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COURS
DE
COMPOSITION MUSICALE
PREMIER LIVRE
. VINCENT D'INDY
COURS
DE
COMPOSITION MUSICALE
PREM
1ER LIVRE \-:l,^:^\
REDIGE AVEC LA COLLABORATION DE
AUGUSTE SÉRIEYX
D'après les notes prises aux Classes de Composition
DE LA SCHOLA CANTORUM
EN 1897-98
5= EDITION
PARIS
A. DURAND ET Fils, Éditeurs
DURAND ET Ce
4, Place de la Madeleine
PROPRIÉTÉ POUR TOUS PAYS, TOUS DROITS DE TRADUCTION RÉSERVÉS
COPYRIGHT BY DURAND et C", igia
•V
I à'à'Z
-, I
AVANT-PROPOS
L'homme est un microcosme.
La vie humaine, en ses états successifs, peut représenter chacune des
grandes périodes de l'humanité.
Il semble donc naturel que l'artiste, dont la condition première est de
connaître à fond l'art qu'il a choisi, revive lui-même la vie de cet art, et,
au moyen de l'intelligence des formes créées par l'évolution artistique,
en arrive à dégager sa propre personnalité d'une manière infiniment
plus sûre que s'il procédait empiriquement.
Le but du présent ouvrage est de faciliter à l'élève, qui veut mériter
le beau nom d'artiste créateur, la connaissance logique de son art, au
moyen de l'étude théorique des formes musicales, et de l'application de
cette théorie aux principales œuvres des maîtres musiciens, examinées
dans leur ordre chronologique.
Telle est la pensée qui a présidé à l'ordonnance du Cours de composi-
tion musicale^ dont la base naturelle est la division de l'histoire de la
Musique en trois grandes époques:
I" Epoque rythmo-monodique,,
du ni» au xiii* siècle (i).
2* Epoque polyphonique^
du xni* au xvn' siècle.
(i) Il est difficile d'assigner à chacune de ces grandes époques des dates précises, un com-
mencement et une fin, car elles empiètent naturellement l'une sur Tautrc, quant aux mani-
festations qui en font le caractère ; les délimitations que nous donnons ici ne sont donc
qu'approximatives, en prenant pour point de départ les plus anciens textes musicaux suffi-
samment connus et dignes de foi.
6 AVANT-PROPOS
3» Epoque métrique :
du XVII* siècle Jusqu'à nos jours.
C'est ainsi qu'en ce premier livre, l'élève sera appelé à étudier succes-
sivement :
le i^j^Z/zme, élément primitif et primordial de tout art, et son appli-
cation spéciale à la Musique (chap. i) ;
la Mélodie, issue du langage par Vaccent (chap. ii) ;
les Signes graphiques qui représentent le rythme et la mélodie
(chap. m) et
les Formes musicales limitées à ces deux éléments
(Époque rythmo-monodique, chap. iv, v).
' Il étudiera ensuite :
V origine et la théot^ie de THa^^monie (chap. vi) servant de base à
la Tonalité (chap. vu) et concourant avec elle à
VExp7^ession{ch.3iY). viii) ;
Puis r///5/o/re de cette théorie de l'Harmonie (chap. ix) et son
Application dans les mélodies simultanées de l'Epoque polypho-
nique (chap. X et xi) ;
Enfin, un rapide coup d'œil sur
V Evolution progj^essive de VArt (chap. xii) donnera à l'élève les
notions synthétiques qui lui sont nécessaires pour opérer le rattache-
ment de ces deux premières époques à la troisième (Epoque métrique),
dont l'étude, plus développée à mesure qu'elle se rapproche de nous,
fera l'objet des autres parties de cet ouvrage.
A la fin de chacun des livres qui constituent le Cours de composi-
tion, se trouve formulée en appendice l'indication des travaux que doit
fournir l'élève, au fur et à mesure que connaissance lui est donnée des
divers chapitres du Cours.
Si ces travaux ne sont indiqués que d'une façon générale, c'est que
l'auteur estime que tout enseignement d'art devant être oral, une com-
plète latitude doit être laissée au maître-enseignant, dont la mission est
'de s'inspirer de la nature et du tempérament intellectuel do chacun de
ses élèves, dans la distribution des travaux à effectuer par ceux-ci.
L'auteur désire aussi bien établir que, dans l'introduction qui traite de
la philosophie de l'Art, il n'a point entendu employer les dénominations
AVANT-PROPOS 7
adoptées pour l'enseignement actuel de la classe de philosophie, en leur
donnant la signification exacte que leurattribuent lesprofesseursofficiels;
il demande donc qu'on veuille bien excuser et admettre sa terminologie
philosophique spéciale.
Il en sera de même pour un certain nombre de termes (par exemple :
idée, phrase, période), doni la signification musicale, bien que fort diffé-
rente du sens que leur donne la littérature, est tellement établie qu'il
serait malséant de prétendre introduire à leur place des vocables nou-
veaux, que seuls le temps et l'usage sont capables de faire adopter.
En terminant ce préambule, l'auteur tient à remercier son élève et ami
Auguste Sérieyx, qui enseigne actuellement les matières de ce Premier
Livre à la Scola Catitoriim, de l'aide précieuse et intelligente qu'il lui
a apportée dans la rédaction et la coordination logique du Cours de
Composition; il tient aussi à lui laisser la paternité, disons même la
responsabilité, de certaines démonstrations et de certaines idées qui
méritaient, en raison de leur valeur, d'être recueillies dans cet
ouvrage.
Vincent d'Indt.
Paris, 1903,
INTRODUCTION
I. L'Art.
II. L'Œuvre d'art et l'Artiste. — La création artistique. — Les facultés artistiques de
l'âme. — Caractères de l'œuvre d'art. — Caractéristique de l'artiste.
III. Le Rythme dans l'Art. — La perception artistique. — Classifications anciennes des
arts. — Les éléments de la musique.
L'ART
L'Art (en grec : téxvri, moyen) est un moyen de vie.
Moyen de vie pour le corps, sous forme d'arts utiles ou usuels.
Moyen de vie pour l'âme, sous forme d'arts libéraux ou libres.
Des arts utiles (industrie, commerce, agriculture, mécanique, loco-
motion, etc.) qui ont pour propagateur et principal moteur la science,
nous ne nous occuperons ici qu'en ce qui touche leurs rapports avec
les arts libéraux.
Les seuls qui nous intéressent sont ces arts dits libéraux^ parce qu'ils
rendent véritablement et complètement libre l'artiste qui les cultive.
C'est cette liberté absolue qui fait de la carrière artistique l'une des
plus hautes et des plus nobles qui soient, si l'artiste a conscience de sa
mission et sait employer dignement sa liberté.
Au point devue objectif, nous définirons donc l'Art : un moyen de yie
pour l'âme, c'est-à-dire un moyen de nourrir l'àme humaine et de la
faire progresser, en lui procurant le double aliment du présent et de
ravenir,car l'àme humaine, ce n'est point seulement l'àme individuelle,
mais encore l'àme collective des générations appelées à profiter de l'en-
seignement fourni par les œuvres.
L'Art est donc un moyen de nourrir l'àme de l'humanité, et de la faire
vivre et progresser par la durée des œuvres.
Au point devue subjectif, une autre définition assez satisfaisante de
l'Art a été donnée par Tolstoï : « L'Art, dit-il, est l'activité humaine par
« laquelle une personne peut, volontairement, et au moyen de signes
lo INTRODUCTION. — L'ART
« extérieurs, communiquera d'autres les sensations et sentiments qu'elle
« a éprouvés elle-même. «(L. Tolstoï : Qu'est-ce que l'Art ? 1898.)
Un exposé des origines de l'Art, des qualités de l'artiste et des carac-
tères de l'œuvre d'art, fera mieux comprendre comment ces deux défi-
nitions se corroborent mutuellement : « moyen de progrès », disons-
nous, « puissance de communication », ajfïirme Tolstoï, c*est toujours la
condition essentielle à' enseigneme^it que nous allons retrouver à la base
de tout art.
o
Un des premiers besoins de l'homme fut de se mettre à l'abri des in-
tempéries du climat ; il dut se construire des habitations.
De cette nécessité est ïssntVArchitectuj^e^ première manifestation tan-
gible de l'esprit humain dans le domaine de l'Art.
L'appropriation à un usage spécial des parties de l'habitation donna
naissance à la Sculpture. Confondue avec l'architecture au début, elle
ne tarda pas à vivre de sa vie propre sous une forme plus définie : la
statuaire.
La coloration nécessaire de certaines surfaces ou de certaines saillies
du bâtiment engendra la Peifiture, accessoire de l'architecture à l'ori-
gine, ainsi que le montrent ses formes les plus anciennes, la mosaïque,
la fresque murale. Comme la sculpture, la peinture acquit plus tard par
le tableau une existence distincte.
Les sentiments d'admiration pour les héros ou pour les beautés na-
turelles donnèrent bientôt au langage son vêtement artistique, et la
Littérature prit naissance, sous forme de poésie primitive ou de
chant simple.
En même temps, ou peut-être un peu plus tard, le poète, obéissant
au désir d'union inhérent à la nature humaine, voulut associer tout le
peuple à ses pensées et le faire chanter avec lui. Alors apparut le chant
collectif, la monodie rythmée, origines delà Musique.
Telle paraît être la genèse primitive des cinq arts libéraux :
Architecture, Sculpture, Peinture, Littérature, Musique.
Mais l'état dans lequel nous venons d'examiner ces arts n'a trait qu'à
rw///z7e de la vie ; pour les //èeVer de leur attache corporelle, il fallait un
mobile plus élevé, le quid dimmim du poète, qui va nous faire assister à
la transmutation de cet état utilitaire en état religieux. En effet, le prin-
cipe de tout art libre est incontestablement la foi religieuse.
Sans la Foi, il n'est point d'Art.
C'est par la foi, et même, si l'on veut, par la religiosité que l'art
INTRODUCTION. - L'ART ii
utile^ répondant aux besoins de la vie du corps, se transforme en art
libéral, moyen de vie pour i'àme.
Et c'est ici le lieu de dire que les cinq formes d'art citées plus haut
Revivent que d'une même vie, et se pénètrent mutuellement, à tel point
qu'il est parfois difficile d'établir d'une façon certaine leurs limites res-
pectives. Ce sont bien, en effet, non pas des arts différents^ mais des
formes diverses de l'Art, de I'Art unique.
L'Art est un, en soi ; seule l'expression, la manifestation diffère sui-
vant le procédé employé par l'artiste pour exprimer.
La raison de cette unité de l'Art est d'ordre surnaturel : au-dessus de
tous les besoins humains plane l'aspiration vers la Divinité, l'élan de
la créature vers son Auteur; et c'est dans l'Art, sous toutes ses formes,
que Vâme cherche le mo/en de rattacher sa vie à l'Être qui en est le
principe.
L'antiquité même attribuait à l'Art une puissance supra-naturelle
sur les êtres animés ou inanimés; les mythes d'Orphée et d'Amphyon,
pour ne citer que ce qui a trait à la Musique, sont là pour en faire
foi.
L'idée de l'Art nous apparaît donc, dès l'origine, indissolublement
liée à ridée religieuse, à l'adoration ou au culte divin.
C'est ainsi que la maison de Thomme devient le temple de Dieu, avec
ses sculptures symboliques et ses peintures sacrées. Appliquée à des
actes d'adoration collective, la Poésie devient la Prière. Le corps s'unit
à Tàme par la prière mimée, dans une simultanéité de mouvements
réglée par le rythme ; à la psalmodie monotone succède enfin la mélodie
du cantique, élévation musicale de l'âme vers Dieu (i).
Un tel sujet prêterait à des développements sans fin, que nous nous
contenterons de résumer dans le tableau ci-dessous, pour démontrer la
transformation de l'art utilitaire en art libre et religieux. *
Architecture . . . Logement humain. . . . Temple de la Divinité.
Sculpture Appropriation des matériaux Ornementation des façades,
de l'habitation , pierres , des voûtes et des colonnes
poutres, supports du faîte. (arbres figurés).
Peinture Conservation des parties ex- Mosaïques, fresques repré-
posées à l'air ou à l'usure. sentatives, sujets, images.
Littérature .... Exposé historique ou légen- Célébration de la Divinité.
daire des faits héroïques.
Musique Récréation populaire. . . Célébration collective. Prière
(i) Voy. F. de Lamennais : De l'art et du beau. La description du temple chrétien.
• 2 INTRODUCTION. — L'ŒUVRE D'ART ET L'ARTISTE
Unique dans son principe divin, l'Art, nous venons de le voir, est
multiple dans ses réalisations humaines. Il peut revêtir une foule de
formes diverses suivant le procédé mis en œuvre par l'homme : pierres,
reliefs, couleurs, paroles, sons. Entre ces divers moyens, l'artiste choi-
sit celui qui répond le mieux au désir et au pouvoir d'expression qui
sont en lui.
II
L'ŒUVRE D'ART ET L'ARTISTE
LA CRÉATION ARTISTIQUE
La force qui pousse l'artiste à créer, c'est le besoin d'exprimer ses
sentiments (i) et de les communiquer aux autres d'une façon durable
par des œuvres.
Cette expression artistique a pour cause nécessaire une impy^ession
préalable, laquelle peut, d'ailleurs, n'avoir été ni immédiate, ni même
consciente ; il n'est pas rare, en effet, qu'une idée artistique provienne
d'impressions reçues très antérieurement à sonéclosion, et sans aucune
prévision du rôle que ces impressions seront appelées à jouer dans la
genèse de Xidée (2).
Quoi qu'il en soit, Torigine de tout? œuvre d'art est dans Vimpression.
Celle-ci, en effiçurant l'âme, y produit le sentiment ; par sa durée elle
détermine Vémotion, qui, dans sa forme la plus aiguë, peut aller jusqu'à
son terme extrême : \apassion (3).
Pour créer, au sens artistique du mot, il est donc nécessaire d'a-
voir été ému^ et d'avoir la volonté de traduire son émotion.
Il faut avoir senti et souffert son œuvre, avant de la réaliser. A ce
prix seulement, l'œuvre sera vraiment sincère, expresssive, durable.
(1) La Musique, plus encore peut-être que toute autre forme d'art, a pour effet d'expri-
mer des sentiments et non des objets, aberration grotesque qu'on a fort sottement reprochée
à R. Wai^ncr. On n'exprime pas des objets : le thème dit de VEpée, dans le Ring des
Nibelungen, ne peut exprimer une épée, mais bien un sentiment héroïque commun à plusieurs
personnages.
(2) L'impression photographique des plaques est en tous points comparable à ces impres-
sions humaines: la plaque que l'on développe (expression, réalisation) ne porte aucune trace
apparente (inconscience) de l'impression lumineuse, reçue parfois très antérieurement.
(3) On pourrait poser ainsi cette sorte de règle de proportion : L'impression est au sentiment
ce que l'émotion est à la passion.
Facultés créatrices <X Ivipression \
INTRODUCTION. — L'ŒUVRE D ART ET L'ARTISTE i3
LES FACULTÉS ARTISTIQUES DE l'aME
Les facultés mises en action par l'âme humaine dans l'œuvre de créa-
tion artistique sont au nombre de sept :
Imagination.
Cœur.
Esprit.
Facultés créatrices d'£':vjt?re55zon J Intelligence.
Mémoire.
( Volonté.
Facultés créatrices de /?e^/z5a//on j Conscience.
L'œuvre d'art est la résultante du travail de ces sept facultés chez
l'homme pourvu do-don créateur.
Examinons maintenant le rôle spécial de chacune de ces facultés.
h' Impression, préalable à l'éclosion de l'œuvre d'art, met tout d'abord
en jeu deux facultés primordiales : Vlmaginatioji^ dont l'effet est de re-
présenter des images^ et le Cœur[\), qui se manifeste par les sentiments.
On doit considérer le Cœur comme la plus importante des facultés artis-
tiques, car c'est de l'Amour [Caritas) que découlent les plus hautes et
les plus nobles manifestations de la pensée humaine.
Pour parvenir à l'Expression, trois autres facultés sont nécessaires :
1° UEsprit{2), qui crée des rapports superficiels entre les objets, les
actes et les personnes ; il a pour effet le trait ; — 2' V Intelligence, qui
perçoit les rapports élevés, profonds et étendus ; son effet est Vidée ; —
3* la Mémoire^ qui conserve les connaissances acquises, par l'effet du
souvenir.
Ces facultés d'impression et d'expression suffiraient à la pro-
duction virtuelle de l'œuvre d'art ; mais, pour en opérer la réalisation,
il faut encore faire intervenir deux facteurs puissants de la création ar-
tistique : la Volonté^ qui met en œuvre les facultés créatrices, et la Co;i-
science^ qui les discerne.
(i) Ce que nous appelons ici le cœur, c'est une des formes rte la factiltéde râmc que les
philosophes désignent généralement sous le nom de sensibilité.
(2) Par esprit, nous entendons ici la qualité de l'homme d'esprit, du trait d'esprit, du
mot spirituel, et non pas le concept de l'Esprit opposé par les philosophes à celui de la
Matière.
La dilTcrence entre l'esprit et Vintelligence pourrait assez justement se comparer aux
notions mathématiques de surface et de volume.
La surface se mesure par deux dimensions (longueur et largeur), elle est essentiellement
« dans le plan » ; — de même, l'esprit apprécie seulement les rapports superficiels entre les
idées et les choses.
Le volume, au contraire, se mesure par trois dimensions (longueur, largeur et profon-
deur), il est essentiellement t dans l'espace » ; — de même, l'intelligence perçoit les rapports
intimes, profonds entre les idées et les choses, dont elle pénètre les raisons.
INTRODUCTION. - L'ŒUVRE D'ART ET L'ARTISTE
CARACTERES DE L ŒUVRE D ART
En vertu de la définition même de l'Art, l'œuvre doit avoir avant
tout un caractère d' EfiseigJîemeiit, câr elle doit contribuer à l'exaltation
du sentiment esthétique chez les autres hommes par la communication
des impressions de l'artiste, le rôle de l'Art étant de faire progresser
l'humanité.
La Diu^ée est donc une condition nécessaire à l'œuvre d'art, puisque
c'est par elle que la vie artistique est transmise aux générations sui-
vantes.
Aux yeux des anciens artistes, la durée de l'œuvre était considérée
comme de première importance ; aujourd'hui, certains artistes ont le
tort de s'en préoccuper beaucoup moins ; on travaille trop vite dans
notre siècle utilitaire, et c'est aux dépens de la durée des œuvres (i).
Mais c'est surtout la durée morale qu'il conviendrait d'avoir en vue,
et celle-ci ne se saurait atteindre sans la Sincérité^ troisième caractère
fondamental de l'œuvre d'art. Quand l'œuvre est vraiment sincère^
c'est-à-dire, quand elle n'a point été conçue dans un but de gloire per-
sonnelle ou de profit, mais dans un esprit d'enseignement, elle mérite
de durer et elle durera. Au cas contraire, elle tombera fatalement dans
l'oubli.
CARACTÉRISTIQUE DE L*ARTISTE
La sincérité de l'œuvre relève de la Conscience at^tistique.
On méconnaît ou on ignore trop souvent de nos jours cette précieuse
faculté, dont le double effet est de discerner en soi-même, en premier
lieu si l'on est appelé à la carrière d'artiste, et secondement quelle sorte
d'art on doit pratiquer .
La première de ces deux questions n'est pas toujours facile à résoudre.
Tout artiste doit arriver cependant à se bien connaître, s'il s'interroge
sincèrement et sans orgueil.
Mais combien plus délicate est la solution de la seconde question :
(i) Les peintres du moyen âge préparaient et broyaient eux-mêmes les matières compo-
sant leurs couleurs, comme les sculpteurs de ce même temps, véritables ouvriers d'art, tra-
vaillaient eux-mêmes la pierre, ne se contentant point de faire mouler une maquette. Ces
soins minutieux indiquent bien le souci de la durée. Les oeuvres de ces peintres nous sont, du
reste, parvenues, sans avoir rien perdu delà fraîcheur de leur coloris ; il en serait de même
des œuvres de ces sculpteurs, si le vandalisme révolutionnaire n'avait point passé parla.
Quelle différence avec certains tableaux modernes, que nous avons retrouvés après moins
de dix ans complètement décomposés et poussés au noir, et avec certaines statues que
l'action du temps, bien loin de les magnifier, arrive à rendre grotesques.
INTRODUCTION. — L'fKUVRE D'ART ET LARTISTE tb
« Quelle est, en Art, l'aptitude personnelle et spéciale de chacun ? »
L'étude critique des œuvres d'art pourra être d'un grand secours pour
s'éclairer soi-même sur ce point. On y constatera que bien des artistes,
et non des moindres, n'ont pas su discerner toujours quel genre d'art
était le plus en rapport avecleurs facultés individuelles. Les erreurs où
ils sont tombés nous seront un précieux enseignement ( i).
Les facultés créatrices, dont nous venons d'étudier le fonctionnement
et le résultat, peuvent, en raison de leur plus ou moins de plénitude,
imprimera l'artiste des caractéristiques différentes qu'il convient d'exa-
miner.
L'artiste peut être de génie ou de talent.
Le Géjiie est l'ensemble des facultés de l'âme élevées à leur plus
haute expression.
Le génie a pour effet la création (iroieTv) ; il est le prototype de tout ce
qui engendre.
Le Talent est l'ensemble des facultés de l'âme suffisant pour s'assi-
miler les œuvres du génie, mais non assez puissant pour créer des
œuvres essentiellement originales.
Il y a eu, il y a, il y aura des génies latents, qui, faute d'avoir acquis
le fa/e?2^ nécessaire pour s'exprimer, n'ont laissé et ne laisseront après
eux nulle trace, nulle œuvre de beauté durable. Le génie est inné., nul
maître ne peut l'enseigner, nulle puissance humaine ne peut le susciter
là on il n'est pas; mais le talent s'acquiert par l'enseignement raisonné
et l'étude logique : le talent est, pour ainsi parler, la nourrice du génie;
c'est par le talent et seulement avec son aide que le génie peut croître,
grandir, se vivifier, et enfin se manifester d'une façon complète par
des œuvres.
Le génie sans le talent serait lettre morte : il faut donc que Vartiste
absolu soit doué de génie et pourvu de talent.
Mais il faut encore qu'il possède le Goût., c'est-à-dire cette aptitude
(i) Pour prendre des exemples sur des génies véritables, nous pouvons constater que
Schubert, en composant ses œuvres de musique symphonique, et Beethoven, en écrivant
ses lieder, se sont sans doute trompés l'un et l'autre sur ce point spécial de leurs
aptitudes.
Les lieder de Schubert sont d'admirables modèles en ce genre, sa musique symphonique
est relativement faible, parce que, la plupart du temps, mal construite. Les lieder de
Beethoven sont, pour la plus grande partie, dénués d'intérêt ; ses sonates, quatuors et
symphonies resteront comme des types d'art parfait. Il y a là daux exemples opposes d'er-
reurs commises de bonne foi par la conscience artistique chez deux artistes de génie.
Il n'en va pas toujours ainsi ; on pourrait citer dans l'époque contemporaine, et non pas
seulement parmi les sémites, bien des compositeurs qui se sont détournés sciemment de
leur véritable voie, dans un but plus ou moins avouable ; à ceux-là, la sincérité artistique
fait défaut.
,6 INTRODUCTION. — L'ŒUVRE D'ART ET L'ARTISTE
fine et délicate à discerner les qualités ou les défauts dans les œuvres
des autres et dans les siennes propres, et à les apprécier par un juge-
ment sain.
Le génie crée.
Le talent imite.
Le goût apprécie.
L'éducation artistique, si excellente et si complète qu'elle soit, ne
saurait, nous l'avons dit, donner le génie, mais elle peut faire naître
le talent et doit former le goût.
Favoriser l'éclosion du génie, en développant le talent et le goût par
l'étude raisonnée et critique des œuvres, tel est le but que nous nous pro-
posons d'atteindre ici, au point de vue spécial de l'Art musical.
Mais que l'élève, appelé à mériter le titre d'artiste, ne perde Jamais
de vue qu'outre ses dons naturels, trois vertus lui sont néces-
saires pour arriver au maximum d'expression qu'il lui est donné d'at-
teindre, trois vertus énoncées dans le texte d'une des antiennes du
Jeudi-Saint, dont la musique est aussi admirable que les paroles sont
élevées :
Maneant in vobis Fides, Spes, Caritas,
Tria haec : major autem horum est Caritas (i).
Oui, l'artiste doit avant tout avoir la Foi, la foi en Dieu, la foi en
l'Art, car c'est la Foi qui l'incite à cojwaitre^ et, par cette connaissance,
à s'élever de plus en plus sur l'échelle de l'Etre, vers son terme qui est
Dieu. ^
Oui, l'artiste doit pratiquer V Espéi^ance^ car il n'attend rien du temps
présent ; il sait que sa mission est de set^pir, et de contribuer par ses
œuvres à l'enseignement et à la vie des générations. qui viendront
après lui.
Oui, l'artiste doit être touché de la sublime Charité, « la plus grande
des trois » ; aimer est son but, car l'unique principe de toute création
c'est le grand, le divin, le charitable Amour.
(i) Qu'en vous demeurent ces trois vertus :
Foi, Espérance, Amour;
Mais ia plus grande des trois, c'est l'Amour.
INTRODUCTION. — LE RYTHME DANS L'ART 17
III
LE RYTHME DANS L'ART
LA PERCEPTION ARTISTIQUE
Nous avons vu par la définition subjective de l'Art (Tolstoï) que la
communication aux autres des sentiments éprouvés par l'artiste s'opère
au moyen de signes extérieurs.
Ces signes varient avec les diverses formes d'art, et se perçoivent de
deux manières différentes.
Dans certains arts, architecture, sculpture, peinture^ l'ensemble appa-
raît avant le détail : l'assimilation de l'œuvre se produit du général au
particulier.
Dans les autres, au contraire, littérature^ musique, le détail frappe
d'abord et conduit à l'appréciation de l'ensemble : l'assimilation se
produit du particulier au gérerai.
Pour mieux faire comprendre la différence dans la réception des im-
pressions artistiques, examinons la cathédrale^ par exemple Notre-Dame
de Paris.
Un magnifique ensemble, une ligne générale harmonisée en beauté,
un aspect de majesté dans la proportion : voilà ce qui nous frappe tout
d'abord ; puis, en analysant, nous découvrons petit à petit tous les
détails d'architecture, colonnes, piliers, portails, vitraux et ces admira-
bles statues des galeries extérieures, à peine visibles du parvis, tout
cela concourant à l'impression d'ensemble primitive.
Écoutons maintenant une symphonie, la V*= de Beethoven, par
exemple. Que percevons-nous en premier lieu? ^-^'i^z^rr^^ un détail,
un dessin particulier et précis auquel notre esprit s'attache, une idée
que nous suivons avec intérêt à travers tous ses développements
jusqu'à son épanouissement final. La mémoire, constamment en jeu
dans ce travail d'assimilation, nous rappelle l'idée principale chaque
fois qu'elle reparaît sous un aspect nouveau, et nous nous élevons ainsi
progressivement à l'impression synthétique d'ensemble, par la percep-
tion successive des détails (i).
Les arts sont donc de deux sortes : les uns que l'on pourrait appeler
(i) On voit par I^, l'importance de Vidée music.ile dans la construction de l'œuvre : il
importe qu'elle soit très claire et très précise, pour que la mémoire la puisse saisir rapide-
ment et retrouver sans trop d'cllort.
Cours de composition. %
,8 INTRODUCTION. - LE RYTHME DANS L'ART
arts d'essence plastique ou de dessin, se rattachent à l'idée d'Espace;
les autres, arts d'essence successive, dérivent de l'idée de Temps.
Dans l'Espace comme dans le Temps, des lois communes d'ordre et
de proportion régissent tous les arts.
V Ordre et la Proportion dans V Espace et dans le Temps : telle
est la définition du Rythme.
Le Rythme est donc un élément premier commun à toutes les sortes
d'art; c'est lui qui engendre la bonne ordonnance des lignes, des formes,
des couleurs et des sons.
Il n'est pas surprenant, dès lors, que le Rythme ait occupé une si
grande place dans les premières classifications des arts.
CLASSIFICATIONS ANCIENNES DES ARTS
Les Grecs avaient divisé l'Art en neuf genres différents.
En vertu de la tendance de leur esprit à revêtir les symboles d'une
forme sensible, ils avaient personnifié leurs arts par les neuf Muses^
que Ton groupa en trois triades :
Clio^ muse de \ Histoire,
Polymnie, muse de la RhétoriquCy
Uranie, muse de VAstrojiomie,
composaient la première, celle des arts du Raisoîinement.
Les arts du Rythme parlé formaient la seconde, avec :
Thalie, muse de la Comédie,
Calliope, muse de la Poésie épique^
Erato, muse de la Poésie fugitive.
Enfin, dans la dernière triade, les arts du Rythme proprement dit
étaient représentés par :
Melpo?nène, muse de la Tragédie,
Terpsichore, muse de la Danse^
Euterpe, muse de la Musique.
Les arts rythmiques tenaient, on le voit, une place considérable dans
l'antique civilisation grecque.
Au moyen âge, au contraire, à partir de Charlemagne (ix^ siècle), le
Rythme, notamment dans son application aux mouvements du corps
(la Danse), est considéré comme d'ordre inférieur.
Par une loi de réaction toute naturelle, les arts du Raisonnement se
multiplient à l'excès, reléguant le Rythme dans la seule Musique qu'on
enseigne non comme art, mais comme science. Les philosophes du
moyen âge distinguaient dans les arts deux branches, deux voies diffé-
rentes :
INTRODUCTION. — LE RYTHME DANS L'ART fg
le Trivhtm^ comprenant :
la Grammaire^
la Rhétorique,
la Dialectique,
arts du raisonnement dans le langage ;
le Qiiadrivium, composé de :
V Arithmétique,
la Géométrie^
Y Astrologie,
arts du raisonnement pur, et enfin de :
la Musique,
seul art du rythme, rangé, comme on le voit, à la suite des véritables
sciences (i).
LES ÉLÉMENTS DE LA MUSIQUE
Considérée, suivant les époques et les pays, tantôt comme art,
tantôt comme science, la Musique tient en réalité de l'art et de la science :
aussi les nombreuses tentatives faites pour la définir n'ont-elles abouti
pour la plupart qu'à jeter la confusion sur cette question (2). Sans pro-
poser ici une nouvelle définition, dont le seul effet serait d'accroître le
nombre déjà considérable de ses devancières sans les mettre d'accord,
nous dirons seulement que la Musique a pour base les vibrations
sonores; pour éléments, le rythme, la mélodie, l'harmonie; pour but,
l'expression esthétique des sentiments.
Il suffira donc, pour entreprendre utilement l'étude historique et
critique des formes de l'art musical, d'en bien connaître les trois élé-
ments constitutifs : Rythme,
Mélodie,
Harmonie,
(i) Le rythme artistique était alors, môme pour ce qui regarde les arts plastiques, codifié
pour ainsi dire scientifiquement. Les règles sirictcs des rapports entre la philologie, la
philosophie et l'esthétique se trouvent énoncées en maints ouvrages, comme : Les noces
de Mercure et de la Philologie, le compendieux traité de Martianus Capella, ou les Etymo-
logies d'Isidore de Séville, mais surtout dans les Miroirs de Vincent de Beauvais compre-
nant quatre livres :
lo le Miroir de la nature ;
2» le Miroir de la science ;
3* le Miroir moral ;
4» le Miroir historique.
Tout l'art médiéval est basé sur cette division.
Voy. au sujet du Trivium et du Quadrivium : Emile Ma'e : L'Art religieux du XIII*
siècle en France (page ii5).
(2) Hoené Wronski et après lui Camille Durutte appellent la musique un « art science •
et la définissent; la corporification de l'Intelligence dans les sons (Voy. Durutie: Technie
harmonique. Introd. p. vu.)
ao INTRODUCTION. — LE RYTHME DANS L'ART
et d'établir le lien qui rattache ces trois éléments à une branche de la
science générale.
Ainsi se vérifiera le double caractère scientifique et aî^tistique de la
Musique.
Le Rfthme^ résultant de l'inégalité des temps, s'exprime par des
nombres et dépend des lois arithmétiques.
La Mélodie^quï prend son origine dans l'accent, procède de la linguis-
tique.
h' H arjnonie enûn, basée sur la résonnance des corps, obéit aux lois
des pibî'atio7is.
La Musique relève donc à la fois des sciences mathématiques par le
Rythme, des sciences ?iaturelles par la Mélodie, des sciences physiques
par l'Harmonie.
Toutefois, ces trois éléments, d'origine scientifique, ne peuvent
atteindre l'effet artistique, VExpression, qu'à la condition d'être en
mouvement^ car la Musique, nous venons de le voir, est essentiellement
un art de succession...
Seul, des trois éléments de la Musique, le Rythme est commun à tous
les arts, il en est l'élément primordial et esthétique (i).
Le Rythme est universel, il apparaît dans le mouvement des astres,
dans la périodicité des saisons, dans l'alternance régulière des jours et
des nuits. On le retrouve dans la vie des plantes, dans le cri des ani-
maux et jusque dans l'attitude et la parole de l'homme.
On doit considérer le Rythme comme antérieur aux autres éléments
de la Musique; les peuples primitifs ne connaissent pour ainsidirepas
d'autre manifestation musicale.
La Mélodie.^ directement issue du langage par l'accent, est presque
aussi répandue que le Rythme ; ces deux éléments combinés ont suffi
pendant de longs siècles à constituer un art musical très avancé.
Quant à V Harmonie, basée sur la simultanéité des mélodies, elle est
l'effet d'une conception relativement récente, mais accessible seulement
(i) « Les Grecs rythment le temple.
« Ils adoptent pour chacune de leurs constructions une unité de mesure (rythmique)
« différente, un module qui est le diamètre moyen de la colonne. Chaque partie du monu-
« ment est commandée, non par sa destination naturelle, mais par les proportions de
« l'ensemble. Aussi, la beauté y atteint la perfection la plus inexpt-essive.
« Nos maîtres du moyen âge avaient adopté un autre module: Vliomme. Ils avaient une
« échelle vivante. De là, l'émotion dont ils font trembler la pierre française.
« Cet homme, pour lequel ils édifient la merveille, cette vivante unité de rythme qu'ils ne
« veulent point perdre de vue, ils la répètent partout dans les formes de leur folle
« statuaire.
« Au reste, ils déterminent l'harmonie de la Cathédrale avec autant de rigueur que firent
t les Grecs, et ils en calculent les équilibres avec une splendidc sûreté. »
Adrien Mithouard {le Tourment de VUnité).
INTRODUCTION. — LE RYTHME DANS L'ART 21
h une élite, relativement peu nombreuse encore, et affinée par une
éducation plus complète.
Bien des peuples ignorent l'Harmonie, quelques-uns peuvent même
ignorer la Mélodie; aucun n'ignore le Rythme.
C'est donc par le Rythme que nous commencerons l'étude esthétique
de la Musique, car il est, dans la genèse de l'Art, l'élément vivifiant et
fécond, tel, dans la genèse de l'univers, le Fiat lux, le Verbe de Dieu ;
et elle portait plus loin qu'il ne le pensait peut-être lui-même, la spiri-
tuelle boutade du célèbre chef d'orchestre Hans de Blilow, alors qu'il
disait, paraphrasant à sa manière le texte de saint Jean :
« Au commencement était le Rythme ! »
«^
I
LE RYTHME
Le rythme musical. — Constitution du rythme musical. — Rythme binaire, rythme icmaire.
— Rythme masculin, rythme féminin. — Le rythme et la mesure. — Le rythme de la
parole et le rythme du geste.
LE RYTHME MUSICAL
Nous avons défini le rythme en général : « L'Ordre et la Proportion,
dans l'Espace et dans le Temps. » Pour la musique, art de succession^
basée sur la division esthétique du Temps, le rythme est plus spéciale-
ment : Tordre et la proportion dans le Temps.
Le rythme musical, en effet, résulte des rapports de temps^ établis
par l'esprit humain, entre les sons perçus successivement par l'oreille.
Il est bien entendu que l'expression rapports de temps doit être
interprétée ici dans son sens le plus large. Carie rythme s'applique non
seulement à la durée relative des sons, mais encore à leurs relations
d'intensité^ et même d'acuité, — qualités qui dérivent aussi de l'idée de
temps, puisqu'elles dépendent àeV amplitude on de la rapidité des vibra-
tions sonores, dans un temps donné.
Ces rapports de durée, d'intensité ou d'acuité, considérés en eux-
mêmes, ne sont qu'une pure abstraction de notre esprit, indépendante
du bruit ou du son perçu, quel qu'il soit.
On peut s'en rendre compte en observant une succession de bruits
suffisamment égaux entre eux, comme ceux que font entendre les oscil-
lations d'un métronome de Maelzel.
Nous pouvons considérer ces bruits successifs comme identiques, et
les figurer en notation musicale par :
JrJrJvJrJ
I, 2, 3, 4, 5, etc.
Quand nous les écoutons attentivement, sans regarder le balancier,
notre esprit ne peut s'empêcher de leur accorder une importance iné-
24 LE RYTHME
gale, de déterminer entre certains d'entre eux et les autres une relation,
un rapport, c'est-à-dire un rythme.
Tantôt, par exemple, les bruits de rang impair nous paraîtront plus
longs,
J J V J J r J
j^, 2, _3, 4, 2» ^^'^^
OU plus forts :
JrJvJrJvJ
_!_, 2, 3, 4, 2' ^^'^•
tantôt, au contraire, c'est aux bruits de i^n^pair que nous accorderons
cette prépondérance en durée,
J r J J r J J
1, ^, 3, 4, 5, etc.
ou en intensité :
JvJ_\'JvJ_vJ
I, 2_, 3, 4, 5, etc.
La possibilité qui est en nous de choisir, par un simple effet de notre
volonté, l'une ou l'autre de ces inégalités arbitraires établit clairement
que le rythme provient, non des bruits eux-mêmes, mais d'une néces-
sité de notre esprit, qui, à l'audition de battements égaux en force et en
durée, est pour ainsi dire forcé de créer son rythme.
Envisagés à ce point de vue, les bruits ou les sons déterminent dans
notre entendement une sorte d'impression vague, dépourvue de tout
caractère esthétique.
CONSTITUTION DU RYTHME MUSICAL
L'artiste, en donnant volontairement une prépondérance effective h
certains sons parleurdurée, leur intensité ou leuracuité, crée le rythme
musical et l'exprime, en l'imposant à l'auditeur, sous une forme déter-
minée.
L'adjonction au métronome d'un timbre qu'on fait résonner simulta-
nément avec les battements impairs par exemple,
^Métronome îJvJvJvJvJ
(Sonnerie : f f= f
I, 2, 3, 4, 5, etc.
figure, — d'une façon très grossière il est vrai, — cette intervention de
la volonté créatrice de l'artiste. Par la sonnerie du timbre, l'attention
de l'auditeur est attirée sur les bruits de rang impair (i, 3, 5, etc.) à
l'exclusion des autres (2, 4,) : le rythme est exprimé.
LE RYTHME aj
Le rythme, dans la musique, suppose donc une inégalité r'éelle dans
la durée, dans l'intensité ou dans l'acuité des sons. Pour le déterminer,
il faut au moins deux émissions de son, un minimum de deux temps
rythmiques inégaux : un temps léger et un temps lourd (i), qu'on peut
figurer ainsi :
J I i
Temps léger j Temps lourd
RYTHME BINAIRE RYTHME TERNAIRE
Toute succession de ce genre constitue un' groupe rythmique, dont
les répétitions successives engendrent le rythme binaire, lorsqu'elles
ont lieu sans interruption :
Rythme binaire : J J J J J J etc.
le métronome dont la sonnerie se fait entendre avec les battements, de
deux en deux, formule un rythme binaire (2).
Par la prolongation du temps lourd, ou par suite d'une interruption
entre ses répétitions successives, le même groupe rythmique devient
rythme ternaire :
par prolongation : J J J J J J etc.
par interruption :J J\'J JvJ J etc.
Rythme ternaire
on pourrait figurer le rythme ternaire en inclinant le métronome de
façon à donner une durée double à l'un de ses battements, par rapport
à l'autre : interruption dans les répétitions du groupe rythmique (3).
(i) Hugo Riemann [Musikalische Katechismen) emploie des expressions que nous iraduisons
ici par temps léger, temps lourd, de préférence aux mots temps faible, temps fort que les
traités de solfège appliquent beaucoup trop exclusivement aux temps pairs ou impairs
d'une même mesure.
(3) Un autre exemple de rythme binaire exprimé, c'est le pas de l'homme et d'un grand
nombre d'animaux. Si nous comptons, en marchant : Un ! (deux) trois! (quatre) cinq ! etc.,
avec des accentuations variables alternativement, cela tient à ce que nous fixons notre
attention sur le mouvement de l'une des deux jambes, laquelle passe réellement de la posi-
tion I à la position 3, etc.
Si on regarde le balancier du métronome, il marque de môme un rythme binaire
exprimé, puisqu'il n'est réellement dans la même position qu'avec les battements i, 3, 3,
etc. (ou 2, 4, 6, etc.). Aussi avons-nous spécifié au paragraphe précédent qu'il s'agissait
seulement des bruits égaux que fait entendre cal instrument.
(3) Les pulsations du cœur humain, sur lesquelles J.-Séb. Bach avait coutume de se
régler pour la détermination du mouvement daus ses œuvres, sont, en elles-mêmes, d'or-
dre ternaire : cette particularité, peu sensible lorsqu'on « tâte le pouls » à l'artcre du poi-
gnet (rythme en quelque sorte indifférent), se perçoit nettement en auscultant directement
les mouvements du Cœur.
En supposant qu'une contraction du cœur ait une durée représentée par le chiffre 3,
l'observation montre que la contraction des oreillettes peut être à peu de chose près évaluée
à I, la contraction des ventricules à I, et l'intervalle de repos pareillement à i.
Admirable application delà prolongation du temps lourd et du principe de l'unité trinitairel
36
LE RYTHME
RYTHME MASCULIN
RYTHME FEMININ
Réduit ainsi à sa plus simple expression, le rythme musical réside
dans le plus petit groupe indivisible d'une succession de sons.
Si nous nommons incise ce fragment indivisible de la- mélodie,
cette monade ou cellule pourvue d'une existence propre et distincte, le
rythme devra être défini dans la musique : la plus petite incise d'une
période mélodique.
Pour simplifier, nous avons jusqu'ici figuré cette monade rythmique
par son minimum de sons :
J I. J
Temps léger î Tempî lourd
mais dans la constitution rythmique d'une mélodie, le temps léger ou
le temps lourd peuvent être formés eux-mêmes d'un^row^ede plusieurs
notes ou neume.
Le neume^ dans la cantilène monodique, se compose de deux, trois,
ou quatî^e notes au plus : on peut le considérer comme une sorte de
syllabe musicale, servant à établir le discours musical, par le moyen des
groupes et des périodes mélodiques.
Comme Xts syllabes du langage, les neumes servant à constituer des
mots ou groupes rythmiques sont susceptibles de se terminer par une
désinence masculine ou féminitie .
Quel que soit le nombre des sons qui apparaissent sur le temps
léger, on appellera masculin le rythme dont le temps lourd ne contient
qu'?/« seul S071, et féminin celui dont le temps lourd est formé d'un son
principal accentué et suivi d'un ou de plusieurs autres sons dont l'in-
tensité décroît comme celle de nos syllabes muettes :
Rythme masculin : J. J J
Vemps léger
Temps lourd
Rythme féminin
Temps léger | Temps lourd
LE RYTHME ET LA MESURE
Les expressions temps léger., temps lourd, dont nous nous sommes
servis à dessein, ne sont nullement équivalentes à celles de temps
faible et de temps fort, qu'on emploie dans tous les traités de solfège.
Les temps îythmiquc's^ auxquels nous appliquons les qualificatifs de
Jége?'s ou de lourds, ne coïncident pas nécessairement avec les temps
de la mesure, entre lesquels les professeurs de musique distinguent à
tort des « temps forts » et des « temps faibles ».
Le rythme ne coïncide pas davantage avec la mesure, qu'on est beau-
coup trop souvent tenté de confondre avec lui.
LE RYTHME «7
La mesure est une figuration fort imparfaite du rythme. Elle aide h
rendre plus saisissablcs certains rythmes étroits et serviles, mais elle
oblige au contraire à représenter les rythmes libres d'une façon compli-
quée, qui les rend moins apparents, et en paralyse fréquemment l'exé-
cution.
Battt^e la mesure et rythmer une phrase musicale sont deux opéra-
tions complètement différentes, souvent opposées. Les nécessités de
l'exécution d'ensemble obligent à discerner par le geste les temps de la
mesure; mais le premier temps qu'on appelle frappé est tout à fait
indépendant de Vaccentuation rythmique^ ainsi que nous le verrons dans
l'étude de la mélodie (chap. ii).
La coïncidence du rythme et de la mesure est un cas tout à fait
particulier, qu'on a malencontreusement voulu généraliser, en propa-
geant cette erreur que « le premier temps de la mesure est toujours
fort » (i).
Cette identification du rythme avec la mesure a eu pour la musique
des conséquences déplorables ; c'est même une des plus fâcheuses inno-
vations que nous ait léguées le xvii* siècle, si fertile en fausses théories.
Sous prétexte de reconstituer l'ancienne Métrique^ à l'aide de quelques
vieux documents plus ou moins bien interprétés, on a complètement
perdu de vue, à cette époque, les lois plus larges et pourtant tout
aussi anciennes de la Rythmique, seules compatibles avec l'art véritable.
Ainsi le rythme, soumis aux exigences restrictives de la mesure,
s'est appauvri rapidement, jusqu'à la plusdésolante platitude : telle, dans
un arbre, une branche qui. comprimée fortement par une ligature,
s'étiole et s'atrophie, tandis que ses voisines absorbent toute la sève.
LE RYTHME DE LA PAROLE ET LE RYTHME DU GESTE
Dans l'antiquité, on accordait au rythme la place prépondérante qu'il
doit occuper dans l'Art. Appliquées à \!à pai'ole récitée on chantée, aussi
bien qu'aux mouvements du corps^ à la déclamation et à la musique
comme à la mimique et à la danse^ les lois rythmiques régissaient en-
semble le Temps et l'Espace, car, seules peut-être parmi les arts, la
danse et la mimique sont à la fois des arts successifs et plastiques, des
arts du Temps et de l'Espace: aussi étaient-ils considérés par les Anciens
comme des arts sacrés, qu'on réservait le plus souvent aux cérémonies
religieuses.
Sous l'influence du christianisme, qui proclame la suprématie de
fi) On pourrait même avancer que, /c ;7/Mi .^OMVÉ'M/, le premier temps delà mesure est
rythnùquemtnt un temps faible ; l'adoption de ce principe éviterait bien des erreurs et
bien des fautes d'interprétation.
28 LE RYTHME
l'àme sur le corps, ces deux arts sont, dès le début du moyen âge,
exclus du culte divin, en tant que manifestations artistiques.
Ainsi s'oblitère et disparaît progressivement le rythme qui réglait
les belles attitudes du corps, tandis que le rythme de la parole chantée
s'affine et se conserve, en raison même de l'idée religieuse, comme on
le constatera dans l'étude de la cantilène grégorienne.
Exclue de l'église, la danse antique subsiste seulement dans le peuple,
mais elle s'y transforme, s'y vulgarise, et perd en grande partie son
caractère artistique.
Ces derniers vestiges de l'ancien rythme du corps se retrouvent à peu
près exclusivement dans la chanson populaire^ différant du chant reli-
gieux par ses périodes mélodiques plus symétriquement cadencées,
parce qu'elles sont destinées à la danse.
Ainsi, au cours des deux premières époques de l'histoire musicale
(époque rythmo-vionodiqne et époque polyphonique), l'art de la jcaro/e
rythmée se retrouve dans la Tcms\c\\ie religieuses^ tandis que Tart du geste
rythmé est passé presque exclusivement dans la musique profane.
Dans la troisième époque, au contraire (époque métîHque)^ les lois de
l'ancienne rythmique, paralysées par la prépondérance de la barre de
mesureront perdu toute influence apparente sutXq. musique ; mais elles
n'en conservent pas moins un rôle occulte dont le double effet provient
toujours de la distinction première entre le rythme de \a parole et le
rythme du geste.
Celui-ci, en effet, après avoir accompli son évolution populaire, a
donné naissance à notre genre instrumental ou purement symphonique.^
tandis que notre musique dramatique contemporaine a pour point de
départ le rythme de la parole récitée et chantée .
La mystérieuse puissance du rythme n'a donc jamais cessé d'agir sur
les destinées de l'art, et il n'est pas déraisonnable de penser que, libre
dans l'avenir comme il le fut dans le passé, le rf^/z me régnera de nouveau
sur la musique, et la libérera de l'asservissement où l'a tenue, pendant
près de trois siècles, la domination usurpatrice et déprimante de lamesure
mal comprise.
II
LA MÉLODIE
L'ACCENT
L'accent. — Accent tonique, accent expressif. — La mélodie. — Place de l'accent tonique
dans le groupe mélodique. — Principe de l'accentuation : la rythmique mélodique. —
Principe du mouvement : la période. — Principe du repos : la phrase. — Principe de la
tonalité : la modulation mélodique. — Formes de la mélodie : types primaire, binaire,
ternaire. — La phrase carrée. — Analyse d'une mélodie.
L ACCENT
La Mélodie est une succession de so7îs dij^érant entre eux par leur durée,
leur intensité et leur acuité.
Le point de départ de la mélodie est Vaccent.
Dans toutes les langues humaines, la prononciation successive des
sj'llabes et des mots est caractérisée par certaines variations de durée,
d'intensité ou d'acuité : cette application de la rythmique au langage
constitue Vacce?it.
De tout temps, l'accent de la parole fut associé à l'accent musical :
chez les Grecs et les Latins, la déclamation du vers lyrique étaitune sorte
de chant ; la voix de l'orateur était soutenue au moyen d'un instrument
rudimentaire qui en réglait l'intonation (i).
Au moyen âge, nous retrouvons l'association de l'accent musical à
celui de la parole dans la psalmodie, récitation collective de la prière
sur une note unique [chorda), avec inflexion simultanée des voix au der-
nier accent de chaque phrase.
Le langage musical et le langage parlé sont, en effet, régisd'une façon
identique par les lois de l'accent. L,q.s groupes rythmiques, nousVixwons
constaté, sont l'image musicale des sj-llabes, dont la succession engendre
les 7nots et les phrases.
(i) « L'accent est, dans le discours, un citant moins éclatant, un air étoulTc. » (Ciccron.)
3o LA. MÉLODIE
Cette similitude, plusfrappante dans le c^a«/(issude l'art delaparolë),
par la juxtaposition étroite des deux langages, est aussi vraie dans la
musique pure (issue de Tartdu geste)^ à laquelle s'appliquent également
les principes de l'accentuation.
ACCENT TONIQUE — ACCENT EXPRESSIF
L'accent affecte les mots et les phrases ; tonique dans le premier cas,
il est exp?^essif àRns> le second.
V accent tonique porte sur l'une des syllabes du mot, comme sur l'un
des temps du groupe rythmique.
Le mot important d'une phrase reçoit un accent plus fort ; le groupe
rythmique qu'on veut rendre plus apparent dans une succession de
mots musicaux est souligné par Vaccent expressif. Celui-ci peut être
appliqué différemment, suivant qu'il se rapporte à la signification du
mot ou au sentiment général de la phrase, mais // l'empoî^te toujours
sur Vaccent tonique.
Comme le sentiment est le principe créateur de tout art, en déclama-
tion comme en musique, l'accent expressif de sentiment, ou pathétique^
l'emporte à son tour sur l'accent logique ou de signification.
On peut s'en rendre compte par les accentuations diverses que
prend une phrase simple, suivant qu'on l'énonce d'une manière indifi-
férente (A), interrogative (B) ou affirmative [C) — par exemple :
A) Énonciation d'un fait indifférent :
^ ^ J^ J; J' J^
Il a quit-té la ville.
Deux accents logiques. — Pas d'accent pathétiqua.
la phrase est prononcée recto tono, avec une nuance égale d'intensité
sur les syllabes accentuées des deux mots importants : quit/e, W/le.
B) Interrogation :
Il a quit- té la ville ?...
(Accent tonique.) (Accent pathétique.
la phrase se précipite, le mot ville prend l'accent pathétique ; son into-
nation monte.
G) Affirmation :
^ i^ i^ ? J^ "^
Il a quit-té la ville.
(Acent pathétique.) (Accent tonique.)
LA MELODIE 3i
la phrase se ralentit; le mot quitté reçoit l'accent principal : son into-
nation monte légèrement ; le mot ville prend une forme concluante :
son intonation descend.
Ainsi, sous l'influence de sentiments divers, cette phrase, d'abord
indifférente, inerte, oii l'on distinguait à peine un rythme, devient
vivante par l'effet de Vaccent (i).
Plus rapides ou plus lentes, plus fortes ou plus faibles, plus aiguës
ou plus graves, les sylhibes semblent, pour ainsi dire, se musicaliser.
Que leur manque-t-il encore pour devenir mélodie? Une détermina-
tion précise dans leurs rapports d'intonation..
LA MÉLODIE
La mélodie n'est donc autre chose qu'une succession de s(7is déter-
minés, dijférant entre eux à la fois par leur durée, par leur intensité
et par leur intonation (gravité, acuité).
La mélodie suppose le rythme et ne saurait exister sans lui ; il suffit
en effet que deux sons, émis successivement, diffèrent par une seule
d£ leurs qualités intrinsèques (durée, intensité, acuité) pour constituer
le rythme. La mélodie, au contraire, suppose l'émission de sons succes-
sifs, différant, non plus par une seule de leurs qualités, mais par
toutes les trois.
Il faut donc ajouter au tniniymun rythmique que nous avons figuré
par -
J jJ
Temps léger Temps lourd
des signes y déterminant les relations de durée, d'intensité et d'into-
nation, pour représenter la mélodie élémentaire, le minimujn mélodique.
Telle sera, par exemple, la formule :
Temps legeriTeinps lourd
1° Sa relation d^ durée (ou a^o^/^we) est figurée par
Temps léger
Temps lourd
(précipitation rythmique du temps léger sur le temps lourd
2*» Sa relation d'intensité {ou dynamique) est figurée par
Temps léger j Temps lourd
(accentuation du temps léger.)
(t) Acce»tus atiima vocis : L'accent est l'âme de lu voix.
3a LA MÉLODIE
3° Sa relation d'intonation (ou purement jnélodique) est figurée par
m
Temps léger | Temps lourd
(abaissement mélodique du temps léger vers le temps lourd).
L'exemple que nous venons d'examiner, sous ses trois aspects diffé-
rents, constitue une sorte de cellule ou de rythme mélodique.
On appelle groupe ?nélodique une succession de ces sortes de rythmes,
et mélodie musicale^ une succession de groupes mélodiques soumis à
certaines lois d'accentuation, de mouvement, de repos et de tonalité.
C'est ici tout simplement une adaptation plus large aux groupes, des
principes appliqués aux 50725, dans notre première définition; cai
Vaccentuation n'est qu'une forme de Vinlensité ; le mouvement et le repos
sont des manifestations de la durée ; la tonalité est une conception plus
complexe de Vintonation.
PL\CE DE l'accent TONIQUE DANS LE GROUPE MÉLODIQUE
De même que dans les jnots du langage, la désinence masculine ou
féminine des rythmes mélodiques modifie la place de Vaccent tonique.
Dans un rythme masculin (v. chap. i, p. 26) l'accent tonique se
place sur le temps léger; le temps lourd (chute) n'est que la consé-
quence de l'accent.
Ainsi, par exemple, la cellule ou rythme mélodique que nous
venons d'examiner porte l'accent tonique sur sa première note :
Accent
tonique
Rythme masculin •
Tempi léger ! Temps lourd
Dans un vyxhmt féininin, au contraire (v. chap. i, p. 26), l'accent
tonique affecte le temps lourd de manière que la désinence féminine
devient, pour ainsi dire, un rebondissement de l'accent. Si nous
féminisons l'exemple précédent, l'accent tonique changera de place :
Accent
tonique
Rythme féminin - "^
"- ^
^^^
(i) Ce principe est le seul qui puisse expliquer les accents nécessaires de la syncope et de
Yappoggiature, que prescrivent les traités de solfège sans en donner la vraie raison.
A . A
La syncope : (^yrg=^^z^r=: |ijrji:^ est un rythme masculin, et porte, en conséquence,
T. légeqT. lourd A A
l'accent tonique sur le temps léger, tandis que l'appoggiature : fty h ^rid^z: ^^zg^—:
T. lég.iT. lourd
produisant un rythme féminin, entraîne naturellement l'appui sur le lemps lourd.
LA MELODIE
33
Ce que nous disons ici du rythme mélodique s'étend au groupe qui
n'est qu'une succession de rythmes, et nous lirons de cette extension
la règle suivante :
Dans tout groupe masculin, la place de l'accent tonique est sur la
fraction légère du groupe.
Accent
tonique
Exemple : -fet?-p
anacrouse
-i^
Accent
tonique
A
gÈ£g:|:j5a^^;^gg^^^^^:r—
Fr. légère
Fr.
lourde
1er groupe
Fraction îciicrc
_',■ [groupe
! Fr.
lourde
Beethoven
( V'Symphonie)
Il est facile en effet de ramener ce fragment de mélodie à un schème
rythmique masculin :
A
Rythme masculin : ^^ — ! — — '"^V^^
Temps léger :T. lourd
A
— I —
4:
Temps léger
T. lourd
Dans tout groupe y^'wmzVz, l'accent tonique sera naturellement placé
sur la fraction lourde du groupe, qui contient la désinence.
Exemple : ^^^^^f^w^^^^^fjrrj^
Accent
tonique
A
Fraction légère
Fraction lourde
Beethoven
(VI° Symphonie)
Le schème rythmique de ce fragment est évidemment féminin :
i h
Rythme féminin : ^ J j^^^^j .J" f *
Temps léger
Temps lourd
Nous arrivons ainsi à déterminer dans la mélodie le principe de
V accentuation.
PRINCIPE DE l'accentuation : LA RYTHMIQUE MÉLODIQUE
A) La place de Vaccent tonique varie suivant la forme^ masculine ou
féminine^ du groupe mélodique.
Vaccentuation tient à l'essence même de la mélodie; elle lui
donne sa signification en y déterminant la lythmique mélodique. Dans
la musique pure, aussi bien que dans le chant, un simple changement
d'accentuation modifie à la fois le sens rythmique et la signification
musicale.
Cours ds composition 3
Î4
LA MÉLODIE
Dans la fraction légère du groupe féminin que nous venons d'exa-
miner (p. 33) par exemple, le premier rythme est masculin ; il perdrait
tout son caractère si on l'accentuait comme un rythme fémijiin (i) :
I Rythme masculin j
Accent
tonique
A
r
Ryihme féminin
Accent
tonique
A
Temps léger jTenips lourd
Tempi léger {Temps lourd
De même, les deux périodes mélodiques ci-dessous, presque iden-
tiques en apparence, surtout lorsqu'on les transcrit dans la même
tonalité et avec les mêmes valeurs de notes, comme nous le faisons ici,
sont, en raison de leur accentuation, très différentes à l'audition (2) :
1er groupe masculin
Accents toniques . . /^
a] Période masculine fe^
^nè
fr. lourde
Beethoven
(Quintette,
op. 16)
anacrouse
Accents toniques ....
b) Période féminine ^ ^ ^ ■
1er groupe féminin | anacr.
^
fr. légère
fr. lourde
I
^
2e groupe féminin
^s^
Mozart
{Don Juan)
fr. légère 1 f. lourde
I : I
En effet, la première est plutôt masculine, malgré les petites notes
ornementales
==r^'~ri'^— qui occupent la fraction
lourde de chaque groupe, et qui sont trop peu importantes pour en
modifier le genre. Quant à la seconde, elle est nettement /e';;»'«me.
B) Il n'est point de mélodie qui commence sur un temps lourd.
On remarquera que ces deux périodes commencent par leur frac-
(ij II est curieux de constater que cette période initiale de la Symphonie pastorale est, le
plus souvent, interprétée avec l'accentuation la plus fausse qu'il soit possible de lui donner,
celle
-ci:P^
triste résultat de la tyrannie de la barre de mesure et de
l'enseignement antirythmique du solfège.
(2) Nous avons choisi intentionnellement ces deux exemples, dans lesquels la barre de me-
sure divise les groupes selon le rythme, disposition qui n'est pas toujours observée, même
par les compositeurs de géni;.
LA MELODIE
35
tion légère : on peut donc les réduire aux deux schémas rythmiques
suivants :
A — ^ A
a) Rythme masculin : /k^ F -; J J^
T. léger jT. lourd||T. léger
m
ï. lourd
b) Rythme féminin : (!jy^-J^g^||_^ !~^P~i
T. léger jT. lourd||T, Icgerj T. lourd
La place respective des temps légers et lourds est identique dans la
plus grande partie des mélodies; aussi, Hugo Riemann (voir chap. ix)
a-t-il formulé d'une façon absolue cette règle d'accentuation, qui ne
comporte guère d'exceptions :
« Il n'est point de mélodie qui commence par un temps lourd. »
Comme complément h cette règle de Riemann, nous pouvons dire :
« Toute mélodie commence par une anacrouse exprimée ou sous-
entendue, j
On appelle anacrouse la préparation de l'accent : en effet, le premier
groupe d'une mélodie commence le plus souvent par une ou plusieurs
notes accessoires formant une sorte d'entrée en matière. Si le groupe
est masculin, ces notes ont pour effet de préparer immédiatement le
premier accent tonique et constituent une anacrouse.
Si le groupe est féminin, la préparation du premier accent est faite
par toute la fraction légère du groupe; en ce cas, les notes accessoires
du début (ou, si l'on veut, l'entrée en matière) ayant pour effet d'allonger
cette fraction légère (ou anacrouse), contribuent au renforcement du
premier accent tonique ; car celui-ci sera d'autant plus marqué que
la chute sur la fraction lourde aura tardé davantage à s'opérer.
Mais cette anacrouse, exprimée la plupart du temps, comme dans
Icxemple ^, ci-dessus p. 84 (i), est parfois sous-entendue ou élidée,
comme dans l'exemple a. Dans ce dernier cas, et dans presque tous
ceux du même genre, le deuxième groupe de la période donne l'indi-
cation de ce qu'aurait pu être l'anacrouse élidée du premier groupe.
Ainsi, dans l'exemple dont il s'agit [a, p. 34), le second groupe :
ag^^i^^
i=
anacrouse
doit être considéré comme issu du groupe initial
A
anacrouse
(i) Voyez aussi l'anacrouse nettement exprimée au début de la période initiale de lan-
dante de la \''' symphonie de liccihoven, ci-dessus p. 33.
36 LA MELODIE
dont les deux premières notes {la, sib) ont été élidées et remplacées par
une simple respiration :
^g^j^:^!^
C) L'accent expressif Vempor^te toujours en intensité sur l'accent
tonique.
La musique étant, nous l'avons dit, un art où le sentiment prend
un rôle prépondérant, l'accent expressifs dont on peut constater les
effets quasi musicaux dans le langage parlé lui-même (voir les exemples
page 3o), exerce une influence autocratique sur la rythmique musicale,
à tel point que devant lui tout accent tonique s'atténue ou même dis-
paraît.
L'accent expressif découle d'ordinaire du mouvement général de la
phrase mélodique ; néanmoins il trouve aussi son application dans le
groupe simple, notamment lorsque deux notes placées sur le même
degré se suivent immédiatement. Dans ce cas, l'une des deux est généra-
lement affectée de l'accent expressif.
Prenons pour exemple le groupe féminin :
Accent tonique
^m
Accent expressif. . r
fraction légère
^
fr. lourde
L'accentuation du second fa # (note expressive) prend une telle im-
portance que c'est à peine si Tappoggiature (?w/, ré) doit être marquée,
et l'interprète qui ne tiendrait compte ici que du seul accent tonique
commettrait un crime de lèse-rythmique.
Nous voyons donc, par tout ce qui précède, que \t groupe mélodique,
véritable wo/ musical, est affecté par l'accent de la même manière que
le i7ïot du langage usuel, et contribue, au même titre que ce dernier, à
l'intelligence du discours musical, au moyen de l'accentuation, qui nous
donne la clef de la rythnique.
PRINCrPK DU MOUVEMENT : LA PÉRIODE
Le mouvement mélodique consiste en une suite ininterrompue de
groupes, partant du point initial pour aboutir au poijit final de la
période.
Toute portion mélodique comprise entre le point où commence le
mouvement et celui où il s'arrête constitue une période^ laquelle se
LA MELODIE
comporte, vis-à-vis de ses groupes, comme les groupes eux-mêmes vis-
à-vis de leurs rythmes constitutifs.
La fin de la période se détermine par un jrrcV du mouvement, mais
cet arrêt n'est jamais que momentané, et ne .peut constituer un état de
repos qu'après la dernière période d'une phrase. Il est caractérisé
musicalement par la demi-cadence^ lorsqu'il se produit sur une note
n'émanant pas directement du sentiment de la tonique.
Le nombre des groupes dont se compose la période n'est pas limité.
Nous donnons ci-dessous quatre exemples de périodes mélodiques
comprenant des groupes dénombre et de genres différents :
Accents toniques
1er groupe
(masculin)
2e g^roupe
(féminin)
lourd
Accents expressifs
léger
J.-S. Bach
(Pastorale
pour orgue)
lourd
Cette période est composée de deux groupes de genre différent, dont
les accents toniques et expressifs coïncident ; l'arrêt se produit sur le
sentiment de la tonique et n'amène, conséquemment, point de demi-
cadence.
Ace. expr.
Beethoven
: (Adagio du
: Vn* quatuor,
op. 3q)
Cette période, composée de quatre groupes féminins, est, de ce fait,
parfaitement symétrique, et ne doit son effet douloureux qu'à la place
des accents expressifs, qui viennent contrebalancer le rythme monotone
des accents toniques.
3°
> er gr. 2e gr.
(masculin) (mascùliri)
Accents toniques. ^ y^
I '■•
V L
^ 1 -p^ janacr. ^ :*:
Accents expressifs.
^4:
:>e gr. 4e gr.
(masculin) (masc.)
Accents ton. . /y yy
Weber
\' \ (Eutyantke
Accents eipr.
38
LA MÉLODIE
Cette longue période, formée de six groupes, présente une particula-
rité assez fréquente, celle de Vélision de la fraction lourde d'un
groupe masculin (le quatrième) dans la fraction légère d'un groupe
féminin (le cinquième). La fusion de ces deux fractions non accentuées
en une seule produit une sorte de rebondissement mélodique presque
toujours caractérisé par l'appel d'un accent expressif plus intense. Dans
ce cas, notre métrique moderne exige un allongement du dernier accent
avant l'arrêt, pour que la mélodie redevienne symétrique, ainsi que nous
l'observons dans ce même exemple, où le sixième groupe est d'une
valeur pllis longue que les précédents.
Accents toniques. . yv
an. s.-ent.
4
^F
Accents expressifs
1er gr.
(masculin)
2e gr.
(féminin)
R. Wagner
(Meistersinger
Ici. la période ne comprend que deux groupes de genre différent abou-
tissant, comme dans les deux exemples précédents, à une demi-cadence
qui constitue le terme de la période.
Nous avons appliquédans tousces exemples les règlesde la rythmique
basées sur l'accentuation, et non celles de la métrique usuelle, notable-
ment différentes, comme on peut le voir.
Si Ton examine une mélodie 7?îesurée, il sera facile de se convaincre
du caractère anacrousique de certaines me^wre^, par rapport aux autres
mesures de la même mélodie.
Cette observation nous révèle l'existence, dans la musique mesurée, de
mesures fortes et de mesures faibles, et nous en tirerons cette consé-
quence qu'il convient souvent de dédoubler la mesure pour retrouver le
véritable rythme.
On pourrait écrire ainsi, par exemple, le thème du finale de la
IX' symphonie de Beethoven :
I mesure
I anacrousique
Accents toniques . .
mesure
forte
mesure
faible
^^^^^3
^Ese^
Accents expressifs.
La première mesure est une véritable anacrouse ; c'est d'autant plus
certain que l'accent tonique et l'accent expressif tombent sur la même
note ; mais le défaut de coïncidence entre les deux sortes d'accent n'y
LA MÉLODIE
39
changerait absolument rien, comme on peut le voir dans cet autre
exemple :
mesure
anacrousiquo
(■nlc
Accents toniques A A
Accents expressifs . .
Beethoven
(iVndante du
trio, op. (j-j)
L'accent tonique^ qui détermine le temps lourd dans le rythme fémi-
nin, est ici à la seconde mesure : la première est donc anacrousique (i),
et l'accent expressif qui s'y trouve alfecte un temps léger, non accentué
en rythme féminin ; cette circonstance, nous l'avons expliqué, ne l'em-
pêche nullement de l'emporter dans l'interprétationsur l'accent tonique.
Bach et les auteurs de son époque employaient volontiers cette dis-
position en grandes mesures^ contenant deux ou même quatre de nos
mesures actuelles; la facilité de lecture y perdait peut-être, mais la
représentation rythmique y gagnait certainement ; on pouvait mieux
suivre, de la sorte, le mouvement de la période mélodique.
PRINCIPE DU RKPOS . LA PHRASE
Tout effort mélodique nécessite un repos qui se manifeste par la cadence.
Tout mouvement, de quelque nature qu'il soit, est le résultat d'un
effort qui, tôt ou tard, doit se résoudre en une détente.
Nous avons déjà vu que l'arrêt marquant la fin de la période forme ce
que nous avons appelé une demi-cadence, nous réservant d'expliquer ce
terme ; toute succession de périodes mélodiques, séparées par des
repos prouisoires (demi-cadences), constitue une phrase {2) dont le point
terminal est caractérisé par un repos définitif.
La phrase musicale se comporte à l'égard de ses périodes compo-
santes comme celles-ci vis-à-vis de leurs groupes mélodiques successits;
il y a donc dans une phrase des périodes fortes et des périodes faibles.
Les î^epos sont caractérisés par certaines formules mélodiques^ véri-
(i) Dans rhypothèsc de l'anacrousc élidée :
la première mesure complète ne pourrait évidemment pas davantage recevoir l'accent
tonique.
(2) Il faut remarquer que, contrairement à la signification adoptée pour le discours parle,
dans lequel le mot période est employé pour désigner un ensemble de p/jrjst"s, la période
musicale est seulement une partie de la phrase, laquelle se constitue par un enchaînement
de périodes : la période musicale est donc l'équivalent de la proposition grammaticale.
40 LA. MÉLODIE
tables cadences^ suspensives ou conclusives suivant les cas, comme la
cadence harnionique dont il sera question au chapitre vn.
Entre les périodes et les cadences, il existe certaines corrélations de
symétrie, qui concourent puissamment au bon équilibre de la phrase.
Ainsi, lorsqu'une formule mélodique de cadence se reproduit (soit
sur des degrés différents, soit sur les mêmes), à la fin de deux périodes
correspondantes, il s'ensuit une sorte de rime musicale^ comparable en
tout point à la rime poétique.
Deux périodes rimant entre elles peuvent être consécutives (rimes
régulières), séparées par une période intermédiaire (rimes croisées),
ou même par deux (tercets), etc.. etc..
Une proportion existe également entre les longueurs relatives des
périodes ; mais il ne faudrait point conclure de là à la nécessité de leur
carrwe, c'est-à-dire delà symétrie de leurs mesures, étroitement limi-
tée au nombre 4 et à ses multiples. La carrure est au contraire un
élément de vulgarité, rarement utile en dehors de certaines formes spé-
ciales à la musique de danse.
Le caractère conclusif ou suspensif des cadences mélodiques dépend
de leur tonalité.
PRINCIPE DE LA TONALITÉ! LA MODULATION MÉLODIQUE
La tonalité est le rapport des sons et des groupes constitutifs de la
mélodie à im son déterminé qu'on nonune tonique.
Lsi tonique occupe dans le discours musical le premier rang, la prin-
cipale fonction.
Tant que chacun des sons ou des groupes d'une même mélodie reste
en rapport avec la même tonique, il occupe relativement à elle le même
rang, c'est-à-dire la même /owc/zow (dominante, médiante, etc.), et la
tonalité demeure constante.
Si, au contraire, \afo?iction des mêmes sons ou groupes vient à être
modifiée, la tonalité varie : il y a modulation.
Toute formule mélodique de cadence suspensive est, par cela même,
modulante, et le sentiment de la tonalité initiale ne peut être rétabli
qu'à l'aide d'une formule de cadence définitive ou tonale.
La modulation doit toujours être motivée par une raison expressive :
dans l'ordre dramatique, c'est le sens des paroles qui la détermine ; dans
l'ordre symphonique ou purement instrumental, c'est le caractère
général des sentiments à exprimer (voir chap. vin).
On a rhabitude de rapporter uniquement à l'harmonie les phéno-
mènes de la cadence et de la modulation ; c'est là un effet de notre con-
ception moderne de la tonalité, basée principalement sur les rapports
LA MÉLODIE 41
harmoniques des sons. Il ne faut pas oublier cependant que la notion de
tonalité est très antérieure à toute espèce d'harmonie (i) : dans toute la
musique de l'époque rythmo-monodique, le principe de tonalité se mani-
feste, mais sous une forme exclusivement mélodique, avec ses véritables
cadences et modulations, purement mélodiques^ elles aussi. On y dis-
tingue nettement la modulation dominante et la modulation médiane. Ce
sont peut-être les seules qu'on rencontre avant le xvi^ siècle, mais il n'en
faut pas davantage pour prouver que le rôle de l'harmonie, encore que
très important dans la modulation, n'y est nullement nécessaire.
FORMES DE LA MÉLODIE: TYPES PRIMAIRE, BINAIRE, TERNAIRE
Accentuation ; mouvement et repos ; tonalité: tels sont donc les prin-
cipes constitutifs du groupe mélodique, de la période et de la. phrase
musicale.
Celle-ci, en raison du nombre et de l'agencement de ses périodes et
de ses groupes, affecte une infinité dQ formes différentes, qu'on peut
généralement ramener à l'un des ^ro/5 types suivants:
A) Nous appellerons /7r/wa/re la phrase constituée en une seule période
mélodique, dont le sens est terminé avec le groupe final. Cette forme
ne comporte donc point de repos suspensifs, ni, par conséquent, de ca-
dences modulantes. Elle ne présente qu'une seule cadence tonale à la fin.
Toute phrase chantée qui ne nécessite pas de virgule, mais seulement
un point final, est du genre primaire ; par exemple : les phrases courtes
des Gloria du chant grégorien. (Exemple : Gloria des Anges : Liber
Gradualis de Solesmes, 2* édition, page 1 5*.)
Dans l'ordre de la musique pure, on peut citer comme phrase primaire
le thème de l'andante de la V^ symphonie de Beethoven.
B) Deux périodes mélodiques séparées par un repos constituent une
phrase binaire. Cette forme suppose donc une cadence modulante et une
cadence tonale.
L'exemple le plus frappant qu'on en puisse trouver dans l'ordre dra-
matique, c'est le veî'set de la psalmodie. Les ^^We simples, comme celui
de la Messe des morts, sont aussi du type binaire. (L. Gr. 2® éd. p. [i3o].)
L'andante du trio de Beethoven (op. 97J, que nous avons déjà cité,
présente, dans l'ordre symphonique, un bel exemple du même type.
C) La phrase teniai?'e^ la plus usuelle de toutes, est constituée en trois
périodes mélodiques, séparées par deux repos suspensifs ; elle comporte
donc deux cadences modulantes et une cadence tonale.
(i) On verra au chapitre vu que la notion de towa/i'/e est applicable à chacun des éléments
de la musique : rythme, mélodie, harmonie.
42 LA MÉLODIE
Dans le chant grégorien, le Kyrie des fêtes doubles (Messe des Anges -.
L. Gr., 2« éd., p. i5*), les Alléluia^ sont des exemples ternaires.
Cette forme est devenue, dans notre musique symphonique, la carac-
téristique des phrases d'a«<ia«?e, là forme-lied. L'andante delà IIP sym-
phonie de Beethoven (Héroïque) en offre un beau spécimen.
LA PHRASE CARREE
Quant aux phrases dites carrées ou à quatre périodes, leur examen
attentif montre qu'elles sont pour la plupart, soit des phrases ternaires
dont une période est répétée deux fois, soit même des phrases binaires
avec deux répétitions : l'antienne du Jeudi Saint : Maneant in vobis
[L. Gr., 2^ éd., p. 184), par exemple, présente dans son exposition quatre
périodes distinctes, dont la dernière n'est que la répétition de la pre-
mière : c'est donc une; phrase ternaire.
La mélodie populaire : Au clair de la lune... est du type binaire, mal-
gré son apparence carrée : elle est constituée par une première période
répétée deux fois, par une seconde période, et enfin par une nouvelle
répétition de la première.
On pourrait faire, dans l'ordre symphonique, des observations ana-
logues sur la phrase de l'andante de la IX^ symphonie de Beethoven
(ternaire), et sur le thème du finale de la même symphonie (binaire).
Les exemples de mélodies ne rentrant dans aucune des trois catégories
que nous venons de déterminer sont extrêmement rares (voir l'exemple
ci-après, p. 44).
ANALYSE D UNE MELODIE
Quel que soit, du reste, le type d'une mélodie, le procédé d'analyse est
toujours le même ; il consiste :
I °, à éliminer dans chaque phrase les périodes répétées, en ne tenant
compte que des périodes réelles ;
2", à éliminer successivement dans chacune de celles-ci les notes acces-
soires, d'ordre purement ornemental, pour ne tenir compte que des
notes réelles.
Ces deux opérations faites, on se trouve en présence d'une sorte de
schème mélodique ou même purement rythmique^ dont l'analyse devient
facile.
Dans une mélodie bien constituée, l'agencement des phrases et des
périodes ainsi réduites à leur schème doit, autant que possible, satisfaire
aux conditions suivantes :
i», au cours d'une même période, le même degré, — c'est-à-dire la
même fonction d'une note de la gamme, — ne doit pas être entendu
plusieurs fois dans le même sentiment tonal ;
LA MELODIE
2®, la conduite tonale de chaque période doit avoir toujours unbutbicn
déterminé, et ce but doit être atteint dans la période suivante ;
3% les phrases musicales enfin, formées chacune de deux ou trois pé-
riodes et appelées à constituer dans leur ensemble Vidée musicale, comme
nous l'expliquerons au chapitre de la Souate (deuxième livre), doivent
être toutes dépendantes Tune de l'autre, bien que diverses d'aspect.
Lorsque ces trois conditions sont remplies, la Mélodie répond vrai-
ment au but de l'Art, qui est la Variété dans l'Unité .
Nous donnons ci-après trois exemples d'analyse mélodique établie au
moyen de la réduction de la phrase à son scheme rythmique. Cet état sim-
plifié ne contient naturellement que des accents toniques (a), l'accent
expressif (=-) ressortant de l'état complet de la mélodie, dont Vambitus
entraîne parfois le déplacement de l'accent.
Il est à remarquer que les plus belles phrases musicales sont celles qui,
puisant leur force dans leur propre élément, \a mélodie ?y'thmée, ne per-
dent rien à être présentées sans vêtement harmonique. Tel est le cas des
exemples suivants, choisis dans trois différentes époques de l'histoire mu-
sicale, mais offrant une égale pureté de ligne unie à une égale hauteur
d'inspiration.
J.jrjn
Schème
rythmique.
VJgT. (masc.)
2'lgr. (masc.)
3£gr.
(fém.)
l^i^gr. (masc.)
2«gr. (masc.) 3!:gr.
m
<^._ 3 groupes
î
l'^'L'" Iif'r.l.
î
j i',rir>
m
i h V ^
*-.
(fcm.)
l''.''gr. (masc.)
44
LA MÉLODIE
(uiasc.) l^Jgr. (masc.) 2l9-j. (masc.)
J.-S. Bach (Sonate pour violon et clavecin en ut mineur — Adagio — vers lySo).
Cette phrase tertiaire, composée de dix groupes, est essentiellement
symétrique : la première période est reproduite deux fois, et les rythmes
delà seconde correspondent absolument à ceux de la troisième.
Il n'en est pas de même de l'exemple suivant, type admirable autant
que rare d'une phrase carrée, c'est-à-dire formée de quatre périodes
mélodiques différentes. Cette mélodie, comme celle du premier exemple,
est constituée en dix groupes, mais les troisième et quatrième, hui-
tième et neuvième, ont une durée moindre que celle des autres
groupes de la même mélodie, c'est pourquoi on peut la qualifier de
phrase serrée.
Schème
mélodique
(I) Ici racccnt tonique est absolument détruit, ou plutôt déplacé par l'accent expressif, qui
est lui même renforce par une anacrouse également expressive
Même remarque peut être faite en maint autre endroit de cctic même mdodie et de la
suivante.
LA MELODIE
3_CT0llpP£
^m^
^^^^^1^
Beethoven (Sonate pour piano en la p. op. iio — Anoso — ib22).
Quant au troisième exemple, c'est une phrase qu'on pourrait appeler
décroissante^ chacune des trois périodes de cette belle mélodie ternaire
présentant un groupe de moins que la période précédente (5 groupes
pour la première, 4 pour la seconde, 3 pour la troisième).
rf pcr. [
Schème
rythmique. (g ■^ -t^
ll-^gr. (féni.)
2î s^r. (îém.)
]■ I ^, uc:y4:g^jaj=ffl=i
5 groupes
l>''"P^'i
^
=?=?
r-9
32 gr.dnasc.)
4ï gr. (nmsc.)
5£ gr. (fém.)
l'-l'gr.
46
LA MELODIE
(fém.)
3S gr, (mase.)
(masc.) li''gr.(uiasc.) 2£ gr. (fém.)
3£ gr. (fém.)
CÉSAR Franck (Prélude choral et fugue pour piano — 2° partie — 1884).
(Enoch et 0«, éditeurs.)
^
III
LA NOTATION
La notation et l'écriture. Ecritures idtlographiques, syllabiques, alphabétiques. Notation en
lignes, en tieumes, en notes. — La notation neumatique. La notation ponctuée. — Gui
d'Are^f^o : Les noms des notes. La portée. — La notation proportionnelle : Notation
noire, notation blanche. — Erreurs des plain-chantistes du xvue siècle. — Notations
conventionnelles et notation traditionnelle. — Les Tablatures. — Transformation des
signes traditionnels : Silences. Mesures. Clés. Accidents. — Imperfections de la notation
contemporaine.
LA NOTATION ET L ECRITURE
ÉCRITURES IDÉOGRAPHIQUES, SYLLABIQUES, ALPHABÉTIQUES
NOTATIONS EN LIGNES, EN NEUMES, EN NOTES
La notation musicale sert à représenter graphiquement le langage
des sons, au même titre et de la même manière que l'écriture représente
le langage des mots.
L'identité d'origine de ces deux manifestations de l'esprit humain ne
saurait être mise en doute : la déchéance de l'homme mortel et Timper-
fection de ses facultés ont entraîné pour lui, dès les premiers âges, la
nécessité de recourir à des signes conventionnels, tracés de sa main, afin
de subvenir aux défaillances de sa mémoire, et de transmettre à ses
semblables ses propres connaissances, aussi bien dans le domaine de l'Art
que dans celui de la Pensée.
Une comparaison sommaire entre les grandes évolutions de l'écriture
et celles de la notation révèle une fois de plus, entre la parole et la mélo-
die, l'étroite corrélation constatée déjà à propos des lois communes de
mouvement, de repos et d'accentuation qui régissent ces deux lan-
gages.
Les plus anciens documents de l'écriture humaine tendent h établir
48 LA NOTATION
qu'elle consista d'abord en des schèmes ou dessins grossiers représentant
les créatures, les objets, ou symbolisant par eux les idées abstraites qui
y étaient attachées.
Ace premier état, que les linguistes appellent idéographique, succéda
peu à peu un système plus précis, dans lequel les signes graphiques
représentèrent, tantôt les idées ou les symboles, tantôt les articulations
mêmes des mots par lesquels on désignait les objets dessinés. Dans cette
phase nouvelle ou phonétique, l'écriture consiste en une sorte de j^ébus,
dans lequel un même schème peut avoir plusieurs acceptions, et oij
l'idée n'est évoquée qu'à l'aide d'un groupement d'articulations dif-
férentes ou syllabes. Des écritures de cette espèce existent encore de
nos jours en Orient et sont dites Sfllabiques.
Le génie plus analytique de certaines langues ne tarda pas à amener,
surtout en Occident, un nouveau perfectionnement du phonélisme sjlla-
bique. En raison de la complexité plus grande, soit dans les idées à repré-
senter, soit dans l'interprétation des caractères, ceux-ci subirent une
véritable désagrégation, et chaque signe syllabique se décomposa en ses
éléments premiers. Ainsi prit naissance le système alphabétique des
lettres, lesquelles, suivant leur ordre de groupement, servent à repré-
senter des articulations ou syllabes différentes.
Les écritures occidentales contemporaines sont basées sur des carac-
tères alphabétiques, dont le nombre tend à diminuer et la forme à s'u-
nifier de plus en plus.
Tout porte à croire que la notation musicale a traversé des phases
identiques.
Dans l'état primitif ou idéographique, la ligne mélodique devait être
représentée par une ligne graphique, dont les sinuosités figuraient les
inflexions de la voix, ou, ce qui revient au même, les ondulations du
geste musical, car nous avons vu, dès l'origine, que les mouvements
simultanés du corps humain accompagnaient le chant collectif. (V. Intro-
duction, p. 1 1.)
Les premières formes des munies médiévaux résultent sans doute de
la fragmentation progressive de cette ligne idéographique en véritables
syllabes musicales, destinées à être chantées d'une seule émission de
voix.
Peu à peu, l'esprit d'analyse, appliqué à ce mode instinctif et tradition-
nel de notation musicale, l'a érigé en système véritable, basé sur les
mouvements ascendants et descendants de la voix ou du geste, c'est-à-
dire sur les accents aigu et grave.
Une dernière transformation restait à accomplir : la décomposition
des neumes en noies distinctes comme les lettres d'un alphabet ; nous ver-
rons comment elle s'est opérée, à l'aide de la diastématie ou localisation
LA NOTATION 49
des neumes sur des lignes horizontales, fixant leur intonation relative par
rapport à un son fixe.
La notation musicale contennporaine est donc — comme l'écriture —
le résultat logique d'évolutions naturelles et progressives, communes à
toutes les représentations graphiques de la Pensée humaine.
Notre système alphabétique des notes est né du système syllabique
des neumes^ issu lui-même d'une forme primitive idéographique^ dont il
nous reste peu de documents (i).
Beaucoup plus précises sont nos données sur la notation syllabique des
neumes fragmentaires, dont l'usage remonte au moins au viiie siècle.
LA NOTATION NEUMATIQUE. — LA NOTATION PONCTUÉE
Dès le vni® siècle, les mouvements ascendants et descendants de la
voix servent de base à un système véritable, dont la psalmodie fournit les
éléments primordiaux. Le changement du chœur, au milieu de chaque
verset, est caractérise par une élévation des voix, indiquant la suspension
du sens littéraire, et le verset se termine par un abaissement des voix,
indiquant la conclusion.
A ce premier mouvement ascendant correspond Vaccent aigu, ou
virga^ tracé de bas en haut (/) ; à la chute finale correspond Vaccent
grave ou punctum^ tracé de haut en bas ( \ ) et plus court que la virga.
Ces deux signes élémentaires sont, à vrai dire, d'ordre grammatical,
et c'est seulement à l'aide de leur groupement qu'on peut noter les
inflexions véritablement musicales de la voix.
Les accents aigu et grave, simplement juxtaposés, s'appelèrent suivant
leur ordre : podatus (</), note grave précédant une note plus aiguë, et
clipis (/*), note aiguë précédant une note plus grave. Notre accent cir-
conflexe moderne (^) n'est pas autre chose que la clipis du système neu-
matique.
Groupés par trois, les accents donnèrent les quatres neumes suivants :
_/^, torculus, note aiguë entre deux notes graves.
/y, porrectus, note grave entre deux notes aiguës.
,/, scandicus^ trois notes ascendantes.
^, climacus, trois notes descendantes.
(O M. Pierre Aubry, à qui nous devons l'intéressant rapprochement qui précède, entre
l'Ecriture et la Notation, cite cependant à ce propos un Psautier lamaïque thibétain (de
Lhassa), dans lequel le chant est ctTectivement représenté à l'aide de longs traits sinueux,
figurant grossièrement les inflexions de la voix. Cet ouvrage, qui date seulement de trois ou
quatre siècles, paraît être une copie relativement récente de textes contemporains des pre-
mières notations neumatiques, et même antérieurs à elles. (V. Tribune de SaintGeryjis, avril
1900, no 4, p. 130.)
Cours de composition. a
bo LA NOTATION
Outre ces formes simples, on rencontre encore à cette époque une infi-
nité de signes plus compliqués (wv^^^v^''^ /xV"*^' ^^^•)' ^^'^^ lesquels
on peut aisément reconnaître les vestiges des lignes sinueuses constituant
l'écriture primitive.
Petit à petit, ces signes se simplifient et disparaissent, à mesure que la
préoccupation de déterminer les différences d'intonation apparaît claire-
ment.
Déjà certains scribes, notamment en Aquitaine, remplaçaient dans
leurs manuscrits les lignes neumatiques par leurs points essentiels, dont
la position respective figurait approximativement les intervalles entre
les sons (^" _, au lieu de Z""^).
Certains copistes plus soigneux prenaient même la précaution de
tracer, à la pointe sèche d'abord, plus tard à l'encre, une ligne horizon-
tale pour séparer les fragments mélodiques plus élevés, notés au-dessus,
des plus graves, écrits au-dessous ; une lettre indicatrice au commence-
ment de la ligne faisait connaître la note moyenne servant à établir cette
grossière division (généralement la lettre F ou fa).
Mais cette ligne unique fut bientôt jugée insuffisante pour la fixation
exacte des intervalles, et l'emploi simultané de deux ou de plusieurs
lignes directrices devint de plus en plus fréquent, tandis que la notation
en points, plus précise, se mélangeait avec la notation traditionnelle, en
petites lignes sinueuses, indéterminées.
GUI D AREZZO
LES NOMS DES NOTES. — LA PORTEE
L'ordonnancement de ces divers éléments s'imposait : c'est à Gui
d'Arezzo, moine bénédictin, que cette importante réforme est généra-
lement attribuée.
Gui, Guido ou Guion, que les uns disent originaire de la ville d'Arezzo,
et les autres tout simplement de Paris, où il aurait été élevé au couvent
de Saint-Maur, naquit en 996 et mourut en i o5o.
Deux innovations, également importantes dans l'histoire de la notation,
ont immortalisé son nom, à tort ou à raison : i** les noms actuels des
principales notes de la gamme ; 2° la portée.
r Depuis la plus haute antiquité, on avait eu recours aux lettres de
l'alphabet pour désigner les sons musicaux, soit dans leur ordre descen-
LA NOTATION
il
dant, soit dans leur ordre ascendant ; au temps de Gui d'Arezzo, les sept
sons constituant la gamme n'avaient donc point d'autres noms que :
A,B,C,D,E, F,G(i).
Dans une réponse à un ami qui lui demandait un moyen de retenir
l'intonation représentée par chacune de ces lettres, le savant moine
observe que chaque fragment mélodique de la première strophe de
l'hymne Utqueant Iaxis... (IP'' vêpres de la fête de saint Jean-Baptiste)
commence précisément par chacune des six premières notes de la gamme
dans leur ordre normal :
(i) Cette désignation des notes parles lettres de l'alphabet semble môme avoir servi de
base à une sorte de notation grossière, dont le mécanisme est assez mal connu, et l'inter-
prétation plus mal connue encore.
On fixait arbitrairement comme point de départ une note moyenne, commune à toutes les
voix, et placée dans leur médium.
Les lettres de l'alphabet servaient à représenter les intervalles mélodiques au-dessus et
au-dessous de ce point fixe appelé tnèse.
L'octave au-dessous de la mèse était représentée par les majuscules :
A, B, C, D, E, F, G.
L'octave au-dessus de la mèse, par les minuscules :
a, b, c, d, e, f, g.
La double octave au-dessus de la mèse par des doubles minuscules :
aa, bb, ce, dd, ee, ff, gg.
A cet ensemble permettant de représenter trois octaves, on ajoutait parfois, au grave, une
note, inférieure à l'octave des majuscules, et sur l'intonation de laquelle on n'est pas
d'accord.
Cette note ajoutée postérieurement s'appelait « la note moderne « et était représentée par
un r [gamma), d'où notre mot gamme.
Quelle était au juste la gamme ainsi notée ( C'est là que gît la difficulté. Plusieurs solu-
tions ont été proposées. La plus vraisemblable est celle dite des tétracorJes descendants soit
conjoints:
./2 t.
1/2 t.
UT IctracorJc
=î=^
2e tétracordi;
soit disjoints
1/2 t.
l/2 t.
I 1er tétracordo 1 2c tétracordc
mais la lumière est loin d'être faite sur la théorie des tétracordcs.
Les données fort vagues qu'on possède sur cette espèce de notation sont tout à fait pro-
blématiques en ce qui concerne l'intonation, nulles en ce qui concerne le rythme. Tout au
plus a-t-on quelques probabilités à l'aide des paroles, sur les documents représentant des
chants.
53 LA NOTATION
■!
5
, • ■
« -
1
'Sr
■ F" Si
■ ■ ■ ' *
^ ■ - n.
- 1
n. -
■ • ' ■ ■
- fk - i ■- -
UT que-ant la-xis
C
RE-soiiâ-re fibris
D
Mira gesiô-
E
rum
FA-muli
F
tu- 6- ru m
jf
'■■ ■ ■ 1 '
■ ■ ! ■
.
%
■ ■
■ »
>
■ - 1
— 1
1 . , - 1
SOLve poUû-ti LAbi- i le-â-tum Sancte lo- ânnes.
G A (I)
(Paroissien de Solesmes, p. 868.)
C'estàce simpleprocédé mnémonique que sont dues les dénominations
des notes en usage depuis bientôt dix siècles.
2° Il appartenait aussi à Gui d'Arezzo de fixer la diastématie des neumes
à l'aide des quatre lignes qui, pendant plusieurs siècles, constituèrent la
portée.
La première ligne directrice dont les copistes avaient fait usage corres-
pondait à la lettre F (note/a) : cette ligne fut tracée en rouge dans les
manuscrits de Gui d'Arezzo. Une autre ligne correspondant à la lettre C
(note w/) fut tracée au-dessus, en couleur J aime., généralement ; deux
lignes secondaires noires complétaient la portée ;
Ligne jaune -T**-
Ligne noire
Ligne rouge . y
Ligne noire _£_.
Cette disposition si pratique ne tarde pas à se généraliser; on trouve
même une disposition inverse pour les mélodies plus aiguës, où la ligne C
{ut) est en bas,et rinterligne F {fa, a. Toctave) est légèrement teinté en
rose
Interligne rose '^
Ligne jaune \J/''
Peu h peu, les neumes transcrits sur la portée s'y adaptent et prennent
une forme précise. Dès les xii^et xiii^ siècles, leurs extrémités s'enflent,
leur corps s'amaigrit, et, par une ingénieuse combinaison avec la notation
en points, leur forme aboutit à la belle notation carrée du xV siècle,
encore en usage dans les livres de plain-chant.
(i) C'est seulement vers le xvi» siècle que le nom de la note B {si), emprunté aux initiales
des deux derniers mots de cette strophe (iancte yoannes), prévalut définitivement.
LA NOTATION b3
' punctum
1 virga
3 podatus
f" clivis
■^ torculus
^3 porrectus
? scandicus
V« climacus
LA NOTATION PROPORTIONNELLE
NOTATION NOIRE. — NOTATION BLANCHE
Il manquait cependant à la notation neumatique une indication essen-
tielle : celle delà durée relative des sons. Dans la monodie grégorienne,
cette indication était peu importante : toutes les notes ayant, quoi qu'on
en ait dit, une durée à peu près égale, lorsqu'on voulait marquer un
allongement, on répétait plusieurs fois le signe correspondant à la note
longue (i).
Ce procédé rudimentaire devint bientôt insuffisant; car la musique
mesurée [Ars mensurabilis), qui, depuis les débuts du xii* siècle, tendait
à supplanter la monodie rythmique, se vulgarisait et se répandait chaque
jour davantage. En même temps, Tusage se généralisait de superposer
harmoniquement une partie vocale figurée au-dessus du cantiis Jîrmus
ou plain-chant, comme nous le verrons à propos des origines de l'Har-
monie (chap. vi, p. 92).
La détermination exacte de la durée relative de chaque note devenait
nécessaire : une notation proportionnelle, inventée à cet effet par des
théoriciens, ne tarda pas à s'établir.
Dans sa première forme, cette notation se réduisait à quatre signes, de
couleur noire, empruntés aux figures des neumes simples, et groupés en
(i) Ainsi s'expliquent les neumes suivants :
— *fi
Pressus : "^^^ ^-
Strophicus : distropha
ti istropha
Oriscus ' ou •.Jlt.'xa strophica.
Ces divers signes de durée sont désignés, chez beaucoup d'auteurs (notamment Jean de
Mûris), sous le nom générique de pressus.
54 LA NOTATION
ligatures affectant des formes identiquec à celles des neumes compo-
sés :
m duplex longa ou maxima
^ longa perfecta
■ brevis
• semibrevis
Ces quatre signes, sur la valeur desquels on n'est pas absolument d'ac-
cord, firent place, vers le xve siècle, à une notation blanche, plus com-
plexe sans être beaucoup plus précise. Celle-ci comporte sept signes de
valeurs proportionnelles, issus à la fois de la notation noire et des neu-
mes ;
(=3
maxima
^
longa
a
brevis
0
semibrevis
i
minima
i
semiminima
i
fusa
ERREURS DES PLAIN-CHANTISTES DU XVII' SIECLE
La coexistence de la notation neumatique avec la notation propor-
tionnelle a persisté pendant plusieurs siècles : elle a eu pour effet de jeter
la plus grande incertitude dans l'interprétation des documents musicaux
de cette époque.
L'enseignement du plain-chant au xvii° siècle a propagé certaines
erreurs, qu'on a beaucoup de peine à redresser, même de nos jours, et
dont l'origine doit être attribuée à cette coexistence de deux modes de
notation, employant les mêmes figures de notes avec des significations
différentes.
La virga du plain-chant, par exemple (f), est simplement une note
plus aiguë que \t punctum (■) qui la suit. N'en a-t-on pas fait bien sou-
vent une note plus longue, à cause de sa similitude de forme avec la
lo7iga (l)de la notation proportionnelle ? Et inversement, n'a-t-on pas
enseigné que le losange du plain-chant (♦), simple forme accidentelle du
punctum carré dans le climacus (^VOi étdÀx. une note rapide, le confondant
en cela avec la semi-brève (♦) de la notation proportionnelle (i) ?
(i) Le losange n'est, en eflet, pas autre chose qu'un punctum, ou note descendante : dans le
climacus, seul cas où le punctum affecte la forme losangée, cette modification déforme tient
sans doute à ce que le copiste tournait légèrement la main de façon à tracer les deux notes
descendantes d'un seul mouvement, oblique par rapport aux lignes de la portée.
LA NOTATION 55
Quoi qu'il en soit, lesdifFcrents systèmes de notation proportionnelle
noire ou blanche constituent rintermédiaire nécessaire entre les neumes
du plain-chant et notre notation moderne ; et c'est à eux qu'on doit la
décomposition définitive des 5;'//a^es neumatiques en notes isolées con-
stituant notre alphabet musical.
Cette dernière évolution s'accomplit définitivement vers le xvn* siè-
cle, lors de l'apparition de la barre de mesure, qui relègue de plus en plus
au second plan l'ancienne notation des neumes.
Telle est sommairement la genèse de notre notation musicale contem-
poraine, essentiellement modifiable et perfectible, comme le génie hu-
main, dont elle est l'œuvre lente et progressive.
NOTATIONS CONVENTIONNELLES ET NOTATION TRADITIONNELLE
Les plus ingénieux essais faits pour créer de toutes pièces des sys-
tèmes différents, ont eu le sort des écritures et des langages conven-
tionnels.
Appliqués seulement par un groupe d'individus, par une école, ils
ont toujours été impuissants à modifier le cours naturel des évolutions
de la notation traditionnelle, qui leur empruntait parfois, en passant,
quelques éléments de détail.
Les plus utiles à connaître, parmi les quelques tentatives intéressantes
de notation qui se produisirent entre le ix' et le xi* siècle, et qui eurent
une certaine influence sur notre système traditionnel, sont celles d'Hiic-
bald, de Romanus et d'Hermaun Contract.
l'HucBALD, moine flamand (né en 840, mort en gSo), considéré, à
tort ou à raison, comme l'auteur de l'ouvrage intitulé : Musica enchiriadis^
serait l'inventeur d'un système de notation vocale oij l'on retrouve le
principe de \a. portée.
Ce système consiste à disposer les syllabes mêmes du texte entre des
lignes parallèles, figurant les intervalles de la gamme par tétracordes.
Des initiales placées au commencement des interlignes indiquent siTin-
tervalle figuré est égal à un ton i T, tonus) ou à un demi-ton (S, semitonus).
La formule du Gloria du MI' ton, par exemple:
se représenterait ainsi : \ /^^îL
Glo-n-a... ^^
2" Romanus. moine qui vécut, dit-on, au ix* siècle, dans le couvent
de Nomeniola, essaya aussi un système de notation vocale consistant
5b LA NOTATION
à surmonter chaque voyelle d'une hampe plus ou moins haute,
suivant l'intonation sur laquelle devait se chanter la syllabe corres-
pondante. Ces hampes étaient elles-mêmes surmontées de traits
transversaux, dont la direction indiquait, comme les neumes, les
inflexions de la voix vers le grave ou vers l'aigu.
La même formule de Gloria se représentait ainsi :
%
ù ri a
C'est aussi à Romanus qu'on attribue l'adjonction aux manuscrits
neumatiques des fameux épicèmes romaniens, sur Tinterprétation des-
quels on discute encore de nos jours.
3° Hermann CoNTRACT, moinc du couvent de Reichenau(né en ioi3,
mort en io54), qui doit ce surnom de « Contract >; {contractus) a. la.
paralysie dont il fut atteint dès son jeune âge, imagina, lui aussi, un sys-
tème de notation, où les lettres, au lieu de signifier les sons eux-mêmes,
étaient simplement l'initiale rappelant les noms des intervalles séparant
les notes du chant.
La lettre e signifiait l'unisson [equaliter)
— s — le demi-ton {semitoîius)
— t — le ton [tonus]
— ts — la tierce mineure [tonus et semitonus)
— tt ou 8 — la tierce majeure (ditonus)
— d — la quarte [diatessaron]
— A — la quinte [diapente]
Notre exemple de Gloria s'écrivait donc à peu près ainsi :
E /
d\s/s/t-
- e
Glo-
ri~
LES TABLATURES
a
Il eût été superflu de nous arrêter sur ces variétés particulières de
notation vocale, dont la vie fut relativement éphémère et l'application
localisée, si leurs principes divers n'avaient donné naissance à tout le
système de notation instrumentale qui resta seul en usage depuis la fin
du XV* siècle jusqu'au xvii' siècle, et ne disparut totalement que dans les
premières années du xviii®.
LA NOTATION by
Cette notation est connue sous le nom de tablature.
Tandis que les instruments essentiellement mélodiques, tels que les
violes ou leurs succédanés, et aussi les Jlùtes^ les hautbois^ les cornets^
\estrombones, adoptaient la notation employée pourles voix, il n'en était
pas de même des instruments polyphones, ayant pour propriété par-
ticulière de faire entendre simultanément plusieurs sons, comme Vorgve,
le clavecin et la si nombreuse famille des luths (i).
Chacun de ces instruments fut doté, suivant sa nature et son lieu
d'origine, d'une tablature spéciale, ayant pour point de départ, non
plus la figuration de l'accent, comme la. notation neumatique,
mais la représentation du doigté nécessaire pour obtenir chaque
son.
La tablature allemande d'orgue et de clavecin était alphabétique, de
A {la) à G (sol) ; chacune des parties effectives était notée sur un même
alignement ; quelquefois, la partie supérieure était figurée en notation
traditionnelle ordinaire.
Pour l'écriture du luth, on employait en Allemagne des séries de
lettres et de chiffres, disposés de telle façon que chacun d'eux corres-
ponde à un son déterminé ; ces séries recommençaient de quarte en
quarte sur la même corde.
La tablature française du luth consiste en cinq lignes parallèles re-
présentant les cinq cordes supérieures de l'instrument, disposées de bas
en haut, suivant leur ordre logique d'acuité. Les dix positions chroma-
tiques des doigts étaient figurées par des lettres, de a à /, placées sur les
lignes.
La tablature italienne procédait en sens inverse : elle figurait les six
cordes de l'instrument par six lignes horizontales parallèles, dont la plus
basse était attribuée à la corde la plus aiguë et la plus haute à la
corde la plus grave. Sur ces six lignes, des chiffres, de o (corde à vide)
àX(io) indiquaient, par leur doigté, les degrés chromatiques ascen-
dants.
Dans toutes ces notations, les valeurs rythmiques sont représentées
par des signes usuels de durée (blanche, noire, croche, etc.) placés au-
dessus des lettres et chiffres, ou au-dessous dans la tablature ita-
lienne.
On voit par ce rapide exposé comment la notation en tablature pro-
cède des systèmes d'Hucbald et de Romanus par la figuration convention-
nelle de l'acuité relative des sons, et de celui d'Hcrmann Contract par
l'emploi des lettres significatives.
(i) Le luth joua pendant tout le xvi» siècle le rôle qui échut ensuite au clavecin, pu'i à
notre piano moderne.
58
LA NOTATION
Voici, par exemple, une série chromatique traduite en tablature de
luth.
Tablature
allemande.
0 rCordc ^ ^-~
2? .. -_^ d.jL..a..t..è:..
•_ 3- .. 3..c../i n s z c A n s z...
...4- .. .^....owr^ € . . . .a rtLT u.- ^.^.
—5' • -.../yi^i — .-.
Accord 1
du <
luth 1
y
y
w~^"""
-.J?Corde
...2? ..
...3? ..
Tablature
cJ # —
o^
...4? ..
J 0-
r\
1 . ' — "J A-C n
f n h i h 1
fl /* /7 A /
J ^ n l K L ■
A /
^ J 9 "■ ^
L c A z u
Tablature
italienne.
Accord
du
luth
.(^Cordi
.5?
.3?
.2"-
V
J P X
o c^ /l
^ t n o A
-a^i 2 — 1
(Les lettres et les chiffres superposés
désignent les différents doigtés suscep-
tibles d'être employés pour produire le
même son.)
LA NOTATION
59
Nous donnons ci-après les premières mesures de la chanson populaire
allemande : Innsbriick^ ich muss dicli lassen, notées dans les diverses
tablatures en usage au xvi* siècle.
;^
^
-^r^r-^
Tablature allemande
d'orgue :
(La partie supé-
rieure est notée sur
une portée, et les pé-
dales désignées par
des lettres majus-
cules.)
Tablature allemande
de luth
Tablature française
de luth
Tablature italienne
de luth
ï
^
±
Traduction
en
notation moderne:
^
^ G
J r r
y d b
f
J.
c
fa
^ J r
c f e
J J
a b
J
f :
J
c î:
J
J^
J ? r
l h 0
r r
J r r
1 g TT)
r ^
J J
J
J
c
r J
1 f
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J
J
xl X
c
J
1 J^
1 r r
-^^-^
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-A^-
-<Z-
-<2-
r r r w r r 1 I
^
^-
-<A
-^
-^Z-
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0
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0 /-\
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1
0
0
0
3
0
0
1 0 —
—r^
-^ —
0-.
J J ; ; n nrn i }
^^
6o
LA NOTATION
TRANSFORMATION DES SIGNES TRADITIONNELS
SILENCES. — MESURES. CLES. — ACCIDENTS
Un coup d'œil récapitulatif sur les transformations successives des
notations, aboutissante nos signes musicaux actuels, montre nettement
que leurs formes proviennent, pour la plus grande partie, de la notation
traditionnelle.
NOTATION NBUMATIQUE
NOTATION
PROPORTIONNELLE
VIII*
siècle
Xllle
XV« siècle
XVII«
siècle
Punctum
Virga
Podatus. ,
Clivis . .
Torculus ,
Porrectus .
Scandicus
Climacus
X
^
■
■
y
7
T
T
-/
J
9
A*
7
\
y
-
J"
J^
A
—
N
V
f4
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J
.^
/
-
/v
h.
%
♦
t
t
NOTATION MODERNE
XIX»
siècle
r
r
m
t
Ronde.
3Ianche.
Noire.
Soupir.
Demi-soupir.
Ligatures de croches.
Croche.
Comment certains neumes tombés en désuétude, comme la clivis et
le podatus^ se sont-ils transîormés en signes de silence, tandis que d'au-
tres, comme le torculus et le porrectus, sont devenus nos ligatures de
croches ? c'est ce qui serait difficile à expliquer ( i ) .
Quant aux signes de mesure, la notation proportionnelle n'en connais-
sait que deux :
(0 II n'est pas douteux, non plus, que les signes d'agrément si nombreux et si divers
[pincé, Jlalté, trille, etc ), dont l'emploi était général aux xviio et xviii' siècles, ne tirent leur
origine, en tant que figuration graphique, des neumes alors tombés en désuétude.
LA NOTATION 6i
Q, tempus peî-fectum ou mesure ternaire, considérée comme parfaite
parce qu'elle est l'image de la Trinité.
C, tempus imperfectum ou mesure binaire. Ce dernier signe a subsisté
avec une signification équivalente (C mesure à 4 temps).
L'autre, au contraire (O)? a totalement disparu, et, aveclui, le principe
de la. perfection^ ou division ternaire des valeurs de notes. Dans notre
système actuel, on a remédié tant bien que mal à cette grave lacune
à l'aide du point, allongeant de moitié la durée de la note, et à l'aide du
triolet ; mais ce ne sont là que des expédients : la véritable notation ter-
naire nous fait défaut.
A mesure que les dénominations mnémotechniques des notes, indi-
quées par Gui d'Arezzo, se substituent dans le langage à l'ancienne
désignation par lettres, dernier vestige de l'Antiquité, la plupart de ces
lettres disparaissent. Seules, les lettres indicatrices (C, ut, F, fa,
G, sol), placées au commencement des lignes de la portée, subsistent
Qui ne reconnaîtrait là nos clés actuelles, dont la position variable sur
la portée constitue une si grande complication de lecture ?
Clé d'UT
Clé de FA.
Clé de SOL
Xllle XV»
siècle siècle
C
XVIIe
siècle
XIXe
siècle
Quanta la lettre B, correspondant à notre note si, elle eut une singu-
lière destinée.
Cette note, altérée déjà, dans certaines cantilènes grégoriennes, par le
fait de la transposition à la quinte grave, nécessitait deux représentations
différentes, selon qu'elle était le B adouci, amolli, le si bémol, ou le B nor-
mal, carré, le si bécarre. — Il est curieux de constater que les Allemands
ont fait de ce bécarre (g) l'H par laquelle ils désignent encore aujourd'hui
la tonalité de si naturel. C'est du reste par cette septième note de la
gamme, laissée sans nom dans la nomenclature de Gui d'Arezzo, parce B,
tantôt t> {mollis), tantôt a (quadratus), par ce 5/modulant, que tout le
chromatisme moderne s'est introduit dans la musique médiévale, entraî-
nant à sa suite la série des accidents d'écriture, véritable plaie de notre
notation contemporaine.
62 LA NOTATION
IMPERFECTIONS DE LA NOTATION CONTEMPORAINE
Il ne nous appartient pas de faire ici la critique détaillée de notre sys-
tème actuel de représentation graphique des sons musicaux. Ne pou-
vons-nous pas dire cependant que le défaut de notation ternaire, la mul-
tiplicité inutile des clés, et les signes accidentels d'altération, constituent
aujourd'hui dans l'écriture, si parfaite par ailleurs, trois points défectueux
auxquels il ne serait peut-être pas impossible d'apporter une améliora-
tion (i)?
(i) Ces trois principaux défauts de notre notation actuelle sont-ils tout à fait Irrémé-
diables ?
a) En ce qui concerne la notation ternaire les signes J^tJ^, c^ > ^^c., encore inutilisés, ne
pourraient-ils avantageusement compléter notre notation uniquement binaire, et réduire,
sinon supprimer l'emploi du point d'allongement ? on aurait alors deux séries parallèles
de valeurs de note :
o équivalant à trois à , tandis que la • équivaut à deux J
cj — à trois ^ > — ~ J — à deux J^
cf» — à trois eP , — — J^ — à deux Jr
et ainsi de suite.
b) Les clés usuelles ne pourraient-elles être totalement unifiées au point de vue de la lec-
ture, tout en réservant leur forme actuelle à une simple indication d'octave ?
On généraliserait ainsi la lecture de la clé de sol deuxième ligne, aujourd'hui la plus
répandue. Il suffirait pour cela d'employer toujours la clé de fa sur la cinquième ligne,
et de placer la clé d'M^, une fois pour toutes, dans le troisième interligne :
r r r r 3^^-^- M^ r^r r r r
ut, ré, mi, fa, etc. ut, ré, mi, fa, etc. ut, ré, mi, fa, etc.
c) La suppression même des accidents est-elle impraticable? Pourquoi les degrés de notre
portée, au lieu de représenter, suivant les cas, des intervalles de ton ou de demi-ton, dont on
modifie la valeur et la lecture, à l'aide de dièses, de bémols et de bécarres, n'auraient-ils
point une valeur déterminée et immuable : celle du demi-ton tempéré, véritable unité indi-
visible de notre système musical à dou^e degrés égaux ?
On obtiendrait de la sorte une figuration unique et constante pour tous les intervalles,
véritable représentation graphique de leur valeur relative, et ce progrès compenserait ample-
ment l'inconvénient — si c'en est un — causé par l'extension plus grande sur le papier, dans
les accords et arpèges
ton
1
1 1/2 ton I ton J J l/2 ton l/2 ton 1/2 ton 1/2 ton 1
sol — la -- si — ut
ré ré / fa X \ /soi J\ / sol X \ /la JJ\ / la x \
si I sol Mlab / la B Msi b/ si!3 I
sol \latJb/ \sibt>/ \utb/
L'étude de semblables questions ne saurait ici trouver sa place, mais on peut se rendre
LA NOTATION 63
Loin de nous la pensée d'une réforme brutale qui Jetterait partout, et
sans profit, la perturbation et le désarroi; l'usage est le seul consécrateur
des réformes.
Le vrai progrès doit être lent : on peut le souhaiter, le provoquer
même s'il y a lieu, mais non l'imposer.
compte par cet aperçu sur « ce qu'on pourrait faire », que le dernier mol est loin d'être dit
en cette matière.
Nous avons cru devoir accueillir ici l'ingénieux exposé ci-dessus, contenant l'indication de
possibles réformes, tout en en laissant l'entière responsabilité à son auteur, M. Auguste
Scrieyx, professeur à la Scola Çantorum. (Note de l'auteur.)
1^
IV
LA CANTILÈNE MONODIQUE
La Cantilène monodique. — Genre primitif: ses deux aspects. — Genre ornemental:
a) les antiennes, b) les alléluia et les traits, c) les ornements symboliques. — Genre
populaire : a) les hymnes, b) les séquences. — Hypothèse du Cycle grégorien. — L'ex-
pression dans la Cantilène monodique médiévale. — Etats corrélatifs de l'ornement dans
la monodie et dans la graphique médiévales. — Les timbres.
LA CANTILENE MONODIQUE
Nous avons donné le nom de rfthmo-monodiqiie à la musique de la
première époque^ parce qu'elle consiste en une mélodie libre, de lythme
varié, mais non mesuré, destinée à être chantée seide^ sans accom-
pagnement, soit par une voix unique, soit plutôt par une collectivité
à l'unisson ou à l'octave.
Cette forme, dite 7?ionodie, ou cantilène monodique^ remonte à la plus
haute antiquité. Tout porte à croire que la musique des Grecs était pure-
ment monodique et qu'ils ne connaissaient point d'autre forme. Mais on
ne peut guère émettre à ce propos que des hypothèses, car les seuls
documents qui subsistent sur cette matière sont des critiques ou des ap-
préciations, et non des textes musicaux. On se trouve donc h l'égard de la
musique antique dans une situation comparable à celle d'un individu du
trentième siècle, qui, pour reconstituer l'état actuel de notre art, aurait
seulement à sa disposition un certain nombre de chroniques musicales
extraites de revues contemporaines, ou quelques traités d'harmonie. Con-
venons que ce serait insuffisant pour servir de base à un travail sérieux, et
ne cherchons pointa remonter plus haut que les premiers siècles de TE-
glise chrétienne, dont les chants nous ont été conservés assez fidèlement.
Il importe peu de savoir si ces monodies liturgiques sont vraiment de
création chrétienne, ce qui nous semble très admissible, ou si elles sont
seulement, comme le voudrait notamment M. G^vaert, l'éminent direc-
COURS DE COMPOSITION. >
66 LA CANTILÉNE MONODIQUE
teurdu Conservatoire de Bruxelles, la reproduction plus ou moins fidèle
de mélodies païennes antérieures au christianisme : dans l'un ou l'autre
cas, elles constituent les premiers textes musicaux suffisamment authen-
tiques et intelligibles pour qu'il soit possible d'en faire l'analyse et
l'examen critique.
Nous commencerons donc l'étude des formes de la première époque
par les mélodies liturgiques médiévales. Le principe de tout art n'est-il
pas, du reste, d'ordre purement religieux, et la première manifestation
musicale ne fut-elle point une prière, un chant sacré ?
Cette cantilène liturgique du moyen âge se présente a nous sous une
foule d'aspects différents qu'on peut ramener à trois catégories princi-
pales :1e genre primitifs le genre ornemental qi le ^enrQ populaire»
GENRE primitif: SES DEUX ASPECTS
A) Certains chants, probablement les plus anciens, sont entièrement
syllabiques et se rapprochent beaucoup du récitatif ou de la psalmodie.
Ils consistent en une note moyenne, ou chorda^ infléchie suivant les
accents et les cadences, et sont composés seulement de neumes simples
(fM;zc/«w,2^/>^ti). Rarement, aux cadences, ony rencontre quelqueneumc
binaire (c//V/5,jPoia/W5). LeG/ona des fêtes simples (L. Gr.^ 2« éd., p. 36*)
est un bel exemple du chant de cette espèce, que saint Augustin décrit
ainsi :... ita ut pronuntianti vicinior esset quam psallenti (i). (iv« siècle).
chorda
, ■ ■ ■ ■ ■ i—
a ■
(seul neume binaire , »,
de toute la pièce :) ^HZIZZZZZZI
Glori- a in excelsis De-o... etc. ...Jesu Christe.
Voyez aussi : Credo [ibid. p. 45*).
Leçon III du Jeudi Saint (Paroissien de Solesmes,
p. 297).
B) Dans d'autres pièces primitives, l'accent prend une plus grande
importance expressive. Les neumes binaires y sont plus fréquents, et
quelques neumes ternaires s'y rencontrent de temps à autre, pour sou-
ligner l'accent. Telles sont notamment les antiennes^ pièces qui remon-
tent aux premiers siècles de l'Église, et qui contiennent souvent un
exposé de doctrine, sorte de petit drame mélodique, sublime d'expres-
sion vraie et de concision. Nous citerons, comme type de cette espèce,
la communion du mercredi après le IV« dimanche de Carême (L. Gr.,
2*éd.,p. i3i), dite: antienne àtV aveugle-né.
(1) Comme s'il se rapprochait davantage de la récitation que de la psalmodie.
LA CANTILÈNE MONODIQUE 67
■-fi
a-'— ^=f.
Lutum fe-cit ex sputo
5
Dôminus,
et
lini-vit ô-culos me-
os
. et âbi- i,
et la- vi,
et
6 1
■- ■ 3 ■ ' • •
- >-î ' '
vi-di, et cré-didi De-o.
Remarquer la gradation des quatre périodes finales, se terminant après
une modulation médiane sur une splendide affirmation.
Voyez aussi les antiennes :
Nemo te condemnavit^ mulier (de la femme adultère) [L. Gr.^
2« éd., p. 124), une sorte de drame sacré en raccourci,
consistant en trois actes : 1° question ; 2° réponse ;
3° affirmation, et une exhortation finale;
Video cœlos apertos [L. Gj\^ p. 38);
Descendit (Par., p. 526) ;
Ave Regina cœloî^um [Par. ^ p. 84);
Maneant in vobis Fides, Spes. Caritas (L. G/\, p. 184);
Ubî Caritas et Amor {ibid.^ p. i85).
GENRE ORNEMENTAL.
a) les antiennes, — b) les ALLELUIA ET LES TRAITS. — c) LES ORNEMENTS
SYMBOLIQUES
A) Un grand nombre d'antiennes, apparemment plus récentes, appar-
tiennent au genre ornetnental ; par exemple, la communion du IX^ di-
manche après la Pentecôte [L. Gr., 2e éd , p. 3 1 6).
h- r.lN ■ I ■ J > ^ ' ' ^'*' -^1 P ^ s VI
Qui mandû-cat me-am car- nein, et bibit me-um Mingui- nem, in me ma- net, et c-
fl -7-tT
Ni ■ 1 ^^V^
Mt
^
« — s «on
go in e- o, di- cit Dôminus.^
Voyez aussi les antiennes :
Qui vult (L. Gr.^ p. [12]);
Cum audissent, du dimanche des Rameaux [ibid. ^ p. 157);
remarquer les clameurs populaires presque dramatiques ;
O sacrum (Par., p. 494);
Verba mea {L. Gr.^ p. 122), introït qui présente avec ses trois
périodes et ses trois modulations (dominante, médiane,
ionique), l'aspect de la phrase lied moderne complète.
Tous les neumes d'accent, d'expression ou d'ornement se rencontrent
dans les pièces de ce genre ; l'ossature de la mélodie primitive y est
68
LA CANTILÊNE MONODIQUE
revêtue de broderies plus ou moins riches, mais l'expression drama-
tique n'y est pas moins conservée.
B) Les alléluia et les ti-aits sont aussi de forme ornementale ; mais ils
diffèrent des antiennes de l'espèce précédente en ce que leur ligne mélo-
dique est presque uniquement décorative et formulaire. Sans doute,
l'expression dramatique, voilée sous cette profusion d'entrelacs et d'ara-
besques vocales, est ici plus difficile à percevoir, parfois plus indéter-
minée . Elle subsiste tout au moins dans l'esprit général de chaque pièce,
et, le plus souvent, dans l'appropriation de la ligne mélodique au sens des
mots importants du texte.
En ce qui concerne les alléluia^ il y a lieu de distinguer entre la
vocalise du mot alléluia lui-même. — sorte de refrain populaire, issu par
conséquent des arts du geste ou de la danse, — et le verset qui suit, lequel
est toujours en corrélation, plus ou moins immédiate, avec le sens des
paroles : ce verset est donc d'ordre dramatique, tandis que la vocalise
jubilatoire du mot alléluia est d'essence purement symphonique.
On peut considérer les jubila d'alleluia comme le principe de la
variation ornée qu'on rencontre fréquemment à la fin d'une phrase mélo-
dique,— soit vocale, soit instrumentale, — jusque vers le xvni^ siècle,
notamment chez Bach(i). Cette- vocalise grégorienne pourrait donc être
regardéecommel'étatprimitif de la ^ra^cYe variation amplificatrice^ que
nous retrouverons plus tard, plus particulièrement chez Beethoven.
(i) On peut citer comme exemples de finales ornées, provenant, chez Bach, des anciennes
vocalises de Vallehiia grégorien :
a) Dans le genre vocal, l'admirable récit du reniement de saint F'icrre:
Chant
Orgue \
Da çe.dach-te Pe.trus an die Wor - te Je . su, undgin^h-
J'-S. Bach [Johannis Passion),
LA CANTILÈNE MONODIQUE
69
Vallduia de la fête de l'Assomption [L. Gr.^ 2* éd., p. 537) est un beau
modèle de cette espèce :
h
-H ■ ■
Aile- lu- ia.
Voyez aussi : Fcte de la Dédicace {ibid., [p. 7 1 )] sur le même timbre (i).
Comme dans presque toutes les pièces du genre ornemental, il serait
facile de reconstituer ici l'ossature primitive de la mélodie, en la dé-
pouillant de ses ornements. Il n'est pas sans intérêt de constater qu'on
retrouverait de la sorte, dans le premier alléluia, le thème initial de la
séquence Lauda Sion... (L. Gr., 2^ éd., p. 28S).
e ■ ■■ ■
Lauda, Si- on, Salvatorem
Voyez aussi :
Fête du Saint-Sacrement {ibid., p. 287). j
— de la Transfiguration [ibid., p. 528] -
— de saint Michel [ibid.^p. 555) '
— de la Couronne d'épines [ibid., p. [166])
On rencontre dans cette pièce une formule mélodique :
qui devint par la suite essentiellement populaire et fut employée par
nombre de compositeurs, notamment par Vitoria (voir chap. x) et par
J.-S. Bach 'voir deuxième livre).
b) Dans le genre instrumental:
sur le même timbre.
h
Récit.
Pos.
Péd.
cirr ^'^ ^
riton
J.-S. Bach, (Chorals d'orgue : Wir glauben all'an einen Cott.
Ed. Peters, n* 62, vol. VII, p. S2).
(i) Voir, à propos du mot timbre, la note 2, p. 77.
70
LA CANTILENE MONODIQUE
Quant aux tf^aits^ ils sont construits comme de véritables psaumes, où
les versets sont terminés le plus souvent par des formules ornementales
tonales.
Chaque verset du trait est divisé, suivant son sens et sa ponctuation, en
deux ou trois parties, séparées par des formules suspensives marquant les
cadences ; il constitue donc par lui-même une phrase binaire, ou ternaire,
avec une ou deux modulations, purement mélodiques, caractérisant les
périodes ou membres de phrase.
Dans la formule tonale du trait aussi bien que dans la vocalise jubila-
toire de Valleluia, on ne peut méconnaître l'influence de la musique
populaire, issue de l'ancien art de la danse : ces formules sont de véri-
tables refrains destinés^ comme ceux des chansons, à reposer l'attention
de l'auditoire.
Le plus bel exemple de trait qu'on puisse citer, c'est celui du IIP di-
manche de Carême (L. G?., 2" éd., p. 112).
h
i53=:5vSî
A) Grande
»fM ; «
î-fJ-TT~^^
iKt
^^=V
Ad te le- \â-vi
o- cu-los me- os, qui hâ- bi-tas in cae-
formule tonale aiguë
i3^'^4.^=^:^:»t:1--;=i::^çî
^♦_„_-l»»__^_:_,^
♦-i-i*fc-H-5-=
♦^.Zi^P
-%-
r:^z5=:=:^
lis. if'. Ecce sic- ut ô-xii-li ser\6- rum
B) Formule tonale
■fc . al f^i-t-^-^-rr l^v, / "^s-p^ya^T-j-'-'^^^^-piS--^^^^^^^
in ma nibus domi-nô- rum su-6rum.
y. Et sic- ut
B) Formule tonale
^jf!r^-.v-^-i^^a^^E|:;z:^lg:;:5]gI^^^Î^^
J cu-li ancil- lœ in ma- nibus dô- mi-nœ su- ae
C) Formule
!zr;i7^rz3sa:mt^l:asr'*'-^^''-«-r-|- 3-
jj^gr-ruy^ip^^
ta 6- cu-li no- stri. ad Dôminum De- um no- strum
ton.ilc
^^^^^I^I^UTV^-^^?^^
'^-:;i::îi
^^
f
-v-"-Ka'4-
do-nec nii- sc-re-âtur noslri. jf. Mise-ré-re no- bis Dômi- ne.
u
C) Fcirm. ton.
D) Grande forinule fiiiaU
v^av:t"M^--^^fP-»->r^-= • ||^giïï5^g^:!!6:'V.ri^'!g5E|
mi- se- ré- re nobis.
LA CANTILINE MONODIQUE 71
Ce superbe trait, renfermant quatre formules tonales (A, B, C, D) de
l'échelle aiguë, est divisé en cinq parties bien distinctes :
!'■'= partie : Exposition. — « J'ai levé les yeux vers toi qui habites dans
les cieux. »
2= et 3^ partie : Comparaison. — « Ainsi que les yeux des serviteurs
sont fixés sur les mains de leurs maîtres.»
« Ainsi que les yeux de la servante sont
fixés sur les mains de sa maîtresse. »
4' partie : Conclusion. — « De même, nos yeux resteront tournés vers
le Seigneur, jusqu'à ce qu'il nous prenne
en pitié. »
5e partie : Invocation terminale. — « Aie pitié de nous, Seigneur, aie
pitié de nous, )>
Voyez aussi: Qiiihabitat{L. Gr.,2'éd.,p.83),qui présente des formules
tonales graves.
Abstraction faite des formules tonales exclusivement ornementales, le
trait n'en demeure pas moins, comme Valleliiia, d'ordre dramatique,
quant au fond de sa mélodie.
C) Au milieu des ornements plus ou moins compliqués dont la canti-
lènemonodique est surchargée, il n'est pas rare de rencontrer certaines
formes mélodiques presque conventionnelles, qui puisent certainement
leur origine dans les idées de symbolisme communes à tous les arts du
moyen âge (i).
Dans le X/r/e des messes solennelles, par exemple (L.Gr.,2^éd.,p. 9*),
trois formules mélodiques différentes symbolisent les trois personnes de
laTrinité (2).
(formule du fère) _ / , c^l ».. h - - ~~
forme mélodique ascendante «S ■ ' » 3 ■ I J ' % [■'\^ m à ï-
Ky- ri-e e-lé- i-son.
[tormule du Fils) . ^-^ - a *^k^ -
forme mélodique descendante - V»^ P" ♦pif^ ■■■
Chri- ste e-lé- i son.
[Formule du Saint-Esprit) f 1 .^^
forme glorifiante de quinte ascendante, à la- ^* * 1 »" ■», .'^"^à
Quelle viennent s'adjoindre successivement les J ^ ^ ^ '^ ♦. ■ 3 ■ *
eux éléments mélodiques des deux autres
personnes. Ky-ri-e e-lé- i son.
(0 C'est surtout dans la sculpture que les préoccupations symbolistes du moyen àgc sont
évidentes.
Remarquer, par exemple, le //j7>oi/, qui symbolise l'aveuglement du peuple juif.
Il est curieux d'observer, dans le même ordre d'idées, que les ornements sculptés, véritable
« flore de pierre », se présentent successivement dans l'ordre du développement des véi;c-
taux suivant le cours des saisons : au xii* siècle, ce sont des bourgeons, des feuilles roulées ;
au XIII» siècle, des branches, des tiges de rosiers, des « jets « ; au xv' siècle, on voit
apparaître le chardon.
(3) t.e symbolisme trinitairc a subsiste, quant à son emploi, jusqu'au xviii» siècle ; ainsi
72 LA CANTILÈNE MONODIQUE
Voyez aussi : trait de la Trinité {L. Gr., p. [7 3]), l'un des plus curieux
comme symbolisme trinitaire, avec Tappesantissement sur le
mot : sohis^ clé de voûte du dogme, qui forme le milieu et le
soutien de toute la pièce.
— Ant. :Adoîvia thalamiim [ibid.^ p. 4oi), sorte de petit drame aux déve-
loppements symboliques et en trois actes : Sion, Marie, Siméon.
Voyez enfin le t?^ait : Ad te levavi^ cité plus haut, p. 70.
Outre son harmonieuse ordonnance, cette pièce présente un intérêt
tout particulier au point de vue de l'expression symbolique. On remar-
quera, en effet, que le mot ocidos^ocidi^ qui s'y rencontre quatre fois, est
employé dans deux significations différentes : la première et la quatrième
fois dans le sens des yeux de l'âme, la deuxième et la troisième, dans l'ac-
ception corporelle ; or, à chacune de ces deux significations correspond
une formule mélodique spéciale, de façon que le mo///'musical affecté aux
3'eux du corps : ocidi se7^vorum^ oculi ancillœ^ ne puisse être confondu
avec le motif désignant les yeux de l'esprit : ocidos meos, ocidi nostri ;
preuve évidente de la préoccupation expressive qui présida à la compo-
sition des mélodies grégoriennes.
genre populaire
a) les hymnes. — b) les séquences
A) Les hymnes dont l'usage remonte, dit-on, au vi^ siècle, sont des can-
tiques d'allure populaire et libre, sur des paroles en vers. Leur ligne
mélodique, généralement syllabique, ou peut s'en faut, consiste en une
phrase unique ou timbre[i)^ répétée autant de fois qu'il y a de couplets
dans le texte. Telle est, par exemple, l'hymne célèbre qu'on chante aux
vêpres de l'office des Confesseurs [Y^d^r.^ p. 642) {2).
j
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1 ■ ■ ,
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Iste Confesser Dômini coléntes Quem pi-e laudant Pôpuli per orbem,Hac di-e laeius
■P ■ ■ ■ .
% ■ .
■ ■ ■
■ ■ ■
Méiu-it be-â-tas Scândere sedes.
Voyez aussi : Stabat Mater [ibid.^ p. 801).
Ut queant Iaxis {ibid.^ p. 868, et ci-dessus p. 52).
J.-S. Bach, dans le troisième de ses Kyrie pour orgue, le plus admirable de ces trois chefs-
d'œuvre, n'a pas craint de suivre la tradition grégorienne, en formant le thème de l'Esprit-
Saint d'une combinaison contrapontique des thèmes du Père (ascendant) et du Fils (descen-
dant), exactement comme dans l'exemple ci-dessus. (Voyez Ed. Peters, Chorals d'orgue,
vol. VII, page 18 et suiv.)
(i) Voir à propos du mot timbre, la note 2, p. 77.
(a) Cette hymne fut composée en l'honneur de saint Martin, évêque de Tours.
LA CANTILÈNE MONODIQUE 7^
B) A partir du x' siècle, on voit peu à peu le vers rimé remplacer
Pancien nombre prosodique ; par là s'introduit dans la mélodie le rythme
cadencé et symétrique, précurseur de VArs mensurabilis. De ce genre
sont les proses ou séquences^ destinées, dit-on, à remplacer les formules
jubilatoires des alléluia^ devenues trop compliquées pour le peuple. Le
plus ancien auteur de séquences dont le nom nous ait été conservé est
NotkerBalbulus, moine de Saint-Gall (840 f 912).
Les séquences sont de forme syllabique comme les hymnes, mais elles
se composent le plus souvent d'une suite de couplets, dont la musique
n'est jamais répétée plus de deux fo'is^ soit consécutivement, soit alterna-
tivement. Au lieu du timbre unique qui caractérise les hymnes, il y a
donc dans les séquences une série de formules mélodiques différentes,
chacune de ces formules servant seulement à deux couplets du texte.
La belle séquence de la fête de Pâques (L. G>\^ 2^ éd., p. 2 1 7)
6
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Vîctiiiiae Paschâ-li laudes îmmo-lent Christi- âni.
est le vrai type du chant religieux populaire médiéval. Elle présente cinq
formules mélodiques différentes : la première et la dernière ne se répètent
pas ; la seconde se reproduit deux fois consécutivement ; la troisième et
la quatrième, deux fois aussi, mais alternativement.
Voyez aussi : Lauda Sion Salvatorem (L. G7\^ p. 288).
Emicat me?^idies [ibid.^ p. [219]).
Ces formes régulièrement mesurées, qui constituent le genre vraiment
populaire, en raison de leur parenté indéniable avec les chants profanes
destinés aux danses, se remarquent surtout dans les pièces liturgiques
qu'on s'accorde à considérer comme plus récentes et plus rapprochées de
l'époque des théories mensuralistes.
Malgré la haute antiquité des premières hymnes, le genre populaire
semble donc être postérieur aux autres, si toutefois il est permis d'assi-
gner un âge même approximatif aux monodies grégoriennes.
HYPOTHÈSE DU CYCLE GREGORIEN
Les trois genres ou, si l'on veut, les trois états de la cantilène mono-
dique nous apparaîtraient de la sorte comme les phases d'une évolution
lente, partie du sfllabismepsalmodique des pièces primit ires ^ pour aboutir
2iU Sfllabisme métrique des pièces populaires, en passant par toutes les
recherches décoratives et sj-mboliques des pièces orueiueutales.
74 LA CANTILÊNE MONODIQUE
Mais la question de savoir si ces trois états sont vraiment apparus
successivement^ dans cet ordre déterminé, est encore très controversée, et
de savants travaux sur la date de nos chants liturgiques sembleraient
même infirmer cette opinion.
Quoi qu'il en soit, notre hypothèse d'une sorte de cycle grégorien n'a
rien d'inadmissible. Elle serait même tout à fait conforme à l'évolution
du génie humain, laquelle repasse d'ordinaire, après des périodes plus
ou moins longues, par un point voisin de son point d'origine, mais jamais
par ce point lui-même : telles les orbites planétaires dans leurs révolu-
tions successives à travers l'espace.
LE CARACTERE EXPRESSIF DE LA CANTILENE MONODIQUE MEDIEVALE
On.a contesté, nié même, le caractère éminemment expressif au chant
grégorien, chant admirable entre tous, par son émotion naïve, sincère,
et si profondément humaine. Il est cependant hors de doute que les
créateurs de la cantilène monodique ont eu la préoccupation de traduire
musicalement, dans leur ensemble, sinon dans le détail des mots, les
sentiments exprimés par les textes sacrés.
Comment, du reste, pourrait-il en être autrement, alors que, dans tous
les autres arts florissant au moyen âge, cette préoccupation expressive
est tout à fait flagrante ?
La Musique seule serait donc déshéritée ?
Si les formules mélodiques composées de neumes sont bien, comme
nous l'avons démontré, de véritables mots ?nusicaux^ en tout point com-
parables aux mots du langage^ on peut se demander pourquoi ces for-
mules n'auraient pas été appliquées intentionnellement aux paroles du
texte.
Si la seule raison d'être de ces mots musicaux n'était pas, au contraire,
dans les mots du langage^ l'adjonction de la musique aux paroles serait
tout à fait inutile et dénuée d'intérêt. Une pareille anomalie, bien peu
probable en vérité, n'eût pas manqué de nuire singulièrement à l'im-
mense propagation du plain-chant, et à sa popularité plusieurs fois sé-
culaire.
Dans notre art musical dramatique contemporain, ne voyons-nous
pas les périodes et les phrases mélodiques, assimilables, elles aussi, aux
mots et aux membres de phrases parlées, se conformer plus ou moin*
étroitement au sens des paroles? Ce serait une erreur de croire que cette
application de la musique au texte est toute d'invention moderne, et que
le chant grégorien, père de notre musique dramatique, est dépourvu de
ce caractère expressif, qui fait, au contraire, son principal attrait.
LA CANTII.ÈNE MONODIQUE ^b
Les arguments qu'on invoque en faveur de cette étrange opinion ne
sont pas du reste tout h fait pcremptoires.
On cite notamment le texte du chapitre xv du Micrologue de Gui
d'Arezzo, intitulé : De commoda componenda modulationc.
Les paragraphes 3 et 5 de ce chapitre s'étendent longuement sur la
façon dont les groupes mélodiques, qui composent les mots musicaux,
doivent se correspondre entre eux, comme de véritables rimes ou for-
mules symétriques de cadences.
Mais ces rimes ne nuisent pas plus à l'expression des sentiments
que les rimes poétiques ne nuisent au sens du vers.
Le paragraphe 1 1 recommande de proportionner la longueur des
neumes à la quantité prosodique des syllabes correspondantes : conseil
parfaitement logique et nullement contraire au caractère expressif de la
monodie.
Enfin, le paragraphe 12 dit en propres termes que « l'effet du
« chant doit chercher à imiter les événements racontés par les pa-
« rôles ; que les neumes graves doivent être réservés aux circonstances
« tristes, les neumes gracieux aux choses tranquilles, les neumes exul-
« tants aux idées de prospérité » etc.. (i).
Ce texte, contemporain de la floraison du plain-chant, ne pose-t-il pas
le principe de l'expression, c'est-à-dire la correspondance entre le sen-
timent des paroles et le style de la monodie ?
Sans doute, on ne rencontre pas toujours dans la cantilène grégo-
rienne notre adaptation dramatique, toute moderne, de chaque mot im-
portant à une formule qui letraduit musicalement. Dans bien des pièces,
surtoutdu genre orné, l'expression résulte de la formegénérale, de l'ossa-
ture mélodique, de la construction rythmique, plutôt que du dessin
lui-même (2). Celui-ci, purement ornemental, n'a qu'un but décoratif,
tout à fait comparable aux enluminures et aux arabesques plus ou moins
compliquées qui ornent les majuscules des manuscrits médiévaux, et
surchargent plus ou moins leurs contours primitifs, sans les faire jamais
disparaître complètement.
(i) Micrologue de Gui d'Arezzo, chapitre xv :
§ II. — Item ut in unum terminentur partes et distinctiones atque verborum nec ténor lon-
^us in quibusdam bvevibus syllabis, aut brevis in iongis sit, quia obscœnitatem parif, quad
\amen raio opus erit curare.
§ 1 2. — Item ut rerum eventus sic cantionis imitetiir effectus, ut in tristibus rébus graves
tint neumœ, m tranquillis rébus jticundce, in prosperis exsultantes, et rel.
(2) La grande vocalise purement ornementale que nous rencontrons dans le quintette
des Me(Stersinger, de Wagner, empichc-tclle cette scène d'dirc expressive et drama-
tique i
76
LA CANTILÈNE MONODIQUE
ETATS CORRELATIFS DE L ORNEMENT
DANS LA MONODIE ET DANS LA GRAPHIQUE MÉDIÉVALES
Les transformations successives de l'art de la miniature et de Tor-
nement des documents écrits présentent d'ailleurs un parallélisme des
plus curieux et des plus suggestifs, avec les évolutions de la cantilène
grégorienne.
Si l'on compare les types graphiques des majuscules, du vi" au
XV' siècle, avec les types monodiques correspondants, on retrouve
exactement la même progression, comme on peut s'en rendre compte par
les spécimens reproduits ci-après.
VI» siècle.
VI» siècle.
X" siècle
(^-^ woyvc
LETIRES PRIMITIVES
LA CANTILÉNE MONODIQUE 77
Qui ne reconnaîtrait dans ces lettres des vie, viiic et x* siècles, le
même esprit de simplicité qui règne dans les pièces primitives de plain-
chant?
Ces riches majuscules des XIV et xvg siècles ne sont-elles pas l'image
frappante de nos antiennes ornementales, de nos traits, de nos alléluia
enfin, avec leur longue vocalise jubilatoire, telle la branche immense qui
serpente au-dessous de cet E majuscule, surchargé d'ornements ?
XII* siècle
{Rouleau mortuaire de St- Vital.)
LETTRE SYMBOLIQUE
Quant à cet admirable T initial (i), extrait du Rouleau mortuaire de
Saint-Vital (xii" siècle), et qui représente Satan vomissant deux juifs et
porté, comme sur un piédestal, par le Cerbère antique, nul n'oserait
dire que ce ne soit là de l'art symbolique et expressif, s'il en fut I
LRS TIMBRES
On a soutenu néanmoins que la musique religieuse du moyen âge ne
participait pas aux qualités expressives inhérentes à tout l'art de cette
époque ; et on veut baser cette assertion sur l'usage des timbres (2), ou
(i) Dans la symbolique médiévale, le tau (T) était la lettre impure et maudite,
(i) En musique, le mot timbre a trois acceptions principales, correspondant toutes
trois h une idée d'inertie:
a) Le timbre d'un son est la qualité particulière qui le différencie d'un autre son émis
dans des conditions identiques de urée, d'intensité et d'acuité: le timbre résulte de Vitienie
k la matière sonore réagissant sur le son émis. (Voir chap. vni.)
b) Le tmbre d'un tambour consiste en une cordelette double, tendue sur celle des deux
^8 LA CANTILENE MONODIQUË
mélodies-types, que les compositeurs auraient employées indistincte-
ment, et sans souci du sens des paroles, pour des sujets totalement diffé-
rents.
Il est exact, en effet, qu'un assez grand nombre de textes de la liturgie
sont chantés sur la même musique : l'usage de ces timbres est fréquent
dans la monodie grégorienne, et cela n'a rien qui puisse surprendre.
On ne pouvait trouver des mélodies différentes pour chacune des
pièces des innombrables offices ; et, puisque beaucoup de ces offices ont
des textes communs, il est naturel que la musique, — assurément
mo'ns facile à faire qu'une adaptation de l'Écriture à la fête d'un saint,
— ait pu servir à plusieurs textes différents.
Mais si l'on examine attentivement cette appropriation d'une mélodie
unique, ou timbre, à des paroles diverses, on constate qu'elle n'a point
été faite au hasard, loin de là ! La musique du timbre utilisé est la
plupart du temps asservie, non seulement au sens, mais même à l'accent
des paroles, et modifiée en conséquence. Il y a changement de musique
lorsque les paroles changent de sentiment ou d'accent: tout le principe
dramatique est là. Bien plus, l'emploi du même timbre est le plus sou-
vent limité à des textes qui, bien que différents, se réfèrent à un
sentiment général identique (i).
On peut s'en rendre'compte par l'examen simultané des trois alléluia
suivants :
A. Conversion de saint Paul [L. Gr., 2e éd., p. 394).
B. Election de saint Barjiabé [ibid.^ p. 478).
C. CojJimun de plusieui's martyi^s [ibid.^ p. [26]).
C'est bien la même idée de gloire et de splendeur éternelle qui a
peaux qui n'est pas destinée à la percussion. Cette cordelette n'a d'autre but que d'accroître
la sonorité de l'instrument, par une réaction due à son inertie.
c) Le timbre d'une chanson est un dessin mélodique unique, indifférent, inerte^ qui s'ap-
plique indistinctement à tous les couplets de cette chanson, ou même d'autres chansons,
qui n'ont aucun rapport, ni comme paroles, ni comme sentiment.
(i) Nous constaterons ultérieurement, dans l'étude de l'Art dramatique de la troisième
époque (troisième livre), de curieuses manifestations de cette tendance qui entraîne certains
auteurs à employer, peut-être inconsciemment, les mêmes formules musicales, comme de
véritables timbres, pour exprimer des sentiments identiques, dans des œuvres et avec des
paroles différentes.
Telle est par exemple laf orme caractéristique:
dcnpo
employée par Gluck dans A!ceste, dans Armide, dans Iphigénie en Tauride, et toujouf»
appliquée par lui à une idée ce plainte ou de douleur.
Le discours musical, à l'aide duquel le musicien exprime ses sentiments, serait-il donc
comme un langage réel, avec ses expressions et ses formules, variables suivant les indivi-
dus, mais constantes pour chacun d'eux? ou serait tenté de le croire.
LA CANTILENE MONODIQUE
79
guidé dans le choix de ce timbre, notablement modifié par l'artiste, sui-
vant le sens des paroles, afin de souligner différemment les mots im-
portants, et de réserver l'interminable vocalise du milieu pour le point
culminant de chacun des textes :
Voyez : A. — wocalhe sur fflo?'i/ican dus»
B. — vocalise sur fructiis.
C. — vocalise sur ddectentur.
\
- ^'fl -°H^'4-,:Vr' f^'\^o^±^-^f^fi^
Al- le- lu- ia.
isir-s-^MT
1— rrMTT^:
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f. Ma- gnus sanctus Pau-
lus vas
e- le-cti- 6-
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f. E- go vos e- lé-
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y. Ju- sti e-pu- lén- tur et ex-sûl- tent in conspe- ctu
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nis, vere digne est glori-
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De- i.
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tis : et tru-
lit;
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et dele-
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A ^^^i^^^^^^^^^^^^^^^3
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dus, qui et méru- it thronum du-o-dé- cimum pos- si
ifcti^
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tur
in lae-
8o LA CANTILÈNE MONODIQUE
dére.
B Jl?H_'J_/sat:h?^'. ^ '\1:g:-'-Â^^>^rr,r;
ma- ne-at.
te
cJ^H^^^^-P^^ I /»;'•», I ■' ^^^^-^rvr
tî- ti-a.
Sans doute, les adaptations d'un même timbre n'ont pas toujours été
aussi soigneusement faites ; on en rencontre même qui sont assez défec-
tueuses (i). Tel timbre, composé pour une pièce liturgique spéciale,
y est excellent ; appliqué maladroitement à une autre, il est moins bon,
mauvais peut-être. Ces cas sont plutôt rares : on doit les déplorer, mais
non point en tirer un argument contre le c-aractère expressif de la can-
tilène grégorienne.
En dépit de ces fâcheuses exceptions, on ne saurait étendre au timbre
liturgique les caractères du timbre dans la chanson populaire, ou dans
le vaudeville (2). Celui-ci ne change Jamais avec les paroles : c'est une
simple formule cadencée et symétrique, invariablement répétée, qui
tire son origine de la danse, et n'a |>our ainsi dire aucun rapport avec
l'expression dramatique d'un sentiment. Le timbre du plain-chant, au
contraire, représente dans la musique la tradition^ cette tradition dont
l'influence se retrouve dans toute espèce d'art au moyen âge (3),
(i) On cite souvent, comme exemple de mauvaise adaptation d'un même timbre, le gra-
duel de la messe de mariage (L. Gr., 2« éd p. [126]) et le graduel de la messe des morts
(ibid. p. [i3i]).
Ce timbre, qui très certainement a été fait pour les paroles de la messe des morts Requiem
œlemam dona eis, Domine..., est évidemment moins bon pour les paroles de la messe de
mariage Uxor tua sicut vitis abundans..., mais cette adaptation n'est pas aussi fautive qu'on
pourrait le croire. Au point de vue du sentiment général, il n'y a pas entre ces deux cir-
constances l'incompatibilité qu'on veut bien y voir. Il ne faut pas oublier que l'Eglise
n'attache aucune idée de tristesse à la mort, entrée des âmes dans la vie éternelle, comme
le mariage représente l'entrée dans la vie d'époux, dans la vie commune terrestre. Quant à
ce qui est de la musique elle-même, il y a entre ces deux pièces des différences capitales,
motivées par la nécessité de l'expression différente des deux textes.
(2) Ce timbre populaire, devenu le couplet, a aussi son intérêt : c'est lui, en effet, qui ser-
vira, comme nous le verrons plus loin, de transition entre l'état antique de la danse et l'art
symphoiiique moderne.
(3) La /rad/rfon impérieuse qui fait mettre, dans toutes les sculptures représentant le juge-
ment dernier, l'enfer à gauche et les âmes des justes à droite, n'est pas autre chose que le
timbre.
De même, les cano«s étroits qui règlent minutieusement dans la peinture l'attitude tradi-
tionnelle des personnages sacrés.
Ces traditions, ces canons, — ces timbres — empêchent-ils la sculpture et la peinture
médiévales d'être expressives, et de vivre d'une v/e intense, infiniment plus humaine que la
vie factice et conventionnelle issue des faux principes de la Renaissance ?
f,A CANTFLKNE MONODIQUE 8i
comme le fait remarquer fort à propos M. Emile Mâle, dans son
si remarquable ouvrage : L'art religieux du xiiig siècle en France.
« La tradition écrite, dit-il (p. 3o5), n'est pas tout dans l'Art du
« moyen âge ; il faut tenir le pl;is grand compte de ce qu'on peut appe-
rt 1er la tradition artistique. . .
« Un geste, un regard, une attitude, telle fut la part d'invention de
« nos graves artistes. Ils exprimaient sobrement, tout en restant fidèles
« aux règles.) Vémotion qu'ils ressentaient à la lecture de l'Évangile et des
« livres saints. »
N'est-ce point là l'éternelle recherche du « sentiment humain » dans
son expression artistique, le « moyen de vie pour l'âme », la préoccu-
pation de « communiquer aux autres nos impressions » ?
Et les créateurs de la cantilène monodique, — comme les peintres
et les sculpteurs, — ont-ils fait autre chose que d'exprimer sobrement,
tout en restant fidèles aux timbres tradiiionneis, leur sincère et naïve
émotion ?
Cours de compositiou.
V
LA CHANSON POPULAIRE
Le chant populaire profane. — Origine des monodies populaires. — Le rythme populaire.
Le couplet. — Les trois états successifs du couplet. — Le refrain : son rôle dans la
musique symphonique.
LE CHANT POPULAIRE PROFANE
Le principe de tout art est d'ordre religieux : nous avons eu plusieurs
fois l'occasion de le rappeler, et c'est pour cette raison notamment que,
dans l'étude de la musique rythmo-monodique, nous avons examiné
d'abord le chant liturgique, plus ancien assurément que tous les autres,
auxquels il a souvent servi de modèle.
Mais le ca.T3.cthre populaire de nos cérémonies religieuses devait natu-
rellement réagir sur les formes de la musique d'église ; aussi avons-
nous constaté, à propos des séquences, les tendances simplistes du
peuple, auxquelles on doit la substitution progressive des formes caden-
cées et symétriques aux vocalises surchargées des alléluia du genre
ornemental.
Après avoir étudié ce que nous avons appelé le genre populait^e dans
la cantilène monodique, il pourrait sembler à peine utile de consacrer
un chapitre spécial à la chanson populaire profane du moyen âge, dont
les formes semblent, surtout au début, très analogues à celles du chant
liturgique.
Cependant, une raison fort importante Justifie cette étude séparée :
le chant populaire en effet, malgré ses fréquents emprunts au chant
religieux, n'en conserve pas moins une différence de destination carac-
téristique, et absolument incompatible avec les formes du culte chrétien :
la danse.
Ainsi que l'observe M. Tiersot, « dans les quelques textes de la pre-
« mière période du moyen âge où il est question de chants populaires,
« ceux-ci sont, d'une manière constante, présentés comme spécialement
« destinés à la danse. » {Histoire de la chanson populaire en France^
p. 324.) C'est donc h l'ancien art du rythme dans le geste^ reparaissant au
84 LA CHANSON POPULAIRE
moyen âge sous la forme de danse profane, que nous devons la chanson
populaire, tandis que le chant religieux provient de l'art du rythme
parlé, comme nous l'avons dit au chapitre i, p. 28.
En vertu de cette différence primordiale, la chanson populaire, affectée
à la danse, continuera dans notre troisième époque de l'histoire musi-
cale à ne se point confondre avec la cantilène liturgique. Car les pre-
mières formes de la musique instrumentale, c'est-à-dire symphonique,
sont directement issues du chant profane, tandis que le chant sacré sert
de point de départ à notre art de l'expression vocale ou dramatique.
ORIGINE DES MONODIES POPULAIRES
Le peuple n'est point créateur, il est au contraire un merveilleux
adaptateur.
Que quelques mélodies aient été composées par des trouvères ou des
troubadours (i) pour la propagation de leurs poèmes, c'estpossible, pro-
bable même; mais les mélodies primitives vraiment populaires, celles
qui ont subsisté à travers les âges, et se chantent encore dans les pays où
n'a point pénétré l'ignoble chanson de café-concert, sont presque toutes,
il est difficile d'en douter, des interprétations de monodies liturgiques.
Il est tout naturel, en effet, de penser que le peuple, alors religieux, ne
connaissant d'autre musique que celle qu'il entendait dans les églises,
profita des éléments réunis dans sa mémoire pour les adapter à ses
propres besoins, en les modifiant, en les pétrissant pour ainsi dire à son
image, suivant les exigences rythmiques des danses diverses en usage
dans les différentes provinces.
Des recherches faites en ce sens ont démontré la vérité de cette asser-
tion (2), qui n'a rien d'anormal, puisque nous retrouvons dans un
grand nombre d'airs populaires plus récents (xviii* siècle) des adap-
tations de simples airs d'opéra ou de ballet. Mais la mélodie popu-"
laire, malgré cette origine religieuse, n'en a pas moins gardé son sens
spécial, sa signification toute particulière, en raison de la forme que
(i) Au surplus, il n'est nullement démontré que les trouvères et les troubadours aient été
des mendiants ou des miséreux comparables à nos chanteurs des rues contemporains. Cette
opinion est de jour en jour plus contestée, et il paraît tout à fait probable, au contraire, que
beaucoup de ces musiciens ambulants avaient reçu une instruction assez complète.
Quelques-uns, artistes véritablement indépendants, voyageaient pour leur satisfaction per-
sonnelle, mais le plus grand nombre circulait pour le compte de certaines personnalités
puissantes, dans un butde propagande, d'influence ou d'information plus ou moins politique.
Investis de missions de confiance, ces « pauvres hères » de la légende n'étaient assurément
pas les premiers venus, et leur rôle, même au point de vue artistique, pourrait fort bien
n'avoir point été aussi inconscient qu'on le croit d'ordinaire.
(3) Voir Chansons populaires du Vivarais, recueillies par Vincent d'Indy. (Durand et fils éd.
— Recherches historiques sur l'origine de la mélodie : La Pernette (pages j5-i7).
LA CHANSON POPULAIRE 85
IMnfluence populaire lui donna pour l'approprier à sa manière d'être, et
aux mouvements du corps ordonnés par la danse.
LE RYTHME POPULAIRE. — LK COUPLET
D'après ce que nous venons de dire, il ne faut donc point s'étonner si
les plus anciens spécimens du chant populaire empruntent leur forme
mélodique auxmonodies grégoriennes du genre des alléluia^ traits, etc. ;
c'est, en effet, avec ces formes ornementales qu'apparaissent les longues
vocalises rythmées, véritables refrains populaires tout désignés pour
recevoir une application à des paroles profanes.
Toutefois, deux différences capitales, qui séparent définitivement les
deux genres de musique, ne tardent pas à s'établir: leîythme etlecouplet.
A) Dès ses premières apparitions, la chanson populaire est, en effet,
caractérisée par la forme spéciale de son rythme. Celui-ci prend un aspect
cadencé suivant une symétrie plus ou moins régulière : il est plus vul-
gaire et plus facile à retenir, en raison même de sa périodicité, que les
rythmes du chant grégorien, sans cesse modifiés par l'accent des paroles.
Visiblement destiné à la danse, il représente pour nous les derniers
vestiges de l'ancien art du geste, qui, revenu à une forme plus rudimen-
taire, a pénétré dans les habitudes du peuple, après avoir été délaissé
complètement, en tant qu'art véritable, depuis la décadence des civili-
sations antiques.
Ce besoin de symétrie grossière ne tarde pas à influer sur la musique
elle-même ; il donne bientôt naissance aux théories des mensuralistes
(xii* siècle : Aïs mensuj^abilis)^ auxquelles nous devons la notation pro-
portionnelle, avec ses mille subtilités encore enveloppées de ténèbres,
et aussi la pauvreté rythmique des formes mesurées, contre lesquelles
on a tant de peine à réagir dans notre époque contemporaine.-
B) La périodicité rythmique de la chanson populaire engendre natu-
rellement le couplet.) ou retour régulier du même dessin mélodique,
quel que soit le sens des paroles à exprimer.
Là encore se différencient profondément le chant profane et le chant
sacré : tandis que, dans la cantilène grégorienne, le timbre est modifié
pour s'adapter le mieux possible au texte, le couplet de la chanson
populaire reste invariable. Nous n'y retrouvons même pas les alter-
nances de deux formes différentes, comme dans la séquence, où l'on sent
encore la préoccupation expressive d'ordre dramatique. Le thème du
couplet est unique, sa forme dépend du nombre des vers et non de leur
sens ; tout au plus pourrait-on comparer cette forme h celle des
hymnes, différente toutefois par son rythme, qui n'est point destiné à la
danse.
86
LA CHANSON POPULAIRE
A mesure que ia date des chansons populaires devient plus récente,
l'intention expressive disparaît de plus en plus dans le couplet, qui prend
le caractère d'un simple dessin purement instrumental ou sympho-
nique, auquel les paroles viennent se juxtaposer, sans nul souci du sen-
timent, ni même de l'accentuation.
LES TROIS ETATS SUCCESSIFS DU COUPLET
D'après l'intéressant ouvrage de M. Tiersot, que nous avons déjà cité,
et auquel sont empruntés tous les exemples qui vont suivre, on peut dis-
tinguer dans la forme du couplet trois états successifs différents.
A) Vers le xi* siècle, le couplet est formé par un seul vers, et la mélodie
par une période unique correspondante, qui se répète indéfiniment.
De ce genre est le Lai des Aînans, pièce certainement très ancienne
(Tiersot, p. 407) :
Hé, Diex, mercy quant aven-ra Ke celé faice mon vo- loir !
Mais le plus souvent, ce vers unique est composé de dix syllabes, et
séparé en deux hémistiches égaux par une assonance, comme dans le
Lai d'Aalis, très probablement postérieur au précédent : la forme musi-
cale consiste toujours en une période unique, à peine modifiée une fois
sur deux (Tiersot, p. 408) :
^r' r r '^ ^^^
^
Fran-ce déboinaire, de ta grant franchise
A (légèrement modifié)
S
Ne porrait retraire nus en nulle guise.
La Dance delà régine Amnllouse (Tiersot, p. 42) présente aussi un type
mélodique de la même époque : malgré la forme plus compliquée de la
poésie (quatre vers égaux sur une rime unique, et un cinquième plus
court), cette mélodie consiste aussi en une période unique, dont les quatre
répétitions sont interrompues par des formules tonales, comparables aux
vocalises qui terminent les phrases des traits, dans le chant grégorien.
LA CHANSON POPULAIRE
87
"Nous voyons apparaître ici pour la première fois le refrain en forme
ornée, destine à être repris et dansé par le peuple :
A I
A 2
A3
^^rrfn--^^igfii;;^a!igHH^^Lj r'i-j'JTr f I r r r J if
Al en tradc del tens clar, E- ya. Pir joi- e recomençar, E- ya. Et pir jalous irritar,
Coda
E- ya. Vol la re-gi-ne mostrar Kelc est si a-mo-rour se.
i
REFRAIN (vite)
Alla vi', a'ia vi- e, ja-
lous.
Las-saz nos, las-saz nos ballar
^-ÇT^^
en-trc nos, en-tre nos.
^) Dès le xii« siècle, le couplet d'un seul vers a disparu : sa forme la
plus usuelle est faite de deux vers égaux, et comporte par conséquent deux
périodes mélodiques différentes, généralement suivies d'un refrain (i).
Tel est, par exemple, le /^jZ'//aM d'Aucassm et Nicoléte [Tiersot^ p. 409}»
dont le refrain n'est qu'une simple formule finale :
|;gsEË3r r J^a^^^M^^
Qui vau-rait bons vers o-
îr Del dépari du vieil catif?
Tant par est dou- ce
Dans les pièces de la même époque où le couplet se compose de quatre
vers, chacune des deux périodes mélodiques est répétée, comme dans le
Jeu de Robin et Marion (Tiersot, p. i53); le refrain qui encadre cette
mélodie est tiré de la seconde période : ses paroles consistent en une
série d'onomatopées bizarres et dépourvues de toute espèce de significa-
tion, comme presque tous les refrains des chansons de cette époque :
•%• REFRAIN.
|^=°"^?F^g^^1^giC-i r- -"-"^Q^zna
Trai- ri dc-luriau, de-lu- riau, de-lu- riè- le.
i
itrrr' g r 1 fg
^^
Trai- ri de-luriau, dc-Iu- riau, de- lu-
(1) Quelquefois, mais rarement, le couplet de la chanson de cette époque est fait de trois
vers cette disposition ne modifie pas la forme mélodique.
»s
LA CHANSON POPULAIRE
Hui-main je chevauchoie Lès l'o-riè-re d'un bois.
B bis
^^r^Hp^f P f ^5l^
Trouvai gentil bre- giè-re, Tant bè-le ne vit roys.
C) Ce couplet de quatre vers devient de plus en plus fréquent, et reste,
à partir des xnf etxiv^ siècles, la forme type du chant populaire, généra-
lement sans refrain ; il donne naissance alors à deux espèces de mélodies:
1°, une forme binaire, c'est-à-dire à deux périodes, composées chacune
de deux vers, forme qui diffère peu de la précédente ;
2°, une forme ternaire, c'est-à-dire à trois périodes, dont une, la pre-
mière de préférence, est répétée deux fois. YJÉpib^e farcie pour la fête
du jour de l'an (Tiersot, p. 408) rentre dans cette dernière catégorie :
3E£
^
A bis
^mk
Bonne gent pour qui sau-
vement Dieu de chair ves-tir se daigna, Et en
bercheul vit hum-
ble-ment Qui tout
le monde
main a (i).
Quelquefois, les trois périodes de la mélodie ternaire sont enchaînées
sans aucune répétition. La chanson Rotins m'arme, par exemple, dont
l'auteur est Adam delà Halle (Tiersot, p. 5 11), peut se décomposer en
deux périodes différentes mais d'égale longueur, suivies d'une troisième
beaucoup plus courte :
'^=:à=^^^~^-^-A-J=^^t^r I fi' [ ^^ I ^ ^M J
22
Robins m'ay- me, Robins m'a... Robins m'a deman-
dé-
Si m'a- ra.
On trouve aussi, vers la même époque, des chansons avec refrain :
celui-ci est fait, le plus souvent, avec l'une ou l'autre des périodes du
couplet, comme nous l'avons vu déjà dans des pièces plus anciennes
(voir le Jeu de Robin et Marion ci-dessus, p. 87).
(i) Comme types de l'ancienne chanson populaire française à quatre vers sans refrain, on
peut citer encore celle du Roy Loys et celle àc Jean Renaud, bien connues l'une et l'autre, et
aussi curieuses par leur texte que par leur mélodie.
LA CHANSON POPULAIRE
89
Voici un exemple intéressant de mélodie ternaire, avec répétition de
la première période, et refrain tiré de la seconde : la Bêle Yolaiis (Ticrsot,
p. 414):
A bis
^^f3mEî^^i=m^
-j--j-L_j-ifrJ^ j J I r L*^-
Bè-le Yo- lans en ses chambres
se- oit; D'un bœn sa- miz u- ne robe
co- soit,
A son
mi tra-mètrc la vo- loit ;
(période B)
En sos-pi- rant, ces-te
&3igll^=EE?
-ri-j-y^^^^î^
chanson chan-toit
Dex,
tant est dous li nous d'amors,
nen cuidai
sen-tir do-
lors,
Les chansons relativement plus récentes, dont les couplets sont faits
de six ou huit vers, n'ont point donné naissance à des formes mélodiques
différentes : elles sont toutes tet^naires^ et semblables par conséquent à
l'un ou à l'autre des types que nous venons d'examiner.
En résumé, les trois états successifs du couplet peuvent se ramener
aux trois types primaire, binaire, ternaire, dont nous avons étudié la
forme à propos delà phrase mélodique. (Voirchap. 11, p. 41 et suiv.)
Il semblerait qu'en raison de son adaptation à la danse, la construction
de la mélodie populaire du moyen âge ait dû être toujours soumise à la
carrure, ou division symétrique des mesures en 4, et en multiples de 4.
Bien au contraire, cette forme carrée qu'on croit souvent populaire, alors
qu'elle est seulement vulgaire, était à peu près inconnue avant le
xvn* siècle : elle est donc postérieure à la Renaissance, et doit certaine-
ment une grande partie de son succès au mauvais goût prétentieux de
toute cette époque (i).
(i) La forme carrée est contemporaine de la barre de mesure, de la basse continue, et de
la forme irrégulière de la gamme mineure, dite improprement « gamme harmonique ».
(Voir. ch. VI, p. loi et suiv.)
Bien que toutes ces innovations, plus ou moins regrettables, datent seulement du xvn« siè-
cle, elles sont ducs très certainement à l'esprit de la Renaissance (xvi» siècle), dont les ten-
dances pleines de préiention et de vaine personnalité firent subir au dcveloppemcnt de
tous les arts un arrêt dont nous souffrons encore.
L'art musical, nous l'avons déjà constaté, n'échappe jamais aux évolutions — bonnes ou
mauvaises — qui se succèdent dans les ans plastiques (architecture, sculpture, peinture).
90 LA CHANSON POPULAIRE
LE REFRAIN
SON RÔLE DANS LA MUSIQUE SYMPHONIQUE
Quant au refrain, il est à peu près impossible de lui assigner des
formes déterminées. On a vu par les exemples précédents que son adjonc-
tion au couplet est faite le plus souvent sans la moindre préoccupation
de correspondance poétique, ou même musicale. C'est un simple cri,
une vocalise, une onomatopée, ou bien quelques paroles sans suite, que
le peuple répète en dansant, sans chercher à comprendre.
Le refrain offrirait donc par lui-même peu d'intérêt, s'il n'avait eu
plus tard un rôle important dans la genèse de certaines formes musi-
cales de la troisième époque.
On verra notamment, à propos du rondeau^ comment cette forme
instrumentale, éminemment française, a son origine dans l'alternance
régulière du couplet et du refrain.
Qui ne reconnaîtrait également dans l'apparition traditionnelle du
tutti après le solo^ cette vieille coutume du peuple, reprenant le refrain
après le couplet du chanteur ?
Ainsi se vérifie de plus en plus cette espèce de filiation, qui rattache
nos formes symphoniques contemporaines aux anciens arts du rythme
dans le geste, par l'intermédiaire des danses et chansons populaires du
moyen âge.
Toutefois il n'en reçoit généralement le contre-coup qu'après un temps plus ou moins long.
Ainsi s'explique cette différence équivalant à un siècle environ, entre la Renaissance propre-
ment dite (xvi« siècle) et ce que nous pourrions appeler la Renaissance musicale (xvii* siècle.
Voir chap. xii).
f
VI
UHARMONIE
L'ACCORD
Notions générales. — Origine de l'harmonie: Diaphonie; déchant; contrepoint; poly-
phonie. — L'Accord. — Notions d'acoustique. — Résonnance supérieure : accord majeur.
— Résonnance inférieure : accord mineur. — Les deux aspects de l'Accord. — Les deux
aspects de la gamme ; les modes. — Genèse de la gamme. — Les rapports simples.
— Rôle respectif de l'harmonique 3 (quinte) et de l'harmonique 5 (tierce) dans la genèse
de la gamme. — Le cycle des quintes.
NOTIONS GENERALES
On appelle Harmonie l'émission simultanée de plusieurs mélodies
différentes.
Cette émission simultanée donne naissance à des combinaisons de
sons auxquelles les traités d'harmonie ont donné le nom d'accoi^ds.
La Musique étant un art de mouvement et de succession, les accords, en
tant que combinaisons de sons, n'apparaissent que par l'effet d'un arrêt
dans le mouvement des parties mélodiques, dont ils sont composés néces-
sairement.
Musicalement, les accords n'existent pas, et l'harmonie n'est pas la
science des accords.
L'étude des accords/^owr eux-mêmes est, au point de vue musical, une
erreur esthétique absolue, car l'harmonie provient de la mélodie, et ne
doit jamais en être séparée dans son application.
La notation représente la succession (mélodie) dans le sens horizontal,
et la simultanéité (harmonie) dans le sens vertical.
Les phénomènes musicaux doivent toujours être envisagés, graphi-
quement, dans le sens hori:{ontal {système de la mélodie simultanée) et
non dans le sens vertical, comme le fait la science harmonique, telle
qu'elle est enseignée de nos jours.
ga L'HARMONIE
ORIGINE DE l'harmonie
DIAPHONIE ; déchant; contrepoint; polyphonie
En raison de la structure de leurs organes vocaux, les enfants et les
femmes chantent d'ordinaire à l'octave aiguë, par rapport aux voix
d'hommes.
Une cantilène monodique, exécutée par une collectivité d'individus
d'âge et de sexe différents, ne constitue point, comme on le dit commu-
nément, un chant à Vunisson^ mais une véritable successiofi d'octaves.
Cette disposition, due à une cause physiologique, est dépourvue de
tout caractère hannonique, car elle présente un redoublement de la
même mélodie et non des mélodies différejites exécutées simidtanément.
Le peuple associé, comme on l'a vu, au chant liturgique depuis les
premiers siècles de l'Église chrétienne, chanta donc à l'origine enoctapes.
Toutefois, certaines voix peu exercées, atteignant difficilement les
notes trop aiguës ou trop graves pour elles, leur substituèrent instinc-
tivement dans la mélodie des sons intermédiaires plus accessibles.
Ainsi qu'il arrive encore de nos jours dans les campagnes, chacun dut
s'efforcer de faire une sorte d'accommodation individuelle de la cantilène
grégorienne à ses moyens vocaux : les uns suivant rigoureusement la
mélodie des chantres-, d'autres la doublant à l'octave, d'aucuns enfin
hésitant entre les deux, en raison des limites étroites de leur voix, et
créant ainsi une sorte de partie nouvelle, qui formait avec le chant
principal un ensemble parfois heureux, barbare le plus souvent.
C'est sans doute en observant cet état de choses que, dès le x^ siècle,
certains musiciens reconnurent l'utilité de déterminer et d'écrire ces
parties intermédiaires, en réglementant leur juxtaposition avec la
mélodie principale.
Il en résulta d'abord cette sorte d'accompagnement parallèle en
quartes et quintes — rarement en tierces — qu'on nomma diaphonie ou
organum (voir chap. x). A vrai dire, ces premiers essais de mélodies
simultanées sont d'un effet assez médiocre.
Les progrès de la diaphonie^ pendant plus de trois siècles, semblent
avoir été à peu près nuls ; car des exemples du xiii^ siècle, qui nous ont
été conservés, présentent encore des agglomérations de sons tout à fait
inacceptables pour notre entendement moderne (voir chap. x).
Le goût de l'ornementation, très développé à partir de cette époque,
fit bonne justice de la diaphoîiie barbare et servile, et lui substitua petit à
petit une forme nouvelle plus libre et plus artistique, qu'on peut consi-
dérer comme la première manifestation caractérisée de Vharmoiiie.
Autour du chant principal {cantus firmus) que les voixde la foule tenaient
L'HARMONIE gî
(d'où le nom de teneur — en bas latin : teuor]^ des chantres exercés impro-
visaient des sortes de broderies, en forme dialoguée, qu'on appela déchant
ou chant sur le lipide.
Plus tard, ces improvisations libres revêtirent des formes déterminées
qu'on figura par des points diversement placés contre ceux qui représen-
taient la mélodie principale.
Le co/z/rejcc)/;// se perfectionna fort lentement; jusqu'au xv^ siècle, ce
n'est encore qu'un art assez rudimentaire. Il fallut l'habileté géniale des
maîtres du xvi« siècle pour l'élever jusqu'aux formes si expressives de la
musique polyphonique.
Depuis, par suite de la recherche et du raffinement exagérés introduits
dans l'écriture contrapontique, cette forme est tombée en désuétude ;
mais l'usage de faire entendre simultanément plusieurs parties vocales
ou instrumentales différentes n'en a pas moins subsisté, et tout porte à
croire qu'il est entré dans notre art musical d'une manière définitive.
Cet usage, relativement récent, comme on peut le voir par ce rapide
exposé de ses origines, a enrichi la musique contemporaine d'un élément
nouveau, considéré aujourd'hui comme très important : Vharmonie.
Uhainnonie résulte donc de la superposition de deux ou de plusieurs
mélodies différentes.
C'est seulement vers le xvn® siècle, plus de quatre cents ans après les
premiers essais de juxtapositions mélodiques, que des théoriciens com-
mencèrent à discerner et à dégager de la polyphonie le véritable principe
générateur de l'harmonie^ c'est-à-dire VAccot^d.
L ACCORD
L'^ccor^ consiste dans l'émission simultanée de plusieurs sons diffé-
rents, dont les rapports d'intonation sont déterminés par la résonnance
natuî^elle des corps sonores.
L'Accord étant le principe générateur de l'harmonie ne saurait en être
le but.
Les combinaisons appelées accords dans les traités d'harmonie ne con-
stituent pas davantage un but, puisqu'elles n'ont pas d'existence réelle:
ce sont des moyens harmoniques, artificiels le plus souvent.
Il n'y a, en musique, qu'un seul accord.
L'étude de la mélodie nous a déjà révélé l'existence de relations
d intojiation, de rapports ou intervalles perçus par notre oreille, en vertu
d'une faculté réflexe, développée par l'éducation musicale.
Il s'établit en effet dans notre entendement, entre les notes consé-
cutives d'une mélodie isolée, une perpétuelle comparaison, laquelle
94 L'HARMONIE
s'applique également aux notes simultanées de deux ou de plusieurs
mélodies concomitantes.
Les rapports des sons entre eux se manifestent donc à la (ois mélodt-
quement et harmoniqueme7it.
Dans ce travail inconscient de comparaison et de classement, chaque
note prend, en raison de ses rapports avec les autres, une valeu?^ à laquelle
elle doit sa signification et son effet esthétiques.
Aussi bien dans les rapports mélodiques que dans les rapports
harmoniques, cette valeur peut être absolue ou relative.
Une note dont nous apprécions la valeur absolue est dite pritne {prima
ratio), parce qu'elle constitue un poijît de départ auquel nous rapportons
les autres notes pour juger de leur valeur (i).
Une note dont nous n'apprécions la valeur (\}ie par rapport à une autre
est dite dérivée (seconde, tierce, quinte, etc.).
On nomme intervalle le rapport existant entre les intonations de deux
sons.
Uintonation de chaque son varie suivant le fiombre des vibrations
sonores qui le constituent. •
NOTIONS d'acoustique
Les lois qui régissent les rapports des sons, c'est-à-dire les rapports
des vibrations, sont du domaine de la science, et plus spécialement de
V acoustique.
L'étude des mouvements vibratoires est une des branches les plus
vastes et les plus fécondes de la physique : ce n'est point ici le lieu de
l'entreprendre. Il est toutefois utile d'exposer brièvement ce qui con-
cerne les vibrations sonores.
Tout corps possède à des degrés différents la propriété de vibrer, c'est
à-dire que ses molécules constitutives, écartées par une cause extérieure
quelconque de leur point d'équilibre naturel, tendent à y revenir par
une série d'oscillations de plus en plus petites de part et d'autre de ce
point.
Ces oscillations ou vibrations sont tout à fait comparables au mouve-
ment d'un pendule qu'on éloigne avec la main de sa position verticale,
pour l'abandonner ensuite à lui-même.
Les vibrations sonores se propageant à travers un milieu élastique
(l'air, généralement) viennent frapper notre oreille et constituent le
son.
(i) Le qualificatif de prime, avec cette signification, est emprunté à Hugo Riemann {Har-
monie simplifiée, trad. française, p. 2).
I.'HARMOMfF gî
On utilise pour la production des sons musicaux^ soit des corps solides
(métaux, bois, tissus animaux) mis en vibration par \a percussion (tim-
bales, piano), par Ieyro//emff/// (instruments à archet) ou parle pincement
(harpes, guitares), — soit une co/o««(? ^'a/r limitée à l'intérieur d'un
tuyau rigide (instruments à vent, orgue).
Dans cette dernière catégorie d'instruments, en effet, ce n'est point,
comme on le croit souvent, le tuyau qui vibre, mais la colonne d'air.
Celle-ci se comporte sensiblement comme une cor<ie tendue entre deux
points fixes.
On conçoit que la mise en vibration de cette sorte de corde aérienne ne
puisse s'opérer à l'aide des procédés employés pour les corps solides : on
l'obtient par le souffle., humain ou artificiel, sous certaines conditions de
tension et d'émission.
Les modes de production du son varient donc suivant la nature du
corps vibrant, mais les phénomènes sonores restent identiques.
Le nombre des vibrations qu'un corps peut exécuter dans un espace
de temps déterminé est en. rapport dir^ect et rigoureusement constant a\ec
l'acuité du son qui en résulte. Ainsi, au nombre de 435 vibrations à la
seconde, par exemple, correspondra toujours un son identique : le la
du diapason normal, quelles que soient d'ailleurs la matière vibrante et
l'intensité d'émission.
Tout corps sonore peut faire entendre une infinité de sons d'acuité
différente, sans qu'il soit nécessaire d'apporter un changement dans ses
dimensions, sa tension, sa température, sa densité, etc..
Tant qu'aucune de ces conditions n'est modifiée, un corps qui vibre
isolément et dans touie son étendue fait entendre un son invariable, le
plus grai'e de tous ceux qu'il soit susceptible d'émettre.
Ce son donne naissance à tous les autres plus aigus, et détermine leur
intonation relative, en vertu des lois immuables sur lesquelles repose
tout notre système harmonique, comme on va le voir par les deux expé-
riences suivantes.
RÉSONNANCE SUPERIEURE. — ACCORD MAJEUR
Supposons, par exemple, que le son le plus grave émis par une corde
convenablement tendue soit Vut:
•)' ri 129,3 vibialionJ
cette corde, en exécutant dans toute sa longueur un nombre déterminé
de vibrations par seconde, présente entre ses deux extrémités une
96
L'HARMONIE
sorte de renflement qu'on peut, en l'exagérant, figurer approxima-
tivement de cette façon-ci :
■iil
Il suffit de la toucher, même très légèrement, aumilieu de sa longueur,
pour déterminer immédiatement des vibrations partielles dans chacune
de ses moitiés, de part et d'autre du point touché. Ce phénomène, bien
connu de ceux qui jouent de la harpe ou d'un instrument àarchet, a pour
effet de double?^ le nombre des vibrations et d'élever le son émis d'wwe
octave :
i
258,6 vibrations
la corde prend alors cet aspect-ci :
Hnnnim-
et elle continue de vibrer à l'octave aiguë, même après qu'on a cessé de
la toucher au milieu (i).
Pareille opération peut se faire aussi en touchant la corde au tiers de
sa longueur ;
(i) On ne saurait trop insister sur le caractère essentiellement naturel des phénomènes de
la résonnance harmonique dont il est question ici.
Les corps sonores ont une véritable prédisposition à vibrer de préféroice dans leurs par-
ties aliquotes les plus simples [\, %, etc.) et à faire entendre leurs harmoniques consonnants
(octave, quinte, etc.).
La plupart des instruments à vent ne produisent môme que des sons harmoniques. L'orgue
seul utilise les sons fondamentaux ; encore l'émission de ces sons présente-telle parfois, dans
les registres graves, de véritables difficultés pour les constructeurs.
Quant aux cordes, leur propension à vibrer partiellement est presque aussi manifeste. On
vient de voir que le nombre des vibrations de l'octave supérieure, par rapport au son pris
comme point de départ, est rigoureusement égal au double. Il semblerait logique que le
phénomène de l'octave harmonique ne puisse se réaliser sur une corde tendue que par
i'effet de sa division en deux parties rigoureusement égales. L'expérience démontre au con-
traire que cette division peut supporter un écart considérable, sans modifier le son pro-
duit.
Qui oserait en effet qualifier d'exacte (au sens mathématique du mot) l'opération qui con-
siste à toucher une corde dans sa région moyenne avec l'épaisseur de la main, comme le
font les harpistes, ou avec la largeur du doigt, comme le font les violonistes, pour faire
entendre l'octave harmonique ?
La justesse des sons ainsi émis, en quelque sorte automatiquement, provient donc, à n'en
pas douter, d'un phénomène naturel, indépendamment de la difficulté, ou même de l'im-
possibiliié qu'on éprouve à produire les harmoniques plus élevés, au delà d'une certaine
limite variable suivant les instruments.
Cette sorte d'émission automatique étant impraticable également pour les harmoniques
inférieurs, on a cru pouvoir contester leur caractère naturel, leur existence, et même la
légitimité des déductions relatives à ce qu'on est convenu d'appeler la résonance inférieure.
La lecture de ce qui suit (p. 98 et suiv.) suffira, croyons-nous, à montrer la valeur de cette
objection.
L'HARMONIE
97
le nombre des vibrations est triplé ; la corde sonne à la quinte au-
dessus :
i
387,3 vibrations
au quart de sa longueur
le nombre des vibrations est quadruplé ; la corde sonne à la double
octave :
517,3 vibrations
au cinquième de sa longueur :
le nombre des vibrations est quintuplé ; la corde sonne à la tierce
majeure :
m
au sixième de sa longueur :
649,2 vibrations
le nombre des vibrations est sextuplé ; la corde sonne à Voctave
au-dessus de la quinte :
$
774,6 vibrations
Chacun de ces sons différents continue, comme la première octave, à se
faire entendre naturellement^ tant que la corde vibre : c'est là le phéno-
mène connu sous le nom de résonnance harmonique supérieure.
Les six premiers sons ainsi obtenus forment, par rapport au son gé-
nérateur, les intervalles d'octave, quinte, double octave, tierce majeure^
octave de la quinte :
Nombre de vibrations
En supprimant les redoublements, ils se réduisent à trois :
P
Cours de composition.
qB L'HARMONIE
dont l'émission simultanée constitue l'harmonie désignée communé-
ment sous le nom d'accord paî-fait majeur.
RÉSONNANCE INFERIEURE. — ACCORD MINEUR
Choisissons maintenant une corde telle que la sixième partie de sa
longueur totale produise un son déterminé : par exemple, le 7ni aigu^
— 649,2 vibration»
qui caractérise l'accord majeur engendré par l'expérience précédente. Il
suffit, nous l'avons vu, de toucher légèrement la corde au point convena-
ble, pour déterminer le nombre de vibrations partielles correspondant à
ce wn", que nous allons prendre ^omv point de départ^ sans nous préoc-
cuper du reste de la corde, figuré ici en pointillé ( i ) :
(î) Dans cette seconde expérience, nous avons considéré la fraction de corde prise pour
point de départ comme égale à g, afin de fixer les idées, et de rendre notre démonstration
plus accessible aux esprits peu familiarisés avec les raisonnements mathématiques. Il con-
vient toutefois d'observer que cette expérience n'est pas entièrement réalisable dans les
conditions énoncées ci-dessus.
Pour obtenir la résonnance naturelle, en effet, il est nécessaire que la partie vibrante de la
corde soit en même tempsjjarf/e aliquote, c'est-à-dire égale à |, |, \. |, | etc,... ^.
Le cas se vérifie lorqu'on double la longueur prise comme unité :
I + H = I = I, partie aliquote,
et lorsqu'on la triple :
1 + 1 + 1 = 1 = 1. partie aliquote ;
mais il ne se vérifie plus lorsqu'on la quadruple:
l+s + l + l = t = l, irréductible,
ou lorsqu'on la quintuple:
1 + 1 + 1 + 5 + 5 = 1. irréductible.
Dans ces deux derniers cas, les harmoniques inférieurs ne peuvent donc se produire na-
turellement, en touchant légèrement la corde au point convenable. C'est pour cette raison
qu'en choisissant la longueur ^ pour point de départ, nous ne nous sommes pas préoccupés
du reste de la corde.
Mais il ne faudrait pas en conclure que cette seconde expérience a été faite pour les besoins
de la cause, et ne repose pas sur des faits réels.
Qu'on veuille bien prendre une corde 10 fois plus longue, et choisir pour point de départ
une fraction égale à ^, c'est-à-dire une longueur égale à celle que nous avons choisie : on
constatera que le phénomène de la résonnance inférieure se vérifie pratiquement et naturel-
lement sur toute l'étendue de la corde.
En effet, chaque longueur correspondant à un son de l'accord mineur est en même temps
partie aliquote de la corde, savoir :
le mf, prime. =^ -es
le mi, octave grave . . . . = ^ =r ^
le la, quinte grave = ^ = ^
le mi, double octave grave . . = ^ = ^
Vui, tierce majeure grave . . . = ^ = ^
U la, octave de la quinte grave z= ^ =z ^
L'HARMONIE
En doublaîît la longueur de la partie vibrante,
99
on diminuera de moitié le nombre des vibrations, et le son émis baissera
d'tme octave :
m
324,6 vibrations
En /rzjc/df;;/ cette longueur,
le nombre des vibrations s'abaissera au tiet^s, et le son, à la quinte grave
/ 217,3 vibrations
En quadruplant \i\ longueur,
le nombre des vibrations sera du quaj^t ; le son sera la double octave
grave :
^
162,3 vibrations
En quintuplant la longueur,
le nombre des vibrations sera du cinquième ; le son sera la tierce majeure
grave :
(29,3 vibrations
Enfin, en sextuplant la longueur de corde prise comme point de dé-
part.
le nombre des vibrations, réduit au sixième du premier nombre, corres-
pondra, au grave, à Voctave de la quinte.
s
108,7 vibrations
L'HARMONIE
Dans cette seconde expérience, on obtiendra donc, successivement,
des sons de plus en plus graves, présentant entre eux les mêmes inter-
valles que ceux de l'expérience précédente, mais en sens inverse : oc-
tave^ quinte^ double octave^ tierce jnajeure, octave de la quinte.
C'est le phénomène de la 7'ésonna7ice harmonique infériem^e.
Longueur de corde : Simple Double Triple Quadruple Quintuple Sextuple
Nombre de vibrations :
Entier
Moiti
Tiers I Quart Cinquième
32Z
Sixième
Ces six sons se réduisent aussi à trois
(i
1
lesquels, entendus simultanément, produisent l'harmonie connue sous
le nom à.\iccord parfait mineur.
LES DEUX ASPECTS DE L ACCORD
Il y a donc s3Amétrie complète entre les deux résonnances harmoni-
ques qui fournissent les intervalles constitutifs de Y Accord.
Ces intervalles, nous l'avons constaté, sont toujours les mêmes : quinte,
tierce majeure.
L\4c<:or<i, résultant de leur combinaison, est donc w^z/i/z/e en principe,
ainsi que nous en avons émis l'affirmation (page gS), puisqu'il est tou-
jours composé des mêmes éléments ; il se présente toutefois sous deux
aspects différents, suivant qu'il est engendré par la résonnance supérieure
ou par la résonnance inférieiwe.
Dans îe premier cas, les intervalles se produisent du grave à l'aigu :
le son pî^ime, auquel nous rapportons les autres, est le plus grave des
trois ; l'accord est dit majeur.
Dans le second cas, les intervalles se produisent de l'azg-M ^m grave:
le son prit7îe est \e plus aigu des trois ; l'accord est dit mineur.
Résonnance supérieure
(du grave à l'aigu)
1^ Mi'j llHicb majeure.
Ji) iiiilnittt:
0^ Sun prin;«
Aspect majeur.
Résonnance inférieure
(de l'aigu au grave)
a) son prime
C) tierce majeure.
Aspect mineur.
L'HARMONFE
Lorsqu'on rapproche ses notes constitutives, l'Accord présente une
superposition d'intervalles de tierces ;;/a/>z/;-e et mineure :
Résonnance supérieure.
(Icroe œlceore.
tIercA majearo.
Boa prime.
R^sonnance inférieure.
son prime,
erce majeure,
rce mineure.
-^Hg'.'';
il est toujours composé des mêmes éléments ; seul, l'ordre de superpo-
sition détermine la différence entre ses deux aspects.
La prépondérance attribuée parles harmonistes à la note grave (i) a
fait généralement considérer la plus grave des deux tierces comme ca-
ractéristique de l'accord : de là les dénominations de majeur et mineur
appliquées indistinctement aux accords parfaits, aux gammes ou aux
modes. Ces dénominations sontpeu justifiées, puisque, dans l'accord dit
mineur^ — lequel n'est n\i\\emQiit plus petit que l'autre, — la note princi-
pale ou jcr/me est la plus a/^z^ë des trois: c'est donc elle qui doit être prise
comme point de départ, non seulement pour Vacco7^d^ mais aussi pour la
gamme qui en découle, en vertu de la loi de symétrie qui régit les phéno-
mènes de la résonnance harmonique.
LES DEUX ASPECTS DE LA GAMME.
LES MODES.
Puisque l'accord improprement qualifié mineur reproduit en ordre
Inverse les éléments constitutifs de l'accord dit majeur^ il doit en être
de même des gammes correspondant h ces deux formes.
Rien n'est plus vrai : il suffit en effet de disposer dans leur ordre nor-
mal, du grave à l'aigu^ les sons de la gamme diatonique^ en prenant pour
point de départ le son prime f//, de la résonnance harmonique supérieure^
et de les disposer ensuite inversement de Y aigu au grave, en partant du
son prime Mi, de la résonnance harmonique inférieur^e^ pour constater
la parfaite symétrie de ces deux échelles musicales :
Résonnance supérieure
Infervalles:
1 ton
Degrés: "l.
=ë=n:
TT
IL UI. IV, V. VL vn.viii.
Résonnance inférieure
IL III. IV. V. VI. VII.VIIL
Tous les éléments de la première (A), qui constitue notre gamme
majeure^ se retrouvent dans l'autre (B), mais en ordre inverse. Nous
(i) Cette prépondérance remonte à l'établissement de la basse continue, l'un des principes
delà Renaissance qui ont le plus contribué à fausser l'étude de l'harmonie.
103 L'HARMONIE
sommes donc autorisés à considérer cette gamme descendante du mi
au mi comme la véritable gamme relatipe de celle d'Ut majeur, comme
le type du mode viineur.
Cette conception du mode mineur n'est point nouvelle : un grand
nombre de monodies antiques et médiévales étaient écrites dans ce
mode. C'est seulement vers l'époque du xvn® siècle que, par une
fausse application des théories harmoniques, rapportant tout à la basse,
on lui substitua notre mode mineur actuel, avec sa gamme hybride et
irrégulière.
Ce qui, pour nous, constitue le Mode, c'est tout simplement le sens
suivant lequel on envisage l'Accord et sa gamme correspondante : selon
qu'on prend pour point de départ la note prime de la résonnance supé-
rieure, ou celle de la résonnance inférieure, le mode est majeur ou mineur,
pour employer ces termes impropres, que l'usage a consacrés.
Le Mode, comme V Accord qui lui fournit ses intervalles caractéris-
tiques, est donc unique en principe, et susceptible de revêtir /feMA: aspects
différents et opposés.
GENESE DE LA GAMME
Il faut toutefois, pour constituer le Mode, outre les notes de V Accord,
les degrés complémentaires de la gamme, qui ne tirent point directe-
ment leur origine des phénomènes de la résonnance naturelle.
On peut évidemment continuer au delà du sixième son, vers l'aigu ou
vers le grave, les deux expériences précédentes ; mais on obtient ainsi,
au lieu d'une gamme régulière, une succession indéfinie de sons, dont
les intervalles deviennent de plus en plus petits, et les rapports de plus
en plus compliqués.
U k \^ ^
Dans cette série, illimitée comme celle des nombres, les sons harmo-
niques impairs, seuls, présentent des intervalles nouveaux ; les autres ne
peuvent être en effet que des redoublements d'octave des précédents.
Beaucoup de ces intervalles nouveaux sont complètement étrangers à
notre système de gamme, et ne peuvent même être figurés avec nos
L'HARMONIE ,o3
signes d'intonation: tels sont les harmoniques 7, 11, i3, 14, figurés en
noir dans le tableau ci-dessus, et, au-dessus du 16% un nombre toujours
croissant.
Les sons 7 et 11 de la résonnance supérieure^ par exemple, sont
notablement plus graves que les notes 5/ b et /a 5 de notre gamme ;
le son 1 3 est au contraire plus élevé que notre \a \> , etc.
Ces particularités se retrouvent en sens inverse dans les harmoniques
correspondants de la résonnance inférieure : les sons 7 et i i sont ici
plus élevés que le /as et le si b de notre gamme ; le son i 3 est plus bas
que notre sol n , etc.
L'impression pénible et déroutante produite sur nous par ces sons
7, II, i3, etc., et la tendance marquée de notre oreille à leur substituer
les sons chromatiques tempérés : si \> , fa n , la \y ^ etc., résultent
sans doute d'une habitude prise, c'est-à-dire de notre éducation musi-
cale.
Il est toutefois intéressant de constater que cette habitude ou cet in-
stinct ont leur raison scientifique.
LES RAPPORTS SIMPLES
L'oreille humaine, en effet, procède toujours par les voies les plus
simples dans le travail réflexe de comparaison et de classement, par
lequel elle apprécie les rapports des sons.
L'impression toute spéciale de repos et de satisfaction que provoque
dans notre entendement l'accord parfait, basé sur les rapports de
vibrations les plus simples de tous, est la meilleure preuve de cette ten-
dance de notre esprit.
Il n'est pas surprenant dès lors que l'oreille humaine préfère aux har-
moniques naturels, 7, II, i3, — plus compliqués que ceux de l'accord
parfait, 3, 5, — des sons dont le rapport d'intonation j.^eut s'établir avec
les éléments mêmes de cet accord, c'est-à-dire avec les plus simples de
tous les nombres : 3 et 5.
Si donc l'oreille tend à substituer, à l'harmonique 7 de la résonnance
supérieure, la note si b de notre système tempéré, cela tient à ce que
celle-ci est la quinte de la quinte grave (i/3 de i/3) du son prime Ut;
c'est-à-dire que les vibrations du si t» sont à celles d'ut comme celles
d'w^sont à celles de ré, ou comme i est à 9.
Le rapport de i à 9, c'est-à-dire le tiers du tiers, est plus facilement
appréciable que celui de i à 7.
On peut expliquer pareillement la préférence de notre oreille pour le
véritable^iz 5, tierce majeure[\lb) du rc, plus haut que l'harmonique i i,
ou pour le sol%, tierce majeure du ;;//, plus bas que l'harmonique 1 3, etc.
to4 L'HARMONIE
Ce raisonnement mathématique corrobore pleinement l'habitude de
notre oreille, qui exclut instinctivement de notre système musical tous
les sons harmoniques correspondant aux nombres premiers et h leurs
multiples, exception faite pour les nombres premiers 3 et 5, constitutifs
de l'Accord.
Ainsi se trouvent successivement éliminés de la série illimitée des sons
harmoniques :
1° les nombres pai?^s (multiples de 2), comme redoublements d'oc-
tave ;
2° les nombres premiers au-dessus de 7 inclusivement, ainsi que
leurs multiples, comme trop compliqués pour notre oreille.
ROLE RESPECTIF DE l'hARMONIQUE 3 (qUINTE) ET DE l'hARMONIQUE 5 (tIERCe)
DANS LA GENÈSE DK LA GAMME
Restent les harmoniques 3 et 5, qui, avec leurs multiples, suffisent à
engendrer, non seulement l'Accord, mais tous les sons de notre système
musical moderne.
Toutefois, l'importance de chacun de ces deux chiffres est fort diffé-
rente dans la genèse de la gamme.
Si l'on se sert en effet durapport 5 (tierce majeure), on n'aboutit point
à une gamme complète.
En résonnance supérieure, par exemple, la tierce inajeure de la tiei'ce
7najeu7~e (i/5 de i/5) est un son nouveau {sols, par rapport à Ut
prime) utilisable dans notre gamme ; mais la tierce majeure [si 5 ) de
ce dernier son reproduit à si peu de chose près (moins de trois vibrations
pour cent par seconde) une oc^az^e du son prime Ut, que notre oreille
ne saurait apprécier la différence entre ces deux sons.
Pareille opération pratiquée en résonnance inférieure, c'est-à-dire de
l'aigu au grave, ne déterminerait point de sons nouveaux. On retrouve-
rait les trois mêmes sons que précédemment [Mi prime, ut et sol s ou
la b ,) et au delà, un /a b , impossible à distinguer pratiquement du
mi, octave du son pt^ime.
Tout autre est le résultat, lorsqu'on opère avec le plus simple de tous
les rapports musicaux, le nombre 3, la quinte.
Qu'on aille vers le grave ou vers l'aigu, chaque quinte nouvelle(i/3 de
la quinte précédente) produit un son nouveau, qui, par une simple trans-
position d'octave, vient prendre place dans notre gamme chromatique :
c'est seulement après avoir engendré de la sorte les dou';{e sons de cette
gamme, que nous retrouvons, par la voie des quintes, le son terminus {si 5,
par exemple) confondu par notre oreille avec le son prime Ut, en vertu
L'HARMONIE io5
decettetolcranced'intonation due à l'imperfection tout humaine denotre
organe auditif (i).
LE CYCLE DES QUINTES
Le rapport de quinte est donc le seul capable de fournir dans un ordre
logique tous les éléments de la gamme, à l'exclusion de tout élément
étranger.
Présentés suivant cet ordre, qu'on peut figurer par un cercle, les sons
se répartissent naturellement en diatoniques et en chromatiques.
Les dénominations différentes, que l'usage du dièse et du bémol nous
oblige à employer pour un même son, se superposent en unmême point.
Les sons primes de deux gammes relatives de mode différent [Ut et A//,
par exemple) sont placés symétriquement, et ces modes eux-mêmes ne
sont qu'un changement de sens.
Enfin, chacun des sons de notre système nous apparaît dans une sorte
(i) Entre les sons obtenus, soit par la série des tierces (sol 5 tierce de mi, par rapport à Ut
prime, par exemple), soit par la série des quintes (si b, quinte grave de/i3, par rapport à Ut
prime, par exemple) et les sons tempérés normaux, il n'y a aucune différence d'intonation
pratiquement appréciable. Il y a seulement un écart de calcul purement théorique, et sans
effet notable sur les sons eux-mêmes.
lien est bien autrement entre ces mêmes sons tempérés et ceux des sons harmoniques que
notre oreille rejette, pour les motifs que nous venons d'exposer. Leurs écarts d'intonation
sont parfaitement appréciables, et rendraient impraticable une substitution des uns aux
autres.
Qu'on en juge par l'exemple suivant :
Dans l'octave moyenne accordée au diapason normal, le si \j tempéré, 7^
correspond à un nombre de vibrations égal à 460, 8 par seconde : le si t? de la série des
quintes en diffère seulement par un peu moins de deux vibrations, car il est égal à 459.
Or, ce SI b, quinte grave de la quinte grave, par rapport à Vut tempéré, supporte déjà deux
erreurs qui s'ajoutent ; la différence, dans cette octave, entre la quinte tempérée et la quinte
exacte n'atteint donc pas une vibration par seconde, sur des nombres pouvant varier entre
25o et 5oo vibrations.
L'observation, même la plus superficielle, de l'accord des instruments de musique nous
révèle des écarts notablement plus grands, soit entre deux exécutants quelconques, jouant ou
chantant aussi juste que possible, soit entre deux notes rigoureusement accordées entre elles
à l'octave ou à l'unisson, sur deux instruments à sons fixes, tels que le piano, l'orgue, la
flûte, etc. ; et la netteté des exécutions n'en est nullement troublée.
Le septième harmonique au contraire présente, par rapport à ce même si b tempéré, une
différence qui dépasse huit vibrations à la seconde, car il est égal à 453,6. Il est donc nota-
blement plus bas, et nul auditeur ne tolérerait sans protester un écart de cette importance
entre deux quelconques des exécutants d'un orchestre ou d'un ensemble vocal.
Cet exemple, dont on peut faire l'application à tous les sons tempérés, suffit pour réduire
à sa valeur toute une catégorie d'objections plus ou moins spécieuses, soulevées par d'habiles
théoriciens, au nom de l'esactitude mathématique, dans le but d'infirmer certains principes
physiques et métaphysiques basés sur les rapports de vibrations, et notamment sur la /oi des
quintes.
L'explication rationnelle de notre système musical par les doutée quintes n'en demeure pas
moins la plus satisfaisante, parmi toutes les théories auxquelles a donné lieu jusqu'ici la
genèse de notre gamme actuelle.
io6
L'HARMONIE
d'équilibre harmonique entre ses deux voisins, situés à égale distance,
l'un à la quinte supérieure^ l'autre à la quinte inférieure (i) :
@
Le génie créateur du musicien vient rompre et rétablir tour à tour cet
équilibre 'nsiable, au moyen de tous les artifices que lui suggèrent sa
science et son inspiration.
Mais, quelque compliqué que puisse paraître le procédé employé pour
la rupture ou le rétablissement de cet équilibre, le mouvement qui en
résulte ne peut être qu'une oscillation d'un côté ou de l'autre : vers les
quintes aiguës ou vers les quintes graves^ comme on s'en rendra compte
par l'étude de la Tonalité et de la Modulation.
(i) La figure représentant ici le Cycle des quintes a été établie, ainsi que tout l'exposé de
ce système, par M. Auguste Sérieyx ; l'auteur du Cours de composition tient à rendre à son
collaborateur ce qui lui est dû.
#
VII
LA TONALITÉ
Valeur esthétique de l'Accord ; la tonique. — La tonalité dans les trois éléments de !a
musique, — Le rôle de la quinte. — Les trois fonctions tonales. — Tableau des fonctions
tonales. — La cadence et ses divers aspects. — Constitution de la tonalité ; parenté des
sons. — Limite de la tonalité. — Application du principe de tonalité à la connaissance de
l'harmonie. — Analyse de l'harmonie à l'aide des fonctions tonales.
VALEUR ESTHETIQUE DE L ACCORD. — LA TONIQUE
En vertu de la loi générale de mouvement ou de succession qui sert
de base à la musique, l'Accord, de même que chaque note d'une mélodie,
est dépourvu de tout efifet esthétique s'il est entendu isolément, c'est-à-
dire, en état d'immobilité.
Il n'acquiert sa î'a/eî/r musicale que par l'effet d'une comparaison, d'une
mise en rapport avec ce qui le suit ou le précède, c'est-à-dire lorsqu'il est
(?« mouvement.
Mais ce travail latent de comparaisons successives ne se fait point au
hasard dans notre entendement : il procède au contraire méthodique-
ment, suivant certaines lois et à l'aide de certains points de î'epère,
nécessités par l'impossibilité où nous sommes d'apprécier les valeurs en
elles-mêmes, c'est-à-dire d'une façon absolue.
Toutes les opérations de notre esprit, en effet, sont essentiellement
relatives, et, pour acquérir quelque précision, doivent être rapportées à
un point de départ plus ou moins invariable, h un terme unique de
comparaison, ou plus exactement, à une commune mesure.
Si nous voulons nous rendre compte des mouvements, nous cherchons
un point fixe ; pour évaluer les distances, nous choisissons une longueur
type, une unité de longueur, etc.
Il en est de même évidemment des phénomènes musicaux, qui, comme
les nombres dont ils sont la manifestation esthétique, sont sans cesse
perçus, consciemment ou non, par rapport à un point de départ, la
tonique, jouant ici le rôle du point fixe, de l'unité de longueur, en un mot
de la. commune mesure.
io8 LA TONALITÉ
La tonique est donc la commune mesure nécessaire pour déterminer
la valeur relative de tous les phénomènes qui se succèdent dans un
fragment musical quelconque.
LA TONALITÉ DANS LES TROIS ELEMENTS
, DE LA MUSIQUE
Cette commune mesure, on le conçoit sans peine, ne saurait être tou-
jours la même : tous les mouvements que nous percevons ne peuvent
être rapportés au même point fixe, ni toutes les distances à la même
unité de longueur.
De même en musique, lorsqu'il s'agit surtout d'une composition un
peu longue et complexe, les périodes et les phrases qui s'y succèdent ne
se rapportent pas toutes à la même tonique.
Toutes les successions musicales susceptibles d'être mises en rapport
par notre esprit avec une tonique déterminée sont dites dans la même
tonalité.
La Tonalité peut donc être définie : t ensemble des phénomènes musicaux
que V entendement humain peut appj^éciey^ par comparaison directe avec un
phénomène constant — la tonique — pris comme terme invariable de com-
paraison.
La notion de tonalité est extrêmement subtile, en raison de son carac-
tère subjectif: elle varie, en effet, suivant les différences d'éducation
musicale et le degré de perfection de notre entendement.
Elle s'applique du reste aux trois éléments de la musique ; chez cer-
tains peuples sauvages, où le seul caractère musical appréciable est la
succession symétrique des bruits, la tonalité, simple unité de te7nps^ est
purement îythnique {i).
Les monodies médiévales, dans lesquelles les relations entre les for-
mules décoratives accessoires et la note principale s'établissent successi-
vement, sont conçues dans des tonalités exclusivement mélodiques (2).
Tout autre est notre tonalité contemporaine, basée principalement sur
la constitution harmonique des périodes et des phrases, c'est-à-dire sur
les parentés ou affinités existant entre les sons, en raison de leur réson-
nance harmonique naturelle, supérieure ou inférieure.
(i) Cette sorte de tonalité purement rythmique n'est nullement une hypothèse ; on peut
môme en citer un curieux exemple.
De nos jours, certains instrumentistes tout à fait illettrés et dépourvus d'éducation musicale,
comme ceux des fanfares des Tirailleurs algériens, ne discernent au premier abord, dans les
airs qu'on leur joue pour les leur enseigner, aucune différence mélodique d'intonation ; ils
n'en perçoivent et n'en retiennent que les relations rythmiques, lesquelles revêtent dans
leur entendement le caractère d'une véritable musique avec sa tonalité propre.
{2) Voir au chap. n , page 40, ce qui concerne la tonalité mélodique.
LA TONALITÉ 109
LE RÔLE DE LA QUINTE
Pour nous, la tonalité résulte de la valeur harmonique ({ue nous attri-
buons à l'Accord, et cette valeur doit nécessairement s'établir par
comparaison.
Toute comparaison suppose au moins deux termes différents : V Accord^
pour devenir déterminatif d'une tonalité^ doit donc être entendu au
moins deux îo'is^ de deux façons différentes et comparables.
Mais comme l'Accord reste identique à lui-même tant qu'il est engen-
dré dans le même sens, — ou dans le même mode, — par une noteprime
déterminée, — ou par ses octaves, — il faut nécessairement changer cette
note prime, pour obtenir les deux termes différents de comparaison, ser-
vant à établir la valeur harmonique de l'Accord.
La même raison qui a fait préférer le rapport de quinte à tout autre
pour la genèse de la gamme ( i ) s'applique ici à la genèse de la tonalité : la
quinte étantle plus simple des intervalles réels (i/3), un son quelconque
est plus aisément comparable avec sa quinte,— aiguë ou grave, — qu'avec
tout autre ; et, par voie de conséquence, l'harmonie naturelle d'un son
quelconque est plus aisément comparable avec celle de sa quinte, — aiguë
ou grave, — qu'avec toute autre.
Ainsi, l'accord ayant pour prime Ut en résonnance supérieure par
exemple, a plus d'affinité et s'enchaîne plus naturellement avec l'accord
ayant pour prime soit sa quinte supérieure Sol, soit sa quinte inférieure
Fa, qu'avec n'importe quel autre.
La mise en rapport, par émission successive, d'un accord quelconque
avec celui de sa quinte supérieure ou inférieure, constitue le minimum
nécessaire à l'établissement d'une tonalité.
LES TROIS FONCTIONS TONALES
On nomme fonction tonale de l'Accord le caractère spécial que cet
accord prend dans notre esprit suivant qu'il nous est présenté :
1" comme jpozn/ de départ ou commune mesure ;
2° comme déterminatif d'une oscillation vers la quiîite supérieure ;
3° comme déterminatif d'une oscillation vers la quinte iîiférieure.
Les fonctions to7iales de V Accord sont donc de trois sortes, et rigou-
reusement symétriques dans les deux modes.
En mode majeur (résonnance supérieure) :
1° l'accord qui sert de poi?it de départ remplit la fonction de tonique ;
2° l'accord de quinte supérieure est dit fonction de dominante ;
3° l'accord de quinte itiférieure est dit fonction de sous-dominante.
H) Voir chap. vi, p. 104 et suiv.
no LA TONALITÉ
En mode viineur (résonnance inférieure), l'accord origine remplit
aussi la fonction de ?o«/^we; mais comme il apour/»r/me sa note aîguè\
c'est l'accord de quinte inférieure qui joue le rôle de dominante et l'accord
de la quinte supérieure qui fait fonction de sous-dominante.
Le tableau suivant permet de se rendre compte de la parfaite symétrie
des trois fonctions tonales de V Accord dans chacun des deux modes (i).
TABLEAU DES FONCTIONS TONALES
Pommante
TONIQDE
Sous-dominante f^ -la-ul
LA CADENCE ET SES DIVERS ASPECTS
On appelle cadences harmoniques les formules harmoniques à l'aide
desquelles on marque dans le discours musical des repos provisoires ou
définitifs, comparables à ceux que déterminent dans le langage les signes
de ponctuation. Ces formules, dont l'aspect varie à l'infini, ont toutes pour
principe l'enchaînement de l'accord en fonction de tonique à Yune des
deux autres fonctions.
Si l'enchaînement procède de la fonction de tonique à l'une des deux
autres, il y a ^zV^r^ewce; le sens de la phrase est incomplet, la. cadence
est dite suspensive.
Dans le cas contraire, c'est-à-dire lorsque l'enchaînement procède de
la fonction de dominante ou de la fonction de sous-dominante, à la fonc-
tion de tonique, il y a convergence ; la phrase est complète, la cadence est
dite conclusive.
On appelle plus particuVièreTnent parfaite celle des deux cadences con-
clusives qui est formée de la dojninante suivie de la tonique ;plagale celle
qui s'opère par la succession des fonctions de sous-dominante et de
tonique.
La différence entre ces deux formes de la cadence conclusive n'est pas
(i) Comparer avec le Cycle des quintes, p. lofi,
LA TONALITÉ iit
autre chose qu'une substitution de mode, c'est-à-dire un changement de
sens.
Dans notre mode mineur inverse, en effet, l'accord en fonction de
dominante [ré-fa-LA), ayant pour jcr/me le cinquième degré [LA) de la
gamme descendante du mi au mi, coïncide précisément avec l'accord dit
de sous-dominante [Ré-fa-la), placé sur le quatrième degré [Ré] de la
gamme ascendante du /a au la, en mode mmQuv vulgaire.
La véritable cadence parfaite consiste donc dans les enchaînements
suivants :
Cadence
parfaite :
Résonnance supérieure
(mode majeur)
K^
Dominante
Tonique
B
Résonnance inférieure
(mode mineur)
Dominante
Tonique
et la véritablejc/a^a/e est constituée ainsi:
Cadence
plagale :
Résonnance supérieure
(mode majeur)
^
Sous-Dominante
Tonique
D
Résonnance inférieure
(mode mineur)
0 ^
rj
A. ri
/î
Sous-Dominante
Tonique
'-^ O
r.d~. .
La cadence parfaite mineure (B) est une simple transposition dans ce
mode de \a plagale majeure {Q; de même, la cadence parfaite majeure
(A) est une transposition dans ce mode de la plagale mineure (D).
Enfin, les deux formes suivantes :
Résonnance supérieure
(mode majeur)
t °
=^ —
^ \r^
^
^ \
Sous-Dorainante
Tonique
*f
\
/
rj
D'
I
Résonnance inférieure
(mude mineur)
Sous-Dominante
¥
Tonique
proviennent d'une simple substitution de mode, pratiquée seulement sur
Vune des deux fonctions tonales formant cadence.
112 LA TONALITÉ
On peut aisément se rendre compte que la première (C) est une pla-
gale majein^e dont la fonction de sous-dominante a été empruntée au
mode mineur de même tonique.
Quant à l'autre (D'), dont on a fait très improprement la cadence par-
faite du mode mineur moderne, elle n'est pas autre chose en réalité
qu'une plagale mineure empruntant pareillement sa fonction de sous-
dominante au mode majeur de même tonique. La seule cadence parfaite
mineure est celle que nous avons établie (B) symétriquement à la ca-
dence parfaite majeure (A). C'est du reste la seule employée dans les
pièces musicales construites sur la véritable gamme mineure inverse^
jusque vers le xvie siècle ; et cette cadence, improprement qualifiée au-
jourd'hui de plagale, est la seule qui convienne vraiment au mode
mineur, basé sur la résonnance harmonique inférieure.
La Cadence est donc, comme l'Accord, unique dans son principe, et
variable dans ses aspects, en raison du sens suivant lequel s'opère le
mouvement d'oscillation harmonique qu'elle détermine.
Ce mouvement symétrique de la Cadence dans chacun des deux modes
est rendu plus frappant encore, lorsqu'on ajoute à la réalisation une
cinquième partie contenant une note de passage dissonnante.
A
Dominante
S
Tonique
rta.-ô^lmte I
Cadence plagale majeure
Cadence plagale mineure
Le mouvement mélodique de cette partie ajoutée montre nettement
que les aspects de la Cadence ne sont que des changements de sens (i) :
descendant àdiRs les cadences /7ar/*ai7e majeure (A) et plagale mineure (D),
ce mouvement est ascendant dans les cadences parfaite mineure (B) et
plagale majeure (C).
(i) Certains auteurs ont donné le nom At polarité à ces transformations symétriques de
la Cadence, auxquelles le mot réversibilité conviendrait mieux.
LA TONALITÉ
ii3
Ainsi se vérifie de nouveau l'unité de la cadence, dont les formes
plagaîes (G, D) procèdent respectivement en sens inverse des formes
parfaites (A, B\ de même que les formes mineures (B, D) procèdent en
sens inverse de formes majeures (A, G).
Il n'est pas inutile de remarquer que, dans les exemples cités plus
haut, les notes dissonnantes (fa et si dans les c^àtncQs parfaites^ ré dans
les plagaîes) expliquent mélodiquement les combinaisons que les traités
d'harmonie appellent accords de septième :
FA
r ^^
f ut
/ RÉ
ré
si
B
1 fa
1 ré
C
fa
D
) sol
sol
l SI
[ RÉ
( mi
Si l'on ajoute même à ces exemples la dissonnance résultant du
mouvement de la tonique à la sous-dominante;
note [
dissonnanta
on aura toutes les espèces de septièmes cataloguées dans les traités
sous de bizarres et fantaisistes dénominations.
Dans ces combinaisons, la véritable dissonnance, comme on peut le
voir, est tantôt à Vaigu (A, D, E), tantôt au grave (B, G) : cette par-
ticularité démontre plus clairement encore l'inexistence des prétendus
accords de septième, simples juxtapositions passagères dues à l'enchaî-
nement înélodique des parties en mouvement.
L'effet de la cadence est de préciser le sens de ce mouvement par
rapport aux fonctions tonales de l'Accord, c'est-à-dire de déterminer la
Tonalité dans laquelle une période ou une phrase est établie.
Il reste à examiner par quels éléments une tonalité est constituée et
dans quelles limites elle est circonscrite.
CONSTITUTION DE LA TONALITE
PARENTÉ DES SONS
Chacun des douze sons de notre système musical moderne peut ser-
vir de point de départ à une tonalité.
Cours de composition. b
114
LA TONALITE
Lorsque, par l'effet d'une cadence exprimée ou sous-entendue, l'un
quelconque de ces douze sons a revêtu le caractère de tonique, tous les
autres sont susceptibles d'être mis en rapport avec lui, c'est-à-dire
d'appartenir à sa tonalité.
Il existe en effet entre un son choisi comme tonique (UT tJiaj'eut^ pai
exemple) et chacun des autres sons de la gamme, une parenté plus ou
moins immédiate, une affinité plus ou moins grande, basée à la fois sur
l'ordre des quintes et sur la résonnance harmonique.
Cette parenté ou cette affinité peut être limitée à trois catégories diffé-
rentes :
I® la parenté àe. premier ordre relie la tonique à sa quinte^ supérieure
ou inférieure (UT k Sol, UT k Fa) et à ses hatvnoniques naturels
consonnants {UT k Mi et à Sol].
2° la parenté de second ordre relie la tonique aux harmoniques natu-
rels consonnants de sa quinte., supérieure ou inférieure {UT à si et à
ré, par5o/; — UTk la, par Fa.)
Ainsi, l'harmonie des trois fonctions tonales [UT-mi-sol, tonique.
Sol-si-ré, dominante. Fa-la-ut, sous-dominante) contient tous les sons
reliés à la tonique par la parenté de premier ou de second ordre. Cet
ensemble constitue la tonalité diatonique, c'est-à-dire un groupe de
sept sons principaux, qui, ramenés à l'ordre générique des quintes, se
succèdent régulièrement entre la sous-dominante et la sensible :
Sens
du mode
majeur
3° Mais la tonalité diatonique, qui n'occupe que la moitié du cycle
des quintes, est essentiellement incomplète si l'on n'y ajoute les cinq
sons, vulgairement appelés clwomatiques, qui se succèdent régulière-
ment entre la sensible et la sous-dominante, et forment l'autre moitié du
cycle :
LA TONALITÉ
ii6
Sens du mode
majeur
S;I
un
solb
uiPf-
f y
f'éb
■#'
Sens du mode
mineur
Ces cinq sons complémentaires font partie intégrante de la tonalité,
mais ils n'y ont pas un rôle aussi prépondérant que les sept sons prin-
cipaux, dits diatoniques, car leur parenté avec la tonique est plus éloignée
et plus complexe.
Cette parenté de tf^oisième ordre s'établit suivant les cas, de diverses
façons; elle s'étend notamment:
à) aux harmoniques naturels consonnants des sons reliés à la tonique
par la parenté de second ordre ; par exemple :
/a fl, harmonique de ré, parent d'f/T par 5o/;
reJî, harmonique de si, parent d'UT par Sol;
ut^, harmonique de la, parent d'C/T" par Fa;
b) aux harmoniques de mode différent provenant des sons reliés à
la tonique par la parenté de premier ou de second ordre; par exemple ;
mi t», harmonique inférieur de Sol, parent à* UT ;
si b, harmonique inférieur de re parent à' UT par Sol ;
etc. etc.
LIMITE DE LA TONALITÉ
La parenté de troisième ordre peut être considérée comme la limite
extrême de la Tonalité, en l'état actuel de notre éducation musicale.
Les sons rangés dans cette dernière catégorie tendent à s'éloigner de
plus en plus de la tonique primitive, et à entrer en rapport avec
d autres toniques plus rapprochées d'eux, c'est-à-dire à modifier la
Tonalité, h moduler. Cette tendance modulante est due à l'inertie de
notre entendement, qui préfère une opération plus simple à une opéra-
tion plus compliquée. (Voirchap. vi, p. io3.)
Il est facile toutefois de se rendre compte que les sons reliés ii la
tonique par la parenté de troisième ordre, et improprement qualifiés par
Il6 La tonalité
l'usage d'altéi'ês ou de chromatiques^ ne sont nullement étrangers à la
tonalité établie.
Le principe de tonalité permet donc de rattacher, à l'aide de la
résonnance harmonique et de l'ordre des quintes, tous les sons de notre
gamme musicale à wi seul d'entre eux: la Tonique.
On conçoit dès lors l'importance extrême de ce principe, qui sert de
base à toute l'harmonie.
APPLICATION DU PRINCIPE DE TONALITÉ A LA CONNAISSANCE DE l'haRMONIE
L'harmonie, due à la superposition de mélodies différentes, n'est
pas autre chose que la mise en mouvement de l'Accord ; or ce mou-
vement est une perpétuelle oscillation entre les quintes aiguës et les
quintes graves, entre les dominantes et les sous-dominantes.
La connaissance de l'harmonie se réduit donc au discernement des
trois fonctions tonales de l'Accord, à l'aide des cadences, c'est-à-dire à la
stricte application du jcr/wci/je <ie tonalité.
Ainsi envisagée, la notion de l'harmonie est des plus simples et peut
se résumer de la façon suivante:
i^; il n'y a qu'ww seul accord^ l'Accord parfait^ seul consonnant, parce
que, seul, il donne la sensation de repos ou d'équilibre;
2" l'Accord se manifeste sous deux aspects différents, l'aspect majeur
et l'aspect mineur., suivant qu'il est engendré du grave à l'aigu ou de
l'aigu au grave.
3" l'Accord est susceptible de revêtir trois fonctions tonales diffé-
rentes, suivant qu'il est Tonique., Dominante ou Sous-dominante.
Tout le reste n'est qu'artifice : ce que l'on est habitué de nommer
disson?iance n'est que la modification passagère apportée à l'Accord, soit
par l'adjonction de notes jnélodiques n'ayant avec celles de l'accord
parfait qu'une parenté médiate, soit, ce qui revient au même, par l'alté-
ration d'une ou plusieurs notes mélodiques de cet accord consonnant.
Toute dissonnance ou altération ne peut être entendue ou expliquée
que mélodiquemeîît^ parce que, détruisant la sensation de repos donnée
par l'Accord, elle appelle une succession, une suite mélodique.
Toutes les combinaisons de sons qu'on appelle « accords dissonnants »
proviennent de successions mélodiques en mouvement., et peuvent tou-
jours être ramenées à l'une des trois fonctions tonales de l'Accord:
Tonique, Dominante, Sous-dominante.
Ces combinaisons nécessitant, pour être examinées, un arrêt artificiel
dans les mélodies qui les constituent, n'ont point d'existence propre,
puisqu'en faisant abstraction du mouvement qui les engendre, on
supprime leur unique raison d'être.
LA TONALITE
»»7
Toute considération sur les accords, en eux-mêmes et poureux-mêmes,
est donc étrangère à la musique : cette étude très intéressante a donné
lieu à des théories et même à des découvertes des plus curieuses.
Mais, en la transportant du domaine de la Science dans celui de l'Art,
on a propagé cette erreur esthétique si dangereuse qui consiste à classer
les accords, et à établir des règles différentes pour chacun d'eux, en leur
accordant par cela même une réalité distincte.
C'est ainsi que les accords sont trop souvent devenus le but de la
musique, alors qu'ils n'y devraient jamais être autre chose qu'un moyen.
une conséquence, un phénomène passager.
ANALYSE DE L HARMONIE A L AIDE DES FONCTIONS TONALES
L'analyse de l'harmonie ne consiste donc pas à rattacher telle ou
telle agglomération de sons à un catalogue forcément arbitraire, mais
seulement à rechercher les fonctions tonales de l'Accord, c'est-à-dire :
1° à déterminer exactement les changements réels dans la tonalité, de
façon à n'apprécier jamais les phénomènes harmoniques que par rap-
port à la tonalité établie au moment où ils se produisent • il convient
ici de ne pas confondre des combinaisons passagères d'aspect modulant
avec de véritables modulations ;
2" à éliminer toutes les notes artificielles dissonnantes, dues uni-
quement au mouvement mélodique des parties, mais étrangères à l'Ac-
cord (i).
(i) Considérons, par exemple, cette disposition harmonique tant de fois répétée dans Tris-
tan und Isolde de R. Waçrner:
Les harmonistes professionnels s'ingénieraient à nommer le premier accord des appella-
tions les plus bizarres et les plus compliquées, soit:
« Accord de seconde augmentée, troisième renversement de l'accord de septième dimi-
nuée sur sol avec altération du ré. »
ou bien encore :
« Accord de sixte sensible, deuxième renversement de l'accord de septième de dominante
sur si, avec altération de la quinte et appoggiature inférieure de la septième. »
Cet accord énigmatique dont l'audition faisait crier Berlioz, n'est cependant point autre
que l'accord tonal de la en fonction sous-dominante, contracté mélodiquement sur lui-même,
et la succession harmonique dont voici le schème est, en somme, la plus simple du
monde :
ê
^
^s
Fonction
sous-dominante
Fonction
dominante
na
LA TONALITÉ
Ces deux opérations faites, on se trouve en présence d'une sorte de
schème harmonique coitsonriant, soumis aux mêmes conditions que le
schème mélodique dont il a été question au chapitre ii (p. 42) :
i^'au cours d'une période établie dans une tonalité, la même fonction
tonale de l'Accord ne doit généralement pas reparaître plusieurs fois de
suite ;
2° la conduite tonale d'une période doit marquer une tendance soit
vers les .^«/«^es a/^î/è^ (dominantes), soit vers les quintes graves {sous-
dominantes), et la contre-partie de cette tendance doit se trouver dans
les périodes suivantes ;
3° l'enchaînement des fonctions tonales de l'Accord dans chaque
période doit être différent, tout en restant soumis aux grandes lois ryth-
miques d'Ordre et de Proportion qui sont la base de l'Art.
Nous donnons ci-après trois exemples d'analyse harmonique : d'a-
bord, l'étrange et géniale transition du ton de mi mineur à celui de sol
mineur dans le grand prélude {Fantasia) pour orgue en sol mineur de
J.-S. Bach; ce passage, ainsi expliqué, n'offre aucune difficulté d'ana-
lyse ; le second exemple est tiré d'un quatuor de Beethoven, et le
troisième, du duo du second acte de Tristan. On verra par ces trois
analyses que la plus compliquée n'est point celle qu'on pourrait pen-
ser, étant donnée la réputation que les ignorants ont faite au système
harmonique de Richard Wagner.
IfanueL
Ped.
ScJbeme
barmonique
Fonctions: D
Tonalités: @^*^
Harmonie \ Dominante (de Mi) (conduit)
générale \
(i) Dans ces analyses, comme, au reste, pendant tout le cours de cet ouvrage, nous dési-
gnons les tonalités majeures par des lettres majuscules (UT), et les tonalités mineures par
des lettres minuscules (ut).
LA TONALITE
119
Dominante
J.-S. Bach. (Prélude en sol mineur pour orgue.)
(Ed. Peters, II« liv. d'orgue, p. 23.)
2°
Schème
harmonique
^
i h m m 1 ^ m
^
^s
3ïS;
f^
m
^B
f^F#
^S
t
^
m^
^
^
^
Fonctions: . . . T
Tonalités:. . .(^. . .
Harmonie/ . >p^nique .
générale ) 'f
S T
r
É
LA TONALITE
P^ J^^,^
le (on de la Dom
H.gen: (conduit)
Saus-dom.
^
fi
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m
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^
IS
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m
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i
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W
T
^
(con
— Tr
actiot)
è
U .J^r
^
Fonct ;
S D T S D
Ton;
H.gén:
excursion passagère retournant
iU au ton de la Tonique.
(conduit) Tonique.
Beethoven (X« Quatuor, op. 74. — Adagio.
30
Schème
harmonique'
Fonctions: . . . T
Tonalités: . . . (^). . .
Harmonie j.. . . Tonique
générale \ ^
LA TONALITE
,§i%rJJJjJ^
M-^i.,. ï^n 1 1,
^5
7==^^
^
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1
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T5r
^Ig^àfe:^
(el" ajoutée)
^
:t=^
Fonctj
Ton:
(conduit).
(fa^ vers
Dominante
-0—
D
du ton relatif.
R. Wagner. (Tristan und /solde,, acte IL Breitkopf et Hfirte), éditeurs.)
VIII
L'EXPRESSION
L'action expressive dans les trois éléments de la Musique. — L'Agogique. — La Dynami-
que.— Le rôle spécial du Timbre dans la Dynamique. — La Modulation. — Parenté des
tonalités. — Tonalités voisines. — Loi de la Modulation entre les tonalités de même mode.
— Différence entre les dominantes et les sous-dominantes. — Loi de la Modulation entre
les tonalités de mode différent. — Raison expressive de la Modulation.
l'action expressive dans les trois éléments de la musique
L'Expression est la mise en valeur des sentiments par rapport les
uns aux autres.
La musique étant un art de succession, ses divers éléments sont sou-
mis à des lois communes de mouvement ou d'oscillation, que nous avons
dû étudier séparément, en ce qui concerne le rythme, la mélodie et l'har-
monie.
Bien que ces lois se manifestent à nous de façons très diverses, elles
concourent toutes à un effet unique, l'Expression, qui est le but de
l'art.
La recherche expressive, inhérente à l'art de tous les temps et plus
encore sans doute à l'art du moyen âge, nous est apparue déjà dans
l'étude de la cantilène monodique. (Voir chap. iv, p. 74 et suiv.)
Chacun des éléments de la musique — on l'a constaté notamment à
propos de l'Accent et de la Mélodie (chap. 11, p. 3o) — est susceptible
de revêtir un caractère expressif; mais ce caractère n'est en quelque
sorte qu'Un côté, qu'un aspect particulier de l'expression, et non l'Ex-
pression elle-même.
L'Expression, en effet, embrasse les trois éléments constitutifs de la
musique. Elle consiste dans la traduction des sentiments et des impres-
sions, à l'aide de certaines modifications caractéristiques, affectant à la
fois les formes rythmiques, mélodiques et harmoniques du discours
musical.
114 L'EXPRESSION
On appelle plus particulièrement :
Agogique^ le procédé expressif du Rythme,
Dynamique^ celui de la Mélodie,
Modulation^ celui de l'Harmonie.
LAGOGIQUE
U Agogique consiste dans les modifications apportées au mouvement
rythmique : précipitation, ralentissement, interruptions régulières ou
irrégulières, etc.
VAgogiquea pour effet de traduire les impressions relatives de cabne
et d'agitation.
On trouve dans la S/mphonie pastorale de Beethoven une application
typique du procédé agogique. C'est la transformation du dessin :
m
zâ=t
^
marquant, dans le premier morceau, le calme et le repos, en cette se
conde manière d'être :
^ r TTjE^
qui donne au final un caractère plus agité, une nuance différente, celle
du calme relatif après l'orage.
LA DYNAMIQUE
La Dynamique consiste dans les modifications apportées à l'intensité
relative des sons, des groupes ou des périodes mélodiques constituant
les phrases : renforcement, atténuation, accroissement ou diminution
progressive de sonorité, etc.
La Dynamique a pour effet de traduire les impressions relatives de
force et de faiblesse.
L'emploi du procédé dynamique est extrêmement fréquent ; telle est,
pour choisir dans la même symphonie un exemple assez frappant, l'op-
position entre le passage de force :
^m^^
^
L'EXPRESSION 126
et la réponse pleine de douceur et de suavité qui vient après, et qui
provient du même dessin mélodique :
LE RÔLE SPÉCIAL DU TIMBRE DANS LA DYNAMIQUE
La Dynamique se manifeste aussi, en tant que procédé expressif, sous
une forme spéciale à laquelle on a donné le nom de timbre (i).
Le timbre d'un son est cette qualité particulière qui le différencie
d'un autre son émis, dans des conditions identiques de durée, d'inten-
sité et d'acuité. C'est par l'effet du timbre que les sons d'un instrument
ou d'une voix acquièrent le caractère personnel ou individuel qui les
empêche d'être confondus avec les mêmes sons émis par un autre in-
strument ou par une autre voix.
Au point de vue scientifique, on s'accorde généralement à expliquer
le phénomène du timbre par la résonnance harmonique inhérente à
toute émission de son.
Aucun corps sonore ne réalise exactement les conditions énoncées au
chapitre de l'Harmonie (page 95). Toutes les fois qu'un corps vibre iso-
lément et dans toute son étendue, il vibre en même temps, mais avec
une intensité moindre, dans ses parties aliquotes (1/2, i/3, 1/4, i/5,
1/6, etc.). Ces vibrations harmoniques accessoires sont sans effet sur
l'intonation du son unique perçu par notre oreille, mais elles en atté-
nuent plus ou moins la pureté.
Helmholtz attribue à la prédominance relative de ces harmoniques
concomitants, variables suivant la forme et la matière du corps sonore,
l'effet caractéristique qu'on appelle le timbrée.
Dans la voix humaine par exemple, les voyelles diffèrent par leur
timbre : dans les voyelles a, 0, om, les harmoniques plus graves sont
prédominants ; dans les voyelles é, /, m, au contraire, ce sont les har-
moniques aigus.
La différence de timbre entre les instruments est la même qu'entre les
voyelles.
Le timbre résulte de Vinertie des corps sonores, et ne saurait être con-
fondu avec les qualités actives du son, — durée, intensité, acuité, —
seules susceptibles de modifier son caractère exp?'essif.
Le //m^r^ n'est donc pas un véritable facteur expressif. S'il contribue
(i) Voir chap. iv, p. 77, les diverses acceptions du mot timbre.
136
L'EXPRESSION
souvent à l'expression, c'est comme procédé de renforcement ou d'affai-
blissement, par conséquent en qualité d'agent dynamique.
Il en est du timbrée dans la Musique comme de la couleur dans la Pein-
ture ; si la richesse du coloris peut contribuer à la puissance expressive
d'un tableau, c'est également par un effet dynamique, en soulignant le
trait, en renforçant les ombres, en accroissant la netteté du relief et de
la perspective.
LA MODULATION
La Modulation consiste dans les modifications apportées à la tonalité
des diverses périodes ou phrases constituant le discours musical : elle
s'opère au moyen du déplacement de la tonique^ de son oscillation vers
les quintes aiguës ou vers les quintes graves.
La Modulation a pour effet de traduire les impressions relatives de
clarté et d'obscurité.
On doit considérer la modulation comme un procédé harmonique,
parce qu'elle repose principalement sur notre conception moderne de
la tonalité, c'est-à-dire sur la constitution harmonique des périodes et
des phrases (i).
L'Accord, toujours identique à lui-même, serait impropre à tout effet
expressif, s'il n'était essentiellement déterminatif de la tonalité à l'aide
de ses fonctions tonales qi des cadences.
La Modulation, en tant que procédé expressif d'éclairement ou d'as-
sombrissement, est relativement récente dans l'art musical, où elle
n'apparaît guère que dans la troisième époque avec les formes cycliques
de la symphonie et du drame. Un seul exemple suffira ici à faire com-
prendre l'effet expressif à" éclairemeiit dû à la modulation : l'entrée du
thème principal au cor en fa, dans le premier mouvement de la
IIP symphonie (Héroïque) de Beethoven :
dolce
précédant de quelques mesures la rentrée définitive de tout l'orchestre
à la tonalité principale, plus sombre, de Mit>.
Tutti
(i) Nous avons constaté au chapitre de la Mélodie (page 40) que la modulation, comme la
tonalité, pouvait quelquefois se présenter sous une forme purement mélodique. Mais cette
sorte de modulation tout à fait élémentaire ne saurait suffire à constituer un procédé
expressif complet.
L'EXPRESSION
127
Une étude plus complète de la modulation sera faite ultérieurement,
jvec des exemples dans l'ordre symphonique et dans l'ordre drama-
tique : nous nous bornerons à exposer ici brièvement ses principes gé-
néraux.
PARENTÉ DES TONALITÉS — TONALITES VOISINES
On a vu au chapitre précédent (p. 1 13) que les douze sons de notre
système musical sont susceptibles d'appartenir à la même tonalité, et,
en même temps, de servir de point de départ (de tonique) à autant de
tonalités différentes, dans chaque mode.
Il s'établit ainsi entre les tonalités des relations de parenté, plus ou
moins immédiate, basée, comme la parenté des sons, sur la résonnance
harmoîiique et sut l'ordre cyclique des quintes.
Un son quelconque et sa résonnance harmonique étant pris comme
accord en fonction de Tonique (l'accord d'UT ynajeur par exemple), tous
les accords de tonique contenant un ou plusieurs sons communs avec
ceux de cet accord, seront reliés à lui par une parenté directe ou de
premier ordre.
On appelle tonalités voisines celles dont les accords de tonique sont
reliés entre eux par cette parenté directe.
Si l'on considère l'accord UT-mi-sol comme déterminatif de la tona-
lité à' UT majeur, par exemple, cette tonalité sera voisine de celles de ;
FA majeur, par la note ut, à cause de Taccord : FA-la-w/.
— — LAb-wf-mit>.
— — 3f/-sol5-si.
— — LA-utff-mi.
— — 50L-si-ré.
— — MIl>-50/-sil>.
Mais il s'agit ici d'accords et non de sons isolés ; or, par le phéno-
mène double de la résonnance harmonique, tout accord peut se présen-
ter sous deux aspects, deux modes différents.
Il existe donc, outre les six accords majeurs, ci-dessus énumérés, un
nombre égal d'accords mineurs directement parents, par leurs notes
communes, avec l'accord UT-mi-sol.
La tonalité d'C/T" majeur est donc aussi voisine des tons appelés :
la mineur, par les notes ut et mi, à cause de l'accord : la-M/-.\//.
ut — par les notes ut et sol, — — ut-m\^-SOL.
fa — par la note ut, — — fa-la t>-i77'.
mi — par les notes mi et sol, — — mi-solSl.
ut 5 — par la note mi, — — ui8-mi-S0LS.
LAD
—
—
ut.
MI
—
—
mi.
LA
—
—
mi,
SOL
—
—
sol,
MIt>
—
—
sol.
138 L'EXPRESSION
et devait être enfin pareillement voisine du ton de
sol mineur, par la note sol, à cause de l'accord : soZ-sib-RÉ.
Mais en ce qui concerne cette dernière tonalité, une restriction sera
nécessaire.
Inversement, si nous considérons un accord tnineur comme tonique :
par exemple, îa-ut-MI, déterminatif de la tonalité dite « la mineur »
— dont la note prime est le MI aigu, — cette tonalité sera voisine,
d'une part, de celles de :
mi mineur, par la note îtii, à cause d; l'accord mi-sol-SI.
ut 5 — — mi, — — ut lI-mt-SOL jf.
fa — — ut, — - fa-la tJ-. UT.
ut — — ut, — — ur-mib-SOL.
ré — — la, — — ré-fa-Li4.
fa* — — la, — — fa ff-Za-UT jj.
d'autre part, de celles de :
UT majeur, par les notes mi et ut, a cause de l'accord UT-mi-io\.
LA — par les notes mi et la, — — Li4.-ut î^-mi.
MI — par la note mi, — — Af/-sol Jî-si.
FA — par les notes ut et la, — — FA-la-ut.
LAt) — par la note ut, — — LAt> -Jifruit».
et devrait être enfin pareillement voisine du ton de
RÉ majeur, par la note la, à cause de l'accord RÈ-faQ-la.,
Mais cette dernière tonalité se trouvant, par rapport à celle de la mineur^
exactement dans la même situation que la tonalité de sol mineur^ par
rapport à celle d' UT majeur, est soumise à la même restriction.
Notre éducation musicale, en effet, se refuse, jusqu'à présent, à
admettre la parenté directe entre une tonalité quelconque et celle de sa
dominante de mode opposé, malgré l'existence d'une note commune
aux deux accords de tonique, savoir :
sol, note commune à l'accord majeur : UT-mi-sol, et à l'accord mineur
de sa dominante : sol-si b -RÉ ;
la, note commune à l'accord mineur : la-ut-MI,Qt à V accord. majeur de
sa dominante : RÉ-faH-la.
Cette anomalie s'explique difficilement : elle tient probablement h
l'influence caractéristique que nous attribuons dans notre système tonal
à la médiante (tierce de la tonique), d'une part, et de l'autre, à la sen-
sible (tierce de la dominante).
Lorsqu'en UT majeur, par exemple, le si b apparaît en qualité de
L'EXPRESSION
ijg
meW/i3«/e, caractéristique du ton de sol mineur, c'est forcément au détri-
ment de l'effet caractéristique du si naturel en qualité de sensible du ton
d'UT.
Inversement, dans le ton dit la mineur, ayant pour prime AfI, l'appa-
rition du fa 9 en tant que médiante, caractéristique du ton de RÉ majeur,
détruit l'effet du fa naturel, qui, en qualité de sensible descendante^
caractérisait le ton de la jnineur.
On pourrait donc dire que deux tonalités, dans l'une desquelles In
médiante ne peut apparaître qu'en détruisant la sensible de l'autre, ne
sauraient être parentes ou voisines; mais cette explication est tout à fait
insuffisante.
Quoi qu'il en soit, nous devons tenir compte de cette restriction
relative aux dominantes de mode opposé : dès lors, le nombre des
tonalités voisines d'une tonalité quelconque, majeure ou mineure, doit
être limité à on'^e ; le tableau suivant permet d'apprécier leur plus ou
moins grande proximité ainsi que leur parfaite symétrie dans les deux
modes.
TABLEAU DES TONALITES VOISINES
RÉSONNANCE SUPÉRIEURE
:LAfc>- ut - mi p :
;ut+î- mi - SOLS:
•Ml - sol 5 - si
li - sol - SI
:1a ut - MI
LA - utlt- mi
ut - mit) - SOL :
MIt> - sol - SI t>
UT majeur
LA \) majeur
ut jj mineur
MI majeur
ml mineur
la mineur
ut JJ mmeur
LA majeur
fa mineur
FA majeur
Fonctions tonales
SOL majeur
FA majeur
fa mineur
re mmeur
mi mineur
MJ majeur
la mineur
LA majeur
ut mineur
tAl\} majeur
UT majeur
ut mineur
LA t) majeur
fa 5 mineur
RÉSONNANCE INFÉRIEURE
: ut jî- mi - SOL
:LA - utt;- mi :
fa - la t, - DT •
FA - la - ut :
UT -"lni~^ sel
ut - mi t)- SOL
: LAt) - ut - mi t) :
Tfa S-liT^^T^:
La tonalité principale est placée au centre du tableau, entre celles de
sa sous-dominante et celle de sa dominante. Cet ensemble de trois
tonalités qui reproduit exactement les trois fonctions tonales, forme un
groupe particulier qui contient tout le principe de la modulation.
Les autres tonalités voisines sont, pour ainsi dire, secondaires, et
leur eff'et expressif d'éclaiiement ou d'assombrissement ne peut s'expli-
COURS DE COMIOSITION. 9
i3o L'EXPRESSION
quer qu'à l'aide de la relation de quinte existant entre les notes primes
des accords du groupe central [FA^UT^SOL en majeur... LA^MIySI
en mineur).
LOI DE LA MODULATION ENTRE LES TONALITES DE MEME MODE
C'est, en effet, suivant Vordre cyclique des quintes que la lumière et
l'ombre se distribuent dans toutes les modulations de même mode.
Toutes les fois qu'une modulation aboutit à une tonalité située, sur le
cycle des quintes, du côté de la quitite aiguë du ton principal (50/, ré,
la, mi, par rapport à ut, par exemple), l'effet expressif est comparable
à la montée vers la lumière, à l'expansion lumineuse.
Toutes les fois, au contraire, qu'une modulation aboutit à une tona-
lité située du côté de la quinte grave [fa, si \> , 7ni \, , la ^ , par rapport
à ut), l'effet est comparable à la chute vers les ténèbres^ à la concen-
tration dans robscurité.
En mode majeur, par conséquent, la modulation vers les dominantes
éclaire, la modulation vers les sous-dominantes obscurcit.
Inversement, en mode mineur, la modulation vers les dominantes
obscurcit, la modulation vers les sous-dominantes éclaire.
Dans le ton de la mineur, par exemple, la véritable fonction de
dominante, par rapport à l'accord de tonique la-ut-MI (ayant pour
prime MI), est constituée par l'accord ré-fa-LA (ayant pour prime LA),
c'est-à dire par l'accord situé à la quinte grave, tandis que la véritable
fonction de sous-dominante est occupée par l'accord situé à la quinte
aiguë : mi-sol-SI (ayant pour prime SI).
Les tonalités de ré mineur, sol mineur, ut mineur, etc., plus som-
bres que celles de la mineur, sont donc bien du côté de la dominante,
tandis que celles de ?ni mineur, si mineur, /a s mineur, plus claires,
sont du côté de la sous-donntia?ite.
Mais l'usage a fait prévaloir des dénominations contraires à la
réalité, car on appelle communément dominante la quinte aiguë et
sous-dojninante la quinte grave, aussi bien en mode mineur qu'en
mode majeur.
En langage vulgaire, on peut donc dire d'une manière absolue que,
dans les deux modes, la modulation vers les dominantes éclaire,
tandis que la modulation vers les sous-domitiantes obscurcit {i).
DIFFÉRENCE ENTRE LES DOMINANTES ET LES SOUS-DOMINANTES
L'impression d'expansion causée par les modulations vers les domi-
(1) Le côté sous-dominante pourrait être comparé au violet du prisme, tandis que le rouge
figurerait le côté dominante.
L'EXPRESSION i3i
liantes {quintes aiguës) doit être attribuée à un effort, à une tension
de la volonté créatrice du musicien, quelque chose comme une force
mécanique, mise en action pour sortir de la tonalité et monter plus
haut (i).
Sitôt que cette force cesse d'agir, il se produit une réaction^ une chute,
un retour vers le point de départ : la tonalité initiale reparaît pour
ainsi dire mécaniquement, naturellement. C'est pourquoi la modula-
tion à la dominante (quinte aiguë) n'est pas destructive de la tonalité.
Il n'en est pas de même des modulations vers les sous-dominantes
[quintes o-raves) : l'impression déprimante qu'elles provoquent n'est plus
attribuable à un effort, à une force mécanique, mais au contraire à une
détente, à un affaissement de la volonté créatrice, qui se laisse aller à
sortir de la tonalité.
Dès lors, il ne suffit pas que cette détente cesse, pour que la tonalité
initiale reparaisse : il faudrait un effort nouveau pour y remonter. Ainsi
s'explique cette tendance bien connue de la modulation vers la sous-
dominante (quinte grave) à devenir définitive, et à se substituer
rapidement à la tonalité initiale, laquelle, en reparaissant, produit alors
l'effet d'une dominante.
Un corps lancé en l'air redescend naturellement par une trajec-
toire égale à sa montée : c'est le cas de la modulation vers la domi-
nante.
Un corps qu'on laisse tomber reste sur le sol, et ne tend pas à remon-
ter : c'est le cas de la modulation vers la sous-dominante.
LOI DE LA MODULATION ENTRE LES TONALITÉS DE MODE DIFFÉRENT
Quant aux modulations entre les tonalités de mode différent, elles sem-
blent procéder du clair à l'obscur lorsqu'elles passent du mode majeur
(i) L'idée de hauteur relative appliquée aux phénomènes musicaux 'sons harmoniques,
tonalités) n'est pas, comme on pourrait le croire, \in& figure empruntée à la représentation gra-
phique des notes sur la portée: elle tire son origine de l'ordre physique des milieux sonores.
Pour l'homme, en etïet, la densité relative des milieux ambiants décroît normalement
depuis les profondeurs du sol jusqu'aux limites extrêmes de l'atmosphère, depuis le bas
jusqu'en haut.
Or, de deux corps sonores, différant par leur densité, mais identiques sous tous les autres
rapports (dimensions, tension, température, etc.), le plus dense sera susceptible d'émettre les
vibrations les plus lentes, et, par conséquent, le son le plus grave.
Toutes choses égales d'ailleurs, les sons les plus giaves sont donc produits par les vibra-
tions des milieux les plus denses, c'est-à-dire les plus bas dans l'ordre physique.
La génération naturelle de l'accord majeur à l'aide des harmoniques aigus, procède réelle-
ment de bas en haut : il n'est pas surprenant dès lors que la modulation vers la dominante
ou quinte supérieure (harmonique) provoque l'impression de montée, et, par suite, de lumière.
Inversement, l'accorJ mineur, formé des harmoniques graves, procède de haut en bas :
la modulation vers la quinte inférieure (dominante réelle en mineur ; sous-dominante eu
majeur) doit donc logiquement produire l'effet opposé : descente, chute, assombris^ement.
i3j L'EXPRESSION
au mode mineur, de l'obscur au clair quand elles passent d'une tonalité
mineure à une tonalité majeure. Mais ce phénomène, plus apparent
que réel, n'est nullement comparable à ceux qui caractérisent les modu-
lations entre tonalités de même mode : il doit être attribué à des causes
différentes qui seront étudiées dans le deuxième livre de cet ouvrage.
RAISON EXPRESSIVE DE LA MODULATION
Tels sont les principes généraux de la modulation, dont nous aurons
à examiner plus tard le fonctionnement et l'application dans les formes
musicales de la troisième époque.
Comme l'Agogique et la Dynamique, la Modulation n'a pas d'autre
but que de concourir à l'Expression.
L'Expression est l'unique raison d'être de la modulation : c'est là
une vérité sur laquelle on ne saurait trop insister, pour mettre en garde
les compositeurs contre cette tendance trop fréquente à moduler sans
motif.
Il faut un but dans la marche progressive des modulations, comme
dans les diverses étapes de la vie : lorsque le musicien a fait choix d'un
point de départ sur le cycle des quintes, c'est-à-dire d'une tonique, il ne
doit point s'en éloigner au hasard.
La raison, la volonté, la foi, qui guident l'homme dans les mille tri-
bulations de la vie, guident pareillement le musicien dans le choix des
modulations.
Aussi les modulations inutiles et contradictoires, la fluctuation indé-
cise entre la lumière et l'ombre, produisent-elles sur l'auditeur une
impression pénible et décevante, comparable à celle que nous inspire
un pauvre être humain, faible et inconsistant, ballotté sans cesse entre
l'orient et l'occident, au cours d'une lamentable existence, sans but et
sans croyance I
IX
HISTOIRE
DES THÉORIES HARMONIQUES
Le problème de l'harmonie dans l'histoire. — Zarlino (iSiy f i5go). — Rameau (i683 -f-
i7t)4). — Tartini (1692 f 1770). — Barbereau (1799 f 1879). — Durutte (i8o3 f 1881). —
Hauptmann (1792 f i86s). — Helmholtz (i8ji f 1894). — Von Œttingen (i836). — Rie-
mann (i 84g).
LE PROBLEME DE L HARMONIE DANS L HISTOIRE
« Il n'y a dans l'univers qu'une seule harmonie, et celle des sons en
est l'image. »
Cette idée, exprimée par Cicéron, montre que déjà de son temps, et
sans doute bien avant lui, les préoccupations de l'harmonie et des
nombres agitaient les esprits des philosophes : Pythagore, Ptolémée,
Aristoxène, pour ne citer que les principaux, ont recherché dans l'étude
des rapports simples les grandes lois harmoniques des mondes. Ils
furent eux-mêmes précédés très probablement dans cette voie par les
Druides de notre terre celtique, dont les connaissances astronomiques et
métaphysiques avaient émerveillé les conquérants romains lors de leurs
invasions.
On conçoit, en effet, que cet éternel problème du Nombre, clé véri-
table de la genèse mondiale, soit apparu, dès l'origine, à l'intelligence
humaine, consciente d'elle-même et de son principe divin, comme la
plus mystérieuse et la plus abstraite de toutes les connaissances aux-
quelles cette merveilleuse faculté soit susceptible de s'élever.
Remonter ici au point de départ des théories que nous avons essayé
d'exposer sur l'Harmonie, l'Accord, la Tonalité, la Modulation, etc., ce
serait refaire l'histoire de l'homme lui-même, depuis la Genèse, où
l'influence symbolique des nombres se manifeste presque à chaque
l34 HISTOIRE DES THÉORIES HARMONIQUES
verset, jusqu'aux conceptions modernes les plus ardues, sur l'unité
des forces physiques et la série illimitée des mouvements vibratoires.
Un pareil travail ne saurait être entrepris utilement : il nous suffira
de faire connaître sommairement les principaux auteurs ayant laissé
quelques travaux précis sur les phénomènes naturels de la résonnance
harmonique, et sur l'ordre des quintes, c'est-à-dire sur les deux prin-
cipes générateurs de notre système harmonique et tonal.
Ce n'est guère qu'à partir du xiv' siècle qu'on retrouve la trace des
recherches métaphysiques sur l'harmonie; on ne peut s'empêcher d'être
frappé par la coïncidence de cette époque avec celle des grandes décou-
vertes astronomiques.
La gravitation des astres offre en effet plus d'une analogie avec les lois
harmoniques ; et l'accomplissement du cycle tonal fermé à la douzième
quinte par l'enharmonie, qui limite le domaine musical, peut fort bien
se comparer aux découvertes de Christophe Colomb et de Galilée, au
tour du Jiionde qui limite notre domaine terrestre, notre cycle géogra-
phique. Le premier auteur connu qui se soit occupé des principes na-
turels de l'harmonie vivait en effet au temps de Galilée.
ZARLINO
GiosEFFO Zarlino, né à Chioggia en ibiy, entra dans l'ordre des
franciscains en i537, à Venise; il fut nommé diacre en 1541, et eut
pour maître dans l'étude de la musique Adrian Willaert, dont nous
retrouverons le nom dans l'histoire du madrigal et des origines du
drame (i). Zarlino fut ensuite maître de chapelle à l'église San Marco
de Venise, où il succéda en i565 à Cyprian de Rore (2), et revint enfin
comme chanoine à Chioggia en i582 ; il mourut à Venise en iSgo.
L'ouvrage principal de Zarlino, Institu-{ioHe armoniche (3), date de
i558. Cet ouvrage fut complété en iByi par les Dimostraiione armo-
niche (4) au moment de la grande polémique entre l'auteur et Vicenzo
Galilei (père del'astronome), à propos du chant collectif et du 50/0. Les
théories musicales des philosophes de l'antiquité préoccupaient déjà les
esprits, car, dans cette querelle entre Zarlino et Galilei, le premier
s'appuyait sur Ptolémée, le second sur Pythagore, sans qu'on ait
jamais bien su pourquoi.
Les Sopplimenti musicali (5), dernier ouvrage de Zarlino, parurent en
i588, deux ans avant sa mort.
(i) Voir ci-après, chapitre xi, et le troisième livre de cet ouvrage.
{2) Voir ci-après, chapitre xi.
(3) Principes harmoniques.
(4) Démonstrations de l'harmonie.
(5) Suppléments musicaux.
HISTOIRE DES THÉORIES HARMONIQUES 03
C'est dans le premier de ces ouvrages {Institu\ione armoniche) qu'on
trouve l'exposition du principe de l'Accord consonnant unique, sous
son double aspect (majeur et mineur).
Zarlino, en effet, base l'accord majeur sur la division harmonique ôq
la corde ( i, 1/2, i/3, 1/4, i/5, 1/6, — résonnancc supérieure), et l'ac-
cord mineur sur la division arithmétique (i, 2,3,4,5, 6, — résonnancc
inférieure).
Mais cette théorie, pourtant fort simple, avait le tort d'être incompa-
tible, par plusieurs points, avec la routine de la basse continue. Elle
n'eut donc aucun succès, lors de sa première apparition, et c'est plus
d'un demi-siècle après que nous la retrouvons, présentée différemment,
chez Rameau et Tartini.
RAMEAU
Jean-Philippe Rameau, dont nous aurons à nous occuper plus spécia-
lement comme compositeur (i), est l'auteur d un Traité de Iharmonie
réduite à ses principes Jiaturels (Paris, 1722), oij, pour la première fois,
est exposé méthodiquement le système du renversement, permettant
de ramener l'accord à son état fondamental.
Rameau reproduit l'expérience de Zarlino pour ladivision harmonique
de la corde (i, 1/2, i/3, 1/4, i/5, 1/6), et déclare que l'accord parfait
est donné par la nature.
Mais il est moins catégorique en ce qui concerne la division arithmé-
tique (i, 2, 3, 4, 5, 6, résonnancc inférieure) donnant l'accord parfait
mineur. Il est très probable cependant que sa conviction intime sur ce
dernier point était conforme à celle de Zarlino; en effet, l'auteur ano-
nyme d'un ouvrage paru en 1762 et intitulé: Eléments de musique
théorique et pratique , suivant les principes de M. Rameau, énonce for-
mellement, page 20, le principe de la résonnance inférieure (2).
Consciemment ou non, ce principe apparaît du reste en maint endroit,
dans les divers ouvrages de Rameau, et même dans son traité.
Son système de la Basse fondamentale, impliquant le déplacement du
son générateur de l'accord, \a. prime, n'est pas autre chose que l'idée de
Zarlino. Cette théorie est une innovation, par rapport à l'usage de la
basse continue, ainsi que Rameau prend la peine de nous l'apprendre,
page 206:
(i) Voir les deuxième et troisième livres.
(2) Cet ouvrage est attribué à d'Alembert: toutefois, Condiliac, dans l'approbation qu il
fut chargé de formuler au nom du roi, s'exprime ainsi :
« M. Rameau doit être Hatté de voir à la portée de tout lecteur intelligent un systcmedont
• il a découvert les principes, et qui, cerne semble, pour dtre apprécié n'a besoin que d'être
« connu. »
« A Paris, ce 33 novembre x-'bi. »
i36
HISTOIRE DES THEORIES HARMONIQUES
« Il ne faut pas confondre, dit-il, la progression diatonique d'une
basse dont nous parlons à présent (basse continue) avec la progression
consonnante dont nous avons donné des exemples. Cette basse que nous
appelons fondameîitale ne porte que des accords parfaits ou de septième,
pendant que la basse ordinaire, que nous appelons continue^ porte des
accords de toute espèce. Ainsi, cette basse fondamentale servira de
preuve à tous nos ouvrages. »
Rameau déclare en propres termes, page ix, « qu'il n'y a qu'un seul
accord dont tous les autres proviennent ». Cependant il reconnaît une
existence distincte aux deux accords parfaits et à l'accord de septième.
Dans un exemple où il veut prouver la genèse de cet accord de sep-
tième, il reproduit une cadence de Zarlino (page 68):
i
h laquelle il ajoute une basse fondamentale :
"5V~^l
— i ?^
i Il
/•
. /
^ 1
f^
OÙ l'on peut voir le principe des deux cadences de sens opposé en mineur
et en majeur.
B
%-=^i
Tonique Dom''
22:
A
^— >
-S-
lï o^
Dom'' Ton.
•Z22:
a
Un fait plus significatif vient à l'appui de cette opinion : Rameau
appelle sixte ajoutée la note supérieure (re, par exemple) dans la dispo-
sition harmonique bien connue :
et il traite cette note mélo-
dique ascendante, ajoutée à l'accot^d parfait, comme une vraie disson-
nance, qu'il ne confond nullement avec la septième.
Il est difficile de ne pas voir là le principe même à Taide duquel nous
avons vérifié le sens différent du mouvement mélodique, suivant le
mode, dans chacune des cadences (voir chap. vu, p. 112). On ne
saurait cependant rien affirmer sur les idées de Rameau relativement
aux modes de sens inverse : il a sans doute pressenti la véritable théorie,
plutôt qu'il ne l'a comprise nettement.
Au surplus, la rédaction de son traité est extrêmement lourde et dif-
fuse : en maint endroit, il énonce des principes contradictoires.
HISTOIRE DES THEORIES HARMONIQUES 13;
C'est ainsi notamment qu'après avoir déclaré (page 1 38) que « la mé-
lodie provient de l'harmonie », il constate (page 329) qu'« il est difficile
de réussir parfaitement dans les pièces à deux et à trois parties, si l'on ne
compose toutes les parties ensemble, parce que chaque partie doit avoir
un chant coulant et gratieux » {sic).
Cette dernière assertion, plus raisonnable que l'autre, nous autorise
à considérer Rameau comme ayant vraiment compris le rôle prépondé-
rant de la mélodie dans la musique, et celui des deux résonnances natu-
relles dans la formation de l'harmonie.
Après Rameau, c'est au célèbre violoniste Tartini, auteur du « Trille
du diable », qu'on doit la reprise et la continuation des théories avancées
par Zarlino.
TARTINI
GiusEPPE Tartini, né à Pirano en 1692, mourut à Padoue en 1770,
après une existence assez agitée. Outre ses compositions musicales
(sonates et concertos), Tartini a laissé plusieurs ouvrages théoriques,
dont le principal est intitulé: Trattato di musica, secondo la vera scien-a
deirarmonia[\). Ce traité, paru en 1734, réalise un progrès notable sur
celui de Rameau, au point de vue de la netteté des idées. L'auteur exclut
de notre système musical l'harmonique 7, et oppose directement l'une
à l'autre les deux résonnances engendrant les deux modes (pages 65,
66,91).
On doit aussi à Tartini d'intéressantes découvertes sur la production
des sons résultants qui proviennent de la différence entre le nombre
des vibrations de deux sons réels, émis simultanément.
Tartini avait remarqué notamment que l'émission sur un violon de
la sixte (<p ^ -I engendre un troisième son beaucoup plus grave : ^' —
et plusieurs autres, moins perceptibles, dont les rapports avec celui-ci
suivent les lois de la progression harmonique ascendante.
Mais il était réservé à Von Œttingen, dont nous parlerons ci-après,
de tirer de cette découverte toutes les conséquences qu'elle comporte.
AprèsTartini,il semble que pendant près d'un siècle la théorie harmo-
nique soit totalement tombée dans l'oubli. La routine de la ^^755^ conti-
nue règne en souveraine absolue sur toute la musique de cette époque.
Les divers traités parus entre 1760 et 1840 ne sont que des manuels
de basse chiffrée, dénués de tout fondement rationnel.
C'est seulement en 1845 que nous voyons reparaître en France
(0 Traité de musique, selon la vraie science de l'harmonie.
,38 HISTOIRE DES THÉORIES HARMONIQUES
quelques idées plus saines et plus élevées sur renseignement de l'har-
monie et les origines de la gamme.
BARBKREAU
Auguste Barbereau, né à Paris en 1799, fut élevé à Reicha, obtint le
prix de Rome en 1824, et fut plus tard professeur au Conservatoire. Il
mourut à Paris en 1879. Barbereau s'occupa de musique surtout au
point de vue historique et didactique. Il avait constaté l'insuffisance,
déjà notoire à son époque, de l'enseignement de h. composition, et fit
de très louables efforts pour y porter remède ; mais son Traité de com-
position musicale, paru en 1846 et conçu sur des plans fort vastes, est
malheureusement resté inachevé
Dans cet ouvrage, l'auteur considère notre gamme moderne comme
directement issue d'une série illimitée de quintes allant soit vers le grave,
soit vers l'aigu. Cette théorie est exposée plus en détail dans son Etude
sur V origine du système musical^ parue en i852 et inachevée également.
Il appartenait à Durutte de reprendre plus scientifiquement les idées
de Barbereau, et de démontrer mathématiquement leur concordance
avec la progression harmonique.
durutte
Le comte Camille Durutte, né à Ypres en i8o3, polytechnicien dis-
tingué, vécut à Metz, où il se livra à l'étude approfondie de la mathéma-
tique musicale, et mourut à Paris en 1881.
Dans sa Technie harmonique, parue en i8d5, et complétée en
1876, Durutte, malheureusement imbu, comme tous ses contempo-
rains, des théories qui reconnaissent à chaque accord consonnant ou
dissonnant une réalité distincte, se livre à des calculs mathématiques
fort abstraits sur toutes les combinaisons possibles avec les tierces ma-
jeures et mineures, depuis l'accord parfait, jusques et y compris les
accords de onzième et de treizième.
Cette étude ne saurait se concilier avec notre conception beaucoup
plus simple de l'harmonie; mais elle est précédée d'une introduction
remarquable, empruntée en grande partie aux écrits du philosophe
slave Hœné Wronski, et d'un résumé d'acoustique, qui méritent d'être
signalés.
Cette introduction établit l'insuffisance de la série des harmoniques
pour la genèse de notre gamme, la nécessité d'un rapport unique pour
servir de base à notre système musical, et la limite de perception des
organes auditifs de l'homme, en ce qui concerne la distinction entre les
diverses intonations des sons.
HISTOIRE DES THÉORIES HARMONIQUES i3g
Le résumé d'acoustique montre que les systèmes proposés, depuis et
y compris Pytliagore, pour la genèse de notre gamme, se résument
tous dans \' échelle des quintes, et que le tempérament empêche de dis-
cerner l'écart théorique de calcul entre les quintes exactes et les quintes
tempérées (voirchap. vi, p. io5, note).
En dépit de cette constatation, énoncée explicitement en note au bas
de la page 52'", l'auteur n'en continue pas moins à attribuer une person-
nalité différente à chacun des sons que notre oreille identifie par l'enhar-
monie. L'échelle des quintes se présente donc à lui sous la forme d'une
ligne droite indéfinie, et non d'un cycle fermé.
Quant au mode mineur, Durutte semble n'en point connaître d'autre
que celui dont le type est la gamme mineure de la, avec altération de la
sensible {soin). Il s'ingénie vainement à en fournir une explication
rationnelle.
X^'est en Allemagne que nous retrouvons, à peu près à la même
époque, le principe des deux gammes opposées, et des modes symé-
triques.
HAUPTMANN
MoRiTZ Hauptmann, né à Dresden en i 792, étudia surtout avec Spohr,
sous l'égide duquel il obtint en 1842 le titre de cantor à l'école Saint-
Thomas de Leipzig, et celui de maître en théorie au Conservatoire
de la même ville, où il mourut en 1868.
Hauptmann a laissé des œuvres musicales remarquables surtout par
leur construction, et plusieurs ouvrages théorian^s dont le principal
est intitulé : Die Natur der Harmonik und der Ahirik (i).Cet ouvrage,
paru en i858, postérieurement à ceux de Barbereau et de Durutte,
repose entièrement sur les deux résonnances harmoniques (supérieure
et inférieure). Cependant, Hauptmann recule encore devant les consé-
quences de son système, et n'ose affirmer le caractère prépondérant de
la note jor/me a/^Më dans l'accord mineur.
Depuis Hauptmann, la recherche des théories harmoniques parait
s'être concentrée presque exclusivement en Allemagne.
HELMHOLTZ
Hermann Helmholtz, né à Potsdam en 1821 et mort à Berlin en
1894, après une carrière de professeur tout à fait étrangère à la musi-
que, s'est beaucoup occupé des phénomènes acoustiques. On lui doit les
ingénieuses observations que nous avons résumées sur le rôle des har-
Ci) La nature de l'harmonie et de la métrique.
140
HISTOIRE DES THÉORIES HARMONIQUES
moniques dans la diversité des timbres et dans la distinction des voyel-
les (i). Dans son ouvrage principal Lehre von den Tonempjindungen als
phfsiologîsche Grundlage der Musik (2), paru en i863, Helmholtz émet
l'idée qu'un accord peut être représenté par un son unique [Klangver-
tretutig), idée conforme à celle du son générateur chezZarlino et Rameau;
mais sa théorie de l'accord mineur est toute différente, car il cherche à
l'établir à l'aide des harmoniques supérieurs, 10, 12, i 5 (m/, so/, si), ce
qui détruit toute la loi de symétrie des deux modes. Plusieurs autres
erreurs se sont glissées du reste dans cet ouvrage, dont la valeur histo-
rique est seule indiscutable.
VON ŒTTINGEN
Arthur Von Œttingen, né en i836 à Dorpat. en Livonie (où il est
encore actuellement professeur), physicien et musicien tout à la fois,
a fait paraître en 1866 un ouvrage intitulé Harmoniesystem in diialer
Entii'ickelung (3), dans lequel il combat avec énergie les erreurs
d'Helmholtz.
Von Œttingen reprend, en la complétant, l'idée de Tartini à propos
des sons résultants. Il constate que le même intervalle de sixte, dont les
sons résultants au grave sont placés dans l'ordre de la résonnance har-
monique supérieure (voir ci-dessus, page 1 37), peut fournir aussi une
autre série symétrique de sons résultants à l'aigu, placés dans l'ordre
de la résonnance harmonique inférieure. Ainsi se vérifie, à l'aide de
l'intervalle incomplet et neutre de la sixte majeure ^E^=E= 5 toute la
genèse des accords parfaits majeur et mineur.
, : Son
1 Rcsultanl
; ou de coniLinnisoji
RÈSOl
Sons ; SIXTE : Sons
Résultants jmajeure: Résultants
graves. • • aigus.
Son
rhoniquo'
supérieur
ou (te inultiplîcntm,
Dans cette expérience, où les harmoniques majeurs sont numérotés
(1) Voir chap, vm, p. 124.
(2) Traité de la Tonalité comme base physiologique de la musique.
(3) Système de l'Harmonie dans sa double évolution.
HISTOIRE DES THÉORIES HARMONIQUES 141
en chiffres arabes et les harmoniques mineurs en chiffres romains, on
remarque:
1°, que la sixte majeure qui sert de point de départ est constituée par
les harmoniques 3 et 3 (ou m et v) des deux résonnances.
2°, que le quinzième harmonique de chacune des résonnances har-
moniques résultantes coïncide avec le son prime de l'autre :
ut = \ ou XV ; 5/ = 1 5 ou I.
Von Œttingen a donné le nom de son résultant ou de combinaison à
VUT grave qui sert de prime à la résonnance majeure, et le nom de son
phonique supérieur ou de multiplication au Si aigu (résultant de la
multiplication des deux harmoniques, sol 3 et mi 5, l'un par l'autre)
servant de prime à la résonnance mineure.
La symétrie absolue des deux résonnances est rendue tout à fait appa-
rente par l'expérience de Von Œttingen, et cette explication des phéno-
mènes harmoniques se confirme de jour en jour dans les travaux pos-
térieurs à son ouvrage et notamment dans ceux de Riemann.
RIEMANN
Hugo Riemann, né près de Sondershausen en 1849, est actuellement
professeur de musique à l'université de Leipzig. Il a publié de nom-
breux ouvrages théoriques sur la musique, parmi lesquels il faut
citer :
1° Sa thèse de doctorat, parue en \^^2), mt\t\i\éQ Musikalische Logik[\)
et contenant toute la théorie des harmoniques inférieurs, exposée
d'une façon claire et certaine ;
2° Son traité intitulé Handbuch der Harmonielehre (2), paru sous
forme d'essai en 1880, complété et réédité en 1887 et traduit en
français par M. G. Humbert (à Londres, chez Augener). Cet ouvrage
explique la genèse de l'accord à l'aide des deux expériences que nous
avons reproduites au chapitre de l'Harmonie (pages gS et suiv.).
Mais la raison de l'exclusion des sons harmoniques 7, 11, i3, etc.,
n'y apparaît pas, et l'auteur reste muet sur la question du cycle des
quintes, qui fournit précisément la solution de cette difficulté. Le traité
de Riemann est cependant basé sur les trois /b;zc//o;/5 tonales (Tonique,
Dominante et Sous-Dominante), c'est-à-dire sur la relation de quinte
entre les notes pynmes ; mais le principe de cette relation n'y est pas
nettement dégagé. Cet ouvrage est du reste assez aride, en raison de sa
terminologie peu usuelle, et de son nouveau système de chiffrage des
(i) Logique musicale.
(3) Manuel d'harmonie.
141 HISTOIRE DES THÉORIES HARMONIQUES
harmonies ; il réalise toutefois un grand progrès en ce qui concerne les
notions de tonalité, de fonction tonale et de valeur esthétique de
l'accord.
3° Le Dictionnaire de Musique de Riemann, paru en 1896 et traduit
en français en 1899 par M. G. Humbert, mérite aussi d'être signalé.
Cet ouvrage reprend la même théorie harmonique, et fournit, outre
sa documentation historique très sérieuse, un certain nombre d'aperçus
nouveaux sur les rapports des sons, sur les divers systèmes de gammes,
sur la parenté des sons et des harmonies, sur les tonalités voisines, etc.,
le tout en parfaite concordance avec la théorie harmonique et tonale
exposée dans les précédents chapitres du présent ouvrage.
Sans doute, en pareille matière, rien ne peut être donné comme abso-
lument définitif, car nos idées., nos connaissances et notre nature elle-
même sont éminemment modifiables, sinon perfectibles. On ne peut
nier cependant qu'une théorie comme la nôtre ait de grandes chances
d'être vraie, lorsqu'elle réunit en sa faveur tous les esprits distingués
dont nous venons de retracer les laborieuses recherches.
A chacun de la contrôler, de s'en pénétrer et de la compléter encore
par son travail personnel de réflexion et d'application.
X
LE MOTET
Formes polyphoniques primitives. — Forme de la pièce liturgique. — Forme du motet. —
Constitution de la phrase dans le motet. — Forme du répons. — Histoire des formes
polyphoniques primitives : les déchanteurs et les théoriciens. — Histoire du motet.
Période franco-flamande. — Période italo-espagnole. — Période italo-aliemande.
FORMES POLYPHONIQUES PRIMITIVES
La musique de la deuxième époque est qualifiée de polyphonique
(à plusieurs voix), parce qu'elle consiste en un certain nombre de parties
mélodiques différentes destinées à être chantées simultanément sans
aucun accompagnement instrumental (i).
Les premiers essais de musique polyphonique furent la diaphonie et
le déchant.
On s'accorde à faire remonter l'apparition de la diaphonie (appelée
aussi orga?ium) à l'époque du x* siècle. Cette forme consistait à faire
entendre, avec une mélodie donnée [cantus Jîrmus)^ une succession de
quintes au-dessus ou de quartes au-dessous, dont la marche, absolu-
ment parallèle, n'était interrompue que par de rares unissons ou des
octaves sur la finale de la période.
Ces superpositions, incompatibles avec nos habitudes musicales
contemporaines, pouvaient n'être pas sans charme, si Ton tient compte
de ce fait que les voix chargées de tenir le cantus Jîrmus étant en nom-
bre infiniment supérieur à celles qui dessinaient la diaphonie, cette
partie vocale devait jouer un rôle analogue à celui que jouent encore
actuellement dans la registration de la musique d'orgue le nasard^ la
quinte et les fournitures.
(i) Le qualificatif de po/ym^.'oi/<7ue, appliqué par M. Gédalge à ce genre de musique dans
son Traité de fugue, semblerait en effet plus exact, mais il n'est point encore passé dans
l'usage.
,44 LE MOTET
Voici un exemple de diaphonie du xni^ siècle
Diaphonie
coutra
lenor) i"^ | | f zg Fr f=FEF=r: I M i "^=^^1 \\ \=X^^^-\ I ' F ' | I ' '
Cantus firmus
ténor)
Agnus De- i, qui toi- lis pec-ca- ta mun-di, misère- re no- bi?
^n^^^'^^^-^-^^î
Quant dM déchant ^ il ne fut tout d'abord qu'une mélodie accompa-
gnant note contre note le chant grégorien, et improvisée par les chan-
tres; on rappelait aussi, en'cette forme primitive : Canto alla mente^
ou Chant sur le livre; son caractère particulier était de procéder plu-
tôt par mouvements contraires, au lieu d'employer, comme la diaphonie,
des mouvements parallèles.
On trouve, dans le traité fort curieux de Franchino Gafori inti-
tulé : Practica musicœ sive miisicœ actiones (1496), des exemples de
déchant.
Nous reproduisons ici un court fragment emprunté à des Litanîœ
mortuorum discordantes qui se chantaient dans la cathédrale de Milan
le jour des morts, et qui paraissent justifier pleinement leur titre.
Il est cependant probable que le mot discordantes^ n'est point
employé ici dans le sens du mot français discordant^ mais signifie
chanté sur deux notes^ ou sur deux cordes.
Cantus firmus
-t^H r r ^T^^
N - - - - - . o- ra pro no-bis.
Discantus (^-/-j-J^^^zJ J I J J J J J
Voici un autre spécimen tiré du même ouvrage ; il est écrit pour
trois voix et appartient sans doute à une catégorie de déchant plus per-
fectionné, car les notes de passage, les ornements et même le principe
de l'imitation commencent à y apparaître :
Discantus /
(contra-tenor)
Cantus firmus
(tcnor) \
Dis antus
Dans le Spéculum musicœ (Miroir de la musique), de Jean de Munis,
LE MOTET
14^
ouvrage qui remonte à l'année i325, on trouve déjà des exemples
de déchant présentant, sous le nom de diniinulio contrapunctiy des suites
de plusieurs notes contre une seule :
Discanlus
(Dira, contr.)
Cantus firmus
On a donné le nom àt faux-bourdon à une variété de diaphonie, ori-
ginaire d'Angleterre, si l'on en croit Guilhelmus Monachus [De prœ-
ceptis artis musicœ, fin du xiv® siècle), présentant l'emploi continu de
tierces parallèlement au cantus Jirmus. On le notait ainsi ;
Contra-tenor
Tenor
Discant
r^^^î^
^
Mais le discatitus, étant une voix aiguë, sonnait, en réalité, à l'octave
supérieure, et l'effet pour l'oreille était le suivant :
C'est très probablement de cette transposition de la basse écrite que
vient le terme falso-bordone^ dont la traduction exacte est : basse enfaus-
set, le mot italien bordone étant, à cette époque, synonyme de basse (i).
On peut juger, par ces notions sommaires sur la diaphonie et le
déchant, du progrès notable qui restait à accomplir avant d'aboutir aux
formes si parfaites du contrepoint vocal, dont le motet offre une admirable
synthèse.
Dès le début du xv' siècle, les pièces contrapontiques commencent
^i) Dans sa Commedia, Dante Alighieri dit, en parlant des oiseaux du Paradis terrestre
Ma con piena letizia l'are prime,
Cantando, ricevieno intra le foglie
Che tenevan bordone allé sue rime.
(Purgalorio, c. XxvlII, ▼. l5-l8.)
« Mais, avec pleine joie, en chantant, ils (les oiseaux) recevaient les premières brises,
parmi les feuilles, qui faisaient la basse de leurs accents. »
Il est, du reste, remarquable de trouver en ce même poème, qui contient, il est vrai, toute
la science du moyen âge, une véritable définition du déchant :
E corne in voce voce si discerne
Quand'una é ferma e l'allra va e riede.
(Paratiito, c. vlll, v. 17-18.)
• De môme que, dans un concert, on peut discerner une voix qui reste immobile tandis
que l'autre va et revient. »
Cours de composition. io
146 LE MOTET
à revêtir des formes déterminées qu'on peut répartir en deux grandes
catégories :
1" la pièce liturgique;
2° le motet.
FORME DE LA PIECE LITURGIQUE
La pièce liturgique, qui reproduit le texte même de l'office divin, se
rapproche, au moins originellement, de l'art du déchant.
De ce genre sont les messes et les psaumes, dont la musique n'est
d'ordinaire qu'une amplification du thème grégorien.
Avant la réforme de la musique d'église, prescrite par le concile de
Trente et accomplie en Italie par Palestrina, les compositeurs de messes
s'attachaient à traiter contrapontiquement les thèmes les plus connus de
la musique liturgique. Ces thèmes, nous l'avons vu aux chapitres de la
Cantilène monodique (p. 69, 72) et de la Chanson (p. 83, 84), s'adaptaient
si bien au rythme populaire qu'ils devenaient parfois eux-mêmes des
timbres de chansons en langue vulgaire, et que le peuple connaissait
mieux leurs paroles profanes que leur texte latin primitif. On en était
même arrivé, au xv* siècle, à désigner les messes sous le titre de la chanson
qui leur avait emprunté leur thème (i). Afin de remédier à cet état de
choses profondément irrévérencieux pour la majesté du culte, le pape
Pie IV enjoignit à Palestrina, alors maître de chapelle à Sainte-Marie-
Majeure, de composer des messes sur des thèmes originaux, ou tout
au moins extraits du chant grégorien pur.
Le premier résultat connu de ce mouvement artistique fut la messe
dite du Pape Maîxel.
Quoi qu'il en soit, avant comme après la réforme palestrinienne, la
seule apparence de forme musicale qu'on rencontre dans les parties de
contrepoint des messes, c'est l'usage assez fréquent d'une sorte de des-
sin dominant qui reparaît dans les différents morceaux de l'œuvre.
Cependant le compositeur, renfermé dans les limites du texte sacré,
est sans cesse arrêté dans ses élans dramatiques par une sorte de senti-
ment de respect qui l'empêche de se donner libre carrière.
Il n'en est plus ainsi dans les pièces libres, lesquelles, pour la mu-
sique religieuse, se résument en une seule forme, le fnotet, que nous
allons étudier spécialement.
(i) L'un des timbres les plus célèbres fut celui de la chanson: l'Homme armé, dont les
paroles licencieuses étaient dans toutes les mémoires. Ce timbre fut employé par un grand
nombre de compositeurs de messes. On trouve aussi des messes intitulées : L'amour de moy,
Quant j'ay au corps, Bayse-moy ma mye, etc.
LE MOTET
>47
FORME DU MOTET
Au point de vue de l'évolution historique des formes musicales, le
rôle du motet est de première importance.
Cette forme, éminemment expressive, a donné naissance, non seule-
ment à celle du répons^ qui en est peu différente, mais encore à la plu-
part des formes polyphoniques profanes, et, plus tard, à la forme
fugue, première manifestation de Tart symphonique dans la troisième
époque de notre histoire musicale.
Le motet n'est pas astreint à un plan déterminé dans sa construction ;
il n'a pas de forme synthétique fixe, celle-ci y étant essentiellement
subordonnée à l'expression du texte.
Le texte du juotet consiste en une citation, ordinairement assez courte,
de paroles latines tirées d'un office ou d'une pièce connue.
Quant à la musique du motet, qu'elle soit la paraphrase d'un thème
grégorien ou la manifestation d'un art plus personnel, elle n'en procède
pas moins, en principe, de la belle monodie médiévale, à laquelle le
compositeur vient ajouter l'eff'et de sa propre émotion, par l'emploi de
l'accent expressif et l'ornementation de la période mélodique.
Le principe musical du motet est celui-ci :
A chaque phrase du texte Vinévâire pr^ésejitant un sens complet corres-
pond une phî'ase musicale, qui s'adapte exactement à ce texte, et se déve-
loppe sur elle-même Jusqu'à ce que toutes les parties récitantes l'aient
exposée à leur tour.
L'exemple suivant montre la genèse de la phrase musicale dans un
motet de Palestrina :
Superius
AUus
Ténor I
Ténor II
fiassus
S
<;. . . .
. .
. Phrase complète
VS période
2£ période
<A
1«B
1
P^î :r r r
=t
f r r- p r r
Cce_ nan . ti_bus il „ lis, ac-ce\, pit Je - sus
rr ir=
^m
jii.'j I j j
Cœ _ nan
ti.bus il
lis, ac _ cé-pit Je.sus
f \n ^
Coe - nân
ti - bus
14^
LE MOTET
pa
nem; ac _ ce.pit Je.sus pa
Ili
nem,
ce - pit Je
sus pa
. netOf
On peut voir qu'à l'exception de Y ornement Jinal^ légèrement différent
dans les diverses expositions, la phrase musicale, traduction expressive
du texte, reste partout identique à elle-même ; bien plus, chaque mot,
s'iPse présente plusieurs fois, reste affecté du même contour mélodique
qui lui avait été primitivement assigné.
Il n'y a donc, dans cette forme d'art, aucune partie de remplissage,
romme on en rencontre dans les choeurs d'écriture harmonique ; toutes
LE MOTET
'49
les voix sont égales devant la mélodie, et se meuvent librement dans
l'espace, sans dépendre ni de la ^asse, comme au xvii«^ siècle, ni de la
partie supérieure, comme dans l'opéra italien.
La phrase de l'exemple précédent nous montre une exposition simple,
dans laquelle chaque voix expose soit le thème, soit une réponse tonale
à ce thème (voir l'entrée des parties d'alto et de basse), principe que
nous retrouverons dans la fugue.
Parfois aussi, surtout dans la deuxième période de l'histoire du motet,
on trouve, en même temps que le thème et sur les mêmes paroles, une
sorte de dessin accompagnant que les contrapontistes appelaient cornes
(compagnon).
Ce dessin, ou contre-sujet, suit les évolutions du thème, tout en res-
pectant l'accentuation expressive du texte.
Une exposition de cette espèce était qualifiée de duplex (double). Telle
est la phrase ci-dessous, tirée du beau motet de Vitoria : Duo seraphim
clamabant :
tus, Sanc
lus.
LE MOTET
ba _ oih
P^
"»rB"
yr r r
^
^:?^
- ba _ oth, Dô
mi.nus Dt
rs
p^t^
etc.
T^=r=^
ba
oth. Dô
Do -
Chaque fois que le texte présente de nouvelles paroles, une phrase
musicale nouvelle s'établit, et se répercute, comme la première, dans
toutes les parties vocales, ainsi qu'on peut le voir dans l'exemple pré-
cédent, aux mots : Domimis Deus sabaoth.
Tout le principe essentiellement dramatique de la composition du
motet réside dans cette adaptation rigoureuse de la musique aux expres-
sions du texte, et même aux divisions imposées par la forme gramma-
ticale de chaque phrase littéraire.
CONSTITUTION DE LA PHRASE DANS LE MOTET
Dans l'écriture du motet, le yythme est libre et généralement contrarié
entre les parties, sans aucune préoccupation de mesure, ni surtout
d'accentuation sur les temps correspondants de deux ou de plusieurs
mesures consécutives.
La mélodie y procède directement des formes de la cantilène mo-
nodique dans ses divers états : on trouve en effet dans le motet, et
souvent au cours de la même phrase, certains passages exposés simul-
tanément par les parties en forme purement syllabique, comme les
monodies primitives; d'autres, plus varié» et de forme plus agogique,
empruntés au genre ornemental ; ce sont les plus fréquents, et il s'y
mêle parfois de véritables recherches symboliques, reconnaissables, par
exemple, à la même forme plastique reproduite intentionnellement dans
la mélodie, sur des mots de même signification ; enfin, certaines expo-
sitions affectent une allure tout à fait populaire, soit par leur forme, soit
par le caractère de leur thème.
Quant à Vharmonie à\i motet, elle est basée, nous l'avons vu, sur la
polyphonie, et résulte uniquement delà marche combinée des mélodies.
Parfois cependant, les voix se réunissent en un mouvement simultané
LE MOTET i5i
qui, sans jamais bannir la mélodie, forme vraiment une agrégation
harmonique ; ces successions sont d'ordinaire de courte durée, et n'en-
travent consëquemment jamais l'indépendance des lignes mélodiques
générales.
Uiinité tonale est toujours respectée dans le motet, mais la cadence
terminale s'établit indistinctement soit à la tonique, soit à la dominante^
dernier vestige des modes graves ou aigus du plain-chant.
L'emploi de la modulation comme moyen expressif y est relativement
rare.
Enfin, ce qui contribue puissamment à faire du motet une forme
éminemment artistique, c'est la parfaite proportion et l'harmonieux
équilibre qui régnent toujours entre les divers fragments qui le com-
posent, comme on pourra s'en convaincre par les analyses qui terminent
ce chapitre (pages i56, i63, 169, 173).
Cette proportion et cet équilibre que nous trouvons déjà établis dans
le motet, malgré son origine d'ordre dramatique, deviendront, nous le
verrons plus tard, les règles absolues de toute composition sympho-
nique.
FORME DU RÉPONS
Le répons n'est qu'une variante abrégée du motet offrant la particu-
larité d'être toujours divisé en deux parties, savoir: 1° le re/'o;/5 pro-
prement dit, qui se termine le plus souvent par une prière ; 2*' le ver-
set, court fragment, généralement de moindre intérêt, à la suite duquel
on répète, pour finir, la phrase terminale de la première partie, ou
prière.
Le répons n'est jamais isolé; il procède toiijours par groupe de trois
sur un même sujet, division que l'on peut tout naturellement rapporter
à la forme picturale connue sous la dénomination de triptyque.
Tous les répons d'un même groupe, ou, si l'on veut, d'un même
tf^iptj^que.) sont écrits dans la même tonalité, et suivent presque toujours
une marche tonale identique.
En dehors de ces quelques détails, la construction du répons n'est
aucunement différente de celle du motet. (A'oir les exemples analysés,
pages i65 et 171 .)
HISTOIRE DES FORMES POLYPHONIQUES PRIMITIVES
LES DÉCHANTEURS ET LES THÉORICIENS
L'apparition des premiers motets dignes de ce nom fut précédée
d'une assez longue période d'incubation. Cette forme si parfaite ne
i53 LE MOTET
pouvait point éclore et se développer sans une série de travaux prépa-
ratoires et d'essais plus ou moins heureux.
Toutefois, les œuvres et les traités théoriques qui contribuèrent à
l'avènement du motet n'ont pas encore été mis en lumière, sauf d'assez
rares exceptions. Quant aux noms des maîtres (déchanteurs ou théori-
ciens) auxquels revient le mérite d'avoir créé et codifié le bel art du
contrepoint vocal, ils sont encore moins connus. Il importe pourtant
de ne les point ignorer; aussi rappellerons-nous ici, brièvement, les
principaux :
DÈCHAN1EURS
Pérotin ou Magister Pct^otinus magnus^ qui fut maître de chapelle à
Notre-Dame de Paris au xii^ siècle.
Francon l'aîné, ou Francon de Paris, également maître de chœur
à Notr^e-Dame vers la fin du xn* siècle.
Francon de Cologne, prieur de l'abbaye des Bénédictins de Cologne
en 1 190 et à peu près contemporain du précédent, célèbre par
ses écrits sur la réglementation de la musique proportionnelle.
THÉORICIENS
Franco-flamands :
Jérôme de Moravie, Dominicain au couvent de h rue Saint-Jacques,
à Paris, en 1260.
Philippe de Vitry, né vers i2 3o, mort évêque de Meaux en i3i6,
paraît avoir été le premier à introduire le terme Contra punctus
à la place de Discantus.
Jean de Mûris vécut dans la première moitié du xiv' siècle ; il est
l'auteur d'un des plus vastes et des plus anciens traités de mu-
sique : le Spéculum musicœ, ouvrage divisé en 7 livres compre-
nant chacun un grand nombre de chapitres: i" livre : Généralités
(76 chap.); 2® livre : Les intervalles {i23 chap.); 3" livre: Les
proportions (56 chap.); 4* livre: Consonnance et dissonnance
(5i chap.); 6« livre: La musique des anciens, d'après Boëce
(62 chap.); 6® livre : Les modes ecclésiastiques (11 3 chap.);
7« livre: La musique proportionnelle et le déchant (46 chap.).
Voir ci-dessus p. 144.
Jean Tinctor ou Jean de Waein'ere (1446 f i5ii), chanoine de
Nivelles, auteur du plus ancien dictionnaire de musique connu
(1475), et d'une messe sur la chanson de VHomme armé.
Anglais :
"Walter Odington, bénédictin anglais, mort après i3i6.
Simon Tunstede ou Dunstede, maître de chœur du couvent des
Franciscains d'Oxford, mort en 1369.
LE MOTET i53
Jean Hothby ou Fra Ottobi, maître de chant au couvent des Car-
mélites de Lucques, de 14G7 à i486, mort à Londres en 1487.
Allemands :
Sebald He'yden (1498 -î" i56i), recteur de l'école de Saint-Sebald à
Nuremberg.
Glaréan ou Heinrich Loris de Claris (i488-i- i 563) ; bien connu par
son Dodekachordon (1547), traité des modes ecclésiastiques,
au cours duquel il cite de nombreux exemples des maîtres
du contrepoint de son époque.
Italieyis :
Marchettus de Padoue vécut au commencement du xiv* siècle.
Franchino Gafori ou Franchinus Gafurius (145 1 -J- i522), maître de
chœur du Duomo de Milan et premier maître de chapelle du
duc Ludovic Sforza en 1484. (Voir ci-dessus p. 144.)
CiosEFFO Zarlino (i5i7 i* 1^90), franciscain et maître de chapelle
de Saint-Marc à Venise. (Voir le chapitre de l'Histoire des
théories harmoniques, page 134.)
HISTOIRE DU MOTLT
L'art du motet, comme celui du déchant, paraît avoir pris naissance
en Flandre et dans le nord de la France, vers le xv* siècle ; on le retrouve
un peu plus tard en Italie, avec l'admirable école palestrinienne, dont la
puissante floraison s'étend jusqu'en Espagne au milieu du xvi* siècle.
A la fin de ce même siècle, l'art du motet passe, par Venise, en Alle-
magne, où il disparaît bientôt pour faire place aux formes sympho-
niques (i ).
Cet art, venu du Nord, semble donc y être retourné pour y mourir,
après avoir atteint une rapide et absolue perfection dans les contrées
méridionales; aussi peut-on diviser l'histoire du motet en trois pé-
riodes distinctes qui correspondent à la fois' à ses émigrations et aux
évolutions de sa forme; nous les nommerons:
i" Période franco-flamande;
2" Période italo-espagnole ;
3" Période italo-allemande.
(i) Au wii* siècle, le nom de motet fut appliqué à un genre de composition qui lient le
milieu entre la cantate et l'oratoi io, mais qui n'a plus aucun rapport avec le motet propre-
ment dit.
i54
LE MOTET
PÉRIODE FRANCO-FLAMANDE (l)
Guillaume Dufay . .
Jakob Hobrecht .
Jan de Okeghem . .
JOSQUIN DePRÈS . . .
Heinrich Isaak .
Jean Mouton ....
Jean Richafort . . .
Claudin de Sermizy
Heinrich Finck .
Jakob Clemens non papa
LuDWiG Senfl . . .
Claude Goudimel . .
1400 f
1474
1480 i
[5o6
1430 1
495
1450 f
521
1450 -{"
i5..
14.. ■[
522
14.. t
[547
14 •• t
5..
14.. t
[5..
1475 1
567
1492 t I
555
i5o5 t 1
572
Guillaume Dufay, flamand, fut chanteur de la chapelle pontificale
en 1428, puis maître de chapelle du duc de Bourgogne Philippe le Bon
en 1437; il mourut en 1474, chanoine de Cambrai. Il fut l'un des
principaux réformateurs de l'écriture musicale.
Jakob Hobrecht ou Obrecht, né à Utrecht, où il fut maître de cha-
pelle en 1465, et d'où il passa en 1492 à la cathédrale d'Anvers, On
connaît de lui douze messes et un grand nombre de motets. Hobrecht
fut, dit-on, le maître de musique d'Erasme de Rotterdam.
Jan de Okeghem, néerlandais, probablement élève de Dufay vers
1450, premier chapelain et compositeur du roi Charles VH de France
en 1454, vécut constamment à Paris, et fut même chargé de plu-
sieurs missions diplomatiques. Il écrivit au moins dix-sept messes
et sept motets, plus un Deo gratias à trente-six voix (à neuf canons).
On a attribué à Okeghem l'invention ou du moins la régularisation
du canon.
Josquin Deprès, flamand, surnommé par ses contemporains le
« prince de la musique », fut élève d'Okeghem, et vécut longtemps à
Rome et en Italie. Ses principales œuvres sont trente-deux messes
imprimées de i 5o5 à i 5 1 6 et un certain nombre de motets, parmi lesquels
les suivants méritent principalement d'être étudiés.
(1) Ce cours de composition n'étant pas un livre d'érudition historique, l'auteur n'a en-
tendu citer dans chaque genre que les noms des compositeurs les plus importants, ceux
seulement qu'il n'est pas permis d'ignorer, renvoyant pour le surplus aux ouvrages qui
traitent spécialement des questions historiques.
LE MOTET ib5
a) Ave Chrîste îmmolate (Anthologie des Maîtres religieux, vol. I,
p. 41), en deux parties, à quatre voix.
b) Ave veriim corpus (Anthol. vol. II, p. 61), à deux et trois voix.
Le deuxième verset est la reproduction du premier, avec adjonction
d'une troisième partie mcModique.
c) Miserere tnei Deus, psaume à cinq voix, en trois parties (Anthol.
vol. I, p. I 22).
Ce psaume est particulièrement à étudier en ce qu'il offre une preuve
convaincante de l'emploi de la résonnance harmonique inférieure appli-
quée à la gamme.
Les trois parties sont régies par un thème unique, le cantus Jîrmus :
Mi- se- re- re mc-i De- us.
Ce thème est perpétuellement confié à la cinquième voix, quintus ou
V agan s {i), qui l'expose après chaque verset, sur un degré différent de
la gamme.
Dans la première partie du psaume, composée de huit versets, les
expositions successives du cautus Jinnus se font en descendant, sur tous
les degrés de la gamme mineure, telle qu'elle résulte de la résonnance
inférieure, en partant delà noxt prime aiguë. (V. chapitre vi, p. loi.)
12345678
'^-{Ù)x^^:,
Dans la seconde partie, en huit versets également, le vagans parcourt
en montant les huit degrés de la même gamme :
7 8
Enfin, dans la troisième partie, composée seulement de cinq versets,
le vagans redescend par les mêmes degrés qu'au début, mais il s'arrête
au cinquième, c'est-à-dire à la tonique:
^■^
^^^^Eim
(i) La ciiiquième voix prenait la dénomination de vagaus (voix errante), parce qu'elle
était écrite tantôt au soprano, tantôt à l'alto, au ténor ou à la basse. Le cahier de la voix
de quintus errait donc litteralenacnt d'une partie à l'autre, suivant la pièce interprétée, d'où
le nom de vagans.
iS6
LE MOTET
d) Ave Maria gratîa plena (Anthol. vol. I, p. 92), motet à quatre
voix dont nous donnons ci-dessous l'analyse complète.
Ce motet, d'un style très pur directement issu du chant grégorien,
peut se diviser en trois parties. La construction en est édifiée de telle
sorte que chacune de ces trois parties, sans éveiller aucune idée de
symétrie, est cependant corrélative des deux autres, et forme avec elles
un triptyque du plus harmonieux effet.
Voici, d'après le texte, la disposition de l'ossature mélodique qui
comprend sejp? phrases :
Ave Maria,
Gratia plena,
Dominus tecum,
Virgo serena.
Ave cœlorum domina,
Maria plena gratia,
Cœlestia, terrestria.
Mundum replens lae-
[titia.
!• phrase
(ternaire)
2* phrase
(ternaire)
3* phrase
(binaire)
Ave cujus Nativitas \
Nostra fuit solemnilas, /
Ut lucifer, lux oriens )
Verum solem praeve- \
[niens. ;
Ave pia humilitas, \
Sine viro fecunditas, ( 4* r'^''^*^
Avepraclaraomnibus\ g. p^^^,^
Angelicis virtutibus, /
Cujus fuit Assutnptio l (ternaire)
Nostra glorificatio. /
Cujus Annuntiatio
Nostra fuit salvatio.
Ave vera virginitas,
Immaculata castitas,
Cujus Purificatio
Nostra fuit purgatio.
i (ternaire)
\5* phrase
/ (ternaire)
[point culminant
/de la pièce
O Mater Dei,
^îemento met.
Amen(l).
) 7* phrase
> (bimire)
'Invocation
r«pér..
_j 2î pér.
' I rf phrase:!^ J ^> [^ ^
('• r 'J J
A - ve
Ma
_j IT pér. (bis).
^ra _ ti - a
j Zl pér..
TtT\'^Qf-^ I- f r r :i
i^
pie -
- na,
.ornement final.
Do - mLnus te
cum,
Vir _ go se .
â
LT ^ ^ U \
p f r r
; <■>
r." pér.
^ - {' {' f 'r r r' PC ^g
2'î'' phrase:
2Spér.-
A . ve cœ . lo _ rum Do
_j 35 pér.
mi - na,
^^
- ^ '^ r '(' r^
Ma . ri - a pie . na gra.ti _ a,
cœ. les _ ti
a, ter. res.tri .
.ornement.
^fe^£j±-fa:j:i; r f Fr^
zvr^
a, niun
Awn re . plens \is
ti . a.
M) Salut, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, Vierge sereine.
Salut, reinedes cieux, Mar.e pleine de grâce, qui remplis dejoie le ciel, la terre, le monde entier
Salut, celle dont la Nativité fut notre solennité, lumière précédant le soleil comme l'étoile
du matin.
Salut, pieuse humilité, fécondité sans tache, dont l'Annonciation fut notre rédemption.
Salut, vraie virginité, chasteté immaculée, dont la Purification fut notre absolution.
Salut, brillante de-toutes les vertus angéliques, dont l'Assomption fut notre glorification.
O Mère de Dieu, souviens-toi de moi. Ainsi soit-il.
LE MOTET
«37
11" pér.
3'S"phrasf.|~jjC j f^' f ^
-^ lC«ppr.(bis)
ve eu - jus
Na - ti
ut Lu-ci-fer lux o . ri - ens, ve.rum So.lem prœ ve . ni . ens.
11* per.
_^ 11« pér. (bis)_
'r^^^^^'^^^^M^T i r f'-f"'^ ° I (' ^^^
A _ ve pi _ a hu.mi _ li . tas, Si _ ne vi _ ro
_^ 2: pér
I, ^ r '' " If r rT^'^ ^ J j- Jji
fe-cuîi . di _ tas, eu- jusÀn.nun
3! pér ornemeni final.
ti . a . ti
r a "pc
r r ir r ^r rin' r '"'
nos - tra fu . it sal - va
11" pér..
ti _ o.
S-^/phrasr:^^^
J J J M ^
A - ve ve . ra
s^^^
^
ll^'-r- (bjs)_
vir . ^1
2î pér.-
ni _ tas,
g^'-M J ^ f J I J^f—^^^^ i
im - ma- eu - la . ta cas . ti - tas, eu - jus Pu . ri . fi
^ 3: pér
r ^,^vt=^i w r
p .{' r
- ca - ti _ o nos _ tra fu _ it pur.ga . ti _ o.
11? pér _,
/F^i;^^^^-f r i- rr^ ^ r ^J
11* pér. (bis).
ve prre . cla
ni _ bus
^ 25 pér
rr i- tj^^=f^^m
^
ti an . ge . li . cis
a.
vir - fu
3î pér.
ti - bus,
eu . jui fu _
'^
:t~c£"
T :('• ^f r m
it Àssumpti . o
v: [MT.
7 1"' phrase
Ê
nos.tra glo - ri . fi - ca . ti . o.
^ 2îpér ,
7—77
I» i.o
O Ma-lcr De - 1,
mémento me . i. A - men.
i58
LE MOTET
Chacune des parties correspond, nous l'avons dit, aux autres, non
seulement par la construction, mais encore par le procédé employé dans
l'exposition de ses phrases mélodiques.
Chaque partie de ce motet commence en effet par des entrées succes-
sives des voix, soit individuellement, soit deux à deux, l'une étant
employée comme contre-sujet.
A la fin de la première phrase de chaque division du motet, les voix
se réunissent sur la cadence; dans la dernière phrase, au contraire, elles
se font entendre chaque fois sous forme d'agrégation harmonique, et
cette forme contribue puissamment à Teffet si varié que produit cette
belle pièce.
Nous citons ici les deux passages harmoniques qui terminent les
deux premières parties, passages absolument remarquables par le rôle
tout spécialement mélodique et expressif que joue la voix de ténor.
Sup/
Alt.
Ten.
Bass.
2°!'^ phrase (3S pér.)
m
F^
les - ti
res _ tri
^
coj . les
ter . res
tri
^
f iff f
â^
cœ_ les . ti
CCS - les . ti
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res-tri . a,
ter . res .. tri
mun - dum
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ti.a, lœ.
LE MOTET
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ta cas . ti . tas, Cu . jus Pu - ri - fi . ca
J Tir rif f
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la - ta cas . ti . tas, Cu . jus
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rai lent.
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ca . ti
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it pur .
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^
, fi . o Nos. tra
fu-it pur - I ga.ti
#1
, o Nos . tra fu . it pu; . ga.ti
i6o LE MOTET
Heinrich Isaak, en italien Arrhighis^ ou Arrhigo Tedesco^ néerlan-
dais, contemporain de Josquin, fut organiste à la cour de Laurent de
Médicis, de 1477 à 1489, puis chef des « symphonistes » de l'empereur
Maximilien I". On connaît de cet auteur environ vingt messes et plu-
sieurs livres de motets.
Jean Mouton, né aux environs de Metz, étudia sous Josquin et fut
maître de Willaert, le célèbre compositeur de madrigaux. Il fit partie
de la chapelle de Louis XII et de François I*"", et mourut à Saint-
Quentin. Son style a grand rapport avec celui de Josquin Deprès, et
l'on a parfois attribué à l'un des œuvres de l'autre. Il écrivit neuf
messes et une quarantaine de motets ; les plus connues de ces œuvres
sont : la messe « Dittes-moy toutes vos pensées », celle intitulée Sme
cadentia, et le motet Nesciens mater^ quadruple canon à huit voix.
Jean Richafort, également élève de Josquin et maître de chapelle à
Bruges, de 1548 à 1647, est l'auteur, entre autres choses, du motet :
Chris tus resuy^gens ex lîwrtuis, a quatre voix, en deux parties (Anthol.
vol.II, p. 35).
Claudin de Sermizy, français, maître de chapelle de François I" et
Henri II, de i53o à i56o.
Heinrich Finck, allemand, fut au service des rois de Pologne, de
1492 à i5o6. On ne connaît encore que peu d'œuvres de ce compo-
siteur.
Jakob Clemens non papa, néerlandais, maître de chapelle de Charles-
Quint, dont nous citerons les motets : Tu es Petrus (Anthol. vol. I,
p. 7) et Eî^ravi sicut ovis {ibid. vol. II, p. 10), divisés en deux parties
l'un et l'autre.
LuDwiG Senfl, né aux environs de Bâle, succéda à son maître
Isaak comme maître de chapelle de la cour de Vienne, et mourut à
Munich en i555 ; dans la bibliothèque de cette ville sont conservées la
plupart de ses œuvres encore manuscrites.
Claude Goudimel, français, né à Besançon, arriva dès i535 à Rome
où il devint le fondateur, de l'école romaine qu'illustrèrent ses élèves
Palestrina, Animuccia, Nanini et tant d'autres.
Goudimel est surtout connu par son œuvre la moins importante, la
réalisation en chorals des psaumes calvinistes de Clément Marot et
Th. de Bèze(i566), travail qui fut peut-être la cause de sa mort, car il
fut tué à Lyon en 1572, parce qu'on le croyait huguenot.
LE MOTET i6l
Ses messes et motets reposent encore, manuscrits en grande partie,
dans les archives du Vatican et de Santa Maria in Vaticella, à Rome.
11 écrivait le plus souvent à cinq voix.
PÉRIODE ITALO-ESPAGNOLE
Italiens
COSTANZO FeSTA I4.. f 1645
Giovanni Animuccia i5.. •{• iSyi
Andréa Gabrieli . i5iof i586
Giovanni Pierluigi da Palestrina . . i5i5 -i* 1^94
Giovanni Maria Nanini 1645 f 1607
Espagnols
Cristofano Morales 1490 f i553
Francisco Guerrero i528 f 1B99
TOMASO LUDOVICO DA VlTORIA .... I 540 f 1 6o8
Flamand
Roland de Lassus i53o f 1594
Avec cette seconde période, nous sommes en pleine floraison du
motet; l'écriture s'épure, la forme s'élargit, le style devient plus noble
et plus élevé, sinon plus expressif.
CosTANZo Festa, engagé en i5i7 comme chanteur de la chapelle
pontificale, paraît avoir été le véritable précurseur des grands maîtres
de cette période, celui qui opéra la fusion entre la gravité flamande et
la grâce italienne. On a conservé de lui un certain nombre de motets
à trois et quatre voix, et un Te Deum qui est encore au répertoire de la
Chapelle Sixtine.
Giovanni Animuccia, maître de chapelle de Saint-Pierre de Rome
avant Palestrina, puis du Vatican, en i555, est moins connu pour
ses recueils de messes et de motets que par la création de Vora-
torio, qui lui est, peut-être un peu à tort, attribuée. Nous le retrou-
verons lorsque nous traiterons de ce genre, dans la troisième partie
de cet ouvrage.
Andréa Gabrieli, vénitien, élève de Willaert et attaché à la chapelle
de Saint-Marc, de i536 à i566, publia des motets sous les titres de :
Sacrœ cantioncs (i565), à cinq voix, Cantiones ecclesiasticœ (1576),
à quatre voix, Cantiones sacrje[\b']^)^ de six à seize voix.
COURS DE COMPOSITION. Il
lôa LE MOTET
Voir le motet Sacerdos et Pontifex (Anthol., vol. I, p. i88), con-
stitué en trois grandes périodes ou phrases,
Sacerdos et Pontifex
Et virtutum opifex,
Pastor bone in populo,
avec une invocation terminale,
Ora pro nobis Dominum,
qui offre cette particularité, peu commune alors, d'un développement
agogique du thème par diminution.
Giovanni Pierluigi (nommé aussi Gianetto), né à Palestrina, et
universellement connu sous le nom de son lieu de naissance, fut appelé
à l'âge de trente-cinq ans au poste de maître de chapelle de Saint-
Pierre de Rome, puis admis par le pape Marcel II au nombre des
chanteurs de la chapelle pontificale; mais cet emploi, exclusivement
résen'^é aux ecclésiastiques, lui fut, en raison de son mariage, retiré
par Paul IV. Palestrina devint alors, en i555, maître de la chapelle de
Saint-Jean de Latran, pour laquelle il composa les célèbres Impf^operia
(i56o), revendiqués par le pape Pie IV comme propriété de sa chapelle
privée, et exécutés chaque année à la Sixtine, le Vendredi saint. En
i56i, Palestrina passa à la basilique de Sainte-Marie-Majeure, oij il
resta dix ans. Lors de la décision du concile de Trente au sujet de la
musique d'église, Palestrina fut chargé de présider à cette réforme, et
sauva par son génie le style polyphonique, qui risquait d'être banni
de l'église. Il fut, à ce propos, nommé compositeur de la chapelle
papale, position qu'il conserva jusqu'à sa mort. La revision du chant
grégorien, longtemps attribuée à Palestrina, fut en réalité opérée par
son élève Guidetti, et fort imparfaitement mise en lumière par son fils
Hyginius.
Ses œuvres principales sont, outre les Impr^opena^ près d'une centaine
de messes, parmi lesquelles la célèbre Messe du pape Marcel (iSôy),
cent trente-neuf motets de quatre à douze voix, trois livres de
Magnificat, et le Stabat Mater à deux chœurs, l'une de ses œuvres
les plus connues.
Comme modèles du motet palestrinien on peut citer :
a) Assumpta est {Anthol., vol. II, p. 63), dont la seconde partie,
Quœ est ista, est en parfaite concordance de construction avec la
première.
b) Peccantem me quotidie, à cinq voix (Anthol., vol. I, p. 4), dont
nous donnons ici Tanalyse.
LE MOTET i63
Ce motet peut se diviser en trois parties,
I Peccantem me quotidie
/ par le | et non me pœnitentem,
2" partie Timor mortis conturbat me,
/ Quia in inferno
" \ nulla est redemptio,
suivies d'une invocation :
Miserere mei, Deus, et salva me (r).
La première et la troisième partie constituent chacune une phrase
mélodique à deux périodes procédant par entrées successives très ser-
rées, tandis que la seconde s'expose en un solennel et mystérieux
groupement harmonique.
Voici la ligne mélodique générale de toute la pièce :
1'-" phrase
lL«per..
i ■ o -U^ ^^ ^ r ni- r
Pec _ can - tem me quo.ti . di
2î:pér.
3É
et
r r r r i^^^
me pœ _ ni
ten
:é^
22 phrase
(harmonique)
3- phrase
fi ^J ^J
Ti _ mor
11®pe'r. _
mûr . tis
Qui
^^
fer
I
2::pp'r..
^^
con - tur _ bat me,
nul - la est re - demp
Quant à l'invocation finale, après une grave exposition,
Mi- se- re- re me- i De- us.
elle s'épand anxieusement en insistantes prières,
(i) Péchant chaque )our et ne faisant point pénitence,
l.a terreur de la mort trouble mon âme,
Parce qu'en enfer il n'est point Je rédemption.
Ayez pitié de moi, Seigneur, et sauvez-moi.
i6 +
LE MOTET
Sup.
Alt.
Ten.I
Ten.II
m
et sal
F P*>
^Sp
- va me, et sal _ va me,
n { r I r n iint
et sal -va me.
sal -
me.
* r r r c^j-r
et sal
^
et sal-va me,
et sal
Bass. ^^
^^
^ r r r f
et sal. va me, et sal _ ya me,
pour s'épanouir enfin largement sur la cadence :
thème..
Sup.
et Alt.
Te'n. 1
Ten. II
et Bass. C
Le répons palestrinien affecte, nous Pavons dit, la même forme que
le motet quant à son exposition mélodique ; il n'en diffère que par la
durée, qui est plus brève, et par le verset, qui ramène la phrase termi-
nale du répons.
Nous citerons d'abord comme exemple le triptyque qui a pour sujet
l'agonie de Notre-Seigneur au Jardin des Oliviers (Anthol., vol. I, p. 25).
Les trois répons de ce triptyque offrent cette particularité qu'ils sont
bâtis autour d'une sorte de thème d'appel,
Vi- gi- la- te.
qui, présenté pour la première fois dans le verset du premier répons,
reparaît dans celui du second.
Ec-ce.
et devient, sur ce même mot, le sujet principal du troisième.
LE MOTET
i6!
Ces trois répons ont pour titres :
1. In monte Oliveti oravit ad Pair em;
2. Tristis est anima mea iisque ad mortem;
3. Ecce vidimus Eum non habentem speciem neque decorem.
Dans le premier, le thème principal est proposé en forme ascendante^
il devient descendant dans le second ; enfin, le dernier est une combi-
naison des deux formes précédentes. Comparer avec les formes trini-
taircs symboliques de certaines pièces grégoriennes. (V. chapitre iv,
page 71.)
Il faut lire aussi la trilogie de répons:
1. Sicîit ovîs ad occisionem ductiis est;
2. Jérusalem^ surge ;
3. Plange quasi virgo, pîebs mea (Anthol., vol. I, p. 58^
Cette belle œuvre est entièrement conçue dans la tonalité prove-
nant de la résonnance inférieure^ qui donne la gamme :
i
Dans le premier de ces répons, l'exposition est faite d'une façon
tout à fait régulière par un même thème présenté en forme descen-
dante et ascendante à la fois, symbole de la marche pénible vers le
lieu du supplice; voici la première phrase:
Pér. A
Sup.
Alt.
Ten.
Bass. -9^
*:
r ir r r
^
Sic . ut o _ vis ad oc_ ci - si . o
Pér. V Pér. B.
*£
Sic
^^
ut o - - vis ad oc_ ci _ si
Pér. A
Sic - ut
^m
o - VIS
Pér. V
ad
oc _ ci - SI - o - neœ duc - tus
est,
i66 LE MOTET
La deuxième phrase, dans laquelle les voix s'unissent en agrégation
harmonique, est transcrite dans toutes les éditions modernes
à Taide de syncopes, afin de ne point changer la mesure:
dum ma le tracta- re- tur, non a-pe-ru- it os su-um,
elle donne cependant un rythme ternaire très défini, symbolisant
les mauvais traitements dont la victime est abreuvée; ce rythme
redevient binaire et calme dès qu'il est question de la résignation
de la victime. Cette phrase devrait donc se transcrire ainsi :
Sopr.
Alt.
Tén.
Bass.
Les deux autres répons de cette même série nous initient à un moyen
expressif très employé plus tard dans les premières formes de l'opéra
italien (comme nous le verrons dans la troisième partie de cet
ouvrage), mais relativement rare au temps de Palestrina, dans la mu-
sique d'église: nous voulons parler du chromatique {i). Comme exemple
de l'évidente intention expressive qui guida le Prœnestin dans le
choix d'un genre aussi exceptionnel pour traduire les cris de douleur
dû peuple déplorant la mort du Sauveur, nous ne pouvons trouver
mieux que l'admirable exposition du répons Plange quasi virgo.
( I ) Les théoriciens du xvi* siècle reconnaissaient deux genres de chromatique, basés sur
les rapports harmon ques des sons : le grand et le petit chromatique.
On peut les discerner l'un de l'autre par le moyen suivant : dans le grand chromatique,
l'une des parties harmoniques procède par mouvement de ton entier.
Ex.
=^J ^ Il J rkJ
Dans le petit chromatique, au contraire, aucune des parties (la basse exceptée) ne doit
excéder le mouvement de demi-ton.
Ex.
LE MOTET
167
(Lfnt)
Sup.
Alt.
Te'n.
Fass.
Plan ge,
plan . ee qua
^^
^crrnz:
plebs me
a,
lu - la .te
pas .
# — P g # I»
^^^
3Ei
plebs me
W^
- a-,
lu -la
i '( I T r r "r
pas
^^
plebs me _
^
lu - la _ te
g
pas
^F=1F
plebs me _
lu. la
te
pas .
i=3f r \' r[ r r 1 r r^^^^;^
to _ res,
ci - li
Cl _ o .
■•[. f r I Hr r r r
*
^tm
i
to . res,
et ci - li
Cl _ o .
18^1^ iip ^r M r f V r I r r ^"^^
to _ res,
in Cl
et
ci . li
> r f J -i ir4^-P-f
i
^^^
_ to _ res,
et ci - li
GiovANN! Maria Nanini, élève de Palestrina, prit en 1571 la succes-
sion de son maître à la basilique de Sainte-iMarie-Majeure, et fut, dans
les premières années du xvii^ siècle, directeur de la chapelle pontificale;
il devint chef d'école et donna renseignement à nombre d'élèves, parmi
lesquels fut Allegri.
Nous citerons seulement de lui le motet, Hodie Christus natus est
(Anthol., vol. I, p. 17). C'est une pièce tout empreinte de joie popu-
laire avec ses interjections, i\oë ! Noë ! une forme allongée du motel
i68 LE MOTET
primitif, présentant de nombreux contours agogiques plus rapides que»
ceux que l'on rencontre chez les maîtres précédents.
Cristofano Morales, né à Séville, passa la plus grande partie de sa
vie à Rome, où il était chantre de la chapelle papale.
Francisco Guerrero, de Séville, élève du précédent, resta au contraire
dans sa ville natale, où il fut membre du Saint-Office et chantre de la
cathédrale.
Voir dans la publication des œuvres de Guerrero faite par M. Pedrell
(page 48), le motet Salve Regina^ où l'on peut remarquer de curieux
développements canoniques.
ToMASo LuDovico DA ViTORiA fut Hé d'amitié avec Palestrina. Né à
Avila, il arriva fort jeune à Rome et travailla sous la direction de
Morales; maître de chapelle du Collège germanique, il passa en iSyS
à l'église Saint-Apollinaire.
Ses principales œuvres sont trois livres de messes, dont le premier est
dédié au roi Philippe II (i583), et un grand nombre' de motets parmi
lesquels les célèbres répons connus sous le titre de Seîectisstmœ modula-
tioîies. Le génie de Vitoria ne le cède en rien à celui de son émule Pales-
trina ; il semble même parfois l'avoir surpassé, surtout au point de vue de
l'émotion expressive.
A étudier spécialement, les motets :
a) O magnum mj^sterium {Anthol.^ vol. I, p. i3), type absolument
parfait du motet de Vitoria, établi en cinq phrases dont une invocation
terminale. Alléluia.
b) Gaudent in cœlis (AnthoL, vol. I, p. 104), pièce jubilatoire avec
des intentions expressives réalisées par le changement de rythme.
c) Duo seraphim clamabant (Anthol., vol. II, p. 90), motet pour
quatre voix égales, en deux parties, séparées par un court mais très
expressif et symbolique exposé du mystère de la Trinité qui forme le
milieu du triptyque.
d) O vos omnes qui transitis per viam (Anthol., vol. I, p. 5o), l'une
des plus belles œuvres de Vitoria, motet à quatre voix qu'on pourrait
intituler un motet-répons., en raison de la reprise de la deuxième phrase,
et dont nous donnons ci-dessous l'analyse.
On peut diviser cette pièce en deux parties, avec reprise de la pre-
mière partie expressive, formant conclusion.
Chaque partie est constituée en deux phrases dont la seconde, plus
LE MOTET
169
particulièrement expressive, ne peut laisser indifférent aucun esprit doué
de sentiment artistique. Voici les paroles :
10 vos omnes qui transitis per viam,
attendite et videte
si est dolor similis sicut dolor meus.
( Attendite, universi populi,
2» partie | g^ videte dolorem meum.
Reprise : Si est dolor similis sicut dolor meus (i).
La musique, basée sur l'harmonie de résonnance inférieure, est con-
struite au moyen de deux thèmes, l'un liturgique, Tautre expressif. Nous
avons déjà rencontré le premier thème, grégorien par essence, dans Tal-
leluia Corona tribulationis (chap. iv, p. 69) ; il a, de plus, servi de
canevas à ungrand nombre de compositions tant religieuses que populai-
res, et fut en usage jusqu'au xvm'siècle, puisque J.-S. Bach le traita dans
l'une de ses pièces d'orgue [Caniona en ré mineur), ainsi que dans la
belle fugue en ré % mineur du Clavecin bien tempéré (liv. I, fugue 8 ).
Voici ce premier thème :
ES (2)
Le second de ces thèmes est un simple. accent expressif:
=^^^^^^^EJ^^^
t
sic-ut do-lor me-
mais cet accent est tellement caractéristique de la douleur que Vi-
toria n'hésite pas à l'employer dans d'autres pièces qui traitent du même
sujet, en sorte que cet accent devient dans son œuvre comme un timbre
affecté à l'expression douloureuse (3).
La première phrase de la première partie est divisée en trois
périodes :
!'■'•' pér. I 2* per. 1 3* pér.
^E^^^^E^^^^^^^=^^^;^^^^=nrf^'^=^^^^^
O vos cm- nés qui transitis per vi-am, attcndi- te et vi-de-tc :
(i) O vous qui passez sur la route, regardez et voyez s'il est une douleur semblable à ma
douleur. — Regardez, peuples de la terre, considérez ma douleur, et voyez s'il est une dou-
leur semblable à la mienne.
(3) M. Gabriel Fauré a fait de ce même thème le su)et d'un charmant Madrigal à quatre
VOIX. On rencontre aussi cette formule dans les Huguenots de Meyerbcer (le Couvre-feu,
3» acte).
(3) Voyez par exemple dans les Selectissimœ modulationes (Anthol., vol. 1, p. 147) le
deuxième répons du triptyque, Recessit pastor, écrit sur les mômes paroles que le motet
dont nous nous occupons, et presque avec la même musique. Dans Alccste, de Gluck, nous
retrouverons presque identiquement cet accent, qui caractérise chez l'auteur d'Orphée la
plainte pathétique. (Voir le troisième livre du présent ouvrage.)
170 LE MOTET
La deuxième phrase mérite d'être citée en entier :
ll« pér . ^ 2! per.
Sup.
Alt.
Te'n.
Bass.
=^
w
s:
Sj est do
lor si -
m^^^
11^ pér.
2! pér.
yi est do . lor si
rfpér . » 2£per.
ri^^^n'îT'Pf^m
m
^=r^-^ir^—r-^s^
Si est do _ lor si ,
IL*" pér. ^
. mi _ lis, si -
âËSEK
Ê
2»pér-
fi o-
Si est do _ lor do -
^ 3! pér
. lor
3!pér.
:_ ^ "^iJPE^
fT :r "^n^t^rr^M^-T^
, mi-lis
Sic _ ut do_lor me
3Êpér.
us, sic _ ut do-lor
3 pép.
^^^lf-M^^^^-^~^' F \ r : >
- mi_Iis
Sic - ut do.lor me
3! pér
us, Sic _ ut
3! pér
jBiWHir
gf-^-f^^f=R^
n=f^^^^
lis Sic - ut do.lor me
_ us, sic - ut do.lor
Sîpér
t^f-f-^^r
p
mi. lis
Sic _ ut do.lor
3! pér.
rs
?=?ff=B
i^ï
"W
me . us
Sic - ut do.lor me
^^^
. us.
0 \ m -F
Ifô-i'- T
È
^m
Qolor me
us, Sic . ut do.lor me
i^r-r errer
us
'^^P>r-i-r^ r *r> t
Sic - ut do.lor me
S
ÉEEEÉ
^^m-
^
es
^ — g*-
mc . . . us, Sic . ut do.lor me - .us
Il est difficile de rencontrer, même dans la musique moderne, un
LE MOTET
«71
effet plus poignant que celui de la lumineuse cadence majeure qui forme
le milieu de cette belle phrase.
La deuxième partie du motet est une sorte de court développement
des thèmes exposés dans la première, après quoi la pièce se termine par
la reprise de la superbe phrase médiane.
Quant aux répons de Vitoria, traités plus longuement que les répons
palestriniens, ils ne le cèdent en rien à ceux-ci au point de vue expressif.
Il suffira pour s'en convaincre de jeter les yeux sur le beau triptyque
qui retrace l'agonie et la mort du Sauveur.
Voir dans les Selectissimœ modulationes (Anthol., vol. I, p. 32), la
trilogie :
1 . Tanquam ad latronem ; (La marche au supplice.'
2. Te7îebî^œfactœ sunt ; {La mon.)
3. Animam meam dilectam, (La persécution.)
Nous donnerons seulement ici l'analyse du premier de ces répons.
Il est constitué en trois phrases très distinctes, basées sur l'harmonie
de résonnance inférieure ; voici leur schème mélodique :
r.^ pp'r.
ri^phrase
2-phraso
3- phrase
ad cru.ci .fi .gen
dum.
La dernière période de la troisième phrase présente une suite de cris
plaintifs du plus admirable effet :
17»
LE MOTET
Sup.
Alt.
Ten.
Bass.
w
Wf=f
*E
^=
f 0
^
ad cru.ci -, fi_ gen
^^
ad cru _ ci _ fi
^^^^--^
ad
^3
cru- ci _ fi -
J J ,1 f >-^-
_ dum, ad
ad cru-ci _ f i _ gen
r r'ï r - i
gen
dum,
If
Iffi
gen
^^
^M
dum, ad
^i
cru_ci-fi_gen -
£^
iiJM. f r^f rr' r^^
f p
cru_ci _ f i _ gen _
- dum,
m
^=
ad cru-ci _fi _ gen
dum.
dum.
r .rrr
^f=
dum,
ad
cru-ci_fi _ gen _
- dum.
tH - i n^^^
ad cru. ci -fi
gen .
. dum.
Le motet Iste sanctus (AnthoL, vol. I, p. i85) est un curieux
exemple de symbolisme. Après une suite de quatre phrases régulière-
ment exposées, le ténor entonne le cantus Jîrmus liturgique sur les
paroles :fundahis enim erat super Jirmam petram ; comme si l'auteur
avait voulu, par cette disposition, caractériser la ferme assise sur
laquelle s'appuie la force du martyr.
Roland de Lassus, flamand, né à Mons, passa la plus grande partie
de sa jeunesse en Italie. Il y devint l'un des chefs d'école les plus impor-
tants de cette époque où l'art du motet atteignit sa forme la plus par-
faite. Dès l'âge de quatorze ans, il passa en Sicile au service du vice-roi
Ferdinand de Gonzague, et obtint, jeune encore, la dignité de maître
de chapelle à la basilique de Saint-Jean de Latran, à Rome; en i556,
le duc Albert V de Bavière l'appela à Munich, où il resta jusqu'à sa
mort.
Lassus fut peut-être le compositeur le plus fécond qui ait existé, car
le nombre de ses oeuvres connues s'élève à près de deux mille.
Il écrivit environ soixante messes, cent Magnificat imprimés sous le
LE MOTET
173
titre de Jubilus beatœ Virginis^ et plus de douze cents motets [Can-
tiones sacrœ). Ses Psaumes de la pénitence [Psalmi Davidis pœniten-
tiales, 1584) furent aussi célèbres que les Improperia de Palestrina.
Son style, encore plus ému par moments que celui de Vitoria, confine
aux limites de l'expression dramatique. On pourra s'en rendre compte
par la lecture de l'un de ses plus beaux motets :
a) Nos qui sumus in hoc mundo (Anthol., vol. II, p. yS), dont nous
donnons ci-après l'analyse.
Le texte est une sorte de prose populaire :
Nos qui sumus in hoc mundo,
vitiorum in profundo,
jam passi naufragia ;
Gloriose Nicolae,
ad salutis portum trahe,
ubi pax et gloria (i).
Quant à la musique, elle est bâtie sur le timbre même de la prose
populaire :
i
^
a=t:
^
Glo- ri- o- se Ni- co- la- e,
ce qui donne au motet une grande unité de conception.
La pièce peut se diviser en trois parties. La première, qui comprend
tout le premier tercet, est par cela même coupée en trois phrases ; dans
l'exposition initiale, le thème populaire revêt un caractère éminemment
expressif :
Sup.
Ail.
Ten.
Bass.
C^i
i
W
m
Nos
f fj
m
^^î=»— ^— é^
^ef
^
=±:
qui su . mas m
1 •—
hoc mun.do,
1— *"
Nos
F-f — r-U-'
Nos
qui su
Nos
(i) Nous qui sommes en ce bas monde, et qui avons subi tant de naufrages dans les abî-
mes du vice, ô glorieux saint Nicolas, conduis-nous au port du salut, où nous trouverons la
paix et la gloire.
^74
LE MOTET
hoc mun
n-^ J ,) ^
Nos qui
qui su - mus,
qui su . mus
m^
s^
i
' ! ^ JJ
m
r
-hoc mun
do.
K< i J--
T f
rr iiiur^-
do.
Nos qui su
m.
m
=^^
ttr — r^
hoc mun _ do.
f m f m m
^^
S-^"' ^ u
hoc mun. do.
Le deuxième tercet donne deux phrases très distinctes ; d'abord
rinvocation à saint Nicolas, le timbre lui-même, en agrégation harmo-
nique, sur un rythme ternaire bien marqué :
apr.
Alt,
T
Bass
en. '
9 O-i-
T-n-
Glori- o-se,
^.
m.
glori-o-se ' Ni-co- la-e,
B-,P-,
:^^^
■~T
Ni-co- la-e.
ii:^^ËÊ^î^^
mm
ad sa- lutis,
-§- #u
mi^
ad salu-tis
^m
Enfin, après les angoisses de la première partie et Tinvocation hale-
tante et cadencée, le motet se termine sur une dernière phrase d'es-
pérance, pleine de sérénité calme et lumineuse.
LE MOTET 175
Lire aussi les motets :
b) Puh'is et ujnbra sinnus (Anthol., vol. I, p. i52), dont l'expression
inquiète est due au mouvement incessant et très ornemental des
parties vocales ;
c) Timor et tremor, à six voix (Anthol., vol. II, p. 26). Ici, les
deux parties offrent un parfait équilibre de construction ; la première
consiste en une prière encadrée entre une exposition et une conclusion
explétive :
, ( Timor et tremor venerunt super me,
ire phrase : \ ,. ... '^
( et caligo cecidit super me,
2^ phrase : Miserere mei, Domine,
3' phrase : quoniam in te confidit anima mea.
Dans la seconde, la phrase explétive est encadrée entre deux prières :
ire phrase : Exaudi, Deus, deprecationem meam,
( quia refugium meum es tu
2^ phrase: l \ ,. ^ "^ ^ .
^ \ et adjutor lortis.
3* phrase : Domine, invocavi te, non confundar (i).
On pourrait presque considérer ce motet comme le point de départ
de la dramatisation de la musique d'église, car ces trois prières dont
la première est absolument calme, la seconde dans un sentiment de
confiante espérance, la troisième haletante jusqu'à l'obsession (non
confundar), donnent une gradation expressive, qui est l'essence même
du drame. Nous allons retrouver cette tendance encore plus développée
dans les productions de la troisième période.
PÉRIODE ITALO-ALLEMANDE
Italietis
Giovanni Matteo Asola . . . i5. . f 1609
Felice Anerio i56o 7 i63o
Giovanni Francesco Anerio. . 1567 -f- 16. .
Gregorio Allegri 1684 f i652
Allemands
H ANS Léo Hassler 1664 f 1612
Gregor Aichinger i5G5 f 1628
Heinrich Schûtz i583 f 1672
(1) I.a crainte et l'effroi ont fondu sur moi, et les ténèbres m'ont environné.
Ayez pitié de moi, Seigneur, — car mon âme s'est confiée à vous.
O Dieu, exaucez ma prière, — parce que vous êtes mon refuge et mon puissant secours.
Seigneur, je vous ai invoqué, je ne serai point confondu,
176 LE MOTET
Nous avons eu déjà l'occasion d'observer que les effets de la Réforme
du XVI* siècle n'ont eu leur répercussion dans l'art musical qu'après un
siècle environ. Le motet n'a point échappé à cette influence déprimante;
aussi en était-il arrivé, en Italie, vers le commencement du xviie, à
un état de dégénérescence, où la complication de l'écriture et la multi-
plicité des parties vocales avaient remplacé la simple et naïve expres-
sion des Flamands, et l'harmonieuse perfection des pièces de la deuxième
période.
Giovanni Matteo Asola, né à Vérone et mort à Venise, inaugura en
Italie, dans la musique d'église, le système, alors tout nouveau, de la
basse continue^ et l'emploi de l'orgue pour accompagner ses compositions
vocales.
Felice Anerio, disciple de Nanini, succéda, en 1594, à Palestrina
dans la charge de compositeur de la chapelle papale.
Giovanni Francesco Anerio fut maître de chapelle de Sigismond III,
roi de Pologne, et passa, en 16 10, avec la même qualité, à la cathé-
drale de Vérone. Comme les Vénitiens, il écrivit surtout pour voix
seule avec basse chiffrée. Son ouvrage le plus connu, qui eut, même
à son époque, de nombreuses éditions, fut l'arrangement pour quatre
voix de la Messe du pape Marcel de Palestrina.
Gregorio Allegri, élève de Nanini et chanteur de la chapelle pon-
tificale, est l'auteur de deux livres de motets, ainsi que du célèbre
Miserere à neuf voix, dont la copie fut interdite sous peine d'excommu-
nication jusqu'à la fin du xviiie siècle, et que Mozart, dit la légende,
transcrivit de mémoire après audition.
Hans Léo Hassler, né à Nuremberg, fut le premier musicien alle-
mand qui alla étudier en Italie, où il devint l'élève préféré du vénitien
Andréa Gabrieli. Revenu en Allemagne, il fut musicien de cour de
l'empereur Rodolphe II, à Prague, puis, vers la fin de sa vie, maître de
la musique de l'électeur de Saxe.
Gregor Aichinger passa toute sa vie à Augsbourg, son pays natal,
où il fut maître de la chapelle des Fùgger. Son principal ouvrage est un
recueil de motets intitulé Sacrœ cantiones^ qui date de 1 690, et dans
lequel on peut constater l'influence de la basse continue^ car les parties
vocales, au lieu de se mouvoir librement, comme dans les époques pré-
cédentes, y dépendent servilement du cantus Jîrmus,
Voir notamment les motets:
LE MOTET 177
a) Ave Regwa{Amho\., vol. I, p. 177);
b) Factits est repente de cœlo sonus {ibid., vol. I, p. 107) ;
c) Sahe Regina [ibid., vol. I, p. i 56). Dans ce motet, au contraire, c'est
la partie supérieure, le soprano, qui prend seule toute l'importance
mélodique, aux dépens des autres voix, suivant la manière de Vopéra^
naissant alors.
Heinrich Schutz, qui signait ses ouvrages du jeu de mots Sagit-
tarius, naquit en Saxe, d'où, après avoir fait de sérieuses études de
droit, il fut envoyé en Italie par le landgrave de Hesse, pour apprendre
la musique sous la direction de Giovanni Gabrieli. Après trois années
d'études, il revint en Allemagne, où il passa au service de l'électeur de
Saxe, en 161 5. La guerre de Trente Ans, peu favorable au développe-
ment des arts, lui fit quitter cette position, et en l'année i633 on le re-
trouve à Copenhague, en qualité de simple musicien de chambre; il y
devint cependant maître de chapelle, et ne retourna en Saxe que pour
y mourir. Ses œuvres religieuses sont les Cantiones sacrœ (1625), puis
des recueils de motets à deux, trois et quatre chœurs, enfin trois livres
de S)'??iphoniœ sacrœ {\62g, 1647 et 16^0).
Les dialogues de Schutz, où chaque personnage, selon l'usage adopté
dans le madrigal dramatique, est représenté par une portion du chœur,
ne sont plus, à proprement parler, des motets, mais des petits drames
chantés. Ce n'est plus de la véritable musique d'église, mais de la mu-
sique religieuse de concert, point de départ de la cantate du xvn« siècle.
Le style de Schutz, quoique fondé harmoniquement sur la basse
continue, ne laisse pas que d'être humainement expressif, à un degré
auquel les pieux Flamands et même les affectueux Italiens n'eussent
point osé prétendre.
On en pourra juger en lisant, parmi les innombrables œuvres publiées
en édition complète par la maison Breitkopf, de Leipzig, les deux
motets ou dialogues suivants :
a) Dialogo per la Pascua, à quatre voix (édition Breitkopf, vol. XIV,
p. 60). Ce motet, qui retrace la scène où Madeleine rencontre au
tombeau le Seigneur vêtu en jardinier, est divisé en trois parties :
1" partie : La rencontre.
Jésus : Weib, was weinest du, wen suchest du ?
Madeleine . Sie haben meinen Herren weggenommen,
Und ich weiss nicht wo sie Ihn hingeleget haben.
2» partie : L'appel.
Jésus : Maria !
Madeleine : Rabboni I
COURS DE COMPOSITION. 12
-8
LE MUTET
3« partie : Le Noli me tangere.
Jésus : Rûhre mich nicht an !
denn ich bin noch nicht aufgefahren
zu meinem Vater.
Ich fahre auf zu meinem Vater,
zu eurem Vater,
zu meinem Gott, zu eurem Gott .'i).
Dans la première partie, pendant que, simple et grave, s'expose aux
voix d'hommes l'interrogation du Sauveur:
g5=5EgEjEg;gg^;gEBEF^q^8f=F=gEEe
Toi qui pleu-
res, dis ?
les voix féminines (Madeleine) entourent cette phrase de volutes in-
quiètes :
m
Las! ils ont en- le- vé le corps du Maître
et tout se termine sur une péroraison d'une tendresse infinie
1er sopr.
2e sopr.
z] <J u V^
^z=tt
^
Mon bien-ai mé, qui va me dire, hé-las ! où
:rg g ' r~g— ^-^^-p-^j^ ^ i' i- / ^
^te
tu peux e- tre
Mon bien-aimS mon bien aimé, qui va me dire où tu peux ê-
"^-^ ^^'
tre :
Après cette exposition où la tonalité de ?^é mineur est franchement
établie, de mystérieux accords chromatiques soulignent l'appel par
lequelJésus se fait reconnaître:
Ma- ri-
Ma- ri-
B. C.
(i) Jésus: Toi qui pleures, dis, qui cherches tu ?
Madeleine : Las, ils ont enlevé le corps du Maître !
Mon bien-aimé, qui va me dire où tu peux être ?
Jésus : Maria!
Madeleine : Rabboni !
Jésus : Ne me touche pas ; voici qu'il faut que je m'élève vers la lumière.
Je vais aux cieux près de mon Père,
près de votre Père,
près de mon Dieu,
près de votre Dieu.
(Traduction de l'édition de la Sclxjla Cantorum]
[.E MOTET
et Madeleine, presque effrayée, répond :
Rab- bo- ni !
«79
^^zzi:2— 2^5-1^5 Isl -
r^i^zE^
I ^ — ' I
Rab- oo-
3^-i==
r
B. C.
-)'-ïi ^
:52z:
puis, les voix féminines se taisent, et les voix d'hommes soulignent
l'ascension du Sauveur vers son Père, par de glorifiantes vocalises, qui
se succèdent comme des roulements de tonnerre, en ramenant victo-
rieusement la tonalité initiale. Il n'est point de grand finale d'opéra
comparable comme effet vocal k ct\m que produit cette admirable pièce.
b) Dialogue du Pharisien, h 4 voix (éd. Breitkopf, vol. XIV, p. 55).
Gomme le précédent, ce motet est divisé en trois parties bien distinctes :
Impartie: Exposition.
Es gingen zweene Menschen hinauf
in den Tempel zu beten ;
Einer ein Pharisaer, der ander ein Zollner.
Der Pharisaer stund und betet bei sich selbst,
und der Zollner stund von ferne,
wollte auch seine Augen nicht aufschlagen gen Himmel,
schlug an seine Brust,
und sie sprachen :
2* partie : Le drame.
Pharisceus
Publicanus
Pharisceus :
Publicanus
Pharisceus :
Publicanus
Ich, ich danke dir Gott,
dass ich nicht bin wie andre Leute,
ich danke dir Gott.
Gott, sei mir Siinder gnadig !
Ich danke dir Gott,
dass ich nicht bin wie andre Leute,
Raiiber, Ungerechte, Ehebrecher,
oder auch wie dieser Zollner,
Gott, sei mir Sûnder gnadig I
Ich faste zwier in der Wochen
und gebe den Zehenten von allem das ich habe.
Gott, sei mir Sûnder gnddig I
3« partie : Moralité.
Ich sage euch :
Dieser ging hinab gerechtfertiget in sein llnus
fur jenem :
i8o
LE MOTET
Denn wer sich selhst erhohet
der soll erniedriget werden ;
Undwer sich selbst erniedriget
der soll erhohet werden (i).
La première partie, entièrement en sol majeur, est exposée par les
voix aiguës du choeur ; la seconde, modulante, n'emploie que les voix
graves ; la dernière enfin, revenant au ton principal, réunit en un en-
semble les quatre parties vocales.
Rien de plus dramatiquement frappant que le contraste entre les
deux prières dans la seconde partie ; l'orgueil naïvement ridicule du
pharisien et l'humble supplication du publicain y sont musicalement
exprimés avec une vérité d'accent que bien des fabricants modernes
d'opéra pourraient prendre pour modèle :
Publicaûus
Pharisaeiis
B.C.
Jfe
^
p p^r r
^
p
Gott, ich dan . ke dir
8 8
Gott, dass ich nicht biij, wie
6
^
^
W
(i) /" partie : Deux hommes entrèrent dans le temple pour prier,
l'un était un pharisien, l'autre un publicain,
1 e pharisien se mit à prier en se vantant lui-même,
et le publicain s'arrêta loin de l'autel, et, sans oser lever les yeux vers le
ciel, il se frappait la poitrine. Et ils parlèrent ainsi :
3* : partie Le Pharisien : Je te rends grâces, Seigneur, parce que je ne suis point comme
les autres hommes, un voleur, un scélérat, un parjure, ni même
pareil à ce publicain.
Le Publicain : Seigneur, aie pitié de moi pécheur !
3* pa'tie • Je vous le dis : celui ci s'en retourna chez lui absous et"non pas celui là,
car celai qui s'élève lui-incme sera abaissé,
et celui qui s'abaisse sera élevé.
LE MOTET
i8i
^
F p J r ' y^'
-an _ dre Leu . te,
.3 6 « «
-ft=#-
=^=2=
dass ich nicht bin wie an _ dre Leu
6 6 5 S
S
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1 r -- — Q^
Gott,
?^T=^"-"y=^^=4^— P-f
ich dan - ke dir Gott.
«
l^=ï
^^
E r J
Sun - der gnà
^
dig!
^-^— ;^
Ich dan _ ke dir
^m
Gott.
?=
^
Il faut enfin remarquer la signification symbolique de la dernière
partie, où les deux termes erhôhet et erniedrigel sont caractérisés par
une opposition mélodique évidemment intentionnelle :
Sup.
Alt.
Ten.
Bass.
B.C.
^
» — ff
^ V r^ r'
t:
w
Denn wersichseibster
hô _ htt,
der soll er -
^^^^^m
ff-^ r f- f jLidgi
:3^-r-K
>• g g
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^ i, y ^^ ;;=:^
5E
Denn wersichseibster-
hô - het, der soll er_ nie_drigef,er_ nie.drjget
^
^
:!^^
^
Denn
l82
LE MOTET
wer - den, wer sich selbst er _ hiJ - het,der soll er _ nie - dri-get, er
Dcnn wcr sich belbst er . hô
hef.
£^^F=r^gEES
w ' ■ m. m.
, nie . dri.get, er . nie . dri_get wer
den,
fe=^F^r r r r
und wer sich
W^
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dri-get wer
den,
und wer eich
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der soll er _ nie _ dri.get wer
den,
und wer sich
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und wer sich
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selbst cr - nie _ dii.get, der soll er.ho -
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*
selbst er _ nie_dri - gct,dersoll er. ho
_ het wer
den
m==Pr.
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selbst er - nie . dri.get,
der soll er _
hii . het wer _ den.
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f-^-^-
r r r- ^
selbst er _ nie _ dri-get,
7 6
der soll er
^
ho - het wer _ den.
7 4 «
^^=i^
I.E MOTET • i83
Après Schiitz, nous l'avons dit, la belle forme du molct ne tarda pas
à disparaître complètement pour se fondre dans la cantale et dans
Voratorio ; les auteurs de ce temps cultivèrent presque tous le genre
dramatique, issu de la Renaissance italienne, et basé sur des principes
incompatibles ave-: ceux de la polyphonie.
XI
LA CHANSON ET LE MADRIGAL
Les formes polyphoniques profanes: la chanson. — Le madrigaL — le madrigal accompa-
gné. — Le madrigal dramatique. — Formes de la chanson et du madrigal. — Histoire de
la chanson polyphonique et du madrigal. — Période de la chanson. — Période du
madrigal simple. — Période du madrigal accompagné et du madrigal dramatique.
LES FORMES POLYPHONIQUES PROFANES
LA CHANSON
L'application progressive des procédés de la polyphonie vocale ^ux
monodies liturgiques d'abord, puis aux pièces libres, motets ou répons,
devait naturellement amener une transformation corrélative des chants
populaires monodiques du moyen âge. De même que ces chansons
nous sont apparues au début comme empruntant leur forme aux can-
tilènes sacrées du genre des alléluia (i), de même, les premières chan-
sons polyphoniques consistèrent dans la simple adaptation de paroles
profanes aux textes musicaux des messes et des motets (2).
Et l'on constate ainsi, une fois de plus, que le peuple imite plutôt
qu'il ne crée, car les premières tentatives de déchant et de contrepoint
vocal sont, comme on a pu le voir, exclusivement appliquées à la litur-
gie par de véritables spécialistes, par des novateurs hardis, par une
élite, en un mot, seule capable de créer des formes nouvelles. Lorsque
ces formes se furent imposées, d'autant plus sûrement qu'elles éma-
naient de l'Église, alors souveraine incontestée, le peuple, imitateur
naïf et inconscient, fut amené fatalement à se les approprier, en y faisant
passer ses caractères, ses coutumes, ses traditions.
Au xv^ siècle, le succès et la vulgarisation des formes contrapon-
tiques devinrent tels que certains maîtres commencèrent à les adapter
à des sujets profanes, et à écrire de véritables cJuvisons polj'pJwuiqiics^
(i)Voir chapitre v, page 85.
(2)Voir la note, p. 14'), au chapitre du Motet.
i86 LA CHANSON ET LE MADRIGAL
dont la forme est toute spéciale, soit qu'elle procède par couplets répé-
tés, soit qu'entre chaque couplet s'intercale un refrain, comme dans la
chanson monodique primitive.
Dans cet art, essentiellement différent de celui du motet, l'expression
rythmique du texte est presque toujours sacrifiée à la cadence métrique
de la mélodie; l'écriture des parties vocales consiste, le plus souvent, en
expositions harmoniques; enfin en peut aisément reconnaître dans l'al-
ternance régulière des périodes mélodiques et dans l'usage déplus en
plus fréquent du timbre^ appliqué aux paroles sans souci de leiir sens,
l'influence populaire, qui rattache cette forme aux airs de danse, et, par
conséquent, à l'art du geste.
Dans ce genre peuvent se ranger les pièces vocales connues sous les
noms de chanson frajiçaise, can^ona italienne, petit lied allemand
(Gassenhajperlin, Reutterliedlein), can:{onetta, frottola, villanelle, pillote,
et enfin la série des danses en musique, pavane, gaillarde, etc., qui
furent vocales avant de devenir instrumentales. (Voir, deuxième livre.)
LE MADRIGAL
A l'époque de la plus belle floraison du motet, nous voyons la musique
profane aff"ecter une forme assez indéterminée qu'on désigne sous
le nom générique de madrigal.
Rien n'est plus imprécis que ce mot, dont i'étymologie même est in-
certaine (i) et les applications extrêmement variables.
Originairement, le madrigal paraît avoir été une composition vocale
écrite en général pour chœur de trois à six voix, sur un sujet profane
et le plus souvent erotique. La vogue de ce genre de composition se
répandit rapidement au cours de le seconde moitié du xvi« siècle, et
persista même au siècle suivant (2).
Entre la chanson polyphonique et le madrigal, la délimitation est
malaisée, aussi bien comme date que comme forme. On doit pourtant
considérer le madrigal comme postérieur, parce que c'est en lui que
viennent se résumer et se confondre toutes les formes musicales qui
servirent de transition entre la fin de V époque polyphonique et le début
de Vépoque métrique.
Il semble que ce genre de musique ait longtemps oscillé entre l'art
(r) On ne connaît guère pour cette appellation d'autre origine que les mots mandra (trou-
peau) tl gai (naéiodie), empruntés à, la vieille langue provençale.
le mot espagnol nudiugada (aube) offre aussi une ana'ogie intéressante.
(2) Il existe encore de nos jours, en Angleterre, une association dont le but est de favoriser
la culture de cette sorte de composition : c'est la « Madrigal Society », de Londres, fondée
en 1741.
LA CHANSON ET LE MADRIGAL 187
du geste et celui de la parole. Sans doute, le madrigal est principalement
issu du motet, forme dramatique nettement basée sur la rythmique
expressive du langage ; mais, en raison des milieux et des sujets pro-
fanes qui lui sont plus spécialement réservés, il obéit aussi h la ryth-
mique essentiellement populaire du geste.
Dans son état primitif, le madrigal était traité d'une façon exclusi-
vement musicale : chacune des voix y concourait pour sa part à l'exécu-
tion, comme dans le motet; cependant, un .moindre souci de l'expres-
sion, une disposition vocale plus facile, plus négligée, et souvent plus
voisine de l'harmonie plaquée que de la polyphonie, y apparaissaient
déjà.
Sous ce premier aspect, le madrigal n'était autre chose qu'une sorte
de motet profane, avec paroles en langue vulgaire, ce qui l'apparentait à
la chanson, dont il adoptait parfois la division en couplets. Mais, au
moment où l'esprit renaissant s'empara de l'art musical, c'est-à-dire
vers la fin du xvi« siècle, le madrigal ne tarda pas à affecter deux manières
d'être très différentes, dont nous allons donner une brève description,
nous réservant de les étudier à part et d'une façon plus complète dans
les deux autres parties du cours de composition, lorsque nous traiterons
des formes svmphoniques ex. dramatiques auxquelles ces transformations
du madrigal simple donnèrent naissance.
LE MADRIGAL ACCOMPAGNÉ
A mesure que se propage et s'impose, sous l'infîuence des idées de la
Renaissance, le principe d'individualisme qui va favoriser l'éclosion de
Vopéra, nous voyons apparaître dans le madrigal, timidement d'abord,
les instruments accompagnants. Au début, ils servent seulement à dou-
bler, dans la limite de leur étendue, les parties vocales; avec l'usage
de plus en plus répandu du 50/0, ils se cantonnent bientôt dans la réali-
sation de la basse continue, suivant le système si cher à toute cette époque.
Toutefois, à mesure que le rôle de l'instrument s'efface, en tant
qu'accompagnateur, il s'affirme au contraire pendant les silences du
chanteur principal, rendus plus longs par les traditions alors en vigueur.
En effet, dans l'exécution de ces madrigaux accompagnés, le chanteur
n'apparaissait devant l'auditoire qu'au moment de commencer son solo^
et revenait ensuite à sa place dans la coulisse, si l'on peut ainsi
s'exprimer. Pendant ces allées et venues, les instruments seuls prirent
l'habitude de se faire entendre. Affranchis momentanément de leur
emploi de réalisateurs de la basse continue, ils exposaient généralement
un fragment extrait de Vair qui précédait ou suivait cette espèce d'in-
i88 LA CHANSON ET LE MADRIGAL
termède. Ainsi prend naissance la ritournelle (i), qui depuis alterna
avec Varia (air) dans la plupart des compositions vocales de cour et
même d'église, à partir de la fin du xvi® siècle.
Cette ritournelle, étrangère à toute préoccupation expressive d'un
texte, ne tarda pas à prendre une forme conventionnelle, analogue à
celle des refrains, où les paroles sont dépourvues de toute signification,
dans les chansons populaires de la première époque.
Dès lors, les madrigaux de ce genre vont se rattacher de plus en plus,
par la ritournelle, à l'ancien art du geste rythmé ou de la danse.
Peu à peu, surtout en Allemagne et en France, les instruments quit-
teront leurs fonctions d'accompagnateurs, et seront appelés à remplacer
les parties vocales, qu'on leur confie souvent faute de chanteurs en
nombre suffisant. Le soliste lui-même nous apparaîtra sous les traits
d'un instrumentiste virtuose, qui joue son air au lieu de le chanter;
et l'on écrira de véritables madrigaux powr instruments^ dans les formes
desquels nous aurons ultérieurement à rechercher les origines d'un cer-
tain nombre de pièces de l'ordre symphonique, comme le concert, le
concerto^ ou même certains airs de danse en usage dans la suite instru-
mentale et, plus tard, dans la sonate (2).
LE MADRIGAL DRAftlATIQUE
Cependant, l'art de la parole ne perdait pas ses droits; cette péné-
tration progressive des instruments dans le madrigal accompagné
n'empêchait nullement les compositions vocales d'évoluer simultané-
ment, en marquant une divergence de plus en plus accentuée.
Le madrigal dramatique., c'est-à-dire celui qui obéit aux nécessités
expressives des paroles, conserve sa forme collective et chorale. Motet à
l'origine, il ne subira pas de changements notables dans sa forme, tout
en cédant aux exigences de la musique populaire à laquelle il se rattache
également. Tandis que l'école du contrepoint vocal se cantonne de plus
en plus dans le motet, le madrigal dramatique s'en éloigne, pour retour-
ner à la chanson, fille du peuple.
Mais, si son écriture se simplifie, l'esprit du drame l'anime toujours.
Il est le plus souvent alors traité en dialogue ; deux ou trois parties
vocales représentent collectivement l'un des personnages chantants,
tandisque le reste du chœur est chargé du rôle de l'autre personnage (3);
(1) Rttornare, en italien « s'en retourner ». Telle était, en effet, l'action du chanteur
pendant la ritournelle.
(2) Voir, dans le deuxième livre, ces diverses formes d'ordre symphonique.
(3) De ce genre sont notamment les Dialogues de Schûtz, que nous avons examinés
(p. 177 et suiv.) à propos du motet, auquel ils se rattachent, tant par l'écriture que par le
LA CHANSON ET LE MADRIGAL 189
cette figuration collective de chaque personnage n'est qu'un achemine-
ment vers l'attribution iudii'iduelle des rôles, et, quand la représenta-
tion scénique viendra s'y ajouter, on verra se réaliser peu à peu, par
l'harmonieuse combinaison de la parole, du geste et de la musique,
l'expression la plus haute et la plus émouvante des sentiments humains.
Ainsi naîtront tour à tour du madrigal dramatique Vopéra d'abord,
puis toutes les autres formes musicales dramatiques (i).
Mais, s'il est incontestable que le madrigal dramatique a donné nais-
sance à Vopéra^ il faut observer que celui-ci, dès son apparition,
emprunte au madrigal accompagné Vusd^^e du solo qu'il élèvera plus tard
à son apogée. Tandis que, par une curieuse réciprocité, Tecr/'/wre con-
trapontique appartenant en principe à la musique vocale, aux motets et
aux madrigaux dramatiques^ passera tout entière non seulement dans
la fugue, ce qui est normal, mais aussi dans la plupart des autres formes
instrumentales issues au madrigal accompagné : \à suite, [ql sonate, etc.
FORMKS DE LA CHANSON ET DU MADRIGAL
Les formes musicales de la chanson polyphonique, aussi bien que
celles du madrigal, n'ont pas de caractère bien défini. On peut cepen-
dant ramener la chanson française à trois t3^pes généraux :
A) celui qui consiste en phrases musicales symétriquement
répétées malgré le changement de paroles ;
B) la chanson à couplets^ avec ou sans alternance d'un
refrain ;
C) la chanson pittoresque.
A) Dans la première catégorie, nous pouvons citer un grand nombre
de pièces de Roland de Lassus, notamment la chanson Quand mon
mary vient de dehors (2), qui est construite comme suit :
-, j^Uf^gg . ( Quand mon mary vient de dehors,
I Ma rente est d'estre battue ;
Même phrase : l II prend la cuiller du pot,
répétée \ A la tête il me la rue ;
, I J'ai grand peur qu'il ne me tue.
2^ phrase : l ^, . • , •
f C est un faux, vilain, jaloux ;
„. , / C'est un vilain, rioteux, crommeleux, ]
3* phrase : ... ' ., .' ^ bis.
\ Je SUIS jeune et il est vieux. )
B) Comme exemple de chansons à couplets, nous ne pouvons mieux
sujet sacré, tout en offrant déjà une physionomie fort différente, par l'application du prin-
cipe de la représentation des personnages par les fragments du chœur.
(i) Voir le troisième livre de cet ouvrage, consacré à l'étude des formes musicales drama-
tiques.
(2) Voir Les Maîtres musiciens de la Renaissance française, éditions publiées par Henry
Expert, fascicule : « Orlande de Lassus », p. 40.
IQO
LA CHANSON ET l.E MADRIGAL
choisir que la charmante villaiielle de Claudin Le Jeune : Patourelles
joliétes, qui fait partie du recueil intitulé: Le Printemps (i).
Le refrain y est tout d'abord exposé à trois voix, sous le titre, géné-
ralement usité dans la chanson française, de rechant; puis vient le
couplet, intitulé c/;a«;, également à trois voix; enfin le rechant est
repris par les cinq voix, et ainsi de suite pour les cinq couplets.
Le thème initial du refrain est un chant populaire d'origine proba-
blement liturgique :
Exposé par le dessus et redit ensuite par la taille, ce thème de mesure
binaire conclut en une période de franche et fraîche allure ternaire, qui
appelle la danse.
■Reohant à 3 .
fi
Dessus et
Cinquième
Taille
r r r
Pa-tou _ rel.les jo _ 11
é - tes et fi . de _ les pa_ tou
reaus,
J . J IJ LJ J : T
ilijuil^^ I m
:) i^ l
^
Je.
f r. [ r . . , - .
Et qui e_met a . mou . re _ tes, et qui e_met a - mou _ reaus,
^
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» ■
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Ff= il t l
^^
d=
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"r 'fa;r^r' / V i^
■QdJ^'
.tés la crain . te
j r M
du Loup,
Ve . nés
^
à l'om.bre du Houp.
m
^
^
C) Quant à la chanson pittoresque^ l'œuvre du français Clément Jane-
quin (voir ci-après p. igB) nous en peut fournir de nombreux exemples;
(c) Voir Le<s Maîtres musiciens de la Renaissance française, édition H. Expert ; le
Printemps de Clarde 1 c Jeune, 3* fascicule, p. aS.
LA CHANSON ET LE MADRIGAL iqi
nous citerons notamment le Chaut des oiseaux^ qui eut une vogue
presque égale à celle de la célèbre Bataille de Marignan du même auteur.
Cette chanson peut se diviser en trois parties, dont la seconde, l'élé-
ment pittoresque, est de beaucoup la plus importante.
1"^^ partie. — La pièce commence par une phrase d'exposition en
deux périodes, d'origine évidemment populaire. Voici cette phrase, sur
laquelle s'appliquent les huit premiers vers du texte :
Ré-veillez-vous, cœurs endor-mis, Le dieu d'amour vous sonne.
Vous se-rez tous en joye mis, Car la sai-son est bonne.
ae Période /C^»^-#-J. ^ITT ,' f ^
Les oi-scaux, quand sont ravis, En leur chant font mer- veille,
En-ten-dez bien leur devis, Dis-tou- pez vos o- reilles.
2* partie. — Suit une série d'onomatopées tendant à représenter le
babil d'oiseaux de tous genres et de toutes voix. On y rencontre depuis
les traditionnelsyar/rar/ro« fèreli io li, tio tio tio tio, friar^ friar, etc.,
jusqu'aux locutions les plus bizarres, comme : // est temps d'aller
boire, au sermon, — petite, petite, suis juadame à la rtpesse, — ma
maîtresse à Saint Trotin, etc.
Vers le milieu de la pièce, on entend le hui répété du hibou;
aussitôt tous les oiseaux de s'unir pour courir sus à l'animal détesté,
s3'^mbole du peuple juif, et de lui crier :
Fouquet hibou, fuyez, fuyez !
Sortez de nos chapitres,
Car vous n'êtes qu'un traître,
Méchant oiseau, dans votre nid
Dormez sans qu'on vous sonne.
3" partie. — Puis, le hibou chassé, tout se calme, le rythme de la
première partie reparaît peu à peu, et la pièce se termine sur le retour
du refrain initial : Réveillei-vous, cœurs endormis, etc.
A cet orde de compositions appartient aussi la Déploration de Jehan
Okeghem, que Josquin Deprès écrivit à l'occasion de la mort du grand
musicien flamand. Cette curieuse et expressive chanson, où le profane
mythologique se mèlc au style liturgique, débute par une exposition
dans la manière du motet. La cinquième partie (rc7i?-a;/5) chante le texte
même du psaume Requiem œteniam dona eis, Domine, tandis que le
reste du chœur invite les nymphes des bois et les déesses des/onlaines,
tgi
LA CHANSON ET LE MADRIGAL
ainsi que les chanîj^es experts de toutes nations, à pleurer celui que la
ligueur d'Atropos vient de couvrir de terre. Le refrain qui suit, dans
lequel figurent nominalement les élèves ou amis d'Okeghem, rentre
dans la forme de la chanson :
jre phrase:
Même phrase :
répétée.
Acoultrez vous d'abitz de deuil,
Josquin, Brumel (i),Pierchon (2), Compère (3),
Et plorez grosses larmes d'œil :
Perdu avez vostre bon père.
Superlus
Altus
Ténor
Cinquième
Basse
W
m
§M' r r^
^
A _ coul.tiez vous
Et plo - rcz gros
d'à
ses
bitz
lar
m r "(' r
de deuil, Jos
mes d'a'il, Per
r r r r'
i
A _ coul-trez vous
El plo - rez gros
d'à . bitz
SCS lar
f
de
mes
deuil,
d'oeil,
fA f r f =E
A _ coul-trez vous d'à
Et plo _ rez gros . ses
bitz
r L!rr r. f
de deuil,
mes d'œil,
'hr^ r-^-^
A _ coul.trez vous
Et plo _ rez gros
d'à _ bitz
ses lar
de deuil,
mes d'œil,
Jos _
Per -
(1) Anton Brumel, contrapontiste néerlandais, auteur de nombreuses messes. La Biblio-
thèque de Munich possède de lui une messe à trois chœurs, à douze voix.
(2) Sobriquet de Pierre de Larue, voir ci-après, page 195.
(3) Loyset Co-npère, mort en i5i8, chanoine de la cathédrale de Saint-Quentin, auteur de
nombreux motets
LA CHANSON ET LE MADRIGAL igj
Nous revenons ensuite au genre du motet par l'invocation terminale:
^
^
^
F^-^
i^
E
i
Re - qui.es.cat in pa . ce. A _ men, a - men.
.^J J J J J J I J J J
Re - qui-es-cat in pa . ce. A - men,
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.Re . qui_es_cat in pa
Enfin, la forme du tnadrigal ne saurait être bien déterminée, puis-
que comme celle du motet elle se modèle sur l'ordonnance du texte.
Elle en diffère touteiois par certaines répétitions des phrases musicales
que ne justifie point la diversité des paroles, par certains tours d'é-
criture plus harmonique que polyphonique, par certains rythmes
cadencés plus symétriquement. C'est toujours l'ancien art du geste, qui,
conservédans lachanson populaire, exerce progressivementson influence
sur ce genre de musique, éminemment aristocratique à l'origine, puis-
qu'il était réservé aux fêtes pompeuses données dans les fastueux palais
italiens.
Nous pouvons citer comme exemple l'un des madrigaux de Palestrina,
/ vaghi fiori, dans lequel la phrase initiale se reproduit à la fin de la
pièce sur des paroles pourtant assez différentes, au moins par leur
forme rythmique :
Superius
Altas
Ténor
Basse
position:! va_ghi fior' e l'a - mo
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terminale: > j i ■ i
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Expos, term: /"«or,' fiondlerël aria,aufr,' ond,'
COURS DE COMPOSITION.
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194
LA CHANSON ET LE MADRIGAL
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frond^ert; aria, auir,' o7id,' arm,'
ro _ se fron - de.
arch,' ombr,' au . ra.
HISTOIRE DE LA CHANSON POLYPHONIQUE
ET DU MADRIGAL
Cette histoire, comme celledu motet, peut être ramenée à trois gran-
des divisions correspondant à peu près comme dates aux périodes
franco-flamande, italo-espagnole et italo-allemande.
On peut les intituler ainsi :
i" Période de la chanson polyphonique (xv« siècle) ;
2° Période du madrigal simple (première moitié du xvi* siècle) ;
3° Période du madrigal accompagné et du madrigal dramatique
(deuxième moitié du xvi*^ siècle et commencement du siècle suivant).
Mais cette sorte de division historique, comme toutes celles du pré-
sent ouvrage, n'a rien d'absolu, car l'on rencontre dès la fin du xv" siè-
cle des madrigaux très proches parents, il est vrai, du style de la
chanson, et Ton trouve aussi, en France particulièrement, un certain
nombre de compositeurs de chansons, en pleine époque de floraison du
madrigal.
PÉRIODE DE LA CHANSON POLYPHONIQUE
Gilles Binchois .
Antoine Busnois .
Jan de Okeghem .
JOSQUIN DepRÈS .
Pierre de Larue .
Clément Janequin
Heinkich Finck .
Claude Goudimel
vers 1400 f 1460
14.. t 1481
1480 f 1495
14B0 f l52I
14 . . f i5 . .
14.. t i5 ..
14.. t i5..
i5o5 f 1572
LA CHANSON ET LE MADRIGAL 195
Gilles Binchois, né à Binche, en Hainaut, mourut à Lille, après avoii
été maître de chapelle à la cour de Philippe le Bon, duc de Bour-
gogne.
Antoine Busnois (de Busne), fut chantre de la chapelle de Charles le
Téméraire,
JandeOkeghem (i), dont on connaît dix-neuf chansons, parmi les-
quelles Se postre cœur, qui fut célèbre et souvent réimprimée.
JosQuiN Deprès (2). Outre la Déploration d'Okeghem, déjà citée, un
grand nombre de chansons françaises de Josquin ont été conservées
dans les recueils de Pierre Attaignant (3), de l'année 1 549, et de Du Che-
min, i553.
Pierre de Larue, néerlandais, élève d'Okeghem, fut, de 1402 à i5io,
chantre de la cour de Bourgogne, et écrivit des chansons ainsi que des
madrigaux.
Clément Janequin, sur la vie duquel on ne possède encore aucun
renseignement précis, étudia la musique sous la direction de Josquin
Deprès, et fut maître de chapelle à la cour de François P^ On ne
connaît de Janequin qu'un petit nombre de compositions religieuses,
parmi lesquelles les Proverbes de Salomon mis en cantique et ryme
françois (i558); mais il écrivit une grande quantité (dix-sept livres)
de chansons profanes du plus haut intérêt : la plupart sont de véritables
pièces descriptives de l'ordre que nous avons qualifié chansons pitto-
resques.
Les plus connues sont :
à) le Chant des oiseaux (4), dont nous avons déjà parlé ;
b) l'Alouette^ chanson à quatre voix, auxquelles Claudin le Jeune
ajouta une cinquième (6), comme cela se pratiquait couramment
à cette époque, mais sans que Y arrayigeur se permît jamais de
changer quoi que ce fût à l'écriture de la pièce originale ;
c) le Rossignol ;
d) la Chasse au lièvre et la Chasse au cerf;
e) la Jalousie ;
(i) Voir chapitre X, page 154.
{2) Voir chapitre X, page i55.
(3) Le premier des imprimeurs de musique parisiens qui se soit servi de caractèrci
mobiles. II publia, de i526 à i55o, vingt livres de motets et de chansons, la plupart d'auteurs
français.
(4) Voir l'édition de la Schola cantorum, et ci-dessus p. 191.
(5) Voir Les Maîtres musiciens de la Renaissance française, édition H. Expert ; Le Prin-
tempi de Claude Le Jeune, 1*' fascicule, p. 5o.
iQÔ LA CHANSON ET LE MADRIGAL
f) le Caquet des femmes ;
g) la Prise de Boiilongne ;
h) la Bataille [de Marignan^ i5i5), à quatre voix, auxquelles Ver-
delet (i) ajouta une cinquième.
Cette célèbre chanson est des plus curieuses : sa structure harmo-
nique, perpétuellement identique, repose du commencement à la fin
sur les deux fonctions, tonique et dominante, du ton de^ci majeur. Mais
la variété de ses rythmes sans cesse renouvelés en fait la pièce la plus
vivante qu'il soit donné d'entendre. De plus, elle est comme une
sorte d'anthologie des thèmes populaires en usage dans l'armée fran-
çaise au XVI® siècle. Voici le plan de cette belle chanson, qui peut se
diviser en deux parties : les préparatifs et la bataille.
i' partie : i" (rythme binaire). Prélude.
Ecoutez tous, gentils Gallois,
La victoire du noble roy François.
2° (rythme binaire). Partie plus agogique.
Et ores si bien écoutez
Des coups rués de tous costés.
3° (rythme ternaire).
fep.:j^J-JM-J_J^_j_JUq=^-=^^^F^
^^^=--.
A- ven-tu- riers, gais compai-gnons, Ensemble croisez vos trom-blons
4*> (rythme binaire).
Cha- cun s'assai- sonne,
La fleur de lys, fleur de hault prix,
Y est en personne.
5° (rythme ternaire).
Sonnez, trompettes et clairons.
Pour réjouir les compaignons.
2^ pa?'tîe, où commence la bataille proprement dite.
1° (rythme binaire). Longue série d'onomatopées décrivant
le bruit des instruments guerriers.
0 ) L'un des plus anciens compositeurs de l'école franco-belge; vécut en Italie et mourat
avant iSô?.
LA CHANSON ET LE MADRIGAL 197
2° (rythme ternaire et binaire). Autre série d'onomatopées
destinée à peindre le fracas des canons et le crépite-
ment de la fusillade.
3° (rythme binaire). Troisième suite d'onomatopées du
milieu de laquelle surgit la chanson française :
')^-==^^d^=^=^J^^^^f'^ ] J g-^:^.Ë=^rz^=3Ë=rp=g
Fa ri ra ri ra ri ra ri ra, fa ri ra ri ra ri ra la la !
4" (rythme ternaire). La victoire se dessine.
Ils sont confus,
Ils sont perdus,
Ils sont rompus.
5° (rythme binaire). Le ténoj^ entonne à pleine voix :
Victoire ! victoire au noble roy François.
et la haute-contre, personnifiant les Suisses vaincus, termine la pièce
sur ces mots mi-allemands mi-patois, qui résonnent graves comme un
glas :
Descampir, descampir !
Tout é ferlore, by Gott !
Heinrich Finck (i), composa une série de chansons allemandes
publiées en i536 sous le titre : Schone auset^îesene Lieder des hoch-
beinihnten Heinrichs Finckens[i). Il est surtout connu par le panégyrique
que son petit-neveu Hermann Finck (1627 7 i538), célèbre musicogra-
phe, lui consacre dans son ouvage : Practica musica (i556).
Claude Goudimel (3). La plupart de ses œuvres profanes ont été
conservées dans le recueil de 1574: La Jleuf^ des chansons des deux
plus excellents musiciens du temps, à savoir de Orlande de Lassus et de
D. Claude Goudimel.
PÉRIODE DU MADRIGAL SIAIPLE
Fla)nands
Jakob Arcadelt i5i4 f i565
Adrian Willaert 1480 -[- i562
Nicolas Gombert i4..fi5..
Cyprian de Rore i5i6 -f- i363
Philippe de Monte i52i 7 1602
Roland de Lassus i53o -^ 1^94
(i) Voir chap. x, page i6o.
(2) Choix des plus belles chansons du très illustre H. F
(3) Voir chap. x, page 160.
igS LA CHANSON ET LE MADRIGAL
Italiens
CosTANZo Festa H-' f ï^4^
Andréa Gabrieli i5iof 1 586
Giovanni Pierluigi da Palestrina. . . i5i5 f 1594
Français
Claudin de Sermizy 1 5 . . f 1 566
Claudin Le Jeune i53o 7 i564
Guillaume Costeley i53i f i5. .
Jakob Arcadelt (surnommé Jachet), né dans les Pays-Bas, se rendit
dès sa jeunesse à Rome, où il devint maître de chant de la chapelle
papale en i 540 ; il vint ensuite à Paris, où on le trouve avec le titre de
Miisictis regius en 1 557. Dès 1 538, Arcadelt publia six livres de madri-
gaux à cinq voix qu'on doit considérer comme les premiers en date dans
ce genre de composition. Ils eurent un immense succès, et suscitèrent
bientôt un engouement effréné : c'est par milliers, en effet, qu'on peut
compter les productions du style madrigalesque dans la seconde moitié
du xvi^ siècle.
Arcadelt lui-même en écrivit une grande quantité, madrigaux ou
chansons, qui furent publiés d'abord par les Gardane, imprimeurs à
Venise, puis par les éditeurs parisiens Le Roy et Ballard.
Ses contemporains, et notamment Willaert, son aîné de trente ans au
moins, ne versèrent dans le genre madrigal qu'après le succès des six
premiers livres d' Arcadelt. C'est donc avec raison que nous donnons ici
le premier rang au créateur incontesté de cette forme d'art toute spé-
ciale.
Adrian Willaert, né à Bruges, d'autres disent à Roulers, élève de
Jean Mouton et de Josquin Deprès, fut nommé en 1527 maître de
chapelle de l'église Saint-Marc à Venise. Sa renommée attira dans
cette ville de nombreux musiciens, et c'est ainsi que fut formée la célèbre
école de Venise^ dont Willaert passe pour avoir été le fondateur. L'inno-
vation principale qui caractérise cette école, et qui fut certainement due
à l'initiative de Willaert, est l'écriture pour double chœur.
Outre quelques livres de motets, l'œuvre principale de Willaert
consiste en recueils de madrigaux à cinq et six voix publiés de i545 à
i56i sous les titres divers, Can^one villanesche, madrigali, fantasie 0
LA CHANSON ET LE MADRIGAL 199
ricercari^ et enfin Niiova viusica (i SSg), qui contient des pièces de quatre
à sept voix sur des poésies de Pétrarque.
Il est à remarquer queWillaert ne commença à écrire des compo-
sitions de ce genre qu'à l'âge de soixante ans environ, quelques années
après le succès des premiers madrigaux d'Arcadelt.
Nicolas Gombert, originaire de Bruges, l'un des plus remarquables
élèves de Josquin, fut maître de chapelle de la cour de Madrid en i 543.
On a de lui un volume de chansons publié par Susato en 1544.
Cyprian de Rore, né à Anvers, étudia à Venise sous la direction de
Willaert, auquel il succéda comme maître de chapelle de l'église Saint-
Marc. Il s'adonna presque complètement à l'art madrigalesque, sans
préjudice de quelques messes et motets, et ses œuvres devinrent bien-
tôt célèbres dans toute l'Italie.
La grande innovation de Çyprian de Rore fut l'emploi courant du
chromatique^ dont il se sert sans tenir compte, comme le faisaient ses pré-
décesseurs, de la distinction établie traditionnellement entre le grand
et \e petit (i).
Il publia, de 1642 à i565, dix livres de madrigaux à quatre et cinq
voix, dont les plus connus sont les recueils intitulés : Madrigali crom-
matici et Le vive fiamme^ sa dernière œuvre.
Le grand Monteverde (2) considère Cyprian de Rore comme le véri-
table précurseur de l'art nouveau {la seconda pratica) qui allait enfanter
le drame musical, art dans lequel « le discours expressif commande à
l'harmonie au lieu de lui obéir (3). »
Philippe de Monte, né à Mons, d'où son nom, vécut en Allemagne,
oii il fut maître de chapelle des empereurs Maximilien II et Rodolphe II,
et mourut à Vienne.
Outre quelques messes et motets, il publia successivement trente et
un livres de madrigaux ou chansons à cinq, six et sept voix, dont les
plus connus sont ceux intitulés : Le Jiammette (iSqS); il mit aussi en
musique les sonnets de Ronsard.
Roland de Lassus (4) écrivit plusieurs livres de madrigaux ; les deux
premiers datent de i555 ; on lui doit aussi un grand nombre de chan-
(1) Voir chap. x, page iô6.
(2) Voir troisième livre.
(3) L'ora:^ione padrona delV armoma e non serva (Lettre de Monteverde — Schtr^
mus cali).
(4) Voir chap. x, page 172.
200
LA CHANSON ET LE MADRIGAL
sons françaises (i) et de Lieder allemands; quelques-unes de ces chan-
sons ont eu une renommée universelle pendant toute la seconde moitié
du xvi^ siècle. Les plus intéressantes à connaître sont:
a) Fufons tous d'amour le jeu, d'une si originale prestesse;
b) Sauter, danser, faire des tours ;
c) Un doux nenni avec un doux sourire, dont la guirlande terminale
sur « Vous ne l'aurez point », est d'une grâce charmante;
d) L'heureux amour qui eslève et honore;
e) Las ! voule:{-pous qu'une persoftne chante, texte mis en musique par
de nombreux compositeurs;
/) Si vous nêtes en bon point, bien à point;
g) Quand mon marf vient de dehors, etc. (ci-dessus, p. 189).
CosTANZo Festa (2), auteur de madrigaux à trois voix, publiés en
1556.
Andréa Gabrieli (3), publia, de 1672 à i583, sept livres de madri-
gaux de trois à six voix.
Giovanni Pierluigi da Palestrina (4) a laissé, outre ses compositions
religieuses, trois recueils de madrigaux à quatre et cinq voix (i555-
i58i). La plupart sont de charmants modèle^; du genre ; la mélodie y
est moins sévèrement établie que dans ses pièces religieuses, et quel-
ques-uns présentent même un tour mélodique d'allure presque mo-
derne, comme par exemple le suivant, qui mérite d'être cité intégra-
lement.
(Assez vite)
Canto
Alto
Ténor
Basse
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(I) Le premier livre des Cha'isons françaises [Meslanges) a été édité par H. Expert. \,Les
Maîtres musiciens de la Renaissance française.)
(2j Voir chap. x. page i6i.
(3) Voir chap. x, page i6i.
(4) Voir chap. x, page i6a.
LA CHANSON ET LE MADRIGAL
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LA CHANSON ET LE MADRIGAL
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LA CHANSON ET I.E MADRIGAL
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Voir aussi :
a) Alla riva del Tebro,
b) La C7~uda mi a nemica,
c) I vaghi fiori^ que nous avons analysé plus haut, page igS.
Claudin de Sermizy, généralement désigné sous le nom de Claudin,
fut maître de chapelle à la cour de France de i 63o à i 56o. Ses chansons
ont été publiées par Attaignant en i528.
Claudin Le Jeune naquit à Valenciennes et mourut à Paris. Ses
deux principaux ouvrages sont le Dodecacorde, quarante psaumes de
David traduits en français par Clément Marot, et le Printemps^ impor-
tant recueil de chansons, dont les particularités métriques doivent
être examinées succinctement.
L'imitation des anciens, cette manie de l'esprit renaissant, avait pro-
voqué chez certains poètes français une tendance à la versification
mesurée et scandée sur le modèle du vers antique. Jean-Antoine de
Baïf (i532 f 1589), poète et musicien, qui avait fondé à Paris une aca-
démie d'art bien avant la naissance des académies florentines (i), imagina
de créer, dans le but spécial de la réalisation musicale, un mètre fran-
çais, en invoquant, comi)ie tous ses contemporains, la restauration du
rythme grec. Il écrivit ainsi des Chansons mesurées que Jacques >Liu-
duit(2) et Claudin Le Jeune mirent en musique. Baïf avait coutume
de noter en longues et brèves les syllabes de chacun de ses vers, indica-
tion à laquelle Claudin se conformait en écrivant sa musique; les valeurs
musicales de durée se trouvaient donc réglées d'avance par le mètre
poétique, ce qui donne parfois à ces chansons de curieuses allures
rythmiques.
(i) Antérieurement au moins à celles de ces académies qui traitèrent de l'union de la mu*
siquc avec la parole,
(a) Habile joueur de luth qui vivait encore sous le règne d'Henri IV.
304
Lk CHANSON ET LE MADRIGAL
Prenons pour exemple :
a) La bel' aronde (^i), chanson à six voix divisée ainsi :
1°, un rechant^ comprenant deux couplets et deux reprises du refrain;
2°, un chant^ autrement rythmé, formant troisième couplet (2).
Voici comment le poète établit le mètre du rechant :
\j \j \j — \j \j \j — \j \j \j — ^ — —
La bel' aronde mésagère de la gaye saizon
— \j — \j — —
Est venu, je l'ay veû,
Elle vole mouchelètes, elle vole moucherons.
Dans la traduction musicale de Claudin Le Jeune que nous donnons
ci-dessous, on remarquera que les valeurs brèves se succèdent tantôt
en rythme ternaire, tantôt en rythme binaire ; cette disposition, qui
donne une grande variété au discours musical, persista jusque dans
l'opéra du xvii' sièle (3), mais elle finit par disparaître sous l'autocra-
tique domination de la barre de mesure.
Voici la première partie du rechant :
(Modère)
Dessus:
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(Plus vite)
Est vè . nû^ je
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l'ay veû,'
l^ r r 11 r-rr f :f J r r 'f-^-i-^=^
El. le
vo - le raou-che - lé . tes, el - le vo - le mou.che
La seconde partie, si aimablement dialoguée, doit être citée en entier :
(i) Voir Les Maîtres musiciens de la Renaissance française, édition H. Expert ; Le Prin-
temps de Claude Le Jeune, i" fascicule, page aS.
(3) Nous retrouvons cette fornne dans le style symphonique, sous le nom de rondeau,
depuis Rameau jusqu'à Beethoven (voir deuxième livre).
(i) On trouve encore ces alternances rythmiques chez Lulli, dans ses premières œuvres,
notamment dans Alceste (voir troisième livre).
i*J dessus:
2^ dessus:
Haute- Contre:
11» taille:
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Basse-Contre:
LA CHANSON ET.l.E MADRIGAL
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LAXHANSON ET LE MADRIGAL
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El-le vo - le mouche . lé . tes, el . le vo.le mou_che . rons.
Voir aussi :
b) Ma mignonne {\), suite de huit pièces de deux à huit voix, sur le
thème populaire :
Ma mignonne, je me plain 'De vostre ri- gueur si for-te.
(i) Les Maîtres musiciens de la Renaissance française, édition H. Expert; Le Printemps,
de Clauds Le Jeune, 2* fascicule, page i.
LA CHANSON ET LE MADRIGAL
ao7
c) La brunelette violette rejlorit (i), à cinq voix,
d) Doucète, sucrine (2), dont le rechant est d'un rythme si amusant
dans sa monotonie.
Dessus et
Haute-contre
Taille
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Gen _ til . le fleu . re' . te, puis
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que si bel _ le, si bel - le tu es
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toi,
e/c.
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Enfin :
e) Patoureîles jolietes (3), que nous avons ^éjà cité page 190.
Guillaume Costeley, né en France de parents écossais, fut valet de
chambre du roi Charles IX. L'une de ses chansons les plus connues est
celle intitulée : Puis que ce beau mois.
PÉRIODE DU MADRIGAL ACCOMPAGNÉ
ET DU MADRIGAL DRAMATIQUE
Orazio Vecchi. .
Matteo Asola. .
LucA Marenzio. .
Giovanni Gabrieli,
Felice Anerio. .
Adriano Banchieri.
Thomas Morley. .
Hans Léo Hassler.
vers
vers i 55o -f- i6o5
. 1 5. , -f- 1G09
1 55o -{■ 1599
ibb-j f i6i3
! 56o f i63o
1567 f 1Ô34
iSSy f 1604
i564 -î* 1612
vers
Orazio Vecchi, né à Modène, fut prêtre et chanoine de Correggio, ce
qui ne l'empêcha point de mener une vie des plus mouvementées ; sa bio-
graphie est remplie d'incidents bizarres, tels qu'organisation de danses
(i) Ibid. (3* fascicule, page 126).
(*) Ibid. (3« fascicule, page io3).
(î) Ibid. (3* fascicule, page 2 5).
3o8 LA CHANSON ET LE MADRIGAL
et de mascarades, rixes dans les églises, coltellate et coups de stylet.
Bien qu'il ait écrit une célèbre messe à huit voix, In resurrectione
Dojiimi, il n'en demeure pas moins le véritable précurseur de Vopera
buffa.
Vecchi fut, sinon le premier, du moins l'un des plus anciens et des
plus importants promoteurs d'une forme d'art qu'on peut rattacher à la
fois, par l'écriture, au style du poème symphonique, tel qu'au xix* siècle
le comprirent Liszt et Berlioz, et, par la réalisation expressive, au
drame musical.
Nous aurons à revenir longuement sur ce compositeur dans le troi-
sième livre de cet ouvrage, nous nous contenterons donc d'énumérer
ici ses œuvres principales, qui méritent toutes d'être lues attenti-
vement.
a) I Bgo. — La Selva di varia ricrea'^ione (i), cioe madrigali, cappricci,
balH, arie, justiniane, canioiiette, fantasie, serenate, dialoghi, un lotto
amoroso, cou una battag-lia a lo nel fine, suite un peu incohérente de
madrigaux, de trois à dix voix, où l'on peut trouver, comme l'auteur
le dit lui-même dans sa préface, « toutes les herbes et les plantes
mêlées, ainsi que dans une forêt. »
b) 1597. — ^^ Convito musicale (2), madrigaux de trois à huit voix
pour « tous les goûts ».
c) 1597. — L'Amfiparnasso, commedia armonica^ sorte de comédie
madrigalesque, consistant en quatorze morceaux à quatre et cinq voix,
dialogues pour la plupart.
d) 1604. — Le Veglie di Siena, overo i varii humori délia musica
moderna (3) ; dans cet ouvrage, divisé en deux parties, la première
badine [piacevole), la seconde sérieuse (grave), tous les genres de mu-
sique exécutables par une polyphonie ont été réalisés.
Giovanni Matteo Asola (4) publia, en 1687 et 1696, deux livres de
madrigaux.
LucA Marenzio, né à Coccaglio, près Brescia, fut maître de chapelle
du cardinal d'Esté, puis de Sigismond III, roi de Pologne, et mourut
d'un chagrin d'amour, à Rome, où il était organiste de la chapelle
pontificale.
(i) La forêt d'amusements variés où se trouvent : madrigaux, caprices, ballets, airs, justi-
niennes, chansonnettes, fantaisies, sérénades, dialogues, un devis amoureux avec une bataille
à dix (voix) pour finir.
(a) Le Banquet musical.
(3) Les Veillées de Sienne ou les divers caractères de la musique moderne.
(4) V. chap. X, page 176.
LA CHANSON ET LE MADRIGAL 309
Marenzio se fit une spécialité du chromatique comme moyen
expressif. On a de lui, imprimés chez les Gardane, de Venise, vingt-trois
livres de madrigaux très prisés par ses contemporains, qui le surnom-
mèrent /'/ piu dolce cigno.
Giovanni Gabrieli, neveu d'Àndrea Gabrieli(i), fut premier orga-
niste à l'église Saint-Marc de Venise et compta Heinrich SchUtz au
nombre de ses disciples. Il écrivit une assez grande quantité de madri-
gaux accompagnés (six livres), de quatre jusqu'à vingt-deux voix, ces
derniers en trois chœurs. Gabrieli fut l'un des maîtres les plus renom-
més de la dernière école de Venise.
Felice Anerio (2) écrivit plusieurs livres de madrigaux, de quatre à
six voix.
Adriano Banchieri, moine olivétain, organiste de Saint-Michel de
Bologne, fut un digne continuateur de l'art d'Orazio Vecchi, tout en
exagérant la manière de celui-ci jusqu'aux dernières limites du comique
populaire. Banchieri lit plusieurs livres de madrigaux accompagnés, et
aussi d'intéressants ouvrages théoriques, tels que : Cartella musicale
siil canlo Jîgiirato et VOrgano suonarino (1611); mais ses plus impor-
tants ouvrages sont les recueils de madrigaux dramatiques intitulés :
a) I metamor^fosi miisicali, en quatre livres ;
b) Il :[abaione musicale, inventione boscareccia, à cinq voix;
c) Bajxa di Venetia per Padona, en deux livres ;
d) Festino nella sera del gioredi grasso, en trois livres. Dans ceu festin
du jeudi gras » se trouve un bizarre assemblage polyphonique à huit
voix, ainsi présenté :
i" chœur : Deux amoureux chantent une cau\onelta, tandis que la
tante Bernardine raconte une histoire et qu'un vieux docteur
radote en latin.
2« chœur : Le chien aboie (bubbau)^
Le coucou fait kuku,
Le chat miaule ignao),
Le choucas chante {chiu)\
tout cela en contrepoint à huit parties solidement constitue. Ce
madrigal est intitulé : // contrapunto bestiale alla mente [Z) (1608).
é) Tirsi, Fili e Clori, six livres de Caii'^onette à trois voix (1614).
(i) V. chap. X, page 162.
(a) V. chap. x, page 176.
(3) On sait qu'on nommait : contrapunto alla mente l'ancien dédiant ou chant sur le livre
(voir chap. x, page 144).
COURS DE CO.MrOSITION 14
,,0 L\ CHANSON ET LE MADRIGAL
• /) Enfin, une œuvre vraiment dramatique en deux parties intitulées
Pallia senile (i) et Saviena giovenile (2) (iSgS), souvent réimprimée
jusqu'en 1628, sorte d'imitation non déguisée de VAmJiparnasso de
Vecchi, pour voix, instruments, etc., avec intermèdes. Cette œuvre
sera examinée en détail au début de notre étude sur l'art dramatique
(troisième livre).
Thomas Morley, élève du célèbre organiste anglais William Byrd et
chantre de la chapelle royale, fut un compositeur de chansons et de
madrigaux des plus féconds ; on connaît de lui un grand nombre de
madrigaux accompagnés, où figurent déjà des instruments tels que ti^eble
hite (luth aigu), pandora, cisterne^ base-viol, Jlute, treble-viol (violon) ;
un recueil de Ballets à cinq voix (danses chantées) et trois livres de
Canionets^ de trois à six voix.
Hans Leo Hassler (3) composa des madrigaux accompagnés sous
les titres : Nejve tiûtsche Gesang nach Art der jpelschen Madrigalien
iind Kanionetten (4)(i596), Lustgarten nejper deustcher Gesang (5),
Ballelti, GagUarden iind Intraden mit 4-8 Stimmen [\6o\).
Après avoir survécu encore quelque temps au xvii" siècle en Angle-
terre, l'art madrigalesque tomba, nous l'avons dit, dans une complète
déchéance, pour faire place à la suite instrumentale et à la musique de
chambre (concert, etc.), dont il fut le véritable précurseur vocal, comme
on le verra dans le deuxième livre de cet ouvrage.
'1) La folie sénile.
(2) La sagesse juvénile.
(3) V. chap. X, page 176.
(4) Nouveau chant allemand, suivant la manière des madrigaux et chansonnettes âamands.
(5) Le .'ardin d'agrément du nouveau chant allemand.
XII
L'ÉVOLUTION PROGRESSIVE DE L'ART
Le moyen âge. — Epoque rythmo-monodique : art intérieur. — Epoque polyphonique :
art extérieur. — Epoque métrique: art personnel. La Renaissance. — Eircts de la Renais-
sance sur la musique.
LE MOYEN AGE
L'étude successive de la cantilène monodique et de la musique
polyphonique a fait connaître les différences profondes qui séparent ces
deux formes de l'art musical, et justifient leur classification en deux
époques distinctes.
Cependant, ces deuxformes présentent plusieurs caractères communs,
tels que l'indépendance rythmique, la tendance presque uniquement
religieuse, etc. ; toutes choses qui disparaîtront totalement dans les
époques postérieures, pour faire place à des éléments nouveaux, tout
à fait incompatibles avec les manifestations artistiques que nous venons
d'étudier.
Mais ce n'est point la musique seule qui, parvenue à la fin de l'époque
polyphonique, subit une évolution complète; c'est l'Art lui-même, et,
avec lui, l'artiste, l'homme, les mœurs..., en un mot, la civilisation.
Ici se termine, en effet, le moyen âge^ sorte de cycle historique,
entièrement parcouru désormais, et nettement séparé aussi bien des
âges antérieurs que de l'époque contemporaine.
Qu'un véritable cj'cle artistique corresponde au cycle historique du
moyen âge, cela ne saurait faire de doute : il suffit pour s'en rendre
compte de jeter un rapide coup d'œil sur les évolutions progressives de
l'Art à cette époque.
Jusqu'au moment où l'esprit des croisades pénétra dans les peuples
d'Occident, leur caractéristique générale paraît avoir été l'attachement
au sol, l'existence familiale et tout intérieure.
2H L'ÉVOLUTION PROGRESSIVE DE L'ART
C'est seulement vers le xir siècle que nous voyons apparaître ce besoin
crextériorisation et ces déplacements en foule, suscités par l'admirable
fanatisme religieux des croisades.
On retrouvera dans toutes les formes de l'Art médiéval ces deux
tendances opposées et corrélatives. L'Art n'est-il pas unique^ et ses mille
manifestations différentes, soit dans l'espace, soit dans le temps, pour-
raient-elles suivre simultanément plusieurs orientations? Pareille ano-
malie se concilierait mal avec ce principe d'Unité, nécessaire à la
conception même de l'Art.
En examinant brièvement les transformations des autres arts,
aux époques qui correspondent à la classification que nous avons adop-
tée pour la Musique, nous constaterons une fois de plus cette Unité de
tendances et de caractères, aussi bien dans les arts plastiques de la
construction et du dessin, que dans les arts successifs du son et du
langage (i).
ÉPOQUE KYTHAIO-MONODIQUE
ART INTÉRIEUR
Les premières églises chrétiennes présentent un aspect simple, grave,
un peu lourd. A peine issues des catacombes, et n'osant encore, pour
ainsi dire, sortir de terre, elles imitent timidement les formes de la
basilique romaine.
A l'extérieur, leur harmonieux ensemble symbolise la foi mystique et
tout intime des premiers siècles de notre ère ; mais cette masse impo-
sante est encore dépourvue de l'ornementation complexe et audacieuse
qui caractérisera l'époque suivante.
Dans le temple, les piliers massifs, les arcs surbaissés, les pleins cin-
tres offrent partout aux regards leurs lignes pures, d'une netteté presque
géométrique. Bientôt on verra les voûtes, les frises, les chapiteaux se
charger de dessins décoratifs et de sculptures énigmatiques, plus ou
moins faciles à interpréter. Mais la ligne demeure toujours intacte ."ligne
droite, ou courbure empruntée exclusivement au cercle^ figuration sym-
bolique de la divine perfection.
Telle est l'architecture romane, dans sa mystérieuse simplicité.
Les mêmes phénomènes se retrouvent du vi* au xhi** siècle dans le
premier âge de l'art plastique. Que celui-ci se manifeste dans le monu-
ment sous la forme de mosaïque, de peinture décorative ou de relief, il
fait toujours corps avec le mur lui-même. Arrachée à sa muraille et
II' Voir dans l'Introduction, p. 17, la distinction entre ces deux sortes d'art.
L'EVOLUTION PROGRESSIVE DE L'ART 7iS
transplantée dans un musée, la fresque de cette primitive époque perd
une partie de sa beauté et de sa signification ; privée de sa fresque, la
muraille apparaît défigurée, et comme honteuse d'une nudité qui
semble la rendre inutile. L'art plastique, en effet, est essentiellement une
partie intégrante du temple chrétien : il n'a pas été conçu autrement
par tous ces grands poètes qu'on désigne sous le nom générique de
peintres primitifs, les Siennois, les Ombriens, jusques et y compris
Giotto.
Au cours de cette admirable floraison de la fresque et de la mosaïque,
véritable peinture de pierre, la Musique, elle aussi, fait partie de
l'église : elle est purement liturgique, mais expressive infiniment. Peu
à peu, comme les chapiteaux de l'architecture romane, la monodie se
revêt d'ornements et de symboles, sans rien perdre de sa naïveté pri-
mitive.
Cependant l'art musical, plus peut-être que tous les autres, reste
intérieur, comme la foi dont il est l'émanation : il ne connaît pas d'autre
but que la prière, l'enseignement des vérités éternelles, et l'humble
proclamation de la gloire de Dieu par sa très misérable créature.
ÉPOQUE POLYPHONIQUE
ART EXTÉRIEUR
Mais voici que retentit dans la chrétienté tout entière le pieux cri de
guerre proféré par Pierre l'Ermite : une formidable poussée vers
l'extérieur se produit, et pendant plus de deux cents ans nous assistons
à la plus étonnante effervescence religieuse dont l'histoire ait conservé le
souvenir.
« Les croisades, a dit Guizot, ont révélé l'Europe chrétienne. » Leur
influence s'est fait sentir, en eftet, non seulement sur les tendances
politiques et sociales de tous les peuples d'Occident, mais encore sur
toutes leurs manifestations artistiques.
Vers le xni« siècle, l'art, enfermé auparavant dans l'église, se répand
au dehors ; il emploie tous les moyens possibles pour proclamer hau-
tement sa foi, et attirer le peuple dans la maison de Dieu.
Alors, le cintre se fait ogive, l'église s'élève, majestueuse, et s'élance,
pour ainsi dire, vers le ciel ; alors, les flèches ajourées s'érigent,
comme pour porter triomphalement la prière humaine jusqu'aux pieds
du Très-Haut. L'extérieur du temple se garnit de sculptures jusqu'à la
profusion ; la statuaire brise les chaînes qui depuis de longs siècles la
rivaient au mur, elle donne à ses œuvres une individualité plus nette
et une signification plus précise. Sur les autels, sur les portails, sur les
214 L'ÉVOLUTION PROGRESSIVE DE L'ART
galeries extérieures et jusque sur les tours même, elle élève les multiples
témoignages de la gloire de Dieu et des victoires de la Foi.
Ainsi est édifiée l'œuvre la plus grandiose du xiii* siècle, cette créa-
tion vraiment nationale des architectes anonymes de l'Ile-de-France :
la cathédrale française, dont l'admirable splendeur rayonna jusqu'au
delà du Rhin, des Alpes- et des Pyrénées.
En vertu de la même évolution, la peinture abandonne les murailles
du temple, pour descendre jusque dans le sanctuaire, où elle vient
embellir les autels et les chapelles. Elle se fait triptyque, prédelle,
tableau à volets, mais a toujours pour objet l'ornementation spéciale
d'une place déterminée.
C'est l'époque où, du xiv^ au xvi^ siècle, apparaissent d'abord les Fra
Giovanni da Fiesole, les Lippi, les Ghirlandajo, les Gozzoli, ces sublimes
italiens, et, un peu plus tard, les Van Eyck, les Memling, les écoles
de Cologne et du Bas-Rhin.
Une transformation semblable s'est opérée dans la Musique. Aux
calmes et simples monodies ont succédé déjà les ornements jubilatoires
et symboliques les plus compliqués : un seul chant ne suffira plus dé-
sormais à la foi agissante et militante. L'esprit de combativité pénètre
jusque dans l'art des sons, par la polyphonie et le contrepoint vocal, où
les parties superposées sont en perpétuel antagonisme, véritable tournoi
musical, bien fait pour rehausser l'éclat des cérémonies religieuses.
Tout l'art s'extériorise et rayonne, non plus seulement dans l'église,
mais aussi dans les demeures et les fêtes profanes, où le madrigal
apportera bientôt le« riche coloris des formes contrapontiques.
Ainsi s'est accompli le cycle artistique du moyen âge, dans son
double mouvement de concentration et d'expansion, qu'on pourrait
comparer aux modulations successives vers les quintes graves et vers
les quintes aiguës, vers l'obscurité et vers la clarté.
Toutefois, au cours de cette évolution, un caractère distinctif de
l'art médiéval a subsisté : l'impersonnalité de l'artiste, qui, souvent
inconscient et anonyme, toujours modeste et sincère, crée des chefs-
d'œuvre qu'il ne saurait concevoir sans une destination précise, ni
exécuter sans une étroite soumission aux traditions reçues et docile-
ment acceptées. Aussi, est-ce avec beaucoup de raison que M. Emile
Mâle a pu s'exprimer ainsi dans son intéressant ouvrage, à propos de
ces ouvriers-artistes :
« L'art du moyen âge, dit-il, est comnie sa littérature : il vaut moins
par le talent conscient que par le génie diffus. La personnalité ne s'y
dégage pas toujours, mais d'innombrables générations d'hommes par-
lent parla bouche de l'artiste.
L'ÉVOLUTION PROGRESSIVE DE L'ART
21b
« L'individu, même quand il est médiocre, est soulevé très haut par
le génie de ces siècles chrétiens.
« A partir de la Renaissance, les artistes s'affranchissent des tradi-
tions, à leurs risques et périls. Quand ils ne furent pas supérieurs, il
leur devint difficile d'échapper à l'insignifiance et à la platitude, et
quand ils furent grands, ils ne le furent certes pas plus que les vieux
maîtres dociles qui surent exprimer naïvement la pensée du moyen
àge(i). »
C'est donc par ce caractère d'impersonnalité que l'art médiéval se
différencie profondément de celui des époques subséquentes. Nous
allons assister à la disparition rapide de ces admirables qualités de
naïveté et de foi sincère. Sans doute, Tart vrai a survécu au cycle du
moyen âge, mais la transformation très profonde qu'il a subie ne s'est
pcJint opérée sans une période de dépression et d'amoindrissement, dont
nous ressentons encore les fâcheuses conséquences.
ÉPOQUE MÉTRIQUE
ART PERSONNEL. — LA RENAISSANCE
A partir du xvi' siècle, l'art marque une double évolution : du côté de
l'artiste, c'est l'esprit de personnalité et de particularité qui se mani-
feste : les désirs de gloire, et plus tard de profit sont les principaux
mobiles qui le font agir, et remplacent en lui, peu à peu, la foi robuste
et simple de ses devanciers.
Désormais, l'artiste, qu'il soit architecte, peintre ou sculpteur, signera
toujours son œuvre, à laquelle son nom demeurera attaché. Certes, les
hommes de génie ne manqueront pas; mais, sauf de rares exceptions,
nous ne rencontrerons plus en eux ce dévouement modeste et cette
subordination toute chrétienne de l'artiste à l'Œuvre, qui firent si
grand et si respectable l'art du moyen âge.
Dominé par la foi chrétienne, le redoutable ennemi de l'homme,
l'Orgueil, s'était rarement manifesté Jusqu'ici dans l'âme de l'artiste.
Mais, avec l'affaiblissement des croyances, avec l'esprit de Réforme
appliqué presque en même temps à toutes les branches du savoir
humain, depuis le langage usuel jusqu'aux théories philosophiques et
religieuses, nous verrons reparaître l'Orgueil, nous assisterons à sa
véritable Renaissance.
Par contre, à mesure que la personne de l'artiste se particularise, son
œuvre devient de plus en plus indéterminée dans sa destination : elle
n'est plus faite pour un lieu, pour un but spécial. Peu importe à l'ar-
chitecte que sa construction soit église, temple ou palais, pourvu qu'elle
(0 Voir l'Art religieux du XI II' siècle en France, par Emile Màic, p. j.
21b L'ÉVOLUTION PROGRESSIVE DE L'ART
soit son œuvre à lui, et qu'elle sacrifie à l'engouement du jour pour
l'imitation de la nature et la reconstitution de l'art antique. Aussi,
églises et palais vont-ils désormais revêtir le plus souvent le même
aspect.
Le sculpteur déploiera tout son talent pour orner les façades, les
parties du monument destinées k être vue s . Le peintre mettra tout son
art à faire le portrait des personnages célèbres de son temps, de sa ville
natale ou de son entourage; la fresque même perdra totalement son
caractère décoratif d'un lieu, pour devenir un simple tableau, auquel un
cadre doré conviendrait mieux qu'un encadrement de pierre (i).
Chacun travaille pour soi et aussi pour le succès. L'aristocratie en-
vahissante et oisive ne tarde pas à s'attacher les artistes, comme des
objets de luxe qu'on ajoute à une opulente collection. Alors, en raison
même de la rareté plus grande des hommes de valeur, apparaissent les
faux artistes, les imitateurs sans génie, les habiles, dont la notoriété
prodigieuse et éphémère est due principalement à l'ignorante fatuité de
quelque Mécène, qui tient à leur succès comme à la supériorité de tout
ce qui lui appartient.
EFFETS DE LA RENAISSANCE SUR LA MUSIQUE
La Musique n'a point échappé à cet engouement prétentieux de la
Renaissance pour la reconstitution de l'art antique et l'imitation de la
nature ; mais, comme pour toutes les autres évolutions auxquelles elle
a été soumise, elle n'en a ressenti les effets que près d'un siècle après
les autres arts. Cela tient sans doute à son essence même, plus intime et
plus idéale : il est normal que les modifications du génie humain
atteignent d'abord la plastique, avant de pénétrer jusque dans cet art si
subtil et si fin, qui peut presque se passer du support matériel, auquel
il emprunte seulement la force, le mouvement vibratoire, l'action so-
nore, et non la matière même.
C'est donc vers le xvu* siècle que nous assistons seulement à la véri-
table Renaissance musicale^ dont les effets se font sentir aussi bien sur
le rythme que sur la mélodie et l'harmonie.
Tant que la cantilène monodique avait subsisté, aucune indication
relative à la durée exacte des notes qui la composaient n'était nécessaire :
le rythme seul, représenté parla forme des neumes, régnait en maître
souverain sur la musique. L'apparition de la polyphonie rendit néces-
■ (i) Seul peut-être à l'époque moderne, un grand artiste, qui ne fut jamais membre d'aucun
institut, Puvis de Chavannes, sut conserver à la fresque son caractère d'origine. II suffit
pour s'en convaincre d'entrer au Panthéon, à Paris, et de comparer entre elles les diverses
décorations murales qui représentent les scènes de la vie de sainte Geneviève.
L'E\0I.UT10N F'ROGRESSIVE DE L'ART 217
saire Tcmploi de signes indiquant les notes où les différentes parties
devaient aboutir simultanément. Nous avons vu cependant que le
rythme n'avait point perdu ses droits dans la musique de la seconde
époque, car la mesure rudimentairc qui y est à peine indiquée n'entrave
nullement la marche rythmique des parties vocales.
Au xvn" siècle, au contraire, sous l'influence chaque jour croissante
des mensuralistes (i), dont les théories étroites prétesdaient s'appuyer
sur les principes de l'art antique, la barre de mesure cesse d'être un
simple signe graphique ; elle devient un point d'appui périodique du
rythme, auquel elle enlève bientôt toute sa liberté et son élégance. De là
proviennent ces formes symétriques et carrées, auxquelles nous devons
une grande partie des platitudes de l'italianisme desxvni^et xix^ siècles.
La mélodie n'est pas plus favorablement traitée par les théoriciens et
musiciens de la Renaissance. Toujours au nom de l'art antique et de la
nature, voici que Vincent Galilée (2) jette l'anathème sur la forme col-
lective des parties mélodiques de la polyphonie. « La voix doit chanter
seule, » dit-il ; et tandis que Zarlino (3) et lui se lancent mutuellement
à la tête des textes de l'antiquité plus ou moins bien compris, l'usage
du solo s'établit rapidement, car il flatte la vanité de l'époque, en per-
mettant au virtuose de briller et d'obtenir le succès qu'il recherche.
Ainsi, d'abord dans le madrigal, puis dans la musique de cham-
bre et dans l'art dramatique, les parties mélodiques superposées
de l'école contrapontique se transforment bientôt en simples parties
accompagnantes, sans caractère et sans dessin, que le compositeur
indique seulement par leurs notes de basse, sans même se donner la
peine de les écrire.
Alors commence le règne de la Basse continue, sorte d'accompagne-
ment grossier et rudimentairc, dont la réalisation laisse le champ libre
à toutes les incorrections et les banalités dont est susceptible le vir-
tuose, plus ou moins exercé, qui en est chargé.
Toutes lesfausses théories harmoniques établiespour la justificationdu
système de la basse continue datent de la même époque. Chacun essaie
de classer les accords comme il peut, et échafaude laborieusement des
règles qu'il est obligé de transgresser dans la pratique.
Les idées de symétrie étroite et servile, puisées dans des ouvrages de
l'antiquité, mal traduits pour la plupart, donnent naissance au système
de parallélisme absolu des deux gammes majeure et mineure. En
construisant les deux échelles modales, les deux accords parfaits et les
(1) C'est aussi à ces nicincs théories mensuralistes qu'on doit les erreurs grussières intro-
duites dans riutcrprétation des signes du plain-chant.
(2) Voir chap. ix, p. 134.
(3) Voir chap. i.x, p. i34.
,,8 " L 'EVOLUTION PROGRESSIVE DE r.'ART
cadences correspondantes dans le même sens, les théoriciens du xyii* siècle
ont totalement méconnu les phénomènes de la résonnance inférieure ;
ils n'ont abouti qu'à la gamme mineure ascendante avec altération de
la sensible (sol s), gamme hybride, artificielle, irrégulière, qui subsiste
encore dans notre musique, où elle occupe la place légitimement réser-
vée à la véritable gamme mineure en mode inverse, sur laquelle étaient
encore construits la plupart des motets de mode mineur des xv« et
xvi^ siècles.
Tels sont, sommairement résumés, les divers effets immédiats de
l'esprit personnel de la Renaissance sur l'art en général, et particuliè-
rement sur la Musique.
Un tel bouleversement dans l'état de choses préexistant ne pouvait
s'accomplir sans entraîner, momentanément tout au moins, le chaos
et l'anarchie. Mais, en vertu des grands principes mécaniques et rythmi-
ques d'oscillation et d'équilibre, — dont nous avons fait dépendre tous
les phénomènes musicaux que nous venons d'étudier, — toute action
provoque inévitablement une réaction. De cette période néfaste et
troublée de la Renaissance devait sortir un art nouveau, individuel
et puissant, qui, après une longue et pénible élaboration, devait
s'épanouir et rayonner dans toute l'Europe occidentale : en Italie,
en France, en Allemagne.
C'est l'étude de cette nouvelle époque qui fera l'objet de la suite de
cet ouvrage.
. PIN
DU PREMIER LIVRE
APPENDICE
INDICATION DU TRAVAIL PRATIQUE DE L'ÉLÈVE
Notions préliminaires. — Composition musicale. — Le choral varie.
NOTIONS PRELIMINAIRES
Pour entreprendre avec fruit l'étude de ce premier cours de compo-
sition, l'élève devra avoir acquis préalablement, et d'une façon complète,
toutes les connaissances musicales du premier degj'é dans l'ordre de la
composition, c'est-à-dire avoir terminé les cours de Solfège^ de Chant
grégorien théorique et pratique et d'Hat^tnome.
Sûr cette dernière matière, le maître devra, sans s'attarder trop long-
temps, lui donner d'une façon claire et précise les notions suivantes:
enchaînements de l'accord (parfait) à quatre parties vocales ;
adjonction de notes dissonnantes à l'accord (parfait) ;
théorie et application des retards,
en prenant soin que l'élève s'attache avant toutes choses à chercher,
dans ses réalisations à quatre parties, ïifitérét mélodique.
On passera alors à l'étude du contrepoint strict à deux parties, de
toutes les espèces, sur lequel on ne devra pas insister outre mesure ;
puis à celle du contrepoint strict à trois parties, également de toutes les
espèces.
Malgré l'application des règles scolastiques, on devra toujours dans
le contrepoint respecter les droits de la musique, c'est-à-dire que cha-
cune des parties contrepointées sera conçue mclodiquement, et non point
selon le système du remplissage harmonique.
Lorsque le maître jugera l'élève capable d'établir couramment et sans
920 APPENDICE
difficulté un contrepoint musical à trois parties, il pourra l'autoriser à
commencer le cours de composition, tout en menant de front, pendant
cette même année, l'étude approfondie du contrepoint strict et libre a
quatre parties (i), du contrepoint double et du choral varié, sur lequel
nous donnerons des explications à la fin de cet appendice.
Voilà, en résumé, les connaissances dont Tesprit de l'élève devra être
orné, avant et pendant cette première année d'étude de la composition
musicale :
COftîPOSITION MUSICALE
Au fur et à mesure que chacun des chapitres de ce cours aura été
enseigne, commenté et compris, le maître devra exiger les travaux écrits
suivants :
Chapitre I.
Analyses rj'thmiques . — Dans ce travail, l'élève devra se libérer
de toute espèce d'attache métrique, pour ne conserver que le schème
rythmique de la mélodie donnée.
Chapitre II.
Analyses mélodiques. — Division de la mélodie en phrases, de la
phrase en périodes, de la période en groupes mélodiques. — Réduction
au schème mélodique. — Placement des accents toniques et' des
accents expressifs.
Chapitre III.
Transcription en notation neumatique de monodies grégoriennes
écrites en notation usuelle.
Transcription en notation usuelle de pièces écrites en notation pro-
portionnelle.
Transcription en notation usuelle de pièces écrites en tablature.
On devra faire également le travail inverse.
Chapitres IV et V.
Composition de monodies. — Pour que ce travail, sur lequel le-maître
(i) Des notions sommaires de contrepoint à 5, 6, 7 et 8 parties, seront suffisantes, ces réa-
lisations ressortant plutôt du casse-tête chinois que de la musique.
APPENDICE 33 1
devra beaucoup insister, soit fait avec fruit, il sera nécessaire que l'élève
dégage son esprit de toute préoccupation harmonique.
La monodie devra puiser sa force dans le principe mélodique^ uni-
quement.
Cette sorte de travail comprendra deux réalisations différentes :
\° Monodie avec paroles, dans laquelle le sens du texte déterminera
le dessin mélodique (i).
2° Monodie sans paroles, vivant de sa propre vie mélodique.
Chapitî^es VI et VIL
Exercices divers sur la génération des harmoniques, la formation des
gammes des deux modes et le cycle des quintes.
Exercices en divers tons établissant les tonalités voisines d'une tona-
lité donnée.
Analyses harmoniques. — Détermination des fonctions tonales dans
des passages harmoniques donnés. — Indication de la fonction harmo-
nique générale dans chaque période.
Chapitre VIIL
Analyses expressives. — Déterminer les facteurs expressifs dans
tels fragments d'œuvres musicales que le maître aura désignés.
Chapitre X.
Analyses de motets. — Etablir clairement, au double point de vue
du texte et de la musique, les grandes divisions d'un motet donné. —
Réduire chaque division en phrases et périodes. — Trouver la
mélodie continue de la pièce. — Déterminer les passages appartenant
plus particulièrement à l'ordre symbolique.
Composition d'un motet sur un texte choisi par l'élève (2).
Chapitre XL
Analyses de chansons et de madrigaux. — Noter les différences
qui existent entre le style de ces pièces et celui du motet.
(i)Il sera nécessaire de choisir pour ce travail des textes ne présentant point de com-
plexité de sentiments, et faciles à exprimer par de pures lignes.
(2) Si l'élève est bien doué, le maître devra tolérer les écarts auxquels pourrait l'entraîner
sa nature, au cours de ce travail de composition, sans lui laisser toutefois transgresser les
lois fondamentales de la construction.
«a APPENDICE
Composition d'un madrigal et d'une chanson polyphonique^ sur des
paroles laissées au choix de l'élève.
Au cours de toute cette période d'instruction, le maître devra s'assu-
rer par des interrogations que l'élève a saisi et retenu la partie histo-
rique du cours, sur laquelle il n'est point exigé de devoir écrit.
Il devra, de plus, veiller au travail de contrepoint de Télève et
l'instruire dans l'écriture du choral varié.
LE CHORAL VARIÉ
On choisira dans les monodies grégoriennes ou dans les chorals des
Cantates et des Passions de Bach, des mélodies régulièrement divisibles
en périodes, que l'élève devra traiter de trois façons différentes:
1° Réalisation à quatre parties ; le choral indifféremment à l'une
ou l'autre des voix.
20 Première variation, à deux parties. — Chaque période du choral
s'allonge de manière à constituer une phrase complète, tout en
gardant sa physionomie mélodique propre, pendant qu'une seconde
mélodie librement contrepointée court et s'enroule autour de la pre-
mière.
3° Deuxième variation, à trois parties. — L'une des parties fera
entrer périodiquement le choral sur les contrepoints formés par les
deux autres.
Ce travail a pour but d'instruire l'élève dans l'art du développement
mélodique {première variation) et du développement harmionique (deuxième
variation), qu'il aura à employer plus tard d'une façon plus raisonnée.
On pourra, dans les commencements, prendre pour guide les trois par-
<ï7as pour orgue de J.-S. Bach sur les chorals : Christ^ der Du bist der
belle Tag^ — O Gott, Du frommer Gott, — Se/ gegrûsset, Jesu gHtig[\).
Il est enfin deux qualités que le maître devra s'efforcer de tout son
pouvoir de faire naître ou de développer dans l'âme de son élève, qua-
lités sans lesquelles la science ne peut servir de rien : l'amour non égoïste
de l'art et l'enthousiasme pour les belles œuvres.
(i) Edition Peters, V* livre d'orgue, pages 6o, 68 et 76.
FIN DE l'aPPENDICS
TABLE DES MUSICIENS ET THÉORICIENS
APPARTENANT AUX DEUX PREMIÈRES EPOQUES DE L'HISTOIRE MUSICALE
Adam de la Halle, p. 88.
Aichinger, p. 176.
Allegri, p. 167, 176.
Anerio (Felice), p. 176.
Anerio (G.-Fr.), p. 176, 207.
Animuccia, p. 161.
Arcadelt, p. 198.
Asola, p. 176, 208.
Attaignant, p. 195,203.
Baïf (J.-Ant. de), p. 203.
Banchieri, p. 209.
* Barbereau, p. 138, 139.
Binchois, p. 195.
Brumel, p. 192.
Busnois, p. 195.
Claudin Le Jeune, p. 190, 195, 203 et
suiv.
Claudin de Sermizy, p. 160, 203.
Clemens non papa, p. 160.
Compère (Loyset), p. 192.
Costcley, p. 207.
Cyprian de Rore, p. 134, 199.
Dufay, p. 154
* Duiuite, p. 19, 138, 139.
Festa, p. 161, 200.
Finck (Heinrich), p. 160, 197,
Francon l'aîné, p. 152.
Francon de Cologne, p. 152.
Gabrieli (Andréa), p. 162, 176, 200, 209
Gabrieli (Giovanni), p. 177, 209.
Gafori, p. 144, 153.
Galilei (Vincenzo), p. 134, 217.
Gardane, p. 198, 209.
Glaréan, p. 153.
Gombert (Nie), p. 199.
Goudimel (Cl.), p. 160, 197.
Guerrero, p. 168.
Gui d'Arezzo, p. 50, 61, 75.
Guilhelmus Monachus, p. 145.
H
Hassler (H. Léo), p. 176, 210.
* Hauptmann (Moritz), p. 139.
Helmholtz, p. 125, 139, 140.
Hermann Contract, p. 56, 57.
Heyden (Sebald), p. 153.
Hobrecht, p. 154.
Hothby, p. 153.
Hucbald, p 55, 57
Isaak, p. 160.
124
TABLE DES MUSICIENS ET THEORICIENS
Janequin, p. 190, 195.
Jérôme de Moravie, p. 152.
fosquin Deprès, p. 155, 160, 191, 195,
198, 199.
Larue (Pierre de), p. 192, 195.
Lassus (Roland de), p. 172, 189, 197,
199.
M
Marchettus de Padoue p. 153.
Marenzio, p. 208, 209.
Mauduit, p. 203.
Monte (Phil. de), p. 199.
Morales, p. 168.
Morley, p. 210.
Mouton (Jean), p, 160, 198.
Mûris (Jean de), p. 144, 152.
N
Nanini, p. 161, 167, 176.
Notker Balbulus, p. 73.
Odington (Walter), p. 153.
Okeghem, p. 154, 155, 191, 195.
Palestrina, p. 146, 147, 161, 162, 166
et suiv., 173, 176, 193, 200.
Pérotin, p. 152.
R
Rameau, p. i35, 136, 139, 204.
Richafort, p. 160.
Riemann (Hugo), p. 25, 35, 141,
Romanus, p. 55, 57.
Schûlz, p. 177, 182, 188,20g.
Senfl, p. 160.
' Tartini. p. 135, 137, 140.
Tinctor (Jean), p. 152.
Tunstede, p. 153.
Vecchi, p. 207 et suiv. . .
Verdelot, p. 196.
Vitoria, p. 69, 149, 168, 169, 171, 173.
Vitry (Phil. de), p. 152.
* Von OEttingen, p. 137, 140, 141.
W
Willaert, p. 134, 160, 198, 199.
Zarlino, p. 134 et suiv., 139, 153, 217.
* Les auteurs dont les noms sont précé-
dés d'un astérisque sont postérieurs à là
deuxième époque et ne figurent ici qu'à titre
de continuateurs des théories harmoniques
de Zarlino.
^
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS.
INTRODUCTION
I. L'Art
II. L'Œuvre d'art et VArtiste.
La Création artistique. . .
Les facultés artistiques de l'â-
me
Caractères de l'Œuvre d'art.
i3
Caractéristique de l'Artiste.
III. Le Rythme dans l'art.
La perception artistique. .
Classifications anciennes des
arts
Les éléments de la musique.
«4
1»
•9
CHAPITRE I
LE RYTHME
Le rythme musical 23
Constitution du rythme musical. 24
Rythme binaire. Rythme ternaire. 25
Rythme masculin. Rythme féminin. 26
Le rythme et la mesure. .
Le rythme de la parole
rythme du geste. . .
et le
26
27
CHAPITRE II
LA MÉLODIE
L'accent
L'accent 29
Accent tonique. Accent expres-
sif 3o
La mélodie 3i
Place de l'accent tonique dans le
groupe mélodique 32
Principe de l'accentuation : la
rythmique mélodique. ... 33
COURS DE COMPOSITION.
Principe du mouvement : la pé-
riode 36
Principe du repos : la phrase. . 39
Principe de la tonalité : la mo-
dulation mélodique 4^0
Formes de la mélodie : types pri-
maire, binaire, ternaire. ... 41
La phrase carrée 4*
Analyse d'une mélodie 4^
3 26
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE III
LA NOTATION
La notation et l'écriture. Ecritu-
res idéographiques, syllabiques,
alphabétiques. Notations en li-
gnes, en neumes, en notes. . . 47
Notation neumatique. Notation
ponctuée 49
Gui d'Are^^fo. Les noms des notes.
La portée 5o
La notation proportionnelle. Nota-
tion noire. Notation blanche. 53
Erreurs des plain-chantistes du
xviie siècle 54
Notations conventionnelles et nota-
tiontraditionnelle 55
Les tablatures 56
Transformation des signes tradi-
tionnels. Silences. Mesures.
Clés. Accidents 60
Imperfections de la notation con-
temporaine 62
CHAPITRE IV
LA CANTILENE MONODIQUE
La cantilène monodique. ... 65
Genre primitif: ses deux aspects. 66
Genre ornemental.
A) Les antiennes 67
JB) Les alléluia et les traits. . 68
C) Les ornements symboliques. 71
Genre populaire,
il) Les hymnes 72
B) Les séquences
Hypothèse du cycle grégorien. .
Le caractère expressif de la can-
tilène monodique médiévale. .
Etats corrélatifs de l'ornement dans
la monodie et dans la graphique
médiévales
Les timbres
73
73
74
76
77
Le chant populaire profane. . ,
Origine des monodies populai
res
Le rythme populaire. Le couplet
CHAPITRE V
LA CHANSON POPULAIRE
83
85
Les -trois états successifs du cou-
plet 86
Le refrain. Son rôle dans la musi-
que symphonique 90
CHAPITRE VI
L'HARMONIE
L'accord
Notions générales 91
Origine de l'harmonie : diaphonie ;
déchant ; contrepoint ; poly-
phonie 9^
L'Accord. . 9\
Notions d'acoustique 94
Résonnance supérieure. Accord
majeur 95
Pésonnance inférieure. Accord
mineur 98
Les deux aspects de l'accord. 100
Lesdeux aspects de la gamme. Les
modes loi
Genèse de la gamme 102
Les rapports simples io3
Rôle respectif de l'harmonique
3 (quinte) et de l'harmonique
5 (tierce) dans la genèse de
la gamme 104
Le cycle des quintes io5
TABLE DES MATIERES
a-?
CHAPITRE VII
LA TONALITÉ
Valeur esthétique de l'accord,
La tonique 107
La tonalité dans les trois éléments
de la musique 108
Le rôle de la quinte 109
Les trois fonctions tonales. . . 109
Tableau des fonctions tonales. . iio
La cadence et ses divers aspects. iio
Constitution de la tonalité. Pn-
renté des sons 1 i3
Limite de la tonalité ii5
Application du principe de tona-
lité à la connaissance de l'har-
monie 116
Analyse de l'harmonie àl'aiJedes
fonctions tonales 117
CHAPITRE VIH
L'EXPRESSION
L'action expressive dans les trois
élc'ments de la musique. , . i23
L^agogique 124
La dynamique 124
Le rôle spécial du timbre dans la
dynamique i25
hd. modulation 126
Parenté des tonalités. Tonalités
voisines 127
Tableau des tonalités voisines. . 129
Loi de la modulation entre les tona-
lités de même mode i3o
Différence entre les dominantes et
les sous-dominantes i3o
Loi de la modulation entre les
tonalités de mode différent. . ;3i
Raisonexpressivedela modulation i32
CHAPITRE IX
HISTOIRE DES THÉORIES HARMONIQUES
Le problème de l'harmonie dans
l'histoire i33
Zarlino i34
Rameau i35
Tariini 187
Barbereau i38
Durutte 1 38
Hauptmann i39
Helmholt:^ 189
Von Œttingen 140
Riemann 141
CHAPITRE X
LE MOTET
Formes polyphoniques primitives. 143
Forme de la pièce liturgique. . 146
Forme du motet. 147
Constitution de la phrase dans le
motet i5o
YoTmQ an répons i5i
Histoire des formes polyphoniques
primitives : les déohanteurs et
les théoriciens i5t
Histoire du motet . . .
Période franco-flamande.
Période italo-espagnole.
Période italo-allemande.
i53
i54
101
175
aab
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE XI
LA CHANSON ET LE MADRIGAL
Les formes polyphoniques profa-
nes : la c/iaH5on i85
Le madrigal i86
Le madrigal accompagné. ... 187
Le madrigal dramatique. . . . 188
Formes de la chanson et du ma-
drigal 189
Histoire de la chanson polyphoni-
que et du madrigal 194
Période de la chanson polyphoni-
que 194
Période du madrigal simple. . . .197
Période du madrigal accompagné
et du madrigal dramatique.. . 207
CHAPITRE XII
L'ÉVOLUTION PROGRESSIVE DE L'ART
Le moyen âge 211
Epoque rythmo-monodique : art
intérieur * 212
Epoque polyphonique ; art exté-
rieur 2l3
Epoque métrique : art personnel.
La Renaissance 2i5
Effets de la Renaissance sur la
musique. 216
APPENDICE
INDICATION DU TRAVAIL PRATIQUE DE L'ÉLÈVE
Notions préliminaires. . . . . 219 j Lg choral varié.
Composition musicale 220 |
TABLE DES MUSICIENS ET THÉORICIENS appartenant aux deux
PREMIÈRES ÉPOQUES d'hISTOIRE MUSICALE. .. 223
^t
Paris- Poitiers — Société française d'Imprimerie et de I,ibrairie,
(1-21).
COURS
DE
COMPOSITION MUSICALE
DEUXIÈME LIVRE -- PREMIÈRE PARTIE
v*-
VINCENT D'INDY
f I** ^l*t ^i^ ^i^ ^1^ ^1^ yt^ ^j*s ^l^ ^^^ ^^*^ ^I^ ^I^ ^1^ ^X^ ^i;^ ^j;*^ ^jl^ ^il^ t*il^ ^2^ ^1^ f*i*>
COURS
DE
COMPOSITION MUSICALE
DEUXIÈME LIVRE — PREMIÈRE PARTIE
REDIGE AVEC LA COLLABORATION DE
AUGUSTE SÉRIE Y X
D'après les notes prises aux Classes de Composition
DE LA SCHOLA CANTORUM
EN iSgg 1900
PARIS
A. DURAND ET Fils, Editeur?
4, Place de la Madeleine
PROPRIÉTÉ POUR TOUS PAYS, Y COMPRIS LA SUÈDE ET LA NORVÈGE
(Tous droits de traduction réservés)
INTRODUCTION
I. La Musique Sympiioniquiî et la Musiquk Dramatique.
II. Classification des Genres Symphoniques.
III. La Composition Musicale et la Construction Architkcturalb,
La Musique Symphonique et la Musique Dramatique.
Les manifestations musicales, quelles qu'en soient la forme et l'épo-
que, se répartissent assez naturellement en deux grandes catégories,
soumises, l'une aux lois rythmiques du geste, l'autre à celles de la
pat^ole.
Ces deux catégories, différentes en principe, quoique parfois difficiles
à délimiter, ont été souvent opposées l'une à l'autre, dans le Premier
Livre de cet ouvrage. Elles ont notamment servi de base à la distinction
d'origine, établie entre les chants profanes et les chants sacrés des
deux premières époques (i).
Avec les divers genres musicaux de la troisième époque (2), cette dis-
tinction profonde reparaît, et s'accentue même, au point d'être érigée
(i) Voir Premier Livre, p. 27 et 28.
(2) La division de l'i-I sioire de lu Musique en trois grandes époques a été établis dans
l'Avani-Propos du Premier Livie du Cours de Composition.
6 INTRODUCTION
dorénavant en division fondamentale: en effet, tandis que l'élément
métrique introduit par les doctrines de la Renaissance va devenir pré-
pondérant dans la musique, nous verrons éclore, après une longue
période d'élaboration confuse, une foule de formes nouvelles, issues,
soit du Motet, soit surtout du Madrigal; et, à mesure que ces
formes iront se multipliant et se différenciant, l'influence originelle
du Rythme du Geste et du Rythme de la Parole s'y accusera plus
nettement.
Ainsi s'établiront bientôt deux ordres distincts, on pourrait presque
dire deux arts particuliers, auxquels nous donnerons les noms de
Musique Symphonique et de Musique Dramatique, parce que la Sympho-
nie et le Drame peuvent être considérés comme les formes les plus
caractéristiques respectivement issues du Geste et de la Parole
rythmés, comme les types synthétiques de ces deux grandes caté-
gories.
Le nom de Symphonie (ij-Jv. arec \ 90JVÀ,ro/.v, son : « consonnance »)
est très ancien et a passé successivement par plusieurs acceptions
diverses.
Chez les Grecs, vraisemblablement étrangers au concept harmoni-
que de la simultanéité des sons différents, le mot (7ua.®(i)yia désignait
l'état consonnant de deux notes consécutives, Tune par rapport à
l'autre.
Les auteurs du xvi« siècle, et notamment Giovanni Gabrieli (i),
ressuscitèrent ce mot, en l'appliquant à des pièces polyphoniques ana-
logues au Motet {Symphoniœ sacrœ).
Au xvn* siècle, on qualifiait de Symphonie l'introduction instrumen-
tale de chaque acte, dans VOpéra. Cette sorte de ritournelle ou de pré-
lude devint bientôt VOuverture, tout en conservant sa dénomination
primitive, jusqu'au milieu du siècle suivant. C'est à peu près vers ce
moment que le nom de Symphonie apparaît avec sa signification con-
temporaine, et devient peu à peu l'apanage Qj.z\\is\i àts pièces instru-
mentales, consistant uniquement dans le groupement esthétique des sons^
sans aucune intention d'application à des paroles.
Jiy Voir {"' livre, p. 177 ei 209.
L\ MUSIQUE SYMPHONIQUE 7
Telle sera pour nous la caractéristique spéciale du genre sympho"
nique^ sous toutes ses formes.
Quant au mot Drame {àpdixot), il a toujours été intimement lié à l'idée
de spectacle ou de représentation scénique. Toutefois, le qualificatif de
dramatique s'applique souvent de nos jours, par extension, à toute
€spèce de musique ayant pour but rexpression d'un sentiment déterminé,
par la juxtaposition, effective ou sous-entendue, d'un texte littéraire aux
sons musicaux.
C'est dans ce sens que nous l'emploierons de préférence, par opposi-
tion au mot symphonique.
Pour étudier avec quelque méthode les formes musicales de V Epoque
métrique, il importe de discerner nettement, malgré les cas fréquents
de compénétration accidentelle, la coexistence de ces deux genres dis-
tincts : la Musique Symphonique (ou musique pure) d'une part ; la
Musique Dramatique (ou musique appliquée aux paroles) de l'autre.
Nous sommes ici en présence d'une véritable bifurcation, qui nous
obligera à parcourir successivement et séparément chacune de ces deux
grandes voies, suivies simultanément par l'art musical dans ses évolu-
tions, depuis le xvii* siècle jusqu'à nos jours. Entre ces deux routes
diversement orientées, on rencontrera sans doute un grand nombre de
chemins de traverse, ramenant de l'une à l'autre : nous nous efforcerons
de les signaler, en évitant de nous y engager, afin que le lecteur puisse,
sans )amais perdre de vue la ligne principale, les reconnaître au passage,
dans la suite du présent Cours de Composition, dont le Deuxième Livre
est consacré aux Formes Symphoniques, et le Troisième aux Formes
Dramatiques.
Dans l'ordre chronologique, l'art musical dramatique, — le seul,
d'ailleurs, dont l'enseignement se soit quelque peu préoccupé jusqu'à
ces dernières années, en France tout au moins, — est apparu très pro-
bablement avant l'art symphonique proprement dit. Mais au point de
vue didactique, il y a souvent d'excellentes raisons pour soumettre
l'ordre historique lui-même à un ordre logique supérieur : la connais-
sance des formes de la musique pure est nécessaire assurément pour
aborder utilement l'étude de la musique appliquée aux paroles.
C'est donc aux Formes Symphoniques que nous attribuerons, à la
fois comme ordre et comme importance, la première place, la place
INTRODUCTION
d honneur, que des motifs plus ou moins avouables lui firent si long-
temps refuser, aussi bien dans les écoles que dans l'esprit d'une grande
partie du public (i).
II
Classification des Formes Symphoniques.
La lecture et l'examen méthodique des oeuvres musicales révèlent une
parenté de forme et d'aspect reliant normalement les plus récentes à
leurs devancières, dans un ordre logique, interrompu parfois par des
anomalies rarement inexplicables.
Cette simple constatation, en parfaite concordance avec la hiérar-
chie primordiale et traditionnelle inhérente à toutes les manifestations
de l'activité, permet de classer assez sûrement les membres de la vaste
famille musicale qui nous occupe, en tenant compte des générations
successives et des alliances nombreuses, qui transformèrent plus ou
moins les types primitifs.
Pour établir cette sorte d'arbre généalogique dont nous donnerons
ci-après (p. i3) une figuration schématique approximative, il sera
nécessaire de définir chaque famille et chaque individu d'une façon
précise, c'est-à-dire d'en déterminer clairement le « genre prochain »
et la « différence spécifique ».
Un ouvrage technique ne saurait, en effet, se passer de définitions
rigoureuses ; mais les impropriétés de termes, en musique plus encore
(i) Est-il besoin de citer, à l'appui de cette opinion injustifiée sur les formes symphoni-
ques, en général, et la Sonate en particulier, quelques lignes empruntées à certains >< pon-
tifes », redoutables par leur prestige encore imposant pour quclqu«s-uMs, malgré leur
complète impertinence en la matière ?
Ecoutons, par exemple:
a) D'Alembert : « Toute cette musique instrumentale, sans dessein et sans objet, ne parle
€ ni à l'esprit ni à l'âme, et mérite qu'on lui demande avec Fontenelle : Sonate, que me
« veux- tu V »
b) Bouillet : « Ce genre de composition (la Sonate), qui a eu jadis une grande vogue, est
« maintenant abandonné ; il y est trop souvent difficile d'y découvrir les intentions du com-
« pos teur ».
c) Larousse : « De nos jours, plusieurs compositeurs français se sont exercés avec succès
« dans ce genre difficile de composition (la Sonate), et, parmi eux, il faut citer tout parti-
a culièrement : Mm» Farrenc, MM. Théodore Gouvy, Georges Mathias, Marmontel, Jacques
n r\ Hori Herz. »
CLASSIFICATION DES FORMES SYMPHONIQUES 9
qu'en toute autre branche du savoir humain, furent de tout temps telle-
ment fréquentes et tellement graves (i), qu'en présence de certaines
acceptions absolument contradictoires, une nomenclature stricte,
même restreinte au minimum indispensable, ne peut s'abstenir de
décider en faveur des unes, et à l'encontre des autres.
Vainement on taxerait d'arbitraire ou de conventionnelle cette façon
de procéder : la clarté plus grande et l'élimination plus sûre des équi-
voques répondraient victorieusement, croyons-nous, à une telle
critique, rarement désintéressée d'ailleurs chez ceux qui la formule-
raient.
On a vu dans le Premier Livre que l'ancêtre commun de toutes les
formes musicales de l'ère chrétienne, le chant humain, avait revêtu, dès
la première époque, deux aspects différents : le chant sacré, la monodie
grégorienne issue de la Parole rythmée, d'une part ; le chant profane,
la chanson populaire issue de la Danse^ de l'autre.
Avec la seconde époque, la polyphonie naissante conserve, elle aussi,
ce double caractère : sacrée ou liturgique, elle atteint toute sa splen-
deur dans le Motet palestrinien ; profane ou populaire, elle devient
Madrigal, dramatique ou accompagné (2).
De l'époque métrique, nous éliminerons ici pour le reporter au Troi-
sième Livre tout ce qui a trait au Madrigal dramatique et à sa des-
cendance. Nous étudierons seulement dans ce Deuxième Livre les
genres symphoniques issus du Motet et du Madrigal^ accompagné ou
non, en réservant pour la seconde partie du présent livre tous ceux qui
nécessitent la connaissance préalable de Torchestre.
(i) Beethoven, dans une lettre qu'il adressait, en 181 3, à l'éditeur Thomson, écrivait à
propos du mot Andantino : « Ce terme, comme beaucoup d'autres dans la musique, est
d'une signification si incertaine... »
Les noms des divers genres symphoniques ne sont souvent ni plus précis ni plus exacts
que les mots italiens (ou préicndus tels) qui servent à indiquer les nuances expressives.
Faut-il s'en étonner, lorsque les absurdités de la terminologie semblent s'être lait de la
musique un domaine d'élection i Quoi de plus pitoyable que ce soKège où l'unité d'inter-
valle s'appelle tantôt demi-ton, tantôt seconde, tandis qu'on nomme unisson un intervalle
nul entre deux sons, quin:[iè:ne une double octsve, quinte le troisième harmonique d'un son,
etc. I
Que penser de cette arithmétique saugrenue où i = -i- r=: 2 =0, suivant les cas ; où
i5 = 8x2;où5=:3, etc. .-'
Il ne nous appartient pas d'apporter au sein de cette « tour de Babel » le vocabulaire
logique dont la création s'impose : tout au plus pouvons-nous exprimer ici le vœu que Je
sages conventions fassent disparaître peu à peu dans l'avenir ces fâcheuses incoheicncc
(2) Voir l*' livre, p. 186 et suiv.
lo INTRODUCTION
Entreles deux grandes branches qui se partageaient presque également
l'art musical du moyen âge, une inégalité notable apparaît au contraire
dès les premières manifestations de Part instrumental postérieur à la
Renaissance. Tandis que le Madrigal engendrera presque toutes les
formes dont nous abordons ici l'étude^, le Motet, comme épuisé par sa
propre perfection, laissera un unique rejeton : la Fugue, forme musi-
cale admirable, qui fut stérilisée à son tour par une adaptation trop
étroite aux travaux pédagogiques des écoles. Seule forme symphonique
issue directement d'une forme purement dramatique, la Fugue cons-
titue donc à elle seule une branche distincte : aussi sera-t-elle étudiée
séparément, et préalablement à toutes les autres formes, lesquelles des-
cendent plus ou moins directement du Madrigal.
La Fugue (chap. i") est une composition polyphonique, écrite en
style contrepointé, sur un thème unique ou sujet, exposé successive-
ment dans un ordre tonal déterminé par la loi des cadences : elle est,
par définition, monothématique et unitonique.
La Suite (chap. ii), rattachée au Madi'igal par la Musique de Cour,
consiste en une série de pièces instrumentales, en forme de danses (ou
de chansons) de coupe binaire, se succédant les unes aux autres suivant
un ordre logique de mouvements différents, et reliées entre elles par
une parenté tonale rigoureuse. Le morceau de Suite étant, par défini-
tion, en deux parties, séparées par une tîiodulation, la Suite constitue
un type binaii^e modulant, qui offre avec celui de la Fugue un contraste
presque absolu.
La Sonate (chap. m, iv et v) descend directement de la Suite, avec
laquelle elle offre une telle ressemblance à l'origine, que la délimitation
entre l'une et l'autre est souvent malaisée: elle consiste en une série de
trois ou quatre pièces, destinées à un instrument à clavier (i) jouant
seul ou accompagnant un seul instrument récitant; ces pièces reliées
entre elles, comme celles de la Suite, par l'ordre logique des mouvements
et la parenté tonale, en diffèrent par la construction ternaire modulante,
qui apparaîtdans la plupartd'entre elles, et surtout dans la pièce initiale.
L'importance exceptionnelle de la Sonate, véritable prototype de presque
toutes les formes instrumentales subséquentes, a rendu nécessaire la
subdivision de son étude en trois chapitres :
(0 On verra plus loin (chap. n), à propos des origines de la forme Suite, comment le
inoi sonate a perdu peu à peu son ancienne acception italienne: «pièce pour instru-
ment à drchci. •
CLASSIFICATION DES FORMES SYMPHONIQUES n
La Sonate pré-beethovénienne (chap. m), comprenant toutes les
origines de cette forme et ses états successifs, jusqu'à l'avènement de
Beethoven ;
La Sonate de Beethoven (chap. iv), contenant l'étude de Vidée musi-
cale, du développement et de toutes les innovations introduites par
Beethoven dans la forme Sonate ;
La Sonate cyclique (chap. v), modification ultérieure de la forme
Sonate sous l'influence du génie beethovénien, et élaboration de
la/orme c/c//^«e proprement dite, réalisée par César Franck.
Enfin, la Variation (chap. vi), dont l'étude termine cette première
partie de notre Deuxième Livre, constitue une forme véritable, issue de
la Suite également, et destinée comme les précédentes à un instrument
récitant (seul ou accompagné) ; elle consiste en une succession logique
d'expositions intégrales d'un même thème, offrant chaque fois un
aspect rythmique, mélodique ou harmonique différent, sans cesser
d'être reconnaissable.
La caractéristique commune à toutes les formes instrumentales
qu'on vient de définir, c'est Vunité de Vinstrument récitant. Soit qu'il
réalise à lui seul toute la polyphonie (comme dans la Fugue d'orgue ou
de clavecin), soit qu'il s'accompagne lui-même (comme dans la Suite,
la Sonate ou la Variation pour orgue, clavecin ou piano), soit qu'il
dialogue avec l'instrument accompagnateur (comme dans la Sonate de
violon et piano, etc.), l'instrument récitant y est toujours seul (i). Il
n'en sera plus de même pour les formes issues plus spécialement du
Madrigal accompagné, qui feront l'objet de la seconde partie de ce
livre, parce qu'elles nécessitent la connaissance préalable de Vinstru-
mentalion. Les divers chapitres de cette seconde partie seront consa-
crés :
A I'Orchestrk et à I'Instrumentation ;
Aux principales formes qui descendent du Madrigal accompagné
(Concerto, Symphonie proprement dite. Musique de chambre) ;
Aux formes instrumentales, qui participent à la fois de la Symphonie
et du Drame (Ouverture, Poème symphomque. Fantaisie, Pièces
DÉTACHÉES, etc).
^i) La Sonate pour deux violons et clavecin ne constitue pas une exception : elle est faite
pour une sei</e sorte d'instrument récitant: le violon, et diffère totalement du fn'o, pour
trois instruments différents.
la INTRODUCTION
Quant aux formes plus particulièrement dramatiques (Opéra, Drame,
Oratorio, etc.), elles seront étudiées dans le Troisième Livre du Cours
DE Composition.
La classification des formes musicales, dont on vient de parcourir
rapidement les grandes lignes, peut se grouper synoptiquement dans
l'ordre du tableau ci-contre, dont la lecture doit se faire :
1° pour la division technique^ en tenant compte des deux grandes
flèches extérieures qui se rapportent respectivement au Rythme du Geste
et 3M Rythme de la Parole ;
2" pour la succession historique^ en partant du centre, pour rayon-
ner vers la périphérie.
Ces deux points de vue différents fourniront à chaque chapitre une
division uniforme en deux sections ;
1° la section technique comprenant, pour chaque forme, les défini-
tions, les origines, les éléments, et quelques considérations générales;
2° la section historique^ faisant connaître la biographie sommaire
des auteurs et la nomenclature de leurs œuvres affectant la forme qui
fait l'objet du chapitre, avec l'analyse de celles qui contiennent des
particularités intéressantes, sous le rapport de la structure thématique
et tonale (i).
Toute analyse des éléments qui composent une œuvre musicale, toute
synthèse du plan qui les coordonne, révèle et confirme en effet l'impor-
tance capitale et la parfaite constance des lois de la Tonalité et de la
Construction ; lois primordiales et immuables, auxquelles chaque œuvre
géniale apporta, au cours des siècles, une clarté plus vive et une
vérification plus haute, sans qu'aucune atteinte ait jamais ébranlé
jusqu'ici leur équilibre impérissable. •
(i) La préparation et la rédaction de la section technique de chaque chapitre ont été
confiées à notre collaborateur M. Auguste Sérieyx, — l'auteur s'étant réservé tout ce qui
concerne la section hisioriq^ue. — V. I.
CLASSIFICATION DES FORMES SYMPHONIQUES
I?
•.^^»«^^__
Formes
d'origine
DRAMATIQUE
issues du
RYTHME de la PAROLE
SYMPHONIQUE
issues du
RYTHME du GESTE
ZOSE
d'influence
J^ commune
au
Hi/thuie du Geste
et au
Rifthme delà Parole
CCCCICCCCCCCC
,4 INTRODUCTION
III
La Composition Musicale et la Construction Architecturale.
« Composer, c'est ordonner des éléments inégaux ; et la première
« chose à faire en commençant une composition, c'est de déterminer
« quel en sera Télément principal. L'ensemble de tout ce qu'on a écrit
« ou enseigné sur la proportion ne vaut pas, à mon avis, pour un
« architecte, cette règle unique et indiscutable : Aye^ un grand motif
« avec d'autres plus petits^ ou bien un élément principal avec d'autres
« secondaires, et reliei-les bien enti-e eux. Parfois, cela produit une
« gradation régulière, comme celle de la hauteur des étages dans les
« maisons bien construites ; d'autres fois, on dirait un monarque avec
« une suite plus humble : par exemple, une flèche au milieu de ses
« clochetons. Les arrangements varient à l'infini, mais la loi demeure
« universelle : Que quelque chose domine tout le reste, soit par sa gran-
« deur, soit par sa fonction, soit par son intérêt (i). »
Cette magistrale définition, appliquée par Ruskin à l'architecture, est
aussi bien celle de toute composition artistique, et, plus encore peut-
être, celle de la composition musicale. Nous avons signalé déjà, en effet,
entre la musique et l'architecture une affinité caractéristique, une
analogie frappante (2) souvent constatée d ailleurs par divers artistes,
et surtout par certains philosophes, comme par exemple l'Allemand
Hegel :
« L'architecture, dit-il (3), n'emprunte pas, comme la peinture ou la
« sculpture, ses formes à la réalité telle qu'elle s'offre dans la nature,
« elle les tire de l'imagination pour les façonner à la fois d'après les lois
« de la pesanteur et d'après les règles de S3aiiétrie et d'eurythmie.
« De même la musique, non seulement dans le retour des thèmes et
« des rythmes, mais dans les modifications qu'elle fait subir aux sons
« eux-mêmes, introduit de diverses façons les formes de l'eurythmie
« et de la symétrie.
(i) John Ruskin : « The seven lamps of Architecture. »
(3) Voir I" livre, Introduction, p. 17, eichap. xii,p. 211 et suiv.
(3) Hegel : Système des Beaux-Arts,
LA COMPOSITION ET LA CONSTRUCTION t;
« C'est particulièrement dans la séparation de la musique avec la
« poésie que celle-là prend un caractère architectonique ; alors elle se
« met à construire pour elle-même tout un édifice de sons musicale-
« ment régulier. »
L'auteur ne pouvait désigner plus clairement ce que nous avons
appelé le genre symphonique, celui qui, plus que tout autre, obéit aux
mêmes principes que Tarchitecture.
La plupart des qualités constructives, nécessaires à l'architecte, se
retrouvent en effet chez le symphoniste : elles se développent, chez
l'un et chez l'autre, par des procédés à peu près identiques. Seule,
l'application diffère; encore cette différence entre l'édifice matériel et
l'édifice sonore est-elle moins profonde en réalité qu'on ne le croit
communément.
Toute construction artistique, de quelque nature qu'elle soit, ne
consiste-t-elle pas en une combinaison harmonieuse d'éléments inégaux,
mais compatibles, ordonnés suivant un plan logique?
Savoir construire^ telle est en définitive la connaissance indispen-
sable à tout compositeur de musique digne de ce nom. On croit trop
facilement que les études d'harmonie, de contrepoint et de fugue, voire
d'instrumentation, constituent à elles seules un bagage suffisant :
fâcheuse erreur qui attribue aux outils la singulière vertu de conférer à
l'ouvrier qui les possède la capacité de s'en bien servir !
Certes, nous ne nierons pas l'utilité de ces études, mais seulement à
titre de préparation, d'introduction à l'art de la composition. Contra-
pontiste impeccable, fuguiste habile, orchestrateur de premier ordre,
vous ne save^ pas pour cela votre art : vous êtes apte à l'apprendre.
Vous connaissez plus ou moins l'usage pratique de ces redoutables
engins, vous n'avez ni l'expérience ni le discernement nécessaires à leur
judicieux emploi.
Cette expérience et ce discernement sont les fruits d'un long travail
qui devrait commencer seulement lorsque prennent fin ces études
préparatoires.
Ainsi, en toute sorte d'art, faudrait-il, avant de produire une œuvre,
avoir pratiqué comme un simple apprenti toutes les opérations qui s'y
rattachent, depuis la plus vulgaire et la plus simple, jusqu'à la plus
ratiînée et la plus complexe. Tels, ces admirables artistes du moyen
!6 INTRODUCTION
âge, que nous avons cités déjà comme modèles : ces peintres qui savaient
broyer et composer leurs couleurs, ces sculpteurs qui taillaient eux-
mêmes leurs blocs, ces architectes qui dosaient eux-mêmes leurs
ciments, ces maîtres enfin, qui, naguère disciples obscurs, avaient su
attendre ^et mériter cette dignité éminente, au prix d'une longue
expérience, acquise patiemment dans les plus humbles emplois (i).
Une telle lenteur dans les études, une telle minutie dans Télaboration
des matériaux, sont incompatibles avec nos mœurs contemporaines.
Notre activité fiévreuse nous entraîne presque fatalement à la pro-
duction prématurée. Est-ce bien là un progrès, et pouvons-nous
sincèrement accorder ce nom à la hâte maladive qui prive tant d'œuvres
artistiques de leur principale garantie de durée et de solidité ?
Sans prétendre revenir aux errements des siècles passés, il serait
sage, et dans tous les arts, croyons-nous, de réagir contre une précipi-
tation exagérée à notre sens ; tout au moins pourrait-on s'efforcer d'en
atténuer les déplorables effets, par une connaissance plus éclairée et
mieux entendue des œuvres de nos devanciers.
Que nous le voulions ou non, nous leur succédons, nous procédons
d'eux, nous sommes appelés à les continuer, comme se continuent les
générations successives d'une même famille et d'une même patrie, par
l effet de cette puissance supérieure: la Tradition vengeresse, que nul
ne peut violer impunément, l'histoire contemporaine de la France en
fait foi plus encore, peut-être, que celle des autres nations.
Loin de nous la pensée de condamner par avance toute innovation,
sous le fallacieux prétexte que « cela ne s'est jamais fait ». Une telle
attitude ne tendrait à rien de moins qu'à la glorification de la routine,
cette tradition des sots.
Mais il faut pourtant bien reconnaître que les innovations sont
d'autant moins heureuses qu'elles procèdent davantage de l'esprit de
révolte, ou de l'orgueilleuse recherche de l'originalité à tout prix.
Rien n'est moins original au contraire que la révolte et l'orgueil ;
et cette admirable page de Ruskin, que nous citons ici pour conclure,
en offre un éclatant témoignage. Les chercheurs d'originalité à ou-
trance pourraient y trouver sans doute un salutaire sujet de réflexion:
(i) Voir I f livre, Introduction, p. 14, en note.
LA COMPOSITION ET LA CONSTRUCTION 17
« L'originalité d'une expression ne dépend pas de la découverte de
« nouveaux mots ; pas plus que l'originalité d'un poème ne consiste en
« quelque innovation de la métrique, ni celle d'une peinture dans
« l'invention de nouvelles couleurs ou d'une nouvelle manière de les
« employer. Il y a longtemps que les accords musicaux, les harmonies
« de couleur, les principes généraux pour la disposition des masses
« sculpturales sont déterminés : et l'on n'y peut très probablement rien
« ajouter, ni même rien changer...
« L'originalité ne dépend en aucune façon de tout cela. Qu'un homme
« de génie prenne n'importe quel style, le style de son époque, et
« qu'il s'en serve : il y excellera, et chacune de ses œuvres semblera
« aussi fraîche que si toutes ses inspirations lui étaient venues du ciel.
« Je ne prétends pas qu'il abdique toute autonomie, vis-à-vis de la
« matière et de ses lois, qu'il se garde d'y introduire, par son effort et
« son imagination, de surprenantes modifications. Mais je dis que ces
<( modifications seront toujours instructives, naturelles, faciles, encore
« que merveilleuses parfois, sans j'aînais être recherchées par l'auteur
« comme des marques indispensables à sa dignité et à son indépen-
<( dance...
« L'originalité et la nouveauté, dans les cas où elles sont bonnes —
« et il est toujours plus charitable de les supposer telles — ne doivent
« jamais être recherchées pour elles-mêmes, ni obtenues par une lutte
« et une rébellion contre les lois communes. Du reste, ni l'une ni
« l'autre ne nous sont nécessaires...
« Ce que j'ai dit de l'architecture doit s'entendre de toute espèce
« d'art ; car je considère l'architecture comme l'origine des arts : tous
<( les autres en procèdent successivement et hiéi-aicliiquement (i). »
(1) John Ruskin : op. cit.
«^Ot'nS DE COMPOSITION. — T. II, I .
LA FUGUE
Technique. — i. Définitions. — 2. Origines de la Fugue. — 3. Les canons et les Ricercari',
— 4. Eléments rythmiques de la Fugue : Imitation; Canon; Marciie. — 5. Eléments mélo
diques de la Fugue : le Sujet ; la Réponse et la Mutation ; le Contresujet. — 6. Eléments
harmoniques de la Fugue : la Cadence ; l'Ordre tonal des Expositions dans les Fugues
majeures et mineures ; les Épisodes; les Pédales; les Slrettes. — 7. La forme « Prélude et
Fugue » ; son rôle dans la musique symphonique.
Historique. — 8. Divisions de l'Histoire de la Fugue. — 9. Période primitive : Italiens et
Espagnols ; Anglais et Allemands ; Français. — 10. Période de floraison: J.-S. Bach. —
II. Période moderne.
TECHNIQUE
I. DÉFINITIONS.
La Fugue est une composition polyphonique, écrite en style contre-
pointe, sur un thème unique ou sujet, exposé successivement dans un
ordre tonal déterminé par la loi des cadences (i).
Le Style contrepointé repose principalement sur Vlmitation, c'est-à-
dire sur la reproduction successive des mêmes dessins r3''thmiques ou
mélodiques, par deux ou plusieurs voix différentes, sur les divers
degrés de la gamme.
L'Imitation rigoureuse d'un dessin donné prend le nom de Canon.
L'écriture en imitations et en Canon a donné naissance aux premières
formes du Contrepoint vocal, et notamment au Motet ^ que nous avons
étudié précédemment (2).
C'est du Motet et des formes similaires que la Fugue tire son origine.
(i) Rameau a donné en son temps une définition de la Fugue, qui peut avec quelque raison
être jugée aujourd'hui un peu imprécise, bien qu'elle se rattache aussi à l'idée d'imita-
tion: « La Fugue, dit-il, de même que l'imitation, consiste en une certaine suite de chants
que l'on fait répéter à son gré, mais avec plus de circonspection que l'imitation, et suivant
certaines règles »
(2) Voir ler livre, chap. x.
LA FUGUE
Elle réalise dans Tordre symphonique le type unitaire le plus complet,
parce qu'elle est, par définition, monothématiqiie et iinitoniqiie.
2. ORIGINES DE LA FUGUE,
Le principe des différenciations successives, qui préside aux filia-
tions zoologiques, peut s'appliquer également, comme on l'a vu dans
l'introduction qui précède, aux filiations des formes musicales. Chez
celles-ci, comme chez tout être organisé, les antécédences qui concou-
rent à l'élaboration d'un tj'pe nouveau sont multiples ; et chaque type
n'est le plus souvent qu'une résultante de toutes les formes préexistantes.
Ainsi, la Fugue, la plus importante des formes nouvelles qui se ren-
contrentdans la musique symphonique au début de la troisième époque,
procède de chacune des deux grandes formes qui résument l'époque
polyphonique : le Motel et le Madrigal. Au Motet, elle emprunte
l'écriture contrapontique, les entrées successives à la tonique et à la
dominante, l'unité tonale et divers autres caractères fondamentaux ;
tandis que seul, l'usage des instruments substitués aux voix (modifi-
cation extrinsèque, souvent postérieure, c'est-à-dire étrangère à la
contexture musicale de fa Fugue), paraît dû à une influence du Madri-
gal accompagné, devenu postérieurement, lui aussi, Madrigal pour
instruments seuls.
On le voit, la répartition des signes originels est ici très inégale : et
si l'on veut jeter quelque lumière sur cette formation d'un type musi-
cal, presque aussi complexe que celle des types humains, il faut consi-
dérer la Fugue comme fille du Motet, puisqu'elle lui doit sans conteste
ses éléments essentiels.
Par l'effet de cette espèce de « tradition de famille », l'usage de la
Fugue vocale s'est maintenu fort longtemps dans les Oratorios et les
Messes la Fugue instrumentale elle-même a souvent conservé, par
analogie, une allure religieuse, avant de tomber dans l'état de honteuse
déchéance où nous la voyons aujourd'hui. Le Madrigal, au contraire,
par sa destination profane et mondaine, devait, malgré les attaches qui
le relièrent d'abord au Motet, tendre à s'en écarter de plus en plus, dans
ses transformations aussi bien que dans sa nombreuse descendance.
Ainsi se retrouvent, même dans l'orientation des premiers genres
symphoniques, les deux voies divergentes précédemment signalées, les
deux grands courants opposés qui se sont partagé l'art musical depuis
ses origines: le genre sacré et le genre profane ; la parole et le geste.
Toutefois, la substitution des instruments aux voix dans la Fugue ne
pouvait s'opérer sans faire disparaître progressivement l'élément dra-
matique, auquel elle devait en grande partie son existence. Rejeté hors
ORIGINES sa
de la Fugue, cet élément se reporta tout entier, par un jeu naturel de
l'équilibre des forces, sur le Madrigal, qu'il lit littéralement éclater en
deux parties, comme il arrive dans un obstacle de grande étendue lors-
qu'une poussée violente s'exerce sur un seul point. De là, cette scission
féconde, qui donna naissance d'une part au Madrigal dramatique,
ancêtre commun de toutes les formes que nous étudierons dans le
Troisième Livre de cet ouvrage, et de l'autre au Madrigal accompagné,
le seul qui nous interesse présentement, en tant que fondateur de cette
grande lignée symphonique qui comprend tous les genres connus, la
Fugue exceptée.
Cette situation particulière de la Fugue, forme symphonique, deve-
nue purement instrumentale, et soumise par cela même aux lois du
geste rythmé ou de la danse, en dépit de sa première origine exclusive-
ment expressive des paroles, donc dramatique, explique peut-être la
stérilité relative à laquelle fut vouée cette forme, restée sans descen-
dance directe dans l'ordre symphonique, sur lequel elle n'a cessé
pourtant d'exercer une influence latente, dont nous constaterons sou-
vent les effets.
La Fugue doit donc être examinée ici séparément et préalablement
à toutes les autres formes, avec lesquelles elle ne doit point être con-
fondue. Chacune de celles-ci, en effet (Suite, Sonate, etc), procède
plus ou moins du Madrigal, et suit, par conséquent, une orientation
qu'on peut avec quelque raison considérer comme diamétralement
opposée à celle de la Fugue, issue directement du Motet. (Voir la
figure, p. i3.)
Ainsi, le principe premier de la Fougue, comme celui du Motet,
réside dans le fait mêmede la superposition polyphonique des parties. On
a vu (i) comment l'accommodation instinctive des chants aux diverses
étendues des voix eut pour effet la transposition des mélodies aux
intervalles les plus simples, Voctai'e d'abord (rapport de i à 2), puis la
quiîite {rapport de i ou de 2 à 3), et donna naissance peu à peu aux
formes rudimentaires qui eurent nom Diaphonie et Déchant. Dès
que les mélodies ainsi juxtaposées commencent à s'individualiser, elles
obéissent au besoin inné d'imitation, qui, dès notre première enfance,
régit presque tous nos actes, surtout en ce qui concerne l'élaboration
mystérieuse du langage.
Pourquoi, en effet, deux ou plusieurs voix qui chantent ne procéde-
raient-elles pas comme des voix qui parlent? la Musique n'est-elle pas
aussi un langage, un échange perpétuel d'idées, de demandes et de
réponses, à l'aide de formules ? et que sont donc ces réapparitions
(i) Voir 1" livre, p. 92 et suiv.
aa LA FUGUE
successives de motifs identiques ou analogues dans différentes lignes
mélodiques, sinon le principe même d'Imitation appliqué au langage
musical (i) ?
Ici, comme dans le langage articulé, l'Imitation revêt une infinité
d'aspects : de même que des interlocuteurs parlent sur des intonations
diverses, ou avec des vitesses variables, ainsi l'Imitation a lieu sur
différents degrés de l'échelle tonale, ou avec des valeurs de temps plus
brèves ou plus longues ; Je même qu'au cours d'une conversation la
même idée reparaît, tantôt sous sa forme primitive, tantôt sous une
forme altérée ou contradictoire, ainsi le motif proposé est imité textuel-
lement ou en forme variée, inverse ou rétrograde, etc. Et par là se
vérifie une fois de plus le parallèle établi plusieurs fois déjà entre le
langage et la musique, notamment à propos de l'accent (2), principe
indéniable de toute mélodie.
3. LES CANONS ET LES RICERCARI .
Introduite dans la musique presque en même temps que la pol3'pho-
nie, l'Imitation y affecte d'abord des formes simples, dont nous avons
suivi l'épanouissement dans les motets. Mais elle devient plus servile et
plus stable en perdant l'élément expressif et libre des paroles ; et c'est
surtout dans les premières formes instrumentales, asservies déjà à la
mesure, que les principes d'Imitation dialoguée, appliqués, dit-on, aux
voix depuis le milieu du xv* siècle par Okeghem et ses successeurs (3),
prennent toute la rigueur d'une loi inflexible, d'un Canon au sens
étymologique du mot.
Vers cette époque, le Canon apparaît en effet sous forme de pièce
polyphonique indépendante (vocale d'abord, et plus tard instrumen-
tale) dans laquelle le thème proposé par une partie dite antécédent est
imité ensuite par toutes les autres dites conséquents^ suivant un ordre
et à des intervalles déterminés.
Les procédés d'Imitation appliqués au Canon lui donnent une foule
d'aspects différents, qu'on peut ramener à sept types généraux:
1° Le Canon direct ou droit, par simple imitation rigoureuse de l'an-
técédent, à Vunisson, à Voctape, à la quinte et même à d'autres inter-
valles. Ce Canon peut lui-même être simple, double, triple, etc., sui-
vant le nombre des antécédents exposés.
(i) L'exemple de déchant déjà cité (voir l«f livre, p. 144) offre, entre le conlra-temr et la
bas^e, un embryon d'imitation sur les degrés : ut, ré, mi.
(2) Voir I^r livre, p. 29 et suiv., p. 49 et suiv., etc.
(3) Voir l" livre, p. 154.
LES CANONS ET LES RICERCARI
23
Exemples d.' Canons directs, à différents intervalles
Canon à V octave (J. Titelouze) th. du Vent Creator
Conséquent,
Canon à lV«iv.wn(j. 9. Bach) Ana con 30 Vanaztont
f\ u Anteceaeni^,
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«
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Conséquent
f £££10 r
B.c
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Canon à la quinte (J. S. Bach) Fu^a canonica tn epidiapente (}fusika/ische Opfer)
Antécédent
24
LA FUGUE
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Canon à la neuvième (Pr W Rusl) Sonate en 6V p piano (1794)
Anl.
LES CANONS KT LES TilCEHCARl
»5
2° Le Canon inverse, renversé ou par mouvement contraire, dans lequel
Te conséquent, au lieu de reproduire l'antécédent dans sa forme primi-
tive, opère un changement de sens sur tous les intervalles mélodi-
ques qui le composent : à chaque intervalle ascendant de l'antécédent,
il est répondu dans le conséquent par l'intervalle analogue descendant,
et réciproquement. La ligne mélodique ainsi obtenue est en quelque
sorte l'image de la première, vue dans un miroir horizontal, où les
notes apparaîtraient d'autant plus basses qu'elles sont plus hautes dans
l'antécédent, et réciproquement :
Antécédent
Miroir horizontal (fin \>TO\eci\ox^:///inii!i/riiinniniii/i/itnniiniii)iii!ini!i!iiiii!!i!nni;ir/rrr
Conséquent, ou image g^ _ » "i *l^ *^ ^ ^"
de rantérédent,\'ue par
mouvement contraire •
Exemple de Canon par mouvement contraire
Tfiemn reqium ^ ^
(J.S.Bach'
(Mustkdli.
sche Op/'eij
Cons
ver motum contt lUiuiii
^
t' 'r °r
Il est clair que cette opération du mouvement contraire demeure
assez approximative, lorsqu'on la pratique seulement sur les degrés de
la portée, puisque ces degrés, invariables pour l'œil, représentent pour
l'oreille des intervalles variables (un demi-ton, un ton, ou même par-
fois un ton et demi). Appliqué à un thème quelconque, pris comme
antécédent, ce procédé peut donc fournir, suivant la place de la clé et
26
LA FUGUE
des signes d'altération emplo3^és dans le conséquent, des résultats très
divers, et plus ou moins utilisables musicalement. (Voir ci-dessus,
p, 2 5, la réalisation du canon proposé comme exemple.)
Distinction entre le mouvement contraire et l'inversion proprement
dite. — La plupart des anciens auteurs de Canons ou de Fugues se sont
assez peu préoccupés de cette déformation introduite dans un thème
donné par l'application du mouvement co7it?'aire, en raison de l'inégale
répartition des tons et des demi-tons de la gamme, figurés par les
degrés de la portée ; ils se sont contentés de cette opération faite « poui
l'œil ». Toutefois, afin d'en restreindre les inconvénients, ils ont presque
toujours fait choix, dans la pratique, de thèmes appartenant à l'échelle
modale dite gamme mineui^e harmonique, avec altération ascendante
du septième degré.
On peut, en effet, réduire mélodiquement les intervalles de cette
gamme à une quinte ascendante (tonique-dominante) avec broderie
de la tonique par le demi-ton inférieur, broderie de la dominante par
le demi-ton supérieur, et avec les degrés diatoniques intermédiaires
entre ces deux fonctions :
^)
^ Il Degrés ||
Tonique WM/evmkdàBàT&sW Dcyminante
:Q|i
33:
Broderie '
inférieure ■
à t^ ton :
AXE
xr
33:
Broderie
supérieure
à y^ ton
en permutant, dans les limites de cette quinte, la fonction de tonique
avec ce'.le de dominante y compris leurs broderies respectives), et en
les réunissant comme précédemment par leurs degrés intermédiaires,
on construit une autre éjhjlle, qui paraît être exactement l'inverse de
la première :
b)
Wcnninante
baz±3iz:
Degrés
intermédiaires
Tonique
Broderie
\ supérieure
; à U ton
3^:^^=3x
AXE
Broderie
inférieure
a Xi^, '^"
l'équivoque bien connue de la seconde augmentée avec la tierce mineure
(ou de la septième diminuée avec la sixte majeure) permet même de
LES CANONS ET LES RICERCARl 37
faire entendre, en contrepoint strict, chacun des degrés de l'une de ces
deux échelles, simultanément avec le degré correspondant de l'autre.
Tel est le mécanisme du procédé qu'on applique le plus souvent aux
thèmes de mode mineur vulgaire, sous le nom de mouvement cotilT-aire.
11 consiste à se servir de la note médiante comme d'un axe immobile,
autour duquel les autres notes de la gamme effectuent une sorte de per-
mutation circulaire :
Sols est remplacé par Fa, et réciproquement,
La — — Mi, —
Si _ _ 7?e, —
Ut ne varie pas.
Or, en attribuant arbitrairement à cette médiante [ut) caractéristique
du jnode^ le rôle de pivot ou d'axe fixe, on ôte toute exactitude à l'in-
version des intervalles qui en dépendent. On ne peut pas plus consi-
dérer comme équivalentes, en effet, la seconde mineure descendante
ut-si, fig. b) et la seconde majeure ascendante [ut-ré, fig. a), que les
tierces {ut-la, et ut-mi), ou les quartes {ut-sol :; , et ut-fa), etc.
Toutefois, c'est précisément à cette irrégularité que la plupart des
thèmes mineurs doivent la double propriété de conserver leur modalité,
lorsqu'ils sont transcrits par mouvement contraire, et d'être, en outre,
superposables contrapontiquement à leur forme primitive ; ainsi
s'explique l'emploi si fréquent de ce procédé dans la polyphonie ins-
trumentale ou vocale, canonique ou fuguée.
Quant aux thèmes qui contiennent le tétracorde caractéristique de la
gamme dite mineure mélodique (avec altération ascendante du sixième
degré, en montant, et suppression, en descendant, de l'altération du
septième degré), il est clair qu'ils ne participent pas aux mêmes avan-
tages, car le fragment
t[ D. T.
C) z±
jjit l^o
31:
est emprunté au mode majeur, en montant ;
T
^
C) /^ ^ .% 0=^
tandis que le fragment descendant
0 ifrrnrr
-o-
XE
-O-
38
LA FUGUE
conserve son caractère mineur, sans être superposabie aux précédents.
Il en est de même pour la plupart des thèmes majeurs : la gamme
majeure, en effet, présentée mélodiquement sous la forme d'une quinte
(tonique-dominante), avec ses trois degrés intermédiaires et les bro-
deries de ses notes extrêmes,
A)
Tonique
Degrés
intermédiaires
33:
ZSSl
Broderie
inférieure
à î^ ton
AXE
Dominante
Broderie
supérieure
à 1 ton
ne supporte pas aussi aisément que la gamme mineure vulgaire la
permutation des deux fonctions principales (tonique-dominante) avec
leurs broderies, car celles-ci ne sont ni égales ni superposables en
contrepoint strict :
B)
DomiTiante
Degrés
Intermédiaires
Tonique
Broderie
à 1 tOD
AXE
SU
3i:
Broderie
à 1^ ton
Pour réaliser cette permutation, il faudrait tout au moins que l'altéra-
tion descendante du sixième degré (la b. fig. A et B') vînt rétablir, entre
les deux broderies, l'égalité que l'altérationascendante du septième degré
(sol 5 , fig. a et b) leur avait artificiellement attribuée en mode mineur :
A')
Bl
Tonique
*
Degrés
intermédiaires
i> M i^
Broderie
à '^ ton
,\^
AXE
3^
£t.
IDomïnante
Dominante
Broderie
à t^ ton
H ^ "Kll
Degrés ii
Intermédiaires! I Tonique
LES CANONS ET LES hUCERCARl
29
Mais, mcmc dans ce dernier cas, la médiante (m/) qui sert d'axe ou
de pivot (fig. A' et ^'), ne serait pas meilleure que la médiante (ut) du
mode mineur (fig. a et/?), la seconde mineure ascendante (mi-fa, fig. A')
n'étant pas égale à la seconde majeure descendante [mi-7'é^ fig. B'), etc.'
Toutefois, cette échelle majeure modifiée par l'altération du sixième
degré (la b, emprunté au mode mineur, fig. A), corrélative de celle du
septième degré [sol s , emprunté au mode majeur, fig. b)^ offre la parti-
cularité importante de reproduire exactement, mais en sens inverse^ tous
les intervalles qui séparaient les degrés correspondants de cette gamme
mineure (fig. b) ; de même que le fragment descendant de la gamme
dite mineure mélodique (la, sol, fa, mi, fig. c, p. 27) contient exac-
tement, mais en sens inverse, les intervalles lormant le tétracorde as-
cendant de la même gamme [mi, fa s, sols la, fig. C) et empruntés
au mode majeur {sol, la, si, ut, fig. C.)
Et l'on constate ainsi que les emprunts d'un mode à l'autre se t'ont
plus importants, au fur et à mesure que disparaissent les inexactitudes
du mouvement contraire précédemment décrit (p. 26 et 27) ; jusqu'au
moment où, tous les intervalles ascendants d'un thème a3'ant été rem-
placés par les intervalles descendants équivalents, et réciproquement,
on se trouve en présence d'une inversion stricte et rigoureuse, c'est-à-
dire d'une substitution complète du mode mineur au mode majeur,
ou réciproquement, en vertu du principe harmonique naturel de l'Ac-
cord unique sous son double aspect, ascendant ou descendant, c'est-à-
dire majeur ou mineur (i);
Tel est le mécanisme de l'opération qui doit, pour éviter toute équi-
voque, être appelée inversion rigoureuse, ou simplement inversion.
EUe.consiste à se servir comme pivot ou axe immobile, non plus comme
le simple mouvement contraire, de la médiante dans Vordre diato-
nique, mais de la médiante dans Vordre des quintes, c'est-à-dire du
second degré diatonique commun aux deux modes (;v, en montant à
(i^ Voir l'f livre, p. 93 et suiv.
^o LA FUGUE
partir d'ut en majeur, ou re, en descendant, à partir de mi en mi-
neur) :
4^ MODE
w
^^^ I ^*^
^>! ,.<.V
1
— rr
!o:
is;;
,<^ ^ . ^^ MODE
^ ftfi- MINEUR
AXE
Autour de ce pivot (re') d'une parfaite stabilité, 1rs autres notes
effectuent une permutation circulaire :
Ré reste invariable.
Mi est remplacé par Ut, et réciproquement
Fa — — Si, —
Sol — — La, —
et ainsi de suite, indéfiniment.
Ainsi reproduit strictement en sens inverse^ un thème quelconque
conserve tous ses intervalles parfaitement intacts, mais il change de
mode en même temps qu'il change de sens, par i7ipersion.
On voit par là que l'usage du mouvement contî'aire et de Vinversion
n'est pas autre chose qu'une application, irraisonnée d'abord, puis plus
consciente, de la loi de symétrie sur laquelle reposent réellement nos
deux modes, majeur et mineur, l'un par rapport à l'autre.
Et il n'est pas sans intérêt de constater ici, une fois encore, que les
anciens auteurs de Motets et de Fugues, jusques et y compris J.-S.
Bach, avaient seulement devancé de deux ou trois siècles la découverte
des principes immuables auxquels leur admirable instinct musical
obéissait déjà, sans s'en rendre compte.
Ainsi se perfectionna lentement le procédé d'abord approximatif du
mouvement contraire, jusqu'à ce que des esprits plus subtils en aient
déduit la notion exacte de Vinversion rigoureuse. J.-S: Bach distinguait
déjà, l'un de l'autre, sans aucun doute, ces deux phénomènes si souvent
confondus, même de nos jours. Mais il appartenait à Mattheson ( i ) d'éta-
blir nettement leurs différences caractéristiques.
(i) Dans son très remarquable ouvrage Der vollkommene Kapellmeister, publié en 1739,
ce judicieux théoricien applique définitivement l'expression mouvement contraire simple ou
mauvais [schlechte Gegenbewegung) à celui qui, prenant la médiante comme pivot, ne tient
pas compte de la place des demi-tons [contrarhim simplex, nulla semiloniorum raiione
LES CANONS ET LES RfCERCARl
1»
En opposant ici Tune à Tautre les expressions mouvement contraire
et inversion^ nous nous sommes conformés à l'excellent choix de termes
de ce savant musicien, corrobore depuis parnotre maître, César Franck,
lequel fit, à ce propos, une minutieuse démonstration, dont plusieurs
de ses élèves se souviennent encore (i).
Cette distinction trop souvent oubliée ne pouvait être clairement mise
en lumière sans une étude aussi détaillée et, forcément, aussi longue
que celle qui précède. Elle avait ici sa place marquée, tant en raison
des immenses ressources fournies à l'art de la composition par le
moupement contraire et Vinversion, que pour sa flagrante concordance
avec la théorie du mode mineur.
3° Le Canon récurrent ou par mouvement rétrograde (2), dans lequel l'an-
técédent est reproduit non plus avec une inversion du sens des intervalles
mélodiques, mais avec une inversion de Vordre dans lequel ces inter-
valles se succèdent: \d. dernière note de l'antécédent devient la première
du conséquent, et ainsi de suite. La ligne mélodique ainsi obtenue est
comme l'image de la première, vue dans un miroir vertical^ où les
notes apparaîtraient d'autant plus éloignées du point de départ qu'elles
en étaient plus rapprochées dans l'antécédent, et réciproquement :
Miroir
vertical»
(en projection» Conséqaent
•Antécédent: r_ (oxx image rétrogradée de l'anfécédent)
Premières notes- Dernières notes: ^ Premières '\r,,p<: Dernières lotes:
(^^#j%::i:^^f:iLi'iit::^:3:::nf'-u%
habita, p. 4'6); tandis que l'autre, le bon, est celui qui opère Vinversiou stricte [in stricte
réversion, ihid.), en prenant par conséquent comme pivot le second degré {ré, dans le
ton d'ut).
(1) « Votre sujet n'est pas renversé, il est seulement par mouvement contraire », disait
César Franck à un de ses élèves, à propos d'une fugue, voulant faire entendre par là, en
effet, qu'il n'avait pas été tenu compte de la place des demi-tons. Et il s'étendit longuement
sur cette importante distinction.
En raison de l'acception harmonique très spéciale attribuée par Rameau et, depuis lui, par
tous les harmonistes aux mots renversé, renversement (d'un intervalle, d'un accord), nous
avons traduit ici le mot reversum de Mattheson par inverse, inversion, en conformité avec
le terme employé au Premier Livre (p. i 11), à propos du mode mineur inverse.
(2) On l'appelle aussi « canon à l'écrevisse », traduction littérale da mot cancrijans,
employé également par Mattheson ; cette dénomination provient sans doute du préjugé
commun, qui, avec la complicité du Dictionnaire de l'Académie, a longtemps fait de l'écre-
visse un « poisson qui marche à reculons 11 [sic]. Le mot récurrent, qui est employé ici, •
l'avantage d'être beaucoup plus précis tt, par conséi^ucnt, prétcrable à tous égards.
32-
LA FUGUE
Exemple ds Ganon par mouvement rétrograde (J.S. Bach) Muxikrdiache Opfer
f
^F^:^ji?uS
4° Le Canon par augmentation, dans lequel le conséquent reproduit
Tantécédent en doublant (ou en quadruplant) la valeur de toutes les
notes qui le composent. Le ralentissement ainsi obtenu est assez
comparable au grossissement que donne une lentille divergente aux
dimensions de Tobjet qu'on regarde au travers :
Antécédent:
Lentille
divergente
^^P^IJ^J
Conséquent, ou image augmentée de
l'antécédent, vue à travers la lentille:
M
w
VI gl
s
Exemple de Canon par aug-menfafzon 0.3. Ba,ch)^Kunst der Fuge
Ant.
LES CANONS ET LES RICERCARl
33
Cons. par augm
/(et par mouv^ contraire)
^^
^=3^£=^
^
¥ f'J ^J'^c^W^I^^^ f'cimr^
^
VT-p
^w
^^
^
f
(j.t' j;jJ J F'f J r u^^^-f f ^f^^
5<» Le Canon par diminution, dans lequel, contrairement à ce qui se
passe dans le précédent, les valeurs des notes du premier membre sont
réduites à la moitié (ou au quart) dans le second, comme si l'antécé-
dent était vu à travers une lentille convergente qm le rapetisse (i):
Lentille
Antécédent.
nrrnrrrii^^
convergente Conséquent, ou image diminuée de
^^ l'antécédent, '.Tio à travers la lentille:
(i) Il va sans dire que ces figures n'ont aucune rigueur scientifique: on aurait beau
regarder une croche à travers une loupe, elle ne deviendrait pas une noire, évidenuaent.
Il s'agit d'une simple analogie, muiatis mutandis, entre l'ouïe et la vision.
Cours de composition. — t. ii, i . 5
34
LA FUGUE
Sxemple de Canon par diminution
Cons. par dim. et M^ contraire
i^
•J.S.Bach
(Kunst der Fuqe)
Fug.VI
■^^•^r rlu
i
ill»f' 'f-pIlFf
Cons. par dim
S
^m
^m
'" 1,-j- *■*
Ant
6° Le Canon par valeurs contraires, sorte de combinaison hybride et
généralement arbitraire des deux procédés d'augmentation et de dimi-
nution. Ici, toutes les valeurs relativement longues dans le premier
membre deviennent brèves dans le second, et réciproquement : les
blanches deviennent des noires, les noires des blanches, etc. Il s'ensuit
une déformation du sujet, qui le rend le plus souvent méconnaissable :
Exemple de Canon par valeurs contraires :
Conséquent par valeurs contraires
fe
E^
^r- "rrrf rr
^=e/c
^
^
Thema regium
^-"A'-'l ;■ T^^^=£|Jg^
^
M
Antécédeat
7° Le Canon énigmatique, dont l'antécédent est seul proposé comme
un problème à la sagacité de l'interprète qui n'a pour toute indication
qu'un signe, un mot ou une devise, en termes plus ou moins allégo-
riques dont le sens doit permettre de deviner le genre de règle, le
canon employé par l'auteur.
Exemple de Canon énigmatique.
^^ISotulis crescentibus crescat fortuna régis. "'^
Conséquent à trouver, d'après les indications fournies par la
phrase latine énigmntique et la clé renversée de l'antécédent.
S
etc.
.]. S. Bach
Musikali^che Opf'.r
ÉLÉMENTS RYTHMIQUES 35
On donnait parfois à cette catégorie de Canons le nom de Ricercare
ou Ricercar (verbe italien qui signifie rechercher^), sans doute parce
qu'il fallait rechercher la solution du problème ainsi posé.
Les Ricercari. — Ce nom de Ricercare a été surtout nmliaué h. des
pièces instrumentales en imitations dialoguées, généralement cano-
niques, qui semblent avoir été postérieures aux premiers Canons,
et assez antérieures à la Fugue véritable. .
Ces pièces, où les auteurs ont eu aussi à rechercher les dispositions
diverses pour les entrées successives d'un même thème ou sujet, sont
assez semblables à des expositions de Motets, dont on aurait supprimé
les paroles ; les plus anciens spécimens de ce genre sont d'ailleurs
destinés à l'orgue et au clavecin.
Le thème entre dans toutes les parties, tantôt à l'octave, tantôt à la
quinte ; parfois un dessin particulier [cornes] accompagne les expositions
du sujet, comme une sorte de conti^esujet rudimentaire (ij. On trouve
aussi quelquefois des entrées du sujet, qui vont en se rapprochant de
plus en plus de ses premières notes, ainsi qu'il arrivera normalement
plus tard dans la disposition appelée Strette (voir ci-après, p. 62).
On examinera dans la partie historique du présent chapitre quelques
spécimens des plus anciens Ricercari connus. Mais on pourra constater
en même temps que les compositions de ce genre, comme toute forme
de transition, n'ont jamais acquis aucune stabilité, permettant de
dégager de leur analyse un principe quelconque qui puisse être utilisé
dans l'étude de la composition.
Les seuls éléments qui nous soient restés des Ricercari se retrouvent
intégralement dans les premières Fugues dignes de ce nom, et c'est là
que nous allons les examiner plus en détail, au triple point de vue
rythmique, mélodique et harmonique, suivant notre méthode habi-
tuelle.
4. ÉLÉMENTS RYTHMIQUES DELA FUGUE. IMITATION. — CANON. — MARCHE.
Nous avons défini la Fugue (p. 19) : une composition polyphonique
écrite en style contrepointé sur un thème unique ou sujet, exposé suc-
cessivement dans un ordre tonal déterminé par la loi des cadences.
Il est aisé de voir que le principal élément rythmique consiste ici
dans récriture contraponiique, le sujet et ses annexes étant plus parti-
culièrement mélodiques, et Yordre tonal essentiellement harmonique par
nature.
(i) Comparer avec Xa. forme du Motet, l«' liv., chap. x, p. 147 et suiv.
^6 LA FUGUE
La loi de symétrie rythmique des imitations avait atteint, comme
nous venons de le voir, toute sa rigueur dans les divers canons. Nous
la retrouvons aussi dans l'écriture de la Fugue, où tous les procédés
de reproduction directe, inverse, rétrogradée, augmentée, diminuée,
variée, etc., sont tour à tour mis au service du sujet et de ses dérivés.
Et la Fugue est en cela la plus haute application de létude du contre-
point^ qui a pour but de faire entendre simultanément des mélodies
de rythme différent ou contrarié.
Toutefois, dès le début de la floraison de la Fugue, un obstacle inat-
tendu s'oppose à l'essor des procédés rythmiques : nous sommes en
effet au xvn^ siècle, et la mesure, la fâcheuse mesure, dont nous aurons
encore à déplorer les méfaits, ne tarde pas à s'implanter ici en usur-
patrice, à la faveur d'une équivoque qui lui fait attribuer indûment les
prérogatives du r/thme.
Dès lors, tout s'appauvrit et se limite dans l'emploi des rythmes
indépendants et caractéristiques : Vimitation contrapontique et le canon
subsistent, mais le libre jeu de leurs dérivés rythmiques (augmentation,
diminution, etc.) est sans cesse entravé par l'omnipotence de la mesure.
L'envahissement du style conventionnel de l'école enlèvera bientôt
à ces procédés tout ce qu'ils eurent au début de véritablement musical.
La Strette, autre extension rythmique des usages du Canon, destinée
seulement dans les anciennes Fugues à varier les entrées du thème, en
les avançant ou en les retardant, la Strette sera bientôt réduite par
l'école à une sèche et pédante succession de combinaisons, rejetée à la
fin de la Fugue (i), pour mieux étaler le savoir de l'ouvrier qui en
opère l'ajustage mécanique.
Par contre, le procédé métrique par excellence, la marche d'harmonie,
reproduction rigoureuse et servile d'un dessin à des intervalles régu-
liers et constants, fournira désormais le remplissage réglementaire, le
mortier abondamment gâché de ces singulières constructions dites
« Fugues d'école ».
Seul peut-être, J.-S. Bach nous offre encore, dans son admirable
Kunst der Fuge (2), un magistral exemple de variations rythmiques,
mais il n'en subit pas moins, dans l'ensemble de son œuvre, l'influence
métinque de son époque ; et la marche d'harmonie, bien qu'elle n'appa-
raisse sous sa plume qu'avec une réserve et une discrétion relatives,
n'en demeure pas moins, à notre sens, la seule partie de ses Fugues
qui semble avoir subi les outrages du temps.
(i) C'est en raison du rôle tonal de la Strette dans la Fugue que nous avons cru devoir en
rejeter l'étude détaillée ci-apiès, page 62, avec les éléments d'ordre harmonique.
(3) \'oir ci-après, dans la section historique an présent chapitre, page 66 et suiv.
ÉLÉMENTS MÉLODIQUES 37
5. ÉLÉMENTS MÉLODIQUKS DE LA FUGUE. — LE SUJET. — LA RÉPONSE ET LA
MUTATION. — LE CONTRESUJET.
Sujet. — La Fugue est, par définition, monothématique, c'est-à-dire
que son thème ou sujet doit être unique en principe. Dans les Fougues
dites à plusieurs sujets, l'un de ceux-ci est toujours considéré comme
principal. Nous verrons pourquoi il est, en définitive, le seul.
La raison de ce caractère unitaire de la Fugue provient de sa pre-
mière origine dramatique, dont le seul vestige, dans la Fugue instru-
mentale, est le sujet lui-même. C'est en effet une loi d'ordre expressif,
donc dramatique, qui préside à l'élaboration des thèmes ou des idées,
dans toutes les formes musicales, même symphoniques : c'est par
Vexpression qui doit y être contenue que tout thème ou sujet prend la
signification ou valeur esthétique qui lui est propre. On conçoit dès
lors que ce sujet une fois énoncé ne puisse plus subir ici aucune
transformation d'ordre expressif, puisque, dans la Fugue, il sera perpé-
tuellement exposé, sans jamais être développé ; le développement, en
effet, est une opération beaucoup plus complexe, qui ne prendra nais-
sance qu'avec la pluralité des idées, c'est-à-dire avec la forme Sonate.
Contrairement à ce que nous avons constaté dans le Motet, aucune
raison de sentiment n'intervient dans la Fugue pour modifier le véritable
thème sans paroles, conçu dramatiquement, qu'est le sujet, puisqu'au-
cune formule précise, exprimant un sentiment nouveau, n'y interrompt
le cours prévu de sa trajectoire purement symphonique et tonale.
Il ne saurait donc y avoir dans la Fugue, ni modulation établie, ni
changement d'état du sujet primordial.
Celui-ci, dès sa première énonciation, doit affirmer une tonalité, que
les expositions ultérieures serviront seulement à renforcer, pour des
raisons qui seront expliquées ci-après, dans l'étude des éléments harmo-
niques de la Fugue.
Réponse. — Une tonalité ne pouvant être établie nettement sans un
mouvement d'oscillation entre deux fonctions tonales (i) exprimées au
moins une fois chacune, le sujet ne peut offrir d'équilibre tonal stable
qu'avec le concours de ces deux fonctions, employées symétriquement.
Aussi, les premiers embryons de Fugues apparus sous le nom de
Ricercari, Fugues canoniques, etc., n'acquièrent-ils une fixité typique
complète qu'à partir du moment où les conséquents y revêtent une
forme spéciale, appelée communément Réponse.
La Réponse est une imitation directe du sujet, telle que le rôle des
(i) Voir l«f liv., chap. vu.
38 LA FUGUE
fonctions de tonique et de dominante (i) }'' est interverti le plus rigou-
reusement possible.
Pour bien comprendre ce que doit être la Réponse d'un sujet donné,
il importe avant tout de discerner le rôle joué dans celui-ci par les
fonctions de tonique et de dominante, c'est-à-dire d'y déterminer les
points d'appui mélodiques où ces deux degrés apparaissent, soit en
notes réelles, soit en harmoniques consonnants.
La Réponse étant, par définition, une imitation directe du sujet ne
peut en aucun cas être absolument exacte (2), car l'intervalle mélodique
ascendant de quinte^ qui sépare les degrés de tonique et de dominante,
n'est pas identique à celui de quaî^te qui sépare les degrés de domi-
nante et de tonique (à l'octave aiguë). Cette différence, due au partage
de l'octave en deux portions inégales diatoniquement ou mélodiquement,
est un des derniers vestiges qu'ait laissés, dans notre système tonal
contemporain, l'ancien usage des modes grégoriens authentes et
plagaux. En passant de lamonodie dans la pol3^phonie vocale, cet usage
a engendré, en vertu d'un désir alors irraisonné de fixité tonale, les
premières imitations en forme de Réponse dans les expositions de
motets : demeuré plus tard dans la Fugue, il y entraîna nécessairement
pour la Réponse une adaptation particulière des intervalles du sujet,
laquelle est généralement désignée sous le nom de Mutation.
Mécanisme de la Mutation. — Pour l'étude assez délicate du mécanisme
de la Mutation, on s'est livré à de nombreuses considérations, plus
ingénieuses que musicales, sur les sujets de Fugue ; en les examinant
seulement au point de vue de Xqmys fonctions tonales et de leurs li??iites,
on peut simplifier notablement les classifications en usage.
Fonctions. — Un sujet quelconque étant tonal par nature contient
une fois au moins chacune des deux fonctions de tonique et de domi-
nante (exprimées par leur degré fondamental, par leur tierce ou par leur
quinte) et aboutit nécessairement à l'une ou à l'autre de ces deux
fonctions.
-Dès lors, deux cas se présentent :
1° la fonction de dominante est entendue en dernier lieu : le sujet
est suspensif;
2° la fonction de tonique est entendue en dernier lieu : le sujet est
conclusif
(i) On verra plus loin, page 60, l'emploi qui devrait logiquement être fait, dans la Fugue
de la dominante mineure ou inverse., vulgairement appelée sous-dominante.
(2) L'exactitude plastique de certaines réponses n'est pas une exception réelle à ce principe.
\.es réponses transposéesy^àontW sera question ci-après, page 42, contiennent sans doute tous
les intervalles du sujet, mais elles en diffèrent toujours par la fonction tonale di leur point
de départ ou d'arrivée.
ÉLÉMENTS. MÉLODIQUES 39
Par définition, la Réponse d'un sujet suspensif sera conclusive, et
réciproquement.
Limites. — Les degrés fondamentaux des fonctions étant invariables,
divisent l'octave, comme nous venons de le voir, en deux intervalles
complémentaires, l'un de quinte, l'autre de quarte, formant ce que nous
appelons ici les limites du sujet.
Deux cas encore peuvent seulement se présenter :
I» le sujet est simple ou primitif {i), c'est-à-dire contenu intégra-
lement dans les limites de quinte (ou de quarte) qui séparent en
montant (ou en descendant) la tonique de la dominante \
2° le sujet est dérivé, c'est-à-dire qu'il excède ces limites, au grave ou
à l'aigu.
En tout, quatre cas, dont nous donnons ci-après des spécimeiis {-z):
Sujets
simples \
(
Sujets suspensif:
m
3S
?
(ai
/> T ^
♦ r Sujets
«,
^
^ (
dérives
Sujets conclusifs
Dans les sujets simples, il ne saurait y avoir de grande difficulté pour
la Réponse : les fondamentales des fonctions (ou leurs harmoniques
consonnants, s'il y a lieu) une fois permutées, les autres notes, généra-
lement d'ordre mélodique pur, viennent prendre, auprès des notes réelles
de la Réponse, un rang équivalant à celui qu'elles occupaient auprès
des notes réelles du sujet.
Sujets simples :
Réponses
(a)
<c}
-dp ^
m
1* ' • a-^
P '
^i» {' r :
H=J
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7 1, '
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-0-
n.f punies . , • I
'^ 7> T.
4''^-!?rir7rir'H
T />
(i) La qualification deprimilif est justifiée par ce faitque les sujets decet ordre apparaissent
surtout dans les anciennes Fugues, encore influencées manifestement par la tradition iu ton
(authente ou plagal) grégorien.
C'est pour la même raison que la locution et Fugue du ton », aujourd'hui détournée de son
sens, doit être appliquée exclusivement, comme le faisait César Franck, aux fugues à sujets
primitifs.
(2) a) Sujet de L. Consolini ; b), c), d), sujets de J.-S. Bach (Fugues d'orgue).
40
LA FUGUE
Mais il n'en va pas toujours aussi facilement dans les sujets dérivés,
pour lesquels il faut bien reconnaître qu'en dépit des règles minutieuses
enseignées par les écoles, la part du sentiment tonal instinctif et du
goût musical reste prépondérante dans le choix d'une bonne réponse.
Si, par exemple, la Réponse du sujet suspensif dérivé {b) :
est, dans le texte de J.-S. Bach
^^^^^^Ê
^"^"""t^^^^^.
^
nous ne croyons pas que ce soit en raison de cette subtilité qui, grâce
â l'hypothèse complaisante d'une modulation apparaissant immédiate
ment après la première note du sujet (w/), attribue très sérieusement
à la seconde note [si) les prérogatives d'une note réelle, tierce de la
dominante, devant entraîner la réponse par le mi^ tierce de la tonique.
Car le même principe appliqué à la tierce de la tonique (m/, cinquième
note du sujet, bien plus réelle assurément) devrait entraîner dans la
Réponse l'emploi du 57, tierce de la dominante, c'est-à-dire une forme
comme celle-ci :
laquelle, plus conforme, en un certain sens, aux règles des « grammai-
riens de la Fugue », est infiniment moins satisfaisante musicalement.
De même, le sujet conclusif {d) , éminemment tonal,
Ê
^
ne comportait pas nécessairement dans la Réponse que lui donne Bach
ÉLÉMENTS MÉLODIQUES
41
et fa «(i), simple adoucissement euphonique, donnant à la fin de cette
réponse un aspect modulant assez difficile à justifier autrement que par
une raison purement musicale.
Cet usage de la modulation apparente ou passagère, pratiqué depuis
Bach dans la Réponse à la plupart des sujets que nous avons nommés
dérivés^ est la seule chose à retenir des innombrables règles édictées sur
cette question par des autorités d'inégale valeur, règles qui se réduisent
en définitive à celles-ci :
\° la nécessité tonale, qui oblige à la permutation des fonctions entre
le Sujet et la Réponse, ne garde toute sa rigueur, dans les sujets dérivés^
que pour leur point de départ et pour leur point d'aboutissement ;
2° en dehors de ces deux points, soumis aux mêmes règles que les
sujets simples^ la loi d'imitation stricte prime la loi d'inversion des
fonctions, et l'usage de la transposition effective à la quinte aiguë a
prévalu;
3° le raccordement entre le fragment transposé pour raison d'imi-
tation, et les fonctions permutées pour raison de tonalité, doit être
opéré de telle sorte que les inexactitudes qui en résultent nécessairement
dans l'imitation plastique soient réduites à leur minimum.
Sujet
Exemple majeur :
point où se fait la mutation (au début)
^^p""'^ ^ï ^ r r n [r r I fTf"f^j
j . s. Bach
Sonate pour orgue NW
Sujet
Réponso
Exemple mineur
point où se fait la mutation (à la fin)
^u-^in^ibn^i\ri^-i^^\^
I. S.Bach
Pugue pour or(<ue Liv. IV. N'^S
(sujet do Legrenzi»
Certains sujets dérivés se prêtent mieux que d'autres à une sorte de
transposition intégrale qui donne à leur réponse l'aspect d'une imita-
(i) Cet exemple a été transposé pour plus de clarté. La Fugue d'orgue à laquelle il est
emprunté est en mi t> : il s'agit donc en réalité d'uh la Q.
4»
LA FUGUE
tion exacte à la quinte : ces sujets, ordinairement assez longs, offrent
souvent la particularité de commencer et de finir par la même fonc-
tion tonale, c'est-à-dire de revenir à leur point de départ :
Sujet
Réponse
1>%^^
-, c/r^rrfr^=T
' i.g r ' 1 ^—i-
T (D)
. H rm rn^T
T .
ipj±=
^^ jj^j^ ^ j j*'^^
d'*é^JJdJ ^-
Z).
J. s. Bach . Wohlt.Clavier
L\v. II. Fugue XIX
En ce cas, les degrés caractéristiques d'autres fonctions contenues
entre les deux points extrêmes du Sujet sont entraînés par l'imitation,
et leur valeur propre disparaît dans la Réponse. La permutation s'opère
donc exclusivement au point de rattachement, et cela suffit à sauvegar-
der le principe de la différence tonale nécessaire entre le Sujet et la
Réponse. En effet, la forme
n'est pas identique en réalité à
(àj
ri
fe=^
S
^*
car, à la note la, entendue au début du Sujet en qualité de tonique du
ton de LA majeur, il est répondu par la note mi, qui occupe au début de
la Réponse (point de rattachement nécessaire avec le sujet) la fonction
de dominante du même ton, et non pas, comme cela serait nécessaire
pour l'identité ?^éelle des deux dessins (a et b), la fonction de tonique du
ton de Ml majeur. La disposition harmonique adoptée par Bach, pour
l'entrée de la Réponse, ne laisse aucun doute sur ce point :
Réponse
fin du sujet:
rtoo^LT ■La'
etc.
En résumé, les principes fort compliqués à l'aide desquels on a pré-
tendu codifier la mutation inévitable, n'ont abouti qu'à des usages
ÉLÉMENTS MÉLODIQUES 43
d'écoles, sur lesquels nous aurons encore l'occasion de revenir ; mais
ils sont presque tous i normes en fait, par la pratique constante des
auteurs de fugues véritablement soucieux du caractère musical et expres-
sif de leurs œuvres.
Contresujet, — Des considérations du mcme ordre permettent de
réduire à fort peu de chose les règles qui concernent le coutt^esujet,
autre élément important de la Fugue, lequel consiste en un dessin
mélodique écrit en contrepoint renversable par rapport au sujet, et
destiné à être entendu avec lui, soit au-dessus, soit au-dessous, à toutes
ses entrées, la première exceptée.
Un usage des plus anciens, chez les auteurs de fugues, veut en effet
que le thème entre seul : cela tient assurément au principe expressif
de conception y dont il a déjà été parlé (i).
La première exposition du dessin contrapontique renversable, dit
contresujet, est donc faite en général après celle du su/et, par la même
voix ou partie mélodique, et en même temps que la première appari-
tion de la réponse, énoncée par une autre voix. L'interversion nécessaire
des fonctions tonales dans la réponse a donc sa répercussion sur le
contresujet^ entendu avec elle; et celui-ci devient en réalité une contre-
réponse soumise aux mêmes règles de mutation ou de transposition, s'il
y a lieu.
Il est à peine utile de rappeler que le caractère renpersable du contre-
sujet (ou de la contre-réponse) comporte de toute nécessité les qualités
requises pour tout bon contrepoint de cette espèce. Savoir:
1° équilibre rythmique des valeurs de notes, ou compensation des
valeurs plus longues du sujet par les valeurs plus brèves du contresujet
et réciproquement ;
2* caractère mélodique, différant par la forme de celui du sujet, tout
en restant analogue au fond, sans introduire aucun élément dispa-
rate ;
3** complément harmonique, renforçant autant que possible le senti-
ment tonal, en faisant entendre les degrés fondamentaux des fonctions
tonales sur leurs harmoniques naturels consonnants, et réciproque-
ment.
La construction même du contresujet implique donc sa subordination
complète au thème de la Fugue, à laquelle il n'apporte qu'un élément
mélodique d'écriture, tandis que le thème (sujet ou réponse) demeure
l'élément unique de conception.
(i) Il convient d'observer toutefois que cet usage est aujourd'hui méconnu dans une
grande partie des fugues d'école, où le sujet et le contresujet entrent presque simulta-
nément, sans que cette disposition paraisse vraiment justiriéc.
44 LA FUGUE
Les dessins auxquels l'usage donne le nom de second sujets troisième
sujet, etc., ne donnent pas davantage àia Fugue un nouvel élément de
pureco«c£/7/îo;z, pouvant infirmer son caractère essentiellement unitaire,
ou monothématique. Ce sont de véritables contresujets, qui doivent satis-
faire, par leur destination même, aux conditions d'écriture contrapon-
tique qui président à l'établissement artificiel du contresujet ordinaire;
on leur attribue seulement, par la suite, un rôle plus important pour
accroître, dans la composition de la Fugue, l'intérêt et la variété, sans
en atténuer l'unité primordiale.
6. ÉLÉMENTS HARMONIQUES DE LA FUGUE. — LA CADENCE. — l'oRDRE TONAL DES EXPO-
SITIONS DANS LES FUGUES MAJEURES ET MINEURES. — LES ÉPISODES. — LES PÉDALES.
LES STRETTES.
La Fugue et la Cadence tonale. — L'alternance des fonctions de tonique
et de dominante, dans le sujet et la réponse, donne, comme on vient de
le voir, à leur exposition, dès le début de la Fugue, un caractère sus-
pensifou conclusif, dû à l'emploi d'éléments identiques, harmonique-
ment, à ceux de {décadence., telle qu'elle a été décrite précédemment (i).
D'ailleurs, on a reconnu à la Fugue un aspect général unitonique^
qui exclut toute possibilité de modulation réelle, d'ordre expressif, dans
cette forme de composition (p. Sy). Dès lors, tout mouvement harmo-
nique apparent dans la Fugue, ne peut avoir d'autre effet qu'un renfor-
cement de cette tonalité unique, marquée par la cadence résultant de
cette alternance des fonctions dans la première exposition. Or, un tel
renforcement ne peut et ne doit être autre chose que la cadence elle-
même, dans sa forme la plus complète, et avec toutes les extensions
qu'elle comporte.
La Fugue ne serait donc en définitive qu'une grande cadence, où
chaque formule harmonique, destinée à l'affirmation tonale, serait rem-
placée par une énonciation du sujet, avec ses annexes ordinaires
(réponse, contresujet, etc.). Par là, et parla seulement, croyons-nous,
peut s'expliquer l'ordre tonal des expositions, ordre logique entre tous,
dont la pratique immémoriale vient confirmer pleinement l'explication
théorique.
Dans les premières formes fuguées, en effet, les expositions ne s'éloi-
gnent guère des fonctions de tonique et de dominante ; plus tard, cette
forme rudimentaire de cadence s'enrichit peu à peu, et l'on voit appa-
raître, dans un ordre variable, les expositions au relatif, à la sous-
dominante, et même au relatif de cette dernière, avec aboutissement et
(i) Voir I" liv., p. 110 et suiv.
ÉLÉMENTS HARMONIQUES 45
repos provisoire sur la dominante du ton principal, préparant le retour
définitif à la tonique.
Ordre tonal des expositions dans les Fugues majeures. — Si nous rédui-
sons à leur schéma harmonique cette succession de fonctions différentes,
dans leurs ordres les plus usuels, nous trouvons :
a) pour les formes primitives :
la petite fugue en UT de J.-S. Bach (i) dont le sujet bien connu
a déjà servi d'exemple (p. Sq), nous offre un excellent modèle de cette
cadence parfaite élémentaire : toutes les entrées réelles du sujet ou de
la réponse y sont faites sur la tonique ou la dominante, sans excep-
tion ;
^) pour les /ormes plus développées, une infinie variété de cadences
diverses, dont les plus complètes sont en général analogues à celle-ci,
qui appartient à la fugue d'orgue, en f/r, de J.-S. Bach (2) :
1.
2 . . • ■ •.
3.
(3^1=^
/>. T. (D)
(D. T.)
Cette grande formule de cadence offre, pour ainsi dire, la synthèse de
toutes les autres. Aussi la tradition d'école en a-t-elle fait, à quelques
petites différences près, son modèle absolu. On se demande la raison
de cette rigueur, car, dans la littérature de la Fugue musicale, les exem-
(1) Édition Peters, vol. III, n» 7, p. 68 et suiv.
(2) Jbid., vol. Il, n» I.
46
LA FUGUE
pies conformes à cette formule, et surtout à celle de l'école, sont infini-
ment rares.
^Toutefois, puisque ce type de Fugue paraît réaliser le maximum
d'extension que ce genre de composition ait jamais atteint, dans l'ordre
des expositions régulières, il y aura sans doute quelque utilité à en faire
ici l'analyse plus détaillée, en tant qu'application des principes d'équi-
libre tonal, établis précédemment.
î _ Exposition principale
vy entrée
Sujet
11^ entrée
P
m
^0
EJlXDjL
Réponse
^^
#
i
m
'êd=S
^
D.
.111^ entrée
I. Toute cette Première Exposition oscille entre les fonctions de
tonique et de dominante. L'importance capitale de ces deux fonctions
ÉLÉMENTS HARMONiOUES
47
justifie le redoublement que les quatre entrées successives du sujet ou
de la réponse font subir à cette oscillation.
La loi rythmique d'imitation veut, en effet, que toutes les parties
mélodiques imitent tour à tour le sujet proposé, surtout au moment
de son apparition initiale. Ainsi, dans les plus anciens motets, chaque
VOIX de la polyphonie répétait en général les mêmes paroles du texte,
et avec le même thème ou son (imitation sur divers degrés).
Cet usage a persisté dans la Fugue instrumentale, où il apparaît sous
la forme des entrées successives de la première exposition, en nombre
égal ou supérieur à celui des parties (ou des voix).
Toutefois, le nombre seul et non Vordre de ces entrées est ainsi déter-
mmé ; car^ cet ordre, chez les auteurs de fugues, n obéit à aucune règle
fixe ; il varie au contraire en raison du caractère du sujet, de sa tonalité, de
son étendue, ou simplement de la plus grande commodité d'exécution.
Vamement, la pédagogie proscrit les entrées dites en échelle, c'est-à-
dire procédant régulièrement de la plus grave à la plus aiguë, ou inver-
sement, sous prétexte que le dessin dit contresujet (voir ci-dessus, p. 43)
doit être écrit en contrepoint renversable et entendu, dès la première
exposition, tantôt au-dessus, tantôt au-dessous du sujet (ou de la
réponse) : nulle obligation de ce genre n'apparaît dans lés fugues
musicales, comme on peut le vérifier facilement dans celles de J.-S.
Bach, par exemple (i).
2 Contre-exposition
#
VP entrée
=1
^
-s-*-
^
Réponse
^^
^
^
^^
^^
i
^
^*-# .*^
^M
a
.;*, I w
^
:£=£
m
D.
(0 Voir notamment :
a) Fugues d'orgue (Éd. Peters) : vol. II,no.4ct8; vol. III, no» 5, 7 et 8; vol IV n" =; et -
b) Clavecin bien tempéré, \» livre, 22» fugue ; II» livre. 9», io« ij«et20« ' "
Ces fugues, et presque toutes celles à trois voix, ont leur première exposition disposée en
entrées successives du grave A l'aigu ou de l'aigu au grave, c'est-à-dire en échelle.
Quant à cette autre règle édictée par certaines écoles, et qui consiste à faire entrer simul-
tanément, dès le début delà Fugue, le sujet et le contresujet (voir ci-dessus, p. 43). inutile de
dire qu on n'en rencontre presque jamais l'application, chez les bons auteurs de fugues.
48
LA. FUGUE
11^ entrée
Sujet
^
^
I
^
f UjJiiJ
p
3
III'; entrée
/ff^-^— ^-[^l^te
Itr f itr »
#
^
É^î
^^^
^
^g
J-rpi-
^^m
^m
m
r r r r^£^
Réponse
i
*:2=ï
D
2. La Co?itre-Expositio7i, qui apparaît ordinairement dans les fugues
après une transition de quelques mesures (i) la reliant à l'exposition
initiale, repose, comme celle-ci, sur les fonctions de dominante et de
tonique ; mais, par un effet assez logique des lois de symétrie, la ré-
ponse y est entendue avant le sujet, ce qui entraîne une sorte d'inver-
sion des fonctions tonales, destinée à rétablir l'équilibre rompu par la
première exposition. Si le sujet entendu au début de la Fugue était
conclusif, comme dans l'exemple ci-dessus, la réponse qui commence
la contre-exposition est forcément suspensive^ et réciproquement.
Lorsque la contre-exposition ne contient qu'une seule entrée de la
réponse et une du sujet (comme c'est le cas le plus fréquent), elle répond
plus exactement à ce besoin de compensation tonale, puisqu'elle abou-
tit à Vufie des fonctions, tandis que l'exposition initiale, à quatre
entrées, aboutissait à Vautre. Mais il n'y a point là de rigueur absolue.
(i) Nous omettons ici, à dessein, ces mesures de . transition ou épisodes (voir ci-après,
p. 6i), sans influence sur la marche tonale de la Fugue,
ÉLÉMENTS HARMONIQUES
49
€t l'exemple choisi montre bien que la contre-exposition remplit trcs
suffisamment son but, même si elle a plus de deux entrées.
3 — Exposition au Relatif
V}" entrée
aj:ftlL-l^iu::^:'
II'; entrée
3. Au delà des deux premières expositions sur la tonique et la domi-
nante, la plus grande diversité apparaît dans les formules de cadence
appliquées au plan de la Fugue. Il peut y avoir, en etTet, un assez grand
COUB* DK COMPOSITION. — T. Il, I . 4
50
LA FUGUE
nombre de moyens harmoniques également aptes à confirmer une tona-
lité, nettement établie déjà par l'emploi répété des fonctions princi-
pales. L'usage de l'harmonie du 7'elatif de mode différent est ici des plus
fréquents: aussi voit-on apparaître à cette place dans la plupart des
fugues une imitation du sujet, puis de la réponse, offrant l'apparence
d'une véritable Exposition au ton Relatif, et désignée ijnproprement
sous ce nom à l'école. ,
Pour les raisons exposées précédemment (p. 29) à propos de Vin-
version, on ne saurait admettre comme le véritable changement de mode
d'un thème donné son simple déplacement, vers la tierce mineure grave
s'il s'agit de rendre mineur un thème majeur, vers la tierce mineure
aiguë dans le cas contraire : il n'y a là, on l'a vu, qu'un procédé d'imi-
tation^ approximatif et défectueux.
Dans la fugue qui sert ici d'exemple, le sujet majeur étant simple
(c'est-à-dire compris dans l'intervalle de quinte : tonique-dominante),
sa transposition au relatif mineur vulgaire n'y introduit pas de défor-
mation très apparente : seule, la médiante est modifiée. Mais il
n'en eût pas été de même pour la réponse, si l'auteur se fût astreint à
y remplacer exactement la tonique par la dominante, et réciproque-
ment. Car il aurait fallu pour cela employer les formules incertaines
et instables de la gamme mineure dite mélodique, avec altération du
sixième degré, en montant seulement, etc. etc., ce qui n'eût pas manqué
de déformer étrangement la réponse (i).
(i) Dans la fugue n" i du !«' livre du Clavecin bien tempéré de J.-S. Bach, fugue dont
le sujet ressemble beaucoup à celui de la fugue d'orgue ici analysée, il y a d'excellents
exemples des graves déformations qu'une véritable imitation de la Réponse au relatif mineur
peut entraîner. Le sujet
.Jonnerait,au relatif, une transforn\Ttion assez naturelle dont Bach ne se sert pas, d'ailleurs;
WS:=*
^^m^m
et dont la réponse, employée par l'auteur à la ije misure, donne strictement;
Ni cette forme, ni sa tran5po^i^ion en ré mineur, qu'on peut lire à la mesure 17:
et qui se répète un peu plus loin (mesure 19) avec d'autres altérations encore, ne peuvent
passer véritablement pour des chefs-d'œuvre d'élégance et de grâce mélodique 1
ÉLKMFtXTS FIARMONIQUES
5«
Mais qu'arrivc-t-il. quand c'est le sujet lui même qui ne peut être
amsi transposé sans subir les déformations inhérentes à l'emploi de
cette gamme ? En ce cas, les moyens employés par les auteurs sont des
plus variés : l'un des meilleurs, et non des moins rares, consiste même
dans la suppresion pure et simple de cette pseudo-exposition au relatif
mineur.
3 _ antre Contre-exposition (exceptionnelle)
F.c entrée
II? entrée
l rrrrrr
r . *
* Y f » p.
^^
^
w
w^
^
Sujet
^
iH^
3
^^
À «
■ê *
3 h'is. Les deux entrées successives, l'une de la réponse, l'autre du
sujet, qu'on rencontre à cette place dans la fugue choisie comme
exemple, réalisent exactement l'inversion de fonctions, caractéristique
de la Contre-Exposition.
Les nécessités tonales n'exigeaient point cette contre-exposition
superflue, d'ailleurs assez rare; mais cette addition, loin de nuire
à la cadence, la renforce au contraire ; et son intérêt musical indéniable
montre une fois de plus que l'art de la Fugue n'est point enclos dans
d'étroites formules, comparables à quelque disposition législative
édictant de sévères pénalités contre les imprudents qui oseraient la
transgresser.
LA FUGUE
4 _ Exposition à la Sous- Dominante
Entrée unique
i4ii^££jJ
^^
^P
♦
i J i^P
^
^^^^
^^
Sujet.
i
f^ — P — »-
:ctp
M>=J.^ J'J
4. Après avoir parcouru diverses combinaisons de la tonique, de la
dominante, et des harmonies du mode mineur relatif, la trajectoire
normale de toute formule de cadence complète passe nécessairement
par la troisième fonction tonale ou sous-dominante : ainsi s'explique
l'entrée, généralement unique, du sujet à la quinte grave de la tonique,
qui apparaît tôt ou tard dans presque toutes les fugues un peu déve-
loppées.
Cette suppression de la réponse à^ns l'Exposition à la Sous-Dominante
paraît avoir une double cause :
a) l'équivoque existant entre la réponse entendue à la quinte aiguë
de la sous-dominante, c'est-à-dire au ton primitif, et le sujet lui-
même ;
b) l'inconvénient inhérent à la sous-dominante même, dont on a
signalé déjà (i) la tendance à effacer, dès qu'elle est entendu-e avec
persistance, le sentiment du ton principal, dont elle usurpe la place.
5 _ Exposition au Relatif de la Sous- Dominante
Entrée unique
^^
^
^\ Y
^^
I
Imitation du sujet ,
^^
(i) Voir h' liv, p. i3i.
ÉLÉMENTS HARMONIQUES
Îl
5. La nécessité de rétablir par la dominante (quinte aiguë) l'équilibre
rompu momentanément par la sous-dominante (quinte grave) entraîne,
dans la cadence comme dans la Fugue, l'usage d'une harmonie intermé-
diaire, conduisant de Tune de ces fonctions vers l'autre, et, par
conséquent, commune aux deux. Telle est, à notre sens, la raison de
l'emploi du relatif delà sous-dominante, dont l'harmonie tonale contient
à la fois le premier et le troisième degré de la fonction de sous-
dominante, et le cinquième de la fonction de dominante. Le caractère
éminemment transitoire de cette harmonie (i) explique que l'entrée
effectuée dans la tonalité accessoire qu'elle détermine, n'ait lieu qu'une
seule fois, sans réplique à la quinte, ou même qu'elle soit complètement
omise, ce qui arrive souvent.
Il va sans dire que le dessin improprement qualifié de sujet, qui
entre, dans cette Exposition au Relatif delà Sous-Dominante, ne saurait
être autre chose qu'une imitation plus ou moins déformée (comme celle
qui se rencontre dans l'exposition au relatif mineur), en raison des
nécessités du changement de mode, tel qu'il se pratique usuellement :
cette déformation apparaît plus clairement encore dans l'exemple ci-
dessus (p. 52), où l'auteur a employé successivement, dans la même
entrée unique du sujet transposé, sa médiante m/;/ez/re(/ti naturel) plus
modale^ et sa médiante majeure {fa 5) plus exacte.
fc
m
I
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Réponse i
Ê
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•0- -*-
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^
D.
Sujet
P^
j J 'i 4
^^
^^
î?^
(i) Il est intéressant de remarquer ici que cette harmonie du relatif de la sous-dominante,
superposée à l'harmonie fondamentale de cette mime fonction, reproduit la sixte ajoutée
signalée par Rameau, à propos de la cadence (voir I" liv., p. i36).
(i) Nous reproduisons ici les quelques mesures qui précèdent la Pédale de Dominante,
parce qu'elles offrent un spécimen de la disposition dite Strette, dont il sera question ci-
après, page 62.
:'4
LA FUGUE
6 ^Pédale de Dominante
Sujet
7. Toniqiu
6. Le retour logique vers la dominante, assez longuement affirmée,
s'impose, après ce parcours un peu complexe, quoique tonal; ainsi se
justifie lout naturellement cette grande entrée sur la Dominante, affec-
tant la forme de tenue ou de Pédale, et pratiquée d'ordinaire par les
meilleurs auteurs, à cet endroit de l^a Fugue.
7. Enfin, cette dernière oscillation conclusive aboutit nécessairement
à la fonction de Tonique^ représentée ici par un seul accord prolongé.
Il n'est pas rare que cette tenue finale de la tonique prenne les pro-
portions d'une véritable Pédale, symétrique de la précédente.
Du reste, la plus grande liberté déforme apparaît dans la péroraison
des plus belles fugues.
On remarque seulement que l'intérêt des combinaisons contrapon-
tiques s'accroît généralement, à mesure qu'on se rapproche de la
conclusion : aussi, les superpositions du sujet et de la réponse, dites
streltes (voir ci-après, p. 62), comme celle qui se trouve ébauchée dans
l'exemple ci-dessus (p. 63), immédiatement avant la pédale de domi-
nante, y ont-elles leur place la plus logique, sinon la plus fréquente.
En résumé, cette vaste cadence, réalisée au moyen de l'ordre tonal
des expositions d'une Fugue (même en la choisissant aussi complète que
possible), loin d'infirmer le caractère iinitoniqiie de cette forme de
composition, le renforce notablement, sans y introduire aucun élément
véritablement modulant, au sens large de ce mot, tel qu'il sera expliqué
ultérieurement (chap. iv).
Toutefois, il est bon d'observer que cette stabilité tonale, excellente
dans les fugues majeures, est beaucoup plus incomplète dans les fug"aes
de mode mineur usuel, en dépit de leur symétrie apparente mais arbi-
traire avec les fugues de mode majeur.
ÉLÉMENTS HARMONIQUES
55
Ordre tonal des expositions dans les Fugues mineures. — En transpo-
sant les formules de cadence précédemment établies, du mode majeur
au mode mineur, par les procédés habituels qui consistent, soit à
abaisser d'un demi-ton les troisième et sixième degrés, soit, ce qui
revient au même, à reculer toutes les notes d'une tierce vers le grave,
on ne rencontrera sans doute aucune difficulté sérieuse, tant qu'il
s'agira de formules primitives, comme la première, limitée aux fonctions
de tonique et de dominante.
eo aiO(le minear ùsûei
en mode mineur inverse
Dans les fugues n°^ 6 et 12 du premier livre du Clavecin bien tem-
péré, de J.-S. Bach, il n'y a exclusivement que des entrées à la tonique
et à la dominante, en ordre variable.
La tonalité pouvant s'établir par la formule de cadence dite plagale,
comme par la formule dhe parfaite, le changement de mode substitue
tout simplement ici l'une des cadences à l'autre, en appliquant les prin-
cipes réels du mode mineur i;/z'frs^ (i); et l'harmonie de la quinte supé-
rieure [mi] remplit les fonctions de sous-dominante (la note prifne de
l'accord mi-sol-SI, étant le SI à l'aigu).
Mais il n'en va plus de même pour les formules plus complexes, dans
lesquelles apparaît un véritable conflit entre la modalité et la transposi"
tion usuelle.
Qu'on en juge par l'exemple ci-dessous reproduisant tous les élé-
ments essentiels (2) de la grande cadence majeure précédemment exa-
minée (p. 45), en les abaissant d'une tierce, diatoniquement :
r. D. T. D.
D. T.
Sous- Dominante
du Relatif
m a j e u r
/>.
T.
Cette formule constituerait, à vrai dire, une cadence assez satisfai-
(1) Voir I*' liv., p. 110.
(2) Dans cette formule transposée, on a omis à dessein les redites des contre-expositions,
qui constituaient plutôt des ca.s particuliers à l'exemple majeur précédemment choisi.
56
LA FUGUE
santé en mode mineur vulgaire ; mais, au lieu de Vexposîtion au relatif
(n° 3), elle supposerait l'emploi d'une sorte de sous-dominante du relatif
majeur^ nullement équivalente au point de vue tonal ; et, à la place de
l'exposition au i^elatif delà sous-dominante (n" 5), on verrait apparaître
une tonalité tout à fait insolite, qui aurait pour base l'accord connu
dans les traités sous le nom de quinte diminuée! Ces seules anomalief*
sutiiraient à expliquer pourquoi un tel plan tonal de Fugue est prati-
quement irréalisable.
Quant à l'adaptation, plus logique en apparence, qui consiste à
transposer partiellement la formule primitive (p. 46), en changeant la
modalité de toutes les expositions, elle ne peut fournir qu'une cadence
tonale assez faible, car elle contient plusieurs antinomies qu'il est bon
de signaler.
I
2.
É
6.
-Exposition
principale
=^
Harmonie
de la pédale
^§r
Conclusion
77
_ Contre-
exposition
Relatif
majeur _
■S O M .« -
Dont .
Relatif
S.-Dotn.
^
^
T. D. T. D. D. T.
D.
L'emploi du relatif majeur^ dans la 3* exposition, entraîne une
transposition en sens inverse de celle pratiquée sur le reste de la cadence
majeure qui a servi de point de départ (p. 45), c'est-à-dire à la tierce
supérieuj-e^ et non à la tierce inférieure ; et cette fausse application de
Vinversion, dans une simple transposition diatonique qui ne la com-
portait pas, produit une perturbation facile à prévoir, quand il s'agit
de répondre à la quinte supérieure du relatif:
Harmoi
nies" • ^® '''*' • *^" • ^^ ^^ quint(
: Toniqiit : Relatif '■ du Relatif
en
a) mode
majeur
^^
^^=^
zr^^^a^
Descente de tierce II Montée de quinte
Harmonies: • ^^ ^^ : du ; de la quinte
'. Tonique : Relatif '. du Relatif
en
b) mode
'mineur
i
-:8r
"tr
Monfce de tierce il Montée de quinte
ÉLÉMENTS HARMONIQUES
Î7
L'harmonie de sol majeur (quinte du relatif) n'a plus de parenté avec
la tonalité générale {la mineur ; fig. ^, p. 56), alors qu'en ci majeur (fig. a)
l'harmonie naturelle de mi (quinte du relatif) restait en contact /^par
i?îi et par sol) avec celle du ton initial.
Un phénomène analogue d' inversion mal employée modifie singu-
lièrement, dans la 3* exposition, le rôle du relatif majeur de la sous-
dominante : dans la Fugue majeure, cette exposition, à la tierce grave de
celle qui la précédait (sous-dominante), servait de transition normale
entre cette fonction et la dominante qui suivait, sous forme de tenue ou
de pédale (voir p. 53 et 54). Il va sans dire que, dans la Fugue mineure,
cette 5* exposition, à la tierce aiguë de celle qui la précède (sous-domi-
nante), n'est aucunement apte à remplir le même office :
Harmonies
en
a) mode
majeur
Harmonies
: de la
'Sou<<-f)om.
du Relatif \ de la
de la S'Dom. '■ Dominonte
Descente de tierce || Descente do quinte
en
à) mode
mineur i
: de la
'■Sons-Dum
S
■^fc4:^
du Relatif \ de la
de la StDotti. '. Duminnntt
3E
-T' ^^
Miintée io tierce l| Dtscente daj^too
toutefois, comme cette exposition introduit dans la formule de cadence
une harmonie fortement apparentée (par ut et par la) à celle du ton
principal {la mineur), le renforcement tonal qui en résulte compense
en partie les inconvénients dus à son défaut total de cohésion avec
rharmonie de la dominante.
En dépit des irrégularités qu'on vient de signaler, cette grande
formule de cadence (p. 56), adaptée mais non transposée du mode
majeur au mode mineur, n'offre pas, comme la précédente, de véritable
impossibilité matérielle de réalisation ; elle est même suffisamment
tonale, si l'on tient compte de l'imprécision inhérente au mode mineur
vulgaire, et il n'est pas très surprenant de constater que les meil-
leurs auteurs de fugues, et J.-S. Bach lui-même, s'en sont généralement
contentés. Il semble toutefois que les fugues mineures de cette forme
soient admirables surtout par l'art consommé que les auteurs y
déploient, pour remédier aux défectuosités tonales de cette formule de
cadence, ou d'autres analogues.
58
LA FUGUE
On peut en observer un exemple des plus concluants dans la Toccata
en mi mineur, de la VP Partita pour clavecin de J.-S. Bach, laquelle
est composée d'un Prélude et d'une Fugue à trois parties, strictement
conforme à cette adaptation minein^e de la grande cadence servant de
base à la Fugue d'orgue précédemment analysée.
I. L'Exposition initiale de cette Fugue est parfaitement normale:
elle est disposée en échelle, du grave à l'aigu, avec autant d'entrées que
de parties (i) :
^^
Sujet
(i; Nous donnons ici, seulement à titre de spécimen du mode mineur, la première exposition
de cette Fugue-, pour les suivantes, ainsi que pour les épisodes, les pédales, le prélude, et
toutes les remarques qu'ils comportent, on voudra bien se reporter au texte.
ÉLÉMENTS HARMONIQUES 59
2. La Contre-Exposition, commençant, suivant Tusage, par la réponse
(dominante) suivie du sujet (tonique) est absolument régulière.
3. L'Exposition au Relatif majeur offre, ce qui n'est pas très fréquent,
les deux imitations prévues, l'une du sujets en sol majeur, l'autre de la
réponse, en RÉ majeur : mais cette tonalité disparaît avec la dernière
note du thème, pour faire place immédiatement à celle de la mineur,
qui anticipe ainsi de plusieurs mesures sur l'exposition suivante.
4. L.' Exposition à la Sous-Dominante, par le sujet seulement, fait donc
corps avec l'épisode précédent, au point de vue de la tonalité, dont la
durée se trouve ainsi presque doublée.
5. L'Exposition au Relatif majeur de la Sous-Dominante, beaucoup
meilleure par sa parenté tonale avec le ton principal, n'est point entourée
des mêmes précautions que la réponse en ré majeur. Mais, comme elle
ne saurait en aucun cas servir d'acheminement vers la Pédale de Domi-
nante qui suivra, elle en est séparée par un vaste épisode modulant,
lequel contient même une petite contre-exposition surérogatoire de la
réponse seule, sans réplique du sujet.
6. La Pédale de Dominante emprunte ses dessins au Prélude, qui
se trouve ainsi relié à la Fugue, plus intimement que la plupart des
pièces associées généralement ensemble par l'auteur, sous les noms de
Préludes et Fugues.
7. La Pédale de Tonique^ avec ses accessoires conclusifs, succède à la
précédente et offre les mêmes dessins. L'ensemble des pédales consti-
tue ainsi une sorte de péroraison, symétrique du Prélude, qu'elle égale
presque en durée ; la série des expositions, qui forme la partie centrale
le ce modèle de construction ternaire, apparaît ainsi en équilibre entre
le Prélude, d'une part, et les Pédales, de l'autre. Et c'est surtout la
solidité de ces tenants et aboutissants qui atténue les imperfections de la
formule de cadence employée.
Mais on pourrait citer, même chez Bach, et surtout depuis lui, bien
d'autres fugues mineures, qui sont bâties sur le même plan, sans y avoir
ajouté les correctifs nécessaires à leur défaut originel de cohésion
tonale.
La Cadence mineure inverse. — On est fondé h penser que, même à
l'époque de la floraison delà Fugue, une application plus rationnelle de
la loi d'inversion des cadences et des modes, établie précédemment (i),
eût apporté le vrai remède à cet inconvénient du mode mineur
usuel. Mais les principes mêmes de ce mode, que les théoriciens
d'alors représentaient toujours comme parallèle au mode majeur
(i) Voir l"^"" liv., chap. vi.
6o LA FUGUE
dont il dérivait à l'aide d'altérations variables, s'opposaient à toute ten-
tative d'hij'ersion vraie. Sans cet obstacle, alors insurmontable, on eût
pu découvrir aisément des formules réellement mineures, et rigoureu-
sement équivalentes aux formules majeures en usage.
Vinversîon harmonique de la cadence qui nous a servi (p. 45) de
îype complet pour la Fugue à sujet majeur, produit, en mineiw vrai,
une détermination tonale excellente :
^M
^
ta
4.
5.
6.
3E
^
S
Exposition
principale
Contre-
exposition
Relatif
majeur
Sous-
Dom.
Relatif
Sr Dom.
Harmonies
des pédales
^
^^
7\ D. T. D. D. T.
S.
Fondions en mode mineur invu'se.
Pourquoi donc cette cadence n'autoriserait-elle pas, même de nos
jours, la construction de vraies fugues miiieuj^es^ s3miétriques des
fugues majeures, au point de vue tonal comme au point de vue moaal?
Des fugues de ce genre ne seraient, au surplus, que l'extension
logique du procédé àHnversion^ tel qu'il vient d'être étudié en détail
(p. i6 et suiv.) à propos des anciens Canons : ce procédé, ainsi que celui
du mouvement contraif^e, s'appliquait déjà dans la Fugue, chez J.-S.
Bach et ses contemporains, au sujet et à ses annexes, afin d'en tirer des
combinaisons nouvelles, apparaissant, le plus souvent, dans les parties
accessoires ou épisodiques (voir ci-après, p. 6i) intercalées entre les
expositions proprement dites.
Mais jusqu'à présent, la substitution de mode qui en résulte n'a
presque jamais été utilisée consciemment et intégralement, parce
qu'on ne s'est, sans doute, pas encore assez pénétré de cette vérité que
la seule transposition exacte d'un thème majeur en mode mineur, ou
réciproquement, consiste dans Vinversion rigoureuse de tous les inter-
valles de ce thème, impliquant celle des harmonies qu'il comportait
naturellement dans son premier état :
Exemple en mode majeur:
Même exemple en mode mineur vrii:
EI.K.Mt.NTS IIAU.MONIQUKS 6i
Dans cette opération de Vi)n'ersio)i ( i ) d'un thème quelconque, on sait
qu'un seul degré reste immuable et sert, en quelque sorte, d'axe de
rotation au motif entier: ce degré est le second, dans la gamme majeure
naturelle ascendante, comme dans la gamme descendante mineure
inverse, puisqu'il est comme le point dejonction de ces deux gammes (2).
Épisodes. — Pour compléter cette étude des éléments harmoniques
de la Fugue, il reste à examiner sommairement certaines parties acces-
soires, qui y furent introduites progressivement par les auteurs, afin
de relier entre elles musicalement les diverses expositions, et de remé-
dier à la satiété résultant de leur froide juxtaposition, dans un ordre
tonal prévu.
Pas plus dans la Fugue que dans aucune autre composition, la
musique ne devait, en effet, abdiquer ses droits. Aussi, au fur et à
mesure que la loi impérieuse des cadences tonales imposait un ordre de
plus en plus fixe aux perpétuelles expositions d'un thème expressive-
ment invariable, les auteurs de Fugues ressentirent-ils plus nettement
tout ce que cette rigueur avait d'incompatible avec la souplesse
plastique, inhérente à toute beauté de forme.
Et, pour rétablir dans leurs œuvres l'élément de variété et d'élasticité
qui leur manquait, ils intercalèrent presque instinctivement, entre les
expositions, quelques formules de transition servant à les enchaîner les
unes aux autres.
Ces formules, appelées dipertissements ou épisodes, contrastent avec
la rigidité des expositions par une liberté d'allure beaucoup plus
grande. Bien que toujours reliées aux éléments primordiaux de la
Fugue (sujet, réponse, contresujet) par la parenté des dessins
employés, les épisodes en diffèrent par une imitation contrapontique
beaucoup plus libre, à laquelle viennent s'ajouter parfois les plus riches
combinaisons empruntées à l'écriture du Canon (inversion, rétrograda-
tion, augmentation, diminution, etc.). Il en résulte une sorte d'expansion
expressive et variée, qu'entrave malheureusement trop souvent l'abus
du procédé si commode et si plat qui a nom marche d^harmonie.
J.-S. Bach excella dans la composition de ces épisodes : certains
d'entre eux, en dépit de leur rôle purement extérieur en principe au
cadre étroit de la Fugue proprement dite, y ajoutent un tel élan de vie
et d'émotion, qu'on ne saurait se refuser à y reconnaître l'embryon de
(i) Cette inversion rigoureuse est rarement pratiquée par J.-S. Bach, tandis que le mouve-
ment contraire apparaît fréquemment dans ses œuvres. On peut cependant faire le travail de
l'inversion sur toutes les fugues. Les résultats sont extrêmement curieux et instructifs au
point de vue de la tonalité ; on rencontre des passages entiers qui demeurent aussi har-
monieux et aubsi « musicaux » que dans le texte original.
(a) Voir l" hv., p. loi, et ci-dessus, p. 29 et jo.
63
LA FUGUE
ce qui, plus tard, devait constituer le véritable développement, ou Vactîon
des thèmes (voir chap. iv).
Pédales. — L'usage des combinaisons variées, mais toujours expres-
sives, destinées à accroître l'intérêt des tenues ou pédales exigées par le
cadre tonal de la Fugue, participe aux mêmes raisons et au même
rôle que les épisodes.
Strettes. — Enfin, l'habitude aujourd'hui généralement adoptée, bien
que nullement nécessaire, de réserver pour la dernière partie de la
Fugue les formules d'écriture serrée, dites strettes^ se justifie assez bien
aussi par la nécessité de donner, autant que possible, à cette composition
un intérêt toujours croissant.
L'étude des Motets, depuis les plus anciens, nous a montré la prédi-
lection de leurs auteurs pour certaines recherches d'écriture en usage
aussi dans les canons^ ricercari^ etc , et tendant à faire entrer les
thèmes dans une des parties vocales, avant que l'exposition du même
thème dans une autre partie soit complètement terminée. Cette sorte
de chevauchement, que la contexture de certains thèmes permet de
reproduire sur plusieurs points différents de leur mélodie, en se rap-
prochant de plus en plus du début, a reçu le nom de stretto ou streite
(écriture resser7'ée\ L'application de ce procédé contribue généralement»
dans le Motet, à un renforcement expressif des plus significatifs.
Dans la Fugue, le mot streite désigne spécialement les entrées de la
réponse sur le sujet (ou du sujet sur la réponse), depuis la plus
éloignée, commençant sur la dernière note du sujet (ou de la réponse),
jusqu'à la plus rapprochée, commençant, s'il se peut, immédiatement
après la première note, comme nous en avons vu un exemple (ci-des-
sus, p. 53) dans l'épisode qui précède la pédale de la fugue majeure
précédemment analysée.
Nous donnons ci-dessous quelques mesures de la V^ Fugue du
Clavecin bien tempéré, de J.-S. Bach, dans lesquelles on peut voir
presque tous les cas possibles de strettes et de canons :
©
Réponse
i
©
Sujet
L^'rW
i*t£>i
Si
Sujet
4'-- vji m/^
m
Réponse
Qimi^ri^M .i"JJY/^
^
Réponse
w-, ''JTf^ rfr
^^
u f ^/
^
^Réponse
ï?=*
^
^^J^Kn) =
ELEMENTS HARMON'IQUES
63
imiiation de la réponse
(§) imitation du lujet
^^
(1) (2) — Strette inachevée de la Réponse, entrant avec la 3* note du Sujet •
(2) (3) -Strette canonique (ou Canon) delà Réponse, entrant sur elle-même à
1 octave grave ; '
(3) ^4) - Autre Strette canonique plus rapprochée, à la double octave aiguë-
S /« ~ ^'^"^ intégrale du Sujet, entrant avec les dernières notes de la Réponse •
(5) (6) — Autre Strette de la Réponse entrant, comme la Strette (1) (2), avec là
3e note du Sujet, mais exposée intégralement ;
(7> (8) — Sorte d'épisode en Strette, faisant entendre, au relatif de la sous-domi-
nante {ré mmeur), le Sujet sur la 4e note de la Réponse.
La transposition en mode mineur du sujet (8) et de la réponse (7)
entraîne pour celle-ci des mutations qui la déforment notablement, et
montre bien l'inaptitude de certains thèmes à subir ce grossier change-
ment de mode (i).
Toutefois, ces mêmes mutations fourniront ici un excellent exemple
pour servir à mieux distinguer l'un de l'autre la Strette proprement
dite, et le Canon, avec lequel on la confond souvent.
La Strette se dillerencie, en effet, d'un Canon droit à la quinte (ou à
la quarte), en ce que le conséquent (voir p. 22) y affecte la forme de
réponse, avec ses mutations caractéristiques, chaque fois que l'anté-
cédent est constitué par le sujet, et réciproquement. Quant à la Strette
canonique (2) (3) (4), intercalée ici entre des strettes véritables, elle n'est
pas autre chose qu'un canon ordinaire du sujet ou de la réponse.
Le travail contrapontique de laStretle a entraîné de graves abus, qui
n'ont pas peu contribué à la décadence de l'art de la Fugue, devenu
dans les écoles un véritable jeu de patience, dénué de toute préoccupa-
tion musicale. Ainsi, cette simple affirmation conclusive de la tonique
que devait être la Stj'eltc a pris, dans certaines fugues d'école, une
extension telle qu'elle atteint parfois une longueur égale ou même
supérieure à celle de la totalité des expositions avec leurs épisodes I
(i)Dans la note de la page 5o. nous avons signalé déjà ce sujet comme réfractairc à la
transposition en mode mineur vulgaire.
64 LA FUGUE
Cette déchéance de la Fugue provient surtout, croyons nous, de la
méconnaissance de ses origines. On semble avoir perdu de vue qu'elle
n'ester ne saurait être qu'une vaste cadence tonale. Loin de l'appauvrir
ou de la restreindre en lui restituant définitivement son caractère
primordial, nous prétendons montrer, au contraire, comment et par où
elle peut s'élargir et reprendre de l'intérêt, sans cesser d'être elle-
même.
Notre bi af exposé des principes de Vinversion modale, par exemple,
ne tend-il pas à prouver que les applications à la Fugue de la loi des
cadences sont aussi loin d'être épuisées que les formules de cadences
elles-mêmes, et que ces dernières sont encore plus loin d'avoir été
utilisées en totalité pour l'élaboration de plans de fugues, tous diffé-
rents de ce gabarit puéril qui a nom la Fugue d'école ?
7. LA FORME « PRÉLUDE ET FUGUE ». — SON ROLE DANS LA MUSIQUE SYMPHONIQUE.
Le souci de Taffirmation tonale, qui présida à l'élaboration des
formules de cadences sur lesquelles furent construites les plus belles
fugues de la période de floraison, semble avoir été si prépondérant,
qu'en dehors de ses multiples effets dans le corps même de la Fugue,
il s'étend et rayonne en quelque sorte autour d'elle, en créant des formes
annexes, destinées à établir préalablement la tonalité principale dans
laquelle se dérouleront toutes les expositions avec leurs épisodes, leurs
pédales et leurs strettes.
Ainsi s'expliquent les quelques accords plaqués ou arpégés qui pré-
cédaient déjà certaines fugues instrumentales assez anciennes, et qui
firent place, peu à peu, à de véritables compositions, plus ou moins
inséparables des fugues, sous les noms divers de Prélude [Prœludium),
Fantaisie {Phantàsie, Fantasia), Toccata, Can^ona, Ouverture, etc.
Plusieurs de ces dénominations que nous retrouverons plus loin
(chap. Il), appliquées à des pièces de la Suite, ont servi également à
désigner des formes très ditîérentes, comme par exemple V0iive?'tu7'e,
qui sera étudiée séparément dans la seconde partie du présent livre;
aussi, pour éviter toute équivoque, appliquerons-nous exclusivement le
nom de Prélude à la pièce instrumentale libre, le plus souvent mono-
thématique, monorythmique et sans aucun repos provisoire déterminé,
qui précède ordinairement la Fugue, et fait corps avec elle au point
de vue tonal tout au moins.
On le voit, la forme Prélude proprement dite ne saurait être nette-
ment définie, car son origine même, une simple cadence pour « se
mettre dans le ton », suivant l'expression vulgaire, laissait à l'impro-
visation et à la fantaisie la plus large part.
LE PRÉLUDE 65
Cependant, tant que le Prélude écrit reste attaché à la Fugue, il
semble avoir conservé de préférence le caractère unitaire de cette
dernière composition. Monothématique comme elle, le Prélude peut
même mériter parfois le qualificatif d'a//i^'ma/y^z/e, lorsqu'il consiste en
un dessin rythmique continu, qui change seulement de degré, afin de
faire entendre les harmonies nécessaires à la cadence tonale, sans
prendre le caractère d'une mélodie précise. Les deux tiers environ
des préludes des Fugues du Clavecin bien tempéré, de J.-S. Bach, nous
offrent d'excellents modèles de cette sorte.
Mais avec le développement plus grand de ses œuvres d'orgue, nous
voyons bientôt le maître de la Fugue donnera ses préludes une exten-
sion inusitée avant lui. Certains d'entre eux contiennent vers le milieu
une cadence à la dominante ou à un ton voisin, qui leur donne l'aspect
d'un morceau de Suite (voir ci-après, chap. 11]. D'autres même pré-
sentent deux ou plusieurs thèmes ainsi qu'une Sonate véritable (voir
ci-après, chap. m).
Toutefois, quelle que soit l'envergure exceptionnelle atteinte par
certains préludes de J.-S. Bach, et par d'autres, postérieurs, qui procè-
dent, comme ceux de C. Franck, des mêmes principes, une seule carac-
téristique y demeure constante : l'identité de leur tonalité avec celle de la
composition qui les suit. Cette composition n'est point nécessairement
une Fugue ; mais c'est à l'occasion de la Fugue que le Prélude a pris
naissance (i).
On peut donc avec raison considérer la forme Prélude et Fugue
comme le premier essai authentique de juxtaposition de deux pièces
symphoniques d'importance équivalente, mais de caractères différents,
écrites dans une tonalité unique et destinées à être entendues consé-
cutivement.
L'importance capitale de cet essai apparaîtra au fur et à mesure que
nous étudierons les autres formes symphoniques, car nous constate-
rons que la plupart d'entre elles {Suite ^ Sonate, Concert, Musique de
Chambre, etc.) n'ont été à l'origine qu'une simple juxtaposition de
pièces enchaînées logiquement les unes aux autres parle seul lien tonal,
exactement comme le furent autrefois le Prélude et \a. Fugue (2).
Ce lien tonal des pièces différentes est donc à la base de toute com-
position de quelque importance, comme les procédés d'imitation
(i) Le Choral, qui fut plus tard associé au Prélude, et qui, chez Bach, aflectait fréquem-
ment déjà une forme fuguée, doit être considéré néanmoins comme taisant partie du domaine
de la Variation, et c'est avec cette forme musicale spéciale qu'il sera étudié ci-après,
chap. VI.
(2) Parmi les sonates pré-beethovénienrtes (chap. m), on en rencontrera une de Johann
Kuhnau, où la (orme PriluJe et Fugue est textuellement employée. Albrechtsberger s'est
■également servi de cette forme dans ses quatuors et quintettes pour instruments à cordes.
Cours de composition. — t. u, i. J
66 LA FUGUE
contrapontique et fuguée sont à la base de toute littérature musicale.
Aussi, importait-il d'expliquer dans quelque détail tout ce qui a trait à
cette forme primordiale de la Fugue, considérée musicaleme7it, en tant
qu'œuvre expressive et artistique, et non pédagogiquejnent^ en tant
que travail laborieux d'assemblage, hérissé de pièges et de chausse-
trapes. La cadence, l'équilibre tonal et modal, Tinversion des fonctions,
des thèmes et des modes, les canons et les combinaisons de toute
nature mises au service de la musique, seront dorénavant pour nous
choses connues ; et les occasions d'en rencontrer l'emploi ne nous
feront point défaut, dans l'étude des diverses formes symphoniques,
qui, sans être issues véritablement de la Fugue, ont presque toutes subi
son influence.
HISTORIQUE
8. DIVISIONS DE l'histoire DE LA FUGUE.
Il est assez difficile d'établir d'une façon certaine l'histoire de la Fugue,
forme issue du Motet, et qiii, sans se modifier notablement ni pro-
créer de rejeton direct, conserva sa vie propre jusqu'à nos jours.
On peut toutefois distinguer, au cours de son existence, trois périodes
assez caractérisées pour donner lieu à une division historique : sous
chacun de ces trois aspects, la Fugue a évolué concurremment avec les
autres formes musicales, leur apportant souvent un moyen, un procédé
spécial de construction, sans jamais se confondre avec aucune d'elles.
1° Dans la Période primitive^ la Fugue n'apparaît guère qu'à Tétat
d'imitation : c'est l'époque des Caniom et des Ricercari ; elle sert de
travail préparatoire à la période suivante.
2° Dans la Période deJIo?^aison, la Fugue constitue à elle seule une
œuvre musicale et s'adjoint le Prélude qui la complète en ajoutant à
son importance.
3" Dans la Période moderne^ après avoir été éclipsée momentanément
par la forme Sonate, la Fugue reparaît dans celle-ci à titre d'aide au déve-
loppement ; elle reprend même, chez quelques maîtres contemporains,
une existence à part contribuant à l'éclosion de formes nouvelles.
9. — période primitive.
Contrairement à ce qui s'était passé pour la forme Motet (i) péné-
trant successivement dans les compositions vocales dramatiques de
chaque pays, la forme Imitation, ancêtre de la forme Fugue proprement
(i) Voir 1" liv., chap. x.
PÉRIODE PRIMITIVE
67
dite dans le domaine instrumental et symphonique, apparut simulta'
«em^«^ dans toutes les nations possédant quelque culture musicale.
Aussi examinerons-nous les auteurs de Fugues, non plus, comme ceux
des Motets, dans Tordre exclusivement chronologique, mais en les
subdivisant en même temps par nationalités.
ITALIENS ET ESPAGNOLS
Antonio de Cabezôn i5io f i566
Andréa Gabrieli i5ioi i586
Giovanni Gabrieli iSSy f i6i3
Adriano Banchieri 1567 t 1634
GiROLAMO Frescobaldi I 583 f 1644
Bernardo Pasquini 1637 t 1710
DOMENICO ZiPOLI 16. . f 17. .
Antonio de CABEZÔN, natif de Castrillo de Matajudios (province de
Burgos) et aveugle de naissance, devint, malgré cette infirmité, organiste
et maître de chapelle de l'empereur Charles-Quint, puis de Philippe II,
et conserva cette situation pendant quarante ans. On possède de lui
un certain nombre de versets ou Ricetxari pour orgue, parmi lesquels
ceux qu'il désigne sous le nom de Tientos^ présentent une analogie bien
plus étroite avec la forme Fugue définitive, que beaucoup de composi-
tions de ce genre écrites par des musiciens de l'époque postérieure.
Nous citons ici le commencement d'un Tiento de Cabezôn (i) dont
les entrées se suivent régulièrement et sont conformes à la disposition
adoptée par J.-S. Bach dans quelques-unes de ses Fugues :
Rép ,
^
m
m
É
f Tt I-
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Sujet
rrff
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#4#
s
Rep
TTr r ' r r I" T
Suj 1
(i) Hispania.' schohv musica sacva, publié par M. F. PeJrell. vol. Vill.
68
LA FUGUE
Andréa GABRIEL! (i) publia, en iSyi, un livre Ae Can^onefrancese
pe?' l'of'gano, conçu dans le style fugué. Trois recueils de RicerxaiH
pour orgue parurent après sa mort, en i SgS.
Giovanni GABRIELI (2) publia plusieurs recueils de Ricercari à 4^
en lôSy.
Adriano BANCHIERI, ou Adriano di Bologna^ moine olivétain au cou-
vent de Saint-Michel de Bologne, est l'auteur d'ouvrages théoriques fort
importants pour l'histoire de la musique, et notamment du célèbre
Organo suonarino (161 1); il écrivit aussi, en style fugué, des Can:{oni
per sonar et des Ricercari. Pour montrer l'état rudimentaire des pru-
deptes imitations qui constituaient alors tput l'art de la Fugue, nous
extrayons de V Organo suonarino la pièce ci-dessous, que Banchieri donne
en exemple, et qu'il intitule pompeusement Sonata prima a due soggetti:
i
S
q^N
^=^
î
m
^^
^m
fpf
3
^^u-
:J^
a
^^
tt:
U T'CCU
(I Voir \" liv., p. lôl .
{2) Voir !•' hv., p. 209.
HEk.O.jE PKI Vil l IVr.
*
m
M
^
m
^
m
P né
r 'fgr^
j-
^
m
ij W-
^
J^
^
icr
Qirolamo FRESCOBALDI, né h Ferrare, séjourna quelque temps dans
les Pays-Bas, où il dut connaître son émule Sweelinck (voir ci-après,
p. 72); il retourna ensuite en Italie où il devint titulaire de l'orgue
de Saint-Pierre de Rome, poste qu'il conserva jusque vers la fin de
sa vie. Organiste sans rival à son époque, Frescobaldi appliqua à
l'orgue un nouveau système de doigté qui en accroissait considérable-
ment les ressources. Il écrivit et publia, en 161 5, des Ricercari et Can-{oni
francese. 11 passe pour le créateur de la Fugue italienne .
J.-S. Bach tenait les œuvres de ce maître en telle estime qu'il copia
de sa main, en 17 14, les cent quatre pages du recueil intitulé / fîoj'i
musicali, suite de versets destinés h l'accompagnement de l'office litur-
gique (i) ; et, de fait, le style fugué de ces versets n'a pas été sans
influencer le génie du Cantor de Leipzig dans ses premières manifes-
tations, comme on pourra le constater par la pièce ci-après (2) qui
présente, en raccourci, les caractères d'une exposition de Fugue suivie
de strettes :
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(i) Cette copie de Rach est conservée à la Bibliothèque de l'Institut de Musique relicieuse
à Berlin.
[■2\ Deuxième verset sur 1 hymne Lucis creator oplimc. (Publication de M. Al. Guil-
mant.)
LA. FUGUE
Frescobaldi écrivit également un grand nombre de compositions
fuguées Lur des thèmes populaires ; il réclamait pour l'exécution de
ses œuvres une grande fantaisie rythmique, une sorte de tempo rubato
continuel. Il joue, dans l'histoire de la musique d'orgue, le rôle d'un
véritable « créateur qui, malgré des formules vieillies, fait pressentir
« tout un au-delà, non sans laisser transparaître, sous quelque afféterie,
« le regret de ne pouvoir l'atteindre (i) ».
Bernardo PASQUINI, né à Massa et longtemps organiste de la basi-
lique de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, écrivit nombre de pièces pour
orgue et pour clavecin en style fugué. Ses sujets sont plus longs et plus
musicaux que ceux traités par ses contemporains; voici, par exemple,
celui de l'un de ses Ricercari :
Après une double exposition de ce sujets paraît la réponse, ainsi
disposée :
Rép.
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Rép.
[i) André Pirro, L'orgue de J.-S. Bach. Fischbacher, 1895.
PERIODE PRIMITIVE
7'
puis viennent de nombreuses entrées plus rapprochées qui terminent
la pièce en une brillante strette. Comme on le voit par cet exemple,
l'écriture de Pasquini est plus dégagée et ses contrepoints sont plus élé-
gants que ceux de ses prédécesseurs.
Domenico ZIPOLI fut organiste de l'église du Gesîi, à Rome, et publia
en 1716 plusieurs recueils de Ricercari pour orgue, d'un style qui
rappelle plus celui de Bach que les productions italiennes de son temps,
ANGLAIS et ALLEMANDS
Thomas Tallys 1 5. . f
William Byrd i538 f
JaN PiETERS SWEELINCK I 502 f
Samuel Scheidt 1587 f
Johann Jacob Froberger 16. . f
Georg Muffat 16. . f
DiETRICH BUXTEHUDE lÔSy f
Johann Pachelbel iG33 f
585
623
621
654
667
704
707
706
Thomas TALLYS, ou Tallis, fut organiste de la cour d'Angleterre sous
Henry VIII, Edouard VI et sous les reines Marie et Elisabeth. On le
regarde comme le promoteur du style fugué dans l'école anglaise.
William BYRD, ou Bird, ou Bfved^ né à Londres, élève de Tallys et
organiste à Lincoln en i563, publia des pièces pour clavecin et instru-
ments à clavier dont on trouve les plus remarquables dans le Virginal-
book (livre de Virginale) de la reine Elisabeth, ainsi que dans celui de
lady Nevil. Mattheson (i) attribue à Byrd le célèbre Canon d'Oxford,
que l'on voit inscrit au-dessus de la porte de la salle de musique de
l'Université. La réalisation à trois voix de ce canon ne laisse pas que
de produire des agrégations d'une écriture quelque peu barbare, en
dépit des louanges que lui prodigue l'auteur de VEhrenpforte.
(i) Der vollkommeiie Kapellmeister, éd. de lySg, p. 409.
7i
L\ FUGUE
Canon Oxfordiensis (perpetuus)
Cantus [f [>
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ié-û? nomini tu . . o sit glo . ri . a.
Nofi
Jaii Pieters SWEELINÇK, né à Amsterdam, étudia à Venise sous la
direction de Zarlino, puis succéda, en i58o, à son père dans les fonc-
tions d'organiste de la « vieille église » (Oude Kirk) de sa ville natale,
fonctions qu'il exerça toute sa vie. Il est généralement regardé comme
le principal fondateur de la Fugue pour orgue, ou du moins d'un
système de pièce fuguée plus logiquement construite que le simple
Ricerca?^ (i).
Samuel SCHEIDT, né à Halle, en Saxe, et élève de Sweelinck, se
livra surtout au perfectionnement de l'écriture du Choral varié pour
orgue, qu'il traita en imitations fuguées, dans la manière des versets
(i) L'œuvre de Sweelinck a été publiée au complet, en douze volumes, par les soins
du D' Max Seiffcrt en iqoi
PÉRIODE PRIMITIVE 73
de Frescobaldi. Son principal ouvrage est la Tabulalura nova, recueil
de pièces pour orgue en trois volumes in-folio. L'influence de Scheidt
fut grande surJ.-S. Bach et sur la façon dont il comprit la variation
de choral, dans les œuvres qui appartiennent à sa première manière
(voir ci-après, p. 78 et suiv.).
Johann Jacob FROBERQER naquit à Halle ; il fut envoyé à Rome
par l'empereur Ferdinand III, son protecteur, pour se perfectionner
dans la science musicale auprès de Frescobaldi; esprit inquiet et d'hu-
meur nomade, il fut, de façon intermittente, organiste de la Cour de
Vienne. Il mourut à Héricourt, près Montbéliard, après un voyage en
Angleterre (i 562) plein de romanesques péripéties qu'il chercha, dit-on,
h retracer dans l'une de ses œuvres (i).
Il parut, en lôgS et 1696, deux recueils de Froberger intitulés:
Diverse ingeniosissime 0 rarissime partite di Toccate^ Canioui, Ricer-
cari, Cappricci, etc.
Georg MUFFAT, organiste de la cathédrale de Strasbourg jusqu'en
1675, vint étudier à Paris le style français et écrivit de nombreux
i^/cercar/ pour orgue et instruments.
Dietrich BUXTEHUDE, le plus illustre des organistes allemands du
XVII* siècle, né à Elseneur, en Danemark, devint en 1668 titulaire
de l'orgue de Sainte-Marie, à Lubeck, et organisa dans cette église, pour
la première fois en Allemagne, des « Abendmusiken » (soirées musicales),
qui se tenaient le soir de chaque dimanche de l'Avent et qui eurent
une grande renommée.
Buxtehude fut sans contredit le précurseur et, plus encore, l'inspira-
teur des œuvres de la première manière de J.-S. Bach : celui-ci, en
effet, trop pauvre pour payer la dépense du coche, fit à pied le voyage
d'Arnstadt à Lubeck dans le seul but d'entendre le célèbre maître et de
profiter de ses conseils. Buxtehude publia un grand nombre de Fugues
et de pièces d'orgue en style fugué ; ses versets sur le Te Deiim sont
de petits chefs-d'œuvre ; voir aussi sa Fugue en mi
à trois sujets, comme la célèbre fugue en mih de Bach. Il contribua
puissamment au développement de la virtuosité sur son instrument,
par des interludes ou des cadences finales brillamment figurées que
Bach imita souvent dans ses premières pièces.
(1) Matlheson, Of. cit., Il, 4, p. i3o.
74
LA FUGUE
Johann PACHELBEL naquit à Nuremberg, où, après avoir occupé
diverses charges auprès des princes de Saxe et de Wurtemberg, il
revint vers sa quarantième année, pour y reprendre jusqu'à sa mort le
poste d'organiste de Saint-Sebald. Il fit faire également de grands pro-
grès à l'écriture de l'orgue ; son influence sur les compositions de la
première manière de J.-S. Bach est indiscutable, sinon comme esprit,
au moins comme style. Comparer aux chorals de VOrgelbuchlein l'expo-
sition ci-dessous, variation fuguée de la mélodie Vate?- imser in
Himmelreich (i) :
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Pachelbel publia, entre autres œuvres, un Tabulaturbuch, contenant
cent soixante Chorals variés avec préludes en style fugué, et un assez
grand nombre de Fugues pour orgue.
FRANÇAIS.
Jean TiTELouzE i563 •}- i633
Jean-Henri d'ÂNGLEBERT 1628 -|- 1691
François Couperin (de Crouilly). . i63i f 1698
Nicolas de Grigny 16. . f 16. .
Jean-Louis Marchand 1669 f 1732
Louis-Nicolas Clérembault . . . 1676 -j- 1749
Jean TITELOUZE, l'ami du père Mersenne, né à Saint-Omer, fut
élu en i 588 organiste de la cathédrale de Rouen. On a de lui, outre
diverses pièces, un recueil publié en 1623 et intitulé: Hymnes de
rÉglise pour toucher sur Vorgue avec les fugues et recherches sur
leur plain-chant. Bien qu'il appartînt à une époque où l'art de la Fugue
prenait à peine naissance en Italie et en Allemagne, on peut voir par
l'exemple suivant (2) que son écriture ne se bornait point à la simple
imitation canonique, comme dans la plupart des Ricercari de son
temps, mais que ses versets contenaient de véritables expositions de
{1) Huit Chorals publiés chez J. Chr. Weige), à Nuremberg, en lôgS.
(2) Verset Deposuit potenles. (Magnificat du 6* ton.)
PÉRIODE DE FLORAISON
75
Fugue, Nous devons donc le considérer comme Témule français des
Sweelinck et des Frescobaldi, tant pour le style que pour la valeur
musicale.
Jean-Henri d'ANQLEBERT, musicien de chambre du roi Louis XIV,
écrivit des Fugues pour orgue.
François COUPERIN, sieur de Crouilly^ organiste de l'église Saint-
Gervais, à Paris (i), écrivit des pièces d'orgue dans lesquelles on
trouve des essais de Fugue.
Nicolas de QRIGNY, organiste de la cathédrale de Reims, fit im-
primer chez Ballard (1701) un Lh>re d'orgue où l'on rencontre des
audaces harmoniques alors inusitées en France. Ses compositions
étaient connues de Bach et offrent un réel intérêt musical. M. Al. Guil-
mant en a publié un certain nombre dans ses Maîtres de l'orgue.
Jean-Louis MARCHAND, né à Lyon, organiste de l'église des
Jésuites à Paris en 1697, P^^^ ^^ ^^ Chapelle ro3'ale du château de
Versailles, fut banni de France en 17 17; il voyagea en Allemagne et,
pendant un séjour à Dresde, il tenta, sans succès, de se mesurer avec
Bach comme improvisateur. On a de lui des Versets et des pièces
d'orgue en style d'imitation.
Louis-Nicolas CLÉREMBALLT, né à Paris, fut organiste de l'église
des Jacobins, puis directeur de la musique, de M"* de Maintenon à
Saint-Gyr. Il écrivit un certain nombre de pièces en style d'imita-
tion.
10. — PKRIODl'. DE FLORAISON.
A partir de la seconde moitié du xvii^ siècle, en Allemagne, la Fugue
entre en pleine période de floraison . En Italie, elle était à peu près
(i) Dans la gcncalogic delà famille Couperin, que nous donnerons ci-après (p. i38), àpto-
pos de François Couperin, le grand, neveu de François Couperin, sieur de Crouilly, on
verra que le poste d'organiste de Saint-Gcrvais fut occupé successivement par six membres
au moins de cette illustre famille de musiciens.
76 LA FUGUE
tombée en désuétude. Quant aux organistes français de la période
précédente, bien qu'ils soient les contemporains des compositeurs dont
les noms suivent, nous ne pouvons, en raison de la nature de leurs
productions, les placer dans la même catégorie que les Allemands.
Ceux-ci seuls, en effet, cultivèrent pour lui-même le véritable art de la
Fugue, dont J.-S. Bach allait devenir le plus haut et le plus génial
représentant.
ALLEMANDS.
Johann Krieger i652 f lySB
Johann Joseph Fux i65o -|- 1741
Johann Heinrich Buttstedt. . . . 1666 -f 1727
Johann Sébastian Bach 1 68 5 -|- 1750
Johann KRIEGER, né à Nuremberg et mort à Zittau, publia en 1699 un
livre de Préludes et Fugues pour le clavecin, sous le titre Abhandlung
von der Fiige, qui constitue le premier recueil où la forme Prélude
et Fugue se trouve fixée et codifiée.
Johann Joseph FUX, né à Hirtenfeld, en Styrie, fut nommé en 1698
compositeur de la cour impériale de Vienne. Son Gradus ad Pavtias-
sum (1726) est une collection d'exemples de Contrepoint et de Fugue
constituant un véritable traité. Fux passe, on ne sait pourquoi, pour le
créateur de la fugue dite d'école ; mais rien, dans ses écrits, ne vient
corroborer cette opinion.
Johann Heinrich BUTTSTEDT, organiste d'Erfurt et élève de Pachel-
bel, laissa un grand nombre de Préludes et Fugues pour orgue et pour
clavecin.
Défenseur des anciens modes ecclésiastiques, il entreprit une réfu-
tation des théories, « avancées » pour l'époque^ émises par Mattheson
dans le N'eu ei^djfnetes Orchester et publia, à ce propos, son célèbre
traité théorique et pratique intitulé :
UT MI SOL
RÉ FA LA
TOTA MU SIC A
ET HARMONIA JETERNA
Johann Sébastian BACH naquit à Eisenach le 21 mars 168^. Il des-
cendait d'une famille thuringienne dont presque tous les membres
occupèrent, du xvi* au xix" siècle, les positions de musiciens de ville, de
chambre, et surtout d'organistes et de maîtres de chapelle dans la plu-
part des cités allemandes, ainsi que peut en faire foi le tableau généalo-
gique ci-contre :
PÉRIODE DE FLORAISON
77
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7^ LA FUGUE
Jean-Sébastien commença ses études sous la direction de son frère
aîné Jean-Christophe, organiste à Ohrdruf, qui était lui-même élève de
Pachelbel, puis il entra à l'école de Saint-Michel, à Lunebourg, où il
reçut les enseignements de l'organiste Georges Bœhm. Passionnément
épris de musique, il entreprit à pied, dès l'âge de quinze ans, plusieurs
voyages, pour aller entendre les organistes en renom, notamment
Reinken, à Hambourg, et plus tard à Lubeck (lyoS), Buxtehude,
auprès duquel il resta trois mois, bien que le consistoire de la ville
d'Arnstadt, où il était alors organiste, ne lui eût donné que trois
semaines de congé. Après un court passage à Muhlhausen, Bach devient,
en 1708, musicien de cour du duc de Weimar et titulaire de l'orgue de
la cathédrale; puis, en 17 17, maître de chapelle du prince Léopold
d'Anhalt-Gœthen. Enfin, en 1728, il succède à Johann Kuhnau, dans
les fonctions de Cantor^ de la célèbre école de Saint-Thomas, à Leipzig,
avec le titre de « directeur de la musique de l'Université », poste qu'il
occupa pendant vingt-sept ans et qu'il conserva jusqu'à sa mort. Dans
les dernières années de sa vie, il fut frappé d'une affection ophtalmique
qui empira jusqu'à le priver complètement de la vue.
Son caractère, empreint d'une opiniâtre volonté, jointe à une droiture
et à une sincérité absolues, se retrouve dans ses œuvres. On peut y
constater aussi la justesse de l'éloge que lui décernait Kitell : Ein
gan^ fj-ommer Mann : un homme d'une grande piété — un « bon
chrétien ».
De ses deux femmes, Barbara Bach, sa cousine, et Magdalena Wûlken,
il eut vingt enfants, dont dix seulement, six fils et quatre filles, lui
survécurent.
Comme les œuvres de tous les grands génies artistiques, celles de
J.-S. Bach peuvent se diviser en trois époques : on les désigne commu-
nément par le nom de la ville où il séjournait. Chacune d'elles
présente des caractères distinctifs constituant trois manièt^es aisément
reconnaissables.
La première époque, de Weimar (^ijo^ a 17 12), comprend toutes les
compositions écrites à Arnstadt, sous l'influence de Reinken, Pachelbel,
Frescobaldi, Scheidt et Buxtehude ; période d'imitation, comme la plu-
part des grands créateurs en offrent l'exemple au début de leur carrière ;
Bach se soumet alors volontairement à l'action traditionnelle.
La deuxième époque, dite de Cœt/ien, embrasse les dernières années
du séjour à Weimar et les sept ans à Cœthen (171 2 à i723). Bach, se
pliant aux fonctions de directeur de musique [Kapellmeister) qu'il avait
alors à remplir, écrit, outre d'admirables pièces d'orgue, un grand
nombre d'œuvres qu'il intitule « Sonates » (bien qu'un certain nombre
affecte la forme Suite ou Musique en trio) pour violon, flûte, viole de
PERIODE DE FLORAISON
79
gambe, etc., ainsi que des Suites pour Clavecin, h l'imitation du style
des Français, et spécialement de F. Couperin le Grand dont il avait
attentivement étudié les ouvrages. C'est l'époque des compositions
concertantes: Concerts, Musique de Chambre, œuvres pour clavecin,
notamment la première partie du Clavecin bien tempéré qu'il composa
en 1722, sans oublier VOrg-elbiiclilein, recueil de Chorals variés dans
le style de Pachelbel.
La troisième époque, de Leipzig {\']2'i à 1750), est celle de toutes les
grandes compositions religieuses : deux cent soixante-six Cantates (sur
les deux cent quatre-vingt-quinze que Bach composa), les cinq Passions,
les cinq Messes, les Oratorios. Les Concerts pour plusieurs clavecins,
la deuxième partie du Clavecin bien tempéré (1744), les sept grands
Préludes et Fugues pour orgue, la Clavieriibung (recueil d'œuvres
pour orgue et clavecin), VOffrande musicale^ et enfin VArt de la Fugue,
ouvrage interrompu par la mort de l'auteur, appartiennent aussi à
cette époque.
Réservant pour le Troisième Livre de ce Cours les Fugues vocales
des Cantates et autres pièces avec paroles, nous allons examiner
sommairement les principales Fugues instrumentales de J.-S. Bach,
celles que tout musicien digne de ce nom devrait connaître à fond et
pouvoir anal5''ser de mémoire. Nous citerons ces œuvres dans leur
ordre chronologique (i).
i""* époque. Liinebourg et Weimar. Fugues pour orgue .
Prélude et Fugue en ut (2). La fugue, dont le sujet est fort long,
se termine sur un ornement final en forme de vocalise, ainsi que
Buxtehude en usait Jans ses compositions. C'était encore un dernier
vestige du jubilum <X alléluia^ de provenance grégorienne, dont nous
avons déjà constaté la persistance dans des œuvres extra-liturgiques(3).
Prélude et Fugue en m/ (4) remontant à l'année 1705 ; la fugue,
(l'ion consultera avec fruit, pour parfaire cette étude, rcxcellcni ei Icrvcnt travail de
M. André l'irro : L'Oif^xte de J.-S. Bach, Fischbachci, 1895.
(2) Édition Peiers, vol. IV, n° 5.
(3) Voir l"iiv., p. 6S
(4) Éd. Peters, vol. 111, a* u-
8o
LA FUGUE
bien qu'imitée du style de Buxtehude et de ses contemporains, est d'un
charme expressif tout particulier.
Pî'élude et Fugue en ut (i) de 1706, contenant, vers la fin, une
seconde Fugue tonale^ que nous avons citée précédemment (p. 45).
Enfin, la grande Fugue en RÉ (2), dont le sujet est également très long :
P'm.\}.\JijïJ:^'j}\yf > ^\m^i}i.v^
elle date du séjour à Mûhlhausen (1707) et sert encore de « cheval de
bataille » à nos modernes organistes.
2* époque. Weimar et Cœthen :
Fugue en si (3), où un thème de Corelli joue le rôle de cont/esujet :
f^¥
Th.de
Corelli
^
teé
i
m
Dans la Fugue en ut, à deux sujets (4), c'est, au contraire, un nou-
veau thème de Bach qui vient accompagner le sujet principal, emprunté
à une sonate de Legrenzi, et donner lieu, après exposition respective
des deux thèmes, à la combinaison suivante :
Th de Bach
cette fugue, composée vers 1710, porte l'intitulé: « Thema Legren-
;{ianum elaboi^atum cum subjecto pedaliter. »
(ij Éd. Peters, vol. 111, n» 7.
(3) Ibid., IV, 3.
(3) Ibid., IV, 8.
(4) Ibid., IV, 6.
PERIODE DE FLORAISON
8t
Pî'élude et Fugue en la (i), vers 17 19. La mélodie pleine de charme
-qui sert de sujet à la fugue
est traitée presque dans le style de la composition instrumentale
italienne et fait déjà présager le système de fugue expressive qui sera
plus tard employé par César Franck.
Fantaisie (Prélude) et Fugue en sol (2), datant probablement de
l'année 1722. Le prélude est l'une des plus étonnantes composi-
tions de l'époque, par la variété et la liberté de sa contexture harmo-
nique. Deux éléments se partagent cette pièce incomparable : l'un,
ornemental et fantaisiste à la façon de Buxtehude, mais atteignant
parfois des hauteurs de pensée que l'art du vieil organiste de Lubeck
ne connut jamais ; l'autre, mélodique, mais d'une mélodie si claire et
si pénétrante qu'elle s'impose immédiatement à la mémoire de l'audi-
teur. Au cours des expositions du dernier élément, se présentent, sans
avertissement ni préparation, des combinaisons, des modulations
enharmoniques tellement audacieuses que c'est à peine si nos compo-
siteurs actuels, malgré leur recherche extrême des harmonies quintes-
senciées, oseraient les employer. L'extraordinaire transition diatonico-
chromatique du ton de sol à celui de mi, formidable crescendo où se
concentre peu à peu toute la puissance émotive et dynamique de
l'orgue, reste un exemple unique dans l'histoire musicale de cet instru-
ment :
(Lent
(0 Ed. Peters, II. 3.
(a) Ibid., vol. Il, n" 4.
Cours de composition. — t. ii, i.
82
LA FUGUE
La fugue est tellement connue de tous les organistes, qu'il est à
peine besoin de la mentionner :
nous ferons seulement remarquer que, en dépit de la modestie de
Bach, si ennemi de toute réclame, la notoriété de cette pièce n'était
pas moins grande au xviii^ siècle. Mattheson, en effet, rapporte {Geue-
ralbass Scinde) (\u'i\ en choisit le sujet pour un concours d'orgue, afin
de permettre aux concurrents, qui devaient certainement avoir entendu
cette fugue, de s'aider de leur mémoire pour la mieux réaliser (2).
3^ époque. Leipzig. Les sept grands préludes et fugues que nul
musicien n'a le droit d'ignorer :
La première de ces œuvres (1726) mérite d'être analysée en son entier.
Le Prélude en mi b (3) est Mple, c'est-à-dire composé de trois élé«
ments. Le premier, purement rythmique,
Grave
i
(A) ^m
l
^
^
r
et le deuxième, mélodique.
etc.
(i)On a donné au Premier Livre (p. ii8) l'analyse harmonique de^ces deux dernières
mesures.
(2) Nous ferons toutefois observer que cette anecdote légendaire ne figure pointa l'article
Generalbass dans l'édition de 1719 de ïExetnplarische Organisten-Frobe, la seule qu'il
nous ait été donné de contrôler.
(3) Éd. Peters, vol. III, n« i.
PÉRIODE DE FLORAISON
83
reliés par un motif de transition, pourraient présenter l'aspect du
type Sonate à deux thèmes ;tel que Philippe-Emmanuel Bach le fixera
postérieurement), si un troisième élément fugué, en parfaite cohé-
sion avec les deux autres, ne venait bientôt s'y adjoindre:
(C)
**^^*^*^*^*^'^';
La structure de cet admirable prélude est ainsi établie ;
(^ Th. A en MI t? . — Th. B. S/ ? .
{ Th. A en S/ T , avec inflexion vers ut.
( Th. C en ut, fugué.
** ) Th. A en LA :> . — Th. B. Ml P .
- ( Th. C en Ml ? , fugué.
\ Th. A en Ml 7 , concluant.
Cette division en trois parties n'est point l'effet d'un hasard ou d'une
fantaisie, totalement incompatibles avec la logique créatrice d'un
J.-S. Bach : elle résulte d'une symétrie préétablie avec la construction
de la fugue suivante.
Celle-ci est triple également : son sujet principal circule dans chacune
de ses trois parties distinctes, en se superposant successivement à deux
contresujets nouveaux, qui jouent le rôle de véritables sujets acces-
soires, tandis que le thème général, sorte de leil-tjwtiv ou d'axe central,
unifie et consolide tous les éléments de cette œuvre merveilleuse.
On jugera mieux de cette belle construction par les exemples ci-
après ;
M.in
Exposition de la Puguo I. (à 5 voix)
Manuel:^
Rep.
>uj.
84
LA. FUGUE
Man :
.'■i, -' J-JjiTÏJJl
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Rep.
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Suj.U
Fugue 11 :
tête du Suj
Suj. de la Fugue 1
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tête du Suj. Il servant de contresujet
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Suj. 111
Fugue III:
Combinaison du Sujet de la Fugue 111 avec le Sujet I :
Suj. m
Man:
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Suj. m..
Suj. 1
P
PERIODE DE FLORAISON
85
M an:
l'.'d
fFfyfar^^^
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Le génie universel de J.-S. Bach n'était donc point étranger à l'art de
la composition cyclique (voir ci-après, chap. v) : cet art si généralement
délaissé à la fin du xviii* siècle et au milieu du xix*, ne devait repa-
raître que chez Beethoven, et aboutir, avec César Franck et son école,
à son plein épanouissement.
Les six autres grandes œuvres de cette série, qui va de lySo à lySd,
sont également à étudier de près :
Prélude et Fugue en mi (i), l'une des plus longues et des plus
libres de l'œuvre d'orgue ;
Prélude et Fugue en si (2) ;
Prélude et Fugue en ut{3)\ on a donné ci-dessus (p. 46 et suiv.)
l'analyse de cette belle fugue ;
Prélude et Fugue en ut (4) ; la fugue est bien antérieure au prélude ;
Fugue en la (5), dont le prélude date de 1706 ;
Pt^élude et Fugue en ut (6) : ce prélude, à 9/8, est d'un aspect mélo-
dique charmant ; quant à la fugue, dont nous avons déjà cité le sujet
(p. 40), elle est remarquable par ses renversements, ses combinaisons
et ses entrées par augmentation, dans lesquelles se trouve en germe
l'un des thèmes principaux des Meistersinger de R. Wagner.
Le premier livre du Clavecin bien tempéré (7) [Wohltemperirtes
Clavier) fut composée par Bach en 1722, pour servira l'instruction de
son fils aîné Wilhelm Friedemann, tandis que le second livre ne fut
écrit qu'en 1744.
La connaissance de ce recueil de quarante-huit préludes et fugues
est aussi importante pour apprendre au compositeur à établir one
(i) Éd. Pcters, vol. II, n» 9.
(2) Jbid., Il, 10.
(3) Ibid.. II, I.
(4) Ibid., II, 6.
(5) Ibid., II, 8.
(6) Jbid., II, 7.
(7) Bach écrivit cet ouvrage en vue d'un instrument perfectionne par lui et destiné à rem-
placer l'ancien clavicorde, dont la construction défectueuse ne permettait pas certaines
combinaisons de noies (voir la Seconde Partie du présent Livre).
86 LA FUGUE
fugue musicale et expressive, que pour faire acquérir au pianiste une
technique sûre, soutenue et indépendante des conventions scolastiques
visant, presque toujours, à la virtuosité et non à l'art.
Dans ce recueil, où pas une pièce n'est indifférente, et où quelques-
unes portent le sceau du génie, nous recommanderons de lire et d'étu-
dier spécialement :
I"" livre. — 4^ fi^g^e, en ut S, à cinq voix et à deux sujets ;
7^, en MI t), avec son prélude qui semble élever le style du clavecin au
niveau de celui de l'orgue ;
8*, en ?7iii, , qui, avec trois voix seulement, présente un nombre incal-
culable de combinaisons : entrées par mouvement contraire, divertisse-
ments canoniques droits et renversés, sujet traité par changement de
rythme ; puis, vers la péroraison, entrées du sujet par augmenta-
tion, s'étalant à la basse d'abord, à l'alto ensuite et enfin à la partie
supérieure, tandis que les autres voix font entendre simultanément
la même mélodie sous tous les aspects présentés précédemment. Il
est difficile de trouver une plus belle gradation de l'intérêt musical.
La mélodie qui forme le sujet de cette fugue est un type grégorien
que nous avons déjà rencontré (i) et que nous retrouverons encore
sous diverses formes et à diverses époques ;
m^r' y
i6% en sol, presque conforme aux règles de ce qu'on est convenu
d'appeler la fugue d'école ; mais aussi riche de charme mélodique que
celle-ci en est dépourvue;
22*, en si \> , à cinq voix; exemple de fugue sert'ée, précédée d'un
superbe prélude;
IP livre. — 3® fugue, en ut s, dont le sujet et la réponse se renver-
sent dès la troisième entrée, et subissent ensuite une extension com-
parable à l'allongement des ombres au coucher du soleil ;
lo^, en mi y longue mélodie présentant un grand nombre de rythmes
différents ;
22', en si b , préparée par un prélude tout à fait expressif, et qui
offre une aussi grande quantité de combinaisons que la 8^ fugue du
I" livre, sans laisser soupçonner la difficulté vaincue : sujet par mou-
vement contraire associé au mouvement direct, canons à la septième
et à la neuvième, et strettes donnant simultanément les deux mouve-
ments, direct et contraire, sans que l'effet musical en soit atténué.
(i) Voir 1" liv., p. 69.
PÉRIODE DR FLORAISON
«7
Ajouter à cette nomenclature sommaire la Fugue chromatique pour
clavecin avec son superbe et fantaisiste Prélude, ainsi que nombre
d'intéressants spécimens de cet ordre de composition qui se trouvent
disséminés dans les toccate et partite de la Clapieriibutig:
VO(frande musicale [das musikalische Opfer) fut composée en mai
1747 par Jean-Sébastien Bach à son retour de Berlin, après l'unique
apparition qu'il fit à la cour de Frédéric II. Le vieux maître, sur les
instances de son troisième fils Philippe-Emmanuel, accompagnateur
des concerts à la cour de Prusse, s'était résolu, non sans hésitations,
à accéder à la demande du roi qui désirait le connaître depuis long-
temps. A peine était-il arrivé que Frédéric lui proposa un sujet de
fugue de sa propre composition, sur lequel Bach improvisa séance
tenante une admirable fugue de clavecin, à l'étonnement de tout
l'auditoire. Revenu à Leipzig, et voulant donner au flûtiste couronné
un témoignage de respectueuse gratitude, il expédia à Potsdam, en
juillet 1747, un recueil de pièces, toutes bâties sur le thème royal :
\iA ^ r rfiip
tp^p |i^pt>|g^^^
rrri'i^^^^r' n'i(^
L'œuvre, qui est un véritable modèle de science contrapontique,
contient :
i" une Fugue, dhericercata, à trois voix, avec l'épigraphe acrostiche :
Régis lussu Cantio Et Reliqua Canonica Arte Resoluta
(R I C E R C A R);
2° une deuxième Fugue {ricercata), à six voix;
3° huit Ca«o«5, armés de devises diverses (voir ci-dessus, p. 23, 24,
25, 32 et 34) ;
4" une Fugue canonique (en canon à la quinte) ;
5** une Sonate en trio pour flûte, violon et basse continue ;
6<* un Canon perpétuel, par mouvement contraire, pour les mêmes
instruments.
VArt de la Fugue [die Kunst der Fuge) est le dernier ouvrage didac-
tique de J.-S. Bach ; on y trouve, en seize fugues (dont deux, à deux
clavecins) et quatre canons, toutes les combinaisons qu'il est possible
d'établir au clavier sur le sujet suivant:
^
^
j«i ''■■'_
Chacune de ces petites pièces, formant un tout de structure si parfaite
88
LA FUGUE
et en^même temps si musicale, mérite d'être étudiée dans ses détails,
par le musicien désireux de ne point rester un « superficiel de l'art »
un amateur, aurait-on dit autrefois. Combien d'élèves, improprement
qualifiés de professionnels dans nos écoles contemporaines, sont à
vrai dire des amateurs — des superficiels de l'art 1
Nous nous bornerons à relever ici dans les pièces qui constituent ce
chef-d'œuvre les particularités les plus intéressantes :
La i« et la 2" fugue (i) traitent le sujet simplement avec deux
contresujets de rythmes divers.
La 3« et la 4« le traitent par mouvement contraire, l'une entrant par
la réponse, l'autre par le sujet.
La 5% pleine de charme mélodique, résume les quatre précédentes
en réunissant dans une même pièce, à l'aide d'un rythme emprunté à la
2* fugue, l'assemblage des combinaisons directe et contraire.
La 6^ et la 7* emploient les mêmes moyens mélodiques que la 5«;
mais, outre les imitations par mouvement contraire, le thème, alter-
nativement augmenté, diminué (2) ou normal, y est figuré en trois
valeurs différentes.
Nous donnons ci-après en partition le curieux début de la 7' fugue ;
c'est une véritable exposition double: tandis que les deux parties inter-
médiaires font entendre, alternativement et par diminution, le sujet
droit, la répotise co}itraire,\a répoîise droite etle sujet contraire, la partie
supérieure ajoute au-dessus de cette exposition déjà complète le sujet
droit avec ses valeurs propres ; enfin, la basse expose la réponse con-
traire en valeurs doubles :
Exposition de la Tugue VII
Suj. (par mouv!- contraire)
Ê
^
È
Rep.(par dim. et mouvf contraire)
te
• uu
Suj. (par diminution)
^
^I) Tous les chiffres indiqués ici se rap-'ortent à l'ordre des fugues adopté dans le fascicule
218 de l'Édition Pe'ers, lequel n'est pas absolument conformée celui de \dBach Gesellschaft.
(2) Le spécimen de Canon par diminution que nous avons donné, page 34, est emprunté
à la 6* fugue.
PERIODE DE FLORAISON
«9
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É
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Rép.(par augmentation et raouv^ contraire)
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Rép. réelle (par diminution,
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Suj.lpar dira. et mouv! contraire)
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U* 1 f-
^
e/c
à cette grande entrée, augmentée de la réponse contraire, vont succéder
trois autres entrées: l'une du su/et droit, exposé par le ténor au relatif
majeur ; une autre du su/et contraire, dit par l'alto à la tonique ; la
dernière du sujet droite proclamé victorieusement par le soprano,
pour terminer cette fugue encadrée dans ces quatre entrées par aug-
mentation, comme entre les assises d'une formidable charpente.
go
LA FUGUE
Les 8% 9* et lo* fugues ont des sujets spéciaux, qui sont naturel-
lement aptes à être combinés avec le grand thème principal. Celui-
ci, tel le destin, vient invariablement s'imposer à eux en maître; il
affecte mille aspects divers et se pare même d'un nouveau vêtement
rythmique différent de celui qu'il avait dans les trois fugues précé-
dentes et destiné à jouer un rôle prépondérant dans la suivante ;
^
m
^
at:3=
■=¥
La 1 1* fugue traite le thème ainsi rythmé, en le combinant avec le
sujet chromatique de la 8% exprimé, cette fois, par mouvement con-
traire, ce qui lui donne une allure joyeuse toute spéciale.
Dans la 12^, le thème change encore de rythme, pour affecter l'ap-
parence d'une basse de passacaille :
m
i
If-fL-p.
^
^
P
Dans la i3*, le thème est agrémenté d'ornements mélodiques dans
le style de la Gigue (voir ci-après, chap. 11).
Mais la véritable singularité de ces deux fugues, dont l'une est écrite
à quatre parties et l'autre à trois seulement, c'est que chacune d'elles
est susceptible d'être lue, soit telle qu'elle est écrite, soit à l'envers
« inversa » (i), c'est-à-dire en substituant à chaque intervalle ascendant
un intervalle descendant équivalent, et réciproquement.
Toutefois, dans la i3* fugue, cette opération ne peut se faire que sur
chacune des trois parties, individuellement; dans la 12^, au contraire,
les quatre parties sont susceptibles d"ètre lues, non seulement par
mouvement co}itrai?^e, mais encore en 07\ire renversé harmoniquement,
c'est-à-dire que la basse devient partie supérieure, le ténor devient
alto, et réciproquement.
Voici les dernières mesures de cette belle fugue, transcrites dans les
deux sens, afin que l'on puisse se rendre compte que les combinaisons
les plus complexes, sous la plume d'un artiste véritable, ne nuisent
nullement au caractère musical de son œuvre :
(i) Le mot inversa correspond ici à ce que nous avons -appelé le mouvement contraire
(voir ci-dessus, p. 26), et non pas à l'inversion rigoureuse, que Mattheson appelle « contra-
rium stricte reversum ».
PERIODE DE FLORAISON
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93
LA FUGUE
Suivent quatre canons sur le même sujet, le premier par augmenta-
tion et mouvement contraire (voir l'exemple, p. 32 et 33), les trois
autres à l'octave, à la dixième et à la douzième. Puis, deux fugues
à deux clavecins, reproduisant presque exactement la i3* fugue et son
renversement, mais en valeurs plus brèves et avec l'adjonction d'une
quatrième partie, différente et libre, pour compléter Tharmonie.
Enfin, la 14' grande fugue, celle qui marque l'heure dernière du
Canto?^ de Saint-Thomas, débute par un sujet purement liturgique
auquel vient bientôt se joindre un nouveau sujet, très certainement
destiné à l'orgue. Un peu plus loin, apparaît la signature du génial
auteur dans un troisième sujet fourni par les lettres mêmes du nom
de Bach :
nul doute que Bach n'eût l'intention de réunir le thème initial de cette
œuvre gigantesque aux trois autres, en un dernier et magistral ensemble,
comme pour symboliser, en ce faisceau de quatre mélodies, tous les
«ouvenirs de sa vie de musicien expert en son art, d'organiste inimi-
table et de bon chrétien. Il mourut avant d'avoir réalisé la combinaison
suprême... (i)
(i) Il a été proposé plusieurs solutions de ce prob'ème musical ; la meilleure, sans contre-
dit, nous paraît être celle donnée par M. Jean Marnold dans la Tribune de Saint-Gervais,
Ve année, w 5, mai 1899)
Suj. principal
J
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^^DTof
LiD'Lm
^rffi
Suj. II. (Orgue)
Suj. III. .(Bach)
Suj. I. (thème liturgique!
PÉR'ODE MODERNE 93
L'œuvre de J.-S. Bach, dans l'ordre de la Fugue, c'est Vaticieti
testament de la musique ; le nouveau^ ce sont les Sonates et Quatuors
de Beethoven. Et, nous ne craignons pas de l'affirmer, cette véritable
Bible est la base nécessaire à toute éducation musicale, comme les
Livres saints constituèrent de tout temps les assises fondamentales de
l'instruction littéraire ; — jusqu'au jour où 1' « obscurantisme laïque »,
bannissant de son « enseignement d'État » toute foi, tout amour et
toute poésie, ne fit plus éclore et pulluler que de secs et ignorants
« primaires » ou de subtils mais décevants fureteurs de bibliothèques!
II. PKRIODE MODERNK.
La forme Sonate, lors de sa triomphale apparition dans Thistoire de
la musique, vers le milieu du xviii*^ siècle, absorba longtemps en elle
toutes les forces créatrices, abolissant du même coup les précédentes
formes, Fugue et Suite.
Mais la Fugue avait la vie dure : elle était trop profondément reliée
aux origines traditionnelles de l'Art et ne pouvait disparaître complè-
tement. Cependant, la plupart des maîtres de la fin du xviii^ siècle et du
commencement du xix* ne l'employèrent plus qu'à titre d'archaïsme ;
telle, on la retrouve, mais à l'état de squelette, dans certaines messes
de Cherubini et autres, ainsi que dans des compositions de ce temps,
dites religieuses. Il fallait le génie d'un Beethoven pour la faire sortir
de l'état léthargique o\i elle était tombée et lui attribuer une fonction
active dans le travail de la composition musicale ; mais ce fut seulement
vers la fin du xix® siècle que César Franck sut lui rendre l'aptitude
à enfanter des formes nouvelles.
On peut toutefois discerner, après J.-S. Bacli, une suite de
compositeurs qui n'abandonnèrent point complètement la forme Fugue,
et la traitèrent de façons très diverses, comme tendances et comme
résultats.
Leur chronologie, que nous donnons ci-dessous, est loin d'offrir
l'homogénéité de celles des époques précédentes :
Johann Ernst Eberlin 1702 f 1762
Friedrich Wilhelm Marpurg , . . 1718 t 1795 (i )
Johann Georg Albrechtsherger . . 1736 \ i8o()
WOLFGANG AmADEUS(2) MoZART . . I75Ô f I79I
(i) Le Dictionnaire des Musiciens, de Choron, donne 1763 comme date de la mort de
Marpurg.
(3) Les prénoms exacts de Mozart étaient Johann Lhnsosiomui Woljgaug Theophilus.
94 LA FUGUE
LuDWiG VAN Beethoven 1770 f 1827
Jakob LuDwiG Félix Mendelssohn. . 1809 f 1847
César-Auguste Franck 1822 f 1890
Charles-Camille Saint-Saëns. . . i835
Johann Ernst EBERLIN, maître de chapelle de l'archevêque de
Salzbourg, publia en 1747 ntuf Toccate et Fugues pour orgue, dont
l'une passa longtemps pour être de J. -S. Bach. D'autres fugues d'Eber-
lin existent, inédites, dans la bibliothèque de l'Institut de Musique, à
Berlin.
Friedrich Wilhelm MARPURQ séjourna en 1746 à Paris, où il connut
Rameau. Épris des théories harmoniques de notre illustre compatriote,
il les importa en Allemagne à son retour; il mourut à Berlin, où il
occupait les fonctions de directeur de la loterie royale. Outre de nom-
breux ouvrages didactiques, comme son Abhandlung pon dei^ Fiige
(1753) et le Fûgensammlujig (1758) qui contient les principaux chefs-
d'œuvre de la forme Fugue connus de son temps, Marpurg laissa un
certain nombre de compositions pour orgue ou clavecin, parmi
lesquelles les Fughe e Cap.pi^icci per cembalo e per rorgano (1777).
Johann Qeorg ALBRECHTSBERGER, né à Klosterneuburg, près de
Vienne, devint en 1772 organiste de la cour impériale, puis de la
cathédrale Saint-Etienne, en 1792. Célèbre théoricien, il eut l'honneur
d'instruire Beethoven dans l'art de la fugue, et fit un traité de compo-
sition, intitulé Gj'undlische Aniveisung det^ Composition (1790), et
généralement considéré comme le complément nécessaire du Gradus
de Fux. Il produisit aussi un grand nombre d'oeuvres musicales et fut
peut-être le seul musicien de la fin du xviii* siècle qui continua délibé-
rément à traiter la Fugue, en l'appliquant même à sa musique de
chambre, dont presque toutes les pièces sont en forme de Prélude et
Fugue. On a de lui, dans ce genre : vingt-quatre Quatuors pour deux
violons, alto et violoncelle, op. i, 2, 3, 11 et 14, six Quintettes pour trois
violons, alto et basse, op. 10, et seize Trios pour deux violons et basse,
op. 12 et 1 3, plus une quantité de Préludes et Fugues pour orgue.
Wolfgang Amadeus MOZART (i), bien qu'il ait tiré un curieux parti
de la forme Fugue dans le duo des deux prêtres de la Flûte enchantée^
n'excella point dans l'application de cette forme à sa musique sympho-
nique. Il laissa cependant quelques fugues instrumentales plus ou
moins intéressantes, parmi lesquelles :
(i) Les renseignements biographiques sur Mozart seront donnés au chapitre m avec
l'étude de ses sonates.
PÉRIODE MODERNE 95
i" un Finale fugué (pour deux violons, alto, basse, deux hautbois,
deux cors, deux bassons et cembalo obligato) sur l'air Her\og Wïlhelm^
dans le Gallimatias musical qu'il composa en 1768, à l'âge de douze ans;
2° un Adagio et Fugue pour quatuor à cordes ;
3° une Grande Fugue pour deux clavecins ;
4° une Fantaisie et Fugue pour clavecin, etc.
Ludwig van BEETHOVEN (i). Il appartenait à l'auteur de la Mes^
en RÉ de confier à la descendante de l'antique Motet le noble rôle de
rénovatrice des formes symphoniques, rôle qu'elle partage, en ses der-
nières œuvres, avec la Variation.
La Fugue beethovénienne, en effet, notablement inférieure, il est vrai,
à celle de Bach, au point de vue de la plasticité d'écriture et de l'équi-
libre architectural, possède, en dépit — et peut-être en raison — de
cette infériorité, quelque chose de plus humain : l'expression drama-
tique. Dans la Sonate et la S3^mphonie, Beethoven demanda à la Fugue
de lui fournir des forces nouvelles pour le travail du développement :
V Allegretto de la VIP Symphonie, op. 92, l'épisode orchestral du finale
de la IX% op. 124, le finale de la Sonate pour piano en la^ op. loi, le
premier mouvement de la Sonate en s/t>, op. 106, la pieuse Can^ona du
XV'^ Quatuor, op. i32, en sont autant d'exemples probants. Mais,
outre cet emploi en quelque sorte secondaire, le maître de Bonn
voulut aussi restituer à la Fugue — figée alors dans d'insipides « et
vitam venturi sœculi » et dans d'inutiles « amen » — son caractère de
pièce musicale: il écrivit donc dans cette forme des morceaux entiers,
figurant surtout en qualité de péroraison à certaines de ses œuvres ; par
exemple : le finale fugue du IX*" Quatuor, op. 09 ; celui de la Sonate
pour violoncelle et piano, op. 102 (1818); VAllegi^o do. la Fest-Ouver-
ture en l/r, intitulée Zur Weihe des Hanses^ op. 124(1822); et le
phénoménal ouragan, coupé d'un si délicieux épisode de calme, qui
clôt la Sonate en s/t», op. 106, citée plus haut; sans parler de la
Grande Fugue en RÉ, pour quatuor à cordes, op. i33.
Mais il y a plus : chez lui, nous l'avons dit, la Fugue concourt souvent
à rehausser la partie expressive de l'œuvre, telle l'émouvante conclusion
de la Sonate pour piano en LAt> . op. 110 (1822); tel aussi le monu-
mental premier mouvement du XIV® Quatuor, en z//;, op. i3i (1825),
qui n'est lui-même qu'une grande fugue parfaitement caractérisée.
Nous analyserons ces œuvres en détail, lorsque nous aurons à parler
du genre auquel elles appartiennent. Qu'il nous suffise de noter ici que,
malgré la dramatisation de la Fugue chez Beethoven, malgré la grande
(1) Nous donnerons l'esquisse biographique de Becihovcn au chapurc iv avec l'étuJe
approfondie de ses sonates.
96 LA FUGUE
liberté d'allures qu'elle affecte dans ses œuvres, l'antique forme de la
cadence wiitawe n'en subsiste pas moins ; c'est à peine si les lois
traditionnelles qui la régissent sont accidentellement transgressées.
Prenons, par exemple, les deux fugues qui figurent dans l'op. 120:
33 Variations sur une valse de Diabelli ( 1 823) ; la première (Var. XXIV),
après avoir fait son oscillation vers la dominante et tenté quelques
essais de mouvements contraires aux relatifs de la tonique et de la
sous-dominante, ramène, après de courtes entrées en strette, le sujet à
la tonalité principale ; l'expression de ce petit morceau est toute char-
mante en sa brièveté.
Quant à la grande Fugue en Mi\? de cette même œuvre {dernière
variation avant le menuet final), le plan traditionnel de la cadence n'y
est pas moins respecté, comme on pourra le voir par le schéma ana-
lytique ci-dessous :
Suj, Rép. Suj. Rép. à la Tonique MI\> — i»"^ épisode, par la tête du Suj. ;
( Suj. Rép, au Relatif [ut)... — 2e épisode;
* j Suj. au Rel. delà Sous-Dom. {fa), par mouvement contraire — Seépisode;
\ Suj. à la Tonique (Wt?) par mouvement direct et contraire.
Péd. de Dominante.
( Suj. Rép. à la Tonique [MI \>) par changement de rythme;
2 < Strette canonique du Suj. au Relatif de la Sous- Dominante {fa) ',
( Suj. à la Tonique [Mi\)) sous sa forme première. Conclusion.
A part, peut-être, le gigantesque « coup de vent » de la Sonate,
op. 106 (voir ci-après, chap. iv), qui relève presque de l'ordre drama-
tique, toutes les fugues de Beethoven sont susceptibles d'une analyse
aussi claire et aussi conforme aux anciens principes de la cadence.
La Grande Fugue pour quatuor, elle-même, avec ses deux sujets
perpétuellement changés de rythme, n'est autre chose qu'une puissante
combinaison de cette forme avec celle de la haute Variation, genre que
nous étudierons plus loin (chap. vi).
On peut donc conclure que Beethoven, tout en respectant les assises
traditionnelles de la Fugue, sut en élargir prodigieusement la forme et
lui ouvrir ainsi une voie nouvelle qui. cependant, resta près de soixante
*
ans sans être explorée.
Félix MENDELSSOHN se servit également de la Fugue comme moyen
de développement dans ses Symphonies et sa musique de chambre,
mais il ne sut point continuer l'évolution dans le sens indiqué par
Beethoven. Il écrivit cependant un certain nombre de fugues aussi
soignées que froides, pour l'orgue et pour le piano.
César-Auguste FRANCK (i), véritable créateur de l'école sympho-
(1) Voir ci-après, chapitre v, quelques détails biographiques sur César Franck.
PÉRIODE MODERNE
97
nique en France, fut le seul compositeur de son époque qui comprit
le parti qu'on pouvait tirer des découvertes beethovéniennes.
Dès sa période de maturité, l'étude approfondie de l'œuvre de Bach le
porta à écrire des fugues musicales, contrairement à la convention qui
régnait alors en souveraine, et avait relégué cette forme au rang de
devoir d'écriture ou d'exercice de gymnastique. Sans parler ici de son
ingénieux emploi de la Fugue dans ses œuvres vocales, notamment dans
les Béatitudes (i), il faut citer, dans ses six premières pièces d'orgue
{1861), l'exposition fuguée de la Pastorale en a//, et la fugue si mélo-
dique servant de milieu à la pièce intitulée Prélude, Fugue et Varia-
tion, qui est déjà un essai de nouvelle forme ternaire ; qu'on lise
aussi le développement intérieur du premier mouvement du Quatuor
à cordes, et l'on se convaincra que, sans rompre avec les attaches
traditionnelles, Franck fut le digne continuateur de J,-S. Bach et de
Beethoven.
Mais là où l'application de la forme Fugue devient tout à fait géniale,
c'est dans le Prélude^ Choral et Fugue pour piano, création qui ne le
cède guère à la Sonate, op. 1 1 o, de Beethoven, en tant que nouveauté de
conception. Nous analyserons cette belle œuvre dans son entier, à la
place qu'elle doit occuper dans l'ordre des matières de ce Cours, c'est-à-
dire au chapitre vi consacré à l'étude de la Variation ; mais nous
devons parler ici du rôle très particulier qu'y joue la fugue, dont le
sujet sert de thème cyclique à toute la composition.
Dès la seconde page du Prélude, en effet, nous rencontrons ce sujet,
sous une forme assez rudimentaire, il est vrai, mais néanmoins fort
reconnaissable :
dans la phrase initiale du Choral, il est mieux précisé encore
* ^ é — w~~:
(i) On verra dans le Troisième Livre de ce Cours que le début de la 1I« Béatitude, le
développement de la I1I« et de la Vll« sont de véritables expositions de fugue parfaitement
régulières.
Cours de composition. — t. ii, i. 7
98 LA FUGUE
il s'expose complètement et se développe d'une façon normale au cours
de la Fugue proprement dite; après quoi, une superbe péroraison le
ramène victorieusement uni aux deux autres éléments, mélodique et
rythmique, de l'œuvre.
Cette pièce constitue donc vraiment une nouvelle forme de composi-
tion engendrée au mo3'^en de la Fugue et appelée, croyons-nous, à
créer un genre qui peut être fécond dans l'avenir.
Et pourtant, toutes ces hardiesses d'écriture, ces tendances har-
moniques si franchement neuves ne portent aucune atteinte, ni chez
le maître français, ni chez l'auteur de la Grande Fugue en ré, au
respect de la formule traditionnelle de cadence qui fut posée en prin-
cipe au commencement de ce chapitre (p. 44). Rien de plus simple,
en effet, que la structure de la fugue qui termine le Prélude, Choral
et Fugue de Franck. Nous en donnons ci-après l'analyse :
( Suj. Rép. Suj. Rép., à la Tonique {si) — i«r épisode ;
I j Rép. Suj. Rép., ZM Relatif [RÉ) — 2c épisode;
^ Suj. par mouvement contraire (la, si) — 3e épisode ;
/ Rép. à la Dominante (fa^) ;
\ Suj. {ré, sii>] — 4e épisode ;
) Suj. à la Tonique [si) — Grand éoisode, ramenant les rythmes et mélo-
dies des morceaux précédents ;
j Suj. à la Tonique {si) combiné avec les deux autres éléments;
t Suj. à la Suus-Dominante (?72!') amenant la conclusion {si) et une co
da.
On voit qu'à part quelques courtes excursions vers des tonalités peu
usitées dans le plan ordinaire de la Fugue, l'architecture générale
ne se trouve pas sensiblement modifiée, et que, malgré tout, cela reste
de la musique et de la belle musique !...
Dans le même ordre d'idées, nous ne pouvons quitter César Franck
sans signaler l'admirable parti qu'il tire du Canon dans un grand
nombre de ses œuvres. Cette forme, comme celle de la Fugue, lui est
familière et particulièrement agréable, à tel point qu'on pourrait
presque la considérer comme la signature du maître.
Mais combien le canon de Franck diffère du canon d'école ! Jamais,
dans aucune de ses œuvres, la ligne mélodique destinée à l'imitation
canonique n'apparaît difforme ou torturée pour les besoins de la
cause; elle se déroule, au contraire, simple et naturelle en ses modu-
lations, et le canon s'y produit spontanément et comme par surcroît.
Voir, comme exemples de l'emploi de ce moyen musical, le canon de
la Fantaisie en UT, pour orgue, celui du Cantabile en s/, également pour
PERIODE MODERNB
99
orgue, les chœurs d'anges de Rédemption et enfin le finale de la Sonate
pour piano et violon, un vrai modèle du genre cyclique qu'on étudiera
au chapitre v.
Charles-Camille SAINT-SAÊNS, nourri de Bach et des maîtres clas-
siques, est, lui aussi, un fervent de la Fugue ; mais l'emploi qu'il en fait
dans ses compositions procède moins de la manière expressive de
Beethoven et de César Franck, que de celle, plus conventionnelle et
plus froide, de Mendelssohn et des Allemands modernes. Outre d'ingé-
nieuses applications de cette forme dans son oratorio Le Déluge et dans
sa III* Symphonie, en ut, op. 78, il a écrit trois Préludes et Fugues,
op. 99, ainsi que tout un morceau de sa IP Symphonie, en la, op. 55,
strictement traité de cette manière.
Les noms de Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Franck, Saint-Saëns,
qui terminent cette brève étude historique du rôle de la Fugue dans la
musique récente ou contemporaine, montrent assez que son influence
subsiste, même de nos jours, dans les œuvres des meilleurs sympho-
nistes. Encore n'avons-nous cité ici que les auteurs de véritables fugues,
de « fugues avouées », pourrions-nous dire.
Mais s'il eût fallu rechercher les traces de la « fugue occulte », c'est-
à-dire de celle qui, sans constituer une forme séparée, ou séparable,
fournit mille moyens musicaux, mis au service de compositions plus ou
moins vastes, ce sont les symphonistes de toutes les écoles connues
qu'il eût fallu énumérer presque intégralement : depuis Rameau et
F. Couperin le Grand, avec leurs airs de Suite, si souvent écrits en
style canonique ou fugué, jusqu'à Gabriel Fauré, dont le récent
Quintette, entendu pour la première fois en 1905, oflfre, dans son
Andante si séduisant, une véritable exposition de Fugue pleine d'émo-
tion tendre et de gracieuse mélancolie.
Ainsi, la Fugue vit toujours, si rares que soient encore ceux qui
osent en faire le titre d'une composition-, même après l'exemple d'un
César Franck, dans son Prélude, Choral et Fugue.
Cette œuvre impérissable, monumentum œre perennius, ne montre-
t-elle pas, mieux que toute théorie, ce qu'on peut et doit attendre
encore aujourd'hui de la séculaire et vénérable Fugue, victime d'un
discrédit immérité dont la raison n'est peut-être pas aussi impéné-
trable qu'on pourrait le supposer.
Si l'usage de l'école n'avait pas réduit de nos jours le rôle de la
Fugue à ce ridicule emploi de problèmes de concours, proposés et résolus
chaque année pour la plus grande gloire de notre « mandarinat
occidental », on verrait éclore, sans doute, de jeunes et fraîches com-
LA FUGUE
positions en forme de fugues, largement traitées et musicalement
combinées, sur les bases tonales de nos cadences modernes, directes et
inverses, avec toutes les riches formules que met à leur disposition
l'harmonie contemporaine.
Et l'on pourrait affirmer qu en ce cas, tout au moins, Tart musical
n'aurait rien perdu.
f
II
LA SUITE
Technique. — i. Définitions. — 2. Origines de la Suite : les Chansons transcrites pour
instruments; la forme binaire modulante ; le groupement des pièces. — 3. Le Mouvement
initial dans la Suite (type S). — 4. Le Mouvement Lent (type L). — 5. Le Mouvement
Modéré (type M). — 6. Le Mouvement Rapide (type R). — 7. Rôle de la forme Suite dans
la musique symphonique.
Historique. — 8. Les Précurseurs de la forme Suite. — 9. La Suite proprement dite et la
Sonata da Caméra. — 10. Les Compositeurs Italiens. — n. Les Cony?ositeurs Français.—
12. Les Compositeurs Allemands.
TECHNIQUE
I. DÉFINITIONS.
La Suite consiste en une série de pièces instrumentales, en forme de
danses (ou de chansons) de coupe binaire, se succédant les unes aux
autres dans un ordre logique de mouvements différents, et reliées entre
elles par une étroite parenté tonale.
La coupe binaire, qui caractérise le morceau de Suite et le différencie
de toute autre forme, consiste en une double modification progressive
de sa tonalité, allant, dans la première moitié du morceau, du ton prin-
cipal à un ton voisin, avec repos dans celui-ci (dominante ou relatif, —
et revenant, dans la seconde moitié, de ce ton voisin au ton principal,
dans lequel le dessin initial n'est jamais réexposé.
Chaque moitié du morceau de Suite se répète généralement deux
fois, h l'exécution ; et la plupart des danses dont le groupement constitue
la Suite, même si elles ne sont pas exactement conformes à cette coupe
binaire, présentent^ soit des répétitions variées, dites Doubles, soit des
morceaux symétriques qualifiés de Seconds (voir ci-après, p. 1 13 et i 14).
D'où il suit qu'on doit regarder comme appartenant en propre à
la forme Suite le régime binaire, précurseur du régime ternaire qui
103 LA SUITE
devait être l'apanage exclusif de la forme Sonate proprement dite,
(voir ci-après, chap. m) et de ses succédanés, tandis que le système
ujiitaire est demeuré immuablement celui de la forme Fugue.
Ici apparaît la séparation définitive entre la famille Motet-Fugue,
sans descendance directe, et la famille Madrigal-Suite-Sonate, famille
puissante et féconde, qui occupe encore, relativement à notre art
symphonique, une place comparable à celle de la dynastie régnante
dans les monarchies (voir la figure ci-dessus, p. i3).
2. ORIGINES DE L\ SUITE. — LES CHANSONS TRANSCRITES POUR INSTRUMENTS.
LA FORME BINAIRE MODULANTE. — LE GROUPEMENT DES PIÈCES.
On a VU précédemment (chap. i, p. 20) par quelles sortes de sélections
successives dans les éléments appartenant au Motet et au Madrigal
s'était constitué peu à peu le type Fugue, rattaché au premier par la
plupart de ses caractères distinctifs, et au second par la généralisation
progressive de sa forme instrumentale.
L'élaboration du type Suite procéda sans doute par une série de
différenciations analogues, mais plus complexes, où le Madrigal, con-
trairement à ce qui s'était passé pour la Fugue, conserva l'influence
prépondérante.
Par là s'affirme encore la tendance divergente et pour ainsi dire
opposée de ces deux genres de composition : la Fugue, d'une part,
reliée au Motet par son atavisme polyphonique, vocal et quasi-religieux;
la Suite, de l'autre, avec ses ascendances éminemment profanes,
remontant, par l'intermédiaire du Madrigal, à la danse et à la chanson
populaire médiévale.
Cette longue et obscure période de gestation, commune à presque
toutes les formes symphoniques (i), la Fugue exceptée, semble n'avoir
abouti au type transitoire de la Suite, précurseur du type définitif de
la Sonate, qu'après trois états successifs, que nous allons essayer de
décrire brièvement.
le"" État. Chansons à danser transcrites pour instruments. — D'après
les plus anciens documents, les chansons populaires furent, dès
la première époque, inséparables des danses (2), et ce sont ces vieilles
Chansojis à danser^ dont nous donnerons un exemple dans la section
historique du présent chapitre (p. 120), qui recèlent les plus loin-
(1) Dans la Seconde Partie du présent Livre, consacrée à l'étude des formes symphoniques
orchestrales, on verra que le Concert, le Concerto, la Symphonie proprement dite et la
Musique de Chambre ont avec la Suite une communauté d'origine qui rend à peu près
impossible la délimitation exacte de leurs domaines respectifs.
(a) Voir I" liv., p. 83, et J. Ticrsot, La Chanson française.
ORIGINES 103
taines sources du grand courant musical de la Suite, de la Sonate et de
leurs innombrables dérivés. Car la danse, le geste rythmé, sont à l'ori-
gine de toute musique symphonique.
Transportés de la rue et de la campagne dans les châteaux ou les
palais, ces chansons abandonnèrent leur simplicité populaire mono-
dique, pour s'approprier, plus ou moins servilement, la riche polyphonie
en usage dans la musique d'église de la deuxième époque. Madrigaux
ou Chansons de Cour, ces aristocratiques conipositions à plusieurs voix
ne tardent pas à être transcrites pour quelques violes, cornets ou trom-
bones, et même pour l'unique luth, seul instrument capable de repro-
duire grossièrement, sans le secours d'aucun autre, la pol3''phonie
profane.
Ainsi disparaissent les voix, ce pendant que les nécessités^ de la
danse et, peut-être, une impéritie plus grande des musiciens généra-
lisent l'emploi de la barre de mesure, symbole connu de la troisième
époque.
Nouveaux auxiliaires de l'art musical, les instruments exécutants se
comportent en envahisseurs: avec la décadence du Motet, ils ont déjà
pénétré dans l'église, pour renforcer les voix incertaines ou remplacer
les absentes ; mais ce rôle ne leur suffit plus : ils veulent se faire entendre
seuls, comme introducteurs à la Cantate (i) qu'ils devaient seulement
hier accompagner, et qu'ils feront taire demain, sous les débordements
profanes de leurs Concerts d'Église (2), antinomique appellation, par
où s'est fait absoudre, hélas ! Jusqu'à nos jours, le plus abominable
« empiétement des laïques » sur la splendide liturgie chrétienne des
saint Ambroise et des saint Grégoire!
A mesure que cet usage de faire entendre les instruments seuls
s'établit définitivement dans l'art musical, on voit apparaître une
multitude de danses, différant par leurs noms plus encore que parleurs
rythmes ou leurs formes. Sans prétendre en donner ici une nomencla-
ture qui, du reste, ne saurait être ni complète ni indispensable, on
peut citer néanmoins, parmi les plus anciennes : la Boutade et le Passe-
mei'^o, auxquelles on attribuait, comme à toutes les autres, le quali-
ficatif de Toccata, parce qu'elles étaient Jouées sur les touches^ sur le
clavier, par des solistes le plus souvent.
Citons aussi, parmi les airs à danser alors en usage à la Cour, les
(i) Voir le Troisième Livre de ce Cours.
(2) Le Concert d'Église, comme les anciennes transcriptions instrumentales de madrigaux
à cinq voix, était écrit aussi à cinq parties: il a donné naissance à la Musique de Chambre,
au Concerto et à la Symphonie, plutôt qu'à la Suite et à la Sonate proprement dites. Son
étude complète figurera donc, avec celle des formes symphoniqucs orchestrales, dans la
Seconde Partie du présent Livre.
104 LA SUITE
noms de Branles simples, Branles gais (c'est-à-dire avec gestes),
Basses-dauces, Tourdions, Voiles, Courantes, Forlanes, etc.
Outre celte nomenclature hétéroclite, où la mode et l'engoue-
ment paraissent avoir eu une large part, il importe de signaler spécia-
lement la Pavane (à 2 temps) et la Gaillarde (à 3 temps), qu'on avait
déjà l'usage de faire entendre consécutivement l'une à l'autre, et dont
l'accouplement, devenu traditionnel, constitue la première tentative
de Suite.
Une place particulière doit être réservée aussi à la Can'^ona, forme des
plus anciennes, qui participe à la fois de la Suite et de la Variation La
Canzona consistait en deux pièces successives, dont la première conte-
nait l'exposition intégrale d'un long thème de chanson, en rythme
binaire, et la seconde, la réexposition du même thème à la même
tonalité, mais en forme variée et dans un rythme ternaire.
C'est donc à titre de juxtaposition unitonique de deux pièces diffé-
rant par leur rythme, comme la Pavane et la Gaillarde., que la Canzona
mérite d'-cre citée ici ; en tant que modification rythmique d'un thème
préexposé, elle a sa place marquée, avec ses contemporaines la P<755c3-
caille et la Chaconne, parmi les ascendantes naturelles de la Variation
ornementale (voir ci-après, chap. vi).
2« Etat. — Apparition de la forme binaire modulante. — A l'exemple de
l'antique chanson dansée qui avait fait place à la musique de danse
sans paroles, celle-ci, devenue peu à peu plus expressive et plus musi-
cale, devait à son tour se transformer en une véritable musique de
danse sans danse.
Dans ce nouvel état des pièces qui concoururent à l'élaboration de la
Suite, on voit en effet la musique pure s'éloigner pour toujours de la
chorégraphie effective, à laquelle l'Opéra naissant donne vers la même
époque, sous forme de Ballet {]), un asile définitif.
Mais, tandis que le Ballet gagne en luxe de décor et d'orchestre ce
qu'il perd en musicalité vraie, les airs de danse non dansés se font plus
intimes et plus modestes, sous le rapport des instruments de moins en
moins nombreux auxquels ils sont destinés : un ou deux généralement,
rarement trois, jamais davantage.
En même temps, leur forme se précise et s'astreint régulièrement
au type biliaire modulant précédemment défini (p. loi). Le rythme
seul leur est fourni, comme leur titre, par quelque danse : encore, les
antinomies abondent-elles entre ce titre de convention ou de fantaisie et
(i) Le Ballet, danse chantée à l'origine, et devenue plus tard exclusivement instrumentale,
sera étudié dans le Troisième Livre de ce Cours. Son intime liaison avec la représentation
scénique l'a fait considérer comme inséparable des formes dramatiques proprement
dites.
ORIGINES 105
ce rythme d'autant plus déformé que la tradition des figures de danse
auxquelles il devait correspondre s'est oblitérée.
h' Allemande (à 4 temps), la Courante et la Sarabande (à 3
temps), la Gigue (à 3/8) n'ont plus guère, pour les rattacher aux
danses dont elles portent les noms, que leur mesure et leur allure
générale.
Certaines pièces tout à fait mélodiques, appelées Aria (ou parfois
Entrée, Intrada, quand elles servent d'introduction) accusent plus
nettement encore cet abandon des véritables danses.
Cependant, le groupement de deux pièces consécutives, signalé déjà
à propos des formes Prélude et Fugue, Pavane et Gaillarde, Can^ona,
tend à se généraliser : toute pièce binaire est susceptible, comme
la Fugue, de recevoir un Prélude revêtu des mêmes qualifications
pompeuses [Préambule, Prœludium, OuveiHure, Toccata, Phan-
tàsie, etc.) ; les couples de pièces, comme les Gavottes, Bouî-rées,
Rigaudons, procédant toujours par deux, ou les pièces alternées,
comme le Menuet et le Passepied, deviennent de plus en plus fré-
quentes ; et, tandis que pullulent les appellations indéterminées ou
exotiques [Burlesca, Scher^^o, Cappriccio, Polonaise, Anglaise, Sici-
lienne), la plupart des compositions qu'elles désignent n'ont plus
avec les danses, leurs devancières, qu'une parenté chaque jour plus
incertaine.
L'avènement de ces formes nouvelles semble consacrer définitivement
dans la musique Télimination du peuple, en tant que participant spon-
tanément par le geste rythmé à l'art symphonique, et, par voie de
conséquence, la spécialisation de cet art dans le domaine aristocratique,
oiJ il se cantonnera d'autant plus, désormais, qu'il deviendra plus
abstrait et plus complexe.
3* Etat. — Groupement des pièces et organisation de la Suite proprement
dite. — A côté des groupements de deux pièces instrumentales, appa-
rurent bientôt des séries de pièces en nombre indéterminé (cinq, six,
sept et même davantage), soumises, au moins par l'ordre de leurs
mouvements, aux grands principes de symétrie régulière ou contras-
tante inhérents à toute manifestation d'art.
Mais, plus la Suite de morceaux, toujours binaires, s'organise, plus
les noms qu'elle porte deviennent imprécis ; et, tandis que le type
Suite (très antérieur, comme forme, à la succession de morceaux
constituant la Suite elle-même) y demeure à peu près immuable,
voici que le groupement des pièces prend indistinctement, dès
ses premières réalisations, les noms de Suite, Sonate, Ordre ou
Parti ta»
'o6 LA SUITE
En Italie, le titre Sonata (i) est, de beaucoup, le plus employé;
originairement, il se rapporte à Vinstrument exécutant plutôt qu'à
la forme musicale : toute pièce pour instrument à archet est dite
Sonata (2).
En Allemagne, le mot Partita (Partie) est généralement affecté à des
œuvres pour clavecin, identiques de forme à celles que Couperin le Grand
désigne, en France, par le mot Ordre ; tandis que le mot Sonate, resté
conforme, dans notre pays, à son acception étymologique italienne,
s'applique aux Suites pour violon.
Le mot Suite semble avoir été adopté d'abord par des compositeurs
anglais, puis en Allemagne, concurremment avec celui d^ Partita, par
J.-S. Bach.
L'autorité du maître d'Eisenach suffit à justifier l'acception géné-
rique que nous avons donnée au mot Suite, par opposition au mot
Sonate.
Du reste, bien avant l'apparition de la coupe ternaire spéciale à la
Sonate (voir ci-après, chap. m), ce terme avait pris déjà une signification
assez voisine de celle que nous lui avons attribuée définitivement.
Vers la fin de la longue période pendant laquelle coexistèrent la
Fugue, la Suite et la Sonate, ce dernier qualificatif désignait, de préfé-
rence, certaines Suites restreintes à trois ou quatre pièces, dont chacune
portait, au lieu de quelque nom fantaisiste de danse ou de chanson, la
simple indication du mouvement ou du sentiment expressif voulu par
l'auteur {Allegro, Andante, Presto, etc.) ; et ces signes distinctifs
demeurèrent, quant au nombre et à la désignation des pièces, ceux de
la Sonate, même postérieurement à la transformation fondamentale de
sa construction. Ces petites compositions en ti^ois ou quatre mouve-
ments constituent donc des Sonates embr3^onnaires, plutôt que des
Suites restreintes : aussi, les examinerons-nous au chapitre suivant,
(i) A cette époque, les Italiens distinguaient deux sortes de compositions différentes, sous
le nom unique de Sonata :
a) La Soiata da Chiesa (Sonate d'Église), pièce pour plusieurs instruments récitants,
servant d'introduction à une pièce chantée (Cantata) et destinée à l'Eglise. Cette forme,
comme le Concerto da Chiesa (Concert d'Église], participe plutôt aux origines de la Musique
de Chambre, dont il sera question dans la Seconde Partie du présent Livre;
b) La Sonata da Caméra (Sonate de Chambre), suite d'airs de danse (trois ou quatre tout
au plus), généralement de forme binaire, et destinés à un très peit nombre d'instruments
(trois au plus), qu'accompagnait la basse continue. C'est de cette dernière que sont issues
plus particulièrement la Suite et, plus tard, la Sonate proprement dite.
(3) Sonare, suonare, signifie en italien : produire un son à l'aide d'en archet ; d'où, Sonata,
Sonate.
Toccare (littéralement: toucher) veut dire: produire un son à l'aide des touches ou du
clavier ; d'où. Toccata.
Cantare (chanter) signifie : produire un son à l'aide de la voix ; d'où, Cantata, Cantate.
Combien les acceptions étymologiques de ces trois mots devaient, avec le temps, s'écarter
de leur précision originelle I
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 107
à titre d'origines de la Sonate ternaire proprement dite, sans tenir
compte de la coupe binaire qui y apparaît encore très souvent.
En résumé, ce qui caractérise le groupement des morceaux de danse
appelés à former la Suite instrumentale, c'est, par définition: i'' un
lien tonal rigoureux ; 2° un ordre logique de mouvements différents.
C'est-à-dire que :
1° les mouvements se succèdent tous dans la même tonalité, avec
alternance variable et irrégulière des modes majeur et mineur ;
2° les mouvements de deux morceaux consécutifs sont plutôt
contrastants : à un mouvement assez vif succède en général un mouve-
ment lent ; à celui-ci, un mouvement modéré, etc., et le mouvement du
finale d'une Suite est presque invariablement le plus rapide de tous.
Mais il ne résulte de ces deux principes aucune limitation du nombre
des morceaux dont se compose une Suite : nombre très variable, rare-
ment supérieur à huit ou neuf, jamais inférieur à quatre.
Toutefois, si le nombre des morceaux d'une Suite est indéterminé,
il n'en est pas de même du nombre des mouvements^ qu'on peut ramener
à quatre types assez nettement caractérisés par leur forme, leur vitesse
relative et leur ordre :
i*» Le mouvement initial, ou type Suite (S) proprement dit, générale-
ment d'allure un peu vive ;
2" Le m.ouvement lent, type L ;
3° Le mouvement modéré^ type M ;
4° Le mouvement rapide^ type R.
Nous allons étudier séparément chacun de ces types constitutifs des
morceaux de la Suite instrumentale.
3. LE MOUVEMENT INITL\L DANS LA SUITE. — TYPE S.
Dans toute Suite organisée, c'est-à-dire dans toute succession inten-
tionnelle de danses instrumentales appartenant à l'époque de la Suite
(Ordre, Partita, etc.), on remarque la présence d'une pièce principale,
qualifiée le plus souvent Allemande, et qui, sauf de très rares excep-
tions, est revêtue des trois caractères suivants affectant son rang, sa
mesure et sa construction.
a) Rang de l'Allemande (ou type S), dans la Suite. — La pièce dite Alle-
mande, probablement en raison d'une analogie d'origine avec quelque
danse allemande, ou prétendue telle, est, en principe, initiale et par
conséquent unique de son espèce, dans une même Suite (i) ; elle occupe
(ï) Dans les quelques Suites où il y a plusieurs Allemandes, l'une d'entre elles, la pre-
mière, est plus complète, plus intéressante ou plus soignée que les autres, dans sa construc-
io8 LA SUITE
donc, par définition, le premier rang, ou, si l'on préfère, la place
d'honneur, celle du chef dans un défilé d'apparat. Mais, de même que
cette place demeure \d. première en ^-a/ei/r lorsqu'un personnage subor-
donné passe devant le chef pour lui frayer la route et rehausser son
prestige, ainsi, la pièce préalable qui, dans beaucoup de Suites, pré-
cède l'Allemande, lui sert seulement d'introductrice^ et reste toujours
virtuellement soumise à sa suprématie (i).
b) Mesure et allure de l'Allemande. — La pièce initiale de la Suite est
écrite invariablement à quatre temps. Son mouvement, loin d'offrir la
même fixité, correspond en général à l'indication Allegro (mot dont la
signification se réfère au sentiment expressif de gaîté, bien plus qu'à la
vitesse d'exécution).
c) Structure thématique et tonale de l'Allemande. — La coupe binaire.
— On a vu que la plupart des danses instrumentales avaient adopté,
bien avant leur groupement en Suite régulière, une construction
binaire spéciale, caractérisée principalement par deux modifications
progressives et complémentaires de la tonalité.
Il arrive parfois, dans une Suite, que certaines pièces conservent, aux
dépens de cette forme devenue traditionnelle, quelque ancienne coupe
de danse ou de chanson populaire un peu différente ; mais cette déro-
gation, moins rare dans les pièces de mouvement modéré dont nous
parlerons ci-après (p. 1 1 3), est sans exemple dans la pièce initiale, dont
la construction garde toujours sa symétrie rigoureuse et classique.
Aussi, doit-on considérer la forme de cette pièce initiale comme le type
Suite par excellence, contenant en germe le type Sonate^ lequel
l'absorbera plus tard, après une série de modifications qui seront
étudiées au chapitre suivant (2).
Ce type Suite n'est qu'une extension du r5^thme binaire : ses deux
fragments constitutifs sont des temps agrandis, quelque arsis gigan-
tesque marquant Veffort (le temps léger, le levé), suivie d'une immense
thésis revenant au t^epos, comme le temps lourd, le frappé. L'ancien
tion : tant il est vrai que le principe énoncé par Ruskin (voir "ci-dessus, Introd., p. 14) est
universel.
Quant aux Suites sans aucune Allemande, ni aucune pièce qui en tienne lieu, elles sont à
peu près introuvables.
(i ) Cette pièce « avant-première », qui sert d'introduction à la pièce initiale d'une Suite,
présente la même indétermination de forme et de nom que le Prélude de Fugue (voir ci-
dessus, chap.i, p. 64) avec lequel elle se confond. C'est toujours un succédané plus ou
moins fantaisiste de la vieille cadence tonale, par laquelle l'exécutant ou l'improvisateur
a se met dans le ton », avant de commencer.
(2) L'abréviation générique « type S » sera employée pour tous les états successifs de cette
forme Suile-Sonate qui, depuis près de trois siècles, a survécu à .toutes les évolutions et
révolutions subies par la musqué symphonique.
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
109
verset de la psalmodie, avec son arrêt momentané au milieu et sa
cadence finale, la mélodie binaire (i), sont ses ancêtres indéniables, de
même que le fronton à deux pans (-^'^^^>..) en offre une figuration
saisissante, dans l'ordre architectural.
La caractéristique commune à toute manifestation d'ordre binaire,
qu'elle soit geste, édifice ou musique, c'est V effort de la première partie,
compensé par le repos de la seconde.
La pièce binaire obéit à cette immuable loi rythmique et mécanique
de la compensation : toute sa première moitié consiste en un eff'ort
vers une tonalité voisine du point de départ. Or, on sait que tout
eff'ort modulant s'oriente naturellement vers les quintes aiguës, en vertu
de la loi des quintes exposée précédemment (2). Ainsi s'explique la
modulation pratiquée dans la première partie de toute pièce binaire
identique de construction à cette Allemande de Domenico Scarlatti,
qui va nous servir d'exemple :
t
mil
I r I dessin ini
y I
^^
^
§^
tial, au ton principal
^M
^M
P
^^
[Lu'CJjiJ
^
F^ M f 0 ^==^
¥ rfrfr
m
^m
^
¥^
les 25 mesures qui sont omises à cette place servent à confirmer de plus
en plus la tonalité de la dominante, où se termine la première partie du
morceau
(i) Voir I" liv., p. 41.
(a) Voir 1" liv., chap. viii, p. i3o et i3i,
LA SUITE
Cette cadence imparfaite au ton de la dominante (i) marque l'achève-
ment de Varsis, du temps léger constitué par toute cette première
partie, dont la reprise intégrale est presque toujours indiquée dans
les pièces binaires. Leur dessin initial a rarement la physionomie
d'un véritable thème : ici, c'est un simple rythme uniforme que les
deux mains font entendre alternativement, sans l'interrompre jamais.
Quelle que puisse être sa richesse expressive dans d'autres pièces
analogues, ce dessin n'est jamais qu'une sorte de véhicule tonal, allant
de la tonique au ton voisin.
Il s'agit maintenant de redescendre la pente gravie, de revenir à la
tonique, plus ou moins directement : ce but est atteint par la seconde
partie, qu'on reprend intégralement, comme la première.
I
a
m fj^
^
Éï
^m
imitations modulantes,
^ cil ri"
abandonnant le ton de la
Ë
dominante
K
les i8 mesures omises contiennent d'autres imitations modulantes, en
forme de marche harmonique par RÉ, mi,fa%, suivies d'une descente diato-
nique aboutissant au ton principal :
■^r^rn?'
^JJTJ^
nri'"^
retour
au ton principal
*
ï
à partir de cette rentrée, les 17 mesures suivantes confirment de plus en
plus la tonalité de LA, où reparaissent, pour terminer la seconde partie,
toutes les formules exposées en MI, à la fin de la première :
(i) Les musiciens de l'époque delà Suite semblent avoir pressenti l'inaptitude du V* dtgré
de la gamme mineure à remplir la fonction de dominante. Beaucoup de leurs pièces mi-
neures modulent, dans leur première partie, de la tonique au relatif majeur, au lieu
d'aboutir à la quinte supérieure.
LE MOUVEMENT LENT (L)
^ffîf^ifrfrr r^
i
ËtixrDif
conclusion tonal e. «ymétrique de> celle do la premierp partio
La cadence définitive à la tonique indique la fin de la thésis, du temps
loiu^d complétant la longue oscillation tonale effectuée par les deux
fragments consécutifs de toute pièce construite sur le type Suite.
On voit assez que ce système binaire est totalement différent du plan
unitaire de la Fugue, consistant en une série d'expositions d'un thème
unique et déterminé. Ici, le thème est à peu près absent, et le dessin,
plus ou moins précis, qui semblait en tenir lieu au début de la première
partie, ne reparaît jamais, dans la seconde, avec sa tonalité propre.
4. LE MOUVEMENT LENT. — TYPE L.
La coupe binaire qu'on vient d'examiner appartenant indistinctement
à presque toutes les pièces de la Suite, la physionomie particulière de
la pièce lente (type L) ne se révèle pas dans sa structure thématique et
tonale identique à celle du type S, mais seulement dans son rang, son
mouvement et son style.
a) Rang de la pièce lente (type L). — C'est une simple raison de con-
traste ou d'équilibre qui détermine dans une Suite le rang de la pièce
lente : on la place en principe entre deux pièces d'allure beaucoup plus
vive ; et, comme la pièce initiale (type S) est plutôt mouvementée, une
pièce lente a sa place toute naturelle au second rang.
Mais si le second rang est en effet l'un des plus fréquemment occupés
par un morceau du type L, il est loin d'être le seul. Car le nombre des
pièces d'une Suite étant extrêmement variable, celui des pièces lentes
alternant avec des pièces du type M (voir ci-après, p. ii3 et suiv.),
varie proportionnellement.
b) Mesure et mouvement. — Toujours en raison de la loi des contrastes,
la mesure adoptée pour la plupart des morceaux lents est à trois temps;
quant à leur mouvement, il correspond aux indications, d'ailleurs fort
imprécises, Andante, Adagio, Largo, etc.
c) Style et rythme. — Le mouvement lent, dans la Suite, emprunte
très souvent le nom, le rythme et le style de quelque ancienne danse
solennelle et compassée, comme la Sarabande, la Courante ou la Sici-
lia LA SUITE
//>««e (i). On trouve aussi, sous le nom d'Ar/a (air), des pièces lentes
sans parenté rythmique avec aucune danse, et caractérisées seulement
par la riche ornementation de leur ligne mélodique.
Le type L n'offrant aucune particularité de construction, c'est
seulement comme spécimen de style, et en raison de son inté-
rêt musical, que nous citons, ci-dessous, la première partie de
la charmante Sarabande de Rameau, intitulée VEntretien des
Muses (2).
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(1) La Sicilienne (à 6/S) est une des rares formes demouvement lentavec mesure binaire;
mais elle demeure ternaire par la subdivision de chacun de ses temps.
(2) Cette Sarabande fait partie de la 6« Suite pour clavecin de J.-Ph. Rameau (Éd. Durand
et fils, p, 5o), dont il sera question ci-après, p. 140, dans la section historique.
LE MOUVEMENT MODERE M;
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5. LE MOUVEMENT MODÉRÉ. TYPE M.
Parmi les airs de danse ;/o;/ dansés qui constituèrent peu à peu la
forme Suite, les pièces de mouvement modéré (type M) ont conservé,
après toutes les autres, leur caractère originel : elles sont demeurées les
seules dansables, les seules dont les titres, empruntés pour la plupart
au vocabulaire des danses élégantes ou rustiques en honneur à cette
époque, coïncident réellement avec la forme rythmique et la coupe
même de chacune de ces danses.
Sans entrer dans une recherche minutieuse, et plus chorégraphique
que musicale, sur chacune de ces innombrables danses, nous n'avons à
faire connaître ici que leur rôle dans la Suite, leur allure particulière,
et certains modes d'adaptation spéciale du régime binaire à leur coupe
et à leurs répétitions.
a) Rôle et rang du type M dans la Suite. — La loi de contraste précé-
demment signalée fait placer de préférence le mouvement modéré entre
deux pièces plus lentes ; et, comme une même Suite contient généra-
lement plusieurs pièces appartenant aux types L et M, le rang du
type M doit être considéré en principe comme alternant avec celui du
type L. Toutefois, cet usage n'est point observé avec la même constance
Cours de composition. — t. ii, i. b
114 LA SUITE
que celui qui consiste à placer l'Allemande (S) au début et la pièce
rapide (R) à la fin.
b) Mesures, mouvement et allure du type M. — Les pièces de ce genre
étant des danses véritables (i) sont tantôt à deux ou quatre temps,
comme la Gavotte, la Musette, la Bourrée, etc., tantôt à tî^ois, comme le
Menuet, le Passepied, la Loure, etc. Elles n'ont donc pas de mesure
propre. Quant à leur mouvement {Modej^ato, Allegretto^ etc.), il ne peut
guère être défini que d'une manière relative, par rapport au type L,
dont il n'atttint jamais la lenteur, et au type R, toujours plus rapide.
c) Coupe particulière à certaines pièces du type M : les Doubles, les
Secondes danses, la forme Rondeau. — Chaque figure de danse étant en
général assez simple et exécutée plusieurs fois consécutivement par
différents couples, les airs correspondants étaient fort courts et se répé-
taient autant de fois que l'exigeait le nombre total des danseurs.
Pour remédier à la satiété qu'auraient entraînée les fastidieuses redites
d'un même thème, les compositeurs de Suites prirent l'habitude de
doubler leurs airs de danse.
Ces Doubles (2) constituaient à l'origine des reprises facultatives
indiquées par un signe : les exécutants exerçaient leur talent en ornant
ces reprises de toutes les fioritures et notes d'agrément suggérées par
leur bon goût... ou leur désir de briller. A cet « âge d'or» du Double
succéda l'inévitable empiétement du virtuose sur le musicien, de l'effet
sur l'expression, de l'acrobate sur l'artiste : véritable « âge d'argent »
contre lequel les compositeurs réagirent en écrivant eux-mêmes leurs
variantes, pour les protéger et en maintenir les traditions par la gra-
vure; c'est à cet « âge d'airain » que nous devons les immortels Doubles
des Rameau et des Gouperin, précurseurs de la forme Variation, dont
il sera question ci-après (chap. vi).
A côté des Doubles ornés, et toujours pour remplir le même office, on
voit aussi apparaître les Secondes danses [Second menuet. Seconde
gavotte, etc.), destinées à alterner avec la danse principale, qu'on répétait
toujours pour finir.
Enfin, cet usage de l'alternance des thèmes fait éclore, en France, une
forme infiniment plus musicale : le Rondeau^ où toutes les redites du
(i)En dehors des danses proprement dites, on rencontre parfois dans les Suites certains
morceaux d'allure modérée assimilables au type M, mais dépourvus de toute particularité
autre que la coupe binaire traditionnelle : tels le Cappriccio et le Scherzo, véritable amuse-
ment (en allemand Scher:^) musical, sans analogie avec la forme bien connue qui perpétua
ce nom dans la musique symphonique.
(2) Bien que le Double appartienne plutôt, dans la Suite, aux danses de mouvement
modéré (M), on en rencontre aussi, de loin en loin, dans les danses lentes (L), Sarabande,
Sicilienne, etc.
LE MOUVEMENT MODÉRÉ (M)
"5
thème principal sont séparées par des phrases modulantes, qui diffèrent
presque toutes les unes des autres. Qui ne reconnaîtrait, dans cette
forme si française, le refrain et les couplets de nos vieilles chansons ou
rondes populaires médiévales (i), reparaissant dans la musique instru-
mentale, après avoir doté la poésie légère de ces petites pièces si
gracieuses dont on a dit :
« Le Rondeau, né gaulois, a la naïveté ? »
Certes, la musique peut à bon droit s'approprier ce vers, qui résume
à la fois les origines et le caractère de la forme Rondeau, appliquée,
dans notre pays, au temps de la Suite, à toute espèce de danse d'allure
modérée, et souvent même aux pièces rapides (type R) qui terminaient
les Suites françaises.
On verra plus loin (p. 1 38 et suiv.) l'usage fréquent que firent de cette
forme Rameau et le grand Couperin, auteur de l'exemple ci-dessous.
Cette Gavotte en Rondeau figure sous le titre VEpineuse dans le
26' Ordre du célèbre claveciniste français.
REFRAIN
Modéré
l«r COUPLET (8 mesures)
â la fin du Cou-
plet, on reprend
intégralement le
'" Refrain pour la
seconde fois.
(i) Voir I" liv., chap. v. p. 90.
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LA SUITE
2§ COUPLET (8 mesures)
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suivi de la troisième reprise du refrain.
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suivi de la quatrième reprise du Refrain.
Le 4^ Couplet mérite d'être cité en entier; il contient tout un petit Rondeau
enclavé dans le grand :
4? COUPLET (l6 mesures)
Une cinquième et dernière reprise du Refrain principal en fa fi mineur
termine ce petit modèle si intéressant de la coupe Rondeau.
LE MOUVEMENT RAPIDE (R)
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6. LE MOUVEMENT RAPIDE. — TYPE R,
La pièce qui termine la Suite est presque invariablement la plus
rapide de toutes. Cet usage de Taccroissement d'agogique vers la fin
paraît provenir d'une sorte d'instinct expressif assez général, qui se
manifeste dans beaucoup de formes symphoniques.
Cette pièce du type R, qui, sauf de rares exceptions, occupe le
dernier rang dans une Suite organisée, porte le nom de Gigue : c'est
une danse d'allure très vive, dont la mesure, de quelque manière qu'on
l'écrive, a pour caractère spécial la décomposition des temps en trio-
lets (i). Quant à la construction de la Gigue, elle est conforme à la coupe
binaire modulante que nous avons étudiée ci-dessus (p. io8 et suiv.), à
propos de la pièce initiale du type S (2).
La Gigue complète donc, en raison de sa rapidité plus grande, l'ordre
logique des mouvements, principe premier de la Suite, magistralement
appliqué par J.-S. Bach, dans ses œuvres, auxquelles nous empruntons
l'exemple ci-après, tiré de la Gigue finale de la/" Partita en si'? (3).
Cette Gigue rappelle tout à fait, par ses perpétuels croisements de
main, le style des Italiens et notamment celui de D. Scarlatti.
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{j) Les principales mesures de Gigue sont : -f-, -f, -f, -{-, -f , -f, •'^, f2. etc., c'est-à-dire
toujours susceptibles d'une subdivision ternaire des temps. De là vient, sans doute, le nom
de Tripla, que certains auteurs, notamment J.-H. Schein (voir ci-après, p. i43), appliquè-
rent à la Gigue, en souvenir de l'ancienne expression proportio tripla, employée par les
mensuralistes dans un sens analogue.
(2) Dans les Suites d'auteurs français, on trouve aussi des Gigues en forme de Rondeau.
(3) Ces seize mesures se trouvent identiquement reproduites dans l'air d'entrée du
IV« acte d'Jphigénie en Tauride de Gluck : « Je t'implore et je tremble ». — Les œuvres de
Bach étant fort peu répandues à l'époque où Gluck écrivait ses opéras, ce fait semble assez
difficilement explicable.
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7. RÔLE DE LA FORME SUITE DANS LA MUSIQUE SYMPHONMQUE.
La coupe binaire modulante et la juxtaposition de pièces différentes
sont, en définitive, les seuls caractères à peu près constants dans la
forme transitoire de la Suite. Mais de ces deux signes distinctifs, le
premier n'a pour ainsi dire pas laissé de traces dans les formes musi-
cales postérieures.
Après avoir coexisté longtemps avec \di forme ternaire des premières
sonates, la coupe binaire, en effet, s'efface complètement devant cette
construction nouvelle plus stable, plus féconde et infiniment mieux
équilibrée.
Au contraire, le principe de la Juxtaposition des airs, adopté peu à
peu par la Suite instrumentale, devait réagir profondément sur une
foule d'autres formes symphoniques. Ne devait-il pas aboutir en effet,
après des étapes successives, au cjcle de pièces différentes quoique
dépendantes les unes des autres, c'est-à-dire à l'une des plus belles
applications, dans le domaine musical, de la loi d'unité dans la variété
qui régit toute esthétique?
Pressentie par Beethoven, réalisée par César Franck, la conception
cyclique est à la base de toute œuvre symphonique de quelque enver-
gure : nous en retrouverons la tradition constante dans la Sonate,
LES PRÉCURSEURS 119
comme dans toutes les formes appartenant à la famille du Madrigal
accompagné (Musique de Chambre, Symphonie, etc.).
En dehors de cette lignée légitime où se perfectionne, de génération
en génération, le système ternaire inauguré par la forme Sonate et la
cohérence des morceaux juxtaposés, la forme Suite n'a guère survécu
que dans quelques types, plus ou moins abâtardis, où demeurent, à l'état
de routine irraisonnée, quelques vestiges de la construction tradition-
nelle.
Si, par exemple, on retrouve dans les ballets (i) les formes de
quelques danses de cour, ayant abandonné les lumières étincelantes des
palais pour les feux moins nobles de la rampe, cette métamorphose
entraînera bien vite l'oubli de tout principe d'unité tonale, et les airs
de ballet se succéderont sans nul souci de l'ancien « ordre logique » des
b^-^Ues Suites instrumentales.
Plus tard aussi, le nom de Suite sera donné par quelques composi-
teurs à des œuvres pour orchestre, que leur caractère descriptif ou
pittoresque rattache plutôt au Poème Symphonique et à la Fantaisie (2),
à moins que leur construction ne soit en réalité celle des véritables
Symphonies.
Enfin, à part quelques très rares tentatives de Suites pour piano, ou
pour violon, offrant par l'instrument exécutant, sinon par la forme, plus
d'analogie que les précédentes avec la Suile proprement dite, ce genre
immortalisé, en Italie par D, Scarlatti, en France par Coupérin et
Rameau, en Allemagne par J.-S. Bach, semble avoir totalement
disparu, après l'admirable floraison des xvn® et xviii* siècles, dont nous
allons étudier l'histoire.
HISTORIQUE
8. LES PRÉCURSEURS UE LA FORME SUITE.
Longtemps avant que les instruments se fussent emparés du riche
trésor mélodique que leur offrait la Chanson et la Danse populaires
pour en faire l'un des principaux éléments des fêtes princières et
aristocratiques, les jongleurs qui parcouraient la France, et particu-
lièrement nos provinces méridionales, avaient coutume de jouer des
Chansons à danser, sur lesquelles trouvères et troubadours « paro-
diaient » le plus souvent leurs poétiques improvisations.
(0 Voir le Troisième Livre du Cours de Composition.
(2) Voir, dans la Seconde Partie du présent Livre, le chapitre consacré à ces formes.
LA SUITE
Telle, cette estampidade baladins, que le troubadour cévenol Rambaut
de Vaqueiras (i) illustra de ses vers d'amour en l'honneur de iMonna
Béatrice de Savone, sœur de Guillaume des Baux, prince d'Orange (2) :
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E cha.ya, de pla.ya l'gé . lous ans quem n'es . trayé
En i554, l'imprimeur Attaignant publiait^ix livres de danses popu-
laires {branles simples^ bi^anles gais, basses-dances, tourdions^ passe-
mq-e), transcrites pour les violes, à quatre et cinq parties, par Claude
Gervaize. Le tourdion ci-dessous, extrait de ce recueil, est intéressant
comme structure, en ce qu'il affecte déjà la forme Suite, avec son
repos médian modulant à la dominante inverse [sol] du ton de ré
vnneiir, i^"" mode
(i) Vaqueiras, maintenant Vachères, est une petite localité située sur les confins du Viva-
fais et du Velay, et munie d'un curieux château féodal.
(2) Voir, sur cette estampida, l'intéressante étude historique et critique de M. Pierre Aubry,
dans la Revue Musicale du i5 juin 1904, page 307.
LES PRECURSEURS
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D'autre part, nous rencontrons, encore en France, sous le titre
d'Orchésographie, un important traité où les danses en usage au
xvi" siècle sont minutieusement décrites. Ce traité, publié en ibSg, et
plusieurs fois réimprimé, a pour auteur un chanoine de l'officialité de
Langres, Anthoine Tabourot, plus connu sous le pseudonyme ana-
grammatique de Thoinot Arbeau.
Enfin, dès les dernières années du xvi« siècle, les luthistes français
avaient déjà adopté la dénomination de Suite pour désigner plusieurs
danses susceptibles d'êtres jouées et dansées sans interruption.
Parmi les compositeurs italiens qui s'adonnèrent plus particulière-
ment à la transcription instrumentale des danses et chansons popu-
laires, voici les noms de ceux chez lesquels on peut trouver les plus
utiles documents :
Francesco da MILANO, qui arrangea pour le luth la Bataille de
Marignan tt le Chant des oiseaux de Clément Janequin (i336j, et qui
publia, en i563, des Can:{one et Passeme-{'{e pour le morne instrument.
Melchior de BARBERIS, luthiste également, et auteur de dix livres de
transcriptions pour un ou deux luths, ou pour la guitare à sept cordes,
d'après des chansons françaises, pavanes, saltarelles, madrigaux, mo-
tets, et même d'après une messe Are Maria d'un auteur contemporain.
LA SUIIE
Nous donnons ici un exemple de deux pièces, Pavane et Saltai^elle (i),
écrites sur le même tlième avec changement de rythme et faites pour
être jouées à la suiteVuno. de l'autre, ce qui constitue, nous l'avons vu,
le principe de la Cauiona :
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Andréa QABRIELI (i 5 lo f i 586) et son neveu, Giovanni QABRIELI
(i557 t i6i3), dont on publia en 1671, lôqS et lôgS, nombre de
pièces : Chansons f?^ançaises^, Toccate et Sonates pour l'orgue.
Florenzio MASCHERA, qui fit paraître en 1682 des Canioni pour
quatre instruments, manifestement dérivés de l'écriture madrigalesque :
ils offrent en effet cette singularité de porter, non des titres de danses,
mais des dénominations fantaisistes, comme nous en rencontrerons
plus tard de très nombreux exemples chez les clavecinistes français.
Ainsi, la Martinenga, la Maggia, la Duranda, la Rosa, VAuerolda,
(i) Saltarello, romauesca et gagliarda se disaient, au xvi« siècle, de la pièce qui faisait
généralement corps avec la Pavana.
LES PRECURSEURS
133
VUggîera, la Girella, la Villachiai\i, la Foresta, empruntent la plupart
de leurs noms à ceux de familles notables de la ville de Brescia, où
Maschera occupait le poste d'organiste de la cathédrale.
Qiacomo Gastoldi da CARAVAGQIO, qui publia en iSgi des Balletli a
cantare^ suonare e ballare^ ornés de titres qui rappellent aussi ceux
des pièces de notre Couperin, comme par exemple : il bel amore^ l'amor
vittorioso^ la sirena, il martellato, etc.
Floriano CANALI, auteur de nombreuses Canione pour instruments,
écrites jusqu'à huit parties, parmi lesquelles la Bal^ana^ suite de deux
pièces de rythmes différents, (^ et 3/2.
Salomon ROSSI (iSyo f 1023), rabbin de Mantoue, le seul israélite
que Ton rencontre dans l'histoire de la musique au cours des deux
premières époques. Outre des Cantiques hébreux et des Madrigaux
italiens, il écrivit des Chansons françaises, Sinfonie^ Gagliarde e Ballelti,
dont nous donnons ci-après un spécimen.
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Contrairement à l'usage de son temps, Rossi désignait volontiers les
instruments qui devaient exécuter ses pièces, en ajoutant l'indication
(combien pratique !) des autres instruments qui pouvaient indifférem-
ment leur être substitués, par exemple : Sinfonie esprcssamente scrilte
per due viole {orrero duo cornetli) e un chittarone (o allro instrumento di
corpo).
134 I-A SUITE
Un peu plus tard la Danse de cour, provenant de la transcription
pour le luth ou les instruments à clavier de pièces vocales en vogue,
trouva un intense foyer de propagation en Angleterre, dès la première
moitié du xvii' siècle. Innombrables sont les pièces transcrites ou les
danses originales isolées que l'on trouve dans les manuscrits ou im-
primés anglais de ce temps, livres de virginale, de clavicorde ou tabla-
tures de luth.
William BYRD (i538f i623) (voir ci-dessus, page 71), John BULL
(i563t 1628), organiste de la cathédrale d'Hereford, puis d'Anvers, et
Orlando GIBBONS (i 583 f 162b), organiste de la chapelle royale sous
Charles I", furent les principaux représentants de ce genre de musique.
Un recueil de danses et fantaisies pour virginale, contenant des
pièces de Gibbons, Byrd et Blow, fut gravé en 161 1 sous le titre de
Parthenia.
9. LA SUITE PROPREMENT DITE ET LA SONATA DA CAMERA.
Dès le milieu du xvii® siècle, le principe de la Suite de Danses était
établi et la forme binaire absolument fixée. Si la Chaconne et la Passa-
caille ont encore persisté jusque vers la fin du siècle suivant, la plupart
des autres pièces isolées sont tombées en désuétude, tandis que l'im-
portante et féconde forme du Rondeau français prenait naissance.
Sous les diverses dénominations de Sonate, Ordre^ Suite, Exercice ou
Pat^tie, c'est toujours à la Suite que nous avons affaire, jusqu'à la
fixation de la forme ternaire dans le Sonate italienne de Corelli.
De même que pour la Fugue, nous classerons par nationalité les
compositeurs de Suites.
En ce qui regarde l'Italie, les mêmes noms, ou à peu près, reviendront
sous notre plume; mais il n'en sera pas de même pour la France et
l'Allemagne, où, à part Bach, génie universel, nous n'aurons guère à
citer que des noms nouveaux : dans ces pa3's, en effet, la plupart des
organistes s'étaient spécialisés dans la Fugue et la musique religieuse
vocale.
10. LES COMPOSITEURS ITALIENS".
GiROLAMO Frescobaldi I 583 t 1644
Michel ANGELO Rossi 159. f 1 6..
BiAGio Marini I 599 t 1660
Giovanni Legrenzi 1625 f 1690
Bernardo Pasquini 1637 t 1710
Giovanni Maria Bononcini. . . . 1640 f 1678
LES ITALIENS
'35
Giovanni Battista Vitali. . . . i'": + f iC,g2
GlUSEPPE TORELLI I 64 .S f 17'JÔ
DOMENICO ZiPOLI 16. . X 17. .
EvARisTA Felice d'all'Abaco. . . 16. f ï 7 • .
DoMENICO SCARLATTI 1 68 V T76'
Girolamo FRESCOBALDI (voir ci-dessus, p. 68) est aussi important
au point de vue de la formation de la Suite qu'à celui du développe-
ment de la forme Fugue. Son style était double et essentiellement
différent dans la toccata et dans le ricercar. On n'a, pour s'en rendre
compte, qu'à lire ses ouvrages, tous d'un grand intérêt en raison de
cette diversité de style que l'on retrouvera plus tard chez Bach.
Outre les Toccate e partite de i6i3 et les Fiori musicali, Fres-
cobaldi publia, en 1624, plusieurs Suites de pièces sur des airs
populaires connus, intitulées Cappricci da sonares opra diversi soggetti;
quatre livres de Can\oni alla francese dans le premier desquels on
rencontre deux Toccate, l'une pour violon et épinette, l'autre pour luth
ou violon; enfin, en 1637, parut chez Nicolas Borbone, à Rome, un
second livre de Toccate contenant un grand nombre de Courantes,
Balletti, Chaconnes et Passacailles pour orgue ou clavicorde.
Ce second livre est particulièrement intéressant en ce que la pré-
face contient de minutieuses indications de Frescobaldi lui-même sur
la façon d'interpréter ses oeuvres ; l'auteur y exprime la crainte d'être
joué « en mesure » et sans expression. Contrairement à ce que l'on
enseigne généralement pour l'interprétation de sa musique, il y
réclame un perpétuel flottement de rythme, ce qu'on est convenu
d'appeler, depuis Chopin, tempo rubato.
Ces indications confirment une fois de plus cette vérité qu'aucune
musique ne doit être présentée de façon inexpressive, ce qui serait
contraire au but réel de l'art.
Michelangelo ROSSI, organiste, établi à Rome, fit paraître, en 1657,
un recueil de Toccate et de Courantes d'un grand intérêt au point de
vue de l'invention mélodique.
Biagio MARINI, né à Brescia, mort à Padoue après avoir été au service
de divers princes allemands, est réputé avoir été le premier en
Italie à publier des Suites pour le violon seul [Affetti musicali, 1617),
et à adopter pour ses œuvres à plusieurs instruments, notamment son
op. 22 (i655), le titre Sonata da Caméra.
Giovanni LEGRENZI, d'abord organiste à Bergame, devint directeur
du Conservatoire dci Meiidicanti, à V^enise, et maître de chapelle de
Saint-Marc. Ses Sonate da Caméra sont de véritables Suites à quatre
[j6
LA SUITE
instruments. Il publia cependant, en 1682, des Sonates pour deux
violons et basse continue.
Bernardo PASQUINI (voir ci-dessus, p. 70) publia, en 1697, un livre
de Toccate et ''an:{07ii pour orgue, ainsi que des Sonates en forme de
Suite, à trois mouvements, pour gravicembalo, sans compter plusieurs
Sonates pour deux claviçordes.
Nous donnons ci-après les principaux passages d'une intéressante
Canione pour clavicorde dans laquelle on remarquera la richesse et la
diversité des rythmes ternaires :
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Dans la deuxième
partie de la pièce,
le même thème se
présente,rythmé ainsi
LES ITALIENS
Voici enfin la
terminaison de
cette Canzone
Giovanni Maria BONONCINI, organiste de Modène, écrivit plusieurs
livres de Sonates pour deux violons (1666) et un volume intitulé
Varii fiori del Giardino viusicale^ oiwei'o Sonate da Caméra (i66c)j;
dans ces œuvres traitées en forme Suite apparaissent, pour la première
fois en Italie, les danses dites Gavotte et Gigue.
Giovanni Battista VITALI, de Crémone, occupa jusqu'à sa mort le
poste de second maître de chapelle du duc de Modène. On connaît de
ce compositeur deux recueils de Balletti, Con^enti^ etc., pour violon
et épinette (1668-1678), et deux livres de Sonate da Caméra pour deux
violons et basse continue.
La construction de ces pièces, bien que de forme binaire, est assez
analogue à celle de la Sonate chez Corelli ; la 11* Sonate notamment
est ainsi établie : Introduction grave. Prestissimo, Allegro, Largo.
Voici le commencement d'une Passacaille de Vitali, qui fut publiée
Tannée de sa mort (1692) et qui présente un style d'imitation plus in-
téressant et plus soutenu que celui de beaucoup de ses contemporains:
Vtoltno
PassagCl'llo che principia per B molle e f'inisce per diesis
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128
LA SUITE
Qiuseppe TORELLI, né à Vérone, s'établit comme Concertmeister
de la musique du Margrave à Anspach et mourut dans cette ville. Il
écrivit plusieurs « Sonates à trois » et un recueil de Cappricci da
Caméra pour violon et viole.
Domenico ZIPOLI (voir ci-dessus, p. 70) ; fut Tun des meilleurs maîtres
italiens au point de vue de la musicalité et de l'élégance de l'écriture ;
ses qualités de contrapontiste pourraient le rattacher à la filiation
Frescobaldi, Pachelbel, Bach.
Zipoli laissa deux livres de pièces pour orgue", le premier, qui consiste
surtout en pièces détachées, contient une Can^one sur un thème qu'on
pourrait qualifier « d'éminemment français » ;
Canzona ^ Allegro
1.. i.?^\ aJS
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Le second livre est un recueil de Suites ou Sonates consistant géné-
ralement en trois mouvements : Corrente, Sarabanda, Aî^ia, précédés
d'un Prélude.
Nous donnons ci-après la conclusion d'une longue Pastorale en UT,
au cours de laquelle Zipoli se laisse complaisamment aller à sa verve
mélodique :
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LES ITALIENS
129
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Evarista Felice dall'ABACO, né à Vérone, devint, en 1725, maître de
chapelle de l'électeur de Bavière. Il publia, en lyiS et 1730, un certain
nombre de Sonates de Chambre pour deux violons et basse continué,
qui offrent de curieuses et originales recherches de dessins m.élo-
diques et sont vraiment en avance sur leur époque.
Ses Suites en Sonates sont toutes établies ainsi : Largo, Allemande,
Sarabande et Gigue ; on peut donc considérer dalTAbaco comme
ayant fixé pour la forme Suite l'ordre des pièces qui devait plus tard
subsister dans la Sonate moderne avec introduction.
Domenico SCARLATTI naquit à Naples et séjourna d'abord à Madrid
en qualité de maître de clavecin de la princesse des Asturies;puis,
après avoir voyagé dans toute l'Europe et être resté quelque temps à
Rome où il connut Haendel, il retourna de nouveau en Espagne,
en 1729, et y resta jusqu'à sa mort.
Domenico Scarlatti fut sans contredit le plus important des composi-
teurs italiens dans l'ordre de la musique instrumentale et surtout de la
Suite. Sa fécondité et son exubérance toute méridionale n'excluent
jamais de ses œuvres l'intérêt musical. Un instinct merveilleux lui
fait même esquisser parfois certaines modifications de forme dont
la réalisation complète devait être assez postérieure. Ainsi, au cours
Cours de composition. — t. ii, i. 9
i^o L'A SUITE
de plusieurs de ses Sonates, sa verve mélodique fait surgir de la ma-
nière la plus inattendue une sorte de second thème^ innovation qui
ne devait atteindre toute sa plénitude que sous la plume de Philippe-
Emmanuel Bach.
Chose curieuse, les oeuvres les plus remarquables de Scarlatti ne
furent point des Suites, et nulle part cependant, mieux que dans ses
pièces isolées, la forme Suite n'apparaît plus clairement et plus logique-
ment établie. Il fut vraiment le créateur le plus intéressant de toute
cette époque italienne, au triple point de vuede la musique enelle-même,
delà forme et de la disposition instrumentale. Ses Sonates, en un seul
mouvement, sont construites en forme binaire^ avec modulation mé-
diane à la dominante ou au relatif ; les thèmes en sont alertes et pleins
d'ingénieuses trouvailles mélodiques. L'écriture, si personnelle et si
spéciale qu'on ne saurait confondre une pièce de Scarlatti avec aucune
autre, offre à l'exécutant des difficultés techniques souvent embarras-
santes, même pour les virtuoses du moderne Concerto.
Les œuvres innombrables de D. Scarlatti (i) ne sont point toutes
connues ; les pianistes s'en tiennent d'ordinaire aux seize pièces arran-
gées ou plutôt dérangées par Hans von Biilow, que l'on ne saurait trop
signaler à la réprobation des vrais musiciens.
Dans son édition des œuvres de Scarlatti, Biilow se permet souvent
de substituer des thèmes et des harmonies de sa façon à la fine et
élégante écriture du maître italien, transformant ainsi le brillant et
léger babillage napolitain en un lourd et indigeste pathos, éminemment
germanique. De tels actes de vandalisme sont d'ailleurs fréquents chez,
les Allemands, et nous en aurons d'autres à signaler dans le courant de
cet ouvrage.
Les principales œuvres de D. Scarlatti consistent en deux recueils
de Sonates pour clavecin, publiés à Venise ; douze Sonates, publiées à
Nuremberg ; quarante-deux Suites pour clavecin ou violon ; enfin,
soixante Sonates, actuellement éditées d'après leur texte original par
la maison Breitkopf.
Ces soixante pièces parurent d'abord en deux livres; le premier, dédié
au roi de Portugal Jean le Juste, fut imprimé en 1721 sous le titre
3o Cappricci per Cembalo^ puis, dans une seconde édition, avec la
mention 3o Esserci^i per Gravicembalo ; le même recueil parut dans
diverses maisons d'Allemagne et des Pays-Bas sous la dénomination
de Le^ioni ou Suites, et enfin, lorsque le second livre, composé pour la
majeure partie en 1780, fut adjoint au premier, les pièces furent inti-
(i) L'abbé Santini comptait dans sa collection trois cent quarante-neut manuscrits de ce
C( mpositeur.
LES ITALIENS
'3'
tulées Sonates ; mais, comme nous l'avons dit, chacune de ces Sonates
ne comporte qu'un seul mouvement, disposition rare à cette époque,
en Italie.
Nous citerons ici, parmi ces Sonates de /orme Suite, celles qui offrent
le plus d'intérêt musical :
8" Sonate ; Sarabande en sol d'un dessin mélodique absolument
séduisant et extrêmement varié, malgré l'accentuation ininterrompue du
rythme. L'inflexion médiane se fait au ton de la dominante, re, avec
repos à la tierce picarde (i) de ce ton, contrairement aux habitudes de
l'époque (2) :
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o* Sonate ; Gigue en ré
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présentant, à la fin de la première partie, une esquisse de second
thème :
(i) On appelait ainsi, au xyiii» siècle, la tierce majeure substituée à celle de la tonique
dans un passage écrit en mode mineur.
(2) On remarquera dans cette Sonate, comme dans la suivante, l'absence, à la clef, du
dernier bémol de la tonalité. Cette disposition persista jusqu'aux dernières années
du xviiie siècle, par analogie avec l'habitude, prise à l'époque du contrepoint vocal, de ne
jamais mentionner l'altération du vu» degré autrement que par un signe accidentel au
courani de la pièce.
l33
LA SUITE
cette disposition, tout à fait inusitée à Tépoque, ne se rencontre pas
encore, même dans la première période de l'histoire de la Sonate.
Le commencement de la seconde partie, au lieu de reproduire le
dessin initial à une autre tonalité, devient ici un développement
rythmique des trois premières notes de ce second thème.
i3* Sonate ; Allemande en sol
contenant aussi un second thème expressif à la dominante
pièce d'allure bien italienne, où chacune des deux parties se termine
sur la formule de cadence si abusivement employée au xix* siècle par
les compositeurs d'opéras italiens et français, qui en ont fait un atroce
lieu commun, tandis qu'elle était ici seulement pimpante et spirituelle.
19^ Sonate ; Gavotte en fa
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extrêmement intéressante par la liberté de sa mélodie qui présente des
LES ITALIENS
n^
séries de périodes construites, non pas symétriquement comme chez
Mozart et ses contemporains, mais tantôt à deux, à quatre et même à
trois mesures, vestiges des rythmes grégoriens disparus au xviii® siècle
pour renaître en nos temps modernes.
29' Sonate ; Allemande en /?£■, avec un second thème fragmenté à la
dominante mnzez/re ; cette disposition, qu'on retrouvera dans les œuvres
de Mozart et même de Beethoven, est sans exemple chez Bach et les
autres contemporains de Scarlatti.
Ce premier recueil se termine par la célèbre fugue dite du chat.
Dans le second livre :
32' Sonate; c'est une Gigue Qn ut, où se trouve réalisée, au lieu de
la forme binaire modulante de la Suite, la structure teniaii-e complète
de la Sonate, telle que nous la trouverons établie chez Corelli et ses
successeurs. Le premier thème
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reparaît intégralement dans la seconde partie, exception des plus rares
dans l'œuvre de Scarlatti, et que nous tenons, pour cette raison même,
à signaler.
34' Sonate ; Burlesca en sol, de rythme constant, mais fort intéres-
sante en dépit de sa monotonie.
38' Sonate ; Gigue en ré,
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sorte d'air de chasse, remarquable surtout par l'oscillation persistante
entre les modes majeur et mineur qui caractérise l'exposition du
second thème ; le mouvement rapide de cette Gigue et les effrayants
soubresauts de la main gauche, obligée de piquer vivement une tonique
au-dessus de la main droite pour retourner immédiatement à la domi-
nante grave, en rendent l'exécution des plus difficiles.
40* Sonate ; Gigue en sol qui ne le cède en rien à la précédente pour
la vivacité d'allure et la liberté de coupe de ses périodes, rythmées
tantôt à trois, tantôt à quatre mesures :
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L\ SUITE
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47* Sonate ; Allemande en l>i, type de la pièce déforme Suite. Nous
en avons donné l'analyse dans la partie technique de ce chapitre (voir
ci-dessus, p. 109 et 1 10).
48* Sonate ; Sai-abande en ré, l'une des plus séduisantes pièces du
recueil. Après une entrée en imitations d'une grande noblesse de style,
vient s'imposer un dessin mélodique qui dominera les deux parties
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et donnera même naissance à un second thème
LES ITALIK.NS
'35
le rôle de celui-ci devient si important que le dessin initial disparaît
définitivement au commencement de la seconde partie et fait place à
un véritable développement rythmique.
5i* Sonate ; Sarabande en s/ b, curieuse par ses modulations inatten-
dues et ses arrêts brusques sur une sorte d'ornement, comme le style
du luth en offre de fréquents exemples.
32" Sonate ; Allemande en si ^, présentant cette particularité que la
modulation médiane s'y opère au relatif mineur.
54' Sonate ; Gigue en fa :
le commencement de la seconde partie donne une altération mélo-
dique du motif initial, tout en conservant le rythme intact :
58* Sonate ; Menuet en sol, avec un développement curieux au
point de vue tonal.
39' Sonate ; Gigue en sol^ présentant une écriture espacée bien par*
ticulière à Scarlatti :
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60* Sonate ; Bourrée en si,
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^z^
136 LA SUITE
pièce bien connue, offrant un véritable second thème au ton relatif:
cette bourrée clôt la série des soixante Sonates ou Esserciii ; elle est
datée du palais d'Aranjuez, 1764, et donne conséquemment au premier
recueil une antériorité de trente ans environ sur les dernières pièces
du second.
En résumé, la Suite de danses italiennes, synthétisée par le style de
D. Scarlatti, a pour caractéristiques : la liberté absolue du rythme
mélodique ; l'usage fréquent du changement de mode sur la même
tonique, usage qui se retrouvera dans la Suite française à l'exclusion
de la Suite allemande ; la répétition de certaines périodes arrivant par-
fois jusqu'à l'effet comique ; enfin, l'emploi bien particulier du croise-
ment des deux mains (souvent dangereux, surtout dans les passages
rapides). Chez les Français, ces croisements sont beaucoup moins
rares que chez Bach et ses contemporains allemands.
II. — LES COMPOSITEURS FRANÇAIS.
Jacques Champion de Chambonnières. 16 10 f 1671
. . . Du Val t65o f 1723
François Couperin 1668 f 1733
Jean Ferry Rebel 1669 f 1747
Jean-Philippe Rameau. . . . . . 1 683 f 1764
Jean- François Dandrieu 1684 f ^74^
Jfan-Marie Leclair 1687 f 1764
Jean-Baptiste Sénaillié 1689 f 1730
Jacques Champion de CHAMBONNIÈRES, issu d'une famille d'orga-
nistes, fut claveciniste de la Chambre de Louis XIV, et maître de
Couperin et de d'Anglebert. On a de lui de fort intéressantes pièces
pour clavecin, en deux livres (1670).
Du VAL fut le premier Français auteur de Suites de danses pour le
violon, intitulées Sonates, conformément à la coutume italienne.
LES FRANÇAIS
n?
Jean Ferry REBEL, né à Paris, l'un des vingt-quatre violons du Roi,
devint, en 1718, compositeur de la Chambre et chef d'orchestre de
l'Opéra; il publia un recueil de douze Sonates pour violon et basse
continue, d'autres pour violon seul, et une Fafttaisie, également pour
violon, qui constitue une Suite véritable, car elle comprend un Grape,
une Chaconne, une Loure et un Tambourin.
Une autre « Fantaisie » intitulée Les Caractères delà Dance(i)et
restée au répertoire de l'Opéra depuis 171 5 jusqu'à 174^, n'est, elle
aussi, qu'une Suite dans le style de l'époque. Toutefois, elle était des-
tinée à être dansée et non jouée au concert. Les morceaux de cette
Fantaisie s'enchaînent tous (2); quelques-uns même ne se terminent
pas, se servant de leur modulation à la dominante pour préparer l'en-
trée de la danse suivante. Bien avant Leclair, Rebel employa sur le
violon les doubles et triples cordes dans ses sonates.
Nous citons ici la Loure des « Caractères de la Dance » comme un
exemple d'alternance des rythmes binaires et ternaires dans la musique
de ce temps ;
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François COUPE RIN, dit le Grcvid, est le plus illustre membre d'une
fan::ille presque exclusivement composée de musiciens, comme celle
des Bach. Nous donnons ci-après le tableau généalogique 'des
membres de la famille Couperin qui se firent connaître dans l'art
musical :
(i) M. Pierre Aubry a publié une intéressante notice historique sur cette Fantaisie dont il
donne la musique en entier.
(2) Les titres des treize pièces dont cette Suite est composée sont les suivantf • Prélude,
Courante, Menuet, Bourrée, Chaconne, Sarabande, Gigue, Rigaudon, Passepied, Gavotte,
Loure, Musette et Sonate.
n» LA SUITE
Charles CoL'PERis
de Chaumes en Brie
\
J I '
Louis François Charles
i628-{-i662 Sieur de Crouiliy 1638 f l'iôg
Organiste de 1631 f 1698 Organiste de SaintGervais.
Saint-Gervais. Organiste de Saint-Gervais. |
I François
Nicolas (.'« Grand)
1680 T 17. j8 166S -j- 1733
Musicien de chambredu comte de Toulouse. Claveciniste de la Chambre du Roi.
Organiste de Saint-Gervais Oiganiste de Saint-Gervais.
Armand- Louis
-!- -S ■ i '
r\ • 1 o'^^^ '^•'' ''j XT . r. Marianne Mauguefute-Antoineits
Organiste de St-Gervais et de Notre-Dame. Organiste Claveciniste
I de l'abbaye de la Chambre
! de Montbrison. du Roi.
PiERRR- Louis Françgis-Gervais
17.. -J- 1789 Organis'.e
de Saint-Gervais,
puis de Saint-Merry,
•{• après 18^3.
François, né à Paris, fut d'abord organiste à l'église Saint-Gervais
en remplacement de son oncle de Crouiliy, puis à la Chapelle du roi
Louis XIV. Ses oeuvres, véritables types du style français de cette
époque, étaient fort estimées de J.-S. Bach, qui, nous l'avons dit, en
avait même copié un certain nombre.
Il publia, outre ses Trios et son Ai-t de loucher le Clavecin (1717),
quatre livres de Pièces pour clavecin, composés de 17 12 à 1727 et
gravés en i7i3, 1716, 1722 et 1730 : chaque livre est divisé en plu-
sieurs Ordres (de ordo : troupe rangée en bataille) qui constituent de
vraies Suites de pièces, écrites dans la m.ême tonalité, mais changeant
parfois de mode sur la même tonique.
Le nombre des pièces contenues dans chacun de ces Ordres est indé-
terminé, il varie de quatre jusqu'à vingt et une (dans le I"" livre); mais,
en les examinant de près, il est facile de s'apercevoir que plusieurs de
ces Ordres sont composés de deux, parfois même de trois Suites dans,
le même ton, dont chacune commence en général par une Allemande
et finit par une Gigue, un Passepied ou une pièce en Rondeau. Ces
Suites pour clavecin se rapportent donc sans contredit au modèle de la
forme Suite dont nous avons étudié les éléments (p. 107 à 118),
puisque, dans chacune d'entre elles, on retrouve l'Allemande (type S),
la Courante et la Sarabande (type L), la pièce modérée (type M), et
enfin la Gigue (type R) ou le Rondeau français qui lui est substitué.
Le caractère de danse est parfaitement conservé dans les pièces de
Couperin. Ainsi que les Ca;;;[o/22 de Maschera, elles portent souvent
des titres de fantaisie plus ou moins burlesques ou difficilement
explicables, comme ; la Ténébreuse, le Bauolet flottant, les Culbutes
ixcxbxnxs^\cs Chinois, les Calotins el Calotines ou la Pièce à trétous;
mais il est facile de rétablir le nom de leur forme véritable : celles
LES FRANÇAIS
'19
que nous venons de citer, par exemple, ne sont rien de moins qu'une
Allemande, un Menuet, uno. G igue, une Loiire et une Gavotte en Rondeau.
Il ne faudrait pas exagérer l'importance de Couperin au point de vue
artistique ; il s'en faut qu'il atteigne dans ses Suites la verve mélodique
d'un Scarlatti ou le charme puissant d'un Rameau ; mais il n'en exerça
pas moins une grande influence sur son époque, au point de vue de
l'écriture du clavecin et des effets qu'il demandait à cet instrument si
monotone par nature.
Dans la préface de son V livre, il énonce le grand principe de
Vexpression, celui qui devrait régir toute la musique moderne : « Le
« clavecin, dit-il, est parfait quant à son étendue et brillant par lui-
« même ; mais comme on ne peut ni enfler ni diminuer les sons, je
« saurai toujours gré à ceux qui, par un art infini soutenu parle goût,
« pourront arriver à rendre cet instrument susceptible d'expression. »
Un peu plus haut il écrit : « L'usage m'a fait connaître que les mains
« vigoureuses et capables d'exécuter ce qu'il y a de plus rapide et de
« plus léger ne sont pas toujours celles qui réussissent le mieux dans les
« pièces tendres et de sentiment, et j'avouerai de bonne foi que j'aime
<( beaucoup mieux ce qui me touche que ce qui me surprend. »
N'est-ce point là la condamnation de beaucoup de virtuoses de
toutes les époques et de tous les pays ?
Il faut connaître cependant certaines pièces de Couperin qui méritent
d'être signalées, notamment :
1er YiYre : Les Papillons, Passepied qui termine la troisième Suite
:ontenue dans le 2* Ordre.
La première Courante, en ut, dans le 3* Ordre, qui est si curieuse-
ment rythmée tantôt à deux, tantôt à trois, et dont nous donnons ci-
dessous les mesures initiales :
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I40 LA SUITE
IP livre : Les Moissonneurs, vrai type du Rondeau français, en si t>, à
trois Couplets et quatre Refrains ; cette pièce commence le 6^ Ordre.
IIP livre : Sœur Monique, Gigue en Rondeau, en fa; i8* Ordre.
Dans le IV* livre, qui est le plus intéressant :
La petite pince saiis rire, Passepied en 772/ ; 21' Ordre.
UArlequine, Passepied en fa ; 23' Ordre.
Enfin, dans le 26* Ordre, cette charmante Épineuse, lente Gavotte en
/as, en forme de Rondeau à quatre Couplets et cinq Refrains dont nous
avons donné ci-dessus l'analyse (p. 1 15 et 1 16) à titre de modèle.
Jean-François DANDRIEU, organiste, mort à Paris, laissa trois livres
de pièces pour clavecin et un livre d'orgue.
Jean-Philippe RAMEAU. Pour la seconde fois, nous rencontrons le
nom de ce grand musicien français ( i ) et nous le retrouverons à sa vraie
place dans le Troisième Livre de ce Cours, lorsque nous traiterons
du genre dramatique ; c'est alors que nous donnerons en détail l'his-
toire de sa vie et de sa carrière.
Bornons-nous à rappeler ici qu'avant de devenir l'un des plus grands
auteurs dramatiques de l'histoire musicale, Rameau fut longtemps orga-
niste à Paris, à Lille, à Glermont-Ferrand, et qu'il revint enfin, en 1 72 1 ,
dans la capitale, pour occuper les mêmes fonctions à l'église Sainte-
Croix de la Bretonnerie. C'est seulement vers sa cinquantième année
qu'il aborda le drame musical, où il devait atteindre la plus haute
expression de son génie. Entre 1704 et 1733, année où il commença
son premier opéra, il écrivit ses pièces de clavecin et de Musique de
Chambre.
Son œuvre pour clavecin, la seule qui nous occupe dans ce chapitre,
consiste en trois livres.
Le premier (1706), mxhwXé Premier livre de Pièces de Clavecin com-
posées par M. Rameau, organiste des RR. PP. Jésuites de la î'ue
Saint-Jacques, etc., contient dix pièces; le second (1724), Pièces de
Clavessin avec une méthode pour la méchanique des doigts, en compte
vingt et une; le troisième enfin (1736) porte le titre Nouvelles Suites de
Pièces de Clavecin avec des remarques sur les différents genres de
musique, et comprend seize morceaux.
On ne peut douter que ces ouvrages ne soient, comme les Ordres de
Couperin, des recueils de Suites dans la réelle acception du terme,
malgré la présence de quelques pièces isolées qui pourraient dérouter
ceux qui ne sont point familiers avec les usages des auteurs du
xvni* siècle ; il ne faut pas oublier que ceux-ci avaient coutume de pro-
(i) Voir 1" liv., p. i35.
LES FRANÇAIS 141
fîter de la publication d'une œuvre d'ensemble pour y glisser des com-
positions n'ayant aucun rapport avec elle : témoin, les livres de
Sonates de Ph.-Emm. Bach (voir ci-après, chap. m), et certaines
publications de Mozart. Au reste, le titre même du dernier livre doit
ôter toute hésitation à cet égard.
Le I" livre peut se diviser en deux Suites, toutes deux en la ; dans le
IP livre, on compte facilement quatre Suites, deux en m/, une en RÉ,
la dernière en ré, plus deux pièces isolées ; le III" livre contient deux
Suites, en la et en sol, presque exclusivement composées de Menuets,
plus quelques pièces isolées. Dans chacune des six premières Suites, il
n'y a que quatre pièces, simples ou doubles ; dans les deux dernières, il
y en a jusqu'à sept. De même que Couperin et la plupart des Français
de son temps, Rameau donne à ses pièces de clavecin des titres fan-
taisistes.
Nous allons indiquer sommairement les particularités les plus inté-
ressantes de ces recueils.
Plusieurs de ces danses furent replacées plus tard par l'auteur dans
ses ouvrages dramatiques ; c'est ainsi qu'un rôle scénique important est
dévolu dans Dar^danus a. la Bourrée dite Les Niais de Sologne {11^ livre),
et que le Rigaudon intitulé Les Sauvages (III^ livre) figure dans les Indes
galantes.
Rameau ne s'astreint pas toujours à commencer par une Allemande
ni à terminer par une Gigue ; ses Suites sont cependant d'un très grand
intérêt, non seulement par le choix des thèmes de danses qui y sont
employés, mais encore par la structure des pièces présentant parfois
des essais de formes nouvelles ; l'adaptation de la forme Rondeau aux
danses usuelles y est extrêmement fréquente : dix-sept pièces sur qua-
rante et une affectent cette forme.
IP livre (1724). La Villageoise (i); Bourrée en Rondeau à trois
refrains, différant du Rondeau normal, en ce que chacun des deux
couplets aboutit à une fausse rentrée du Refrain dans le ton du Couplet,
avant le Refrain lui-même.
La 6* Suite, en ré, est à analyser tout entière, elle comprend :
1° l'Entretien des Muses (2), Sarabande en ré, dont nous avons cité ci-
dessus toute la première partie (p. 112) comme type de morceau lent. Ses
dessins mélodiques, d'un charmesi pénétrant, ne seraient point indignes
de D. Scarlatti, ni peut-être même de J -S. Bach.
2*^ les Tourbillons (3), Gavotte en Rondeau, en ré, à trois Refrains.
(i) Le texte intégral des livres de clavecin de Rameau a été publié par la maison Durand
€t fils ; la pagination ici indiquée se rapporte à celte édition : Éd. Durand, p. 33.
{2) Ed. Durand, p. 50.
(3) Ibid., p. 52.
143 LA SUITE
3° les Cyclopes {\), Bourrée en Rondeau, en re, d'une forme tout h
fait originale assez rare à l'époque. Le Refrain, très long, ayant
pour thème le dessin initial,
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:^ ^ rrn , .i
f — r
est composé de trois périodes, dont la troisième est répétée ; puis,
vient un premier couplet modulant en /.^i, suivi immédiatement du
deuxième Refrain qui s'enchaîne à un développement, aboutissant
à un repos au ton de la dominante ; enfin, le troisième Refrain, de tous
points identique au premier, termine la pièce, dont l'écriture rappelle
par ses croisements celle de Scarlatti.
4° le LLwdon (2), Menuet court, en RÉ^ suivi de la Boiteuse^ en ré, qui
lui sert de Second Menuet.
Dans le IIP livre (1706), il faut lire les Trois Mains (3), Menuet
"d'écriture croisée, extrêmement curieux, et V Enharmonique (4), qui
présente d'originales successions de tonalités.
Jean-Baptiste SÉNAILLIÉ publia cinq livres de Sonates de violon
affectant naturellement la forme Suite, et assez estimées de son temps;
elles sont généralement divisées ainsi : i** Introduction large ou en
forme d'Allemande; 2° Courante; 3° Air ou Largo; 4° Gigue ou
parfois un autre morceau vif de rythme binaire.
Jean-Marie LECLAIR, l'un des plus célèbres violonistes français,
abandonna au bout de peu de temps ses diverses fonctions à la cour ou
à l'Opéra pour se consacrer à l'étude de son instrument et à la com-
position musicale, et mourut en 1724, assassiné à la porte de sa
maison.
Il écrivit quarante-huit Sonates pour violon, en trois livres de seize
Sonates chacun, mais de valeur très inégale. Dans le IP livre, il fait
presque constamment usage de la double corde dans les positions les
plus difficiles. Le IIP livre, composé, dit-on, après un séjour auprès de
Locatelli, est le plus remarquable et contient des pièces d'un réel
intérêt.
(i) Éd. Durand, p. 54.
(i) Ibid.^ p. 5o. Ce Menuet a servi de thème à M. i'aul Dukas pour ses VanalionSy
Interlude et Finale.
(3) Éd. Durand, p. G;.
(4) ^^"i-, P- 94'
LES ALLEMANDS
12. LES COMPOSITEURS ALLEMANDS
M-
DiETRicH Becker i554-|-
JoHANN Hermann Schein. . . . I 586 f
Samuel Scheidt 1687 -j-
Clamor Heinrich Abel 16. . -j-
Heinrich Johann von Bip.er. . . . 1644 f
Johann Kuhnau 1660 -j-
Georg Friedrich Haendel. . . . i685 -{-
Johann Sébastian Bach .... i685 f
6. .
63o
734
6. .
704
722
759
750
Dietrich BECKER, de Nuremberg, étudia à Venise sous Andréa
Gabrieli. Son style pourrais servir de trait d'union entre l'art contra-
pontique des Gabrieli et celui des Corelli et des Kuhnau.
Becker laissa deux recueils publiés à Hambourg, en 1668 : l'un, de
Sonates pour violon en forme Suite ; l'autre, de pièces instrumentales
avec basse continue, sous le titre Musikalische Friihlings-Fruchte. Ces
publications furent très répandues en Allemagne, où elles contribuèrent
efficacement à l'éducation des compositeurs.
Johann Hermann SCHEIN, Saxon, étudia le droit à l'Université de
Leipzig, puis embrassa la carrière musicale et devint finalement cantor
de l'école Saint-Thomas de Leipzig, en j 616.
Il publia, en 161 7, un Banchetto 77iusicale newei^ anmiithige)^ Padoanen
Gagliarden^ etc., comprenant vingt Suites de cinq danses chacune, pour
la plupart ainsi disposées : 1° Pavane, 2° Gaillarde, 3** Courante,
4° Allemande, 6° Tinpla (Gigue). Ces Suites sont à quatre et cinq voix.
Samuel SCHEIDT, né à Halle, apprit la musique à Amsterdam sous
la direction de Sweelinck, et devint par la suite maître de chapelle du
Margrave de Brandebourg, à Halle, où il mourut.
Outre de nombreuses œuvres d'orgue, Scheidt laissa deux livres de
Liidi musici (162 1-1622), recueils de Paduanen, Gagliarden, Alle-
mande, Can^onen iind Intraden, à quatre, cinq, six et sept voix
Clamor Heinrich ABEL, Concertmeister de la cour de Hanovre, écrivit
trois livres de Suites instrumentales (.4//ewa«^(?, Courante, Sarabande
et Gigue), publiés de 1674 à 1687, sous le titre Erstlingc musikalischer
Bliimen et réimprimés en 1687 sous le nom Opéra tnusica.
Heinrich Johann von BIBER, violoniste, né en Bohème, mourut à Salz-
bourg, où il occupait le poste de maître de chapelle de l'archevêque,
après avoir séjourné à la cour de Bavière.
On connaît de lui, outre six Sonates pour violon (16S1) qui sont
,44 LA SUITE
d'un grand intérêt pour l'étude de cet instrument, deux autres Sonates
ou Suites instrumentales, publiées en 1676 avec la singulière mention:
tam avis quant au lis ser-vientes (i).
Johann KUHNAU, l'un des plus importants compositeurs allemands
de l'époque antérieure à Bach, né à Neu-Geysing (Saxe), ne fut pas
seulement un musicien, mais un profond érudit, versé dans la connais-
sance du grec et de l'hébreu. Reçu avocat à l'Université de Leipzig, il
exerça longtemps cette fonction conjointement avec celle de cantor
de l'école Saint-Thomas, poste auquel il avait été appelé en rempla-
cement de Kuhnel, en l'année 1684; il devint, en 1700, directeur de
la musique de l'Université.
Esprit chercheur et inventif, Kuhnau laissa dans tous les genres un
grand nombre d'ouvrages, parmi lesquels il faut citer son Traité de
Composition encore manuscrit, et le roman intitulé le Chat^làtan musical
{der musikalische Quacksalber), publié en 1700 et contenant la critique
des musiciens italiens de son époque.
Kuhnau fut le premier qui osa écrire des Sonates de Chambre pour
clavecin seul, le titre de Sonate étant jusqu'alors, en Allemagne, exclu-
sivement réservé aux œuvres pour violon, conformément à son étymo-
logie. Il composa environ vingt-sept Suites ou Sonates (2): celles qu'il
intitule Biblischen Historien (1700) seront examinées dans la Seconde
Partie du présent Livre à titre d'origines du Poème Symphonique, et
l'on verra ci-après (chap. m) les sept Sonates rassemblées sous la
dénomination de Frische Klavier Frilchte (1696) ; les seules que nous
ayons à retenir ici sont les quatorze Suites en deux livres, publiées
sous le titre Neue Klavier Uebung.
Le P"" livre, paru en 1689, contient sept Suites ou Partien^ dans
tous les tons majeurs employés sur le clavicorde, c'est-à-dire UT, ré,
MI, FA, SOL, LA, SI t> ; chaque Partita est divisée en Prélude (le plus
souvent suivi d'une Fugue), Allemande, Couinante, Sarabande et Gigue.
Le II* livre, qui est le plus remarquable, fut gravé en 1692 et édité
à nouveau en 1695, 1708 et 1726. Il consiste en sept Suites dans les
tons mineurs, suivies d'une Sonate en si i> très appréciée à son époque.
(i) Nous devons mentionner ici, à son rang chronologique, Henry Purcell (i658 f lôgS),
organiste de l'abbaye de Westminster depuis 1680. Cet Anglais, le seul qui mérite d'être cité
dans cette période de l'histoire de la Suite, fut surtout compositeur de théâtre ; on connaît
de lui, cependant, douze Sonates pour deux violons et basse continue (168 3), plus huit Suites
pour instruments à clavier, parues sous le titre Lessons foi- the Harpsichord or Spinnet
et imprimées en 1696. Elles sont toutes parfaitement construites, et l'une d'elles notamment,
la 5« en UT, est composée de huit pièces que l'auteur intitule Prélude, Almand, Courante,
Saraband, Cebell (Gavotte), Minuel, RiggaJ.oon, Mardi.
(2) Les oeuvres complète» pour clavecin de Kuhnau ont été éditées d'après leur texte
original dans les Denkmdler Deutsclier Tonkunst (Breiikopf et Hârtel, 1901).
LES ALLEMANDS
'45
Le Prélude de la i'« Suite, en ut, est tout à fait séduisant par la forme
soignée de ses contours mélodiques et l'élégance de son style presque
identique à celui de J.-S. Bach. Il paraît du reste fort probable que Bach
avait attentivement étudié les œuvres de son prédécesseur à l'école Saint-
Thomas. Ce Prélude est en deux parties; l'une, agogique, débute ainsi :
La seconde est d'un mouvement plus calme, quoique son dessin prin-
cipal et son rythme soient tirés de la première ; nous donnons ici tout
le commencement de cette seconde partie, afin d'en mieux montrer
l'analogie avec certaines pièces de Bach :
■,mj@i.
Cours du comiosition. — t. ii.
146 LA SUITE
La 7* Suite, en si, est également pleine d'intérêt, depuis le Pt^éîude
rempli d'une gaîté « bon enfant » jusqu'à la charmante Gavotte que
nous reproduisons ici tout entière : .
Gavotte
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On peut donc dire de Kuhnau qu*il fixa, en Allemagne, l'ordre des
pièces de la Suite (i).
Georg Friedrich H/ENDEL, né â Halle, fils d'un barbier de la cour,
commença par s'établir à Hambourg où il se lia, puis se brouilla avec
Mattheson, et composa de nombreux opéras. De 1707 à 1710, il voyagea
en Italie, puis se rendit à Hanovre et de là à Londres, où il se fixa défi-
(i) Dans une Cantate écrite en l'honneur de l'électeur Johann-Georg, vainqueur des Turcs
(1G83), Kuhnau employa aussi pour la première fois, croyons-nous, un procédé d'expression
repris, il y a quelque trente ans, par le compositeur flamand Peter Benoît : il faisait arriver
successivement, par les diverses rues qui donnaient sur la place centrale de la ville, des
groupes chantants qui s'unissaient ensuite en un ensemble grandiose.
LES ALLEMANDS 1^7
nitivement en qualité de directeur des Académies musicales et de plu-
sieurs théâtres d'Opéra.
Son bagage symphonique se compose de douze Sonates pour violon ou
flûte avec basse continue ; treize Sonates pour deux hautbois ou violons
avec basse continue et dix-huit Suites de danses pour le Clavecin, en
deux livres, œuvre où l'on reconnaît l'influence de Kuhnau, auquel il
ne craint pas d'emprunter des passages entiers reproduits textuel-
lement, sans même chercher à pallier le plagiat.
Johann Sébastian BACH (voir ci-dessus, p. 76 et suiv.). Bien que les
Suites de Bach ne puissent être classées parmi ses œuvres les plus
géniales, on peut néanmoins dire qu'il porta la forme Suite à son plus
haut degré de perfection ; il fut le dernier et le plus complet des com-
positeurs de Suites, car, après sa mort, c'est-à-dire vers le milieu du
xviii' siècle, cette forme disparut complètement pour faire place peu
à peu à la Sonate.
Bach écrivit environ vingt-cinq œuvres affectant nettement la forme
Suite.
Les premières remontent à l'époque de Cœthen, où, n'ayant pas
d'orgue à sa disposition, il écrivait pour d'autres instruments, et
plus spécialement pour le clavecin ; on les nomme Suites françaises,
bien que cette dénomination ne leur ait point été attribuée par leur
auteur.
Les Suites françaises sont au nombre de six, comprenant chacune six
ou septpièces, sauf la première qui n'en compte que quatre et la dernière
qui en a huit; toutes commencent par une Allemande et se terminent
par une Gigue.
La plus remarquable est la sixième, en .u/, divisée en Allemande,
Courante, Sarabande, Gavotte, Polonaise, Bourrée, Menuet, Gigue, le
tout sur la même tonique, sans changement de mode.
Ces Suites datent de 1721 et 1722.
Les six Suites dites anglaises sont d'une époque postérieure; on y voit
apparaître, comme dans les Suites de Kuhnau, le Prélude qui, fort court
dans la première, devient très développé dans les cinq autres, affectant
même, dans la sixième, la coupe de l'Ouverture française du xvii* siàcle,
Andante et Allegro (i).
A part la première, ces Suites sont toutes composées de six pièces ;
la troisième, en sol, esta étudier particulièrement ; elle comprend :
r un Prélude type, modulant aux tonalités de la Fugue, sans retour
au thème initial dans la tonalité principale;
(i) Voir 11 Seconde Partie du présent Livre.
148
LA SUITE
2° une Allemande, courte relativement à la longueur du Prélude ;
3° une Courante ;
4° une Sarabande intéressante,
^
^
rjj. n
^
^
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r
r 'r
r
'/ui'it j ^J-
3g:
r=
r^
=T
dans laquelle le retour à la tonalité est effectué à l'aide d'une modula-
tion enharmonique :
Sa disposition est assez exceptionnelle dans les pièces de clavecin de
l'époque ; cette Sarabande est suivie d'un Double^ où la mélodie est
présentée avec d'innombrables « agréments » ;
5° une Gavotte très connue (suivie de sa Musette) :
f.rtfirrrr^r
6" une Gigue h. 12/8, dont la seconde partie présente le thème ren-
versé, ce qui est assez fréquent dans les gigues de Bach.
Nous arrivons maintenant aux six Partitas que le maître grava lui-
même et qui sont certainement les plus remarquables de toutes ses
Suites. Elles datent de l'année lySi et forment la première partie du
recueil intitulé Clavierlibung.
La I" Partita^ en si ;?, se clôt par la curieuse Gigue que nous avons
donnée comme exemple de cette forme (voir ci-dessus, p. 1 17).
La 2" Partita, en ut, s'ouvre par une Sinfonia en forme d'Ouverture
française et contient, de plus, un Rondeau exactement conforme au type
si fréquemment employé par Gouperin et Rameau.
LES ALLEMANDS
•49
La 4* Partita est en RE et commence également par une longue
Ouverture.
Cette œuvre est, par l'indéniable beauté de ses thèmes, la plus
remarquable du recueil : toutes ses pièces paraissent construites sur un
même schème mélodique, disposition à peu près sans exemple dans le
genre de la Suite.
V Allemande, qui suit l'Ouverture, présente une de ces longues phrases
comme le maître de la Mattheus-Passion, seul, sut en créer. L'admi-
rable mélodie s'impose d'abord en une ligne simple, mais éminem-
ment expressive :
Allemande
^
^
irr^rtn
ft'-'SjjjH^^
^
T'
î
r
^^nm rv.. ^ f^
puis elle monte, monte toujours, en s'adornant au passage de volutes
exquises comme celles des alléluia grégoriens, et cette ascension dure
vingt-cinq mesures, sans que léchant cesse un instant d'être expressir
sans que l'intérêt faiblisse une seconde, jusqu'au repos à la dominante
si glorieusement conquis 1 La seconde partie, qui compte trente-deux
mesures, ne le cède en rien à la première et gagne majestueusement le
repos de la tonique, sans redescendre des hauteurs célestes oij plane
depuis le début Tangélique mélodie.
Voilà de l'art pur, voilà de la vraie beauté !
Une grave Courante, une douce Aria, une Sarabande délicieusement
ornée, un Menuet et une alerte Gigue complètent cet admirable monu-
ment dominant de cent coudées le niveau ordinaire de l'ancienne Suite
de danses.
La 5" Partita^ en SOL, qui s'ouvre sur un Prceambulum^ contient un
Menuet qui semble chercher tout le temps son véritable rythme, pour ne
le trouver qu'aux cadences et le perdre ensuite jusqu'à la cadence
piuchaine.
150
LA SUITE
Voici les quatre premières mesures de ce morceau :
Menuet
';vJ^-;7Jv 4::=^i
La 6^ et dernière Partita est aussi d'une fort grande beauté. Elle
commence par un véritable chef-d'œuvre intitulé Toccata, qui mérite
une étude particulière.
C'est d'abord un imposant Prélude en ;;/; (i) :
plein de fantaisie et coupé par une charmante phrase mélodique repa-
raissant en partie dans la Fugue qui suit. Les dernières notes de la
cadence tonale de ce prélude servent, en effet, d'entrée thématique à une
Fugue, dont le sujet n'est pas sans analogie avec celui du Prélude^
Choral et Fugue de G. Franck (voir ci-dessus, p. 97).
Cette Fugue, une des plus régulières que Bach ait écrites, a du reste
été analysée en détail au chapitre précédent (p. 58 et 59).
Des six autres morceaux qui composent cette belle Partita, il faut
encore retenir la Courante aux charmantes modulations, VAria d'une
religieuse simplicité et la Gigue dont la seconde partie est le renverse-
ment de la première.
Après Bach, la forme Suite fut complètement délaissée. Quelques
musiciens du xix* siècle, Franz Lachner et Jules Massenet, entre autres,
tentèrent cependant, dans leurs Suites pour orchestre, de faire revivre
ce titre ; mais, en dehors du titre, rien dans la structure ni dans le
(i) Le manuscrit autographe de Bach porte pour ce dessin initial, sept triples croches
égales ; on ne sait pourquoi ce texte a été altéré dans la plupart des éditions.
LES ALLEMANDS I5«
Style de ces pièces symphoniques, éminemment fantaisistes pourla plu-
part, ne rappelle en quelque manière l'ancienne Suite française, alle-
mande ou italienne.
Seul, Alexis de CASTILLON écrivit, vers i87i,deux Suites pour pianoy
qu'on pourrait rattacher aux types que nous venons d'examiner, si la
plupart de leurs pièces, fort intéressantes par leur écriture, n'avaient
une coupe totalement différente de la forme binaire traditionnelle dans
la vieille Suite instrumentale.
Le type spécial de la Suite proprement dite a donc disparu pour
jamais, croyons-nous. Mais, pareille à la tradition toujours renouvelée
sans cesser d'être elle-même, la Suite défunte est encore vivante dans
sa fille aînée, la Sonate, devenue à son tour la mère féconde de presque
toutes les formes symphoniques contemporaines.
LA SONATE
PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
Technique. — i. Définitions. — î. Origines de la Sonate : formation du type ternaire ; ré-
duction du nombre des mouvements, — 3. Le mouvement initial : type S. — 4. Le mou-
vement lent; la forme Lied: type L. — 5. Le mouvement modéré ; le Menuet : type M.
— 6. Le mouvement rapide ; le Rondeau : type R. — 7. Etat de la Sonate avant Beetho-
ven : le cycle ; le style ; la forme.
Historique. — 8. Divisions de l'histoire de la Sonate pré-beethovénienne. — 9. La Sonate
italienne.— 10. La Sonate allemande primitive. — 11. La Sonate diihématique. — 12.
Les prédécesseurs de Beethoven.
TECHNIQUE
I. — DÉFINITIONS.
La Sonate consiste en une série de trois ou quatre pièces destinées
à un instrument à clavier, jouant seul ou accompagnant un seul ins-
trument récitant (i) ; ces pièces, reliées entre elles, comme celles de
la Suite, par l'ordre logique des mouvements et la parenté tonale,
en diffèrent par la construction ternaire spéciale, qui apparaît dans
la plupart d'entre elles, et surtout dans la pièce initiale.
Cette coupe ternaire, qui caractérise le morceau de So)iate par excel-
( ) On a vu ci-dessus (note de la page 10')) que, dans son acception étymologique, bien
différente de celle-ci, le mot Sonata était appliqué exclusivement à des œuvres pour instru-
ments à archet : aujourd'hui, au contraire, l'instrument à archet (violon, alto, violoncelle)
n'intervient dans la Sonate qu'a titre concertant, ni plus, ni moins qu'un instrumenta vent
(flûte, cor, etc. ; et c'est l'instrument à clavier (piano ou orgue) qui, seul, y est toujours
employé. Dès 1692, Kuhnau publiait une Sonate pour clavecin (voir ci-après, p. 18S); en
Italie, Pescetti faisait de même en 1739 (voir p. i83) ; Marpurg ( oir ci-dessus, p. 94), dans
ses Descriptions de pièces pour Clavecin, publiées en 1762, c'est-à-dire à une époque où la
forme Sonate était à peine dégagée de la (orme Suite, ne se préoccupa t déjà plus de a
catégorie d'instruments pour laquelle était écrite la composition dite Sonate, qu'il défi-
nissait ainsi : « Une pièce en trois ou quatre mouvements intitulés Allegro, Adagio, Presto,
quoique leur caractère soit celui de l'Allemande, de la Courante et de la Gigue. ■> Kt
il ajoutait cette remarque : « Quand le mouvement du milieu est lent, il n'est pas toujours
dans le ton principal. »
154 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
lence, consiste dans sa division en trois parties, dont la première et la
dernière^ symétriques l'une de l'autre, contiennent immuablement
l'exposition et la réexposition du ou des thèmes, tandis que la seconde^
contrastant surtout par sa forme et son état tonal, revêt une infinité
d'aspects différents, suivant l'époque ou le style de la pièce et surtout
suivant son mouvement. En effet, la forme ternaire des mouve-
ments lents (type L), des mouvements modérés (type M) et des mou-
vements rapides (type R) n'est point identique à celle du mouvement
initial qui synthétise plus particulièrement le type Sonate (S). Mais,
quelque différente que soit la coupe traditionnelle de chacun de ces
types, elle a pour caractéristique commune et presque constante le
retour au thème initial^ après une sorte de digression médiane : dévelop-
pement dans le type Sonate arrivé à sâ perfection {i), section centrale
dans le type du morceau lent {Lied), trio dans le mouvement modéré
{Menuet, Scherzo), couplet dans le Rondeau, etc.
On ne saurait trop insister sur cette prépondérance du régime ter-
naire, qui fait de la Sonate un type stable, souple et fécond, supplan-
tant rapidement le type binaire et transitoire de la Suite, tandis que la
Fugue, unitaire, demeure dans son inféconde fixité. On découvrirait
sans peine de nombreuses analogies entre le processus créateur du génie
humain, dans ses mille réalisations, et les progrès de la composition
instrumentale, passant de Y unité stérile à la puissante îrinité, par l'in-
termédiaire obligé de la dualité, plus ou moins incomplète et instable.
L'ordre des trois dimensions géométriques : ligne, aire, volume ;
l'évolution des formes élémentaires architecturales, partant du 7nur
droit, unitaire, pour s'élever à la ligne brisée du fronton, binaire, et de
là à la voûte, image frappante du ternaire symphonique, avec symétrie
de ses deux p'ûiers-expositions et souplesse infinie dans le développe-
ment de sa courbe médiane;... tant d'autres exemples, enfin, pour-
raient ici trouver leur place, sans parler des comparaisons, bien autre-
ment saisissantes, que nous offrirait le domaine occulte ou métaphy-
sique.
2. ORIGINES DE LA SONATE. FORMATION DU TYPE TERNAIRE. RÉDUCTION DU
NOMBRE DES MOUVEMENTS.
En étudiant les origines de la Suite (chap. ii, p. 102 et suiv.), nous
avons constaté que le nom de Sonata, Sonate (œuvre pour violon ou
instrument à archet), par opposition à Toccata {cenwe pour instrunxent
à clavier) et à Cantata (œuvre pour la voix), se référait au choix de Tins-
(i) L'étude du développement proprement dit ne sera faite qu'au chapitre suivant, à propos
de \a Sonate de Beethoven.
ORIGINES ,55
trument exécutant, et nullement à la forme de la composition exécutée.
Cette acception étymologique est aujourd'hui tellement oubliée dans
la pratique qu'il serait à la fois inutile et pédant de la remettre en
«sage.
A tort ou à raison, on est d'accord en général pour donner le nom
de 5o;/(i/6' à une certaine /orme de composition, sans se préoccuper de
savoir si l'instrument auquel elle est destinée se joue à l'aide d'un archet
ou de touches. Aussi, la définition qui vient d'être énoncée est-elle,
sinon unanimement acceptée, du moins plus précise et plus apte que
toute autre à réunir utilement sous un même vocable des œuvres
musicales réellement apparentées les unes aux autres par l'identité de
leurs caractères primordiaux.
Entre la Sonate et la Suite, il n'y a donc pas, à proprement parler,
de différence d'origine : tout ce que nous avons dit à propos des an-
ciennes chansons à danser transcrites pour instruments (p. 102), de
l'apparition de la forme binaire {p. 104) et du groupement des pièces
{p. 106) peut s'entendre historiquement aussi bien de la Sonate que de la
Suite^ puisque ces deux appellations ont été indistinctement appliquées
par divers auteurs à des compositions de même forme.
Il importe seulement de déterminer, au point de vue technique^ à
quels signes on peut reconnaître, parmi ces compositions, celles qui
devaient transmettre à la Sonate proprement dite les deux caractères
distinctifs qu'elle a conservés depuis : le moindre nombre de pièces et
la structure spéciale de celles-ci.
Mais, de ces deux caractères, le dernier seul, la construction ternaire,
suffit par lui-même à différencier sûrement la Sonate de la Suite : c'est
pourquoi nous rechercherons d'abord, dans le type binaire de la Suite,
les traces les plus lointaines et peut-être les moins apparentes de cette
modification lente qui devait aboutir au bel équilibre ternaire de la
forme Sonate.
r Le type ternaire. — La caractéristique du type Suite étant, par
définition, « une double modification progressive de sa tonalité dans
deux sens différents et opposés » (chap. 11, p. loi), on est fondé à re-
connaître le premier symptôme de sa transformation dans l'apparition
du premier obstacle, si faible qu'il put paraître, qui fit dévier ce par-
cours tonal jusqu'alors immuable. Cet obstacle, né sans doute d'un
besoin de symétrie plus impérieux chez quelques musiciens, se révèle
sous la forme toute simple du dessin initial exposé à nouveau, dans
sa tonalité, un peu avant la fin de la seconde moitié du morceau de
coupe binaire.
Il peut paraître puérile de faire consister la dijj'érence spécifique de la
156 LA SONATE PRÉ-BEETHOVENIENNE
Sonate dans ce retour conclusif du dessin initial à la tonalité du début.
Si pourtant certains morceaux, qui sembleraient par leur aspect géné-
ral, leur style, leur longueur, leur cadence médiane avec reprise, con-
formes en tout point au type Suite, constituent, à notre sens, de véri-
tables types Sonates, c'est uniquement en raison de la présence, parfois
à peine perceptible, de leur dessin initial, datis le ton, avant la fin. Car
cette rentrée rudimentaire d'un dessin, qui ne mérite même pas le
nom de thème, devait suffire à renverser bientôt tout l'équilibre de la
forme Suite. Et, puisqu'une aussi petite cause put entraîner de telles
conséquences, il est permis d'en conclure que la stabilité de la coupe
binaire n'était point excellente.
Cette rentrée, si vague qu'elle fût, comportait nécessairement la per-
manence de la tonalité principale depuis le début du dessin réexposé
Jusqu'à la fin. Ainsi se trouvait suspendue, par le retour prématuré à
la tonique, avant la conclusion du morceau, la progression modulante
continue, qui devait occuper toute la seconde partie de la forme Suite.
Dans cette seconde partie apparaissaient donc deux phases tonales
distinctes : l'une en mouvement, l'autre en état d'immobilité. Et l'on
ne tarde pas à voir chacune de ces deux phases prendre une impor-
tance telle, que la dernière, commençant à la réexposition du dessin
initial, égale en durée, à elle seule, toute la première partie du morceau,
dont elle reproduit pr-esque tous les éléments, mais avec une orienta-
tion tonale différente, c'est-à-dire conclusse, au lieu d'être suspensive.
On ne peut se défendre de reconnaître ici une manifestation nou-
velle des éternelles lois du Rythme : de même que l'allongement et la
modification de la thésis, du temps lourd, du temps en chute, en régres-
sion, nous donna naguère la transformation logique du rythme binaire
en rythme ternaire (i), ainsi la légère modification tonale de la seconde
partie, dans la forme Suite, devait entraîner l'allongement et la scission
de cette sorte de thésis ou de temps lourd, contenant en germe tout le
ternaire grandiose de la forme Sonate.
Telle est Torigine de cette forme, au point de vue de la structure
typique de sa pièce principale.
2° Les quatre mouvements. — On a signalé déjà (chap. 11, p. 106) la
tendance très ancienne du mot Sonate à s'éloigner de son acception ita-
lienne impliquant Temploi de l'archet comme agent sonore, pour
devenir peu à peu l'appellation spéciale des groupements réduits à un
seul spécimen de chacun des quatre types de mouvements (S. L. M. R.)
du genre Suite.
(1) Voir 1*' liv , p. a5.
LE MOUVEMENT INITIAL fS) 157
Ce changement de signification n'aurait, à vrai dire, qu'un intérêt
philologique, s'il n'avait entraîné assez rapidement un changement
corrélatif dans le caractère des pièces ainsi groupées sous le nom de
Souates.
En effet, ces véritables Suites restreintes, dites proprement Sonates,
débutent ordinairement par une introduction lente ; les quatre mou-
vements typiques qui les constituent abandonnent de plus en plus les
titres des anciennes danses, pour les remplacer par l'indication d'un
sentiment expressif d'ordre rythmique (i) comme : Allegro (gaîment)
au lieu d'Allemande ; Adagio (en marchant doucement, à l'aise) au lieu
de Sarabande. Courante, etc. ; Vivace ou Presto (vivement) au lieu de
Gigue, etc.
Ces désignations nouvelles plus abstraites ne tardent pas à réagir
sur la musique, en la libérant du souvenir même de la danse. Ainsi,
les quatre mouvements de la Suite restreinte, qualifiée déjà Sonate et
véritablement apte à le devenir, s'affranchiront d'autant plus de toute
attache avec les attitudes plastiques du corps humain, qu'ils s'élè-
veront plus haut dans le domaine symphonique de la musique pure.
Antérieure dans l'ordre chronologique, cette modification générique
doit néanmoins passer après la modification individuelle du type, au
point de vue technique, caria forme ternaire eût suffi, à elle seule,
pour constituer un type nouveau ; tandis; que le nombre naguère illi-
mité des pièces de la Suite, quelque restreint qu'il pût devenir, n'aurait
)amais servi qu'à différencier entre eux certains représentants d'un type
demeuré unique par la constance de son mode de construction.
Si donc l'évolution de la Suite vers la Sonate atteint le cycle de pièces
avant de réformer leur type ; si elle se manifeste dans le sens de Ves-
pèce avant d'apparaître dans l'individu, ce n'en est pas moins la mo-
dification organique de celui-ci qui doit être considérée comme la
principale. C'est pourquoi, nous avons montré en premier lieu, dans
les origines de la Sonate, l'élimination du régime binaire de l'ancienne
Suite, au profit du régime ternaire, dont nous allons étudier maintenant
l'adaptation particulière et progressive à chacun des quatre ly^p^s do.
mouvements (S. L. M. R.).
3. LE MOUVEMENT INITIAL. TYPE S.
La pièce initiale de la Sonate, issue de l'ancienne Allemande, s'ac-
croît en puissance et en beauté à mesure qu'elle s'éloigne davantage de
la coupe binaire. Ainsi l'Allemande elle-même avait gagné en intérêt
(i) C'est même cette particularité qui a fourni à Marpurg les éléments de la définition
sommaire que nous avons citée, page i5'3.
«5!
LA SONAT EPRÉ-BEETHOVÉNIENNE
musical ce qu'elle perdait en parenté avec la danse dont elle portait le
nom.
Le rôle de cette pièce du type S demeure prépondérant dans la Sonate
plus encore que dans la Suite : J.-S. Bach l'avait fait pressentir déjà
par l'adjonction d'un vaste Prélude à ses Allemandes. Après lui, l'effort
du symphoniste semble s'être toujours concentré sur cette même pièce
initiale, la seule qui, par une singulière lacune dans le vocabulaire
musical, n'ait jamais eu de nom particulier (i).
On étudiera donc avec plus de détail la lente élaboration de ce type
S, depuis ses timides essais jusqu'à la glorieuse conquête de sa forme
définitive, fixée par Beethoven, et peu différente de celle qu'il garde
encore aujourd'hui, sans que rien fasse présager sa disparition.
Type S monothématique. — La scission provoquée dans la seconde
partie de la pièce binaire de la forme Suite, par la réapparition au toji
principal du dessin initial, devait nécessairement accroître l'importance
de celui-ci, puisque, seul, il aurait désormais le privilège d'être
énoncé deux fois dans la. tnême to7ialité. Aussi, voyons-nous ce dessin,
simple émanation de la basse continue chez les premiers auteurs de sona-
tes, prendre peu à peu un caractère plus mélodique et plus personnel;
le dessin thématique du début de la ii* Sonate pour violon de Co-
relli (2), offre un intéressant spécimen de ce premier progrès :
Cette pièce est disposée d'après le plan suivant, qu'on doit consi-
dérer comme le modèle normal de la fotnne ternaire monothématique
appartenant à un grand nombre de sonates de cette époque :
Exposition du dessin thématique unique sur la Tonique, avec inflexion pro-
gressive vers un ton voisin {Dominante ou Relatif) dans lequel on discerne
parfois un dessin très secondaire et à peine reconnaissable ;
Partie médiane, consistant en imitations plus ou moins modulantes du
dessin thématique principal, avec retour progressif vers la tonalité initiale;
RÉEXPOsiTiON du dessin thématique sur la Tonique, sans inflexion vers un.
ton voisin, mais avec une formule conclusive tout à fait tonale.
La réexposition rudimentaire du dessin thématique sur la tonique^
en prenant la place de la conclusion sans thème de l'ancienne forme
Suite, avait introduit dans la forme Sonate un élément nouveau : le
II) On a toujours désigné cette pièce, soit par son allure expressive, A/Z^gro, soit par soa
rang, Premier mouvement et même Premier temps 1 C'est tout à fait insuffisant. Le vocable
forme Sonate, que nous employons avec plusieurs auteurs contemporains, est assez
iriédiocre ; mais il a du moins l'avantage de se rapporter à \a forme.
(2) Voir dans la section historique du présent chapitre (p. i8i).
LE MOUVEMENT INITIAL S) 159
rappel du début. Cette innovation, tellement naturelle qu'on est surpris
de la voir pénétrer si tardivement dans la plus parfaite des formes sym-
phoniques, devait logiquement avoir pour conséquence le rappel des
éléments accessoires entourant le dessin initial.
Aussi, ne tarde-t-on pas à voir la réexposition atteindre une importance
égale à celle de la première partie, dont elle tend de plus en plus à repro-
duire tous les éléments, y compris le dessin secondaire dont nous avons
indiqué la présence intermittente à la suite du dessin thématique initial.
Mais ce rappel du début, quelque extension qu'il prenne dans la forme
Sonate, ne saurait y être confondu avec une redite textuelle^ du genre
de celles du Menuet après le trio ou du refrain dans les Rondeaux.
En effet, ce dessin secondaire qui, dans la première exposition, avait
une fonction suspensive divergente, consistant, soit à s'infléchir vers
le ton voisin, soit même à s'y établir complètement, doit nécessai-
rement co7n'(?r^er à la fin avec le dessin thématique réexposé, dont il
adopte la tonalité, renforçant ainsi le caractère conclusif de la réexpo-
sition. Et, tandis que s'accroissent peu à peu l'intérêt mélodique et
la durée de cette dernière partie en état d'immobilité tonale, par un
simple effet d'équilibre, la tendance de la première partie vers la
tonalité voisine s'accentue au point de rendre nécessaire la création
d'une mélodie nouvelle entièrement exposée dans cette tonalité.
Par là s'affirme peu à peu l'influence grandissante de ce dessin secon-
daire^ appelé à bénéficier, lui aussi, de la prérogative d'être exposé deux
fois, non pas comme le dessin thématique initial dans la même tona-
lité, mais au contraire dans deux tonalités différentes.
Types dithématique. — Sous l'influence souveraine des lois tonales,
les deux dessins à peine formés des premières sonates allaient accom-
plir leurs destinées différentes et complémentaires.
Le premier, plus stable, plus apparent par sa place tout au moins,
retiendra tout d'abord l'attention du compositeur, qui consacrera
désormais à son choix et à sa forme tout le soin rendu nécessaire par
son importante fonction de théine principal.
Puis, à mesure que se perfectionnera Torganisation de ce premier
thème (A), on verra l'autre, le second (B), abandonner l'attitude origi-
nelle de simple imitateur., comportée par son caractère accessoire,
pour revêtir peu à peu un aspect particulier contrastant quelquefois,
par sa souplesse et sa fluidité, avec la rigueur du thème initial.
Ainsi disparaît progressivement le type transitoire monothématique
pour faire place à la forme ternaire dithématique., dont la première
réalisation complète appartient, consciemiiicnt ou non, au fils du vieux
Jean-Sébastien, Charles-Philippe-Emmanuel Bach.
i6o
LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
L'analyse d'un admirable Allegro, en L/i b, de cet auteur (i), va nous
permettre d'établir par un exemple à quel degré de perfection la forme
Sonate était déjà parvenue, plus d'un demi-siècle avant Tavènement de
Beethoven.
I. — L'Exposition que nous donnons ci-après intégralement contient
d'abord le premier thème (A), dont les trois mesures essentielles
reparaîtront textuellement au début de la 7'éexposition. Ce thème (A),
complété par quatre mesures, s'enchaîne à un passage agogique (P)^
nettement infléchi vers le ton de la dominante {Mi^), où s'exposera le
second thème. Celui-ci (B) est fait de trois éléments distincts [b' ^"^"'),
dont le premier [b') offre une analogie curieuse avec la phrase qui occupe
la même place dans le finale de la Sonate op. 27, n° 2, de Beethoven. Le
second élément (^"), par l'adjonction à la basse du dessin agogique (P),
et le troisième (^") par un rappel du premier (^") attestent les progrès
réalisés déjà dans le sens delà combinaison thématique.
Toute cette exposition aboutit à un repos important sur la domi-
nante, avec indication d'une reprise depuis je début, comme dans
l'ancienne Suite,
Exposition.
Un poco Allegro
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(jp) passage agogique
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(1) Celle pièce appartient à la deuxième des six Sonates dites \Vurtembergeoises.q\iC Ph.
Em. Bach publia ea 1747 (voir ci-aprco, p. 19G).
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
i6i
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Cours de composition. — t. ii. i.
i6î
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
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2 . — La Partie médiane commence par un rappel du premier thème (A)
au ton de la <io;?n*«a«^e, conformément à un usage assez fréquent dans la
forme Suite ; mais ce thème (A) se transforme bientôt et s'infléchit vers
le re/a^î/ mineur [fa), où l'on voit reparaître le dessin agogique (P), en
forme de marche, qui module un instant à la sous- dominante (i?Ét>) et
revient au ton relatif {fa) dans lequel est exposé tout le premier élé-
ment (^') du second thème. Une modulation à la dominante mineure
{mi^) ramène les éléments principaux du premier thème (A), immédiate-
ment avant la réexposition.
Partie médiane.
rappel de A.
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LE MOUVEMENT INITIAL (S
i63
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infiexion vers la T.
3. — La Réexposition, tout h fait affranchie des anciens errements de
la forme Suite, contient d'abord l'élément essentiel du premier thème
(A), sur la tojiigue {la\>) comme la première fois, et relié directement au
passage agogique de transition (P). Celui-ci, complètement transformé
sous le rapport de l'orientation tonale, provoque le retour logique du
second thème (B) avec ses trois éléments (è' ^" b'") transposés exacte-
ment au ton initial [la b) pour conclure :
,54 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
RÉEXPOSITION.
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inflexion vers tu T.
Les sei^e dernières mesures sont la transposition exacte du second thème (B)
avec ses trois éléments (b' b" b'") sur la Tonique.
LE MOUVEMEiNT LENT (L) ,65
En résumé, dans toute la période antérieure à Beethoven, le type S,
même lorsqu'il n'est pas aussi complètement organisé que l'exemple
ci-dessus, est construit d'après le plan suivant :
Thème principal (A) à la Tonique, avec inflexion vers un
ton voisin {Dominante ou Relatif] à l'aide d'un Passage
Exposition. ) de transition (P) plus ou moins net.
Second thème (B) exposé dans le Ton Voisin et composé
quelquefois de trois éléments distincts.
Fragments modulants, empruntés aux thèmes exposés dans
Partie médiane. ] la première partie, et groupés en ordre extrêmement va-
riable.
Thème principal (A) à la Tonique, sans inflexion vers le
ton voisin, et suivi, s'il y a lieu, du Passage de transi-
Réexposition. ' tien (P), orienté lui-même vers la Tonique ;
Second thème (B), avec tous ses éléments transposés à la
Tonique en forme conclusive.
Celte forme se rapproche beaucoup de la forme définitive qu'on étu-
diera au chapitre suivant. Les caractères essentiels de Vexposition diver-
gente et de la réexposition convergente y apparaissent nettement, ainsi
que le principe de la dualité des thèmes. Mais ces thèmes sont encore
pauvres et mal définis. La partie médiane^ plus indécise, semble cher-
cher un dernier appui dans les débris de .l'ancienne forme Suite, dont
la barre de reprise reste le seul vestige concret (i) ; mais la vitalité nou-
velle des thèmes y affaiblit de plus en plus l'influence de cette vénérable
aïeule, bien près de s'éteindre à tout jamais dans son glorieux passé.
La jeune forme Sonate, à peine assise sur ses bases, semble appeler
l'eftort qui lui donnera toute l'ample envergure qu'elle est susceptible
d'atteindre. C'est elle, en effet, qui, devenue la pièce maîtresse du
monument sonate, réagira peu à peu sur toutes les parties, comme
pour les soutenir et leur donner une vigueur nouvelle.
4. LK MOUVEMENT LENT. — LA FORME LIED. — TYPE L.
De tout temps, semble-t-il, et peut-être dans tous les genres musi-
caux, les fragments lents furent les plus « chantants ». Nulle part, en
effet, la mélodie n'tsi plus apparente et plus indispensable que dans les
pièces lentes, naturellement plus souples et plus affranchies de ce qu'on
pourrait appeler les servitudes rythmiques inhérentes à tout mouve-
ment un peu rapide.
Contrairement à l'opinion des adorateurs de la fioriture italienne,
c'est-à-dire de cet art qui consiste h faire entendre le plus grand nombre
(0 11 est à remarquer que cet usage de la reprise avait presque eniièrcmcnt disparu dans
les Sonates de ioime. monotlièmatique antérieures à celles-ci.
i66 LA SON'ATE PRE-BEETHOVENIENNE
de notes inutiles dans le plus court espace de temps, le vrai chant est
lent;... la plainte, traduite en langue musicale, s'exprima d'abord en
notes longues et douloureuses ; et, lorsque la gaîté vint apporter le
contraste de ses notes brèves ou brillantes à la musique, celle-ci, fille de
la mélancolie et de la prière, était depuis longtemps déjà la consola-
trice des hommes.
Il n'est donc pas surprenant de retrouver dans les vieux chants gré-
goriens l'ancêtre authentique des phrases mélodiques qui devaient
reparaître de préférence dans les pièces lentes, à mesure qu'elles ou-
blieraient les rythmes coutumiers des danses, pour se rattacher défini-
tivement à « ce qui chante », à VAriay au Lied.
Ce type de ^YvvdiSt ternaire précédemment défini (i) et souvent em-
ployé dans les chants grégoriens (2), se retrouve aussi en plusieurs
occasions sous la plume de J.-S. Bach (3). Il ne fallut rien moins que
l'omnipotence de l'usage des danses pour l'écarter momentanément des
formes symphoniques, où. il devait bientôt reprendre sa place, par
une juste réaction des qualités émotives des compositeurs, soumises à
une véritable contrainte dans la pièce initiale (type S), en raison de
l'effort intellectuel dépensé pour sa nouvelle construction.
Tant que cet effort absorba toute l'attention du musicien, la pièce
lente des premières sonates resta conforme aux types de danses : tou-
jours binaire, en rythme de Sicilienne, de Courante, etc., cette pièce ne
varie guère que par sa tonalité ou par son rang. On la voit s'établir,
soit dans un ton voisin du ton principal, soit après le mouvement
modéré (4), mais aucune modification de forme n'y apparaît encor^^.
Cependant, la mélodie à trois périodes, dont la dernière est symé-
trique de la piemière, l'antique phrase lied des cantilènes sacrées
revient peu à peu chanter tristement dans les pièces lentes. Le retour
au thème initial, innovation si simple et pourtant si laborieuse-
ment fixée dans le type S, apparaît ici sans effort et comme spontané-
ment, donnant ainsi aux pièces du type L la véritable forme lied,
forme ternaire comme la phrase lied dont elle est l'image agrandie,
et analogue par conséquent, mais non identique à la forme ternaire
du type S.
Le Lied en a// naturel que nous analysons ici est un vrai modèle du
(i) Voir I" liv., chap. II, p. 41 et 42.
(3) Voir dans le Liber Graduai ts (a» éd.), le Kyrie (p. i5*), les Alléluia et certïines an-
tiennes comme : Vei ba mea (p. i 22).
(3) Voir notamment la phrase de la Sonate pour violon ei clavecin en uf mineur ciiée
au Premier Livre, p. 48.
(4) Voir ci-après, dans la section historique, les œuvres de Corelli, (p, 179, 180).
LE MOUVEMENT LENT (L)
.67
genre. II est extrait de la Sonate en^v/o, op. 1 18, de Joseph Haydn (i) :
chacune de ses trois grandes sections constitue par elle-même une
petite phrase lied, subdivisée en trois périodes {a, b, a ou c, d, c\ etc.),
avec symétrie entre la première et la dernière.
DQ -EXPOSITJON de_]a_plirase.7iW_pria£ipal«
(a) période initiale
^Adagio
redoQblement-de.la-pé ri ode initiale
ft j g ^^[^^Frrp^
rr
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OT
n";i!f !î ^ H^N^-Tj?^
inflexion vers la D
retour à In D
(1) Voir dans la section historique du présent chapitre fp. 200 et suiv).
i68
LÀ SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
FRAGMENT CENTRAL modulant
(jc) période initiale
^^^^^^
(A^ période initial
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I.E MOUVEMKNT LENT (M) ,6^
(cy réexposition modulante de. la période initiale C donnant à toute cette 11*^ partie
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la forme d'une phrase-/iVc^.
IIIIkÉeXPOSITION de la ph rase - /ifrf
aj période initiale
Les périodes b et a' sont également réexposées et suivies d'une conclusion de
quatre mesures sur la Tonique.
Le plan de la forme lied, telle qu'elle existait avant Beethoven, est,
en définitive, celui-ci :
Section I. — Exposition de la phrase lied à trois périodes:
a. période initiale infléchie vers la Dominante, avec reprise ou
redoublement facultatifs :
b. période modulante, qui revient presque toujours à la Dominante
a' période initiale réexposée sur la Tonique sans inflexion.
Section il. — Fragment central modulant, sans relation thématique nécessaire
avec les deux autres, et souvent divisible en trois (comme
dans l'exemple) ;
Section m. — Réexposition de la phrase principale avec ses trois périodes,
souvent agrandies et toujours modifiées rythmiquement ou
mélodiquement, mais dans le même état tonal qu'au début.
Les variantes introduites dans la réexposition suffisent à lui enlever
le caractère d'une redite textuelle : la forme lied offre donc bien trois
éléments dij/é r en ts et non deux, dont l'un serait seulement répété : elle
est nettement ternaire et non binaire.
Cette forme est assurément une des plus simples, des plus claires et
des mieux équilibrées, parmi toutes celles qu'affecta successivement la
musique instrumentale. Aussi est-elle demeurée à-peu près immuable,
jusqu'au moment où elle subit, comme toutes les formes symphoni-
ques, la rénovation beethovénienne.
170 LA SONATE PRÉ-BEETIIOVÉNIENNE
En dehors même de la Sonate, l'influence de la forme lied a rayonné
et rayonne encore sur une foule de compositions dites « libres »; beau-
coup d'œuvres qui, surtout chez certains contemporains, se réclament
d'une liberté qui confine à l'anarchie, ne sont souvent pas autre chose
qu'un simple lied en U^ois sections, dont l'une, celle du milieu, est indé-
pendante, et les deux autres plus ou moins symétriques.
5. — LE MOUVEMENT MODÉRÉ. LE MENUET. TYPE M.
Les tentatives d'innovation subies par la pièce du type M dans les
sonates pré-beethovéniennes semblent n'avoir eu aucune conséquence
durable. Sans parler de la permutation insignifiante opérée par quel-
ques Italiens (i) entre le rang de la pièce lente et celui de la pièce de
mouvement modéré, ni de la suppression de celle-ci dans quelques
sonates, le seul essai de forme qui mérite d'être signalé consiste en une
sorte d'exercice d'agilité ou de mouvement perpétuel, occupant dans les
sonates pour violon la place de la pièce du type M. La pauvreté musi-
cale de ce divertissement instrumental, a//zma//^z/e et dénué de tout
intérêt, fut sans doute la cause de sa piètre destinée : il disparut sans
laisser de traces, comme doivent disparaître tôt ou tard toutes les acro-
baties qualifiées improprement « musique » par les naïfs ignares de
tous les temps ; et le Menuet, seul héritier des innombrables danses du
type M intercalées naguère dans l'ancienne Suite, continua à les repré-
senter dans la jeune Sonate.
Ce Menuet, avec ses périodes de quatre, huit ou seiie mesures, ses
petites reprises et son /r/o (2) suivi du traditionnel da capo,ne diffère
pas notablement des vieilles danses de cour, avec leurs doubles et leurs
redites. Dernier vestige du Madrigal, il semble demeurer ici comme
un fief sacré, intangible mais désuet, au milieu des constructions nou-
velles environnantes qui, tout en respectant sa forme, réagissent déjà
sur lui par leur style.
Nous empruntons à la 3* Sonate d'un des précurseurs de Beethoven,
qui fut peut-être le plus grand et certainement le moins connu, Fried-
rich-Wilhelm Rust (voir ci-après, p. 2 19), un beau spécimen de Menuet,
(i) Notamment Corelli, comme on le verra ci-après (p. 179 et 180).
(2) On a proposé deux explications dift'érentes pour l'origine du nom de trio appliqué
6 la partie médiane du Menuet et des autres danses de forme analogue.
D'après les uns, la première partie et la dernière [Menuet proprement dit) étaient destinées
à être dansées par tous les couples de danseurs en une sorte de figure générale, tandis que
le milieu, le trio était dansé par frois personnes (un danseur et deux danseuses), comme
cela se pratique encore à la quatrième figure de l'antique quadrille.
D'après les autres, et cette explication nous paraît meilleure, le nom de trio viendrait
plutôt de l'instrumentation traditionnelle des danses : la première partie et son da capo
étaient exécutés par tous les musiciens (tutti), tandis que le milieu était joué ordinairement
par un trio d'instruments (deux violons et un alto, ou deux hautbois, et un basson, etc.).
LE MOUVRMEXT MODKHE 'M)
'7>
dont l'allure générale est encore celle d'une danse, mais dont le thème
fait déjà pressentir, par ses rythmes agrandis composés de plusieurs
mesures, la forme 5cAer;{0, telle qu'elle sera étudiée au chapitre suivant:
(a) 1er Vythmo
Minuetto
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172
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
@ FJ rythme
^1. f j J If •'[f[[fiJ p r IJ ^
Chaque phrase (a, b, a*) de ce Menuet se décompose en groupes rythmiques
indivisibles de deux mesures (a et a^) ou même de quatre mesures {b). dans
chacun desquels la première mesure est forte ; à l'époque des menueia dan-
sés, l'articulation nécessaire du premier temps de chaque mesure avait pour
effet d'engendrer le plus souvent dans la mélodie une succession de rythmes
d'une seule mesure chacun : ce sont, au contraire, les rythmes de plusieurs
mesures qui caractériseront, chez Beethoven, les thèmes de Scherzo.
Après ce Menuet en Mi^ vient un trio au ton de la sous-dominante;
il offre la même particularité rythmique et est suivi de la reprise
intégrale du Menuet da capo, comme dans les anciennes danses de la
Suite.
6. — LE MOUVEMENT RAPIDE. — LE FONDEAU. — TYPE R.
La pièce termmale des Sonates est demeurée la continuatrice de celle
des anciennes Suites par son allure rapide plus que par sa forme On
verra plus loin (p. 178 et suiv.) que les premiers auteurs italiens se
dispensèrent, pour la plupart, d'y introduire aucune innovation : la der-
nière pièce de leurs sonates rudimentaires continue à affecter la forme
d'une Gigue ou d'une autre danse vive de type binaire.
Seul, peut-être, Legrenzi et, après lui, plusieurs Allemands construi-
sirent parfois leurs pièces finales d'après le même plan que la pièce
initiale (type S), tout en lui conservant un mouvement plus rapide.
Ces divers essais eurent peu d'imitateurs ; au contraire, la gracieuse
forme Rondeau ne tarda pas à être élevée par Mozart à la dignité de
finale, qui lui fut conservée après quelques transformations par Beetho-
ven lui-même, dans une grande partie de ses Sonates.
La vieille ronde^ issue du sol français et toujours reconnaissable à
son alternance caractéristique du refrain tonal avec les couplets modu-
LE MOUVEMENT RAPIDE (RI
'73
lants, apportait ainsi au finale, un peu desséché par la Gigue des anciens
maîtres, une sève nouvelle.
En quittant sa place indéterminée au milieu des danses groupées en
forme de Suites, le Rondeau^ devenu Finale^ devait adopter l'allure ra-
pide imposée par sa nouvelle fonction. Cet accroissement d'agogique et
de vitesse constitue même la seule différence notable entre le Rondeau
de Couperin précédemment analysé (p. ii5) ex \q Finale célèbre d'une
Sonate de Mozart (voir ci-après, p. 210), dont nous donnons ci-dessous
le refrain, le premier couplet et le plan général ;
REFRAIN
Allegretto
l'e.r COUPLET modulant à U Domina nU
tnfiexion vers la T
'74 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
Immédiatement après ce jer couplei, on reprend intégralement le Refrd.tiy
pour la deuxième fois.
2? COUPLET modulant au Relatif
t-f >
ReL@
Les vingt mesures qui complètent ce 2« couplet restent dans la tonalité du
Relatif, avec inflexion finale vers le ton principal.
Immédiatement après ce 2e couplet on reprend intégralement le Refrain pour
la troisième fois : cette dernière répétition est suivie d'une conclusion
agogique de dou^e mesures, sur la Tonique.
7. ÉTAT DE LA SONATE AVANT BEETHOVEN. — LE CYCLE. — LE STYLE. LA FORME.
Pour résumer brièvement les progrès accomplis par la Sonate, à me-
sure qu'elle se dégage de la Suite, au cours de la période pré-beetho-
vénienne, il faut se placer, croyons-nous, au triple point de vue du cycle^
du st/le et de la forme.
Le Cycle. — Dans l'ancienne Suite, simple succession unitonique d'airs
de danse en nombre indéterminé, aucune autre intention que celle
du contraste des mouvements n'avait présidé au groupement des
pièces ; encore, cette intention n'est-elle pas toujours très certaine. Au
contraire, avec l'élimination des pièces formant un véritable double
emploi par leur allure tout au moins, avec la réduction du nombre des
mouvements à un seul de chaque type (S. L. M. R.), ce premier symp-
tôme constitutif de la Sonate montre déjà une préméditation dont les
effets ne tarderont pas à se faire sentir.
A la permanence absolue de la même Tonique succède déjà un ordre
varié de tonalités voisines adopté pour les mouvements médians, tan-
dis que les mouvements extrêmes restent invariablement dans le ton
principal.
Bientôt, ces divers mouvements ne seront plus seulement juxtaposés,,
avec plus ou moins de bonheur selon que cette juxtaposition est faite
par l'auteur lui-même ou après lui par quelque éditeur incompétent, ils
tendront à se combiner, à s'associer. Certains auteurs les enchaînent
deux à deux, tandis que d'autres établissent entre eux des relations
thématiques tout à fait significatives. Comment se fait-il que cette
précieuse innovation soit aussitôt retombée dans un oubli complet qui
dura près de deux siècles ?
CYCLE, STYLE ET FORME 175
Cependant, à la faveur de leur cohésion plus forte, les membres
de la Sonate, devenus moins nombreux mais aussi plus unis, avaient
pris véritablement l'aspect d'une /tim/Z/t?, dont les liens de parenté étaient
assez caractérisés déjà pour que Tinterpolation, toujours possible dans
l'ancienne Suite, d'un morceau étranger y devienne de moins en moins
aisément praticable.
La Suite n'avait été qu'une succession dt danses : la Sonate deviendrait
bientôt un cj'cle de mouvements.
Le Style. — Peu différent de celui de la Suite, le style de la Sonate ne
peut vraiment être considéré comme en progrès dans la plus grande
partie de la période pré-beethovénienne. Au point de vue de la pureté
et de la rigueur contrapontique que certains auteurs de Suites avaient su
conserver, on constate au contraire un recul très notable ; la limitation
du nombre des instruments exécutants, la prépondérance croissante du
rôle du clavecin, l'habileté moins grande des instrumentistes et peut-
être aussi quelque influence de la mode effacèrent en effet dans la So-
nate naissante toute trace de la sévère polyphonie médiévale, pour faire
place au style galant, adopté peu après, en Allemagne et en Italie, par
les diverses formes symphoniques dites Concerts ou Concertos (i).
Le style galant, qu'on opposait alors au style strict^ consistait prin-
cipalement dans l'affranchissement de toute contrainte relativement au
nombre des parties simultanées composant l'harmonie. Les vieilles
transcriptions de Madrigaux, les Concerts d'Eglise (voir ci-dessus
p. io3) étaient écrits à citiq parties réelles; les Fugues, le plus souvent
à quatre et à trois ; dans beaucoup de Suites la tradition de l'écriture
régulière à t?^ois et à deux parties se maintenait encore. Mais, avec l'en-
vahissement des formes de danses, légères et frivoles, avec la tendance
« moderne » à qualifier d' « art d'agrément » l'antique iiovjiy.-ç, éducation
de lame, la fantaisie de l'auteur ne connaît plus d'autres bornes que les
règles conventionnelles de la basse continue^ mère de nos regrettables
Traités d'Harmonie. Tantôt, des parties supplémentairess'adjoignent aux
autres, sans motif plus avouable que le fâcheux « remplissage des trous »;
tantôt, la mélodie supérieure, le « chant », si l'on peut ainsi qualifier
les formules harmoniques qui en tiennent lieu pour beaucoup d'Italiens,
est écrit tout seul au-dessus de sa basse, chiffrée ou non, et laissée
pour la réalisation au « bon goût de l'interprète »>; tantôt enfin, cette
basse elle-même se « donne du mouvement » en adoptant avec une
déplorable constance quelque insipide dessin d'arpèges ou d'accords
brisés, du genre de ceux dont on trouvera un spécimen ci-après, p. 206.
[i] Voir Ji Seconde Partie du prcsent Livre.
176 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
La Forme. — Une telle décadence de style eût abouti très proba-
blement à la disparition totale de la Sonate, si celle-ci n'avait puisé
dans sa /orme même une force nouvelle, susceptible de compenser en
partie l'abolition des traditions si respectables de l'écriture polypho-
nique.
La puissante construction ternaire, apparue dans les succédanés de
l'ancienne Allemande et de mieux en mieux équilibrée par le principe
récent de la dualité des thèmes, allait permettre au nouveau type
Sonate d'accomplir une glorieuse carrière, en compagnie de son « frère
cadet » le type Lied, plus simple mais peut-être plus expansif ; en
attendant que le type Menuet et le type Rondeau, plus éloignés de
leur maturité, fussent en âge de contracter les fructueuses alliances que
Beethoven leur réservait.
Ainsi s'accroissent à la fois dans la Sonate rM?n7e de conception et la
variété de réalisation : tous ses matériaux sont aptes à recevoir d'une in-
telligence géniale l'organisation hiérarchique qui leur fait encore défaut.
En élevant les thèmes au rang et à la dignité d'idées musicales,
Beethoven saura les mettre en action par le développement de leurs
forces latentes, solidement appuyées sur des assises tonales inébran-
lables.
HISTORIQUE
8. DIVISIONS DE l'histoire DK L\ SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE.
En étudiant au point de vue technique la transformation de la Suite
en Sonate, on a vu que la coexistence assez prolongée de ces deux
genres rendait difficile leur délimitation respective : on ne sera donc
pas surpris de nous voir citer, dans cette section historique, des œuvres
que leur forme imprécise permettrait, en apparence tout au moins, de
rattacher aussi aisément à l'histoire de la Suite qu'à celle de la Sonate.
L'indétermination de leurs titres elle-même pourrait aussi bien justifier
l'une ou l'autre de ces deux classifications.
Toutefois, si l'on veut bien prendre pour guides les caractères dis-
tinctifs de la Sonate, tels qu'ils viennent d'être établis au triple point
de vue du cycle, du style et de Informe, la mention spéciale des compo-
siteurs, dont les œuvres aflectent tout au moins l'un de ces caractères,
paraîtra plus légitime dans l'histoire de la Sonate, car l'étude de ces
œuvres est une introduction logique à celle des Sonates complète-
' ment organisées et reconnaissables aux trois signes suivants :
1° réduction de l'ensemble de l'œuvre ou du cycle à quatre pièces
au plus, rarement cinq, et désignation de ces pièces par leur senti-
ment rythmique excluant de plus en plus l'idée de danse ;
DIVISrONS HISTORIQUES tjj
2° substitution du style galant au style strictement polyphonique
des Motets et des Madrigaux, des Fugues et des Suites;
3° apparition graduelle de la forme ternaire monothématique d'abord,
puis un peu plus tard, en Allemagne, nettement dithématique.
Historiquement, ces trois modifications constitutives de la Sonate
sont apparues dans cet ordre, en Italie comme en Allemagne ; toutefois
le type nouveau de la forme Sonate ne fut véritablement créé qu'après
l'évolution ternaire de son mouvement initial.
Par la lecture et la comparaison de nombreuses œuvres italiennes,
françaises ou allemandes appartenant à l'époque de la Suite, on peut
aisément se rendre compte que cette évolution ternaire apparaît exclu-
sivement dans des compositions déjà restreintes à tr-ois ou quatre
mouvements, et affranchies pour la plupart du joug de la polyphonie
stricte et des rythmes de la danse. Ces œuvres, très souvent intitulées
Sonates, même si elles ne contiennent pas la plus vague esquisse d'une
réexposition, sont Sonates en effet par leur modification générique;
mais elles n'ont point encore subi la transformation typique du régime
binaire en régime ternaire.
On chercherait vainement du reste la trace de cette dernière trans-
formation dans les œuvres françaises qualifiées ou non de Sonates par
leurs auteurs : Suites elles étaient, Suites elles sont demeurées, en
dépit du nombre restreint de leurs pièces ou même du style galant
qu'elles ont adopté ; aussi furent-elles étudiées au chapitre précédent
(p. i36 et suiv,), tandis qu'il nous reste à faire connaître maintenant,
en Italie et en Allemagne seulement, les étapes successives de la lente
évolution de la Sonate.
Il semble toutefois que cette évolution se soit produite en sens inverse
dans chacun de ces deux pays : en Italie, après une assez belle floraison
au temps de Corelli, la Sonate tombe promptement en décadence et
disparaît; en Allemagne, au contraire, son élaboration paraît un
peu plus lente, mais sa forme se perfectionne sans cesse, faisant pres-
sentir de plus en plus nettement les créations géniales du maître de
Bonn. Ces tendances opposées se manifestent presque simultanément
dans les deux écoles ; mais, en raison de leurs destinées, nous étudie-
rons les Italiens avant les Allemands, dans cette brève histoire qui
sera divisée de la manière suivante :
La Sonate italienne (§ 9) :
— Corelli, ses prédécesseurs et successeurs;
La Sonate allemande (§ 10, 11, 12), divisée en trois périodes :
— Première période : La Sonate primitive {^ 10), de Kuhnau ai. -S. Bach;
— Deuxième période : La Sonate dithématique i§ 11), Ch.-Ph.-Em. Bach
et ses contemporains;
— Troisième période : Les prédécesseurs de Beethoven [^ 12), Haydn,
Mozart, Rust.
Cours de composition. — t. 11, i. ij
178
LA SONATE PRÉ-BEETHOVENIENNE
g. — LA SONATE ITALIENNE.
Le père de la Sonate italienne est, sans contredit, Giovanni LEQRENZI
(voir ci-dessus, p. 12b). Bien que ses Sonate da Caméra soient conçues
en forme Suite, et que la construction ternaire n'y apparaisse nulle part,
elles ont déjà de la Sonate le cycle musical, c'est-à-dire un nombre de
mouvements réduit à trois ou quatt^e. Sa célèbre Benipoglia, op. 8, n° i,
(1667) servit de modèle à toutes les Sonates italiennes postérieures;,
elle est ainsi divisée :
10 Allegro, C, en SI\>-
20 Adagio, 3, en sol.
30 Allegro, 6/8, en ré.
i^o Presto, 3/4, enS/t>-
Dans ce même ordre d'idées, nous devons signaler Giovanni Battista
VITALI, qui osa réduire à trois le nombre des pièces de ses Suites-
Sonates, dans lesquelles on trouve parfois, comme plus tard chez
Corelli, un thème générateur qui régit tous les morceaux du cycle
Qu'on lise par exemple sa deuxième Sonate (publiée à Bologne en.
1677), où les quatf^e mouvements procèdent d'un thème identique.:
I. Grave
L-.r^riUsn'^
11. Prestissimo
III. Allegro
IV. Largo
Cette conception thématique sera, deux siècles plus tard, reprise par
César Franck et érigée en principe conscient dans sa Sonate pour
violon (voir chap. v).
Nous mentionnerons enfin Giovanni Battista BASSANI (i657f 1716),
qui fut maître de chapelle du duc de Ferrare et qui enseigna l'art du
violoniste à A. Corelli. Les Sonates de Bassani sont toutes de coupe
biliaire, mais cependant très antérieures aux quatre premières oeuvres
LA SONATE ITALIENNE ,79
de Corelli, bien qu'elles aient été publiées postérieurement à celles-ci.
C'est certainement l'étude approfondie des œuvres de son maître qui
fit adopter au grand Arcangelo la forme générale en quatre ou cinq
mouvements à laquelle il resta toujours fidèle.
Nous arrivons maintenant à l'époque qui vit fleurir et se développer
en Italie la véritable forme Sonate, constituée non seulement par le
nombre restreint des mouvements^ mais surtout par la coupe tertiaire de
la pièce initiale.
Voici la liste des principaux compositeurs :
Arcangelo Corelli i633 f
Francesco Geminiani 1680 f
Francesco Maria Veracln'i. . . . i683 f
GiusEPPE Tartini 1692 f
Pietro Locatelli 1693 f
Giovanni Battista Pescetti. . . 1704 f
Baldassare Galuppi 1706
Pietro Nardini 1722
GaETANO PUGNANI 1781
7i3
762
7^0
?;o
764
766
784
7q3
798
Arcangelo CORELLI, né à Fusignano et élève de Bassani pour le
violon, fut quelque temps musicien de cour à Munich, puis, en 1681,
il revint s'établir à Rome, dans le palais même du cardinal Ottoboni,
grâce à la protection duquel il eut le loisir de penser et d'écrire ses
œuvres sans nul autre souci.
Ses quarante-huit premières Sonates (i683 à 1694) pour deux vio-
lons avec basse continue d'orgue, de clavecin ou d'archiluth, en quatre
livres, relèveraient plutôt de Tordre de la Musique de Chambre ; mais
son œuvre la plus importante est un recueil de « Douze Sonates à
deux » pour violon et basse continue au clavecin, op. 3, qui parut en
1700 et atteignit en peu de temps cinq éditions consécutives (i).
Cette œuvre exerça une influence considérable, en Italie et en Alle-
magne, sur les compositeurs contemporains de Corelli et même sur ses
successeurs ; on lui doit en effet la consécration définitive du principe
ternaire appelé à opérer une si grande révolution dans la structure des
œuvres musicales.
La plupart des Sonates de Corelli, à l'exception de la 12* (suite de
Partite ou Variations sur un air alors en \ogue, La Follia), sont en cinq
mouvements, au cours desquels on ne rencontre que deux repos, le
(i) Ces douze Sonates existent avec la basse assez convenablement réalisée, dans une pu-
klication anglaise, chez NovcUo, Ewcr a. C», à Londres : Albums for vtoitn and piano forte,
1 1 et 13.
i8o
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
Gi'ave initial étant toujours enchaîné au morceau suivant, et V Adagio
ou le Largo, au finale :
( 10 Grave ou Adagio, représentant l'ancien Prélude ;
( 2° Allegro (relié au précédent).
3* Vivace (séparé).
( 4" Adagio, ou Largo ;
( 5» Allegro, ou Vivace, ou Gigue (relié au précédent).
Le mouvement vif du milieu n'est qu'une sorte de moto perpetuo
destiné à faire valoir la dextérité du violoniste. Quant à V Adagio, il est
presque toujours dans une tonalité autre que la principale.
Il conviendra d'étudier particulièrement la i""*, la 6*, la 9^ et la 11*.
Dans la i*"* Sonate, en rè, le Grat'e, orné d'une sone de j'ubilus, se
répète deux fois, oscillant de la dominante à la tonique; le thème du
premier Allegro y est réexposé par la basse continue, tandis que le
wiolon brode des ornements au-dessus; de plus, il sert aussi de sujet
principal à V Allegro qui termine l'œuvre :
Allegro initial :
Allegro final
m
^
Cette disposition est assez fréquente à cette époque, mais elle ne
reparaîtra plus guère qu'avec Beethoven.
La 6* Sonate, en la, est à peu près conçue de la même manière,
mais ici c'est le mouvement Grave qui expose les deux éléments mélo-
diques sur lesquels est bâtie la composition entière. Ainsi, le dessin
initial forme le thème de l'Adagio médian :
dessin initial du Grave :
i
»,;> . 0
W
i
sujet de l'Adagio :
Ê^
^
tandis qu'un second dessin, également exposé dans le Grave^ reparaît
comme sujet de V Allegro suivant :
sujet de VAllet^ro :
trois des morceaux, sur cinq^ sont donc faits sur le même sujet.
La 9* Sonate, en la également, quoique manifestement écrite dans
le style de la Suite, offre un exemple assez rare d'intrusion de la forme
ternaire dans l'air de danse : la Gigue et la Gavotte, reniant leur origine
LA SONATE ITALIENNE
i8i
binaire, contiennent toutes deux une réexposition tonale de leur dessin
initiai.
Enfin, la 1 1* Sonate, en m/, est un vrai modèle réduit de ce que cette
forme était appelée à devenir plus tard. A une courte introduction inti-
tulée Preludio succède un Allegro plein de verve et plus mélodique que
les morceaux similaires des autres sonates : on a pu le constater, du
reste, par le thème principal que nous avons cité précédemment (p. i 58).
Cette Sonate contient ensuite un Adagio en utn, puis un Vivace,
ancêtre du Scherzo beethovénien, et enfin une Gavotte de forme binaire
qui termine Tœuvre.
Francesco QEMINIANI naquit à Lucques et se fixa, dès 1 7 1 4, à Londres,
où son talent de virtuose lui créa bientôt une situation prépondérante.
Après un séjour à Paris, où il fit graver plusieurs de ses œuvres, de 1 748
à 1755, il retourna en Angleterre et mourut à Dublin, à l'âge de quatre-
vingts ans passés.
C'est à Geminiani que l'on doit la plus ancienne de toutes les
méthodes de violon, dans laquelle il fait déjà monter l'exécutant jusqu'à
la sixième position (1740). Ses Sonates sont d'ordinaire en quatre mou-
vements : Largo, Allegro, Adagio, Allegro. On connaît de lui, dans
cette forme : vingt-quatre 5o/os de violon, op. i et 2(1716), et douze
Sonates avec basse continue, op. 11, parmi lesquelles nous citerons
la Sonate en ut, dont le Largo présente une ligne mélodique
vraiment émouvante par son expression douloureusement tourmentée :
Largo
i
s^
>i. ^t i
^
m f
^3
^
:C^
Belle phrase musicale, et presque digne de la plume d'un Bach I
Francesco Maria VERACINI, florentin, fut le maître de Tartini (voir
ci-après, p. 182). D'abord musicien de chambre de l'électeur de Saxe, à
i83 LA SONATE PRÉ-BEETHOVEiMENNE
Dresde, il devint ensuite chef de la musique du comte Kinsky, à Prague,
où il passa le reste de sa vie.
Il publia à Dresde, en 1721, douze Sonates pour violon et basse
continue, toutes en quatre mouvemeni?, : Ouverture (ou Ritoj'uello),
Allegi^o, Largo (ou Menuet) et Gigue (ou Rondeau).
Qiuseppe TARTINI est né à Pirano, près de Venise, Pendant ses études
de droit à Padoue, il enleva et épousa secrètement une nièce du cardinal
Cornaro. Accusé de rapt et poursuivi pour ce fait, il se réfugia dans le
monastère des Franciscains d'Assise et, durant les deux années qu'il y
resta, il travailla assidûment la musique sous la direction de l'organiste
du couvent, Pater Boemo. Le cardinal Cornaro ayant pardonné,
Tartini revint à Padoue auprès de sa jeune épouse, et sa réputation
de virtuose du violon prit, en peu de temps, de considérables pro-
portions.
Déjà célèbre à vingt-deux ans et recherché par tous les amateurs, il
eut l'occasion d'entendre Veracini à Venise, et, mettant de côté toute
vanité personnelle, il sut reconnaître que son éducation musicale était
fort imparfaite. Il eut donc le courage de renoncer momentanément à
ses succès et se rendit à Ancône auprès de Veracini, afin de profiter de
ses conseils.
Ce fut au cours de ces années de retraite volontaire qu'il fut amené à
découvrir la théorie des sons résultants et qu'il conçut la première
idée de son Ti^attato di Musica (i).
En 1721, il fut choisi comme chef d'orchestre de la basilique de
Saint-Antoine, à Padoue, où il fonda une école qui forma un grand
nombre de violonistes célèbres. Il mourut dans la même ville après de
fréquents voyages dans diverses cours d'Allemagne.
Tartini était plein de cœur ; on cite de lui des traits de grande géné-
rosité : lorsqu'un élève lui paraissait bien doué, il refusait obstinément
de recevoir de lui aucune rétribution, disant que « le temps dépensé
pour la musique ne pouvait être payé ».
Il laissa cent deux Sonates pour violon et basse continue, toutes en
quatre mouvements : Gratte, Allegro, Adagio, Allegro. Cinquante-cinq
d'entre elles seulement ont été gravées, les douze premières à Paris,
op. I, les autres, en six recueils, op. 2 à 7, à Venise.
La Sonata del Diavolo (dite le Trille du diable), la plus connue mais
non la plus intéressante de ses œuvres, fut publiée à part. Il l'avait
écrite en 171 3, d'après un rêve qu'il raconte en détail dans une lettre
adressée à l'astronome Lalande (2).
(i) Voir \" liv., page iBy.
(2) Voir Dictionnaire de musique de Choron, t. II, p. 36o.
LA SONATE ITALIENNE
i83
L,es Sonates de Tartini sont écrites dans le style de celles de Gorelli,
mais avec un sentiment plus complet de la forme, la réexposition y
prenant une place prépondérante ; comme Gorelli, il enchaîne entre eux
la plupart des morceaux; parfois même, tous sont construits, sinon sur
un thème unique, du moins sur des dessins très proches parents les uns
des autres. Dans la Sonate en RÉ (i), par exemple, on verra circuler
Je dessin initial à travers les quatre morceaux qui constituent l'œuvre:
«rave
AJlegro
Largh*4rto
Pietro LOCATELLI, né à Bergame et élève personnel de Gorelli, s'éta-
blit à Amsterdam où il mourut. Il contribua puissamment à faire pro-
gresser l'art du violon, surtout en ce qui concerne les doubles cordes.
Il réduisit encore le nombre des pièces de la Sonate ; ses douze
Sonates pour flûte et basse continue, op. 2, publiées aussi pour violon,
ne comptent chacune que trois mouvements: Atidante, Adagio, Presto.
Les six Sonates pour violon, op. 6 ( 1 787), sont en quatre mouvements :
Graine, Allegro, Adagio, Allegro, qui s'enchaînent tous sans interrup-
tion. L'une des plus belles est celle en 50/ (2) ; elle est d'une grande
noblesse d'invention, et son Adagio en ut, dont nous donnons ci-des-
sous la mélodie initiale, offre un type absolument complet de la yo;v;;c^
lied en trois sectious :
Giovanni Battista PESCETTI, vénitien, élève de Lotti et organiste du
deuxième orgue de Saint-Marc en 1762, publia, en 1739, neuf Sonate
ver Gravicembalo, en ti'ois et quatre mouvements. Pescetti fut le
(i) Ed. Peters, David's hôlie Hcliult, vol. 11, page 134.
Ibid., page i58.
i84
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
premier compositeur italien qui osa, en dépit de l'étymologie, nommer
So7iates des oeuvres pour un instrument à clavier seul ( i ).
Baldassare GALUPPI (dit // Bin^anello, du nom de sa ville natale,
Burano), étudia sous la direction de Lotti et passa la plus grande partie
de son existence à Saint-Pétersbourg, où il composa un grand nombre
d'opéras comiques.
Il écrivit douze Sonates pour clavecin, publiées en deux livres, à
Londres (1754). Ces Sonates sont intéressantes en ce qu'elles marquent
une phase de transition ; quelques-unes sont en quatr-e mouvements,
mais la plupart en tî^ois et même en deux.
L'une d'entre elles, en ré, comprend un Grave, un Allegro et un
Andantino ; il faut noter la curieuse cadence qui termine le Grave
initial, et donne naissance au dessin mélodique (a) de V Allegro suivant,
en rythme inégal de sept et six doubles croches :
ritenuto .
Pietro NARDINI, toscan et élève de Tartini, fut, de lySS à 1767,
violoniste solo de la chapelle du duc de Wurtemberg, à Stuttgard, puis
revint en Italie, en 1770, pour occuper le poste de directeur de la mu-
sique à la cour de Florence. On connaît de lui six Sonates pour violon
et basse continue, op. 2, et six Soli de violon, op. 5.
QaetanoPUGNANI, de Turin, fut maître de chapelle de la cour dans
cette ville et eut pour élève le célèbre Viotti. 11 écrivit quatorze Sonates
pour violon seul.
(i) On a vu (notes des pages io6 et i53) que cette application, alors nouvelle, du nom de
Sonate avait bientôt fait oublier complètement 1 accepuon originelle.
En Allemagne, Kuhnau (voir ci-après, p. i85) avait déjà écrit en 1692 une Sonate pour
clavecin seul.
LA SONATE ALLEMANDE PRIMITIVE i8j
Nardini et Pugnani furent les derniers compositeurs de Sonates en
Italie ; avec eux commença la décadence, car, dès la seconde moitié du
xvin* siècle, le Concerto, forme où la musique cédait le pas à la virtuo-
sité, sévissait dans toute la péninsule, tandis que l'art d'écrire la Sonate
et la Musique de Chambre s'y était complètement perdu.
10. — LA SONATE ALLEMANDE PRIMITIVE.
Le rôle que Legrenzi avait joué à l'égard de la Sonate italienne fut
dévolu, en Allemagne, à Dietrich BECKER (voir ci-dessus, p. 143). Ce
remarquable compositeur, dans ses Musikalische Fruhlings Friiclite (i),
adopta en effet la construction en trois mouvements {Allegro, Ada-
gio, Allegro), pour ses Sonates à deux violons et basse continue ; mais
toutes celles-ci sont écrites en forme Suite et sans apparence de retour
au thème initial. Nous ne pouvons donc compter Becker parmi les
compositeurs de Sonates à forme ternaire, bien qu'il ait contribué cer-
tainement, en Allemagne, à l'éducation des promoteurs de la Sonate
primitive, dont la liste suit :
Johann Kuhnau
Johann Mattheson
Georg Philip Telemann
Christoph Graupner
Georg Friedrich Haendkl. . . .
Johann Sébastian Bach i685 f lySo
Johann KUHNAU (voir ci-dessus, p. 144) exerça une influence consi-
dérable sur la direction de la musique instrumentale en Allemagne. Sa
célèbre Sonate en .svt,, publiée en 1692, comme appendice à la seconde
partie de la Clavieriibiing, avec cette originale dédicace « composée
pour le plaisir particulier des amateurs de clavecin », est certainement
la première œuvre écrite en ce genre pour un instrument à clavier. La
forme ternaire ne s'y montre pas encore, mais la construction est essen-
tiellement diftérente de celle de la Suite. Elle est en quatre parties : un
Prélude majestueux, une Fugue très mouvementée, un Adagio à la
sous-dotninante suivi d'un court Allegro de transition qui ramène le
Prélude. A la fin, se trouve l'épigraphe : Soli Deo Gloria !
Mais c'est surtout dans le recueil 'inmu\é Frische Klarier Friichte, et
dédié au comte J. -A. Losy, conseiller du Saint-Empire, que Kuhnau
commence à entrevoir la forme définitive de la Sonate.
Les sept œuvres qui composent ce recueil sont toutes en quatre mou-
(i) Les Fruits musicaux du printemps.
1660 n
- 1722
1681 -
- 1764
1681 -
- 1767
i683 -
- 1760
1684 -
1- 1759
i86
LA SONATE PRÉ-BEETHOVENIENNE
vements entrecoupés parfois de courts Adagios; la 4» Sonate, en ut,
offre une construction assez particulière :
i» Vivace ainsi divisé :
— Exposition en deux longues parties, du thème initial (A), en ut,
avec reprise de la seconde partie et modulation à la D. ;
— , Partie médiane très courte ;
— RÉEXPOSiTiON du thème initial (A), à la T., et conclusion en UT
par la tierce picarde (voir ci-dessus, p. i3i).
20 Adagio fantaisiste, allant de LA i* à ut et enchaîné à la pièce suivante ;
3° Allegro fugué, construit en forme Sonate de coupe ternaire ;
40 Menuet, aussi original par sa forme que par sa ligne mélodique : il
commence en MI i», re/a/z/ majeur du ton principal, s'infléchit
peu à peu vers celui-ci et termine enfin en UT, au moyen de
la tierce picarde ; de plus, la phrase y est constamment
présentée en rythmes successifs de trois et de cinq mesures :
Rvihme de 3
Rythme de 3
M
&^
Rythme de 5
Il est donc de toute Justice de considérer Kuhnau comme le créateur
de la Sonate allemande primitive dans la forme où elle fut consolidée
par ses successeurs, jusques et y compris Sébastien Bach (i).
Johann MATTHESON. Ce n'est point la première fois que nous ren-
controns le nom de ce bizarre personnage, à la fois musicien, juriste,
diplomate, écrivain et chanoine, qui émit d'intéressantes théories sur la
plupart des connaissances humaines {2).
Dès son plus jeune âge il étudiait simultanément la musique, sous la
direction du célèbre Pretorius, le droit et les langues étrangères. A vingt
ans, il était ténor à l'opéra de Hambourg, sa ville natale, et y dirigeait
un peu plus tard, comme chef d'orchestre, une œuvre dramatique de sa
composition, die Pleyaden. En i 706, il est nommé secrétaire de léga-
i) Il existe une édition moderne à peu près complète des œuvres de Kuhnau pour cla-
vecin, dans la publication intitulée Denkmaler deutscher Tonkunst, i" partie, iv« vol.
Breitkopf et Haerlel, 1901.
(2) Voir notamment ci-dessus, p. 3o et 82.
LA SO.NATli ALLEMANDE PRLMITIVE ,87
tion en Angleterre ; en i 7 i 3, il devient chanoine de Hambourg et direc-
teurtles cérémonies de la cathédrale, pour les offices de laquelle il com-
posa nombre de Messes et de Passions, sans compter trente Oratorios.
Atteint de surdité vers sa quarantième année, il abandonna complè-
tement la pratique de l'art musical pour se livrer aux études critiques.
Parmi ses écrits publiés, et sans parler de ceux qui concernent la
théologie ou la jurisprudence, on connaît de lui plus de trente volumi-
neux ouvrages sur la théorie et l'histoire musicales; nous lui devons
même la plus grande partie de nos renseignements sur les compo-
siteurs et les compositions de son époque. Ses principaux ouvrages, que
devraient connaître tous les artistes désireux de s'instruire, sont :
I ° das neuerôffnete Orchester, oder gi^undliche Anleitung me ein Ga-
laiiihomme eine ifollkommende Begi^iff von der Hoheit und Wiirde der
edlen Musik erlangen môge (i) (171 3) ;
2° das beschiitite Orchester (2) (1717), dédié « aux treize meilleurs
musiciens de son temps » ; ce sont : G. Vertouch, J.-J. Fux, J.-D. Heini-
chen, G. -F. Hcendel, R. Keiser, J.-P. Krieger, J. Krieger, J. Kuhnau,
G. Ritter, J.-C. Schmidt, A. Stricker, G.-P. Telemann, J. Theile ;
on n'y trouve point le nom de J.-S. Bach
3° das forschejide Oîxhester (3) (1721) ', dans ces trois traités, Mat-
theson émet d'abord une théorie générale de la musique, avec beaucoup
d'ingénieuses remarques, notamment sur les propriétés des divers
instruments ; il réfute ensuite les raisonnements de ceux qui soute-
naient encore les principes de la solmisation et l'usage des anciens
modes; il établit enfin une sorte de philosophie de l'harmonie et du
contrepoint ;
4° Exemplarische Organisten Probe im Ai'likel l'om General-Bass (4)
{1719), sorte de traité d'accompagnement où les citations mathéma-
tiques et architecturales sont en aussi grand nombre que les pièces de
musique ;
5° der musikalische Patriot (5) (1728) ;
6° der vollkomuiene Kapelbneister (6) (173Q), le plus important de ses
ouvrages, dans lequel il enseigne tout ce qu'un directeur de musique
devait savoir à cette époque. L'ouvrage est divisé en trois parties :
1° « Réflexions scientifiques sur les connaissances nécessaires au maître
de musique »; 2° « L'art de composer une mélodie, ou la création d'un
(1) L'orchestre dévoilé, ou les principes au moyen desquels un galant homme peut acqué-
rir une parfaite connaissance de la grandeur et de la dignité de la noble musique.
(2) La défense de l'orchestre.
(3) L'orchestre approfondi.
(1) L'art de rorganis;e, en matière de basse continue, enseigné par des exemples.
(5) Le patriote musicien.
(6) Le parfait maître de chapelle. Voir le chapitre de la Fuyuc, où cet ouvrage est cité
assez longuenaent (pages 3o et 3i).
i88 LA SONATE PRE-BEETHOVÉNIENNE
chant monodique » ; 3° « L'assemblage de plusieurs mélodies ou l'art
de la polyphonie qu'on appelle aussi harmonie ». Les exemples musi-
caux s'y trouvent en grand nombre ; ils sont souvent extraits d'œuvres
modernes, pour l'époque de Mattheson, ce qui peut fournir au musico-
logue de précieux documents.
Son dernier ouvrage, intitulé Grïmdlage eine?^ Eh'enpforte (i), fut
l'un des premiers dictionnaires d'histoire musicale, dans lequel sont
mentionnées la vie et les œuvres des compositeurs, professeurs et
exécutants alors connus.
Outre ce bagage littéraire et ses oeuvres d'église et de théâtre, Matthe-
son laissa douze Sonates pour deux et trois flûtes, sans basse continue
(1708); un recueil de douze Sonates pour flûte et clavecin (1720),
intitulé der Virtubs ; et enfin, une Sonate pour clavecin seul (17 i3),
dédiée « à la personne qui saura la mieux jouer » {die sie am besten
spielen jvird). Cette oeuvre est extrêmement intéressante comme cons-
truction : elle pose nettement le principe, déjà entrevu par Kuhnau,
du retour au ton par la réexposition complète de la mélodie initiale.
Elle est en un seul mouvement, divisé en trois parties ;
1. Exp. du th. A, en SOL ;
— Passage de transition;
— Th. A, exposé à la Z). ;
— Passage de transition ;
— Th. A, exposé à la T., en forme abrégée.
2. Fragments du th. A, exposés à la SD., à la T., à la D. et au Rel. de
la D., avec conclusion.
3. Reproduction intégrale de la première partie en SOL.
Cette composition marque une sorte d'état intermédiaire entre la
Sonate-Suite et la forme définitive : c'est en cela surtout que consiste
son intérêt.
Qeorg Philip TELEMANN, né à Magdebourg, commença par étudier le
droit à l'université de Leipzig; mais bientôt, cédant à sa passion pour
la musique, il abandonna la jurisprudence et devint, en 1704, organiste
de \a Neu-Kirche, à Leipzig. En 1709, il fut choisi comme maître de
chapelle des cours de Baireuth etd'Eisenach ; ce fut pendant ses séjours
dans cette dernière ville qu'il se lia d'amitié avec J.-S. Bach dont il tint
sur les fonts baptismaux le troisième fils Charles-Philippe-Emmanuel.
Ayant accepté, en 172 i, le poste de directeur de la musique à Ham-
bourg, il passa dans cette ville tout le reste de sa vie.
Ses oeuvres dans la forme Sonate furent, pour la plupart, gravées de
(1) Fondations d'un Arc de triomphe.
LA SONATE ALLEMANDE PRIMITIVE 189
sa main ; elles consistent en douze Sonates pour violon, en deux re-
cueils (1715-1718); six Sonates pour deux flûtes (ou deux violons)
sans basse; six Sonates pour clavecin et douze Sonates mélodiques pour
violon (ou flûte), avec basse continue.
Son ouvrage der getraue Musikmeister, paru en 1728, contient aussi
plusieurs Sonates.
Christoph QRAUPNER, né à Kirchberg, dans les montagnes de Saxe,
d'abord élève de Kuhnau à l'école Saint-Thomas de Leipzig, devint,
en 1709, maître de chapelle de la cour de Darmstadt; ses dernières
années furent attristées par l'affaiblissement graduel et la perte de sa
vue.
Graupner fut l'un des plus importants disciples de Kuhnau et parut
même désigné, à la mort de celui-ci, pour le remplacer à la tète de la
Thomas Schule\ mais il retira modestement sa candidature devant celle
de J.-S. Bach.
Comme tous les musiciens de son époque, il grava lui-même la plus
grande partie de ses œuvres, et laissa aussi un grand nombre de manus-
crits qui n'ont point été publiés. Ses principaux ouvrages sont deux
recueils de Sonates, parus sous les titres Monatliche Klavierfriichte
(1722) et die pier Jahres^eitefi (1733).
Georg Friedrich H/ENDEL (voir ci-dessus, p. 146) publia, avant 1740,
douze Sonates pour violon (ou flûte) avec basse chiffrée, et ensuite,
treize Sonates pour hautbois (ou violon, ou flûte) avec basse continue ;
ces dernières seules sont dans la forme Sonate proprement dite.
Johann Sébastian BACH (voir ci-dessus, p. 76 et 147). Aucune forme
ne pouvait rester étrangère au génie qui synthétise dans son œuvre
toutes les tendances de l'art musical de la première moitié du xvm* siècle ;
aussi retrouvons-nous le grand Bach au chapitre de la Sonate comme à
ceux de la Fugue et de la Suite, et cependant ce n'était pas à ce pro-
digieux esprit qu'il était réservé d'affranchir la Sonate du joug de la
suite, pour la doter de sa forme définitive. Mais il était écrit que le
nom de Bach devait être attaché à l'idée de progrès musical, et ce
fut le troisième fils de Jean-Sébastien qui accomplit la réforme
nécessaire, comme nous le verrons plus loin (p. 193).
Si nous citons ici les Sonates de J.-S. Bach, ce n'est point qu'elles
se rattachent toutes au genre que nous traitons; un certain nombre
d'entre elles présentent, en effet, tous les caractères de la musique en trio^
igo LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
Style qui relève de la Musique de Chambre (i), mais il nous a semblé
qu'on s'étonnerait à bon droit de ne point voir cités ici, au moins dans
une nomenclature, ces chefs-d'œuvre si connus. D'autre part, comme
nombre de ceux-ci sont en forme ternaire^ nous ne sommes point hors
de notre sujet en les analysant dans ce chapitre.
Bach composa une vingtaine de Sonates environ : six pour orgue (en
ty^io)^ trois pour flûte et clavecin (en trio)^ trois pour viole de gambe et
clavecin, six pour violon avec clavecin accompagnant; enfin, quelques
autres pour plusieurs instruments : deux violons, deux clavecins, flûte,
violon et basse continue, etc.
La plus grande partie de ces Sonates datent, ainsi que les Suites, de
la période de Cœthen ; seules, les six Sonates pour violon, écrites de
1726 à 1780, peuvent être attribuées à l'époque de Leipzig.
Contrairement à ce qui se produisit chez les compositeurs italiens, il
semble que Bach ait voulu accroître le nombre des pièces de la So-
nate au lieu de le restreindre. En effet, ses premières Sonates parais-
sent construites comme celles de Locatelli : les Sonates pour orgue et
celles pour flûte, par exemple, ne comptent que trois mouvements. Les
œuvres postérieures au contraire (Sonates pour violon et pour viole de
gambe) en offrent toujours quatre, parfois même cinq, et se rapprochent
ainsi de la construction cyclique de Corelli. Il s'en faut toutefois qu'elles
procèdent de la même esthétique, car leur écriture en trio révèle déjà
une tendance vers l'art collectif de la Musique de Chambre, tandis que
chez Corelli, l'instrument récitant, toujours traité comme une person-
nalité à part, fait présager l'avènement prochain du style décadent qui
donnera naissance au Concerto.
Nous allons examiner rapidement les plus importantes de ces
Sonates. Les six Sonates en trio, dites pour orgue, furent composées
par Bach de 1722 à 1727, pour le clavecin à deux claviers et pédalier,
dans le but de préparer son fils aîné Wilhelm-Friedemann au jeu de
trois claviers indépendants. La plupart sont écrites dans la forme de
la Suite ou du Concert (2); seule, la 5^ en ut présente, en ses trois
parties, les caractères de la Sonate primitive. Le premier mouvement
contient une réexposition très nette à la tonique, et le second morceau
{Largo, 6/8) est un vrai lied en trois sections.
Des trois Sonates en trio pour flûte et clavecin, la r*, en si, est à
(i) Bach donne lui-même, dans ses manuscrits, la dénomination de trio à la 2* Sonate
pour flûte, et écrit, en tête des six Sonates de violon, 'e tiire suivantqui ne laisse aucun doute
sur sa pensée à cet égard : Sei Suonate a Ctmbalo e Violino solo, col basso per Viola da
Gamba accompagnato se piace. Tout ce qui concerne la musique en trio et la Musique de
Chambre sera étudié dans la Seconde Paitie du présent Livre.
(3) Voir la Seconde Partie du présent Livre.
LA SONATE ALLEMANDE PRIMITIVE
191
étudier attentivement, car sa construction est très en avance sur celle
des autres Sonates de Bach.
En voici l'analyse et le thème principal :
Exp. du thème unique (A) en si ;
— Passage modulant;
— Th. A, exposé à la SD., en fa "^ ;
Partie médiane, avec repos en SOL et mi, par A;
Réexp. du th. A, en si, avec canon et Conclusion.
Ce thème si expressif s'accroît encore en intérêt, lors de la réexposi-
ion de son second membre de phrase formant canon sur divers degrés,
pendant près de vingt mesures :
FLUTE
CLAV
l.A SONATE PRE-SEËTHOVENIENNE
etc.
Ce mouvement initial est, à tous points de vue, une pièce de premier
ordre.
Le Largo au ton relatif majeur est traité en forme binaire.
Quant au Presto final, il commence par une Fugue et se résout en un
Alleg?^o, binaire également, simple variation du sujet de la fugue précé-
dente.
Les deux autres Sonates, en Ml ? et la, offrent aussi des mouvements
en forme ternait^e avec réexposition apparente du thème.
Il en est de même des trois Sonates pour viole de gambe ; deux
d'entre elles sont précédées d'une large introduction.
Arrivons aux Sonates pour violon dont l'étude, cependant si féconde
en enseignements précieux pour les violonistes, a été jusqu'à présent
bannie, on ne sait pourquoi, des programmes officiels.
La 2% en la, est ainsi construite :
!• Adagio, en canon interrompu seulement par trois cadences à la D.,
au Rel. et à la T.;
2* Allegro, fugué, dans la forme du Concert (i) avec réexposition com-
plète dans le ton principal ;
3» . nd te (en fa fl), admirable phrase de vingt-neuf mesures en canon
régulier entre le violon et la partie haute du clavecin;
40 Presto de coupe ternaire avec réexposition
La 3% en w/, présente une coupe identique.
La 5*, en fa, débute par un Largo en forme lied d'une expression
\i) Voir la Seconde Partie du présent Livre.
i
LA SONATE DITHÉMATiQUE
'91
calme, dont nous ne retrouverons plus d'exemple que dans les grands
Andante beethovéniens:
Enveloppée dans ce dessin persistant, s'expose, au grave du violon,
une noble et pénétrante mélodie. Bien peu de violonistes savent la pré-
senter d'une façon assez soutenue pour rendre saisissable la belle enver-
gure desaligne synthétique. Les trois sections de cet admirable lied
sont ainsi constituées :
Sect, I. Exp. en fa, avec cadence en L/1 b ;
Sect. II, Partie modulante, revenant vers le ton principal ;
Sect. III. Réexp. en fa simplifiée mélodiquement, et s'enchaînant à V Al-
legro au moyen d'une cadence à la D.
Les autres mouvements sont également de coupe ternait^e.
La 6* Sonate, en sol, se rapprocherait davantage du style de la Suite:
elle est en cinq mouvements :
10 Allegro en SOL avec réexposition ;
2» Largo en mi ;
3o Allegro en mi ;
40 Adagio en ^i ;
5** Allegro final en sOL, avec réexposition.
1 1.
LA SONATE DITHEMATIQUE.
Karl Philip Emanuel Bach.
Johann Georg Leopold Mozart
Georg Benda
Johann Christian Bach. . .
Johann Wilhelm H^essler. .
1714 t 17.S8
1719 t 1788
1722 t '79^
1735 t 1782
1747 t 1822
auxquels il faut ajouter, malgré son origine italienne :
Pietro DoMENico Paradisi dit Paradies. i7iof 1792
Karl Philip Emanuel BACH, troisième tils de Jean-Sébastien, sor-
tit à vingt ans de la maison paternelle pour entreprendre l'étude du
droit ; mais, la prédestination atavique prenant le dessus, il se
consacra bientôt à la musique exclusivement.
D'abord accompagnateur, puis maître de chapelle du roi de Prusse
Cours de cuuposition.
«î
,g4 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
(1740), il resta pendant près de trente ans le « musicien à tout faire »
de la cour du grand Frédéric, où il eut souvent à souffrir des manies du
flûtiste couronné. Aussi profita-t-il de la première occasion pour
demander sa retraite : la guerre de Sept Ans ayant provoqué une réduc-
tion considérable des salaires alloués aux musiciens de la chapelle
prussienne, Emmanuel Bach quitta Berlin et prit, en 1767, la succession
de Telemann comme directeur de la musique à Hambourg ; il y
mourut d'une maladie de poitrine, après avoir exercé ses fonctions
pendant vingt ans.
Bjen qu'ayant subi l'influence des solidesenseignements prodigués par
J.-S. Bach à ses élèves et à ses enfants, Philippe-Emmanuel était doué
d'un jugement assez sain pour ne point chercher à imiter servilement
la manière de son père ; il adopta donc l'écriture nouvelle que lessen-
sualistes d'alors mirent à la mode en l'exaltant comme un progrès sur le
vieux contrepoint: on la nommait /e style galant, probablement parce
qu'elle plaisait aux dames (i).
Ce style, provenant du Concerto qui régnait alors en maître, en Alle-
magne comme en Italie, avait beaucoup contribué à la décadence de la
Sonate ; pour rendre la vie à celle-ci et lui donner un nouvel essor,
il ne fallut rien moins que l'action rénovatrice du génie si prime-sau-
tier d'Emmanuel Bach.
Le second élément mélodique, ajouté par lui dans V exposition et dans
la réexposition du mouvement ternaire, devait faire ce miracle de
sauver la Sonate, en fécondant à nouveau cette belle forme tout près
de disparaître et de se confondre avec le Concerto.
Si, chez Ph.-Emm. Bach, la mélodie manque parfois de variété et de
distinction, en revanche l'imprévu du rythme et de l'harmonie donne à
ses œuvres une saveur toute particulière.
Rien n'effraie ce novateur : il n'hésite pas à se lancer dans les combi-
naisons enharmoniques les plus hardies, sans savoir toujours très
bien comment il s'en tirera; il lui arrive d'associer, dans quelques
sonates, des tonalités qui devaient être, à cette époque tout au moins,
étonnées de se trouver ensemble ; la première Sonate du recueil de
1783, par exemple, est ainsi constituée :
Premier mouvement, en forme de Menuet, en SOL ;
Larghetto, en sol, enchaînant par une modulation enharmonique au Finale ,
Finale, en forme de Menuet, dans le ton de MI, avec un milieu en UT.
1.2. partie médiane des premiers mouvements devient beaucoup plus
libre et plus fantaisiste : elle ne procède plus uniquement par redites et
fait déjà pressentir le dépeloppement véritable.
(1) On a vu ci-desius, dans la section technique {p. i jS), en quoi consiste ce style.
LA SONATE DITHÉMATIQUB tgç
En résumé, les innovations de Ph.-Emm. Bach dans le plan de lu
Sonate primitive sont au nombre de trois :
1° adjonction d'une seconde idée musicale {B) au thème initial (A), dans
la structure du premier mouvement ;
2° substitution du style libre ou .galant au style strict ou fugué,
dans récriture de la Sonate ;
3° élargissement rythmique et harmonique de la partie médiane
dans le mouvement de forme ternaire^ au moyen de l'enharmonie et
de la rupture des rythmes symétriques.
Nous trouverons dans la Sonate beethovénienne l'application défini-
tive et consciente de ces trois principes.
Loin de vouloir détruire l'ancien ordre de choses pour la plus grande
gloire de sa propre personnalité, Ph.-Emm. Bach reste toujours fidèle
aux enseignements de la tradition ; original inconscient, il modifia la
construction de la Sonate, sans peut-être se douter que ces modifica-
tions étaient devenues nécessaires pour assurer à cette forme une
longue et glorieuse existence.
Il est, en effet, curieux de constater que les Sonates qui offrent les
types les plus parfaits et les plus frappants de la nouvelle forme dont il
est le promoteur, sont celles qu'il écrivit au milieu de sa carrière, c'est-
à-dire entre sa trentième et sa cinquantième année (1743 à 1766),
lorsqu'il était à la cour de Frédéric II. Dans toute la période de Ham-
bourg, pendant laquelle il était encore dans la force de l'âge, ses compo-
sitions, sans être indifférentes, sont manifestement inférieures aux
précédentes. On est donc en droit de se demander s'il comprit vrai-
ment l'évolution qui s'opéra par lui, puisque ses dernières Sonates, com-
posées de 1772 à 1785, manquent souvent d'une seconde idée dans le
premier mouvement, et abandonnent même parfois la coupe ternaire,
cette précieuse conquête de l'époque précédente.
La recherche du succès ne serait-elle pas l'explication possible de ce
triste retour en arrière ? Philippe-Emmanuel, en effet, fut loin de
professer la louable indifférence de son père Jean-Sébastien à l'égard
des approbations immédiates qui se traduisaient par la vente de ses
œuvres aux amateurs.
Ses premières publications, consistant uniquement en recueils de
Sonates, furent évidemment d'un débit difficile : aussi, pour « faire
passer » ses Sonates, fut-il forcé postérieurement, non seulement de
leur adjoindre des pièces détachées, Rondeaux ou Fantaisies (i), mais
encore d'adapter la forme des Sonates elle-mèmes au goût des « con-
naisseurs et amateurs » qui avaient bien voulu souscrire à la publica-
(i) Voir la Seconde Partie du présent Livre.
196 LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
tion de ses ouvrages. Simple hypothèse, mais suffisamment plausible
pour que nous ayons le droit de la formuler ici. Quoi qu'il en soit,
l'œuvre pour clavier de Ph.-Emm. Bach est d'une importance capitale
dans l'histoire du développement de l'art, et mérite d'être étudiée en
détail.
Il écrivit soixante-dix Sonates pour le clavecin, dans la forme en
trois mouvements qui devait persister jusqu'à Beethoven. Sauf dans
ses premières œuvres, les trois mouvements sont toujours enchaînés
les uns aux autres et se suivent sans interruption.
Voici la nomenclature de ses Sonates :
I*» six Sonates, dites prussien7ies, dédiées au roi Frédéric II, composées
en 1740 et imprimées en 1742, à Nuremberg; leur forme est celle de
la Sonate primitive de coupe temaiî^e, où apparaît quelquefois un
embr3'^on de second thème peu caractérisé ; les pièces n'y sont jamais
enchaînées les unes aux autres ;
2* six Sonates, dites ivurtembergoises ^ dédiées à Charles-Eugène,
duc de Wurtemberg et de Teck, composées pendant un séjour aux
eaux de Teplitz, en 1743, et gravées chez Windter, à Nuremberg,
en 1743, sous la désignation : Op. 2. C'est dans ce recueil que
Ph.-Emm. Bach donne l'essor à son génie inventif.
Dans la 2* Sonate, en la t>, paraît pour la première fois la nouvelle
forme de premier mouvement à deux idées musicales, et ici, la seconde
idée s'expose en trois phrases constitutives parfaitement distinctes, c'est-
à-dire dans une forme que nous retrouverons seulement avec la Sonate
beethovénienne. Nous avons donné dans la section technique du présent
chapitre (p. 160 et suiv.) l'analyse détaillée de ce monument im-
portant de l'histoire musicale.
'L'Adagio, en réï> {SD. du ton principal), est un véritable lied en
trois sections ; si la deuxième section ne présente cependant pas d'élé-
ment nouveau, la troisième n'en est pas moins une amplification de la
première, au lieu d'une redite exacte. Le thème de cet Adagio ne le cède
en rien aux belles mélodies de Mozart ; certaine phrase fait même
penser à VAndante de la Sonate, op. 81 {Lebewohl), de Beethoven (i).
(i) L'inépuisable richesse d'inspiration d'un musicien comme Beethoyen suffit à écarter
ici, quoi qu'on en ait dit, toute imputation de plagiat. Il faut voir plutôt dans une telle simi-
litude une manifestation du travail latent qui précède l'avènement des plus grands génies.
Ceux-ci, comme les plus belles plantes, ne poussent point isolés : la terre artistique, si
féconde qu'elle soit, ne les fait germer et atteindre les plus hauts sommets qu'après avoir
produit, autour du lieu qui les verra naître, des génies plus humbles et de moindre
élévation.
L'histoire de l'art fournit des preuves palpables de cette vérité, dont la constatation avait
ici aa place naturelle.
LA SONATE DITHEMATIQUE
Voici le texte de Ph.-P^mm. Bach :
«97
Adaf^io ^^
jTi ^ r? r-f^ ri fg
et voici le texte de Beethoven
And'r (xpressivo
^OTn
£1:13
p ' 'p-
Quant à VAlleffro final, il est d'une gaieté charmante et garde la forme
binaire de l'ancien morceau de Suite dans le style de D. Scarlatti.
La 5' Sonate^ euMr^, est un petit chef-d'œuvre ; en voici l'analyse :
Allegro en mi^,, de forme Sonate :
Exp. : thème A, qui n'est pas sans analogie avec le thème du grand Pré-
lude de J.-S. Bach, également en MI (voir ci dessus, p. 82) :
Allegro @
— Thème B, en SI ?, a'une grande noblesse d'allure :
(M
^> ''^
r cjT cJ'
§9 «,sg£
ii ,
^rf-^^^F
^ * •• »
S
^^
^^
:5r^
^^
ritcn
Partie médiane par A, à la D., puis modulant, par B, en ut, puis modu-
lant de nouveau ;
,ç8 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
RÉEXP. : thème A, à la T.;
— thème B, à la T.; mais la première partie n'est pas réexposée, et
c'est seulement la phrase complémentaire qui conclut.
Adagio, en m? t». C'est une des plus belles inspirations du fils de
Jean-Sébastien ■. une large phrase en style fugué à trois voix se
déroule sans interruption en passant par la sous-dominante et le
relatif et conclut magistralement à la tonique ;
Allegro assai, en mi b, en forme de premier mouvement à deux
thèmes dont le second est manifestement issu du premier. Ce finale est
plein de gaieté et fait déjà présager ceux de Ha3^dn ;
3° six Sonates, publiées comme exemples dans le Traité de Clavecin
dont il sera question ci-après et composées à Berlin, en 1763 ;
40 deux Sonates, en ré et re, publiées dans la Raccolta de Breitkopf,
à Leipzig, en 1757 et 1758 ;
5* six Sonates avec les reprises variées [mit veranderten Reprisen),
gravées à Berlin en 1759 (2' édition en 1785) et dédiées à la princesse
Amélie de Prusse. Cette œuvre constitue un document historique
instructif relativement à l'état d'esprit des virtuoses de cette époque.
On a signalé déjà, à propos des doubles, dans certaines danses de la
Suite (p. 114), l'usage, alors traditionnel, d'indiquer seulement la
reprise [seconda volta) par le signe :|J: en laissant l'exécutant libre d'y
introduire tous les ornements mélodiques que lui suggérait sa fantaisie.
Tant que les virtuoses furent recrutés parmi les compositeurs ou seule-
ment parmi des artistes ayant travaillé parfois pendant plus de dix ans
avant d'oser jouer en public, il n'y eut aucun inconvénient à leur lais-
ser toute liberté pour faire admirer à la fois la vélocité de leurs doigts,
l'habileté de leur archet et aussi la finesse de leur goût. Violonistes et
clavecinistes étaient alors experts dans l'art d'ornementer une mélodie
et de réaliser en parties strictes, voire en style fugué, une basse continue.
Mais, avec le style galant, l'exécution devenant très facilitée, les fautes
de goût se multiplièrent de telle sorte que la mélodie exposée dans
la première reprise en arrivait, lors de sa redite, à être tout à fait mé-
connaissable. C'est contre cet abus que voulut protester Ph.-Emm.
Bach, en écrivant lui-même les changements qu'il désirait voir intro-
duire dans ses reprises. Il s'en explique tout au long dans la préface
de l'œuvre dont nous parlons : il s'y plaint de ce que « les exécutants
« ne jouent souvent pas les notes telles qu'elles sont écrites, même dans
« la prima volta, et que si la faculté d'interpréter à leur fantaisie la
« seconda volta leur est laissée, ils introduisent des changements qui
« altèrent gravement le style et le caractère de la musique » (i).
Ci) Ce grave défaut n'a pas totalement disparu. Nous avons pu entendre des virtuoses
allemands qui se croyaient autorisés à défigurer les plus belles œuvres par d'insupportables
rallentando ou d'inopportunes adjonctions d'octaves non écrites parles auteurs.
LA SONATK OITHKMATIQUE
'99
6° douze Sonates, parues à Berlin en 1761 et 1762;
7° six Sonates faciles [Leichte Souaten) ; Leipzig, 1766 [2* édition
gravée à Londres, chez Longmann, Luke}' and C"*) ; le finale de la
4*, en s/, est une pièce exquise que tous les jeunes pianistes devraient
avoir dans leur répertoire;
8*» six Sonates « pour les dames » [alfuso délie donne). Deux éditions:
Amsterdam, 1770, et Riga;
9° une Sonate ; Leipzig, 1785 ;
10° enfin, six recueils de Sonates et de pièces pour clavecin, sous le
titre général Clavier-Sonaten fiir Kenner und Liebhabet^ {i), imprimés
à Leipzig, de 1779 à 1787 (2), par souscription (3). Cette œuvre, des
plus intéressantes, mérite un examen détaillé.
Le I" recueil, paru en 1779 et dédié à M"* Zernitz, de Varsovie,
<:onsiste en six Sonates, composées de 1758 a 1774. Les dernières en
date (Hambourg, 1772 et 1774) sont celles qui offrent le moins de
caractère au point de vue de la forme Sonate (i*"en ut, 3' en si,
b' en fa)\ le premier morceau de la 5' est même écrit dans la forme de
l'ancienne Suite.
Les deux plus importantes sont la 4* et la 6^
La 4^ en LA (Potsdam, 1765) se termine par un Allegro en forme
de premier mouvement ternaire, tout à fait remarquable par ses
thèmes et son système de développement.
La 6% en sol, également de 1763, devrait être connue de tous
les pianistes ; en voici l'analyse :
Allegretto., en sol:, de forme Sonate :
Exp. : thème A, à la T. :
Allegretto mod'^'
QÇ) premier thèint-
(i) Sonates de clavecin pour les connaisseurs et les amateurs.
(î) Une édition moderne, absolument conformeau texte original, a été faite par la maiscn
Breitkopf et Haertel, à Leipzig. Un grand nombre de ces Sonates avaient déjà été grarées en
France dans le Trésor des pianistes de M"* Louise Farrcnc.
(3) Les souscripteurs étaient, pour le premier recueil, au nombre de 519; ce chiffre tomba
à 300; puis, l'annonce des Fantaisies alléchant le public, le nombre des souscripteurs au
quatrième recueil fut de 43 J. Chose curieuse, parmi ces amateurs on rencontre plusieurs
français : M*' Auvray, M. de Jonquières, l'ahbé Dufresne, .M"«» .Mimi Desplaces,
Catherine Delacroix, Louise Lézurier, de Rouen, et M. de Florencourt, inspecteur de»
forôts. Comme autres personnages à signaler, on trouve le D' Burncy, de Londres, qui
souscrivit douze exemplaires, et le général de cavalerie von Bismarck.
— Passage de transition, assez long et très fantaisiste ;
— Thème B, à la D., empruntant, au cours de son exposition,
le rythme de A :
*
second thème
i
^m
ET
^^^^^^m
à
Partie médiane : thème A, à la D., modulant vers la et amenant
la réexposition;
Réexp. : thème A, à la T.;
— Passage de transition;
— Thème B, à la T.
Andante en sol ; belle fantaisie expressive, exposant une phrase
unique extrêmement pénétrante, où l'invention mélodique de Phi-
lippe-Emmanuel semble se rapprocher de celle de son père.
Allegro di molto^ très mouvementé :
Exp. : Premier thème (A) à la T., suivi, sans transition, du second;
— Second thème (B) fort intéressant, en trois éléments [b', b", b''')i
(H) sergnd thème
(by precnier élément
^
^m
M
D.(g)
*^^
(^ deuxième élément
/
^
^
LA SONATE DITHEMATIQUE
mj^ troisième «lémenl
Partie médiane qui contient une phrase toute nouvelle, modulant
du ton d'ut à la D. de SOL, pour ramener la réexposition, comme
plus tard dans le Rondeau-type. Voici ce passage :
RÉEXPOsiTioN, où le thème B ne reproduit intégralement à la T. que
ses deux derniers éléments : le premier est remplacé par un dessin
mélodique qui semble tiré de la phrase apparue au cours de la
partie médiane.
Il faut lire aussi le beau Larghetto de la 2* Sonate (Berlin, lySS), qui
n'est pas sans faire présager certains Adag-ios beethovéniens, autant par
ses nuances graduées que par sa ligne mélodique d'une intime tristesse :
Lk SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
M rn j- ^
Le II* recueil (i 780), dédié à Friedrich Heinrich, margrave de Schwed,
ne contient que trois Sonates, toutes trois de la période de Hambourg
(1774 a 17S0): la première d'un beau caractère, les deux autres très
courtes et en deux mouvements seulement.
Le III* recueil (178 1), dédié au baron van Swieten, ne compte aussi
que trois Sonates : la i", en la, écrite à Hambourg en 1774, n'offre
aucune particularité, mais les deux autres, de l'époque berlinoise,
sont fort intéressantes.
La 2*, en re (Potsdam, 1766), est même tout à fait remarquable. Le
second thème du premier mouvement fait pressentir, en une forme
plus fantaisiste, ceux de Mozart •
^m
^î^ L-g^f^
^^
^
I
^0=^^'-
VAndante cantabile e mesto de la même Sonate est d'une dolente et
pénétrante expression.
La 3* Sonate, en /a (Berlin, 1763), en trois morceaux que Forkel a
intitulés « l'indignation, la réflexion, la consolation », mérite aussi
d'être étudiée.
Le IVe recueil (1783), où commence la publication des Fantaisies
qui en devaient assurer le succès, ne contient que deux Sonates, dont
la première, assez curieuse par sa structure harmonique et enhar-
monique, fut composée à Hambourg en 1781.
Enfin, dans le V' recueil (1785), dédié au prince-évêque de Lubeck,
LA SONATE DITHÉMATIQUE 203
€t dans le VI« (1787), dédié à la comtesse Marie-Thérèse de Leiningen
Westerburg, il n'y a également que deux Sonates. Les unes et les autres
sont de la dernière époque, c'est-à-dire beaucoup moins Sonates par
leur forme que celles de l'époque de Berlin ; on doit pourtant les con-
naître en raison de Vhumour et de la fantaisie qui y régnent. Leurs
morceaux généralement courts se succèdent parfois dans des tona-
lités peu compatibles, croyons-nous, malgré leur réelle proximité (i):
par exemple, le charmant petit Allegreito en la mineur dans la Sonate
^n RÉ majeuj^ (VI« recueil). Les deux Sonates du V*' recueil, écrites à
Hambourg en 1784, présentent certaines originalités; ainsi, dans la
première, en m/, V Adagio^ en {/r, déjà préparé par une transition
qui l'unit au premier mouvement, n'est lui-même, pour ainsi dire,
qu'une préparation de VAndantino final en M/, de telle sorte que tous
les morceaux sont enchaînés l'un à l'autre.
Le passage enharmonique reliant ces deux pièces mérite d'être cité :
il faut lire aussi le joli finale dont le style fait penser à celui de Weber.
La 2' Sonate (V"^ recueil) contient un Largo extrêmement intéressant
par ses modulations enharmoniques. Nous donnons ici un exemple de
ces hardiesses peu communes à cette époque, et que, seul peut-être,
Ph.-Emm. Bach a prodiguées dans ses dernières œuvres :
(i) Voir I"- liv., p. 128 et ng.
204
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
Outre sa musique instrumentale et religieuse, le troisième fils du
grand Sébastien a laissé un ouvrage fort important pour les pianistes
qui s'intéressent au clavecin, et intitulé Vej^such iiber die jpahre At^t das
Klavier '{Il spielen, mit Exempeln iind i8 Probestilckeiti 6 Sonaten (i) ;
ce véritable traité de l'art du claveciniste est diviséen deux livres (parus
en 1760 et 1762 à Berlin ; 2* et 3^ édition à Leipzig, 1782 et 1787) ;
le second traite particulièrement de la Fantaisie et de la manière d'in-
terpréter ce genre spécial de musique, alors si répandu.
Dans le premier livre, on trouve cette maxime qui devrait être médi-
tée par bien des virtuoses : « Il semble que la musique est appelée prin-
ce cipalement à toucher le cœur, et le claveciniste ne peut, selon moi,
« y parvenir, s'il ne songe qu'à faire du bruit. »
(i) Essai sur la vraie manière de loucher le Clavecin, avec des exemples et i8 pièces
d'étude en 6 Sonates.
LA SOWTE DITHÉNUTIOUF: J05
Ph.-Emm. Bach avait aussi rassemblé en un précieux recueil,
aujourd'hui fort rare, les portraits de trois cent trente musiciens
célèbres, depuis Bacchus, le dieu de la chanson, jusqu'à l'auteur lui-
même.
Johann Georg Leopold MOZART, le père du célèbre auteur de la Zaïi-
berjlote, était fils d'un relieur d'Augsbourg. Il se rendit à Salzbourg, où
il devint valet de chambre du chanoine comte de Thurn, puis violoniste
de la chapelle de l'archevêque. En 1762, il était nommé maître de cha-
pelle. Musicien distingué, il écrivit, outre son Traité de l'école du violon
(1756) qui forma tous les violonistes allemands de la fin du xviu* siècle,
un certain nombre de pièces dans la forme ternaire, notamment trois
Sonates parues dans le recueil de soixante-douze Sonates en douze
livraisons, connu sous le titre Œuvres mêlées^ de Haffner (Nuremberg,
1755 à 1767). Dans ces trois Sonates, assez importantes pour l'his-
toire de cette forme, on trouve fréquemment l'entrée de la seconde idée
soulignée par un changement complet de mouvement et de mesure (i).
Georg BENDA, né à Stare-Benadky, en Bohême, fut musicien de
chambre à Berlin, puis, en 1750, maître de chapelle du duc de Gotha.
Sa célébrité comme compositeur dépassait de beaucoup, en Allemagne,
celle de J.-S. Bach. Il écrivit un certain nombre de Sonates de forme
ternaire.
Johann Christian BACH, dit le « Bach de Londres », né à Leipzig, fit
son éducation musicale sous la direction de son frère Charles-Philippe-
Emmanuel. D'abord organiste à Milan, il devint, en 1739, chef d'or-
chestre et compositeur d'opéras à Londres, où il passa le reste de sa vie.
On a de lui plusieurs recueils de Sonates pour le clavecin, en forme
ternaire; le plus connu est l'op. 3, dédié au duc de Mecklembourg et
contenant six Sonates, dont trois sont en deux mouvements seulement.
Johann Wiihelm H/ESSLER, né à Erfurt, pratiqua conjointement avec
l'art musical le métier de fabricant de casquettes, voyagea dans toute
l'Europe et finit par se fixer à Moscou où il mourut. Compositeur fort
intéressant au point de vue de l'écriture du piano, il laissa près de
quarante Sonates, dont la forme est assez variable : outre un grand
nombre de pièces dans la forme de l'ancienne Suite (Allemandes, Ron-
deaux, Menuets, etc.), on y rencontre plusieurs pièces lentes en forme
lied, et même des morceaux de construction ternaire à peu près régu-
lière, comme dans les véritables Sonates.
Haesler a publié :
i* quatre Sonates avec une Fantaisie (1773) ;
(1) Voir J.-S. Shedlock : The pxanofoi le Sonata (Londres, i8g^).
2o6 LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
2° six Sonates (1776), dont la 6^, en la, contient un finale nettement
tejviaire comme coupe, car sa partie médiane est distincte des deux
expositions, mais très voisin de la Suite par sa tonalité qui oscille
de la tonique au j^elatil dans Vexposition initiale, et du relatif à la
tonique dans la réexposition (i);
3° six Sonates faciles [Leichte Sonaten) (1780), dont la première con-
tient un finale de forme ternaire tout à fait régulière ;
4° dix-huit Sonates faciles, en trois livres (1786 à 1788).
Pietro Domenico PARADISI, né à Naples, fut élève de Porpora et
s'établit, vers sa trente-cinquième année, à Londres, où il britannisa
son nom (Paradies) et eut de grands succès comme professeur et compo-
siteur de pièces pour piano. Dans sa vieillesse, il voulut revoir l'Italie
et mourut à Venise, âgé de quatre-vingt-deux ans.
Son œuvre la plus connue consiste en douze Sonates pour clavecin,
imprimées à Londres en 1754 (2° édition à Amsterdam, en 1770). Ces
Sonates, qui ne sont point toutes dans la forme teimaire et semblent un
alliage germano-italien des styles respectifs de Ph.-Emm. Bach et de
D. Scarlatti, sont cependant intéressantes comme écriture, la 8* notam-
ment. Elles sont en deux mouvements, pas toujours de caractère opposé,
et pour la première fois dans la Sonate pour clavecin, on y voit appa-
raître un système d'accompagnement qui consiste à arpéger l'harmonie
en triolets ou en doubles croches, au lieu de la soutenir en accords liés :
^^m^0^^
Ce système que Paradies fut le premier à employer et dont tous les
compositeurs, jusques et y compris Mozart, abusèrent singulièrement,
est connu sous la dénomination de basse d'Alberti^ sans doute en sou-
venir du nom de son inventeur.
12. — LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN.
Franz Joseph Haydn 1782 f 1809
WOLFGANG AmADEUS MoZART. . . I756 f I79I
Friedrich Wilhelm Rust . . . . 1789 f 1796
Franz Joseph HAYDN, fils d'un charron musicien de Rohrau-sur-
Leitha, fit son éducation comme enfant de chœur à la Stephanskirche
(i) Ces six Sonates furent éditées, croyons-nous, avec une Suite de Chansons, apparemment
dans le but d'attendrir les éditeurs et de faciliter la vente... Déjà
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN 207
de Vienne. A partir de l'âge de seize ans, ayant perdu sa voix de soprano
et, par suite, sa place d'enfant de chœur, il commença à végéter miséra-
blement. Il raconta lui-même plus tard qu'il lui était arrivé fréquemment
de remplacerun repas par la lecture, sur un clavecin vermoulu, des belles
œuvres qu'il pouvait se procurer. Il fit ainsi véritablement sa nourriture
des Sonates wurtembergeoises d'Emmanuel Bach, qui venaient de paraî-
tre. Elles suscitèrent en lui le plus grand enthousiasme et lui servirent
pour ainsi dire d'éducatrices, au point de vue du style et de l'écriture.
Après avoir essayé de plusieurs métiers, notamment de celui d'ac-
compagnateur chez Porpora, où il apprit à écrire pour les voix, il fut
distingué par le comte Morzin qui lui confia la direction de sa cha-
pelle à Lukawec, en lySg. Enfin, en 1761 , il devint maître de chapelle
et directeur de l'orchestre du prince Esterhazy, position qu'il occupa
pendant trente ans. Vers la fin de sa vie, en 1790, il commença
à vo3'ager et se rendit deux fois en Angleterre, pour diriger ses
Symphonies aux concerts organisés par le violoniste Salomon. C'est
dans l'un de ces voyages, en passant par Bonn, qu'il connut le jeune
Beethoven, son futur élève. Très patriote, Haydn mourut de chagrin,
lors de l'entrée des Français vainqueurs dans la capitale de l'Empire
allemand en 1809.
Le style musical de Haydn est, sans conteste, la continuation de celui
de Philippe-Emmanuel Bach avec lequel il a, surtout en ses premiè-
res années de production, bien des analogies. Ses thèmes sont cepen-
dant plus caractérisés que ceux du musicien de Hambourg ; ils possèdent
cette pointe d'italianisme commune à tous les compositeurs du sud de
l'Allemagne, et aussi une certaine allure populaire, assez inattendue chez
un maître de chapelle qui passa son existence dans une cour princière.
La Sonate de Haydn est souvent bien plus indéterminée, comme
forme, que celle de ses prédécesseurs. Il y intervertit fréquemment les
types de mouvements, sans grand souci des habitudes alors en vigueur,
terminant, par exemple, la Sonate sur un Menuet varié ou rempla-
çant la pièce lente du milieu par un Rondeau^ etc.
Le Menuet ^tmhXe être sa forme favorite; il use avec prodigalité de
cette danse, abandonnée à l'époque précédente, et qui, dernier legs de
la forme Suite, finit par trouver un asile définitif dans la Sonate, où
elle engendrera le moderne Scherzo.
Haydn construit la plupart de ses Sonates en trois mouvements ; quel-
ques-unes sont en deux^ et la première, seule, en quatre mouvements.
il écrivit :
1° six Sonates y>o\ii baryton (sorte de violoncelle de petite dimension,
qu'afl'ectionnait particulièrement le prince Esterhazy) ;
1" trois Sonates pour violon et pianoforte ;
208
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
S» quarante Sonates pour pianoforte, sur lesquelles trente-sept seule-
ment ont été publiées.
Nous allons passer en revue celles qui, dans cette collection, offrent
par leurs thèmes ou leur structure un intérêt particulier.
La I" Sonate, en SOL, publiée en 1767 (i), compte, nous l'avons dit,
quatre mouvements .
i« Allegro d'ancienne forme, sans reexposition ;
2° Menuet, en SOL. avec trto à la tonique mineure ;
3» Adagio, en 50/, de forme Suite ;
40 Allegro, de coupe ternaire.
Les six Sonates, op. i3, publiées en 1774 par J. Hummel, à Amster-
dam (i), présentent encore des artifices d'écriture (imitations, canons,
etc.) qui sentent le travail d'école et une certaine préoccupation d'imi-
ter les anciens maîtres du contrepoint. Les trois dernières figurent, sans
raison, dans les éditions allemandes, comme écrites pour le violon.
Les six Sonates, op. 14, impiiniées chez Longmann et Broderip en
1776 (3), méritent un plus long examen, car elles donnent vraiment la
caractéristique de la première époque du maître, celle où l'art et l'esprit
d'un Ph.-Emm. Bach régnent en despotes sur sa pensée.
De ces six Sonates, une seule, la 5% en mi, n'a que deux mouvements;
deux se terminent par des Menuets, les trois autres sont construites
ainsi ;
:« Premier mouvement, de forme Sonate;
20 Menuet ;
3» Rondeau, avec reprises variées.
Il est à remarquer que fow/es les pièces finales de cet op. 14, soit Me-
tîuets, soit Rondeaux^ présentent l'aspect de variations.
Dans le premier mouvement de la 3*, en fa, le second thème (B)
semble être sorti de la plume d'Emmanuel Bach :
( 1) N» 33 des éditions Holle et LitolÉF.
(2) Trois de ces Sonates seulement ont été publiées à nouveau ; elles portent les n<" a6, 37
et 28, dans les éditions Holle et LitolfT.
(3) N" lo à ai, éd. Holle et Litoiff.
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN
309
mais le trio en fa, du Menuet, offre au contraire un jeu de rythmes
contrariés assez rare à cette époque :
La 4* Sonate, en la, a été surnommée la « Sonate des cors », parce
qu'une sorte de fanfare de chasse clôt chaque reprise, et circule à tra-
vers le premier mouvement où l'on chercherait en vain un second thème.
A la fin de la f^éexposition, les fanfares disparaissent et la pièce s'enchaîne
à un court Adagio, simple transition légèrement modulante entre deux
morceaux de même tonalité et de même nature.
Les six Sonates publiées par Artaria, à Vienne, en 1 780 ( i), et dédiées
à Franziskaet Marianne von Auenbrugger, marquent l'époque médiane
de la carrière du compositeur, sa « seconde manière », dirait-on au-
jourd'hui. Elles apparaissent dégagées de toute influence, et certaines
d'entre elles méritent d'attirer l'attention par leur fraîcheur mélodique
et leur belle tenue.
Telle la 2* Sonate, en w^ ff , dont le premier mouvement présente
cette particularité que le second thème (B) ne semble d'abord être
qu'une transposition du premier (A) au ton relatif; mais on s'aperçoit
bientôt que, tout en empruntant à celui-ci ses éléments principaux, il
est conduit d'une façon toute différente au point de vue expressif et
■arrive à former un ensemble complet :
(i) Nos I, 10, II, 17, I? et 14 lies éditions Holle et l.itolft.
Cours de composition. — t. ii, i
14
LA SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
R) second thème
rappel de a'
H lé)
Ret. (mÎ)
rappel de ft"
¥'m^\
fe
a
^injJs^'CJ fVi\
^^
Le rythme de toute \d^ partie 7nédiane est tiré de ce second thème.
la 7-éexposition se fait, comme on pouvait s'y attendre, par une fusion
des deux thèmes, car la répétition du second au ton principal aurait
engendré nécessairement une fastidieuse monotonie, grave défaut
dans la composition musicale.
Le Scher^ayido, en forme de Rondeau varié, qui suit ce premier mou-
vement, est construit sur une mélodie absolument identique à celle du
Rondeau placé au début de la 5« Sonate de ce même recueil. C'est bien
à dessein que Haydn traite deux fois ce même thème au cours de la
même publication : il s'en est expliqué avec son éditeur en lui enjoi-
gnant de mettre au verso du titre de la 5* Sonate une note pour avertir
qu'il l'a « fait exprès ».
On peut constater, par les extraits de ces deux pièces que nous don-
nons ci-après, l'utilité de cet avertissement;
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN
Scherzand')
^2:.Sonate)
Rondeau,
initial
(5t: Sonate )
nt*^.-^
1 Hfl P=?^
1 [^. ':;^
1 ;,-T«i sa Pb]
rn
fftt
p
-l — J—
^ 4^ î.
'^■■' LJ '
' >' ^L.^ 1
-^ m ' *^
^v-
Quant au Menuet final de cette 2' Sonate, il fait présager certains
menuets expressifs de la « première manière » de Beethoven :
i
1^
r 'i- ' ''
-M. m .0
a » 0^ —y
i 1 ^
^^
^^
ê
•/=
^
^^=^
fcf-
Le premier mouvement de la 6* Sonate, en ut, est aussi fort intéres-
sant à cause de l'importance qu'y prend le second thème :
Celui-ci, en effet, s'étale très mélodiquement, suivi de ses complé-
mentaires, en vingt-trois mesures, tandis que le premier thème en
compte à peine huit. C'est en cela surtout que Haydn prépare, bien plus
que Mozart, l'avènement de la seconde idée beethovénienne.
Parmi les dernières Sonates, un certain nombre ne comptent plus que
deux mouvements sans grande corrélation apparente : l'une d'elles, en
SOL. consiste simplement en deux Rotideaux variés. Mais il en est
deux cependant qu'il faut mettre hors de pair, car elles peuvent être
2,2 LA SONATE PRÉ-BEETHOVENIENNE
regardées comme les véritables manifestations de la « troisième ma-
nière » de Haydn.
Ces Sonates sont toutes deux en Mn (i). La première, dédiée à
M"''' von Genziger, offre certaines particularités frappantes.
Pans le premier mouvement, le second thème (B) est tiré du pre-
mier (A), comme dans beaucoup de Sonates précédentes ; mais il suffit
d'une très légère modification de degré pour lui donner un aspect
tout différent, ainsi qu'on peut en juger par les citations ci-dessous :
rappel de a" au I^^ degré
En outre, la partie médiane, au lieu de procéder par répétitions ou
par imitations, prend ici l'aspect d'un développement organisé suivant
les principes beethovéniens (2) :
Cette conclusion, assez simple, de l'exposition du second thème
atteint, au cours de cette partie médiane, une telle envergure qu'on
(1) N" 3 et 9 des éditions Holle et LitolfF.
(2) On étudiera dans le chapitre suivant les principes du vrai développement.
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN
>'1
ne peut s'empêcher de penser par moments à V Allegro initial de Top. bj
du géant de Bonn, par exemple, à l'apparition des trois notes caracté-
ristiques, sous cette forme :
SI b
ii fc> - /ît" t>
Enfin, lors de la réexposition^ le passage de transition entre les deux
thèmes grandit notablement et le second thème lui-même se présente
à nouveau, sans avoir besoin, cette fois, de l'appui du premier. Ce
morceau est vraiment une innovation dans l'ordre de la Sonate.
U Adagio tn si\> est un véritable type du lied à reprises variées, dont
nous retrouverons la forme agrandie dans la « première manière » de
Beethoven; l'analj'se le fera mieux comprendre que la description :
I, Thème, en phrase-/jV(i, disposé ainsi •
!A (cad D. — A varié ^cad. D.)\ )
B (cad. D.) - A' varié (cad. T.); )
B' varié (cad, D.) — A' varié (cad. T.) ;)
II. Partie médiane, tirée de B (i) :
( ^, de 51 t> à /?É bi avec reprise ; ^ .
( è, de RÉ i? à la D. de s; t> ;
m. Thème, sans reprises :
' A varié (cad. D.);
< B varié (cad. D); ] si\>
{ A varié (cad. T.) avec une conclusion.
Le Menuet final est construit en forme de Rondeau, ainsi qu'il suit:
Refrain i, phrase de lied en MI\> ;
Couplet j, phrase de lied en Mi\>\
Refrain i, modulant;
Couplet 2 en mi t>;
Refrain 3, en M/b. conclusif.
Quanta la Sonate enM/p, op. 78, dédiée à M"" Bartolozzi, femme
du graveur, c'est sans contredit la plus intéressante et la plus avancée
des œuvres de Haydn en ce genre. Gomme dans la Sonate précédente,
les deux thèmes du premier mouvement sont parents, et même assez
proches, puisque le second thème., qui est formé de trois éléments ou
de trois phrases, offre, en sa première et en sa troisième phrase, des
rappels manifestes de certains rythmes que le premier thème avait
exposés auparavant, tandis que la seconde phrase donne, au contraire,
un élément tout nouveau.
(i)La dédicataire de l'œuvre déclara ce passage à mains croisées inexécuiable..., ce qui
pourrait donner lieu à d'avantageuses suppositions sur l'embonpoint de M»» de Genzigcr.
3,^ LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
Voici Tanalyse du premier mouvement :
I. Exp. : Thème A en 3//b, s'enchaînant au passage suivant :
— Passage de transition, à la D. de la D.;
I b' , tiré de a (cad. T.)\ \
— ■ Thème B ] b" , élément nouveau, relié au suivant; > Sl\>
\ b'", tiré de a et concluant; /
î. Partie médiane : h" en UT, modulant vers /a ;
— Passage de transition, modulant par, LA p, vers la D. d'L'T;
— Repos : b" en Ml a, modulant vers si ;
— Passage de transition sur la D. de si, modulant enhar-
moniquement à la D. de MI \> ;
3. RÉEXP. : Thème A en Mi^ s'enchaînant au passage suivant:
— Passage de transition, à la D. ;
i &', resserré et varié; \
.' è", élément nouveau; >
— Thème B
Ml\>
{ h'", concluant.
L'exemple musical fera mieux comprendre cette façon de compléter
un thème par l'autre, opération très différente, on le remarquera, de
celle qui consistait (dans la première époque de Haydn) à faire du
thème B une simple transposition de A à la dominante :
Allegro
Jv) premier thème
B) second thèm^e
(b^premier eiément
tiré de a'. . .
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN
2l5
Qbj5 deuxième éiémenf (nouveau
troisième élément
tiré de a' fir-'- Hr a"
La partie médiane est aussi, dans ce premier mouvement, un \én-
ta.h\Q développement, unQ explication des thèmes exposés ; les modula-
tions sont d'une telle hardiesse qu'on peut y voir comme le trait
d'union entre les enharmonies de Ph.-Emm. Bach et les envolées
harmoniques beethovéniennes.
3,6 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
V Adagio qui suit est en A// 13, tonalité assez éloignée du ton prin-
cipal MI t> ; l'apparition inopinée de ce même ton de mi b dans la partie
médiane du premier mouvement est très probablement destinée à
préparer la venue de V Adagio (i).
Ce morceau est un simple lied en trois sections ; nous en avons donné
ranal3^se dans \d. section technique de ce chapitre (voir ci-dessus, p. 167)»
Le charmant Presto qui termine Toeuvre ressemble à bien des finales
beethovéniens, il est construit en forme Sonate sur le plan du premier
mouvement. Le second thème, en effet, bien que différent mélodique-
ment du premier, lui demeure étroitement apparenté par le rythme..
Voici l'analyse de cette pièce, qui est à peu près monorythmique :
1. Exp. : Thème A en MI\) (sur rythme a : p [Tn i fi ) cad. T;
— Passage de transition chromatique sur rythme a, relié au th. B ;
i b' , sur rythme a, cad. T. \
— Thème B ! b", agogique, cad. D. > 5/t>.
( b'", tiré de A, conclusif. /
2. Partie médiane : Combinaison de b'" avec le passage de transition, vers
la D. de fa ;
— Thème A. en LA b, modulant vers la D. d' ut :
— Combinaison de b' avec le passage de transition, vers la D. de Ml b;
3. RÉEXP. : Thème A, en A//b;
— Passage de transition ;
— B {b\ b", b'") conclusif en MI \>.
Les virtuoses qui se piquent de jouer du piano devraient bien
cesser d'ignorer les œuvres de Haydn: il est inexplicable qu'on n'en-
tende jamais dans les concerts cette charmante Sonate en A/it>, aussi
brillante que musicale.
Wolfgang Amadeus MOZART, né à Salzbourg où son père était mu-
sicien de la chapelle archiépiscopale, fut un enfant prodige. Dès l'âge
de six ans, il composait des œuvres, assemblage naïf de formules
sans personnalité, mais dénotant déjà des dispositions remarquables
chez un si jeune enfant. Il jouait fort bien du clavecin et improvisait
même assez correctement: dès l'année 17G2, son père se décida à
parcourir l'Europe pour exhiber ses deux petits virtuoses, Wolfgang
et sa sœur Marianne. La première étape fut Vienne, où l'archidu-
chesse Marie-Antoinette, depuis reine de France, encouragea à la cour
de l'Empereur les débuts du petit musicien. En lyôS et 1764, la
famille Mozart vient à Paris, où W^olfgang fait graver ses premières
œuvres : quatre Sonates pour violon. Après un séjour en Angleterre,
(0 Nous expliquerons au chapitre suivant, à propos des relations tonales, cet enchaîne-
ment assez rare au temps de Haydn, et provenant sans doute de la formule de cadenc»
dite sixie napolitaine.
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN j,^
il revient à Salzbourg où il dirige, à douze ans, sa première Messe
solennelle.
A treize ans, un voyage en Italie exerce sur son talent une influence
dont il ne se débarrassa jamais, et, après diverses péripéties, il obtient,
en 1789, le titre de « compositeur de la chambre impériale », avec de
très modiques appointements. A partir de ce moment, il réside à
Vienne, ne quittant la capitale que pour quelques voyages à l'étranger.
C'est à Vienne qu'il mourut, jeune encore, et sa dépouille, abandonnée
par ses rares amis, fut jetée à la fosse commune.
On indiquera, dans le Troisième Livre de ce Cours, l'ordre et les
titres de ses oeuvres dramatiques ; nous nous contenterons ici de men-
tionner les compositions qu'il écrivit dans la forme Sonate :
r quarante-deux Sonates pour piano et violon ; les quatre premières,
écrites et gravées à Paris en 1764, étaient dédiées à M"^ Victoire de
France et à la comtesse de Tessé ; viennent ensuite les six Sonates
dédiées à la reine d'Angleterre ; vingt-sept Sonates sont échelonnées
entre les années 1770 et 1783; les cinq dernières, qui sont les plus
intéressantes, portent les dates de 1784, 85, 87 et 88 ;
2° une Sonate en i?É, pour deux pianos ;
3° cinq Sonates pour piano à quatre mains;
4<» dix-sept Sonates pour piano à deux mains, ainsi réparties : six
Sonates, dédiées au baron Diirnitz, qui négligea d'en envoyer le
paiement (1774); trois Sonates, en ut, la et ré, dites « de Mannheim »
(^777)5 quatre Sonates (1778 a 1784) ; deux Sonates (1788); les deux
dernières, en si\> et ré (1789).
Les Sonates de Mozart ne réalisent pas de progrès notables sur celles
de Haydn; la plupart d'entre elles sont même inférieures en intérêt à
celles du compositeur de la chapelle Esterhazy. Cependant on y distin-
gue avec plus de netteté et de constance l'usage du développement et du
passage de transition àii pont, entre les deux idées : éléments nouveaux
qui prendront, chez Beethoven, une importance prépondérante dans
la construction de la Sonate (voir ci-après, chap. iv). On peut dire
toutefois que les œuvres musicales de l'un comme celles de l'autre sont
toujours « coulées dans l'ancien moule » de Ch.-Ph.-Emm. Bach.
Toutes les Sonates de Mozart sont en trois mouvements.
Voici, dans les Sonates pour piano, celles qui méritent d'être men-
tionnées au point de vue de la forme :
Ce sont d'abord les trois Sonates de Mannheim (i 777).
La 1", en ut, nous montre le peu de cas que les auteurs de ce temps
faisaient du thème ou de Vidée mélodique ; ce n'était point encore, à leurs
yeux, une entité douée d'une vie particulière, mais seulement une sorte
d'émanation mélodique de la tonalité. Ainsi, le second thème de cette
2i8 L.\ SONATE PRÉ-BEETHOVENIENNE
Sonate est présenté, dans Vexposition, sous une forme assez différente
de celle qu'il affectera, lors de la l'éexposition :
Exp. : Thème B à la D. :
Réexp. : Thème B à la T., mais sensiblement modifié :
^m
•> . « * , -«1-
^9' é
W.
La 2* Sonate, en /a, fut écrite pour Rosa Cannabich, fille du capell-
nieister de Mannheim et alors âgée de treize ans; on prétend que
Mozart en fut quelque temps amoureux et voulut peindre, dans VAîi-
dante en fa^ quelque peu fastidieux, le portrait de la blonde enfant.
Le premier mouvement de cette Sonate est ainsi construit ;
I. Exp. : Thème A à la T., sans conclusion :
Ce thème A est enchaîné avec un passage de transition (P),
établi dans le même rythme :
Thème B, qui n'est^ à proprement parler, qu'un trait de piano,
sans le moindre intérêt mélodique :
^fiel.@
2. Partie MÉDIANE rythmique; elle ne donne aucune amplification des
thèmes, mais seulement un travail rythmique sur A et P ;
3. RÉEXP. : reproduction presque intégrale de la première partie à la T.
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN a 19
Le Rondeau olTre un intérêt spécial en ce qu'il prépare la forme que
nous retrouverons plus complète chez Beethoven; voici comment il est
construit :
Refrain i : A, en /j ;
„ , ^ ( A, en ut, puis en UT, amenant de nouveau
Couplet ^ . < . . , . ,
^ A, en mi, expose comme une seconde idée ;
Refrain 2 : A, en /di ;
Couplet 2 : Phrase nouvelle à deux reprises, en la ;
Refrain 3 : A, en la;
Couplet 3 : A, en la, en forme de seconde idée, concluant.
3" Sonate, en RÉ. Dans le premier mouvement de cette Sonate,
Vexposilîon et la réexposition des deux thèmes sont en ordre inverse,
l'une par rapport à l'autre :
1. Exp. Th. A, en RÉ ;
— Passage de transition court ;
— Th. B, en LA, en trois fragments bien déterminés:
!è', phrase mélodique,
b" , passage agogique,
b'", phrase complémentaire suivie d'une coda;
2. Partie médiane, qui garde le rythme de la coda et de la phrase
complémentaire ;
3. RÉExp. : Th. B, en RÉ, avec ses trois fragments {b' b" b'") remplaçant A;
— Th. A, en RÉ, formant une simple conclusion, à la place de B.
La Sonate en ut, de 1784, que l'on a longtemps regardée comme
faisant partie de la grande Fantaisie en ut (1785), erreur due à leur
publication simultanée, est de la même structure que la Sonate anal3'sée
ci-dessus. Le second thème y devient extrêmement important, et le
Rondeau, qui n'est pas sans offrir une certaine analogie avec celui de
l'op. I 3 de Beethoven {Sonate pathétique), présente tous les caractères
du Rondeau beethovénien que nous étudierons dans le chapitre sui-
vant et qui se différencie notablement de l'ancien Rondeau français.
Friedrich Wilhelm RUST, dont les œuvres étaient peu connues avant
que son petit-fils, le docteur W.Rust (i), les eût remises au jour à la fin
du xix^ siècle, fut le trait d'union entre Haydn et Mozart, d'une part, et,
de l'autre, Beethoven, dont il est le précurseur incontestable. Non seule-
ment son style, déjà très en avance sur son époque, mais son écriture
même et son invention mélodique se rattachent étroitement à l'esprit
beethovénien, sans pour cela s'affranchir des pures traditions puisées
dans les solides études qu'il fit à l'école des Bach.
Né à Woerlitz, près de Dessau, Friedrich-\\'ilhelm montra dès l'en-
(0 Le docteur Wilhei.m Rust (1822 j 1892) fut le dernier cantor de l'Ecole de Saint-
Thomas à Leipzig ; il prit une part importante à la publication des oeuvres complètes de
J.-S. Bach, son immortel prédécesseur.
330 LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
fance de sérieuses dispositions musicales. Son frère, J.-L. -Anton Rust,
avait été employé comme violoniste, en 1744 et 1746, dans les exécu-
tions de la Thomas Schule qui avaient lieu sous la direction du grand
Sébastien Bach : il était revenu à Dessau plein d'enthousiasme pour ce
puissant génie et animé d'un esprit de prosélytisme qui trouva chez le
jeune Friedrich-Wilhelm un sujet admirablement préparé.
Celui-ci se nourrit, en effet, de la saine musique du maître et, à l'âge
de treize ans, il jouait de mémoire tous les Préludes et Fugues du
Clavecin bien tempéré. Malgré ces dispositions remarquables, la famille
de Friedrich-Wilhelm s'obstina à l'orienter vers la jurisprudence, étude
qui était alors regardée comme indispensable aux jeunes gens. Rust fut
donc envoyé à cet effet à Halle, où il fréquenta beaucoup plus assidû-
ment les leçons de Friedemann Bach que celles des professeurs de
l'Université. A vingt-trois ans, il abandonna définitivement le droit
pour la musique et fit de sévères études, d'abord à Berlin, sous la direc-
tion de Benda, puis à Potsdam, avec Ph.-Emm. Bach.
Le prince Léopold III d'Anhalt-Dessau le prit alors sous sa protection
et l'emmena même avec lui en Italie, en 1-65. Notre musicien séjourna
deux ans dans la patrie de Scarlatti et se fixa en dernier lieu à Livourne,
d'où sont datées plusieurs de ses œuvres. Ce séjour contribua à modi-
fier son écriture et sa manière ; à partir de ce moment un curieux alliage
s'établit chez lui entre le style « galant » mais sérieux des musiciens
allemands et le gracieux enjouement des italiens.
Rentré à Dessau, il devint, en 1775, directeur de la musique de la
Cour, et écrivit alors un grand nombre d'œuvres pour piano, violon et
chant. Vers la fin de sa vie, sous le règne du nouveau prince-électeur
Frédéric, il fut chargé de composer de la musique officielle à l'occasion
de tous les événements intéressant la principauté.
Ce que l'on connaît jusqu'ici de l'œuvre de Rust comprend (1) :
17 sonates écrites spécialement pour le piano {piano-forte 0 çlavi-
çembalo), dont 12 seulement ont été publiées.
28 sonates pour violon;
1 sonate pour violoncelle ;
8 sonates pour alto ou viole d'amour;
3 sonates peur harpe ;
6 compositions de musique de chambre (trios, quatuors, etc.) ;
(1) Lei œ'jvres de F, \V. Rujt qui ont été publiées par son petit-fils sont pour la plupart
truquéei et moderrasees, suivant !a condamnable coutume dont les « Herausgeber »
aîlen^ands semblent s'être arrogés le monopole. Toutefois, et malgré les changements
introduits ûans l'écriture instrumentale, la musique de ces œuvres a été presque partout
respectée ; le véritable tort du docieur Wilhelm fut de faire figurer dans certaines sonates
de scr. aieul notamment dans la b* (en LA), la 8« (en A//), la io« (en t/7'), des passages
assez considérables et même des morceaux entiers de sa propre compo»ition.
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN' 331
10 pièces diverses pour piano ou pour violon (variations, suites pour
violon seul) ;
2 livres de lieder (gravés de son vivant) au milieu desquels on
rencontre l'admirable Todtenkran\, élégie avec chœurs sur la mort
d'un enfant ;
I recueil de Cantates pour une voix avec orchestre.
Enfin les « œuvres de circonstance » : Chant des nymphes pour dix
voix de femmes, à l'occasion de la réception du roi de Prusse Frédéric-
Guillaume (1787) ; Cantate d'église pour la cinquantaine de M. de Ma-
rées, surintendant de la Cour(i7gi); Cantate de fête pour la « joyeuse
entrée » du prince-électeur, ramenant à Dessau sa jeune femme Amalie
de Gastein-Haubourg (1792) ; Motet pour la présentation k l'église de
la princesse héréditaire d'Anhalt (1794).
Entre temps, Rust écrivait des divertissements pour l'Opéra de
Dessau : Pirame et l'isbé^ Inkle et Yariko, Krylas cl Lalage, sans comp-
ter une opérette allemande: /e Lundi bleu (1777), et nombre de Cantates
pour l'église de la Cour.
Chez aucun des compositeurs de son temps, on ne rencontre, dans
l'ordre de la Sonate, les audaces et les innovations qui foisonnent dans
l'œuvre de Rust, tant au point de vue dt; l'instrument à clavier, qu'à celui
de la disposition architecturale des pièces. Figurations espacées, traits
d'agilité, non pas indifférents comme chez la plupart de ses contempo-
rains, mais tendant toujours à l'expression mélodique, emploi des
octaves aux deux mains, croisements dans le but de varier la scnorité,
sons harmoniques, etc. ; tout cela est plus rapproché du style moderne
que de celui de Mozart ou de Ha3^dn.
C'est principalement dans la forme et la construction que Rust a de
quoi nous étonner. Si la première période de sa vie ne nous fournit que
d'intéressantes imitations dans la manière de Ph. Emm. Bach, quelque
peu mitigées par l'influence de D. Scarlatti, dès la seronde période, vers
1775,1a tendance pré-beethovénienne s'artirme, les modulations devien-
nent plus hardies, les trois pièces de la Sonate se suivent d'un seul
tenant, disposition à peu près abandonnée depuis la Sonate italienne.
Mais c'est surtout à partir de la troisième période (1792) que l'origina-
lité du maître de Dessau s'épanouit dans sa plénitude.
II établit délibérément la Sonate en deux mouvements, form.e qu'on
ne retrouvera que dans les dernières œuvres de Beethoven ; bien mieux,
il adopte pour quelques-unes de ces sonates le thème unique générateur
des principales parties mélodiques de l'œuvre, et semble ainsi prévoir
la transformation cyclique qui ne s'opérera dérînitivement qu'à latin
du xix"- siècle. C'est alors qu'il devient véritablement un précurseur de
Beethoven, non seulement par la similitude des idées qui est flagrante,
333 LA SONATE PRE-BEBTHOVENJENNE
mais par la manière même de disposer les diverses parties de l'œuvre
musicale.
Parmi les Sonates de Rust(i), celles qui offrent le plus d'intérêt sont
les suivantes :
2' Sonate, en 50/, écrite en Italie vers 1766. L'influence de Ph. Emm.
Bach s'y fait évidemment sentir quoique tempérée par la préoccupation
du style de Domenico Scarlatti et de ses successeurs. L'écriture instru-
mentale, comme aussi l'alternance du mineur au majeur sont, sans
Conteste, de provenance italienne. Nombreuses sont ici les ressem-
blances avec certaines productions postérieures d'autres auteurs : le
dessin initial du premier mouvement rappelle de très près celuidufinale
delà sonate op. 54 de Beethoven, et, chose plus étrange, la première
mesure de l'Adagio est bien proche parente de l'Allégretto de la Sonate
en fa de Brahms, op. 5. Au reste, de même que le finale de Brahms, le
curieux rondeau de Rust procède par simplification du thème, lequel,
exposé primitivement en triolets, se reproduit ensuite en valeurs binaires
pour terminer dans le style calme d'une pièce d'orgue.
4^ Sonate, en 50L (2), écrite au retour d'Italie. Elle nous montre en
Rust un curieux innovateur dans l'art de l'écriture pianistique ; l'im-
pression de joie exubérante qui se dégage du charmant pr^s/o final ne
peut trouver d'égale qu'à l'audition de certains rondos de J. Haydn.
Ces deux œuvres sont typiques de la première manière de leur auteur.
La 5* Sonate, en la^ datée du 2 mai 1775, est constituée en trois
mouvements enchaînés sans interruption, forme que l'on ne ren-.
contre chez aucun compositeur de la fin du xvin*^ siècle. Au premier
mouvement fort bien construit, succède un adagio-faniaisie^ à la
manière de Ph. Emm. Bach, qui, partant du ton de la^ oscille
en 57 b, en sol, en i?Ét> pour enchaîner avec le rondeau-final dont le
troisième couplet en duo, si différent du reste, fait déjà présager la
Goupe du rondeau beethovénien.
La 6^ Sonate (1777) se différencie en tout de celles de la première
manière. Les tonalités de RÉ^ et de sol b, peu en usage alors, l'écriture
très soignée et même parfois assez curieusement doigtée par l'au-
teur lui-même, enfin la musicalité des thèmes et des développements en
font une pièce vraiment remarquable. Le premier mouvement et sur-
tout V adagio:
(i) Les 12 principales Sonates pour piano ont été releées avec grand soin par l'auteur
de ce livre, sur les manuscrits de Rust conservés à la Bibliothèque de Berlin. Elles sont
publiées par la maison Rouart, LeroUe et C'«, à Paris.
(2) Cette Sonate fut publiée après la mort de son auteur, par les éditeurs Heinrichs et
Lehmann, à Leipzig, sous le titre, libella en français : Grande Sonate pour le Piano t'orte^
composée par F. G, Rust,
I.n;> PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN
231
Adagio
éminemment beethovéniens, ne seraient pas déplacés au milieu des
œuvres de la première époque du maître de Bonn ; le Menuet qui ter-
mine est, au contraire, tout à fait dans la manière d'Haydn, comme
situation dans l'œuvre et comme musique.
La 7* Sonate, en re (1788) est encore établie en trois mouvements
comme celles d'Haydn et de Mozart, mais elle a quelque chose de plus
que ces dernières : l'adoption d'un thème unique commun au premier
mouvement et au finale :
AU? maestoso
Presto
jer
Mouvî
g
^
L.
£
i
iR>
£
Flna-îé
S
p
^
^^^rr^
m
^
«dat
^rr
^EE
OT] HT:-
éJ'^^'m'^'^-
Pour celle-ci, le thème cnoisi constitue un double hommage : au roi
de Prusse d'abord qui l'inventa plus que probablement, et au grand
canlov de Leipzig qui le traduisit en chefs-d'œuvre (i). — A remar-
quer, le superbe adagio qui termine le finale et fait penser aux grandes
conclusions beethovéniennes.
La 8^ Sonate, en w/, ouvre la série des cinq sonates de la dernière
manière. Elle présente toutes les originalités propres aux œuvres
que le musicien de Dessau écrivit à cette époque : division en deux
parties, bizarres rapports de tonalités, emploi des octaves aux deux
mains (que nous ne trouverons employés de même façon que dans
l'op. 54 de Beethoven), réexposition du thème à la main gauche, péro-
raison alanguie du charmant Rondeau faisant penser à celle de l'ouver-
ture de Coriolan, enfin cette écriture de piano si particulière, évoquant,
dans le Rondeau surtout, les figures de Weber et de Schubert.
(1) Ce thème est, en effet, identique avec celui Je i'OJfiande musicale, de J.-S. Pach.
Voir, page 87.
224
LA SONATE PHÉ-BEETHOVÉNIENNE
Les trois dernières sonates, pleinement caractéristiques de la troi-
sième époque de Rust, sont à étudier tout spécialement :
io« Sonate en c/r (1792). Rien de similaire ne se rencontre dans les
productions des contemporains ; Beethoven, à ce moment, en était à
l'élaboration de ses premiers trios. Divisée en deux parties, cette Sonate
commence par un allegro d'une écriture extraordinairement avancée
pour son temps, et ainsi construit :
1. Exp. : Thème A, à la T. concluant ;
Passage de transition dans le rythme qui accompagne le
ler thème ;
Thème B, à la D.
2. Partie médiane : rythmique, développant A et B, et aboutissant,
par un point d'orgue orné à la :
3. RÉEXP, : contrepartie assez équivalente à l'Exp.
Le deuxième et dernier mouvement est un mouvement de structure
toute particulière. Il débute par un thème d'essence haydnienne dont
on ne peut deviner tout d'abord la destinée finale.
@ premier thème
(^ premier élément
?) deuxième élément
Le morceau continue en forme Rondeau; mais, après le second couplet,
la tonalité s'assombrit et l'insistance du deuxième élément (a") donne
naissance à la fugue suivante :
Moderato
'mi--'
— cette Fugue, presque régulière, se rapproche, comme écriture, des
fugues de la troisième manière de Beethoven (voir chap. iv);
Puis, réexposition du t^oudeau, en ut, concluant par des dévelop-
pements de a ".
La I I* Sonate, en/a^î, nous apparaît comme le chef-d'œuvre de la
série, en raison de la beauté musicale qui en émane ; certains thèmes
LKS PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN
335
et certaines modulations ne se trouveraient pas déplacés dans les œuvres
de la grande époque beethovénienne.
Cette sonate, composée en 1794, consiste en deux pièces principales
reliées e«tre elles par un Larghetto de transition, assez court, qui conduit
de la sons- dominante à la dominante.
En voici la construction :
I. Ekp. : /er thème (^, qui semble comme une prévision du finale
de la 5onate de Beethoven en ut g, op. 37, n° a, dédiée à
Giulietta Guicciardi.
nf iP^^ j i
Passage de transition fourni par un rythme spécial et abou-
tissant au :
Second tliutne (S) , dun charme loui beeihovenien :
CciCRS DE COMPOSITION. — T. II. I. 13
336
L\ SONATE PRE-BEETHOVENIENNE
Ce thème s? complète au moyen d'éléments empruntés au
passage de transition, ce qui donne une grande cohésion
à cette prem'ère partie du morceau.
î. Partie MÉDIANE : inflexion, par le passage de transition, vers:
(^ en ut 5, puis :
3. Réexp. : régulière, sauf que le thème (§) se présente tout d'abord,
comme dans Vexpositioti, au ton relatif, LA, pour s'in-
fléchir ensuite vers le ton principal.
L'admirable Larghetto qui sert de trait d'union entre les deux pièces
constitutives de l'œuvre n'est autre chose qu'un génial développement
des éléments déjà exposés dans le i**" mouvement. La première mesure
est la reproduction dans le sens exposant de la mesure concluante du
morceau précédent :
jer
Mouvl
Larghetto
nij-i-i^
r
La phrase, expressive comme un thème de Bach, s'élève toujours
jusqu'à un premier repos en ré, qui donne naissance à un dessin de
cinq notes, paraphrase du thème v du i" mouvement. Peu à peu, ce
dessin s'établit de façon même à imposer silence à la phrase mélodique
initiale, et module à la dominante du ton principal, préparant ainsi
l'avènement de Vallegi^etto final.
Celui-ci est un véritable menuet, quoiqu'affectant la forme 7'ondeau,
à )a façon de certains menuets d'Haydn, mais il dépasse de beaucoup
ceux-ci comme intensité expressive.
LES PREDECESSEURS DE BEF.TIIOVEN
»«7
Après l'exposition du r(?//-<ii;/, en/a s, le premier couplet s'infléchit
jusqu'à la dominante dt RÉ ^ et le retour au refrain s'opère au moyen
d'une modulation exquise et certainement inouïe à cette époque ; nous
h citerons ici en entier :
l'S'^--
. calando
Cette hésitation du fa : qui consent enfin à se changer en ;«/' s n'est-elle
point vraiment délicieuse? — Le troisième refrain s'impose alors, cette
fois en fa s, et l'on est assez surpris de reconnaître dans le thème, ainsi
présenté en majeur, celui de VAndante favori en fa^ pour piano, que
Beethoven détacha, en 180G, de la Sonate op. 53 pour le publier à part :
^
ïi
m
3^
5=.^
^ — r
■f- -^■
^ ^
L-^
^^
Eê
#
S
rnrï^ ,n
." 7 i
m
Andante (Beethoven)
338
LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉMIENNE
La I 2' et dernière sonate, en RÉ, est, comme la précédente, de l'année
1794. Elle passe pour avoir été dédiée à Gœthe, qui, pendant son
séjour à Dessau, en 1776, avait fréquenté et fort apprécié Rust. Lorsque
le poète fut de retour à Weimar, à la suite de son voyage en Italie, il
écrivit à son ami Behrisch, qui habitait Dessau, de saluer de sa part
« le grand maître Rust » (i). Celui-ci, transporté de reconnaissance et
ne sachant comment s'acquitter, pensa que le plus digne remerciement
serait la dédicace d'une belle Sonate.
L'œuvr-e est constituée en deux parties et peut se placer au même
rang que les meilleures œuvres de son époqne ; l'heureux choix des
thèmes, toujours très musicaux, la fantaisie du développement et l'écri-
ture beaucoup plus pleine et soignée que dans les pièces du commen-
cement de la carrière de Rust, en font une oeuvre de premier ordre, et
peut-être la plus beethovénienne de ses sonates.
L'alternance entre le thème mélancolique qui ouvre le deuxième
morceau et le chant éminemment « symphonie pastorale >» qui fait la
contrepartie, donne l'impression d'une esquisse de quelque quatuor du
maître de Bonn, tandis que la péroraison nous mène encore plus près
de nous, jusqu'à Schumann. Enfin, la coupe en deux morceaux, forme
favorite des derniers temps beethovéniens, éloigne davantage cette belle
composition des ornières formelles et conventionnelles dans lesquelles
se traînait l'art de presque tous les musiciens de cette époque.
Voici la construction de cette sonate :
I. Exp. : Thème Qi. en RÉ.
(^ Allegro
.65
mf
*■ • • m p
m
^^i i- l
m
^
Passage de transition, conduisant à la :
deuxième idée (^ tn LA :
(1) Gœthe's Jahrbuch, vol. Vli, p. ii8, et Vlll, p. i37, édition L. Geiger, 1886.
LES PRÉDÉCESSEURS DE BEETHOVEN
îjg
2. Partik mkoiane : allant de RÉ à mi ; repos en mi par l'idée (g).
Développerrïent delà partie terminale de (^, aboutis-
sant à :
3. RÉExp. régulière des 2 thèmes, avec un assez long point d'orgue
terminal.
La deuxième et dernière pièce de la sonate consiste, nous l'avons dit,
en une intéressante antithèse entre un thème grave et un allegretto
pastoral. En voici la construction :
1. Th. (X\ grave, en ré, arrêté sur la dominante.
Th. (||), pastoral, en FA ;
2. Th. (/V, en sol, s'infléchissant vers la dominante du ton principal :
Th. (|i) en RE, avec une conclusion en dépression qui rappelle
d'assez près la péroraison des Papillons de Schumann.
Outre les perfectionnements considérables apportés par Rust dans
l'écriture technique de l'instrument à clavier, le compositeur de Dessau
tenta de nombreuses innovations visant la diversité des timbres. Il est
vrai de dire que l'a plupart de ces recherches, faciles à rendre sur le
clavicorde dont la mécanique restait toujours à découvert, deviennent
inexécutables sur nos instruments modernes, si parfaits à d'autres
points de vue.
A l'appui de cette assertion, nous pouvons citer la 9^ Sonate, en SOL^
dont, malheureusement, \q finale seul offre quelque intérêt musical.
Au cours de cette œuvre, que précède, dans le manuscrit, une assez
longue préface explicative, Rust se livre à diverses imitations : timbales.,
timbales avec som^dine, psaltérion, et er>6n, sous la dénomination :
suoni di liuto, il y fait un fréquent usage des sons harmoniques obtenus,
comme sur la harpe, au moyen d'un doigt de la main droite posé sur la
partie médiane d'une ou de plusieurs cordes ; les sons, joués par la main
gauche, sortent ainsi à l'octave supérieure de la note écrite.
Au reste, notre auteur emploie également ces sons harmoniques dans
d'autres œuvres, notamment dans la 10® sonate, en ut, comme si le
procédé était généralement connu.
Voici des exemples de l'écriture dont il se sert pour imiter le timbre
du psaltérion et pour faire sortir les sons de luth (harmoniques).
Psaltérion :
pizZi , «enipre pizz,
tenute
(t^' Sonate. — Octobre 1791.)
a'^0
LA SONATE PRÉ BEETHOVÉNIENNE
L'accord de la main gauche reste soutenu au clavier, tandis que les
doigts de la main droite se promènent légèrement sur les cordes cories-
pondantes de l'accord tenu.
Sons harmoniques ;
(harmoniques)
Suoni rli li'i'o
vr-rt
^
@
Effet à Voreille
■iM.m.
M
^
(lo* ;>onate. — Finale.)
Appuyer légèrement l'index de la main droite à mi-longueur des
cordes, et jouer les notes écrites, avec la main gauche seule.
Tel est, dans son ensemble, l'œuvre de piano si caractéristique et si
primesautier de Rust, à qui personne assurément n'osera refuser désor-
mais le titre de « précurseur ».
Il ne restait peut-être qu'un pas à faire pour pénétrer dans la contrée
symphonique nouvelle, dont l'existence avait été pressentie déjà par de
si grands musiciens... mais c'était un pas de géant.
Seul, Beethoven pouvait, d'un génial effort, franchir l'obstacle et
permettre enfin à l'art musical d'entrer dans la Terre Promise.
IV
LA SONATE
DE BEETHOVEN
Technique. — f. L'idée musicale. — 2. Le développement et la modulation. — 3. Le mou
vement initial : type S. — 4. Le mouvement lent : type L. — 5. Le mouvement modéré
le Menuet; le Scherzo : type iM. — 6. Le mouvement rapide ; le Rondeau : type R. —
7. Unité de la Sonate de Beethoven.
Historique. — 8. Chronolog e des Sonates de Beethoven. — 9 Sonates pour piano: première
manière (1796 à 1801). — 10. Sonates pour piano : deuxième manière (1801 à i8i5). —
1 1. Sonates pour piano : troisième manière (i8i5 à 1826). — 12. Sonates pour violon,
violoncelle, etc.
TECHNIQUE
I . l'idée musicale.
La Sonate, telle qu'elle a été définie au précédent chapitre (p. i53),
conserve avec Beethoven tous ses caractères primordiaux : elle ne se
compose jamais de plus de quatre pièces différentes ; l'instrument à
clavier, le piano, pour lequel elle est écrite, joue seul, ou en qualité
d'accompagnateur d'un instrument récitant (violon, violoncelle, etc.)
jouant seul'^ ses pièces constitutives, dont le nombre diminue de
plus en plus tandis que leur forme progresse et se renouvelle, se suC'
cèdent dans un ordre logique de mouvements différents et sont reliées
entre elles par une parenté tonale étroite et constante ; enfin, la coupe
ternaire y apparaît dans toute sa perfection et y supplante presque
entièrement les usages et les formes provenant encore de la Suite.
Mais, à ces caractères permanents de la Sonate pré-beethovénienne
viennent s'en ajouter d'autres, tellement importants et tellement spé-
ciaux, qu'il était indispensable d'en faire l'objet d'une étude séparée et
approfondie.
Les dessins contrapontiques que nous avons comparés à un « véhicule
tonal » allant, dans l'ancienne forme Suite, de la tonique au ton voisin
33a LA SONATE DE BEETHOVEN
pour revenir ensuite à leur point de départ (voir ci-dessus, p. iio),
s'étaient élevés déjà au rôle de thèmes. Dans la forme Sonate, en effet,
ils commençaient à se différencier plus ou moins nettement des dessins
accessoires modulants qui les reliaient entre eux, ainsi que les arches
d'un pont relient l'une à l'autre les deux rives d'un cours d'eau.
Sous l'impulsion du génie beethovénien, le thème va s'accroître dans
de telles proportions, il prendra tant de noblesse et de puissance, que sa
seule énonciation l'imposera définitivement à Tentendement et à la mé-
moire : il acquerra ainsi la valeur et les prérogatives d'une idée, radieuse
souveraine des vastes domaines symphoniques où, sans jamais cesser
d'être elle-même, elle pourra revêtir tour à tour les aspects les plus
différents.
Cette idée, véritable être organisé musicalement suivant des prin-
cipes rythmiques, mélodiques ou harmoniques que nous allons exa-
miner, se comporte dans l'œuvre comme toute idée, tout être, toute
force : elle agit. Et cette action spéciale se manifeste par un procédé
nouveau, que pressentirent déjà les précurseurs immédiats du maître
de Bonn : le développement, soumis aux lois immuables des i-elations
tonales et des modulations, c'est-à-dire aux moyens harmoniques d''ex-
pression dont le mécanisme a été sommairement indiqué déjà au Premier
Livre de ce Cours (i), mais dont le fonctionnement complexe nécessi-
tait une étude détaillée qui va trouver ici sa place logique et légitime.
Car les idées musicales, leurs développements et leurs modulations
constituent autant d'éléments nouveaux ou renouvelés dont l'art sym-
phonique tout entier est redevable à Beethoven principalement, sinon
exclusivement. Mais, comme la forme Sonate a bénéficié plus que toute
autre (et peut-être avant toute autre), de ces véritables « apports per-
sonnels » du maître, il convient de les bien connaître en eux-mêmes,
afin d'apprécier leur gigantesque répercussion sur chacun des types
fondamentaux des ^wa/re mouvements (S. L. M. R.) et sur l'unité syn-
thétique de cette forme de composition.
Avant de poursuivre cette étude, qui fera l'objet du présent chapitre,
nous considéreronsdoncles/^mmw5/ca/^s, en elles-mêmes, puisqu'aussi
bien (c'est Beethoven qui nous le dit), « en musique, tout procède de
Vidée et tout y retourne » (2).
Eléments de l'idée musicale. — « L'idée est une étincelle volée à l'in-
fini. » Cette image poétique de Vidée, prise dans son sens général, peut
s'appliquer à Vidée musicale mieux peut-être qu'à toute autre : « la
(i) Voir l" liv., ch. viii.
(2) Bettina Brentano, Conversation» avec Beethoven.
L'IDÉE MUSICALE ,33
musique n'est-elle pas le lien qui unit la vie de Tesprit à la vie des sens,
l'unique introductrice au monde supérieur, à ce monde qui embrasse
l'homme, mais que Thomme ne saurait embrasser ? » (i).
Ainsi s'exprime encore Beethoven, qui va même jusqu'à appeler un
jour la philosophie un « dérivé » de la musique (2).
Quoi qu'il en soit de l'idée en général et de l'idée musicale en parti-
culier, au point de vue purement philosophique, il ne nous appartient
pas de discuter ici les diverses définitions qui sont proposées pour
l'une ou pour l'autre par les « spécialistes » (3). A les bien examiner,
d'ailleurs, on serait tenté de les rejeter toutes : il ne s'agit point ici, en
effet, des idées en tant que « représentations d'objets » ; de telles idées
n'ont rien de commun avec les idées musicales, lesquelles, on ne sau-
rait trop insister sur ce point, expriment des sentiments ou des im-
pressions, mais ne peuvent eii aucun cas représenter des objets (4}. Les
définitions du mot idée, pris dans cette acception, sont donc totalement
étrangères à la question et n'ont rien de commun avec la notion
d'infini. Quant à celles qui présupposent cette notion nécessaire, ne
révèlent-elles pas, par cela même, l'impossibilité radicale d'une défini-
tion adéquate ? Peut-on assigner des limites à ce qui n'en a pas, définir
ce qui est infini, comprendre ce qui excède infiniment les bornes inhé-
rentes à notre nature humaine ? (5).
Toutefois, si cette compréhension nous est totalement interdite, ne
pouvons-nous nous élever à une connaissance tout imparfaite et relative
de cette « étincelle volée à l'infini », de cette idée musicale, immaté-
rielle et inaccessible en son essence, mais revêtue pourtant de formes
concrètes qui la mettent à la portée de l'intelligence ?
Considérée dans sa forme et dans sa fonction d'organe vivant conte-
nant la seule raison d'êtt^e de toute composition. Vidée musicale, au
contraire, peut et doit faire le sujet de quelques réflexions utiles, sinon
nécessaires. Cet être agissant conserve, en effet, dans l'état de perfec-
tion auquel l'a élevé le souffle créateur de Beethoven, les éléments ori-
ginels de la mélodie de tous les temps : il est fait de groupes rythmi-
(i) Bettina Brentano, Conservations avec Beethoven.
(2) Ibid. « La musique, dit un jour Beethoven à Bettina, est un terrain dans lequel l'es-
prit vit, pense et fleurit : la philosophie n'est qu'une conséquence ou un dérivé de la
musique I »
(3) Constatons ici, uni fois de plus, l'-nsouciantc ignorance du << philosophe » Littré en
matière de musique et d'art :
« Idée musicale : trait de chant qui se présente à l'esprit du compositeur avec tous les
accessoires qu'il comporte ». (Dictionnaire.) Cette « définition » est donnée dans un para-
graphe de l'article /dt'e, mais pas dans celui où il est question de Vœuvre d'artl
(4) Voir lef liv., Introd., p. i2.
(5) « Une idée est un mode de l'àme, et, comme nous ne savons pas ce que l'àme est en elle-
même, nous ne savons point non plus ce qu'un mode de l'àme est en lui-mâme. » (Ch.
Bonnet, Essai analytique sur les facultés de l'àme, chap. vm.)
334 LA SONATE DE BEETHOVEN
ques accentués, de périodes^ de phrases qui se meuvent dans des toua-
lités (i) ; il y a donc lieu d'examiner ce que contiennent cgs groupes,
véritables cellules organiques, cesjt?er/oies hiérarchiquement ordonnées,
ces phrases éminemment expressives et émouvantes. Et l'on procédera
ici comme on l'a fait précédemment pour le rythme et la mélodie : en
partant de l'élément premier, du minimum indimsible qu'on pourrait
appeler la cellule ou le germe de l'idée.
La Cellule. — En réduisant le rythme à sa plus simple expression,
nous avons constaté qu'il était contenu dans « le plus petit groupe indi-
visible d'une succession de sons (2) ». C'est l'indivisibilité ou l'irréducti-
bilité qui spécifie ce qu'on est convenu d'appeler cellule ou monade. La
cellule thématique dont nous parlons ici diffère de la cellule rythmique
en ce qu'elle peut être aussi bien mélodique ou harmonique, mais tou-
jours sous la condition expresse de demeurer irréductible, c'est-à-dire
d'avoir atteint le degré de simplification à partir duquel toute subdivi-
sion entraîne nécessairement la destruction.
De même que la cellule vivante contient le germe, ainsi la cellule
musicale contient, en quelque sorte, le motif {"i). Dans l'un et l'autre cas,
le contenant est indissolublement lié au contenu : ni l'un ni l'autre ne
se peut concevoir isolément. Il ne saurait y avoir de cellule sans motif.,
musicalement parlant, et la décomposition de l'un ou de l'autre, ou
même leur séparation, sous prétexte d'analyse, paraîtra à juste titre
inintelligible, sinon inintelligente (4). Qu'il nous suffise de constater
l'existence du wo/// inclus nécessairement dans la cellule, et d'examiner
la fonction de celle-ci dans \ts périodes et les phrases auxquelles elle
donne naissance.
La Période. — De même que les groupes rythmiques coopèrent,
par leur combinaison régulière et ordonnée, à l'élaboration de la
période mélodique, ainsi les cellules, en se reproduisant à divers
intervalles ou sur divers degrés, apportent a la. période initiale d'une
phrase musicale tous les attributs rythmiques, mélodiques et har-
(i) Voir I*' liv., chap. ii, pages 33 et suiv.
(2) Ibid., chap. 1, p. 26.
(3) Motif est pris ici dans son sens exact, impliquant comme son radical mot {mottim, de
moveo, je meus) l'idée de mouvement, d'impulsion première, de vie. Tant de choses diffé-
rentes ont été improprement qualifiées en musique de a motifs» que nous serons amenés
dans la pratique à prendre bien souvent le contenant pour le contenu et à nous servir du
mot cellule.
(4) Un tel système de décomposition a pourtant rencontré dans tous les temps et dans tous
les domaines d'ingénieux adeptes, qui s'obstinent à vouloir analyser ce qui ne se décom-
pose pas et, par une prétention toujours orgueilleuse sinon hypocrite, appellent cela « la
science»! Curieuse aberration de l'esprit humain qui, sous prétexte de ne croire que ce
qu'il sait, aboutit ainsi, infailliblement, à ne plus savoir ce qu'il croit.
L'IDKE MUSICALE 333
moniques qui la caractérisent et lui confèrent le rôle principal dans
la genèse de l'idée.
Cette période principale contient le thème {]) générateur, de même que
la cellule contient le motif. Ici encore, le contenant est lié nécessairement
au contenu : il n'y a pas de période principale sans thème générateur.
Leur fonction commune est d'engendrer les autres périodes, con-
tenant les autres éléments du thème ; celles-ci apparaissent en ordre
logique, à la suitedela période principale, ou, si l'on veut, génératrice;
elles la complètent, la précisent ou l'amplifient, remplissant ici la fonc-
tion de périodes secojidaires ou incidentes.
La Phrase. — La succession ordonnée de la période principale ou
génératrice et des périodes secondaires constitue la phrase., c'est-à-dire
renonciation de Vidée musicale.
La phrase contient Vidée., au même titre que la période principale
contient le thème générateur et que la cellule contient le motifs tou-
tefois, si le motif est toujours ^entièrement inclus dans la cellule, et le
thème dans la période, l'idée musicale n'est pas nécessairement énoncée
par une seule phrase. L'énonciation intégrale de Vidée nécessite parfois,
au contraire, deux et même trois phrases dont l'une, la principale, con-
tient la partie essentielle de l'idée.
Il ne peut donc y avoir, musicalement parlant, de phrase sans idée, pas
plus qu'il ne peut y avoir de période sans thème, ni de cellule sans motif.
La phrase, la période et la cellule sont entre elles pareillement dans
une étroite dépendance : il n'y a pas de phrase sans période, ni de
période sans cellule : chacun de ces trois éléments procède en quelque
sorte des deux autres, et leur ensemble nous apparaît comme une
véritable trinité dans l'unité.
Ce principe constitutif de Vidée musicale n'a point cessé d'être
appliqué depuis Beethoven. Wagner et Franck, qui furent, après lui,
les plus grands créateurs dans le domaine musical, n'ont jamais tenté
de modifier l'ordre et la hiérarchie existant entre la cellule., la période
€t la phrase : il est aisé de le constater par quelques exemples em-
pruntés à leurs œuvres (2).
(i) Thème est pris ici (comme précédemment le terme motif] dans son sens vrai, lequel
implique l'idée de placer, de poser quelque chose (6i[jia, de '''^'ir.i^'-, je pose).
Le thème est proprement f ce qui est posé», ce qui est mis là dans un but déterminé (celui
d'engendrer l'œuvre) ; tandis que le motif, c'est t ce qui met en mouvement » la raison d'être.
L'abus qu'on a fait de ces termes excellents nous obligera souvent pour plus de clarté à
subsi'nuer période à thème, comme nous substituerons cellule à motif.
(2) Les singulières « analyses thématiques » qu'on distribue encore de nos jours dans
les concerts, sous prétexte d'aider à la compréhension d'ouvrages symphoniques
nouveaux (ou même anciens^ donnent à penser néanmoins qu'il règne dans l'esprit de
beaucoup de compositeurs, et surtout de « musicographes », une imprécision déplorable,
relativement à l'idée musicale et à ses éléments.
236
LA SONATE DE BEETHOVEN
lo Le rythme étant l'élément primordial de toute manifestation
musicale, les cellules et périodes de caractère principalement ou
exclusivement rythmique sont, de beaucoup, les plus fréquentes : chez
Beethoven notamment, la plupart des périodes génératrices initiale*
sont d'ordre rythmique'^ celle de la Sonate de piano, op. io6, est
particulièrement remarquable à cet égard :
A119
m
(a') cellule
rythmique
^
Jf
ï
(a' bis)
( mélodique )
* i ^
È
4-1^
^-JL
^
p p
Pe'riode génératrice
la ce//«/e primitive indivisible {a) se répète une seconde fois à l'octave supé-
rieure {a bis) et donne naissance à la- formule mélodique (a") qui termine la
période génératrice; celle-ci se répétera deux fois aussi, et la période secon-
daire qui apparaîtra ensuite sera faite de cette même formule mélodique {a"),
comme on le verra ci-après, p. 264.
La V^ Symphonie, op. 67, commence également par une période
géné?^at7'ice, d'ordre rythmique ; mais la cellule, au lieu de faire partie de
la période, comme dans l'op. 106, est énoncée séparément et préala-
blement, à deux reprises différentes :
Ail?
à
(a) cellule
rythmique
(a bisj
S
fa : '. !
' • • •
//
— m
z>
a
Période génératrice
la cellule rythmique contenant le motif {a) s'expose une seconde fois [a bis) ;
la période génératrice (faite de a' a" a'") s'expose ensuite et se répétera sur
divers degrés.
2° La VP Symphonie [Pastorale)^ op. 68, au contraire, débute par
une période génératrice d'ordre éminemment mélodique :
Ail?
Cellule
mélodique
P
Période génératrice
la cellule mélodique, contenant vraiment le motif ou le germe de tous les
développements ultérieurs, ne pourrait être ici séparée de la période
génératrice, même pour les besoins de l'analyse.
L'IDÉE MUSICALE
237
Cette période mélodique offre, à peu de chose près, le caractère tonal
d'un su/et simple (voir ci-dessus, p. Sg) : les seules notes qui y excèdent
l'intervalle de quinte {tonique-domina?ite) ne portent aucun accent (i),
et peuvent être supprimées sans altérer gravement la mélodie, dont
l'expression calme et reposante a pour principale cause cette étendue
restreinte :
Un autre exemple de l'ordre mélodique est contenu dans la période
génératrice de la Sonate pour piano et violon de G. Franck ;
cellule
mélodique
^^
Pe'riode génératrice
cette cellule mélodique, diVec son accent expressif sur la seconde note f/j 2),
contient ici le motif ou le germe de l'œuvre entière : c'est une véritable
cellule cyclique, comme on la verra au chapitre v, ci-après.
3* 11 existe enfin certaines cellules qu'on peut véritablement appeler
harmoniques^ parce que leur ligne mélodique, ou même leur rythme,
ne peuvent être isolés des mélodies simultanées qui les accompagnent
nécessairement, sans perdre, par cela même, toute leur signification
expressive : la cellule initiale de la Sonate, op. 81 {Lebeivolil), peut être
considérée comme un spécimen de cet ordre :
Adagio
*
cellule
harmoinque
:fct=
la cellule ne consiste ni dans le rythme des trois noires, ni dans la mélodie
supérieure (sol, fa, mi b), ni dans la mélodie inférieure (m« t>, sii>, sol) exclu-
sivement, mais dans la superposition harmonique de ces deux mélodies
simultanées.
Un autre exemple, plus frappant encore, de cellule ou de motif pu-
rement harmonique, se trouve au début de Tristan und Isolde de
R. Wagner ;
(i) Voir I" iiv., p. 33 et 34, les observations relatives à l'accentuation vraie de cette
période génératrice.
236
L\ SONATE DE BEETHOVEN
Lento e languido
dans ce « thème de l'enchantement ' d'amour », pour nous servir ici de la
regrettable nomenclature en usage, la cellule principale, qui apparaît après
la cellule secondaire, ne consiste pas dans la ligne mélodique écrite à la
partie supérieure : ce fragment chromatique, isolé de ses harmonies très
spéciales, n'aurait aucune signification musicale déterminée : le véritable
motif est donc contenu dans ces harmonies, lesquelles constituent la cellule.
Ces motifs ha7^jno7iiques, liés généralement à une intention drama-
tique, procèdent souvent, comme l'exemple ci-dessus, d'artijïces
harmoniques (altérations, retards, appoggiatures) qui sont rendus plus
ou moins Jiécessaires par la modification accidentelle qu'ils introduisent
dans l'harmonie naturelle des fonctions tonales (i).
Une même période génératrice peut contenir, d'ailleurs, des cellules
d'ordre différent : la cellule secondaire, qui est placée au début de ce
dernier exemple harmonique, appartient plutôt à VovàïQ jnélodique , de
même, le fragment {a") qui termine la période initiale de la Sonate de
Beethoven, op. io6 (voir ci-dessus, p. 236), ajoute à ce thème éminem-
ment rythmique un élément mélodique appelé, comme on le verra ci-
après (p. 264 et 269), à relier cette période génératrice aux périodes
secondaires qui la suivront^ et même à la seconde idée du même mou-
vement de la Sonate.
Il faudrait bien se garder de croire, en effet, que les six exemples ci-
dessus contiennent des idées entières : lorsqu'on étudiera l'exposition
complète de ce premier mouvement de la Sonate op. 106 (voir ci-après,
p. 264 et suiv.), on se rendra compte de la très petite place occupée par
la période initiale qui contient le thème générateur proprement dit, rela-
tivement à Vidée musicale entière. Et il s'en faut de beaucoup que cette
idée soit l'une des plus longues qu'on rencontre, même dans les Sona-
tes de piano de Beethoven : la seconde idée du même morceau atteint
soixante mesures environ, c'est-à-dire plus du triple de la première.
Genèse de l'idée musicale. — Il faut conclure de ce qui précède que
Vidée musicale, sorte de floraison des thèmes issus des motifs, ne doit
(1) Voir I'^' liv., p. 117, la note relative à i'analyse harmonique de ce même thème chro-
matique de Tristan und Isolde,
L'IDEE MUSICALE 239
pas être confondue avec ses éléments^ pas plus que la cellule ne doit
être confondue avec lo. période, ni celle-ci avec la phrase.
Logiquement, c'est le motif qui doit engendrer le thème, ou, pour
nous servir de la terminologie précédemment adoptée, c'est la cellule
qui engendre la période ; mais cette opération latente se fait incons-
ciemment dans la plupart des cas, et c'est pourquoi nous avons appelé
période génératrice celle qui se présente ordinairement à l'esprit du
compositeur en totalité.^ et non par fragments successifs, sauf à subir
ensuite de profondes modifications, volontaires et conscientes.
La fonction de cette pério le consiste en efl'et à engendrer la phrase,
ou les phrases qui expriment l'idée ; et cette seconde opération n'est
jamais l'effet du hasard, du pur instinct ou de ce qu'on est convenu
d'appeler « l'inspiration ». Pour exprimer l'idée, pour mettre en valeur
cette « étincelle volée à l'infini », cette parcelle d'or pur enclose en la
période génératrice, un travail plus ou moins long, un elfort plus ou
moins pénible, sont toujours nécessaires. Rude et noble tâche, qui
consiste à parfaire cet embryon thématique, à le doter de tous ses
organes essentiels, à le garder jalousement dans le lieu tonal qui Ta
vu naître, en le soustrayant aux tentations modulantes » du dehors,
qui le soumettraient prématurément aux redoutables luttes des « trans-
lations tonales » avant qu'il soii suffisamment affermi sur ses bases.
Écoutons encore Beethoven répondant un jour à Bettina Brentano
qui lui demandait comment viennent les idées musicales : « Du foyer
de l'enthousiasme, dit-il (i), je laisse échapper la mélodie; je la pour-
suis ; haletant, je la rejoins ; elle s'envole de nouveau, elle disparaît,
elle plonge dans un chaos d'émotions diverses. Je l'atteins encore, je la
saisis ; plein de ravissement, je l'étreins avec délire : rien ne peut
plus m'en séparer. Je la multiplie alors par les modulations (2I et, enfin,
)e triomphe de la première idée musicale... Ceci est toute la symphonie. >»
Cette mélodie que l'auteur « étreint avec ravissement », c'est ce
que nous avons appelé la période génératrice. Mais cette période
contient-elle toute Vidée ? le travail du compositeur s'arrète-t-il là ?
Non, certes ; et nous n'en voulons pour preuve que les cahiers d'es-
quisses de Beethoven, où apparaît en maint endroit ce long travail
de la « multiplication du thème », précédant parfois de plusieurs
années le « triomphe » laborieusement conquis de la « première
idée musicale ». Et cette idée, une fois organisée complètement, cons-
(i) Bettina Brentano, Conversations avec Beethoven, p. 8i).
(2) La lecture des Cahiers d'Esquisses, recueillis par Nottcbohin.monire bien que le mot
« modulation » employé ici par Bettina pour traduire la pensée de Beethoven n'est pas
exact, car on ne trouve jamais chez lui du véritable modulation dans l'exposition de ses
idées musicales.
LA SONATE DE BEETHOVEN
titue vraiment pour lui « toute la symphonie », car les développements,
dont on ne trouve presque aucune trace dans ses cahiers, devaient lui
coûter d'autant moins de peine que ses idées avaient été plus longue-
ment préparées et combinées, au prix de soucis et d'émotions diverses.
Pourquoi donc entend-on si souvent des œuvres musicales, d'ailleurs
estimables, où s'exposent, au lieu d'idées complètes, de simples pét^iodes
o-énérairices ? N'en faut-il pas rendre responsable cette erreur si répan-
due qui voit dans r« inspiration » un moyen de sf soustraire à toute
loi, à toute contrainte, et, dans les grands génies de tous les temps, des
êtres plus ou moins déséquilibrés et toujours dispensés de toute étude
et de tout travail préalable? Comme si leurs magistrales idées s'étaient
jamais présentées à leur esprit de prime abord dans toute leur perfec-
tion ! Comme si l'on était en voie de leur ressembler lorsqu'on dédaigne
de connaître leurs ouvrages, et qu'on écrit plus ou moins spontané-
ment une petite période génératrice... qui n'engendrera rien sans un
effort volontaire. Seul, en effet, l'effort patient et réfléchi peut amener
cette brève période satisfaisant déjà la vanité de son auteur, sinon sa
paresse, à la conquête de l'idée entière. Et chez Beethoven, lui-même,
les idées musicales, si simples qu'elles puissent nous paraître, échappent
bien rarement à cette loi.
Les premières esquisses de l'idée du finale, dans la IX^ Symphonie,
remontent à 1807, c'est-à-dire à quinze ou seize ans avant la compo-
sition de ce chef-d'œuvre. Dans le Rondeau fameux connu sous le nom
de « l'Aurore », sans qu'on ait jamais bien su" pourquoi, le thème du
Refrain ne subit pas moins de six ou sept retouches, avant d'acquérir
sa ligne mélodique définitive, et la première de ces esquisses est anté-
rieure de plusieurs mois, d'un an peut-être, à la composition de la
Sonate, op. 53, dont ce Rondeau devint le finale (i). Ce Refrain, d'as-
pect si prime-sautier, ne conserve nulle trace d'un tel effort préalable
accompli avec tant de conscience artistique par le génial symphoniste.
Et pourtant, par une décevante ironie des choses, il arrivera souvent
que l'auditeur naïf louera la « charmante facilité » d'une idée musicale
si lentement et si péniblement élaborée, tandis qu'il trouvera» difficiles
ou compliquées » quelques successions modulantes écrites sans grand
effort, à l'aide d'une petite période, plus embryonnaire que génératrice I
Ainsi, la conscience artistique (2) intervient encore pour nous imposer
la loi inéluctable de l'effort dans cette sorte d'enfantement intellectuel
de l'idée musicale, comme elle intervient pour guider notre choix de la
(i) Nous citerons plus loin, dans la section historique du présent chapitre (p. 353), les
esquisses les plus caractéristiques de ce thème,
(a) Voir I" liv., Introd., p. 14.
LE DÉVELOPPEMENT ET L^ MODULATION 34,
forme de composition que cette idée est appelée à vivifier, ou de la
place qu'elle doit occuper dans l'œuvre.
Car toutes les idées musicales n'ont point la même destination : il y
a des idées dramatiques et des idées symphoniques ; et, parmi celles-ci,
des idées de sonates, des idées de symphonies ou de quatuors à cordes.
Le discernement entre les unes et les autres, entre leurs caractéris-
tiques et leurs aptitudes diverses, sera facilité, nous l'espérons, par la
suite de ce Cours de Composition.
Dans la Sonate même, les idées initiales diffèrent des secondes idées ;
les mouvements lents, modérés ou rapides, ont aussi leurs idées musi-
cales spéciales : les qualités distincîives des unes et des autres apparaî-
tront mieux, au fur et à mesure qu'on étudiera ci-après les quatre
types traditionnels des mouvements de la Sonate (S. L. M. R.).
Mais, quelle que soit la destination de l'idée, sa qualité essentielle
lors de son exposition, c'est l'immobilité tonale. Véritable personnage
vivant, elle se présente à nous dans un lieu déterminé, et ce lieu, c'est
sa tonalité propre : il est donc de toute nécessité qu'elle s'y expose
intégralement, avant d'en sortir pour accomplir sa mission, laquelle
consiste à développer la vie dans toute l'œuvre, à moduler, à agir, en un
mot, suivant certaines lois immuables auxquelles Beethoven lui-même
n'a pas craint de se soumettre.
2. LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION.
Le Développement est l'expression logique et ordonnée des mou-
vements et des états successifs par lesquels passent les divers éléments
constituant l'idée musicale précédemment exposée : c'est donc, à pro-
prement parler, l'action des thèmes et des idées, et, par conséquent,
leur raison d'être, car une idée ne vaut que par l'action qu'elle est sus-
ceptible d'exercer.
Lorsqu'il y a plusieurs idées musicales dans une même pièce, comme,
par exemple, dans la forme Sonate, le développement exprime généra-
lement toutes les phases d'une lutte entre elles, avec le triomphe final
de l'une, la soumission de l'autre, soit qu'elle disparaisse entièrement
devant l'idée victorieuse, soit qu'elle se transforme sous son autorité et
semble se façonner peu à peu à sa ressemblance (i).
Si, au contraire, l'idée vivante est unique, ainsi qu'il arrive dans
la forme Lied, le développement offrira plutôt l'image d une lutte
entre des sentiments différents ou opposés, dans l'âme de cet être
idéal, qui leur obéit tour à tour et se modifie sous leur influence.
(i ) La Sonate, op. 90, co r.ient un exe nple de cette sorte de transformation, comme on le
▼erra ci-après (p. 338).
COLRS DE COMPOSITION. — T. U, I. l6
»43 LA SONATE DE BEETHOVEN
Toujours est-il que dans tous les développements, qu'ils appar-
tiennent à l'une ou à l'autre de ces deux catégories, les thèmes se com-
portent comme des personnages vivants : ils agissent et se meuvent
suivant leurs tendances, leurs sentiments et leurs passions. Et ces mo-
difications diverses se révèlent, soit dans les éléments thématiques
qui s'agrandissent comme pour se surpasser ou se restreignent comme
pour s'absorber en eux-mêmes, soit dans leurs trajectoires tonales
qui s'orientent vers la lumière ou vers l'obscurité.
D'où il suit que les phénomènes du développement sont de deux
ordres différents, selon qu'ils affectent les thèmes et les idées dans leurs
organes constitutifs, ou dans leur situation tonale respective.
Développement organique. — De même que les éléments thématiques
constituant l'idée musicale (voir ci-dessus, p. 236 et suiv.), les déve-
loppements auxquels elle donne lieu peuvent être rythmiques, mélodi-
ques ou harmoniques.
Un développement r^'/^m/^we sera, par exemple, celui qui fera enten-
dre avec persistance le rythme déjà connu du thème préexposé, tandis
qu'apparaîtront d'autres mélodies ou d'autres harmonies reliées par ce
rythme même à l'idée ainsi développée. Les développements de cette
sorte sont très fréquents : on en trouvera un spécimen ci-après (p. 274
et 275) dans l'analyse du premier mouvement de l'op. 106 ; V Allegretto
de laVIPSymphonie,op.92,est entièrement développé decette façon(i).
Un développement mélodique consiste, au contraire, à conserver à
peu près intacte la mélodie du thème, en lui apportant seulement quel-
que modification rythmique ou tonale qui permet néanmoins de la
reconnaître : dans le même morceau qui nous sert de modèle du genre
(ci-après, p. 277) on en trouvera un exemple. Le mouvement initial de
la Sonate, op. 90 (p. SSg), en contient un autre des plus frappants.
Un développement harmonique se révélera plutôt par l'apparition de
quelque nouveau dessin rythmique ou mélodique sur une harmonie
spéciale appartenant en propre à l'idée originaire. Le développement
de la Sonate, op. 106, ramenant dans son 4* élément (voir ci-après,
p. 276) une modulation brusque à la troisième quinte ascendante,
apparue déjà dans l'exposition (p. 267), serait un peu de l'ordre har-
monique ; mais il en existe de meilleurs exemples, notamment dans
le mouvement lent du XIP Quatuor à cordes, op. 127, dont la troi-
sième variation (voir ci-après, chap. vi) contient un admirable déve-
loppement harmonique du thème.
En dehors de ces trois aspects provenantde la nature même des idées,
(i) Il ne serait pas possible de citer des exemples de chaque sorte de développement, car
il faudrait avant chaque exemple citer l'exposition de l'idée développée, pour montrer sa
transformation. On voudra bien se reporter aux œuvres indiquées.
LE DEVELOPPEMENT ET LA MODULATION 343
les développements peuvent modifier les organes thématiques par un
grand nombre de moyens divers qu'on peut ramener à trois principaux:
!*■ V amplification qui consiste en une sorte d'accroissement d'un élé-
ment constitutif de l'idée, lequel prend une importance plus grande par
l'augmentation de valeur de ses notes ou par l'adjonction de notes nou-
velles, comme si le personnage, sous l'influence de quelque force expan-
sive, cherchait à se dilater (voir les exemples ci-après, p. 273 et 274) ;
2° Vélimination^ opération opposée à la précédente, et qui consiste
à diminuer l'importance de l'élément thématique sacrifié plutôt que
développé, en raccourcissant ses notes constitutives, ou même en les
supprimant l'une après l'autre comme si le personnage voulait se
replier sur lui-même et condenser toute son énergie vitale sur un seul
point {wo'u les exemples ci-après, p. 273 et 274) ;
3° la 5z//?er/705/7zo« qui reproduit les éléments thématiques apparte-
nant à l'une ou à l'autre des idées, parfois aux deux simultanément,
en les combinant ou en les associant d'une façon nouvelle dans divers
tons, sur divers degrés et dans diverses parties.
Qui ne reconnaîtrait dans ce « moyen de développement », par excel-
lence, l'antique procédé d'imitation (voir ci-dessus, p. 21) provenant du
style fugué qui l'avait emprunté lui-même au Motet ? C'est, en effet,
une it7iitation qui, dans la musique comme dans la vie, précéda l'ac-
tion indépendante : les petits épisodes de la Fugue, les redites des
dessins de la Suite et, plus tard, les rappels de thèmes dans la partie
médiane des premières Sonates de forme ternaire, furent autant
d'étapes successives lentement franchies par V imitation^ depuis ses
premiers balbutiements jusqu'à l'accomplissement final de sa fonction
complète dans le développement des idées musicales (voir l'exemple
ci-après, p. 274 et 275). Et l'on pourrait dire, en définitive, que Vam-
plification, V élimination et la superposition sont comme trois manières
d'être de Vimitation qui, seule, peut moài'àtv organiquement les thèmes,
en les développant sans les détruire.
Développement tonal. — La tonalité doit être considérée comme le
lieu où se passent les actions thématiques : ce lieu peut demeurer le
même ou il peut changer. Au point de vue tonal ou locale le dévelop-
pement participe donc de l'un ou de l'autre de ces deux états afférents
à la tonalité : immobilité ou translation.
1** En état d'immobilité ou de repos^ le développement revêt momen-
tanément les principaux caractères d'une exposition : il a pour point
de départ une cadence qui détermine la tonalité où se placera cet arrêt,
cette étapo destinée à interrompre son parcours modulant.
Ces étapes tonales étant autant de buts successifs proposés et atteints
LA SONATE DE BEETHOVEN
-'44
par le développement exercent sur la bonne ordonnance de l'œuvre une
influence au moins aussi grande que le choix et l'élaboration des idées.
Il est donc de toute urgence que ces étapes soient déterminées à l'avance,
et les plus arands symphonistes n'y ont assurément jamais manqué.
Souvent les thèmes semblent indiquer eux-mêmes vers quel lieu, vers
quel ton ils tendent à se reposer au cours de leurs actions ; d'autres fois,
il faut leur assigner volontairement les tonalités de repos vers lesquelles
ils seront conduits ensuite sans secousse, mais aussi sans faiblesse.
Quant au choix des tonalités susceptibles de servir de « gîte d'étape»
dans une composition donnée, il est guidé exclusivement par les rela-
tions de distance entre les tons, suivant les principes émis au Premier
Livre (chap. vni) et rappelés ci-après (p. 25o et suiv.) à propos de la
distance des modulations.
2° En état de translation ou de marche, le développement agit vérita-
blement : il tend vers un but, il exprime quelque chose et emprunte l'un
ou l'autre des trois procédés expressifs définis précédemment : Ago-
gique^ Dynamique ou Modulation (i).
Un développement agogique agit par accroissements ou décroisse-
ments de fréquence dans les mouvements des formules rythmiques (voir
l'exemple ci-après, p. 277).
Un développement dynamique agit par accroissements ou décrois-
sements d'intensité dans les accents des formules mélodiques (voir
l'exemple ci-après, p. 276).
Un développement modulant agit par accroissements ou décroisse-
ments de clarté dans les progressions des formules harmoniques (voir
l'exemple ci-après, p. 276 et 276).
Certaines marches dliarmonie offrent une figuration conventionnelle
du développement modulant, dans lequel elles peuvent avoir parfois leur
utilité, à condition d'être mises en quelque sorte au service de Vidée., et
de tendre toujours vers un but. Car le développement ne doit en aucun
cas se mouvoir sur place, c'est-à-dire tourner autour d'une de ses tona-
lités de repos, comme s'il revenait à la même étape, même par des voies
harmoniques différentes, sans avoir progressé ni modulé utilement.
Ceci nous amène nécessairement à étudier les principes généraux des
translations et des relatiotis tonales., c'est-à-dire les modulations .
La Modulation consiste, ainsi que nous l'avons dit au Premier Livre
de ce Cours, dans les modifications apportées à la tonalité des diverses
périodes ou phrases constituant le discours musical. Ces modifications,
(1) Voir 1" liv., chap. viii, p. 134 et suiv. — Toutefois, VAgogiqtte et la Dynamique ne
sont pas exclusivement applicables à l'état de translation ou de marche, auquel la Modula'
tioH, au contraire, appariient nécessairennent.
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION 345
opérées au moyen du déplacement de la tonique et des autres fondions
[dominante, sous-dominante), sont inhérentes à l'idée de mouvement
ou d'action. Elles appartiennent en propre à ce que nous venons
d'appeler les développements d'ordre tonal ou local, c'est-à-dire à ceux
dont le mode d'action consiste à passer alternativement de l'état d'im-
mobilité à celui de translation tonale, et réciproquenient.
En aucun cas, la modulation ne peut donc être le but de la musique,
puisqu'elle est, par sa nature même, un moyen mis au service de l'idée
musicale. Toute modulation qui n'a pas ce caractère de dépendance, de
subordination à l'idée, est par cela même intempestive, inutile et, le
plus souvent, nuisible à l'équilibre de la construction : tel est le cas
notamment d'une modulation apparaissant prématurément dans l'ex-
position même de l'idée, et infirmant sa stabilité tonale (i) ; elle intro-
duit dans l'exposition un élément de développement, comme si l'on fai-
sait agir Vêtre musical, l'idée, avant d'avoir fait connaître Vêtre qui agit.
Le bon sens le plus vulgaire s'accorde avec la logique la plus raffi-
née pour réclamer qu'un personnage existe avant d'agir, qu'une idée
musicale soit exposée avant de moduler, puisqu'elle contient la raison
d'être de la modulation.
Quant à l'ordre dans lequel se succéderont les modulations, il résulte
nécessairement d'une intention expressive préétablie. Dans le domaine
dramatique, cette intention expressive est contenue dans le sujet traité,
dans le sens même des mots et des sentiments qu'ils traduisent : elle
est imposée au musicien, dont le rôle se borne à en interpréter les
nuances et les transformations par des modulations appropriées. Dans ie
domaine symphonique. l'intention expressive est imposée parle musicien\
il est maître d'en ordonner à l'avance toutes les phases, en propor-
tionnant harmonieusement les modulations corrélatives à la nature
même des idées musicales exprimées. Cette souveraineté du sympho-
niste sur son œuvre permet d'élever celle-ci au plus haut degré de per-
fection dans l'unité; et l'on conçoit sans peme que les ouvrages drama-
tiques musicaux se ressentent trop souvent de l'inévitable conflit entre
le poète et le musicien..., même quand l'un et l'autre se trouvent réu-
nis, par bonheur, dans un seul génial artiste.
Dramatiques ou symphoniques, les modulations, on ne saurait trop
insister sur ce point, sont essentiellement expressives et agissantes ;
elles participent par cela même aux trois ordres de relations suscep-
tibles d'être établis entre les êtres sonores, entre les sons musicaux :
elles varient entre elles par leur ci?// reV, leur intensité ou leur distance.
(i) Il s'agit ici, bien entendu^ d'un changement d'état complet dans la tonalité, d'une
modulation définitive (voir ci-après, p. 248).
346
LA SONATE DE BEETHOVEN
Durée des modulations. — Jl n'est pas toujours aisé de discerner où
commence une modulation. L'erreur grossière, qui consiste à qualifier
à peu près indistinctement de modulante toute note étrangère à la
gamme diatonique d'un ton donné, ne tendrait à rien de moins qu'à
faire de toute phrase musicale un peu complexe une série ininterrompue
de modulations, distribuées sans ordre et sans méthode, au gré de ce
qu'on est convenu d'appeler « l'inspiration ».
Nous avons démontré déjà (i) que les douze sons de notre système
musical pouvaient appartenir à la même tonalité. La présence dans
une mélodie de l'un ou l'autre d'entre eux, qu'il soit ou non pourvu
d'un signe d'altération accidentelle, n'est donc ni nécessaire, ni suffi-
sante pour qu'il y ait modulation : car la modulation se révèle par un
changement dans \a fonction d'un son (2), et non par l'apparition de
sons nouveaux.
Beaucoup de chants grégoriens modulaient, bien qu'exclusivement
limités, en principe, aux sept sons de la gamme diatonique. Le verset
« O démens, opia... » de l'antienne Salve Regina (3), par exemple, a
pour tonique /a, tandis que le reste de cette pièce a pour tonique ré.
Les mesures qui précèdent la. pét^iode génératrice de la première idée,
dans la Sonate, op. 28, de Beethoven, ne modulent pas, malgré Vut a
appartenant à la fonction de sous-dominante, entendu avant Vutu en
fonction de tierce de la dominante ;
Allegro
■Pédale de Tunique 1 I 1 I- I ' I ! I ! 1 I i ! '
A l'audition d'une phrase musicale, le changement dans la fonction
tonale d'un ou de plusieurs sons n'apparaît pas toujours au moment
même où il se produit : bien souvent, au contraire, on constate qu'il a eu
lieu, sans avoir perçu le point précis où il s'est opéré. Au cours de cer-
taines périodes parfois assez longues, toutes les fonctions tonales peu-
vent recevoir en même temps deux interprétations différentes, selon
qu'on les rapporte à l'affirmation tonale qui précède ou à celle qui suit.
Cette réserve faite pour le point de départ de la modulation, il y a
i) Voir I*"" liv., p. 1 14.
(î) C'est ce changement de fonction qui constitue proprement IVn/zarwonie. Voira ce propos
l'étude sur les trois états de la tonalité, par Auguste Sérieyx. {Tribune de Saint-Gervais ;
année tgog).
(3) Paroissien de Solesmes, p. 82.
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION 247
lieu d'examiner ce qui se passe à partir du moment où l'impression
modulante n'est plus douteuse, où le changement de fonctions est un
fait accompli.
Ce changement peut être momentané ou définitif:
1° dans le premier cas, si l'impression tonale originelle momentané-
ment atténuée reparaît peu après dans toute sa force, il y a modula-
tion <3<:c/<:/e;z/e//^, en état (^oscillation : si, au contraire, la tonalité ini-
tiale, au lieu de reparaître après ce trouble momentané, fait place aune
nouvelle impression tonale différente des deux autres, il y a modula-
tion passagère, en état de translation ou de marche ;
2° dans le second cas, le changement de fonctions étant affirmé par la
présence de cadences tonales plus ou moins complètes, l'impression
tonale originelle est effacée : il y a modulation définitive^ en état d'/w-
mobilité ou de repos.
La modulation accidentelle est, par sa nature même, la moins carac-
térisée et la plus fantaisiste de toutes : simplement intercalée entre deux
affirmations de la tonalité principale, elle joue assez exactement, dans
Tordre harmonique, le rôle de la note ornementale dite broderie dans
l'ordre mélodique. Sa durée est assez courte, et la tonalité étrangère
qu'elle emprunte momentanément apporte au sentiment tonal général
une perturbation légère, aisément effaçable. Aussi, la modulation acci-
dentelle peut-elle autoriser, même dans l'exposition d'une idée musicale,
l'emploi de tonalités n'ayant aucune relation de parenté avec le ton
principal.
La phrase initiale du mouvement lent de la Sonate, op. 1 06, contient un
exemple réalisant, semble-t-il, le maximum de durée et d'éloignement
relatifs comportés par une modulation accidentelle dans une exposition :
\dagio sostenufo
(fpjjdssiunnfo e cun moltv sentimenfo
348
LA SONATE DE BEETHOVEN
JJLJ-
Cadence: -^ t^
soy T. SD. T.
modulation accidentelle
w
^
SD
fe
^m m
D.
Cette belle modulation accidentelle en SOL montre bien, par sa tonique
placée à un demi-ton au-dessus de la tonique principale, fa fl, le carac-
tère de broderie particulier à cette espèce de modulation. L'accord de
SOL H étant ici comme agrandi, et les autres fonctions de cette tonalité étant
exprimées également (surtout la sous-dominante), on peut dire que c'est bien
un }7iaximum de modulation accidentelle. Quant à la place de cette modu-
lation qui fait ici partie de la cadence terminale, il est facile de constater
qu'elle occupe la fonction de sous-dominante (avant la traditionnelle quarte et
sixte). Cette sous-doyninante 'povXaxyX le second degré de la gamme (sol%]
reproduit l'accord qualifié par Rameau de sixte ajoutée (i), avec abaisse-
ment chromatique d'un demi-ton {sol a). Les compositeurs d'opéras de
l'école napolitaine du xvae siècle furent les premiers, croyons-nous, qur
pratiquèrent couramment dans la cadence cet abaissement de la sixte
ajoutée : c'est pourquoi cette formule, représentée ici par la modulation
en SOL, est généralement connue sous le nom de sixte napolitaine.
La modulation passagèî^e ne diffère de la précédente que par soiî
rôle assimilable, dans l'ordre harmonique, à celui delà 7iote de passage
dans l'ordre mélodique. Sa durée est courte et indéterminée, en raison
de sa nature tt^a}isitoîre qui l'oblige à ne point préciser le ton qu'elle
adopte un instant, pour le quitter aussitôt après et faire place à une tona-
lité nouvelle ; il n'est pas rare que cette dernière tonalité soit employée
passagèrement, elle aussi, et donne naissance à une nouvelle modula-
tion du même genre. Les marches ou progj^essions harmoniques modu-
lantes contiennent, sous une forme plus ou moins intéressante, des
séries de modulations passagères ; l'état de marche ou de translation
tonale^ inhérent à cette catégorie de modulation, la rend incompatible
avec l'exposition d'une idée, surtout lorsqu'elle emprunte sur son pas-
sage des tonalités sans aucune parenté avec la tonalité principale.
Les exemples de jnodulations passagères sont extrêmement fréquents
dans les transitions et les développements : on en rencontrera plu-
sieurs ci-après (p. 273 à 278).
La modulation définitive diffère totalement des modulations acciden-
telles ou passagères : c'est, dans l'ordre harmonique, la «o/e réelle de la
(i) Voir 1*' liv., p. i36.
LE DEVELOPPEMENT ET LA MODULATION j^g
mélodie. Sa durée n'est limitée que par les nécessités générales d'équi-
libre tonal et de proportion entre les diverses parties de l'œuvre. Elle
s'opère par le moyen d'une formule de cadence affirmant le caractère
définitif de la tonalité ainsi établie^ laquelle est nécessairement pare)ite
ou voisine de la tonalité principale.
Une modulation définitive ou établie peut appartenir à une exposition
ou à un développement.
Dans une exposition, elle indique soit l'entrée d'une idée nouvelle,
soit la î^eprise d'une idée antérieurement exposée (voir l'exemple ci-
après, p. 269 et suiv.).
Dans un développement, elle a sa place marquée aux moments de
repos ou d'immobilité tonale, aux étapes dont nous avons parlé ci-
dessus (p. 243), et sa durée doit être calculée de manière à compenser
suffisamment les impressions modulantes résultant des passages en état
de marche, qui là précédaient ou qui la suivront (voir l'exemple ci-après,
p. 274 et suiv.).
Intensité des modulations. — Il est aisé de vérifier ce fait que. de
deux modulations de durée égale, l'une semble souvent beaucoup plus
frappante que l'autre, et que, de deux modulations dont la durée est
inégale, la plus forte n'est pas nécessairement la plus longue des deux :
une impression tonale est donc susceptible de s'accroître en intensité,
indépendamment de sa durée.
Le degré de précision d'une modulation est, en elfet, éminemment
variable, suivant les notes et les fornmles harmoniques employées pour
affirmer, avec plus ou moins de force ou d'intensité, la tonalité choisie :
trois moyens principaux sont particulièrement aptes à agir sur Viute)isité
de la modulation :
1° la cadence harmonique plus ou moins nettement exprimée ;
2° l'accentuation ou la répétition des degrés ou des harmonies plus
ou moins caractéristiques du ton ;
3° la préparation de la tonalité nouvelle dans le fragment musical qui
précède immédiatement son apparition.
Ce dernier moyen n'est pas le moins efficace : sans qu'il soit néces-
saire de recourir à des formules trop précises de cadence, ou à des
répétitions de notes caractéristiques d'un ton, il est possible de ren-
forcer notablement r;;/^t';/5//e d'une modulation, par la suppression des
notes caractéristiques de la tonalité qui était établie avant cette modu-
lation. Par un effet de contraste tout à fait naturel, l'impression tonale
nouvelle est d'autant plus intense que les impressions antérieures ont
été plus complètement effacées.
La modulation enF.-ipar le cor 50/0, dans lu lih' Symphonie, op. 55,
350
LA SONATE DE BEETHOVEN
de Beethoven, est un exemple typique de cette intensité tonale obtenue
avec une nuance très douce, une durée très courte et une distance
assez faible (deux quintes), grâce à la neutralité de l'harmonie employée
sur Vutn des violoncelles, effaçant rapidement l'impression tonale
de MI b, très fortement donnée cependant par tout l'orchestre quelques
mesures auparavant (i) :
Allegro con brio
Distance des modulations. — II reste à étudier la catégorie la plus
importante des relations susceptibles d'être établies entre les tonalités
que la modulation met en présence : les relations de distance. Une
impression modulante peut être plus ou moins longue et plus ou moins
intense : nous venons de le constater ; mais elle peut être aussi plus
ou moins lointaine, de même que les sons brefs ou longs, forts ou
faibles d'une mélodie sont situés, eux aussi, à des intervalles plus ou
moins grands et plus ou moins complexes.
Toutefois, les intervalles sonores ne sont pas appréciés par notre
oreille de la même manière que les distances tonales, au moins en
apparence : les sons s'éloignent ou se rapprochent les uns des autres
(i) Cette modulation a déjà été citée au Premier Livre (p. 126) pour son effet spécial
d'éclairemetit, dont on trouvera l'explication ci-après (p. 253) à propos des relations de
distance entre les deux toniques MI 'p et FA, séparés par deux quintes ascendantes.
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION a,,
selon qu'ils diffèrent entre eux d'un nombre plus ou moins grand de
degrés (ascendants ou descendants); tandis que les tonalités s éloignent
ou se rapprochent en proportion du nombre de quintes (ascendantes ou
descendantes) qui séparent l'une de l'autre leurs toniques respectives. Et
cette distance tonale, évaluée en quintes, exprime une relation de clarté
ou d'obscurité, tout à fait indépendante de la relation d'acuité oude gra-
vité mesurée par le nombre de degrés contenus dans un intervalle sonore.
On dit, en général, que les sons montent lorsqu'ils sont plus aigus,
c\nï\s descendent \oïs<\\i'\.\s sont ^Xns graves. Par une analogie aussi
aisément intelligible, on dira que les modulations sont plus claires
quand elles se produisent dans l'ordre ascendant des quintes, plus
50wèr^s quand elles se produisent dans V ordre descendant (i).
Mais si l'ordre ascendant ou descendant des quintes est (comme ce-
lui des soiîs) illimité en principe^ puisqu'on peut toujours supposer
une quinte (ou un son) au-dessus ou au-dessous de la précédente, il
n'en est pas de même dans les faits, tant s'en faut !
Indépendamment de la limite restreinte, mais assez variable, de l'au-
dition, ou plus exactement, de Vaudibilité des phénomènes sonores, il y
a, dans l'ordre des sons comme dans l'ordre des quintes, des limites
fixes, au delà desquelles les phénomènes véritablement musicaux se
reproduisent invariablement, comme s'ils affectaient l'aspect d'un
cycle ou d'une orbite fermée.
En effet, les sons séparés par un intervalle de dou^e demi-tons (2),
c'est-à-dire d'une octave, occupent dans une tonalité la même fonc-
tion, identiquement ; et les tonalités séparées par dou^e quintes sont
constituées par les mêmes sons, identiquement. Notre système tonal se
reproduit donc à partir de la dou:{i'eme quinte, comme notre système
d'octave se reproduit à partir du dou\ième demi-ton.
Il n'y aurait, par suite, qu'une douzaine de modulations réalisables,
soit dans l'ordre ascendant, soit dans l'ordre descendant des quintes ;
on va constater bientôt que, dans la pratique, ces dou^e cas possibles
se réduisent à un nombre beaucoup plus faible, six ou sept au maxi-
mum, en raison de la préférence instinctive de notre entendement pour
les voies les plus simples, qu'il s'agisse d'apprécier des intervalles (3),
des /b«c//o«5 harmoniques ou des relations tonales.
(i)On a expliqué déjà au Premier Livre (note, p. i 3 1) pourquoi l'idée de hauteur relative
des sons n'est pas une pure figure. 11 en est de même, et pour les mêmes raisons, a fortiori,
de l'idée de clarté relative des modulations, puisque les toniques mises en présence sont
en quelque sorte engendrées harmoniquement les unes par les autres, soit en montant vers la
lumière, soit en descendant vers l'ombre.
(2) Est-il besoin de rappeler que le demi-ton est, en dépit de sa dénomination, ï'untte
ou la commune mesure des intervalles musicaux ? (Voir ci-dessus, Introd. p. 9.)
(3) Voir 1«' liv., p. io3.
35a LA SONATE DE BEETHOVEN
Lois des relations tonales. — Nous avons énoncé au Premier Livre le
principe général qui régit les relations tonales : c'est, avons-nous dit (i),
suivant Vordre cyclique des quitites que la lumière et l'ombre se distri-
buent dans toutes les modulations de même mode (2). Il convient donc
de reproduire ici cet oî^dre cf clique qui va servir de base à la présente
étude ;
Lorsqu'on s'éloigne de part ou d'autre d'une tonique déterminée,
UT, par exemple, ou la (3), suivant le mode, les phénomènes relatifs
d'éclairement ou d'assombrissement sont symétriques et offrent, au fur
et à mesure de cet éloignement, les particularités suivantes :
La première quinte qu'on rencontre de part ou d'autre de cette
(1) Voir \" liv., p. i3o.
(2) On étudiera ci-après, p. 264 et suiv., le phénomène très spécial delà modulation entre
tonalités de mode différent.
(3) Rappelons, une fois pour toutes, que la désignation d'une tonalité par des caractères
majuscules [UT] signifie, dans ce Cours, le mode majeur, et que les caractères minuscules
{la) sont employés pour désigner les tonalités de mode mineur.
Pour figurer sur le Cycle des quintes une tonalité déterminée, le plus simple consiste à
opérer comme nous l'avons fait au Premier Livre (p. ir4et ii5), en partageant le cycle
suivant un diamètre, dont les extrémités coïncident avec les limites respectives des notes
dites diatoniques et des notes dites chromatiques qui appartiennent à cette tonalité. U va
sans dire que les deux modes relatifs l'un de l'autre (UT et la, par exemple) sont indiqués
par la même ligne diamétrale (FA-SI), les deux quintes tonales UT-sol et la-Ml occupant
ainsi des positions symétriques, figuratives de Vinversion d'un mode par rapport à l'autre
dans la mènne tonalité.
Le tracé d'un diamètre réunissant UT et FAil correspondrait à la toûalité de SOL ou à
celle de mi, etc.
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION
'53
tonique occupe, par rapport à die, les fonctions respectives de domi-
nante ou de sous-dominante :
^
^
UT
UT) ^
i
^^
fA
© ■©
Les modulations de ce genre sont extrêmement fréquentes ; la très
grande parenté des tonalités mises ainsi en rapport rend très norm^ale
une modulation définitive à la première quinte, sous la seule réserve
du danger inhérent à l'emploi prolongé du ton de la sous-dominante (i).
Le pouvoir éclairant (ou assombrissant) de cette modulation est assez
faible.
h^ seconde quinte di poui t^Q.1 une modulation à là seconde majeure
supérieure (ou inférieure):
^p^
© ©
*
Q-
w^W^
© @
Les tonalités ainsi mises en relation n'ayant entre elles aucune parenté,
cette modulation est nécessairement accidoitelle ou passagère dans une
bonne construction tonale. Son pouvoir éclairant (ou assombrissant) est
assez notable, comme on a pu le constater dans l'exemple de la Sym-
phonie héroïque cité ci-dessus (p. 25o). Les progressions ascendantes
par tons entiers^ dont l'usage est assez répandu dans certains dévelop-
pements, sont en réalité des modulations de ce genre se succédant les
unes aux autres.
La modulation que nous avons signalée ci-dessus (p. 248) est un cas
particulier de la modulation à la seconde quinte descendante ^à.ans lequel
le ton initial est employé en mode mineur^ tandis que le second est
en mode majeur (2).
(i) Voir 1" liv., p. I 3 I, et ci -a pré s, p. 3 1 1.
(2) Il ne faut pas otiblier, en tffct, que la-ut-Ml et UT-mi-sol constituent deux aspects
difFérents, rfeux- modes appartenant à une seule tonalité. Dans l'exemple de l'op. 106 (p. J48),
cette tonalité correspond aux deux Bipeas fa H-la-UT S c\ LA-utJi-mi, c'est-à-dire à /a 3
ou à LA, suivant le mode. L'apparition du ion de SOL S, louant le rôle de la sixte napolitaine,
est donc un recul de deux quintes [LA-RÉ et RÉ-SOL) dans le sens descendant.
334
L.K SONATE DE BEETHOVEN
La troisième quinte a pour effet une modulation à la sixte majeure
supérieure (ou inférieure) :
tt
gg^
i " Il ''il i
l ÏÏ IK.. "
UT
(MIr
^ & ®
Les tonalités ainsi mises en relation ont une parenté très caractéristique,
la mediante de l'une devenant la dominante de l'autre (ou réciproquement).
Cette permutation de fonctions entre la médiante et la dominante est
tellement identique, en apparence (i). à celle qui se produit lorsqu'on
passe du mode majeur au mode mineur relatif i^ou réciproquement),
qu'on peut aisément les confondre ; c'est là un effet de notre habitude
prise de considérer le cinquième degré ascendant (-V/" du mode mineur
usuel [là] comme une véritable dominante, et, par suite, la transition
d'un mode à l'autre comme une véritable modulation au relatif:
É
#
^
® ©
É
^^
© @
Cette substitution de mode, ayant pour cause un simple changement
de sens ou d'aspect dans l'accord parfait unique composé dans les deux
cas des mêmes éléments (2). n'apporte à la tonalité aucun élément
(1) On sait que .Kfl, ion prime de l'accord la-ul-.\n n'est pas une véritable fonction de
dominante (voir I" liv., p. no).
(a) Oa a vu au Premier Livre p. gS et suiv.) la démonstration de ce véritable théorème
de l'unité de l'Accord : il suffira donc d'en formuler ici la conclusion, telle quelle ressort
de ce qui a été dit à ce sujet :
« Les nombres des vibrations totales émises dans le tr.éme temps par des corps sonores
dont la grandeur relative varie comme
i 1 i i i -' etc
7. -. 3. ^. 3. 5. •••etc.,
sont rcipectivemcnt égaux à
1,2, 3, 4, 5, 6, ... etc.,
et réciproquement.
• L'ensemble des sons fournis par les six premiers termes de ces deux progression»
forme ce qu'on est convenu d'appeler, en musique, i ,4ci:orJ parfait.
• Ce phénomène unique de l'Accord est qualifié
majeur, dans le cas de la précédente proposition.
mineur, dans le cas de la réciproque.
c L'Accord majeur et l'Accord mineur sont, par conséquent, le même Accord, sous deux
<iip«fs différents, puisqu'ils sont formés des mêmes relations numériques, Sippliquécs respec-
tivement aux grandeurs des corps vibrants et aux nombres de vibrations émises, ou réci-
proquement. »
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MOuULATION 3,5
nouveau, car elle n'implique aucun déplacement, ni ascendant, ni des-
cendant, dans l'ordre des quintes, aucun accroissement de clarté ni
d'obscurité. Elle n'a donc en elle-même aucun des caractères distinctifs
de la modulation [\).
Mais il n'en est pas de même de la substitution de mode opérée sur la
même tonique :c est une véritable modulation à la troisième quinte, émi-
nemment éclairante, ou assombrissante, selon qu'elle se produit du mode
mineur au mode majeur, ou inversement, du mode majeur au mode
mineur :
Dnns ce cas comme dans tous ceux où il y a, en même temps que le
changement de mode, un déplacement dans l'ordre des quintes, le pas-
sage du mode mm^Mr au mode wa/>«r est éclairant lorsqu'il coïncide
avec un déplacement d'ordre ascendant, le passage du mode majeur au
mode mineur est assombrissant lorsqu'il coïncide avec un déplacement
d'ordre descendant. Et, comme les cas de cette espèce sont très fré-
quents, il est généralement vrai de dire que « les modulations entre les
tonalités de mode différent semblent procéder du clair à l'obscur lors-
qu'elles passent du mode majeur au mode mineur, de l'obscur au clair
quand elles passent d'une tonalité mineure à une tonalité majeure » (2) *,
mais ce n'est pas le changement de mode qui produit cet effet.
La modulation à la troisième quinte par simple modification de la
médiante, surtout dans l'ordre ascendant (3), pratiquée sur l'accord qui
a déjà subi le changement de mode (ou de sens), est extrêmement fré-
quente, même comme modulation définitive.
Dans sa forme directe, entre tonalités de même mode, cette modu-
lation est au contraire assez rare et souvent passagère.
(i) Il n'est pas douteux que le sens étymologique du mot modulation (de modus, manière
d'être, mode) s'appliquerait beaucoup mieux à l'idée de changement de mode qu'à celle de
changement de ton. Mais puisque cette dernière acception est malheureusement la seule qui
ait prévalu, nous sommes obligés de nous conformer à l'usage, devenu traditionnel, de ce
terme.
(i) Voir l'^Iiv,, p. i3i, i32. Ainsi s'explique, par une simple assimilation irraisonnée, les
idées d'assombrissement (ou d'éclairement) que nous attachons souvent à la transition du
Tiode majeur à son relatif mineur (UT à la), ou inversement {la à VT].
(3) C'est cette modulation du mineur au majeur par altération ascendante de la méJiante
qu'on appelait au xvin* siècle la tierce picarde (voir ci-dessus, p. i3i) : elle est éminem-
ment éclairante.
356
LA SONATE DE BEETHOVEN
La quatrième quinte a pour effet une modulation à la tierce majeure
supérieure (ou inférieure) :
^
^
®
© @
fe
@ ©
riTTl
© ©
Elle met en relation des tonalités très fortement apparentées, la
}?iédiante de l'une devenant la tonique de l'autre (ou réciproquement).
Certe modulation, lorsqu'elle est pratiquée sans intermédiaire, pos-
sède un pouvoir éclairant (ou assombrissant) très énergique, sinon le
plus énergique de tous, comme on le verra dans l'étude des modulations
suivantes. Elle est employée très souvent, même à titre définitif. Bee-
thoven lui-même n'a pas craint d'en faire usage pour y établir toute la
seconde idée d'un premier mouvement de Sonate, dans l'op. 3i, n° i,
et dans l'op. 53 (voir ci-après, pp. 344 et 35 1).
La cinquième quinte a pour effet une modulation à la septième majeure
supérieure (ou inférieure) :
g. o
^ © e
(S)
m
s
l ïï \\k, s II
RÉ'^
© ©
Elle met en relation des tonalités sans aucune parenté et ne peut sans
inconvénient être employée à titre définitif. Son pouvoir éclairant (ou
assombrissant) est, en principe, considérable, en raison du grand éloi-
gnementdes toniques sur le cycle des quintes : en pratique, cet éloigne-
ment même est une cause d'équivoque entre cette modulation et celle
à la septième quinte ou au demi-ton chromatique supérieur (ou inférieur) :
éêm
m
^^m
®
En effet, il n'y a pas de différence, pratiquement, entre la septième
majeure supérieure [ut-si ou la-sol s) et le demi-ton chromatique infé-
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION 357
rieur {UT-UTb ou la-lai>) ; il n'y en a pas davantage entre la septième
majeure inférieure [ut-ré t> ou la-si^) et le demi-ton chromatique supé-
rieur [UT-UT a ou la-las.)
Mais cette contiguïté établie par l'intervalle d'un demi- ton (i) entre
deux toniques {UT et 5/, par exemple) nous fait croire, bien que leurs
tonalités ne soient nullement parentes ni voisines (dans le sens que nous
avons donné à ce mot au Premier Livre), aune sorte de rapprochement
par ce plus court chemin du demi-ton, substitue à la voie normale, mais
en apparence plus détournée, des quintes.
La préférence de notre entendement pour ce plus court chemin apporte
une perturbation notable dans l'appréciation des effets d'éclairement
(ou d'assombrissement) dus aux modulations à la cinquième et à la
septième quinte : cinq quintes ascendantes séparent UT de s/, par exem-
ple, et cette modulation est en elle-même des plus éclairantes ; pour-
tant, Yabaissement d'un demi-ton, pour passer d'une tonique à l'autre,
peut très bien nous faire croire à un assombrissement, par la substitu-
tion plus ou moins consciente que nous faisons (indépendamment de
toute question d'écriture) du ton d'c/rt), plus sombre [septième quinte
descendante), à celui de si, plus clair [cinquième quinte ascendante).
Tout dépend donc ici du choix des formules harmoniques intermé-
diaires, servant à mettre en relation les tonalités distantes de cinq ou de
sept quintes, dans un sens ou dans l'autre.
Si ces formules sont nettement apparentées à une tonalité placée
«ntre ut et si (par exemple, la dominante de mi), l'accroissement de
clarté sera frappant.
Si elles appartiennent au contraire au parcours tonal allant à'UT à
UT\> par les quintes descendantes (par exemple, la sous-dominante de
x.i4t)), Vassombrnssement sera très net (2).
Enfin, si les formules harmoniques sont en quelque sorte amorphes
(comme les septièmes diminuées, les quintes augmentées, etc.), l'effet ré-
sultant sera indéterminé, à moins que des raisons de durée ou d'in-
tensité des modulations antérieures ou postérieures ne viennent suppléer
à cette imprécision de la distance réelle entre les deux tonalités mises
€n relation.
(i) Rappelons que les expressions « demi-ton diatonique » et « demi-ton chromatique n
s'appliquent à unedifférence d'écriture ou de déuominalion, et non à une différence réelle,
musicalement parlant : il n'y a donc pas lieu de distinguer ici entre l'un et l'autre.
(2) Une modulation accidentelle ayant le caractère de la sixte napolitaine (voir ci-dessu$,
p. 248), mais pratiquée entre deux tonalités de mode majeur {UTkRÉ:>, par exemple)
assombrit généralement plutôt qu'elle n'éclaire ; car l'abaissement du second degré (rt)
affirme la présence de la cinquième quinte descendante (RÉ b) plutôt que celle de la sep-
tième quinte ascendante (UTS).
La relation tonale signalée précédemment (p. 216) entre le ton principal de la Sonate en
Ml b , op. 78, de Haydn, et son Adagio en AZ/g [FA b) est une modulation de cette sorte.
Cours ue composition. — t. 11. i. 17
358
LA SONATE DE BEETHOVEN
L'équivoque que nous signalons ici apparaît à peu près inévitable-
ment dans toute modulation comportant un nombre de quintes supé-
rieur à quatre, dans l'ordre ascendant comme dans l'ordre descendant :
c'est pourquoi nous avons considéré la modulation à la quatrième
quinte comme le maximum ou la limite normale de l'éclairement (ou de
l'assombrissement) réalisable directement, en une seule modulation.
Les substitutions d'écriture, improprement appelées enharmonies,
aggravent encore l'imprécision des modulations dépassant la qua-
trième quinte.
La sixième quinte a pour effet une modulation à la quarte augmentée
supérieure (ou inférieure), ce qui revient au même que la quinte dimi^
nuée inférieure (ou supérieure) :
ih^
(UT)
^^^a
U.JhàA
i
©
^^i^^ îjr^l-^^^
®
®
Elle met en relation des tonalités h peu près incompatibles, et l'équi-
voque précédemment signalée s'y produit fatalement, lorsque ces tona-
lités sont juxtaposées l'une à l'autre sans intermédiaire, ce qui est
nécessairement assez rare.
Deux tonalités séparées par six quintes sont en effet à égale distance
dans l'ordre ascendant et dans l'ordre descendant : elles ne peuvent
donc en elles-mêmes accuser aucun accroissement de clarté ni d'obscu-
rité, et cette modulation neutre ne vaudra que par l'interposition d'har-
monies empruntées à des tonalités intermédiaires, soit sur le parcours
ascendant, c'est-à-dire éclairant [sol, ré, la, mi, si) , soit sur le par-
cours descendant, c'est-à-dire assombrissant {fa, sii>, Mi\>, la b, RÉ\> ).
De telles modulations pourraient, moins que toutes autres encore,
avoir un caractère définitif.
Au delà de la sixième quinte, l'équivoque reparaît, comme précédem-
ment entre la septième et la cinquième ; quant à la modulation à la hui-
tième quinte {UT à sOLn par exemple), elle n'est guère possible direc-
tement. Si deux tonalités situées à une telle distance sont juxtaposées,
ce n'est qu'à la faveur d'artifices d'écriture dissimulant la réalité : une
modulation à la quatiHème quinte en sens inverse^ tout simplement.
Et ainsi de suite, a fortiori^ pour toutes les modulations supposées
au delà de la huitième quinte.
LE DÉVELOPPEMENT ET LA MODULATION 259
La situation respective occupée, sur le cycle des quintes^ par les tonali-
tés entre lesquelles sont établis des rapports modulants apporte, comme
on vient de le voir, des restrictions notables aux effets, en apparence
illimités, d'éclairement ou d'assombrissement qui résultent de toute
modulation.
Il n'est peut-être pas superflu de répéter ici que ces effets appartiennent
à la modulation et non à la tonalité ; qu'il n'y a pas de tons claiis ni de
tons sombres en eux-jnémes (i), mais des relations tonales éclairantes
ou assombrissantes, soumises à l'ordre des quijites.
Plus on observe attentivement la structure tonaledes œuvres musicales,
même les plus complexes, plus on demeure convaincu de cette vérité si
simple, et pourtant si souvent méconnue. Vainement on a invoqué par-
fois à rencontre quelque phénomène plus ou moins bien constaté dans
l'orchestre ou sur des instruments particuliers : la « sonorité amou-
reuse » du ton de fa a majeur, la « sombre mélancolie » de ré b..., etc.
Ce ne sont là pourtant que de pures illusions, dues à des conditions
mécaniques, totalement étrangères à l'art musical et à l'esthétique.
Certains tons d'orchestre ont plus d'éclat en raison du retour plus
fréquent des cordes à vide dans lé quatuor, des sons naturels sur les ins-
truments de cuivre ; certains effets plus moelleux du piano dépendent
de l'emploi plus fréquent des touches noires, moins longues que les tou-
ches blanches et attaquées moins énergiquement en raison de leur
étroitesse (2).
Il en est de ces divers effets comme de tout ce qui a pour cause Viner-
tie de la matière sonore, c'est-à-dire le timbre, dont le rôle purement
dynamique a déjà été expliqué (3) : ils peuvent aider ou contrarier les
relations tonales ; ils n'en modifient pas la signification expressive.
L'emploi d'instruments à timbre plus clair dans une succession
assombrissante de tonalités est une gêne, une antinomie qui souligne
parfois avec avantage un état dramatique correspondant ; mais il ne
change pas la qualité intrinsèque de la modulation. La réduction au
piano, et surtout à V orgue (4), de tel passage d'orchestre choisi à cet effet,
suffirait au besoin à faire « toucher du doigt » cette erreur des tons
clairs et des tons sombres en eux-mêmes.
(i) 11 n'y a pas non plus de sons aigus ou graves en eux-mêmes, au point de vue musical,
mais des relations mélodiques ou harmoniques, ascendantes ou descendantes.
(2) La plus ou moins grande commodité des doigtés peut aussi modifier notablement
l'effet produit au piano pour certains morceaux transposés, sans parler de l'usure du méca-
nisme inégalement répartie, ni des inégalités pratiques du tempérament, réputé égal par les
« savants » ... mais pas par les accordeurs!
(■}} Voir 1" liv., p. izb.
(4) L'orgue, en effet, atteint — lorsqu'il est d'accord — une égalité beaucoup plus granJe
dans le tempérament:, le mécanisme de son clavier rend imperceptible la différence d'at-
taque entre les touches noires et les touches blanches. Une expérience sur l'orgue est donc
beaucoup plus concluante que sur tout autre instrument.
j6û la sonate de BEETHOVEN
La durée et Vintensité relatives de deux impressions tonales qui ss
succèdent peuvent aussi préciser ou atténuer la nuance expressive
d'éclairement ou d'assombrissement inhérente à la modulation elle-
même. La substitution si employée d'un mode à l'autre apporte en
outre un élément de variété presque inépuisable aux combinaisons
modulantes, pourtant si peu nombreuses en réalité.
Mais, quelque influence que puissent exercer ces circonstances ex-
trinsèques ou ambiantes sur une modulation, elles ne portent point
atteinte à sa propriété expressive d'éclairement ou d'assombrissement,
laquelle est toujours déterminée, en définitive, par la relation de dis-
tance tonale évaluée en quintes, ascendantes ou descendantes.
C'est pourquoi tout ce qui concerne les tonalités est d'importance
primordiale dans la composition : car la tonalité est, en quelque sorte,
le lieu où vivent les êtres musicaux, où ils prennent naissance dans
leurs expositions, où ils agissent et réagissent dans leurs développe-
ments. Le choix des tonalités est donc comparable, en musique, au
choix de l'emplacement en architecture.
Une œuvre construite ne peut se soutenir, vivre et durer qu'en rai-
son de la stabilité de son terrain, de la résistance de ses « assises tona-
les ». Et celles-ci ne résisteront qu'à la condition d'être puissamment
reliées entre elles. Ainsi, toute composition stable est assise sur des
tonalités parentes, dont les accords toniques sont reliés, comme des
pierres angulaires, par l'indestructible ciment des notes communes :
les modulations éloignées, vraies passerelles légères, arcs-boutants
aériens, n'apparaissent qu'entre les divers développements élevés au-
dessus de ces assises qui les supportent.
Et ces développements eux-mêmes offrent ainsi deux qualités essen-
tielles :
1° organiquement, ils sont reliés aux idées musicales par leurs élé-
ments thématiques : ils sont toujours sous la dépendance de ces idées
et ne peuvent rien contenir qui soit étranger ou contraire à leur nature ;
2° tonalement, ils sont reliés par les relations de parenté entre les
tons, par l'alternative des périodes de translation et d'immobilité :
ils s'orientent logiquement vers la lumière ou vers l'ombre, sans nulle
hésitation sur cette orientation toujours consciente et préétablie.
Telles sont, en eifet, les qualités qui se révèlent dans le développement
beethovénien, élargissant prodigieusement les anciens cadres restreints
de la Fugue et de l'Imitation contrapontique.
Mais ce développement agissant et libj^e, si libre qu'il paraisse,
demeure soumis, chez Beethoven comme chez tous les plus grands mu-
siciens, aux lois de tonalités auxquelles nul d'entre eux ne songea
jamais à se soustraire.
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 161
Et le maître vénéré César Franck fut en cela le digne et génial suc-
cesseur de ses glorieux devanciers, car il ne cessa d'enseigner à ses
disciples cette profonde vérité :
« La structure tonale est le principe fondamental et vital de toute
œuvre de musique. »
3. — LE MOUVEMENT INITIAL. — TYPE S.
Les éléments qui viennent d'être étudiés (idées musicales, dévelop-
pements et modulations conformes aux lois tonales) ont eu, dans toutes
les pièces constituant la Sonate, un rôle capital. Mais c'est principale-
ment dans la contexture du mouvement initial du type Sonate, propre-
ment dit, que ces éléments, rénovés sinon découverts par le génie
beethovénien, ont opéré les transformations les plus caractéristiques.
Le mouvement initial de la Sonate, en effet, est demeuré dans son
ordonnance générale, dans sa construction tonale et thématique, le
type constant de presque toutes les compositions symphoniques de
grande envergure (Symphonie, Concerto, Musique de chambre. Ouver-
ture, etc.). Il a été, il est et il sera longteijips encore, sans doute, la
forme symphonique par excellence : forme traditionnelle, vivante et
stable, parce qu'elle résulte de l'élaboration lente et successive des
génies musicaux les plus puissants, comme aussi les plus disciplinés et
les plus respectueux du passé, depuis les timides esquisses binaires des
danses françaises des xv* et xvi® siècles, transcrites par Claude Gervaize
(voir ci-dessus, p. 120), jusqu'aux assises monumentales du Quatuor à
cordes de César Franck, en passant par Scarlatti, Rameau, les Bach,
Haydn, Mozart, Rust et Beethoven, pour ne citer que les plus glorieux
parmi les prmces défunts de cette dynastie musicale.
La suite de ce Cours démontrera suffisamment, nous l'espérons, la
permanence du type Sonate (S) sans cesse modifié, enrichi, perfectionné,
mais jamais détruit.
Rôle et caractère des idées musicales du type S. — A l'avènement
de Beethoven, la forme S, telle que W. Rust la lui léguait, méritait
déjà à tous égards de retenir son attention, de satisfaire son
désir de logique et d'ordre, de servir de champ d'expériences à son
génie naissant. Continuatrice de l'ancienne Allemande, elle occupait
comme celle-ci la première place et le rôle principal ; mais elle était
déjà plus libre, notamment dans sa mesure quelquefois à /ro/^ temps, et
surtout plus solidement assise sur sa triple base : exposition, partie
médiane et réexposition (voir ci-dessus, p. i 59 et suiv.).
35â LA SONATE DE BEETHOVEN
Comme ses devanciers, Beethoven concentra son effort créateur sur
cette forme déjà envoie de renouvellement : il introduisit dans ce cadre
préexistant sa conception nouvelle des personnages musicaux, des
thèmes agissants, réagissants et contrastants, en vertu des « deux prin-
cipes opposés » auxquels il a fait allusion plusieurs fois dans ses con-
versations (i).
A mesure que les deux idées exposées et développées dans les pièces
de forme Sonate se perfectionnent, on constate en effet qu'elles se com-
portent vraiment comme des êtres vivants, soumis aux lois fatales de
l'humanité : sympathie ou antipathie, attirance ou répulsion, amour ou
haine. Et, dans ce perpétuel conflit, image de ceux de la vie, chacune des
deux idées offre des qualités comparables à celles qui furent de tout
temps attribuées respectivement à l'homme et à la femme.
Force et énergie, concision et netteté : tels sont à peu près invaria-
blement les caractères d'essence masculine appartenant à la première
idée : elle s'impose en rythmes vigoureux et brusques, affirmant bien
haut sa propriété tonale, une et définitive.
La seconde idée au contraire, toute de douceur et de grâce mélodique^
affecte presque toujours par sa prolixité et son indétermination modu-
lante des allures én\mtn\m.Qnl féminines : souple et élégante, elle étale
progressivement la courbe de sa mélodie ornée ; circonscrite plus ou
moins nettement dans un ton voisin au cours de l'exposition, elle le
quittera toujours dans la réexposition terminale, pour adopter la tona-
lité initiale occupée dès le début par l'élément dominateur masculin,
seul. Comme si, après la lutte active du développement, l'être de dou-
ceur et de faiblesse devait subir, soit par la violence, soit par la persua-
sion, la conquête de l'être de force et de puissance.
Telle paraît être du moins, dans les Sonates comme dans la vie, la
loi commune, en dépit de quelques rares exceptions où le rôle respectif
des deux idées semble moins tranché, parfois même interverti. Et s'il
n'est pas certain que Beethoven ait assimilé dans chacune de ses œuvres
les idées musicales aux personnages humains, il est hors de doute que
la qualification de <( thème masculin » et de « thème féminin » a coïncidé
avec la pensée de l'auteurdans plusieurs cas sur lesquels il s'est expliqué
formellement. Il n'en faut pas davantage, croyons-nous, pour autoriser,
(i) D'après Schindler, Beethoven aurait qualifié à plusieurs reprises ces deux principes
de et principe opposant » ou « récalcitrant » (n'ieiers/reèé'jirf) et de « princpe suppliant»
ou « implorant » (bittend). « Les deux Sonates, op. 14, disait un jour Beethoven, représen-
tent le conflit entre ces deux principes : un dialogue entre un homme et une femme, ou
entre un amoureux et son amie. i> Cette application des deux principes n'est pas la seule ;
Beethoven disait une autre fois : « Deux principes aussi dans la partie médiane [mittel-
sat^) de la Pathétique ! » Et il ajoutait : « Des «lilliers de gens n'y voient goutte sur ce
point I »
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 263
dans les analyses qui suivront, l'emploi plus généralisé de ces appel-
lations, fort claires assurément et, en tous cas, nullement contradic-
toires.
Exposition. — Séparée de la réexposition finale des mêmes thèmes par
une partie médiane appelée à prendre avec Beethoven le caractère du
véritable développement^ Vcxposition initiale constitue, dans la forme
Sonate, la première partie de cette trilogie, ou, pour reprendre notre
comparaison accoutumée, \q premier pilier qui soutient l'arc sympho-
nique du développement : celui-ci est appuyé par son autre extré-
mité sur le second pilier, la réexposition symétrique, mais différente.
Ici, on le voit, point d'innovation révolutionnaire : la construction
ternaire antérieure subsiste intacte dans ses grandes lignes ; mais d'im-
portants perfectionnements vont apparaître bientôt dans la forme par-
ticulière de chaque élément constitutif de cette voûte sonore idéale.
Tandis que la courbe médiane décrira une sorte de trajectoire tonale
naguère inconnue, et se développera suivant des lois nouvelles, chaque
pilier deviendra l'image réduite de l'ensemble, une petite trilogie dans
la grande, par l'adjonction d'un passade mélodique destiné à relier entre
elles les deux idées exposées, comme le développement réunit les deux
expositions, comme le fûtd une colonne réunit la base au chapiteau.
Ainsi subdivisée en trois éléments presque toujours reconnaissables
■et séparables analytiquement, Vexposition initiale n'en conserve pas
moins, au point de vue tonal, sa caractéristique originelle et définitive :
la tendance vers un ton différent du ton principal, la suspension, l'ins-
tabilité : elle est toujours la gigantesque arsis rythmique appelant né-
<:essairement la thésis finale de la réexposition conclusive, ainsi qu'on
va s'en rendre compte par l'étude respective de la première idée, de la
transition et de la seconde idée.
Première idée (A). — La caractéristique de la première idée est l'affir-
mation tonale. La fréquence, chez Beethoven, de l'articulation vigou-
reuse et répétée de l'accord de tonique au début des pièces du type S ne
laisse sur ce point aucun doute possible (i) ; l'introduction majestueuse
€t grave qui, dans plusieurs de ses Sonates de piano (op. 13,78,81, 1 09
et iii), précède Vexposition de la première idée, constitue assurément
une autre manifestation de son souci constant d'affirmer puissamment
la tonalité d'origine. Ces sortes d'introductions régulatrices ont aussi
d'autres raisons d'être, comme on le constatera plus loin à propos de
l'op. i3 (p. 333) et de l'op. 81 (p. 355).
(i) Lorsqu'on étudiera, dans la Seconde Partie du présent Livre, les thèmes iiiitiaux des
Symphonies de Beethoven, on constatera qu'ils sont faits, presque tous, de l'imposition de
l'accord parfait de tonique, rythmé différemment.
304
LA SONATE DE BEETHOVEN
Bien que la Sonate, op. io6, ne débute pas par une introduction de
cette nature, son premier mouvement contient presque toutes les inno-
vations apportées au type S par le génie beethovénien. Aussi, emprun-
terons-nous à ce véritable chef-d'œuvre de construction tous les
exemples destinés à cette étude de la forme Sonate proprement dite.
On connaît déjà (voici ci-dessus, p. 236) la période génératrice et les
deux cellules de cette saisissante pt^emièf^e idée^ dont voici le texte inté-
gral :
(A) Première' idée a"
Allegro ij: ^
l!'';rrr
^^
n.j- ^^. y.^i ^
• » »=i^
• *
cresc. poco a puco
m 4''r r ^p
^
^
Ji)j j-
La cellule initiale {a) est éminemment rythmique et tonale : elle réagit sur la
période génératrice, énoncée deux fois sur deux degrés différents, et donne
à cette première idée un caractère principalement masculin;
le dessin en croches {a") prend toutefois, dans les périodes secondaires ou
complémentaires, une allure plus mélodique ; ce contraste n'infirme pas
l'unité de style de l'idée, car ce dessin (a"), commun à toutes les périodes,
établit entre elles une parenté réelle ;
LE MOUVEMENT INITIAL 'S 365
toutes les périodes sont ici « dépendantes l'une de l'autre, quoique diverses
d'aspect » : la souplesse, plaxôt féminine, des dernières les rapproche déjà
du genre de la seconde idée (B), laquelle, comme on le verra ci-après
(p. 269), est précisément issue du dessin mélodique (a").
Bien que Beethoven ne nous ait pas fait connaître sa pensée sur le
rôle des deux principes dont il parle ailleurs (i) appliqués à cette pre-
mière idée, il est permis de croire qu'il attribuait à la première cellule
{a') le caractère opposant, et à la seconde (a"). le caractère suppliant : la
présence simultanée des deux principes dans Vexposition d'un même
thème n'est pas rare chez Beethoven, surtout dans ses dernières Sonates
de piano et dans ses Quatuors à cordes; cela n'est, d'ailleurs, ni plus
rare ni plus surprenant que la présence de qualités masculines et fémi-
nines chez un seul et même individu (2). C'est donc par la prépondérance
des unes ou des autres qu'il faut décider de la catégorie à laquelle le
thème (ou l'individu) appartient. L'affirmation rythmique et tonale
en formules vigoureuses et concises demeurant, comme dans le cas de
Top. 106, la règle générale pour \ts premières idées, on est fondé à les
assimiler à de véritables personnages masculins.
Transition ou Pont mélodique (P). — Dans un très grand nombre
de Sonates antérieures à Beethoven, le second thème, lorsqu'il existait
nettement, ne suivait pas immédiatement le premier : la transition de
l'un à l'autre s'opérait alors par une sorte de coda mélodique à peu près
inséparable du premier thème, auquel elle adjoignait une inflexion vers
la tonalité du second. Très différent déjà par sa situation au ton voi-
sin, avant même d'être devenu tout à fait contrastant par sa longue
durée, ses subdivisions et son caractère expressif, ce second thème ne
pouvait succéder brusquement au jcrem/er sans nuire à la cohésion de
Vexposition : les plus grands précurseurs l'avaient senti, sinon compris,
et, fidèles aux sages errements de l'ancienne Suite, Ph.-Emm. Bach,
Haydn, Mozart et même Rust conservaient le plus souvent à cène coda
modulante du premier thème la fonction de véhicule tonal attribuée jadis
au dessin initial des pièces binaires (voir ci-dessus, p. 1 1 o). Pas plus dans
leurs Sonates que dans les formes antérieures, on ne voyait apparaître à
cette place de dessin r3'thmique ou mélodique spécial.
Beethoven, au contraire, emploie dès sa deuxième Sonate (op. 2 n'^ 2)
une formule mélodique distincte, jetant ainsi une sorte de pont entre
les contrées tonales appartenant à chacune des deux idées, afin de les
mieux relier entre elles, sans les confondre. Les passages de ce genre
(i) Voir la note de la p 263 ci-dessus.
(2) On verra ci-après (p. 3 19 et suiv.) que certaines Sonates contiennent deux thèm«s issu*
de la môme cellule, quoique très différents. L'op. 81 {Lebewohh notamment, en contient
un exemple frappant (voir ci-après, p. 355).
366
LA SONATE DE BEETHOVEN
auxquels nous conserverons dorénavant leur appellation figurative de
/»o;//5 (i) occupent parfois dans les expositions une place si impor-
tante qu'on serait tenté d'y voir de véritables idées musicales : mais,
en dépit de leur durée et de leur intérêt croissant dans les Sonates
de piano, malgré la présence d'éléments thématiques particuliers qui
sont utilisés ensuite dans les diverses étapes du développement, c'est
le caractère essentiellement modulant et transitoire de ce passage en
état de marche, intercalé entre les deux idées exposées en état de
repos (chacune dans sa tonalité propre), qui doit guider sûrement
le lecteur attentif dans le discernement exact de ce qui constitue
le pont.
Dans la Sonate, op. io6, par exemple, le pont est notablement plus
long que la première idée ; son dessin particulier dérive nettement de
la cellule [a') et de la période initiale. Mais, lorsque celle-ci reparaît
textuellement, vers le milieu du passage de transition, elle quitte sa
tonalité (5/ b) pour moduler assez brusquement vers la dominante du
ton où sera exposée la seconde idée {sol).
® ..
Premier élément
a'
:a>
^/
V
• Ë g
^^S
/ **v/
^^^
^^
^^
r. ^"^)
marche par la SI).
(i) Dans ses inoubliables leçons, le maître César Franck avait coutume d'appeler ponts
ces passages mélodiques modulants entre les deux idées exposées, tant était n&tte dans son
esprit cette analogie que nous signalons souvent entre l'idée ds tonalité et l'idée de litu.
C'est pourquoi nous avons voulu garder ici cette dénomination typique.
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
267
Tout ce premier clément du pont (P), en état de marche aboutissant à la domi-
nante du ton principal, est issu de la cellule rythmique {a j affectant un
caractère modulant.
DeuxièniH -lenient
;ft (période génératrice en étaf de mn>che\
Ce deuxième élétnent module, par la période génératrice, à la dominante du
ton relatif {sol) : comme nous l'avons observé précédemment (p. 234), cette
modulation, qui doit aboutir en définitive à SOL (majeur), c'est-à-dire à la
troisième quinte ascendante, emprunte dans tout le passage ci-dessus la
tonalité de 50/ (mineur), par simple changement de modo; le dessin (/>')
qui apparaît aux dernières mesures est emprunté, par anticipation, à la
seconde idée (Br, qui est ainsi reliée à laf re??nér^ (A).
LA SONATE DE BEETHOVEN
Troisième élément
Ce troisième élément, qui termine le pont, n'est qu'un long trait mélodique sur
\a dominante du tonde SOL, substitué à celui de sol, et produisant un accrois-
sement de lumière très notable ; les rappels du rythme {a') de la première
idée s'effacent peu à peu, pour faire place au rythme {b') de la seconde.
Seconde idée (B). — En vertu de la loi de contraste ou des « deux
principes » dont parlait Beethoven, la seconde idée revêt dans ses
œuvres des caractères complémentaires ou opposés à ceux de la pre^
mière : autant celle-ci est, en général, counte, rythmique, affirmative
et brusque, autant l'autre est longue, mélodique, insinuante et souple.
A l'inflexion traditionnelle vers la dominante ou le relatif dans les an-
ciennes Suites, soulignée plus tard, soit par un dessin différent, soit
par la simple transposition du dessin initial, s'est substitué peu à peu
dans la Sonate beethovénienne un personnage nouveau, longuement
exposé en li^ois éléments consécutifs, dans une tonalité voisine du ton
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
26g
principal. Le choix mcme de cette tonalité n'est plus strictement limité,
comme jadis, à la dominante d'une tonique majeure ou au relatif
majeur d'une tonique mineure : à quatre reprises différentes dans les
trente-deux Sonates de piano, l'auteur nous a montré le sens vrai des
relations de parenté entre les tonalités, en choisissant, pour la seconde
idée d'un mouvement du type S, une tonique reliée par l'une des notes de
son a.ccoTdk\d. tonique principale {o^. 3i n° i, op. 53, op. 106 et op. m).
La Sonate, op. 106, contient précisément l'une de ces intéressantes
innovations : la dominajite [RÉ] de la tonalité de sol affectée à la
seconde idée occupait dans le ton initial (5/b) la fonction de médiante.
Nouvelle petite trilogie dans la grande, la seconde idée se subdivise
généralement en trois éléments, assez importants pour constituer trois
phrases distinctes, quoique dépendantes l'une de l'autre et destinées
à jouer les rôles respectifs d'exposition, de complément et de conclu-
sion.
(B) Seconde idés
QV) Exposition
:a"
La phrase d'exposition de cette seconde idée est issue de la cellule mélodi-
que {a") appartenant à là première idée; le dessin (b'), qui la continue et qui
apparaissait déjà dans les dernières mesures du pont, n'en est qu'une éma-
nation mélodique à peine difTérente ; cette phrase est composée de trois
périodes distinctes, dans la tonalité de SOL, avec tendance vers la dominante
de ce ton.
LA SONATE DE BEETHOVEN
\^r). Complément
M^^MrM
V rri'.sr.
n I F m
J:
*"* 'P»i,
^^
aj^mi;
É
^^^
¥
Deuxième période
vers /a S D.
Cette phrase complonentaire se subdivise en trois périodes également ; la
première, répétée deux fois, est en repos sur la fonction de domi
LE MOUVEMENT INITIAL (S) aji
nante : Idi deuxième marque une tendance vers la sous-dominante ; elle est
suivie d'un rappel épisodique de la cellule (a") provenant de la première
idée (A) ; la troisième revient, par une formule de cadence, vers la fonction
de tonique.
f/'J Conclusion
A. cnntahile
*
do/ce t'd e.spresxivo
^^
/-T"
ÉE£^
£^
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^
Première période
j-^j
S
pJJ ^ 'pJJ ui-^ '^^
a
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^g I t^
£=
-^li 1P Jl
^
ly'j'j'ky'é'y^'i^^
Trosième période (Conclusion)
^^
WW
^
a
^
y'f
/
■^rrr/
^m
^^
^
3^^
Cette phrase conclusive reste sur l'harmonie générale de tonique ; elle se com-
pose de trois périodes, dont les deux premières, infléchies vers la sous-
dominante, forment une double cadence plagale ; la troisième, plus agogique
est une cadence parfaite par la dominante et la tonique.
273 LA SONATE DE BEETHOVEN
Ces tf^ois phrases, bien que leurs fonctions et leurs caractères respec-
tifs soient nettement tranchés, restent cependant du même ordre, au
point de vue du style et de l'expression : elles se complètent mutuelle-
ment, et aucune d'elles ne pourrait être entendue isolément sans perdre
une grande partie de sa signification. Du reste, la parfaite U7iité tonale
de ces trois phrases suffit à montrer qu'elles font bien partie de la même
idée musicale. C'est, en effet, la tonalité qui doit déterminer, dans une
exposition^ le domaine appartenant à chacune des deux idées : le ton
principal, au début, est l'apanage de la première idée, masculine dans
la plupart des cas ; tout ce qui est dans le ton voisin., établi à l'aide du
pont modulant, se rapporte à la seconde idée, presque toujours fémi-
nine.
Cette belle idée mélodique et féminine que nous venons d'analyser et
qui mérite à tous égards de servir de modèle, est Tune des plus longues
qu'ait écrites Beethoven.. Elle clôture dignement Y exposition., laquelle
se répète, da capo, suivant l'ancien usage des danses et des Suites.
Cette reprise textuelle, totalement supprimée, d'ailleurs, dans plusieurs
Sonates, se raccorde ici à la fin de la seconde idée par ciiiq mesures
de transition ramenant la tonalité principale, 5/ »>.
Développement. — Il ne faut pas chercher à assigner aux développe-
ments beethovéniens un cadre fixe comme celui de Vexposition : leur
prodigieuse richesse et leur variété presque infinie défient toute classi-
fication rigoureuse. Sans doute, les procédés étudiés au paragraphe
précédent (p. 241 et suiv.) y sont employés tour à tour, ou même simul-
tanément, mais il n'est pas toujours possible d'analyser strictement le
rôle de chacun d'eux :
1° organiquement., les éléments rythmiques, mélodiques ou har?noniques
fournis par les idées musicales sont tantôt amplifiés., tantôt éliminés^
tantôt superposés ;
2** tonalement,'ûs passent de l'état d'immobilité a l'état de translation,
et réciproquement, en subissant perpétuellement des modifications
expressives d'ordre agogique, dynamique ou tnodulant.
Mais, au-dessus de ces réactions mutuelles des « deux principes »
chers à l'auteur de la Pathétique, au-dessus de ces tribulations musicales,
images de celles de la vie humaine, planent sans cesse Vordre et la pî^o-
portion, ce que Beethoven appelait le « rythme de l'esprit» (i). Par
l'effet de cette logique supérieure, chaque développement porte la
trace d'un plan de construction mûrement réfléchi : à chaque oeuvre
(i) « 11 faut avoir, dit un jour Beethoven à Bettina Bientano, le rythme de l esprit pour
comprendre l'essence de la musique t »
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
873
correspond un plan spécial qu'on peut aisément analyser : on y dis-
cerne des périodes de translation et d' immobilité tonales, alternant
régulièrement ; des étapes sagement déterminées dans des tons appa-
rentés les uns aux autres; des modulations orientées vers la lumière
ou l'ombre. Et de telles analyses peuvent à peine donner la mesure de
rimmense progrès accompli, depuis les simples redites modulantes qui,
sauf de rares et glorieuses exceptions, tenaient toujours lieu de dévelop-
pement dans la partie médiane des pièces de forme Sonate antérieures
à Beethoven. Mais, en présence d'une telle multiplicité de plans diffé-
rents, chaque analyse ne peut fournir que des indications partielles
et restreintes sur l'art du développement beethovénien ; et c'est seu-
lement à ce titre que nous examinerons ici les cinq éléments consti-
tuant le développement central du premier mouvement de la Sonate,
op. 106.
Le premier élément est en état de translation ou de marche : il com-
mence sur la tonique finale de la seconde idée, en sol, après la reprise
intégrale de l'exposition, et s'oriente vers les tonalités plus sombres
(quintes descendantes) ;
Dev. (1^'^ élément, en état de marche)
o
dess'in sj
amplifié
/ O
-^
Ce premier élément du développement, en état de marche \tT% ut etw/!», con-
tient un exemple d'amplification (voir ci-dessus, p. 243) appliqué aux trois
Cours de composition. — t. 11, 1
18
2/4
LA SONATE DE BEETHOVEN
dernières notes {sol,la,si) qui servaient à raccorder avec la reprise de l'expo-
sition, et qui, la seconde fois, se reproduisent rythmiquement sur divers
degrés, avec une importance croissante, tandis que le dessin en noires
provenant de la dernière période de la phrase b'" procède par élimination
et disparaît, après avoir été réduit au rythme de ses deux premières me-
sures.
Le deuxième élément est en état d'immobilité ou de 7-epos^en Ml \> [sous-
dominante du ton principal). Il contient l'une des applications que
nous avons déjà citées (voir ci-dessus, p. gS) du système de \2. fugue au
développement de la Sonate : c'est une véritable exposition à quatre
parties d'un sujet tiré de la période génératrice :
Dév.(2S élément, en état de repos)
II*^ entrée
(à deux parties)
Sujet
ff 'fP
tire de a' par amplification
W=^
'"'^Ujr c/^^
m
^^
Canon à la quinte grave formant Contresujet
11^ entrée (à trois parties)
Réponse
dsi'i' •> Ji I ^-
D. Réponse
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
273
III? entrée (u quatre parties)
(Canon)
i l ^ \\
I
K" n
gsg^
m • ■'■ * ■
U 1 û
:• ?1 U
^
/
e/f.
,i^ -^'^
frTTiJTf
Sujet
Ce deuxième élément, en état de repos en M/ ï), contient un exemple de déve-
loppement rythmique (voir ci-dessus, p. 242) ; le rythme de \z période géné-
ratrice {a) est conservé, et donne naissance à des dessins mélodiques nou-
veaux ; ce même développement procède encore par amplification de la
cellule initiale {a ) et surtout par superposition ou imitation, en raison de
son caractère fugue, lequel disparaît peu à peu, dans la partie épisodique
succédant à cette dernière entrée et la reliant à l'élément qui suit.
Le tt'oisième élément est de nouveau en état de translation : il s'appuie
principalement sur la tonalité de 50L, qui apparaît d'abord comme
dominante d'w/, et produit déjà un accroissement de clarté notable
[quatre quintes ascendantes) par rapport au ton de Mi\>^ où l'exposi-
tion de fugue vient d'avoir lieu. Le ton de RÉ^ qui apparaît à la fin de
cet élément, est encore un peu plus clair, et sert d'acheminement vers le
ton de SI q, beaucoup plus clair encore, où se fera l'entrée du quatrième
élément :
Dév.(3? e'iément.en état de marche) cellule a"
cellule a'
276
LA SONATE DE BEETHOVEN
i
à
^
SE
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par Wlk
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J'ff-fyJ'fT^/:^
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4H^1N^
Ff ' l'^ftf
i
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0 SOL)
renforcement dynamiqu
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ff .-Tf rf r^r fà
?
r
(itmin. e poco ritnrd.
"•^■>tiA\[ \i\h:^ 'îi g
i'e;-s (Sli;)
Ce troisième élément, en état de marche, montre le conflit entre les deux
cellules {a' et a') : la cellule mélodique en croches [a") finit par être totale-
ment éliminée, au bénéfice du rythme [a') qui demeure seul : c'est donc un
nouvel exemple de développement rythmique, auquel s'ajoute un renforce-
ment dynamique, par adjonction de notes aux accords de la dominante
de SOL.
Le quatrième élément entre brusquement dans le ton de 5/ b , accusant
ainsi un accroissement de clarté par rapport à tout ce qui précède (i).
Cet élément, en état d'/wwo^////^' tonale, reproduit un fragment impor-
tant de la phrase concluante {b'") de la seconde idée (B) :
(i) On peut même considérer l'entrée de cette tonalité comme un développement ^a»--
momque de la modulation contenue dans le deuxième élément du pont (p. 267) : c'est, en
erfet, la même modulation entre d'autres tonalités : 5/ t> à SOL dans le pont, RÉ {dominante
de .SOL) à S/ a dans le développement, soit <>ois quintes ascendantes dans les deux cas.
I.E MOUVEMENT INITIAL fS)
Dév {il élément, en état de repos)
277
agotîique croissante
Ce quatrième élément est un exemple de développement mélodique (voir ci-
dessus, p. 242) : il reproduit la mélodie de la seconde idée avec des modifi-
cations de tonalité et de cadence ; car ici, au lieu d'être concluante, la phrase
(£>'") s'infléchit vers la dominante (F'iff), afin de rétablir par celte harmo-
nie (équivalente à celle de SOL b ) le contact entre la tierce (LA Jî ou S/ t> ) et
la tonique générale ; l'oscillation vers la dominante est soulignée par des
formules plus rapides produisant un accroissement agogique.
Le cinquième élément, en état de translation, repose tout entier sur la
période génératrice traitée, comme dans le deuxième élément, en style
fugué et formant une sorte de strette qui part de la dominante de
5/ G [FA^ ou S0L\> ) pour aboutir à Tirruption soudaine de la réexpo-
sition de la première idée (A), en 5/ 1> :
Dév.(5: élément, en étal de marche)
X , . r^ . .^ . 1 N
2/8
LA SONATE DE BEE1 HOVEN
*
il
Ê
±
rCTy
p^^
1
élimination
^^
ia
Ut
Ce cinquième et dernier élément du développement, en état de marche, est un
modèle <ïélimination ; la période génératrice, au lieu d'être amplifiée
comme dans l'exposition fuguée du deuxième élément (p. 274), perd suc-
cessivement ses dernières notes (i) et se condense dans la cellule initiale (a')
qui va, en quelque sorte, «faire explosion » en ramenant toute la première
idée (A) réexposée.
Les divers éléments de ce développement sont extrêmement variés :
ils ne contiennent pourtant qu'une faible partie des combinaisons admi-
rables que le cerveau beethovénien était susceptible de concevoir et de
réaliser. Mais, quelle que puisse être leur complexité, ces combinaisons
sont soumises aux principes dont nous avons constaté ici l'application,
dans leurs états successifs d'immobilité et de tfauslatiou, progressant
continuellement vers les tonalités plus claires {mi i> à SOL; sol à si a).
On pourra vérifier, par d'autres analyses semblables à celle-ci, que
V alternance régulière des ma?xhes et des étapes, Vordre logique des mo-
dulations sont les effets, à peu près constants, des lois supérieures dont
aucune composition sj^mphonique ne s'est jamais sensiblement écartée,
dans la construction des développements.
Réexposition. — On a vu au chapitre précédent (p. i 56) comment la
timide reditedu dessin initial, dans sa tonalité propre, avait suffi à trans-
former rapidement le type binaire de la Suite, en créant la réexposition
des thèmes, apanage de la Sonate proprement dite. Cet élément relati-
vement récent et, par conséquent, moins bien affermi sur ses bases,
avait besoin, plus que tout autre peut-être, de l'effort beethovénien, pour
(i ) II n'est pas inutile d'appeler l'attention du lecteur sur le texte exact de Beethoven dang
les trois dernières mesures de cet admirable développement de l'op. 106 : il y a ici des la >
partout ( ù nous les avons indiqués entre parenthèses (pour plus de sûreté), ce qui n'empêche
pas un certain nombre d'éditions, généralement alK-mandes, d'étaler ici d'affreux la S , cor-
rigeant Beethoven avec un tact et un goût éminemment germaniqi.es I
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 379
devenir apte à équilibrer complètement, par de solides fondations, IV.v-
position initiale ou l'autre « pilier » de cette « voûte » à laquelle nous
avons comparé le type S. La reprise intégrale de la seconde partie de
l'ancienne Suite était déjà tombée en désuétude dans la Sonate, par
l'effet de cette subdivision qui l'allongeait notablement ; l'importance
croissante du second thème, substitué à l'ancienne inflexion vers le
ton voisin, avait entraîné la transposition stricte au ton principal de
toute Vexposition^ à partir de cette sorte de coda modulante qui termi-
nait \e pretnier thème (i). Le rattachement entre le premier thème trans-
crit et le second, transposé, se faisait assez platement ; et il n'est pas
téméraire de supposer que la monotonie routinière des réexpositions de
cette espèce diminuait beaucoup leur intérêt, pour l'auditeur sûrement,
et peut-être aussi pour l'auteur, qui en était arrivé à les considérer
comme des « formalités nécessaires».
De grands artistes, Haydn, Mozart, Rust, sentirent assurément, s'ils
ne le comprirent pas, ce défaut d'intérêt des réexpositions, et tentèrent
parfois d'y remédier. Il appartenait à Beethoven de discerner dans cette
loi, si sévère en apparence, de la tonalité^ « l'esprit qui vivifie » de « la
lettre qui tue », en nous montrant les moyens de sauvegarder cette
tonalité sans tomber dans la monotonie.
Le premier mouvement de la Sonate, op. io6, est l'un de ceux où ce
but est le mieux atteint ; mais on aurait tort de croire que les procédés
employés pour y parvenir soient les seuls dont disposait l'auteur de
VAppassionata et de Top. i 1 1 : c'est donc à titre d'indication nullement
limitative que nous allons les analyser.
Première idée {A). — Dès les premières mesures de \a première idée
réexposée, on constate une modification qui, tout en respectant la tona-
lité et la musique même de cette idée, en accroît singulièrement l'effet
expressif, agogiquement d'abord, par l'adjonction du dessin mélodi-
que en croches [a") sous la période génératrice, à la partie grave, puis
dynamiquement, à l'entrée de la période secondaire, dont la sonorité est
renforcée par des tierces et des accords à la partie supérieure. La
redite de cette période à l'octave aiguë est remplacée par des imitations
en état de marche vers le ton de sol t>, apparenté par sa tierce {si t)l au
ton principal, et déjà « accrédité » dans le développement à titre de
dominante {fa h-sol t>) du ton de 5/ a-f/r t> (2) :
(i) C'est pour cette raison que dans le spécimen du type S, emprunté à Ph.-Emm. Bach
et cité ci-dessus (p. 160), nous avons omis totalement la réexpositio'i qu'un copiste pourrait
récrire en entier, en transposant.
(3) 11 est à remarquer que l'harmjnie de FAS-SOL? exerce une intlaence prépondéitnte
sur louie la Sonate, op. 106 (voir p. 363 et suiv.).
2bo LA SOiNATE DE BEETHOVEN
CA) Première idée
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cresc. poco a poco
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T r@^5
LE MOUVEMENT INITIAL (S) 381
Pout (P). — Cette modulation plus sombre donne un intérêt nou-
veau à la redite delà première idée (A), dans laquelle elle joue le rôle
de*cadence rompue, pour permettre au pont (P) de prendre une orien-
tation tonale différente, tout en gardant ses trois éléments constitutifs.
Le premier est en sOL t), au lieu d'être en 5/ k> :
Cïy Premier élément û""'
#
^m
f
w
M
P
f
4^'' i i i 4
'A'. .'?fMj •,'^m
^
etc.
Le deuxième reproduit \si période génératrice en ut 7-si^, au lieu de RÉ
Dt'iixitrnu- élt'niellt
bg>^ f , f |,j^
S
/^i»^ — ^
^
f :T^
'î*' .r/-.v.(sï^
(Yr
Le troisième est sur la dominante de si ■y, au lieu de 50L :
Troisième e'iémfnt
282 LA SONATE DE BEETHOVEN
Seconde idée {B). — L'orientation des modulations du pont^ de plus
en plus sombres (car le fragment écrit en si a est en réalité enut[>, relatif
de-w/bt), comme on peut s'en rendre compte par les harmonies em-
ployées), donne au retour de si\> un caractère de clarté reposante qui
rend toute sa valeur à la seconde idée (B) réexposée intégralement dans
ce ton, avec ses trois phrases {b\ b" , b"') sans modification notable :
(K> Seconde idée
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
285
Développement terminal. — A la réexposition déjà enrichie de modu-
lations nouvelles et de perfectionnements divers dont nous venons de
voir des exemples, Beethoven voulut ajouter encore une sorte de cou-
ronnement, véritable développement terminal participant des états suc-
cessifs de translation et d'immobilité, mais différant du développement
central par l'orientation des modulations : ici, en effet, la tendance con-
clusive domine toutes les harmonies, subordonnées à la grande cadence
tonale dont elles ne sont que l'extension. On retrouve aisément la trace
des « deux principes opposés » dans cette explication ultime des thèmes,
aboutissant à l'affirmation définitive de la tonique : l'œuvre qui nous
sert de modèle contient un développement terminal en trois fragments.
Le premier reproduit, en l'amplifiant notablement, le prefnier élé-
ment du développement central, en état de marche, partant de la toni-
que du ton principal et revenant à la même fonction après un parcours
modulant :
OeT. terminal (^Premier élément/
¥ * f . f- , ¥-_f ■ 1^ r ^ f
¥ L'' jj-^
m
i
*^ E.
^m
^
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a
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/
/
^
^ 3V ^ i ^ i ^
i gv
Le deuxième reproduit la dernière phrase {b'") de la seconde idée avec
une cadence sur la quarte et sixte ramenant par un trair diatonique la
conclusion :
284
LA SONATE DE BEETHOVEN
Deuxième élément
i.i- U.Jj
u
^ — .
^^
:§=^
^^s:^
SK=t;
S
^
âi
§
^
-" — t-
Le troisième est une coda concluante, développant rythmiquement les
deux cellules {a' et a") de tout ce mouvement qui semblent se désarti-
culer et s'estomper peu à peu :
Troisième élément ('Conclusion)
LE MOUVEMENT INITIAL (S)
285
t; iiti i i
t
Ij
i
i^
/
/
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S
'• J * J *
©
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i
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sf-mprc dimin
^^rviin^iiiiwm
^^^m^mm
^3
« i_
1^
m
^
^^
spwpre pp
ppp
ff
^
JWJJJi'JJJJJiJJIJJ-'JI'
A la place occupée par ce dernier fragment, qui méritait à tous égards
d'être cité en entier, apparaît parfois dans certaines Sonates une phrase
mélodique nouvelle, différente des deux idées exposées dont elle est en
quelque sorte le commentaire ou \2i péroraison {\]. On doit signaler
(i) Voir notammentles op. 7, 10 n» 3, 37 et 81.
3 86 LA SONATE DE BEETHOVEN
ici cette innovation importante introduite par Beethoven dans le plan
de la réexposition, bien que l'op. io6 n'en contienne pas l'application.
Plan du type S perfectionné par Beethoven. — Bien que l'analyse pré-
cédente ne puisse contenir un exemple de tous les procédés que Beetho-
ven mit en œuvre dans ses Sonates, elle suffit à vérifier les principes
généraux de construction qui fixent, au moins dans ses grandes lignes^
le plan du mouvement initial.
Ce plan, tel qu'il est résumé ci-contre, doit être considéré comme
un ?naxî?num d'éléments susceptibles de prendre place dans une pièce
symphonique du type S, de même que la grande cadence citée ci-dessus
(p. 45) était le maximum des expositions appelées à constituer la Fugue.
Toutefois, dans cette forme Sonate si admirablement équilibrée, c'est
la loi des relatiotis tonales qui est substituée à celle de la cadence régis-
sant l'ancienne forme Fugue : au lieu d'entrées et d'épisodes successifs,
ce sont des périodes d'immobilité tonale qui alternent régulièrement
avec des périodes de translation. Mais ces entrées en j^epos et ces épisodes
en marche ne contenaient-ils pas en germe les expositions et les déve-
loppements, et la structure tonale de toute oeuvre symphonique ne peut-
elle pas être ramenée, en définitive, à une cadence ?
En comparant ce plan avec celui de la Sonate dithématique anté-
rieure (p. i65), on en déduira aisément les innovations appartenant en.
propre au génie beethovénien ; il y en a neuf principales, qu'on peut
résumer ainsi :
1° La remise en usage de l'ancienne Introduction lente., abandonnée
depuis Corelli, et reparaissant dans les Sonates de piano à c/wcj' reprises
différentes, sous une forme singulièrement agrandie (op. i3, op. 78»
op. 81, op. 109 et op. 1 1 1).
2" 1^2. subdivision des idées, et surtout des idées féminines ou secondes
idées, en phrases différentes se complétant mutuellement :
l& première idée est en une phrase dans 21 Sonates
— — deux phrases — 10 —
— — trois phrases — i — (i)
la seconde idée est en une phrase dans 5 Sonates
— — deux phrases — 3 —
— — froj5 phrases — 21 — (2).
On est donc fondé à considérer Vidée A, masculine., en une seule phrase.,
et Vidée B, féminine., en ti^ois phrases., comme une véritable règle dans
la construction du type S.
(i) Ce cas unique de la première idée en trois phrases se rencontre dans le premier mou-
vement de l'op. 90: les trois phrases sont d'ailleurs très courtes, et peuvent être considérées
comme des périodes plutôt que comme de véritables phrases.
(2) Trois Sonates (op. 26, op. 27 n° i et op. 54) n'ont pas à proprement parler de seconde
idée, puisqu'elles ne contiennent aucun mouvement du type S.
LE MOUVEMENT INITIAL S)
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388 LA SONATE DE BEETHOVEN
3° L'organisation complète (à partir de la deuxième Sonate pour piano,
op. 2 n' 2) du Pont mélodique ou rythmique, en état de translatioji ou
de marche tonale, servant à préparer la première exposition de Vidée B
au ton voisin, et à interrompre la continuité tonale de la réexposition
des deux idées au ton principal.
4° L'^application du principe de parenté par les notes communes des
accords de tonique, pour le choix de la tonalité de la seconde idée. Cette
innovation très importante se renouvelle à quatre reprises différentes
dans les Sonates de piano :
dans l'op. 3i n° i et dans l'op. 53, l'idée B est au ton de la tierce majeure
supérieure (modulation à la quatrième quinte ascendante) : la médiante du
ton principal devient la tonique du ton voisin choisi ;
dans l'op. io6, l'idée B est au ton de la sixte majeure supérieure (modulation
à la troisième quinte ascendante) : la médiante du ton principal devient la
dominante du ton voisin choisi ;
dans l'op. m, l'idée B est au relatif majeur de la sous-dominante (modula-
tion à la première quinte descendante) : la tonique du ton principal devient
la dominante du ton voisin ;
sauf ces quatre dérogations aux usages antérieurs, l'idée B est toujours
à la dominante dans les mouvements S de mode majeur, et au relatif
majeur dans les mouvements S de mode mineur.
5° La suppression de la reprise textuelle de toute la première exposi-
tion : appliquée pour la première fois dans Top. 57, cette innovation
devient à peu près constante à partir de l'op. 90 (i).
6° L'organisation logique du développement central, par alternance ré-
gulière des périodes de translation et d'immobilité tonales, par étapes suc-
cessives dans des tonalités fortement apparentées les unes aux autres,
et par progression générale continue vers la clarté ou vers l'obscurité.
7' L'adjonction fréquente d'un développement terminal.^ en état de
translation faisant retour au ton principal, après la réexposition de
l'idée B.
8° La terminaison des pièces du type S par une phrase mélodique
concluante, en état d'immobilité au ton principal, sorte de résumé ou
de commentaire des thèmes précédemment exposés, développés et réex-
posés. Ces phrases concluantes spéciales apparaissent cinq fois dans
les Sonates de piano :
dans le mouvement initial de l'op. 7
— — — de l'op. 10 no 3
— — — de l'op. 57
— — final de la même Sonate
— — initial àeVo'Ç). 81.
(i) Parmi 'es Sonates pour piano postérieures à l'op, 90, le premier monvement de l'op. 106
est le seul qui contienne encore l'indication de la reprise intégrale de l'exposition.
LE MOUVEMENT LENT (L) 3B9
9* L'emploi de la forme Sonate à d'autres rangs que le premier :
cette dernière innovation semble être restée, chez Beethoven, à l'état de
simple tentative ; mais elle est assez importante pour qu'on doive la
signaler ici :
dans sept Sonates (op. lo n" i, op. 3i n» 2, op. 11 n» 3, op. Sj, op. 81, op. loi
et op. 109), il y a deux mouvements du type S, dont l'un est au premier
rang et l'autre au dernier, en qualité de finale ;
dans une Sonate (op. 27 n» 2), le seul mouvement du type S n'est pas au com-
mencement, mais à la fin ;
dans U-ois Sonates enfin (op. 26, op. 27 n» i et op. 54), il n'y a aucun mou-
vement du type S (1).
on peut apprécier par le nombre restreint de ces exceptions le rôle
prépondérant que Beethoven entendait conserver à cette admirable
forme Sonate, devenue sienne par tous les perfectionnements dont il
l'avait dotée. Les principes féconds appliqués à ce morceau-type par
excellence devaient même réagir sur les autres mouvements : nous allons
constater, en effet, que certains mouvements lents (L), modérés (M), ou
7\ipides (R), rappellent par plus d'un point la construction tonale de la
forme Sonate (S).
4. — LE MOUVEMENT LENT : TYPE L. — SES DIVERSES FORMES l
GRAND LIED (LL), L/ED-SONATE ( LS), LIED VARIÉ (LV).
En raison même de son caractère d'expansion mélodique plus in-
tense, la pièce lente offre, chez Beethoven comme chez ses devanciers,
une moins grande rigueur de forme, et il ne serait pas possible de ra-
mener tous les mouvements lents de ses Sonates à un type unique.
Cependant le type Lied{L), tel qu'il nous est apparu au temps de Haydn
(voir ci-dessus p. i65 et suiv.), demeure le principal modèle du mor-
ceau lent et, surtout, de sa phrase initiale. Quelle que soit la forme
adoptée par la pièce lente, cette phrase est constituée soit en deux
périodes, soit plus généralement en trois : c'est alors un véritable petit
lied à trois éléments, dont l'un est souvent répété deux fois et donne
ainsi à cette phrase lied l'aspect d'une phrase dite carrée (2).
Ldi phrase lied }oue dans le mouvement lent le rôle d'un véritable
personnage agissant seul. C'est cette ujiité du personnage thématique
qui doit être considérée, selon nous, comme la caractéristique spéciale
du type L. On conçoit, dès lors, qu'une idée musicale apte à être traitée
dans cette forme doive être essentiellement différente des deux thèmes
(i) On pourrait avec quelque raison refuser à ces trois œuvres la qualification de Sonates
proprement dites, si les autres pièces qui lescomposent n'étaient absolument conformes aux
trois autres types traditionnels (L. M. R.).
(2) Voir I»' liv., chap. 11, p. 41 et 42.
Cours de composition. — t. u, i. 19
ago LA SONATE DE BEETHOVEN
antagonistes destinés au type Sonate. Par sa longueur et sa subdivi-
sion ternaire, le thème de lied se différencie déjà d'une première idée ;
mais cette subdivision elle-même ne permet pas davantage de le con-
fondre avec une seconde idée, car sa troisième période est très souvent
une reproduction de la p?^emière avec un changement d'orientation
tonale, et ces périodes, appelées à constituer toujours une seule phrase
de longue haleine, sont liées les unes aux autres par une symétrie de
forme bien plus étroite et plus tangible que la simple parenté virtuelle
unissant les trois phrases, toujours distinctes et parfois même contras-
tantes, d'une seconde idée du type S.
Certes, nous ne voulons pas dire que l'image de la lutte inséparable de
l'être vivant soit incompatible avec la forme du mouvement lent : mais
cette lutte, lorsque lutte il y a, ressemble bien plus à un conflit de
sentiments divers ou opposés affectant tour à tour le personnage uni-
que, qu'à cette domination violente ou persuasive d'un personnage par
l'autre, dont le type S contient, en général, la traduction musicale.
Les thèmes accessoires, dans le type L, seront donc traités comme
des éléments d'impression ou de décor, se modifiant successivement et
réagissant sur le personnage vivant qui les éprouve ou les traverse
plus ou moins, mais qui garde toujours sa physionomie propre et sa
tonalité unique. Il n'y a pas, en effet, à proprement parler, de conflit
de tonalités dans une pièce lente : la modulation, lorsqu'elle intervient
(généralement au milieu), n'affecte presque jamais le thème principal ;
elle interrompt la monotonie par des impressions accidentelles ou pas-
sagères, et renforce ainsi l'effet du retour final au ton, agissant en cela
dans le même sens que le pont dans la réexposition du type S.
Toutefois, entre un pont modulant (i) et un fragment modulajit inter-
calé entre deux expositions tonales du thème de lied, il y a une diffé-
rence importante qui provient de la nature même de ces fragments ou
de ces sections {2) composant la forme Lied. Ces sections, en effet, lors-
qu'elles ne contiennent pas le thème lui-même, en sont totalement indé-
pendantes, tant par leurs dessins que par leurs attaches : c'est-à-dire
que chaque section affecte l'aspect d'un compai'timent séparé se suffisant
à lui-même, sans communiquer aucunement avec ses voisins. L'enchaî-
nement des sections les unes aux autres n'offre, lorsqu'il existe, aucun
caractère de nécessité : dans bien des cas, au contraire, ces comparti-
(i) Certaines variétés du type L, la orme Lied'Sonate ou Sonate sans développement qui
sera étudiée ci-après, p. 296, par exemple, peuvent contenir de véritables ponts modulants ;
mais ceux-ci ne constituent plus, en ce cas, des fragments séparés.
(2) Le mot par/ie ayant, en musique, une acception spéciale (partie mélodique, partie inter-
médiaire, ;?arfie grave ou basse, etc.), nous serons obligés d'appeler sections ou comparti-
ments ces véritables parties constitutives du Lied et de certaines autres formes.
LE MOUVEMENT LENT L)
391
ments pourraient être joués isolément, ou même supprimés, sans
détruire l'équilibre de la pièce à laquelle ils appartiennent. Rien de
semblable ne pourrait être pratiqué sur un fragment quelconque
d'un morceau de forme Sonate.
Ces caractères généraux sont à peu près constants dans les mouve-
ments lents des Sonates de Beethoven, mais il n'en est pas de même de
la structure : celle-ci, quoique assez variable, peut néanmoins être
ramenée à trois types principaux que nous qualifierons respectivement
de Lied proprement dit, simple (L) ou développé {hh)'^ de Lied-Sonate
(LS) Q\ de Lied Varié {I.Y).
. Lied simple (L) ou développé (LL). — Le Lied ternaire à. phrase ternaire,
grande trilogie contenant dans chacune de ses sections l'image réduite
du tout, demeure, ainsi que nous venons de le dire, le type primordial
restreint du morceau lent ; cependant, dans cette forme à t?'ois sec-
tions, semblable à celle que nous avons analysée au chapitre précédent
(p. 167 et suiv.), il ne se retrouve pas plus de quatre ou cinq fois dans
les Sonates de piano.
Beethoven semble lui préférer, dès ses premières œuvres (op. 2 n" 2),
une forme plus ample, dans laquelle le thème revient trois fois, chacune
de ses réexpositions étant séparée de la précédente par une section
distincte modulante . le nombre total des sections composant cette
forme nouvelle est ainsi porté à cinq^ ce qui la rapproche un peu de la
forme Rondeau (R), par le retour périodique du thème aux sections de
rang impair (i, m, v), comme une sorte de refrain.
La Sonate, op. 2 n* 2, contient un exemple assez complet de cette
forme, dite Lied développé :
La i" section de ce Largo appassionato contient le thème, véritable
phrase //e<i à /ro/s périodes (<3, ^, a') exposées sur la tonique, la domi-
nante et la tonique, et formant un tout complet, sans liaison nécessaire
avec la 11^ section :
[ï] EXPOSITION du Thème
^_. Largo appassionato
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392
LA SONATE DE BEETHOVEN
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Cette première période (a) est tout entière sur la fonction de tonique du ton
principal ^£(1).
Cette deuxième période [b), beaucoup plus courte, est tout entière sur la
fonction de dominante.
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Cette troisième période [a') n'est qu'une reproduction de la première [a) sur
la tonique et en forme plus conclusive.
(1) Ce thème, par sa tonalité et son dessin, peut être considéré conime une ébauche de
celui de l'jirfag'to du Trio, op. 97 (a l'archiduc Rodolphe) ; il faut noter aussi son analogie
avec \'Andante de la Sonate en la de Rust.
393
LE MOUVEMENT LENT (L)
La ii« section contient un dessin accessoire exposé au relatif {si), avec
repos sur sa dominante {fa % ) et enchaînement à la dominante princi-
pale {la) pour la rentrée du thème :
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La m« section réexpose le thème, dans le même état tonal qu'au
début : c'est à peine si de légères différences affectent ce qu'on pourrait
appeler son « orchestration v, c'est-à-dire le registre ou le timbre de
certaines périodes, et notamment la deuxième {b), dont la mélodie com-
mence à l'octave grave.
On conçoit donc que si le Lied commençait par cette iii« section, en
supprimant les deux précédentes, il se trouverait, en quelque sorte,
394
LA SONATE DE BEETHOVEN
réduit à la forme Lied simple^ sans avoir perdu aucun organe essentiel
à sa construction.
La IV* section, beaucoup plus importante que la ii% a tous les carac-
tères d'un véritable développemejit en tî'ois éléments :
rV| Développement
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I-E MOUVEMENT LENT (L)
293
Le développement contenu dans cette iv* section commence par une imitation
du dessin sur la tonique, qui fait suite à la réexposition du thème conter.u
dans la ni» section ; ce dernier, doublé en valeurs plus brèves, par un pro-
cédé agogique bien connu, aboutit au ton de ré, où le motif initial du thème
est amplifié par une modulation en S/ 1> ; une sorte de pédale de dominante
complète ce petit développement et prépare la rentrée du Thème au ton prin-
cipal.
La V* et dernière section réexpose encore le thème, mais en le résu-
mant par sa période initiale (a), tandis que la pédale de dominante se
prolonge et trouble, par son dessin agogique en doubles croches, le
calme de la mélodie ; une brève coda concluante, qui s'efface peu à peu,
remplace les périodes supprimées et rétablit l'équilibre de cette section
terminale :
[y] RÉexpOSITION du Thème et Conclusion
(enulo
W^^^
^-^r^-
2g6
LA SONATE DE BEETHOVEN
Le plan de la construction du lied développé (LL) peut donc être
résumé ainsi :
SECTION I. — Exposition du thème (phrase lied ou phrase binaire) ;
SECTION II, — Elément accessoire modulant;
SECTION III. — Réexposition médiane du thème dans sa tonalité, avec ou sans
modifications d'écriture ;
siCTioN IV. — Elément nouveau, différent de celui qui constitue la ne section^
et offrant souvent le caractère d'un développement ;
SECTION V. — Réexposition terminale du thème, dans sa tonalité, générale-
ment modifié ou résumé, et suivi d'une coda concluante.
Lied-Sonate (LS). — Cette forme, qu'on peut aussi qualifier de forme
Sonate sans développement^ appartient en propre à Beethoven ; elle
marque, avec la rénovation de la forme Rondeau qui sera étudiée ci-
après (p. 3 12 et suiv.), un progrès notable vers l'unification synthétique
de la Sonate, tendant à lui donner de plus en plus l'aspect d'un cycle
de pièces construites, toutes, à l'image de la première. C'est en effet le
type S, précédemment étudié (p. 260 et suiv.), qui fournit tous les
éléments constitutifs de ce type Lied-Sonate^ dont l'op. 3i n° 2 contient
un exemple très complet.
Exposition. — Le thème principal (A), qui est ici de coupe binaire,
s'expose sur la tonique avec inflexion vers la dominante^ à la fin de la
première période ; sa dernière période est en forme conclusive, comme
dans toutes les pièces lentes :
(^ EXP0SIT10N.du_T.hème. principal
Adagio
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LE MOUVEMENT LENT (1-)
297
Seconde période
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Mir *■ =f=^
»i ^ 5:
^
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conclusion à lu T.
Ce thème est suivi d'un dessin mélodique de transition, modulant à
la dominante de FA, et offrant les caractères principaux du pont (P) :
tn mon ht vftx la U de {^
298
LA SONATE DE BEETHOVEN
Une phrase nouvelle, jouant le rôle de seconde idée (B), s'expose
ensuite au ton de fa^ dominante du ton principal :
(B). Thè me accessoire
L'ensemble de ces trois éléments (A, P, B) constitue une exposition
suspensive, identique comme construction tonale à celle d'un morceau
du t3'pe S. Mais, à la place du développement, se trouvent seulement
quelques mesures de rentrée^ destinées à relier cette seconde idée (B)
à une réexposition du thème principal (A), dans sa tonalité :
finnlrée
Réexposition. — Le thème principal (A) est réexposé sur la tonique
avec des modifications purement ornementales qui n'altèrent pas sa
construction :
LE MOUVEMENT LENT [L)
299
(Â) RKEXPO.SITIOU du Thème principal
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Le dessin mélodique faisant fonction de pont ^P) module vers la
dominante du ton principal :
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La seconde idée {B) est réexposée au ton de 5/1?, sans aucune modi-
fication :
Cette réexposition complète se termine par une coda concluante assez
longue, qui reproduit le dessin de la rentrée et des fragments du thème
principal.
Le plan de la forme Lied-Sonate (LS) ou Sonate sans développement
peut se résumer de la façon suivante :
300
LA SOI^ATE DE BEETHOVEN
EXPOSITION
A. — Thème principal servant de
Première idée
consistant en une phrase lied ou en
une phrase binaire
en état tonal de REPOS
au Ton Principal.
P. — Transition MODULANTE servant de
Pont
en état tonal de, ... MARCHE
vers un Ton Voisin.
B. — Thème secondaire servant de
Seconde idée
avec ou sans Rentrée raccordant à la
réexposition
en état tonal de REPOS
au T»» Voisin.
RÉEXPOSITION
A. — Thème principal servant de
Première idée
avec des modifications d'écriture ou
même des arnplifications
en état tonal de .... REPOS
au Ton Principal.
P. — Transition modulante servant de
Pont
en état tonal de. ... MARCHE
vers le Ton Principal.
B. — Thème secondaire servant de
Seconde idée
avec ou sans Coda concluante
en état tenal de .... . REPOS
au Ton Principal.
Cette forme tient, en effet, de la forme Lied et de la forme Sonate :
à la forme Lied, elle emprunte le système des sections séparées ou sépa-
rables, la nature même du thème principal, et son rôle de personnage
unique qu'il conserve malgré la présence d'une sorte de seconde idée ;
à la forme Sonate, clic emprunte sa construction tonale, identique à
celle des deux expositions, l'une suspensive, l'autre conclusive. Mais
ces deux expositions se succèdent immédiatement, sans dépeloppement,
et cette suppression de la partie médiane rapproche cette forme de
celle de l'ancienne Suite, avec sa modulation au ton voisin dans la pre-
mière partie, et à la tonique dans la dernière.
Du reste, la véritable coupe- ^/«aire, sans reprise du thème initial
dans sa tonalité propre, a totalement disparu de l'œuvre beethovénienne,
en tant que construction de pièce séparée : on ne la retrouve guère
que dans la formation thématique de certaines idées de mouvements
lents, ou de certaines introductions importantes placées avant le finale
dans quelques Sonates.
Ces introductions n'ont de la pièce lente que l'allure expressive du
thème : on les rencontre quatre fois dans les Sonates de piano. Dans
l'op. 27 n» I et dans l'op. 53, ce sont des phrases lied à la sous-domi-
nante du ton du finale; dans l'op. loi et dans l'op. 1 10, au contraire,
ce sont des phrases binaires partant de la tonique.^ et assez nettement
divisées par une cadence médiane au relatif majeur.
Lied varié (LV). — Cette forme, qui provient aussi de l'ancienne Suite,
où elle apparaissait surtout dans les pièces du type M dites doubles
(voir ci-dessus, p. 114), consiste en une succession logique d'exposi-
tions intégrales d'un thème unique (phrase lied ou phrase binaire)
offrant chaque fois un aspect rythmique, mélodique ou harmonique
différent, sans cesser d'être reconnaissable ; elle se rattache donc au
LE MOUVEMENT LENT (L) 301
typé L, par son emploi dans les pièces lentes et par le caractère expressif
de son thème, toujours unique ; mais elle appartient exclusivement au
genre de la Variation^ tel qu'il a été défini ci-dessus (p. ii), et sera
étudiée, par conséquent, dans le chapitre vi, ci-après.
Répartition des divers types L dans les Sonates de Beethoven. — La
diversité des formes^ des rangs et des tonalités adoptées pour le mou-
vement lent a pour principale raison, croyons-nous, la fonction même
de ce mouvement dans la Sonate. Alors que le type S y est à peu près
indispensable, puisqu'il constitue enquelque sorte la Sonate elle-même,
le type L n'y intervient qu'à titre d'élément contrastant, nullement
nécessaire.
Aussi voyons-nous, chez Beethoven, la suppression du type S rester
à l'état d'essai presque unique, tandis que l'omission du mouvement
lent se renouvelle six fois, ou même dix, selon qu'on attribue, ou non,
le rôle de pièce lente aux quatre phrases d'introduction au finale, qui
en tiennent lieu dans les op. 27 n° i, 53, 10 1 et 110. Ainsi, sur
trente-deux Sonates de piano, le nombre des mouvements lents
ne dépasse pas vingt-six, et doit être ramené à vingt-deux pour les véri-
tables morceaux construits séparément, et offrant les signes caractéris-
tiques des trois types principaux que nous venons d'étudier.
Forme. — La forme Lied proprement dite est représentée par on^e
pièces, parmi lesquelles ^wa/re seulement sont du type Lied simple (L) à
/ro;5 sections (op. 28, op. 27 n° 2, op. 3r n'* i et op. 79), et sept sont
du type Lied développé (LL) à cinq sections (op. 2 n° 2, op. 2 n° 3,
op. 10 n*» 3, op. i3, op. 27 n° i, op. 54 et op. 106).
La forme Lied-Sonate {LS) est représentée par six pièces, dont cinq
sont en forme Sonate sans développement (op. 2 n" i, op. 7, op. 10 n° i,
op. 3i n" 2 et op. 81) et une seule est en forme de véritable Sonate lente
[Sh] avec développemejit (op. 22).
La ioTTueLied varié [LY) est représentée par cinq pièces qui sont de
véritables thèmes avec variations (op. 14 n** 2, op. 26, op. b-j , op. 109
et op. 1 1 1 ).
Rang. — En ce qui concerne \euv place ou \euTrang dans la Sonate,
ces vingt-deux pièces se répartissent ainsi :
sei^e occupent le rang traditionnel delà pièce lente, immédiatement
après le mouvement initial de forme S ; on peut y ajouter la phrase
d'introduction au filiale de l'op. 53, puisque cette Sonate n'a pas de
mouvement modéré ;
quatre remplacent le mouvement du type S et occupent le premier
rang (op. 26, op. 27 n° i , op. 27 n*" 2 et op. 54) ;
308 LA SONATE DE BEETHOVEN
deux sont rejetées au troisième î^ang, soit après le mouvement mo-
déré (op. io6), soit après un second morceau du type S (op. 109) ; on
peut y ajouter les tf^ois phrases d'introduction au finale des op. 27 n° i,
101 et 1 10.
Aucune enfin n'occupe, dans la Sonate, la fonction àt finale^ car on
ne peut guère assimiler à un véritable finale le thème avec variations
de l'op. 109, qui occupe le troisième rang dans une Sonate en trois
mouvements, ni celui de la Sonate op. iii, qui est immédiatement
après le premier mouvement : le caractère de finale appartiendrait
ici plutôt à la dernièf^e variation de chaque série, comme on le verra
en étudiant cette forme spéciale au chapitre vi, ci-après.
Tonalité. — La tonalité de la pièce lente continue, suivant l'ancien
usage signalé par Marpurg (voir ci-dessus, p. i53),à être celle qui
diffère le plus souvent du ton général de l'œuvre.
En exceptant naturellement les s/a: mouvements lents qui, en raison
de leur rang, sont nécessairement dans le ton principal (savoir : les op,
26, 27 n° I, 27 n° 2 et 54 d'une part, les op. 109 et 1 1 1 de l'autre), il
n'y a que quatre pièces du type L qui gardent la même tonique que la
pièce initiale, et toujours avec un changement de mode (op. 2 n° i, op.
10 n° 3, op. 28 et op. 79. Les phrases d'introduction au finale qui rem-
placent le mouvement lent dans les op. 101 et iio sont également sur
la même tonique que les pièces initiales de ces Sonates, avec change-
ment de mode.
Dans tous les autres cas, la tonalité du mouvement lent diffère du
ton principal ; mais elle ne cesse pas de lui être reliée, suivant le prin-
cipe de parenté tonale établi précédemment (i), par une ou deux notes
communes entre les deux accords de tonique mis en relation :
ci7iq pièces lentes sont au ton de la sous-dominante (op. 2 n° 2, op. 10
n° 1, op. 14 n° 2, op. 22 et op. 3i n° i) ; on peut y ajouter les deux
phrases d'introduction au finale des op. 27 n° i et 63 ;
quatre sont au ton de la tierce majeure grave, avec changement de
mode ; dans les op. i3, 3i n° 2 et 37, cette modulation coïncide avec
celle au relatif dt la sous-dojninante'., dans Top 106, le changement de
mode ayant lieu en sens inverse (de5/b à soh-faS), la parenté ne
s'établit réellement qu'à l'apparition du ton de SOL \>-fa fl , dont la tierce
majeure {si\>-la9) coïncide avec la tonique générale de l'œuvre (mo-
dulation à la quatrième quinte descendante) ;
îine seule est au relatif mineur (op. 81) ;
une est à la sixte majeure supérieure ou à la troisième quinte ascen-
dante (op. 7) ;
(i) Voir 1" liv., p. 127 et suiv.
LE MOUVEMENT MODÉRÉ M) 30^
une enfin est à la tierce majeure supérieure ou à la quatrième quinte
ascendante (op. 2 n° 3).
L'innovation becthovénienne porte donc à la fois sur la tonalité, le
rang et la forme même des mouvements du type L. On peut y ajoute,
l'application spéciale aux mouvements lents du système de la Varia-
tion, lequel avait pris naissance, au temps de la Suite, dans la pièce
d'allure modérée (M) dont nous allons étudier, ci-après, les transfor-
mations nouvelles.
5. LE MOUVEMENT MODÉRÉ. — LE MENUET. — LE SCHERZO. — TYPE M.
De toutes les anciennes Danses de Cour dont l'usage s'était maintenu
dans la Suite, nous avons vu le Menuet subsistera peu près seul dansla
Sonate, telle qu'elle était constituée antérieurement à Beethoven. Celui-
ci conserve du reste dans les mouvements modérés de ses premières
Sonates le plan si simple de cette danse avec son^r/o(i) intercalé entre
deux redites du Menuet proprement dit ; mais, si l'auteur de VAppas-
sionata semble avoir cessé pendant une quinzaine d'années de s'inté-
resser à cette forme totalement absente de ses œuvres entre 1802 et
1817 (2), cela tient peut-être à ce que son effort s'était porté sur la cons-
titution rythmique du thème bien plus que sur la construction toute
rudimentaire de l'antique Menuet, demeurée à peu de chose près la
même dans le Scherzo (3) beethovénien.
Le Scherzo, appelé à remplacer le Menuet dans les Sonates, consiste
comme celui-ci en deux pièces distinctes offrant entre elles un contraste
thématique, et écrites l'une et l'autre, sauf de rares exceptions, dans la
mesure à trois temps et dans la ?nême tonalité, ou dans des tonalités
très voisines.
Après la seconde de ces deux pièces, dite trio, on répète la première,
dite proprement scherzo, soit textuellement, soit plutôt avec des modi-
fications analogues à celles qui caractérisent la rt?^.vjt?os;7/o« de Xsl pre-
mière idée, dans la forme S, ou celle du thème principal, dans la
forme L. L'usage de la répétition textuelle du scherzo, après le trioy
devait en effet tôt ou tard choquer le goût de Beethoven, comme le
double indiqué par un simple signe de reprise ( :||: ) avait choqué jadis
avec raison le goût de Ph.-Emm. Bach (voir ci-dessus, p. 198). De
même que son glorieux précurseur, Beethoven préféra bientôt « prendre
(i) Nous avons fait connaître au chapitre précédentfp. 170 en note) les explications dif-
férentes qu'on donne de l'origine du nom de trio, pris dans cette acception particulière.
(2) En marge d'une esquisse de Sonate datant de 1708, on trouve cette observation, écrite
de la main de Beethoven : « Faire dorénavant les menuets très courts : pas plus de seize à
vingt-quatre mesures ».
(3) Ainsi que nous l'avons déjà signalé (note p. 114), la pièce intitulée parfois 5c/if»{0
dans certaines Suites n'a rien de commun avec la forme dont il est ici question.
304
LA SONATF DE BEETHOVEN
la peine » d'écrire cette reprise in extenso, au lieu de l'indiquer par un
économique da capo. Et, du jour où il « prit cette peine », il cessa d'en
faire un travail de copie, substituant à la monotone redite une réexpo-
sitioft véritable, avec des modifications agogiques ou dynamiques qui
donnent l'impression d'une orchestration nouvelle, et parfois même
avec l'adjonction d'une coda concluante.
Ainsi enrichi, en raison de ce souci plus grand de la variété dans
l'unité, le Scher:{0 ne pouvait guère s'accommoder des petits thèmes
légers et sautillants en usage dans les Menuets : l'élargissement
rythmique pratiqué déjà, plus ou moins consciemment, dans certains
mouvements du type M, tels que le Menuet de Rust que nous avons cité
ci-dessus (p. 171), allait devenir, chez Beethoven, un véritable principe
de structure thématique permettantd'établir, entre le thème de Scherzo
et le thème de Menuet, une distinction assez notable.
La plupart des thèmes de Menuet, tels qu'on les retrouve, d'ailleurs,
dans un certain nombre de Sonates, se décomposent en petits groupes
rythmiques réduits âux trois ie?7îps consécutifs d'une mesure à 3/4(1):
le sens musical de la cellule ou du motif est contenu en entier dans ces
triais temps, et chaque mesure doit être accentuée de la même façon,
ainsi que l'exigeait la danse du Menuet :
Allegretto
Allegretto
Ms
^
1''.'' rythme
(cellule)
î
f^
^
Mlule)
i
*2? ryllinu
w
"'-■ rytlimt
i
m
fr
m
Périodes_genératf ice?
Ces deux exemples, extraits des op. 2 no i et n» 2, doivent être considérés
cemme des types de thèmes de Menuet, bien que le second porte le titre de
Scherzo ; ils ont encore Is caractère de danse, qui disparaîtra plus tard du
véritable Scherzo, tel que Beethoven l'établira.
(i ) Il faut entendre ici par mesures la distance entre deux temps correspondants, c'est-à-dire
la mesure réelle, laquelle ne coïncide avec la mesure écrite ou la barre de mesure que s il
&'agit d'une distance entre premiers temps, ce qui est extrêmement rare, les groupes procé-
dant plutôt de troisième temps à troisième temps et quelquefois de deuxième à deuxième.
LE MOUVEMENT MODÉRÉ (M)
30Î
Dans les thèmes de Scherio, au contraire, la mesure se transforme
en une sorte de temps rythmique servant à composer un groupe de
plusieurs mesures [deux, quatre et quelquefois trois) : dans ce groupe
qui contient la cellule (toujours plus grande qu'une mesure), il y a
nécessairement des mesures fortes et des mesures faibles, accentuées
inégalement (i) et souvent impropres à la danse :
Allegretto 11"" groupe rythmique
S
^
T. ©
^
P
m
m
@
Pe'riode ?>-nér;itrice
Chacun de ces deux groupes rythmiques constituant la période génératrice de
ce Scher^fo (2), est à peu près indivisible musicalement: on peut, à la rigueur,
considérer la cellule contenant le motif comme faite des deux premières
mesures (ou des six premières notes) se reproduisant dans les deux mesures
suivantes; mais on ne pourrait subdiviser cette cellule (toujours plus grande
quune mesure) sans en détruire complètement la signification expressive.
Dans la plupart des pièces de forme Scher^o^ \a période générati^ice [a]
contenant le thème, avec son rythme spécial, se répète deux fois et
aboutit le plus souvent à une cadence suspensive.
Elle est suivie d'une période secondaire {b), affectant généralement
l'aspect d'une transition en état de marche vers une tonalité voisine, et
formée, soit d'un court développement des éléments thématiques de
la première période, soit, comme dans l'exemple ci-dessous, d'un élé-
ment différent :
i'J gr. rythni.
LAp) (})) Période second;nr
</i tiutrr/n- rers lu I). lif (ijy
Les groupes rythmiques de cette période secondaire sont tous de deux mesures.
(i) Les indications « Ritmo di tre battute, Ritmo di quattro battute*, mises par Beethoven
dans l'admirable grand Scherzo de la IX» Symphonie et dans quelques autres œuvres, se
réfèrent précisément[à la décomposition du thème en rythmes de trois ou de quatre mesures,
chaque mesure constituant un véritable temps rythmique.
(2) Remarquer l'analogie du thème de ce Scher:^o, appartenant à l'op. 10 n» 2, avec celui
du Scherzo de la V« Symphonie et avec plusieurs autres œuvres de Beethoven.
Cours de composition. — t. ii, i. ^®
^o6
LA SONATE DE BEETHOVEN
La période initiale {a') reparaît ensuite, toujours dans le ton principal
et dans une forme concluante, complétée souvent par une co^^a, comme
dans cet exemple ;
^fci^iè
Jc:^
?
m
^
if
T
-^
'/
^
^
ÊEEÊ
t
^
^
F^^
r^+f"f
Dans cette réexposition de la période initiale, les groupes rythmiques sont
modifiés : le deuxième est fait de deux mesures seulement, et les trois
autres de quatre mesures.
(ijy iCoda terminant le Scherzi), proprt-meni d
f^^^^ir^pT^
Cette coiia est faite de deux groupes rythmiques de quatre mesures ; le second
est complété par les silences de la dernière mesure.
On répète généralement la période secondaire (b), suivie de la pé-
riode initiale réexposée (a') et de la coda qui termine le scher:{0, avant
de commencer le trio.
Le thème du trio se distingue ordinairement par un caractère plus
sévère que celui du scherzo : il est moins orné, moins mouvementé,
mais sa constitution rythmique est du même ordre.
Quant à la construction du /r/o, elle est exactement la même que
celle du scherzo.
LE MOUVEMENT MODÉRÉ (M) 307
La période initiale {a) se répète deux fois et aboutit à une cadence
suspensive :
Cette période, en rythmes de quatre mesures, module à sa dominante [lA t>) au
lieu de moduler au relatif ; elle n'est pas répétée textuellement, comme la
période correspondante du schen^o, mais elle contient des modifications
rythmiques donnant à sa reprise un intérêt nouveau et un« allure expressive
plus inquiète.
La période secondaire {b) est en état de marche et développe les élé-
ments thématiques de la période initiale {a) ;
La période initiale, en forme concluante et dans le ton principal
(RÉi,), reparait ensuite, transposée à l'octave supérieure (a') :
Ces deux périodes {b et a') se répètent avec quelques modifications
d'écriture et sont suivies, la seconde fois, d'une coda symétrique de
celle du sclierio, mais destinée à relier la fin du trio à la réexposition
"^0^
LA SONATE DE BEETHOVEN
du sche7"{0^ c'est-à-dire à ramener la tonalité de fa, au lieu de confir-
mer la conclusion en i?É f .
La réexposition, substituée ici au da capo textuel, contient exacte-
ment la même musique que le scherzo précédemment exposé ; mais il
faut signaler, à titre d'exemple, l'accroissement agogique qui change
notablem.ent le caractère expressif des deux périodes (a et è), et qui
subsiste jusqu'à la fin de la coda concluante :
^'g-'J i ^1>^ J ^
1 ^JHiJ
W
r
^
s=*
s
Cette modification apparaît après une redite textuelle de la période généra-
trice [a), telle qu'elle était au début, et remplace la simple indication de
reprise de cette période.
en marche vers la D.de(fa)
Il faut lire en entier ce modèle de petit Scherio beethovénien, poUx
se rendre compte de l'immense progrès qu'il réalise, par rapport
au Menuet, même sous l'aspect déjà très noble que lui avait donné
W. Rust (voir ci-dessus, p. 171).
Le Menuet et le Scherio continuent toutefois à coexister dans les
LE MOUVEMENT MODÉRÉ (M) 309
Sonates de Beethoven; mais, après la période pendant laquelle il
supprima totalement les mouvements du type M, c"est le système du
Scherzo qui prédomine et conserve la forme que nous venons d'ana-
lyser.
Le plan de la construction de cette forme Menuet-Schet"{0 ou petit
Scher:[o (M) peut se résumer ainsi :
I. — Exposition du schen^o proprement dit, comprenant:
a, une première période en formules rythmiques de plusieurs
mesures, avec cadence suspensive;
b, une seconde période en état de marche, développant la première
ou contenant un élément nouveau;
a' y la première période avec cadence tonale et quelquefois une coda
concluante.
II. — Exposition du trio dans une tonalité voisine de celle du Scherzo, ou
dans la même tonalité, et avec une construction tout à fait semblable.
III. — Réexposition du scherzo (relié ou non au trio) contenant les mêmes
éléments musicaux que la première fois, dans le même ordre et dans la
même tonalité, mais avec des modifications expressives ayant parfois le
caractère d' amplification ou de développement terminal, aboutissant à la
coirt" concluante, s'il y a lieu.
Ce plan devait recevoir encore, dans certaines œuvres d'orchestre et
de Musique de Chambre (i), une extension considérable, par l'adjonction
de deux autres éléments que nous signalons ici, en attendant l'étude
qui en sera faite dans la Seconde Partie du présent Livre :
IV. — Exposition d'un second trio contenant, soit les éléments du premier,
modifiés ou développés, soit des éléments nouveaux (2).
V. — Dernière réexposition du schen^o initial, avec de nouvelles modifica-
tions et des développements plus importants, aboutissante une véritable
« péroraison ».
On aperçoit immédiatement l'analogie de construction qui existe
entre la forme Lied développé (LL) en cinq sections (voir ci-dessus,
p. 291), et ce type agrandi de mouvement modéré (MM) que nous
appellerons grand Schei^^o ou Scher\o développé, et qui tient également
du Rondeau par l'alternance du refrain-scherzo avec le couplet-trio.
Malgré ces analogies, chacun de ces types conserve sa physionomie
propre, en raison du caractère spécial des personnages thématiques qui
y sont exposés et développés. Mais ces expositions- et ces développements
mêmes sont toujours conformes aux principes de tonalité dont la
forme Sonate contient la plus haute et la plus complète application ;
(i) Notamment la VII» et la IX» Symphonie, le Trio, op. 97, les Quatuors à cordes, op. Sg
n» 2, op. 74, op. g5, etc.
(2) L'innovation du second trio, complètement diSérent du premier et souvent même
dans un tour autre rythme, appartient plus spécialement à Schumann, comme on le verra
ci-après dans la section historique du chap. v.
310 LA SONATE DE BEETHOVEN
cette forme demeure en définitive le prototype de toutes les autres; elle
seule est nécessaire, nous l'avons dit, à l'existence même de la Sonate,
dans laquelle la pièce d'allure modérée (M), plus encore que la pièce
lente (L), ne figure qu'à titre transitoire et en quelque sorte épiso-
dique.
La moitié des Sonates de piano ne contient ni Menuet, ni Scheî^io,
ni aucun morceau qui en tienne lieu (i). Les mouvements du type M
sont au nombre de dix-sept, appartenant à sei:{e Sonates seulement
sur trente-deux, car la Sonate op. 26, à elle seule, contient deux pièces
de la même forme (2).
Il est sans exemple qu'un Menuet ou un Scherzo soit placé au début
ou à la fin (3) d'une Sonate de Beethoven. Le Mouvement M y con-
serve presque partout sa place traditionnelle après \& mouvement L;
on ne rencontre guère qu'une seule dérogation réelle à cet usage (4):
dans l'op. 106, le Sc/ier:{0 précède V Adagio.
Ce rôle épisodique attribué au mouvement du type Mpourrait auto-
riser, semble-t-il, une moins grande rigueur dans le choix de sa tonalité:
tout au contraire, la plus grande partie des pièces de ce genre sont sur
la tonique principale de la Sonate à laquelle elles appartiennent, avec
ou sans changement de mode. Les seules exceptions à cette vieille
habitude de la Suite sont: l'op. 3i n» 3, où une des pièces d'allure
modérée (5) est à la sous-dominante ] l'op. 27 n° i et Top. iio, où les
pièces qui tiennent lieu de Scherzo sont au j^elatif mineur du ton de la
Sonate; l'op. 10 1, où la grande Marche (en forme de Scherzo) est au
ton de la quatrième quinte descendante {fa) par rapport à la tonique
principale {la).
Relation tonale entre le Menuet-Scherzo et son Trio. — Il règne une
plus grande diversité dans le choix de la tonalité voisine destinée au
trio dans les pièces du type M :
sept trios sont sur la même tonique, dont deux sans changement de mode
(op. 27 no 2 et op. 3i n° 3), et cinq avec changement de mode (op. 2 n<» 1,
op. 2 n" 2, op. 7, op. 26 Marche funèbre, op. 106);
quatre sont au relatif majeur de la sous-dominante : ils appartiennent tous,
en effet, à des pièces de mode mineur (op. 10 n» 2, op. 14 n» i, op. 27
no I et op. 1 10);
(i) Dans l'op. loi, c'est la grande Marche qui tient lieu de véritable Scherzo.
(2) Le Scher^^o proprement dit et une Marche Funèbre qui est construite exactement sui-
vant le même plan.
(3) On a vu ci-dessus (p. 207) qu'il n'en était pas de même dans les Sonates de Haydn.
(4) Les phrases lentes d'introduction au finale, ne constiiuant pas, à notre sens, un morceau
séparé, ne peuvent être considérées comme de véritables exceptions lorsqu'elles succèdent à
un mouvement M, comme il arrive dans l'op. 27 n' i, l'op. loi et l'op. 1 10.
(5) Cette pièce est en forme S; la véritable pièce du type M, qui la suit, est au ton prin-
cipal.
LE MOUVEMENT MODÉRÉ (M) 311
trois sont au relatif mineur du ton principal (op. 2 n" 3, op. 22 et op. 28) ;
trois enfin sont à la sous-dominante de même mode (op. 10 n» 3, op. 26,
et op. loi Marche).
Il n'est pas inutile de faire remarquer ici l'extrême prudence avec
laquelle Beethoven se sert de cette tonalité de la sous-dominante^
devenue par un abus tout à fait blâmable le ton réglementaire de tout
trio appartenant aux danses et surtout aux marches dont la forme a été
calquée sur celle de Tantique danse de cour avec sa seconde danse,
origine du Menuet, et du Scher:^o, avec leurs trios respectifs.
On conçoit mal la raison de cet usage vulgaire et antitonal au su-
prême degré, ainsi qu'on peut s'en apercevoir en prêtant l'oreille à
n'importe quel « Pas redoublé » ou « Allegro militaire » composé « en
exécution des règlements en vigueur ». En vertu du pouvoir absorbant
de la sous-dominante, sur lequel nous avons déjà attiré l'attention du
lecteur, dans le Premier Livre de ce Cours (i), la reprise terminale du
« premier motif», en 3// b , après le fâcheux trio en la b , donne une
impression de dominaiite de la b, et non de tonique, et détruit plus
ou moins l'effet conclusif de cette « réexposition », nonobstant les
efforts estimables de la batterie et de la grosse caisse.
Beethoven n'ignorait pas cet inconvénient de l'emploi prolongé de la
sous-dominante , et les moyens dont il s'est servi pour y remédier
méritent d'être signalés.
Dans l'op. lo n" 3, le trio, en sol, du Menuet, en /?É, ne conclut
pas : il module au contraire à la dominante de ré, pour ramener le
menuet qui, seul, possède une cadence conclusive.
Dans l'op. 26, le trio en iî£" t> (d'ailleurs beaucoup plus court que le
scherzo, en la i>) est terminé par un conduit de quatre mesures
revenant également à la dominante {Mib ) du ton initial, c'est-à-dire à
l'harmonie de la quinte supérieure.
Enfin, dans l'op. loi, le trio en si t», beaucoup plus court aussi que
la grande marche, en fa, ne conclut pas davantage et aboutit à une
pédale d't/r, en fonction de dominante de FA.
Dans les trois cas, on le voit, la formule modulante terminant le
trio dépasse d'une quinte dans le sens ascendant la tonique principale,
avant d'y redescendre pour la réexposition, et il s'établit ainsi une
sorte de compensation, par voie d'oscillation tonale de part et d'autre
de la tonique. La brièveté du trio par rapport au morceau complet, ou
l'absence de cadence conclusive au ton de la sous-dominante achèvent
de garantir au ton principal la prépondérance qui lui est nécessaire. Et
(1) Voir !•' liv., y. i lo.
313 LA SONATE DE BEETHOVEN
la simple comparaison de ces trois ^7-/05 à la sous-dominante avec tous
les autres montre bien que ces précautions prises par Beethoven s'ap-
pliquent à cette modulation, à peu près exclusivement, car on constate
l'emploi des mêmes moyens dans les deux cas dC introductions lentes au
finale, par la sous- dominante (op. 27 n" i et op. 53) (i).
6. LE MOUVEMENT RAPIDE FINAL. — LE RONDEAU-SONATE. TYPE RS.
Depuis Mozart, la forme Rondeau, avec alternance régulière des
Couplets modulants et du Refrain loiidX, avait remplacé à peu près défi-
nitivement dans la Sonate l'ancienne Gigue finale de la Suite. Toujours
respectueux des traditions établies, Beethoven commença donc par
garder au Rondeau sa fonction, et n'essaya de le remplacer ou de le
supprimer que dans ses dernières œuvres.
Mais, tout en conservant au Rondeau son rôle traditionnel de finale,
il introduisit bientôt dans sa construction un élément nouveau, sorte de
seconde idée exposée dans un ton voisin, en qualité de premier cou-
plet^ après le Refrain initial, et réexposée dans le dernier couplet au ton
principal, avec ou sans pont intermédiaire.
Ainsi modifié, le Rondeau prend dans sa première et sa dernière
partie toutes les caractéristiques du type Sonate, avec lequel il pourrait
même être confondu, si le thème initial (/?e/>-a/«) n'y reparaissait tou-
jours dans sa tonalité immuable après le second thème [Couplet) termi-
nant y exposition^ à la place exacte où la forme S contient normale-
ment un développement modulant. Cette première idée-Refrain continue
donc à demeurer un personnage unique^ toujours présent dans le
même état, puisqu'il garde toujours sa tonalité d'origine, tandis que la
seconde idée-Couplet n'est souvent qu'une émanation de la première,
une sorte de compagnon, de second rôle, destiné à dialoguer avec le
personnage principal, sans jamais l'absorber, ni même entrer sérieu-
sement en conflit avec lui : dans la forme Sonate, les deux idées se
combattent ; dans la forme Rondeau, elles se complètent.
Le finale de la Sonate, op. 90, nous montrera un bel exemple de cette
intéressante modification, portée à son plus haut degré de perfection.
Ce Rondeau est le dernier qu'écrivit Beethoven dans ses œuvres pour
piano (2) ; il est aussi le plus amplifié et le plus complet, en même
temps que l'un des plus expressifs, tout en gardant le caractère de
légèreté et de grâce naïve inhérent à cette forme de composition.
(i) Il est clair que la seule pièce lente établie à la sous-dominante dans uneSonate dont la
tonalité générale est affirmée par tous les autres mouvements n'a pas le même inconvénient
qu'un trio dans un Scherzo.
\a) Les Quatuors à cordes, op. gb et i32, contiennent encoredes pièces de forme Rondeau»
postérieures en date à celle-ci.
LE MOUVEMENT RAPIDE ^R)
3I-?
Le Refrain, tout à fait charmant, est en forme de phrase de lied avec
redite de la période initiale [a') après la seconde période {a") :
(A) REFRAIN (ou Première idée)
) ppri
M
(ftî) période initiait
Modéré et très chantant
I
m
m
^E#
^m
1 y T
■ pdolcii '
ii
Q^ seconde périod
Cette seconde période fci') se répète deux fois, et s'enchaîne avec une reprise
de la période initiale [a') terminant le Refrain qui est entièrement exposé
en Ml.
Le pt^etnier Couplet est composé de trois éléments, dont le premier
(P) en état de marche vers la dominante [si] a tous les caractères du
pont dans la forme S (i) : ,
(i) Remarqu-r que ce rythme du pont (P) est le même dans le ^ont Ju premier mouve-
ment de la même Sonate, et provient du rythme initial [a') de la première idée (A) de ce
mouvement (voir ci-après, p. 357).
:>i4
LA SONATE DE BEETHOVEN
P/em/^;'_CoM/?/e/.(en.//"oiî-éléments)
^) élément de transition (ou Po?i^) emprunté au Premier mouvement de la même Sonate
en. marche vers la D,de (Sj)
(5)- Seconde idée
(V) élément d'exposition
Cet élément à! exposition [b'), servant de seconde idée, se répète deux fois
sur des degrés différents, mais toujours sur l'harmonie de la dominante
de SI.
(bV) élément compléinentair»'
LE MOUVEMENT RAPIDE (R)
3i3
en marche vers /a Dde (mÎ
Cet élément complémentaire [b ) jouera un rôle important dans le second
Couplet qui tient lieu de développement : il ne saurait être conclusif et
aboutit nécessairement à un passage en état de marche vers la dominante
du ton principal {Ml) pour ramener le Refrain.
Après ce premier Couplet composé des trois éléments P, b' et b" , le
Refrain est réexposé textuellement avec ses trois périodes (a', a", a')
en forme de phrase lied.
Le deuxième Couplet est composé aussi de trois éléments ayant, tous,
le caractère de développement : il diffère un peu, en cela, des autres
Rondeaux beeihovéniens qui contiennent assez souvent à cette place un
élément thématique nouveau, et il se rapproche davantage, par consé-
quent, delà forme Sonate:
Deuxième Couplet (ou Développeraerit)
PreniitT ('It-nieiU (de a')
vers, ia D. dlCuJ)
Ce premier élément, en état de marche vers i'T, est un développement des
deux dernières mesures du Refrain (période S).
3i6 LA SONATE DE BEETHOVEN
Deuxième élément (de D )
^^
Ce deuxième élément, en état de marche vers la dominante de MI, est un
développement de la période complémentaire {b') du deuxième couplet,
passant par les tonalités : UT, ut, UT S et ut S.
Troi<iè'mt* »5!tnient (Rfntrt-t-)
Ce troisième élément, en état de repos sur la dominante de MI, sert de ren-
trée pour ramener le Refrain.
Après ce deuxième Couplet , développement en trois éléments, le
Refrain est réexposé en entier, sans modifications.
Le troisième Couplet, qui suit cette redite du Refrain, est composé
des mêmes éléments que le premier couplet (P, b' , b"), mais avec une
modulation différente ramenant au ton principal, comme pour la
seconde idée réexposée dans la forme S :
Troisième. Couplet
(15 réexposé
^m
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P
VS^
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s
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^/
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F^=^
«
^^
LE MOUVEMENT RAPIDE (R)
3-7
e?i marche vers In D.de (mj)
L'élément àt transition (\Vi\ sert de fiont modulant (P) est orienté vers la domi-
nante de MI ;
l'élément à'exposition (b') est entièrement transposé en A//, avec ses deux
redites ;
l'élément complémentaire {b") est transposé et amplifié par une modulation
passagère en UT, suivie d'une rentrée assez longue sur la domin'inte
de Afi.
Après ce troisième Couplet {seconde idée), le Refrain est réexposé une
dernière fois, mais en forme variée et amplifiée :
@ REFRAIN final
^'^ niHvrm
rmnv
è I ^
^
=f^
(aO.Première période.
^
m
rn
r-j r~3
^*
t^
7. (mi)
I
A
■A . 4
^ ,n .n JTl ^ ;
ff ff • -^ — fin* — * I * i i # I I -f- *!* :i*if|*' f 7~*-
La première période {a') est en forme dialoguée entre les deux mains;
la seconde période [a") est disposée de la même manière ; mais, au lieu de
ramener immédiatement la première (a'), elle se développe sur elle-même ;
ce développement terminal de la période a", pourrait presque être considéré
comme un quatrième couplet ;
\& première période {a') reparaît une dernière fois en forme plus conclusive,
comme si elle résumait une cinquième fois le refrain.
Le plan de la construction de cette forme que nous qualifierons de
Rondeau-Sonate (RS) peut être résumé ainsi :
3i8 LA SONATE DE BEETHOVEN
I. — Refrain exposé au ton principal comme une première idée (A) du
type S ;
Premier Couplet, dans un ton voisin, relié généralement au Refrain par une
transition ayant le caractère du pont ; ce couplet tient lieu de seconde idée
(B) et se décompose parfois en plusieurs éléments.
II. — Refrain au ton principal, succédant immédiatement au couplet qui sert
de seconde idée ;
Deuxième Couplet, contenant un élément nouveau exposé dans une tonalité
nouvelle (mais toujours parente du ton principal), et ayant un caractère de
translation tonale, comme le développement dans la forme S. Ce couplet
est souvent un véritable développement des éléments thématiques précé-
demment exposés.
III. — Refrain réexposé au ton principal, comme une prtmière idée (A) ;
Troisième Couplet, au ton principal, relié au Refrain par la transition servant
de pont mélodique et contenant des modulations différentes de celles du
premier couplet ; ce couplet contient tous les éléments ayant servi de
seconde idée (B), réexposés au ton principal.
IV. — Refrain final, au ton principal, et réduit souvent à l'exposition de sa
période initiale en forme conclusive ; quelquefois, ce Refrain est subdivisé
et contient une sorte de quatrième Couplet, qm sert de développement termi-
nal, et ramène une cinquième et dernière fois les éléments essentiels du
Refrain, avec une formule de conclusion.
Ce plan est une harmonieuse combinaison du principe de l'alternance
entre les Refrains et les Couplets avec le principe des expositions et des
développements. Le nombre des Refrains n'est pas absolument constant
dans les Rondeaux des Sonates de Beethoven : sur vi^igt pièces de cette
espèce, quatre seulement contiennent cette subdivision du Refrain final
donnant naissance à un quatrième Couplet et à un cinquième Refrain :
l'op. 2 n° 2, Top. 14 n" 2, l'op. 53 et l'op. 90 qui nous a servi de
modèle ; cinq., au contraire, n'ont que trois refrains (op. 49 n* i et n" 2,
op. 26, op. 27 n" I, et, par une simple assimilation, l'op. 54, dont le
Rondeau a une forme assez spéciale) ; un seul Rondeau enfin, celui de
l'op. 2 n° I, ne contient que deux redites du Refrain., par suite de la
juxtaposition de ses deux Couplets qui se succèdent sans interruption.
Les dix autres Rondeaux sont conformes au plan que nous avons
donné ; ils contiennent quatre Refrains alternant avec trois Couplets,
et produisant une division en sept tout à fait bien équilibrée (op. 2 n° 3,
op. 7, op. 10 n" 3, op. i3, op. 14 n* i, op. 22, op. 28, op. 3i n* i,
op. 78 et op. 79).
La pièce du type RS, ainsi agrandie par Beethoven, ne peut avoir
d'autre tonalité que celle de la Sonate elle-même, où elle occupe inva-
riablement la place de finale : près des deux tiers des Sonates de piano
sont terminées par des Rondeaux, dont la mesure normale est à deux
temps. Les seules pièces qui fassent exception à cette règle appartien-
nent àdesSonates incomplètes (op. 49 n° 2 et op. i4n° 2), où elles servent
I
UNITÉ THÉMATIQUE ET TONALE 319
à la fois de pièce du type M, par leur rythme à trois temps, et de finale,
par leur forme Rondeau.
Sur les dou^e Sonates qui ne contiennent pas de Rondeau, huit se
terminent par un mouvement du type S, d'allure rapide ; et l'on cons-
tate encore, par cette substitution de la forme Sonate au type R, l'im-
portance que Beethoven attribuait à cette belle construction ternaire^
dont la présence était nécessaire, pour lui, dans toute composition sym-
phonique de longue haleine.
Les quatre dernières Sonates, seules, ne se terminent ni par un
mouvement du type S, ni par un Rondeau ; elles contiennent des
essais de formes nouvelles ou renouvelées : la Fugue, qui reparait dans
le finale de l'op. io6 et de Top. i lo ; la Variation, qui absorbe toute
la dernière partie de l'op. 109 et de l'op. 1 1 1.
7. — UNITE DE LA SONATE DE BEETHOVEN. — AFFINITES DES THEMES. — RELA-
TIONS DE TONALITÉ. PROPORTION ET NOMBRE DES MOUVEMENTS
L'étonnante rénovation introduite dans le domaine symphonique par
les conceptions géniales de Beethoven sur les idées musicales, les déve-
loppements et les modulations, ne s'est point limitée aux perfectionne-
ments de structure que nous venons de signaler dans chacun des quatre
types fondamentaux de mouvements (S. L. M. R.) individuellement.
Les réactions mutuelles, s'exerçant entre les divers mouvements
destinés à être entendus consécutivement pour former une seule oeuvre,
devaient faire naître entre ces quatre types élaborés dans la Sonate,
d'oià ils rayonnèrent dans toutes les autres formes symphoniques ins-
trumentales , certaines affinités de thèmes , certaines relations de
tonalité, certaines proportions de foj^me, par lesquelles chaque morceau
constitutif devait s'identifier davantage à sa fonction de partie inté-
grante d'un tout.
Affinités des thèmes. — Chez les précurseurs de Beethoven, sauf
peut-être W. Rust, les thèmes appartenant aux mouvements différents
d'une même Sonate étaient sans analogie d'aucune sorte entre eux:
s'ils offraient quelque contraste, il était dû aux allures et aux mesures
spéciales à chaque type, beaucoup plus qu'à une intention déterminée ;
dans l'immense généralité des cas, ces thèmes étaient complètement
indifférents ou étrangers les uns aux autres.
Le procédé du rappel, ou même de la simple allusion mélodique
d'un morceau à un autre, semblait définitivement abandonné, lorsque
Beethoven, par un effet normal de l'esprit d'unité synthétique qui plane
320 LA SONATE DE BEETHOVEN
sur ses œuvres, prépara pour l'art symphonique l'accomplissement
d'un immense progrès, en ouvrant à ses successeurs la voie féconde des
parentés thématiques établies volontairement entre les pièces différentes
d'une même composition, voie dans laquelle certains primitifs italiens
avaient fait jadis une timide incursion que, seul, W. Rust avait renou-
velée depuis eux (i).
Le principe des thèmes antagonistes ou contrastants est appliqué par
Beethoven à peu près exclusivement aux deux idées (A et B) dans la
forme Sonate. Dès ses premières œuvres, et notamment dans Top. i3,
il cherche à créer, entre les thèmes des différents morceaux, certaines
affinités que nous signalons ici brièvement, pour y montrer les germes
de la Sonate cyclique dont l'étude fera l'obiet du chapitre suivant.
Dans l'op. i3 [Sonate Pathétique)^ le Rondeau final est construit sur
un thème issu de Iz seconde idée (B) du mouvement initial, et ce thème
est déjà pressenti dans le motif initial de l'introduction Graine, comme
on le verra ci-après (p. 333 et suiv.) dans l'analyse détaillée que nous
donnerons de cette Sonate, l'une des plus parfaites de celles qui appar-
tiennent à ce qu'on a appelé avec raison la première manière de
Beethoven.
Dans l'op. 3i n° 3, l'analogie rythmique de la cellule du mouvement
initial avec celle du Menuet et même celle du finale est tout à fait
apparente (^voir ci-après, p. 346 et 346).
Dans l'op. by [Sonate appassionata) qui appartient à la deuxième
manière de Beethoven et sera analysée ci-après (p. 347 et suiv.), on
trouvera deux cellules rythmiques différentes qui donnent naissance à
tous les éléments thématiques importants des trois mouvements consti-
tutifs de l'œuvre.
Dans l'op. 81 [Lebeivohl), il y a aussi deux cellules, l'une mélodique,
l'autre rythmique : elles sont exposées toutes deux au début de l'Intro-
duction lente (voir ci-après, p. 365) et donnent à toute l'œuvre, dans les
diverses parties de laquelle elles circulent, une unité thématique remar-
quable.
Dans l'op. 90, on a signalé déjà le retour du rythme initial du premier
mouvement dans le passage servant au Rondeau final de premier et de
troisième couplet, de pont mélodique, (voir ci-dessus p. 3i3 et ci-
après, p. 357).
Dans le sujet de la Fugue finale de l'op. 106, appartenant à la ti^oi'
(1) On a vu, au chapitre m, les essais de Legrenzi (p. 178), de Corelli (p. 180) et de Tar-
tini (p. i83) dans le sens de Vunité thématique des quatre pièces d'une môme Sonate ; et,
plus tard, la tentative beaucoup plus complète de Fr.-W. Rust, dans sa Sonate n» 9 (p. 228
et suiv.).
UNITE THEMATIQUE ET TONALE 3ji
sième matiière de Beethoven, il est difficile de ne pas reconnaître le
rythme initial désigné ci-dessus (p. 264) par la lettre a' , comme on le
verra dans l'analyse de cette Fugue, ci-après (p. 364).
La fréquence de ces affinités thématiques s'accroît du reste dans les
Sonates appartenant à cette troisième manière^ car une autre de ces
cinq Sonates, l'op. 1 10, qui sera analysée ci-après (p. 365 et suiv.), con-
tient une transformation plus complète et plus apparente encore du
thème de l'introduction initiale en sujet de là Fugue finale.
Outre ces rapports thématiques déterminés et, en quelque sorte,
palpables qui seront étudiés à propos de la Sonate cyclique (chap. v),
il faut signaler aussi certaines affinités d'intention et de sentiment
général, qui ne se traduisent pas par un thème transformé^ mais qui
résultent de Vexpression même de certains morceaux d'une Sonate,
comme, par exemple, le premier mouvement et le finale, dans l'op. 27
n" 2 (voir ci-après, p. 343, la symétrie des harmonies tonales d'w^ S
en forme arpégée, passant du calme de VAdagio à l'agitation du
Presto) et dans l'op. 3i n° 2 (sorte de question posée plusieurs fois par
l'introduction Largo, toujours suspensive, et résolue par Y Allegretto
final construit sur les mêmes tonalités, mais plus affirmatif) (i) etc.
Relations des tonalités constitutives. — Est-il besoin de rappeler que
Vunité tonale est toujours scrupuleusement respectée dans les Sonates
de Beethoven? Quinze d'entre elles ont tous leurs mouvements sur la
même tonique, avec ou sans changement de mode ; les dix-sept autres
n'ont jamais plus d'un seul mouvement (2) dans un ton voisin : en
général, ce mouvement est la pièce lente, suivant l'ancienne tradition
à laquelle on ne rencontre que quatre dérogations, déjà signalées
précédemment (p. 3o2) : .
i<» dans l'op. 27 n" i, il y a un petit Scher:[^o (type M) au relatif
mineur (3) ;
2° dans l'op. 3i n" 3, la deuxième pièce que nous avons déjà signalée
(p. 3 10) est construite en forme S, bien qu'elle ait l'allure thématique
d'un Scherzo ; elle est au tonde la sous-dominante, mais la véritable
pièce du type M, un Menuet qui la suit, est à la tonique principale;
(i) Beethoven répondit à quelqu'un qui lui demandait la raison Je ce caractère interrogatif
de l'introduction Largo intervenant dans le premier mouvement a qu'on trouverait la clé
de cette œuvre dans la Tempête de Shakespeare >. On a le droit de considérer cette expli-
cation comme insuffisante.
(a) Dans l'op. 53, on peut même dire que tous les morceaux sont sur la même tonique,
car ce qui tient lieu de mouvement lent n'est qu'une introduction par la sous-dominante.
(3) La phrase lente d'introduction au finale qui, dans cette Sonate, op. 27 n° i, part de la
sous-dominante pour aboutir à la tonique principale, ne peut être véritablement considérée
comme une pièce /ewfe établie dans un autre ton.
Cours de composition. — t. 11, i. ai
Î23 LA SONATE DE BEETHOVEN
3° dans l'op. loi, la grande Marche est au ton de la quatrième quinte
descendante ;
4° dans l'op. i lo, le Schef-^o est au i^elatif mineut\
L'inépuisable variété qui règne dans les Sonates, malgré l'étroite
parenté qui unit au ton initial la tonalité choisie pour le seul morceau
s'en éloignant, montre une fois de plus que la fréquence des change-
ments de ton n'apporte qu'un élément de désagrégation dans les composi-
tions, au lieu d'en accroître l'intérêt, comme on le pense trop souvent.
Bien au contraire, l'emploi de certaines modulations à la même toJîa-
lité dans plusieuf^s pièces d'une même œuvre peut contribuer à resserrer
la parenté tonale entre ces diverses pièces ; il est intéressant de cons-
tater que Beethoven s'est servi de ce moyen dans celle de ses Sonates
où la tonique de la pièce lente était le moins voisine de celle des autres
mouvements: l'op. io6 (i). Le ton dejas-sol i> choisi pour V Adagio
est assez éloigné du tonde 5/ t» appartenant aux autres pièces : mais,
dans le mouvement initial, nous avons vu (p. 279) que l'harmonie de
SOL t» jouait un rôle important ; dans la Fugue finale, cette harmonie
revient pour un épisode assez long (voir ci-après, p. 364) ; et ces
modulations rapprochent notablement le ton de la pièce lente, en le
reliant au ton principal '^2).
Proportions des formes S. L. M. R. — La recherche des meilleures
proportions pour le nombre et la longueur des pièces constitutives de
la Sonate paraît avoir fait l'objet des préoccupations constantes de
Beethoven. Dès ses premières œuvres, il donne au mouvement initial
de forme S une plus large place, aux dépens de la pièce modérée (M),
principalement. L'auteur semble considérer ce petit Menuet, qui garde
seul son caractère de danse, comme une concession nécessaire mais
regrettable aux anciens usages : il le restreint donc volontairement,
comme nous l'avons vu (p. 3o3), et le supprime complètement dans la
période de 180 i à 181 5 qui correspond à ce que nous avons appelé,
après beaucoup d'autres, sa deuxième manière. Cependant, le thème de
Scherio, création très spéciale à Beethoven, que nous avons étudié
(p. 3o5) et qui remontait déjà à des Sonates antérieures (op. 10 n° 2,
par exemple), donne un nouvel intérêt à cette forme, libérée désormais
des entraves étroites de la danse ; aussi, la voit-on reparaître, beaucoup
(1) Remarquer que ce procédé est le même que celui employé par Haydn pour préparer
dans le premier mouvement de sa Sonate, op. 78, en MI \> , la tonalité assez éloignée de
Y Adagio en MI S (voir ci-dessus, p. 216).
(a) Il faut citer aussi, dans l'œuvre de Beethoven, une modulation dont la fréquence ne
i'ex lique pas très bien : un assez grand nombre de compositions établies au ton de A//b ou
d'wf, c'est-à-dire avec trois bémols à la clé, modulent en FA : cette modulation à la deuxième
quinte ascendante est, au contraire, très rare dans les œuvres écrites dans d'autres tons.
UNITK THEMATIQUE ET TONALE 333
plus grande et plus complète, dans les dernières œuvres synîphoniques
plus encore que dans les Sonates.
Le Rondeau (R), par sa fusion avec la forme Sonate, gagne en impor-
tance et en intérêt ce qu'il perd en analogie avec les anciennes chansons
à danser qui lui donnèrent naissance. Toutefois, dans les dernières
Sonates, il n'est plus jugé apte, même en cette forme agrandie, à faire
équilibre à la pièce initiale de forme S ; et, après sa réapparition admi-
rable mais unique dans l'op. 90, il disparaît des Sonates pour faire
place à des tentatives de formes nouvelles, à titre de finale tout au
moins: la Fugue et la Variation.
Seule, la pièce lente (L) demeure, sous une forme ou sous une autre,
à côté de la pièce nécessaire du type S : mais elle tend très souvent, par
son enchaînement avec un finale ou avec des variations, à redevenir
l'antique Prélude : et l'on voit en définitive le type Sonate et la Varia-
tion se partager à peu près exclusivement les Sonates qui terminent la
géniale collection dont l'étude fait l'objet du présent chapitre : l'an-
cienne division en quatre mouvements est employée dans dix Sonates :
op. 2 n^M , 2 et 3, op. 7, op. 10 n° 3, op. 22, op. 26, op. 28, op. 3i
n* 3 et op. 106 (i).
Les Sonates en /ro/s mouvements sont au nombre de quiw^e : op. 10
n°» I et 2, op. i3, op. 14 n"^ i et 2, op. 27 n"* i et 2, op. 3i n°* i
et 2, op. 57, op. 79, op. 81, op. loi, op. 109 et op. 1 10 (2).
Enfin, les Sonates en deux mouvements sont au nombre de sept :
op. 49 n*" I et 2, op. 53, op. 54, op. 78, op. 90 et op. 1 1 1 (3).
Si la construction en /ro/s mouvements est la plus employée, celle en
deux mouvements devient plus fréquente dans les dernières Sonates ;
cette tendance à restreindre le nombre des mouvements à trois et même
à deux^ en multipliant les enchaînements de mouvements inséparables,
paraît être nettement opposée à celle qui se manifestera dans l'étude
des Quatuors à cordes. Ceux-ci semblent au contraire, par l'accroisse-
ment du nombre de leurs pièces [six, sept et même /iw/7), revenir à
l'ancienne forme Suite, tandis que, seule, la Symphonie proprement
dite est demeurée l'immuable dépositaire de la tradition des quatre
types de mouvements, ainsi que nous le constaterons dans la Seconde
Partie du présent Livre.
(i) Il faut observer toutefois que, sur ces dix Sonates, sept seulement contiennent un
spécimen de chacun des quatre types traditionnels (S. L. M. R.). En effet, l'op. 26 n'a pas
de type S, l'op. 3i n« 3 n'a pas de type L et l'op. 106 n'a pas de type R.
(2) Les Sonates op. 27 n" i et 110 n'ayant que des phrases lentes d'introduction au finale dont
ellessont insé/?ara6/e5, doivent être considérées comme divisées en (rois mouvemenis seulement.
(3) Pour la môme raison, les Sonates op. 53 et loi doivent être considérées comme
«liviaées en deux mouvemenis.
324 LA SONATE DE BEETHOVEN
HISTORIQUE
8. — CHRONOLOGIE DES SONATES DE BEETHOVEN.
Ludwig van Beethoven naquit à Bonn le i6 décembre 1770. Sa
famille était d'origine flamande et habitait au xvii' siècle les environs
de Louvain. Son grand-père, Ludivig, auquel il ressemblait beaucoup
physiquement, était venu s'établir à Bonn en 1733, en qualité de musi-
cien de la cour de l'Evêque, et avait pris, en 1 761, la charge de
Kapellmeister en remplacement du français Touchemoulin. Johamiy
père de Beethoven, fut également musicien de cour ; de son mariage
avec Anna-Magdalena Kewerich naquirent trois fils : seul, le jeune
Ludivig suivit la carrière de ses ancêtres.
Après de sérieuses études sous la direction de Ch.-G. Neefe, maître
érud'it et intelligent qui, non content d'enseigner le métier, savait
cultiver l'esprit de ses élèves par l'exemple, en les initiant aux belles
œuvres (le C/ai^mw de Jean-Sébastien, les Fantaisies de Ph. -Emmanuel
Bach, les premières Sonates de Rust), Beethoven partit en 1792 pour
Vienne, où il reçut les conseils de J. Haydn, conseils qui lui furent
fort utiles et dont il subit l'influence pendant toute sa première période
de production. Il travailla aussi le contrepoint avec Albrechtsberger,
auquel Haydn l'avait adressé pour parfaire son éducation technique.
Ce fut donc seulement après quatorze ou quinze ans d'études assidues
que Beethoven osa commencer à produire des œuvres, car on ne peut
compter pour telles les quelque quarante compositions, variations,-
lieder ou morceaux d'ensemble, qu'il écrivit avant ses trois premiers
Trios, et dont il fit lui-même bon marché par la suite : ce ne sont, en
effet, que devoirs ou esquisses sans intérêt artistique.
Familier, malgré la rudesse de son caractère, avec l'aristocratie habi-
tant alors à Vienne, les Breuning, les Waldstein, les Lichnovv^sky,
Browne, Rasoumowsk}', Erdody, qui lui facilitèrent à maintes reprises
la pratique de la vie, il put, jusqu'à la ruine de l'Autriche en 1809,
mener une existence relativement tranquille, entrecoupée seulement
d'amours incompris et de passions éphémères, et donner libre cours à
son génie novateur.
Plus tard, il connut la douleur ph3rsique et morale ; la fin de sa vie
fut empoisonnée, d'une part, par la terrible infirmité qui, dès 1800,
avait attaqué son organe auditif, et lui enlevait bientôt toute possibilité
de communication immédiate avec le monde extérieur; ensuite, par
l'ingratitude et la mauvaise conduite d'un neveu qu'il chérissait
comme un fils.
CHRONOLOGIE 335
Mais ces circonstances qui, chez des esprits moins hauts, eussent été
des causes d'anéantissement, ne firent que développer en lui le don
créateur; il sut se replier sur lui-même et se créa ainsi tout un monde
intérieur auquel nous devons ses œuvres les plus sublimes.
Depuis son départ de Bonn, où il faisait partie de l'orchestre de
l'Archevêque-Électeur de Cologne, Beethoven n'occupa aucun poste
officiel, ne fut titulaire d'aucune charge : seule, l'Académie d'Ams-
terdam (i) l'avait nommé membre d'honneur en 1809; quant à l'an-
tique et illustre Société Viennoise des ^w;s de la Musique {1), elle ne
commença à apprécier la valeur du musicien de génie qui végétait
dans la capitale de l'Empire, que quatre ans avant sa mort. Plus
clairvoyant, Jérôme Napoléon, roi de Westphalie, avait fait offrir, en
I 809, à l'auteur de la Symphonie héroique, des fonctions bien rému-
nérées que Beethoven refusa par patriotisme.
Animé d'une foi profonde en Dieu et en son art, Beethoven, comme
Bach, fut un grand chrétien : toutes les oeuvres de sa dernière manière
«n témoignent, aussi bien que ses propres écrits. Il pratiqua toute
sa vie la sainte charité envers Dieu et envers son prochain, et mourut
€n bon catholique, le 26 mars 1827.
L'œuvre de Beethoven se divise en trois époques, dont chacune est
caractérisée par un style absolument différent (3). Chez nul musicien,
en effet, les changements successifs et progressifs de l'àme ne se mani-
festèrent plus clairement et plus complètement que chez le poète de la
Sonate pathétique, de la Symphonie pastorale et de la Messe en ré.
Nous intitulerons ces trois manières si tranchées :
Période d'imitation, de 1795 à 1801 (§ 9);
Période de transition, de 1801 à 181 5 (§ 10);
Période de réjlexion, de 181 5 à 1826 (§ u).
Voici, dans leur ordre de production, la liste chronologique des qua-
rante-neuf Sond^its de Beethoven, les seules de ses compositions dont
nous ayons à nous occuper dans ce chapitre :
(1) Maatshappij tôt Bevordering van Toonkunst.
(2) Gesellschaft der Musikfreunde.
Ces deux Sociétés existent encore à Amsterdam et à Vienne.
(3) L'un des ouvrages les plus utiles à consulter, pour bien connaître les Sonates de
Beethoven, est un livre rédigé en français avec des pensées allemandes par un auteur
russe, \V. de Lenz, et intitulé: Beethoven et ses trois styles {2 vol. : 1" éd., Stapleaux,
Biuxelles, 1854; 2' éd., Lavinée, Paris, 1866; 3« éd., Legouix, Paris, 1908). Ce livre est des
plus instructifs pour les élèves, parce qu'il fut écrit par un musicien et un enthousiaste. La
plupart des autres publications sur ces Sonates ne donnent jusqu'à présent que d'inutiles
descriptions ou de sèches nomenclatures. Quelques écrivains ont même tenté de contester
cette classification des œuvres de Beethoven en trois manières successives; mais leurs
assertions sont sans aucun fondement : ce sont opinions de musicographes dont nous n'avons
pas à tenir compte ici, puisque nous nous adressons à des musiciens.
,26 LA SONATE DE BEETHOVEN
PREMIÈRE PÉRIODE (imitation) : 22 Sonates.
1795. 3 Sonates pour piano ; /a, L-4, l/r (dédiées à J. Haydn) . . Op. 2.
_ 2 — pour violoncelle ; /"/l, 50/ (au roi de Prusse). . . — 5.
1796. I Sonate pour piano ; SOL — 49 n" 2.
— I — pour piano à quatre mains ; RÉ — 6.
— I — pour piano ; Mil> (à la comtesse de Keglevics). . — 7.
1797. 3 Sonates pour piano ; ut, FA, RÉ (à la comtesse de Browne). — 10.
1798. 3 — pour violon ; RÉ, la, MI\> (à Salieri) — 12.
— I Sonate pour piano {pathétique); ut (au prince Ch. de
Lichnowsky) — i3.
— 2 Sonates pour piano ; MI, SOL (à la baronne de Braun) . . — 14.
1799. I Sonate pour piano ; 50/ — 49 n» i.
1800. I — pour cor; FA — 17.
— I — pour piano ; S/ i? (au comte de Browne) .... — 22.
— 2 Sonates pour violon ; la, FA (au comte Fries) — 23.
DEUXIÈME PÉRIODE (transltlon) : 20 Sonates.
i8oi. 1 Sonate pour piano f/>asfora/e) ; ^£ (à J. de Sonnenfels) . Op. 28.
— I — pour piano ; LAi> (au prince Ch. de Lichnowsky). — 26.
— 2 Sonates pour piano (quasi fantasia); M/t) (à la princesse
de Liechtenstein), ut 5 (à la comtesse G. Guic-
ciardi) — 27n»'iet2.
1802. 3 — pour violon ; LA, Mf, SOL (à l'empereur Alexandre). — 3o.
— 2 — pour piano ; SOL, ré — 3 1 nos 1 et2.
i8o3. I Sonate pour violon ; /a (à Kreutzer) — 47.
— I — pour piano ; MJ\> — 3i no 3.
1804. I — pour piano ; fa, dite appassionata (au comte F. de
Brunswick) — 5y.
— I — pour piano ; UT (au comte Waldstein) — 53.
i8o5. I — pour piano ; Fiî — 54.
1808. I — pour violoncelle ; L.4 (au comte Gleichenstein). . — 69.
— I Sonatine pour piano ; SOL — 79.
1809. I Sonate pour piano; Fi4 fl (àla comtesseThérèseBrunswik). — 78.
— I — pour piano; i//t>, l'Adieu, l'Absence, le Revoir {à
l'archiduc Ro lolphe) — 81.
1^12. I — pour violon ; S0£, (à l'archiduc Rodolphe). ... — 96.
1814. I — pour piano ; mi (au comte Moritz de Lichnowsky). — 90,
TROISIÈME PÉRIODE (réflexion) : 7 Sonates.
18 f 5. 2 Sonates pour violoncelle ; UT, RÉ (à la comtesse Erdody)
1816. I Sonate pour piano ; LA (à la baronne Ertmann) .
1818. I — pour piano ; s/t) (à l'archiduc Rodolphe).
1820. I — pour piano ; M/ (à Maximilienne Brentano;
1021. I ~ pour piano ; la\>
1822. I — pour piano ; M/ (à l'archiduc Rodolphe). .
Op. 102.
lOI.
106.
109.
I 10.
1 1 1.
Sur ces quarante-neuf Sonates, trente- deux sont écrites pour piano
seul : elles contiennent les plus importantes innovations du génie
SONATES POUR PIANO 337
beethovénien et méritent une étude spéciale. On peut même les consi-
dérer comme le véritable « Évangile musical » du xix* siècle, dont tout
compositeur devrait connaître jusqu'aux moindres détails.
Nous donnons ci-après, dans l'ordre chronologique, le schéma ana-
lytique de chaque morceau avec quelques remarques, et l'analyse
détaillée d'une Sonate-type, au moins, dans chacune des trois manières.
Nous examinerons ensuite les principales particularités des dix Sonates
de violon et des cinq Sonates de violoncelle.
9. SONATES POL'R PIANO. — PREMIERE MANIERE [iJ^'S A 1801).
La pî^emièt^e maniérée (imitation) reste assujettie à la tradition, jusque
dans ses formules mêmes. Sauf dans quelques morceaux comme le
premier mouvement de la Sonate pathétique et le largo de l'op. lo
n° 3, les éléments musicaux et la forme n'y diffèrent pas notable-
ment du stfle galant établi par Emm. Bach, Haydn et Mozart.
Beethoven ne s'y élève même pas au niveau des dernières Sonates de
Fr.-W. Rust, tout à fait contemporaines de cette période ; il ne
cherche qu'à imiter ses modèles et se constitue ainsi peu à peu une
puissante personnalité, bien plus sûrement qu'en désertant avec la
témérité de l'inexpérience la route traditionnelle, pour s'engager
dans des sentiers sans issue.
Sonate op. 2 n° 1. — Dédiée à J. Haydn, « docteur en musique ».
— Composée en 1793.
— Éditée • en mars 1796, chez Artaria, à Vienne.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
i"" Allegro (^,QU.fa Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à Rem. — Les doigtés des deux premières
— Th. B {b' , b' , b'"). mesures sont marqués par Beethoven
Dév. par b' . lui-même.
Réexp. normale.
2° Adagio \, Qn FA Type LS.
Exp. Th. de lied, A.
— Pont.
— Th. B, à la D.
RÉEXP. Th. A, à la T., enchaîné à
— Th. B,'à la T.
y Allegretto J, en /h Type M.
Menuet -. Th. A. (i) et dév. de A. Rem. — Les doigtés de la descente en
Trio en FA. sixtes du trio sont marqués par
Da capo. Beethoven.
(1) Ce thème a éié ciié ci-dessus, p. 304.
3a8
LA SONATE DE BEETHOVEN
4° Prestissimo Cenfa{i) Type R.
Réf. I : Th. A, enchaîné à
Coupl. I : Th. B, en ut.
Coupl. 2 : Elém. nouv. en LA t>
Réf. 2: Th. A, enchaîné à
Coupl. 3 : Th. B, à la T.
Rem. — Cette forme ne tient du Ron-
deau que par le thème différent qui
constitue le deuxième couplet, et rem-
place le développement.
Sonate op. 2 n*» 2. — Dédiée à J. Haydn.
— Composée en 1793.
— Éditée en mars 1796, chez Artaria.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
i'' Allegro vivace l, en la Type S.
Exp.Th. A, en rfewA- éléments {a' et a").
— Pont vers la D.
l b, en mi.
— Th. B < b" (tiré de a) en MI.
i t" (tiré de p.)
Dèv. par a .
— par a" en FA.
Réexp. normale.
2° Largo appassionato -, en RÊ (2).
I. Th. de lied, à la T.
II. Section modulante.
III. Th. à la T.
IV. Dév. du Th.
Th., à la T.
. , = . a . . Type LL.
Rem. — Le thème de ce Largo semble
être une esquisse de l'Andante du
Trio op. 97.
V.
3° Allegretto '-, en la.
I a, à la T.
Menuet} b, en sol 5.
( a, à la T.
Trio, en la.
Da capo.
4° Rondo gra^ioso c.
Réf. I : Th. A, à la T.
Coupl. 1 : P. et th. B, à la D.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Elém. nouv. en la
Réf. 3 : Tn. A.
Coupl. 3 : P. et th. B à la T.
Réf. 4 : Th. A.
Coupl. 4 : Dév. du th. A.
— — du coupl. 2.
Réf. 5 : Période initale de A.
— Conclusion
(i) Haydn, tout en trouvant que Beethoven « avait encore beaucoup à apprendre », apprécia
hautement ce finale, appelé par les critiques d'alors h une indécente monstruo.iilé 0.
(î) C'est cette pièce qui a été analysée ci-dessus (p. 291 et suiv.) dans la section technique,
comme modèle du type lied développé en cinq sections (IL'.
(3; Ce thème a été cité ci-dessus, p. 3o4, avec celui du Menuet de la Sonate précédente
(op, a n" i).
Type M.
Rem. — Maigre son titre Schen^o, cet
Allegretto doit être considéré comme
un Menuet, par la forme de son
thème (3 .
Le trio est écrit d'après un chant slave.
en LA Type RS.
Rem. — Rondeau-Sonate tout à fait
conforme au type étudié ci-dessus
(p. 3l2).
Le thème B est très peu important et
change de rythme, quand il revient
au troisième couplet, disposition fré-
quente chez Mozart.
SONATES POUR PIANO 3^9
Sonate op. 2 n°3. — Dédiée à J. Haydn.
— Composée en 1796. — Éditée en mars 1796, chez Artaria.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
i«* Allegro cou brio C, en UT ^ype S.
Exp. Th. A. Rem. — Suivant un ancien usage ita-
— Pont. lien, le thème B entre par la domi-
f b tn sol. nante mineure (sol) et change de
— Th. B. < b" en SOI. (tiré de j?.) mode ensuite.
( i*.
DÉv. par 6*.
— par a.
RÉEip. normale,
— avec Dév. terminal, cade-nce
et dernière réexp. de A.
2° Adagio J, en mi T^ype LL.
I. Th. binaire à la T.
II. Section modulante.
III. Th. à la T.
IV. Dév. du th. et de la section 11.
V. Th. à la T.
3«> Allegro l^ en ut Type M.
SCHERZO: Th. développé à la T. Rem. — Le ihème du Scherzo de la
Trio en la. Symphonie italienne de Mendehsohn
Da capo et Coda. est, sans doute, inspiré de celui-ci.
4° Allegro assai |, en ur Type RS.
Réf. I : Th. A, à la T.
Coupl. I : P. et th. B à la D.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Elément nouveau en FA.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B. à la T.
Réf. 4 : Th. A, avec cadence et Coda.
Sonate op. 49 n° 2. — (Sans dédicace).
— Composée en 1796.
— Éditée en janvier i8o5, au Bureau des Arts et de l'Industrie.
— En deux mouvements (S. R.) :
\° Allegro ma non troppo (lî, en sol 1 ypc S.
Exp. Th. A, enchaîné à Rem. — Le début du th. B. est iden-
— Th. B {b', b", b") en RÉ. tique à celui de la seconde idée dans
DÉv. réduit à 14 mesures. la pièce initiale de la Sonate pour
Réexp. normale. deux pianos de Mozart.
2° Tempo diMinuetto -, en sol Type R.
Réf. I : Th. A., à la T. Rem. — Le refrain (A) est le thème du
Coupl. I : Th. B, à la D. Menuet du Grand Septuor, op. 20;
Réf. 2. Th. A. mais ce thème est traité ici en Ron-
Coupl. 2 : Elém. nouv., en UT. deau, malgré son rythme de Menuet.
Réf. 3 : Th. A. et Coda.
^3© LA SONATE DE BEETHOVEN
Sonate op. 7. — Dédiée à la comtesse Babette von Keglevics.
— Composée en 1796. — Éditée en octobre 1797, chez Artaria.
— En quatre mouvements (S. L. M. R ) :
i* Allegfo tnolto e cofi brio g, en ^/;t> Type S.
Exp. Th. A. Rem. — La phrase b' du second thème
— p., avec préparation tonale du (B) contient une modulation assez
/ b modulant. éloignée, en UT.
_ Th. B \ b".
\ V avec coda en SI^.
DÉv. par a.
— par coda de b'".
Réexp. normale,
— avec Dév. term. par b' .
2° Largo, cou gran espress'one -, en ut Type LS.
Exp. Th. de lied A, à la T.
— Th. B, modulant.
RÉEXP. Th. A, à la T.
— Th. B, à la T.
— Conclusion.
3° Allegro -, en 3// b Type M.
MENUET : Th. développé à la T.
Trio en miï> .
Da capo.
4." Rondo. Poco allegretto e gra\ioso\. tn Ml?. . . . Type R.
Réf. I : Th. A, à la T. Rem. — Ce Rondeau est le premier qui
Coupl. I : P. et th. B, à la D. se termine par une phrase concluante
Réf. 2 : Th. A. différente du refrain.
Coupl. 2 : Elém. nouv. en ut.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B, à la T.
Réf. 4: Th. A.
Coupl. 4 : Dév. et phrase concluante.
Sonate op. 10 n° I . — Dédiée à la comtesse de Browne (i).
— Composée en 1797.
— Éditée en septembre 1798, chez Eder, à Vienne.
— En trois mouvements (S. L. S.) :
1° Allegro molto e cou brio -, en ut T3'pe S.
Exp. Th. A. Rem. — La première phrase b de la
— Pont mélodique. seconde idée (B) est la reproduction
b . d'un thème de Haydn appartenant à
— Th. B . b" (rythme de a). la Sonate qui porte le n" 58 i». Ce
' b'" tiré de p. même thème reparaît dans plusieurs
autres œuvres de Beethoven.
(i) Voici comment turent jugées les trois Sonates op. 10, lors de leur apparition, par
VAUgemeine Musik Zeitung (1799) : « L'abondance des thèmes amène Beethoven à
accumuler des pensées sans ordre et dans de bizarres groupements, de telle sorte que son
art paraît artificiel et reste obscur. •
SONATES POUR PIANO
DÉv. par a. Rem.— Observer ici la vérification de ce
— par thème nouveau, amplification qui a été dit de l'influence de la modu-
de p, en fa et si h . lation en fa dans les œuvres de Bee-
— par marche vers la D. thovenenA//b ou ut. La fausse entrée
Réexp. Th. A. de b> en fa semble ici une esquisse
— P. vers fa de l'entrée de cor en FA, dans la
— fausse entrée de f en FA. HJe Symphonie (en MI^)
— Th.B{b', f.b") à la T.
2° Adagio molto |, en L/i b Type LS.
Exp. Th. binaire A, à la 7".
— Pont modulant.
— Th. B, à la D.
Réexp. Th. A., à la T.
— Pont modulant.
— Th. B, à la T.
— Phrase concluante.
3" Prestissimo (^, en ut Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à Rem. — C'est la première fois que
( *' en ^^b. Beethoven emploie cette forme S
— Th. B < b" tiré de a. (mais en mouvement plus rapide) à
f *"• titre dt finale.
DÉv. réduit à 1 1 mesures.
Réexp. normale,
— avec petit Dév. terminal.
Sonate op. 10 n* 2. — Dédiée à la comtesse de Browne.
— Composée en 1797, — Éditée en septembre 1798, chez Eder.
— En trois mouvements (S. M. S.) :
x'' Allegro l, tn FA Type S.
Exp. Th. A (a' et a"). Rem, — Le thème A se décompose en
— Pont. deux éléments, et c'est le second {a")
— Th. B {b',b",b'") en UT. qui marque le début de la véritable
Dév. par coda de b"', vers la D. de ré. reexposition au ton principal FA.
— rentrée de a en RÉ.
Réexp. par a" en FA.
— P. tlih.B (b',b",b').
2" Allegretto l, en fa {i) ' . . . . Type M.
Scherzo ; Th. (a, b, a). Rem. — Le rythme du thème est par
Trio en RÉ b. quatre mesures. Ce Schers^o offre une
Da capo avec modification agogique. grande analogie avec celui de la
Ve Symphonie.
3° Presto l, en fa Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à Rem. — Ce finale est sur un rythme
— Th. B (rythme de a) en UT. unique. Le thème A offre une ana-
DÉv. rythmique de a. logie avec le fugato qui se trouve
— repos par th. B, exp. en RÉ. dans YAndante de la I" Symphonie
Réexp. Th. A, enchaîné à ('799)-
— Th. B, en fa.
(1) Ce Scherzo a été analysé ci-dessus (p. 3o5) dans la section technique, comme modèle
du type M.
33'
LA SONATE DE BEETHOVEN
Sonate op. 10 n*> 3. — Dédiée à la comtesse de Browne.
— Composée en 1797. — Éditée en septembre 1798, chez Eder.
— En quatj-e mouvements (S. L. M. R.) :
i" Presto (1^, en RÉ Type S.
Exp. Th. A, dont la cellule initiale (a) fait le fond des deux idées et des
développements :
(a) Première, idée
Presto .
— Pont mélodique de si à la.
b' parlacellulea.enLA.
— Th. B ] b' rythme de A.
b'" coda.
(K) Seconde ide'e .s^l
Dév. rythmique de A.
Réexp. normale,
— avec Dév. term. de la cellule a
et conclusion.
2" Largo e mesto g, en ré , . Type LL.
Rem. — La construction tonale du
thème est différente à chacune de
ses expositions. La première fois, il
module en UT et conclut à la i). ; la
I. Th. binaire, à la T.
— repos médian en VT.
— cadence en la.
II. Section modulante, de fa à re.
m. Th. à la 7*.
— repos médian en S7 l>.
— cadence à la T.
IV. Dév. de la sect. 11 et du th.
V. Concl. par le th. en fragments.
deuxième fois, il module en SI b et
conclut à la T.; la troisième fois, il
est réduit à des fragments, sur la T.
La IV» section contient un admirable
modèle de dév. dynamique, qu'il
convient de signaler :
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7
L-
SONATES POUR PIANO 333
3*^ Allegro l, en ré. . . Type M.
Menuet {a, b, a et conclusion).
Trio en SOL.
Da capo.
4' Roudo. Allegro C, en ré Type R.
Réf. I : Th. A, à la T.
Coupl. 1 : Pont et th. B à la Z).
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Elément nouveau.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : Pont et th. B à la T.
Réf. 4 : Th. A et Coda conclusive.
Sonate op. 13. — Dédiée au prince Karl von Lichnowsky.
— Composée en 1798.
— Editée en 1799 chez Eder, sous le titre Grande Sonate Pathétique.
— En trois mouvements (S. L. R.). — Cette œuvre, la plus avancée
et la plus complète comme structure, assurément, de toutes celles
qui appartiennent à la première manière^ offre un exemple de véritable
cellule cyclique, influençant directement chacun de ses trois mouve-
ments constitutifs ; dans le premier (S), la cellule (contenue implicite-
ment dans l'introduction) forme la phrase initiale {b') de la seconde idée:
ChUuU
^
?±z
dans le deuxième (L), on en retrouve la trace dès les premières mesures
1
c-llul.-
dans le final (R), la même cellule orme également le thème du refrain:
cellule
La Sonate débute par une introduction Grave, d'une nature
toute différente de celle des autres 'introductions qui se rencontrent
dans la première manière. Elle se mêle, en elTet, d'une façon étroite à
la marche du premier mouvement, se posant en antagoniste de la
première idée et prenant une part active au développement pour
reparaître à la fin, vaincue et démembrée. Cet emploi du thème d'in-
troduction est rare chez Beethoven, et nous ne le retrouverons plus que
dans les derniers Quatuors.
334 LA SONATE DE BEETHOVEN
I Grave C, et Allegro molto e con brio Ç, en ut.
Exp. Introd. Grave i, à la T.
(iravf
Type S.
T. @fp
Le dessin ainsi présenté dans V introduction contient les notes caractéris-
tiques {lit, ré, mi \>) de la cellule cyclique ; il s'expose en une phrase de
forme binaire : après une cadence médiane au Relatif (-A/Zt»), il repart
vers la D. à! ut et s'enchaîne à V Allegro.
— Th. A., première idée qui ne termine pas et s'infléchit vers la D. ;
\) pj-emitTC idée .
n^
— Pont assez court issu de l'idée A et préparant le ton de mi b par sa D.
— Th. B, seconde idée en trois phrases {b , b" , b'") :
— — b' s'établit au ton de mi \> et module ensuite :
— — b" de forme plus agogique est dans le ton de Ml t> ;
i
fe
:1s ilL'
nv,,rp.
5^
%
te
^==^
T. (MIW
— b'" n'est qu'un simple trait conclusif formant cadence
— — ce trait est suivi d'un rappel du thème A,
— Grave 2. Le thème de l'introduction reparaît ici en soi ; mais il semble
mutilé et meurtri : il quitte ce ton, comme pour s'échapper, et se dirige
vers le ton de mi fl, où va commencer une véritable lutte (i) entre les deux
thèmes principaux de l'œuvre.
(i) C'est évidemment cette lutte à laquelle Beethoven faisait allusion lorsqu'il disait à
Schindler : a Deux principes également dans la partie médiane de la Pathétique... 9 (Voir
ci-dessus, p. 262, en note.)
SONATES POUR PIANO
315
Dév. : le dessin rythmique du pont, issu de l'idée A, se pose en antagoniste
du thème du Grave, dont le mouvement est devenu plus vif :
i
±t
^^;^+i>
— Ce combat entre les deux thèmes de caractère contrastant, n'est pas de
longue durée : parti de mi 0, il aboutit bientôt à la D. d'ut, où une sorte de
joyeuse fanfare amène la réexposition.
Réexp. Th. A., qui s'amplifie un peu avant l'entrée de la seconde idée.
> b en/a (i) modulant vers la D. d'wf.
— Th. B V b" en ut.
( b" en ut.
— Grave 3. Le thème de l'introduction reparaît ici une dernière fois, sur la D. ;
mais son accord initial a disparu, comme si le combat l'avait privé d'un de
ses membres ; vaincu définitivement par le thème A, il lui cède la place, et
celui-ci, seul, termine joyeusement la pièce, assez différente, comme on voit,
du cadre conventionnel du type S.
• Adagio cantabile ^, en la t>. . .
I. Th. primaire à la T. (la z, avec
reprise textuelle.
II. Élément mélodique nouveau.
III. Th., sans reprise, à la T.
IV. Dév. d'un élém. nouveau modu-
lant de /a 3 à la D. de Z.A t>.
y. Th. avec reprise, à la T., gardant
le rythme en triolets de la sec-
tion précédente.
— Coda conclusive.
Type J-L.
Rem. — Cette pièce lente, en forme de
grand Lied à cinq sections, n'a d'autre
particularité que la relation théma-
tique qui relie plus ou moins nette-
ment les dernières notes de son des-
sin initial (voir ci-dessus, p. 333) avec
la cellule générale de toute l'œuvre.
3° Rondo. Allegro (]:;, en ut
Réf. I : Th. A à la 7". Ce thème est formé par la cellule générale :
[Xj REFRAI.N
Type R.
Coupl. I . consistant en un pont très court suivi d'une véritable seconde idée
(B) en trois phrases [b' , b", b"'), au Relatif, MI\> :
/A@
<iot
(i) Peut être y a-i-il ici encore un exemple de la tendance précédemment si g alée 'p. 32î)
de 1 auteur à moduler vers PA, dans les compositions écrites avec trois bémols a la clé,
e'est-à-idre en ut, comme celle-ci, ou en A//?
336
LA SONATE DE BEETHOVEN
Réf. 2 : Th. A, à la T.
Coupl. 2 : Élément nouveau, comme dans tout Rondeau de ce type; ce dessin,
plus calme, s'expose en la b.
Réf. 3 : Th. A., enchaînant sans transition à la seconde idée.
Coupl. 3 : Sorte de résumé du th. B, à la T., réduit à ses deux premières
phrases {b' et b") seulement.
Réf. 4 : Th. A, suivi d'une importante conclusion, dans laquelle se produit
{neuf mesures avant la fin) une sorte de rupture sur la Z). de /^A b. A ce mo-
ment apparaît un souvenir du thème du refrain, privé de sa note initiale
(de la même manière que le thème de l'introduction, à la fin du premier mou-
vement). Bien qu'il n'y ait aucune indication dans les premières éditions de
cette Sonate, il est évident que ces six mesures (rappel du th. A) doivent
s'exécuter plus lentement et avec une certaine hésitation, pour mieux pré-
parer l'explosion du trait fulgurant qui termine l'œuvre.
Tout ce finale est éminemment expressif : on ne doit point l'inter-
préter « à la Haydn », comme il arrive trop généralement. W. de Lenz
l'a fort bien dit (i) : « Il faut savoir élever ce Rondeau à une expression
pathétique. »
Sonate op. 14 n° 1. — Dédiée à la baronne von Braun.
— Composée en 1798.
— Éditée en décembre 1799, chez Mollo, à Vienne.
— En trois mouvements (S. M. R.) ;
1° Allegro c, en Ml.
Type S.
Exp. Th. A., à la T.
— P. par a.
— Th. B.(b . b". b'") en Si.
DÉv. par th. A.
Réexp. normale avec conclusion.
(i) Op. cit., vol. J, p. 134.
SONATES POUR PIANO 3^57
2° Alîegj'etto ', en vii Type M.
Scherzo : Th. A et dév. de A.
Trio en UT.
Da capo avec coda spéciale.
3* Rondo. Allegro commodo 0, en Ml Type R.
Kef. I : Th. A, à la T.
Coupl. I : P. et th. B., à la D.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Élém. nouv. en SOL.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B, à la T.
Réf. 4 : Th. A et conclusion.
Sonate op. 14 n" 2, — Dédiée à la baronne von Braun (i).
— Composée en 1798. — Éditée en décembre 1799, chez Moilo.
— En trois mouvements (S. L. R.) :
1° Allegro l, en SOL Type S.
Exp. Th. A, à la r.
— Pont mélodique.
— Th. B {b , b', b'") en RÉ.
Dév. par a en 50/ et b' en S/t>.
— marche par a.
— repos par a en AZ/b.
— conduit.
Réexf. normale avec conclusion par A.
2" Andante C, en ut Type LV.
Th. de lied et quatre variations.
3* Scherio. Allegt^o assat §, en sol Type R.
Réf. I : Th. A. à la T. Re.m. — Le thème A, malgré le titre
Coupl. I : Période accessoire en mi. Schen^o, est un thème de Menuet ;
Réf. 2 : Th. A. mais la forme de cette pièce est bien
Coupl. 2 : P. et élém. nouv. en UT. celle du Rondeau,
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : P. vers D. de FA.
Réf. 4 : Th. A, rentrant par FA au ton
principal.
Coupl. 4 : Conclusion mélodique de
A, en SOL.
Réf. 5 : Th. A, avec Coda.
Sonate op. 49 n" I. — (Sans dédicace).
— Composée en 1799.
— Éditée en janvier i8o5, au Bureau des Arts et de l'Industrie
(i) Ces deux Sonates, op. 14, sont celles à propos desquelles Schindler explique les idées
de Beethoven sur les deux principes amag'onistes dont nous avons parlé ci-dessus Ip. 262) :
« das bittende Prin:[ip iind das widerstrebende Prin:[ip. »
Cours de composition. — t. h, i. aa
338 LA SONATE DE BEETHOVEN
— En deux mouvements (S. R.) :
2° Andante J, en sol Type S.
Exp, Th. A, à la T, enchaîné à B.
— Th. B, très court, en 5/ b.
DÉv. par b.
Réexp. normale.
2» Rondo. Allegro |, en sol l'ype R.
Réf. i : Th. A, k la T.
Coupl. I : P. et th. B, en SI b.
Réf. 2. Th. A.
Coupl. 2 : P. et th. B, en SOL.
Réf. 3 : Th. A. et conclusion.
Sonate op. 22. — Dédiée au comte de Browne.
— Composée en i8oo.
— Éditée en 1802, chez Hofmeister, à Leipzig, sous le titre Grande
Sonate.
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1° Allegro cou brio C, en 5/b Type S.
Exp. Th. A (a et a") à la T.
— Pont par a' .
— i:\i.'B,{b',b",b'")tnFA.
DÉV. par a' et coda de b'".
^ marche par modulations sombres : de soi à /"a par SD.
Reexp. normale.
2° Adagio cou moW espressio-ne ^ en Mii> , T3'pe SL.'
Exp. Th. A, à la T. Rem. — Seul exemple d'un mouvement
— Pont mélodique. lent (L) ayant tous les éléments du
— Th. B, ensjb. type S, __^ compris le développement
DÉV. par a.
Réexp. normale.
3° Menuetto |, en 5/b . . Type M.
MENUET : Th. A et dév. de A.
Trio en sol.
Da capo.
4" Rondo. Allegretto |, en 5/|> Type R.
Réf. i : Th. A, à la T.
Coupl. I : Th. B, de S/ > à FA.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Th. B, en SI b, et élément nouveau.
Réf. 3 : Th. A, avec variation.
Coupl. 3 : Th. B, en S/b.
Réf. 4 : Th. A (autre variation) et phrase concluante.
SONATES POUR PIANO 339
10. — SONATES POUR PIANO. — DEUXIÈME MANIÈRE (180I A I 8 1 5).
La deuxième ma;n"ère (transition) apparaît dès l'année 1801 : on sent
alors chez Beethoven une sorte d'inquiétude, la préoccupation de faire
autrement que ses devanciers et de les surpasser, s'il se peut, par
quelques géniales mais incomplètes innovations. Dans ses nouvelles
œuvres, souvent très proches déjà de la perfection, il se garde bien de
répudier les anciennes formes établies : il s'efforce au contraire de les
adapter à l'état de sa pensée et de ses aspirations, désormais incompa-
tibles avec le vieux « formulaire musical » un peu conventionnel, dont
il s'était contenté jusqu'alors.
Dans les op. 26 et 27 n° i, il essaie d'abandonner totalement la pièce
de forme Sonate (S); mais bientôt il sent que ce point d'appui indis-
pensable ne peut être complètement supprimé de la Sonate sans
compromettre son équilibre ; il affecte alors le type S au finale (op. 27
n°2, op. 3i n° 2, op. 3i n° 3, op. 37 et op. 81) et abandonne presque
totalement la forme Rondeau (type R) en créant, pour remplacer ce mou-
vement gai et alerte, un type nouveau greffé sur l'ancienne forme du
Menuet : le Scherzo beethovénien. Peu après, repris par sa passion pour
la haute architecture, ce n'est plus seulement le Rondeau qu'il proscrit,
mais toutes les autres formes adoptées jusqu'alors pour les différents
mouvements, et cela au bénéfice exclusif du type S, qu'il laisse régner
en maître sur toute la construction : à cette époque de sa vie, nous
rencontrons des œuvres commue les Sonates pour piano, op. 3i n° 3,
op. 57 et op. 81 ; pour violon, op. 47; pour violoncelle, op. 69 (sans
parler des trois Quatuors à cordes, op. 59), dont presque toutes les
pièces (parfois jusqu'à trois sur quatre) sont construites dans la forme
Sonate proprement dite (type S).
Les conventions mélodiques et harmoniques ne sont pas moins
transgressées par Beethoven, à partir de cette période, que les grandes
conventions rythmiques dont Mozart ne s'écarte jamais ; nous voyons
des phrases de mode mineur s'assombrir vers les quintes graves et
s'arrêter, comme épuisées, sur cette dominante réelle de leur mode,
pour remonter ensuite, en douloureux efforts, vers la tonique d'où elles
sont tombées (i) ; nous assistons à des échanges rythmiques entre les
idées d'une même pièce (op. 67) et à des innovations dans les rapports
entre les tonalités de ces idées (op. 53), toutes dispositions dont on ne
trouve nulle trace dans \dL première manière.
(i) Voir notamment V Adagio initial de l'op. 27 n» 2 et la pièce lente symbolisant
VAbsence, dans la Sonate, op. 81 [Lebeivohl).
■Î40
LA SONATE DE BEETHOVEN
Sonate op. 28. — Dédiée à Joseph de Sonnenfels.
— Composée en 1801.
— Éditée en 1 801. au Bureau des Arts et de l'Industrie (intitulée
Sonate Pastorale dans l'édition Cranz, de Hambourg).
— En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1° Allegro \, en RÊ Type S.
Exp. Th. A {a' et a") ; la période a' que nous avons citée ci-dessus (p. 246)
n'est qu'une fonction de SD-, dans laquelle apparaît un septième
degré baissé {ut u) nullement modulant ; l&véritahle période génératrice
est dans l'élément a":
*
Ç^
^
'• ^ — J\ Période génératrice
b' en LA
Th. B ^ b" répétition de b une tierce plus haut.
Pont mélodique préparant la seconde idée et contenant toute la phrase b'y
mais en forme modulante.
I b' en LA.
} b" répétition de b'
( b"' complément.
Dév. tiré tout entier de la période génératrice a", qui se condense peu à peu
en elle-même et finit par s'éliminer complètement. Il convient d'in-
diquer ici les états successifs de cette période a", véritable modèle
d'élimination, aboutissant à la D. de si:
Dt'v. de a" par ses deux dernières mesures :
i «^ II» f l'i
p
g
Clf.SC.
Mènie dessin resseritî Pt'morcefé
e(c.
h=^
^
^
w
m
^
m
^â
û
m
TT " '/r ' TT 7^
^
etc. .
4
.Même dtiSSil) réduit à un seul accord:
-te
Réexp. normale avec conclusion par la période génératrice a" ,
SONATES POUR PIANO ^,,
2'^ Andante \, en ré Type L.
I. Th. de lied avec reprises, en ré.
II. Élément nouveau en RË.
III. Th. en ré avec variations.
— conclusion par l'élément ii.
y Scher'{o. Allegro vwace\, tn RÉ {\) Type M.
Menuet : Th. A et dév. de A. Rem. -^ Malgré son titre, cette pièce
Trio en si. est un Menuet par le rythme de son
Da capo. thème.
4** Rondo. Allegro ma non troppo |, en RÉ Type R.
Réf. I : Th. A, à la T.
Coupl. I : P. et th. B, à la D.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Élém. nouv. en SOL (rythme de A).
Réf. 3: Th. A.
Coupl. 3 : P. et th. B, à la T.
— fausse rentrée de A, à la SD.
Réf. 4 : Variation concluante de A.
Sonate op. 26. — Dédiée au prince Karl von Lichnowsky.
— Composée en i8oi.
— Éditée en mars 1802, chez Gappi, à Vienne.
— En quatre mouvements (L. M. M. R.) (2) :
1° Anda7îtecon Varia:{ioni '^, en LA \> {3} TypeLV.
Th. de lied avec cinq variations et phrase concluante complétant le thème.
2** Scherzo. Allegro molto^-, en la ^. . ■ Type }>l.
Scherzo : Th. A et dév. de A.
Trio en RÉ b, à la SD., avec rentrée.
Da cafo.
3° Marcia funèbre sulla morte d'un Eroe. Maesloso an-
dante C, en /a t" Type M.
Marche : Th. de lied :
!a en la \>, vers RÉ-MI t)p. Rem. Malgré son caractère, cette Marche
b de RÉ a la t». n'est pas autre chose qu'une forme M.
a' conclusion.
Trio en LA b.
Da capo avec Coda.
(1) Opinion de YAllgemeine Musik-Zeitung (1803, p. 190) sur cette Sonate : « le premier
morceau et le troisième sont originaux jusqu'à l'extraordinaire, jusqu'à l'aventureux. »
(2) Cette Sonate est la première qui ne contienne aucun mouvement du type S. Il en sera
de même de la suivante (op. 27 n» i) et de l'op. 34 (voir ci-après, p. 353).
(3) Lire dans W. de Lenz [op. cit., vol. II, p. 150) l'anecdote sur le trille de la vingt-troi
sième mesure de cet Andante.
342
LA SONATE DE BEETHOVEN
Allegj^o l, en LA ^ Type R.
Réf. 1 : Dessin A à la T'. Rem. — Ce Rondeau, sorte de mouve^
Coupl. I : Dessin analogue B à la Z). ment perpétuel, n'a pas de thème \vh%-
Réf. 2 : Dessin A. caractérisé, ni de refrain final.
Coupl. 2 : Dessin analogue, en ut.
Réf. 3 : Dessin A.
Coupl. 3 : Même dessin que B à la T".
avec conclusion à la T.
Sonate op. 27 n° I. — Dédiée à la princesse von Liechtenstein.
— Composée en i8oi.
— Éditée en mars i8o3, chez Cappi, sous le titre Sonata quasi iina
Fantasia.
— En tt^ois mouvements, enchaînés (L. M. R.) :
I" Andante 0 et Allegro §, en A'vyt? O'P^ LL,
I. Andante
II. —
m. —
IV. Allegro :
y. Andante
: th. binaire à la T.
élém. nouv. en MI t>.
th. à la T.
élém. nouv. en UT.
th. à la T.
Rem, — Sauf le mouvement diti'érent de
la ive section, ce morceau est tout à
fait conforme au type lied développé.
— L'indication de l'enchaînement au
morceau suivant est indépendante de
sa construction.
2° Allegro molto e vivace -, en ut.
Scherzo : Th. A et dév. de A.
Trio en LA\> (rythmique).
Da capo, avec modification agogique
tout à fait analogue à l'exemple
cité ci-dessus (p. 3o5).
T^ype M.
Rem. — L'indication d'enchaînement
à l'Adagio est également indépen-
dante de la construction de ce
Scherzo.
3** Adagio cou espressione -, en L^ f (i) et Allegro invace^.,
en Mii> Type R.
Introd
Réf. I
Coupl.
Réf. 2
Coupl.
Réf. 3
Coupl.
UCTION : Adagio.
phrase de lied a la SD.
enchaînant au Jinale.
: Th. A, à la T.
1 : P. (par a).
Th. B. (b' et b") en S/ b.
: Th. A.
2 : dév. de a (autre rythme).
dév. de b' vers la D.
: Th. A.
3 : P. et th. B en MI b avec
cadence à la D.
ire période de l'Adagio à la
T. et cadence.
Conclusion par rythme a.
Rem. — Cette phrase de lied, servant
à.'' introduction au finale dont elle est
inséparable, y occupe la fonction de
SD. au début et dé T. à la fin, comme
dans une cadence plagale. — Ce thème
de lied semble être une esquisse de
celui qui sera appliqué parBeethoven
au personnage de Florestan, dans
Fidelio.
(i) On a signalé dans la section technique du présent chapitre (p. 3oi et 32?) le cas parti-
culicr de ceue phrase lente d'introduction au finale.
SONATES POUR PIANO
Dédiée à la comtesse Juliette Guicciardi.
341
Sonate op. 27 n" 2.
— Composée en i8oi.
— Éditée en mars i8o3, chez Gappi, sous le titre Sonata quasi iina
Fantasia dedicata alla mada?nigella contessa Giiiliella di Guicciat^di.
— En trois mouvements (L. M. S) :
\^ Adagio sostenuto ^j en w?5(i) Type L.
I. Th. de lied allant de la T. à la SD-, laquelle doit être considérée ici
comme une véritable dominante de mode inverse. Ce th. est construit sur
le même arpège de T., qui reviendra dans le Presto, en forme violente et
agitée, aboutissant toujours à un appel répété du 50/ C (a):
Adagio sostenuto
PP
IP îP iP
II. Dév. du th. et du dessin d'accompagnement.
III. Th. à la T. avec cadence conclusive par la sixle napolitaine (2),
2"" Allegretto \^ en RÉ\f-UT% Type M.
SCHERZO : Th. A et dév. de A. Rem. - Ce Scherjo doit être joué imme-
Trto en RÉ b. diatement après Y Adagio, mais il
Da capo. n'y a pas d'enchaînement réel.
3° Pt-esto agitato C, enutS. Type S.
Exp. Th. A, infléchi vers la D., et reproduisant l'appel du soit: [a], à la fin de
l'arpège initial de T. :
^ b mélodique,
Th R ' ^ " P^^'" d'une expres-
) sion douloureuse.
V b'" conclusion en sol S.
Rem. — La cadence par la sixte napo-
litaine (demi-ton supérieur) apparaît
à la fin de b' et de b" .
(t)nans la première édition, Beethoven met cette indication ponr V Adagio : Si deve
suonare tutto questo pej^o delicatissimamente e sen^a sordmi.
l.e nom de Mondscheins-Sonate (Sonate du Clair de lune) par lequel on désigne
souvent cette Sonate, ou plutôt son Adagio initial, ne vient nullement de Beethoven • c'es^t le
critique et musicographe Rellstab, qui avait cru pouvoir comparer cette œuvre à une
excursion nocturne sur le lac des Quatre-Cantons.
Il est plus vraisemblable que cette Sonate est liée, dans l'esprit et le cœur de Beethoven
a son amour malheureux pour Giulietta Guicciardi, qui avait alors dix-sept ans. C'est
pendant l'été 1802 que les parents de la jeune fille refusèrent sa main à l'auteur. Cette
rupture, coïncidant avec les premiers symptômes de sa surdité, causa à Beethoven un dou-
loureux accablement: on en trouve la trace dans le Testament d'Heiligenstadt. qui date
d'octobre 1802. En novembre i8o3, Giuliet'a Guicciardi épousa le com\e de Gallembe^fî.
Voir à ce sujet la conversation rapportée par Schindier [op. cit., p. 279).
(3) Voir ci-dessus (p. 248) l'explication relative à cette sorte de cadence.
144
LA SONATE DE BEETHOVEN
DÉv. par a, puis t', vers la SD. mo-
dulant à la sixte napolitaine.
Réexp. Th. A, suivi immédiat, de
— Th. B{b' , b", b'") en t/rfl.
— Dév. term. par b' exp. à la T.
— Conclusion par b"'.
— Cette même cadence revient dans ie
développement et affirme la symétrie
établie entre VAdagio initial et le
Presto par l'arpège ascendant le
tonique et l'appel du 50/ (a).
Sonate op. 31 n" I . — (Sans dédicace).
— Composée en 1802. — Éditée en i8o3, chez Naegeii, à Zurich,
dans le Répertoire du Claveciniste .
— En trois mouvements (S. L. R.) :
1° Allegro vivace ^, en SOL Type S.
Exp. Th. A, en SOL. Rem. — C'est le premier exemple de
— P. en deux élém. tirés de a. l'emploi d'une tonalité voisine autre
!b' en 5/. que la dominante ou le relatif pour
b" en si, modulant. la seconde idée,
b'" concl. en si.
DÉV. rythmique par élém. de a.
Réexp. Th. A, en SOL, suivi de B.
( b' en ML
— Th. B \ b" de mi à SOL.
{ b'" en 501..
— Dév. term. par a (1).
2° Adagio gra^ioso |, en UT Type L.
1.
Th. de lied: a, à la T.
— a, infléchi à la D.
— b modulant.
— a', à la 7".
II. Élém. nouv. modulant.
m. Réexp. variée du th. A (a, a, b, a').
— phrase concluante.
Rem. — Ce thème a quelque analogie
avec celui de l'air d'Ariel, dans la
Création, de Haydn.
3° Rondo. Allegretto (1^, en sol Type R.
Rem. — Après cette Sonate, la forme
Rondeau disparaît de l'œuvre de
Beethoven, pour ne reparaître qu'à
partir de l'op. 53.
Réf. I : Th. A [a' et a") avec reprise.
Coupl. 1 : P. et th. B en RÉ.
Réf. 2 : Th. a [a' et a").
Coupl. 2 : Dév. modulant de a' et a".
Réf. 3 : Th. A {a' et a') avec reprise.
Coupl. 3 : P. et th. B, à la T.
— Péd. de D.
Réf. 4 : Th. A, par fragments ralentis.
— Conclusion rapide.
Op. 31 n° 2. — (Sans dédicace).
— Composée en 1802. — Éditée en i8o3, chez Nacgeli.
— En trois mouvements (S. L. S.) :
(1) A propos de ce développement terminal, on peut voir dans les Notices biographiques
sur Beethoven, de F. Ries (p. 88), une anecdote relative aux quatre mesures qui y au-
ra.ent été ajoutées par l'éditeur.
SONATES POUR PIANO
I' Largo et Allegro C, en re Type
Exp. Th. A {a' Largo, a" Allegro).
— Pont mélodique, par a'.
— Th. B (b' , b" , b'") en la.
DÉv. par a', a" et p.
RÉEXP. Th. A, modifié :
— — Largo {a') avec récitatifs.
— — ^//e^ro (a") modulant.
— Th.Eib',b",b'')enré.
343
.S.
Rem. — Le Largo initial (simple arpège
de dominante) joue un rôle important
dans la construction de cette pièce,
où il reparaît, au début du dévelop-
pement et de la réexposition, avec
des amplifications d'ordre presque
dramatique.
^^ Adagio l en sii>{i) ". . . . Type LS.
Exp. Th. A, phrase binaire.
— Pont modulant vers la £>. de F^.
— Th. B en fa et conduit mélod.
RÉEXP. Th. A à la r.
— P. modulant vers la D. de SI?.
— Th. B, en S/ 1) et conduit
avec Coda concluante par a.
3
Rem. — Cette pièce lente étant du
type LS {Sonate sans développement),
on peut dire que la forme Sonate est
celle de toutes les pièces de cette
œuvre.
3» Allegretto g, en ré Type S.
Exp. Th. A, à la T.
— Pont par rythme a.
— Th. B, en la {deux éléments) :
b' k laZ). {la); b" à la T. {mi).
DÉV. par a vers les tons sombres.
— repos en si b.
RÉEXP. normale avec
— Dév. term. concluant par A.
Rem. — Le premier et le dernier mor-
ceau, tous deux de mode mineur, ont
leur second thème (B) à la dominante
vulgaire mineure et non au relatif
majeur, suivant l'ancien usage aban-
donné par Beethoven,
Sonate op. 31 n" 3. — (Sans dédicace).
— Composée en i8o2-i8o3. — Éditée en 1804, chez Naegeli.
— En quatre mouvements (S. S. M. S.) :
i" Allegro l, tn M j\> Type S.
Exp. Th. A, à la T. : la cellule {a) de sa période initiale reparaîtra, sous d au-
tres aspects mélodiques, dans le Menuet et dans le Presto :
— Pont par a.
— Th. B {b', b", b") en SI 9-
Dév. par a vers fa.
Réexp. normale et Dév. term. par a.
Rem. — Observer la modulation en FA
du développement, le ton principal
étant MI P (p. 322, note 2).
(i) C'est cet Adagio qui a été analysé ci-dessus (p. 2y6 et suiv.) dans la section
technique, comme modèle du type Lied-Sonate (LS).
346
LA SONATE DE BEETHOVEN
1" Scher\o. Allegretto viv ace \^ en L/4 p Type S.
Exp. Th. A, à la T. Rem. — La qualification de Scherzo
— Pont. s'applique au caractère des thèmes :
— Th. B, court, en MIï>. c'est bien un divertissement, mais la
Dév. par a et par rythme b. forme est exactement celle du type S.
Réexp. normale.
3° Menuetto. Moderato e gra^ioso |, en Ai/b Type M.
MENUET: Th. binaire, débutant par la même cellule rythmique (a) que le pre-
mier mouvement :
Moderato e srazioso
T. fvilW Période initiale
^if m
Trio en M/t> : th. ternaire ([
Da capo avec coda.
Rem. — Ce Menuet est le dernier de
Beethoven dans les Sonates de sa
deuxième manière.
4" Presto con fuoco §, en Mi\> Type S.
Exp. Th. A, en deux éléments {a' et a") dont voici le second, issu de la cellule
initiale du premier mouvement, encore modifiée :
Presto con fuoco
— P. par rythme a " .
— Th. B, en S/b
conclusion par a" .
Dév. par même rythme a".
— allant de SOL\> à UT.
— pour aboutir à laZ). de A//t>.
RÉEXP. Th. A (a et a").
— P. modulant vers SOL\>.
— Th. B, en SOL \>.
— Dev.ferm. etconclusionpara'.
Rem. — Le rythme de cette seconde
période [a"), joue un rôle prépondé-
rant dans tout le finale, où il circule
constamment.
— Comme on l'a signalé déjà, (p. 32o),
la même cellule rythmique se retrouve
dans trois mouvements différents de
cette Sonate.
Sonate op. 57. — Dédiée au comte Franz von Brunswick.
— Composée en 1803-1804.
(i) Ce trio en M/ b est celui dont s'est servi C. Saint-Saëns pour ses Variatiims sur un
thème de Beethoven à deux pianos. (Voir ci-après, chap. vi.)
SONATES POUR PIANO
147
— Éditée en février 1807, au bureau des Arts et de l'Industrie, et
intitulée Sonata appassionata dans l'édition Cranz, de Hambourg.
— En trois mouvements (S. L. S.): cette superbe Sonate marque
l'avènement d'un système de composition dont on ne trouve nulle
trace certaine dans toute la musique symphonique antérieure aux
œuvres de la deuxième maw/ère beethovénienne, sauf peut-être quelques
timides balbutiements de Corelli et de Vitali signalés ci-dessus (p. 178
et 180). Ce n'est plus, comme dans \a Sonate pathétique, à un
retour du dessin principal dans les divers morceaux que nous assis-
tons ici, mais à une véritable génération de la forme musicale au
moyen de la transformation de deux cellules, l'une rythmique {x),
l'autre expressive {y) '.
kellule J' I
I cellule ./y I •
Dans le premier mouvement (S), la cellule {x) donne naissance mélodi-
quement à la première idée et rythmique?nent à la phrase d'exposition {b')
de la seconde idée :
@ . lr.v(l)me.,de_oC|
Dans le finale, la même cellule (.v) se retrouve harmoniquement dans
le dessin initial [a') de la première idé^
Quant à la cellule expressive (k), elle apparaît dès les premières me-
sures de l'œuvre sous un aspect ornemental :
mais elle se réduit bientôt à un simple rythme :
^ :
148
LA SONATE DE BEETHOVEN
on retrouve cette cellule {y) dans le pont et dans la seconde idée ; il
semble que tout le développement d\i mouvement initial repose sur elle.
Le thème de VAndanie est manifestement issu de la même cellule^ :
Enfin elle reparaît de façon typique au cours du développement, dans
le finale.
De plus, et pour la première fois dans les Sonates, Beethoven supprime
la reprise intégrale de Vexposition du premier mouvement.
i" Allegro assai '^, en /a Type S.
Exp, Th. A (engendré par les cellules x ely citées ci-dessus).
— Pont par la cellule _^, modifiée rythmiquement :
y-
m
F^T
— Th. B, en trois phrases :
— — b' , en LA \>, n'est que la floraison mélodique du rythme x, abou-
tissant à une sorte de cadence flottante vers la t>, pour amener la
phrase suivante;
— — b", en la \>, est une phrase agogique où il importe de dégager plei-
nement la mélodie des fiévreux dessins qui l'entourent :
® \ hm i
mais l'agitation se calme bientôt, au cours de la même phrase b",
comme si elle était due aux brutales interventions de la cellule _k»
apparaissant sous divers aspects :
SONATES POUR PIANO
149
b"', troisième phrase en la b, concluant dans ce même ton, ce qui
établit, par rapport au ton principal fa, une relation tonale assez
éloignée et rarement usitée ; cette phrase est d'une interprétation
assez difficile, en raison de l'accent indiqué sur le quatrième
temps de la mesure, et destiné évidemment à n'affecter que la
partie supérieure, sans altérer l'allure plus calme de la descente
en tierces :
DÉv., en trois éléments:
— le premier, en état de marche, par le th. A modulant de mi h la D. de
/?É t>, où le pont reparaît pour préparer le retour de l'idée B ;
— le (deuxième, contenant des repos successifs, par le th. B, dans les tona-
lités plus sombres, RÉ b et si b ;
— le troisième, en état de marche, pour remonter à laZ). de fa en faisant
entendre une sorte de thème d'appel, tiré de la cellule y, et mêlé à
des formules agogiques :
RÉEXP. Th. A, à la T.
— Pont.
— ^ Th. B {b', b", b") à la T.
— Dév. term. par a ;
— — — par t, en /?£ b; phrase qui semble s'égarer dans un élan de
passion pour retomber épuisée à la D.. comme si elle
ne pouvait plus qu'exhaler à peine un souvenir de la
cellule j^ ;
— Conclusion : cette même cellule {y) réveille en quelque sorte la phrase
b\ qui, tirée de sa torpeur et comme souffrant encore, semble résu
mer en elle-même tout l'efTort et le but de la pièce entière. C'est
là vraiment un des plus fulgurants éclairs de l'admirable génie bee-
thovénien !
2" Andante cou moto |, en /?£ p Type LV.
I- — Th. binaire, en /?£ b, formé de la cellule y, ainsi qu'on l'a montré ci-
dessus (p. 348) : les deux fragments de ce thème concluent, l'un et
l'autre, à la T., ce qui est très rare dans les phrases binaires ;
îi. — Trois variations du thème, en forme de plus en plus agogique ;
m. — Réexp. du thème qui, par un brusque changement de nuance, est en-
chaîné directement au finale.
350
LA SONATE DE BEETHOVEN
3° Allegro ma non t?'oppo }, en fa
4, -^v/" Type S.
Exp. Th. A, à la T. en deux éléments :
— — a', agogique (i), est formé par la cellule a: ;
— — a", à la fois rythmique et mélodique, est ainsi présenté ;
— Pont, tiré de a' et très court ;
— Th. B, composé d'une phrase unique, en ut, avec une conclusion venant
également de a' :
- \-^ — 1 — >i ^~J-^ — i
(O ■' ■' ^ —
•
j? '^i, r- — ■ p —
-^ -? ■
— 1 \
DÉv. Le même dessin a', servant de conduit, mène à la SD. ; là apparaît un
thème assez court, dont la mélodie provient de la cellule j^ :
i
^^
tit
^
^
— Une longue pédale de D. complète le développement.
Réexp. normale des trois éléments : A (a' a"), P et B.
— Z)^V. terminal important : ici apparaît, sur la T., une sorte de danse
féroce, qui, sans présenter aucune analogie thématique avec les
mélodies précédemment entendues, est et ne peut être que la véri-
table conclusion de cette œuvre frémissante de fièvre et de passion ;
— cette sorte d'appel des trompettes, descendant aux cors, puis aux tim-
bales, sert de triomphale péroraison à la Sonate et semble célébrer
une victoire définitive que la terminaison du premier mouvement
ne laissait pas présager.
Lutte douloureuse ; calme réflexion ; victorieux enthousiasme : telles
sont les caractéristiques des trois parties de l'œuvre, inabordable pour
tout interprète qui ne sait jouer du piano qu'avec ses doigts et ne
cherche pas ses sonorités au plus profond de son cœur.
(i) Ries, dans ses Souvenirs (p. 99), raconte qu'au cours d'une longue promenade à la
campagne qu'il fit avec Beeihovcn, celui-ci ne lui adressa pas une fois la parole, ne répon-
dant à ses questions que par une sorte de a grognement inarticulé ». De retour à la maison,
Beethoven courut au piano : le « grognement » était devenu l'idée A de ce sublime finale.
SONATES POUR PIANO
35'
Sonate op. 53. — Dédiée au comte Waldstein.
— Composée en 1804.
— Éditée en mai i8o5 au Bureau des Arts et de l'Industrie, et
connue en Allemagne sous le nom de IValdslein-Sonate (i).
— En deux mouvements (S. R.) :
1° Allegî^o cou brio C, en UT Type S.
Exp. Th. A, répété deux fois, avec une disposition rythmique et une orien-
tation tonale différente :
® Première foi^ ^^— —^ tfl:* f ^ff^
^fc.
r.CuT
pp
vers lu SI), e/ /a I)
QV) Seconde fois
T. @pp
vers le Rel
— — ce thème aboutit à la Z). de mi pour s'enchaîner au th. B.
— Th. B. en trois phrases {b' , b", b'") :
— — la première {b') n'est exposée au ton principal, ni dans l'exposition,
ni dans la réexposition, mais seulement après le dév. tertiiinal ;
nouvel exemple de l'emploi d'une tonalité autre que la D. ou le
Rel. pour la seconde idée :
— — la phrase b" est en forme plus agogique ;
_ — la phrase b'" conclut en mi.
DÉV. par a, puis par b" , en marche vers les tonalités sombres {SD.) : fa, si"?,
miï> ... uti> -5Jt3, aboutissant à une péd. sur la D. d'UT.
RÉEXP. Th. A, répété deux fois :
— — li première fois, vers la SD. et la D.
— la seconde fois, vers la D. de la.
/ b en LA puis en UT.
— Th. B.
b" en UT.
b" en ut et en UT.
(i) La famille Waldstein, à laquelle appartenait le dédicataire de cette Sonate, est la même
que celle de Wallenstein. Quant au surnom FAurore qu'on a donné, en France, à cette
œuvre, il ne se justifie par rien.
Les esquisses de la Waldstein-Sonate sont contemporaines de «.ellci de la Symphonie
héroïque.
35» LA SONATE DE BEETHOVEN
Dév. term. par a et par b' modifié rythmiquement : une sorte d'éclai-
rement progressif aboutit à la conclusion, laquelle contient la
véritable réexposition de la phrase b' au ton principal {UT) en
état de repos. La cellule initiale de a reparaît enfin et sert de
cadence finale.
2" lutrodu^ione. Adagio molto g, en fa (i) et Rondo. Alle-
gretto moderato |, en UT Type R^
Introduction : Adagio. Th. de lied à la SD., avec modulation finale à la £>♦
pour s'enchaîner avec le Rondeau, dont l'importance considérable
justifie sans doute cette introduction lente.
Réf. I . : Th. A, à la T. : le thème de ce refrain, malgré sa simplicité, semble
avoir fait l'objet de longues méditations de la part de son auteur (2) r
sur les Cahiers d'esquisses de Beethoven, le texte définitif est pré-
cédé de six essais différents. Voici les quatre principaux :
— 10 à la p. 125 du livre d'esquisses de l'année i8o3, on trouve cette
première forme :
m
jT I aTi 1 1 rr I • l^i^i^j
— 20 à !a p. i38 du même livre, la forme se précise :
— 30 enfin, à la p. i3g, on voit apparaître la forme complète sous cet aspect
yi) On a signalé dans la section technique du présent chapitre (p. 3oi et 323) le cas par-
.iculier de cette phrase lente servant d'introduction au finale et partant de la sous-domi-
nante du ton principal, comme la phrase similaire de Top. 27 r,» i.
(2) Nous avons signalé ce mûme thème (p. 240) à propos de la lente élaboration des
idées musicales chez Beethoven. Les références que nous donnons ici se rapportent a-ux
Esquisses publiées par Nottebohm.
SONATES POUR PIANO
4" puis, l'arpège final disparaît ^même page 139):
Î5Î
Ê
Ê
Ë
m
*
p ir- Mf-f-44
^
♦
Ê
— suivent deux autres esquisses fragmentaires sans importance et enfin, à
la p. 143, le thème définitif :
Allf;:rt'tto iiiodi-rat.»
®
clliil.-
-^ ^^ë
/■•Cy)
Pérfode eriir'ivitr
Coupl. 1 : Dessin B en VT. puis en la, et rentrée par rythme a.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Elém. nouv. en ut et dév. rythmique de a.
Réf. 3 : Th. A.
Coupl. 3 : Dessin B en C/r, avec péd. de D.
Réf. 4 : Th. A, modifié et dans un mouvement très rapide :
Prestissimo
É
^
Coupl, 4: Dév. par rythme de a et augmentation de la période génératrice
®
Réf. 5 : Fragments du th. A et conclusion.
Sonate op. 54, — (Sans dédicace).
— Composée en 180S.
— Éditée en avril 1806 au Bureau des Arts et de l'Industrie.
— En deux mouvements (L. R.) :
j° In tempo d'un Menuetto |, en F^ Type LL.
I. Th. de lied avec reprises. Re.m. — Malgré l'indication de mou-
n. Section modulante. vement, cette pièce n'a rien d'un
m. Th. à la T. Menuet: elle est construite en forme
IV. Même élément que sect. 11. de Lied développe.
V. Th. à la 7^. avec ornement et concl.
Cours db composition. — t. 11, i. *3
354 LA SONATE DE BEETHOVEN
i** Allegretto ^-^ en fa Type R.
Réf. I : Dessin A, en FA et en la. Rem. — Ce finale en mouvement per-
— puis en SOL et en VT. pétuel n'a pas de thème bien établi.
Coupl. I : Dessin B de même rythme II participe du Rondeau par les redites
— en RÉ\>. du refrain, mais il n'en a pas nette-
Ref. 2 : Dessin A, en FA. ment les divisions.
Coupl. 2 : Dessin B, en fa. — Comparer avec l'op. 26 (sans mou-
Ref. 5 : Rythme de A, en FA. vement du type S aussi).
Sonate op. 79. — Sonatine (sans dédicace).
— Composée en iSoo-
— Editée en décembre 1810, chez Breitkopf et Haertel.
— En tt^oîs mouvements (S. L. R.) : cette Sonatine est une véritable
« Sonate en miniature » avec tous les éléments de l'ancienne forme à
laquelle Beethoven semble avoir voulu dire adieu ici, avant d'aborder
les grandes créations de la troisième manière.
1» Presto alla tedesca ^, en sol T3Te S.
Exp. Th. A, enchaîné à B. Rem. — Ce premier thème, alla tedesca,
— Th'. B, en ^£. est tout à fait semblable à celui qui
Dkv. par fl, peu à peu éliminé vers les porte la même désignation, dans le
tons plus sombres, de M/ B à A//P. Quatuor, op. i3o.
RÉEXP. normale avec reprise du Dév.,
— puis, la seconde fois, Dév. tenu.
— en forme de véritable Valse.
1" Andante espressivo l, en sol Type L.
I. Th. binaire.
II. Elém. nouv. en Ml t>.
III. Th. avec formule concluante.
3° Vivace |, en sol Type R.
Réf. I : Th. A, en SOL avec reprises.
Coupl. I : période en mi et rentrée.
Réf. 2 : Th. A, en 50L, incomplet.
Coupl. 2 : élém. nouv., en UT.
Réf. 3 : Th. A, en SOL avec conclusion.
Sonate op. 78. — Dédiée à la comtesse Thérèse Brunswik.
— Composée en i8oq.
— Editée en décembre 1810, chez Breitkopf et Haertel.
— ¥.n deux mouvements (S. R.) :
I* Adagio cantabile |, et Allegro., ma non troppo C, en fa s. Type S.
I.NTR. : Adagio.
txp. Th. A infléchi vers P.
— Pont agogique.
— 'l"h. B en VTZ
Dév. rythmique par a,
Rf.exp. normale.
SONATES POUR PIANO
355
1" Allegro assa: J, en /•-.i 5 Type R.
Réf. I : Th. a à la T. Rem. — Ce Rondeau n'a pas de second
Coupl. I : Dessin b. thetne caractérisé, et les réexpositions
Réf. 2 : Th. A à la 7^. du refrain ne sont pas toutes sur la
Coupl. 2 : Dév. du dessin b. tonique. Beethoven cherchait sans
Réf. 3 : Th. A à la SD. doute une forme nouvelle (comme
Coupl. 3 : Dév. du dessin b. dans l'op. 54) et il semble revenir ici
Réf. 4 : Th. A à la T. à l'ancien type R. du xviii» siècle.
Sonate op. 81. — Dédiée à l'archiduc Rodolphe (i).
— Composée en 1809.
— Éditée en juillet 181 1, chez Breitkopf et Haertel.
— En trois mouvements (S. L. S.) intitulés respectivement : Bas
Lebewohl (l'Adieu), die Abwesenheit (l'Absence), das Wiedersehen (le
Revoir). On a signalé déjà (p. 3-20) la grande unité thématique de cette
Sonate, construite à peu près exclusivement sur deux cellules [x et y)
qui sont contenues dans les premières mesures de l'introduction :
La cellule mélodique [x) engendre la seconde idée (B) du mouvement
initial et l'admirable développement terminal de ce mouvement :
La cellule rythmique (>•) donne naissance à la première idée (A),
laquelle est issue également de la cellule tnélodique [x], comme on peut
le voir par la superposition de l'une à l'autre :
(i) La Sonate op. 8i porte, dans certaines collections, l'indication • op. 8i» » pour la dis-
tinguer d'un Sextuor à cordes avec deux cors, d'ailleurs peu intéressant, auquel on a donné
le n» Sib. — La Sonate Lebewohl est la première des œuvres de Beethoven dédiées à
son élève et ami le « petit archiduc » qu'il aimait de tout son cœur. Il est probable que
le sujet même lui fut suggéré par l'archiduc, lors de son exil dans la forteresse d'Olmùtz,
où Beethoven alla souvent lui tenir compagnie.
.■>D0
L\ SONATE DE BEETHOVEN
(K) cellule .;•
^è
^ y....
Allegro '^5-
^^
iS^a
gE S F ^ r-^
TT
/:
g^
j:t!v^
:fS«=ïfi*
Ê
Le même dessin [y) se retrouve dans VAndaule que nous avons
déjà cité ci-dessus (p. 197) en raison de son analogie avec une célèbre
Sonate de Ch.-Ph.-Emm. Bach :
Andante espressivo
Le finale, lui-même, n'est qu'une modification de la cellule ryth-
mique (r), encore reconnaissable et suivie d'un rappel de la cellule
mélodique (a*) ;
Vivaoissiraamentp
M
\l
y
n..:n
±.S^J '{1^
^
h-^X^
à^ -r i ^H
"^^-nr-r
m
r Adagio \, et Allegro c, en Mi ^.
Type S.
Intr. : Adagio {Lebewohl), résume thématique de l'œuvre exposant les deux
cellules {x et y).
SONATES POUR PIANO
•557
Exp. Th. A (mélodie x et rythme j^) Rkm. — Au début du dév. term. on
enchaînant au Pont.
— Pont (mélodie x droite et ren-
versée).
— Th. B (amplification de x).
Dév. par thème a.
Réexp. normale, avec modul. en fa.
— Dév. term. par a et cellule x
combinés, avec conclusion.
retrouve la modulation en FA, si fré-
quente dans les compositions en MI i?.
Le dessin x (Lebewohl) est employé
à la fin avec des enchevêtrements
d'harmonie de T. et de D. (i), que
Beethoven emploiera souvent, par la
suite (voir notamment op. 90).
2* In geliende?^ Bejvegung-, doch mit Ausdriick {2) {Audante
espressivo) |, en m/ Type LS.
Exp. Th. A (cellule r), en ut.
— Th. B, en SOL.
RÉEXP. Th. A, en fa.
— Th. B, en FA.
Enchaînement suspensif par a,
allant de la T. à la D. de MI t>.
Rem. — Malgré son enchaînement
nécessaire au finale, cet Andante ne
peut être considéré comme une
simple introduction. Sa seconde par-
tie [réexposition) est tout entière à la
dominante réelle en mode mineur in-
verse, ce qui ramène le ton de FA, et
donne une impression d'affaissement,
conforme à l'intention poétique.
3" Im lebhaflesten Zeitmaasse (3) (Vipacissimamente) 5,
en Jiy f Type S.
Exp. Introd. (trait rapide sur la D.). Re.m. — Le rythme de la cellule j-, si
— Th. A (rythme^ transformé), douloureux dans l'/lniau/f, prend ici
répété trois fois. une expression de joie tout à fait
— Pont rythmique. caractéristique.
— Th. B [b , b", b"'), en SI \,.
Dév. par a et b' .
— fausse rentrée à la SD.
Réexp. normale suivie de
— DeV. ferm. et conclusion par a.
Sonate op. 90. — Dédiée au comte Moritz von Lichnowsky (4),
■ — L-omposée en 1814.
— Éditée en juin 181 5, chez Steiner, à Vienne.
— En deux mouvements (S. R.) :
(i) Dans l'édition Schlesinger (Brandus), on a cru bon de « corriger >> ces enchevêtrements
de l'harmonie de tonique avec celle de dominante : le résultat obtenu est plutôt bizarre.
(2) Littéralement : dans un mouvement allant et pourtant avec expression. — C'est la pre-
mière fois que Beethoven emploie la langue allemande au lieu de la langue italienne p'^ur
les indications de mouvements. La rédaction même de ces indications montre bien que
l'auteur se préoccupait avant tout de l'expression, but principal de toute musique.
(3) Dans une mesure très animée.
(4) Schindier raconte {op. cit., p. iiS) que Beethoven disait des deux morceaux de cette
Sonate: « Le premier pourrait s'intituler Combat entre la tête et le cœur {Kampf ^^wischen
Kopfund Her^O, et le second. Dialogue avec l'aimée ^Conversation mit der Geliebten). Tel
est, en effet, le sens poétique de ce véritable épithalame au dédicataire qui, après bien des
hésitations, s'était déciJé à épouser une actrice de N'icnne qu'il aimait depuis longtemps. »
,5$ LA SONATE DE BEETHOVEN
1° Mit lebhaftigkeit und dmxhaus mit Empfndung iind
Atisdruck (i) |, en mi
Type S,
Exp. Th. A, en trois éléments :
— a' , élément rythmique masculin, en tni
a", élément mélodique fénii in, en SOI. .-
p — etc.
— a", élément h-irmonique concluant, en mi
* '•*££
»i
m
u
J IJ. J-'JU J
etc
— l'antagonisme expressif entre les trois éléments de la première idée
tour à tour masculine et féminine, a sa raison d'être dans l'intention
poétique [Kopf und Her:^).
— Pont, par la cellule initiale de a (comme dans le pont du finale).
— Th. B, en si, nécessairement très court et sans subdivisions, pour rétablir
l'équilibre rompu par l'importance du th. A.
Dév. en tr-ois éléments, offrant un véritable modèle de l'emploi de Vélimina-
tien et des modifications d'ordre agogique :
— 10 la période a' , partant de la SD., s'élimine peu à peu vers la D. d'ui :
i-^i'^.i ^.j^ir-ii, i
Sftimp
> la période a", exposée d'abord en VT sous son aspect primitif, se
développe mélodiquement et prend une forme de plus en plus agitée,
en passant à la main gauche; bientôt, elle s'élimine pâvles tonahtés de
FA et de la, comme si elle se modifiait sous une influence étrangère :
etc.
(i) Assez vile, mais avec sentiment et expression.
SONATES POUR PIANO
159
— 3" un arrêt sur la D. (quarte et sixtej détermine un accroissement à'ago-
gique suivi d'une éliminatiendcs dernières notes, avec un enchevêtrement
d'harmonies semblable à celui que nous avons signalé dans l'op. Si ;
après cet alanguissement, la force revient et la cellule initiale reparaît,
amenant la réexposition. Ce passage doit être cité intégralement :
REEXP
^^^^^^
m^
llulr
^S
RÉEXP. normale, suivie d'une amplification du th. B amenant la conclusion
par une dernière redite de l'élément a'", lequel n'a aucun rôle dans le
développement et demeure identique à lui-même : il est la décision
immuable ; il conclut toujours.
2° Nicht ^u geschwind und se/ir singbar t>o?"{utragen ( i ) ;, en mi. Type R.
Réf. I : Th. A, phrase de lied {a, b, a'].
Coupl. i : Pont en MfJî (même cellule rythmique que le /?o«/ du ler mouvement).
— Th. B {b' agité, b" calme) en SI.
Réf. 2 : Th. A.
Coupl. 2 : Dév. de a ; puis b" en UT, ut, utZ et UT^; puis Péd. de D.
Réf. 3 : Th. a.
Coupl. 3 : P. et th. B en Ml ; puis dév. de a et rentrée.
Réf. 4 : Th. A (amplifié et modifié), petit dév. de a et conclusion.
n. — SONATES POUR PIANO. — TROISIÈMK MANIERE (l8l5 A l8a6),
La troisième manière {réûexion) est celle à laquelle appartiennent les
œuvres (on peut même dire les chef s-d' œuvre) composées par Beethoven
(i) Exécuter pas trop vite et très chanié. — Ce Rondeau, le dernier qu'ait écrit Beeihoven
dans ses Sonates pour piano, a éié analysé ci-dessus (p 3 1 3 et suiv.) à titre de rrodèlc.
360 LA SONATE DE BEETHOVEN
dans les dix dernières années de sa vie (18 16 à 1826). Malgré les incon-
testables beautés des Sonates de la période précédente, on pouvait
considérer celle-ci comme une transition, aboutissant au style définitif
adopté par l'auteur des op. loi et suivants, après mûre réflexion.
Affranchi de la convention, sûr de sa pensée et de sa forme, le
créateur de génie ne regarde plus alors qu'au dedans de lui-même;
c'est son âme, son âme seule qu'il exprime, âme croyante, âme chari-
table, âme souffrante et qui s'élève par degrés vers l'idéal divin.
La collection des Sonates est bien loin de nous montrer encore toutes
les beautés de cette troisième manière dont l'épanouissement ne sera
complet que dans la IX* Symphonie, la Messe en RÉ et les derniers
Quatuors, véritables oeuvres religieuses, où. Beethoven entre en com-
munication avec ce Père céleste qu'il entrevoit « au-dessus des étoiles ».
Les oeuvres appartenant à ce troisième style sont aussi différentes de
celles des deux autres époques que la Messe en 5/ de J.-S. Bach est
dissemblable des Fugues construites à l'imitation de celles de Buxtehude.
La nature même de ce qu'on pourrait appeler ici la substance ou la
matière musicale y est d'un ordre infiniment plus élevé: il suffit, pour
s'en rendre compte, de comparer la seconde idée du premier mouve-
ment de Top. 106 aux meilleures de celles qui appartiennent aux
œuvres des autres périodes [Sonate pathétique ou op. 53, par exemple).
Quant à la forme, elle est renouvelée de fond en comble par l'emploi
de deux moyens dont Beethoven n'avait pas encore fait usage :
I® la Fugue qui devient partie intégrante de la construction ;
2* la Variation amplificatrice qui s'impose soit dans le développement,
soit en tant que forme particulière.
Mais ces innovations, loin de briser les traditions de la Sonate,
comme l'ont prétendu des historiens peu informés, ont, au contraire,
consolidé les assiseslogiques et éternelles de cette forme, en lui apportant
de tels éléments de progrès que ces admirables oeuvres sont devenues le
point de départ de toute notre musique symphonique moderne.
Sonate op. 101. — Dédiée à la baronne Dorothée Ertmann.
— Composée en 181 5- 1816. — Éditée en février iS 17 chez Artaria,
sous le titre Sonate f tir das Hammerclavier»
— En trois mouvements (S. M. S.) :
1° Etwaslebhaft undmitder innigstenEmpJîndung[\)i, en la. Type S.
Exp. Th. A, enchaîné à B. Rem. — Sorte de modèle résumé du
— Th. B en Ml. type Sonate : deux thèmes briève-
Dév, court par a. ment exposés, sans ^ont (le second
Réexp. normale avec en une seule phrase}, et développe-
— Dév. tenu, par b. ment très court.
(1) Assez animé et avec un sentiment très intime.
SONATES POIR PIANO
-,6i
2" Lebhaft Marschwdssig-{\) c, en FA Type M
MARCHE: Thème à trois éléments :
— a (avec reprise), en FA.
— b, dév. par LA et RÉ"?- vtZ,
vers laZ).
— c, conclusion, sans période .:.
Rkm. — Cette Marche est une nouvelle
tentative de la forme M disparue
depuis l'op. 3r n» 3. Son thème est en
rro«5 périodes différentes (j, b, c sans
retour à la première.
Trio en Sl\, (SD.) avec longue Coij, — Le trio à la SD. est très court et
sur la D. de FA. relié par une péd. de /). 'voir p. 3n).
Da capo.
3" Langsam und sehnsuchtsyoll (2) ;, en la, et Gesc/iwiud,
doch nicht -{u se/ir,. und mit Entschlossenheit (3)| , en lj. . Tvpe S.
Introd. Phrase lente, binaire {la) :
— de la T. au Rel. maj. VT.
— du Rel. à la D.
cadence suspensive.
Th. A du ler mouv., en LA.
suspension sur la D.
Rem. — Cette phrase lente. Je structure
binaire, n'est pas autre chose qu'une
introdiiclion au finale (comme dans
les op. 27 no r et 53). Ici, elle est
reliée au finale par un rappel du mou-
vement initial.
Exp. — Th. A. Première idée faisant pressentir le développement fumté :
— Pont mélodique assez court.
l b' a laZ). de Jtf/;
— Th. B < b" en .1//, tiré du rythme de la première idée ;
( b'" simple conclusion.
Dév. contenant le premier exemple de la Fugue employée par Beethoven comme
moyen de développement ;
~^^^^W
(i) Vit et en mouvement de Marche.
(2) Lent et plein de passion. — Ccue phrase lente d'introduction au finale a été signalée
déjà dans la section technique du présent chapitre (p. 3oi).
(3) Pas trop vite et résolument.
36a
LA SONATE DE BEETHOVEN
— Ce développement fugué module d'UT à la D. de la et aboutit à une
rentrée caractéristique par le sujet augDienté à la basse :
RÉEXP. normale, avec Dév. ierm. par a et conclusion.
Sonate op. 106. — Dédiée à l'archiduc Rodolphe.
— Composée en 181 8. — Éditée en septembre 1819 chez Artaria,
sous \q thvQ Sonate fur das Hammerclavier.
— En quatf^e mouvements (S. M. L. F'.) :
i' Allegro [ï). (^., en SI \) Type S.
Exp. Th, A en deux éléments: a' rythmique, a" mélodique (voir p. 236).
— Pont rythmique en trois éléments :
— — p' , par rythme de a' en marche.
— — p", par a' modulant à la D. de sol»
— — p'", conduit sur la D. de SOL.
. b' tiré de a".
— Th. B. b" agogique avec rappel de a" .
\ b'" mélodique en SOL.
Dév. Coda dynamique de b'" en marche vers Mir>;
— repos par a' , devenu sujet d'exposition de fugue et épisode en A// ? ;
— marche par a' et a" vers SOL et FA 8, {D. de 5/ B) ;
— repos par b'" exposé en S/ t3 ;
— a' sujet de fugue, en marche vers la D.
RÉEXP. Th. A : a' à la T., a" vers SOL \>-FA'i.
— P. (jci',f",p*') vers laD. de S/[>.
— Th. B (6', r, è«') en5/ b.
— Dév. term. par b", puis a" .
— Coda rythmique concluante.
2^ Scherzo. Assai vivace-, tïi SI ^ T3Te M
Scherzo : Th. a, b, a.
Trio en 5/ 1> mélodique, et épisode à
deux temps, avec cadence à la Z).
Da capo, avec variantes et élément
rythmique nouveau.
Coda concluante.
Rfm. — Le thème de ce Scherzo est
rythmé par trois mesures (deux fois)
suivies de deux accords, qu'on peut
considérer comme issus rythmique-
ment de la cellule a' du ler mouve-
ment.
y Adagio soslenuto §, en /a a - 50/ 1> Type LS.
Exp. Th, principal A en une phrase-//^i (voir ci-dessus, p. 247 et 248) :
— — a (précédé de deux notes préparatoires), de la T. à la D.
— — b,k\A D.
— — c, Cad. à la T. par la sixte napolitaine (modulation en SOL H).
(i) Cet admirable Allegro, type le plus complet de la forme S, chez Beethoven, a éié
analysé ci-Jessus (p. 264 et suiv.).
SONATES POUR PIANO
303
Reprise de b et de c, avec coda suspensive : immédiatement après cet
arrêt du thème, entre une phrase très mélodique et expressive qui
tient lieu de pont et se dirige lentement vers le ton de RÉ.
Th. secondaire B, en RÉ, coupé en trois phrases comme les secondes
idées dans la forme Sonate :
dv)
^
T. RE
T=^
eli
— Cette phrase semble se perdre en des harmonies indéterminées, puis re-
vient au ton par une modulation d'une fraîcheur tout à fait séduisante.
%
^onrlu>ion
r
-^h~^
^
etc.
— Cette exposition constitue la i^e section du Lied.
DÉv. court, par la phrase a et ses deux notes préparatoires, dont l'adjonction
au début de l'exposition s'explique ici (i) :
etc.
— la phrase se reproduit en modulant de RÉ à UT'i, puis à a/;!j -i?Ê S,
et procède ensuite par élimination, en effleurant les tonalités de sol 3
et de ré ÎT, jusqu'à la D. de fa 3.
— Ce développement constitue la ii« section du Lied.
Réexp. Th.princ. A {a,b, c) en fa », avec toutes ses reprises, mais traité en
variation : le sentiment expressif de cette réexposition est assez com-
parable aux modifications du th. de l'Adagio, dans la IX« Symphonie.
— Pont, partant de RÉ pour se diriger vers le ton de FA 5.
— Th. secondaire B (é, *", ^*') en FA 5.
— Cette réexposition constitue la m* section du Lied.
DÉv. par la phrase a et ses deux notes préparatoires, aboutissant bientôt au
développement de la phrase b' du th. B en SOL, tonalité préparée
par la cadence de la sixte napolitaine produisant dans l'exposition la
modulation accidentelle déjà signalée (p. 248). Cette modulation n'est
pas autre chose, on s'en souvient, qu'une fonction de SD. altérée,
rétablissant l'équilibre tonal.
_ Ce nouveau développement constitue la ne section du Lied.
(0 On sait que ces deux notes ont été ajoutées par Beethoven au début de cet admirable
Adagio, lorsque la giavure en était déjà faite. Voir à ce sujet W. de Lenz {op. cit., 11. p. 14)
et la lettre de Beethoven à Ries.
364 LA SONATE DE BEETHOVEN
■ Réexp. terminale du thème principal A, sans reprises et réduit à ses deux
périodes extrêmes (a et c) : ainsi que dans d'autres Sonates,
Beethoven a omis ici à dessein l'une des périodes. Le thème semble
s'effacer et mourir en un long et angoissant ritardando, tandis qu'il se
complète par une conclusion mélodique nouvelle sur la tonique, et
qu'un dernier souvenir de la période initiale [a) sert de péroraison à
cet admirable monument de l'art musical.
— Cette réexposition ultime constitue la v« section du grand Lied (LL),
dont la forme est ici confondue avec la forme Lied-Sonate (LS); et
l'on peut dire à bon droit de celui qui ne se sentirait point ému
jusqu'au fond de l'âme par une pareille manifestation de la sublime
beauté qu'il ne mérite pas le nom de musicien I
4® Largo C , et Allegro risoliito \, en si p. Fuga a tre vocî
con alcune licence (i) Type F.
Interlude : Largo, sorte de cadence en rythme libre, oscillant entre 5/ b et
SI H et servant de Prélude à la Fugue finale, comme si l'auteur avait
voulu tenter ici une adaptation nouvelle à la Sonate de l'ancienne
forme Prélude et Fugue.
Fugue dont le sujet est manifestement tiré du rythme a appartenant à la
période génératrice du thème A, dans le mouvement initial de la
même Sonate (voir ci-dessus, p. 236 et 264) :
a'.
É^
-/
/
^^
f^¥^
/ /y-4-- a
P^v^^
^m
faj^^-^
^
Suict lii' la FiiffiH-
— V exposition initiale en S/p est suivie à\\r). épisode-développement en SOL t>
modulant kiA \> - SOL 5. Puis le sujet s'expose de nouveau en Si i> et en
SOL. Un thème épisodique lent, en RÉ, apparaît alors comme une
sorte de second sujet ; enfin, le sujet principal, en Si t», se réexpose et
se développe longuement sur la T. pour finir.
Sonate op. 109. — Dédiée à Maximilienne Brentano (2).
— Composée en 1820.
— Éditée en novembre 1821 chez Schlesinger, à Berlin, sous le titre :
Sonate pir das Hammerclavier.
— En trois mouvements (S. S. L.) :
(i) Fugue à trois voix avec quelques licences. — On voit que Beethoven avait conscience
de ne se point conformer, tant s'en faut, aux sévères préceptes de son vieux maître
Albrechtsbergcr.
(2) Maximilienne Brentano était la nièce de Bettina Brentano qui recueillit beaucoup de
pensées de Beethoven. Bettina, devenue M™^ H'Arnim, était à Vienne en 1810, en
l'absçnce de son mari, avec sa jeune nièce Maximilienne, pour laquelle Beethoven composa
»n Trio pour piano, violon et violoncelle, en un seul morceau, dédié « à ma petite amie
M. 8., pour l'encourager à jouer du piano» (1812).
SONATES POUR PIANO
î'^ï
1" Vivace ma non troppo '- et Adagio espressivo |, en M!. T^pe S.
Exp. Th. A (Vivace) infléchi vers B. Rem. — Ce morceau est aussi un re-
— Th. B (Adagio) en si. sumé de la forme S., où V Adagio sert
Dév. par rythme a [Vivace). de second thème.
Réexp. Th. A {Vivace).
— Th. B [Adagio).
— Dév. tenu, par a. ^
2* Prestissimo g, en mi , Type S.
Exp. Th. A, en mi, dont la période génératrice est à la partie grave :
^
->7
J'.'i '.ii.l.- e-H'-ratricf
— Pont (8 mesiiresV
— Th. B [b', b", b'") en si.
Dév par période génératrice de a.
Réexp. normale.
3° Gesangvoll mil innigsten Empfuduus- ( Andaufe vwito
Cùulabile ed espressivo) ^, en Ml Type LV.
Thème binaire et si.v variations, avec reprise du thème pour finir.
Sonate op. IIO. — (Sans dédicace).
— Composée en 1 820-1 821.
— Editée en août 1822, chez Schlesinger.
— En trois mouvements (S. M. P.): cette Sonate est, comme forme et
comme pensée, très caractéristique de la dernière manière de Beethoven.
La Fugue y est employée non seulernent en tant que partie consti-
tutive du cycle, mais encore comme moyen expressif, et l'on pourrait
presque dire dramatique, car les deux dernières parties sont en quelque
sorte l'exposé des souffrances qu'endura le malheureux homme de
génie vers la fin de sa vie, souffrances morales bien plus que physiques,
croyons-nous, et dont il sut toujours triompher par sa foi et sa volonté.
Il est intéressant de rapprocher cette oeuvre du XV' Quatuor (op.
i32), écrit quatre ans après, et qui en est comme le complément
obligé (i). Mais, tandis que ce Quatuor ne nous retrace guère que le
souvenir des douleurs passées, causes de ce religieux « élan de reconnais-
sance envers Dieu » (2), la Sonate, elle, nous place en pleine crise : c'est
la lutte âpre et terrible contre l'anéantissement ; puis le retour à la vie et
à l'espérance célébré, non en une calme et pieuse prière, mais par un
hymne exultant de joie triomphale. Nous nous trouvons donc en pré-
(i)Voir la Seconde Partie du présent Livre.
(a) Can^ona di ringi a^iamento alla Divinttj, da uu guarito.
366
LA SONATE DE BEETHOVEN
sence d'une sorte de drame moral transcrit en musique; aussi cette
Sonate est-elle la seule de la troisième manière qui ne porte point de
dédicace: Beethoven ne pouvait dédier qu'à lui-même cette expression
musicale d'une convulsion de sa propre vie.
Pour rentrer dans le domaine technique^ nous dirons que c'est à
cette même cause dramatique que doit être attribuée la construction
tonale des deux derniers mouvements (/ap,LAb, sol, soL, la \>)^
construction absolument inusitée chez Beethoven,
Au point de vue thématique, il est à remarquer que le sujet de la Fugue
finale n'est autre que\a. simpli^catioîi de l'idée initiale du premiermouve-
ment, en sorte que ce thème sert à la fois d'exorde et de péroraison :
'ciy premier élément
rfmièrp ]<\ée. '!/ '''>?'> _-^< 1 m
^L ■^ : •' " ' _ _ _ I
P.*' entré
Suj. de.la.Fu
A , , 1'. entrée ;
gue fe-V^ i- .. \'- »
7-.@
Le?, périodes génératrices de ces deux mouvements, dont l'un paraît
signifier l'état de calme (spécifié par l'auteur dans l'indication con
amabilita) et l'autre la résistance de la volonté contre les attaques du
découragement, sont donc ascensionnelles, tandis que celles des deux
pièces médianes sont conçues en dépression.
Voici l'analyse de l'œuvre :
i" Moderato cantabile molto espressivo |, en la b . . . Tj^pe S.
Exp. Th. A en deux éléments caractéristiques :
— — a' thème générateur qui deviendra le sujet de la Fugue finale.
— — a" phrase mélodique assez semblable au thème de la Sonate op. 58
de Haydn, traité déjà par Beethoven dans plusieurs de ses oeuvres,
notamment dans la Sonate op. lo n» i (voir ci-dessus, p. 33o):
É?
2^
T.@
— Pont très agogique.
— Th. B., en trois phrases î
— — b' , qui est une simple préparation :
® ■ '^v-
SONATES POUR PIANO
b", qui affirme la tonalité :
36/
— — b" , qui conclut :
Dév. très court exclusivement fourni par l'élément a', en fa, RÉ t>, et si P-
Réexp. Th. A. à la T., accompagné par le dessin agogique du pont : l'élément
a" est à la SD. et s'infléchit vers Ml - fa \>.
— Pont, en Ml, suivi d'une sorte de conduit, toujours en MI, qui fait
entendre par anticipation le dessin de la phrase b.
— Th. B. en trois phrases (ô', b", è'") dans le ton principal.
— Dév. term. de la phrase b'" avec Coda par le dessin du pont et
retour conclusifde l'élément principal a' .
i" Allegro molto 5, en/a (i) Type M.
Scherzo. Th. a se développant et concluant.
Trio en RL\> .
Da capo. Th. a en fa suivi d'une coda en fA, enchaînée au mouvement lent.
3° Adagio ma non troppo C \\, en la f, et Fiiga. Allegro
via non troppo §, en L^ b Type F.
Interlude, formé, comme dans l'op. 106, par une sorte de ritournelle orches-
trale alternant avec un véritable récitatif sans paroles, du genre de ceux
qu'on rencontre dans plusieurs œuvres du maître (Sonate- op. 3i n» 2,
derniers Quatuors à cordes, IXe Symphonie, etc.).
Arioso dolente. Une fois le ton de la b affirmé, s'élève en forme de mélodie
binaire la plus poignante expression de douleur qu'il soit possible d'en-
tendre (2). Trop tôt la phrase s'éteint et fait place à laFiigue finale, à laquelle
elle servait de Prélude.
irc FvGVE, en LA b, dont le 5M/e/ est fait avec l'élément j' de la /jrem/ère /</e'e du
mouvement initial. D'après l'intention même de l'auteur, exprimée par les indi-
cations qu'on trouvera un peu plus loin, cette première fugue dépeint l'effort
de la volonté contre la souffrance qui demeure, ici encore, la plus forte.
(t) Ce Scherzo, assez énigmatique, paraît, en tous cas, une douloureuse boutade, un
« amusement » bien amer. C'est ainsi, ce nous semble, qu'il doit être interprété, malgré
l'opinion contradictoire de certains commentateurs ; le classique \V. de Lenz [op. cit., II,
pv 19) n'y voit, en effet, que « le pas de charge de quelque garde romaine... », tandis que,
selon d'autres, il serait la paraphrase d'une chanson d'étudiants : Du bist ein liederlich...
(i) Voir !"■ liv., p. 44, l'analyse mélodique de cette phrase binaire subdivisée en quatre
périodes.
08 LA SONATE DE BEETHOVEN
Anoso dolente, en sof. La reprise désolée, angoissée, de cette cantilène, semble
nous faire assister aux derniers spasmes d'une agonie morale, représentée
dans le plan musical par cette tonalité si lointaine et si étrange de 50/.
Cependant, la volonté a triomphé r l'harmonie plus claire de SOL, s'affirmant
en appels répétés d'accords de tonique, semble, par un formidable crescendo,
souleverla pierre presque scellée déjà sur la tombe muette : la vie va renaître.
2e Fugue en SOL. Le sujet de la première fugue, présenté ici par mouvement
contraire, semble indiquer la résurrection de l'être encore hésitant et déprimé
qui voit à nouveau la lumière du jour. Et toutes ces allégories ne sont certes
pas hypothétiques : car Beethoven nous a notifié lui-même ses intentions
par la double indication « Perdendo le fonje » et « Poi a poi di nuovo
vivante », inscrite de sa main, au moment de la reprise de VArioso en sol et
au retour de la Fugue en SOL par mouvement contraire.
— Les forces reviennent en effet, et Ton se rapproche de plus en plus du ton
principal, L^ b : le sujet revenu à son état direct, cette fois, apparaît de nou-
veau en valeurs syncopées et augmentées, comme si le malade, encore chan-
celant, s'exerçait a la marche (l'exposition du sujet est alors en sol et en «0-
Enfin, sur la dernière exposition, au ton initial de LA b, s'élève une sorte
d'hvmne enthousiaste d'action de grâces, amplifiant victorieusement la phrase
mélodique pour amener la conclusion triomphale de cette œuvre, qui est et
restera un type d'éternelle beauté.
Sonate op. III. — Dédiée à l'archiduc Rodolphe (i).
- — Composée en 1822.
— Éditée en avril 1823, chez Schlesinger.
— En deux mouvements (S. L.) :
1" Maestoso et Allegro cou brio ed appasionato C, en ut. . Type S.
Introduction : Maestoso, qui contient tous les éléments appelés à constituer
la cellule a de V Allegro qui suit:
Elément liarmoniqiie :
Maesfoso ^
(i) Lire dans W. de Lenz {op. cit., Il, p. ai à 34) l''s très curieuses et très inté essantes
observations que lui suggéra cette dernière Sonate de Beethoven.
SONATES POUR VIOLON 369
Exp. Th. A : Phrase complète tirée de celte cellule a, très typique et analogue
à celle du thème qui accompagne la scène de la mort de Claerchen,
dans Egmont.
— font par a.
— Th. B, en 1.^4 1>, en deux phrases :
— — b' mélodie très proche parente de celle de la seconde idée du finale,
dans l'op. 27 no 2.
— — b" , trait accompagné par a.
Dév. court de la cellule a.
Réexp. Th. A, en ut tx fa.
— Pont de/a à la Z). d'C/r.
— Th. B : Z> en C/r, vers /a.
— — b" en ut.
— Phrase concluante, par a en UT.
1° Arietta. Adagio molto semplice e cantabile ^, en UT. . T3'pe LV.
Th. binaire avec reprises et quatre variations.
Développement, reprise du thème et développement terminal.
12. — SONATES POUR VIOLON ET POIR VIOLONCELLE,
Sonates pour violon. — L'intérêt artistique et musical de ces Sonates,
au nombre de dix,, est notablement inférieur à celui des trente-deux
Sonates pour piano que nous venons d'analyser : trois ou quatre, tout
au plus, méritent de retenir notre attention.
Les deux dernières des trois Sonates, op. 3o, dédiées à l'empereur
Alexandre (1802), sont à rapprocher, par leur caractère thématique, de
la Sonate pour piano, op. 10 n*» 3 : l'une de ces deux Sonates est en ui
€t l'autre en 50L. Celle-ci contient un Menuet dont le trio reproduit
presque textuellement le thème de la Sonate, op. 38, de Haydn, maintes
fois rencontré déjà dans l'œuvre de Beethoven (op. 10 n° i, op. iio
etpassim); cette même Sonate en sol se termine par un gai Rondeau à
ciuq refrains où nous pouvons lire, semble-t-il, l'expression bien vivante
de la bonne humeur d'un Beethoveen errant sur les collines des envi-
rons de Vienne.
La Sonate en /a, op. 47, est universellement connue sous le nom de
Sonate à K7^eiit:{er{i8o3)^ bien que le célèbre auteur des Études (i) ne
l'ait pas jouée une seule fois en public, la trouvant « de peu d'effet ».
Malgré sa notoriété, cette Sonate n'est nullement l'une des meilleures
de Beethoven. Il faut signaler pourtant dans le mouvement initial et
dans le finale, tous deux du type S, un essai d'intervention de la
première idée dans l'exposition de la seconde : cette sorte de pénétra-
(i| Rodolphe Kreutzer, violoniste, naquit à Versailles en i76t) et mourut à Genève en
i83i : son ouvrage le plus connu consiste en 40 Éludes ou Caprices que tous les virtuos:»
du violon ont plus ou moins travaillé--
Cours de co.MPOsnio.N. — t. 11, 1 94
37°
LA SONATE DE BEETHOVEN
tion mutuelle des deux thèmes devait être réalisée beaucoup plus com-
plètement, par Beethoven, dans ses Quatuors (i).
Seule, la Sonate, op. 96, composée en 181 2, dédiée à l'archiduc
Rodolphe et éditée seulement en 18 16 à Vienne, chez Steiner, diffère
de toutes les autres par sa poésie et son intérêt. Dans son premier
mouvement, en sol, d'une exquise fraîcheur mélodique, il faut remar-^
quer surtout la seconde idée et le charmant dessin de sa troisième
phrase [b"') :
il est bien rare que les virtuoses interprètent cette phrase de façon à eir
dégager l'expression rêveuse que l'auteur a voulu lui donner.
U Adagio^ de forme Lied-Sonate {sans développement), est en Mi\> :
le charme pénétrant de sa mélodie exige, comme la phrase précédem-
ment citée, une grande intensité d'expression.
Cet Adagio s'enchaîne au Scher^o^ en 50/, sorte d'antithèse entre la
rusticité sauvage d'une danse de rudes paysans {schen^o proprement
dit) et la suavité d'une valse citadine lointaine {t?'io en MI \> ) dont le
vent apporte l'écho jusque dans l'auberge du village.
Le finale, en forme de Thème varié, sur une chanson populaire con-
nue, participe également de ces impressions campagnardes, mais noa
triviales:
F 1 . fa . tu . Il,
Ainsi, toute la Sonate pourrait, à plus juste titre que l'op. 28, porter
la dénomination de « pastorale » ; elle semble le résumé du Trio,
op'. 97, composé un an auparavant et dédié également à l'archiduc
Rodolphe ; le sentiment général est le même dans les deux œuvres,
avec une plus grande puissance expressive, toutefois, dans cet admirable
Trio qui sera étudié dans la Seconde Partie du présent Livre.
Sonates pour violoncelle. — Ces cinq Sonates, sans valoir musicale-
ment celles pour piano seul, méritent cependant d'être étudiées d'assez,
près, en raison de leur architecture particulière.
Il faut remarquer d'abord que l'adjonction d'un instrument essen-
(i) Voir la SeconJe Partie du présent Livre.
SONATES POUR VIOl.ONCEl.l.E I71
tiellement c/2c7«/^Mr, comme le violoncelle, oblige la plupart du temps à
une double exposition de chaque phrase mélodique, ce qui donne aux
secondes idées une durée notablement plus longue que dans les Sonates
pour piano. En outre, et probablement pour une raison de symétrie,
quatre de ces Sonates, sur cinq, s'ouvrent par une Introduction lente
aussi développée et aussi importante que les Préludes dans les Suites
de la dernière époque (voir ci-dessus, p. 145 et suiv.).
Les deux premières Sonates pour violoncelle, op. 5, en fa et en
50/, écrites en 179D et 1797 et dédiées au Roi de Prusse, sont en deux
mouvements [Allegro et Rondeau) précédés d'une IntrodixCtion.
Si la seconde idée de chacun des Allégros initiaux est longue et
détaillée, par contre, celle des Rondeaux est à peine indiquée, ce qui
démontre bien la différence faite par l'auteur entre ces deux formes,
tant au point de vue thématique qu'au point de vue architectural. Le
Rondeau de l'op. 5 n** 2 a six refrains; c'est l'un des plus longs qu'ait
écrits Beethoven.
La troisième Sonate, op. 69, en la (1808), dédiée au baron van
Gleichenstein, est en trois mouvements ; V Introduction lente s'y trouve
placée avant le finale ; celui-ci, de même que le mouvement initial, est
du type S.
Les deux dernières Sonates, op. 102 (181 5), dédiées à la comtesse
Erdôdy (i), demandent un examen plus détaillé.
La Sonate op. 102 n° i, en ut, est composée de trois mouvements;
le premier et le dernier offrent un nouvel aspect du type S, par suite
de modifications importantes dans leurs secondes idées, ou plutôt dans
ce qui en tient lieu : car Beethoven, dérogeant ici à ses propres habi-
tudes dans ses autres oeuvres pour violoncelle, a supprimé de ces
deux morceaux presque toute la longue exposition d'allure féminine
appartenant d'ordinaire à la seconde idée. Peut-être a-t-il jugé que
l'admirable efflorescence mélodique de V Introduction, en UT, rendait
superflu tout autre élément de' même nature. Cette opinion serait assez
plausible, si l'on remarque que le thème d'Introduction reprend sa
place au milieu de V Adagio et détermine, par sa seule péroraison
rythmique, l'entrée subite du thème final:
*#H^
(I) Dans la première édition parue en France, l'op. 102 porte la dé ticacc : ^ son ami
M. Charles Necte, mais cette indication semble dénuée de tout fondement.
373 LA SONATE DE BEETHOVEN
Les secondes idées des mouvements extrêmes sont icî à peu près
inexistantes mélodiquement : il faut plutôt les considérer comme une
sorte d'émanation des idées initiales^ reparaissant dans le ton occupé
d'ordinaire par la seconde idée. Cette modification de la forme Sonate
semblerait la rapprocher de la forme Suite; une tentative de retour à
cette même forme, magnifiquement traitée, se retrouvera aussi dans
les derniers Quatuors (i).
Enfin, exemple unique dans l'œuvre beethovénien, le premier mou-
vement, en rythme de MaTxhe, comme on en rencontre assez fré-
quemment dans les œuvres de la troisième manière (Sonate op. loi,
XV^ Quatuor, etc.), n'est pas en c/r, ton principal du cycle, mais au
relatif, la. On peut en conclure, non seulement que Beethoven consi-
dérait les deitx modalités d'un même ton comme une seule tonalité, ce
qui est parfaitement logique, mais encore qu'il attachait une impor-
tance primordiale à la mélodie de V Introduction dont il faisait, en
raison de sa beauté, le principe de l'œuvre entière (2).
Voici l'analyse de cette Sonate :
i^ Introduction^ en ut, par une large mélodie de forme lied., évoluant
autour du dessin générateur qui semble lui servir de pivot :
cette Introduction est reliée à V Allegro par une cadence suspensive.
2° Allegro vivace 0, en /ti Type S (modifié).
Exp. Th. A, très court, en la, avec inflexion vers le pont ;
— Pont mélodique de six mesures seulement ;
— Th. D», en mi, offrant l'aspect d'un complément de P, et de A, plutôt que
d'une véritable idée :
f.—^
— Cet'e phraae unique se répète deux fois et se termine par une coda sur
le rythme de a.
(i) Voir la Seconde Partie du présent Livre.
(al il n'est point étonnant que de pareilles atteintes portées à la convention formelle aient
eomplètement dérouté les critiques d'art, aussi peu clairvoyants à cette époquV que de nos
jours. C'est pourquoi, sans oser blâmer ex professa un génie qui commençait à être
réputé,, le critique de YAllgemeine Musik Zeitung (1818, p. 792) émet, au sujet de celte
Sonate, l'opinion ^eu compromettante « qu'elle appartient au haut goût le plus étrange et
le plus inaccessible... »
SONATES POUR VlOl.ONXELLE 37?
Dév. très court, fourni presque entièrement par A et par un épisode tire de B ;
^^^
Réexp. normale avec conclusion en la.
3° Adas^no consistant en une phrase de forme bDidirc, en LT, qui
émane très certainement de la mélodie de VhiU'oduction : cette mélodie
elle-même reparaît in extenso^ après V Adagio^ pour servir d'enchaîne-
ment au finale.
4* Allegro vivace, tn UT Type S (modifié).
Exp. Th. A, en UT.
— Font et th. B, en SOL, ne formant, pour ainsi dire, qu'un seul corps.
Dév. très court.
Réexp. conforme à Vexposition.
— Dev. term., plus important que le dév. central, pour clôturer toute l'oeuvre.
L'op. 102 n° 2, en /?£", est la seule Sonate pour violoncelle qui n'ait
point d'Introduction. Le premier mouvement est régulier, et l'on peut
estimer VAdagio l'une des plus hautes inspirations mélodiques de
Beethoven; sa forme est simple : c'est un Lied en trois sections dont la
dernière est enchaînée par un conduit avec le finale-Fugue ; mais com-
bien ce chef-d'œuvre dépasse l'ancien Andante-Lied de Haydn et de
Mozart, au point de vue de la signification expressive !... Une phrase
ternaire, en ré, s'impose : calme en sa première période, elle s'émeut
dans la deuxième, jusqu'au cri de douleur, tandis que la troisième
période, pleis courte, semble ramener la confiance et la tranquillité.
Bientôt, dans la ii* section du Lied, en RÉ [i], apparaît une céleste mé-
lodie qui plane et chante jusqu'au retour du thème, troublé cette fois
par un dessin plus inquiet. Le thème terminé, une nouvelle phrase
mélodique s'élève, pour préparer le finale dans lequel s'accuse la pré-
dilection de Beethoven pour la Fugue, à cette époque de sa vie.
On voit par ces quelques observations que les Sonates pour violon-
cf//t? méritent, plus que les Sonates pour violon, de retenir l'attention
des musiciens, car elles contiennent, sous le rapport de la construction,
une plus grande part d'innovation ; leur intérêt, toutefois, ne saurait
être mis en parallèle avec celui des Sonates pour piano.
(i) Comme nous le verrons dans la Seconde Partie du présent Livre, César Franck,
dans son i*' Trio, en fa i . semble être parti d'une idée similaire. Dans le preuiier mouve-
ment de ce Trio, le second thème, qui régit l'œuvre entière, parafi assez proche parent
de la mélodie beethovénienne en RÈ-
374 LA SONATE DE BEETHOVEN
Celles-ci, en effet, constituent avec les neuf Symphonies et les
seqe Quatuors à cordes un monument incomparable, dont les inépui-
sables enseignements, la durée déjà séculaire et la constante sincérité
réalisent au plus haut degré de perfection, dans le domaine de la
musique instrumentale, les conditions essentielles de Vœupre d'art^
telles que nous les avons exposées dans l'Introduction du Premier
Livre de ce Cours (i).
Sans doute, le but didactique de cet ouvrage nous obligeait à donner
ici la première place aux enseignements techniques contenus dans
l'œuvre beethovénien, à les exposer le plus nettement possible,
à en faire ressortir enfin l'importance primordiale par de nombreux
exemples et des commentaires détaillés. Mais il n'en faudrait pas con-
clure que les lois de structure organique et tonale, indispensables à
toute composition musicale, aient pu se confondre à aucun moment
dans notre esprit avec la musique elle-même.
De telles lois, comme toutes les lois, ne sont à aucun degré l'ex-
pression de volontés ou de caprices individuels ou collectifs : elles
résultent d'un état de choses qu'elles contribuent à ordonner, à perfec-
tionner et surtout à conserver. On les constate, on les formule : on ne
les crée point. Dans la musique s3a'nphonique, elles se vérifient à
chaque instant, mais il ne suffirait pas de les appliquer scrupuleuse-
ment pour devenir, par cela même, un musicien ; et elles ne sauraient
nous donner, à elles seules, la « révélation de la musique », pour nous
servir d'une expression de Beethoven, à qui nous donnons ici la parole
une dernière fois.
Aussi bien, ce chapitre lui étant consacré spécialement, c'est à lui
qu'il appartient de conclure :
« Ainsi que des milliers de gens, dit-il (2), se marient par amour,
« chez qui l'amour ne se révèle pas une seule fois, bien qu'ils en
« fassent le métier, ainsi des milliers de gens cultivent la musique et
« n'en auront jamais la Révélation .' »
(i) Voir I»' liv., Introd., p. 14 et i5.
(3) Conversation avec Bettina Brentano.
¥
V
LA SONATE
CYCLIQUE
Technique. — i. L'unité cyclique dans l'œuvre d'art. — 2. Eléments constitutifs de la forme
cyclique.
•Historique. — 3. États divers de la Sonate à partir de Beethoven. — 4. Les Contemporains
de Beethoven. — 5. Les Romantiques. — 6. Les Allemands modernes. — 7. Les Français:
la Sonate cyclique.
TECHNIQUE
I . — l'unité cyclique dans l'œuvre d'art.
La Sonate cyclique est celle dont la construction est subordonnée à
certains thèmes spéciaux reparaissant sous diverses formes dans cha-
cune des pièces constitutives de l'œuvre, où ils exercent une fonction en
quelque sorte régulatrice ou unificatrice.
Le caractère cyclique dû à la présence de ces thèmes permanents^ de
ces motifs conducteurs^ qui donnent aux différents mouvements ou
morceaux d'un ouvrage musical l'aspect d'un cycle de pièces dépen-
dantes nécessairement l'une de l'autre, n'est pas spécial à la Sonate.
Mais, comme la Sonate est le prototype de toutes les formes sympho-
niques devenues cycliques après elle, c'est à propos de la Sonate qu'il
convient d'étudier au point de vue technique les éléments de la forme
cf clique^ fournis pour la plupart par le génie beethovénien, bien avant
d'être organisés consciemment et dans toute leur plénitude par César
Franck.
Le qualificatif cyclique est applicable en premier lieu aux motifs et
aux thèmes qui, tout en se modifiant notablement au cours d'une com-
position musicale divisée en plusieurs parties, demeurent présents et
reconnaissables dans chacune de celles-ci, indépendamment de la struc-
ture, du mouvement ou de la tonalité qui lui est propre.
3/6 LA SONATE CYCLIQUE
Par une extension, ou plutôt par une restriction toute naturelle, la
cellule qui contient un motif cyclique ou la pé?^iode qui contient un
thème cyclique sont dites cycliques elles-mêmes (i). Enfin, une /orme
musicale (Sonate, Quatuor, Symphonie, etc.) sera dite pareillement
cyclique si elle contient des motifs ou des thèmes ayant un tel caractère
et une telle fonction. Et cette fonction consiste en définitive à accroître
la cohésion existant entre les diverses parties d'une œuvre, à renforcer
Vunité synthétique de celle-ci : l'application de ce terme à la musique
est donc peu différente de son acception usuelle en matière de littéra-
ture, de poésie ou de toute autre œuvre d'art.
C'est en effet l'idée d'unité^ de retour au point de départ, au principe
commun ou au personnage permanent, après un parcours plus ou
moins développé, qui fit très probablement recourir à cette expression
imagée du cycle, empruntée tout à la fois à la géométrie et à la sym-
bolique, où le cetxle (xuxXo;) figure la proportion parfaite, la trinité
dans Timité ; et c'est en ce sens qu'on a pu légitimement qualifier un
triptyque, cycle de tableaux, ou une trilogie, cycle de tragédies.
Mais, de même que trois tableaux quelconques ne forment pas néces-
sairement un triptyque, pas plus qu'une succession de tragédies de
sujets et de styles différents ne constitue une trilogie, ni a /or//or/ un
cycle, de même des pièces musicales juxtaposées ne méritent le nom
de cycle que dans la mesure où elles sont subordonnées à un lien com-
mun, à une unité de pensée, de forme, de tonalité et surtout de thèmes ;
car le rôle du thème dans la composition est tout à fait analogue, ainsi
que nous l'avons constaté, à celui du personnage dans la littérature.
Si donc nous jetons un coup d'œil rétrospectif sur la lente élabora-
tion du cycle Sonate qui fait l'objei de la section technique du présent
chapitre (2), nous en trouverons l'origine très éloignée dans Vunité tonale
des formes Prélude et Fugue (voir ci-dessus, p. 64), puis des danses.
Pavane et Gaillarde, Can^ona (voir p. 104) et enfin des Suites de danses
groupées intentionnellement dans un certain ordre.
Avec la forme Sonate, on a vu l'idée d'unité s'affirmer d'abord par la
suppression des pièces de même mouvement faisant double emploi, et
la réduction de leur nombre aux quatre types principaux (Sonate, Lent,
Modéré, Rapide); puis, par la dépendance tonale plus rigoureuse des
(i) On a vu au chapitre précédent (p, 333, 345 et suiv.) plusieurs exemples de thèmes
ou de motifs véritablement cycliques. Nous les désignons plus spécialement par les der-
n ères lettres de l'alphabet : x, y, ^.
(a) Certaines considérations pratiques qui seront exposées plus loin (p. 889 et Bgo) ont
eu pour résultat de faire annexer à la section historique de ce même chapitre une notable
(juantité de compositeurs dont les Sonates ne contiennent pas la moindre trace d'unjfc
cyclique.
L'UNITÉ CYCLIQUE DANS LOEUVRE D'ART 377
morceaux, l'un par rapport à l'autre ; entin, par le rôle grandissant de
la personnalité thématique.
Seule, en effet, cette conception beethovénienne du thème-personuas-e
pouvait permettre l'unification cyclique des divers morceaux, de même
que les personnages principaux des tableaux légendaires, des tragédies
ou des poèmes épiques avaient inspiré les triptyques, les trilogies et les
cycles^ véritables monuments de l'art.
Parvenue à ce degré de perfection, la Sonate cyclique (ou toute
oeuvre symphonique construite d'après les mêmes principes) devient,
elle aussi, un monument architectural, en raison de cette étroite affinité,
maintes fois signalée par nous, entre la composilion et la construc-
tion (i).
Comme une « cathédrale sonore », cette Sonate s'ouvre devant nous
par un portail grandiose dont les formes sculpturales nous font pres-
sentir déjà quel est le Dieu qui l'habite, quel est le saint à qui elle est
vouée. Répondant au geste bienveillant de ce portail symbolique, écou-
tons l'appel d'introduction qui nous est fait : découvrons-nous respec-
tueusement et pénétrons dans l'immense nef. Tandis que s'expose et
se réexpose à l'infini dans chacun des bas-côtés la pieuse idée de l'artiste,
le vaisseau central s'appuie, de travée en travée, sur les piliers que la
courbe ouvragée de la voûte ogivale relie l'un à l'autre en d'harmo-
nieux développements. Examinons de plus près ces chapiteaux : tel
d'entre eux ne reproduit-il pas, dans une attitude différente, le person-
nage, le motif que le portail introducteur nous avait proposé une pre-
mière fois ?
Toujours guidés par ces figures cycliques d'un intérêt croissant, nous
voici parvenus à l'extrémité de la grande nef : le premier morceau de
l'œuvre est achevé. Parfois se dresse ici un obstacle qui retarde encore
notre entrée dans le sanctuaire : richement vêtu de ses mille figurines
en miniature où éclate la joie du sculpteur, le jubé s'interpose et semble
distraire un instant notre vue, ainsi que le gai Scherzo, où se répètent les
petits thèmes brefs et joyeux, repose notre oreille avant les émotions
intimes et profondes de la pièce lente, du Saint Lieu qui, le plus sou-
vent, fait suite à la nef principale sans transition, sans jubé..., sans
Scher:{0.
Calme et recueilli, le transept étale alors devant nous sa construction
ternaire. Entre ses branches latérales, alpha et oméga, commencement
et fin, s'élève le choeur, point culminant de l'œuvre entière, d'où
rayonne toute clarté, car tout y chante la gloire de Dieu, comme en un
Lied sacré dont la phrase centrale, différente des deux redites qui Ten-
(i) Voir notamment 1" liv., Introd., p. 7, et ci-dessus: Inirod., p. ij ei suiv.
-578 LA SONATE CYCLIQUE
cadrent, s'épanouit en accents sublimes où l'âme inspirée de l'artiste
s'exhale ineffablement.
Sitôt que s'est éteinte cette lente mélodie, nos yeux s'élèvent et ren-
contrent les galeries supérieures qui tournent autour du chœur avec
leurs arcades finement ciselées et groupées en ti'ios : ici est, en effet, la
place normale du Scherzo, dont les fines arabesques frapperont joyeuse
ment notre oreille et reposeront notre cœur encore ému des graves
impressions de l'autel où s'est accompli, lentement, le sacrifice.
Nous parcourons enfin les chapelles de l'abside qui se succèdent et
alternent régulièrement comme des j^efrains et des couplets, entre
lesquels circulent encore des ornements ou des motifs déjà connus de
nous : ce sont ces personnages s3''mboliques, ces thèmes conducteurs
apparus tour à tour au portail d'introduction, aux développements de
la nef, aux décorations variées du transept. Et nous saluons pieusement
leur retour dans ce chemin de ronde, dans ce Rondeau terminal moins
sévère..., « dernier refuge » aussi, par quoi s'achève dignement l'édifice,
le monument, — sonore ou architectural, — œuvre de rayonnante beauté,
œuvre cyclique d' « unité dans la variété, exprimant la grandeur et
« l'ordre » (i).
2. — ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA FORME CYCLIQUE.
La comparaison tout allégorique que nous venons d'établir entre
la Sonate et la Cathédrale a pour but de montrer que le principe d'unité
peut seul donner à une composition le caractère monumental ou
cyclique. Sans doute, les rapports ou proportions de rythme ou de
symétrie entre les diverses parties d'une œuvre, leurs relations de
tonalités manifestent déjà une intention d'unité ; mais cette intention ne
devient accessible à l'auditeur que par la forme dans laquelle elle se
réalise ; l'idée d'unité, en elle-même^ ne suffirait pas à constituer la
composition cyclique, si elle n'était en outre exprimée, transmise k
l'aide de signes extériew^s (2) aisément reconnaissables. Ainsi, le véri-
table élément cyclique apparaît seulement dans la réalisation, lorsque
certains aspects rythmiques, mélodiques ou harmoniques rappellent,
dans l'une des pièces constitutives de l'œuvre, la présence d'un thème
appartenant originairement à une autre pièce de la même œuvre.
La fonction conductrice ou unifiante des motifs ou des thèmes cycli-
ques, communs à plusieurs mouvements d'une même composition s3'-m-
phonique, ne doit pas être confondue avec le rôle des idées musicales
(i) Charles Lévcque: La Science du Beau,
(a) Voir I" liv,, Introd., p. 9 et 10.
ÉLÉMENTS CONSTITUTK'S 379
dans les expositions et les développements d'un seul et même morceau
de l'un des quatre types fondamentaux (S. L. M. R.; : il ne s'agit plus,
en effet, d'examiner, comme nous l'avons fait précédemment (p. 234 et
suiv.), l'élaboration d'iuie seule idée musicale à l'aide de plusiews cel-
lules ou périodes, mais la formation de plusieurs idées musicales gar-
dant le caractère propre à chacun des mouvements où elles s'exposent,
et pourtant issues d'une seule et même cellule ou d'une seule et même
période génératrice. De telles métamorphoses thématiques diffèrent
aussi, dans la plupart des cas, du développement organique (voir ci-des-
sus, p. 242 et suiv.) consistant à faire agir ou mouvoir un thème pré-
exposé, à l'amplifier, à l'éliminer ou à le combiner avec d'autres : les
mêmes mo3^ens ne suffisent pas, en général, pour donner au thème ou
au motif C3xlique l'aptitude à circuler dans des pièces de caractère dif-
férent, tout en demeurant reconnaissabje. Cette opération, comme on
le verra au chapitre suivant, tient beaucoup plus de la variation que du
développement.
Comme tout phénomène musical, la modification cyclique d'un thème
porte nécessairement sur l'un ou l'autre de ses éléments constitutifs
(rythme, mélodie, harmonie), sinon sur plusieurs à la fois. Cette dis-
tinction élémentaire semble la meilleure pour analyser ici, à titre d'in-
dication, quelques spécimens de ces modifications dont l'inépuisable
variété défie toute tentative de classification complète.
Modifications rythmiques. — Chaque pièce constitutive d'une œuvre
cyclique affectant généralement un rythme propre, les transformations
de cette espèce sont de beaucoup les plus fréquentes. Nous en avons
rencontré plusieurs exemples déjà dans les Sonates de Beethoven (i) ;
mais, comme l'étude des éléments cycliques n'est pas limitée à cette
seule forme de composition, il convient ici d'opérer de la même ma-
nière que pour les idées musicales (voir ci-dessus, p. 2 36 et suiv.) et
d'élargir notablement le choix des œuvres contenant des exemples
typiques.
La Symphonie Pastorale, op. 68, contientune application plus appa-
rente et sans doute plus consciente des modifications rythmiques appor-
tées à divers dessins destinés à établir, entre le mouvement initial et
le finale, un lien cyclique indéniable.
On connaît déjà (2) la modification agogique, c'est-à-dire rythmique,
subie par le dessin des instruments à vent à la fin de la première expo-
sition, lorsqu'il reparaît, à la clarinette, dans l'introduction du finale :
(i) Voir notamment lesop. i3, 3i n» 3, 67, 8r, 106, 1 10, dont les analyses ont été faites
dans la section historique du précédent chapitre (p. 333, 34?, 347, 353, 363 et 366.)
{2) Voir I" liv., p. 124.
38o
LA SONATE CYCLIQUE
Ali"
Flùte Û I ,,
f£
Xlar.
^m
•^ dolc
I
i
Seul, le rythme diffère ; mais ce rythme nouveau et moins calme du
finale ne tardera pas à engendrer une idée nouvelle, totalement distincte
de la phrase du mouvement initial, à laquelle elle emprunte pourtant
le rythme et le dessin de sa cellule primitive :
violon
Dans la même Symphonie, le motif qui caractérise l'entrée de la
seconde idée dans le mouvement initial exerce une influence cyclique
sur la seconde idée du finale, par une modification principalement ryth-
mique ;
Violon
Violon
mais ce rappel du premier mouvement, au lieu d'être le point de départ
d'une nouvelle mélodie, apparaît ici plutôt comme un aboutissement:
<
-O
-4>
1^
I dessin cycl ique
^^^^^^^
^
iîflDJ^D
TWf
f
/
Ni l'une ni l'autre des deux transformations rythmiquesque nous venons
de citer n'ont, à proprement parler, le caractère de développement : il
est à peine utile d'en faire l'observation, tant est différent ici l'emploi
du motif cyclique.
Le Quintette de César Franck offre un exemple remarquable d'unité
cyclique, obtenue à l'aide d'un thème unique dont le rythme seul se mo-
difie dans chacune des trois pièces constitutives de Toeuvre, tandis que
ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
381
sa ligne mélodique et ses harmonies très spéciales subsistent immua-
blement (i).
Dans VAlleg-ro initial, cette plainte, tantôt mystérieuse, tantôt vio-
lente, apparaît pour la première fois au piano sous deux aspects ryth-
miques différents, avant de prendre part à la lutte dramatique des au
très thèmes :
Allecro ^.^^
AIlCLTO
1-, r'^ Ug'.>i» ' m-
y* molli
^:::^fHf-^ZÎ
etc.
Dans la pièce lente, elle semble planer seulement sous une forme
rythmique plus alanguie et en quelque sorte éloignée par sa tonalité :
Lenlo con molto senfimento
0... Éi^ë
Piano
■0- ^ I ♦•■ ■»■<:
r^
Dans le finale, elle se fait entendre d'abord avec le même rythme et
(i) Ainsi qu'on le démontrera dans la Seconde Partiedu présent Livre»cn étudiant spécia-
lement le Quintette de Franck, ce thème cyclique offre une particularité remarquable que
nous tenons à signaler : les deux membres de phrases qui le constituent sont l'inversion à
peu près exacte l'un de l'autre. Les quatre tuestires du premier membre, citées ci-dessus,
contiennent donc tout le thème: il suffît de rtf^jvers^rle sens de leurs intervalles pour donner
naissance mclodiquement au second membre de phrase.
38a
LA SONATE CYCLIQUE
la même tonalité que dans la pièce lente, mais l'expression est tout à
fait différente :
Ai^non troppo
VioM
Bientôt le calme disparaît ; la voix plaintive se fait plus forte en
retrouvant le ton principal : elle se rapproche, et ses appels désespérés
retentissent encore au-dessus de l'éclatante péroraison.
La IIP Symphonie de C. Saint-Saëns, op. 78, en w/, est également
construite sur un dessin unique qui affecte trois aspects rythmiques
principaux :
All°mod'
V.o..n_|L^,i., .JjJji".ljjJJJ|JJJ|tJJ|,JJ
Violon
P
All°mod^°
A 11^'
Mais c'est surtout au point de vue mélodique que cette œuvre contient
des exemples de transformations intéressantes, ainsi qu'on va le voir
ci-après.
Modifications mélodiques. — Il est à peu près impossible de délimiter
exactement ce qui appartient au domaine purement mélodique dans
les modifications subies par un thème cyclique : dans l'exemple de
Beethoven, précédemment cité (p. 38o), les rythmes transformés
engendraient de véritables mélodies nouvelles, et de tels effets rythmo-
mélodiques sont, en matière de thèmes cycliques, extrêmement fré-
quents. Dans certains cas, cependant, la modiûcation mélodique prépon-
dérante peut être considérée en elle-même et isolément. La même Sym-
phonie de Saint-Saëns, op. 78, citée ci-dessus, en contient un exemple
assez caractéristique dans le thème qui constitue le trio du Scherzo, où
ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
1«1
i] est exposé pour la première fois sous cette forme, dont la parenté
avec la phrase principale du mouvement lent est assez nette :
Presto
Tr.„b. 'J'-Lh^ li .1. I J. I i-jJ'J.
Violon
Poco
adaeio
/^
-6>-^
y^
@ />. ^
7?-.
m
T.
La superposition de ces deux thèmes montre bien que leurs éléments
mélodiques sont semblables : mêmes intervalles entre les tj^ois notes
initiales {la\> , 5/b, ré\>)\ mêmes notes extrêmes au grave {si\>) et à
l'aigu (w/t),ya) dans les mesures suivantes. Les points les plus apparents
des deux mélodies sont identiques, mais leur fonction tonale diffère,
puisque le thème du Scher;;^o part de sa tonique, tandis que celui de
l'Adagio part de sa dominante.
Dans le finale, ce mèmet hème, changé de rythme, donne naissance
à une nouvelle mélodie, où l'on retrouve les éléments principaux du
dessin initial du Sclie)^:{0 :
Maestoso
Violon
Violon
et ce dernier dessin relié mélodiquement au grand Choral Maestoso,
comme on vient de le voir, procède également du thème initial (cité
ci-contre, p. 882), en sorte que tous les éléments mélodiques de la Sjmi-
phonie sont implicitement contenus dans les quatre notes de hautbois
du début :
H.iutbui-
Vidlon
Ada;jio
m
AH" moderato
^^-^ J J I n~rT
^^ ,,r f * * f r i
M- l-JJ- J •' J J-J J JJ^i' '■
/
,84
LA SONATE CYCLIQUE
Cet exemple d'un thème unique, qui circule dans toutes les parties
d'une œuvre musicale, donne une idée des immenses ressources qu'ap-
porte à l'art de la composition l'emploi des modifications d'ordre mélo-
dique.
Richard Wagner semble avoir pousse jusqu'à ses extrêmes limites
cette conception véritablement cyclique des thèmes dont il se sert pour
signifier les sentiments éprouvés par les personnages de ses drames : le
Ring des Nibehingen, légende de Vanneau^ cycle do. poèmes épiques et
mythologiques, en offre un spécimen des plus frappants. S'il est un
thème cyclique dans toute la force du terme, c'est assurément la mé-
lodie initiale (Z7r Mélodie) qui s'expose, dès les premières mesures du
Rheingold, sous les deux aspects suivants, l'un harmonique et l'autre
mélodique ;
^
ï
^ F
^B^
^
t=^
Ê
^
Ce thème, par lequel Wagner a voulu représenter une impression de
nature primordiale, aquatique et féconde, contient effectivement le
germe de tous ceux qui ont quelque importance dans la Tétralogie.
Par exemple :
i" l'arpège rayonnant qui apparaît avec l'or dont il symbolise, en
quelque sorte, la pureté originelle :
3S
i^^gtfj^
2* la forme inverse et mineure du même arpège appliquée à la malé-
diction de l'or, désormais souillé par la cupidité et le vol :
')^' ttr I r f f I r . . jB
3* une autre disposition majeure du même thème, contrastant avec
la précédente et signifiant la noblesse héroïque de celui par qui sera
rachetée cette malédiction de ror(i) :
(i) Nous avons déjà fait connaître (I" liv., Introd., p. 12) ce qu'il Taut penser des fâcheu-
ses nomenclaiures où ce' thème est qualifié « thème de l'épée», et des commentateurs, plus
ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
385
w^^
S3
m
4''le rythme guerrier des messagères divines chevauchant dans l'es-
pace :
5" enfin, la période mélodique complète où l'on retrouve le thème pri-
înordial de tout le cycle, personnifié dans le héros prédestiné :
^2p
^
E
-*-=-^
:3csnr
:;tzt
En étudiant ultérieurement les autres oeuvres de Wagner, dans le
Troisième- Livre de ce Cours, on y rencontrera les plus admirables
exemples de transformations rythmiques et surtout mélodiques. Car le
thème cyclique, dans le domaine symphonique, et le motif conducteiir
[Leit Motif), dans l'ordre dramatique, sont en définitive une seule et
même chose. Les lois différentes de la Symphonie et du Drame modifient
l'emploi qui doit être fait des uns et des autres dans la musique,
comme ces mêmes lois affectent différemment l'ordre et la distance des
modulations : nous l'avons observé précédemment (p. 24 3); mais cette
adaptation d'un même thème à des formes expressives variables à l'in-
fini, demeure le principe fécond de toute œuvre véritablement composée.
Modifications harmoniques. — L'élément harmonique étant très pos-
térieur aux deux autres dans l'art musical, son emploi dans le domaine
cyclique est resté jusqu'à présent assez limité. La transposition, la mo-
dulation et l'altération semblent résumer tout l'effort accompli depuis
ces derniers siècles dans le sens harmonique ou tonal : harmonie et
tonalité peuvent apporter cependant à la construction cyclique d'utiles
fâcheux encore, qui croient rendre service à l'auteur en expliquant comirent ce thème
représente une épée ! On ne saurait trop répéter qu'une conception aussi grossièrement
enfantine de la signitication expressive des thèmes musicaux ne doit, en aucune manièie,
être imputée à une intelligence aussi profonde et surtout aussi méthodique que celle de
Richard Wagner. Une fois pour toutes, la musique ne représente pas un objet : elle évoque ou
exprime des sentiments de l'àme. Et si tel objet, comme une épée, est lui même représentatif
de tel sentiment, au môme titre qu'un mot, un geste ou une attitude, ia musique est en
dehors et au-dessus de ces représentations matérielles, car elle atteint précisément ce qu'il
y a en nous de plus immatériel et de plus noble : l'àme,
COLRS DI COMPOSITION. — T. U, i. 3)
386 LA SONATE CYCLIQUE
ressources ; il convient d'en signaler ici quelques trop rares applica-
tions.
La fonction tonale des degrés principaux d'un thème cyclique peut
être modifiée sans atteindre la substance même de ce thème : on en a
vu des exemples rudimentaires à propos de la réponse tonale dans la
Fugue (p. 39). Dans la Symphonie de Saint-Saëns, précédemment
citée, on a pu constater aussi une mutation de \a fonction harmonique
des mêtnes notes, appartenant à <i^wAr formes mélodiques issues l'une de
l'autre: le trio du Scherio et le motif initial du mouvement lent (voir
ci-dessus, p. 383).
La Sonate pour piano et violon de César Franck, qui sera analysée
plus complètement ci-après (p. 423 et suiv.), contient aussi une modi-
fication harmonique analogue : le thème du finale est beaucoup plus
proche qu'on ne le croit communément de celui du mouvement initial ;
leurs mélodies et même leurs rythmes sont assez peu dissemblables
dans les premières mesures, mais le premier s'expose en fonction de
dominante et le dernier en fonction de tonique. Ces deux formes du même
dessin cyclique, entre lesquelles se meut la Sonate tout entière, occu-
pent donc respectivement la situation de la réponse par rapport au
sujet dans une contre-exposition formant cadence conclusive :
Rrpoin
S n i e t
'LAi T. ,
-pfw
1 fe 11.1 1k
0 r 1
1
àq
1
1).
■ Otliuie
N
? -0 —
•
^
-1 —
M— ^
etc.
Admirable réalisation cyclique de l'équilibre tonal fondé, en défini-
tive, sur les lois immuables de la cadence.
Enfin, la tonalité elle-même est susceptible de coopérer à l'unité
cyclique d'une oeuvre, tout autrement que par l'emploi traditionnel de
la même tonique pour la pièce initiale et la pièce finale de la même
composition : les réapparitions successives d'une même tonalité très
différente du ton principal au cours des différents mouvements consti-
tuant le cycle, ont été déjà signalées plusieurs fois (par exemple soLp-
FA s dans l'op. 1 06, en si i>, de Beethoven, p. 279 et 362) ; l'adaptation rai-
sonnée et constante de tel ton déterminé à tel personnage ou à tel sen-
timent (le ton de ré affecté à l'idée de mort, dans Parsifal de R. Wa-
gner, par exemple) fera l'objet d'études spéciales, à propos de la musique
dramatique, dans le Troisième Livre du présent Cours ; mais il y a un
ÉLÉMKNTS C(J.NSTITUT1FS ,87
emploi plus particulièrement cyclique des enchaînements de tonalités,
qui a sa place marquée dans l'analyse de la construction symphonique
dont nous nous occupons présentement. Il appartient en propre à César
Franck : dans plusieurs de ses œuvres et notamment dans le Quintette
dont nous avons examiné déjà le thème cyclique ''p. 38.'), certaines
tonalités agissent d'une façon continue sur les modulations importantes
des développements. Les trois mouvements consécutifs de ce Quin-
tette obéissent à une progression tonale constante ayant pour point de
départ la tonalité d'origine [fa) et pour aboutissement la tonalité finale
plus claire (fa). La plupart des modulations employées appartiennent
par leur parenté plus ou moins directe, tantôt à la famille de fa, comme
la i> et RÉ b dans le mouvement initial, tantôt à celle de fa, comme fa c
dans le finale.
L'emploi des unes et des autres est ordonné de telle sorte que l'in-
fluence de fa reste prépondérante dans le mouvement initial. La
pièce lente centrale est placée dans la tonalité intermédiaire de la,
reliée par sa tierce [ut) et par son mode mineur au ton de départ,
et par sa tonique [la) au ton d'arrivée. Le finale, au contraire, voit
apparaître des tonalités toujours plus proches de fa et du mode
majeur où s'achèvera la géniale péroraison. Ainsi, les modulations
de chaque pièce sont soumises non seulement à l'ordre de structure
propre à chacune d'elles, mais en outre à un ordre supérieur, véri-
table îythtne cyclique qui règle leur enchaînement d'un bout à l'autre
de l'œuvre.
Cette unification de la hiérarchie tonale dans les compositions sym-
phoniques de vastes proportions permet d'entrevoir dans l'avenir bien
d'autres applications, à peine pressenties parles premiers auteurs des
Sonates cycliques. Déjà d'intéressantes tentatives ont été faites en ce
sens : leur étude ne peut prendre place dans cet ouvrage.
Pas plus dans l'ordre harmonique et tonal que dans l'ordre mélo-
dique ou rythmique, il n'était possible de donner ici autre chose que
de simples indications; la modification cyclique des thèmes atteint, en
effet, ce qu'il y a de plus subtil, de plus intime et de plus personnel
dans l'art de la composition : l'élaboration des idées elles-mêmes. Ce
travail patient et consciencieux dans lequel se résume l'eflort inventif
du musicien ne saurait être astreint à des limites exactes, ni enclos dans
un cadre absolument fixe. Tout au plus pouvait-on montrer ici, par
quelques exemples méthodiquement présentés, comment ont procédé
les plus grands génies dans cette opération nécessaire et complexe de
la transformatioji thématique, sur laquelle nous reviendrons encore
dans le chapitre suivant à propos de la Variation.
388 LA SONATE CYCLIQUE
HISTORIQUE
3. — ÉTATS DIVERS DE LA SONATE A PARTIR DE BEETHOVEN
La construction cyclique^ dont on vient d'énoncer sommairement les
éléments et les principes généraux, ne pouvait manquer de réagir pro-
fondément, non seulement sur la forme Sonate à propos de laquelle
nous avons fait cet exposé très incomplet, mais encore sur toutes
les formes instrumentales de la Troisième Époque, dont la Sonate est
le prototype. Les effets de cette véritable rénovation ne peuvent donc
être historiquement constatés et examinés qu'avec l'étude de chacune de
ces formes, au fur et à mesure de leur apparition et de leur perfection-
nement. La plupart des compositions s3^mphoniques, qui subirent tour
à tour la réaction cyclique, comportent la connaissance préalable de
l'orchestre et feront l'objet de la Seconde Partie du présent Livre ;
aussi, les observations d'ordre cyclique qui s'y rattachent seront-elles
énoncées à propos de chacune de ces formes. Nous ne retiendrons ici
que les effets subis par la forme Sonate, depuis les premières tenta-
tives de construction cyclique faites par Beethoven,
Quelques extraits déjà cités des jugements portés de son vivant sur
certaines Sonates appartenant à la « troisième manière » du maître (i)
donnent à penser que son dernier style fut de moins en moins compris, à
mesure qu'il approchait davantage de la forme cyclique, telle que nous
pouvons la concevoir depuis César Franck. La critique n'est-elle point
allée parfois même jusqu'à tourner en ridicule les rappels thématiques
devenus plus fréquents dans les œuvres les plus mûries et les mieux
ordonnées du maître de Bonn ? comme s'il avait paru nécessaire de dis-
créditer à l'avance les tentatives qu'on essaierait encore de faire dans le
sens de cette unité synthétique, si justement admirée de nos jours chez
les meilleurs musiciens 1
Quoi qu'il en soit, ce résultat fut obtenu : incompréhension des uns,
ignorance des autres, provoquèrent dans la Sonate, au temps de Beetho-
ven et même après lui, une stagnation presque totale de la forme. Cepen-
dant, les principes méconnus de la construction cyclique ne devaient pas
tarder à agir de nouveau au fond des consciences musicales, le jour où
quelque génie saurait en tirer une puissance capable de lutter victorieu-
sement contre la désagrégation imminente de la Sonate. Cette forme
semble avoir été entraînée ainsi, depuis les premiers essais de rénovation
(i) Voir notamment 1 appréciation que nous avons citée ci-dessus (note 2, p. 372). à
propos des deux Sonates pour violoncelle, op. 102 (i8i5). On verra par la suite que la IX*
bymphonie devait être traitée bien plus sévèrement encore.
LA SONATE DEPUIS BEETHOVEN -?«9
cyclique Jusqu'à nos jours, par deux courants opposés, tendant, d'une
part à la dissociation de ses éléments et, de l'autre, à leur union intime
et de plus en plus cohérente : chacune de ces deux tendances doit faire
ici l'objet de quelques observations, d'ordre technique et historique tout
à la fois, pour expliquer la raison d'être du présent chapitre et des divi-
sions qui vont suivre.
Stagnation et désagrégation fantaisiste de la forme Sonate. — L'incom-
préhension du rôle cyclique des thèmes et des tonalités enleva rapide-
ment à la forme Sonate la plus grande partie de son intérêt. Seul, le
cadre apparent et purement extérieur subsistait : l'ordre des mouve-
ments, la vague division ternaire de certains d'entre eux, sont les seuls
vestiges appréciables que l'on retrouve dans la plupart des oeuvres inti-
tulées Sonates par les contemporains et les successeurs immédiats de
Beethoven. Ainsi, l'ignorance et la vanité ne tardent point à réduire
cette belle et noble forme à l'état de vulgaires imitations, voire même
d\iirs variés... et de quelle façon !
La tradition se perd ; la routine triomphe ; et l'on constate une fois
de plus que la lettre tue l'esprit.
Cependant, l'enthousiasme pour les nouvelles doctrines du Roman-
tisme révolutionnaire s'étend jusqu'à la musique elle-même. D'exquis
compositeurs, aussi bien doués que mal instruits, s'essaient encore,
mais de plus en plus rarement, dans la vieille forme Sonate. Certes,
leur goût, leur invention, leur génie même se révèle en plus d'une page
émouvante ; mais, par suite de circonstances souvent indépendantes de
leur bonne volonté, leurs connaissances techniques en matière de
composition sont des plus restreintes : ils ne savent pas construire ; et
cette infériorité a condamné de tout temps les artistes, même les plus
délicats, à agir comme de véritables appareils enregistreurs et à tra-
duire, vaille que vaille, leurs fugitives impressions. Les meilleurs
d'entre eux n'ont guère accru les ressources de l'art qu'au point de vue
instrumental, et surtout en ce qui concerne le piano.
Un seul, Mendelssohn, possédait, au plus haut degré, le savoir
nécessaire ; malheureusement, le génie était absent, en sorte que ses
oeuvres sont toutes écrites dans un style très pur... mais parfaitement
conventionnel, sinon inexpressif.
Toutefois, ce que la Sonate avait momentanément perdu par suite de
cette méconnaissance coupable du passé, le culte outré de la Nature
cherchait à le lui rendre dans le genre descriptif. Sous Tinliuence de
la mode, les compositions instrumentales recevaient, en elTet, un con-
tingent peu désirable de titres pittoresques ou prétendus tels ; et ces
titres ayant réagi bientôt sur la musique, on vit apparaître une foule
390 LA SONATE CYCLIQUE
d'œuvres intentionnellement fantaisistes, mais heureusement sauve-
gardées par la forte armature de la forme Sonate, la seule que
connussent encore vaguement les « musiciens libres » appartenant
à cette période. Aussi, les meilleurs Romantiques, ceux qui sont
encore des musiciens, subissent-ils cette saine influence et continuent-
ils à construire, à leur propre insu bien souvent, des pièces pit-
toresques oij Ton reconnaît assez aisément quelque bon Lied en
trois sections, quelque vieux Rondeau, Scher:{0 ou Menuet^ voire
une exposition à deux idées... Mais toute notion du développement
est à peu près perdue, et nul ne sait plus l'importance de l'ordre
tonal dans cette partie intégrante de toute pièce instrumentale bien
équilibrée.
Ces pièces isolées, issues pour la plupart de cette sorte de démem-
brement de la forme Sonate, « éclatée en morceaux », là dû elle ne fut
pas conservée par la cohésion cyclique, ne sauraient trouver place dans
cette partie du Cours de Composition. Leur forme ne nous apprend
rien : ce sont plutôt leurs déformations dont les causes doivent inté-
resser le musicien. Et comme ces causes proviennent presque toujours
d'une idée poétique ou littéraire, donc extra-musicale^ ces pièces dites
libres, et souvent inclassables, figureront plus avantageusement à
titre d'annexés du Poème Sjmiphonique et de la Fantaisie, dans la
Seconde Partie du présent Livre.
De cette désagrégation accidentelle de la forme Sonate, nous ne
retiendrons ici que la Sonate amoindrie et desséchée, telle qu'elle
apparaît chronologiquement à cette place, bien qu'elle ait été jusqu'à la
fin du xix* siècle, en Allemagne surtout, la moins cyclique de toutes,
assurément. Après Beethoven et les Romantiques, en effet, la Sonate
allemande ne réalise plus aucun progrès : elle suit aveuglément les
traces de Mendeissohn, mais avec une connaissance moindre des
principes de construction ; et la prétention beethovénienne y remplace
désavantageusement la véritable compréhension des enseignements
laissés par le maître.
Avant d'arriver à l'Ecole Française contemporaine, la seule qui puisse
vraiment se réclamer des principes de construction cyclique pressentis
par le génial auteur de la Pathétique^ il était nécessaire de faire ici une
place à ceux qui ne subirent jamais son influence : ce fait même les
excluait du chapitre consacré à Beethoven.
Concentration de la forme Sonate dans l'unité cyclique. — Déjà, la
restriction du nombre des mouvements différents dans les dernières
Sonates de Beethoven avait fait présager ce phénomène de concentra-
tion. L'usage des thèmes cycliques, resserrant de plus en plus les liens
LA SONATE DEPL'IS BEETHOVEN -591
qui unissaient les parties constitutives de la Sonate, devait en accroître
«ncore la cohésion. Et si Ton observe que quinze années à peine sépa-
rent la. deruière œuvre cyclique beethovénienne (1826) de la première
<:euvre cyclique de César PYanck (1S41}, la filiation musicale très
authentique de l'un à l'autre cessera d'être accueillie comme une
complaisante hypothèse. Il est même surprenant qu'une interruption
aussi brève entre l'apparition de deux œuvres qui sont manifestement
continuatrices l'une de l'autre, ait passé inaperçue. Il n'est pourtant
pas douteux que le dernier Quatuor écrit par Beethoven fût connu et
compris de Franck lorsqu'il écrivit ses premiers Trios. Et, si nous
retrouvons au milieu des inexpériences juvéniles de ceux-ci les prin-
cipes de construction observés dans celui-là, le hasard ou l'hypothèse
n'y sont assurément pour rien. Ces mêmes principes, perfectionnés
par un magistral emploi des dessins et thèmes cycliques, devaient
apparaître avec toute leur force dans l'inoubliable Sonate pour piano
et violon que nous analyserons ci-après (p. 428 et suiv.), et rayonner
de là dans une foule d'autres œuvres.
Avec Franck, génial continuateur français (i) de l'immortel sympho-
niste allemand, commence une période nouvelle et exclusivement fran-
çaise jusqu'à présent. La valeur et la force des meilleures œuvres
appartenant à cette période reposent sur toutes les innovations beetho-
véniennes et sur la construction cyclique enfin comprise et réalisée.
Sous cette influence bienfaisante, la traditionnelle forme Sonate a
déjà reconquis, dans notre pays tout au moins, une vitalité et une
jeunesse vraiment surprenantes après un demi-siècle de décadence et
d'oubli.
L'histoire de la Sonate depuis Beethoven comprendra donc trois
périodes, au cours desquelles on pourra suivre les effets des deux cou-
rants opposés que nous venons de signaler. De ces trois périodes, la
dernière seule, et dans la seule Ecole Française, a gardé le caractère
cyclique par lequel se sont accomplis les principaux progrès de cette
forme de composition : il sera fait ici, pour cette raison, une importante
subdivision dans l'histoire de la dernière période :
Première période : les Contemporains de Beethoven (§ 41 ;
Deuxième période : les Romantiques (§ 5) ;
Troisième période : les Allemands modernes (§ 6) ;
— les Français : la Sonate cyclique (§ 7).
(i) On verra ci-après (p. 422), par une brève notice biographique sur César Franck qu'il
fut réellement et exclusivement francati
193
LA SONATE CYCLIQUE
4. — LES CONTEMPORAINS DE BEETHOVEN
Muzio Clementi 1752 f
Johann Ladislaus Dussek 1761 -j-
Daniel Steibelt 1765 t
Johann Baptist Cramer 1771 "f
Johann Woelfl (ou Wolffl) 1772 f
Johann Nepomuk Hummel 1778 f
John Field 7 . . . 1782 -|-
Ferdinand Ries 1784 f
Friedrich Wilhelm Michael Kalkbrenner. . 1788 f
Ignaz Moscheles 1794 i*
832
812
823
858
812
837
837
838
849
870
De ces dix compositeurs, le premier et les cinq derniers, seuls^
connurent Beethoven et furent même plus ou moins mêlés à sa vie :
ils subirent nettement son ascendant et, à l'exception de Clementi qui
avait tout au moins une personnalité de quelque valeur, ils ne réussirent
à produire que des pastiches beethovéniens, sans intérêt ni portée
artistique d'aucune sorte.
Quant à Dussek, Steibelt, Cramer et Woelfl, ils semblent n'avoir
jamais connu, ni même voulu connaître l'auteur de la Pathétique :
leurs œuvres sont des succédanées de celles de Haydn et de Mozart,,
avec un peu plus de virtuosité pianistique, mais infiniment moins de
qualités musicales.
Muzio CLEMENTI, beaucoup plus âgé que Beethoven, auquel il sur-
vécut quatre années, doit à cette longue existence la particularité assez
spéciale d'avoir influencé les premières compositions instrumentales du
jeune maître, dont il subit à son tour Tinfluence, à la fin de sa vie. Né à
Rome, Clementi s'établit très jeune en Angleterre, où il eut l'occasion
d'entendre et d'étudier les oeuvres des Bach, des Scarlatti et de Para-
dies : il acquit de la sorte une éducation musicale bien supérieure à
celle qu'il eût pu recevoir dans les conservatoires de son pays natal.
Après avoir été claveciniste à l'Opéra italien de Londres, il se mit à
voyager pour continuer sa carrière de virtuose, et eut même l'occasion
de se mesurer avec Mozart, dans un mémorable concours qui eut lieu
à Vienne, en décembre 1781, devant l'empereur Joseph II. Clementi
sortit avec avantage de cette épreuve et, après maintes tournées triom-
phales, il revint se fixer à Londres. 11 y resta jusqu'à sa mort, et c'est
là qu'il écrivit la plupart de ses compositions, parmi lesquelles les
LES CONTEMPORAINS DE BEETHOVEN 393
célèbres Etudes intitulées Gradus ad Parriassum que les pianistes vir-
tuoses d'aujourd'hui jugent encore utiles à Jeur perfectionnement.
Beethoven, qui avait beaucoup joué les œuvres de Clementi, adopta
dans ses premières Sonates pour piano des dispositions d'écriture tout
à fait analogues; par contre, une indéniable préoccupation du style
beethovénien se retrouve chez Clementi, dans les Sonates qu'il com-
posa entre 1820 et 1822.
Les Sonates de Clementi atteignent le nombre de cent dix, dont
quarante-six pour piano et violon, et soixante-quatre pour piano seul:
nous ne signalerons, parmi ces dernières, que les plus remarquables.
Les trois Sonates, op. 2, en deux mouvements, sont les premières de
toutes; elles ont été publiées en 1770, année de la naissance de Bee-
thoven.
Dans l'op, 9, la troisième Sonate (i) contient une seconde idée appa-
rentée de très près au thème du finale de la Symphonie Héroique :
f-+f^ rriN^-J ^ iu 1J5
Les analogies thématiques avec certaines oeuvres de Beethoven l'op. Sy,
op. 22 et op. 109), deviennent assez fréquentes à partir de la 10' Sonate,
laquelle, ainsi que toutes les suivantes, est en /ro/5 mouvements.
Dans Top. 33 de Clementi (1801), on trouve des traits de piano abso-
lument identiques à certains passages du fameux Rondeau, r Aurore^ de
l'op. 53 de Beethoven.
Dans l'op. 34, la première Sonate débute par une superbe introduc-
tion et s'élève notablement au-dessus du niveau des précédentes.
Enfin, les trois dernières Sonates (op. 5o) sont, toutes trois, dignes
d être connues : celle qui porte le titre Didone abba>idonnata, Scena
tragica (i 821) est assurément très supérieure à celles de tous les com-
positeurs contemporains de Clementi, Beethoven excepté; c'est même
l'une des meilleures œuvres pour piano de l'époque. Cette sorte de
poème en forme Sonate est divisée en trois parties portant les indica-
tions suivantes :
1. Introdu^ione patctica. — Dcliberando e nicJilanJo.
2. Dolente.
3. Agitato e con disp.'rj^ione.
Johann Ladislaus DUSSEK, né à Tszasiau (Bohème), fut également
un pianiste virtuose très remarquable; il voyagea dans toute l'Europe
et occupa diverses positions : précepteur des enfants du gouverneur de
(i) Édition Brcitkopf et Hacrtcl, n* 6.
394
LA SONATE CYCLIQUE
La Haye, en 1782, il fut ensuite secrétaire du prince Louis de Prusse
qu'il suivit aux armées. En 1808, Talle3Tand le fit engager à Paris
comme second chef d'orchestre des théâtres impériaux; Dussek mou-
rut, quatre ans plus tard, à Saint-Germain.
Il avait écrit quatre-vingts Sonates pour piano et violon, cinquante-
trois pour piano seul et neuf pour piano à quatre mains. Il s'en faut
de beaucoup que ces Sonates aient la valeur de celles de Clementi:
elles portent au contraire la marque flagrante d'une instruction musi-
cale tout à fait médiocre et ont plutôt le caractère d'improvisations
inégalement réussies. Plusieurs d'entre elles sont des modèles d'incohé-
rence, et l'immense succès qu'elles remportèrent en leur temps ne peut
s'expliquer que par la virtuosité très spéciale qui s'y étale. On ne
pourrait sans ridicule remettre actuellement au jour de telles œuvres,
car la mode n'est plus à ce genre de difficultés ; mais est-il bien sur
que cette mode, à peine passée, n'ait pas été remplacée par une autre
sorte de pirtuosité, destinée à disparaître à son tour ?
La plus connue des Sonates de Dussek est intitulée Le Retour à
Paris, op. 70 (1). Un éditeur anglais, désirant opposer cette œuvre à
celle que Woelfl (voir ci-après, p. 396) avait modestement intitulée Non
plus ultra, lui donna, d'accord avec l'auteur, le titre encore plus mo-
deste de Plus ultra ! Il convient d'analyser cette inénarrable Sonate
en quatre mouvements (S. L. M. R.), afin de se rendre compte de ce
qu'était la mauvaise musique au début du xix' siècle.
1** Allegro non troppo, 0, en la b .
Exp. Th. A peu caractérisé, construit sur la T. et la SD., ce qui le rend
assez indécis ;
— Pont, en la. i>, où l'auteur cherche vainement à sortir de cette tonalité :
trois tentatives successives et également infructueuses l'ayant ramené
sur la tonique, il module inopinément, en cm^ mesures, à \d. dominante ;
— Th. B, en Ml b ; en dépit de l'indication con amore (transformée tnamo-
rosamente dans la réexp.), ce « thème » est un chef-d'œuvre de platitude
mélodique bien digne d'être cité... à ce titre tout au moins :
— Ici apparaît l'inévitable trait de piano, provenant du style Concerto
dont il sera question ultérieurement.
'I) Dans l'cdiiion Marmoniel-Heugel, ceut œuvre porte le û» 64 et dans i'édiiion angUiiC
le n* 71,
LES CONTEMPORAINS DE BEETHOVEN 395
Dév. qui contraste, par ses modulations des plus hétéroclites, avec Vexp.si
embarrassée pour s'éloigner de sa tonique: en cjuatre pages, on voit appa-
raître, sans rime ni raison, les tons de mi:>, fa, fa 3, LA, ré, si ?, RÈ7 et
fa marqué cette fois-ci par un brusque et impétueux arrêt sur sa domi-
nante... tout à coup, en deux mesures inefl'ablement naïves, la tonalité
principale est ramenée.
Réexp. tout à fait digne de ce qui précède.
2** Adagio en Ml, simple recueil de formules pianistiques.
y Minuetto en la t? (d'après les indications de la clé); mais le rôle de
cette tonalité est ici des plus infimes et n'apparaît guère qu'en fonction
de dominante : le début de cette pièce est en fa s et son trio est entiè-
rement en MI. Toutefois, ce Menuet vif, dans un style qui fait présager
certains Scherzos de Weber, est beaucoup plus intéressant que le reste
de l'œuvre.
4" Schet^:{0. Allegro con spirito. Malgré son titre, ce finale est un
Rondeau, sans le moindre intérêt musical d'ailleurs, et développé
tout à fait maladroitement. Il faut connaître le thème initial avec sa
« surprise » à la quatrième mesure, d'une délicieuse trivialité :
AH"co!i spirito
^P^
♦■*-*-
Daniel STEIBELT, Berlinois d'origine, se fixa, après une existence des
plus mouvementées, à Saint-Pétersbourg, où il mourut en qualité de
chef d'orchestre de l'Opéra français. Ses innombrables œuvres sont d'une
très faible valeur : outre plusieurs opéras, il écrivit soixante Sonates
pour piano et violon ainsi que des Sonates pour piano seul en très
grande quantité : on n'en connaît même pas le nombre total. Ce ne
sont, en général, que de véritables « pots-pourris » d'Airs variés, sur des
thèmes qui n'ont même pas le mérite d'être populaires. On y retrouve
surtout les Romances à la mode : l'op. ^o à lui seul n'en contient pas
moins de quatre ; l'op. 62 est fait sur l'air A body met a body, etc. La
plus réputée de toutes ces œuvres est une Sonate en Ml ?, datée de i8o3
et dédiée à M""* Buonaparte.
Johann Baptist CRAMER, né h Mannheim, habita Londres où il fut
l'élève de Clementi. Il est surtout célèbre par l'ouvrage intitulé Grosse
PianofortescJuile : les quatre-vingt-quatre Études connues des pianistes
constituent la \'' Partie de cet énorme recueil. Mais Cramer a laissé
396
LA SONATE CYCLIQUE
aussi cent cinq Sonates pour piano, consistant pour la plupart en suites
d\Airs variés sur des thèmes alors en vogue.
Joseph WOELFL (dont le nom est souvent écrit Wôlffl) ne doit guère
sa notoriété qu'au titre de « rival de Beethoven » qui lui fut décerné par les
admirateurs de la virtuosité, sans doute à la suite de bizarres concours
d'improvisation, où il se mesui^a avec l'auteur de la Pathétique. C'est
bien là en vérité une question de « mesure », car Woelfl avait reçu de
la nature des doigts d'une telle longueur qu'il pouvait compliquer sans
eftbrt ses « improvisations » de passages inexécutables pour tout autre ;
telle est sans doute la raison de ses succès.
La Sonate pour piano qu'il avait intitulée Non plus ultra., ce qui lui
valut la réplique de l'éditeur de Dussek que nous avons signalée ci-
dessus (p. 394), passait à cette époque pour le summum de la difficulté
(combien dépassé, depuis 1). Certains écarts de doigts, suggérés sans
doute à l'auteur par sa véritable difformité physique, sont en effet des
plus dangereux, en mouvement vif ;
Allegro
.t.^iÊ-Jl-£-£- •JLA*-^^
^
w
\etc,
Le finale de cette Sonate consiste en une série de variations sur le
thème de la romance Life let us cherish : comme Steibelt, Cramer et
d'autres encore, Woelfl transforme volontiers ses Sonates en « pots-pour-
ris » : on en compte vingt-deux pour piano et violon, trente-six pour
piano seul, une pour violoncelle et une pour flûte.
Sur la fin de sa vie, Woelfl, qui était de race israélite, s'occupa de
spéculations diverses : il mourut, complètement oublié, à Londres.
Johann Nepomuk HUMMEL, Hongrois, fut élève d'AIbrechtsberger et
de Salieri, à Vienne, où il connut Beethoven; en 1804, il succéda à
Haydn, en qualité de maître de chapelle du prince Esterhazy, et garda
cette fonction, toujours à titre provisoire. Jusqu'en 181 1. Après avoir
fait de nombreuses tournées comme virtuose, il devint maître de cha-
pelle à Weimar, où il mourut.
Les oeuvres de Hummel sont d'un style tout à fait semblable à celui de
Beethoven; leurs dispositions au point de vue de l'exécution sont même
meilleures, mais le génie en est totalement absent : les thèmes sont
inconsistants; ils débutent souvent d'une façon assez heureuse mélodi-
quement, mais ils ne tardent pas à se résoudre en simples traits^
surtout en traits de piano. Nous avons déjà constaté, chez Dussek et
LES CONTEMPORAINS DE BEETHOVEN 397
chez d'autres, une tendance analogue : cette intrusion du trait dans
la forme Sonate provient des usages du Concerto à solistes, dont nous
étudierons la forme et le style dans la Seconde Partie du présent Livre.
Une telle confusion de genres si différents ne pouvait avoir d'autre
résultat que d'abâtardir la belle forme Sonate, et nous verrons bientôt
que les meilleurs Romantiques, Schubert et Weber lui-même, ne
purent se soustraire complètement à cet effet désastreux.
On possède de Hummel huit Sonates pour piano et violon et six pour
p'iâno, son a deux mains, soit à quatre, soit même à trois! Les quatre
Sonates à deux mains sont les plus intéressantes (op. i3, en Mn, Sonate
de F Alléluia; op. 20, en fa, dédiée à Haydn ; op. 81, en fa r^, et op. 106,
en RÉ, datant de 1820).
John FIELD, né à Dublin, fut élève de Clementi et le suivit, d'abord à
Paris, puis à Saint-Pétersbourg où il s'établit et acquit bientôt une
grande renommée. Il écrivit quatre Sonates pour piano dans lesquelles
l'influence beethovénienne est manifeste. Ensuite il renonça à cette
forme et produisit des espèces de « miniatures musicales », à la manière
de celles qu'on intitula originairement Bagatelles, On doit aussi à Field
la « création » du genre Nocturne pour piano, qui fut depuis si répandu.
Ferdinand RIES naquit à Bonn, comme Beethoven, dont il fut même
le seul véritable élève pendant quatre ans, de 1 800 à 1804. Il écrivit une
biographie de son maître, en i838, et mourut à Francfort, où il était
directeur de la Cecilien Verein. Ries est l'auteur d'une Sonate pour vio-
loncelle et de vingt Sonates pour violon.
Friedrich Wilhelm Michael KALKBRENNER, élève du Conservatoire de
Paris, remporta de grands succès comme virtuose entre 1806 et 1814 ;
il voyagea ensuite pendant une dizaine d'années et revint se fixer, en
1824, à Paris, où il devint associé delà maison Pleyel.
En passant par l'Allemagne, il avait subi sans doute l'influence de
Beethoven : aussi écrivit-il treize Sonates pour piano (dont trois à quatre
mains) et quatre Sonates pour violon. Mais il ne tarda pas à se montrer
jaloux de l'auteur des neuf Symphonies, pour lequel il manifestait, à
tout propos et hors de propos, un fâcheux dédain (i). I! se borna des
lors à écrire, comme la plupart des virtuoses de son temps, des pièces
de piano « pour salon ».
Toutes les oeuvres de Kalkbrenner, sans exception, n'ont d'autre but
que de faire valoir, au détriment de la musique, l'agilité des doigts de
l'exécutant,
(i) Voir W. de Lcnz., op. cil.
39» LA SONATE CYCLIQUE
Ignaz MOSCHELES, né à Prague, travailla, ainsi que Hummel, avec
Albrechtsberger et Salieri, à Vienne, où il connut également Beethoven :
il devint même son ami et fut chargé par le maître de préparer la
transcription pour piano de Fidelio. Il s'établit à Londres en 182 1, puis
en 1846 à Leipzig, où il mourut. Il écrivit une Sonate caractéristique^
op. 27, une Sonate mélodique^ op. 49, et un grand Duo pour deux pia-
nos, en forme Sonate, op. 92, intitulé Hommage à Haendel.
5, — LES ROMANTIQUES.
Karl Maria Friedrich Ernst, baron von Weber. lySôf 1824
Franz Peter Schubert 1797 f 1828
Jakob LuDwiG Félix Mendelssohn-Bartholdy. . 1 809 f 1847
Frédéric-François Chopin 1 809 f 1849
Robert Schumann i8iot i856
Ces cinq compositeurs appartenant à la période romantique n'ont
donné à la forme Sonate aucun essor nouveau : par l'etfet de leur inap-
titude à la construction ou de leur simple indifférence, ils l'ont laissée
telle qu'elle avait été consacrée avant eux par Ha^'dn, Mozart et Beetho-
ven, se bornant à 3^ introduire cette exagération expressive qui caracté-
rise, dans tous les domaines, les productions du Romantisme. Ainsi,
cette époque, pourtant si féconde en tentatives nouvelles dans la litté-
rature et les arts plastiques, semble submerger peu à peu la belle forme
Sonate sous le flot chaque jour grossi des « morceaux romantiques »,
pièces fantaisistes et sans formes nettes, dont il sera question à propos
du genre descriptif et du Poème Symphonique dans la Seconde Partie
du présent Livre. Et c'est seulement à l'École Française contemporaine
qu'il était réservé d'accomplir la véritable rénovation cyclique de la
forme symphonique traditionnelle (voir ci-après, p. 422 et suiv.).
Karl Maria von WEBER naquit à Eutin, dans le duché d'Oldenbourg,
d'une famille de musiciens apparentée à la femme de Mozart, Konstanze
von Weber. Il s'occupa d'abord de lithographie et contribua beaucoup
à perfectionner les procédés que venait de découvrir Senefelder ; mais
il ne tarda pas à abandonner cet art pour la musique, qu'il étudia à
Vienne avec l'abbé Vogler. Après avoir occupé divers postes, notam-
ment à la cour de Wurtemberg, Weber fut nommé chef d'orchestre
du théâtre national à Prague, en i8i3 ; peu de temps après, en 18 16,
le roi de Saxe le chargea d'organiser à Dresde un Opéra allemand.
C'est donc principalement dans le Troisième Livre de cet ouvrage que
nous étudierons le rôle de Weber dans l'art musical dramatique : ses
LES ROMANTIQUES
œuvres de forme Sonate, qui sont beaucoup moins importantes, se
répartissent ainsi :
i" six Sonates progressives pour piano et violon, op. 22 ;
2" première Sonate pour piano seul, en UT^ op. 24 (1812) ;
3* deuxième Sonate pour piano seul, en la b, op. Sq (1816) ;
4" Duo concertant pour piano et clarinette, en Ml ?, op. 48 (1816) ;
5° troisième Sonate pour piano seul, en re, op. 49 (1816) ;
6° quatrième Sonate pour piano seul, en. m;, op. 70(1819-1822);
7° une Sonate pour piano à quatre mains.
Les quatre Sonates pour piano seul, que Spitta qualifie assez juste-
ment de « Fantaisies en forme Sonate », méritent d'être étudiées, non
pour leur construction, parfois très imparfaite, mais pour les trésors
d'invention que le génie si prime-sautier de Weber y dépense, afin de
suppléer, sans doute, à son inexpérience de l'architecture.
Cette fantaisie, souvent si séduisante, suffit amplement à alimenter
l'intérêt des expositions et réexpositions ; mais il n'en est malheureu-
sement pas de même dans les parties de développement, toujours défec-
tueuses.
On retrouve dans toutes ces œuvres, comme dans le Freisch'ùl\ et
dans Euyyanthe, l'influence du Romantisme allemand, se dressant
comme une perpétuelle protestation contre l'opéra italien et contre la
musique française, dont le goût s'était répandu simultanément dans la
plupart des Cours allemandes depuis la fin du xviii* siècle.
Chez Weber, le mouvement initial de la Sonate affecte presque tou-
jours un aspect dramatique et parfois même tragique. Le finale, au
contraire, redevient un simple divertissement, en général de forme Ron-
deau, sans s'élever jamais à la haute portée qu'avait su lui donner Bee-
thoven : de ce côté, il y a un véritable recul, comme si Weber avait
voulu plutôt se rapprocher du style de Haydn. Dans les pièces lentes, on
voit apparaître pour la première fois un procédé dont on a gravement
abusé depuis, et qui consiste à faire entendre un même thème avec
plusieurs harmonies différentes, en modifiant les « accords » employés
sans toucher aucunement à la mélodie.
Nous donnons ci-dessous le plan de chacune des quatre Sonates de
piano.
Première Sonate, op. 24, en vt. — Dédiée à la grande-duchesse
Maria Paulowna.
— Composée à Berlin, en 1812.
— En quatre mouvements S. L. W. R.) :
*o Allegro^ en i'i, de forme Sonate.
•loo LA SONATE CYCLIQUE
Exp. Th. A à la T.
— Pont et Th. B, très agogiques et ne se distinguant pas nette-
ment l'un de l'autre.
Dév. sans intentions précises et modulant à des tonalités assez mal
choisies, comme ré.
RÉExp. Th. A, en Ml b.
— Pont et Th. B à la T.
2" Andante, tviFA, construit comme un Lied simple.
{. Thème principal en F^.
II. Exposition de trois thèmes nouveaux en UT, ut et RÉ o.
III. Thème principal en F/4, réexposé quatre fois sur des harmonies dif-
férentes, avec une sorte de développement mélodique.
3° Minuetto, en m/, ayant la forme normale d'un Scherr^o.
4° Rondo en ut : le célèbre Motum perpetuum, sans autres particula-
rités que son rythme continu et son extrême rapidité.
Deuxième Sonate, op. Sg, en la^ . — Dédiée à Frantz Lanzka.
— Composée à Prague en i8i6.
■ — En quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1° Allegro fnoderaio, en la i>, de forme Sonate.
Exp. Th. A, en deux fragments {a' et a") n'offrant aucune espèce oe
parenté l'un avec l'autre.
— Pont agogique.
— Th. B, qui commence sur la D. de MI b et se décompose en deux
phrases: b', sans grand caractère mélodique, et b", purement
agogique, suivant l'usage du trait de Concerto. Tout ce thème B
se dégage difficilement du ton de LA [,.
Dév. qui contient une troisième idée G, assez éphémère, en fa, et vague-
ment analogue au fragment a".
RÉEXP. partielle des deux idées : le fragment a' est enchaîné au fragment
b" , sans que a" ni b' soient réexposés ; la conclusion contient
quelques éléments de b .
2" Andante en forme de grand Lied (LL), en ut, divisé en six sections
toujours terminées par des cadences conclusives donnant à chacune
d'elles l'aspect d'une véritable fin. Ce défaut de construction se
retrouve chez la plupart des compositeurs qui, comme Weber, savent
peu et mal développer leurs idées.
i I. Th. principal A, en ut, avec inflexion vers mi^.
< II. Th. accessoire B, composé de deux phrases : l'une b' , en ^fJ t>, reprise
' deux fois, et l'autre b" en forme de marche.
III. Th. princ. A, en UT.
IV. Phrase b", en UT.
V. Th. princ. A, en ui, avec des harmonies différentes modifiant sa
cadence au point de l'amener jusqu'à la tonalité de tni P.
VI. Th. accessoire [b et b") en ut.
LES ROMANTIQUES 4<^i
Les six sections de ce Lied se groupent deux à deux et constituent trois
grands compartiments tout à fait indépendants.
3** Mimietto, en la\>^ ayant la forme normale du Scherzo en rythmes
de deux mesures ; son /Wo, en ré p , est d'une allure rêveuse très spéciale
au style de Weber.
4° Rondo, en la \>, avec cinq reprises du refrain.
Troisième Sonate, op. 49, en ré.
— Composée à Berlin en 1816.
— En trois mouvements (S. L. R.) :
lo Allegro féroce, en ré, de forme Sonate.
Exp. Th. A court, en ré.
— Ponl en deux éléments (f et f").
— Th. B en trois éléments :
— — b , en Fà, phrase lied complète.
— — b", simple trait mélodique.
— — t**, conclusion par le fragment p" .
DÉv. en marche vers le ton de la.
— en repos par le fragment p , dans un style scolastique assez em-
barrassé.
RÉEip. Th. A en RÉ, combiné avec p" .
— Th. B{b', b", b'"), suivi d'une conclusion en RÉ.
2" Andante cou moto, en si t», de ïonnt grand Lted ILL) divisé en cinq
sections.
I. Th. principal suivi de deux variations et formant une triple exposition
en SI i> .
II. Elément mélodique nouveau, en marche vers sol.
ni. Th. princ en S/t>, en forme variée et avec un dév. har))iotiique.
IV. Autre élém. nouveau en A//t>.
V. Th. princ. en S/ b, avec conclusion.
3* Presto, en RÉ, formant Rondeau à trois refrains dont le dernier
fait entendre le thème du second couplet superposé à celui du refrain.
Quatrième Sonate, op. 71, en mi.
— Composée à Hostewitz, de 1819 à 1822, pendant que Weber pré-
parait Euryanthc.
— En quatre mouvements (S. M. L. R.) :
1° Moderato, en m/, de forme Sonate.
Exp. Th. A suivi d'un pont agogique (P), qui est assez maladroitement
relié à la seconde idée :
Th. B, en SOL, ramenant le th. A dans ce même ton, comme une
phrase complémentaire.
Dév. par les éléments de P., amenant une mélodie nouvelle en LA.
RÉEIP. Th. A, en ml
— Th. B, en mi, suivi de A, en Sti, comme complément.
— Pont en mi, amenant la conclusion.
CoUFi DI COMPOÏITION. — T. Il, I
36
4ca LA SONATE CYCLIQUE
2« Mimieito, en ;«/, sur un rythme de Scherzo (binaire), suivi d'un
trio en forme de valse allemande très caractéristique du génie populaire
de Weber. On trouve parfois dans Beethoven [trio du Scherzo de la
Sonate pour violon, op. 96, par exemple) des thèmes analogues.
3° Andante, en (/r, de forme grand Lied (LL) en cinq sections Le
thème est assez semblable à celui dont Weber s'est servi dans le Frei-
schïU'^ pour la ronde des jeunes filles.
/^''Finale. Tarentella, en a//, de forme Rondeau à rythme constant^
avec cinq refrains.
Cette dernière Sonate est la seule où l'on puisse voir une tentative
de renouvellement de la forme par le moyen de la combinaison des
deux thèmes (A et B) que nous avons signalée dans le mouvement
initial ; mais un essai aussi timide, de la part d'un auteur si peu habile
dans la construction, ne pouvait avoir aucune portée, et les charmantes
idées mélodiques de ses Sonates ne sauraient suffire à élever celles-ci au
rang des monuments de l'art.
Franz SCHUBERT était le fils d'un maître d'école de Lichtenthal,
près de Vienne. Ses études d'art furent des plus sommaires et sa car-
rière des plus simples, car il ne quitta pour ainsi dire jamais la ville de
Vienne. On peut le considérer comme le type du génie sans culture :
dans ses Lieder, où la fougue de l'inspiration pouvait suppléer au talent
architectural, il fut souvent incomparable ; mais toutes celles de ses
œuvres qui appartiennent aux formes où la nécessité du plan est impé-
rieuse sont très inégales, sinon tout à fait défectueuses.
Aussi étranger que Weber à tout principe de construction, il se laissa
conduire encore plus par sa fantaisie ; et ses compositions symphoni-
ques, pourtant nombreuses, n'offrent pour la plupart qu'un intérêt mé-
diocre, tant leur valeur est dépréciée par le manque absolu d'ordre, de
proportion et d'harmonie générale. On ne saurait trop déplorer chez
Schubert ce grave défaut de conscience artistique, qui l'entraîna à écrire
à tort et à travers, sans se soucier d'acquérir le talent nécessaire pour
mettre ses idées en œuvres (i) ; et c'est, hélas ! avec trop de raison
qu'on a pu dire de lui : « Schubert fut l'esclave de ses idées musicales
«t ne sut jamais en être le maître (2) ».
Vers la fin de sa vie, comprenant mieux sans doute les déplorables
lacunes de son instruction, il résolut d'étudier sérieusement l'art de la
composition et s'adressa dans ce but au célèbre théoricien Simon
Sechter(3) pour prendre avec lui régulièrement des leçons de contre-
(i) Voir I" liv., Introd., p, i 5, en note.
(2) J. S. Shedlock : The Pianoforte Sonata, p. 199 (Éd. Mathison, London, 1895).
(3) Simon Sechter (178S f 1867) publia en i853-54 un Traité de Composition d'après les
principes harmoniques de Rameau.
LES RCjMAMIQLES ^o-)
point: on était alors au commencement de l'année 1828, Schubert
mourut quelques mois après, sans avoir eu le temps d'apprendre enfm
à utiliser en de grandes œuvres les ressourcc's de son immense génie.
On connaît de lui, dans la forme Sonate :
1° trois Sonatines pour piano et violon (op. iSj) ;
2° trois Sonates pour piano à quatre mains (op. 3o, op. 40 et œuvre
pGs»^hume) ;
3° quinze Sonates pour piano seul.
La classification des œuvres de Schubert est des plus incertaines,
par suite du fâcheux mépris de l'auteur pour toute espèce de détails,
aussi bien dans l'exactitude des dates et la correction des textes, que
dans les numéros d'ordre ajoutés, le plus souvent, par les éditeurs.
Voici cependant la liste chronologique des Sonates pour piano seul :
i^deux Sonates : en mi et en <7r (181 5) ;
2° cinq Sonates : en la p, en mi et en si, op. 147 (i), en la, op. 164 (2)
et en 3/7 b, op. 122 (3) (18 17) ;
3** une Sonate en la, op. 143 (4) (i823) ;
4° quatre Sonates : en la, op. 120 (5), en la, op. 42 [6), dédiée à
l'archiduc Rodolphe, en i?É, op. 53 (7) et en sol, op. 78(1825-1826);
5" trois Sonates écrites en septembre 1828, trois mois avant la mort
de l'auteur, et publiées postérieurement : en ut (8), en la (9) et en5/rj (10).
Il est à remarquer que le ton de la majeur ou la mineur semble avoir
exercé sur Schubert une séduction particulière, puisque six de ces
quinze Sonates ont cette même tonique.
Les Sonates que nous signalons ci-après méritent d'être étudiées
tout autant pour leur débordante inspiration que pour leurs défauts
mêmes, souvent aussi instructifs.
La Sonate op. 147, en si, contient un charmant ScZ/tv-o en 50L.
La Sonate op. 164, en la^ oft're certaines particularités dans son
mouvement initial : le second thème y rappelle de très près celui du
finale dans Top. 81 de Beethoven, et toute la réexposition y est au ton
de la sous-dominante.
La Sonate, op. 143, est en /a également; son premier mouvement est
construit au rebours de tout bon sens, avec des idées musicales admi-
(i) Edition Pe'crs, n° 6.
(2) Ibid., n» 7.
(3) Ibid., n» 4.
(4) Ibid., n» 5.
(5) Ibid., n» :■!.
(6) Ibid., n- i.
(7) IbiJ., n» 2.
(8) Ibid., n» 8.
(g) Ibid., n» 9.
(lo) Ibid., n« 10.
^04 LA SONATE CYCLIQUE
rables en elles-mêmes ; mais ces qualités d'inspiration ne parviennent
pas à bannir l'impression d'ennui provenant de leur pitoyable emploi.
Dans la Sonate posthume en la, il faut noter le thème de YAndantino,
en fa ï, en raison de sa coupe rythmique spéciale par huit, dix, huit et
six mesures :
r\ iiuauiino
j 1^' période: 10 mesurai
^^^^^^
I r>^ période: 8 mesure
SS
lériodj
ni'^bures
^^
m
ïfë
après l'exposition de ce thème, on trouve dans le même morceau une
sorte de récitatif instrumental sans conclusion mélodique, du genre
de ceux que Liszt devait introduire plus tard dans ses œuvres avec un
véritable abus .
Nous avons réservé pour la fin la Sonate op. 42, en /a, car elle est
intéressante à tous les points de vue : seule peut-être parmi les Sonates
de Schubert, elle se distingue par la pureté de la forme tout autant que
par la qualité des idées.
Cette Sonate est en quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1° Moderato^ en la, de forme Sonate.
Exp. Th. A, véritable idée symphonique qui semble soutenir toute la
pièce, comme la clé de voûte d'un édifice : on la retrouve partout
et totijours d'une manière intéressante :
S)
W^^^
Zfli-.
p., dessin très rythmique servant de pont pour conduire à la seconde idée
i.ES ROMANTIQUFS
AO'i
— Th. B, en uT, dont chaque phrase se rapporte nettement à l'un Jcs
éléments constitutifs du morceau :
— — la phrase b rappelle le rythme du pont P. :
— — le dessin conclusif b'", tout à fait charmant, est encore emprunte
au rythme de P. :
f>^c".
la phrase b" reproduit le ih. A, à la ionique mineure, ut, de l'idée B
î'P
Dev. presque totalement constitué par le th. A ; ce développement ne se
perd point en redites inutiles comme ceux des autres Sonates : il
agit vraiment.
RÉExp. Th. A, qui oscille entre la et ut, sans s'imposer très fortement au
point de vue tonal.
— Pont affirmant nettement le ton principal après la réexposition de A .
cet artifice ne manque pas d'une certaine originalité.
— Th. B, aussi instable que le th. A, comme tonalité :
— — b' est en la.
— — b" est en LA.
_ — 1)1" débute en FA, avant d'aboutir à la et d'amener la conclusion
par de charmantes harmonies.
• 2" Andanle, en f/r, consistant en un thème écrit tout à fait dans le
style de Weber et suivi de six variations.
2° Scherio, en /a, sur des rythmes de f/;/i/ mesures, avec un trio poé-
tique et rêveur.
4» Allegro inrace, en /tr, de forme Fiondeau à aiialre refrains. Le thème
initial, dont les périodes se reproduisent de qualor\e en cjnator-{e mesures,
est un excellent exemple de rythmes coupés librement et sans carrure,
donnant à la mélodie un caractère haletant très spécial. Le second
thèfîie, formé de quatre, quatre et six mesures, a les mêmes qualités.
Ces mérites rythmiques, la valeur des idées et même leur disposition
spéciale, tout concourt donc à faire de cette Sonate, op. 42, une œuvre
de premier ordre qui devrait être mieux connue des musiciens ayant le
souci de leur art.
406 LA SONATE CYCLIQUE
Félix MENDELSSOHN-BARTHOLDY,filsdu banquier Israélite Abraham
Mendelssohn, de Berlin, naquit à Hambourg et fit preuve dès son jeune-
âge de réelles aptitudes musicales. Doué d'admirables facultés d'assi-
milation, il sut bientôt tout ce qu'il était possible de savoir en mu-
sique; mais l'esprit d'invention lui manqua presque totalement. Nous
constaterons dans le Troisième Livre de ce Cours, à propos de l'art
dramatique, que de telles qualités et de tels défauts sont extrêmement
répandus chez les Israélites: toujours habiles à s'approprier le savoir
des autres, ils ne sont presque jamais véritablement artistes par
nature.
Seul peut-être parmi les musiciens de sa race Mendelssohn eut le
mérite de savoir préférer la composition symphonique à la carrière
musicale dramatique, pourtant plus lucrative, vers laquelle se ruaient à
cette époque tant de juifs notoires. Car il avait su comprendre et
aimer l'œuvre du grand J.-S. Bach : il avait même été l'un des pre-
miers à la remettre en honneur et à la répandre. Après une carrière
de virtuose, il devint, en 1834, chef d'orchestre du Gen>andhaus de
Leipzig et fonda en 1843, avec la collaboration de Schumann et du
violoniste Ferdinand David, le célèbre Conservatoire de Leipzig, qui
devait contribuer si efficacement, depuis, à paralyser en Allemagne les
progrès de l'art musical.
La musique de Mendelssohn est généralement séduisante par ses
qualités extérieures ; mais il y règne constamment un esprit à' éclectisme
qu'il faut considérer comme tout à fait haïssable, surtout en matière
d'œuvre d'art. Ses Sonates sont au nombre de dix :
1° une Sonate pour piano et violon, op. 4 ;
2° une Sonate pour piano seul, op. 6 ;
3° deux Sonates pour piano et violoncelle, op. 45 et 58 ;
4° six Sonates pour orgue, op. 65.
La Sonate pour piano est un véritable calque de Beethoven : le mou-
vement initial, par la nature des idées et la proportion générale, rap-
pelle très exactement celui de l'op. \o\\VAndantc déhnXQ par une phrase
récitée, de même forme et de même allure que celle de V Adagio de
cette même Sonate, op loi, de Beethoven; dans la ii*" section, c'est
V Adagio de l'op. 106 qui transparaît assez nettement; quant au
finale, il n'a vraiment plus rien de beethovénien : il est terriblement
vulgaire et ne se distingue que par un spécimen de c^nt belle phrase
à la Mendelssohn, à l'aide de laquelle la plupart des musiciens alle-
mands et même français de la fin du xix^ siècle ont constitué leur
« bagage musical ».
En résumé, ces Sonates ne dépassent guère la valeur d'un très bon
devoir d'élève.
LES ROMANTIQUES 407
Frédéric CHOPIN, né à Zelazowa-Wola, près de Varsovie, d'une
famille française émigrcc, fut un véritable enfant prodige. II acquit
de très bonne heure une réputation méritée de virtuose hors ligne,
et passa la plus grande partie de sa courte vie à Paris, dans le cénacle
romantique, auprès de Berlioz, Henri Heine, Liszt et Balzac. Il mourut
à quarante ans d'une maladie de poitrine qu'il n'avait rien fait pour
conjurer.
Avec l'œuvre de Chopin nous voyons apparaître ce que l'on a appelé,
depuis, le style pianislique, style dont les effets ont été et sont encore
déplorables à bien des points de vue. Toutes les compositions de piano
examinées par nous jusqu'ici demeuraient en effet exclusivement musi-
cales, qu'elles fussent signées Bach, Rameau, Haydn, Beethoven ou
môme Schubert: c'est-à-dire que le souci légitime de l'effet instrumental
y était toujours subordonné aux droits et aux exigences de la musique.
A l'époque romantique cependant, nous avons signalé l'influence nais-
sante du style Concerto^ se manifestant notamment par l'extension inso-
lite du /razY a^o^/^-we ou /ra// de inrtiiositê servant de conclusion à
la première exposition dans les mouvements du type S. C'est parla que
s'introduisirent dans la musique de piano deux erreurs fort craves, dont
Chopin exagéra les effets en raison même de son insuthsance d'instruc-
tion véritablement musicale :
1° les tonalités choisies pour les doigtés avantageux, et non pour la
logique architecturale de l'œuvre ;
2" les passages entiers écrits uniquement pour la virtuosité^ et
n'ayant aucun rôle utile dans l'équilibre de la composition.
Chopin n'écrivit que quatre Sonates ; trois d'entre elles sont pour
piano seul : l'op. 4, en ut (1828), l'op. 35, en s; t> (1840), et l'op. 58,
en si (1845). La dernière, op. 65, en 50/ (^847), est pour piano et vio-
loncelle.
La Sonate op. 58, en 5/, est la plus remarquable au point de vue de
l'invention musicale. Tout esprit de construction et de coordination
des idées y est malheureusement absent; mais la plupart de ces idées
mêmes sont vraiment resplendissantes de richesse mélodique.
Cette Sonate est en quatre mouvements (S. M. L. R.) :
1° Allegro maestoso, en si, de forme Sonate.
Exp. Th. A, empreint d'une réelle noblesse et de qualité.s symphoniqites
dont un Beeihoven eût assurément tiré grand parti :
•108 LA SONATE CYCLlOUfi
— Mais l'auteur ne sait malheureusement pas continuer aussi bien l'expo-
sition de son idée : il a recours à d'inutiles redites, à de véritables
ajustages, quatre mesures par quatre mesures, sans cohésion mélodique
ni tonale, et ainsi se perd tout l'intérêt de cette exposition du thème A.
— P., pont assez bien disposé amenant la seconde idée en RÉ ,
— Th. B, en trois phrases, suivant le système beethovénien : voici la mé-
lodie de la première phrase, b' ;
etc.
— On peut se rendre compte par cette citation que cette phrase b', après
avoir commencé d'une façon tout à fait séduisante, se perd ensuite en
de plats italianismes encore aggravés par Vornement qui, hélas ! n'a plus
rien ici du bel ornement grégorien. Ce défaut est assez fréquent chez
Chopin, lorsqu'il s'attaque à des formes réclamant quelque grandeur de
conception. Il a recours alors à des tournures italiennes, empruntées à
la mode des théâtres et des salons de son temps. On en est d'autant
plus surpris que les mélodies de ses petites compositions fantaisistes
(nocturnes, valses, etc.) ou nationales (polonaises, mazurkas, etc.) ont
presque toujours un caractère personnel et prime-sautier qui fait ici
totalement défaut.
Dév., véritable devoir d'un élève bien décidé à faire ici un dévelop-
pement parce que c'est l'usage ; mais toute logique en est jalousement
bannie.
Réexp. à peu près inexistante, car le meilleur élément, le th. A, par une
omission inexplicable, n'y reparaît pas : faut-il y voir un nouvel aveu
de l'impuissance de l'auteur à tirer quoi que ce soit de ce beau thème?
— Th. B. présenté seul, en 67, dans son entier, et formant la conclusion
de cette enfantine esquisse qui nous laisse bien loin des monuments
d'ordre et d'harmonie, tant et si justement admirés, des Bach ei des
Beethoven (i).
2" Scherzo, en Mn-RÉ%, tout à fait charmant et bien écrit pour le
piano ; son ttio, en si, est empreint de cette douce rêverie par quoi
excella Chopin.
3" Largo, en si, de forme Lied absolument normale : le thème initial
est encore du style italien, mais la section centrale a toute la grâce
caressante des meilleures oeuvres de l'auteur.
(i) Il e«t assez curieux de constater que Chopin use, dans presque toutes ses sonates, de ce
procédé, fautif au point de vue de l'équilibre du morceau.
LES ROMANTIQUES ^
4'' finale. Presto non tanlo, en 5/, de forme Rondeau à trois refrains,
où le nerveux et séduisant malade que nous connaissions fait place à
un être vigoureux et puissant. Il semble que les matériaux de cette
belle pièce aient été tranchés à coups de hache par quelque charpentier
qui en aurait à peine équarri les assemblages ; mais ces maladresses
de construction, sans nuire notablement à ce finale, lui donnent
au contraire un aspect un peu rude, assez comparable à celui des
soubassements à peine taillés qu'on peut voir au palais Strozzi, à
Florence.
Refrain i. Th. A, en 5j', sorte de chant de guerre qui s'expose deux fois
en toute plénitude, sans arrêt ni réticence. 11 faut citer ici ce thème
tout entier, afin de montrer la différence entre une esquisse d'idée,
même fort belle, comme celle du mouvement initial, et un thème
traité complètement :
La seconde fois, le thème s'expose à l'octave supérieure ; il monte et
s'amplifie encore par celte envolée :
ÉgTf^n^^^
:♦'/('
Couplet I. P. et th. B en 5/, simple trait de piano, très séduisant.
Refrain 2. Th. .A, à la SD., en mi, mais avec un accroissement dvna-
mique qui est vraiment génial : la partie agogique, confiée à la
main gauche, était en six notes par mesure, la première fois :
410
LA SONATE
Am deuxième refrain, le dessin composé de huit notes, produit ainsi
un rythme contrarié bien propre a accroître l'agitation de cette
héroïque fanfare :
REFRAIN 2
f'tc.
Couplet 2. P. et th. B, en Ml \>, toujours sous forme de trait de piano.
Befrain 3- Th. A à la T., mais avec un dessin d'accompagnement de
dou^e yiolcs par mesure, donnant une intensité formidable (i):
KEFRAIN 3
— Conclusion, en Si, qui contient à la main gauche un dernier rappel
du thème, en forme glorieuse et éclatante comme s'il était confié
aux trompettes, tandis que la main droite fait entendre une fulgu-
rante descente chromatique :
"p::"^
^^^^"^^ I *'"^r;*^'^{r^^^
— La disposition graphique employée par Chopin .., ou peut-être par ses
éditeurs, fait que beaucoup de pianistes négligent de faire sonner les
notes du thème à la main gauche.
Telles sont les principales particularités de ce finale qui, malgré
ses imperfections, mérite d'être compté au nombre des beaux morceaux
de musique.
(i) Le doigté que nous indiquons ici à la main droite est de Liszt : le grand pianiste avait
coutume d'attaquer toutes les notes du refrain dans cette troisième reprise par le 3* doigt
arc-bouté en quelque sorte sur le pouce et le 2« do gt : ce passage prenait ainsi une sono-
rité cuivrée extraordinaire.
LES ROMANTIQUES 411
Robert SCHUMANN, né à Zwickau, en Saxe, commença par faire ses
études de droit, mais se voua bientôt à la musique exclusivement. Un
accident nerveux, occasionné par sa propre faute, rcmpëcha de suivre
la carrière de virtuose : il se spécialisa donc dans l'art de la compo-
sition, qu'il avait étudié avec Friedrich Wieck dont il devait un jour
épouser la fille Clara. Malheureusement pour le jeune musicien, son
tempérament ardent et impulsif l'entraîna à produire avant d'avoir
terminé son éducation : tout à fait génial dans les œuvres courtes et de
construction simple, Schumann se trouve dépaysé lorsqu'il lui faut édi-
fier un monument musical. Il se laisse guider alors par son sentiment
seul et, avec des idées d'une valeur souvent très haute, il ne peut qu im-
proviser des œuvres d'une médiocre portée, fruits hâtifs d'un travail
beaucoup trop inconscient. On y trouve la trace de procédés déplorables
chez un grand artiste, bien qu'ils aient été trop souvent imités depuis.
Musicien convaincu et sincère, malgré l'infériorité de ses connais-
sances en matière de composition, Schumann lutta toute sa vie pour
la cause de l'art vrai. Beaucoup de jeunes artistes compositeurs ou vir-
tuoses, trop enclins à faire servir la musique à leur propre gloire, au
lieu d'en rester les humbles prêtres ou serviteurs, devraient lire et
méditer ce qu'écrivit Schumann dans la Neue Zeitschrift fur Musik,
revue périodique qu'il rédigea sew/ pendant dix ans! Vers la fin de sa
vie, son cerveau, déjà menacé en i833 et en 1845, fut atteint d'une
incurable lésion dont il mourut, dans une maison de santé, près de Bonn.
Les compositions de Schumann dans la forme Sonate sont au nom-
bre de huit :
i" trois Sonates pour piano seul, dont nous donnerons ci-après
l'analyse : op. 11 en fa ' (i835), op. 14 en fa (i83ô}, op. 22 en 50/
(i835-i838) ;
2° trois Sonatines pour piano, en sol^ en ré et en rr, op. 118;
3° deux Sonates pour piano et violon : op. io5 en la (iS3 1) ; op. 1 2 i
en ré (i85i).
La première Sonate, en /a 5, est intitulée par l'auteur /-Vo/v^/j;/ e^
Eusebiits : Schumann désignait par ces deux personnages allégoriques
les deux aspects opposés de sa propre nature. Cette Sonate, composée
de i833 à i835, est en quatre mouvements (S. L. M. R.) :
1° Introduction^ Adagio^ simple phrase de lied dont la période mé-
diane fournit le thème de WAria^ et Allegro rivace ainsi construit :
Exp. Th. A à la T. répété trois fois :
— Pont par le rythme de A, en mi b, engendrant une formule de quatre
mesures qui se répète quatre fois en descendant chaque fois d'un ton :
en ré C, en ut H, en si et en ^.4.
4ia LA SONATE CYCLIQUE
— Th. B. en LA, très court et disproporiii)nné avec la longueur de ce qui
précède.
Dév. : marche par A suivi de B par augmentation (35 mesures).
— Exposition de A, en ut S, et de P. allant vers fa.
— Phrase lied de Y introduction, en fa.
— Redite absolument identique de la marche par A suivi de B par aug'
mentation, comme ci-dessus (35 mesures). 11 importe de faire la cri-
tique de ce développement : la redite textuelle des trente-cinq mesures
par lesquelles il commence ne constitue assurément pas un procédé de
construction sérieux : transposer n'est pas développer. En outre, Vexpo-
sition du thème A n'est guère admissible à cette place au ton de la
dominante, ut %. Enfin. la réapparition de la phrase-/ze4 de Y introduc-
tion, qui devrait être le point culminant du développement, est faite dans
une tonalité [fa) que son éloignement ne permet pas de rattacher au
— ton principal {fa '&] : elle n'a plus de raison d'être, ne produit aucun
effet, et ne concourt en quoi que ce soit à Vunité du morceau. Tout
ce développement est donc incohérent, sans intérêt et inutile à l'œuvre.
Réexp. dans l'ordre et le ton normal.
2° Aria., en la, phrase de lied formée par la période médiane de Tln-
troduction.
3° Scherzo, en fa c, du type MM que nous avons signalé ci-dessus
(p. 3o9) à propos de certaines œuvres de Beethoven autres que ses
Sonates. Cette forme grand Scherzo, en cijiq parties, dont deux trios
différents, appartient particulièrement à Schumann qui l'a fort bien
employée dans beaucoup de ses œuvres :
Scherzo : Th. A et dév. de A, en fa %.
Trio I, en LA.
SCHERZO : Th. A et dév. de A, en fa fl.
Trio II, à deux temps, dit interjneif^o (i), en RÉ.
Scherzo .- Th. A et dév. de A, en fa S, pour finir.
4» Finale, qui n'est ni du type S, ni du type R, mais procède un peu
de l'un et de l'autre. L'intérêt des thèmes ne s'accroît pas, et l'inter-
vention trop fréquente du ton disparate, .mi f, qui se retrouve encore
à la 7^éexposition dn pont et de la seconde idée, contribue à détruire dans
ce finale toute cohésion et toute solidité tonale.
La deuxième Sonate, en fa, est dédiée à Monsieur Ignace Moscheles ;
sa première édition porte le titre Concert sans Orcfiestre.
Phénomène infiniment rare dans cette période de romantisme fan-
taisiste, cette Sonate offre la singularité d'être une forme cycligue, rudi-
mentaire sans doute, mais néanmoins préparée intentionnellement,
comme le rappel de Y Introduction dans VAria de la Sonate précédente.
Ici, en effet, le thème principal, composé par Ciara Wieck, reparaît
dans les trois premiers mouvement. .
(i) Le nom d'interme:^^o paraît avoir été employé pour la première fois par Schumann,
dans son op. 4, pour des pièces séparées. Plus tard, il fut appliqué plus particulièrement à
un trio en mesure à deux temps, intercalé dans un scherzo.
LES KOMAM IQUES
4'1
Dans VAndautino quasi \'aria\i())ii, le thcnie est présente sous cet
aspect (i) :
dans le Scher\o^ il s'anime et revêt cette forme-ci
dan§ VAllegro de forme Sonate, au contraire, il est présenté d'un?
façon tout à fait douloureuse et passionnée :
♦
^E£
P
-<•/(•.
Cette deuxième Sonate de Schumann n'offre pas un grand intérêt au
pomt de vue musical, en dehors de cette particularité de structure,
qui montre la permanence de la conception cyclique au fond des cer-
veaux des musiciens, en attendant le bel essor que sauraient lui
donner bientôt quelques Français.
La troisième Sonate, en 50/, fut composée de i833 à i83r et rema-
niée à diverses reprises : son finale date de i838. Elle était dédiée à
jyjme Y\, Voigt et contient quatre mouvements ayant à peu de chose près
les défauts et les qualités de ceux de la première Sonate, en /h- l
1° Allegro [so rasch ipie mbglich)^ en 50/, de forme Sonate.
Exp. Th. A, en sol, suivi de P.
— Th. B, en si\; fait de deux éléments :
— — b' phrase principale.
— — b" phrase complémentaire qui disparaîtra à la réexp.
Dkv. procédant par courtes redites ou transpositions de quatre en qiiatrf
mesures, aboutissant à une erreur désastreuse :
— Th. A, exposé à nouveau et au ton principal, en plein développement, ce
qui fait croire à une vraie réexposition détruisant par avance l'effet
de celle-ci qui se produit, en réalité, vingt-cinq mesures plus loin.
Réexp. Th. A, suivi de P. et de />', en sol, mais sans sa phrase complémen-
taire b".
— Conclusion avec les indications successives schneller et noch schncller,
difficilement conciliables avec l'indication primitive du mouve-
ment : so rasch wie môglich.
(i) Remarquer l'analogie de ce thème d'allure et d'origine féminines avec le motif un
peu enfantin de la Siegfried-Idyll de R. Wasincr :
^^m
4M LA SONATE CYCLIQUE
2° Andantino en UT, simple Lied en trois sections. Le ton choisi
n'est peut-être pas un des meilleurs par rapport à sol^ ton principal.
3° Schet"{0^ en sol, vif et alerte, suivi d'un trio en j//t).
4» Presto, en sol, de forme Rondeau ; les thèmes y sont assez con-
trastants, mais l'ensemble n'offre pas un grand intérêt comme cons-
truction.
Avec Schumann s'achève véritablement la période romantique :. c'est
lui qui « ferme le cercle » de cette série de musiciens, qui ne réalisè-
rent, dans la forme Sonate, aucun progrès notable sur le type établi bien
avant eux par l'immortel Beethoven.
6. — LES ALLEMANDS MODERNES.
Joseph Joachim Raff 1822 f 1882
Karl Helnrich Carsten Reinecke. . . . 1824
Anton Rubinstein 1829 7 1894
JoHANNES Brahms i833 7 1897
Edvard Hagerup Grieg 1843 -j- 1907
Joachim RAFF. né à Lachen, en Suisse, mourut à F'rancfort, d'une
attaque d'apoplexie, après une existence très peu mouvementée : il écrivit
beaucoup, on peut même dire trop ; il a laissé plus de deux cent vingt
œuvres médiocres et inégales, quise font remarquer par une déplorable
insouciance, aussi bien dans le choix des idées que dans la recherche
des formes nouvelles : manifestation éclatante d'une absence totale de
la moindre conscience artistique.
Dans ce flot de compositions on rencontre :
1° trois Sonatilles pour piano, op. 99 ;
2** deux Sonates pour piano, op. 14 {Sonate avec Fugue) et op. 168 ;
3o cinq Sonates pour piano et violon : op. 73, op. 78, op. 1 28, op. 1 29
et op. 145 ;
4° une Sonate pour piano et violoncelle, op. i83.
Karl Heinrich REINECKE, né à Altona, fut un pianiste estimé et se
distingua comme chef d'orchestre, notamment au Geji^a;/ii//t7W5, de 1860
à 1896. Il fut professeur de « haute composition » au Conservatoire de
Leipzig : ses œuvres, écrites avec un incontestable talent, sont complè-
tement dénuées de génie inventif ; elles réalisent assez bien le type de
la production moyenne d'un Herr Doctor und Professor appartenant
à l'un des innombrables Conservatoires d'outre-Rhin.
LES ALLEMANDS MODERNES 4,5
On connaît de Reinecke deux Sonates pour piano et violoncelle,
quatre pour piano et violon, une pour flûte, une pour piano à quatre
mains, une pour la main gauche seule (op. iSy) et quelques Sonatines
pour piano à deux mains.
Anton RUBINSTEIN, russe de nationalité et Israélite de race, naquit à
Wechwotinetz, en Podolie, d'un père fabricant de crayons, et voyagea
comme virtuose dès son jeune âge. Nommé pianiste de la cour de
Russie, il prit, en 1859, la direction de la Société de Musique russe et
fonda, en 1862, le Conservatoire de Saint-Pétersbourg, dont il fut direc-
teur jusqu'en 1890. Il mourut dans sa villa de Peterhof.
Pianiste hors ligne, Rubinstein fut un interprète assimilateur de
génie : mais ce génie spécial n'était point suffisant pour la création
d'œuvres vraiment originales. Aussi, les hautes visées et les intentions
extrêmement vastes de ses compositions, où la virtuosité s'étale souvent
aux dépens de la musique, sont-elles trahies presque toujours dans leur
réalisation, inférieure à la fois par la faible qualité des idées musicales
et par la négligence de la forme,
Rubinstein écrivit huit Sonates : quatre pour piano (op. 12, op. 20,
op. 41 et op. 100); une pour alto (op. 49); et trois pour violon (op. i 3,
op. 19 et op. 98). Dans cette dernière Sonate (op. 98) on trouve de véri-
tables citations empruntées aux deux autres Sonates pour violon. On
se demande quelle peut être la raison d'un tel procédé, éminemment
contraire h tout esprit d'unité dans la construction.
Johannes BRAHMS naquit à Hambourg et fut remarqué dès sa pre-
mière jeunesse par Schumann, à qui il dut le commencement de sa
renommée (i 853). Dès 1862, il s'établit à Vienne, où il mourut comblé
d'honneurs et entouré du respect de tous.
Brahms fut un musicien consciencieux, plein de révérence pour son
art et pour les maîtres : seul peut être parmi les Allemands, il hérita
quelque peu du don beethovénien du développement des idées, mais au
point de vue thématique beaucoup plus qu'au point de vue tonal. Ses
idées et ses harmonies ne sont point banales, mais elles sont rarement
très caractérisées. Telles qu'elles sont, Brahms les manie avec talent
et, pour nous servir de l'image si vulgaire, « il travailledans la pâte» ;
mais cette « pâte » reste souvent au bout de sa plume, et son style
devient alors lourd et indigeste. Comme par ailleurs les rapports de
tonalités lui sont trop souvent indilîérents, beaucoup de ses oeuvres sont
embarrassées et fastidieuses h l'audition.
Tout être doué de sens artistique doit avoir pour Brahms du respect ;
mais il n'est pas facile de Vaimer, car ses œuvres, si honnêtement cont-
4'6
LA SONATE CYCLIQUE
posées qu'elles soient, rayonnent bien rarement de ce charme vrai qui
touche notre cœur et le fait vibrer.
Brahms a laissé dix Sonates : trois pour piano (op. i en UT, op. 2
en fa c et op. 5 en fa) que nous examinerons sommairement ; trois pour
violon (op. 78 en sol, op. 100 en l^, et op. 108 en ré); deux pour
violoncelle (op. 38 en mi et op. 99 en fa) ; et deux pour piano et cla-
rinette (op. 1 20 en fa et en Ml t>).
Les Sonates pour piano sont intéressantes par la tendance qu'elles
manifestent vers la construction cyclique : mais cette conception, en-
core vague, est bien loin de sa réalisation complète.
Dans la première Sonate, en UT, le thème initial, un peu trop voisin
peut-être de certaine Barxarolle d'Auber, sert de sujet au finale avec
un léger changement de rythme :
(3) REFRAIM
Dans la deuxième Sonate, en /au, dont le classicisme est assez re-
marquable, le thème calme de VAndante reparaît sous une forme agitée
dans le Scherzo.
Enfin, la troisième Sonate, en fa, offre par la transformation cyclique
des thèmes un réel intérêt de composition : elle se divise en cinq
mouvements (S. L. M. L. R.) :
1° Allegro maestoso, en fa, de forme Sonate.
Exp. Th. A, dont les deux éléments, a' et a', présentent un double
rythme sur un même dessin. Ce thème est en trois périodes qui
s'infléchissent vers la dominante ; la seconde idée n'est précédée
d'aucun passage servant de pont.
— Th. B, débutant, sans transition, au Relatif ni^)t\iT {la t>) du ton prin-
cipal ; mais l'influence àt RÉ\> y est telle que cette idée divisée,
suivant le système beethovénien, en trois phrases [b , b", b'"), s'éta-
blit dès ses premières mesures dans ce nouveau ton {SD. de la b)
et y reste jusques et y compris sa conclusion,
— Les éléments a" du premier thème (A) et b' du second (B) sont évi-
demment issus l'un de l'autre : b' n'est qu'une simplification de a",
comme on peut le voir par la superposition des deux mélodies :
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LES ALLEMANDS MODERNES
^'7
Dév. très logiquement établi en trois éléments :
— par a et a", en ut S-ré \> ;
— par une exposition, en rÉ o, de a" transformé : ce petit dessin donne
ici naissance à une véritable phrase mélodique : c'est là un excellent
moyen de développement par une sorte à'amplijication :
— enfin, para en état de marche pour abo.utir à la réexposition.
Réexp. Th. A, réduit au seul élément a (le dessin plus souple a ayant
été très employé précédemment, sa suppression dans la rcexp. se
justifie parfaitement).
Th. B, gardant ses trois éléments [b' , b" , b"'), en FA, avec unetendance vers
la sous-duminante SIi> , comme dans Vexposition. Cependant, la
cadence finale revient à la tonique l'A.
?" Andante. écrit en ré:> et portant en épigraphe trois vers extraits
d'une poésie de Sternau sur le clair de lune. Ici, Brahms reprend une
ancienne forme des mouvements lents de Beethoven tout à fait délaissée
depuis lui : le Lied-Sonate (LS) ou forme Sonate sans déj>eloppement
(voir ci-dessus, p. 296.). Malheureusement, l'exposition et la réexpo-
sition ayant ici la même marche tonale, il s'ensuit que la pièce entière
paraît être en la i», avec conclusion à sa sous-dominante RÉi>.
Exp. Th. A, à la D. LA b (traitée comme une tonique .
— Th. B, à la T. RÉ t> (formant sous-dominante, par rapport à A).
— Ce thème se transforme et s'amplifie au cours de ses expositions :
la première fois, il est exprimé ainsi :
— ' Dans la même exposition, il se répète par une sorte d'exten'iion
dans cette forme plus expressive :
RÉEXP. Th. A, toujours à la D. l.A 3.
~- Th. B, toujours à. la T.RÉjy, mais dans une forme plus calme,
avec laquelle la phrase finale du monologue de Hans Sachs,
au III« acte des Meistersinger, offre une certaine analogie. Voici
les premières mesures de cette phrase mélodique B, ainsi
transformée :
etc.
Cours de composition.
27
4'8
LA SONATE CYCLIQUE
3° Scher:^o, en fa, ayant comme les deux mouvements précédents une
tendance marquée à tomber tonalement du côté de la sous-dominante.
4" Intermeiio, en si t> . Cette pièce, intitulée Riickblick^ n'a rien de
commun avec celles que Schumann intitule interme\'{0. C'est une sim-
ple forme Lied, rappelant, en rythme de Marche funèbre, \q thème initial
(A) de VAndante : cette seconde pièce lente, formant double emploi
avec la première, s'explique sans doute par une raison d'ordre poétique
ou même dramatique; mais elle est d'un tout autre genre que la Sonate
dans laquelle elle est intercalée et s'accommode assez difficilement du
cadre classique qui l'entoure.
5" Finale. Allegro moderato, en fa, de forme Rondeau à trois re-
frains.
Réf. I. Th. A, s'infléchissant vers la D.
Coupl. I. Dessin B. à peine esquissé, en FA, et réduit à une sorte de-
schème sans analogie apparente avec la forme qu'il prendra par
la suite ;
etc.
Réf. 2. Th. A en fa.
Coupl. 2. Phrase mélodique complète, en RÉ\>, où l'on retrouve, en une
forme précise, l'élément B du couplet précédent :
Réf. 3. Th. A, en fa, mais par fragments découpés et en quelque sorte
hachés. «
Coupl. 3. phrase B encore transformée, comme si elle tendait à dispa-
raître et à se volatiliser en un dessin agogique de main gauche,.
presto, en FA, qui sert de conclusion :
On voit par ces exemples qu'il y a chez Brahms une tendance assez
nette vers la rénovation de la forme Sonate, parle moyen de certaines
modifications ou variations thématiques, dont nous ne trouvons nulle
trace dans les œuvres de ses contemporains allemands. C'est toujours
la conception cyclique latente qui dicte ces tentatives incomplètes»
dont la réalisation intégrale était réservée à César Franck et à l'École
Française, à peu près exclusivement.
LES ALLEMANDS MODERNES
419
Edvard GRIEQ, quoique né à Bergen, en Norvège, peut être classé
assez légitimement parmi les musiciens allemands. En effet, après
avoir écrit dans sa première Jeunesse de petites pièces où les chants
populaires Scandinaves faisaient sentir leur influence bienfaisante, il
perdit rapidement toutes ses qualités natives au contact de la lourde
école de Leipzig, dont il semble s'être assimilé tous les défauts, sans
y avoir acquis la moindre science de la forme ni de la véritable compo'
si t ion.
Le mérite musical de Grieg est assez semblable à celui d'un bon
peintre de miniatures : ses petites œuvres, dont la ligne mélodique
souvent élégante et agréable s'épuise comme essoufflée après quelquef
mesures charmantes, ne s'élèvent jamais bien haut. Sa courte inspiration
et son ignorance absolue de la composition le rendent tout à fait
inapte à la construction d'une œuvre symphonique de quelque
importance: il ne produit alors que des assemblages hybrides de courts
fragments, maladroitement cousus ensemble ou seulement juxtaposés,
sans apparence d'ordre ni d'unité dans la conception et dans la réa-
lisation.
Grieg a pourtant écrit cinq Sonates : une pour piano seul (op. 7) ;
trois pour piano et violon (op. 8 en fa, op. i3 en sol et op. 40 en ut) ;
enfin, une Sonate pour piano et violoncelle (op. 38 en la) dont nous
allons donner l'analyse, à titre de vérification des critiques qui pré-
cèdent.
Cette Sonate, op. 38, est en tt^ois mouvements (S. L. S.) :
1** Allegro agitato, en la.
Exp. Th. A, formé à peu près exclusivement des redites de ces d^ux
mesures, dont il est à peine besoin de faire remarquer la pénurie
mélodique :
uî)
'-" f r I [-"TuP
Ce thème, si on peut l'appeler ainsi, est exposé deux fois, sans
aucun changement et avec une cadence terminale, en Li, qui clôt
cette sorte de « première case ».
Pont par le dessin A, en UT, en valeurs augmentées ,ï^ mesures).
Th. B, qui consiste en /roi5 petits fragments de mélodie (ft', b", b ),
apparaissant l'un après l'autre et répétés à satiété :
b' est répète quatre fois dans le ton d!VT :
430
LA SONATE CYCLIQUE
— b" est répété dix fois, soit en entier, soit par fragments sur divers
degrés :
Wj
XJ^J''^^C^
lar""=?
— b'" n'est répété que deux fois, ce qui porte néanmoins à sei^e le
nombre total des redites :
^^
^=H«
_o , o
Cette étrange « idée musicale » est close, comme l'a première, par
une cadence terminale fermant cette « deuxième case » sans
qu'aucun de ses motifs ait jamais été commenté ni agrandi. Voilà,
certes, qui donne la mesure du « sens musical » de l'auteur :
bizarre manière de concevoir Vidée en musique, après tous les grands
exemples donnés par Bach, Beethoven et tant d'autres !
Dey. qui consiste à peu près exclusivement dans la reproduction d'un
même passage sur différents degrés :
— b' est d'abord répété deux fois en ut (i6 mesures) ;
— b' est répété deux autres fois en 7ni\> (i 6 mesures) ;
— b' est répété encore deux aulr es fois en faH (i6 mesures) ;
— a reparaît alors sur une harmonie persistante de septième diminuée,
qui aboutit à une mauvaise cadence de CoHcer/o, procédant elle-même
par répétition d'une formule montant chaque fois d'un ton. Dans
tout ce développement, nous ne retrouvons, que les fragments anté-
rieurement entendus, et combien de fois ! Pareille erreur nous est
déjà apparue dans l'œuvre de Schumann, mais du moins chez lui.
la musique du passage reproduit avait-elle une valeur et un intérêt
propres.
RÉExp. identique absolument à Vexposition et suivie d'une coda très
agitée.
2" Andautc, en fa, de forme Lied, avec deux thèmes et un « dévelop-
pement ».
• Sect. i.Th. A, phrase de lied en fa, et th. B. consistant en un fragment
mélodique de quelques mesures, qui se reproduisent dix fois de
suite sur divers degrés, sans changement appréciable.
Sect. ii. Dév. consistant en un passage de cinq mesures se répétant trois
fois d'une manière absolument identique, en descendant d'un ton
chaque fois.
Sect. m. Th. A et th. B, sans changements, au ton principal.
3° Finale. Allegro, en la, de forme Sonate. Le thème initial ne manque
pas de noblesse ; on l'accueille avec l'espoir de lui voir jouer un rôle
intéressant dans la construction du morceau, et, de fait, ce thème est
de ceux dont on aurait pu tirer un excellent parti. Mais on est bientôt
LES FRANÇAIS 4JI
déçu : le thème reparaît trois fois au cours de la pièce, sans aucune
modification sérieuse... et voilà tout. Ce finale est ainsi «construit »:
Exp. Th. A, en la.
— Pont, qui consiste en quatre mesures répétées quatre fois et suivies
d'une entrée préparatoire du dessin b" .
— Th. B en deux éléments, nullement nouveaux :
— — ^' est fait avecle th. A, en UT, répélé deux fois, pnT au^inentatiun.
— — b" est la phrase préparatoire déjà entendue à la fin du pont \\
et revenant ici en LA 0^ avec cadence en ut.
Dkv. comprenant trois éléments :
— b" , modulant d'ut à 51 t> en quarante-einq mesures, intégralement
transposées ensuite pour aller de si \> à la ;
— b' , exposé en la t> en quatorze mesures, intégralement transposées
ensuite en /a fi ;
— marche par le rythme de b' allant de mi a la, au moven de qua-
rante-neiif répéimons du même dessin (i).
Réexi>. conforme à Vexposition, avec autant de redites, et suivie d'une
coda plus animée, en LA, ramenant pour finir le th. A une troisième
fois, mais sans aucune modification.
Une telle façon d'opérer ne mérite assurément à aucun degré d'être
qualifiée «composition musicale » et encore moins «forme cyclique ».
Pourtant Grieg ne recula pas non plus devant certaine tentative de
rappels thématiques^ traités de la même manière que les « développe-
ments » ci-dessus analysés : son Quatuor à cordes, op. 27, que nous exa-
minerons dans la Seconde Partie du présent Livre, commence par une
introduction qui veut être cjclique^ car elle circule dans plusieurs mor-
ceaux de Toeuvre ; seulement, elle « circule » en parfaite étrangère,
assistant à tout et ne prenant part à rien ; et on la retrouve, identique
à elle-même, à la fin de sa promenade... nullement sentimentale.
7. — LI^S FRANÇAIS : LA SONATE CVCLIQLT:.
César-Auguste Franck 1822 f 1890
Charles-Camille Saint-Saens. . . . i835
Alexis de Castillon de Saint-Victor, i 838 y 18/3
Gabriel-Urban Fauré 1845
Paul-Marie-Théodore- Vincent d'Indy. . i85i
Paul Dukas i865
C'est h la France qu'il devait appartenir de poursuivre et de réaliser
la transformation de la Sonate, clairement indiquée par Beethoven :
nul de ses successeurs allemands, en eflét, n'avait su ou voulu tenter
sérieusement cette véritable rénovation cyclique, seule capable de
(1) A la onuèine répétition de ce dessin, l'auteur invite courtoisement l'cxccuiant à ne pas
se presser parla mention : niclU eden ! L'auditeur est parfois d'un autre avis.
42a LA SONATE CYCLIQUE
rendre la vie à cette belle forme qui s'étiolait et semblait près de dispa-
raître, en Allemagne tout au moins, malgré les timides essais de Schu-
man et de Brahms (i). La tradition cyclique peut donc être considérée
comme transmise directement de Beethoven à César Franck qui, moins
de quiWye ans après l'apparition des derniers Quatuors cycliques de Bee-
thoven (1826), sut mettre à profit les enseignements merveilleux qu'ils
contenaient, dans son premier Trio, en fa 5, publié en 1841. Cette
oeuvre, comme nous le verrons ultéri-eurement, est construite en effet
sur deux thèmes véritablement cycliques^ qui servent de base aux trois
mouvements qui la constituent.
Ainsi que nous l'avons déjà fait observer (p. 39 1 ), c'est l'avènement de
ce génie très français, dépositaire de la tradition beethovénienne, qui
marque la date initialede l'École symphonique Française, école de plus
en plus cohérente et forte, occupant aujourd'hui la première place à
l'avant-garde de l'art musical.
César FRANCK, né à Liège, quitta entre dix et douze ans le pays wallon
et sa ville natale pour n'}- plus rentrer. Naturalisé français et fixé à Paris
avec sa famille dès cette époque, il devint, après quelques années d'études
avec Reicha et Ghérubini, organiste de Notre-Dame-de-Lorette, puis
de Sainte-CIotilde, où il resta jusqu'à sa mort. Après la guerre, en 1 87 1 ,
il prit une part active à la fondation de la Société nationale de Musique^
qui le choisit bientôt pour son président. Nommé professeur d'orgue,
en 1872, au Conservatoire de Paris, il ne tarda pas à faire de sa classe,
sans peut-être s'en rendre compte dans sa naïve modestie, une véri-
table pépinière de jeunes compositeurs élevés, à son exemple et à son
contact, dans le respect le plus profond pour les belles œuvres, dans
l'honnêteté la plus scrupuleuse vis-à-vis de leurs propres ouvrages,
dans l'amour le plus pur de l'art, avant toute chose (2).
L'œuvre de Franck, dont nous nous occuperons longuement encore
à propos de la Symphonie et de la Musique de Chambre (3) et à propos
(0 Franz Liszt publia en i837 une sorte de Fantaisie dramatique pour piano, construite
sur un seul thème et intitulée Sonate ; mais cette œuvre, qui n'a aucun des caractères
propres à la forme Sonate, telle que nous l'avons décrite et étudiée, n'appartient pas au
genre cyclique et sera examinée dans le chapitre consacré au Poème Symphonique et à la
Fantaisie (11» livre, 2« partie).
(2) 11 est de bon ton aujourd'hui, chez certains mus-cographesa avertis », de rejeter pure-
ment et simplement César Franck hors de la nationaliié française. Les uns invoquent le
« fait scientifique » de la limite politique actuelle de notre État, laquelle est incontestable-
ment, depuis 1814, entre Liège (patrie de Grétry) et Paris. D'autres, au nom de 1' «esthé-
tique », rangent délibérément Franck et tous ses disciples, jusques et y compris l'auteur de
ce Cours, parmi les Allemands ! La glorieuse incompréhension qui protège encore l'œuvre
de Franck contre les admirations d'Outre-Rhin fait justice de cette dernière divagation.
Quant à l'autre, nous espérons que la présente esquisse biographique est suffisante pour la
« remettreau point ».
(3j Voir la Seconde Partie du présent Livre.
LES FRANÇAIS ^13
de l'Oratorio (i), ne comprend que deux Sonates, l'une poui orgue et
l'autre pour piano et violon.
La Sonate pour orgue, dite Grande Pièce symphotiique, en fat, date de
i86i : elle est dédiée à Ch.-V. Alkan et comporte trois mouvements,
enchaînés l'un à l'autre suivant l'usage de l'antique Sonate italienne.
i' Introduction^ dont les éléments serviront au développement, et
Allegro du type S, ainsi construit :
Exp. Th. A, en fa 5 , formant première idée et pont.
(^
^^^^^
\etc
— Ce thème joue un rôle cyclique dans toute l'œuvre.
— Th. B, en LA, plus calme et enchaîné au précédent.
Dév. par le th. de V Introduction et le th. A.
Réep. normale, avec coda, par le th. de V Introduction.
2' Andante, en si, de forme Lied en trois sections, dont la deuxième
(en si), en mouvement vif, joue le rôle de pièce du type M ou de
Scherzo (2).
3" Finale, qui commence par une sorte de récapitulation des princi-
paux thèmes de l'œuvre, auxquels succède bientôt le thème cyclique (A)
exposé solennellement en FA'i., et se développant ensuite par des entrées
■de Fugue jusqu'à la conclusion.
La Sonate pour piano et violon, en la^ date de 1886 ; elle est dédiée
à Eugène et Théophile Ysaye et comprend quatre mouvements. Cette
œuvre demande une étude approfondie, car elle constitue à notre sens
le premier et le plus pur modèle de Y Qin^Wi cyclique des thèmes dans
la forme Sonate : en effet, indépendamment des idées musicales appar-
tenant en propre à chacune des pièces de cette œuvre, trois motifs
générateurs ou conducteurs spéciaux (a:, /, ;{), successivement exposés,
participent à la construction de ce véritable monument musical, auquel
ils servent en quelque sorte de « charpente mélodique» :
La cellule .v, génératrice de toute l'œuvre, se retrouve même dans
(i) Voir le Troisième Livre de ce Cours.
(2) La Symphonie en ré, de César Franck, que nous analyserons uliérieurcmcnt(ll« livre,
2* partie), contient une disposition tout à fait analogue.
4^4
LA SONATE CYCLIQUE
les dessins^' et ^, en tant que neiinies mélodiques : elle consiste en un
torciilus (•••) portant un accent expressif sur sa note centrale [fat).
Le dessin^', contenant en ses trois dernières notes le torciilus de x,
s'expose pour la première fois au début du développement du deuxième
moui>ement (S), et se reproduit, sous diverses foimes, dans la Fantaisie
et le finale.
Le dessin •{, formé de deux torciili avec une note commune, n'appa-
raît que dans la Fantaisie et sert ensuite à relier les refrains du finale.
Nous allons examiner maintenant le rôle de ces trois motifs caracté-
ristiques {x, y, i) dans la construction cyclique de Toeuvre :
1" Allegretto, en la : mouvement lent de forme Sonate à deux idées
sans développement (type LS).
Exp. Th. A, formé de la cellule a-, en LA, s'infléchissant et formant cadence
à la/). :
— Th. B, commençant en MI et modulant en faU, puis en ut 9 pour
revenir ensuite, à l'aide de la cellule x, vers la tonique principale.
RÉEXP. Th. A (par x) en LA, avec cadence à la T.
— Th. B, en LA, amenant une conclusion par x.
La dernière application de cette forme, sauf une différence dans l'a-
boutissement tonal des expositions, remonte au XIII* Quatuor, op. 1 3o,
de Beethoven (i), c'est-à-dire à 1826. Il convient de remarquer ce fait
que Franck, loin de chercher par avance à « être original quand même »,
se contente de reprendre, après soixante ans, une forme très ancienne
et presque tombée dans l'oubli, ce qui ne l'empêche pas, vérifiant encore
la belle parole de Ruskin que nous avons citée (p. 17), en faire un
nouveau chef-d'œuvre.
2° Allegro, en ré, du type S :
Exp. Th. A en re, formant phrase /fVi en troi'! pétiodes, avec conclusion
à la T., et faisant pressentir par son dessin initial le motif_K tel
qu'il s'eïposera au développement :
® ;/ :
É
^Jt.r'Ai
fîy^i^
u
(1) Ce Quatuor sera analysé dans la Seconic Partie du présent Livre. — Quant à la ten-
tative malheureuse de Brahms daas cette môme forme (LS), nous avons vu (p. 417) qu'elle
ne pouvait aucunement servir de modèle.
LES FRANÇAIS 43Î
— Pont ou transition très courte par la cellule x;
— Th. B, en fa, divisé en trois phrases doubles :
— — b' , exposé en f'.i et en LA, et apparente au motif _^;
— — b" , allant cf abord de la D. de si à faH , puis de la /). de ré à Li ;
— — b'", exposé en lA et en fa pour conclure.
DÉv. Motif^, exposé dans sa forme véritable {Quasi lento) et suivi de h"
qui module en la, puis vers UTH ;
— en M/ 5, par b'" combiné avec la cellule -v ;
— en marche, par a en ut Set en sol 5, puis par b' en SOL^ et en Sfl t> ;
Rkexp. Th. A en ré, suivi de P.
— Th. B (b', b", b'") en RÉ.
— Dév. term. par a, en ré, combiné avec la cellule x et amenant la con-
clusion agogique, en RÉ.
3* Recitativo-Fantasia de forme assez spéciale, analogue par sa coupe
générale au Lied simple en trois sections constituées, la première par
un développement du motif cyclique a:, la deuxième par une sorte de
floraison mélodique du dessin r, et la troisième par une combinaison
concluante des deux précédentes, dans la tonalité de fa 3, :
Sect. I. contenant deu.v subdivisions :
— Récit débutant par la cellule x sur la D. de 50/, suivie d'une expo-
sition variée de la période x tout entière, en état tonal instable,
en so/, puis en ut 5, puis en marche d'ut 5 à la D. de ré, dans sa
conclusion mélodique.
— Mêmes éléments reproduits sur la D. de ré, puis sur la D. d'ut S
où ils engendrent un développement mélodique nouveau, servant de
transition vers la section suivante.
Sect. ii. Th.j^ formant une véritable mélodie, en/a 5, complétée par le
dessin f sous une forme amplifiée par l'agrandissement des inter-
valles du torculus nnal :
— Cette section se termine par une grande cadence mélodique en i</5.
Sect. mi. Cellule a- développée "p^iv augmentation et suivie du dessin ^, en
sdi {oTvne amplifiée, reprenant enfaH la grande cadtnce mélodique
de la SECTION 11, pour aboutir à une conclusion mélodique faite des
mêmes éléments que celle qui termine la première subdivision de
la SECTION I.
Il faut remarquer que le ton de fan {t-elalif du ton principal) s'est
déterminé peu à peu dans cette pièce, comme si elle tendait vers cette
tonalité pour V atteindre seulement à la fin, ^'acheminant ainsi, en quel-
que sorte, vers le finale qui contiendra la glorification des trois motifs
cycliques.
4° Allegretto poco mosso, en la : combinaison' tout à fait neuve des
4 2b
LA SONATE CYCLIQUE
formes S et R. Cette sorte de Rondeau à quatre refrains se divise en
/ro/5 parties dont la première est une eA-jt705;7/o;/, la deuxième un véri-
table développement des thèmes propres au finale, combinés avec les
motifs cycliques, et la troisième une réexposition conclusive du
refrain :
Exp. Réf. i. Phrase tirée de la cellule x (partant de la T. au lieu de partir
de la D. comme dans le mouvement initial) ; cette phrase, faisant
fonction de première idée, se poursuit en un canon mélodique
perpétuel à Voctave, d'une grâce pénétrante et douce et d'une sim-
plicité d'écriture presque sans exemple jusqu'ici:
T. ^k
ir^\i '^^^
— Petit couplet très court, exposant au piano le thème f.
— Réf. 2, en UT S et toujours en canon.
— Petit couplet partant de/a It et modulant par le dessin f vers la D.
— Réf. 3, en MI {canon), placé comme une seconde idée et terminant
Vexposition par une cadence à la D.
Dév. Grand couplet central formé d'éléments cycliques :
— cellule .X (sous la forme de P. dans le deuxième mouvement) en marche
vers si b.
— repos en si \>, puis en mi l», par le th. du refrain combiné avec le motif
^ à la basse.
— deuxième fragment mélodique du refrain, changé de degré et de
fonction {T. au lieu de D.) et allant de sol S -la b à re 5- mi b ;
^
^
m^éEEm
f
— grande cadence mélodique f, provenant du troisième mouvement
(Fantaisie) et modulant de ré H à /a, puisa UT.
— même dessin i^, formant repos, en UT et la, pour la rentrée.
Réexp. Réf. 4, en LA, en canon perpétuel, avec transposition à la T. de
la cadence à la D. qui terminait Vexposition,
Certes, on doit admirer ici par-dessus tout la haute valeur musicale
des idées mélodiques qui donnent à cette admirable Sonate la vie et
l'émotion intense qui l'animent ; mais, si l'on faisait abstraction pour
un instant de ses qualités magistrales d'invention, cette œuvre ne
demeurerait-elle pas quand même un témoignage irrécusable de la
séculaire tradition beethovénienne, immuable point d'appui d'une
rénovation profonde dans les formes, laissant intact le fonds légué par
toute une dynastie de musiciens de génie I
LES FRANÇAIS 437
Camille SAINT-SAENS, né à Paris, se présenta deux fois à l'épreuve
du prix de Rome, en i852 et en 1864 ; mais le jury lui préféra toujours
un musicien de moindre valeur. Organiste de Saint-Merry depuis i833,
puis de la Madeleine, de i858 à 1877, i' fonda en 1872, avec Romain
Bussine et quelques autres musiciens français, la Société nationale de
Musique et contribua beaucoup à son développement. Il fut aussi un
pianiste virtuose des plus remarquables et dirigea pendant plusieurs
années une classe de piano à V Institut de Musique de Niedermeyer.
En 1881, il devint membre de l'Académie des Beaux-Arts,
L'écriture musicale, chez Saint-Saëns, est toujours très classique ; on
rencontre parfois dans ses œuvres certaines juxtapositions de tonalités
malaisément explicables; mais il sait toujours donner à ces voisinages
■difficiles une solution correcte et élégante, qui n'a rien de commun
avec les lourdes maladresses tonales si fréquentes dans les œuvres, de
Brahms et des néo-classiques allemands. Il semblerait plutôt que Saint-
Saëns n'ait pas toujours une confiance très ferme en ses propres idées
musicales, comme s'il les sentait lui-même un peu sèches et dépourvues
d'expansion chaleureuse. Quoi qu'il en soit, la valeur de ces idées est
toujours rehaussée par un travail des plus intéressants, pour lequel
tout au moins leur auteur mérite d'être classé au premier rang des
artistes de notre temps.
Saint-Saëns a écrit une Sonate pour piano et violoncelle
(op. 32) et deux Sonates pour piano et violon : l'une en ré (op. 731,
l'autre en A// 1) (op. 102).
Alexis de CASTILLON, né à Chartres, manifesta dès son enfance une
véritable passion pour la musique ; il n'en fit cependant point sa carrière
tout d'abord et devint officier de cavalerie. Mais il donna sa démission
quelques années après et alla demander des leçons de composition à
Victor Massé : celui-ci ne lui apprit absolument rien, et réussit même
à le dégoûter pour un certain temps de l'art qu'il avait toujours aimé.
C'est alors que Castillon fit la connaissance d'Henri Duparc qui le pré-
senta à son maître César Franck. Il n'en fallut pas davantage pour
rendre à Castillon toute son ardeur ; il s'enthousiasma pour l'enseigne-
ment si clair et si pénétrant du génial symphoniste, avec lequel il com-
mença une étude complète de la composition, après avoir détruit toutes
ses œuvres antérieures qu'il jugeait indignes de lui.
Pendant la guerre de 1870, Alexis de Castillon reprit son service
militaire : il contracta bientôt ufie atVection de poitrine à laquelle il
succomba, à l'âge de trente-cinq ans.
Alors que presque tous les musiciens de son époque n'écrivaient
guère que des opéras, Castillon avait été l'un des rares esprits nette-
4»8 LA SONATE CYCLIQUE
ment orientés vers l'ordre symphonique et avait contribué, dans la
mesure du possible, à l'essor de la Société nationale de Musique^ véri-
table pépinière de la symphonie française à la fin du xix^ siècle.
Outre ses œuvres de Musique de Chambre que nous examinerons
ultérieurement, Castillon a laissé une belle Sonate pour piano et vio-
lon, en UT.
Gabriel FAURÉ, né à Pamiers, fut élève de Saint-Saëns à l'École Nie-
dermeyeret devint organiste à Rennes avant d'être maître de chapelle,
puis organiste du grand orgue (en 1896) à l'église de la Madeleine. Il
fut nommé en 1906 directeur du Conservatoire de Paris et, en 1909,
membre de l'Institut.
L'invention musicale revêt, chez Fauré, un caractère très spécial
qu'on pourrait appeler mélodico-ha?v?iofiique, car la mélodie semble telle-
ment liée à ses subtiles harmonies qu'on ne saurait l'en séparer : il en
résulte un effet éminemment séduisant, comparable à celui de certaines
couleurs chatoyantes. Cette ligne mélodique ne plane peut-être pas aux
hauteurs sereines de celle de Franck, elle n'est pas toujours aussi habi-
lement ouvragée que celle de Saint-Saëns, mais elle n'en demeure pas
moins intimement prenante, et toute àme accessible à la poésie ne peut
manquer d'être conquise par son indéniable charme.
Fauré fut aussi l'un des fondateurs de la Société nationale de Mu-
sique ; celles de ses œuvres qui appartiennent au genre de la Musique de
Chambre nous fourniront, dans la Seconde Partie du présent Livre,
l'occasion d'une étude plus complète. Mentionnons ici sa Sonate pour
piano et violon, op. 1 3, en la, qui date de 1 878 (i).
Vincent d'INDY, né à Paris, élève de César Franck depuis 1872, fut
pendant cinq ans timbalier et chef des chœurs aux Concerts du Châte-
let. D'abord secrétaire et plus tard président du comité de la Société
nationale de Musique, il seconda, avec Alexandre Guilmant, l'inlas-
sable activité de Charles Bordes, pour la fondation, en 1895, de la
Schola Cantorum, dont il est devenu seul directeur en 1904. C'est là
qu'il enseigna, depuis le mois d'avril 1897, le Cours de Composition
MUSICALE dont les éléments techniques et historiques constituent le
présent ouvrage.
Bien que le fait de parler de ses propres œuvres prête toujours à
quelque critique, l'auteur n'a pas cru devoir omettre de mentionner ses
deux Sonates : la première, en ut, pour piano et violon, op. 5g (1904),
(i) Une deuxième Sonate pour piano et vir)lon et une Sonate pour piano et violoncelle
ont été composées par Fauré en 1917.
LKS FRANÇAIS
429
la seconde, en mi, pour piano seul, o . 63 (1907). C^tte dernière a
même paru pouvoir faire l'objet, en raison de sa forme spéciale, d'une
analyse destinée à montrer l'une des évolutions opérées déjà dans la
conception cj-cliquc de la Sonate, une vingtaine d'années après la pre-
mière réalisation complète due à César Franck.
La Sonate en mi est en trois mouvements : les motifs cycliques géné-
rateurs sont au nombre de trois, dont le premier {x) régit toute l'œuvre :
Le deuxième {v) apparaît seulement à titre de phrase complémentaire
dans le mouvement initial ; mais il engendrera plus tard l'idée prin-
cipale du Scherzo :
Le troisième (^"i, simplement exposé dans le mouvement initial, sert à
former le premier trio du Sclierio :
1° Modère, en ;;// ; Introduction dans laquelle sont esquissées, sous une
forme qui n'est pas encore définitive, les trois idées cycliques (.v. > , ç).
Le thème principal X (formé de .v et complété par r) s'expose ensuite
en ;;//, et sur le degré de la dominante comme point de départ. Il est
suivi de quatre variations servant à Vamplijîer suivant les principes in-
diqués ci-après, au chapitre vi. Chacune de ces Wiriations amplifica-
trices est terminée par une exposition chaque fois diflérente du dessin
y. Après la quatrième variation, reparaît le grand thème X, en mi, mais
partant cette fois du degré de la médiante (en fonction de tonique),
c'est-à-dire tel qu'il a été cité ci-dessus et qu'il restera dorénavant dans
la suite de l'œuvre.
2° T?'i's animé, en SOL, de forme Scherzo à deux trios :
Scherzo. Th. A, en sol, forme par le dessinj^ et développé :
430 LA SONATE CYCLIQUE
Trio I. Th. B, en Mii>, formé par le dessin f qui donne naissance à une-
phrase complète :
SCHERZO. Th. A, en SOL.
Trio IL Th. C, en ut, provenant d'une autre modification àt y i
^ A ce thème s'adjoint bientôt une nouvelle interprétation du dessin Xy
préparée rythmiquement déjà et s'exposant complètement en UT :
4 L ■^i^'^u ' ^
Scherzo. Th A, en sol, exposé une troisième fois pour conclure avec un
rappel du trio i.
3* Finale. Modéré, en Mi, de forme Sonate, avec une Introduction, en
;«/, symétrique de celle du mouvement initial : toutefois, les interven-
tions du dessin complémentaire (^) sont remplacées ici par une nouvelle
phrase mélodique destinée à former peu à peu le thème A du .finale ;:
le motif [y) n'est plus ici qu'une transition entre cette introduction
et le thème A lui-même, marquant le commencement du dernier mou-
vement proprement dit :
Exp. Th. A, en MI, formant une phrase complète en trois périodes :
®
p^
feê
t^t^^^^
-etc.
T. (VI)
- Pont modulant, dont le dessin mélodique a pour origine le motif j' eL
part du ton de fa pour aller vers celui de LA ï> :
etc.
LES FRANÇAIS
43'
Th. B, en LA b - SOL S, en trois phrases (b' , b" , b'",) dont la première
(b') esi également issue du motif^- :
Dév. par A, modulant de RÉ à sol ;
— par P, en sol, amenant un repos en t/rS par la phrase b' combinée avec
des fragments de a.
— parP, partant du ton de faH et modulant pour amener un rappel du
thème général X (exposition simplifiée formant repos en m).
RÉExp. Th. A, en MI.
— Pont en mi, modulant vers SOL ;
— Th. B {b' , b", b"'], réexposé en SOL, à cause du dév. term.
— Dév. term. par A, interrompu par le dessin x tendant à ramener peu
à peu le thème entier.
— par le thème général X, exposé dans toute sa force au ton prin-
cipal, MI, et se superposant vers la fin au thème A du finale.
— — rappel de b' qui termine l'œuvre en s'effaçant progressivement.
Paul DUKAS, né à Paris, fut élève du Conservatoire et obtint, en 1 888,
le second prix de Rome ; mais il se rendit compte qu'il avait jusqu'alors
appris fort peu de choses et eut la conscience de recommencer toute son
éducation musicale. Il fit donc une étude approfondie et passionnée de
l'œuvre des maîtres musiciens de toutes les époques, et parvint ainsi
par son travail personnel à se former une doctrine esthétique, attendant,
pour produire des oeuvres, d'être parfaitement sûr de lui-même.
Il a écrit une Sonate pour piano seul, en mi ^ (1900), qui n'est point
construite à proprement parler sur des thèmes cycliques, mais qui est
néanmoins soumise d'une façon indéniable à cette sorte de conception,
dans l'esprit sinon dans la forme ; c'est pourquoi il y a lieu d'analyser
ici cette oeuvre, divisée en quah^e mouvements :
1° Modérément vite., en w/ 1>, de forme Sonate.
Exp. Th. A, en mi\>, puis en/<jt>, s'infléchissant vers ré\> ; ce procédé d'as-
sombrissement progressif par les quintes graves se rencontre
fréquemment dans les œuvres du même auteur ; mais il sait l'em-
ployer assez habilement et sobrement pour que le sens tona!
général n'en soit point oblitéré : l'harmonie de mib, au contraire,
reparaît ici toujours en fonction de tonique, sans la moindre
équivoque.
— Pont, par le dessin de A, amenant une sorte d'e.vposition préparatoire
du th. B, toujours par sa quinte grave (SD.).
— Th. B, composé d'une phrase unique, en SOL
433
LA SONATE CYCLIQUE
DÉv. par a en forme modulante, aboutissant à une marche vers la D. de
mi, puis vers la D- de ré ;
— par B, exposé en état de repos, en S/ t>, puis en MI -FA \> .
Rékxp. Th. A, en vxi\> et /at», suivi de P ;
— Th. B en Ml !? ;
— Dév. tertn. par le th. B qui conclut.
2° Calme, un peu lent, en L/i t>, de forme Sonate avec développement :
Exp. Th. A, en LA\> ;
— Th. B, en MI t> ;
Dév. par a, en SOL b et FA ;
— par b, en FA et SI ï> ;
— par a, en SOL ;
Réexp. Th. A et th. B au ton principal, LA)>.
3° Vivement^ en si-ut \), de forme Scherzo.
Scherzo : Thème nouveau, en si.
Trio par le Th. A du mouvement initial, prenant ici une fonction
cyclique et se résolvant en une forme fuguee qui paraît être une
transformation du même thème.
Scherzo réexposé en 51.
4° hîiroduction et finale Animé, en mi\>^ de forme Sonate :
Introd. contenant un thème générateur [x) destiné à jouer un grand rôle
dans tout le finale :
Lent j.
— Ce motif module et sert de transition entre l'Introduction et le mou-
vement Animé :
Exp. Th. A, en mil? , que nous citerons en entier, car il constitue une des
idées musicales les plus essentiellement « symphoniques » qu'on
ait écrites en ces dernières années : on remarquera l'influence
incontestablement génératrice de la cellule A'dans ce thème:
(^ Animé
X.
gif r ?r rf-
piùf
^ÉîJi_jjy.:à^^=g:M^r-t
I
:/
LES FRANÇAIS ^^^
Pont modulant ;
Th. B, en trois phrases, dont la première (b'), en Sl-UT? , est visible-
ment inspirée du thème liturgique Fange liugua... :
'•" — ■ — ^^ — ■ — " — ■ — f(,
*
m
-r^ é
— — cette phrase, comme le th. A du mouvement initial, se reproduit
à la SD.
— — b" est une sorte de développement anticipé de la phrase b"'.
— — b"' est un thème conclusif, en forme de marche, mais peut-être
un peu inférieur aux précédents.
Dév. par b"' puis par a, amenant ensuite un long développement de la
cellule X, qui part de mi \> et module par demi-tons ascendants, pour
aboutir à la D. du ton principal.
Réexp. Th. A, en mi b, suivi de P.
— Th. B (b', b", b"'), en MI ï>.
— Dév. term. par b , préparant la rentrée définitive du dessin cyclique x,
qui revient dans toute sa force et qui forme conclusion, en J//i>, à
l'aide de la phrase b'.
La forme Sonate était la seule dont nous ayons à nous occuper ici,
■en tant que prototype de toutes les autres formes symphoniques dont
l'étude sera faite, après celle de l'Instrumentation, dans la Seconde
Partie du présent Livre. Mais les quelques oeuvres citées dans ce cha-
pitre suffisent déjà, croyons-nous, à montrer que la France, après s'être
trop longtemps désintéressée de toute participation active au progrès
de l'art symphonique pur, a le droit de se considérer dorénavant
comme largement dédommagée. Peut-être l'histoire de notre art dra-
matique et des envahissements hétérogènes dont il subit plusieurs fois
les désastreux effets nous fera-t-elle mieux comprendre, dans le Troi-
sième Livre de cet ouvrage, les raisons profondes de ce recul momen-
tané dans l'état de la musique de notre pays, au xix* siècle. Constatons
seulement l'existence et la vitalité intense de cette École de musiciens
français qui, seule en Europe et depuis César Franck, a su recueillir
€t faire amplement fructifier le magnifique héritage de Beethoven.
CoVRi DE COMPOJITION, — T. Il, I »9
VI
LA VARIATION
Technique.— i. Définitions et division». — 2. L'Ornement rythmo-monodique --
3. L'Orrernent polyphonique ou contrapontique. — 4. L'Amplification thématique.
Historique. — 3. La Variation ornementale. — 6. La Variation décorative. — 7. La Varia
tion amplificatrice.
TECHNIQUE
I. — DEMMTIO.NS ET DIVISIONS
La Variation consiste en une succession logique d'expositions
intégrales d'un même Thème, offrant chaque fois un aspect rvthmique,
mélodique ou harmonique différent, sans cesser d'être reconnaissable ;
en tant que forme de composition, elle est en général destinée à un
seul instrument récitant, jouant seul ou accompagné, et tire son origine
des reprises pariées dites doubles, en usage dans les pièces lentes X)
et surtout dans les pièces modérées (M) appartenant aux anciennes
Suites (voir ci-dessus, p. 114); à ce titre, la forme Variation constitue
le corollaire et le complément indispensables de la forme Suite et de
la forme Sonate.
Mais le principe de la Variation et son rôle dans la composition
musicale sont loin d'être limités à cette forme spéciale, apparue assez
tardivement et tombée aujourd'hui en désuétude.
En tant que moyen expressif, la Variation a pour principe Vornemen-
tation mélodique, c'est-à-dire l'application à un même Thème de for-
mules mélodiques différentes, dans le but d'en renouveler et d'en
accroître l'intérêt, sans en altérer jamais la signification, ni, en quelque
sorte, la substance même.
L'usage de l'ornement mélodique est assurément aussi ancien que
la voix humaine et que la musique elle-même : aussi pourrait-on lui
assigner trois états, distincts mais non successifs, correspondant assez
bien, dans le domaine technique, aux trois grandes Epoques de l'His-
toire musicale :
i" Vornement rytlimo-monodique variant intrinsèquement le texte thé-
436 LA VARIATION
matique lui-même, par l'adjonction de groupes rythmiques acces-
soires, de formules ou de neumes plus complexes, tout en respectant
le schème mélodique primitif, établi d'après les principes énoncés au
Premier Livre (i) ;
2° Vornement polyphonique ou contrapontique, variant extrinsèque'
ment le texte thématique qui peut demeurer immuable, tandis que des
lignes mélodiques adjacentes, destinées à être entendues simultané-
ment, se superposent à lui sans affecter notablement son rythme, ni
sa mélodie propre ;
3° Vamplijication thématique, sorte de Variation à la fois intrinsèque
et extrinsèque, dans laquelle la présence du Thème, au lieu de se révé-
ler constamment par une superposition effective ou possible de sa
mélodie, résulte seulement du sens tonal général et de certains points
de repère, harmoniques ou mélodiques, reparaissant dans un ordre
constant : c'est une sorte à' interprétation ou de commentaire musical
du Thème plutôt qu'une exposition ornée ou contrepointée.
Bien que ces trois états de l'ornement doivent nécessairement être
envisagés l'un après l'autre dans l'étude technique qui va suivre, il
ne faudrait point les considérer comme absolument successifs : ils
coexistent au contraire dans un grand nombre de formes musicales
participant de la Variation. Il ne sera donc pas possible, pour la clas-
sification historique de ces formes, de procéder, comme on l'a fait
précédemment pour la Fugue, la Suite et la Sonate, par époque et
par école ou par nationalité. Presque tous les compositeurs, en effet,
ont eu recours, pour fleurir, commenter ou magnifier les Thèmes créés
par eux ou fournis par d'autres, à la Variation.
Mais les plus anciens étant, sans contredit, les anonymes auteurs des
cantilènes grégoriennes, il sera naturel de faire correspondre à l'étude
technique de Votmetnent lythmo-monodique l'histoire de la Variation
ornementale.
L'adjonction de Vornement contrapontique était nécessaire pour
qu'un Thème puisse s'exposer plusieurs fois avec des dessins différents,
et recevoir ainsi une sorte d'enluminure sonore comparable aux enca-
drements et aux figures régulières qui servent à la décoration d'un
édifice : c'est pourquoi l'on trouvera en deuxième lieu l'histoire de la
Variation dite décorative^ la seule d'ailleurs qui ait constitué, par
elle-même, une forme de composition.
Enfin, V amplification thématique et son corollaire historique, la
Variation amplificatrice créée par J.-S. Bach, devaient logiquement
apparaître en dernier lieu, à la place d'honneur qui leur appartient
(i) Voir !•' liv., chap. ii, p. 43.
L'ORNEMENT RYTIIMO-MONODIQUE 4 37
de droit, en tant qu'aboutissement de la Variation dans le passé et
point de départ probable de ses formes nouvelles dans l'avenir.
Les points de vue technique et historique demeurent donc ici étroite-
ment liés l'un à l'autre : c'est pourquoi les deux sections de ce chapitre
sont presque inséparables, caries exemples nécessairement très succincts
de \si section technique doivent être complétés par de fréquentes compa-
raisons avec les citations corrélatives, plus nombreuses et plus déve-
loppées, de la section historique.
2. — l'ornement rythmo-monodfque.
Il ne semble guère possible d'entreprendre ici une étude complète
de Vornement, qui se confondrait, à peu de chose près, avec celle de
toute la mélodie, sinon même de toute la musique : un chapitre
entier du Premier Livre de ce Cours a déjà été consacré à la Mélodie;
la Musique, c'est le sujet de tout l'ouvrage... II convient donc ici de
se borner à quelques considérations particulières, destinées principa-
lement à en suggérer d'autres au lecteur, tout en lui laissant le soin
d'apprécier les innombrables effets de Vornement sur toutes les œuvres
qu'il connaît déjà et qu'il connaîtra par la suite, depuis les premières
cantilènes monodiques de notre admirable liturgie chrétienne, jus-
qu'aux ouvrages les plus récents et les plus complexes de notre art
musical symphonique et dramatique contemporain.
On a défini la Mélodie a une succession de sons déterminés différant
entre eux à la fois par leur durée ou leur intensité et par leur intonation
(gravité, acuité) » (i).
Le fait d'inégalité qui se retrouve à l'origine du rythme et de la
mélodie (2), comme dans toute manifestation de l'activité humaine,
implique une importance relative entre les sons d'une mélodie quel-
conque et. par application des principes rythmiques « d'ordre et de
proportion dans le temps », une hiérarchie entre eux : les uns occupant
des fonctions principales, dirigeantes et nécessaires, tandis que les
autres, plus modestes, remplissent des fonctions accessoires, en quel-
que sorte subordonnées et contingentes.
L'analyse des mélodies nous a révélé pratiquement cette hiérarchie,
en nous apprenant « à éliminer successivement... les notes accessoires
d'ordre purement ornemental, pour ne tenir compte que des notes
réelles )>(3). Celles-ci constituent Vossature ouïe schème mélodique dom
il a été souvent question : leur modification ou leur suppression
(i) Voir !•' liv., p. 3i.
(3) Voir [" liv., p. ab ei ^uiv.
(3; Voir I" liv., p. 42.
4 38 LA VARIATION
rendrait méconnaissable ou inintelligible la mélodie dont elles sont,
pour ainsi dire, \di substance^ l'élément invariable au sens strict du mot.
Le trésor grégorien abonde en formes mélodiques tantôt ornées,
tantôt réduites littéralement à leur « plus simple expression » ; et, s'il
n'est pas toujours certain que la forme dite primitive ait précédé chro-
nologiquement ïoruemeiit, celui-ci doit toujours être considéré comme
ajouté à un, thème plus simple, préexistant. Mais, lorsque la liturgie
elle-même nous a, par bonheur, 'conservé les deux textes dont l'un
est la Variation de l'autre, il y a tout lieu de croire que cette antério-
rité du Thème n'est point h3'pothétique : tel est le cas déjà cité du
premier vers de la séquence Lauda, Siou, Salvatorem par rapport à la
première vocalise de V Alléluia de la fête de V Assomption (i). La juxta-
position de ces deux textes et les exemples analogues qu'on trouvera
ci-après dans la section historique (p. 449 et 45o) feront mieux com-
prendre le principe et le mécanisme de Vornement lythmo-monodique :
THEME
g
Lauda.Si- on, Sal-vatôrem
ornementale . 9
Variation IZI , - I.iît__!.,
Alle- lu- ia.
La première note [mi) du T/ièwie primitif est précédée dans la Variatioyx d'un
podatiis plus grave {ut, ré) formant anacrouse ornementale.
La tierce initiale {tni, sol} est complétée dans la Variation par sa note de
passage (fa).
Les deux notes initiales (»/, 5/) sur « Salvatorem » ont reçu, dans la Variation,
leur broderie inférieure {si-ut, la-si) affectant l'aspect dit appoggiature.
Enfin, la cadence suspensive sur la dominante {la, sol) est agrémentée dans
la Variation d'un port de voix ornemental {la, sol-sol).
Dans cet exemple, les adjonctions à la mélodie primitive de neumes
ornementaux, qui modifient intrinsèquement son r3^thme et son dessin
sans en altérer le sens, sont des plus simples : nous avons vu dans
l'étude des cantilènes grégoriennes (2) qu'il n'en va pas toujours ainsi
et que Tornementation peut atteindre un degré de complexité confinant
à la surcharge. Entre ces limites extrêmes, il n'est guère possible d'as-
signer des règles fixes à l'infinie diversité des aspects de l'ornement :
nous touchons ici, en effet, comme précédemment, en matière de
modifications cycliques (p. 387), à l'élaboration même des thèmes et
des idées, c'est-à-dire à l'opération musicale la plus variable qui se
puisse concevoir. Mais ce qu'il est moins malaisé de spécifier, ce sont
(1) Voir !«' Iiv., p. 69, ex. Liber Gradualis dt Soles.i es, 2« Edition, p. aS8 et SSj.
'3) Voir I" liv., chap. iv.
LORNE.MENT RVTIIMO-Mf )\ODIQUE 4^9
précisément les éléments thématiques qui ne varient pas. ceux qui
doivent être considérés en général comme intangibles, dans leurs posi-
tions respectives tout au moins.
I*» Les notes extrêmes au grave et à l'aigu dans chaque fragment
thématique primitif.
Il va de soi, en effet, que la substitution d'une formule descendante
dans la Variation à une formule ascendante dans le Thème dénature no-
tablement celui-ci (1): la ligne mélodique, si simple qu'on la suppose,
passe nécessairement par des notes plus aiguës ou plus graves (on pour-
rait dire des points maxima et des points mininia), à partir desquelles
le mouvement change de sens ; ces notes sont les plus apparentes et
les plus significatives de chaque groupe ; leur modification ne peut
prendre quelque importance et quelque durée sans atteindre la substance
même du thème.
2" Les accents principaux, par voie de conséquence.
Ces accents ne coïncident pas toujours avec les notes extrêmes : mais
ils constituent des points de repère par lesquels se rétablit en quelque
sorte l'origine thématique de chaque fragment varié : un changement
notable dans ces points de repère entraînerait donc à peu près inévita-
blement une déformation du Thème primitif excédant les limites de la
Variation proprement dite.
3° Les cadences suspensives ou conclusives.
Cette sorte de ponctuation musicale étant nécessaire à l'intelligibilité
du Thème ne peut être gravement modifiée par l'ornementation, sans
donner lieu à de véritables interprétations nouvelles de ce Thème, c'est-
à-dire à ce que nous avons appelé Y amplification thématique (voir
ci-après, p. 443;.
Cette sauvegarde des notes exlrcnies, des accents et des cadences ne
s'applique avec quelque rigueur qu'à l'ornementation du genre rytlimo-
monodique seulement : l'histoire de la Variation ornementale (voir ci-
après, p. 448 et suiv. ), à laquelle cette sorte d'ornement a donné naissance,
en montrera de nombreuses vérifications appartenant à toutes les épo-
ques. Mais il est rare que, dans une œuvre de quelque importance ayant le
caractère de Variation, l'ornement rythmo-monodique soit employé seul :
témoin, les admirables Etudes en forme de Variations, op. i 3, de Schu-
mann, auxquelles nous emprunterons nos exemples des trois espèces
qui divisenr cette étude technique sommaire de la Variation. Par sa seule
(i) Il faut toutefois faire une réserve pour le cas où la Variation consisterait précisément
è renverser le Thème, c'est-à-dire à substituer à chacun de ses intervalles ascendants prin-
cipaux un intervalle descendant corrélatif, ainsi qu'il a été expliqué ci-Je«sus (p. 25), à
propos du Canon inverse. Mais une telle \'ariation n'appartiendrait pas à rornementation
ry-thmo-monodique qui, seule, nous occupe ici.
4iO
LA VARIATION
et géniale intuition, l'auteur sut appliquer tour à tour dans ces douze
pièces qui constituent un cycle d'un nouveau genre, l'ornemeni rythmo-
monodique, l'ornement contrapontique et V amplification thématique.
A vrai dire, le premier de ces trois moyens y est d'un emploi plus rare
et moins typique que les deux autres ; cependant, l'arpège initial descen-
dant, qui provient du Thème et se reproduit au début de la VII« Va-
riation (Etude IX), orné de ses notes de passage et d'une broderie, peut
encore être rattaché à la même catégorie d'ornement que V Alléluia cité
précédemment ;
T.KE
Variai ion ù M^|-?V
ornementa te '--(m " --4^
etc.
Mais cet emploi assez restreint du pur ornement, dont on trouvera
ci-après (p. 4D1 et suiv.) plusieurs autres exemples, est largement com-
pensé par les applications magistrales de la polrphonie et de V amplifi-
cation dans cette œuvre, dont les mérites sont d'autant plus grands
qu'elle fut conçue et réalisée en un temps où la forme Variation semblait
avoir atteint le dernier degré de la déchéance.
3. — l'ornement polyphonique ou contrapontique,
A cette Variation tout i?itri?isèqiie des Thèmes par l'ornement rythmo-
monodique, sorte de floraison spontanée et instinctive de la voix qui
chantait librement les louanges du Créateur, la polyphonie médiévale
ne devait point tarder à imposer sa rigoureuse discipline. En effet, la
superposition de chants différents, simultanés et le plus souvent imités
l'un par l'autre, à tour de rôle et à intervalles constants, tout en lais-
sant subsister dans chacune des parties mélodiques Vêlement otvtemental,
réglait plus sévèrement sa forme ou sa durée, et le répartissait entre les
diverses voix par des moyens totalement inconnus des monodistes.
Ainsi paraît s'établir avec les premiers déchants et diaphonies (i) l'u-
sage de faire entendre des vocalises ornementales ;^ar/e<?5, en même temps
que le Thème liturgique intégral, chanté par le peuple.
Dans cet éiai polyphonique de la Variation, le Thème subsiste m/r/;zsè-
quement : il ne varie pas ; la Variation circule autour de lui, s'en inspire.
(1) Voir 1" liv., chap. x.
L'ORNEMENT POLYPHONIQUE ^^,
le commente et l'imite, sans l'atteindre ni le pénétrer : elle devient
purement extrinsèque.
VorHeme)it coulrapotttique diffère donc essentiellement du précédent
en ce qu'il a pour base nécessaire la superposition consonnantc de
sons différents, V Harmonie, V Accord (i).
La succession d'intervalles harmoniques élémentaires, formés par
l'adjonction d'une ou de plusieurs mélodies au-dessus ou au-dessous du
Thème préexistant, constitue le Contrepoint consonnant {note contre
note). En voici un exemple emprunté au magnifique Choral Aus tiejer
Noth de J.-S. Bach (2):
(2) 73) (4) TS) ^6) TtT
I Notes consonnautt's qui deviendront la \aiiation
(8)
Dans cette ligne contrapontique rudimentaire, ror;/ew<?;// prend nais-
sance par la subdivision rythmique des valeurs, dite contrepoint Jîguré
{deux, trois, quatre notes contre une., etc.). Il en résulte une ligne ou
une trajectoire mélodique faite de valeurs plus brèves, en forme de
neumes plus ou moins ornementaux, qui prennent \e\xT point d\-ippui,
de distance en distance ou de mesure en mesure, sur les intervalles
consonnants déterminés précédemment.
Entraînés par leur propre mouvement, ces neumes ou ornements
contrapontiques peuvent même déplacer parfois leurs points d'appui
respectifs : la consonnance, au lieu d'être rigoureusement simultanée,
est alors retardée., ào. temps en temps, par suite de la non-coïncidence
des rythmes appartenant aux parties mélodiques superposées, comme
si, dans cette superposition, l'une ou l'autre des parties avait été recu-
lée d'un ou de plusieurs temps par rapport à l'ensemble. Cette disposi-
tion très spéciale est connue sous le nom de contrepoint sjncopé.
Consonnance., subdivision rythmique et syncope, tels sont en définitive
les éléments or^tï;//<///t^5 du Contrepoint. Leur adaptation esthétique à
un Thème, par le moyen de Vimitation musicale sous toutes ses formes
{directe., inverse, rétrograder, augmentée, diminuée, etc.), constitue
Vorjiement contrapontique ou Contrepoint Jleuri, dont nous donnons ci-
après un exemple appliqué au même Thème que l'exemple précédent:
(i) Voir \" liv., chap. vi.
(3) Éd. Petcrs, vol. VI, p. :6.
44-;
L\ VARIATION
i
Variation contrapontique
q«=s:
^
^
É
„' I
I a, imité et
43l
diminup
>>--^ r
^
:3n=e!
* * ..L — ^
-F--<^
^^4^4^^^
ië
É
5^=F
g^g#r- rr =f^
^^
m
*^
'-rr'irrTîz;
^^^^
-^- ii^'^^^J:
*i|
^OT
^^^
5
-1» f^-
>-w-
m
ïïF
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I ! ^ I F
^^
^
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fi f >,
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^^
i
=,^g^t»j^
^^
^@
**^^ — e^
É
S
nXlJ^
^^
j.*d*V^ '^^
-ts^ *■
5^
^
«5^
^
rr «rr..
*—
^
X>_
-0_
Ui:
-P—G^
xt
|(j) thkmT
1^^
if^
^^
jt±:
:^(i) (ï) (-) ^ (4) (r,F
■. Notes principales du contrepoint consonnant
'tj) (7)
(S)
L'ORNEMENT POLYPHONIQUE ^4^
On remarquera, à la partie la plus grave dans les quatre dernières
mesures, le spécimen de Contrepoint note contre note cité ci-dessus
(p. 441). Ce même fragment, par le moj'en des subdivisions rythmiques
et des syncopes^ est devenu un Contrepoint fleuri.
En étudiant les maîtres palestriniens (i), nous avons eu l'occasion
d'admirer déjà les plus belles manifestations vocales de Y ornement con-
traponlique. Transporté dans le domaine instrumental avec laTroisième
Époque de l'Histoire musicale, il subsista d'abord à peu près intact,
dans les pièces d'orgue principalement. Le Choral varié et la Fugue en
contiennent maints exemples analogues à celui qu'on vient de lire. On
en rencontrera ci-après, dans la Can-{ona, la Passacaille et la Chaconne
(p. 467, et suiv.) trois applications caractéristiques, fondées sur la pré-
pondérance respective du rythme, de Vharmonie et de la mélodie,
comme moyens de Variation.
Mais, avec les errements harmoniques qui supplantaient peu à peu les
vieux usages polyphoniques., avec la virtuosité qui se propageait de plus
en plus aux dépens de V expression musicale, la Variation, issue du Con-
trepoint, devint bientôt méconnaissable.
Le mauvais goût croissant des interprètes, qui agrémentaient de leurs
fioritures les reprises des divers airs appartenant aux Danses et aux
Suites, avait déjà lassé les compositeurs : par nécessité d'abord, puis
par plaisir sans doute, ils s'étaient décidés à écrire eux-mêmes les
Doubles variés ou les Reprises dont il a été question ci-dessus (p. 114
et 198) : ils en arrivèrent bientôt, et pour le plus grand dommage de la
musique, à pratiquer la « variation pour la variation », ainsi que nous
en montrerons quelques exemples ci-après (p. 460 et 461).
Alors apparaissent et pullulent ces recueils dits Thèmes variés ou
Airs variés, dans lesquels les formules contrapontiques, désormais des-
séchées et racornies, ont revêtu l'aspect de petites vignettes harmoni-
ques que nous avons comparées précédemment (p. 436) aux figures
régulières qui décorent certains édifices.
En cet état décoratif devenu si vulgaire, les deux sortes d'ornement
sont mélangées ou alternées, mais également appauvries : l'ornement
monodique est devenu grupetto., fioriture italienne; l'ornement contra-
pontique, basse ou dessin thématique obstiné subsistant à l'une des parties,
tandis que les autres se réduisent à des arpèges harmoniques peu ou
point ornés.
Ce que nous avons appelé les éléments intangibles du Thème ne
consiste plus guère que dans le nombre de mesures (généralement
quatre ou huit) de ses périodes avec leurs harmonies plates, leur
(1) \'oir l«f liv., chap. x.
•1-44
LA VARIATION
immuable monotonie et les notes initiales de chacune d'elles, véritable
« poteau indicateur », « guide-âne » de l'auditeur bénévole. Les quatre
mesures suivantes, extraites de VAir célèbre de l'opéra comique Biaise
ff 5a^e/, de Dezède, rar/é par Dussek, suffiront à nous faire mesurer
d'un coup d'œil l'insondable sottise de ces fastidieuses et innombrables
Variations, où sont parfois amoncelées tant d'inutiles difficultés pour
l'exécutant, tandis que la musique, si « musique » il y a, est réduite à
la ^perpétuelle répétition d'une même cadence à intervalles réguliers,
sinon en valeurs égales :
THEME
) tiriatioH
décor atiiC
^
^
i
*
I -m- -»- 1 gm- ^
■ fi^n
g±^
^i±f^^El
Toutefois, les Études en forme de Variations de Schumann, bien
qu'elles soient apparues peu après cette période de « décomposition »,
contiennent des exemples d'ordre contrapontique et décoratif, qui ne
participent en rien à cet état de dégénérescence. Et Ton peut vérifier
par là, une fois de plus, la justesse des réflexions de Ruskin que nous
avons citées au début de ce Livre (p. 17). Car il n'est pas de forme
avilie ou désuète dans laquelle les sentiments d'un artiste sincère ne
puissent trouver leur expression la plus émouvante et la plus origi-
nale : telle, la phrase pleine de tendresse et de passion qui s'expose à
L'AMPLIFICATION THÉMATIQUE
441
la partie supérieure, dans cette II* V^ariation au rythme inquiet et
haletant, tandis que la basse fait entendre le Thème dans sa forme pri-
mitive :
Va ridtian décorative
L.
UUJ'U ^UJ'
=s?i=i:
&«s
u
Mffê.r-^^^nm
■ L
=ï=?:
^
zA=À:
=i?=iî=
feS
S
M
^
T
T
Certes, nous sommes assez éloignés ici du style contraponlique :
c'est pourtant le même principe de la superposition de mélodies dif-
férentes qui se retrouve à Torigine de toutes les pièces instrumentales
ayant donné naissance à la forme Variation proprement dite
Nous n'avions jusqu'ici constaté l'existence de cette forme qu'à
titre de pièce constitutive d'une Suite ou d'une Sonate (voir ci-dessus,
p, 1 14 et 3oo). On verra plus loin, dans la section historique du présent
chapitre, quelle fut sa destinée en tant que pièce isolée dite Vai-iation
décorative.
4. — L AMPLIFICATION THÉMATIQUE.
Qu*elle fût envisagée au point de vue intrinsèque ou extrinsèque, mono-
dique ou polyphonique^ la Variation avait pour caractéristique constante
l'exposition préalable ou simultanée d'un Thème permanent, exprimé
ou sous-entendu, mais toujours identique à lui-même. Cette sorte de
substance thématique^ intangible dans ses notes extrêmes {maxima et
minima), ses accents et ses cadences^ à l'état ornemental, ou, dans les
dimensions métriques de son cadre, à l'état décoratif, participe tou-
jours des qualités de la matière : ces deux sortes de Variation ou d'Or-
nement permettraient le plus souvent une reconstitution matérielle de
leur Thème dont on pourrait rechercher, une aune, les notes éparses
44fc
LA VARIATION
dans la représentation graphique, pour leur restituer leur ordre primi-
tif, leur intonation et leur valeur.
Si toutefois, à l'état ornemental^ ce respect de la lettre ne nuit point
à VespritâiM Thème, il n'en est pas toujours de même à l'état décoratifs
où Vesprit est souvent absent, tandis que la lettre, seule, demeure.
L'étude de la Variation nous révèle enfin un troisième état, dans
lequel la lettî^e, ou, si l'on préfère, la note est à peu près absente, tandis
que Vesprit, Vexpression demeure. On se trouve alors en présence
d'une véritable interprétation, d'une amplification du Thème, dont la
notation seule ne donne plus qu'une idée tout à fait insuffisante.
Il est presque impossible d'apprécier à quel moment exact une phrase
ainsi amplifiée cesse d'être reliée ou reliable au Thème qui lui a donné
naissance ; mais on peut assez nettement établir, par élimination, où
commence cet état spécial de la Variation.
Dès que les éléments nouveaux adjoints au Thème pour le varier ne
permettent plus sa superposition, même fragmentaire, à la Variation,
il y a proprement amplification si l'expression générale du Thème
n'est pas sensiblement altérée, et si l'on peut suivre à travers la Varia-
tion les enchaînements mélodiques ou harmoniques les plus caractéris-
tiques du Thème, alors même qu'ils se reproduiraient sur d'autres
degrés ou dans d'autres tonalités.
Un exemple, emprunté comme les précédents aux Études en forme de
Variations de Schumann, fera mieux percevoir cet aspect particulier
du Thème, varié dans son essence même et subsistant à l'état latent,
alors que rien ne le révèle positivement dans les notes écrites :
Variation amplificatrice
4'
^ïïr~T^^ ^^
r^W
Transposé à sa quinte supérieure (50/ s), le Thème précédem-
ment exposé (p. 440) est reconnaissable ici à son intervalle initial de
quarte descendarJe et à sa modalité. Cette quarte, avec la formule orjie-
mentale qui la suit, se reproduit sur divers degrés, commentant et
amplifiant l'arpège initial du Thème, pour en faire une phrase nouvelle
L'AMPLIFICATION THÉMATIQUE 447
dont la première période aboutit, comme la période correspondante du
Thème, au ton re/a/z/ majeur.
Il faudrait exécuter l'une après l'autre la phrase du Thème et cette
amplification expressive de ses notes principales, pour bien se rendre
compte que c'est là une véritable Variation, issue du Thème, auquel
elle ajoute, non seulement des formules ornementales et contra-
pontiques nouvelles, mais encore un commentaire ou une explication
musicale qu'il ne semblait point contenir ni faire prévoir.
La part de l'invention est donc beaucoup plus grande dans la Varia-
tion amplificatrice que dans toutes les autres, et la meilleure, sinon la
seule étude qu'on en puisse faire consiste dans la lecture attentive des
oeuvres de ceux qui l'ont génialement employée, comme J.-S. Bach
dans certains Chorals d'orgue, Beethoven dans plusieurs pièces lentes
de ses Sonates et de sa Musique de Chambre, César Franck dans
ses Variations s/mphoniques et ses Tî'ois chorals d'orgue. QueKques-uns
des plus beaux spécimens connus, dans ce genre de Variation, seront
analysés ci-après (p. 466 et suiv.) ; mais, si Ton songe à l'inépuisable
variété des ressources qu'un tel moyen met à la disposition du véritable
musicien, on constatera sans surprise que de telle sanalyses, même faites
avec le plus grand soin, ne puissent donner autre chose que des indica-
tions essentiellement incomplètes.
L'amplification thématique apparaîtra ainsi comme une voie presque
illimitée et à peine explorée encore dans le domaine de la compo-
sition musicale. On y retrouvera certains jalons entrevus déjà à l'occa-
sion des fonctions tonales et des modulations. L'analyse harmonique ( i)
nous a appris, en effet, que les /ro/5 fonctions [tonique, dominante^ sous-
dominante) se retrouvent à la base des agglomérations de sons en appa-
rence les plus compliquées.
L'ordre dans lequel se succèdent ces fonctions, dans un Thème
donné, fournit à ram/7///?ca//o« une sorte d'arwa/«re assez résistante pour
la maintenir à l'état de Variation, tant que cet ordre reste semblable à
celui qui est apparu dans le Thème lui-même : l'étude des schèmes
harmoniques est donc des plus utiles pour la Variation amplificatrice.
On peut tirer aussi de l'analogie déjà signalée (p. 247 et suiv.) entre
les modulations et les notes mélodiques un moyen d'interprétation du
Thème, qui appartient au même ordre de Variation : dans le Thème
amplifié, la broderie se change alors en modulation ornementale acciden-
telle, la note de passage en haj^monie modulante passagère, tandis que les
notes réelles indiquent seulement certaines modulations définitives.
La plupart de ces moyens n'avaient été indiqués jusqu'à présent
(1) Voir I" liv., p. 17.
4^8 LA VARIATION
qu'en matière de développement ; mais le développement, alors même
qu'il procède par amplijication (voir ci-dessus, p. 243), ne doit point être
confondu avec la Variation amplificatrice. Dans le développement^ en
effet, un Thème agit : il se démembre et module ; il est en marche pour
arriver à un autre état ou à une autre tonalité. Dans la Variation, au
contraire, un Thème s'expose : il peut se compléter et revêtir des orne-
ments nouveaux ; mais ces modifications, si profondes qu'elles soient,
ne le mettent pas en mouvement ; il demeure en repos au point de vue
tonal, et c'est la raison pour laquelle la plupart des Thèmes avec
Variations, même les plus beaux et les plus complexes, s'éloignent
très peu du ton principal.
Les transformations cycliques d'un Thème, tout à fait distinctes, elles
aussi, du développement^ ainsi que nous l'avons constaté (p. 379),
tiennent souvent beaucoup de V amplification thématique, et c'est pour-
quoi 1 étude de ces transformations devait être suivie immédiatement
dans cet ouvrage de celle de la Vitriation.
Développement et amplification constituent donc, en définitive, pour
la Symphonie comme pour la Littérature, les principaux moyens mis
en œuvre dans l'art de la composition.
Mais, pas plus chez l'écrivain que chez le musicien, la connaissance
technique de ces moyens ne peut /jma/s suppléer, ni au don créateur
qui, seul, fait naître les idées, ni à la conscience artistique qui les
discerne.
HISTORIQUE
5. — LA VARIATION ORNEMENTALE.
Nous avons expliqué précédemment pourquoi le phénomène de la
Variation, inhérent à presque toutes les manifestations musicales, était
nécessairement aussi ancien qu'elles.
Dès les débuts de l'Époque monodique, en effet, la Variation apparaît
sous une forme purement ornementale comparable, comme on l'a vu
dans le Premier Livre de ce Cours, aux rinceaux et aux entrelacs qui
servent à rehausser l'importance des lettres initiales dans les manu-
scrits du moyen âge (i) : c'est pour cette raison que toute une catégorie
de cantilènes monodiques a été qualifiée par nous à: ornementale.
Pour bien comprendre ce rôle spécial de la Variation, il est néces-
saire, avons-nous dit, de dépouiller la mélodie de l'ornement qui l'en-
lace, c'est-à-dire d'éliminer les notes accessoires pour ne tenir compte que
(i) Voir !«' liv., p. 67 et suiv., p. 76, etc.
LA VARIATION ORNEMENTALE 449
des notes principales constituant Vossature ou le schènie mélodique \\ .
Quelques exemples de monodies grégoriennes, présentées sous leur
double aspect de Schème mélodique et de Variation ornementale, feront
mieux apparaître Torigine de ce genre de Variation.
UAlleluia de la Messe de F Aurore pour la fête de la Nativité (2) peut
assez facilement être ramené à sa ligne primitive :
SCHÈME MÉLODIQUE ^~r\~' '~[j '"■~' ■"] ~' T," |~"~"'.T£|
Alie-ii'i- i:i.
Variation ornementale ^J'— -'■■'S-^— '— H— ■-*'7'-'^-;^- jl^fS:*»:' ;.l}l!:V!ii:i_ :
AUc-iii-
L'antienne O sacrum convivium... (3) est aussi très caractéristique
au point de vue ornemental :
SCHÈME MÉLODIQUE iz^ZIZ
^^^^^=:^^
o sa- crum convîvi- uni, in quo Christus su- mi-tur;
Variation ornemenlale il'"- -■■-■- r»-» |^ «■ — c ■~i'r~~y' "■" . "1
„..pi« 3 1,1 ?5z _♦_ ■ »j , z
o sa- crum convivi- um, in quo Chrisius su- mi-iur
■ —
5— -■— '— — ^— 1-« :—:■—■: — — []
reco- li- tur mémo- ri- a passi- 6- nis e- jas, etc.
reco- li- tur mémo- ri- a passi- 6- nis e- \us,etc.
A rÉpoque polyphonique, la Variation ornementale subsiste, indé-
pendamment de la superposition des parties vocales différentes formant
le système spécial de Tornementation contrapontique (voir ci-dessus,
p. 441). Chaque partie de ce Contrepoint fleuri, en q^qx., sq comporte
comme une véritable monodie avec ses ornements propres, et il est sou-
vent aisé de retrouver le texte même de la cantilène grégorienne qui a
servi de modèle à cette Variation.
Le motet de Palestrina Assumpta est Maria in cœlum (4), par
exemple, n'est qu'une Variation du thème grégorien que nous donnons
ci-après dans sa forme simple et dans sa forme ornée usuelle (5) : il
(1) Voir \" liv., p. 42 et ci-dessus, p. 437.
(ï) Liber Gradualis de Solesmes, 2« édition, p. 3i.
(3) Paroiss'en de Solesmes, p. 494.
(4) Anthologie des Maîtres religieux primitifs, vol. II, p. 63.
(5) Paroissien de Solesmes, p. gjô.
Cours de composition — t. h, i. 29
45© LA VARIATION
n'est pas difficile de reconnaître, dans l'une des parties de la polyphonie
palestrinienne, les notes essentielles de la mélodie primitive appu3ées
sur les mêmes accents du texte. La vocalise grégorienne sur cœlum est
peut-être même plus.riche que celle du maître romain sur le même mot :
: g iM
8CHÈME - '' ■ m \ * m »— f-»
Assûmp- ta est Ma- ri- a in cae- lum.
Varialion 1 _ î^" « 1-,--,-'"* *»__«-.> î '. "ft, , i jTT
grégorienne :—-■-♦-%-»-■-■ \-l*- ^-Sii \ .Z ^-^VA^»->^r
Assûmp- ta est Ma- ri- a in cae- lum^
Assimp^ta est Ma-ri _ a in cœ - . _ lum.
Avec l'Époque métrique, nous voyons la Variation ornementale se
présenter à nous sous forme de notes passagères, ornant la mélodie
vocale et surtout instrumentale, soit dans les Chorals d'orgue, chez.
Frescobaldi, Pachelbel, Buxtehude et J.-S. Bach, soit aussi dans cer-
taines pièces de forme particulière comme la Can^ona, la Passacaille et
la Chaconne (i). Toutes les surcharges dont s'alourdit, sous la dénomi-
nation d'agréments, la musique du xvin* siècle, principalement en
France, sont l'excès de cette sorte de Variation.
Cet usage de l'ornement est tellement entré dans les mœurs musi-
cales que les phrases mêmes ou les Thèmes d'Andante destinés à être
pariés par le procédé dit décoratif doni nous parlerons ci-après (p. 461)
contiennent, dès leur première exposition, dans les œuvres de Haydn,
Mozart, Beethoven (2) et leurs contemporains, une foule de détails divers
(broderies, arpèges, groupes, appoggiatures, etc.) appartenant déjà à
la Variation ornementale.
Qu'on examine, par exemple, la phrase-lied exposée et réexposée par
Haydn dans V Adagio de l'une de ses dernières Sonates, en Ml b, : le
dessin mélodique originel, le schème^ si l'on veut, est des plus simples.
Nulle part, du reste, l'auteur ne l'expose dans sa nudité: les reprises
de ce Thème, au contraire, sont ornementées chaque fois d'une
manière différente. Nous donnons ci-après les quatre premières
(i) Avec J.-S. Bach, le Choral varie, tout en contenant de véritables ornements, est traité
le plus souvent par le moyen de V amplification thématique. 11 sera donc question plus par-
ticulièrement du Choral à propos de la Variation amplificatrice, ci-après, p. 466. Quant
à la Can:{ona, la Passacaille et la Chaconne, qui ont, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus
(p. 104), leur place marquée parmi les ascendantes naturelles de la Variation ornementale,
on verra plus loin (p. 437) comnient leur forme même (indépendamment de leurs ornements)
a coniribué aussi à préparer l'avènement de la Variation décorative.
(2) C'est surtout dans les œuvres appartenant à ses deux premières manières que
Beethoven emploie ces expositions ornées des Thèmes.
LA VARIATION ORNEMEMALK
451
mesures du Thème mélodique primitif (non employé par Ha\dn), et
des six états par lesquels il passe successivement :
schÈme =
mélodique (1^^ 4 |
'aviation Q 1 ';<% ^
1 ^£f
^^^"%T^M^F^^^
î=^
SCH
453 LA VARIATION
On voit par cet exemple quelques-uns des innombrables procédés dont
disposaient les compositeurs de cette époque pour varier l'exposition
d'une idée mélodique. On pourrait étudier de la même manière les
Thèmes des pièces lentes ci-dessous désignées, dans les Sonates pour
piano de Beethoven (i) :
Sonate op. 2 n» i : Adagio, en Fi4 ;
— op. 7 : Largo con gran espressîone, en UT;
— op. ion" I : Adagio tnoito, en la ii ;
— op. 22 : Adagio con moW espressione, en A//l>;
— op. 28 : Andante, en ré;
— op. 3i no I : Adagio gra^ioso, en LT;
— op. 54: In Tempo d'un Miuuetto, en /-.i (premier mouvement);
— op. 106 -, Adagio, en fa z, dont l'admirable Thème cité ci-dessus (p. 24S)
passe par les interprétations mélodiques les plus variées.
De ces divers Thèmes, le dernier seul (op. 106) appartient aux œuvres
de la troisième manière : son exposition est déjà beaucoup plus simple
que celle des précédents. Et si Ton compare ceux-ci avec les Thèmes de
la IX* Symphonie (surtout celui du finale), avec VArietta de la Sonate,
op. III, ou avec les diverses idées appartenant aux pièces lentes des
derniers Quatuors à cordes (XIIP, XIV% XV% XVI*), cet accroissement
de simplicité sera plus frappant encore.
Des constatationsanalogues, faites sur les oeuvres de tels autres grands
musiciens, tendent à prouver que les idées musicales des hommes de
génie se simplifient au furet à mesure qu'ils avancent dans leur carrière,
qu'elles se dépouillent des vains ornements et se rapprochent de la ligne
primitive ou schématique dans toute sa pureté. La caractéristique
propre à l'artiste accompli et conscient, c'est cette ferme volonté de ne
traiter que des sujets ayant \iu.q y qXqmv par eux-mêmes et ne l'empruntant
pas aux vêtements ou aux ornements dont ils sont parés.
La recherche du détail pittoresque ou amusant, l'inutile complica-
tion sont inhérentes à la jeunesse: l'artiste parvenu à l'âge mûr, forti-
fié par ce métier qui constitue proprement son talent, doué de cette
invention qui est le réel génie, peut seul dégager en ses lignes simples
l'essence même des choses, et la montrer à nu, en quelque sorte, dans
son éternelle beauté.
L'œuvre de Beethoven est des plus instructives à cet égard.
Après lui, on retrouve chez les Romantiques la Variation ornemen-
tale emplo3^ée surtout dans les pièces de mouvement lent : Schubert,
Mendelssohn, Liszt même en usent largement. Seul, Schtjmann y met
plus de réserve et s'éloigne moins des formes mélodiques simples.
Quant à Chopin, ses idées musicales ont ceci de particulier qu'elles
(i) Dans la IV» et ddns la V» Symphonie, on trouve des Thèmes d'Adagio qui sont aussi
du même ordre.
LA VARIATION ORNEMENTALE
4Î1
sont presque toujours nécessairement ornemenlales^ suivant des formes
et peut-être même des formules spéciales, tout à fait personnelles et
aisément rcconnaissables. Les premières mesures de VAndante du
Concerto pour piano, en ;«/, que nous citons ci-après, dans leur ligne
schétnaliqiie (non employée par l'auteur) et dans leurs deux états diffé-
remment variés, donneront une idée assez nette du système de Va-
riation appartenant en propre à Chopin :
se MÊME -0 IfiJ^^
mt'lodiqiip y\) i^--X
Variation J
•SGH
Dans la Polonaise-t' antaisie, en la b, op. 6i, œuvre d'une inspiration
très inégale, malgré des éclairs de génie, on trouve aussi une mélodie
assez caractéristique, en raison de sa nature à peu près exclusivement
ornementale. En voici les premières mesures:
SCHEME
\ (trial io
"¥^-^^^^1: '^u^^^^^^^S
4 54 LA VARIATION
Il est aisé de constater que la ligne primitive à laquelle se rédui-
sent ces deux phrases musicales, lorsqu'on les dépouille de leurs
ornements, est infiniment moins riche que celle des phrases de Haydn
ou des cantilènes grégoriennes citées précédemment (p. 449 et suiv.).
Les idées de Chopin comme celles de beaucoup de compositeurs
modernes, et surtout de compositeurs jeunes, valent donc plus par
leur vêtement que par leur propre fonds musical : et c'est là une nouvelle
vérification de ce qui vient d'être dit (p. 452) à propos de Beethoven.
On peut faire le même reproche aux mélodies italiennes du commen-
cement du XIX* siècle : leurs somptueux ornements en voilent assez mal
la pauvreté originelle, due à la trop grande hâte et à la faible cons-
cience artistique de leurs auteurs. Il faudrait bien se garder de juger
cette surcharge de mauvais goût (généralement inutile, sinon nuisible
au point de vue esthétique) de la même manière que les vocalises si
expressives de J.-S. Bach et de ses contemporains. Celles-ci, en effet,
comme l'antique Variation grégorienne dont elles procèdent en ligne di-
recte, font corps, le plus souvent, avec la mélodie ; bien au contraire,
la fioriture de l'école dramatique italienne, destinée seulement à faire
valoir l'agilité vocale du chanteur(de même que la Variation de Chopin,
pourtant plus musicale, met en relief les doigts du pianiste) cette
fioriture consistant le plus souvent en quelques broderies autour d'un
arpège est véritablement plus harmonique que mélodique : or, on sait
que cette harmonie même est ici des plus banales.
Au reste, les Italiens n'ont-ils pas reconnu eux-mêmes le peu de prix
qu'ils attachaient à ces vocalises de virtuosité, en ne les écrivant pas
et en les laissant à la discrétion (on pourrait dire à Vindiscrétio7i) du
chanteur qui, par un abus devenu réglementaire, les modifiait suivant
sa fantaisie et son humeur.
Rien n'est plus instructif à cet égard que la comparaison d'un air
italien, lu sur une partition d'orchestre originale, avec le lamentable
état où se retrouve le même air, par l'effet du temps (et surtout des
éditions), au nom de la prétendue « tradition du théâtre » : les airs du
Barbiere di Siviglia et de Semiramide^ de Rossini, peuvent servir
d'exemple, comme aussi la plupart des morceaux d'opéra de Bellini, de
Donizetti et de Verdi dans sa première manière.
On rencontre parfois, dans les œuvres de Weber, une forme assez
spéciale de la Variation ornementale, dont maint compositeur moderne
a su tirer un excellent parti : elle consiste dans l'adjonction d'une for-
mule mélodique nouvelle (d'un neume différent) à la redite d'un mem-
bre de phrase mélodique qui serait, sans cette Variation, totalement
dénuée d'intérêt.
Au II' acte du Freiscliïtl^^ par exemple, dans la Prière d'Agathe, le
LA VARIATION ORNEWENTAI.E
45Î
scandiciis harmonique qui fait de \a h-oisième mesure une variante de
\a première, suffit à donner une importance particulière à cette simple
redite du dessin a :
rai in (ion de a
^
^E^
_:=— <^ — ■ 1 — — — tf—, — t^M — " — " — '
Lied er . schal - le, Fei
crml wal . le,
De même, dans la Sonate, op. 49, la seconde idée (B) du mouvement
initial contient un dessin assez ordinaire, dont Weber fait l'objet
d'une variante qui en rehausse notablement l'intérêt :
0£;:u.Ml=^
tout autre auteur du xviii" siècle n'eût pas manque d'écrire
Celui qui usa de ce procédé de la façon la plus fréquente et la plus
heureuse fut César Franck, dans les œuvres duquel nous rencontrons
très souvent des redites de dessins semblables, auxquelles ce système de
Variation prête un attrait tout nouveau.
Les exemples se présentent à foison chez ce musicien de génie ; nous
nous contenterons de citer :
1° le sujet de la Fugue dans la troisième des six premières pièces
d'orgue, Prélude, Fugue et Variation, dont il a déjà été question ci-des-
sus (p. 97) :
2° la seconde idée (B) du mouvement initial dans la Symphonie en
ré :
4s6 LA VARIATION
3° le thème de V Allegretto dans la même Symphonie :
a.
A •
r 1
1
"«WrTrk — :i — 1
—
• h* — ^ — ^-
1 * *r.^
1
^■V
Lia
H"
1 — a —
^'* i ''n
fj
Chez Richard Wagner, les motifs, surtout dans les œuvres de sa troi-
sième manière^ sont presque tous exposés à un état très voisin du schéma
le plus simple, et la Variation ornementale y revêt presque exclusive-
ment la forme du gruppetto italien ; ce procédé pour fleurir sa mélodie
fut employé par lui du commencement à la fin de sa carrière : il est
connu sous le nom de « groupe wagnérien », et on le retrouve dissé-
miné partout au cours de ses œuvres.
Il nous suffira de citer les passages suivants ;
I» R'icnii (1840), acte V ; prière de Rienzi ;
2" Lohengrin (1847), ^^^^ ^^1 scène 2 :
S!E2È^
* »
3" Tristan iind Isolde (1859), acte III, scène finale
m.
P=ë=
«— •
't^''^^^
m
Won .
ùiiK'ment
. ne Kla.gend
4" Gotterddmmerimg (1872), Prologue :
^
fer^-^^
onieiiient
LA VARIATION DECORATIVE
5° Parsifal (18S2), acte II, scène 2 :
^57
De nos jours même, la Variation ornementale règne encore dans la
mélodie moderne: témoin, la fleur donx. se sert Claude Debussy [Pelléas
et Méiisaiide, acte I'^'", scène 3) pour orner les trois notes caractéristiques
du rêve de la blonde princesse :
6. — LA VARIATION DÉCORATIVE.
La Canzona, la Passacaille et la Chaconne. — Avant que la Va
riation décorative ait acquis sa forme définitive dans le Thème varié
dont il sera question ci-après (p. 461), elle passa par diverses phases
préliminaires dont nous allons retracer succinctement l'histoire.
La Can\ona (i)est assurément la première en date, dans cette forme
de Variation : elle consiste,* ainsi que nous l'avons dit ci-dessus (p. 104),
dans l'exposition d'un Thème simple en rythme binaire suivi d'une ^'a-
riation ornée du même Thème en rythme ternaire.
Nous avons montré (p. 126) un exemple de Can^ona franccse alkc-
tant successivement ces deux aspects rythmiques. On peut voir parla
citation ci-après (p. 458) qu'au temps de J.-S. Bach la forme de la Can-
:{ona[2) ne s'était pas modifiée et consistait toujours dans la Wiriation
rythmique d'un Thème préexposé :
(i) Cette forme musicale, qu'on rencontre à l'origine de la Variation ornementale (voir
ci-dessus, p. 450) comme à celle de la Variation décorative, lievixl exister déjà au xiii» siècle.
Dans un dialogue de Dante avec son ami le musicien Casclla {Div. Comm. Piirg.. chap. it).
il est question d'une Can^ona dont le texte poétique est cité dans le Convivio du même au-
teur. Malheureusement, le texte musical est perdu.
(3) Cette Can:{ona pour orgue, qu'on trouvera dans l'Edition Pcteis \\o\. IV, p. 34, est
écrite sur un Thème grégorien que nous avons déjà cité maintes fois et notamment au
Premier Livre de ce Cours (p. 69). Le même Thème a clé traite aussi par l'rcscobaldi [Fiori
musicali, p. 77, dans l'édition de i635).
.)38
Là variation
E.i position: • i,y^ ^^ rrzz
(binaire) ^ [> ^ -^
I h u-r^-Tr^rrf=^
Variation- -jT^ 0 > ! .
(ternçire^ -(nV— 2— — ^ J ^
^^
«>-=-
^
Tout autre était le sj'stème de la Passacaille, pièce dans laquelle le
Thème (ordinairement exposé par la basse) reste identique à lui-même
pendant toutes les Variations. Celles-ci sont donc purement contrapon-
tiques et extrinsèques : elles sont liées nécessairement à une polyphonie
et constituent de véritables Variations harmoniques.
La forme de la Passacaille fut des plus répandues pendant tout le
XVII* siècle et le commencement du xviii*. On la trouve surtout en
Italie, où son influence se fait sentir, non seulement dans les pièces ins-
trumentales, Danses de Cour, etc., mais encore dans Vopéra lui-même:
un assez grand nombre d'a/'rs ou de duos de cette époque sont écrits en
forme de Passacaille avec basse obstinée (i).
L'exemple le plus parfait que Ton puisse donner de cette sorte de
Variation décorative est la Passacaille, en m/, pour orgue^ de J.-S.
Bach (2), écrite à Weimar vers 171 5. L'admirable Thème, d'origine
grégorienne, s'expose d'abord, seul, à la pédale :
Il est suivi de vingt Variations, toutes traitées dans ce même ton et
sans la moindre modulation ; mais, grâce à l'exubérance mélodico-ryth-
mique et à l'intérêt de l'écriture contrapontique, elles ne donnent pas
un instant l'impression de monotonie. Une dernière Variation, en forme
de Fugue développée sur le même sujet, termine cette belle œuvre.
Dans la Chaco7ine, le Thème, généralement exposé à la partie supê-
(i) Voir notamment : Monteverdi, Incorona^ione di Poppea et divers opéras d'Alessandro
Scarlatti.
(a) Édition Petcrs, vol. 1, p. 75.
LA VARIATION DECORATIVE 439
rieiire^ reçoit ensuite des ornements de plus en plus riches et prin-
cipalement mélodiques ; c'est donc, à proprement parler, une suite
de Variations mélodiques^ dans lesquelles nous trouvons déjà le
principe du llième varié, tel qu'il s'établira définitivement au
xvm* siècle.
En Italie et en Allemagne, la Chadonne a conservé assez longtemps
son aspect de Variation ; en France, au contraire, cette forme dégé-
néra beaucoup plus vite : sauf une véritable Chaconne variée qu'on
trouve encore, en 1721, dans un opéra-ballet. Les Eléments^de Destou-
ches, les morceaux qui figurent sous le même titre dans les autres
opéras ou ballets français n'ont plus gardé de la Chaconne primitive
que le mouvement balancée! le rythme ternaire: telle est, par exemple,
la danse finale dans Dardanus, de Rameau ( 1 739). La pièce intitulée
Chaconne^ dans le cinquième acte â'Armide, de Gluck (1777), pourrait
même être assimilée plutôt à un Menuet, sauf sous le rapport de sa
longueur. La Chaconne si connue, pour violon seul, de J.-S. Bach,
et les pièces de ce nom qu'on rencontre dans les œuvres de Haendel
et des autres Allemands appartenant à la première moitié du xviii^ siècle
n'ont point subi la même déformation : elles ont gardé, au contraire,
leur caractère de Variations mélodiques.
Les Doubles. — Comme nous l'avons signalé déjà au chapitre de la
Suite (voir ci-dessus, p. 1 14), il faut chercher l'origine du double dans
la nécessité de « reprendre » certains Airs à danser dont l'exposition
simple eût été trop courte pour permettre aux gestes et aux attitudes
de se répéter autant qu'il était nécessaire dans les Danses de Cour.
Au lieu de recommencer à satiété l'air déjà entendu, l'habitude s'éta-
blit à'orner la mélodie, lorsqu'elle reparaissait de nouveau, afin de
donner de !'« agrément » à la reprise.
Danse et Chanson étant, au début de la Troisième Epoque, intimement
liées, les chanteurs se gardèrent bien de négliger ce moyen de faire
valoir l'agilité de leur voix par des « agréments » et des « passa-
ges » (1) ; aussi, dès le xvii* siècle, chaque Danse, chaque Air de Cour
avait son double instrumental ou vocal.
L'un des premiers qui introduisirent en France ce genre de \'ariation
fut Henry de Bailly, surintendant de la musique du roi Louis XIII,
qui mourut en i63c).
Un peu plus tard, iMichki. Lambert (1610 7 lôoô), maître de musi-
que de la chambre de Louis XIV' et beau-père de Lulli, composa un
grand nombre d'Airs de Cour et Brunettes (i66('>), ainsi qu'un recueil
(i ) Voir, dans La Fontaine, la table Le Savetier et le t'inaitcier.
460
LA VARIATION
à'Aws et Dialogues dans lesquels le double, copieusement orné, prenait
une large part (i).
Nous retrouvons cette disposition dans la pièce lente (type L) d'un
très grand nombre de Suitts du xviii' siècle. Dans les mouvements du
type S, ainsi que nous l'avons dit au chapitre de la Sonate (voir ci-
dessus, p. 198), les reprises furent longtemps traitées comme des
doubles et diversement « agrémentées » suivant la fantaisie des exécu-
tants ; c'est contre cette interprétation arbitraire que Ph.-Emm. Bach
voulut protester en écrivant ses Sonates îjîH verànderten RepiHsen.
Comme exemples de doubles^ on peut lire la Sarabande de la deuxième
Suite anglaise, en la, de J.-S. Bach et aussi la Courante de la première
Suite, en la, qui a deux doubles, différemment agrémentés.
La pièce pour clavecin intitulée Les Niais de Sologne, appartenant à
la troisième Suite de Rameau (IP livre, 1724), et intercalée ensuite dans
le ballet de Dardanus, n'est pas autre chose qu'un Rondeau à deux
doubles, avec cette disposition spéciale que le /premier double consiste
en une Variation rythmique
THEME
^m
^
^ m
^
m
fc=mxn
Vdijublt -A-t g dj/ M .^ /
m m
-^-^3?^^^=^
La Variation du second double procède au contraire par modification
de la basse, c'est-à-dire harmoniquement ; et ces deux procédés, l'un
rythmique, l'autre harmonique, sont employés simultanément dans la
période concluante de la pièce :
(i) Lorsque les chanteurs de la Chapelle du roi se disposaient à taire la reprise d'une
pièce de musique, LuUi avait, dit-on, coutume di les arrêter par cette phrase : « Gardez le
double pour mon beau-père! »
LA VARIATION DECORATIVE
461
Ht] jlr^,Kl^"J %rr.^* ' j^ ! •-
Le Thème varié. — A force de multiplier les doubles fqui devenaient
ainsi des triples, des quadruples, etc.), les musiciens du xviii'' siècle en
arrivèrent k écrire un nombre indéterminé de Variations, sur un Thème
préalablement exposé, et à créer ainsi une véritable forme musicale
nouvelle qui atteignit même, dès son apparition, une valeur artisti-
que très élevée. Cette forme dite Thème varié (i), procédait à la fois
du genre ornemental employé dans les doubles et du genre décoratif en
usage dans la Chaconne et la Passacaille.
Les intéressantes Vainations pour Clavecin deHAENOEi., sur divers airs
et notamment The harmouious Blacksmith (2), en Ml, sont universel-
lement connues.
J.-S. Bach a laissé Trente Variations sur une Ay^ia, en SOL, contenant
une série de canons à tous les intervalles et le finale populaire
Quodlibet, qui suffiraient à constituer déjà toute une littérature pour
cette forme du Thème varié. Son incomparable Kunst der Fuge (voir
ci-dessus, p. 87 a 92), que l'on doit considérer aussi comme une suite
de Variations, équivaut à de véritables « lettres de noblesse » pour ce
genre de composition, qui fut pendant plus d'un siècle l'un des plus
répandus, à la fois dans le mode ornemental et dans le mode décoratif.
Il convient d'énumérer ici les principales manifestations du Thème
ranV, celles qui otfrent quelque intéressante particularité tout au moins,
et méritent pour ce motif d'être étudiées par les musiciens.
J. Haydn fit un grand nombre de Variations, tant dans ses Sonates
que dans ses Symphonies ou ses Quatuors; nous nous contenterons de
citer, comme spécimen de Variation purement conirapontique, le Thème
varié du 77' Quatuor (connu sous le nom (X Hymne autrichien) dans
lequel la mélodie, selon le système de l'ancienne Passacaille, ne se mo-
difie jamais et reste toujours, au cours des Variations, intégralement
exprimée par l'une des parties instrunientales : la Variation est donc
(i) Des essais de Thèmes variés avaient été tentés déjà assez longtemps auparavant par
dCô musiciens anglais, et notamment VV. BYRD(voir ci-dessus, p. 71 et 174). qui écrivit en
i5qi diverses Variations sur des airs 'cpandusàson époque en Angleerre. Par exemple :
Victoria, The Carman's whistle([e Sifflement du Charretier), etc.
(a) Le Forgeron harmonieux.
463 LA VARIATION
extrinsèque ; elle réside tout entière dans les contrepoints et les combi-
naisons/7o/;7?/zo7n*^«e5 qui en résultent.
Mozart, dans sa Sonate pour piano, en la (Vienne, 1779), emploie la
Variation d'une manière toute différente : la mélodie de V Andante gra-
•{ioso qui sert de premier mouvement à cette Sonate, se modifie intrinsè-
quement par ses ojmements, sa mesure et même son harmonie, dans
les six Variations qui suivent. Et cet exemple suffit à donner une idée
exacte de la façon dont Mozart traite la Variation, partout où il s'en
sert.
Beethoven emploie la Variation dans les mouvements lents de
cinq Sonates pour piano (type LV) :
Sonate op. 14 n" 2 (170S) : Andante, en UT, avec trois Variations et reprise
de la première période du Thème, servant de coda ou de quatrième
Variation (voir ci-dessus, p. 33j);
— op. 26 (1801): Anda77te, en LA\f, remplaçant le mouvement initial du
type S, qui n'existe pas dans cette Sonate; ctl Andaute contient
cinq Variations, dont la dernière se termine par une sorte de phrase
complémentaire du Thème, ainsi que nous l'avons signalé ci-dessus
(p. 341);
— op. b-y Sonate appassionata (1804) : Andante con moto, en RÉ'?, avec
trois Variations et reprise finale du Thème relié au finale sans con-
clusion (voir ci-dessus, p. 849) ;
— op. 109 (1820) : Andante niolto cantabile ed espressivo, en MI, avec
six Variations et reprise du Thème (voir ci-dessus, p. 365);
— op. m (1822) : Arietta. Adagio niolto simplice e cantabile, en UT,
avec quatre Variations, développement, reprise du Thème et déve-
loppement terminal (voir ci-dessus, p. 369).
Dans quatre Sonates pour violon, on trouve aussi des Thèmes variés;
mais ils ne sont pas toujours en mouvement lent :
Sonate op. 12 n" i (1798) : Andante con moto, en LA ;
— op. 3o no I (1802) : Finale, en la, avec Variations;
— op. 47 (i8o3), Sonate à Kreutzer (voir ci-dessus, p. 369) : Andante
en FA ;
— op. 96(1812) : Finale, en SOL, Presto avec 5e/?f Variations (voir ci-
dessus, p. 370) ;
quatre des Quatuors à cordes contiennent encore des Variations :
Ve Quatuor op. 18 n» 5 (1801) : Andante, en RÉ ;
X« Quatuor op. 74 (1810) : Finale en Mlï>, Allegretto avec huit Variations et
une conclusion;
Xlle Quatuor op. 127 (1834-1825) : Adagio, en la]? ;
XlVe Quatuor op. i3i (1826) : Andante, en LA.
mais ces deux derniers Thèmes variés (Xll^ et XiV" Quatuors) appar-
LA VARIATION DÉCORATIVE ^6^
tiennent au genre de la Variation amplificatrice et seront analysés ci-
après (p. 477 et suiv.).
Beethoven écrivit aussi un certain nombre de Thèmes pariés dans ses
œuvres de Musique de Chambre avec piano : il faut citer notamment
le Trio, op. 97, dont VAndante cantabile, qui sera examiné ultérieure-
ment, comprend c/«^ véritables Variations : la dernière participe aussi
du développement; elle commente et conclut la phrase du Thème (i).
Quant au finale de la IX" Symphonie, op. i25, c'est encore une géniale
application de la Vai^iation : nous l'étudierons en son temps (i).
Il convient de signaler aussi quelques-uns des nombreux Thèmes
variés qui constituent des œuvres séparées de Beethoven : op. 34 et
op. 35, par exemple.
Les Six Variations, en F.4, op. 34, dédiées à la princesse Odescalchi,
datent de l'année i8o3. Voici les premières mesures de leur Thème :
Adacio
TF.MA
Chacune de ces Variations diffère des autres par sa mesure et par sa
tonalité : cette dernière particularité est infiniment rare dans cette
forme de composition. La Variation étant, par sa nature même, une
succession d'expositions, doit rester, en général, dans la même tonalité,
car la modulation est le propre du développement : ici, au contraire,
Beethoven n'hésite pas à enchaîner les tonalités des cinq premières
Variations par tierces (mineures ou majeures) descendantes ; il aboutit
ainsi à \3i dominante du mode opposé {ut mineur) qui relie assez natu-
rellement au ton initial {fa) la dernière Variation, ramenant le Thème
avec une phrase de conclusion. Voici le singulier enchaînement tonal
de cette œuvre :
Thème à *, en FA ;
i'* Variation à *, en RÉ;
2« — à I, en 5/ i> ;
3e — à C, en SOL;
4e — à i, en A//b ;
5« — à |, en ul ;
6« — à s, en fa.
Les Quin:^e Variations (avec Fugue), en .i//b, op. 3S (1802), dédiées au
comte iMoritz von Lichnowsky, sont faites sur unThème extrait du ballet
Les Créatures de Prométhée. Beethoven se servit une troisième fois de
i) Voir U Seconde Partie du présent Livre
4'?'1
LA VARIATION
ce même Thème, deux ans plus tard, pour en faire l'idée du finale dans
sa Symphonie héi^oiqiie (1804), ainsi que nous le verrons dans la Seconde
Partie du présent Livre.
On peut citer aussi, outre les Tî^ente-trois VaïHations sin- une Valse
de Diabelli, op. 120, dont il sera question ci-après, à propos de la Varia-
tion amplificatrice, les Trente-deux Variations sur un Thème original
qui ne portent pas de numéro d'œuvre : elles sont en ut mineur^ ce qui
semble constituer pour Beethoven une anomalie, car l'immense géné-
ralité de ses Thèmes patries sont de modalité majeure.
Depuis le début du xix* siècle Jusque vers i83o, l'engouement pour
le genre Thème parié ne connut plus de bornes et fitmème abandonner
presque tous les autres genres de compositions instrumentales, sauf le
Concerto^ devenu, par l'abus de la virtuosité, presque aussi peu musical.
Tous les compositeurs se livrèrent à la « confection en gros » de
Thèmes pariés ; quelques-uns les intitulèrent Sonates en prenant des
Romances en vogue comme texte de leurs divagations (voir ci-dessus,
p. SgS et suiv.); d'autres, de second ordre heureusement ! consa-
crèrent leur vie entière à ce genre de production.
Nous donnons ci-après une liste, très incomplète, des plus « cé-
lèbres inconnus » qui brillèrent d'un fulgurant éclat au commencement
du siècle dernier, par le rayonnement de leurs Thèmes pairies .
Joseph Gélinek (1 ySS f i82 5), J.-L. Dussek (1761 f 181 2), D. Stei-
BELT (17.63 t 1823), Anton Eberl (1766 f 1807), Joseph Woelfpl u??^
t 181 2), Friedrich Kuhlau (1786 f i832), F.-W.-M. Kalkbrenner
(1788 t 1849), J.-P. Pixis(i788 t 1874), Karl Czerny (1791 f 1857),
Ignaz Moscheles (1794 f 1870), Ad. von Henselt (1814 f 1889).
Les deux derniers n'allèrent-ils pas jusqu'à écrire des Variations pour
piano « avec accompagnement d'orchestre (i) » .. ? Mais la palme, dans
ce tournoi, revient certainement à l'abbé Gélinek, qui fournissait ses
éditeurs de cahiers [Hefte) comprenant chacun six Thèmes pariés..., et
l'on connaît de ce Gélinek cent huit cahiers de Variations (2) ! Le
(i) Variations pour piano et orchestre sur Au clair de la Itine, par Moscheles; même
disposiiion sur un thème de Robert le Diable, par Henselt.
Webere Chopin eux-mêmes n'échap, èrent pas à la contagion de cette redoutable épidé-
mie qui sévissait alors sur la musique : par exemple les Variations pour piano et orches-
tre de Chopin sur : La ci darem la mano de Don Juan !
(2) Dans le 94' de ces cahiers, on voit figurer V Allegretto de 1^ VH* Symphonie de Beetho-
ven emre des Variations sur la valse Fran:{enbrHnnen et d'autres sur un Air du hussard
hongrois à Paris. Ce fut, du reste, à l'abbé Gélinek que Weber décocha celte épigramme :
Kein Thema in der Welt verschonte dein Génie,
Das simpelste allein, dich selbst, varierst du nie!
(Aucun thème dans l'univers n'échappa à ion génie : toi-même, pourtant, le plus simple
de tous, tu ne te varies jamais !)
LA VARIATION DÉCORATIVE 465
«econd prix doit être décerné à Czerny, qui n'écrivit pas moins de
mille œuvres, parmi lesquelles on compte près de la moitié en Thèmes
pariés !
L'exagération même d'un tel dévergondage est aux dépens de sa
durée : le caprice furieux d'une mode est éphémère. Dès la seconde
moitié du xixe siècle, le Thème rar/V était à peu près tombé en désué-
tude ; cependant, au milieu de cette période de décadence, on trouve
encore quelqu es œuvres de très réelle valeur, dont il faut noter ici tout
au moins les auteurs et les principaux titres.:
Mendelssohn, Dix-sept Variations sérieuses, op. 54.
ScHUMANN, qui apporta dans deux compositions de cette forme les
inépuisables ressources de son génie : un Audaiite varié, en sii>, pour
deux pianos, op. 46, et surtout les admirables Éludes en forme de Va-
riations, en ut S, op. i3, qui nous ont fourni les exemples techniques
précédemment cités, et seront encore signalées ci-après (p. 482), à
propos de la Variation amplificatrice.
Brahms, qui se servit de la Variation dans un assez grand nombre de
iiompositions : notamment, ses intéressantes Variations à deux pianos
sur un Thème de Haydn, op. 56 ^\ et son Quintette avec clarinette,
op. 1 15.
Saint-Saëns, auteur des Variations à deux pianos sur un Thème de
Beethoven (1).
Ces retours à l'ancien Thème varié par de simples ornements, et
perpétuellement réexposé comme ces motifs d'art ^^'cora/// auxquels
nous l'avons comparé, sont de plus en plus rares aujourd'hui, sinon
disparus h jamais de tout ce qui mérite vraiment le nom de composi-
tion musicale. La Variation décorative n'a pu survivre à la vogue in-
vraisemblable par laquelle elle a passé : par un juste retour des choses,
elle est morte pour avoir renié la musique ! Celle-ci, toutefois, n'a point
renoncé à ses droits : recueillant en une nouvelle forme les éléments
ornementaux et décoratifs, elle en a fait la Variation amplificatrice, qui
semble cumuler en elle-même toutes les forces musicales de la Varia-
tion, du développement et de la transformation cyclique. Et ce nouvel
avatar de la Variation, qui a tué VAir varié, pourrait bien aboutir
dans l'avenir à une rénovation profonde des formes de notre art.
(i) Ce Thème est celui du trio dans le Menuet de la Sonate pour piano, op. 3i n» 3, ainsi
^ue nous l'avons fiiit observer ci-dessus, p. 34Ô.
Cours de composition. — t. u, i. 3^
466 LA VARIATION
7. — LA VARIATION AMPLIFICATRICE.
Le Contrepoint expressif. — Si la présence de Vornement dans la
mélodie peut être considérée comme aussi ancienne que la musique
elle-même, tant elle est inséparable du texte primitif dans un grand
nombre de cas, il n'en est pas de même de V amplification^ qui suppose
tout au moins deux états successifs de la même idée mélodique : l'un
simple, l'autre amplifié. Les premières tentatives de cette sorte de
Variation sont donc postérieures à l'époque de la pure monodie^ et c'est
l'art admirable du Motet qui leur donna naissance, par le moyen de
Vimitation ornée, fleurie et expressive, sorte de pai'aplwase ou d'agran-
dissement rudimentaire du Thème dans les parties vocales simultanées-
qui l'entourent.
Uornemetit contrapontique extjnnsèque que nous avons étudié ci-des-
sus (p. 440) devait donc aboutir, d'une part, aux formes décoratives
dont nous avons constaté la déchéance, et de l'autre aux formes ajn-
pli/îées, dont nous allons montrer la glorieuse destinée.
Ainsi qu'on l'a déjà fait observer (1), le Motet tire son origine d'un
Thème appartenant à la liturgie chrétienne : il est la Variation de ce
Thème ou seulement de ses premières notes ; et c'est par ce moyen de la
Variation que « la polyphonie classique se rattache assez bien au suprême
modèle de toute musique sacrée qui est le plain-chant grégorien (2) ».
Après le splendide rayonnement de l'art palestrinien sur toute la
musique de la Deuxième Époque, lorsque les instruments commencè-
rent à se substituer aux voix, les organistes conservèrent la tradition
religieuse de l'art du Contrepoint expt^essif pratiqué par les polypho-
nistes. Le Thème liturgique, que ceux-ci avaient traité, imité et
amplifié vocalement, fut reproduit instrumentalement sur l'orgue, et
ce procédé donna naissance aux Versets [thèmes liturgiques variés
et amplifiés) et aux Fugues [sujets liturgiques exposés et imités dans
l'ordre de succession des fonctions tonales constituant la cadence)..
Tous les compositeurs italiens, allemands et français qui ont été cités
au chapitre de la Fugue [section historique, p. 67, 71 et 74) écrivirent
aussi des Versets variés de cette espèce, portant diverses dénomina-
tions et notamment celle de Ricercari.
Cependant, l'indéniable sécheresse artistique provoquée en Allemagne
par l'esprit rigide et étroit de la Réforme luthérienne n'avait point tardé
à modifier profondément l'orientation des belles mélodies si expres-
(i) Voir I" liv., p. 147.
a) Encycirque de S. S. Pie X sur la musique sacrée {Motu proprio du 22 novembre igoS).
LA VARIATION AMPLIFiCATKICE 407
sives de notre liturgie primitive, en les enfermant dans le cadre con-
ventionnel du Choral à quatre voix.
Ce type de Choral., créé de toutes pièces par le cérémonial protes-
tant, ne pouvait avoir d'autre origine musicale que les riches monodies
en usage, de temps immémorial, dans l'Église catholique ; et cette
provenance des plus anciens Thèmes de Chorals connus ne saurait être
contestée. Mais, en s'appropriant ces mélodies, le rigorisme protestant
s'empressa de les dépouiller de tous leurs ornements., pleins d'une
piété expressive, naïve et tendre : il n'en garda que le cantus nu et
sévère, froidement exposé par la partie supérieure du chœur, tandis
que les autres voix lui fournissent un accompagnement harmonique,
généralement plaqué note contre note, ou peu s'en faut.
En quel lamentable état nous pouvons reconnaître encore ici, de
loin en loin, ces malheureuses cantilènes, condamnées désormais au
rôle piteux du « chant donné » dans ces véritables « leçons d'harmonie »
correctement réalisées suivant la « lettre », la lettre seule des règles
inflexibles ! Qu'est devenu ce souffle d'émotion intime et pure, planant
en quelque sorte entre ciel et terre, qui les animait dans les inoubliables
Motets de Josquin, Palestrina, Vitoria, Lassus et tous les autres,
sans même oublier le « bon protestant » Schutz, dont toute la sensibilité
musicale avait été entretenue et affinée par l'éducation que lui don-
nèrent, à Venise, des maîtres catholiques?
Il ne fallait rien moins que le génie d'un J.-S. Bach pour faire circuler
un peu de chaleur en ces formes froides et sans vie ; mais, si l'on ren-
contre, au cours des Cantates et des Passions du maître d'Eisenach,
quelques spécimens vraiment admirables du Choral vocal, combien
de fois l'intervention par trop fréquente de cette forme n'arrète-t-elle
pas, sans le rehausser, l'intérêt musical et dramatique de ses plus belles
œuvres ?
Le Choral varié. — Cependant, à côté du froid Choral à quatre voix
destructeur de tout art, de toute poésie et de toute tendresse dans les
cérémonies du culte, une forme nouvelle s'élaborait dans le recueille-
nicnt des tribunes d'orgue de nos vieilles églises, où semblaient s'être
réfugiés les derniers vestiges de la saine inspiration chrétienne momen-
tanément bannie des sanctuaires qu'elle avait édifiés : chez beaucoup
d'organistes allemands, l'appropriation à l'orgue de l'ancien art du
xMotet était restée une tradition encore très vivace et très forte, qu'ils
appliquèrent tout naturellement aux Thèmes des Chorals. Les pieuses
volutes de nos séculaires cantilènes ornementales, exclues du chœur où
elles n'avaient plus de raison d'être, s'exhalaient encore derrière les anti-
ques sculptures des buffets d'orgue, témoins de leur légitime splendeur.
468
LA VARIATION
Ainsi les Chorals variés reprirent, sous les doigts des Buxtehude et
des Pachelbel (i), quelque chose du style ornemental et décoratif que
nous avons signalé ci-dessus (p. 457), à propos de la Can\ona et de la
Passacaille. Avec J.-S. Bach, cette forme, déjà traitée d'une manière
très intéressante par ses précurseurs, devait recevoir le sceau génial du
maître par le moyen de V amplification thématique dont nous rencon-
trons la première manifestation vers 1702. A cette époque vivait dans
la ville de Lunebourg, en même temps que le jeune Sébastien, un
organiste de renom, Georg Bœhm (1661 f 1739), dont le style influença
nettement les premières Variations du futur Cantor de la Thomasschule :
ces trois séries de Variations, intitulées Partite, sont faites sur chacun
des trois Chorals : Christ, der Du bist der helle Tag ; O Gott, Du
frommer Gott ; Sey g-egrilsset, Jesu gïilig (2).
Plusieurs de ces Variations appartiennent à l'ordre purement contra-
pontique et déco?^atif : \e Thème reste à peu près immuable et s'expose
en même temps que les contrepoints qui l'entourent. Mais la première
Partita de chaque série (et aussi la huitième dans le deuxième Choral)
contiennent de véritables allongements mélodiques dont il convient de
donner ici quelques exemples, afin de bien montrer comment a pris
naissance le système de V amplification, qui devait avoir, dans l'œuvre
de Beethoven et de Franck, les magnifiques effets dont nous parlerons
ci-après (p. 478 et suiv.).
Voici la ligne mélodique, assez pauvre en vérité, de la première
période du Choral Christ, der Du bist... Au-dessous est transcrite
la Variation correspondante dans la première Pa?^tita ; on peut voir,
parla superposition des deux textes, la part qui revient à l'amplifica-
tion proprement dite
THEME
l'artita I
•^ I Première periodi
période
I Première pericide amplifié
(i) Voir ci-dessus, au chapitre de la Fugue (p. yS et 74). Voir aussi (p. 78 et suiv.) le rôle
de Buxtehude et de Pachelbel dans l'éducation musicale de J.-S. Bach.
(a) Ces trois Chorals, qu'on trouvera dans l'Édition Pcteis (vol. V, p. 60, 68 et 76), sont
ceux que nous avons cités conome modèles pour les travaux de l'élève dans l'Appendice du
Prc -nier Livre de ce Cours (p. 222): il était nécessaire, en effet, d'apprendre aux jeunes
compositeurs à imiter un peu intuitivennent des formes musicales dont ils ne pouvaient
pénétrer que plus tard, après mûre réflexion, la véniable beauté.
LA VARIATION AMPIJKICATRICR
409
1 m«:yures |
5S=
' ^
^^S
If^-^
La deuxième période de la même Partila ne le cède en rien à la
précédente :
^Èm
-i-^ *
I Deux lème période
^ :■> •/
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MaJ i 'bg^
/
M4
-^
^9«-
^^SP
I Deuxième période- r-mplifi
^^
^ niesiirt'^ I
Il faut citer aussi l'admirable amplification des huit notes constituant
la quatrième période dans \à prcmii're Partita du Choral Sey gegriisscl :
't^
^Quatrième périod»
.SO.(s<-y|0uatrième période amplifiée
47°
lA VARIATION
#
tJ4jaL" Lt/G
Dans le recueil didactique intitulé Orgelbuchlein, que Bach composa
en grande partie pendant l'époque de Gœthen, vers 1720, on trouve
une série de onie Chorals sur le chant Allein Gott in dei^ H'ôhe ;
Tun de ceux-ci, en sol, à 3/2 (i), contient un vrai modèle d'ampli-
fication, surtout dans les deux admirables premières périodes que
nous reproduisons ci-dessous. Le simple dessin liturgique, assez
monotone par lui-même, donne naissance, dans la Variation, à une
phrase pleine d'expression intense et pénétrante. Combien peu de
musiciens, même parmi les plus grands des successeurs du vénéré
maître d'Eisenach, ont su trouver dans leur cœur quelque ligne
mélodique comparable à celle-ci !
CHOFAL
^
I Premif re ppriode
^
Variation y^ p <{ :
amplificntrtce \\ /*
^^^WJTïTTrrjrf^'i^
v£i/| Première période amplifiée
i
m^^^^^^^S
s I)
Après cette modulation médiane à la dominante du Relatif, il faut
(1) Edition Peter», vol. VI, p. 22 et 23.
LA VARIATION A.MPLIFICATKICfc.
47»
admirer la forme véritablement triomphante de la vocalise tînale
faisant retour à la Ionique :
\ OfiixieniP ptrioiU
Dans l'œuvre d'orgue de J.-S. Bach, on doit signaler enfin à l'atten-
tion de tous les musiciens les neuf Chorals, magistralement variés
€t amplifiés, dont la composition remonte aux derniers jours de
l'existence si bien remplie du grand maître de l'orgue (i). A la fin
du printemps lyôo, Bach couronna dignement sa longue carrière par
cette suite de Prières instinimentales destinées à être jouées à l'office
et dans l'ordre des principales prières de la Messe :
I» Kyrie, Gott Vater [2] j
20 Christ, aller W'elt Trost (3) > pour le Kyrie eleison.
3o Kyrie, Gott hetliger Geist (4) )
40 Dies sind die heiVgen ^ehn Gebot (5). . . . pour V Evangile.
50 Wir glauben alV an einen Goit (6) pour le Crido.
6" Vater unser in Himmelreich (7) pour le Pater.
7° Christ, unser Herr, piin Jordan kam (8). . pour VAgnus Dei.
8° Ans tiefer Noth (9) Cantique pour la Confession.
^0 Jésus Christus, unser Heiland {10). .... pour là Communion.
Ces «^w/ chefs-d'œuvre, dont l'ensemble constitue un opus ultimum
(i) Voir Spitta : Vie de J.-S. Bach.
(a) Kyrie, Dieu le Père (Éd. Peters, vol. VU, p. 18).
(3) Christ, consolation du monde [Éd. l'cters, vol. \ H, p. 20).
(4) Kyrie, Dieu Esprit-Saint (hd. Fctcrs, vol, \'Il, p. 33).
(5) Ce sont les dix coinmandemei ts sacres (Éd. Pcters, vol. VF, p. 5o).
(6) Nous croyons tous en un seul D.cu (Éd. Petcrs, vol. \II, p. 8a). — Nous avon» cité
au Premier Livre de ce Cours (p. 69 en note) la formule finale de l'une des Variations de
ce Choral, véritable adaptation instiumentale des vocalises grégoriennes {jubila).
(7) Notre Père qui êtes aux cicux (Ed. Peters, vol. VU, p. 66).
(8) (e Christ,^ Notre-Seigneur, vint au Jourdain (Ed. Pcters, vol. VI, p. 46).
(9) Dans une profonde détresse {De profundis). — Nous avons donné ci-dessus (p. 442)
les premières mesures de ce Choral (Éd. Peters, vol. VI, p. 36).
(10) Jésus-Christ, notre Sauveur (Ed. Pcters, vol. VI, p. 87).
<:' LA VARIATION
d'une incomparable beauté, n'ont point encore été publiés jusqu'ici
en un seul recueil : on ne peut que le regretter, car ils méritent d'être
étudiés attentivement et ont été faits pour se succéder dans l'ordre que
nous venons d'indiquer.
Les Tt^ois Kyrie sont traités, pour la plus grande partie, dans les
modalités grégoriennes ; suivant la tradition symbolique du moyen
âge, la formule mélodique appliquée à Dieu le Père est ascen-
dante (i) :
La personne du Fils est désignée par un motif un peu plus long^
qui descend vers la terre pour remonter ensuite au ciel :
m:t....=^=t^^
L'Esprit-Saint, troisième personne de la Trinité, est représenté par
une charmante combinaison des formules relatives aux deux autres
personnes {qui utriusque procedit) :
i^3.
^rr~r^TT
Ce troisième Kyrie est le plus beau ; il contient, outre une fulgu-
rante envolée vers le firmament, une dépression finale, assombrissant
peu à peu la tonalité pour se reposer enfin sur la dominante d'ut^ qui
est d'un effet saisissant.
Le Credo^ en fa, avec double pédale, est empreint d'une simplicité
tout angélique, qu'on pourrait comparer à celle qui se dégage de
certaines Annonciations peintes par Ghirlandajo.
On a vu ci-dessus, comme modèle d'ornementation contrapontique
(p. 442), la premrère période du De vrofiindis écrit à six parties réelles
Ci) Comparer avec les Thèmes grégoriens du Kyrie des messes solennelles, cité au
Premier Livre, p. 71.
LA VARIATION AMPLIFICATRICE ^73
et avec double pédale : et l'on peut juger par Va de l'intensité expres-
sive de ce Choral qu'il faudrait citer en entier.
Enfin, le dernier Choral Sub Covimunione clôt dignement cette
œuvre sublime par un cantique d'action de grâces dont la mélodie est
toute remplie d'un charme caressant et doux :
Les interruptions périodiques qu'on rencontre dans cette cantilène
semblent y être ménagées à dessein pour permettre à l'àme de se re-
cueillir de temps en temps, au milieu de la joie que lui procure la
possession de son Sauveur.
La Variation beethovénienne. — Les admirables amplifications
mélodiques dont on trouve maint exemple dans les dernières œuvres
de J.-S. Bach semblent disparaître avec lui de toute la musique :
ses successeurs, voués pour la plupart au stfle galaitt^ toujours plus
brillant que profond, se contentent d'orner leurs Thèmes, sans songer
à les agrandir. Ni Haydn, ni Mozart même, ni aucun de leurs con-
temporains ne tentèrent jamais d'interpréter ou d'amplifier leurs
mélodies.
Beethoven devait arriver bientôt après et recueillir l'héritage
glorieux de Bach en continuant, dans le même sens et dans le même
esprit, l'édification de ce véritable « monument de la Variation »
dont les puissantes assises avaient été solidement posées par Bach, un
demi-siècle auparavant.
Ce n'est en etïet que vers 1820, dans la dernière période de sa vie,
en pleine maturité, qu'on voit Beethoven renouer la tradition et
demander à la grande Variation, telle que Bach l'avait comprise, un
élément capable de donner un nouvel essor à l'art musical.
Peu après l'achèvement de la magnifique Sonate, op. io6, au mo-
ment de l'élaboration de la \Iissa solcnniis, nous voyons apparaître
Wimplijîcation dans la preniière \'ariation de VAdagio qui termine
l'op. 109 et dont nous avons donné ci-dessus l'analyse (p. '^6b) :
S^--ff#=""
474 ï A VARIATION
Bien que cette mélodie exquise ait exactement le même nombre de
mesures que le Thème et n'en diffère pas notablement comme harmonie,
ces huit mesiwes (ou ces huit pieds, si l'on veut) ont vraiment le
caractère de V amplification thématique par ce qu'on pourrait appeler
Vambitus de leur ligne chantante, qui commente le texte primitif sans
le 7'eproduire ni Voi^ner positivement.
UAj'ietla qui sert de finale à la Sonate, op. iii, analysée ci-dessus
(p. 369), tout en restant principalement de Tordre décoratif, s'élève
cependant jusqu'à la véritable amplification dans plusieurs de ses
Variations et notamment dans la dernière.
Il est curieux d'observer que le Thème même de cette Arietta, véri-
table schème mélodique à peu près irréductible, se rapproche singu-
lièrement par sa cellule initiale de la Variation que nous citons
ci-après (p. 476) et qui est extraite des Trente-trois Variations
sur une Valse de Diabelli, op. 120, à peu près contemporaines de la
Sonate, op. 1 1 1 .
Cette Valse, en UT, avait été composée par l'éditeur Diabelli et
donnée comme sujet de concours aux pianistes autrichiens qui de-
vaient recevoir de l'auteur un prix de quatre-vingts ducats en échange
de sept Variations. Beethoven déclina l'offre de participer à cette
étrange épreuve, mais il « s'amusa «littéralement à traiter ce Thème
parfaitement insipide, comme s'il eût voulu prendre ainsi une courte
récréation, entre d'immenses labeurs comme la Messe en ré et la
IX^ Symphonie. Et c'est un petit chef-d'œuvre qui fut le résultat de
cette « récréation » du maître.
Dès la P' Variation, nous voici transportés par une Marche dans
une région musicale qui n'a plus rien de commun avec celle où se
traînait la plate élucubration de l'éditeur. Beethoven semble n'en re-
tenir, au point de vue mélodique, que deux formules en apparence
bien ordinaires : Vanacrouse initiale et la basse en intervalle de quarl'j
qui la suit :
3^
Mais, sous les somptueux vêtements dont le génie va les parer, ces
pitoyables personnages thématiques demeureront reconnaissables,
parce que le commentateur respectera scrupuleusement leur état har-
monique, et notamment la timide modulation accidentelle à la sous-
dominante qui, dans le second membre de phrase du Thème, est ainsi
esquissée par la basse :
LA VARIATION AMPLIFICATRICE
47^
Dans la III" Variation, ce 5/t» prolongera pendant plusieurs mesures
son indécision; dans la V' Variation, l'oscillation ainsi déterminée vers
les sous-dominantes entraînera la phrase jusqu'au ton de RÉ\}'^ enfin,
dans les Xl«, XXV% XXIX% XXX'' et XXXI» Variations, le rôle du
si\> sera pareillement amplifié.
Quant à la cadence médiane àla dominante, elle subsiste toujours, mais
change parfois de mode, notamment dans les V', XI V« et XV" Variations,
où apparaît, à la place correspondante, une modulation au ton de mi.
On peut comprendre par là le rôle attribué par Beethoven au schème
harmonique de cette innocente balourdise du bon Diabelli. C'est par
le moyen de cette interprétation harmonique que le Thème primitif
s'élève peu à peu et s'amplifie en hauteur et en profondeur, pourrait-on
dire, beaucoup plus qu'en longueur, car le nombre de mesures reste à
peu près constant dans un grand nombre de Variations. Il faut cepen-
dant en excepter la XXIV' et la XXXII', qui contiennent les deux
Fugues dont il a été question ci-dessus [p. 96), et surtout la XX*,
amplifiée dans tous les sens, celle-là, comme on va le voir par la
comparaison du minuscule Thème donné avec cette géniale et mysté-
rieuse paraphrase, que Ton dirait conçue au seuil de quelque citta
dolente évoquée par l'immortel Alighieri :
la m p I if. «io mi. fa j
I ampli f. <i'- nol.nol
47t>
LA VARIATION
^^r^-r^f-
Ainsi le génie artistique, imitant en cela le geste créateur de Dieu
pouvait faire de rien tout un monde !
Les Quatuors à cordes, dont nous donnerons l'analyse complète dans
la Seconde Partie du présent Livre, contiennent les plus belles réali-
sations de la Variation beethovénienne. Déjà VAdagio^ en RÉ t», du
X* Quatuor, op. 74, composé en 1810, contenait un intéressant essai
d'amplification ; mais ce n'est guère que pendant les trois dernières
années de sa vie que l'auteur de la Messe en RÉ, pleinement conscient de
son génie, sut ouvrir à la Variation une voie nouvelle qui se révèle à
nous dans V Adagio, en la b, du XII* Quatuor, op. 127, dans VAndaiite,
en LA, du XIV*, op. i3i, et surtout dans le sublime Adagio, en « mode
lydien», du XV*, op. i32 : celui-ci toutefois, véritable cantique d'action
de grâces, ne pourrait être séparé de l'œuvre dont il fait partie inté-
LA VARIATION AMPLIFICATRICE 477
grante, et c'est pour cette raison que nous le réserverons pour une étude
ultérieure plus complète, abordant seulement ici l'examen des deux
autres, qui contiennent pour nous de hauts et précieux enseignements.
Non content d'agrandir les Thèmes par toutes les ressources dont la
musique disposait, depuis les volutes grégoriennes jusqu'aux lacis les
plus compliqués de la Passacaillc, Beethoven va s'élever à la conception
d'un nouvel état musical du. même Thème. Et par cette évolution, son
esprit semble se rapprocher de la pensée des Mystiques du moyen âge,
dont les œuvres, à la fois grandes et simples, demeurent incompréhen-
sibles pour celui qui n'est point simple comme eux, tant cette simplicité se
voile et se cèle sous l'abondance du détail : tels, les maîtres architectes
français du xiii'' siècle ; tels aussi, les admirables décorateurs italiens
comme Giotto et Gozzoli ; tels enfin, le divin saint François d'Assise
conteur des Fioretti, et le poète de la Commedia, auxquels on ne peut
s'empêcher de penser en lisant ces merveilles musicales.
Adagio du Xlh Quatuor, op. 127 (1824-1825).— Une grande phrase
en LA i>, d'allure très simple, constitue le Thème : elle est faite de deux
périodes avec les reprises traditionnelles.
Celui qui ne percevj"ait point la rayonnante beauté d'un tel Thème
(voir ci-après, p. 478) et ne se sentirait point profondément ému, sur-
tout par ses dernières mesures, ne serait vraiment pas digne d'être
appelé musicien ! Et pourtant, si hautes que nous apparaissent les ré-
gions sereines où nous fait planer cette splendide cantilène, l'auteur va
nous montrer par la suite qu'il peut s'élever plus haut encore !
Les deux premières des cinq Variations qui vont suivre restent au ton
principal : le Thème, changé de rythme, est d'abord esquissé par le
violoncelle ; puis il s'efface et se fond en une polyphonie qui semble
vivre par Vdme même du personnage soustrait à notre oreille, et cepen-
dant, présent encore quoique son corps ait disparu.
La II* Variation n'a gardé du Thème que les quatre notes initiales,
rythmées différemment :
C'est un doux gazouillement, véritable dialogue damour entre les
deux violons, qui s'interrompra pour faire place à la IIP \'ariation
de forme étrange et, jusque-là, inusitée. Comme dans les op. 109 et i 1 1,
une phrase nouvelle apparaît ; mais ici cette phrase n'est autre que le
Thème lui-même, dépouillé de ses ornements et revêtu d'une telle ma-
jesté, qu'on le dirait transfiguré en une ascension divine. Kt pour mieux
marquer ce clianf^ement d'état qui participe du développement harmo-
nique, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus (p. 242), Beethoven place son
478
LA VARIATION
personnage en un autre lieu, dans la tonalité de mi a, donnant ici une
impression de lueur mystérieuse et, en quelque sorte, supra-terrestre,
qui s'expliquerait peut-être par la situation de cette tonique nouvelle au
demi-ton supérieur [septième quinte ascendante) de la dominante mi-^....
Nous citons ci-dessous, dans son entier, la ligne mélodique de cette
étonnante Variation, en lui superposant le Thème préalablement trans-
posé au même ton :
> i
THEME -r£T.-;-î'f , v| I I K
'^ f
1' •" Violon
^fe
gp^=^g
^^m
.;=^
ariatxonlW ^^T^Ç^-— ^ |~J ^^ j
1*^"" Violon
Mr^y^^^g
^fcii^fipd^daè^^^f^^^trjr^^
L
Violoncelle
m^G^Ê^m'-'^' '^^.y^^^UnhhJ}- ^^
•5 Ver\-;
r'Violcn
^^i=^^Nj-^^^^^^^
1'^'" Violon
iî^=^
' ' ■ ' v-;^i^Ti^on„ \ 1' V.:
^
^^^t
s^
pg . ^ r^
Violoncelle
Pi:
f L«J Violoncelle" "
^^^^^^^
2^ Violon^
Vel^ ■ l'fv,f,lon
^^?^^^S
!'■'' Violon
"^
'2'' Violon
LA VARIATION AMPLIFICATRICE
479
La I\'' Variation ramené le Thème, à peine changé de rythme, dans sa
tonalité primitive. Puis vient un développement de quatorze mesures,
sur les dessins marqués a tx. b dans l'exemple précédent (premières et
dernières notes du Thème).
Dans la V'= Variation, la mélodieinitiale se volatilise, pourainsidire, en
dessins diatoniques d'une extrême ténuité (i) ; tout se termine par une
calme conclusion faite presque exclusivement des trois notes du dessin b.
Andante du XIV« Quatuor, op. i3i (1826).— Les sept Variations de
ce Thème, en la, tendent, comme les précédentes, vers une sorte d'état
simplifié plutôt <:\\jl' amplifié ; mais cette simplification porte ici sur
l'harmonie plutôt que sur la mélodie du Thème préexposé :
Thème, en LA, dialogué entre les deux violons: comme le Thème du XII»
Quatuor, celui-ci est fait de deux périodes avec reprises.
Var. I, purement décorative ; l'intérêt mélodique y est extrêmement dissé-
miné et perpétuellement partagé entre les quatre instruments, par frag-
ments de quelques notes, ce qui rend la clarté de l'exécution très difficile
à obtenir.
Var. II, plus vive, où se développe mélodiquement un dessin provenant de
l'un des morceaux précédents appartenant à cette même œuvre.
Var. III, phrase nouvelle, parente éloignée de l'idée initiale, à peine
reconnaissable par quelques fonctions harmoniques, et qui se développe
en imitations.
Var. IV : ici, l'harmonie de l'exposition primitive peut seule servir de guide,
pendant que des dessins diatoniques expressifs se croisent et se répon-
dent, comme dans la cinquième Variation du XII* Quatuor.
Var. V : cette curieuse Variation ne contient pas autre chose que ïharmonie
du Thème, mais encore simplifiée et parvenue à un état de calme complet.
C'est presque le silence on attend toujours l'apparition de la mélodie,
elle ne se produit jamais ; si parfois un timide dessin tente de se dégager
de cette teinte monochrome, il se tait aussitôt, ne laissant que l'incerti-
tude d'avoir été entendu. Cette simplification est d'un tout autre ordre que
celle employée dans le Xlle Quatuor, mais elle n'est ni moins belle, ni
moins angoissante. Voici les premières mesures de cette Variation, sur
montées du Thème, tel qu'il se présente dans l'exposition :
Violons
Variation
V.
(i) On rencontre dans l'Adagio de la I.\« Symphonie une transformation du Thème tout
à fait analogue a celle-ci.
480
LA VARIATION
^^
: f—f y pf — F=^
Var. VI décorative, et suivant agogiquement la ligne de la mélodie.
Var. VII, où les quatre instruments font entendre tour à tour une sor^e de
récit mélodique très libre et coupé d'intermèdes d'orchestre (1) : le pre-
mier temps de chaque mesure suffit seul à rappeler l'harmonie primitive,
et l'on ne peut s'empêcher de penser au Thème, bien que les mélodies
instrumentales semblent n'avoir plus aucun rapport avec lui.
— Un court développement, tn VT [première modulation de la pièce), ramène
bientôt une reprise intégrale de la première période du Thème, coupée
encore par un second développement, en FA [seconde et dernière modula-
tion) ; mais la charmante péroraison du Thème initial reparaît et vient
terminer le morceau, comme à regret, en quelques soupirs.
On voit par ces exemples quel rôle nouveau Beethoven avait su
donner à la Variation devenue, dans ses derniers Quatuors, un élément
essentiel de la composition, par ces retours du Thème à un état simple
après divers agrandissements, c'est-à-dire par une sorte de « simplifi-
cation de l'amplification », si l'on peut s'exprimer ainsi.
Dans ce nouvel état, le Thème ne coïncide plus absolument avec
le schème mélodique qui lui a donné naissance : il est devenu un
autre personnage issu du même schème, quelque chose comme les
segments correspondants d'une même spirale, compris entre les mêmes
génératrices et reproduisant les mêmes éléments de la cou?'be mélodique
à une autre échelle, ou dans un autre module.
Mais une telle conception de la Variation amplificatrice ne pouvait
être comprise de la plupart des musiciens contemporains de Beethoven
ou immédiatement postérieurs à lui; et l'on ne trouve guère qu'un seul
d'entre eux qui se soit essayé dans ce genre, avant l'avènement de
César Franck.
(i) Ce récit offre une certaine analogie avec ceux des chanteurs dans \6 quatuorvocal qui
termine le finale de la IX» Symphonie.
LA VARIATION AMPLIFICATRICE 481
ScHUMANN publia, en i-Sl^^., les belles Etudes en forme de Variations,
op. i3 (i), qui nous ont servi de modèles dans la sfc//o;/ technique de
ce chapitre (p. 440, 44D et 446) ; la XP Variation appartient très
certainement h Tordre de V amplification : c'est une mélodie nouvelle
provenant du Thème dont elle interprète les intervalles primitifs,
en les transposant. Sans s'élever assurément dans cette œuvre au
niveau du maître de Bonn, Schumann y atteint néanmoins, par sa
seule et géniale intuition, à un degré de nobJesse et de charme dans
l'expression, dont nulle autre composition dans la même forme, h son
époque, n'avait gardé la moindre trace.
César Franck devait venir, bien peu de temps après, renouer soli-
dement et définitivement le fil de la tradition de Bach et de Beethoven
en matière de Variation amplificatrice : dès ses premières œuvres, et no-
tamment dans son Trio en /a 5 (1841), dont nous avons déjà parlé ci-
dessus (p. 422) et qui sera analysé ultérieurement, on sent la préoc-
cupation de varier les Thèmes, par le moyen de ces modifications et
de ces transformations successives qui devaient aboutir aux formes
cycliques telles qu'elles ont été précédemment étudiées au chapitre v.
Ce système fécond de composition, pressenti déjà par Beethoven
avant d'être instauré définitivement par la rigoureuse logique et la
haute conscience artistique du maitre français, participe nécessaire-
ment, en effet, de la Variation, soit ornementale, soit décorative, soit
amplificatrice. Aussi n'est-on pas surpris d'en retrouver la trace en
maint passage d'œuvres de Franck qui méritent, à ce titre tout au
moins, d'être mentionnées ici.
On a signalé déjà (p. 4d3), dans la pièce d'orgue intitulée Prélude,
Fugue et Variation (1862), les ornements caractéristiques du sujet de la
Fugue : toute la dernière partie de ce petit triptyque n'est qu'une
Variation contrapontique du Thè^ie du Prélude.
Dans le Prélude, Aria et Finale, pour piano ( 1886), le Thème s'expose
seulement au début de VAria et se réexpose immédiatement après, avec
une Variation contrapontique dont l'agogique s'accroit peu à peu; il
reparaît, varié différemment, dans le Finale, et le dessin du Prélude
vient, vers la fin, se superposer à un fragment qui servait, dans VAria,
d'introduction et de coda au Thème lui-même.
Le Prélude, Choral et Fugue (1884) offre aussi l'emploi du même
procédé synthétique cher à l'auteur et qui consiste à faire reparaître le
(i) Cette œuvre, connue sous le nom d'Études symphoniques, est dédiée par Schumann à
son ami W Sierndale Bennett, de Londres ; il en existe deux éditions originales distinctes
qui diffèrent par quelques détails d'écriture. Les Ltudc* Ml et X ont été supprimées de la
seconde édition.
COLKI DE CÛHrOSlTlON — T. II, I. 3'
48a LA VARIATION
dessin principal du Choral à la fin de la Fugue, tandis que le sujet
même de cette Fugue et le rythme du Prélude lui servent de Variation
contrapontique. On a vu ci-dessus (p. 97 et 98) quelques-unes des trans-
formations successives de ce sujet, dont les notes initiales servent de
motif pj'incipal à l'œuvre entière, au cours de laquelle il apparaît, tantôt
restreint comme dans le Prélude, tantôt amplifié comme au début du
Choral et ensuite dans la Fugue, mais toujours j^ar-ié d'une manière
ou d'une autre. Ce Thème unique^ revêtant plusieurs aspects divers,
donne à la composition entière un caractère éminemment 9'c//^we par son
unité même ; mais il procède aussi de la Variation et de Y amplification
par les ornements divers dont il se revêt et par les commentaires musi-
caux qui le complètent.
Les Variations sj'mphoniques pour piano et orchestre (i885) répondent
à une conception toute nouvelle et déjà plus conforme aux principes
beethovéniens: deux Thèmes, variés d'une manière différente, servent
ici à la construction et se partagent tout l'intérêt de cette pièce unique
dont voici le plan :
Introduction assez longue, contenant une première exposition des deux
Thèmes A et B, à l'état embryonnaire, enJaS, et une seconde exposition
de A, en la (incomplète) et de B, en ut'i (complète).
Exp. Th. A, en fa fl, suivi de cinq Variations dont la quatrième, en RÉ, amplifie
les proportions du Th., et la cinquième, en F/i jf, semble comme à regret
lui dire adieu.
DÉv. du Th. B.
Exp. Th. B, en F.4 5 : Allegro construit en forme Sonate dont l'exposition
et la réexposition sont des Variations de ce Th. B, tandis qu'une défor-
mation du Th. A y tient lieu de seconde idée. La partie médiane {déve-
loppement en A//t)-/fÉ 5) est une Variation àt B, amplificatrice tout au
moins dans son expression.
Les Trois Chorals pour grand orgue (i), dernière manifestation
artistique du maître qui en achevait les annotations sur son lit de
mort, en octobre 1890, doivent être considérés, à nos yeux, comme
répondant à une conception encore plus haute, s'il est possible, de la
grande Variation.
Le Premier Choral^ en mi, est construit de la manière suivante :
Exp. du Thème en sept périodes, dont nous donnons ci-contre les notes
initiales respectives.
— On s'apercevra aisément de la correspondance rythmique, sinon mélo-
dique, existant entre les périodes t et 3, 2 et 4, 5 et 6, tandis que la
7e période reste isolée de cette riche exposition, comme une conclusion
ou une simple coda :
(i) Ces Trois Chorals sont dédiés à Alexandre Guilmant, Théodore Dubois et Eugène
(îigout, bien que les dédicaces aient été changées dam l'édition jjosthume.
LA VARIATION AMPLIFICATRICE
483
ra(fi-uce l)
y»- p.T.ud.
¥r^=FF^r-tiîf^=f
rndone (t')
3** pêriod.- r/jk-ff*
t/r.
cadence A'I)
^-ô jî iij*— 1 TT '■'"^f^ k 1 L ^'v
(ideiuf l>
6*^ ft-nod
-^îi.
'f
:m-=y^-'-
cadence T.
1' période
(conclusion)
mioiJ
ç
»'/.•
ciidfiicr 7.
Vjr. I : seules, les périodes impaires (i, 3, 5) sont traitées décorative-
ment, tandis que la 7c continue à jouer, sans changement, le rôle de
conclusion
Var. Il : après un intermède majestueux, les périodes i et 4 reparaissent
privées de leurs correspondantes (3 et 2), mais notablement amplifiées et
amenant peu à peu le ton plus sombre de sol, sans conclure.
Var. III : la 7e période commence à se mouvoir dans cet^e obscurité tonale
où elle a été reléguée; elle qui semblait jusqu'alors la servante des autres
devient maintenant le personnage principal : tandis que les dessins des
premières périodes passent au second plan et ne se reproduisent plus qu'à
l'état d'ornements, elle sortgraduellementde l'ombre, par sol, si ^, ut S, /"jîT
pour éclater enfin triomphalement dans le ton principal, ni, attirant," et
retenant sur elle tout l'intérêt musical de cette belle péroraison (i).
(1) Franck disair, en parlant de cette œuvre : « Pendant toute la pièce, le Choral se fait. »
4 84 LA VARIATION
Dans le Deuxième Choral, en 5/, le système de Variation employé est
très différent : les deux Thèmes constitutifs, bien que totalement étran-
gers l'un à l'autre au point de vue mélodique, sont destinés à se com-
pléter mutuellement, comme on va le voir par le plan de l'œuvre ainsi
disposé :
I. Exp. Th. A, en si. Ce Thème, en deux périodes, est exposé à quatre
reprises différentes dans le style varié de la Passacaille : les Irois
premières fois, il va de la T. à la D., et la quatrième de la SD.
à la T.
II. Var. I. Th. B, amplification de A exposée en trois phrases :
— — i», allant de 5/ à /?£;
— — b" ., modulant ;
— — b'", établi en SI.
— Intermède récitatif.
Var. II. Th. A : exposition de fugue, en 50/, modulant vers ?»/ 1?.
III. Exp. Th. B, en trois phrases :
— — b' , avec le Th. A exposé à la pédale, en mi ? puis en fa S.
— Intermède développé.
— — b", sur pédale de D-
— Th. A, en si.
— — b'",en SI, concluant.
Quant au Tt^oisième Choral, en la, il est de forme Lied et ne rentre
dans le cadre de la Variation que par l'admirable emploi de Voî^nemen-
tation mélodique qu'on y rencontre dans la section centrale.
Sous cette impulsion nouvelle donnée par le maître de l'École Sym-
phonique Française, plusieurs autres tentatives ont été faites dans
le domaine de la Variation amplificatrice, encore trop peu exploré à
notre avis. On voudra bien excuser l'auteur du présent Cours s'il a cru
devoir réserver ici une place à l'analyse d'une de ses œuvres, en raison
de l'essai qu'elle contient d'une disposition nouvelle de la Variation,
suggérée par le >ujet même du po^me commenté musicalement.
Vincent d'Indy : Istar (i). Variations symphoniques, op. 42 (1896).
Dans ces sept Variations, l'auteur a voulu procéder du complexe au
simple, en faisant naître la mélodie (le Thème principal) peu à peu,
comme si elle sortait d'une harmonie spéciale exposée dans la I""' Varia-
tion. Ainsi, le Thème se dépouille successivement de tous les orne-
(i) Le sujet à Istar est tiré du Chant VI de l'épopée assyrienne SI:{dubar: « Pour obtenir
la délivrance de son aman; captif aux Enfcfs, la déesse Istar doit se dévêtir de l'une de ses
parures ou de l'un de ses vdicinents à chacune des sept portas du sombre séjour, puis elle
franchit, triomphalement nue. la septième porte... »
Cette composition appartient évidemment à la catégorie du Poème Symphnnique qui sera
étudiée ultérieurement, mais elle est spécialement basée sur la Variation : c'est pourquoi
nous avons jugé préférable de la citer ici.
LA VARIATION AMPLIKICA I RICE
4B5
ments qui le voilaient, et n'apparaîtra à l'état simple qu'h In conclusion
de l'œuvre, dans un unisson de tout l'orchestre.
Trois éléments thématiques servent à la construction de cette pièce:
i" Thème principal^ en fa ;
ce Thème est une plirasc-//t'ty dont la période médiane contient une
modulation caractéristique au demi-ton supérieur (fa à SOL -, \ destinée
à être reproduite dans toutes les Variations et à servir de point de
repère à l'auditeur.
2" Motif d'appel, formé des trois premières notes du Thème précé-
dent et destiné à séparer l'une de l'autre chacune des Variations :
M
?" Thème accessoire en forme de Marche
Les sept Variations forment sept parties distinctes, séparées par le
vtotif d'appel et complétées par l'exposition finale du Thème principal,
à l'état purement monodique :
I. Appel et Marche, en fa.
— Var. I, en Fa, consistant uniquement en l'expose harmonique du Thème
principal, sans que celui-ci y paraisse mélodiquemcnt exprime.
— Marche, en fa.
II. Appel et Var. ii, en i// ; amplification des harmonies du Thème par une
phrase mélodique issue de celles-ci.
— Marche, en mi, suivie d'un court développement.
m. Appel et Var. m, en sit), par le motif amplifié de Vappel, sur les harmo-
nies du Thème.
IV. \'ar. IV, en FAZ-SOL:t, sur le motif" de Vappel.
— Marche, en /ci 3, développant un nouveau rythme et modulant.
V. .Appel et ]'ar. v, en ut : le Thème commence à se préciser melodi-
quement.
— .\f arche, en VT (c'est-à-dire à la dominante du ton principal, formant
maintenant une phrase complète de trois périodes.
VI. Appi't et Var. vi, en LA :\ Thème encore orne, mais plus simple et pré-
sente à quatre parties.
480 LA VARIATION
VII. Appel, devenant mélodique, et Var. vu, en ré. Thème en rythme sac-
cadé, présenté à deux parties seulement.
— Appel et Thè.me tout à fait siviplifié, en FA, à l'unisson, formant phrase
complète en trois périodes.
— Marche, en FA, formant la conclusion de l'oeuvre.
Chacune de ces sep/ Variations est dans une tonalité voisine de celle
de /cl, et l'ordre de Ces tonalités procède par modulations à la sixième
quinte (quarte augmentée), afin que tout se rapporte au principal per-
sonnage, sans changements trop brusques accusant un excès d'ombre
ou de lumière: ces modulations, en effet, comme on l'a vu ci-dessus,
(p. 258), sont neutres.
La Sonate pour- piano, en mi, précédemment analysée (p. 429 et suiv.),
contient aussi une application de la Variation. Le Thème cyclique prin-
cipal qui circule dans les trois mouvements est varié quatre fois dans
le mouvement initial avec plusieurs amplifications.
Paul Dukas (i) s'est servi également de V amplification becthovc-
nienne dans une œuvne de haute valeur intitulée Variations, Interlude
et Finale pour piano, sur un Thème de J.-Ph. Rameau (2) : on^e
Variations commentent diversement le Thème ; puis, après un épi-
sode largement développé oij s'esquissent les éléments principaux de
la XII' Variation, celle-ci, formant le Finale, s'expose en un style
sain et plein d'allégresse, pour aboutir, comme en une sorte d'apo-
théose, au Thème de Rameau que Ton dirait ici « agrandi au module
du monument» dont il vient de fournir le « sujet décoratif». Cette
œuvre est une véritable synthèse des trois moyens de la Variation :
ornement, décoration, amplification.
Ainsi, par César Franck et son école, c'est en France que s'est con-
servée, à peu près exclusivement aujourd'hui, la tradition beethové-
nienne, en matière de Variation. Sans doute, cette forme de composi-
tion appelée, croyons-nous, à un très grand avenir, ne peut, dans bien
des cas, être examinée séparément, tant elle demeure intimement liée
aux transformations thématiques qui servent de base aux construc-
tions cycliques étudiées au précédent chapitre : le rappel des motifs
conducteurs qui apparaissent dans l'œuvre de R. Wagner à partir de
Tannhàuser et de Lo//e;/i,'-r/« (1845- 1847), certaines dispositions em-
ployées par Liszt dans Tasso (1849), dans ^'à. Faust-Symphonie ei dans
la pièce pour piano intitulée Sonate (i853)(3) pourraient aussi bien être
qualifiés de Variations. Mais ces applications, d'ailleurs postérieures
(i) Voir au chapitre v (p. 43i).
(î) Ce Thème appartient à la quatrième Suite de Pièces pour Clavecin dont il a été
question au chap. ii, p. 143.
(3) On a vu ci-dessus (p. 4^2 eu note) que cette oeuvre n'a de la Sonate que le titre.
I.A VARIATION AMPI.inCATKICK 4«7
en date au 7V/fy, en fa %, de César Franck cité ci-dessus (p. 422) necons-
tituent point des formes séparées... ni même séparables: c'est pourquoi
nous ne les citons ici que pour mémoire, nous réservant d'y revenir,
s'il y a lieu, dans la suite de ce Cours.
Quelques compositeurs allemands contemporains se sont essayés
aussi dans le genre de la V^ariation ; mais il faut bien convenir que les
symphonistes actuels d'Outre-Rhin semblent totalement inaptes à
fane grand : ils se contentent de faire gros, ce qui n'est pas tout à
fait équivalent. Dans certaines œuvres, comme le Don Quixolc de
Richard Strauss, l'élément dramatique et pittoresque domine trop
pour que la Variation se perçoive nettement ; dans d'autres, comme
les Variations pour orchestre sur un Thème d'Ad. Hiller, par Max
Reger, la lourdeur germanique de la conception n'a d'égale que la
pauvreté des matériaux musicaux « amplifiés ». Absence totale de goût
artistique, méconnaissance de toute proportion et de tout ordre tonal,
il n'en faut pas tant pour faire apprécier au lecteur l'immense dis-
tance à laquelle se trouvent fatalement reléguées de telles productions,
par rapport à des oeuvres symphoniques comme le Quintette, en /ci, la
Symphonie, en ré, ci le merveilleux Quatuor à cordes, en RÉ, de César
Franck, qui seront examinées dans la Seconde Partie du présent Livre,
sans oublier la Sonate pour violon, en la, déjà analysée par nous
(p. 423 et suiv.) comme modèle accompli de la forme cyclique. Entre ce
dernier mode de construction et la Variation, il y a de telles affinités
qu'une délimitation respective n'est guère possible : le Thème cyclique
qui se transforme est véritablement varié ou même amplijié : la Varia-
tion qui circule dans les pièces constitutives d'une œuvre a, par cela
même, une fonction cj-clique.
D'ailleurs, la plupart des études spéciales que nous venons de faire
ici s'appliquent aussi aux autres Formes Symphoniques réservées par
nous pour la Seconde Partie de ce Livre : cette subdivision en deux
parties, dont on conçoit la nécessité par le développement déjà considé-
rable du présent volume, est donc assez artificielle, car les formes
instrumentales et orchestrales ne ditVèrent pas essentiellement, comme
construction, des formes Fugue, Suite, Sonate et Variation qui ont
fait l'objet de cette Première Partie de notre Deuxième Livre.
Et notre Troisième Livre lui-même, consacré aux Formes Drama
tiques^ se référera souvent, à propos du Leil-Motir, a ce qui vient détrc
exposé au sujet des Thèmes cycliques et do la Variation.
Tant il est vrai que tout se tient, même dans un Cours diî Compo-
sition MUSICAI.l-:.
FIN Dli LA PRIiMltRl- PARTIE DU I>t:UXIl:;ML; LIVRE.
APPENDICE
INDICATION DU TKAVAIL PRATIQUE DE L'ÉLÈVE
Fugue. — Suite. — Sonate. — Variation.
La Fugue.
Chapitre I,
L'élève qui entreprend l'étude de ce Deuxième Livre doit avoir
accompli d'une manière satisfaisante, sinon tous les travaux indiqués
dans V Appendice du Premier Livre, du moins les principaux: Analyses
rythmiques, mélodiques et harmoniques ; Analyses de Motets et de Madri-
gaux ; Composition d'une œuvre roct7/e dans le style des pol3'phonies.
Il connaît donc à fond les usages du Contrepoint mélodique à trois
et quatre parties, et s'est exercé à écrire quelques Chorals variés ;
il peut aborder dès lors l'étude de la Fugue et devra réaliser, par
écrite les travaux suivants :
1° Canon. — Renversement d'un thème donné, par inversion propre-
ment dite et par mouvement contraire simple ; modifications diverses
appliquées à ce thème {mouvement rétrograde, augmentation, diminu-
tion, etc.). — Résolution de Cano)is de diverses espèces dont V antécédent
seul est proposé. — Composition de Ca>70«5 appartenant aux diverses
espèces, toujours réalisés d'une manière musicale et expressive.
2" Fugue. — Analyse et remise en partition de Fugues données. —
Recherche de la réponse h un sujet donné, dans les deux modes, avec
étude des mutations. — Construction d'un contresujet rigoureux sur
un su/et déterminé. — Exercices sur les épisodes ei \cs strettes. — Réa-
lisation intégrale d'une Fugue rigoureuse à quatre voix., sur un sujet
donné., avec tous les éléments qu'elle comporte, dans l'ordre tradi-
tionnel qui est résumé ci-après, pour le cas d'un sujet donné en ut :
490 APPENDICE
PLAN D UNE FUOrE SCOLASTIQUE EN UT
1. Exposition principale par quatre entrées (i, ii, m, iv) ainsi disposées :
— I : a)sujet[UT). — b) contresujet [SOL). — c) partie libre. — i) partie libre.
— II : . . . . . — a) réponse [SOL). — b) contresujet [ur].— c)^aï\\Q libre.
— in: — a) sujet [UT). —b) contre sujet[SOL)
— IV : . . ; — a)répoyise [SOL).
Episode assez court orienté vers la D. (SOL).
2. Contre-Exposition, par deux entrées (i, ii)
— i:a) réponse [SOL) à l'une quelconque des parties ;
b) contresujet (SOL) entendu simultanément dans une autre partie ;
c) et d) parties libres ;
— II : a) sujet [UT) à l'une des parties libres de l'entrée précédente ;
b) contresujet [UT) entendu simultanément
c) et d) parties libres.
Episode un peu plus long et plus intéressant que le précèdent et en marche vers
le Relatif mineur [la).
3. Exposition au Relatif, par deux entrées (i, ii) •
— i : a) sujet (imite en la). — b) contresujet [Lj]. — c) et d) parties libres.
— n : a) réponse (imitée en mi). — b) contresujet [mij. — c) et d} parties libres.
Episode plus imporiant et pouvant moduler à des tons voisins.
4. Exposition à la Sous-Dominante, par une seule entrée (sans réponse):
— 1 : a) sujet (FA). — b] contresujet {Fa). — c) etd) parties libres.
5. Exposition au Relatif delà Sous-Dominante, p&r une seule entrée [sans réponse):
— i : a) sujet (imité en ré). — b) contresujet {ré). — c) et d) parties libres.
Episode principal, dans lequel on doit rechercher et appliquer toutes les combi-
naisons possibles (mouvement inverse ou rétrograde, augmentation, dimi-
nution, etc.), transformant le sujet, la réponse ou le contresujet et se
superposant les unes aux autres. Éviter toutefois de traiter les premières
notes dites tête du sujet, que l'on réservera pour les Strettes.
— Tout cet épisode doit être modulant et assez longuement traité.
G. Pédale de Dominante, assez courte, sur laquelle sont disposés des éléments
du sujet, de la réponse ou du contresujet, soit à l'état direct, soit trans-
formés.
7. Strettks que l'on peut subdiviser ainsi :
— Stretle la plus éloignée par quatre entrées (i, 11, m, iv) disposées comme
VExposition principale avec arrêt des autres parties.
Episode court, écrit en strette également et aboutissant à un repos modulant.
— Strettes de plus en plus rapprochées, sur la réponse, le contresujet et toutes
les dispositions réalisables, par deux entrées seulement (i, 11).
Épisodes corrélatifs assez courts, alternant avec les entrées de chaque Strette
possible, et traitant surtout la tête du sujet qu'on a réservée à cet effet.
— Strettes canoniques (ou Canons du sujet, de la réponse, etc.), pai quatre
entrées d'abord (i, 11, ni, iv s'il y a lieu, et enchaînées par un court déve-
uppement à la conclusion.
Fédjlc de Tonique, assez courte et formant la conclusion de la Eugue.
APPENDICE -t^i
Lorsque l'élève sera sullisaniiiicni assoupli par les entraves un peu
scolastiques du jo/j;; ci-contre qu'il devra appliquer de la manière à la
fois la plus rigoureuse et la plus musicale possible, on lui demandera
la composition de Fufiues Uhrc.': sur des sujets choisis ou élaborés par
lui-même, dans le style de l'orgue ou du piano, avec adjonction facul-
tative de Préludes^ de Canons, ou de toute autre combinaison traitée
exclusivement au point de vue musical et expressif. Nous ne consi-
dérons point, en effet, la Fugue comme une étude pédagogique, analogue
à celle du Solfège ou de Y Harmojiie, mais comme une /orme décompo-
sition musicale qui peut et doit être tout aussi artistique qu'un Motet
ou une Sonate.
La Suite.
Chapilre IL
L'élève devant être familiarisé avec toutes les ditlicultés de Vécrilurc
musicale à plusieurs parties, s'occupera surtout désormais de la
construction tonale et de la cotnpositioji proprement dite ; ses travaux
se borneront donc à ceux-ci :
1° Analyse de quelques Suites instrumentales italiennes, françaises
ou allemandes.
2° Composition d'une pièce musicale déforme binaire, sans retour
au dessin initiai
3° Composition d'une Suite libre de pièces appartenant à chacun des
quatre types [S. L. M. R.) avec adaptation de cette forme aux res-
sources harmoniques, contrapontiqucs et rythmiques de la musique
contemporaine, s'il y a lieu.
La Sonatk.
Chapitres III, IV et V.
1° Analvses et études compaiccs de morceaux de Sonates apparte-
nant à diverses époques et à chacun des quatre types S. L. M. K).
2" Composition d'idées musicales complètes, présentant les caracté-
ristiques spéciales à chacun de ces i/wa/re trpes (idées masculines, id^^:^
féminines ; thèmes de Lied, de Scher'{0, de Rondeau, etc.).
3° Exercices divers sur les développements, en état de marche ou de
repos : analyses et études comparées des modulations dans certains
développements donnés ; Yé[\\Wc[X\oz\ de modulations par divers moyens,
entre des tonalités données.
49» '^ APPENDICE
La Variation.
Chapitre VI.
i" Analyse de mélodies données, avec recherche des éléments inva-
viables du Thème et des formules ornementales variables.
2" Réduction d'une Variation donnée à son Thème.
3" Variation et amplification d'un Thème donné.
Enfin, l'ensemble des connaissances acquises dans la Première
Partie de ce Deuxième Livre devra aboutir à la composition d'une
œuvre instrumentale (mais non orchestrale), souiTiise aux lois générales
de construction delà Sonate, avec emploi obligé de la. transformation
cyclique et de la variation des idées musicales créées par l'élève.
FIN DE L APPENDICE.
TABLE DES COMPOSITEURS
MUSIQUE SYMPHONIQUE
APPARTENANT A LA TROISIÈME EPOQUE DE L'HISTOIRE MUSICALE.
i:t cités dans lb pkesent voi.u.mk d}
Abaco vdall'), p. 129.
Abel, p. 143.
Alberti, p. 206.
Albrechtsberger, p. 6s, ^4, 32.4.
Angleberl td'), p. 75.
Bach (Généalogie des), p. 77.
Bach (Ch.-Ph -Emm.), p. 83, 87, 130,
141 , 1 59, et suiv., 188, 193 à 205, 206
et suiv., 215, 217, 221, 222, 261,
265, 279. 303. 324, 327, 356, 392 et
460.
Bach (FriedemaDn), p. 85 et 190
Bach 'Jean-Chrétien), p. 205.
Bach (Jean-Sébastien), p. 23 et suiv.,
30 et suiv.. 65,67,69, 7j et suiv.,
76 393,94, 106, 117 et suiv., 124,
128, 133. 137, 138. 141. 145, 147 à
ISO, 158, 166, 181, 186,188, 189 a
193, 205, 219, 222, 225, 261, 325,
360, 392, 406, 107, 420, 436, 441,
442. 447, 450,454, 457 et suiv., 460,
461,467, 468 à 473, et 4.S1.
Bailly (de), p. 4^9.
Banchieri, p. 6X voir aussi l*""" liv.).
Barberis (de), p. 121.
Bassani, p. 178 et 179.
Becker, p. 143 et 185.
Beethoven, p. 9, 11, 85,93, 95 et «uiv ,
118, 133, 165, 172, 176, 196, 197,
207, 211,213, 219 et suiv., 231 à
323, 324 à 394, 379, 380,388 et suiv.,
392. 393, 396 et suiv., 403. 406, 407,
412, 414,417.420 et suiv., 433, 447,
450, 452, 462 et suiv., 468, 473 à
480, et 481.
Benda, p. 205
Biber .von), p. 143.
Biow, p. 124.
Bœhm. p. 7X et .|68.
Bononcini, p 127.
lîrahms, p. 415 ;i iiX (2), 422. 424.
427 et 465.
Bull, p. 124.
Buttstedt. p. 76
Bu.xtchudc p. 73, 7^ et suiv . 360.450
et .\ài>.
Byrd. p. 71.72,1 4 et 461.
^l) Les musiciens dont les noms sont préccdés d'un astérisque (*) n'appartiennent pa.'; .1 la
Troisième fclpoque et ne figurent ici qu'à titre de ptécurseui s.
Pour les auteurs dont le nom revient plusieurs fois, le numéro imprimé en caractères
gras indique la page où se trouvent les renseignements biographiques principaux
(i) Les exemples musicaux des p. 41(1, 417 et qiS. extraits de la pieu. 1ère et de la irni-
sième Sonate de Brahms, ont ctc publiés avec 1 autorisation de M. .Max Lschig, seul leprc-
sentani à Fans de N. Siir.rock, éd.teur à iierlin.
494
TABLE DES COMPOSITEURS DE MUSIOUK SYMIMIONIQUE
Cabezon (de), p. 67.
Canali, p 123.
Caravaggio (da), p. 123.
Castillon (de), p. 151 et 427.
Chambonnières de), p. 136.
Chopin, p. 125, 407 à 410,452 etsuiv.,
464.
Clementi, p 392 et 395.
Clérembault, p 75.
Corelli, p. 80, 124. 127, 133, 143, 158,
166, 170, 177, 179 à 181, 183, 225,
22S, 286, 320 et 347.
Couperin (Généalogie des), p. 13S.
Couperin deCrouilly, p. 75.
Couperin le Grand, p. 75, 79, 99, 114
et su iv., 1 19, 123, 136, 137 à 1 40, 141,
148 et 173.
Cramer, p. 392 et 395.
Czerny, p. 464 et 465.
Dandrieu, p. 140.
Debussy, p. 457.
Destouches, p. 459.
Diabelli, p. 96, 464, 474 et 475.
Dukas, p. 431 à 433 et 486.
Dussek, p. 392, 393 à 395, 396, 444 et
464.
Eberl, p. 464.
Eberlin, p. 94.
Fauré,p. 99 et 428.
Field p. 397.
Franck, p. .1, 31. 39, 65, 81, 85, 93, 96
à 99, 118, 150, 178, 235, 237. 261,262,
266, 373, 375, 380 et suiv., 386 et
suiv., 418, 422 à 426 (i), 427 et
suiv.. 433. 447,455, 456, 468.480,
481 à 484, 486 et 487.
Frescobaldi, p. 69,70,73, 75, 78, 125,
128, 450 et 457.
Froberger, p. 73.
Fux, p. 76 ei 187.
G
Gabrieli (A.), p. 68, i22et 143 fv. aussi
P^ liv.).
Gabrieli (G.), p. 68 et 122 (v. aussi
I"' liv.).
Galuppi, p 184.
Gelinek, p. 464.
Geminiani, p. 181 .
Gervaize, p. 120 et 261.
Gibbons, p. 124.
Graupner, p. 189.
Grieg, p. 419 à 421 (2).
Grigny (de), p. 75.
H
Haendel, p. 128, 129, 146, 147, 1S7,
189 et 461 .
Haessler, p. 205 et 206.
Haydn fj ),p. 167 et suiv., 198, 206 à
216, 217, 219, 257, 261, 265, 279,
289, 322, 324, 327 et suiv., 336,344,
366, 369,373' 392, 394. 397 et suiv.,
407,450, 451, 461 et473.
Heinichen, p. 187.
Henseit (von), p 464.
Hummel, p. 208, 396 et suiv.
Indy (d'), p. 428 à 431, 484 et 485.
* Janequin, p. 121 (voir aussi I^''liv.).
" Josquin Deprés, p. 497 (voir aussi
I^Miv.).
(i) Les exeni|Mes musicaux extraits, de la Sonate pour piano et violon de C. Franck.
(p. 237, 423,424, 42b et 426), de son Quintette (p. 38i et 'Hi] et de sa Symphonie (p. 455
et 456) ont été publiés avec l'autorisation de la maison Mamelle, éditeur à Paris.
(2) Les exemples mu&icaux des p. 419 et 420, extraits de la Sonate pour violoncelle de
Grieg, ont été publiés avec l'autorisation de la maison Peters, éditeur à Leipzig.
TABLK DES CO.MPOSITKURS
K
Kalkbrenner. p. 397ct.t64.
Keiser, p. 187.
Krieger, p. 76 et 187.
Kùhiau, p. 46 1.
Kuhnau, p. 65, 78, 143, 144 à 146.
M7f 153» >85 et suiv
Lachner, p. 1 50.
* Lassus (de), p. 467 (v, aussi I*"'' liv.l.
Lambert, p. 459.
Leclair, p. 142.
Legrenzi, p. 41, 80, 125, 172, 178, 228
et 320.
Liszt, p 404. 407, 410, 4J2, 4S2 et 486.
Locatelli p. 142, 183 et 190.
M
Marchand, p. 75.
Marini, p 125.
Marpurg, p. 94, 153, 157 et 302.
Maschera p. 122 et 138.
Massenet, p. 150
Mattheson, p. 30,31, 71, 76,82, 90,
96, 146, 186 à 188.
Mendelssohn, 96, 99, 230, 329, 3S9,
406. 452 et 46 V
Milano da), p. 121 .
Moscheles, p. 398, 412 et \6^.
Mozart ^Léopold;, p. 20s-
Mozart (W. -A.), 94, 99, 133,141, 172
et suiv., 196, 202, 206, 211, 216 à
219, 261, 265, 279, 312, 327 et suiv..
3Î9. 373» 392. 398, 450, 4<J2 et 473.
Muffat, p. 73.
N
Na.'-dini, p. 184.
Neefe, p. 324.
Pachelbel, p. 74, 76, 78, 79, 128,450
e; 468
•Palestrina, p. 449 et 467 (v. aussi
1-^ liv.).
Paradisi, p 206 et 392.
DE MUSIOUR SYMPIIONIQLE ^'^5
Pasquini, p. 70, 71 et 126.
Pescetti, p 1 33 et 183.
Pixis, p. 464.
Pugnani, p. 184.
Purcell, p. 144.
Raff, p. 414.
Rameau, p. 19, 53, 99. 112 et suiv.,
119, 139, 140 à I |2, 19S, 261, 402,
407. 459, 460, 461 et -|86 (v. aussi
I""- liv.).
Rebel, p. 137.
Reger(M.), p. 487.
Reinecke, p. 414 et 415.
Reinken, p 78.
Ries, p. 344, 350, 363 ei 397.
Ritter, p. 187.
Rossi (M.), p. 125.
Rossi (S.), p. 123.
Rossini, p. 454.
Rubinstein, p 415.
Rust, p. 24, 170 et suîv., 219 à 230,
261, 265, 279, 304, 308, 3i9, 320, 327
et 473.
Samt-Saëns, p. 99, 346, 382 et suiv.,
427 et 465.
Scarlatti (D.), p. 109, 117, 119, 129 à
136, 139. iji, 1(2, 197, 206, 261 et
392.
Scheidt, p. 72, 73, 78 et 143.
Scheiu, p. 1 17 et 143.
Schmidt, p. 187
Schubert, p. 397, 402 à 40? et 4^2.
Schumann, p 230, 309, 411 à 414,
415. 418,420, 422, 439, 440,443,
444 445, 446. 452. a(^ et 481.
* Schûtz, p. 467 (v. aussi l*""" liv. .
Sechter, p. 402.
Senaillié, p. 142
Steibelt, p 392, 395 et 464.
Strauss (R.), p. 487
Stricker, p 187
Sweelinck p. 69. 72, 7^ et 143.
l'abourot, p. 121.
Tallys, p 71.
496
TABLE DES COMPOSITEURS DE MUSIQUE SYMPHONIQUE
Tartini, p. i8i, 182 et suiv., 228 et 320
(v aussi \" liv ).
TelemanD, p. 187 et 188.
Theile, p. 187.
Titelouze, p. 23 et 74.
Torelli, p 128.
Val (du), p. 136.
* Vaqueiras (de), p- 120.
Veracini, p. 181 et 182.
V^ertouch, p. 1S7.
Viotti, p. 184.
* Vitoria, p. 467 (v aussi P'' liv.).
Vitali, p 127, 178 et 347.
W
Wagner, p. 85, 23s. 237, 238. 384 et
suiv., 413, 456, 457 (i) et 4S6
Weber, p. 203, 225, 395, 397, 398 à
402, 405, 454, 455 et 464.
Wœlfl, p. 392, 394, 396 et 464.
Zipoli, p. 71 et 128.
(i) Les exemples musicaux extraits de Tristan und Isolde, de Richard Wagner (p. 238 et
456), ont été publiés avec l'auto' isation de la maison Breitkopf et Haertel, éditeurs à Leipzig ;
les exemples extraits dt la Tétralogie (p. 884, 383 et 436) et de Parsifal (p. 457) ont été
publiés avec l'autorisation delà maison B. Schott Sôhne, éditeurs à Mayence.
Avant de terminer le présent volume du Cours de Co.mposition, ses auteurs
et éditeurs adressent ici leurs remerciements àiMM. les Éditeurs : Eschig repré-
sentant à Paris de N. Simrock de Berlin, Hamelle de Paris, Peters de Leipzig,
Breitkopf et Haertel de Leipzig, Schott de Mayence, pour l'obligeance avec
laquelle ils ont bien voulu donner gracieusement les autorisations mentionnées
au présent tableau.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
I. — La Musique Sym phonique et la Musique DRAMATrQCE ....
II. — Classification des Formes Symphoniques
III. — La Composition Musicale et la Construction Architecturale.
14
CHAPITRE
LA FUGUE
Technique
1. — Détinitions
2. — Origines de la Fugue. . .
3. — Les Canons et les Ricercari.
4. — Éléments rythmiques de la
Fugue . Imitation . Canon .
Marche
3. — Éléments mélodiques de la
Fugue. Le Sujet. La Réponse
et la Mutation. Le Contresujet.
6. — Éléments harmoniques de la
Fugue. La Cadence L'Ordre
tonal des Expositions dans les
Fugues majeures et mineures.
Les Épisodes. Les Pédales. Les
Strettes
7, — La forme « Prélude et
Fugue ». Son rôle dans la Mu-
sique Symphonique
Cours de composition. — t. 11, 1
10
20
22
35
37
44
f'4
Historique
'^. — Divisions de l'iiistoire de la
FujjLie ôô
9. — Période primitive : Italiens
et Espagnols ; Anglais et .Alle-
mands ; Français Ô6
10. — Période de Horaison : .Alle-
mands 73
11. — Période moderne. ... 93
1*
498
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE II
LA SUITE
Technique
I.— Définitions loi
2. — Origines de la Suite. Les
Chansons transcrites pour ins-
truments. La forme binaire mo-
dulante. Le groupement des
pièces 102
3. — Le mouvement initial dans
la Suite. Type S 107
4. — Le mouvement Lent, Type L. 1 1 1
5. — Le mouvement Modéré.
Type M 1 13
6. — Le mouvement Rapide.
Type R 117
7. — Rôle de la forme Suite
dans la Musique Symphonique. 118
Historique
8. — Les Précurseurs de la forme
Suite 119
9. — La Suite proprement dite
et la Sonata da Caméra. ... 124
10. — Les Compositeurs Italiens. 124
11. — Les Compositeurs Français. i36
12. — Les Compositeurs Alle-
mands 143
CHAPITRE III
LA SONATE PRÉ-BEETHOVÉNIENNE
Technique
1. — Définitions i53
2. — Origines de la Sonate. For-
mation du type ternaire. Ré-
duction du nombre des mouve-
ments i54
3. — Le mouvement initial.
Type S 157
4. — Le mouvement lent. La
forme Lied. Type L i65
5. — Le mouvement modéré. Le
Menuet. Type M 170
6. — Le mouvement rapide. Le
Rondeau. Type R 172
7. — État de la Sonate avant
Beethoven. Le cycle. Le style.
La forme 174
Historique
8. — Divisions de l'Histoire de la
Sonate pré-beethovénienne. . . 176
9. — La Sonate italienne. . . . 178
10. — La Sonate allemande pri-
mitive i85
11. — La Sonate dithématique. . 193
12. — Les Prédécesseurs de Bee-
thoven 200
TAliLE DES MATIKRES
491
Historique
^. — Chronologie des Sonates de
Beethoven.
CHAPITRE IV
LA SONATE DE BEETHOVEN
Technique
1. — L'idée musicale 23 1
2. — Le développement et la mo-
dulation. . . 241
3. — Le mouvement initial.
Type S. 261
4. — Le mouvement lent. (Type
L). Ses diverses formes : grand
Lied (LL), Lie^- Sonate (LS),
Lied varié (LV) 289
5. — Le mouvement modéré. Le
Menuet. Le Scherzo. Type M. 3o3
6. — Le mouvement rapide final.
Le Rondeau-Sonate. Type RS. 3 12
7. — Unité de la Sonate de Beetho-
ven. Affinités des thèmes. Rela-
tions de tonalité. Proportion et
nombre des mouvements ... 3iq
9. — Sonates pour piano. Pre
mière manière (1795 à 1801).
10. — Sonates pour piano
Deuxième manière (1 801 à i8i3)
324
327
3 3q
11. — Sonates pour piano. Troi-
sième manière (i8i3 à 1826). SSg
12. — Sonates pour violon et pour
violoncelle 369
CHAPITRE V
LA SONAIE CYCLIQUE
Technique
1. — L'unité cyclique dans l'œu-
vre d'art 3-5
2. — Eléments constitutifs de la
« forme cyclique » 378
Historique
3. — Etats divers de la Sonate à
partir de Beethoven 388
4. — Les Contemporains de Bee-
thoven 3q2
3. — Les Romantiques 398
6. — Les Allemands modernes. . 414
7. — Les Français : la Sonate cy-
clique 42 1
Technique
1. — Définitions et divisions. . . 43.^
2. — L'Ornement rythmo-mono-
dique 4V
3. — L'Ornement polyphonique
ou contrapontique - 440
4. — L'Amplification thématique. 44S
CHAPITRE VI
LA VARIATION
Historique
^. — La Variation ornementale. 448
ij. — La Variation décorative . . 45?
7. — La Variation amplihcatnce. 466
5oo TABLE DES MATIÈRES
APPENDICE
INDICATION DU TRAVAIL PRATIQUE DE L'ÉLÈVE
La Fugue 489
La Suite. 491
La Sonate. 491
La Variation 492
TABLE DES COMPOSITEURS de MUSIQUE SYMPHONIQUE apparte-
nant A r,A Troisième Epoque de l'Histoire Musicale et cités dans le
PRÉSENT VOLUME 493
Po*t«ri. - SociéM ftinfiite d'Imorimena
Î4T
Indy, Vincent
d'
40
Cours
de C'jinj.osit,
lun
1552
musicale
. 5.
éd.
1912
livre
1
-2*
PLEASE DO NOT REMOVE
SLIPS FROM THIS POCKET
ïWuaiç
UNIVERSITY OF TORONTO
LIBRARY
/