nul       -         la       est         re  -  demp 

Quant  à  l'invocation  finale,  après  une  grave  exposition, 


Mi-  se-  re-       re   me-  i    De-      us. 


elle  s'épand  anxieusement  en  insistantes  prières, 

(i)  Péchant  chaque  )our  et  ne  faisant  point  pénitence, 
l.a  terreur  de  la  mort  trouble  mon  âme, 
Parce  qu'en  enfer  il  n'est  point  Je  rédemption. 
Ayez  pitié  de  moi,  Seigneur,  et  sauvez-moi. 


i6  + 


LE    MOTET 


Sup. 


Alt. 


Ten.I 


Ten.II 


m 


et     sal 


F     P*> 


^Sp 


-  va        me,  et  sal  _  va      me, 


n  { r    I  r     n  iint 


et    sal  -va    me. 


sal  - 


me. 


*  r  r  r   c^j-r 


et    sal 


^ 


et   sal-va    me, 


et     sal 


Bass.    ^^ 


^^ 


^  r  r  r  f 


et    sal.  va       me,  et    sal _  ya     me, 

pour  s'épanouir  enfin  largement  sur  la  cadence  : 

thème.. 


Sup. 
et  Alt. 


Te'n.  1 


Ten.  II 

et  Bass.    C 


Le  répons  palestrinien  affecte,  nous  Pavons  dit,  la  même  forme  que 
le  motet  quant  à  son  exposition  mélodique  ;  il  n'en  diffère  que  par  la 
durée,  qui  est  plus  brève,  et  par  le  verset,  qui  ramène  la  phrase  termi- 
nale du  répons. 

Nous  citerons  d'abord  comme  exemple  le  triptyque  qui  a  pour  sujet 
l'agonie  de  Notre-Seigneur  au  Jardin  des  Oliviers  (Anthol.,  vol.  I,  p.  25). 

Les  trois  répons  de  ce  triptyque  offrent  cette  particularité  qu'ils  sont 
bâtis  autour  d'une  sorte  de  thème  d'appel, 

Vi-  gi-  la-  te. 

qui,  présenté  pour  la  première  fois  dans  le  verset  du  premier  répons, 
reparaît  dans  celui  du  second. 


Ec-ce. 


et  devient,  sur  ce  même  mot,  le  sujet  principal  du  troisième. 


LE  MOTET 


i6! 


Ces  trois  répons  ont  pour  titres  : 

1.  In  monte  Oliveti  oravit  ad  Pair em; 

2.  Tristis  est  anima  mea  iisque  ad  mortem; 

3.  Ecce  vidimus  Eum  non  habentem  speciem  neque  decorem. 

Dans  le  premier,  le  thème  principal  est  proposé  en  forme  ascendante^ 
il  devient  descendant  dans  le  second  ;  enfin,  le  dernier  est  une  combi- 
naison des  deux  formes  précédentes.  Comparer  avec  les  formes  trini- 
taircs  symboliques  de  certaines  pièces  grégoriennes.  (V.  chapitre  iv, 
page   71.) 

Il  faut  lire  aussi  la  trilogie  de  répons: 

1.  Sicîit  ovîs  ad  occisionem  ductiis  est; 

2.  Jérusalem^  surge  ; 

3.  Plange  quasi  virgo,  pîebs  mea  (Anthol.,  vol.   I,  p.   58^ 

Cette  belle  œuvre  est  entièrement  conçue  dans  la  tonalité  prove- 
nant de  la  résonnance  inférieure^  qui  donne  la  gamme  : 


i 


Dans  le  premier  de  ces  répons,  l'exposition  est  faite  d'une  façon 
tout  à  fait  régulière  par  un  même  thème  présenté  en  forme  descen- 
dante et  ascendante  à  la  fois,  symbole  de  la  marche  pénible  vers  le 
lieu  du  supplice;  voici  la  première  phrase: 


Pér.  A 


Sup. 


Alt. 


Ten. 


Bass.      -9^ 


*: 


r  ir     r  r 


^ 


Sic       .          ut       o       _       vis           ad  oc_  ci         -         si  .   o 

Pér.  V Pér.  B. 


*£ 


Sic 


^^ 


ut       o     -                           -     vis        ad     oc_  ci  _  si 
Pér.  A 


Sic     -      ut 


^m 


o  -        VIS 


Pér.  V 


ad 


oc  _  ci  -  SI  -  o     -      neœ  duc      -        tus 


est, 


i66  LE  MOTET 

La  deuxième  phrase,  dans  laquelle  les  voix  s'unissent  en  agrégation 
harmonique,  est  transcrite  dans  toutes  les  éditions  modernes 
à    Taide  de  syncopes,  afin  de  ne  point  changer  la  mesure: 


dum  ma   le  tracta- re-  tur,  non       a-pe-ru-     it  os  su-um, 


elle  donne  cependant  un  rythme  ternaire  très  défini,  symbolisant 
les  mauvais  traitements  dont  la  victime  est  abreuvée;  ce  rythme 
redevient  binaire  et  calme  dès  qu'il  est  question  de  la  résignation 
de  la  victime.  Cette  phrase  devrait  donc  se  transcrire  ainsi  : 


Sopr. 
Alt. 


Tén. 
Bass. 


Les  deux  autres  répons  de  cette  même  série  nous  initient  à  un  moyen 
expressif  très  employé  plus  tard  dans  les  premières  formes  de  l'opéra 
italien  (comme  nous  le  verrons  dans  la  troisième  partie  de  cet 
ouvrage),  mais  relativement  rare  au  temps  de  Palestrina,  dans  la  mu- 
sique d'église:  nous  voulons  parler  du  chromatique {i).  Comme  exemple 
de  l'évidente  intention  expressive  qui  guida  le  Prœnestin  dans  le 
choix  d'un  genre  aussi  exceptionnel  pour  traduire  les  cris  de  douleur 
dû  peuple  déplorant  la  mort  du  Sauveur,  nous  ne  pouvons  trouver 
mieux  que   l'admirable  exposition  du  répons  Plange  quasi  virgo. 

(  I  )  Les  théoriciens  du  xvi*  siècle  reconnaissaient  deux  genres  de  chromatique,  basés  sur 
les  rapports  harmon  ques  des  sons  :  le  grand  et  le  petit  chromatique. 

On  peut  les  discerner  l'un  de  l'autre  par  le  moyen  suivant  :  dans  le  grand  chromatique, 
l'une  des  parties  harmoniques  procède  par  mouvement  de  ton  entier. 


Ex. 


=^J  ^         Il    J        rkJ 


Dans  le  petit  chromatique,  au   contraire,  aucune  des  parties   (la  basse  exceptée)   ne   doit 
excéder  le  mouvement  de  demi-ton. 


Ex. 


LE  MOTET 


167 


(Lfnt) 


Sup. 


Alt. 


Te'n. 


Fass. 


Plan       ge, 


plan  .  ee    qua 


^^ 


^crrnz: 


plebs        me 


a, 


lu  -  la    .te 


pas    . 


# — P      g  #      I» 


^^^ 


3Ei 


plebs         me 


W^ 


-    a-, 


lu  -la 


i  '(  I T  r  r  "r 


pas 


^^ 


plebs  me    _ 


^ 


lu  -  la    _    te 
g 


pas 


^F=1F 


plebs        me  _ 


lu.  la 


te 


pas    . 


i=3f  r    \'  r[    r  r    1  r  r^^^^;^ 


to  _    res, 


ci    -     li 


Cl      _       o . 


■•[.  f  r    I  Hr  r     r  r 


* 


^tm 


i 


to  .    res, 


et         ci    -    li 


Cl      _      o . 


18^1^  iip  ^r    M  r  f  V  r    I  r  r  ^"^^ 


to  _    res, 


in     Cl 


et 


ci    .    li 


>  r  f   J  -i   ir4^-P-f 


i 


^^^ 


_  to  _    res, 


et        ci  -    li 


GiovANN!  Maria  Nanini,  élève  de  Palestrina,  prit  en  1571  la  succes- 
sion de  son  maître  à  la  basilique  de  Sainte-iMarie-Majeure,  et  fut,  dans 
les  premières  années  du  xvii^  siècle,  directeur  de  la  chapelle  pontificale; 
il  devint  chef  d'école  et  donna  renseignement  à  nombre  d'élèves,  parmi 
lesquels  fut  Allegri. 

Nous  citerons  seulement  de  lui  le  motet,  Hodie  Christus  natus  est 
(Anthol.,  vol.  I,  p.  17).  C'est  une  pièce  tout  empreinte  de  joie  popu- 
laire avec  ses  interjections,  i\oë !  Noë  !  une  forme  allongée  du  motel 


i68  LE  MOTET 

primitif,  présentant  de  nombreux  contours  agogiques  plus  rapides  que» 
ceux  que  l'on  rencontre  chez  les  maîtres  précédents. 

Cristofano  Morales,  né  à  Séville,  passa  la  plus  grande  partie  de  sa 
vie  à  Rome,  où  il  était  chantre  de  la  chapelle  papale. 

Francisco  Guerrero,  de  Séville,  élève  du  précédent,  resta  au  contraire 
dans  sa  ville  natale,  où  il  fut  membre  du  Saint-Office  et  chantre  de  la 
cathédrale. 

Voir  dans  la  publication  des  œuvres  de  Guerrero  faite  par  M.  Pedrell 
(page  48),  le  motet  Salve  Regina^  où  l'on  peut  remarquer  de  curieux 
développements  canoniques. 

ToMASo  LuDovico  DA  ViTORiA  fut  Hé  d'amitié  avec  Palestrina.  Né  à 
Avila,  il  arriva  fort  jeune  à  Rome  et  travailla  sous  la  direction  de 
Morales;  maître  de  chapelle  du  Collège  germanique,  il  passa  en  iSyS 
à  l'église  Saint-Apollinaire. 

Ses  principales  œuvres  sont  trois  livres  de  messes,  dont  le  premier  est 
dédié  au  roi  Philippe  II  (i583),  et  un  grand  nombre'  de  motets  parmi 
lesquels  les  célèbres  répons  connus  sous  le  titre  de  Seîectisstmœ  modula- 
tioîies.  Le  génie  de  Vitoria  ne  le  cède  en  rien  à  celui  de  son  émule  Pales- 
trina  ;  il  semble  même  parfois  l'avoir  surpassé,  surtout  au  point  de  vue  de 
l'émotion  expressive. 

A  étudier  spécialement,  les  motets  : 

a)  O  magnum  mj^sterium  {Anthol.^  vol.  I,  p.  i3),  type  absolument 
parfait  du  motet  de  Vitoria,  établi  en  cinq  phrases  dont  une  invocation 
terminale.  Alléluia. 

b)  Gaudent  in  cœlis  (AnthoL,  vol.  I,  p.  104),  pièce  jubilatoire  avec 
des  intentions  expressives  réalisées  par  le  changement  de  rythme. 

c)  Duo  seraphim  clamabant  (Anthol.,  vol.  II,  p.  90),  motet  pour 
quatre  voix  égales,  en  deux  parties,  séparées  par  un  court  mais  très 
expressif  et  symbolique  exposé  du  mystère  de  la  Trinité  qui  forme  le 
milieu  du  triptyque. 

d)  O  vos  omnes  qui  transitis  per  viam  (Anthol.,  vol.  I,  p.  5o),  l'une 
des  plus  belles  œuvres  de  Vitoria,  motet  à  quatre  voix  qu'on  pourrait 
intituler  un  motet-répons.,  en  raison  de  la  reprise  de  la  deuxième  phrase, 
et  dont  nous  donnons  ci-dessous  l'analyse. 

On  peut  diviser  cette  pièce  en  deux  parties,  avec  reprise  de  la  pre- 
mière partie  expressive,  formant  conclusion. 

Chaque  partie  est  constituée  en  deux  phrases  dont  la  seconde,  plus 


LE  MOTET 


169 


particulièrement  expressive,  ne  peut  laisser  indifférent  aucun  esprit  doué 
de  sentiment  artistique.  Voici  les  paroles  : 

10  vos  omnes  qui  transitis  per  viam, 
attendite  et  videte 
si  est  dolor  similis  sicut  dolor  meus. 
(  Attendite,   universi  populi, 
2»  partie     |  g^  videte  dolorem  meum. 

Reprise  :  Si  est  dolor  similis  sicut  dolor  meus  (i). 

La  musique,  basée  sur  l'harmonie  de  résonnance  inférieure,  est  con- 
struite au  moyen  de  deux  thèmes,  l'un  liturgique,  Tautre  expressif.  Nous 
avons  déjà  rencontré  le  premier  thème,  grégorien  par  essence,  dans  Tal- 
leluia  Corona  tribulationis  (chap.  iv,  p.  69)  ;  il  a,  de  plus,  servi  de 
canevas  à ungrand  nombre  de  compositions  tant  religieuses  que  populai- 
res, et  fut  en  usage  jusqu'au  xvm'siècle,  puisque  J.-S.  Bach  le  traita  dans 
l'une  de  ses  pièces  d'orgue  [Caniona  en  ré  mineur),  ainsi  que  dans  la 
belle  fugue  en  ré  %  mineur  du  Clavecin  bien  tempéré  (liv.  I,  fugue  8  ). 

Voici  ce  premier  thème  : 


ES   (2) 


Le  second  de  ces  thèmes  est  un  simple. accent  expressif: 


=^^^^^^^EJ^^^ 


t 


sic-ut  do-lor     me- 


mais  cet  accent  est  tellement  caractéristique  de  la  douleur  que  Vi- 
toria  n'hésite  pas  à  l'employer  dans  d'autres  pièces  qui  traitent  du  même 
sujet,  en  sorte  que  cet  accent  devient  dans  son  œuvre  comme  un  timbre 
affecté  à  l'expression   douloureuse  (3). 

La   première    phrase    de  la    première  partie    est   divisée    en    trois 
périodes  : 

!'■'•'  pér.  I  2*  per.  1       3*  pér. 


^E^^^^E^^^^^^^=^^^;^^^^=nrf^'^=^^^^^ 


O  vos  cm-  nés         qui      transitis  per  vi-am,        attcndi-    te  et  vi-de-tc  : 

(i)  O  vous  qui  passez  sur  la  route,  regardez  et  voyez  s'il  est  une  douleur  semblable  à  ma 
douleur.  —  Regardez,  peuples  de  la  terre,  considérez  ma  douleur,  et  voyez  s'il  est  une  dou- 
leur semblable  à  la  mienne. 

(3)  M.  Gabriel  Fauré  a  fait  de  ce  même  thème  le  su)et  d'un  charmant  Madrigal  à  quatre 
VOIX.  On  rencontre  aussi  cette  formule  dans  les  Huguenots  de  Meyerbcer  (le  Couvre-feu, 
3»  acte). 

(3)  Voyez  par  exemple  dans  les  Selectissimœ  modulationes  (Anthol.,  vol.  1,  p.  147)  le 
deuxième  répons  du  triptyque,  Recessit  pastor,  écrit  sur  les  mômes  paroles  que  le  motet 
dont  nous  nous  occupons,  et  presque  avec  la  même  musique.  Dans  Alccste,  de  Gluck,  nous 
retrouverons  presque  identiquement  cet  accent,  qui  caractérise  chez  l'auteur  d'Orphée  la 
plainte  pathétique.    (Voir  le    troisième  livre  du  présent  ouvrage.) 


170  LE  MOTET 

La  deuxième  phrase  mérite  d'être  citée  en  entier  : 

ll«  pér . ^       2!  per. 


Sup. 


Alt. 


Te'n. 


Bass. 


=^ 


w 


s: 


Sj  est  do 


lor  si  - 


m^^^ 


11^  pér. 


2!  pér. 


yi             est      do         .        lor  si 

rfpér . »         2£per. 


ri^^^n'îT'Pf^m 


m 


^=r^-^ir^—r-^s^ 


Si              est     do  _    lor  si    , 

IL*"  pér. ^ 


.  mi  _  lis,  si  - 


âËSEK 


Ê 


2»pér- 


fi o- 


Si  est     do  _   lor  do   - 
^         3! pér 


.  lor 


3!pér. 


:_ ^   "^iJPE^ 


fT  :r    "^n^t^rr^M^-T^ 


,  mi-lis 


Sic    _     ut      do_lor     me 


3Êpér. 


us,  sic    _     ut       do-lor 
3  pép. 


^^^lf-M^^^^-^~^' F    \  r  :  > 


-  mi_Iis 


Sic     -      ut     do.lor     me 
3! pér 


us,                 Sic    _     ut 
3! pér 


jBiWHir 


gf-^-f^^f=R^ 


n=f^^^^ 


lis        Sic     -     ut      do.lor     me 


_    us,  sic     -     ut       do.lor 
Sîpér 


t^f-f-^^r 


p 


mi.  lis 


Sic    _     ut       do.lor 


3!  pér. 


rs 


?=?ff=B 


i^ï 


"W 


me        .  us 


Sic    -     ut      do.lor      me 


^^^ 


.  us. 


0    \  m  -F 


Ifô-i'-  T 


È 


^m 


Qolor   me 


us,  Sic    .     ut     do.lor     me 


i^r-r  errer 


us 


'^^P>r-i-r^  r  *r>  t 


Sic    -     ut      do.lor     me 


S 


ÉEEEÉ 


^^m- 


^ 


es 
^ — g*- 


mc   .  .  .    us,  Sic    .     ut      do.lor     me    -  .us 

Il  est  difficile  de  rencontrer,  même  dans  la  musique  moderne,    un 


LE  MOTET 


«71 


effet  plus  poignant  que  celui  de  la  lumineuse  cadence  majeure  qui  forme 
le  milieu  de  cette  belle  phrase. 

La  deuxième  partie  du  motet  est  une  sorte  de  court  développement 
des  thèmes  exposés  dans  la  première,  après  quoi  la  pièce  se  termine  par 
la  reprise  de  la  superbe  phrase  médiane. 

Quant  aux  répons  de  Vitoria,  traités  plus  longuement  que  les  répons 
palestriniens,  ils  ne  le  cèdent  en  rien  à  ceux-ci  au  point  de  vue  expressif. 

Il  suffira  pour  s'en  convaincre  de  jeter  les  yeux  sur  le  beau  triptyque 
qui  retrace  l'agonie  et  la  mort  du  Sauveur. 

Voir  dans  les  Selectissimœ  modulationes  (Anthol.,  vol.  I,  p.  32),  la 
trilogie  : 

1 .  Tanquam  ad  latronem  ;  (La  marche  au  supplice.' 

2.  Te7îebî^œfactœ  sunt  ;  {La  mon.) 

3.  Animam  meam  dilectam,  (La  persécution.) 

Nous  donnerons  seulement  ici  l'analyse  du  premier    de    ces  répons. 
Il  est  constitué  en  trois  phrases  très  distinctes,  basées  sur  l'harmonie 
de  résonnance  inférieure  ;  voici  leur  schème  mélodique  : 


r.^  pp'r. 


ri^phrase 


2-phraso 


3- phrase 


ad  cru.ci  .fi  .gen 


dum. 


La  dernière  période  de  la  troisième  phrase  présente  une  suite  de  cris 
plaintifs  du  plus  admirable  effet  : 


17» 


LE  MOTET 


Sup. 


Alt. 


Ten. 


Bass. 


w 


Wf=f 


*E 


^= 


f  0 


^ 


ad        cru.ci  -,  fi_  gen 


^^ 


ad  cru _  ci  _  fi 


^^^^--^ 


ad 


^3 


cru- ci    _   fi    - 


J   J   ,1       f       >-^- 

_    dum,  ad 

ad  cru-ci  _  f i  _  gen 

r  r'ï     r    -   i 


gen 


dum, 


If 


Iffi 


gen 


^^ 


^M 


dum,  ad 


^i 


cru_ci-fi_gen    - 


£^ 


iiJM.  f  r^f  rr'  r^^ 


f  p 


cru_ci  _  f  i  _  gen    _ 


-  dum, 


m 


^= 


ad  cru-ci  _fi    _    gen 


dum. 


dum. 


r    .rrr 


^f= 


dum, 


ad 


cru-ci_fi  _  gen  _ 


-    dum. 


tH  -  i  n^^^ 


ad        cru. ci -fi 


gen    . 


.  dum. 


Le  motet  Iste  sanctus  (AnthoL,  vol.  I,  p.  i85)  est  un  curieux 
exemple  de  symbolisme.  Après  une  suite  de  quatre  phrases  régulière- 
ment exposées,  le  ténor  entonne  le  cantus  Jîrmus  liturgique  sur  les 
paroles  :fundahis  enim  erat  super  Jirmam  petram  ;  comme  si  l'auteur 
avait  voulu,  par  cette  disposition,  caractériser  la  ferme  assise  sur 
laquelle  s'appuie  la  force  du  martyr. 

Roland  de  Lassus,  flamand,  né  à  Mons,  passa  la  plus  grande  partie 
de  sa  jeunesse  en  Italie.  Il  y  devint  l'un  des  chefs  d'école  les  plus  impor- 
tants de  cette  époque  où  l'art  du  motet  atteignit  sa  forme  la  plus  par- 
faite. Dès  l'âge  de  quatorze  ans,  il  passa  en  Sicile  au  service  du  vice-roi 
Ferdinand  de  Gonzague,  et  obtint,  jeune  encore,  la  dignité  de  maître 
de  chapelle  à  la  basilique  de  Saint-Jean  de  Latran,  à  Rome;  en  i556, 
le  duc  Albert  V  de  Bavière  l'appela  à  Munich,  où  il  resta  jusqu'à  sa 
mort. 

Lassus  fut  peut-être  le  compositeur  le  plus  fécond  qui  ait  existé,  car 
le  nombre  de  ses  oeuvres  connues  s'élève  à  près  de  deux  mille. 

Il  écrivit  environ  soixante  messes,  cent  Magnificat  imprimés  sous  le 


LE  MOTET 


173 


titre  de  Jubilus  beatœ  Virginis^  et  plus  de  douze  cents  motets  [Can- 
tiones  sacrœ).  Ses  Psaumes  de  la  pénitence  [Psalmi  Davidis  pœniten- 
tiales,  1584)  furent  aussi  célèbres  que  les  Improperia  de  Palestrina. 

Son  style,  encore  plus  ému  par  moments  que  celui  de  Vitoria,  confine 
aux  limites  de  l'expression  dramatique.  On  pourra  s'en  rendre  compte 
par  la  lecture  de  l'un  de  ses  plus  beaux  motets  : 

a)  Nos  qui  sumus  in  hoc  mundo  (Anthol.,  vol.  II,  p.  yS),  dont  nous 
donnons  ci-après  l'analyse. 

Le  texte  est  une  sorte  de  prose  populaire  : 

Nos  qui  sumus  in  hoc  mundo, 

vitiorum  in  profundo, 

jam  passi  naufragia  ; 

Gloriose  Nicolae, 

ad  salutis  portum  trahe, 

ubi  pax  et  gloria  (i). 


Quant  à  la  musique,  elle  est  bâtie  sur  le   timbre  même  de  la  prose 
populaire  : 


i 


^ 


a=t: 


^ 


Glo-  ri-  o-  se     Ni-  co-  la-  e, 


ce  qui  donne  au  motet  une  grande  unité  de  conception. 

La  pièce  peut  se  diviser  en  trois  parties.  La  première,  qui  comprend 
tout  le  premier  tercet,  est  par  cela  même  coupée  en  trois  phrases  ;  dans 
l'exposition  initiale,  le  thème  populaire  revêt  un  caractère  éminemment 
expressif  : 


Sup. 


Ail. 


Ten. 


Bass. 


C^i 


i 


W 


m 


Nos 


f        fj 


m 


^^î=»— ^— é^ 


^ef 


^ 


=±: 


qui      su    .    mas      m 


1 •— 

hoc   mun.do, 

1— *" 


Nos 


F-f — r-U-' 


Nos 


qui      su 


Nos 


(i)  Nous  qui  sommes  en  ce  bas  monde,  et  qui  avons  subi  tant  de  naufrages  dans  les  abî- 
mes du  vice,  ô  glorieux  saint  Nicolas,  conduis-nous  au  port  du  salut,  où  nous  trouverons  la 
paix  et  la  gloire. 


^74 


LE  MOTET 


hoc   mun 


n-^    J  ,)    ^ 


Nos  qui 


qui      su        -       mus, 


qui  su        .      mus 


m^ 


s^ 


i 


'    !  ^   JJ 


m 


r 


-hoc  mun 


do. 


K<    i        J-- 


T f 


rr    iiiur^- 


do. 


Nos    qui      su 


m. 


m 


=^^ 


ttr — r^ 


hoc    mun    _     do. 


f    m    f    m    m 


^^ 


S-^"'  ^    u 


hoc    mun. do. 


Le  deuxième  tercet  donne  deux  phrases  très  distinctes  ;  d'abord 
rinvocation  à  saint  Nicolas,  le  timbre  lui-même,  en  agrégation  harmo- 
nique, sur  un  rythme  ternaire  bien  marqué  : 


apr. 


Alt, 


T 
Bass 


en.    ' 


9    O-i- 

T-n- 


Glori-  o-se, 


^. 


m. 


glori-o-se   '     Ni-co-  la-e, 

B-,P-, 


:^^^ 


■~T 


Ni-co-  la-e. 


ii:^^ËÊ^î^^ 


mm 


ad  sa-  lutis, 

-§-      #u 


mi^ 


ad    salu-tis 


^m 


Enfin,  après  les  angoisses  de  la  première  partie  et  Tinvocation  hale- 
tante et  cadencée,  le  motet  se  termine  sur  une  dernière  phrase  d'es- 
pérance, pleine  de  sérénité  calme  et  lumineuse. 


LE  MOTET  175 

Lire  aussi  les  motets  : 

b)  Puh'is  et  ujnbra  sinnus  (Anthol.,  vol.  I,  p.  i52),  dont  l'expression 
inquiète  est  due  au  mouvement  incessant  et  très  ornemental  des 
parties  vocales  ; 

c)  Timor  et  tremor,  à  six  voix  (Anthol.,  vol.  II,  p.  26).  Ici,  les 
deux  parties  offrent  un  parfait  équilibre  de  construction  ;  la  première 
consiste  en  une  prière  encadrée  entre  une  exposition  et  une  conclusion 
explétive  : 

,  (  Timor  et  tremor  venerunt  super  me, 

ire  phrase  :   \  ,.  ...  '^ 

(  et  caligo    cecidit  super  me, 

2^  phrase  :        Miserere  mei,  Domine, 

3' phrase  :       quoniam  in  te  confidit  anima  mea. 

Dans  la  seconde,  la  phrase  explétive  est  encadrée  entre  deux  prières  : 

ire  phrase  :      Exaudi,  Deus,  deprecationem  meam, 

(  quia  refugium  meum  es  tu 
2^ phrase:     l   \     ,.  ^  "^ ^     . 
^  \  et  adjutor  lortis. 

3*  phrase  :         Domine,  invocavi  te,  non  confundar  (i). 

On  pourrait  presque  considérer  ce  motet  comme  le  point  de  départ 
de  la  dramatisation  de  la  musique  d'église,  car  ces  trois  prières  dont 
la  première  est  absolument  calme,  la  seconde  dans  un  sentiment  de 
confiante  espérance,  la  troisième  haletante  jusqu'à  l'obsession  (non 
confundar),  donnent  une  gradation  expressive,  qui  est  l'essence  même 
du  drame.  Nous  allons  retrouver  cette  tendance  encore  plus  développée 
dans  les  productions  de  la  troisième  période. 


PÉRIODE  ITALO-ALLEMANDE 

Italietis 

Giovanni  Matteo  Asola  .     .     .  i5.  .  f  1609 

Felice  Anerio i56o  7   i63o 

Giovanni  Francesco  Anerio.     .  1567  -f-   16.  . 

Gregorio  Allegri 1684  f   i652 

Allemands 

H  ANS  Léo  Hassler 1664  f   1612 

Gregor  Aichinger i5G5  f  1628 

Heinrich  Schûtz i583  f   1672 

(1)  I.a  crainte  et  l'effroi  ont  fondu  sur  moi,  et  les  ténèbres  m'ont  environné. 
Ayez  pitié  de  moi,  Seigneur,  —  car  mon  âme  s'est  confiée  à  vous. 

O  Dieu,  exaucez  ma  prière,  —  parce  que  vous  êtes  mon  refuge  et  mon  puissant  secours. 
Seigneur,  je  vous  ai  invoqué,  je  ne  serai  point  confondu, 


176  LE  MOTET 

Nous  avons  eu  déjà  l'occasion  d'observer  que  les  effets  de  la  Réforme 
du  XVI*  siècle  n'ont  eu  leur  répercussion  dans  l'art  musical  qu'après  un 
siècle  environ.  Le  motet  n'a  point  échappé  à  cette  influence  déprimante; 
aussi  en  était-il  arrivé,  en  Italie,  vers  le  commencement  du  xviie,  à 
un  état  de  dégénérescence,  où  la  complication  de  l'écriture  et  la  multi- 
plicité des  parties  vocales  avaient  remplacé  la  simple  et  naïve  expres- 
sion des  Flamands,  et  l'harmonieuse  perfection  des  pièces  de  la  deuxième 
période. 

Giovanni  Matteo  Asola,  né  à  Vérone  et  mort  à  Venise,  inaugura  en 
Italie,  dans  la  musique  d'église,  le  système,  alors  tout  nouveau,  de  la 
basse  continue^  et  l'emploi  de  l'orgue  pour  accompagner  ses  compositions 
vocales. 

Felice  Anerio,  disciple  de  Nanini,  succéda,  en  1594,  à  Palestrina 
dans  la  charge  de  compositeur  de  la  chapelle  papale. 

Giovanni  Francesco  Anerio  fut  maître  de  chapelle  de  Sigismond  III, 
roi  de  Pologne,  et  passa,  en  16 10,  avec  la  même  qualité,  à  la  cathé- 
drale de  Vérone.  Comme  les  Vénitiens,  il  écrivit  surtout  pour  voix 
seule  avec  basse  chiffrée.  Son  ouvrage  le  plus  connu,  qui  eut,  même 
à  son  époque,  de  nombreuses  éditions,  fut  l'arrangement  pour  quatre 
voix  de  la  Messe  du  pape  Marcel  de  Palestrina. 

Gregorio  Allegri,  élève  de  Nanini  et  chanteur  de  la  chapelle  pon- 
tificale, est  l'auteur  de  deux  livres  de  motets,  ainsi  que  du  célèbre 
Miserere  à  neuf  voix,  dont  la  copie  fut  interdite  sous  peine  d'excommu- 
nication jusqu'à  la  fin  du  xviiie  siècle,  et  que  Mozart,  dit  la  légende, 
transcrivit  de  mémoire  après  audition. 

Hans  Léo  Hassler,  né  à  Nuremberg,  fut  le  premier  musicien  alle- 
mand qui  alla  étudier  en  Italie,  où  il  devint  l'élève  préféré  du  vénitien 
Andréa  Gabrieli.  Revenu  en  Allemagne,  il  fut  musicien  de  cour  de 
l'empereur  Rodolphe  II,  à  Prague,  puis,  vers  la  fin  de  sa  vie,  maître  de 
la  musique  de  l'électeur  de  Saxe. 

Gregor  Aichinger  passa  toute  sa  vie  à  Augsbourg,  son  pays  natal, 
où  il  fut  maître  de  la  chapelle  des  Fùgger.  Son  principal  ouvrage  est  un 
recueil  de  motets  intitulé  Sacrœ  cantiones^  qui  date  de  1 690,  et  dans 
lequel  on  peut  constater  l'influence  de  la  basse  continue^  car  les  parties 
vocales,  au  lieu  de  se  mouvoir  librement,  comme  dans  les  époques  pré- 
cédentes, y  dépendent  servilement  du  cantus  Jîrmus, 

Voir  notamment  les  motets: 


LE  MOTET  177 

a)  Ave  Regwa{Amho\.,  vol.  I,  p.    177); 

b)  Factits  est  repente  de  cœlo  sonus  {ibid.,  vol.  I,  p.  107)  ; 

c)  Sahe  Regina  [ibid.,  vol.  I,  p.  i  56).  Dans  ce  motet,  au  contraire,  c'est 
la  partie  supérieure,  le  soprano,  qui  prend  seule  toute  l'importance 
mélodique,  aux  dépens  des  autres  voix,  suivant  la  manière  de  Vopéra^ 
naissant  alors. 

Heinrich  Schutz,  qui  signait  ses  ouvrages  du  jeu  de  mots  Sagit- 
tarius,  naquit  en  Saxe,  d'où,  après  avoir  fait  de  sérieuses  études  de 
droit,  il  fut  envoyé  en  Italie  par  le  landgrave  de  Hesse,  pour  apprendre 
la  musique  sous  la  direction  de  Giovanni  Gabrieli.  Après  trois  années 
d'études,  il  revint  en  Allemagne,  où  il  passa  au  service  de  l'électeur  de 
Saxe,  en  161 5.  La  guerre  de  Trente  Ans,  peu  favorable  au  développe- 
ment des  arts,  lui  fit  quitter  cette  position,  et  en  l'année  i633  on  le  re- 
trouve à  Copenhague,  en  qualité  de  simple  musicien  de  chambre;  il  y 
devint  cependant  maître  de  chapelle,  et  ne  retourna  en  Saxe  que  pour 
y  mourir.  Ses  œuvres  religieuses  sont  les  Cantiones  sacrœ  (1625),  puis 
des  recueils  de  motets  à  deux,  trois  et  quatre  chœurs,  enfin  trois  livres 
de  S)'??iphoniœ sacrœ  {\62g,  1647  et   16^0). 

Les  dialogues  de  Schutz,  où  chaque  personnage,  selon  l'usage  adopté 
dans  le  madrigal  dramatique,  est  représenté  par  une  portion  du  chœur, 
ne  sont  plus,  à  proprement  parler,  des  motets,  mais  des  petits  drames 
chantés.  Ce  n'est  plus  de  la  véritable  musique  d'église,  mais  de  la  mu- 
sique religieuse  de  concert,  point  de  départ  de  la  cantate  du  xvn«  siècle. 

Le  style  de  Schutz,  quoique  fondé  harmoniquement  sur  la  basse 
continue,  ne  laisse  pas  que  d'être  humainement  expressif,  à  un  degré 
auquel  les  pieux  Flamands  et  même  les  affectueux  Italiens  n'eussent 
point  osé  prétendre. 

On  en  pourra  juger  en  lisant,  parmi  les  innombrables  œuvres  publiées 
en  édition  complète  par  la  maison  Breitkopf,  de  Leipzig,  les  deux 
motets  ou  dialogues  suivants  : 

a)  Dialogo  per  la  Pascua,  à  quatre  voix  (édition  Breitkopf,  vol.  XIV, 
p.  60).  Ce  motet,  qui  retrace  la  scène  où  Madeleine  rencontre  au 
tombeau  le  Seigneur  vêtu  en  jardinier,  est  divisé  en  trois  parties  : 

1"  partie  :  La  rencontre. 

Jésus  :       Weib,  was  weinest  du,  wen  suchest  du  ? 
Madeleine  .        Sie  haben   meinen  Herren  weggenommen, 

Und  ich  weiss    nicht  wo  sie  Ihn  hingeleget  haben. 

2»  partie  :  L'appel. 

Jésus  :         Maria  ! 
Madeleine  :         Rabboni  I 

COURS    DE    COMPOSITION.  12 


-8 


LE  MUTET 


3«  partie  :  Le  Noli  me  tangere. 

Jésus  :  Rûhre  mich  nicht  an  ! 

denn  ich  bin  noch    nicht  aufgefahren 

zu  meinem  Vater. 

Ich  fahre  auf  zu  meinem  Vater, 

zu  eurem  Vater, 

zu  meinem  Gott,  zu  eurem  Gott  .'i). 

Dans  la  première  partie,  pendant  que,  simple  et  grave,  s'expose  aux 
voix  d'hommes  l'interrogation  du  Sauveur: 


g5=5EgEjEg;gg^;gEBEF^q^8f=F=gEEe 


Toi  qui  pleu- 


res, dis  ? 


les  voix  féminines  (Madeleine)  entourent  cette  phrase    de  volutes  in- 
quiètes : 


m 


Las!  ils  ont  en-  le-  vé    le  corps  du      Maître 


et  tout  se  termine  sur  une  péroraison  d'une  tendresse  infinie 


1er  sopr. 


2e  sopr. 


z]     <J       u     V^ 


^z=tt 


^ 


Mon  bien-ai  mé,  qui  va  me  dire,  hé-las  !  où 


:rg  g  '  r~g— ^-^^-p-^j^  ^  i'  i-  /  ^ 


^te 


tu  peux  e-  tre 


Mon  bien-aimS  mon  bien  aimé,  qui  va  me  dire  où  tu  peux       ê- 


"^-^ ^^' 


tre  : 


Après  cette  exposition  où  la  tonalité  de  ?^é  mineur  est  franchement 
établie,  de  mystérieux  accords  chromatiques  soulignent  l'appel  par 
lequelJésus  se  fait  reconnaître: 


Ma-  ri- 


Ma-      ri- 


B.  C. 


(i)      Jésus:  Toi  qui  pleures,  dis,  qui  cherches  tu  ? 
Madeleine  :  Las,  ils  ont  enlevé  le  corps  du  Maître  ! 

Mon  bien-aimé,  qui  va  me  dire  où  tu  peux  être  ? 
Jésus  :  Maria! 
Madeleine  :  Rabboni  ! 

Jésus  :  Ne  me  touche  pas  ;  voici  qu'il  faut  que  je  m'élève  vers  la  lumière. 
Je  vais  aux  cieux  près  de  mon  Père, 
près  de  votre  Père, 
près  de  mon  Dieu, 
près  de  votre  Dieu. 

(Traduction  de  l'édition  de  la  Sclxjla  Cantorum] 


[.E  MOTET 

et  Madeleine,  presque  effrayée,  répond  : 

Rab-  bo-  ni  ! 


«79 


^^zzi:2— 2^5-1^5  Isl  - 


r^i^zE^ 


I  ^ — '  I 
Rab-         oo- 


3^-i== 


r 


B.  C. 


-)'-ïi  ^ 


:52z: 


puis,  les  voix  féminines  se  taisent,  et  les  voix  d'hommes  soulignent 
l'ascension  du  Sauveur  vers  son  Père,  par  de  glorifiantes  vocalises,  qui 
se  succèdent  comme  des  roulements  de  tonnerre,  en  ramenant  victo- 
rieusement la  tonalité  initiale.  Il  n'est  point  de  grand  finale  d'opéra 
comparable  comme  effet  vocal  k  ct\m  que  produit  cette  admirable  pièce. 
b)  Dialogue  du  Pharisien,  h  4  voix  (éd.  Breitkopf,  vol.  XIV,  p.  55). 
Gomme  le  précédent,  ce  motet  est  divisé  en  trois  parties  bien  distinctes  : 

Impartie:  Exposition. 

Es  gingen  zweene  Menschen  hinauf 

in  den  Tempel  zu  beten  ; 

Einer    ein  Pharisaer,  der  ander  ein  Zollner. 

Der  Pharisaer  stund  und  betet  bei  sich  selbst, 

und  der  Zollner  stund  von  ferne, 

wollte  auch  seine  Augen  nicht  aufschlagen  gen  Himmel, 

schlug  an  seine  Brust, 

und  sie  sprachen  : 


2*  partie  :  Le  drame. 


Pharisceus 


Publicanus 
Pharisceus  : 


Publicanus 
Pharisceus  : 

Publicanus 


Ich,  ich  danke  dir  Gott, 

dass  ich  nicht  bin  wie  andre  Leute, 

ich  danke  dir  Gott. 

Gott,  sei  mir  Siinder  gnadig  ! 

Ich  danke  dir  Gott, 

dass  ich  nicht  bin  wie  andre  Leute, 

Raiiber,  Ungerechte,  Ehebrecher, 

oder  auch  wie  dieser  Zollner, 

Gott,  sei  mir  Sûnder  gnadig  I 

Ich  faste  zwier  in  der  Wochen 

und  gebe  den  Zehenten  von  allem  das  ich  habe. 

Gott,  sei  mir  Sûnder  gnddig  I 


3« partie  :  Moralité. 


Ich  sage  euch  : 

Dieser  ging  hinab  gerechtfertiget  in  sein  llnus 

fur  jenem  : 


i8o 


LE  MOTET 


Denn  wer  sich  selhst  erhohet 
der  soll  erniedriget  werden  ; 
Undwer  sich  selbst  erniedriget 
der  soll  erhohet  werden  (i). 

La  première  partie,  entièrement  en  sol  majeur,  est  exposée  par  les 
voix  aiguës  du  choeur  ;  la  seconde,  modulante,  n'emploie  que  les  voix 
graves  ;  la  dernière  enfin,  revenant  au  ton  principal,  réunit  en  un  en- 
semble les  quatre  parties  vocales. 

Rien  de  plus  dramatiquement  frappant  que  le  contraste  entre  les 
deux  prières  dans  la  seconde  partie  ;  l'orgueil  naïvement  ridicule  du 
pharisien  et  l'humble  supplication  du  publicain  y  sont  musicalement 
exprimés  avec  une  vérité  d'accent  que  bien  des  fabricants  modernes 
d'opéra  pourraient  prendre  pour  modèle  : 


Publicaûus 


Pharisaeiis 


B.C. 


Jfe 


^ 


p    p^r    r 


^ 


p 


Gott,        ich         dan    .    ke    dir 
8  8 


Gott,  dass     ich    nicht   biij,     wie 

6 


^ 


^ 


W 


(i)  /"  partie  :   Deux  hommes  entrèrent  dans  le  temple  pour  prier, 
l'un  était  un  pharisien,   l'autre  un  publicain, 
1  e  pharisien  se  mit  à  prier  en  se  vantant  lui-même, 

et  le  publicain  s'arrêta  loin  de   l'autel,  et,  sans  oser  lever  les  yeux  vers  le 
ciel,  il  se  frappait  la  poitrine.  Et  ils  parlèrent  ainsi  : 

3*   :  partie  Le  Pharisien  :  Je  te  rends  grâces,  Seigneur,  parce  que  je  ne  suis  point  comme 
les  autres  hommes,  un  voleur,  un  scélérat,  un  parjure,  ni  même 
pareil  à  ce  publicain. 
Le  Publicain  :    Seigneur,  aie  pitié  de  moi  pécheur  ! 

3*  pa'tie  •  Je  vous  le  dis  :  celui  ci  s'en  retourna  chez  lui  absous  et"non  pas  celui  là, 
car  celai  qui  s'élève  lui-incme  sera  abaissé, 
et  celui  qui  s'abaisse  sera  élevé. 


LE  MOTET 


i8i 


^ 


F  p  J    r    '  y^' 


-an  _  dre     Leu    .     te, 

.3  6  «  « 


-ft=#- 


=^=2= 


dass    ich    nicht   bin     wie     an  _  dre     Leu 
6  6  5  S 


S 


i^ 


1      r  -- — Q^ 


Gott, 


?^T=^"-"y=^^=4^— P-f 


ich       dan    -     ke     dir  Gott. 


« 


l^=ï 


^^ 


E  r    J 


Sun    -     der         gnà 


^ 


dig! 


^-^— ;^ 


Ich  dan   _   ke     dir 


^m 


Gott. 


?= 


^ 


Il  faut  enfin  remarquer  la  signification  symbolique  de  la  dernière 
partie,  où  les  deux  termes  erhôhet  et  erniedrigel  sont  caractérisés  par 
une  opposition   mélodique  évidemment  intentionnelle  : 


Sup. 


Alt. 


Ten. 


Bass. 


B.C. 


^ 


» — ff 


^     V       r^     r' 


t: 


w 


Denn  wersichseibster 


hô  _  htt, 


der   soll  er  - 


^^^^^m 


ff-^  r  f-  f  jLidgi 


:3^-r-K 


>•     g  g 


^^^ 


^    i,  y   ^^    ;;=:^ 


5E 


Denn  wersichseibster- 


hô  -  het,        der  soll  er_  nie_drigef,er_  nie.drjget 


^ 


^ 


:!^^ 


^ 


Denn 


l82 


LE  MOTET 


wer      -       den,  wer     sich  selbst    er  _   hiJ  -  het,der  soll    er  _  nie    -    dri-get,     er 


Dcnn  wcr    sich     belbst    er  .  hô 


hef. 


£^^F=r^gEES 


w '  ■  m.  m. 


,  nie   .  dri.get,    er  .  nie  .   dri_get        wer 


den, 


fe=^F^r     r       r    r 


und       wer       sich 


W^ 


^- 


dri-get     wer 


den, 


und       wer       eich 


m^^ 


M  P  V-H-^ 


der     soll    er  _   nie  _  dri.get        wer 


den, 


und      wer      sich 
—• # 


^^ 


-t 


nie  .    dri^get 


wer 

6 


den, 
4 


fc„  1''^:=     T    -=l- 


und      wer      sich 


^ 


selbst    cr  -    nie    _     dii.get, der  soll  er.ho    - 


^=* 


W 


_    het       wer        .         d'ju 


L  r     -f 


* 


selbst    er  _    nie_dri    -  gct,dersoll   er.  ho 


_   het      wer 


den 


m==Pr. 


^  f  J  r 


2=1 — I      3: 


^He 


t 


selbst    er  -    nie    .     dri.get, 


der  soll  er  _ 


hii .  het      wer       _         den. 


5ë 


:^-  vM-^ 


f-^-^- 


r  r  r-  ^ 


selbst    er  _    nie   _     dri-get, 
7         6 


der  soll  er 


^ 


ho  -  het      wer       _        den. 
7  4  « 


^^=i^ 


I.E  MOTET  •  i83 


Après  Schiitz,  nous  l'avons  dit,  la  belle  forme  du  molct  ne  tarda  pas 
à  disparaître  complètement  pour  se  fondre  dans  la  cantale  et  dans 
Voratorio  ;  les  auteurs  de  ce  temps  cultivèrent  presque  tous  le  genre 
dramatique,  issu  de  la  Renaissance  italienne,  et  basé  sur  des  principes 
incompatibles  ave-:  ceux  de  la  polyphonie. 


XI 

LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


Les  formes  polyphoniques  profanes:  la  chanson.  —  Le  madrigaL  —  le  madrigal  accompa- 
gné. —  Le  madrigal  dramatique.  —  Formes  de  la  chanson  et  du  madrigal.  —  Histoire  de 
la  chanson  polyphonique  et  du  madrigal.  —  Période  de  la  chanson.  —  Période  du 
madrigal  simple.  —  Période  du  madrigal  accompagné  et  du  madrigal  dramatique. 


LES  FORMES  POLYPHONIQUES  PROFANES 
LA  CHANSON 

L'application  progressive  des  procédés  de  la  polyphonie  vocale  ^ux 
monodies  liturgiques  d'abord,  puis  aux  pièces  libres,  motets  ou  répons, 
devait  naturellement  amener  une  transformation  corrélative  des  chants 
populaires  monodiques  du  moyen  âge.  De  même  que  ces  chansons 
nous  sont  apparues  au  début  comme  empruntant  leur  forme  aux  can- 
tilènes  sacrées  du  genre  des  alléluia  (i),  de  même,  les  premières  chan- 
sons polyphoniques  consistèrent  dans  la  simple  adaptation  de  paroles 
profanes  aux  textes  musicaux  des  messes  et  des  motets  (2). 

Et  l'on  constate  ainsi,  une  fois  de  plus,  que  le  peuple  imite  plutôt 
qu'il  ne  crée,  car  les  premières  tentatives  de  déchant  et  de  contrepoint 
vocal  sont,  comme  on  a  pu  le  voir,  exclusivement  appliquées  à  la  litur- 
gie par  de  véritables  spécialistes,  par  des  novateurs  hardis,  par  une 
élite,  en  un  mot,  seule  capable  de  créer  des  formes  nouvelles.  Lorsque 
ces  formes  se  furent  imposées,  d'autant  plus  sûrement  qu'elles  éma- 
naient de  l'Église,  alors  souveraine  incontestée,  le  peuple,  imitateur 
naïf  et  inconscient,  fut  amené  fatalement  à  se  les  approprier,  en  y  faisant 
passer  ses  caractères,  ses  coutumes,  ses  traditions. 

Au  xv^  siècle,  le  succès  et  la  vulgarisation  des  formes  contrapon- 
tiques  devinrent  tels  que  certains  maîtres  commencèrent  à  les  adapter 
à  des  sujets  profanes,  et  à  écrire  de  véritables  cJuvisons  polj'pJwuiqiics^ 

(i)Voir  chapitre  v,  page  85. 

(2)Voir  la  note,  p.  14'),  au  chapitre  du  Motet. 


i86  LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 

dont  la  forme  est  toute  spéciale,  soit  qu'elle  procède  par  couplets  répé- 
tés, soit  qu'entre  chaque  couplet  s'intercale  un  refrain,  comme  dans  la 
chanson  monodique  primitive. 

Dans  cet  art,  essentiellement  différent  de  celui  du  motet,  l'expression 
rythmique  du  texte  est  presque  toujours  sacrifiée  à  la  cadence  métrique 
de  la  mélodie;  l'écriture  des  parties  vocales  consiste,  le  plus  souvent,  en 
expositions  harmoniques; enfin  en  peut  aisément  reconnaître  dans  l'al- 
ternance régulière  des  périodes  mélodiques  et  dans  l'usage  déplus  en 
plus  fréquent  du  timbre^  appliqué  aux  paroles  sans  souci  de  leiir  sens, 
l'influence  populaire,  qui  rattache  cette  forme  aux  airs  de  danse,  et,  par 
conséquent,  à  l'art  du  geste. 

Dans  ce  genre  peuvent  se  ranger  les  pièces  vocales  connues  sous  les 
noms  de  chanson  frajiçaise,  can^ona  italienne,  petit  lied  allemand 
(Gassenhajperlin,  Reutterliedlein),  can:{onetta,  frottola,  villanelle,  pillote, 
et  enfin  la  série  des  danses  en  musique,  pavane,  gaillarde,  etc.,  qui 
furent  vocales  avant  de  devenir  instrumentales.  (Voir,  deuxième  livre.) 

LE  MADRIGAL 

A  l'époque  de  la  plus  belle  floraison  du  motet,  nous  voyons  la  musique 
profane  aff"ecter  une  forme  assez  indéterminée  qu'on  désigne  sous 
le  nom   générique   de  madrigal. 

Rien  n'est  plus  imprécis  que  ce  mot,  dont  i'étymologie  même  est  in- 
certaine (i)  et  les  applications  extrêmement  variables. 

Originairement,  le  madrigal  paraît  avoir  été  une  composition  vocale 
écrite  en  général  pour  chœur  de  trois  à  six  voix,  sur  un  sujet  profane 
et  le  plus  souvent  erotique.  La  vogue  de  ce  genre  de  composition  se 
répandit  rapidement  au  cours  de  le  seconde  moitié  du  xvi«  siècle,  et 
persista  même  au  siècle  suivant  (2). 

Entre  la  chanson  polyphonique  et  le  madrigal,  la  délimitation  est 
malaisée,  aussi  bien  comme  date  que  comme  forme.  On  doit  pourtant 
considérer  le  madrigal  comme  postérieur,  parce  que  c'est  en  lui  que 
viennent  se  résumer  et  se  confondre  toutes  les  formes  musicales  qui 
servirent  de  transition  entre  la  fin  de  V époque  polyphonique  et  le  début 
de  Vépoque  métrique. 

Il  semble  que  ce  genre  de  musique   ait  longtemps  oscillé  entre  l'art 

(r)  On  ne  connaît  guère  pour  cette  appellation  d'autre  origine  que  les  mots  mandra  (trou- 
peau) tl  gai  (naéiodie),  empruntés  à,  la  vieille  langue  provençale. 

le  mot  espagnol  nudiugada  (aube)  offre  aussi  une  ana'ogie  intéressante. 

(2)  Il  existe  encore  de  nos  jours,  en  Angleterre,  une  association  dont  le  but  est  de  favoriser 
la  culture  de  cette  sorte  de  composition  :  c'est  la  «  Madrigal  Society  »,  de  Londres,  fondée 
en  1741. 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL  187 

du  geste  et  celui  de  la  parole.  Sans  doute,  le  madrigal  est  principalement 
issu  du  motet,  forme  dramatique  nettement  basée  sur  la  rythmique 
expressive  du  langage  ;  mais,  en  raison  des  milieux  et  des  sujets  pro- 
fanes qui  lui  sont  plus  spécialement  réservés,  il  obéit  aussi  h  la  ryth- 
mique essentiellement  populaire  du  geste. 

Dans  son  état  primitif,  le  madrigal  était  traité  d'une  façon  exclusi- 
vement musicale  :  chacune  des  voix  y  concourait  pour  sa  part  à  l'exécu- 
tion, comme  dans  le  motet;  cependant,  un  .moindre  souci  de  l'expres- 
sion, une  disposition  vocale  plus  facile,  plus  négligée,  et  souvent  plus 
voisine  de  l'harmonie  plaquée  que  de  la  polyphonie,  y  apparaissaient 
déjà. 

Sous  ce  premier  aspect,  le  madrigal  n'était  autre  chose  qu'une  sorte 
de  motet  profane,  avec  paroles  en  langue  vulgaire,  ce  qui  l'apparentait  à 
la  chanson,  dont  il  adoptait  parfois  la  division  en  couplets.  Mais,  au 
moment  où  l'esprit  renaissant  s'empara  de  l'art  musical,  c'est-à-dire 
vers  la  fin  du  xvi«  siècle,  le  madrigal  ne  tarda  pas  à  affecter  deux  manières 
d'être  très  différentes,  dont  nous  allons  donner  une  brève  description, 
nous  réservant  de  les  étudier  à  part  et  d'une  façon  plus  complète  dans 
les  deux  autres  parties  du  cours  de  composition,  lorsque  nous  traiterons 
des  formes  svmphoniques  ex.  dramatiques  auxquelles  ces  transformations 
du  madrigal  simple  donnèrent  naissance. 

LE    MADRIGAL    ACCOMPAGNÉ 

A  mesure  que  se  propage  et  s'impose,  sous  l'infîuence  des  idées  de  la 
Renaissance,  le  principe  d'individualisme  qui  va  favoriser  l'éclosion  de 
Vopéra,  nous  voyons  apparaître  dans  le  madrigal,  timidement  d'abord, 
les  instruments  accompagnants.  Au  début,  ils  servent  seulement  à  dou- 
bler, dans  la  limite  de  leur  étendue,  les  parties  vocales;  avec  l'usage 
de  plus  en  plus  répandu  du  50/0,  ils  se  cantonnent  bientôt  dans  la  réali- 
sation de  la  basse  continue,  suivant  le  système  si  cher  à  toute  cette  époque. 

Toutefois,  à  mesure  que  le  rôle  de  l'instrument  s'efface,  en  tant 
qu'accompagnateur,  il  s'affirme  au  contraire  pendant  les  silences  du 
chanteur  principal,  rendus  plus  longs  par  les  traditions  alors  en  vigueur. 
En  effet,  dans  l'exécution  de  ces  madrigaux  accompagnés,  le  chanteur 
n'apparaissait  devant  l'auditoire  qu'au  moment  de  commencer  son  solo^ 

et   revenait  ensuite  à  sa  place dans  la  coulisse,  si  l'on  peut  ainsi 

s'exprimer.  Pendant  ces  allées  et  venues,  les  instruments  seuls  prirent 
l'habitude  de  se  faire  entendre.  Affranchis  momentanément  de  leur 
emploi  de  réalisateurs  de  la  basse  continue,  ils  exposaient  généralement 
un  fragment  extrait  de  Vair  qui  précédait  ou  suivait  cette  espèce  d'in- 


i88  LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 

termède.  Ainsi  prend  naissance  la  ritournelle  (i),  qui  depuis  alterna 
avec  Varia  (air)  dans  la  plupart  des  compositions  vocales  de  cour  et 
même  d'église,  à  partir  de  la  fin  du  xvi®  siècle. 

Cette  ritournelle,  étrangère  à  toute  préoccupation  expressive  d'un 
texte,  ne  tarda  pas  à  prendre  une  forme  conventionnelle,  analogue  à 
celle  des  refrains,  où  les  paroles  sont  dépourvues  de  toute  signification, 
dans  les  chansons  populaires  de  la  première  époque. 

Dès  lors,  les  madrigaux  de  ce  genre  vont  se  rattacher  de  plus  en  plus, 
par  la  ritournelle,  à  l'ancien  art  du  geste  rythmé  ou  de  la  danse. 

Peu  à  peu,  surtout  en  Allemagne  et  en  France,  les  instruments  quit- 
teront leurs  fonctions  d'accompagnateurs,  et  seront  appelés  à  remplacer 
les  parties  vocales,  qu'on  leur  confie  souvent  faute  de  chanteurs  en 
nombre  suffisant.  Le  soliste  lui-même  nous  apparaîtra  sous  les  traits 
d'un  instrumentiste  virtuose,  qui  joue  son  air  au  lieu  de  le  chanter; 
et  l'on  écrira  de  véritables  madrigaux powr  instruments^  dans  les  formes 
desquels  nous  aurons  ultérieurement  à  rechercher  les  origines  d'un  cer- 
tain nombre  de  pièces  de  l'ordre  symphonique,  comme  le  concert,  le 
concerto^  ou  même  certains  airs  de  danse  en  usage  dans  la  suite  instru- 
mentale et,  plus  tard,  dans  la  sonate  (2). 

LE  MADRIGAL  DRAftlATIQUE 

Cependant,  l'art  de  la  parole  ne  perdait  pas  ses  droits;  cette  péné- 
tration progressive  des  instruments  dans  le  madrigal  accompagné 
n'empêchait  nullement  les  compositions  vocales  d'évoluer  simultané- 
ment, en  marquant  une  divergence  de  plus  en  plus  accentuée. 

Le  madrigal  dramatique.,  c'est-à-dire  celui  qui  obéit  aux  nécessités 
expressives  des  paroles,  conserve  sa  forme  collective  et  chorale.  Motet  à 
l'origine,  il  ne  subira  pas  de  changements  notables  dans  sa  forme,  tout 
en  cédant  aux  exigences  de  la  musique  populaire  à  laquelle  il  se  rattache 
également.  Tandis  que  l'école  du  contrepoint  vocal  se  cantonne  de  plus 
en  plus  dans  le  motet,  le  madrigal  dramatique  s'en  éloigne,  pour  retour- 
ner à  la  chanson,  fille  du  peuple. 

Mais,  si  son  écriture  se  simplifie,  l'esprit  du  drame  l'anime  toujours. 
Il  est  le  plus  souvent  alors  traité  en  dialogue  ;  deux  ou  trois  parties 
vocales  représentent  collectivement  l'un  des  personnages  chantants, 
tandisque  le  reste  du  chœur  est  chargé  du  rôle  de  l'autre  personnage  (3); 

(1)  Rttornare,   en    italien  «  s'en  retourner  ».    Telle  était,    en   effet,  l'action    du  chanteur 
pendant  la  ritournelle. 

(2)  Voir,  dans  le  deuxième  livre,  ces  diverses  formes  d'ordre  symphonique. 

(3)  De  ce  genre    sont    notamment  les   Dialogues  de    Schûtz,    que   nous    avons   examinés 
(p.  177  et  suiv.)  à  propos   du  motet,  auquel  ils  se  rattachent,  tant  par  l'écriture  que  par  le 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL  189 

cette  figuration  collective  de  chaque  personnage  n'est  qu'un  achemine- 
ment vers  l'attribution  iudii'iduelle  des  rôles,  et,  quand  la  représenta- 
tion scénique  viendra  s'y  ajouter,  on  verra  se  réaliser  peu  à  peu,  par 
l'harmonieuse  combinaison  de  la  parole,  du  geste  et  de  la  musique, 
l'expression  la  plus  haute  et  la  plus  émouvante  des  sentiments  humains. 
Ainsi  naîtront  tour  à  tour  du  madrigal  dramatique  Vopéra  d'abord, 
puis  toutes  les  autres  formes  musicales  dramatiques  (i). 

Mais,  s'il  est  incontestable  que  le  madrigal  dramatique  a  donné  nais- 
sance à  Vopéra^  il  faut  observer  que  celui-ci,  dès  son  apparition, 
emprunte  au  madrigal  accompagné  Vusd^^e  du  solo  qu'il  élèvera  plus  tard 
à  son  apogée.  Tandis  que,  par  une  curieuse  réciprocité,  Tecr/'/wre  con- 
trapontique  appartenant  en  principe  à  la  musique  vocale,  aux  motets  et 
aux  madrigaux  dramatiques^  passera  tout  entière  non  seulement  dans 
la  fugue,  ce  qui  est  normal,  mais  aussi  dans  la  plupart  des  autres  formes 
instrumentales  issues  au  madrigal  accompagné  :  \à  suite,  [ql  sonate,  etc. 

FORMKS  DE  LA  CHANSON  ET  DU  MADRIGAL 

Les  formes  musicales  de  la  chanson  polyphonique,  aussi  bien  que 
celles  du  madrigal,  n'ont  pas  de  caractère  bien  défini.  On  peut  cepen- 
dant ramener  la  chanson  française  à  trois  t3^pes  généraux  : 

A)  celui  qui  consiste  en  phrases  musicales  symétriquement 
répétées  malgré  le  changement  de  paroles  ; 

B)  la   chanson  à    couplets^  avec  ou   sans    alternance    d'un 
refrain  ; 

C)  la  chanson  pittoresque. 

A)  Dans  la  première  catégorie,  nous  pouvons  citer  un  grand  nombre 
de  pièces  de  Roland  de  Lassus,  notamment  la  chanson  Quand  mon 
mary  vient  de  dehors  (2),  qui  est  construite  comme  suit  : 

-,  j^Uf^gg  .     (  Quand  mon  mary  vient  de  dehors, 

I  Ma  rente  est  d'estre  battue  ; 

Même  phrase  :     l  II  prend  la  cuiller  du  pot, 

répétée     \  A  la  tête  il  me  la  rue  ; 

,  I     J'ai  grand  peur  qu'il  ne  me  tue. 

2^ phrase  :     l     ^,  .  • ,   • 

f     C  est  un  faux,  vilain,  jaloux  ; 

„.     ,  /     C'est  un  vilain,  rioteux,  crommeleux,     ] 

3*  phrase  :  ...  '  .,  .'  ^  bis. 

\     Je  SUIS  jeune  et  il  est  vieux.  ) 

B)  Comme  exemple  de  chansons  à  couplets,  nous  ne  pouvons  mieux 

sujet  sacré,  tout  en  offrant  déjà  une  physionomie  fort  différente,  par  l'application  du  prin- 
cipe de  la  représentation  des  personnages  par  les  fragments  du  chœur. 

(i)  Voir  le  troisième  livre  de  cet  ouvrage,  consacré  à  l'étude  des  formes  musicales  drama- 
tiques. 

(2)  Voir  Les  Maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française,  éditions  publiées  par  Henry 
Expert,  fascicule  :  «  Orlande  de    Lassus  »,  p.  40. 


IQO 


LA  CHANSON  ET  l.E  MADRIGAL 


choisir  que  la  charmante  villaiielle  de  Claudin  Le  Jeune  :  Patourelles 
joliétes,  qui  fait  partie  du  recueil  intitulé:  Le  Printemps  (i). 

Le  refrain  y  est  tout  d'abord  exposé  à  trois  voix,  sous  le  titre,  géné- 
ralement usité  dans  la  chanson  française,  de  rechant;  puis  vient  le 
couplet,  intitulé  c/;a«;,  également  à  trois  voix;  enfin  le  rechant  est 
repris  par  les  cinq  voix,  et  ainsi  de  suite  pour  les  cinq  couplets. 

Le  thème  initial  du  refrain  est  un  chant  populaire  d'origine  proba- 
blement liturgique  : 


Exposé  par  le  dessus  et  redit  ensuite  par  la  taille,  ce  thème  de  mesure 
binaire  conclut  en  une  période  de  franche  et  fraîche  allure  ternaire,  qui 
appelle  la  danse. 


■Reohant  à  3 . 
fi 


Dessus  et 
Cinquième 


Taille 


r  r    r 

Pa-tou  _  rel.les   jo  _    11 


é  -  tes  et     fi    .    de  _  les      pa_  tou 


reaus, 


J   .  J  IJ  LJ   J     :  T 


ilijuil^^  I  m 


:)  i^  l 


^ 


Je. 


f  r.  [  r  .         .  ,         -     . 

Et  qui       e_met   a  .  mou  .  re  _  tes,  et    qui       e_met  a  -  mou  _  reaus, 


^ 


r  f  r  r 


»    ■ 


^^ 


Ff=  il   t  l 


^^ 


d= 


à 


$ 


"r  'fa;r^r'  /  V  i^ 


■QdJ^' 


.tés       la        crain     .      te 


j  r  M 


du   Loup, 


Ve   .    nés 


^ 


à       l'om.bre      du  Houp. 


m 


^ 


^ 


C)  Quant  à  la  chanson  pittoresque^  l'œuvre  du  français  Clément  Jane- 
quin  (voir  ci-après  p.  igB)  nous  en  peut  fournir  de  nombreux  exemples; 


(c)   Voir     Le<s    Maîtres    musiciens   de   la   Renaissance  française,    édition  H.  Expert  ;  le 
Printemps  de  Clarde  1  c  Jeune,  3*  fascicule,  p.  aS. 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL  iqi 

nous  citerons  notamment  le  Chaut  des  oiseaux^  qui  eut  une  vogue 
presque  égale  à  celle  de  la  célèbre  Bataille  de  Marignan   du  même  auteur. 

Cette  chanson  peut  se  diviser  en  trois  parties,  dont  la  seconde,  l'élé- 
ment pittoresque,  est  de  beaucoup  la  plus  importante. 

1"^^  partie.  —  La  pièce  commence  par  une  phrase  d'exposition  en 
deux  périodes,  d'origine  évidemment  populaire.  Voici  cette  phrase,  sur 
laquelle  s'appliquent  les  huit  premiers  vers  du  texte  : 


Ré-veillez-vous,  cœurs  endor-mis,  Le  dieu  d'amour  vous  sonne. 
Vous  se-rez  tous      en        joye  mis,  Car  la      sai-son       est  bonne. 


ae  Période   /C^»^-#-J.  ^ITT       ,'    f      ^ 


Les  oi-scaux,  quand  sont  ravis,  En    leur  chant  font  mer-  veille, 
En-ten-dez       bien   leur  devis,  Dis-tou-    pez    vos      o-     reilles. 


2*  partie.  —  Suit  une  série  d'onomatopées  tendant  à  représenter  le 
babil  d'oiseaux  de  tous  genres  et  de  toutes  voix.  On  y  rencontre  depuis 
les  traditionnelsyar/rar/ro«  fèreli  io  li,  tio  tio  tio  tio,  friar^  friar,  etc., 
jusqu'aux  locutions  les  plus  bizarres,  comme  :  //  est  temps  d'aller 
boire,  au  sermon,  —  petite,  petite,  suis  juadame  à  la  rtpesse,  —  ma 
maîtresse  à  Saint  Trotin,  etc. 

Vers  le  milieu  de  la  pièce,  on  entend  le  hui  répété  du  hibou; 
aussitôt  tous  les  oiseaux  de  s'unir  pour  courir  sus  à  l'animal  détesté, 
s3'^mbole  du  peuple  juif,  et  de  lui  crier  : 

Fouquet  hibou,  fuyez,  fuyez  ! 
Sortez  de  nos  chapitres, 
Car  vous  n'êtes  qu'un  traître, 
Méchant  oiseau,  dans  votre  nid 
Dormez  sans  qu'on  vous  sonne. 

3"  partie.  —  Puis,  le  hibou  chassé,  tout  se  calme,  le  rythme  de  la 
première  partie  reparaît  peu  à  peu,  et  la  pièce  se  termine  sur  le  retour 
du  refrain  initial  :  Réveillei-vous,  cœurs  endormis,  etc. 

A  cet  orde  de  compositions  appartient  aussi  la  Déploration  de  Jehan 
Okeghem,  que  Josquin  Deprès  écrivit  à  l'occasion  de  la  mort  du  grand 
musicien  flamand.  Cette  curieuse  et  expressive  chanson,  où  le  profane 
mythologique  se  mèlc  au  style  liturgique,  débute  par  une  exposition 
dans  la  manière  du  motet.  La  cinquième  partie  (rc7i?-a;/5)  chante  le  texte 
même  du  psaume  Requiem  œteniam  dona  eis,  Domine,  tandis  que  le 
reste  du  chœur  invite  les  nymphes  des  bois  et  les  déesses  des/onlaines, 


tgi 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


ainsi  que  les  chanîj^es  experts  de  toutes  nations,  à  pleurer  celui  que  la 
ligueur  d'Atropos  vient  de  couvrir  de  terre.  Le  refrain  qui  suit,  dans 
lequel  figurent  nominalement  les  élèves  ou  amis  d'Okeghem,  rentre 
dans  la  forme  de  la  chanson  : 


jre  phrase: 

Même  phrase  : 
répétée. 


Acoultrez  vous  d'abitz  de  deuil, 

Josquin,  Brumel  (i),Pierchon  (2),  Compère   (3), 

Et  plorez  grosses  larmes  d'œil  : 

Perdu  avez  vostre  bon  père. 


Superlus 


Altus 


Ténor 


Cinquième 


Basse 


W 


m 


§M'    r  r^ 


^ 


A     _     coul.tiez  vous 
Et  plo  -  rcz    gros 


d'à 

ses 


bitz 
lar 


m  r  "('   r 


de    deuil,     Jos 
mes  d'a'il,       Per 


r    r  r  r' 


i 


A     _    coul-trez  vous 
El  plo  -  rez    gros 


d'à    .    bitz 
SCS  lar 


f 


de 
mes 


deuil, 
d'oeil, 


fA  f     r  f  =E 


A     _     coul-trez  vous     d'à 
Et  plo  _   rez    gros  .   ses 


bitz 


r  L!rr  r.  f 


de    deuil, 
mes  d'œil, 


'hr^     r-^-^ 


A    _     coul.trez  vous 
Et  plo  _   rez     gros 


d'à   _    bitz 
ses  lar 


de    deuil, 
mes  d'œil, 


Jos  _ 
Per  - 


(1)  Anton  Brumel,    contrapontiste   néerlandais,  auteur  de  nombreuses  messes.   La  Biblio- 
thèque de  Munich  possède  de  lui  une  messe  à  trois  chœurs,  à  douze  voix. 

(2)  Sobriquet  de  Pierre  de  Larue,  voir  ci-après,  page  195. 

(3)  Loyset  Co-npère,  mort  en  i5i8,  chanoine  de  la  cathédrale  de  Saint-Quentin,  auteur  de 
nombreux  motets 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL  igj 

Nous  revenons  ensuite  au  genre  du  motet  par  l'invocation  terminale: 


^ 


^ 


^ 


F^-^ 


i^ 


E 


i 


Re  -  qui.es.cat  in    pa     .      ce.    A         _        men,         a  -         men. 


.^J    J  J  J  J  J      I  J   J    J 


Re  -  qui-es-cat  in    pa     .       ce.    A  -  men, 


•■\.  f    i  J  ç  ^  & 


f  "  I  r  ^ 


ffi 


Re  _  qui-es-cat  in    pa 


men, 


f       fif-- 


r  r.  r  r  r  r 


f     f 


Re  _  qui-es_cat  in    pa     .       ce. 


^ 


A 


f-rf 


^ 


^ 


.Re  .  qui_es_cat  in   pa 


Enfin,  la  forme  du  tnadrigal  ne  saurait  être  bien  déterminée,  puis- 
que comme  celle  du  motet  elle  se  modèle  sur  l'ordonnance  du  texte. 
Elle  en  diffère  touteiois  par  certaines  répétitions  des  phrases  musicales 
que  ne  justifie  point  la  diversité  des  paroles,  par  certains  tours  d'é- 
criture plus  harmonique  que  polyphonique,  par  certains  rythmes 
cadencés  plus  symétriquement.  C'est  toujours  l'ancien  art  du  geste,  qui, 
conservédans  lachanson  populaire, exerce  progressivementson  influence 
sur  ce  genre  de  musique,  éminemment  aristocratique  à  l'origine,  puis- 
qu'il était  réservé  aux  fêtes  pompeuses  données  dans  les  fastueux  palais 
italiens. 

Nous  pouvons  citer  comme  exemple  l'un  des  madrigaux  de  Palestrina, 
/  vaghi  fiori,  dans  lequel  la  phrase  initiale  se  reproduit  à  la  fin  de  la 
pièce  sur  des  paroles  pourtant  assez  différentes,  au  moins  par  leur 
forme  rythmique  : 


Superius 


Altas 


Ténor 


Basse 


position:!  va_ghi     fior'  e       l'a    -    mo 

Expos,    pigr,'     frondlei-b:    aria.autr!  ond,'       arml 
terminale:        >     j         i       ■  i 


f«  Exposition:    I 
Expos,  term:    Fior! 


va  _  ghi 
frondlcrbî 


11®  Exposition: 

Expos,  term:  /"«or,'    fiondlerël  aria,aufr,'  ond,' 

COURS    DE    COMPOSITION. 


.  ro  _  se      fron    _ 
arch] ombr',   au 


fior'  e      l'a  .  mo.ro  _  se 
aria,aulr,'   ond!    ar»!arvh! o'mAr! 


fron. 


Il* Exposition:    I 
Expos,  term:    Fior! 


va.  gbi 
frond!  erb! 


i3 


194 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


r  r  r  r  f  F  r  r 


-de 


va  _  gfai    fïor'    e       l'a  _  mo_ro  _  se 


P       ■ 


^m 


frond' 


ÊÊ 


de 


1         va_ghi     fior' 
fior^    frond!  erbï     " 


^^  ^  r   p 


e      l'a_  mo-  ro      _      se 
ria,autr,'  <md!  fior'  frond I  erb' 


^ 


frond' 


fior' 
aria. 


l'a   _    mo.ro-  se     fron 
autr!  ondj      arm^arch]  ombr,'  ait 


-    de, 
ra, 


^ 


^m 


^^ 


I 

Fior; 


va_ghi       fior,'  e      l'a    _     mo 
frond^ert;     aria,  auir,'  o7id,'       arm,' 


ro  _    se    fron    -     de. 
arch,'    ombr,'  au      .       ra. 


HISTOIRE  DE  LA    CHANSON  POLYPHONIQUE 
ET  DU  MADRIGAL 

Cette  histoire,  comme  celledu  motet,  peut  être  ramenée  à  trois  gran- 
des divisions  correspondant  à  peu  près  comme  dates  aux  périodes 
franco-flamande,  italo-espagnole  et  italo-allemande. 

On  peut  les  intituler  ainsi  : 

i"  Période  de  la  chanson  polyphonique  (xv«  siècle)  ; 

2°  Période  du  madrigal  simple  (première  moitié  du  xvi*  siècle)  ; 

3°  Période  du  madrigal  accompagné  et  du  madrigal  dramatique 
(deuxième  moitié  du  xvi*^  siècle  et  commencement  du  siècle  suivant). 

Mais  cette  sorte  de  division  historique,  comme  toutes  celles  du  pré- 
sent ouvrage,  n'a  rien  d'absolu,  car  l'on  rencontre  dès  la  fin  du  xv"  siè- 
cle des  madrigaux  très  proches  parents,  il  est  vrai,  du  style  de  la 
chanson,  et  Ton  trouve  aussi,  en  France  particulièrement,  un  certain 
nombre  de  compositeurs  de  chansons,  en  pleine  époque  de  floraison  du 
madrigal. 

PÉRIODE     DE   LA  CHANSON    POLYPHONIQUE 


Gilles  Binchois  . 
Antoine  Busnois  . 
Jan   de  Okeghem  . 

JOSQUIN     DepRÈS    . 

Pierre  de  Larue  . 
Clément  Janequin 
Heinkich  Finck  . 
Claude    Goudimel 


vers  1400  f  1460 
14..  t  1481 
1480  f  1495 
14B0  f  l52I 
14  .  .  f  i5  . . 
14..  t  i5  .. 
14..  t  i5.. 
i5o5  f  1572 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL  195 

Gilles  Binchois,  né  à  Binche,  en  Hainaut,  mourut  à  Lille,  après  avoii 
été  maître  de  chapelle  à  la  cour  de  Philippe  le  Bon,  duc  de  Bour- 
gogne. 

Antoine  Busnois  (de  Busne),  fut  chantre  de  la  chapelle  de  Charles  le 
Téméraire, 

JandeOkeghem  (i),  dont  on  connaît  dix-neuf  chansons,  parmi  les- 
quelles Se  postre  cœur,  qui  fut  célèbre  et  souvent  réimprimée. 

JosQuiN  Deprès  (2).  Outre  la  Déploration  d'Okeghem,  déjà  citée,  un 
grand  nombre  de  chansons  françaises  de  Josquin  ont  été  conservées 
dans  les  recueils  de  Pierre  Attaignant  (3),  de  l'année  1 549,  et  de  Du  Che- 
min, i553. 

Pierre  de  Larue, néerlandais,  élève  d'Okeghem,  fut,  de  1402  à  i5io, 
chantre  de  la  cour  de  Bourgogne,  et  écrivit  des  chansons  ainsi  que  des 
madrigaux. 

Clément  Janequin,  sur  la  vie  duquel  on  ne  possède  encore  aucun 
renseignement  précis,  étudia  la  musique  sous  la  direction  de  Josquin 
Deprès,  et  fut  maître  de  chapelle  à  la  cour  de  François  P^  On  ne 
connaît  de  Janequin  qu'un  petit  nombre  de  compositions  religieuses, 
parmi  lesquelles  les  Proverbes  de  Salomon  mis  en  cantique  et  ryme 
françois  (i558);  mais  il  écrivit  une  grande  quantité  (dix-sept  livres) 
de  chansons  profanes  du  plus  haut  intérêt  :  la  plupart  sont  de  véritables 
pièces  descriptives  de  l'ordre  que  nous  avons  qualifié  chansons  pitto- 
resques. 

Les  plus  connues  sont  : 

à)  le  Chant  des  oiseaux  (4),  dont  nous  avons  déjà  parlé  ; 

b)  l'Alouette^  chanson  à  quatre  voix,  auxquelles  Claudin  le  Jeune 
ajouta  une  cinquième  (6),  comme  cela  se  pratiquait  couramment 
à  cette  époque,  mais  sans  que  Y arrayigeur  se  permît  jamais  de 
changer  quoi  que  ce  fût  à  l'écriture  de  la  pièce  originale  ; 

c)  le  Rossignol  ; 

d)  la  Chasse  au  lièvre  et  la  Chasse  au  cerf; 

e)  la  Jalousie  ; 

(i)  Voir  chapitre  X,  page  154. 
{2)  Voir  chapitre  X,  page  i55. 

(3)  Le  premier  des  imprimeurs  de  musique  parisiens  qui  se  soit  servi  de  caractèrci 
mobiles.  II  publia,  de  i526  à  i55o,  vingt  livres  de  motets  et  de  chansons,  la  plupart  d'auteurs 
français. 

(4)  Voir  l'édition  de  la  Schola  cantorum,  et  ci-dessus  p.  191. 

(5)  Voir  Les  Maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française,  édition  H.  Expert  ;  Le  Prin- 
tempi  de  Claude  Le  Jeune,  1*'  fascicule,  p.  5o. 


iQÔ  LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 

f)  le  Caquet  des  femmes  ; 

g)  la  Prise  de  Boiilongne  ; 

h)  la  Bataille  [de  Marignan^  i5i5),  à  quatre  voix,  auxquelles  Ver- 
delet (i)  ajouta  une  cinquième. 

Cette  célèbre  chanson  est  des  plus  curieuses  :  sa  structure  harmo- 
nique, perpétuellement  identique,  repose  du  commencement  à  la  fin 
sur  les  deux  fonctions,  tonique  et  dominante,  du  ton  de^ci  majeur.  Mais 
la  variété  de  ses  rythmes  sans  cesse  renouvelés  en  fait  la  pièce  la  plus 
vivante  qu'il  soit  donné  d'entendre.  De  plus,  elle  est  comme  une 
sorte  d'anthologie  des  thèmes  populaires  en  usage  dans  l'armée  fran- 
çaise au  XVI®  siècle.  Voici  le  plan  de  cette  belle  chanson,  qui  peut  se 
diviser  en  deux  parties  :  les  préparatifs  et  la  bataille. 

i'  partie  :  i"  (rythme  binaire).  Prélude. 

Ecoutez  tous,  gentils  Gallois, 
La  victoire  du  noble  roy  François. 

2°  (rythme  binaire).  Partie  plus  agogique. 

Et  ores  si  bien  écoutez 

Des  coups  rués  de  tous  costés. 

3°  (rythme   ternaire). 


fep.:j^J-JM-J_J^_j_JUq=^-=^^^F^ 


^^^=--. 


A- ven-tu-   riers,  gais  compai-gnons,  Ensemble    croisez  vos  trom-blons 

4*>  (rythme  binaire). 

Cha-        cun  s'assai-  sonne, 

La  fleur  de  lys,  fleur  de  hault  prix, 
Y  est  en  personne. 

5°  (rythme  ternaire). 

Sonnez,  trompettes  et  clairons. 
Pour  réjouir  les  compaignons. 

2^ pa?'tîe,  où  commence  la  bataille  proprement  dite. 

1°  (rythme  binaire).  Longue  série  d'onomatopées  décrivant 
le  bruit  des  instruments  guerriers. 

0  )  L'un  des  plus  anciens  compositeurs  de  l'école  franco-belge;  vécut  en  Italie  et  mourat 
avant  iSô?. 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL  197 

2°  (rythme  ternaire  et  binaire).  Autre  série  d'onomatopées 
destinée  à  peindre  le  fracas  des  canons  et  le  crépite- 
ment de  la  fusillade. 

3°  (rythme  binaire).  Troisième  suite  d'onomatopées  du 
milieu  de  laquelle  surgit  la  chanson  française  : 


')^-==^^d^=^=^J^^^^f'^    ]    J      g-^:^.Ë=^rz^=3Ë=rp=g 


Fa  ri       ra    ri  ra  ri  ra  ri       ra,    fa  ri        ra    ri   ra  ri    ra     la         la  ! 

4"  (rythme  ternaire).  La  victoire  se  dessine. 

Ils  sont  confus, 
Ils  sont  perdus, 
Ils  sont  rompus. 

5°  (rythme  binaire).  Le  ténoj^  entonne  à  pleine  voix  : 
Victoire  !  victoire  au  noble  roy  François. 

et  la  haute-contre,  personnifiant  les  Suisses  vaincus,  termine  la  pièce 
sur  ces  mots  mi-allemands  mi-patois,  qui  résonnent  graves  comme  un 
glas  : 

Descampir,  descampir  ! 

Tout  é  ferlore,  by  Gott  ! 

Heinrich  Finck  (i),  composa  une  série  de  chansons  allemandes 
publiées  en  i536  sous  le  titre  :  Schone  auset^îesene  Lieder  des  hoch- 
beinihnten  Heinrichs  Finckens[i).  Il  est  surtout  connu  par  le  panégyrique 
que  son  petit-neveu  Hermann  Finck  (1627  7  i538),  célèbre  musicogra- 
phe, lui  consacre  dans  son  ouvage  :  Practica  musica  (i556). 

Claude  Goudimel  (3).  La  plupart  de  ses  œuvres  profanes  ont  été 
conservées  dans  le  recueil  de  1574:  La  Jleuf^  des  chansons  des  deux 
plus  excellents  musiciens  du  temps,  à  savoir  de  Orlande  de  Lassus  et  de 
D.  Claude  Goudimel. 


PÉRIODE    DU  MADRIGAL    SIAIPLE 

Fla)nands 

Jakob  Arcadelt i5i4  f   i565 

Adrian  Willaert 1480  -[-  i562 

Nicolas  Gombert i4..fi5.. 

Cyprian  de   Rore i5i6  -f-   i363 

Philippe  de    Monte i52i   7   1602 

Roland  de  Lassus i53o  -^  1^94 

(i)  Voir  chap.  x,  page  i6o. 

(2)  Choix  des  plus  belles  chansons  du  très  illustre  H.  F 

(3)  Voir  chap.  x,  page   160. 


igS  LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 

Italiens 

CosTANZo    Festa H-'   f   ï^4^ 

Andréa   Gabrieli i5iof   1 586 

Giovanni  Pierluigi  da  Palestrina.     .     .         i5i5  f   1594 

Français 

Claudin    de   Sermizy 1 5  . .  f  1 566 

Claudin  Le  Jeune i53o  7  i564 

Guillaume  Costeley i53i  f   i5.  . 

Jakob  Arcadelt  (surnommé  Jachet),  né  dans  les  Pays-Bas,  se  rendit 
dès  sa  jeunesse  à  Rome,  où  il  devint  maître  de  chant  de  la  chapelle 
papale  en  i  540  ;  il  vint  ensuite  à  Paris,  où  on  le  trouve  avec  le  titre  de 
Miisictis  regius  en  1 557.  Dès  1 538,  Arcadelt  publia  six  livres  de  madri- 
gaux à  cinq  voix  qu'on  doit  considérer  comme  les  premiers  en  date  dans 
ce  genre  de  composition.  Ils  eurent  un  immense  succès,  et  suscitèrent 
bientôt  un  engouement  effréné  :  c'est  par  milliers,  en  effet,  qu'on  peut 
compter  les  productions  du  style  madrigalesque  dans  la  seconde  moitié 
du  xvi^  siècle. 

Arcadelt  lui-même  en  écrivit  une  grande  quantité,  madrigaux  ou 
chansons,  qui  furent  publiés  d'abord  par  les  Gardane,  imprimeurs  à 
Venise,  puis  par  les  éditeurs  parisiens  Le  Roy  et  Ballard. 

Ses  contemporains,  et  notamment  Willaert,  son  aîné  de  trente  ans  au 
moins,  ne  versèrent  dans  le  genre  madrigal  qu'après  le  succès  des  six 
premiers  livres  d' Arcadelt.  C'est  donc  avec  raison  que  nous  donnons  ici 
le  premier  rang  au  créateur  incontesté  de  cette  forme  d'art  toute  spé- 
ciale. 

Adrian  Willaert,  né  à  Bruges,  d'autres  disent  à  Roulers,  élève  de 
Jean  Mouton  et  de  Josquin  Deprès,  fut  nommé  en  1527  maître  de 
chapelle  de  l'église  Saint-Marc  à  Venise.  Sa  renommée  attira  dans 
cette  ville  de  nombreux  musiciens,  et  c'est  ainsi  que  fut  formée  la  célèbre 
école  de  Venise^  dont  Willaert  passe  pour  avoir  été  le  fondateur.  L'inno- 
vation principale  qui  caractérise  cette  école,  et  qui  fut  certainement  due 
à  l'initiative  de  Willaert,  est  l'écriture  pour  double  chœur. 

Outre  quelques  livres  de  motets,  l'œuvre  principale  de  Willaert 
consiste  en  recueils  de  madrigaux  à  cinq  et  six  voix  publiés  de  i545  à 
i56i    sous   les  titres  divers,   Can^one  villanesche,  madrigali,  fantasie  0 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL  199 

ricercari^  et  enfin  Niiova  viusica  (i  SSg),  qui  contient  des  pièces  de  quatre 
à  sept  voix  sur  des  poésies  de  Pétrarque. 

Il  est  à  remarquer  queWillaert  ne  commença  à  écrire  des  compo- 
sitions de  ce  genre  qu'à  l'âge  de  soixante  ans  environ,  quelques  années 
après  le  succès  des  premiers  madrigaux  d'Arcadelt. 

Nicolas  Gombert,  originaire  de  Bruges,  l'un  des  plus  remarquables 
élèves  de  Josquin,  fut  maître  de  chapelle  de  la  cour  de  Madrid  en  i  543. 
On  a  de  lui  un  volume  de  chansons  publié  par  Susato  en  1544. 

Cyprian  de  Rore,  né  à  Anvers,  étudia  à  Venise  sous  la  direction  de 
Willaert,  auquel  il  succéda  comme  maître  de  chapelle  de  l'église  Saint- 
Marc.  Il  s'adonna  presque  complètement  à  l'art  madrigalesque,  sans 
préjudice  de  quelques  messes  et  motets,  et  ses  œuvres  devinrent  bien- 
tôt célèbres  dans  toute  l'Italie. 

La  grande  innovation  de  Çyprian  de  Rore  fut  l'emploi  courant  du 
chromatique^  dont  il  se  sert  sans  tenir  compte,  comme  le  faisaient  ses  pré- 
décesseurs, de  la  distinction  établie  traditionnellement  entre  le  grand 
et  \e  petit  (i). 

Il  publia,  de  1642  à  i565,  dix  livres  de  madrigaux  à  quatre  et  cinq 
voix,  dont  les  plus  connus  sont  les  recueils  intitulés  :  Madrigali  crom- 
matici  et  Le  vive  fiamme^  sa  dernière  œuvre. 

Le  grand  Monteverde  (2)  considère  Cyprian  de  Rore  comme  le  véri- 
table précurseur  de  l'art  nouveau  {la  seconda pratica)  qui  allait  enfanter 
le  drame  musical,  art  dans  lequel  «  le  discours  expressif  commande  à 
l'harmonie  au  lieu  de  lui  obéir  (3).  » 

Philippe  de  Monte,  né  à  Mons,  d'où  son  nom,  vécut  en  Allemagne, 
oii  il  fut  maître  de  chapelle  des  empereurs  Maximilien  II  et  Rodolphe  II, 
et  mourut  à  Vienne. 

Outre  quelques  messes  et  motets,  il  publia  successivement  trente  et 
un  livres  de  madrigaux  ou  chansons  à  cinq,  six  et  sept  voix,  dont  les 
plus  connus  sont  ceux  intitulés  :  Le  Jiammette  (iSqS);  il  mit  aussi  en 
musique  les  sonnets  de  Ronsard. 

Roland  de  Lassus  (4)  écrivit  plusieurs  livres  de  madrigaux  ;  les  deux 
premiers  datent  de  i555  ;  on  lui  doit  aussi  un  grand  nombre  de  chan- 

(1)  Voir  chap.  x,  page  iô6. 

(2)  Voir  troisième  livre. 

(3)  L'ora:^ione   padrona  delV    armoma    e    non    serva    (Lettre     de     Monteverde   —  Schtr^ 
mus  cali). 

(4)  Voir  chap.  x,  page   172. 


200 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


sons  françaises  (i)  et  de  Lieder  allemands;  quelques-unes  de  ces  chan- 
sons ont  eu  une  renommée  universelle  pendant  toute  la  seconde  moitié 
du  xvi^ siècle.  Les  plus  intéressantes  à  connaître  sont: 

a)  Fufons  tous  d'amour  le  jeu,  d'une  si  originale  prestesse; 

b)  Sauter,  danser,  faire  des  tours  ; 

c)  Un  doux  nenni  avec  un  doux  sourire,  dont  la  guirlande  terminale 
sur   «  Vous  ne  l'aurez  point  »,  est  d'une  grâce  charmante; 

d)  L'heureux  amour  qui  eslève  et  honore; 

e)  Las  !  voule:{-pous  qu'une  persoftne  chante,  texte  mis  en  musique  par 
de  nombreux  compositeurs; 

/)  Si  vous  nêtes  en  bon  point,  bien  à  point; 

g)  Quand  mon  marf  vient  de  dehors,  etc.  (ci-dessus,  p.  189). 

CosTANZo  Festa  (2),  auteur  de  madrigaux  à  trois  voix,  publiés  en 
1556. 

Andréa  Gabrieli  (3),  publia,  de  1672  à  i583,  sept  livres  de  madri- 
gaux de  trois  à  six  voix. 

Giovanni  Pierluigi  da  Palestrina  (4)  a  laissé,  outre  ses  compositions 
religieuses,  trois  recueils  de  madrigaux  à  quatre  et  cinq  voix  (i555- 
i58i).  La  plupart  sont  de  charmants  modèle^;  du  genre  ;  la  mélodie  y 
est  moins  sévèrement  établie  que  dans  ses  pièces  religieuses,  et  quel- 
ques-uns présentent  même  un  tour  mélodique  d'allure  presque  mo- 
derne, comme  par  exemple  le  suivant,  qui  mérite  d'être  cité  intégra- 
lement. 


(Assez  vite) 


Canto 


Alto 


Ténor 


Basse 


L'a  .    mour a     pris  mon 


I 


=^F=^ 


^^ 


L'a  -   mour 


^ 


^^ 


me,        l'a.  mour 


J  ^  J^    M  J      I 


pris  mon  a 


me, 


La 


^ 


L'a    ,    mour_ 


(I)  Le  premier  livre  des  Cha'isons  françaises  [Meslanges)  a  été  édité  par  H.  Expert.  \,Les 
Maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française.) 
(2j  Voir  chap.  x.  page  i6i. 

(3)  Voir  chap.  x,  page  i6i. 

(4)  Voir  chap.  x,  page  i6a. 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


3^^ 


f rr r  rr r 


ï 


a  pris  mon  à  -    me,  le 


jour  où  ta    main    blanche 


m' cf. 


U  }  i  }  i 


-j  J  p   J  J  -1. 


jour  où  tamainblanche,      où 


ta  main  blan  .  cho  m'offrit . 


y— Q- 


F^T  rrr 


^^ 


pris  mon  a 


me, 


le  jour  où 


ta  main     blanche  m'offrit . 


n  -fnn  r 


^   rrirrr  r  rr 


a   pnsmona    .   me, 


le        jour  où       ta  main  blan  .  che  m'of 


J  J     u 


^^ 


^ 


r     r  r 


.frit 


de  fraîches  ro 


^  J  J  J  J  J      J 


'  J  J_J  J  J  ? 


fleurs  -      sem. 

?     A 


de  fraîches  ro    .    ses, 


m'of- frit de  fraîches 


rnn    r 


p  p  # 


ro  .    ses,    fleurs 

y  A 


^ 


r  y  ['   '  r 


de  fraîches  ro    _    ses, 


m'of-frit  de  fraîches  ro 


ses,    fleurs         sem. 


.frit, 


m'of  .  frit  de  fraîches  ro 


ses, 


fleurs, 


?A 


^^ 


f  r  r  ^  J  JJ^ 


rrrr  r  r  r  f 


.blant     ex_ha_ler,fletu-s  sem  ^ 


blant    ex_haJer    ta     chaste. 


ha    _     lei.ne, 


i  J  J     ')  ^^ 


^ 

9  ^  ^ 


^J         J]J        J 


semblant     ex    .    ha 


1er      ta         chaste. 


ha_  lei 


ne. 


^ 


=  J  ^  ^.  r  r    F=- 


-blant      ex.ha_ler 
A 


ta 


chaste ha  _  lei   -    ne, 


^ 


p    P    o 


fleurs         sem  .blant-  ex_ha_ler, 


^  {  ['    V^-ri 


r  '  r  c:rrr 


r    r-"^  -^  ^.Y^ 


fleurs  semblant    ex.ha 


1er 


ta     chaste. 


ha     .      lei 


1^  y     \^~U 


jSrJJ'^  J    ^ 


jTgrrr^ 


fleurs      semblant    ex.ha 


1er  lachaîleha.lei     .      ne,   ta 


chaste 


hculei 


r~rrjj'r 


r     irm 


^ 


fleurs    semblant    ex.ha . 


1er 


ta     chaste. 


ha_lei 


l''i  r  >fV   r^ 


^ 


^;^r.L;;r  r 


fleurs     semblant    ex.ha  .  ler. 


ta        chaitc 


haJei 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


rrr  rr   r 


^ 


^m 


r      rr  ^f 


-  ne;  O   lais  .  se 


moi,  o    lais  -   se  moi     cueil- 


lir les  fruits  é  _  tran 


Jl_tiJ    J 


^^ 


ne;  O    lais 


1^  r  r  I'   r  J 


r  r  r   r  r 


f  f  r  rTf 


ne;  O   lais  .    se     moi,  o. 


lais  -   se  moi     cueillir. 


les  fruits  é-  tran 


^^ 


r  f  n  r 


f— y 


.06} 


0         lais  _  se  moi     cueil  _  lir  les  fruits  é-tra|i  - 


^  ■!  r  f   r  f'    -i 


^^ 


r  rr  r  r 


•  ges,  o    lais,  se  moi     cueil 


lir  les  fruits  é.tran    _ 


ges  dont     on  meurt  pour  re  . 


^  J     J  J  J 


>  ^^  r  r 


p 


les  fruits  é 


*:it 


lais  _   se  moi    cueillir_ 


tran 


ges  dont     on  meurt 


^ 


«g  fJ 


-ges,  o    lais  _  se  moi      cueil 


lir        les  fruits  é  tran 


ges 


^^ 


»Ff^ 


-ges 


dont     on  meurt  pour  i  e  _ 


.se  moi     cueiUir 

0    T « û_ 


^ 


les  fruits    é_tran-ges,      cueil).lir  les  fruits  e'_  tran 


rr  rir  rr  r 


^ 


lais_se  moi      cueillir       les   fruits  é.tran  _  ges,  e'       .        tran  . 


LA  CHANSON  ET  I.E  MADRIGAL 


^m 


^ 


dont        on    meurt,   dont         on 


meurt      pour  re  _  naî  _ 


trt. 


^m 


«: 


— g    0 • —  — ^— 

.  g(.s,  dont        on  meurt,     dont  on 


meurt       pour  re  _  naî 


-   tre. 


W^ 


^ 


.=^t=p: 


^ 


^ 


_ges, dont        on  meurt, 


dont. 


on  meurt       pour   re  _  naî 

J    J  J       J 


tre. 


^ 


^ 


-ges. 


dont       on      meurt      pour  re.  naî 


-    tre. 


Voir  aussi  : 

a)  Alla  riva  del  Tebro, 

b)  La  C7~uda  mi  a  nemica, 

c)  I  vaghi  fiori^  que  nous  avons  analysé  plus  haut,  page  igS. 

Claudin  de  Sermizy,  généralement  désigné  sous  le  nom  de  Claudin, 
fut  maître  de  chapelle  à  la  cour  de  France  de  i  63o  à  i  56o.  Ses  chansons 
ont  été  publiées  par  Attaignant  en  i528. 

Claudin  Le  Jeune  naquit  à  Valenciennes  et  mourut  à  Paris.  Ses 
deux  principaux  ouvrages  sont  le  Dodecacorde,  quarante  psaumes  de 
David  traduits  en  français  par  Clément  Marot,  et  le  Printemps^  impor- 
tant recueil  de  chansons,  dont  les  particularités  métriques  doivent 
être  examinées  succinctement. 

L'imitation  des  anciens,  cette  manie  de  l'esprit  renaissant,  avait  pro- 
voqué chez  certains  poètes  français  une  tendance  à  la  versification 
mesurée  et  scandée  sur  le  modèle  du  vers  antique.  Jean-Antoine  de 
Baïf  (i532  f  1589),  poète  et  musicien,  qui  avait  fondé  à  Paris  une  aca- 
démie d'art  bien  avant  la  naissance  des  académies  florentines  (i),  imagina 
de  créer,  dans  le  but  spécial  de  la  réalisation  musicale,  un  mètre  fran- 
çais, en  invoquant,  comi)ie  tous  ses  contemporains,  la  restauration  du 
rythme  grec.  Il  écrivit  ainsi  des  Chansons  mesurées  que  Jacques  >Liu- 
duit(2)  et  Claudin  Le  Jeune  mirent  en  musique.  Baïf  avait  coutume 
de  noter  en  longues  et  brèves  les  syllabes  de  chacun  de  ses  vers,  indica- 
tion à  laquelle  Claudin  se  conformait  en  écrivant  sa  musique;  les  valeurs 
musicales  de  durée  se  trouvaient  donc  réglées  d'avance  par  le  mètre 
poétique,  ce  qui  donne  parfois  à  ces  chansons  de  curieuses  allures 
rythmiques. 

(i)  Antérieurement  au  moins  à  celles  de  ces  académies  qui  traitèrent  de  l'union  de  la  mu* 
siquc  avec  la  parole, 
(a)  Habile  joueur  de  luth  qui  vivait   encore  sous  le  règne  d'Henri  IV. 


304 


Lk  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


Prenons  pour  exemple  : 

a)  La  bel'  aronde  (^i),  chanson  à  six  voix  divisée  ainsi  : 

1°,  un  rechant^  comprenant  deux  couplets  et  deux  reprises  du  refrain; 

2°,  un  chant^  autrement  rythmé,  formant  troisième  couplet  (2). 

Voici  comment  le  poète  établit  le  mètre  du  rechant  : 


\j    \j      \j  —    \j  \j  \j  —  \j  \j  \j    —  ^    —  — 
La  bel'   aronde  mésagère  de  la  gaye  saizon 

—    \j    —  \j    —     — 
Est  venu,  je  l'ay  veû, 

Elle  vole  mouchelètes,  elle  vole    moucherons. 


Dans  la  traduction  musicale  de  Claudin  Le  Jeune  que  nous  donnons 
ci-dessous,  on  remarquera  que  les  valeurs  brèves  se  succèdent  tantôt 
en  rythme  ternaire,  tantôt  en  rythme  binaire  ;  cette  disposition,  qui 
donne  une  grande  variété  au  discours  musical,  persista  jusque  dans 
l'opéra  du  xvii'  sièle  (3),  mais  elle  finit  par  disparaître  sous  l'autocra- 
tique domination  de  la  barre  de  mesure. 

Voici  la  première  partie  du  rechant  : 


(Modère) 


Dessus: 


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^^E^ 


^m 


^^ 


^ 


■^r  nJ  i(si 


^ 


La     bel'     A     .      ron     .     de      me'  .  sa     .    ge      ,       rc      de      la 
r        ^       T  - -  _  w  -  ^-^-^  -  (C\ 


ga    .   ye     sai   _    zon 
(Plus  vite) 


Est        vè    .    nû^ je 


V<^WW  'w't^Wlw/  WWWW 


l'ay       veû,' 


l^  r  r  11  r-rr  f  :f  J  r  r  'f-^-i-^=^ 


El.  le 


vo  -  le   raou-che  -    lé  .  tes,  el  -  le         vo  -  le  mou.che 


La  seconde  partie,  si  aimablement  dialoguée,  doit  être  citée  en  entier  : 


(i)  Voir  Les  Maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française,  édition  H.  Expert  ;  Le  Prin- 
temps de  Claude  Le  Jeune,  i"  fascicule,  page  aS. 

(3)  Nous  retrouvons  cette  fornne  dans  le  style  symphonique,  sous  le  nom  de  rondeau, 
depuis  Rameau  jusqu'à  Beethoven  (voir  deuxième  livre). 

(i)  On  trouve  encore  ces  alternances  rythmiques  chez  Lulli,  dans  ses  premières  œuvres, 
notamment  dans  Alceste  (voir  troisième  livre). 


i*J  dessus: 


2^  dessus: 


Haute- Contre: 


11»  taille: 


2£  taille: 


Basse-Contre: 


LA  CHANSON  ET.l.E  MADRIGAL 
(Vif) 


ao5 


u        w  w        > 


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f      :   (j 


je     la  voy, 


La     ve    _     la, 


je     re     .     co  _  gnoy  le 


|HiJH    i      -     ^^ 


je     la  voy, 


La     ve  .     la. 


je     re    -     co  _  gnoy  le 


(Moins  vite) 


m 


m 


%  f    T  :r      ^ 


Je     l'y 


voy  le         ven        _        tre        blanc  qui 


^  (il)  r    J    II  f  r  -^')  r    ^  ■  (I^ 


â 


dos        noir,  Je     l'y  voy  le  ven       .        tre        blanc  qui 


^ 


5^ 


J  '^^JJ  -i^iM 


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Je     l'y 


voy  le  ven       -        tre         blanc  qui 


|Mii)r  ^r    «-  ^ 


dos       noir, 


^ttr  -     iif  J  :a)  f    r  '^      r  '^      r 


Je     l'y 


\'oy         le         ven       _        tre        blanc  qui 


''lODr    f    II  ■- 


dos       noir. 


2o6 


^ 


LAXHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


(Vif) 


m  f     r  r    "  '  '  ■  '^>  -  ^ 


Vy    tre-  luit 


au  so  _  leil . 


je      la 


l'y    tre  _  luit  au  so-leil.  La    ve         .  la, 


^^ 


au 

r 


so  _  leil . 


M  ^    :  (^)  ■ 


^ 


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l'y    tre-  luit 


^ 


so_  leil. 


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La    ve 


la, 


(si)r  ^  '^    '^  f 


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l'y    tre  _  luit 


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SO-  leil. 


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La    ve 


la, 


W  V*  V_/  V.^  V^  V-/  w 


w  v-/  w 


r  r  r  ,  r  r  r  r  ^  J  r  r  :  ^ 


o 


voy,     El -le         vo-le    mouche  _    lé-tes,  el-le  vo_  le    mou-che     -      rons. 


^  -    r  f  ;J  J  f  J  iJ  J  J  Jlî 


ï 


«: 


El.  le        vo-le    mouche  -   le' _ tes,  el  -  le  vo_le    mou_che    _     rons. 


1-  .1   J  J 


j  'J  J j5i  '^ 


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voy,     El-le        vo_le    mouche   _   lé-tes,  ëTl  le 


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vo.le    mou_che    _     rons. 


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El-le        vo- le  mouche    -    lé-tes,  el  -  le  vo.le    mou-che    _      rons. 


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voy,     El.  le        vo-le    mouche  _    lé  .tes,  el  .  le  vo.le      mouche     _     rons. 


J  .rJQr  r  :r  f  J  J  :j  J  J  J 


^ 


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El-le        vo  -  le    mouche  .    lé  .  tes,  el  .  le  vo.le    mou_che     .     rons. 

Voir  aussi  : 

b)  Ma  mignonne  {\),  suite  de  huit  pièces  de  deux  à  huit  voix,  sur  le 
thème  populaire  : 


Ma  mignonne,     je  me  plain  'De  vostre  ri-  gueur  si      for-te. 

(i)  Les  Maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française,  édition  H.  Expert;  Le    Printemps, 
de  Clauds  Le  Jeune,  2*  fascicule,  page  i. 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 


ao7 


c)  La  brunelette  violette  rejlorit  (i),  à  cinq  voix, 

d)  Doucète,  sucrine  (2),  dont  le  rechant  est  d'un  rythme  si  amusant 
dans  sa  monotonie. 


Dessus  et 
Haute-contre 


Taille 


i 


^ 


-^4-^ 


^ 


MJ  ■  ^  r  Uj  ■  r  r  ^^^ 

Gen         _  til  .   le       fleu         .  re'  .  te,      puis 


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^ 


^ 


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que     si        bel  _  le,      si  bel      -        le  tu       es 


l^J   J  u 


^ 


toi, 


e/c. 


^^ 


Enfin  : 

e)  Patoureîles  jolietes  (3),  que  nous  avons  ^éjà  cité  page  190. 

Guillaume  Costeley,  né  en  France  de  parents  écossais,  fut  valet  de 
chambre  du  roi  Charles  IX.  L'une  de  ses  chansons  les  plus  connues  est 
celle  intitulée  :  Puis  que  ce  beau  mois. 


PÉRIODE      DU     MADRIGAL    ACCOMPAGNÉ 
ET     DU      MADRIGAL     DRAMATIQUE 


Orazio  Vecchi.  . 
Matteo  Asola.  . 
LucA  Marenzio.  . 
Giovanni  Gabrieli, 
Felice  Anerio.  . 
Adriano  Banchieri. 
Thomas  Morley.  . 
Hans  Léo  Hassler. 


vers 


vers  i  55o  -f-  i6o5 
.  1 5.  ,  -f-  1G09 
1 55o  -{■  1599 
ibb-j  f  i6i3 
! 56o  f  i63o 
1567  f  1Ô34 
iSSy  f  1604 
i564  -î*  1612 


vers 


Orazio  Vecchi,  né  à  Modène,  fut  prêtre  et  chanoine  de  Correggio,  ce 
qui  ne  l'empêcha  point  de  mener  une  vie  des  plus  mouvementées  ;  sa  bio- 
graphie est  remplie  d'incidents  bizarres,  tels  qu'organisation  de  danses 


(i)  Ibid.  (3*  fascicule,  page  126). 
(*)  Ibid.  (3«  fascicule,  page  io3). 
(î)  Ibid.  (3*  fascicule,  page  2  5). 


3o8  LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 

et  de  mascarades,  rixes  dans  les  églises,  coltellate  et  coups  de  stylet. 
Bien  qu'il  ait  écrit  une  célèbre  messe  à  huit  voix,  In  resurrectione 
Dojiimi,  il  n'en  demeure  pas  moins  le  véritable  précurseur  de  Vopera 
buffa. 

Vecchi  fut,  sinon  le  premier,  du  moins  l'un  des  plus  anciens  et  des 
plus  importants  promoteurs  d'une  forme  d'art  qu'on  peut  rattacher  à  la 
fois,  par  l'écriture,  au  style  du  poème  symphonique,  tel  qu'au  xix*  siècle 
le  comprirent  Liszt  et  Berlioz,  et,  par  la  réalisation  expressive,  au 
drame  musical. 

Nous  aurons  à  revenir  longuement  sur  ce  compositeur  dans  le  troi- 
sième livre  de  cet  ouvrage,  nous  nous  contenterons  donc  d'énumérer 
ici  ses  œuvres  principales,  qui  méritent  toutes  d'être  lues  attenti- 
vement. 

a)  I  Bgo.  —  La  Selva  di  varia  ricrea'^ione  (i),  cioe  madrigali,  cappricci, 
balH,  arie,  justiniane,  canioiiette,  fantasie,  serenate,  dialoghi,  un  lotto 
amoroso,  cou  una  battag-lia  a  lo  nel  fine,  suite  un  peu  incohérente  de 
madrigaux,  de  trois  à  dix  voix,  où  l'on  peut  trouver,  comme  l'auteur 
le  dit  lui-même  dans  sa  préface,  «  toutes  les  herbes  et  les  plantes 
mêlées,  ainsi  que  dans  une  forêt.  » 

b)  1597.  —  ^^  Convito  musicale  (2),  madrigaux  de  trois  à  huit  voix 
pour  «  tous  les  goûts  ». 

c)  1597. —  L'Amfiparnasso,  commedia  armonica^  sorte  de  comédie 
madrigalesque,  consistant  en  quatorze  morceaux  à  quatre  et  cinq  voix, 
dialogues  pour  la  plupart. 

d)  1604.  —  Le  Veglie  di  Siena,  overo  i  varii  humori  délia  musica 
moderna  (3)  ;  dans  cet  ouvrage,  divisé  en  deux  parties,  la  première 
badine  [piacevole),  la  seconde  sérieuse  (grave),  tous  les  genres  de  mu- 
sique exécutables  par  une  polyphonie  ont  été  réalisés. 

Giovanni  Matteo  Asola  (4)  publia,  en  1687  et  1696,  deux  livres  de 
madrigaux. 

LucA  Marenzio,  né  à  Coccaglio,  près  Brescia,  fut  maître  de  chapelle 
du  cardinal  d'Esté,  puis  de  Sigismond  III,  roi  de  Pologne,  et  mourut 
d'un  chagrin  d'amour,  à  Rome,  où  il  était  organiste  de  la  chapelle 
pontificale. 

(i)  La  forêt  d'amusements  variés  où  se  trouvent  :  madrigaux,  caprices,  ballets,  airs,  justi- 
niennes,  chansonnettes,  fantaisies,  sérénades,  dialogues,  un  devis  amoureux  avec  une  bataille 
à  dix  (voix)  pour  finir. 

(a)  Le  Banquet  musical. 

(3)  Les  Veillées  de  Sienne  ou  les  divers  caractères  de  la  musique  moderne. 

(4)  V.  chap.  X,  page  176. 


LA  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL  309 

Marenzio  se  fit  une  spécialité  du  chromatique  comme  moyen 
expressif.  On  a  de  lui,  imprimés  chez  les  Gardane,  de  Venise,  vingt-trois 
livres  de  madrigaux  très  prisés  par  ses  contemporains,  qui  le  surnom- 
mèrent /'/  piu  dolce  cigno. 

Giovanni  Gabrieli,  neveu  d'Àndrea  Gabrieli(i),  fut  premier  orga- 
niste à  l'église  Saint-Marc  de  Venise  et  compta  Heinrich  SchUtz  au 
nombre  de  ses  disciples.  Il  écrivit  une  assez  grande  quantité  de  madri- 
gaux accompagnés  (six  livres),  de  quatre  jusqu'à  vingt-deux  voix,  ces 
derniers  en  trois  chœurs.  Gabrieli  fut  l'un  des  maîtres  les  plus  renom- 
més de  la  dernière  école  de  Venise. 

Felice  Anerio  (2)  écrivit  plusieurs  livres  de  madrigaux,  de  quatre  à 
six  voix. 

Adriano  Banchieri,  moine  olivétain,  organiste  de  Saint-Michel  de 
Bologne,  fut  un  digne  continuateur  de  l'art  d'Orazio  Vecchi,  tout  en 
exagérant  la  manière  de  celui-ci  jusqu'aux  dernières  limites  du  comique 
populaire.  Banchieri  lit  plusieurs  livres  de  madrigaux  accompagnés,  et 
aussi  d'intéressants  ouvrages  théoriques,  tels  que  :  Cartella  musicale 
siil canlo  Jîgiirato  et  VOrgano  suonarino  (1611);  mais  ses  plus  impor- 
tants ouvrages  sont  les  recueils  de  madrigaux  dramatiques  intitulés  : 

a)  I  metamor^fosi  miisicali,  en  quatre  livres  ; 

b)  Il  :[abaione musicale,  inventione  boscareccia,  à  cinq  voix; 

c)  Bajxa  di  Venetia  per  Padona,  en  deux  livres  ; 

d)  Festino  nella  sera  del  gioredi  grasso,  en  trois  livres.  Dans  ceu  festin 
du  jeudi  gras  »  se  trouve  un  bizarre  assemblage  polyphonique  à  huit 
voix,  ainsi  présenté  : 

i"  chœur  :  Deux  amoureux  chantent  une   cau\onelta,  tandis  que  la 
tante  Bernardine   raconte   une  histoire  et  qu'un  vieux  docteur 
radote  en  latin. 
2«  chœur  :  Le  chien  aboie  (bubbau)^ 
Le  coucou  fait  kuku, 
Le  chat  miaule  ignao), 
Le  choucas  chante  {chiu)\ 
tout   cela    en    contrepoint    à    huit    parties  solidement   constitue.   Ce 
madrigal    est    intitulé  :    //   contrapunto   bestiale  alla  mente  [Z)  (1608). 
é)  Tirsi,  Fili  e  Clori,  six  livres  de  Caii'^onette  à  trois  voix  (1614). 

(i)  V.  chap.  X,  page  162. 
(a)  V.  chap.  x,  page  176. 

(3)  On  sait  qu'on  nommait  :  contrapunto  alla  mente  l'ancien  dédiant  ou  chant  sur  le  livre 
(voir  chap.  x,  page   144). 

COURS   DE    CO.MrOSITION  14 


,,0  L\  CHANSON  ET  LE  MADRIGAL 

•  /)  Enfin,  une  œuvre  vraiment  dramatique  en  deux  parties  intitulées 
Pallia  senile  (i)  et  Saviena  giovenile  (2)  (iSgS),  souvent  réimprimée 
jusqu'en  1628,  sorte  d'imitation  non  déguisée  de  VAmJiparnasso  de 
Vecchi,  pour  voix,  instruments,  etc.,  avec  intermèdes.  Cette  œuvre 
sera  examinée  en  détail  au  début  de  notre  étude  sur  l'art  dramatique 
(troisième  livre). 

Thomas  Morley,  élève  du  célèbre  organiste  anglais  William  Byrd  et 
chantre  de  la  chapelle  royale,  fut  un  compositeur  de  chansons  et  de 
madrigaux  des  plus  féconds  ;  on  connaît  de  lui  un  grand  nombre  de 
madrigaux  accompagnés,  où  figurent  déjà  des  instruments  tels  que  ti^eble 
hite  (luth  aigu),  pandora,  cisterne^  base-viol,  Jlute,  treble-viol  (violon)  ; 
un  recueil  de  Ballets  à  cinq  voix  (danses  chantées)  et  trois  livres  de 
Canionets^  de  trois  à  six  voix. 

Hans  Leo  Hassler  (3)  composa  des  madrigaux  accompagnés  sous 
les  titres  :  Nejve  tiûtsche  Gesang  nach  Art  der  jpelschen  Madrigalien 
iind  Kanionetten  (4)(i596),  Lustgarten  nejper  deustcher  Gesang  (5), 
Ballelti,  GagUarden  iind  Intraden  mit  4-8  Stimmen  [\6o\). 

Après  avoir  survécu  encore  quelque  temps  au  xvii"  siècle  en  Angle- 
terre, l'art  madrigalesque  tomba,  nous  l'avons  dit,  dans  une  complète 
déchéance,  pour  faire  place  à  la  suite  instrumentale  et  à  la  musique  de 
chambre  (concert,  etc.),  dont  il  fut  le  véritable  précurseur  vocal,  comme 
on  le  verra  dans  le  deuxième  livre  de  cet  ouvrage. 

'1)  La  folie  sénile. 

(2)  La  sagesse  juvénile. 

(3)  V.  chap.  X,  page  176. 

(4)  Nouveau  chant  allemand,  suivant  la  manière  des  madrigaux  et  chansonnettes  âamands. 

(5)  Le  .'ardin  d'agrément  du  nouveau  chant  allemand. 


XII 

L'ÉVOLUTION   PROGRESSIVE   DE  L'ART 


Le  moyen  âge.  —  Epoque  rythmo-monodique  :  art  intérieur.  —  Epoque  polyphonique  : 
art  extérieur.  —  Epoque  métrique:  art  personnel.  La  Renaissance.  —  Eircts  de  la  Renais- 
sance sur  la  musique. 


LE   MOYEN  AGE 

L'étude  successive  de  la  cantilène  monodique  et  de  la  musique 
polyphonique  a  fait  connaître  les  différences  profondes  qui  séparent  ces 
deux  formes  de  l'art  musical,  et  justifient  leur  classification  en  deux 
époques  distinctes. 

Cependant,  ces  deuxformes  présentent  plusieurs  caractères  communs, 
tels  que  l'indépendance  rythmique,  la  tendance  presque  uniquement 
religieuse,  etc.  ;  toutes  choses  qui  disparaîtront  totalement  dans  les 
époques  postérieures,  pour  faire  place  à  des  éléments  nouveaux,  tout 
à  fait  incompatibles  avec  les  manifestations  artistiques  que  nous  venons 
d'étudier. 

Mais  ce  n'est  point  la  musique  seule  qui,  parvenue  à  la  fin  de  l'époque 
polyphonique,  subit  une  évolution  complète;  c'est  l'Art  lui-même,  et, 
avec   lui,   l'artiste,  l'homme,    les  mœurs...,  en  un  mot,  la  civilisation. 

Ici  se  termine,  en  effet,  le  moyen  âge^  sorte  de  cycle  historique, 
entièrement  parcouru  désormais,  et  nettement  séparé  aussi  bien  des 
âges  antérieurs  que  de  l'époque  contemporaine. 

Qu'un  véritable  cj'cle  artistique  corresponde  au  cycle  historique  du 
moyen  âge,  cela  ne  saurait  faire  de  doute  :  il  suffit  pour  s'en  rendre 
compte  de  jeter  un  rapide  coup  d'œil  sur  les  évolutions  progressives  de 
l'Art  à  cette  époque. 

Jusqu'au  moment  où  l'esprit  des  croisades  pénétra  dans  les  peuples 
d'Occident,  leur  caractéristique  générale  paraît  avoir  été  l'attachement 
au  sol,  l'existence  familiale  et  tout  intérieure. 


2H  L'ÉVOLUTION  PROGRESSIVE  DE  L'ART 

C'est  seulement  vers  le  xir  siècle  que  nous  voyons  apparaître  ce  besoin 
crextériorisation  et  ces  déplacements  en  foule,  suscités  par  l'admirable 
fanatisme  religieux  des  croisades. 

On  retrouvera  dans  toutes  les  formes  de  l'Art  médiéval  ces  deux 
tendances  opposées  et  corrélatives.  L'Art  n'est-il  pas  unique^  et  ses  mille 
manifestations  différentes,  soit  dans  l'espace,  soit  dans  le  temps,  pour- 
raient-elles suivre  simultanément  plusieurs  orientations?  Pareille  ano- 
malie se  concilierait  mal  avec  ce  principe  d'Unité,  nécessaire  à  la 
conception  même  de  l'Art. 

En  examinant  brièvement  les  transformations  des  autres  arts, 
aux  époques  qui  correspondent  à  la  classification  que  nous  avons  adop- 
tée pour  la  Musique,  nous  constaterons  une  fois  de  plus  cette  Unité  de 
tendances  et  de  caractères,  aussi  bien  dans  les  arts  plastiques  de  la 
construction  et  du  dessin,  que  dans  les  arts  successifs  du  son  et  du 
langage  (i). 

ÉPOQUE    KYTHAIO-MONODIQUE 
ART    INTÉRIEUR 

Les  premières  églises  chrétiennes  présentent  un  aspect  simple,  grave, 
un  peu  lourd.  A  peine  issues  des  catacombes,  et  n'osant  encore,  pour 
ainsi  dire,  sortir  de  terre,  elles  imitent  timidement  les  formes  de  la 
basilique  romaine. 

A  l'extérieur,  leur  harmonieux  ensemble  symbolise  la  foi  mystique  et 
tout  intime  des  premiers  siècles  de  notre  ère  ;  mais  cette  masse  impo- 
sante est  encore  dépourvue  de  l'ornementation  complexe  et  audacieuse 
qui  caractérisera  l'époque  suivante. 

Dans  le  temple,  les  piliers  massifs,  les  arcs  surbaissés,  les  pleins  cin- 
tres offrent  partout  aux  regards  leurs  lignes  pures,  d'une  netteté  presque 
géométrique.  Bientôt  on  verra  les  voûtes,  les  frises,  les  chapiteaux  se 
charger  de  dessins  décoratifs  et  de  sculptures  énigmatiques,  plus  ou 
moins  faciles  à  interpréter.  Mais  la  ligne  demeure  toujours  intacte  ."ligne 
droite,  ou  courbure  empruntée  exclusivement  au  cercle^  figuration  sym- 
bolique de  la  divine  perfection. 

Telle  est   l'architecture   romane,  dans   sa  mystérieuse  simplicité. 

Les  mêmes  phénomènes  se  retrouvent  du  vi*  au  xhi**  siècle  dans  le 
premier  âge  de  l'art  plastique.  Que  celui-ci  se  manifeste  dans  le  monu- 
ment sous  la  forme  de  mosaïque,  de  peinture  décorative  ou  de  relief,  il 
fait  toujours   corps  avec  le  mur  lui-même.  Arrachée  à  sa  muraille  et 

II'  Voir  dans  l'Introduction,  p.  17,  la  distinction  entre  ces  deux  sortes  d'art. 


L'EVOLUTION  PROGRESSIVE  DE  L'ART  7iS 

transplantée  dans  un  musée,  la  fresque  de  cette  primitive  époque  perd 
une  partie  de  sa  beauté  et  de  sa  signification  ;  privée  de  sa  fresque,  la 
muraille  apparaît  défigurée,  et  comme  honteuse  d'une  nudité  qui 
semble  la  rendre  inutile.  L'art  plastique,  en  effet,  est  essentiellement  une 
partie  intégrante  du  temple  chrétien  :  il  n'a  pas  été  conçu  autrement 
par  tous  ces  grands  poètes  qu'on  désigne  sous  le  nom  générique  de 
peintres  primitifs,  les  Siennois,  les  Ombriens,  jusques  et  y  compris 
Giotto. 

Au  cours  de  cette  admirable  floraison  de  la  fresque  et  de  la  mosaïque, 
véritable  peinture  de  pierre,  la  Musique,  elle  aussi,  fait  partie  de 
l'église  :  elle  est  purement  liturgique,  mais  expressive  infiniment.  Peu 
à  peu,  comme  les  chapiteaux  de  l'architecture  romane,  la  monodie  se 
revêt  d'ornements  et  de  symboles,  sans  rien  perdre  de  sa  naïveté  pri- 
mitive. 

Cependant  l'art  musical,  plus  peut-être  que  tous  les  autres,  reste 
intérieur,  comme  la  foi  dont  il  est  l'émanation  :  il  ne  connaît  pas  d'autre 
but  que  la  prière,  l'enseignement  des  vérités  éternelles,  et  l'humble 
proclamation  de  la  gloire  de  Dieu  par  sa  très  misérable  créature. 

ÉPOQUE    POLYPHONIQUE 
ART  EXTÉRIEUR 

Mais  voici  que  retentit  dans  la  chrétienté  tout  entière  le  pieux  cri  de 
guerre  proféré  par  Pierre  l'Ermite  :  une  formidable  poussée  vers 
l'extérieur  se  produit,  et  pendant  plus  de  deux  cents  ans  nous  assistons 
à  la  plus  étonnante  effervescence  religieuse  dont  l'histoire  ait  conservé  le 
souvenir. 

«  Les  croisades,  a  dit  Guizot,  ont  révélé  l'Europe  chrétienne.  »  Leur 
influence  s'est  fait  sentir,  en  eftet,  non  seulement  sur  les  tendances 
politiques  et  sociales  de  tous  les  peuples  d'Occident,  mais  encore  sur 
toutes  leurs  manifestations  artistiques. 

Vers  le  xni«  siècle,  l'art,  enfermé  auparavant  dans  l'église,  se  répand 
au  dehors  ;  il  emploie  tous  les  moyens  possibles  pour  proclamer  hau- 
tement sa  foi,  et  attirer  le  peuple  dans  la  maison  de  Dieu. 

Alors,  le  cintre  se  fait  ogive,  l'église  s'élève,  majestueuse,  et  s'élance, 
pour  ainsi  dire,  vers  le  ciel  ;  alors,  les  flèches  ajourées  s'érigent, 
comme  pour  porter  triomphalement  la  prière  humaine  jusqu'aux  pieds 
du  Très-Haut.  L'extérieur  du  temple  se  garnit  de  sculptures  jusqu'à  la 
profusion  ;  la  statuaire  brise  les  chaînes  qui  depuis  de  longs  siècles  la 
rivaient  au  mur,  elle  donne  à  ses  œuvres  une  individualité  plus  nette 
et  une  signification  plus  précise.  Sur  les  autels,  sur  les  portails,  sur  les 


214  L'ÉVOLUTION  PROGRESSIVE  DE  L'ART 

galeries  extérieures  et  jusque  sur  les  tours  même,  elle  élève  les  multiples 
témoignages  de  la  gloire  de  Dieu  et  des  victoires  de  la  Foi. 

Ainsi  est  édifiée  l'œuvre  la  plus  grandiose  du  xiii*  siècle,  cette  créa- 
tion vraiment  nationale  des  architectes  anonymes  de  l'Ile-de-France  : 
la  cathédrale  française,  dont  l'admirable  splendeur  rayonna  jusqu'au 
delà  du  Rhin,  des  Alpes-  et  des  Pyrénées. 

En  vertu  de  la  même  évolution,  la  peinture  abandonne  les  murailles 
du  temple,  pour  descendre  jusque  dans  le  sanctuaire,  où  elle  vient 
embellir  les  autels  et  les  chapelles.  Elle  se  fait  triptyque,  prédelle, 
tableau  à  volets,  mais  a  toujours  pour  objet  l'ornementation  spéciale 
d'une  place  déterminée. 

C'est  l'époque  où,  du  xiv^  au  xvi^  siècle,  apparaissent  d'abord  les  Fra 
Giovanni  da  Fiesole,  les  Lippi,  les  Ghirlandajo,  les  Gozzoli,  ces  sublimes 
italiens,  et,  un  peu  plus  tard,  les  Van  Eyck,  les  Memling,  les  écoles 
de  Cologne  et  du  Bas-Rhin. 

Une  transformation  semblable  s'est  opérée  dans  la  Musique.  Aux 
calmes  et  simples  monodies  ont  succédé  déjà  les  ornements  jubilatoires 
et  symboliques  les  plus  compliqués  :  un  seul  chant  ne  suffira  plus  dé- 
sormais à  la  foi  agissante  et  militante.  L'esprit  de  combativité  pénètre 
jusque  dans  l'art  des  sons,  par  la  polyphonie  et  le  contrepoint  vocal,  où 
les  parties  superposées  sont  en  perpétuel  antagonisme,  véritable  tournoi 
musical,  bien  fait  pour  rehausser  l'éclat  des  cérémonies  religieuses. 

Tout  l'art  s'extériorise  et  rayonne,  non  plus  seulement  dans  l'église, 
mais  aussi  dans  les  demeures  et  les  fêtes  profanes,  où  le  madrigal 
apportera  bientôt  le« riche  coloris  des  formes  contrapontiques. 

Ainsi  s'est  accompli  le  cycle  artistique  du  moyen  âge,  dans  son 
double  mouvement  de  concentration  et  d'expansion,  qu'on  pourrait 
comparer  aux  modulations  successives  vers  les  quintes  graves  et  vers 
les  quintes  aiguës,  vers  l'obscurité  et  vers  la  clarté. 

Toutefois,  au  cours  de  cette  évolution,  un  caractère  distinctif  de 
l'art  médiéval  a  subsisté  :  l'impersonnalité  de  l'artiste,  qui,  souvent 
inconscient  et  anonyme,  toujours  modeste  et  sincère,  crée  des  chefs- 
d'œuvre  qu'il  ne  saurait  concevoir  sans  une  destination  précise,  ni 
exécuter  sans  une  étroite  soumission  aux  traditions  reçues  et  docile- 
ment acceptées.  Aussi,  est-ce  avec  beaucoup  de  raison  que  M.  Emile 
Mâle  a  pu  s'exprimer  ainsi  dans  son  intéressant  ouvrage,  à  propos  de 
ces  ouvriers-artistes  : 

«  L'art  du  moyen  âge,  dit-il,  est  comnie  sa  littérature  :  il  vaut  moins 
par  le  talent  conscient  que  par  le  génie  diffus.  La  personnalité  ne  s'y 
dégage  pas  toujours,  mais  d'innombrables  générations  d'hommes  par- 
lent parla  bouche  de  l'artiste. 


L'ÉVOLUTION  PROGRESSIVE  DE  L'ART 


21b 


«  L'individu,  même  quand  il  est  médiocre,  est  soulevé  très  haut  par 
le  génie  de  ces  siècles  chrétiens. 

«  A  partir  de  la  Renaissance,  les  artistes  s'affranchissent  des  tradi- 
tions, à  leurs  risques  et  périls.  Quand  ils  ne  furent  pas  supérieurs,  il 
leur  devint  difficile  d'échapper  à  l'insignifiance  et  à  la  platitude,  et 
quand  ils  furent  grands,  ils  ne  le  furent  certes  pas  plus  que  les  vieux 
maîtres  dociles  qui  surent  exprimer  naïvement  la  pensée  du  moyen 
àge(i).  » 

C'est  donc  par  ce  caractère  d'impersonnalité  que  l'art  médiéval  se 
différencie  profondément  de  celui  des  époques  subséquentes.  Nous 
allons  assister  à  la  disparition  rapide  de  ces  admirables  qualités  de 
naïveté  et  de  foi  sincère.  Sans  doute,  Tart  vrai  a  survécu  au  cycle  du 
moyen  âge,  mais  la  transformation  très  profonde  qu'il  a  subie  ne  s'est 
pcJint  opérée  sans  une  période  de  dépression  et  d'amoindrissement,  dont 
nous  ressentons  encore  les  fâcheuses  conséquences. 

ÉPOQUE    MÉTRIQUE 
ART    PERSONNEL.    —    LA    RENAISSANCE 

A  partir  du  xvi'  siècle,  l'art  marque  une  double  évolution  :  du  côté  de 
l'artiste,  c'est  l'esprit  de  personnalité  et  de  particularité  qui  se  mani- 
feste :  les  désirs  de  gloire,  et  plus  tard  de  profit  sont  les  principaux 
mobiles  qui  le  font  agir,  et  remplacent  en  lui,  peu  à  peu,  la  foi  robuste 
et  simple  de  ses  devanciers. 

Désormais,  l'artiste,  qu'il  soit  architecte,  peintre  ou  sculpteur,  signera 
toujours  son  œuvre,  à  laquelle  son  nom  demeurera  attaché.  Certes,  les 
hommes  de  génie  ne  manqueront  pas;  mais,  sauf  de  rares  exceptions, 
nous  ne  rencontrerons  plus  en  eux  ce  dévouement  modeste  et  cette 
subordination  toute  chrétienne  de  l'artiste  à  l'Œuvre,  qui  firent  si 
grand  et  si  respectable  l'art  du  moyen  âge. 

Dominé  par  la  foi  chrétienne,  le  redoutable  ennemi  de  l'homme, 
l'Orgueil,  s'était  rarement  manifesté  Jusqu'ici  dans  l'âme  de  l'artiste. 
Mais,  avec  l'affaiblissement  des  croyances,  avec  l'esprit  de  Réforme 
appliqué  presque  en  même  temps  à  toutes  les  branches  du  savoir 
humain,  depuis  le  langage  usuel  jusqu'aux  théories  philosophiques  et 
religieuses,  nous  verrons  reparaître  l'Orgueil,  nous  assisterons  à  sa 
véritable  Renaissance. 

Par  contre,  à  mesure  que  la  personne  de  l'artiste  se  particularise,  son 
œuvre  devient  de  plus  en  plus  indéterminée  dans  sa  destination  :  elle 
n'est  plus  faite  pour  un  lieu,  pour  un  but  spécial.  Peu  importe  à  l'ar- 
chitecte que  sa  construction  soit  église,  temple  ou  palais,  pourvu  qu'elle 

(0  Voir  l'Art  religieux  du  XI II'  siècle  en  France,  par  Emile  Màic,  p.  j. 


21b  L'ÉVOLUTION  PROGRESSIVE  DE  L'ART 

soit  son  œuvre  à  lui,  et  qu'elle  sacrifie  à  l'engouement  du  jour  pour 
l'imitation  de  la  nature  et  la  reconstitution  de  l'art  antique.  Aussi, 
églises  et  palais  vont-ils  désormais  revêtir  le  plus  souvent  le  même 
aspect. 

Le  sculpteur  déploiera  tout  son  talent  pour  orner  les  façades,  les 
parties  du  monument  destinées  k  être  vue  s .  Le  peintre  mettra  tout  son 
art  à  faire  le  portrait  des  personnages  célèbres  de  son  temps,  de  sa  ville 
natale  ou  de  son  entourage;  la  fresque  même  perdra  totalement  son 
caractère  décoratif  d'un  lieu,  pour  devenir  un  simple  tableau,  auquel  un 
cadre  doré  conviendrait  mieux  qu'un  encadrement  de  pierre  (i). 

Chacun  travaille  pour  soi  et  aussi  pour  le  succès.  L'aristocratie  en- 
vahissante et  oisive  ne  tarde  pas  à  s'attacher  les  artistes,  comme  des 
objets  de  luxe  qu'on  ajoute  à  une  opulente  collection.  Alors,  en  raison 
même  de  la  rareté  plus  grande  des  hommes  de  valeur,  apparaissent  les 
faux  artistes,  les  imitateurs  sans  génie,  les  habiles,  dont  la  notoriété 
prodigieuse  et  éphémère  est  due  principalement  à  l'ignorante  fatuité  de 
quelque  Mécène,  qui  tient  à  leur  succès  comme  à  la  supériorité  de  tout 
ce  qui  lui  appartient. 

EFFETS    DE    LA    RENAISSANCE    SUR    LA    MUSIQUE 

La  Musique  n'a  point  échappé  à  cet  engouement  prétentieux  de  la 
Renaissance  pour  la  reconstitution  de  l'art  antique  et  l'imitation  de  la 
nature  ;  mais,  comme  pour  toutes  les  autres  évolutions  auxquelles  elle 
a  été  soumise,  elle  n'en  a  ressenti  les  effets  que  près  d'un  siècle  après 
les  autres  arts.  Cela  tient  sans  doute  à  son  essence  même,  plus  intime  et 
plus  idéale  :  il  est  normal  que  les  modifications  du  génie  humain 
atteignent  d'abord  la  plastique,  avant  de  pénétrer  jusque  dans  cet  art  si 
subtil  et  si  fin,  qui  peut  presque  se  passer  du  support  matériel,  auquel 
il  emprunte  seulement  la  force,  le  mouvement  vibratoire,  l'action  so- 
nore, et  non  la  matière  même. 

C'est  donc  vers  le  xvu*  siècle  que  nous  assistons  seulement  à  la  véri- 
table Renaissance  musicale^  dont  les  effets  se  font  sentir  aussi  bien  sur 
le  rythme  que  sur  la  mélodie  et  l'harmonie. 

Tant  que  la  cantilène  monodique  avait  subsisté,  aucune  indication 
relative  à  la  durée  exacte  des  notes  qui  la  composaient  n'était  nécessaire  : 
le  rythme  seul,  représenté  parla  forme  des  neumes,  régnait  en  maître 
souverain  sur  la  musique.  L'apparition  de  la  polyphonie  rendit  néces- 

■  (i)  Seul  peut-être  à  l'époque  moderne,  un  grand  artiste,  qui  ne  fut  jamais  membre  d'aucun 
institut,  Puvis  de  Chavannes,  sut  conserver  à  la  fresque  son  caractère  d'origine.  II  suffit 
pour  s'en  convaincre  d'entrer  au  Panthéon,  à  Paris,  et  de  comparer  entre  elles  les  diverses 
décorations  murales  qui  représentent  les  scènes  de  la  vie  de  sainte  Geneviève. 


L'E\0I.UT10N  F'ROGRESSIVE  DE  L'ART  217 

saire  Tcmploi  de  signes  indiquant  les  notes  où  les  différentes  parties 
devaient  aboutir  simultanément.  Nous  avons  vu  cependant  que  le 
rythme  n'avait  point  perdu  ses  droits  dans  la  musique  de  la  seconde 
époque,  car  la  mesure  rudimentairc  qui  y  est  à  peine  indiquée  n'entrave 
nullement  la  marche  rythmique  des  parties  vocales. 

Au  xvn"  siècle,  au  contraire,  sous  l'influence  chaque  jour  croissante 
des  mensuralistes  (i),  dont  les  théories  étroites  prétesdaient  s'appuyer 
sur  les  principes  de  l'art  antique,  la  barre  de  mesure  cesse  d'être  un 
simple  signe  graphique  ;  elle  devient  un  point  d'appui  périodique  du 
rythme,  auquel  elle  enlève  bientôt  toute  sa  liberté  et  son  élégance.  De  là 
proviennent  ces  formes  symétriques  et  carrées,  auxquelles  nous  devons 
une  grande  partie  des  platitudes  de  l'italianisme  desxvni^et  xix^ siècles. 

La  mélodie  n'est  pas  plus  favorablement  traitée  par  les  théoriciens  et 
musiciens  de  la  Renaissance.  Toujours  au  nom  de  l'art  antique  et  de  la 
nature,  voici  que  Vincent  Galilée  (2)  jette  l'anathème  sur  la  forme  col- 
lective des  parties  mélodiques  de  la  polyphonie.  «  La  voix  doit  chanter 
seule,  »  dit-il  ;  et  tandis  que  Zarlino  (3)  et  lui  se  lancent  mutuellement 
à  la  tête  des  textes  de  l'antiquité  plus  ou  moins  bien  compris,  l'usage 
du  solo  s'établit  rapidement,  car  il  flatte  la  vanité  de  l'époque,  en  per- 
mettant au  virtuose  de  briller  et  d'obtenir  le  succès  qu'il  recherche. 

Ainsi,  d'abord  dans  le  madrigal,  puis  dans  la  musique  de  cham- 
bre et  dans  l'art  dramatique,  les  parties  mélodiques  superposées 
de  l'école  contrapontique  se  transforment  bientôt  en  simples  parties 
accompagnantes,  sans  caractère  et  sans  dessin,  que  le  compositeur 
indique  seulement  par  leurs  notes  de  basse,  sans  même  se  donner  la 
peine  de  les  écrire. 

Alors  commence  le  règne  de  la  Basse  continue,  sorte  d'accompagne- 
ment grossier  et  rudimentairc,  dont  la  réalisation  laisse  le  champ  libre 
à  toutes  les  incorrections  et  les  banalités  dont  est  susceptible  le  vir- 
tuose, plus  ou  moins  exercé,  qui  en  est  chargé. 

Toutes lesfausses théories  harmoniques  établiespour  la  justificationdu 
système  de  la  basse  continue  datent  de  la  même  époque.  Chacun  essaie 
de  classer  les  accords  comme  il  peut,  et  échafaude  laborieusement  des 
règles  qu'il  est  obligé  de  transgresser  dans  la  pratique. 

Les  idées  de  symétrie  étroite  et  servile,  puisées  dans  des  ouvrages  de 
l'antiquité,  mal  traduits  pour  la  plupart,  donnent  naissance  au  système 
de  parallélisme  absolu  des  deux  gammes  majeure  et  mineure.  En 
construisant  les  deux  échelles  modales,  les  deux  accords  parfaits  et  les 

(1)  C'est  aussi  à  ces  nicincs  théories  mensuralistes  qu'on  doit  les  erreurs  grussières  intro- 
duites dans  riutcrprétation  des  signes  du  plain-chant. 

(2)  Voir  chap.  ix,  p.  134. 

(3)  Voir  chap.  i.x,  p.   i34. 


,,8  "  L 'EVOLUTION  PROGRESSIVE  DE  r.'ART 

cadences  correspondantes  dans  le  même  sens,  les  théoriciens  du  xyii*  siècle 
ont  totalement  méconnu  les  phénomènes  de  la  résonnance  inférieure  ; 
ils  n'ont  abouti  qu'à  la  gamme  mineure  ascendante  avec  altération  de 
la  sensible  (sol  s),  gamme  hybride,  artificielle,  irrégulière,  qui  subsiste 
encore  dans  notre  musique,  où  elle  occupe  la  place  légitimement  réser- 
vée à  la  véritable  gamme  mineure  en  mode  inverse,  sur  laquelle  étaient 
encore  construits  la  plupart  des  motets  de  mode  mineur  des  xv«  et 
xvi^  siècles. 

Tels  sont,  sommairement  résumés,  les  divers  effets  immédiats  de 
l'esprit  personnel  de  la  Renaissance  sur  l'art  en  général,  et  particuliè- 
rement sur  la  Musique. 

Un  tel  bouleversement  dans  l'état  de  choses  préexistant  ne  pouvait 
s'accomplir  sans  entraîner,  momentanément  tout  au  moins,  le  chaos 
et  l'anarchie.  Mais,  en  vertu  des  grands  principes  mécaniques  et  rythmi- 
ques d'oscillation  et  d'équilibre,  —  dont  nous  avons  fait  dépendre  tous 
les  phénomènes  musicaux  que  nous  venons  d'étudier,  —  toute  action 
provoque  inévitablement  une  réaction.  De  cette  période  néfaste  et 
troublée  de  la  Renaissance  devait  sortir  un  art  nouveau,  individuel 
et  puissant,  qui,  après  une  longue  et  pénible  élaboration,  devait 
s'épanouir  et  rayonner  dans  toute  l'Europe  occidentale  :  en  Italie, 
en  France,  en  Allemagne. 

C'est  l'étude  de  cette  nouvelle  époque  qui  fera  l'objet  de  la  suite  de 
cet  ouvrage. 


.   PIN 
DU    PREMIER     LIVRE 


APPENDICE 

INDICATION  DU  TRAVAIL  PRATIQUE  DE  L'ÉLÈVE 

Notions  préliminaires.  —  Composition  musicale.  —  Le  choral   varie. 


NOTIONS    PRELIMINAIRES 


Pour  entreprendre  avec  fruit  l'étude  de  ce  premier  cours  de  compo- 
sition, l'élève  devra  avoir  acquis  préalablement,  et  d'une  façon  complète, 
toutes  les  connaissances  musicales  du  premier  degj'é  dans  l'ordre  de  la 
composition,  c'est-à-dire  avoir  terminé  les  cours  de  Solfège^  de  Chant 
grégorien  théorique  et  pratique   et  d'Hat^tnome. 

Sûr  cette  dernière  matière,  le  maître  devra,  sans  s'attarder  trop  long- 
temps, lui  donner  d'une  façon  claire  et  précise  les  notions  suivantes: 
enchaînements  de  l'accord  (parfait)  à  quatre  parties  vocales  ; 
adjonction  de  notes  dissonnantes  à  l'accord  (parfait)  ; 
théorie  et  application  des  retards, 
en  prenant  soin  que  l'élève   s'attache  avant  toutes  choses  à  chercher, 
dans  ses  réalisations  à  quatre  parties,   ïifitérét  mélodique. 

On  passera  alors  à  l'étude  du  contrepoint  strict  à  deux  parties,  de 
toutes  les  espèces,  sur  lequel  on  ne  devra  pas  insister  outre  mesure  ; 
puis  à  celle  du  contrepoint  strict  à  trois  parties,  également  de  toutes  les 
espèces. 

Malgré  l'application  des  règles  scolastiques,  on  devra  toujours  dans 
le  contrepoint  respecter  les  droits  de  la  musique,  c'est-à-dire  que  cha- 
cune des  parties  contrepointées  sera  conçue  mclodiquement,  et  non  point 
selon  le  système  du  remplissage  harmonique. 

Lorsque  le  maître  jugera  l'élève  capable  d'établir  couramment  et  sans 


920  APPENDICE 

difficulté  un  contrepoint  musical  à  trois  parties,  il  pourra  l'autoriser  à 
commencer  le  cours  de  composition,  tout  en  menant  de  front,  pendant 
cette  même  année,  l'étude  approfondie  du  contrepoint  strict  et  libre  a 
quatre  parties  (i),  du  contrepoint  double  et  du  choral  varié,  sur  lequel 
nous  donnerons  des  explications  à  la  fin  de  cet   appendice. 

Voilà,  en  résumé,  les  connaissances  dont  Tesprit  de  l'élève  devra  être 
orné,  avant  et  pendant  cette  première  année  d'étude  de  la  composition 
musicale  : 

COftîPOSITION    MUSICALE 

Au  fur  et  à  mesure  que  chacun  des  chapitres  de  ce  cours  aura  été 
enseigne,  commenté  et  compris,  le  maître  devra  exiger  les  travaux  écrits 
suivants  : 

Chapitre  I. 

Analyses  rj'thmiques .  —  Dans  ce  travail,  l'élève  devra  se  libérer 
de  toute  espèce  d'attache  métrique,  pour  ne  conserver  que  le  schème 
rythmique  de   la    mélodie  donnée. 

Chapitre  II. 

Analyses  mélodiques.  —  Division  de  la  mélodie  en  phrases,  de  la 
phrase  en  périodes,  de  la  période  en  groupes  mélodiques.  —  Réduction 
au  schème  mélodique.  —  Placement  des  accents  toniques  et' des 
accents  expressifs. 

Chapitre  III. 

Transcription  en  notation  neumatique  de  monodies  grégoriennes 
écrites  en  notation  usuelle. 

Transcription  en  notation  usuelle  de  pièces  écrites  en  notation  pro- 
portionnelle. 

Transcription  en  notation  usuelle  de  pièces  écrites  en  tablature. 

On  devra  faire  également  le  travail  inverse. 

Chapitres  IV  et   V. 
Composition  de  monodies.  —  Pour  que  ce  travail,  sur  lequel  le-maître 


(i)  Des  notions  sommaires  de  contrepoint  à  5,  6,  7  et  8  parties,  seront  suffisantes,  ces  réa- 
lisations ressortant  plutôt  du  casse-tête  chinois  que  de  la  musique. 


APPENDICE  33  1 

devra  beaucoup  insister,  soit  fait  avec  fruit,  il  sera  nécessaire  que  l'élève 
dégage  son  esprit  de  toute  préoccupation  harmonique. 

La  monodie  devra  puiser  sa  force  dans  le  principe  mélodique^  uni- 
quement. 

Cette  sorte  de  travail  comprendra  deux  réalisations  différentes  : 

\°  Monodie  avec  paroles,  dans  laquelle  le  sens  du  texte  déterminera 
le  dessin  mélodique  (i). 

2°  Monodie  sans  paroles,  vivant  de  sa  propre  vie  mélodique. 

Chapitî^es  VI  et  VIL 

Exercices  divers  sur  la  génération  des  harmoniques,  la  formation  des 
gammes  des  deux  modes  et  le  cycle  des  quintes. 

Exercices  en  divers  tons  établissant  les  tonalités  voisines  d'une  tona- 
lité donnée. 

Analyses  harmoniques.  —  Détermination  des  fonctions  tonales  dans 
des  passages  harmoniques  donnés.  —  Indication  de  la  fonction  harmo- 
nique générale  dans  chaque  période. 

Chapitre  VIIL 

Analyses  expressives.  —  Déterminer  les  facteurs  expressifs  dans 
tels  fragments  d'œuvres  musicales  que  le  maître  aura  désignés. 

Chapitre  X. 

Analyses  de  motets.  —  Etablir  clairement,  au  double  point  de  vue 
du  texte  et  de  la  musique,  les  grandes  divisions  d'un  motet  donné.  — 
Réduire  chaque  division  en  phrases  et  périodes.  —  Trouver  la 
mélodie  continue  de  la  pièce.  —  Déterminer  les  passages  appartenant 
plus  particulièrement    à    l'ordre  symbolique. 

Composition  d'un  motet  sur  un  texte  choisi  par  l'élève  (2). 

Chapitre  XL 

Analyses  de  chansons  et  de  madrigaux.  —  Noter  les  différences 
qui  existent  entre  le  style  de  ces  pièces  et  celui  du  motet. 

(i)Il  sera  nécessaire  de  choisir  pour  ce  travail  des  textes  ne  présentant  point  de  com- 
plexité de  sentiments,  et  faciles  à  exprimer  par  de  pures  lignes. 

(2)  Si  l'élève  est  bien  doué,  le  maître  devra  tolérer  les  écarts  auxquels  pourrait  l'entraîner 
sa  nature,  au  cours  de  ce  travail  de  composition,  sans  lui  laisser  toutefois  transgresser  les 
lois  fondamentales  de  la  construction. 


«a  APPENDICE 

Composition  d'un  madrigal  et  d'une  chanson  polyphonique^  sur  des 
paroles  laissées  au  choix  de  l'élève. 

Au  cours  de  toute  cette  période  d'instruction,  le  maître  devra  s'assu- 
rer par  des  interrogations  que  l'élève  a  saisi  et  retenu  la  partie  histo- 
rique du  cours,  sur  laquelle  il  n'est  point  exigé  de  devoir  écrit. 

Il  devra,  de  plus,  veiller  au  travail  de  contrepoint  de  Télève  et 
l'instruire  dans  l'écriture  du  choral  varié. 

LE    CHORAL    VARIÉ 

On  choisira  dans  les  monodies  grégoriennes  ou  dans  les  chorals  des 
Cantates  et  des  Passions  de  Bach,  des  mélodies  régulièrement  divisibles 
en  périodes,  que  l'élève  devra  traiter  de  trois  façons  différentes: 

1°  Réalisation  à  quatre  parties  ;  le  choral  indifféremment  à  l'une 
ou  l'autre  des  voix. 

20  Première  variation,  à  deux  parties.  —  Chaque  période  du  choral 
s'allonge  de  manière  à  constituer  une  phrase  complète,  tout  en 
gardant  sa  physionomie  mélodique  propre,  pendant  qu'une  seconde 
mélodie  librement  contrepointée  court  et  s'enroule  autour  de  la  pre- 
mière. 

3°  Deuxième  variation,  à  trois  parties.  —  L'une  des  parties  fera 
entrer  périodiquement  le  choral  sur  les  contrepoints  formés  par  les 
deux  autres. 

Ce  travail  a  pour  but  d'instruire  l'élève  dans  l'art  du  développement 
mélodique  {première  variation)  et  du  développement  harmionique  (deuxième 
variation),  qu'il  aura  à  employer  plus  tard  d'une  façon  plus  raisonnée. 
On  pourra,  dans  les  commencements,  prendre  pour  guide  les  trois par- 
<ï7as  pour  orgue  de  J.-S.  Bach  sur  les  chorals  :  Christ^  der  Du  bist  der 
belle  Tag^  —  O  Gott,  Du frommer  Gott,  —  Se/ gegrûsset,  Jesu  gHtig[\). 

Il  est  enfin  deux  qualités  que  le  maître  devra  s'efforcer  de  tout  son 
pouvoir  de  faire  naître  ou  de  développer  dans  l'âme  de  son  élève,  qua- 
lités sans  lesquelles  la  science  ne  peut  servir  de  rien  :  l'amour  non  égoïste 
de  l'art  et  l'enthousiasme  pour  les  belles  œuvres. 

(i)  Edition  Peters,  V*  livre  d'orgue,  pages  6o,  68  et  76. 

FIN    DE    l'aPPENDICS 


TABLE  DES  MUSICIENS  ET  THÉORICIENS 

APPARTENANT   AUX    DEUX    PREMIÈRES   EPOQUES   DE   L'HISTOIRE   MUSICALE 


Adam  de  la  Halle,  p.  88. 
Aichinger,  p.   176. 
Allegri,  p.  167,  176. 
Anerio  (Felice),  p.    176. 
Anerio  (G.-Fr.),  p.  176,  207. 
Animuccia,  p.  161. 
Arcadelt,  p.  198. 
Asola,  p.  176,  208. 
Attaignant,  p.  195,203. 


Baïf  (J.-Ant.  de),  p.  203. 
Banchieri,  p.  209. 
*  Barbereau,  p.  138,  139. 
Binchois,  p.    195. 
Brumel,  p.  192. 
Busnois,  p.  195. 


Claudin  Le  Jeune,  p.   190,  195,  203  et 

suiv. 
Claudin  de  Sermizy,  p.  160,  203. 
Clemens  non  papa,  p.  160. 
Compère  (Loyset),  p.  192. 
Costcley,  p.  207. 
Cyprian  de  Rore,  p.  134,  199. 


Dufay,  p.  154 

*  Duiuite,  p.  19,  138,  139. 


Festa,  p.  161,  200. 
Finck  (Heinrich),  p.  160,  197, 
Francon  l'aîné,  p.  152. 
Francon  de  Cologne,  p.  152. 


Gabrieli  (Andréa),  p.  162,  176,  200,  209 

Gabrieli  (Giovanni),  p.  177,  209. 

Gafori,  p.  144,  153. 

Galilei  (Vincenzo),  p.  134,  217. 

Gardane,  p.  198,  209. 

Glaréan,  p.   153. 

Gombert  (Nie),  p.  199. 

Goudimel  (Cl.),  p.  160,   197. 

Guerrero,  p.  168. 

Gui  d'Arezzo,  p.  50,  61,  75. 

Guilhelmus  Monachus,  p.  145. 

H 

Hassler  (H.  Léo),  p.  176,  210. 
*  Hauptmann  (Moritz),  p.  139. 
Helmholtz,  p.  125,  139,  140. 
Hermann  Contract,  p.  56,  57. 
Heyden  (Sebald),  p.  153. 
Hobrecht,  p.  154. 
Hothby,  p.  153. 
Hucbald,  p   55,  57 


Isaak, p.  160. 


124 


TABLE  DES  MUSICIENS  ET  THEORICIENS 


Janequin,  p.   190,  195. 
Jérôme  de  Moravie,  p.  152. 
fosquin  Deprès,  p.  155,  160,  191,    195, 
198,  199. 


Larue  (Pierre  de),  p.  192,  195. 
Lassus  (Roland  de),  p.   172,   189,  197, 
199. 

M 

Marchettus  de  Padoue   p.  153. 

Marenzio,  p.  208,  209. 

Mauduit,  p.  203. 

Monte  (Phil.  de),  p.  199. 

Morales,  p.  168. 

Morley,  p.  210. 

Mouton  (Jean),  p,  160,  198. 

Mûris  (Jean  de),  p.  144,  152. 

N 

Nanini,  p.  161,  167,  176. 
Notker  Balbulus,  p.  73. 


Odington  (Walter),  p.  153. 
Okeghem,  p.  154,  155,  191,  195. 


Palestrina,  p.  146,  147,    161,  162,  166 

et  suiv.,  173,   176,  193,  200. 
Pérotin,  p.  152. 


R 

Rameau,  p.  i35,  136,  139,  204. 
Richafort,  p.  160. 

Riemann  (Hugo),  p.  25,  35,  141, 
Romanus,  p.  55,  57. 


Schûlz,  p.  177,  182,  188,20g. 
Senfl,  p.  160. 


'  Tartini.  p.  135,  137,  140. 
Tinctor  (Jean),  p.  152. 
Tunstede,  p.  153. 


Vecchi,  p.  207  et  suiv.  .  . 

Verdelot,  p.  196. 

Vitoria,  p.  69,  149,  168,   169,  171,  173. 

Vitry  (Phil.  de),  p.  152. 

*  Von  OEttingen,  p.  137,  140,  141. 

W 

Willaert,  p.  134,  160,  198,  199. 


Zarlino,  p.  134  et  suiv.,  139,  153,  217. 


*  Les  auteurs  dont  les  noms  sont  précé- 
dés d'un  astérisque  sont  postérieurs  à  là 
deuxième  époque  et  ne  figurent  ici  qu'à  titre 
de  continuateurs  des  théories  harmoniques 
de  Zarlino. 


^ 


TABLE   DES   MATIÈRES 


AVANT-PROPOS. 


INTRODUCTION 


I.  L'Art 

II.  L'Œuvre  d'art  et  VArtiste. 

La  Création  artistique.     .     . 
Les  facultés  artistiques  de  l'â- 
me   

Caractères  de  l'Œuvre  d'art. 


i3 


Caractéristique   de  l'Artiste. 
III.  Le  Rythme  dans  l'art. 

La   perception   artistique.     . 
Classifications  anciennes  des 

arts 

Les  éléments  de  la  musique. 


«4 


1» 
•9 


CHAPITRE  I 
LE     RYTHME 


Le  rythme  musical 23 

Constitution  du    rythme  musical.  24 

Rythme  binaire.  Rythme  ternaire.  25 

Rythme  masculin.  Rythme  féminin.  26 


Le  rythme  et  la  mesure.    . 

Le    rythme    de    la    parole 
rythme    du  geste.     .     . 


et    le 


26 


27 


CHAPITRE  II 

LA    MÉLODIE 
L'accent 


L'accent 29 

Accent    tonique.    Accent   expres- 
sif    3o 

La  mélodie 3i 

Place  de   l'accent  tonique  dans  le 

groupe  mélodique 32 

Principe   de     l'accentuation     :    la 
rythmique     mélodique.     ...        33 

COURS    DE    COMPOSITION. 


Principe    du   mouvement  :  la    pé- 
riode   36 

Principe  du  repos  :   la  phrase.     .  39 
Principe    de   la   tonalité    :  la  mo- 
dulation   mélodique 4^0 

Formes  de  la  mélodie   :  types  pri- 
maire, binaire,  ternaire.     ...  41 

La  phrase  carrée 4* 

Analyse  d'une  mélodie 4^ 


3  26 


TABLE  DES  MATIERES 


CHAPITRE  III 
LA    NOTATION 


La  notation  et  l'écriture.  Ecritu- 
res idéographiques,  syllabiques, 
alphabétiques.  Notations  en  li- 
gnes, en  neumes,  en  notes.     .     .        47 

Notation  neumatique.  Notation 
ponctuée 49 

Gui  d'Are^^fo.  Les  noms  des  notes. 

La  portée 5o 

La  notation  proportionnelle.  Nota- 
tion    noire.  Notation     blanche.        53 


Erreurs  des  plain-chantistes  du 
xviie    siècle 54 

Notations  conventionnelles  et  nota- 
tiontraditionnelle 55 

Les  tablatures 56 

Transformation  des  signes  tradi- 
tionnels. Silences.  Mesures. 
Clés.  Accidents 60 

Imperfections  de  la  notation  con- 
temporaine          62 


CHAPITRE    IV 


LA    CANTILENE    MONODIQUE 


La  cantilène  monodique.     ...  65 

Genre  primitif:  ses  deux  aspects.  66 

Genre  ornemental. 

A)  Les  antiennes 67 

JB)  Les   alléluia  et  les   traits.     .  68 

C)  Les  ornements  symboliques.  71 

Genre  populaire, 

il)  Les  hymnes 72 


B)  Les  séquences 

Hypothèse  du   cycle  grégorien.     . 

Le  caractère  expressif  de  la  can- 
tilène monodique   médiévale.     . 

Etats  corrélatifs  de  l'ornement  dans 
la  monodie  et  dans  la  graphique 
médiévales 

Les  timbres 


73 

73 

74 


76 
77 


Le  chant  populaire  profane.     .     , 
Origine     des    monodies    populai 

res 

Le  rythme  populaire.   Le  couplet 


CHAPITRE  V 
LA    CHANSON    POPULAIRE 

83 


85 


Les  -trois  états  successifs  du  cou- 
plet         86 

Le  refrain.  Son  rôle  dans  la  musi- 
que symphonique 90 


CHAPITRE  VI 
L'HARMONIE 

L'accord 


Notions  générales 91 

Origine  de  l'harmonie  :  diaphonie  ; 
déchant  ;  contrepoint  ;  poly- 
phonie          9^ 

L'Accord.    . 9\ 

Notions     d'acoustique 94 

Résonnance     supérieure.     Accord 

majeur 95 

Pésonnance  inférieure.  Accord 
mineur 98 


Les   deux    aspects     de    l'accord.       100 
Lesdeux  aspects  de  la  gamme.  Les 

modes loi 

Genèse  de   la  gamme 102 

Les    rapports   simples io3 

Rôle  respectif  de  l'harmonique 
3  (quinte)  et  de  l'harmonique 
5    (tierce)    dans     la    genèse    de 

la  gamme 104 

Le  cycle    des  quintes io5 


TABLE  DES  MATIERES 


a-? 


CHAPITRE  VII 
LA    TONALITÉ 


Valeur     esthétique     de    l'accord, 

La    tonique 107 

La  tonalité  dans  les  trois  éléments 

de  la  musique 108 

Le  rôle  de    la   quinte 109 

Les  trois  fonctions  tonales.     .     .  109 

Tableau  des  fonctions  tonales.     .  iio 

La  cadence  et  ses   divers  aspects.  iio 


Constitution  de  la  tonalité.  Pn- 
renté  des  sons 1  i3 

Limite    de  la  tonalité ii5 

Application  du  principe  de  tona- 
lité à  la  connaissance  de  l'har- 
monie         116 

Analyse  de  l'harmonie  àl'aiJedes 
fonctions  tonales 117 


CHAPITRE  VIH 
L'EXPRESSION 


L'action  expressive  dans  les  trois 

élc'ments    de    la  musique.     ,     .  i23 

L^agogique 124 

La  dynamique 124 

Le  rôle  spécial  du   timbre  dans  la 

dynamique i25 

hd.  modulation 126 

Parenté    des    tonalités.   Tonalités 

voisines 127 


Tableau  des  tonalités  voisines.     .       129 

Loi  de  la  modulation  entre  les  tona- 
lités de  même  mode i3o 

Différence  entre  les  dominantes  et 

les  sous-dominantes i3o 

Loi  de  la  modulation  entre  les 
tonalités   de  mode    différent.     .       ;3i 

Raisonexpressivedela  modulation       i32 


CHAPITRE  IX 
HISTOIRE  DES  THÉORIES  HARMONIQUES 


Le  problème    de    l'harmonie  dans 

l'histoire i33 

Zarlino i34 

Rameau i35 

Tariini 187 


Barbereau i38 

Durutte 1  38 

Hauptmann i39 

Helmholt:^ 189 

Von  Œttingen 140 

Riemann 141 


CHAPITRE    X 
LE     MOTET 


Formes  polyphoniques  primitives.  143 

Forme  de   la    pièce    liturgique.     .  146 

Forme  du  motet. 147 

Constitution  de  la  phrase  dans  le 

motet i5o 

YoTmQ  an  répons i5i 


Histoire  des  formes  polyphoniques 
primitives  :  les  déohanteurs  et 
les  théoriciens i5t 


Histoire  du  motet  .  .  . 
Période  franco-flamande. 
Période  italo-espagnole. 
Période    italo-allemande. 


i53 
i54 
101 
175 


aab 


TABLE  DES  MATIERES 


CHAPITRE  XI 
LA   CHANSON    ET   LE    MADRIGAL 


Les  formes  polyphoniques  profa- 
nes :  la  c/iaH5on i85 

Le     madrigal i86 

Le  madrigal  accompagné.     ...  187 
Le  madrigal  dramatique.     .     .     .  188 
Formes  de  la  chanson  et  du  ma- 
drigal   189 


Histoire  de  la  chanson  polyphoni- 
que   et  du  madrigal 194 

Période  de  la  chanson  polyphoni- 
que        194 

Période  du  madrigal  simple.     .     .      .197 

Période  du  madrigal  accompagné 
et  du  madrigal   dramatique..     .       207 


CHAPITRE  XII 

L'ÉVOLUTION    PROGRESSIVE    DE    L'ART 


Le  moyen  âge 211 

Epoque   rythmo-monodique  :    art 

intérieur *       212 

Epoque    polyphonique  ;    art  exté- 
rieur  2l3 


Epoque  métrique  :  art   personnel. 

La     Renaissance 2i5 

Effets   de   la  Renaissance    sur  la 

musique. 216 


APPENDICE 
INDICATION  DU  TRAVAIL  PRATIQUE  DE  L'ÉLÈVE 


Notions   préliminaires.     .     .     .     .       219   j   Lg   choral   varié. 
Composition  musicale 220  | 


TABLE  DES    MUSICIENS    ET   THÉORICIENS  appartenant  aux   deux 

PREMIÈRES    ÉPOQUES    d'hISTOIRE    MUSICALE.     .. 223 


^t 


Paris- Poitiers    —  Société  française  d'Imprimerie  et  de  I,ibrairie, 


(1-21). 


COURS 


DE 


COMPOSITION    MUSICALE 

DEUXIÈME  LIVRE  --  PREMIÈRE  PARTIE 


v*- 


VINCENT    D'INDY 

f  I**  ^l*t  ^i^  ^i^  ^1^  ^1^  yt^  ^j*s  ^l^  ^^^  ^^*^  ^I^  ^I^  ^1^  ^X^  ^i;^  ^j;*^  ^jl^  ^il^  t*il^  ^2^  ^1^  f*i*> 


COURS 


DE 


COMPOSITION    MUSICALE 


DEUXIÈME   LIVRE  —  PREMIÈRE    PARTIE 


REDIGE    AVEC    LA    COLLABORATION    DE 

AUGUSTE      SÉRIE  Y  X 

D'après  les  notes  prises  aux  Classes  de  Composition 
DE  LA  SCHOLA  CANTORUM 


EN    iSgg  1900 


PARIS 

A.    DURAND    ET    Fils,    Editeur? 
4,  Place  de  la  Madeleine 

PROPRIÉTÉ    POUR    TOUS    PAYS,    Y    COMPRIS    LA    SUÈDE    ET    LA    NORVÈGE 
(Tous  droits  de  traduction  réservés) 


INTRODUCTION 


I.  La  Musique  Sympiioniquiî  et  la  Musiquk  Dramatique. 

II.  Classification  des  Genres  Symphoniques. 

III.  La  Composition  Musicale  et  la  Construction  Architkcturalb, 


La  Musique  Symphonique  et  la  Musique  Dramatique. 


Les  manifestations  musicales,  quelles  qu'en  soient  la  forme  et  l'épo- 
que, se  répartissent  assez  naturellement  en  deux  grandes  catégories, 
soumises,  l'une  aux  lois  rythmiques  du  geste,  l'autre  à  celles  de  la 
pat^ole. 

Ces  deux  catégories,  différentes  en  principe,  quoique  parfois  difficiles 
à  délimiter,  ont  été  souvent  opposées  l'une  à  l'autre,  dans  le  Premier 
Livre  de  cet  ouvrage.  Elles  ont  notamment  servi  de  base  à  la  distinction 
d'origine,  établie  entre  les  chants  profanes  et  les  chants  sacrés  des 
deux  premières  époques  (i). 

Avec  les  divers  genres  musicaux  de  la  troisième  époque  (2),  cette  dis- 
tinction profonde  reparaît,  et  s'accentue  même,  au  point  d'être  érigée 


(i)  Voir  Premier  Livre,  p.  27  et  28. 

(2)  La  division  de  l'i-I  sioire   de  lu  Musique   en  trois  grandes   époques  a  été   établis  dans 
l'Avani-Propos  du  Premier  Livie  du  Cours  de   Composition. 


6  INTRODUCTION 

dorénavant  en  division  fondamentale:  en  effet,  tandis  que  l'élément 
métrique  introduit  par  les  doctrines  de  la  Renaissance  va  devenir  pré- 
pondérant dans  la  musique,  nous  verrons  éclore,  après  une  longue 
période  d'élaboration  confuse,  une  foule  de  formes  nouvelles,  issues, 
soit  du  Motet,  soit  surtout  du  Madrigal;  et,  à  mesure  que  ces 
formes  iront  se  multipliant  et  se  différenciant,  l'influence  originelle 
du  Rythme  du  Geste  et  du  Rythme  de  la  Parole  s'y  accusera  plus 
nettement. 

Ainsi  s'établiront  bientôt  deux  ordres  distincts,  on  pourrait  presque 
dire  deux  arts  particuliers,  auxquels  nous  donnerons  les  noms  de 
Musique  Symphonique  et  de  Musique  Dramatique,  parce  que  la  Sympho- 
nie et  le  Drame  peuvent  être  considérés  comme  les  formes  les  plus 
caractéristiques  respectivement  issues  du  Geste  et  de  la  Parole 
rythmés,  comme  les  types  synthétiques  de  ces  deux  grandes  caté- 
gories. 

Le  nom  de  Symphonie  (ij-Jv.  arec  \  90JVÀ,ro/.v,  son  :  «  consonnance  ») 
est  très  ancien  et  a  passé  successivement  par  plusieurs  acceptions 
diverses. 

Chez  les  Grecs,  vraisemblablement  étrangers  au  concept  harmoni- 
que de  la  simultanéité  des  sons  différents,  le  mot  (7ua.®(i)yia  désignait 
l'état  consonnant  de  deux  notes  consécutives,  Tune  par  rapport  à 
l'autre. 

Les  auteurs  du  xvi«  siècle,  et  notamment  Giovanni  Gabrieli  (i), 
ressuscitèrent  ce  mot,  en  l'appliquant  à  des  pièces  polyphoniques  ana- 
logues au  Motet  {Symphoniœ  sacrœ). 

Au  xvn*  siècle,  on  qualifiait  de  Symphonie  l'introduction  instrumen- 
tale de  chaque  acte,  dans  VOpéra.  Cette  sorte  de  ritournelle  ou  de  pré- 
lude devint  bientôt  VOuverture,  tout  en  conservant  sa  dénomination 
primitive,  jusqu'au  milieu  du  siècle  suivant.  C'est  à  peu  près  vers  ce 
moment  que  le  nom  de  Symphonie  apparaît  avec  sa  signification  con- 
temporaine, et  devient  peu  à  peu  l'apanage  Qj.z\\is\i  àts  pièces  instru- 
mentales, consistant  uniquement  dans  le  groupement  esthétique  des  sons^ 
sans  aucune  intention  d'application  à  des  paroles. 


Jiy  Voir  {"'  livre,  p.  177  ei  209. 


L\  MUSIQUE  SYMPHONIQUE  7 

Telle  sera  pour  nous  la  caractéristique  spéciale  du  genre  sympho" 
nique^  sous  toutes  ses  formes. 

Quant  au  mot  Drame  {àpdixot),  il  a  toujours  été  intimement  lié  à  l'idée 
de  spectacle  ou  de  représentation  scénique.  Toutefois,  le  qualificatif  de 
dramatique  s'applique  souvent  de  nos  jours,  par  extension,  à  toute 
€spèce  de  musique  ayant  pour  but  rexpression  d'un  sentiment  déterminé, 
par  la  juxtaposition,  effective  ou  sous-entendue,  d'un  texte  littéraire  aux 
sons  musicaux. 

C'est  dans  ce  sens  que  nous  l'emploierons  de  préférence,  par  opposi- 
tion au  mot  symphonique. 

Pour  étudier  avec  quelque  méthode  les  formes  musicales  de  V Epoque 
métrique,  il  importe  de  discerner  nettement,  malgré  les  cas  fréquents 
de  compénétration  accidentelle,  la  coexistence  de  ces  deux  genres  dis- 
tincts :  la  Musique  Symphonique  (ou  musique  pure)  d'une  part  ;  la 
Musique  Dramatique  (ou  musique  appliquée  aux  paroles)  de  l'autre. 

Nous  sommes  ici  en  présence  d'une  véritable  bifurcation,  qui  nous 
obligera  à  parcourir  successivement  et  séparément  chacune  de  ces  deux 
grandes  voies,  suivies  simultanément  par  l'art  musical  dans  ses  évolu- 
tions, depuis  le  xvii*  siècle  jusqu'à  nos  jours.  Entre  ces  deux  routes 
diversement  orientées,  on  rencontrera  sans  doute  un  grand  nombre  de 
chemins  de  traverse,  ramenant  de  l'une  à  l'autre  :  nous  nous  efforcerons 
de  les  signaler,  en  évitant  de  nous  y  engager,  afin  que  le  lecteur  puisse, 
sans  )amais  perdre  de  vue  la  ligne  principale,  les  reconnaître  au  passage, 
dans  la  suite  du  présent  Cours  de  Composition,  dont  le  Deuxième  Livre 
est  consacré  aux  Formes  Symphoniques,  et  le  Troisième  aux  Formes 
Dramatiques. 

Dans  l'ordre  chronologique,  l'art  musical  dramatique,  —  le  seul, 
d'ailleurs,  dont  l'enseignement  se  soit  quelque  peu  préoccupé  jusqu'à 
ces  dernières  années,  en  France  tout  au  moins,  —  est  apparu  très  pro- 
bablement avant  l'art  symphonique  proprement  dit.  Mais  au  point  de 
vue  didactique,  il  y  a  souvent  d'excellentes  raisons  pour  soumettre 
l'ordre  historique  lui-même  à  un  ordre  logique  supérieur  :  la  connais- 
sance des  formes  de  la  musique  pure  est  nécessaire  assurément  pour 
aborder  utilement  l'étude  de  la  musique  appliquée  aux  paroles. 

C'est  donc  aux  Formes  Symphoniques  que  nous  attribuerons,  à  la 
fois    comme  ordre    et    comme  importance,  la  première  place,  la  place 


INTRODUCTION 


d  honneur,  que  des  motifs  plus  ou  moins  avouables  lui  firent  si  long- 
temps refuser,  aussi  bien  dans  les  écoles  que  dans  l'esprit  d'une  grande 
partie  du  public  (i). 


II 
Classification  des  Formes  Symphoniques. 


La  lecture  et  l'examen  méthodique  des  oeuvres  musicales  révèlent  une 
parenté  de  forme  et  d'aspect  reliant  normalement  les  plus  récentes  à 
leurs  devancières,  dans  un  ordre  logique,  interrompu  parfois  par  des 
anomalies  rarement  inexplicables. 

Cette  simple  constatation,  en  parfaite  concordance  avec  la  hiérar- 
chie primordiale  et  traditionnelle  inhérente  à  toutes  les  manifestations 
de  l'activité,  permet  de  classer  assez  sûrement  les  membres  de  la  vaste 
famille  musicale  qui  nous  occupe,  en  tenant  compte  des  générations 
successives  et  des  alliances  nombreuses,  qui  transformèrent  plus  ou 
moins  les  types  primitifs. 

Pour  établir  cette  sorte  d'arbre  généalogique  dont  nous  donnerons 
ci-après  (p.  i3)  une  figuration  schématique  approximative,  il  sera 
nécessaire  de  définir  chaque  famille  et  chaque  individu  d'une  façon 
précise,  c'est-à-dire  d'en  déterminer  clairement  le  «  genre  prochain  » 
et  la  «  différence  spécifique  ». 

Un  ouvrage  technique  ne  saurait,  en  effet,  se  passer  de  définitions 
rigoureuses  ;  mais  les  impropriétés  de  termes,  en  musique  plus  encore 


(i)  Est-il  besoin  de  citer,  à  l'appui  de  cette  opinion  injustifiée  sur  les  formes  symphoni- 
ques, en  général,  et  la  Sonate  en  particulier,  quelques  lignes  empruntées  à  certains  ><  pon- 
tifes »,  redoutables  par  leur  prestige  encore  imposant  pour  quclqu«s-uMs,  malgré  leur 
complète  impertinence  en  la  matière  ? 

Ecoutons,  par  exemple: 

a)  D'Alembert  :  «  Toute  cette  musique  instrumentale,  sans  dessein  et  sans  objet,  ne  parle 
€  ni  à  l'esprit  ni  à  l'âme,  et  mérite  qu'on  lui  demande  avec  Fontenelle  :  Sonate,  que  me 
«  veux- tu  V  » 

b)  Bouillet  :  «  Ce  genre  de  composition  (la  Sonate),  qui  a  eu  jadis  une  grande  vogue,  est 
«  maintenant  abandonné  ;  il  y  est  trop  souvent  difficile  d'y  découvrir  les  intentions  du  com- 
«  pos  teur  ». 

c)  Larousse  :  «  De  nos  jours,  plusieurs  compositeurs  français  se  sont  exercés  avec  succès 
«  dans  ce  genre  difficile  de  composition  (la  Sonate),  et,  parmi  eux,  il  faut  citer  tout  parti- 
a  culièrement  :  Mm»  Farrenc,  MM.  Théodore  Gouvy,  Georges  Mathias,  Marmontel,  Jacques 
n  r\  Hori  Herz.  » 


CLASSIFICATION  DES  FORMES  SYMPHONIQUES  9 

qu'en  toute  autre  branche  du  savoir  humain,  furent  de  tout  temps  telle- 
ment fréquentes  et  tellement  graves  (i),  qu'en  présence  de  certaines 
acceptions  absolument  contradictoires,  une  nomenclature  stricte, 
même  restreinte  au  minimum  indispensable,  ne  peut  s'abstenir  de 
décider  en  faveur  des  unes,  et  à  l'encontre  des  autres. 

Vainement  on  taxerait  d'arbitraire  ou  de  conventionnelle  cette  façon 
de  procéder  :  la  clarté  plus  grande  et  l'élimination  plus  sûre  des  équi- 
voques répondraient  victorieusement,  croyons-nous,  à  une  telle 
critique,  rarement  désintéressée  d'ailleurs  chez  ceux  qui  la  formule- 
raient. 

On  a  vu  dans  le  Premier  Livre  que  l'ancêtre  commun  de  toutes  les 
formes  musicales  de  l'ère  chrétienne,  le  chant  humain,  avait  revêtu,  dès 
la  première  époque,  deux  aspects  différents  :  le  chant  sacré,  la  monodie 
grégorienne  issue  de  la  Parole  rythmée,  d'une  part  ;  le  chant  profane, 
la  chanson  populaire  issue  de  la  Danse^  de  l'autre. 

Avec  la  seconde  époque,  la  polyphonie  naissante  conserve,  elle  aussi, 
ce  double  caractère  :  sacrée  ou  liturgique,  elle  atteint  toute  sa  splen- 
deur dans  le  Motet  palestrinien  ;  profane  ou  populaire,  elle  devient 
Madrigal,  dramatique  ou  accompagné  (2). 

De  l'époque  métrique,  nous  éliminerons  ici  pour  le  reporter  au  Troi- 
sième Livre  tout  ce  qui  a  trait  au  Madrigal  dramatique  et  à  sa  des- 
cendance. Nous  étudierons  seulement  dans  ce  Deuxième  Livre  les 
genres  symphoniques  issus  du  Motet  et  du  Madrigal^  accompagné  ou 
non,  en  réservant  pour  la  seconde  partie  du  présent  livre  tous  ceux  qui 
nécessitent  la  connaissance  préalable  de  Torchestre. 


(i)  Beethoven,  dans  une  lettre  qu'il  adressait,  en  181 3,  à  l'éditeur  Thomson,  écrivait  à 
propos    du   mot  Andantino  :  «  Ce  terme,  comme  beaucoup  d'autres   dans  la    musique,  est 

d'une   signification  si  incertaine...  » 

Les  noms  des  divers  genres  symphoniques  ne  sont  souvent  ni  plus  précis  ni  plus  exacts 
que  les  mots  italiens  (ou  préicndus  tels)   qui  servent  à  indiquer  les  nuances  expressives. 

Faut-il  s'en  étonner,  lorsque  les  absurdités  de  la  terminologie  semblent  s'être  lait  de  la 
musique  un  domaine  d'élection  i  Quoi  de  plus  pitoyable  que  ce  soKège  où  l'unité  d'inter- 
valle s'appelle  tantôt  demi-ton,  tantôt  seconde,  tandis  qu'on  nomme  unisson  un  intervalle 
nul  entre  deux  sons,  quin:[iè:ne  une  double  octsve,  quinte  le  troisième  harmonique  d'un  son, 
etc.  I 

Que  penser  de  cette  arithmétique  saugrenue  où  i  =  -i- r=:  2  =0,  suivant  les  cas  ;  où 
i5  =  8x2;où5=:3,  etc. .-' 

Il  ne  nous  appartient  pas  d'apporter  au  sein  de  cette  «  tour  de  Babel  »  le  vocabulaire 
logique  dont  la  création  s'impose  :  tout  au  plus  pouvons-nous  exprimer  ici  le  vœu  que  Je 
sages  conventions  fassent  disparaître  peu   à  peu  dans  l'avenir  ces  fâcheuses  incoheicncc 

(2)  Voir  l*'  livre,  p.  186  et  suiv. 


lo  INTRODUCTION 

Entreles  deux  grandes  branches  qui  se  partageaient  presque  également 
l'art  musical  du  moyen  âge,  une  inégalité  notable  apparaît  au  contraire 
dès  les  premières  manifestations  de  Part  instrumental  postérieur  à  la 
Renaissance.  Tandis  que  le  Madrigal  engendrera  presque  toutes  les 
formes  dont  nous  abordons  ici  l'étude^,  le  Motet,  comme  épuisé  par  sa 
propre  perfection,  laissera  un  unique  rejeton  :  la  Fugue,  forme  musi- 
cale admirable,  qui  fut  stérilisée  à  son  tour  par  une  adaptation  trop 
étroite  aux  travaux  pédagogiques  des  écoles.  Seule  forme  symphonique 
issue  directement  d'une  forme  purement  dramatique,  la  Fugue  cons- 
titue donc  à  elle  seule  une  branche  distincte  :  aussi  sera-t-elle  étudiée 
séparément,  et  préalablement  à  toutes  les  autres  formes,  lesquelles  des- 
cendent plus  ou  moins  directement  du  Madrigal. 

La  Fugue  (chap.  i")  est  une  composition  polyphonique,  écrite  en 
style  contrepointé,  sur  un  thème  unique  ou  sujet,  exposé  successive- 
ment dans  un  ordre  tonal  déterminé  par  la  loi  des  cadences  :  elle  est, 
par  définition,  monothématique  et  unitonique. 

La  Suite  (chap.  ii),  rattachée  au  Madi'igal  par  la  Musique  de  Cour, 
consiste  en  une  série  de  pièces  instrumentales,  en  forme  de  danses  (ou 
de  chansons)  de  coupe  binaire,  se  succédant  les  unes  aux  autres  suivant 
un  ordre  logique  de  mouvements  différents,  et  reliées  entre  elles  par 
une  parenté  tonale  rigoureuse.  Le  morceau  de  Suite  étant,  par  défini- 
tion, en  deux  parties,  séparées  par  une  tîiodulation,  la  Suite  constitue 
un  type  binaii^e  modulant,  qui  offre  avec  celui  de  la  Fugue  un  contraste 
presque  absolu. 

La  Sonate  (chap.  m,  iv  et  v)  descend  directement  de  la  Suite,  avec 
laquelle  elle  offre  une  telle  ressemblance  à  l'origine,  que  la  délimitation 
entre  l'une  et  l'autre  est  souvent  malaisée:  elle  consiste  en  une  série  de 
trois  ou  quatre  pièces,  destinées  à  un  instrument  à  clavier  (i)  jouant 
seul  ou  accompagnant  un  seul  instrument  récitant;  ces  pièces  reliées 
entre  elles,  comme  celles  de  la  Suite,  par  l'ordre  logique  des  mouvements 
et  la  parenté  tonale,  en  diffèrent  par  la  construction  ternaire  modulante, 
qui  apparaîtdans  la  plupartd'entre  elles,  et  surtout  dans  la  pièce  initiale. 
L'importance  exceptionnelle  de  la  Sonate,  véritable  prototype  de  presque 
toutes  les  formes  instrumentales  subséquentes,  a  rendu  nécessaire  la 
subdivision  de  son  étude  en  trois  chapitres  : 


(0  On  verra  plus  loin  (chap.  n),  à  propos  des  origines  de  la  forme  Suite,  comment  le 
inoi  sonate  a  perdu  peu  à  peu  son  ancienne  acception  italienne:  «pièce  pour  instru- 
ment à  drchci.  • 


CLASSIFICATION  DES  FORMES  SYMPHONIQUES  n 

La  Sonate  pré-beethovénienne  (chap.  m),  comprenant  toutes  les 
origines  de  cette  forme  et  ses  états  successifs,  jusqu'à  l'avènement  de 
Beethoven  ; 

La  Sonate  de  Beethoven  (chap.  iv),  contenant  l'étude  de  Vidée  musi- 
cale, du  développement  et  de  toutes  les  innovations  introduites  par 
Beethoven  dans  la  forme  Sonate  ; 

La  Sonate  cyclique  (chap.  v),  modification  ultérieure  de  la  forme 
Sonate  sous  l'influence  du  génie  beethovénien,  et  élaboration  de 
la/orme  c/c//^«e  proprement  dite,  réalisée  par  César  Franck. 

Enfin,  la  Variation  (chap.  vi),  dont  l'étude  termine  cette  première 
partie  de  notre  Deuxième  Livre,  constitue  une  forme  véritable,  issue  de 
la  Suite  également,  et  destinée  comme  les  précédentes  à  un  instrument 
récitant  (seul  ou  accompagné)  ;  elle  consiste  en  une  succession  logique 
d'expositions  intégrales  d'un  même  thème,  offrant  chaque  fois  un 
aspect  rythmique,  mélodique  ou  harmonique  différent,  sans  cesser 
d'être  reconnaissable. 

La  caractéristique  commune  à  toutes  les  formes  instrumentales 
qu'on  vient  de  définir,  c'est  Vunité  de  Vinstrument  récitant.  Soit  qu'il 
réalise  à  lui  seul  toute  la  polyphonie  (comme  dans  la  Fugue  d'orgue  ou 
de  clavecin),  soit  qu'il  s'accompagne  lui-même  (comme  dans  la  Suite, 
la  Sonate  ou  la  Variation  pour  orgue,  clavecin  ou  piano),  soit  qu'il 
dialogue  avec  l'instrument  accompagnateur  (comme  dans  la  Sonate  de 
violon  et  piano,  etc.),  l'instrument  récitant  y  est  toujours  seul  (i).  Il 
n'en  sera  plus  de  même  pour  les  formes  issues  plus  spécialement  du 
Madrigal  accompagné,  qui  feront  l'objet  de  la  seconde  partie  de  ce 
livre,  parce  qu'elles  nécessitent  la  connaissance  préalable  de  Vinstru- 
mentalion.  Les  divers  chapitres  de  cette  seconde  partie  seront  consa- 
crés : 

A  I'Orchestrk  et  à  I'Instrumentation  ; 

Aux  principales  formes  qui  descendent  du  Madrigal  accompagné 
(Concerto,  Symphonie  proprement  dite.  Musique  de  chambre)  ; 

Aux  formes  instrumentales,  qui  participent  à  la  fois  de  la  Symphonie 
et    du    Drame     (Ouverture,    Poème    symphomque.    Fantaisie,    Pièces 

DÉTACHÉES,  etc). 


^i)  La  Sonate  pour  deux  violons  et  clavecin  ne  constitue  pas  une  exception  :  elle  est  faite 
pour  une  sei</e  sorte  d'instrument  récitant:  le  violon,  et  diffère  totalement  du  fn'o,  pour 
trois  instruments  différents. 


la  INTRODUCTION 

Quant  aux  formes  plus  particulièrement  dramatiques  (Opéra,  Drame, 
Oratorio,  etc.),  elles  seront  étudiées  dans  le  Troisième  Livre  du  Cours 
DE  Composition. 

La  classification  des  formes  musicales,  dont  on  vient  de  parcourir 
rapidement  les  grandes  lignes,  peut  se  grouper  synoptiquement  dans 
l'ordre  du  tableau  ci-contre,  dont  la  lecture  doit  se  faire  : 

1°  pour  la  division  technique^  en  tenant  compte  des  deux  grandes 
flèches  extérieures  qui  se  rapportent  respectivement  au  Rythme  du  Geste 
et  3M  Rythme  de  la  Parole  ; 

2"  pour  la  succession  historique^  en  partant  du  centre,  pour  rayon- 
ner vers  la  périphérie. 

Ces  deux  points  de  vue  différents  fourniront  à  chaque  chapitre  une 
division  uniforme  en  deux  sections  ; 

1°  la  section  technique  comprenant,  pour  chaque  forme,  les  défini- 
tions, les  origines,  les  éléments,  et  quelques  considérations  générales; 

2°  la  section  historique^  faisant  connaître  la  biographie  sommaire 
des  auteurs  et  la  nomenclature  de  leurs  œuvres  affectant  la  forme  qui 
fait  l'objet  du  chapitre,  avec  l'analyse  de  celles  qui  contiennent  des 
particularités  intéressantes,  sous  le  rapport  de  la  structure  thématique 
et  tonale  (i). 

Toute  analyse  des  éléments  qui  composent  une  œuvre  musicale,  toute 
synthèse  du  plan  qui  les  coordonne,  révèle  et  confirme  en  effet  l'impor- 
tance capitale  et  la  parfaite  constance  des  lois  de  la  Tonalité  et  de  la 
Construction  ;  lois  primordiales  et  immuables,  auxquelles  chaque  œuvre 
géniale  apporta,  au  cours  des  siècles,  une  clarté  plus  vive  et  une 
vérification  plus  haute,  sans  qu'aucune  atteinte  ait  jamais  ébranlé 
jusqu'ici  leur  équilibre  impérissable.  • 


(i)  La  préparation  et  la  rédaction  de  la  section  technique  de  chaque  chapitre  ont  été 
confiées  à  notre  collaborateur  M.  Auguste  Sérieyx,  —  l'auteur  s'étant  réservé  tout  ce  qui 
concerne  la  section  hisioriq^ue.  —  V.  I. 


CLASSIFICATION  DES  FORMES  SYMPHONIQUES 


I? 


•.^^»«^^__ 


Formes 
d'origine 

DRAMATIQUE 
issues  du 

RYTHME  de  la  PAROLE 


SYMPHONIQUE 
issues    du 

RYTHME     du     GESTE 


ZOSE 

d'influence 

J^  commune 

au 

Hi/thuie  du  Geste 

et  au 

Rifthme  delà  Parole 


CCCCICCCCCCCC 


,4  INTRODUCTION 

III 
La  Composition  Musicale  et  la  Construction  Architecturale. 


«  Composer,  c'est  ordonner  des  éléments  inégaux  ;  et  la  première 
«  chose  à  faire  en  commençant  une  composition,  c'est  de  déterminer 
«  quel  en  sera  Télément  principal.  L'ensemble  de  tout  ce  qu'on  a  écrit 
«  ou  enseigné  sur  la  proportion  ne  vaut  pas,  à  mon  avis,  pour  un 
«  architecte,  cette  règle  unique  et  indiscutable  :  Aye^  un  grand  motif 
«  avec  d'autres  plus  petits^  ou  bien  un  élément  principal  avec  d'autres 
«  secondaires,  et  reliei-les  bien  enti-e  eux.  Parfois,  cela  produit  une 
«  gradation  régulière,  comme  celle  de  la  hauteur  des  étages  dans  les 
«  maisons  bien  construites  ;  d'autres  fois,  on  dirait  un  monarque  avec 
«  une  suite  plus  humble  :  par  exemple,  une  flèche  au  milieu  de  ses 
«  clochetons.  Les  arrangements  varient  à  l'infini,  mais  la  loi  demeure 
«  universelle  :  Que  quelque  chose  domine  tout  le  reste,  soit  par  sa  gran- 
«  deur,  soit  par  sa  fonction,  soit  par  son  intérêt  (i).  » 

Cette  magistrale  définition,  appliquée  par  Ruskin  à  l'architecture,  est 
aussi  bien  celle  de  toute  composition  artistique,  et,  plus  encore  peut- 
être,  celle  de  la  composition  musicale.  Nous  avons  signalé  déjà,  en  effet, 
entre  la  musique  et  l'architecture  une  affinité  caractéristique,  une 
analogie  frappante  (2)  souvent  constatée  d  ailleurs  par  divers  artistes, 
et  surtout  par  certains  philosophes,  comme  par  exemple  l'Allemand 
Hegel  : 

«  L'architecture,  dit-il  (3),  n'emprunte  pas,  comme  la  peinture  ou  la 
«  sculpture,  ses  formes  à  la  réalité  telle  qu'elle  s'offre  dans  la  nature, 
«  elle  les  tire  de  l'imagination  pour  les  façonner  à  la  fois  d'après  les  lois 
«  de  la  pesanteur  et  d'après  les  règles  de  S3aiiétrie  et  d'eurythmie. 

«  De  même  la  musique,  non  seulement  dans  le  retour  des  thèmes  et 
«  des  rythmes,  mais  dans  les  modifications  qu'elle  fait  subir  aux  sons 
«  eux-mêmes,  introduit  de  diverses  façons  les  formes  de  l'eurythmie 
«  et  de  la  symétrie. 


(i)  John  Ruskin  :  «  The  seven  lamps  of  Architecture.  » 

(3)  Voir  I"  livre,  Introduction,  p.  17,  eichap.  xii,p.  211   et  suiv. 

(3)  Hegel  :  Système  des  Beaux-Arts, 


LA  COMPOSITION  ET  LA  CONSTRUCTION  t; 

«  C'est  particulièrement  dans  la  séparation  de  la  musique  avec  la 
«  poésie  que  celle-là  prend  un  caractère  architectonique  ;  alors  elle  se 
«  met  à  construire  pour  elle-même  tout  un  édifice  de  sons  musicale- 
«  ment  régulier.  » 

L'auteur  ne  pouvait  désigner  plus  clairement  ce  que  nous  avons 
appelé  le  genre  symphonique,  celui  qui,  plus  que  tout  autre,  obéit  aux 
mêmes  principes  que  Tarchitecture. 

La  plupart  des  qualités  constructives,  nécessaires  à  l'architecte,  se 
retrouvent  en  effet  chez  le  symphoniste  :  elles  se  développent,  chez 
l'un  et  chez  l'autre,  par  des  procédés  à  peu  près  identiques.  Seule, 
l'application  diffère;  encore  cette  différence  entre  l'édifice  matériel  et 
l'édifice  sonore  est-elle  moins  profonde  en  réalité  qu'on  ne  le  croit 
communément. 

Toute  construction  artistique,  de  quelque  nature  qu'elle  soit,  ne 
consiste-t-elle  pas  en  une  combinaison  harmonieuse  d'éléments  inégaux, 
mais  compatibles,  ordonnés  suivant  un  plan  logique? 

Savoir  construire^  telle  est  en  définitive  la  connaissance  indispen- 
sable à  tout  compositeur  de  musique  digne  de  ce  nom.  On  croit  trop 
facilement  que  les  études  d'harmonie,  de  contrepoint  et  de  fugue,  voire 
d'instrumentation,  constituent  à  elles  seules  un  bagage  suffisant  : 
fâcheuse  erreur  qui  attribue  aux  outils  la  singulière  vertu  de  conférer  à 
l'ouvrier  qui  les  possède  la  capacité  de  s'en  bien  servir  ! 

Certes,  nous  ne  nierons  pas  l'utilité  de  ces  études,  mais  seulement  à 
titre  de  préparation,  d'introduction  à  l'art  de  la  composition.  Contra- 
pontiste  impeccable,  fuguiste  habile,  orchestrateur  de  premier  ordre, 
vous  ne  save^  pas  pour  cela  votre  art  :  vous  êtes  apte  à  l'apprendre. 
Vous  connaissez  plus  ou  moins  l'usage  pratique  de  ces  redoutables 
engins,  vous  n'avez  ni  l'expérience  ni  le  discernement  nécessaires  à  leur 
judicieux  emploi. 

Cette  expérience  et  ce  discernement  sont  les  fruits  d'un  long  travail 
qui  devrait  commencer  seulement  lorsque  prennent  fin  ces  études 
préparatoires. 

Ainsi,  en  toute  sorte  d'art,  faudrait-il,  avant  de  produire  une  œuvre, 
avoir  pratiqué  comme  un  simple  apprenti  toutes  les  opérations  qui  s'y 
rattachent,  depuis  la  plus  vulgaire  et  la  plus  simple,  jusqu'à  la  plus 
ratiînée  et  la  plus  complexe.  Tels,  ces    admirables  artistes  du    moyen 


!6  INTRODUCTION 

âge,  que  nous  avons  cités  déjà  comme  modèles  :  ces  peintres  qui  savaient 
broyer  et  composer  leurs  couleurs,  ces  sculpteurs  qui  taillaient  eux- 
mêmes  leurs  blocs,  ces  architectes  qui  dosaient  eux-mêmes  leurs 
ciments,  ces  maîtres  enfin,  qui,  naguère  disciples  obscurs,  avaient  su 
attendre  ^et  mériter  cette  dignité  éminente,  au  prix  d'une  longue 
expérience,  acquise  patiemment  dans  les  plus  humbles  emplois  (i). 

Une  telle  lenteur  dans  les  études,  une  telle  minutie  dans  Télaboration 
des  matériaux,  sont  incompatibles  avec  nos  mœurs  contemporaines. 
Notre  activité  fiévreuse  nous  entraîne  presque  fatalement  à  la  pro- 
duction prématurée.  Est-ce  bien  là  un  progrès,  et  pouvons-nous 
sincèrement  accorder  ce  nom  à  la  hâte  maladive  qui  prive  tant  d'œuvres 
artistiques  de  leur  principale  garantie  de  durée  et  de  solidité  ? 

Sans  prétendre  revenir  aux  errements  des  siècles  passés,  il  serait 
sage,  et  dans  tous  les  arts,  croyons-nous,  de  réagir  contre  une  précipi- 
tation exagérée  à  notre  sens  ;  tout  au  moins  pourrait-on  s'efforcer  d'en 
atténuer  les  déplorables  effets,  par  une  connaissance  plus  éclairée  et 
mieux  entendue  des  œuvres  de  nos  devanciers. 

Que  nous  le  voulions  ou  non,  nous  leur  succédons,  nous  procédons 
d'eux,  nous  sommes  appelés  à  les  continuer,  comme  se  continuent  les 
générations  successives  d'une  même  famille  et  d'une  même  patrie,  par 
l  effet  de  cette  puissance  supérieure:  la  Tradition  vengeresse,  que  nul 
ne  peut  violer  impunément,  l'histoire  contemporaine  de  la  France  en 
fait  foi  plus  encore,  peut-être,  que  celle  des  autres  nations. 

Loin  de  nous  la  pensée  de  condamner  par  avance  toute  innovation, 
sous  le  fallacieux  prétexte  que  «  cela  ne  s'est  jamais  fait  ».  Une  telle 
attitude  ne  tendrait  à  rien  de  moins  qu'à  la  glorification  de  la  routine, 
cette  tradition  des  sots. 

Mais  il  faut  pourtant  bien  reconnaître  que  les  innovations  sont 
d'autant  moins  heureuses  qu'elles  procèdent  davantage  de  l'esprit  de 
révolte,  ou  de  l'orgueilleuse  recherche  de  l'originalité  à  tout  prix. 

Rien  n'est  moins  original  au  contraire  que  la  révolte  et  l'orgueil  ; 
et  cette  admirable  page  de  Ruskin,  que  nous  citons  ici  pour  conclure, 
en  offre  un  éclatant  témoignage.  Les  chercheurs  d'originalité  à  ou- 
trance pourraient  y  trouver  sans  doute  un  salutaire  sujet  de  réflexion: 


(i)  Voir  I  f  livre,  Introduction,  p.  14,  en  note. 


LA  COMPOSITION  ET  LA  CONSTRUCTION  17 

«  L'originalité  d'une  expression  ne  dépend  pas  de  la  découverte  de 
«  nouveaux  mots  ;  pas  plus  que  l'originalité  d'un  poème  ne  consiste  en 
«  quelque  innovation  de  la  métrique,  ni  celle  d'une  peinture  dans 
«  l'invention  de  nouvelles  couleurs  ou  d'une  nouvelle  manière  de  les 
«  employer.  Il  y  a  longtemps  que  les  accords  musicaux,  les  harmonies 
«  de  couleur,  les  principes  généraux  pour  la  disposition  des  masses 
«  sculpturales  sont  déterminés  :  et  l'on  n'y  peut  très  probablement  rien 
«  ajouter,  ni  même  rien  changer... 

«  L'originalité  ne  dépend  en  aucune  façon  de  tout  cela.  Qu'un  homme 
«  de  génie  prenne  n'importe  quel  style,  le  style  de  son  époque,  et 
«  qu'il  s'en  serve  :  il  y  excellera,  et  chacune  de  ses  œuvres  semblera 
«  aussi  fraîche  que  si  toutes  ses  inspirations  lui  étaient  venues  du  ciel. 
«  Je  ne  prétends  pas  qu'il  abdique  toute  autonomie,  vis-à-vis  de  la 
«  matière  et  de  ses  lois,  qu'il  se  garde  d'y  introduire,  par  son  effort  et 
«  son  imagination,  de  surprenantes  modifications.  Mais  je  dis  que  ces 
<(  modifications  seront  toujours  instructives,  naturelles,  faciles,  encore 
«  que  merveilleuses  parfois,  sans  j'aînais  être  recherchées  par  l'auteur 
«  comme  des  marques  indispensables  à  sa  dignité  et  à  son  indépen- 
<(  dance... 

«  L'originalité  et  la  nouveauté,  dans  les  cas  où  elles  sont  bonnes  — 
«  et  il  est  toujours  plus  charitable  de  les  supposer  telles  —  ne  doivent 
«  jamais  être  recherchées  pour  elles-mêmes,  ni  obtenues  par  une  lutte 
«  et  une  rébellion  contre  les  lois  communes.  Du  reste,  ni  l'une  ni 
«  l'autre  ne  nous  sont  nécessaires... 

«  Ce  que  j'ai  dit  de  l'architecture  doit  s'entendre  de  toute  espèce 
«  d'art  ;  car  je  considère  l'architecture  comme  l'origine  des  arts  :  tous 
<(  les  autres  en  procèdent  successivement  et  hiéi-aicliiquement  (i).  » 


(1)  John  Ruskin  :  op.  cit. 


«^Ot'nS    DE    COMPOSITION.    —    T.    II,     I  . 


LA   FUGUE 


Technique.  —  i.  Définitions.  —  2.  Origines  de  la  Fugue.  —  3.  Les  canons  et  les  Ricercari', 
—  4.  Eléments  rythmiques  de  la  Fugue  :  Imitation;  Canon;  Marciie.  —  5.  Eléments  mélo 
diques  de  la  Fugue  :  le  Sujet  ;  la  Réponse  et  la  Mutation  ;  le  Contresujet.  —  6.  Eléments 
harmoniques  de  la  Fugue  :  la  Cadence  ;  l'Ordre  tonal  des  Expositions  dans  les  Fugues 
majeures  et  mineures  ;  les  Épisodes;  les  Pédales;  les  Slrettes.  —  7.  La  forme  «  Prélude  et 
Fugue  »  ;  son  rôle  dans  la  musique  symphonique. 

Historique.  — 8.  Divisions  de  l'Histoire  de  la  Fugue.  —  9.  Période  primitive  :  Italiens  et 
Espagnols  ;  Anglais  et  Allemands  ;  Français.  —  10.  Période  de  floraison:  J.-S.  Bach. — 
II.  Période  moderne. 


TECHNIQUE 

I.  DÉFINITIONS. 

La  Fugue  est  une  composition  polyphonique,  écrite  en  style  contre- 
pointe,  sur  un  thème  unique  ou  sujet,  exposé  successivement  dans  un 
ordre  tonal  déterminé  par  la  loi  des  cadences  (i). 

Le  Style  contrepointé  repose  principalement  sur  Vlmitation,  c'est-à- 
dire  sur  la  reproduction  successive  des  mêmes  dessins  r3''thmiques  ou 
mélodiques,  par  deux  ou  plusieurs  voix  différentes,  sur  les  divers 
degrés  de  la  gamme. 

L'Imitation  rigoureuse  d'un  dessin  donné  prend  le  nom  de  Canon. 
L'écriture  en  imitations  et  en  Canon  a  donné  naissance  aux  premières 
formes  du  Contrepoint  vocal,  et  notamment  au  Motet ^  que  nous  avons 
étudié  précédemment  (2). 

C'est  du  Motet  et  des  formes  similaires  que  la  Fugue  tire  son  origine. 


(i)  Rameau  a  donné  en  son  temps  une  définition  de  la  Fugue,  qui  peut  avec  quelque  raison 
être  jugée  aujourd'hui  un  peu  imprécise,  bien  qu'elle  se  rattache  aussi  à  l'idée  d'imita- 
tion: «  La  Fugue,  dit-il,  de  même  que  l'imitation,  consiste  en  une  certaine  suite  de  chants 
que  l'on  fait  répéter  à  son  gré,  mais  avec  plus  de  circonspection  que  l'imitation,  et  suivant 
certaines  règles    » 

(2)  Voir  ler  livre,  chap.  x. 


LA  FUGUE 


Elle  réalise  dans  Tordre  symphonique  le  type  unitaire  le  plus  complet, 
parce  qu'elle  est,  par  définition,  monothématiqiie  et  iinitoniqiie. 


2.   ORIGINES  DE  LA  FUGUE, 


Le  principe  des  différenciations  successives,  qui  préside  aux  filia- 
tions zoologiques,  peut  s'appliquer  également,  comme  on  l'a  vu  dans 
l'introduction  qui  précède,  aux  filiations  des  formes  musicales.  Chez 
celles-ci,  comme  chez  tout  être  organisé,  les  antécédences  qui  concou- 
rent à  l'élaboration  d'un  tj'pe  nouveau  sont  multiples  ;  et  chaque  type 
n'est  le  plus  souvent  qu'une  résultante  de  toutes  les  formes  préexistantes. 

Ainsi,  la  Fugue,  la  plus  importante  des  formes  nouvelles  qui  se  ren- 
contrentdans  la  musique  symphonique  au  début  de  la  troisième  époque, 
procède  de  chacune  des  deux  grandes  formes  qui  résument  l'époque 
polyphonique  :  le  Motel  et  le  Madrigal.  Au  Motet,  elle  emprunte 
l'écriture  contrapontique,  les  entrées  successives  à  la  tonique  et  à  la 
dominante,  l'unité  tonale  et  divers  autres  caractères  fondamentaux  ; 
tandis  que  seul,  l'usage  des  instruments  substitués  aux  voix  (modifi- 
cation extrinsèque,  souvent  postérieure,  c'est-à-dire  étrangère  à  la 
contexture  musicale  de  fa  Fugue),  paraît  dû  à  une  influence  du  Madri- 
gal accompagné,  devenu  postérieurement,  lui  aussi,  Madrigal  pour 
instruments  seuls. 

On  le  voit,  la  répartition  des  signes  originels  est  ici  très  inégale  :  et 
si  l'on  veut  jeter  quelque  lumière  sur  cette  formation  d'un  type  musi- 
cal, presque  aussi  complexe  que  celle  des  types  humains,  il  faut  consi- 
dérer la  Fugue  comme  fille  du  Motet,  puisqu'elle  lui  doit  sans  conteste 
ses  éléments  essentiels. 

Par  l'effet  de  cette  espèce  de  «  tradition  de  famille  »,  l'usage  de  la 
Fugue  vocale  s'est  maintenu  fort  longtemps  dans  les  Oratorios  et  les 
Messes  la  Fugue  instrumentale  elle-même  a  souvent  conservé,  par 
analogie,  une  allure  religieuse,  avant  de  tomber  dans  l'état  de  honteuse 
déchéance  où  nous  la  voyons  aujourd'hui.  Le  Madrigal,  au  contraire, 
par  sa  destination  profane  et  mondaine,  devait,  malgré  les  attaches  qui 
le  relièrent  d'abord  au  Motet,  tendre  à  s'en  écarter  de  plus  en  plus,  dans 
ses  transformations  aussi  bien  que  dans  sa  nombreuse  descendance. 

Ainsi  se  retrouvent,  même  dans  l'orientation  des  premiers  genres 
symphoniques,  les  deux  voies  divergentes  précédemment  signalées,  les 
deux  grands  courants  opposés  qui  se  sont  partagé  l'art  musical  depuis 
ses  origines:  le  genre   sacré  et  le  genre  profane  ;   la  parole  et  le  geste. 

Toutefois,  la  substitution  des  instruments  aux  voix  dans  la  Fugue  ne 
pouvait  s'opérer  sans  faire  disparaître  progressivement  l'élément  dra- 
matique, auquel  elle  devait  en  grande  partie  son  existence.  Rejeté  hors 


ORIGINES  sa 

de  la  Fugue,  cet  élément  se  reporta  tout  entier,  par  un  jeu  naturel  de 
l'équilibre  des  forces,  sur  le  Madrigal,  qu'il  lit  littéralement  éclater  en 
deux  parties,  comme  il  arrive  dans  un  obstacle  de  grande  étendue  lors- 
qu'une poussée  violente  s'exerce  sur  un  seul  point.  De  là,  cette  scission 
féconde,  qui  donna  naissance  d'une  part  au  Madrigal  dramatique, 
ancêtre  commun  de  toutes  les  formes  que  nous  étudierons  dans  le 
Troisième  Livre  de  cet  ouvrage,  et  de  l'autre  au  Madrigal  accompagné, 
le  seul  qui  nous  interesse  présentement,  en  tant  que  fondateur  de  cette 
grande  lignée  symphonique  qui  comprend  tous  les  genres  connus,  la 
Fugue  exceptée. 

Cette  situation  particulière  de  la  Fugue,  forme  symphonique,  deve- 
nue purement  instrumentale,  et  soumise  par  cela  même  aux  lois  du 
geste  rythmé  ou  de  la  danse,  en  dépit  de  sa  première  origine  exclusive- 
ment expressive  des  paroles,  donc  dramatique,  explique  peut-être  la 
stérilité  relative  à  laquelle  fut  vouée  cette  forme,  restée  sans  descen- 
dance directe  dans  l'ordre  symphonique,  sur  lequel  elle  n'a  cessé 
pourtant  d'exercer  une  influence  latente,  dont  nous  constaterons  sou- 
vent les  effets. 

La  Fugue  doit  donc  être  examinée  ici  séparément  et  préalablement 
à  toutes  les  autres  formes,  avec  lesquelles  elle  ne  doit  point  être  con- 
fondue. Chacune  de  celles-ci,  en  effet  (Suite,  Sonate,  etc),  procède 
plus  ou  moins  du  Madrigal,  et  suit,  par  conséquent,  une  orientation 
qu'on  peut  avec  quelque  raison  considérer  comme  diamétralement 
opposée  à  celle  de  la  Fugue,  issue  directement  du  Motet.  (Voir  la 
figure,  p.  i3.) 

Ainsi,  le  principe  premier  de  la  Fougue,  comme  celui  du  Motet, 
réside  dans  le  fait  mêmede  la  superposition  polyphonique  des  parties. On 
a  vu  (i)  comment  l'accommodation  instinctive  des  chants  aux  diverses 
étendues  des  voix  eut  pour  effet  la  transposition  des  mélodies  aux 
intervalles  les  plus  simples,  Voctai'e  d'abord  (rapport  de  i  à  2),  puis  la 
quiîite  {rapport  de  i  ou  de  2  à  3),  et  donna  naissance  peu  à  peu  aux 
formes  rudimentaires  qui  eurent  nom  Diaphonie  et  Déchant.  Dès 
que  les  mélodies  ainsi  juxtaposées  commencent  à  s'individualiser,  elles 
obéissent  au  besoin  inné  d'imitation,  qui,  dès  notre  première  enfance, 
régit  presque  tous  nos  actes,  surtout  en  ce  qui  concerne  l'élaboration 
mystérieuse  du  langage. 

Pourquoi,  en  effet,  deux  ou  plusieurs  voix  qui  chantent  ne  procéde- 
raient-elles pas  comme  des  voix  qui  parlent?  la  Musique  n'est-elle  pas 
aussi  un  langage,  un  échange  perpétuel  d'idées,  de  demandes  et  de 
réponses,  à   l'aide  de   formules  ?  et  que   sont  donc    ces    réapparitions 

(i)  Voir  1"  livre,  p.  92  et  suiv. 


aa  LA  FUGUE 

successives  de  motifs  identiques  ou  analogues  dans  différentes  lignes 
mélodiques,  sinon  le  principe  même  d'Imitation  appliqué  au  langage 
musical  (i)  ? 

Ici,  comme  dans  le  langage  articulé,  l'Imitation  revêt  une  infinité 
d'aspects  :  de  même  que  des  interlocuteurs  parlent  sur  des  intonations 
diverses,  ou  avec  des  vitesses  variables,  ainsi  l'Imitation  a  lieu  sur 
différents  degrés  de  l'échelle  tonale,  ou  avec  des  valeurs  de  temps  plus 
brèves  ou  plus  longues  ;  Je  même  qu'au  cours  d'une  conversation  la 
même  idée  reparaît,  tantôt  sous  sa  forme  primitive,  tantôt  sous  une 
forme  altérée  ou  contradictoire,  ainsi  le  motif  proposé  est  imité  textuel- 
lement ou  en  forme  variée,  inverse  ou  rétrograde,  etc.  Et  par  là  se 
vérifie  une  fois  de  plus  le  parallèle  établi  plusieurs  fois  déjà  entre  le 
langage  et  la  musique,  notamment  à  propos  de  l'accent  (2),  principe 
indéniable  de  toute  mélodie. 

3.  LES  CANONS  ET  LES  RICERCARI  . 

Introduite  dans  la  musique  presque  en  même  temps  que  la  pol3'pho- 
nie,  l'Imitation  y  affecte  d'abord  des  formes  simples,  dont  nous  avons 
suivi  l'épanouissement  dans  les  motets.  Mais  elle  devient  plus  servile  et 
plus  stable  en  perdant  l'élément  expressif  et  libre  des  paroles  ;  et  c'est 
surtout  dans  les  premières  formes  instrumentales,  asservies  déjà  à  la 
mesure,  que  les  principes  d'Imitation  dialoguée,  appliqués,  dit-on,  aux 
voix  depuis  le  milieu  du  xv*  siècle  par  Okeghem  et  ses  successeurs  (3), 
prennent  toute  la  rigueur  d'une  loi  inflexible,  d'un  Canon  au  sens 
étymologique  du  mot. 

Vers  cette  époque,  le  Canon  apparaît  en  effet  sous  forme  de  pièce 
polyphonique  indépendante  (vocale  d'abord,  et  plus  tard  instrumen- 
tale) dans  laquelle  le  thème  proposé  par  une  partie  dite  antécédent  est 
imité  ensuite  par  toutes  les  autres  dites  conséquents^  suivant  un  ordre 
et  à  des  intervalles  déterminés. 

Les  procédés  d'Imitation  appliqués  au  Canon  lui  donnent  une  foule 
d'aspects  différents,  qu'on  peut  ramener  à  sept  types  généraux: 

1°  Le  Canon  direct  ou  droit,  par  simple  imitation  rigoureuse  de  l'an- 
técédent, à  Vunisson,  à  Voctape,  à  la  quinte  et  même  à  d'autres  inter- 
valles. Ce  Canon  peut  lui-même  être  simple,  double,  triple,  etc.,  sui- 
vant le  nombre  des  antécédents  exposés. 


(i)  L'exemple  de  déchant   déjà  cité  (voir  l«f  livre,  p.  144)  offre,  entre  le  conlra-temr  et  la 
bas^e,  un  embryon  d'imitation  sur  les  degrés  :  ut,  ré,  mi. 

(2)  Voir  I^r  livre,  p.  29  et  suiv.,  p.  49  et  suiv.,  etc. 

(3)  Voir  l"  livre,  p.  154. 


LES  CANONS  ET  LES  RICERCARI 


23 


Exemples  d.'  Canons  directs,  à  différents  intervalles 

Canon  à  V octave  (J.  Titelouze)  th.  du  Vent  Creator 
Conséquent, 


Canon  à  lV«iv.wn(j.  9.  Bach)   Ana  con  30  Vanaztont 


f\  u     Anteceaeni^, 


wfTfr 


« 


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Conséquent 


f   £££10  r 


B.c 


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ffif  f ,  ff\ 


jj"j  -rp  j-j  -j  ij^. 


s 


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•'  ^Lm/C>^'  ^^ 


^^^ 


=?=T 


Canon  à  la  quinte  (J.  S.  Bach)  Fu^a  canonica  tn  epidiapente  (}fusika/ische  Opfer) 

Antécédent 


24 


LA  FUGUE 


t=S^ 


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Conséquent 


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Wi  Iïirc.rr»rn 


-^j  <  r  V  '^^ 


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s 


^^ 


Canon  à  la  neuvième  (Pr  W    Rusl)  Sonate  en  6V  p    piano  (1794) 
Anl. 


LES  CANONS  KT  LES  TilCEHCARl 


»5 


2°  Le  Canon  inverse,  renversé  ou  par  mouvement  contraire,  dans  lequel 
Te  conséquent,  au  lieu  de  reproduire  l'antécédent  dans  sa  forme  primi- 
tive, opère  un  changement  de  sens  sur  tous  les  intervalles  mélodi- 
ques qui  le  composent  :  à  chaque  intervalle  ascendant  de  l'antécédent, 
il  est  répondu  dans  le  conséquent  par  l'intervalle  analogue  descendant, 
et  réciproquement.  La  ligne  mélodique  ainsi  obtenue  est  en  quelque 
sorte  l'image  de  la  première,  vue  dans  un  miroir  horizontal,  où  les 
notes  apparaîtraient  d'autant  plus  basses  qu'elles  sont  plus  hautes  dans 
l'antécédent,  et  réciproquement  : 


Antécédent 

Miroir  horizontal  (fin  \>TO\eci\ox^:///inii!i/riiinniniii/i/itnniiniii)iii!ini!i!iiiii!!i!nni;ir/rrr 

Conséquent, ou  image      g^       _  »  "i  *l^  *^  ^  ^" 
de  rantérédent,\'ue  par 
mouvement  contraire  • 


Exemple  de  Canon  par  mouvement  contraire 

Tfiemn  reqium       ^  ^ 


(J.S.Bach' 
(Mustkdli. 
sche  Op/'eij 


Cons 


ver  motum  contt  lUiuiii 


^ 


t'  'r    °r 


Il  est  clair  que  cette  opération  du  mouvement  contraire  demeure 
assez  approximative,  lorsqu'on  la  pratique  seulement  sur  les  degrés  de 
la  portée,  puisque  ces  degrés,  invariables  pour  l'œil,  représentent  pour 
l'oreille  des  intervalles  variables  (un  demi-ton,  un  ton,  ou  même  par- 
fois un  ton  et  demi).  Appliqué  à  un  thème  quelconque,  pris  comme 
antécédent,  ce  procédé  peut  donc  fournir,  suivant  la  place  de  la  clé   et 


26 


LA  FUGUE 


des  signes  d'altération  emplo3^és  dans  le  conséquent,  des  résultats  très 
divers,  et  plus  ou  moins  utilisables  musicalement.  (Voir  ci-dessus, 
p,  2  5,  la  réalisation  du  canon  proposé  comme  exemple.) 

Distinction  entre  le  mouvement  contraire  et  l'inversion  proprement 
dite.  —  La  plupart  des  anciens  auteurs  de  Canons  ou  de  Fugues  se  sont 
assez  peu  préoccupés  de  cette  déformation  introduite  dans  un  thème 
donné  par  l'application  du  mouvement  co7it?'aire,  en  raison  de  l'inégale 
répartition  des  tons  et  des  demi-tons  de  la  gamme,  figurés  par  les 
degrés  de  la  portée  ;  ils  se  sont  contentés  de  cette  opération  faite  «  poui 
l'œil  ».  Toutefois,  afin  d'en  restreindre  les  inconvénients,  ils  ont  presque 
toujours  fait  choix,  dans  la  pratique,  de  thèmes  appartenant  à  l'échelle 
modale  dite  gamme  mineui^e  harmonique,  avec  altération  ascendante 
du  septième  degré. 

On  peut,  en  effet,  réduire  mélodiquement  les  intervalles  de  cette 
gamme  à  une  quinte  ascendante  (tonique-dominante)  avec  broderie 
de  la  tonique  par  le  demi-ton  inférieur,  broderie  de  la  dominante  par 
le  demi-ton  supérieur,  et  avec  les  degrés  diatoniques  intermédiaires 
entre  ces  deux  fonctions  : 


^) 


^         Il      Degrés     || 
Tonique  WM/evmkdàBàT&sW Dcyminante 


:Q|i 


33: 


Broderie  ' 
inférieure ■ 
à  t^  ton    : 


AXE 


xr 


33: 


Broderie 

supérieure 

à  y^  ton 


en  permutant,  dans  les  limites  de  cette  quinte,  la  fonction  de  tonique 
avec  ce'.le  de  dominante  y  compris  leurs  broderies  respectives),  et  en 
les  réunissant  comme  précédemment  par  leurs  degrés  intermédiaires, 
on  construit  une  autre  éjhjlle,  qui  paraît  être  exactement  l'inverse  de 
la  première  : 


b) 


Wcnninante 
baz±3iz: 


Degrés 
intermédiaires 


Tonique 


Broderie 
\  supérieure 
;    à  U  ton 


3^:^^=3x 


AXE 


Broderie 

inférieure 

a  Xi^,  '^" 


l'équivoque  bien  connue  de  la  seconde  augmentée  avec  la  tierce  mineure 
(ou  de  la  septième  diminuée  avec  la  sixte  majeure)  permet  même  de 


LES  CANONS  ET  LES  RICERCARl  37 

faire  entendre,  en  contrepoint  strict,  chacun  des  degrés  de  l'une  de  ces 
deux  échelles,  simultanément  avec  le  degré  correspondant  de  l'autre. 

Tel  est  le  mécanisme  du  procédé  qu'on  applique  le  plus  souvent  aux 
thèmes  de  mode  mineur  vulgaire,  sous  le  nom  de  mouvement  cotilT-aire. 
11  consiste  à  se  servir  de  la  note  médiante  comme  d'un  axe  immobile, 
autour  duquel  les  autres  notes  de  la  gamme  effectuent  une  sorte  de  per- 
mutation circulaire  : 

Sols  est  remplacé  par  Fa,  et  réciproquement, 
La  —  —    Mi,  — 

Si  _  _     7?e,  — 

Ut  ne  varie   pas. 

Or,  en  attribuant  arbitrairement  à  cette  médiante  [ut)  caractéristique 
du  jnode^  le  rôle  de  pivot  ou  d'axe  fixe,  on  ôte  toute  exactitude  à  l'in- 
version des  intervalles  qui  en  dépendent.  On  ne  peut  pas  plus  consi- 
dérer comme  équivalentes,  en  effet,  la  seconde  mineure  descendante 
ut-si,  fig.  b)  et  la  seconde  majeure  ascendante  [ut-ré,  fig.  a),  que  les 
tierces  {ut-la,  et  ut-mi),  ou  les  quartes  {ut-sol  :; ,  et  ut-fa),  etc. 

Toutefois,  c'est  précisément  à  cette  irrégularité  que  la  plupart  des 
thèmes  mineurs  doivent  la  double  propriété  de  conserver  leur  modalité, 
lorsqu'ils  sont  transcrits  par  mouvement  contraire,  et  d'être,  en  outre, 
superposables  contrapontiquement  à  leur  forme  primitive  ;  ainsi 
s'explique  l'emploi  si  fréquent  de  ce  procédé  dans  la  polyphonie  ins- 
trumentale ou  vocale,  canonique  ou  fuguée. 

Quant  aux  thèmes  qui  contiennent  le  tétracorde  caractéristique  de  la 
gamme  dite  mineure  mélodique  (avec  altération  ascendante  du  sixième 
degré,  en  montant,  et  suppression,  en  descendant,  de  l'altération  du 
septième  degré),  il  est  clair  qu'ils  ne  participent  pas  aux  mêmes  avan- 
tages, car  le  fragment 

t[    D.  T. 


C)    z± 


jjit  l^o 


31: 


est  emprunté  au  mode  majeur,  en  montant  ; 

T 


^ 


C)        /^    ^     .%     0=^ 


tandis  que  le  fragment  descendant 
0       ifrrnrr 


-o- 


XE 


-O- 


38 


LA  FUGUE 


conserve  son  caractère  mineur,  sans  être  superposabie  aux  précédents. 
Il  en  est  de  même  pour  la  plupart  des  thèmes  majeurs  :  la  gamme 
majeure,  en  effet,  présentée  mélodiquement  sous  la  forme  d'une  quinte 
(tonique-dominante),  avec  ses  trois  degrés  intermédiaires  et  les  bro- 
deries de  ses  notes  extrêmes, 


A) 


Tonique 


Degrés 
intermédiaires 


33: 


ZSSl 


Broderie 

inférieure 

à  î^  ton 


AXE 


Dominante 


Broderie 

supérieure 

à  1  ton 


ne  supporte  pas  aussi  aisément  que  la  gamme  mineure  vulgaire  la 
permutation  des  deux  fonctions  principales  (tonique-dominante)  avec 
leurs  broderies,  car  celles-ci  ne  sont  ni  égales  ni  superposables  en 
contrepoint  strict  : 


B) 


DomiTiante 


Degrés 
Intermédiaires 


Tonique 


Broderie 

à  1  tOD 


AXE 


SU 


3i: 


Broderie 
à  1^  ton 


Pour  réaliser  cette  permutation,  il  faudrait  tout  au  moins  que  l'altéra- 
tion descendante  du  sixième  degré  (la  b.  fig.  A  et  B')  vînt  rétablir,  entre 
les  deux  broderies,  l'égalité  que  l'altérationascendante  du  septième  degré 
(sol  5 ,  fig.  a  et  b)  leur  avait  artificiellement  attribuée  en  mode  mineur  : 


A') 


Bl 


Tonique 


* 


Degrés 
intermédiaires 


i>   M    i^ 


Broderie 
à  '^  ton 


,\^ 


AXE 
3^ 


£t. 


IDomïnante 


Dominante 


Broderie 
à  t^  ton 


H     ^      "Kll 


Degrés       ii 
Intermédiaires!  I  Tonique 


LES  CANONS  ET  LES  hUCERCARl 


29 


Mais,  mcmc  dans  ce  dernier  cas,  la  médiante  (m/)  qui  sert  d'axe  ou 
de  pivot  (fig.  A'  et  ^'),  ne  serait  pas  meilleure  que  la  médiante  (ut)  du 
mode  mineur  (fig.  a  et/?),  la  seconde  mineure  ascendante  (mi-fa,  fig.  A') 
n'étant  pas  égale  à  la  seconde  majeure  descendante  [mi-7'é^  fig.  B'),  etc.' 

Toutefois,  cette  échelle  majeure  modifiée  par  l'altération  du  sixième 
degré  (la  b,  emprunté  au  mode  mineur,  fig.  A),  corrélative  de  celle  du 
septième  degré  [sol  s  ,  emprunté  au  mode  majeur,  fig.  b)^  offre  la  parti- 
cularité importante  de  reproduire  exactement,  mais  en  sens  inverse^  tous 
les  intervalles  qui  séparaient  les  degrés  correspondants  de  cette  gamme 
mineure  (fig.  b)  ;  de  même  que  le  fragment  descendant  de  la  gamme 
dite  mineure  mélodique  (la,  sol,  fa,  mi,  fig.  c,  p.  27)  contient  exac- 
tement, mais  en  sens  inverse,  les  intervalles  lormant  le  tétracorde  as- 
cendant de  la  même  gamme  [mi,  fa  s,  sols  la,  fig.  C)  et  empruntés 
au  mode  majeur  {sol,  la,  si,  ut,  fig.  C.) 

Et  l'on  constate  ainsi  que  les  emprunts  d'un  mode  à  l'autre  se  t'ont 
plus  importants,  au  fur  et  à  mesure  que  disparaissent  les  inexactitudes 
du  mouvement  contraire  précédemment  décrit  (p.  26  et  27)  ;  jusqu'au 
moment  où,  tous  les  intervalles  ascendants  d'un  thème  a3'ant  été  rem- 
placés par  les  intervalles  descendants  équivalents,  et  réciproquement, 
on  se  trouve  en  présence  d'une  inversion  stricte  et  rigoureuse,  c'est-à- 
dire  d'une  substitution  complète  du  mode  mineur  au  mode  majeur, 
ou  réciproquement,  en  vertu  du  principe  harmonique  naturel  de  l'Ac- 
cord unique  sous  son  double  aspect,  ascendant  ou  descendant,  c'est-à- 
dire  majeur  ou  mineur  (i); 


Tel  est  le  mécanisme  de  l'opération  qui  doit,  pour  éviter  toute  équi- 
voque, être  appelée  inversion  rigoureuse,  ou  simplement  inversion. 
EUe.consiste  à  se  servir  comme  pivot  ou  axe  immobile,  non  plus  comme 
le  simple  mouvement  contraire,  de  la  médiante  dans  Vordre  diato- 
nique, mais  de  la  médiante  dans  Vordre  des  quintes,  c'est-à-dire  du 
second  degré  diatonique  commun  aux  deux  modes  (;v,  en   montant  à 


(i^  Voir  l'f  livre,  p.  93  et  suiv. 


^o  LA  FUGUE 

partir  d'ut  en  majeur,    ou   re,  en   descendant,  à  partir  de  mi  en    mi- 
neur) : 

4^  MODE 


w 


^^^  I  ^*^ 


^>!  ,.<.V 


1 


— rr 


!o: 


is;; 


,<^  ^       .  ^^  MODE 

^  ftfi-  MINEUR 

AXE 


Autour  de  ce  pivot  (re')  d'une  parfaite  stabilité,  1rs  autres  notes 
effectuent  une  permutation  circulaire  : 

Ré  reste  invariable. 
Mi  est  remplacé  par  Ut,  et  réciproquement 
Fa  —         —  Si,  — 

Sol  —  —  La,  — 

et  ainsi  de  suite,  indéfiniment. 

Ainsi  reproduit  strictement  en  sens  inverse^  un  thème  quelconque 
conserve  tous  ses  intervalles  parfaitement  intacts,  mais  il  change  de 
mode  en  même   temps  qu'il  change  de  sens,  par  i7ipersion. 

On  voit  par  là  que  l'usage  du  mouvement  contî'aire  et  de  Vinversion 
n'est  pas  autre  chose  qu'une  application,  irraisonnée  d'abord,  puis  plus 
consciente,  de  la  loi  de  symétrie  sur  laquelle  reposent  réellement  nos 
deux  modes,  majeur  et  mineur,  l'un  par  rapport  à  l'autre. 

Et  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  constater  ici,  une  fois  encore,  que  les 
anciens  auteurs  de  Motets  et  de  Fugues,  jusques  et  y  compris  J.-S. 
Bach,  avaient  seulement  devancé  de  deux  ou  trois  siècles  la  découverte 
des  principes  immuables  auxquels  leur  admirable  instinct  musical 
obéissait  déjà,  sans  s'en  rendre  compte. 

Ainsi  se  perfectionna  lentement  le  procédé  d'abord  approximatif  du 
mouvement  contraire,  jusqu'à  ce  que  des  esprits  plus  subtils  en  aient 
déduit  la  notion  exacte  de  Vinversion  rigoureuse.  J.-S:  Bach  distinguait 
déjà,  l'un  de  l'autre,  sans  aucun  doute,  ces  deux  phénomènes  si  souvent 
confondus,  même  de  nos  jours.  Mais  il  appartenait  à  Mattheson  (  i  )  d'éta- 
blir nettement  leurs  différences  caractéristiques. 

(i)  Dans  son  très  remarquable  ouvrage  Der  vollkommene  Kapellmeister,  publié  en  1739, 
ce  judicieux  théoricien  applique  définitivement  l'expression  mouvement  contraire  simple  ou 
mauvais  [schlechte  Gegenbewegung)  à  celui  qui,  prenant  la  médiante  comme  pivot,  ne  tient 
pas  compte  de    la    place  des    demi-tons    [contrarhim   simplex,  nulla   semiloniorum   raiione 


LES  CANONS  ET  LES  RfCERCARl 


1» 


En  opposant  ici  Tune  à  Tautre  les  expressions  mouvement  contraire 
et  inversion^  nous  nous  sommes  conformés  à  l'excellent  choix  de  termes 
de  ce  savant  musicien,  corrobore  depuis  parnotre  maître,  César  Franck, 
lequel  fit,  à  ce  propos,  une  minutieuse  démonstration,  dont  plusieurs 
de  ses  élèves  se  souviennent  encore  (i). 

Cette  distinction  trop  souvent  oubliée  ne  pouvait  être  clairement  mise 
en  lumière  sans  une  étude  aussi  détaillée  et,  forcément,  aussi  longue 
que  celle  qui  précède.  Elle  avait  ici  sa  place  marquée,  tant  en  raison 
des  immenses  ressources  fournies  à  l'art  de  la  composition  par  le 
moupement  contraire  et  Vinversion,  que  pour  sa  flagrante  concordance 
avec  la  théorie  du  mode  mineur. 

3°  Le  Canon  récurrent  ou  par  mouvement  rétrograde  (2),  dans  lequel  l'an- 
técédent est  reproduit  non  plus  avec  une  inversion  du  sens  des  intervalles 
mélodiques,  mais  avec  une  inversion  de  Vordre  dans  lequel  ces  inter- 
valles se  succèdent:  \d.  dernière  note  de  l'antécédent  devient  la  première 
du  conséquent,  et  ainsi  de  suite.  La  ligne  mélodique  ainsi  obtenue  est 
comme  l'image  de  la  première,  vue  dans  un  miroir  vertical^  où  les 
notes  apparaîtraient  d'autant  plus  éloignées  du  point  de  départ  qu'elles 
en  étaient  plus  rapprochées  dans  l'antécédent,  et  réciproquement  : 


Miroir 

vertical» 

(en  projection»  Conséqaent 

•Antécédent:  r_  (oxx  image  rétrogradée  de  l'anfécédent) 

Premières  notes-        Dernières  notes:        ^      Premières  '\r,,p<:  Dernières   lotes: 


(^^#j%::i:^^f:iLi'iit::^:3:::nf'-u% 


habita,  p.  4'6);  tandis  que  l'autre,  le  bon,  est  celui  qui  opère  Vinversiou  stricte  [in  stricte 
réversion,  ihid.),  en  prenant  par  conséquent  comme  pivot  le  second  degré  {ré,  dans  le 
ton  d'ut). 

(1)  «  Votre  sujet  n'est  pas  renversé,  il  est  seulement  par  mouvement  contraire  »,  disait 
César  Franck  à  un  de  ses  élèves,  à  propos  d'une  fugue,  voulant  faire  entendre  par  là,  en 
effet,  qu'il  n'avait  pas  été  tenu  compte  de  la  place  des  demi-tons.  Et  il  s'étendit  longuement 
sur  cette  importante  distinction. 

En  raison  de  l'acception  harmonique  très  spéciale  attribuée  par  Rameau  et,  depuis  lui,  par 
tous  les  harmonistes  aux  mots  renversé,  renversement  (d'un  intervalle,  d'un  accord),  nous 
avons  traduit  ici  le  mot  reversum  de  Mattheson  par  inverse,  inversion,  en  conformité  avec 
le  terme  employé  au  Premier  Livre  (p.  i  11),  à  propos  du  mode  mineur  inverse. 

(2)  On  l'appelle  aussi  «  canon  à  l'écrevisse  »,  traduction  littérale  da  mot  cancrijans, 
employé  également  par  Mattheson  ;  cette  dénomination  provient  sans  doute  du  préjugé 
commun,  qui,  avec  la  complicité  du  Dictionnaire  de  l'Académie,  a  longtemps  fait  de  l'écre- 
visse un  «  poisson  qui  marche  à  reculons  11  [sic].  Le  mot  récurrent,  qui  est  employé  ici,  • 
l'avantage  d'être  beaucoup  plus  précis  tt,  par  conséi^ucnt,  prétcrable  à  tous  égards. 


32- 


LA   FUGUE 


Exemple  ds  Ganon  par  mouvement  rétrograde  (J.S.  Bach)  Muxikrdiache  Opfer 


f 


^F^:^ji?uS 


4°  Le  Canon  par  augmentation,  dans  lequel  le  conséquent  reproduit 
Tantécédent  en  doublant  (ou  en  quadruplant)  la  valeur  de  toutes  les 
notes  qui  le  composent.  Le  ralentissement  ainsi  obtenu  est  assez 
comparable  au  grossissement  que  donne  une  lentille  divergente  aux 
dimensions  de  Tobjet  qu'on  regarde  au  travers  : 


Antécédent: 


Lentille 
divergente 


^^P^IJ^J 


Conséquent,  ou  image  augmentée  de 
l'antécédent,  vue  à  travers  la  lentille: 


M 


w 


VI      gl 


s 


Exemple  de  Canon  par  aug-menfafzon  0.3.  Ba,ch)^Kunst  der  Fuge 

Ant. 


LES  CANONS  ET  LES  RICERCARl 


33 


Cons.  par  augm 
/(et  par  mouv^ contraire) 


^^ 


^=3^£=^ 


^ 


¥  f'J  ^J'^c^W^I^^^  f'cimr^ 


^ 


VT-p 


^w 


^^ 


^ 


f 


(j.t' j;jJ    J    F'f    J  r   u^^^-f    f  ^f^^ 


5<»  Le  Canon  par  diminution,  dans  lequel,  contrairement  à  ce  qui  se 
passe  dans  le  précédent,  les  valeurs  des  notes  du  premier  membre  sont 
réduites  à  la  moitié  (ou  au  quart)  dans  le  second,  comme  si  l'antécé- 
dent était  vu  à  travers  une  lentille  convergente  qm  le  rapetisse  (i): 


Lentille 


Antécédent. 


nrrnrrrii^^ 


convergente     Conséquent,  ou  image  diminuée  de 
^^  l'antécédent, '.Tio  à  travers  la  lentille: 


(i)  Il  va  sans  dire  que  ces  figures  n'ont  aucune  rigueur  scientifique:  on  aurait  beau 
regarder  une  croche  à  travers  une  loupe,  elle  ne  deviendrait  pas  une  noire,  évidenuaent. 
Il  s'agit   d'une  simple  analogie,  muiatis  mutandis,  entre  l'ouïe  et  la  vision. 

Cours  de  composition.  —  t.  ii,   i .  5 


34 


LA  FUGUE 


Sxemple  de  Canon  par  diminution 

Cons.  par  dim.  et  M^  contraire 


i^ 


•J.S.Bach 

(Kunst  der  Fuqe) 

Fug.VI 


■^^•^r  rlu 


i 


ill»f'     'f-pIlFf 


Cons.  par  dim 


S 


^m 


^m 


'"  1,-j-  *■* 


Ant 


6°  Le  Canon  par  valeurs  contraires,  sorte  de  combinaison  hybride  et 
généralement  arbitraire  des  deux  procédés  d'augmentation  et  de  dimi- 
nution. Ici,  toutes  les  valeurs  relativement  longues  dans  le  premier 
membre  deviennent  brèves  dans  le  second,  et  réciproquement  :  les 
blanches  deviennent  des  noires,  les  noires  des  blanches,  etc.  Il  s'ensuit 
une  déformation  du  sujet,  qui  le  rend  le  plus  souvent  méconnaissable  : 


Exemple  de  Canon  par  valeurs  contraires  : 

Conséquent  par  valeurs  contraires 


fe 


E^ 


^r-  "rrrf  rr 


^=e/c 


^ 


^ 


Thema  regium 


^-"A'-'l  ;■  T^^^=£|Jg^ 


^ 


M 


Antécédeat 


7°  Le  Canon  énigmatique,  dont  l'antécédent  est  seul  proposé  comme 
un  problème  à  la  sagacité  de  l'interprète  qui  n'a  pour  toute  indication 
qu'un  signe,  un  mot  ou  une  devise,  en  termes  plus  ou  moins  allégo- 
riques dont  le  sens  doit  permettre  de  deviner  le  genre  de  règle,  le 
canon  employé  par  l'auteur. 


Exemple  de  Canon   énigmatique. 

^^ISotulis  crescentibus  crescat  fortuna  régis. "'^ 

Conséquent  à  trouver,  d'après  les  indications  fournies  par  la 
phrase  latine  énigmntique  et  la  clé  renversée  de  l'antécédent. 


S 


etc. 


.].  S.  Bach 
Musikali^che  Opf'.r 


ÉLÉMENTS  RYTHMIQUES  35 

On  donnait  parfois  à  cette  catégorie  de  Canons  le  nom  de  Ricercare 
ou  Ricercar  (verbe  italien  qui  signifie  rechercher^),  sans  doute  parce 
qu'il  fallait  rechercher  la  solution  du  problème  ainsi  posé. 

Les  Ricercari.  —  Ce  nom  de  Ricercare  a  été  surtout  nmliaué  h.  des 
pièces  instrumentales  en  imitations  dialoguées,  généralement  cano- 
niques, qui  semblent  avoir  été  postérieures  aux  premiers  Canons, 
et  assez  antérieures  à  la  Fugue  véritable.  . 

Ces  pièces,  où  les  auteurs  ont  eu  aussi  à  rechercher  les  dispositions 
diverses  pour  les  entrées  successives  d'un  même  thème  ou  sujet,  sont 
assez  semblables  à  des  expositions  de  Motets,  dont  on  aurait  supprimé 
les  paroles  ;  les  plus  anciens  spécimens  de  ce  genre  sont  d'ailleurs 
destinés  à  l'orgue  et  au  clavecin. 

Le  thème  entre  dans  toutes  les  parties,  tantôt  à  l'octave,  tantôt  à  la 
quinte  ;  parfois  un  dessin  particulier  [cornes]  accompagne  les  expositions 
du  sujet,  comme  une  sorte  de  conti^esujet  rudimentaire  (ij.  On  trouve 
aussi  quelquefois  des  entrées  du  sujet,  qui  vont  en  se  rapprochant  de 
plus  en  plus  de  ses  premières  notes,  ainsi  qu'il  arrivera  normalement 
plus  tard  dans  la  disposition  appelée  Strette  (voir  ci-après,  p.  62). 

On  examinera  dans  la  partie  historique  du  présent  chapitre  quelques 
spécimens  des  plus  anciens  Ricercari  connus.  Mais  on  pourra  constater 
en  même  temps  que  les  compositions  de  ce  genre,  comme  toute  forme 
de  transition,  n'ont  jamais  acquis  aucune  stabilité,  permettant  de 
dégager  de  leur  analyse  un  principe  quelconque  qui  puisse  être  utilisé 
dans  l'étude  de  la  composition. 

Les  seuls  éléments  qui  nous  soient  restés  des  Ricercari  se  retrouvent 
intégralement  dans  les  premières  Fugues  dignes  de  ce  nom,  et  c'est  là 
que  nous  allons  les  examiner  plus  en  détail,  au  triple  point  de  vue 
rythmique,  mélodique  et  harmonique,  suivant  notre  méthode  habi- 
tuelle. 

4.  ÉLÉMENTS  RYTHMIQUES    DELA    FUGUE.     IMITATION.    —    CANON.     —    MARCHE. 

Nous  avons  défini  la  Fugue  (p.  19)  :  une  composition  polyphonique 
écrite  en  style  contrepointé  sur  un  thème  unique  ou  sujet,  exposé  suc- 
cessivement dans  un  ordre  tonal  déterminé  par  la  loi  des  cadences. 

Il  est  aisé  de  voir  que  le  principal  élément  rythmique  consiste  ici 
dans  récriture  contraponiique,  le  sujet  et  ses  annexes  étant  plus  parti- 
culièrement mélodiques,  et  Yordre  tonal  essentiellement  harmonique  par 
nature. 

(i)  Comparer  avec  Xa.  forme  du  Motet,  l«'  liv.,  chap.  x,  p.  147  et  suiv. 


^6  LA  FUGUE 

La  loi  de  symétrie  rythmique  des  imitations  avait  atteint,  comme 
nous  venons  de  le  voir,  toute  sa  rigueur  dans  les  divers  canons.  Nous 
la  retrouvons  aussi  dans  l'écriture  de  la  Fugue,  où  tous  les  procédés 
de  reproduction  directe,  inverse,  rétrogradée,  augmentée,  diminuée, 
variée,  etc.,  sont  tour  à  tour  mis  au  service  du  sujet  et  de  ses  dérivés. 
Et  la  Fugue  est  en  cela  la  plus  haute  application  de  létude  du  contre- 
point^ qui  a  pour  but  de  faire  entendre  simultanément  des  mélodies 
de  rythme  différent  ou  contrarié. 

Toutefois,  dès  le  début  de  la  floraison  de  la  Fugue,  un  obstacle  inat- 
tendu s'oppose  à  l'essor  des  procédés  rythmiques  :  nous  sommes  en 
effet  au  xvn^  siècle,  et  la  mesure,  la  fâcheuse  mesure,  dont  nous  aurons 
encore  à  déplorer  les  méfaits,  ne  tarde  pas  à  s'implanter  ici  en  usur- 
patrice, à  la  faveur  d'une  équivoque  qui  lui  fait  attribuer  indûment  les 
prérogatives  du  r/thme. 

Dès  lors,  tout  s'appauvrit  et  se  limite  dans  l'emploi  des  rythmes 
indépendants  et  caractéristiques  :  Vimitation  contrapontique  et  le  canon 
subsistent,  mais  le  libre  jeu  de  leurs  dérivés  rythmiques  (augmentation, 
diminution,  etc.)  est  sans  cesse  entravé  par  l'omnipotence  de  la  mesure. 
L'envahissement  du  style  conventionnel  de  l'école  enlèvera  bientôt 
à  ces  procédés  tout  ce  qu'ils  eurent  au  début  de  véritablement  musical. 

La  Strette,  autre  extension  rythmique  des  usages  du  Canon,  destinée 
seulement  dans  les  anciennes  Fugues  à  varier  les  entrées  du  thème,  en 
les  avançant  ou  en  les  retardant,  la  Strette  sera  bientôt  réduite  par 
l'école  à  une  sèche  et  pédante  succession  de  combinaisons,  rejetée  à  la 
fin  de  la  Fugue  (i),  pour  mieux  étaler  le  savoir  de  l'ouvrier  qui  en 
opère  l'ajustage  mécanique. 

Par  contre,  le  procédé  métrique  par  excellence,  la  marche  d'harmonie, 
reproduction  rigoureuse  et  servile  d'un  dessin  à  des  intervalles  régu- 
liers et  constants,  fournira  désormais  le  remplissage  réglementaire,  le 
mortier  abondamment  gâché  de  ces  singulières  constructions  dites 
«  Fugues  d'école  ». 

Seul  peut-être,  J.-S.  Bach  nous  offre  encore,  dans  son  admirable 
Kunst  der  Fuge  (2),  un  magistral  exemple  de  variations  rythmiques, 
mais  il  n'en  subit  pas  moins,  dans  l'ensemble  de  son  œuvre,  l'influence 
métinque  de  son  époque  ;  et  la  marche  d'harmonie,  bien  qu'elle  n'appa- 
raisse sous  sa  plume  qu'avec  une  réserve  et  une  discrétion  relatives, 
n'en  demeure  pas  moins,  à  notre  sens,  la  seule  partie  de  ses  Fugues 
qui  semble  avoir  subi  les  outrages  du  temps. 


(i)  C'est  en  raison  du  rôle  tonal  de  la  Strette  dans  la  Fugue  que  nous  avons  cru  devoir  en 
rejeter  l'étude  détaillée  ci-apiès,  page  62,  avec  les  éléments  d'ordre  harmonique. 
(3)  \'oir  ci-après,  dans  la  section  historique  an  présent  chapitre,  page  66  et  suiv. 


ÉLÉMENTS  MÉLODIQUES  37 

5.  ÉLÉMENTS  MÉLODIQUKS  DE    LA  FUGUE.  —  LE  SUJET.  —  LA  RÉPONSE  ET  LA 
MUTATION.  —  LE  CONTRESUJET. 

Sujet.  —  La  Fugue  est,  par  définition,  monothématique,  c'est-à-dire 
que  son  thème  ou  sujet  doit  être  unique  en  principe.  Dans  les  Fougues 
dites  à  plusieurs  sujets,  l'un  de  ceux-ci  est  toujours  considéré  comme 
principal.  Nous  verrons  pourquoi  il  est,  en  définitive,  le  seul. 

La  raison  de  ce  caractère  unitaire  de  la  Fugue  provient  de  sa  pre- 
mière origine  dramatique,  dont  le  seul  vestige,  dans  la  Fugue  instru- 
mentale, est  le  sujet  lui-même.  C'est  en  effet  une  loi  d'ordre  expressif, 
donc  dramatique,  qui  préside  à  l'élaboration  des  thèmes  ou  des  idées, 
dans  toutes  les  formes  musicales,  même  symphoniques  :  c'est  par 
Vexpression  qui  doit  y  être  contenue  que  tout  thème  ou  sujet  prend  la 
signification  ou  valeur  esthétique  qui  lui  est  propre.  On  conçoit  dès 
lors  que  ce  sujet  une  fois  énoncé  ne  puisse  plus  subir  ici  aucune 
transformation  d'ordre  expressif,  puisque,  dans  la  Fugue,  il  sera  perpé- 
tuellement exposé,  sans  jamais  être  développé  ;  le  développement,  en 
effet,  est  une  opération  beaucoup  plus  complexe,  qui  ne  prendra  nais- 
sance qu'avec  la  pluralité  des  idées,  c'est-à-dire  avec  la  forme  Sonate. 

Contrairement  à  ce  que  nous  avons  constaté  dans  le  Motet,  aucune 
raison  de  sentiment  n'intervient  dans  la  Fugue  pour  modifier  le  véritable 
thème  sans  paroles,  conçu  dramatiquement,  qu'est  le  sujet,  puisqu'au- 
cune  formule  précise,  exprimant  un  sentiment  nouveau,  n'y  interrompt 
le  cours  prévu  de  sa  trajectoire  purement  symphonique  et  tonale. 

Il  ne  saurait  donc  y  avoir  dans  la  Fugue,  ni  modulation  établie,  ni 
changement  d'état  du  sujet  primordial. 

Celui-ci,  dès  sa  première  énonciation,  doit  affirmer  une  tonalité,  que 
les  expositions  ultérieures  serviront  seulement  à  renforcer,  pour  des 
raisons  qui  seront  expliquées  ci-après,  dans  l'étude  des  éléments  harmo- 
niques de  la  Fugue. 

Réponse.  —  Une  tonalité  ne  pouvant  être  établie  nettement  sans  un 
mouvement  d'oscillation  entre  deux  fonctions  tonales  (i)  exprimées  au 
moins  une  fois  chacune,  le  sujet  ne  peut  offrir  d'équilibre  tonal  stable 
qu'avec  le  concours  de  ces  deux  fonctions,  employées  symétriquement. 
Aussi,  les  premiers  embryons  de  Fugues  apparus  sous  le  nom  de 
Ricercari,  Fugues  canoniques,  etc.,  n'acquièrent-ils  une  fixité  typique 
complète  qu'à  partir  du  moment  où  les  conséquents  y  revêtent  une 
forme  spéciale,  appelée  communément  Réponse. 

La  Réponse  est  une  imitation  directe  du  sujet,  telle  que  le  rôle  des 

(i)  Voir  l«f  liv.,  chap.  vu. 


38  LA  FUGUE 

fonctions  de  tonique  et  de  dominante  (i)  }''  est  interverti  le  plus  rigou- 
reusement possible. 

Pour  bien  comprendre  ce  que  doit  être  la  Réponse  d'un  sujet  donné, 
il  importe  avant  tout  de  discerner  le  rôle  joué  dans  celui-ci  par  les 
fonctions  de  tonique  et  de  dominante,  c'est-à-dire  d'y  déterminer  les 
points  d'appui  mélodiques  où  ces  deux  degrés  apparaissent,  soit  en 
notes  réelles,  soit  en  harmoniques  consonnants. 

La  Réponse  étant,  par  définition,  une  imitation  directe  du  sujet  ne 
peut  en  aucun  cas  être  absolument  exacte  (2),  car  l'intervalle  mélodique 
ascendant  de  quinte^  qui  sépare  les  degrés  de  tonique  et  de  dominante, 
n'est  pas  identique  à  celui  de  quaî^te  qui  sépare  les  degrés  de  domi- 
nante et  de  tonique  (à  l'octave  aiguë).  Cette  différence,  due  au  partage 
de  l'octave  en  deux  portions  inégales  diatoniquement  ou  mélodiquement, 
est  un  des  derniers  vestiges  qu'ait  laissés,  dans  notre  système  tonal 
contemporain,  l'ancien  usage  des  modes  grégoriens  authentes  et 
plagaux.  En  passant  de  lamonodie  dans  la  pol3^phonie  vocale,  cet  usage 
a  engendré,  en  vertu  d'un  désir  alors  irraisonné  de  fixité  tonale,  les 
premières  imitations  en  forme  de  Réponse  dans  les  expositions  de 
motets  :  demeuré  plus  tard  dans  la  Fugue,  il  y  entraîna  nécessairement 
pour  la  Réponse  une  adaptation  particulière  des  intervalles  du  sujet, 
laquelle  est  généralement  désignée  sous  le  nom  de  Mutation. 

Mécanisme  de  la  Mutation. —  Pour  l'étude  assez  délicate  du  mécanisme 
de  la  Mutation,  on  s'est  livré  à  de  nombreuses  considérations,  plus 
ingénieuses  que  musicales,  sur  les  sujets  de  Fugue  ;  en  les  examinant 
seulement  au  point  de  vue  de  Xqmys  fonctions  tonales  et  de  leurs  li??iites, 
on  peut  simplifier  notablement  les  classifications  en  usage. 

Fonctions.  —  Un  sujet  quelconque  étant  tonal  par  nature  contient 
une  fois  au  moins  chacune  des  deux  fonctions  de  tonique  et  de  domi- 
nante (exprimées  par  leur  degré  fondamental,  par  leur  tierce  ou  par  leur 
quinte)  et  aboutit  nécessairement  à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces  deux 
fonctions. 

-Dès  lors,  deux  cas  se  présentent  : 

1°  la  fonction  de  dominante  est  entendue  en  dernier  lieu  :  le  sujet 
est  suspensif; 

2°  la  fonction  de  tonique  est  entendue  en  dernier  lieu  :  le  sujet  est 
conclusif 

(i)  On  verra  plus  loin,  page  60,  l'emploi  qui  devrait  logiquement  être  fait,  dans  la  Fugue 
de  la  dominante  mineure  ou  inverse.,  vulgairement  appelée  sous-dominante. 

(2)  L'exactitude  plastique  de  certaines  réponses  n'est  pas  une  exception  réelle  à  ce  principe. 
\.es  réponses  transposéesy^àontW  sera  question  ci-après,  page  42,  contiennent  sans  doute  tous 
les  intervalles  du  sujet,  mais  elles  en  diffèrent  toujours  par  la  fonction  tonale  di  leur  point 
de  départ  ou  d'arrivée. 


ÉLÉMENTS.  MÉLODIQUES  39 

Par  définition,  la  Réponse  d'un  sujet  suspensif  sera  conclusive,  et 
réciproquement. 

Limites.  —  Les  degrés  fondamentaux  des  fonctions  étant  invariables, 
divisent  l'octave,  comme  nous  venons  de  le  voir,  en  deux  intervalles 
complémentaires,  l'un  de  quinte,  l'autre  de  quarte,  formant  ce  que  nous 
appelons  ici  les  limites  du  sujet. 

Deux  cas  encore  peuvent  seulement  se  présenter  : 

I»  le  sujet  est  simple  ou  primitif  {i),  c'est-à-dire  contenu  intégra- 
lement dans  les  limites  de  quinte  (ou  de  quarte)  qui  séparent  en 
montant  (ou  en  descendant)  la  tonique  de  la  dominante  \ 

2°  le  sujet  est  dérivé,  c'est-à-dire  qu'il  excède  ces  limites,  au  grave  ou 
à  l'aigu. 

En  tout,  quatre  cas,  dont  nous  donnons  ci-après  des  spécimeiis  {-z): 


Sujets 
simples  \ 


( 


Sujets  suspensif: 


m 


3S 


? 


(ai 


/> T         ^ 


♦  r  Sujets 


«, 


^ 


^  ( 


dérives 


Sujets  conclusifs 

Dans  les  sujets  simples,  il  ne  saurait  y  avoir  de  grande  difficulté  pour 
la  Réponse  :  les  fondamentales  des  fonctions  (ou  leurs  harmoniques 
consonnants,  s'il  y  a  lieu)  une  fois  permutées,  les  autres  notes,  généra- 
lement d'ordre  mélodique  pur,  viennent  prendre,  auprès  des  notes  réelles 
de  la  Réponse,  un  rang  équivalant  à  celui  qu'elles  occupaient  auprès 
des  notes  réelles  du  sujet. 


Sujets  simples  : 


Réponses 


(a) 


<c} 


-dp ^ 

m 

1*  '  •  a-^ 

P  ' 

^i»  {'  r  : 

H=J 

NffM 

7  1,  ' 

D. 

J ..  J  M 

f=Fî^ 

-^f^fr 

^       D 

-^rJ^ 

.     T 

-0- 

n.f  punies  .      ,         •  I 

'^       7>  T. 


4''^-!?rir7rir'H 

T  /> 


(i)  La  qualification  deprimilif  est  justifiée  par  ce  faitque  les  sujets  decet  ordre  apparaissent 
surtout  dans  les  anciennes  Fugues,  encore  influencées  manifestement  par  la  tradition  iu  ton 
(authente  ou  plagal)  grégorien. 

C'est  pour  la  même  raison  que  la  locution  et  Fugue  du  ton  »,  aujourd'hui  détournée  de  son 
sens,  doit  être  appliquée  exclusivement,  comme  le  faisait  César  Franck,  aux  fugues  à  sujets 
primitifs. 

(2)  a)  Sujet  de  L.  Consolini  ;  b),  c),  d),  sujets  de  J.-S.  Bach  (Fugues  d'orgue). 


40 


LA  FUGUE 


Mais  il  n'en  va  pas  toujours  aussi  facilement  dans  les  sujets  dérivés, 
pour  lesquels  il  faut  bien  reconnaître  qu'en  dépit  des  règles  minutieuses 
enseignées  par  les  écoles,  la  part  du  sentiment  tonal  instinctif  et  du 
goût  musical  reste  prépondérante  dans  le  choix  d'une  bonne  réponse. 

Si,  par  exemple,  la  Réponse  du  sujet  suspensif  dérivé  {b)  : 


est,  dans  le  texte  de  J.-S.  Bach 


^^^^^^Ê 
^"^"""t^^^^^. 


^ 


nous  ne  croyons  pas  que  ce  soit  en  raison  de  cette  subtilité  qui,  grâce 
â  l'hypothèse  complaisante  d'une  modulation  apparaissant  immédiate 
ment  après  la  première  note  du  sujet  (w/),  attribue  très  sérieusement 
à  la  seconde  note  [si)  les  prérogatives  d'une  note  réelle,  tierce  de  la 
dominante,  devant  entraîner  la  réponse  par  le  mi^  tierce  de  la  tonique. 
Car  le  même  principe  appliqué  à  la  tierce  de  la  tonique  (m/,  cinquième 
note  du  sujet,  bien  plus  réelle  assurément)  devrait  entraîner  dans  la 
Réponse  l'emploi  du  57,  tierce  de  la  dominante,  c'est-à-dire  une  forme 
comme  celle-ci  : 


laquelle,  plus  conforme,  en  un  certain  sens,  aux  règles  des  «  grammai- 
riens de  la  Fugue  »,  est  infiniment  moins   satisfaisante  musicalement. 
De  même,  le  sujet  conclusif  {d) ,  éminemment  tonal, 


Ê 


^ 


ne  comportait  pas  nécessairement  dans  la  Réponse  que  lui  donne  Bach 


ÉLÉMENTS  MÉLODIQUES 


41 


et  fa  «(i),  simple  adoucissement  euphonique,  donnant  à  la  fin  de  cette 
réponse  un  aspect  modulant  assez  difficile  à  justifier  autrement  que  par 
une  raison  purement  musicale. 

Cet  usage  de  la  modulation  apparente  ou  passagère,  pratiqué  depuis 
Bach  dans  la  Réponse  à  la  plupart  des  sujets  que  nous  avons  nommés 
dérivés^  est  la  seule  chose  à  retenir  des  innombrables  règles  édictées  sur 
cette  question  par  des  autorités  d'inégale  valeur,  règles  qui  se  réduisent 
en  définitive  à  celles-ci  : 

\°  la  nécessité  tonale,  qui  oblige  à  la  permutation  des  fonctions  entre 
le  Sujet  et  la  Réponse,  ne  garde  toute  sa  rigueur,  dans  les  sujets  dérivés^ 
que  pour  leur  point  de  départ  et  pour  leur  point  d'aboutissement  ; 

2°  en  dehors  de  ces  deux  points,  soumis  aux  mêmes  règles  que  les 
sujets  simples^  la  loi  d'imitation  stricte  prime  la  loi  d'inversion  des 
fonctions,  et  l'usage  de  la  transposition  effective  à  la  quinte  aiguë  a 
prévalu; 

3°  le  raccordement  entre  le  fragment  transposé  pour  raison  d'imi- 
tation, et  les  fonctions  permutées  pour  raison  de  tonalité,  doit  être 
opéré  de  telle  sorte  que  les  inexactitudes  qui  en  résultent  nécessairement 
dans  l'imitation  plastique  soient  réduites  à  leur  minimum. 


Sujet 


Exemple  majeur  : 


point  où  se  fait  la  mutation  (au  début) 


^^p""'^  ^ï  ^  r  r  n  [r  r  I  fTf"f^j 


j .  s.  Bach 
Sonate  pour  orgue  NW 


Sujet 


Réponso 


Exemple  mineur 


point  où  se  fait  la  mutation  (à  la  fin) 


^u-^in^ibn^i\ri^-i^^\^ 


I.  S.Bach 
Pugue  pour  or(<ue  Liv.  IV.  N'^S 
(sujet  do  Legrenzi» 


Certains  sujets  dérivés  se  prêtent  mieux  que  d'autres  à  une  sorte  de 
transposition  intégrale  qui  donne  à  leur   réponse  l'aspect  d'une  imita- 


(i)  Cet  exemple  a   été  transposé  pour  plus  de  clarté.  La  Fugue  d'orgue  à  laquelle  il  est 
emprunté  est  en  mi  t>  :  il  s'agit  donc  en  réalité  d'uh  la  Q. 


4» 


LA  FUGUE 


tion  exacte  à  la  quinte  :  ces  sujets,  ordinairement  assez  longs,  offrent 
souvent  la  particularité  de  commencer  et  de  finir  par  la  même  fonc- 
tion tonale,  c'est-à-dire  de  revenir  à  leur  point  de  départ  : 


Sujet 


Réponse 


1>%^^ 

-,  c/r^rrfr^=T 

'  i.g  r  '  1 ^—i- 

T (D) 

.  H  rm  rn^T 

T     . 

ipj±= 

^^  jj^j^  ^  j  j*'^^ 

d'*é^JJdJ  ^- 

Z). 


J. s.  Bach .  Wohlt.Clavier 
L\v.  II.  Fugue  XIX 

En  ce  cas,  les  degrés  caractéristiques  d'autres  fonctions  contenues 
entre  les  deux  points  extrêmes  du  Sujet  sont  entraînés  par  l'imitation, 
et  leur  valeur  propre  disparaît  dans  la  Réponse.  La  permutation  s'opère 
donc  exclusivement  au  point  de  rattachement,  et  cela  suffit  à  sauvegar- 
der le  principe  de  la  différence  tonale  nécessaire  entre  le  Sujet  et  la 
Réponse.  En  effet,  la  forme 


n'est  pas  identique  en  réalité  à 


(àj 


ri 


fe=^ 


S 


^* 


car,  à  la  note  la,  entendue  au  début  du  Sujet  en  qualité  de  tonique  du 
ton  de  LA  majeur,  il  est  répondu  par  la  note  mi,  qui  occupe  au  début  de 
la  Réponse  (point  de  rattachement  nécessaire  avec  le  sujet)  la  fonction 
de  dominante  du  même  ton,  et  non  pas,  comme  cela  serait  nécessaire 
pour  l'identité  ?^éelle  des  deux  dessins  (a  et  b),  la  fonction  de  tonique  du 
ton  de  Ml  majeur.  La  disposition  harmonique  adoptée  par  Bach,  pour 
l'entrée  de  la  Réponse,  ne  laisse  aucun  doute  sur  ce  point  : 

Réponse 


fin  du  sujet: 


rtoo^LT  ■La' 


etc. 


En  résumé,  les  principes  fort  compliqués  à  l'aide  desquels  on  a  pré- 
tendu codifier  la    mutation  inévitable,  n'ont  abouti    qu'à    des   usages 


ÉLÉMENTS  MÉLODIQUES  43 

d'écoles,  sur  lesquels  nous  aurons  encore  l'occasion  de  revenir  ;  mais 
ils  sont  presque  tous  i normes  en  fait,  par  la  pratique  constante  des 
auteurs  de  fugues  véritablement  soucieux  du  caractère  musical  et  expres- 
sif de  leurs  œuvres. 

Contresujet,  —  Des  considérations  du  mcme  ordre  permettent  de 
réduire  à  fort  peu  de  chose  les  règles  qui  concernent  le  coutt^esujet, 
autre  élément  important  de  la  Fugue,  lequel  consiste  en  un  dessin 
mélodique  écrit  en  contrepoint  renversable  par  rapport  au  sujet,  et 
destiné  à  être  entendu  avec  lui,  soit  au-dessus,  soit  au-dessous,  à  toutes 
ses  entrées,  la  première  exceptée. 

Un  usage  des  plus  anciens,  chez  les  auteurs  de  fugues,  veut  en  effet 
que  le  thème  entre  seul  :  cela  tient  assurément  au  principe  expressif 
de  conception  y  dont  il  a  déjà  été  parlé  (i). 

La  première  exposition  du  dessin  contrapontique  renversable,  dit 
contresujet,  est  donc  faite  en  général  après  celle  du  su/et,  par  la  même 
voix  ou  partie  mélodique,  et  en  même  temps  que  la  première  appari- 
tion de  la  réponse,  énoncée  par  une  autre  voix.  L'interversion  nécessaire 
des  fonctions  tonales  dans  la  réponse  a  donc  sa  répercussion  sur  le 
contresujet^  entendu  avec  elle;  et  celui-ci  devient  en  réalité  une  contre- 
réponse  soumise  aux  mêmes  règles  de  mutation  ou  de  transposition,  s'il 
y  a  lieu. 

Il  est  à  peine  utile  de  rappeler  que  le  caractère  renpersable  du  contre- 
sujet  (ou  de  la  contre-réponse)  comporte  de  toute  nécessité  les  qualités 
requises  pour  tout  bon  contrepoint  de  cette  espèce.  Savoir: 

1°  équilibre  rythmique  des  valeurs  de  notes,  ou  compensation  des 
valeurs  plus  longues  du  sujet  par  les  valeurs  plus  brèves  du  contresujet 
et  réciproquement  ; 

2*  caractère  mélodique,  différant  par  la  forme  de  celui  du  sujet,  tout 
en  restant  analogue  au  fond,  sans  introduire  aucun  élément  dispa- 
rate ; 

3**  complément  harmonique,  renforçant  autant  que  possible  le  senti- 
ment tonal,  en  faisant  entendre  les  degrés  fondamentaux  des  fonctions 
tonales  sur  leurs  harmoniques  naturels  consonnants,  et  réciproque- 
ment. 

La  construction  même  du  contresujet  implique  donc  sa  subordination 
complète  au  thème  de  la  Fugue,  à  laquelle  il  n'apporte  qu'un  élément 
mélodique  d'écriture,  tandis  que  le  thème  (sujet  ou  réponse)  demeure 
l'élément  unique  de  conception. 


(i)  Il  convient  d'observer  toutefois  que  cet  usage  est  aujourd'hui  méconnu  dans  une 
grande  partie  des  fugues  d'école,  où  le  sujet  et  le  contresujet  entrent  presque  simulta- 
nément, sans  que  cette  disposition  paraisse  vraiment  justiriéc. 


44  LA  FUGUE 

Les  dessins  auxquels  l'usage  donne  le  nom  de  second  sujets  troisième 
sujet,  etc.,  ne  donnent  pas  davantage  àia  Fugue  un  nouvel  élément  de 
pureco«c£/7/îo;z,  pouvant  infirmer  son  caractère  essentiellement  unitaire, 
ou  monothématique.  Ce  sont  de  véritables  contresujets,  qui  doivent  satis- 
faire, par  leur  destination  même,  aux  conditions  d'écriture  contrapon- 
tique  qui  président  à  l'établissement  artificiel  du  contresujet  ordinaire; 
on  leur  attribue  seulement,  par  la  suite,  un  rôle  plus  important  pour 
accroître,  dans  la  composition  de  la  Fugue,  l'intérêt  et  la  variété,  sans 
en  atténuer  l'unité  primordiale. 

6.  ÉLÉMENTS  HARMONIQUES  DE  LA  FUGUE.  —  LA  CADENCE.  —  l'oRDRE  TONAL  DES  EXPO- 
SITIONS DANS  LES  FUGUES  MAJEURES  ET  MINEURES.  —  LES  ÉPISODES.  —  LES  PÉDALES. 
LES  STRETTES. 

La  Fugue  et  la  Cadence  tonale.  —  L'alternance  des  fonctions  de  tonique 
et  de  dominante,  dans  le  sujet  et  la  réponse,  donne,  comme  on  vient  de 
le  voir,  à  leur  exposition,  dès  le  début  de  la  Fugue,  un  caractère  sus- 
pensifou  conclusif,  dû  à  l'emploi  d'éléments  identiques,  harmonique- 
ment, à  ceux  de  {décadence.,  telle  qu'elle  a  été  décrite  précédemment  (i). 

D'ailleurs,  on  a  reconnu  à  la  Fugue  un  aspect  général  unitonique^ 
qui  exclut  toute  possibilité  de  modulation  réelle,  d'ordre  expressif,  dans 
cette  forme  de  composition  (p.  Sy).  Dès  lors,  tout  mouvement  harmo- 
nique apparent  dans  la  Fugue,  ne  peut  avoir  d'autre  effet  qu'un  renfor- 
cement de  cette  tonalité  unique,  marquée  par  la  cadence  résultant  de 
cette  alternance  des  fonctions  dans  la  première  exposition.  Or,  un  tel 
renforcement  ne  peut  et  ne  doit  être  autre  chose  que  la  cadence  elle- 
même,  dans  sa  forme  la  plus  complète,  et  avec  toutes  les  extensions 
qu'elle  comporte. 

La  Fugue  ne  serait  donc  en  définitive  qu'une  grande  cadence,  où 
chaque  formule  harmonique,  destinée  à  l'affirmation  tonale,  serait  rem- 
placée par  une  énonciation  du  sujet,  avec  ses  annexes  ordinaires 
(réponse,  contresujet,  etc.).  Par  là,  et  parla  seulement,  croyons-nous, 
peut  s'expliquer  l'ordre  tonal  des  expositions,  ordre  logique  entre  tous, 
dont  la  pratique  immémoriale  vient  confirmer  pleinement  l'explication 
théorique. 

Dans  les  premières  formes  fuguées,  en  effet,  les  expositions  ne  s'éloi- 
gnent guère  des  fonctions  de  tonique  et  de  dominante  ;  plus  tard,  cette 
forme  rudimentaire  de  cadence  s'enrichit  peu  à  peu,  et  l'on  voit  appa- 
raître, dans  un  ordre  variable,  les  expositions  au  relatif,  à  la  sous- 
dominante,  et  même  au  relatif  de  cette  dernière,  avec  aboutissement  et 

(i)  Voir  I"  liv.,  p.  110  et  suiv. 


ÉLÉMENTS  HARMONIQUES  45 

repos  provisoire  sur  la  dominante  du  ton  principal,  préparant  le  retour 
définitif  à  la  tonique. 

Ordre  tonal  des  expositions  dans  les  Fugues  majeures.  —  Si  nous  rédui- 
sons à  leur  schéma  harmonique  cette  succession  de  fonctions  différentes, 
dans  leurs  ordres  les  plus  usuels,  nous  trouvons  : 

a)  pour  les  formes  primitives  : 


la  petite  fugue  en  UT  de  J.-S.  Bach  (i)  dont  le  sujet  bien  connu 


a  déjà  servi  d'exemple  (p.  Sq),  nous  offre  un  excellent  modèle  de  cette 
cadence  parfaite  élémentaire  :  toutes  les  entrées  réelles  du  sujet  ou  de 
la  réponse  y  sont  faites  sur  la  tonique  ou  la  dominante,  sans  excep- 
tion ; 

^)  pour  les /ormes  plus  développées,  une  infinie  variété  de  cadences 
diverses,  dont  les  plus  complètes  sont  en  général  analogues  à  celle-ci, 
qui  appartient  à  la  fugue  d'orgue,  en  f/r,  de  J.-S.  Bach  (2)  : 


1. 

2 .      .  •  ■  •. 

3. 

(3^1=^ 


/>.  T.  (D) 


(D.     T.) 


Cette  grande  formule  de  cadence  offre,  pour  ainsi  dire,  la  synthèse  de 
toutes  les  autres.  Aussi  la  tradition  d'école  en  a-t-elle  fait,  à  quelques 
petites  différences  près,  son  modèle  absolu.  On  se  demande  la  raison 
de  cette  rigueur,  car,  dans  la  littérature  de  la  Fugue  musicale,  les  exem- 


(1)  Édition  Peters,  vol.  III,  n»  7,  p.  68  et  suiv. 

(2)  Jbid.,  vol.  Il,  n»  I. 


46 


LA  FUGUE 


pies  conformes  à  cette  formule,  et  surtout  à  celle  de  l'école,  sont  infini- 
ment rares. 

^Toutefois,  puisque  ce  type  de  Fugue  paraît  réaliser  le  maximum 
d'extension  que  ce  genre  de  composition  ait  jamais  atteint,  dans  l'ordre 
des  expositions  régulières,  il  y  aura  sans  doute  quelque  utilité  à  en  faire 
ici  l'analyse  plus  détaillée,  en  tant  qu'application  des  principes  d'équi- 
libre tonal,  établis  précédemment. 


î  _  Exposition  principale 
vy  entrée 
Sujet 


11^  entrée 


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Réponse 


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D. 
.111^  entrée 


I.  Toute  cette   Première  Exposition  oscille    entre   les  fonctions   de 
tonique  et  de  dominante.  L'importance  capitale  de  ces  deux  fonctions 


ÉLÉMENTS  HARMONiOUES 


47 


justifie  le  redoublement  que  les  quatre  entrées  successives  du  sujet  ou 
de  la  réponse  font  subir  à  cette  oscillation. 

La  loi  rythmique  d'imitation  veut,  en  effet,  que  toutes  les  parties 
mélodiques  imitent  tour  à  tour  le  sujet  proposé,  surtout  au  moment 
de  son  apparition  initiale.  Ainsi,  dans  les  plus  anciens  motets,  chaque 
VOIX  de  la  polyphonie  répétait  en  général  les  mêmes  paroles  du  texte, 
et  avec    le   même  thème  ou    son  (imitation  sur  divers  degrés). 

Cet  usage  a  persisté  dans  la  Fugue  instrumentale,  où  il  apparaît  sous 
la  forme  des  entrées  successives  de  la  première  exposition,  en  nombre 
égal  ou  supérieur  à  celui  des  parties  (ou  des  voix). 

Toutefois,  le  nombre  seul  et  non  Vordre  de  ces  entrées  est  ainsi  déter- 
mmé  ;  car^  cet  ordre,  chez  les  auteurs  de  fugues,  n  obéit  à  aucune  règle 
fixe  ;  il  varie  au  contraire  en  raison  du  caractère  du  sujet,  de  sa  tonalité,  de 
son  étendue,  ou  simplement  de  la  plus  grande  commodité  d'exécution. 
Vamement,  la  pédagogie  proscrit  les  entrées  dites  en  échelle,  c'est-à- 
dire  procédant  régulièrement  de  la  plus  grave  à  la  plus  aiguë,  ou  inver- 
sement, sous  prétexte  que  le  dessin  dit  contresujet  (voir  ci-dessus,  p.  43) 
doit  être  écrit  en  contrepoint  renversable  et  entendu,  dès  la  première 
exposition,  tantôt  au-dessus,  tantôt  au-dessous  du  sujet  (ou  de  la 
réponse)  :  nulle  obligation  de  ce  genre  n'apparaît  dans  lés  fugues 
musicales,  comme  on  peut  le  vérifier  facilement  dans  celles  de  J.-S. 
Bach,  par  exemple  (i). 

2 Contre-exposition 


# 


VP  entrée 

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Réponse 


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D. 


(0  Voir  notamment  : 

a)  Fugues  d'orgue  (Éd.  Peters)  :  vol.  II,no.4ct8;  vol.  III,  no»  5,  7  et  8;  vol    IV  n"  =;  et - 

b)  Clavecin    bien    tempéré,     \»   livre,   22»  fugue  ;    II»   livre.  9»,  io«    ij«et20«    '  " 
Ces  fugues,  et  presque  toutes  celles  à  trois  voix,  ont  leur  première  exposition  disposée  en 

entrées  successives   du  grave  A  l'aigu  ou  de  l'aigu  au  grave,  c'est-à-dire  en  échelle. 

Quant  à  cette  autre  règle  édictée  par  certaines  écoles,  et  qui  consiste  à  faire  entrer  simul- 
tanément, dès  le  début  delà  Fugue,  le  sujet  et  le  contresujet  (voir  ci-dessus,  p.  43).  inutile  de 
dire  qu  on  n'en  rencontre  presque  jamais  l'application,  chez  les  bons  auteurs  de  fugues. 


48 


LA.  FUGUE 


11^  entrée 
Sujet 


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3 


III';  entrée 


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Réponse 


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D 


2.  La  Co?itre-Expositio7i,  qui  apparaît  ordinairement  dans  les  fugues 
après  une  transition  de  quelques  mesures  (i)  la  reliant  à  l'exposition 
initiale,  repose,  comme  celle-ci,  sur  les  fonctions  de  dominante  et  de 
tonique  ;  mais,  par  un  effet  assez  logique  des  lois  de  symétrie,  la  ré- 
ponse y  est  entendue  avant  le  sujet,  ce  qui  entraîne  une  sorte  d'inver- 
sion des  fonctions  tonales,  destinée  à  rétablir  l'équilibre  rompu  par  la 
première  exposition.  Si  le  sujet  entendu  au  début  de  la  Fugue  était 
conclusif,  comme  dans  l'exemple  ci-dessus,  la  réponse  qui  commence 
la  contre-exposition  est  forcément  suspensive^  et  réciproquement. 
Lorsque  la  contre-exposition  ne  contient  qu'une  seule  entrée  de  la 
réponse  et  une  du  sujet  (comme  c'est  le  cas  le  plus  fréquent),  elle  répond 
plus  exactement  à  ce  besoin  de  compensation  tonale,  puisqu'elle  abou- 
tit à  Vufie  des  fonctions,  tandis  que  l'exposition  initiale,  à  quatre 
entrées,  aboutissait  à  Vautre.  Mais  il  n'y  a  point  là  de  rigueur  absolue. 


(i)  Nous  omettons  ici,  à  dessein,  ces  mesures  de  .  transition  ou   épisodes    (voir   ci-après, 
p.  6i),  sans  influence  sur  la  marche  tonale  de  la  Fugue, 


ÉLÉMENTS  HARMONIQUES 


49 


€t  l'exemple  choisi  montre  bien  que    la  contre-exposition  remplit  trcs 
suffisamment  son  but,  même  si  elle  a  plus  de  deux  entrées. 


3  —  Exposition  au  Relatif 
V}"  entrée 


aj:ftlL-l^iu::^:' 


II';  entrée 


3.  Au  delà  des  deux  premières  expositions  sur  la  tonique  et  la  domi- 
nante, la  plus  grande  diversité  apparaît  dans  les  formules  de  cadence 
appliquées  au  plan  de  la  Fugue.  Il  peut  y  avoir,  en  etTet,  un  assez  grand 

COUB*    DK    COMPOSITION.    —    T.    Il,     I  .  4 


50 


LA  FUGUE 


nombre  de  moyens  harmoniques  également  aptes  à  confirmer  une  tona- 
lité, nettement  établie  déjà  par  l'emploi  répété  des  fonctions  princi- 
pales. L'usage  de  l'harmonie  du  7'elatif  de  mode  différent  est  ici  des  plus 
fréquents:  aussi  voit-on  apparaître  à  cette  place  dans  la  plupart  des 
fugues  une  imitation  du  sujet,  puis  de  la  réponse,  offrant  l'apparence 
d'une  véritable  Exposition  au  ton  Relatif,  et  désignée  ijnproprement 
sous  ce  nom   à  l'école.  , 

Pour  les  raisons  exposées  précédemment  (p.  29)  à  propos  de  Vin- 
version,  on  ne  saurait  admettre  comme  le  véritable  changement  de  mode 
d'un  thème  donné  son  simple  déplacement,  vers  la  tierce  mineure  grave 
s'il  s'agit  de  rendre  mineur  un  thème  majeur,  vers  la  tierce  mineure 
aiguë  dans  le  cas  contraire  :  il  n'y  a  là,  on  l'a  vu,  qu'un  procédé  d'imi- 
tation^ approximatif  et  défectueux. 

Dans  la  fugue  qui  sert  ici  d'exemple,  le  sujet  majeur  étant  simple 
(c'est-à-dire  compris  dans  l'intervalle  de  quinte  :  tonique-dominante), 
sa  transposition  au  relatif  mineur  vulgaire  n'y  introduit  pas  de  défor- 
mation très  apparente  :  seule,  la  médiante  est  modifiée.  Mais  il 
n'en  eût  pas  été  de  même  pour  la  réponse,  si  l'auteur  se  fût  astreint  à 
y  remplacer  exactement  la  tonique  par  la  dominante,  et  réciproque- 
ment. Car  il  aurait  fallu  pour  cela  employer  les  formules  incertaines 
et  instables  de  la  gamme  mineure  dite  mélodique,  avec  altération  du 
sixième  degré,  en  montant  seulement,  etc.  etc.,  ce  qui  n'eût  pas  manqué 
de  déformer  étrangement  la  réponse  (i). 

(i)  Dans  la  fugue  n"  i  du  !«'  livre  du  Clavecin  bien  tempéré  de  J.-S.  Bach,  fugue  dont 
le  sujet  ressemble  beaucoup  à  celui  de  la  fugue  d'orgue  ici  analysée,  il  y  a  d'excellents 
exemples  des  graves  déformations  qu'une  véritable  imitation  de  la  Réponse  au  relatif  mineur 
peut  entraîner.  Le  sujet 


.Jonnerait,au  relatif,  une transforn\Ttion assez  naturelle   dont  Bach  ne  se  sert  pas,  d'ailleurs; 


WS:=* 


^^m^m 


et  dont  la  réponse,  employée  par  l'auteur  à  la  ije  misure,  donne  strictement; 


Ni  cette  forme,  ni  sa  tran5po^i^ion  en  ré  mineur,  qu'on  peut  lire  à  la  mesure  17: 


et  qui  se  répète  un   peu   plus  loin  (mesure  19)  avec  d'autres  altérations  encore,  ne  peuvent 
passer  véritablement  pour  des  chefs-d'œuvre  d'élégance  et  de  grâce  mélodique  1 


ÉLKMFtXTS  FIARMONIQUES 


5« 


Mais  qu'arrivc-t-il.  quand  c'est  le  sujet  lui  même  qui  ne  peut  être 
amsi  transposé  sans  subir  les  déformations  inhérentes  à  l'emploi  de 
cette  gamme  ?  En  ce  cas,  les  moyens  employés  par  les  auteurs  sont  des 
plus  variés  :  l'un  des  meilleurs,  et  non  des  moins  rares,  consiste  même 
dans  la  suppresion  pure  et  simple  de  cette  pseudo-exposition  au  relatif 
mineur. 


3  _  antre  Contre-exposition   (exceptionnelle) 


F.c  entrée 


II?  entrée 


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Sujet 


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3 


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À       « 


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3  h'is.  Les  deux  entrées  successives,  l'une  de  la  réponse,  l'autre  du 
sujet,  qu'on  rencontre  à  cette  place  dans  la  fugue  choisie  comme 
exemple,  réalisent  exactement  l'inversion  de  fonctions,  caractéristique 
de  la  Contre-Exposition. 

Les  nécessités  tonales  n'exigeaient  point  cette  contre-exposition 
superflue,  d'ailleurs  assez  rare;  mais  cette  addition,  loin  de  nuire 
à  la  cadence,  la  renforce  au  contraire  ;  et  son  intérêt  musical  indéniable 
montre  une  fois  de  plus  que  l'art  de  la  Fugue  n'est  point  enclos  dans 
d'étroites  formules,  comparables  à  quelque  disposition  législative 
édictant  de  sévères  pénalités  contre  les  imprudents  qui  oseraient  la 
transgresser. 


LA  FUGUE 


4  _  Exposition  à  la  Sous- Dominante 

Entrée  unique 


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Sujet. 


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4.  Après  avoir  parcouru  diverses  combinaisons  de  la  tonique,  de  la 
dominante,  et  des  harmonies  du  mode  mineur  relatif,  la  trajectoire 
normale  de  toute  formule  de  cadence  complète  passe  nécessairement 
par  la  troisième  fonction  tonale  ou  sous-dominante  :  ainsi  s'explique 
l'entrée,  généralement  unique,  du  sujet  à  la  quinte  grave  de  la  tonique, 
qui  apparaît  tôt  ou  tard  dans  presque  toutes  les  fugues  un  peu  déve- 
loppées. 

Cette  suppression  de  la  réponse  à^ns  l'Exposition  à  la  Sous-Dominante 
paraît  avoir  une  double  cause  : 

a)  l'équivoque  existant  entre  la  réponse  entendue  à  la  quinte  aiguë 
de  la  sous-dominante,  c'est-à-dire  au  ton  primitif,  et  le  sujet  lui- 
même  ; 

b)  l'inconvénient  inhérent  à  la  sous-dominante  même,  dont  on  a 
signalé  déjà  (i)  la  tendance  à  effacer,  dès  qu'elle  est  entendu-e  avec 
persistance,  le  sentiment  du  ton  principal,  dont  elle  usurpe  la  place. 


5  _  Exposition  au  Relatif  de  la  Sous- Dominante 

Entrée  unique 


^^ 


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I 


Imitation  du  sujet , 


^^ 


(i)  Voir  h'  liv,  p.   i3i. 


ÉLÉMENTS  HARMONIQUES 


Îl 


5.  La  nécessité  de  rétablir  par  la  dominante  (quinte  aiguë)  l'équilibre 
rompu  momentanément  par  la  sous-dominante  (quinte  grave)  entraîne, 
dans  la  cadence  comme  dans  la  Fugue,  l'usage  d'une  harmonie  intermé- 
diaire, conduisant  de  Tune  de  ces  fonctions  vers  l'autre,  et,  par 
conséquent,  commune  aux  deux.  Telle  est,  à  notre  sens,  la  raison  de 
l'emploi  du  relatif  delà  sous-dominante,  dont  l'harmonie  tonale  contient 
à  la  fois  le  premier  et  le  troisième  degré  de  la  fonction  de  sous- 
dominante,  et  le  cinquième  de  la  fonction  de  dominante.  Le  caractère 
éminemment  transitoire  de  cette  harmonie  (i)  explique  que  l'entrée 
effectuée  dans  la  tonalité  accessoire  qu'elle  détermine,  n'ait  lieu  qu'une 
seule  fois,  sans  réplique  à  la  quinte,  ou  même  qu'elle  soit  complètement 
omise,  ce  qui  arrive   souvent. 

Il  va  sans  dire  que  le  dessin  improprement  qualifié  de  sujet,  qui 
entre,  dans  cette  Exposition  au  Relatif  delà  Sous-Dominante,  ne  saurait 
être  autre  chose  qu'une  imitation  plus  ou  moins  déformée  (comme  celle 
qui  se  rencontre  dans  l'exposition  au  relatif  mineur),  en  raison  des 
nécessités  du  changement  de  mode,  tel  qu'il  se  pratique  usuellement  : 
cette  déformation  apparaît  plus  clairement  encore  dans  l'exemple  ci- 
dessus  (p.  52),  où  l'auteur  a  employé  successivement,  dans  la  même 
entrée  unique  du  sujet  transposé,  sa  médiante  m/;/ez/re(/ti  naturel)  plus 
modale^  et  sa  médiante  majeure  {fa  5)  plus  exacte. 


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Réponse  i 


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Sujet 


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(i)  Il  est  intéressant  de  remarquer  ici  que  cette  harmonie  du  relatif  de  la  sous-dominante, 
superposée  à  l'harmonie  fondamentale  de  cette  mime  fonction,  reproduit  la  sixte  ajoutée 
signalée  par  Rameau,  à  propos  de  la  cadence  (voir  I"  liv.,  p.  i36). 

(i)  Nous  reproduisons  ici  les  quelques  mesures  qui  précèdent  la  Pédale  de  Dominante, 
parce  qu'elles  offrent  un  spécimen  de  la  disposition  dite  Strette,  dont  il  sera  question  ci- 
après,  page  62. 


:'4 


LA  FUGUE 


6 ^Pédale  de  Dominante 

Sujet 


7.  Toniqiu 


6.  Le  retour  logique  vers  la  dominante,  assez  longuement  affirmée, 
s'impose,  après  ce  parcours  un  peu  complexe,  quoique  tonal;  ainsi  se 
justifie  lout  naturellement  cette  grande  entrée  sur  la  Dominante,  affec- 
tant la  forme  de  tenue  ou  de  Pédale,  et  pratiquée  d'ordinaire  par  les 
meilleurs  auteurs,  à  cet  endroit  de  l^a  Fugue. 

7.  Enfin,  cette  dernière  oscillation  conclusive  aboutit  nécessairement 
à  la  fonction  de  Tonique^  représentée  ici  par  un  seul  accord  prolongé. 

Il  n'est  pas  rare  que  cette  tenue  finale  de  la  tonique  prenne  les  pro- 
portions d'une  véritable  Pédale,  symétrique  de  la  précédente. 

Du  reste,  la  plus  grande  liberté  déforme  apparaît  dans  la  péroraison 
des  plus  belles  fugues. 

On  remarque  seulement  que  l'intérêt  des  combinaisons  contrapon- 
tiques  s'accroît  généralement,  à  mesure  qu'on  se  rapproche  de  la 
conclusion  :  aussi,  les  superpositions  du  sujet  et  de  la  réponse,  dites 
streltes  (voir  ci-après,  p.  62),  comme  celle  qui  se  trouve  ébauchée  dans 
l'exemple  ci-dessus  (p.  63),  immédiatement  avant  la  pédale  de  domi- 
nante, y  ont-elles  leur  place  la  plus  logique,  sinon  la  plus  fréquente. 

En  résumé,  cette  vaste  cadence,  réalisée  au  moyen  de  l'ordre  tonal 
des  expositions  d'une  Fugue  (même  en  la  choisissant  aussi  complète  que 
possible),  loin  d'infirmer  le  caractère  iinitoniqiie  de  cette  forme  de 
composition,  le  renforce  notablement,  sans  y  introduire  aucun  élément 
véritablement  modulant,  au  sens  large  de  ce  mot,  tel  qu'il  sera  expliqué 
ultérieurement  (chap.  iv). 

Toutefois,  il  est  bon  d'observer  que  cette  stabilité  tonale,  excellente 
dans  les  fugues  majeures,  est  beaucoup  plus  incomplète  dans  les  fug"aes 
de  mode  mineur  usuel,  en  dépit  de  leur  symétrie  apparente  mais  arbi- 
traire avec  les  fugues  de  mode  majeur. 


ÉLÉMENTS  HARMONIQUES 


55 


Ordre  tonal  des  expositions  dans  les  Fugues  mineures.  —  En  transpo- 
sant les  formules  de  cadence  précédemment  établies,  du  mode  majeur 
au  mode  mineur,  par  les  procédés  habituels  qui  consistent,  soit  à 
abaisser  d'un  demi-ton  les  troisième  et  sixième  degrés,  soit,  ce  qui 
revient  au  même,  à  reculer  toutes  les  notes  d'une  tierce  vers  le  grave, 
on  ne  rencontrera  sans  doute  aucune  difficulté  sérieuse,  tant  qu'il 
s'agira  de  formules  primitives,  comme  la  première,  limitée  aux  fonctions 
de  tonique  et  de  dominante. 


eo  aiO(le  minear  ùsûei 


en  mode  mineur  inverse 


Dans  les  fugues  n°^  6  et  12  du  premier  livre  du  Clavecin  bien  tem- 
péré, de  J.-S.  Bach,  il  n'y  a  exclusivement  que  des  entrées  à  la  tonique 
et  à  la  dominante,  en  ordre  variable. 

La  tonalité  pouvant  s'établir  par  la  formule  de  cadence  dite  plagale, 
comme  par  la  formule  dhe  parfaite,  le  changement  de  mode  substitue 
tout  simplement  ici  l'une  des  cadences  à  l'autre,  en  appliquant  les  prin- 
cipes réels  du  mode  mineur  i;/z'frs^  (i);  et  l'harmonie  de  la  quinte  supé- 
rieure [mi]  remplit  les  fonctions  de  sous-dominante  (la  note  prifne  de 
l'accord  mi-sol-SI,  étant  le  SI  à  l'aigu). 

Mais  il  n'en  va  plus  de  même  pour  les  formules  plus  complexes, dans 
lesquelles  apparaît  un  véritable  conflit  entre  la  modalité  et  la  transposi" 
tion  usuelle. 

Qu'on  en  juge  par  l'exemple  ci-dessous  reproduisant  tous  les  élé- 
ments essentiels  (2)  de  la  grande  cadence  majeure  précédemment  exa- 
minée (p.  45),  en  les  abaissant  d'une  tierce,  diatoniquement  : 


r.    D.   T.    D. 


D.    T. 


Sous- Dominante 
du  Relatif 

m  a  j  e  u  r 


/>. 


T. 


Cette   formule  constituerait,  à  vrai  dire,  une  cadence   assez  satisfai- 

(1)  Voir  I*'  liv.,  p.  110. 

(2)  Dans  cette  formule  transposée,  on  a  omis  à  dessein  les  redites  des  contre-expositions, 
qui  constituaient  plutôt  des  ca.s  particuliers  à  l'exemple  majeur  précédemment  choisi. 


56 


LA  FUGUE 


santé  en  mode  mineur  vulgaire  ;  mais,  au  lieu  de  Vexposîtion  au  relatif 
(n°  3),  elle  supposerait  l'emploi  d'une  sorte  de  sous-dominante  du  relatif 
majeur^  nullement  équivalente  au  point  de  vue  tonal  ;  et,  à  la  place  de 
l'exposition  au  i^elatif  delà  sous-dominante  (n"  5),  on  verrait  apparaître 
une  tonalité  tout  à  fait  insolite,  qui  aurait  pour  base  l'accord  connu 
dans  les  traités  sous  le  nom  de  quinte  diminuée!  Ces  seules  anomalief* 
sutiiraient  à  expliquer  pourquoi  un  tel  plan  tonal  de  Fugue  est  prati- 
quement irréalisable. 

Quant  à  l'adaptation,  plus  logique  en  apparence,  qui  consiste  à 
transposer  partiellement  la  formule  primitive  (p.  46),  en  changeant  la 
modalité  de  toutes  les  expositions,  elle  ne  peut  fournir  qu'une  cadence 
tonale  assez  faible,  car  elle  contient  plusieurs  antinomies  qu'il  est  bon 
de  signaler. 


I 


2. 


É 


6. 


-Exposition 
principale 


=^ 


Harmonie 
de  la  pédale 


^§r 


Conclusion 


77 

_  Contre- 
exposition 


Relatif 
majeur  _ 


■S  O  M .«  - 
Dont . 


Relatif 
S.-Dotn. 


^ 


^ 


T.  D.  T.  D.      D.     T. 


D. 


L'emploi  du  relatif  majeur^  dans  la  3*  exposition,  entraîne  une 
transposition  en  sens  inverse  de  celle  pratiquée  sur  le  reste  de  la  cadence 
majeure  qui  a  servi  de  point  de  départ  (p.  45),  c'est-à-dire  à  la  tierce 
supérieuj-e^  et  non  à  la  tierce  inférieure  ;  et  cette  fausse  application  de 
Vinversion,  dans  une  simple  transposition  diatonique  qui  ne  la  com- 
portait pas,  produit  une  perturbation  facile  à  prévoir,  quand  il  s'agit 
de  répondre  à  la  quinte  supérieure  du  relatif: 


Harmoi 


nies"     •     ^®  '''*'     •      *^"        •  ^^  ^^  quint( 
:    Toniqiit    :  Relatif    '■  du   Relatif 


en 
a)     mode 
majeur 


^^ 


^^=^ 


zr^^^a^ 


Descente  de  tierce   II   Montée  de  quinte 


Harmonies:     •      ^^  ^^    :      du        ;  de  la  quinte 
'.    Tonique   :  Relatif    '.  du  Relatif 


en 

b)     mode 
'mineur 


i 


-:8r 


"tr 


Monfce  de  tierce  il  Montée  de  quinte 


ÉLÉMENTS  HARMONIQUES 


Î7 


L'harmonie  de  sol  majeur  (quinte  du  relatif)  n'a  plus  de  parenté  avec 
la  tonalité  générale  {la  mineur  ;  fig.  ^,  p.  56),  alors  qu'en  ci  majeur  (fig.  a) 
l'harmonie  naturelle  de  mi  (quinte  du  relatif)  restait  en  contact  /^par 
i?îi  et  par  sol)  avec  celle  du  ton  initial. 

Un  phénomène  analogue  d' inversion  mal  employée  modifie  singu- 
lièrement, dans  la  3*  exposition,  le  rôle  du  relatif  majeur  de  la  sous- 
dominante  :  dans  la  Fugue  majeure,  cette  exposition,  à  la  tierce  grave  de 
celle  qui  la  précédait  (sous-dominante),  servait  de  transition  normale 
entre  cette  fonction  et  la  dominante  qui  suivait,  sous  forme  de  tenue  ou 
de  pédale  (voir  p.  53  et  54).  Il  va  sans  dire  que,  dans  la  Fugue  mineure, 
cette  5*  exposition,  à  la  tierce  aiguë  de  celle  qui  la  précède  (sous-domi- 
nante), n'est  aucunement  apte  à  remplir  le  même  office  : 


Harmonies 


en 
a)     mode 
majeur 


Harmonies 


:     de  la 
'Sou<<-f)om. 


du  Relatif   \      de  la 
de  la  S'Dom.  '■  Dominonte 


Descente  de  tierce  ||  Descente  do  quinte 


en 
à)     mode 
mineur  i 


:      de  la 
'■Sons-Dum 


S 


■^fc4:^ 


du  Relatif   \       de   la 
de  la  StDotti.  '.  Duminnntt 


3E 


-T'  ^^ 


Miintée  io  tierce  l|   Dtscente  daj^too 

toutefois,  comme  cette  exposition  introduit  dans  la  formule  de  cadence 
une  harmonie  fortement  apparentée  (par  ut  et  par  la)  à  celle  du  ton 
principal  {la  mineur),  le  renforcement  tonal  qui  en  résulte  compense 
en  partie  les  inconvénients  dus  à  son  défaut  total  de  cohésion  avec 
rharmonie  de  la  dominante. 

En  dépit  des  irrégularités  qu'on  vient  de  signaler,  cette  grande 
formule  de  cadence  (p.  56),  adaptée  mais  non  transposée  du  mode 
majeur  au  mode  mineur,  n'offre  pas,  comme  la  précédente,  de  véritable 
impossibilité  matérielle  de  réalisation  ;  elle  est  même  suffisamment 
tonale,  si  l'on  tient  compte  de  l'imprécision  inhérente  au  mode  mineur 
vulgaire,  et  il  n'est  pas  très  surprenant  de  constater  que  les  meil- 
leurs auteurs  de  fugues,  et  J.-S.  Bach  lui-même,  s'en  sont  généralement 
contentés.  Il  semble  toutefois  que  les  fugues  mineures  de  cette  forme 
soient  admirables  surtout  par  l'art  consommé  que  les  auteurs  y 
déploient,  pour  remédier  aux  défectuosités  tonales  de  cette  formule  de 
cadence,  ou  d'autres  analogues. 


58 


LA  FUGUE 


On  peut  en  observer  un  exemple  des  plus  concluants  dans  la  Toccata 
en  mi  mineur,  de  la  VP  Partita  pour  clavecin  de  J.-S.  Bach,  laquelle 
est  composée  d'un  Prélude  et  d'une  Fugue  à  trois  parties,  strictement 
conforme  à  cette  adaptation  minein^e  de  la  grande  cadence  servant  de 
base  à  la  Fugue   d'orgue  précédemment  analysée. 

I.  L'Exposition  initiale  de  cette  Fugue  est  parfaitement  normale: 
elle  est  disposée  en  échelle,  du  grave  à  l'aigu,  avec  autant  d'entrées  que 
de  parties  (i)  : 


^^ 


Sujet 


(i;  Nous  donnons  ici,  seulement  à  titre  de  spécimen  du  mode  mineur,  la  première  exposition 
de  cette  Fugue-,  pour  les  suivantes,  ainsi  que  pour  les  épisodes,  les  pédales,  le  prélude,  et 
toutes  les  remarques  qu'ils  comportent,  on  voudra  bien  se  reporter  au  texte. 


ÉLÉMENTS  HARMONIQUES  59 

2.  La  Contre-Exposition,  commençant,  suivant  Tusage,  par  la  réponse 
(dominante)  suivie  du  sujet  (tonique)  est  absolument  régulière. 

3.  L'Exposition  au  Relatif  majeur  offre,  ce  qui  n'est  pas  très  fréquent, 
les  deux  imitations  prévues,  l'une  du  sujets  en  sol  majeur,  l'autre  de  la 
réponse,  en  RÉ  majeur  :  mais  cette  tonalité  disparaît  avec  la  dernière 
note  du  thème,  pour  faire  place  immédiatement  à  celle  de  la  mineur, 
qui  anticipe  ainsi  de  plusieurs  mesures  sur  l'exposition  suivante. 

4.  L.' Exposition  à  la  Sous-Dominante,  par  le  sujet  seulement,  fait  donc 
corps  avec  l'épisode  précédent,  au  point  de  vue  de  la  tonalité,  dont  la 
durée  se  trouve  ainsi  presque  doublée. 

5.  L'Exposition  au  Relatif  majeur  de  la  Sous-Dominante,  beaucoup 
meilleure  par  sa  parenté  tonale  avec  le  ton  principal,  n'est  point  entourée 
des  mêmes  précautions  que  la  réponse  en  ré  majeur.  Mais,  comme  elle 
ne  saurait  en  aucun  cas  servir  d'acheminement  vers  la  Pédale  de  Domi- 
nante qui  suivra,  elle  en  est  séparée  par  un  vaste  épisode  modulant, 
lequel  contient  même  une  petite  contre-exposition  surérogatoire  de  la 
réponse  seule,  sans  réplique  du  sujet. 

6.  La  Pédale  de  Dominante  emprunte  ses  dessins  au  Prélude,  qui 
se  trouve  ainsi  relié  à  la  Fugue,  plus  intimement  que  la  plupart  des 
pièces  associées  généralement  ensemble  par  l'auteur,  sous  les  noms  de 
Préludes  et  Fugues. 

7.  La  Pédale  de  Tonique^  avec  ses  accessoires  conclusifs,  succède  à  la 
précédente  et  offre  les  mêmes  dessins.  L'ensemble  des  pédales  consti- 
tue ainsi  une  sorte  de  péroraison,  symétrique  du  Prélude,  qu'elle  égale 
presque  en  durée  ;  la  série  des  expositions,  qui  forme  la  partie  centrale 
le  ce  modèle  de  construction  ternaire,  apparaît  ainsi  en  équilibre  entre 
le  Prélude,  d'une  part,  et  les  Pédales,  de  l'autre.  Et  c'est  surtout  la 
solidité  de  ces  tenants  et  aboutissants  qui  atténue  les  imperfections  de  la 
formule  de  cadence  employée. 

Mais  on  pourrait  citer,  même  chez  Bach,  et  surtout  depuis  lui,  bien 
d'autres  fugues  mineures,  qui  sont  bâties  sur  le  même  plan,  sans  y  avoir 
ajouté  les  correctifs  nécessaires  à  leur  défaut  originel  de  cohésion 
tonale. 

La  Cadence  mineure  inverse.  —  On  est  fondé  h  penser  que,  même  à 
l'époque  de  la  floraison  delà  Fugue,  une  application  plus  rationnelle  de 
la  loi  d'inversion  des  cadences  et  des  modes,  établie  précédemment  (i), 
eût  apporté  le  vrai  remède  à  cet  inconvénient  du  mode  mineur 
usuel.  Mais  les  principes  mêmes  de  ce  mode,  que  les  théoriciens 
d'alors    représentaient    toujours    comme   parallèle  au    mode    majeur 

(i)  Voir  l"^""  liv.,  chap.  vi. 


6o  LA  FUGUE 

dont  il  dérivait  à  l'aide  d'altérations  variables,  s'opposaient  à  toute  ten- 
tative d'hij'ersion  vraie.  Sans  cet  obstacle,  alors  insurmontable,  on  eût 
pu  découvrir  aisément  des  formules  réellement  mineures,  et  rigoureu- 
sement équivalentes  aux  formules  majeures  en  usage. 

Vinversîon  harmonique  de  la  cadence  qui  nous  a  servi  (p.  45)  de 
îype  complet  pour  la  Fugue  à  sujet  majeur,  produit,  en  mineiw  vrai, 
une  détermination  tonale  excellente  : 


^M 


^ 


ta 


4. 


5. 


6. 


3E 


^ 


S 


Exposition 
principale 


Contre- 
exposition 


Relatif 
majeur 


Sous- 
Dom. 


Relatif 
Sr  Dom. 


Harmonies 
des   pédales 


^ 


^^ 


7\     D.     T.     D.        D.     T. 


S. 


Fondions  en  mode  mineur  invu'se. 


Pourquoi  donc  cette  cadence  n'autoriserait-elle  pas,  même  de  nos 
jours,  la  construction  de  vraies  fugues  miiieuj^es^  s3miétriques  des 
fugues  majeures,  au  point  de  vue  tonal  comme  au  point  de  vue  moaal? 

Des  fugues  de  ce  genre  ne  seraient,  au  surplus,  que  l'extension 
logique  du  procédé  àHnversion^  tel  qu'il  vient  d'être  étudié  en  détail 
(p.  i6  et  suiv.)  à  propos  des  anciens  Canons  :  ce  procédé,  ainsi  que  celui 
du  mouvement  contraif^e,  s'appliquait  déjà  dans  la  Fugue,  chez  J.-S. 
Bach  et  ses  contemporains,  au  sujet  et  à  ses  annexes,  afin  d'en  tirer  des 
combinaisons  nouvelles,  apparaissant,  le  plus  souvent,  dans  les  parties 
accessoires  ou  épisodiques  (voir  ci-après,  p.  6i)  intercalées  entre  les 
expositions  proprement  dites. 

Mais  jusqu'à  présent,  la  substitution  de  mode  qui  en  résulte  n'a 
presque  jamais  été  utilisée  consciemment  et  intégralement,  parce 
qu'on  ne  s'est,  sans  doute,  pas  encore  assez  pénétré  de  cette  vérité  que 
la  seule  transposition  exacte  d'un  thème  majeur  en  mode  mineur,  ou 
réciproquement,  consiste  dans  Vinversion  rigoureuse  de  tous  les  inter- 
valles de  ce  thème,  impliquant  celle  des  harmonies  qu'il  comportait 
naturellement  dans  son  premier  état  : 


Exemple  en  mode  majeur: 


Même  exemple  en  mode  mineur  vrii: 


EI.K.Mt.NTS   IIAU.MONIQUKS  6i 

Dans  cette  opération  de  Vi)n'ersio)i  (  i  )  d'un  thème  quelconque,  on  sait 
qu'un  seul  degré  reste  immuable  et  sert,  en  quelque  sorte,  d'axe  de 
rotation  au  motif  entier:  ce  degré  est  le  second,  dans  la  gamme  majeure 
naturelle  ascendante,  comme  dans  la  gamme  descendante  mineure 
inverse,  puisqu'il  est  comme  le  point  dejonction  de  ces  deux  gammes  (2). 

Épisodes.  —  Pour  compléter  cette  étude  des  éléments  harmoniques 
de  la  Fugue,  il  reste  à  examiner  sommairement  certaines  parties  acces- 
soires, qui  y  furent  introduites  progressivement  par  les  auteurs,  afin 
de  relier  entre  elles  musicalement  les  diverses  expositions,  et  de  remé- 
dier à  la  satiété  résultant  de  leur  froide  juxtaposition,  dans  un  ordre 
tonal  prévu. 

Pas  plus  dans  la  Fugue  que  dans  aucune  autre  composition,  la 
musique  ne  devait,  en  effet,  abdiquer  ses  droits.  Aussi,  au  fur  et  à 
mesure  que  la  loi  impérieuse  des  cadences  tonales  imposait  un  ordre  de 
plus  en  plus  fixe  aux  perpétuelles  expositions  d'un  thème  expressive- 
ment  invariable,  les  auteurs  de  Fugues  ressentirent-ils  plus  nettement 
tout  ce  que  cette  rigueur  avait  d'incompatible  avec  la  souplesse 
plastique,  inhérente  à  toute  beauté  de  forme. 

Et,  pour  rétablir  dans  leurs  œuvres  l'élément  de  variété  et  d'élasticité 
qui  leur  manquait,  ils  intercalèrent  presque  instinctivement,  entre  les 
expositions,  quelques  formules  de  transition  servant  à  les  enchaîner  les 
unes  aux  autres. 

Ces  formules,  appelées  dipertissements  ou  épisodes,  contrastent  avec 
la  rigidité  des  expositions  par  une  liberté  d'allure  beaucoup  plus 
grande.  Bien  que  toujours  reliées  aux  éléments  primordiaux  de  la 
Fugue  (sujet,  réponse,  contresujet)  par  la  parenté  des  dessins 
employés,  les  épisodes  en  diffèrent  par  une  imitation  contrapontique 
beaucoup  plus  libre,  à  laquelle  viennent  s'ajouter  parfois  les  plus  riches 
combinaisons  empruntées  à  l'écriture  du  Canon  (inversion,  rétrograda- 
tion, augmentation,  diminution,  etc.).  Il  en  résulte  une  sorte  d'expansion 
expressive  et  variée,  qu'entrave  malheureusement  trop  souvent  l'abus 
du  procédé  si  commode  et  si  plat  qui  a  nom  marche  d^harmonie. 

J.-S.  Bach  excella  dans  la  composition  de  ces  épisodes  :  certains 
d'entre  eux,  en  dépit  de  leur  rôle  purement  extérieur  en  principe  au 
cadre  étroit  de  la  Fugue  proprement  dite,  y  ajoutent  un  tel  élan  de  vie 
et  d'émotion,  qu'on  ne  saurait  se  refuser  à  y  reconnaître  l'embryon  de 

(i)  Cette  inversion  rigoureuse  est  rarement  pratiquée  par  J.-S.  Bach,  tandis  que  le  mouve- 
ment contraire  apparaît  fréquemment  dans  ses  œuvres.  On  peut  cependant  faire  le  travail  de 
l'inversion  sur  toutes  les  fugues.  Les  résultats  sont  extrêmement  curieux  et  instructifs  au 
point  de  vue  de  la  tonalité  ;  on  rencontre  des  passages  entiers  qui  demeurent  aussi  har- 
monieux et  aubsi    «  musicaux  »  que  dans  le  texte  original. 

(a)  Voir  l"  hv.,  p.  loi,  et  ci-dessus,  p.  29  et  jo. 


63 


LA  FUGUE 


ce  qui,  plus  tard,  devait  constituer  le  véritable  développement,  ou  Vactîon 
des  thèmes  (voir  chap.  iv). 

Pédales.  —  L'usage  des  combinaisons  variées,  mais  toujours  expres- 
sives, destinées  à  accroître  l'intérêt  des  tenues  ou  pédales  exigées  par  le 
cadre  tonal  de  la  Fugue,  participe  aux  mêmes  raisons  et  au  même 
rôle  que  les  épisodes. 

Strettes.  —  Enfin,  l'habitude  aujourd'hui  généralement  adoptée,  bien 
que  nullement  nécessaire,  de  réserver  pour  la  dernière  partie  de  la 
Fugue  les  formules  d'écriture  serrée,  dites  strettes^  se  justifie  assez  bien 
aussi  par  la  nécessité  de  donner,  autant  que  possible,  à  cette  composition 
un  intérêt  toujours  croissant. 

L'étude  des  Motets,  depuis  les  plus  anciens,  nous  a  montré  la  prédi- 
lection de  leurs  auteurs  pour  certaines  recherches  d'écriture  en  usage 
aussi  dans  les  canons^  ricercari^  etc  ,  et  tendant  à  faire  entrer  les 
thèmes  dans  une  des  parties  vocales,  avant  que  l'exposition  du  même 
thème  dans  une  autre  partie  soit  complètement  terminée.  Cette  sorte 
de  chevauchement,  que  la  contexture  de  certains  thèmes  permet  de 
reproduire  sur  plusieurs  points  différents  de  leur  mélodie,  en  se  rap- 
prochant de  plus  en  plus  du  début,  a  reçu  le  nom  de  stretto  ou  streite 
(écriture  resser7'ée\  L'application  de  ce  procédé  contribue  généralement» 
dans  le  Motet,  à  un  renforcement  expressif  des  plus  significatifs. 

Dans  la  Fugue,  le  mot  streite  désigne  spécialement  les  entrées  de  la 
réponse  sur  le  sujet  (ou  du  sujet  sur  la  réponse),  depuis  la  plus 
éloignée,  commençant  sur  la  dernière  note  du  sujet  (ou  de  la  réponse), 
jusqu'à  la  plus  rapprochée,  commençant,  s'il  se  peut,  immédiatement 
après  la  première  note,  comme  nous  en  avons  vu  un  exemple  (ci-des- 
sus, p.  53)  dans  l'épisode  qui  précède  la  pédale  de  la  fugue  majeure 
précédemment  analysée. 

Nous  donnons  ci-dessous  quelques  mesures  de  la  V^  Fugue  du 
Clavecin  bien  tempéré,  de  J.-S.  Bach,  dans  lesquelles  on  peut  voir 
presque  tous  les  cas   possibles  de  strettes  et  de  canons  : 


© 


Réponse 


i 


© 


Sujet 


L^'rW 


i*t£>i 


Si 


Sujet 


4'--  vji  m/^ 


m 


Réponse 


Qimi^ri^M  .i"JJY/^ 


^ 


Réponse 


w-,  ''JTf^  rfr 


^^ 


u  f   ^/ 


^ 


^Réponse 


ï?=* 


^ 


^^J^Kn)  = 


ELEMENTS  HARMON'IQUES 


63 


imiiation  de  la  réponse 

(§)  imitation  du  lujet 


^^ 


(1)  (2)  —  Strette  inachevée  de  la  Réponse,  entrant  avec  la  3*  note  du  Sujet  • 

(2)  (3)  -Strette  canonique  (ou  Canon)  delà  Réponse,  entrant  sur  elle-même   à 

1  octave  grave  ;  ' 

(3)  ^4)  -  Autre  Strette  canonique  plus  rapprochée,  à  la  double  octave  aiguë- 
S  /«    ~     ^'^"^  intégrale  du  Sujet,  entrant  avec  les  dernières  notes  de  la  Réponse  • 
(5)  (6)  —  Autre  Strette  de  la  Réponse  entrant,  comme  la  Strette   (1)  (2),  avec  là 

3e  note  du  Sujet,  mais  exposée  intégralement  ; 
(7>  (8)  —  Sorte  d'épisode    en  Strette,  faisant  entendre,  au  relatif  de  la  sous-domi- 
nante {ré  mmeur),  le  Sujet  sur  la  4e  note  de  la  Réponse. 

La  transposition  en  mode  mineur  du  sujet  (8)  et  de  la  réponse  (7) 
entraîne  pour  celle-ci  des  mutations  qui  la  déforment  notablement,  et 
montre  bien  l'inaptitude  de  certains  thèmes  à  subir  ce  grossier  change- 
ment de  mode  (i). 

Toutefois,  ces  mêmes  mutations  fourniront  ici  un  excellent  exemple 
pour  servir  à  mieux  distinguer  l'un  de  l'autre  la  Strette  proprement 
dite,  et  le  Canon,  avec  lequel  on  la  confond  souvent. 

La  Strette  se  dillerencie,  en  effet,  d'un  Canon  droit  à  la  quinte  (ou  à 
la  quarte),  en  ce  que  le  conséquent  (voir  p.  22)  y  affecte  la  forme  de 
réponse,  avec  ses  mutations  caractéristiques,  chaque  fois  que  l'anté- 
cédent est  constitué  par  le  sujet,  et  réciproquement.  Quant  à  la  Strette 
canonique  (2)  (3)  (4),  intercalée  ici  entre  des  strettes  véritables,  elle  n'est 
pas  autre  chose  qu'un  canon  ordinaire  du  sujet  ou  de  la  réponse. 

Le  travail  contrapontique  de  laStretle  a  entraîné  de  graves  abus,  qui 
n'ont  pas  peu  contribué  à  la  décadence  de  l'art  de  la  Fugue,  devenu 
dans  les  écoles  un  véritable  jeu  de  patience,  dénué  de  toute  préoccupa- 
tion musicale.  Ainsi,  cette  simple  affirmation  conclusive  de  la  tonique 
que  devait  être  la  Stj'eltc  a  pris,  dans  certaines  fugues  d'école,  une 
extension  telle  qu'elle  atteint  parfois  une  longueur  égale  ou  même 
supérieure  à  celle  de  la  totalité  des  expositions  avec  leurs  épisodes  I 


(i)Dans  la  note  de  la  page  5o.    nous  avons  signalé  déjà  ce  sujet  comme  réfractairc  à  la 
transposition  en  mode  mineur  vulgaire. 


64  LA  FUGUE 

Cette  déchéance  de  la  Fugue  provient  surtout,  croyons  nous,  de  la 
méconnaissance  de  ses  origines.  On  semble  avoir  perdu  de  vue  qu'elle 
n'ester  ne  saurait  être  qu'une  vaste  cadence  tonale.  Loin  de  l'appauvrir 
ou  de  la  restreindre  en  lui  restituant  définitivement  son  caractère 
primordial,  nous  prétendons  montrer,  au  contraire,  comment  et  par  où 
elle  peut  s'élargir  et  reprendre  de  l'intérêt,  sans  cesser  d'être  elle- 
même. 

Notre  bi  af  exposé  des  principes  de  Vinversion  modale,  par  exemple, 
ne  tend-il  pas  à  prouver  que  les  applications  à  la  Fugue  de  la  loi  des 
cadences  sont  aussi  loin  d'être  épuisées  que  les  formules  de  cadences 
elles-mêmes,  et  que  ces  dernières  sont  encore  plus  loin  d'avoir  été 
utilisées  en  totalité  pour  l'élaboration  de  plans  de  fugues,  tous  diffé- 
rents de  ce  gabarit  puéril  qui  a  nom  la  Fugue  d'école  ? 

7.  LA  FORME  «  PRÉLUDE  ET  FUGUE  ».  —  SON  ROLE  DANS  LA  MUSIQUE  SYMPHONIQUE. 

Le  souci  de  Taffirmation  tonale,  qui  présida  à  l'élaboration  des 
formules  de  cadences  sur  lesquelles  furent  construites  les  plus  belles 
fugues  de  la  période  de  floraison,  semble  avoir  été  si  prépondérant, 
qu'en  dehors  de  ses  multiples  effets  dans  le  corps  même  de  la  Fugue, 
il  s'étend  et  rayonne  en  quelque  sorte  autour  d'elle,  en  créant  des  formes 
annexes,  destinées  à  établir  préalablement  la  tonalité  principale  dans 
laquelle  se  dérouleront  toutes  les  expositions  avec  leurs  épisodes,  leurs 
pédales  et  leurs  strettes. 

Ainsi  s'expliquent  les  quelques  accords  plaqués  ou  arpégés  qui  pré- 
cédaient déjà  certaines  fugues  instrumentales  assez  anciennes,  et  qui 
firent  place,  peu  à  peu,  à  de  véritables  compositions,  plus  ou  moins 
inséparables  des  fugues,  sous  les  noms  divers  de  Prélude  [Prœludium), 
Fantaisie  {Phantàsie,  Fantasia),  Toccata,  Can^ona,  Ouverture,  etc. 

Plusieurs  de  ces  dénominations  que  nous  retrouverons  plus  loin 
(chap.  Il),  appliquées  à  des  pièces  de  la  Suite,  ont  servi  également  à 
désigner  des  formes  très  ditîérentes,  comme  par  exemple  V0iive?'tu7'e, 
qui  sera  étudiée  séparément  dans  la  seconde  partie  du  présent  livre; 
aussi,  pour  éviter  toute  équivoque,  appliquerons-nous  exclusivement  le 
nom  de  Prélude  à  la  pièce  instrumentale  libre,  le  plus  souvent  mono- 
thématique, monorythmique  et  sans  aucun  repos  provisoire  déterminé, 
qui  précède  ordinairement  la  Fugue,  et  fait  corps  avec  elle  au  point 
de  vue  tonal  tout  au  moins. 

On  le  voit,  la  forme  Prélude  proprement  dite  ne  saurait  être  nette- 
ment définie,  car  son  origine  même,  une  simple  cadence  pour  «  se 
mettre  dans  le  ton  »,  suivant  l'expression  vulgaire,  laissait  à  l'impro- 
visation et  à  la  fantaisie  la  plus  large  part. 


LE  PRÉLUDE  65 

Cependant,  tant  que  le  Prélude  écrit  reste  attaché  à  la  Fugue,  il 
semble  avoir  conservé  de  préférence  le  caractère  unitaire  de  cette 
dernière  composition.  Monothématique  comme  elle,  le  Prélude  peut 
même  mériter  parfois  le  qualificatif  d'a//i^'ma/y^z/e,  lorsqu'il  consiste  en 
un  dessin  rythmique  continu,  qui  change  seulement  de  degré,  afin  de 
faire  entendre  les  harmonies  nécessaires  à  la  cadence  tonale,  sans 
prendre  le  caractère  d'une  mélodie  précise.  Les  deux  tiers  environ 
des  préludes  des  Fugues  du  Clavecin  bien  tempéré,  de  J.-S.  Bach,  nous 
offrent  d'excellents  modèles  de  cette  sorte. 

Mais  avec  le  développement  plus  grand  de  ses  œuvres  d'orgue,  nous 
voyons  bientôt  le  maître  de  la  Fugue  donnera  ses  préludes  une  exten- 
sion inusitée  avant  lui.  Certains  d'entre  eux  contiennent  vers  le  milieu 
une  cadence  à  la  dominante  ou  à  un  ton  voisin,  qui  leur  donne  l'aspect 
d'un  morceau  de  Suite  (voir  ci-après,  chap.  11].  D'autres  même  pré- 
sentent deux  ou  plusieurs  thèmes  ainsi  qu'une  Sonate  véritable  (voir 
ci-après,  chap.  m). 

Toutefois,  quelle  que  soit  l'envergure  exceptionnelle  atteinte  par 
certains  préludes  de  J.-S.  Bach,  et  par  d'autres,  postérieurs,  qui  procè- 
dent, comme  ceux  de  C.  Franck,  des  mêmes  principes,  une  seule  carac- 
téristique y  demeure  constante  :  l'identité  de  leur  tonalité  avec  celle  de  la 
composition  qui  les  suit.  Cette  composition  n'est  point  nécessairement 
une  Fugue  ;  mais  c'est  à  l'occasion  de  la  Fugue  que  le  Prélude  a  pris 
naissance  (i). 

On  peut  donc  avec  raison  considérer  la  forme  Prélude  et  Fugue 
comme  le  premier  essai  authentique  de  juxtaposition  de  deux  pièces 
symphoniques  d'importance  équivalente,  mais  de  caractères  différents, 
écrites  dans  une  tonalité  unique  et  destinées  à  être  entendues  consé- 
cutivement. 

L'importance  capitale  de  cet  essai  apparaîtra  au  fur  et  à  mesure  que 
nous  étudierons  les  autres  formes  symphoniques,  car  nous  constate- 
rons que  la  plupart  d'entre  elles  {Suite ^  Sonate,  Concert,  Musique  de 
Chambre,  etc.)  n'ont  été  à  l'origine  qu'une  simple  juxtaposition  de 
pièces  enchaînées  logiquement  les  unes  aux  autres  parle  seul  lien  tonal, 
exactement  comme  le  furent  autrefois  le  Prélude  et  \a.  Fugue  (2). 

Ce  lien  tonal  des  pièces  différentes  est  donc  à  la  base  de  toute  com- 
position   de  quelque     importance,   comme    les    procédés   d'imitation 

(i)  Le  Choral,  qui  fut  plus  tard  associé  au  Prélude,  et  qui,  chez  Bach,  aflectait  fréquem- 
ment déjà  une  forme  fuguée,  doit  être  considéré  néanmoins  comme  taisant  partie  du  domaine 
de  la  Variation,  et  c'est  avec  cette  forme  musicale  spéciale  qu'il  sera  étudié  ci-après, 
chap.  VI. 

(2)  Parmi  les  sonates  pré-beethovénienrtes  (chap.  m),  on  en  rencontrera  une  de  Johann 
Kuhnau,  où  la  (orme  PriluJe  et  Fugue  est  textuellement  employée.  Albrechtsberger  s'est 
■également  servi   de  cette  forme  dans   ses   quatuors  et  quintettes  pour  instruments  à  cordes. 

Cours  de  composition.  —  t.  u,  i.  J 


66  LA  FUGUE 

contrapontique  et  fuguée  sont  à  la  base  de  toute  littérature  musicale. 
Aussi,  importait-il  d'expliquer  dans  quelque  détail  tout  ce  qui  a  trait  à 
cette  forme  primordiale  de  la  Fugue,  considérée  musicaleme7it,  en  tant 
qu'œuvre  expressive  et  artistique,  et  non  pédagogiquejnent^  en  tant 
que  travail  laborieux  d'assemblage,  hérissé  de  pièges  et  de  chausse- 
trapes.  La  cadence, l'équilibre  tonal  et  modal,  Tinversion  des  fonctions, 
des  thèmes  et  des  modes,  les  canons  et  les  combinaisons  de  toute 
nature  mises  au  service  de  la  musique,  seront  dorénavant  pour  nous 
choses  connues  ;  et  les  occasions  d'en  rencontrer  l'emploi  ne  nous 
feront  point  défaut,  dans  l'étude  des  diverses  formes  symphoniques, 
qui,  sans  être  issues  véritablement  de  la  Fugue,  ont  presque  toutes  subi 
son  influence. 


HISTORIQUE 

8.    DIVISIONS    DE  l'histoire  DE  LA  FUGUE. 

Il  est  assez  difficile  d'établir  d'une  façon  certaine  l'histoire  de  la  Fugue, 
forme  issue  du  Motet,  et  qiii,  sans  se  modifier  notablement  ni  pro- 
créer de  rejeton  direct,  conserva  sa  vie  propre  jusqu'à  nos  jours. 

On  peut  toutefois  distinguer,  au  cours  de  son  existence,  trois  périodes 
assez  caractérisées  pour  donner  lieu  à  une  division  historique  :  sous 
chacun  de  ces  trois  aspects,  la  Fugue  a  évolué  concurremment  avec  les 
autres  formes  musicales,  leur  apportant  souvent  un  moyen,  un  procédé 
spécial  de  construction,  sans  jamais  se  confondre  avec  aucune  d'elles. 

1°  Dans  la  Période  primitive^  la  Fugue  n'apparaît  guère  qu'à  Tétat 
d'imitation  :  c'est  l'époque  des  Caniom  et  des  Ricercari  ;  elle  sert  de 
travail  préparatoire  à  la  période  suivante. 

2°  Dans  la  Période  deJIo?^aison,  la  Fugue  constitue  à  elle  seule  une 
œuvre  musicale  et  s'adjoint  le  Prélude  qui  la  complète  en  ajoutant  à 
son  importance. 

3"  Dans  la  Période  moderne^  après  avoir  été  éclipsée  momentanément 
par  la  forme  Sonate,  la  Fugue  reparaît  dans  celle-ci  à  titre  d'aide  au  déve- 
loppement ;  elle  reprend  même,  chez  quelques  maîtres  contemporains, 
une  existence  à  part  contribuant  à   l'éclosion  de  formes  nouvelles. 

9.  —  période  primitive. 

Contrairement  à  ce  qui  s'était  passé  pour  la  forme  Motet  (i)  péné- 
trant successivement  dans  les  compositions  vocales  dramatiques  de 
chaque  pays,  la  forme  Imitation,  ancêtre  de  la  forme  Fugue  proprement 

(i)  Voir  1"  liv.,  chap.  x. 


PÉRIODE  PRIMITIVE 


67 


dite  dans  le  domaine  instrumental   et  symphonique,   apparut  simulta' 
«em^«^  dans  toutes  les  nations  possédant  quelque  culture  musicale. 

Aussi  examinerons-nous  les  auteurs  de  Fugues,  non  plus,  comme  ceux 
des  Motets,  dans  Tordre  exclusivement  chronologique,  mais  en  les 
subdivisant  en  même  temps  par  nationalités. 


ITALIENS  ET  ESPAGNOLS 

Antonio  de  Cabezôn i5io  f  i566 

Andréa  Gabrieli i5ioi    i586 

Giovanni  Gabrieli iSSy  f  i6i3 

Adriano  Banchieri 1567  t   1634 

GiROLAMO  Frescobaldi I  583  f   1644 

Bernardo  Pasquini 1637  t   1710 

DOMENICO    ZiPOLI 16.    .    f    17.    . 

Antonio  de  CABEZÔN,  natif  de  Castrillo  de  Matajudios  (province  de 
Burgos)  et  aveugle  de  naissance,  devint,  malgré  cette  infirmité,  organiste 
et  maître  de  chapelle  de  l'empereur  Charles-Quint,  puis  de  Philippe  II, 
et  conserva  cette  situation  pendant  quarante  ans.  On  possède  de  lui 
un  certain  nombre  de  versets  ou  Ricetxari  pour  orgue,  parmi  lesquels 
ceux  qu'il  désigne  sous  le  nom  de  Tientos^  présentent  une  analogie  bien 
plus  étroite  avec  la  forme  Fugue  définitive,  que  beaucoup  de  composi- 
tions de  ce  genre  écrites  par  des  musiciens  de  l'époque  postérieure. 

Nous  citons  ici  le  commencement  d'un  Tiento  de  Cabezôn  (i)  dont 
les  entrées  se  suivent  régulièrement  et  sont  conformes  à  la  disposition 
adoptée  par  J.-S.  Bach  dans  quelques-unes  de  ses  Fugues  : 

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Suj 1 


(i)  Hispania.'  schohv  musica  sacva,  publié  par  M.  F.  PeJrell.  vol.  Vill. 


68 


LA  FUGUE 


Andréa  GABRIEL!  (i)  publia,  en  iSyi,  un  livre  Ae  Can^onefrancese 
pe?'  l'of'gano,  conçu  dans  le  style  fugué.  Trois  recueils  de  RicerxaiH 
pour  orgue  parurent  après  sa  mort,  en  i  SgS. 

Giovanni  GABRIELI  (2)  publia  plusieurs  recueils  de  Ricercari  à  4^ 

en  lôSy. 

Adriano  BANCHIERI,  ou  Adriano  di  Bologna^  moine  olivétain  au  cou- 
vent de  Saint-Michel  de  Bologne,  est  l'auteur  d'ouvrages  théoriques  fort 
importants  pour  l'histoire  de  la  musique,  et  notamment  du  célèbre 
Organo  suonarino  (161 1);  il  écrivit  aussi,  en  style  fugué,  des  Can:{oni 
per  sonar  et  des  Ricercari.  Pour  montrer  l'état  rudimentaire  des  pru- 
deptes  imitations  qui  constituaient  alors  tput  l'art  de  la  Fugue,  nous 
extrayons  de  V Organo  suonarino  la  pièce  ci-dessous,  que  Banchieri  donne 
en  exemple,  et  qu'il  intitule  pompeusement  Sonata  prima  a  due  soggetti: 


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(I    Voir  \"  liv.,  p.  lôl . 
{2)  Voir  !•'  hv.,  p.  209. 


HEk.O.jE   PKI  Vil  l  IVr. 


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Qirolamo  FRESCOBALDI,  né  h  Ferrare,  séjourna  quelque  temps  dans 
les  Pays-Bas,  où  il  dut  connaître  son  émule  Sweelinck  (voir  ci-après, 
p.  72);  il  retourna  ensuite  en  Italie  où  il  devint  titulaire  de  l'orgue 
de  Saint-Pierre  de  Rome,  poste  qu'il  conserva  jusque  vers  la  fin  de 
sa  vie.  Organiste  sans  rival  à  son  époque,  Frescobaldi  appliqua  à 
l'orgue  un  nouveau  système  de  doigté  qui  en  accroissait  considérable- 
ment les  ressources.  Il  écrivit  et  publia, en  161  5, des  Ricercari  et  Can-{oni 
francese.  11  passe  pour  le  créateur  de  la  Fugue  italienne  . 

J.-S.  Bach  tenait  les  œuvres  de  ce  maître  en  telle  estime  qu'il  copia 
de  sa  main,  en  17 14,  les  cent  quatre  pages  du  recueil  intitulé  /  fîoj'i 
musicali,  suite  de  versets  destinés  h  l'accompagnement  de  l'office  litur- 
gique (i)  ;  et,  de  fait,  le  style  fugué  de  ces  versets  n'a  pas  été  sans 
influencer  le  génie  du  Cantor  de  Leipzig  dans  ses  premières  manifes- 
tations, comme  on  pourra  le  constater  par  la  pièce  ci-après  (2)  qui 
présente,  en  raccourci,  les  caractères  d'une  exposition  de  Fugue  suivie 
de  strettes  : 


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(i)  Cette  copie  de  Rach  est  conservée  à  la  Bibliothèque  de  l'Institut  de  Musique  relicieuse 
à  Berlin. 

[■2\  Deuxième  verset  sur  1  hymne  Lucis  creator  oplimc.  (Publication  de  M.  Al.  Guil- 
mant.) 


LA.  FUGUE 


Frescobaldi  écrivit  également  un  grand  nombre  de  compositions 
fuguées  Lur  des  thèmes  populaires  ;  il  réclamait  pour  l'exécution  de 
ses  œuvres  une  grande  fantaisie  rythmique,  une  sorte  de  tempo  rubato 
continuel.  Il  joue,  dans  l'histoire  de  la  musique  d'orgue,  le  rôle  d'un 
véritable  «  créateur  qui,  malgré  des  formules  vieillies,  fait  pressentir 
«  tout  un  au-delà,  non  sans  laisser  transparaître,  sous  quelque  afféterie, 
«  le  regret  de  ne  pouvoir  l'atteindre  (i)  ». 

Bernardo  PASQUINI,  né  à  Massa  et  longtemps  organiste  de  la  basi- 
lique de  Sainte-Marie-Majeure,  à  Rome,  écrivit  nombre  de  pièces  pour 
orgue  et  pour  clavecin  en  style  fugué.  Ses  sujets  sont  plus  longs  et  plus 
musicaux  que  ceux  traités  par  ses  contemporains;  voici,  par  exemple, 
celui  de  l'un  de  ses  Ricercari  : 


Après  une  double  exposition   de  ce  sujets    paraît  la   réponse,    ainsi 
disposée  : 


Rép. 


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Rép. 


[i)  André  Pirro,  L'orgue  de  J.-S.  Bach.  Fischbacher,  1895. 


PERIODE  PRIMITIVE 


7' 


puis  viennent  de  nombreuses  entrées  plus  rapprochées  qui  terminent 
la  pièce  en  une  brillante  strette.  Comme  on  le  voit  par  cet  exemple, 
l'écriture  de  Pasquini  est  plus  dégagée  et  ses  contrepoints  sont  plus  élé- 
gants que  ceux  de  ses  prédécesseurs. 

Domenico  ZIPOLI  fut  organiste  de  l'église  du  Gesîi,  à  Rome,  et  publia 
en  1716  plusieurs  recueils  de  Ricercari  pour  orgue,  d'un  style  qui 
rappelle  plus  celui  de  Bach  que  les  productions  italiennes  de  son  temps, 

ANGLAIS  et  ALLEMANDS 


Thomas  Tallys 1  5.  .  f 

William  Byrd i538  f 

JaN    PiETERS   SWEELINCK I  502    f 

Samuel   Scheidt 1587  f 

Johann  Jacob  Froberger 16.  .  f 

Georg  Muffat 16.  .  f 

DiETRICH    BUXTEHUDE lÔSy    f 

Johann  Pachelbel iG33  f 


585 
623 
621 
654 
667 
704 
707 
706 


Thomas  TALLYS,  ou  Tallis,  fut  organiste  de  la  cour  d'Angleterre  sous 
Henry  VIII,  Edouard  VI  et  sous  les  reines  Marie  et  Elisabeth.  On  le 
regarde  comme  le  promoteur  du  style  fugué  dans  l'école  anglaise. 

William  BYRD,  ou  Bird,  ou  Bfved^  né  à  Londres,  élève  de  Tallys  et 
organiste  à  Lincoln  en  i563,  publia  des  pièces  pour  clavecin  et  instru- 
ments à  clavier  dont  on  trouve  les  plus  remarquables  dans  le  Virginal- 
book  (livre  de  Virginale)  de  la  reine  Elisabeth,  ainsi  que  dans  celui  de 
lady  Nevil.  Mattheson  (i)  attribue  à  Byrd  le  célèbre  Canon  d'Oxford, 
que  l'on  voit  inscrit  au-dessus  de  la  porte  de  la  salle  de  musique  de 
l'Université.  La  réalisation  à  trois  voix  de  ce  canon  ne  laisse  pas  que 
de  produire  des  agrégations  d'une  écriture  quelque  peu  barbare,  en 
dépit  des  louanges  que  lui  prodigue  l'auteur  de  VEhrenpforte. 


(i)  Der  vollkommeiie  Kapellmeister,  éd.  de  lySg,  p.  409. 


7i 


L\  FUGUE 


Canon  Oxfordiensis  (perpetuus) 
Cantus       [f      [> 
(antecedensj 


Al  tus 
(m  hypodiapenle) 

Ténor 
(in  hypodiapason 


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ié-û?     nomini       tu  .      .    o   sit     glo  .  ri  .  a. 


Nofi 


Jaii  Pieters  SWEELINÇK,  né  à  Amsterdam,  étudia  à  Venise  sous  la 
direction  de  Zarlino,  puis  succéda,  en  i58o,  à  son  père  dans  les  fonc- 
tions d'organiste  de  la  «  vieille  église  »  (Oude  Kirk)  de  sa  ville  natale, 
fonctions  qu'il  exerça  toute  sa  vie.  Il  est  généralement  regardé  comme 
le  principal  fondateur  de  la  Fugue  pour  orgue,  ou  du  moins  d'un 
système  de  pièce  fuguée  plus  logiquement  construite  que  le  simple 
Ricerca?^  (i). 

Samuel  SCHEIDT,  né  à  Halle,  en  Saxe,  et  élève  de  Sweelinck,  se 
livra  surtout  au  perfectionnement  de  l'écriture  du  Choral  varié  pour 
orgue,    qu'il  traita  en  imitations  fuguées,  dans  la  manière  des  versets 


(i)  L'œuvre   de  Sweelinck  a  été    publiée    au   complet,  en  douze  volumes,  par  les   soins 
du  D'  Max  Seiffcrt   en  iqoi 


PÉRIODE  PRIMITIVE  73 

de  Frescobaldi.  Son  principal  ouvrage  est  la  Tabulalura  nova,  recueil 
de  pièces  pour  orgue  en  trois  volumes  in-folio.  L'influence  de  Scheidt 
fut  grande  surJ.-S.  Bach  et  sur  la  façon  dont  il  comprit  la  variation 
de  choral,  dans  les  œuvres  qui  appartiennent  à  sa  première  manière 
(voir  ci-après,  p.  78  et  suiv.). 

Johann  Jacob  FROBERQER  naquit  à  Halle  ;  il  fut  envoyé  à  Rome 
par  l'empereur  Ferdinand  III,  son  protecteur,  pour  se  perfectionner 
dans  la  science  musicale  auprès  de  Frescobaldi;  esprit  inquiet  et  d'hu- 
meur nomade,  il  fut,  de  façon  intermittente,  organiste  de  la  Cour  de 
Vienne.  Il  mourut  à  Héricourt,  près  Montbéliard,  après  un  voyage  en 
Angleterre  (i  562)  plein  de  romanesques  péripéties  qu'il  chercha,  dit-on, 
h  retracer  dans  l'une  de  ses  œuvres  (i). 

Il  parut,  en  lôgS  et  1696,  deux  recueils  de  Froberger  intitulés: 
Diverse  ingeniosissime  0  rarissime  partite  di  Toccate^  Canioui,  Ricer- 
cari,  Cappricci,  etc. 

Georg  MUFFAT,  organiste  de  la  cathédrale  de  Strasbourg  jusqu'en 
1675,  vint  étudier  à  Paris  le  style  français  et  écrivit  de  nombreux 
i^/cercar/ pour  orgue  et  instruments. 

Dietrich  BUXTEHUDE,  le  plus  illustre  des  organistes  allemands  du 
XVII*  siècle,  né  à  Elseneur,  en  Danemark,  devint  en  1668  titulaire 
de  l'orgue  de  Sainte-Marie,  à  Lubeck,  et  organisa  dans  cette  église,  pour 
la  première  fois  en  Allemagne,  des  «  Abendmusiken  »  (soirées  musicales), 
qui  se  tenaient  le  soir  de  chaque  dimanche  de  l'Avent  et  qui  eurent 
une  grande  renommée. 

Buxtehude  fut  sans  contredit  le  précurseur  et,  plus  encore,  l'inspira- 
teur des  œuvres  de  la  première  manière  de  J.-S.  Bach  :  celui-ci,  en 
effet,  trop  pauvre  pour  payer  la  dépense  du  coche,  fit  à  pied  le  voyage 
d'Arnstadt  à  Lubeck  dans  le  seul  but  d'entendre  le  célèbre  maître  et  de 
profiter  de  ses  conseils.  Buxtehude  publia  un  grand  nombre  de  Fugues 
et  de  pièces  d'orgue  en  style  fugué  ;  ses  versets  sur  le  Te  Deiim  sont 
de  petits  chefs-d'œuvre  ;  voir  aussi  sa  Fugue  en  mi 


à  trois  sujets,  comme  la  célèbre  fugue  en  mih  de  Bach.  Il  contribua 
puissamment  au  développement  de  la  virtuosité  sur  son  instrument, 
par  des  interludes  ou  des  cadences  finales  brillamment  figurées  que 
Bach  imita  souvent  dans  ses  premières  pièces. 

(1)  Matlheson,  Of.  cit.,  Il,  4,  p.  i3o. 


74 


LA  FUGUE 


Johann  PACHELBEL  naquit  à  Nuremberg,  où,  après  avoir  occupé 
diverses  charges  auprès  des  princes  de  Saxe  et  de  Wurtemberg,  il 
revint  vers  sa  quarantième  année,  pour  y  reprendre  jusqu'à  sa  mort  le 
poste  d'organiste  de  Saint-Sebald.  Il  fit  faire  également  de  grands  pro- 
grès à  l'écriture  de  l'orgue  ;  son  influence  sur  les  compositions  de  la 
première  manière  de  J.-S.  Bach  est  indiscutable,  sinon  comme  esprit, 
au  moins  comme  style.  Comparer  aux  chorals  de  VOrgelbuchlein  l'expo- 
sition ci-dessous,  variation  fuguée  de  la  mélodie  Vate?-  imser  in 
Himmelreich  (i)  : 


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Suj. 


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Ped. 


Rep. 


Pachelbel  publia,  entre  autres  œuvres,  un  Tabulaturbuch,  contenant 
cent  soixante  Chorals  variés  avec  préludes  en  style  fugué,  et  un  assez 
grand  nombre  de  Fugues  pour  orgue. 


FRANÇAIS. 

Jean  TiTELouzE i563  •}-  i633 

Jean-Henri  d'ÂNGLEBERT 1628  -|-   1691 

François  Couperin  (de  Crouilly).       .  i63i  f   1698 

Nicolas  de  Grigny 16.  .  f  16.  . 

Jean-Louis  Marchand 1669  f   1732 

Louis-Nicolas  Clérembault     .     .     .  1676  -j-  1749 

Jean  TITELOUZE,  l'ami  du  père  Mersenne,  né  à  Saint-Omer,  fut 
élu  en  i  588  organiste  de  la  cathédrale  de  Rouen.  On  a  de  lui,  outre 
diverses  pièces,  un  recueil  publié  en  1623  et  intitulé:  Hymnes  de 
rÉglise  pour  toucher  sur  Vorgue  avec  les  fugues  et  recherches  sur 
leur  plain-chant.  Bien  qu'il  appartînt  à  une  époque  où  l'art  de  la  Fugue 
prenait  à  peine  naissance  en  Italie  et  en  Allemagne,  on  peut  voir  par 
l'exemple  suivant  (2)  que  son  écriture  ne  se  bornait  point  à  la  simple 
imitation  canonique,  comme  dans  la  plupart  des  Ricercari  de  son 
temps,  mais  que  ses   versets   contenaient  de  véritables  expositions  de 

{1)  Huit  Chorals  publiés  chez  J.  Chr.  Weige),  à  Nuremberg,  en  lôgS. 
(2)  Verset   Deposuit  potenles.  (Magnificat  du  6*  ton.) 


PÉRIODE  DE  FLORAISON 


75 


Fugue,  Nous  devons  donc  le  considérer  comme  Témule  français  des 
Sweelinck  et  des  Frescobaldi,  tant  pour  le  style  que  pour  la  valeur 
musicale. 


Jean-Henri  d'ANQLEBERT,  musicien  de  chambre  du  roi  Louis  XIV, 
écrivit  des  Fugues   pour  orgue. 

François  COUPERIN,  sieur  de  Crouilly^  organiste  de  l'église  Saint- 
Gervais,  à  Paris  (i),  écrivit  des  pièces  d'orgue  dans  lesquelles  on 
trouve  des  essais  de  Fugue. 

Nicolas  de  QRIGNY,  organiste  de  la  cathédrale  de  Reims,  fit  im- 
primer chez  Ballard  (1701)  un  Lh>re  d'orgue  où  l'on  rencontre  des 
audaces  harmoniques  alors  inusitées  en  France.  Ses  compositions 
étaient  connues  de  Bach  et  offrent  un  réel  intérêt  musical.  M.  Al.  Guil- 
mant    en  a    publié   un  certain   nombre  dans  ses   Maîtres  de  l'orgue. 

Jean-Louis  MARCHAND,  né  à  Lyon,  organiste  de  l'église  des 
Jésuites  à  Paris  en  1697,  P^^^  ^^  ^^  Chapelle  ro3'ale  du  château  de 
Versailles,  fut  banni  de  France  en  17 17;  il  voyagea  en  Allemagne  et, 
pendant  un  séjour  à  Dresde,  il  tenta,  sans  succès,  de  se  mesurer  avec 
Bach  comme  improvisateur.  On  a  de  lui  des  Versets  et  des  pièces 
d'orgue  en  style  d'imitation. 

Louis-Nicolas  CLÉREMBALLT,  né  à  Paris,  fut  organiste  de  l'église 
des  Jacobins,  puis  directeur  de  la  musique,  de  M"*  de  Maintenon  à 
Saint-Gyr.  Il  écrivit  un  certain  nombre  de  pièces  en  style  d'imita- 
tion. 


10.   —  PKRIODl'.  DE  FLORAISON. 

A  partir  de  la  seconde  moitié  du  xvii^  siècle,  en  Allemagne,  la  Fugue 
entre  en  pleine  période  de    floraison .  En  Italie,    elle  était  à   peu  près 

(i)  Dans  la  gcncalogic  delà  famille  Couperin, que  nous  donnerons  ci-après  (p.  i38),  àpto- 
pos  de  François  Couperin,  le  grand,  neveu  de  François  Couperin,  sieur  de  Crouilly,  on 
verra  que  le  poste  d'organiste  de  Saint-Gcrvais  fut  occupé  successivement  par  six  membres 
au  moins  de  cette  illustre  famille  de  musiciens. 


76  LA  FUGUE 

tombée  en  désuétude.  Quant  aux  organistes  français  de  la  période 
précédente,  bien  qu'ils  soient  les  contemporains  des  compositeurs  dont 
les  noms  suivent,  nous  ne  pouvons,  en  raison  de  la  nature  de  leurs 
productions,  les  placer  dans  la  même  catégorie  que  les  Allemands. 
Ceux-ci  seuls,  en  effet,  cultivèrent  pour  lui-même  le  véritable  art  de  la 
Fugue,  dont  J.-S.  Bach  allait  devenir  le  plus  haut  et  le  plus  génial 
représentant. 

ALLEMANDS. 

Johann    Krieger i652  f  lySB 

Johann  Joseph  Fux i65o  -|-  1741 

Johann   Heinrich   Buttstedt.  .     .     .  1666  -f   1727 

Johann    Sébastian  Bach 1 68  5  -|-   1750 

Johann  KRIEGER,  né  à  Nuremberg  et  mort  à  Zittau,  publia  en  1699  un 
livre  de  Préludes  et  Fugues  pour  le  clavecin,  sous  le  titre  Abhandlung 
von  der  Fiige,  qui  constitue  le  premier  recueil  où  la  forme  Prélude 
et  Fugue  se  trouve  fixée  et  codifiée. 

Johann  Joseph  FUX,  né  à  Hirtenfeld,  en  Styrie,  fut  nommé  en  1698 
compositeur  de  la  cour  impériale  de  Vienne.  Son  Gradus  ad  Pavtias- 
sum  (1726)  est  une  collection  d'exemples  de  Contrepoint  et  de  Fugue 
constituant  un  véritable  traité.  Fux  passe,  on  ne  sait  pourquoi,  pour  le 
créateur  de  la  fugue  dite  d'école  ;  mais  rien,  dans  ses  écrits,  ne  vient 
corroborer  cette  opinion. 

Johann  Heinrich  BUTTSTEDT,  organiste  d'Erfurt  et  élève  de  Pachel- 
bel,  laissa  un  grand  nombre  de  Préludes  et  Fugues  pour  orgue  et  pour 
clavecin. 

Défenseur  des  anciens  modes  ecclésiastiques,  il  entreprit  une  réfu- 
tation des  théories,  «  avancées  »  pour  l'époque^  émises  par  Mattheson 
dans  le  N'eu  ei^djfnetes  Orchester  et  publia,  à  ce  propos,  son  célèbre 
traité  théorique  et  pratique  intitulé  : 

UT  MI  SOL 

RÉ  FA  LA 

TOTA  MU  SIC  A 

ET  HARMONIA  JETERNA 

Johann  Sébastian  BACH  naquit  à  Eisenach  le  21  mars  168^.  Il  des- 
cendait d'une  famille  thuringienne  dont  presque  tous  les  membres 
occupèrent,  du  xvi*  au  xix"  siècle,  les  positions  de  musiciens  de  ville,  de 
chambre,  et  surtout  d'organistes  et  de  maîtres  de  chapelle  dans  la  plu- 
part des  cités  allemandes,  ainsi  que  peut  en  faire  foi  le  tableau  généalo- 
gique ci-contre  : 


PÉRIODE  DE  FLORAISON 


77 


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7^  LA  FUGUE 

Jean-Sébastien  commença  ses  études  sous  la  direction  de  son  frère 
aîné  Jean-Christophe,  organiste  à  Ohrdruf,  qui  était  lui-même  élève  de 
Pachelbel,  puis  il  entra  à  l'école  de  Saint-Michel,  à  Lunebourg,  où  il 
reçut  les  enseignements  de  l'organiste  Georges  Bœhm.  Passionnément 
épris  de  musique,  il  entreprit  à  pied,  dès  l'âge  de  quinze  ans,  plusieurs 
voyages,  pour  aller  entendre  les  organistes  en  renom,  notamment 
Reinken,  à  Hambourg,  et  plus  tard  à  Lubeck  (lyoS),  Buxtehude, 
auprès  duquel  il  resta  trois  mois,  bien  que  le  consistoire  de  la  ville 
d'Arnstadt,  où  il  était  alors  organiste,  ne  lui  eût  donné  que  trois 
semaines  de  congé.  Après  un  court  passage  à  Muhlhausen,  Bach  devient, 
en  1708,  musicien  de  cour  du  duc  de  Weimar  et  titulaire  de  l'orgue  de 
la  cathédrale;  puis,  en  17 17,  maître  de  chapelle  du  prince  Léopold 
d'Anhalt-Gœthen.  Enfin,  en  1728,  il  succède  à  Johann  Kuhnau,  dans 
les  fonctions  de  Cantor^  de  la  célèbre  école  de  Saint-Thomas,  à  Leipzig, 
avec  le  titre  de  «  directeur  de  la  musique  de  l'Université  »,  poste  qu'il 
occupa  pendant  vingt-sept  ans  et  qu'il  conserva  jusqu'à  sa  mort.  Dans 
les  dernières  années  de  sa  vie,  il  fut  frappé  d'une  affection  ophtalmique 
qui  empira  jusqu'à  le  priver  complètement  de  la  vue. 

Son  caractère,  empreint  d'une  opiniâtre  volonté,  jointe  à  une  droiture 
et  à  une  sincérité  absolues,  se  retrouve  dans  ses  œuvres.  On  peut  y 
constater  aussi  la  justesse  de  l'éloge  que  lui  décernait  Kitell  :  Ein 
gan^  fj-ommer  Mann  :  un  homme  d'une  grande  piété  —  un  «  bon 
chrétien  ». 

De  ses  deux  femmes,  Barbara  Bach,  sa  cousine,  et  Magdalena  Wûlken, 
il  eut  vingt  enfants,  dont  dix  seulement,  six  fils  et  quatre  filles,  lui 
survécurent. 

Comme  les  œuvres  de  tous  les  grands  génies  artistiques,  celles  de 
J.-S.  Bach  peuvent  se  diviser  en  trois  époques  :  on  les  désigne  commu- 
nément par  le  nom  de  la  ville  où  il  séjournait.  Chacune  d'elles 
présente  des  caractères  distinctifs  constituant  trois  manièt^es  aisément 
reconnaissables. 

La  première  époque,  de  Weimar  (^ijo^  a  17 12),  comprend  toutes  les 
compositions  écrites  à  Arnstadt,  sous  l'influence  de  Reinken,  Pachelbel, 
Frescobaldi,  Scheidt  et  Buxtehude  ;  période  d'imitation,  comme  la  plu- 
part des  grands  créateurs  en  offrent  l'exemple  au  début  de  leur  carrière  ; 
Bach  se  soumet  alors  volontairement  à  l'action  traditionnelle. 

La  deuxième  époque,  dite  de  Cœt/ien,  embrasse  les  dernières  années 
du  séjour  à  Weimar  et  les  sept  ans  à  Cœthen  (171 2  à  i723).  Bach,  se 
pliant  aux  fonctions  de  directeur  de  musique  [Kapellmeister)  qu'il  avait 
alors  à  remplir,  écrit,  outre  d'admirables  pièces  d'orgue,  un  grand 
nombre  d'œuvres  qu'il  intitule  «  Sonates  »  (bien  qu'un  certain  nombre 
affecte  la  forme  Suite  ou  Musique  en  trio)  pour  violon,  flûte,  viole  de 


PERIODE  DE  FLORAISON 


79 


gambe,  etc.,  ainsi  que  des  Suites  pour  Clavecin,  h  l'imitation  du  style 
des  Français,  et  spécialement  de  F.  Couperin  le  Grand  dont  il  avait 
attentivement  étudié  les  ouvrages.  C'est  l'époque  des  compositions 
concertantes:  Concerts,  Musique  de  Chambre,  œuvres  pour  clavecin, 
notamment  la  première  partie  du  Clavecin  bien  tempéré  qu'il  composa 
en  1722,  sans  oublier  VOrg-elbiiclilein,  recueil  de  Chorals  variés  dans 
le  style  de  Pachelbel. 

La  troisième  époque,  de  Leipzig {\']2'i  à  1750),  est  celle  de  toutes  les 
grandes  compositions  religieuses  :  deux  cent  soixante-six  Cantates  (sur 
les  deux  cent  quatre-vingt-quinze  que  Bach  composa),  les  cinq  Passions, 
les  cinq  Messes,  les  Oratorios.  Les  Concerts  pour  plusieurs  clavecins, 
la  deuxième  partie  du  Clavecin  bien  tempéré  (1744),  les  sept  grands 
Préludes  et  Fugues  pour  orgue,  la  Clavieriibung  (recueil  d'œuvres 
pour  orgue  et  clavecin),  VOffrande  musicale^  et  enfin  VArt  de  la  Fugue, 
ouvrage  interrompu  par  la  mort  de  l'auteur,  appartiennent  aussi  à 
cette  époque. 

Réservant  pour  le  Troisième  Livre  de  ce  Cours  les  Fugues  vocales 
des  Cantates  et  autres  pièces  avec  paroles,  nous  allons  examiner 
sommairement  les  principales  Fugues  instrumentales  de  J.-S.  Bach, 
celles  que  tout  musicien  digne  de  ce  nom  devrait  connaître  à  fond  et 
pouvoir  anal5''ser  de  mémoire.  Nous  citerons  ces  œuvres  dans  leur 
ordre  chronologique  (i). 

i""*  époque.  Liinebourg  et  Weimar.  Fugues  pour  orgue  . 

Prélude  et  Fugue  en  ut  (2).  La  fugue,  dont   le  sujet  est  fort  long, 


se  termine  sur  un  ornement  final  en  forme  de  vocalise,  ainsi  que 
Buxtehude  en  usait  Jans  ses  compositions.  C'était  encore  un  dernier 
vestige  du  jubilum  <X alléluia^  de  provenance  grégorienne,  dont  nous 
avons  déjà  constaté  la  persistance  dans  des  œuvres  extra-liturgiques(3). 
Prélude  et  Fugue  en  m/ (4)  remontant  à  l'année  1705  ;  la  fugue, 


(l'ion    consultera  avec    fruit,  pour    parfaire  cette   étude,  rcxcellcni  ei    Icrvcnt  travail    de 
M.  André   l'irro  :  L'Oif^xte  de  J.-S.  Bach,  Fischbachci,  1895. 

(2)  Édition  Peiers,  vol.  IV,  n°  5. 

(3)  Voir  l"iiv.,  p.  6S 

(4)  Éd.  Peters,  vol.  111,  a*  u- 


8o 


LA  FUGUE 


bien  qu'imitée  du  style  de  Buxtehude  et  de  ses  contemporains,  est  d'un 
charme  expressif  tout  particulier. 

Pî'élude  et  Fugue  en  ut  (i)  de  1706,  contenant,  vers  la  fin,  une 
seconde  Fugue  tonale^  que  nous  avons  citée  précédemment  (p.  45). 

Enfin,  la  grande  Fugue  en  RÉ (2),  dont  le  sujet  est  également  très  long  : 


P'm.\}.\JijïJ:^'j}\yf  >  ^\m^i}i.v^ 

elle  date  du  séjour  à  Mûhlhausen  (1707)  et   sert  encore  de  «  cheval  de 
bataille  »  à  nos  modernes  organistes. 

2*  époque.  Weimar  et  Cœthen  : 

Fugue  en  si  (3),  où  un  thème  de  Corelli  joue  le  rôle  de  cont/esujet  : 


f^¥ 


Th.de 


Corelli 


^ 


teé 


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m 


Dans  la  Fugue  en  ut,  à  deux  sujets  (4),  c'est,  au  contraire,  un  nou- 
veau thème  de  Bach  qui  vient  accompagner  le  sujet  principal,  emprunté 
à  une  sonate  de  Legrenzi,  et  donner  lieu,  après  exposition  respective 
des  deux  thèmes,  à  la  combinaison  suivante  : 


Th  de  Bach 


cette  fugue,  composée  vers   1710,   porte  l'intitulé:  «   Thema  Legren- 
;{ianum  elaboi^atum  cum  subjecto  pedaliter.  » 


(ij  Éd.  Peters,  vol.  111,  n»  7. 
(3)  Ibid.,  IV,  3. 

(3)  Ibid.,  IV,  8. 

(4)  Ibid.,  IV,  6. 


PERIODE  DE  FLORAISON 


8t 


Pî'élude  et  Fugue  en  la  (i),  vers  17 19.  La  mélodie  pleine  de  charme 
-qui  sert  de  sujet  à  la  fugue 


est  traitée  presque  dans  le  style  de  la  composition  instrumentale 
italienne  et  fait  déjà  présager  le  système  de  fugue  expressive  qui  sera 
plus  tard  employé  par  César  Franck. 

Fantaisie  (Prélude)  et  Fugue  en  sol  (2),  datant  probablement  de 
l'année  1722.  Le  prélude  est  l'une  des  plus  étonnantes  composi- 
tions de  l'époque,  par  la  variété  et  la  liberté  de  sa  contexture  harmo- 
nique. Deux  éléments  se  partagent  cette  pièce  incomparable  :  l'un, 
ornemental  et  fantaisiste  à  la  façon  de  Buxtehude,  mais  atteignant 
parfois  des  hauteurs  de  pensée  que  l'art  du  vieil  organiste  de  Lubeck 
ne  connut  jamais  ;  l'autre,  mélodique,  mais  d'une  mélodie  si  claire  et 
si  pénétrante  qu'elle  s'impose  immédiatement  à  la  mémoire  de  l'audi- 
teur. Au  cours  des  expositions  du  dernier  élément,  se  présentent,  sans 
avertissement  ni  préparation,  des  combinaisons,  des  modulations 
enharmoniques  tellement  audacieuses  que  c'est  à  peine  si  nos  compo- 
siteurs actuels,  malgré  leur  recherche  extrême  des  harmonies  quintes- 
senciées,  oseraient  les  employer.  L'extraordinaire  transition  diatonico- 
chromatique  du  ton  de  sol  à  celui  de  mi,  formidable  crescendo  où  se 
concentre  peu  à  peu  toute  la  puissance  émotive  et  dynamique  de 
l'orgue,  reste  un  exemple  unique  dans  l'histoire  musicale  de  cet  instru- 
ment : 


(Lent 


(0  Ed.  Peters,  II.  3. 
(a)  Ibid.,  vol.  Il,  n"  4. 

Cours  de  composition.  —  t.  ii,  i. 


82 


LA   FUGUE 


La  fugue  est  tellement  connue  de   tous   les  organistes,  qu'il    est  à 
peine  besoin  de  la  mentionner  : 


nous  ferons  seulement  remarquer  que,  en  dépit  de  la  modestie  de 
Bach,  si  ennemi  de  toute  réclame,  la  notoriété  de  cette  pièce  n'était 
pas  moins  grande  au  xviii^  siècle.  Mattheson,  en  effet,  rapporte  {Geue- 
ralbass  Scinde)  (\u'i\  en  choisit  le  sujet  pour  un  concours  d'orgue,  afin 
de  permettre  aux  concurrents,  qui  devaient  certainement  avoir  entendu 
cette  fugue,  de  s'aider  de  leur  mémoire  pour  la  mieux  réaliser  (2). 

3^  époque.  Leipzig.  Les  sept  grands  préludes  et  fugues  que  nul 
musicien  n'a  le   droit  d'ignorer  : 

La  première  de  ces  œuvres  (1726)  mérite  d'être  analysée  en  son  entier. 

Le  Prélude  en  mi  b  (3)  est  Mple,  c'est-à-dire  composé  de  trois  élé« 
ments.  Le  premier,  purement  rythmique, 


Grave 


i 


(A)  ^m 


l 


^ 


^ 


r 


et  le  deuxième,  mélodique. 


etc. 


(i)On  a  donné  au  Premier  Livre  (p.  ii8)  l'analyse  harmonique  de^ces  deux  dernières 
mesures. 

(2)  Nous  ferons  toutefois  observer  que  cette  anecdote  légendaire  ne  figure  pointa  l'article 
Generalbass  dans  l'édition  de  1719  de  ïExetnplarische  Organisten-Frobe,  la  seule  qu'il 
nous  ait  été  donné  de  contrôler. 

(3)  Éd.  Peters,  vol.  III,  n«  i. 


PÉRIODE  DE  FLORAISON 


83 


reliés  par  un  motif  de  transition,  pourraient  présenter  l'aspect  du 
type  Sonate  à  deux  thèmes  ;tel  que  Philippe-Emmanuel  Bach  le  fixera 
postérieurement),  si  un  troisième  élément  fugué,  en  parfaite  cohé- 
sion avec  les  deux  autres,  ne  venait  bientôt  s'y  adjoindre: 


(C) 


**^^*^*^*^*^'^'; 


La  structure  de  cet  admirable  prélude  est  ainsi  établie  ; 

(^  Th.  A  en  MI  t?  .  —  Th.  B.  S/  ?  . 

{  Th.  A  en  S/  T  ,  avec  inflexion  vers  ut. 

(  Th.  C  en  ut,  fugué. 
**  )  Th.  A  en  LA  :>  .  —  Th.   B.  Ml  P  . 

-    (  Th.  C  en  Ml  ?  ,  fugué. 
\  Th.  A  en  Ml  7  ,  concluant. 

Cette  division  en  trois  parties  n'est  point  l'effet  d'un  hasard  ou  d'une 
fantaisie,  totalement  incompatibles  avec  la  logique  créatrice  d'un 
J.-S.  Bach  :  elle  résulte  d'une  symétrie  préétablie  avec  la  construction 
de  la  fugue  suivante. 

Celle-ci  est  triple  également  :  son  sujet  principal  circule  dans  chacune 
de  ses  trois  parties  distinctes,  en  se  superposant  successivement  à  deux 
contresujets  nouveaux,  qui  jouent  le  rôle  de  véritables  sujets  acces- 
soires, tandis  que  le  thème  général,  sorte  de  leil-tjwtiv  ou  d'axe  central, 
unifie  et  consolide  tous  les  éléments  de  cette  œuvre  merveilleuse. 

On  jugera  mieux  de  cette  belle  construction  par  les  exemples  ci- 
après  ; 


M.in 


Exposition  de  la  Puguo  I.  (à  5  voix) 


Manuel:^ 


Rep. 


>uj. 


84 


LA.  FUGUE 


Man  : 


.'■i,  -'  J-JjiTÏJJl 


ffi 


Rep. 


i 


^^ 


f^^ 


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f^ 


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^rr^MT  i^rr^r^  W 


^ 


Man 


Ped: 


Wr^ri^h-H^ 


f 


S 


-^ ^ 


rrr  r  rr 


Suj. 


,U^ij^i,J 


r-r 


Suj.U 


Fugue  11  : 


tête  du  Suj 
Suj.  de  la  Fugue  1 


^ 


P 


tête  du  Suj.  Il  servant  de  contresujet 


miiJJJi^^- 


m^mPmf 


f-(f- 


m 


Suj.  111 


Fugue  III: 


Combinaison  du  Sujet  de  la  Fugue  111  avec  le  Sujet  I  : 


Suj.  m 


Man: 


Ped 


iTffrfnrmmf  II  l'i  li  1 1 1 1 1  ^^^^^^^ 


Suj.  m.. 


Suj.  1 


P 


PERIODE  DE  FLORAISON 


85 


M  an: 


l'.'d 


fFfyfar^^^ 


gJSg 


Le  génie  universel  de  J.-S.  Bach  n'était  donc  point  étranger  à  l'art  de 
la  composition  cyclique  (voir  ci-après,  chap.  v)  :  cet  art  si  généralement 
délaissé  à  la  fin  du  xviii*  siècle  et  au  milieu  du  xix*,  ne  devait  repa- 
raître que  chez  Beethoven,  et  aboutir,  avec  César  Franck  et  son  école, 
à  son  plein  épanouissement. 

Les  six  autres  grandes  œuvres  de  cette  série,  qui  va  de  lySo  à  lySd, 
sont  également  à  étudier  de  près  : 

Prélude  et  Fugue  en  mi  (i),  l'une  des  plus  longues  et  des  plus 
libres  de  l'œuvre  d'orgue  ; 

Prélude  et  Fugue  en  si  (2)  ; 

Prélude  et  Fugue  en  ut{3)\  on  a  donné  ci-dessus  (p.  46  et  suiv.) 
l'analyse  de  cette  belle  fugue  ; 

Prélude  et  Fugue  en  ut  (4)  ;  la  fugue  est  bien  antérieure  au  prélude  ; 

Fugue  en  la  (5),  dont  le  prélude  date  de   1706  ; 

Pt^élude  et  Fugue  en  ut  (6)  :  ce  prélude,  à  9/8,  est  d'un  aspect  mélo- 
dique charmant  ;  quant  à  la  fugue,  dont  nous  avons  déjà  cité  le  sujet 
(p.  40),  elle  est  remarquable  par  ses  renversements,  ses  combinaisons 
et  ses  entrées  par  augmentation,  dans  lesquelles  se  trouve  en  germe 
l'un  des  thèmes  principaux  des  Meistersinger  de  R.  Wagner. 

Le  premier  livre  du  Clavecin  bien  tempéré  (7)  [Wohltemperirtes 
Clavier)  fut  composée  par  Bach  en  1722,  pour  servira  l'instruction  de 
son  fils  aîné  Wilhelm  Friedemann,  tandis  que  le  second  livre  ne  fut 
écrit  qu'en  1744. 

La  connaissance  de  ce  recueil  de  quarante-huit  préludes  et  fugues 
est  aussi   importante    pour  apprendre  au    compositeur   à  établir  one 

(i)  Éd.  Pcters,  vol.  II,  n»  9. 

(2)  Jbid.,  Il,  10. 

(3)  Ibid..  II,  I. 

(4)  Ibid.,  II,  6. 

(5)  Ibid.,  II,  8. 

(6)  Jbid.,  II,  7. 

(7)  Bach  écrivit  cet  ouvrage  en  vue  d'un  instrument  perfectionne  par  lui  et  destiné  à  rem- 
placer l'ancien  clavicorde,  dont  la  construction  défectueuse  ne  permettait  pas  certaines 
combinaisons    de  noies  (voir  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre). 


86  LA  FUGUE 

fugue  musicale  et  expressive,  que  pour  faire  acquérir  au  pianiste  une 
technique  sûre,  soutenue  et  indépendante  des  conventions  scolastiques 
visant,  presque  toujours,  à  la  virtuosité  et  non  à  l'art. 

Dans  ce  recueil,  où  pas  une  pièce  n'est  indifférente,  et  où  quelques- 
unes  portent  le  sceau  du  génie,  nous  recommanderons  de  lire  et  d'étu- 
dier spécialement  : 

I""  livre.  —  4^  fi^g^e,  en  ut  S,  à  cinq  voix  et  à  deux  sujets  ; 

7^,  en  MI  t),  avec  son  prélude  qui  semble  élever  le  style  du  clavecin  au 
niveau  de  celui  de  l'orgue  ; 

8*,  en  ?7iii, ,  qui,  avec  trois  voix  seulement,  présente  un  nombre  incal- 
culable de  combinaisons  :  entrées  par  mouvement  contraire,  divertisse- 
ments canoniques  droits  et  renversés,  sujet  traité  par  changement  de 
rythme  ;  puis,  vers  la  péroraison,  entrées  du  sujet  par  augmenta- 
tion, s'étalant  à  la  basse  d'abord,  à  l'alto  ensuite  et  enfin  à  la  partie 
supérieure,  tandis  que  les  autres  voix  font  entendre  simultanément 
la  même  mélodie  sous  tous  les  aspects  présentés  précédemment.  Il 
est  difficile  de  trouver  une  plus  belle  gradation  de  l'intérêt  musical. 
La  mélodie  qui  forme  le  sujet  de  cette  fugue  est  un  type  grégorien 
que  nous  avons  déjà  rencontré  (i)  et  que  nous  retrouverons  encore 
sous  diverses  formes  et  à  diverses  époques  ; 


m^r'  y 


i6%  en  sol,  presque  conforme  aux  règles  de  ce  qu'on  est  convenu 
d'appeler  la  fugue  d'école  ;  mais  aussi  riche  de  charme  mélodique  que 
celle-ci  en  est  dépourvue; 

22*,  en  si  \>  ,  à  cinq  voix;  exemple  de  fugue  sert'ée,  précédée  d'un 
superbe  prélude; 

IP  livre.  —  3®  fugue,  en  ut  s,  dont  le  sujet  et  la  réponse  se  renver- 
sent dès  la  troisième  entrée,  et  subissent  ensuite  une  extension  com- 
parable à  l'allongement  des  ombres  au  coucher  du  soleil  ; 

lo^,  en  mi  y  longue  mélodie  présentant  un  grand  nombre  de  rythmes 
différents  ; 

22',  en  si  b  ,  préparée  par  un  prélude  tout  à  fait  expressif,  et  qui 
offre  une  aussi  grande  quantité  de  combinaisons  que  la  8^  fugue  du 
I"  livre,  sans  laisser  soupçonner  la  difficulté  vaincue  :  sujet  par  mou- 
vement contraire  associé  au  mouvement  direct,  canons  à  la  septième 
et  à  la  neuvième,  et  strettes  donnant  simultanément  les  deux  mouve- 
ments, direct  et  contraire,  sans  que  l'effet  musical  en  soit  atténué. 

(i)  Voir  1"  liv.,  p.  69. 


PÉRIODE  DR  FLORAISON 


«7 


Ajouter  à  cette  nomenclature  sommaire  la  Fugue  chromatique  pour 
clavecin  avec  son  superbe  et  fantaisiste  Prélude,  ainsi  que  nombre 
d'intéressants  spécimens  de  cet  ordre  de  composition  qui  se  trouvent 
disséminés  dans  les  toccate  et  partite  de  la  Clapieriibutig: 

VO(frande  musicale  [das  musikalische  Opfer)  fut  composée  en  mai 
1747  par  Jean-Sébastien  Bach  à  son  retour  de  Berlin,  après  l'unique 
apparition  qu'il  fit  à  la  cour  de  Frédéric  II.  Le  vieux  maître,  sur  les 
instances  de  son  troisième  fils  Philippe-Emmanuel,  accompagnateur 
des  concerts  à  la  cour  de  Prusse,  s'était  résolu,  non  sans  hésitations, 
à  accéder  à  la  demande  du  roi  qui  désirait  le  connaître  depuis  long- 
temps. A  peine  était-il  arrivé  que  Frédéric  lui  proposa  un  sujet  de 
fugue  de  sa  propre  composition,  sur  lequel  Bach  improvisa  séance 
tenante  une  admirable  fugue  de  clavecin,  à  l'étonnement  de  tout 
l'auditoire.  Revenu  à  Leipzig,  et  voulant  donner  au  flûtiste  couronné 
un  témoignage  de  respectueuse  gratitude,  il  expédia  à  Potsdam,  en 
juillet  1747,  un  recueil  de  pièces,  toutes  bâties  sur  le  thème  royal  : 


\iA  ^  r  rfiip 


tp^p  |i^pt>|g^^^ 


rrri'i^^^^r'  n'i(^ 


L'œuvre,  qui  est  un  véritable  modèle  de  science  contrapontique, 
contient  : 

i"  une  Fugue,  dhericercata,  à  trois  voix,  avec  l'épigraphe  acrostiche  : 
Régis  lussu  Cantio  Et  Reliqua  Canonica  Arte  Resoluta 
(R       I         C  E    R  C  A       R); 

2°  une  deuxième  Fugue {ricercata),  à  six  voix; 

3°  huit  Ca«o«5,  armés  de  devises  diverses  (voir  ci-dessus,  p.  23,  24, 
25,  32  et  34)  ; 

4"  une  Fugue  canonique  (en  canon  à  la  quinte)  ; 

5**  une  Sonate  en  trio  pour  flûte,  violon  et  basse  continue  ; 

6<*  un  Canon  perpétuel,  par  mouvement  contraire,  pour  les  mêmes 
instruments. 

VArt  de  la  Fugue  [die  Kunst  der  Fuge)  est  le  dernier  ouvrage  didac- 
tique de  J.-S.  Bach  ;  on  y  trouve,  en  seize  fugues  (dont  deux,  à  deux 
clavecins)  et  quatre  canons,  toutes  les  combinaisons  qu'il  est  possible 
d'établir  au  clavier  sur  le  sujet  suivant: 


^ 


^ 


j«i  ''■■'_ 


Chacune  de  ces  petites  pièces,  formant  un  tout  de  structure  si  parfaite 


88 


LA  FUGUE 


et  en^même  temps  si  musicale,  mérite  d'être  étudiée  dans  ses  détails, 

par  le  musicien  désireux  de  ne  point  rester  un  «  superficiel  de  l'art  » 

un  amateur,  aurait-on  dit  autrefois.  Combien  d'élèves,  improprement 
qualifiés  de  professionnels  dans  nos  écoles  contemporaines,  sont  à 
vrai  dire  des  amateurs  —  des  superficiels  de  l'art  1 

Nous  nous  bornerons  à  relever  ici  dans  les  pièces  qui  constituent  ce 
chef-d'œuvre  les  particularités  les  plus  intéressantes  : 

La  i«  et  la  2"  fugue  (i)  traitent  le  sujet  simplement  avec  deux 
contresujets  de  rythmes  divers. 

La  3«  et  la  4«  le  traitent  par  mouvement  contraire,  l'une  entrant  par 
la  réponse,  l'autre  par  le  sujet. 

La  5%  pleine  de  charme  mélodique,  résume  les  quatre  précédentes 
en  réunissant  dans  une  même  pièce,  à  l'aide  d'un  rythme  emprunté  à  la 
2*  fugue,  l'assemblage  des  combinaisons  directe  et  contraire. 

La  6^  et  la  7*  emploient  les  mêmes  moyens  mélodiques  que  la  5«; 
mais,  outre  les  imitations  par  mouvement  contraire,  le  thème,  alter- 
nativement augmenté,  diminué  (2)  ou  normal,  y  est  figuré  en  trois 
valeurs  différentes. 

Nous  donnons  ci-après  en  partition  le  curieux  début  de  la  7'  fugue  ; 
c'est  une  véritable  exposition  double:  tandis  que  les  deux  parties  inter- 
médiaires font  entendre,  alternativement  et  par  diminution,  le  sujet 
droit,  la  répotise  co}itraire,\a  répoîise  droite  etle sujet  contraire,  la  partie 
supérieure  ajoute  au-dessus  de  cette  exposition  déjà  complète  le  sujet 
droit  avec  ses  valeurs  propres  ;  enfin,  la  basse  expose  la  réponse  con- 
traire en  valeurs  doubles  : 


Exposition  de  la  Tugue  VII 

Suj.  (par  mouv!- contraire) 


Ê 


^ 


È 


Rep.(par  dim.  et  mouvf  contraire) 


te 


•   uu 


Suj. (par  diminution) 


^ 


^I)  Tous  les  chiffres  indiqués  ici  se  rap-'ortent  à  l'ordre  des  fugues  adopté  dans  le  fascicule 
218  de  l'Édition  Pe'ers,  lequel  n'est  pas  absolument  conformée  celui  de  \dBach  Gesellschaft. 

(2)  Le  spécimen  de  Canon  par  diminution  que  nous  avons  donné,  page  34,  est  emprunté 
à  la  6*  fugue. 


PERIODE  DE  FLORAISON 


«9 


É 


É 


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^ 


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i^=arV:fe% 


^^ 


S: 


^ 


i^xzt 


Rép.(par  augmentation  et  raouv^ contraire) 


^ 


Rép.  réelle  (par  diminution, 


r   ^iar 


>J        ^  .  g»"       7*'^ 


'.••       fi» 


m  ^      »a'-\* 


\^'>ffi 


Uil       fej 


Suj.lpar  dira. et  mouv! contraire) 


%)L^^f^       i 


m 


I  I 


U*   1    f- 


^ 


e/c 


à  cette  grande  entrée,  augmentée  de  la  réponse  contraire,  vont  succéder 
trois  autres  entrées:  l'une  du  su/et  droit,  exposé  par  le  ténor  au  relatif 
majeur  ;  une  autre  du  su/et  contraire,  dit  par  l'alto  à  la  tonique  ;  la 
dernière  du  sujet  droite  proclamé  victorieusement  par  le  soprano, 
pour  terminer  cette  fugue  encadrée  dans  ces  quatre  entrées  par  aug- 
mentation, comme  entre  les  assises  d'une  formidable  charpente. 


go 


LA  FUGUE 


Les  8%  9*  et  lo*  fugues  ont  des  sujets  spéciaux,  qui  sont  naturel- 
lement aptes  à  être  combinés  avec  le  grand  thème  principal.  Celui- 
ci,  tel  le  destin,  vient  invariablement  s'imposer  à  eux  en  maître;  il 
affecte  mille  aspects  divers  et  se  pare  même  d'un  nouveau  vêtement 
rythmique  différent  de  celui  qu'il  avait  dans  les  trois  fugues  précé- 
dentes et  destiné  à  jouer  un  rôle  prépondérant  dans  la  suivante  ; 


^ 


m 


^ 


at:3= 


■=¥ 


La  1 1*  fugue  traite  le  thème  ainsi  rythmé,  en  le  combinant  avec  le 
sujet  chromatique  de  la  8%  exprimé,  cette  fois,  par  mouvement  con- 
traire, ce  qui  lui  donne  une  allure  joyeuse  toute  spéciale. 

Dans  la  12^,  le  thème  change  encore  de  rythme,  pour  affecter  l'ap- 
parence d'une  basse  de  passacaille  : 


m 


i 


If-fL-p. 


^ 


^ 


P 


Dans  la  i3*,  le  thème  est  agrémenté  d'ornements  mélodiques  dans 
le   style   de  la  Gigue  (voir  ci-après,  chap.  11). 

Mais  la  véritable  singularité  de  ces  deux  fugues,  dont  l'une  est  écrite 
à  quatre  parties  et  l'autre  à  trois  seulement,  c'est  que  chacune  d'elles 
est  susceptible  d'être  lue,  soit  telle  qu'elle  est  écrite,  soit  à  l'envers 
«  inversa  »  (i),  c'est-à-dire  en  substituant  à  chaque  intervalle  ascendant 
un  intervalle  descendant  équivalent,  et  réciproquement. 

Toutefois,  dans  la  i3*  fugue,  cette  opération  ne  peut  se  faire  que  sur 
chacune  des  trois  parties,  individuellement;  dans  la  12^,  au  contraire, 
les  quatre  parties  sont  susceptibles  d"ètre  lues,  non  seulement  par 
mouvement  co}itrai?^e,  mais  encore  en  07\ire  renversé  harmoniquement, 
c'est-à-dire  que  la  basse  devient  partie  supérieure,  le  ténor  devient 
alto,   et  réciproquement. 

Voici  les  dernières  mesures  de  cette  belle  fugue,  transcrites  dans  les 
deux  sens,  afin  que  l'on  puisse  se  rendre  compte  que  les  combinaisons 
les  plus  complexes,  sous  la  plume  d'un  artiste  véritable,  ne  nuisent 
nullement  au  caractère  musical  de  son  œuvre  : 


(i)  Le  mot  inversa  correspond  ici  à  ce  que  nous  avons  -appelé  le  mouvement  contraire 
(voir  ci-dessus,  p.  26),  et  non  pas  à  l'inversion  rigoureuse,  que  Mattheson  appelle  «  contra- 
rium  stricte  reversum  ». 


PERIODE  DE  FLORAISON 


»^^^^-4^ 


^m 


10 


^  ^  r  /  ^[^ 


3SB 


Z^  r  r  r  r-M 


i 


^ 


ti= 


/t^nt 


93 


LA  FUGUE 


Suivent  quatre  canons  sur  le  même  sujet,  le  premier  par  augmenta- 
tion et  mouvement  contraire  (voir  l'exemple,  p.  32  et  33),  les  trois 
autres  à  l'octave,  à  la  dixième  et  à  la  douzième.  Puis,  deux  fugues 
à  deux  clavecins,  reproduisant  presque  exactement  la  i3*  fugue  et  son 
renversement,  mais  en  valeurs  plus  brèves  et  avec  l'adjonction  d'une 
quatrième  partie,  différente  et  libre,  pour  compléter  Tharmonie. 

Enfin,  la  14'  grande  fugue,  celle  qui  marque  l'heure  dernière  du 
Canto?^  de  Saint-Thomas,  débute  par  un  sujet  purement  liturgique 


auquel  vient  bientôt  se  joindre  un    nouveau  sujet,  très    certainement 

destiné  à  l'orgue.  Un   peu  plus  loin,  apparaît  la  signature  du    génial 

auteur  dans  un  troisième  sujet  fourni  par   les  lettres  mêmes  du  nom 
de  Bach  : 


nul  doute  que  Bach  n'eût  l'intention  de  réunir  le  thème  initial  de  cette 
œuvre  gigantesque  aux  trois  autres,  en  un  dernier  et  magistral  ensemble, 
comme  pour  symboliser,  en  ce  faisceau  de  quatre  mélodies,  tous  les 
«ouvenirs  de  sa  vie  de  musicien  expert  en  son  art,  d'organiste  inimi- 
table et  de  bon  chrétien.  Il  mourut  avant  d'avoir  réalisé  la  combinaison 
suprême...  (i) 

(i)  Il  a  été  proposé  plusieurs  solutions  de  ce  prob'ème  musical  ;  la  meilleure,  sans  contre- 
dit, nous  paraît  être  celle  donnée  par  M.  Jean  Marnold  dans  la  Tribune  de  Saint-Gervais, 
Ve  année,  w  5,  mai  1899) 


Suj.  principal 


J 


^^ 


^^DTof 


LiD'Lm 


^rffi 


Suj.  II.  (Orgue) 


Suj.  III.  .(Bach) 


Suj.  I.  (thème   liturgique! 


PÉR'ODE  MODERNE  93 

L'œuvre  de  J.-S.  Bach,  dans  l'ordre  de  la  Fugue,  c'est  Vaticieti 
testament  de  la  musique  ;  le  nouveau^  ce  sont  les  Sonates  et  Quatuors 
de  Beethoven.  Et,  nous  ne  craignons  pas  de  l'affirmer,  cette  véritable 
Bible  est  la  base  nécessaire  à  toute  éducation  musicale,  comme  les 
Livres  saints  constituèrent  de  tout  temps  les  assises  fondamentales  de 
l'instruction  littéraire  ;  —  jusqu'au  jour  où  1'  «  obscurantisme  laïque  », 
bannissant  de  son  «  enseignement  d'État  »  toute  foi,  tout  amour  et 
toute  poésie,  ne  fit  plus  éclore  et  pulluler  que  de  secs  et  ignorants 
«  primaires  »  ou  de  subtils  mais  décevants  fureteurs  de  bibliothèques! 


II.    PKRIODE    MODERNK. 

La  forme  Sonate,  lors  de  sa  triomphale  apparition  dans  Thistoire  de 
la  musique,  vers  le  milieu  du  xviii*^  siècle,  absorba  longtemps  en  elle 
toutes  les  forces  créatrices,  abolissant  du  même  coup  les  précédentes 
formes,  Fugue  et  Suite. 

Mais  la  Fugue  avait  la  vie  dure  :  elle  était  trop  profondément  reliée 
aux  origines  traditionnelles  de  l'Art  et  ne  pouvait  disparaître  complè- 
tement. Cependant,  la  plupart  des  maîtres  de  la  fin  du  xviii^  siècle  et  du 
commencement  du  xix*  ne  l'employèrent  plus  qu'à  titre  d'archaïsme  ; 
telle,  on  la  retrouve,  mais  à  l'état  de  squelette,  dans  certaines  messes 
de  Cherubini  et  autres,  ainsi  que  dans  des  compositions  de  ce  temps, 
dites  religieuses.  Il  fallait  le  génie  d'un  Beethoven  pour  la  faire  sortir 
de  l'état  léthargique  o\i  elle  était  tombée  et  lui  attribuer  une  fonction 
active  dans  le  travail  de  la  composition  musicale  ;  mais  ce  fut  seulement 
vers  la  fin  du  xix®  siècle  que  César  Franck  sut  lui  rendre  l'aptitude 
à  enfanter  des  formes  nouvelles. 

On  peut  toutefois  discerner,  après  J.-S.  Bacli,  une  suite  de 
compositeurs  qui  n'abandonnèrent  point  complètement  la  forme  Fugue, 
et  la  traitèrent  de  façons  très  diverses,  comme  tendances  et  comme 
résultats. 

Leur  chronologie,  que  nous  donnons  ci-dessous,  est  loin  d'offrir 
l'homogénéité  de  celles  des  époques  précédentes  : 

Johann   Ernst  Eberlin 1702  f   1762 

Friedrich  Wilhelm  Marpurg  ,     .     .       1718  t   1795  (i  ) 
Johann  Georg  Albrechtsherger  .     .       1736  \   i8o() 

WOLFGANG    AmADEUS(2)   MoZART    .       .  I75Ô    f    I79I 


(i)  Le  Dictionnaire   des  Musiciens,  de  Choron,  donne    1763   comme  date  de  la  mort  de 
Marpurg. 

(3)  Les  prénoms  exacts  de  Mozart  étaient   Johann  Lhnsosiomui  Woljgaug  Theophilus. 


94  LA  FUGUE 

LuDWiG  VAN  Beethoven 1770  f  1827 

Jakob  LuDwiG  Félix  Mendelssohn.     .  1809  f   1847 

César-Auguste  Franck 1822  f  1890 

Charles-Camille  Saint-Saëns.     .     .  i835 

Johann  Ernst  EBERLIN,  maître  de  chapelle  de  l'archevêque  de 
Salzbourg,  publia  en  1747  ntuf  Toccate  et  Fugues  pour  orgue,  dont 
l'une  passa  longtemps  pour  être  de  J. -S.  Bach.  D'autres  fugues  d'Eber- 
lin  existent,  inédites,  dans  la  bibliothèque  de  l'Institut  de  Musique,  à 
Berlin. 

Friedrich  Wilhelm  MARPURQ  séjourna  en  1746  à  Paris,  où  il  connut 
Rameau.  Épris  des  théories  harmoniques  de  notre  illustre  compatriote, 
il  les  importa  en  Allemagne  à  son  retour;  il  mourut  à  Berlin,  où  il 
occupait  les  fonctions  de  directeur  de  la  loterie  royale.  Outre  de  nom- 
breux ouvrages  didactiques,  comme  son  Abhandlung  pon  dei^  Fiige 
(1753)  et  le  Fûgensammlujig  (1758)  qui  contient  les  principaux  chefs- 
d'œuvre  de  la  forme  Fugue  connus  de  son  temps,  Marpurg  laissa  un 
certain  nombre  de  compositions  pour  orgue  ou  clavecin,  parmi 
lesquelles  les  Fughe  e  Cap.pi^icci  per  cembalo  e per  rorgano  (1777). 

Johann  Qeorg  ALBRECHTSBERGER,  né  à  Klosterneuburg,  près  de 
Vienne,  devint  en  1772  organiste  de  la  cour  impériale,  puis  de  la 
cathédrale  Saint-Etienne,  en  1792.  Célèbre  théoricien,  il  eut  l'honneur 
d'instruire  Beethoven  dans  l'art  de  la  fugue,  et  fit  un  traité  de  compo- 
sition, intitulé  Gj'undlische  Aniveisung  det^  Composition  (1790),  et 
généralement  considéré  comme  le  complément  nécessaire  du  Gradus 
de  Fux.  Il  produisit  aussi  un  grand  nombre  d'oeuvres  musicales  et  fut 
peut-être  le  seul  musicien  de  la  fin  du  xviii*  siècle  qui  continua  délibé- 
rément à  traiter  la  Fugue,  en  l'appliquant  même  à  sa  musique  de 
chambre,  dont  presque  toutes  les  pièces  sont  en  forme  de  Prélude  et 
Fugue.  On  a  de  lui,  dans  ce  genre  :  vingt-quatre  Quatuors  pour  deux 
violons,  alto  et  violoncelle,  op.  i,  2,  3,  11  et  14,  six  Quintettes  pour  trois 
violons,  alto  et  basse,  op.  10,  et  seize  Trios  pour  deux  violons  et  basse, 
op.  12  et  1 3,  plus  une  quantité  de  Préludes  et  Fugues  pour  orgue. 

Wolfgang  Amadeus  MOZART  (i),  bien  qu'il  ait  tiré  un  curieux  parti 
de  la  forme  Fugue  dans  le  duo  des  deux  prêtres  de  la  Flûte  enchantée^ 
n'excella  point  dans  l'application  de  cette  forme  à  sa  musique  sympho- 
nique.  Il  laissa  cependant  quelques  fugues  instrumentales  plus  ou 
moins  intéressantes,  parmi  lesquelles  : 

(i)  Les  renseignements  biographiques  sur  Mozart  seront  donnés  au  chapitre  m  avec 
l'étude  de  ses  sonates. 


PÉRIODE  MODERNE  95 

i"  un  Finale  fugué  (pour  deux  violons,  alto,  basse,  deux  hautbois, 
deux  cors,  deux  bassons  et  cembalo  obligato)  sur  l'air  Her\og  Wïlhelm^ 
dans  le  Gallimatias  musical  qu'il  composa  en  1768,  à  l'âge  de  douze  ans; 

2°  un  Adagio  et  Fugue  pour  quatuor  à  cordes  ; 

3°  une  Grande  Fugue  pour  deux  clavecins  ; 

4°  une  Fantaisie  et  Fugue  pour  clavecin,  etc. 

Ludwig  van  BEETHOVEN  (i).  Il  appartenait  à  l'auteur  de  la  Mes^ 
en  RÉ  de  confier  à  la  descendante  de  l'antique  Motet  le  noble  rôle  de 
rénovatrice  des  formes  symphoniques,  rôle  qu'elle  partage,  en  ses  der- 
nières œuvres,  avec  la  Variation. 

La  Fugue  beethovénienne,  en  effet,  notablement  inférieure,  il  est  vrai, 
à  celle  de  Bach,  au  point  de  vue  de  la  plasticité  d'écriture  et  de  l'équi- 
libre architectural,  possède,  en  dépit  —  et  peut-être  en  raison  —  de 
cette  infériorité,  quelque  chose  de  plus  humain  :  l'expression  drama- 
tique. Dans  la  Sonate  et  la  S3^mphonie,  Beethoven  demanda  à  la  Fugue 
de  lui  fournir  des  forces  nouvelles  pour  le  travail  du  développement  : 
V Allegretto  de  la  VIP  Symphonie,  op.  92,  l'épisode  orchestral  du  finale 
de  la  IX%  op.  124,  le  finale  de  la  Sonate  pour  piano  en  la^  op.  loi,  le 
premier  mouvement  de  la  Sonate  en  s/t>,  op.  106,  la  pieuse  Can^ona  du 
XV'^  Quatuor,  op.  i32,  en  sont  autant  d'exemples  probants.  Mais, 
outre  cet  emploi  en  quelque  sorte  secondaire,  le  maître  de  Bonn 
voulut  aussi  restituer  à  la  Fugue  —  figée  alors  dans  d'insipides  «  et 
vitam  venturi  sœculi  »  et  dans  d'inutiles  «  amen  »  —  son  caractère  de 
pièce  musicale:  il  écrivit  donc  dans  cette  forme  des  morceaux  entiers, 
figurant  surtout  en  qualité  de  péroraison  à  certaines  de  ses  œuvres  ;  par 
exemple  :  le  finale  fugue  du  IX*"  Quatuor,  op.  09  ;  celui  de  la  Sonate 
pour  violoncelle  et  piano,  op.  102  (1818);  VAllegi^o  do.  la  Fest-Ouver- 
ture  en  l/r,  intitulée  Zur  Weihe  des  Hanses^  op.  124(1822);  et  le 
phénoménal  ouragan,  coupé  d'un  si  délicieux  épisode  de  calme,  qui 
clôt  la  Sonate  en  s/t»,  op.  106,  citée  plus  haut;  sans  parler  de  la 
Grande  Fugue  en  RÉ,  pour  quatuor  à  cordes,  op.   i33. 

Mais  il  y  a  plus  :  chez  lui,  nous  l'avons  dit,  la  Fugue  concourt  souvent 
à  rehausser  la  partie  expressive  de  l'œuvre,  telle  l'émouvante  conclusion 
de  la  Sonate  pour  piano  en  LAt>  .  op.  110  (1822);  tel  aussi  le  monu- 
mental premier  mouvement  du  XIV®  Quatuor,  en  z//;,  op.  i3i  (1825), 
qui  n'est  lui-même  qu'une  grande  fugue  parfaitement  caractérisée. 

Nous  analyserons  ces  œuvres  en  détail,  lorsque  nous  aurons  à  parler 
du  genre  auquel  elles  appartiennent.  Qu'il  nous  suffise  de  noter  ici  que, 
malgré  la  dramatisation  de  la  Fugue  chez  Beethoven,  malgré  la  grande 

(1)   Nous  donnerons  l'esquisse  biographique   de   Becihovcn  au    chapurc   iv    avec    l'étuJe 
approfondie  de  ses  sonates. 


96  LA  FUGUE 

liberté  d'allures  qu'elle  affecte  dans  ses  œuvres,  l'antique  forme  de  la 
cadence  wiitawe  n'en  subsiste  pas  moins  ;  c'est  à  peine  si  les  lois 
traditionnelles  qui  la  régissent  sont  accidentellement  transgressées. 

Prenons,  par  exemple,  les  deux  fugues  qui  figurent  dans  l'op.  120: 
33  Variations  sur  une  valse  de  Diabelli  (  1 823)  ;  la  première  (Var.  XXIV), 
après  avoir  fait  son  oscillation  vers  la  dominante  et  tenté  quelques 
essais  de  mouvements  contraires  aux  relatifs  de  la  tonique  et  de  la 
sous-dominante,  ramène,  après  de  courtes  entrées  en  strette,  le  sujet  à 
la  tonalité  principale  ;  l'expression  de  ce  petit  morceau  est  toute  char- 
mante en  sa  brièveté. 

Quant  à  la  grande  Fugue  en  Mi\?  de  cette  même  œuvre  {dernière 
variation  avant  le  menuet  final),  le  plan  traditionnel  de  la  cadence  n'y 
est  pas  moins  respecté,  comme  on  pourra  le  voir  par  le  schéma  ana- 
lytique ci-dessous  : 

Suj,  Rép.  Suj.  Rép.  à  la  Tonique  MI\>  —  i»"^  épisode,  par  la  tête  du  Suj.  ; 
(   Suj.  Rép,  au  Relatif  [ut)...  —  2e  épisode; 
*  j  Suj.  au  Rel.  delà  Sous-Dom.  {fa),  par  mouvement  contraire  —  Seépisode; 
\  Suj.  à  la  Tonique  (Wt?)  par  mouvement  direct  et  contraire. 

Péd.  de  Dominante. 
(   Suj.  Rép.  à  la  Tonique  [MI  \>)  par  changement  de  rythme; 
2  <   Strette  canonique  du  Suj.  au  Relatif  de  la  Sous- Dominante  {fa) ', 
(  Suj.  à  la  Tonique  [Mi\))  sous  sa  forme  première.  Conclusion. 

A  part,  peut-être,  le  gigantesque  «  coup  de  vent  »  de  la  Sonate, 
op.  106  (voir  ci-après,  chap.  iv),  qui  relève  presque  de  l'ordre  drama- 
tique, toutes  les  fugues  de  Beethoven  sont  susceptibles  d'une  analyse 
aussi  claire  et  aussi  conforme  aux  anciens  principes  de  la  cadence. 

La  Grande  Fugue  pour  quatuor,  elle-même,  avec  ses  deux  sujets 
perpétuellement  changés  de  rythme,  n'est  autre  chose  qu'une  puissante 
combinaison  de  cette  forme  avec  celle  de  la  haute  Variation,  genre  que 
nous  étudierons  plus  loin  (chap.  vi). 

On  peut  donc  conclure  que  Beethoven,  tout  en  respectant  les  assises 
traditionnelles  de  la  Fugue,  sut  en  élargir  prodigieusement  la  forme  et 
lui  ouvrir  ainsi  une  voie  nouvelle  qui.  cependant,  resta  près  de  soixante 

* 

ans  sans  être  explorée. 

Félix  MENDELSSOHN  se  servit  également  de  la  Fugue  comme  moyen 
de  développement  dans  ses  Symphonies  et  sa  musique  de  chambre, 
mais  il  ne  sut  point  continuer  l'évolution  dans  le  sens  indiqué  par 
Beethoven.  Il  écrivit  cependant  un  certain  nombre  de  fugues  aussi 
soignées  que  froides,  pour  l'orgue  et  pour  le  piano. 

César-Auguste  FRANCK  (i),   véritable   créateur    de    l'école   sympho- 

(1)  Voir  ci-après,  chapitre  v,  quelques  détails  biographiques  sur  César  Franck. 


PÉRIODE  MODERNE 


97 


nique  en  France,  fut  le  seul    compositeur   de  son   époque  qui  comprit 
le  parti  qu'on  pouvait  tirer  des    découvertes  beethovéniennes. 

Dès  sa  période  de  maturité, l'étude  approfondie  de  l'œuvre  de  Bach  le 
porta  à  écrire  des  fugues  musicales,  contrairement  à  la  convention  qui 
régnait  alors  en  souveraine,  et  avait  relégué  cette  forme  au  rang  de 
devoir  d'écriture  ou  d'exercice  de  gymnastique.  Sans  parler  ici  de  son 
ingénieux  emploi  de  la  Fugue  dans  ses  œuvres  vocales,  notamment  dans 
les  Béatitudes  (i),  il  faut  citer,  dans  ses  six  premières  pièces  d'orgue 
{1861),  l'exposition  fuguée  de  la  Pastorale  en  a//,  et  la  fugue  si  mélo- 
dique servant  de  milieu  à  la  pièce  intitulée  Prélude,  Fugue  et  Varia- 
tion, qui  est  déjà  un  essai  de  nouvelle  forme  ternaire  ;  qu'on  lise 
aussi  le  développement  intérieur  du  premier  mouvement  du  Quatuor 
à  cordes,  et  l'on  se  convaincra  que,  sans  rompre  avec  les  attaches 
traditionnelles,  Franck  fut  le  digne  continuateur  de  J,-S.  Bach  et  de 
Beethoven. 

Mais  là  où  l'application  de  la  forme  Fugue  devient  tout  à  fait  géniale, 
c'est  dans  le  Prélude^  Choral  et  Fugue  pour  piano,  création  qui  ne  le 
cède  guère  à  la  Sonate,  op.  1 1  o,  de  Beethoven,  en  tant  que  nouveauté  de 
conception.  Nous  analyserons  cette  belle  œuvre  dans  son  entier,  à  la 
place  qu'elle  doit  occuper  dans  l'ordre  des  matières  de  ce  Cours,  c'est-à- 
dire  au  chapitre  vi  consacré  à  l'étude  de  la  Variation  ;  mais  nous 
devons  parler  ici  du  rôle  très  particulier  qu'y  joue  la  fugue,  dont  le 
sujet  sert  de  thème  cyclique  à  toute  la  composition. 

Dès  la  seconde  page  du  Prélude,  en  effet,  nous  rencontrons  ce  sujet, 
sous  une  forme  assez  rudimentaire,  il  est  vrai,  mais  néanmoins  fort 
reconnaissable  : 


dans  la  phrase  initiale  du  Choral,  il  est  mieux  précisé  encore 


*  ^  é — w~~: 


(i)  On  verra  dans  le  Troisième  Livre  de  ce  Cours  que  le  début  de  la  1I«  Béatitude,  le 
développement  de  la  I1I«  et  de  la  Vll«  sont  de  véritables  expositions  de  fugue  parfaitement 
régulières. 

Cours  de  composition.  —  t.  ii,   i.  7 


98  LA  FUGUE 

il  s'expose  complètement  et  se  développe  d'une  façon  normale  au  cours 
de  la  Fugue  proprement  dite;  après  quoi,  une  superbe  péroraison  le 
ramène  victorieusement  uni  aux  deux  autres  éléments,  mélodique  et 
rythmique,  de  l'œuvre. 

Cette  pièce  constitue  donc  vraiment  une  nouvelle  forme  de  composi- 
tion engendrée  au  mo3'^en  de  la  Fugue  et  appelée,  croyons-nous,  à 
créer  un  genre   qui  peut  être  fécond  dans  l'avenir. 

Et  pourtant,  toutes  ces  hardiesses  d'écriture,  ces  tendances  har- 
moniques si  franchement  neuves  ne  portent  aucune  atteinte,  ni  chez 
le  maître  français,  ni  chez  l'auteur  de  la  Grande  Fugue  en  ré,  au 
respect  de  la  formule  traditionnelle  de  cadence  qui  fut  posée  en  prin- 
cipe au  commencement  de  ce  chapitre  (p.  44).  Rien  de  plus  simple, 
en  effet,  que  la  structure  de  la  fugue  qui  termine  le  Prélude,  Choral 
et  Fugue  de  Franck.  Nous  en  donnons  ci-après  l'analyse  : 


(  Suj.  Rép.  Suj.  Rép.,  à  la  Tonique  {si)  —   i«r  épisode  ; 
I  j  Rép.  Suj.  Rép.,  ZM  Relatif  [RÉ)  —  2c  épisode; 
^  Suj.  par  mouvement  contraire  (la,  si)  —  3e  épisode  ; 

/  Rép.  à  la  Dominante  (fa^)  ; 
\  Suj.  {ré,  sii>]  —  4e  épisode  ; 
)  Suj.  à   la    Tonique  [si)    —  Grand  éoisode,  ramenant  les  rythmes  et  mélo- 


dies des  morceaux  précédents  ; 

j  Suj.  à  la  Tonique  {si)  combiné  avec  les  deux  autres  éléments; 
t  Suj.  à  la  Suus-Dominante  (?72!')  amenant  la  conclusion   {si)  et  une  co 


da. 


On  voit  qu'à  part  quelques  courtes  excursions  vers  des  tonalités  peu 
usitées  dans  le  plan  ordinaire  de  la  Fugue,  l'architecture  générale 
ne  se  trouve  pas  sensiblement  modifiée,  et  que,  malgré  tout,  cela  reste 
de  la  musique  et  de  la  belle  musique  !... 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  nous  ne  pouvons  quitter  César  Franck 
sans  signaler  l'admirable  parti  qu'il  tire  du  Canon  dans  un  grand 
nombre  de  ses  œuvres.  Cette  forme,  comme  celle  de  la  Fugue,  lui  est 
familière  et  particulièrement  agréable,  à  tel  point  qu'on  pourrait 
presque  la  considérer  comme  la  signature  du  maître. 

Mais  combien  le  canon  de  Franck  diffère  du  canon  d'école  !  Jamais, 
dans  aucune  de  ses  œuvres,  la  ligne  mélodique  destinée  à  l'imitation 
canonique  n'apparaît  difforme  ou  torturée  pour  les  besoins  de  la 
cause;  elle  se  déroule,  au  contraire,  simple  et  naturelle  en  ses  modu- 
lations, et  le  canon  s'y  produit  spontanément  et  comme  par  surcroît. 

Voir,  comme  exemples  de  l'emploi  de  ce  moyen  musical,  le  canon  de 
la  Fantaisie  en  UT,  pour  orgue,  celui  du  Cantabile  en  s/,  également  pour 


PERIODE  MODERNB 


99 


orgue,  les  chœurs  d'anges  de  Rédemption  et  enfin  le  finale  de  la  Sonate 
pour  piano  et  violon,  un  vrai  modèle  du  genre  cyclique  qu'on  étudiera 
au  chapitre  v. 

Charles-Camille  SAINT-SAÊNS,  nourri  de  Bach  et  des  maîtres  clas- 
siques, est,  lui  aussi,  un  fervent  de  la  Fugue  ;  mais  l'emploi  qu'il  en  fait 
dans  ses  compositions  procède  moins  de  la  manière  expressive  de 
Beethoven  et  de  César  Franck,  que  de  celle,  plus  conventionnelle  et 
plus  froide,  de  Mendelssohn  et  des  Allemands  modernes.  Outre  d'ingé- 
nieuses applications  de  cette  forme  dans  son  oratorio  Le  Déluge  et  dans 
sa  III*  Symphonie,  en  ut,  op.  78,  il  a  écrit  trois  Préludes  et  Fugues, 
op.  99,  ainsi  que  tout  un  morceau  de  sa  IP  Symphonie,  en  la,  op.  55, 
strictement  traité  de  cette  manière. 

Les  noms  de  Mozart,  Beethoven,  Mendelssohn,  Franck,  Saint-Saëns, 
qui  terminent  cette  brève  étude  historique  du  rôle  de  la  Fugue  dans  la 
musique  récente  ou  contemporaine,  montrent  assez  que  son  influence 
subsiste,  même  de  nos  jours,  dans  les  œuvres  des  meilleurs  sympho- 
nistes. Encore  n'avons-nous  cité  ici  que  les  auteurs  de  véritables  fugues, 
de  «  fugues  avouées  »,  pourrions-nous  dire. 

Mais  s'il  eût  fallu  rechercher  les  traces  de  la  «  fugue  occulte  »,  c'est- 
à-dire  de  celle  qui,  sans  constituer  une  forme  séparée,  ou  séparable, 
fournit  mille  moyens  musicaux,  mis  au  service  de  compositions  plus  ou 
moins  vastes,  ce  sont  les  symphonistes  de  toutes  les  écoles  connues 
qu'il  eût  fallu  énumérer  presque  intégralement  :  depuis  Rameau  et 
F.  Couperin  le  Grand,  avec  leurs  airs  de  Suite,  si  souvent  écrits  en 
style  canonique  ou  fugué,  jusqu'à  Gabriel  Fauré,  dont  le  récent 
Quintette,  entendu  pour  la  première  fois  en  1905,  oflfre,  dans  son 
Andante  si  séduisant,  une  véritable  exposition  de  Fugue  pleine  d'émo- 
tion tendre  et  de  gracieuse  mélancolie. 

Ainsi,  la  Fugue  vit  toujours,  si  rares  que  soient  encore  ceux  qui 
osent  en  faire  le  titre  d'une  composition-,  même  après  l'exemple  d'un 
César  Franck,  dans  son  Prélude,  Choral  et  Fugue. 

Cette  œuvre  impérissable,  monumentum  œre  perennius,  ne  montre- 
t-elle  pas,  mieux  que  toute  théorie,  ce  qu'on  peut  et  doit  attendre 
encore  aujourd'hui  de  la  séculaire  et  vénérable  Fugue,  victime  d'un 
discrédit  immérité  dont  la  raison  n'est  peut-être  pas  aussi  impéné- 
trable qu'on  pourrait  le  supposer. 

Si  l'usage  de  l'école  n'avait  pas  réduit  de  nos  jours  le  rôle  de  la 
Fugue  à  ce  ridicule  emploi  de  problèmes  de  concours,  proposés  et  résolus 
chaque  année  pour  la  plus  grande  gloire  de  notre  «  mandarinat 
occidental  »,  on  verrait  éclore,  sans  doute,  de  jeunes  et   fraîches  com- 


LA  FUGUE 

positions  en  forme  de  fugues,  largement  traitées  et  musicalement 
combinées,  sur  les  bases  tonales  de  nos  cadences  modernes,  directes  et 
inverses,  avec  toutes  les  riches  formules  que  met  à  leur  disposition 
l'harmonie  contemporaine. 

Et  l'on  pourrait  affirmer  qu  en  ce  cas,  tout  au  moins,   Tart  musical 

n'aurait  rien  perdu. 


f 


II 
LA  SUITE 


Technique.  —  i.  Définitions.  —  2.  Origines  de  la  Suite  :  les  Chansons  transcrites  pour 
instruments;  la  forme  binaire  modulante  ;  le  groupement  des  pièces.  —  3.  Le  Mouvement 
initial  dans  la  Suite  (type  S).  —  4.  Le  Mouvement  Lent  (type  L).  —  5.  Le  Mouvement 
Modéré  (type  M).  —  6.  Le  Mouvement  Rapide  (type  R).  —  7.  Rôle  de  la  forme  Suite  dans 
la  musique  symphonique. 

Historique.  —  8.  Les  Précurseurs  de  la  forme  Suite.  —  9.  La  Suite  proprement  dite  et  la 
Sonata  da  Caméra.  —  10.  Les  Compositeurs  Italiens.  —  n.  Les  Cony?ositeurs  Français.— 
12.  Les  Compositeurs  Allemands. 


TECHNIQUE 

I.   DÉFINITIONS. 

La  Suite  consiste  en  une  série  de  pièces  instrumentales,  en  forme  de 
danses  (ou  de  chansons)  de  coupe  binaire,  se  succédant  les  unes  aux 
autres  dans  un  ordre  logique  de  mouvements  différents,  et  reliées  entre 
elles  par  une  étroite  parenté  tonale. 

La  coupe  binaire,  qui  caractérise  le  morceau  de  Suite  et  le  différencie 
de  toute  autre  forme,  consiste  en  une  double  modification  progressive 
de  sa  tonalité,  allant,  dans  la  première  moitié  du  morceau,  du  ton  prin- 
cipal à  un  ton  voisin,  avec  repos  dans  celui-ci  (dominante  ou  relatif,  — 
et  revenant,  dans  la  seconde  moitié,  de  ce  ton  voisin  au  ton  principal, 
dans  lequel  le  dessin  initial  n'est  jamais  réexposé. 

Chaque  moitié  du  morceau  de  Suite  se  répète  généralement  deux 
fois,  h  l'exécution  ;  et  la  plupart  des  danses  dont  le  groupement  constitue 
la  Suite,  même  si  elles  ne  sont  pas  exactement  conformes  à  cette  coupe 
binaire,  présentent^  soit  des  répétitions  variées,  dites  Doubles,  soit  des 
morceaux  symétriques  qualifiés  de  Seconds  (voir  ci-après,  p.  1 13  et  i  14). 

D'où  il  suit  qu'on  doit  regarder  comme  appartenant  en  propre  à 
la  forme  Suite   le   régime  binaire,  précurseur  du  régime  ternaire  qui 


103  LA  SUITE 

devait  être  l'apanage  exclusif  de  la  forme  Sonate  proprement  dite, 
(voir  ci-après,  chap.  m)  et  de  ses  succédanés,  tandis  que  le  système 
ujiitaire  est  demeuré  immuablement  celui  de  la  forme  Fugue. 

Ici  apparaît  la  séparation  définitive  entre  la  famille  Motet-Fugue, 
sans  descendance  directe,  et  la  famille  Madrigal-Suite-Sonate,  famille 
puissante  et  féconde,  qui  occupe  encore,  relativement  à  notre  art 
symphonique,  une  place  comparable  à  celle  de  la  dynastie  régnante 
dans  les  monarchies  (voir  la  figure  ci-dessus,  p.   i3). 

2.    ORIGINES     DE     L\     SUITE.   —     LES    CHANSONS     TRANSCRITES    POUR    INSTRUMENTS.  

LA    FORME    BINAIRE    MODULANTE.    —    LE    GROUPEMENT    DES    PIÈCES. 

On  a  VU  précédemment  (chap.  i,  p.  20)  par  quelles  sortes  de  sélections 
successives  dans  les  éléments  appartenant  au  Motet  et  au  Madrigal 
s'était  constitué  peu  à  peu  le  type  Fugue,  rattaché  au  premier  par  la 
plupart  de  ses  caractères  distinctifs,  et  au  second  par  la  généralisation 
progressive  de  sa  forme  instrumentale. 

L'élaboration  du  type  Suite  procéda  sans  doute  par  une  série  de 
différenciations  analogues,  mais  plus  complexes,  où  le  Madrigal,  con- 
trairement à  ce  qui  s'était  passé  pour  la  Fugue,  conserva  l'influence 
prépondérante. 

Par  là  s'affirme  encore  la  tendance  divergente  et  pour  ainsi  dire 
opposée  de  ces  deux  genres  de  composition  :  la  Fugue,  d'une  part, 
reliée  au  Motet  par  son  atavisme  polyphonique,  vocal  et  quasi-religieux; 
la  Suite,  de  l'autre,  avec  ses  ascendances  éminemment  profanes, 
remontant,  par  l'intermédiaire  du  Madrigal,  à  la  danse  et  à  la  chanson 
populaire  médiévale. 

Cette  longue  et  obscure  période  de  gestation,  commune  à  presque 
toutes  les  formes  symphoniques  (i),  la  Fugue  exceptée,  semble  n'avoir 
abouti  au  type  transitoire  de  la  Suite,  précurseur  du  type  définitif  de 
la  Sonate,  qu'après  trois  états  successifs,  que  nous  allons  essayer  de 
décrire  brièvement. 

le""  État.  Chansons  à  danser  transcrites  pour  instruments.  —  D'après 
les  plus  anciens  documents,  les  chansons  populaires  furent,  dès 
la  première  époque,  inséparables  des  danses  (2),  et  ce  sont  ces  vieilles 
Chansojis  à  danser^  dont  nous  donnerons  un  exemple  dans  la  section 
historique  du    présent   chapitre  (p.    120),   qui   recèlent   les  plus  loin- 

(1)  Dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre,  consacrée  à  l'étude  des  formes  symphoniques 
orchestrales,  on  verra  que  le  Concert,  le  Concerto,  la  Symphonie  proprement  dite  et  la 
Musique  de  Chambre  ont  avec  la  Suite  une  communauté  d'origine  qui  rend  à  peu  près 
impossible  la  délimitation  exacte  de  leurs  domaines  respectifs. 

(a)  Voir  I"  liv.,  p.  83,  et  J.  Ticrsot,  La  Chanson  française. 


ORIGINES  103 

taines  sources  du  grand  courant  musical  de  la  Suite,  de  la  Sonate  et  de 
leurs  innombrables  dérivés.  Car  la  danse,  le  geste  rythmé,  sont  à  l'ori- 
gine de  toute  musique  symphonique. 

Transportés  de  la  rue  et  de  la  campagne  dans  les  châteaux  ou  les 
palais,  ces  chansons  abandonnèrent  leur  simplicité  populaire  mono- 
dique,  pour  s'approprier,  plus  ou  moins  servilement,  la  riche  polyphonie 
en  usage  dans  la  musique  d'église  de  la  deuxième  époque.  Madrigaux 
ou  Chansons  de  Cour,  ces  aristocratiques  conipositions  à  plusieurs  voix 
ne  tardent  pas  à  être  transcrites  pour  quelques  violes,  cornets  ou  trom- 
bones, et  même  pour  l'unique  luth,  seul  instrument  capable  de  repro- 
duire grossièrement,  sans  le  secours  d'aucun  autre,  la  pol3''phonie 
profane. 

Ainsi  disparaissent  les  voix,  ce  pendant  que  les  nécessités^  de  la 
danse  et,  peut-être,  une  impéritie  plus  grande  des  musiciens  généra- 
lisent l'emploi  de  la  barre  de  mesure,  symbole  connu  de  la  troisième 
époque. 

Nouveaux  auxiliaires  de  l'art  musical,  les  instruments  exécutants  se 
comportent  en  envahisseurs:  avec  la  décadence  du  Motet,  ils  ont  déjà 
pénétré  dans  l'église,  pour  renforcer  les  voix  incertaines  ou  remplacer 
les  absentes  ;  mais  ce  rôle  ne  leur  suffit  plus  :  ils  veulent  se  faire  entendre 
seuls,  comme  introducteurs  à  la  Cantate  (i)  qu'ils  devaient  seulement 
hier  accompagner,  et  qu'ils  feront  taire  demain,  sous  les  débordements 
profanes  de  leurs  Concerts  d'Église  (2),  antinomique  appellation,  par 
où  s'est  fait  absoudre,  hélas  !  Jusqu'à  nos  jours,  le  plus  abominable 
«  empiétement  des  laïques  »  sur  la  splendide  liturgie  chrétienne  des 
saint  Ambroise  et  des  saint  Grégoire! 

A  mesure  que  cet  usage  de  faire  entendre  les  instruments  seuls 
s'établit  définitivement  dans  l'art  musical,  on  voit  apparaître  une 
multitude  de  danses,  différant  par  leurs  noms  plus  encore  que  parleurs 
rythmes  ou  leurs  formes.  Sans  prétendre  en  donner  ici  une  nomencla- 
ture qui,  du  reste,  ne  saurait  être  ni  complète  ni  indispensable,  on 
peut  citer  néanmoins,  parmi  les  plus  anciennes  :  la  Boutade  et  le  Passe- 
mei'^o,  auxquelles  on  attribuait,  comme  à  toutes  les  autres,  le  quali- 
ficatif de  Toccata,  parce  qu'elles  étaient  Jouées  sur  les  touches^  sur  le 
clavier,  par  des  solistes  le  plus  souvent. 

Citons   aussi,  parmi  les  airs  à  danser  alors  en  usage  à   la  Cour,  les 


(i)  Voir  le  Troisième  Livre  de  ce  Cours. 

(2)  Le  Concert  d'Église,  comme  les  anciennes  transcriptions  instrumentales  de  madrigaux 
à  cinq  voix,  était  écrit  aussi  à  cinq  parties:  il  a  donné  naissance  à  la  Musique  de  Chambre, 
au  Concerto  et  à  la  Symphonie,  plutôt  qu'à  la  Suite  et  à  la  Sonate  proprement  dites.  Son 
étude  complète  figurera  donc,  avec  celle  des  formes  symphoniqucs  orchestrales,  dans  la 
Seconde  Partie  du  présent  Livre. 


104  LA  SUITE 

noms  de  Branles  simples,  Branles  gais  (c'est-à-dire  avec  gestes), 
Basses-dauces,  Tourdions,  Voiles,  Courantes,  Forlanes,  etc. 

Outre  celte  nomenclature  hétéroclite,  où  la  mode  et  l'engoue- 
ment paraissent  avoir  eu  une  large  part,  il  importe  de  signaler  spécia- 
lement la  Pavane  (à  2  temps)  et  la  Gaillarde  (à  3  temps),  qu'on  avait 
déjà  l'usage  de  faire  entendre  consécutivement  l'une  à  l'autre,  et  dont 
l'accouplement,  devenu  traditionnel,  constitue  la  première  tentative 
de  Suite. 

Une  place  particulière  doit  être  réservée  aussi  à  la  Can'^ona,  forme  des 
plus  anciennes,  qui  participe  à  la  fois  de  la  Suite  et  de  la  Variation  La 
Canzona  consistait  en  deux  pièces  successives,  dont  la  première  conte- 
nait l'exposition  intégrale  d'un  long  thème  de  chanson,  en  rythme 
binaire,  et  la  seconde,  la  réexposition  du  même  thème  à  la  même 
tonalité,  mais  en  forme  variée  et  dans  un  rythme  ternaire. 

C'est  donc  à  titre  de  juxtaposition  unitonique  de  deux  pièces  diffé- 
rant par  leur  rythme,  comme  la  Pavane  et  la  Gaillarde.,  que  la  Canzona 
mérite  d'-cre  citée  ici  ;  en  tant  que  modification  rythmique  d'un  thème 
préexposé,  elle  a  sa  place  marquée,  avec  ses  contemporaines  la  P<755c3- 
caille  et  la  Chaconne,  parmi  les  ascendantes  naturelles  de  la  Variation 
ornementale  (voir  ci-après,  chap.  vi). 

2«  Etat.  — Apparition  de  la  forme  binaire  modulante.  —  A  l'exemple  de 
l'antique  chanson  dansée  qui  avait  fait  place  à  la  musique  de  danse 
sans  paroles,  celle-ci,  devenue  peu  à  peu  plus  expressive  et  plus  musi- 
cale, devait  à  son  tour  se  transformer  en  une  véritable  musique  de 
danse  sans  danse. 

Dans  ce  nouvel  état  des  pièces  qui  concoururent  à  l'élaboration  de  la 
Suite,  on  voit  en  effet  la  musique  pure  s'éloigner  pour  toujours  de  la 
chorégraphie  effective,  à  laquelle  l'Opéra  naissant  donne  vers  la  même 
époque,  sous  forme  de  Ballet  {]),  un  asile  définitif. 

Mais,  tandis  que  le  Ballet  gagne  en  luxe  de  décor  et  d'orchestre  ce 
qu'il  perd  en  musicalité  vraie,  les  airs  de  danse  non  dansés  se  font  plus 
intimes  et  plus  modestes,  sous  le  rapport  des  instruments  de  moins  en 
moins  nombreux  auxquels  ils  sont  destinés  :  un  ou  deux  généralement, 
rarement  trois,  jamais  davantage. 

En  même  temps,  leur  forme  se  précise  et  s'astreint  régulièrement 
au  type  biliaire  modulant  précédemment  défini  (p.  loi).  Le  rythme 
seul  leur  est  fourni,  comme  leur  titre,  par  quelque  danse  :  encore,  les 
antinomies  abondent-elles  entre  ce  titre  de  convention  ou  de  fantaisie  et 

(i)  Le  Ballet,  danse  chantée  à  l'origine,  et  devenue  plus  tard  exclusivement  instrumentale, 
sera  étudié  dans  le  Troisième  Livre  de  ce  Cours.  Son  intime  liaison  avec  la  représentation 
scénique  l'a  fait  considérer  comme  inséparable  des  formes  dramatiques  proprement 
dites. 


ORIGINES  105 

ce  rythme  d'autant  plus  déformé  que  la  tradition  des  figures  de  danse 
auxquelles  il  devait  correspondre  s'est  oblitérée. 

h' Allemande  (à  4  temps),  la  Courante  et  la  Sarabande  (à  3 
temps),  la  Gigue  (à  3/8)  n'ont  plus  guère,  pour  les  rattacher  aux 
danses  dont  elles  portent  les  noms,  que  leur  mesure  et  leur  allure 
générale. 

Certaines  pièces  tout  à  fait  mélodiques,  appelées  Aria  (ou  parfois 
Entrée,  Intrada,  quand  elles  servent  d'introduction)  accusent  plus 
nettement  encore  cet  abandon  des  véritables  danses. 

Cependant,  le  groupement  de  deux  pièces  consécutives,  signalé  déjà 
à  propos  des  formes  Prélude  et  Fugue,  Pavane  et  Gaillarde,  Can^ona, 
tend  à  se  généraliser  :  toute  pièce  binaire  est  susceptible,  comme 
la  Fugue,  de  recevoir  un  Prélude  revêtu  des  mêmes  qualifications 
pompeuses  [Préambule,  Prœludium,  OuveiHure,  Toccata,  Phan- 
tàsie,  etc.)  ;  les  couples  de  pièces,  comme  les  Gavottes,  Bouî-rées, 
Rigaudons,  procédant  toujours  par  deux,  ou  les  pièces  alternées, 
comme  le  Menuet  et  le  Passepied,  deviennent  de  plus  en  plus  fré- 
quentes ;  et,  tandis  que  pullulent  les  appellations  indéterminées  ou 
exotiques  [Burlesca,  Scher^^o,  Cappriccio,  Polonaise,  Anglaise,  Sici- 
lienne), la  plupart  des  compositions  qu'elles  désignent  n'ont  plus 
avec  les  danses,  leurs  devancières,  qu'une  parenté  chaque  jour  plus 
incertaine. 

L'avènement  de  ces  formes  nouvelles  semble  consacrer  définitivement 
dans  la  musique  Télimination  du  peuple,  en  tant  que  participant  spon- 
tanément par  le  geste  rythmé  à  l'art  symphonique,  et,  par  voie  de 
conséquence,  la  spécialisation  de  cet  art  dans  le  domaine  aristocratique, 
oiJ  il  se  cantonnera  d'autant  plus,  désormais,  qu'il  deviendra  plus 
abstrait  et  plus  complexe. 

3*  Etat.  —  Groupement  des  pièces  et  organisation  de  la  Suite  proprement 
dite.  —  A  côté  des  groupements  de  deux  pièces  instrumentales,  appa- 
rurent bientôt  des  séries  de  pièces  en  nombre  indéterminé  (cinq,  six, 
sept  et  même  davantage),  soumises,  au  moins  par  l'ordre  de  leurs 
mouvements,  aux  grands  principes  de  symétrie  régulière  ou  contras- 
tante inhérents  à  toute  manifestation  d'art. 

Mais,  plus  la  Suite  de  morceaux,  toujours  binaires,  s'organise,  plus 
les  noms  qu'elle  porte  deviennent  imprécis  ;  et,  tandis  que  le  type 
Suite  (très  antérieur,  comme  forme,  à  la  succession  de  morceaux 
constituant  la  Suite  elle-même)  y  demeure  à  peu  près  immuable, 
voici  que  le  groupement  des  pièces  prend  indistinctement,  dès 
ses  premières  réalisations,  les  noms  de  Suite,  Sonate,  Ordre  ou 
Parti  ta» 


'o6  LA  SUITE 

En  Italie,  le  titre  Sonata  (i)  est,  de  beaucoup,  le  plus  employé; 
originairement,  il  se  rapporte  à  Vinstrument  exécutant  plutôt  qu'à 
la  forme  musicale  :  toute  pièce  pour  instrument  à  archet  est  dite 
Sonata  (2). 

En  Allemagne,  le  mot  Partita  (Partie)  est  généralement  affecté  à  des 
œuvres  pour  clavecin,  identiques  de  forme  à  celles  que  Couperin  le  Grand 
désigne,  en  France,  par  le  mot  Ordre  ;  tandis  que  le  mot  Sonate,  resté 
conforme,  dans  notre  pays,  à  son  acception  étymologique  italienne, 
s'applique  aux  Suites  pour  violon. 

Le  mot  Suite  semble  avoir  été  adopté  d'abord  par  des  compositeurs 
anglais,  puis  en  Allemagne,  concurremment  avec  celui  d^  Partita,  par 
J.-S.  Bach. 

L'autorité  du  maître  d'Eisenach  suffit  à  justifier  l'acception  géné- 
rique que  nous  avons  donnée  au  mot  Suite,  par  opposition  au  mot 
Sonate. 

Du  reste,  bien  avant  l'apparition  de  la  coupe  ternaire  spéciale  à  la 
Sonate  (voir  ci-après,  chap.  m),  ce  terme  avait  pris  déjà  une  signification 
assez  voisine  de  celle  que  nous  lui  avons  attribuée  définitivement. 

Vers  la  fin  de  la  longue  période  pendant  laquelle  coexistèrent  la 
Fugue,  la  Suite  et  la  Sonate,  ce  dernier  qualificatif  désignait,  de  préfé- 
rence, certaines  Suites  restreintes  à  trois  ou  quatre  pièces,  dont  chacune 
portait,  au  lieu  de  quelque  nom  fantaisiste  de  danse  ou  de  chanson,  la 
simple  indication  du  mouvement  ou  du  sentiment  expressif  voulu  par 
l'auteur  {Allegro,  Andante,  Presto,  etc.)  ;  et  ces  signes  distinctifs 
demeurèrent,  quant  au  nombre  et  à  la  désignation  des  pièces,  ceux  de 
la  Sonate,  même  postérieurement  à  la  transformation  fondamentale  de 
sa  construction.  Ces  petites  compositions  en  ti^ois  ou  quatre  mouve- 
ments constituent  donc  des  Sonates  embr3^onnaires,  plutôt  que  des 
Suites  restreintes  :  aussi,  les   examinerons-nous  au  chapitre    suivant, 

(i)  A  cette  époque,  les  Italiens  distinguaient  deux  sortes  de  compositions  différentes,  sous 
le  nom  unique  de  Sonata  : 

a)  La  Soiata  da  Chiesa  (Sonate  d'Église),  pièce  pour  plusieurs  instruments  récitants, 
servant  d'introduction  à  une  pièce  chantée  (Cantata)  et  destinée  à  l'Eglise.  Cette  forme, 
comme  le  Concerto  da  Chiesa  (Concert  d'Église],  participe  plutôt  aux  origines  de  la  Musique 
de  Chambre,  dont  il  sera  question  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre; 

b)  La  Sonata  da  Caméra  (Sonate  de  Chambre),  suite  d'airs  de  danse  (trois  ou  quatre  tout 
au  plus),  généralement  de  forme  binaire,  et  destinés  à  un  très  peit  nombre  d'instruments 
(trois  au  plus),  qu'accompagnait  la  basse  continue.  C'est  de  cette  dernière  que  sont  issues 
plus  particulièrement  la   Suite  et,  plus  tard,  la  Sonate  proprement  dite. 

(3)  Sonare,  suonare,  signifie  en  italien  :  produire  un  son  à  l'aide  d'en  archet  ;  d'où,  Sonata, 
Sonate. 

Toccare  (littéralement:  toucher)  veut  dire:  produire  un  son  à  l'aide  des  touches  ou  du 
clavier  ;  d'où.  Toccata. 

Cantare  (chanter)  signifie  :  produire  un  son  à  l'aide  de  la  voix  ;  d'où,  Cantata,  Cantate. 

Combien  les  acceptions  étymologiques  de  ces  trois  mots  devaient,  avec  le  temps,  s'écarter 
de  leur  précision  originelle  I 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S)  107 

à  titre  d'origines  de    la  Sonate    ternaire   proprement  dite,    sans  tenir 
compte  de  la  coupe  binaire  qui  y  apparaît  encore  très  souvent. 

En  résumé,  ce  qui  caractérise  le  groupement  des  morceaux  de  danse 
appelés  à  former  la  Suite  instrumentale,  c'est,  par  définition:  i''  un 
lien  tonal  rigoureux  ;  2°  un  ordre  logique  de  mouvements  différents. 

C'est-à-dire  que  : 

1°  les  mouvements  se  succèdent  tous  dans  la  même  tonalité,  avec 
alternance  variable  et  irrégulière  des  modes  majeur  et  mineur  ; 

2°  les  mouvements  de  deux  morceaux  consécutifs  sont  plutôt 
contrastants  :  à  un  mouvement  assez  vif  succède  en  général  un  mouve- 
ment lent  ;  à  celui-ci,  un  mouvement  modéré,  etc.,  et  le  mouvement  du 
finale  d'une  Suite  est  presque  invariablement  le  plus  rapide  de  tous. 

Mais  il  ne  résulte  de  ces  deux  principes  aucune  limitation  du  nombre 
des  morceaux  dont  se  compose  une  Suite  :  nombre  très  variable,  rare- 
ment supérieur  à  huit  ou  neuf,  jamais  inférieur  à  quatre. 

Toutefois,  si  le  nombre  des  morceaux  d'une  Suite  est  indéterminé, 
il  n'en  est  pas  de  même  du  nombre  des  mouvements^  qu'on  peut  ramener 
à  quatre  types  assez  nettement  caractérisés  par  leur  forme,  leur  vitesse 
relative  et  leur  ordre  : 

i*»  Le  mouvement  initial,  ou  type  Suite  (S)  proprement  dit,  générale- 
ment d'allure  un  peu  vive  ; 

2"  Le  m.ouvement  lent,  type  L  ; 

3°  Le  mouvement  modéré^  type  M  ; 

4°  Le  mouvement  rapide^  type  R. 

Nous  allons  étudier  séparément  chacun  de  ces  types  constitutifs  des 
morceaux  de  la  Suite  instrumentale. 

3.  LE    MOUVEMENT  INITL\L  DANS  LA  SUITE.  —    TYPE  S. 

Dans  toute  Suite  organisée,  c'est-à-dire  dans  toute  succession  inten- 
tionnelle de  danses  instrumentales  appartenant  à  l'époque  de  la  Suite 
(Ordre,  Partita,  etc.),  on  remarque  la  présence  d'une  pièce  principale, 
qualifiée  le  plus  souvent  Allemande,  et  qui,  sauf  de  très  rares  excep- 
tions, est  revêtue  des  trois  caractères  suivants  affectant  son  rang,  sa 
mesure  et  sa  construction. 

a)  Rang  de  l'Allemande  (ou  type  S),  dans  la  Suite.  —  La  pièce  dite  Alle- 
mande, probablement  en  raison  d'une  analogie  d'origine  avec  quelque 
danse  allemande,  ou  prétendue  telle,  est,  en  principe,  initiale  et  par 
conséquent  unique  de  son  espèce, dans  une  même  Suite  (i)  ;  elle  occupe 

(ï)  Dans  les  quelques  Suites  où  il  y  a  plusieurs  Allemandes,  l'une  d'entre  elles,  la  pre- 
mière, est  plus  complète,  plus  intéressante  ou  plus  soignée  que  les  autres,  dans  sa  construc- 


io8  LA  SUITE 

donc,  par  définition,  le  premier  rang,  ou,  si  l'on  préfère,  la  place 
d'honneur,  celle  du  chef  dans  un  défilé  d'apparat.  Mais,  de  même  que 
cette  place  demeure  \d.  première  en  ^-a/ei/r  lorsqu'un  personnage  subor- 
donné passe  devant  le  chef  pour  lui  frayer  la  route  et  rehausser  son 
prestige,  ainsi,  la  pièce  préalable  qui,  dans  beaucoup  de  Suites,  pré- 
cède l'Allemande,  lui  sert  seulement  d'introductrice^  et  reste  toujours 
virtuellement  soumise  à  sa  suprématie  (i). 

b)  Mesure  et  allure  de  l'Allemande.  —  La  pièce  initiale  de  la  Suite  est 
écrite  invariablement  à  quatre  temps.  Son  mouvement,  loin  d'offrir  la 
même  fixité,  correspond  en  général  à  l'indication  Allegro  (mot  dont  la 
signification  se  réfère  au  sentiment  expressif  de  gaîté,  bien  plus  qu'à  la 
vitesse  d'exécution). 

c)  Structure  thématique  et  tonale  de  l'Allemande.  —  La  coupe  binaire. 

—  On  a  vu  que  la  plupart  des  danses  instrumentales  avaient  adopté, 
bien  avant  leur  groupement  en  Suite  régulière,  une  construction 
binaire  spéciale,  caractérisée  principalement  par  deux  modifications 
progressives  et  complémentaires  de  la  tonalité. 

Il  arrive  parfois,  dans  une  Suite,  que  certaines  pièces  conservent,  aux 
dépens  de  cette  forme  devenue  traditionnelle,  quelque  ancienne  coupe 
de  danse  ou  de  chanson  populaire  un  peu  différente  ;  mais  cette  déro- 
gation, moins  rare  dans  les  pièces  de  mouvement  modéré  dont  nous 
parlerons  ci-après  (p.  1 1 3),  est  sans  exemple  dans  la  pièce  initiale,  dont 
la  construction  garde  toujours  sa  symétrie  rigoureuse  et  classique. 
Aussi,  doit-on  considérer  la  forme  de  cette  pièce  initiale  comme  le  type 
Suite  par  excellence,  contenant  en  germe  le  type  Sonate^  lequel 
l'absorbera  plus  tard,  après  une  série  de  modifications  qui  seront 
étudiées  au  chapitre  suivant  (2). 

Ce  type  Suite  n'est  qu'une  extension  du  r5^thme  binaire  :  ses  deux 
fragments  constitutifs  sont  des  temps  agrandis,  quelque  arsis  gigan- 
tesque marquant  Veffort  (le  temps  léger,  le  levé),  suivie  d'une  immense 
thésis  revenant  au  t^epos,   comme    le  temps  lourd,  le  frappé.  L'ancien 


tion  :  tant  il  est  vrai  que  le  principe  énoncé  par  Ruskin  (voir  "ci-dessus,  Introd.,  p.  14)  est 
universel. 

Quant  aux  Suites  sans  aucune  Allemande, ni  aucune  pièce  qui  en  tienne  lieu,  elles  sont  à 
peu  près  introuvables. 

(i  )  Cette  pièce  «  avant-première  »,  qui  sert  d'introduction  à  la  pièce  initiale  d'une  Suite, 
présente  la  même  indétermination  de  forme  et  de  nom  que  le  Prélude  de  Fugue  (voir  ci- 
dessus,  chap.i,  p.  64)  avec  lequel  elle  se  confond.  C'est  toujours  un  succédané  plus  ou 
moins  fantaisiste  de  la  vieille  cadence  tonale,  par  laquelle  l'exécutant  ou  l'improvisateur 
a  se  met  dans  le  ton  »,  avant  de  commencer. 

(2)  L'abréviation  générique  «  type  S  »  sera  employée  pour  tous  les  états  successifs  de  cette 
forme  Suile-Sonate  qui,  depuis  près  de  trois  siècles,  a  survécu  à  .toutes  les  évolutions  et 
révolutions  subies  par  la  musqué  symphonique. 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S) 


109 


verset  de  la  psalmodie,  avec  son  arrêt  momentané  au  milieu  et  sa 
cadence  finale,  la  mélodie  binaire  (i),  sont  ses  ancêtres  indéniables,  de 
même  que  le  fronton  à  deux  pans  (-^'^^^>..)  en  offre  une  figuration 
saisissante,  dans  l'ordre  architectural. 

La  caractéristique  commune  à  toute  manifestation  d'ordre  binaire, 
qu'elle  soit  geste,  édifice  ou  musique,  c'est  V effort  de  la  première  partie, 
compensé  par  le  repos  de  la  seconde. 

La  pièce  binaire  obéit  à  cette  immuable  loi  rythmique  et  mécanique 
de  la  compensation  :  toute  sa  première  moitié  consiste  en  un  eff'ort 
vers  une  tonalité  voisine  du  point  de  départ.  Or,  on  sait  que  tout 
eff'ort  modulant  s'oriente  naturellement  vers  les  quintes  aiguës,  en  vertu 
de  la  loi  des  quintes  exposée  précédemment  (2).  Ainsi  s'explique  la 
modulation  pratiquée  dans  la  première  partie  de  toute  pièce  binaire 
identique  de  construction  à  cette  Allemande  de  Domenico  Scarlatti, 
qui  va  nous  servir  d'exemple  : 


t 


mil 

I     r  I    dessin  ini 

y      I 


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tial,  au  ton  principal 


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m 


^m 


^ 


¥^ 


les  25  mesures  qui  sont  omises  à  cette  place  servent  à  confirmer  de  plus 
en  plus  la  tonalité  de  la  dominante,  où  se  termine  la  première  partie  du 
morceau 


(i)  Voir  I"  liv.,  p.  41. 

(a)  Voir  1"  liv.,  chap.  viii,  p.  i3o  et  i3i, 


LA  SUITE 


Cette  cadence  imparfaite  au  ton  de  la  dominante  (i)  marque  l'achève- 
ment de  Varsis,  du  temps  léger  constitué  par  toute  cette  première 
partie,  dont  la  reprise  intégrale  est  presque  toujours  indiquée  dans 
les  pièces  binaires.  Leur  dessin  initial  a  rarement  la  physionomie 
d'un  véritable  thème  :  ici,  c'est  un  simple  rythme  uniforme  que  les 
deux  mains  font  entendre  alternativement,  sans  l'interrompre  jamais. 
Quelle  que  puisse  être  sa  richesse  expressive  dans  d'autres  pièces 
analogues,  ce  dessin  n'est  jamais  qu'une  sorte  de  véhicule  tonal,  allant 
de  la  tonique  au  ton  voisin. 

Il  s'agit  maintenant  de  redescendre  la  pente  gravie,  de  revenir  à  la 
tonique,  plus  ou  moins  directement  :  ce  but  est  atteint  par  la  seconde 
partie,  qu'on  reprend  intégralement,  comme  la  première. 


I 


a 


m  fj^ 


^ 


Éï 


^m 


imitations   modulantes, 


^  cil  ri" 


abandonnant  le  ton  de  la 

Ë 


dominante 


K 


les  i8  mesures  omises  contiennent  d'autres  imitations  modulantes,  en 
forme  de  marche  harmonique  par  RÉ,  mi,fa%,  suivies  d'une  descente  diato- 
nique aboutissant  au  ton  principal  : 


■^r^rn?' 


^JJTJ^ 


nri'"^ 


retour 


au  ton  principal 


* 


ï 


à  partir  de  cette  rentrée,  les  17  mesures  suivantes  confirment  de  plus  en 
plus  la  tonalité  de  LA,  où  reparaissent,  pour  terminer  la  seconde  partie, 
toutes  les  formules  exposées  en  MI,  à  la  fin  de  la  première  : 


(i)  Les  musiciens  de  l'époque  delà  Suite  semblent  avoir  pressenti  l'inaptitude  du  V*  dtgré 
de  la  gamme  mineure  à  remplir  la  fonction  de  dominante.  Beaucoup  de  leurs  pièces  mi- 
neures modulent,  dans  leur  première  partie,  de  la  tonique  au  relatif  majeur,  au  lieu 
d'aboutir  à  la  quinte   supérieure. 


LE  MOUVEMENT  LENT  (L) 


^ffîf^ifrfrr  r^ 


i 


ËtixrDif 


conclusion  tonal  e.  «ymétrique  de>  celle  do  la  premierp  partio 


La  cadence  définitive  à  la  tonique  indique  la  fin  de  la  thésis,  du  temps 
loiu^d  complétant  la  longue  oscillation  tonale  effectuée  par  les  deux 
fragments  consécutifs  de  toute  pièce  construite  sur  le  type  Suite. 

On  voit  assez  que  ce  système  binaire  est  totalement  différent  du  plan 
unitaire  de  la  Fugue,  consistant  en  une  série  d'expositions  d'un  thème 
unique  et  déterminé.  Ici,  le  thème  est  à  peu  près  absent,  et  le  dessin, 
plus  ou  moins  précis,  qui  semblait  en  tenir  lieu  au  début  de  la  première 
partie,  ne  reparaît  jamais,  dans  la  seconde,  avec  sa  tonalité  propre. 


4.   LE    MOUVEMENT  LENT.   —  TYPE  L. 

La  coupe  binaire  qu'on  vient  d'examiner  appartenant  indistinctement 
à  presque  toutes  les  pièces  de  la  Suite,  la  physionomie  particulière  de 
la  pièce  lente  (type  L)  ne  se  révèle  pas  dans  sa  structure  thématique  et 
tonale  identique  à  celle  du  type  S,  mais  seulement  dans  son  rang,  son 
mouvement  et  son  style. 

a)  Rang  de  la  pièce  lente  (type  L).  —  C'est  une  simple  raison  de  con- 
traste ou  d'équilibre  qui  détermine  dans  une  Suite  le  rang  de  la  pièce 
lente  :  on  la  place  en  principe  entre  deux  pièces  d'allure  beaucoup  plus 
vive  ;  et,  comme  la  pièce  initiale  (type  S)  est  plutôt  mouvementée,  une 
pièce  lente  a  sa  place  toute  naturelle  au  second  rang. 

Mais  si  le  second  rang  est  en  effet  l'un  des  plus  fréquemment  occupés 
par  un  morceau  du  type  L,  il  est  loin  d'être  le  seul.  Car  le  nombre  des 
pièces  d'une  Suite  étant  extrêmement  variable,  celui  des  pièces  lentes 
alternant  avec  des  pièces  du  type  M  (voir  ci-après,  p.  ii3  et  suiv.), 
varie   proportionnellement. 

b)  Mesure  et  mouvement.  —  Toujours  en  raison  de  la  loi  des  contrastes, 
la  mesure  adoptée  pour  la  plupart  des  morceaux  lents  est  à  trois  temps; 
quant  à  leur  mouvement,  il  correspond  aux  indications,  d'ailleurs  fort 
imprécises,  Andante,  Adagio,  Largo,  etc. 

c)  Style  et  rythme.  —  Le  mouvement  lent,  dans  la  Suite,  emprunte 
très  souvent  le  nom,  le  rythme  et  le  style  de  quelque  ancienne  danse 
solennelle  et   compassée,  comme  la  Sarabande,  la  Courante  ou  la  Sici- 


lia  LA  SUITE 

//>««e  (i).  On  trouve  aussi,  sous  le  nom  d'Ar/a  (air),  des  pièces  lentes 
sans  parenté  rythmique  avec  aucune  danse,  et  caractérisées  seulement 
par  la  riche  ornementation  de  leur  ligne  mélodique. 

Le  type  L  n'offrant  aucune  particularité  de  construction,  c'est 
seulement  comme  spécimen  de  style,  et  en  raison  de  son  inté- 
rêt musical,  que  nous  citons,  ci-dessous,  la  première  partie  de 
la  charmante  Sarabande  de  Rameau,  intitulée  VEntretien  des 
Muses  (2). 


Lent 


l^i  J      J 


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J     J   |iO.   ,FJI  I  -^«^ 


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f  r 


(1)  La  Sicilienne  (à  6/S)  est  une  des  rares  formes  demouvement  lentavec  mesure  binaire; 
mais  elle  demeure  ternaire  par  la  subdivision  de  chacun  de  ses  temps. 

(2)  Cette  Sarabande  fait  partie  de  la  6«  Suite  pour  clavecin  de  J.-Ph.  Rameau  (Éd.  Durand 
et  fils,  p,  5o),  dont  il  sera  question  ci-après,  p.  140,  dans  la  section  historique. 


LE  MOUVEMENT  MODERE    M; 


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5.  LE  MOUVEMENT  MODÉRÉ.  TYPE  M. 

Parmi  les  airs  de  danse  ;/o;/  dansés  qui  constituèrent  peu  à  peu  la 
forme  Suite,  les  pièces  de  mouvement  modéré  (type  M)  ont  conservé, 
après  toutes  les  autres,  leur  caractère  originel  :  elles  sont  demeurées  les 
seules  dansables,  les  seules  dont  les  titres,  empruntés  pour  la  plupart 
au  vocabulaire  des  danses  élégantes  ou  rustiques  en  honneur  à  cette 
époque,  coïncident  réellement  avec  la  forme  rythmique  et  la  coupe 
même  de  chacune  de  ces  danses. 

Sans  entrer  dans  une  recherche  minutieuse,  et  plus  chorégraphique 
que  musicale,  sur  chacune  de  ces  innombrables  danses,  nous  n'avons  à 
faire  connaître  ici  que  leur  rôle  dans  la  Suite,  leur  allure  particulière, 
et  certains  modes  d'adaptation  spéciale  du  régime  binaire  à  leur  coupe 
et  à  leurs  répétitions. 

a)  Rôle  et  rang  du  type  M  dans  la  Suite.  —  La  loi  de  contraste  précé- 
demment signalée  fait  placer  de  préférence  le  mouvement  modéré  entre 
deux  pièces  plus  lentes  ;  et,  comme  une  même  Suite  contient  généra- 
lement plusieurs  pièces  appartenant  aux  types  L  et  M,  le  rang  du 
type  M  doit  être  considéré  en  principe  comme  alternant  avec  celui  du 
type  L.  Toutefois,  cet  usage  n'est  point  observé  avec  la  même  constance 

Cours  de  composition.   —  t.  ii,   i.  b 


114  LA  SUITE 

que   celui   qui   consiste  à  placer  l'Allemande  (S)  au  début  et  la  pièce 
rapide  (R)  à  la  fin. 

b)  Mesures,  mouvement  et  allure  du  type  M.  —  Les  pièces  de  ce  genre 
étant  des  danses  véritables  (i)  sont  tantôt  à  deux  ou  quatre  temps, 
comme  la  Gavotte,  la  Musette,  la  Bourrée,  etc.,  tantôt  à  tî^ois,  comme  le 
Menuet,  le  Passepied,  la  Loure,  etc.  Elles  n'ont  donc  pas  de  mesure 
propre.  Quant  à  leur  mouvement  {Modej^ato,  Allegretto^  etc.),  il  ne  peut 
guère  être  défini  que  d'une  manière  relative,  par  rapport  au  type  L, 
dont  il  n'atttint  jamais  la  lenteur,  et  au  type  R,  toujours  plus  rapide. 

c)  Coupe  particulière  à  certaines  pièces  du  type  M  :  les  Doubles,  les 
Secondes  danses,  la  forme  Rondeau.  —  Chaque  figure  de  danse  étant  en 
général  assez  simple  et  exécutée  plusieurs  fois  consécutivement  par 
différents  couples,  les  airs  correspondants  étaient  fort  courts  et  se  répé- 
taient autant  de  fois  que  l'exigeait  le  nombre  total  des  danseurs. 

Pour  remédier  à  la  satiété  qu'auraient  entraînée  les  fastidieuses  redites 
d'un  même  thème,  les  compositeurs  de  Suites  prirent  l'habitude  de 
doubler  leurs  airs  de  danse. 

Ces  Doubles  (2)  constituaient  à  l'origine  des  reprises  facultatives 
indiquées  par  un  signe  :  les  exécutants  exerçaient  leur  talent  en  ornant 
ces  reprises  de  toutes  les  fioritures  et  notes  d'agrément  suggérées  par 
leur  bon  goût...  ou  leur  désir  de  briller.  A  cet  «  âge  d'or»  du  Double 
succéda  l'inévitable  empiétement  du  virtuose  sur  le  musicien,  de  l'effet 
sur  l'expression,  de  l'acrobate  sur  l'artiste  :  véritable  «  âge  d'argent  » 
contre  lequel  les  compositeurs  réagirent  en  écrivant  eux-mêmes  leurs 
variantes,  pour  les  protéger  et  en  maintenir  les  traditions  par  la  gra- 
vure; c'est  à  cet  «  âge  d'airain  »  que  nous  devons  les  immortels  Doubles 
des  Rameau  et  des  Gouperin,  précurseurs  de  la  forme  Variation,  dont 
il  sera  question  ci-après  (chap.  vi). 

A  côté  des  Doubles  ornés,  et  toujours  pour  remplir  le  même  office,  on 
voit  aussi  apparaître  les  Secondes  danses  [Second  menuet.  Seconde 
gavotte,  etc.),  destinées  à  alterner  avec  la  danse  principale,  qu'on  répétait 
toujours  pour  finir. 

Enfin,  cet  usage  de  l'alternance  des  thèmes  fait  éclore,  en  France,  une 
forme  infiniment  plus   musicale  :  le  Rondeau^  où  toutes  les  redites  du 


(i)En  dehors  des  danses  proprement  dites,  on  rencontre  parfois  dans  les  Suites  certains 
morceaux  d'allure  modérée  assimilables  au  type  M,  mais  dépourvus  de  toute  particularité 
autre  que  la  coupe  binaire  traditionnelle  :  tels  le  Cappriccio  et  le  Scherzo,  véritable  amuse- 
ment (en  allemand  Scher:^)  musical,  sans  analogie  avec  la  forme  bien  connue  qui  perpétua 
ce  nom  dans  la  musique  symphonique. 

(2)  Bien  que  le  Double  appartienne  plutôt,  dans  la  Suite,  aux  danses  de  mouvement 
modéré  (M),  on  en  rencontre  aussi,  de  loin  en  loin,  dans  les  danses  lentes  (L),  Sarabande, 
Sicilienne,  etc. 


LE  MOUVEMENT  MODÉRÉ (M) 


"5 


thème  principal  sont  séparées  par  des  phrases  modulantes,  qui  diffèrent 
presque  toutes  les  unes  des  autres.  Qui  ne  reconnaîtrait,  dans  cette 
forme  si  française,  le  refrain  et  les  couplets  de  nos  vieilles  chansons  ou 
rondes  populaires  médiévales  (i),  reparaissant  dans  la  musique  instru- 
mentale, après  avoir  doté  la  poésie  légère  de  ces  petites  pièces  si 
gracieuses  dont  on  a  dit  : 

«  Le  Rondeau,  né  gaulois,  a  la  naïveté  ?  » 

Certes,  la  musique  peut  à  bon  droit  s'approprier  ce  vers,  qui  résume 
à  la  fois  les  origines  et  le  caractère  de  la  forme  Rondeau,  appliquée, 
dans  notre  pays,  au  temps  de  la  Suite,  à  toute  espèce  de  danse  d'allure 
modérée,  et  souvent  même  aux  pièces  rapides  (type  R)  qui  terminaient 
les  Suites  françaises. 

On  verra  plus  loin  (p.  1 38  et  suiv.)  l'usage  fréquent  que  firent  de  cette 
forme  Rameau  et  le  grand  Couperin,  auteur  de  l'exemple  ci-dessous. 

Cette  Gavotte  en  Rondeau  figure  sous  le  titre  VEpineuse  dans  le 
26'  Ordre  du  célèbre  claveciniste  français. 


REFRAIN 
Modéré 


l«r  COUPLET  (8  mesures) 


â  la  fin  du  Cou- 

plet,  on   reprend 

intégralement    le 

'"     Refrain    pour   la 

seconde  fois. 


(i)  Voir  I"  liv.,  chap.  v.  p.  90. 


Ji6 


LA  SUITE 


2§  COUPLET   (8  mesures) 


I 


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suivi  de  la  troisième  reprise  du  refrain. 
3?  COUPLET    (18  mesures) 


suivi  de  la  quatrième  reprise  du  Refrain. 

Le  4^   Couplet  mérite  d'être  cité    en  entier;  il  contient  tout  un  petit  Rondeau 
enclavé  dans  le  grand  : 

4?  COUPLET  (l6  mesures) 


Une    cinquième    et    dernière   reprise    du    Refrain   principal   en  fa  fi  mineur 
termine  ce  petit  modèle  si  intéressant  de  la  coupe  Rondeau. 


LE  MOUVEMENT  RAPIDE  (R) 


"7 


6.    LE    MOUVEMENT    RAPIDE.    —    TYPE     R, 

La  pièce  qui  termine  la  Suite  est  presque  invariablement  la  plus 
rapide  de  toutes.  Cet  usage  de  Taccroissement  d'agogique  vers  la  fin 
paraît  provenir  d'une  sorte  d'instinct  expressif  assez  général,  qui  se 
manifeste  dans  beaucoup  de  formes  symphoniques. 

Cette  pièce  du  type  R,  qui,  sauf  de  rares  exceptions,  occupe  le 
dernier  rang  dans  une  Suite  organisée,  porte  le  nom  de  Gigue  :  c'est 
une  danse  d'allure  très  vive,  dont  la  mesure,  de  quelque  manière  qu'on 
l'écrive,  a  pour  caractère  spécial  la  décomposition  des  temps  en  trio- 
lets (i).  Quant  à  la  construction  de  la  Gigue,  elle  est  conforme  à  la  coupe 
binaire  modulante  que  nous  avons  étudiée  ci-dessus  (p.  io8  et  suiv.),  à 
propos  de  la  pièce  initiale  du  type  S  (2). 

La  Gigue  complète  donc,  en  raison  de  sa  rapidité  plus  grande,  l'ordre 
logique  des  mouvements,  principe  premier  de  la  Suite,  magistralement 
appliqué  par  J.-S.  Bach,  dans  ses  œuvres,  auxquelles  nous  empruntons 
l'exemple  ci-après,  tiré  de  la  Gigue  finale  de  la/"  Partita  en  si'?  (3). 
Cette  Gigue  rappelle  tout  à  fait,  par  ses  perpétuels  croisements  de 
main,  le  style  des  Italiens  et  notamment  celui  de  D.  Scarlatti. 


Gig^ue 


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'd':i''ti'':i 


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{j)  Les  principales  mesures  de  Gigue  sont  :  -f-,  -f,  -f,  -{-,  -f ,  -f,  •'^,  f2.  etc.,  c'est-à-dire 
toujours  susceptibles  d'une  subdivision  ternaire  des  temps.  De  là  vient,  sans  doute,  le  nom 
de  Tripla,  que  certains  auteurs,  notamment  J.-H.  Schein  (voir  ci-après,  p.  i43),  appliquè- 
rent à  la  Gigue,  en  souvenir  de  l'ancienne  expression  proportio  tripla,  employée  par  les 
mensuralistes  dans  un  sens  analogue. 

(2)  Dans  les  Suites  d'auteurs  français,  on  trouve  aussi  des  Gigues  en  forme  de  Rondeau. 

(3)  Ces  seize  mesures  se  trouvent  identiquement  reproduites  dans  l'air  d'entrée  du 
IV«  acte  d'Jphigénie  en  Tauride  de  Gluck  :  «  Je  t'implore  et  je  tremble  ».  —  Les  œuvres  de 
Bach  étant  fort  peu  répandues  à  l'époque  où  Gluck  écrivait  ses  opéras,  ce  fait  semble  assez 
difficilement  explicable. 


ii8 


r  i^i^^if'^ 


L\  SUITE 


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7.    RÔLE    DE    LA    FORME    SUITE    DANS   LA    MUSIQUE    SYMPHONMQUE. 

La  coupe  binaire  modulante  et  la  juxtaposition  de  pièces  différentes 
sont,  en  définitive,  les  seuls  caractères  à  peu  près  constants  dans  la 
forme  transitoire  de  la  Suite.  Mais  de  ces  deux  signes  distinctifs,  le 
premier  n'a  pour  ainsi  dire  pas  laissé  de  traces  dans  les  formes  musi- 
cales postérieures. 

Après  avoir  coexisté  longtemps  avec  \di  forme  ternaire  des  premières 
sonates,  la  coupe  binaire,  en  effet,  s'efface  complètement  devant  cette 
construction  nouvelle  plus  stable,  plus  féconde  et  infiniment  mieux 
équilibrée. 

Au  contraire,  le  principe  de  la  Juxtaposition  des  airs,  adopté  peu  à 
peu  par  la  Suite  instrumentale,  devait  réagir  profondément  sur  une 
foule  d'autres  formes  symphoniques.  Ne  devait-il  pas  aboutir  en  effet, 
après  des  étapes  successives,  au  cjcle  de  pièces  différentes  quoique 
dépendantes  les  unes  des  autres,  c'est-à-dire  à  l'une  des  plus  belles 
applications,  dans  le  domaine  musical,  de  la  loi  d'unité  dans  la  variété 
qui  régit  toute  esthétique? 

Pressentie  par  Beethoven,  réalisée  par  César  Franck,  la  conception 
cyclique  est  à  la  base  de  toute  œuvre  symphonique  de  quelque  enver- 
gure :   nous  en   retrouverons  la  tradition  constante  dans    la    Sonate, 


LES  PRÉCURSEURS  119 

comme  dans  toutes  les  formes  appartenant  à  la  famille  du  Madrigal 
accompagné  (Musique  de   Chambre,  Symphonie,  etc.). 

En  dehors  de  cette  lignée  légitime  où  se  perfectionne,  de  génération 
en  génération,  le  système  ternaire  inauguré  par  la  forme  Sonate  et  la 
cohérence  des  morceaux  juxtaposés,  la  forme  Suite  n'a  guère  survécu 
que  dans  quelques  types,  plus  ou  moins  abâtardis,  où  demeurent,  à  l'état 
de  routine  irraisonnée,  quelques  vestiges  de  la  construction  tradition- 
nelle. 

Si,  par  exemple,  on  retrouve  dans  les  ballets  (i)  les  formes  de 
quelques  danses  de  cour,  ayant  abandonné  les  lumières  étincelantes  des 
palais  pour  les  feux  moins  nobles  de  la  rampe,  cette  métamorphose 
entraînera  bien  vite  l'oubli  de  tout  principe  d'unité  tonale,  et  les  airs 
de  ballet  se  succéderont  sans  nul  souci  de  l'ancien  «  ordre  logique  »  des 
b^-^Ues  Suites  instrumentales. 

Plus  tard  aussi,  le  nom  de  Suite  sera  donné  par  quelques  composi- 
teurs à  des  œuvres  pour  orchestre,  que  leur  caractère  descriptif  ou 
pittoresque  rattache  plutôt  au  Poème  Symphonique  et  à  la  Fantaisie  (2), 
à  moins  que  leur  construction  ne  soit  en  réalité  celle  des  véritables 
Symphonies. 

Enfin,  à  part  quelques  très  rares  tentatives  de  Suites  pour  piano,  ou 
pour  violon,  offrant  par  l'instrument  exécutant,  sinon  par  la  forme,  plus 
d'analogie  que  les  précédentes  avec  la  Suile  proprement  dite,  ce  genre 
immortalisé,  en  Italie  par  D,  Scarlatti,  en  France  par  Coupérin  et 
Rameau,  en  Allemagne  par  J.-S.  Bach,  semble  avoir  totalement 
disparu,  après  l'admirable  floraison  des  xvn®  et  xviii*  siècles,  dont  nous 
allons  étudier  l'histoire. 


HISTORIQUE 

8.    LES    PRÉCURSEURS    UE    LA    FORME  SUITE. 

Longtemps  avant  que  les  instruments  se  fussent  emparés  du  riche 
trésor  mélodique  que  leur  offrait  la  Chanson  et  la  Danse  populaires 
pour  en  faire  l'un  des  principaux  éléments  des  fêtes  princières  et 
aristocratiques,  les  jongleurs  qui  parcouraient  la  France,  et  particu- 
lièrement nos  provinces  méridionales,  avaient  coutume  de  jouer  des 
Chansons  à  danser,  sur  lesquelles  trouvères  et  troubadours  «  paro- 
diaient »  le  plus  souvent  leurs  poétiques  improvisations. 


(0  Voir  le  Troisième  Livre  du  Cours  de  Composition. 

(2)  Voir,  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre,  le  chapitre  consacré  à  ces  formes. 


LA  SUITE 


Telle,  cette  estampidade  baladins, que  le  troubadour  cévenol  Rambaut 
de  Vaqueiras  (i)  illustra  de  ses  vers  d'amour  en  l'honneur  de  iMonna 
Béatrice  de  Savone,  sœur  de  Guillaume  des  Baux,  prince  d'Orange  (2)  : 


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Ka  _  leo-da  Ma   .   ya,        Ni     fuels  de  fa  .  ya,       Ni      chaozd'au. 


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cors  queni       re.tra.va, 


Pla  -  zer  novel       qu'Araors     m'a.tra.ya; 


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El      JSi-yi*!  Eno.tra.ja,  Va  vos,  Dorana      ve  .  ra  .  ya; 


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E       cha.ya,  de       pla.ya  l'gé   .    lous  ans  quem  n'es  .  trayé 

En  i554,  l'imprimeur  Attaignant  publiait^ix  livres  de  danses  popu- 
laires {branles  simples^  bi^anles  gais,  basses-dances,  tourdions^  passe- 
mq-e),  transcrites  pour  les  violes,  à  quatre  et  cinq  parties,  par  Claude 
Gervaize.  Le  tourdion  ci-dessous,  extrait  de  ce  recueil,  est  intéressant 
comme  structure,  en  ce  qu'il  affecte  déjà  la  forme  Suite,  avec  son 
repos  médian  modulant  à  la  dominante  inverse  [sol]  du  ton  de  ré 
vnneiir,  i^""  mode 


(i)  Vaqueiras,  maintenant  Vachères,  est  une  petite  localité  située  sur  les  confins  du  Viva- 
fais  et  du  Velay,  et  munie  d'un  curieux  château  féodal. 

(2)  Voir,  sur  cette  estampida,  l'intéressante  étude  historique  et  critique  de  M.  Pierre  Aubry, 
dans  la  Revue  Musicale  du  i5  juin  1904,  page  307. 


LES  PRECURSEURS 


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D'autre  part,  nous  rencontrons,  encore  en  France,  sous  le  titre 
d'Orchésographie,  un  important  traité  où  les  danses  en  usage  au 
xvi"  siècle  sont  minutieusement  décrites.  Ce  traité,  publié  en  ibSg,  et 
plusieurs  fois  réimprimé,  a  pour  auteur  un  chanoine  de  l'officialité  de 
Langres,  Anthoine  Tabourot,  plus  connu  sous  le  pseudonyme  ana- 
grammatique  de  Thoinot  Arbeau. 

Enfin,  dès  les  dernières  années  du  xvi«  siècle,  les  luthistes  français 
avaient  déjà  adopté  la  dénomination  de  Suite  pour  désigner  plusieurs 
danses  susceptibles  d'êtres  jouées  et  dansées  sans  interruption. 

Parmi  les  compositeurs  italiens  qui  s'adonnèrent  plus  particulière- 
ment à  la  transcription  instrumentale  des  danses  et  chansons  popu- 
laires, voici  les  noms  de  ceux  chez  lesquels  on  peut  trouver  les  plus 
utiles  documents  : 

Francesco  da  MILANO,  qui  arrangea  pour  le  luth  la  Bataille  de 
Marignan  tt  le  Chant  des  oiseaux  de  Clément  Janequin  (i336j,  et  qui 
publia,  en  i563,  des  Can:{one  et  Passeme-{'{e  pour   le  morne  instrument. 

Melchior  de  BARBERIS,  luthiste  également,  et  auteur  de  dix  livres  de 
transcriptions  pour  un  ou  deux  luths,  ou  pour  la  guitare  à  sept  cordes, 
d'après  des  chansons  françaises,  pavanes,  saltarelles,  madrigaux,  mo- 
tets, et  même  d'après  une  messe  Are  Maria  d'un  auteur  contemporain. 


LA  SUIIE 


Nous  donnons  ici  un  exemple  de  deux  pièces,  Pavane  et  Saltai^elle  (i), 
écrites  sur  le  même  tlième  avec  changement  de  rythme  et  faites  pour 
être  jouées  à  la  suiteVuno.  de  l'autre,  ce  qui  constitue,  nous  l'avons  vu, 
le  principe  de  la  Cauiona  : 


Pavana 


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Andréa  QABRIELI  (i  5  lo  f  i  586)  et   son   neveu,  Giovanni  QABRIELI 

(i557  t  i6i3),  dont  on  publia    en   1671,    lôqS    et    lôgS,   nombre   de 
pièces  :  Chansons  f?^ançaises^,  Toccate  et  Sonates  pour  l'orgue. 

Florenzio  MASCHERA,  qui  fit  paraître  en  1682  des  Canioni  pour 
quatre  instruments,  manifestement  dérivés  de  l'écriture  madrigalesque  : 
ils  offrent  en  effet  cette  singularité  de  porter,  non  des  titres  de  danses, 
mais  des  dénominations  fantaisistes,  comme  nous  en  rencontrerons 
plus  tard  de   très  nombreux  exemples  chez  les  clavecinistes  français. 

Ainsi,  la  Martinenga,  la  Maggia,   la  Duranda,  la  Rosa,  VAuerolda, 


(i)  Saltarello,    romauesca  et  gagliarda    se  disaient,  au  xvi«  siècle,  de  la  pièce  qui  faisait 
généralement  corps  avec  la  Pavana. 


LES   PRECURSEURS 


133 


VUggîera,  la  Girella,  la  Villachiai\i,  la  Foresta,  empruntent  la  plupart 
de  leurs  noms  à  ceux  de  familles  notables  de  la  ville  de  Brescia,  où 
Maschera  occupait  le  poste  d'organiste  de  la  cathédrale. 

Qiacomo  Gastoldi  da  CARAVAGQIO,  qui  publia  en  iSgi  des  Balletli  a 
cantare^  suonare  e  ballare^  ornés  de  titres  qui  rappellent  aussi  ceux 
des  pièces  de  notre  Couperin,  comme  par  exemple  :  il  bel  amore^  l'amor 
vittorioso^  la  sirena,  il  martellato,  etc. 

Floriano  CANALI,  auteur  de  nombreuses  Canione  pour  instruments, 
écrites  jusqu'à  huit  parties,  parmi  lesquelles  la  Bal^ana^  suite  de  deux 
pièces  de  rythmes  différents,  (^  et  3/2. 

Salomon  ROSSI  (iSyo  f  1023),  rabbin  de  Mantoue,  le  seul  israélite 
que  Ton  rencontre  dans  l'histoire  de  la  musique  au  cours  des  deux 
premières  époques.  Outre  des  Cantiques  hébreux  et  des  Madrigaux 
italiens,  il  écrivit  des  Chansons  françaises,  Sinfonie^  Gagliarde  e  Ballelti, 
dont  nous  donnons  ci-après  un  spécimen. 


Balletto  (IHOI) 

per  tre  viole 

da  braccio 


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Contrairement  à  l'usage  de  son  temps,  Rossi  désignait  volontiers  les 
instruments  qui  devaient  exécuter  ses  pièces,  en  ajoutant  l'indication 
(combien  pratique  !)  des  autres  instruments  qui  pouvaient  indifférem- 
ment leur  être  substitués,  par  exemple  :  Sinfonie  esprcssamente  scrilte 
per  due  viole  {orrero  duo  cornetli)  e  un  chittarone  (o  allro  instrumento  di 
corpo). 


134  I-A  SUITE 

Un  peu  plus  tard  la  Danse  de  cour,  provenant  de  la  transcription 
pour  le  luth  ou  les  instruments  à  clavier  de  pièces  vocales  en  vogue, 
trouva  un  intense  foyer  de  propagation  en  Angleterre,  dès  la  première 
moitié  du  xvii'  siècle.  Innombrables  sont  les  pièces  transcrites  ou  les 
danses  originales  isolées  que  l'on  trouve  dans  les  manuscrits  ou  im- 
primés anglais  de  ce  temps,  livres  de  virginale,  de  clavicorde  ou  tabla- 
tures de  luth. 

William  BYRD  (i538f  i623)  (voir  ci-dessus,  page  71),  John  BULL 
(i563t  1628),  organiste  de  la  cathédrale  d'Hereford,  puis  d'Anvers,  et 
Orlando  GIBBONS  (i  583  f  162b),  organiste  de  la  chapelle  royale  sous 
Charles  I",  furent  les  principaux  représentants  de  ce  genre  de  musique. 

Un  recueil  de  danses  et  fantaisies  pour  virginale,  contenant  des 
pièces  de  Gibbons,  Byrd  et  Blow,  fut  gravé  en  161 1  sous  le  titre  de 
Parthenia. 

9.    LA    SUITE    PROPREMENT   DITE    ET    LA    SONATA   DA  CAMERA. 

Dès  le  milieu  du  xvii®  siècle,  le  principe  de  la  Suite  de  Danses  était 
établi  et  la  forme  binaire  absolument  fixée.  Si  la  Chaconne  et  la  Passa- 
caille  ont  encore  persisté  jusque  vers  la  fin  du  siècle  suivant,  la  plupart 
des  autres  pièces  isolées  sont  tombées  en  désuétude,  tandis  que  l'im- 
portante et  féconde  forme  du  Rondeau  français  prenait  naissance. 

Sous  les  diverses  dénominations  de  Sonate,  Ordre^  Suite,  Exercice  ou 
Pat^tie,  c'est  toujours  à  la  Suite  que  nous  avons  affaire,  jusqu'à  la 
fixation  de  la  forme  ternaire  dans  le  Sonate  italienne  de  Corelli. 

De  même  que  pour  la  Fugue,  nous  classerons  par  nationalité  les 
compositeurs  de  Suites. 

En  ce  qui  regarde  l'Italie,  les  mêmes  noms,  ou  à  peu  près,  reviendront 
sous  notre  plume;  mais  il  n'en  sera  pas  de  même  pour  la  France  et 
l'Allemagne,  où,  à  part  Bach,  génie  universel,  nous  n'aurons  guère  à 
citer  que  des  noms  nouveaux  :  dans  ces  pa3's,  en  effet,  la  plupart  des 
organistes  s'étaient  spécialisés  dans  la  Fugue  et  la  musique  religieuse 
vocale. 

10.    LES    COMPOSITEURS    ITALIENS". 

GiROLAMO  Frescobaldi I  583  t  1644 

Michel ANGELO  Rossi 159.   f  1 6.. 

BiAGio   Marini I  599  t  1660 

Giovanni  Legrenzi 1625  f  1690 

Bernardo  Pasquini 1637  t  1710 

Giovanni  Maria  Bononcini.     .     .     .  1640  f  1678 


LES  ITALIENS 


'35 


Giovanni   Battista   Vitali.     .     .     .      i'":  +  f  iC,g2 

GlUSEPPE   TORELLI I  64  .S   f    17'JÔ 

DOMENICO    ZiPOLI 16.  .     X    17.  . 

EvARisTA  Felice  d'all'Abaco.     .     .      16.     f  ï 7 • . 

DoMENICO    SCARLATTI 1 68       V    T76' 

Girolamo  FRESCOBALDI  (voir  ci-dessus,  p.  68)  est  aussi  important 
au  point  de  vue  de  la  formation  de  la  Suite  qu'à  celui  du  développe- 
ment de  la  forme  Fugue.  Son  style  était  double  et  essentiellement 
différent  dans  la  toccata  et  dans  le  ricercar.  On  n'a,  pour  s'en  rendre 
compte,  qu'à  lire  ses  ouvrages,  tous  d'un  grand  intérêt  en  raison  de 
cette   diversité  de  style  que  l'on  retrouvera  plus  tard  chez  Bach. 

Outre  les  Toccate  e  partite  de  i6i3  et  les  Fiori  musicali,  Fres- 
cobaldi  publia,  en  1624,  plusieurs  Suites  de  pièces  sur  des  airs 
populaires  connus,  intitulées  Cappricci  da  sonares  opra  diversi  soggetti; 
quatre  livres  de  Can\oni  alla  francese  dans  le  premier  desquels  on 
rencontre  deux  Toccate,  l'une  pour  violon  et  épinette,  l'autre  pour  luth 
ou  violon;  enfin,  en  1637,  parut  chez  Nicolas  Borbone,  à  Rome,  un 
second  livre  de  Toccate  contenant  un  grand  nombre  de  Courantes, 
Balletti,  Chaconnes  et  Passacailles  pour  orgue  ou  clavicorde. 

Ce  second  livre  est  particulièrement  intéressant  en  ce  que  la  pré- 
face contient  de  minutieuses  indications  de  Frescobaldi  lui-même  sur 
la  façon  d'interpréter  ses  oeuvres  ;  l'auteur  y  exprime  la  crainte  d'être 
joué  «  en  mesure  »  et  sans  expression.  Contrairement  à  ce  que  l'on 
enseigne  généralement  pour  l'interprétation  de  sa  musique,  il  y 
réclame  un  perpétuel  flottement  de  rythme,  ce  qu'on  est  convenu 
d'appeler,  depuis  Chopin,  tempo  rubato. 

Ces  indications  confirment  une  fois  de  plus  cette  vérité  qu'aucune 
musique  ne  doit  être  présentée  de  façon  inexpressive,  ce  qui  serait 
contraire   au  but  réel  de   l'art. 

Michelangelo  ROSSI,  organiste,  établi  à  Rome,  fit  paraître,  en  1657, 
un  recueil  de  Toccate  et  de  Courantes  d'un  grand  intérêt  au  point  de 
vue  de  l'invention  mélodique. 

Biagio  MARINI,  né  à  Brescia,  mort  à  Padoue  après  avoir  été  au  service 
de  divers  princes  allemands,  est  réputé  avoir  été  le  premier  en 
Italie  à  publier  des  Suites  pour  le  violon  seul  [Affetti  musicali,  1617), 
et  à  adopter  pour  ses  œuvres  à  plusieurs  instruments,  notamment  son 
op.  22   (i655),  le  titre  Sonata  da  Caméra. 

Giovanni  LEGRENZI,  d'abord  organiste  à  Bergame,  devint  directeur 
du  Conservatoire  dci  Meiidicanti,  à  V^enise,  et  maître  de  chapelle  de 
Saint-Marc.   Ses  Sonate  da  Caméra  sont  de  véritables  Suites  à  quatre 


[j6 


LA  SUITE 


instruments.   Il  publia  cependant,    en   1682,   des    Sonates  pour  deux 
violons  et  basse  continue. 

Bernardo  PASQUINI  (voir  ci-dessus,  p.  70)  publia,  en  1697,  un  livre 
de  Toccate  et  ''an:{07ii  pour  orgue,  ainsi  que  des  Sonates  en  forme  de 
Suite,  à  trois  mouvements,  pour  gravicembalo,  sans  compter  plusieurs 
Sonates  pour  deux  claviçordes. 

Nous  donnons  ci-après  les  principaux  passages  d'une  intéressante 
Canione  pour  clavicorde  dans  laquelle  on  remarquera  la  richesse  et  la 
diversité  des  rythmes  ternaires  : 


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Canzone  francese 


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Dans  la  deuxième 

partie  de  la  pièce, 

le  même  thème  se 

présente,rythmé  ainsi 


LES  ITALIENS 


Voici  enfin  la 
terminaison  de 
cette  Canzone 


Giovanni  Maria  BONONCINI,  organiste  de  Modène,  écrivit  plusieurs 
livres  de  Sonates  pour  deux  violons  (1666)  et  un  volume  intitulé 
Varii  fiori  del  Giardino  viusicale^  oiwei'o  Sonate  da  Caméra  (i66c)j; 
dans  ces  œuvres  traitées  en  forme  Suite  apparaissent,  pour  la  première 
fois  en  Italie,  les  danses  dites  Gavotte  et  Gigue. 

Giovanni  Battista  VITALI,  de  Crémone,  occupa  jusqu'à  sa  mort  le 
poste  de  second  maître  de  chapelle  du  duc  de  Modène.  On  connaît  de 
ce  compositeur  deux  recueils  de  Balletti,  Con^enti^  etc.,  pour  violon 
et  épinette  (1668-1678),  et  deux  livres  de  Sonate  da  Caméra  pour  deux 
violons  et  basse  continue. 

La  construction  de  ces  pièces,  bien  que  de  forme  binaire,  est  assez 
analogue  à  celle  de  la  Sonate  chez  Corelli  ;  la  11*  Sonate  notamment 
est  ainsi  établie  :  Introduction  grave.  Prestissimo,  Allegro,  Largo. 

Voici  le  commencement  d'une  Passacaille  de  Vitali,  qui  fut  publiée 
Tannée  de  sa  mort  (1692)  et  qui  présente  un  style  d'imitation  plus  in- 
téressant et  plus  soutenu  que  celui  de  beaucoup  de  ses  contemporains: 


Vtoltno 


PassagCl'llo  che  principia  per  B  molle  e  f'inisce  per  diesis 


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128 


LA  SUITE 


Qiuseppe  TORELLI,  né  à  Vérone,  s'établit  comme  Concertmeister 
de  la  musique  du  Margrave  à  Anspach  et  mourut  dans  cette  ville.  Il 
écrivit  plusieurs  «  Sonates  à  trois  »  et  un  recueil  de  Cappricci  da 
Caméra  pour  violon  et  viole. 

Domenico  ZIPOLI  (voir  ci-dessus,  p.  70)  ;  fut  Tun  des  meilleurs  maîtres 
italiens  au  point  de  vue  de  la  musicalité  et  de  l'élégance  de  l'écriture  ; 
ses  qualités  de  contrapontiste  pourraient  le  rattacher  à  la  filiation 
Frescobaldi,   Pachelbel,  Bach. 

Zipoli  laissa  deux  livres  de  pièces  pour  orgue",  le  premier,  qui  consiste 
surtout  en  pièces  détachées,  contient  une  Can^one  sur  un  thème  qu'on 
pourrait  qualifier  «  d'éminemment  français  »  ; 


Canzona  ^  Allegro 


1..  i.?^\    aJS 


m^mi 


Le  second  livre  est  un  recueil  de  Suites  ou  Sonates  consistant  géné- 
ralement en  trois  mouvements  :  Corrente,  Sarabanda,  Aî^ia,  précédés 
d'un  Prélude. 

Nous  donnons  ci-après  la  conclusion  d'une  longue  Pastorale  en  UT, 
au  cours  de  laquelle  Zipoli  se  laisse  complaisamment  aller  à  sa  verve 
mélodique  : 


=ifa^«=="=^= — F"    ?=■=;= 

ij    F  r    r,  r    F  r    ri 

-Çî-ii_f — F — r    ^  r   i^= 

-j — i — 1 — \^ , — p — ^ 

If     r     r-     r^ 

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LES  ITALIENS 


129 


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-y  J  [T  J  II  J  S 


J  F  J  f  J  P  J  p  J  1.'  J  7j"r^ 


'  0, 1 \ — ^ 

-i 1 ! 1 

0 

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r^—X—P—^- ! 

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Evarista  Felice  dall'ABACO,  né  à  Vérone,  devint,  en  1725,  maître  de 
chapelle  de  l'électeur  de  Bavière.  Il  publia,  en  lyiS  et  1730,  un  certain 
nombre  de  Sonates  de  Chambre  pour  deux  violons  et  basse  continué, 
qui  offrent  de  curieuses  et  originales  recherches  de  dessins  m.élo- 
diques  et  sont  vraiment  en  avance  sur  leur  époque. 

Ses  Suites  en  Sonates  sont  toutes  établies  ainsi  :  Largo,  Allemande, 
Sarabande  et  Gigue  ;  on  peut  donc  considérer  dalTAbaco  comme 
ayant  fixé  pour  la  forme  Suite  l'ordre  des  pièces  qui  devait  plus  tard 
subsister  dans  la  Sonate  moderne  avec  introduction. 

Domenico  SCARLATTI  naquit  à  Naples  et  séjourna  d'abord  à  Madrid 
en  qualité  de  maître  de  clavecin  de  la  princesse  des  Asturies;puis, 
après  avoir  voyagé  dans  toute  l'Europe  et  être  resté  quelque  temps  à 
Rome  où  il  connut  Haendel,  il  retourna  de  nouveau  en  Espagne, 
en  1729,  et  y  resta  jusqu'à  sa  mort. 

Domenico  Scarlatti  fut  sans  contredit  le  plus  important  des  composi- 
teurs italiens  dans  l'ordre  de  la  musique  instrumentale  et  surtout  de  la 
Suite.  Sa  fécondité  et  son  exubérance  toute  méridionale  n'excluent 
jamais  de  ses  œuvres  l'intérêt  musical.  Un  instinct  merveilleux  lui 
fait  même  esquisser  parfois  certaines  modifications  de  forme  dont 
la  réalisation   complète  devait  être   assez  postérieure.  Ainsi,  au  cours 

Cours  de  composition.  —  t.  ii,   i.  9 


i^o  L'A  SUITE 

de  plusieurs  de  ses  Sonates,  sa  verve  mélodique  fait  surgir  de  la  ma- 
nière la  plus  inattendue  une  sorte  de  second  thème^  innovation  qui 
ne  devait  atteindre  toute  sa  plénitude  que  sous  la  plume  de  Philippe- 
Emmanuel  Bach. 

Chose  curieuse,  les  oeuvres  les  plus  remarquables  de  Scarlatti  ne 
furent  point  des  Suites,  et  nulle  part  cependant,  mieux  que  dans  ses 
pièces  isolées,  la  forme  Suite  n'apparaît  plus  clairement  et  plus  logique- 
ment établie.  Il  fut  vraiment  le  créateur  le  plus  intéressant  de  toute 
cette  époque  italienne,  au  triple  point  de  vuede  la  musique  enelle-même, 
delà  forme  et  de  la  disposition  instrumentale.  Ses  Sonates,  en  un  seul 
mouvement,  sont  construites  en  forme  binaire^  avec  modulation  mé- 
diane à  la  dominante  ou  au  relatif  ;  les  thèmes  en  sont  alertes  et  pleins 
d'ingénieuses  trouvailles  mélodiques.  L'écriture,  si  personnelle  et  si 
spéciale  qu'on  ne  saurait  confondre  une  pièce  de  Scarlatti  avec  aucune 
autre,  offre  à  l'exécutant  des  difficultés  techniques  souvent  embarras- 
santes, même  pour  les  virtuoses  du  moderne  Concerto. 

Les  œuvres  innombrables  de  D.  Scarlatti  (i)  ne  sont  point  toutes 
connues  ;  les  pianistes  s'en  tiennent  d'ordinaire  aux  seize  pièces  arran- 
gées ou  plutôt  dérangées  par  Hans  von  Biilow,  que  l'on  ne  saurait  trop 
signaler  à  la  réprobation  des  vrais  musiciens. 

Dans  son  édition  des  œuvres  de  Scarlatti,  Biilow  se  permet  souvent 
de  substituer  des  thèmes  et  des  harmonies  de  sa  façon  à  la  fine  et 
élégante  écriture  du  maître  italien,  transformant  ainsi  le  brillant  et 
léger  babillage  napolitain  en  un  lourd  et  indigeste  pathos,  éminemment 
germanique.  De  tels  actes  de  vandalisme  sont  d'ailleurs  fréquents  chez, 
les  Allemands,  et  nous  en  aurons  d'autres  à  signaler  dans  le  courant  de 
cet    ouvrage. 

Les  principales  œuvres  de  D.  Scarlatti  consistent  en  deux  recueils 
de  Sonates  pour  clavecin,  publiés  à  Venise  ;  douze  Sonates,  publiées  à 
Nuremberg  ;  quarante-deux  Suites  pour  clavecin  ou  violon  ;  enfin, 
soixante  Sonates,  actuellement  éditées  d'après  leur  texte  original  par 
la  maison  Breitkopf. 

Ces  soixante  pièces  parurent  d'abord  en  deux  livres;  le  premier,  dédié 
au  roi  de  Portugal  Jean  le  Juste,  fut  imprimé  en  1721  sous  le  titre 
3o  Cappricci  per  Cembalo^  puis,  dans  une  seconde  édition,  avec  la 
mention  3o  Esserci^i  per  Gravicembalo  ;  le  même  recueil  parut  dans 
diverses  maisons  d'Allemagne  et  des  Pays-Bas  sous  la  dénomination 
de  Le^ioni  ou  Suites,  et  enfin,  lorsque  le  second  livre,  composé  pour  la 
majeure  partie  en  1780,  fut  adjoint  au  premier,  les  pièces   furent  inti- 


(i)  L'abbé  Santini  comptait  dans  sa  collection  trois  cent  quarante-neut   manuscrits  de  ce 
C(  mpositeur. 


LES  ITALIENS 


'3' 


tulées  Sonates  ;  mais,  comme  nous  l'avons  dit,  chacune  de  ces  Sonates 
ne  comporte  qu'un  seul  mouvement,  disposition  rare  à  cette  époque, 
en  Italie. 

Nous  citerons  ici,  parmi  ces  Sonates  de /orme  Suite,  celles  qui  offrent 
le  plus  d'intérêt  musical  : 

8"  Sonate  ;  Sarabande  en  sol  d'un  dessin  mélodique  absolument 
séduisant  et  extrêmement  varié,  malgré  l'accentuation  ininterrompue  du 
rythme.  L'inflexion  médiane  se  fait  au  ton  de  la  dominante,  re,  avec 
repos  à  la  tierce  picarde  (i)  de  ce  ton,  contrairement  aux  habitudes  de 
l'époque  (2)  : 


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o*  Sonate  ;  Gigue  en  ré 


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présentant,    à  la   fin   de  la    première  partie,   une   esquisse   de  second 
thème  : 


(i)  On  appelait  ainsi,  au  xyiii»  siècle,  la  tierce  majeure  substituée  à  celle  de  la  tonique 
dans  un  passage  écrit  en  mode  mineur. 

(2)  On  remarquera  dans  cette  Sonate,  comme  dans  la  suivante,  l'absence,  à  la  clef,  du 
dernier  bémol  de  la  tonalité.  Cette  disposition  persista  jusqu'aux  dernières  années 
du  xviiie  siècle,  par  analogie  avec  l'habitude,  prise  à  l'époque  du  contrepoint  vocal,  de  ne 
jamais  mentionner  l'altération  du  vu»  degré  autrement  que  par  un  signe  accidentel  au 
courani  de  la  pièce. 


l33 


LA  SUITE 


cette  disposition,  tout  à  fait  inusitée  à  Tépoque,  ne  se  rencontre  pas 
encore,  même  dans  la  première  période  de  l'histoire  de  la  Sonate. 

Le  commencement  de  la  seconde  partie,  au  lieu  de  reproduire  le 
dessin  initial  à  une  autre  tonalité,  devient  ici  un  développement 
rythmique  des  trois  premières  notes  de  ce  second  thème. 

i3*  Sonate  ;  Allemande  en  sol 


contenant  aussi  un  second  thème  expressif  à  la  dominante 


pièce  d'allure  bien  italienne,  où  chacune  des  deux  parties  se  termine 
sur  la  formule  de  cadence  si  abusivement  employée  au  xix*  siècle  par 
les  compositeurs  d'opéras  italiens  et  français,  qui  en  ont  fait  un  atroce 
lieu  commun,  tandis  qu'elle  était  ici  seulement  pimpante  et  spirituelle. 
19^  Sonate  ;   Gavotte  en  fa 


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extrêmement  intéressante  par  la  liberté  de  sa  mélodie  qui  présente  des 


LES  ITALIENS 


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séries  de  périodes  construites,  non  pas  symétriquement  comme  chez 
Mozart  et  ses  contemporains,  mais  tantôt  à  deux,  à  quatre  et  même  à 
trois  mesures,  vestiges  des  rythmes  grégoriens  disparus  au  xviii®  siècle 
pour  renaître  en  nos  temps  modernes. 

29'  Sonate  ;  Allemande  en  /?£■,  avec  un  second  thème  fragmenté  à  la 
dominante  mnzez/re  ;  cette  disposition,  qu'on  retrouvera  dans  les  œuvres 
de  Mozart  et  même  de  Beethoven,  est  sans  exemple  chez  Bach  et  les 
autres  contemporains  de  Scarlatti. 

Ce  premier  recueil  se  termine  par  la  célèbre  fugue  dite  du  chat. 

Dans  le  second  livre  : 

32'  Sonate;  c'est  une  Gigue  Qn  ut,  où  se  trouve  réalisée,  au  lieu  de 
la  forme  binaire  modulante  de  la  Suite,  la  structure  teniaii-e  complète 
de  la  Sonate,  telle  que  nous  la  trouverons  établie  chez  Corelli  et  ses 
successeurs.  Le  premier  thème 


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reparaît  intégralement  dans  la  seconde  partie,  exception  des  plus  rares 
dans  l'œuvre  de  Scarlatti,  et  que  nous  tenons,  pour  cette  raison  même, 
à  signaler. 

34'  Sonate  ;  Burlesca  en  sol,  de  rythme  constant,  mais  fort  intéres- 
sante en  dépit  de  sa  monotonie. 

38'  Sonate  ;  Gigue  en  ré, 


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sorte  d'air  de  chasse,  remarquable  surtout  par  l'oscillation  persistante 
entre  les  modes  majeur  et  mineur  qui  caractérise  l'exposition  du 
second  thème  ;  le  mouvement  rapide  de  cette  Gigue  et  les  effrayants 
soubresauts  de  la  main  gauche,  obligée  de  piquer  vivement  une  tonique 
au-dessus  de  la  main  droite  pour  retourner  immédiatement  à  la  domi- 
nante grave,  en  rendent  l'exécution  des  plus  difficiles. 

40*  Sonate  ;  Gigue  en  sol  qui  ne  le  cède  en  rien  à  la  précédente  pour 
la  vivacité  d'allure  et  la  liberté  de  coupe  de  ses  périodes,  rythmées 
tantôt  à  trois,  tantôt  à  quatre  mesures  : 


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L\  SUITE 


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47*  Sonate  ;  Allemande  en  l>i,  type  de  la  pièce  déforme  Suite.  Nous 
en  avons  donné  l'analyse  dans  la  partie  technique  de  ce  chapitre  (voir 
ci-dessus,  p.  109  et  1 10). 

48*  Sonate  ;  Sai-abande  en  ré,  l'une  des  plus  séduisantes  pièces  du 
recueil.  Après  une  entrée  en  imitations  d'une  grande  noblesse  de  style, 
vient  s'imposer  un  dessin  mélodique  qui  dominera  les  deux  parties 


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et  donnera  même  naissance  à  un  second  thème 


LES  ITALIK.NS 


'35 


le  rôle  de  celui-ci  devient  si  important  que  le  dessin  initial  disparaît 
définitivement  au  commencement  de  la  seconde  partie  et  fait  place  à 
un  véritable  développement  rythmique. 

5i*  Sonate  ;  Sarabande  en  s/ b,  curieuse  par  ses  modulations  inatten- 
dues et  ses  arrêts  brusques  sur  une  sorte  d'ornement,  comme  le  style 
du  luth  en  offre  de  fréquents  exemples. 

32"  Sonate  ;  Allemande  en  si  ^,  présentant  cette  particularité  que  la 
modulation  médiane  s'y  opère  au  relatif  mineur. 

54'  Sonate  ;  Gigue  en  fa  : 


le  commencement  de  la   seconde  partie    donne  une  altération  mélo- 
dique du  motif  initial,  tout  en  conservant  le  rythme  intact  : 


58*  Sonate  ;  Menuet  en  sol,  avec  un  développement  curieux  au 
point  de  vue  tonal. 

39'  Sonate  ;  Gigue  en  sol^  présentant  une  écriture  espacée  bien  par* 
ticulière  à  Scarlatti  : 


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60*  Sonate  ;  Bourrée  en  si, 


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136  LA  SUITE 

pièce  bien  connue,  offrant  un  véritable  second  thème  au  ton  relatif: 


cette  bourrée  clôt  la  série  des  soixante  Sonates  ou  Esserciii  ;  elle  est 
datée  du  palais  d'Aranjuez,  1764,  et  donne conséquemment  au  premier 
recueil  une  antériorité  de  trente  ans  environ  sur  les  dernières  pièces 
du  second. 

En  résumé,  la  Suite  de  danses  italiennes,  synthétisée  par  le  style  de 
D.  Scarlatti,  a  pour  caractéristiques  :  la  liberté  absolue  du  rythme 
mélodique  ;  l'usage  fréquent  du  changement  de  mode  sur  la  même 
tonique,  usage  qui  se  retrouvera  dans  la  Suite  française  à  l'exclusion 
de  la  Suite  allemande  ;  la  répétition  de  certaines  périodes  arrivant  par- 
fois jusqu'à  l'effet  comique  ;  enfin,  l'emploi  bien  particulier  du  croise- 
ment des  deux  mains  (souvent  dangereux,  surtout  dans  les  passages 
rapides).  Chez  les  Français,  ces  croisements  sont  beaucoup  moins 
rares  que  chez  Bach  et  ses  contemporains  allemands. 


II.    —    LES    COMPOSITEURS    FRANÇAIS. 

Jacques  Champion  de  Chambonnières.  16 10  f  1671 

.     .     .     Du  Val t65o  f  1723 

François  Couperin 1668  f  1733 

Jean  Ferry  Rebel 1669  f  1747 

Jean-Philippe  Rameau.     .     .     .     .     .  1 683  f  1764 

Jean- François  Dandrieu 1684  f  ^74^ 

Jfan-Marie  Leclair 1687  f  1764 

Jean-Baptiste  Sénaillié 1689  f  1730 


Jacques  Champion  de  CHAMBONNIÈRES,  issu  d'une  famille  d'orga- 
nistes, fut  claveciniste  de  la  Chambre  de  Louis  XIV,  et  maître  de 
Couperin  et  de  d'Anglebert.  On  a  de  lui  de  fort  intéressantes  pièces 
pour  clavecin,  en  deux  livres  (1670). 

Du  VAL  fut  le  premier  Français  auteur  de  Suites  de  danses  pour  le 
violon,  intitulées  Sonates,  conformément  à  la  coutume  italienne. 


LES  FRANÇAIS 


n? 


Jean  Ferry  REBEL,  né  à  Paris,  l'un  des  vingt-quatre  violons  du  Roi, 
devint,  en  1718,  compositeur  de  la  Chambre  et  chef  d'orchestre  de 
l'Opéra;  il  publia  un  recueil  de  douze  Sonates  pour  violon  et  basse 
continue,  d'autres  pour  violon  seul,  et  une  Fafttaisie,  également  pour 
violon,  qui  constitue  une  Suite  véritable,  car  elle  comprend  un  Grape, 
une  Chaconne,  une  Loure  et  un  Tambourin. 

Une  autre  «  Fantaisie  »  intitulée  Les  Caractères  delà  Dance(i)et 
restée  au  répertoire  de  l'Opéra  depuis  171 5  jusqu'à  174^,  n'est,  elle 
aussi,  qu'une  Suite  dans  le  style  de  l'époque.  Toutefois,  elle  était  des- 
tinée à  être  dansée  et  non  jouée  au  concert.  Les  morceaux  de  cette 
Fantaisie  s'enchaînent  tous  (2);  quelques-uns  même  ne  se  terminent 
pas,  se  servant  de  leur  modulation  à  la  dominante  pour  préparer  l'en- 
trée de  la  danse  suivante.  Bien  avant  Leclair,  Rebel  employa  sur  le 
violon  les  doubles  et  triples  cordes  dans  ses  sonates. 

Nous  citons  ici  la  Loure  des  «  Caractères  de  la  Dance  »  comme  un 
exemple  d'alternance  des  rythmes  binaires  et  ternaires  dans  la  musique 
de  ce  temps  ; 


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François  COUPE RIN,  dit  le  Grcvid,  est  le  plus  illustre  membre  d'une 
fan::ille  presque  exclusivement  composée  de  musiciens,  comme  celle 
des  Bach.  Nous  donnons  ci-après  le  tableau  généalogique  'des 
membres  de  la  famille  Couperin  qui  se  firent  connaître  dans  l'art 
musical  : 


(i)  M.  Pierre  Aubry  a  publié  une  intéressante  notice  historique  sur  cette  Fantaisie  dont  il 
donne  la  musique  en  entier. 

(2)  Les  titres  des  treize  pièces  dont  cette  Suite  est  composée  sont  les  suivantf  •  Prélude, 
Courante,  Menuet,  Bourrée,  Chaconne,  Sarabande,  Gigue,  Rigaudon,  Passepied,  Gavotte, 
Loure,  Musette  et  Sonate. 


n»  LA  SUITE 

Charles  CoL'PERis 
de  Chaumes  en    Brie 

\ 

J                                                 I  ' 

Louis                                    François  Charles 

i628-{-i662                      Sieur  de  Crouiliy  1638   f    l'iôg 

Organiste  de                        1631  f  1698  Organiste  de  SaintGervais. 

Saint-Gervais.         Organiste  de  Saint-Gervais.  | 

I  François 

Nicolas  (.'«    Grand) 

1680  T  17. j8  166S   -j-    1733 

Musicien  de  chambredu  comte  de  Toulouse.       Claveciniste  de  la  Chambre  du  Roi. 

Organiste  de  Saint-Gervais  Oiganiste  de  Saint-Gervais. 


Armand- Louis 


-!-    -S                           ■  i                                       ' 

r\         •         1     o'^^^   '^•''    ''j    XT   .      r.  Marianne  Mauguefute-Antoineits 

Organiste  de  St-Gervais  et  de  Notre-Dame.  Organiste                   Claveciniste 

I  de  l'abbaye               de  la  Chambre 
! de  Montbrison.                   du  Roi. 


PiERRR- Louis  Françgis-Gervais 

17..    -J-     1789  Organis'.e 

de  Saint-Gervais, 

puis  de  Saint-Merry, 

•{•  après   18^3. 

François,  né  à  Paris,  fut  d'abord  organiste  à  l'église  Saint-Gervais 
en  remplacement  de  son  oncle  de  Crouiliy,  puis  à  la  Chapelle  du  roi 
Louis  XIV.  Ses  oeuvres,  véritables  types  du  style  français  de  cette 
époque,  étaient  fort  estimées  de  J.-S.  Bach,  qui,  nous  l'avons  dit,  en 
avait  même  copié  un  certain  nombre. 

Il  publia,  outre  ses  Trios  et  son  Ai-t  de  loucher  le  Clavecin  (1717), 
quatre  livres  de  Pièces  pour  clavecin,  composés  de  17 12  à  1727  et 
gravés  en  i7i3,  1716,  1722  et  1730  :  chaque  livre  est  divisé  en  plu- 
sieurs Ordres  (de  ordo  :  troupe  rangée  en  bataille)  qui  constituent  de 
vraies  Suites  de  pièces,  écrites  dans  la  m.ême  tonalité,  mais  changeant 
parfois  de  mode  sur  la  même  tonique. 

Le  nombre  des  pièces  contenues  dans  chacun  de  ces  Ordres  est  indé- 
terminé, il  varie  de  quatre  jusqu'à  vingt  et  une  (dans  le  I""  livre);  mais, 
en  les  examinant  de  près,  il  est  facile  de  s'apercevoir  que  plusieurs  de 
ces  Ordres  sont  composés  de  deux,  parfois  même  de  trois  Suites  dans, 
le  même  ton,  dont  chacune  commence  en  général  par  une  Allemande 
et  finit  par  une  Gigue,  un  Passepied  ou  une  pièce  en  Rondeau.  Ces 
Suites  pour  clavecin  se  rapportent  donc  sans  contredit  au  modèle  de  la 
forme  Suite  dont  nous  avons  étudié  les  éléments  (p.  107  à  118), 
puisque,  dans  chacune  d'entre  elles,  on  retrouve  l'Allemande  (type  S), 
la  Courante  et  la  Sarabande  (type  L),  la  pièce  modérée  (type  M),  et 
enfin  la  Gigue  (type  R)  ou  le  Rondeau  français  qui  lui  est  substitué. 

Le  caractère  de  danse  est  parfaitement  conservé  dans  les  pièces  de 
Couperin.  Ainsi  que  les  Ca;;;[o/22  de  Maschera,  elles  portent  souvent 
des  titres  de  fantaisie  plus  ou  moins  burlesques  ou  difficilement 
explicables,  comme  ;  la  Ténébreuse,  le  Bauolet  flottant,  les  Culbutes 
ixcxbxnxs^\cs  Chinois,  les  Calotins  el  Calotines  ou  la  Pièce  à  trétous; 
mais  il   est  facile  de  rétablir   le   nom  de   leur  forme  véritable  :  celles 


LES  FRANÇAIS 


'19 


que  nous  venons  de  citer,  par  exemple,  ne  sont  rien  de  moins  qu'une 
Allemande,  un  Menuet, uno.  G igue, une  Loiire  et  une  Gavotte  en  Rondeau. 

Il  ne  faudrait  pas  exagérer  l'importance  de  Couperin  au  point  de  vue 
artistique  ;  il  s'en  faut  qu'il  atteigne  dans  ses  Suites  la  verve  mélodique 
d'un  Scarlatti  ou  le  charme  puissant  d'un  Rameau  ;  mais  il  n'en  exerça 
pas  moins  une  grande  influence  sur  son  époque,  au  point  de  vue  de 
l'écriture  du  clavecin  et  des  effets  qu'il  demandait  à  cet  instrument  si 
monotone  par  nature. 

Dans  la  préface  de  son  V  livre,  il  énonce  le  grand  principe  de 
Vexpression,  celui  qui  devrait  régir  toute  la  musique  moderne  :  «  Le 
«  clavecin,  dit-il,  est  parfait  quant  à  son  étendue  et  brillant  par  lui- 
«  même  ;  mais  comme  on  ne  peut  ni  enfler  ni  diminuer  les  sons,  je 
«  saurai  toujours  gré  à  ceux  qui,  par  un  art  infini  soutenu  parle  goût, 
«  pourront  arriver  à  rendre  cet  instrument  susceptible  d'expression.  » 

Un  peu  plus  haut  il  écrit  :  «  L'usage  m'a  fait  connaître  que  les  mains 
«  vigoureuses  et  capables  d'exécuter  ce  qu'il  y  a  de  plus  rapide  et  de 
«  plus  léger  ne  sont  pas  toujours  celles  qui  réussissent  le  mieux  dans  les 
«  pièces  tendres  et  de  sentiment,  et  j'avouerai  de  bonne  foi  que  j'aime 
<(  beaucoup  mieux  ce  qui  me  touche  que  ce  qui  me  surprend.  » 

N'est-ce  point  là  la  condamnation  de  beaucoup  de  virtuoses  de 
toutes  les  époques  et  de  tous  les  pays  ? 

Il  faut  connaître  cependant  certaines  pièces  de  Couperin  qui  méritent 
d'être  signalées,  notamment  : 

1er  YiYre  :  Les  Papillons,  Passepied  qui  termine  la  troisième  Suite 
:ontenue  dans  le  2*  Ordre. 

La  première  Courante,  en  ut,  dans  le  3*  Ordre,  qui  est  si  curieuse- 
ment rythmée  tantôt  à  deux,  tantôt  à  trois,  et  dont  nous  donnons  ci- 
dessous  les  mesures  initiales  : 


Courante 


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I40  LA  SUITE 

IP  livre  :  Les  Moissonneurs,  vrai  type  du  Rondeau  français,  en  si  t>,  à 
trois  Couplets  et  quatre  Refrains  ;  cette  pièce  commence  le  6^  Ordre. 

IIP  livre  :  Sœur  Monique,  Gigue  en  Rondeau,  en  fa;  i8*  Ordre. 

Dans  le  IV*  livre,  qui  est  le  plus  intéressant  : 

La  petite  pince  saiis  rire,  Passepied  en  772/ ;  21'  Ordre. 

UArlequine,  Passepied  en  fa  ;  23'  Ordre. 

Enfin,  dans  le  26*  Ordre,  cette  charmante  Épineuse,  lente  Gavotte  en 
/as,  en  forme  de  Rondeau  à  quatre  Couplets  et  cinq  Refrains  dont  nous 
avons  donné  ci-dessus  l'analyse  (p.  1 15  et  1 16)  à  titre  de  modèle. 

Jean-François  DANDRIEU,  organiste,  mort  à  Paris,  laissa  trois  livres 
de  pièces  pour  clavecin  et  un  livre  d'orgue. 

Jean-Philippe  RAMEAU.  Pour  la  seconde  fois,  nous  rencontrons  le 
nom  de  ce  grand  musicien  français  (  i  )  et  nous  le  retrouverons  à  sa  vraie 
place  dans  le  Troisième  Livre  de  ce  Cours,  lorsque  nous  traiterons 
du  genre  dramatique  ;  c'est  alors  que  nous  donnerons  en  détail  l'his- 
toire de  sa  vie  et  de  sa  carrière. 

Bornons-nous  à  rappeler  ici  qu'avant  de  devenir  l'un  des  plus  grands 
auteurs  dramatiques  de  l'histoire  musicale,  Rameau  fut  longtemps  orga- 
niste à  Paris,  à  Lille,  à  Glermont-Ferrand,  et  qu'il  revint  enfin,  en  1 72 1 , 
dans  la  capitale,  pour  occuper  les  mêmes  fonctions  à  l'église  Sainte- 
Croix  de  la  Bretonnerie.  C'est  seulement  vers  sa  cinquantième  année 
qu'il  aborda  le  drame  musical,  où  il  devait  atteindre  la  plus  haute 
expression  de  son  génie.  Entre  1704  et  1733,  année  où  il  commença 
son  premier  opéra,  il  écrivit  ses  pièces  de  clavecin  et  de  Musique  de 
Chambre. 

Son  œuvre  pour  clavecin,  la  seule  qui  nous  occupe  dans  ce  chapitre, 
consiste  en  trois  livres. 

Le  premier  (1706),  mxhwXé  Premier  livre  de  Pièces  de  Clavecin  com- 
posées par  M.  Rameau,  organiste  des  RR.  PP.  Jésuites  de  la  î'ue 
Saint-Jacques,  etc.,  contient  dix  pièces;  le  second  (1724),  Pièces  de 
Clavessin  avec  une  méthode  pour  la  méchanique  des  doigts,  en  compte 
vingt  et  une;  le  troisième  enfin  (1736)  porte  le  titre  Nouvelles  Suites  de 
Pièces  de  Clavecin  avec  des  remarques  sur  les  différents  genres  de 
musique,  et  comprend    seize  morceaux. 

On  ne  peut  douter  que  ces  ouvrages  ne  soient,  comme  les  Ordres  de 
Couperin,  des  recueils  de  Suites  dans  la  réelle  acception  du  terme, 
malgré  la  présence  de  quelques  pièces  isolées  qui  pourraient  dérouter 
ceux  qui  ne  sont  point  familiers  avec  les  usages  des  auteurs  du 
xvni*  siècle  ;  il  ne  faut  pas  oublier  que  ceux-ci  avaient  coutume  de  pro- 

(i)  Voir  1"  liv.,  p.  i35. 


LES  FRANÇAIS  141 

fîter  de  la  publication  d'une  œuvre  d'ensemble  pour  y  glisser  des  com- 
positions n'ayant  aucun  rapport  avec  elle  :  témoin,  les  livres  de 
Sonates  de  Ph.-Emm.  Bach  (voir  ci-après,  chap.  m),  et  certaines 
publications  de  Mozart.  Au  reste,  le  titre  même  du  dernier  livre  doit 
ôter  toute  hésitation  à  cet   égard. 

Le  I"  livre  peut  se  diviser  en  deux  Suites,  toutes  deux  en  la  ;  dans  le 
IP  livre,  on  compte  facilement  quatre  Suites,  deux  en  m/,  une  en  RÉ, 
la  dernière  en  ré,  plus  deux  pièces  isolées  ;  le  III"  livre  contient  deux 
Suites,  en  la  et  en  sol,  presque  exclusivement  composées  de  Menuets, 
plus  quelques  pièces  isolées.  Dans  chacune  des  six  premières  Suites,  il 
n'y  a  que  quatre  pièces,  simples  ou  doubles  ;  dans  les  deux  dernières,  il 
y  en  a  jusqu'à  sept.  De  même  que  Couperin  et  la  plupart  des  Français 
de  son  temps,  Rameau  donne  à  ses  pièces  de  clavecin  des  titres  fan- 
taisistes. 

Nous  allons  indiquer  sommairement  les  particularités  les  plus  inté- 
ressantes de  ces  recueils. 

Plusieurs  de  ces  danses  furent  replacées  plus  tard  par  l'auteur  dans 
ses  ouvrages  dramatiques  ;  c'est  ainsi  qu'un  rôle  scénique  important  est 
dévolu  dans  Dar^danus  a.  la  Bourrée  dite  Les  Niais  de  Sologne  {11^  livre), 
et  que  le  Rigaudon  intitulé  Les  Sauvages  (III^  livre)  figure  dans  les  Indes 
galantes. 

Rameau  ne  s'astreint  pas  toujours  à  commencer  par  une  Allemande 
ni  à  terminer  par  une  Gigue  ;  ses  Suites  sont  cependant  d'un  très  grand 
intérêt,  non  seulement  par  le  choix  des  thèmes  de  danses  qui  y  sont 
employés,  mais  encore  par  la  structure  des  pièces  présentant  parfois 
des  essais  de  formes  nouvelles  ;  l'adaptation  de  la  forme  Rondeau  aux 
danses  usuelles  y  est  extrêmement  fréquente  :  dix-sept  pièces  sur  qua- 
rante et  une  affectent  cette  forme. 

IP  livre  (1724).  La  Villageoise  (i);  Bourrée  en  Rondeau  à  trois 
refrains,  différant  du  Rondeau  normal,  en  ce  que  chacun  des  deux 
couplets  aboutit  à  une  fausse  rentrée  du  Refrain  dans  le  ton  du  Couplet, 
avant  le  Refrain  lui-même. 

La  6*  Suite,  en  ré,  est  à  analyser  tout  entière,  elle  comprend  : 

1°  l'Entretien  des  Muses  (2),  Sarabande  en  ré,  dont  nous  avons  cité  ci- 
dessus  toute  la  première  partie  (p.  112)  comme  type  de  morceau  lent.  Ses 
dessins  mélodiques,  d'un  charmesi  pénétrant,  ne  seraient  point  indignes 
de  D.  Scarlatti,  ni  peut-être  même  de  J  -S.  Bach. 

2*^  les  Tourbillons  (3),  Gavotte  en  Rondeau,  en  ré,  à  trois  Refrains. 

(i)  Le  texte  intégral  des  livres  de  clavecin  de  Rameau  a  été  publié  par  la  maison  Durand 
€t  fils  ;  la  pagination  ici  indiquée  se  rapporte  à  celte  édition  :  Éd.  Durand,  p.  33. 
{2)  Ed.  Durand,  p.  50. 
(3)  Ibid.,  p.  52. 


143  LA  SUITE 

3°  les  Cyclopes  {\),  Bourrée  en  Rondeau,  en  re,  d'une  forme  tout  h 
fait  originale  assez  rare  à  l'époque.  Le  Refrain,  très  long,  ayant 
pour  thème  le  dessin  initial, 


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est  composé  de  trois  périodes,  dont  la  troisième  est  répétée  ;  puis, 
vient  un  premier  couplet  modulant  en  /.^i,  suivi  immédiatement  du 
deuxième  Refrain  qui  s'enchaîne  à  un  développement,  aboutissant 
à  un  repos  au  ton  de  la  dominante  ;  enfin,  le  troisième  Refrain,  de  tous 
points  identique  au  premier,  termine  la  pièce,  dont  l'écriture  rappelle 
par  ses  croisements  celle  de  Scarlatti. 

4°  le  LLwdon  (2),  Menuet  court,  en  RÉ^  suivi  de  la  Boiteuse^  en  ré,  qui 
lui  sert  de  Second  Menuet. 

Dans  le  IIP  livre  (1706),  il  faut  lire  les  Trois  Mains  (3),  Menuet 
"d'écriture  croisée,  extrêmement  curieux,  et  V Enharmonique  (4),  qui 
présente  d'originales  successions  de  tonalités. 

Jean-Baptiste  SÉNAILLIÉ  publia  cinq  livres  de  Sonates  de  violon 
affectant  naturellement  la  forme  Suite, et  assez  estimées  de  son  temps; 
elles  sont  généralement  divisées  ainsi  :  i**  Introduction  large  ou  en 
forme  d'Allemande;  2°  Courante;  3°  Air  ou  Largo;  4°  Gigue  ou 
parfois  un  autre  morceau  vif  de  rythme  binaire. 

Jean-Marie  LECLAIR,  l'un  des  plus  célèbres  violonistes  français, 
abandonna  au  bout  de  peu  de  temps  ses  diverses  fonctions  à  la  cour  ou 
à  l'Opéra  pour  se  consacrer  à  l'étude  de  son  instrument  et  à  la  com- 
position musicale,  et  mourut  en  1724,  assassiné  à  la  porte  de  sa 
maison. 

Il  écrivit  quarante-huit  Sonates  pour  violon,  en  trois  livres  de  seize 
Sonates  chacun,  mais  de  valeur  très  inégale.  Dans  le  IP  livre,  il  fait 
presque  constamment  usage  de  la  double  corde  dans  les  positions  les 
plus  difficiles.  Le  IIP  livre,  composé,  dit-on,  après  un  séjour  auprès  de 
Locatelli,  est  le  plus  remarquable  et  contient  des  pièces  d'un  réel 
intérêt. 


(i)  Éd.  Durand,  p.  54. 

(i)  Ibid.^  p.  5o.  Ce  Menuet    a   servi  de    thème    à  M.   i'aul    Dukas    pour    ses    VanalionSy 
Interlude  et  Finale. 

(3)  Éd.  Durand,  p.  G;. 

(4)  ^^"i-,  P-  94' 


LES  ALLEMANDS 


12.    LES    COMPOSITEURS     ALLEMANDS 


M- 


DiETRicH    Becker i554-|- 

JoHANN  Hermann  Schein.       .     .     .  I  586  f 

Samuel  Scheidt 1687  -j- 

Clamor  Heinrich  Abel 16.  .  -j- 

Heinrich  Johann   von  Bip.er.     .     .  .  1644  f 

Johann     Kuhnau 1660  -j- 

Georg  Friedrich  Haendel.     .     .     .  i685  -{- 

Johann  Sébastian   Bach     ....  i685  f 


6.  . 
63o 
734 
6.  . 
704 
722 
759 
750 


Dietrich  BECKER,  de  Nuremberg,  étudia  à  Venise  sous  Andréa 
Gabrieli.  Son  style  pourrais  servir  de  trait  d'union  entre  l'art  contra- 
pontique  des  Gabrieli  et  celui  des  Corelli  et  des  Kuhnau. 

Becker  laissa  deux  recueils  publiés  à  Hambourg,  en  1668  :  l'un,  de 
Sonates  pour  violon  en  forme  Suite  ;  l'autre,  de  pièces  instrumentales 
avec  basse  continue,  sous  le  titre  Musikalische  Friihlings-Fruchte.  Ces 
publications  furent  très  répandues  en  Allemagne,  où  elles  contribuèrent 
efficacement  à  l'éducation  des  compositeurs. 

Johann  Hermann  SCHEIN,  Saxon,  étudia  le  droit  à  l'Université  de 
Leipzig,  puis  embrassa  la  carrière  musicale  et  devint  finalement  cantor 
de  l'école  Saint-Thomas  de  Leipzig,  en  j  616. 

Il  publia,  en  161 7,  un  Banchetto  77iusicale  newei^  anmiithige)^  Padoanen 
Gagliarden^  etc.,  comprenant  vingt  Suites  de  cinq  danses  chacune,  pour 
la  plupart  ainsi  disposées  :  1°  Pavane,  2°  Gaillarde,  3**  Courante, 
4°  Allemande,  6°  Tinpla  (Gigue).  Ces  Suites  sont  à  quatre  et  cinq  voix. 

Samuel  SCHEIDT,  né  à  Halle,  apprit  la  musique  à  Amsterdam  sous 
la  direction  de  Sweelinck,  et  devint  par  la  suite  maître  de  chapelle  du 
Margrave  de  Brandebourg,  à  Halle,  où  il  mourut. 

Outre  de  nombreuses  œuvres  d'orgue,  Scheidt  laissa  deux  livres  de 
Liidi  musici  (162 1-1622),  recueils  de  Paduanen,  Gagliarden,  Alle- 
mande, Can^onen  iind  Intraden,  à   quatre,  cinq,  six  et  sept  voix 

Clamor  Heinrich  ABEL,  Concertmeister  de  la  cour  de  Hanovre,  écrivit 
trois  livres  de  Suites  instrumentales  (.4//ewa«^(?,  Courante,  Sarabande 
et  Gigue),  publiés  de  1674  à  1687,  sous  le  titre  Erstlingc  musikalischer 
Bliimen  et  réimprimés  en  1687  sous  le  nom  Opéra  tnusica. 

Heinrich  Johann  von  BIBER,  violoniste,  né  en  Bohème,  mourut  à  Salz- 
bourg,  où  il  occupait  le  poste  de  maître  de  chapelle  de  l'archevêque, 
après  avoir  séjourné  à  la  cour  de  Bavière. 

On  connaît  de  lui,   outre  six   Sonates   pour   violon  (16S1)  qui  sont 


,44  LA  SUITE 

d'un  grand  intérêt  pour  l'étude  de  cet  instrument,  deux  autres  Sonates 
ou  Suites  instrumentales,  publiées  en  1676  avec  la  singulière  mention: 
tam  avis   quant  au  lis  ser-vientes  (i). 

Johann  KUHNAU,  l'un  des  plus  importants  compositeurs  allemands 
de  l'époque  antérieure  à  Bach,  né  à  Neu-Geysing  (Saxe),  ne  fut  pas 
seulement  un  musicien,  mais  un  profond  érudit,  versé  dans  la  connais- 
sance du  grec  et  de  l'hébreu.  Reçu  avocat  à  l'Université  de  Leipzig,  il 
exerça  longtemps  cette  fonction  conjointement  avec  celle  de  cantor 
de  l'école  Saint-Thomas,  poste  auquel  il  avait  été  appelé  en  rempla- 
cement de  Kuhnel,  en  l'année  1684;  il  devint,  en  1700,  directeur  de 
la  musique  de  l'Université. 

Esprit  chercheur  et  inventif,  Kuhnau  laissa  dans  tous  les  genres  un 
grand  nombre  d'ouvrages,  parmi  lesquels  il  faut  citer  son  Traité  de 
Composition  encore  manuscrit,  et  le  roman  intitulé  le  Chat^làtan  musical 
{der  musikalische  Quacksalber),  publié  en  1700  et  contenant  la  critique 
des  musiciens  italiens  de  son  époque. 

Kuhnau  fut  le  premier  qui  osa  écrire  des  Sonates  de  Chambre  pour 
clavecin  seul,  le  titre  de  Sonate  étant  jusqu'alors,  en  Allemagne,  exclu- 
sivement réservé  aux  œuvres  pour  violon,  conformément  à  son  étymo- 
logie.  Il  composa  environ  vingt-sept  Suites  ou  Sonates  (2):  celles  qu'il 
intitule  Biblischen  Historien  (1700)  seront  examinées  dans  la  Seconde 
Partie  du  présent  Livre  à  titre  d'origines  du  Poème  Symphonique,  et 
l'on  verra  ci-après  (chap.  m)  les  sept  Sonates  rassemblées  sous  la 
dénomination  de  Frische  Klavier  Frilchte  (1696)  ;  les  seules  que  nous 
ayons  à  retenir  ici  sont  les  quatorze  Suites  en  deux  livres,  publiées 
sous  le  titre  Neue  Klavier  Uebung. 

Le  P""  livre,  paru  en  1689,  contient  sept  Suites  ou  Partien^  dans 
tous  les  tons  majeurs  employés  sur  le  clavicorde,  c'est-à-dire  UT,  ré, 
MI,  FA,  SOL,  LA,  SI  t>  ;  chaque  Partita  est  divisée  en  Prélude  (le  plus 
souvent  suivi  d'une  Fugue),  Allemande,  Couinante,  Sarabande  et  Gigue. 

Le  II*  livre,  qui  est  le  plus  remarquable,  fut  gravé  en  1692  et  édité 
à  nouveau  en  1695,  1708  et  1726.  Il  consiste  en  sept  Suites  dans  les 
tons  mineurs,  suivies  d'une  Sonate  en  si  i>  très  appréciée  à  son  époque. 

(i)  Nous  devons  mentionner  ici,  à  son  rang  chronologique,  Henry  Purcell  (i658  f  lôgS), 
organiste  de  l'abbaye  de  Westminster  depuis  1680.  Cet  Anglais,  le  seul  qui  mérite  d'être  cité 
dans  cette  période  de  l'histoire  de  la  Suite,  fut  surtout  compositeur  de  théâtre  ;  on  connaît 
de  lui,  cependant, douze  Sonates  pour  deux  violons  et  basse  continue  (168 3),  plus  huit  Suites 
pour  instruments  à  clavier,  parues  sous  le  titre  Lessons  foi-  the  Harpsichord  or  Spinnet 
et  imprimées  en  1696.  Elles  sont  toutes  parfaitement  construites,  et  l'une  d'elles  notamment, 
la  5«  en  UT,  est  composée  de  huit  pièces  que  l'auteur  intitule  Prélude,  Almand,  Courante, 
Saraband,  Cebell  (Gavotte),  Minuel,  RiggaJ.oon,  Mardi. 

(2)  Les  oeuvres  complète»  pour  clavecin  de  Kuhnau  ont  été  éditées  d'après  leur  texte 
original  dans  les  Denkmdler  Deutsclier  Tonkunst  (Breiikopf  et  Hârtel,  1901). 


LES  ALLEMANDS 


'45 


Le  Prélude  de  la  i'«  Suite,  en  ut,  est  tout  à  fait  séduisant  par  la  forme 
soignée  de  ses  contours  mélodiques  et  l'élégance  de  son  style  presque 
identique  à  celui  de  J.-S.  Bach.  Il  paraît  du  reste  fort  probable  que  Bach 
avait  attentivement  étudié  les  œuvres  de  son  prédécesseur  à  l'école  Saint- 
Thomas.  Ce  Prélude  est  en  deux  parties;  l'une,  agogique,  débute  ainsi  : 


La  seconde  est  d'un  mouvement  plus  calme,  quoique  son  dessin  prin- 
cipal et  son  rythme  soient  tirés  de  la  première  ;  nous  donnons  ici  tout 
le  commencement  de  cette  seconde  partie,  afin  d'en  mieux  montrer 
l'analogie  avec  certaines  pièces  de  Bach  : 


■,mj@i. 


Cours  du  comiosition.  —  t.  ii. 


146  LA  SUITE 

La  7*  Suite,  en  si,  est  également  pleine  d'intérêt,  depuis  le  Pt^éîude 
rempli  d'une  gaîté  «  bon  enfant  »  jusqu'à  la  charmante  Gavotte  que 
nous  reproduisons  ici  tout  entière  :  . 

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On  peut  donc  dire  de  Kuhnau  qu*il  fixa,  en  Allemagne,  l'ordre  des 
pièces  de  la  Suite  (i). 

Georg  Friedrich  H/ENDEL,  né  â  Halle,  fils  d'un  barbier  de  la  cour, 
commença  par  s'établir  à  Hambourg  où  il  se  lia,  puis  se  brouilla  avec 
Mattheson,  et  composa  de  nombreux  opéras.  De  1707  à  1710,  il  voyagea 
en  Italie,  puis  se  rendit  à  Hanovre  et  de  là  à  Londres,  où  il  se  fixa  défi- 


(i)  Dans  une  Cantate  écrite  en  l'honneur  de  l'électeur  Johann-Georg,  vainqueur  des  Turcs 
(1G83),  Kuhnau  employa  aussi  pour  la  première  fois,  croyons-nous,  un  procédé  d'expression 
repris,  il  y  a  quelque  trente  ans,  par  le  compositeur  flamand  Peter  Benoît  :  il  faisait  arriver 
successivement,  par  les  diverses  rues  qui  donnaient  sur  la  place  centrale  de  la  ville,  des 
groupes  chantants  qui  s'unissaient  ensuite  en  un  ensemble  grandiose. 


LES  ALLEMANDS  1^7 

nitivement  en  qualité  de  directeur  des  Académies  musicales  et   de  plu- 
sieurs théâtres  d'Opéra. 

Son  bagage  symphonique  se  compose  de  douze  Sonates  pour  violon  ou 
flûte  avec  basse  continue  ;  treize  Sonates  pour  deux  hautbois  ou  violons 
avec  basse  continue  et  dix-huit  Suites  de  danses  pour  le  Clavecin,  en 
deux  livres,  œuvre  où  l'on  reconnaît  l'influence  de  Kuhnau,  auquel  il 
ne  craint  pas  d'emprunter  des  passages  entiers  reproduits  textuel- 
lement, sans  même  chercher  à  pallier  le  plagiat. 

Johann  Sébastian  BACH  (voir  ci-dessus,  p.  76  et  suiv.).  Bien  que  les 
Suites  de  Bach  ne  puissent  être  classées  parmi  ses  œuvres  les  plus 
géniales,  on  peut  néanmoins  dire  qu'il  porta  la  forme  Suite  à  son  plus 
haut  degré  de  perfection  ;  il  fut  le  dernier  et  le  plus  complet  des  com- 
positeurs de  Suites,  car,  après  sa  mort,  c'est-à-dire  vers  le  milieu  du 
xviii'  siècle,  cette  forme  disparut  complètement  pour  faire  place  peu 
à  peu  à  la  Sonate. 

Bach  écrivit  environ  vingt-cinq  œuvres  affectant  nettement  la  forme 
Suite. 

Les  premières  remontent  à  l'époque  de  Cœthen,  où,  n'ayant  pas 
d'orgue  à  sa  disposition,  il  écrivait  pour  d'autres  instruments,  et 
plus  spécialement  pour  le  clavecin  ;  on  les  nomme  Suites  françaises, 
bien  que  cette  dénomination  ne  leur  ait  point  été  attribuée  par  leur 
auteur. 

Les  Suites  françaises  sont  au  nombre  de  six,  comprenant  chacune  six 
ou  septpièces,  sauf  la  première  qui  n'en  compte  que  quatre  et  la  dernière 
qui  en  a  huit;  toutes  commencent  par  une  Allemande  et  se  terminent 
par  une  Gigue. 

La  plus  remarquable  est  la  sixième,  en  .u/,  divisée  en  Allemande, 
Courante,  Sarabande,  Gavotte,  Polonaise,  Bourrée,  Menuet,  Gigue,  le 
tout  sur  la  même  tonique,  sans  changement  de  mode. 

Ces  Suites  datent  de   1721  et  1722. 

Les  six  Suites  dites  anglaises  sont  d'une  époque  postérieure;  on  y  voit 
apparaître,  comme  dans  les  Suites  de  Kuhnau,  le  Prélude  qui,  fort  court 
dans  la  première,  devient  très  développé  dans  les  cinq  autres,  affectant 
même,  dans  la  sixième,  la  coupe  de  l'Ouverture  française  du  xvii*  siàcle, 
Andante  et  Allegro  (i). 

A  part  la  première,  ces  Suites  sont  toutes  composées  de  six  pièces  ; 
la  troisième,  en  sol,  esta  étudier  particulièrement  ;  elle  comprend  : 

r  un  Prélude  type,  modulant  aux  tonalités  de  la  Fugue,  sans  retour 
au  thème  initial  dans  la  tonalité  principale; 

(i)  Voir  11  Seconde  Partie  du  présent  Livre. 


148 


LA  SUITE 


2°  une  Allemande,  courte    relativement  à  la   longueur  du  Prélude  ; 

3°  une  Courante  ; 

4°  une  Sarabande  intéressante, 


^ 


^ 


rjj.  n 


^ 


^ 


^^ 


r 


r   'r 


r 


'/ui'it  j      ^J- 


3g: 


r= 


r^ 


=T 


dans  laquelle  le  retour   à  la  tonalité  est  effectué  à  l'aide  d'une  modula- 
tion enharmonique  : 


Sa  disposition  est  assez  exceptionnelle  dans  les  pièces  de  clavecin  de 
l'époque  ;  cette  Sarabande  est  suivie  d'un  Double^  où  la  mélodie  est 
présentée  avec  d'innombrables  «  agréments  »  ; 

5°  une  Gavotte  très  connue  (suivie  de  sa  Musette)  : 


f.rtfirrrr^r 


6"  une  Gigue  h.  12/8,  dont  la  seconde  partie  présente  le  thème  ren- 
versé, ce  qui  est  assez  fréquent  dans  les  gigues  de  Bach. 

Nous  arrivons  maintenant  aux  six  Partitas  que  le  maître  grava  lui- 
même  et  qui  sont  certainement  les  plus  remarquables  de  toutes  ses 
Suites.  Elles  datent  de  l'année  lySi  et  forment  la  première  partie  du 
recueil  intitulé  Clavierlibung. 

La  I"  Partita^  en  si  ;?,  se  clôt  par  la  curieuse  Gigue  que  nous  avons 
donnée  comme  exemple  de  cette  forme  (voir  ci-dessus,  p.  1 17). 

La  2"  Partita,  en  ut,  s'ouvre  par  une  Sinfonia  en  forme  d'Ouverture 
française  et  contient,  de  plus,  un  Rondeau  exactement  conforme  au  type 
si  fréquemment  employé  par  Gouperin  et  Rameau. 


LES  ALLEMANDS 


•49 


La  4*  Partita  est  en  RE  et  commence  également  par  une  longue 
Ouverture. 

Cette  œuvre  est,  par  l'indéniable  beauté  de  ses  thèmes,  la  plus 
remarquable  du  recueil  :  toutes  ses  pièces  paraissent  construites  sur  un 
même  schème  mélodique,  disposition  à  peu  près  sans  exemple  dans  le 
genre  de  la  Suite. 

V Allemande,  qui  suit  l'Ouverture,  présente  une  de  ces  longues  phrases 
comme  le  maître  de  la  Mattheus-Passion,  seul,  sut  en  créer.  L'admi- 
rable mélodie  s'impose  d'abord  en  une  ligne  simple,  mais  éminem- 
ment expressive  : 


Allemande 


^ 


^ 


irr^rtn 


ft'-'SjjjH^^ 


^ 


T' 


î 


r 


^^nm  rv..  ^  f^ 


puis  elle  monte,  monte  toujours,  en  s'adornant  au  passage  de  volutes 
exquises  comme  celles  des  alléluia  grégoriens,  et  cette  ascension  dure 
vingt-cinq  mesures,  sans  que  léchant  cesse  un  instant  d'être  expressir 
sans  que  l'intérêt  faiblisse  une  seconde,  jusqu'au  repos  à  la  dominante 
si  glorieusement  conquis  1  La  seconde  partie,  qui  compte  trente-deux 
mesures,  ne  le  cède  en  rien  à  la  première  et  gagne  majestueusement  le 
repos  de  la  tonique,  sans  redescendre  des  hauteurs  célestes  oij  plane 
depuis   le  début  Tangélique  mélodie. 

Voilà  de  l'art  pur,  voilà  de  la  vraie  beauté  ! 

Une  grave  Courante,  une  douce  Aria,  une  Sarabande  délicieusement 
ornée,  un  Menuet  et  une  alerte  Gigue  complètent  cet  admirable  monu- 
ment dominant  de  cent  coudées  le  niveau  ordinaire  de  l'ancienne  Suite 
de  danses. 

La  5"  Partita^  en  SOL,  qui  s'ouvre  sur  un  Prceambulum^  contient  un 
Menuet  qui  semble  chercher  tout  le  temps  son  véritable  rythme,  pour  ne 
le  trouver  qu'aux  cadences  et  le  perdre  ensuite  jusqu'à  la  cadence 
piuchaine. 


150 


LA  SUITE 


Voici  les  quatre  premières  mesures  de  ce  morceau  : 


Menuet 


';vJ^-;7Jv    4::=^i 


La  6^  et  dernière  Partita  est  aussi  d'une  fort  grande  beauté.  Elle 
commence  par  un  véritable  chef-d'œuvre  intitulé  Toccata,  qui  mérite 
une  étude  particulière. 

C'est  d'abord  un  imposant  Prélude  en  ;;/;  (i)  : 


plein  de  fantaisie  et  coupé  par  une  charmante  phrase  mélodique  repa- 
raissant en  partie  dans  la  Fugue  qui  suit.  Les  dernières  notes  de  la 
cadence  tonale  de  ce  prélude  servent,  en  effet,  d'entrée  thématique  à  une 
Fugue,  dont  le  sujet  n'est  pas  sans  analogie  avec  celui  du  Prélude^ 
Choral  et  Fugue  de  G.  Franck  (voir  ci-dessus,  p.  97). 


Cette  Fugue,  une  des  plus  régulières  que  Bach  ait  écrites, a  du  reste 
été  analysée  en  détail  au  chapitre  précédent  (p.  58  et  59). 

Des  six  autres  morceaux  qui  composent  cette  belle  Partita,  il  faut 
encore  retenir  la  Courante  aux  charmantes  modulations,  VAria  d'une 
religieuse  simplicité  et  la  Gigue  dont  la  seconde  partie  est  le  renverse- 
ment de  la   première. 

Après  Bach,  la  forme  Suite  fut  complètement  délaissée.  Quelques 
musiciens  du  xix*  siècle,  Franz  Lachner  et  Jules  Massenet,  entre  autres, 
tentèrent  cependant,  dans  leurs  Suites  pour  orchestre,  de  faire  revivre 
ce  titre  ;  mais,  en  dehors    du  titre,  rien   dans  la  structure  ni    dans  le 


(i)   Le  manuscrit  autographe  de   Bach    porte  pour  ce  dessin  initial,  sept  triples  croches 
égales  ;  on  ne  sait  pourquoi  ce  texte  a  été  altéré  dans  la  plupart  des  éditions. 


LES  ALLEMANDS  I5« 

Style  de  ces  pièces  symphoniques,  éminemment  fantaisistes  pourla  plu- 
part, ne  rappelle  en  quelque  manière  l'ancienne  Suite  française,  alle- 
mande ou  italienne. 

Seul,  Alexis  de  CASTILLON  écrivit,  vers  i87i,deux  Suites  pour  pianoy 
qu'on  pourrait  rattacher  aux  types  que  nous  venons  d'examiner,  si  la 
plupart  de  leurs  pièces,  fort  intéressantes  par  leur  écriture,  n'avaient 
une  coupe  totalement  différente  de  la  forme  binaire  traditionnelle  dans 
la  vieille  Suite  instrumentale. 

Le  type  spécial  de  la  Suite  proprement  dite  a  donc  disparu  pour 
jamais,  croyons-nous.  Mais,  pareille  à  la  tradition  toujours  renouvelée 
sans  cesser  d'être  elle-même,  la  Suite  défunte  est  encore  vivante  dans 
sa  fille  aînée,  la  Sonate,  devenue  à  son  tour  la  mère  féconde  de  presque 
toutes  les  formes  symphoniques  contemporaines. 


LA  SONATE 
PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 


Technique.  —  i.  Définitions.  —  î.  Origines  de  la  Sonate  :  formation  du  type  ternaire  ;  ré- 
duction du  nombre  des  mouvements,  —  3.  Le  mouvement  initial  :  type  S.  —  4.  Le  mou- 
vement lent;  la  forme  Lied:  type  L.  —  5.  Le  mouvement  modéré  ;  le  Menuet  :  type  M. 
—  6.  Le  mouvement  rapide  ;  le  Rondeau  :  type  R.  —  7.  Etat  de  la  Sonate  avant  Beetho- 
ven :  le  cycle  ;  le  style  ;  la  forme. 

Historique.  —  8.  Divisions  de  l'histoire  de  la  Sonate  pré-beethovénienne.  —  9.  La  Sonate 
italienne.—  10.  La  Sonate  allemande  primitive. —  11.  La  Sonate  diihématique.  —  12. 
Les  prédécesseurs  de  Beethoven. 

TECHNIQUE 

I.  —  DÉFINITIONS. 

La  Sonate  consiste  en  une  série  de  trois  ou  quatre  pièces  destinées 
à  un  instrument  à  clavier,  jouant  seul  ou  accompagnant  un  seul  ins- 
trument récitant  (i)  ;  ces  pièces,  reliées  entre  elles,  comme  celles  de 
la  Suite,  par  l'ordre  logique  des  mouvements  et  la  parenté  tonale, 
en  diffèrent  par  la  construction  ternaire  spéciale,  qui  apparaît  dans 
la  plupart  d'entre  elles,  et  surtout  dans  la  pièce  initiale. 

Cette  coupe  ternaire,  qui  caractérise  le  morceau  de  So)iate  par  excel- 

(  )  On  a  vu  ci-dessus  (note  de  la  page  10'))  que,  dans  son  acception  étymologique,  bien 
différente  de  celle-ci,  le  mot  Sonata  était  appliqué  exclusivement  à  des  œuvres  pour  instru- 
ments à  archet  :  aujourd'hui,  au  contraire,  l'instrument  à  archet  (violon,  alto,  violoncelle) 
n'intervient  dans  la  Sonate  qu'a  titre  concertant,  ni  plus,  ni  moins  qu'un  instrumenta  vent 
(flûte,  cor,  etc.  ;  et  c'est  l'instrument  à  clavier  (piano  ou  orgue)  qui,  seul,  y  est  toujours 
employé.  Dès  1692,  Kuhnau  publiait  une  Sonate  pour  clavecin  (voir  ci-après,  p.  18S);  en 
Italie,  Pescetti  faisait  de  même  en  1739  (voir  p.  i83)  ;  Marpurg  (  oir  ci-dessus,  p.  94),  dans 
ses  Descriptions  de  pièces  pour  Clavecin,  publiées  en  1762,  c'est-à-dire  à  une  époque  où  la 
forme  Sonate  était  à  peine  dégagée  de  la  (orme  Suite,  ne  se  préoccupa  t  déjà  plus  de  a 
catégorie  d'instruments  pour  laquelle  était  écrite  la  composition  dite  Sonate,  qu'il  défi- 
nissait ainsi  :  «  Une  pièce  en  trois  ou  quatre  mouvements  intitulés  Allegro,  Adagio,  Presto, 
quoique  leur  caractère  soit  celui  de  l'Allemande,  de  la  Courante  et  de  la  Gigue.  ■>  Kt 
il  ajoutait  cette  remarque  :  «  Quand  le  mouvement  du  milieu  est  lent,  il  n'est  pas  toujours 
dans  le  ton  principal.    » 


154  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

lence,  consiste  dans  sa  division  en  trois  parties,  dont  la  première  et  la 
dernière^  symétriques  l'une  de  l'autre,  contiennent  immuablement 
l'exposition  et  la  réexposition  du  ou  des  thèmes,  tandis  que  la  seconde^ 
contrastant  surtout  par  sa  forme  et  son  état  tonal,  revêt  une  infinité 
d'aspects  différents,  suivant  l'époque  ou  le  style  de  la  pièce  et  surtout 
suivant  son  mouvement.  En  effet,  la  forme  ternaire  des  mouve- 
ments lents  (type  L),  des  mouvements  modérés  (type  M)  et  des  mou- 
vements rapides  (type  R)  n'est  point  identique  à  celle  du  mouvement 
initial  qui  synthétise  plus  particulièrement  le  type  Sonate  (S).  Mais, 
quelque  différente  que  soit  la  coupe  traditionnelle  de  chacun  de  ces 
types,  elle  a  pour  caractéristique  commune  et  presque  constante  le 
retour  au  thème  initial^  après  une  sorte  de  digression  médiane  :  dévelop- 
pement dans  le  type  Sonate  arrivé  à  sâ  perfection  {i),  section  centrale 
dans  le  type  du  morceau  lent  {Lied),  trio  dans  le  mouvement  modéré 
{Menuet,  Scherzo),  couplet  dans  le  Rondeau,  etc. 

On  ne  saurait  trop  insister  sur  cette  prépondérance  du  régime  ter- 
naire,  qui  fait  de  la  Sonate  un  type  stable,  souple  et  fécond,  supplan- 
tant rapidement  le  type  binaire  et  transitoire  de  la  Suite,  tandis  que  la 
Fugue,  unitaire,  demeure  dans  son  inféconde  fixité.  On  découvrirait 
sans  peine  de  nombreuses  analogies  entre  le  processus  créateur  du  génie 
humain,  dans  ses  mille  réalisations,  et  les  progrès  de  la  composition 
instrumentale,  passant  de  Y  unité  stérile  à  la  puissante  îrinité,  par  l'in- 
termédiaire obligé  de  la  dualité,  plus  ou  moins  incomplète  et  instable. 

L'ordre  des  trois  dimensions  géométriques  :  ligne,  aire,  volume  ; 
l'évolution  des  formes  élémentaires  architecturales,  partant  du  7nur 
droit,  unitaire,  pour  s'élever  à  la  ligne  brisée  du  fronton,  binaire,  et  de 
là  à  la  voûte,  image  frappante  du  ternaire  symphonique,  avec  symétrie 
de  ses  deux  p'ûiers-expositions  et  souplesse  infinie  dans  le  développe- 
ment de  sa  courbe  médiane;...  tant  d'autres  exemples,  enfin,  pour- 
raient ici  trouver  leur  place,  sans  parler  des  comparaisons,  bien  autre- 
ment saisissantes,  que  nous  offrirait  le  domaine  occulte  ou  métaphy- 
sique. 

2.  ORIGINES  DE  LA    SONATE.  FORMATION   DU    TYPE    TERNAIRE.  RÉDUCTION  DU 

NOMBRE     DES     MOUVEMENTS. 

En  étudiant  les  origines  de  la  Suite  (chap.  ii,  p.  102  et  suiv.),  nous 
avons  constaté  que  le  nom  de  Sonata,  Sonate  (œuvre  pour  violon  ou 
instrument  à  archet),  par  opposition  à  Toccata  {cenwe  pour  instrunxent 
à  clavier)  et  à  Cantata  (œuvre  pour  la  voix),  se  référait  au  choix  de  Tins- 

(i)  L'étude  du  développement  proprement  dit  ne  sera  faite  qu'au  chapitre  suivant,  à  propos 
de  \a  Sonate  de  Beethoven. 


ORIGINES  ,55 

trument  exécutant,  et  nullement  à  la  forme  de  la  composition  exécutée. 
Cette  acception  étymologique  est  aujourd'hui  tellement  oubliée  dans 
la  pratique   qu'il   serait  à  la  fois  inutile  et   pédant  de  la  remettre  en 
«sage. 

A  tort  ou  à  raison,  on  est  d'accord  en  général  pour  donner  le  nom 
de  5o;/(i/6' à  une  certaine /orme  de  composition,  sans  se  préoccuper  de 
savoir  si  l'instrument  auquel  elle  est  destinée  se  joue  à  l'aide  d'un  archet 
ou  de  touches.  Aussi,  la  définition  qui  vient  d'être  énoncée  est-elle, 
sinon  unanimement  acceptée,  du  moins  plus  précise  et  plus  apte  que 
toute  autre  à  réunir  utilement  sous  un  même  vocable  des  œuvres 
musicales  réellement  apparentées  les  unes  aux  autres  par  l'identité  de 
leurs   caractères  primordiaux. 

Entre  la  Sonate  et  la  Suite,  il  n'y  a  donc  pas,  à  proprement  parler, 
de  différence  d'origine  :  tout  ce  que  nous  avons  dit  à  propos  des  an- 
ciennes chansons  à  danser  transcrites  pour  instruments  (p.  102),  de 
l'apparition  de  la  forme  binaire  {p.  104)  et  du  groupement  des  pièces 
{p.  106)  peut  s'entendre  historiquement  aussi  bien  de  la  Sonate  que  de  la 
Suite^  puisque  ces  deux  appellations  ont  été  indistinctement  appliquées 
par  divers  auteurs  à  des  compositions  de  même  forme. 

Il  importe  seulement  de  déterminer,  au  point  de  vue  technique^  à 
quels  signes  on  peut  reconnaître,  parmi  ces  compositions,  celles  qui 
devaient  transmettre  à  la  Sonate  proprement  dite  les  deux  caractères 
distinctifs  qu'elle  a  conservés  depuis  :  le  moindre  nombre  de  pièces  et 
la  structure  spéciale  de  celles-ci. 

Mais,  de  ces  deux  caractères,  le  dernier  seul,  la  construction  ternaire, 
suffit  par  lui-même  à  différencier  sûrement  la  Sonate  de  la  Suite  :  c'est 
pourquoi  nous  rechercherons  d'abord,  dans  le  type  binaire  de  la  Suite, 
les  traces  les  plus  lointaines  et  peut-être  les  moins  apparentes  de  cette 
modification  lente  qui  devait  aboutir  au  bel  équilibre  ternaire  de  la 
forme  Sonate. 

r  Le  type  ternaire.  —  La  caractéristique  du  type  Suite  étant,  par 
définition,  «  une  double  modification  progressive  de  sa  tonalité  dans 
deux  sens  différents  et  opposés  »  (chap.  11,  p.  loi),  on  est  fondé  à  re- 
connaître le  premier  symptôme  de  sa  transformation  dans  l'apparition 
du  premier  obstacle,  si  faible  qu'il  put  paraître,  qui  fit  dévier  ce  par- 
cours tonal  jusqu'alors  immuable.  Cet  obstacle,  né  sans  doute  d'un 
besoin  de  symétrie  plus  impérieux  chez  quelques  musiciens,  se  révèle 
sous  la  forme  toute  simple  du  dessin  initial  exposé  à  nouveau,  dans 
sa  tonalité,  un  peu  avant  la  fin  de  la  seconde  moitié  du  morceau  de 
coupe  binaire. 

Il  peut  paraître  puérile  de  faire  consister  la  dijj'érence  spécifique  de  la 


156  LA    SONATE    PRÉ-BEETHOVENIENNE 

Sonate  dans  ce  retour  conclusif  du  dessin  initial  à  la  tonalité  du  début. 
Si  pourtant  certains  morceaux,  qui  sembleraient  par  leur  aspect  géné- 
ral, leur  style,  leur  longueur,  leur  cadence  médiane  avec  reprise,  con- 
formes en  tout  point  au  type  Suite,  constituent,  à  notre  sens,  de  véri- 
tables types  Sonates,  c'est  uniquement  en  raison  de  la  présence,  parfois 
à  peine  perceptible,  de  leur  dessin  initial,  datis  le  ton,  avant  la  fin.  Car 
cette  rentrée  rudimentaire  d'un  dessin,  qui  ne  mérite  même  pas  le 
nom  de  thème,  devait  suffire  à  renverser  bientôt  tout  l'équilibre  de  la 
forme  Suite.  Et,  puisqu'une  aussi  petite  cause  put  entraîner  de  telles 
conséquences,  il  est  permis  d'en  conclure  que  la  stabilité  de  la  coupe 
binaire  n'était  point  excellente. 

Cette  rentrée,  si  vague  qu'elle  fût,  comportait  nécessairement  la  per- 
manence de  la  tonalité  principale  depuis  le  début  du  dessin  réexposé 
Jusqu'à  la  fin.  Ainsi  se  trouvait  suspendue,  par  le  retour  prématuré  à 
la  tonique,  avant  la  conclusion  du  morceau,  la  progression  modulante 
continue,  qui  devait  occuper  toute  la  seconde  partie  de  la  forme  Suite. 
Dans  cette  seconde  partie  apparaissaient  donc  deux  phases  tonales 
distinctes  :  l'une  en  mouvement,  l'autre  en  état  d'immobilité.  Et  l'on 
ne  tarde  pas  à  voir  chacune  de  ces  deux  phases  prendre  une  impor- 
tance telle,  que  la  dernière,  commençant  à  la  réexposition  du  dessin 
initial,  égale  en  durée,  à  elle  seule,  toute  la  première  partie  du  morceau, 
dont  elle  reproduit  pr-esque  tous  les  éléments,  mais  avec  une  orienta- 
tion tonale  différente,  c'est-à-dire  conclusse,  au  lieu  d'être  suspensive. 

On  ne  peut  se  défendre  de  reconnaître  ici  une  manifestation  nou- 
velle des  éternelles  lois  du  Rythme  :  de  même  que  l'allongement  et  la 
modification  de  la  thésis,  du  temps  lourd,  du  temps  en  chute,  en  régres- 
sion, nous  donna  naguère  la  transformation  logique  du  rythme  binaire 
en  rythme  ternaire  (i),  ainsi  la  légère  modification  tonale  de  la  seconde 
partie,  dans  la  forme  Suite,  devait  entraîner  l'allongement  et  la  scission 
de  cette  sorte  de  thésis  ou  de  temps  lourd,  contenant  en  germe  tout  le 
ternaire  grandiose  de  la  forme  Sonate. 

Telle  est  Torigine  de  cette  forme,  au  point  de  vue  de  la  structure 
typique  de  sa  pièce  principale. 

2°  Les  quatre  mouvements.  —  On  a  signalé  déjà  (chap.  11,  p.  106)  la 
tendance  très  ancienne  du  mot  Sonate  à  s'éloigner  de  son  acception  ita- 
lienne impliquant  Temploi  de  l'archet  comme  agent  sonore,  pour 
devenir  peu  à  peu  l'appellation  spéciale  des  groupements  réduits  à  un 
seul  spécimen  de  chacun  des  quatre  types  de  mouvements  (S.  L.  M.  R.) 
du  genre  Suite. 

(1)  Voir  1*'  liv  ,  p.  a5. 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  fS)  157 

Ce  changement  de  signification  n'aurait,  à  vrai  dire,  qu'un  intérêt 
philologique,  s'il  n'avait  entraîné  assez  rapidement  un  changement 
corrélatif  dans  le  caractère  des  pièces  ainsi  groupées  sous  le  nom  de 
Souates. 

En  effet,  ces  véritables  Suites  restreintes,  dites  proprement  Sonates, 
débutent  ordinairement  par  une  introduction  lente  ;  les  quatre  mou- 
vements typiques  qui  les  constituent  abandonnent  de  plus  en  plus  les 
titres  des  anciennes  danses,  pour  les  remplacer  par  l'indication  d'un 
sentiment  expressif  d'ordre  rythmique  (i)  comme  :  Allegro  (gaîment) 
au  lieu  d'Allemande  ;  Adagio  (en  marchant  doucement,  à  l'aise)  au  lieu 
de  Sarabande.  Courante,  etc.  ;  Vivace  ou  Presto  (vivement)  au  lieu  de 
Gigue,  etc. 

Ces  désignations  nouvelles  plus  abstraites  ne  tardent  pas  à  réagir 
sur  la  musique,  en  la  libérant  du  souvenir  même  de  la  danse.  Ainsi, 
les  quatre  mouvements  de  la  Suite  restreinte,  qualifiée  déjà  Sonate  et 
véritablement  apte  à  le  devenir,  s'affranchiront  d'autant  plus  de  toute 
attache  avec  les  attitudes  plastiques  du  corps  humain,  qu'ils  s'élè- 
veront plus  haut  dans   le  domaine  symphonique  de  la  musique  pure. 

Antérieure  dans  l'ordre  chronologique,  cette  modification  générique 
doit  néanmoins  passer  après  la  modification  individuelle  du  type,  au 
point  de  vue  technique,  caria  forme  ternaire  eût  suffi,  à  elle  seule, 
pour  constituer  un  type  nouveau  ;  tandis;  que  le  nombre  naguère  illi- 
mité des  pièces  de  la  Suite,  quelque  restreint  qu'il  pût  devenir,  n'aurait 
)amais  servi  qu'à  différencier  entre  eux  certains  représentants  d'un  type 
demeuré  unique  par  la  constance  de  son  mode  de  construction. 

Si  donc  l'évolution  de  la  Suite  vers  la  Sonate  atteint  le  cycle  de  pièces 
avant  de  réformer  leur  type  ;  si  elle  se  manifeste  dans  le  sens  de  Ves- 
pèce  avant  d'apparaître  dans  l'individu,  ce  n'en  est  pas  moins  la  mo- 
dification organique  de  celui-ci  qui  doit  être  considérée  comme  la 
principale.  C'est  pourquoi,  nous  avons  montré  en  premier  lieu,  dans 
les  origines  de  la  Sonate,  l'élimination  du  régime  binaire  de  l'ancienne 
Suite,  au  profit  du  régime  ternaire,  dont  nous  allons  étudier  maintenant 
l'adaptation  particulière  et  progressive  à  chacun  des  quatre  ly^p^s  do. 
mouvements  (S.  L.  M.  R.). 

3. LE    MOUVEMENT    INITIAL.    TYPE    S. 

La  pièce  initiale  de  la  Sonate,  issue  de  l'ancienne  Allemande,  s'ac- 
croît en  puissance  et  en  beauté  à  mesure  qu'elle  s'éloigne  davantage  de 
la  coupe  binaire.  Ainsi  l'Allemande  elle-même  avait  gagné  en    intérêt 

(i)  C'est  même  cette  particularité  qui  a  fourni   à  Marpurg    les  éléments    de  la    définition 
sommaire  que  nous  avons  citée,  page  i5'3. 


«5! 


LA  SONAT  EPRÉ-BEETHOVÉNIENNE 


musical  ce  qu'elle  perdait  en  parenté  avec  la  danse  dont  elle  portait  le 
nom. 

Le  rôle  de  cette  pièce  du  type  S  demeure  prépondérant  dans  la  Sonate 
plus  encore  que  dans  la  Suite  :  J.-S.  Bach  l'avait  fait  pressentir  déjà 
par  l'adjonction  d'un  vaste  Prélude  à  ses  Allemandes.  Après  lui,  l'effort 
du  symphoniste  semble  s'être  toujours  concentré  sur  cette  même  pièce 
initiale,  la  seule  qui,  par  une  singulière  lacune  dans  le  vocabulaire 
musical,  n'ait  jamais  eu  de  nom  particulier  (i). 

On  étudiera  donc  avec  plus  de  détail  la  lente  élaboration  de  ce  type 
S,  depuis  ses  timides  essais  jusqu'à  la  glorieuse  conquête  de  sa  forme 
définitive,  fixée  par  Beethoven,  et  peu  différente  de  celle  qu'il  garde 
encore  aujourd'hui,  sans  que  rien  fasse  présager  sa  disparition. 

Type  S  monothématique.  —  La  scission  provoquée  dans  la  seconde 
partie  de  la  pièce  binaire  de  la  forme  Suite,  par  la  réapparition  au  toji 
principal  du  dessin  initial,  devait  nécessairement  accroître  l'importance 
de  celui-ci,  puisque,  seul,  il  aurait  désormais  le  privilège  d'être 
énoncé  deux  fois  dans  la.  tnême  to7ialité.  Aussi,  voyons-nous  ce  dessin, 
simple  émanation  de  la  basse  continue  chez  les  premiers  auteurs  de  sona- 
tes, prendre  peu  à  peu  un  caractère  plus  mélodique  et  plus  personnel; 
le  dessin  thématique  du  début  de  la  ii*  Sonate  pour  violon  de  Co- 
relli  (2),  offre  un  intéressant  spécimen  de  ce  premier  progrès  : 


Cette  pièce  est  disposée  d'après  le  plan  suivant,  qu'on  doit  consi- 
dérer comme  le  modèle  normal  de  la  fotnne  ternaire  monothématique 
appartenant  à  un  grand  nombre  de  sonates  de  cette  époque  : 

Exposition  du  dessin  thématique  unique  sur  la  Tonique,  avec  inflexion  pro- 
gressive vers  un  ton  voisin  {Dominante  ou  Relatif)  dans  lequel  on  discerne 
parfois  un  dessin  très  secondaire  et  à  peine  reconnaissable  ; 

Partie  médiane,  consistant  en  imitations  plus  ou  moins  modulantes  du 
dessin  thématique  principal,  avec  retour  progressif  vers  la  tonalité  initiale; 

RÉEXPOsiTiON  du  dessin  thématique  sur  la  Tonique,  sans  inflexion  vers  un. 
ton  voisin,  mais  avec  une  formule  conclusive  tout  à   fait  tonale. 

La  réexposition  rudimentaire  du  dessin  thématique  sur  la  tonique^ 
en  prenant  la  place  de  la  conclusion  sans  thème  de  l'ancienne  forme 
Suite,  avait  introduit  dans  la  forme  Sonate  un  élément  nouveau  :  le 

II)  On  a  toujours  désigné  cette  pièce,  soit  par  son  allure  expressive,  A/Z^gro,  soit  par  soa 
rang,  Premier  mouvement  et  même  Premier  temps  1  C'est  tout  à  fait  insuffisant.  Le  vocable 
forme  Sonate,  que  nous  employons  avec  plusieurs  auteurs  contemporains,  est  assez 
iriédiocre  ;  mais  il  a  du  moins  l'avantage  de  se  rapporter  à  \a  forme. 

(2)  Voir  dans  la  section  historique  du  présent  chapitre  (p.  i8i). 


LE  MOUVEMENT  INITIAL    S)  159 

rappel  du  début.  Cette  innovation,  tellement  naturelle  qu'on  est  surpris 
de  la  voir  pénétrer  si  tardivement  dans  la  plus  parfaite  des  formes  sym- 
phoniques,  devait  logiquement  avoir  pour  conséquence  le  rappel  des 
éléments  accessoires  entourant  le  dessin  initial. 

Aussi,  ne  tarde-t-on  pas  à  voir  la  réexposition  atteindre  une  importance 
égale  à  celle  de  la  première  partie,  dont  elle  tend  de  plus  en  plus  à  repro- 
duire tous  les  éléments,  y  compris  le  dessin  secondaire  dont  nous  avons 
indiqué  la  présence  intermittente  à  la  suite  du  dessin  thématique  initial. 

Mais  ce  rappel  du  début,  quelque  extension  qu'il  prenne  dans  la  forme 
Sonate,  ne  saurait  y  être  confondu  avec  une  redite  textuelle^  du  genre 
de  celles  du  Menuet  après  le  trio  ou  du  refrain  dans  les  Rondeaux. 
En  effet,  ce  dessin  secondaire  qui,  dans  la  première  exposition,  avait 
une  fonction  suspensive  divergente,  consistant,  soit  à  s'infléchir  vers 
le  ton  voisin,  soit  même  à  s'y  établir  complètement,  doit  nécessai- 
rement co7n'(?r^er  à  la  fin  avec  le  dessin  thématique  réexposé,  dont  il 
adopte  la  tonalité,  renforçant  ainsi  le  caractère  conclusif  de  la  réexpo- 
sition. Et,  tandis  que  s'accroissent  peu  à  peu  l'intérêt  mélodique  et 
la  durée  de  cette  dernière  partie  en  état  d'immobilité  tonale,  par  un 
simple  effet  d'équilibre,  la  tendance  de  la  première  partie  vers  la 
tonalité  voisine  s'accentue  au  point  de  rendre  nécessaire  la  création 
d'une  mélodie  nouvelle  entièrement  exposée  dans  cette  tonalité. 

Par  là  s'affirme  peu  à  peu  l'influence  grandissante  de  ce  dessin  secon- 
daire^ appelé  à  bénéficier,  lui  aussi,  de  la  prérogative  d'être  exposé  deux 
fois,  non  pas  comme  le  dessin  thématique  initial  dans  la  même  tona- 
lité, mais  au  contraire  dans  deux  tonalités  différentes. 

Types  dithématique.  —  Sous  l'influence  souveraine  des  lois  tonales, 
les  deux  dessins  à  peine  formés  des  premières  sonates  allaient  accom- 
plir leurs  destinées  différentes  et  complémentaires. 

Le  premier,  plus  stable,  plus  apparent  par  sa  place  tout  au  moins, 
retiendra  tout  d'abord  l'attention  du  compositeur,  qui  consacrera 
désormais  à  son  choix  et  à  sa  forme  tout  le  soin  rendu  nécessaire  par 
son  importante  fonction  de  théine  principal. 

Puis,  à  mesure  que  se  perfectionnera  Torganisation  de  ce  premier 
thème  (A),  on  verra  l'autre,  le  second  (B),  abandonner  l'attitude  origi- 
nelle de  simple  imitateur.,  comportée  par  son  caractère  accessoire, 
pour  revêtir  peu  à  peu  un  aspect  particulier  contrastant  quelquefois, 
par  sa  souplesse  et  sa  fluidité,  avec  la  rigueur  du  thème  initial. 

Ainsi  disparaît  progressivement  le  type  transitoire  monothématique 
pour  faire  place  à  la  forme  ternaire  dithématique.,  dont  la  première 
réalisation  complète  appartient,  consciemiiicnt  ou  non,  au  fils  du  vieux 
Jean-Sébastien,  Charles-Philippe-Emmanuel  Bach. 


i6o 


LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 


L'analyse  d'un  admirable  Allegro,  en  L/i  b,  de  cet  auteur  (i),  va  nous 
permettre  d'établir  par  un  exemple  à  quel  degré  de  perfection  la  forme 
Sonate  était  déjà  parvenue,  plus  d'un  demi-siècle  avant  Tavènement  de 
Beethoven. 

I.  —  L'Exposition  que  nous  donnons  ci-après  intégralement  contient 
d'abord  le  premier  thème  (A),  dont  les  trois  mesures  essentielles 
reparaîtront  textuellement  au  début  de  la  7'éexposition.  Ce  thème  (A), 
complété  par  quatre  mesures,  s'enchaîne  à  un  passage  agogique  (P)^ 
nettement  infléchi  vers  le  ton  de  la  dominante  {Mi^),  où  s'exposera  le 
second  thème.  Celui-ci  (B)  est  fait  de  trois  éléments  distincts  [b'  ^"^"'), 
dont  le  premier  [b')  offre  une  analogie  curieuse  avec  la  phrase  qui  occupe 
la  même  place  dans  le  finale  de  la  Sonate  op.  27,  n°  2,  de  Beethoven.  Le 
second  élément  (^"),  par  l'adjonction  à  la  basse  du  dessin  agogique  (P), 
et  le  troisième  (^")  par  un  rappel  du  premier  (^")  attestent  les  progrès 
réalisés  déjà  dans  le  sens  delà  combinaison  thématique. 

Toute  cette  exposition  aboutit  à  un  repos  important  sur  la  domi- 
nante, avec  indication  d'une  reprise  depuis  je  début,  comme  dans 
l'ancienne  Suite, 

Exposition. 


Un  poco  Allegro 


s: 


UJl~U~&W^ 


m 


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t 


^  n-nnr} 


(jp)  passage  agogique 


■g^M 


^^'^j'jijj  -^ '■♦^^^jjj^j 


r  u~C^[j 


f 


m^ 


<b#  T^-gL 


^ 


è 


J^ 


É 


^^ 


^)  J    7'!^ 


^ 


(1)  Celle  pièce  appartient  à  la  deuxième  des  six  Sonates  dites  \Vurtembergeoises.q\iC  Ph. 
Em.  Bach  publia  ea  1747  (voir  ci-aprco,  p.  19G). 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S) 


i6i 


f^mMMMMM^i 


^M 


tj*    inf'/ejion  vers  la  D. 

^D  sproml  thème 
Adagio  Ail? (p)premier  élément 


\ — f- 


^ 


^ 


w 


LLjjr   ^- 


f— f 


Adagio 


S 


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All^ . 


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P 


crrorr 


-t — 1- 


î 


T 


m  ■'^LLS 


^F=T 


*=* 


=*îra 


v:/ 


^V')  deuxième  élément 


^^^^ 


'jr  '^ 


f^^TT'^ 


r^Tf 


^ 


dessin  apu^Mque  de  P 


diùk^^ldimW^w^^ 


Adagio  /fjTi\ ; ,  ,• 

^^i^^  ^Çl>'  troisième  élément. 


r    r^; 


cnr^iu 


trrnir 


Cours  de  composition.  —  t.  ii.  i. 


i6î 


LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 

tr 


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T     .ffl.rm'j 


^ 


=^=F 


rrirr 


^ 


r 


/. 


^ 


ijj 


^ 


/y/ynrJusion  n  la  D . 

2 . —  La  Partie  médiane  commence  par  un  rappel  du  premier  thème  (A) 
au  ton  de  la  <io;?n*«a«^e,  conformément  à  un  usage  assez  fréquent  dans  la 
forme  Suite  ;  mais  ce  thème  (A)  se  transforme  bientôt  et  s'infléchit  vers 
le  re/a^î/ mineur  [fa),  où  l'on  voit  reparaître  le  dessin  agogique  (P),  en 
forme  de  marche,  qui  module  un  instant  à  la  sous- dominante  (i?Ét>)  et 
revient  au  ton  relatif  {fa)  dans  lequel  est  exposé  tout  le  premier  élé- 
ment (^')  du  second  thème.  Une  modulation  à  la  dominante  mineure 
{mi^)  ramène  les  éléments  principaux  du  premier  thème  (A),  immédiate- 
ment avant  la  réexposition. 

Partie  médiane. 

rappel  de  A. 


m 


m 


àj=& 


K<lf^  ^ 


^ 


& 


f^sti-^ 


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en  1-^. 


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^*  f  f 


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^ 


^ 


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°  1.  p 

rappel    de  Jr 


(en  marche 


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yj 


inflexion  vers  le  Relatif  (^ 


-6'^t  kr 


( 


m^^^^^^ 


^^^^^ 


-'-*     ts=J  "^ 


i;  "^  ^  F^p  '  '  7 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S 


i63 


rappel  de  b*. 


!"  n';M'7i 


^    ^m    M  Ji    *.   »m    m^ 


i 


Adagio  AJ1° 


^ 


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-Ta-*- 


^ 


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7    «i    »  ^ 


3 


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•  • m *_• m. 


m 


f 


?=s 


!..  ^Tn 


^^W 


rappel  d.A Ad.»?,'»,    .         All° 


^ 


^^ 


»    ^ 


f 


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i^fi 


-rappel  deA 


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^^ 


^^ 


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j^i>    I    *    _  _  _  :  I  f 


*        ^' 


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^#^g^ 


^ 


m 


m   m  m    m   0   m 


m   0   0  m 


î 


infiexion  vers  la  T. 


3.  —  La  Réexposition,  tout  h  fait  affranchie  des  anciens  errements  de 
la  forme  Suite,  contient  d'abord  l'élément  essentiel  du  premier  thème 
(A),  sur  la  tojiigue  {la\>)  comme  la  première  fois,  et  relié  directement  au 
passage  agogique  de  transition  (P).  Celui-ci,  complètement  transformé 
sous  le  rapport  de  l'orientation  tonale,  provoque  le  retour  logique  du 
second  thème  (B)  avec  ses  trois  éléments  (è'  ^"  b'")  transposés  exacte- 
ment au  ton  initial  [la  b)  pour  conclure  : 


,54  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

RÉEXPOSITION. 


^iT^^ 


i"T1 

f      1   \  ^ 


-^^-trLç^^ÛL^|^^LiLuiJ'"Liijl 


^  ^  r  .1- . .  .sezj* 


ftûJda-"rLç;i^miiir£ 


-T^^lfif 


f3n 


rÛJ,L       ■ 

♦.      -«■ 

e. 

1 — 1 

Pf-r 

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#f-ir>        i^^      p  i 

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^ 

'    '1      I  1  1  i  ,  i  M 

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b^S9 

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1 

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• — 

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^ 

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E 

« 

inflexion  vers  tu  T. 


Les  sei^e  dernières  mesures  sont  la  transposition  exacte  du  second  thème  (B) 
avec  ses  trois  éléments  (b'  b"  b'")  sur  la  Tonique. 


LE  MOUVEMEiNT  LENT  (L)  ,65 

En  résumé,  dans  toute  la  période  antérieure  à  Beethoven,  le  type  S, 
même  lorsqu'il  n'est  pas  aussi  complètement  organisé  que  l'exemple 
ci-dessus,  est  construit  d'après  le  plan  suivant  : 

Thème   principal  (A)  à  la  Tonique,  avec  inflexion  vers  un 
ton  voisin  {Dominante  ou  Relatif]  à  l'aide  d'un  Passage 
Exposition.  )      de  transition  (P)  plus  ou  moins  net. 

Second  thème  (B)  exposé    dans  le  Ton  Voisin  et  composé 
quelquefois  de  trois  éléments  distincts. 

Fragments  modulants,  empruntés  aux  thèmes  exposés  dans 
Partie  médiane.   ]       la  première  partie,  et  groupés  en  ordre  extrêmement  va- 
riable. 

Thème  principal  (A)  à  la    Tonique,  sans   inflexion  vers   le 
ton  voisin,  et  suivi,   s'il  y  a   lieu,  du   Passage  de  transi- 
Réexposition.        '       tien  (P),  orienté  lui-même  vers  la  Tonique  ; 

Second  thème  (B),  avec  tous  ses  éléments  transposés  à  la 
Tonique  en  forme  conclusive. 

Celte  forme  se  rapproche  beaucoup  de  la  forme  définitive  qu'on  étu- 
diera au  chapitre  suivant.  Les  caractères  essentiels  de  Vexposition  diver- 
gente et  de  la  réexposition  convergente  y  apparaissent  nettement,  ainsi 
que  le  principe  de  la  dualité  des  thèmes.  Mais  ces  thèmes  sont  encore 
pauvres  et  mal  définis.  La  partie  médiane^  plus  indécise,  semble  cher- 
cher un  dernier  appui  dans  les  débris  de  .l'ancienne  forme  Suite,  dont 
la  barre  de  reprise  reste  le  seul  vestige  concret  (i)  ;  mais  la  vitalité  nou- 
velle des  thèmes  y  affaiblit  de  plus  en  plus  l'influence  de  cette  vénérable 
aïeule,  bien  près  de  s'éteindre  à  tout  jamais  dans  son  glorieux  passé. 

La  jeune  forme  Sonate,  à  peine  assise  sur  ses  bases,  semble  appeler 
l'eftort  qui  lui  donnera  toute  l'ample  envergure  qu'elle  est  susceptible 
d'atteindre.  C'est  elle,  en  effet,  qui,  devenue  la  pièce  maîtresse  du 
monument  sonate,  réagira  peu  à  peu  sur  toutes  les  parties,  comme 
pour  les  soutenir  et  leur  donner  une  vigueur  nouvelle. 

4.    LK    MOUVEMENT    LENT.     —    LA    FORME    LIED.    —   TYPE    L. 

De  tout  temps,  semble-t-il,  et  peut-être  dans  tous  les  genres  musi- 
caux, les  fragments  lents  furent  les  plus  «  chantants  ».  Nulle  part,  en 
effet,  la  mélodie  n'tsi  plus  apparente  et  plus  indispensable  que  dans  les 
pièces  lentes,  naturellement  plus  souples  et  plus  affranchies  de  ce  qu'on 
pourrait  appeler  les  servitudes  rythmiques  inhérentes  à  tout  mouve- 
ment un  peu  rapide. 

Contrairement  à  l'opinion  des  adorateurs  de  la  fioriture  italienne, 
c'est-à-dire  de  cet  art  qui  consiste  h  faire  entendre  le  plus  grand  nombre 

(0  11  est  à  remarquer  que  cet  usage  de  la  reprise  avait  presque  eniièrcmcnt  disparu  dans 
les  Sonates  de  ioime.  monotlièmatique  antérieures  à  celles-ci. 


i66  LA  SON'ATE  PRE-BEETHOVENIENNE 

de  notes  inutiles  dans  le  plus  court  espace  de  temps,  le  vrai  chant  est 
lent;...  la  plainte,  traduite  en  langue  musicale,  s'exprima  d'abord  en 
notes  longues  et  douloureuses  ;  et,  lorsque  la  gaîté  vint  apporter  le 
contraste  de  ses  notes  brèves  ou  brillantes  à  la  musique,  celle-ci,  fille  de 
la  mélancolie  et  de  la  prière,  était  depuis  longtemps  déjà  la  consola- 
trice des  hommes. 

Il  n'est  donc  pas  surprenant  de  retrouver  dans  les  vieux  chants  gré- 
goriens l'ancêtre  authentique  des  phrases  mélodiques  qui  devaient 
reparaître  de  préférence  dans  les  pièces  lentes,  à  mesure  qu'elles  ou- 
blieraient les  rythmes  coutumiers  des  danses,  pour  se  rattacher  défini- 
tivement à  «  ce  qui  chante  »,  à  VAriay  au  Lied. 

Ce  type  de  ^YvvdiSt  ternaire  précédemment  défini  (i)  et  souvent  em- 
ployé dans  les  chants  grégoriens  (2),  se  retrouve  aussi  en  plusieurs 
occasions  sous  la  plume  de  J.-S.  Bach  (3).  Il  ne  fallut  rien  moins  que 
l'omnipotence  de  l'usage  des  danses  pour  l'écarter  momentanément  des 
formes  symphoniques,  où.  il  devait  bientôt  reprendre  sa  place,  par 
une  juste  réaction  des  qualités  émotives  des  compositeurs,  soumises  à 
une  véritable  contrainte  dans  la  pièce  initiale  (type  S),  en  raison  de 
l'effort  intellectuel  dépensé  pour  sa  nouvelle  construction. 

Tant  que  cet  effort  absorba  toute  l'attention  du  musicien,  la  pièce 
lente  des  premières  sonates  resta  conforme  aux  types  de  danses  :  tou- 
jours binaire,  en  rythme  de  Sicilienne,  de  Courante,  etc.,  cette  pièce  ne 
varie  guère  que  par  sa  tonalité  ou  par  son  rang.  On  la  voit  s'établir, 
soit  dans  un  ton  voisin  du  ton  principal,  soit  après  le  mouvement 
modéré  (4),  mais  aucune  modification  de  forme  n'y  apparaît  encor^^. 

Cependant,  la  mélodie  à  trois  périodes,  dont  la  dernière  est  symé- 
trique de  la  piemière,  l'antique  phrase  lied  des  cantilènes  sacrées 
revient  peu  à  peu  chanter  tristement  dans  les  pièces  lentes.  Le  retour 
au  thème  initial,  innovation  si  simple  et  pourtant  si  laborieuse- 
ment fixée  dans  le  type  S,  apparaît  ici  sans  effort  et  comme  spontané- 
ment, donnant  ainsi  aux  pièces  du  type  L  la  véritable  forme  lied, 
forme  ternaire  comme  la  phrase  lied  dont  elle  est  l'image  agrandie, 
et  analogue  par  conséquent,  mais  non  identique  à  la  forme  ternaire 
du  type  S. 

Le  Lied  en  a// naturel  que  nous  analysons  ici  est  un  vrai  modèle  du 


(i)  Voir  I"  liv.,  chap.  II,  p.  41  et  42. 

(3)  Voir  dans  le  Liber  Graduai ts   (a»    éd.),  le  Kyrie  (p.  i5*),  les  Alléluia  et  certïines  an- 
tiennes comme  :  Vei  ba  mea  (p.  i  22). 

(3)  Voir  notamment    la   phrase  de   la  Sonate  pour  violon  ei  clavecin  en  uf  mineur  ciiée 
au  Premier  Livre,  p.  48. 

(4)  Voir  ci-après,  dans  la  section  historique,  les  œuvres  de  Corelli,  (p,  179,  180). 


LE  MOUVEMENT  LENT  (L) 


.67 


genre.  II  est  extrait  de  la  Sonate  en^v/o,  op.  1 18,  de  Joseph  Haydn (i)  : 
chacune  de  ses  trois  grandes  sections  constitue  par  elle-même  une 
petite  phrase  lied,  subdivisée  en  trois  périodes  {a,  b,  a  ou  c,  d,  c\  etc.), 
avec  symétrie   entre   la  première  et  la  dernière. 


DQ  -EXPOSITJON  de_]a_plirase.7iW_pria£ipal« 
(a)  période  initiale 
^Adagio 


redoQblement-de.la-pé  ri  ode  initiale 


ft  j  g  ^^[^^Frrp^ 


rr 


è 


OT 


n";i!f     !î     ^  H^N^-Tj?^ 


inflexion  vers  la  D 


retour  à  In  D 

(1)  Voir  dans  la  section  historique  du  présent  chapitre  fp.  200  et  suiv). 


i68 


LÀ  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 


FRAGMENT   CENTRAL  modulant 
(jc)    période  initiale 


^^^^^^ 


(A^  période  initial 


r-ipp- 


s 


I.E  MOUVEMKNT  LENT  (M)  ,6^ 

(cy  réexposition   modulante  de.  la  période  initiale  C  donnant  à  toute  cette   11*^  partie 


m 


g^ 


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''■'unnnn 


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m 


^ 


i 


la    forme  d'une    phrase-/iVc^. 


IIIIkÉeXPOSITION  de  la  ph  rase  - /ifrf 

aj   période  initiale 


Les  périodes  b  et  a'  sont  également  réexposées  et  suivies  d'une  conclusion  de 
quatre  mesures  sur  la  Tonique. 

Le  plan  de  la  forme  lied,  telle  qu'elle  existait  avant  Beethoven,  est, 
en  définitive,  celui-ci  : 

Section  I.  — Exposition  de  la  phrase  lied  à  trois  périodes: 

a.  période  initiale  infléchie  vers   la   Dominante,  avec  reprise  ou 
redoublement  facultatifs  : 

b.  période  modulante,   qui  revient  presque  toujours  à  la  Dominante 
a'  période  initiale  réexposée  sur  la  Tonique  sans  inflexion. 

Section  il.  —  Fragment  central  modulant,  sans  relation  thématique  nécessaire 
avec  les  deux  autres,  et  souvent  divisible  en  trois  (comme 
dans  l'exemple)  ; 

Section  m.  —  Réexposition  de  la  phrase  principale  avec  ses  trois  périodes, 
souvent  agrandies  et  toujours  modifiées  rythmiquement  ou 
mélodiquement,  mais  dans  le  même  état  tonal  qu'au  début. 

Les  variantes  introduites  dans  la  réexposition  suffisent  à  lui  enlever 
le  caractère  d'une  redite  textuelle  :  la  forme  lied  offre  donc  bien  trois 
éléments  dij/é r en ts  et  non  deux,  dont  l'un  serait  seulement  répété  :  elle 
est  nettement  ternaire  et  non  binaire. 

Cette  forme  est  assurément  une  des  plus  simples,  des  plus  claires  et 
des  mieux  équilibrées,  parmi  toutes  celles  qu'affecta  successivement  la 
musique  instrumentale.  Aussi  est-elle  demeurée  à-peu  près  immuable, 
jusqu'au  moment  où  elle  subit,  comme  toutes  les  formes  symphoni- 
ques,  la  rénovation  beethovénienne. 


170  LA    SONATE    PRÉ-BEETIIOVÉNIENNE 

En  dehors  même  de  la  Sonate,  l'influence  de  la  forme  lied  a  rayonné 
et  rayonne  encore  sur  une  foule  de  compositions  dites  «  libres  »;  beau- 
coup d'œuvres  qui,  surtout  chez  certains  contemporains,  se  réclament 
d'une  liberté  qui  confine  à  l'anarchie,  ne  sont  souvent  pas  autre  chose 
qu'un  simple  lied  en  U^ois  sections,  dont  l'une,  celle  du  milieu,  est  indé- 
pendante, et  les  deux  autres  plus  ou  moins  symétriques. 

5.  —  LE  MOUVEMENT  MODÉRÉ.  LE  MENUET.  TYPE  M. 

Les  tentatives  d'innovation  subies  par  la  pièce  du  type  M  dans  les 
sonates  pré-beethovéniennes  semblent  n'avoir  eu  aucune  conséquence 
durable.  Sans  parler  de  la  permutation  insignifiante  opérée  par  quel- 
ques Italiens  (i)  entre  le  rang  de  la  pièce  lente  et  celui  de  la  pièce  de 
mouvement  modéré,  ni  de  la  suppression  de  celle-ci  dans  quelques 
sonates,  le  seul  essai  de  forme  qui  mérite  d'être  signalé  consiste  en  une 
sorte  d'exercice  d'agilité  ou  de  mouvement  perpétuel,  occupant  dans  les 
sonates  pour  violon  la  place  de  la  pièce  du  type  M.  La  pauvreté  musi- 
cale de  ce  divertissement  instrumental,  a//zma//^z/e  et  dénué  de  tout 
intérêt,  fut  sans  doute  la  cause  de  sa  piètre  destinée  :  il  disparut  sans 
laisser  de  traces,  comme  doivent  disparaître  tôt  ou  tard  toutes  les  acro- 
baties qualifiées  improprement  «  musique  »  par  les  naïfs  ignares  de 
tous  les  temps  ;  et  le  Menuet,  seul  héritier  des  innombrables  danses  du 
type  M  intercalées  naguère  dans  l'ancienne  Suite,  continua  à  les  repré- 
senter dans  la  jeune  Sonate. 

Ce  Menuet,  avec  ses  périodes  de  quatre,  huit  ou  seiie  mesures,  ses 
petites  reprises  et  son  /r/o  (2)  suivi  du  traditionnel  da  capo,ne  diffère 
pas  notablement  des  vieilles  danses  de  cour,  avec  leurs  doubles  et  leurs 
redites.  Dernier  vestige  du  Madrigal,  il  semble  demeurer  ici  comme 
un  fief  sacré,  intangible  mais  désuet,  au  milieu  des  constructions  nou- 
velles environnantes  qui,  tout  en  respectant  sa  forme,  réagissent  déjà 
sur  lui  par  leur  style. 

Nous  empruntons  à  la  3*  Sonate  d'un  des  précurseurs  de  Beethoven, 
qui  fut  peut-être  le  plus  grand  et  certainement  le  moins  connu,  Fried- 
rich-Wilhelm  Rust  (voir  ci-après,  p. 2 19),  un  beau  spécimen  de  Menuet, 

(i)  Notamment  Corelli,  comme  on  le  verra  ci-après  (p.  179  et  180). 

(2)  On  a  proposé  deux  explications  dift'érentes  pour  l'origine  du  nom  de  trio  appliqué 
6  la  partie  médiane  du  Menuet  et  des  autres  danses  de  forme  analogue. 

D'après  les  uns,  la  première  partie  et  la  dernière  [Menuet  proprement  dit)  étaient  destinées 
à  être  dansées  par  tous  les  couples  de  danseurs  en  une  sorte  de  figure  générale,  tandis  que 
le  milieu,  le  trio  était  dansé  par  frois  personnes  (un  danseur  et  deux  danseuses),  comme 
cela  se  pratique  encore  à  la  quatrième  figure  de  l'antique  quadrille. 

D'après  les  autres,  et  cette  explication  nous  paraît  meilleure,  le  nom  de  trio  viendrait 
plutôt  de  l'instrumentation  traditionnelle  des  danses  :  la  première  partie  et  son  da  capo 
étaient  exécutés  par  tous  les  musiciens  (tutti),  tandis  que  le  milieu  était  joué  ordinairement 
par  un  trio  d'instruments  (deux  violons  et  un   alto,  ou  deux   hautbois,  et  un  basson,  etc.). 


LE  MOUVRMEXT  MODKHE  'M) 


'7> 


dont  l'allure  générale  est  encore  celle  d'une  danse,  mais  dont  le  thème 
fait  déjà  pressentir,  par  ses  rythmes  agrandis  composés  de  plusieurs 
mesures,  la  forme  5cAer;{0,  telle  qu'elle  sera  étudiée  au  chapitre  suivant: 


(a)   1er  Vythmo 
Minuetto 


ÉiYlIIlUULLU 


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172 


LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 


@  FJ  rythme 


^1.  f  j  J  If  •'[f[[fiJ  p  r  IJ  ^ 


Chaque  phrase  (a,  b,  a*)  de  ce  Menuet  se  décompose  en  groupes  rythmiques 
indivisibles  de  deux  mesures  (a  et  a^)  ou  même  de  quatre  mesures  {b).  dans 
chacun  desquels  la  première  mesure  est  forte  ;  à  l'époque  des  menueia  dan- 
sés, l'articulation  nécessaire  du  premier  temps  de  chaque  mesure  avait  pour 
effet  d'engendrer  le  plus  souvent  dans  la  mélodie  une  succession  de  rythmes 
d'une  seule  mesure  chacun  :  ce  sont,  au  contraire,  les  rythmes  de  plusieurs 
mesures  qui  caractériseront,  chez  Beethoven,  les  thèmes  de  Scherzo. 

Après  ce  Menuet  en  Mi^  vient  un  trio  au  ton  de  la  sous-dominante; 
il  offre  la  même  particularité  rythmique  et  est  suivi  de  la  reprise 
intégrale  du  Menuet  da  capo,  comme  dans  les  anciennes  danses  de  la 
Suite. 


6.    —    LE    MOUVEMENT    RAPIDE.    —    LE    FONDEAU.    —    TYPE    R. 

La  pièce  termmale  des  Sonates  est  demeurée  la  continuatrice  de  celle 
des  anciennes  Suites  par  son  allure  rapide  plus  que  par  sa  forme  On 
verra  plus  loin  (p.  178  et  suiv.)  que  les  premiers  auteurs  italiens  se 
dispensèrent,  pour  la  plupart,  d'y  introduire  aucune  innovation  :  la  der- 
nière pièce  de  leurs  sonates  rudimentaires  continue  à  affecter  la  forme 
d'une  Gigue  ou  d'une  autre  danse  vive  de  type  binaire. 

Seul,  peut-être,  Legrenzi  et,  après  lui,  plusieurs  Allemands  construi- 
sirent parfois  leurs  pièces  finales  d'après  le  même  plan  que  la  pièce 
initiale  (type  S),  tout  en  lui  conservant  un  mouvement  plus  rapide. 

Ces  divers  essais  eurent  peu  d'imitateurs  ;  au  contraire,  la  gracieuse 
forme  Rondeau  ne  tarda  pas  à  être  élevée  par  Mozart  à  la  dignité  de 
finale,  qui  lui  fut  conservée  après  quelques  transformations  par  Beetho- 
ven lui-même,  dans  une  grande  partie  de  ses  Sonates. 

La  vieille  ronde^  issue  du  sol  français  et  toujours  reconnaissable  à 
son  alternance  caractéristique  du  refrain  tonal  avec  les  couplets  modu- 


LE  MOUVEMENT  RAPIDE  (RI 


'73 


lants,  apportait  ainsi  au  finale,  un  peu  desséché  par  la  Gigue  des  anciens 
maîtres,  une  sève   nouvelle. 

En  quittant  sa  place  indéterminée  au  milieu  des  danses  groupées  en 
forme  de  Suites,  le  Rondeau^  devenu  Finale^  devait  adopter  l'allure  ra- 
pide imposée  par  sa  nouvelle  fonction.  Cet  accroissement  d'agogique  et 
de  vitesse  constitue  même  la  seule  différence  notable  entre  le  Rondeau 
de  Couperin  précédemment  analysé  (p.  ii5)  ex  \q  Finale  célèbre  d'une 
Sonate  de  Mozart  (voir  ci-après,  p.  210),  dont  nous  donnons  ci-dessous 
le  refrain,  le  premier  couplet  et  le  plan  général  ; 

REFRAIN 
Allegretto 


l'e.r  COUPLET   modulant  à  U  Domina nU 


tnfiexion   vers  la  T 


'74  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

Immédiatement  après  ce  jer  couplei,    on  reprend  intégralement  le   Refrd.tiy 
pour  la  deuxième  fois. 


2?  COUPLET  modulant  au   Relatif 


t-f   > 


ReL@ 


Les  vingt  mesures    qui  complètent   ce    2«  couplet  restent   dans  la  tonalité  du 

Relatif,  avec  inflexion  finale  vers  le  ton  principal. 
Immédiatement  après  ce  2e  couplet  on  reprend  intégralement  le  Refrain  pour 

la   troisième   fois  :  cette   dernière    répétition  est   suivie  d'une  conclusion 

agogique  de  dou^e  mesures,  sur  la  Tonique. 


7.  ÉTAT  DE  LA  SONATE  AVANT  BEETHOVEN.  —  LE  CYCLE.  — LE  STYLE.  LA  FORME. 

Pour  résumer  brièvement  les  progrès  accomplis  par  la  Sonate,  à  me- 
sure qu'elle  se  dégage  de  la  Suite,  au  cours  de  la  période  pré-beetho- 
vénienne,  il  faut  se  placer,  croyons-nous,  au  triple  point  de  vue  du  cycle^ 
du  st/le  et  de  la  forme. 

Le  Cycle.  — Dans  l'ancienne  Suite,  simple  succession  unitonique  d'airs 
de  danse  en  nombre  indéterminé,  aucune  autre  intention  que  celle 
du  contraste  des  mouvements  n'avait  présidé  au  groupement  des 
pièces  ;  encore,  cette  intention  n'est-elle  pas  toujours  très  certaine.  Au 
contraire,  avec  l'élimination  des  pièces  formant  un  véritable  double 
emploi  par  leur  allure  tout  au  moins,  avec  la  réduction  du  nombre  des 
mouvements  à  un  seul  de  chaque  type  (S.  L.  M.  R.),  ce  premier  symp- 
tôme constitutif  de  la  Sonate  montre  déjà  une  préméditation  dont  les 
effets  ne  tarderont  pas  à  se  faire  sentir. 

A  la  permanence  absolue  de  la  même  Tonique  succède  déjà  un  ordre 
varié  de  tonalités  voisines  adopté  pour  les  mouvements  médians,  tan- 
dis que  les  mouvements  extrêmes  restent  invariablement  dans  le  ton 
principal. 

Bientôt,  ces  divers  mouvements  ne  seront  plus  seulement  juxtaposés,, 
avec  plus  ou  moins  de  bonheur  selon  que  cette  juxtaposition  est  faite 
par  l'auteur  lui-même  ou  après  lui  par  quelque  éditeur  incompétent,  ils 
tendront  à  se  combiner,  à  s'associer.  Certains  auteurs  les  enchaînent 
deux  à  deux,  tandis  que  d'autres  établissent  entre  eux  des  relations 
thématiques  tout  à  fait  significatives.  Comment  se  fait-il  que  cette 
précieuse  innovation  soit  aussitôt  retombée  dans  un  oubli  complet  qui 
dura  près  de  deux  siècles  ? 


CYCLE,    STYLE    ET    FORME  175 

Cependant,  à  la  faveur  de  leur  cohésion  plus  forte,  les  membres 
de  la  Sonate,  devenus  moins  nombreux  mais  aussi  plus  unis,  avaient 
pris  véritablement  l'aspect  d'une /tim/Z/t?,  dont  les  liens  de  parenté  étaient 
assez  caractérisés  déjà  pour  que  Tinterpolation,  toujours  possible  dans 
l'ancienne  Suite,  d'un  morceau  étranger  y  devienne  de  moins  en  moins 
aisément  praticable. 

La  Suite  n'avait  été  qu'une  succession  dt  danses  :  la  Sonate  deviendrait 
bientôt  un  cj'cle  de  mouvements. 

Le  Style.  —  Peu  différent  de  celui  de  la  Suite,  le  style  de  la  Sonate  ne 
peut  vraiment  être  considéré  comme  en  progrès  dans  la  plus  grande 
partie  de  la  période  pré-beethovénienne.  Au  point  de  vue  de  la  pureté 
et  de  la  rigueur  contrapontique  que  certains  auteurs  de  Suites  avaient  su 
conserver,  on  constate  au  contraire  un  recul  très  notable  ;  la  limitation 
du  nombre  des  instruments  exécutants,  la  prépondérance  croissante  du 
rôle  du  clavecin,  l'habileté  moins  grande  des  instrumentistes  et  peut- 
être  aussi  quelque  influence  de  la  mode  effacèrent  en  effet  dans  la  So- 
nate naissante  toute  trace  de  la  sévère  polyphonie  médiévale,  pour  faire 
place  au  style  galant,  adopté  peu  après,  en  Allemagne  et  en  Italie,  par 
les  diverses  formes  symphoniques  dites  Concerts  ou  Concertos  (i). 

Le  style  galant,  qu'on  opposait  alors  au  style  strict^  consistait  prin- 
cipalement dans  l'affranchissement  de  toute  contrainte  relativement  au 
nombre  des  parties  simultanées  composant  l'harmonie.  Les  vieilles 
transcriptions  de  Madrigaux,  les  Concerts  d'Eglise  (voir  ci-dessus 
p.  io3)  étaient  écrits  à  citiq  parties  réelles;  les  Fugues,  le  plus  souvent 
à  quatre  et  à  trois  ;  dans  beaucoup  de  Suites  la  tradition  de  l'écriture 
régulière  à  t?^ois  et  à  deux  parties  se  maintenait  encore.  Mais,  avec  l'en- 
vahissement des  formes  de  danses,  légères  et  frivoles,  avec  la  tendance 
«  moderne  »  à  qualifier  d'  «  art  d'agrément  »  l'antique  iiovjiy.-ç,  éducation 
de  lame,  la  fantaisie  de  l'auteur  ne  connaît  plus  d'autres  bornes  que  les 
règles  conventionnelles  de  la  basse  continue^  mère  de  nos  regrettables 
Traités  d'Harmonie. Tantôt, des  parties  supplémentairess'adjoignent  aux 
autres,  sans  motif  plus  avouable  que  le  fâcheux  «  remplissage  des  trous  »; 
tantôt,  la  mélodie  supérieure,  le  «  chant  »,  si  l'on  peut  ainsi  qualifier 
les  formules  harmoniques  qui  en  tiennent  lieu  pour  beaucoup  d'Italiens, 
est  écrit  tout  seul  au-dessus  de  sa  basse,  chiffrée  ou  non,  et  laissée 
pour  la  réalisation  au  «  bon  goût  de  l'interprète  »>;  tantôt  enfin,  cette 
basse  elle-même  se  «  donne  du  mouvement  »  en  adoptant  avec  une 
déplorable  constance  quelque  insipide  dessin  d'arpèges  ou  d'accords 
brisés,  du  genre  de  ceux  dont  on  trouvera  un  spécimen  ci-après,  p.  206. 

[i]  Voir  Ji  Seconde  Partie  du  prcsent  Livre. 


176  LA   SONATE    PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

La  Forme.  —  Une  telle  décadence  de  style  eût  abouti  très  proba- 
blement à  la  disparition  totale  de  la  Sonate,  si  celle-ci  n'avait  puisé 
dans  sa /orme  même  une  force  nouvelle,  susceptible  de  compenser  en 
partie  l'abolition  des  traditions  si  respectables  de  l'écriture  polypho- 
nique. 

La  puissante  construction  ternaire,  apparue  dans  les  succédanés  de 
l'ancienne  Allemande  et  de  mieux  en  mieux  équilibrée  par  le  principe 
récent  de  la  dualité  des  thèmes,  allait  permettre  au  nouveau  type 
Sonate  d'accomplir  une  glorieuse  carrière,  en  compagnie  de  son  «  frère 
cadet  »  le  type  Lied,  plus  simple  mais  peut-être  plus  expansif  ;  en 
attendant  que  le  type  Menuet  et  le  type  Rondeau,  plus  éloignés  de 
leur  maturité,  fussent  en  âge  de  contracter  les  fructueuses  alliances  que 
Beethoven  leur  réservait. 

Ainsi  s'accroissent  à  la  fois  dans  la  Sonate  rM?n7e  de  conception  et  la 
variété  de  réalisation  :  tous  ses  matériaux  sont  aptes  à  recevoir  d'une  in- 
telligence géniale  l'organisation  hiérarchique  qui  leur  fait  encore  défaut. 

En  élevant  les  thèmes  au  rang  et  à  la  dignité  d'idées  musicales, 
Beethoven  saura  les  mettre  en  action  par  le  développement  de  leurs 
forces  latentes,  solidement  appuyées  sur  des  assises  tonales  inébran- 
lables. 

HISTORIQUE 

8.    DIVISIONS    DE    l'histoire    DK    L\    SONATE    PRÉ-BEETHOVÉNIENNE. 

En  étudiant  au  point  de  vue  technique  la  transformation  de  la  Suite 
en  Sonate,  on  a  vu  que  la  coexistence  assez  prolongée  de  ces  deux 
genres  rendait  difficile  leur  délimitation  respective  :  on  ne  sera  donc 
pas  surpris  de  nous  voir  citer,  dans  cette  section  historique,  des  œuvres 
que  leur  forme  imprécise  permettrait,  en  apparence  tout  au  moins,  de 
rattacher  aussi  aisément  à  l'histoire  de  la  Suite  qu'à  celle  de  la  Sonate. 
L'indétermination  de  leurs  titres  elle-même  pourrait  aussi  bien  justifier 
l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  classifications. 

Toutefois,  si  l'on  veut  bien  prendre  pour  guides  les  caractères  dis- 
tinctifs  de  la  Sonate,  tels  qu'ils  viennent  d'être  établis  au  triple  point 
de  vue  du  cycle,  du  style  et  de  Informe,  la  mention  spéciale  des  compo- 
siteurs, dont  les  œuvres  aflectent  tout  au  moins  l'un  de  ces  caractères, 
paraîtra  plus  légitime  dans  l'histoire  de  la  Sonate,  car  l'étude  de  ces 
œuvres  est  une  introduction  logique  à  celle  des  Sonates  complète- 
'    ment  organisées  et  reconnaissables   aux  trois   signes  suivants  : 

1°  réduction  de  l'ensemble  de  l'œuvre  ou  du  cycle  à  quatre  pièces 
au  plus,  rarement  cinq,  et  désignation  de  ces  pièces  par  leur  senti- 
ment rythmique  excluant  de  plus  en  plus  l'idée  de  danse  ; 


DIVISrONS  HISTORIQUES  tjj 

2°  substitution  du  style  galant  au  style  strictement  polyphonique 
des  Motets  et  des  Madrigaux,  des  Fugues  et  des  Suites; 

3°  apparition  graduelle  de  la  forme  ternaire  monothématique  d'abord, 
puis  un  peu  plus  tard,  en  Allemagne,  nettement  dithématique. 

Historiquement,  ces  trois  modifications  constitutives  de  la  Sonate 
sont  apparues  dans  cet  ordre,  en  Italie  comme  en  Allemagne  ;  toutefois 
le  type  nouveau  de  la  forme  Sonate  ne  fut  véritablement  créé  qu'après 
l'évolution  ternaire  de  son  mouvement  initial. 

Par  la  lecture  et  la  comparaison  de  nombreuses  œuvres  italiennes, 
françaises  ou  allemandes  appartenant  à  l'époque  de  la  Suite,  on  peut 
aisément  se  rendre  compte  que  cette  évolution  ternaire  apparaît  exclu- 
sivement dans  des  compositions  déjà  restreintes  à  tr-ois  ou  quatre 
mouvements,  et  affranchies  pour  la  plupart  du  joug  de  la  polyphonie 
stricte  et  des  rythmes  de  la  danse.  Ces  œuvres,  très  souvent  intitulées 
Sonates,  même  si  elles  ne  contiennent  pas  la  plus  vague  esquisse  d'une 
réexposition,  sont  Sonates  en  effet  par  leur  modification  générique; 
mais  elles  n'ont  point  encore  subi  la  transformation  typique  du  régime 
binaire  en  régime  ternaire. 

On  chercherait  vainement  du  reste  la  trace  de  cette  dernière  trans- 
formation dans  les  œuvres  françaises  qualifiées  ou  non  de  Sonates  par 
leurs  auteurs  :  Suites  elles  étaient,  Suites  elles  sont  demeurées,  en 
dépit  du  nombre  restreint  de  leurs  pièces  ou  même  du  style  galant 
qu'elles  ont  adopté  ;  aussi  furent-elles  étudiées  au  chapitre  précédent 
(p.  i36  et  suiv,),  tandis  qu'il  nous  reste  à  faire  connaître  maintenant, 
en  Italie  et  en  Allemagne  seulement,  les  étapes  successives  de  la  lente 
évolution  de  la  Sonate. 

Il  semble  toutefois  que  cette  évolution  se  soit  produite  en  sens  inverse 
dans  chacun  de  ces  deux  pays  :  en  Italie,  après  une  assez  belle  floraison 
au  temps  de  Corelli,  la  Sonate  tombe  promptement  en  décadence  et 
disparaît;  en  Allemagne,  au  contraire,  son  élaboration  paraît  un 
peu  plus  lente,  mais  sa  forme  se  perfectionne  sans  cesse,  faisant  pres- 
sentir de  plus  en  plus  nettement  les  créations  géniales  du  maître  de 
Bonn.  Ces  tendances  opposées  se  manifestent  presque  simultanément 
dans  les  deux  écoles  ;  mais,  en  raison  de  leurs  destinées,  nous  étudie- 
rons les  Italiens  avant  les  Allemands,  dans  cette  brève  histoire  qui 
sera  divisée  de  la  manière  suivante  : 

La  Sonate  italienne  (§  9)  : 

—  Corelli,  ses  prédécesseurs  et  successeurs; 

La  Sonate  allemande  (§  10,  11,  12),  divisée  en  trois  périodes  : 

—  Première  période  :  La  Sonate  primitive  {^  10), de  Kuhnau  ai. -S.  Bach; 

—  Deuxième  période  :  La  Sonate  dithématique  i§  11),  Ch.-Ph.-Em.  Bach 

et  ses  contemporains; 

—  Troisième  période  :   Les  prédécesseurs   de  Beethoven  [^    12),    Haydn, 

Mozart,  Rust. 

Cours  de  composition.  —  t.  11,   i.  ij 


178 


LA      SONATE   PRÉ-BEETHOVENIENNE 


g.    —     LA     SONATE     ITALIENNE. 

Le  père  de  la  Sonate  italienne  est,  sans  contredit,  Giovanni  LEQRENZI 
(voir  ci-dessus,  p.  12b).  Bien  que  ses  Sonate  da  Caméra  soient  conçues 
en  forme  Suite,  et  que  la  construction  ternaire  n'y  apparaisse  nulle  part, 
elles  ont  déjà  de  la  Sonate  le  cycle  musical,  c'est-à-dire  un  nombre  de 
mouvements  réduit  à  trois  ou  quatt^e.  Sa  célèbre  Benipoglia,  op.  8,  n°  i, 
(1667)  servit  de  modèle  à  toutes  les  Sonates  italiennes  postérieures;, 
elle  est  ainsi  divisée  : 

10  Allegro,  C,  en  SI\>- 
20  Adagio,  3,    en  sol. 
30  Allegro,  6/8,  en  ré. 
i^o  Presto,  3/4,    enS/t>- 

Dans  ce  même  ordre  d'idées,  nous  devons  signaler  Giovanni  Battista 

VITALI,  qui   osa  réduire  à   trois  le  nombre    des  pièces  de  ses  Suites- 
Sonates,  dans   lesquelles   on   trouve    parfois,   comme  plus  tard  chez 
Corelli,  un  thème  générateur  qui  régit  tous  les  morceaux  du  cycle 
Qu'on  lise  par   exemple   sa  deuxième  Sonate   (publiée   à   Bologne  en. 
1677),  où  les  quatf^e  mouvements  procèdent  d'un  thème  identique.: 


I.  Grave 


L-.r^riUsn'^ 


11. Prestissimo 


III.  Allegro 


IV.   Largo 


Cette  conception  thématique  sera,  deux  siècles  plus  tard,  reprise  par 
César  Franck  et  érigée  en  principe  conscient  dans  sa  Sonate  pour 
violon  (voir  chap.  v). 

Nous  mentionnerons  enfin  Giovanni  Battista  BASSANI  (i657f  1716), 
qui  fut  maître  de  chapelle  du  duc  de  Ferrare  et  qui  enseigna  l'art  du 
violoniste  à  A.  Corelli.  Les  Sonates  de  Bassani  sont  toutes  de  coupe 
biliaire,  mais  cependant  très  antérieures  aux  quatre  premières  oeuvres 


LA  SONATE  ITALIENNE  ,79 

de  Corelli,  bien  qu'elles  aient  été  publiées  postérieurement  à  celles-ci. 
C'est  certainement  l'étude  approfondie  des  œuvres  de  son  maître  qui 
fit  adopter  au  grand  Arcangelo  la  forme  générale  en  quatre  ou  cinq 
mouvements  à  laquelle  il  resta  toujours   fidèle. 

Nous  arrivons  maintenant  à  l'époque  qui  vit  fleurir  et  se  développer 
en  Italie  la  véritable  forme  Sonate,  constituée  non  seulement  par  le 
nombre  restreint  des  mouvements^  mais  surtout  par  la  coupe  tertiaire  de 
la  pièce  initiale. 

Voici  la  liste  des  principaux  compositeurs  : 


Arcangelo  Corelli i633  f 

Francesco  Geminiani 1680  f 

Francesco  Maria  Veracln'i.    .     .     .  i683  f 

GiusEPPE  Tartini 1692  f 

Pietro  Locatelli 1693  f 

Giovanni  Battista  Pescetti.     .     .  1704  f 

Baldassare  Galuppi 1706 

Pietro  Nardini 1722 

GaETANO  PUGNANI 1781 


7i3 
762 
7^0 

?;o 

764 

766 

784 

7q3 
798 


Arcangelo  CORELLI,  né  à  Fusignano  et  élève  de  Bassani  pour  le 
violon,  fut  quelque  temps  musicien  de  cour  à  Munich,  puis,  en  1681, 
il  revint  s'établir  à  Rome,  dans  le  palais  même  du  cardinal  Ottoboni, 
grâce  à  la  protection  duquel  il  eut  le  loisir  de  penser  et  d'écrire  ses 
œuvres  sans  nul  autre  souci. 

Ses  quarante-huit  premières  Sonates  (i683  à  1694)  pour  deux  vio- 
lons avec  basse  continue  d'orgue,  de  clavecin  ou  d'archiluth,  en  quatre 
livres,  relèveraient  plutôt  de  Tordre  de  la  Musique  de  Chambre  ;  mais 
son  œuvre  la  plus  importante  est  un  recueil  de  «  Douze  Sonates  à 
deux  »  pour  violon  et  basse  continue  au  clavecin,  op.  3,  qui  parut  en 
1700  et  atteignit  en  peu  de  temps  cinq  éditions  consécutives  (i). 

Cette  œuvre  exerça  une  influence  considérable,  en  Italie  et  en  Alle- 
magne, sur  les  compositeurs  contemporains  de  Corelli  et  même  sur  ses 
successeurs  ;  on  lui  doit  en  effet  la  consécration  définitive  du  principe 
ternaire  appelé  à  opérer  une  si  grande  révolution  dans  la  structure  des 
œuvres  musicales. 

La  plupart  des  Sonates  de  Corelli,  à  l'exception  de  la  12*  (suite  de 
Partite  ou  Variations  sur  un  air  alors  en  \ogue,  La  Follia),  sont  en  cinq 
mouvements,   au  cours   desquels  on  ne   rencontre  que  deux  repos,   le 


(i)  Ces  douze  Sonates  existent  avec  la  basse  assez  convenablement  réalisée,  dans  une  pu- 
klication  anglaise,  chez  NovcUo,  Ewcr  a.  C»,  à  Londres  :  Albums  for  vtoitn  and  piano  forte, 
1 1  et  13. 


i8o 


LA    SONATE    PRE-BEETHOVENIENNE 


Gi'ave  initial  étant  toujours  enchaîné  au  morceau   suivant,  et  V Adagio 

ou  le  Largo,  au  finale  : 

(  10  Grave  ou  Adagio,  représentant  l'ancien  Prélude  ; 
(  2°  Allegro  (relié  au  précédent). 

3*  Vivace  (séparé). 
(  4"  Adagio,  ou  Largo  ; 
(  5»  Allegro,  ou  Vivace,  ou  Gigue  (relié  au  précédent). 

Le  mouvement  vif  du  milieu  n'est  qu'une  sorte  de  moto  perpetuo 
destiné  à  faire  valoir  la  dextérité  du  violoniste.  Quant  à  V Adagio,  il  est 
presque  toujours  dans  une  tonalité  autre  que  la  principale. 

Il  conviendra  d'étudier  particulièrement  la  i""*,  la  6*,  la  9^  et  la  11*. 

Dans  la  i*"*  Sonate,  en  rè,  le  Grat'e,  orné  d'une  sone  de  j'ubilus,  se 
répète  deux  fois,  oscillant  de  la  dominante  à  la  tonique;  le  thème  du 
premier  Allegro  y  est  réexposé  par  la  basse  continue,  tandis  que  le 
wiolon  brode  des  ornements  au-dessus;  de  plus,  il  sert  aussi  de  sujet 
principal  à  V Allegro  qui  termine  l'œuvre  : 


Allegro  initial  : 


Allegro  final 


m 


^ 


Cette  disposition  est  assez  fréquente  à  cette  époque,  mais  elle  ne 
reparaîtra  plus  guère  qu'avec  Beethoven. 

La  6*  Sonate,  en  la,  est  à  peu  près  conçue  de  la  même  manière, 
mais  ici  c'est  le  mouvement  Grave  qui  expose  les  deux  éléments  mélo- 
diques sur  lesquels  est  bâtie  la  composition  entière.  Ainsi,  le  dessin 
initial  forme  le  thème   de  l'Adagio  médian  : 


dessin  initial  du  Grave  : 


i 


»,;>  .    0 


W 


i 


sujet  de  l'Adagio  : 


Ê^ 


^ 


tandis  qu'un  second  dessin,  également  exposé  dans  le  Grave^  reparaît 
comme  sujet  de  V Allegro  suivant  : 

sujet  de  VAllet^ro  : 


trois  des  morceaux,  sur  cinq^  sont  donc   faits  sur  le  même  sujet. 

La  9*  Sonate,  en  la  également,  quoique  manifestement  écrite  dans 
le  style  de  la  Suite,  offre  un  exemple  assez  rare  d'intrusion  de  la  forme 
ternaire  dans  l'air  de  danse  :  la  Gigue  et  la  Gavotte,  reniant  leur  origine 


LA  SONATE  ITALIENNE 


i8i 


binaire,  contiennent  toutes  deux  une  réexposition  tonale  de  leur  dessin 
initiai. 

Enfin,  la  1 1*  Sonate,  en  m/,  est  un  vrai  modèle  réduit  de  ce  que  cette 
forme  était  appelée  à  devenir  plus  tard.  A  une  courte  introduction  inti- 
tulée Preludio  succède  un  Allegro  plein  de  verve  et  plus  mélodique  que 
les  morceaux  similaires  des  autres  sonates  :  on  a  pu  le  constater,  du 
reste,  par  le  thème  principal  que  nous  avons  cité  précédemment  (p.  i  58). 
Cette  Sonate  contient  ensuite  un  Adagio  en  utn,  puis  un  Vivace, 
ancêtre  du  Scherzo  beethovénien,  et  enfin  une  Gavotte  de  forme  binaire 
qui  termine  Tœuvre. 


Francesco  QEMINIANI  naquit  à  Lucques  et  se  fixa,  dès  1 7 1 4,  à  Londres, 
où  son  talent  de  virtuose  lui  créa  bientôt  une  situation  prépondérante. 
Après  un  séjour  à  Paris,  où  il  fit  graver  plusieurs  de  ses  œuvres,  de  1 748 
à  1755,  il  retourna  en  Angleterre  et  mourut  à  Dublin,  à  l'âge  de  quatre- 
vingts   ans  passés. 

C'est  à  Geminiani  que  l'on  doit  la  plus  ancienne  de  toutes  les 
méthodes  de  violon,  dans  laquelle  il  fait  déjà  monter  l'exécutant  jusqu'à 
la  sixième  position  (1740).  Ses  Sonates  sont  d'ordinaire  en  quatre  mou- 
vements :  Largo,  Allegro,  Adagio,  Allegro.  On  connaît  de  lui,  dans 
cette  forme  :  vingt-quatre  5o/os  de  violon,  op.  i  et  2(1716),  et  douze 
Sonates  avec  basse  continue,  op.  11,  parmi  lesquelles  nous  citerons 
la  Sonate  en  ut,  dont  le  Largo  présente  une  ligne  mélodique 
vraiment  émouvante  par  son  expression  douloureusement  tourmentée  : 

Largo 


i 


s^ 


>i.  ^t  i 


^ 


m    f 


^3 


^ 


:C^ 


Belle  phrase  musicale,  et  presque  digne  de  la  plume  d'un  Bach  I 

Francesco  Maria  VERACINI,  florentin,  fut  le  maître  de  Tartini    (voir 
ci-après,  p.  182).  D'abord  musicien  de  chambre  de  l'électeur  de  Saxe,  à 


i83  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVEiMENNE 

Dresde,  il  devint  ensuite  chef  de  la  musique  du  comte  Kinsky,  à  Prague, 
où  il  passa  le  reste  de  sa  vie. 

Il  publia  à  Dresde,  en  1721,  douze  Sonates  pour  violon  et  basse 
continue,  toutes  en  quatre  mouvemeni?,  :  Ouverture  (ou  Ritoj'uello), 
Allegi^o,  Largo  (ou  Menuet)  et  Gigue  (ou  Rondeau). 

Qiuseppe  TARTINI  est  né  à  Pirano,  près  de  Venise,  Pendant  ses  études 
de  droit  à  Padoue,  il  enleva  et  épousa  secrètement  une  nièce  du  cardinal 
Cornaro.  Accusé  de  rapt  et  poursuivi  pour  ce  fait,  il  se  réfugia  dans  le 
monastère  des  Franciscains  d'Assise  et,  durant  les  deux  années  qu'il  y 
resta,  il  travailla  assidûment  la  musique  sous  la  direction  de  l'organiste 
du  couvent,  Pater  Boemo.  Le  cardinal  Cornaro  ayant  pardonné, 
Tartini  revint  à  Padoue  auprès  de  sa  jeune  épouse,  et  sa  réputation 
de  virtuose  du  violon  prit,  en  peu  de  temps,  de  considérables  pro- 
portions. 

Déjà  célèbre  à  vingt-deux  ans  et  recherché  par  tous  les  amateurs,  il 
eut  l'occasion  d'entendre  Veracini  à  Venise,  et,  mettant  de  côté  toute 
vanité  personnelle,  il  sut  reconnaître  que  son  éducation  musicale  était 
fort  imparfaite.  Il  eut  donc  le  courage  de  renoncer  momentanément  à 
ses  succès  et  se  rendit  à  Ancône  auprès  de  Veracini,  afin  de  profiter  de 
ses  conseils. 

Ce  fut  au  cours  de  ces  années  de  retraite  volontaire  qu'il  fut  amené  à 
découvrir  la  théorie  des  sons  résultants  et  qu'il  conçut  la  première 
idée  de  son  Ti^attato  di  Musica  (i). 

En  1721,  il  fut  choisi  comme  chef  d'orchestre  de  la  basilique  de 
Saint-Antoine,  à  Padoue,  où  il  fonda  une  école  qui  forma  un  grand 
nombre  de  violonistes  célèbres.  Il  mourut  dans  la  même  ville  après  de 
fréquents  voyages  dans  diverses  cours  d'Allemagne. 

Tartini  était  plein  de  cœur  ;  on  cite  de  lui  des  traits  de  grande  géné- 
rosité :  lorsqu'un  élève  lui  paraissait  bien  doué,  il  refusait  obstinément 
de  recevoir  de  lui  aucune  rétribution,  disant  que  «  le  temps  dépensé 
pour  la  musique  ne  pouvait  être  payé  ». 

Il  laissa  cent  deux  Sonates  pour  violon  et  basse  continue,  toutes  en 
quatre  mouvements  :  Gratte,  Allegro,  Adagio,  Allegro.  Cinquante-cinq 
d'entre  elles  seulement  ont  été  gravées,  les  douze  premières  à  Paris, 
op.  I,  les  autres,  en  six  recueils,   op.  2  à  7,  à  Venise. 

La  Sonata  del  Diavolo  (dite  le  Trille  du  diable),  la  plus  connue  mais 
non  la  plus  intéressante  de  ses  œuvres,  fut  publiée  à  part.  Il  l'avait 
écrite  en  171 3,  d'après  un  rêve  qu'il  raconte  en  détail  dans  une  lettre 
adressée  à  l'astronome  Lalande  (2). 

(i)  Voir  \"  liv.,  page  iBy. 

(2)  Voir  Dictionnaire  de  musique  de  Choron,  t.  II,  p.  36o. 


LA  SONATE  ITALIENNE 


i83 


L,es  Sonates  de  Tartini  sont  écrites  dans  le  style  de  celles  de  Gorelli, 
mais  avec  un  sentiment  plus  complet  de  la  forme,  la  réexposition  y 
prenant  une  place  prépondérante  ;  comme  Gorelli,  il  enchaîne  entre  eux 
la  plupart  des  morceaux;  parfois  même,  tous  sont  construits,  sinon  sur 
un  thème  unique,  du  moins  sur  des  dessins  très  proches  parents  les  uns 
des  autres.  Dans  la  Sonate  en  RÉ  (i),  par  exemple,  on  verra  circuler 
Je  dessin  initial  à  travers  les  quatre  morceaux  qui  constituent  l'œuvre: 


«rave 


AJlegro 


Largh*4rto 


Pietro  LOCATELLI,  né  à  Bergame  et  élève  personnel  de  Gorelli,  s'éta- 
blit à  Amsterdam  où  il  mourut.  Il  contribua  puissamment  à  faire  pro- 
gresser l'art  du  violon,  surtout  en  ce  qui  concerne  les  doubles   cordes. 

Il  réduisit  encore  le  nombre  des  pièces  de  la  Sonate  ;  ses  douze 
Sonates  pour  flûte  et  basse  continue,  op.  2,  publiées  aussi  pour  violon, 
ne  comptent  chacune  que  trois  mouvements:  Atidante,  Adagio,  Presto. 
Les  six  Sonates  pour  violon,  op.  6  (  1 787),  sont  en  quatre  mouvements  : 
Graine,  Allegro,  Adagio,  Allegro,  qui  s'enchaînent  tous  sans  interrup- 
tion. L'une  des  plus  belles  est  celle  en  50/  (2)  ;  elle  est  d'une  grande 
noblesse  d'invention,  et  son  Adagio  en  ut,  dont  nous  donnons  ci-des- 
sous la  mélodie  initiale,  offre  un  type  absolument  complet  de  la  yo;v;;c^ 
lied  en  trois  sectious  : 


Giovanni  Battista  PESCETTI,  vénitien,  élève  de  Lotti  et  organiste  du 
deuxième  orgue  de  Saint-Marc  en  1762,  publia,  en  1739,  neuf  Sonate 
ver    Gravicembalo,   en  ti'ois   et  quatre  mouvements.    Pescetti    fut    le 


(i)  Ed.  Peters,  David's  hôlie  Hcliult,  vol.  11,  page  134. 
Ibid.,  page  i58. 


i84 


LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 


premier  compositeur  italien  qui  osa,  en  dépit  de  l'étymologie,  nommer 
So7iates  des  oeuvres  pour  un  instrument  à  clavier  seul  ( i ). 

Baldassare  GALUPPI  (dit  //  Bin^anello,  du  nom  de  sa  ville  natale, 
Burano),  étudia  sous  la  direction  de  Lotti  et  passa  la  plus  grande  partie 
de  son  existence  à  Saint-Pétersbourg,  où  il  composa  un  grand  nombre 
d'opéras  comiques. 

Il  écrivit  douze  Sonates  pour  clavecin,  publiées  en  deux  livres,  à 
Londres  (1754).  Ces  Sonates  sont  intéressantes  en  ce  qu'elles  marquent 
une  phase  de  transition  ;  quelques-unes  sont  en  quatr-e  mouvements, 
mais  la  plupart  en  tî^ois  et  même  en  deux. 

L'une  d'entre  elles,  en  ré,  comprend  un  Grave,  un  Allegro  et  un 
Andantino  ;  il  faut  noter  la  curieuse  cadence  qui  termine  le  Grave 
initial,  et  donne  naissance  au  dessin  mélodique  (a)  de  V Allegro  suivant, 
en  rythme  inégal  de  sept  et  six  doubles  croches  : 


ritenuto    . 


Pietro  NARDINI,  toscan  et  élève  de  Tartini,  fut,  de  lySS  à  1767, 
violoniste  solo  de  la  chapelle  du  duc  de  Wurtemberg,  à  Stuttgard,  puis 
revint  en  Italie,  en  1770,  pour  occuper  le  poste  de  directeur  de  la  mu- 
sique à  la  cour  de  Florence.  On  connaît  de  lui  six  Sonates  pour  violon 
et  basse  continue,  op.  2,  et  six  Soli  de  violon,  op.  5. 

QaetanoPUGNANI,  de  Turin,  fut  maître  de  chapelle  de  la  cour  dans 
cette  ville  et  eut  pour  élève  le  célèbre  Viotti.  11  écrivit  quatorze  Sonates 
pour  violon  seul. 


(i)  On  a  vu  (notes  des  pages  io6  et  i53)  que  cette  application,  alors  nouvelle,  du  nom  de 
Sonate  avait  bientôt  fait  oublier  complètement  1  accepuon  originelle. 

En  Allemagne,  Kuhnau  (voir  ci-après,  p.  i85)  avait  déjà  écrit  en  1692  une  Sonate  pour 
clavecin  seul. 


LA  SONATE  ALLEMANDE  PRIMITIVE  i8j 

Nardini  et  Pugnani  furent  les  derniers  compositeurs  de  Sonates  en 
Italie  ;  avec  eux  commença  la  décadence,  car,  dès  la  seconde  moitié  du 
xvin*  siècle,  le  Concerto,  forme  où  la  musique  cédait  le  pas  à  la  virtuo- 
sité, sévissait  dans  toute  la  péninsule,  tandis  que  l'art  d'écrire  la  Sonate 
et  la  Musique  de  Chambre  s'y  était  complètement  perdu. 

10.    —     LA    SONATE    ALLEMANDE    PRIMITIVE. 

Le  rôle  que  Legrenzi  avait  joué  à  l'égard  de  la  Sonate  italienne  fut 
dévolu,  en  Allemagne,  à  Dietrich  BECKER  (voir  ci-dessus,  p.  143).  Ce 
remarquable  compositeur,  dans  ses  Musikalische  Fruhlings  Friiclite  (i), 
adopta  en  effet  la  construction  en  trois  mouvements  {Allegro,  Ada- 
gio, Allegro),  pour  ses  Sonates  à  deux  violons  et  basse  continue  ;  mais 
toutes  celles-ci  sont  écrites  en  forme  Suite  et  sans  apparence  de  retour 
au  thème  initial.  Nous  ne  pouvons  donc  compter  Becker  parmi  les 
compositeurs  de  Sonates  à  forme  ternaire,  bien  qu'il  ait  contribué  cer- 
tainement, en  Allemagne,  à  l'éducation  des  promoteurs  de  la  Sonate 
primitive,  dont  la  liste  suit  : 

Johann  Kuhnau 

Johann  Mattheson 

Georg  Philip  Telemann 

Christoph  Graupner 

Georg  Friedrich  Haendkl.    .     .     . 

Johann  Sébastian  Bach i685  f   lySo 

Johann  KUHNAU  (voir  ci-dessus,  p.  144)  exerça  une  influence  consi- 
dérable sur  la  direction  de  la  musique  instrumentale  en  Allemagne.  Sa 
célèbre  Sonate  en  .svt,,  publiée  en  1692,  comme  appendice  à  la  seconde 
partie  de  la  Clavieriibiing,  avec  cette  originale  dédicace  «  composée 
pour  le  plaisir  particulier  des  amateurs  de  clavecin  »,  est  certainement 
la  première  œuvre  écrite  en  ce  genre  pour  un  instrument  à  clavier.  La 
forme  ternaire  ne  s'y  montre  pas  encore,  mais  la  construction  est  essen- 
tiellement diftérente  de  celle  de  la  Suite.  Elle  est  en  quatre  parties  :  un 
Prélude  majestueux,  une  Fugue  très  mouvementée,  un  Adagio  à  la 
sous-dotninante  suivi  d'un  court  Allegro  de  transition  qui  ramène  le 
Prélude.  A  la  fin,  se  trouve  l'épigraphe  :  Soli  Deo  Gloria  ! 

Mais  c'est  surtout  dans  le  recueil  'inmu\é  Frische  Klarier  Friichte,  et 
dédié  au  comte  J. -A.  Losy,  conseiller  du  Saint-Empire,  que  Kuhnau 
commence  à  entrevoir  la  forme  définitive  de  la  Sonate. 

Les  sept  œuvres  qui  composent  ce  recueil  sont  toutes  en  quatre  mou- 

(i)  Les  Fruits  musicaux  du  printemps. 


1660  n 

-  1722 

1681  - 

-  1764 

1681  - 

-   1767 

i683  - 

-  1760 

1684  - 

1-  1759 

i86 


LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVENIENNE 


vements  entrecoupés  parfois    de  courts  Adagios;  la  4»  Sonate,  en  ut, 
offre  une  construction  assez  particulière  : 

i»  Vivace  ainsi  divisé  : 

—  Exposition  en  deux  longues  parties,  du  thème  initial  (A),  en  ut, 

avec    reprise   de   la  seconde  partie   et  modulation  à   la  D.  ; 

—  ,       Partie  médiane  très  courte  ; 

—  RÉEXPOSiTiON  du  thème  initial  (A),  à  la  T.,   et  conclusion  en  UT 

par  la  tierce  picarde  (voir  ci-dessus,  p.  i3i). 

20  Adagio   fantaisiste,  allant  de  LA  i*  à  ut  et  enchaîné  à  la  pièce  suivante  ; 

3°  Allegro    fugué,  construit  en  forme  Sonate  de  coupe  ternaire  ; 

40  Menuet,  aussi  original  par  sa  forme  que  par  sa  ligne  mélodique  :  il 
commence  en  MI  i»,  re/a/z/ majeur  du  ton  principal,  s'infléchit 
peu  à  peu  vers  celui-ci  et  termine  enfin  en  UT,  au  moyen  de 
la  tierce  picarde  ;  de  plus,  la  phrase  y  est  constamment 
présentée  en  rythmes  successifs  de  trois  et  de  cinq  mesures  : 


Rvihme  de  3 


Rythme  de  3 


M 


&^ 


Rythme  de  5 


Il  est  donc  de  toute  Justice  de  considérer  Kuhnau  comme  le  créateur 
de  la  Sonate  allemande  primitive  dans  la  forme  où  elle  fut  consolidée 
par  ses  successeurs,  jusques  et  y  compris  Sébastien  Bach  (i). 

Johann  MATTHESON.  Ce  n'est  point  la  première  fois  que  nous  ren- 
controns le  nom  de  ce  bizarre  personnage,  à  la  fois  musicien,  juriste, 
diplomate,  écrivain  et  chanoine,  qui  émit  d'intéressantes  théories  sur  la 
plupart  des  connaissances  humaines  {2). 

Dès  son  plus  jeune  âge  il  étudiait  simultanément  la  musique,  sous  la 
direction  du  célèbre  Pretorius,  le  droit  et  les  langues  étrangères.  A  vingt 
ans,  il  était  ténor  à  l'opéra  de  Hambourg,  sa  ville  natale,  et  y  dirigeait 
un  peu  plus  tard,  comme  chef  d'orchestre,  une  œuvre  dramatique  de  sa 
composition,  die  Pleyaden.  En  i  706,  il  est  nommé  secrétaire  de  léga- 

i)  Il  existe  une  édition  moderne  à  peu  près  complète  des  œuvres  de  Kuhnau  pour  cla- 
vecin, dans   la   publication   intitulée  Denkmaler    deutscher  Tonkunst,    i"    partie,   iv«   vol. 
Breitkopf  et  Haerlel,  1901. 
(2)  Voir  notamment  ci-dessus,  p.  3o  et  82. 


LA  SO.NATli  ALLEMANDE   PRLMITIVE  ,87 

tion  en  Angleterre  ;  en  i  7  i  3,  il  devient  chanoine  de  Hambourg  et  direc- 
teurtles  cérémonies  de  la  cathédrale,  pour  les  offices  de  laquelle  il  com- 
posa nombre  de  Messes  et  de  Passions,  sans  compter  trente  Oratorios. 

Atteint  de  surdité  vers  sa  quarantième  année,  il  abandonna  complè- 
tement la  pratique  de  l'art  musical  pour  se  livrer  aux  études  critiques. 

Parmi  ses  écrits  publiés,  et  sans  parler  de  ceux  qui  concernent  la 
théologie  ou  la  jurisprudence,  on  connaît  de  lui  plus  de  trente  volumi- 
neux ouvrages  sur  la  théorie  et  l'histoire  musicales;  nous  lui  devons 
même  la  plus  grande  partie  de  nos  renseignements  sur  les  compo- 
siteurs et  les  compositions  de  son  époque.  Ses  principaux  ouvrages,  que 
devraient  connaître  tous  les  artistes  désireux  de  s'instruire,  sont  : 

I  °  das  neuerôffnete  Orchester,  oder  gi^undliche  Anleitung  me  ein  Ga- 
laiiihomme  eine  ifollkommende  Begi^iff  von  der  Hoheit  und  Wiirde  der 
edlen  Musik  erlangen  môge  (i)  (171  3)  ; 

2°  das  beschiitite  Orchester  (2)  (1717),  dédié  «  aux  treize  meilleurs 
musiciens  de  son  temps  »  ;  ce  sont  :  G.  Vertouch,  J.-J.  Fux,  J.-D.  Heini- 
chen,  G. -F.  Hcendel,  R.  Keiser,  J.-P.  Krieger,  J.  Krieger,  J.  Kuhnau, 
G.  Ritter,  J.-C.  Schmidt,  A.  Stricker,  G.-P.  Telemann,  J.  Theile  ; 
on  n'y  trouve  point  le  nom  de  J.-S.  Bach 

3°  das forschejide  Oîxhester  (3)  (1721)  ',  dans  ces  trois  traités,  Mat- 
theson  émet  d'abord  une  théorie  générale  de  la  musique,  avec  beaucoup 
d'ingénieuses  remarques,  notamment  sur  les  propriétés  des  divers 
instruments  ;  il  réfute  ensuite  les  raisonnements  de  ceux  qui  soute- 
naient encore  les  principes  de  la  solmisation  et  l'usage  des  anciens 
modes;  il  établit  enfin  une  sorte  de  philosophie  de  l'harmonie  et  du 
contrepoint  ; 

4°  Exemplarische  Organisten  Probe  im  Ai'likel  l'om  General-Bass  (4) 
{1719),  sorte  de  traité  d'accompagnement  où  les  citations  mathéma- 
tiques et  architecturales  sont  en  aussi  grand  nombre  que  les  pièces  de 
musique  ; 

5°  der  musikalische  Patriot  (5)  (1728)  ; 

6°  der  vollkomuiene  Kapelbneister  (6)  (173Q),  le  plus  important  de  ses 
ouvrages,  dans  lequel  il  enseigne  tout  ce  qu'un  directeur  de  musique 
devait  savoir  à  cette  époque.  L'ouvrage  est  divisé  en  trois  parties  : 
1°  «  Réflexions  scientifiques  sur  les  connaissances  nécessaires  au  maître 
de  musique  »;  2°  «  L'art  de  composer  une  mélodie,  ou  la  création  d'un 

(1)  L'orchestre  dévoilé,  ou  les  principes  au  moyen  desquels  un  galant  homme  peut  acqué- 
rir une  parfaite  connaissance  de  la  grandeur  et  de  la  dignité  de  la  noble  musique. 

(2)  La  défense  de  l'orchestre. 

(3)  L'orchestre  approfondi. 

(1)  L'art  de  rorganis;e,  en  matière  de  basse  continue,  enseigné  par  des  exemples. 

(5)  Le  patriote  musicien. 

(6)  Le  parfait  maître  de  chapelle.  Voir  le  chapitre  de  la  Fuyuc,  où  cet  ouvrage  est  cité 
assez  longuenaent  (pages  3o  et  3i). 


i88  LA  SONATE  PRE-BEETHOVÉNIENNE 

chant  monodique  »  ;  3°  «  L'assemblage  de  plusieurs  mélodies  ou  l'art 
de  la  polyphonie  qu'on  appelle  aussi  harmonie  ».  Les  exemples  musi- 
caux s'y  trouvent  en  grand  nombre  ;  ils  sont  souvent  extraits  d'œuvres 
modernes,  pour  l'époque  de  Mattheson,  ce  qui  peut  fournir  au  musico- 
logue de  précieux  documents. 

Son  dernier  ouvrage,  intitulé  Grïmdlage  eine?^  Eh'enpforte  (i),  fut 
l'un  des  premiers  dictionnaires  d'histoire  musicale,  dans  lequel  sont 
mentionnées  la  vie  et  les  œuvres  des  compositeurs,  professeurs  et 
exécutants  alors  connus. 

Outre  ce  bagage  littéraire  et  ses  oeuvres  d'église  et  de  théâtre,  Matthe- 
son laissa  douze  Sonates  pour  deux  et  trois  flûtes,  sans  basse  continue 
(1708);  un  recueil  de  douze  Sonates  pour  flûte  et  clavecin  (1720), 
intitulé  der  Virtubs  ;  et  enfin,  une  Sonate  pour  clavecin  seul  (17  i3), 
dédiée  «  à  la  personne  qui  saura  la  mieux  jouer  »  {die  sie  am  besten 
spielen  jvird).  Cette  oeuvre  est  extrêmement  intéressante  comme  cons- 
truction :  elle  pose  nettement  le  principe,  déjà  entrevu  par  Kuhnau, 
du  retour  au  ton  par  la  réexposition  complète  de  la  mélodie  initiale. 
Elle  est  en  un  seul  mouvement,  divisé  en  trois  parties  ; 

1.  Exp.  du  th.  A,  en  SOL  ; 

—  Passage  de  transition; 

—  Th.  A,  exposé  à  la  Z).  ; 

—  Passage  de  transition  ; 

—  Th.  A,  exposé  à  la   T.,  en  forme  abrégée. 

2.  Fragments    du  th.  A,  exposés  à  la  SD.,  à  la  T.,  à  la  D.  et  au  Rel.   de 

la  D.,  avec  conclusion. 

3.  Reproduction  intégrale  de  la  première  partie  en  SOL. 

Cette  composition  marque  une  sorte  d'état  intermédiaire  entre  la 
Sonate-Suite  et  la  forme  définitive  :  c'est  en  cela  surtout  que  consiste 
son  intérêt. 

Qeorg  Philip  TELEMANN,  né  à  Magdebourg,  commença  par  étudier  le 
droit  à  l'université  de  Leipzig;  mais  bientôt,  cédant  à  sa  passion  pour 
la  musique,  il  abandonna  la  jurisprudence  et  devint,  en  1704,  organiste 
de  \a  Neu-Kirche,  à  Leipzig.  En  1709,  il  fut  choisi  comme  maître  de 
chapelle  des  cours  de  Baireuth  etd'Eisenach  ;  ce  fut  pendant  ses  séjours 
dans  cette  dernière  ville  qu'il  se  lia  d'amitié  avec  J.-S.  Bach  dont  il  tint 
sur  les  fonts  baptismaux  le  troisième  fils  Charles-Philippe-Emmanuel. 
Ayant  accepté,  en  172  i,  le  poste  de  directeur  de  la  musique  à  Ham- 
bourg, il  passa  dans  cette  ville  tout  le  reste  de  sa  vie. 

Ses  oeuvres  dans  la  forme  Sonate  furent,  pour  la  plupart,  gravées  de 

(1)  Fondations  d'un  Arc  de  triomphe. 


LA  SONATE  ALLEMANDE    PRIMITIVE  189 

sa  main  ;  elles   consistent  en   douze  Sonates   pour  violon,  en  deux  re- 
cueils (1715-1718);   six    Sonates  pour   deux  flûtes  (ou  deux  violons) 
sans  basse;  six  Sonates  pour  clavecin  et  douze  Sonates  mélodiques  pour 
violon  (ou  flûte),  avec  basse  continue. 

Son  ouvrage  der  getraue  Musikmeister,  paru  en  1728,  contient  aussi 
plusieurs  Sonates. 

Christoph  QRAUPNER,  né  à  Kirchberg,  dans  les  montagnes  de  Saxe, 
d'abord  élève  de  Kuhnau  à  l'école  Saint-Thomas  de  Leipzig,  devint, 
en  1709,  maître  de  chapelle  de  la  cour  de  Darmstadt;  ses  dernières 
années  furent  attristées  par  l'affaiblissement  graduel  et  la  perte  de  sa 
vue. 

Graupner  fut  l'un  des  plus  importants  disciples  de  Kuhnau  et  parut 
même  désigné,  à  la  mort  de  celui-ci,  pour  le  remplacer  à  la  tète  de  la 
Thomas  Schule\  mais  il  retira  modestement  sa  candidature  devant  celle 
de  J.-S.  Bach. 

Comme  tous  les  musiciens  de  son  époque,  il  grava  lui-même  la  plus 
grande  partie  de  ses  œuvres,  et  laissa  aussi  un  grand  nombre  de  manus- 
crits qui  n'ont  point  été  publiés.  Ses  principaux  ouvrages  sont  deux 
recueils  de  Sonates,  parus  sous  les  titres  Monatliche  Klavierfriichte 
(1722)  et  die  pier  Jahres^eitefi  (1733). 

Georg  Friedrich  H/ENDEL  (voir  ci-dessus,  p.  146)  publia,  avant  1740, 
douze  Sonates  pour  violon  (ou  flûte)  avec  basse  chiffrée,  et  ensuite, 
treize  Sonates  pour  hautbois  (ou  violon,  ou  flûte)  avec  basse  continue  ; 
ces  dernières  seules  sont  dans  la  forme  Sonate  proprement  dite. 

Johann  Sébastian  BACH  (voir  ci-dessus,  p.  76  et  147).  Aucune  forme 
ne  pouvait  rester  étrangère  au  génie  qui  synthétise  dans  son  œuvre 
toutes  les  tendances  de  l'art  musical  de  la  première  moitié  du  xvm*  siècle  ; 
aussi  retrouvons-nous  le  grand  Bach  au  chapitre  de  la  Sonate  comme  à 
ceux  de  la  Fugue  et  de  la  Suite,  et  cependant  ce  n'était  pas  à  ce  pro- 
digieux esprit  qu'il  était  réservé  d'affranchir  la  Sonate  du  joug  de  la 
suite,  pour  la  doter  de  sa  forme  définitive.  Mais  il  était  écrit  que  le 
nom  de  Bach  devait  être  attaché  à  l'idée  de  progrès  musical,  et  ce 
fut  le  troisième  fils  de  Jean-Sébastien  qui  accomplit  la  réforme 
nécessaire,   comme  nous  le    verrons   plus  loin  (p.  193). 

Si  nous  citons  ici  les  Sonates  de  J.-S.  Bach,  ce  n'est  point  qu'elles 
se  rattachent  toutes  au  genre  que  nous  traitons;  un  certain  nombre 
d'entre  elles  présentent,  en  effet, tous  les  caractères  de  la  musique  en  trio^ 


igo  LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 

Style  qui  relève  de  la  Musique  de  Chambre  (i),  mais  il  nous  a  semblé 
qu'on  s'étonnerait  à  bon  droit  de  ne  point  voir  cités  ici,  au  moins  dans 
une  nomenclature,  ces  chefs-d'œuvre  si  connus.  D'autre  part,  comme 
nombre  de  ceux-ci  sont  en  forme  ternaire^  nous  ne  sommes  point  hors 
de  notre  sujet  en  les  analysant  dans  ce    chapitre. 

Bach  composa  une  vingtaine  de  Sonates  environ  :  six  pour  orgue  (en 
ty^io)^  trois  pour  flûte  et  clavecin  (en  trio)^  trois  pour  viole  de  gambe  et 
clavecin,  six  pour  violon  avec  clavecin  accompagnant;  enfin,  quelques 
autres  pour  plusieurs  instruments  :  deux  violons,  deux  clavecins,  flûte, 
violon  et  basse  continue,  etc. 

La  plus  grande  partie  de  ces  Sonates  datent,  ainsi  que  les  Suites,  de 
la  période  de  Cœthen  ;  seules,  les  six  Sonates  pour  violon,  écrites  de 
1726  à  1780,  peuvent  être  attribuées  à  l'époque  de  Leipzig. 

Contrairement  à  ce  qui  se  produisit  chez  les  compositeurs  italiens,  il 
semble  que  Bach  ait  voulu  accroître  le  nombre  des  pièces  de  la  So- 
nate au  lieu  de  le  restreindre.  En  effet,  ses  premières  Sonates  parais- 
sent construites  comme  celles  de  Locatelli  :  les  Sonates  pour  orgue  et 
celles  pour  flûte,  par  exemple,  ne  comptent  que  trois  mouvements.  Les 
œuvres  postérieures  au  contraire  (Sonates  pour  violon  et  pour  viole  de 
gambe)  en  offrent  toujours  quatre,  parfois  même  cinq,  et  se  rapprochent 
ainsi  de  la  construction  cyclique  de  Corelli.  Il  s'en  faut  toutefois  qu'elles 
procèdent  de  la  même  esthétique,  car  leur  écriture  en  trio  révèle  déjà 
une  tendance  vers  l'art  collectif  de  la  Musique  de  Chambre,  tandis  que 
chez  Corelli,  l'instrument  récitant,  toujours  traité  comme  une  person- 
nalité à  part,  fait  présager  l'avènement  prochain  du  style  décadent  qui 
donnera  naissance  au  Concerto. 

Nous  allons  examiner  rapidement  les  plus  importantes  de  ces 
Sonates.  Les  six  Sonates  en  trio,  dites  pour  orgue,  furent  composées 
par  Bach  de  1722  à  1727,  pour  le  clavecin  à  deux  claviers  et  pédalier, 
dans  le  but  de  préparer  son  fils  aîné  Wilhelm-Friedemann  au  jeu  de 
trois  claviers  indépendants.  La  plupart  sont  écrites  dans  la  forme  de 
la  Suite  ou  du  Concert  (2);  seule,  la  5^  en  ut  présente,  en  ses  trois 
parties,  les  caractères  de  la  Sonate  primitive.  Le  premier  mouvement 
contient  une  réexposition  très  nette  à  la  tonique,  et  le  second  morceau 
{Largo,  6/8)  est  un  vrai  lied  en  trois  sections. 

Des  trois  Sonates  en  trio  pour  flûte  et  clavecin,  la   r*,  en  si,  est  à 

(i)  Bach  donne  lui-même,  dans  ses  manuscrits,  la  dénomination  de  trio  à  la  2*  Sonate 
pour  flûte, et  écrit, en  tête  des  six  Sonates  de  violon,  'e  tiire  suivantqui  ne  laisse  aucun  doute 
sur  sa  pensée  à  cet  égard  :  Sei  Suonate  a  Ctmbalo  e  Violino  solo,  col  basso  per  Viola  da 
Gamba  accompagnato  se  piace.  Tout  ce  qui  concerne  la  musique  en  trio  et  la  Musique  de 
Chambre  sera  étudié  dans  la  Seconde  Paitie  du  présent  Livre. 

(3)  Voir  la   Seconde  Partie  du    présent  Livre. 


LA  SONATE  ALLEMANDE  PRIMITIVE 


191 


étudier  attentivement,  car  sa  construction  est  très  en  avance  sur  celle 
des  autres  Sonates  de  Bach. 

En  voici  l'analyse  et  le  thème  principal  : 

Exp.  du  thème  unique  (A)  en  si  ; 

—  Passage  modulant; 

—  Th.  A,  exposé  à  la  SD.,  en  fa  "^  ; 

Partie  médiane,  avec  repos  en  SOL  et  mi,  par  A; 
Réexp.  du  th.  A,  en  si,  avec  canon  et  Conclusion. 


Ce  thème  si  expressif  s'accroît  encore  en   intérêt,  lors  de  la  réexposi- 
ion  de  son  second  membre  de  phrase  formant  canon  sur  divers  degrés, 
pendant  près  de  vingt  mesures  : 


FLUTE 


CLAV 


l.A  SONATE  PRE-SEËTHOVENIENNE 


etc. 


Ce  mouvement  initial  est,  à  tous  points  de  vue,  une  pièce  de  premier 
ordre. 

Le  Largo  au  ton  relatif  majeur  est  traité  en  forme  binaire. 

Quant  au  Presto  final,  il  commence  par  une  Fugue  et  se  résout  en  un 
Alleg?^o,  binaire  également,  simple  variation  du  sujet  de  la  fugue  précé- 
dente. 

Les  deux  autres  Sonates,  en  Ml  ?  et  la,  offrent  aussi  des  mouvements 
en  forme  ternait^e  avec  réexposition  apparente  du  thème. 

Il  en  est  de  même  des  trois  Sonates  pour  viole  de  gambe  ;  deux 
d'entre  elles  sont  précédées  d'une  large  introduction. 

Arrivons  aux  Sonates  pour  violon  dont  l'étude,  cependant  si  féconde 
en  enseignements  précieux  pour  les  violonistes,  a  été  jusqu'à  présent 
bannie,  on  ne  sait  pourquoi,  des  programmes  officiels. 

La  2%  en  la,  est  ainsi  construite  : 

!•  Adagio,  en  canon  interrompu  seulement  par  trois  cadences  à  la  D., 
au  Rel.  et  à  la  T.; 

2*  Allegro,  fugué,  dans  la  forme  du  Concert  (i)  avec  réexposition  com- 
plète dans  le  ton  principal  ; 

3»  .  nd  te  (en  fa  fl),  admirable  phrase  de  vingt-neuf  mesures  en  canon 
régulier  entre  le  violon  et  la  partie  haute  du  clavecin; 

40  Presto  de  coupe  ternaire  avec  réexposition 


La  3%  en  w/,  présente  une  coupe  identique. 

La  5*,  en  fa,  débute  par  un  Largo  en  forme  lied   d'une   expression 

\i)  Voir  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre. 


i 


LA  SONATE  DITHÉMATiQUE 


'91 


calme,  dont  nous  ne  retrouverons  plus  d'exemple  que  dans  les  grands 
Andante  beethovéniens: 


Enveloppée  dans  ce  dessin  persistant,  s'expose,  au  grave  du  violon, 
une  noble  et  pénétrante  mélodie.  Bien  peu  de  violonistes  savent  la  pré- 
senter d'une  façon  assez  soutenue  pour  rendre  saisissable  la  belle  enver- 
gure desaligne  synthétique.  Les  trois  sections  de  cet  admirable  lied 
sont  ainsi  constituées  : 

Sect,  I.    Exp.  en  fa,  avec  cadence  en  L/1  b  ; 
Sect.  II,  Partie  modulante,  revenant  vers  le  ton  principal  ; 
Sect.  III.  Réexp.  en  fa  simplifiée  mélodiquement,  et  s'enchaînant  à  V Al- 
legro au  moyen  d'une  cadence  à  la  D. 

Les  autres  mouvements  sont  également  de  coupe  ternait^e. 
La 6*  Sonate,  en  sol,  se  rapprocherait  davantage  du  style  de  la  Suite: 
elle  est  en  cinq  mouvements  : 

10  Allegro  en  SOL  avec  réexposition  ; 

2»  Largo  en  mi  ; 

3o  Allegro  en  mi  ; 

40  Adagio  en  ^i  ; 

5**  Allegro  final  en  sOL,  avec  réexposition. 


1 1. 


LA  SONATE  DITHEMATIQUE. 


Karl  Philip  Emanuel  Bach. 
Johann  Georg    Leopold  Mozart 

Georg  Benda 

Johann  Christian   Bach.     .     . 
Johann  Wilhelm  H^essler.     . 


1714  t  17.S8 
1719  t  1788 
1722  t  '79^ 
1735  t  1782 
1747  t   1822 


auxquels  il  faut  ajouter,  malgré  son  origine  italienne  : 

Pietro  DoMENico  Paradisi  dit  Paradies.  i7iof  1792 

Karl  Philip  Emanuel  BACH,  troisième  tils  de  Jean-Sébastien,  sor- 
tit à  vingt  ans  de  la  maison  paternelle  pour  entreprendre  l'étude  du 
droit  ;  mais,  la  prédestination  atavique  prenant  le  dessus,  il  se 
consacra  bientôt  à  la  musique  exclusivement. 

D'abord  accompagnateur,  puis  maître    de   chapelle  du  roi  de  Prusse 


Cours  de  cuuposition. 


«î 


,g4  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

(1740),  il  resta  pendant  près  de  trente  ans  le  «  musicien  à  tout  faire  » 
de  la  cour  du  grand  Frédéric,  où  il  eut  souvent  à  souffrir  des  manies  du 
flûtiste  couronné.  Aussi  profita-t-il  de  la  première  occasion  pour 
demander  sa  retraite  :  la  guerre  de  Sept  Ans  ayant  provoqué  une  réduc- 
tion considérable  des  salaires  alloués  aux  musiciens  de  la  chapelle 
prussienne,  Emmanuel  Bach  quitta  Berlin  et  prit,  en  1767,  la  succession 
de  Telemann  comme  directeur  de  la  musique  à  Hambourg  ;  il  y 
mourut  d'une  maladie  de  poitrine,  après  avoir  exercé  ses  fonctions 
pendant  vingt   ans. 

Bjen  qu'ayant  subi  l'influence  des  solidesenseignements  prodigués  par 
J.-S.  Bach  à  ses  élèves  et  à  ses  enfants,  Philippe-Emmanuel  était  doué 
d'un  jugement  assez  sain  pour  ne  point  chercher  à  imiter  servilement 
la  manière  de  son  père  ;  il  adopta  donc  l'écriture  nouvelle  que  lessen- 
sualistes  d'alors  mirent  à  la  mode  en  l'exaltant  comme  un  progrès  sur  le 
vieux  contrepoint:  on  la  nommait /e  style  galant,  probablement  parce 
qu'elle  plaisait  aux  dames  (i). 

Ce  style,  provenant  du  Concerto  qui  régnait  alors  en  maître,  en  Alle- 
magne comme  en  Italie,  avait  beaucoup  contribué  à  la  décadence  de  la 
Sonate  ;  pour  rendre  la  vie  à  celle-ci  et  lui  donner  un  nouvel  essor, 
il  ne  fallut  rien  moins  que  l'action  rénovatrice  du  génie  si  prime-sau- 
tier  d'Emmanuel  Bach. 

Le  second  élément  mélodique,  ajouté  par  lui  dans  V exposition  et  dans 
la  réexposition  du  mouvement  ternaire,  devait  faire  ce  miracle  de 
sauver  la  Sonate,  en  fécondant  à  nouveau  cette  belle  forme  tout  près 
de  disparaître  et  de  se  confondre  avec  le  Concerto. 

Si,  chez  Ph.-Emm.  Bach,  la  mélodie  manque  parfois  de  variété  et  de 
distinction,  en  revanche  l'imprévu  du  rythme  et  de  l'harmonie  donne  à 
ses  œuvres  une  saveur  toute  particulière. 

Rien  n'effraie  ce  novateur  :  il  n'hésite  pas  à  se  lancer  dans  les  combi- 
naisons enharmoniques  les  plus  hardies,  sans  savoir  toujours  très 
bien  comment  il  s'en  tirera;  il  lui  arrive  d'associer,  dans  quelques 
sonates,  des  tonalités  qui  devaient  être,  à  cette  époque  tout  au  moins, 
étonnées  de  se  trouver  ensemble  ;  la  première  Sonate  du  recueil  de 
1783,  par  exemple,  est  ainsi  constituée  : 

Premier  mouvement,  en  forme  de  Menuet,  en  SOL  ; 

Larghetto,   en  sol,   enchaînant  par  une  modulation  enharmonique  au  Finale  , 

Finale,  en  forme  de  Menuet,  dans  le  ton  de  MI,  avec  un  milieu  en  UT. 

1.2.  partie  médiane  des  premiers  mouvements  devient  beaucoup  plus 
libre  et  plus  fantaisiste  :  elle  ne  procède  plus  uniquement  par  redites  et 
fait  déjà  pressentir  le  dépeloppement  véritable. 

(1)   On  a  vu  ci-desius,  dans  la  section  technique  {p.  i  jS),  en  quoi  consiste   ce  style. 


LA  SONATE  DITHÉMATIQUB  tgç 

En  résumé,  les  innovations  de  Ph.-Emm.  Bach  dans  le  plan  de  lu 
Sonate  primitive  sont  au  nombre  de  trois  : 

1°  adjonction  d'une  seconde  idée  musicale {B)  au  thème  initial  (A),  dans 
la  structure  du  premier  mouvement  ; 

2°  substitution  du  style  libre  ou  .galant  au  style  strict  ou  fugué, 
dans  récriture  de  la  Sonate  ; 

3°  élargissement  rythmique  et  harmonique  de  la  partie  médiane 
dans  le  mouvement  de  forme  ternaire^  au  moyen  de  l'enharmonie  et 
de  la  rupture  des  rythmes  symétriques. 

Nous  trouverons  dans  la  Sonate  beethovénienne  l'application  défini- 
tive et  consciente  de  ces  trois  principes. 

Loin  de  vouloir  détruire  l'ancien  ordre  de  choses  pour  la  plus  grande 
gloire  de  sa  propre  personnalité,  Ph.-Emm.  Bach  reste  toujours  fidèle 
aux  enseignements  de  la  tradition  ;  original  inconscient,  il  modifia  la 
construction  de  la  Sonate,  sans  peut-être  se  douter  que  ces  modifica- 
tions étaient  devenues  nécessaires  pour  assurer  à  cette  forme  une 
longue  et  glorieuse  existence. 

Il  est,  en  effet,  curieux  de  constater  que  les  Sonates  qui  offrent  les 
types  les  plus  parfaits  et  les  plus  frappants  de  la  nouvelle  forme  dont  il 
est  le  promoteur,  sont  celles  qu'il  écrivit  au  milieu  de  sa  carrière,  c'est- 
à-dire  entre  sa  trentième  et  sa  cinquantième  année  (1743  à  1766), 
lorsqu'il  était  à  la  cour  de  Frédéric  II.  Dans  toute  la  période  de  Ham- 
bourg, pendant  laquelle  il  était  encore  dans  la  force  de  l'âge,  ses  compo- 
sitions, sans  être  indifférentes,  sont  manifestement  inférieures  aux 
précédentes.  On  est  donc  en  droit  de  se  demander  s'il  comprit  vrai- 
ment l'évolution  qui  s'opéra  par  lui,  puisque  ses  dernières  Sonates,  com- 
posées de  1772  à  1785,  manquent  souvent  d'une  seconde  idée  dans  le 
premier  mouvement,  et  abandonnent  même  parfois  la  coupe  ternaire, 
cette  précieuse  conquête  de  l'époque  précédente. 

La  recherche  du  succès  ne  serait-elle  pas  l'explication  possible  de  ce 
triste  retour  en  arrière  ?  Philippe-Emmanuel,  en  effet,  fut  loin  de 
professer  la  louable  indifférence  de  son  père  Jean-Sébastien  à  l'égard 
des  approbations  immédiates  qui  se  traduisaient  par  la  vente  de  ses 
œuvres  aux  amateurs. 

Ses  premières  publications,  consistant  uniquement  en  recueils  de 
Sonates,  furent  évidemment  d'un  débit  difficile  :  aussi,  pour  «  faire 
passer  »  ses  Sonates,  fut-il  forcé  postérieurement,  non  seulement  de 
leur  adjoindre  des  pièces  détachées,  Rondeaux  ou  Fantaisies  (i),  mais 
encore  d'adapter  la  forme  des  Sonates  elle-mèmes  au  goût  des  «  con- 
naisseurs et  amateurs  »  qui  avaient  bien  voulu  souscrire  à  la  publica- 

(i)  Voir  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre. 


196  LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 

tion  de  ses  ouvrages.  Simple  hypothèse,  mais  suffisamment  plausible 
pour  que  nous  ayons  le  droit  de  la  formuler  ici.  Quoi  qu'il  en  soit, 
l'œuvre  pour  clavier  de  Ph.-Emm.  Bach  est  d'une  importance  capitale 
dans  l'histoire  du  développement  de  l'art,  et  mérite  d'être  étudiée  en 
détail. 

Il  écrivit  soixante-dix  Sonates  pour  le  clavecin,  dans  la  forme  en 
trois  mouvements  qui  devait  persister  jusqu'à  Beethoven.  Sauf  dans 
ses  premières  œuvres,  les  trois  mouvements  sont  toujours  enchaînés 
les  uns  aux  autres  et  se  suivent  sans  interruption. 

Voici  la  nomenclature  de  ses  Sonates  : 

I*»  six  Sonates,  dites  prussien7ies,  dédiées  au  roi  Frédéric  II,  composées 
en  1740  et  imprimées  en  1742,  à  Nuremberg;  leur  forme  est  celle  de 
la  Sonate  primitive  de  coupe  temaiî^e,  où  apparaît  quelquefois  un 
embr3'^on  de  second  thème  peu  caractérisé  ;  les  pièces  n'y  sont  jamais 
enchaînées  les  unes  aux  autres  ; 

2*  six  Sonates,  dites  ivurtembergoises ^  dédiées  à  Charles-Eugène, 
duc  de  Wurtemberg  et  de  Teck,  composées  pendant  un  séjour  aux 
eaux  de  Teplitz,  en  1743,  et  gravées  chez  Windter,  à  Nuremberg, 
en  1743,  sous  la  désignation  :  Op.  2.  C'est  dans  ce  recueil  que 
Ph.-Emm.  Bach  donne  l'essor  à  son  génie  inventif. 

Dans  la  2*  Sonate,  en  la  t>,  paraît  pour  la  première  fois  la  nouvelle 
forme  de  premier  mouvement  à  deux  idées  musicales,  et  ici,  la  seconde 
idée  s'expose  en  trois  phrases  constitutives  parfaitement  distinctes,  c'est- 
à-dire  dans  une  forme  que  nous  retrouverons  seulement  avec  la  Sonate 
beethovénienne.  Nous  avons  donné  dans  la  section  technique  du  présent 
chapitre  (p.  160  et  suiv.)  l'analyse  détaillée  de  ce  monument  im- 
portant de  l'histoire  musicale. 

'L'Adagio,  en  réï>  {SD.  du  ton  principal),  est  un  véritable  lied  en 
trois  sections  ;  si  la  deuxième  section  ne  présente  cependant  pas  d'élé- 
ment nouveau,  la  troisième  n'en  est  pas  moins  une  amplification  de  la 
première,  au  lieu  d'une  redite  exacte.  Le  thème  de  cet  Adagio  ne  le  cède 
en  rien  aux  belles  mélodies  de  Mozart  ;  certaine  phrase  fait  même 
penser  à  VAndante  de  la  Sonate,   op.  81  {Lebewohl),  de  Beethoven  (i). 


(i)  L'inépuisable  richesse  d'inspiration  d'un  musicien  comme  Beethoyen  suffit  à  écarter 
ici,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  toute  imputation  de  plagiat.  Il  faut  voir  plutôt  dans  une  telle  simi- 
litude une  manifestation  du  travail  latent  qui  précède  l'avènement  des  plus  grands  génies. 
Ceux-ci,  comme  les  plus  belles  plantes,  ne  poussent  point  isolés  :  la  terre  artistique,  si 
féconde  qu'elle  soit,  ne  les  fait  germer  et  atteindre  les  plus  hauts  sommets  qu'après  avoir 
produit,  autour  du  lieu  qui  les  verra  naître,  des  génies  plus  humbles  et  de  moindre 
élévation. 

L'histoire  de  l'art  fournit  des  preuves  palpables  de  cette  vérité,  dont  la  constatation  avait 
ici  aa  place  naturelle. 


LA  SONATE  DITHEMATIQUE 

Voici  le  texte  de  Ph.-P^mm.  Bach  : 


«97 


Adaf^io    ^^ 


jTi     ^  r?  r-f^  ri   fg 


et  voici  le  texte  de  Beethoven 
And'r  (xpressivo 


^OTn 


£1:13 


p    '  'p- 


Quant  à  VAlleffro  final,  il  est  d'une  gaieté  charmante  et  garde  la  forme 
binaire  de   l'ancien  morceau  de  Suite  dans  le  style  de  D.  Scarlatti. 
La  5'  Sonate^  euMr^,  est  un  petit  chef-d'œuvre  ;  en  voici  l'analyse  : 
Allegro  en  mi^,,  de  forme  Sonate  : 

Exp.  :  thème  A,  qui  n'est  pas  sans  analogie  avec   le  thème  du  grand  Pré- 
lude de  J.-S.  Bach,     également  en  MI    (voir  ci  dessus,  p.  82)  : 

Allegro  @ 


—  Thème  B,  en  SI  ?,  a'une  grande  noblesse  d'allure  : 


(M 


^>    ''^ 


r  cjT  cJ' 


§9   «,sg£ 


ii  , 


^rf-^^^F 


^   *    ••  » 


S 


^^ 


^^ 


:5r^ 


^^ 


ritcn 


Partie  médiane  par  A,  à  la  D.,  puis  modulant,  par  B,  en  ut,  puis  modu- 
lant de  nouveau  ; 


,ç8  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

RÉEXP.  :  thème  A,   à  la  T.; 

—        thème  B,  à  la  T.;  mais  la  première  partie  n'est  pas  réexposée,  et 
c'est  seulement  la  phrase  complémentaire  qui  conclut. 

Adagio,  en  m?  t».  C'est  une  des  plus  belles  inspirations  du  fils  de 
Jean-Sébastien  ■.  une  large  phrase  en  style  fugué  à  trois  voix  se 
déroule  sans  interruption  en  passant  par  la  sous-dominante  et  le 
relatif  et   conclut  magistralement  à  la  tonique  ; 

Allegro  assai,  en  mi  b,  en  forme  de  premier  mouvement  à  deux 
thèmes  dont  le  second  est  manifestement  issu  du  premier.  Ce  finale  est 
plein  de  gaieté  et  fait  déjà  présager  ceux  de  Ha3^dn  ; 

3°  six  Sonates,  publiées  comme  exemples  dans  le  Traité  de  Clavecin 
dont  il  sera  question  ci-après  et  composées  à  Berlin,  en  1763  ; 

40  deux  Sonates,  en  ré  et  re,  publiées  dans  la  Raccolta  de  Breitkopf, 
à  Leipzig,  en  1757  et  1758  ; 

5*  six  Sonates  avec  les  reprises  variées  [mit  veranderten  Reprisen), 
gravées  à  Berlin  en  1759  (2'  édition  en  1785)  et  dédiées  à  la  princesse 
Amélie  de  Prusse.  Cette  œuvre  constitue  un  document  historique 
instructif  relativement  à  l'état  d'esprit  des  virtuoses    de  cette  époque. 

On  a  signalé  déjà,  à  propos  des  doubles,  dans  certaines  danses  de  la 
Suite  (p.  114),  l'usage,  alors  traditionnel,  d'indiquer  seulement  la 
reprise  [seconda  volta)  par  le  signe  :|J:  en  laissant  l'exécutant  libre  d'y 
introduire  tous  les  ornements  mélodiques  que  lui  suggérait  sa  fantaisie. 
Tant  que  les  virtuoses  furent  recrutés  parmi  les  compositeurs  ou  seule- 
ment parmi  des  artistes  ayant  travaillé  parfois  pendant  plus  de  dix  ans 
avant  d'oser  jouer  en  public,  il  n'y  eut  aucun  inconvénient  à  leur  lais- 
ser toute  liberté  pour  faire  admirer  à  la  fois  la  vélocité  de  leurs  doigts, 
l'habileté  de  leur  archet  et  aussi  la  finesse  de  leur  goût.  Violonistes  et 
clavecinistes  étaient  alors  experts  dans  l'art  d'ornementer  une  mélodie 
et  de  réaliser  en  parties  strictes,  voire  en  style  fugué,  une  basse  continue. 
Mais,  avec  le  style  galant,  l'exécution  devenant  très  facilitée,  les  fautes 
de  goût  se  multiplièrent  de  telle  sorte  que  la  mélodie  exposée  dans 
la  première  reprise  en  arrivait,  lors  de  sa  redite,  à  être  tout  à  fait  mé- 
connaissable. C'est  contre  cet  abus  que  voulut  protester  Ph.-Emm. 
Bach,  en  écrivant  lui-même  les  changements  qu'il  désirait  voir  intro- 
duire dans  ses  reprises.  Il  s'en  explique  tout  au  long  dans  la  préface 
de  l'œuvre  dont  nous  parlons  :  il  s'y  plaint  de  ce  que  «  les  exécutants 
«  ne  jouent  souvent  pas  les  notes  telles  qu'elles  sont  écrites,  même  dans 
«  la  prima  volta,  et  que  si  la  faculté  d'interpréter  à  leur  fantaisie  la 
«  seconda  volta  leur  est  laissée,  ils  introduisent  des  changements  qui 
«  altèrent  gravement  le  style  et  le  caractère  de  la  musique  »  (i). 

Ci)  Ce  grave  défaut  n'a  pas  totalement  disparu.  Nous  avons  pu  entendre  des  virtuoses 
allemands  qui  se  croyaient  autorisés  à  défigurer  les  plus  belles  œuvres  par  d'insupportables 
rallentando  ou  d'inopportunes  adjonctions  d'octaves  non  écrites  parles  auteurs. 


LA  SONATK  OITHKMATIQUE 


'99 


6°  douze  Sonates,  parues  à  Berlin  en  1761  et  1762; 

7°  six  Sonates  faciles  [Leichte  Souaten)  ;  Leipzig,  1766  [2*  édition 
gravée  à  Londres,  chez  Longmann,  Luke}'  and  C"*)  ;  le  finale  de  la 
4*,  en  s/,  est  une  pièce  exquise  que  tous  les  jeunes  pianistes  devraient 
avoir  dans  leur  répertoire; 

8*»  six  Sonates  «  pour  les  dames  »  [alfuso  délie  donne).  Deux  éditions: 
Amsterdam,  1770,  et  Riga; 

9°  une  Sonate  ;  Leipzig,  1785  ; 

10°  enfin,  six  recueils  de  Sonates  et  de  pièces  pour  clavecin,  sous  le 
titre  général  Clavier-Sonaten  fiir  Kenner  und  Liebhabet^  {i),  imprimés 
à  Leipzig,  de  1779  à  1787  (2),  par  souscription  (3).  Cette  œuvre,  des 
plus  intéressantes,  mérite  un  examen  détaillé. 

Le  I"  recueil,  paru  en  1779  et  dédié  à  M"*  Zernitz,  de  Varsovie, 
<:onsiste  en  six  Sonates,  composées  de  1758  a  1774.  Les  dernières  en 
date  (Hambourg,  1772  et  1774)  sont  celles  qui  offrent  le  moins  de 
caractère  au  point  de  vue  de  la  forme  Sonate  (i*"en  ut,  3'  en  si, 
b'  en  fa)\  le  premier  morceau  de  la  5'  est  même  écrit  dans  la  forme  de 
l'ancienne  Suite. 

Les  deux  plus  importantes  sont  la  4*  et  la  6^ 

La  4^  en  LA  (Potsdam,  1765)  se  termine  par  un  Allegro  en  forme 
de  premier  mouvement  ternaire,  tout  à  fait  remarquable  par  ses 
thèmes  et  son  système  de  développement. 

La  6%  en  sol,  également  de  1763,  devrait  être  connue  de  tous 
les  pianistes  ;   en  voici  l'analyse  : 

Allegretto.,  en  sol:,  de  forme  Sonate  : 

Exp.  :  thème  A,  à  la  T.  : 


Allegretto  mod'^' 

QÇ)  premier  thèint- 


(i)  Sonates  de  clavecin  pour  les  connaisseurs  et  les  amateurs. 

(î)  Une  édition  moderne,  absolument  conformeau  texte  original,  a  été  faite  par  la  maiscn 
Breitkopf  et  Haertel,  à  Leipzig.  Un  grand  nombre  de  ces  Sonates  avaient  déjà  été  grarées  en 
France  dans  le  Trésor  des  pianistes  de  M"*  Louise  Farrcnc. 

(3)  Les  souscripteurs  étaient,  pour  le  premier  recueil,  au  nombre  de  519;  ce  chiffre  tomba 
à  300;  puis,  l'annonce  des  Fantaisies  alléchant  le  public,  le  nombre  des  souscripteurs  au 
quatrième  recueil  fut  de  43  J.  Chose  curieuse,  parmi  ces  amateurs  on  rencontre  plusieurs 
français  :  M*'  Auvray,  M.  de  Jonquières,  l'ahbé  Dufresne,  .M"«»  .Mimi  Desplaces, 
Catherine  Delacroix,  Louise  Lézurier,  de  Rouen,  et  M.  de  Florencourt,  inspecteur  de» 
forôts.  Comme  autres  personnages  à  signaler,  on  trouve  le  D'  Burncy,  de  Londres,  qui 
souscrivit  douze  exemplaires,  et  le  général  de  cavalerie  von  Bismarck. 


—  Passage  de  transition,   assez   long  et  très  fantaisiste  ; 

—  Thème  B,  à  la  D.,  empruntant,  au  cours  de  son  exposition, 

le  rythme  de  A  : 


* 


second  thème 


i 


^m 


ET 


^^^^^^m 


à 


Partie  médiane  :    thème    A,    à  la   D.,  modulant  vers    la  et   amenant 

la  réexposition; 
Réexp.  :  thème  A,  à  la  T.; 

—  Passage  de  transition; 

—  Thème  B,  à  la  T. 

Andante  en  sol  ;  belle  fantaisie  expressive,  exposant  une  phrase 
unique  extrêmement  pénétrante,  où  l'invention  mélodique  de  Phi- 
lippe-Emmanuel semble  se  rapprocher  de  celle  de  son  père. 

Allegro  di  molto^  très  mouvementé  : 

Exp.  :  Premier  thème  (A)  à  la  T.,  suivi,  sans  transition,  du  second; 
—     Second  thème  (B)  fort  intéressant,  en  trois  éléments  [b',  b",  b''')i 

(H)  sergnd   thème 
(by  precnier  élément 


^ 


^m 


M 


D.(g) 


*^^ 


(^  deuxième  élément 


/ 


^ 


^ 


LA  SONATE  DITHEMATIQUE 


mj^  troisième  «lémenl 


Partie  médiane  qui  contient  une  phrase  toute  nouvelle,  modulant 
du  ton  d'ut  à  la  D.  de  SOL,  pour  ramener  la  réexposition,  comme 
plus  tard  dans  le  Rondeau-type.  Voici  ce  passage  : 


RÉEXPOsiTioN,  où  le  thème  B  ne  reproduit  intégralement  à  la  T.  que 
ses  deux  derniers  éléments  :  le  premier  est  remplacé  par  un  dessin 
mélodique  qui  semble  tiré  de  la  phrase  apparue  au  cours  de  la 
partie  médiane. 

Il  faut  lire  aussi  le  beau  Larghetto  de  la  2*  Sonate  (Berlin,  lySS),  qui 
n'est  pas  sans  faire  présager  certains  Adag-ios  beethovéniens,  autant  par 
ses  nuances  graduées  que  par  sa  ligne  mélodique  d'une  intime  tristesse  : 


Lk  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 


M  rn  j-  ^ 


Le  II*  recueil  (i  780),  dédié  à  Friedrich  Heinrich,  margrave  de  Schwed, 
ne  contient  que  trois  Sonates,  toutes  trois  de  la  période  de  Hambourg 
(1774  a  17S0):  la  première  d'un  beau  caractère,  les  deux  autres  très 
courtes  et  en  deux  mouvements  seulement. 

Le  III*  recueil  (178 1),  dédié  au  baron  van  Swieten,  ne  compte  aussi 
que  trois  Sonates  :  la  i",  en  la,  écrite  à  Hambourg  en  1774,  n'offre 
aucune  particularité,  mais  les  deux  autres,  de  l'époque  berlinoise, 
sont  fort  intéressantes. 

La  2*,  en  re  (Potsdam,  1766),  est  même  tout  à  fait  remarquable.  Le 
second  thème  du  premier  mouvement  fait  pressentir,  en  une  forme 
plus  fantaisiste,  ceux  de  Mozart  • 


^m 


^î^  L-g^f^ 


^^ 


^ 


I 


^0=^^'- 


VAndante  cantabile  e  mesto  de  la  même  Sonate  est  d'une  dolente  et 
pénétrante  expression. 

La  3*  Sonate,  en  /a  (Berlin,  1763),  en  trois  morceaux  que  Forkel  a 
intitulés  «  l'indignation,  la  réflexion,  la  consolation  »,  mérite  aussi 
d'être  étudiée. 

Le  IVe  recueil  (1783),  où  commence  la  publication  des  Fantaisies 
qui  en  devaient  assurer  le  succès,  ne  contient  que  deux  Sonates,  dont 
la  première,  assez  curieuse  par  sa  structure  harmonique  et  enhar- 
monique, fut  composée  à  Hambourg  en  1781. 

Enfin,  dans  le  V' recueil  (1785),  dédié  au  prince-évêque  de   Lubeck, 


LA  SONATE  DITHÉMATIQUE  203 

€t  dans  le  VI«  (1787),  dédié  à  la  comtesse  Marie-Thérèse  de  Leiningen 
Westerburg,  il  n'y  a  également  que  deux  Sonates.  Les  unes  et  les  autres 
sont  de  la  dernière  époque,  c'est-à-dire  beaucoup  moins  Sonates  par 
leur  forme  que  celles  de  l'époque  de  Berlin  ;  on  doit  pourtant  les  con- 
naître en  raison  de  Vhumour  et  de  la  fantaisie  qui  y  régnent.  Leurs 
morceaux  généralement  courts  se  succèdent  parfois  dans  des  tona- 
lités peu  compatibles,  croyons-nous,  malgré  leur  réelle  proximité  (i): 
par  exemple,  le  charmant  petit  Allegreito  en  la  mineur  dans  la  Sonate 
^n  RÉ  majeuj^  (VI«  recueil).  Les  deux  Sonates  du  V*' recueil,  écrites  à 
Hambourg  en  1784,  présentent  certaines  originalités;  ainsi,  dans  la 
première,  en  m/,  V Adagio^  en  {/r,  déjà  préparé  par  une  transition 
qui  l'unit  au  premier  mouvement,  n'est  lui-même,  pour  ainsi  dire, 
qu'une  préparation  de  VAndantino  final  en  M/,  de  telle  sorte  que  tous 
les  morceaux  sont  enchaînés  l'un  à  l'autre. 

Le  passage  enharmonique  reliant  ces  deux  pièces  mérite  d'être  cité  : 


il  faut  lire  aussi  le  joli  finale  dont  le  style  fait  penser  à  celui  de  Weber. 
La  2'  Sonate  (V"^  recueil)  contient  un  Largo  extrêmement  intéressant 
par  ses  modulations  enharmoniques.  Nous  donnons  ici  un  exemple  de 
ces  hardiesses  peu  communes  à  cette  époque,  et  que,  seul  peut-être, 
Ph.-Emm.  Bach  a  prodiguées  dans  ses  dernières  œuvres  : 


(i)  Voir  I"-  liv.,  p.  128  et  ng. 


204 


LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 


Outre  sa  musique  instrumentale  et  religieuse,  le  troisième  fils  du 
grand  Sébastien  a  laissé  un  ouvrage  fort  important  pour  les  pianistes 
qui  s'intéressent  au  clavecin,  et  intitulé  Vej^such  iiber  die  jpahre  At^t  das 
Klavier  '{Il  spielen,  mit  Exempeln  iind  i8  Probestilckeiti  6  Sonaten  (i)  ; 
ce  véritable  traité  de  l'art  du  claveciniste  est  diviséen  deux  livres  (parus 
en  1760  et  1762  à  Berlin  ;  2*  et  3^  édition  à  Leipzig,  1782  et  1787)  ; 
le  second  traite  particulièrement  de  la  Fantaisie  et  de  la  manière  d'in- 
terpréter ce  genre  spécial  de  musique,  alors  si  répandu. 

Dans  le  premier  livre,  on  trouve  cette  maxime  qui  devrait  être  médi- 
tée par  bien  des  virtuoses  :  «  Il  semble  que  la  musique  est  appelée  prin- 
ce cipalement  à  toucher  le  cœur,  et  le  claveciniste  ne  peut,  selon  moi, 
«  y  parvenir,  s'il  ne  songe  qu'à  faire  du  bruit.  » 


(i)  Essai  sur  la  vraie  manière   de  loucher  le   Clavecin,  avec  des  exemples    et    i8    pièces 
d'étude  en  6  Sonates. 


LA  SOWTE  DITHÉNUTIOUF:  J05 

Ph.-Emm.  Bach  avait  aussi  rassemblé  en  un  précieux  recueil, 
aujourd'hui  fort  rare,  les  portraits  de  trois  cent  trente  musiciens 
célèbres,  depuis  Bacchus,  le  dieu  de  la  chanson,  jusqu'à  l'auteur  lui- 
même. 

Johann  Georg  Leopold  MOZART,  le  père  du  célèbre  auteur  de  la  Zaïi- 
berjlote,  était  fils  d'un  relieur  d'Augsbourg.  Il  se  rendit  à  Salzbourg,  où 
il  devint  valet  de  chambre  du  chanoine  comte  de  Thurn,  puis  violoniste 
de  la  chapelle  de  l'archevêque.  En  1762,  il  était  nommé  maître  de  cha- 
pelle. Musicien  distingué,  il  écrivit,  outre  son  Traité  de  l'école  du  violon 
(1756)  qui  forma  tous  les  violonistes  allemands  de  la  fin  du  xviu*  siècle, 
un  certain  nombre  de  pièces  dans  la  forme  ternaire,  notamment  trois 
Sonates  parues  dans  le  recueil  de  soixante-douze  Sonates  en  douze 
livraisons,  connu  sous  le  titre  Œuvres  mêlées^  de  Haffner  (Nuremberg, 
1755  à  1767).  Dans  ces  trois  Sonates,  assez  importantes  pour  l'his- 
toire de  cette  forme,  on  trouve  fréquemment  l'entrée  de  la  seconde  idée 
soulignée  par  un  changement  complet  de  mouvement  et  de  mesure  (i). 

Georg  BENDA,  né  à  Stare-Benadky,  en  Bohême,  fut  musicien  de 
chambre  à  Berlin,  puis,  en  1750,  maître  de  chapelle  du  duc  de  Gotha. 
Sa  célébrité  comme  compositeur  dépassait  de  beaucoup,  en  Allemagne, 
celle  de  J.-S.  Bach.  Il  écrivit  un  certain  nombre  de  Sonates  de  forme 
ternaire. 

Johann  Christian  BACH,  dit  le  «  Bach  de  Londres  »,  né  à  Leipzig,  fit 
son  éducation  musicale  sous  la  direction  de  son  frère  Charles-Philippe- 
Emmanuel.  D'abord  organiste  à  Milan,  il  devint,  en  1739,  chef  d'or- 
chestre et  compositeur  d'opéras  à  Londres,  où  il  passa  le  reste  de  sa  vie. 

On  a  de  lui  plusieurs  recueils  de  Sonates  pour  le  clavecin,  en  forme 
ternaire;  le  plus  connu  est  l'op.  3,  dédié  au  duc  de  Mecklembourg  et 
contenant  six  Sonates,  dont  trois  sont  en  deux  mouvements  seulement. 

Johann  Wiihelm  H/ESSLER,  né  à  Erfurt,  pratiqua  conjointement  avec 
l'art  musical  le  métier  de  fabricant  de  casquettes,  voyagea  dans  toute 
l'Europe  et  finit  par  se  fixer  à  Moscou  où  il  mourut.  Compositeur  fort 
intéressant  au  point  de  vue  de  l'écriture  du  piano,  il  laissa  près  de 
quarante  Sonates,  dont  la  forme  est  assez  variable  :  outre  un  grand 
nombre  de  pièces  dans  la  forme  de  l'ancienne  Suite  (Allemandes,  Ron- 
deaux, Menuets,  etc.),  on  y  rencontre  plusieurs  pièces  lentes  en  forme 
lied,  et  même  des  morceaux  de  construction  ternaire  à  peu  près  régu- 
lière, comme  dans  les  véritables  Sonates. 

Haesler  a  publié  : 

i*  quatre  Sonates  avec  une  Fantaisie  (1773)  ; 

(1)  Voir  J.-S.  Shedlock  :  The  pxanofoi  le  Sonata  (Londres,  i8g^). 


2o6  LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 

2°  six  Sonates  (1776),  dont  la  6^,  en  la,  contient  un  finale  nettement 
tejviaire  comme  coupe,  car  sa  partie  médiane  est  distincte  des  deux 
expositions,  mais  très  voisin  de  la  Suite  par  sa  tonalité  qui  oscille 
de  la  tonique  au  j^elatil  dans  Vexposition  initiale,  et  du  relatif  à  la 
tonique  dans  la  réexposition  (i); 

3°  six  Sonates  faciles  [Leichte  Sonaten)  (1780),  dont  la  première  con- 
tient un  finale  de  forme  ternaire  tout  à  fait  régulière  ; 

4°  dix-huit  Sonates  faciles,  en   trois  livres  (1786  à   1788). 

Pietro  Domenico  PARADISI,  né  à  Naples,  fut  élève  de  Porpora  et 
s'établit,  vers  sa  trente-cinquième  année,  à  Londres,  où  il  britannisa 
son  nom  (Paradies)  et  eut  de  grands  succès  comme  professeur  et  compo- 
siteur de  pièces  pour  piano.  Dans  sa  vieillesse,  il  voulut  revoir  l'Italie 
et  mourut  à  Venise,  âgé  de  quatre-vingt-deux  ans. 

Son  œuvre  la  plus  connue  consiste  en  douze  Sonates  pour  clavecin, 
imprimées  à  Londres  en  1754  (2°  édition  à  Amsterdam,  en  1770).  Ces 
Sonates,  qui  ne  sont  point  toutes  dans  la  forme  teimaire  et  semblent  un 
alliage  germano-italien  des  styles  respectifs  de  Ph.-Emm.  Bach  et  de 
D.  Scarlatti,  sont  cependant  intéressantes  comme  écriture,  la  8*  notam- 
ment. Elles  sont  en  deux  mouvements,  pas  toujours  de  caractère  opposé, 
et  pour  la  première  fois  dans  la  Sonate  pour  clavecin,  on  y  voit  appa- 
raître un  système  d'accompagnement  qui  consiste  à  arpéger  l'harmonie 
en  triolets  ou  en  doubles  croches,  au  lieu  de  la  soutenir  en  accords  liés  : 


^^m^0^^ 


Ce  système  que  Paradies  fut  le  premier  à  employer  et  dont  tous  les 
compositeurs,  jusques  et  y  compris  Mozart,  abusèrent  singulièrement, 
est  connu  sous  la  dénomination  de  basse  d'Alberti^  sans  doute  en  sou- 
venir du  nom  de  son  inventeur. 

12.   —    LES    PRÉDÉCESSEURS    DE    BEETHOVEN. 

Franz  Joseph  Haydn 1782  f   1809 

WOLFGANG   AmADEUS    MoZART.       .       .  I756    f    I79I 

Friedrich  Wilhelm  Rust  .     .     .     .       1789  f   1796 

Franz  Joseph  HAYDN,  fils  d'un  charron  musicien  de  Rohrau-sur- 
Leitha,  fit  son  éducation  comme  enfant  de  chœur  à  la  Stephanskirche 

(i)  Ces  six  Sonates  furent  éditées,  croyons-nous,  avec  une  Suite  de  Chansons,  apparemment 
dans  le  but  d'attendrir  les  éditeurs  et  de  faciliter  la  vente...  Déjà 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN  207 

de  Vienne.  A  partir  de  l'âge  de  seize  ans,  ayant  perdu  sa  voix  de  soprano 
et,  par  suite,  sa  place  d'enfant  de  chœur,  il  commença  à  végéter  miséra- 
blement. Il  raconta  lui-même  plus  tard  qu'il  lui  était  arrivé  fréquemment 
de  remplacerun  repas  par  la  lecture, sur  un  clavecin  vermoulu, des  belles 
œuvres  qu'il  pouvait  se  procurer.  Il  fit  ainsi  véritablement  sa  nourriture 
des  Sonates  wurtembergeoises  d'Emmanuel  Bach, qui  venaient  de  paraî- 
tre. Elles  suscitèrent  en  lui  le  plus  grand  enthousiasme  et  lui  servirent 
pour  ainsi  dire  d'éducatrices,  au  point  de  vue   du   style  et  de  l'écriture. 

Après  avoir  essayé  de  plusieurs  métiers,  notamment  de  celui  d'ac- 
compagnateur chez  Porpora,  où  il  apprit  à  écrire  pour  les  voix,  il  fut 
distingué  par  le  comte  Morzin  qui  lui  confia  la  direction  de  sa  cha- 
pelle à  Lukawec,  en  lySg.  Enfin,  en  1761 ,  il  devint  maître  de  chapelle 
et  directeur  de  l'orchestre  du  prince  Esterhazy,  position  qu'il  occupa 
pendant  trente  ans.  Vers  la  fin  de  sa  vie,  en  1790,  il  commença 
à  vo3'ager  et  se  rendit  deux  fois  en  Angleterre,  pour  diriger  ses 
Symphonies  aux  concerts  organisés  par  le  violoniste  Salomon.  C'est 
dans  l'un  de  ces  voyages,  en  passant  par  Bonn,  qu'il  connut  le  jeune 
Beethoven,  son  futur  élève.  Très  patriote,  Haydn  mourut  de  chagrin, 
lors  de  l'entrée  des  Français  vainqueurs  dans  la  capitale  de  l'Empire 
allemand  en   1809. 

Le  style  musical  de  Haydn  est,  sans  conteste,  la  continuation  de  celui 
de  Philippe-Emmanuel  Bach  avec  lequel  il  a,  surtout  en  ses  premiè- 
res années  de  production,  bien  des  analogies.  Ses  thèmes  sont  cepen- 
dant plus  caractérisés  que  ceux  du  musicien  de  Hambourg  ;  ils  possèdent 
cette  pointe  d'italianisme  commune  à  tous  les  compositeurs  du  sud  de 
l'Allemagne,  et  aussi  une  certaine  allure  populaire,  assez  inattendue  chez 
un  maître  de  chapelle  qui  passa  son  existence  dans  une  cour  princière. 

La  Sonate  de  Haydn  est  souvent  bien  plus  indéterminée,  comme 
forme,  que  celle  de  ses  prédécesseurs.  Il  y  intervertit  fréquemment  les 
types  de  mouvements,  sans  grand  souci  des  habitudes  alors  en  vigueur, 
terminant,  par  exemple,  la  Sonate  sur  un  Menuet  varié  ou  rempla- 
çant la  pièce  lente  du  milieu  par  un  Rondeau^  etc. 

Le  Menuet  ^tmhXe  être  sa  forme  favorite;  il  use  avec  prodigalité  de 
cette  danse,  abandonnée  à  l'époque  précédente,  et  qui,  dernier  legs  de 
la  forme  Suite,  finit  par  trouver  un  asile  définitif  dans  la  Sonate,  où 
elle  engendrera  le  moderne  Scherzo. 

Haydn  construit  la  plupart  de  ses  Sonates  en  trois  mouvements  ;  quel- 
ques-unes sont  en  deux^  et  la  première,  seule,  en  quatre  mouvements. 

il  écrivit  : 

1°  six  Sonates  y>o\ii  baryton  (sorte  de  violoncelle  de  petite  dimension, 
qu'afl'ectionnait  particulièrement  le  prince  Esterhazy)  ; 

1"  trois  Sonates  pour  violon  et  pianoforte  ; 


208 


LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 


S»  quarante  Sonates  pour  pianoforte,  sur  lesquelles  trente-sept  seule- 
ment ont  été  publiées. 

Nous  allons  passer  en  revue  celles  qui,  dans  cette  collection,  offrent 
par  leurs  thèmes  ou  leur  structure  un  intérêt  particulier. 

La  I"  Sonate,  en  SOL,  publiée  en  1767  (i),  compte,  nous  l'avons  dit, 
quatre  mouvements  . 

i«  Allegro   d'ancienne  forme,  sans  reexposition  ; 
2°  Menuet,  en  SOL.  avec  trto  à  la  tonique  mineure  ; 
3»  Adagio,  en  50/,  de  forme  Suite  ; 
40  Allegro,  de  coupe  ternaire. 

Les  six  Sonates,  op.  i3,  publiées  en  1774  par  J.  Hummel,  à  Amster- 
dam (i),  présentent  encore  des  artifices  d'écriture  (imitations,  canons, 
etc.)  qui  sentent  le  travail  d'école  et  une  certaine  préoccupation  d'imi- 
ter les  anciens  maîtres  du  contrepoint.  Les  trois  dernières  figurent,  sans 
raison,  dans  les  éditions  allemandes,  comme  écrites  pour  le  violon. 

Les  six  Sonates,  op.  14,  impiiniées  chez  Longmann  et  Broderip  en 
1776  (3),  méritent  un  plus  long  examen,  car  elles  donnent  vraiment  la 
caractéristique  de  la  première  époque  du  maître,  celle  où  l'art  et  l'esprit 
d'un  Ph.-Emm.  Bach  régnent  en  despotes  sur  sa  pensée. 

De  ces  six  Sonates,  une  seule,  la  5%  en  mi,  n'a  que  deux  mouvements; 
deux  se  terminent  par  des  Menuets,  les  trois  autres  sont  construites 
ainsi  ; 

:«  Premier  mouvement,  de  forme  Sonate; 

20  Menuet  ; 

3»  Rondeau,  avec  reprises  variées. 

Il  est  à  remarquer  que  fow/es  les  pièces  finales  de  cet  op.  14,  soit  Me- 
tîuets,  soit  Rondeaux^  présentent  l'aspect  de  variations. 

Dans  le  premier  mouvement  de  la  3*,  en  fa,  le  second  thème  (B) 
semble  être  sorti  de  la  plume  d'Emmanuel  Bach  : 


(  1)  N»  33  des  éditions  Holle  et  LitolÉF. 

(2)  Trois  de  ces  Sonates  seulement  ont  été  publiées  à  nouveau  ;  elles  portent  les  n<"  a6,  37 
et  28,  dans  les  éditions  Holle  et  LitolfT. 

(3)  N"  lo  à  ai,  éd.  Holle  et  Litoiff. 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN 


309 


mais  le    trio    en  fa,  du  Menuet,  offre  au  contraire  un  jeu  de  rythmes 
contrariés   assez  rare  à  cette  époque  : 


La  4*  Sonate,  en  la,  a  été  surnommée  la  «  Sonate  des  cors  »,  parce 
qu'une  sorte  de  fanfare  de  chasse  clôt  chaque  reprise,  et  circule  à  tra- 
vers le  premier  mouvement  où  l'on  chercherait  en  vain  un  second  thème. 
A  la  fin  de  la  f^éexposition,  les  fanfares  disparaissent  et  la  pièce  s'enchaîne 
à  un  court  Adagio,  simple  transition  légèrement  modulante  entre  deux 
morceaux  de  même  tonalité  et  de  même  nature. 

Les  six  Sonates  publiées  par  Artaria,  à  Vienne,  en  1 780  (  i),  et  dédiées 
à  Franziskaet  Marianne  von  Auenbrugger,  marquent  l'époque  médiane 
de  la  carrière  du  compositeur,  sa  «  seconde  manière  »,  dirait-on  au- 
jourd'hui. Elles  apparaissent  dégagées  de  toute  influence,  et  certaines 
d'entre  elles  méritent  d'attirer  l'attention  par  leur  fraîcheur  mélodique 
et  leur  belle  tenue. 

Telle  la  2*  Sonate,  en  w^  ff  ,  dont  le  premier  mouvement  présente 
cette  particularité  que  le  second  thème  (B)  ne  semble  d'abord  être 
qu'une  transposition  du  premier  (A)  au  ton  relatif;  mais  on  s'aperçoit 
bientôt  que,  tout  en  empruntant  à  celui-ci  ses  éléments  principaux,  il 
est  conduit  d'une  façon  toute  différente  au  point  de  vue  expressif  et 
■arrive  à  former  un  ensemble  complet  : 


(i)  Nos  I,  10,  II,  17,  I?  et  14  lies  éditions  Holle  et  l.itolft. 
Cours  de  composition.  —  t.  ii,  i 


14 


LA  SONATE  PRE-BEETHOVENIENNE 


R)  second  thème 
rappel  de  a' 


H  lé) 


Ret.  (mÎ) 


rappel  de  ft" 


¥'m^\ 


fe 


a 


^injJs^'CJ  fVi\ 


^^ 


Le  rythme  de  toute  \d^  partie  7nédiane  est  tiré  de  ce  second  thème. 


la  7-éexposition  se  fait,  comme  on  pouvait  s'y  attendre,  par  une  fusion 
des  deux  thèmes,  car  la  répétition  du  second  au  ton  principal  aurait 
engendré  nécessairement  une  fastidieuse  monotonie,  grave  défaut 
dans  la  composition  musicale. 

Le  Scher^ayido,  en  forme  de  Rondeau  varié,  qui  suit  ce  premier  mou- 
vement, est  construit  sur  une  mélodie  absolument  identique  à  celle  du 
Rondeau  placé  au  début  de  la  5«  Sonate  de  ce  même  recueil.  C'est  bien 
à  dessein  que  Haydn  traite  deux  fois  ce  même  thème  au  cours  de  la 
même  publication  :  il  s'en  est  expliqué  avec  son  éditeur  en  lui  enjoi- 
gnant de  mettre  au  verso  du  titre  de  la  5*  Sonate  une  note  pour  avertir 
qu'il  l'a  «  fait  exprès  ». 

On  peut  constater,  par  les  extraits  de  ces  deux  pièces  que  nous  don- 
nons ci-après,  l'utilité  de  cet  avertissement; 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN 


Scherzand') 
^2:.Sonate) 


Rondeau, 
initial 

(5t:  Sonate  ) 


nt*^.-^ 

1  Hfl  P=?^ 

1  [^.  ':;^ 

1  ;,-T«i  sa  Pb] 

rn 

fftt 

p 

-l — J— 

^      4^    î. 

'^■■'   LJ  ' 

'  >'  ^L.^  1 

-^ m  '     *^ 

^v- 

Quant  au  Menuet  final  de  cette  2'  Sonate,  il    fait   présager  certains 
menuets  expressifs  de  la  «  première  manière  »  de  Beethoven  : 


i 


1^ 


r  'i-  '  '' 


-M. m       .0 


a  »    0^  —y 


i     1     ^ 


^^ 


^^ 


ê 


•/= 


^ 


^^=^ 


fcf- 


Le  premier  mouvement  de  la  6*  Sonate,  en  ut,  est  aussi  fort  intéres- 
sant à  cause  de  l'importance  qu'y    prend  le  second  thème  : 


Celui-ci,  en  effet,  s'étale  très  mélodiquement,  suivi  de  ses  complé- 
mentaires, en  vingt-trois  mesures,  tandis  que  le  premier  thème  en 
compte  à  peine  huit.  C'est  en  cela  surtout  que  Haydn  prépare,  bien  plus 
que  Mozart,  l'avènement  de  la  seconde  idée  beethovénienne. 

Parmi  les  dernières  Sonates,  un  certain  nombre  ne  comptent  plus  que 
deux  mouvements  sans  grande  corrélation  apparente  :  l'une  d'elles,  en 
SOL.  consiste  simplement  en  deux  Rotideaux  variés.  Mais  il  en  est 
deux  cependant  qu'il  faut  mettre  hors   de  pair,  car   elles  peuvent  être 


2,2  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVENIENNE 

regardées  comme  les  véritables  manifestations  de  la  «  troisième  ma- 
nière »  de  Haydn. 

Ces  Sonates  sont  toutes  deux  en  Mn  (i).  La  première,  dédiée  à 
M"'''  von  Genziger,  offre  certaines  particularités  frappantes. 

Pans  le  premier  mouvement,  le  second  thème  (B)  est  tiré  du  pre- 
mier (A),  comme  dans  beaucoup  de  Sonates  précédentes  ;  mais  il  suffit 
d'une  très  légère  modification  de  degré  pour  lui  donner  un  aspect 
tout  différent,  ainsi  qu'on  peut  en  juger  par  les  citations  ci-dessous  : 


rappel  de   a"    au    I^^  degré 


En  outre,  la  partie  médiane,  au  lieu  de  procéder  par  répétitions  ou 
par  imitations,  prend  ici  l'aspect  d'un  développement  organisé  suivant 
les  principes  beethovéniens  (2)  : 


Cette    conclusion,    assez   simple,   de  l'exposition    du    second    thème 
atteint,  au  cours    de  cette  partie  médiane,  une  telle   envergure  qu'on 

(1)  N"  3  et  9  des  éditions  Holle    et    LitolfF. 

(2)  On  étudiera  dans  le  chapitre  suivant  les  principes  du  vrai  développement. 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN 


>'1 


ne  peut  s'empêcher  de  penser  par  moments  à  V Allegro  initial  de  Top.  bj 
du  géant  de  Bonn,  par  exemple,  à  l'apparition  des  trois  notes  caracté- 
ristiques, sous  cette  forme  : 


SI  b 


ii  fc>  -  /ît"  t> 


Enfin,  lors  de  la  réexposition^  le  passage  de  transition  entre  les  deux 
thèmes  grandit  notablement  et  le  second  thème  lui-même  se  présente 
à  nouveau,  sans  avoir  besoin,  cette  fois,  de  l'appui  du  premier.  Ce 
morceau  est  vraiment  une  innovation  dans  l'ordre  de  la  Sonate. 

U Adagio  tn  si\>  est  un  véritable  type  du  lied  à  reprises  variées,  dont 
nous  retrouverons  la  forme  agrandie  dans  la  «  première  manière  »  de 
Beethoven;  l'analj'se  le  fera  mieux  comprendre  que  la  description  : 

I,  Thème,  en  phrase-/jV(i,  disposé  ainsi  • 

!A  (cad  D.  —  A  varié  ^cad.  D.)\  ) 
B  (cad.  D.)  -  A' varié  (cad.  T.);  ) 
B'  varié  (cad,  D.)  —  A'  varié  (cad.  T.)  ;) 

II.  Partie  médiane,  tirée  de  B  (i)  : 

(  ^,  de  51   t>  à /?É  bi  avec  reprise  ;  ^     . 
(  è,  de  RÉ  i?  à  la  D.  de  s;  t>  ; 
m.  Thème,  sans  reprises  : 

'  A  varié  (cad.  D.); 

<  B  varié  (cad.   D);  ]  si\> 

{  A  varié  (cad.  T.)  avec  une  conclusion. 

Le  Menuet  final  est  construit  en  forme  de  Rondeau,  ainsi  qu'il  suit: 

Refrain  i,  phrase  de  lied  en  MI\>  ; 
Couplet  j,  phrase  de  lied  en  Mi\>\ 
Refrain  i,  modulant; 
Couplet  2  en  mi  t>; 
Refrain  3,  en  M/b.  conclusif. 

Quanta  la  Sonate  enM/p,  op.  78,  dédiée  à  M""  Bartolozzi,  femme 
du  graveur,  c'est  sans  contredit  la  plus  intéressante  et  la  plus  avancée 
des  œuvres  de  Haydn  en  ce  genre.  Gomme  dans  la  Sonate  précédente, 
les  deux  thèmes  du  premier  mouvement  sont  parents,  et  même  assez 
proches,  puisque  le  second  thème.,  qui  est  formé  de  trois  éléments  ou 
de  trois  phrases,  offre,  en  sa  première  et  en  sa  troisième  phrase,  des 
rappels  manifestes  de  certains  rythmes  que  le  premier  thème  avait 
exposés  auparavant,  tandis  que  la  seconde  phrase  donne,  au  contraire, 
un  élément  tout  nouveau. 


(i)La  dédicataire  de  l'œuvre  déclara  ce  passage  à    mains  croisées  inexécuiable...,  ce  qui 
pourrait  donner  lieu  à  d'avantageuses  suppositions  sur  l'embonpoint  de  M»»  de  Genzigcr. 


3,^  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

Voici  Tanalyse  du  premier  mouvement  : 

I.  Exp.  :  Thème  A  en  3//b,  s'enchaînant  au  passage  suivant  : 

—  Passage  de  transition,  à  la  D.  de  la  D.; 

I  b' ,  tiré  de  a  (cad.  T.)\  \ 

—  ■  Thème  B  ]  b" ,  élément  nouveau,  relié  au  suivant;  >  Sl\> 

\  b'",  tiré  de  a  et  concluant;  / 

î.  Partie  médiane  :  h"  en  UT,  modulant  vers /a  ; 

—  Passage  de  transition,  modulant  par,  LA  p,  vers  la  D.  d'L'T; 

—  Repos  :  b"  en  Ml  a,  modulant  vers  si  ; 

—  Passage   de   transition    sur    la   D.   de  si,  modulant  enhar- 

moniquement  à  la  D.  de  MI  \>  ; 
3.  RÉEXP.  :  Thème  A  en  Mi^  s'enchaînant  au  passage  suivant: 

—  Passage  de  transition,  à  la  D.  ; 
i  &',  resserré  et  varié;    \ 
.'  è",  élément  nouveau;  > 


—      Thème  B 


Ml\> 


{  h'",  concluant. 


L'exemple  musical  fera  mieux  comprendre  cette  façon  de  compléter 
un  thème  par  l'autre,  opération  très  différente,  on  le  remarquera,  de 
celle  qui  consistait  (dans  la  première  époque  de  Haydn)  à  faire  du 
thème  B  une  simple  transposition  de  A  à  la  dominante  : 


Allegro 

Jv)  premier  thème 


B)  second  thèm^e 

(b^premier  eiément 
tiré   de  a'. . . 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN 


2l5 


Qbj5  deuxième  éiémenf  (nouveau 


troisième   élément 


tiré  de  a' fir-'-  Hr  a" 


La  partie  médiane  est  aussi,  dans  ce  premier  mouvement,  un  \én- 
ta.h\Q  développement,  unQ  explication  des  thèmes  exposés  ;  les  modula- 
tions sont  d'une  telle  hardiesse  qu'on  peut  y  voir  comme  le  trait 
d'union  entre  les  enharmonies  de  Ph.-Emm.  Bach  et  les  envolées 
harmoniques  beethovéniennes. 


3,6  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

V Adagio  qui  suit  est  en  A// 13,  tonalité  assez  éloignée  du  ton  prin- 
cipal MI  t>  ;  l'apparition  inopinée  de  ce  même  ton  de  mi  b  dans  la  partie 
médiane  du  premier  mouvement  est  très  probablement  destinée  à 
préparer  la  venue  de  V Adagio  (i). 

Ce  morceau  est  un  simple  lied  en  trois  sections  ;  nous  en  avons  donné 
ranal3^se  dans  \d.  section  technique  de  ce  chapitre  (voir  ci-dessus,  p.  167)» 

Le  charmant  Presto  qui  termine  Toeuvre  ressemble  à  bien  des  finales 
beethovéniens,  il  est  construit  en  forme  Sonate  sur  le  plan  du  premier 
mouvement.  Le  second  thème,  en  effet,  bien  que  différent  mélodique- 
ment  du  premier,  lui  demeure  étroitement  apparenté  par  le  rythme.. 
Voici  l'analyse  de  cette  pièce,  qui  est  à  peu  près  monorythmique  : 

1.  Exp.  :  Thème  A  en  MI\)   (sur  rythme  a  :     p    [Tn    i    fi  )  cad.  T; 

—  Passage  de  transition  chromatique  sur  rythme  a,  relié  au  th.  B  ; 

i  b' ,  sur  rythme  a,  cad.  T.  \ 

—  Thème  B    !  b",  agogique,  cad.  D.        >  5/t>. 

(  b'",  tiré  de  A,  conclusif.  / 

2.  Partie  médiane  :   Combinaison  de  b'"  avec  le  passage  de  transition,  vers 

la  D.  de  fa  ; 

—  Thème  A.  en  LA  b,  modulant  vers  la  D.  d'  ut  : 

—  Combinaison  de  b'  avec  le  passage  de  transition,  vers  la  D.  de  Ml  b; 

3.  RÉEXP.  :  Thème  A,  en  A//b; 

—  Passage  de  transition  ; 

—  B  {b\  b",  b'")  conclusif  en  MI  \>. 

Les  virtuoses  qui  se  piquent  de  jouer  du  piano  devraient  bien 
cesser  d'ignorer  les  œuvres  de  Haydn:  il  est  inexplicable  qu'on  n'en- 
tende jamais  dans  les  concerts  cette  charmante  Sonate  en  A/it>,  aussi 
brillante  que  musicale. 

Wolfgang  Amadeus  MOZART,  né  à  Salzbourg  où  son  père  était  mu- 
sicien de  la  chapelle  archiépiscopale,  fut  un  enfant  prodige.  Dès  l'âge 
de  six  ans,  il  composait  des  œuvres,  assemblage  naïf  de  formules 
sans  personnalité,  mais  dénotant  déjà  des  dispositions  remarquables 
chez  un  si  jeune  enfant.  Il  jouait  fort  bien  du  clavecin  et  improvisait 
même  assez  correctement:  dès  l'année  17G2,  son  père  se  décida  à 
parcourir  l'Europe  pour  exhiber  ses  deux  petits  virtuoses,  Wolfgang 
et  sa  sœur  Marianne.  La  première  étape  fut  Vienne,  où  l'archidu- 
chesse Marie-Antoinette,  depuis  reine  de  France,  encouragea  à  la  cour 
de  l'Empereur  les  débuts  du  petit  musicien.  En  lyôS  et  1764,  la 
famille  Mozart  vient  à  Paris,  où  W^olfgang  fait  graver  ses  premières 
œuvres  :  quatre   Sonates  pour  violon.  Après  un  séjour  en  Angleterre, 

(0  Nous  expliquerons  au  chapitre  suivant,  à  propos  des  relations  tonales,  cet  enchaîne- 
ment assez  rare  au  temps  de  Haydn,  et  provenant  sans  doute  de  la  formule  de  cadenc» 
dite  sixie  napolitaine. 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN  j,^ 

il   revient  à    Salzbourg  où    il  dirige,  à   douze  ans,  sa    première   Messe 
solennelle. 

A  treize  ans,  un  voyage  en  Italie  exerce  sur  son  talent  une  influence 
dont  il  ne  se  débarrassa  jamais,  et,  après  diverses  péripéties,  il  obtient, 
en  1789,  le  titre  de  «  compositeur  de  la  chambre  impériale  »,  avec  de 
très  modiques  appointements.  A  partir  de  ce  moment,  il  réside  à 
Vienne,  ne  quittant  la  capitale  que  pour  quelques  voyages  à  l'étranger. 
C'est  à  Vienne  qu'il  mourut,  jeune  encore,  et  sa  dépouille,  abandonnée 
par  ses  rares  amis,  fut  jetée  à  la  fosse  commune. 

On  indiquera,  dans  le  Troisième  Livre  de  ce  Cours,  l'ordre  et  les 
titres  de  ses  oeuvres  dramatiques  ;  nous  nous  contenterons  ici  de  men- 
tionner les  compositions  qu'il  écrivit  dans  la  forme  Sonate  : 

r  quarante-deux  Sonates  pour  piano  et  violon  ;  les  quatre  premières, 
écrites  et  gravées  à  Paris  en  1764,  étaient  dédiées  à  M"^  Victoire  de 
France  et  à  la  comtesse  de  Tessé  ;  viennent  ensuite  les  six  Sonates 
dédiées  à  la  reine  d'Angleterre  ;  vingt-sept  Sonates  sont  échelonnées 
entre  les  années  1770  et  1783;  les  cinq  dernières,  qui  sont  les  plus 
intéressantes,  portent  les  dates  de  1784,  85,  87  et  88  ; 
2°  une  Sonate  en  i?É,  pour  deux  pianos  ; 
3°  cinq  Sonates  pour  piano  à  quatre  mains; 

4<»  dix-sept  Sonates  pour  piano  à  deux  mains,  ainsi  réparties  :  six 
Sonates,  dédiées  au  baron  Diirnitz,  qui  négligea  d'en  envoyer  le 
paiement  (1774);  trois  Sonates,  en  ut,  la  et  ré,  dites  «  de  Mannheim  » 
(^777)5  quatre  Sonates  (1778  a  1784)  ;  deux  Sonates  (1788);  les  deux 
dernières,  en  si\>  et  ré  (1789). 

Les  Sonates  de  Mozart  ne  réalisent  pas  de  progrès  notables  sur  celles 
de  Haydn;  la  plupart  d'entre  elles  sont  même  inférieures  en  intérêt  à 
celles  du  compositeur  de  la  chapelle  Esterhazy.  Cependant  on  y  distin- 
gue avec  plus  de  netteté  et  de  constance  l'usage  du  développement  et  du 
passage  de  transition  àii  pont,  entre  les  deux  idées  :  éléments  nouveaux 
qui  prendront,  chez  Beethoven,  une  importance  prépondérante  dans 
la  construction  de  la  Sonate  (voir  ci-après,  chap.  iv).  On  peut  dire 
toutefois  que  les  œuvres  musicales  de  l'un  comme  celles  de  l'autre  sont 
toujours  «  coulées  dans  l'ancien  moule  »  de  Ch.-Ph.-Emm.  Bach. 
Toutes  les  Sonates  de  Mozart  sont  en  trois  mouvements. 
Voici,  dans  les  Sonates  pour  piano,  celles  qui  méritent  d'être  men- 
tionnées au  point  de  vue  de  la  forme  : 

Ce  sont  d'abord  les  trois  Sonates  de  Mannheim  (i  777). 

La  1",  en  ut,  nous  montre  le  peu  de  cas  que  les  auteurs  de  ce  temps 

faisaient  du  thème  ou  de  Vidée  mélodique  ;  ce  n'était  point  encore,  à  leurs 

yeux,  une  entité  douée  d'une  vie  particulière,  mais  seulement  une  sorte 

d'émanation  mélodique  de  la  tonalité.  Ainsi,  le  second  thème  de  cette 


2i8  L.\  SONATE  PRÉ-BEETHOVENIENNE 

Sonate  est  présenté,  dans  Vexposition,  sous  une  forme  assez  différente 
de  celle  qu'il  affectera,  lors  de  la  l'éexposition  : 
Exp.  :  Thème  B  à  la  D.  : 


Réexp.  :  Thème  B  à  la  T.,  mais  sensiblement  modifié  : 


^m 


•>      .  «   *  ,  -«1- 


^9'  é 


W. 


La  2*  Sonate,  en  /a,  fut  écrite  pour  Rosa  Cannabich,  fille  du  capell- 
nieister  de  Mannheim  et  alors  âgée  de  treize  ans;  on  prétend  que 
Mozart  en  fut  quelque  temps  amoureux  et  voulut  peindre,  dans  VAîi- 
dante  en  fa^  quelque  peu  fastidieux,  le  portrait  de  la  blonde  enfant. 

Le  premier  mouvement  de  cette  Sonate  est  ainsi  construit  ; 
I.  Exp.  :  Thème  A  à  la  T.,  sans  conclusion  : 


Ce  thème  A    est   enchaîné  avec  un  passage  de   transition   (P), 
établi  dans  le  même  rythme  : 


Thème  B,  qui  n'est^  à  proprement  parler,  qu'un  trait  de  piano, 
sans  le  moindre  intérêt  mélodique  : 


^fiel.@ 


2.  Partie  MÉDIANE   rythmique;    elle   ne   donne    aucune  amplification  des 

thèmes,  mais  seulement  un  travail  rythmique  sur  A  et  P  ; 

3.  RÉEXP.  :  reproduction  presque  intégrale  de  la  première  partie  à  la  T. 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN  a  19 

Le  Rondeau  olTre  un  intérêt  spécial  en  ce  qu'il  prépare  la  forme  que 
nous  retrouverons  plus  complète  chez  Beethoven;  voici  comment  il  est 
construit  : 

Refrain  i  :    A,  en  /j  ; 

„       ,  ^        (  A,  en  ut,  puis  en  UT,  amenant  de  nouveau 
Couplet  ^  .  <  .  .  ,    . , 

^  A,  en  mi,  expose  comme  une  seconde  idée  ; 

Refrain  2  :  A,  en  /di  ; 

Couplet  2  :  Phrase  nouvelle  à  deux  reprises,  en  la  ; 

Refrain  3  :  A,  en  la; 

Couplet  3  :  A,  en  la,  en  forme  de  seconde  idée,  concluant. 

3"  Sonate,  en  RÉ.  Dans  le  premier  mouvement  de  cette  Sonate, 
Vexposilîon  et  la  réexposition  des  deux  thèmes  sont  en  ordre  inverse, 
l'une  par  rapport  à  l'autre  : 

1.  Exp.  Th.  A,  en  RÉ  ; 

—  Passage  de  transition  court  ; 

—  Th.  B,  en  LA,  en  trois  fragments  bien  déterminés: 

!è',  phrase  mélodique, 
b" ,  passage  agogique, 
b'",  phrase  complémentaire  suivie  d'une  coda; 

2.  Partie  médiane,   qui   garde    le   rythme    de    la    coda    et    de    la  phrase 

complémentaire  ; 

3.  RÉExp.  :  Th.  B,  en  RÉ,  avec  ses  trois  fragments  {b'  b"  b'")  remplaçant  A; 

—  Th.  A,  en  RÉ,  formant  une  simple  conclusion,  à  la  place  de  B. 

La  Sonate  en  ut,  de  1784,  que  l'on  a  longtemps  regardée  comme 
faisant  partie  de  la  grande  Fantaisie  en  ut  (1785),  erreur  due  à  leur 
publication  simultanée,  est  de  la  même  structure  que  la  Sonate  anal3'sée 
ci-dessus.  Le  second  thème  y  devient  extrêmement  important,  et  le 
Rondeau,  qui  n'est  pas  sans  offrir  une  certaine  analogie  avec  celui  de 
l'op.  I  3  de  Beethoven  {Sonate  pathétique),  présente  tous  les  caractères 
du  Rondeau  beethovénien  que  nous  étudierons  dans  le  chapitre  sui- 
vant et  qui  se  différencie   notablement  de  l'ancien   Rondeau  français. 

Friedrich  Wilhelm  RUST,  dont  les  œuvres  étaient  peu  connues  avant 
que  son  petit-fils,  le  docteur  W.Rust  (i),  les  eût  remises  au  jour  à  la  fin 
du  xix^  siècle,  fut  le  trait  d'union  entre  Haydn  et  Mozart,  d'une  part,  et, 
de  l'autre,  Beethoven,  dont  il  est  le  précurseur  incontestable.  Non  seule- 
ment son  style,  déjà  très  en  avance  sur  son  époque,  mais  son  écriture 
même  et  son  invention  mélodique  se  rattachent  étroitement  à  l'esprit 
beethovénien,  sans  pour  cela  s'affranchir  des  pures  traditions  puisées 
dans  les  solides  études  qu'il  fit  à  l'école  des  Bach. 

Né  à  Woerlitz,  près  de  Dessau,  Friedrich-\\'ilhelm  montra  dès  l'en- 


(0  Le  docteur  Wilhei.m  Rust  (1822  j  1892)  fut  le  dernier  cantor  de  l'Ecole  de  Saint- 
Thomas  à  Leipzig  ;  il  prit  une  part  importante  à  la  publication  des  oeuvres  complètes  de 
J.-S.  Bach,  son  immortel  prédécesseur. 


330  LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 

fance  de  sérieuses  dispositions  musicales.  Son  frère,  J.-L. -Anton  Rust, 
avait  été  employé  comme  violoniste,  en  1744  et  1746,  dans  les  exécu- 
tions de  la  Thomas  Schule  qui  avaient  lieu  sous  la  direction  du  grand 
Sébastien  Bach  :  il  était  revenu  à  Dessau  plein  d'enthousiasme  pour  ce 
puissant  génie  et  animé  d'un  esprit  de  prosélytisme  qui  trouva  chez  le 
jeune  Friedrich-Wilhelm  un  sujet  admirablement  préparé. 

Celui-ci  se  nourrit,  en  effet,  de  la  saine  musique  du  maître  et,  à  l'âge 
de  treize  ans,  il  jouait  de  mémoire  tous  les  Préludes  et  Fugues  du 
Clavecin  bien  tempéré.  Malgré  ces  dispositions  remarquables,  la  famille 
de  Friedrich-Wilhelm  s'obstina  à  l'orienter  vers  la  jurisprudence,  étude 
qui  était  alors  regardée  comme  indispensable  aux  jeunes  gens.  Rust  fut 
donc  envoyé  à  cet  effet  à  Halle,  où  il  fréquenta  beaucoup  plus  assidû- 
ment les  leçons  de  Friedemann  Bach  que  celles  des  professeurs  de 
l'Université.  A  vingt-trois  ans,  il  abandonna  définitivement  le  droit 
pour  la  musique  et  fit  de  sévères  études,  d'abord  à  Berlin,  sous  la  direc- 
tion de  Benda,  puis  à  Potsdam,  avec  Ph.-Emm.  Bach. 

Le  prince  Léopold  III  d'Anhalt-Dessau  le  prit  alors  sous  sa  protection 
et  l'emmena  même  avec  lui  en  Italie,  en  1-65.  Notre  musicien  séjourna 
deux  ans  dans  la  patrie  de  Scarlatti  et  se  fixa  en  dernier  lieu  à  Livourne, 
d'où  sont  datées  plusieurs  de  ses  œuvres.  Ce  séjour  contribua  à  modi- 
fier son  écriture  et  sa  manière  ;  à  partir  de  ce  moment  un  curieux  alliage 
s'établit  chez  lui  entre  le  style  «  galant  »  mais  sérieux  des  musiciens 
allemands  et  le  gracieux  enjouement  des  italiens. 

Rentré  à  Dessau,  il  devint,  en  1775,  directeur  de  la  musique  de  la 
Cour,  et  écrivit  alors  un  grand  nombre  d'œuvres  pour  piano,  violon  et 
chant.  Vers  la  fin  de  sa  vie,  sous  le  règne  du  nouveau  prince-électeur 
Frédéric,  il  fut  chargé  de  composer  de  la  musique  officielle  à  l'occasion 
de  tous  les  événements  intéressant  la  principauté. 

Ce  que  l'on  connaît  jusqu'ici  de  l'œuvre  de  Rust  comprend  (1)  : 

17  sonates  écrites  spécialement  pour  le  piano  {piano-forte  0  çlavi- 
çembalo),  dont  12  seulement  ont  été  publiées. 

28  sonates  pour  violon; 

1  sonate  pour  violoncelle  ; 

8  sonates  pour  alto  ou  viole  d'amour; 

3  sonates  peur  harpe  ; 

6  compositions  de  musique  de  chambre  (trios,  quatuors,  etc.)  ; 


(1)  Lei  œ'jvres  de  F,  \V.  Rujt  qui  ont  été  publiées  par  son  petit-fils  sont  pour  la  plupart 
truquéei  et  moderrasees,  suivant  !a  condamnable  coutume  dont  les  «  Herausgeber  » 
aîlen^ands  semblent  s'être  arrogés  le  monopole.  Toutefois,  et  malgré  les  changements 
introduits  ûans  l'écriture  instrumentale,  la  musique  de  ces  œuvres  a  été  presque  partout 
respectée  ;  le  véritable  tort  du  docieur  Wilhelm  fut  de  faire  figurer  dans  certaines  sonates 
de  scr.  aieul  notamment  dans  la  b*  (en  LA),  la  8«  (en  A//),  la  io«  (en  t/7'),  des  passages 
assez  considérables  et  même  des  morceaux  entiers  de  sa  propre  compo»ition. 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN'  331 

10  pièces  diverses  pour  piano  ou  pour  violon  (variations,  suites  pour 
violon  seul)  ; 

2  livres  de  lieder  (gravés  de  son  vivant)  au  milieu  desquels  on 
rencontre  l'admirable  Todtenkran\,  élégie  avec  chœurs  sur  la  mort 
d'un  enfant  ; 

I  recueil  de  Cantates  pour  une  voix  avec  orchestre. 

Enfin  les  «  œuvres  de  circonstance  »  :  Chant  des  nymphes  pour  dix 
voix  de  femmes,  à  l'occasion  de  la  réception  du  roi  de  Prusse  Frédéric- 
Guillaume  (1787)  ;  Cantate  d'église  pour  la  cinquantaine  de  M.  de  Ma- 
rées, surintendant  de  la  Cour(i7gi);  Cantate  de  fête  pour  la  «  joyeuse 
entrée  »  du  prince-électeur,  ramenant  à  Dessau  sa  jeune  femme  Amalie 
de  Gastein-Haubourg  (1792)  ;  Motet  pour  la  présentation  k  l'église  de 
la  princesse  héréditaire  d'Anhalt  (1794). 

Entre  temps,  Rust  écrivait  des  divertissements  pour  l'Opéra  de 
Dessau  :  Pirame  et  l'isbé^  Inkle  et  Yariko,  Krylas  cl  Lalage,  sans  comp- 
ter une  opérette  allemande: /e  Lundi  bleu  (1777),  et  nombre  de  Cantates 
pour  l'église  de  la  Cour. 

Chez  aucun  des  compositeurs  de  son  temps,  on  ne  rencontre,  dans 
l'ordre  de  la  Sonate,  les  audaces  et  les  innovations  qui  foisonnent  dans 
l'œuvre  de  Rust,  tant  au  point  de  vue  dt;  l'instrument  à  clavier,  qu'à  celui 
de  la  disposition  architecturale  des  pièces.  Figurations  espacées,  traits 
d'agilité,  non  pas  indifférents  comme  chez  la  plupart  de  ses  contempo- 
rains, mais  tendant  toujours  à  l'expression  mélodique,  emploi  des 
octaves  aux  deux  mains,  croisements  dans  le  but  de  varier  la  scnorité, 
sons  harmoniques,  etc.  ;  tout  cela  est  plus  rapproché  du  style  moderne 
que  de  celui  de  Mozart  ou  de  Ha3^dn. 

C'est  principalement  dans  la  forme  et  la  construction  que  Rust  a  de 
quoi  nous  étonner.  Si  la  première  période  de  sa  vie  ne  nous  fournit  que 
d'intéressantes  imitations  dans  la  manière  de  Ph.  Emm.  Bach,  quelque 
peu  mitigées  par  l'influence  de  D.  Scarlatti,  dès  la  seronde  période,  vers 
1775,1a  tendance  pré-beethovénienne  s'artirme,  les  modulations  devien- 
nent plus  hardies,  les  trois  pièces  de  la  Sonate  se  suivent  d'un  seul 
tenant,  disposition  à  peu  près  abandonnée  depuis  la  Sonate  italienne. 
Mais  c'est  surtout  à  partir  de  la  troisième  période  (1792)  que  l'origina- 
lité du  maître  de  Dessau  s'épanouit  dans  sa  plénitude. 

II  établit  délibérément  la  Sonate  en  deux  mouvements,  form.e  qu'on 
ne  retrouvera  que  dans  les  dernières  œuvres  de  Beethoven  ;  bien  mieux, 
il  adopte  pour  quelques-unes  de  ces  sonates  le  thème  unique  générateur 
des  principales  parties  mélodiques  de  l'œuvre,  et  semble  ainsi  prévoir 
la  transformation  cyclique  qui  ne  s'opérera  dérînitivement  qu'à  latin 
du  xix"-  siècle.  C'est  alors  qu'il  devient  véritablement  un  précurseur  de 
Beethoven,  non  seulement  par  la  similitude  des  idées  qui  est  flagrante, 


333  LA  SONATE  PRE-BEBTHOVENJENNE 

mais  par  la  manière  même  de  disposer  les  diverses  parties  de  l'œuvre 
musicale. 

Parmi  les  Sonates  de  Rust(i),  celles  qui  offrent  le  plus  d'intérêt  sont 
les  suivantes  : 

2'  Sonate,  en  50/,  écrite  en  Italie  vers  1766.  L'influence  de  Ph.  Emm. 
Bach  s'y  fait  évidemment  sentir  quoique  tempérée  par  la  préoccupation 
du  style  de  Domenico  Scarlatti  et  de  ses  successeurs.  L'écriture  instru- 
mentale, comme  aussi  l'alternance  du  mineur  au  majeur  sont,  sans 
Conteste,  de  provenance  italienne.  Nombreuses  sont  ici  les  ressem- 
blances avec  certaines  productions  postérieures  d'autres  auteurs  :  le 
dessin  initial  du  premier  mouvement  rappelle  de  très  près  celuidufinale 
delà  sonate  op.  54  de  Beethoven,  et,  chose  plus  étrange,  la  première 
mesure  de  l'Adagio  est  bien  proche  parente  de  l'Allégretto  de  la  Sonate 
en  fa  de  Brahms,  op.  5.  Au  reste,  de  même  que  le  finale  de  Brahms,  le 
curieux  rondeau  de  Rust  procède  par  simplification  du  thème,  lequel, 
exposé  primitivement  en  triolets,  se  reproduit  ensuite  en  valeurs  binaires 
pour  terminer  dans  le  style  calme  d'une  pièce  d'orgue. 

4^  Sonate,  en  50L  (2),  écrite  au  retour  d'Italie.  Elle  nous  montre  en 
Rust  un  curieux  innovateur  dans  l'art  de  l'écriture  pianistique  ;  l'im- 
pression de  joie  exubérante  qui  se  dégage  du  charmant  pr^s/o  final  ne 
peut  trouver  d'égale  qu'à  l'audition  de  certains  rondos  de  J.  Haydn. 

Ces  deux  œuvres  sont  typiques  de  la  première  manière  de  leur  auteur. 

La  5*  Sonate,  en  la^  datée  du  2  mai  1775,  est  constituée  en  trois 
mouvements  enchaînés  sans  interruption,  forme  que  l'on  ne  ren-. 
contre  chez  aucun  compositeur  de  la  fin  du  xvin*^  siècle.  Au  premier 
mouvement  fort  bien  construit,  succède  un  adagio-faniaisie^  à  la 
manière  de  Ph.  Emm.  Bach,  qui,  partant  du  ton  de  la^  oscille 
en  57  b,  en  sol,  en  i?Ét>  pour  enchaîner  avec  le  rondeau-final  dont  le 
troisième  couplet  en  duo,  si  différent  du  reste,  fait  déjà  présager  la 
Goupe  du  rondeau  beethovénien. 

La  6^  Sonate  (1777)  se  différencie  en  tout  de  celles  de  la  première 
manière.  Les  tonalités  de  RÉ^  et  de  sol  b,  peu  en  usage  alors,  l'écriture 
très  soignée  et  même  parfois  assez  curieusement  doigtée  par  l'au- 
teur lui-même,  enfin  la  musicalité  des  thèmes  et  des  développements  en 
font  une  pièce  vraiment  remarquable.  Le  premier  mouvement  et  sur- 
tout V  adagio: 

(i)  Les  12  principales  Sonates  pour  piano  ont  été  releées  avec  grand  soin  par  l'auteur 
de  ce  livre,  sur  les  manuscrits  de  Rust  conservés  à  la  Bibliothèque  de  Berlin.  Elles  sont 
publiées  par  la  maison  Rouart,  LeroUe  et  C'«,  à  Paris. 

(2)  Cette  Sonate  fut  publiée  après  la  mort  de  son  auteur,  par  les  éditeurs  Heinrichs  et 
Lehmann,  à  Leipzig,  sous  le  titre,  libella  en  français  :  Grande  Sonate  pour  le  Piano  t'orte^ 
composée  par  F.  G,  Rust, 


I.n;>  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN 


231 


Adagio 


éminemment  beethovéniens,  ne  seraient  pas  déplacés  au  milieu  des 
œuvres  de  la  première  époque  du  maître  de  Bonn  ;  le  Menuet  qui  ter- 
mine est,  au  contraire,  tout  à  fait  dans  la  manière  d'Haydn,  comme 
situation  dans  l'œuvre  et  comme  musique. 

La  7*  Sonate,   en  re  (1788)  est  encore   établie  en  trois    mouvements 
comme  celles  d'Haydn  et  de  Mozart,  mais  elle  a  quelque  chose  de  plus 
que  ces  dernières  :  l'adoption  d'un  thème  unique  commun  au  premier 
mouvement  et  au  finale  : 
AU?  maestoso 


Presto 


jer 

Mouvî 


g 


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L. 


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Flna-îé 


S 


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OT]  HT:- 


éJ'^^'m'^'^- 


Pour  celle-ci,  le  thème  cnoisi  constitue  un  double  hommage  :  au  roi 
de  Prusse  d'abord  qui  l'inventa  plus  que  probablement,  et  au  grand 
canlov  de  Leipzig  qui  le  traduisit  en  chefs-d'œuvre  (i).  —  A  remar- 
quer, le  superbe  adagio  qui  termine  le  finale  et  fait  penser  aux  grandes 
conclusions  beethovéniennes. 

La  8^  Sonate,  en  w/,  ouvre  la  série  des  cinq  sonates  de  la  dernière 
manière.  Elle  présente  toutes  les  originalités  propres  aux  œuvres 
que  le  musicien  de  Dessau  écrivit  à  cette  époque  :  division  en  deux 
parties,  bizarres  rapports  de  tonalités,  emploi  des  octaves  aux  deux 
mains  (que  nous  ne  trouverons  employés  de  même  façon  que  dans 
l'op.  54  de  Beethoven),  réexposition  du  thème  à  la  main  gauche,  péro- 
raison alanguie  du  charmant  Rondeau  faisant  penser  à  celle  de  l'ouver- 
ture de  Coriolan,  enfin  cette  écriture  de  piano  si  particulière,  évoquant, 
dans  le  Rondeau  surtout,  les  figures  de  Weber  et  de  Schubert. 


(1)  Ce  thème  est,  en  effet,  identique  avec  celui  Je  i'OJfiande  musicale,    de   J.-S.    Pach. 
Voir,  page  87. 


224 


LA  SONATE  PHÉ-BEETHOVÉNIENNE 


Les  trois  dernières  sonates,  pleinement  caractéristiques  de  la  troi- 
sième époque  de  Rust,  sont  à  étudier  tout  spécialement  : 

io«  Sonate  en  c/r  (1792).  Rien  de  similaire  ne  se  rencontre  dans  les 
productions  des  contemporains  ;  Beethoven,  à  ce  moment,  en  était  à 
l'élaboration  de  ses  premiers  trios.  Divisée  en  deux  parties,  cette  Sonate 
commence  par  un  allegro  d'une  écriture  extraordinairement  avancée 
pour  son  temps,  et  ainsi  construit  : 

1.  Exp.  :  Thème  A,  à  la  T.  concluant  ; 

Passage  de  transition  dans   le  rythme  qui  accompagne  le 

ler  thème  ; 
Thème  B,  à  la  D. 

2.  Partie  médiane  :  rythmique,  développant  A  et  B,  et  aboutissant, 

par  un  point  d'orgue  orné  à  la  : 

3.  RÉEXP,  :  contrepartie  assez  équivalente  à  l'Exp. 

Le  deuxième  et  dernier  mouvement  est  un  mouvement  de  structure 
toute  particulière.  Il  débute  par  un  thème  d'essence  haydnienne  dont 
on  ne  peut  deviner  tout  d'abord  la  destinée  finale. 


@  premier  thème 
(^  premier  élément 


?)  deuxième  élément 


Le  morceau  continue  en  forme  Rondeau;  mais,  après  le  second  couplet, 
la  tonalité  s'assombrit  et  l'insistance  du  deuxième  élément  (a")  donne 
naissance  à  la  fugue  suivante  : 


Moderato 

'mi--' 


—  cette  Fugue,  presque  régulière,  se  rapproche,  comme  écriture,  des 
fugues  de  la  troisième  manière  de  Beethoven  (voir  chap.  iv); 

Puis,  réexposition  du  t^oudeau,  en  ut,  concluant  par  des  dévelop- 
pements de  a  ". 

La  I  I*  Sonate,  en/a^î,  nous  apparaît  comme  le  chef-d'œuvre  de  la 
série,  en  raison  de  la  beauté  musicale  qui   en  émane  ;  certains  thèmes 


LKS  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN 


335 


et  certaines  modulations  ne  se  trouveraient  pas  déplacés  dans  les  œuvres 
de  la  grande  époque  beethovénienne. 

Cette  sonate,  composée  en  1794,  consiste  en  deux  pièces  principales 
reliées  e«tre  elles  par  un  Larghetto  de  transition, assez  court,  qui  conduit 
de  la  sons- dominante  à  la  dominante. 

En  voici  la  construction  : 

I.  Ekp.  :  /er  thème  (^,  qui  semble  comme  une  prévision  du  finale 
de  la  5onate  de  Beethoven  en  ut  g,  op.  37,  n°  a,  dédiée  à 
Giulietta  Guicciardi. 


nf  iP^^  j      i 


Passage  de  transition  fourni  par  un  rythme  spécial  et  abou- 
tissant au  : 

Second  tliutne  (S) ,  dun  charme  loui  beeihovenien  : 

CciCRS   DE   COMPOSITION.  —  T.    II.    I.  13 


336 


L\  SONATE   PRE-BEETHOVENIENNE 


Ce  thème  s?  complète  au  moyen  d'éléments  empruntés  au 
passage  de  transition,  ce  qui  donne  une  grande  cohésion 
à  cette  prem'ère  partie  du  morceau. 

î.  Partie  MÉDIANE  :  inflexion,  par  le  passage  de  transition,  vers: 
(^  en  ut  5,  puis  : 

3.  Réexp.  :  régulière,  sauf  que  le  thème  (§)  se  présente  tout  d'abord, 
comme  dans  Vexpositioti,  au  ton  relatif,  LA,  pour  s'in- 
fléchir ensuite  vers  le  ton  principal. 

L'admirable  Larghetto  qui  sert  de  trait  d'union  entre  les  deux  pièces 
constitutives  de  l'œuvre  n'est  autre  chose  qu'un  génial  développement 
des  éléments  déjà  exposés  dans  le  i**"  mouvement.  La  première  mesure 
est  la  reproduction  dans  le  sens  exposant  de  la  mesure  concluante  du 
morceau  précédent  : 


jer 

Mouvl 


Larghetto 


nij-i-i^ 


r 


La  phrase,  expressive  comme  un  thème  de  Bach,  s'élève  toujours 
jusqu'à  un  premier  repos  en  ré,  qui  donne  naissance  à  un  dessin  de 
cinq  notes,  paraphrase  du  thème  v  du  i"  mouvement.  Peu  à  peu,  ce 
dessin  s'établit  de  façon  même  à  imposer  silence  à  la  phrase  mélodique 
initiale,  et  module  à  la  dominante  du  ton  principal,  préparant  ainsi 
l'avènement  de  Vallegi^etto  final. 

Celui-ci  est  un  véritable  menuet,  quoiqu'affectant  la  forme  7'ondeau, 
à  )a  façon  de  certains  menuets  d'Haydn,  mais  il  dépasse  de  beaucoup 
ceux-ci  comme  intensité  expressive. 


LES  PREDECESSEURS  DE  BEF.TIIOVEN 


»«7 


Après  l'exposition  du  r(?//-<ii;/,  en/a  s,  le  premier  couplet  s'infléchit 
jusqu'à  la  dominante  dt  RÉ ^  et  le  retour  au  refrain  s'opère  au  moyen 
d'une  modulation  exquise  et  certainement  inouïe  à  cette  époque  ;  nous 
h  citerons  ici  en  entier  : 


l'S'^-- 


.  calando 


Cette  hésitation  du  fa  :  qui  consent  enfin  à  se  changer  en  ;«/' s  n'est-elle 
point  vraiment  délicieuse? —  Le  troisième  refrain  s'impose  alors,  cette 
fois  en  fa  s,  et  l'on  est  assez  surpris  de  reconnaître  dans  le  thème,  ainsi 
présenté  en  majeur,  celui  de  VAndante  favori  en  fa^  pour  piano,  que 
Beethoven  détacha,  en  180G,  de  la  Sonate  op.  53  pour  le  publier  à  part  : 


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3^ 


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Andante  (Beethoven) 


338 


LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉMIENNE 


La  I  2'  et  dernière  sonate,  en  RÉ,  est,  comme  la  précédente,  de  l'année 
1794.  Elle  passe  pour  avoir  été  dédiée  à  Gœthe,  qui,  pendant  son 
séjour  à  Dessau,  en  1776,  avait  fréquenté  et  fort  apprécié  Rust.  Lorsque 
le  poète  fut  de  retour  à  Weimar,  à  la  suite  de  son  voyage  en  Italie,  il 
écrivit  à  son  ami  Behrisch,  qui  habitait  Dessau,  de  saluer  de  sa  part 
«  le  grand  maître  Rust  »  (i).  Celui-ci,  transporté  de  reconnaissance  et 
ne  sachant  comment  s'acquitter,  pensa  que  le  plus  digne  remerciement 
serait  la  dédicace  d'une  belle  Sonate. 

L'œuvr-e  est  constituée  en  deux  parties  et  peut  se  placer  au  même 
rang  que  les  meilleures  œuvres  de  son  époqne  ;  l'heureux  choix  des 
thèmes,  toujours  très  musicaux,  la  fantaisie  du  développement  et  l'écri- 
ture beaucoup  plus  pleine  et  soignée  que  dans  les  pièces  du  commen- 
cement de  la  carrière  de  Rust,  en  font  une  oeuvre  de  premier  ordre,  et 
peut-être  la  plus  beethovénienne  de  ses  sonates. 

L'alternance  entre  le  thème  mélancolique  qui  ouvre  le  deuxième 
morceau  et  le  chant  éminemment  «  symphonie  pastorale  >»  qui  fait  la 
contrepartie,  donne  l'impression  d'une  esquisse  de  quelque  quatuor  du 
maître  de  Bonn,  tandis  que  la  péroraison  nous  mène  encore  plus  près 
de  nous,  jusqu'à  Schumann.  Enfin,  la  coupe  en  deux  morceaux,  forme 
favorite  des  derniers  temps  beethovéniens,  éloigne  davantage  cette  belle 
composition  des  ornières  formelles  et  conventionnelles  dans  lesquelles 
se  traînait  l'art  de  presque  tous  les  musiciens  de  cette  époque. 

Voici  la  construction  de  cette  sonate  : 


I.  Exp.  :  Thème  Qi.  en  RÉ. 
(^     Allegro 

.65 


mf 


*■  •  •     m       p 


m 


^^i  i-     l 


m 


^ 


Passage  de  transition,  conduisant  à  la  : 
deuxième    idée  (^  tn  LA  : 


(1)  Gœthe's  Jahrbuch,  vol.  Vli,  p.  ii8,  et  Vlll,  p.  i37,  édition  L.  Geiger,  1886. 


LES  PRÉDÉCESSEURS  DE  BEETHOVEN 


îjg 


2.  Partik  mkoiane  :  allant  de  RÉ  à  mi  ;  repos  en  mi  par  l'idée  (g). 

Développerrïent  delà   partie   terminale  de  (^,  aboutis- 
sant à  : 

3.  RÉExp.    régulière  des   2  thèmes,  avec  un  assez  long  point  d'orgue 

terminal. 

La  deuxième  et  dernière  pièce  de  la  sonate  consiste,  nous  l'avons  dit, 
en  une  intéressante  antithèse  entre  un  thème  grave  et  un  allegretto 
pastoral.  En  voici  la  construction  : 

1.  Th.  (X\  grave,  en  ré,  arrêté  sur  la  dominante. 
Th.  (||),  pastoral,  en  FA  ; 

2.  Th.  (/V,  en  sol,  s'infléchissant  vers  la  dominante  du  ton  principal  : 
Th.  (|i)  en  RE,  avec   une  conclusion  en  dépression  qui  rappelle 

d'assez  près  la  péroraison  des  Papillons  de  Schumann. 

Outre  les  perfectionnements  considérables  apportés  par  Rust  dans 
l'écriture  technique  de  l'instrument  à  clavier,  le  compositeur  de  Dessau 
tenta  de  nombreuses  innovations  visant  la  diversité  des  timbres.  Il  est 
vrai  de  dire  que  l'a  plupart  de  ces  recherches,  faciles  à  rendre  sur  le 
clavicorde  dont  la  mécanique  restait  toujours  à  découvert,  deviennent 
inexécutables  sur  nos  instruments  modernes,  si  parfaits  à  d'autres 
points  de  vue. 

A  l'appui  de  cette  assertion,  nous  pouvons  citer  la  9^  Sonate,  en  SOL^ 
dont,  malheureusement,  \q  finale  seul  offre  quelque  intérêt  musical. 

Au  cours  de  cette  œuvre,  que  précède,  dans  le  manuscrit,  une  assez 
longue  préface  explicative,  Rust  se  livre  à  diverses  imitations  :  timbales., 
timbales  avec  som^dine,  psaltérion,  et  er>6n,  sous  la  dénomination  : 
suoni  di  liuto,  il  y  fait  un  fréquent  usage  des  sons  harmoniques  obtenus, 
comme  sur  la  harpe,  au  moyen  d'un  doigt  de  la  main  droite  posé  sur  la 
partie  médiane  d'une  ou  de  plusieurs  cordes  ;  les  sons,  joués  par  la  main 
gauche,  sortent  ainsi  à  l'octave  supérieure  de  la  note  écrite. 

Au  reste,  notre  auteur  emploie  également  ces  sons  harmoniques  dans 
d'autres  œuvres,  notamment  dans  la  10®  sonate,  en  ut,  comme  si  le 
procédé  était  généralement  connu. 

Voici  des  exemples  de  l'écriture  dont  il  se  sert  pour  imiter  le  timbre 
du  psaltérion  et  pour  faire  sortir  les  sons  de  luth  (harmoniques). 

Psaltérion  : 

pizZi  ,  «enipre  pizz, 


tenute 


(t^'  Sonate.  —  Octobre   1791.) 


a'^0 


LA  SONATE  PRÉ  BEETHOVÉNIENNE 


L'accord  de  la  main  gauche  reste  soutenu  au  clavier,  tandis  que  les 
doigts  de  la  main  droite  se  promènent  légèrement  sur  les  cordes  cories- 
pondantes  de  l'accord  tenu. 

Sons  harmoniques  ; 


(harmoniques) 
Suoni   rli  li'i'o 


vr-rt 


^ 


@ 


Effet  à  Voreille 

■iM.m. 


M 


^ 


(lo*  ;>onate.  —  Finale.) 


Appuyer  légèrement  l'index  de  la  main  droite  à  mi-longueur  des 
cordes,  et  jouer  les  notes  écrites,  avec  la  main  gauche  seule. 

Tel  est,  dans  son  ensemble,  l'œuvre  de  piano  si  caractéristique  et  si 
primesautier  de  Rust,  à  qui  personne  assurément  n'osera  refuser  désor- 
mais le  titre  de  «  précurseur  ». 

Il  ne  restait  peut-être  qu'un  pas  à  faire  pour  pénétrer  dans  la  contrée 
symphonique  nouvelle,  dont  l'existence  avait  été  pressentie  déjà  par  de 
si  grands  musiciens...  mais  c'était  un  pas  de  géant. 

Seul,  Beethoven  pouvait,  d'un  génial  effort,  franchir  l'obstacle  et 
permettre  enfin  à  l'art  musical  d'entrer  dans  la  Terre  Promise. 


IV 
LA   SONATE 

DE    BEETHOVEN 


Technique.  —  f.  L'idée  musicale.  —  2.  Le  développement  et  la  modulation.  —  3.  Le  mou 
vement  initial  :  type  S.  —  4.   Le  mouvement  lent  :  type   L.  —  5.  Le  mouvement  modéré 
le  Menuet;  le  Scherzo  :  type  iM.  —  6.  Le   mouvement  rapide  ;  le  Rondeau   :  type   R.  — 
7.  Unité  de  la  Sonate  de  Beethoven. 

Historique.  —  8.  Chronolog  e  des  Sonates  de  Beethoven. —  9  Sonates  pour  piano:  première 
manière  (1796  à  1801).  —  10.  Sonates  pour  piano  :  deuxième  manière  (1801  à  i8i5).  — 
1 1.  Sonates  pour  piano  :  troisième  manière  (i8i5  à  1826).  —  12.  Sonates  pour  violon, 
violoncelle,  etc. 


TECHNIQUE 

I .  l'idée  musicale. 

La  Sonate,  telle  qu'elle  a  été  définie  au  précédent  chapitre  (p.  i53), 
conserve  avec  Beethoven  tous  ses  caractères  primordiaux  :  elle  ne  se 
compose  jamais  de  plus  de  quatre  pièces  différentes  ;  l'instrument  à 
clavier,  le  piano,  pour  lequel  elle  est  écrite,  joue  seul,  ou  en  qualité 
d'accompagnateur  d'un  instrument  récitant  (violon,  violoncelle,  etc.) 
jouant  seul'^  ses  pièces  constitutives,  dont  le  nombre  diminue  de 
plus  en  plus  tandis  que  leur  forme  progresse  et  se  renouvelle,  se  suC' 
cèdent  dans  un  ordre  logique  de  mouvements  différents  et  sont  reliées 
entre  elles  par  une  parenté  tonale  étroite  et  constante  ;  enfin,  la  coupe 
ternaire  y  apparaît  dans  toute  sa  perfection  et  y  supplante  presque 
entièrement  les  usages  et  les  formes  provenant  encore  de  la  Suite. 

Mais,  à  ces  caractères  permanents  de  la  Sonate  pré-beethovénienne 
viennent  s'en  ajouter  d'autres,  tellement  importants  et  tellement  spé- 
ciaux, qu'il  était  indispensable  d'en  faire  l'objet  d'une  étude  séparée  et 
approfondie. 

Les  dessins  contrapontiques  que  nous  avons  comparés  à  un  «  véhicule 
tonal  »  allant,  dans  l'ancienne  forme  Suite,  de  la  tonique   au  ton  voisin 


33a  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

pour  revenir  ensuite  à  leur  point  de  départ  (voir  ci-dessus,  p.  iio), 
s'étaient  élevés  déjà  au  rôle  de  thèmes.  Dans  la  forme  Sonate,  en  effet, 
ils  commençaient  à  se  différencier  plus  ou  moins  nettement  des  dessins 
accessoires  modulants  qui  les  reliaient  entre  eux,  ainsi  que  les  arches 
d'un  pont  relient  l'une  à  l'autre  les  deux  rives  d'un  cours  d'eau. 

Sous  l'impulsion  du  génie  beethovénien,  le  thème  va  s'accroître  dans 
de  telles  proportions,  il  prendra  tant  de  noblesse  et  de  puissance,  que  sa 
seule  énonciation  l'imposera  définitivement  à  Tentendement  et  à  la  mé- 
moire :  il  acquerra  ainsi  la  valeur  et  les  prérogatives  d'une  idée,  radieuse 
souveraine  des  vastes  domaines  symphoniques  où,  sans  jamais  cesser 
d'être  elle-même,  elle  pourra  revêtir  tour  à  tour  les  aspects  les  plus 
différents. 

Cette  idée,  véritable  être  organisé  musicalement  suivant  des  prin- 
cipes rythmiques,  mélodiques  ou  harmoniques  que  nous  allons  exa- 
miner, se  comporte  dans  l'œuvre  comme  toute  idée,  tout  être,  toute 
force  :  elle  agit.  Et  cette  action  spéciale  se  manifeste  par  un  procédé 
nouveau,  que  pressentirent  déjà  les  précurseurs  immédiats  du  maître 
de  Bonn  :  le  développement,  soumis  aux  lois  immuables  des  i-elations 
tonales  et  des  modulations,  c'est-à-dire  aux  moyens  harmoniques  d''ex- 
pression  dont  le  mécanisme  a  été  sommairement  indiqué  déjà  au  Premier 
Livre  de  ce  Cours  (i),  mais  dont  le  fonctionnement  complexe  nécessi- 
tait une  étude  détaillée  qui  va  trouver  ici  sa  place  logique  et  légitime. 

Car  les  idées  musicales,  leurs  développements  et  leurs  modulations 
constituent  autant  d'éléments  nouveaux  ou  renouvelés  dont  l'art  sym- 
phonique  tout  entier  est  redevable  à  Beethoven  principalement,  sinon 
exclusivement.  Mais,  comme  la  forme  Sonate  a  bénéficié  plus  que  toute 
autre  (et  peut-être  avant  toute  autre),  de  ces  véritables  «  apports  per- 
sonnels »  du  maître,  il  convient  de  les  bien  connaître  en  eux-mêmes, 
afin  d'apprécier  leur  gigantesque  répercussion  sur  chacun  des  types 
fondamentaux  des  ^wa/re  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  et  sur  l'unité  syn- 
thétique de  cette  forme  de  composition. 

Avant  de  poursuivre  cette  étude,  qui  fera  l'objet  du  présent  chapitre, 
nous  considéreronsdoncles/^mmw5/ca/^s,  en  elles-mêmes,  puisqu'aussi 
bien  (c'est  Beethoven  qui  nous  le  dit),  «  en  musique,  tout  procède  de 
Vidée  et  tout  y  retourne  »  (2). 

Eléments  de  l'idée  musicale.  —  «  L'idée  est  une  étincelle  volée  à  l'in- 
fini. »  Cette  image  poétique  de  Vidée,  prise  dans  son  sens  général,  peut 
s'appliquer  à  Vidée  musicale  mieux    peut-être  qu'à  toute   autre  :  «  la 


(i)  Voir  l"  liv.,  ch.  viii. 

(2)  Bettina  Brentano,  Conversation»  avec  Beethoven. 


L'IDÉE  MUSICALE  ,33 

musique  n'est-elle  pas  le  lien  qui  unit  la  vie  de  Tesprit  à  la  vie  des  sens, 
l'unique  introductrice  au  monde  supérieur,  à  ce  monde  qui  embrasse 
l'homme,  mais  que  Thomme  ne  saurait  embrasser  ?  »  (i). 

Ainsi  s'exprime  encore  Beethoven,  qui  va  même  jusqu'à  appeler  un 
jour  la  philosophie  un  «  dérivé  »  de  la  musique  (2). 

Quoi  qu'il  en  soit  de  l'idée  en  général  et  de  l'idée  musicale  en  parti- 
culier, au  point  de  vue  purement  philosophique,  il  ne  nous  appartient 
pas  de  discuter  ici  les  diverses  définitions  qui  sont  proposées  pour 
l'une  ou  pour  l'autre  par  les  «  spécialistes  »  (3).  A  les  bien  examiner, 
d'ailleurs,  on  serait  tenté  de  les  rejeter  toutes  :  il  ne  s'agit  point  ici,  en 
effet,  des  idées  en  tant  que  «  représentations  d'objets  »  ;  de  telles  idées 
n'ont  rien  de  commun  avec  les  idées  musicales,  lesquelles,  on  ne  sau- 
rait trop  insister  sur  ce  point,  expriment  des  sentiments  ou  des  im- 
pressions, mais  ne  peuvent  eii  aucun  cas  représenter  des  objets  (4}.  Les 
définitions  du  mot  idée,  pris  dans  cette  acception,  sont  donc  totalement 
étrangères  à  la  question  et  n'ont  rien  de  commun  avec  la  notion 
d'infini.  Quant  à  celles  qui  présupposent  cette  notion  nécessaire,  ne 
révèlent-elles  pas,  par  cela  même,  l'impossibilité  radicale  d'une  défini- 
tion adéquate  ?  Peut-on  assigner  des  limites  à  ce  qui  n'en  a  pas,  définir 
ce  qui  est  infini,  comprendre  ce  qui  excède  infiniment  les  bornes  inhé- 
rentes à  notre  nature  humaine  ?  (5). 

Toutefois,  si  cette  compréhension  nous  est  totalement  interdite,  ne 
pouvons-nous  nous  élever  à  une  connaissance  tout  imparfaite  et  relative 
de  cette  «  étincelle  volée  à  l'infini  »,  de  cette  idée  musicale,  immaté- 
rielle et  inaccessible  en  son  essence,  mais  revêtue  pourtant  de  formes 
concrètes  qui  la  mettent  à  la  portée  de  l'intelligence  ? 

Considérée  dans  sa  forme  et  dans  sa  fonction  d'organe  vivant  conte- 
nant la  seule  raison  d'êtt^e  de  toute  composition.  Vidée  musicale,  au 
contraire,  peut  et  doit  faire  le  sujet  de  quelques  réflexions  utiles,  sinon 
nécessaires.  Cet  être  agissant  conserve,  en  effet,  dans  l'état  de  perfec- 
tion auquel  l'a  élevé  le  souffle  créateur  de  Beethoven,  les  éléments  ori- 
ginels de  la  mélodie  de  tous  les  temps  :  il  est  fait   de  groupes    rythmi- 

(i)  Bettina  Brentano,    Conservations  avec  Beethoven. 

(2)  Ibid.  «  La  musique,  dit  un  jour  Beethoven  à  Bettina,  est  un  terrain  dans  lequel  l'es- 
prit vit,  pense  et  fleurit  :  la  philosophie  n'est  qu'une  conséquence  ou  un  dérivé  de  la 
musique  I  » 

(3)  Constatons  ici,  uni  fois  de  plus,  l'-nsouciantc  ignorance  du  <<  philosophe  »  Littré  en 
matière  de  musique  et  d'art  : 

«  Idée  musicale  :  trait  de  chant  qui  se  présente  à  l'esprit  du  compositeur  avec  tous  les 
accessoires  qu'il  comporte  ».  (Dictionnaire.)  Cette  «  définition  »  est  donnée  dans  un  para- 
graphe de  l'article /dt'e,  mais  pas  dans  celui  où  il  est  question  de  Vœuvre  d'artl 

(4)  Voir  lef  liv.,  Introd.,  p.  i2. 

(5)  «  Une  idée  est  un  mode  de  l'àme,  et,  comme  nous  ne  savons  pas  ce  que  l'àme  est  en  elle- 
même,  nous  ne  savons  point  non  plus  ce  qu'un  mode  de  l'àme  est  en  lui-mâme.  »  (Ch. 
Bonnet,  Essai  analytique  sur  les  facultés  de  l'àme,  chap.  vm.) 


334  LA    SONATE  DE  BEETHOVEN 

ques  accentués,  de  périodes^  de  phrases  qui  se  meuvent  dans  des  toua- 
lités  (i)  ;  il  y  a  donc  lieu  d'examiner  ce  que  contiennent  cgs  groupes, 
véritables  cellules  organiques,  cesjt?er/oies  hiérarchiquement  ordonnées, 
ces  phrases  éminemment  expressives  et  émouvantes.  Et  l'on  procédera 
ici  comme  on  l'a  fait  précédemment  pour  le  rythme  et  la  mélodie  :  en 
partant  de  l'élément  premier,  du  minimum  indimsible  qu'on  pourrait 
appeler  la  cellule  ou  le  germe  de  l'idée. 

La  Cellule.  —  En  réduisant  le  rythme  à  sa  plus  simple  expression, 
nous  avons  constaté  qu'il  était  contenu  dans  «  le  plus  petit  groupe  indi- 
visible d'une  succession  de  sons  (2)  ».  C'est  l'indivisibilité  ou  l'irréducti- 
bilité qui  spécifie  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  cellule  ou  monade.  La 
cellule  thématique  dont  nous  parlons  ici  diffère  de  la  cellule  rythmique 
en  ce  qu'elle  peut  être  aussi  bien  mélodique  ou  harmonique,  mais  tou- 
jours sous  la  condition  expresse  de  demeurer  irréductible,  c'est-à-dire 
d'avoir  atteint  le  degré  de  simplification  à  partir  duquel  toute  subdivi- 
sion entraîne  nécessairement  la  destruction. 

De  même  que  la  cellule  vivante  contient  le  germe,  ainsi  la  cellule 
musicale  contient,  en  quelque  sorte,  le  motif  {"i).  Dans  l'un  et  l'autre  cas, 
le  contenant  est  indissolublement  lié  au  contenu  :  ni  l'un  ni  l'autre  ne 
se  peut  concevoir  isolément.  Il  ne  saurait  y  avoir  de  cellule  sans  motif., 
musicalement  parlant,  et  la  décomposition  de  l'un  ou  de  l'autre,  ou 
même  leur  séparation,  sous  prétexte  d'analyse,  paraîtra  à  juste  titre 
inintelligible,  sinon  inintelligente  (4).  Qu'il  nous  suffise  de  constater 
l'existence  du  wo/// inclus  nécessairement  dans  la  cellule,  et  d'examiner 
la  fonction  de  celle-ci  dans  \ts  périodes  et  les  phrases  auxquelles  elle 
donne  naissance. 

La  Période. — De  même  que  les  groupes  rythmiques  coopèrent, 
par  leur  combinaison  régulière  et  ordonnée,  à  l'élaboration  de  la 
période  mélodique,  ainsi  les  cellules,  en  se  reproduisant  à  divers 
intervalles  ou  sur  divers  degrés,  apportent  a  la.  période  initiale  d'une 
phrase   musicale   tous  les  attributs   rythmiques,  mélodiques  et   har- 


(i)  Voir  I*'  liv.,  chap.  ii,  pages  33  et  suiv. 

(2)  Ibid.,  chap.  1,  p. 26. 

(3)  Motif  est  pris  ici  dans  son  sens  exact,  impliquant  comme  son  radical  mot  {mottim,  de 
moveo,  je  meus)  l'idée  de  mouvement,  d'impulsion  première,  de  vie.  Tant  de  choses  diffé- 
rentes ont  été  improprement  qualifiées  en  musique  de  a  motifs»  que  nous  serons  amenés 
dans  la  pratique  à  prendre  bien  souvent  le  contenant  pour  le  contenu  et  à  nous  servir  du 
mot  cellule. 

(4)  Un  tel  système  de  décomposition  a  pourtant  rencontré  dans  tous  les  temps  et  dans  tous 
les  domaines  d'ingénieux  adeptes,  qui  s'obstinent  à  vouloir  analyser  ce  qui  ne  se  décom- 
pose pas  et,  par  une  prétention  toujours  orgueilleuse  sinon  hypocrite,  appellent  cela  «  la 
science»!  Curieuse  aberration  de  l'esprit  humain  qui,  sous  prétexte  de  ne  croire  que  ce 
qu'il  sait,  aboutit  ainsi,  infailliblement,  à  ne  plus  savoir  ce  qu'il  croit. 


L'IDKE  MUSICALE  333 

moniques  qui  la  caractérisent  et  lui  confèrent  le  rôle  principal  dans 
la  genèse  de  l'idée. 

Cette  période  principale  contient  le  thème  {]) générateur,  de  même  que 
la  cellule  contient  le  motif.  Ici  encore,  le  contenant  est  lié  nécessairement 
au  contenu  :  il  n'y  a  pas  de  période  principale  sans  thème  générateur. 

Leur  fonction  commune  est  d'engendrer  les  autres  périodes,  con- 
tenant les  autres  éléments  du  thème  ;  celles-ci  apparaissent  en  ordre 
logique,  à  la  suitedela  période  principale,  ou,  si  l'on  veut,  génératrice; 
elles  la  complètent,  la  précisent  ou  l'amplifient,  remplissant  ici  la  fonc- 
tion de  périodes  secojidaires  ou  incidentes. 

La  Phrase.  —  La  succession  ordonnée  de  la  période  principale  ou 
génératrice  et  des  périodes  secondaires  constitue  la  phrase.,  c'est-à-dire 
renonciation  de  Vidée  musicale. 

La  phrase  contient  Vidée.,  au  même  titre  que  la  période  principale 
contient  le  thème  générateur  et  que  la  cellule  contient  le  motifs  tou- 
tefois, si  le  motif  est  toujours  ^entièrement  inclus  dans  la  cellule,  et  le 
thème  dans  la  période, l'idée  musicale  n'est  pas  nécessairement  énoncée 
par  une  seule  phrase.  L'énonciation  intégrale  de  Vidée  nécessite  parfois, 
au  contraire,  deux  et  même  trois  phrases  dont  l'une,  la  principale,  con- 
tient la  partie  essentielle  de  l'idée. 

Il  ne  peut  donc  y  avoir,  musicalement  parlant,  de  phrase  sans  idée, pas 
plus  qu'il  ne  peut  y  avoir  de  période  sans  thème, ni  de  cellule  sans  motif. 

La  phrase,  la  période  et  la  cellule  sont  entre  elles  pareillement  dans 
une  étroite  dépendance  :  il  n'y  a  pas  de  phrase  sans  période,  ni  de 
période  sans  cellule  :  chacun  de  ces  trois  éléments  procède  en  quelque 
sorte  des  deux  autres,  et  leur  ensemble  nous  apparaît  comme  une 
véritable  trinité  dans  l'unité. 

Ce  principe  constitutif  de  Vidée  musicale  n'a  point  cessé  d'être 
appliqué  depuis  Beethoven.  Wagner  et  Franck,  qui  furent,  après  lui, 
les  plus  grands  créateurs  dans  le  domaine  musical,  n'ont  jamais  tenté 
de  modifier  l'ordre  et  la  hiérarchie  existant  entre  la  cellule.,  la  période 
€t  la  phrase  :  il  est  aisé  de  le  constater  par  quelques  exemples  em- 
pruntés à  leurs  œuvres  (2). 

(i)  Thème  est  pris  ici  (comme  précédemment  le  terme  motif]  dans  son  sens  vrai,  lequel 
implique  l'idée  de  placer,  de  poser  quelque  chose  (6i[jia,  de  '''^'ir.i^'-,  je  pose). 

Le  thème  est  proprement  f  ce  qui  est  posé»,  ce  qui  est  mis  là  dans  un  but  déterminé  (celui 
d'engendrer  l'œuvre)  ;  tandis  que  le  motif,  c'est  t  ce  qui  met  en  mouvement  »  la  raison  d'être. 

L'abus  qu'on  a  fait  de  ces  termes  excellents  nous  obligera  souvent  pour  plus  de  clarté  à 
subsi'nuer  période  à  thème,  comme  nous  substituerons  cellule  à  motif. 

(2)  Les  singulières  «  analyses  thématiques  »  qu'on  distribue  encore  de  nos  jours  dans 
les  concerts,  sous  prétexte  d'aider  à  la  compréhension  d'ouvrages  symphoniques 
nouveaux  (ou  même  anciens^  donnent  à  penser  néanmoins  qu'il  règne  dans  l'esprit  de 
beaucoup  de  compositeurs,  et  surtout  de  «  musicographes  »,  une  imprécision  déplorable, 
relativement  à  l'idée   musicale  et  à  ses  éléments. 


236 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


lo  Le  rythme  étant  l'élément  primordial  de  toute  manifestation 
musicale,  les  cellules  et  périodes  de  caractère  principalement  ou 
exclusivement  rythmique  sont,  de  beaucoup,  les  plus  fréquentes  :  chez 
Beethoven  notamment,  la  plupart  des  périodes  génératrices  initiale* 
sont  d'ordre  rythmique'^  celle  de  la  Sonate  de  piano,  op.  io6,  est 
particulièrement  remarquable  à  cet  égard  : 


A119 


m 


(a')    cellule 
rythmique 


^ 


Jf 


ï 


(a'  bis) 


(  mélodique  ) 

*    i    ^ 


È 


4-1^ 


^-JL 


^ 


p   p 


Pe'riode  génératrice 


la  ce//«/e  primitive  indivisible  {a)  se  répète  une  seconde  fois  à  l'octave  supé- 
rieure {a  bis)  et  donne  naissance  à  la- formule  mélodique  (a")  qui  termine  la 
période  génératrice;  celle-ci  se  répétera  deux  fois  aussi,  et  la  période  secon- 
daire qui  apparaîtra  ensuite  sera  faite  de  cette  même  formule  mélodique  {a"), 
comme  on  le  verra  ci-après,  p.  264. 

La  V^  Symphonie,  op.  67,  commence  également  par  une  période 
géné?^at7'ice,  d'ordre  rythmique  ;  mais  la  cellule,  au  lieu  de  faire  partie  de 
la  période,  comme  dans  l'op.  106,  est  énoncée  séparément  et  préala- 
blement, à  deux  reprises  différentes  : 


Ail? 


à 


(a)  cellule 
rythmique 


(a  bisj 


S 


fa   :    '.    ! 

'  •  •  • 


// 


— m 

z> 

a 

Période    génératrice 


la  cellule  rythmique  contenant  le  motif  {a)  s'expose  une  seconde  fois  [a  bis)  ; 
la  période  génératrice  (faite  de  a'  a"  a'")  s'expose  ensuite  et  se  répétera  sur 
divers  degrés. 

2°  La  VP  Symphonie  [Pastorale)^   op.  68,  au  contraire,  débute  par 
une  période  génératrice  d'ordre  éminemment  mélodique  : 


Ail? 


Cellule 
mélodique 


P 


Période    génératrice 


la  cellule  mélodique,  contenant  vraiment  le  motif  ou  le  germe  de  tous  les 
développements  ultérieurs,  ne  pourrait  être  ici  séparée  de  la  période 
génératrice,  même  pour  les  besoins  de  l'analyse. 


L'IDÉE  MUSICALE 


237 


Cette  période  mélodique  offre,  à  peu  de  chose  près,  le  caractère  tonal 
d'un  su/et  simple  (voir  ci-dessus,  p.  Sg)  :  les  seules  notes  qui  y  excèdent 
l'intervalle  de  quinte  {tonique-domina?ite)  ne  portent  aucun  accent  (i), 
et  peuvent  être  supprimées  sans  altérer  gravement  la  mélodie,  dont 
l'expression  calme  et  reposante  a  pour  principale  cause  cette  étendue 
restreinte  : 


Un  autre  exemple  de  l'ordre  mélodique   est  contenu  dans  la  période 
génératrice  de  la  Sonate  pour  piano  et  violon  de  G.  Franck  ; 


cellule 
mélodique 


^^ 


Pe'riode   génératrice 


cette  cellule  mélodique,  diVec  son  accent  expressif  sur  la  seconde  note  f/j  2), 
contient  ici  le  motif  ou  le  germe  de  l'œuvre  entière  :  c'est  une  véritable 
cellule  cyclique,  comme  on  la  verra  au  chapitre  v,  ci-après. 

3*  11  existe  enfin  certaines  cellules  qu'on  peut  véritablement  appeler 
harmoniques^  parce  que  leur  ligne  mélodique,  ou  même  leur  rythme, 
ne  peuvent  être  isolés  des  mélodies  simultanées  qui  les  accompagnent 
nécessairement,  sans  perdre,  par  cela  même,  toute  leur  signification 
expressive  :  la  cellule  initiale  de  la  Sonate,  op.  81  {Lebeivolil),  peut  être 
considérée  comme  un  spécimen  de  cet  ordre  : 


Adagio 


* 


cellule 
harmoinque 


:fct= 


la  cellule  ne  consiste  ni  dans  le  rythme  des  trois  noires,  ni  dans  la  mélodie 
supérieure  (sol,  fa,  mi  b),  ni  dans  la  mélodie  inférieure  (m«  t>,  sii>,  sol)  exclu- 
sivement, mais  dans  la  superposition  harmonique  de  ces  deux  mélodies 
simultanées. 

Un  autre  exemple,  plus  frappant  encore,  de  cellule  ou  de  motif  pu- 
rement harmonique,  se  trouve  au  début  de  Tristan  und  Isolde  de 
R.  Wagner  ; 


(i)   Voir  I"  iiv.,  p.  33    et  34,  les  observations  relatives  à  l'accentuation   vraie   de  cette 
période  génératrice. 


236 


L\  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Lento  e  languido 


dans  ce  «  thème  de  l'enchantement  '  d'amour  »,  pour  nous  servir  ici  de  la 
regrettable  nomenclature  en  usage,  la  cellule  principale,  qui  apparaît  après 
la  cellule  secondaire,  ne  consiste  pas  dans  la  ligne  mélodique  écrite  à  la 
partie  supérieure  :  ce  fragment  chromatique,  isolé  de  ses  harmonies  très 
spéciales,  n'aurait  aucune  signification  musicale  déterminée  :  le  véritable 
motif  est  donc  contenu  dans  ces  harmonies,  lesquelles  constituent  la  cellule. 

Ces  motifs  ha7^jno7iiques,  liés  généralement  à  une  intention  drama- 
tique, procèdent  souvent,  comme  l'exemple  ci-dessus,  d'artijïces 
harmoniques  (altérations,  retards,  appoggiatures)  qui  sont  rendus  plus 
ou  moins  Jiécessaires  par  la  modification  accidentelle  qu'ils  introduisent 
dans  l'harmonie  naturelle  des  fonctions  tonales  (i). 

Une  même  période  génératrice  peut  contenir,  d'ailleurs,  des  cellules 
d'ordre  différent  :  la  cellule  secondaire,  qui  est  placée  au  début  de  ce 
dernier  exemple  harmonique,  appartient  plutôt  à  VovàïQ  jnélodique ,  de 
même,  le  fragment  {a")  qui  termine  la  période  initiale  de  la  Sonate  de 
Beethoven,  op.  io6  (voir  ci-dessus,  p.  236),  ajoute  à  ce  thème  éminem- 
ment rythmique  un  élément  mélodique  appelé,  comme  on  le  verra  ci- 
après  (p.  264  et  269),  à  relier  cette  période  génératrice  aux  périodes 
secondaires  qui  la  suivront^  et  même  à  la  seconde  idée  du  même  mou- 
vement de  la  Sonate. 

Il  faudrait  bien  se  garder  de  croire,  en  effet,  que  les  six  exemples  ci- 
dessus  contiennent  des  idées  entières  :  lorsqu'on  étudiera  l'exposition 
complète  de  ce  premier  mouvement  de  la  Sonate  op.  106  (voir  ci-après, 
p.  264  et  suiv.),  on  se  rendra  compte  de  la  très  petite  place  occupée  par 
la  période  initiale  qui  contient  le  thème  générateur  proprement  dit,  rela- 
tivement à  Vidée  musicale  entière.  Et  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  cette 
idée  soit  l'une  des  plus  longues  qu'on  rencontre,  même  dans  les  Sona- 
tes de  piano  de  Beethoven  :  la  seconde  idée  du  même  morceau  atteint 
soixante  mesures  environ,  c'est-à-dire  plus  du  triple  de  la  première. 

Genèse  de  l'idée  musicale.  —  Il  faut  conclure  de  ce  qui  précède  que 
Vidée  musicale,  sorte  de  floraison  des  thèmes  issus  des  motifs,  ne  doit 


(1)  Voir  I'^'  liv.,  p.  117,  la  note  relative  à  i'analyse  harmonique  de   ce  même  thème  chro- 
matique de  Tristan  und  Isolde, 


L'IDEE  MUSICALE  239 

pas  être  confondue  avec  ses  éléments^  pas  plus  que  la  cellule  ne  doit 
être  confondue  avec  lo.  période,  ni  celle-ci  avec  la  phrase. 

Logiquement,  c'est  le  motif  qui  doit  engendrer  le  thème,  ou,  pour 
nous  servir  de  la  terminologie  précédemment  adoptée,  c'est  la  cellule 
qui  engendre  la  période  ;  mais  cette  opération  latente  se  fait  incons- 
ciemment dans  la  plupart  des  cas,  et  c'est  pourquoi  nous  avons  appelé 
période  génératrice  celle  qui  se  présente  ordinairement  à  l'esprit  du 
compositeur  en  totalité.^  et  non  par  fragments  successifs,  sauf  à  subir 
ensuite  de  profondes  modifications,  volontaires  et  conscientes. 

La  fonction  de  cette  pério  le  consiste  en  efl'et  à  engendrer  la  phrase, 
ou  les  phrases  qui  expriment  l'idée  ;  et  cette  seconde  opération  n'est 
jamais  l'effet  du  hasard,  du  pur  instinct  ou  de  ce  qu'on  est  convenu 
d'appeler  «  l'inspiration  ».  Pour  exprimer  l'idée,  pour  mettre  en  valeur 
cette  «  étincelle  volée  à  l'infini  »,  cette  parcelle  d'or  pur  enclose  en  la 
période  génératrice,  un  travail  plus  ou  moins  long,  un  elfort  plus  ou 
moins  pénible,  sont  toujours  nécessaires.  Rude  et  noble  tâche,  qui 
consiste  à  parfaire  cet  embryon  thématique,  à  le  doter  de  tous  ses 
organes  essentiels,  à  le  garder  jalousement  dans  le  lieu  tonal  qui  Ta 
vu  naître,  en  le  soustrayant  aux  tentations  modulantes  »  du  dehors, 
qui  le  soumettraient  prématurément  aux  redoutables  luttes  des  «  trans- 
lations tonales  »  avant  qu'il   soii  suffisamment  affermi  sur  ses  bases. 

Écoutons  encore  Beethoven  répondant  un  jour  à  Bettina  Brentano 
qui  lui  demandait  comment  viennent  les  idées  musicales  :  «  Du  foyer 
de  l'enthousiasme,  dit-il  (i),  je  laisse  échapper  la  mélodie;  je  la  pour- 
suis ;  haletant,  je  la  rejoins  ;  elle  s'envole  de  nouveau,  elle  disparaît, 
elle  plonge  dans  un  chaos  d'émotions  diverses.  Je  l'atteins  encore,  je  la 
saisis  ;  plein  de  ravissement,  je  l'étreins  avec  délire  :  rien  ne  peut 
plus  m'en  séparer.  Je  la  multiplie  alors  par  les  modulations  (2I  et,  enfin, 
)e  triomphe  de  la  première  idée  musicale...  Ceci  est  toute  la  symphonie.  >» 

Cette  mélodie  que  l'auteur  «  étreint  avec  ravissement  »,  c'est  ce 
que  nous  avons  appelé  la  période  génératrice.  Mais  cette  période 
contient-elle  toute  Vidée  ?  le  travail  du  compositeur  s'arrète-t-il  là  ? 
Non,  certes  ;  et  nous  n'en  voulons  pour  preuve  que  les  cahiers  d'es- 
quisses de  Beethoven,  où  apparaît  en  maint  endroit  ce  long  travail 
de  la  «  multiplication  du  thème  »,  précédant  parfois  de  plusieurs 
années  le  «  triomphe  »  laborieusement  conquis  de  la  «  première 
idée  musicale  ».  Et  cette  idée,  une  fois  organisée  complètement,  cons- 

(i)  Bettina  Brentano,  Conversations  avec  Beethoven,  p.  8i). 

(2)  La  lecture  des  Cahiers  d'Esquisses,  recueillis  par  Nottcbohin.monire  bien  que  le  mot 
«  modulation  »  employé  ici  par  Bettina  pour  traduire  la  pensée  de  Beethoven  n'est  pas 
exact,  car  on  ne  trouve  jamais  chez  lui  du  véritable  modulation  dans  l'exposition  de  ses 
idées  musicales. 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

titue  vraiment  pour  lui  «  toute  la  symphonie  »,  car  les  développements, 
dont  on  ne  trouve  presque  aucune  trace  dans  ses  cahiers,  devaient  lui 
coûter  d'autant  moins  de  peine  que  ses  idées  avaient  été  plus  longue- 
ment préparées  et  combinées,  au  prix  de  soucis  et  d'émotions  diverses. 

Pourquoi  donc  entend-on  si  souvent  des  œuvres  musicales,  d'ailleurs 
estimables,  où  s'exposent,  au  lieu  d'idées  complètes,  de  simples  pét^iodes 
o-énérairices  ?  N'en  faut-il  pas  rendre  responsable  cette  erreur  si  répan- 
due qui  voit  dans  r«  inspiration  »  un  moyen  de  sf  soustraire  à  toute 
loi,  à  toute  contrainte,  et,  dans  les  grands  génies  de  tous  les  temps,  des 
êtres  plus  ou  moins  déséquilibrés  et  toujours  dispensés  de  toute  étude 
et  de  tout  travail  préalable?  Comme  si  leurs  magistrales  idées  s'étaient 
jamais  présentées  à  leur  esprit  de  prime  abord  dans  toute  leur  perfec- 
tion !  Comme  si  l'on  était  en  voie  de  leur  ressembler  lorsqu'on  dédaigne 
de  connaître  leurs  ouvrages,  et  qu'on  écrit  plus  ou  moins  spontané- 
ment une  petite  période  génératrice...  qui  n'engendrera  rien  sans  un 
effort  volontaire.  Seul,  en  effet,  l'effort  patient  et  réfléchi  peut  amener 
cette  brève  période  satisfaisant  déjà  la  vanité  de  son  auteur,  sinon  sa 
paresse,  à  la  conquête  de  l'idée  entière.  Et  chez  Beethoven,  lui-même, 
les  idées  musicales,  si  simples  qu'elles  puissent  nous  paraître,  échappent 
bien  rarement  à  cette  loi. 

Les  premières  esquisses  de  l'idée  du  finale,  dans  la  IX^  Symphonie, 
remontent  à  1807,  c'est-à-dire  à  quinze  ou  seize  ans  avant  la  compo- 
sition de  ce  chef-d'œuvre.  Dans  le  Rondeau  fameux  connu  sous  le  nom 
de  «  l'Aurore  »,  sans  qu'on  ait  jamais  bien  su"  pourquoi,  le  thème  du 
Refrain  ne  subit  pas  moins  de  six  ou  sept  retouches,  avant  d'acquérir 
sa  ligne  mélodique  définitive,  et  la  première  de  ces  esquisses  est  anté- 
rieure de  plusieurs  mois,  d'un  an  peut-être,  à  la  composition  de  la 
Sonate,  op.  53,  dont  ce  Rondeau  devint  le  finale  (i).  Ce  Refrain,  d'as- 
pect si  prime-sautier,  ne  conserve  nulle  trace  d'un  tel  effort  préalable 
accompli  avec  tant  de  conscience  artistique  par  le  génial  symphoniste. 
Et  pourtant,  par  une  décevante  ironie  des  choses,  il  arrivera  souvent 
que  l'auditeur  naïf  louera  la  «  charmante  facilité  »  d'une  idée  musicale 
si  lentement  et  si  péniblement  élaborée,  tandis  qu'il  trouvera»  difficiles 
ou  compliquées  »  quelques  successions  modulantes  écrites  sans  grand 
effort,  à  l'aide  d'une  petite  période,  plus  embryonnaire  que  génératrice  I 

Ainsi,  la  conscience  artistique  (2)  intervient  encore  pour  nous  imposer 
la  loi  inéluctable  de  l'effort  dans  cette  sorte  d'enfantement  intellectuel 
de  l'idée  musicale,  comme  elle  intervient  pour  guider  notre  choix  de  la 


(i)  Nous  citerons  plus  loin,  dans   la   section  historique  du    présent  chapitre  (p.  353),  les 
esquisses  les  plus  caractéristiques  de  ce  thème, 
(a)  Voir  I"  liv.,  Introd.,  p.  14. 


LE  DÉVELOPPEMENT  ET  L^  MODULATION  34, 

forme  de  composition  que  cette  idée  est  appelée  à  vivifier,  ou  de  la 
place  qu'elle  doit  occuper  dans  l'œuvre. 

Car  toutes  les  idées  musicales  n'ont  point  la  même  destination  :  il  y 
a  des  idées  dramatiques  et  des  idées  symphoniques  ;  et,  parmi  celles-ci, 
des  idées  de  sonates,  des  idées  de  symphonies  ou  de  quatuors  à  cordes. 
Le  discernement  entre  les  unes  et  les  autres,  entre  leurs  caractéris- 
tiques et  leurs  aptitudes  diverses,  sera  facilité,  nous  l'espérons,  par  la 
suite  de  ce  Cours  de  Composition. 

Dans  la  Sonate  même,  les  idées  initiales  diffèrent  des  secondes  idées  ; 
les  mouvements  lents,  modérés  ou  rapides,  ont  aussi  leurs  idées  musi- 
cales spéciales  :  les  qualités  distincîives  des  unes  et  des  autres  apparaî- 
tront mieux,  au  fur  et  à  mesure  qu'on  étudiera  ci-après  les  quatre 
types  traditionnels  des  mouvements  de  la  Sonate  (S.  L.  M.  R.). 

Mais,  quelle  que  soit  la  destination  de  l'idée,  sa  qualité  essentielle 
lors  de  son  exposition,  c'est  l'immobilité  tonale.  Véritable  personnage 
vivant,  elle  se  présente  à  nous  dans  un  lieu  déterminé,  et  ce  lieu,  c'est 
sa  tonalité  propre  :  il  est  donc  de  toute  nécessité  qu'elle  s'y  expose 
intégralement,  avant  d'en  sortir  pour  accomplir  sa  mission,  laquelle 
consiste  à  développer  la  vie  dans  toute  l'œuvre,  à  moduler,  à  agir,  en  un 
mot,  suivant  certaines  lois  immuables  auxquelles  Beethoven  lui-même 
n'a  pas  craint  de  se  soumettre. 

2.   LE    DÉVELOPPEMENT    ET  LA    MODULATION. 

Le  Développement  est  l'expression  logique  et  ordonnée  des  mou- 
vements et  des  états  successifs  par  lesquels  passent  les  divers  éléments 
constituant  l'idée  musicale  précédemment  exposée  :  c'est  donc,  à  pro- 
prement parler,  l'action  des  thèmes  et  des  idées,  et,  par  conséquent, 
leur  raison  d'être,  car  une  idée  ne  vaut  que  par  l'action  qu'elle  est  sus- 
ceptible d'exercer. 

Lorsqu'il  y  a  plusieurs  idées  musicales  dans  une  même  pièce,  comme, 
par  exemple,  dans  la  forme  Sonate,  le  développement  exprime  généra- 
lement toutes  les  phases  d'une  lutte  entre  elles,  avec  le  triomphe  final 
de  l'une,  la  soumission  de  l'autre,  soit  qu'elle  disparaisse  entièrement 
devant  l'idée  victorieuse,  soit  qu'elle  se  transforme  sous  son  autorité  et 
semble  se  façonner  peu  à  peu  à  sa  ressemblance  (i). 

Si,  au  contraire,  l'idée  vivante  est  unique,  ainsi  qu'il  arrive  dans 
la  forme  Lied,  le  développement  offrira  plutôt  l'image  d  une  lutte 
entre  des  sentiments  différents  ou  opposés,  dans  l'âme  de  cet  être 
idéal,  qui   leur  obéit    tour  à    tour    et  se  modifie    sous  leur  influence. 

(i  )  La  Sonate,  op.  90,  co  r.ient  un  exe  nple  de  cette  sorte  de  transformation,  comme  on  le 
▼erra  ci-après  (p.  338). 

COLRS    DE    COMPOSITION.     —    T.    U,     I.  l6 


»43  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Toujours  est-il  que  dans  tous  les  développements,  qu'ils  appar- 
tiennent à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces  deux  catégories,  les  thèmes  se  com- 
portent comme  des  personnages  vivants  :  ils  agissent  et  se  meuvent 
suivant  leurs  tendances,  leurs  sentiments  et  leurs  passions.  Et  ces  mo- 
difications diverses  se  révèlent,  soit  dans  les  éléments  thématiques 
qui  s'agrandissent  comme  pour  se  surpasser  ou  se  restreignent  comme 
pour  s'absorber  en  eux-mêmes,  soit  dans  leurs  trajectoires  tonales 
qui  s'orientent  vers  la  lumière  ou  vers  l'obscurité. 

D'où  il  suit  que  les  phénomènes  du  développement  sont  de  deux 
ordres  différents,  selon  qu'ils  affectent  les  thèmes  et  les  idées  dans  leurs 
organes  constitutifs,  ou  dans  leur  situation  tonale  respective. 

Développement  organique.  —  De  même  que  les  éléments  thématiques 
constituant  l'idée  musicale  (voir  ci-dessus,  p.  236  et  suiv.),  les  déve- 
loppements auxquels  elle  donne  lieu  peuvent  être  rythmiques,  mélodi- 
ques ou  harmoniques. 

Un  développement  r^'/^m/^we  sera,  par  exemple,  celui  qui  fera  enten- 
dre avec  persistance  le  rythme  déjà  connu  du  thème  préexposé,  tandis 
qu'apparaîtront  d'autres  mélodies  ou  d'autres  harmonies  reliées  par  ce 
rythme  même  à  l'idée  ainsi  développée.  Les  développements  de  cette 
sorte  sont  très  fréquents  :  on  en  trouvera  un  spécimen  ci-après  (p.  274 
et  275)  dans  l'analyse  du  premier  mouvement  de  l'op.  106  ;  V Allegretto 
de  laVIPSymphonie,op.92,est  entièrement  développé  decette  façon(i). 

Un  développement  mélodique  consiste,  au  contraire,  à  conserver  à 
peu  près  intacte  la  mélodie  du  thème,  en  lui  apportant  seulement  quel- 
que modification  rythmique  ou  tonale  qui  permet  néanmoins  de  la 
reconnaître  :  dans  le  même  morceau  qui  nous  sert  de  modèle  du  genre 
(ci-après,  p.  277)  on  en  trouvera  un  exemple.  Le  mouvement  initial  de 
la  Sonate,  op.  90  (p.  SSg),  en  contient  un  autre  des  plus  frappants. 

Un  développement  harmonique  se  révélera  plutôt  par  l'apparition  de 
quelque  nouveau  dessin  rythmique  ou  mélodique  sur  une  harmonie 
spéciale  appartenant  en  propre  à  l'idée  originaire.  Le  développement 
de  la  Sonate,  op.  106,  ramenant  dans  son  4*  élément  (voir  ci-après, 
p.  276)  une  modulation  brusque  à  la  troisième  quinte  ascendante, 
apparue  déjà  dans  l'exposition  (p.  267),  serait  un  peu  de  l'ordre  har- 
monique ;  mais  il  en  existe  de  meilleurs  exemples,  notamment  dans 
le  mouvement  lent  du  XIP  Quatuor  à  cordes,  op.  127,  dont  la  troi- 
sième variation  (voir  ci-après,  chap.  vi)  contient  un  admirable  déve- 
loppement harmonique  du  thème. 

En  dehors  de  ces  trois  aspects  provenantde  la  nature  même  des  idées, 

(i)  Il  ne  serait  pas  possible  de  citer  des  exemples  de  chaque  sorte  de  développement,  car 
il  faudrait  avant  chaque  exemple  citer  l'exposition  de  l'idée  développée,  pour  montrer  sa 
transformation.  On  voudra  bien  se  reporter  aux  œuvres  indiquées. 


LE  DEVELOPPEMENT  ET  LA  MODULATION  343 

les  développements  peuvent  modifier  les  organes  thématiques  par  un 
grand  nombre  de  moyens  divers  qu'on  peut  ramener  à  trois  principaux: 

!*■  V amplification  qui  consiste  en  une  sorte  d'accroissement  d'un  élé- 
ment constitutif  de  l'idée,  lequel  prend  une  importance  plus  grande  par 
l'augmentation  de  valeur  de  ses  notes  ou  par  l'adjonction  de  notes  nou- 
velles, comme  si  le  personnage,  sous  l'influence  de  quelque  force  expan- 
sive,  cherchait  à  se  dilater  (voir  les  exemples  ci-après,  p.  273  et  274)  ; 

2°  Vélimination^  opération  opposée  à  la  précédente,  et  qui  consiste 
à  diminuer  l'importance  de  l'élément  thématique  sacrifié  plutôt  que 
développé,  en  raccourcissant  ses  notes  constitutives,  ou  même  en  les 
supprimant  l'une  après  l'autre  comme  si  le  personnage  voulait  se 
replier  sur  lui-même  et  condenser  toute  son  énergie  vitale  sur  un  seul 
point  {wo'u  les  exemples  ci-après,  p.  273  et  274)  ; 

3°  la  5z//?er/705/7zo«  qui  reproduit  les  éléments  thématiques  apparte- 
nant à  l'une  ou  à  l'autre  des  idées,  parfois  aux  deux  simultanément, 
en  les  combinant  ou  en  les  associant  d'une  façon  nouvelle  dans  divers 
tons,  sur  divers  degrés  et  dans  diverses  parties. 

Qui  ne  reconnaîtrait  dans  ce  «  moyen  de  développement  »,  par  excel- 
lence, l'antique  procédé  d'imitation  (voir  ci-dessus,  p.  21)  provenant  du 
style  fugué  qui  l'avait  emprunté  lui-même  au  Motet  ?  C'est,  en  effet, 
une  it7iitation  qui,  dans  la  musique  comme  dans  la  vie,  précéda  l'ac- 
tion indépendante  :  les  petits  épisodes  de  la  Fugue,  les  redites  des 
dessins  de  la  Suite  et,  plus  tard,  les  rappels  de  thèmes  dans  la  partie 
médiane  des  premières  Sonates  de  forme  ternaire,  furent  autant 
d'étapes  successives  lentement  franchies  par  V imitation^  depuis  ses 
premiers  balbutiements  jusqu'à  l'accomplissement  final  de  sa  fonction 
complète  dans  le  développement  des  idées  musicales  (voir  l'exemple 
ci-après,  p.  274  et  275).  Et  l'on  pourrait  dire,  en  définitive,  que  Vam- 
plification,  V élimination  et  la  superposition  sont  comme  trois  manières 
d'être  de  Vimitation  qui,  seule,  peut  moài'àtv  organiquement  les  thèmes, 
en  les  développant  sans  les  détruire. 

Développement  tonal.  —  La  tonalité  doit  être  considérée  comme  le 
lieu  où  se  passent  les  actions  thématiques  :  ce  lieu  peut  demeurer  le 
même  ou  il  peut  changer.  Au  point  de  vue  tonal  ou  locale  le  dévelop- 
pement participe  donc  de  l'un  ou  de  l'autre  de  ces  deux  états  afférents 
à  la  tonalité  :  immobilité  ou  translation. 

1**  En  état  d'immobilité  ou  de  repos^  le  développement  revêt  momen- 
tanément les  principaux  caractères  d'une  exposition  :  il  a  pour  point 
de  départ  une  cadence  qui  détermine  la  tonalité  où  se  placera  cet  arrêt, 
cette  étapo  destinée  à  interrompre  son  parcours  modulant. 

Ces  étapes  tonales  étant  autant  de  buts  successifs  proposés  et  atteints 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 
-'44 

par  le  développement  exercent  sur  la  bonne  ordonnance  de  l'œuvre  une 
influence  au  moins  aussi  grande  que  le  choix  et  l'élaboration  des  idées. 
Il  est  donc  de  toute  urgence  que  ces  étapes  soient  déterminées  à  l'avance, 
et  les  plus  arands  symphonistes  n'y  ont  assurément  jamais  manqué. 

Souvent  les  thèmes  semblent  indiquer  eux-mêmes  vers  quel  lieu,  vers 
quel  ton  ils  tendent  à  se  reposer  au  cours  de  leurs  actions  ;  d'autres  fois, 
il  faut  leur  assigner  volontairement  les  tonalités  de  repos  vers  lesquelles 
ils  seront  conduits  ensuite  sans  secousse,  mais  aussi  sans  faiblesse. 

Quant  au  choix  des  tonalités  susceptibles  de  servir  de  «  gîte  d'étape» 
dans  une  composition  donnée,  il  est  guidé  exclusivement  par  les  rela- 
tions de  distance  entre  les  tons,  suivant  les  principes  émis  au  Premier 
Livre  (chap.  vni)  et  rappelés  ci-après  (p.  25o  et  suiv.)  à  propos  de  la 
distance  des  modulations. 

2°  En  état  de  translation  ou  de  marche,  le  développement  agit  vérita- 
blement :  il  tend  vers  un  but,  il  exprime  quelque  chose  et  emprunte  l'un 
ou  l'autre  des  trois  procédés  expressifs  définis  précédemment  :  Ago- 
gique^  Dynamique  ou  Modulation  (i). 

Un  développement  agogique  agit  par  accroissements  ou  décroisse- 
ments  de  fréquence  dans  les  mouvements  des  formules  rythmiques  (voir 
l'exemple  ci-après,  p.  277). 

Un  développement  dynamique  agit  par  accroissements  ou  décrois- 
sements  d'intensité  dans  les  accents  des  formules  mélodiques  (voir 
l'exemple  ci-après,  p.  276). 

Un  développement  modulant  agit  par  accroissements  ou  décroisse- 
ments  de  clarté  dans  les  progressions  des  formules  harmoniques  (voir 
l'exemple  ci-après,  p.  276  et  276). 

Certaines  marches  dliarmonie  offrent  une  figuration  conventionnelle 
du  développement  modulant,  dans  lequel  elles  peuvent  avoir  parfois  leur 
utilité,  à  condition  d'être  mises  en  quelque  sorte  au  service  de  Vidée.,  et 
de  tendre  toujours  vers  un  but.  Car  le  développement  ne  doit  en  aucun 
cas  se  mouvoir  sur  place,  c'est-à-dire  tourner  autour  d'une  de  ses  tona- 
lités de  repos,  comme  s'il  revenait  à  la  même  étape,  même  par  des  voies 
harmoniques  différentes,  sans  avoir  progressé  ni  modulé  utilement. 

Ceci  nous  amène  nécessairement  à  étudier  les  principes  généraux  des 
translations  et  des  relatiotis  tonales.,  c'est-à-dire  les  modulations . 

La  Modulation  consiste,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  au  Premier  Livre 
de  ce  Cours,  dans  les  modifications  apportées  à  la  tonalité  des  diverses 
périodes  ou  phrases  constituant  le  discours  musical.  Ces  modifications, 

(1)  Voir  1"  liv.,  chap.  viii,  p.  134  et  suiv.  —  Toutefois,  VAgogiqtte  et  la  Dynamique  ne 
sont  pas  exclusivement  applicables  à  l'état  de  translation  ou  de  marche,  auquel  la  Modula' 
tioH,  au  contraire,  appariient  nécessairennent. 


LE  DÉVELOPPEMENT  ET  LA  MODULATION  345 

opérées  au  moyen  du  déplacement  de  la  tonique  et  des  autres  fondions 
[dominante,  sous-dominante),  sont  inhérentes  à  l'idée  de  mouvement 
ou  d'action.  Elles  appartiennent  en  propre  à  ce  que  nous  venons 
d'appeler  les  développements  d'ordre  tonal  ou  local,  c'est-à-dire  à  ceux 
dont  le  mode  d'action  consiste  à  passer  alternativement  de  l'état  d'im- 
mobilité à  celui  de  translation  tonale,  et  réciproquenient. 

En  aucun  cas,  la  modulation  ne  peut  donc  être  le  but  de  la  musique, 
puisqu'elle  est,  par  sa  nature  même,  un  moyen  mis  au  service  de  l'idée 
musicale.  Toute  modulation  qui  n'a  pas  ce  caractère  de  dépendance,  de 
subordination  à  l'idée,  est  par  cela  même  intempestive,  inutile  et,  le 
plus  souvent,  nuisible  à  l'équilibre  de  la  construction  :  tel  est  le  cas 
notamment  d'une  modulation  apparaissant  prématurément  dans  l'ex- 
position même  de  l'idée,  et  infirmant  sa  stabilité  tonale  (i)  ;  elle  intro- 
duit dans  l'exposition  un  élément  de  développement,  comme  si  l'on  fai- 
sait agir  Vêtre  musical,  l'idée,  avant  d'avoir  fait  connaître  Vêtre  qui  agit. 

Le  bon  sens  le  plus  vulgaire  s'accorde  avec  la  logique  la  plus  raffi- 
née pour  réclamer  qu'un  personnage  existe  avant  d'agir,  qu'une  idée 
musicale  soit  exposée  avant  de  moduler,  puisqu'elle  contient  la  raison 
d'être  de  la    modulation. 

Quant  à  l'ordre  dans  lequel  se  succéderont  les  modulations,  il  résulte 
nécessairement  d'une  intention  expressive  préétablie.  Dans  le  domaine 
dramatique,  cette  intention  expressive  est  contenue  dans  le  sujet  traité, 
dans  le  sens  même  des  mots  et  des  sentiments  qu'ils  traduisent  :  elle 
est  imposée  au  musicien,  dont  le  rôle  se  borne  à  en  interpréter  les 
nuances  et  les  transformations  par  des  modulations  appropriées.  Dans  ie 
domaine  symphonique.  l'intention  expressive  est  imposée  parle  musicien\ 
il  est  maître  d'en  ordonner  à  l'avance  toutes  les  phases,  en  propor- 
tionnant harmonieusement  les  modulations  corrélatives  à  la  nature 
même  des  idées  musicales  exprimées.  Cette  souveraineté  du  sympho- 
niste sur  son  œuvre  permet  d'élever  celle-ci  au  plus  haut  degré  de  per- 
fection dans  l'unité;  et  l'on  conçoit  sans  peme  que  les  ouvrages  drama- 
tiques musicaux  se  ressentent  trop  souvent  de  l'inévitable  conflit  entre 
le  poète  et  le  musicien...,  même  quand  l'un  et  l'autre  se  trouvent  réu- 
nis, par  bonheur,  dans   un  seul  génial  artiste. 

Dramatiques  ou  symphoniques,  les  modulations,  on  ne  saurait  trop 
insister  sur  ce  point,  sont  essentiellement  expressives  et  agissantes  ; 
elles  participent  par  cela  même  aux  trois  ordres  de  relations  suscep- 
tibles d'être  établis  entre  les  êtres  sonores,  entre  les  sons  musicaux  : 
elles  varient  entre  elles  par  leur  ci?// reV,  leur  intensité  ou  leur  distance. 

(i)  Il  s'agit  ici,  bien  entendu^  d'un  changement  d'état  complet  dans  la  tonalité,  d'une 
modulation  définitive  (voir  ci-après,  p.  248). 


346 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Durée  des  modulations.  —  Jl  n'est  pas  toujours  aisé  de  discerner  où 
commence  une  modulation.  L'erreur  grossière,  qui  consiste  à  qualifier 
à  peu  près  indistinctement  de  modulante  toute  note  étrangère  à  la 
gamme  diatonique  d'un  ton  donné,  ne  tendrait  à  rien  de  moins  qu'à 
faire  de  toute  phrase  musicale  un  peu  complexe  une  série  ininterrompue 
de  modulations,  distribuées  sans  ordre  et  sans  méthode,  au  gré  de  ce 
qu'on  est  convenu  d'appeler  «  l'inspiration  ». 

Nous  avons  démontré  déjà  (i)  que  les  douze  sons  de  notre  système 
musical  pouvaient  appartenir  à  la  même  tonalité.  La  présence  dans 
une  mélodie  de  l'un  ou  l'autre  d'entre  eux,  qu'il  soit  ou  non  pourvu 
d'un  signe  d'altération  accidentelle,  n'est  donc  ni  nécessaire,  ni  suffi- 
sante pour  qu'il  y  ait  modulation  :  car  la  modulation  se  révèle  par  un 
changement  dans  \a  fonction  d'un  son  (2),  et  non  par  l'apparition  de 
sons  nouveaux. 

Beaucoup  de  chants  grégoriens  modulaient,  bien  qu'exclusivement 
limités,  en  principe,  aux  sept  sons  de  la  gamme  diatonique.  Le  verset 
«  O  démens,  opia...  »  de  l'antienne  Salve  Regina  (3),  par  exemple,  a 
pour  tonique  /a,  tandis  que  le  reste  de  cette  pièce  a  pour  tonique  ré. 

Les  mesures  qui  précèdent  la.  pét^iode génératrice  de  la  première  idée, 
dans  la  Sonate,  op.  28,  de  Beethoven,  ne  modulent  pas,  malgré  Vut  a 
appartenant  à  la  fonction  de  sous-dominante,  entendu  avant  Vutu  en 
fonction  de  tierce  de  la  dominante  ; 


Allegro 


■Pédale  de  Tunique  1    I    1        I-    I    '       I    !    I       !     1    I       i     !    ' 

A  l'audition  d'une  phrase  musicale,  le  changement  dans  la  fonction 
tonale  d'un  ou  de  plusieurs  sons  n'apparaît  pas  toujours  au  moment 
même  où  il  se  produit  :  bien  souvent,  au  contraire,  on  constate  qu'il  a  eu 
lieu,  sans  avoir  perçu  le  point  précis  où  il  s'est  opéré.  Au  cours  de  cer- 
taines périodes  parfois  assez  longues,  toutes  les  fonctions  tonales  peu- 
vent recevoir  en  même  temps  deux  interprétations  différentes,  selon 
qu'on  les  rapporte  à  l'affirmation  tonale  qui  précède  ou  à  celle  qui  suit. 

Cette  réserve  faite  pour  le  point  de  départ  de  la  modulation,   il  y  a 

i)  Voir  I*""  liv.,  p.  1 14. 

(î)  C'est  ce  changement  de  fonction  qui  constitue  proprement  IVn/zarwonie.  Voira  ce  propos 
l'étude  sur  les  trois  états  de  la  tonalité,  par  Auguste  Sérieyx.  {Tribune  de  Saint-Gervais  ; 
année  tgog). 

(3)  Paroissien  de  Solesmes,  p.  82. 


LE  DÉVELOPPEMENT  ET  LA   MODULATION  247 

lieu  d'examiner  ce  qui  se  passe  à  partir  du  moment  où  l'impression 
modulante  n'est  plus  douteuse,  où  le  changement  de  fonctions  est  un 
fait  accompli. 

Ce  changement  peut  être  momentané  ou  définitif: 

1°  dans  le  premier  cas,  si  l'impression  tonale  originelle  momentané- 
ment atténuée  reparaît  peu  après  dans  toute  sa  force,  il  y  a  modula- 
tion <3<:c/<:/e;z/e//^,  en  état  (^oscillation  :  si,  au  contraire,  la  tonalité  ini- 
tiale, au  lieu  de  reparaître  après  ce  trouble  momentané,  fait  place  aune 
nouvelle  impression  tonale  différente  des  deux  autres,  il  y  a  modula- 
tion passagère,  en  état  de  translation  ou  de  marche  ; 

2°  dans  le  second  cas,  le  changement  de  fonctions  étant  affirmé  par  la 
présence  de  cadences  tonales  plus  ou  moins  complètes,  l'impression 
tonale  originelle  est  effacée  :  il  y  a  modulation  définitive^  en  état  d'/w- 
mobilité  ou  de  repos. 

La  modulation  accidentelle  est,  par  sa  nature  même,  la  moins  carac- 
térisée et  la  plus  fantaisiste  de  toutes  :  simplement  intercalée  entre  deux 
affirmations  de  la  tonalité  principale,  elle  joue  assez  exactement,  dans 
Tordre  harmonique,  le  rôle  de  la  note  ornementale  dite  broderie  dans 
l'ordre  mélodique.  Sa  durée  est  assez  courte,  et  la  tonalité  étrangère 
qu'elle  emprunte  momentanément  apporte  au  sentiment  tonal  général 
une  perturbation  légère,  aisément  effaçable.  Aussi,  la  modulation  acci- 
dentelle peut-elle  autoriser,  même  dans  l'exposition  d'une  idée  musicale, 
l'emploi  de  tonalités  n'ayant  aucune  relation  de  parenté  avec  le  ton 
principal. 

La  phrase  initiale  du  mouvement  lent  de  la  Sonate,  op.  1 06,  contient  un 
exemple  réalisant,  semble-t-il,  le  maximum  de  durée  et  d'éloignement 
relatifs  comportés  par  une  modulation  accidentelle  dans  une  exposition  : 

\dagio   sostenufo 

(fpjjdssiunnfo  e  cun  moltv  sentimenfo 


348 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


JJLJ- 
Cadence:  -^  t^ 


soy     T.     SD.    T. 

modulation  accidentelle 


w 


^ 


SD 


fe 


^m  m 


D. 


Cette  belle  modulation  accidentelle  en  SOL  montre  bien,  par  sa  tonique 
placée  à  un  demi-ton  au-dessus  de  la  tonique  principale,  fa  fl,  le  carac- 
tère de  broderie  particulier  à  cette  espèce  de  modulation.  L'accord  de 
SOL  H  étant  ici  comme  agrandi,  et  les  autres  fonctions  de  cette  tonalité  étant 
exprimées  également  (surtout  la  sous-dominante),  on  peut  dire  que  c'est  bien 
un  }7iaximum  de  modulation  accidentelle.  Quant  à  la  place  de  cette  modu- 
lation qui  fait  ici  partie  de  la  cadence  terminale,  il  est  facile  de  constater 
qu'elle  occupe  la  fonction  de  sous-dominante  (avant  la  traditionnelle  quarte  et 
sixte).  Cette  sous-doyninante 'povXaxyX  le  second  degré  de  la  gamme  (sol%] 
reproduit  l'accord  qualifié  par  Rameau  de  sixte  ajoutée  (i),  avec  abaisse- 
ment chromatique  d'un  demi-ton  {sol  a).  Les  compositeurs  d'opéras  de 
l'école  napolitaine  du  xvae  siècle  furent  les  premiers,  croyons-nous,  qur 
pratiquèrent  couramment  dans  la  cadence  cet  abaissement  de  la  sixte 
ajoutée  :  c'est  pourquoi  cette  formule,  représentée  ici  par  la  modulation 
en  SOL,  est  généralement  connue  sous  le  nom  de  sixte  napolitaine. 

La  modulation  passagèî^e  ne  diffère  de  la  précédente  que  par  soiî 
rôle  assimilable,  dans  l'ordre  harmonique,  à  celui  delà  7iote  de  passage 
dans  l'ordre  mélodique.  Sa  durée  est  courte  et  indéterminée,  en  raison 
de  sa  nature  tt^a}isitoîre  qui  l'oblige  à  ne  point  préciser  le  ton  qu'elle 
adopte  un  instant,  pour  le  quitter  aussitôt  après  et  faire  place  à  une  tona- 
lité nouvelle  ;  il  n'est  pas  rare  que  cette  dernière  tonalité  soit  employée 
passagèrement,  elle  aussi,  et  donne  naissance  à  une  nouvelle  modula- 
tion du  même  genre.  Les  marches  ou  progj^essions  harmoniques  modu- 
lantes contiennent,  sous  une  forme  plus  ou  moins  intéressante,  des 
séries  de  modulations  passagères  ;  l'état  de  marche  ou  de  translation 
tonale^  inhérent  à  cette  catégorie  de  modulation,  la  rend  incompatible 
avec  l'exposition  d'une  idée,  surtout  lorsqu'elle  emprunte  sur  son  pas- 
sage des  tonalités  sans  aucune  parenté  avec  la  tonalité  principale. 

Les  exemples  de  jnodulations  passagères  sont  extrêmement  fréquents 
dans  les  transitions  et  les  développements  :  on  en  rencontrera  plu- 
sieurs ci-après  (p.  273  à  278). 

La  modulation  définitive  diffère  totalement  des  modulations  acciden- 
telles ou  passagères  :  c'est,  dans  l'ordre  harmonique,  la  «o/e  réelle  de  la 

(i)  Voir  1*'  liv.,  p.  i36. 


LE  DEVELOPPEMENT   ET  LA  MODULATION  j^g 

mélodie.  Sa  durée  n'est  limitée  que  par  les  nécessités  générales  d'équi- 
libre tonal  et  de  proportion  entre  les  diverses  parties  de  l'œuvre.  Elle 
s'opère  par  le  moyen  d'une  formule  de  cadence  affirmant  le  caractère 
définitif  de  la  tonalité  ainsi  établie^  laquelle  est  nécessairement  pare)ite 
ou  voisine  de  la  tonalité  principale. 

Une  modulation  définitive  ou  établie  peut  appartenir  à  une  exposition 
ou  à  un  développement. 

Dans  une  exposition,  elle  indique  soit  l'entrée  d'une  idée  nouvelle, 
soit  la  î^eprise  d'une  idée  antérieurement  exposée  (voir  l'exemple  ci- 
après,  p.  269  et  suiv.). 

Dans  un  développement,  elle  a  sa  place  marquée  aux  moments  de 
repos  ou  d'immobilité  tonale,  aux  étapes  dont  nous  avons  parlé  ci- 
dessus  (p.  243),  et  sa  durée  doit  être  calculée  de  manière  à  compenser 
suffisamment  les  impressions  modulantes  résultant  des  passages  en  état 
de  marche,  qui  là  précédaient  ou  qui  la  suivront  (voir  l'exemple  ci-après, 
p.  274  et  suiv.). 

Intensité  des  modulations.  —  Il  est  aisé  de  vérifier  ce  fait  que.  de 
deux  modulations  de  durée  égale,  l'une  semble  souvent  beaucoup  plus 
frappante  que  l'autre,  et  que,  de  deux  modulations  dont  la  durée  est 
inégale,  la  plus  forte  n'est  pas  nécessairement  la  plus  longue  des  deux  : 
une  impression  tonale  est  donc  susceptible  de  s'accroître  en  intensité, 
indépendamment  de  sa  durée. 

Le  degré  de  précision  d'une  modulation  est,  en  elfet,  éminemment 
variable,  suivant  les  notes  et  les  fornmles  harmoniques  employées  pour 
affirmer,  avec  plus  ou  moins  de  force  ou  d'intensité,  la  tonalité  choisie  : 
trois  moyens  principaux  sont  particulièrement  aptes  à  agir  sur  Viute)isité 
de  la  modulation  : 

1°  la  cadence  harmonique  plus  ou  moins  nettement  exprimée  ; 

2°  l'accentuation  ou  la  répétition  des  degrés  ou  des  harmonies  plus 
ou  moins  caractéristiques  du  ton  ; 

3°  la  préparation  de  la  tonalité  nouvelle  dans  le  fragment  musical  qui 
précède  immédiatement  son  apparition. 

Ce  dernier  moyen  n'est  pas  le  moins  efficace  :  sans  qu'il  soit  néces- 
saire de  recourir  à  des  formules  trop  précises  de  cadence,  ou  à  des 
répétitions  de  notes  caractéristiques  d'un  ton,  il  est  possible  de  ren- 
forcer notablement  r;;/^t';/5//e  d'une  modulation,  par  la  suppression  des 
notes  caractéristiques  de  la  tonalité  qui  était  établie  avant  cette  modu- 
lation. Par  un  effet  de  contraste  tout  à  fait  naturel,  l'impression  tonale 
nouvelle  est  d'autant  plus  intense  que  les  impressions  antérieures  ont 
été  plus  complètement  effacées. 

La  modulation  enF.-ipar  le  cor  50/0,  dans  lu  lih'  Symphonie,  op.  55, 


350 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


de  Beethoven,  est  un  exemple  typique  de  cette  intensité  tonale  obtenue 
avec  une  nuance  très  douce,  une  durée  très  courte  et  une  distance 
assez  faible  (deux  quintes),  grâce  à  la  neutralité  de  l'harmonie  employée 
sur  Vutn  des  violoncelles,  effaçant  rapidement  l'impression  tonale 
de  MI  b,  très  fortement  donnée  cependant  par  tout  l'orchestre  quelques 
mesures  auparavant  (i)  : 


Allegro  con  brio 


Distance  des  modulations.  —  II  reste  à  étudier  la  catégorie  la  plus 
importante  des  relations  susceptibles  d'être  établies  entre  les  tonalités 
que  la  modulation  met  en  présence  :  les  relations  de  distance.  Une 
impression  modulante  peut  être  plus  ou  moins  longue  et  plus  ou  moins 
intense  :  nous  venons  de  le  constater  ;  mais  elle  peut  être  aussi  plus 
ou  moins  lointaine,  de  même  que  les  sons  brefs  ou  longs,  forts  ou 
faibles  d'une  mélodie  sont  situés,  eux  aussi,  à  des  intervalles  plus  ou 
moins  grands  et  plus  ou  moins  complexes. 

Toutefois,  les  intervalles  sonores  ne  sont  pas  appréciés  par  notre 
oreille  de  la  même  manière  que  les  distances  tonales,  au  moins  en 
apparence  :   les  sons  s'éloignent  ou   se  rapprochent  les  uns  des  autres 


(i)  Cette  modulation  a  déjà  été  citée  au  Premier  Livre  (p.  126)  pour  son  effet  spécial 
d'éclairemetit,  dont  on  trouvera  l'explication  ci-après  (p.  253)  à  propos  des  relations  de 
distance  entre  les  deux  toniques  MI 'p  et  FA,  séparés  par  deux  quintes  ascendantes. 


LE  DÉVELOPPEMENT   ET  LA  MODULATION  a,, 

selon  qu'ils  diffèrent  entre  eux  d'un  nombre  plus  ou  moins  grand  de 
degrés  (ascendants  ou  descendants);  tandis  que  les  tonalités  s  éloignent 
ou  se  rapprochent  en  proportion  du  nombre  de  quintes  (ascendantes  ou 
descendantes)  qui  séparent  l'une  de  l'autre  leurs  toniques  respectives.  Et 
cette  distance  tonale,  évaluée  en  quintes,  exprime  une  relation  de  clarté 
ou  d'obscurité,  tout  à  fait  indépendante  de  la  relation  d'acuité  oude  gra- 
vité mesurée  par  le  nombre  de  degrés  contenus  dans  un  intervalle  sonore. 

On  dit,  en  général,  que  les  sons  montent  lorsqu'ils  sont  plus  aigus, 
c\nï\s  descendent  \oïs<\\i'\.\s  sont  ^Xns  graves.  Par  une  analogie  aussi 
aisément  intelligible,  on  dira  que  les  modulations  sont  plus  claires 
quand  elles  se  produisent  dans  l'ordre  ascendant  des  quintes,  plus 
50wèr^s  quand  elles  se  produisent  dans  V ordre  descendant  (i). 

Mais  si  l'ordre  ascendant  ou  descendant  des  quintes  est  (comme  ce- 
lui des  soiîs)  illimité  en  principe^  puisqu'on  peut  toujours  supposer 
une  quinte  (ou  un  son)  au-dessus  ou  au-dessous  de  la  précédente,  il 
n'en  est  pas  de  même  dans  les  faits,  tant  s'en  faut  ! 

Indépendamment  de  la  limite  restreinte,  mais  assez  variable,  de  l'au- 
dition, ou  plus  exactement,  de  Vaudibilité  des  phénomènes  sonores,  il  y 
a,  dans  l'ordre  des  sons  comme  dans  l'ordre  des  quintes,  des  limites 
fixes,  au  delà  desquelles  les  phénomènes  véritablement  musicaux  se 
reproduisent  invariablement,  comme  s'ils  affectaient  l'aspect  d'un 
cycle  ou  d'une  orbite  fermée. 

En  effet,  les  sons  séparés  par  un  intervalle  de  dou^e  demi-tons  (2), 
c'est-à-dire  d'une  octave,  occupent  dans  une  tonalité  la  même  fonc- 
tion, identiquement  ;  et  les  tonalités  séparées  par  dou^e  quintes  sont 
constituées  par  les  mêmes  sons,  identiquement.  Notre  système  tonal  se 
reproduit  donc  à  partir  de  la  dou:{i'eme  quinte,  comme  notre  système 
d'octave  se  reproduit  à  partir  du  dou\ième  demi-ton. 

Il  n'y  aurait,  par  suite,  qu'une  douzaine  de  modulations  réalisables, 
soit  dans  l'ordre  ascendant,  soit  dans  l'ordre  descendant  des  quintes  ; 
on  va  constater  bientôt  que,  dans  la  pratique,  ces  dou^e  cas  possibles 
se  réduisent  à  un  nombre  beaucoup  plus  faible,  six  ou  sept  au  maxi- 
mum, en  raison  de  la  préférence  instinctive  de  notre  entendement  pour 
les  voies  les  plus  simples,  qu'il  s'agisse  d'apprécier  des  intervalles  (3), 
des /b«c//o«5  harmoniques   ou  des  relations  tonales. 


(i)On  a  expliqué  déjà  au  Premier  Livre  (note,  p.  i  3 1)  pourquoi  l'idée  de  hauteur  relative 
des  sons  n'est  pas  une  pure  figure.  11  en  est  de  même,  et  pour  les  mêmes  raisons,  a  fortiori, 
de  l'idée  de  clarté  relative  des  modulations,  puisque  les  toniques  mises  en  présence  sont 
en  quelque  sorte  engendrées  harmoniquement  les  unes  par  les  autres,  soit  en  montant  vers  la 
lumière,  soit  en  descendant  vers  l'ombre. 

(2)  Est-il  besoin  de  rappeler  que  le  demi-ton  est,  en  dépit  de  sa  dénomination,  ï'untte 
ou  la  commune  mesure  des  intervalles  musicaux  ?  (Voir  ci-dessus,  Introd.  p.  9.) 

(3)  Voir  1«'  liv.,  p.    io3. 


35a  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Lois  des  relations  tonales.  —  Nous  avons  énoncé  au  Premier  Livre  le 
principe  général  qui  régit  les  relations  tonales  :  c'est,  avons-nous  dit  (i), 
suivant  Vordre  cyclique  des  quitites  que  la  lumière  et  l'ombre  se  distri- 
buent dans  toutes  les  modulations  de  même  mode  (2).  Il  convient  donc 
de  reproduire  ici  cet  oî^dre  cf  clique  qui  va  servir  de  base  à  la  présente 
étude  ; 


Lorsqu'on  s'éloigne  de  part  ou  d'autre  d'une  tonique  déterminée, 
UT,  par  exemple,  ou  la  (3),  suivant  le  mode,  les  phénomènes  relatifs 
d'éclairement  ou  d'assombrissement  sont  symétriques  et  offrent,  au  fur 
et  à  mesure  de  cet  éloignement,  les  particularités  suivantes  : 

La   première   quinte  qu'on  rencontre  de   part    ou    d'autre    de    cette 

(1)  Voir  \"  liv.,  p.  i3o. 

(2)  On  étudiera  ci-après,  p.  264  et  suiv.,  le  phénomène  très  spécial  delà  modulation  entre 
tonalités  de  mode  différent. 

(3)  Rappelons,  une  fois  pour  toutes,  que  la  désignation  d'une  tonalité  par  des  caractères 
majuscules  [UT]  signifie,  dans  ce  Cours,  le  mode  majeur,  et  que  les  caractères  minuscules 
{la)  sont  employés  pour  désigner  les  tonalités  de  mode  mineur. 

Pour  figurer  sur  le  Cycle  des  quintes  une  tonalité  déterminée,  le  plus  simple  consiste  à 
opérer  comme  nous  l'avons  fait  au  Premier  Livre  (p.  ir4et  ii5),  en  partageant  le  cycle 
suivant  un  diamètre,  dont  les  extrémités  coïncident  avec  les  limites  respectives  des  notes 
dites  diatoniques  et  des  notes  dites  chromatiques  qui  appartiennent  à  cette  tonalité.  U  va 
sans  dire  que  les  deux  modes  relatifs  l'un  de  l'autre  (UT  et  la,  par  exemple)  sont  indiqués 
par  la  même  ligne  diamétrale  (FA-SI),  les  deux  quintes  tonales  UT-sol  et  la-Ml  occupant 
ainsi  des  positions  symétriques,  figuratives  de  Vinversion  d'un  mode  par  rapport  à  l'autre 
dans  la  mènne  tonalité. 

Le  tracé  d'un  diamètre  réunissant  UT  et  FAil  correspondrait  à  la  toûalité  de  SOL  ou  à 
celle  de  mi,  etc. 


LE  DÉVELOPPEMENT    ET  LA  MODULATION 


'53 


tonique  occupe,  par   rapport  à  die,  les   fonctions  respectives   de  domi- 
nante ou  de  sous-dominante  : 


^ 


^ 


UT 


UT)  ^ 

i 


^^ 


fA 


©         ■© 


Les  modulations  de  ce  genre  sont  extrêmement  fréquentes  ;  la  très 
grande  parenté  des  tonalités  mises  ainsi  en  rapport  rend  très  norm^ale 
une  modulation  définitive  à  la  première  quinte,  sous  la  seule  réserve 
du  danger  inhérent  à  l'emploi  prolongé  du  ton  de  la  sous-dominante  (i). 

Le  pouvoir  éclairant  (ou  assombrissant)  de  cette  modulation  est  assez 
faible. 

h^  seconde  quinte  di  poui  t^Q.1  une  modulation  à  là  seconde  majeure 
supérieure  (ou  inférieure): 


^p^ 


©     © 


* 


Q- 


w^W^ 


©     @ 

Les  tonalités  ainsi  mises  en  relation  n'ayant  entre  elles  aucune  parenté, 
cette  modulation  est  nécessairement  accidoitelle  ou  passagère  dans  une 
bonne  construction  tonale.  Son  pouvoir  éclairant  (ou  assombrissant)  est 
assez  notable,  comme  on  a  pu  le  constater  dans  l'exemple  de  la  Sym- 
phonie héroïque  cité  ci-dessus  (p.  25o).  Les  progressions  ascendantes 
par  tons  entiers^  dont  l'usage  est  assez  répandu  dans  certains  dévelop- 
pements, sont  en  réalité  des  modulations  de  ce  genre  se  succédant  les 
unes  aux  autres. 

La  modulation  que  nous  avons  signalée  ci-dessus  (p.  248)  est  un  cas 
particulier  de  la  modulation  à  la  seconde  quinte  descendante ^à.ans  lequel 
le  ton  initial  est  employé  en  mode  mineur^  tandis  que  le  second  est 
en  mode  majeur  (2). 

(i)  Voir  1"  liv.,  p.  I  3  I,  et  ci -a  pré  s,  p.  3  1 1. 

(2)  Il  ne  faut  pas  otiblier,  en  tffct,  que  la-ut-Ml  et  UT-mi-sol  constituent  deux  aspects 
difFérents,  rfeux-  modes  appartenant  à  une  seule  tonalité.  Dans  l'exemple  de  l'op.  106  (p.  J48), 
cette  tonalité  correspond  aux  deux  Bipeas  fa  H-la-UT  S  c\  LA-utJi-mi,  c'est-à-dire  à /a  3 
ou  à  LA,  suivant  le  mode.  L'apparition  du  ion  de  SOL  S,  louant  le  rôle  de  la  sixte  napolitaine, 
est  donc  un  recul  de  deux  quintes  [LA-RÉ  et  RÉ-SOL)  dans  le  sens  descendant. 


334 


L.K  SONATE  DE  BEETHOVEN 


La  troisième  quinte  a  pour  effet  une  modulation  à  la  sixte  majeure 
supérieure  (ou  inférieure)  : 


tt 


gg^ 


i  "  Il ''il  i 


l  ÏÏ  IK..  " 


UT 


(MIr 


^      &  ® 


Les  tonalités  ainsi  mises  en  relation  ont  une  parenté  très  caractéristique, 

la  mediante  de  l'une  devenant  la  dominante  de  l'autre  (ou  réciproquement). 
Cette  permutation  de  fonctions  entre  la  médiante  et  la  dominante  est 
tellement  identique,  en  apparence  (i).  à  celle  qui  se  produit  lorsqu'on 
passe  du  mode  majeur  au  mode  mineur  relatif  i^ou  réciproquement), 
qu'on  peut  aisément  les  confondre  ;  c'est  là  un  effet  de  notre  habitude 
prise  de  considérer  le  cinquième  degré  ascendant  (-V/"  du  mode  mineur 
usuel  [là]  comme  une  véritable  dominante,  et,  par  suite,  la  transition 
d'un  mode  à  l'autre  comme  une  véritable  modulation  au  relatif: 


É 


# 


^ 


®        © 


É 


^^ 


©    @ 

Cette  substitution  de  mode,  ayant  pour  cause  un  simple  changement 
de  sens  ou  d'aspect  dans  l'accord  parfait  unique  composé  dans  les  deux 
cas   des   mêmes  éléments  (2).    n'apporte   à  la  tonalité    aucun    élément 

(1)  On  sait  que  .Kfl,  ion  prime  de  l'accord  la-ul-.\n  n'est  pas  une  véritable  fonction  de 
dominante  (voir  I"  liv.,  p.  no). 

(a)  Oa  a  vu  au  Premier  Livre  p.  gS  et  suiv.)  la  démonstration  de  ce  véritable  théorème 
de  l'unité  de  l'Accord  :  il  suffira  donc  d'en  formuler  ici  la  conclusion,  telle  quelle  ressort 
de  ce  qui  a  été  dit  à  ce  sujet  : 

«  Les  nombres  des  vibrations  totales  émises  dans  le  tr.éme  temps  par  des  corps  sonores 
dont  la  grandeur  relative    varie  comme 

i     1     i     i     i     -'  etc 

7.    -.    3.    ^.    3.    5.  •••etc., 

sont  rcipectivemcnt  égaux  à 

1,2,    3,    4,    5,    6,  ...  etc., 
et  réciproquement. 

•  L'ensemble  des  sons  fournis  par  les  six  premiers  termes  de  ces  deux  progression» 
forme  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler,  en  musique,  i  ,4ci:orJ  parfait. 

•  Ce  phénomène  unique  de  l'Accord  est  qualifié 

majeur,  dans  le  cas  de  la  précédente  proposition. 

mineur,  dans  le  cas  de   la  réciproque. 
c  L'Accord  majeur  et  l'Accord   mineur  sont,  par  conséquent,  le  même  Accord,  sous  deux 
<iip«fs  différents,  puisqu'ils  sont  formés  des  mêmes  relations  numériques,  Sippliquécs  respec- 
tivement aux  grandeurs  des  corps  vibrants  et  aux  nombres  de  vibrations  émises,  ou  réci- 
proquement. » 


LE  DÉVELOPPEMENT   ET  LA  MOuULATION  3,5 

nouveau,  car  elle  n'implique  aucun  déplacement,  ni  ascendant,  ni  des- 
cendant, dans  l'ordre  des  quintes,  aucun  accroissement  de  clarté  ni 
d'obscurité.  Elle  n'a  donc  en  elle-même  aucun  des  caractères  distinctifs 
de  la  modulation  [\). 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  substitution  de  mode  opérée  sur  la 
même  tonique  :c  est  une  véritable  modulation  à  la  troisième  quinte,  émi- 
nemment éclairante,  ou  assombrissante,  selon  qu'elle  se  produit  du  mode 
mineur  au  mode  majeur,  ou  inversement,  du  mode  majeur  au  mode 
mineur  : 


Dnns  ce  cas  comme  dans  tous  ceux  où  il  y  a,  en  même  temps  que  le 
changement  de  mode,  un  déplacement  dans  l'ordre  des  quintes,  le  pas- 
sage du  mode  mm^Mr  au  mode  wa/>«r  est  éclairant  lorsqu'il  coïncide 
avec  un  déplacement  d'ordre  ascendant,  le  passage  du  mode  majeur  au 
mode  mineur  est  assombrissant  lorsqu'il  coïncide  avec  un  déplacement 
d'ordre  descendant.  Et,  comme  les  cas  de  cette  espèce  sont  très  fré- 
quents, il  est  généralement  vrai  de  dire  que  «  les  modulations  entre  les 
tonalités  de  mode  différent  semblent  procéder  du  clair  à  l'obscur  lors- 
qu'elles passent  du  mode  majeur  au  mode  mineur,  de  l'obscur  au  clair 
quand  elles  passent  d'une  tonalité  mineure  à  une  tonalité  majeure  »  (2)  *, 
mais  ce  n'est  pas  le  changement  de  mode  qui  produit  cet  effet. 

La  modulation  à  la  troisième  quinte  par  simple  modification  de  la 
médiante,  surtout  dans  l'ordre  ascendant  (3),  pratiquée  sur  l'accord  qui 
a  déjà  subi  le  changement  de  mode  (ou  de  sens),  est  extrêmement  fré- 
quente, même  comme  modulation  définitive. 

Dans  sa  forme  directe,  entre  tonalités  de  même  mode,  cette  modu- 
lation est  au  contraire  assez  rare  et   souvent  passagère. 


(i)  Il  n'est  pas  douteux  que  le  sens  étymologique  du  mot  modulation  (de  modus,  manière 
d'être,  mode)  s'appliquerait  beaucoup  mieux  à  l'idée  de  changement  de  mode  qu'à  celle  de 
changement  de  ton.  Mais  puisque  cette  dernière  acception  est  malheureusement  la  seule  qui 
ait  prévalu,  nous  sommes  obligés  de  nous  conformer  à  l'usage,  devenu  traditionnel,  de  ce 
terme. 

(i)  Voir  l'^Iiv,,  p.  i3i,  i32.  Ainsi  s'explique,  par  une  simple  assimilation  irraisonnée,  les 
idées  d'assombrissement  (ou  d'éclairement)  que  nous  attachons  souvent  à  la  transition  du 
Tiode  majeur  à  son  relatif  mineur  (UT  à  la),  ou  inversement  {la  à  VT]. 

(3)  C'est  cette  modulation  du  mineur  au  majeur  par  altération  ascendante  de  la  méJiante 
qu'on  appelait  au  xvin*  siècle  la  tierce  picarde  (voir  ci-dessus,  p.  i3i)  :  elle  est  éminem- 
ment éclairante. 


356 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


La  quatrième    quinte  a  pour  effet  une  modulation  à  la  tierce  majeure 
supérieure  (ou  inférieure)  : 


^ 


^ 


® 


©  @ 


fe 


@  © 


riTTl 


©      © 


Elle  met  en  relation  des  tonalités  très  fortement  apparentées,  la 
}?iédiante  de  l'une   devenant  la  tonique  de   l'autre  (ou  réciproquement). 

Certe  modulation,  lorsqu'elle  est  pratiquée  sans  intermédiaire,  pos- 
sède un  pouvoir  éclairant  (ou  assombrissant)  très  énergique,  sinon  le 
plus  énergique  de  tous,  comme  on  le  verra  dans  l'étude  des  modulations 
suivantes.  Elle  est  employée  très  souvent,  même  à  titre  définitif.  Bee- 
thoven lui-même  n'a  pas  craint  d'en  faire  usage  pour  y  établir  toute  la 
seconde  idée  d'un  premier  mouvement  de  Sonate,  dans  l'op.  3i,  n°  i, 
et  dans  l'op.  53  (voir  ci-après,  pp.  344  et  35 1). 

La  cinquième  quinte  a  pour  effet  une  modulation  à  la  septième  majeure 
supérieure  (ou  inférieure)  : 


g.      o 


^  ©     e 


(S) 


m 


s 


l  ïï  \\k,  s  II 


RÉ'^ 


©  © 


Elle  met  en  relation  des  tonalités  sans  aucune  parenté  et  ne  peut  sans 
inconvénient  être  employée  à  titre  définitif.  Son  pouvoir  éclairant  (ou 
assombrissant)  est,  en  principe,  considérable,  en  raison  du  grand  éloi- 
gnementdes  toniques  sur  le  cycle  des  quintes  :  en  pratique,  cet  éloigne- 
ment  même  est  une  cause  d'équivoque  entre  cette  modulation  et  celle 
à  la  septième  quinte  ou  au  demi-ton  chromatique  supérieur  (ou  inférieur)  : 

éêm 


m 


^^m 


® 


En  effet,  il  n'y  a  pas  de  différence,  pratiquement,  entre  la  septième 
majeure  supérieure  [ut-si  ou  la-sol  s)  et  le  demi-ton  chromatique  infé- 


LE  DÉVELOPPEMENT   ET  LA  MODULATION  357 

rieur  {UT-UTb  ou  la-lai>)  ;  il  n'y  en  a  pas  davantage  entre  la  septième 
majeure  inférieure  [ut-ré  t>  ou  la-si^)  et  le  demi-ton  chromatique  supé- 
rieur [UT-UT a  ou  la-las.) 

Mais  cette  contiguïté  établie  par  l'intervalle  d'un  demi- ton  (i)  entre 
deux  toniques  {UT  et  5/,  par  exemple)  nous  fait  croire,  bien  que  leurs 
tonalités  ne  soient  nullement  parentes  ni  voisines  (dans  le  sens  que  nous 
avons  donné  à  ce  mot  au  Premier  Livre),  aune  sorte  de  rapprochement 
par  ce  plus  court  chemin  du  demi-ton,  substitue  à  la  voie  normale,  mais 
en  apparence  plus  détournée,  des  quintes. 

La  préférence  de  notre  entendement  pour  ce  plus  court  chemin  apporte 
une  perturbation  notable  dans  l'appréciation  des  effets  d'éclairement 
(ou  d'assombrissement)  dus  aux  modulations  à  la  cinquième  et  à  la 
septième  quinte  :  cinq  quintes  ascendantes  séparent  UT  de  s/,  par  exem- 
ple, et  cette  modulation  est  en  elle-même  des  plus  éclairantes  ;  pour- 
tant, Yabaissement  d'un  demi-ton,  pour  passer  d'une  tonique  à  l'autre, 
peut  très  bien  nous  faire  croire  à  un  assombrissement,  par  la  substitu- 
tion plus  ou  moins  consciente  que  nous  faisons  (indépendamment  de 
toute  question  d'écriture)  du  ton  d'c/rt),  plus  sombre  [septième  quinte 
descendante),  à  celui  de  si,  plus  clair  [cinquième  quinte  ascendante). 

Tout  dépend  donc  ici  du  choix  des  formules  harmoniques  intermé- 
diaires, servant  à  mettre  en  relation  les  tonalités  distantes  de  cinq  ou  de 
sept  quintes,  dans  un  sens  ou  dans  l'autre. 

Si  ces  formules  sont  nettement  apparentées  à  une  tonalité  placée 
«ntre  ut  et  si  (par  exemple,  la  dominante  de  mi),  l'accroissement  de 
clarté  sera  frappant. 

Si  elles  appartiennent  au  contraire  au  parcours  tonal  allant  à'UT  à 
UT\>  par  les  quintes  descendantes  (par  exemple,  la  sous-dominante  de 
x.i4t)),  Vassombrnssement  sera  très  net  (2). 

Enfin,  si  les  formules  harmoniques  sont  en  quelque  sorte  amorphes 
(comme  les  septièmes  diminuées,  les  quintes  augmentées,  etc.),  l'effet  ré- 
sultant sera  indéterminé,  à  moins  que  des  raisons  de  durée  ou  d'in- 
tensité des  modulations  antérieures  ou  postérieures  ne  viennent  suppléer 
à  cette  imprécision  de  la  distance  réelle  entre  les  deux  tonalités  mises 
€n  relation. 

(i)  Rappelons  que  les  expressions  «  demi-ton  diatonique  »  et  «  demi-ton  chromatique  n 
s'appliquent  à  unedifférence  d'écriture  ou  de  déuominalion,  et  non  à  une  différence  réelle, 
musicalement  parlant  :  il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  distinguer  ici  entre  l'un  et  l'autre. 

(2)  Une  modulation  accidentelle  ayant  le  caractère  de  la  sixte  napolitaine  (voir  ci-dessu$, 
p.  248),  mais  pratiquée  entre  deux  tonalités  de  mode  majeur  {UTkRÉ:>,  par  exemple) 
assombrit  généralement  plutôt  qu'elle  n'éclaire  ;  car  l'abaissement  du  second  degré  (rt) 
affirme  la  présence  de  la  cinquième  quinte  descendante  (RÉ  b)  plutôt  que  celle  de  la  sep- 
tième quinte  ascendante  (UTS). 

La  relation  tonale  signalée  précédemment  (p.  216)  entre  le  ton  principal  de  la  Sonate  en 
Ml  b  ,  op.  78,  de  Haydn,  et  son  Adagio  en  AZ/g  [FA  b)  est  une  modulation  de  cette  sorte. 

Cours  ue  composition.    —  t.  11.   i.  17 


358 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


L'équivoque  que  nous  signalons  ici  apparaît  à  peu  près  inévitable- 
ment dans  toute  modulation  comportant  un  nombre  de  quintes  supé- 
rieur à  quatre,  dans  l'ordre  ascendant  comme  dans  l'ordre  descendant  : 
c'est  pourquoi  nous  avons  considéré  la  modulation  à  la  quatrième 
quinte  comme  le  maximum  ou  la  limite  normale  de  l'éclairement  (ou  de 
l'assombrissement)  réalisable  directement,  en  une  seule  modulation. 
Les  substitutions  d'écriture,  improprement  appelées  enharmonies, 
aggravent  encore  l'imprécision  des  modulations  dépassant  la  qua- 
trième quinte. 

La  sixième  quinte  a  pour  effet  une  modulation  à  la  quarte  augmentée 
supérieure  (ou  inférieure),  ce  qui  revient  au  même  que  la  quinte  dimi^ 
nuée  inférieure  (ou  supérieure)  : 


ih^ 


(UT) 


^^^a 


U.JhàA 


i 


© 


^^i^^  îjr^l-^^^ 


® 


® 


Elle  met  en  relation  des  tonalités  h  peu  près  incompatibles,  et  l'équi- 
voque précédemment  signalée  s'y  produit  fatalement,  lorsque  ces  tona- 
lités sont  juxtaposées  l'une  à  l'autre  sans  intermédiaire,  ce  qui  est 
nécessairement  assez  rare. 

Deux  tonalités  séparées  par  six  quintes  sont  en  effet  à  égale  distance 
dans  l'ordre  ascendant  et  dans  l'ordre  descendant  :  elles  ne  peuvent 
donc  en  elles-mêmes  accuser  aucun  accroissement  de  clarté  ni  d'obscu- 
rité, et  cette  modulation  neutre  ne  vaudra  que  par  l'interposition  d'har- 
monies empruntées  à  des  tonalités  intermédiaires,  soit  sur  le  parcours 
ascendant,  c'est-à-dire  éclairant  [sol,  ré,  la,  mi,  si)  ,  soit  sur  le  par- 
cours descendant,  c'est-à-dire  assombrissant  {fa,  sii>,  Mi\>,  la  b,  RÉ\>  ). 
De  telles  modulations  pourraient,  moins  que  toutes  autres  encore, 
avoir  un  caractère  définitif. 

Au  delà  de  la  sixième  quinte,  l'équivoque  reparaît,  comme  précédem- 
ment entre  la  septième  et  la  cinquième  ;  quant  à  la  modulation  à  la  hui- 
tième quinte  {UT  à  sOLn  par  exemple),  elle  n'est  guère  possible  direc- 
tement. Si  deux  tonalités  situées  à  une  telle  distance  sont  juxtaposées, 
ce  n'est  qu'à  la  faveur  d'artifices  d'écriture  dissimulant  la  réalité  :  une 
modulation  à  la  quatiHème  quinte  en  sens  inverse^  tout  simplement. 

Et  ainsi  de  suite,  a  fortiori^  pour  toutes  les  modulations  supposées 
au  delà  de  la  huitième  quinte. 


LE  DÉVELOPPEMENT  ET  LA  MODULATION  259 

La  situation  respective  occupée,  sur  le  cycle  des  quintes^  par  les  tonali- 
tés entre  lesquelles  sont  établis  des  rapports  modulants  apporte,  comme 
on  vient  de  le  voir,  des  restrictions  notables  aux  effets,  en  apparence 
illimités,  d'éclairement  ou  d'assombrissement  qui  résultent  de  toute 
modulation. 

Il  n'est  peut-être  pas  superflu  de  répéter  ici  que  ces  effets  appartiennent 
à  la  modulation  et  non  à  la  tonalité  ;  qu'il  n'y  a  pas  de  tons  claiis  ni  de 
tons  sombres  en  eux-jnémes  (i),  mais  des  relations  tonales  éclairantes 
ou  assombrissantes,  soumises  à  l'ordre  des  quijites. 

Plus  on  observe  attentivement  la  structure  tonaledes  œuvres  musicales, 
même  les  plus  complexes,  plus  on  demeure  convaincu  de  cette  vérité  si 
simple,  et  pourtant  si  souvent  méconnue.  Vainement  on  a  invoqué  par- 
fois à  rencontre  quelque  phénomène  plus  ou  moins  bien  constaté  dans 
l'orchestre  ou  sur  des  instruments  particuliers  :  la  «  sonorité  amou- 
reuse »  du  ton  de  fa  a  majeur,  la  «  sombre  mélancolie  »  de  ré  b...,  etc. 
Ce  ne  sont  là  pourtant  que  de  pures  illusions,  dues  à  des  conditions 
mécaniques,  totalement  étrangères  à  l'art  musical  et  à  l'esthétique. 

Certains  tons  d'orchestre  ont  plus  d'éclat  en  raison  du  retour  plus 
fréquent  des  cordes  à  vide  dans  lé  quatuor,  des  sons  naturels  sur  les  ins- 
truments de  cuivre  ;  certains  effets  plus  moelleux  du  piano  dépendent 
de  l'emploi  plus  fréquent  des  touches  noires,  moins  longues  que  les  tou- 
ches blanches  et  attaquées  moins  énergiquement  en  raison  de  leur 
étroitesse  (2). 

Il  en  est  de  ces  divers  effets  comme  de  tout  ce  qui  a  pour  cause  Viner- 
tie  de  la  matière  sonore,  c'est-à-dire  le  timbre,  dont  le  rôle  purement 
dynamique  a  déjà  été  expliqué  (3)  :  ils  peuvent  aider  ou  contrarier  les 
relations  tonales  ;  ils  n'en  modifient  pas  la  signification  expressive. 

L'emploi  d'instruments  à  timbre  plus  clair  dans  une  succession 
assombrissante  de  tonalités  est  une  gêne,  une  antinomie  qui  souligne 
parfois  avec  avantage  un  état  dramatique  correspondant  ;  mais  il  ne 
change  pas  la  qualité  intrinsèque  de  la  modulation.  La  réduction  au 
piano,  et  surtout  à  V orgue  (4),  de  tel  passage  d'orchestre  choisi  à  cet  effet, 
suffirait  au  besoin  à  faire  «  toucher  du  doigt  »  cette  erreur  des  tons 
clairs  et  des  tons  sombres  en  eux-mêmes. 

(i)  11  n'y  a  pas  non  plus  de  sons  aigus  ou  graves  en  eux-mêmes,  au  point  de  vue  musical, 
mais  des  relations  mélodiques   ou  harmoniques,  ascendantes  ou  descendantes. 

(2)  La  plus  ou  moins  grande  commodité  des  doigtés  peut  aussi  modifier  notablement 
l'effet  produit  au  piano  pour  certains  morceaux  transposés,  sans  parler  de  l'usure  du  méca- 
nisme inégalement  répartie,  ni  des  inégalités  pratiques  du  tempérament,  réputé  égal  par  les 
«  savants  »  ...  mais  pas  par  les  accordeurs! 

(■}}  Voir  1"  liv.,  p.  izb. 

(4)  L'orgue,  en  effet,  atteint  — lorsqu'il  est  d'accord  — une  égalité  beaucoup  plus  granJe 
dans  le  tempérament:,  le  mécanisme  de  son  clavier  rend  imperceptible  la  différence  d'at- 
taque entre  les  touches  noires  et  les  touches  blanches.  Une  expérience  sur  l'orgue  est  donc 
beaucoup  plus  concluante  que  sur  tout  autre  instrument. 


j6û  la  sonate  de  BEETHOVEN 

La  durée  et  Vintensité  relatives  de  deux  impressions  tonales  qui  ss 
succèdent  peuvent  aussi  préciser  ou  atténuer  la  nuance  expressive 
d'éclairement  ou  d'assombrissement  inhérente  à  la  modulation  elle- 
même.  La  substitution  si  employée  d'un  mode  à  l'autre  apporte  en 
outre  un  élément  de  variété  presque  inépuisable  aux  combinaisons 
modulantes,  pourtant  si  peu  nombreuses  en  réalité. 

Mais,  quelque  influence  que  puissent  exercer  ces  circonstances  ex- 
trinsèques ou  ambiantes  sur  une  modulation,  elles  ne  portent  point 
atteinte  à  sa  propriété  expressive  d'éclairement  ou  d'assombrissement, 
laquelle  est  toujours  déterminée,  en  définitive,  par  la  relation  de  dis- 
tance tonale  évaluée  en  quintes,  ascendantes  ou   descendantes. 

C'est  pourquoi  tout  ce  qui  concerne  les  tonalités  est  d'importance 
primordiale  dans  la  composition  :  car  la  tonalité  est,  en  quelque  sorte, 
le  lieu  où  vivent  les  êtres  musicaux,  où  ils  prennent  naissance  dans 
leurs  expositions,  où  ils  agissent  et  réagissent  dans  leurs  développe- 
ments. Le  choix  des  tonalités  est  donc  comparable,  en  musique,  au 
choix  de  l'emplacement  en  architecture. 

Une  œuvre  construite  ne  peut  se  soutenir,  vivre  et  durer  qu'en  rai- 
son de  la  stabilité  de  son  terrain,  de  la  résistance  de  ses  «  assises  tona- 
les ».  Et  celles-ci  ne  résisteront  qu'à  la  condition  d'être  puissamment 
reliées  entre  elles.  Ainsi,  toute  composition  stable  est  assise  sur  des 
tonalités  parentes,  dont  les  accords  toniques  sont  reliés,  comme  des 
pierres  angulaires,  par  l'indestructible  ciment  des  notes  communes  : 
les  modulations  éloignées,  vraies  passerelles  légères,  arcs-boutants 
aériens,  n'apparaissent  qu'entre  les  divers  développements  élevés  au- 
dessus  de  ces  assises  qui  les  supportent. 

Et  ces  développements  eux-mêmes  offrent  ainsi  deux  qualités  essen- 
tielles : 

1°  organiquement,  ils  sont  reliés  aux  idées  musicales  par  leurs  élé- 
ments thématiques  :  ils  sont  toujours  sous  la  dépendance  de  ces  idées 
et  ne  peuvent  rien  contenir  qui  soit  étranger  ou  contraire  à  leur  nature  ; 

2°  tonalement,  ils  sont  reliés  par  les  relations  de  parenté  entre  les 
tons,  par  l'alternative  des  périodes  de  translation  et  d'immobilité  : 
ils  s'orientent  logiquement  vers  la  lumière  ou  vers  l'ombre,  sans  nulle 
hésitation  sur  cette  orientation  toujours  consciente  et  préétablie. 

Telles  sont,  en  eifet,  les  qualités  qui  se  révèlent  dans  le  développement 
beethovénien,  élargissant  prodigieusement  les  anciens  cadres  restreints 
de  la  Fugue  et  de  l'Imitation  contrapontique. 

Mais  ce  développement  agissant  et  libj^e,  si  libre  qu'il  paraisse, 
demeure  soumis,  chez  Beethoven  comme  chez  tous  les  plus  grands  mu- 
siciens, aux  lois  de  tonalités  auxquelles  nul  d'entre  eux  ne  songea 
jamais  à  se  soustraire. 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S)  161 

Et  le  maître  vénéré  César  Franck  fut  en  cela  le  digne  et  génial  suc- 
cesseur de  ses  glorieux  devanciers,  car  il  ne  cessa  d'enseigner  à  ses 
disciples  cette  profonde  vérité  : 

«  La  structure  tonale  est  le  principe  fondamental  et  vital  de  toute 
œuvre  de  musique.  » 


3.    —   LE  MOUVEMENT     INITIAL.     —  TYPE  S. 

Les  éléments  qui  viennent  d'être  étudiés  (idées  musicales,  dévelop- 
pements et  modulations  conformes  aux  lois  tonales)  ont  eu,  dans  toutes 
les  pièces  constituant  la  Sonate,  un  rôle  capital.  Mais  c'est  principale- 
ment dans  la  contexture  du  mouvement  initial  du  type  Sonate,  propre- 
ment dit,  que  ces  éléments,  rénovés  sinon  découverts  par  le  génie 
beethovénien,  ont  opéré  les  transformations  les  plus  caractéristiques. 

Le  mouvement  initial  de  la  Sonate,  en  effet,  est  demeuré  dans  son 
ordonnance  générale,  dans  sa  construction  tonale  et  thématique,  le 
type  constant  de  presque  toutes  les  compositions  symphoniques  de 
grande  envergure  (Symphonie,  Concerto,  Musique  de  chambre.  Ouver- 
ture, etc.).  Il  a  été,  il  est  et  il  sera  longteijips  encore,  sans  doute,  la 
forme  symphonique  par  excellence  :  forme  traditionnelle,  vivante  et 
stable,  parce  qu'elle  résulte  de  l'élaboration  lente  et  successive  des 
génies  musicaux  les  plus  puissants,  comme  aussi  les  plus  disciplinés  et 
les  plus  respectueux  du  passé,  depuis  les  timides  esquisses  binaires  des 
danses  françaises  des  xv*  et  xvi®  siècles,  transcrites  par  Claude  Gervaize 
(voir  ci-dessus,  p.  120),  jusqu'aux  assises  monumentales  du  Quatuor  à 
cordes  de  César  Franck,  en  passant  par  Scarlatti,  Rameau,  les  Bach, 
Haydn,  Mozart,  Rust  et  Beethoven,  pour  ne  citer  que  les  plus  glorieux 
parmi  les  prmces  défunts  de  cette  dynastie  musicale. 

La  suite  de  ce  Cours  démontrera  suffisamment,  nous  l'espérons,  la 
permanence  du  type  Sonate  (S)  sans  cesse  modifié,  enrichi,  perfectionné, 
mais  jamais  détruit. 

Rôle  et  caractère  des  idées  musicales  du  type  S.  —  A  l'avènement 
de  Beethoven,  la  forme  S,  telle  que  W.  Rust  la  lui  léguait,  méritait 
déjà  à  tous  égards  de  retenir  son  attention,  de  satisfaire  son 
désir  de  logique  et  d'ordre,  de  servir  de  champ  d'expériences  à  son 
génie  naissant.  Continuatrice  de  l'ancienne  Allemande,  elle  occupait 
comme  celle-ci  la  première  place  et  le  rôle  principal  ;  mais  elle  était 
déjà  plus  libre,  notamment  dans  sa  mesure  quelquefois  à /ro/^  temps,  et 
surtout  plus  solidement  assise  sur  sa  triple  base  :  exposition,  partie 
médiane  et  réexposition  (voir  ci-dessus,  p.  i  59  et  suiv.). 


35â  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Comme  ses  devanciers,  Beethoven  concentra  son  effort  créateur  sur 
cette  forme  déjà  envoie  de  renouvellement  :  il  introduisit  dans  ce  cadre 
préexistant  sa  conception  nouvelle  des  personnages  musicaux,  des 
thèmes  agissants,  réagissants  et  contrastants,  en  vertu  des  «  deux  prin- 
cipes opposés  »  auxquels  il  a  fait  allusion  plusieurs  fois  dans  ses  con- 
versations (i). 

A  mesure  que  les  deux  idées  exposées  et  développées  dans  les  pièces 
de  forme  Sonate  se  perfectionnent,  on  constate  en  effet  qu'elles  se  com- 
portent vraiment  comme  des  êtres  vivants,  soumis  aux  lois  fatales  de 
l'humanité  :  sympathie  ou  antipathie,  attirance  ou  répulsion,  amour  ou 
haine.  Et,  dans  ce  perpétuel  conflit,  image  de  ceux  de  la  vie,  chacune  des 
deux  idées  offre  des  qualités  comparables  à  celles  qui  furent  de  tout 
temps  attribuées  respectivement  à  l'homme  et  à  la  femme. 

Force  et  énergie,  concision  et  netteté  :  tels  sont  à  peu  près  invaria- 
blement les  caractères  d'essence  masculine  appartenant  à  la  première 
idée  :  elle  s'impose  en  rythmes  vigoureux  et  brusques,  affirmant  bien 
haut  sa  propriété  tonale,  une  et  définitive. 

La  seconde  idée  au  contraire,  toute  de  douceur  et  de  grâce  mélodique^ 
affecte  presque  toujours  par  sa  prolixité  et  son  indétermination  modu- 
lante des  allures  én\mtn\m.Qnl  féminines  :  souple  et  élégante,  elle  étale 
progressivement  la  courbe  de  sa  mélodie  ornée  ;  circonscrite  plus  ou 
moins  nettement  dans  un  ton  voisin  au  cours  de  l'exposition,  elle  le 
quittera  toujours  dans  la  réexposition  terminale,  pour  adopter  la  tona- 
lité initiale  occupée  dès  le  début  par  l'élément  dominateur  masculin, 
seul.  Comme  si,  après  la  lutte  active  du  développement,  l'être  de  dou- 
ceur et  de  faiblesse  devait  subir,  soit  par  la  violence,  soit  par  la  persua- 
sion, la  conquête  de  l'être  de  force  et  de  puissance. 

Telle  paraît  être  du  moins,  dans  les  Sonates  comme  dans  la  vie,  la 
loi  commune,  en  dépit  de  quelques  rares  exceptions  où  le  rôle  respectif 
des  deux  idées  semble  moins  tranché,  parfois  même  interverti.  Et  s'il 
n'est  pas  certain  que  Beethoven  ait  assimilé  dans  chacune  de  ses  œuvres 
les  idées  musicales  aux  personnages  humains,  il  est  hors  de  doute  que 
la  qualification  de  <(  thème  masculin  »  et  de  «  thème  féminin  »  a  coïncidé 
avec  la  pensée  de  l'auteurdans  plusieurs  cas  sur  lesquels  il  s'est  expliqué 
formellement.  Il  n'en  faut  pas  davantage,  croyons-nous,  pour  autoriser, 

(i)  D'après  Schindler,  Beethoven  aurait  qualifié  à  plusieurs  reprises  ces  deux  principes 
de  et  principe  opposant  »  ou  «  récalcitrant  »  (n'ieiers/reèé'jirf)  et  de  «  princpe  suppliant» 
ou  «  implorant  »  (bittend).  «  Les  deux  Sonates,  op.  14,  disait  un  jour  Beethoven,  représen- 
tent le  conflit  entre  ces  deux  principes  :  un  dialogue  entre  un  homme  et  une  femme,  ou 
entre  un  amoureux  et  son  amie.  i>  Cette  application  des  deux  principes  n'est  pas  la  seule  ; 
Beethoven  disait  une  autre  fois  :  «  Deux  principes  aussi  dans  la  partie  médiane  [mittel- 
sat^)  de  la  Pathétique  !  »  Et  il  ajoutait  :  «  Des  «lilliers  de  gens  n'y  voient  goutte  sur  ce 
point  I  » 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S)  263 

dans  les  analyses  qui  suivront,  l'emploi  plus  généralisé  de  ces  appel- 
lations, fort  claires  assurément  et,  en  tous  cas,  nullement  contradic- 
toires. 

Exposition.  —  Séparée  de  la  réexposition  finale  des  mêmes  thèmes  par 
une  partie  médiane  appelée  à  prendre  avec  Beethoven  le  caractère  du 
véritable  développement^  Vcxposition  initiale  constitue,  dans  la  forme 
Sonate,  la  première  partie  de  cette  trilogie,  ou,  pour  reprendre  notre 
comparaison  accoutumée,  \q  premier  pilier  qui  soutient  l'arc  sympho- 
nique  du  développement  :  celui-ci  est  appuyé  par  son  autre  extré- 
mité sur  le  second  pilier,  la  réexposition  symétrique,  mais  différente. 

Ici,  on  le  voit,  point  d'innovation  révolutionnaire  :  la  construction 
ternaire  antérieure  subsiste  intacte  dans  ses  grandes  lignes  ;  mais  d'im- 
portants perfectionnements  vont  apparaître  bientôt  dans  la  forme  par- 
ticulière de  chaque  élément  constitutif  de  cette  voûte  sonore  idéale. 

Tandis  que  la  courbe  médiane  décrira  une  sorte  de  trajectoire  tonale 
naguère  inconnue,  et  se  développera  suivant  des  lois  nouvelles,  chaque 
pilier  deviendra  l'image  réduite  de  l'ensemble,  une  petite  trilogie  dans 
la  grande,  par  l'adjonction  d'un  passade  mélodique  destiné  à  relier  entre 
elles  les  deux  idées  exposées,  comme  le  développement  réunit  les  deux 
expositions,  comme  le  fûtd  une  colonne  réunit  la  base  au  chapiteau. 

Ainsi  subdivisée  en  trois  éléments  presque  toujours  reconnaissables 
■et  séparables  analytiquement,  Vexposition  initiale  n'en  conserve  pas 
moins,  au  point  de  vue  tonal,  sa  caractéristique  originelle  et  définitive  : 
la  tendance  vers  un  ton  différent  du  ton  principal,  la  suspension,  l'ins- 
tabilité :  elle  est  toujours  la  gigantesque  arsis  rythmique  appelant  né- 
<:essairement  la  thésis  finale  de  la  réexposition  conclusive,  ainsi  qu'on 
va  s'en  rendre  compte  par  l'étude  respective  de  la  première  idée,  de  la 
transition  et  de  la  seconde  idée. 

Première  idée  (A).  —  La  caractéristique  de  la  première  idée  est  l'affir- 
mation tonale.  La  fréquence,  chez  Beethoven,  de  l'articulation  vigou- 
reuse et  répétée  de  l'accord  de  tonique  au  début  des  pièces  du  type  S  ne 
laisse  sur  ce  point  aucun  doute  possible  (i)  ;  l'introduction  majestueuse 
€t  grave  qui,  dans  plusieurs  de  ses  Sonates  de  piano  (op.  13,78,81,  1 09 
et  iii),  précède  Vexposition  de  la  première  idée,  constitue  assurément 
une  autre  manifestation  de  son  souci  constant  d'affirmer  puissamment 
la  tonalité  d'origine.  Ces  sortes  d'introductions  régulatrices  ont  aussi 
d'autres  raisons  d'être,  comme  on  le  constatera  plus  loin  à  propos  de 
l'op.  i3  (p.  333)  et  de  l'op.  81  (p.  355). 

(i)  Lorsqu'on  étudiera,  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre,  les  thèmes  iiiitiaux  des 
Symphonies  de  Beethoven,  on  constatera  qu'ils  sont  faits,  presque  tous,  de  l'imposition  de 
l'accord  parfait  de  tonique,  rythmé  différemment. 


304 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Bien  que  la  Sonate,  op.  io6,  ne  débute  pas  par  une  introduction  de 
cette  nature,  son  premier  mouvement  contient  presque  toutes  les  inno- 
vations apportées  au  type  S  par  le  génie  beethovénien.  Aussi,  emprun- 
terons-nous à  ce  véritable  chef-d'œuvre  de  construction  tous  les 
exemples  destinés  à  cette  étude  de  la  forme  Sonate  proprement  dite. 

On  connaît  déjà  (voici  ci-dessus,  p.  236)  la  période  génératrice  et  les 
deux  cellules  de  cette  saisissante  pt^emièf^e  idée^  dont  voici  le  texte  inté- 
gral : 

(A)  Première' idée  a" 

Allegro         ij:    ^ 


l!'';rrr 


^^ 


n.j-  ^^.  y.^i  ^ 


•    »  »=i^ 


•    * 


cresc.  poco  a  puco 


m  4''r  r  ^p 


^ 


^ 


Ji)j  j- 


La  cellule  initiale  {a)  est  éminemment  rythmique  et  tonale  :  elle  réagit  sur  la 
période  génératrice,  énoncée  deux  fois  sur  deux  degrés  différents,  et  donne 
à  cette  première  idée  un  caractère  principalement  masculin; 

le  dessin  en  croches  {a")  prend  toutefois,  dans  les  périodes  secondaires  ou 
complémentaires,  une  allure  plus  mélodique  ;  ce  contraste  n'infirme  pas 
l'unité  de  style  de  l'idée,  car  ce  dessin  (a"),  commun  à  toutes  les  périodes, 
établit  entre  elles  une  parenté  réelle  ; 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  'S  365 

toutes  les  périodes  sont  ici  «  dépendantes  l'une  de  l'autre,  quoique  diverses 
d'aspect  »  :  la  souplesse,  plaxôt  féminine,  des  dernières  les  rapproche  déjà 
du  genre  de  la  seconde  idée  (B),  laquelle,  comme  on  le  verra  ci-après 
(p.  269),  est  précisément  issue   du  dessin  mélodique  (a"). 

Bien  que  Beethoven  ne  nous  ait  pas  fait  connaître  sa  pensée  sur  le 
rôle  des  deux  principes  dont  il  parle  ailleurs  (i)  appliqués  à  cette  pre- 
mière idée,  il  est  permis  de  croire  qu'il  attribuait  à  la  première  cellule 
{a')  le  caractère  opposant,  et  à  la  seconde  (a"). le  caractère  suppliant  :  la 
présence  simultanée  des  deux  principes  dans  Vexposition  d'un  même 
thème  n'est  pas  rare  chez  Beethoven,  surtout  dans  ses  dernières  Sonates 
de  piano  et  dans  ses  Quatuors  à  cordes;  cela  n'est,  d'ailleurs,  ni  plus 
rare  ni  plus  surprenant  que  la  présence  de  qualités  masculines  et  fémi- 
nines chez  un  seul  et  même  individu  (2).  C'est  donc  par  la  prépondérance 
des  unes  ou  des  autres  qu'il  faut  décider  de  la  catégorie  à  laquelle  le 
thème  (ou  l'individu)  appartient.  L'affirmation  rythmique  et  tonale 
en  formules  vigoureuses  et  concises  demeurant,  comme  dans  le  cas  de 
Top.  106,  la  règle  générale  pour  \ts  premières  idées,  on  est  fondé  à  les 
assimiler  à  de  véritables  personnages  masculins. 

Transition  ou  Pont  mélodique  (P).  —  Dans  un  très  grand  nombre 
de  Sonates  antérieures  à  Beethoven,  le  second  thème,  lorsqu'il  existait 
nettement,  ne  suivait  pas  immédiatement  le  premier  :  la  transition  de 
l'un  à  l'autre  s'opérait  alors  par  une  sorte  de  coda  mélodique  à  peu  près 
inséparable  du  premier  thème,  auquel  elle  adjoignait  une  inflexion  vers 
la  tonalité  du  second.  Très  différent  déjà  par  sa  situation  au  ton  voi- 
sin, avant  même  d'être  devenu  tout  à  fait  contrastant  par  sa  longue 
durée,  ses  subdivisions  et  son  caractère  expressif,  ce  second  thème  ne 
pouvait  succéder  brusquement  au  jcrem/er  sans  nuire  à  la  cohésion  de 
Vexposition  :  les  plus  grands  précurseurs  l'avaient  senti,  sinon  compris, 
et,  fidèles  aux  sages  errements  de  l'ancienne  Suite,  Ph.-Emm.  Bach, 
Haydn,  Mozart  et  même  Rust  conservaient  le  plus  souvent  à  cène  coda 
modulante  du  premier  thème  la  fonction  de  véhicule  tonal  attribuée  jadis 
au  dessin  initial  des  pièces  binaires  (voir  ci-dessus,  p.  1 1  o).  Pas  plus  dans 
leurs  Sonates  que  dans  les  formes  antérieures,  on  ne  voyait  apparaître  à 
cette   place  de   dessin  r3'thmique  ou  mélodique  spécial. 

Beethoven,  au  contraire,  emploie  dès  sa  deuxième  Sonate  (op.  2  n'^  2) 
une  formule  mélodique  distincte,  jetant  ainsi  une  sorte  de  pont  entre 
les  contrées  tonales  appartenant  à  chacune  des  deux  idées,  afin  de  les 
mieux  relier  entre  elles,  sans  les   confondre.  Les  passages  de  ce  genre 

(i)  Voir  la  note  de  la  p    263  ci-dessus. 

(2)  On  verra  ci-après  (p.  3 19  et  suiv.)  que  certaines  Sonates  contiennent  deux  thèm«s  issu* 
de  la  môme  cellule,  quoique  très  différents.  L'op.  81  {Lebewohh  notamment,  en  contient 
un  exemple  frappant  (voir  ci-après,  p.  355). 


366 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


auxquels  nous  conserverons  dorénavant  leur  appellation  figurative  de 
/»o;//5  (i)  occupent  parfois  dans  les  expositions  une  place  si  impor- 
tante qu'on  serait  tenté  d'y  voir  de  véritables  idées  musicales  :  mais, 
en  dépit  de  leur  durée  et  de  leur  intérêt  croissant  dans  les  Sonates 
de  piano,  malgré  la  présence  d'éléments  thématiques  particuliers  qui 
sont  utilisés  ensuite  dans  les  diverses  étapes  du  développement,  c'est 
le  caractère  essentiellement  modulant  et  transitoire  de  ce  passage  en 
état  de  marche,  intercalé  entre  les  deux  idées  exposées  en  état  de 
repos  (chacune  dans  sa  tonalité  propre),  qui  doit  guider  sûrement 
le  lecteur  attentif  dans  le  discernement  exact  de  ce  qui  constitue 
le  pont. 

Dans  la  Sonate,  op.  io6,  par  exemple,  le  pont  est  notablement  plus 
long  que  la  première  idée  ;  son  dessin  particulier  dérive  nettement  de 
la  cellule  [a')  et  de  la  période  initiale.  Mais,  lorsque  celle-ci  reparaît 
textuellement,  vers  le  milieu  du  passage  de  transition,  elle  quitte  sa 
tonalité  (5/ b)  pour  moduler  assez  brusquement  vers  la  dominante  du 
ton  où  sera  exposée  la  seconde  idée  {sol). 


®  .. 

Premier  élément 


a' 


:a> 


^/ 


V 


•  Ë  g 


^^S 


/  **v/ 


^^^ 


^^ 


^^ 


r.  ^"^) 


marche  par  la  SI). 


(i)  Dans  ses  inoubliables  leçons,  le  maître  César  Franck  avait  coutume  d'appeler  ponts 
ces  passages  mélodiques  modulants  entre  les  deux  idées  exposées,  tant  était  n&tte  dans  son 
esprit  cette  analogie  que  nous  signalons  souvent  entre  l'idée  ds  tonalité  et  l'idée  de  litu. 
C'est  pourquoi  nous  avons  voulu  garder  ici  cette    dénomination  typique. 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S) 


267 


Tout  ce  premier  clément  du  pont  (P),  en  état  de  marche  aboutissant  à  la  domi- 
nante du  ton  principal,  est  issu  de  la  cellule  rythmique  {a  j  affectant  un 
caractère  modulant. 


DeuxièniH    -lenient 

;ft  (période  génératrice  en  étaf  de  mn>che\ 


Ce  deuxième  élétnent  module,  par  la  période  génératrice,  à  la  dominante  du 
ton  relatif  {sol)  :  comme  nous  l'avons  observé  précédemment  (p.  234),  cette 
modulation,  qui  doit  aboutir  en  définitive  à  SOL  (majeur),  c'est-à-dire  à  la 
troisième  quinte  ascendante,  emprunte  dans  tout  le  passage  ci-dessus  la 
tonalité  de  50/  (mineur),  par  simple  changement  de  modo;  le  dessin  (/>') 
qui  apparaît  aux  dernières  mesures  est  emprunté,  par  anticipation,  à  la 
seconde  idée  (Br,  qui  est  ainsi  reliée  à  laf  re??nér^  (A). 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Troisième  élément 


Ce  troisième  élément,  qui  termine  le  pont,  n'est  qu'un  long  trait  mélodique  sur 
\a  dominante  du  tonde  SOL,  substitué  à  celui  de  sol,  et  produisant  un  accrois- 
sement de  lumière  très  notable  ;  les  rappels  du  rythme  {a')  de  la  première 
idée  s'effacent  peu  à  peu,  pour  faire  place  au  rythme  {b')  de  la  seconde. 


Seconde  idée  (B).  —  En  vertu  de  la  loi  de  contraste  ou  des  «  deux 
principes  »  dont  parlait  Beethoven,  la  seconde  idée  revêt  dans  ses 
œuvres  des  caractères  complémentaires  ou  opposés  à  ceux  de  la  pre^ 
mière  :  autant  celle-ci  est,  en  général,  counte,  rythmique,  affirmative 
et  brusque,  autant  l'autre  est  longue,  mélodique,  insinuante  et  souple. 
A  l'inflexion  traditionnelle  vers  la  dominante  ou  le  relatif  dans  les  an- 
ciennes Suites,  soulignée  plus  tard,  soit  par  un  dessin  différent,  soit 
par  la  simple  transposition  du  dessin  initial,  s'est  substitué  peu  à  peu 
dans  la  Sonate  beethovénienne  un  personnage  nouveau,  longuement 
exposé  en  li^ois  éléments  consécutifs,  dans  une  tonalité  voisine   du  ton 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S) 


26g 


principal.  Le  choix  mcme  de  cette  tonalité  n'est  plus  strictement  limité, 
comme   jadis,    à    la   dominante    d'une    tonique   majeure    ou   au    relatif 
majeur  d'une  tonique   mineure  :    à  quatre  reprises  différentes  dans  les 
trente-deux  Sonates   de  piano,  l'auteur  nous  a  montré  le  sens  vrai  des 
relations  de  parenté  entre  les  tonalités,  en  choisissant,  pour  la  seconde 
idée  d'un  mouvement  du  type  S,  une  tonique  reliée  par  l'une  des  notes  de 
son  a.ccoTdk\d.  tonique  principale  {o^.  3i  n°  i,  op.  53,  op.  106  et  op.  m). 
La    Sonate,  op.  106,  contient   précisément  l'une  de    ces  intéressantes 
innovations  :    la    dominajite   [RÉ]   de  la  tonalité  de  sol  affectée   à  la 
seconde  idée  occupait  dans   le  ton  initial  (5/b)  la  fonction  de  médiante. 
Nouvelle  petite   trilogie  dans  la  grande,  la  seconde  idée  se  subdivise 
généralement  en  trois  éléments,  assez  importants  pour  constituer  trois 
phrases  distinctes,  quoique  dépendantes  l'une  de   l'autre  et  destinées 
à  jouer  les  rôles  respectifs  d'exposition,  de  complément  et  de  conclu- 
sion. 


(B)    Seconde  idés 
QV)  Exposition 


:a" 


La  phrase  d'exposition  de  cette  seconde  idée  est  issue  de  la  cellule  mélodi- 
que {a")  appartenant  à  là  première  idée;  le  dessin  (b'),  qui  la  continue  et  qui 
apparaissait  déjà  dans  les  dernières  mesures  du  pont,  n'en  est  qu'une  éma- 
nation mélodique  à  peine  difTérente  ;  cette  phrase  est  composée  de  trois 
périodes  distinctes,  dans  la  tonalité  de  SOL,  avec  tendance  vers  la  dominante 
de  ce  ton. 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


\^r).  Complément 


M^^MrM 


V  rri'.sr. 


n  I F  m 


J: 


*"*     'P»i, 


^^ 


aj^mi; 


É 


^^^ 


¥ 


Deuxième  période 


vers  /a  S  D. 


Cette  phrase  complonentaire  se  subdivise  en  trois  périodes  également  ;  la 
première,    répétée   deux    fois,    est   en    repos    sur   la    fonction    de    domi 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S)  aji 

nante :  Idi  deuxième  marque  une  tendance  vers  la  sous-dominante  ;  elle  est 
suivie  d'un  rappel  épisodique  de  la  cellule  (a")  provenant  de  la  première 
idée  (A)  ;  la  troisième  revient,  par  une  formule  de  cadence,  vers  la  fonction 
de  tonique. 

f/'J  Conclusion 

A.    cnntahile 


* 


do/ce  t'd  e.spresxivo 


^^ 


/-T" 


ÉE£^ 


£^ 


i 


f 


f 


^n 


^ 


Première   période 


j-^j 


S 


pJJ  ^  'pJJ  ui-^  '^^ 


a 


-rr^ 


#i 


èâ 


^g       I      t^ 


£= 


-^li     1P      Jl 


^ 


ly'j'j'ky'é'y^'i^^ 


Trosième    période  (Conclusion) 


^^ 


WW 


^ 


a 


^ 


y'f 


/ 


■^rrr/ 


^m 


^^ 


^ 


3^^ 


Cette  phrase  conclusive  reste  sur  l'harmonie  générale  de  tonique  ;  elle  se  com- 
pose de  trois  périodes,  dont  les  deux  premières,  infléchies  vers  la  sous- 
dominante,  forment  une  double  cadence  plagale  ;  la  troisième,  plus  agogique 
est  une  cadence  parfaite  par  la  dominante  et  la  tonique. 


273  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Ces  tf^ois  phrases,  bien  que  leurs  fonctions  et  leurs  caractères  respec- 
tifs soient  nettement  tranchés,  restent  cependant  du  même  ordre,  au 
point  de  vue  du  style  et  de  l'expression  :  elles  se  complètent  mutuelle- 
ment, et  aucune  d'elles  ne  pourrait  être  entendue  isolément  sans  perdre 
une  grande  partie  de  sa  signification.  Du  reste,  la  parfaite  U7iité  tonale 
de  ces  trois  phrases  suffit  à  montrer  qu'elles  font  bien  partie  de  la  même 
idée  musicale.  C'est,  en  effet,  la  tonalité  qui  doit  déterminer,  dans  une 
exposition^  le  domaine  appartenant  à  chacune  des  deux  idées  :  le  ton 
principal,  au  début,  est  l'apanage  de  la  première  idée,  masculine  dans 
la  plupart  des  cas  ;  tout  ce  qui  est  dans  le  ton  voisin.,  établi  à  l'aide  du 
pont  modulant,  se  rapporte  à  la  seconde  idée,  presque  toujours  fémi- 
nine. 

Cette  belle  idée  mélodique  et  féminine  que  nous  venons  d'analyser  et 
qui  mérite  à  tous  égards  de  servir  de  modèle,  est  Tune  des  plus  longues 
qu'ait  écrites  Beethoven..  Elle  clôture  dignement  Y  exposition.,  laquelle 
se  répète,  da  capo,  suivant  l'ancien  usage  des  danses  et  des  Suites. 
Cette  reprise  textuelle,  totalement  supprimée,  d'ailleurs,  dans  plusieurs 
Sonates,  se  raccorde  ici  à  la  fin  de  la  seconde  idée  par  ciiiq  mesures 
de  transition  ramenant  la   tonalité  principale,  5/ »>. 

Développement.  —  Il  ne  faut  pas  chercher  à  assigner  aux  développe- 
ments beethovéniens  un  cadre  fixe  comme  celui  de  Vexposition  :  leur 
prodigieuse  richesse  et  leur  variété  presque  infinie  défient  toute  classi- 
fication rigoureuse.  Sans  doute,  les  procédés  étudiés  au  paragraphe 
précédent  (p.  241  et  suiv.)  y  sont  employés  tour  à  tour,  ou  même  simul- 
tanément, mais  il  n'est  pas  toujours  possible  d'analyser  strictement  le 
rôle  de  chacun  d'eux  : 

1°  organiquement.,  les  éléments  rythmiques,  mélodiques  ou  har?noniques 
fournis  par  les  idées  musicales  sont  tantôt  amplifiés.,  tantôt  éliminés^ 
tantôt  superposés  ; 

2**  tonalement,'ûs  passent  de  l'état  d'immobilité  a  l'état  de  translation, 
et  réciproquement,  en  subissant  perpétuellement  des  modifications 
expressives  d'ordre  agogique,  dynamique  ou  tnodulant. 

Mais,  au-dessus  de  ces  réactions  mutuelles  des  «  deux  principes  » 
chers  à  l'auteur  de  la  Pathétique,  au-dessus  de  ces  tribulations  musicales, 
images  de  celles  de  la  vie  humaine,  planent  sans  cesse  Vordre  et  la  pî^o- 
portion,  ce  que  Beethoven  appelait  le  «  rythme  de  l'esprit»  (i).  Par 
l'effet  de  cette  logique  supérieure,  chaque  développement  porte  la 
trace  d'un  plan  de  construction  mûrement  réfléchi  :  à  chaque  oeuvre 

(i)  «  11  faut  avoir,  dit  un  jour  Beethoven  à  Bettina  Bientano,  le  rythme  de  l  esprit  pour 
comprendre  l'essence  de  la  musique  t  » 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S) 


873 


correspond  un  plan  spécial  qu'on  peut  aisément  analyser  :  on  y  dis- 
cerne des  périodes  de  translation  et  d' immobilité  tonales,  alternant 
régulièrement  ;  des  étapes  sagement  déterminées  dans  des  tons  appa- 
rentés les  uns  aux  autres;  des  modulations  orientées  vers  la  lumière 
ou  l'ombre.  Et  de  telles  analyses  peuvent  à  peine  donner  la  mesure  de 
rimmense  progrès  accompli,  depuis  les  simples  redites  modulantes  qui, 
sauf  de  rares  et  glorieuses  exceptions,  tenaient  toujours  lieu  de  dévelop- 
pement dans  la  partie  médiane  des  pièces  de  forme  Sonate  antérieures 
à  Beethoven.  Mais,  en  présence  d'une  telle  multiplicité  de  plans  diffé- 
rents, chaque  analyse  ne  peut  fournir  que  des  indications  partielles 
et  restreintes  sur  l'art  du  développement  beethovénien  ;  et  c'est  seu- 
lement à  ce  titre  que  nous  examinerons  ici  les  cinq  éléments  consti- 
tuant le  développement  central  du  premier  mouvement  de  la  Sonate, 
op.  106. 

Le  premier  élément  est  en  état  de  translation  ou  de  marche  :  il  com- 
mence sur  la  tonique  finale  de  la  seconde  idée,  en  sol,  après  la  reprise 
intégrale  de  l'exposition,  et  s'oriente  vers  les  tonalités  plus  sombres 
(quintes  descendantes)  ; 

Dev.  (1^'^  élément,  en  état   de    marche) 
o 


dess'in  sj 

amplifié 


/       O 

-^ 


Ce  premier  élément  du  développement,  en  état  de  marche  \tT%  ut  etw/!»,  con- 
tient un  exemple  d'amplification  (voir  ci-dessus,  p.  243)   appliqué   aux  trois 


Cours  de  composition.  —  t.  11,   1 


18 


2/4 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


dernières  notes  {sol,la,si)  qui  servaient  à  raccorder  avec  la  reprise  de  l'expo- 
sition, et  qui,  la  seconde  fois,  se  reproduisent  rythmiquement  sur  divers 
degrés,  avec  une  importance  croissante,  tandis  que  le  dessin  en  noires 
provenant  de  la  dernière  période  de  la  phrase  b'"  procède  par  élimination 
et  disparaît,  après  avoir  été  réduit  au  rythme  de  ses  deux  premières  me- 
sures. 

Le  deuxième  élément  est  en  état  d'immobilité  ou  de  7-epos^en  Ml  \>  [sous- 
dominante  du  ton  principal).  Il  contient  l'une  des  applications  que 
nous  avons  déjà  citées  (voir  ci-dessus,  p.  gS)  du  système  de  \2.  fugue  au 
développement  de  la  Sonate  :  c'est  une  véritable  exposition  à  quatre 
parties  d'un   sujet  tiré  de  la  période  génératrice  : 


Dév.(2S  élément,  en  état  de  repos) 


II*^  entrée 
(à  deux  parties) 
Sujet 


ff       'fP 


tire  de  a'   par  amplification 


W=^ 


'"'^Ujr  c/^^ 


m 


^^ 


Canon  à  la  quinte  grave  formant  Contresujet 


11^  entrée   (à  trois  parties) 
Réponse 


dsi'i'  •>  Ji  I  ^- 


D.     Réponse 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S) 


273 


III?  entrée  (u  quatre  parties) 

(Canon) 

i      l      ^     \\ 


I 


K"    n 


gsg^ 


m  •      ■'■     *  ■ 


U     1      û 


:•       ?1       U 


^ 


/ 


e/f. 


,i^  -^'^ 


frTTiJTf 


Sujet 


Ce  deuxième  élément,  en  état  de  repos  en  M/  ï),  contient  un  exemple  de  déve- 
loppement rythmique  (voir  ci-dessus,  p.  242)  ;  le  rythme  de  \z  période  géné- 
ratrice {a)  est  conservé,  et  donne  naissance  à  des  dessins  mélodiques  nou- 
veaux ;  ce  même  développement  procède  encore  par  amplification  de  la 
cellule  initiale  {a  )  et  surtout  par  superposition  ou  imitation,  en  raison  de 
son  caractère  fugue,  lequel  disparaît  peu  à  peu,  dans  la  partie  épisodique 
succédant  à  cette  dernière  entrée  et  la  reliant  à  l'élément  qui  suit. 


Le  tt'oisième  élément  est  de  nouveau  en  état  de  translation  :  il  s'appuie 
principalement  sur  la  tonalité  de  50L,  qui  apparaît  d'abord  comme 
dominante  d'w/,  et  produit  déjà  un  accroissement  de  clarté  notable 
[quatre  quintes  ascendantes)  par  rapport  au  ton  de  Mi\>^  où  l'exposi- 
tion de  fugue  vient  d'avoir  lieu.  Le  ton  de  RÉ^  qui  apparaît  à  la  fin  de 
cet  élément,  est  encore  un  peu  plus  clair,  et  sert  d'acheminement  vers  le 
ton  de  SI  q,  beaucoup  plus  clair  encore,  où  se  fera  l'entrée  du  quatrième 
élément  : 


Dév.(3?  e'iément.en  état  de  marche)         cellule  a" 


cellule  a' 


276 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


i 


à 


^ 


SE 


l    y]/ 


ff 


•'/ 


^^ 


i 


^ 


^^ 


^ 


^ 


par    Wlk 

8- 


I 


É 


À 


J'ff-fyJ'fT^/:^ 


T=^ 


ff 


/ 


i^;p^ 


4H^1N^ 


Ff  '  l'^ftf 


i 


ï^i 


m 


0     SOL) 


renforcement  dynamiqu 


^m 


z3 


ff  .-Tf  rf  r^r  fà 


? 


r 


(itmin.  e    poco  ritnrd. 


"•^■>tiA\[ \i\h:^  'îi  g 


i'e;-s  (Sli;) 


Ce  troisième  élément,  en  état  de  marche,  montre  le  conflit  entre  les  deux 
cellules  {a'  et  a')  :  la  cellule  mélodique  en  croches  [a")  finit  par  être  totale- 
ment éliminée,  au  bénéfice  du  rythme  [a')  qui  demeure  seul  :  c'est  donc  un 
nouvel  exemple  de  développement  rythmique,  auquel  s'ajoute  un  renforce- 
ment dynamique,  par  adjonction  de  notes  aux  accords  de  la  dominante 
de  SOL. 

Le  quatrième  élément  entre  brusquement  dans  le  ton  de  5/ b  ,  accusant 
ainsi  un  accroissement  de  clarté  par  rapport  à  tout  ce  qui  précède  (i). 
Cet  élément,  en  état  d'/wwo^////^' tonale,  reproduit  un  fragment  impor- 
tant de  la  phrase  concluante  {b'")  de  la  seconde  idée  (B)  : 

(i)  On  peut  même  considérer  l'entrée  de  cette  tonalité  comme  un  développement  ^a»-- 
momque  de  la  modulation  contenue  dans  le  deuxième  élément  du  pont  (p.  267)  :  c'est,  en 
erfet,  la  même  modulation  entre  d'autres  tonalités  :  5/  t>  à  SOL  dans  le  pont,  RÉ  {dominante 
de  .SOL)  à  S/  a   dans   le  développement,  soit  <>ois  quintes  ascendantes  dans  les  deux  cas. 


I.E  MOUVEMENT  INITIAL  fS) 
Dév   {il  élément,  en  état  de  repos) 


277 


agotîique  croissante 


Ce  quatrième  élément  est  un  exemple  de  développement  mélodique  (voir  ci- 
dessus,  p.  242)  :  il  reproduit  la  mélodie  de  la  seconde  idée  avec  des  modifi- 
cations de  tonalité  et  de  cadence  ;  car  ici,  au  lieu  d'être  concluante,  la  phrase 
(£>'")  s'infléchit  vers  la  dominante  (F'iff),  afin  de  rétablir  par  celte  harmo- 
nie (équivalente  à  celle  de  SOL  b  )  le  contact  entre  la  tierce  (LA  Jî  ou  S/  t>  )  et 
la  tonique  générale  ;  l'oscillation  vers  la  dominante  est  soulignée  par  des 
formules  plus  rapides  produisant  un  accroissement  agogique. 

Le  cinquième  élément,  en  état  de  translation,  repose  tout  entier  sur  la 
période  génératrice  traitée,  comme  dans  le  deuxième  élément,  en  style 
fugué  et  formant  une  sorte  de  strette  qui  part  de  la  dominante  de 
5/ G  [FA^  ou  S0L\>  )  pour  aboutir  à  Tirruption  soudaine  de  la  réexpo- 
sition de  la  première  idée  (A),  en  5/ 1>  : 


Dév.(5:  élément,  en  étal  de  marche) 
X , . r^ .     .^  .     1        N 


2/8 


LA  SONATE  DE  BEE1  HOVEN 


* 


il 


Ê 


± 


rCTy 


p^^ 


1 


élimination 


^^ 


ia 


Ut 


Ce  cinquième  et  dernier  élément  du  développement,  en  état  de  marche,  est  un 
modèle  <ïélimination  ;  la  période  génératrice,  au  lieu  d'être  amplifiée 
comme  dans  l'exposition  fuguée  du  deuxième  élément  (p.  274),  perd  suc- 
cessivement ses  dernières  notes  (i)  et  se  condense  dans  la  cellule  initiale  (a') 
qui  va,  en  quelque  sorte,  «faire  explosion  »  en  ramenant  toute  la  première 
idée  (A)  réexposée. 

Les  divers  éléments  de  ce  développement  sont  extrêmement  variés  : 
ils  ne  contiennent  pourtant  qu'une  faible  partie  des  combinaisons  admi- 
rables que  le  cerveau  beethovénien  était  susceptible  de  concevoir  et  de 
réaliser. Mais,  quelle  que  puisse  être  leur  complexité,  ces  combinaisons 
sont  soumises  aux  principes  dont  nous  avons  constaté  ici  l'application, 
dans  leurs  états  successifs  d'immobilité  et  de  tfauslatiou,  progressant 
continuellement  vers  les  tonalités  plus  claires  {mi  i>  à  SOL;  sol  à  si  a). 

On  pourra  vérifier,  par  d'autres  analyses  semblables  à  celle-ci,  que 
V alternance  régulière  des  ma?xhes  et  des  étapes,  Vordre  logique  des  mo- 
dulations sont  les  effets,  à  peu  près  constants,  des  lois  supérieures  dont 
aucune  composition  sj^mphonique  ne  s'est  jamais  sensiblement  écartée, 
dans  la  construction  des  développements. 

Réexposition.  —  On  a  vu  au  chapitre  précédent  (p.  i  56)  comment  la 
timide  reditedu  dessin  initial,  dans  sa  tonalité  propre,  avait  suffi  à  trans- 
former rapidement  le  type  binaire  de  la  Suite,  en  créant  la  réexposition 
des  thèmes,  apanage  de  la  Sonate  proprement  dite.  Cet  élément  relati- 
vement récent  et,  par  conséquent,  moins  bien  affermi  sur  ses  bases, 
avait  besoin,  plus  que  tout  autre  peut-être,  de  l'effort  beethovénien,  pour 

(i  )  II  n'est  pas  inutile  d'appeler  l'attention  du  lecteur  sur  le  texte  exact  de  Beethoven  dang 
les  trois  dernières  mesures  de  cet  admirable  développement  de  l'op.  106  :  il  y  a  ici  des  la  > 
partout  (  ù  nous  les  avons  indiqués  entre  parenthèses  (pour  plus  de  sûreté),  ce  qui  n'empêche 
pas  un  certain  nombre  d'éditions,  généralement  alK-mandes,  d'étaler  ici  d'affreux  la  S  ,  cor- 
rigeant Beethoven  avec  un  tact  et  un  goût  éminemment  germaniqi.es  I 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S)  379 

devenir  apte  à  équilibrer  complètement,  par  de  solides  fondations,  IV.v- 
position  initiale  ou  l'autre  «  pilier  »  de  cette  «  voûte  »  à  laquelle  nous 
avons  comparé  le  type  S.  La  reprise  intégrale  de  la  seconde  partie  de 
l'ancienne  Suite  était  déjà  tombée  en  désuétude  dans  la  Sonate,  par 
l'effet  de  cette  subdivision  qui  l'allongeait  notablement  ;  l'importance 
croissante  du  second  thème,  substitué  à  l'ancienne  inflexion  vers  le 
ton  voisin,  avait  entraîné  la  transposition  stricte  au  ton  principal  de 
toute  Vexposition^  à  partir  de  cette  sorte  de  coda  modulante  qui  termi- 
nait \e  pretnier  thème  (i).  Le  rattachement  entre  le  premier  thème  trans- 
crit et  le  second,  transposé,  se  faisait  assez  platement  ;  et  il  n'est  pas 
téméraire  de  supposer  que  la  monotonie  routinière  des  réexpositions  de 
cette  espèce  diminuait  beaucoup  leur  intérêt,  pour  l'auditeur  sûrement, 
et  peut-être  aussi  pour  l'auteur,  qui  en  était  arrivé  à  les  considérer 
comme  des  «  formalités  nécessaires». 

De  grands  artistes,  Haydn,  Mozart,  Rust,  sentirent  assurément,  s'ils 
ne  le  comprirent  pas,  ce  défaut  d'intérêt  des  réexpositions,  et  tentèrent 
parfois  d'y  remédier.  Il  appartenait  à  Beethoven  de  discerner  dans  cette 
loi,  si  sévère  en  apparence,  de  la  tonalité^  «  l'esprit  qui  vivifie  »  de  «  la 
lettre  qui  tue  »,  en  nous  montrant  les  moyens  de  sauvegarder  cette 
tonalité  sans  tomber  dans  la  monotonie. 

Le  premier  mouvement  de  la  Sonate,  op.  io6,  est  l'un  de  ceux  où  ce 
but  est  le  mieux  atteint  ;  mais  on  aurait  tort  de  croire  que  les  procédés 
employés  pour  y  parvenir  soient  les  seuls  dont  disposait  l'auteur  de 
VAppassionata  et  de  Top.  i  1 1  :  c'est  donc  à  titre  d'indication  nullement 
limitative  que  nous  allons  les  analyser. 

Première  idée  {A).  —  Dès  les  premières  mesures  de  \a  première  idée 
réexposée,  on  constate  une  modification  qui,  tout  en  respectant  la  tona- 
lité et  la  musique  même  de  cette  idée,  en  accroît  singulièrement  l'effet 
expressif,  agogiquement  d'abord,  par  l'adjonction  du  dessin  mélodi- 
que en  croches  [a")  sous  la  période  génératrice,  à  la  partie  grave,  puis 
dynamiquement,  à  l'entrée  de  la  période  secondaire,  dont  la  sonorité  est 
renforcée  par  des  tierces  et  des  accords  à  la  partie  supérieure.  La 
redite  de  cette  période  à  l'octave  aiguë  est  remplacée  par  des  imitations 
en  état  de  marche  vers  le  ton  de  sol  t>,  apparenté  par  sa  tierce  {si  t)l  au 
ton  principal,  et  déjà  «  accrédité  »  dans  le  développement  à  titre  de 
dominante  {fa  h-sol  t>)  du  ton  de  5/  a-f/r  t>  (2)  : 

(i)  C'est  pour  cette  raison  que  dans  le  spécimen  du  type  S,  emprunté  à  Ph.-Emm.  Bach 
et  cité  ci-dessus  (p.  160),  nous  avons  omis  totalement  la  réexpositio'i  qu'un  copiste  pourrait 
récrire  en  entier,  en  transposant. 

(3)  11  est  à  remarquer  que  l'harmjnie  de  FAS-SOL?  exerce  une  intlaence  prépondéitnte 
sur  louie  la  Sonate,  op.  106  (voir  p.  363  et  suiv.). 


2bo  LA  SOiNATE  DE  BEETHOVEN 

CA)    Première  idée 


t 


■  i-i.  i>.rffT^si 


*  i  '  *  d 


J-  ^^J-   .\  JIT]J  P. 


gr-ctrr 


aj^u^ 


^ 


s 


-ir-JT^' 


j.  J'j.  > 


^^ 


■r^r 


^^ 


^^w 


cantabile  e  legato 


cresc.  poco   a   poco 


'-^^ ^ f    \}*m'  'b  o Vo ira 


:^ 


rersfeOLb)' 


iî^JQii  ..im 


t.;f"!ff--|"f'fTa 


^^rnja~n 


:ajn- 


^ 


Lir    rp 


hJ?? 


X]  J  J 


^ 


i*     ^     *  1=  ,7*  1)^ 


aat 


T       r 


ffl^^^fVt'Wi'-^' 


^m 


F^f^ 


{. 


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fe 


^ 


9»-''  0   é    J.  é 


-é # 


r    r 


>r 


T     r@^5 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S)  381 

Pout  (P).  —  Cette  modulation  plus  sombre  donne  un  intérêt  nou- 
veau à  la  redite  delà  première  idée  (A),  dans  laquelle  elle  joue  le  rôle 
de*cadence  rompue,  pour  permettre  au  pont  (P)  de  prendre  une  orien- 
tation tonale  différente,  tout  en  gardant  ses  trois  éléments  constitutifs. 

Le  premier  est  en  sOL  t),  au  lieu  d'être  en  5/  k>  : 

Cïy   Premier  élément  û""' 


# 


^m 


f 


w 


M 


P 


f 


4^''  i  i  i  4 


'A'.  .'?fMj  •,'^m 


^ 


etc. 


Le  deuxième  reproduit  \si  période  génératrice  en  ut  7-si^,  au  lieu  de  RÉ 

Dt'iixitrnu-  élt'niellt 


bg>^    f    ,    f     |,j^ 


S 


/^i»^ — ^ 


^ 


f    :T^ 


'î*'  .r/-.v.(sï^ 


(Yr 


Le  troisième  est  sur  la  dominante  de  si  ■y,  au  lieu  de  50L  : 

Troisième  e'iémfnt 


282  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Seconde  idée  {B).  —  L'orientation  des  modulations  du  pont^  de  plus 
en  plus  sombres  (car  le  fragment  écrit  en  si  a  est  en  réalité  enut[>,  relatif 
de-w/bt),  comme  on  peut  s'en  rendre  compte  par  les  harmonies  em- 
ployées), donne  au  retour  de  si\>  un  caractère  de  clarté  reposante  qui 
rend  toute  sa  valeur  à  la  seconde  idée  (B)  réexposée  intégralement  dans 
ce  ton,  avec  ses  trois  phrases  {b\  b" ,  b"')  sans   modification  notable  : 


(K>    Seconde   idée 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S) 


285 


Développement  terminal.  —  A  la  réexposition  déjà  enrichie  de  modu- 
lations nouvelles  et  de  perfectionnements  divers  dont  nous  venons  de 
voir  des  exemples,  Beethoven  voulut  ajouter  encore  une  sorte  de  cou- 
ronnement, véritable  développement  terminal  participant  des  états  suc- 
cessifs de  translation  et  d'immobilité,  mais  différant  du  développement 
central  par  l'orientation  des  modulations  :  ici,  en  effet,  la  tendance  con- 
clusive  domine  toutes  les  harmonies,  subordonnées  à  la  grande  cadence 
tonale  dont  elles  ne  sont  que  l'extension.  On  retrouve  aisément  la  trace 
des  «  deux  principes  opposés  »  dans  cette  explication  ultime  des  thèmes, 
aboutissant  à  l'affirmation  définitive  de  la  tonique  :  l'œuvre  qui  nous 
sert  de  modèle  contient  un  développement  terminal  en  trois  fragments. 

Le  premier  reproduit,  en  l'amplifiant  notablement,  le  prefnier  élé- 
ment du  développement  central,  en  état  de  marche,  partant  de  la  toni- 
que du  ton  principal  et  revenant  à  la  même  fonction  après  un  parcours 
modulant  : 


OeT.  terminal     (^Premier    élément/ 

¥      *      f  .     f-    ,    ¥-_f  ■     1^    r    ^    f 


¥  L'' jj-^ 


m 


i 


*^  E. 


^m 


^ 


z 


£ 


m 


a 


/ 


• 


/ 


^f 


m 


/ 


/ 


^ 


^  3V  ^     i  ^  i  ^ 


i  gv 


Le  deuxième  reproduit  la  dernière  phrase  {b'")  de  la  seconde  idée  avec 
une  cadence  sur  la  quarte  et  sixte  ramenant  par  un  trair  diatonique  la 
conclusion  : 


284 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Deuxième   élément 


i.i-     U.Jj 


u 


^ — . 


^^ 


:§=^ 


^^s:^ 


SK=t; 


S 


^ 


âi 


§ 


^ 


-" — t- 


Le  troisième  est  une  coda  concluante,  développant  rythmiquement  les 
deux  cellules  {a'  et  a")  de  tout  ce  mouvement  qui  semblent  se  désarti- 
culer et  s'estomper  peu  à  peu  : 


Troisième    élément   ('Conclusion) 


LE  MOUVEMENT  INITIAL  (S) 


285 


t;    iiti  i  i 


t 


Ij 


i 


i^ 


/ 


/ 


/ 


S 


'•  J  *  J  * 


© 


^^P 


d^ 


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ttaCae 


i 


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s^ 


$Ë 


sf-mprc   dimin 


^^rviin^iiiiwm 


^^^m^mm 


^3 


« i_ 


1^ 


m 


^ 


^^ 


spwpre  pp 


ppp 


ff 


^ 


JWJJJi'JJJJJiJJIJJ-'JI' 


A  la  place  occupée  par  ce  dernier  fragment, qui  méritait  à  tous  égards 
d'être  cité  en  entier,  apparaît  parfois  dans  certaines  Sonates  une  phrase 
mélodique  nouvelle,  différente  des  deux  idées  exposées  dont  elle  est  en 
quelque   sorte  le   commentaire  ou   \2i  péroraison  {\].  On  doit  signaler 


(i)  Voir  notammentles  op.  7,  10  n»  3,  37  et  81. 


3  86  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

ici  cette  innovation  importante  introduite  par  Beethoven  dans  le  plan 
de  la  réexposition,  bien  que  l'op.  io6  n'en  contienne  pas  l'application. 

Plan  du  type  S  perfectionné  par  Beethoven.  —  Bien  que  l'analyse  pré- 
cédente ne  puisse  contenir  un  exemple  de  tous  les  procédés  que  Beetho- 
ven mit  en  œuvre  dans  ses  Sonates,  elle  suffit  à  vérifier  les  principes 
généraux  de  construction  qui  fixent,  au  moins  dans  ses  grandes  lignes^ 
le  plan  du  mouvement  initial. 

Ce  plan,  tel  qu'il  est  résumé  ci-contre,  doit  être  considéré  comme 
un  ?naxî?num  d'éléments  susceptibles  de  prendre  place  dans  une  pièce 
symphonique  du  type  S,  de  même  que  la  grande  cadence  citée  ci-dessus 
(p.  45)  était  le  maximum  des  expositions  appelées  à  constituer  la  Fugue. 
Toutefois,  dans  cette  forme  Sonate  si  admirablement  équilibrée,  c'est 
la  loi  des  relatiotis  tonales  qui  est  substituée  à  celle  de  la  cadence  régis- 
sant l'ancienne  forme  Fugue  :  au  lieu  d'entrées  et  d'épisodes  successifs, 
ce  sont  des  périodes  d'immobilité  tonale  qui  alternent  régulièrement 
avec  des  périodes  de  translation.  Mais  ces  entrées  en  j^epos  et  ces  épisodes 
en  marche  ne  contenaient-ils  pas  en  germe  les  expositions  et  les  déve- 
loppements, et  la  structure  tonale  de  toute  oeuvre  symphonique  ne  peut- 
elle  pas  être  ramenée,  en  définitive,  à  une  cadence  ? 

En  comparant  ce  plan  avec  celui  de  la  Sonate  dithématique  anté- 
rieure (p.  i65),  on  en  déduira  aisément  les  innovations  appartenant  en. 
propre  au  génie  beethovénien  ;  il  y  en  a  neuf  principales,  qu'on  peut 
résumer  ainsi  : 

1°  La  remise  en  usage  de  l'ancienne  Introduction  lente.,  abandonnée 
depuis  Corelli,  et  reparaissant  dans  les  Sonates  de  piano  à  c/wcj' reprises 
différentes,  sous  une  forme  singulièrement  agrandie  (op.  i3,  op.  78» 
op.  81,  op.  109  et  op.  1 1 1). 

2"  1^2.  subdivision  des  idées,  et  surtout  des  idées  féminines  ou  secondes 
idées,  en  phrases  différentes  se  complétant  mutuellement  : 

l&  première  idée  est  en    une  phrase  dans  21  Sonates 

—  —  deux  phrases  —     10      — 

—  —                  trois  phrases        —        i       —     (i) 
la  seconde  idée  est   en    une  phrase  dans    5  Sonates 

—  —  deux  phrases  —       3       — 

—  —  froj5  phrases  —    21       —     (2). 

On  est  donc  fondé  à  considérer  Vidée  A,  masculine.,  en  une  seule  phrase., 
et  Vidée  B,  féminine.,  en  ti^ois  phrases.,  comme  une  véritable  règle  dans 
la  construction  du  type  S. 

(i)  Ce  cas  unique  de  la  première  idée  en  trois  phrases  se  rencontre  dans  le  premier  mou- 
vement de  l'op.  90:  les  trois  phrases  sont  d'ailleurs  très  courtes,  et  peuvent  être  considérées 
comme  des  périodes  plutôt  que  comme  de  véritables  phrases. 

(2)  Trois  Sonates  (op.  26,  op.  27  n°  i  et  op.  54)  n'ont  pas  à  proprement  parler  de  seconde 
idée,  puisqu'elles  ne  contiennent  aucun  mouvement  du  type  S. 


LE  MOUVEMENT  INITIAL    S) 


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388  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

3°  L'organisation  complète  (à  partir  de  la  deuxième  Sonate  pour  piano, 
op.  2  n'  2)  du  Pont  mélodique  ou  rythmique,  en  état  de  translatioji  ou 
de  marche  tonale,  servant  à  préparer  la  première  exposition  de  Vidée  B 
au  ton  voisin,  et  à  interrompre  la  continuité  tonale  de  la  réexposition 
des  deux  idées  au  ton  principal. 

4°  L'^application  du  principe  de  parenté  par  les  notes  communes  des 
accords  de  tonique,  pour  le  choix  de  la  tonalité  de  la  seconde  idée.  Cette 
innovation  très  importante  se  renouvelle  à  quatre  reprises  différentes 
dans  les  Sonates  de  piano  : 

dans  l'op.  3i  n°  i  et  dans  l'op.  53,  l'idée  B  est  au  ton  de  la  tierce  majeure 
supérieure  (modulation  à  la  quatrième  quinte  ascendante)  :  la  médiante  du 
ton  principal  devient  la  tonique  du  ton  voisin  choisi  ; 

dans  l'op.  io6,  l'idée  B  est  au  ton  de  la  sixte  majeure  supérieure  (modulation 
à  la  troisième  quinte  ascendante)  :  la  médiante  du  ton  principal  devient  la 
dominante  du  ton  voisin  choisi  ; 

dans  l'op.  m,  l'idée  B  est  au  relatif  majeur  de  la  sous-dominante  (modula- 
tion à  la  première  quinte  descendante)  :  la  tonique  du  ton  principal  devient 
la  dominante  du  ton  voisin  ; 

sauf  ces  quatre  dérogations  aux  usages  antérieurs,  l'idée  B  est  toujours 
à  la  dominante  dans  les  mouvements  S  de  mode  majeur,  et  au  relatif 
majeur  dans  les  mouvements  S  de  mode  mineur. 

5°  La  suppression  de  la  reprise  textuelle  de  toute  la  première  exposi- 
tion :  appliquée  pour  la  première  fois  dans  Top.  57,  cette  innovation 
devient  à  peu  près  constante  à  partir  de  l'op.  90  (i). 

6°  L'organisation  logique  du  développement  central,  par  alternance  ré- 
gulière des  périodes  de  translation  et  d'immobilité  tonales,  par  étapes  suc- 
cessives dans  des  tonalités  fortement  apparentées  les  unes  aux  autres, 
et  par  progression  générale  continue  vers  la  clarté  ou  vers  l'obscurité. 

7'  L'adjonction  fréquente  d'un  développement  terminal.^  en  état  de 
translation  faisant  retour  au  ton  principal,  après  la  réexposition  de 
l'idée  B. 

8°  La  terminaison  des  pièces  du  type  S  par  une  phrase  mélodique 
concluante,  en  état  d'immobilité  au  ton  principal,  sorte  de  résumé  ou 
de  commentaire  des  thèmes  précédemment  exposés,  développés  et  réex- 
posés. Ces  phrases  concluantes  spéciales  apparaissent  cinq  fois  dans 
les  Sonates  de  piano  : 

dans  le  mouvement  initial  de  l'op.  7 

—  —  —     de  l'op.  10  no  3 

—  —  —      de  l'op.  57 

—  —  final  de  la  même  Sonate 

—  —  initial  àeVo'Ç).  81. 

(i)  Parmi  'es  Sonates  pour  piano  postérieures  à  l'op,  90,  le  premier  monvement  de  l'op.  106 
est  le  seul  qui  contienne  encore  l'indication  de  la  reprise  intégrale  de  l'exposition. 


LE  MOUVEMENT  LENT  (L)  3B9 

9*  L'emploi  de  la  forme  Sonate  à  d'autres  rangs  que  le  premier  : 
cette  dernière  innovation  semble  être  restée,  chez  Beethoven,  à  l'état  de 
simple  tentative  ;  mais  elle  est  assez  importante  pour  qu'on  doive  la 
signaler  ici  : 

dans  sept  Sonates  (op.  lo  n"  i,  op.  3i  n»  2,  op.  11  n»  3,  op.  Sj,  op.  81,  op.  loi 
et  op.  109),  il  y  a  deux  mouvements  du  type  S,  dont  l'un  est  au  premier 
rang  et  l'autre  au  dernier,  en  qualité  de  finale  ; 

dans  une  Sonate  (op.  27  n»  2),  le  seul  mouvement  du  type  S  n'est  pas  au  com- 
mencement, mais  à  la  fin  ; 

dans  U-ois  Sonates  enfin  (op.  26,  op.  27  n»  i  et  op.  54),  il  n'y  a  aucun  mou- 
vement du  type  S  (1). 

on  peut  apprécier  par  le  nombre  restreint  de  ces  exceptions  le  rôle 
prépondérant  que  Beethoven  entendait  conserver  à  cette  admirable 
forme  Sonate,  devenue  sienne  par  tous  les  perfectionnements  dont  il 
l'avait  dotée.  Les  principes  féconds  appliqués  à  ce  morceau-type  par 
excellence  devaient  même  réagir  sur  les  autres  mouvements  :  nous  allons 
constater,  en  effet,  que  certains  mouvements  lents  (L),  modérés  (M),  ou 
7\ipides  (R),  rappellent  par  plus  d'un  point  la  construction  tonale  de  la 
forme  Sonate  (S). 

4.     —     LE    MOUVEMENT    LENT    :     TYPE     L.     —     SES     DIVERSES    FORMES     l 
GRAND  LIED  (LL),  L/ED-SONATE  (  LS),  LIED  VARIÉ  (LV). 

En  raison  même  de  son  caractère  d'expansion  mélodique  plus  in- 
tense, la  pièce  lente  offre,  chez  Beethoven  comme  chez  ses  devanciers, 
une  moins  grande  rigueur  de  forme,  et  il  ne  serait  pas  possible  de  ra- 
mener tous  les  mouvements  lents  de  ses  Sonates  à  un  type  unique. 
Cependant  le  type  Lied{L),  tel  qu'il  nous  est  apparu  au  temps  de  Haydn 
(voir  ci-dessus  p.  i65  et  suiv.),  demeure  le  principal  modèle  du  mor- 
ceau lent  et,  surtout,  de  sa  phrase  initiale.  Quelle  que  soit  la  forme 
adoptée  par  la  pièce  lente,  cette  phrase  est  constituée  soit  en  deux 
périodes,  soit  plus  généralement  en  trois  :  c'est  alors  un  véritable  petit 
lied  à  trois  éléments,  dont  l'un  est  souvent  répété  deux  fois  et  donne 
ainsi  à  cette  phrase  lied  l'aspect  d'une  phrase  dite  carrée  (2). 

Ldi  phrase  lied  }oue  dans  le  mouvement  lent  le  rôle  d'un  véritable 
personnage  agissant  seul.  C'est  cette  ujiité  du  personnage  thématique 
qui  doit  être  considérée,  selon  nous,  comme  la  caractéristique  spéciale 
du  type  L.  On  conçoit,  dès  lors,  qu'une  idée  musicale  apte  à  être  traitée 
dans  cette  forme  doive  être  essentiellement  différente  des  deux  thèmes 

(i)  On  pourrait  avec  quelque  raison  refuser  à  ces  trois  œuvres  la  qualification  de  Sonates 
proprement  dites,  si  les  autres  pièces  qui  lescomposent  n'étaient  absolument  conformes  aux 
trois  autres  types  traditionnels  (L.  M.  R.). 

(2)  Voir  I»'  liv.,  chap.  11,  p.  41  et  42. 

Cours  de  composition.  —  t.  u,   i.  19 


ago  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

antagonistes  destinés  au  type  Sonate.  Par  sa  longueur  et  sa  subdivi- 
sion ternaire,  le  thème  de  lied  se  différencie  déjà  d'une  première  idée  ; 
mais  cette  subdivision  elle-même  ne  permet  pas  davantage  de  le  con- 
fondre avec  une  seconde  idée,  car  sa  troisième  période  est  très  souvent 
une  reproduction  de  la  p?^emière  avec  un  changement  d'orientation 
tonale,  et  ces  périodes,  appelées  à  constituer  toujours  une  seule  phrase 
de  longue  haleine,  sont  liées  les  unes  aux  autres  par  une  symétrie  de 
forme  bien  plus  étroite  et  plus  tangible  que  la  simple  parenté  virtuelle 
unissant  les  trois  phrases,  toujours  distinctes  et  parfois  même  contras- 
tantes, d'une  seconde  idée  du  type  S. 

Certes,  nous  ne  voulons  pas  dire  que  l'image  de  la  lutte  inséparable  de 
l'être  vivant  soit  incompatible  avec  la  forme  du  mouvement  lent  :  mais 
cette  lutte,  lorsque  lutte  il  y  a,  ressemble  bien  plus  à  un  conflit  de 
sentiments  divers  ou  opposés  affectant  tour  à  tour  le  personnage  uni- 
que, qu'à  cette  domination  violente  ou  persuasive  d'un  personnage  par 
l'autre,  dont  le  type  S  contient,  en  général,  la  traduction  musicale. 

Les  thèmes  accessoires,  dans  le  type  L,  seront  donc  traités  comme 
des  éléments  d'impression  ou  de  décor,  se  modifiant  successivement  et 
réagissant  sur  le  personnage  vivant  qui  les  éprouve  ou  les  traverse 
plus  ou  moins,  mais  qui  garde  toujours  sa  physionomie  propre  et  sa 
tonalité  unique.  Il  n'y  a  pas,  en  effet,  à  proprement  parler,  de  conflit 
de  tonalités  dans  une  pièce  lente  :  la  modulation,  lorsqu'elle  intervient 
(généralement  au  milieu),  n'affecte  presque  jamais  le  thème  principal  ; 
elle  interrompt  la  monotonie  par  des  impressions  accidentelles  ou  pas- 
sagères, et  renforce  ainsi  l'effet  du  retour  final  au  ton,  agissant  en  cela 
dans  le  même  sens  que  le  pont  dans  la  réexposition  du  type  S. 

Toutefois,  entre  un  pont  modulant  (i)  et  un  fragment  modulajit  inter- 
calé entre  deux  expositions  tonales  du  thème  de  lied,  il  y  a  une  diffé- 
rence importante  qui  provient  de  la  nature  même  de  ces  fragments  ou 
de  ces  sections  {2)  composant  la  forme  Lied.  Ces  sections,  en  effet,  lors- 
qu'elles ne  contiennent  pas  le  thème  lui-même,  en  sont  totalement  indé- 
pendantes, tant  par  leurs  dessins  que  par  leurs  attaches  :  c'est-à-dire 
que  chaque  section  affecte  l'aspect  d'un  compai'timent  séparé  se  suffisant 
à  lui-même,  sans  communiquer  aucunement  avec  ses  voisins.  L'enchaî- 
nement des  sections  les  unes  aux  autres  n'offre,  lorsqu'il  existe,  aucun 
caractère  de  nécessité  :  dans  bien  des  cas,  au  contraire,  ces  comparti- 


(i)  Certaines  variétés  du  type  L,  la  orme  Lied'Sonate  ou  Sonate  sans  développement  qui 
sera  étudiée  ci-après,  p.  296,  par  exemple,  peuvent  contenir  de  véritables  ponts  modulants  ; 
mais  ceux-ci  ne  constituent  plus,    en  ce  cas,   des  fragments  séparés. 

(2)  Le  mot  par/ie  ayant,  en  musique,  une  acception  spéciale  (partie  mélodique,  partie  inter- 
médiaire, ;?arfie  grave  ou  basse,  etc.),  nous  serons  obligés  d'appeler  sections  ou  comparti- 
ments ces  véritables  parties  constitutives  du  Lied  et  de  certaines  autres  formes. 


LE  MOUVEMENT  LENT    L) 


391 


ments  pourraient  être  joués  isolément,  ou  même  supprimés,  sans 
détruire  l'équilibre  de  la  pièce  à  laquelle  ils  appartiennent.  Rien  de 
semblable  ne  pourrait  être  pratiqué  sur  un  fragment  quelconque 
d'un  morceau  de  forme  Sonate. 

Ces  caractères  généraux  sont  à  peu  près  constants  dans  les  mouve- 
ments lents  des  Sonates  de  Beethoven,  mais  il  n'en  est  pas  de  même  de 
la  structure  :  celle-ci,  quoique  assez  variable,  peut  néanmoins  être 
ramenée  à  trois  types  principaux  que  nous  qualifierons  respectivement 
de  Lied  proprement  dit,  simple  (L)  ou  développé  {hh)'^  de  Lied-Sonate 
(LS)  Q\  de  Lied  Varié  {I.Y). 

.  Lied  simple  (L)  ou  développé  (LL).  —  Le  Lied  ternaire  à.  phrase  ternaire, 
grande  trilogie  contenant  dans  chacune  de  ses  sections  l'image  réduite 
du  tout,  demeure,  ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  le  type  primordial 
restreint  du  morceau  lent  ;  cependant,  dans  cette  forme  à  t?'ois  sec- 
tions, semblable  à  celle  que  nous  avons  analysée  au  chapitre  précédent 
(p.  167  et  suiv.),  il  ne  se  retrouve  pas  plus  de  quatre  ou  cinq  fois  dans 
les  Sonates  de  piano. 

Beethoven  semble  lui  préférer,  dès  ses  premières  œuvres  (op.  2  n"  2), 
une  forme  plus  ample,  dans  laquelle  le  thème  revient  trois  fois,  chacune 
de  ses  réexpositions  étant  séparée  de  la  précédente  par  une  section 
distincte  modulante  .  le  nombre  total  des  sections  composant  cette 
forme  nouvelle  est  ainsi  porté  à  cinq^  ce  qui  la  rapproche  un  peu  de  la 
forme  Rondeau  (R),  par  le  retour  périodique  du  thème  aux  sections  de 
rang  impair  (i,  m,  v),  comme  une  sorte  de  refrain. 

La  Sonate,  op.  2  n*  2,  contient  un  exemple  assez  complet  de  cette 
forme,  dite  Lied  développé  : 

La  i"  section  de  ce  Largo  appassionato  contient  le  thème,  véritable 
phrase  //e<i  à /ro/s  périodes  (<3,  ^,  a')  exposées  sur  la  tonique,  la  domi- 
nante et  la  tonique,  et  formant  un  tout  complet,  sans  liaison  nécessaire 
avec  la  11^  section  : 


[ï]     EXPOSITION    du  Thème 

^_.   Largo  appassionato 


T      RE) 


B^^W^S 


st(iicat(j  semptf 


392 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


7W^^' 


Cette  première  période  (a)  est  tout  entière  sur  la  fonction  de  tonique  du  ton 
principal   ^£(1). 


Cette   deuxième  période   [b),    beaucoup  plus   courte,  est  tout   entière  sur  la 
fonction  de  dominante. 


ê 


tenuto 


'/. 


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I I V.     /  p 


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ff:==-P 


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^trm 


T' 


Cette  troisième  période  [a')  n'est  qu'une  reproduction    de  la  première  [a)  sur 
la  tonique  et  en  forme  plus  conclusive. 

(1)  Ce  thème,  par  sa  tonalité  et  son  dessin,  peut  être  considéré  conime  une  ébauche  de 
celui  de  l'jirfag'to  du  Trio,  op.  97  (a  l'archiduc  Rodolphe)  ;  il  faut  noter  aussi  son  analogie 
avec  \'Andante  de  la  Sonate  en  la  de  Rust. 


393 


LE  MOUVEMENT  LENT  (L) 

La  ii«  section  contient  un  dessin  accessoire  exposé  au  relatif  {si),  avec 
repos  sur  sa  dominante  {fa  %  )  et  enchaînement  à  la  dominante  princi- 
pale {la)  pour  la  rentrée  du  thème  : 


^ 


* 


1  1 


=f 


^Π


m.^ 


'jTl^^j 


D.  ') 


j — ■'  f^Tr  "^  "^  7  '^  r  r  •^  •^  ; 


i 


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^^^.^ 


f  r  r  ry 


r  rf  r  r  r 


r    r 


gapî^ 


m     m     m     m     m 


È 


i    t    t    r=r 


La  m«  section  réexpose  le  thème,  dans  le  même  état  tonal  qu'au 
début  :  c'est  à  peine  si  de  légères  différences  affectent  ce  qu'on  pourrait 
appeler  son  «  orchestration  v,  c'est-à-dire  le  registre  ou  le  timbre  de 
certaines  périodes,  et  notamment  la  deuxième  {b),  dont  la  mélodie  com- 
mence à  l'octave  grave. 

On  conçoit  donc  que  si  le  Lied  commençait  par  cette  iii«  section,  en 
supprimant  les  deux  précédentes,  il   se   trouverait,  en  quelque  sorte, 


394 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


réduit  à  la  forme  Lied  simple^  sans  avoir  perdu  aucun  organe  essentiel 
à  sa  construction. 

La  IV*  section,  beaucoup  plus  importante  que  la  ii%  a  tous  les  carac- 
tères d'un  véritable  développemejit  en  tî'ois  éléments  : 

rV|    Développement 


fe:^ 


^^ 


r.  ^  :^t^ 


r-r'=T=j 


EU 


IHifv    i         ^ 


W^nv. 


2^^ 


£ 


T.  (RE 


M--».r^  j  ^'  ^ 


!^T 


rn   -rri 


^w 


tennto        développement  dt 


"H- 


m 


S 


M^^ 


m^ 


ff 


^==à 


♦ — "-# 


© 


lif  q^a  f  q--q 


^..,^.  ^^, 


Staccato 


û 


la  période    a 


^  sf  ^ 


aniplifijcation 


îS=t 


r^  i    -^1^ 


^^ — # 


I-E  MOUVEMENT  LENT  (L) 


293 


Le  développement  contenu  dans  cette  iv*  section  commence  par  une  imitation 
du  dessin  sur  la  tonique,  qui  fait  suite  à  la  réexposition  du  thème  conter.u 
dans  la  ni»  section  ;  ce  dernier,  doublé  en  valeurs  plus  brèves,  par  un  pro- 
cédé agogique  bien  connu,  aboutit  au  ton  de  ré,  où  le  motif  initial  du  thème 
est  amplifié  par  une  modulation  en  S/ 1>  ;  une  sorte  de  pédale  de  dominante 
complète  ce  petit  développement  et  prépare  la  rentrée  du  Thème  au  ton  prin- 
cipal. 

La  V*  et  dernière  section  réexpose  encore  le  thème,  mais  en  le  résu- 
mant par  sa  période  initiale  (a),  tandis  que  la  pédale  de  dominante  se 
prolonge  et  trouble,  par  son  dessin  agogique  en  doubles  croches,  le 
calme  de  la  mélodie  ;  une  brève  coda  concluante,  qui  s'efface  peu  à  peu, 
remplace  les  périodes  supprimées  et  rétablit  l'équilibre  de  cette  section 
terminale  : 

[y]    RÉexpOSITION  du  Thème  et  Conclusion 


(enulo 


W^^^ 


^-^r^- 


2g6 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Le  plan  de  la  construction  du  lied  développé  (LL)  peut  donc  être 
résumé  ainsi  : 

SECTION  I.  —  Exposition  du  thème  (phrase  lied  ou  phrase   binaire)  ; 

SECTION  II,  —  Elément  accessoire  modulant; 

SECTION  III.  —  Réexposition  médiane  du  thème  dans  sa  tonalité,  avec  ou  sans 
modifications  d'écriture  ; 

siCTioN  IV.  —  Elément  nouveau,  différent  de  celui  qui  constitue  la  ne  section^ 
et  offrant  souvent  le  caractère  d'un  développement  ; 

SECTION  V.  —  Réexposition  terminale  du  thème,  dans  sa  tonalité,  générale- 
ment modifié  ou  résumé,  et  suivi  d'une  coda  concluante. 

Lied-Sonate  (LS).  —  Cette  forme,  qu'on  peut  aussi  qualifier  de  forme 
Sonate  sans  développement^  appartient  en  propre  à  Beethoven  ;  elle 
marque,  avec  la  rénovation  de  la  forme  Rondeau  qui  sera  étudiée  ci- 
après  (p.  3 12  et  suiv.),  un  progrès  notable  vers  l'unification  synthétique 
de  la  Sonate,  tendant  à  lui  donner  de  plus  en  plus  l'aspect  d'un  cycle 
de  pièces  construites,  toutes,  à  l'image  de  la  première.  C'est  en  effet  le 
type  S,  précédemment  étudié  (p.  260  et  suiv.),  qui  fournit  tous  les 
éléments  constitutifs  de  ce  type  Lied-Sonate^  dont  l'op.  3i  n°  2  contient 
un  exemple  très  complet. 

Exposition.  —  Le  thème  principal  (A),  qui  est  ici  de  coupe  binaire, 
s'expose  sur  la  tonique  avec  inflexion  vers  la  dominante^  à  la  fin  de  la 
première  période  ;  sa  dernière  période  est  en  forme  conclusive,  comme 
dans  toutes  les  pièces  lentes  : 


(^   EXP0SIT10N.du_T.hème.  principal 
Adagio 


\¥'''f  Me^'f 


^ 


M 


^m 


T=f 


^ 


ï 


^=4 


T   feliy     '  ^*  Première _ppriode 


LE  MOUVEMENT  LENT  (1-) 


297 


Seconde  période 


i* 


S 


ffll 


/ 


P 


•S  *f   a'  ^ 


i^     ^-j*  '^    i 


i^X 


m 


f^^ 


1 


^^ 


Mir  *■  =f=^ 


»i  ^  5: 


^ 


f 


conclusion  à  lu  T. 


Ce  thème  est  suivi  d'un  dessin   mélodique  de  transition,   modulant  à 
la  dominante  de  FA,  et  offrant   les  caractères  principaux   du  pont  (P)  : 


tn  mon  ht  vftx  la  U  de  {^ 


298 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Une  phrase   nouvelle,  jouant   le  rôle    de   seconde  idée  (B),  s'expose 
ensuite  au  ton  de  fa^  dominante  du  ton  principal  : 


(B).  Thè me  accessoire 


L'ensemble  de  ces  trois  éléments  (A,  P,  B)  constitue  une  exposition 
suspensive,  identique  comme  construction  tonale  à  celle  d'un  morceau 
du  t3'pe  S.  Mais,  à  la  place  du  développement,  se  trouvent  seulement 
quelques  mesures  de  rentrée^  destinées  à  relier  cette  seconde  idée  (B) 
à  une  réexposition  du  thème  principal  (A),  dans  sa  tonalité  : 


finnlrée 


Réexposition.  —  Le  thème  principal  (A)  est  réexposé  sur  la  tonique 
avec  des  modifications  purement  ornementales  qui  n'altèrent  pas  sa 
construction  : 


LE  MOUVEMENT  LENT  [L) 


299 


(Â)    RKEXPO.SITIOU    du  Thème  principal 


Pg^ 


à 


^m 


.-^•^^     :t     .i2 


i^ 


m 


^ 


Ë^ 


^ 


I 


fie. 


T.  (s\^ 


^ 


Le  dessin  mélodique   faisant  fonction  de  pont  ^P)    module  vers    la 
dominante  du  ton  principal  : 


^  i     Jr         ,/ 


La  seconde  idée  {B)  est  réexposée  au  ton  de  5/1?,  sans  aucune  modi- 
fication : 


Cette  réexposition  complète  se  termine  par  une  coda  concluante  assez 
longue,  qui  reproduit  le  dessin  de  la  rentrée  et  des  fragments  du  thème 
principal. 

Le  plan  de  la  forme  Lied-Sonate  (LS)  ou  Sonate  sans  développement 
peut  se  résumer  de  la  façon  suivante  : 


300 


LA  SOI^ATE  DE  BEETHOVEN 


EXPOSITION 

A.  —   Thème     principal    servant     de 

Première  idée 
consistant  en  une  phrase  lied   ou  en 
une  phrase  binaire 

en  état  tonal  de REPOS 

au  Ton  Principal. 

P.  —  Transition  MODULANTE  servant  de 

Pont 
en  état  tonal  de,      ...     MARCHE 
vers  un  Ton   Voisin. 

B.  —  Thème   secondaire     servant     de 

Seconde  idée 
avec  ou  sans  Rentrée  raccordant  à  la 
réexposition 

en  état  tonal  de REPOS 

au  T»»  Voisin. 


RÉEXPOSITION 

A.  —    Thème     principal     servant  de 

Première  idée 
avec  des  modifications  d'écriture  ou 
même  des  arnplifications 
en  état  tonal  de       ....     REPOS 
au  Ton  Principal. 

P.  —  Transition  modulante  servant  de 

Pont 
en  état  tonal  de.      ...     MARCHE 
vers  le  Ton  Principal. 

B.  —  Thème    secondaire    servant   de 

Seconde  idée 
avec  ou  sans  Coda  concluante 

en  état  tenal  de  ....     .     REPOS 
au  Ton  Principal. 


Cette  forme  tient,  en  effet,  de  la  forme  Lied  et  de  la  forme  Sonate  : 
à  la  forme  Lied,  elle  emprunte  le  système  des  sections  séparées  ou  sépa- 
rables,  la  nature  même  du  thème  principal,  et  son  rôle  de  personnage 
unique  qu'il  conserve  malgré  la  présence  d'une  sorte  de  seconde  idée  ; 
à  la  forme  Sonate,  clic  emprunte  sa  construction  tonale,  identique  à 
celle  des  deux  expositions,  l'une  suspensive,  l'autre  conclusive.  Mais 
ces  deux  expositions  se  succèdent  immédiatement,  sans  dépeloppement, 
et  cette  suppression  de  la  partie  médiane  rapproche  cette  forme  de 
celle  de  l'ancienne  Suite,  avec  sa  modulation  au  ton  voisin  dans  la  pre- 
mière partie,  et  à  la  tonique  dans  la  dernière. 

Du  reste,  la  véritable  coupe- ^/«aire,  sans  reprise  du  thème  initial 
dans  sa  tonalité  propre,  a  totalement  disparu  de  l'œuvre  beethovénienne, 
en  tant  que  construction  de  pièce  séparée  :  on  ne  la  retrouve  guère 
que  dans  la  formation  thématique  de  certaines  idées  de  mouvements 
lents,  ou  de  certaines  introductions  importantes  placées  avant  le  finale 
dans  quelques  Sonates. 

Ces  introductions  n'ont  de  la  pièce  lente  que  l'allure  expressive  du 
thème  :  on  les  rencontre  quatre  fois  dans  les  Sonates  de  piano.  Dans 
l'op.  27  n»  I  et  dans  l'op.  53,  ce  sont  des  phrases  lied  à  la  sous-domi- 
nante du  ton  du  finale;  dans  l'op.  loi  et  dans  l'op.  1 10,  au  contraire, 
ce  sont  des  phrases  binaires  partant  de  la  tonique.^  et  assez  nettement 
divisées  par  une  cadence  médiane  au  relatif  majeur. 

Lied  varié  (LV).  —  Cette  forme,  qui  provient  aussi  de  l'ancienne  Suite, 
où  elle  apparaissait  surtout  dans  les  pièces  du  type  M  dites  doubles 
(voir  ci-dessus,  p.  114),  consiste  en  une  succession  logique  d'exposi- 
tions intégrales  d'un  thème  unique  (phrase  lied  ou  phrase  binaire) 
offrant  chaque  fois  un  aspect  rythmique,  mélodique  ou  harmonique 
différent,  sans  cesser  d'être   reconnaissable  ;  elle    se  rattache  donc   au 


LE  MOUVEMENT  LENT  (L)  301 

typé  L,  par  son  emploi  dans  les  pièces  lentes  et  par  le  caractère  expressif 
de  son  thème,  toujours  unique  ;  mais  elle  appartient  exclusivement  au 
genre  de  la  Variation^  tel  qu'il  a  été  défini  ci-dessus  (p.  ii),  et  sera 
étudiée,  par  conséquent,  dans  le  chapitre  vi,  ci-après. 

Répartition  des  divers  types  L  dans  les  Sonates  de  Beethoven.  —    La 

diversité  des  formes^  des  rangs  et  des  tonalités  adoptées  pour  le  mou- 
vement lent  a  pour  principale  raison,  croyons-nous,  la  fonction  même 
de  ce  mouvement  dans  la  Sonate.  Alors  que  le  type  S  y  est  à  peu  près 
indispensable,  puisqu'il  constitue  enquelque  sorte  la  Sonate  elle-même, 
le  type  L  n'y  intervient  qu'à  titre  d'élément  contrastant,  nullement 
nécessaire. 

Aussi  voyons-nous,  chez  Beethoven,  la  suppression  du  type  S  rester 
à  l'état  d'essai  presque  unique,  tandis  que  l'omission  du  mouvement 
lent  se  renouvelle  six  fois,  ou  même  dix,  selon  qu'on  attribue,  ou  non, 
le  rôle  de  pièce  lente  aux  quatre  phrases  d'introduction  au  finale,  qui 
en  tiennent  lieu  dans  les  op.  27  n°  i,  53,  10 1  et  110.  Ainsi,  sur 
trente-deux  Sonates  de  piano,  le  nombre  des  mouvements  lents 
ne  dépasse  pas  vingt-six,  et  doit  être  ramené  à  vingt-deux  pour  les  véri- 
tables morceaux  construits  séparément,  et  offrant  les  signes  caractéris- 
tiques des  trois  types  principaux  que  nous  venons  d'étudier. 

Forme.  —  La  forme  Lied  proprement  dite  est  représentée  par  on^e 
pièces,  parmi  lesquelles  ^wa/re  seulement  sont  du  type  Lied  simple  (L)  à 
/ro;5  sections  (op.  28,  op.  27  n°  2,  op.  3r  n'*  i  et  op.  79),  et  sept  sont 
du  type  Lied  développé  (LL)  à  cinq  sections  (op.  2  n°  2,  op.  2  n°  3, 
op.  10  n*»  3,  op.   i3,  op.  27  n°  i,  op.  54  et  op.  106). 

La  forme  Lied-Sonate  {LS)  est  représentée  par  six  pièces,  dont  cinq 
sont  en  forme  Sonate  sans  développement  (op.  2  n"  i,  op.  7,  op.  10  n°  i, 
op.  3i  n"  2  et  op.  81)  et  une  seule  est  en  forme  de  véritable  Sonate  lente 
[Sh]  avec  développemejit  (op.  22). 

La  ioTTueLied  varié  [LY)  est  représentée  par  cinq  pièces  qui  sont  de 
véritables  thèmes  avec  variations  (op.  14  n**  2,  op.  26,  op.  b-j ,  op.  109 
et  op.  1 1 1  ). 

Rang.  —  En  ce  qui  concerne  \euv  place  ou  \euTrang  dans  la  Sonate, 
ces  vingt-deux  pièces  se  répartissent  ainsi  : 

sei^e  occupent  le  rang  traditionnel  delà  pièce  lente,  immédiatement 
après  le  mouvement  initial  de  forme  S  ;  on  peut  y  ajouter  la  phrase 
d'introduction  au  filiale  de  l'op.  53,  puisque  cette  Sonate  n'a  pas  de 
mouvement  modéré  ; 

quatre  remplacent  le  mouvement  du  type  S  et  occupent  le  premier 
rang  (op.  26,  op.  27  n°  i ,  op.  27  n*"  2   et  op.  54)  ; 


308  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

deux  sont  rejetées  au  troisième  î^ang,  soit  après  le  mouvement  mo- 
déré (op.  io6),  soit  après  un  second  morceau  du  type  S  (op.  109)  ;  on 
peut  y  ajouter  les  tf^ois  phrases  d'introduction  au  finale  des  op.  27  n°  i, 
101  et  1 10. 

Aucune  enfin  n'occupe,  dans  la  Sonate,  la  fonction  àt  finale^  car  on 
ne  peut  guère  assimiler  à  un  véritable  finale  le  thème  avec  variations 
de  l'op.  109,  qui  occupe  le  troisième  rang  dans  une  Sonate  en  trois 
mouvements,  ni  celui  de  la  Sonate  op.  iii,  qui  est  immédiatement 
après  le  premier  mouvement  :  le  caractère  de  finale  appartiendrait 
ici  plutôt  à  la  dernièf^e  variation  de  chaque  série,  comme  on  le  verra 
en  étudiant  cette  forme  spéciale  au  chapitre  vi,  ci-après. 

Tonalité.  —  La  tonalité  de  la  pièce  lente  continue,  suivant  l'ancien 
usage  signalé  par  Marpurg  (voir  ci-dessus,  p.  i53),à  être  celle  qui 
diffère  le  plus  souvent  du  ton  général  de  l'œuvre. 

En  exceptant  naturellement  les  s/a:  mouvements  lents  qui,  en  raison 
de  leur  rang,  sont  nécessairement  dans  le  ton  principal  (savoir  :  les  op, 
26,  27  n°  I,  27  n°  2  et  54  d'une  part,  les  op.  109  et  1 1 1  de  l'autre),  il 
n'y  a  que  quatre  pièces  du  type  L  qui  gardent  la  même  tonique  que  la 
pièce  initiale,  et  toujours  avec  un  changement  de  mode  (op.  2  n°  i,  op. 
10  n°  3,  op.  28  et  op.  79.  Les  phrases  d'introduction  au  finale  qui  rem- 
placent le  mouvement  lent  dans  les  op.  101  et  iio  sont  également  sur 
la  même  tonique  que  les  pièces  initiales  de  ces  Sonates,  avec  change- 
ment de  mode. 

Dans  tous  les  autres  cas,  la  tonalité  du  mouvement  lent  diffère  du 
ton  principal  ;  mais  elle  ne  cesse  pas  de  lui  être  reliée,  suivant  le  prin- 
cipe de  parenté  tonale  établi  précédemment  (i),  par  une  ou  deux  notes 
communes  entre  les  deux  accords  de  tonique  mis  en  relation  : 

ci7iq  pièces  lentes  sont  au  ton  de  la  sous-dominante  (op.  2  n°  2,  op.  10 
n°  1,  op.  14  n°  2,  op.  22  et  op.  3i  n°  i)  ;  on  peut  y  ajouter  les  deux 
phrases  d'introduction  au  finale  des  op.  27  n°  i  et  63  ; 

quatre  sont  au  ton  de  la  tierce  majeure  grave,  avec  changement  de 
mode  ;  dans  les  op.  i3,  3i  n°  2  et  37,  cette  modulation  coïncide  avec 
celle  au  relatif  dt  la  sous-dojninante'.,  dans  Top  106,  le  changement  de 
mode  ayant  lieu  en  sens  inverse  (de5/b  à  soh-faS),  la  parenté  ne 
s'établit  réellement  qu'à  l'apparition  du  ton  de  SOL  \>-fa  fl  ,  dont  la  tierce 
majeure  {si\>-la9)  coïncide  avec  la  tonique  générale  de  l'œuvre  (mo- 
dulation à  la   quatrième  quinte  descendante)  ; 

îine  seule  est  au    relatif  mineur  (op.  81)  ; 

une  est  à  la  sixte  majeure  supérieure  ou  à  la  troisième  quinte  ascen- 
dante (op.  7)  ; 

(i)  Voir  1"  liv.,  p.  127  et  suiv. 


LE  MOUVEMENT  MODÉRÉ    M)  30^ 

une  enfin  est  à  la  tierce  majeure  supérieure  ou  à  la  quatrième  quinte 
ascendante  (op.  2  n°  3). 

L'innovation  becthovénienne  porte  donc  à  la  fois  sur  la  tonalité,  le 
rang  et  la  forme  même  des  mouvements  du  type  L.  On  peut  y  ajoute, 
l'application  spéciale  aux  mouvements  lents  du  système  de  la  Varia- 
tion, lequel  avait  pris  naissance,  au  temps  de  la  Suite,  dans  la  pièce 
d'allure  modérée  (M)  dont  nous  allons  étudier,  ci-après,  les  transfor- 
mations nouvelles. 

5.    LE    MOUVEMENT     MODÉRÉ.    —    LE    MENUET.    —    LE    SCHERZO.    —     TYPE    M. 

De  toutes  les  anciennes  Danses  de  Cour  dont  l'usage  s'était  maintenu 
dans  la  Suite,  nous  avons  vu  le  Menuet  subsistera  peu  près  seul  dansla 
Sonate,  telle  qu'elle  était  constituée  antérieurement  à  Beethoven.  Celui- 
ci  conserve  du  reste  dans  les  mouvements  modérés  de  ses  premières 
Sonates  le  plan  si  simple  de  cette  danse  avec  son^r/o(i)  intercalé  entre 
deux  redites  du  Menuet  proprement  dit  ;  mais,  si  l'auteur  de  VAppas- 
sionata  semble  avoir  cessé  pendant  une  quinzaine  d'années  de  s'inté- 
resser à  cette  forme  totalement  absente  de  ses  œuvres  entre  1802  et 
1817  (2),  cela  tient  peut-être  à  ce  que  son  effort  s'était  porté  sur  la  cons- 
titution rythmique  du  thème  bien  plus  que  sur  la  construction  toute 
rudimentaire  de  l'antique  Menuet,  demeurée  à  peu  de  chose  près  la 
même  dans  le  Scherzo  (3)  beethovénien. 

Le  Scherzo,  appelé  à  remplacer  le  Menuet  dans  les  Sonates,  consiste 
comme  celui-ci  en  deux  pièces  distinctes  offrant  entre  elles  un  contraste 
thématique,  et  écrites  l'une  et  l'autre,  sauf  de  rares  exceptions,  dans  la 
mesure  à  trois  temps  et  dans  la  ?nême  tonalité,  ou  dans  des  tonalités 
très  voisines. 

Après  la  seconde  de  ces  deux  pièces,  dite  trio,  on  répète  la  première, 
dite  proprement  scherzo,  soit  textuellement,  soit  plutôt  avec  des  modi- 
fications analogues  à  celles  qui  caractérisent  la  rt?^.vjt?os;7/o«  de  Xsl  pre- 
mière idée,  dans  la  forme  S,  ou  celle  du  thème  principal,  dans  la 
forme  L.  L'usage  de  la  répétition  textuelle  du  scherzo,  après  le  trioy 
devait  en  effet  tôt  ou  tard  choquer  le  goût  de  Beethoven,  comme  le 
double  indiqué  par  un  simple  signe  de  reprise  (  :||:  )  avait  choqué  jadis 
avec  raison  le  goût  de  Ph.-Emm.  Bach  (voir  ci-dessus,  p.  198).  De 
même  que  son  glorieux  précurseur,  Beethoven  préféra  bientôt  «  prendre 

(i)  Nous  avons  fait  connaître  au  chapitre  précédentfp.  170  en  note)  les  explications  dif- 
férentes qu'on  donne  de  l'origine  du  nom  de  trio,  pris  dans  cette  acception  particulière. 

(2)  En  marge  d'une  esquisse  de  Sonate  datant  de  1708,  on  trouve  cette  observation,  écrite 
de  la  main  de  Beethoven  :  «  Faire  dorénavant  les  menuets  très  courts  :  pas  plus  de  seize  à 
vingt-quatre  mesures  ». 

(3)  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  signalé  (note  p.  114),  la  pièce  intitulée  parfois  5c/if»{0 
dans  certaines  Suites  n'a  rien  de  commun  avec  la  forme  dont  il  est  ici  question. 


304 


LA  SONATF  DE  BEETHOVEN 


la  peine  »  d'écrire  cette  reprise  in  extenso,  au  lieu  de  l'indiquer  par  un 
économique  da  capo.  Et,  du  jour  où  il  «  prit  cette  peine  »,  il  cessa  d'en 
faire  un  travail  de  copie,  substituant  à  la  monotone  redite  une  réexpo- 
sitioft  véritable,  avec  des  modifications  agogiques  ou  dynamiques  qui 
donnent  l'impression  d'une  orchestration  nouvelle,  et  parfois  même 
avec  l'adjonction  d'une  coda  concluante. 

Ainsi  enrichi,  en  raison  de  ce  souci  plus  grand  de  la  variété  dans 
l'unité,  le  Scher:{0  ne  pouvait  guère  s'accommoder  des  petits  thèmes 
légers  et  sautillants  en  usage  dans  les  Menuets  :  l'élargissement 
rythmique  pratiqué  déjà,  plus  ou  moins  consciemment,  dans  certains 
mouvements  du  type  M,  tels  que  le  Menuet  de  Rust  que  nous  avons  cité 
ci-dessus  (p.  171),  allait  devenir,  chez  Beethoven,  un  véritable  principe 
de  structure  thématique  permettantd'établir,  entre  le  thème  de  Scherzo 
et  le  thème  de  Menuet,  une  distinction  assez  notable. 

La  plupart  des  thèmes  de  Menuet,  tels  qu'on  les  retrouve,  d'ailleurs, 
dans  un  certain  nombre  de  Sonates,  se  décomposent  en  petits  groupes 
rythmiques  réduits  âux  trois  ie?7îps  consécutifs  d'une  mesure  à  3/4(1): 
le  sens  musical  de  la  cellule  ou  du  motif  est  contenu  en  entier  dans  ces 
triais  temps,  et  chaque  mesure  doit  être  accentuée  de  la  même  façon, 
ainsi  que  l'exigeait  la  danse  du  Menuet  : 


Allegretto 


Allegretto 


Ms 


^ 


1''.''  rythme 


(cellule) 


î 


f^ 


^ 


Mlule) 


i 


*2?  ryllinu 


w 


"'-■   rytlimt 


i 


m 


fr 


m 


Périodes_genératf ice? 


Ces  deux  exemples,  extraits  des  op.  2  no  i  et  n»  2,  doivent  être  considérés 
cemme  des  types  de  thèmes  de  Menuet,  bien  que  le  second  porte  le  titre  de 
Scherzo  ;  ils  ont  encore  Is  caractère  de  danse,  qui  disparaîtra  plus  tard  du 
véritable  Scherzo,  tel  que  Beethoven  l'établira. 


(i  )  Il  faut  entendre  ici  par  mesures  la  distance  entre  deux  temps  correspondants,  c'est-à-dire 
la  mesure  réelle,  laquelle  ne  coïncide  avec  la  mesure  écrite  ou  la  barre  de  mesure  que  s  il 
&'agit  d'une  distance  entre  premiers  temps,  ce  qui  est  extrêmement  rare,  les  groupes  procé- 
dant plutôt  de  troisième  temps  à  troisième  temps  et  quelquefois  de  deuxième  à   deuxième. 


LE  MOUVEMENT  MODÉRÉ (M) 


30Î 


Dans  les  thèmes  de  Scherio,  au  contraire,  la  mesure  se  transforme 
en  une  sorte  de  temps  rythmique  servant  à  composer  un  groupe  de 
plusieurs  mesures  [deux,  quatre  et  quelquefois  trois)  :  dans  ce  groupe 
qui  contient  la  cellule  (toujours  plus  grande  qu'une  mesure),  il  y  a 
nécessairement  des  mesures  fortes  et  des  mesures  faibles,  accentuées 
inégalement  (i)  et  souvent  impropres  à  la  danse  : 


Allegretto     11""  groupe   rythmique 


S 


^ 


T.  © 


^ 


P 


m 


m 


@ 


Pe'riode  ?>-nér;itrice 


Chacun  de  ces  deux  groupes  rythmiques  constituant  la  période  génératrice  de 
ce  Scher^fo  (2), est  à  peu  près  indivisible  musicalement:  on  peut, à  la  rigueur, 
considérer  la  cellule  contenant  le  motif  comme  faite  des  deux  premières 
mesures  (ou  des  six  premières  notes)  se  reproduisant  dans  les  deux  mesures 
suivantes;  mais  on  ne  pourrait  subdiviser  cette  cellule  (toujours  plus  grande 
quune  mesure)  sans  en  détruire  complètement  la  signification  expressive. 


Dans  la  plupart  des  pièces  de  forme  Scher^o^  \a  période  générati^ice  [a] 
contenant  le  thème,  avec  son  rythme  spécial,  se  répète  deux  fois  et 
aboutit  le  plus  souvent  à  une  cadence  suspensive. 

Elle  est  suivie  d'une  période  secondaire  {b),  affectant  généralement 
l'aspect  d'une  transition  en  état  de  marche  vers  une  tonalité  voisine,  et 
formée,  soit  d'un  court  développement  des  éléments  thématiques  de 
la  première  période,  soit,  comme  dans  l'exemple  ci-dessous,  d'un  élé- 
ment différent  : 


i'J  gr.  rythni. 


LAp)      (}))      Période    second;nr 


</i  tiutrr/n-  rers  lu  I).  lif   (ijy 


Les  groupes  rythmiques  de  cette  période  secondaire  sont  tous  de  deux  mesures. 

(i)  Les  indications  «  Ritmo  di  tre  battute,  Ritmo  di  quattro  battute*,  mises  par  Beethoven 
dans  l'admirable  grand  Scherzo  de  la  IX»  Symphonie  et  dans  quelques  autres  œuvres,  se 
réfèrent  précisément[à  la  décomposition  du  thème  en  rythmes  de  trois  ou  de  quatre  mesures, 
chaque  mesure  constituant  un  véritable  temps  rythmique. 

(2)  Remarquer  l'analogie  du  thème  de  ce  Scher:^o,  appartenant  à  l'op.  10  n»  2,  avec  celui 
du  Scherzo  de  la  V«  Symphonie  et  avec  plusieurs  autres  œuvres  de  Beethoven. 

Cours  de  composition.  —  t.  ii,   i.  ^® 


^o6 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


La  période  initiale  {a')  reparaît  ensuite,  toujours  dans  le  ton  principal 
et  dans  une  forme  concluante,  complétée  souvent  par  une  co^^a,  comme 
dans  cet  exemple  ; 


^fci^iè 


Jc:^ 


? 


m 


^ 


if 


T 


-^ 


'/ 


^ 


^ 


ÊEEÊ 


t 


^ 


^ 


F^^ 


r^+f"f 


Dans  cette  réexposition  de  la  période  initiale,  les  groupes  rythmiques  sont 
modifiés  :  le  deuxième  est  fait  de  deux  mesures  seulement,  et  les  trois 
autres  de  quatre  mesures. 


(ijy    iCoda  terminant  le  Scherzi),  proprt-meni   d 


f^^^^ir^pT^ 


Cette  coiia  est  faite  de  deux  groupes  rythmiques  de  quatre  mesures  ;  le  second 
est  complété  par  les  silences  de  la  dernière  mesure. 


On  répète  généralement  la  période  secondaire  (b),  suivie  de  la  pé- 
riode initiale  réexposée  (a')  et  de  la  coda  qui  termine  le  scher:{0,  avant 
de  commencer  le  trio. 

Le  thème  du  trio  se  distingue  ordinairement  par  un  caractère  plus 
sévère  que  celui  du  scherzo  :  il  est  moins  orné,  moins  mouvementé, 
mais  sa  constitution  rythmique  est  du  même  ordre. 

Quant  à  la  construction  du  /r/o,  elle  est  exactement  la  même  que 
celle  du  scherzo. 


LE  MOUVEMENT  MODÉRÉ  (M)  307 

La  période  initiale  {a)  se  répète  deux  fois  et  aboutit  à  une   cadence 
suspensive  : 


Cette  période,  en  rythmes  de  quatre  mesures,  module  à  sa  dominante  [lA  t>)  au 
lieu  de  moduler  au  relatif  ;  elle  n'est  pas  répétée  textuellement,  comme  la 
période  correspondante  du  schen^o,  mais  elle  contient  des  modifications 
rythmiques  donnant  à  sa  reprise  un  intérêt  nouveau  et  un«  allure  expressive 
plus  inquiète. 

La  période  secondaire  {b)  est  en  état  de  marche  et  développe  les    élé- 
ments  thématiques  de  la  période  initiale  {a)  ; 


La  période  initiale,  en   forme  concluante   et  dans   le   ton    principal 
(RÉi,),  reparait  ensuite,  transposée  à  l'octave  supérieure  (a')  : 


Ces  deux  périodes  {b  et  a')  se  répètent  avec  quelques  modifications 
d'écriture  et  sont  suivies,  la  seconde  fois,  d'une  coda  symétrique  de 
celle  du  sclierio,   mais  destinée  à  relier  la  fin  du  trio  à  la  réexposition 


"^0^ 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


du  sche7"{0^  c'est-à-dire  à  ramener  la  tonalité  de  fa,  au  lieu  de  confir- 
mer la  conclusion  en  i?É  f  . 

La  réexposition,  substituée  ici  au  da  capo  textuel,  contient  exacte- 
ment la  même  musique  que  le  scherzo  précédemment  exposé  ;  mais  il 
faut  signaler,  à  titre  d'exemple,  l'accroissement  agogique  qui  change 
notablem.ent  le  caractère  expressif  des  deux  périodes  (a  et  è),  et  qui 
subsiste  jusqu'à  la  fin  de  la  coda  concluante  : 


^'g-'J  i  ^1>^  J  ^ 


1     ^JHiJ 


W 


r 


^ 


s=* 


s 


Cette  modification  apparaît  après  une  redite  textuelle  de  la  période  généra- 
trice [a),  telle  qu'elle  était  au  début,  et  remplace  la  simple  indication  de 
reprise  de  cette  période. 


en  marche  vers  la  D.de(fa) 


Il  faut  lire  en  entier  ce  modèle  de  petit  Scherio  beethovénien,  poUx 
se  rendre  compte  de  l'immense  progrès  qu'il  réalise,  par  rapport 
au  Menuet,  même  sous  l'aspect  déjà  très  noble  que  lui  avait  donné 
W.  Rust  (voir  ci-dessus,  p.  171). 

Le  Menuet  et  le  Scherio  continuent  toutefois  à    coexister  dans    les 


LE  MOUVEMENT  MODÉRÉ  (M)  309 

Sonates  de  Beethoven;  mais,  après  la  période  pendant  laquelle  il 
supprima  totalement  les  mouvements  du  type  M,  c"est  le  système  du 
Scherzo  qui  prédomine  et  conserve  la  forme  que  nous  venons  d'ana- 
lyser. 

Le  plan  de  la  construction  de  cette  forme  Menuet-Schet"{0  ou  petit 
Scher:[o  (M)  peut  se  résumer  ainsi  : 

I.  —  Exposition  du  schen^o  proprement  dit,  comprenant: 

a,  une     première    période     en    formules     rythmiques    de     plusieurs 
mesures,  avec  cadence  suspensive; 

b,  une  seconde  période   en    état  de    marche,   développant  la   première 
ou  contenant  un  élément  nouveau; 

a' y  la  première  période  avec  cadence  tonale  et  quelquefois  une  coda 
concluante. 

II.  —  Exposition  du  trio  dans  une  tonalité  voisine  de  celle  du  Scherzo,  ou 
dans  la  même  tonalité,  et  avec  une  construction  tout  à  fait  semblable. 

III.  —  Réexposition  du  scherzo  (relié  ou  non  au  trio)  contenant  les  mêmes 
éléments  musicaux  que  la  première  fois,  dans  le  même  ordre  et  dans  la 
même  tonalité,  mais  avec  des  modifications  expressives  ayant  parfois  le 
caractère  d' amplification  ou  de  développement  terminal,  aboutissant  à  la 
coirt" concluante,  s'il  y  a  lieu. 

Ce  plan  devait  recevoir  encore,  dans  certaines  œuvres  d'orchestre  et 
de  Musique  de  Chambre  (i),  une  extension  considérable,  par  l'adjonction 
de  deux  autres  éléments  que  nous  signalons  ici,  en  attendant  l'étude 
qui  en  sera  faite  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre  : 

IV.  — Exposition  d'un  second  trio  contenant,  soit  les  éléments  du  premier, 
modifiés  ou  développés,  soit  des  éléments  nouveaux  (2). 

V.  —  Dernière  réexposition  du  schen^o  initial,  avec  de  nouvelles  modifica- 
tions et  des  développements  plus  importants,  aboutissante  une  véritable 
«  péroraison  ». 

On  aperçoit  immédiatement  l'analogie  de  construction  qui  existe 
entre  la  forme  Lied  développé  (LL)  en  cinq  sections  (voir  ci-dessus, 
p.  291),  et  ce  type  agrandi  de  mouvement  modéré  (MM)  que  nous 
appellerons  grand  Schei^^o  ou  Scher\o  développé,  et  qui  tient  également 
du  Rondeau  par  l'alternance  du  refrain-scherzo  avec  le  couplet-trio. 

Malgré  ces  analogies,  chacun  de  ces  types  conserve  sa  physionomie 
propre,  en  raison  du  caractère  spécial  des  personnages  thématiques  qui 
y  sont  exposés  et  développés.  Mais  ces  expositions- et  ces  développements 
mêmes  sont  toujours  conformes  aux  principes  de  tonalité  dont  la 
forme  Sonate  contient  la  plus  haute  et  la   plus  complète   application  ; 

(i)  Notamment  la  VII»  et  la  IX»  Symphonie,  le  Trio,  op.  97,  les  Quatuors  à  cordes,  op.  Sg 
n»  2,  op.  74,  op.  g5,  etc. 

(2)  L'innovation  du  second  trio,  complètement  diSérent  du  premier  et  souvent  même 
dans  un  tour  autre  rythme,  appartient  plus  spécialement  à  Schumann,  comme  on  le  verra 
ci-après  dans  la  section  historique  du  chap.  v. 


310  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

cette  forme  demeure  en  définitive  le  prototype  de  toutes  les  autres;  elle 
seule  est  nécessaire,  nous  l'avons  dit,  à  l'existence  même  de  la  Sonate, 
dans  laquelle  la  pièce  d'allure  modérée  (M),  plus  encore  que  la  pièce 
lente  (L),  ne  figure  qu'à  titre  transitoire  et  en  quelque  sorte  épiso- 
dique. 

La  moitié  des  Sonates  de  piano  ne  contient  ni  Menuet,  ni  Scheî^io, 
ni  aucun  morceau  qui  en  tienne  lieu  (i).  Les  mouvements  du  type  M 
sont  au  nombre  de  dix-sept,  appartenant  à  sei:{e  Sonates  seulement 
sur  trente-deux,  car  la  Sonate  op.  26,  à  elle  seule,  contient  deux  pièces 
de  la  même  forme  (2). 

Il  est  sans  exemple  qu'un  Menuet  ou  un  Scherzo  soit  placé  au  début 
ou  à  la  fin  (3)  d'une  Sonate  de  Beethoven.  Le  Mouvement  M  y  con- 
serve presque  partout  sa  place  traditionnelle  après  \&  mouvement  L; 
on  ne  rencontre  guère  qu'une  seule  dérogation  réelle  à  cet  usage  (4): 
dans  l'op.  106,  le  Sc/ier:{0  précède  V Adagio. 

Ce  rôle  épisodique  attribué  au  mouvement  du  type  Mpourrait  auto- 
riser, semble-t-il,  une  moins  grande  rigueur  dans  le  choix  de  sa  tonalité: 
tout  au  contraire,  la  plus  grande  partie  des  pièces  de  ce  genre  sont  sur 
la  tonique  principale  de  la  Sonate  à  laquelle  elles  appartiennent,  avec 
ou  sans  changement  de  mode.  Les  seules  exceptions  à  cette  vieille 
habitude  de  la  Suite  sont:  l'op.  3i  n»  3,  où  une  des  pièces  d'allure 
modérée  (5)  est  à  la  sous-dominante  ]  l'op.  27  n°  i  et  Top.  iio,  où  les 
pièces  qui  tiennent  lieu  de  Scherzo  sont  au  j^elatif  mineur  du  ton  de  la 
Sonate;  l'op.  10 1,  où  la  grande  Marche  (en  forme  de  Scherzo)  est  au 
ton  de  la  quatrième  quinte  descendante  {fa)  par  rapport  à  la  tonique 
principale  {la). 

Relation  tonale  entre  le  Menuet-Scherzo  et  son  Trio.  —  Il  règne  une 
plus  grande  diversité  dans  le  choix  de  la  tonalité  voisine  destinée  au 
trio  dans  les  pièces  du  type  M  : 

sept  trios  sont   sur  la  même  tonique,  dont  deux   sans  changement  de   mode 

(op.  27  no  2  et  op.  3i  n°  3),  et  cinq  avec  changement  de  mode  (op.  2  n<»  1, 

op.  2  n"  2,  op.  7,  op.  26  Marche  funèbre,  op.  106); 
quatre  sont    au  relatif  majeur  de    la  sous-dominante  :  ils  appartiennent  tous, 

en  effet,  à  des  pièces  de  mode   mineur   (op.  10  n»    2,  op.  14  n»  i,  op.  27 

no  I  et  op.   1 10); 

(i)  Dans  l'op.  loi,  c'est  la  grande  Marche  qui  tient  lieu  de  véritable  Scherzo. 

(2)  Le  Scher^^o  proprement  dit  et  une  Marche  Funèbre  qui  est  construite  exactement  sui- 
vant le  même  plan. 

(3)  On  a  vu  ci-dessus  (p.  207)  qu'il  n'en  était  pas  de  même  dans  les  Sonates  de  Haydn. 

(4)  Les  phrases  lentes  d'introduction  au  finale,  ne  constiiuant  pas,  à  notre  sens,  un  morceau 
séparé,  ne  peuvent  être  considérées  comme  de  véritables  exceptions  lorsqu'elles  succèdent  à 
un  mouvement  M,  comme  il  arrive  dans  l'op.  27  n'  i,  l'op.  loi  et  l'op.  1 10. 

(5)  Cette  pièce  est  en  forme  S;  la  véritable  pièce  du  type  M,  qui  la  suit,  est  au  ton  prin- 
cipal. 


LE  MOUVEMENT  MODÉRÉ  (M)  311 

trois  sont  au  relatif  mineur  du  ton  principal  (op.    2  n"  3,  op.  22  et  op.  28)  ; 
trois  enfin  sont   à  la   sous-dominante    de  même   mode  (op.    10  n»  3,   op.  26, 
et  op.  loi  Marche). 

Il  n'est  pas  inutile  de  faire  remarquer  ici  l'extrême  prudence  avec 
laquelle  Beethoven  se  sert  de  cette  tonalité  de  la  sous-dominante^ 
devenue  par  un  abus  tout  à  fait  blâmable  le  ton  réglementaire  de  tout 
trio  appartenant  aux  danses  et  surtout  aux  marches  dont  la  forme  a  été 
calquée  sur  celle  de  Tantique  danse  de  cour  avec  sa  seconde  danse, 
origine  du  Menuet,  et  du  Scher:^o,  avec  leurs  trios  respectifs. 

On  conçoit  mal  la  raison  de  cet  usage  vulgaire  et  antitonal  au  su- 
prême degré,  ainsi  qu'on  peut  s'en  apercevoir  en  prêtant  l'oreille  à 
n'importe  quel  «  Pas  redoublé  »  ou  «  Allegro  militaire  »  composé  «  en 
exécution  des  règlements  en  vigueur  ».  En  vertu  du  pouvoir  absorbant 
de  la  sous-dominante,  sur  lequel  nous  avons  déjà  attiré  l'attention  du 
lecteur,  dans  le  Premier  Livre  de  ce  Cours  (i),  la  reprise  terminale  du 
«  premier  motif»,  en  3// b ,  après  le  fâcheux  trio  en  la  b ,  donne  une 
impression  de  dominaiite  de  la  b,  et  non  de  tonique,  et  détruit  plus 
ou  moins  l'effet  conclusif  de  cette  «  réexposition  »,  nonobstant  les 
efforts  estimables  de  la  batterie  et  de  la  grosse  caisse. 

Beethoven  n'ignorait  pas  cet  inconvénient  de  l'emploi  prolongé  de  la 
sous-dominante ,  et  les  moyens  dont  il  s'est  servi  pour  y  remédier 
méritent  d'être  signalés. 

Dans  l'op.  lo  n"  3,  le  trio,  en  sol,  du  Menuet,  en  /?É,  ne  conclut 
pas  :  il  module  au  contraire  à  la  dominante  de  ré,  pour  ramener  le 
menuet  qui,  seul,  possède  une  cadence  conclusive. 

Dans  l'op.  26,  le  trio  en  iî£"  t>  (d'ailleurs  beaucoup  plus  court  que  le 
scherzo,  en  la  i>)  est  terminé  par  un  conduit  de  quatre  mesures 
revenant  également  à  la  dominante  {Mib  )  du  ton  initial,  c'est-à-dire  à 
l'harmonie  de  la  quinte  supérieure. 

Enfin,  dans  l'op.  loi,  le  trio  en  si  t»,  beaucoup  plus  court  aussi  que 
la  grande  marche,  en  fa,  ne  conclut  pas  davantage  et  aboutit  à  une 
pédale  d't/r,  en  fonction  de  dominante  de  FA. 

Dans  les  trois  cas,  on  le  voit,  la  formule  modulante  terminant  le 
trio  dépasse  d'une  quinte  dans  le  sens  ascendant  la  tonique  principale, 
avant  d'y  redescendre  pour  la  réexposition,  et  il  s'établit  ainsi  une 
sorte  de  compensation,  par  voie  d'oscillation  tonale  de  part  et  d'autre 
de  la  tonique.  La  brièveté  du  trio  par  rapport  au  morceau  complet,  ou 
l'absence  de  cadence  conclusive  au  ton  de  la  sous-dominante  achèvent 
de  garantir  au  ton  principal  la  prépondérance  qui  lui  est  nécessaire.  Et 

(1)  Voir  !•'  liv.,  y.  i  lo. 


313  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

la  simple  comparaison  de  ces  trois  ^7-/05  à  la  sous-dominante  avec  tous 
les  autres  montre  bien  que  ces  précautions  prises  par  Beethoven  s'ap- 
pliquent à  cette  modulation,  à  peu  près  exclusivement,  car  on  constate 
l'emploi  des  mêmes  moyens  dans  les  deux  cas  dC introductions  lentes  au 
finale,  par  la  sous- dominante  (op.  27  n"  i  et  op.  53)  (i). 

6.   LE  MOUVEMENT  RAPIDE  FINAL.    —    LE  RONDEAU-SONATE.  TYPE    RS. 

Depuis  Mozart,  la  forme  Rondeau,  avec  alternance  régulière  des 
Couplets  modulants  et  du  Refrain  loiidX,  avait  remplacé  à  peu  près  défi- 
nitivement dans  la  Sonate  l'ancienne  Gigue  finale  de  la  Suite. Toujours 
respectueux  des  traditions  établies,  Beethoven  commença  donc  par 
garder  au  Rondeau  sa  fonction,  et  n'essaya  de  le  remplacer  ou  de  le 
supprimer  que  dans  ses  dernières  œuvres. 

Mais,  tout  en  conservant  au  Rondeau  son  rôle  traditionnel  de  finale, 
il  introduisit  bientôt  dans  sa  construction  un  élément  nouveau,  sorte  de 
seconde  idée  exposée  dans  un  ton  voisin,  en  qualité  de  premier  cou- 
plet^ après  le  Refrain  initial,  et  réexposée  dans  le  dernier  couplet  au  ton 
principal,  avec  ou  sans  pont  intermédiaire. 

Ainsi  modifié,  le  Rondeau  prend  dans  sa  première  et  sa  dernière 
partie  toutes  les  caractéristiques  du  type  Sonate,  avec  lequel  il  pourrait 
même  être  confondu,  si  le  thème  initial  (/?e/>-a/«)  n'y  reparaissait  tou- 
jours dans  sa  tonalité  immuable  après  le  second  thème  [Couplet)  termi- 
nant y  exposition^  à  la  place  exacte  où  la  forme  S  contient  normale- 
ment un  développement  modulant.  Cette  première  idée-Refrain  continue 
donc  à  demeurer  un  personnage  unique^  toujours  présent  dans  le 
même  état,  puisqu'il  garde  toujours  sa  tonalité  d'origine,  tandis  que  la 
seconde  idée-Couplet  n'est  souvent  qu'une  émanation  de  la  première, 
une  sorte  de  compagnon,  de  second  rôle,  destiné  à  dialoguer  avec  le 
personnage  principal,  sans  jamais  l'absorber,  ni  même  entrer  sérieu- 
sement en  conflit  avec  lui  :  dans  la  forme  Sonate,  les  deux  idées  se 
combattent  ;  dans  la  forme  Rondeau,  elles  se  complètent. 

Le  finale  de  la  Sonate,  op.  90,  nous  montrera  un  bel  exemple  de  cette 
intéressante  modification,  portée  à  son  plus  haut  degré  de  perfection. 
Ce  Rondeau  est  le  dernier  qu'écrivit  Beethoven  dans  ses  œuvres  pour 
piano  (2)  ;  il  est  aussi  le  plus  amplifié  et  le  plus  complet,  en  même 
temps  que  l'un  des  plus  expressifs,  tout  en  gardant  le  caractère  de 
légèreté  et  de  grâce  naïve  inhérent  à  cette  forme  de  composition. 

(i)  Il  est  clair  que  la  seule  pièce  lente  établie  à  la  sous-dominante  dans  uneSonate  dont  la 
tonalité  générale  est  affirmée  par  tous  les  autres  mouvements  n'a  pas  le  même  inconvénient 
qu'un  trio  dans  un  Scherzo. 

\a)  Les  Quatuors  à  cordes,  op.  gb  et  i32, contiennent  encoredes  pièces  de  forme  Rondeau» 
postérieures  en  date  à  celle-ci. 


LE  MOUVEMENT  RAPIDE  ^R) 


3I-? 


Le  Refrain,  tout  à  fait  charmant,  est  en  forme  de  phrase  de  lied  avec 
redite  de  la  période  initiale  [a')  après  la  seconde  période  {a")  : 


(A)   REFRAIN  (ou  Première  idée) 
)   ppri 

M 


(ftî)   période  initiait 

Modéré  et  très  chantant 


I 


m 


m 


^E# 


^m 


1  y    T 

■  pdolcii  ' 


ii 


Q^    seconde  périod 


Cette  seconde  période  fci')  se  répète  deux  fois,  et  s'enchaîne  avec  une  reprise 
de  la  période  initiale  [a')  terminant  le  Refrain  qui  est  entièrement  exposé 
en  Ml. 

Le  pt^etnier  Couplet  est  composé  de  trois  éléments,  dont  le  premier 
(P)  en  état  de  marche  vers  la  dominante  [si]  a  tous  les  caractères  du 
pont  dans  la  forme  S  (i)  :  , 

(i)  Remarqu-r  que  ce  rythme  du  pont  (P)  est  le  même  dans  le  ^ont  Ju  premier  mouve- 
ment de  la  même  Sonate,  et  provient  du  rythme  initial  [a')  de  la  première  idée  (A)  de  ce 
mouvement  (voir  ci-après,  p.  357). 


:>i4 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


P/em/^;'_CoM/?/e/.(en.//"oiî-éléments) 
^)  élément  de  transition  (ou  Po?i^)  emprunté  au  Premier  mouvement  de  la  même  Sonate 


en. marche  vers  la  D,de  (Sj) 


(5)-  Seconde  idée 

(V)   élément  d'exposition 


Cet  élément  à! exposition  [b'),  servant  de  seconde  idée,  se  répète  deux  fois 
sur  des  degrés  différents,  mais  toujours  sur  l'harmonie  de  la  dominante 
de  SI. 


(bV)    élément  compléinentair»' 


LE  MOUVEMENT  RAPIDE  (R) 


3i3 


en  marche  vers /a  Dde  (mÎ 


Cet  élément  complémentaire  [b  )  jouera  un  rôle  important  dans  le  second 
Couplet  qui  tient  lieu  de  développement  :  il  ne  saurait  être  conclusif  et 
aboutit  nécessairement  à  un  passage  en  état  de  marche  vers  la  dominante 
du  ton  principal  {Ml)  pour  ramener  le  Refrain. 

Après  ce  premier  Couplet  composé  des  trois  éléments  P,  b'  et  b" ,  le 
Refrain  est  réexposé  textuellement  avec  ses  trois  périodes  (a',  a",  a') 
en  forme  de  phrase  lied. 

Le  deuxième  Couplet  est  composé  aussi  de  trois  éléments  ayant,  tous, 
le  caractère  de  développement  :  il  diffère  un  peu,  en  cela,  des  autres 
Rondeaux  beeihovéniens  qui  contiennent  assez  souvent  à  cette  place  un 
élément  thématique  nouveau,  et  il  se  rapproche  davantage,  par  consé- 
quent, delà  forme  Sonate: 


Deuxième  Couplet    (ou  Développeraerit) 
PreniitT  ('It-nieiU  (de  a') 


vers,  ia  D.  dlCuJ) 


Ce  premier  élément,  en  état  de   marche  vers  i'T,   est  un  développement  des 
deux  dernières  mesures  du  Refrain  (période  S). 


3i6  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Deuxième  élément  (de   D    ) 


^^ 


Ce  deuxième  élément,  en  état  de  marche  vers  la  dominante  de  MI,  est  un 
développement  de  la  période  complémentaire  {b')  du  deuxième  couplet, 
passant  par  les  tonalités  :    UT,  ut,  UT  S  et  ut  S. 

Troi<iè'mt*  »5!tnient    (Rfntrt-t-) 


Ce  troisième  élément,  en  état  de  repos  sur  la  dominante  de  MI,  sert  de    ren- 
trée pour  ramener  le  Refrain. 

Après  ce  deuxième  Couplet ,  développement  en  trois  éléments,  le 
Refrain  est  réexposé  en  entier,  sans  modifications. 

Le  troisième  Couplet,  qui  suit  cette  redite  du  Refrain,  est  composé 
des  mêmes  éléments  que  le  premier  couplet  (P,  b' ,  b"),  mais  avec  une 
modulation  différente  ramenant  au  ton  principal,  comme  pour  la 
seconde  idée  réexposée  dans  la  forme  S  : 


Troisième.  Couplet 
(15    réexposé 


^m 


* 


^ 


^ 


r«»- 


Ï 


/ 


P 


VS^ 


^^ 


s 


É 


^ 


^/ 


^f 


F^=^ 


« 


^^ 


LE  MOUVEMENT  RAPIDE  (R) 


3-7 


e?i  marche  vers  In  D.de  (mj) 


L'élément  àt  transition  (\Vi\  sert  de  fiont  modulant  (P)  est  orienté  vers  la  domi- 
nante de  MI  ; 

l'élément  à'exposition  (b')  est  entièrement  transposé  en  A//,  avec  ses  deux 
redites  ; 

l'élément  complémentaire  {b")  est  transposé  et  amplifié  par  une  modulation 
passagère  en  UT,  suivie  d'une  rentrée  assez  longue  sur  la  domin'inte 
de  Afi. 

Après  ce  troisième  Couplet  {seconde  idée),  le  Refrain  est  réexposé  une 
dernière  fois,  mais  en  forme  variée  et  amplifiée  : 


@    REFRAIN  final 


^'^  niHvrm 


rmnv 


è  I  ^ 


^ 


=f^ 


(aO.Première  période. 


^ 


m 


rn 


r-j  r~3 


^* 


t^ 


7.  (mi) 


I 


A 


■A    .    4 


^    ,n   .n    JTl  ^  ; 


ff  ff    •  -^ — fin* —  *  I   *  i    i   #  I    I     -f-  *!*    :i*if|*'  f  7~*- 


La  première  période  {a')  est  en  forme  dialoguée  entre  les  deux  mains; 

la  seconde   période  [a")  est  disposée   de  la  même  manière  ;  mais,  au  lieu   de 

ramener  immédiatement  la  première  (a'),  elle  se  développe  sur  elle-même  ; 

ce  développement  terminal  de  la  période  a",  pourrait  presque  être  considéré 

comme  un  quatrième  couplet  ; 
\&  première  période  {a')  reparaît  une  dernière  fois  en  forme  plus  conclusive, 

comme  si  elle  résumait  une  cinquième  fois  le  refrain. 


Le  plan  de  la  construction  de  cette  forme  que  nous  qualifierons    de 
Rondeau-Sonate  (RS)  peut  être  résumé  ainsi  : 


3i8  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

I.  —  Refrain  exposé  au  ton  principal  comme  une  première  idée  (A)  du 
type  S  ; 

Premier  Couplet,  dans  un  ton  voisin,  relié  généralement  au  Refrain  par  une 
transition  ayant  le  caractère  du  pont  ;  ce  couplet  tient  lieu  de  seconde  idée 
(B)  et  se  décompose  parfois  en  plusieurs  éléments. 

II.  —  Refrain  au  ton  principal,  succédant  immédiatement  au  couplet  qui  sert 
de  seconde  idée  ; 

Deuxième  Couplet,  contenant  un  élément  nouveau  exposé  dans  une  tonalité 
nouvelle  (mais  toujours  parente  du  ton  principal),  et  ayant  un  caractère  de 
translation  tonale,  comme  le  développement  dans  la  forme  S.  Ce  couplet 
est  souvent  un  véritable  développement  des  éléments  thématiques  précé- 
demment exposés. 

III.  —  Refrain  réexposé   au  ton  principal,  comme  une  prtmière  idée  (A)  ; 
Troisième  Couplet,  au  ton  principal,  relié  au  Refrain  par  la  transition  servant 

de  pont  mélodique  et  contenant  des  modulations  différentes  de  celles  du 
premier  couplet  ;  ce  couplet  contient  tous  les  éléments  ayant  servi  de 
seconde  idée  (B),  réexposés  au  ton  principal. 

IV.  —  Refrain  final,  au  ton  principal,  et  réduit  souvent  à  l'exposition  de  sa 
période  initiale  en  forme  conclusive  ;  quelquefois,  ce  Refrain  est  subdivisé 
et  contient  une  sorte  de  quatrième  Couplet,  qm  sert  de  développement  termi- 
nal, et  ramène  une  cinquième  et  dernière  fois  les  éléments  essentiels  du 
Refrain,  avec  une  formule  de  conclusion. 


Ce  plan  est  une  harmonieuse  combinaison  du  principe  de  l'alternance 
entre  les  Refrains  et  les  Couplets  avec  le  principe  des  expositions  et  des 
développements.  Le  nombre  des  Refrains  n'est  pas  absolument  constant 
dans  les  Rondeaux  des  Sonates  de  Beethoven  :  sur  vi^igt  pièces  de  cette 
espèce,  quatre  seulement  contiennent  cette  subdivision  du  Refrain  final 
donnant  naissance  à  un  quatrième  Couplet  et  à  un  cinquième  Refrain  : 
l'op.  2  n°  2,  Top.  14  n"  2,  l'op.  53  et  l'op.  90  qui  nous  a  servi  de 
modèle  ;  cinq.,  au  contraire,  n'ont  que  trois  refrains  (op.  49  n*  i  et  n"  2, 
op.  26,  op.  27  n"  I,  et,  par  une  simple  assimilation,  l'op.  54,  dont  le 
Rondeau  a  une  forme  assez  spéciale)  ;  un  seul  Rondeau  enfin,  celui  de 
l'op.  2  n°  I,  ne  contient  que  deux  redites  du  Refrain.,  par  suite  de  la 
juxtaposition  de  ses  deux  Couplets  qui  se  succèdent  sans  interruption. 

Les  dix  autres  Rondeaux  sont  conformes  au  plan  que  nous  avons 
donné  ;  ils  contiennent  quatre  Refrains  alternant  avec  trois  Couplets, 
et  produisant  une  division  en  sept  tout  à  fait  bien  équilibrée  (op.  2  n°  3, 
op.  7,  op.  10  n"  3,  op.  i3,  op.  14  n*  i,  op.  22,  op.  28,  op.  3i  n*  i, 
op.  78  et  op.  79). 

La  pièce  du  type  RS,  ainsi  agrandie  par  Beethoven,  ne  peut  avoir 
d'autre  tonalité  que  celle  de  la  Sonate  elle-même,  où  elle  occupe  inva- 
riablement la  place  de  finale  :  près  des  deux  tiers  des  Sonates  de  piano 
sont  terminées  par  des  Rondeaux,  dont  la  mesure  normale  est  à  deux 
temps.  Les  seules  pièces  qui  fassent  exception  à  cette  règle  appartien- 
nent àdesSonates  incomplètes  (op. 49  n°  2  et  op.  i4n°  2),  où  elles  servent 


I 


UNITÉ  THÉMATIQUE  ET  TONALE  319 

à  la  fois  de  pièce  du  type  M,  par  leur  rythme  à  trois  temps,  et  de  finale, 
par  leur  forme  Rondeau. 

Sur  les  dou^e  Sonates  qui  ne  contiennent  pas  de  Rondeau,  huit  se 
terminent  par  un  mouvement  du  type  S,  d'allure  rapide  ;  et  l'on  cons- 
tate encore,  par  cette  substitution  de  la  forme  Sonate  au  type  R,  l'im- 
portance que  Beethoven  attribuait  à  cette  belle  construction  ternaire^ 
dont  la  présence  était  nécessaire,  pour  lui,  dans  toute  composition  sym- 
phonique  de  longue  haleine. 

Les  quatre  dernières  Sonates,  seules,  ne  se  terminent  ni  par  un 
mouvement  du  type  S,  ni  par  un  Rondeau  ;  elles  contiennent  des 
essais  de  formes  nouvelles  ou  renouvelées  :  la  Fugue,  qui  reparait  dans 
le  finale  de  l'op.  io6  et  de  Top.  i  lo  ;  la  Variation,  qui  absorbe  toute 
la  dernière  partie  de  l'op.  109  et  de  l'op.  1 1 1. 


7.  —    UNITE    DE    LA    SONATE    DE     BEETHOVEN.     —    AFFINITES     DES    THEMES.     —    RELA- 
TIONS   DE    TONALITÉ.  PROPORTION   ET    NOMBRE    DES    MOUVEMENTS 

L'étonnante  rénovation  introduite  dans  le  domaine  symphonique  par 
les  conceptions  géniales  de  Beethoven  sur  les  idées  musicales,  les  déve- 
loppements et  les  modulations,  ne  s'est  point  limitée  aux  perfectionne- 
ments de  structure  que  nous  venons  de  signaler  dans  chacun  des  quatre 
types  fondamentaux  de  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  individuellement. 

Les  réactions  mutuelles,  s'exerçant  entre  les  divers  mouvements 
destinés  à  être  entendus  consécutivement  pour  former  une  seule  oeuvre, 
devaient  faire  naître  entre  ces  quatre  types  élaborés  dans  la  Sonate, 
d'oià  ils  rayonnèrent  dans  toutes  les  autres  formes  symphoniques  ins- 
trumentales ,  certaines  affinités  de  thèmes ,  certaines  relations  de 
tonalité,  certaines  proportions  de  foj^me,  par  lesquelles  chaque  morceau 
constitutif  devait  s'identifier  davantage  à  sa  fonction  de  partie  inté- 
grante d'un  tout. 

Affinités  des  thèmes.  —  Chez  les  précurseurs  de  Beethoven,  sauf 
peut-être  W.  Rust,  les  thèmes  appartenant  aux  mouvements  différents 
d'une  même  Sonate  étaient  sans  analogie  d'aucune  sorte  entre  eux: 
s'ils  offraient  quelque  contraste,  il  était  dû  aux  allures  et  aux  mesures 
spéciales  à  chaque  type,  beaucoup  plus  qu'à  une  intention  déterminée  ; 
dans  l'immense  généralité  des  cas,  ces  thèmes  étaient  complètement 
indifférents  ou  étrangers  les  uns  aux  autres. 

Le  procédé  du  rappel,  ou  même  de  la  simple  allusion  mélodique 
d'un  morceau  à  un  autre,  semblait  définitivement  abandonné,  lorsque 
Beethoven,  par  un  effet  normal  de  l'esprit  d'unité  synthétique  qui  plane 


320  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

sur  ses  œuvres,  prépara  pour  l'art  symphonique  l'accomplissement 
d'un  immense  progrès,  en  ouvrant  à  ses  successeurs  la  voie  féconde  des 
parentés  thématiques  établies  volontairement  entre  les  pièces  différentes 
d'une  même  composition,  voie  dans  laquelle  certains  primitifs  italiens 
avaient  fait  jadis  une  timide  incursion  que,  seul,  W.  Rust  avait  renou- 
velée depuis  eux  (i). 

Le  principe  des  thèmes  antagonistes  ou  contrastants  est  appliqué  par 
Beethoven  à  peu  près  exclusivement  aux  deux  idées  (A  et  B)  dans  la 
forme  Sonate.  Dès  ses  premières  œuvres,  et  notamment  dans  Top.  i3, 
il  cherche  à  créer,  entre  les  thèmes  des  différents  morceaux,  certaines 
affinités  que  nous  signalons  ici  brièvement,  pour  y  montrer  les  germes 
de  la  Sonate  cyclique  dont  l'étude  fera  l'obiet  du  chapitre  suivant. 

Dans  l'op.  i3  [Sonate  Pathétique)^  le  Rondeau  final  est  construit  sur 
un  thème  issu  de  Iz  seconde  idée  (B)  du  mouvement  initial,  et  ce  thème 
est  déjà  pressenti  dans  le  motif  initial  de  l'introduction  Graine,  comme 
on  le  verra  ci-après  (p.  333  et  suiv.)  dans  l'analyse  détaillée  que  nous 
donnerons  de  cette  Sonate,  l'une  des  plus  parfaites  de  celles  qui  appar- 
tiennent à  ce  qu'on  a  appelé  avec  raison  la  première  manière  de 
Beethoven. 

Dans  l'op.  3i  n°  3,  l'analogie  rythmique  de  la  cellule  du  mouvement 
initial  avec  celle  du  Menuet  et  même  celle  du  finale  est  tout  à  fait 
apparente  (^voir  ci-après,  p.  346  et  346). 

Dans  l'op.  by  [Sonate  appassionata)  qui  appartient  à  la  deuxième 
manière  de  Beethoven  et  sera  analysée  ci-après  (p.  347  et  suiv.),  on 
trouvera  deux  cellules  rythmiques  différentes  qui  donnent  naissance  à 
tous  les  éléments  thématiques  importants  des  trois  mouvements  consti- 
tutifs de  l'œuvre. 

Dans  l'op.  81  [Lebeivohl),  il  y  a  aussi  deux  cellules,  l'une  mélodique, 
l'autre  rythmique  :  elles  sont  exposées  toutes  deux  au  début  de  l'Intro- 
duction lente  (voir  ci-après,  p.  365)  et  donnent  à  toute  l'œuvre,  dans  les 
diverses  parties  de  laquelle  elles  circulent,  une  unité  thématique  remar- 
quable. 

Dans  l'op.  90,  on  a  signalé  déjà  le  retour  du  rythme  initial  du  premier 
mouvement  dans  le  passage  servant  au  Rondeau  final  de  premier  et  de 
troisième  couplet,  de  pont  mélodique,  (voir  ci-dessus  p.  3i3  et  ci- 
après,  p.  357). 

Dans  le  sujet  de  la  Fugue  finale  de  l'op.  106,  appartenant  à  la  ti^oi' 


(1)  On  a  vu,  au  chapitre  m,  les  essais  de  Legrenzi  (p.  178),  de  Corelli  (p.  180)  et  de  Tar- 
tini  (p.  i83)  dans  le  sens  de  Vunité  thématique  des  quatre  pièces  d'une  môme  Sonate  ;  et, 
plus  tard,  la  tentative  beaucoup  plus  complète  de  Fr.-W.  Rust,  dans  sa  Sonate  n»  9  (p.  228 
et  suiv.). 


UNITE  THEMATIQUE  ET  TONALE  3ji 

sième  matiière  de  Beethoven,  il  est  difficile  de  ne  pas  reconnaître  le 
rythme  initial  désigné  ci-dessus  (p.  264)  par  la  lettre  a' ,  comme  on  le 
verra  dans  l'analyse  de  cette  Fugue,  ci-après  (p.  364). 

La  fréquence  de  ces  affinités  thématiques  s'accroît  du  reste  dans  les 
Sonates  appartenant  à  cette  troisième  manière^  car  une  autre  de  ces 
cinq  Sonates,  l'op.  1 10,  qui  sera  analysée  ci-après  (p.  365  et  suiv.),  con- 
tient une  transformation  plus  complète  et  plus  apparente  encore  du 
thème   de  l'introduction  initiale  en  sujet  de  là  Fugue  finale. 

Outre  ces  rapports  thématiques  déterminés  et,  en  quelque  sorte, 
palpables  qui  seront  étudiés  à  propos  de  la  Sonate  cyclique  (chap.  v), 
il  faut  signaler  aussi  certaines  affinités  d'intention  et  de  sentiment 
général,  qui  ne  se  traduisent  pas  par  un  thème  transformé^  mais  qui 
résultent  de  Vexpression  même  de  certains  morceaux  d'une  Sonate, 
comme,  par  exemple,  le  premier  mouvement  et  le  finale,  dans  l'op.  27 
n"  2  (voir  ci-après,  p.  343,  la  symétrie  des  harmonies  tonales  d'w^  S 
en  forme  arpégée,  passant  du  calme  de  VAdagio  à  l'agitation  du 
Presto)  et  dans  l'op.  3i  n°  2  (sorte  de  question  posée  plusieurs  fois  par 
l'introduction  Largo,  toujours  suspensive,  et  résolue  par  Y  Allegretto 
final  construit  sur  les  mêmes  tonalités,  mais  plus  affirmatif)  (i)  etc. 

Relations  des  tonalités  constitutives.  —  Est-il  besoin  de  rappeler  que 
Vunité  tonale  est  toujours  scrupuleusement  respectée  dans  les  Sonates 
de  Beethoven?  Quinze  d'entre  elles  ont  tous  leurs  mouvements  sur  la 
même  tonique,  avec  ou  sans  changement  de  mode  ;  les  dix-sept  autres 
n'ont  jamais  plus  d'un  seul  mouvement  (2)  dans  un  ton  voisin  :  en 
général,  ce  mouvement  est  la  pièce  lente,  suivant  l'ancienne  tradition 
à  laquelle  on  ne  rencontre  que  quatre  dérogations,  déjà  signalées 
précédemment  (p.  3o2)  :  . 

i<»  dans  l'op.  27  n"  i,  il  y  a  un  petit  Scher:[^o  (type  M)  au  relatif 
mineur  (3)  ; 

2°  dans  l'op.  3i  n"  3,  la  deuxième  pièce  que  nous  avons  déjà  signalée 
(p.  3 10)  est  construite  en  forme  S,  bien  qu'elle  ait  l'allure  thématique 
d'un  Scherzo  ;  elle  est  au  tonde  la  sous-dominante,  mais  la  véritable 
pièce  du  type  M,  un  Menuet  qui  la  suit,  est  à  la  tonique  principale; 


(i)  Beethoven  répondit  à  quelqu'un  qui  lui  demandait  la  raison  Je  ce  caractère  interrogatif 
de  l'introduction  Largo  intervenant  dans  le  premier  mouvement  a  qu'on  trouverait  la  clé 
de  cette  œuvre  dans  la  Tempête  de  Shakespeare  >.  On  a  le  droit  de  considérer  cette  expli- 
cation comme  insuffisante. 

(a)  Dans  l'op.  53,  on  peut  même  dire  que  tous  les  morceaux  sont  sur  la  même  tonique, 
car  ce  qui  tient  lieu  de  mouvement  lent  n'est  qu'une  introduction  par  la  sous-dominante. 

(3)  La  phrase  lente  d'introduction  au  finale  qui,  dans  cette  Sonate,  op.  27  n°  i,  part  de  la 
sous-dominante  pour  aboutir  à  la  tonique  principale,  ne  peut  être  véritablement  considérée 
comme  une  pièce  /ewfe  établie  dans  un  autre  ton. 

Cours  de  composition.  —  t.  11,   i.  ai 


Î23  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

3°  dans  l'op.  loi,  la  grande  Marche  est  au  ton  de  la  quatrième  quinte 
descendante  ; 

4°  dans  l'op.  i  lo,  le  Schef-^o  est  au  i^elatif  mineut\ 

L'inépuisable  variété  qui  règne  dans  les  Sonates,  malgré  l'étroite 
parenté  qui  unit  au  ton  initial  la  tonalité  choisie  pour  le  seul  morceau 
s'en  éloignant,  montre  une  fois  de  plus  que  la  fréquence  des  change- 
ments de  ton  n'apporte  qu'un  élément  de  désagrégation  dans  les  composi- 
tions, au  lieu  d'en  accroître  l'intérêt,  comme  on  le  pense  trop  souvent. 

Bien  au  contraire,  l'emploi  de  certaines  modulations  à  la  même  toJîa- 
lité  dans  plusieuf^s  pièces  d'une  même  œuvre  peut  contribuer  à  resserrer 
la  parenté  tonale  entre  ces  diverses  pièces  ;  il  est  intéressant  de  cons- 
tater que  Beethoven  s'est  servi  de  ce  moyen  dans  celle  de  ses  Sonates 
où  la  tonique  de  la  pièce  lente  était  le  moins  voisine  de  celle  des  autres 
mouvements:  l'op.  io6  (i).  Le  ton  dejas-sol  i>  choisi  pour  V  Adagio 
est  assez  éloigné  du  tonde  5/ t»  appartenant  aux  autres  pièces  :  mais, 
dans  le  mouvement  initial,  nous  avons  vu  (p.  279)  que  l'harmonie  de 
SOL  t»  jouait  un  rôle  important  ;  dans  la  Fugue  finale,  cette  harmonie 
revient  pour  un  épisode  assez  long  (voir  ci-après,  p.  364)  ;  et  ces 
modulations  rapprochent  notablement  le  ton  de  la  pièce  lente,  en  le 
reliant  au  ton  principal    '^2). 

Proportions  des  formes  S.  L.  M.  R.  —  La  recherche  des  meilleures 
proportions  pour  le  nombre  et  la  longueur  des  pièces  constitutives  de 
la  Sonate  paraît  avoir  fait  l'objet  des  préoccupations  constantes  de 
Beethoven.  Dès  ses  premières  œuvres,  il  donne  au  mouvement  initial 
de  forme  S  une  plus  large  place,  aux  dépens  de  la  pièce  modérée  (M), 
principalement.  L'auteur  semble  considérer  ce  petit  Menuet,  qui  garde 
seul  son  caractère  de  danse,  comme  une  concession  nécessaire  mais 
regrettable  aux  anciens  usages  :  il  le  restreint  donc  volontairement, 
comme  nous  l'avons  vu  (p.  3o3),  et  le  supprime  complètement  dans  la 
période  de  180  i  à  181  5  qui  correspond  à  ce  que  nous  avons  appelé, 
après  beaucoup  d'autres,  sa  deuxième  manière.  Cependant,  le  thème  de 
Scherio,  création  très  spéciale  à  Beethoven,  que  nous  avons  étudié 
(p.  3o5)  et  qui  remontait  déjà  à  des  Sonates  antérieures  (op.  10  n°  2, 
par  exemple),  donne  un  nouvel  intérêt  à  cette  forme,  libérée  désormais 
des  entraves  étroites  de  la  danse  ;  aussi,  la  voit-on  reparaître,  beaucoup 

(1)  Remarquer  que  ce  procédé  est  le  même  que  celui  employé  par  Haydn  pour  préparer 
dans  le  premier  mouvement  de  sa  Sonate,  op.  78,  en  MI  \>  ,  la  tonalité  assez  éloignée  de 
Y  Adagio  en  MI  S  (voir  ci-dessus,  p.  216). 

(a)  Il  faut  citer  aussi,  dans  l'œuvre  de  Beethoven,  une  modulation  dont  la  fréquence  ne 
i'ex  lique  pas  très  bien  :  un  assez  grand  nombre  de  compositions  établies  au  ton  de  A//b  ou 
d'wf,  c'est-à-dire  avec  trois  bémols  à  la  clé,  modulent  en  FA  :  cette  modulation  à  la  deuxième 
quinte  ascendante  est,  au  contraire,  très  rare  dans  les  œuvres  écrites  dans  d'autres  tons. 


UNITK  THEMATIQUE  ET  TONALE  333 

plus  grande  et  plus  complète,  dans  les  dernières  œuvres  synîphoniques 
plus  encore  que  dans  les  Sonates. 

Le  Rondeau  (R),  par  sa  fusion  avec  la  forme  Sonate,  gagne  en  impor- 
tance et  en  intérêt  ce  qu'il  perd  en  analogie  avec  les  anciennes  chansons 
à  danser  qui  lui  donnèrent  naissance.  Toutefois,  dans  les  dernières 
Sonates,  il  n'est  plus  jugé  apte,  même  en  cette  forme  agrandie,  à  faire 
équilibre  à  la  pièce  initiale  de  forme  S  ;  et,  après  sa  réapparition  admi- 
rable mais  unique  dans  l'op.  90,  il  disparaît  des  Sonates  pour  faire 
place  à  des  tentatives  de  formes  nouvelles,  à  titre  de  finale  tout  au 
moins:  la  Fugue  et  la  Variation. 

Seule,  la  pièce  lente  (L)  demeure,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre, 
à  côté  de  la  pièce  nécessaire  du  type  S  :  mais  elle  tend  très  souvent,  par 
son  enchaînement  avec  un  finale  ou  avec  des  variations,  à  redevenir 
l'antique  Prélude  :  et  l'on  voit  en  définitive  le  type  Sonate  et  la  Varia- 
tion se  partager  à  peu  près  exclusivement  les  Sonates  qui  terminent  la 
géniale  collection  dont  l'étude  fait  l'objet  du  présent  chapitre  :  l'an- 
cienne division  en  quatre  mouvements  est  employée  dans  dix  Sonates  : 
op.  2  n^M ,  2  et  3,  op.  7,  op.  10  n°  3,  op.  22,  op.  26,  op.  28,  op.  3i 
n*  3  et  op.  106  (i). 

Les  Sonates  en /ro/s  mouvements  sont  au  nombre  de  quiw^e  :  op.  10 
n°»  I  et  2,  op.  i3,  op.  14  n"^  i  et  2,  op.  27  n"*  i  et  2,  op.  3i  n°*  i 
et  2,  op.  57,  op.  79,  op.  81,  op.  loi,  op.  109  et  op.  1 10  (2). 

Enfin,  les  Sonates  en  deux  mouvements  sont  au  nombre  de  sept  : 
op.  49  n*"  I  et  2,   op.    53,    op.  54,  op.    78,    op.  90  et  op.  1 1 1  (3). 

Si  la  construction  en  /ro/s  mouvements  est  la  plus  employée,  celle  en 
deux  mouvements  devient  plus  fréquente  dans  les  dernières  Sonates  ; 
cette  tendance  à  restreindre  le  nombre  des  mouvements  à  trois  et  même 
à  deux^  en  multipliant  les  enchaînements  de  mouvements  inséparables, 
paraît  être  nettement  opposée  à  celle  qui  se  manifestera  dans  l'étude 
des  Quatuors  à  cordes.  Ceux-ci  semblent  au  contraire,  par  l'accroisse- 
ment du  nombre  de  leurs  pièces  [six,  sept  et  même  /iw/7),  revenir  à 
l'ancienne  forme  Suite,  tandis  que,  seule,  la  Symphonie  proprement 
dite  est  demeurée  l'immuable  dépositaire  de  la  tradition  des  quatre 
types  de  mouvements,  ainsi  que  nous  le  constaterons  dans  la  Seconde 
Partie  du  présent  Livre. 

(i)  Il  faut  observer  toutefois  que,  sur  ces  dix  Sonates,  sept  seulement  contiennent  un 
spécimen  de  chacun  des  quatre  types  traditionnels  (S.  L.  M.  R.).  En  effet,  l'op.  26  n'a  pas 
de  type  S,  l'op.  3i  n«  3  n'a  pas  de  type  L  et  l'op.  106  n'a  pas  de  type  R. 

(2)  Les  Sonates  op.  27  n"  i  et  110  n'ayant  que  des  phrases  lentes  d'introduction  au  finale  dont 
ellessont  insé/?ara6/e5, doivent  être  considérées  comme  divisées  en  (rois  mouvemenis  seulement. 

(3)  Pour  la  môme  raison,  les  Sonates  op.  53  et  loi  doivent  être  considérées  comme 
«liviaées  en  deux  mouvemenis. 


324  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


HISTORIQUE 

8.  —  CHRONOLOGIE  DES  SONATES  DE  BEETHOVEN. 

Ludwig  van  Beethoven  naquit  à  Bonn  le  i6  décembre  1770.  Sa 
famille  était  d'origine  flamande  et  habitait  au  xvii'  siècle  les  environs 
de  Louvain.  Son  grand-père,  Ludivig,  auquel  il  ressemblait  beaucoup 
physiquement,  était  venu  s'établir  à  Bonn  en  1733,  en  qualité  de  musi- 
cien de  la  cour  de  l'Evêque,  et  avait  pris,  en  1 761,  la  charge  de 
Kapellmeister  en  remplacement  du  français  Touchemoulin.  Johamiy 
père  de  Beethoven,  fut  également  musicien  de  cour  ;  de  son  mariage 
avec  Anna-Magdalena  Kewerich  naquirent  trois  fils  :  seul,  le  jeune 
Ludivig  suivit  la  carrière  de  ses  ancêtres. 

Après  de  sérieuses  études  sous  la  direction  de  Ch.-G.  Neefe,  maître 
érud'it  et  intelligent  qui,  non  content  d'enseigner  le  métier,  savait 
cultiver  l'esprit  de  ses  élèves  par  l'exemple,  en  les  initiant  aux  belles 
œuvres  (le  C/ai^mw  de  Jean-Sébastien,  les  Fantaisies  de  Ph. -Emmanuel 
Bach,  les  premières  Sonates  de  Rust),  Beethoven  partit  en  1792  pour 
Vienne,  où  il  reçut  les  conseils  de  J.  Haydn,  conseils  qui  lui  furent 
fort  utiles  et  dont  il  subit  l'influence  pendant  toute  sa  première  période 
de  production.  Il  travailla  aussi  le  contrepoint  avec  Albrechtsberger, 
auquel  Haydn  l'avait  adressé  pour  parfaire  son  éducation  technique. 
Ce  fut  donc  seulement  après  quatorze  ou  quinze  ans  d'études  assidues 
que  Beethoven  osa  commencer  à  produire  des  œuvres,  car  on  ne  peut 
compter  pour  telles  les  quelque  quarante  compositions,  variations,- 
lieder  ou  morceaux  d'ensemble,  qu'il  écrivit  avant  ses  trois  premiers 
Trios,  et  dont  il  fit  lui-même  bon  marché  par  la  suite  :  ce  ne  sont,  en 
effet,  que  devoirs  ou  esquisses  sans  intérêt  artistique. 

Familier,  malgré  la  rudesse  de  son  caractère,  avec  l'aristocratie  habi- 
tant alors  à  Vienne,  les  Breuning,  les  Waldstein,  les  Lichnovv^sky, 
Browne,  Rasoumowsk}',  Erdody,  qui  lui  facilitèrent  à  maintes  reprises 
la  pratique  de  la  vie,  il  put,  jusqu'à  la  ruine  de  l'Autriche  en  1809, 
mener  une  existence  relativement  tranquille,  entrecoupée  seulement 
d'amours  incompris  et  de  passions  éphémères,  et  donner  libre  cours  à 
son  génie  novateur. 

Plus  tard,  il  connut  la  douleur  ph3rsique  et  morale  ;  la  fin  de  sa  vie 
fut  empoisonnée,  d'une  part,  par  la  terrible  infirmité  qui,  dès  1800, 
avait  attaqué  son  organe  auditif,  et  lui  enlevait  bientôt  toute  possibilité 
de  communication  immédiate  avec  le  monde  extérieur;  ensuite,  par 
l'ingratitude  et  la  mauvaise  conduite  d'un  neveu  qu'il  chérissait 
comme  un  fils. 


CHRONOLOGIE  335 

Mais  ces  circonstances  qui,  chez  des  esprits  moins  hauts,  eussent  été 
des  causes  d'anéantissement,  ne  firent  que  développer  en  lui  le  don 
créateur;  il  sut  se  replier  sur  lui-même  et  se  créa  ainsi  tout  un  monde 
intérieur  auquel  nous  devons  ses  œuvres  les  plus  sublimes. 

Depuis  son  départ  de  Bonn,  où  il  faisait  partie  de  l'orchestre  de 
l'Archevêque-Électeur  de  Cologne,  Beethoven  n'occupa  aucun  poste 
officiel,  ne  fut  titulaire  d'aucune  charge  :  seule,  l'Académie  d'Ams- 
terdam (i)  l'avait  nommé  membre  d'honneur  en  1809;  quant  à  l'an- 
tique et  illustre  Société  Viennoise  des  ^w;s  de  la  Musique  {1),  elle  ne 
commença  à  apprécier  la  valeur  du  musicien  de  génie  qui  végétait 
dans  la  capitale  de  l'Empire,  que  quatre  ans  avant  sa  mort.  Plus 
clairvoyant,  Jérôme  Napoléon,  roi  de  Westphalie,  avait  fait  offrir,  en 
I  809,  à  l'auteur  de  la  Symphonie  héroique,  des  fonctions  bien  rému- 
nérées que  Beethoven  refusa  par  patriotisme. 

Animé  d'une  foi  profonde  en  Dieu  et  en  son  art,  Beethoven,  comme 
Bach,  fut  un  grand  chrétien  :  toutes  les  oeuvres  de  sa  dernière  manière 
«n  témoignent,  aussi  bien  que  ses  propres  écrits.  Il  pratiqua  toute 
sa  vie  la  sainte  charité  envers  Dieu  et  envers  son  prochain,  et  mourut 
€n  bon  catholique,  le  26  mars  1827. 

L'œuvre  de  Beethoven  se  divise  en  trois  époques,  dont  chacune  est 
caractérisée  par  un  style  absolument  différent  (3).  Chez  nul  musicien, 
en  effet,  les  changements  successifs  et  progressifs  de  l'àme  ne  se  mani- 
festèrent plus  clairement  et  plus  complètement  que  chez  le  poète  de  la 
Sonate  pathétique,  de  la  Symphonie  pastorale  et  de  la  Messe  en  ré. 

Nous  intitulerons  ces  trois  manières  si  tranchées  : 

Période  d'imitation,  de  1795  à  1801  (§  9); 
Période  de  transition,  de  1801  à  181 5  (§  10); 
Période  de  réjlexion,  de  181 5  à  1826  (§  u). 

Voici,  dans  leur  ordre  de  production,  la  liste  chronologique  des  qua- 
rante-neuf Sond^its  de  Beethoven,  les  seules  de  ses  compositions  dont 
nous  ayons  à  nous  occuper  dans  ce  chapitre  : 

(1)  Maatshappij  tôt  Bevordering  van  Toonkunst. 

(2)  Gesellschaft  der  Musikfreunde. 

Ces  deux  Sociétés  existent  encore  à  Amsterdam  et  à  Vienne. 

(3)  L'un  des  ouvrages  les  plus  utiles  à  consulter,  pour  bien  connaître  les  Sonates  de 
Beethoven,  est  un  livre  rédigé  en  français  avec  des  pensées  allemandes  par  un  auteur 
russe,  \V.  de  Lenz,  et  intitulé:  Beethoven  et  ses  trois  styles  {2  vol.  :  1"  éd.,  Stapleaux, 
Biuxelles,  1854;  2' éd.,  Lavinée,  Paris,  1866;  3«  éd.,  Legouix,  Paris,  1908).  Ce  livre  est  des 
plus  instructifs  pour  les  élèves,  parce  qu'il  fut  écrit  par  un  musicien  et  un  enthousiaste.  La 
plupart  des  autres  publications  sur  ces  Sonates  ne  donnent  jusqu'à  présent  que  d'inutiles 
descriptions  ou  de  sèches  nomenclatures.  Quelques  écrivains  ont  même  tenté  de  contester 
cette  classification  des  œuvres  de  Beethoven  en  trois  manières  successives;  mais  leurs 
assertions  sont  sans  aucun  fondement  :  ce  sont  opinions  de  musicographes  dont  nous  n'avons 
pas  à  tenir  compte  ici,  puisque  nous  nous  adressons  à  des  musiciens. 


,26  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

PREMIÈRE  PÉRIODE  (imitation)  :  22  Sonates. 

1795.  3  Sonates  pour  piano  ; /a,  L-4,  l/r  (dédiées  à  J.  Haydn)    .     .  Op.     2. 
_     2       —        pour  violoncelle  ;  /"/l,  50/ (au  roi  de  Prusse).    .     .  —       5. 

1796.  I  Sonate    pour  piano  ;    SOL —  49  n"  2. 

—  I       —        pour  piano  à  quatre  mains  ;   RÉ —      6. 

—  I       —        pour  piano  ;  Mil>  (à  la  comtesse  de  Keglevics).     .  —      7. 

1797.  3  Sonates  pour  piano  ;  ut,  FA,  RÉ  (à  la  comtesse  de  Browne).  —  10. 

1798.  3       —        pour  violon  ;  RÉ,  la,  MI\>  (à  Salieri) —  12. 

—  I  Sonate    pour  piano    {pathétique);    ut   (au  prince  Ch.  de 

Lichnowsky) —  i3. 

—  2  Sonates  pour  piano  ;  MI,  SOL  (à  la  baronne  de  Braun)  .     .  —  14. 

1799.  I  Sonate    pour  piano  ;  50/ —  49  n»  i. 

1800.  I       —        pour  cor;  FA —  17. 

—  I       —        pour  piano  ;  S/ i?  (au  comte  de  Browne)  ....  —  22. 

—  2  Sonates  pour  violon  ;  la,  FA  (au  comte  Fries) —  23. 

DEUXIÈME  PÉRIODE  (transltlon)  :  20  Sonates. 

i8oi.  1  Sonate    pour  piano  f/>asfora/e)  ;  ^£  (à  J.  de  Sonnenfels)   .  Op.  28. 

—  I       —        pour  piano  ;  LAi>  (au  prince  Ch.  de  Lichnowsky).  —  26. 

—  2  Sonates  pour  piano  (quasi  fantasia);  M/t)  (à  la  princesse 

de  Liechtenstein),  ut  5  (à  la  comtesse  G.  Guic- 

ciardi) —  27n»'iet2. 

1802.  3      —        pour  violon  ;  LA,  Mf,  SOL  (à  l'empereur  Alexandre).  —  3o. 

—  2       —        pour  piano  ;  SOL,  ré —  3 1  nos  1  et2. 

i8o3.  I  Sonate    pour  violon  ;  /a  (à  Kreutzer) —  47. 

—  I       —         pour  piano  ;  MJ\> —  3i  no  3. 

1804.   I       —        pour  piano  ;  fa,  dite  appassionata  (au  comte  F.  de 

Brunswick) —  5y. 

—  I       —        pour  piano  ;  UT  (au  comte  Waldstein) —  53. 

i8o5.  I      —        pour  piano  ;  Fiî —  54. 

1808.  I       —        pour  violoncelle  ;  L.4  (au  comte  Gleichenstein).     .  —  69. 

—  I  Sonatine  pour  piano  ;  SOL —  79. 

1809.  I  Sonate  pour  piano;  Fi4  fl  (àla  comtesseThérèseBrunswik).  —  78. 

—  I       —        pour  piano;    i//t>,  l'Adieu,   l'Absence,  le  Revoir  {à 

l'archiduc  Ro  lolphe) —  81. 

1^12.  I       —        pour  violon  ;  S0£,  (à  l'archiduc  Rodolphe).     ...  —  96. 

1814.  I      —        pour  piano  ;  mi  (au  comte  Moritz  de  Lichnowsky).  —  90, 


TROISIÈME  PÉRIODE  (réflexion)  :  7  Sonates. 

18  f  5.  2  Sonates  pour  violoncelle  ;  UT,  RÉ  (à  la  comtesse  Erdody) 

1816.  I  Sonate  pour  piano  ;  LA  (à  la  baronne  Ertmann)  . 
1818.  I  —  pour  piano  ;  s/t)  (à  l'archiduc  Rodolphe). 
1820.  I      —        pour  piano  ;  M/ (à  Maximilienne  Brentano; 

1021.  I      ~        pour  piano  ;  la\> 

1822.  I      —        pour  piano  ;  M/ (à  l'archiduc  Rodolphe).  . 


Op.  102. 


lOI. 

106. 
109. 

I  10. 

1 1 1. 


Sur  ces    quarante-neuf  Sonates,  trente- deux  sont  écrites  pour  piano 
seul  :  elles  contiennent    les    plus    importantes  innovations  du  génie 


SONATES  POUR  PIANO  337 

beethovénien  et  méritent  une  étude  spéciale.  On  peut  même  les  consi- 
dérer comme  le  véritable  «  Évangile  musical  »  du  xix*  siècle,  dont  tout 
compositeur  devrait  connaître  jusqu'aux  moindres  détails. 

Nous  donnons  ci-après,  dans  l'ordre  chronologique,  le  schéma  ana- 
lytique de  chaque  morceau  avec  quelques  remarques,  et  l'analyse 
détaillée  d'une  Sonate-type,  au  moins,  dans  chacune  des  trois  manières. 
Nous  examinerons  ensuite  les  principales  particularités  des  dix  Sonates 
de  violon  et  des  cinq  Sonates  de  violoncelle. 

9.    SONATES    POL'R    PIANO.    —    PREMIERE    MANIERE     [iJ^'S  A    1801). 

La  pî^emièt^e  maniérée  (imitation)  reste  assujettie  à  la  tradition,  jusque 
dans  ses  formules  mêmes.  Sauf  dans  quelques  morceaux  comme  le 
premier  mouvement  de  la  Sonate  pathétique  et  le  largo  de  l'op.  lo 
n°  3,  les  éléments  musicaux  et  la  forme  n'y  diffèrent  pas  notable- 
ment du  stfle  galant  établi  par  Emm.  Bach,  Haydn  et  Mozart. 
Beethoven  ne  s'y  élève  même  pas  au  niveau  des  dernières  Sonates  de 
Fr.-W.  Rust,  tout  à  fait  contemporaines  de  cette  période  ;  il  ne 
cherche  qu'à  imiter  ses  modèles  et  se  constitue  ainsi  peu  à  peu  une 
puissante  personnalité,  bien  plus  sûrement  qu'en  désertant  avec  la 
témérité  de  l'inexpérience  la  route  traditionnelle,  pour  s'engager 
dans  des  sentiers  sans  issue. 

Sonate  op.  2    n°  1.  —  Dédiée  à  J.  Haydn,  «  docteur  en  musique  ». 

—  Composée  en  1793. 

—  Éditée  •  en   mars    1796,    chez   Artaria,    à  Vienne. 

—  En  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

i""  Allegro  (^,QU.fa Type     S. 

Exp.  Th.  A,  enchaîné  à  Rem.  —  Les  doigtés  des  deux  premières 

—      Th.  B  {b' ,  b' ,  b'").  mesures  sont  marqués  par  Beethoven 

Dév.  par  b' .  lui-même. 
Réexp.  normale. 

2°  Adagio  \,  Qn  FA Type  LS. 

Exp.  Th.  de  lied,  A. 

—  Pont. 

—  Th.  B,  à  la  D. 

RÉEXP.  Th.  A,  à  la  T.,  enchaîné  à 

—  Th.  B,'à  la  T. 

y  Allegretto  J,  en  /h Type   M. 

Menuet  -.  Th.  A.  (i)  et  dév.  de  A.  Rem.  —  Les  doigtés  de  la  descente  en 

Trio  en  FA.  sixtes     du    trio    sont    marqués    par 

Da  capo.  Beethoven. 

(1)  Ce  thème  a  éié  ciié  ci-dessus,  p.  304. 


3a8 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


4°  Prestissimo  Cenfa{i) Type     R. 


Réf.  I  :  Th.  A,  enchaîné  à 
Coupl.  I  :  Th.  B,  en  ut. 
Coupl.  2  :  Elém.  nouv.  en  LA  t> 
Réf.  2:  Th.  A,  enchaîné  à 
Coupl.  3  :  Th.  B,  à  la  T. 


Rem.  —  Cette  forme  ne  tient  du  Ron- 
deau que  par  le  thème  différent  qui 
constitue  le  deuxième  couplet,  et  rem- 
place le  développement. 


Sonate  op.  2   n*»  2.  —  Dédiée  à  J.  Haydn. 

—  Composée  en  1793. 

—  Éditée  en  mars  1796,  chez  Artaria. 

—  En  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

i'' Allegro  vivace  l,  en  la Type     S. 

Exp.Th.  A,  en  rfewA- éléments  {a'  et  a"). 

—  Pont  vers  la  D. 

l   b,  en  mi. 

—  Th.  B  <  b"  (tiré  de  a)  en  MI. 

i  t"  (tiré  de  p.) 
Dèv.  par  a  . 

—  par  a"  en  FA. 
Réexp.  normale. 


2°  Largo  appassionato  -,  en  RÊ  (2). 

I.  Th.  de  lied,  à  la  T. 

II.  Section  modulante. 

III.  Th.  à  la  T. 

IV.  Dév.  du  Th. 
Th.,  à  la  T. 


.     ,     =     .     a     .     .       Type  LL. 

Rem.  —  Le  thème  de  ce  Largo  semble 
être  une  esquisse  de  l'Andante  du 
Trio  op.  97. 


V. 

3°  Allegretto  '-,  en  la. 

I  a,  à  la  T. 
Menuet}  b,  en  sol  5. 

(  a,  à  la  T. 
Trio,  en  la. 
Da  capo. 

4°  Rondo  gra^ioso    c. 
Réf.  I  :  Th.  A,  à  la  T. 
Coupl.  1  :  P.  et  th.  B,  à  la  D. 
Réf.  2  :  Th.  A. 
Coupl.  2  :   Elém.  nouv.  en  la 
Réf.  3  :  Tn.  A. 
Coupl.  3  :  P.  et  th.  B  à  la  T. 
Réf.  4  :  Th.  A. 
Coupl.  4  :  Dév.  du  th.  A. 

—  —     du  coupl.  2. 
Réf.  5  :  Période  initale  de  A. 

—  Conclusion 

(i)  Haydn,  tout  en  trouvant  que  Beethoven  «  avait  encore  beaucoup  à  apprendre  »,  apprécia 
hautement  ce  finale,  appelé  par  les  critiques  d'alors  h  une  indécente  monstruo.iilé  0. 

(î)  C'est  cette  pièce  qui  a  été  analysée  ci-dessus  (p.  291  et  suiv.)  dans  la  section  technique, 
comme  modèle  du  type  lied  développé  en  cinq  sections  (IL'. 

(3;  Ce  thème  a  été  cité  ci-dessus,  p.  3o4,  avec  celui  du  Menuet  de  la  Sonate  précédente 
(op,  a  n"  i). 


Type    M. 

Rem.  —  Maigre  son  titre  Schen^o,  cet 
Allegretto  doit  être  considéré  comme 
un  Menuet,  par  la  forme  de  son 
thème  (3  . 

Le  trio  est  écrit  d'après  un  chant  slave. 

en  LA Type  RS. 

Rem.  —  Rondeau-Sonate  tout  à  fait 
conforme  au  type  étudié  ci-dessus 
(p.    3l2). 

Le  thème  B  est  très  peu  important  et 
change  de  rythme,  quand  il  revient 
au  troisième  couplet,  disposition  fré- 
quente chez  Mozart. 


SONATES  POUR  PIANO  3^9 

Sonate  op.  2   n°3.  —  Dédiée  à  J.   Haydn. 

—  Composée  en  1796.  —  Éditée  en  mars  1796,  chez  Artaria. 

—  En  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

i«*  Allegro  cou  brio  C,  en  UT ^ype     S. 

Exp.  Th.  A.  Rem.  —  Suivant   un  ancien    usage  ita- 

—  Pont.  lien,    le  thème  B  entre  par  la  domi- 

f  b    tn  sol.  nante    mineure   (sol)     et    change    de 

—  Th.  B.  <  b"  en  SOI.  (tiré  de  j?.)  mode  ensuite. 

(  i*. 
DÉv.  par  6*. 

—  par  a. 
RÉEip.  normale, 

—  avec    Dév.  terminal,  cade-nce 
et  dernière  réexp.  de  A. 

2°  Adagio  J,  en  mi T^ype  LL. 

I.  Th.  binaire  à  la  T. 

II.  Section  modulante. 

III.  Th.  à  la  T. 

IV.  Dév.  du  th.  et  de  la  section  11. 

V.  Th.  à  la  T. 

3«>  Allegro  l^   en  ut Type    M. 

SCHERZO:  Th.  développé  à  la  T.  Rem.    —    Le    ihème   du   Scherzo  de  la 

Trio  en  la.  Symphonie  italienne  de  Mendehsohn 

Da  capo  et  Coda.  est,  sans  doute,  inspiré  de  celui-ci. 

4°  Allegro  assai  |,  en   ur Type  RS. 

Réf.  I  :  Th.  A,  à  la  T. 

Coupl.  I  :  P.  et  th.  B  à  la  D. 

Réf.  2  :  Th.  A. 

Coupl.  2  :  Elément  nouveau  en  FA. 

Réf.  3  :  Th.  A. 

Coupl.  3  :  P.  et  th.  B.  à  la  T. 

Réf.  4  :  Th.  A,  avec  cadence  et  Coda. 

Sonate  op.  49  n°  2.  —  (Sans  dédicace). 

—  Composée  en  1796. 

—  Éditée  en  janvier  i8o5,  au  Bureau  des  Arts  et  de  l'Industrie. 

—  En  deux  mouvements  (S.  R.)  : 

\°  Allegro  ma  non  troppo  (lî,  en  sol 1  ypc     S. 

Exp.  Th.  A,  enchaîné  à  Rem.  —  Le   début    du    th.  B.  est  iden- 

—  Th.  B  {b',  b",  b")  en  RÉ.  tique  à  celui  de  la  seconde  idée  dans 
DÉv.  réduit  à  14  mesures.  la  pièce  initiale  de  la  Sonate  pour 
Réexp.  normale.  deux  pianos  de  Mozart. 

2°  Tempo  diMinuetto  -,  en  sol Type     R. 

Réf.  I  :  Th.  A.,  à  la   T.  Rem.  —  Le  refrain  (A)  est  le  thème  du 

Coupl.  I  :  Th.  B,  à  la  D.  Menuet   du  Grand  Septuor,  op.  20; 

Réf.  2.  Th.  A.  mais  ce  thème   est  traité  ici   en  Ron- 

Coupl.  2  :  Elém.  nouv.,  en  UT.  deau,  malgré  son  rythme  de  Menuet. 
Réf.  3  :  Th.  A.  et  Coda. 


^3©  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Sonate  op.  7.  —  Dédiée  à  la  comtesse  Babette  von  Keglevics. 

—  Composée  en  1796.  —  Éditée  en  octobre  1797,  chez  Artaria. 

—  En  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R  )  : 

i*  Allegfo  tnolto  e  cofi  brio  g,  en  ^/;t> Type     S. 

Exp.  Th.  A.  Rem.  —  La  phrase  b'  du  second  thème 

—  p.,  avec  préparation  tonale  du  (B)  contient  une   modulation    assez 

/  b    modulant.  éloignée,  en  UT. 

_    Th.  B  \  b". 

\  V  avec  coda  en  SI^. 
DÉv.  par  a. 

—  par  coda  de  b'". 
Réexp.  normale, 

—  avec  Dév.  term.  par  b' . 

2°  Largo,  cou  gran  espress'one  -,  en  ut Type  LS. 

Exp.  Th.  de  lied  A,  à  la  T. 

—  Th.  B,  modulant. 
RÉEXP.  Th.  A,  à  la  T. 

—  Th.  B,  à  la  T. 

—  Conclusion. 

3°  Allegro  -,  en  3// b Type    M. 

MENUET  :  Th.  développé  à  la  T. 
Trio  en  miï> . 
Da  capo. 

4."  Rondo.  Poco  allegretto  e  gra\ioso\.  tn  Ml?.       .     .     .       Type    R. 

Réf.  I  :  Th.  A,  à  la  T.  Rem.  —  Ce  Rondeau  est  le  premier  qui 

Coupl.  I  :  P.  et  th.  B,  à  la  D.  se  termine  par  une  phrase  concluante 

Réf.  2  :  Th.  A.  différente  du  refrain. 

Coupl.  2  :  Elém.  nouv.  en  ut. 

Réf.  3  :  Th.  A. 

Coupl.  3  :  P.  et  th.  B,  à  la  T. 

Réf.  4:  Th.  A. 

Coupl.  4  :  Dév.  et  phrase  concluante. 

Sonate  op.  10  n°  I .  —  Dédiée  à  la  comtesse  de  Browne  (i). 

—  Composée  en    1797. 

—  Éditée  en  septembre    1798,  chez  Eder,  à  Vienne. 

—  En  trois  mouvements  (S.   L.  S.)  : 

1°  Allegro  molto  e  cou  brio  -,  en  ut T3'pe     S. 

Exp.  Th.  A.  Rem.  —   La  première  phrase   b    de  la 

—  Pont  mélodique.  seconde  idée  (B)   est  la   reproduction 

b  .  d'un  thème  de  Haydn  appartenant  à 

—  Th.  B    .  b"  (rythme  de  a).  la  Sonate  qui  porte   le  n"  58  i».  Ce 

'  b'"  tiré  de  p.  même  thème  reparaît  dans  plusieurs 

autres  œuvres  de  Beethoven. 

(i)  Voici  comment  turent  jugées  les  trois  Sonates  op.  10,  lors  de  leur  apparition,  par 
VAUgemeine  Musik  Zeitung  (1799)  :  «  L'abondance  des  thèmes  amène  Beethoven  à 
accumuler  des  pensées  sans  ordre  et  dans  de  bizarres  groupements,  de  telle  sorte  que  son 
art  paraît  artificiel  et  reste  obscur.  • 


SONATES  POUR  PIANO 

DÉv.  par  a.  Rem.—  Observer  ici  la  vérification  de  ce 

—  par  thème  nouveau,  amplification       qui  a  été  dit  de  l'influence  de  la  modu- 

de  p,  en  fa  et  si  h .  lation  en  fa  dans  les  œuvres  de  Bee- 

—  par  marche  vers  la  D.  thovenenA//b  ou  ut.  La  fausse  entrée 
Réexp.  Th.  A.  de  b>  en  fa  semble   ici  une  esquisse 

—  P.  vers  fa  de   l'entrée   de  cor   en   FA,    dans   la 

—  fausse  entrée  de  f  en  FA.  HJe  Symphonie  (en  MI^) 

—  Th.B{b',  f.b")  à  la  T. 

2°  Adagio  molto  |,  en  L/i  b Type  LS. 

Exp.  Th.  binaire  A,  à  la  7". 

—  Pont  modulant. 

—  Th.  B,  à  la  D. 
Réexp.  Th.  A.,  à  la  T. 

—  Pont  modulant. 

—  Th.  B,  à  la  T. 

—  Phrase  concluante. 

3"  Prestissimo  (^,  en  ut Type     S. 

Exp.  Th.  A,  enchaîné  à  Rem.    —  C'est  la   première    fois    que 

(  *'  en  ^^b.  Beethoven    emploie    cette    forme    S 

—  Th.  B  <  b"  tiré  de  a.  (mais  en  mouvement  plus  rapide)  à 

f  *"•  titre  dt  finale. 

DÉv.  réduit  à  1 1  mesures. 
Réexp.  normale, 

—  avec  petit  Dév.  terminal. 

Sonate  op.  10  n*  2.  —  Dédiée  à  la  comtesse  de  Browne. 

—  Composée  en  1797,  —  Éditée  en  septembre  1798,  chez  Eder. 

—  En  trois  mouvements  (S.  M.  S.)  : 

x'' Allegro  l,  tn  FA Type     S. 

Exp.  Th.  A  (a'  et  a").  Rem,  —  Le  thème  A  se  décompose  en 

—  Pont.  deux  éléments,  et  c'est  le  second  {a") 

—  Th.  B  {b',b",b'")  en  UT.  qui  marque  le  début  de  la  véritable 
Dév.  par  coda  de  b"',  vers  la  D.  de  ré.       reexposition  au  ton  principal  FA. 

—  rentrée  de  a    en  RÉ. 
Réexp.  par  a"  en  FA. 

—  P.  tlih.B  (b',b",b'). 

2"  Allegretto  l,  en  fa  {i) '    .     .     .     .       Type    M. 

Scherzo  ;  Th.  (a,  b,  a).  Rem.  —   Le   rythme   du  thème  est  par 

Trio  en  RÉ  b.  quatre  mesures.  Ce  Schers^o  offre  une 

Da  capo   avec  modification  agogique.        grande    analogie    avec    celui    de   la 

Ve  Symphonie. 

3°  Presto  l,  en  fa Type      S. 

Exp.  Th.  A,  enchaîné  à  Rem.   —    Ce  finale  est  sur  un  rythme 

—  Th.  B  (rythme  de  a)  en  UT.  unique.   Le  thème    A  offre  une  ana- 
DÉv.  rythmique  de  a.  logie   avec  le  fugato  qui    se    trouve 

—  repos  par  th.  B,  exp.  en  RÉ.  dans  YAndante  de  la  I"  Symphonie 
Réexp.  Th.  A,  enchaîné  à  ('799)- 

—  Th.  B,  en  fa. 

(1)  Ce  Scherzo  a  été    analysé  ci-dessus  (p.  3o5)  dans  la  section  technique,  comme  modèle 
du  type  M. 


33' 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Sonate  op.  10  n*>  3.  —  Dédiée  à  la  comtesse  de  Browne. 

—  Composée  en  1797.  —  Éditée  en  septembre  1798,  chez  Eder. 

—  En  quatj-e  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

i"  Presto  (1^,  en  RÉ Type     S. 

Exp.  Th.  A,  dont  la   cellule   initiale   (a)  fait  le    fond    des    deux  idées  et  des 
développements  : 

(a)  Première,  idée 
Presto     . 


—  Pont  mélodique  de  si  à  la. 
b'  parlacellulea.enLA. 

—  Th.  B  ]  b'  rythme  de  A. 
b'"  coda. 


(K)  Seconde  ide'e     .s^l 


Dév.  rythmique  de  A. 
Réexp.  normale, 
—     avec  Dév.  term.  de  la  cellule  a 
et  conclusion. 


2"  Largo   e   mesto  g,  en  ré ,     .       Type  LL. 

Rem.  —  La  construction  tonale  du 
thème  est  différente  à  chacune  de 
ses  expositions.  La  première  fois,  il 
module  en  UT  et  conclut  à  la  i).  ;  la 


I.  Th.  binaire,  à  la  T. 

—  repos  médian  en  VT. 

—  cadence  en  la. 

II.  Section  modulante,  de  fa  à  re. 
m.  Th.  à  la  7*. 

—  repos  médian  en  S7  l>. 

—  cadence  à  la  T. 

IV.  Dév.  de  la  sect.  11  et  du  th. 

V.  Concl.  par  le  th.  en  fragments. 


deuxième  fois,  il  module  en  SI  b  et 
conclut  à  la  T.;  la  troisième  fois,  il 
est  réduit  à  des  fragments,  sur  la  T. 
La  IV»  section  contient  un  admirable 
modèle  de  dév.  dynamique,  qu'il 
convient  de  signaler  : 


/ 

/  L       3- 

1, 

1, 

^  ^^2~ 

fi 

f, 

6 

^^ 

-^*t- 

f, 

—2 

1 

^ 

m. 

♦^ 

-4- 

» 

■ 

^4- 

etc. 

0  •   - 

/■•© 


7 


L- 


SONATES  POUR  PIANO  333 

3*^  Allegro  l,  en  ré.  .     . Type  M. 

Menuet  {a,  b,  a  et  conclusion). 
Trio  en  SOL. 
Da  capo. 

4'  Roudo.  Allegro  C,  en  ré Type   R. 

Réf.  I  :  Th.  A,  à  la  T. 

Coupl.  1  :  Pont  et  th.  B  à  la  Z). 

Réf.  2  :  Th.  A. 

Coupl.  2  :  Elément  nouveau. 

Réf.  3  :  Th.  A. 

Coupl.  3  :  Pont  et  th.  B  à  la  T. 

Réf.  4  :  Th.  A  et  Coda  conclusive. 

Sonate  op.  13.  —  Dédiée  au  prince  Karl  von  Lichnowsky. 

—  Composée  en   1798. 

—  Editée  en  1799  chez  Eder,  sous  le  titre  Grande  Sonate  Pathétique. 

—  En  trois  mouvements  (S.  L.  R.).  —  Cette  œuvre,  la  plus  avancée 
et  la  plus  complète  comme  structure,  assurément,  de  toutes  celles 
qui  appartiennent  à  la  première  manière^  offre  un  exemple  de  véritable 
cellule  cyclique,  influençant  directement  chacun  de  ses  trois  mouve- 
ments constitutifs  ;  dans  le  premier  (S),  la  cellule  (contenue  implicite- 
ment dans  l'introduction)  forme  la  phrase  initiale  {b')  de  la  seconde  idée: 


ChUuU 


^ 


?±z 


dans  le  deuxième  (L),  on  en  retrouve  la  trace  dès  les  premières  mesures 

1 


c-llul.- 


dans  le  final  (R),  la  même  cellule  orme  également  le  thème  du  refrain: 


cellule 


La  Sonate  débute  par  une  introduction  Grave,  d'une  nature 
toute  différente  de  celle  des  autres 'introductions  qui  se  rencontrent 
dans  la  première  manière.  Elle  se  mêle,  en  elTet,  d'une  façon  étroite  à 
la  marche  du  premier  mouvement,  se  posant  en  antagoniste  de  la 
première  idée  et  prenant  une  part  active  au  développement  pour 
reparaître  à  la  fin,  vaincue  et  démembrée.  Cet  emploi  du  thème  d'in- 
troduction est  rare  chez  Beethoven,  et  nous  ne  le  retrouverons  plus  que 
dans  les  derniers  Quatuors. 


334  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

I  Grave  C,  et  Allegro  molto  e  con  brio  Ç,  en  ut. 
Exp.  Introd.  Grave  i,  à  la  T. 

(iravf 


Type  S. 


T.  @fp 


Le  dessin  ainsi  présenté  dans  V introduction  contient  les  notes  caractéris- 
tiques {lit,  ré,  mi  \>)  de  la  cellule  cyclique  ;  il  s'expose  en  une  phrase  de 
forme  binaire  :  après  une  cadence  médiane  au  Relatif  (-A/Zt»),  il  repart 
vers  la  D.  à!  ut  et  s'enchaîne  à  V  Allegro. 

—  Th.  A.,  première  idée  qui  ne  termine  pas  et  s'infléchit  vers  la  D.  ; 


\)    pj-emitTC   idée  . 


n^ 


—  Pont  assez  court  issu  de  l'idée  A  et  préparant  le  ton  de  mi  b  par  sa  D. 

—  Th.  B,  seconde  idée  en  trois  phrases  {b  ,  b" ,  b'")  : 

—  —      b'  s'établit  au  ton  de  mi  \>  et  module  ensuite  : 


—      —      b"  de  forme  plus  agogique  est  dans  le  ton  de  Ml  t>  ; 


i 


fe 


:1s  ilL' 


nv,,rp. 


5^ 


% 


te 


^==^ 


T.  (MIW 


—       b'"  n'est  qu'un  simple  trait  conclusif  formant  cadence 


—  —      ce  trait  est  suivi  d'un  rappel  du  thème  A, 

—  Grave  2.  Le  thème  de  l'introduction  reparaît  ici  en  soi  ;  mais  il  semble 
mutilé  et  meurtri  :  il  quitte  ce  ton,  comme  pour  s'échapper,  et  se  dirige 
vers  le  ton  de  mi  fl,  où  va  commencer  une  véritable  lutte  (i)  entre  les  deux 
thèmes  principaux  de  l'œuvre. 

(i)  C'est  évidemment  cette  lutte  à  laquelle  Beethoven  faisait  allusion  lorsqu'il  disait  à 
Schindler  :  a  Deux  principes  également  dans  la  partie  médiane  de  la  Pathétique...  9  (Voir 
ci-dessus,  p.  262,  en  note.) 


SONATES  POUR  PIANO 


315 


Dév.  :    le  dessin  rythmique  du  pont,  issu  de   l'idée  A,  se  pose  en  antagoniste 
du  thème  du  Grave,  dont  le  mouvement  est  devenu  plus  vif  : 


i 


±t 


^^;^+i> 


—  Ce  combat  entre  les  deux  thèmes  de  caractère  contrastant,  n'est  pas  de 
longue  durée  :  parti  de  mi  0,  il  aboutit  bientôt  à  la  D.  d'ut,  où  une  sorte  de 
joyeuse  fanfare  amène  la  réexposition. 

Réexp.  Th.  A.,  qui  s'amplifie  un  peu  avant  l'entrée  de  la  seconde  idée. 
>   b    en/a  (i)  modulant  vers  la  D.  d'wf. 

—  Th.  B  V  b"  en  ut. 

(  b"  en  ut. 

—  Grave  3.  Le  thème  de  l'introduction  reparaît  ici  une  dernière  fois,  sur  la  D.  ; 
mais  son  accord  initial  a  disparu,  comme  si  le  combat  l'avait  privé  d'un  de 
ses  membres  ;  vaincu  définitivement  par  le  thème  A,  il  lui  cède  la  place,  et 
celui-ci,  seul,  termine  joyeusement  la  pièce,  assez  différente,  comme  on  voit, 
du  cadre  conventionnel  du  type  S. 


•  Adagio  cantabile  ^,  en  la  t>.     .     . 

I.  Th.  primaire   à  la    T.  (la  z,  avec 

reprise  textuelle. 

II.  Élément  mélodique  nouveau. 

III.  Th.,  sans  reprise,  à  la  T. 

IV.  Dév.  d'un  élém.    nouveau  modu- 

lant de  /a  3  à  la   D.  de  Z.A  t>. 

y.  Th.  avec  reprise,  à  la  T.,  gardant 
le  rythme  en  triolets  de  la  sec- 
tion précédente. 

—        Coda  conclusive. 


Type  J-L. 

Rem.  —  Cette  pièce  lente,  en  forme  de 
grand  Lied  à  cinq  sections,  n'a  d'autre 
particularité  que  la  relation  théma- 
tique qui  relie  plus  ou  moins  nette- 
ment les  dernières  notes  de  son  des- 
sin initial  (voir  ci-dessus, p.  333)  avec 
la  cellule  générale  de  toute  l'œuvre. 


3°  Rondo.   Allegro  (]:;,  en  ut 

Réf.  I  :  Th.  A  à  la  7".  Ce  thème  est  formé  par  la  cellule  générale  : 


[Xj  REFRAI.N 


Type     R. 


Coupl.    I .    consistant  en  un  pont  très  court  suivi  d'une  véritable  seconde  idée 
(B)  en  trois  phrases  [b' ,  b",  b"'),  au  Relatif,  MI\>  : 


/A@ 


<iot 


(i)  Peut  être  y  a-i-il  ici  encore  un  exemple  de  la  tendance  précédemment  si  g  alée  'p.  32î) 
de  1  auteur  à  moduler  vers  PA,  dans  les  compositions  écrites  avec  trois  bémols  a  la  clé, 
e'est-à-idre  en  ut,  comme  celle-ci,  ou  en  A//? 


336 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Réf.  2  :  Th.  A,  à  la  T. 

Coupl.  2  :  Élément  nouveau,  comme  dans  tout  Rondeau  de  ce  type;  ce  dessin, 
plus  calme,  s'expose  en  la  b. 

Réf.  3  :  Th.  A.,  enchaînant  sans  transition  à  la  seconde  idée. 

Coupl.  3  :  Sorte  de  résumé  du  th.  B,  à  la  T.,  réduit  à  ses  deux  premières 
phrases  {b'  et  b")  seulement. 

Réf.  4  :  Th.  A,  suivi  d'une  importante  conclusion,  dans  laquelle  se  produit 
{neuf  mesures  avant  la  fin)  une  sorte  de  rupture  sur  la  Z).  de  /^A  b.  A  ce  mo- 
ment apparaît  un  souvenir  du  thème  du  refrain,  privé  de  sa  note  initiale 
(de  la  même  manière  que  le  thème  de  l'introduction,  à  la  fin  du  premier  mou- 
vement). Bien  qu'il  n'y  ait  aucune  indication  dans  les  premières  éditions  de 
cette  Sonate,  il  est  évident  que  ces  six  mesures  (rappel  du  th.  A)  doivent 
s'exécuter  plus  lentement  et  avec  une  certaine  hésitation,  pour  mieux  pré- 
parer l'explosion  du  trait  fulgurant  qui  termine  l'œuvre. 

Tout  ce  finale  est  éminemment  expressif  :  on  ne  doit  point  l'inter- 
préter «  à  la  Haydn  »,  comme  il  arrive  trop  généralement.  W.  de  Lenz 
l'a  fort  bien  dit  (i)  :  «  Il  faut  savoir  élever  ce  Rondeau  à  une  expression 
pathétique.  » 

Sonate  op.  14  n°  1.  —  Dédiée  à  la  baronne  von  Braun. 

—  Composée  en   1798. 

—  Éditée  en  décembre    1799,  chez  Mollo,  à  Vienne. 

—  En  trois  mouvements  (S.  M.  R.)  ; 


1°  Allegro   c,    en  Ml. 


Type  S. 


Exp.  Th.  A.,  à  la  T. 

—  P.  par  a. 

—  Th.  B.(b  .  b".  b'")  en  Si. 
DÉv.  par  th.  A. 

Réexp.  normale  avec  conclusion. 


(i)  Op.  cit.,  vol.  J,  p.  134. 


SONATES  POUR  PIANO  3^57 

2°  Alîegj'etto  ',  en  vii Type   M. 

Scherzo  :  Th.  A  et  dév.  de  A. 

Trio  en  UT. 

Da  capo  avec  coda  spéciale. 

3*  Rondo.  Allegro  commodo  0,  en  Ml Type    R. 

Kef.  I  :  Th.  A,  à  la  T. 

Coupl.  I  :  P.  et  th.  B.,  à  la  D. 

Réf.  2  :  Th.  A. 

Coupl.  2  :  Élém.  nouv.  en  SOL. 

Réf.  3  :  Th.  A. 

Coupl.  3  :  P.  et  th.  B,  à  la  T. 

Réf.  4  :  Th.  A  et  conclusion. 

Sonate  op.  14   n"  2,  —  Dédiée  à  la  baronne  von  Braun  (i). 

—  Composée  en  1798.  — Éditée  en  décembre  1799,  chez  Moilo. 

—  En  trois  mouvements  (S.  L.  R.)  : 

1°  Allegro  l,  en  SOL Type     S. 

Exp.  Th.  A,  à  la   r. 

—  Pont  mélodique. 

—  Th.  B  {b  ,  b',  b'")  en  RÉ. 
Dév.  par  a  en  50/  et  b'  en  S/t>. 

—  marche  par  a. 

—  repos  par  a  en  AZ/b. 

—  conduit. 

Réexf.  normale  avec  conclusion  par  A. 

2"  Andante  C,  en  ut Type  LV. 

Th.  de  lied  et  quatre  variations. 

3*  Scherio.  Allegt^o  assat  §,  en  sol Type     R. 

Réf.  I  :  Th.  A.  à  la  T.  Re.m.  —  Le   thème  A,   malgré   le   titre 

Coupl.  I  :  Période  accessoire   en  mi.       Schen^o,  est  un   thème  de   Menuet  ; 

Réf.  2  :  Th.  A.  mais  la  forme  de  cette  pièce  est  bien 

Coupl.  2  :  P.  et  élém.  nouv.  en  UT.  celle  du  Rondeau, 

Réf.  3  :  Th.  A. 

Coupl.  3  :  P.  vers  D.  de  FA. 

Réf.  4  :  Th.  A,  rentrant  par  FA  au  ton 

principal. 
Coupl.  4  :   Conclusion  mélodique  de 

A,  en  SOL. 
Réf.  5  :  Th.  A,  avec  Coda. 

Sonate  op.  49  n"  I.  —  (Sans  dédicace). 

—  Composée  en  1799. 

—  Éditée  en  janvier  i8o5,  au  Bureau  des  Arts  et  de  l'Industrie 

(i)  Ces  deux  Sonates,  op.  14,  sont  celles  à  propos  desquelles  Schindler  explique  les  idées 
de  Beethoven  sur  les  deux  principes  amag'onistes  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus  Ip.  262)  : 
«  das  bittende  Prin:[ip  iind  das  widerstrebende   Prin:[ip.  » 

Cours  de  composition.  —  t.  h,  i.  aa 


338  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

—  En  deux  mouvements  (S.  R.)  : 

2°  Andante  J,  en  sol Type    S. 

Exp,  Th.  A,  à  la  T,  enchaîné  à  B. 

—  Th.  B,  très  court,  en  5/  b. 
DÉv.  par  b. 

Réexp.  normale. 

2»  Rondo.  Allegro  |,  en  sol l'ype    R. 

Réf.  i  :  Th.  A,  k  la  T. 
Coupl.  I  :  P.  et  th.  B,  en  SI  b. 
Réf.  2.  Th.  A. 

Coupl.  2  :  P.  et  th.  B,  en  SOL. 
Réf.  3  :  Th.  A.  et  conclusion. 

Sonate  op.  22.  —  Dédiée  au  comte  de  Browne. 

—  Composée  en  i8oo. 

—  Éditée  en  1802,  chez  Hofmeister,  à  Leipzig,  sous  le  titre  Grande 
Sonate. 

—  En  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

1°  Allegro  cou  brio  C,  en  5/b Type     S. 

Exp.  Th.  A  (a    et  a")  à  la  T. 

—  Pont  par  a' . 

—  i:\i.'B,{b',b",b'")tnFA. 

DÉV.  par  a'  et  coda  de  b'". 

^  marche  par  modulations  sombres  :  de  soi  à  /"a  par  SD. 
Reexp.  normale. 

2°  Adagio  cou  moW  espressio-ne  ^  en  Mii> ,       T3'pe  SL.' 

Exp.  Th.  A,  à  la  T.  Rem.  —  Seul  exemple  d'un  mouvement 

—  Pont  mélodique.  lent   (L)   ayant  tous  les  éléments  du 

—  Th.  B,  ensjb.  type  S,  __^  compris  le  développement 
DÉV.  par  a. 

Réexp.  normale. 

3°  Menuetto  |,  en  5/b .     .       Type  M. 

MENUET  :  Th.  A  et  dév.  de  A. 
Trio  en  sol. 
Da  capo. 

4"  Rondo.  Allegretto  |,  en  5/|> Type   R. 

Réf.  i  :  Th.  A,  à  la  T. 

Coupl.  I  :  Th.  B,  de  S/ >  à  FA. 

Réf.  2  :  Th.  A. 

Coupl.  2  :  Th.  B,  en  SI  b,  et  élément  nouveau. 

Réf.  3  :  Th.  A,  avec  variation. 

Coupl.  3  :  Th.  B,  en  S/b. 

Réf.  4  :  Th.  A  (autre  variation)  et  phrase  concluante. 


SONATES  POUR  PIANO  339 


10.     —    SONATES    POUR    PIANO.    —    DEUXIÈME    MANIÈRE    (180I     A     I  8 1  5). 

La  deuxième  ma;n"ère  (transition)  apparaît  dès  l'année  1801  :  on  sent 
alors  chez  Beethoven  une  sorte  d'inquiétude,  la  préoccupation  de  faire 
autrement  que  ses  devanciers  et  de  les  surpasser,  s'il  se  peut,  par 
quelques  géniales  mais  incomplètes  innovations.  Dans  ses  nouvelles 
œuvres,  souvent  très  proches  déjà  de  la  perfection,  il  se  garde  bien  de 
répudier  les  anciennes  formes  établies  :  il  s'efforce  au  contraire  de  les 
adapter  à  l'état  de  sa  pensée  et  de  ses  aspirations,  désormais  incompa- 
tibles avec  le  vieux  «  formulaire  musical  »  un  peu  conventionnel,  dont 
il  s'était  contenté  jusqu'alors. 

Dans  les  op.  26  et  27  n°  i,  il  essaie  d'abandonner  totalement  la  pièce 
de  forme  Sonate  (S);  mais  bientôt  il  sent  que  ce  point  d'appui  indis- 
pensable ne  peut  être  complètement  supprimé  de  la  Sonate  sans 
compromettre  son  équilibre  ;  il  affecte  alors  le  type  S  au  finale  (op.  27 
n°2,  op.  3i  n°  2,  op.  3i  n°  3,  op.  37  et  op.  81)  et  abandonne  presque 
totalement  la  forme  Rondeau  (type  R)  en  créant,  pour  remplacer  ce  mou- 
vement gai  et  alerte,  un  type  nouveau  greffé  sur  l'ancienne  forme  du 
Menuet  :  le  Scherzo  beethovénien.  Peu  après,  repris  par  sa  passion  pour 
la  haute  architecture,  ce  n'est  plus  seulement  le  Rondeau  qu'il  proscrit, 
mais  toutes  les  autres  formes  adoptées  jusqu'alors  pour  les  différents 
mouvements,  et  cela  au  bénéfice  exclusif  du  type  S,  qu'il  laisse  régner 
en  maître  sur  toute  la  construction  :  à  cette  époque  de  sa  vie,  nous 
rencontrons  des  œuvres  commue  les  Sonates  pour  piano,  op.  3i  n°  3, 
op.  57  et  op.  81  ;  pour  violon,  op.  47;  pour  violoncelle,  op.  69  (sans 
parler  des  trois  Quatuors  à  cordes,  op.  59),  dont  presque  toutes  les 
pièces  (parfois  jusqu'à  trois  sur  quatre)  sont  construites  dans  la  forme 
Sonate  proprement  dite  (type  S). 

Les  conventions  mélodiques  et  harmoniques  ne  sont  pas  moins 
transgressées  par  Beethoven,  à  partir  de  cette  période,  que  les  grandes 
conventions  rythmiques  dont  Mozart  ne  s'écarte  jamais  ;  nous  voyons 
des  phrases  de  mode  mineur  s'assombrir  vers  les  quintes  graves  et 
s'arrêter,  comme  épuisées,  sur  cette  dominante  réelle  de  leur  mode, 
pour  remonter  ensuite,  en  douloureux  efforts,  vers  la  tonique  d'où  elles 
sont  tombées  (i)  ;  nous  assistons  à  des  échanges  rythmiques  entre  les 
idées  d'une  même  pièce  (op.  67)  et  à  des  innovations  dans  les  rapports 
entre  les  tonalités  de  ces  idées  (op.  53),  toutes  dispositions  dont  on  ne 
trouve  nulle  trace  dans  \dL première  manière. 

(i)    Voir    notamment    V Adagio    initial    de    l'op.    27   n»  2    et  la   pièce  lente   symbolisant 
VAbsence,  dans  la  Sonate,  op.  81  [Lebeivohl). 


■Î40 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Sonate  op.  28.  —  Dédiée  à  Joseph  de  Sonnenfels. 

—  Composée  en  1801. 

—  Éditée  en    1 801.  au  Bureau   des  Arts  et  de  l'Industrie  (intitulée 
Sonate  Pastorale  dans  l'édition  Cranz,  de  Hambourg). 

—  En  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

1°  Allegro  \,  en  RÊ Type  S. 

Exp.  Th.  A  {a'  et  a")  ;  la  période  a'  que  nous  avons  citée  ci-dessus  (p.  246) 
n'est  qu'une  fonction  de  SD-,  dans  laquelle  apparaît  un  septième 
degré  baissé  {ut  u)  nullement  modulant  ;  l&véritahle  période  génératrice 
est  dans  l'élément  a": 


* 


Ç^ 


^ 


'•  ^ — J\    Période  génératrice 


b'  en  LA 
Th.  B    ^    b"  répétition  de  b    une  tierce  plus  haut. 


Pont  mélodique  préparant  la  seconde  idée  et  contenant  toute  la  phrase  b'y 
mais  en  forme  modulante. 
I    b'  en  LA. 
}    b"  répétition  de  b' 
(    b"'  complément. 

Dév.  tiré  tout  entier  de  la  période  génératrice  a",  qui  se  condense  peu  à  peu 
en  elle-même  et  finit  par  s'éliminer  complètement.  Il  convient  d'in- 
diquer ici  les  états  successifs  de  cette  période  a",  véritable  modèle 
d'élimination,  aboutissant  à  la  D.  de  si: 

Dt'v.  de  a"  par  ses  deux  dernières  mesures  : 


i  «^  II»  f  l'i 


p 


g 


Clf.SC. 

Mènie  dessin  resseritî  Pt'morcefé 


e(c. 


h=^ 


^ 


^ 


w 


m 


^ 


m 


^â 


û 


m 


TT    "  '/r  '     TT     7^ 


^ 


etc. . 


4 


.Même  dtiSSil)  réduit  à  un  seul  accord: 

-te 


Réexp.  normale  avec  conclusion  par  la  période  génératrice  a" , 


SONATES  POUR  PIANO  ^,, 

2'^  Andante  \,  en  ré Type     L. 

I.  Th.  de  lied  avec  reprises,  en  ré. 

II.  Élément  nouveau  en  RË. 

III.  Th.  en  ré  avec  variations. 

—    conclusion  par  l'élément  ii. 

y  Scher'{o.  Allegro  vwace\,  tn  RÉ  {\) Type   M. 

Menuet  :  Th.  A  et  dév.  de  A.  Rem.  -^  Malgré   son    titre,  cette  pièce 

Trio  en  si.  est  un  Menuet  par  le  rythme  de  son 

Da  capo.  thème. 

4**  Rondo.  Allegro  ma  non  troppo  |,  en  RÉ Type    R. 

Réf.  I  :  Th.  A,  à  la  T. 
Coupl.  I  :  P.  et  th.  B,  à  la  D. 
Réf.  2  :  Th.  A. 

Coupl.  2  :  Élém.  nouv.  en  SOL  (rythme  de  A). 
Réf.  3:  Th.  A. 
Coupl.  3  :  P.  et  th.  B,  à  la  T. 
—    fausse  rentrée  de  A,  à  la  SD. 
Réf.  4  :  Variation  concluante  de  A. 

Sonate  op.  26.  —  Dédiée  au  prince  Karl  von  Lichnowsky. 

—  Composée  en  i8oi. 

—  Éditée  en  mars  1802,  chez  Gappi,  à  Vienne. 

—  En  quatre  mouvements  (L.  M.  M.  R.)  (2)  : 

1°  Anda7îtecon  Varia:{ioni '^,  en  LA  \>  {3} TypeLV. 

Th.  de  lied  avec  cinq  variations  et  phrase  concluante  complétant  le  thème. 

2**  Scherzo.  Allegro  molto^-,  en  la  ^.    .    ■ Type   }>l. 

Scherzo  :  Th.  A  et  dév.  de  A. 
Trio  en  RÉ  b,  à  la  SD.,  avec  rentrée. 
Da  cafo. 

3°  Marcia  funèbre  sulla  morte  d'un  Eroe.  Maesloso  an- 

dante  C,   en  /a  t" Type    M. 

Marche  :  Th.  de  lied  : 

!a  en  la  \>,  vers  RÉ-MI  t)p.  Rem.  Malgré  son  caractère,  cette  Marche 

b  de  RÉ  a  la  t».  n'est  pas  autre  chose  qu'une  forme  M. 

a'  conclusion. 
Trio  en  LA  b. 
Da  capo  avec  Coda. 

(1)  Opinion  de  YAllgemeine  Musik-Zeitung  (1803,  p.  190)  sur  cette  Sonate  :  «  le  premier 
morceau  et  le  troisième  sont  originaux  jusqu'à  l'extraordinaire,  jusqu'à  l'aventureux.  » 

(2)  Cette  Sonate  est  la  première  qui  ne  contienne  aucun  mouvement  du  type  S.  Il  en  sera 
de  même  de  la  suivante  (op.  27  n»  i)  et  de  l'op.  34  (voir  ci-après,  p.  353). 

(3)  Lire  dans  W.  de  Lenz  [op.  cit.,  vol.  II,  p.  150)  l'anecdote  sur  le  trille  de  la  vingt-troi 
sième  mesure  de  cet  Andante. 


342 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


Allegj^o  l,  en  LA  ^ Type     R. 

Réf.  1  :  Dessin  A  à  la  T'.  Rem.  —  Ce  Rondeau,  sorte    de  mouve^ 

Coupl.  I  :  Dessin  analogue  B  à  la  Z).  ment  perpétuel,  n'a  pas  de  thème  \vh%- 

Réf.  2  :  Dessin  A.  caractérisé,  ni  de  refrain  final. 

Coupl.  2  :  Dessin  analogue,  en  ut. 
Réf.  3  :  Dessin  A. 

Coupl.  3  :  Même  dessin  que  B  à  la  T". 
avec  conclusion  à  la  T. 


Sonate  op.  27    n°  I.  —  Dédiée  à  la  princesse  von  Liechtenstein. 

—  Composée  en  i8oi. 

—  Éditée  en  mars   i8o3,  chez  Cappi,  sous  le  titre  Sonata  quasi  iina 

Fantasia. 

—  En  tt^ois  mouvements,  enchaînés  (L.  M.  R.)  : 

I"  Andante  0  et  Allegro  §,  en  A'vyt? O'P^  LL, 

I.     Andante 


II.         — 
m.         — 

IV.  Allegro  : 
y.    Andante 


:  th.  binaire  à  la  T. 

élém.  nouv.  en  MI  t>. 

th.  à  la  T. 
élém.  nouv.  en  UT. 

th.  à  la  T. 


Rem,  —  Sauf  le  mouvement  diti'érent  de 
la  ive  section,  ce  morceau  est  tout  à 
fait  conforme  au  type  lied  développé. 

—  L'indication  de  l'enchaînement  au 
morceau  suivant  est  indépendante  de 
sa  construction. 


2°  Allegro  molto  e  vivace  -,  en  ut. 

Scherzo  :  Th.  A  et  dév.  de  A. 

Trio  en  LA\>  (rythmique). 

Da  capo,  avec  modification  agogique 

tout  à  fait   analogue    à    l'exemple 

cité  ci-dessus  (p.  3o5). 


T^ype  M. 

Rem.  —  L'indication  d'enchaînement 
à  l'Adagio  est  également  indépen- 
dante de  la  construction  de  ce 
Scherzo. 


3**  Adagio  cou  espressione  -,  en  L^  f  (i)  et  Allegro  invace^., 
en  Mii> Type     R. 


Introd 


Réf.  I 
Coupl. 

Réf.  2 

Coupl. 

Réf.  3 
Coupl. 


UCTION  :  Adagio. 

phrase  de  lied  a  la  SD. 

enchaînant  au  Jinale. 
:  Th.  A,  à  la  T. 

1  :  P.  (par  a). 

Th.  B.  (b'  et  b")  en  S/ b. 
:  Th.  A. 

2  :  dév.  de  a  (autre  rythme). 

dév.  de  b'  vers  la  D. 
:  Th.  A. 

3  :  P.    et    th.    B  en  MI  b   avec 

cadence  à  la  D. 
ire  période  de  l'Adagio  à   la 

T.  et  cadence. 
Conclusion  par  rythme  a. 


Rem.  —  Cette  phrase  de  lied,  servant 
à.'' introduction  au  finale  dont  elle  est 
inséparable,  y  occupe  la  fonction  de 
SD.  au  début  et  dé  T.  à  la  fin,  comme 
dans  une  cadence  plagale.  —  Ce  thème 
de  lied  semble  être  une  esquisse  de 
celui  qui  sera  appliqué  parBeethoven 
au  personnage  de  Florestan,  dans 
Fidelio. 


(i)  On  a  signalé  dans  la  section  technique  du  présent  chapitre  (p.  3oi  et  32?)  le  cas  parti- 
culicr  de  ceue  phrase  lente  d'introduction  au  finale. 


SONATES  POUR  PIANO 

Dédiée  à  la  comtesse  Juliette  Guicciardi. 


341 


Sonate  op.  27  n"  2. 

—  Composée  en  i8oi. 

—  Éditée  en  mars  i8o3,  chez  Gappi,  sous  le  titre  Sonata  quasi  iina 
Fantasia  dedicata  alla  mada?nigella  contessa  Giiiliella  di  Guicciat^di. 

—  En  trois  mouvements  (L.  M.  S)  : 

\^  Adagio  sostenuto  ^j  en  w?5(i) Type    L. 

I.  Th.  de  lied  allant  de  la  T.  à  la  SD-,  laquelle  doit  être  considérée  ici 
comme  une  véritable  dominante  de  mode  inverse.  Ce  th.  est  construit  sur 
le  même  arpège  de  T.,  qui  reviendra  dans  le  Presto,  en  forme  violente  et 
agitée,  aboutissant  toujours  à  un  appel  répété  du  50/ C  (a): 

Adagio  sostenuto 


PP 


IP  îP  iP 


II.  Dév.  du  th.  et  du  dessin  d'accompagnement. 

III.  Th.  à  la  T.  avec  cadence  conclusive  par  la  sixle  napolitaine  (2), 

2""  Allegretto  \^  en  RÉ\f-UT% Type  M. 

SCHERZO  :  Th.  A  et  dév.  de  A.  Rem.  -  Ce  Scherjo  doit  être  joué  imme- 

Trto  en  RÉ  b.  diatement    après     Y  Adagio,    mais    il 

Da  capo.  n'y  a  pas  d'enchaînement  réel. 

3°  Pt-esto  agitato  C,  enutS. Type    S. 

Exp.  Th.  A,  infléchi  vers  la  D.,  et  reproduisant  l'appel  du  soit:  [a],  à  la  fin  de 
l'arpège  initial  de  T.  : 


^  b    mélodique, 
Th    R   '  ^  "  P^^'"    d'une    expres- 
)  sion  douloureuse. 

V  b'"  conclusion  en  sol  S. 


Rem.  —  La  cadence  par  la  sixte  napo- 
litaine  (demi-ton  supérieur)  apparaît 
à  la  fin  de  b'   et  de  b" . 


(t)nans  la  première  édition,  Beethoven  met  cette  indication  ponr  V Adagio  :  Si  deve 
suonare  tutto  questo  pej^o  delicatissimamente  e  sen^a  sordmi. 

l.e  nom  de  Mondscheins-Sonate  (Sonate  du  Clair  de  lune)  par  lequel  on  désigne 
souvent  cette  Sonate,  ou  plutôt  son  Adagio  initial,  ne  vient  nullement  de  Beethoven  •  c'es^t  le 
critique  et  musicographe  Rellstab,  qui  avait  cru  pouvoir  comparer  cette  œuvre  à  une 
excursion  nocturne  sur  le  lac  des  Quatre-Cantons. 

Il  est  plus  vraisemblable  que  cette  Sonate  est  liée,  dans  l'esprit  et  le  cœur  de  Beethoven 
a  son  amour  malheureux  pour  Giulietta  Guicciardi,  qui  avait  alors  dix-sept  ans.  C'est 
pendant  l'été  1802  que  les  parents  de  la  jeune  fille  refusèrent  sa  main  à  l'auteur.  Cette 
rupture,  coïncidant  avec  les  premiers  symptômes  de  sa  surdité,  causa  à  Beethoven  un  dou- 
loureux accablement:  on  en  trouve  la  trace  dans  le  Testament  d'Heiligenstadt.  qui  date 
d'octobre  1802.  En  novembre  i8o3,  Giuliet'a  Guicciardi  épousa  le  com\e  de  Gallembe^fî. 
Voir  à  ce  sujet  la  conversation  rapportée  par  Schindier  [op.  cit.,  p.  279). 

(3)  Voir  ci-dessus  (p.  248)  l'explication  relative  à  cette  sorte  de  cadence. 


144 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


DÉv.  par  a,  puis  t',  vers  la  SD.  mo- 
dulant à  la  sixte  napolitaine. 
Réexp.  Th.  A,  suivi  immédiat,  de 

—  Th.  B{b' ,  b",  b'")  en  t/rfl. 

—  Dév.  term.  par  b'  exp.  à  la  T. 

—  Conclusion  par  b"'. 


—  Cette  même  cadence  revient  dans  ie 
développement  et  affirme  la  symétrie 
établie  entre  VAdagio  initial  et  le 
Presto  par  l'arpège  ascendant  le 
tonique  et  l'appel  du  50/  (a). 


Sonate  op.  31  n"  I .  —  (Sans  dédicace). 

—  Composée  en  1802.  —  Éditée  en   i8o3,  chez  Naegeii,  à  Zurich, 
dans  le  Répertoire  du  Claveciniste . 

—  En  trois  mouvements  (S.  L.  R.)  : 

1°  Allegro  vivace  ^,  en  SOL Type    S. 

Exp.  Th.  A,  en  SOL.  Rem.  —  C'est  le  premier  exemple  de 

—  P.  en  deux  élém.  tirés  de  a.  l'emploi  d'une  tonalité   voisine  autre 

!b'  en  5/.  que  la  dominante  ou  le  relatif  pour 

b"  en  si,  modulant.  la  seconde  idée, 

b'"  concl.  en  si. 
DÉV.  rythmique  par  élém.  de  a. 
Réexp.  Th.  A,  en  SOL,  suivi  de  B. 
(  b'  en  ML 

—  Th.  B  \  b"  de  mi  à  SOL. 

{  b'"  en  501.. 

—  Dév.  term.  par  a  (1). 

2°  Adagio  gra^ioso  |,  en  UT Type  L. 

1. 


Th.  de  lied:  a,  à  la  T. 

—  a,  infléchi  à  la  D. 

—  b  modulant. 

—  a',  à  la  7". 
II.    Élém.  nouv.  modulant. 

m.  Réexp.  variée  du  th.  A  (a,  a,  b,  a'). 
—     phrase  concluante. 


Rem.  —  Ce  thème  a  quelque  analogie 
avec  celui  de  l'air  d'Ariel,  dans  la 
Création,  de  Haydn. 


3°  Rondo.  Allegretto  (1^,  en  sol Type  R. 


Rem.  —  Après  cette  Sonate,  la  forme 
Rondeau  disparaît  de  l'œuvre  de 
Beethoven,  pour  ne  reparaître  qu'à 
partir  de  l'op.  53. 


Réf.  I  :  Th.  A  [a'  et  a")  avec  reprise. 

Coupl.  1  :  P.  et  th.  B  en  RÉ. 

Réf.  2  :  Th.  a  [a'  et  a"). 

Coupl.  2  :  Dév.  modulant  de  a'  et  a". 

Réf.  3  :  Th.  A  {a'  et  a')  avec  reprise. 

Coupl.  3  :  P.   et  th.    B,  à  la  T. 

—  Péd.  de  D. 

Réf.  4  :  Th.  A,  par  fragments  ralentis. 

—  Conclusion  rapide. 


Op.  31    n°  2.  —  (Sans  dédicace). 

—  Composée  en  1802.  —  Éditée  en  i8o3,  chez  Nacgeli. 

—  En  trois  mouvements  (S.  L.  S.)  : 


(1)  A  propos  de  ce  développement  terminal,  on  peut  voir  dans  les  Notices  biographiques 
sur  Beethoven,  de  F.  Ries  (p.  88),  une  anecdote  relative  aux  quatre  mesures  qui  y  au- 
ra.ent  été  ajoutées  par  l'éditeur. 


SONATES  POUR  PIANO 


I'  Largo  et  Allegro  C,  en  re Type 


Exp.  Th.  A  {a'  Largo,  a"  Allegro). 

—  Pont  mélodique,  par  a'. 

—  Th.  B  (b' ,  b" ,  b'")  en  la. 
DÉv.  par  a',  a"  et  p. 
RÉEXP.  Th.  A,  modifié  : 

—  —    Largo  {a')  avec  récitatifs. 

—  —    ^//e^ro  (a")  modulant. 

—  Th.Eib',b",b'')enré. 


343 

.S. 

Rem.  —  Le  Largo  initial  (simple  arpège 
de  dominante)  joue  un  rôle  important 
dans  la  construction  de  cette  pièce, 
où  il  reparaît,  au  début  du  dévelop- 
pement et  de  la  réexposition,  avec 
des  amplifications  d'ordre  presque 
dramatique. 


^^  Adagio  l  en  sii>{i) ".     .    .    .  Type  LS. 


Exp.  Th.  A,  phrase  binaire. 

—  Pont  modulant  vers  la £>.  de  F^. 

—  Th.  B  en  fa  et  conduit  mélod. 
RÉEXP.  Th.  A  à  la  r. 

—  P.  modulant  vers  la  D.  de  SI?. 

—  Th.  B,  en  S/ 1)  et  conduit 

avec  Coda  concluante  par  a. 

3 


Rem.  —  Cette  pièce  lente  étant  du 
type  LS  {Sonate  sans  développement), 
on  peut  dire  que  la  forme  Sonate  est 
celle  de  toutes  les  pièces  de  cette 
œuvre. 


3»  Allegretto  g,  en  ré Type      S. 


Exp.  Th.  A,  à  la  T. 

—  Pont  par  rythme  a. 

—  Th.  B,  en  la  {deux  éléments)  : 

b'  k  laZ).  {la);  b"  à  la  T.  {mi). 
DÉV.  par  a  vers  les  tons  sombres. 

—  repos  en  si  b. 
RÉEXP.  normale  avec 

—  Dév.  term.  concluant  par  A. 


Rem.  —  Le  premier  et  le  dernier  mor- 
ceau, tous  deux  de  mode  mineur,  ont 
leur  second  thème  (B)  à  la  dominante 
vulgaire  mineure  et  non  au  relatif 
majeur,  suivant  l'ancien  usage  aban- 
donné par  Beethoven, 


Sonate  op.  31   n"  3.  —  (Sans  dédicace). 

—  Composée  en  i8o2-i8o3.  —  Éditée  en  1804,  chez  Naegeli. 

—  En  quatre  mouvements  (S.  S.  M.  S.)  : 

i"  Allegro  l,  tn  M j\> Type      S. 

Exp.  Th.  A,  à  la  T.  :    la  cellule  {a)  de  sa  période  initiale  reparaîtra,  sous  d  au- 
tres aspects  mélodiques,  dans  le  Menuet  et  dans  le  Presto  : 


—  Pont  par  a. 

—  Th.  B  {b',  b",  b")  en  SI 9- 
Dév.  par  a  vers  fa. 

Réexp.  normale  et  Dév.  term.  par  a. 


Rem.  —  Observer  la  modulation  en  FA 
du  développement,  le  ton  principal 
étant  MI  P  (p.  322,  note  2). 


(i)  C'est    cet   Adagio    qui   a    été    analysé    ci-dessus    (p.    2y6  et    suiv.)    dans   la  section 
technique,  comme  modèle  du  type  Lied-Sonate  (LS). 


346 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


1"  Scher\o.  Allegretto  viv ace  \^  en  L/4  p Type    S. 

Exp.  Th.  A,  à  la  T.  Rem.   —    La   qualification    de  Scherzo 

—  Pont.  s'applique   au  caractère  des  thèmes  : 

—  Th.  B,  court,  en  MIï>.  c'est  bien  un  divertissement,  mais  la 
Dév.  par  a  et  par  rythme  b.  forme  est  exactement  celle  du  type  S. 
Réexp.  normale. 

3°  Menuetto.  Moderato  e  gra^ioso  |,  en  Ai/b Type  M. 

MENUET:  Th.  binaire,  débutant  par  la  même  cellule  rythmique  (a)  que  le  pre- 
mier mouvement  : 


Moderato  e  srazioso 


T.  fvilW        Période  initiale 


^if  m 


Trio  en  M/t>  :  th.  ternaire  ([ 
Da  capo  avec  coda. 


Rem.  —  Ce  Menuet  est  le  dernier  de 
Beethoven  dans  les  Sonates  de  sa 
deuxième  manière. 


4"  Presto  con  fuoco  §,  en  Mi\> Type   S. 

Exp.  Th.  A,  en  deux  éléments    {a'  et  a")  dont  voici  le  second,  issu  de  la  cellule 
initiale  du  premier  mouvement,  encore  modifiée  : 


Presto  con  fuoco 


—  P.  par  rythme  a  " . 

—  Th.  B,  en  S/b 

conclusion  par  a" . 
Dév.  par  même  rythme  a". 

—  allant  de  SOL\>  à  UT. 

—  pour  aboutir  à  laZ).  de  A//t>. 
RÉEXP.  Th.  A  (a    et  a"). 

—  P.  modulant  vers  SOL\>. 

—  Th.  B,  en  SOL  \>. 

—  Dev.ferm. etconclusionpara'. 


Rem.  —  Le  rythme  de  cette  seconde 
période  [a"),  joue  un  rôle  prépondé- 
rant dans  tout  le  finale,  où  il  circule 
constamment. 

—  Comme  on  l'a  signalé  déjà,  (p.  32o), 
la  même  cellule  rythmique  se  retrouve 
dans  trois  mouvements  différents  de 
cette  Sonate. 


Sonate  op.  57.  —  Dédiée  au  comte  Franz  von  Brunswick. 
—  Composée  en   1803-1804. 

(i)  Ce  trio  en  M/ b  est  celui  dont   s'est  servi   C.  Saint-Saëns  pour  ses     Variatiims  sur  un 
thème  de  Beethoven  à  deux  pianos.  (Voir  ci-après,  chap.  vi.) 


SONATES  POUR  PIANO 


147 


—  Éditée  en  février  1807,  au  bureau  des  Arts  et  de  l'Industrie,  et 
intitulée  Sonata  appassionata  dans  l'édition  Cranz,  de  Hambourg. 

—  En  trois  mouvements  (S.  L.  S.):  cette  superbe  Sonate  marque 
l'avènement  d'un  système  de  composition  dont  on  ne  trouve  nulle 
trace  certaine  dans  toute  la  musique  symphonique  antérieure  aux 
œuvres  de  la  deuxième  maw/ère  beethovénienne,  sauf  peut-être  quelques 
timides  balbutiements  de  Corelli  et  de  Vitali  signalés  ci-dessus  (p.  178 
et  180).  Ce  n'est  plus,  comme  dans  \a  Sonate  pathétique,  à  un 
retour  du  dessin  principal  dans  les  divers  morceaux  que  nous  assis- 
tons ici,  mais  à  une  véritable  génération  de  la  forme  musicale  au 
moyen  de  la  transformation  de  deux  cellules,  l'une  rythmique  {x), 
l'autre  expressive  {y)  '. 


kellule  J'    I 


I  cellule  ./y     I  • 


Dans  le  premier  mouvement  (S),  la  cellule  {x)  donne  naissance  mélodi- 
quement  à  la  première  idée  et  rythmique?nent  à  la  phrase  d'exposition  {b') 
de  la  seconde  idée  : 

@  .  lr.v(l)me.,de_oC| 


Dans  le  finale,  la  même  cellule  (.v)  se  retrouve  harmoniquement  dans 
le  dessin  initial  [a')  de  la  première  idé^ 


Quant  à  la  cellule  expressive  (k),  elle  apparaît  dès  les  premières  me- 
sures de  l'œuvre  sous  un  aspect  ornemental  : 


mais  elle  se  réduit  bientôt  à  un  simple  rythme  : 

^ : 


148 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


on  retrouve  cette    cellule   {y)  dans   le  pont  et  dans  la  seconde  idée  ;  il 

semble  que  tout  le  développement  d\i  mouvement  initial  repose  sur  elle. 

Le  thème  de  VAndanie  est  manifestement  issu  de  la  même  cellule^  : 


Enfin  elle  reparaît  de  façon  typique  au  cours  du  développement,  dans 
le  finale. 

De  plus,  et  pour  la  première  fois  dans  les  Sonates,  Beethoven  supprime 
la  reprise  intégrale  de  Vexposition  du  premier  mouvement. 

i"  Allegro  assai  '^,  en  /a Type  S. 

Exp,  Th.  A  (engendré  par  les  cellules  x  ely  citées  ci-dessus). 
—    Pont  par  la  cellule _^,  modifiée  rythmiquement  : 


y- 


m 


F^T 


—  Th.  B,  en  trois  phrases  : 

—  —      b' ,  en  LA  \>,  n'est  que  la  floraison  mélodique  du   rythme  x,    abou- 

tissant à  une  sorte  de  cadence  flottante  vers  la  t>,  pour  amener  la 
phrase  suivante; 

—  —      b",  en  la  \>,  est  une  phrase  agogique  où  il  importe  de  dégager  plei- 

nement la  mélodie  des  fiévreux  dessins  qui  l'entourent  : 


®  \   hm  i 


mais  l'agitation  se  calme  bientôt,  au  cours  de  la  même  phrase  b", 
comme  si  elle  était  due  aux  brutales  interventions  de  la  cellule  _k» 
apparaissant  sous  divers  aspects  : 


SONATES  POUR  PIANO 


149 


b"',  troisième  phrase  en  la  b,  concluant  dans  ce  même  ton,  ce  qui 
établit,  par  rapport  au  ton  principal  fa,  une  relation  tonale  assez 
éloignée  et  rarement  usitée  ;  cette  phrase  est  d'une  interprétation 
assez  difficile,  en  raison  de  l'accent  indiqué  sur  le  quatrième 
temps  de  la  mesure,  et  destiné  évidemment  à  n'affecter  que  la 
partie  supérieure,  sans  altérer  l'allure  plus  calme  de  la  descente 
en  tierces  : 


DÉv.,  en  trois  éléments: 

—  le  premier,   en  état  de  marche,  par  le  th.  A  modulant  de  mi  h  la  D.  de 

/?É  t>,  où  le  pont  reparaît  pour  préparer  le  retour  de  l'idée  B  ; 

—  le  (deuxième,  contenant  des  repos  successifs,  par  le  th.  B,  dans  les  tona- 

lités plus  sombres,  RÉ  b  et  si  b  ; 

—  le  troisième,  en  état  de  marche,  pour  remonter  à  laZ).  de  fa  en  faisant 

entendre  une  sorte  de  thème  d'appel,  tiré  de  la  cellule  y,  et  mêlé  à 
des  formules  agogiques  : 


RÉEXP.  Th.   A,  à  la  T. 

—  Pont. 

—  ^      Th.  B  {b',  b",  b")  à  la  T. 

—  Dév.  term.  par  a  ; 

—  —      —      par  t,  en /?£  b;  phrase  qui  semble  s'égarer  dans  un  élan  de 

passion  pour  retomber  épuisée  à  la  D..  comme  si  elle 
ne  pouvait  plus  qu'exhaler  à  peine  un  souvenir  de  la 
cellule  j^  ; 

—  Conclusion  :  cette  même  cellule  {y)  réveille  en  quelque  sorte  la  phrase 

b\  qui,  tirée  de  sa  torpeur  et  comme  souffrant  encore,  semble  résu 
mer  en  elle-même  tout  l'efTort  et  le  but  de  la  pièce  entière.  C'est 
là  vraiment  un  des  plus  fulgurants  éclairs  de  l'admirable  génie  bee- 
thovénien  ! 


2"  Andante  cou  moto  |,  en  /?£  p Type  LV. 

I-  —  Th.  binaire,  en  /?£  b,  formé  de  la  cellule  y,  ainsi  qu'on  l'a  montré  ci- 
dessus  (p.  348)  :  les  deux  fragments  de  ce  thème  concluent,  l'un  et 
l'autre,  à  la  T.,  ce  qui  est  très  rare  dans  les  phrases  binaires  ; 

îi.    —  Trois  variations  du  thème,  en  forme  de  plus  en  plus  agogique  ; 

m.  —  Réexp.  du  thème  qui,  par  un  brusque  changement  de  nuance,  est  en- 
chaîné directement  au  finale. 


350 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


3°  Allegro  ma  non  t?'oppo  },  en  fa 


4,  -^v/" Type  S. 

Exp.  Th.  A,  à  la  T.  en  deux  éléments  : 

—  —     a',  agogique  (i),  est  formé  par  la  cellule  a:  ; 

—  —    a",  à  la  fois  rythmique  et  mélodique,  est  ainsi  présenté  ; 


—  Pont,  tiré  de  a'  et  très  court  ; 

—  Th.  B,  composé  d'une  phrase  unique,  en  ut,  avec  une  conclusion  venant 

également  de  a'  : 


-  \-^ — 1 — >i  ^~J-^ — i 

(O  ■'  ■'      ^ — 

• 

j? '^i,  r- — ■ p — 

-^ -? ■ 

— 1 \ 

DÉv.  Le  même  dessin  a',  servant  de  conduit,  mène  à  la  SD.  ;    là  apparaît  un 
thème  assez  court,  dont  la  mélodie  provient  de  la  cellule  j^  : 


i 


^^ 


tit 


^ 


^ 


—  Une  longue  pédale  de  D.  complète  le  développement. 
Réexp.  normale  des  trois  éléments  :  A  (a'  a"),  P  et  B. 

—  Z)^V.  terminal  important  :   ici   apparaît,   sur   la   T.,  une  sorte  de   danse 

féroce,  qui,  sans  présenter  aucune  analogie  thématique  avec  les 
mélodies  précédemment  entendues,  est  et  ne  peut  être  que  la  véri- 
table conclusion  de  cette  œuvre  frémissante  de  fièvre  et  de  passion  ; 


—  cette  sorte  d'appel  des  trompettes,  descendant  aux  cors,  puis  aux  tim- 
bales, sert  de  triomphale  péroraison  à  la  Sonate  et  semble  célébrer 
une  victoire  définitive  que  la  terminaison  du  premier  mouvement 
ne  laissait  pas  présager. 

Lutte  douloureuse  ;  calme  réflexion  ;  victorieux  enthousiasme  :  telles 
sont  les  caractéristiques  des  trois  parties  de  l'œuvre,  inabordable  pour 
tout  interprète  qui  ne  sait  jouer  du  piano  qu'avec  ses  doigts  et  ne 
cherche  pas  ses  sonorités  au  plus  profond  de  son  cœur. 

(i)  Ries,  dans  ses  Souvenirs  (p.  99),  raconte  qu'au  cours  d'une  longue  promenade  à  la 
campagne  qu'il  fit  avec  Beeihovcn,  celui-ci  ne  lui  adressa  pas  une  fois  la  parole,  ne  répon- 
dant à  ses  questions  que  par  une  sorte  de  a  grognement  inarticulé  ».  De  retour  à  la  maison, 
Beethoven  courut  au  piano  :  le  «  grognement  »  était  devenu  l'idée  A  de  ce  sublime  finale. 


SONATES  POUR  PIANO 


35' 


Sonate  op.  53.  —  Dédiée  au  comte  Waldstein. 

—  Composée  en  1804. 

—  Éditée    en   mai    i8o5    au   Bureau  des    Arts  et   de  l'Industrie,  et 
connue  en  Allemagne  sous  le  nom  de  IValdslein-Sonate  (i). 

—  En  deux  mouvements  (S.  R.)  : 

1°  Allegî^o  cou  brio  C,  en  UT Type  S. 

Exp.   Th.  A,   répété  deux  fois,  avec  une  disposition  rythmique  et  une  orien- 
tation tonale  différente  : 


®    Première  foi^    ^^— —^  tfl:*    f  ^ff^ 


^fc. 


r.CuT 


pp 


vers  lu  SI),  e/  /a  I) 


QV)   Seconde  fois 


T.  @pp 


vers  le  Rel 


—  —       ce  thème  aboutit  à  la  Z).  de  mi  pour  s'enchaîner  au  th.  B. 

—  Th.  B.  en  trois  phrases  {b' ,  b",  b'")  : 

—  —       la  première  {b')  n'est  exposée  au  ton  principal,  ni  dans  l'exposition, 

ni  dans  la  réexposition,  mais  seulement  après  le  dév.  tertiiinal  ; 
nouvel  exemple  de  l'emploi  d'une  tonalité  autre  que  la  D.  ou  le 
Rel.  pour  la  seconde   idée  : 


—  —      la  phrase  b"  est  en  forme  plus  agogique  ; 
_       —      la  phrase  b'"  conclut  en  mi. 

DÉV.  par  a,  puis  par  b" ,  en  marche  vers  les  tonalités  sombres  {SD.)  :   fa,  si"?, 

miï> ...  uti>  -5Jt3,  aboutissant  à  une  péd.  sur  la  D.  d'UT. 
RÉEXP.  Th.  A,  répété  deux  fois  : 

—  —     li  première  fois,  vers  la  SD.  et  la  D. 
—     la  seconde  fois,  vers  la  D.  de  la. 

/     b    en  LA  puis  en  UT. 


—  Th.  B. 


b"  en  UT. 

b"  en  ut  et  en  UT. 


(i)  La  famille  Waldstein, à  laquelle  appartenait  le  dédicataire  de  cette  Sonate,  est  la  même 
que  celle  de  Wallenstein.  Quant  au  surnom  FAurore  qu'on  a  donné,  en  France,  à  cette 
œuvre,  il  ne  se  justifie  par  rien. 

Les  esquisses  de  la   Waldstein-Sonate    sont  contemporaines    de  «.ellci   de    la   Symphonie 

héroïque. 


35»  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Dév.  term.  par  a  et  par  b'  modifié  rythmiquement  :  une  sorte  d'éclai- 

rement  progressif  aboutit  à  la  conclusion,  laquelle  contient  la 
véritable  réexposition  de  la  phrase  b'  au  ton  principal  {UT)  en 
état  de  repos.  La  cellule  initiale  de  a  reparaît  enfin  et  sert  de 
cadence  finale. 

2"  lutrodu^ione.  Adagio  molto  g,  en  fa  (i)  et  Rondo.  Alle- 
gretto moderato  |,  en  UT Type  R^ 

Introduction  :  Adagio.  Th.  de  lied  à  la  SD.,  avec  modulation  finale  à  la  £>♦ 
pour  s'enchaîner  avec  le  Rondeau,  dont  l'importance  considérable 
justifie  sans  doute  cette  introduction  lente. 
Réf.  I .  :  Th.  A,  à  la  T.  :  le  thème  de  ce  refrain,  malgré  sa  simplicité,  semble 
avoir  fait  l'objet  de  longues  méditations  de  la  part  de  son  auteur  (2)  r 
sur  les  Cahiers  d'esquisses  de  Beethoven,  le  texte  définitif  est  pré- 
cédé de  six  essais  différents.  Voici  les  quatre  principaux  : 
—  10  à  la  p.  125  du  livre  d'esquisses  de  l'année  i8o3,  on  trouve  cette 
première  forme  : 


m 


jT I aTi  1 1 rr I •  l^i^i^j 


—  20  à  !a  p.  i38  du  même  livre,  la  forme  se  précise  : 


—  30  enfin,  à  la  p.  i3g,  on  voit  apparaître  la  forme  complète  sous  cet  aspect 


yi)  On  a  signalé  dans  la  section  technique  du  présent  chapitre  (p.  3oi  et  323)  le  cas  par- 
.iculier  de  cette  phrase  lente  servant  d'introduction  au  finale  et  partant  de  la  sous-domi- 
nante du  ton  principal,  comme  la  phrase  similaire  de  Top.  27  r,»  i. 

(2)  Nous  avons  signalé  ce  mûme  thème  (p.  240)  à  propos  de  la  lente  élaboration  des 
idées  musicales  chez  Beethoven.  Les  références  que  nous  donnons  ici  se  rapportent  a-ux 
Esquisses  publiées  par  Nottebohm. 


SONATES  POUR  PIANO 
4"  puis,  l'arpège  final  disparaît  ^même  page  139): 


Î5Î 


Ê 


Ê 


Ë 


m 


* 


p  ir-  Mf-f-44 


^ 


♦ 


Ê 


—     suivent  deux  autres  esquisses  fragmentaires  sans  importance  et  enfin,  à 
la  p.  143,  le  thème  définitif  : 

Allf;:rt'tto  iiiodi-rat.» 

® 


clliil.- 


-^   ^^ë 


/■•Cy) 


Pérfode  eriir'ivitr 


Coupl.  1  :  Dessin  B  en  VT.  puis  en  la,  et  rentrée  par  rythme  a. 

Réf.  2  :  Th.  A. 

Coupl.  2  :  Elém.  nouv.  en  ut  et  dév.  rythmique  de  a. 

Réf.  3  :  Th.  A. 

Coupl.  3  :  Dessin  B  en  C/r,  avec  péd.  de  D. 

Réf.  4  :  Th.  A,  modifié  et  dans  un  mouvement  très  rapide  : 


Prestissimo 


É 


^ 


Coupl,  4:  Dév.  par  rythme  de  a  et  augmentation  de  la  période  génératrice 

® 


Réf.  5  :  Fragments  du  th.  A  et  conclusion. 

Sonate  op.  54,  —  (Sans  dédicace). 

—  Composée  en  180S. 

—  Éditée  en  avril  1806  au  Bureau  des  Arts  et  de  l'Industrie. 

—  En  deux  mouvements  (L.  R.)  : 

j°  In  tempo  d'un  Menuetto  |,  en  F^ Type  LL. 

I.     Th.  de  lied  avec  reprises.  Re.m.  —  Malgré    l'indication  de   mou- 

n.    Section  modulante.  vement,    cette   pièce    n'a    rien   d'un 

m.  Th.  à  la  T.  Menuet:  elle  est  construite  en  forme 

IV.  Même  élément  que  sect.  11.  de  Lied  développe. 

V.  Th.  à  la  7^.  avec  ornement  et  concl. 

Cours  db  composition.  —  t.  11,   i.  *3 


354  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

i**  Allegretto  ^-^  en  fa Type  R. 

Réf.  I  :  Dessin  A,  en  FA  et  en  la.  Rem.  —  Ce  finale  en  mouvement  per- 

—  puis  en  SOL  et  en  VT.  pétuel  n'a  pas    de  thème  bien  établi. 
Coupl.  I  :  Dessin  B  de  même   rythme  II  participe  du  Rondeau  par  les  redites 

—  en  RÉ\>.  du   refrain,  mais  il  n'en  a  pas  nette- 
Ref.  2  :  Dessin  A,  en  FA.  ment  les  divisions. 

Coupl.  2  :  Dessin  B,  en  fa.  —  Comparer  avec  l'op.  26    (sans  mou- 

Ref.  5  :  Rythme  de  A,  en  FA.  vement  du  type  S  aussi). 

Sonate  op.  79.  —  Sonatine  (sans  dédicace). 

—  Composée  en  iSoo- 

—  Editée  en  décembre  1810,  chez  Breitkopf  et  Haertel. 

—  En  tt^oîs  mouvements  (S.  L.  R.)  :  cette  Sonatine  est  une  véritable 
«  Sonate  en  miniature  »  avec  tous  les  éléments  de  l'ancienne  forme  à 
laquelle  Beethoven  semble  avoir  voulu  dire  adieu  ici,  avant  d'aborder 
les  grandes  créations  de  la  troisième  manière. 

1»  Presto  alla  tedesca  ^,  en  sol T3Te  S. 

Exp.  Th.  A,  enchaîné  à  B.  Rem.  —  Ce  premier  thème,  alla  tedesca, 

—  Th'.  B,  en  ^£.  est  tout  à  fait  semblable  à   celui  qui 
Dkv.  par  fl,  peu  à  peu  éliminé  vers  les       porte  la  même  désignation,  dans  le 

tons  plus  sombres,  de  M/ B  à  A//P.        Quatuor,  op.   i3o. 
RÉEXP.  normale  avec  reprise  du  Dév., 

—  puis,  la  seconde  fois,  Dév.  tenu. 

—  en  forme  de  véritable  Valse. 

1"  Andante  espressivo  l,  en  sol Type  L. 

I.  Th.  binaire. 

II.  Elém.  nouv.  en  Ml  t>. 

III.  Th.  avec  formule  concluante. 

3°  Vivace  |,  en  sol Type  R. 

Réf.  I  :  Th.  A,  en  SOL  avec  reprises. 
Coupl.  I  :  période  en  mi  et  rentrée. 
Réf.  2  :  Th.  A,  en  50L,  incomplet. 
Coupl.  2  :  élém.  nouv.,  en  UT. 
Réf.  3  :  Th.  A,  en  SOL  avec  conclusion. 

Sonate  op.  78.   —  Dédiée  à  la  comtesse  Thérèse  Brunswik. 

—  Composée  en  i8oq. 

—  Editée  en  décembre  1810,  chez  Breitkopf  et  Haertel. 

—  ¥.n  deux  mouvements  (S.  R.)  : 

I*  Adagio  cantabile  |,  et  Allegro.,  ma  non  troppo  C,  en  fa  s.       Type  S. 

I.NTR.  :  Adagio. 

txp.  Th.  A  infléchi  vers  P. 

—  Pont  agogique. 

—  'l"h.  B  en  VTZ 
Dév.  rythmique  par  a, 
Rf.exp.  normale. 


SONATES  POUR  PIANO 


355 


1"  Allegro  assa:  J,  en  /•-.i  5 Type  R. 

Réf.  I  :  Th.  a  à  la  T.  Rem.  —  Ce  Rondeau  n'a  pas  de  second 

Coupl.  I  :  Dessin  b.  thetne  caractérisé,  et  les  réexpositions 

Réf.  2  :  Th.  A  à  la  7^.  du  refrain  ne  sont  pas  toutes   sur  la 

Coupl.  2  :  Dév.  du  dessin  b.                        tonique.    Beethoven     cherchait    sans 

Réf.  3  :  Th.  A  à  la  SD.  doute    une    forme    nouvelle  (comme 

Coupl.  3  :  Dév.  du  dessin  b.  dans  l'op.  54)  et  il  semble  revenir  ici 

Réf.  4  :  Th.  A  à  la  T.  à  l'ancien  type  R.  du  xviii»  siècle. 

Sonate  op.  81.  —  Dédiée  à  l'archiduc   Rodolphe  (i). 

—  Composée  en  1809. 

—  Éditée  en  juillet  181 1,  chez  Breitkopf  et  Haertel. 

—  En  trois  mouvements  (S.  L.  S.)  intitulés  respectivement  :  Bas 
Lebewohl  (l'Adieu),  die  Abwesenheit  (l'Absence),  das  Wiedersehen  (le 
Revoir).  On  a  signalé  déjà  (p.  3-20)  la  grande  unité  thématique  de  cette 
Sonate,  construite  à  peu  près  exclusivement  sur  deux  cellules  [x  et  y) 
qui  sont  contenues  dans   les  premières  mesures  de  l'introduction  : 


La  cellule  mélodique  [x)  engendre  la  seconde  idée  (B)  du  mouvement 
initial  et  l'admirable  développement  terminal  de  ce  mouvement  : 


La  cellule  rythmique  (>•)  donne  naissance  à  la  première  idée  (A), 
laquelle  est  issue  également  de  la  cellule  tnélodique  [x],  comme  on  peut 
le  voir  par  la  superposition  de  l'une  à  l'autre  : 


(i)  La  Sonate  op.  8i  porte,  dans  certaines  collections,  l'indication  •  op.  8i»  »  pour  la  dis- 
tinguer d'un  Sextuor  à  cordes  avec  deux  cors,  d'ailleurs  peu  intéressant,  auquel  on  a  donné 
le  n»  Sib.  —  La  Sonate  Lebewohl  est  la  première  des  œuvres  de  Beethoven  dédiées  à 
son  élève  et  ami  le  «  petit  archiduc  »  qu'il  aimait  de  tout  son  cœur.  Il  est  probable  que 
le  sujet  même  lui  fut  suggéré  par  l'archiduc,  lors  de  son  exil  dans  la  forteresse  d'Olmùtz, 
où  Beethoven  alla  souvent  lui  tenir  compagnie. 


.■>D0 


L\  SONATE  DE  BEETHOVEN 


(K)  cellule  .;• 


^è 


^  y.... 

Allegro  '^5- 


^^ 


iS^a 


gE  S  F  ^  r-^ 


TT 


/: 


g^ 


j:t!v^ 


:fS«=ïfi* 


Ê 


Le  même  dessin  [y)  se  retrouve  dans  VAndaule  que  nous  avons 
déjà  cité  ci-dessus  (p.  197)  en  raison  de  son  analogie  avec  une  célèbre 
Sonate  de  Ch.-Ph.-Emm.  Bach  : 

Andante  espressivo 


Le  finale,  lui-même,  n'est  qu'une  modification  de  la  cellule  ryth- 
mique (r),  encore  reconnaissable  et  suivie  d'un  rappel  de  la  cellule 
mélodique  (a*)  ; 


Vivaoissiraamentp 

M 


\l 


y 


n..:n 


±.S^J  '{1^ 


^ 


h-^X^ 


à^        -r    i        ^H 


"^^-nr-r 


m 


r  Adagio  \,  et  Allegro  c,  en  Mi  ^. 


Type  S. 


Intr.  :  Adagio  {Lebewohl),  résume  thématique  de   l'œuvre  exposant  les  deux 
cellules  {x  et  y). 


SONATES  POUR  PIANO 


•557 


Exp.    Th.  A   (mélodie  x  et  rythme j^)    Rkm.  —  Au    début    du    dév.    term.    on 


enchaînant  au  Pont. 

—  Pont  (mélodie  x  droite  et  ren- 

versée). 

—  Th.  B  (amplification  de  x). 
Dév.  par  thème  a. 

Réexp.  normale,  avec  modul.  en  fa. 

—  Dév.  term.  par  a  et  cellule  x 

combinés,  avec  conclusion. 


retrouve  la  modulation  en  FA,  si  fré- 
quente dans  les  compositions  en  MI  i?. 
Le  dessin  x  (Lebewohl)  est  employé 
à  la  fin  avec  des  enchevêtrements 
d'harmonie  de  T.  et  de  D.  (i),  que 
Beethoven  emploiera  souvent,  par  la 
suite  (voir  notamment  op.  90). 


2*  In  geliende?^ Bejvegung-,  doch  mit  Ausdriick  {2)  {Audante 
espressivo)  |,  en  m/ Type  LS. 


Exp.  Th.  A  (cellule  r),  en  ut. 
—    Th.  B,  en  SOL. 
RÉEXP.  Th.  A,  en  fa. 
—     Th.  B,  en  FA. 

Enchaînement  suspensif  par  a, 
allant  de  la  T.  à  la  D.  de  MI  t>. 


Rem.  —  Malgré  son  enchaînement 
nécessaire  au  finale,  cet  Andante  ne 
peut  être  considéré  comme  une 
simple  introduction.  Sa  seconde  par- 
tie [réexposition)  est  tout  entière  à  la 
dominante  réelle  en  mode  mineur  in- 
verse, ce  qui  ramène  le  ton  de  FA,  et 
donne  une  impression  d'affaissement, 
conforme  à  l'intention  poétique. 


3"    Im    lebhaflesten    Zeitmaasse  (3)    (Vipacissimamente)  5, 
en  Jiy  f Type  S. 

Exp.  Introd.  (trait  rapide  sur  la  D.).      Re.m.  —    Le  rythme   de  la    cellule  j-,  si 

—  Th.   A   (rythme^   transformé),       douloureux  dans  l'/lniau/f,  prend  ici 

répété  trois  fois.  une   expression   de    joie  tout  à   fait 

—  Pont  rythmique.  caractéristique. 

—  Th.  B  [b  ,  b",  b"'),  en  SI \,. 
Dév.  par  a  et  b' . 

—  fausse  rentrée  à  la  SD. 
Réexp.  normale  suivie  de 

—       DeV.  ferm.  et  conclusion  par  a. 

Sonate  op.  90.  —  Dédiée  au  comte  Moritz  von  Lichnowsky  (4), 
■ —  L-omposée  en  1814. 

—  Éditée  en  juin  181  5,  chez  Steiner,  à  Vienne. 

—  En  deux  mouvements  (S.  R.)  : 


(i)  Dans  l'édition  Schlesinger  (Brandus),  on  a  cru  bon  de  «  corriger  >>  ces  enchevêtrements 
de  l'harmonie  de  tonique  avec  celle  de  dominante  :  le  résultat  obtenu  est  plutôt  bizarre. 

(2)  Littéralement  :  dans  un  mouvement  allant  et  pourtant  avec  expression.  —  C'est  la  pre- 
mière fois  que  Beethoven  emploie  la  langue  allemande  au  lieu  de  la  langue  italienne  p'^ur 
les  indications  de  mouvements.  La  rédaction  même  de  ces  indications  montre  bien  que 
l'auteur  se  préoccupait  avant  tout  de  l'expression,  but  principal  de  toute  musique. 

(3)  Dans  une  mesure  très  animée. 

(4)  Schindier  raconte  {op.  cit.,  p.  iiS)  que  Beethoven  disait  des  deux  morceaux  de  cette 
Sonate:  «  Le  premier  pourrait  s'intituler  Combat  entre  la  tête  et  le  cœur  {Kampf  ^^wischen 
Kopfund  Her^O,  et  le  second.  Dialogue  avec  l'aimée  ^Conversation  mit  der  Geliebten).  Tel 
est,  en  effet,  le  sens  poétique  de  ce  véritable  épithalame  au  dédicataire  qui,  après  bien  des 
hésitations,  s'était  déciJé  à  épouser  une  actrice  de  N'icnne  qu'il  aimait  depuis  longtemps.  » 


,5$  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

1°  Mit  lebhaftigkeit  und  dmxhaus  mit  Empfndung  iind 
Atisdruck  (i)  |,  en  mi 


Type  S, 


Exp.  Th.  A,  en  trois  éléments  : 
—     a' ,  élément  rythmique  masculin,  en  tni 


a",  élément  mélodique  fénii   in,  en  SOI.  .- 


p — etc. 


—  a",  élément  h-irmonique  concluant,  en  mi 


*   '•*££ 


»i 


m 


u 


J IJ.  J-'JU  J 


etc 


—  l'antagonisme  expressif  entre  les  trois  éléments  de  la  première  idée 
tour  à  tour  masculine  et  féminine,  a  sa  raison  d'être  dans  l'intention 
poétique  [Kopf  und  Her:^). 

—  Pont,  par  la  cellule  initiale  de  a    (comme  dans  le  pont  du  finale). 

—  Th.  B,  en  si,  nécessairement  très  court  et  sans  subdivisions,  pour  rétablir 

l'équilibre  rompu  par  l'importance  du  th.  A. 
Dév.  en  tr-ois  éléments,  offrant  un  véritable  modèle  de   l'emploi   de  Vélimina- 
tien  et  des  modifications  d'ordre  agogique  : 

—  10  la  période  a' ,  partant  de  la  SD.,  s'élimine  peu  à  peu  vers  la  D.  d'ui  : 


i-^i'^.i  ^.j^ir-ii,  i 


Sftimp 


>  la  période  a",  exposée  d'abord  en  VT  sous  son  aspect  primitif,  se 
développe  mélodiquement  et  prend  une  forme  de  plus  en  plus  agitée, 
en  passant  à  la  main  gauche;  bientôt,  elle  s'élimine pâvles  tonahtés  de 
FA  et  de  la,  comme  si  elle  se  modifiait  sous  une  influence  étrangère  : 


etc. 


(i)  Assez  vile,  mais  avec  sentiment  et  expression. 


SONATES  POUR  PIANO 


159 


—  3"  un  arrêt  sur  la  D.  (quarte  et  sixtej  détermine  un  accroissement  à'ago- 
gique  suivi  d'une  éliminatiendcs  dernières  notes,  avec  un  enchevêtrement 
d'harmonies  semblable  à  celui  que  nous  avons  signalé  dans  l'op.  Si  ; 
après  cet  alanguissement,  la  force  revient  et  la  cellule  initiale  reparaît, 
amenant  la  réexposition.  Ce  passage  doit  être  cité  intégralement  : 


REEXP 


^^^^^^ 


m^ 


llulr 


^S 


RÉEXP.  normale,  suivie  d'une  amplification  du  th.  B  amenant  la  conclusion 
par  une  dernière  redite  de  l'élément  a'",  lequel  n'a  aucun  rôle  dans  le 
développement  et  demeure  identique  à  lui-même  :  il  est  la  décision 
immuable  ;  il  conclut  toujours. 

2°  Nicht  ^u  geschwind  und  se/ir  singbar  t>o?"{utragen  (  i  )  ;,  en  mi.  Type  R. 
Réf.  I  :  Th.  A,  phrase  de  lied  {a,  b,  a']. 
Coupl.  i  :  Pont  en  MfJî  (même  cellule  rythmique  que  le /?o«/ du  ler  mouvement). 

—  Th.  B  {b'  agité,  b"  calme)  en  SI. 

Réf.  2  :  Th.  A. 

Coupl.  2  :  Dév.  de  a  ;  puis  b"  en  UT,  ut,  utZ  et  UT^;  puis  Péd.  de  D. 
Réf.  3  :  Th.  a. 

Coupl.  3  :  P.  et  th.  B  en  Ml  ;  puis  dév.  de  a  et  rentrée. 
Réf.  4  :  Th.  A  (amplifié  et  modifié),  petit  dév.  de  a  et  conclusion. 


n.    —    SONATES   POUR   PIANO.   —    TROISIÈMK    MANIERE    (l8l5    A    l8a6), 

La  troisième  manière  {réûexion)  est  celle  à  laquelle  appartiennent  les 
œuvres  (on  peut  même  dire  les  chef s-d' œuvre)  composées  par  Beethoven 


(i)  Exécuter  pas  trop  vite  et  très  chanié.  —  Ce  Rondeau,  le  dernier  qu'ait  écrit  Beeihoven 
dans  ses  Sonates  pour  piano,  a  éié  analysé  ci-dessus  (p    3 1 3  et  suiv.)  à  titre  de  rrodèlc. 


360  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

dans  les  dix  dernières  années  de  sa  vie  (18 16  à  1826).  Malgré  les  incon- 
testables beautés  des  Sonates  de  la  période  précédente,  on  pouvait 
considérer  celle-ci  comme  une  transition,  aboutissant  au  style  définitif 
adopté  par  l'auteur  des  op.  loi  et  suivants,  après  mûre  réflexion. 

Affranchi  de  la  convention,  sûr  de  sa  pensée  et  de  sa  forme,  le 
créateur  de  génie  ne  regarde  plus  alors  qu'au  dedans  de  lui-même; 
c'est  son  âme,  son  âme  seule  qu'il  exprime,  âme  croyante,  âme  chari- 
table, âme  souffrante  et  qui  s'élève  par  degrés  vers  l'idéal  divin. 

La  collection  des  Sonates  est  bien  loin  de  nous  montrer  encore  toutes 
les  beautés  de  cette  troisième  manière  dont  l'épanouissement  ne  sera 
complet  que  dans  la  IX*  Symphonie,  la  Messe  en  RÉ  et  les  derniers 
Quatuors,  véritables  oeuvres  religieuses,  où.  Beethoven  entre  en  com- 
munication avec  ce  Père  céleste  qu'il  entrevoit  «  au-dessus  des  étoiles  ». 

Les  oeuvres  appartenant  à  ce  troisième  style  sont  aussi  différentes  de 
celles  des  deux  autres  époques  que  la  Messe  en  5/  de  J.-S.  Bach  est 
dissemblable  des  Fugues  construites  à  l'imitation  de  celles  de  Buxtehude. 
La  nature  même  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  ici  la  substance  ou  la 
matière  musicale  y  est  d'un  ordre  infiniment  plus  élevé:  il  suffit,  pour 
s'en  rendre  compte,  de  comparer  la  seconde  idée  du  premier  mouve- 
ment de  Top.  106  aux  meilleures  de  celles  qui  appartiennent  aux 
œuvres  des  autres  périodes  [Sonate  pathétique  ou  op.  53,  par  exemple). 
Quant  à  la  forme,  elle  est  renouvelée  de  fond  en  comble  par  l'emploi 
de  deux  moyens  dont  Beethoven  n'avait  pas  encore  fait  usage  : 

I®  la  Fugue  qui  devient  partie  intégrante  de  la  construction  ; 

2*  la  Variation  amplificatrice  qui  s'impose  soit  dans  le  développement, 
soit  en  tant  que  forme  particulière. 

Mais  ces  innovations,  loin  de  briser  les  traditions  de  la  Sonate, 
comme  l'ont  prétendu  des  historiens  peu  informés,  ont,  au  contraire, 
consolidé  les  assiseslogiques  et  éternelles  de  cette  forme,  en  lui  apportant 
de  tels  éléments  de  progrès  que  ces  admirables  oeuvres  sont  devenues  le 
point  de  départ  de  toute  notre  musique  symphonique  moderne. 

Sonate  op.  101.  —  Dédiée  à  la  baronne  Dorothée  Ertmann. 

—  Composée  en  181  5- 1816.  —  Éditée  en  février  iS  17  chez  Artaria, 
sous  le  titre  Sonate  f  tir  das  Hammerclavier» 

—  En  trois  mouvements  (S.  M.  S.)  : 

1°  Etwaslebhaft  undmitder  innigstenEmpJîndung[\)i,  en  la.  Type  S. 

Exp.  Th.  A,  enchaîné  à  B.  Rem.  —  Sorte  de  modèle  résumé  du 

—  Th.  B  en  Ml.  type  Sonate  :  deux  thèmes  briève- 
Dév,  court  par  a.  ment  exposés,  sans  ^ont  (le  second 
Réexp.  normale  avec  en  une  seule   phrase},  et  développe- 

—  Dév.  tenu,  par  b.  ment  très  court. 

(1)  Assez  animé  et  avec  un  sentiment  très  intime. 


SONATES  POIR  PIANO 


-,6i 


2"  Lebhaft  Marschwdssig-{\)  c,  en  FA Type  M 

MARCHE:  Thème  à  trois  éléments  : 

—  a  (avec  reprise),  en  FA. 

—  b,  dév.   par  LA  et  RÉ"?-  vtZ, 

vers  laZ). 

—  c,  conclusion,  sans  période  .:. 


Rkm.  —  Cette  Marche  est  une  nouvelle 
tentative  de  la  forme  M  disparue 
depuis  l'op.  3r  n»  3.  Son  thème  est  en 
rro«5  périodes  différentes  (j,  b,  c  sans 
retour  à  la  première. 


Trio  en  Sl\,  (SD.)  avec  longue  Coij,    —  Le  trio  à  la   SD.   est  très   court  et 
sur  la  D.  de  FA.  relié  par  une  péd.  de  /).  'voir  p.  3n). 

Da  capo. 


3"  Langsam  und  sehnsuchtsyoll  (2)  ;,  en  la,  et  Gesc/iwiud, 
doch  nicht  -{u  se/ir,.  und  mit  Entschlossenheit  (3)| ,  en  lj.      .       Tvpe  S. 

Introd.  Phrase  lente,  binaire  {la)  : 

—  de  la  T.  au  Rel.  maj.  VT. 

—  du  Rel.  à  la  D. 


cadence  suspensive. 

Th.  A  du  ler  mouv.,  en  LA. 

suspension  sur  la  D. 


Rem.  —  Cette  phrase  lente.  Je  structure 
binaire,  n'est  pas  autre  chose  qu'une 
introdiiclion  au  finale  (comme  dans 
les  op.  27  no  r  et  53).  Ici,  elle  est 
reliée  au  finale  par  un  rappel  du  mou- 
vement initial. 


Exp.  —  Th.  A.  Première  idée  faisant  pressentir  le  développement  fumté  : 


—  Pont  mélodique  assez  court. 

l  b'  a  laZ).  de  Jtf/; 

—  Th.  B  <  b"  en  .1//,  tiré  du  rythme  de  la  première  idée  ; 

(  b'"  simple  conclusion. 

Dév.  contenant  le  premier  exemple  de  la  Fugue  employée  par  Beethoven  comme 
moyen  de  développement  ; 


~^^^^W 


(i)  Vit  et  en  mouvement  de  Marche. 

(2)  Lent  et  plein  de  passion.  —  Ccue  phrase  lente  d'introduction  au   finale  a  été  signalée 
déjà  dans  la  section  technique  du  présent  chapitre  (p.  3oi). 

(3)  Pas  trop  vite  et  résolument. 


36a 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


—    Ce    développement   fugué   module   d'UT  à  la  D.  de  la  et   aboutit  à  une 
rentrée  caractéristique  par  le  sujet  augDienté  à  la  basse  : 


RÉEXP.  normale,  avec  Dév.  ierm.  par  a  et  conclusion. 

Sonate  op.   106.  —  Dédiée  à  l'archiduc  Rodolphe. 

—  Composée  en  181 8.   —  Éditée  en   septembre   1819  chez  Artaria, 
sous  \q  thvQ  Sonate  fur  das  Hammerclavier. 

—  En  quatf^e  mouvements  (S.  M.  L.  F'.)  : 

i'  Allegro  [ï).  (^.,  en  SI  \) Type  S. 

Exp.  Th,  A  en  deux  éléments:  a'  rythmique,  a"  mélodique  (voir  p.  236). 

—  Pont  rythmique  en  trois  éléments  : 

—  —    p' ,  par  rythme  de  a'  en  marche. 

—  —    p",  par  a'  modulant  à  la  D.  de  sol» 

—  —    p'",  conduit  sur  la  D.  de  SOL. 

.    b'  tiré  de  a". 

—  Th.  B.      b"  agogique  avec  rappel  de  a" . 

\  b'"  mélodique  en  SOL. 

Dév.  Coda  dynamique  de  b'"  en  marche  vers  Mir>; 

—  repos  par  a' ,  devenu  sujet  d'exposition  de  fugue  et  épisode  en  A//  ?  ; 

—  marche  par  a'  et  a"  vers  SOL  et  FA  8,  {D.  de  5/  B)  ; 

—  repos  par  b'"  exposé  en  S/  t3  ; 

—  a'  sujet  de  fugue,  en  marche  vers  la  D. 

RÉEXP.  Th.  A  :  a'  à  la  T.,  a"  vers  SOL  \>-FA'i. 

—  P.  (jci',f",p*')  vers  laD.  de  S/[>. 

—  Th.  B  (6',  r,  è«')  en5/ b. 

—  Dév.  term.  par  b",  puis  a" . 

—  Coda  rythmique  concluante. 


2^  Scherzo.  Assai  vivace-,  tïi  SI  ^ T3Te  M 

Scherzo  :  Th.  a,  b,  a. 

Trio  en  5/ 1>  mélodique,  et  épisode  à 

deux  temps,  avec  cadence  à  la  Z). 
Da  capo,    avec  variantes  et   élément 

rythmique  nouveau. 

Coda  concluante. 


Rfm.  —  Le  thème  de  ce  Scherzo  est 
rythmé  par  trois  mesures  (deux  fois) 
suivies  de  deux  accords,  qu'on  peut 
considérer  comme  issus  rythmique- 
ment  de  la  cellule  a'  du  ler  mouve- 
ment. 


y  Adagio    soslenuto  §,  en  /a  a  -  50/ 1> Type  LS. 

Exp.  Th,  principal  A  en  une  phrase-//^i  (voir  ci-dessus,  p.  247  et  248)  : 

—  —    a  (précédé  de  deux  notes  préparatoires),  de  la  T.  à  la  D. 

—  —     b,k\A  D. 

—  —     c,  Cad.  à  la    T.  par  la  sixte  napolitaine  (modulation  en  SOL  H). 


(i)  Cet  admirable  Allegro,  type  le  plus  complet  de  la   forme  S,  chez   Beethoven,  a  éié 
analysé  ci-Jessus  (p.  264  et  suiv.). 


SONATES  POUR  PIANO 


303 


Reprise  de  b  et  de  c,  avec  coda  suspensive  :  immédiatement  après  cet 
arrêt  du  thème,  entre  une  phrase  très  mélodique  et  expressive  qui 
tient  lieu  de  pont  et  se  dirige  lentement  vers  le  ton  de  RÉ. 

Th.  secondaire  B,  en  RÉ,  coupé  en  trois  phrases  comme  les  secondes 
idées  dans  la  forme  Sonate  : 


dv) 


^ 


T.    RE 


T=^ 


eli 


—       Cette  phrase  semble  se  perdre  en  des  harmonies  indéterminées,  puis  re- 
vient au  ton  par  une  modulation  d'une  fraîcheur  tout  à  fait  séduisante. 


% 


^onrlu>ion 


r 


-^h~^ 


^ 


etc. 


—      Cette  exposition  constitue  la  i^e  section  du  Lied. 

DÉv.  court,  par  la  phrase  a  et  ses  deux  notes  préparatoires,  dont  l'adjonction 
au  début  de  l'exposition  s'explique  ici  (i)  : 


etc. 


—  la  phrase    se    reproduit    en   modulant  de  RÉ  à   UT'i,  puis  à  a/;!j -i?Ê  S, 

et  procède  ensuite  par  élimination,  en  effleurant  les  tonalités  de  sol  3 
et  de  ré  ÎT,  jusqu'à  la  D.  de  fa  3. 

—  Ce  développement  constitue  la  ii«  section  du  Lied. 

Réexp.  Th.princ.  A  {a,b,  c)  en  fa  »,  avec  toutes  ses  reprises,  mais  traité  en 
variation  :  le  sentiment  expressif  de  cette  réexposition  est  assez  com- 
parable aux  modifications  du  th.  de  l'Adagio,  dans  la  IX«  Symphonie. 

—  Pont,  partant  de  RÉ  pour  se  diriger  vers  le  ton  de  FA  5. 

—  Th.  secondaire  B  (é,  *",  ^*')  en  FA  5. 

—  Cette  réexposition  constitue  la  m*  section  du  Lied. 

DÉv.  par  la  phrase  a  et  ses  deux  notes  préparatoires,  aboutissant  bientôt  au 
développement  de  la  phrase  b'  du  th.  B  en  SOL,  tonalité  préparée 
par  la  cadence  de  la  sixte  napolitaine  produisant  dans  l'exposition  la 
modulation  accidentelle  déjà  signalée  (p.  248).  Cette  modulation  n'est 
pas  autre  chose,  on  s'en  souvient,  qu'une  fonction  de  SD.  altérée, 
rétablissant  l'équilibre  tonal. 
_      Ce  nouveau  développement  constitue  la  ne  section  du  Lied. 


(0  On  sait  que  ces  deux  notes  ont  été  ajoutées  par  Beethoven  au  début  de  cet  admirable 
Adagio,  lorsque  la  giavure  en  était  déjà  faite.  Voir  à  ce  sujet  W.  de  Lenz  {op.  cit.,  11.  p.  14) 
et  la  lettre  de  Beethoven  à  Ries. 


364  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

■  Réexp.  terminale  du  thème  principal  A,  sans  reprises  et  réduit  à  ses  deux 
périodes  extrêmes  (a  et  c)  :  ainsi  que  dans  d'autres  Sonates, 
Beethoven  a  omis  ici  à  dessein  l'une  des  périodes.  Le  thème  semble 
s'effacer  et  mourir  en  un  long  et  angoissant  ritardando,  tandis  qu'il  se 
complète  par  une  conclusion  mélodique  nouvelle  sur  la  tonique,  et 
qu'un  dernier  souvenir  de  la  période  initiale  [a)  sert  de  péroraison  à 
cet  admirable  monument  de  l'art  musical. 
—  Cette  réexposition  ultime  constitue  la  v«  section  du  grand  Lied  (LL), 
dont  la  forme  est  ici  confondue  avec  la  forme  Lied-Sonate  (LS);  et 
l'on  peut  dire  à  bon  droit  de  celui  qui  ne  se  sentirait  point  ému 
jusqu'au  fond  de  l'âme  par  une  pareille  manifestation  de  la  sublime 
beauté  qu'il  ne  mérite  pas  le  nom  de  musicien  I 

4®  Largo  C ,  et  Allegro  risoliito  \,  en  si  p.  Fuga  a  tre  vocî 

con  alcune  licence  (i) Type  F. 

Interlude  :  Largo,  sorte  de  cadence  en  rythme  libre,  oscillant  entre  5/  b  et 
SI  H  et  servant  de  Prélude  à  la  Fugue  finale,  comme  si  l'auteur  avait 
voulu  tenter  ici  une  adaptation  nouvelle  à  la  Sonate  de  l'ancienne 
forme  Prélude  et  Fugue. 
Fugue  dont  le  sujet  est  manifestement  tiré  du  rythme  a  appartenant  à  la 
période  génératrice  du  thème  A,  dans  le  mouvement  initial  de  la 
même  Sonate  (voir  ci-dessus,  p.  236  et  264)  : 


a'. 


É^ 


-/ 


/ 


^^ 


f^¥^ 


/    /y-4--  a 


P^v^^ 


^m 


faj^^-^ 


^ 


Suict  lii'  la  FiiffiH- 


—  V exposition  initiale  en  S/p  est  suivie  à\\r).  épisode-développement  en  SOL  t> 
modulant  kiA  \>  -  SOL  5.  Puis  le  sujet  s'expose  de  nouveau  en  Si  i>  et  en 
SOL.  Un  thème  épisodique  lent,  en  RÉ,  apparaît  alors  comme  une 
sorte  de  second  sujet  ;  enfin,  le  sujet  principal,  en  Si  t»,  se  réexpose  et 
se  développe  longuement  sur  la  T.  pour  finir. 

Sonate  op.  109.  —  Dédiée  à  Maximilienne  Brentano  (2). 

—  Composée  en  1820. 

—  Éditée  en  novembre  1821  chez  Schlesinger,  à  Berlin,  sous  le  titre  : 
Sonate  pir  das  Hammerclavier. 

—  En  trois  mouvements  (S.  S.  L.)  : 


(i)  Fugue  à  trois  voix  avec  quelques  licences.  —  On  voit  que  Beethoven  avait  conscience 
de  ne  se  point  conformer,  tant  s'en  faut,  aux  sévères  préceptes  de  son  vieux  maître 
Albrechtsbergcr. 

(2)  Maximilienne  Brentano  était  la  nièce  de  Bettina  Brentano  qui  recueillit  beaucoup  de 
pensées  de  Beethoven.  Bettina,  devenue  M™^  H'Arnim,  était  à  Vienne  en  1810,  en 
l'absçnce  de  son  mari,  avec  sa  jeune  nièce  Maximilienne,  pour  laquelle  Beethoven  composa 
»n  Trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  en  un  seul  morceau,  dédié  «  à  ma  petite  amie 
M.  8.,  pour  l'encourager  à  jouer  du  piano»  (1812). 


SONATES  POUR  PIANO 


î'^ï 


1"  Vivace  ma  non  troppo  '-  et  Adagio  espressivo  |,  en  M!.       T^pe  S. 

Exp.  Th.  A  (Vivace)  infléchi  vers  B.  Rem.  —   Ce  morceau  est  aussi  un  re- 

—     Th.  B  (Adagio)  en  si.  sumé  de  la  forme  S.,  où  V Adagio  sert 

Dév.  par  rythme  a  [Vivace).  de  second  thème. 
Réexp.  Th.  A  {Vivace). 

—  Th.  B  [Adagio). 

—  Dév.  tenu,  par  a.  ^ 

2*  Prestissimo  g,  en  mi ,       Type  S. 

Exp.  Th.  A,  en  mi,  dont  la  période  génératrice  est  à  la  partie  grave  : 


^ 


->7 


J'.'i '.ii.l.-  e-H'-ratricf 


—  Pont  (8  mesiiresV 

—  Th.  B  [b',  b",  b'")  en  si. 

Dév   par  période   génératrice  de  a. 
Réexp.  normale. 

3°  Gesangvoll  mil  innigsten  Empfuduus-  ( Andaufe  vwito 

Cùulabile  ed  espressivo)  ^,  en  Ml Type  LV. 

Thème  binaire  et  si.v  variations,  avec  reprise  du  thème  pour  finir. 

Sonate  op.   IIO.  —  (Sans  dédicace). 

—  Composée  en  1 820-1 821. 

—  Editée  en  août  1822,  chez  Schlesinger. 

—  En  trois  mouvements  (S.  M.  P.):  cette  Sonate  est,  comme  forme  et 
comme  pensée,  très  caractéristique  de  la  dernière  manière  de  Beethoven. 

La  Fugue  y  est  employée  non  seulernent  en  tant  que  partie  consti- 
tutive du  cycle,  mais  encore  comme  moyen  expressif,  et  l'on  pourrait 
presque  dire  dramatique,  car  les  deux  dernières  parties  sont  en  quelque 
sorte  l'exposé  des  souffrances  qu'endura  le  malheureux  homme  de 
génie  vers  la  fin  de  sa  vie,  souffrances  morales  bien  plus  que  physiques, 
croyons-nous,  et  dont  il  sut  toujours  triompher  par  sa  foi  et  sa  volonté. 

Il  est  intéressant  de  rapprocher  cette  oeuvre  du  XV'  Quatuor  (op. 
i32),  écrit  quatre  ans  après,  et  qui  en  est  comme  le  complément 
obligé  (i).  Mais,  tandis  que  ce  Quatuor  ne  nous  retrace  guère  que  le 
souvenir  des  douleurs  passées,  causes  de  ce  religieux  «  élan  de  reconnais- 
sance envers  Dieu  »  (2),  la  Sonate,  elle,  nous  place  en  pleine  crise  :  c'est 
la  lutte  âpre  et  terrible  contre  l'anéantissement  ;  puis  le  retour  à  la  vie  et 
à  l'espérance  célébré,  non  en  une  calme  et  pieuse  prière,  mais  par  un 
hymne  exultant  de  joie  triomphale.  Nous  nous  trouvons  donc  en  pré- 

(i)Voir  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre. 

(a)  Can^ona  di  ringi  a^iamento  alla  Divinttj,  da  uu  guarito. 


366 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


sence  d'une  sorte  de  drame  moral  transcrit  en  musique;  aussi  cette 
Sonate  est-elle  la  seule  de  la  troisième  manière  qui  ne  porte  point  de 
dédicace:  Beethoven  ne  pouvait  dédier  qu'à  lui-même  cette  expression 
musicale  d'une  convulsion  de  sa  propre  vie. 

Pour  rentrer  dans  le  domaine  technique^  nous  dirons  que  c'est  à 
cette  même  cause  dramatique  que  doit  être  attribuée  la  construction 
tonale  des  deux  derniers  mouvements  (/ap,LAb,  sol,  soL,  la  \>)^ 
construction  absolument  inusitée  chez  Beethoven, 

Au  point  de  vue  thématique,  il  est  à  remarquer  que  le  sujet  de  la  Fugue 
finale  n'est  autre  que\a.  simpli^catioîi  de  l'idée  initiale  du  premiermouve- 
ment,  en  sorte  que  ce  thème  sert  à  la  fois  d'exorde  et  de  péroraison  : 


'ciy    premier  élément 

rfmièrp    ]<\ée.      '!/    '''>?'>      _-^<  1    m 

^L   ■^    :    •'       "   '      _    _     _  I 


P.*'  entré 


Suj.  de.la.Fu 


A     ,   ,      1'.    entrée  ; 

gue    fe-V^      i-  ..         \'-     » 


7-.@ 


Le?,  périodes  génératrices  de  ces  deux  mouvements,  dont  l'un  paraît 
signifier  l'état  de  calme  (spécifié  par  l'auteur  dans  l'indication  con 
amabilita)  et  l'autre  la  résistance  de  la  volonté  contre  les  attaques  du 
découragement,  sont  donc  ascensionnelles,  tandis  que  celles  des  deux 
pièces  médianes  sont  conçues  en  dépression. 

Voici  l'analyse  de  l'œuvre  : 

i"  Moderato  cantabile  molto  espressivo  |,  en  la  b  .     .     .       Tj^pe   S. 
Exp.  Th.  A  en  deux  éléments  caractéristiques  : 

—  —     a'  thème  générateur  qui  deviendra  le  sujet  de  la  Fugue  finale. 

—  —    a"  phrase  mélodique  assez  semblable  au  thème  de  la  Sonate  op.  58 

de  Haydn,  traité  déjà  par  Beethoven  dans  plusieurs  de  ses  oeuvres, 
notamment  dans  la  Sonate  op.  lo  n»  i  (voir  ci-dessus,  p.  33o): 


É? 


2^ 


T.@ 


—  Pont  très  agogique. 

—  Th.  B.,  en  trois  phrases  î 

—  —    b' ,  qui  est  une  simple  préparation  : 


®  ■  '^v- 


SONATES  POUR  PIANO 
b",  qui  affirme  la  tonalité  : 


36/ 


—        —     b" ,  qui  conclut  : 


Dév.  très  court  exclusivement  fourni  par  l'élément  a',  en  fa,  RÉ  t>,  et  si  P- 
Réexp.  Th.  A.  à  la  T.,  accompagné  par  le  dessin  agogique  du  pont  :  l'élément 
a"  est  à  la  SD.  et  s'infléchit  vers  Ml  -  fa  \>. 

—  Pont,  en  Ml,   suivi   d'une    sorte  de  conduit,  toujours   en  MI,    qui   fait 

entendre  par  anticipation  le  dessin  de  la  phrase   b. 

—  Th.  B.  en  trois  phrases  (ô',  b",  è'")  dans  le  ton  principal. 

—  Dév.   term.   de   la   phrase    b'"   avec  Coda  par   le   dessin   du  pont   et 

retour  conclusifde  l'élément  principal  a' . 

i"  Allegro  molto  5,   en/a  (i) Type  M. 

Scherzo.  Th.  a  se  développant  et  concluant. 

Trio  en  RL\> . 

Da  capo.  Th.  a  en  fa  suivi  d'une  coda  en  fA,  enchaînée  au  mouvement  lent. 

3°  Adagio  ma  non  troppo  C  \\,  en  la  f,   et  Fiiga.  Allegro 
via  non  troppo  §,  en  L^  b Type  F. 

Interlude,  formé,  comme  dans  l'op.  106,  par  une  sorte  de  ritournelle  orches- 
trale alternant  avec  un  véritable  récitatif  sans  paroles,  du  genre  de  ceux 
qu'on  rencontre  dans  plusieurs  œuvres  du  maître  (Sonate- op.  3i  n»  2, 
derniers  Quatuors  à   cordes,    IXe  Symphonie,  etc.). 

Arioso  dolente.  Une  fois  le  ton  de  la  b  affirmé,  s'élève  en  forme  de  mélodie 
binaire  la  plus  poignante  expression  de  douleur  qu'il  soit  possible  d'en- 
tendre (2).  Trop  tôt  la  phrase  s'éteint  et  fait  place  à  laFiigue  finale,  à  laquelle 
elle  servait  de  Prélude. 

irc  FvGVE,  en  LA  b,  dont  le  5M/e/ est  fait  avec  l'élément  j' de  la /jrem/ère /</e'e  du 
mouvement  initial.  D'après  l'intention  même  de  l'auteur,  exprimée  par  les  indi- 
cations qu'on  trouvera  un  peu  plus  loin,  cette  première  fugue  dépeint  l'effort 
de  la  volonté  contre  la  souffrance  qui  demeure,  ici  encore,  la  plus  forte. 

(t)  Ce  Scherzo,  assez  énigmatique,  paraît,  en  tous  cas,  une  douloureuse  boutade,  un 
«  amusement  »  bien  amer.  C'est  ainsi,  ce  nous  semble,  qu'il  doit  être  interprété,  malgré 
l'opinion  contradictoire  de  certains  commentateurs  ;  le  classique  \V.  de  Lenz  [op.  cit.,  II, 
pv  19)  n'y  voit,  en  effet,  que  «  le  pas  de  charge  de  quelque  garde  romaine...  »,  tandis  que, 
selon  d'autres,  il  serait  la  paraphrase  d'une  chanson  d'étudiants  :  Du  bist  ein  liederlich... 

(i)  Voir  !"■  liv.,  p.  44,  l'analyse  mélodique  de  cette  phrase  binaire  subdivisée  en  quatre 
périodes. 


08  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Anoso  dolente,  en  sof.  La  reprise  désolée,  angoissée,  de  cette  cantilène,  semble 
nous  faire  assister  aux  derniers  spasmes  d'une  agonie  morale,  représentée 
dans  le  plan  musical  par  cette  tonalité  si  lointaine  et  si  étrange  de  50/. 
Cependant,  la  volonté  a  triomphé  r  l'harmonie  plus  claire  de  SOL,  s'affirmant 
en  appels  répétés  d'accords  de  tonique,  semble,  par  un  formidable  crescendo, 
souleverla  pierre  presque  scellée  déjà  sur  la  tombe  muette  :  la  vie  va  renaître. 

2e  Fugue  en  SOL.  Le  sujet  de  la  première  fugue,  présenté  ici  par  mouvement 
contraire,  semble  indiquer  la  résurrection  de  l'être  encore  hésitant  et  déprimé 
qui  voit  à  nouveau  la  lumière  du  jour.  Et  toutes  ces  allégories  ne  sont  certes 
pas  hypothétiques  :  car  Beethoven  nous  a  notifié  lui-même  ses  intentions 
par  la  double  indication  «  Perdendo  le  fonje  »  et  «  Poi  a  poi  di  nuovo 
vivante  »,  inscrite  de  sa  main,  au  moment  de  la  reprise  de  VArioso  en  sol  et 
au  retour  de  la  Fugue  en  SOL  par  mouvement  contraire. 

—  Les  forces  reviennent  en  effet,  et  Ton  se  rapproche  de  plus  en  plus  du  ton 
principal,  L^  b  :  le  sujet  revenu  à  son  état  direct,  cette  fois,  apparaît  de  nou- 
veau en  valeurs  syncopées  et  augmentées,  comme  si  le  malade,  encore  chan- 
celant, s'exerçait  a  la  marche  (l'exposition  du  sujet  est  alors  en  sol  et  en  «0- 
Enfin,  sur  la  dernière  exposition,  au  ton  initial  de  LA  b,  s'élève  une  sorte 
d'hvmne  enthousiaste  d'action  de  grâces,  amplifiant  victorieusement  la  phrase 
mélodique  pour  amener  la  conclusion  triomphale  de  cette  œuvre,  qui  est  et 
restera  un  type  d'éternelle  beauté. 

Sonate  op.  III.  —  Dédiée  à  l'archiduc  Rodolphe  (i). 
- —  Composée  en  1822. 

—  Éditée  en  avril  1823,  chez  Schlesinger. 

—  En  deux  mouvements  (S.  L.)  : 

1"  Maestoso  et  Allegro  cou  brio  ed  appasionato  C,  en  ut.  .       Type  S. 

Introduction  :  Maestoso,  qui  contient  tous  les  éléments  appelés  à  constituer 
la  cellule  a  de  V Allegro  qui  suit: 


Elément  liarmoniqiie  : 

Maesfoso  ^ 


(i)  Lire  dans  W.  de  Lenz  {op.  cit.,  Il,  p.  ai  à  34)  l''s  très   curieuses   et  très  inté  essantes 
observations  que  lui  suggéra  cette  dernière  Sonate  de  Beethoven. 


SONATES  POUR  VIOLON  369 

Exp.  Th.  A  :  Phrase  complète  tirée  de  celte  cellule  a,  très  typique  et  analogue 
à  celle  du  thème  qui  accompagne  la  scène  de  la  mort  de  Claerchen, 
dans  Egmont. 

—  font  par  a. 

—  Th.  B,  en  1.^4 1>,  en  deux  phrases  : 

—  —    b'  mélodie  très  proche  parente  de  celle  de  la  seconde  idée  du  finale, 

dans  l'op.  27  no  2. 

—  —     b" ,  trait  accompagné  par  a. 
Dév.  court  de  la  cellule  a. 

Réexp.  Th.  A,  en  ut  tx  fa. 

—  Pont  de/a  à  la  Z).  d'C/r. 

—  Th.  B  :  Z>    en  C/r,  vers /a. 

—  —  b"  en  ut. 

—  Phrase  concluante,  par  a  en  UT. 

1°  Arietta.  Adagio  molto  semplice  e  cantabile  ^,  en  UT.    .     T3'pe  LV. 

Th.  binaire  avec  reprises  et  quatre  variations. 
Développement,  reprise  du  thème  et  développement  terminal. 


12.    —    SONATES    POUR    VIOLON   ET    POIR    VIOLONCELLE, 

Sonates  pour  violon.  —  L'intérêt  artistique  et  musical  de  ces  Sonates, 
au  nombre  de  dix,,  est  notablement  inférieur  à  celui  des  trente-deux 
Sonates  pour  piano  que  nous  venons  d'analyser  :  trois  ou  quatre,  tout 
au  plus,  méritent  de  retenir  notre  attention. 

Les  deux  dernières  des  trois  Sonates,  op.  3o,  dédiées  à  l'empereur 
Alexandre  (1802),  sont  à  rapprocher,  par  leur  caractère  thématique,  de 
la  Sonate  pour  piano,  op.  10  n*»  3  :  l'une  de  ces  deux  Sonates  est  en  ui 
€t  l'autre  en  50L.  Celle-ci  contient  un  Menuet  dont  le  trio  reproduit 
presque  textuellement  le  thème  de  la  Sonate,  op.  38,  de  Haydn,  maintes 
fois  rencontré  déjà  dans  l'œuvre  de  Beethoven  (op.  10  n°  i,  op.  iio 
etpassim);  cette  même  Sonate  en  sol  se  termine  par  un  gai  Rondeau  à 
ciuq  refrains  où  nous  pouvons  lire,  semble-t-il,  l'expression  bien  vivante 
de  la  bonne  humeur  d'un  Beethoveen  errant  sur  les  collines  des  envi- 
rons de  Vienne. 

La  Sonate  en  /a,  op.  47,  est  universellement  connue  sous  le  nom  de 
Sonate  à  K7^eiit:{er{i8o3)^  bien  que  le  célèbre  auteur  des  Études  (i)  ne 
l'ait  pas  jouée  une  seule  fois  en  public,  la  trouvant  «  de  peu  d'effet  ». 
Malgré  sa  notoriété,  cette  Sonate  n'est  nullement  l'une  des  meilleures 
de  Beethoven.  Il  faut  signaler  pourtant  dans  le  mouvement  initial  et 
dans  le  finale,  tous  deux  du  type  S,  un  essai  d'intervention  de  la 
première  idée  dans  l'exposition  de  la  seconde  :  cette  sorte  de  pénétra- 

(i|  Rodolphe  Kreutzer,  violoniste,  naquit  à  Versailles  en  i76t)  et  mourut  à  Genève  en 
i83i  :  son  ouvrage  le  plus  connu  consiste  en  40  Éludes  ou  Caprices  que  tous  les  virtuos:» 
du  violon  ont  plus  ou  moins  travaillé-- 

Cours  de  co.MPOsnio.N.  —  t.  11,  1  94 


37° 


LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 


tion  mutuelle  des  deux  thèmes  devait  être  réalisée  beaucoup  plus  com- 
plètement, par  Beethoven,  dans  ses  Quatuors  (i). 

Seule,  la  Sonate,  op.  96,  composée  en  181 2,  dédiée  à  l'archiduc 
Rodolphe  et  éditée  seulement  en  18 16  à  Vienne,  chez  Steiner,  diffère 
de  toutes  les  autres  par  sa  poésie  et  son  intérêt.  Dans  son  premier 
mouvement,  en  sol,  d'une  exquise  fraîcheur  mélodique,  il  faut  remar-^ 
quer  surtout  la  seconde  idée  et  le  charmant  dessin  de  sa  troisième 
phrase  [b"')  : 


il  est  bien  rare  que  les  virtuoses  interprètent  cette  phrase  de  façon  à  eir 
dégager  l'expression  rêveuse  que  l'auteur  a  voulu  lui  donner. 

U Adagio^  de  forme  Lied-Sonate  {sans  développement),  est  en  Mi\>  : 
le  charme  pénétrant  de  sa  mélodie  exige,  comme  la  phrase  précédem- 
ment citée,  une  grande  intensité  d'expression. 

Cet  Adagio  s'enchaîne  au  Scher^o^  en  50/,  sorte  d'antithèse  entre  la 
rusticité  sauvage  d'une  danse  de  rudes  paysans  {schen^o  proprement 
dit)  et  la  suavité  d'une  valse  citadine  lointaine  {t?'io  en  MI  \>  )  dont  le 
vent  apporte  l'écho  jusque  dans  l'auberge  du  village. 

Le  finale,  en  forme  de  Thème  varié,  sur  une  chanson  populaire  con- 
nue, participe  également  de  ces  impressions  campagnardes,  mais  noa 
triviales: 

F 1  .    fa    .     tu  .   Il, 


Ainsi,  toute  la  Sonate  pourrait,  à  plus  juste  titre  que  l'op.  28,  porter 
la  dénomination  de  «  pastorale  »  ;  elle  semble  le  résumé  du  Trio, 
op'.  97,  composé  un  an  auparavant  et  dédié  également  à  l'archiduc 
Rodolphe  ;  le  sentiment  général  est  le  même  dans  les  deux  œuvres, 
avec  une  plus  grande  puissance  expressive,  toutefois,  dans  cet  admirable 
Trio  qui  sera  étudié  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre. 

Sonates  pour  violoncelle.  —  Ces  cinq  Sonates,  sans  valoir  musicale- 
ment celles  pour  piano  seul,  méritent  cependant  d'être  étudiées  d'assez, 
près,  en  raison  de  leur  architecture  particulière. 

Il  faut  remarquer   d'abord    que  l'adjonction  d'un  instrument  essen- 


(i)  Voir  la  SeconJe  Partie  du  présent  Livre. 


SONATES  POUR  VIOl.ONCEl.l.E  I71 

tiellement  c/2c7«/^Mr,  comme  le  violoncelle,  oblige  la  plupart  du  temps  à 
une  double  exposition  de  chaque  phrase  mélodique,  ce  qui  donne  aux 
secondes  idées  une  durée  notablement  plus  longue  que  dans  les  Sonates 
pour  piano.  En  outre,  et  probablement  pour  une  raison  de  symétrie, 
quatre  de  ces  Sonates,  sur  cinq,  s'ouvrent  par  une  Introduction  lente 
aussi  développée  et  aussi  importante  que  les  Préludes  dans  les  Suites 
de  la  dernière  époque  (voir  ci-dessus,  p.  145  et  suiv.). 

Les  deux  premières  Sonates  pour  violoncelle,  op.  5,  en  fa  et  en 
50/,  écrites  en  179D  et  1797  et  dédiées  au  Roi  de  Prusse,  sont  en  deux 
mouvements  [Allegro  et  Rondeau)  précédés  d'une  IntrodixCtion. 

Si  la  seconde  idée  de  chacun  des  Allégros  initiaux  est  longue  et 
détaillée,  par  contre,  celle  des  Rondeaux  est  à  peine  indiquée,  ce  qui 
démontre  bien  la  différence  faite  par  l'auteur  entre  ces  deux  formes, 
tant  au  point  de  vue  thématique  qu'au  point  de  vue  architectural.  Le 
Rondeau  de  l'op.  5  n**  2  a  six  refrains;  c'est  l'un  des  plus  longs  qu'ait 
écrits  Beethoven. 

La  troisième  Sonate,  op.  69,  en  la  (1808),  dédiée  au  baron  van 
Gleichenstein,  est  en  trois  mouvements  ;  V Introduction  lente  s'y  trouve 
placée  avant  le  finale  ;  celui-ci,  de  même  que  le  mouvement  initial,  est 
du  type  S. 

Les  deux  dernières  Sonates,  op.  102  (181  5),  dédiées  à  la  comtesse 
Erdôdy  (i),  demandent  un  examen  plus  détaillé. 

La  Sonate  op.  102  n°  i,  en  ut,  est  composée  de  trois  mouvements; 
le  premier  et  le  dernier  offrent  un  nouvel  aspect  du  type  S,  par  suite 
de  modifications  importantes  dans  leurs  secondes  idées,  ou  plutôt  dans 
ce  qui  en  tient  lieu  :  car  Beethoven,  dérogeant  ici  à  ses  propres  habi- 
tudes dans  ses  autres  oeuvres  pour  violoncelle,  a  supprimé  de  ces 
deux  morceaux  presque  toute  la  longue  exposition  d'allure  féminine 
appartenant  d'ordinaire  à  la  seconde  idée.  Peut-être  a-t-il  jugé  que 
l'admirable  efflorescence  mélodique  de  V Introduction,  en  UT,  rendait 
superflu  tout  autre  élément  de'  même  nature.  Cette  opinion  serait  assez 
plausible,  si  l'on  remarque  que  le  thème  d'Introduction  reprend  sa 
place  au  milieu  de  V Adagio  et  détermine,  par  sa  seule  péroraison 
rythmique,  l'entrée  subite  du  thème  final: 


*#H^ 


(I)  Dans  la   première   édition   parue  en  France,   l'op.    102    porte   la  dé  ticacc  :  ^    son  ami 
M.  Charles  Necte,  mais  cette  indication  semble  dénuée  de  tout  fondement. 


373  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Les  secondes  idées  des  mouvements  extrêmes  sont  icî  à  peu  près 
inexistantes  mélodiquement  :  il  faut  plutôt  les  considérer  comme  une 
sorte  d'émanation  des  idées  initiales^  reparaissant  dans  le  ton  occupé 
d'ordinaire  par  la  seconde  idée.  Cette  modification  de  la  forme  Sonate 
semblerait  la  rapprocher  de  la  forme  Suite;  une  tentative  de  retour  à 
cette  même  forme,  magnifiquement  traitée,  se  retrouvera  aussi  dans 
les  derniers  Quatuors  (i). 

Enfin,  exemple  unique  dans  l'œuvre  beethovénien,  le  premier  mou- 
vement, en  rythme  de  MaTxhe,  comme  on  en  rencontre  assez  fré- 
quemment dans  les  œuvres  de  la  troisième  manière  (Sonate  op.  loi, 
XV^  Quatuor,  etc.),  n'est  pas  en  c/r,  ton  principal  du  cycle,  mais  au 
relatif,  la.  On  peut  en  conclure,  non  seulement  que  Beethoven  consi- 
dérait les  deitx  modalités  d'un  même  ton  comme  une  seule  tonalité,  ce 
qui  est  parfaitement  logique,  mais  encore  qu'il  attachait  une  impor- 
tance primordiale  à  la  mélodie  de  V Introduction  dont  il  faisait,  en 
raison  de  sa  beauté,  le  principe  de  l'œuvre  entière  (2). 

Voici  l'analyse  de  cette  Sonate  : 

i^  Introduction^  en  ut,  par  une  large  mélodie  de  forme  lied.,  évoluant 
autour  du  dessin  générateur  qui  semble  lui  servir  de  pivot  : 


cette  Introduction  est  reliée  à  V Allegro  par  une  cadence  suspensive. 

2°  Allegro  vivace  0,  en  /ti Type  S  (modifié). 

Exp.  Th.  A,  très  court,  en  la,  avec  inflexion  vers  le  pont  ; 

—  Pont  mélodique  de  six  mesures  seulement  ; 

—  Th.  D»,  en  mi,  offrant  l'aspect  d'un  complément  de  P,  et  de  A,  plutôt  que 

d'une  véritable  idée  : 


f.—^ 


—    Cet'e  phraae  unique    se   répète   deux  fois  et  se  termine  par  une  coda  sur 
le  rythme  de  a. 

(i)  Voir  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre. 

(al  il  n'est  point  étonnant  que  de  pareilles  atteintes  portées  à  la  convention  formelle  aient 
eomplètement  dérouté  les  critiques  d'art,  aussi  peu  clairvoyants  à  cette  époquV  que  de  nos 
jours.  C'est  pourquoi,  sans  oser  blâmer  ex  professa  un  génie  qui  commençait  à  être 
réputé,,  le  critique  de  YAllgemeine  Musik  Zeitung  (1818,  p.  792)  émet,  au  sujet  de  celte 
Sonate,  l'opinion  ^eu  compromettante  «  qu'elle  appartient  au  haut  goût  le  plus  étrange  et 
le  plus  inaccessible...  » 


SONATES  POUR  VlOl.ONXELLE  37? 

Dév.  très  court,  fourni  presque  entièrement  par  A  et  par  un  épisode  tire  de  B  ; 


^^^ 


Réexp.  normale  avec  conclusion  en  la. 

3°  Adas^no  consistant  en  une  phrase  de  forme  bDidirc,  en  LT,  qui 
émane  très  certainement  de  la  mélodie  de  VhiU'oduction  :  cette  mélodie 
elle-même  reparaît  in  extenso^  après  V Adagio^  pour  servir  d'enchaîne- 
ment au  finale. 

4*  Allegro  vivace,  tn  UT Type  S  (modifié). 

Exp.  Th.  A,  en  UT. 

—  Font  et  th.  B,  en  SOL,  ne  formant,  pour  ainsi  dire,  qu'un  seul  corps. 
Dév.  très  court. 

Réexp.  conforme  à  Vexposition. 

—  Dev.  term.,  plus  important  que  le  dév.  central,  pour  clôturer  toute  l'oeuvre. 

L'op.  102  n°  2,  en  /?£",  est  la  seule  Sonate  pour  violoncelle  qui  n'ait 
point  d'Introduction.  Le  premier  mouvement  est  régulier,  et  l'on  peut 
estimer  VAdagio  l'une  des  plus  hautes  inspirations  mélodiques  de 
Beethoven;  sa  forme  est  simple  :  c'est  un  Lied  en  trois  sections  dont  la 
dernière  est  enchaînée  par  un  conduit  avec  le  finale-Fugue  ;  mais  com- 
bien ce  chef-d'œuvre  dépasse  l'ancien  Andante-Lied  de  Haydn  et  de 
Mozart,  au  point  de  vue  de  la  signification  expressive  !...  Une  phrase 
ternaire,  en  ré,  s'impose  :  calme  en  sa  première  période,  elle  s'émeut 
dans  la  deuxième,  jusqu'au  cri  de  douleur,  tandis  que  la  troisième 
période,  pleis  courte,  semble  ramener  la  confiance  et  la  tranquillité. 
Bientôt,  dans  la  ii*  section  du  Lied,  en  RÉ  [i],  apparaît  une  céleste  mé- 
lodie qui  plane  et  chante  jusqu'au  retour  du  thème,  troublé  cette  fois 
par  un  dessin  plus  inquiet.  Le  thème  terminé,  une  nouvelle  phrase 
mélodique  s'élève,  pour  préparer  le  finale  dans  lequel  s'accuse  la  pré- 
dilection de  Beethoven  pour  la  Fugue,  à  cette  époque  de  sa  vie. 

On  voit  par  ces  quelques  observations  que  les  Sonates  pour  violon- 
cf//t?  méritent,  plus  que  les  Sonates  pour  violon,  de  retenir  l'attention 
des  musiciens,  car  elles  contiennent,  sous  le  rapport  de  la  construction, 
une  plus  grande  part  d'innovation  ;  leur  intérêt,  toutefois,  ne  saurait 
être  mis  en  parallèle  avec  celui  des  Sonates  pour  piano. 

(i)  Comme  nous  le  verrons  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre,  César  Franck, 
dans  son  i*'  Trio,  en  fa  i  .  semble  être  parti  d'une  idée  similaire.  Dans  le  preuiier  mouve- 
ment de  ce  Trio,  le  second  thème,  qui  régit  l'œuvre  entière,  parafi  assez  proche  parent 
de  la  mélodie  beethovénienne  en  RÈ- 


374  LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Celles-ci,  en  effet,  constituent  avec  les  neuf  Symphonies  et  les 
seqe  Quatuors  à  cordes  un  monument  incomparable,  dont  les  inépui- 
sables enseignements,  la  durée  déjà  séculaire  et  la  constante  sincérité 
réalisent  au  plus  haut  degré  de  perfection,  dans  le  domaine  de  la 
musique  instrumentale,  les  conditions  essentielles  de  Vœupre  d'art^ 
telles  que  nous  les  avons  exposées  dans  l'Introduction  du  Premier 
Livre  de  ce  Cours  (i). 

Sans  doute,  le  but  didactique  de  cet  ouvrage  nous  obligeait  à  donner 
ici  la  première  place  aux  enseignements  techniques  contenus  dans 
l'œuvre  beethovénien,  à  les  exposer  le  plus  nettement  possible, 
à  en  faire  ressortir  enfin  l'importance  primordiale  par  de  nombreux 
exemples  et  des  commentaires  détaillés.  Mais  il  n'en  faudrait  pas  con- 
clure que  les  lois  de  structure  organique  et  tonale,  indispensables  à 
toute  composition  musicale,  aient  pu  se  confondre  à  aucun  moment 
dans  notre  esprit  avec  la  musique  elle-même. 

De  telles  lois,  comme  toutes  les  lois,  ne  sont  à  aucun  degré  l'ex- 
pression de  volontés  ou  de  caprices  individuels  ou  collectifs  :  elles 
résultent  d'un  état  de  choses  qu'elles  contribuent  à  ordonner,  à  perfec- 
tionner et  surtout  à  conserver.  On  les  constate,  on  les  formule  :  on  ne 
les  crée  point.  Dans  la  musique  s3a'nphonique,  elles  se  vérifient  à 
chaque  instant,  mais  il  ne  suffirait  pas  de  les  appliquer  scrupuleuse- 
ment pour  devenir,  par  cela  même,  un  musicien  ;  et  elles  ne  sauraient 
nous  donner,  à  elles  seules,  la  «  révélation  de  la  musique  »,  pour  nous 
servir  d'une  expression  de  Beethoven,  à  qui  nous  donnons  ici  la  parole 
une  dernière  fois. 

Aussi  bien,  ce  chapitre  lui  étant  consacré  spécialement,  c'est  à  lui 
qu'il  appartient  de  conclure  : 

«  Ainsi  que  des  milliers  de  gens,  dit-il  (2),  se  marient  par  amour, 
«  chez  qui  l'amour  ne  se  révèle  pas  une  seule  fois,  bien  qu'ils  en 
«  fassent  le  métier,  ainsi  des  milliers  de  gens  cultivent  la  musique  et 
«  n'en  auront  jamais  la  Révélation .'  » 

(i)  Voir  I»'  liv.,  Introd.,  p.   14  et  i5. 
(3)  Conversation  avec  Bettina  Brentano. 


¥ 


V 

LA    SONATE 

CYCLIQUE 


Technique.  —  i.  L'unité  cyclique  dans  l'œuvre  d'art.  —  2.  Eléments  constitutifs  de  la  forme 
cyclique. 

•Historique.  —  3.  États  divers  de  la  Sonate  à  partir  de  Beethoven.  —  4.  Les  Contemporains 
de  Beethoven.  —  5.  Les  Romantiques.  —  6.  Les  Allemands  modernes.  —  7.  Les  Français: 
la  Sonate  cyclique. 


TECHNIQUE 

I .  —  l'unité  cyclique  dans  l'œuvre  d'art. 

La  Sonate  cyclique  est  celle  dont  la  construction  est  subordonnée  à 
certains  thèmes  spéciaux  reparaissant  sous  diverses  formes  dans  cha- 
cune des  pièces  constitutives  de  l'œuvre,  où  ils  exercent  une  fonction  en 
quelque  sorte  régulatrice  ou  unificatrice. 

Le  caractère  cyclique  dû  à  la  présence  de  ces  thèmes  permanents^  de 
ces  motifs  conducteurs^  qui  donnent  aux  différents  mouvements  ou 
morceaux  d'un  ouvrage  musical  l'aspect  d'un  cycle  de  pièces  dépen- 
dantes nécessairement  l'une  de  l'autre,  n'est  pas  spécial  à  la  Sonate. 
Mais,  comme  la  Sonate  est  le  prototype  de  toutes  les  formes  sympho- 
niques  devenues  cycliques  après  elle,  c'est  à  propos  de  la  Sonate  qu'il 
convient  d'étudier  au  point  de  vue  technique  les  éléments  de  la  forme 
cf  clique^  fournis  pour  la  plupart  par  le  génie  beethovénien,  bien  avant 
d'être  organisés  consciemment  et  dans  toute  leur  plénitude  par  César 
Franck. 

Le  qualificatif  cyclique  est  applicable  en  premier  lieu  aux  motifs  et 
aux  thèmes  qui,  tout  en  se  modifiant  notablement  au  cours  d'une  com- 
position musicale  divisée  en  plusieurs  parties,  demeurent  présents  et 
reconnaissables  dans  chacune  de  celles-ci,  indépendamment  de  la  struc- 
ture,  du  mouvement  ou  de  la  tonalité  qui  lui  est  propre. 


3/6  LA  SONATE  CYCLIQUE 

Par  une  extension,  ou  plutôt  par  une  restriction  toute  naturelle,  la 
cellule  qui  contient  un  motif  cyclique  ou  la  pé?^iode  qui  contient  un 
thème  cyclique  sont  dites  cycliques  elles-mêmes  (i).  Enfin,  une /orme 
musicale  (Sonate,  Quatuor,  Symphonie,  etc.)  sera  dite  pareillement 
cyclique  si  elle  contient  des  motifs  ou  des  thèmes  ayant  un  tel  caractère 
et  une  telle  fonction.  Et  cette  fonction  consiste  en  définitive  à  accroître 
la  cohésion  existant  entre  les  diverses  parties  d'une  œuvre,  à  renforcer 
Vunité  synthétique  de  celle-ci  :  l'application  de  ce  terme  à  la  musique 
est  donc  peu  différente  de  son  acception  usuelle  en  matière  de  littéra- 
ture, de  poésie  ou  de  toute  autre  œuvre  d'art. 

C'est  en  effet  l'idée  d'unité^  de  retour  au  point  de  départ,  au  principe 
commun  ou  au  personnage  permanent,  après  un  parcours  plus  ou 
moins  développé,  qui  fit  très  probablement  recourir  à  cette  expression 
imagée  du  cycle,  empruntée  tout  à  la  fois  à  la  géométrie  et  à  la  sym- 
bolique, où  le  cetxle  (xuxXo;)  figure  la  proportion  parfaite,  la  trinité 
dans  Timité  ;  et  c'est  en  ce  sens  qu'on  a  pu  légitimement  qualifier  un 
triptyque,  cycle  de  tableaux,  ou  une  trilogie,  cycle  de  tragédies. 

Mais,  de  même  que  trois  tableaux  quelconques  ne  forment  pas  néces- 
sairement un  triptyque,  pas  plus  qu'une  succession  de  tragédies  de 
sujets  et  de  styles  différents  ne  constitue  une  trilogie,  ni  a /or//or/ un 
cycle,  de  même  des  pièces  musicales  juxtaposées  ne  méritent  le  nom 
de  cycle  que  dans  la  mesure  où  elles  sont  subordonnées  à  un  lien  com- 
mun, à  une  unité  de  pensée,  de  forme,  de  tonalité  et  surtout  de  thèmes  ; 
car  le  rôle  du  thème  dans  la  composition  est  tout  à  fait  analogue,  ainsi 
que  nous  l'avons  constaté,  à  celui  du  personnage  dans  la  littérature. 

Si  donc  nous  jetons  un  coup  d'œil  rétrospectif  sur  la  lente  élabora- 
tion du  cycle  Sonate  qui  fait  l'objei  de  la  section  technique  du  présent 
chapitre  (2),  nous  en  trouverons  l'origine  très  éloignée  dans  Vunité  tonale 
des  formes  Prélude  et  Fugue  (voir  ci-dessus,  p.  64),  puis  des  danses. 
Pavane  et  Gaillarde,  Can^ona  (voir  p.  104)  et  enfin  des  Suites  de  danses 
groupées  intentionnellement  dans  un  certain  ordre. 

Avec  la  forme  Sonate,  on  a  vu  l'idée  d'unité  s'affirmer  d'abord  par  la 
suppression  des  pièces  de  même  mouvement  faisant  double  emploi,  et 
la  réduction  de  leur  nombre  aux  quatre  types  principaux  (Sonate,  Lent, 
Modéré,  Rapide);  puis,  par  la  dépendance  tonale  plus  rigoureuse  des 


(i)  On  a  vu  au  chapitre  précédent  (p,  333,  345  et  suiv.)  plusieurs  exemples  de  thèmes 
ou  de  motifs  véritablement  cycliques.  Nous  les  désignons  plus  spécialement  par  les  der- 
n  ères  lettres  de  l'alphabet  :  x,  y,  ^. 

(a)  Certaines  considérations  pratiques  qui  seront  exposées  plus  loin  (p.  889  et  Bgo)  ont 
eu  pour  résultat  de  faire  annexer  à  la  section  historique  de  ce  même  chapitre  une  notable 
(juantité  de  compositeurs  dont  les  Sonates  ne  contiennent  pas  la  moindre  trace  d'unjfc 
cyclique. 


L'UNITÉ  CYCLIQUE  DANS  LOEUVRE  D'ART  377 

morceaux,  l'un  par  rapport  à  l'autre  ;  entin,  par  le  rôle  grandissant  de 
la  personnalité  thématique. 

Seule,  en  effet,  cette  conception  beethovénienne  du  thème-personuas-e 
pouvait  permettre  l'unification  cyclique  des  divers  morceaux,  de  même 
que  les  personnages  principaux  des  tableaux  légendaires,  des  tragédies 
ou  des  poèmes  épiques  avaient  inspiré  les  triptyques,  les  trilogies  et  les 
cycles^  véritables  monuments  de  l'art. 

Parvenue  à  ce  degré  de  perfection,  la  Sonate  cyclique  (ou  toute 
oeuvre  symphonique  construite  d'après  les  mêmes  principes)  devient, 
elle  aussi,  un  monument  architectural,  en  raison  de  cette  étroite  affinité, 
maintes  fois  signalée  par  nous,  entre  la  composilion  et  la  construc- 
tion (i). 

Comme  une  «  cathédrale  sonore  »,  cette  Sonate  s'ouvre  devant  nous 
par  un  portail  grandiose  dont  les  formes  sculpturales  nous  font  pres- 
sentir déjà  quel  est  le  Dieu  qui  l'habite,  quel  est  le  saint  à  qui  elle  est 
vouée.  Répondant  au  geste  bienveillant  de  ce  portail  symbolique,  écou- 
tons l'appel  d'introduction  qui  nous  est  fait  :  découvrons-nous  respec- 
tueusement et  pénétrons  dans  l'immense  nef.  Tandis  que  s'expose  et 
se  réexpose  à  l'infini  dans  chacun  des  bas-côtés  la  pieuse  idée  de  l'artiste, 
le  vaisseau  central  s'appuie,  de  travée  en  travée,  sur  les  piliers  que  la 
courbe  ouvragée  de  la  voûte  ogivale  relie  l'un  à  l'autre  en  d'harmo- 
nieux développements.  Examinons  de  plus  près  ces  chapiteaux  :  tel 
d'entre  eux  ne  reproduit-il  pas,  dans  une  attitude  différente,  le  person- 
nage, le  motif  que  le  portail  introducteur  nous  avait  proposé  une  pre- 
mière fois  ? 

Toujours  guidés  par  ces  figures  cycliques  d'un  intérêt  croissant,  nous 
voici  parvenus  à  l'extrémité  de  la  grande  nef  :  le  premier  morceau  de 
l'œuvre  est  achevé.  Parfois  se  dresse  ici  un  obstacle  qui  retarde  encore 
notre  entrée  dans  le  sanctuaire  :  richement  vêtu  de  ses  mille  figurines 
en  miniature  où  éclate  la  joie  du  sculpteur,  le  jubé  s'interpose  et  semble 
distraire  un  instant  notre  vue,  ainsi  que  le  gai  Scherzo,  où  se  répètent  les 
petits  thèmes  brefs  et  joyeux,  repose  notre  oreille  avant  les  émotions 
intimes  et  profondes  de  la  pièce  lente,  du  Saint  Lieu  qui,  le  plus  sou- 
vent, fait  suite  à  la  nef  principale  sans  transition,  sans  jubé...,  sans 
Scher:{0. 

Calme  et  recueilli,  le  transept  étale  alors  devant  nous  sa  construction 
ternaire.  Entre  ses  branches  latérales,  alpha  et  oméga,  commencement 
et  fin,  s'élève  le  choeur,  point  culminant  de  l'œuvre  entière,  d'où 
rayonne  toute  clarté,  car  tout  y  chante  la  gloire  de  Dieu,  comme  en  un 
Lied  sacré  dont  la  phrase  centrale,  différente  des  deux  redites  qui  Ten- 

(i)  Voir  notamment  1"  liv.,  Introd.,  p.  7,  et  ci-dessus:  Inirod.,  p.  ij  ei  suiv. 


-578  LA  SONATE  CYCLIQUE 

cadrent,   s'épanouit  en  accents  sublimes  où  l'âme  inspirée  de  l'artiste 
s'exhale  ineffablement. 

Sitôt  que  s'est  éteinte  cette  lente  mélodie,  nos  yeux  s'élèvent  et  ren- 
contrent les  galeries  supérieures  qui  tournent  autour  du  chœur  avec 
leurs  arcades  finement  ciselées  et  groupées  en  ti'ios  :  ici  est,  en  effet,  la 
place  normale  du  Scherzo,  dont  les  fines  arabesques  frapperont  joyeuse 
ment  notre  oreille  et  reposeront  notre  cœur  encore  ému  des  graves 
impressions  de  l'autel  où  s'est  accompli,  lentement,  le  sacrifice. 

Nous  parcourons  enfin  les  chapelles  de  l'abside  qui  se  succèdent  et 
alternent  régulièrement  comme  des  j^efrains  et  des  couplets,  entre 
lesquels  circulent  encore  des  ornements  ou  des  motifs  déjà  connus  de 
nous  :  ce  sont  ces  personnages  s3''mboliques,  ces  thèmes  conducteurs 
apparus  tour  à  tour  au  portail  d'introduction,  aux  développements  de 
la  nef,  aux  décorations  variées  du  transept.  Et  nous  saluons  pieusement 
leur  retour  dans  ce  chemin  de  ronde,  dans  ce  Rondeau  terminal  moins 
sévère...,  «  dernier  refuge  »  aussi,  par  quoi  s'achève  dignement  l'édifice, 
le  monument,  —  sonore  ou  architectural,  —  œuvre  de  rayonnante  beauté, 
œuvre  cyclique  d'  «  unité  dans  la  variété,  exprimant  la  grandeur  et 
«  l'ordre  »  (i). 

2.  —  ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS  DE  LA  FORME  CYCLIQUE. 

La  comparaison  tout  allégorique  que  nous  venons  d'établir  entre 
la  Sonate  et  la  Cathédrale  a  pour  but  de  montrer  que  le  principe  d'unité 
peut  seul  donner  à  une  composition  le  caractère  monumental  ou 
cyclique.  Sans  doute,  les  rapports  ou  proportions  de  rythme  ou  de 
symétrie  entre  les  diverses  parties  d'une  œuvre,  leurs  relations  de 
tonalités  manifestent  déjà  une  intention  d'unité  ;  mais  cette  intention  ne 
devient  accessible  à  l'auditeur  que  par  la  forme  dans  laquelle  elle  se 
réalise  ;  l'idée  d'unité,  en  elle-même^  ne  suffirait  pas  à  constituer  la 
composition  cyclique,  si  elle  n'était  en  outre  exprimée,  transmise  k 
l'aide  de  signes  extériew^s  (2)  aisément  reconnaissables.  Ainsi,  le  véri- 
table élément  cyclique  apparaît  seulement  dans  la  réalisation,  lorsque 
certains  aspects  rythmiques,  mélodiques  ou  harmoniques  rappellent, 
dans  l'une  des  pièces  constitutives  de  l'œuvre,  la  présence  d'un  thème 
appartenant  originairement  à  une  autre  pièce  de  la  même  œuvre. 

La  fonction  conductrice  ou  unifiante  des  motifs  ou  des  thèmes  cycli- 
ques, communs  à  plusieurs  mouvements  d'une  même  composition  s3'-m- 
phonique,  ne  doit  pas  être   confondue  avec  le  rôle  des  idées  musicales 

(i)  Charles  Lévcque:  La  Science  du  Beau, 
(a)  Voir  I"  liv,,  Introd.,  p.  9  et  10. 


ÉLÉMENTS  CONSTITUTK'S  379 

dans  les  expositions  et  les  développements  d'un  seul  et  même  morceau 
de  l'un  des  quatre  types  fondamentaux  (S.  L.  M.  R.;  :  il  ne  s'agit  plus, 
en  effet,  d'examiner,  comme  nous  l'avons  fait  précédemment  (p.  234  et 
suiv.),  l'élaboration  d'iuie  seule  idée  musicale  à  l'aide  de  plusiews  cel- 
lules ou  périodes,  mais  la  formation  de  plusieurs  idées  musicales  gar- 
dant le  caractère  propre  à  chacun  des  mouvements  où  elles  s'exposent, 
et  pourtant  issues  d'une  seule  et  même  cellule  ou  d'une  seule  et  même 
période  génératrice.  De  telles  métamorphoses  thématiques  diffèrent 
aussi,  dans  la  plupart  des  cas,  du  développement  organique  (voir  ci-des- 
sus, p.  242  et  suiv.)  consistant  à  faire  agir  ou  mouvoir  un  thème  pré- 
exposé, à  l'amplifier,  à  l'éliminer  ou  à  le  combiner  avec  d'autres  :  les 
mêmes  mo3^ens  ne  suffisent  pas,  en  général,  pour  donner  au  thème  ou 
au  motif  C3xlique  l'aptitude  à  circuler  dans  des  pièces  de  caractère  dif- 
férent, tout  en  demeurant  reconnaissabje.  Cette  opération,  comme  on 
le  verra  au  chapitre  suivant,  tient  beaucoup  plus  de  la  variation  que  du 
développement. 

Comme  tout  phénomène  musical,  la  modification  cyclique  d'un  thème 
porte  nécessairement  sur  l'un  ou  l'autre  de  ses  éléments  constitutifs 
(rythme,  mélodie,  harmonie),  sinon  sur  plusieurs  à  la  fois.  Cette  dis- 
tinction élémentaire  semble  la  meilleure  pour  analyser  ici,  à  titre  d'in- 
dication, quelques  spécimens  de  ces  modifications  dont  l'inépuisable 
variété  défie  toute  tentative  de  classification  complète. 

Modifications  rythmiques.  —  Chaque  pièce  constitutive  d'une  œuvre 
cyclique  affectant  généralement  un  rythme  propre,  les  transformations 
de  cette  espèce  sont  de  beaucoup  les  plus  fréquentes.  Nous  en  avons 
rencontré  plusieurs  exemples  déjà  dans  les  Sonates  de  Beethoven  (i)  ; 
mais,  comme  l'étude  des  éléments  cycliques  n'est  pas  limitée  à  cette 
seule  forme  de  composition,  il  convient  ici  d'opérer  de  la  même  ma- 
nière que  pour  les  idées  musicales  (voir  ci-dessus,  p.  2  36  et  suiv.)  et 
d'élargir  notablement  le  choix  des  œuvres  contenant  des  exemples 
typiques. 

La  Symphonie  Pastorale,  op.  68,  contientune  application  plus  appa- 
rente et  sans  doute  plus  consciente  des  modifications  rythmiques  appor- 
tées à  divers  dessins  destinés  à  établir,  entre  le  mouvement  initial  et 
le  finale,  un  lien  cyclique  indéniable. 

On  connaît  déjà  (2)  la  modification  agogique,  c'est-à-dire  rythmique, 
subie  par  le  dessin  des  instruments  à  vent  à  la  fin  de  la  première  expo- 
sition, lorsqu'il  reparaît,  à  la  clarinette,  dans  l'introduction  du  finale  : 

(i)  Voir  notamment   lesop.  i3,  3i   n»  3,  67,  8r,  106,  1 10,   dont  les  analyses  ont  été  faites 
dans  la  section  historique  du  précédent  chapitre  (p.  333,  34?,  347,  353,  363  et  366.) 
{2)  Voir  I"  liv.,  p.  124. 


38o 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


Ali" 


Flùte        Û  I   ,, 


f£ 


Xlar. 


^m 


•^  dolc 


I 


i 


Seul,  le  rythme  diffère  ;  mais  ce  rythme  nouveau  et  moins  calme  du 
finale  ne  tardera  pas  à  engendrer  une  idée  nouvelle,  totalement  distincte 
de  la  phrase  du  mouvement  initial,  à  laquelle  elle  emprunte  pourtant 
le  rythme  et  le  dessin  de  sa  cellule  primitive  : 


violon 


Dans  la  même  Symphonie,  le  motif  qui  caractérise  l'entrée  de  la 
seconde  idée  dans  le  mouvement  initial  exerce  une  influence  cyclique 
sur  la  seconde  idée  du  finale,  par  une  modification  principalement  ryth- 
mique ; 


Violon 


Violon 


mais  ce  rappel  du  premier  mouvement,  au  lieu  d'être  le  point  de  départ 
d'une  nouvelle  mélodie,  apparaît  ici  plutôt  comme  un  aboutissement: 


< 


-O 


-4> 


1^ 


I  dessin  cycl ique 


^^^^^^^ 


^ 


iîflDJ^D 


TWf 


f 


/ 


Ni  l'une  ni  l'autre  des  deux  transformations rythmiquesque  nous  venons 
de  citer  n'ont,  à  proprement  parler,  le  caractère  de  développement  :  il 
est  à  peine  utile  d'en  faire  l'observation,  tant  est  différent  ici  l'emploi 
du  motif  cyclique. 

Le  Quintette  de  César  Franck  offre  un  exemple  remarquable  d'unité 
cyclique,  obtenue  à  l'aide  d'un  thème  unique  dont  le  rythme  seul  se  mo- 
difie dans  chacune  des  trois  pièces  constitutives  de  Toeuvre,  tandis   que 


ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS 


381 


sa  ligne  mélodique  et  ses  harmonies  très  spéciales  subsistent  immua- 
blement (i). 

Dans  VAlleg-ro  initial,  cette  plainte,  tantôt  mystérieuse,  tantôt    vio- 
lente, apparaît  pour  la  première  fois  au  piano  sous  deux  aspects  ryth- 
miques différents,  avant  de  prendre  part  à  la  lutte  dramatique   des  au 
très  thèmes  : 


Allecro     ^.^^ 


AIlCLTO 


1-,   r'^  Ug'.>i»    '    m- 


y*       molli 


^:::^fHf-^ZÎ 


etc. 


Dans  la  pièce  lente,  elle   semble  planer   seulement  sous  une  forme 
rythmique  plus  alanguie   et  en  quelque  sorte  éloignée  par  sa  tonalité  : 


Lenlo  con   molto  senfimento 


0...  Éi^ë 


Piano 


■0-  ^  I  ♦•■  ■»■<: 


r^ 


Dans  le  finale,  elle  se  fait  entendre  d'abord  avec  le  même  rythme    et 


(i)  Ainsi  qu'on  le  démontrera  dans  la  Seconde  Partiedu  présent  Livre»cn  étudiant  spécia- 
lement le  Quintette  de  Franck,  ce  thème  cyclique  offre  une  particularité  remarquable  que 
nous  tenons  à  signaler  :  les  deux  membres  de  phrases  qui  le  constituent  sont  l'inversion  à 
peu  près  exacte  l'un  de  l'autre.  Les  quatre  tuestires  du  premier  membre,  citées  ci-dessus, 
contiennent  donc  tout  le  thème:  il  suffît  de  rtf^jvers^rle  sens  de  leurs  intervalles  pour  donner 
naissance  mclodiquement  au  second  membre  de  phrase. 


38a 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


la  même  tonalité  que  dans  la  pièce  lente,  mais  l'expression  est  tout  à 
fait  différente  : 


Ai^non  troppo 


VioM 


Bientôt  le  calme  disparaît  ;  la  voix  plaintive  se  fait  plus  forte  en 
retrouvant  le  ton  principal  :  elle  se  rapproche,  et  ses  appels  désespérés 
retentissent  encore  au-dessus  de  l'éclatante  péroraison. 

La  IIP  Symphonie  de  C.  Saint-Saëns,  op.  78,  en  w/,  est  également 
construite  sur  un  dessin  unique  qui  affecte  trois  aspects  rythmiques 
principaux  : 


All°mod' 


V.o..n_|L^,i.,      .JjJji".ljjJJJ|JJJ|tJJ|,JJ 


Violon 


P 

All°mod^° 


A 11^' 


Mais  c'est  surtout  au  point  de  vue  mélodique  que  cette  œuvre  contient 
des  exemples  de  transformations  intéressantes,  ainsi  qu'on  va  le  voir 
ci-après. 


Modifications  mélodiques.  —  Il  est  à  peu  près  impossible  de  délimiter 
exactement  ce  qui  appartient  au  domaine  purement  mélodique  dans 
les  modifications  subies  par  un  thème  cyclique  :  dans  l'exemple  de 
Beethoven,  précédemment  cité  (p.  38o),  les  rythmes  transformés 
engendraient  de  véritables  mélodies  nouvelles,  et  de  tels  effets  rythmo- 
mélodiques  sont,  en  matière  de  thèmes  cycliques,  extrêmement  fré- 
quents. Dans  certains  cas,  cependant,  la  modiûcation  mélodique  prépon- 
dérante peut  être  considérée  en  elle-même  et  isolément.  La  même  Sym- 
phonie de  Saint-Saëns,  op.  78,  citée  ci-dessus,  en  contient  un  exemple 
assez  caractéristique  dans  le  thème  qui  constitue  le  trio  du  Scherzo,  où 


ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS 


1«1 


i]  est  exposé  pour  la  première  fois   sous  cette  forme,  dont   la  parenté 
avec  la  phrase  principale  du  mouvement  lent  est  assez  nette  : 


Presto 


Tr.„b.  'J'-Lh^  li   .1.  I  J.  I  i-jJ'J. 


Violon 


Poco 


adaeio 


/^ 


-6>-^ 


y^ 


@  />.  ^ 


7?-. 


m 


T. 


La  superposition  de  ces  deux  thèmes  montre  bien  que  leurs  éléments 
mélodiques  sont  semblables  :  mêmes  intervalles  entre  les  tj^ois  notes 
initiales  {la\>  ,  5/b,  ré\>)\  mêmes  notes  extrêmes  au  grave  {si\>)  et  à 
l'aigu  (w/t),ya)  dans  les  mesures  suivantes.  Les  points  les  plus  apparents 
des  deux  mélodies  sont  identiques,  mais  leur  fonction  tonale  diffère, 
puisque  le  thème  du  Scher;;^o  part  de  sa  tonique,  tandis  que  celui  de 
l'Adagio  part  de  sa  dominante. 

Dans  le  finale,  ce  mèmet  hème,  changé  de  rythme,  donne  naissance 
à  une  nouvelle  mélodie,  où  l'on  retrouve  les  éléments  principaux  du 
dessin  initial  du  Sclie)^:{0  : 


Maestoso 


Violon 


Violon 


et  ce  dernier  dessin  relié  mélodiquement  au  grand  Choral  Maestoso, 
comme  on  vient  de  le  voir,  procède  également  du  thème  initial  (cité 
ci-contre,  p.  882),  en  sorte  que  tous  les  éléments  mélodiques  de  la  Sjmi- 
phonie  sont  implicitement  contenus  dans  les  quatre  notes  de  hautbois 
du  début  : 


H.iutbui- 


Vidlon 


Ada;jio 

m 


AH"  moderato 


^^-^  J  J  I  n~rT 

^^    ,,r  f  *  *  f  r  i 


M- l-JJ- J    •'  J  J-J  J    JJ^i'  '■ 


/ 


,84 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


Cet  exemple  d'un  thème  unique,  qui  circule  dans  toutes  les  parties 
d'une  œuvre  musicale,  donne  une  idée  des  immenses  ressources  qu'ap- 
porte à  l'art  de  la  composition  l'emploi  des  modifications  d'ordre  mélo- 
dique. 

Richard  Wagner  semble  avoir  pousse  jusqu'à  ses  extrêmes  limites 
cette  conception  véritablement  cyclique  des  thèmes  dont  il  se  sert  pour 
signifier  les  sentiments  éprouvés  par  les  personnages  de  ses  drames  :  le 
Ring  des  Nibehingen,  légende  de  Vanneau^  cycle  do.  poèmes  épiques  et 
mythologiques,  en  offre  un  spécimen  des  plus  frappants.  S'il  est  un 
thème  cyclique  dans  toute  la  force  du  terme,  c'est  assurément  la  mé- 
lodie initiale  (Z7r  Mélodie)  qui  s'expose,  dès  les  premières  mesures  du 
Rheingold,  sous  les  deux  aspects  suivants,  l'un  harmonique  et  l'autre 
mélodique  ; 


^ 


ï 


^ F 


^B^ 


^ 


t=^ 


Ê 


^ 


Ce  thème,  par  lequel  Wagner  a  voulu  représenter  une  impression  de 
nature  primordiale,  aquatique  et  féconde,  contient  effectivement  le 
germe  de  tous  ceux  qui  ont  quelque  importance  dans  la  Tétralogie. 
Par  exemple  : 

i"  l'arpège  rayonnant  qui  apparaît  avec  l'or  dont  il  symbolise,  en 
quelque  sorte,  la  pureté  originelle  : 


3S 


i^^gtfj^ 


2*  la  forme  inverse  et  mineure  du  même  arpège  appliquée  à  la  malé- 
diction de  l'or,  désormais  souillé  par  la  cupidité  et  le  vol  : 


')^'  ttr  I  r    f  f  I  r    . .  jB 


3*  une  autre  disposition  majeure  du  même  thème,  contrastant  avec 
la  précédente  et  signifiant  la  noblesse  héroïque  de  celui  par  qui  sera 
rachetée  cette  malédiction  de  ror(i)  : 


(i)  Nous  avons  déjà  fait  connaître  (I"  liv.,  Introd.,  p.  12)  ce  qu'il  Taut  penser  des  fâcheu- 
ses nomenclaiures  où  ce' thème  est  qualifié  «  thème  de  l'épée»,  et  des  commentateurs,  plus 


ÉLÉMENTS  CONSTITUTIFS 


385 


w^^ 


S3 


m 


4''le  rythme  guerrier  des  messagères  divines  chevauchant  dans  l'es- 
pace : 


5"  enfin,  la  période  mélodique  complète  où  l'on  retrouve  le  thème  pri- 
înordial  de  tout  le  cycle,  personnifié  dans  le   héros    prédestiné  : 


^2p 


^ 


E 


-*-=-^ 


:3csnr 


:;tzt 


En  étudiant  ultérieurement  les  autres  oeuvres  de  Wagner,  dans  le 
Troisième- Livre  de  ce  Cours,  on  y  rencontrera  les  plus  admirables 
exemples  de  transformations  rythmiques  et  surtout  mélodiques.  Car  le 
thème  cyclique,  dans  le  domaine  symphonique,  et  le  motif  conducteiir 
[Leit  Motif),  dans  l'ordre  dramatique,  sont  en  définitive  une  seule  et 
même  chose.  Les  lois  différentes  de  la  Symphonie  et  du  Drame  modifient 
l'emploi  qui  doit  être  fait  des  uns  et  des  autres  dans  la  musique, 
comme  ces  mêmes  lois  affectent  différemment  l'ordre  et  la  distance  des 
modulations  :  nous  l'avons  observé  précédemment  (p.  24  3);  mais  cette 
adaptation  d'un  même  thème  à  des  formes  expressives  variables  à  l'in- 
fini, demeure  le  principe  fécond  de  toute  œuvre  véritablement  composée. 

Modifications  harmoniques.  —  L'élément  harmonique  étant  très  pos- 
térieur aux  deux  autres  dans  l'art  musical,  son  emploi  dans  le  domaine 
cyclique  est  resté  jusqu'à  présent  assez  limité.  La  transposition,  la  mo- 
dulation et  l'altération  semblent  résumer  tout  l'effort  accompli  depuis 
ces  derniers  siècles  dans  le  sens  harmonique  ou  tonal  :  harmonie  et 
tonalité  peuvent  apporter  cependant  à  la  construction  cyclique  d'utiles 


fâcheux  encore,  qui  croient  rendre  service  à  l'auteur  en  expliquant  comirent  ce  thème 
représente  une  épée  !  On  ne  saurait  trop  répéter  qu'une  conception  aussi  grossièrement 
enfantine  de  la  signitication  expressive  des  thèmes  musicaux  ne  doit,  en  aucune  manièie, 
être  imputée  à  une  intelligence  aussi  profonde  et  surtout  aussi  méthodique  que  celle  de 
Richard  Wagner.  Une  fois  pour  toutes,  la  musique  ne  représente  pas  un  objet  :  elle  évoque  ou 
exprime  des  sentiments  de  l'àme.  Et  si  tel  objet,  comme  une  épée,  est  lui  même  représentatif 
de  tel  sentiment,  au  môme  titre  qu'un  mot,  un  geste  ou  une  attitude,  ia  musique  est  en 
dehors  et  au-dessus  de  ces  représentations  matérielles,  car  elle  atteint  précisément  ce  qu'il 
y  a  en  nous  de  plus  immatériel  et  de  plus  noble  :  l'àme, 

COLRS    DI    COMPOSITION.    —    T.    U,     i.  3) 


386  LA  SONATE  CYCLIQUE 

ressources  ;  il  convient  d'en  signaler  ici  quelques  trop  rares  applica- 
tions. 

La  fonction  tonale  des  degrés  principaux  d'un  thème  cyclique  peut 
être  modifiée  sans  atteindre  la  substance  même  de  ce  thème  :  on  en  a 
vu  des  exemples  rudimentaires  à  propos  de  la  réponse  tonale  dans  la 
Fugue  (p.  39).  Dans  la  Symphonie  de  Saint-Saëns,  précédemment 
citée,  on  a  pu  constater  aussi  une  mutation  de  \a  fonction  harmonique 
des  mêtnes  notes,  appartenant  à  <i^wAr  formes  mélodiques  issues  l'une  de 
l'autre:  le  trio  du  Scherio  et  le  motif  initial  du  mouvement  lent  (voir 
ci-dessus,  p.  383). 

La  Sonate  pour  piano  et  violon  de  César  Franck,  qui  sera  analysée 
plus  complètement  ci-après  (p.  423  et  suiv.),  contient  aussi  une  modi- 
fication harmonique  analogue  :  le  thème  du  finale  est  beaucoup  plus 
proche  qu'on  ne  le  croit  communément  de  celui  du  mouvement  initial  ; 
leurs  mélodies  et  même  leurs  rythmes  sont  assez  peu  dissemblables 
dans  les  premières  mesures,  mais  le  premier  s'expose  en  fonction  de 
dominante  et  le  dernier  en  fonction  de  tonique.  Ces  deux  formes  du  même 
dessin  cyclique,  entre  lesquelles  se  meut  la  Sonate  tout  entière,  occu- 
pent donc  respectivement  la  situation  de  la  réponse  par  rapport  au 
sujet  dans  une  contre-exposition  formant  cadence  conclusive  : 


Rrpoin 


S  n  i  e  t 


'LAi       T. , 


-pfw 

1   fe  11.1  1k 

0  r     1 

1 

àq 

1 

1). 

■    Otliuie 

N 

? -0 — 

• 

^ 

-1 — 

M— ^ 

etc. 


Admirable  réalisation  cyclique  de  l'équilibre  tonal  fondé,  en  défini- 
tive, sur  les  lois  immuables  de  la  cadence. 

Enfin,  la  tonalité  elle-même  est  susceptible  de  coopérer  à  l'unité 
cyclique  d'une  oeuvre,  tout  autrement  que  par  l'emploi  traditionnel  de 
la  même  tonique  pour  la  pièce  initiale  et  la  pièce  finale  de  la  même 
composition  :  les  réapparitions  successives  d'une  même  tonalité  très 
différente  du  ton  principal  au  cours  des  différents  mouvements  consti- 
tuant le  cycle,  ont  été  déjà  signalées  plusieurs  fois  (par  exemple  soLp- 
FA  s  dans  l'op.  1 06,  en  si  i>,  de  Beethoven,  p.  279  et  362)  ;  l'adaptation  rai- 
sonnée  et  constante  de  tel  ton  déterminé  à  tel  personnage  ou  à  tel  sen- 
timent (le  ton  de  ré  affecté  à  l'idée  de  mort,  dans  Parsifal  de  R.  Wa- 
gner, par  exemple)  fera  l'objet  d'études  spéciales,  à  propos  de  la  musique 
dramatique,  dans  le  Troisième  Livre  du  présent  Cours  ;  mais  il  y  a  un 


ÉLÉMKNTS  C(J.NSTITUT1FS  ,87 

emploi  plus  particulièrement  cyclique  des  enchaînements  de  tonalités, 
qui  a  sa  place  marquée  dans  l'analyse  de  la  construction  symphonique 
dont  nous  nous  occupons  présentement.  Il  appartient  en  propre  à  César 
Franck  :  dans  plusieurs  de  ses  œuvres  et  notamment  dans  le  Quintette 
dont  nous  avons  examiné  déjà  le  thème  cyclique  ''p.  38.'),  certaines 
tonalités  agissent  d'une  façon  continue  sur  les  modulations  importantes 
des  développements.  Les  trois  mouvements  consécutifs  de  ce  Quin- 
tette obéissent  à  une  progression  tonale  constante  ayant  pour  point  de 
départ  la  tonalité  d'origine  [fa)  et  pour  aboutissement  la  tonalité  finale 
plus  claire  (fa).  La  plupart  des  modulations  employées  appartiennent 
par  leur  parenté  plus  ou  moins  directe,  tantôt  à  la  famille  de  fa,  comme 
la  i>  et  RÉ  b  dans  le  mouvement  initial,  tantôt  à  celle  de  fa,  comme  fa  c 
dans  le  finale. 

L'emploi  des  unes  et  des  autres  est  ordonné  de  telle  sorte  que  l'in- 
fluence de  fa  reste  prépondérante  dans  le  mouvement  initial.  La 
pièce  lente  centrale  est  placée  dans  la  tonalité  intermédiaire  de  la, 
reliée  par  sa  tierce  [ut)  et  par  son  mode  mineur  au  ton  de  départ, 
et  par  sa  tonique  [la)  au  ton  d'arrivée.  Le  finale,  au  contraire,  voit 
apparaître  des  tonalités  toujours  plus  proches  de  fa  et  du  mode 
majeur  où  s'achèvera  la  géniale  péroraison.  Ainsi,  les  modulations 
de  chaque  pièce  sont  soumises  non  seulement  à  l'ordre  de  structure 
propre  à  chacune  d'elles,  mais  en  outre  à  un  ordre  supérieur,  véri- 
table îythtne  cyclique  qui  règle  leur  enchaînement  d'un  bout  à  l'autre 
de  l'œuvre. 

Cette  unification  de  la  hiérarchie  tonale  dans  les  compositions  sym- 
phoniques  de  vastes  proportions  permet  d'entrevoir  dans  l'avenir  bien 
d'autres  applications,  à  peine  pressenties  parles  premiers  auteurs  des 
Sonates  cycliques.  Déjà  d'intéressantes  tentatives  ont  été  faites  en  ce 
sens  :  leur  étude  ne  peut  prendre  place  dans  cet  ouvrage. 

Pas  plus  dans  l'ordre  harmonique  et  tonal  que  dans  l'ordre  mélo- 
dique ou  rythmique,  il  n'était  possible  de  donner  ici  autre  chose  que 
de  simples  indications;  la  modification  cyclique  des  thèmes  atteint,  en 
effet,  ce  qu'il  y  a  de  plus  subtil,  de  plus  intime  et  de  plus  personnel 
dans  l'art  de  la  composition  :  l'élaboration  des  idées  elles-mêmes.  Ce 
travail  patient  et  consciencieux  dans  lequel  se  résume  l'eflort  inventif 
du  musicien  ne  saurait  être  astreint  à  des  limites  exactes,  ni  enclos  dans 
un  cadre  absolument  fixe.  Tout  au  plus  pouvait-on  montrer  ici,  par 
quelques  exemples  méthodiquement  présentés,  comment  ont  procédé 
les  plus  grands  génies  dans  cette  opération  nécessaire  et  complexe  de 
la  transformatioji  thématique,  sur  laquelle  nous  reviendrons  encore 
dans  le  chapitre  suivant  à  propos  de  la  Variation. 


388  LA  SONATE  CYCLIQUE 

HISTORIQUE 

3.    —  ÉTATS    DIVERS  DE   LA  SONATE  A  PARTIR  DE  BEETHOVEN 

La  construction  cyclique^  dont  on  vient  d'énoncer  sommairement  les 
éléments  et  les  principes  généraux,  ne  pouvait  manquer  de  réagir  pro- 
fondément, non  seulement  sur  la  forme  Sonate  à  propos  de  laquelle 
nous  avons  fait  cet  exposé  très  incomplet,  mais  encore  sur  toutes 
les  formes  instrumentales  de  la  Troisième  Époque,  dont  la  Sonate  est 
le  prototype.  Les  effets  de  cette  véritable  rénovation  ne  peuvent  donc 
être  historiquement  constatés  et  examinés  qu'avec  l'étude  de  chacune  de 
ces  formes,  au  fur  et  à  mesure  de  leur  apparition  et  de  leur  perfection- 
nement. La  plupart  des  compositions  s3^mphoniques,  qui  subirent  tour 
à  tour  la  réaction  cyclique,  comportent  la  connaissance  préalable  de 
l'orchestre  et  feront  l'objet  de  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre  ; 
aussi,  les  observations  d'ordre  cyclique  qui  s'y  rattachent  seront-elles 
énoncées  à  propos  de  chacune  de  ces  formes.  Nous  ne  retiendrons  ici 
que  les  effets  subis  par  la  forme  Sonate,  depuis  les  premières  tenta- 
tives de  construction  cyclique  faites  par  Beethoven, 

Quelques  extraits  déjà  cités  des  jugements  portés  de  son  vivant  sur 
certaines  Sonates  appartenant  à  la  «  troisième  manière  »  du  maître  (i) 
donnent  à  penser  que  son  dernier  style  fut  de  moins  en  moins  compris,  à 
mesure  qu'il  approchait  davantage  de  la  forme  cyclique,  telle  que  nous 
pouvons  la  concevoir  depuis  César  Franck.  La  critique  n'est-elle  point 
allée  parfois  même  jusqu'à  tourner  en  ridicule  les  rappels  thématiques 
devenus  plus  fréquents  dans  les  œuvres  les  plus  mûries  et  les  mieux 
ordonnées  du  maître  de  Bonn  ?  comme  s'il  avait  paru  nécessaire  de  dis- 
créditer à  l'avance  les  tentatives  qu'on  essaierait  encore  de  faire  dans  le 
sens  de  cette  unité  synthétique,  si  justement  admirée  de  nos  jours  chez 
les  meilleurs  musiciens  1 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  résultat  fut  obtenu  :  incompréhension  des  uns, 
ignorance  des  autres,  provoquèrent  dans  la  Sonate,  au  temps  de  Beetho- 
ven et  même  après  lui,  une  stagnation  presque  totale  de  la  forme.  Cepen- 
dant, les  principes  méconnus  de  la  construction  cyclique  ne  devaient  pas 
tarder  à  agir  de  nouveau  au  fond  des  consciences  musicales,  le  jour  où 
quelque  génie  saurait  en  tirer  une  puissance  capable  de  lutter  victorieu- 
sement contre  la  désagrégation  imminente  de  la  Sonate.  Cette  forme 
semble  avoir  été  entraînée  ainsi,  depuis  les  premiers  essais  de  rénovation 

(i)  Voir  notamment  1  appréciation  que  nous  avons  citée  ci-dessus  (note  2,  p.  372).  à 
propos  des  deux  Sonates  pour  violoncelle,  op.  102  (i8i5).  On  verra  par  la  suite  que  la  IX* 
bymphonie  devait  être  traitée  bien  plus  sévèrement  encore. 


LA  SONATE  DEPUIS  BEETHOVEN  -?«9 

cyclique  Jusqu'à  nos  jours,  par  deux  courants  opposés,  tendant,  d'une 
part  à  la  dissociation  de  ses  éléments  et,  de  l'autre,  à  leur  union  intime 
et  de  plus  en  plus  cohérente  :  chacune  de  ces  deux  tendances  doit  faire 
ici  l'objet  de  quelques  observations,  d'ordre  technique  et  historique  tout 
à  la  fois,  pour  expliquer  la  raison  d'être  du  présent  chapitre  et  des  divi- 
sions qui  vont  suivre. 

Stagnation  et  désagrégation  fantaisiste  de  la  forme  Sonate.  —  L'incom- 
préhension du  rôle  cyclique  des  thèmes  et  des  tonalités  enleva  rapide- 
ment à  la  forme  Sonate  la  plus  grande  partie  de  son  intérêt.  Seul,  le 
cadre  apparent  et  purement  extérieur  subsistait  :  l'ordre  des  mouve- 
ments, la  vague  division  ternaire  de  certains  d'entre  eux,  sont  les  seuls 
vestiges  appréciables  que  l'on  retrouve  dans  la  plupart  des  oeuvres  inti- 
tulées Sonates  par  les  contemporains  et  les  successeurs  immédiats  de 
Beethoven.  Ainsi,  l'ignorance  et  la  vanité  ne  tardent  point  à  réduire 
cette  belle  et  noble  forme  à  l'état  de  vulgaires  imitations,  voire  même 
d\iirs  variés...  et  de  quelle  façon  ! 

La  tradition  se  perd  ;  la  routine  triomphe  ;  et  l'on  constate  une  fois 
de  plus  que  la  lettre  tue  l'esprit. 

Cependant,  l'enthousiasme  pour  les  nouvelles  doctrines  du  Roman- 
tisme révolutionnaire  s'étend  jusqu'à  la  musique  elle-même.  D'exquis 
compositeurs,  aussi  bien  doués  que  mal  instruits,  s'essaient  encore, 
mais  de  plus  en  plus  rarement,  dans  la  vieille  forme  Sonate.  Certes, 
leur  goût,  leur  invention,  leur  génie  même  se  révèle  en  plus  d'une  page 
émouvante  ;  mais,  par  suite  de  circonstances  souvent  indépendantes  de 
leur  bonne  volonté,  leurs  connaissances  techniques  en  matière  de 
composition  sont  des  plus  restreintes  :  ils  ne  savent  pas  construire  ;  et 
cette  infériorité  a  condamné  de  tout  temps  les  artistes,  même  les  plus 
délicats,  à  agir  comme  de  véritables  appareils  enregistreurs  et  à  tra- 
duire, vaille  que  vaille,  leurs  fugitives  impressions.  Les  meilleurs 
d'entre  eux  n'ont  guère  accru  les  ressources  de  l'art  qu'au  point  de  vue 
instrumental,  et  surtout  en  ce  qui  concerne  le  piano. 

Un  seul,  Mendelssohn,  possédait,  au  plus  haut  degré,  le  savoir 
nécessaire  ;  malheureusement,  le  génie  était  absent,  en  sorte  que  ses 
oeuvres  sont  toutes  écrites  dans  un  style  très  pur...  mais  parfaitement 
conventionnel,  sinon  inexpressif. 

Toutefois,  ce  que  la  Sonate  avait  momentanément  perdu  par  suite  de 
cette  méconnaissance  coupable  du  passé,  le  culte  outré  de  la  Nature 
cherchait  à  le  lui  rendre  dans  le  genre  descriptif.  Sous  Tinliuence  de 
la  mode,  les  compositions  instrumentales  recevaient,  en  elTet,  un  con- 
tingent peu  désirable  de  titres  pittoresques  ou  prétendus  tels  ;  et  ces 
titres  ayant  réagi  bientôt    sur  la  musique,    on  vit  apparaître  une  foule 


390  LA  SONATE  CYCLIQUE 

d'œuvres  intentionnellement  fantaisistes,  mais  heureusement  sauve- 
gardées par  la  forte  armature  de  la  forme  Sonate,  la  seule  que 
connussent  encore  vaguement  les  «  musiciens  libres  »  appartenant 
à  cette  période.  Aussi,  les  meilleurs  Romantiques,  ceux  qui  sont 
encore  des  musiciens,  subissent-ils  cette  saine  influence  et  continuent- 
ils  à  construire,  à  leur  propre  insu  bien  souvent,  des  pièces  pit- 
toresques oij  Ton  reconnaît  assez  aisément  quelque  bon  Lied  en 
trois  sections,  quelque  vieux  Rondeau,  Scher:{0  ou  Menuet^  voire 
une  exposition  à  deux  idées...  Mais  toute  notion  du  développement 
est  à  peu  près  perdue,  et  nul  ne  sait  plus  l'importance  de  l'ordre 
tonal  dans  cette  partie  intégrante  de  toute  pièce  instrumentale  bien 
équilibrée. 

Ces  pièces  isolées,  issues  pour  la  plupart  de  cette  sorte  de  démem- 
brement de  la  forme  Sonate,  «  éclatée  en  morceaux  »,  là  dû  elle  ne  fut 
pas  conservée  par  la  cohésion  cyclique,  ne  sauraient  trouver  place  dans 
cette  partie  du  Cours  de  Composition.  Leur  forme  ne  nous  apprend 
rien  :  ce  sont  plutôt  leurs  déformations  dont  les  causes  doivent  inté- 
resser le  musicien.  Et  comme  ces  causes  proviennent  presque  toujours 
d'une  idée  poétique  ou  littéraire,  donc  extra-musicale^  ces  pièces  dites 
libres,  et  souvent  inclassables,  figureront  plus  avantageusement  à 
titre  d'annexés  du  Poème  Sjmiphonique  et  de  la  Fantaisie,  dans  la 
Seconde  Partie  du  présent  Livre. 

De  cette  désagrégation  accidentelle  de  la  forme  Sonate,  nous  ne 
retiendrons  ici  que  la  Sonate  amoindrie  et  desséchée,  telle  qu'elle 
apparaît  chronologiquement  à  cette  place,  bien  qu'elle  ait  été  jusqu'à  la 
fin  du  xix*  siècle,  en  Allemagne  surtout,  la  moins  cyclique  de  toutes, 
assurément.  Après  Beethoven  et  les  Romantiques,  en  effet,  la  Sonate 
allemande  ne  réalise  plus  aucun  progrès  :  elle  suit  aveuglément  les 
traces  de  Mendeissohn,  mais  avec  une  connaissance  moindre  des 
principes  de  construction  ;  et  la  prétention  beethovénienne  y  remplace 
désavantageusement  la  véritable  compréhension  des  enseignements 
laissés  par  le  maître. 

Avant  d'arriver  à  l'Ecole  Française  contemporaine,  la  seule  qui  puisse 
vraiment  se  réclamer  des  principes  de  construction  cyclique  pressentis 
par  le  génial  auteur  de  la  Pathétique^  il  était  nécessaire  de  faire  ici  une 
place  à  ceux  qui  ne  subirent  jamais  son  influence  :  ce  fait  même  les 
excluait  du  chapitre  consacré  à  Beethoven. 

Concentration  de  la  forme  Sonate  dans  l'unité  cyclique.  —  Déjà,  la 
restriction  du  nombre  des  mouvements  différents  dans  les  dernières 
Sonates  de  Beethoven  avait  fait  présager  ce  phénomène  de  concentra- 
tion. L'usage  des  thèmes  cycliques,  resserrant  de  plus  en  plus  les  liens 


LA  SONATE  DEPL'IS  BEETHOVEN  -591 

qui  unissaient  les  parties  constitutives  de  la  Sonate,  devait  en  accroître 
«ncore  la  cohésion.  Et  si  Ton  observe  que  quinze  années  à  peine  sépa- 
rent la.  deruière  œuvre  cyclique  beethovénienne  (1826)  de  la  première 
<:euvre  cyclique  de  César  PYanck  (1S41},  la  filiation  musicale  très 
authentique  de  l'un  à  l'autre  cessera  d'être  accueillie  comme  une 
complaisante  hypothèse.  Il  est  même  surprenant  qu'une  interruption 
aussi  brève  entre  l'apparition  de  deux  œuvres  qui  sont  manifestement 
continuatrices  l'une  de  l'autre,  ait  passé  inaperçue.  Il  n'est  pourtant 
pas  douteux  que  le  dernier  Quatuor  écrit  par  Beethoven  fût  connu  et 
compris  de  Franck  lorsqu'il  écrivit  ses  premiers  Trios.  Et,  si  nous 
retrouvons  au  milieu  des  inexpériences  juvéniles  de  ceux-ci  les  prin- 
cipes de  construction  observés  dans  celui-là,  le  hasard  ou  l'hypothèse 
n'y  sont  assurément  pour  rien.  Ces  mêmes  principes,  perfectionnés 
par  un  magistral  emploi  des  dessins  et  thèmes  cycliques,  devaient 
apparaître  avec  toute  leur  force  dans  l'inoubliable  Sonate  pour  piano 
et  violon  que  nous  analyserons  ci-après  (p.  428  et  suiv.),  et  rayonner 
de  là  dans  une  foule  d'autres  œuvres. 

Avec  Franck,  génial  continuateur  français  (i)  de  l'immortel  sympho- 
niste allemand,  commence  une  période  nouvelle  et  exclusivement  fran- 
çaise jusqu'à  présent.  La  valeur  et  la  force  des  meilleures  œuvres 
appartenant  à  cette  période  reposent  sur  toutes  les  innovations  beetho- 
véniennes  et  sur  la  construction  cyclique  enfin  comprise  et  réalisée. 
Sous  cette  influence  bienfaisante,  la  traditionnelle  forme  Sonate  a 
déjà  reconquis,  dans  notre  pays  tout  au  moins,  une  vitalité  et  une 
jeunesse  vraiment  surprenantes  après  un  demi-siècle  de  décadence  et 
d'oubli. 

L'histoire  de  la  Sonate  depuis  Beethoven  comprendra  donc  trois 
périodes,  au  cours  desquelles  on  pourra  suivre  les  effets  des  deux  cou- 
rants opposés  que  nous  venons  de  signaler.  De  ces  trois  périodes,  la 
dernière  seule,  et  dans  la  seule  Ecole  Française,  a  gardé  le  caractère 
cyclique  par  lequel  se  sont  accomplis  les  principaux  progrès  de  cette 
forme  de  composition  :  il  sera  fait  ici,  pour  cette  raison,  une  importante 
subdivision  dans  l'histoire  de  la  dernière  période  : 

Première  période  :  les  Contemporains  de  Beethoven  (§  41  ; 
Deuxième  période  :  les  Romantiques  (§  5)  ; 
Troisième  période  :  les  Allemands  modernes  (§  6)  ; 

—  les  Français  :  la  Sonate  cyclique  (§  7). 


(i)  On  verra  ci-après  (p.  422),  par  une  brève  notice  biographique  sur  César  Franck  qu'il 
fut  réellement  et  exclusivement  francati 


193 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


4.   —  LES  CONTEMPORAINS  DE  BEETHOVEN 


Muzio  Clementi 1752  f 

Johann   Ladislaus    Dussek 1761   -j- 

Daniel   Steibelt 1765  t 

Johann    Baptist  Cramer 1771  "f 

Johann  Woelfl  (ou  Wolffl) 1772  f 

Johann  Nepomuk  Hummel 1778  f 

John  Field 7    .     .     .  1782  -|- 

Ferdinand  Ries 1784  f 

Friedrich  Wilhelm  Michael  Kalkbrenner.     .  1788  f 

Ignaz    Moscheles 1794  i* 


832 
812 
823 
858 
812 
837 
837 
838 

849 
870 


De  ces  dix  compositeurs,  le  premier  et  les  cinq  derniers,  seuls^ 
connurent  Beethoven  et  furent  même  plus  ou  moins  mêlés  à  sa  vie  : 
ils  subirent  nettement  son  ascendant  et,  à  l'exception  de  Clementi  qui 
avait  tout  au  moins  une  personnalité  de  quelque  valeur,  ils  ne  réussirent 
à  produire  que  des  pastiches  beethovéniens,  sans  intérêt  ni  portée 
artistique  d'aucune  sorte. 

Quant  à  Dussek,  Steibelt,  Cramer  et  Woelfl,  ils  semblent  n'avoir 
jamais  connu,  ni  même  voulu  connaître  l'auteur  de  la  Pathétique  : 
leurs  œuvres  sont  des  succédanées  de  celles  de  Haydn  et  de  Mozart,, 
avec  un  peu  plus  de  virtuosité  pianistique,  mais  infiniment  moins  de 
qualités  musicales. 


Muzio  CLEMENTI,  beaucoup  plus  âgé  que  Beethoven,  auquel  il  sur- 
vécut quatre  années,  doit  à  cette  longue  existence  la  particularité  assez 
spéciale  d'avoir  influencé  les  premières  compositions  instrumentales  du 
jeune  maître,  dont  il  subit  à  son  tour  Tinfluence,  à  la  fin  de  sa  vie.  Né  à 
Rome,  Clementi  s'établit  très  jeune  en  Angleterre,  où  il  eut  l'occasion 
d'entendre  et  d'étudier  les  oeuvres  des  Bach,  des  Scarlatti  et  de  Para- 
dies  :  il  acquit  de  la  sorte  une  éducation  musicale  bien  supérieure  à 
celle  qu'il  eût  pu  recevoir  dans  les  conservatoires  de  son  pays  natal. 
Après  avoir  été  claveciniste  à  l'Opéra  italien  de  Londres,  il  se  mit  à 
voyager  pour  continuer  sa  carrière  de  virtuose,  et  eut  même  l'occasion 
de  se  mesurer  avec  Mozart,  dans  un  mémorable  concours  qui  eut  lieu 
à  Vienne,  en  décembre  1781,  devant  l'empereur  Joseph  II.  Clementi 
sortit  avec  avantage  de  cette  épreuve  et,  après  maintes  tournées  triom- 
phales, il  revint  se  fixer  à  Londres.  11  y  resta  jusqu'à  sa  mort,  et  c'est 
là  qu'il  écrivit  la   plupart  de    ses   compositions,  parmi  lesquelles    les 


LES  CONTEMPORAINS  DE  BEETHOVEN  393 

célèbres  Etudes  intitulées  Gradus  ad  Parriassum  que  les  pianistes  vir- 
tuoses d'aujourd'hui  jugent  encore  utiles  à  Jeur  perfectionnement. 

Beethoven,  qui  avait  beaucoup  joué  les  œuvres  de  Clementi,  adopta 
dans  ses  premières  Sonates  pour  piano  des  dispositions  d'écriture  tout 
à  fait  analogues;  par  contre,  une  indéniable  préoccupation  du  style 
beethovénien  se  retrouve  chez  Clementi,  dans  les  Sonates  qu'il  com- 
posa entre    1820  et  1822. 

Les  Sonates  de  Clementi  atteignent  le  nombre  de  cent  dix,  dont 
quarante-six  pour  piano  et  violon,  et  soixante-quatre  pour  piano  seul: 
nous  ne   signalerons,  parmi  ces  dernières,  que  les  plus  remarquables. 

Les  trois  Sonates,  op.  2,  en  deux  mouvements,  sont  les  premières  de 
toutes;  elles  ont  été  publiées  en  1770,  année  de  la  naissance  de  Bee- 
thoven. 

Dans  l'op,  9,  la  troisième  Sonate  (i)  contient  une  seconde  idée  appa- 
rentée de  très  près  au  thème  du  finale  de  la  Symphonie  Héroique  : 


f-+f^  rriN^-J  ^  iu  1J5 


Les  analogies  thématiques  avec  certaines  oeuvres  de  Beethoven  l'op.  Sy, 
op.  22  et  op.  109),  deviennent  assez  fréquentes  à  partir  de  la  10'  Sonate, 
laquelle,  ainsi  que  toutes  les  suivantes,  est  en  /ro/5  mouvements. 

Dans  Top.  33  de  Clementi  (1801),  on  trouve  des  traits  de  piano  abso- 
lument identiques  à  certains  passages  du  fameux  Rondeau,  r Aurore^  de 
l'op.  53  de  Beethoven. 

Dans  l'op.  34,  la  première  Sonate  débute  par  une  superbe  introduc- 
tion et  s'élève  notablement  au-dessus  du  niveau  des  précédentes. 

Enfin,  les  trois  dernières  Sonates  (op.  5o)  sont,  toutes  trois,  dignes 
d  être  connues  :  celle  qui  porte  le  titre  Didone  abba>idonnata,  Scena 
tragica  (i 821)  est  assurément  très  supérieure  à  celles  de  tous  les  com- 
positeurs contemporains  de  Clementi,  Beethoven  excepté;  c'est  même 
l'une  des  meilleures  œuvres  pour  piano  de  l'époque.  Cette  sorte  de 
poème  en  forme  Sonate  est  divisée  en  trois  parties  portant  les  indica- 
tions suivantes  : 

1.  Introdu^ione  patctica.  —  Dcliberando  e  nicJilanJo. 

2.  Dolente. 

3.  Agitato  e  con  disp.'rj^ione. 

Johann  Ladislaus  DUSSEK,  né  à  Tszasiau  (Bohème),  fut  également 
un  pianiste  virtuose  très  remarquable;  il  voyagea  dans  toute  l'Europe 
et  occupa  diverses  positions  :  précepteur  des  enfants  du  gouverneur  de 

(i)  Édition  Brcitkopf  et  Hacrtcl,  n*  6. 


394 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


La  Haye,  en  1782,  il  fut  ensuite  secrétaire  du  prince  Louis  de  Prusse 
qu'il  suivit  aux  armées.  En  1808,  Talle3Tand  le  fit  engager  à  Paris 
comme  second  chef  d'orchestre  des  théâtres  impériaux;  Dussek  mou- 
rut, quatre  ans  plus  tard,  à  Saint-Germain. 

Il  avait  écrit  quatre-vingts  Sonates  pour  piano  et  violon,  cinquante- 
trois  pour  piano  seul  et  neuf  pour  piano  à  quatre  mains.  Il  s'en  faut 
de  beaucoup  que  ces  Sonates  aient  la  valeur  de  celles  de  Clementi: 
elles  portent  au  contraire  la  marque  flagrante  d'une  instruction  musi- 
cale tout  à  fait  médiocre  et  ont  plutôt  le  caractère  d'improvisations 
inégalement  réussies.  Plusieurs  d'entre  elles  sont  des  modèles  d'incohé- 
rence, et  l'immense  succès  qu'elles  remportèrent  en  leur  temps  ne  peut 
s'expliquer  que  par  la  virtuosité  très  spéciale  qui  s'y  étale.  On  ne 
pourrait  sans  ridicule  remettre  actuellement  au  jour  de  telles  œuvres, 
car  la  mode  n'est  plus  à  ce  genre  de  difficultés  ;  mais  est-il  bien  sur 
que  cette  mode,  à  peine  passée,  n'ait  pas  été  remplacée  par  une  autre 
sorte  de  pirtuosité,  destinée  à  disparaître  à  son  tour  ? 

La  plus  connue  des  Sonates  de  Dussek  est  intitulée  Le  Retour  à 
Paris,  op.  70  (1).  Un  éditeur  anglais,  désirant  opposer  cette  œuvre  à 
celle  que  Woelfl  (voir  ci-après,  p.  396)  avait  modestement  intitulée  Non 
plus  ultra,  lui  donna,  d'accord  avec  l'auteur,  le  titre  encore  plus  mo- 
deste de  Plus  ultra  !  Il  convient  d'analyser  cette  inénarrable  Sonate 
en  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.),  afin  de  se  rendre  compte  de  ce 
qu'était  la  mauvaise  musique  au  début  du  xix'  siècle. 

1**  Allegro  non  troppo,  0,  en  la  b  . 

Exp.  Th.  A  peu  caractérisé,  construit  sur  la  T.  et  la  SD.,  ce  qui  le  rend 
assez  indécis  ; 

—  Pont,  en  la.  i>,  où  l'auteur  cherche  vainement  à  sortir  de  cette  tonalité  : 
trois  tentatives  successives  et  également  infructueuses  l'ayant  ramené 
sur  la  tonique,  il  module  inopinément,  en  cm^  mesures,  à  \d.  dominante  ; 

—  Th.  B,  en  Ml  b  ;  en  dépit  de  l'indication  con  amore  (transformée  tnamo- 
rosamente  dans  la  réexp.),  ce  «  thème  »  est  un  chef-d'œuvre  de  platitude 
mélodique  bien  digne  d'être  cité...  à  ce  titre  tout  au  moins  : 


—       Ici  apparaît  l'inévitable  trait  de  piano,  provenant  du  style  Concerto 
dont  il  sera  question  ultérieurement. 

'I)  Dans  l'cdiiion  Marmoniel-Heugel,  ceut  œuvre  porte  le  û»  64  et  dans  i'édiiion  angUiiC 
le  n*  71, 


LES  CONTEMPORAINS  DE  BEETHOVEN  395 

Dév.  qui  contraste,  par  ses  modulations  des  plus  hétéroclites,  avec  Vexp.si 
embarrassée  pour  s'éloigner  de  sa  tonique:  en  cjuatre  pages,  on  voit  appa- 
raître, sans  rime  ni  raison,  les  tons  de  mi:>,  fa,  fa  3,  LA,  ré,  si  ?,  RÈ7  et 
fa  marqué  cette  fois-ci  par  un  brusque  et  impétueux  arrêt  sur  sa  domi- 
nante... tout  à  coup,  en  deux  mesures  inefl'ablement  naïves,  la  tonalité 
principale  est  ramenée. 

Réexp.    tout  à  fait  digne  de  ce  qui  précède. 

2**  Adagio  en  Ml,  simple  recueil  de  formules  pianistiques. 

y  Minuetto  en  la  t?  (d'après  les  indications  de  la  clé);  mais  le  rôle  de 
cette  tonalité  est  ici  des  plus  infimes  et  n'apparaît  guère  qu'en  fonction 
de  dominante  :  le  début  de  cette  pièce  est  en  fa  s  et  son  trio  est  entiè- 
rement en  MI.  Toutefois,  ce  Menuet  vif,  dans  un  style  qui  fait  présager 
certains  Scherzos  de  Weber,  est  beaucoup  plus  intéressant  que  le  reste 
de  l'œuvre. 

4"  Schet^:{0.  Allegro  con  spirito.  Malgré  son  titre,  ce  finale  est  un 
Rondeau,  sans  le  moindre  intérêt  musical  d'ailleurs,  et  développé 
tout  à  fait  maladroitement.  Il  faut  connaître  le  thème  initial  avec  sa 
«  surprise  »  à  la  quatrième  mesure,  d'une  délicieuse  trivialité  : 


AH"co!i   spirito 


^P^ 

♦■*-*- 


Daniel  STEIBELT,  Berlinois  d'origine,  se  fixa,  après  une  existence  des 
plus  mouvementées,  à  Saint-Pétersbourg,  où  il  mourut  en  qualité  de 
chef  d'orchestre  de  l'Opéra  français.  Ses  innombrables  œuvres  sont  d'une 
très  faible  valeur  :  outre  plusieurs  opéras,  il  écrivit  soixante  Sonates 
pour  piano  et  violon  ainsi  que  des  Sonates  pour  piano  seul  en  très 
grande  quantité  :  on  n'en  connaît  même  pas  le  nombre  total.  Ce  ne 
sont,  en  général,  que  de  véritables  «  pots-pourris  »  d'Airs  variés,  sur  des 
thèmes  qui  n'ont  même  pas  le  mérite  d'être  populaires.  On  y  retrouve 
surtout  les  Romances  à  la  mode  :  l'op.  ^o  à  lui  seul  n'en  contient  pas 
moins  de  quatre  ;  l'op.  62  est  fait  sur  l'air  A  body  met  a  body,  etc.  La 
plus  réputée  de  toutes  ces  œuvres  est  une  Sonate  en  Ml  ?,  datée  de  i8o3 
et  dédiée  à  M""*  Buonaparte. 

Johann  Baptist  CRAMER,  né  h  Mannheim,  habita  Londres  où  il  fut 
l'élève  de  Clementi.  Il  est  surtout  célèbre  par  l'ouvrage  intitulé  Grosse 
PianofortescJuile  :  les  quatre-vingt-quatre  Études  connues  des  pianistes 
constituent  la  \''  Partie  de   cet    énorme  recueil.  Mais  Cramer  a  laissé 


396 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


aussi  cent  cinq  Sonates  pour  piano,  consistant  pour  la  plupart  en  suites 
d\Airs  variés  sur  des  thèmes  alors  en  vogue. 

Joseph  WOELFL  (dont  le  nom  est  souvent  écrit  Wôlffl)  ne  doit  guère 
sa  notoriété  qu'au  titre  de  «  rival  de  Beethoven  »  qui  lui  fut  décerné  par  les 
admirateurs  de  la  virtuosité,  sans  doute  à  la  suite  de  bizarres  concours 
d'improvisation,  où  il  se  mesui^a  avec  l'auteur  de  la  Pathétique.  C'est 
bien  là  en  vérité  une  question  de  «  mesure  »,  car  Woelfl  avait  reçu  de 
la  nature  des  doigts  d'une  telle  longueur  qu'il  pouvait  compliquer  sans 
eftbrt  ses  «  improvisations  »  de  passages  inexécutables  pour  tout  autre  ; 
telle  est  sans  doute  la  raison  de  ses  succès. 

La  Sonate  pour  piano  qu'il  avait  intitulée  Non  plus  ultra.,  ce  qui  lui 
valut  la  réplique  de  l'éditeur  de  Dussek  que  nous  avons  signalée  ci- 
dessus  (p.  394),  passait  à  cette  époque  pour  le  summum  de  la  difficulté 
(combien  dépassé,  depuis  1).  Certains  écarts  de  doigts,  suggérés  sans 
doute  à  l'auteur  par  sa  véritable  difformité  physique,  sont  en  effet  des 
plus  dangereux,  en  mouvement  vif  ; 


Allegro 


.t.^iÊ-Jl-£-£-  •JLA*-^^ 


^ 


w 


\etc, 


Le  finale  de  cette  Sonate  consiste  en  une  série  de  variations  sur  le 
thème  de  la  romance  Life  let  us  cherish  :  comme  Steibelt,  Cramer  et 
d'autres  encore, Woelfl  transforme  volontiers  ses  Sonates  en  «  pots-pour- 
ris »  :  on  en  compte  vingt-deux  pour  piano  et  violon,  trente-six  pour 
piano  seul,  une  pour  violoncelle  et  une  pour  flûte. 

Sur  la  fin  de  sa  vie,  Woelfl,  qui  était  de  race  israélite,  s'occupa  de 
spéculations  diverses  :  il  mourut,  complètement  oublié,  à  Londres. 

Johann  Nepomuk  HUMMEL,  Hongrois,  fut  élève  d'AIbrechtsberger  et 
de  Salieri,  à  Vienne,  où  il  connut  Beethoven;  en  1804,  il  succéda  à 
Haydn,  en  qualité  de  maître  de  chapelle  du  prince  Esterhazy,  et  garda 
cette  fonction,  toujours  à  titre  provisoire.  Jusqu'en  181 1.  Après  avoir 
fait  de  nombreuses  tournées  comme  virtuose,  il  devint  maître  de  cha- 
pelle à  Weimar,  où  il  mourut. 

Les  oeuvres  de  Hummel  sont  d'un  style  tout  à  fait  semblable  à  celui  de 
Beethoven;  leurs  dispositions  au  point  de  vue  de  l'exécution  sont  même 
meilleures,  mais  le  génie  en  est  totalement  absent  :  les  thèmes  sont 
inconsistants;  ils  débutent  souvent  d'une  façon  assez  heureuse  mélodi- 
quement,  mais  ils  ne  tardent  pas  à  se  résoudre  en  simples  traits^ 
surtout  en  traits  de   piano.  Nous   avons  déjà  constaté,  chez  Dussek  et 


LES  CONTEMPORAINS  DE  BEETHOVEN  397 

chez  d'autres,  une  tendance  analogue  :  cette  intrusion  du  trait  dans 
la  forme  Sonate  provient  des  usages  du  Concerto  à  solistes,  dont  nous 
étudierons  la  forme  et  le  style  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre. 
Une  telle  confusion  de  genres  si  différents  ne  pouvait  avoir  d'autre 
résultat  que  d'abâtardir  la  belle  forme  Sonate,  et  nous  verrons  bientôt 
que  les  meilleurs  Romantiques,  Schubert  et  Weber  lui-même,  ne 
purent  se   soustraire  complètement  à   cet    effet  désastreux. 

On  possède  de  Hummel  huit  Sonates  pour  piano  et  violon  et  six  pour 
p'iâno,  son  a  deux  mains,  soit  à  quatre,  soit  même  à  trois!  Les  quatre 
Sonates  à  deux  mains  sont  les  plus  intéressantes  (op.  i3,  en  Mn,  Sonate 
de  F  Alléluia;  op.  20,  en  fa,  dédiée  à  Haydn  ;  op.  81,  en  fa  r^,  et  op.  106, 
en  RÉ,  datant  de  1820). 

John  FIELD,  né  à  Dublin,  fut  élève  de  Clementi  et  le  suivit,  d'abord  à 
Paris,  puis  à  Saint-Pétersbourg  où  il  s'établit  et  acquit  bientôt  une 
grande  renommée.  Il  écrivit  quatre  Sonates  pour  piano  dans  lesquelles 
l'influence  beethovénienne  est  manifeste.  Ensuite  il  renonça  à  cette 
forme  et  produisit  des  espèces  de  «  miniatures  musicales  »,  à  la  manière 
de  celles  qu'on  intitula  originairement  Bagatelles,  On  doit  aussi  à  Field 
la  «  création  »  du  genre  Nocturne  pour  piano,  qui  fut  depuis  si  répandu. 

Ferdinand  RIES  naquit  à  Bonn,  comme  Beethoven,  dont  il  fut  même 
le  seul  véritable  élève  pendant  quatre  ans,  de  1 800  à  1804.  Il  écrivit  une 
biographie  de  son  maître,  en  i838,  et  mourut  à  Francfort,  où  il  était 
directeur  de  la  Cecilien  Verein.  Ries  est  l'auteur  d'une  Sonate  pour  vio- 
loncelle et  de  vingt  Sonates  pour  violon. 

Friedrich  Wilhelm  Michael  KALKBRENNER,  élève  du  Conservatoire  de 
Paris,  remporta  de  grands  succès  comme  virtuose  entre  1806  et  1814  ; 
il  voyagea  ensuite  pendant  une  dizaine  d'années  et  revint  se  fixer,  en 
1824,  à  Paris,  où  il  devint  associé  delà  maison  Pleyel. 

En  passant  par  l'Allemagne,  il  avait  subi  sans  doute  l'influence  de 
Beethoven  :  aussi  écrivit-il  treize  Sonates  pour  piano  (dont  trois  à  quatre 
mains)  et  quatre  Sonates  pour  violon.  Mais  il  ne  tarda  pas  à  se  montrer 
jaloux  de  l'auteur  des  neuf  Symphonies,  pour  lequel  il  manifestait,  à 
tout  propos  et  hors  de  propos,  un  fâcheux  dédain  (i).  I!  se  borna  des 
lors  à  écrire,  comme  la  plupart  des  virtuoses  de  son  temps,  des  pièces 
de  piano  «  pour  salon  ». 

Toutes  les  oeuvres  de  Kalkbrenner,  sans  exception,  n'ont  d'autre  but 
que  de  faire  valoir,  au  détriment  de  la  musique,  l'agilité  des  doigts  de 
l'exécutant, 

(i)  Voir  W.  de  Lcnz.,  op.  cil. 


39»  LA  SONATE  CYCLIQUE 

Ignaz  MOSCHELES,  né  à  Prague,  travailla,  ainsi  que  Hummel,  avec 
Albrechtsberger  et  Salieri,  à  Vienne,  où  il  connut  également  Beethoven  : 
il  devint  même  son  ami  et  fut  chargé  par  le  maître  de  préparer  la 
transcription  pour  piano  de  Fidelio.  Il  s'établit  à  Londres  en  182 1,  puis 
en  1846  à  Leipzig,  où  il  mourut.  Il  écrivit  une  Sonate  caractéristique^ 
op.  27,  une  Sonate  mélodique^  op.  49,  et  un  grand  Duo  pour  deux  pia- 
nos, en  forme  Sonate,  op.  92,  intitulé  Hommage  à  Haendel. 

5,    —    LES    ROMANTIQUES. 

Karl  Maria  Friedrich  Ernst,  baron  von  Weber.  lySôf  1824 

Franz  Peter   Schubert 1797  f  1828 

Jakob  LuDwiG  Félix    Mendelssohn-Bartholdy.     .  1 809  f  1847 

Frédéric-François  Chopin 1 809  f  1849 

Robert  Schumann i8iot  i856 

Ces  cinq  compositeurs  appartenant  à  la  période  romantique  n'ont 
donné  à  la  forme  Sonate  aucun  essor  nouveau  :  par  l'etfet  de  leur  inap- 
titude à  la  construction  ou  de  leur  simple  indifférence,  ils  l'ont  laissée 
telle  qu'elle  avait  été  consacrée  avant  eux  par  Ha^'dn,  Mozart  et  Beetho- 
ven, se  bornant  à  3^  introduire  cette  exagération  expressive  qui  caracté- 
rise, dans  tous  les  domaines,  les  productions  du  Romantisme.  Ainsi, 
cette  époque,  pourtant  si  féconde  en  tentatives  nouvelles  dans  la  litté- 
rature et  les  arts  plastiques,  semble  submerger  peu  à  peu  la  belle  forme 
Sonate  sous  le  flot  chaque  jour  grossi  des  «  morceaux  romantiques  », 
pièces  fantaisistes  et  sans  formes  nettes,  dont  il  sera  question  à  propos 
du  genre  descriptif  et  du  Poème  Symphonique  dans  la  Seconde  Partie 
du  présent  Livre.  Et  c'est  seulement  à  l'École  Française  contemporaine 
qu'il  était  réservé  d'accomplir  la  véritable  rénovation  cyclique  de  la 
forme  symphonique  traditionnelle  (voir  ci-après,  p.  422  et  suiv.). 

Karl  Maria  von  WEBER  naquit  à  Eutin,  dans  le  duché  d'Oldenbourg, 
d'une  famille  de  musiciens  apparentée  à  la  femme  de  Mozart,  Konstanze 
von  Weber.  Il  s'occupa  d'abord  de  lithographie  et  contribua  beaucoup 
à  perfectionner  les  procédés  que  venait  de  découvrir  Senefelder  ;  mais 
il  ne  tarda  pas  à  abandonner  cet  art  pour  la  musique,  qu'il  étudia  à 
Vienne  avec  l'abbé  Vogler.  Après  avoir  occupé  divers  postes,  notam- 
ment à  la  cour  de  Wurtemberg,  Weber  fut  nommé  chef  d'orchestre 
du  théâtre  national  à  Prague,  en  i8i3  ;  peu  de  temps  après,  en  18 16, 
le  roi  de  Saxe  le  chargea  d'organiser  à  Dresde  un  Opéra  allemand. 
C'est  donc  principalement  dans  le  Troisième  Livre  de  cet  ouvrage  que 
nous  étudierons  le  rôle  de  Weber  dans  l'art  musical  dramatique  :  ses 


LES  ROMANTIQUES 

œuvres  de  forme    Sonate,   qui  sont  beaucoup  moins   importantes,  se 
répartissent  ainsi  : 

i"  six  Sonates  progressives  pour  piano  et  violon,  op.  22  ; 

2"  première  Sonate  pour  piano  seul,  en  UT^  op.  24  (1812)  ; 

3*  deuxième  Sonate  pour  piano  seul,  en  la  b,  op.  Sq  (1816)  ; 

4"  Duo  concertant  pour  piano  et  clarinette,  en  Ml  ?,  op.  48  (1816)  ; 

5°  troisième  Sonate  pour  piano  seul,  en  re,  op.  49  (1816)  ; 

6°  quatrième  Sonate  pour  piano  seul,  en.  m;,  op.  70(1819-1822); 

7°  une  Sonate  pour  piano  à  quatre  mains. 

Les  quatre  Sonates  pour  piano  seul,  que  Spitta  qualifie  assez  juste- 
ment de  «  Fantaisies  en  forme  Sonate  »,  méritent  d'être  étudiées,  non 
pour  leur  construction,  parfois  très  imparfaite,  mais  pour  les  trésors 
d'invention  que  le  génie  si  prime-sautier  de  Weber  y  dépense,  afin  de 
suppléer,  sans  doute,  à  son  inexpérience  de  l'architecture. 

Cette  fantaisie,  souvent  si  séduisante,  suffit  amplement  à  alimenter 
l'intérêt  des  expositions  et  réexpositions  ;  mais  il  n'en  est  malheureu- 
sement pas  de  même  dans  les  parties  de  développement,  toujours  défec- 
tueuses. 

On  retrouve  dans  toutes  ces  œuvres,  comme  dans  le  Freisch'ùl\  et 
dans  Euyyanthe,  l'influence  du  Romantisme  allemand,  se  dressant 
comme  une  perpétuelle  protestation  contre  l'opéra  italien  et  contre  la 
musique  française,  dont  le  goût  s'était  répandu  simultanément  dans  la 
plupart  des  Cours  allemandes  depuis  la  fin  du  xviii*  siècle. 

Chez  Weber,  le  mouvement  initial  de  la  Sonate  affecte  presque  tou- 
jours un  aspect  dramatique  et  parfois  même  tragique.  Le  finale,  au 
contraire,  redevient  un  simple  divertissement,  en  général  de  forme  Ron- 
deau, sans  s'élever  jamais  à  la  haute  portée  qu'avait  su  lui  donner  Bee- 
thoven :  de  ce  côté,  il  y  a  un  véritable  recul,  comme  si  Weber  avait 
voulu  plutôt  se  rapprocher  du  style  de  Haydn.  Dans  les  pièces  lentes,  on 
voit  apparaître  pour  la  première  fois  un  procédé  dont  on  a  gravement 
abusé  depuis,  et  qui  consiste  à  faire  entendre  un  même  thème  avec 
plusieurs  harmonies  différentes,  en  modifiant  les  «  accords  »  employés 
sans  toucher  aucunement  à  la  mélodie. 

Nous  donnons  ci-dessous  le  plan  de  chacune  des  quatre  Sonates  de 
piano. 

Première  Sonate,  op.  24,  en  vt.  —  Dédiée  à  la  grande-duchesse 
Maria   Paulowna. 

—  Composée  à  Berlin,  en   1812. 

—  En  quatre  mouvements    S.  L.  W.  R.)  : 

*o  Allegro^  en  i'i,  de  forme  Sonate. 


•loo  LA  SONATE  CYCLIQUE 

Exp.  Th.  A  à  la  T. 

—  Pont  et  Th.   B,   très    agogiques  et  ne    se    distinguant  pas   nette- 

ment l'un  de  l'autre. 
Dév.    sans   intentions    précises   et    modulant  à   des   tonalités  assez  mal 

choisies,  comme  ré. 
RÉExp.  Th.  A,  en  Ml  b. 

—  Pont  et  Th.  B  à  la  T. 

2"  Andante,  tviFA,  construit  comme  un  Lied  simple. 

{.     Thème  principal  en  F^. 

II.  Exposition  de  trois  thèmes  nouveaux  en  UT,  ut  et  RÉ  o. 

III.  Thème  principal  en  F/4,  réexposé  quatre  fois  sur  des   harmonies  dif- 

férentes, avec  une  sorte  de  développement  mélodique. 

3°  Minuetto,  en  m/,  ayant  la  forme  normale  d'un  Scherr^o. 
4°  Rondo  en  ut  :  le  célèbre  Motum  perpetuum,  sans  autres  particula- 
rités que  son  rythme  continu  et  son  extrême  rapidité. 

Deuxième  Sonate,   op.    Sg,  en  la^ .  —  Dédiée  à  Frantz  Lanzka. 

—    Composée  à  Prague  en   i8i6. 

■ —  En  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

1°  Allegro  fnoderaio,  en  la  i>,   de  forme  Sonate. 

Exp.  Th.  A,  en  deux  fragments  {a'  et  a")  n'offrant  aucune  espèce  oe 
parenté  l'un  avec  l'autre. 

—  Pont  agogique. 

—  Th.  B,  qui  commence   sur  la  D.  de  MI  b  et  se  décompose  en  deux 

phrases:  b',  sans  grand  caractère  mélodique,  et  b",  purement 
agogique,  suivant  l'usage  du  trait  de  Concerto.  Tout  ce  thème  B 
se  dégage  difficilement  du  ton  de  LA  [,. 

Dév.  qui  contient  une  troisième  idée  G,  assez  éphémère,  en  fa,  et  vague- 
ment analogue  au  fragment  a". 

RÉEXP.  partielle  des  deux  idées  :  le  fragment  a'  est  enchaîné  au  fragment 
b" ,  sans  que  a"  ni  b'  soient  réexposés  ;  la  conclusion  contient 
quelques  éléments  de  b  . 

2"  Andante  en  forme  de  grand  Lied  (LL),  en  ut,  divisé  en  six  sections 
toujours  terminées  par  des  cadences  conclusives  donnant  à  chacune 
d'elles  l'aspect  d'une  véritable  fin.  Ce  défaut  de  construction  se 
retrouve  chez  la  plupart  des  compositeurs  qui,  comme  Weber,  savent 
peu  et  mal  développer  leurs  idées. 

i  I.    Th.  principal  A,  en  ut,  avec  inflexion  vers  mi^. 

<   II.    Th.  accessoire  B,  composé  de  deux  phrases  :  l'une  b' ,  en  ^fJ  t>,  reprise 

'  deux  fois,  et  l'autre  b"  en  forme  de  marche. 

III.  Th.  princ.  A,  en  UT. 

IV.  Phrase  b",  en  UT. 

V.  Th.  princ.  A,  en  ui,  avec    des   harmonies    différentes    modifiant  sa 
cadence  au  point  de  l'amener  jusqu'à  la  tonalité  de  tni  P. 

VI.  Th.  accessoire  [b    et  b")  en  ut. 


LES  ROMANTIQUES  4<^i 

Les  six  sections  de  ce  Lied  se  groupent  deux  à  deux  et  constituent  trois 
grands  compartiments  tout  à  fait  indépendants. 

3**  Mimietto,  en  la\>^  ayant  la  forme  normale  du  Scherzo  en  rythmes 
de  deux  mesures  ;  son  /Wo,  en  ré  p  ,  est  d'une  allure  rêveuse  très  spéciale 
au  style  de  Weber. 

4°  Rondo,  en  la  \>,  avec  cinq  reprises  du  refrain. 

Troisième  Sonate,  op.  49,  en   ré. 

—  Composée  à  Berlin  en  1816. 

—  En  trois  mouvements  (S.  L.  R.)  : 

lo  Allegro  féroce,  en  ré,  de  forme  Sonate. 

Exp.  Th.  A  court,  en  ré. 

—  Ponl  en  deux    éléments  (f  et  f"). 

—  Th.  B  en  trois  éléments  : 

—  —       b  ,  en  Fà,  phrase  lied  complète. 

—  —       b", simple  trait  mélodique. 

—  —      t**,  conclusion  par  le  fragment  p" . 
DÉv.  en  marche  vers  le  ton  de  la. 

—  en  repos  par  le  fragment  p  ,  dans  un  style  scolastique  assez  em- 

barrassé. 
RÉEip.   Th.    A  en  RÉ,  combiné  avec  p" . 

—  Th.  B{b',  b",  b'"),  suivi  d'une  conclusion  en  RÉ. 

2"  Andante  cou  moto,  en  si  t»,  de  ïonnt  grand  Lted  ILL)  divisé  en  cinq 
sections. 

I.  Th.  principal  suivi  de  deux  variations  et  formant  une  triple  exposition 

en  SI  i> . 

II.  Elément  mélodique  nouveau,  en  marche  vers  sol. 

ni.  Th.  princ  en  S/t>,  en  forme  variée  et  avec  un  dév.  har))iotiique. 

IV.  Autre  élém.  nouveau  en  A//t>. 

V.  Th.  princ.  en  S/ b,  avec  conclusion. 

3*  Presto,  en  RÉ,  formant  Rondeau  à  trois  refrains  dont  le  dernier 
fait  entendre  le  thème  du  second  couplet  superposé  à  celui  du  refrain. 

Quatrième  Sonate,  op.  71,  en  mi. 

—  Composée  à  Hostewitz,  de  1819  à  1822,  pendant  que  Weber  pré- 
parait Euryanthc. 

—  En  quatre  mouvements  (S.  M.  L.  R.)  : 
1°  Moderato,  en  m/,  de  forme  Sonate. 

Exp.    Th.  A  suivi  d'un  pont  agogique  (P),  qui  est    assez   maladroitement 

relié  à  la  seconde  idée  : 
Th.  B,  en  SOL,  ramenant  le  th.  A  dans  ce  même  ton,  comme  une 

phrase  complémentaire. 
Dév.    par  les  éléments  de  P.,  amenant  une  mélodie  nouvelle  en  LA. 
RÉEIP.  Th.  A,  en  ml 

—  Th.  B,  en  mi,  suivi  de  A,  en  Sti,  comme  complément. 

—  Pont  en  mi,  amenant  la  conclusion. 


CoUFi    DI    COMPOÏITION.     —    T.    Il,     I 


36 


4ca  LA  SONATE  CYCLIQUE 

2«  Mimieito,  en  ;«/,  sur  un  rythme  de  Scherzo  (binaire),  suivi  d'un 
trio  en  forme  de  valse  allemande  très  caractéristique  du  génie  populaire 
de  Weber.  On  trouve  parfois  dans  Beethoven  [trio  du  Scherzo  de  la 
Sonate  pour  violon,  op.  96,  par  exemple)  des  thèmes  analogues. 

3°  Andante,  en  (/r,  de  forme  grand  Lied  (LL)  en  cinq  sections  Le 
thème  est  assez  semblable  à  celui  dont  Weber  s'est  servi  dans  le  Frei- 
schïU'^  pour  la  ronde  des  jeunes  filles. 

/^''Finale.  Tarentella,  en  a//,  de  forme  Rondeau  à  rythme  constant^ 
avec  cinq  refrains. 

Cette  dernière  Sonate  est  la  seule  où  l'on  puisse  voir  une  tentative 
de  renouvellement  de  la  forme  par  le  moyen  de  la  combinaison  des 
deux  thèmes  (A  et  B)  que  nous  avons  signalée  dans  le  mouvement 
initial  ;  mais  un  essai  aussi  timide,  de  la  part  d'un  auteur  si  peu  habile 
dans  la  construction,  ne  pouvait  avoir  aucune  portée,  et  les  charmantes 
idées  mélodiques  de  ses  Sonates  ne  sauraient  suffire  à  élever  celles-ci  au 
rang  des  monuments  de  l'art. 

Franz  SCHUBERT  était  le  fils  d'un  maître  d'école  de  Lichtenthal, 
près  de  Vienne.  Ses  études  d'art  furent  des  plus  sommaires  et  sa  car- 
rière des  plus  simples,  car  il  ne  quitta  pour  ainsi  dire  jamais  la  ville  de 
Vienne.  On  peut  le  considérer  comme  le  type  du  génie  sans  culture  : 
dans  ses  Lieder,  où  la  fougue  de  l'inspiration  pouvait  suppléer  au  talent 
architectural,  il  fut  souvent  incomparable  ;  mais  toutes  celles  de  ses 
œuvres  qui  appartiennent  aux  formes  où  la  nécessité  du  plan  est  impé- 
rieuse sont  très  inégales,  sinon  tout  à  fait  défectueuses. 

Aussi  étranger  que  Weber  à  tout  principe  de  construction,  il  se  laissa 
conduire  encore  plus  par  sa  fantaisie  ;  et  ses  compositions  symphoni- 
ques,  pourtant  nombreuses,  n'offrent  pour  la  plupart  qu'un  intérêt  mé- 
diocre, tant  leur  valeur  est  dépréciée  par  le  manque  absolu  d'ordre,  de 
proportion  et  d'harmonie  générale.  On  ne  saurait  trop  déplorer  chez 
Schubert  ce  grave  défaut  de  conscience  artistique,  qui  l'entraîna  à  écrire 
à  tort  et  à  travers,  sans  se  soucier  d'acquérir  le  talent  nécessaire  pour 
mettre  ses  idées  en  œuvres  (i)  ;  et  c'est,  hélas  !  avec  trop  de  raison 
qu'on  a  pu  dire  de  lui  :  «  Schubert  fut  l'esclave  de  ses  idées  musicales 
«t  ne  sut  jamais  en  être  le  maître  (2)  ». 

Vers  la  fin  de  sa  vie,  comprenant  mieux  sans  doute  les  déplorables 
lacunes  de  son  instruction,  il  résolut  d'étudier  sérieusement  l'art  de  la 
composition  et  s'adressa  dans  ce  but  au  célèbre  théoricien  Simon 
Sechter(3)  pour  prendre  avec  lui  régulièrement  des  leçons  de   contre- 

(i)  Voir  I"  liv.,  Introd.,  p,  i  5,  en  note. 

(2)  J.  S.  Shedlock  :  The  Pianoforte  Sonata,  p.   199  (Éd.  Mathison,  London,   1895). 

(3)  Simon  Sechter  (178S  f  1867)  publia  en  i853-54  un  Traité  de  Composition  d'après  les 
principes  harmoniques  de  Rameau. 


LES  RCjMAMIQLES  ^o-) 

point:  on  était  alors  au  commencement  de  l'année  1828,  Schubert 
mourut  quelques  mois  après,  sans  avoir  eu  le  temps  d'apprendre  enfm 
à  utiliser  en  de  grandes  œuvres  les  ressourcc's  de  son  immense  génie. 

On  connaît  de  lui,  dans  la  forme  Sonate  : 

1°  trois  Sonatines  pour  piano  et  violon  (op.  iSj)  ; 

2°  trois  Sonates  pour  piano  à  quatre  mains  (op.  3o,  op.  40  et  œuvre 
pGs»^hume)  ; 

3°  quinze  Sonates  pour  piano  seul. 

La  classification  des  œuvres  de  Schubert  est  des  plus  incertaines, 
par  suite  du  fâcheux  mépris  de  l'auteur  pour  toute  espèce  de  détails, 
aussi  bien  dans  l'exactitude  des  dates  et  la  correction  des  textes,  que 
dans  les  numéros  d'ordre  ajoutés,  le  plus  souvent,   par  les  éditeurs. 

Voici  cependant  la  liste  chronologique  des  Sonates  pour  piano  seul  : 

i^deux  Sonates  :  en  mi  et  en  <7r  (181 5)  ; 

2°  cinq  Sonates  :  en  la  p,  en  mi  et  en  si,  op.  147  (i),  en  la,  op.  164  (2) 
et  en  3/7  b,  op.    122  (3)  (18 17)  ; 

3**  une  Sonate  en  la,  op.  143  (4)  (i823)  ; 

4°  quatre  Sonates  :  en  la,  op.  120  (5),  en  la,  op.  42  [6),  dédiée  à 
l'archiduc  Rodolphe,  en  i?É,  op.  53  (7)  et  en  sol,  op.  78(1825-1826); 

5"  trois  Sonates  écrites  en  septembre  1828,  trois  mois  avant  la  mort 
de  l'auteur,  et  publiées  postérieurement  :  en  ut  (8),  en  la  (9)  et  en5/rj  (10). 

Il  est  à  remarquer  que  le  ton  de  la  majeur  ou  la  mineur  semble  avoir 
exercé  sur  Schubert  une  séduction  particulière,  puisque  six  de  ces 
quinze  Sonates  ont   cette  même  tonique. 

Les  Sonates  que  nous  signalons  ci-après  méritent  d'être  étudiées 
tout  autant  pour  leur  débordante  inspiration  que  pour  leurs  défauts 
mêmes,  souvent  aussi  instructifs. 

La  Sonate  op.  147,  en  si,  contient  un  charmant  ScZ/tv-o  en  50L. 

La  Sonate  op.  164,  en  la^  oft're  certaines  particularités  dans  son 
mouvement  initial  :  le  second  thème  y  rappelle  de  très  près  celui  du 
finale  dans  Top.  81  de  Beethoven,  et  toute  la  réexposition  y  est  au  ton 
de  la  sous-dominante. 

La  Sonate,  op.  143,  est  en  /a  également;  son  premier  mouvement  est 
construit  au  rebours  de  tout  bon  sens,  avec  des  idées  musicales  admi- 

(i)  Edition  Pe'crs,  n°  6. 

(2)  Ibid.,  n»  7. 

(3)  Ibid.,  n»  4. 

(4)  Ibid.,  n»  5. 

(5)  Ibid.,  n»  :■!. 

(6)  Ibid.,  n-  i. 

(7)  IbiJ.,  n»  2. 

(8)  Ibid.,  n»  8. 
(g)  Ibid.,  n»  9. 
(lo)  Ibid.,  n«  10. 


^04  LA  SONATE  CYCLIQUE 

rables  en  elles-mêmes  ;  mais  ces  qualités  d'inspiration  ne  parviennent 
pas  à  bannir  l'impression  d'ennui  provenant  de  leur  pitoyable  emploi. 
Dans  la  Sonate  posthume  en  la,  il  faut  noter  le  thème  de  YAndantino, 
en  fa  ï,  en  raison  de  sa  coupe  rythmique  spéciale  par  huit,  dix,  huit  et 
six  mesures  : 


r\  iiuauiino 


j    1^'  période:    10  mesurai 


^^^^^^ 


I    r>^  période:  8  mesure 


SS 


lériodj 


ni'^bures 


^^ 


m 


ïfë 


après  l'exposition  de  ce  thème,  on  trouve  dans  le  même  morceau  une 
sorte  de  récitatif  instrumental  sans  conclusion  mélodique,  du  genre 
de  ceux  que  Liszt  devait  introduire  plus  tard  dans  ses  œuvres  avec  un 
véritable  abus . 

Nous  avons  réservé  pour  la  fin  la  Sonate  op.  42,  en  /a,  car  elle  est 
intéressante  à  tous  les  points  de  vue  :  seule  peut-être  parmi  les  Sonates 
de  Schubert,  elle  se  distingue  par  la  pureté  de  la  forme  tout  autant  que 
par  la  qualité  des  idées. 

Cette  Sonate  est  en  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

1°  Moderato^  en  la,  de  forme  Sonate. 

Exp.  Th.  A,  véritable  idée  symphonique  qui  semble  soutenir  toute  la 
pièce,  comme  la  clé  de  voûte  d'un  édifice  :  on  la  retrouve  partout 
et  totijours  d'une  manière    intéressante  : 


S) 


W^^^ 


Zfli-. 


p.,  dessin  très  rythmique  servant  de  pont  pour  conduire  à  la  seconde  idée 


i.ES  ROMANTIQUFS 


AO'i 


—  Th.  B,  en    uT,    dont  chaque  phrase  se    rapporte  nettement    à    l'un  Jcs 

éléments  constitutifs  du  morceau  : 

—  —     la  phrase  b    rappelle  le  rythme  du  pont  P.  : 


—      —     le  dessin  conclusif  b'",  tout  à  fait  charmant,  est  encore  emprunte 
au  rythme  de  P.  : 


f>^c". 


la  phrase  b"  reproduit  le  ih.  A,  à  la  ionique  mineure,  ut,  de  l'idée  B 


î'P 


Dev.  presque  totalement  constitué  par  le  th.  A  ;  ce  développement  ne  se 
perd  point  en  redites  inutiles  comme  ceux  des  autres  Sonates  :  il 
agit  vraiment. 

RÉExp.  Th.  A,  qui  oscille  entre  la  et  ut,  sans  s'imposer  très  fortement  au 
point  de  vue  tonal. 

—  Pont  affirmant  nettement  le  ton  principal  après    la  réexposition  de  A  . 

cet  artifice  ne  manque  pas  d'une  certaine  originalité. 

—  Th.  B,  aussi  instable  que  le  th.  A,  comme  tonalité  : 

—  —     b'  est  en  la. 

—  —     b"  est  en  LA. 

_  —  1)1"  débute  en  FA,  avant  d'aboutir  à  la  et  d'amener  la  conclusion 
par  de  charmantes  harmonies. 

•  2"  Andanle,  en  f/r,  consistant  en  un  thème  écrit  tout  à  fait  dans  le 
style  de  Weber  et  suivi  de  six  variations. 

2°  Scherio,  en  /a,  sur  des  rythmes  de  f/;/i/  mesures,  avec  un  trio  poé- 
tique et  rêveur. 

4»  Allegro  inrace,  en  /tr,  de  forme  Fiondeau  à  aiialre  refrains.  Le  thème 
initial,  dont  les  périodes  se  reproduisent  de  qualor\e  en  cjnator-{e  mesures, 
est  un  excellent  exemple  de  rythmes  coupés  librement  et  sans  carrure, 
donnant  à  la  mélodie  un  caractère  haletant  très  spécial.  Le  second 
thèfîie,  formé  de  quatre,  quatre  et  six  mesures,  a  les  mêmes  qualités. 

Ces  mérites  rythmiques,  la  valeur  des  idées  et  même  leur  disposition 
spéciale,  tout  concourt  donc  à  faire  de  cette  Sonate,  op.  42,  une  œuvre 
de  premier  ordre  qui  devrait  être  mieux  connue  des  musiciens  ayant  le 
souci  de  leur  art. 


406  LA  SONATE  CYCLIQUE 

Félix  MENDELSSOHN-BARTHOLDY,filsdu  banquier  Israélite  Abraham 
Mendelssohn,  de  Berlin,  naquit  à  Hambourg  et  fit  preuve  dès  son  jeune- 
âge  de  réelles  aptitudes  musicales.  Doué  d'admirables  facultés  d'assi- 
milation, il  sut  bientôt  tout  ce  qu'il  était  possible  de  savoir  en  mu- 
sique; mais  l'esprit  d'invention  lui  manqua  presque  totalement.  Nous 
constaterons  dans  le  Troisième  Livre  de  ce  Cours,  à  propos  de  l'art 
dramatique,  que  de  telles  qualités  et  de  tels  défauts  sont  extrêmement 
répandus  chez  les  Israélites:  toujours  habiles  à  s'approprier  le  savoir 
des  autres,  ils  ne  sont  presque  jamais  véritablement  artistes  par 
nature. 

Seul  peut-être  parmi  les  musiciens  de  sa  race  Mendelssohn  eut  le 
mérite  de  savoir  préférer  la  composition  symphonique  à  la  carrière 
musicale  dramatique,  pourtant  plus  lucrative,  vers  laquelle  se  ruaient  à 
cette  époque  tant  de  juifs  notoires.  Car  il  avait  su  comprendre  et 
aimer  l'œuvre  du  grand  J.-S.  Bach  :  il  avait  même  été  l'un  des  pre- 
miers à  la  remettre  en  honneur  et  à  la  répandre.  Après  une  carrière 
de  virtuose,  il  devint,  en  1834,  chef  d'orchestre  du  Gen>andhaus  de 
Leipzig  et  fonda  en  1843,  avec  la  collaboration  de  Schumann  et  du 
violoniste  Ferdinand  David,  le  célèbre  Conservatoire  de  Leipzig,  qui 
devait  contribuer  si  efficacement,  depuis,  à  paralyser  en  Allemagne  les 
progrès  de  l'art  musical. 

La  musique  de  Mendelssohn  est  généralement  séduisante  par  ses 
qualités  extérieures  ;  mais  il  y  règne  constamment  un  esprit  à' éclectisme 
qu'il  faut  considérer  comme  tout  à  fait  haïssable,  surtout  en  matière 
d'œuvre  d'art.  Ses  Sonates  sont  au  nombre  de  dix  : 

1°  une  Sonate  pour  piano  et  violon,  op.  4  ; 

2°  une  Sonate  pour  piano  seul,  op.  6  ; 

3°  deux  Sonates  pour  piano  et  violoncelle,  op.  45  et  58  ; 

4°  six  Sonates  pour  orgue,  op.  65. 

La  Sonate  pour  piano  est  un  véritable  calque  de  Beethoven  :  le  mou- 
vement initial,  par  la  nature  des  idées  et  la  proportion  générale,  rap- 
pelle très  exactement  celui  de  l'op.  \o\\VAndantc  déhnXQ  par  une  phrase 
récitée,  de  même  forme  et  de  même  allure  que  celle  de  V Adagio  de 
cette  même  Sonate,  op  loi,  de  Beethoven;  dans  la  ii*"  section,  c'est 
V Adagio  de  l'op.  106  qui  transparaît  assez  nettement;  quant  au 
finale,  il  n'a  vraiment  plus  rien  de  beethovénien  :  il  est  terriblement 
vulgaire  et  ne  se  distingue  que  par  un  spécimen  de  c^nt  belle  phrase 
à  la  Mendelssohn,  à  l'aide  de  laquelle  la  plupart  des  musiciens  alle- 
mands et  même  français  de  la  fin  du  xix^  siècle  ont  constitué  leur 
«  bagage  musical  ». 

En  résumé,  ces  Sonates  ne  dépassent  guère  la  valeur  d'un  très  bon 
devoir  d'élève. 


LES  ROMANTIQUES  407 

Frédéric  CHOPIN,  né  à  Zelazowa-Wola,  près  de  Varsovie,  d'une 
famille  française  émigrcc,  fut  un  véritable  enfant  prodige.  II  acquit 
de  très  bonne  heure  une  réputation  méritée  de  virtuose  hors  ligne, 
et  passa  la  plus  grande  partie  de  sa  courte  vie  à  Paris,  dans  le  cénacle 
romantique,  auprès  de  Berlioz,  Henri  Heine,  Liszt  et  Balzac.  Il  mourut 
à  quarante  ans  d'une  maladie  de  poitrine  qu'il  n'avait  rien  fait  pour 
conjurer. 

Avec  l'œuvre  de  Chopin  nous  voyons  apparaître  ce  que  l'on  a  appelé, 
depuis,  le  style  pianislique,  style  dont  les  effets  ont  été  et  sont  encore 
déplorables  à  bien  des  points  de  vue.  Toutes  les  compositions  de  piano 
examinées  par  nous  jusqu'ici  demeuraient  en  effet  exclusivement  musi- 
cales, qu'elles  fussent  signées  Bach,  Rameau,  Haydn,  Beethoven  ou 
môme  Schubert:  c'est-à-dire  que  le  souci  légitime  de  l'effet  instrumental 
y  était  toujours  subordonné  aux  droits  et  aux  exigences  de  la  musique. 
A  l'époque  romantique  cependant,  nous  avons  signalé  l'influence  nais- 
sante du  style  Concerto^  se  manifestant  notamment  par  l'extension  inso- 
lite du /razY  a^o^/^-we  ou  /ra//  de  inrtiiositê  servant  de  conclusion  à 
la  première  exposition  dans  les  mouvements  du  type  S.  C'est  parla  que 
s'introduisirent  dans  la  musique  de  piano  deux  erreurs  fort  craves,  dont 
Chopin  exagéra  les  effets  en  raison  même  de  son  insuthsance  d'instruc- 
tion véritablement  musicale  : 

1°  les  tonalités  choisies  pour  les  doigtés  avantageux,  et  non  pour  la 
logique  architecturale  de  l'œuvre  ; 

2"  les  passages  entiers  écrits  uniquement  pour  la  virtuosité^  et 
n'ayant  aucun  rôle  utile  dans  l'équilibre  de  la  composition. 

Chopin  n'écrivit  que  quatre  Sonates  ;  trois  d'entre  elles  sont  pour 
piano  seul  :  l'op.  4,  en  ut  (1828),  l'op.  35,  en  s;  t>  (1840),  et  l'op.  58, 
en  si  (1845).  La  dernière,  op.  65,  en  50/  (^847),  est  pour  piano  et  vio- 
loncelle. 

La  Sonate  op.  58,  en  5/,  est  la  plus  remarquable  au  point  de  vue  de 
l'invention  musicale.  Tout  esprit  de  construction  et  de  coordination 
des  idées  y  est  malheureusement  absent;  mais  la  plupart  de  ces  idées 
mêmes  sont  vraiment  resplendissantes  de  richesse  mélodique. 

Cette  Sonate  est  en  quatre  mouvements  (S.  M.  L.  R.)  : 

1°  Allegro  maestoso,  en  si,  de  forme  Sonate. 

Exp.  Th.  A,  empreint  d'une  réelle    noblesse  et  de  qualité.s  symphoniqites 
dont  un  Beeihoven  eût  assurément  tiré  grand  parti  : 


•108  LA  SONATE  CYCLlOUfi 

—  Mais  l'auteur  ne  sait  malheureusement  pas  continuer  aussi  bien  l'expo- 
sition de  son  idée  :  il  a  recours  à  d'inutiles  redites,  à  de  véritables 
ajustages,  quatre  mesures  par  quatre  mesures,  sans  cohésion  mélodique 
ni  tonale,  et  ainsi  se  perd  tout  l'intérêt  de  cette  exposition  du  thème  A. 

—  P.,  pont  assez  bien  disposé  amenant  la  seconde  idée  en  RÉ , 

—  Th.  B,  en  trois  phrases,  suivant  le  système  beethovénien  :  voici  la  mé- 
lodie de  la  première  phrase,  b'  ; 


etc. 


—  On  peut  se  rendre  compte  par  cette  citation  que  cette  phrase  b',  après 
avoir  commencé  d'une  façon  tout  à  fait  séduisante,  se  perd  ensuite  en 
de  plats  italianismes  encore  aggravés  par  Vornement  qui,  hélas  !  n'a  plus 
rien  ici  du  bel  ornement  grégorien.  Ce  défaut  est  assez  fréquent  chez 
Chopin,  lorsqu'il  s'attaque  à  des  formes  réclamant  quelque  grandeur  de 
conception.  Il  a  recours  alors  à  des  tournures  italiennes,  empruntées  à 
la  mode  des  théâtres  et  des  salons  de  son  temps.  On  en  est  d'autant 
plus  surpris  que  les  mélodies  de  ses  petites  compositions  fantaisistes 
(nocturnes,  valses,  etc.)  ou  nationales  (polonaises,  mazurkas,  etc.)  ont 
presque  toujours  un  caractère  personnel  et  prime-sautier  qui  fait  ici 
totalement  défaut. 

Dév.,  véritable  devoir  d'un  élève  bien  décidé  à  faire  ici  un  dévelop- 
pement parce  que  c'est  l'usage  ;  mais  toute  logique  en  est  jalousement 
bannie. 

Réexp.  à  peu  près  inexistante,  car  le  meilleur  élément,  le  th.  A,  par  une 
omission  inexplicable,  n'y  reparaît  pas  :  faut-il  y  voir  un  nouvel  aveu 
de  l'impuissance  de  l'auteur  à  tirer  quoi  que  ce  soit  de  ce  beau  thème? 

—  Th.  B.  présenté  seul,  en  67,  dans  son  entier,  et  formant  la  conclusion 
de  cette  enfantine  esquisse  qui  nous  laisse  bien  loin  des  monuments 
d'ordre  et  d'harmonie,  tant  et  si  justement  admirés,  des  Bach  ei  des 
Beethoven  (i). 

2"  Scherzo,  en  Mn-RÉ%,  tout  à  fait  charmant  et  bien  écrit  pour  le 
piano  ;  son  ttio,  en  si,  est  empreint  de  cette  douce  rêverie  par  quoi 
excella  Chopin. 

3"  Largo,  en  si,  de  forme  Lied  absolument  normale  :  le  thème  initial 
est  encore  du  style  italien,  mais  la  section  centrale  a  toute  la  grâce 
caressante  des  meilleures  oeuvres  de  l'auteur. 


(i)  Il  e«t  assez  curieux  de  constater  que  Chopin    use,  dans  presque    toutes  ses  sonates,   de  ce 
procédé,  fautif  au  point  de  vue  de  l'équilibre  du  morceau. 


LES  ROMANTIQUES  ^ 

4'' finale.  Presto  non  tanlo,  en  5/,  de  forme  Rondeau  à  trois  refrains, 
où  le  nerveux  et  séduisant  malade  que  nous  connaissions  fait  place  à 
un  être  vigoureux  et  puissant.  Il  semble  que  les  matériaux  de  cette 
belle  pièce  aient  été  tranchés  à  coups  de  hache  par  quelque  charpentier 
qui  en  aurait  à  peine  équarri  les  assemblages  ;  mais  ces  maladresses 
de  construction,  sans  nuire  notablement  à  ce  finale,  lui  donnent 
au  contraire  un  aspect  un  peu  rude,  assez  comparable  à  celui  des 
soubassements  à  peine  taillés  qu'on  peut  voir  au  palais  Strozzi,  à 
Florence. 

Refrain  i.  Th.  A,  en  5j',  sorte  de  chant  de  guerre  qui  s'expose  deux  fois 
en  toute  plénitude,  sans  arrêt  ni  réticence.  11  faut  citer  ici  ce  thème 
tout  entier,  afin  de  montrer  la  différence  entre  une  esquisse  d'idée, 
même  fort  belle,  comme  celle  du  mouvement  initial,  et  un  thème 
traité  complètement  : 


La  seconde    fois,   le  thème  s'expose  à  l'octave  supérieure  ;  il  monte  et 
s'amplifie  encore  par  celte  envolée  : 


ÉgTf^n^^^ 


:♦'/(' 


Couplet  I.  P.    et  th.  B  en  5/,  simple  trait  de  piano,  très  séduisant. 

Refrain  2.  Th.  .A,  à  la  SD.,  en  mi,  mais  avec  un  accroissement  dvna- 
mique  qui  est  vraiment  génial  :  la  partie  agogique,  confiée  à  la 
main  gauche,  était  en  six  notes  par  mesure,   la  première  fois  : 


410 


LA  SONATE 


Am  deuxième  refrain,  le  dessin  composé  de  huit  notes,  produit  ainsi 
un  rythme  contrarié  bien  propre  a  accroître  l'agitation  de  cette 
héroïque  fanfare  : 


REFRAIN    2 


f'tc. 


Couplet  2.  P.  et  th.  B,  en  Ml  \>,  toujours  sous  forme  de  trait  de  piano. 
Befrain  3-  Th.  A  à  la  T.,  mais   avec   un    dessin    d'accompagnement  de 
dou^e  yiolcs  par  mesure,  donnant  une  intensité  formidable  (i): 


KEFRAIN   3 


—  Conclusion,  en  Si,  qui  contient  à  la  main  gauche  un  dernier  rappel 
du  thème,  en  forme  glorieuse  et  éclatante  comme  s'il  était  confié 
aux  trompettes,  tandis  que  la  main  droite  fait  entendre  une  fulgu- 
rante descente  chromatique  : 


"p::"^ 


^^^^"^^  I  *'"^r;*^'^{r^^^ 


—  La  disposition  graphique  employée  par  Chopin  ..,  ou  peut-être  par  ses 
éditeurs,  fait  que  beaucoup  de  pianistes  négligent  de  faire  sonner  les 
notes  du  thème  à  la  main  gauche. 

Telles  sont  les  principales  particularités  de  ce  finale  qui,  malgré 
ses  imperfections,  mérite  d'être  compté  au  nombre  des  beaux  morceaux 
de  musique. 

(i)  Le  doigté  que  nous  indiquons  ici  à  la  main  droite  est  de  Liszt  :  le  grand  pianiste  avait 
coutume  d'attaquer  toutes  les  notes  du  refrain  dans  cette  troisième  reprise  par  le  3*  doigt 
arc-bouté  en  quelque  sorte  sur  le  pouce  et  le  2«  do  gt  :  ce  passage  prenait  ainsi  une  sono- 
rité cuivrée   extraordinaire. 


LES  ROMANTIQUES  411 

Robert  SCHUMANN,  né  à  Zwickau,  en  Saxe,  commença  par  faire  ses 
études  de  droit,  mais  se  voua  bientôt  à  la  musique  exclusivement.  Un 
accident  nerveux,  occasionné  par  sa  propre  faute,  rcmpëcha  de  suivre 
la  carrière  de  virtuose  :  il  se  spécialisa  donc  dans  l'art  de  la  compo- 
sition, qu'il  avait  étudié  avec  Friedrich  Wieck  dont  il  devait  un  jour 
épouser  la  fille  Clara.  Malheureusement  pour  le  jeune  musicien,  son 
tempérament  ardent  et  impulsif  l'entraîna  à  produire  avant  d'avoir 
terminé  son  éducation  :  tout  à  fait  génial  dans  les  œuvres  courtes  et  de 
construction  simple,  Schumann  se  trouve  dépaysé  lorsqu'il  lui  faut  édi- 
fier un  monument  musical.  Il  se  laisse  guider  alors  par  son  sentiment 
seul  et,  avec  des  idées  d'une  valeur  souvent  très  haute,  il  ne  peut  qu  im- 
proviser des  œuvres  d'une  médiocre  portée,  fruits  hâtifs  d'un  travail 
beaucoup  trop  inconscient.  On  y  trouve  la  trace  de  procédés  déplorables 
chez  un  grand  artiste,  bien  qu'ils  aient  été  trop  souvent  imités  depuis. 

Musicien  convaincu  et  sincère,  malgré  l'infériorité  de  ses  connais- 
sances en  matière  de  composition,  Schumann  lutta  toute  sa  vie  pour 
la  cause  de  l'art  vrai.  Beaucoup  de  jeunes  artistes  compositeurs  ou  vir- 
tuoses, trop  enclins  à  faire  servir  la  musique  à  leur  propre  gloire,  au 
lieu  d'en  rester  les  humbles  prêtres  ou  serviteurs,  devraient  lire  et 
méditer  ce  qu'écrivit  Schumann  dans  la  Neue  Zeitschrift  fur  Musik, 
revue  périodique  qu'il  rédigea  sew/ pendant  dix  ans!  Vers  la  fin  de  sa 
vie,  son  cerveau,  déjà  menacé  en  i833  et  en  1845,  fut  atteint  d'une 
incurable  lésion  dont  il  mourut,  dans  une  maison  de  santé,  près  de  Bonn. 

Les  compositions  de  Schumann  dans  la  forme  Sonate  sont  au  nom- 
bre de  huit  : 

i"  trois  Sonates  pour  piano  seul,  dont  nous  donnerons  ci-après 
l'analyse  :  op.  11  en  fa  '  (i835),  op.  14  en  fa  (i83ô},  op.  22  en  50/ 
(i835-i838)  ; 

2°  trois  Sonatines  pour  piano,  en  sol^  en  ré  et  en   rr,  op.  118; 

3°  deux  Sonates  pour  piano  et  violon  :  op.  io5  en  la  (iS3  1)  ;  op.  1  2  i 
en  ré  (i85i). 

La  première  Sonate,  en /a  5,  est  intitulée  par  l'auteur  /-Vo/v^/j;/  e^ 
Eusebiits  :  Schumann  désignait  par  ces  deux  personnages  allégoriques 
les  deux  aspects  opposés  de  sa  propre  nature.  Cette  Sonate,  composée 
de  i833  à  i835,  est  en  quatre  mouvements  (S.  L.  M.  R.)  : 

1°  Introduction^  Adagio^  simple  phrase  de  lied  dont  la  période  mé- 
diane fournit  le  thème  de  WAria^  et  Allegro  rivace  ainsi  construit  : 

Exp.  Th.   A  à  la  T.  répété  trois  fois  : 

—   Pont  par  le  rythme  de  A,  en  mi  b,  engendrant  une  formule  de  quatre 

mesures  qui  se  répète  quatre  fois  en  descendant  chaque  fois  d'un  ton  : 

en  ré  C,  en  ut  H,  en  si   et  en  ^.4. 


4ia  LA  SONATE  CYCLIQUE 

—  Th.  B.  en  LA,  très  court  et  disproporiii)nné  avec  la  longueur  de  ce  qui 
précède. 

Dév.  :  marche  par  A  suivi  de  B  par  augmentation  (35  mesures). 

—  Exposition  de  A,  en  ut  S,  et  de  P.  allant  vers  fa. 

—  Phrase  lied  de   Y  introduction,  en  fa. 

—  Redite  absolument  identique  de  la  marche  par  A  suivi  de  B  par  aug' 
mentation,  comme  ci-dessus  (35  mesures).  11  importe  de  faire  la  cri- 
tique de  ce  développement  :  la  redite  textuelle  des  trente-cinq  mesures 
par  lesquelles  il  commence  ne  constitue  assurément  pas  un  procédé  de 
construction  sérieux  :  transposer  n'est  pas  développer.  En  outre,  Vexpo- 
sition  du  thème  A  n'est  guère  admissible  à  cette  place  au  ton  de  la 
dominante,  ut  %.  Enfin.  la  réapparition  de  la  phrase-/ze4  de  Y  introduc- 
tion, qui  devrait  être  le  point  culminant  du  développement,  est  faite  dans 
une  tonalité  [fa)    que  son  éloignement  ne  permet  pas  de  rattacher  au 

—  ton  principal  {fa  '&]  :  elle  n'a  plus  de  raison  d'être,  ne  produit  aucun 
effet,  et  ne  concourt  en  quoi  que  ce  soit  à  Vunité  du  morceau.  Tout 
ce  développement  est  donc  incohérent,  sans  intérêt  et  inutile  à  l'œuvre. 

Réexp.  dans  l'ordre  et  le  ton  normal. 

2°  Aria.,  en  la,  phrase  de  lied  formée  par  la  période  médiane  de  Tln- 
troduction. 

3°  Scherzo,  en  fa  c,  du  type  MM  que  nous  avons  signalé  ci-dessus 
(p.  3o9)  à  propos  de  certaines  œuvres  de  Beethoven  autres  que  ses 
Sonates.  Cette  forme  grand  Scherzo,  en  cijiq  parties,  dont  deux  trios 
différents,  appartient  particulièrement  à  Schumann  qui  l'a  fort  bien 
employée  dans  beaucoup  de  ses  œuvres  : 

Scherzo  :  Th.  A  et  dév.  de  A,  en  fa  %. 

Trio  I,   en  LA. 

SCHERZO  :  Th.  A  et  dév.  de  A,  en  fa  fl. 

Trio  II,  à  deux  temps,  dit  interjneif^o  (i),  en  RÉ. 

Scherzo  .-  Th.  A  et  dév.  de  A,  en  fa  S,  pour  finir. 

4»  Finale,  qui  n'est  ni  du  type  S,  ni  du  type  R,  mais  procède  un  peu 
de  l'un  et  de  l'autre.  L'intérêt  des  thèmes  ne  s'accroît  pas,  et  l'inter- 
vention trop  fréquente  du  ton  disparate,  .mi  f,  qui  se  retrouve  encore 
à  la  7^éexposition  dn  pont  et  de  la  seconde  idée,  contribue  à  détruire  dans 
ce  finale  toute  cohésion   et  toute   solidité  tonale. 

La  deuxième  Sonate,  en  fa,  est  dédiée  à  Monsieur  Ignace  Moscheles  ; 
sa  première  édition  porte  le  titre  Concert  sans  Orcfiestre. 

Phénomène  infiniment  rare  dans  cette  période  de  romantisme  fan- 
taisiste, cette  Sonate  offre  la  singularité  d'être  une  forme  cycligue,  rudi- 
mentaire  sans  doute,  mais  néanmoins  préparée  intentionnellement, 
comme  le  rappel  de  Y  Introduction  dans  VAria  de  la  Sonate  précédente. 
Ici,  en  effet,  le  thème  principal,  composé  par  Ciara  Wieck,  reparaît 
dans  les  trois  premiers  mouvement.  . 

(i)  Le  nom  d'interme:^^o  paraît  avoir  été  employé  pour  la  première  fois  par  Schumann, 
dans  son  op.  4,  pour  des  pièces  séparées.  Plus  tard,  il  fut  appliqué  plus  particulièrement  à 
un  trio  en  mesure  à  deux  temps,  intercalé  dans  un  scherzo. 


LES  KOMAM  IQUES 


4'1 


Dans  VAndautino  quasi    \'aria\i())ii,  le  thcnie   est   présente  sous  cet 
aspect  (i)  : 


dans  le  Scher\o^  il  s'anime  et  revêt  cette  forme-ci 


dan§    VAllegro  de    forme  Sonate,  au  contraire,  il  est  présenté  d'un? 
façon  tout  à  fait  douloureuse  et  passionnée  : 


♦ 


^E£ 


P 


-<•/(•. 


Cette  deuxième  Sonate  de  Schumann  n'offre  pas  un  grand  intérêt  au 
pomt  de  vue  musical,  en  dehors  de  cette  particularité  de  structure, 
qui  montre  la  permanence  de  la  conception  cyclique  au  fond  des  cer- 
veaux des  musiciens,  en  attendant  le  bel  essor  que  sauraient  lui 
donner  bientôt  quelques  Français. 

La  troisième  Sonate,  en  50/,  fut  composée  de  i833  à  i83r  et  rema- 
niée à  diverses  reprises  :  son  finale  date  de  i838.  Elle  était  dédiée  à 
jyjme  Y\,  Voigt  et  contient  quatre  mouvements  ayant  à  peu  de  chose  près 
les  défauts  et  les  qualités  de  ceux  de  la  première  Sonate,  en  /h-  l 

1°  Allegro  [so  rasch  ipie  mbglich)^  en  50/,  de  forme  Sonate. 

Exp.  Th.  A,  en  sol,  suivi  de  P. 

—  Th.  B,  en  si\;  fait  de  deux  éléments  : 

—  —  b'  phrase  principale. 

—  —  b"  phrase  complémentaire  qui  disparaîtra  à  la  réexp. 

Dkv.  procédant  par  courtes  redites  ou  transpositions  de  quatre  en  qiiatrf 
mesures,  aboutissant  à  une   erreur  désastreuse  : 

—  Th.  A,  exposé  à  nouveau  et  au  ton  principal,  en  plein  développement,  ce 

qui  fait  croire  à  une  vraie  réexposition  détruisant  par  avance  l'effet 
de  celle-ci  qui  se  produit,  en  réalité,  vingt-cinq  mesures  plus  loin. 
Réexp.  Th.  A,  suivi  de  P.  et  de  />',  en  sol,  mais  sans  sa  phrase  complémen- 
taire  b". 

—  Conclusion  avec  les  indications  successives  schneller  et  noch  schncller, 

difficilement  conciliables  avec    l'indication   primitive    du  mouve- 
ment :  so  rasch  wie  môglich. 

(i)  Remarquer    l'analogie  de    ce  thème  d'allure  et    d'origine  féminines  avec   le   motif  un 
peu  enfantin  de  la  Siegfried-Idyll  de  R.  Wasincr  : 


^^m 


4M  LA  SONATE  CYCLIQUE 

2°  Andantino  en  UT,  simple  Lied  en  trois  sections.  Le  ton  choisi 
n'est  peut-être  pas  un  des  meilleurs  par  rapport   à  sol^   ton  principal. 

3°  Schet"{0^  en  sol,  vif  et  alerte,  suivi  d'un  trio  en  j//t). 

4»  Presto,  en  sol,  de  forme  Rondeau  ;  les  thèmes  y  sont  assez  con- 
trastants, mais  l'ensemble  n'offre  pas  un  grand  intérêt  comme  cons- 
truction. 

Avec  Schumann  s'achève  véritablement  la  période  romantique  :.  c'est 
lui  qui  «  ferme  le  cercle  »  de  cette  série  de  musiciens,  qui  ne  réalisè- 
rent, dans  la  forme  Sonate,  aucun  progrès  notable  sur  le  type  établi  bien 
avant  eux  par  l'immortel  Beethoven. 


6.    —    LES    ALLEMANDS    MODERNES. 

Joseph  Joachim  Raff 1822  f   1882 

Karl  Helnrich  Carsten  Reinecke.    .      .      .  1824 

Anton    Rubinstein 1829  7   1894 

JoHANNES    Brahms i833  7   1897 

Edvard  Hagerup  Grieg 1843  -j-   1907 

Joachim  RAFF.  né  à  Lachen,  en  Suisse,  mourut  à  F'rancfort,  d'une 
attaque  d'apoplexie,  après  une  existence  très  peu  mouvementée  :  il  écrivit 
beaucoup,  on  peut  même  dire  trop  ;  il  a  laissé  plus  de  deux  cent  vingt 
œuvres  médiocres  et  inégales,  quise  font  remarquer  par  une  déplorable 
insouciance,  aussi  bien  dans  le  choix  des  idées  que  dans  la  recherche 
des  formes  nouvelles  :  manifestation  éclatante  d'une  absence  totale  de 
la  moindre  conscience  artistique. 

Dans  ce  flot  de  compositions  on  rencontre  : 

1°  trois  Sonatilles  pour  piano,  op.  99  ; 

2**  deux  Sonates  pour  piano,  op.   14  {Sonate  avec  Fugue)  et  op.  168  ; 

3o  cinq  Sonates  pour  piano  et  violon  :  op.  73,  op.  78,  op.  1 28,  op.  1 29 
et  op.  145  ; 

4°  une  Sonate  pour  piano  et   violoncelle,  op.  i83. 

Karl  Heinrich  REINECKE,  né  à  Altona,  fut  un  pianiste  estimé  et  se 
distingua  comme  chef  d'orchestre,  notamment  au  Geji^a;/ii//t7W5,  de  1860 
à  1896.  Il  fut  professeur  de  «  haute  composition  »  au  Conservatoire  de 
Leipzig  :  ses  œuvres,  écrites  avec  un  incontestable  talent,  sont  complè- 
tement dénuées  de  génie  inventif  ;  elles  réalisent  assez  bien  le  type  de 
la  production  moyenne  d'un  Herr  Doctor  und  Professor  appartenant 
à  l'un  des  innombrables  Conservatoires  d'outre-Rhin. 


LES  ALLEMANDS  MODERNES  4,5 

On  connaît  de  Reinecke  deux  Sonates  pour  piano  et  violoncelle, 
quatre  pour  piano  et  violon,  une  pour  flûte,  une  pour  piano  à  quatre 
mains,  une  pour  la  main  gauche  seule  (op.  iSy)  et  quelques  Sonatines 
pour  piano  à  deux  mains. 

Anton  RUBINSTEIN,  russe  de  nationalité  et  Israélite  de  race,  naquit  à 
Wechwotinetz,  en  Podolie,  d'un  père  fabricant  de  crayons,  et  voyagea 
comme  virtuose  dès  son  jeune  âge.  Nommé  pianiste  de  la  cour  de 
Russie,  il  prit,  en  1859,  la  direction  de  la  Société  de  Musique  russe  et 
fonda,  en  1862,  le  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg,  dont  il  fut  direc- 
teur jusqu'en   1890.  Il  mourut  dans  sa  villa  de  Peterhof. 

Pianiste  hors  ligne,  Rubinstein  fut  un  interprète  assimilateur  de 
génie  :  mais  ce  génie  spécial  n'était  point  suffisant  pour  la  création 
d'œuvres  vraiment  originales.  Aussi,  les  hautes  visées  et  les  intentions 
extrêmement  vastes  de  ses  compositions,  où  la  virtuosité  s'étale  souvent 
aux  dépens  de  la  musique,  sont-elles  trahies  presque  toujours  dans  leur 
réalisation,  inférieure  à  la  fois  par  la  faible  qualité  des  idées  musicales 
et  par  la  négligence  de  la  forme, 

Rubinstein  écrivit  huit  Sonates  :  quatre  pour  piano  (op.  12,  op.  20, 
op.  41  et  op.  100);  une  pour  alto  (op.  49);  et  trois  pour  violon  (op.  i  3, 
op.  19  et  op.  98).  Dans  cette  dernière  Sonate  (op.  98)  on  trouve  de  véri- 
tables citations  empruntées  aux  deux  autres  Sonates  pour  violon.  On 
se  demande  quelle  peut  être  la  raison  d'un  tel  procédé,  éminemment 
contraire  h  tout  esprit  d'unité  dans  la  construction. 

Johannes  BRAHMS  naquit  à  Hambourg  et  fut  remarqué  dès  sa  pre- 
mière jeunesse  par  Schumann,  à  qui  il  dut  le  commencement  de  sa 
renommée  (i 853).  Dès  1862,  il  s'établit  à  Vienne,  où  il  mourut  comblé 
d'honneurs  et  entouré  du  respect  de  tous. 

Brahms  fut  un  musicien  consciencieux,  plein  de  révérence  pour  son 
art  et  pour  les  maîtres  :  seul  peut  être  parmi  les  Allemands,  il  hérita 
quelque  peu  du  don  beethovénien  du  développement  des  idées,  mais  au 
point  de  vue  thématique  beaucoup  plus  qu'au  point  de  vue  tonal.  Ses 
idées  et  ses  harmonies  ne  sont  point  banales,  mais  elles  sont  rarement 
très  caractérisées.  Telles  qu'elles  sont,  Brahms  les  manie  avec  talent 
et,  pour  nous  servir  de  l'image  si  vulgaire,  «  il  travailledans  la  pâte»  ; 
mais  cette  «  pâte  »  reste  souvent  au  bout  de  sa  plume,  et  son  style 
devient  alors  lourd  et  indigeste.  Comme  par  ailleurs  les  rapports  de 
tonalités  lui  sont  trop  souvent  indilîérents,  beaucoup  de  ses  oeuvres  sont 
embarrassées  et  fastidieuses  h  l'audition. 

Tout  être  doué  de  sens  artistique  doit  avoir  pour  Brahms  du  respect  ; 
mais  il  n'est  pas  facile  de  Vaimer,  car  ses  œuvres,  si  honnêtement  cont- 


4'6 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


posées  qu'elles  soient,  rayonnent  bien  rarement  de  ce  charme  vrai  qui 
touche  notre  cœur  et  le  fait  vibrer. 

Brahms  a  laissé  dix  Sonates  :  trois  pour  piano  (op.  i  en  UT,  op.  2 
en  fa  c  et  op.  5  en  fa)  que  nous  examinerons  sommairement  ;  trois  pour 
violon  (op.  78  en  sol,  op.  100  en  l^,  et  op.  108  en  ré);  deux  pour 
violoncelle  (op.  38  en  mi  et  op.  99  en  fa)  ;  et  deux  pour  piano  et  cla- 
rinette (op.  1 20  en  fa  et  en  Ml  t>). 

Les  Sonates  pour  piano  sont  intéressantes  par  la  tendance  qu'elles 
manifestent  vers  la  construction  cyclique  :  mais  cette  conception,  en- 
core vague,  est  bien  loin  de  sa  réalisation  complète. 

Dans  la  première  Sonate,  en  UT,  le  thème  initial,  un  peu  trop  voisin 
peut-être  de  certaine  Barxarolle  d'Auber,  sert  de  sujet  au  finale  avec 
un  léger  changement  de  rythme  : 


(3)   REFRAIM 


Dans  la  deuxième  Sonate,  en /au,  dont  le  classicisme  est  assez  re- 
marquable, le  thème  calme  de  VAndante  reparaît  sous  une  forme  agitée 
dans  le  Scherzo. 

Enfin,  la  troisième  Sonate,  en  fa,  offre  par  la  transformation  cyclique 
des  thèmes  un  réel  intérêt  de  composition  :  elle  se  divise  en  cinq 
mouvements  (S.  L.  M.  L.  R.)  : 

1°  Allegro  maestoso,  en  fa,  de  forme  Sonate. 

Exp.  Th.  A,  dont  les  deux  éléments,  a'  et  a',  présentent  un  double 
rythme  sur  un  même  dessin.  Ce  thème  est  en  trois  périodes  qui 
s'infléchissent  vers  la  dominante  ;  la  seconde  idée  n'est  précédée 
d'aucun  passage  servant  de  pont. 

—  Th.  B,  débutant,  sans  transition,  au  Relatif  ni^)t\iT  {la  t>)  du  ton  prin- 

cipal ;  mais  l'influence  àt  RÉ\>  y  est  telle  que  cette  idée  divisée, 
suivant  le  système  beethovénien,  en  trois  phrases  [b  ,  b",  b'"),  s'éta- 
blit dès  ses  premières  mesures  dans  ce  nouveau  ton  {SD.  de  la  b) 
et  y  reste  jusques  et  y  compris  sa  conclusion, 

—  Les  éléments  a"  du  premier  thème  (A)  et  b'  du   second  (B)    sont    évi- 

demment issus  l'un  de  l'autre  :  b'  n'est  qu'une  simplification  de  a", 
comme  on  peut  le  voir  par  la  superposition  des  deux  mélodies  : 


(;.", 


PJ^ 


telliilc  I 


i 


'=^ 


^^F^Ç=^'''"* 


^1) 


»=#= 


f   et   toiitenu 


Ê 


ë 


=K: 


S 


LES  ALLEMANDS  MODERNES 


^'7 


Dév.  très  logiquement  établi  en  trois  éléments  : 

—  par  a    et  a",  en  ut  S-ré  \>  ; 

—  par  une  exposition,   en   rÉ  o,   de  a"  transformé  :  ce  petit  dessin  donne 

ici  naissance  à  une  véritable  phrase  mélodique  :  c'est  là  un  excellent 
moyen  de  développement  par  une  sorte  à'amplijication  : 


—  enfin,  para    en  état  de  marche  pour  abo.utir  à  la  réexposition. 
Réexp.  Th.  A,  réduit  au  seul  élément  a    (le  dessin    plus  souple  a    ayant 

été  très  employé  précédemment,  sa  suppression   dans  la  rcexp.  se 
justifie  parfaitement). 
Th.  B,  gardant  ses  trois  éléments  [b' ,  b" ,  b"'),  en  FA,  avec  unetendance  vers 
la  sous-duminante  SIi>  ,   comme    dans    Vexposition.    Cependant,    la 
cadence  finale  revient  à  la  tonique  l'A. 

?"  Andante.  écrit  en  ré:>  et  portant  en  épigraphe  trois  vers  extraits 
d'une  poésie  de  Sternau  sur  le  clair  de  lune.  Ici,  Brahms  reprend  une 
ancienne  forme  des  mouvements  lents  de  Beethoven  tout  à  fait  délaissée 
depuis  lui  :  le  Lied-Sonate  (LS)  ou  forme  Sonate  sans  déj>eloppement 
(voir  ci-dessus,  p.  296.).  Malheureusement,  l'exposition  et  la  réexpo- 
sition ayant  ici  la  même  marche  tonale,  il  s'ensuit  que  la  pièce  entière 
paraît  être  en  la  i»,  avec  conclusion  à  sa  sous-dominante  RÉi>. 

Exp.  Th.  A,  à  la  D.  LA  b  (traitée  comme  une  tonique  . 

—  Th.  B,  à  la  T.  RÉ  t>  (formant  sous-dominante,  par  rapport  à  A). 

—  Ce  thème  se  transforme  et  s'amplifie   au  cours  de  ses  expositions  : 

la  première  fois,  il  est  exprimé  ainsi  : 


— '     Dans    la    même   exposition,  il    se    répète   par   une  sorte   d'exten'iion 
dans  cette  forme  plus  expressive  : 


RÉEXP.  Th.  A,  toujours  à  la  D.  l.A  3. 

~-  Th.  B,  toujours  à.  la  T.RÉjy,  mais  dans  une  forme  plus  calme, 
avec  laquelle  la  phrase  finale  du  monologue  de  Hans  Sachs, 
au  III«  acte  des  Meistersinger,  offre  une  certaine  analogie.  Voici 
les  premières  mesures  de  cette  phrase  mélodique  B,  ainsi 
transformée   : 


etc. 


Cours  de  composition. 


27 


4'8 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


3°  Scher:^o,  en  fa,  ayant  comme  les  deux  mouvements  précédents  une 
tendance  marquée  à  tomber  tonalement  du  côté  de  la   sous-dominante. 

4"  Intermeiio,  en  si  t> .  Cette  pièce,  intitulée  Riickblick^  n'a  rien  de 
commun  avec  celles  que  Schumann  intitule  interme\'{0.  C'est  une  sim- 
ple forme  Lied,  rappelant,  en  rythme  de  Marche  funèbre, \q  thème  initial 
(A)  de  VAndante  :  cette  seconde  pièce  lente,  formant  double  emploi 
avec  la  première,  s'explique  sans  doute  par  une  raison  d'ordre  poétique 
ou  même  dramatique;  mais  elle  est  d'un  tout  autre  genre  que  la  Sonate 
dans  laquelle  elle  est  intercalée  et  s'accommode  assez  difficilement  du 
cadre  classique  qui  l'entoure. 

5"  Finale.  Allegro  moderato,  en  fa,  de  forme  Rondeau  à  trois  re- 
frains. 

Réf.  I.   Th.  A,  s'infléchissant  vers  la  D. 

Coupl.   I.    Dessin  B.  à  peine   esquissé,   en  FA,  et  réduit  à  une  sorte  de- 

schème  sans  analogie  apparente  avec  la  forme  qu'il  prendra  par 

la  suite  ; 


etc. 


Réf.  2.  Th.  A  en  fa. 

Coupl.  2.    Phrase  mélodique  complète,  en  RÉ\>,  où  l'on  retrouve,  en  une 
forme  précise,  l'élément  B  du  couplet  précédent  : 


Réf.  3.  Th.  A,  en  fa,  mais  par  fragments  découpés  et  en  quelque  sorte 
hachés.  « 

Coupl.  3.  phrase  B  encore  transformée,  comme  si  elle  tendait  à  dispa- 
raître et  à  se  volatiliser  en  un  dessin  agogique  de  main  gauche,. 
presto,  en  FA,  qui  sert  de  conclusion  : 


On  voit  par  ces  exemples  qu'il  y  a  chez  Brahms  une  tendance  assez 
nette  vers  la  rénovation  de  la  forme  Sonate,  parle  moyen  de  certaines 
modifications  ou  variations  thématiques,  dont  nous  ne  trouvons  nulle 
trace  dans  les  œuvres  de  ses  contemporains  allemands.  C'est  toujours 
la  conception  cyclique  latente  qui  dicte  ces  tentatives  incomplètes» 
dont  la  réalisation  intégrale  était  réservée  à  César  Franck  et  à  l'École 
Française,  à  peu  près  exclusivement. 


LES  ALLEMANDS  MODERNES 


419 


Edvard  GRIEQ,  quoique  né  à  Bergen,  en  Norvège,  peut  être  classé 
assez  légitimement  parmi  les  musiciens  allemands.  En  effet,  après 
avoir  écrit  dans  sa  première  Jeunesse  de  petites  pièces  où  les  chants 
populaires  Scandinaves  faisaient  sentir  leur  influence  bienfaisante,  il 
perdit  rapidement  toutes  ses  qualités  natives  au  contact  de  la  lourde 
école  de  Leipzig,  dont  il  semble  s'être  assimilé  tous  les  défauts,  sans 
y  avoir  acquis  la  moindre  science  de  la  forme  ni  de  la  véritable  compo' 
si  t  ion. 

Le  mérite  musical  de  Grieg  est  assez  semblable  à  celui  d'un  bon 
peintre  de  miniatures  :  ses  petites  œuvres,  dont  la  ligne  mélodique 
souvent  élégante  et  agréable  s'épuise  comme  essoufflée  après  quelquef 
mesures  charmantes,  ne  s'élèvent  jamais  bien  haut.  Sa  courte  inspiration 
et  son  ignorance  absolue  de  la  composition  le  rendent  tout  à  fait 
inapte  à  la  construction  d'une  œuvre  symphonique  de  quelque 
importance:  il  ne  produit  alors  que  des  assemblages  hybrides  de  courts 
fragments,  maladroitement  cousus  ensemble  ou  seulement  juxtaposés, 
sans  apparence  d'ordre  ni  d'unité  dans  la  conception  et  dans  la  réa- 
lisation. 

Grieg  a  pourtant  écrit  cinq  Sonates  :  une  pour  piano  seul  (op.  7)  ; 
trois  pour  piano  et  violon  (op.  8  en  fa,  op.  i3  en  sol  et  op.  40  en  ut)  ; 
enfin,  une  Sonate  pour  piano  et  violoncelle  (op.  38  en  la)  dont  nous 
allons  donner  l'analyse,  à  titre  de  vérification  des  critiques  qui  pré- 
cèdent. 

Cette  Sonate,  op.  38,  est  en  tt^ois  mouvements  (S.  L.  S.)  : 

1**  Allegro  agitato,  en  la. 

Exp.  Th.  A,  formé  à  peu  près  exclusivement  des  redites  de  ces  d^ux 
mesures,  dont  il  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  la  pénurie 
mélodique  : 


uî) 


'-"  f  r  I  [-"TuP 


Ce  thème,  si  on  peut  l'appeler  ainsi,  est  exposé  deux  fois,  sans 
aucun  changement  et  avec  une  cadence  terminale,  en  Li,  qui  clôt 
cette  sorte  de  «  première  case  ». 

Pont  par  le  dessin  A,  en  UT,  en  valeurs  augmentées  ,ï^  mesures). 

Th.  B,  qui  consiste  en  /roi5  petits  fragments  de  mélodie  (ft',  b",  b  ), 
apparaissant  l'un  après  l'autre  et  répétés  à  satiété  : 

b'  est  répète  quatre  fois  dans  le  ton  d!VT  : 


430 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


—  b"  est  répété  dix  fois,  soit  en  entier,   soit  par   fragments  sur  divers 
degrés  : 


Wj 


XJ^J''^^C^ 


lar""=? 


—  b'"    n'est  répété  que   deux   fois,    ce  qui  porte  néanmoins  à  sei^e   le 
nombre  total  des  redites  : 


^^ 


^=H« 


_o ,    o 


Cette  étrange  «  idée  musicale  »  est  close,  comme  l'a  première,  par 
une  cadence  terminale  fermant  cette  «  deuxième  case  »  sans 
qu'aucun  de  ses  motifs  ait  jamais  été  commenté  ni  agrandi.  Voilà, 
certes,  qui  donne  la  mesure  du  «  sens  musical  »  de  l'auteur  : 
bizarre  manière  de  concevoir  Vidée  en  musique,  après  tous  les  grands 
exemples  donnés  par  Bach,  Beethoven  et  tant  d'autres  ! 
Dey.  qui  consiste  à  peu  près  exclusivement  dans  la  reproduction  d'un 
même  passage  sur  différents  degrés  : 

—  b'  est  d'abord  répété  deux  fois  en  ut  (i6  mesures)  ; 

—  b'  est  répété  deux  autres  fois  en  7ni\>  (i  6  mesures)  ; 

—  b'  est  répété  encore  deux aulr es  fois  en  faH  (i6  mesures)  ; 

—  a  reparaît  alors  sur  une  harmonie  persistante  de  septième  diminuée, 
qui  aboutit  à  une  mauvaise  cadence  de  CoHcer/o, procédant  elle-même 
par  répétition  d'une  formule  montant  chaque  fois  d'un  ton.  Dans 
tout  ce  développement,  nous  ne  retrouvons,  que  les  fragments  anté- 
rieurement entendus,  et  combien  de  fois  !  Pareille  erreur  nous  est 
déjà  apparue  dans  l'œuvre  de  Schumann,  mais  du  moins  chez  lui. 
la  musique  du  passage  reproduit  avait-elle  une  valeur  et  un  intérêt 
propres. 

RÉExp.  identique  absolument    à  Vexposition    et   suivie    d'une   coda    très 
agitée. 

2"  Andautc,  en  fa,  de  forme  Lied,  avec  deux  thèmes  et  un  «  dévelop- 
pement ». 

•  Sect.  i.Th.  A,  phrase  de  lied  en  fa,  et  th.  B.  consistant  en  un  fragment 
mélodique  de  quelques  mesures,  qui  se  reproduisent  dix  fois  de 
suite  sur  divers  degrés,  sans  changement  appréciable. 
Sect.  ii.  Dév.  consistant  en  un  passage  de  cinq  mesures  se  répétant  trois 
fois  d'une  manière  absolument  identique,  en  descendant  d'un  ton 
chaque  fois. 
Sect.  m.  Th.  A  et  th.  B,  sans  changements,  au  ton  principal. 

3°  Finale.  Allegro,  en  la,  de  forme  Sonate.  Le  thème  initial  ne  manque 
pas  de  noblesse  ;  on  l'accueille  avec  l'espoir  de  lui  voir  jouer  un  rôle 
intéressant  dans  la  construction  du  morceau,  et,  de  fait,  ce  thème  est 
de  ceux  dont  on  aurait  pu  tirer  un  excellent  parti.  Mais  on  est  bientôt 


LES  FRANÇAIS  4JI 

déçu  :  le  thème  reparaît  trois  fois  au  cours  de  la  pièce,   sans  aucune 
modification  sérieuse...  et  voilà  tout.  Ce  finale  est  ainsi  «construit  »: 

Exp.  Th.  A,  en  la. 

—  Pont,  qui  consiste  en  quatre  mesures  répétées  quatre    fois  et  suivies 

d'une  entrée  préparatoire  du  dessin  b" . 

—  Th.  B  en  deux  éléments,  nullement  nouveaux  : 

—  —     ^' est  fait  avecle  th.  A,  en  UT,  répélé  deux  fois, pnT  au^inentatiun. 

—  —     b"  est  la  phrase  préparatoire  déjà  entendue   à  la  fin  du  pont  \\ 

et  revenant  ici  en  LA  0^  avec  cadence  en  ut. 
Dkv.  comprenant  trois  éléments  : 

—  b" ,  modulant   d'ut  à   51  t>    en   quarante-einq   mesures,    intégralement 

transposées  ensuite  pour  aller  de  si  \>  à  la     ; 

—  b' ,  exposé  en   la  t>  en  quatorze   mesures,  intégralement  transposées 

ensuite  en  /a  fi  ; 

—  marche  par  le  rythme  de  b'  allant  de   mi     a    la,   au  moven    de  qua- 

rante-neiif  répéimons  du  même  dessin  (i). 
Réexi>.  conforme  à  Vexposition,  avec  autant  de    redites,  et   suivie    d'une 
coda  plus  animée,  en  LA,  ramenant  pour  finir  le  th.  A  une  troisième 
fois,  mais  sans  aucune  modification. 

Une  telle  façon  d'opérer  ne  mérite  assurément  à  aucun  degré  d'être 
qualifiée  «composition  musicale  »  et  encore  moins  «forme  cyclique  ». 
Pourtant  Grieg  ne  recula  pas  non  plus  devant  certaine  tentative  de 
rappels  thématiques^  traités  de  la  même  manière  que  les  «  développe- 
ments »  ci-dessus  analysés  :  son  Quatuor  à  cordes,  op.  27,  que  nous  exa- 
minerons dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre,  commence  par  une 
introduction  qui  veut  être  cjclique^  car  elle  circule  dans  plusieurs  mor- 
ceaux de  Toeuvre  ;  seulement,  elle  «  circule  »  en  parfaite  étrangère, 
assistant  à  tout  et  ne  prenant  part  à  rien  ;  et  on  la  retrouve,  identique 
à  elle-même,  à  la  fin  de  sa  promenade...  nullement  sentimentale. 


7.  —  LI^S  FRANÇAIS  :  LA  SONATE  CVCLIQLT:. 

César-Auguste    Franck 1822  f  1890 

Charles-Camille  Saint-Saens.     .     .     .  i835 

Alexis   de    Castillon  de  Saint-Victor,  i  838  y   18/3 

Gabriel-Urban  Fauré 1845 

Paul-Marie-Théodore- Vincent  d'Indy.    .  i85i 

Paul   Dukas i865 

C'est  h  la  France  qu'il  devait  appartenir  de  poursuivre  et  de  réaliser 
la  transformation  de  la  Sonate,  clairement  indiquée  par  Beethoven  : 
nul  de  ses  successeurs  allemands,  en  eflét,  n'avait  su  ou  voulu  tenter 
sérieusement    cette    véritable    rénovation   cyclique,    seule    capable    de 

(1)  A  la  onuèine  répétition  de  ce  dessin,  l'auteur  invite  courtoisement  l'cxccuiant  à  ne  pas 
se  presser  parla  mention  :    niclU  eden  !  L'auditeur  est  parfois  d'un  autre  avis. 


42a  LA  SONATE  CYCLIQUE 

rendre  la  vie  à  cette  belle  forme  qui  s'étiolait  et  semblait  près  de  dispa- 
raître, en  Allemagne  tout  au  moins,  malgré  les  timides  essais  de  Schu- 
man et  de  Brahms  (i).  La  tradition  cyclique  peut  donc  être  considérée 
comme  transmise  directement  de  Beethoven  à  César  Franck  qui,  moins 
de  quiWye  ans  après  l'apparition  des  derniers  Quatuors  cycliques  de  Bee- 
thoven (1826),  sut  mettre  à  profit  les  enseignements  merveilleux  qu'ils 
contenaient,  dans  son  premier  Trio,  en  fa  5,  publié  en  1841.  Cette 
oeuvre,  comme  nous  le  verrons  ultéri-eurement,  est  construite  en  effet 
sur  deux  thèmes  véritablement  cycliques^  qui  servent  de  base  aux  trois 
mouvements  qui  la  constituent. 

Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait  observer  (p.  39 1  ),  c'est  l'avènement  de 
ce  génie  très  français,  dépositaire  de  la  tradition  beethovénienne,  qui 
marque  la  date  initialede  l'École  symphonique  Française,  école  de  plus 
en  plus  cohérente  et  forte,  occupant  aujourd'hui  la  première  place  à 
l'avant-garde  de  l'art  musical. 

César  FRANCK,  né  à  Liège,  quitta  entre  dix  et  douze  ans  le  pays  wallon 
et  sa  ville  natale  pour  n'}-  plus  rentrer.  Naturalisé  français  et  fixé  à  Paris 
avec  sa  famille  dès  cette  époque,  il  devint,  après  quelques  années  d'études 
avec  Reicha  et  Ghérubini,  organiste  de  Notre-Dame-de-Lorette,  puis 
de  Sainte-CIotilde,  où  il  resta  jusqu'à  sa  mort.  Après  la  guerre,  en  1 87 1 , 
il  prit  une  part  active  à  la  fondation  de  la  Société  nationale  de  Musique^ 
qui  le  choisit  bientôt  pour  son  président.  Nommé  professeur  d'orgue, 
en  1872,  au  Conservatoire  de  Paris,  il  ne  tarda  pas  à  faire  de  sa  classe, 
sans  peut-être  s'en  rendre  compte  dans  sa  naïve  modestie,  une  véri- 
table pépinière  de  jeunes  compositeurs  élevés,  à  son  exemple  et  à  son 
contact,  dans  le  respect  le  plus  profond  pour  les  belles  œuvres,  dans 
l'honnêteté  la  plus  scrupuleuse  vis-à-vis  de  leurs  propres  ouvrages, 
dans  l'amour  le  plus  pur  de  l'art,  avant  toute  chose  (2). 

L'œuvre  de  Franck,  dont  nous  nous  occuperons  longuement  encore 
à  propos  de  la  Symphonie  et  de  la  Musique  de  Chambre  (3)  et  à  propos 

(0  Franz  Liszt  publia  en  i837  une  sorte  de  Fantaisie  dramatique  pour  piano,  construite 
sur  un  seul  thème  et  intitulée  Sonate  ;  mais  cette  œuvre,  qui  n'a  aucun  des  caractères 
propres  à  la  forme  Sonate,  telle  que  nous  l'avons  décrite  et  étudiée,  n'appartient  pas  au 
genre  cyclique  et  sera  examinée  dans  le  chapitre  consacré  au  Poème  Symphonique  et  à  la 
Fantaisie  (11»  livre,  2«  partie). 

(2)  11  est  de  bon  ton  aujourd'hui,  chez  certains  mus-cographesa  avertis  »,  de  rejeter  pure- 
ment et  simplement  César  Franck  hors  de  la  nationaliié  française.  Les  uns  invoquent  le 
«  fait  scientifique  »  de  la  limite  politique  actuelle  de  notre  État,  laquelle  est  incontestable- 
ment, depuis  1814,  entre  Liège  (patrie  de  Grétry)  et  Paris.  D'autres,  au  nom  de  1'  «esthé- 
tique »,  rangent  délibérément  Franck  et  tous  ses  disciples,  jusques  et  y  compris  l'auteur  de 
ce  Cours,  parmi  les  Allemands  !  La  glorieuse  incompréhension  qui  protège  encore  l'œuvre 
de  Franck  contre  les  admirations  d'Outre-Rhin  fait  justice  de  cette  dernière  divagation. 
Quant  à  l'autre,  nous  espérons  que  la  présente  esquisse  biographique  est  suffisante  pour  la 
«  remettreau  point  ». 

(3j  Voir  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre. 


LES  FRANÇAIS  ^13 

de  l'Oratorio  (i),  ne  comprend  que  deux  Sonates,  l'une  poui    orgue  et 
l'autre  pour  piano  et  violon. 

La  Sonate  pour  orgue,  dite  Grande  Pièce  symphotiique,  en  fat,  date  de 
i86i  :  elle  est  dédiée  à  Ch.-V.  Alkan  et  comporte  trois  mouvements, 
enchaînés  l'un  à  l'autre  suivant  l'usage  de  l'antique  Sonate  italienne. 

i'  Introduction^  dont  les  éléments  serviront  au  développement,  et 
Allegro  du  type  S,  ainsi  construit  : 

Exp.  Th.  A,  en  fa  5  ,  formant  première  idée  et  pont. 


(^ 


^^^^^ 


\etc 


—  Ce  thème  joue  un  rôle  cyclique  dans  toute  l'œuvre. 

—  Th.  B,  en  LA,  plus  calme  et  enchaîné  au  précédent. 
Dév.  par  le  th.  de  V Introduction  et  le  th.  A. 

Réep.  normale,  avec  coda,  par  le  th.  de  V Introduction. 

2'  Andante,  en  si,  de  forme  Lied  en  trois  sections,  dont  la  deuxième 
(en  si),  en  mouvement  vif,  joue  le  rôle  de  pièce  du  type  M  ou  de 
Scherzo  (2). 

3"  Finale,  qui  commence  par  une  sorte  de  récapitulation  des  princi- 
paux thèmes  de  l'œuvre,  auxquels  succède  bientôt  le  thème  cyclique  (A) 
exposé  solennellement  en  FA'i.,  et  se  développant  ensuite  par  des  entrées 
■de  Fugue  jusqu'à  la  conclusion. 

La  Sonate  pour  piano  et  violon,  en  la^  date  de  1886  ;  elle  est  dédiée 
à  Eugène  et  Théophile  Ysaye  et  comprend  quatre  mouvements.  Cette 
œuvre  demande  une  étude  approfondie,  car  elle  constitue  à  notre  sens 
le  premier  et  le  plus  pur  modèle  de  Y Qin^Wi  cyclique  des  thèmes  dans 
la  forme  Sonate  :  en  effet,  indépendamment  des  idées  musicales  appar- 
tenant en  propre  à  chacune  des  pièces  de  cette  œuvre,  trois  motifs 
générateurs  ou  conducteurs  spéciaux  (a:,  /,  ;{),  successivement  exposés, 
participent  à  la  construction  de  ce  véritable  monument  musical,  auquel 
ils  servent  en  quelque  sorte  de  «  charpente  mélodique»  : 


La  cellule  .v,   génératrice  de  toute  l'œuvre,  se  retrouve  même  dans 

(i)  Voir  le  Troisième  Livre  de  ce  Cours. 

(2)  La  Symphonie  en  ré,  de  César  Franck,  que  nous  analyserons  uliérieurcmcnt(ll«  livre, 
2*  partie),  contient  une  disposition  tout  à  fait  analogue. 


4^4 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


les  dessins^' et  ^,  en  tant  que  neiinies  mélodiques  :  elle  consiste  en  un 
torciilus  (•••)  portant  un  accent  expressif  sur  sa  note  centrale  [fat). 

Le  dessin^',  contenant  en  ses  trois  dernières  notes  le  torciilus  de  x, 
s'expose  pour  la  première  fois  au  début  du  développement  du  deuxième 
moui>ement  (S),  et  se  reproduit,  sous  diverses  foimes,  dans  la  Fantaisie 
et  le  finale. 

Le  dessin  •{,  formé  de  deux  torciili  avec  une  note  commune,  n'appa- 
raît que  dans  la  Fantaisie  et  sert  ensuite  à  relier  les  refrains  du  finale. 

Nous  allons  examiner  maintenant  le  rôle  de  ces  trois  motifs  caracté- 
ristiques {x,  y,  i)  dans  la  construction  cyclique  de  Toeuvre  : 

1"  Allegretto,  en  la  :  mouvement  lent  de  forme  Sonate  à  deux  idées 
sans  développement  (type  LS). 

Exp.  Th.  A,  formé  de  la  cellule  a-,  en  LA,  s'infléchissant  et  formant  cadence 
à  la/).  : 


—  Th.  B,  commençant  en  MI  et  modulant    en  faU,  puis  en  ut  9  pour 
revenir  ensuite,    à    l'aide  de  la  cellule  x,    vers  la  tonique  principale. 

RÉEXP.  Th.  A  (par  x)  en  LA,  avec  cadence  à  la  T. 

—  Th.  B,  en  LA,  amenant  une  conclusion  par  x. 

La  dernière  application  de  cette  forme,  sauf  une  différence  dans  l'a- 
boutissement tonal  des  expositions,  remonte  au  XIII*  Quatuor,  op.  1 3o, 
de  Beethoven  (i),  c'est-à-dire  à  1826.  Il  convient  de  remarquer  ce  fait 
que  Franck,  loin  de  chercher  par  avance  à  «  être  original  quand  même  », 
se  contente  de  reprendre,  après  soixante  ans,  une  forme  très  ancienne 
et  presque  tombée  dans  l'oubli,  ce  qui  ne  l'empêche  pas,  vérifiant  encore 
la  belle  parole  de  Ruskin  que  nous  avons  citée  (p.  17),  en  faire  un 
nouveau  chef-d'œuvre. 

2°  Allegro,  en  ré,  du  type  S  : 

Exp.  Th.  A  en  re,  formant  phrase  /fVi  en  troi'!  pétiodes,  avec  conclusion 
à  la  T.,  et  faisant  pressentir  par  son  dessin  initial  le  motif_K  tel 
qu'il  s'eïposera  au  développement  : 

®  ;/ : 


É 


^Jt.r'Ai 


fîy^i^ 


u 


(1)  Ce  Quatuor  sera  analysé  dans  la  Seconic  Partie  du  présent  Livre.  —  Quant  à  la  ten- 
tative malheureuse  de  Brahms  daas  cette  môme  forme  (LS),  nous  avons  vu  (p.  417)  qu'elle 
ne  pouvait  aucunement  servir  de  modèle. 


LES  FRANÇAIS  43Î 

—  Pont  ou  transition  très  courte  par  la  cellule  x; 

—  Th.  B,  en  fa,  divisé  en  trois  phrases  doubles  : 

—  —     b' ,  exposé  en  f'.i  et  en  LA,  et  apparente  au  motif  _^; 

—  —     b" ,  allant  cf  abord  de  la  D.  de  si  à  faH  ,   puis  de  la  /).  de  ré  à  Li  ; 

—  —     b'",  exposé  en  lA    et  en  fa  pour  conclure. 

DÉv.  Motif^,  exposé  dans  sa  forme  véritable  {Quasi  lento)  et  suivi  de  h" 
qui  module  en  la,  puis  vers  UTH  ; 

—  en  M/ 5,  par  b'"  combiné  avec  la  cellule  -v  ; 

—  en  marche,  par  a  en  ut  Set  en  sol  5,  puis  par  b'  en  SOL^  et  en  Sfl  t>  ; 
Rkexp.  Th.  A  en  ré,  suivi  de  P. 

—  Th.  B  (b',  b",  b'")  en  RÉ. 

—  Dév.  term.  par  a,  en  ré,  combiné  avec   la  cellule  x  et  amenant  la  con- 

clusion agogique,  en  RÉ. 

3*  Recitativo-Fantasia  de  forme  assez  spéciale,  analogue  par  sa  coupe 
générale  au  Lied  simple  en  trois  sections  constituées,  la  première  par 
un  développement  du  motif  cyclique  a:,  la  deuxième  par  une  sorte  de 
floraison  mélodique  du  dessin  r,  et  la  troisième  par  une  combinaison 
concluante  des  deux  précédentes,  dans  la  tonalité   de  fa  3,  : 

Sect.  I.  contenant  deu.v  subdivisions  : 

—  Récit  débutant  par  la  cellule  x  sur  la  D.  de  50/,  suivie  d'une  expo- 

sition variée  de  la  période  x  tout  entière,  en  état  tonal  instable, 
en  so/,  puis  en  ut  5,  puis  en  marche  d'ut  5  à  la  D.  de  ré,  dans  sa 
conclusion  mélodique. 

—  Mêmes  éléments  reproduits  sur  la  D.  de  ré,  puis   sur  la  D.  d'ut  S 

où  ils  engendrent  un  développement  mélodique  nouveau,  servant  de 
transition  vers  la  section  suivante. 
Sect.  ii.  Th.j^  formant  une  véritable   mélodie,  en/a  5,  complétée  par  le 
dessin  f  sous  une  forme  amplifiée   par  l'agrandissement  des  inter- 
valles du  torculus  nnal  : 


—    Cette  section  se  termine  par  une  grande    cadence  mélodique   en  i</5. 

Sect.  mi.  Cellule  a-  développée  "p^iv  augmentation  et  suivie  du  dessin  ^,  en 

sdi  {oTvne  amplifiée,  reprenant   enfaH   la  grande  cadtnce  mélodique 

de  la  SECTION  11,  pour  aboutir  à  une  conclusion  mélodique  faite  des 

mêmes  éléments  que  celle  qui   termine  la  première  subdivision  de 

la  SECTION    I. 

Il  faut  remarquer  que  le  ton  de  fan  {t-elalif  du  ton  principal)  s'est 
déterminé  peu  à  peu  dans  cette  pièce,  comme  si  elle  tendait  vers  cette 
tonalité  pour  V atteindre  seulement  à  la  fin,  ^'acheminant  ainsi,  en  quel- 
que sorte,  vers  le  finale  qui  contiendra  la  glorification  des  trois  motifs 
cycliques. 

4°  Allegretto  poco  mosso,  en  la  :  combinaison' tout  à   fait   neuve  des 


4  2b 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


formes  S  et  R.  Cette  sorte  de  Rondeau  à  quatre  refrains  se  divise  en 
/ro/5  parties  dont  la  première  est  une  eA-jt705;7/o;/,  la  deuxième  un  véri- 
table développement  des  thèmes  propres  au  finale,  combinés  avec  les 
motifs  cycliques,  et  la  troisième  une  réexposition  conclusive  du 
refrain  : 

Exp.  Réf.  i.  Phrase  tirée  de  la  cellule  x  (partant  de  la  T.  au  lieu  de  partir 
de  la  D.  comme  dans  le  mouvement  initial)  ;  cette  phrase,  faisant 
fonction  de  première  idée,  se  poursuit  en  un  canon  mélodique 
perpétuel  à  Voctave,  d'une  grâce  pénétrante  et  douce  et  d'une  sim- 
plicité d'écriture  presque  sans  exemple  jusqu'ici: 


T.  ^k 


ir^\i  '^^^ 


—  Petit  couplet  très  court,  exposant  au  piano  le  thème  f. 

—  Réf.  2,  en  UT  S  et  toujours  en  canon. 

—  Petit  couplet  partant  de/a  It  et  modulant  par  le  dessin  f  vers  la  D. 

—  Réf.  3,  en  MI  {canon),  placé    comme   une  seconde  idée  et  terminant 

Vexposition  par  une  cadence  à  la  D. 
Dév.  Grand  couplet  central  formé  d'éléments  cycliques  : 

—  cellule  .X  (sous  la  forme  de  P.  dans  le  deuxième  mouvement)  en  marche 

vers  si  b. 

—  repos  en  si  \>,  puis  en  mi  l»,  par  le  th.  du  refrain  combiné  avec  le  motif 

^  à  la  basse. 

—  deuxième  fragment  mélodique  du  refrain,   changé  de   degré   et   de 

fonction  {T.  au  lieu  de  D.)  et  allant  de  sol  S  -la  b  à  re  5-  mi  b  ; 


^ 


^ 


m^éEEm 


f 

—  grande    cadence   mélodique  f,     provenant   du   troisième    mouvement 

(Fantaisie)  et  modulant  de  ré  H  à /a,  puisa  UT. 

—  même  dessin  i^,  formant  repos,  en  UT  et  la,  pour  la  rentrée. 

Réexp.  Réf.  4,  en  LA,    en  canon  perpétuel,  avec   transposition  à  la  T.  de 
la  cadence  à  la  D.  qui  terminait  Vexposition, 


Certes,  on  doit  admirer  ici  par-dessus  tout  la  haute  valeur  musicale 
des  idées  mélodiques  qui  donnent  à  cette  admirable  Sonate  la  vie  et 
l'émotion  intense  qui  l'animent  ;  mais,  si  l'on  faisait  abstraction  pour 
un  instant  de  ses  qualités  magistrales  d'invention,  cette  œuvre  ne 
demeurerait-elle  pas  quand  même  un  témoignage  irrécusable  de  la 
séculaire  tradition  beethovénienne,  immuable  point  d'appui  d'une 
rénovation  profonde  dans  les  formes,  laissant  intact  le  fonds  légué  par 
toute  une  dynastie  de  musiciens  de  génie  I 


LES  FRANÇAIS  437 

Camille  SAINT-SAENS,  né  à  Paris,  se  présenta  deux  fois  à  l'épreuve 
du  prix  de  Rome,  en  i852  et  en  1864  ;  mais  le  jury  lui  préféra  toujours 
un  musicien  de  moindre  valeur.  Organiste  de  Saint-Merry  depuis  i833, 
puis  de  la  Madeleine,  de  i858  à  1877,  i'  fonda  en  1872,  avec  Romain 
Bussine  et  quelques  autres  musiciens  français,  la  Société  nationale  de 
Musique  et  contribua  beaucoup  à  son  développement.  Il  fut  aussi  un 
pianiste  virtuose  des  plus  remarquables  et  dirigea  pendant  plusieurs 
années  une  classe  de  piano  à  V Institut  de  Musique  de  Niedermeyer. 
En  1881,  il  devint  membre  de  l'Académie  des  Beaux-Arts, 

L'écriture  musicale,  chez  Saint-Saëns,  est  toujours  très  classique  ;  on 
rencontre  parfois  dans  ses  œuvres  certaines  juxtapositions  de  tonalités 
malaisément  explicables;  mais  il  sait  toujours  donner  à  ces  voisinages 
■difficiles  une  solution  correcte  et  élégante,  qui  n'a  rien  de  commun 
avec  les  lourdes  maladresses  tonales  si  fréquentes  dans  les  œuvres, de 
Brahms  et  des  néo-classiques  allemands.  Il  semblerait  plutôt  que  Saint- 
Saëns  n'ait  pas  toujours  une  confiance  très  ferme  en  ses  propres  idées 
musicales,  comme  s'il  les  sentait  lui-même  un  peu  sèches  et  dépourvues 
d'expansion  chaleureuse.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  valeur  de  ces  idées  est 
toujours  rehaussée  par  un  travail  des  plus  intéressants,  pour  lequel 
tout  au  moins  leur  auteur  mérite  d'être  classé  au  premier  rang  des 
artistes  de  notre  temps. 

Saint-Saëns  a  écrit  une  Sonate  pour  piano  et  violoncelle 
(op.  32)  et  deux  Sonates  pour  piano  et  violon  :  l'une  en  ré  (op.  731, 
l'autre  en  A// 1)  (op.   102). 

Alexis  de  CASTILLON,   né  à  Chartres,  manifesta  dès  son  enfance  une 

véritable  passion  pour  la  musique  ;  il  n'en  fit  cependant  point  sa  carrière 
tout  d'abord  et  devint  officier  de  cavalerie.  Mais  il  donna  sa  démission 
quelques  années  après  et  alla  demander  des  leçons  de  composition  à 
Victor  Massé  :  celui-ci  ne  lui  apprit  absolument  rien,  et  réussit  même 
à  le  dégoûter  pour  un  certain  temps  de  l'art  qu'il  avait  toujours  aimé. 
C'est  alors  que  Castillon  fit  la  connaissance  d'Henri  Duparc  qui  le  pré- 
senta à  son  maître  César  Franck.  Il  n'en  fallut  pas  davantage  pour 
rendre  à  Castillon  toute  son  ardeur  ;  il  s'enthousiasma  pour  l'enseigne- 
ment si  clair  et  si  pénétrant  du  génial  symphoniste,  avec  lequel  il  com- 
mença une  étude  complète  de  la  composition,  après  avoir  détruit  toutes 
ses  œuvres  antérieures  qu'il  jugeait  indignes  de  lui. 

Pendant  la  guerre  de  1870,  Alexis  de  Castillon  reprit  son  service 
militaire  :  il  contracta  bientôt  ufie  atVection  de  poitrine  à  laquelle  il 
succomba,  à  l'âge  de  trente-cinq  ans. 

Alors  que  presque  tous  les  musiciens  de  son  époque  n'écrivaient 
guère  que  des  opéras,  Castillon  avait  été  l'un  des  rares  esprits  nette- 


4»8  LA  SONATE    CYCLIQUE 

ment  orientés  vers  l'ordre  symphonique  et  avait  contribué,  dans  la 
mesure  du  possible,  à  l'essor  de  la  Société  nationale  de  Musique^  véri- 
table pépinière  de  la  symphonie  française  à  la  fin  du  xix^  siècle. 

Outre  ses  œuvres  de  Musique  de  Chambre  que  nous  examinerons 
ultérieurement,  Castillon  a  laissé  une  belle  Sonate  pour  piano  et  vio- 
lon, en  UT. 

Gabriel  FAURÉ,  né  à  Pamiers,  fut  élève  de  Saint-Saëns  à  l'École  Nie- 
dermeyeret  devint  organiste  à  Rennes  avant  d'être  maître  de  chapelle, 
puis  organiste  du  grand  orgue  (en  1896)  à  l'église  de  la  Madeleine.  Il 
fut  nommé  en  1906  directeur  du  Conservatoire  de  Paris  et,  en  1909, 
membre  de  l'Institut. 

L'invention  musicale  revêt,  chez  Fauré,  un  caractère  très  spécial 
qu'on  pourrait  appeler  mélodico-ha?v?iofiique,  car  la  mélodie  semble  telle- 
ment liée  à  ses  subtiles  harmonies  qu'on  ne  saurait  l'en  séparer  :  il  en 
résulte  un  effet  éminemment  séduisant,  comparable  à  celui  de  certaines 
couleurs  chatoyantes.  Cette  ligne  mélodique  ne  plane  peut-être  pas  aux 
hauteurs  sereines  de  celle  de  Franck,  elle  n'est  pas  toujours  aussi  habi- 
lement ouvragée  que  celle  de  Saint-Saëns,  mais  elle  n'en  demeure  pas 
moins  intimement  prenante,  et  toute  àme  accessible  à  la  poésie  ne  peut 
manquer  d'être  conquise  par  son  indéniable  charme. 

Fauré  fut  aussi  l'un  des  fondateurs  de  la  Société  nationale  de  Mu- 
sique ;  celles  de  ses  œuvres  qui  appartiennent  au  genre  de  la  Musique  de 
Chambre  nous  fourniront,  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre, 
l'occasion  d'une  étude  plus  complète.  Mentionnons  ici  sa  Sonate  pour 
piano  et  violon,  op.  1 3,  en  la,  qui  date  de  1 878  (i). 

Vincent  d'INDY,  né  à  Paris,  élève  de  César  Franck  depuis  1872,  fut 
pendant  cinq  ans  timbalier  et  chef  des  chœurs  aux  Concerts  du  Châte- 
let.  D'abord  secrétaire  et  plus  tard  président  du  comité  de  la  Société 
nationale  de  Musique,  il  seconda,  avec  Alexandre  Guilmant,  l'inlas- 
sable activité  de  Charles  Bordes,  pour  la  fondation,  en  1895,  de  la 
Schola  Cantorum,  dont  il  est  devenu  seul  directeur  en  1904.  C'est  là 
qu'il  enseigna,  depuis  le  mois  d'avril  1897,  le  Cours  de  Composition 
MUSICALE  dont  les  éléments  techniques  et  historiques  constituent  le 
présent  ouvrage. 

Bien  que  le  fait  de  parler  de  ses  propres  œuvres  prête  toujours  à 
quelque  critique,  l'auteur  n'a  pas  cru  devoir  omettre  de  mentionner  ses 
deux  Sonates  :  la  première,  en  ut,  pour  piano  et  violon,  op.  5g  (1904), 

(i)  Une  deuxième  Sonate  pour  piano  et   vir)lon  et  une    Sonate  pour  piano  et  violoncelle 
ont  été  composées  par  Fauré  en  1917. 


LKS   FRANÇAIS 


429 


la  seconde,  en  mi,  pour  piano  seul,  o  .  63  (1907).  C^tte  dernière  a 
même  paru  pouvoir  faire  l'objet,  en  raison  de  sa  forme  spéciale,  d'une 
analyse  destinée  à  montrer  l'une  des  évolutions  opérées  déjà  dans  la 
conception  cj-cliquc  de  la  Sonate,  une  vingtaine  d'années  après  la  pre- 
mière réalisation  complète  due  à  César  Franck. 

La  Sonate  en  mi  est  en  trois  mouvements  :  les  motifs  cycliques  géné- 
rateurs sont  au  nombre  de  trois,  dont  le  premier  {x)  régit  toute  l'œuvre  : 


Le  deuxième  {v)  apparaît  seulement  à  titre  de  phrase  complémentaire 
dans  le  mouvement  initial  ;  mais  il  engendrera  plus  tard  l'idée  prin- 
cipale du  Scherzo  : 


Le  troisième  (^"i,  simplement  exposé  dans  le  mouvement  initial,  sert  à 
former  le  premier  trio  du  Sclierio  : 


1°  Modère,  en  ;;//  ;  Introduction  dans  laquelle  sont  esquissées, sous  une 
forme  qui  n'est  pas  encore  définitive,  les  trois  idées  cycliques  (.v.  > ,  ç). 
Le  thème  principal  X  (formé  de  .v  et  complété  par  r)  s'expose  ensuite 
en  ;;//,  et  sur  le  degré  de  la  dominante  comme  point  de  départ.  Il  est 
suivi  de  quatre  variations  servant  à  Vamplijîer  suivant  les  principes  in- 
diqués ci-après,  au  chapitre  vi.  Chacune  de  ces  Wiriations  amplifica- 
trices est  terminée  par  une  exposition  chaque  fois  diflérente  du  dessin 
y.  Après  la  quatrième  variation,  reparaît  le  grand  thème  X,  en  mi,  mais 
partant  cette  fois  du  degré  de  la  médiante  (en  fonction  de  tonique), 
c'est-à-dire  tel  qu'il  a  été  cité  ci-dessus  et  qu'il  restera  dorénavant  dans 
la  suite  de  l'œuvre. 

2°   T?'i's  animé,  en  SOL,  de  forme  Scherzo  à  deux  trios  : 

Scherzo.  Th.  A,  en  sol,  forme  par  le  dessinj^  et  développé  : 


430  LA  SONATE  CYCLIQUE 

Trio  I.  Th.  B,  en  Mii>,  formé  par  le  dessin  f  qui  donne  naissance  à  une- 
phrase  complète  : 


SCHERZO.  Th.  A,  en  SOL. 

Trio  IL  Th.  C,  en  ut,  provenant   d'une  autre  modification  àt  y  i 


^  A  ce  thème  s'adjoint  bientôt  une  nouvelle  interprétation  du  dessin  Xy 
préparée  rythmiquement  déjà  et  s'exposant  complètement  en  UT  : 


4   L  ■^i^'^u   '   ^ 


Scherzo.  Th  A,  en  sol,  exposé  une  troisième  fois  pour  conclure  avec  un 
rappel  du  trio  i. 

3*  Finale.  Modéré,  en  Mi,  de  forme  Sonate,  avec  une  Introduction,  en 
;«/,  symétrique  de  celle  du  mouvement  initial  :  toutefois,  les  interven- 
tions du  dessin  complémentaire  (^)  sont  remplacées  ici  par  une  nouvelle 
phrase  mélodique  destinée  à  former  peu  à  peu  le  thème  A  du  .finale  ;: 
le  motif  [y)  n'est  plus  ici  qu'une  transition  entre  cette  introduction 
et  le  thème  A  lui-même,  marquant  le  commencement  du  dernier  mou- 
vement proprement  dit  : 

Exp.  Th.  A,  en  MI,  formant  une  phrase  complète  en  trois  périodes  : 


® 


p^ 


feê 


t^t^^^^ 


-etc. 


T.  (VI) 


-  Pont  modulant,  dont  le  dessin  mélodique  a  pour  origine  le  motif  j'  eL 
part  du  ton  de  fa  pour  aller  vers  celui  de  LA  ï>  : 


etc. 


LES  FRANÇAIS 


43' 


Th.  B,  en  LA  b  -  SOL  S,  en  trois  phrases  (b' ,  b" ,  b'",)   dont  la  première 
(b')  esi  également  issue  du  motif^- : 


Dév.  par  A,  modulant  de  RÉ  à  sol  ; 

—  par  P,  en  sol,  amenant  un  repos  en  t/rS  par  la  phrase  b'  combinée  avec 

des  fragments  de  a. 

—  parP,  partant  du  ton  de  faH  et  modulant  pour  amener  un  rappel  du 

thème  général  X  (exposition  simplifiée  formant  repos  en  m). 
RÉExp.  Th.  A,  en  MI. 

—  Pont  en  mi,  modulant  vers  SOL  ; 

—  Th.  B  {b' ,  b",  b"'],  réexposé  en  SOL,  à  cause  du  dév.  term. 

—  Dév.  term.  par  A,  interrompu  par  le  dessin  x  tendant   à  ramener  peu 

à  peu  le  thème  entier. 
—    par  le  thème  général  X,  exposé  dans  toute  sa  force  au  ton  prin- 
cipal, MI,  et  se  superposant  vers  la  fin  au  thème  A  du  finale. 

—  —    rappel  de  b'  qui  termine  l'œuvre  en  s'effaçant  progressivement. 

Paul  DUKAS,  né  à  Paris,  fut  élève  du  Conservatoire  et  obtint,  en  1 888, 
le  second  prix  de  Rome  ;  mais  il  se  rendit  compte  qu'il  avait  jusqu'alors 
appris  fort  peu  de  choses  et  eut  la  conscience  de  recommencer  toute  son 
éducation  musicale.  Il  fit  donc  une  étude  approfondie  et  passionnée  de 
l'œuvre  des  maîtres  musiciens  de  toutes  les  époques,  et  parvint  ainsi 
par  son  travail  personnel  à  se  former  une  doctrine  esthétique,  attendant, 
pour  produire  des  oeuvres,  d'être  parfaitement  sûr  de  lui-même. 

Il  a  écrit  une  Sonate  pour  piano  seul,  en  mi  ^  (1900),  qui  n'est  point 
construite  à  proprement  parler  sur  des  thèmes  cycliques,  mais  qui  est 
néanmoins  soumise  d'une  façon  indéniable  à  cette  sorte  de  conception, 
dans  l'esprit  sinon  dans  la  forme  ;  c'est  pourquoi  il  y  a  lieu  d'analyser 
ici  cette  oeuvre,  divisée  en  quah^e  mouvements  : 

1°  Modérément  vite.,  en  w/ 1>,  de  forme  Sonate. 


Exp.  Th.  A,  en  mi\>,  puis  en/<jt>,  s'infléchissant  vers  ré\>  ;  ce  procédé  d'as- 
sombrissement  progressif  par  les  quintes  graves  se  rencontre 
fréquemment  dans  les  œuvres  du  même  auteur  ;  mais  il  sait  l'em- 
ployer assez  habilement  et  sobrement  pour  que  le  sens  tona! 
général  n'en  soit  point  oblitéré  :  l'harmonie  de  mib,  au  contraire, 
reparaît  ici  toujours  en  fonction  de  tonique,  sans  la  moindre 
équivoque. 

—  Pont,  par  le  dessin  de  A,  amenant  une  sorte  d'e.vposition  préparatoire 

du  th.  B,  toujours  par  sa  quinte  grave  (SD.). 

—  Th.  B,  composé  d'une  phrase  unique,  en  SOL 


433 


LA  SONATE  CYCLIQUE 


DÉv.  par  a  en  forme  modulante,    aboutissant  à  une  marche  vers  la  D.  de 
mi,  puis  vers  la  D-  de  ré  ; 

—  par  B,  exposé  en  état  de  repos,  en  S/  t>,  puis  en  MI -FA  \> . 
Rékxp.  Th.  A,  en  vxi\>  et  /at»,  suivi  de  P  ; 

—  Th.  B  en  Ml  !?  ; 

—  Dév.  tertn.  par  le  th.  B  qui  conclut. 

2°  Calme,  un  peu  lent,  en  L/i  t>,  de  forme  Sonate  avec  développement  : 

Exp.  Th.  A,  en  LA\>  ; 

—  Th.  B,  en  MI  t>  ; 

Dév.  par  a,  en  SOL  b  et  FA  ; 

—  par  b,  en  FA  et  SI  ï>  ; 

—  par  a,  en  SOL  ; 

Réexp.  Th.  A  et  th.  B  au  ton  principal,  LA)>. 

3°  Vivement^  en  si-ut  \),  de  forme  Scherzo. 

Scherzo  :  Thème  nouveau,  en  si. 

Trio  par  le  Th.  A  du  mouvement  initial,  prenant  ici  une  fonction 
cyclique  et  se  résolvant  en  une  forme  fuguee  qui  paraît  être  une 
transformation  du  même  thème. 

Scherzo  réexposé  en  51. 

4°  hîiroduction  et  finale  Animé,  en  mi\>^  de  forme  Sonate  : 

Introd.  contenant  un  thème  générateur  [x)  destiné  à  jouer  un  grand  rôle 
dans  tout  le  finale  : 


Lent    j. 


—  Ce  motif  module  et  sert  de  transition  entre  l'Introduction  et  le  mou- 
vement Animé  : 
Exp.  Th.  A,  en  mil?  ,  que  nous  citerons  en  entier,  car  il  constitue  une  des 
idées  musicales  les  plus  essentiellement  «  symphoniques  »  qu'on 
ait  écrites  en  ces  dernières  années  :  on  remarquera  l'influence 
incontestablement  génératrice  de  la  cellule  A'dans  ce  thème: 


(^  Animé 


X. 


gif  r  ?r  rf- 


piùf 


^ÉîJi_jjy.:à^^=g:M^r-t 


I 


:/ 


LES  FRANÇAIS  ^^^ 

Pont  modulant  ; 

Th.  B,  en  trois  phrases,  dont  la  première  (b'),  en  Sl-UT?  ,  est  visible- 
ment inspirée  du  thème  liturgique  Fange  liugua...  : 

'•"    — ■ — ^^ — ■ — " — ■ —  f(, 


* 


m 


-r^ é 

—  —     cette  phrase,  comme  le  th.  A  du  mouvement  initial,  se  reproduit 

à  la  SD. 

—  —    b"  est  une  sorte  de  développement  anticipé  de  la  phrase  b"'. 

—  —     b"'  est  un  thème  conclusif,  en   forme   de  marche,  mais  peut-être 

un  peu  inférieur  aux  précédents. 
Dév.  par  b"'  puis  par  a,    amenant   ensuite  un   long   développement   de    la 

cellule  X,  qui  part  de  mi  \>  et  module  par  demi-tons  ascendants,  pour 

aboutir  à  la  D.  du  ton  principal. 
Réexp.  Th.  A,  en  mi  b,  suivi  de  P. 

—  Th.  B  (b',  b",  b"'),  en  MI  ï>. 

—  Dév.  term.  par  b  ,  préparant  la  rentrée  définitive  du  dessin  cyclique  x, 

qui  revient  dans  toute   sa  force  et  qui  forme  conclusion,  en  J//i>,  à 
l'aide  de  la  phrase  b'. 

La  forme  Sonate  était  la  seule  dont  nous  ayons  à  nous  occuper  ici, 
■en  tant  que  prototype  de  toutes  les  autres  formes  symphoniques  dont 
l'étude  sera  faite,  après  celle  de  l'Instrumentation,  dans  la  Seconde 
Partie  du  présent  Livre.  Mais  les  quelques  oeuvres  citées  dans  ce  cha- 
pitre suffisent  déjà,  croyons-nous,  à  montrer  que  la  France,  après  s'être 
trop  longtemps  désintéressée  de  toute  participation  active  au  progrès 
de  l'art  symphonique  pur,  a  le  droit  de  se  considérer  dorénavant 
comme  largement  dédommagée.  Peut-être  l'histoire  de  notre  art  dra- 
matique et  des  envahissements  hétérogènes  dont  il  subit  plusieurs  fois 
les  désastreux  effets  nous  fera-t-elle  mieux  comprendre,  dans  le  Troi- 
sième Livre  de  cet  ouvrage,  les  raisons  profondes  de  ce  recul  momen- 
tané dans  l'état  de  la  musique  de  notre  pays,  au  xix*  siècle.  Constatons 
seulement  l'existence  et  la  vitalité  intense  de  cette  École  de  musiciens 
français  qui,  seule  en  Europe  et  depuis  César  Franck,  a  su  recueillir 
€t  faire  amplement  fructifier  le  magnifique  héritage  de  Beethoven. 


CoVRi    DE   COMPOJITION,    —    T.    Il,     I  »9 


VI 

LA  VARIATION 


Technique.—    i.      Définitions    et    division».    —   2.    L'Ornement    rythmo-monodique      -- 
3.  L'Orrernent  polyphonique  ou  contrapontique.  —  4.  L'Amplification  thématique. 

Historique.  —  3.  La  Variation  ornementale.  —  6.  La  Variation  décorative.  —    7.  La  Varia 
tion  amplificatrice. 


TECHNIQUE 

I.    —    DEMMTIO.NS    ET    DIVISIONS 

La  Variation  consiste  en  une  succession  logique  d'expositions 
intégrales  d'un  même  Thème,  offrant  chaque  fois  un  aspect  rvthmique, 
mélodique  ou  harmonique  différent,  sans  cesser  d'être  reconnaissable  ; 
en  tant  que  forme  de  composition,  elle  est  en  général  destinée  à  un 
seul  instrument  récitant,  jouant  seul  ou  accompagné,  et  tire  son  origine 
des  reprises  pariées  dites  doubles,  en  usage  dans  les  pièces  lentes  X) 
et  surtout  dans  les  pièces  modérées  (M)  appartenant  aux  anciennes 
Suites  (voir  ci-dessus,  p.  114);  à  ce  titre,  la  forme  Variation  constitue 
le  corollaire  et  le  complément  indispensables  de  la  forme  Suite  et  de 
la  forme  Sonate. 

Mais  le  principe  de  la  Variation  et  son  rôle  dans  la  composition 
musicale  sont  loin  d'être  limités  à  cette  forme  spéciale,  apparue  assez 
tardivement  et  tombée  aujourd'hui  en  désuétude. 

En  tant  que  moyen  expressif,  la  Variation  a  pour  principe  Vornemen- 
tation  mélodique,  c'est-à-dire  l'application  à  un  même  Thème  de  for- 
mules mélodiques  différentes,  dans  le  but  d'en  renouveler  et  d'en 
accroître  l'intérêt,  sans  en  altérer  jamais  la  signification,  ni,  en  quelque 
sorte,   la  substance  même. 

L'usage  de  l'ornement  mélodique  est  assurément  aussi  ancien  que 
la  voix  humaine  et  que  la  musique  elle-même  :  aussi  pourrait-on  lui 
assigner  trois  états,  distincts  mais  non  successifs,  correspondant  assez 
bien,  dans  le  domaine  technique,  aux  trois  grandes  Epoques  de  l'His- 
toire musicale  : 

i"  Vornement  rytlimo-monodique  variant  intrinsèquement  le  texte  thé- 


436  LA  VARIATION 

matique  lui-même,  par  l'adjonction  de  groupes  rythmiques  acces- 
soires, de  formules  ou  de  neumes  plus  complexes,  tout  en  respectant 
le  schème  mélodique  primitif,  établi  d'après  les  principes  énoncés  au 
Premier  Livre  (i)  ; 

2°  Vornement  polyphonique  ou  contrapontique,  variant  extrinsèque' 
ment  le  texte  thématique  qui  peut  demeurer  immuable,  tandis  que  des 
lignes  mélodiques  adjacentes,  destinées  à  être  entendues  simultané- 
ment, se  superposent  à  lui  sans  affecter  notablement  son  rythme,  ni 
sa  mélodie  propre  ; 

3°  Vamplijication  thématique,  sorte  de  Variation  à  la  fois  intrinsèque 
et  extrinsèque,  dans  laquelle  la  présence  du  Thème,  au  lieu  de  se  révé- 
ler constamment  par  une  superposition  effective  ou  possible  de  sa 
mélodie,  résulte  seulement  du  sens  tonal  général  et  de  certains  points 
de  repère,  harmoniques  ou  mélodiques,  reparaissant  dans  un  ordre 
constant  :  c'est  une  sorte  à' interprétation  ou  de  commentaire  musical 
du  Thème  plutôt  qu'une  exposition  ornée  ou  contrepointée. 

Bien  que  ces  trois  états  de  l'ornement  doivent  nécessairement  être 
envisagés  l'un  après  l'autre  dans  l'étude  technique  qui  va  suivre,  il 
ne  faudrait  point  les  considérer  comme  absolument  successifs  :  ils 
coexistent  au  contraire  dans  un  grand  nombre  de  formes  musicales 
participant  de  la  Variation.  Il  ne  sera  donc  pas  possible,  pour  la  clas- 
sification historique  de  ces  formes,  de  procéder,  comme  on  l'a  fait 
précédemment  pour  la  Fugue,  la  Suite  et  la  Sonate,  par  époque  et 
par  école  ou  par  nationalité.  Presque  tous  les  compositeurs,  en  effet, 
ont  eu  recours,  pour  fleurir,  commenter  ou  magnifier  les  Thèmes  créés 
par  eux  ou  fournis  par  d'autres,  à  la  Variation. 

Mais  les  plus  anciens  étant,  sans  contredit,  les  anonymes  auteurs  des 
cantilènes  grégoriennes,  il  sera  naturel  de  faire  correspondre  à  l'étude 
technique  de  Votmetnent  lythmo-monodique  l'histoire  de  la  Variation 
ornementale. 

L'adjonction  de  Vornement  contrapontique  était  nécessaire  pour 
qu'un  Thème  puisse  s'exposer  plusieurs  fois  avec  des  dessins  différents, 
et  recevoir  ainsi  une  sorte  d'enluminure  sonore  comparable  aux  enca- 
drements et  aux  figures  régulières  qui  servent  à  la  décoration  d'un 
édifice  :  c'est  pourquoi  l'on  trouvera  en  deuxième  lieu  l'histoire  de  la 
Variation  dite  décorative^  la  seule  d'ailleurs  qui  ait  constitué,  par 
elle-même,  une  forme  de   composition. 

Enfin,  V amplification  thématique  et  son  corollaire  historique,  la 
Variation  amplificatrice  créée  par  J.-S.  Bach,  devaient  logiquement 
apparaître  en  dernier  lieu,  à   la   place  d'honneur  qui   leur   appartient 

(i)  Voir  !•'  liv.,  chap.  ii,  p.  43. 


L'ORNEMENT  RYTIIMO-MONODIQUE  4  37 

de  droit,   en   tant  qu'aboutissement  de   la  Variation  dans   le   passé  et 
point  de  départ  probable  de  ses  formes  nouvelles  dans  l'avenir. 

Les  points  de  vue  technique  et  historique  demeurent  donc  ici  étroite- 
ment liés  l'un  à  l'autre  :  c'est  pourquoi  les  deux  sections  de  ce  chapitre 
sont  presque  inséparables,  caries  exemples  nécessairement  très  succincts 
de  \si  section  technique  doivent  être  complétés  par  de  fréquentes  compa- 
raisons avec  les  citations  corrélatives,  plus  nombreuses  et  plus  déve- 
loppées, de  la  section  historique. 

2.  —  l'ornement  rythmo-monodfque. 

Il  ne  semble  guère  possible  d'entreprendre  ici  une  étude  complète 
de  Vornement,  qui  se  confondrait,  à  peu  de  chose  près,  avec  celle  de 
toute  la  mélodie,  sinon  même  de  toute  la  musique  :  un  chapitre 
entier  du  Premier  Livre  de  ce  Cours  a  déjà  été  consacré  à  la  Mélodie; 
la  Musique,  c'est  le  sujet  de  tout  l'ouvrage...  II  convient  donc  ici  de 
se  borner  à  quelques  considérations  particulières,  destinées  principa- 
lement à  en  suggérer  d'autres  au  lecteur,  tout  en  lui  laissant  le  soin 
d'apprécier  les  innombrables  effets  de  Vornement  sur  toutes  les  œuvres 
qu'il  connaît  déjà  et  qu'il  connaîtra  par  la  suite,  depuis  les  premières 
cantilènes  monodiques  de  notre  admirable  liturgie  chrétienne,  jus- 
qu'aux ouvrages  les  plus  récents  et  les  plus  complexes  de  notre  art 
musical  symphonique   et   dramatique  contemporain. 

On  a  défini  la  Mélodie  a  une  succession  de  sons  déterminés  différant 
entre  eux  à  la  fois  par  leur  durée  ou  leur  intensité  et  par  leur  intonation 
(gravité,  acuité)  »  (i). 

Le  fait  d'inégalité  qui  se  retrouve  à  l'origine  du  rythme  et  de  la 
mélodie  (2),  comme  dans  toute  manifestation  de  l'activité  humaine, 
implique  une  importance  relative  entre  les  sons  d'une  mélodie  quel- 
conque et.  par  application  des  principes  rythmiques  «  d'ordre  et  de 
proportion  dans  le  temps  »,  une  hiérarchie  entre  eux  :  les  uns  occupant 
des  fonctions  principales,  dirigeantes  et  nécessaires,  tandis  que  les 
autres,  plus  modestes,  remplissent  des  fonctions  accessoires,  en  quel- 
que  sorte   subordonnées  et  contingentes. 

L'analyse  des  mélodies  nous  a  révélé  pratiquement  cette  hiérarchie, 
en  nous  apprenant  «  à  éliminer  successivement...  les  notes  accessoires 
d'ordre  purement  ornemental,  pour  ne  tenir  compte  que  des  notes 
réelles  )>(3).  Celles-ci  constituent  Vossature  ouïe  schème  mélodique  dom 
il   a  été   souvent    question  :    leur  modification     ou     leur   suppression 

(i)  Voir  !•'  liv.,  p.  3i. 

(3)  Voir  ["  liv.,  p.  ab  ei  ^uiv. 

(3;  Voir  I"  liv.,  p.   42. 


4 38  LA  VARIATION 

rendrait  méconnaissable  ou  inintelligible  la  mélodie  dont  elles  sont, 
pour  ainsi  dire,  \di  substance^  l'élément  invariable  au  sens  strict  du  mot. 
Le  trésor  grégorien  abonde  en  formes  mélodiques  tantôt  ornées, 
tantôt  réduites  littéralement  à  leur  «  plus  simple  expression  »  ;  et,  s'il 
n'est  pas  toujours  certain  que  la  forme  dite  primitive  ait  précédé  chro- 
nologiquement ïoruemeiit,  celui-ci  doit  toujours  être  considéré  comme 
ajouté  à  un, thème  plus  simple,  préexistant.  Mais,  lorsque  la  liturgie 
elle-même  nous  a,  par  bonheur,  'conservé  les  deux  textes  dont  l'un 
est  la  Variation  de  l'autre,  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  cette  antério- 
rité du  Thème  n'est  point  h3'pothétique  :  tel  est  le  cas  déjà  cité  du 
premier  vers  de  la  séquence  Lauda,  Siou,  Salvatorem  par  rapport  à  la 
première  vocalise  de  V Alléluia  de  la  fête  de  V Assomption  (i).  La  juxta- 
position de  ces  deux  textes  et  les  exemples  analogues  qu'on  trouvera 
ci-après  dans  la  section  historique  (p.  449  et  45o)  feront  mieux  com- 
prendre le  principe  et  le  mécanisme  de  Vornement  lythmo-monodique  : 


THEME 


g 


Lauda.Si-  on,    Sal-vatôrem 
ornementale  .  9 


Variation        IZI ,     - I.iît__!., 


Alle-  lu-  ia. 

La  première  note  [mi)  du  T/ièwie  primitif  est  précédée  dans  la  Variatioyx  d'un 

podatiis  plus  grave  {ut,  ré)  formant  anacrouse  ornementale. 
La  tierce  initiale  {tni,  sol}  est  complétée  dans  la  Variation  par  sa    note   de 

passage  (fa). 
Les  deux  notes  initiales  (»/,  5/)  sur  «  Salvatorem  »  ont  reçu,  dans  la  Variation, 

leur  broderie  inférieure  {si-ut,  la-si)  affectant  l'aspect  dit  appoggiature. 
Enfin,  la  cadence  suspensive  sur  la  dominante  {la,  sol)  est  agrémentée  dans 

la   Variation  d'un  port  de  voix  ornemental  {la,  sol-sol). 

Dans  cet  exemple,  les  adjonctions  à  la  mélodie  primitive  de  neumes 
ornementaux,  qui  modifient  intrinsèquement  son  r3^thme  et  son  dessin 
sans  en  altérer  le  sens,  sont  des  plus  simples  :  nous  avons  vu  dans 
l'étude  des  cantilènes  grégoriennes  (2)  qu'il  n'en  va  pas  toujours  ainsi 
et  que  Tornementation  peut  atteindre  un  degré  de  complexité  confinant 
à  la  surcharge.  Entre  ces  limites  extrêmes,  il  n'est  guère  possible  d'as- 
signer des  règles  fixes  à  l'infinie  diversité  des  aspects  de  l'ornement  : 
nous  touchons  ici,  en  effet,  comme  précédemment,  en  matière  de 
modifications  cycliques  (p.  387),  à  l'élaboration  même  des  thèmes  et 
des  idées,  c'est-à-dire  à  l'opération  musicale  la  plus  variable  qui  se 
puisse  concevoir.  Mais  ce  qu'il  est  moins  malaisé  de  spécifier,  ce  sont 

(1)  Voir  !«' Iiv.,  p.  69,  ex.  Liber  Gradualis  dt  Soles.i  es,    2«  Edition,  p.  aS8  et  SSj. 
'3)  Voir  I"  liv.,  chap.  iv. 


LORNE.MENT  RVTIIMO-Mf )\ODIQUE  4^9 

précisément  les  éléments  thématiques  qui  ne  varient  pas.  ceux  qui 
doivent  être  considérés  en  général  comme  intangibles,  dans  leurs  posi- 
tions respectives  tout  au  moins. 

I*»  Les  notes  extrêmes  au  grave  et  à  l'aigu  dans  chaque  fragment 
thématique  primitif. 

Il  va  de  soi,  en  effet,  que  la  substitution  d'une  formule  descendante 
dans  la  Variation  à  une  formule  ascendante  dans  le  Thème  dénature  no- 
tablement celui-ci  (1):  la  ligne  mélodique,  si  simple  qu'on  la  suppose, 
passe  nécessairement  par  des  notes  plus  aiguës  ou  plus  graves  (on  pour- 
rait dire  des  points  maxima  et  des  points  mininia),  à  partir  desquelles 
le  mouvement  change  de  sens  ;  ces  notes  sont  les  plus  apparentes  et 
les  plus  significatives  de  chaque  groupe  ;  leur  modification  ne  peut 
prendre  quelque  importance  et  quelque  durée  sans  atteindre  la  substance 
même  du  thème. 

2"  Les  accents  principaux,  par   voie  de  conséquence. 

Ces  accents  ne  coïncident  pas  toujours  avec  les  notes  extrêmes  :  mais 
ils  constituent  des  points  de  repère  par  lesquels  se  rétablit  en  quelque 
sorte  l'origine  thématique  de  chaque  fragment  varié  :  un  changement 
notable  dans  ces  points  de  repère  entraînerait  donc  à  peu  près  inévita- 
blement une  déformation  du  Thème  primitif  excédant  les  limites  de  la 
Variation  proprement  dite. 

3°  Les  cadences  suspensives  ou  conclusives. 

Cette  sorte  de  ponctuation  musicale  étant  nécessaire  à  l'intelligibilité 
du  Thème  ne  peut  être  gravement  modifiée  par  l'ornementation,  sans 
donner  lieu  à  de  véritables  interprétations  nouvelles  de  ce  Thème,  c'est- 
à-dire  à  ce  que  nous  avons  appelé  Y  amplification  thématique  (voir 
ci-après,  p.  443;. 

Cette  sauvegarde  des  notes  exlrcnies,  des  accents  et  des  cadences  ne 
s'applique  avec  quelque  rigueur  qu'à  l'ornementation  du  genre  rytlimo- 
monodique  seulement  :  l'histoire  de  la  Variation  ornementale  (voir  ci- 
après,  p.  448  et  suiv.  ),  à  laquelle  cette  sorte  d'ornement  a  donné  naissance, 
en  montrera  de  nombreuses  vérifications  appartenant  à  toutes  les  épo- 
ques. Mais  il  est  rare  que,  dans  une  œuvre  de  quelque  importance  ayant  le 
caractère  de  Variation,  l'ornement  rythmo-monodique  soit  employé  seul  : 
témoin,  les  admirables  Etudes  en  forme  de  Variations,  op.  i  3,  de  Schu- 
mann,  auxquelles  nous  emprunterons  nos  exemples  des  trois  espèces 
qui  divisenr  cette  étude  technique  sommaire  de  la  Variation.  Par  sa  seule 


(i)  Il  faut  toutefois  faire  une  réserve  pour  le  cas  où  la  Variation  consisterait  précisément 
è  renverser  le  Thème,  c'est-à-dire  à  substituer  à  chacun  de  ses  intervalles  ascendants  prin- 
cipaux un  intervalle  descendant  corrélatif,  ainsi  qu'il  a  été  expliqué  ci-Je«sus  (p.  25),  à 
propos  du  Canon  inverse.  Mais  une  telle  \'ariation  n'appartiendrait  pas  à  rornementation 
ry-thmo-monodique  qui,  seule,  nous  occupe  ici. 


4iO 


LA  VARIATION 


et  géniale  intuition,  l'auteur  sut  appliquer  tour  à  tour  dans  ces  douze 
pièces  qui  constituent  un  cycle  d'un  nouveau  genre,  l'ornemeni  rythmo- 
monodique,  l'ornement  contrapontique  et  V amplification  thématique. 

A  vrai  dire,  le  premier  de  ces  trois  moyens  y  est  d'un  emploi  plus  rare 
et  moins  typique  que  les  deux  autres  ;  cependant,  l'arpège  initial  descen- 
dant, qui  provient  du  Thème  et  se  reproduit  au  début  de  la  VII«  Va- 
riation (Etude  IX),  orné  de  ses  notes  de  passage  et  d'une  broderie,  peut 
encore  être  rattaché  à  la  même  catégorie  d'ornement  que  V Alléluia  cité 
précédemment  ; 


T.KE 


Variai  ion        ù  M^|-?V 
ornementa  te  '--(m    "  --4^ 


etc. 


Mais  cet  emploi  assez  restreint  du  pur  ornement,  dont  on  trouvera 
ci-après  (p.  4D1  et  suiv.)  plusieurs  autres  exemples,  est  largement  com- 
pensé par  les  applications  magistrales  de  la  polrphonie  et  de  V amplifi- 
cation dans  cette  œuvre,  dont  les  mérites  sont  d'autant  plus  grands 
qu'elle  fut  conçue  et  réalisée  en  un  temps  où  la  forme  Variation  semblait 
avoir  atteint  le  dernier  degré  de  la  déchéance. 


3.  —  l'ornement  polyphonique  ou   contrapontique, 

A  cette  Variation  tout  i?itri?isèqiie  des  Thèmes  par  l'ornement  rythmo- 
monodique,  sorte  de  floraison  spontanée  et  instinctive  de  la  voix  qui 
chantait  librement  les  louanges  du  Créateur,  la  polyphonie  médiévale 
ne  devait  point  tarder  à  imposer  sa  rigoureuse  discipline.  En  effet,  la 
superposition  de  chants  différents,  simultanés  et  le  plus  souvent  imités 
l'un  par  l'autre,  à  tour  de  rôle  et  à  intervalles  constants,  tout  en  lais- 
sant subsister  dans  chacune  des  parties  mélodiques  Vêlement  otvtemental, 
réglait  plus  sévèrement  sa  forme  ou  sa  durée,  et  le  répartissait  entre  les 
diverses  voix  par  des  moyens  totalement  inconnus  des  monodistes. 

Ainsi  paraît  s'établir  avec  les  premiers  déchants  et  diaphonies  (i)  l'u- 
sage de  faire  entendre  des  vocalises  ornementales  ;^ar/e<?5,  en  même  temps 
que  le  Thème  liturgique  intégral,  chanté  par  le  peuple. 

Dans  cet  éiai polyphonique  de  la  Variation,  le  Thème  subsiste  m/r/;zsè- 
quement  :  il  ne  varie  pas  ;  la  Variation  circule  autour  de  lui,  s'en  inspire. 


(1)  Voir  1"  liv.,  chap.  x. 


L'ORNEMENT  POLYPHONIQUE  ^^, 

le  commente  et  l'imite,  sans  l'atteindre  ni  le  pénétrer  :  elle  devient 
purement  extrinsèque. 

VorHeme)it  coulrapotttique  diffère  donc  essentiellement  du  précédent 
en  ce  qu'il  a  pour  base  nécessaire  la  superposition  consonnantc  de 
sons  différents,  V Harmonie,  V Accord  (i). 

La  succession  d'intervalles  harmoniques  élémentaires,  formés  par 
l'adjonction  d'une  ou  de  plusieurs  mélodies  au-dessus  ou  au-dessous  du 
Thème  préexistant,  constitue  le  Contrepoint  consonnant  {note  contre 
note).  En  voici  un  exemple  emprunté  au  magnifique  Choral  Aus  tiejer 
Noth  de  J.-S.  Bach  (2): 


(2)       73)  (4)  TS)  ^6)  TtT 

I    Notes    consonnautt's  qui  deviendront   la    \aiiation 


(8) 


Dans  cette  ligne  contrapontique  rudimentaire,  ror;/ew<?;// prend  nais- 
sance par  la  subdivision  rythmique  des  valeurs,  dite  contrepoint Jîguré 
{deux,  trois,  quatre  notes  contre  une.,  etc.).  Il  en  résulte  une  ligne  ou 
une  trajectoire  mélodique  faite  de  valeurs  plus  brèves,  en  forme  de 
neumes  plus  ou  moins  ornementaux,  qui  prennent  \e\xT  point  d\-ippui, 
de  distance  en  distance  ou  de  mesure  en  mesure,  sur  les  intervalles 
consonnants  déterminés  précédemment. 

Entraînés  par  leur  propre  mouvement,  ces  neumes  ou  ornements 
contrapontiques  peuvent  même  déplacer  parfois  leurs  points  d'appui 
respectifs  :  la  consonnance,  au  lieu  d'être  rigoureusement  simultanée, 
est  alors  retardée.,  ào.  temps  en  temps,  par  suite  de  la  non-coïncidence 
des  rythmes  appartenant  aux  parties  mélodiques  superposées,  comme 
si,  dans  cette  superposition,  l'une  ou  l'autre  des  parties  avait  été  recu- 
lée d'un  ou  de  plusieurs  temps  par  rapport  à  l'ensemble.  Cette  disposi- 
tion très  spéciale  est  connue  sous  le  nom  de  contrepoint  sjncopé. 

Consonnance.,  subdivision  rythmique  et  syncope,  tels  sont  en  définitive 
les  éléments  or^tï;//<///t^5  du  Contrepoint.  Leur  adaptation  esthétique  à 
un  Thème,  par  le  moyen  de  Vimitation  musicale  sous  toutes  ses  formes 
{directe.,  inverse,  rétrograder,  augmentée,  diminuée,  etc.),  constitue 
Vorjiement  contrapontique  ou  Contrepoint  Jleuri,  dont  nous  donnons  ci- 
après  un  exemple  appliqué  au  même  Thème  que  l'exemple  précédent: 


(i)  Voir  \"  liv.,  chap.  vi. 
(3)  Éd.  Petcrs,  vol.  VI,  p.  :6. 


44-; 


L\  VARIATION 


i 


Variation  contrapontique 


q«=s: 


^ 


^ 


É 


„'         I 


I  a,  imité     et 

43l 


diminup 


>>--^       r 


^ 


:3n=e! 


*  *  ..L — ^ 


-F--<^ 


^^4^4^^^ 


ië 


É 


5^=F 


g^g#r-     rr  =f^ 


^^ 


m 


*^ 


'-rr'irrTîz; 


^^^^ 


-^-    ii^'^^^J: 


*i| 


^OT 


^^^ 


5 

-1» f^- 


>-w- 


m 


ïïF 


r^ 


I    !  ^  I    F 


^^ 


^ 


^§ 


rrrr'f 


^^ 


fi  f  >, 


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^^ 


s 


^m 


^^ 


i 


=,^g^t»j^ 


^^ 


^@ 


**^^ — e^ 


É 


S 


nXlJ^ 


^^ 


j.*d*V^    '^^ 


-ts^ *■ 


5^ 


^ 


«5^ 


^ 


rr  «rr.. 


*— 


^ 


X>_ 


-0_ 


Ui: 


-P—G^ 


xt 


|(j)  thkmT 


1^^ 


if^ 


^^ 


jt±: 


:^(i)  (ï)  (-)   ^        (4)  (r,F 

■.  Notes  principales  du  contrepoint  consonnant 


'tj)  (7) 


(S) 


L'ORNEMENT  POLYPHONIQUE  ^4^ 

On  remarquera,  à  la  partie  la  plus  grave  dans  les  quatre  dernières 
mesures,  le  spécimen  de  Contrepoint  note  contre  note  cité  ci-dessus 
(p.  441).  Ce  même  fragment,  par  le  moj'en  des  subdivisions  rythmiques 
et  des  syncopes^  est  devenu  un  Contrepoint  fleuri. 

En  étudiant  les  maîtres  palestriniens  (i),  nous  avons  eu  l'occasion 
d'admirer  déjà  les  plus  belles  manifestations  vocales  de  Y  ornement  con- 
traponlique.  Transporté  dans  le  domaine  instrumental  avec  laTroisième 
Époque  de  l'Histoire  musicale,  il  subsista  d'abord  à  peu  près  intact, 
dans  les  pièces  d'orgue  principalement.  Le  Choral  varié  et  la  Fugue  en 
contiennent  maints  exemples  analogues  à  celui  qu'on  vient  de  lire.  On 
en  rencontrera  ci-après,  dans  la  Can-{ona,  la  Passacaille  et  la  Chaconne 
(p.  467,  et  suiv.)  trois  applications  caractéristiques,  fondées  sur  la  pré- 
pondérance respective  du  rythme,  de  Vharmonie  et  de  la  mélodie, 
comme  moyens  de  Variation. 

Mais,  avec  les  errements  harmoniques  qui  supplantaient  peu  à  peu  les 
vieux  usages  polyphoniques.,  avec  la  virtuosité  qui  se  propageait  de  plus 
en  plus  aux  dépens  de  V expression  musicale,  la  Variation,  issue  du  Con- 
trepoint, devint  bientôt  méconnaissable. 

Le  mauvais  goût  croissant  des  interprètes,  qui  agrémentaient  de  leurs 
fioritures  les  reprises  des  divers  airs  appartenant  aux  Danses  et  aux 
Suites,  avait  déjà  lassé  les  compositeurs  :  par  nécessité  d'abord,  puis 
par  plaisir  sans  doute,  ils  s'étaient  décidés  à  écrire  eux-mêmes  les 
Doubles  variés  ou  les  Reprises  dont  il  a  été  question  ci-dessus  (p.  114 
et  198)  :  ils  en  arrivèrent  bientôt,  et  pour  le  plus  grand  dommage  de  la 
musique,  à  pratiquer  la  «  variation  pour  la  variation  »,  ainsi  que  nous 
en  montrerons  quelques  exemples  ci-après  (p.  460  et  461). 

Alors  apparaissent  et  pullulent  ces  recueils  dits  Thèmes  variés  ou 
Airs  variés,  dans  lesquels  les  formules  contrapontiques,  désormais  des- 
séchées et  racornies,  ont  revêtu  l'aspect  de  petites  vignettes  harmoni- 
ques que  nous  avons  comparées  précédemment  (p.  436)  aux  figures 
régulières  qui  décorent  certains  édifices. 

En  cet  état  décoratif  devenu  si  vulgaire,  les  deux  sortes  d'ornement 
sont  mélangées  ou  alternées,  mais  également  appauvries  :  l'ornement 
monodique  est  devenu  grupetto.,  fioriture  italienne;  l'ornement contra- 
pontique,  basse  ou  dessin  thématique  obstiné  subsistant  à  l'une  des  parties, 
tandis  que  les  autres  se  réduisent  à  des  arpèges  harmoniques  peu  ou 
point  ornés. 

Ce  que  nous  avons  appelé  les  éléments  intangibles  du  Thème  ne 
consiste  plus  guère  que  dans  le  nombre  de  mesures  (généralement 
quatre  ou    huit)    de  ses  périodes    avec    leurs    harmonies   plates,    leur 

(1)  \'oir  l«f  liv.,  chap.  x. 


•1-44 


LA  VARIATION 


immuable  monotonie  et  les  notes  initiales  de  chacune  d'elles,  véritable 
«  poteau  indicateur  »,  «  guide-âne  »  de  l'auditeur  bénévole.  Les  quatre 
mesures  suivantes,  extraites  de  VAir  célèbre  de  l'opéra  comique  Biaise 
ff  5a^e/,  de  Dezède,  rar/é  par  Dussek,  suffiront  à  nous  faire  mesurer 
d'un  coup  d'œil  l'insondable  sottise  de  ces  fastidieuses  et  innombrables 
Variations,  où  sont  parfois  amoncelées  tant  d'inutiles  difficultés  pour 
l'exécutant,  tandis  que  la  musique,  si  «  musique  »  il  y  a,  est  réduite  à 
la  ^perpétuelle  répétition  d'une  même  cadence  à  intervalles  réguliers, 
sinon  en  valeurs  égales  : 


THEME 


)  tiriatioH 
décor atiiC 


^ 


^ 


i 


* 


I      -m-    -»-      1       gm-    ^ 


■  fi^n 


g±^ 


^i±f^^El 


Toutefois,  les  Études  en  forme  de  Variations  de  Schumann,  bien 
qu'elles  soient  apparues  peu  après  cette  période  de  «  décomposition  », 
contiennent  des  exemples  d'ordre  contrapontique  et  décoratif,  qui  ne 
participent  en  rien  à  cet  état  de  dégénérescence.  Et  Ton  peut  vérifier 
par  là,  une  fois  de  plus,  la  justesse  des  réflexions  de  Ruskin  que  nous 
avons  citées  au  début  de  ce  Livre  (p.  17).  Car  il  n'est  pas  de  forme 
avilie  ou  désuète  dans  laquelle  les  sentiments  d'un  artiste  sincère  ne 
puissent  trouver  leur  expression  la  plus  émouvante  et  la  plus  origi- 
nale :  telle,    la  phrase  pleine  de  tendresse  et  de  passion  qui  s'expose  à 


L'AMPLIFICATION  THÉMATIQUE 


441 


la  partie  supérieure,  dans  cette  II*  V^ariation  au  rythme  inquiet  et 
haletant,  tandis  que  la  basse  fait  entendre  le  Thème  dans  sa  forme  pri- 
mitive : 


Va ridtian  décorative 


L. 


UUJ'U  ^UJ' 


=s?i=i: 


&«s 


u 


Mffê.r-^^^nm 


■ L 


=ï=?: 


^ 


zA=À: 


=i?=iî= 


feS 


S 


M 


^ 


T 


T 


Certes,  nous  sommes  assez  éloignés  ici  du  style  contraponlique  : 
c'est  pourtant  le  même  principe  de  la  superposition  de  mélodies  dif- 
férentes qui  se  retrouve  à  Torigine  de  toutes  les  pièces  instrumentales 
ayant  donné  naissance  à  la  forme  Variation  proprement  dite 

Nous  n'avions  jusqu'ici  constaté  l'existence  de  cette  forme  qu'à 
titre  de  pièce  constitutive  d'une  Suite  ou  d'une  Sonate  (voir  ci-dessus, 
p,  1 14  et  3oo).  On  verra  plus  loin,  dans  la  section  historique  du  présent 
chapitre,  quelle  fut  sa  destinée  en  tant  que  pièce  isolée  dite  Vai-iation 
décorative. 


4.    —    L  AMPLIFICATION     THÉMATIQUE. 

Qu*elle  fût  envisagée  au  point  de  vue  intrinsèque  ou  extrinsèque,  mono- 
dique  ou  polyphonique^  la  Variation  avait  pour  caractéristique  constante 
l'exposition  préalable  ou  simultanée  d'un  Thème  permanent,  exprimé 
ou  sous-entendu,  mais  toujours  identique  à  lui-même.  Cette  sorte  de 
substance  thématique^  intangible  dans  ses  notes  extrêmes  {maxima  et 
minima),  ses  accents  et  ses  cadences^  à  l'état  ornemental,  ou,  dans  les 
dimensions  métriques  de  son  cadre,  à  l'état  décoratif,  participe  tou- 
jours des  qualités  de  la  matière  :  ces  deux  sortes  de  Variation  ou  d'Or- 
nement permettraient  le  plus  souvent  une  reconstitution  matérielle  de 
leur  Thème  dont  on  pourrait  rechercher,  une  aune,   les  notes  éparses 


44fc 


LA  VARIATION 


dans  la  représentation  graphique,  pour  leur  restituer  leur  ordre  primi- 
tif, leur   intonation  et  leur  valeur. 

Si  toutefois,  à  l'état  ornemental^  ce  respect  de  la  lettre  ne  nuit  point 
à  VespritâiM  Thème,  il  n'en  est  pas  toujours  de  même  à  l'état  décoratifs 
où  Vesprit  est  souvent  absent,  tandis  que  la  lettre,  seule,  demeure. 

L'étude  de  la  Variation  nous  révèle  enfin  un  troisième  état,  dans 
lequel  la  lettî^e,  ou,  si  l'on  préfère,  la  note  est  à  peu  près  absente,  tandis 
que  Vesprit,  Vexpression  demeure.  On  se  trouve  alors  en  présence 
d'une  véritable  interprétation,  d'une  amplification  du  Thème,  dont  la 
notation  seule  ne  donne  plus  qu'une  idée  tout  à  fait  insuffisante. 

Il  est  presque  impossible  d'apprécier  à  quel  moment  exact  une  phrase 
ainsi  amplifiée  cesse  d'être  reliée  ou  reliable  au  Thème  qui  lui  a  donné 
naissance  ;  mais  on  peut  assez  nettement  établir,  par  élimination,  où 
commence  cet  état  spécial  de  la  Variation. 

Dès  que  les  éléments  nouveaux  adjoints  au  Thème  pour  le  varier  ne 
permettent  plus  sa  superposition,  même  fragmentaire,  à  la  Variation, 
il  y  a  proprement  amplification  si  l'expression  générale  du  Thème 
n'est  pas  sensiblement  altérée,  et  si  l'on  peut  suivre  à  travers  la  Varia- 
tion les  enchaînements  mélodiques  ou  harmoniques  les  plus  caractéris- 
tiques du  Thème,  alors  même  qu'ils  se  reproduiraient  sur  d'autres 
degrés  ou  dans  d'autres  tonalités. 

Un  exemple,  emprunté  comme  les  précédents  aux  Études  en  forme  de 
Variations  de  Schumann,  fera  mieux  percevoir  cet  aspect  particulier 
du  Thème,  varié  dans  son  essence  même  et  subsistant  à  l'état  latent, 
alors  que  rien  ne  le  révèle  positivement  dans  les  notes  écrites  : 


Variation  amplificatrice 

4' 


^ïïr~T^^  ^^ 


r^W 


Transposé  à  sa  quinte  supérieure  (50/  s),  le  Thème  précédem- 
ment exposé  (p.  440)  est  reconnaissable  ici  à  son  intervalle  initial  de 
quarte  descendarJe  et  à  sa  modalité.  Cette  quarte,  avec  la  formule  orjie- 
mentale  qui  la  suit,  se  reproduit  sur  divers  degrés,  commentant  et 
amplifiant  l'arpège  initial  du  Thème,  pour  en  faire  une  phrase  nouvelle 


L'AMPLIFICATION  THÉMATIQUE  447 

dont  la  première  période  aboutit,  comme  la  période  correspondante  du 
Thème,  au  ton  re/a/z/ majeur. 

Il  faudrait  exécuter  l'une  après  l'autre  la  phrase  du  Thème  et  cette 
amplification  expressive  de  ses  notes  principales,  pour  bien  se  rendre 
compte  que  c'est  là  une  véritable  Variation,  issue  du  Thème,  auquel 
elle  ajoute,  non  seulement  des  formules  ornementales  et  contra- 
pontiques  nouvelles,  mais  encore  un  commentaire  ou  une  explication 
musicale  qu'il  ne  semblait  point  contenir  ni  faire  prévoir. 

La  part  de  l'invention  est  donc  beaucoup  plus  grande  dans  la  Varia- 
tion  amplificatrice  que  dans  toutes  les  autres,  et  la  meilleure,  sinon  la 
seule  étude  qu'on  en  puisse  faire  consiste  dans  la  lecture  attentive  des 
oeuvres  de  ceux  qui  l'ont  génialement  employée,  comme  J.-S.  Bach 
dans  certains  Chorals  d'orgue,  Beethoven  dans  plusieurs  pièces  lentes 
de  ses  Sonates  et  de  sa  Musique  de  Chambre,  César  Franck  dans 
ses  Variations  s/mphoniques  et  ses  Tî'ois  chorals  d'orgue.  QueKques-uns 
des  plus  beaux  spécimens  connus,  dans  ce  genre  de  Variation,  seront 
analysés  ci-après  (p.  466  et  suiv.)  ;  mais,  si  Ton  songe  à  l'inépuisable 
variété  des  ressources  qu'un  tel  moyen  met  à  la  disposition  du  véritable 
musicien,  on  constatera  sans  surprise  que  de  telle  sanalyses,  même  faites 
avec  le  plus  grand  soin,  ne  puissent  donner  autre  chose  que  des  indica- 
tions essentiellement  incomplètes. 

L'amplification  thématique  apparaîtra  ainsi  comme  une  voie  presque 
illimitée  et  à  peine  explorée  encore  dans  le  domaine  de  la  compo- 
sition musicale.  On  y  retrouvera  certains  jalons  entrevus  déjà  à  l'occa- 
sion des  fonctions  tonales  et  des  modulations.  L'analyse  harmonique  (  i) 
nous  a  appris,  en  effet,  que  les /ro/5  fonctions  [tonique,  dominante^  sous- 
dominante)  se  retrouvent  à  la  base  des  agglomérations  de  sons  en  appa- 
rence les  plus  compliquées. 

L'ordre  dans  lequel  se  succèdent  ces  fonctions,  dans  un  Thème 
donné,  fournit  à  ram/7///?ca//o«  une  sorte  d'arwa/«re assez  résistante  pour 
la  maintenir  à  l'état  de  Variation,  tant  que  cet  ordre  reste  semblable  à 
celui  qui  est  apparu  dans  le  Thème  lui-même  :  l'étude  des  schèmes 
harmoniques  est  donc  des  plus  utiles  pour  la  Variation  amplificatrice. 

On  peut  tirer  aussi  de  l'analogie  déjà  signalée  (p.  247  et  suiv.)  entre 
les  modulations  et  les  notes  mélodiques  un  moyen  d'interprétation  du 
Thème,  qui  appartient  au  même  ordre  de  Variation  :  dans  le  Thème 
amplifié,  la  broderie  se  change  alors  en  modulation  ornementale  acciden- 
telle, la  note  de  passage  en  haj^monie  modulante  passagère,  tandis  que  les 
notes  réelles  indiquent  seulement  certaines  modulations  définitives. 

La  plupart   de  ces  moyens   n'avaient  été   indiqués    jusqu'à    présent 

(1)  Voir  I"  liv.,  p.     17. 


4^8  LA  VARIATION 

qu'en  matière  de  développement  ;  mais  le  développement,  alors  même 
qu'il  procède  par  amplijication  (voir  ci-dessus,  p.  243),  ne  doit  point  être 
confondu  avec  la  Variation  amplificatrice.  Dans  le  développement^  en 
effet,  un  Thème  agit  :  il  se  démembre  et  module  ;  il  est  en  marche  pour 
arriver  à  un  autre  état  ou  à  une  autre  tonalité.  Dans  la  Variation,  au 
contraire,  un  Thème  s'expose  :  il  peut  se  compléter  et  revêtir  des  orne- 
ments nouveaux  ;  mais  ces  modifications,  si  profondes  qu'elles  soient, 
ne  le  mettent  pas  en  mouvement  ;  il  demeure  en  repos  au  point  de  vue 
tonal,  et  c'est  la  raison  pour  laquelle  la  plupart  des  Thèmes  avec 
Variations,  même  les  plus  beaux  et  les  plus  complexes,  s'éloignent 
très  peu  du  ton  principal. 

Les  transformations  cycliques  d'un  Thème,  tout  à  fait  distinctes,  elles 
aussi,  du  développement^  ainsi  que  nous  l'avons  constaté  (p.  379), 
tiennent  souvent  beaucoup  de  V amplification  thématique,  et  c'est  pour- 
quoi 1  étude  de  ces  transformations  devait  être  suivie  immédiatement 
dans  cet  ouvrage  de  celle  de  la  Vitriation. 

Développement  et  amplification  constituent  donc,  en  définitive,  pour 
la  Symphonie  comme  pour  la  Littérature,  les  principaux  moyens  mis 
en  œuvre  dans  l'art  de  la  composition. 

Mais,  pas  plus  chez  l'écrivain  que  chez  le  musicien,  la  connaissance 
technique  de  ces  moyens  ne  peut /jma/s  suppléer,  ni  au  don  créateur 
qui,  seul,  fait  naître  les  idées,  ni  à  la  conscience  artistique  qui  les 
discerne. 

HISTORIQUE 

5.  —  LA  VARIATION  ORNEMENTALE. 

Nous  avons  expliqué  précédemment  pourquoi  le  phénomène  de  la 
Variation,  inhérent  à  presque  toutes  les  manifestations  musicales,  était 
nécessairement  aussi  ancien  qu'elles. 

Dès  les  débuts  de  l'Époque  monodique,  en  effet,  la  Variation  apparaît 
sous  une  forme  purement  ornementale  comparable,  comme  on  l'a  vu 
dans  le  Premier  Livre  de  ce  Cours,  aux  rinceaux  et  aux  entrelacs  qui 
servent  à  rehausser  l'importance  des  lettres  initiales  dans  les  manu- 
scrits du  moyen  âge  (i)  :  c'est  pour  cette  raison  que  toute  une  catégorie 
de  cantilènes  monodiques  a  été  qualifiée  par  nous  à: ornementale. 

Pour  bien  comprendre  ce  rôle  spécial  de  la  Variation,  il  est  néces- 
saire, avons-nous  dit,  de  dépouiller  la  mélodie  de  l'ornement  qui  l'en- 
lace, c'est-à-dire  d'éliminer  les  notes  accessoires  pour  ne  tenir  compte  que 

(i)  Voir  !«'  liv.,  p.  67  et  suiv.,  p.  76,  etc. 


LA  VARIATION  ORNEMENTALE  449 

des  notes  principales  constituant  Vossature  ou  le  schènie  mélodique  \\  . 

Quelques  exemples  de  monodies  grégoriennes,  présentées  sous  leur 
double  aspect  de  Schème  mélodique  et  de  Variation  ornementale,  feront 
mieux  apparaître  Torigine  de  ce  genre  de  Variation. 

UAlleluia  de  la  Messe  de  F  Aurore  pour  la  fête  de  la  Nativité  (2)  peut 
assez  facilement  être  ramené  à  sa  ligne  primitive  : 

SCHÈME    MÉLODIQUE  ^~r\~' '~[j '"■~' ■"] ~'  T," |~"~"'.T£| 

Alie-ii'i-  i:i. 


Variation  ornementale  ^J'— -'■■'S-^— '— H— ■-*'7'-'^-;^-  jl^fS:*»:' ;.l}l!:V!ii:i_ : 


AUc-iii- 


L'antienne  O  sacrum  convivium...  (3)  est   aussi    très  caractéristique 
au  point  de  vue  ornemental  : 


SCHÈME    MÉLODIQUE         iz^ZIZ 


^^^^^=:^^ 


o     sa-  crum  convîvi-  uni,     in  quo      Christus  su-  mi-tur; 
Variation  ornemenlale         il'"-       -■■-■-  r»-»    |^    «■      —      c ■~i'r~~y' "■"        .     "1 

„..pi« 3 1,1 ?5z _♦_ ■     »j  , z 

o     sa-  crum  convivi-  um,    in  quo     Chrisius  su-  mi-iur 

■ — 


5— -■— '—         — ^— 1-« :—:■—■: — — [] 


reco-    li-  tur    mémo-     ri-    a        passi-     6-    nis    e-      jas,  etc. 
reco-  li-  tur   mémo-     ri-    a       passi-     6-    nis    e-     \us,etc. 

A  rÉpoque  polyphonique,  la  Variation  ornementale  subsiste,  indé- 
pendamment de  la  superposition  des  parties  vocales  différentes  formant 
le  système  spécial  de  Tornementation  contrapontique  (voir  ci-dessus, 
p.  441).  Chaque  partie  de  ce  Contrepoint  fleuri,  en  q^qx.,  sq  comporte 
comme  une  véritable  monodie  avec  ses  ornements  propres,  et  il  est  sou- 
vent aisé  de  retrouver  le  texte  même  de  la  cantilène  grégorienne  qui  a 
servi  de  modèle  à  cette  Variation. 

Le  motet  de  Palestrina  Assumpta  est  Maria  in  cœlum  (4),  par 
exemple,  n'est  qu'une  Variation  du  thème  grégorien  que  nous  donnons 
ci-après  dans  sa  forme  simple  et  dans  sa   forme  ornée  usuelle  (5)  :  il 

(1)  Voir  \"  liv.,  p.  42  et  ci-dessus,  p.  437. 

(ï)  Liber  Gradualis  de  Solesmes,  2«  édition,  p.  3i. 

(3)  Paroiss'en  de  Solesmes,  p.  494. 

(4)  Anthologie  des  Maîtres  religieux  primitifs,  vol.  II,  p.  63. 

(5)  Paroissien  de  Solesmes,  p.  gjô. 

Cours  de  composition    —  t.  h,    i.  29 


45©  LA  VARIATION 


n'est  pas  difficile  de  reconnaître,  dans  l'une  des  parties  de  la  polyphonie 
palestrinienne,  les  notes  essentielles  de  la  mélodie  primitive  appu3ées 
sur  les  mêmes  accents  du  texte.  La  vocalise  grégorienne  sur  cœlum  est 
peut-être  même  plus.riche  que  celle  du  maître  romain  sur  le  même  mot  : 

: g iM 

8CHÈME  -       '' ■       m       \    *  m »— f-» 


Assûmp-     ta      est      Ma-  ri-      a         in     cae-  lum. 


Varialion     1 _ î^" « 1-,--,-'"*  *»__«-.> î   '.    "ft,  , i  jTT 


grégorienne  :—-■-♦-%-»-■-■ \-l*- ^-Sii \  .Z ^-^VA^»->^r 


Assûmp-     ta     est      Ma-  ri-      a        in    cae-  lum^ 


Assimp^ta    est     Ma-ri      _       a      in  cœ  -  .  _    lum. 


Avec  l'Époque  métrique,  nous  voyons  la  Variation  ornementale  se 
présenter  à  nous  sous  forme  de  notes  passagères,  ornant  la  mélodie 
vocale  et  surtout  instrumentale,  soit  dans  les  Chorals  d'orgue,  chez. 
Frescobaldi,  Pachelbel,  Buxtehude  et  J.-S.  Bach,  soit  aussi  dans  cer- 
taines pièces  de  forme  particulière  comme  la  Can^ona,  la  Passacaille  et 
la  Chaconne  (i).  Toutes  les  surcharges  dont  s'alourdit,  sous  la  dénomi- 
nation d'agréments,  la  musique  du  xvin*  siècle,  principalement  en 
France,  sont  l'excès  de  cette  sorte  de  Variation. 

Cet  usage  de  l'ornement  est  tellement  entré  dans  les  mœurs  musi- 
cales que  les  phrases  mêmes  ou  les  Thèmes  d'Andante  destinés  à  être 
pariés  par  le  procédé  dit  décoratif  doni  nous  parlerons  ci-après  (p.  461) 
contiennent,  dès  leur  première  exposition,  dans  les  œuvres  de  Haydn, 
Mozart,  Beethoven  (2)  et  leurs  contemporains,  une  foule  de  détails  divers 
(broderies,  arpèges,  groupes,  appoggiatures,  etc.)  appartenant  déjà  à 
la  Variation  ornementale. 

Qu'on  examine,  par  exemple,  la  phrase-lied  exposée  et  réexposée  par 
Haydn  dans  V Adagio  de  l'une  de  ses  dernières  Sonates,  en  Ml  b,  :  le 
dessin  mélodique  originel,  le  schème^  si  l'on  veut,  est  des  plus  simples. 
Nulle  part,  du  reste,  l'auteur  ne  l'expose  dans  sa  nudité:  les  reprises 
de  ce  Thème,  au  contraire,  sont  ornementées  chaque  fois  d'une 
manière   différente.    Nous     donnons    ci-après    les    quatre    premières 

(i)  Avec  J.-S.  Bach,  le  Choral  varie,  tout  en  contenant  de  véritables  ornements,  est  traité 
le  plus  souvent  par  le  moyen  de  V amplification  thématique.  11  sera  donc  question  plus  par- 
ticulièrement du  Choral  à  propos  de  la  Variation  amplificatrice,  ci-après,  p.  466.  Quant 
à  la  Can:{ona,  la  Passacaille  et  la  Chaconne,  qui  ont,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  ci-dessus 
(p.  104),  leur  place  marquée  parmi  les  ascendantes  naturelles  de  la  Variation  ornementale, 
on  verra  plus  loin  (p.  437)  comnient  leur  forme  même  (indépendamment  de  leurs  ornements) 
a  coniribué  aussi  à  préparer  l'avènement  de  la   Variation  décorative. 

(2)  C'est  surtout  dans  les  œuvres  appartenant  à  ses  deux  premières  manières  que 
Beethoven  emploie  ces  expositions  ornées  des  Thèmes. 


LA  VARIATION  ORNEMEMALK 


451 


mesures  du  Thème  mélodique   primitif  (non  employé  par  Ha\dn),   et 
des  six  états  par  lesquels  il  passe  successivement  : 

schÈme     = 

mélodique        (1^^  4  | 


'aviation         Q  1  ';<%  ^ 

1       ^£f 


^^^"%T^M^F^^^ 


î=^ 


SCH 


453  LA  VARIATION 

On  voit  par  cet  exemple  quelques-uns  des  innombrables  procédés  dont 
disposaient  les  compositeurs  de  cette  époque  pour  varier  l'exposition 
d'une  idée  mélodique.  On  pourrait  étudier  de  la  même  manière  les 
Thèmes  des  pièces  lentes  ci-dessous  désignées,  dans  les  Sonates  pour 
piano  de  Beethoven  (i)  : 

Sonate  op.  2  n»  i  :  Adagio,  en  Fi4  ; 

—  op.  7  :  Largo  con  gran  espressîone,  en  UT; 

—  op.  ion"  I  :  Adagio  tnoito,  en  la  ii  ; 

—  op.  22  :  Adagio  con  moW  espressione,  en  A//l>; 

—  op.  28  :  Andante,  en  ré; 

—  op.  3i  no  I  :  Adagio  gra^ioso,  en  LT; 

—  op.  54:  In  Tempo  d'un  Miuuetto,  en  /-.i  (premier  mouvement); 

—  op.  106  -,  Adagio,  en  fa  z,  dont  l'admirable  Thème  cité  ci-dessus  (p.  24S) 

passe  par  les  interprétations  mélodiques  les  plus  variées. 

De  ces  divers  Thèmes,  le  dernier  seul  (op.  106)  appartient  aux  œuvres 
de  la  troisième  manière  :  son  exposition  est  déjà  beaucoup  plus  simple 
que  celle  des  précédents.  Et  si  Ton  compare  ceux-ci  avec  les  Thèmes  de 
la  IX*  Symphonie  (surtout  celui  du  finale),  avec  VArietta  de  la  Sonate, 
op.  III,  ou  avec  les  diverses  idées  appartenant  aux  pièces  lentes  des 
derniers  Quatuors  à  cordes  (XIIP,  XIV%  XV%  XVI*),  cet  accroissement 
de  simplicité  sera  plus  frappant  encore. 

Des  constatationsanalogues,  faites  sur  les  oeuvres  de  tels  autres  grands 
musiciens,  tendent  à  prouver  que  les  idées  musicales  des  hommes  de 
génie  se  simplifient  au  furet  à  mesure  qu'ils  avancent  dans  leur  carrière, 
qu'elles  se  dépouillent  des  vains  ornements  et  se  rapprochent  de  la  ligne 
primitive  ou  schématique  dans  toute  sa  pureté.  La  caractéristique 
propre  à  l'artiste  accompli  et  conscient,  c'est  cette  ferme  volonté  de  ne 
traiter  que  des  sujets  ayant  \iu.q  y qXqmv  par  eux-mêmes  et  ne  l'empruntant 
pas  aux  vêtements  ou  aux  ornements  dont  ils  sont  parés. 

La  recherche  du  détail  pittoresque  ou  amusant,  l'inutile  complica- 
tion sont  inhérentes  à  la  jeunesse:  l'artiste  parvenu  à  l'âge  mûr,  forti- 
fié par  ce  métier  qui  constitue  proprement  son  talent,  doué  de  cette 
invention  qui  est  le  réel  génie,  peut  seul  dégager  en  ses  lignes  simples 
l'essence  même  des  choses,  et  la  montrer  à  nu,  en  quelque  sorte,  dans 
son  éternelle  beauté. 

L'œuvre  de  Beethoven  est  des  plus  instructives  à  cet  égard. 

Après  lui,  on  retrouve  chez  les  Romantiques  la  Variation  ornemen- 
tale emplo3^ée  surtout  dans  les  pièces  de  mouvement  lent  :  Schubert, 
Mendelssohn,  Liszt  même  en  usent  largement.  Seul,  Schtjmann  y  met 
plus  de  réserve  et  s'éloigne  moins  des  formes  mélodiques  simples. 

Quant  à  Chopin,  ses   idées  musicales  ont  ceci  de  particulier  qu'elles 

(i)  Dans  la  IV»  et  ddns  la  V»  Symphonie,  on  trouve  des  Thèmes  d'Adagio  qui  sont  aussi 
du  même  ordre. 


LA  VARIATION  ORNEMENTALE 


4Î1 


sont  presque  toujours  nécessairement  ornemenlales^  suivant  des  formes 
et  peut-être  même  des  formules  spéciales,  tout  à  fait  personnelles  et 
aisément  rcconnaissables.  Les  premières  mesures  de  VAndante  du 
Concerto  pour  piano,  en  ;«/,  que  nous  citons  ci-après,  dans  leur  ligne 
schétnaliqiie  (non  employée  par  l'auteur)  et  dans  leurs  deux  états  diffé- 
remment variés,  donneront  une  idée  assez  nette  du  système  de  Va- 
riation appartenant  en  propre  à  Chopin  : 


se  MÊME       -0  IfiJ^^ 

mt'lodiqiip  y\)   i^--X 


Variation    J 


•SGH 


Dans  la  Polonaise-t' antaisie,  en  la  b,  op.  6i,  œuvre  d'une  inspiration 
très  inégale,  malgré  des  éclairs  de  génie,  on  trouve  aussi  une  mélodie 
assez  caractéristique,  en  raison  de  sa  nature  à  peu  près  exclusivement 
ornementale.  En  voici  les  premières  mesures: 


SCHEME 


\  (trial io 


"¥^-^^^^1:  '^u^^^^^^^S 


4  54  LA  VARIATION 

Il  est  aisé  de  constater  que  la  ligne  primitive  à  laquelle  se  rédui- 
sent ces  deux  phrases  musicales,  lorsqu'on  les  dépouille  de  leurs 
ornements,  est  infiniment  moins  riche  que  celle  des  phrases  de  Haydn 
ou  des  cantilènes  grégoriennes  citées  précédemment  (p.  449  et  suiv.). 
Les  idées  de  Chopin  comme  celles  de  beaucoup  de  compositeurs 
modernes,  et  surtout  de  compositeurs  jeunes,  valent  donc  plus  par 
leur  vêtement  que  par  leur  propre  fonds  musical  :  et  c'est  là  une  nouvelle 
vérification  de  ce  qui  vient  d'être  dit  (p.  452)  à  propos  de  Beethoven. 

On  peut  faire  le  même  reproche  aux  mélodies  italiennes  du  commen- 
cement du  XIX*  siècle  :  leurs  somptueux  ornements  en  voilent  assez  mal 
la  pauvreté  originelle,  due  à  la  trop  grande  hâte  et  à  la  faible  cons- 
cience artistique  de  leurs  auteurs.  Il  faudrait  bien  se  garder  de  juger 
cette  surcharge  de  mauvais  goût  (généralement  inutile,  sinon  nuisible 
au  point  de  vue  esthétique)  de  la  même  manière  que  les  vocalises  si 
expressives  de  J.-S.  Bach  et  de  ses  contemporains.  Celles-ci,  en  effet, 
comme  l'antique  Variation  grégorienne  dont  elles  procèdent  en  ligne  di- 
recte, font  corps,  le  plus  souvent,  avec  la  mélodie  ;  bien  au  contraire, 
la  fioriture  de  l'école  dramatique  italienne,  destinée  seulement  à  faire 
valoir  l'agilité  vocale  du  chanteur(de  même  que  la  Variation  de  Chopin, 
pourtant  plus  musicale,  met  en  relief  les  doigts  du  pianiste)  cette 
fioriture  consistant  le  plus  souvent  en  quelques  broderies  autour  d'un 
arpège  est  véritablement  plus  harmonique  que  mélodique  :  or,  on  sait 
que  cette  harmonie  même  est  ici  des  plus  banales. 

Au  reste,  les  Italiens  n'ont-ils  pas  reconnu  eux-mêmes  le  peu  de  prix 
qu'ils  attachaient  à  ces  vocalises  de  virtuosité,  en  ne  les  écrivant  pas 
et  en  les  laissant  à  la  discrétion  (on  pourrait  dire  à  Vindiscrétio7i)  du 
chanteur  qui,  par  un  abus  devenu  réglementaire,  les  modifiait  suivant 
sa  fantaisie  et  son  humeur. 

Rien  n'est  plus  instructif  à  cet  égard  que  la  comparaison  d'un  air 
italien,  lu  sur  une  partition  d'orchestre  originale,  avec  le  lamentable 
état  où  se  retrouve  le  même  air,  par  l'effet  du  temps  (et  surtout  des 
éditions),  au  nom  de  la  prétendue  «  tradition  du  théâtre  »  :  les  airs  du 
Barbiere  di  Siviglia  et  de  Semiramide^  de  Rossini,  peuvent  servir 
d'exemple,  comme  aussi  la  plupart  des  morceaux  d'opéra  de  Bellini,  de 
Donizetti  et  de   Verdi  dans  sa  première  manière. 

On  rencontre  parfois,  dans  les  œuvres  de  Weber,  une  forme  assez 
spéciale  de  la  Variation  ornementale,  dont  maint  compositeur  moderne 
a  su  tirer  un  excellent  parti  :  elle  consiste  dans  l'adjonction  d'une  for- 
mule mélodique  nouvelle  (d'un  neume  différent)  à  la  redite  d'un  mem- 
bre de  phrase  mélodique  qui  serait,  sans  cette  Variation,  totalement 
dénuée  d'intérêt. 

Au  II'  acte  du  Freiscliïtl^^  par  exemple,  dans  la  Prière  d'Agathe,  le 


LA  VARIATION  ORNEWENTAI.E 


45Î 


scandiciis  harmonique  qui  fait  de  \a  h-oisième  mesure  une  variante  de 
\a première,  suffit  à  donner  une  importance  particulière  à  cette  simple 
redite  du  dessin  a  : 


rai  in  (ion  de  a 


^ 


^E^ 


_:=— <^ — ■ 1 — — — tf—, — t^M      — " — " — ' 


Lied      er  .    schal  -  le,         Fei 


crml     wal    .   le, 


De  même,  dans  la  Sonate,  op.  49,  la  seconde  idée  (B)  du  mouvement 
initial  contient  un  dessin  assez  ordinaire,  dont  Weber  fait  l'objet 
d'une  variante  qui  en  rehausse   notablement  l'intérêt  : 


0£;:u.Ml=^ 


tout  autre  auteur  du  xviii"  siècle  n'eût  pas  manque  d'écrire 


Celui  qui  usa  de  ce  procédé  de  la  façon  la  plus  fréquente  et  la  plus 
heureuse  fut  César  Franck,  dans  les  œuvres  duquel  nous  rencontrons 
très  souvent  des  redites  de  dessins  semblables,  auxquelles  ce  système  de 
Variation  prête  un  attrait  tout  nouveau. 

Les  exemples  se  présentent  à  foison  chez  ce  musicien  de  génie  ;  nous 
nous  contenterons  de  citer  : 

1°  le  sujet  de  la  Fugue  dans  la  troisième  des  six  premières  pièces 
d'orgue,  Prélude,  Fugue  et  Variation,  dont  il  a  déjà  été  question  ci-des- 
sus (p.  97)  : 


2°  la  seconde  idée  (B)  du  mouvement  initial  dans   la  Symphonie  en 
ré  : 


4s6  LA  VARIATION 

3°  le  thème  de  V Allegretto  dans  la  même  Symphonie  : 


a. 

A    • 

r  1 

1 

"«WrTrk — :i — 1 

— 

•  h* — ^ — ^- 

1    *    *r.^ 

1 

^■V 

Lia 

H" 

1 — a — 

^'*    i        ''n 

fj 

Chez  Richard  Wagner,  les  motifs,  surtout  dans  les  œuvres  de  sa  troi- 
sième manière^  sont  presque  tous  exposés  à  un  état  très  voisin  du  schéma 
le  plus  simple,  et  la  Variation  ornementale  y  revêt  presque  exclusive- 
ment la  forme  du  gruppetto  italien  ;  ce  procédé  pour  fleurir  sa  mélodie 
fut  employé  par  lui  du  commencement  à  la  fin  de  sa  carrière  :  il  est 
connu  sous  le  nom  de  «  groupe  wagnérien  »,  et  on  le  retrouve  dissé- 
miné partout  au  cours  de  ses  œuvres. 

Il  nous  suffira  de  citer  les  passages  suivants  ; 

I»  R'icnii  (1840),  acte  V  ;  prière  de  Rienzi  ; 


2"  Lohengrin  (1847),  ^^^^  ^^1  scène  2   : 


S!E2È^ 


*    » 


3"   Tristan  iind  Isolde  (1859),  acte  III,  scène  finale 


m. 


P=ë= 


«— • 


't^''^^^ 


m 


Won  . 


ùiiK'ment 


.  ne         Kla.gend 


4"  Gotterddmmerimg  (1872),  Prologue  : 


^ 


fer^-^^ 


onieiiient 


LA  VARIATION  DECORATIVE 

5°  Parsifal  (18S2),  acte  II,  scène  2  : 


^57 


De  nos  jours  même,  la  Variation  ornementale  règne  encore  dans  la 
mélodie  moderne:  témoin,  la  fleur  donx.  se  sert  Claude  Debussy  [Pelléas 
et  Méiisaiide,  acte  I'^'",  scène  3)  pour  orner  les  trois  notes  caractéristiques 
du  rêve  de  la  blonde  princesse  : 


6.    —    LA    VARIATION    DÉCORATIVE. 

La  Canzona,  la  Passacaille    et    la  Chaconne.    —  Avant    que    la  Va 
riation   décorative  ait    acquis  sa  forme   définitive  dans  le  Thème  varié 
dont  il  sera   question  ci-après  (p.  461),  elle  passa  par  diverses  phases 
préliminaires  dont  nous  allons  retracer  succinctement  l'histoire. 

La  Can\ona  (i)est  assurément  la  première  en  date,  dans  cette  forme 
de  Variation  :  elle  consiste,*  ainsi  que  nous  l'avons  dit  ci-dessus  (p.  104), 
dans  l'exposition  d'un  Thème  simple  en  rythme  binaire  suivi  d'une  ^'a- 
riation  ornée  du  même  Thème  en  rythme  ternaire. 

Nous  avons  montré  (p.  126)  un  exemple  de  Can^ona  franccse  alkc- 
tant  successivement  ces  deux  aspects  rythmiques.  On  peut  voir  parla 
citation  ci-après  (p.  458)  qu'au  temps  de  J.-S.  Bach  la  forme  de  la  Can- 
:{ona[2)  ne  s'était  pas  modifiée  et  consistait  toujours  dans  la  Wiriation 
rythmique  d'un  Thème  préexposé  : 

(i)  Cette  forme  musicale,  qu'on  rencontre  à  l'origine  de  la  Variation  ornementale  (voir 
ci-dessus,  p.  450)  comme  à  celle  de  la  Variation  décorative,  lievixl  exister  déjà  au  xiii»  siècle. 
Dans  un  dialogue  de  Dante  avec  son  ami  le  musicien  Casclla  {Div.  Comm.  Piirg..  chap.  it). 
il  est  question  d'une  Can^ona  dont  le  texte  poétique  est  cité  dans  le  Convivio  du  même  au- 
teur. Malheureusement,  le  texte  musical  est  perdu. 

(3)  Cette  Can:{ona  pour  orgue,  qu'on  trouvera  dans  l'Edition  Pcteis  \\o\.  IV,  p.  34,  est 
écrite  sur  un  Thème  grégorien  que  nous  avons  déjà  cité  maintes  fois  et  notamment  au 
Premier  Livre  de  ce  Cours  (p.  69).  Le  même  Thème  a  clé  traite  aussi  par  l'rcscobaldi  [Fiori 
musicali,  p.  77,  dans  l'édition  de  i635). 


.)38 


Là  variation 


E.i position:  •  i,y^    ^^  rrzz 
(binaire)        ^  [>  ^     -^ 


I  h  u-r^-Tr^rrf=^ 


Variation-     -jT^  0      >           !       . 
(ternçire^        -(nV— 2— — ^         J ^ 


^^ 


«>-=- 


^ 


Tout  autre  était  le  sj'stème  de  la  Passacaille,  pièce  dans  laquelle  le 
Thème  (ordinairement  exposé  par  la  basse)  reste  identique  à  lui-même 
pendant  toutes  les  Variations.  Celles-ci  sont  donc  purement  contrapon- 
tiques  et  extrinsèques  :  elles  sont  liées  nécessairement  à  une  polyphonie 
et  constituent  de  véritables  Variations  harmoniques. 

La  forme  de  la  Passacaille  fut  des  plus  répandues  pendant  tout  le 
XVII*  siècle  et  le  commencement  du  xviii*.  On  la  trouve  surtout  en 
Italie,  où  son  influence  se  fait  sentir,  non  seulement  dans  les  pièces  ins- 
trumentales, Danses  de  Cour,  etc.,  mais  encore  dans  Vopéra  lui-même: 
un  assez  grand  nombre  d'a/'rs  ou  de  duos  de  cette  époque  sont  écrits  en 
forme  de  Passacaille  avec  basse  obstinée  (i). 

L'exemple  le  plus  parfait  que  Ton  puisse  donner  de  cette  sorte  de 
Variation  décorative  est  la  Passacaille,  en  m/,  pour  orgue^  de  J.-S. 
Bach  (2),  écrite  à  Weimar  vers  171 5.  L'admirable  Thème,  d'origine 
grégorienne,  s'expose  d'abord,  seul,  à  la  pédale  : 


Il  est  suivi  de  vingt  Variations,  toutes  traitées  dans  ce  même  ton  et 
sans  la  moindre  modulation  ;  mais,  grâce  à  l'exubérance  mélodico-ryth- 
mique  et  à  l'intérêt  de  l'écriture  contrapontique,  elles  ne  donnent  pas 
un  instant  l'impression  de  monotonie.  Une  dernière  Variation,  en  forme 
de  Fugue  développée  sur  le  même  sujet,  termine  cette  belle  œuvre. 

Dans  la  Chaco7ine,  le  Thème,  généralement  exposé  à  la  partie  supê- 


(i)  Voir  notamment  :  Monteverdi,  Incorona^ione  di  Poppea  et  divers  opéras  d'Alessandro 
Scarlatti. 
(a)  Édition  Petcrs,  vol.  1,  p.  75. 


LA  VARIATION  DECORATIVE  439 

rieiire^  reçoit  ensuite  des  ornements  de  plus  en  plus  riches  et  prin- 
cipalement mélodiques  ;  c'est  donc,  à  proprement  parler,  une  suite 
de  Variations  mélodiques^  dans  lesquelles  nous  trouvons  déjà  le 
principe  du  llième  varié,  tel  qu'il  s'établira  définitivement  au 
xvm*  siècle. 

En  Italie  et  en  Allemagne,  la  Chadonne  a  conservé  assez  longtemps 
son  aspect  de  Variation  ;  en  France,  au  contraire,  cette  forme  dégé- 
néra beaucoup  plus  vite  :  sauf  une  véritable  Chaconne  variée  qu'on 
trouve  encore,  en  1721,  dans  un  opéra-ballet.  Les  Eléments^de  Destou- 
ches, les  morceaux  qui  figurent  sous  le  même  titre  dans  les  autres 
opéras  ou  ballets  français  n'ont  plus  gardé  de  la  Chaconne  primitive 
que  le  mouvement  balancée!  le  rythme  ternaire:  telle  est,  par  exemple, 
la  danse  finale  dans  Dardanus,  de  Rameau  (  1  739).  La  pièce  intitulée 
Chaconne^  dans  le  cinquième  acte  â'Armide,  de  Gluck  (1777),  pourrait 
même  être  assimilée  plutôt  à  un  Menuet,  sauf  sous  le  rapport  de  sa 
longueur.  La  Chaconne  si  connue,  pour  violon  seul,  de  J.-S.  Bach, 
et  les  pièces  de  ce  nom  qu'on  rencontre  dans  les  œuvres  de  Haendel 
et  des  autres  Allemands  appartenant  à  la  première  moitié  du  xviii^  siècle 
n'ont  point  subi  la  même  déformation  :  elles  ont  gardé,  au  contraire, 
leur  caractère  de  Variations  mélodiques. 

Les  Doubles.  —  Comme  nous  l'avons  signalé  déjà  au  chapitre  de  la 
Suite  (voir  ci-dessus,  p.  1 14),  il  faut  chercher  l'origine  du  double  dans 
la  nécessité  de  «  reprendre  »  certains  Airs  à  danser  dont  l'exposition 
simple  eût  été  trop  courte  pour  permettre  aux  gestes  et  aux  attitudes 
de  se  répéter  autant  qu'il  était  nécessaire  dans  les  Danses  de  Cour. 
Au  lieu  de  recommencer  à  satiété  l'air  déjà  entendu,  l'habitude  s'éta- 
blit à'orner  la  mélodie,  lorsqu'elle  reparaissait  de  nouveau,  afin  de 
donner  de  !'«  agrément  »  à  la  reprise. 

Danse  et  Chanson  étant,  au  début  de  la  Troisième  Epoque,  intimement 
liées,  les  chanteurs  se  gardèrent  bien  de  négliger  ce  moyen  de  faire 
valoir  l'agilité  de  leur  voix  par  des  «  agréments  »  et  des  «  passa- 
ges »  (1)  ;  aussi,  dès  le  xvii*  siècle,  chaque  Danse,  chaque  Air  de  Cour 
avait  son  double  instrumental  ou  vocal. 

L'un  des  premiers  qui  introduisirent  en  France  ce  genre  de  \'ariation 
fut  Henry  de  Bailly,  surintendant  de  la  musique  du  roi  Louis  XIII, 
qui  mourut  en  i63c). 

Un  peu  plus  tard,  iMichki.  Lambert  (1610  7  lôoô),  maître  de  musi- 
que de  la  chambre  de  Louis  XIV'  et  beau-père  de  Lulli,  composa  un 
grand  nombre  d'Airs  de  Cour  et  Brunettes  (i66('>),  ainsi  qu'un  recueil 

(i  )  Voir,  dans  La  Fontaine,  la  table  Le  Savetier  et  le  t'inaitcier. 


460 


LA  VARIATION 


à'Aws  et  Dialogues  dans  lesquels  le  double,  copieusement  orné,  prenait 
une  large  part  (i). 

Nous  retrouvons  cette  disposition  dans  la  pièce  lente  (type  L)  d'un 
très  grand  nombre  de  Suitts  du  xviii'  siècle.  Dans  les  mouvements  du 
type  S,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  au  chapitre  de  la  Sonate  (voir  ci- 
dessus,  p.  198),  les  reprises  furent  longtemps  traitées  comme  des 
doubles  et  diversement  «  agrémentées  »  suivant  la  fantaisie  des  exécu- 
tants ;  c'est  contre  cette  interprétation  arbitraire  que  Ph.-Emm.  Bach 
voulut  protester  en  écrivant  ses  Sonates  îjîH  verànderten  RepiHsen. 

Comme  exemples  de  doubles^  on  peut  lire  la  Sarabande  de  la  deuxième 
Suite  anglaise,  en  la,  de  J.-S.  Bach  et  aussi  la  Courante  de  la  première 
Suite,  en  la,  qui  a  deux  doubles,  différemment  agrémentés. 

La  pièce  pour  clavecin  intitulée  Les  Niais  de  Sologne,  appartenant  à 
la  troisième  Suite  de  Rameau  (IP  livre,  1724),  et  intercalée  ensuite  dans 
le  ballet  de  Dardanus,  n'est  pas  autre  chose  qu'un  Rondeau  à  deux 
doubles,  avec  cette  disposition  spéciale  que  le /premier  double  consiste 
en  une  Variation  rythmique 


THEME 


^m 


^ 


^      m 


^ 


m 


fc=mxn 


Vdijublt      -A-t   g       dj/     M     .^  / 


m  m 


-^-^3?^^^=^ 


La  Variation  du  second  double  procède  au  contraire  par  modification 
de  la  basse,  c'est-à-dire  harmoniquement  ;  et  ces  deux  procédés,  l'un 
rythmique,  l'autre  harmonique,  sont  employés  simultanément  dans  la 
période  concluante  de  la  pièce  : 


(i)  Lorsque  les  chanteurs  de  la  Chapelle  du  roi  se  disposaient  à  taire  la  reprise  d'une 
pièce  de  musique,  LuUi  avait,  dit-on,  coutume  di  les  arrêter  par  cette  phrase  :  «  Gardez  le 
double  pour  mon  beau-père!  » 


LA    VARIATION    DECORATIVE 


461 


Ht]  jlr^,Kl^"J  %rr.^*  '  j^  !  •- 


Le  Thème  varié. —  A  force  de  multiplier  les  doubles  fqui  devenaient 
ainsi  des  triples,  des  quadruples,  etc.),  les  musiciens  du  xviii''  siècle  en 
arrivèrent  k  écrire  un  nombre  indéterminé  de  Variations,  sur  un  Thème 
préalablement  exposé,  et  à  créer  ainsi  une  véritable  forme  musicale 
nouvelle  qui  atteignit  même,  dès  son  apparition,  une  valeur  artisti- 
que très  élevée.  Cette  forme  dite  Thème  varié  (i),  procédait  à  la  fois 
du  genre  ornemental  employé  dans  les  doubles  et  du  genre  décoratif  en 
usage  dans  la  Chaconne  et  la  Passacaille. 

Les  intéressantes  Vainations pour  Clavecin  deHAENOEi.,  sur  divers  airs 
et  notamment  The  harmouious  Blacksmith  (2),  en  Ml,  sont  universel- 
lement connues. 

J.-S.  Bach  a  laissé  Trente  Variations  sur  une  Ay^ia,  en  SOL,  contenant 
une  série  de  canons  à  tous  les  intervalles  et  le  finale  populaire 
Quodlibet,  qui  suffiraient  à  constituer  déjà  toute  une  littérature  pour 
cette  forme  du  Thème  varié.  Son  incomparable  Kunst  der  Fuge  (voir 
ci-dessus,  p.  87  a  92),  que  l'on  doit  considérer  aussi  comme  une  suite 
de  Variations,  équivaut  à  de  véritables  «  lettres  de  noblesse  »  pour  ce 
genre  de  composition,  qui  fut  pendant  plus  d'un  siècle  l'un  des  plus 
répandus,  à  la  fois  dans  le  mode  ornemental  et  dans  le  mode  décoratif. 

Il  convient  d'énumérer  ici  les  principales  manifestations  du  Thème 
ranV,  celles  qui  otfrent  quelque  intéressante  particularité  tout  au  moins, 
et  méritent  pour  ce  motif  d'être  étudiées  par  les  musiciens. 

J.  Haydn  fit  un  grand  nombre  de  Variations,  tant  dans  ses  Sonates 
que  dans  ses  Symphonies  ou  ses  Quatuors;  nous  nous  contenterons  de 
citer,  comme  spécimen  de  Variation  purement  conirapontique,  le  Thème 
varié  du  77'  Quatuor  (connu  sous  le  nom  (X Hymne  autrichien)  dans 
lequel  la  mélodie,  selon  le  système  de  l'ancienne  Passacaille,  ne  se  mo- 
difie jamais  et  reste  toujours,  au  cours  des  Variations,  intégralement 
exprimée  par    l'une  des  parties  instrunientales  :  la  Variation  est  donc 


(i)  Des  essais  de  Thèmes  variés  avaient  été  tentés  déjà  assez  longtemps  auparavant  par 
dCô  musiciens  anglais,  et  notamment  VV.  BYRD(voir  ci-dessus,  p.  71  et  174).  qui  écrivit  en 
i5qi  diverses  Variations  sur  des  airs  'cpandusàson  époque  en  Angleerre.  Par  exemple  : 
Victoria,  The  Carman's  whistle([e  Sifflement  du  Charretier),  etc. 

(a)  Le  Forgeron  harmonieux. 


463  LA  VARIATION 

extrinsèque  ;  elle  réside  tout  entière  dans  les  contrepoints  et  les  combi- 
naisons/7o/;7?/zo7n*^«e5  qui  en  résultent. 

Mozart,  dans  sa  Sonate  pour  piano,  en  la  (Vienne,  1779),  emploie  la 
Variation  d'une  manière  toute  différente  :  la  mélodie  de  V Andante  gra- 
•{ioso  qui  sert  de  premier  mouvement  à  cette  Sonate,  se  modifie  intrinsè- 
quement par  ses  ojmements,  sa  mesure  et  même  son  harmonie,  dans 
les  six  Variations  qui  suivent.  Et  cet  exemple  suffit  à  donner  une  idée 
exacte  de  la  façon  dont  Mozart  traite  la  Variation,  partout  où  il  s'en 
sert. 

Beethoven  emploie  la  Variation  dans  les  mouvements  lents  de 
cinq  Sonates  pour  piano  (type  LV)  : 

Sonate  op.  14  n"  2  (170S)  :  Andante,  en  UT,  avec  trois  Variations  et  reprise 
de  la  première  période  du  Thème,  servant  de  coda  ou  de  quatrième 
Variation  (voir  ci-dessus,  p.  33j); 

—  op.  26  (1801):  Anda77te,  en  LA\f,  remplaçant  le  mouvement  initial  du 

type  S,  qui  n'existe  pas  dans  cette  Sonate;  ctl  Andaute  contient 
cinq  Variations,  dont  la  dernière  se  termine  par  une  sorte  de  phrase 
complémentaire  du  Thème,  ainsi  que  nous  l'avons  signalé  ci-dessus 
(p.  341); 

—  op.  b-y  Sonate  appassionata  (1804)  :  Andante  con  moto,  en  RÉ'?,  avec 

trois  Variations  et  reprise  finale  du  Thème  relié  au  finale  sans  con- 
clusion (voir  ci-dessus,  p.  849)  ; 

—  op.  109  (1820)  :   Andante   niolto   cantabile  ed  espressivo,   en  MI,  avec 

six  Variations  et  reprise  du  Thème  (voir  ci-dessus,  p.  365); 

—  op.  m  (1822)  :    Arietta.    Adagio    niolto  simplice  e  cantabile,  en  UT, 

avec  quatre  Variations,  développement,  reprise  du  Thème  et  déve- 
loppement terminal  (voir  ci-dessus,  p.  369). 

Dans  quatre  Sonates  pour  violon,  on  trouve  aussi  des  Thèmes  variés; 
mais  ils  ne  sont  pas  toujours  en  mouvement  lent  : 

Sonate  op.  12  n"  i  (1798)  :  Andante  con  moto,  en  LA  ; 

—  op.  3o  no  I  (1802)  :  Finale,  en  la,  avec  Variations; 

—  op.  47  (i8o3),  Sonate  à  Kreutzer  (voir    ci-dessus,   p.    369)  :    Andante 

en  FA  ; 

—  op.  96(1812)  :  Finale,  en  SOL,  Presto  avec  5e/?f  Variations  (voir  ci- 

dessus,  p.  370) ; 

quatre  des  Quatuors  à  cordes  contiennent  encore  des  Variations  : 

Ve  Quatuor  op.  18  n»  5  (1801)  :  Andante,  en  RÉ  ; 

X«  Quatuor  op.  74  (1810)  :  Finale    en  Mlï>,  Allegretto  avec  huit  Variations  et 

une  conclusion; 
Xlle  Quatuor  op.  127  (1834-1825)  :  Adagio,  en  la]?  ; 
XlVe  Quatuor  op.  i3i  (1826)  :  Andante,  en  LA. 

mais  ces  deux  derniers  Thèmes  variés  (Xll^  et  XiV"  Quatuors)  appar- 


LA  VARIATION  DÉCORATIVE  ^6^ 

tiennent  au  genre  de  la  Variation  amplificatrice   et  seront  analysés  ci- 
après  (p.  477  et  suiv.). 

Beethoven  écrivit  aussi  un  certain  nombre  de  Thèmes  pariés  dans  ses 
œuvres  de  Musique  de  Chambre  avec  piano  :  il  faut  citer  notamment 
le  Trio,  op.  97,  dont  VAndante  cantabile,  qui  sera  examiné  ultérieure- 
ment, comprend  c/«^  véritables  Variations  :  la  dernière  participe  aussi 
du  développement;  elle  commente  et  conclut  la  phrase  du  Thème  (i). 

Quant  au  finale  de  la  IX"  Symphonie,  op.  i25,  c'est  encore  une  géniale 
application  de  la  Vai^iation  :  nous  l'étudierons  en   son  temps  (i). 

Il  convient  de  signaler  aussi  quelques-uns  des  nombreux  Thèmes 
variés  qui  constituent  des  œuvres  séparées  de  Beethoven  :  op.  34  et 
op.  35,  par  exemple. 

Les  Six  Variations,  en  F.4,  op.  34,  dédiées  à  la  princesse  Odescalchi, 
datent  de  l'année  i8o3.  Voici  les  premières  mesures  de  leur  Thème  : 


Adacio  


TF.MA 


Chacune  de  ces  Variations  diffère  des  autres  par  sa  mesure  et  par  sa 
tonalité  :  cette  dernière  particularité  est  infiniment  rare  dans  cette 
forme  de  composition.  La  Variation  étant,  par  sa  nature  même,  une 
succession  d'expositions,  doit  rester,  en  général,  dans  la  même  tonalité, 
car  la  modulation  est  le  propre  du  développement  :  ici,  au  contraire, 
Beethoven  n'hésite  pas  à  enchaîner  les  tonalités  des  cinq  premières 
Variations  par  tierces  (mineures  ou  majeures)  descendantes  ;  il  aboutit 
ainsi  à  \3i  dominante  du  mode  opposé  {ut  mineur)  qui  relie  assez  natu- 
rellement au  ton  initial  {fa)  la  dernière  Variation,  ramenant  le  Thème 
avec  une  phrase  de  conclusion.  Voici  le  singulier  enchaînement  tonal 
de  cette  œuvre  : 

Thème  à  *,  en  FA  ; 
i'*  Variation  à  *,  en  RÉ; 
2«  —         à  I,  en  5/ i>  ; 

3e  —        à  C,  en  SOL; 

4e  —         à  i,  en  A//b  ; 

5«  —         à  |,  en  ul  ; 

6«  —        à  s,  en  fa. 

Les  Quin:^e  Variations  (avec  Fugue),  en  .i//b,  op.  3S  (1802),  dédiées  au 
comte  iMoritz  von  Lichnowsky,  sont  faites  sur  unThème  extrait  du  ballet 
Les  Créatures  de  Prométhée.  Beethoven  se  servit  une  troisième  fois  de 

i)  Voir  U  Seconde  Partie  du  présent  Livre 


4'?'1 


LA  VARIATION 


ce  même  Thème,  deux  ans  plus  tard,  pour  en  faire  l'idée  du  finale  dans 
sa  Symphonie  héi^oiqiie  (1804),  ainsi  que  nous  le  verrons  dans  la  Seconde 
Partie  du  présent  Livre. 

On  peut  citer  aussi,  outre  les  Tî^ente-trois  VaïHations  sin-  une  Valse 
de  Diabelli,  op.  120,  dont  il  sera  question  ci-après,  à  propos  de  la  Varia- 
tion amplificatrice,  les  Trente-deux  Variations  sur  un  Thème  original 
qui  ne  portent  pas  de  numéro  d'œuvre  :  elles  sont  en  ut  mineur^  ce  qui 
semble  constituer  pour  Beethoven  une  anomalie,  car  l'immense  géné- 
ralité de  ses  Thèmes  patries  sont  de  modalité  majeure. 

Depuis  le  début  du  xix*  siècle  Jusque  vers  i83o,  l'engouement  pour 
le  genre  Thème  parié  ne  connut  plus  de  bornes  et  fitmème  abandonner 
presque  tous  les  autres  genres  de  compositions  instrumentales,  sauf  le 
Concerto^  devenu,  par  l'abus  de  la  virtuosité,  presque  aussi  peu  musical. 

Tous  les  compositeurs  se  livrèrent  à  la  «  confection  en  gros  »  de 
Thèmes  pariés  ;  quelques-uns  les  intitulèrent  Sonates  en  prenant  des 
Romances  en  vogue  comme  texte  de  leurs  divagations  (voir  ci-dessus, 
p.  SgS  et  suiv.);  d'autres,  de  second  ordre  heureusement  !  consa- 
crèrent leur  vie  entière  à  ce  genre  de  production. 

Nous  donnons  ci-après  une  liste,  très  incomplète,  des  plus  «  cé- 
lèbres inconnus  »  qui  brillèrent  d'un  fulgurant  éclat  au  commencement 
du  siècle  dernier,  par  le  rayonnement  de  leurs  Thèmes  pairies  . 

Joseph  Gélinek  (1  ySS  f  i82  5),  J.-L.  Dussek  (1761  f  181 2),  D.  Stei- 
BELT  (17.63  t  1823),  Anton  Eberl  (1766  f  1807),  Joseph  Woelfpl  u??^ 
t  181 2),  Friedrich  Kuhlau  (1786  f  i832),  F.-W.-M.  Kalkbrenner 
(1788  t  1849),  J.-P.  Pixis(i788  t  1874),  Karl  Czerny  (1791  f  1857), 
Ignaz  Moscheles  (1794  f  1870),  Ad.  von  Henselt  (1814  f  1889). 

Les  deux  derniers  n'allèrent-ils  pas  jusqu'à  écrire  des  Variations  pour 
piano  «  avec  accompagnement  d'orchestre  (i)  »  ..  ?  Mais  la  palme,  dans 
ce  tournoi,  revient  certainement  à  l'abbé  Gélinek,  qui  fournissait  ses 
éditeurs  de  cahiers  [Hefte)  comprenant  chacun  six  Thèmes  pariés...,  et 
l'on  connaît  de    ce  Gélinek    cent  huit   cahiers    de   Variations  (2)  !   Le 

(i)  Variations  pour  piano  et  orchestre  sur  Au  clair  de  la  Itine,  par  Moscheles;  même 
disposiiion  sur  un  thème  de  Robert  le  Diable,  par  Henselt. 

Webere  Chopin  eux-mêmes  n'échap,  èrent  pas  à  la  contagion  de  cette  redoutable  épidé- 
mie qui  sévissait  alors  sur  la  musique  :  par  exemple  les  Variations  pour  piano  et  orches- 
tre de  Chopin  sur  :  La  ci  darem  la  mano  de  Don  Juan  ! 

(2)  Dans  le  94'  de  ces  cahiers,  on  voit  figurer  V Allegretto  de  1^  VH*  Symphonie  de  Beetho- 
ven emre  des  Variations  sur  la  valse  Fran:{enbrHnnen  et  d'autres  sur  un  Air  du  hussard 
hongrois  à  Paris.  Ce  fut,  du  reste,  à   l'abbé  Gélinek  que  Weber  décocha  celte  épigramme  : 

Kein  Thema   in  der    Welt  verschonte  dein  Génie, 
Das  simpelste  allein,  dich  selbst,  varierst  du  nie! 

(Aucun  thème  dans  l'univers  n'échappa  à  ion  génie  :  toi-même,  pourtant,  le  plus  simple 
de  tous,  tu  ne  te  varies  jamais  !) 


LA  VARIATION  DÉCORATIVE  465 

«econd  prix  doit  être  décerné  à  Czerny,  qui  n'écrivit  pas  moins  de 
mille  œuvres,  parmi  lesquelles  on  compte  près  de  la  moitié  en  Thèmes 
pariés  ! 

L'exagération  même  d'un  tel  dévergondage  est  aux  dépens  de  sa 
durée  :  le  caprice  furieux  d'une  mode  est  éphémère.  Dès  la  seconde 
moitié  du  xixe  siècle,  le  Thème  rar/V  était  à  peu  près  tombé  en  désué- 
tude ;  cependant,  au  milieu  de  cette  période  de  décadence,  on  trouve 
encore  quelqu  es  œuvres  de  très  réelle  valeur,  dont  il  faut  noter  ici  tout 
au  moins  les  auteurs  et  les  principaux  titres.: 

Mendelssohn,  Dix-sept  Variations  sérieuses,  op.  54. 

ScHUMANN,  qui  apporta  dans  deux  compositions  de  cette  forme  les 
inépuisables  ressources  de  son  génie  :  un  Audaiite  varié,  en  sii>,  pour 
deux  pianos,  op.  46,  et  surtout  les  admirables  Éludes  en  forme  de  Va- 
riations, en  ut  S,  op.  i3,  qui  nous  ont  fourni  les  exemples  techniques 
précédemment  cités,  et  seront  encore  signalées  ci-après  (p.  482),  à 
propos  de  la  Variation  amplificatrice. 

Brahms,  qui  se  servit  de  la  Variation  dans  un  assez  grand  nombre  de 
iiompositions  :  notamment,  ses  intéressantes  Variations  à  deux  pianos 
sur  un  Thème  de  Haydn,  op.  56  ^\  et  son  Quintette  avec  clarinette, 
op.  1 15. 

Saint-Saëns,  auteur  des  Variations  à  deux  pianos  sur  un  Thème  de 
Beethoven  (1). 

Ces  retours  à  l'ancien  Thème  varié  par  de  simples  ornements,  et 
perpétuellement  réexposé  comme  ces  motifs  d'art  ^^'cora/// auxquels 
nous  l'avons  comparé,  sont  de  plus  en  plus  rares  aujourd'hui,  sinon 
disparus  h  jamais  de  tout  ce  qui  mérite  vraiment  le  nom  de  composi- 
tion musicale.  La  Variation  décorative  n'a  pu  survivre  à  la  vogue  in- 
vraisemblable par  laquelle  elle  a  passé  :  par  un  juste  retour  des  choses, 
elle  est  morte  pour  avoir  renié  la  musique  !  Celle-ci,  toutefois,  n'a  point 
renoncé  à  ses  droits  :  recueillant  en  une  nouvelle  forme  les  éléments 
ornementaux  et  décoratifs,  elle  en  a  fait  la  Variation  amplificatrice,  qui 
semble  cumuler  en  elle-même  toutes  les  forces  musicales  de  la  Varia- 
tion, du  développement  et  de  la  transformation  cyclique.  Et  ce  nouvel 
avatar  de  la  Variation,  qui  a  tué  VAir  varié,  pourrait  bien  aboutir 
dans  l'avenir  à  une  rénovation  profonde  des  formes  de  notre  art. 


(i)  Ce  Thème  est  celui  du  trio  dans  le  Menuet  de  la  Sonate  pour  piano,  op.  3i  n»  3,  ainsi 
^ue  nous  l'avons  fiiit  observer  ci-dessus,  p.  34Ô. 

Cours  de  composition.  —  t.  u,   i.  3^ 


466  LA  VARIATION 


7.  —  LA  VARIATION  AMPLIFICATRICE. 


Le  Contrepoint  expressif.  —  Si  la  présence  de  Vornement  dans  la 
mélodie  peut  être  considérée  comme  aussi  ancienne  que  la  musique 
elle-même,  tant  elle  est  inséparable  du  texte  primitif  dans  un  grand 
nombre  de  cas,  il  n'en  est  pas  de  même  de  V amplification^  qui  suppose 
tout  au  moins  deux  états  successifs  de  la  même  idée  mélodique  :  l'un 
simple,  l'autre  amplifié.  Les  premières  tentatives  de  cette  sorte  de 
Variation  sont  donc  postérieures  à  l'époque  de  la  pure  monodie^  et  c'est 
l'art  admirable  du  Motet  qui  leur  donna  naissance,  par  le  moyen  de 
Vimitation  ornée,  fleurie  et  expressive,  sorte  de  pai'aplwase  ou  d'agran- 
dissement rudimentaire  du  Thème  dans  les  parties  vocales  simultanées- 
qui  l'entourent. 

Uornemetit  contrapontique  extjnnsèque  que  nous  avons  étudié  ci-des- 
sus (p.  440)  devait  donc  aboutir,  d'une  part,  aux  formes  décoratives 
dont  nous  avons  constaté  la  déchéance,  et  de  l'autre  aux  formes  ajn- 
pli/îées,  dont  nous  allons  montrer  la  glorieuse  destinée. 

Ainsi  qu'on  l'a  déjà  fait  observer  (1),  le  Motet  tire  son  origine  d'un 
Thème  appartenant  à  la  liturgie  chrétienne  :  il  est  la  Variation  de  ce 
Thème  ou  seulement  de  ses  premières  notes  ;  et  c'est  par  ce  moyen  de  la 
Variation  que  «  la  polyphonie  classique  se  rattache  assez  bien  au  suprême 
modèle  de   toute  musique  sacrée  qui  est  le  plain-chant  grégorien  (2)  ». 

Après  le  splendide  rayonnement  de  l'art  palestrinien  sur  toute  la 
musique  de  la  Deuxième  Époque,  lorsque  les  instruments  commencè- 
rent à  se  substituer  aux  voix,  les  organistes  conservèrent  la  tradition 
religieuse  de  l'art  du  Contrepoint  expt^essif  pratiqué  par  les  polypho- 
nistes.  Le  Thème  liturgique,  que  ceux-ci  avaient  traité,  imité  et 
amplifié  vocalement,  fut  reproduit  instrumentalement  sur  l'orgue,  et 
ce  procédé  donna  naissance  aux  Versets  [thèmes  liturgiques  variés 
et  amplifiés)  et  aux  Fugues  [sujets  liturgiques  exposés  et  imités  dans 
l'ordre  de  succession  des  fonctions  tonales  constituant  la  cadence).. 
Tous  les  compositeurs  italiens,  allemands  et  français  qui  ont  été  cités 
au  chapitre  de  la  Fugue  [section  historique,  p.  67,  71  et  74)  écrivirent 
aussi  des  Versets  variés  de  cette  espèce,  portant  diverses  dénomina- 
tions et  notamment  celle  de  Ricercari. 

Cependant,  l'indéniable  sécheresse  artistique  provoquée  en  Allemagne 
par  l'esprit  rigide  et  étroit  de  la  Réforme  luthérienne  n'avait  point  tardé 
à  modifier  profondément  l'orientation  des  belles  mélodies    si  expres- 

(i)  Voir  I"  liv.,  p.  147. 
a)  Encycirque  de  S.  S.  Pie  X  sur  la  musique  sacrée  {Motu  proprio  du  22  novembre  igoS). 


LA    VARIATION  AMPLIFiCATKICE  407 

sives  de  notre  liturgie  primitive,  en  les  enfermant  dans  le  cadre  con- 
ventionnel du  Choral  à  quatre  voix. 

Ce  type  de  Choral.,  créé  de  toutes  pièces  par  le  cérémonial  protes- 
tant, ne  pouvait  avoir  d'autre  origine  musicale  que  les  riches  monodies 
en  usage,  de  temps  immémorial,  dans  l'Église  catholique  ;  et  cette 
provenance  des  plus  anciens  Thèmes  de  Chorals  connus  ne  saurait  être 
contestée.  Mais,  en  s'appropriant  ces  mélodies,  le  rigorisme  protestant 
s'empressa  de  les  dépouiller  de  tous  leurs  ornements.,  pleins  d'une 
piété  expressive,  naïve  et  tendre  :  il  n'en  garda  que  le  cantus  nu  et 
sévère,  froidement  exposé  par  la  partie  supérieure  du  chœur,  tandis 
que  les  autres  voix  lui  fournissent  un  accompagnement  harmonique, 
généralement  plaqué  note  contre  note,  ou  peu  s'en  faut. 

En  quel  lamentable  état  nous  pouvons  reconnaître  encore  ici,  de 
loin  en  loin,  ces  malheureuses  cantilènes,  condamnées  désormais  au 
rôle  piteux  du  «  chant  donné  »  dans  ces  véritables  «  leçons  d'harmonie  » 
correctement  réalisées  suivant  la  «  lettre  »,  la  lettre  seule  des  règles 
inflexibles  !  Qu'est  devenu  ce  souffle  d'émotion  intime  et  pure,  planant 
en  quelque  sorte  entre  ciel  et  terre,  qui  les  animait  dans  les  inoubliables 
Motets  de  Josquin,  Palestrina,  Vitoria,  Lassus  et  tous  les  autres, 
sans  même  oublier  le  «  bon  protestant  »  Schutz,  dont  toute  la  sensibilité 
musicale  avait  été  entretenue  et  affinée  par  l'éducation  que  lui  don- 
nèrent, à  Venise,  des  maîtres  catholiques? 

Il  ne  fallait  rien  moins  que  le  génie  d'un  J.-S.  Bach  pour  faire  circuler 
un  peu  de  chaleur  en  ces  formes  froides  et  sans  vie  ;  mais,  si  l'on  ren- 
contre, au  cours  des  Cantates  et  des  Passions  du  maître  d'Eisenach, 
quelques  spécimens  vraiment  admirables  du  Choral  vocal,  combien 
de  fois  l'intervention  par  trop  fréquente  de  cette  forme  n'arrète-t-elle 
pas,  sans  le  rehausser,  l'intérêt  musical  et  dramatique  de  ses  plus  belles 
œuvres  ? 

Le  Choral  varié.  —  Cependant,  à  côté  du  froid  Choral  à  quatre  voix 
destructeur  de  tout  art,  de  toute  poésie  et  de  toute  tendresse  dans  les 
cérémonies  du  culte,  une  forme  nouvelle  s'élaborait  dans  le  recueille- 
nicnt  des  tribunes  d'orgue  de  nos  vieilles  églises,  où  semblaient  s'être 
réfugiés  les  derniers  vestiges  de  la  saine  inspiration  chrétienne  momen- 
tanément bannie  des  sanctuaires  qu'elle  avait  édifiés  :  chez  beaucoup 
d'organistes  allemands,  l'appropriation  à  l'orgue  de  l'ancien  art  du 
xMotet  était  restée  une  tradition  encore  très  vivace  et  très  forte,  qu'ils 
appliquèrent  tout  naturellement  aux  Thèmes  des  Chorals.  Les  pieuses 
volutes  de  nos  séculaires  cantilènes  ornementales,  exclues  du  chœur  où 
elles  n'avaient  plus  de  raison  d'être,  s'exhalaient  encore  derrière  les  anti- 
ques sculptures  des  buffets  d'orgue,  témoins  de  leur  légitime  splendeur. 


468 


LA  VARIATION 


Ainsi  les  Chorals  variés  reprirent,  sous  les  doigts  des  Buxtehude  et 
des  Pachelbel  (i),  quelque  chose  du  style  ornemental  et  décoratif  que 
nous  avons  signalé  ci-dessus  (p.  457),  à  propos  de  la  Can\ona  et  de  la 
Passacaille.  Avec  J.-S.  Bach,  cette  forme,  déjà  traitée  d'une  manière 
très  intéressante  par  ses  précurseurs,  devait  recevoir  le  sceau  génial  du 
maître  par  le  moyen  de  V amplification  thématique  dont  nous  rencon- 
trons la  première  manifestation  vers  1702.  A  cette  époque  vivait  dans 
la  ville  de  Lunebourg,  en  même  temps  que  le  jeune  Sébastien,  un 
organiste  de  renom,  Georg  Bœhm  (1661  f  1739),  dont  le  style  influença 
nettement  les  premières  Variations  du  futur  Cantor  de  la  Thomasschule  : 
ces  trois  séries  de  Variations,  intitulées  Partite,  sont  faites  sur  chacun 
des  trois  Chorals  :  Christ,  der  Du  bist  der  helle  Tag  ;  O  Gott,  Du 
frommer   Gott  ;    Sey  g-egrilsset,   Jesu  gïilig  (2). 

Plusieurs  de  ces  Variations  appartiennent  à  l'ordre  purement  contra- 
pontique  et  déco?^atif  :  \e  Thème  reste  à  peu  près  immuable  et  s'expose 
en  même  temps  que  les  contrepoints  qui  l'entourent.  Mais  la  première 
Partita  de  chaque  série  (et  aussi  la  huitième  dans  le  deuxième  Choral) 
contiennent  de  véritables  allongements  mélodiques  dont  il  convient  de 
donner  ici  quelques  exemples,  afin  de  bien  montrer  comment  a  pris 
naissance  le  système  de  V amplification,  qui  devait  avoir,  dans  l'œuvre 
de  Beethoven  et  de  Franck,  les  magnifiques  effets  dont  nous  parlerons 
ci-après  (p.  478  et  suiv.). 

Voici  la  ligne  mélodique,  assez  pauvre  en  vérité,  de  la  première 
période  du  Choral  Christ,  der  Du  bist...  Au-dessous  est  transcrite 
la  Variation  correspondante  dans  la  première  Pa?^tita  ;  on  peut  voir, 
parla  superposition  des  deux  textes,  la  part  qui  revient  à  l'amplifica- 
tion proprement  dite 


THEME 


l'artita    I 


•^  I  Première    periodi 


période 


I  Première     pericide   amplifié 


(i)  Voir  ci-dessus,  au  chapitre  de  la  Fugue  (p.  yS  et  74).  Voir  aussi  (p.  78  et  suiv.)  le  rôle 
de   Buxtehude  et  de  Pachelbel  dans  l'éducation  musicale  de  J.-S.  Bach. 

(a)  Ces  trois  Chorals,  qu'on  trouvera  dans  l'Édition  Pcteis  (vol.  V,  p.  60,  68  et  76),  sont 
ceux  que  nous  avons  cités  conome  modèles  pour  les  travaux  de  l'élève  dans  l'Appendice  du 
Prc -nier  Livre  de  ce  Cours  (p.  222):  il  était  nécessaire,  en  effet,  d'apprendre  aux  jeunes 
compositeurs  à  imiter  un  peu  intuitivennent  des  formes  musicales  dont  ils  ne  pouvaient 
pénétrer  que  plus  tard,  après  mûre  réflexion,  la  véniable  beauté. 


LA  VARIATION  AMPIJKICATRICR 


409 


1    m«:yures  | 


5S= 


'     ^ 


^^S 


If^-^ 


La  deuxième  période  de  la    même  Partila  ne  le   cède  en  rien  à    la 
précédente  : 


^Èm 


-i-^ * 


I  Deux  lème   période 


^  :■>      •/ 


m 


MaJ  i         'bg^ 


/ 


M4 


-^ 


^9«- 


^^SP 


I     Deuxième    période-  r-mplifi 


^^ 


^    niesiirt'^ I 


Il  faut  citer  aussi  l'admirable  amplification  des  huit  notes  constituant 
la  quatrième  période  dans  \à prcmii're  Partita  du  Choral  Sey  gegriisscl  : 


't^ 


^Quatrième  périod» 


.SO.(s<-y|0uatrième  période  amplifiée 


47° 


lA    VARIATION 


# 


tJ4jaL"  Lt/G 


Dans  le  recueil  didactique  intitulé  Orgelbuchlein,  que  Bach  composa 
en  grande  partie  pendant  l'époque  de  Gœthen,  vers  1720,  on  trouve 
une  série  de  onie  Chorals  sur  le  chant  Allein  Gott  in  dei^  H'ôhe  ; 
Tun  de  ceux-ci,  en  sol,  à  3/2  (i),  contient  un  vrai  modèle  d'ampli- 
fication, surtout  dans  les  deux  admirables  premières  périodes  que 
nous  reproduisons  ci-dessous.  Le  simple  dessin  liturgique,  assez 
monotone  par  lui-même,  donne  naissance,  dans  la  Variation,  à  une 
phrase  pleine  d'expression  intense  et  pénétrante.  Combien  peu  de 
musiciens,  même  parmi  les  plus  grands  des  successeurs  du  vénéré 
maître  d'Eisenach,  ont  su  trouver  dans  leur  cœur  quelque  ligne 
mélodique  comparable  à  celle-ci  ! 


CHOFAL 


^ 


I  Premif re    ppriode 


^ 


Variation  y^  p   <{  : 

amplificntrtce       \\      /* 


^^^WJTïTTrrjrf^'i^ 


v£i/|  Première    période    amplifiée 


i 


m^^^^^^^S 


s  I) 


Après  cette  modulation  médiane  à  la  dominante  du   Relatif,  il  faut 

(1)  Edition  Peter»,  vol.   VI,  p.  22  et  23. 


LA  VARIATION  A.MPLIFICATKICfc. 


47» 


admirer    la    forme    véritablement   triomphante   de    la    vocalise    tînale 
faisant  retour  à  la  Ionique  : 


\    OfiixieniP  ptrioiU 


Dans  l'œuvre  d'orgue  de  J.-S.  Bach,  on  doit  signaler  enfin  à  l'atten- 
tion de  tous  les  musiciens  les  neuf  Chorals,  magistralement  variés 
€t  amplifiés,  dont  la  composition  remonte  aux  derniers  jours  de 
l'existence  si  bien  remplie  du  grand  maître  de  l'orgue  (i).  A  la  fin 
du  printemps  lyôo,  Bach  couronna  dignement  sa  longue  carrière  par 
cette  suite  de  Prières  instinimentales  destinées  à  être  jouées  à  l'office 
et  dans   l'ordre  des  principales   prières   de   la  Messe  : 

I»  Kyrie,  Gott    Vater  [2] j 

20  Christ,  aller  W'elt  Trost  (3) >  pour  le  Kyrie  eleison. 

3o  Kyrie,  Gott  hetliger   Geist  (4) ) 

40  Dies  sind  die  heiVgen  ^ehn  Gebot  (5).     .     .     .     pour  V Evangile. 

50    Wir  glauben  alV  an  einen  Goit  (6) pour  le  Crido. 

6"   Vater  unser   in   Himmelreich  (7) pour  le  Pater. 

7°  Christ,  unser  Herr,   piin  Jordan  kam  (8).     .     pour  VAgnus  Dei. 

8°  Ans  tiefer  Noth  (9) Cantique  pour  la  Confession. 

^0  Jésus   Christus,  unser  Heiland  {10).    ....     pour  là  Communion. 

Ces  «^w/ chefs-d'œuvre,  dont  l'ensemble  constitue  un  opus  ultimum 


(i)  Voir  Spitta  :    Vie  de  J.-S.  Bach. 

(a)  Kyrie,  Dieu  le  Père  (Éd.  Peters,  vol.  VU,  p.   18). 

(3)  Christ,  consolation  du  monde  [Éd.  l'cters,  vol.  \  H,  p.  20). 

(4)  Kyrie,  Dieu  Esprit-Saint  (hd.  Fctcrs,  vol,  \'Il,  p.  33). 

(5)  Ce  sont  les  dix  coinmandemei  ts  sacres  (Éd.  Pcters,  vol.  VF,  p.  5o). 

(6)  Nous  croyons  tous  en  un  seul  D.cu  (Éd.  Petcrs,  vol.  \II,  p.  8a).  —  Nous  avon»  cité 
au  Premier  Livre  de  ce  Cours  (p.  69  en  note)  la  formule  finale  de  l'une  des  Variations  de 
ce  Choral,  véritable  adaptation  instiumentale  des  vocalises  grégoriennes  {jubila). 

(7)  Notre  Père  qui  êtes  aux  cicux   (Ed.  Peters,  vol.  VU,  p.  66). 

(8)  (e  Christ,^  Notre-Seigneur,  vint  au  Jourdain  (Ed.  Pcters,  vol.  VI,  p.  46). 

(9)  Dans  une  profonde  détresse  {De  profundis).  —  Nous  avons  donné  ci-dessus  (p.  442) 
les  premières  mesures  de  ce  Choral  (Éd.  Peters,  vol.  VI,  p.  36). 

(10)  Jésus-Christ,  notre  Sauveur  (Ed.  Pcters,  vol.  VI,  p.  87). 


<:'  LA  VARIATION 

d'une  incomparable  beauté,  n'ont  point  encore  été  publiés  jusqu'ici 
en  un  seul  recueil  :  on  ne  peut  que  le  regretter,  car  ils  méritent  d'être 
étudiés  attentivement  et  ont  été  faits  pour  se  succéder  dans  l'ordre  que 
nous  venons  d'indiquer. 

Les  Tt^ois  Kyrie  sont  traités,  pour  la  plus  grande  partie,  dans  les 
modalités  grégoriennes  ;  suivant  la  tradition  symbolique  du  moyen 
âge,  la  formule  mélodique  appliquée  à  Dieu  le  Père  est  ascen- 
dante (i)  : 


La  personne  du   Fils   est  désignée  par  un  motif  un  peu   plus   long^ 
qui  descend  vers  la  terre  pour  remonter  ensuite  au  ciel  : 


m:t....=^=t^^ 


L'Esprit-Saint,  troisième  personne  de  la  Trinité,  est  représenté  par 
une  charmante  combinaison  des  formules  relatives  aux  deux  autres 
personnes  {qui  utriusque  procedit)  : 


i^3. 


^rr~r^TT 


Ce  troisième  Kyrie  est  le  plus  beau  ;  il  contient,  outre  une  fulgu- 
rante envolée  vers  le  firmament,  une  dépression  finale,  assombrissant 
peu  à  peu  la  tonalité  pour  se  reposer  enfin  sur  la  dominante  d'ut^  qui 
est  d'un  effet  saisissant. 

Le  Credo^  en  fa,  avec  double  pédale,  est  empreint  d'une  simplicité 
tout  angélique,  qu'on  pourrait  comparer  à  celle  qui  se  dégage  de 
certaines  Annonciations  peintes  par  Ghirlandajo. 

On  a  vu  ci-dessus,  comme  modèle  d'ornementation  contrapontique 
(p.  442),  la  premrère  période  du  De  vrofiindis  écrit  à  six  parties  réelles 


Ci)  Comparer    avec    les   Thèmes    grégoriens   du  Kyrie    des    messes  solennelles,  cité    au 
Premier  Livre,  p.  71. 


LA   VARIATION  AMPLIFICATRICE  ^73 

et  avec  double  pédale  :  et  l'on  peut  juger  par  Va  de   l'intensité  expres- 
sive de  ce  Choral  qu'il  faudrait  citer  en  entier. 

Enfin,  le  dernier  Choral  Sub  Covimunione  clôt  dignement  cette 
œuvre  sublime  par  un  cantique  d'action  de  grâces  dont  la  mélodie  est 
toute  remplie  d'un  charme  caressant  et  doux  : 


Les  interruptions  périodiques  qu'on  rencontre  dans  cette  cantilène 
semblent  y  être  ménagées  à  dessein  pour  permettre  à  l'àme  de  se  re- 
cueillir de  temps  en  temps,  au  milieu  de  la  joie  que  lui  procure  la 
possession  de  son  Sauveur. 

La  Variation  beethovénienne.  —  Les  admirables  amplifications 
mélodiques  dont  on  trouve  maint  exemple  dans  les  dernières  œuvres 
de  J.-S.  Bach  semblent  disparaître  avec  lui  de  toute  la  musique  : 
ses  successeurs,  voués  pour  la  plupart  au  stfle  galaitt^  toujours  plus 
brillant  que  profond,  se  contentent  d'orner  leurs  Thèmes,  sans  songer 
à  les  agrandir.  Ni  Haydn,  ni  Mozart  même,  ni  aucun  de  leurs  con- 
temporains ne  tentèrent  jamais  d'interpréter  ou  d'amplifier  leurs 
mélodies. 

Beethoven  devait  arriver  bientôt  après  et  recueillir  l'héritage 
glorieux  de  Bach  en  continuant,  dans  le  même  sens  et  dans  le  même 
esprit,  l'édification  de  ce  véritable  «  monument  de  la  Variation  » 
dont  les  puissantes  assises  avaient  été  solidement  posées  par  Bach,  un 
demi-siècle  auparavant. 

Ce  n'est  en  etïet  que  vers  1820,  dans  la  dernière  période  de  sa  vie, 
en  pleine  maturité,  qu'on  voit  Beethoven  renouer  la  tradition  et 
demander  à  la  grande  Variation,  telle  que  Bach  l'avait  comprise,  un 
élément  capable  de  donner  un  nouvel  essor  à  l'art  musical. 

Peu  après  l'achèvement  de  la  magnifique  Sonate,  op.  io6,  au  mo- 
ment de  l'élaboration  de  la  \Iissa  solcnniis,  nous  voyons  apparaître 
Wimplijîcation  dans  la  preniière  \'ariation  de  VAdagio  qui  termine 
l'op.  109  et  dont  nous  avons  donné  ci-dessus  l'analyse  (p.  '^6b)  : 


S^--ff#="" 


474  ï  A  VARIATION 

Bien  que  cette  mélodie  exquise  ait  exactement  le  même  nombre  de 
mesures  que  le  Thème  et  n'en  diffère  pas  notablement  comme  harmonie, 
ces  huit  mesiwes  (ou  ces  huit  pieds,  si  l'on  veut)  ont  vraiment  le 
caractère  de  V amplification  thématique  par  ce  qu'on  pourrait  appeler 
Vambitus  de  leur  ligne  chantante,  qui  commente  le  texte  primitif  sans 
le  7'eproduire  ni  Voi^ner  positivement. 

UAj'ietla  qui  sert  de  finale  à  la  Sonate,  op.  iii,  analysée  ci-dessus 
(p.  369),  tout  en  restant  principalement  de  Tordre  décoratif,  s'élève 
cependant  jusqu'à  la  véritable  amplification  dans  plusieurs  de  ses 
Variations  et  notamment  dans  la  dernière. 

Il  est  curieux  d'observer  que  le  Thème  même  de  cette  Arietta,  véri- 
table schème  mélodique  à  peu  près  irréductible,  se  rapproche  singu- 
lièrement par  sa  cellule  initiale  de  la  Variation  que  nous  citons 
ci-après  (p.  476)  et  qui  est  extraite  des  Trente-trois  Variations 
sur  une  Valse  de  Diabelli,  op.  120,  à  peu  près  contemporaines  de  la 
Sonate,  op.  1 1 1 . 

Cette  Valse,  en  UT,  avait  été  composée  par  l'éditeur  Diabelli  et 
donnée  comme  sujet  de  concours  aux  pianistes  autrichiens  qui  de- 
vaient recevoir  de  l'auteur  un  prix  de  quatre-vingts  ducats  en  échange 
de  sept  Variations.  Beethoven  déclina  l'offre  de  participer  à  cette 
étrange  épreuve,  mais  il  «  s'amusa  «littéralement  à  traiter  ce  Thème 
parfaitement  insipide,  comme  s'il  eût  voulu  prendre  ainsi  une  courte 
récréation,  entre  d'immenses  labeurs  comme  la  Messe  en  ré  et  la 
IX^  Symphonie.  Et  c'est  un  petit  chef-d'œuvre  qui  fut  le  résultat  de 
cette   «  récréation  »  du  maître. 

Dès  la  P'  Variation,  nous  voici  transportés  par  une  Marche  dans 
une  région  musicale  qui  n'a  plus  rien  de  commun  avec  celle  où  se 
traînait  la  plate  élucubration  de  l'éditeur.  Beethoven  semble  n'en  re- 
tenir, au  point  de  vue  mélodique,  que  deux  formules  en  apparence 
bien  ordinaires  :  Vanacrouse  initiale  et  la  basse  en  intervalle  de  quarl'j 
qui  la  suit  : 


3^ 


Mais,  sous  les  somptueux  vêtements  dont  le  génie  va  les  parer,  ces 
pitoyables  personnages  thématiques  demeureront  reconnaissables, 
parce  que  le  commentateur  respectera  scrupuleusement  leur  état  har- 
monique, et  notamment  la  timide  modulation  accidentelle  à  la  sous- 
dominante  qui,  dans  le  second  membre  de  phrase  du  Thème,  est  ainsi 
esquissée  par  la  basse  : 


LA  VARIATION  AMPLIFICATRICE 


47^ 


Dans  la  III"  Variation,  ce  5/t»  prolongera  pendant  plusieurs  mesures 
son  indécision;  dans  la  V'  Variation,  l'oscillation  ainsi  déterminée  vers 
les  sous-dominantes  entraînera  la  phrase  jusqu'au  ton  de  RÉ\}'^  enfin, 
dans  les  Xl«,  XXV%  XXIX%  XXX''  et  XXXI»  Variations,  le  rôle  du 
si\>  sera  pareillement  amplifié. 

Quant  à  la  cadence  médiane  àla  dominante,  elle  subsiste  toujours,  mais 
change  parfois  de  mode,  notamment  dans  les  V',  XI V«  et  XV"  Variations, 
où  apparaît,  à  la  place  correspondante,  une  modulation  au  ton  de  mi. 
On  peut  comprendre  par  là  le  rôle  attribué  par  Beethoven  au  schème 
harmonique  de  cette  innocente  balourdise  du  bon  Diabelli.  C'est  par 
le  moyen  de  cette  interprétation  harmonique  que  le  Thème  primitif 
s'élève  peu  à  peu  et  s'amplifie  en  hauteur  et  en  profondeur,  pourrait-on 
dire,  beaucoup  plus  qu'en  longueur,  car  le  nombre  de  mesures  reste  à 
peu  près  constant  dans  un  grand  nombre  de  Variations.  Il  faut  cepen- 
dant en  excepter  la  XXIV'  et  la  XXXII',  qui  contiennent  les  deux 
Fugues  dont  il  a  été  question  ci-dessus  [p.  96),  et  surtout  la  XX*, 
amplifiée  dans  tous  les  sens,  celle-là,  comme  on  va  le  voir  par  la 
comparaison  du  minuscule  Thème  donné  avec  cette  géniale  et  mysté- 
rieuse paraphrase,  que  Ton  dirait  conçue  au  seuil  de  quelque  citta 
dolente  évoquée    par  l'immortel  Alighieri  : 


la  m  p  I  if.  «io  mi.  fa        j 


I   ampli f.  <i'-    nol.nol 


47t> 


LA   VARIATION 


^^r^-r^f- 


Ainsi  le  génie  artistique,  imitant  en  cela  le  geste  créateur  de  Dieu 
pouvait  faire  de  rien  tout  un  monde  ! 

Les  Quatuors  à  cordes,  dont  nous  donnerons  l'analyse  complète  dans 
la  Seconde  Partie  du  présent  Livre,  contiennent  les  plus  belles  réali- 
sations de  la  Variation  beethovénienne.  Déjà  VAdagio^  en  RÉ  t»,  du 
X*  Quatuor,  op.  74,  composé  en  1810,  contenait  un  intéressant  essai 
d'amplification  ;  mais  ce  n'est  guère  que  pendant  les  trois  dernières 
années  de  sa  vie  que  l'auteur  de  la  Messe  en  RÉ,  pleinement  conscient  de 
son  génie,  sut  ouvrir  à  la  Variation  une  voie  nouvelle  qui  se  révèle  à 
nous  dans  V Adagio,  en  la  b,  du  XII*  Quatuor,  op.  127,  dans  VAndaiite, 
en  LA,  du  XIV*,  op.  i3i,  et  surtout  dans  le  sublime  Adagio,  en  «  mode 
lydien»,  du  XV*,  op.  i32  :  celui-ci  toutefois,  véritable  cantique  d'action 
de  grâces,  ne  pourrait  être  séparé  de  l'œuvre  dont  il  fait  partie  inté- 


LA  VARIATION  AMPLIFICATRICE  477 

grante,  et  c'est  pour  cette  raison  que  nous  le  réserverons  pour  une  étude 
ultérieure  plus  complète,  abordant  seulement  ici  l'examen  des  deux 
autres,  qui  contiennent  pour  nous  de  hauts  et  précieux  enseignements. 

Non  content  d'agrandir  les  Thèmes  par  toutes  les  ressources  dont  la 
musique  disposait,  depuis  les  volutes  grégoriennes  jusqu'aux  lacis  les 
plus  compliqués  de  la  Passacaillc,  Beethoven  va  s'élever  à  la  conception 
d'un  nouvel  état  musical  du.  même  Thème.  Et  par  cette  évolution,  son 
esprit  semble  se  rapprocher  de  la  pensée  des  Mystiques  du  moyen  âge, 
dont  les  œuvres,  à  la  fois  grandes  et  simples,  demeurent  incompréhen- 
sibles pour  celui  qui  n'est  point  simple  comme  eux,  tant  cette  simplicité  se 
voile  et  se  cèle  sous  l'abondance  du  détail  :  tels,  les  maîtres  architectes 
français  du  xiii''  siècle  ;  tels  aussi,  les  admirables  décorateurs  italiens 
comme  Giotto  et  Gozzoli  ;  tels  enfin,  le  divin  saint  François  d'Assise 
conteur  des  Fioretti,  et  le  poète  de  la  Commedia,  auxquels  on  ne  peut 
s'empêcher  de  penser  en  lisant  ces  merveilles  musicales. 

Adagio  du  Xlh  Quatuor,  op.  127  (1824-1825).—  Une  grande  phrase 
en  LA  i>,  d'allure  très  simple,  constitue  le  Thème  :  elle  est  faite  de  deux 
périodes  avec  les  reprises  traditionnelles. 

Celui  qui  ne  percevj"ait  point  la  rayonnante  beauté  d'un  tel  Thème 
(voir  ci-après,  p.  478)  et  ne  se  sentirait  point  profondément  ému,  sur- 
tout par  ses  dernières  mesures,  ne  serait  vraiment  pas  digne  d'être 
appelé  musicien  !  Et  pourtant,  si  hautes  que  nous  apparaissent  les  ré- 
gions sereines  où  nous  fait  planer  cette  splendide  cantilène,  l'auteur  va 
nous  montrer  par  la  suite   qu'il  peut  s'élever  plus  haut  encore  ! 

Les  deux  premières  des  cinq  Variations  qui  vont  suivre  restent  au  ton 
principal  :  le  Thème,  changé  de  rythme,  est  d'abord  esquissé  par  le 
violoncelle  ;  puis  il  s'efface  et  se  fond  en  une  polyphonie  qui  semble 
vivre  par  Vdme  même  du  personnage  soustrait  à  notre  oreille,  et  cepen- 
dant, présent  encore  quoique  son  corps  ait  disparu. 

La  II*  Variation  n'a  gardé  du  Thème  que  les  quatre  notes  initiales, 
rythmées   différemment  : 


C'est  un  doux  gazouillement,  véritable  dialogue  damour  entre  les 
deux  violons,  qui  s'interrompra  pour  faire  place  à  la  IIP  \'ariation 
de  forme  étrange  et,  jusque-là,  inusitée.  Comme  dans  les  op.  109  et  i  1 1, 
une  phrase  nouvelle  apparaît  ;  mais  ici  cette  phrase  n'est  autre  que  le 
Thème  lui-même,  dépouillé  de  ses  ornements  et  revêtu  d'une  telle  ma- 
jesté, qu'on  le  dirait  transfiguré  en  une  ascension  divine.  Kt  pour  mieux 
marquer  ce  clianf^ement  d'état  qui  participe  du  développement  harmo- 
nique, ainsi  que  nous  l'avons  dit  ci-dessus  (p.  242),  Beethoven  place  son 


478 


LA  VARIATION 


personnage  en  un  autre  lieu,  dans  la  tonalité  de  mi  a,  donnant  ici  une 
impression  de  lueur  mystérieuse  et,  en  quelque  sorte,  supra-terrestre, 
qui  s'expliquerait  peut-être  par  la  situation  de  cette  tonique  nouvelle  au 
demi-ton  supérieur  [septième  quinte  ascendante)  de  la  dominante  mi-^.... 
Nous  citons  ci-dessous,  dans  son  entier,  la  ligne  mélodique  de  cette 
étonnante  Variation,  en  lui  superposant  le  Thème  préalablement  trans- 
posé au  même  ton  : 


>  i 


THEME  -r£T.-;-î'f ,       v|      I        I      K 


'^    f 


1'  •"  Violon 


^fe 


gp^=^g 


^^m 


.;=^ 


ariatxonlW    ^^T^Ç^-— ^ |~J  ^^  j 


1*^""  Violon 


Mr^y^^^g 


^fcii^fipd^daè^^^f^^^trjr^^ 


L 
Violoncelle 


m^G^Ê^m'-'^'  '^^.y^^^UnhhJ}-  ^^ 


•5  Ver\-; 


r'Violcn 


^^i=^^Nj-^^^^^^^ 


1'^'"  Violon 


iî^=^ 


'        '  ■     '  v-;^i^Ti^on„  \  1'     V.: 


^ 

^^^t 


s^ 


pg  .  ^       r^ 


Violoncelle 


Pi: 


f    L«J    Violoncelle"  " 


^^^^^^^ 


2^  Violon^ 


Vel^         ■       l'fv,f,lon 


^^?^^^S 


!'■''  Violon 


"^ 


'2''  Violon 


LA  VARIATION  AMPLIFICATRICE 


479 


La  I\''  Variation  ramené  le  Thème,  à  peine  changé  de  rythme, dans  sa 
tonalité  primitive.  Puis  vient  un  développement  de  quatorze  mesures, 
sur  les  dessins  marqués  a  tx.  b  dans  l'exemple  précédent  (premières  et 
dernières  notes  du  Thème). 

Dans  la  V'=  Variation,  la  mélodieinitiale  se  volatilise, pourainsidire,  en 
dessins  diatoniques  d'une  extrême  ténuité  (i)  ;  tout  se  termine  par  une 
calme  conclusion  faite  presque  exclusivement  des  trois  notes  du  dessin  b. 

Andante  du  XIV«  Quatuor,  op.  i3i  (1826).—  Les  sept  Variations  de 
ce  Thème,  en  la,  tendent,  comme  les  précédentes,  vers  une  sorte  d'état 
simplifié  plutôt  <:\\jl' amplifié  ;  mais  cette  simplification  porte  ici  sur 
l'harmonie  plutôt  que  sur  la  mélodie  du  Thème  préexposé  : 

Thème,  en  LA,  dialogué  entre  les  deux  violons:  comme  le  Thème  du  XII» 
Quatuor,  celui-ci  est  fait  de  deux  périodes  avec  reprises. 

Var.  I,  purement  décorative  ;  l'intérêt  mélodique  y  est  extrêmement  dissé- 
miné et  perpétuellement  partagé  entre  les  quatre  instruments,  par  frag- 
ments de  quelques  notes,  ce  qui  rend  la  clarté  de  l'exécution  très  difficile 
à  obtenir. 

Var.  II,  plus  vive,  où  se  développe  mélodiquement  un  dessin  provenant  de 
l'un  des  morceaux  précédents  appartenant  à  cette  même  œuvre. 

Var.  III,  phrase  nouvelle,  parente  éloignée  de  l'idée  initiale,  à  peine 
reconnaissable  par  quelques  fonctions  harmoniques,  et  qui  se  développe 
en  imitations. 

Var.  IV  :  ici,  l'harmonie  de  l'exposition  primitive  peut  seule  servir  de  guide, 
pendant  que  des  dessins  diatoniques  expressifs  se  croisent  et  se  répon- 
dent, comme  dans  la  cinquième  Variation  du  XII*  Quatuor. 

Var.  V  :  cette  curieuse  Variation  ne  contient  pas  autre  chose  que  ïharmonie 
du  Thème,  mais  encore  simplifiée  et  parvenue  à  un  état  de  calme  complet. 

C'est  presque  le  silence on  attend  toujours  l'apparition  de  la  mélodie, 

elle  ne  se  produit  jamais  ;  si  parfois  un  timide  dessin  tente  de  se  dégager 
de  cette  teinte  monochrome,  il  se  tait  aussitôt,  ne  laissant  que  l'incerti- 
tude d'avoir  été  entendu.  Cette  simplification  est  d'un  tout  autre  ordre  que 
celle  employée  dans  le  Xlle  Quatuor,  mais  elle  n'est  ni  moins  belle,  ni 
moins  angoissante.  Voici  les  premières  mesures  de  cette  Variation,  sur 
montées  du  Thème,  tel  qu'il  se  présente  dans  l'exposition  : 


Violons 


Variation 
V. 


(i)  On  rencontre  dans  l'Adagio  de  la  I.\«  Symphonie  une  transformation  du  Thème  tout 
à  fait  analogue  a  celle-ci. 


480 


LA  VARIATION 


^^ 


:  f—f  y  pf — F=^ 


Var.  VI  décorative,  et  suivant  agogiquement  la  ligne  de  la  mélodie. 

Var.  VII,  où  les  quatre  instruments  font  entendre  tour  à  tour  une  sor^e  de 
récit  mélodique  très  libre  et  coupé  d'intermèdes  d'orchestre  (1)  :  le  pre- 
mier temps  de  chaque  mesure  suffit  seul  à  rappeler  l'harmonie  primitive, 
et  l'on  ne  peut  s'empêcher  de  penser  au  Thème,  bien  que  les  mélodies 
instrumentales  semblent  n'avoir  plus  aucun  rapport  avec  lui. 

—  Un  court  développement,  tn  VT  [première  modulation  de  la  pièce),  ramène 
bientôt  une  reprise  intégrale  de  la  première  période  du  Thème,  coupée 
encore  par  un  second  développement,  en  FA  [seconde  et  dernière  modula- 
tion) ;  mais  la  charmante  péroraison  du  Thème  initial  reparaît  et  vient 
terminer   le  morceau,  comme  à  regret,  en  quelques  soupirs. 


On  voit  par  ces  exemples  quel  rôle  nouveau  Beethoven  avait  su 
donner  à  la  Variation  devenue,  dans  ses  derniers  Quatuors,  un  élément 
essentiel  de  la  composition,  par  ces  retours  du  Thème  à  un  état  simple 
après  divers  agrandissements,  c'est-à-dire  par  une  sorte  de  «  simplifi- 
cation de  l'amplification  »,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi. 

Dans  ce  nouvel  état,  le  Thème  ne  coïncide  plus  absolument  avec 
le  schème  mélodique  qui  lui  a  donné  naissance  :  il  est  devenu  un 
autre  personnage  issu  du  même  schème,  quelque  chose  comme  les 
segments  correspondants  d'une  même  spirale,  compris  entre  les  mêmes 
génératrices  et  reproduisant  les  mêmes  éléments  de  la  cou?'be  mélodique 
à  une  autre  échelle,  ou  dans  un  autre  module. 

Mais  une  telle  conception  de  la  Variation  amplificatrice  ne  pouvait 
être  comprise  de  la  plupart  des  musiciens  contemporains  de  Beethoven 
ou  immédiatement  postérieurs  à  lui;  et  l'on  ne  trouve  guère  qu'un  seul 
d'entre  eux  qui  se  soit  essayé  dans  ce  genre,  avant  l'avènement  de 
César  Franck. 


(i)  Ce  récit  offre  une  certaine  analogie  avec  ceux  des  chanteurs  dans  \6  quatuorvocal  qui 
termine  le  finale  de  la  IX»  Symphonie. 


LA   VARIATION  AMPLIFICATRICE  481 

ScHUMANN  publia,  en  i-Sl^^.,  les  belles  Etudes  en  forme  de  Variations, 
op.  i3  (i),  qui  nous  ont  servi  de  modèles  dans  la  sfc//o;/  technique  de 
ce  chapitre  (p.  440,  44D  et  446)  ;  la  XP  Variation  appartient  très 
certainement  h  Tordre  de  V amplification  :  c'est  une  mélodie  nouvelle 
provenant  du  Thème  dont  elle  interprète  les  intervalles  primitifs, 
en  les  transposant.  Sans  s'élever  assurément  dans  cette  œuvre  au 
niveau  du  maître  de  Bonn,  Schumann  y  atteint  néanmoins,  par  sa 
seule  et  géniale  intuition,  à  un  degré  de  nobJesse  et  de  charme  dans 
l'expression,  dont  nulle  autre  composition  dans  la  même  forme,  h  son 
époque,  n'avait  gardé  la  moindre  trace. 

César  Franck  devait  venir,  bien  peu  de  temps  après,  renouer  soli- 
dement et  définitivement  le  fil  de  la  tradition  de  Bach  et  de  Beethoven 
en  matière  de  Variation  amplificatrice  :  dès  ses  premières  œuvres,  et  no- 
tamment dans  son  Trio  en /a  5  (1841),  dont  nous  avons  déjà  parlé  ci- 
dessus  (p.  422)  et  qui  sera  analysé  ultérieurement,  on  sent  la  préoc- 
cupation de  varier  les  Thèmes,  par  le  moyen  de  ces  modifications  et 
de  ces  transformations  successives  qui  devaient  aboutir  aux  formes 
cycliques  telles  qu'elles  ont  été  précédemment  étudiées   au  chapitre  v. 

Ce  système  fécond  de  composition,  pressenti  déjà  par  Beethoven 
avant  d'être  instauré  définitivement  par  la  rigoureuse  logique  et  la 
haute  conscience  artistique  du  maitre  français,  participe  nécessaire- 
ment, en  effet,  de  la  Variation,  soit  ornementale,  soit  décorative,  soit 
amplificatrice.  Aussi  n'est-on  pas  surpris  d'en  retrouver  la  trace  en 
maint  passage  d'œuvres  de  Franck  qui  méritent,  à  ce  titre  tout  au 
moins,  d'être  mentionnées  ici. 

On  a  signalé  déjà  (p.  4d3),  dans  la  pièce  d'orgue  intitulée  Prélude, 
Fugue  et  Variation  (1862),  les  ornements  caractéristiques  du  sujet  de  la 
Fugue  :  toute  la  dernière  partie  de  ce  petit  triptyque  n'est  qu'une 
Variation  contrapontique  du  Thè^ie  du  Prélude. 

Dans  le  Prélude,  Aria  et  Finale,  pour  piano  (  1886),  le  Thème  s'expose 
seulement  au  début  de  VAria  et  se  réexpose  immédiatement  après,  avec 
une  Variation  contrapontique  dont  l'agogique  s'accroit  peu  à  peu;  il 
reparaît,  varié  différemment,  dans  le  Finale,  et  le  dessin  du  Prélude 
vient,  vers  la  fin,  se  superposer  à  un  fragment  qui  servait,  dans  VAria, 
d'introduction  et  de  coda  au  Thème  lui-même. 

Le  Prélude,  Choral  et  Fugue  (1884)  offre  aussi  l'emploi  du  même 
procédé  synthétique  cher  à  l'auteur  et  qui  consiste  à  faire  reparaître  le 

(i)  Cette  œuvre,  connue  sous  le  nom  d'Études  symphoniques,  est  dédiée  par  Schumann  à 
son  ami  W  Sierndale  Bennett,  de  Londres  ;  il  en  existe  deux  éditions  originales  distinctes 
qui  diffèrent  par  quelques  détails  d'écriture.  Les  Ltudc*  Ml  et  X  ont  été  supprimées  de  la 
seconde  édition. 

COLKI    DE    CÛHrOSlTlON      —    T.    II,    I.  3' 


48a  LA  VARIATION 

dessin  principal  du  Choral  à  la  fin  de  la  Fugue,  tandis  que  le  sujet 
même  de  cette  Fugue  et  le  rythme  du  Prélude  lui  servent  de  Variation 
contrapontique.  On  a  vu  ci-dessus  (p.  97  et  98)  quelques-unes  des  trans- 
formations successives  de  ce  sujet,  dont  les  notes  initiales  servent  de 
motif  pj'incipal  à  l'œuvre  entière,  au  cours  de  laquelle  il  apparaît,  tantôt 
restreint  comme  dans  le  Prélude,  tantôt  amplifié  comme  au  début  du 
Choral  et  ensuite  dans  la  Fugue,  mais  toujours  j^ar-ié  d'une  manière 
ou  d'une  autre.  Ce  Thème  unique^  revêtant  plusieurs  aspects  divers, 
donne  à  la  composition  entière  un  caractère  éminemment  9'c//^we  par  son 
unité  même  ;  mais  il  procède  aussi  de  la  Variation  et  de  Y  amplification 
par  les  ornements  divers  dont  il  se  revêt  et  par  les  commentaires  musi- 
caux qui  le  complètent. 

Les  Variations  sj'mphoniques  pour  piano  et  orchestre  (i885)  répondent 
à  une  conception  toute  nouvelle  et  déjà  plus  conforme  aux  principes 
beethovéniens:  deux  Thèmes,  variés  d'une  manière  différente,  servent 
ici  à  la  construction  et  se  partagent  tout  l'intérêt  de  cette  pièce  unique 
dont  voici  le  plan  : 

Introduction  assez  longue,  contenant  une  première  exposition  des  deux 
Thèmes  A  et  B,  à  l'état  embryonnaire,  enJaS,  et  une  seconde  exposition 
de  A,  en  la  (incomplète)  et  de  B,  en  ut'i  (complète). 

Exp.  Th.  A,  en  fa  fl,  suivi  de  cinq  Variations  dont  la  quatrième,  en  RÉ,  amplifie 
les  proportions  du  Th.,  et  la  cinquième,  en  F/i  jf,  semble  comme  à  regret 
lui  dire  adieu. 

DÉv.  du  Th.  B. 

Exp.  Th.  B,  en  F.4  5  :  Allegro  construit  en  forme  Sonate  dont  l'exposition 
et  la  réexposition  sont  des  Variations  de  ce  Th.  B,  tandis  qu'une  défor- 
mation du  Th.  A  y  tient  lieu  de  seconde  idée.  La  partie  médiane  {déve- 
loppement en  A//t)-/fÉ  5)  est  une  Variation  àt  B,  amplificatrice  tout  au 
moins  dans  son  expression. 

Les  Trois  Chorals  pour  grand  orgue  (i),  dernière  manifestation 
artistique  du  maître  qui  en  achevait  les  annotations  sur  son  lit  de 
mort,  en  octobre  1890,  doivent  être  considérés,  à  nos  yeux,  comme 
répondant  à  une  conception  encore  plus  haute,  s'il  est  possible,  de  la 
grande  Variation. 

Le  Premier  Choral^  en  mi,  est  construit  de  la  manière  suivante  : 

Exp.  du  Thème  en  sept  périodes,  dont  nous  donnons  ci-contre  les  notes 
initiales  respectives. 

—  On  s'apercevra  aisément  de  la  correspondance  rythmique,  sinon  mélo- 
dique, existant  entre  les  périodes  t  et  3,  2  et  4,  5  et  6,  tandis  que  la 
7e  période  reste  isolée  de  cette  riche  exposition,  comme  une  conclusion 
ou  une  simple  coda  : 


(i)  Ces  Trois  Chorals  sont    dédiés   à    Alexandre  Guilmant,  Théodore  Dubois  et  Eugène 
(îigout,  bien  que  les  dédicaces  aient  été  changées  dam  l'édition  jjosthume. 


LA  VARIATION  AMPLIFICATRICE 


483 


ra(fi-uce    l) 


y»-  p.T.ud. 


¥r^=FF^r-tiîf^=f 


rndone  (t') 


3**  pêriod.-    r/jk-ff* 


t/r. 


cadence  A'I) 


^-ô  jî  iij*— 1 TT '■'"^f^  k  1  L  ^'v 


(ideiuf    l> 


6*^  ft-nod 


-^îi. 


'f 


:m-=y^-'- 


cadence    T. 


1'  période 
(conclusion) 


mioiJ 


ç 


»'/.• 


ciidfiicr    7. 


Vjr.  I  :  seules,  les  périodes  impaires  (i,  3,  5)  sont  traitées  décorative- 
ment,  tandis  que  la  7c  continue  à  jouer,  sans  changement,  le  rôle  de 
conclusion 

Var.  Il  :  après  un  intermède  majestueux,  les  périodes  i  et  4  reparaissent 
privées  de  leurs  correspondantes  (3  et  2),  mais  notablement  amplifiées  et 
amenant  peu  à  peu  le  ton  plus  sombre  de  sol,  sans  conclure. 

Var.  III  :  la  7e  période  commence  à  se  mouvoir  dans  cet^e  obscurité  tonale 
où  elle  a  été  reléguée;  elle  qui  semblait  jusqu'alors  la  servante  des  autres 
devient  maintenant  le  personnage  principal  :  tandis  que  les  dessins  des 
premières  périodes  passent  au  second  plan  et  ne  se  reproduisent  plus  qu'à 
l'état  d'ornements,  elle  sortgraduellementde  l'ombre,  par  sol,  si  ^,  ut  S,  /"jîT 
pour  éclater  enfin  triomphalement  dans  le  ton  principal,  ni,  attirant,"  et 
retenant  sur  elle  tout  l'intérêt  musical  de  cette  belle  péroraison  (i). 


(1)  Franck  disair,  en  parlant  de  cette  œuvre  :  «  Pendant  toute  la  pièce,  le  Choral  se  fait.  » 


4  84  LA  VARIATION 

Dans  le  Deuxième  Choral,  en  5/,  le  système  de  Variation  employé  est 
très  différent  :  les  deux  Thèmes  constitutifs,  bien  que  totalement  étran- 
gers l'un  à  l'autre  au  point  de  vue  mélodique,  sont  destinés  à  se  com- 
pléter mutuellement,  comme  on  va  le  voir  par  le  plan  de  l'œuvre  ainsi 
disposé  : 

I.  Exp.  Th.  A,  en  si.  Ce  Thème,  en  deux  périodes,  est  exposé  à  quatre 
reprises  différentes  dans  le  style  varié  de  la  Passacaille  :  les  Irois 
premières  fois,  il  va  de  la  T.  à  la  D.,  et  la  quatrième  de  la  SD. 
à  la  T. 

II.  Var.  I.  Th.  B,  amplification  de  A  exposée    en   trois  phrases  : 

—  —     i»,  allant  de  5/ à /?£; 

—  —     b" .,  modulant  ; 

—  —     b'",  établi  en  SI. 

—  Intermède  récitatif. 

Var.  II.  Th.  A  :  exposition  de  fugue,  en  50/,  modulant  vers  ?»/ 1?. 

III.  Exp.  Th.  B,  en  trois  phrases  : 

—  —     b' ,  avec  le  Th.  A  exposé  à  la  pédale,  en  mi  ?  puis  en  fa  S. 

—  Intermède  développé. 

—  —    b",  sur  pédale  de  D- 

—  Th.  A,  en  si. 

—  —     b'",en  SI,  concluant. 

Quant  au  Tt^oisième  Choral,  en  la,  il  est  de  forme  Lied  et  ne  rentre 
dans  le  cadre  de  la  Variation  que  par  l'admirable  emploi  de  Voî^nemen- 
tation  mélodique  qu'on  y  rencontre  dans  la  section  centrale. 

Sous  cette  impulsion  nouvelle  donnée  par  le  maître  de  l'École  Sym- 
phonique  Française,  plusieurs  autres  tentatives  ont  été  faites  dans 
le  domaine  de  la  Variation  amplificatrice,  encore  trop  peu  exploré  à 
notre  avis.  On  voudra  bien  excuser  l'auteur  du  présent  Cours  s'il  a  cru 
devoir  réserver  ici  une  place  à  l'analyse  d'une  de  ses  œuvres,  en  raison 
de  l'essai  qu'elle  contient  d'une  disposition  nouvelle  de  la  Variation, 
suggérée  par  le  >ujet  même  du  po^me  commenté  musicalement. 

Vincent  d'Indy  :  Istar  (i).  Variations  symphoniques,  op.  42  (1896). 
Dans  ces  sept  Variations,  l'auteur  a  voulu  procéder  du  complexe  au 
simple,  en  faisant  naître  la  mélodie  (le  Thème  principal)  peu  à  peu, 
comme  si  elle  sortait  d'une  harmonie  spéciale  exposée  dans  la  I""' Varia- 
tion. Ainsi,  le  Thème  se  dépouille  successivement  de  tous  les  orne- 


(i)  Le  sujet  à  Istar  est  tiré  du  Chant  VI  de  l'épopée  assyrienne  SI:{dubar:  «  Pour  obtenir 
la  délivrance  de  son  aman;  captif  aux  Enfcfs,  la  déesse  Istar  doit  se  dévêtir  de  l'une  de  ses 
parures  ou  de  l'un  de  ses  vdicinents  à  chacune  des  sept  portas  du  sombre  séjour,  puis  elle 
franchit,  triomphalement  nue.  la  septième  porte...  » 

Cette  composition  appartient  évidemment  à  la  catégorie  du  Poème  Symphnnique  qui  sera 
étudiée  ultérieurement,  mais  elle  est  spécialement  basée  sur  la  Variation  :  c'est  pourquoi 
nous  avons  jugé  préférable  de  la  citer  ici. 


LA   VARIATION  AMPLIKICA  I  RICE 


4B5 


ments  qui  le  voilaient,  et  n'apparaîtra  à  l'état  simple qu'h  In  conclusion 
de  l'œuvre,  dans  un  unisson  de  tout  l'orchestre. 

Trois  éléments  thématiques  servent  à  la  construction  de  cette  pièce: 

i"  Thème  principal^  en  fa  ; 


ce  Thème  est  une  plirasc-//t'ty  dont  la  période  médiane  contient  une 
modulation  caractéristique  au  demi-ton  supérieur  (fa  à  SOL  -,  \  destinée 
à  être  reproduite  dans  toutes  les  Variations  et  à  servir  de  point  de 
repère  à  l'auditeur. 

2"  Motif  d'appel,  formé  des  trois  premières  notes  du  Thème  précé- 
dent et  destiné  à  séparer  l'une  de  l'autre  chacune  des  Variations  : 


M 


?"  Thème  accessoire  en  forme  de  Marche 


Les  sept  Variations  forment  sept  parties  distinctes,  séparées  par  le 
vtotif  d'appel  et  complétées  par  l'exposition  finale  du  Thème  principal, 
à  l'état  purement  monodique  : 

I.  Appel  et  Marche,  en  fa. 

—  Var.  I,  en  Fa,  consistant  uniquement  en  l'expose   harmonique  du  Thème 

principal,  sans  que  celui-ci  y  paraisse   mélodiquemcnt  exprime. 

—  Marche,  en  fa. 

II.  Appel  et    Var.  ii,  en  i//  ;  amplification  des  harmonies  du  Thème  par  une 

phrase  mélodique  issue  de  celles-ci. 

—  Marche,  en   mi,  suivie  d'un  court  développement. 

m.  Appel  et  Var.  m,  en  sit),  par  le  motif  amplifié  de  Vappel,  sur  les  harmo- 
nies du  Thème. 

IV.  \'ar.  IV,  en  FAZ-SOL:t,  sur  le  motif"  de  Vappel. 

—  Marche,  en  /ci  3,  développant  un  nouveau  rythme  et  modulant. 

V.  .Appel  et  ]'ar.   v,   en  ut  :   le     Thème    commence    à    se    préciser  melodi- 

quement. 

—  .\f arche,  en    VT  (c'est-à-dire  à  la   dominante   du  ton    principal,  formant 

maintenant  une  phrase  complète    de    trois  périodes. 

VI.  Appi't  et  Var.  vi,  en  LA  :\  Thème  encore  orne,  mais  plus    simple  et  pré- 

sente à  quatre  parties. 


480  LA  VARIATION 

VII.  Appel,  devenant  mélodique,  et    Var.  vu,  en  ré.  Thème  en  rythme  sac- 
cadé, présenté  à  deux  parties  seulement. 

—  Appel  et  Thè.me  tout  à    fait  siviplifié,  en  FA,  à  l'unisson,  formant  phrase 

complète  en  trois  périodes. 

—  Marche,  en  FA,  formant  la  conclusion  de  l'oeuvre. 

Chacune  de  ces  sep/ Variations  est  dans  une  tonalité  voisine  de  celle 
de  /cl,  et  l'ordre  de  Ces  tonalités  procède  par  modulations  à  la  sixième 
quinte  (quarte  augmentée),  afin  que  tout  se  rapporte  au  principal  per- 
sonnage, sans  changements  trop  brusques  accusant  un  excès  d'ombre 
ou  de  lumière:  ces  modulations,  en  effet,  comme  on  l'a  vu  ci-dessus, 
(p.  258),  sont  neutres. 

La  Sonate  pour- piano,  en  mi,  précédemment  analysée  (p.  429  et  suiv.), 
contient  aussi  une  application  de  la  Variation.  Le  Thème  cyclique  prin- 
cipal qui  circule  dans  les  trois  mouvements  est  varié  quatre  fois  dans 
le  mouvement  initial  avec   plusieurs  amplifications. 

Paul  Dukas  (i)  s'est  servi  également  de  V amplification  becthovc- 
nienne  dans  une  œuvne  de  haute  valeur  intitulée  Variations,  Interlude 
et  Finale  pour  piano,  sur  un  Thème  de  J.-Ph.  Rameau  (2)  :  on^e 
Variations  commentent  diversement  le  Thème  ;  puis,  après  un  épi- 
sode largement  développé  oij  s'esquissent  les  éléments  principaux  de 
la  XII'  Variation,  celle-ci,  formant  le  Finale,  s'expose  en  un  style 
sain  et  plein  d'allégresse,  pour  aboutir,  comme  en  une  sorte  d'apo- 
théose, au  Thème  de  Rameau  que  Ton  dirait  ici  «  agrandi  au  module 
du  monument»  dont  il  vient  de  fournir  le  «  sujet  décoratif».  Cette 
œuvre  est  une  véritable  synthèse  des  trois  moyens  de  la  Variation  : 
ornement,  décoration,  amplification. 

Ainsi,  par  César  Franck  et  son  école,  c'est  en  France  que  s'est  con- 
servée, à  peu  près  exclusivement  aujourd'hui,  la  tradition  beethové- 
nienne,  en  matière  de  Variation.  Sans  doute,  cette  forme  de  composi- 
tion appelée,  croyons-nous,  à  un  très  grand  avenir,  ne  peut,  dans  bien 
des  cas,  être  examinée  séparément,  tant  elle  demeure  intimement  liée 
aux  transformations  thématiques  qui  servent  de  base  aux  construc- 
tions cycliques  étudiées  au  précédent  chapitre  :  le  rappel  des  motifs 
conducteurs  qui  apparaissent  dans  l'œuvre  de  R.  Wagner  à  partir  de 
Tannhàuser  et  de  Lo//e;/i,'-r/«  (1845- 1847),  certaines  dispositions  em- 
ployées par  Liszt  dans  Tasso  (1849),  dans  ^'à.  Faust-Symphonie  ei  dans 
la  pièce  pour  piano  intitulée  Sonate  (i853)(3)  pourraient  aussi  bien  être 
qualifiés  de   Variations.  Mais   ces  applications,  d'ailleurs  postérieures 

(i)  Voir  au    chapitre  v  (p.  43i). 

(î)  Ce  Thème    appartient   à  la  quatrième  Suite  de   Pièces  pour   Clavecin  dont  il   a    été 
question  au  chap.  ii,  p.   143. 
(3)  On  a  vu  ci-dessus  (p.  4^2  eu  note)  que  cette  oeuvre  n'a  de  la  Sonate  que  le  titre. 


I.A   VARIATION  AMPI.inCATKICK  4«7 

en  date  au  7V/fy,  en  fa  %,  de  César  Franck  cité  ci-dessus  (p.  422)  necons- 
tituent  point  des  formes  séparées...  ni  même  séparables:  c'est  pourquoi 
nous  ne  les  citons  ici  que  pour  mémoire,  nous  réservant  d'y  revenir, 
s'il  y  a  lieu,  dans  la  suite  de  ce  Cours. 

Quelques  compositeurs  allemands  contemporains  se  sont  essayés 
aussi  dans  le  genre  de  la  V^ariation  ;  mais  il  faut  bien  convenir  que  les 
symphonistes  actuels  d'Outre-Rhin  semblent  totalement  inaptes  à 
fane  grand  :  ils  se  contentent  de  faire  gros,  ce  qui  n'est  pas  tout  à 
fait  équivalent.  Dans  certaines  œuvres,  comme  le  Don  Quixolc  de 
Richard  Strauss,  l'élément  dramatique  et  pittoresque  domine  trop 
pour  que  la  Variation  se  perçoive  nettement  ;  dans  d'autres,  comme 
les  Variations  pour  orchestre  sur  un  Thème  d'Ad.  Hiller,  par  Max 
Reger,  la  lourdeur  germanique  de  la  conception  n'a  d'égale  que  la 
pauvreté  des  matériaux  musicaux  «  amplifiés  ».  Absence  totale  de  goût 
artistique,  méconnaissance  de  toute  proportion  et  de  tout  ordre  tonal, 
il  n'en  faut  pas  tant  pour  faire  apprécier  au  lecteur  l'immense  dis- 
tance à  laquelle  se  trouvent  fatalement  reléguées  de  telles  productions, 
par  rapport  à  des  oeuvres  symphoniques  comme  le  Quintette,  en  /ci,  la 
Symphonie,  en  ré,  ci  le  merveilleux  Quatuor  à  cordes,  en  RÉ,  de  César 
Franck,  qui  seront  examinées  dans  la  Seconde  Partie  du  présent  Livre, 
sans  oublier  la  Sonate  pour  violon,  en  la,  déjà  analysée  par  nous 
(p.  423  et  suiv.)  comme  modèle  accompli  de  la  forme  cyclique.  Entre  ce 
dernier  mode  de  construction  et  la  Variation,  il  y  a  de  telles  affinités 
qu'une  délimitation  respective  n'est  guère  possible  :  le  Thème  cyclique 
qui  se  transforme  est  véritablement  varié  ou  même  amplijié  :  la  Varia- 
tion qui  circule  dans  les  pièces  constitutives  d'une  œuvre  a,  par  cela 
même,  une  fonction  cj-clique. 

D'ailleurs,  la  plupart  des  études  spéciales  que  nous  venons  de  faire 
ici  s'appliquent  aussi  aux  autres  Formes  Symphoniques  réservées  par 
nous  pour  la  Seconde  Partie  de  ce  Livre  :  cette  subdivision  en  deux 
parties,  dont  on  conçoit  la  nécessité  par  le  développement  déjà  considé- 
rable du  présent  volume,  est  donc  assez  artificielle,  car  les  formes 
instrumentales  et  orchestrales  ne  ditVèrent  pas  essentiellement,  comme 
construction,  des  formes  Fugue,  Suite,  Sonate  et  Variation  qui  ont 
fait  l'objet   de    cette   Première  Partie  de  notre  Deuxième  Livre. 

Et  notre  Troisième  Livre  lui-même,  consacré  aux  Formes  Drama 
tiques^  se  référera  souvent,  à  propos  du  Leil-Motir,  a  ce  qui  vient  détrc 
exposé  au  sujet  des    Thèmes    cycliques  et  do  la    Variation. 

Tant  il  est  vrai  que  tout  se  tient,  même  dans  un  Cours  diî  Compo- 
sition   MUSICAI.l-:. 

FIN    Dli    LA    PRIiMltRl-     PARTIE  DU    I>t:UXIl:;ML;   LIVRE. 


APPENDICE 

INDICATION  DU  TKAVAIL  PRATIQUE  DE  L'ÉLÈVE 

Fugue.  —  Suite.  —  Sonate.  —  Variation. 


La  Fugue. 

Chapitre  I, 

L'élève  qui  entreprend  l'étude  de  ce  Deuxième  Livre  doit  avoir 
accompli  d'une  manière  satisfaisante,  sinon  tous  les  travaux  indiqués 
dans  V Appendice  du  Premier  Livre,  du  moins  les  principaux:  Analyses 
rythmiques,  mélodiques  et  harmoniques  ;  Analyses  de  Motets  et  de  Madri- 
gaux ;  Composition  d'une  œuvre  roct7/e  dans  le  style  des  pol3'phonies. 
Il  connaît  donc  à  fond  les  usages  du  Contrepoint  mélodique  à  trois 
et  quatre  parties,  et  s'est  exercé  à  écrire  quelques  Chorals  variés  ; 
il  peut  aborder  dès  lors  l'étude  de  la  Fugue  et  devra  réaliser,  par 
écrite  les  travaux  suivants  : 

1°  Canon.  —  Renversement  d'un  thème  donné,  par  inversion  propre- 
ment dite  et  par  mouvement  contraire  simple  ;  modifications  diverses 
appliquées  à  ce  thème  {mouvement  rétrograde,  augmentation,  diminu- 
tion, etc.).  —  Résolution  de  Cano)is  de  diverses  espèces  dont  V  antécédent 
seul  est  proposé. — Composition  de  Ca>70«5  appartenant  aux  diverses 
espèces,    toujours  réalisés    d'une    manière    musicale  et  expressive. 

2"  Fugue.  —  Analyse  et  remise  en  partition  de  Fugues  données.  — 
Recherche  de  la  réponse  h  un  sujet  donné,  dans  les  deux  modes,  avec 
étude  des  mutations.  —  Construction  d'un  contresujet  rigoureux  sur 
un  su/et  déterminé.  —  Exercices  sur  les  épisodes  ei  \cs  strettes.  —  Réa- 
lisation intégrale  d'une  Fugue  rigoureuse  à  quatre  voix.,  sur  un  sujet 
donné.,  avec  tous  les  éléments  qu'elle  comporte,  dans  l'ordre  tradi- 
tionnel qui  est  résumé  ci-après,  pour  le  cas  d'un  sujet  donné  en  ut  : 


490  APPENDICE 


PLAN    D  UNE    FUOrE    SCOLASTIQUE    EN    UT 

1.  Exposition  principale  par  quatre  entrées  (i,  ii,  m,  iv)  ainsi  disposées  : 

—  I     :  a)sujet[UT). — b)  contresujet  [SOL).  —  c)  partie  libre.         — i)  partie  libre. 

—  II  :  .     .     .     .     .  —  a)  réponse    [SOL).    — b)  contresujet [ur].— c)^aï\\Q  libre. 

—  in: —  a)  sujet  [UT).  —b) contre sujet[SOL) 

—  IV  :  .     .     ; — a)répoyise  [SOL). 

Episode  assez  court  orienté  vers  la  D.  (SOL). 

2.  Contre-Exposition,  par  deux  entrées  (i,  ii) 

—  i:a)  réponse  [SOL)  à  l'une  quelconque  des  parties  ; 

b)  contresujet  (SOL)  entendu  simultanément  dans  une  autre  partie  ; 

c)  et  d)  parties  libres  ; 

—  II  :  a)  sujet  [UT)  à  l'une  des  parties  libres  de  l'entrée  précédente  ; 

b)  contresujet  [UT)  entendu  simultanément 

c)  et  d)  parties  libres. 

Episode  un  peu   plus  long  et  plus  intéressant  que  le  précèdent  et  en  marche  vers 
le  Relatif  mineur  [la). 

3.  Exposition  au  Relatif,  par  deux  entrées  (i,  ii)  • 

—  i  :  a)  sujet  (imite  en  la).  —  b)  contresujet  [Lj].  —  c)  et  d)  parties  libres. 

—  n  :  a)  réponse  (imitée  en  mi).  —  b)  contresujet  [mij. —  c)  et  d}  parties  libres. 
Episode  plus  imporiant  et  pouvant  moduler  à  des  tons  voisins. 

4.  Exposition  à  la  Sous-Dominante,   par  une  seule  entrée  (sans  réponse): 

—  1  :  a)  sujet  (FA).  — b]  contresujet  {Fa). —  c)  etd)  parties  libres. 

5.  Exposition  au  Relatif  delà  Sous-Dominante, p&r  une  seule  entrée  [sans  réponse): 

—  i  :  a)  sujet  (imité  en  ré).  —  b)  contresujet  {ré).  —  c)  et  d)  parties  libres. 
Episode  principal,  dans  lequel  on  doit  rechercher  et  appliquer  toutes  les  combi- 
naisons possibles  (mouvement  inverse  ou  rétrograde,  augmentation,  dimi- 
nution, etc.),  transformant  le  sujet,  la  réponse  ou  le  contresujet  et  se 
superposant  les  unes  aux  autres.  Éviter  toutefois  de  traiter  les  premières 
notes   dites  tête  du  sujet,  que    l'on   réservera  pour  les  Strettes. 

—  Tout  cet  épisode  doit  être  modulant  et  assez  longuement  traité. 

G.  Pédale  de  Dominante,  assez  courte,  sur  laquelle  sont  disposés  des  éléments 
du  sujet,  de  la  réponse  ou  du  contresujet,  soit  à  l'état  direct,  soit  trans- 
formés. 

7.  Strettks  que  l'on  peut  subdiviser  ainsi  : 

—  Stretle  la  plus  éloignée  par   quatre  entrées    (i,  11,  m,  iv)  disposées  comme 

VExposition  principale  avec  arrêt  des  autres  parties. 
Episode  court,  écrit  en  strette  également  et  aboutissant  à  un  repos  modulant. 

—  Strettes  de  plus  en  plus  rapprochées,  sur  la  réponse,  le  contresujet  et  toutes 

les  dispositions  réalisables,  par  deux  entrées  seulement  (i,  11). 
Épisodes  corrélatifs  assez  courts,  alternant  avec  les  entrées  de  chaque  Strette 
possible,  et  traitant  surtout  la  tête  du  sujet  qu'on  a  réservée  à  cet  effet. 

—  Strettes  canoniques  (ou    Canons    du  sujet,  de   la    réponse,  etc.),    pai  quatre 

entrées  d'abord  (i,  11,  ni,  iv   s'il  y  a  lieu,  et  enchaînées  par  un  court  déve- 
uppement  à  la  conclusion. 
Fédjlc  de  Tonique,  assez  courte  et  formant  la  conclusion  de  la  Eugue. 


APPENDICE  -t^i 

Lorsque  l'élève  sera  sullisaniiiicni  assoupli  par  les  entraves  un  peu 
scolastiques  du  jo/j;;  ci-contre  qu'il  devra  appliquer  de  la  manière  à  la 
fois  la  plus  rigoureuse  et  la  plus  musicale  possible,  on  lui  demandera 
la  composition  de  Fufiues  Uhrc.':  sur  des  sujets  choisis  ou  élaborés  par 
lui-même,  dans  le  style  de  l'orgue  ou  du  piano,  avec  adjonction  facul- 
tative de  Préludes^  de  Canons,  ou  de  toute  autre  combinaison  traitée 
exclusivement  au  point  de  vue  musical  et  expressif.  Nous  ne  consi- 
dérons point,  en  effet,  la  Fugue  comme  une  étude  pédagogique,  analogue 
à  celle  du  Solfège  ou  de  Y Harmojiie,  mais  comme  une /orme  décompo- 
sition musicale  qui  peut  et  doit  être  tout  aussi  artistique  qu'un  Motet 
ou  une  Sonate. 


La  Suite. 

Chapilre   IL 

L'élève  devant  être  familiarisé  avec  toutes  les  ditlicultés  de  Vécrilurc 
musicale  à  plusieurs  parties,  s'occupera  surtout  désormais  de  la 
construction  tonale  et  de  la  cotnpositioji  proprement  dite  ;  ses  travaux 
se  borneront  donc  à  ceux-ci  : 

1°  Analyse  de  quelques  Suites  instrumentales  italiennes,  françaises 
ou  allemandes. 

2°  Composition  d'une  pièce  musicale  déforme  binaire,  sans  retour 
au  dessin  initiai 

3°  Composition  d'une  Suite  libre  de  pièces  appartenant  à  chacun  des 
quatre  types  [S.  L.  M.  R.)  avec  adaptation  de  cette  forme  aux  res- 
sources harmoniques,  contrapontiqucs  et  rythmiques  de  la  musique 
contemporaine,  s'il  y  a  lieu. 

La    Sonatk. 

Chapitres  III,  IV  et  V. 

1°  Analvses  et  études  compaiccs  de  morceaux  de  Sonates  apparte- 
nant à  diverses  époques  et  à  chacun  des  quatre  types     S.  L.  M.  K). 

2"  Composition  d'idées  musicales  complètes,  présentant  les  caracté- 
ristiques spéciales  à  chacun  de  ces  i/wa/re  trpes  (idées  masculines,  id^^:^ 
féminines  ;  thèmes  de  Lied,  de  Scher'{0,  de  Rondeau,  etc.). 

3°  Exercices  divers  sur  les  développements,  en  état  de  marche  ou  de 
repos  :  analyses  et  études  comparées  des  modulations  dans  certains 
développements  donnés  ;  Yé[\\Wc[X\oz\  de  modulations  par  divers  moyens, 
entre  des    tonalités    données. 


49»  '^  APPENDICE 

La  Variation. 

Chapitre    VI. 

i"  Analyse  de  mélodies  données,  avec  recherche  des  éléments  inva- 
viables  du  Thème  et  des  formules  ornementales  variables. 
2"  Réduction  d'une  Variation  donnée  à  son  Thème. 
3"  Variation  et  amplification   d'un  Thème  donné. 

Enfin,  l'ensemble  des  connaissances  acquises  dans  la  Première 
Partie  de  ce  Deuxième  Livre  devra  aboutir  à  la  composition  d'une 
œuvre  instrumentale  (mais  non  orchestrale),  souiTiise  aux  lois  générales 
de  construction  delà  Sonate,  avec  emploi  obligé  de  la.  transformation 
cyclique  et  de  la  variation  des  idées  musicales  créées  par  l'élève. 


FIN    DE    L  APPENDICE. 


TABLE  DES  COMPOSITEURS 

MUSIQUE    SYMPHONIQUE 

APPARTENANT  A  LA  TROISIÈME  EPOQUE  DE  L'HISTOIRE  MUSICALE. 
i:t  cités  dans  lb  pkesent  voi.u.mk  d} 


Abaco   vdall'),   p.    129. 
Abel,  p.  143. 
Alberti,  p.  206. 

Albrechtsberger,  p.  6s,  ^4,  32.4. 
Angleberl  td'),  p.  75. 


Bach  (Généalogie  des),  p.    77. 

Bach  (Ch.-Ph  -Emm.),  p.  83,  87,  130, 
141 ,  1 59,  et  suiv.,  188,  193  à  205,  206 
et  suiv.,  215,  217,  221,  222,  261, 
265,  279.  303.  324,  327,  356,  392  et 
460. 

Bach  (FriedemaDn),  p.  85  et  190 

Bach 'Jean-Chrétien),  p.  205. 

Bach  (Jean-Sébastien),  p.  23  et  suiv., 
30  et  suiv..  65,67,69,  7j  et  suiv., 
76  393,94,  106,  117  et  suiv.,  124, 
128,  133.  137,  138.  141.  145,  147  à 
ISO,  158,  166,  181,  186,188,  189  a 
193,  205,  219,  222,  225,  261,  325, 
360,  392,  406,  107,  420,  436,  441, 
442.  447,  450,454,  457  et  suiv., 460, 
461,467,  468  à  473,  et  4.S1. 


Bailly  (de),  p.  4^9. 

Banchieri,  p.  6X    voir  aussi  l*"""  liv.). 

Barberis  (de),  p.  121. 

Bassani,  p.  178  et   179. 

Becker,  p.   143  et  185. 

Beethoven,  p.  9,  11,  85,93,  95  et  «uiv  , 
118,  133,  165,  172,  176,  196,  197, 
207,  211,213,  219  et  suiv.,  231  à 
323,  324  à  394,  379,  380,388  et  suiv., 
392.  393,  396  et  suiv.,  403.  406,  407, 
412,  414,417.420  et  suiv.,  433,  447, 
450,  452,  462  et  suiv.,  468,  473  à 
480,  et  481. 

Benda,  p.   205 

Biber  .von), p.    143. 

Biow,  p.    124. 

Bœhm.  p.  7X  et  .|68. 

Bononcini,  p     127. 

lîrahms,  p.  415  ;i  iiX  (2),  422.  424. 
427  et  465. 

Bull,   p.    124. 

Buttstedt.  p.  76 

Bu.xtchudc  p.  73,  7^  et  suiv  .  360.450 
et  .\ài>. 

Byrd.  p.   71.72,1    4  et  461. 


^l)  Les  musiciens  dont  les  noms  sont  préccdés  d'un  astérisque  (*)  n'appartiennent  pa.';  .1  la 
Troisième  fclpoque  et  ne  figurent  ici  qu'à   titre  de  ptécurseui s. 

Pour  les  auteurs  dont  le  nom  revient  plusieurs  fois,  le  numéro  imprimé  en  caractères 
gras  indique  la  page  où  se  trouvent  les  renseignements  biographiques  principaux 

(i)  Les  exemples  musicaux  des  p.  41(1,  417  et  qiS.  extraits  de  la  pieu. 1ère  et  de  la  irni- 
sième  Sonate  de  Brahms,  ont  ctc  publiés  avec  1  autorisation  de  M.  .Max  Lschig,  seul  leprc- 
sentani  à  Fans  de  N.  Siir.rock,  éd.teur  à  iierlin. 


494 


TABLE  DES  COMPOSITEURS  DE  MUSIOUK  SYMIMIONIQUE 


Cabezon  (de),  p.    67. 
Canali,  p     123. 
Caravaggio  (da),  p.    123. 
Castillon  (de),  p.    151    et  427. 
Chambonnières    de),  p.    136. 
Chopin,  p.  125,  407  à  410,452  etsuiv., 

464. 
Clementi,  p    392  et  395. 
Clérembault,  p  75. 
Corelli,  p.  80,    124.  127,  133,  143,  158, 

166,   170,  177,  179  à   181,   183,   225, 

22S,  286, 320  et  347. 
Couperin  (Généalogie  des),  p.  13S. 
Couperin  deCrouilly,  p.  75. 
Couperin  le  Grand,  p.  75,  79,  99,  114 

et  su iv.,  1 19,  123,  136,  137  à  1 40,  141, 

148  et  173. 
Cramer,  p.  392  et  395. 
Czerny,  p.  464  et  465. 


Dandrieu,  p.  140. 
Debussy,  p.  457. 
Destouches,  p.  459. 
Diabelli,  p.  96,  464,  474  et  475. 
Dukas,  p.  431  à  433  et  486. 
Dussek,  p.  392,  393  à  395,  396,  444  et 
464. 


Eberl,  p.   464. 
Eberlin,  p.  94. 


Fauré,p.  99  et  428. 

Field    p.  397. 

Franck,  p.  .1,  31.  39,  65,  81,  85,  93,  96 
à  99, 118,  150, 178, 235, 237.  261,262, 
266,  373,  375,  380  et  suiv.,  386  et 
suiv.,    418,  422  à  426   (i),   427    et 


suiv..  433.   447,455,   456,  468.480, 

481  à  484,  486  et  487. 
Frescobaldi,  p.  69,70,73,  75,  78,  125, 

128,  450  et  457. 
Froberger,  p.  73. 
Fux,  p.  76  ei  187. 

G 

Gabrieli  (A.),  p.  68,  i22et  143  fv.  aussi 

P^  liv.). 
Gabrieli    (G.),   p.   68  et  122    (v.    aussi 

I"'  liv.). 
Galuppi,  p   184. 
Gelinek,  p.  464. 
Geminiani,  p.  181 . 
Gervaize,  p.  120  et  261. 
Gibbons,  p.  124. 
Graupner,  p.  189. 
Grieg,  p.  419  à  421  (2). 
Grigny  (de),  p.  75. 


H 


Haendel,  p.  128,  129,  146,  147,  1S7, 
189  et  461 . 

Haessler,  p.  205  et  206. 

Haydn  fj  ),p.  167  et  suiv.,  198,  206  à 
216,  217,  219,  257,  261,  265,  279, 
289,  322,  324,  327  et  suiv.,  336,344, 
366,  369,373'  392,  394.  397  et  suiv., 
407,450,  451,  461  et473. 

Heinichen,  p.  187. 

Henseit  (von),  p   464. 

Hummel,  p.  208,  396  et  suiv. 


Indy  (d'),  p.  428  à  431,  484  et  485. 


*  Janequin,  p.  121   (voir  aussi  I^''liv.). 
"  Josquin  Deprés,   p.  497     (voir   aussi 
I^Miv.). 


(i)  Les  exeni|Mes   musicaux  extraits,  de  la    Sonate  pour    piano  et    violon    de   C.    Franck. 
(p.  237,  423,424,  42b  et  426),  de  son  Quintette  (p.  38i  et  'Hi]  et  de  sa  Symphonie  (p.  455 
et  456)  ont  été  publiés  avec  l'autorisation  de  la  maison  Mamelle,  éditeur  à  Paris. 

(2)  Les  exemples  mu&icaux  des  p.  419  et    420,    extraits  de  la  Sonate  pour  violoncelle  de 
Grieg,  ont  été  publiés  avec  l'autorisation  de  la  maison  Peters,  éditeur  à  Leipzig. 


TABLK  DES  CO.MPOSITKURS 
K 

Kalkbrenner.  p.   397ct.t64. 
Keiser,    p.    187. 
Krieger,  p.  76  et  187. 
Kùhiau,  p.  46 1. 

Kuhnau,   p.   65,    78,    143,    144  à    146. 
M7f  153»  >85  et  suiv 


Lachner,  p.  1 50. 

*  Lassus  (de),  p.  467  (v,  aussi  I*"''  liv.l. 

Lambert,  p.  459. 

Leclair,  p.  142. 

Legrenzi,  p.  41,  80,  125,  172,  178,  228 

et  320. 
Liszt,  p  404.  407,  410,  4J2,  4S2  et  486. 
Locatelli   p.  142,   183  et  190. 

M 

Marchand,  p.  75. 

Marini,  p    125. 

Marpurg,  p.  94,  153,  157  et  302. 

Maschera   p.  122  et   138. 

Massenet,  p.  150 

Mattheson,  p.    30,31,    71,   76,82,  90, 

96,  146,  186  à  188. 
Mendelssohn,  96,    99,    230,    329,   3S9, 

406.  452  et  46 V 
Milano   da),  p.  121 . 
Moscheles,  p.  398,  412  et  \6^. 
Mozart  ^Léopold;,  p.  20s- 
Mozart  (W. -A.),  94,  99,    133,141,    172 

et  suiv.,    196,   202,  206,  211,   216  à 

219,  261,  265,  279,  312,  327  et  suiv.. 

3Î9.  373»  392.  398,  450,  4<J2  et  473. 
Muffat,  p.  73. 


N 


Na.'-dini,  p.  184. 
Neefe,  p.  324. 


Pachelbel,  p.  74,  76,   78,   79,   128,450 

e;  468 
•Palestrina,   p.  449  et  467    (v.   aussi 

1-^  liv.). 
Paradisi,  p  206  et  392. 


DE  MUSIOUR  SYMPIIONIQLE  ^'^5 

Pasquini,  p.  70,  71  et  126. 
Pescetti,  p    1 33  et  183. 
Pixis,   p.  464. 
Pugnani,  p.  184. 
Purcell,  p.  144. 


Raff,  p.  414. 

Rameau,  p.    19,   53,  99.  112  et  suiv., 

119,    139,  140  à  I  |2,   19S,    261,  402, 

407.   459,  460,  461  et  -|86  (v.  aussi 

I""-  liv.). 
Rebel,  p.  137. 
Reger(M.),  p.  487. 
Reinecke,  p.   414  et  415. 
Reinken,  p    78. 
Ries,  p.  344,  350,  363  ei  397. 
Ritter,  p.  187. 
Rossi  (M.),  p.  125. 
Rossi  (S.),  p.  123. 
Rossini,  p.  454. 
Rubinstein,  p    415. 
Rust,  p.  24,  170  et  suîv.,   219  à   230, 

261, 265,  279, 304,  308, 3i9,  320,  327 

et  473. 


Samt-Saëns,  p.  99,   346,  382  et  suiv., 

427  et  465. 
Scarlatti  (D.),  p.  109,  117,  119,   129  à 

136,  139.  iji,   1(2,    197,   206,  261  et 

392. 
Scheidt,  p.  72,  73,  78  et  143. 
Scheiu,  p.    1 17  et  143. 
Schmidt,  p.  187 

Schubert,  p.  397,  402  à  40?  et  4^2. 
Schumann,  p     230,    309,    411    à  414, 

415.  418,420,    422,   439,   440,443, 

444    445,    446.  452.  a(^    et  481. 
*  Schûtz,  p.  467  (v.  aussi  l*"""  liv.  . 
Sechter,  p.  402. 
Senaillié,  p.  142 
Steibelt,  p    392,  395  et  464. 
Strauss  (R.),  p.  487 
Stricker,  p    187 
Sweelinck   p.  69.  72,   7^  et  143. 


l'abourot,  p.  121. 
Tallys,  p    71. 


496 


TABLE  DES  COMPOSITEURS  DE  MUSIQUE  SYMPHONIQUE 


Tartini,  p.  i8i,  182  et  suiv.,  228  et  320 

(v   aussi  \"  liv  ). 
TelemanD,  p.  187  et  188. 
Theile,  p.    187. 
Titelouze,  p.  23  et  74. 
Torelli,  p    128. 


Val  (du),  p.  136. 
*  Vaqueiras  (de),  p-  120. 
Veracini,  p.  181  et  182. 
V^ertouch,  p.  1S7. 
Viotti,  p.  184. 


*  Vitoria,  p.  467    (v     aussi  P''  liv.). 
Vitali,  p    127,    178  et  347. 

W 

Wagner,  p.  85,  23s.  237,  238.  384  et 
suiv.,  413,  456,  457  (i)  et  4S6 

Weber,  p.  203,  225,  395,  397,  398  à 
402,  405,  454,  455  et  464. 

Wœlfl,  p.  392,  394,  396  et  464. 


Zipoli,  p.  71   et  128. 


(i)  Les  exemples  musicaux  extraits  de  Tristan  und  Isolde,  de  Richard  Wagner  (p.  238  et 
456),  ont  été  publiés  avec  l'auto'  isation  de  la  maison  Breitkopf  et  Haertel,  éditeurs  à  Leipzig  ; 
les  exemples  extraits  dt  la  Tétralogie  (p.  884,  383  et  436)  et  de  Parsifal  (p.  457)  ont  été 
publiés  avec  l'autorisation  delà  maison  B.  Schott  Sôhne,  éditeurs  à  Mayence. 


Avant  de  terminer  le  présent  volume  du  Cours  de  Co.mposition,  ses  auteurs 
et  éditeurs  adressent  ici  leurs  remerciements  àiMM.  les  Éditeurs  :  Eschig  repré- 
sentant à  Paris  de  N.  Simrock  de  Berlin,  Hamelle  de  Paris,  Peters  de  Leipzig, 
Breitkopf  et  Haertel  de  Leipzig,  Schott  de  Mayence,  pour  l'obligeance  avec 
laquelle  ils  ont  bien  voulu  donner  gracieusement  les  autorisations  mentionnées 
au   présent   tableau. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


INTRODUCTION 


I.  —  La  Musique  Sym  phonique  et  la  Musique  DRAMATrQCE  .... 

II.  —  Classification   des   Formes  Symphoniques 

III.  —  La  Composition    Musicale  et   la  Construction  Architecturale. 


14 


CHAPITRE 
LA    FUGUE 


Technique 

1.  —  Détinitions 

2.  —  Origines  de  la  Fugue.     .     . 

3.  —  Les  Canons  et  les  Ricercari. 

4.  —  Éléments  rythmiques  de  la 
Fugue  .  Imitation  .  Canon  . 
Marche 

3.  —  Éléments  mélodiques  de  la 
Fugue.  Le  Sujet.  La  Réponse 
et   la  Mutation.  Le  Contresujet. 

6.  —  Éléments  harmoniques  de  la 
Fugue.  La  Cadence  L'Ordre 
tonal  des  Expositions  dans  les 
Fugues  majeures  et  mineures. 
Les  Épisodes.  Les  Pédales.  Les 
Strettes 

7,  —  La  forme  «  Prélude  et 
Fugue  ».  Son  rôle  dans  la  Mu- 
sique   Symphonique 

Cours  de  composition.  —  t.  11,  1 


10 
20 
22 


35 


37 


44 


f'4 


Historique 

'^.  —  Divisions  de  l'iiistoire  de  la 

FujjLie ôô 

9.  —  Période  primitive  :  Italiens 
et  Espagnols  ;  Anglais  et  .Alle- 
mands ;  Français Ô6 

10.  —  Période  de  Horaison  :  .Alle- 
mands         73 

11.  —  Période   moderne.      ...        93 


1* 


498 


TABLE  DES  MATIERES 


CHAPITRE  II 

LA    SUITE 


Technique 

I.—  Définitions loi 

2.  —  Origines  de  la  Suite.  Les 
Chansons  transcrites  pour  ins- 
truments. La  forme  binaire  mo- 
dulante. Le  groupement  des 
pièces 102 

3.  —  Le  mouvement  initial  dans 

la   Suite.   Type  S 107 

4.  —  Le  mouvement  Lent,  Type  L.  1 1 1 

5.  —  Le  mouvement  Modéré. 
Type  M 1 13 

6.  —  Le  mouvement  Rapide. 
Type  R 117 

7.  —  Rôle  de  la  forme  Suite 
dans  la  Musique  Symphonique.       118 


Historique 

8.  —  Les  Précurseurs  de  la  forme 
Suite 119 

9.  —   La   Suite   proprement   dite 

et  la  Sonata  da  Caméra.  ...      124 

10.  —  Les  Compositeurs  Italiens.      124 

11.  —  Les  Compositeurs  Français.      i36 

12.  —    Les    Compositeurs    Alle- 
mands  143 


CHAPITRE  III 

LA  SONATE  PRÉ-BEETHOVÉNIENNE 


Technique 

1.  —  Définitions i53 

2.  —  Origines  de  la  Sonate.  For- 
mation du  type  ternaire.  Ré- 
duction du  nombre  des  mouve- 
ments  i54 

3.  —  Le  mouvement  initial. 
Type  S 157 

4.  —  Le  mouvement  lent.  La 
forme  Lied.  Type  L i65 

5.  —  Le  mouvement  modéré.  Le 
Menuet.  Type   M 170 

6.  —  Le  mouvement  rapide.  Le 
Rondeau.  Type  R 172 

7.  —  État  de  la  Sonate  avant 
Beethoven.   Le  cycle.   Le    style. 

La  forme 174 


Historique 

8.  —  Divisions  de  l'Histoire  de  la 
Sonate  pré-beethovénienne.  .     .      176 

9.  —  La  Sonate  italienne.  .     .     .       178 

10.  —  La  Sonate  allemande    pri- 
mitive  i85 

11.  —  La  Sonate  dithématique.     .       193 

12.  —  Les  Prédécesseurs  de   Bee- 
thoven  200 


TAliLE  DES  MATIKRES 


491 


Historique 
^.  —  Chronologie  des  Sonates  de 


Beethoven. 


CHAPITRE  IV 
LA  SONATE  DE  BEETHOVEN 

Technique 

1.  —  L'idée  musicale 23 1 

2.  —  Le  développement  et  la  mo- 
dulation.     .     . 241 

3.  —  Le  mouvement  initial. 
Type  S. 261 

4.  —  Le  mouvement  lent.  (Type 
L).  Ses  diverses  formes  :  grand 
Lied  (LL),  Lie^- Sonate  (LS), 
Lied  varié  (LV) 289 

5.  —  Le  mouvement  modéré.  Le 
Menuet.   Le  Scherzo.   Type  M.      3o3 

6.  —  Le  mouvement  rapide  final. 
Le  Rondeau-Sonate.  Type    RS.      3 12 

7.  —  Unité  de  la  Sonate  de  Beetho- 
ven. Affinités  des  thèmes.  Rela- 
tions de  tonalité.  Proportion  et 
nombre  des  mouvements  ...      3iq 


9.  —  Sonates     pour    piano.    Pre 
mière  manière  (1795  à  1801). 

10.  —    Sonates       pour       piano 
Deuxième  manière (1 801  à  i8i3) 


324 


327 


3  3q 


11.  —  Sonates  pour  piano.  Troi- 
sième   manière    (i8i3   à    1826).      SSg 

12.  —  Sonates  pour  violon  et  pour 
violoncelle 369 


CHAPITRE  V 
LA  SONAIE  CYCLIQUE 


Technique 

1.  —  L'unité   cyclique  dans  l'œu- 
vre d'art 3-5 

2.  —  Eléments   constitutifs   de   la 

«  forme  cyclique  » 378 


Historique 

3.  —  Etats  divers  de  la   Sonate  à 
partir  de  Beethoven 388 

4.  —  Les  Contemporains  de  Bee- 
thoven      3q2 

3.  —  Les  Romantiques 398 

6.  —  Les  Allemands  modernes.     .  414 

7.  —   Les  Français  :  la  Sonate  cy- 
clique    42 1 


Technique 

1.  —   Définitions  et  divisions.  .     .      43.^ 

2.  —    L'Ornement  rythmo-mono- 
dique 4V 

3.  —    L'Ornement     polyphonique 

ou  contrapontique -   440 

4.  —  L'Amplification  thématique.      44S 


CHAPITRE  VI 
LA    VARIATION 

Historique 
^.  —  La   Variation    ornementale.      448 


ij.  —   La  Variation  décorative  .     .      45? 
7.  —   La  Variation  amplihcatnce.      466 


5oo  TABLE    DES    MATIÈRES 

APPENDICE 
INDICATION  DU  TRAVAIL  PRATIQUE  DE  L'ÉLÈVE 

La  Fugue 489 

La  Suite. 491 

La  Sonate. 491 

La  Variation 492 

TABLE  DES  COMPOSITEURS  de  MUSIQUE  SYMPHONIQUE  apparte- 
nant  A   r,A  Troisième  Epoque    de  l'Histoire    Musicale  et   cités   dans   le 

PRÉSENT     VOLUME 493 


Po*t«ri.  -  SociéM  ftinfiite  d'Imorimena 


Î4T 

Indy,   Vincent 

d' 

40 

Cours 

de  C'jinj.osit, 

lun 

1552 

musicale 

.     5. 

éd. 

1912 
livre 

1 

-2* 

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