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WELLESLEY COLLEGE
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Boston Library Consortium IVIember Libraries
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LES GRANDS ARTISTES
PERCIER et FONTAINE
i.^.:^ ,. ANDS ARTISTES
COLLECTION T-' F N : -i GN EME N T ET DE VULGARISATION
Placée sous le Haut Patronage
DE
L'ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS
Volumes parus :
Boucher, par Gustave Kahn.
Chardin, par Gaston Schefer.
Louis David, par Charles Saunier.
Eugène Delacroix, par Maurice Tourneux.
Donatello, par Arsène Alexandre.
Douris et les peintres de vases grecs, par E. Pottier.
Albert Durer, par Auguste Marguillier.
Fragonard, par Camille Mauclair.
Gros, par Henry Lemonnier. -
Hogarth, par François Benoit.
Ingres, par Jules Momméja.
Jordaëns, par Fierens-Gevaert.
La Tour, par Maurice Tourneux.
Léonard de Vinci, par Gabriel Séailles.
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J.-F. Millet, par Henry Marcel.
Percier et Fontaine, par Maurice Fouché.
Poussin, par Paul Desjardins.
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Van Dyck, par Fierens-Gevaert.
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Fra Angelîco, par André Pératé.
Jean GoujoUj par Paul Vitry.
Metssonier, par Léonce Bénédite.
Ruysdael, par Georges Riat.
365-04. — Corbeil. Imprimerie Éd. Crété.
LES GRANDS ARTISTES
LEUR VIE - LEUR ŒUVRE
Percier et Fontaine
PAR
MAURICE FOUCHE
Professeur agrégé de l'Université
BIOGRAPHIE CRITIQUE
ILLUSTRÉE DEVINGT-QUATRE REPRODUCTIONS HORS TEXTE
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PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
HENRI LAURENS, ÉDITEUR
6, RUE DE TOURNON (VI«)
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PERGIER ET FONTAINE
I
Les noms de Percier et Fontaine sont restés insépa-
rables dans l'histoire de l'art. Unis par une amitié réci-
proque, les deux artistes ont conduit ensemble à terme
presque tous leurs ouvrages et rien n'est moins aisé que
de déterminer dans leur collaboration ce qui appartient
en propre à chacun d'eux.
On les connaît surtout comme architectes ;'mais Tinté-
rieur des édifices ne les préoccupait pas moins que l'exté-
rieur. La décoration des appartements, les meubles, les
tentures, les pièces de bronze et d'ortèvrerie, tout ce
qui concerne Fameublemeût savait encore solliciter leur
invention. Fatigués de la mièvrerie et fortement épris de
l'antiquité qui avait recommencé, depuis Gaylus, à hanter
Fimagination des artistes, ils en ont mieux que personne
compris la grandeur; mais, ainsi qu'on l'a remarqué,
« cette grandeur n'a rien de solennel, de guindé; la grâce
et le charme familiers au xvin'' siècle la tempèrent ».
Leurs entreprises furent favorisées par la mode qu'ils
surent diriger dans la voie du bon goût et de la saine
raison. Aussi leurs noms dominent toute l'histoire du
6 PERCIER ET FONTAINE.
style empire dont ils demeurent les maîtres incontestés.
Leur jeunesse fut laborieuse et leurs débuts difficiles ;
plus tard seulement ils connurent la fortune, les
lionneurs; d'ailleurs, les péripéties de leur vie sont inti-
mement liées à l'bistoire même de leurs ouvrages. Sans
doute par crainte des inexactitudes coutumières aux
biographes. Fontaine a pris soi a de se raconter lui-
même. Le 10 septembre 1839, le jour même oii il entrait
dans sa soixante-dix-huitième année, il commença des
mémoires intitulés Mia vila. La rédaction s'en poursuit
jusqu'au 10 septembre 1844; à cette date. Fontaine s'in-
terrompt pour reprendre la plume quatre années plus
tard, et narrer, à sa façon, la révolution de 1848. C'est
de ce manuscrit que se servit Fromenthal Halévy pour
écrire la notice sur Fontaine, lue à l'Académie des Beaux-
Arts, le 7 octobre 1854, un an après la mort du célèbre
architecte [\). En dehors de ce document, presque tous
les renseignements nécessaires nous ont été fournis par
les ouvrages que Percier et Fontaine prirent le soin de
faire paraître au sujet de leurs travaux Parmi les autres
publications auxquelles nous avons dû recourir, il convient
de citer le mémoire sur l'école de Percier, par Victor Bal-
tard, architecte, fils de Pierre Baltard, architecte lui aussi
et l'un des amis de Percier, mémoire qui fut lu dans
la séance annuelle de l'Académie des Beaux-Arts, le
15 novembre 1873.
Percier, qui appartint également à l'Académie des
(1) Cette notice a été réimprimée clans Souvenirs et Portraits, 1861.
PERCIER ET FONTAINE. 7
Beaux- Arts, est mort en 1838 et son éloge fut prononcé,
selon la coutume, par le secrétaire perpétuel d'alors qui
n'était autre que Raoul Rochette. Admirateur fervent
de l'antiquité et archéologue réputé, Raoul Rochette ne
pouvait manquer d'apprécier à toute sa grande valeur le
talent de Percier.
Pierre-François-Léonard Fontaine naquit à Pontoise,
le 10 septembre 1762. Il était l'aîné de sept enfants. Son
grand-père, architecte, s'était occupé d'aménager les eaux
et de décorer les jardins. Son père, architecte aussi, était
devenu entrepreneur de bâtiments, puis plombier. Pierre
Fontaine quitta h seize ans le collège de Pontoise, et fut
envoyé à l'Isle-Adam oii, sous la direction de l'architecle
André, son père exécutait de grands travaux dans le
château du prince de Conti. André reconnut vite le goût
et les aptitudes artistiques du novice, mais il estima utile
de le pourvoir d'une solide éducation pratique. Aussi Pierre
Fontaine s'en vint travailler sur les chantiers avec les
ouvriers, à la pose des conduites et à la construction des
aqueducs. Un peu plus tard, il fut employé à des travaux
de comptabilité. Voulait-on lui donner quelque témoignage
de satisfaction, il était admis à entrer dans le bureau de
l'architecte, à examiner les dessins et les plans ; convenait-
ilde le récompenser davantage encore, André lui faisait
copier des dessins et lui enseignait les éléments de
l'architecture.
8 PERGIER ET FONTAINE.
Vers ce temps arriva de Paris un jeune homme, Thibaut,
destiné à un bel avenir, qui avait pour tâclie de mettre
au nettes projeis de l'arcliilecte : un peu plus âgé que
Fontaine, et beaucoup plus habile que lui, Thibaut fut
d'un grand secours à son jeune camarade et lui donna les
premières leçons véritablement profitables. Avec la fougue
de leur âge, leur ardeur pour Tétude de l'art devint une
véritable passion et les entraîna aune dangereuse équipée.
Tous les ans, à Paris, le jour de la Saint-Louis, les travaux
des concurrents pour le prix de Rome étaient exposés.
Les deux jeunes gens brûlaient de les voir. Certains
qu'André leur refuserait l'autorisation, ils escaladèrent
une nuit les murs du château, et firent à pied les dix
lieues qui séparent l'Isle-Adam de Paris. Ils arrivèrent
épuisés, affamés et sans argent. On devine qu ils n'en
coururent pas moins à l'exposition et que l'examen attentif
des projets les dédommagea un instant de leurs fatigues ;
mais il leur fallut refaire le chemin, regagner à grand'-
peine leur résidence oii ils ne trouvèrent, pour les
accueillir, que gourmades et réprimandes. Fontaine,
quoique vigoureux, ne put supporter l'épreuve; il prit la
fièvre et faillit mourir.
Son père, éclairé par l'événement, reconnut la vocation
de son fils et cessa de la vouloir contrarier; il comprit
qu'elle réclamait des études mieux entendues et la direc-
tion d'un maître. Vers la fin d'octobre 1779, Pierre
Fontaine vint à Paris et fut présenté à Peyre jeune,
inspecteur des bâtiments du roi, dont l'école d'architecture
LA PLACE DU PEUPLE A ROME, LE i*^^' MARS 1791
D'après une aquarelle de Percier conservée à la Bibliolhèqiie de l'Institut.
PERGIER ET FONTAINE. H
était justement réputée. Peyre l'admit au nombre de ses élè-
ves. C'est là que Pierre Fontaine devait rencontrer Percier.
Les premières années de Charles Percier-Bassant
s'étaient écoulées plus tranquillement. Il était né à Paris
en 1764; son père avait la charge de concierge du pont
tournant des Tuileries ; sa mère était attachée à la lingerie
de la reine. Il montra un goût précoce pour l'art.
Un aquarelliste de goût, Poisson, qui allait enseigner
le dessin aux dames de la cour, remarqua le jeune
Percier qui, à dix ans, dessinait déjà avec une per-
fection désespérante les brandebourgs et les galons dont
les uniformes étaient chamarrés. Tout de suite apparaît
chez l'enfant cet amour du soin qu'il a gardé toute sa vie.
Quelques années plus tard, on le trouve élève du peintre
Jacques Lagrenée, puis il passe par l'école de Peyre avant
de fréquenter l'atelier que Guy de Gisors vient d'ouvrir à
son retour de Rome. Tout en poursuivant ses études,
Percier travaillait pour Chalgrin, architecte de Monsieur,
et pour Pierre-Adrien Paris, dessinateur de la chambre et
du cabinet du roi.
A cette époque, l'Académie des Beaux-Arts admettait
deux sortes d'étudiants : les uns pouvaient suivre les
cours et se disputer chaque mois les médailles. C'est
ainsi que Percier obtint plusieurs récompenses. Les autres,
appelés élèves de F Académie^ avaient seuls le droit de
concourir pour le grand prix de Rome. Chacun des membres
de l'Académie pouvait désigner un élève et le présenter
au concours. Mais, si l'Académie décernait le prix, c'était
12 PERGIER ET FONTAINE.
le ministre de la maison du roi qui donnait la pension
permettant à l'artiste d'aller étudier à Rome, et les deux
récompenses ne tombaient pas toujours sur la même tête (1 ) .
L'année 1785, Fontaine fut présenté au concours du prix
de Rome par Heurtier, architecte du roi, auteur de l'ancien
théâtre de l'Opéra-Gomique. Le sujet du concours était
un Projet pour la Sépulture des Rois et des Princes de la
Famille royale.
« J'avais imaginé, dit Fontaine dans Mia vita^ de placer
sur le sommet de la montagne de Montmartre Tédifice
demandé. Après avoir indiqué, par des étages de portiques
différents au-dessus les uns des autres, les rangs qui dis-
tinguaient les sépultures des souverains, celles des princes
et celles des grands, je consacrais dans un ordre métho-
dique et dans une disposition régulière le reste de la
montagne, jusqu'au boulevard extérieur, à la sépulture
des habitants de la capitale. J'avais, dans le dessin de ma
façade générale, supposé l'effet d'un coup de tonnerre qui
éclairait le sommet de la pyramide circulaire, sur laquelle
on voyait, au centre d'un cercle de coursiers lancés au
galop, la statue du Destin qui portait sur le monde, la faux
à la main, la mort dans toutes les directions. J'ai lieu de
croire que ma pensée un peu alambiquée, et à laquelle je
n'avais pu joindre aucune explication, n'a pas été com-
prise, et que mon coup de tonnerre seul, quoique assez
mal rendu, m'a fait avoir le second prix auquel je n'aurais
pas même osé prétendre. »
(i) F. Halévv, Souvenirs et Portraits.
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PERGIER ET FONTAINE. 15
Les élèves de IWcadémie des Beaux-Arts étaient peu
patients ; ils n'acceptaient pas toujours en silence les
décisions de leurs juges et ne se retenaient pas de mani-
fester leurs sentiments à haute voix. Le premier prix avait
été accordé à un certain Moreau, fort oublié aujourd'hui.
Les élèves, et même quelques professeurs, scandalisés
par ce jugement, projetèrent un mouvement en faveur de
Fontaine. Celui-ci, d'un caractère modeste et tranquille,
ne fut qu'à moitié satisfait du bruit qui se méditait autour
de son nom. 11 s'employa de son mieux à empêcher la
démonstration projetée et ne réussit qu'à la rendre moins
éclatante. Cependant, renonçant pour jamais au concours,
il résolut de faire le voyage de Rome avec ses seules res-
sources. Son père lui donna vingt-cinq louis, et lui pro-
mit en plus une pension annuelle de quatre cents francs.
Le séjour de Rome eut une influence décisive sur le
développement du talent de Fontaine ; mais il ouvrit
aussi l'ère des difficultés et des luttes. Les subsides pater-
nels étaient bien faibles et n'arrivaient pas régulièrement.
Fontaine commençait à se décourager. Force lui fut de
travailler pour vivre. 11 entreprit des vues de Rome,
coloriées à l'aquarelle, afin de les vendre aux étrangers,
« mais, dit-il, après plusieurs essais qui eurent peu de
succès, je reconnus que je devais, avant tout, étudier le
dessin que je savais fort peu, et apprendre la perspective,
que j'ignorais entièrement. »
Ces aveux sont précieux. Quelle critique plus sévère
pourrait-on faire de l'enseignement que recevaient alors
16 PERGIER ET FONTAINE.
à Paris les jeunes architectes ? D'autre part, ils nous
éclairent sur le caractère de Fontaine, sur sa modestie et
son aptitude à discerner ce qui lai manque. 11 eut la chance
de rencontrer dans un café de la rue du Cours un gentil-
homme français, M. deNainville, excellent dessinateur qui
s'intéressa à lui. Il accompagnait Fontaine dans ses visites
au Forum et aux monuments antiques, se plaisant à lui en
rappeler les origines et l'histoire. Entre temps, il lui parlait
des auteurs anciens, lui expliquait Virgile, Cicéron, Tacite,
et le préparait ainsi à cette intelligence de l'antiquité qui
a été de si grande influence sur son œuvre.
Cependant Fontaine avait laissé d'excellents souvenirs
à Paris ; ses amis et ses maîtres s'occupaient de lui.
Heurtier, qui jouissait de quelque crédit, lui fit obtenir
la pension royale. Le jeune artiste se trouvait ainsi tiré
d'embarras. En même temps que cette bonne nouvelle, il
apprit que Percier venait de remporter le prix au con-
cours de 1786, avec un projet de Palais pour la réunion
des Académies^ et allait arriver à Rome.
L'école de Rome, fondée par Golbert en 1666, semblait
à cette époque ne plus répondre à sa mission. Nul pension-
naire qui eût osé envoyer une copie sincère et conscien-
cieuse d'une statue antique, d'un morceau de Raphaël ou
de Michel-Ange. L'art des anciens maîtres devait être cor-
rigé, habillé au soût moderne. Les caractères les mieux
trempés n'échappaient pas àlacontagion. David lui-même,
le grand David, le maître de l'Ecole classique, n'avait-il
pas sacrifié, un instant, au dieu de la mode et au préjugé?
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PERGIER ET FONTAINE. 19
Sans doute une réaction s'annonçait contre les miè-
vreries en vogue, mais à l'école de Rome la tradition
et la routine dominaient* encore. En présence des chefs-
d'œuvre de l'antiquité, Percier et Fontaine furent vive-
ment frappés du caractère de calme et de sérénité qui
donne une si grande majesté aux ouvrages des anciens.
C'est l'un de leurs plus beaux titres de gloire, que d'avoir
su rendre la beauté antique, et surtout de l'avoir fait sen-
tir et aimer de leurs contemporains en leur montrant dans
quelle mesure elle peut s'adapter à l'idéal artistique et
aux besoins de la société moderne.
Percier, dont l'instruction générale avait été vrai-
semblablement négligée, se trouva fort dépaysé en arri-
vant dans la Ville éternelle. Il ne savait discerner parmi
les merveilles qui l'entouraient, comprenait mal la destina-
tion des monuments en ruines, et confondait les époques. Il
lui fallait un guide ; il le trouva parmi ses camarades. Ce
fut le peintre Drouais qui lui prodigua les conseils et les
leçons ; Percier se passionna vite pour l'étude des chefs-
d'œuvre; il accumulait les études et les documents. Il
voulait tout voir, tout connaître. Pour pénétrer dans les
maisons religieuses, il s'habillait en moine, prenait un
cierge, suivait la procession ou servait la messe, quitte
à braver les plaisanteries de ses camarades (1).
Fontaine et Percier avaient renoué les liens d'une ami-
tié qui datait de leur séjour à l'école de Peyre. « Nous
1) Éloge de Percier par Raoul Rochette, publié par la Revue des Deux
Mondes (15 octobre 1840).
20 PERGIER ET FONTAINE.
fîmes, Percier et moi, dit Fontaine, sans bruit, sans
éclat, un pacte d'amitié fondé sur Testime et la confiance.
Nous concertâmes ensemble un plan d'études qui plus
tard nous a été très utile. » Séparés de leurs camarades,
ils fuyaient de grand matin l'Académie pour s'aller en-
fermer dans un atelier à la strada Rosella ou au monte
Pincio^ ou bien encore ils s'échappaient dans la campagne
et y demeuraient jusqu'au soir. Cette sauvagerie, jointe
au culte qu'ils professaient à l'endroit de l'architecture pri-
mitive, leur avait valu d'être surnommés les Étrusques.
Vers ce temps, Percier entreprit de faire, d'après le
Voyage d'Anacliarsis^ la restauration complète d'une mai-
son de campagne de Pline appelée le Laurentin. Le dessin,
assez heureux, mais que Fauteur lui-même avait jugé
sévèrement, ne fut pas exposé. Du moins prépara-t-il le
jeune artiste à des travaux du même genre mais d'une
tout autre portée.
Un événement douloureux permit aux deux amis d'as-
socier pour la première fois leurs talents dans une œuvrcj
durable. En 1788, Drouais mourut, victime du climat d(
Rome et d'excès de travail. Chacun reconnaissait la v
leur de Drouais. Sa fin prématurée infligea un deuil cruel
dont on voulut perpétuer le souvenir : un projet de monu-
ment fut demandé à Percier et Fontaine ; le sculpteur
Michallon l'exécuta dans l'église de Santa Maria in via Lata.
Le culte que nos deux artistes avaient voué à l'anti-
quité ne les empêchait pas d'observer attentivement les
constructions modernes. Ils s'avisèrent qu'à côté des
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PERCIER ET FONTAINE. 23
ruines, Rome offre des merveilles plus récentes, des
églises, des palais, des villas, des jardins dignes du plus
haut intérêt. Tandis qu'une partie de leur vie restait
consacrée aux devoirs des pensionnaires et à l'étude de la
Rome païenne, le reste de leur temps se passait à explorer
la cité moderne. De cette période datent les deux beaux des-
sins de Fontaine qui ornaient son cabinet et qui sont au-
jourd'hui la propriété de M. Meunié : ce sont deux vues
prises de Monte Mario : l'une de la Rome antique restau-
rée, l'autre de la Rome actuelle. Les héritiers de Fontaine
conservent aussi de son séjour à Rome quelques albums
de croquis, de dessins et d'aquarelles, petits ouvrages
délicieux où l'antiquité apparaît vue par le côté gracieux,
tout à fait à la façon du xviii" siècle (1).
A cette époque, Pierre- Adrien Paris, architecte de
rOpéra, fit abroger par l'Académie d'architecture l'obli-
gation, imposée aux architectes pensionnaires du roi
à Rome, d'envoyer chaque année des projets à l'Acadé-
mie : on voulait ainsi les laisser consacrer tout leur temps
à l'art antique. En revanche, et pour constituer à l'Aca-
démie un fonds précieux de dessins de tout ce que Rome
et l'Italie possèdent d'intéressant, on exigea que chacun
des architectes fût chargé de faire l'étude complète d'un
monument déterminé (2). On avait remarqué à l'Académie
les nombreux dessins que Percier avait envoyés. Paris
(1) Percier a rapporté d'Italie une quantité considérable de dessins
croquis, aquarelles, qui sont réunis à la Bibliothèque de l'Institut dans
plusieurs gros volumes in-folio.
(2) Pierre-Adrien Paris, Éludes d'Architecture.
24 PERGIER ET FONTAINE.
lui donna pour sujet d'étude \d. colonne Trajane\ le tra-
vail exigeait des frais assez considérables et réclamait du
temps. Paris fit prolonger d'une année la pension de Per-
cier, et obtint que les échafaudages seraient établis aux
frais de la cassette royale. La latitude fut ainsi laissée à
Percier d'examiner la colonne de fort près; il affirme n'y
avoir pas trouvé trace de l'or et des couleurs dont certains
historiens prétendent qu'elle aurait été décorée. La res-
tauration qu'on lui doit comportait huit grands dessins :
exposés à la fin de 1790 à l'Académie des Beaux-Arts, ils y
obtinrent un éclatant succès (1), N'omettons pas que, du-
ra at cette dernière année de son séjour à Rome, Percier
s'était lié avec le sculpteur Ganova, lequel lui confia plu-
sieurs travaux.
Le moment du retour était arrivé, et avec lui les
mauvais jours. Fontaine quitta Rome le premier.
Son père, ruiné dès le début de la Révolution, récla-
mait le secours de l'aîné de ses enfants. Il partit à
pied, par économie, avec Dufour, et rejoignit après cinq
années sa famille. 11 s'aperçut vite qu'à Pontoise, où elle
habitait, rien n'était à espérer, ni pour lui, ni pour les
siens, tandis qu'à Paris ses talents pouvaient trouver
à s'employer utilement. Il s'en vint donc trouver le
père de Thibaut, son ancien camarade de ITsle-Adam,
(1) Restaurations des monuments antiques par les x\rcliitectes pension-
naires de l'Académie de France à Rome depuis 1788 jusqu'à nos jours.
Paris. Firmin-Didot, 1872. Citons aussi le Mémoire historique rédigé en 1839
par Thomas Vaudoyer sur le projet de restauration de la colonne Trajane,
exécuté en 1788 par feu Ch. Percier. 8 planches.
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PERGIER ET FONTAINE. 2*7
devenu pensionnaire de l'Académie de France à Rome.
M. Thibaut consentit à louer à Fontaine le logement de
son fils avec le mobilier, pour 150 francs par an. C'était
une pauvre demeure, au fond d'une allée obscure, dans
une de ces petites rues fangeuses qui reliaient alors la
rue Saint-Denis à la rue Saint-Martin. Fontaine réussit à
se procurer quelque travail assez mal rétribué : des mo-
dèles de papiers peints, de décoration. Enfin il fut occupé
par l'architecte Ledoux qui avait construit, pour la ferme
générale, le mur d'octroi et les barrières de Paris, au
sujet desquelles il préparait un ouvrage. Ces barrières,
destinées à abriter les commis de l'octroi et à leur servir
de bureaux, avaient été construites en forme de temple
grec, dans un style lourd et massif dont la barrière d'Enfer
et la barrière du Trône offrent de typiques spécimens.
Cependant Percier avait terminé ses études sur la
colonne Trajane. Les événements qui s'accomplissaient
à Paris étaient jugés sévèrement à Rome, et la population
se montrait hostile aux Français. Percier jugea prudent
de ne pas utiliser, dans ce séjour devenu difficile, la pro-
longation d'une année qui lui avait été accordée ; mais il
ne pouvait aisément se résoudre à abandonner un pays si
fertile en chefs-d'œuvre. Il partit à pied vers la fin de 1790,
traversa lentement la marche d'Ancône, les légations, la
Lombardie, entra en France, visita la Provence, Arles,
Nîmes, Orange, etc., s'arrêtant curieusement à tout ce
qu'il rencontrait sur son passage et accumulant de pré-
cieux documents. Il mit un peu plus d'un an à accomplir
28 PERGIER ET FONTAINE.
ce trajet. Arrivé à Paris, il se hâta d'aller retrouver Fon-
taine et s'installa chez lui très modestement ; un peu
plus tard, ils hahitèrent rue Montmartre un appartement
plus confortable.
Leur vie fut la continuation de celle que menait Fon-
taine depuis une année : ils ne trouvaient à mettre leur
talent qu'au service de l'industrie et ne comprenaient pas
encore l'importance de l'espèce de révolution qu'ils étaient
en train d'accomplir dans les arts d'application. Le plus
habile ébéniste de ce temps était Jacob : il avait exécuté le
mobilier dessiné par David et Moreau le jeune, et venait
d'obtenir la fourniture du mobilier de la Convention. Quoi-
que dessinateur de goût, il crut mieux faire de demander
des modèles à Percier et Fontaine. Après quelques hési-
tations, nos deux artistes se hasardèrent à restaurer le
style antique. Cette tentative hardie réussit complète-
ment, et la faveur avec laquelle elle fut accueillie leur va-
lut d'autres commandes de la part des orfèvres, des bijou-
tiers, des fabricants de tapis et d'étoffes d'ameublements.
Ce genre de travaux plaisait à Percier. Fontaine, plus
ardent, plus actif, plus ambitieux, préférait être archi-
tecte que décorateur. Las, enfm, de la lutte stérile sou-
tenue depuis deux années, il prit le parti d'aller avec
Bonnard tenter la fortune en Angleterre. Cette résolution
était malheureuse. Les deux artistes avaient assez de
travail pour s'assurer une existence sinon luxueuse, du
moins suffisante. Percier comptait déjà des élèves. Leurs
compositions étaient goûtées, leur réputation commençait
YUE DES TUILERIES
D'après une aquarelle de Fontaine. (Collection G. Meunié.)
PERCIER ET FONTAINE. 31
à s'établir. Mieux eût valu persévérer clans le travail, et
attendre. Fontaine ne trouva pas à s'occuper à Londres,
et ce fut Percier, resté à Paris, qui lui fournit, au retour,
le moyen de développer ses talents.
Un peu avant le départ de Fontaine, un poète, Arnault,
plus tard secrétaire perpétuel de l'Académie française
et mieux connu par ses fables que par ses œuvres
dramatiques, faisait répéter à la Comédie-Française une
tragédie ayant pour titre Lucrèce. Il voulait que la mise
en scène eût un caractère sérieux de vérité historique ;
c'était peut-être la première fois qu'un pareil souci se
manifestait parmi les hommes de théâtre. Au fait des tra-
vaux de Percier, Arnault obtint qu'on lui commandât cinq
décors représentant la ville, les champs, les habitations
intérieures de la Rome de Tarquin. Les maquettes furent
naturellement exécutées en commun par Percier et Fon-
taine. La pièce, représentée après le départ de Fontaine,
n'eut aucun succès ; mais les décors, très remarqués, atti-
rèrent l'attention sur Percier. Le mieux venu d'entre eux
était celui de lachambre de Lucrèce. Le directeur des décora-
tions de l'Opéra était alors ce même Paris dont nous avons
parlé. Il donna sa démission en 1793, quelques mois après la
représentation de Lucrèce^ et l'ou offrit sa place à Percier
avec 4500 francs de traitement. Celui-ci ne voulut accep-
ter que si on lui adjoignait Fontaine, lequel se hâta de
revenir à Paris. La musique était assez délaissée en 1793 ;
l'Opéra donnait surtout des ballets. Télémaque, le Juge-
ment de Pâris^ Psyché fournirent aux décorateurs l'occa-
32 PERCIER ET FONTAINE.
sion d'œuvres remarquables. On admira aussi le camp
romain dans le drame lyrique les, Horaces^ du composi-
teur italien Bernardo Porta.
L'entrée de Percier et Fontaine à l'Opéra marqua la fin
de leurs déboires. Fontaine avait trente et un ans, Percier
vingt-neuf. A partir de cette époque, leur succès ira
toujours grandissant. Ils vont devenir à la mode. Posséder
des meubles dessinés par Percier et Fontaine sera, sous
l'Empire et sous la Restauration, le dernier mot de l'élé-
gance et du bon ton. Aussi les travaux ne leur manquent
pas. De l'étranger même leur arrivent des commandes.
Sans cesser de s'occuper des décorations de l'Opéra et
de créer ces jolis modèles que les ébénistes, les fondeurs
et les orfèvres commençaient à se disputer, ils allaient
enfin pouvoir s'adonnera l'architecture. Dès le retour de
Fontaine, un membre de la section de Brutus (quartier
Montmartre), devenu possesseur de l'église Saint-Joseph,
leur demanda une restauration de la façade principale
et la transformation de l'intérieur en salle de séance
pour la section. Ce fut leur premier travail de construc-
tion, qui du reste ne fut pas payé. Cet édifice a été démoli
plus tard, du vivant même de Percier.
La Convention avait décidé d'installer la salle de ses
séances dans l'ancien théâtre des Tuileries. Elle avait
chargé de cette transformation l'ancien maître de Percier,
Guy de Gisors, qui n'avait point tenu les promesses
qu'avaient fait concevoir ses débuts. 11 s'adressa à Percier
et Fontaine qui, cette fois, furent rémunérés en paquets de
MONUMENT DE D E S A I X
PERGIER ET FONTAINE. 35
chandelles. La salle, connue sous le nom de salle des
Machines, disparut sous le Consulat. On se rappelle que
Percier et Fontaine avaient déjà dessiné les meubles de
la salle de la Convention. Leur nouveau travail achevait
de leur donner l'expérience de ce genre particulier d'ar-
chitecture ; aussi lorsque, peu après, s'ouvrit un concours
pour une salle d'Assemblée nationale, leur projet fut
jugé le meilleur et leur valut la commande ; mais les
événements politiques se précipitaient et le monument
ne fut jamais exécuté. Ainsi en alla-t-il pour quantité
d'autres concours restés sans résultats, faute d'argent,
et auxquels Percier et Fontaine prirent part avec succès.
On peutciter un concours pourl'achèvementdu Panthéon,
un autre pour une colonne à élever au Panthéon, d'autres
pour différents projets d'embellissements de Paris, qui
leur valurent des prix de 4 OOOet 3 000 francs, payés, il est
vrai, en assignats.
En revanche, plus tard, en 1798, Guy de Gisors et
Lecomte les associèrent à la transformation des grands
salons de réception du palais Bourbon en une salle
de séance pour le Conseil des Cinq-Cents. Ce travail leur
est dû, pour la meilleure part. La construction était
élégante, avec des bas-reliefs de marbre à la tribune,
une mosaïque sur le plancher. Vers la même époque,
de fougueux républicains, entraînés par leur haine
pour tout ce qui rappelait la monarchie, voulaient
détruire les arcs de triomphe connus sous les noms
de porte Saint-Martin et porte Saint-Denis ; Percier et
36 PERGIER Eï FONTAINE.
Fontaine réussirent à empêcher cet acte de vanda-
lisme.
Quand le célèbre imprimeur Pierre Didot commença la
publication de ses magnifiques éditions in-folio, il
invita Percier à collaborer à Tillustration des œuvres
d'Horace (1799) et des fables de La Fontaine (1802).
Percier et Fontaine utilisaient les rares loisirs que leur
laissaient leurs occupations professionnelles à mettre en
ordre les souvenirs rapportés d'Italie. En 1798, parut leur
Recueil des palais^ 7naisons et autres édifices modernes des-
sinés à Rome. Percier en composa tous les frontispices ; le
succès encouragea les auteurs à donner dans la suite le
Choix des j^lus célèbres maisons de plaisance de Rome et des
environs \ mais ce deuxième recueil ne parut qu'en 1812,
alors que les artistes étaient en pleine possession de leur
renommée et chargés d'emplois; la gravure en fut confiée
aux plus habiles techniciens du temps.
Percier et Fontaine déployaient une activité incroyable,
et l'on reste confondu devant la quantité d'ouvrages dont
ils ont fait les projets ou assuré l'exécution. Et cependant
leur carrière a été surtout consacrée à la restauration et à
la mise en valeur des richesses architecturales de la France.
Au lendemain de la Révolution, il y avait, sous ce
rapport, d'immenses travaux à entreprendre. Par la
sûreté de leur goût, la facilité qu'ils avaient à s'assimiler
les styles des différentes époques, et le caractère qu'ils
savaient donner à leurs moindres ouvrages, ils se sont
admirablement acquittés de cette lourde tâche. Deux
PERGIER ET FONTAINE 37
œuvres complètes seulement nous sont restées d'eux :
ce sont l'Arc de Triomphe du Carrousel et le monument
expiatoire de Louis XVI. Quel que soit l'intérêt primordial
de ces deux ouvrages, on n'attribuerait point à leur œuvre
l'importance qu'il sied si l'on omettait les importants
travaux accomplis dans nos palais nationaux, l'impulsion
caractéristique donnée à l'art industriel de cette époque
et aussi l'éclat des décorations inventées pour les fêtes du
temps, œuvres éphémères sans doute, mais dont le souvenir
a hanté longtemps la mémoire de nos aïeux.
Ces deux hommes se complétaient admirablement
l'un par l'autre. Fontaine saisissait du premier coup
l'ensemble de l'ouvrage projeté et le fixait dans un dessin
très correctement, mais très largement exécuté. Percier
avait plus que lui le souci de la perfection et de tous les
détails de l'ornementation. Il finissait chaque partie
du projet avec une patience et une minutie qu'on trou-
verait peut-être aujourd'hui excessives, mais qui en
facilitaient singulièrement la réalisation concrète. Quand
il voulait mettre au net le croquis préalablement étudié,
il couvrait d'un papier blanc la feuille sur laquelle
avaient été tracées les lignes les plus importantes, afin
de la protéger contre le frottement des doigts et des ins-
truments, et aussi contre les cendres de sa pipe qu'il ne
quittait pas souvent. Dans ce papier il découpait une
fenêtre de quelques centimètres carrés et poussait jus-
qu'au bout le rendu de ce petit coin; après quoi, il
bouchait la fenêtre, en ouvrait une autre et continuait
38 PERGIER ET FONTAINE.
ainsi jusqu'au parfait achèvement de son travail. On
conçoit qu'une pareille méthode ne lui laissait pas beau-
coup de loisirs. Aussi aimait-il peu à sortir ; il ne se plai-
sait que dans son cabinet, et pourtant, quand l'occasion
se présentait, il savait causer mieux que personne ; ceux
qui l'ont connu ont vanté le charme de sa conversation, mais
peu en ont joui. Fontaine, au contraire, était un homme du
monde. Levé de grand matin, il trouvait le temps d'étudier
sesprojets, d'aller surleschantierssurveillerrexécutiondes
travaux, de faire les visites et les démarches nécessaires,
de se montrer là où il fallait, de soigner ses relations.
C'était lui qu'on connaissait : on ne pensait guère à Percier.
Au temps où ils étaient architectes du Premier Consul,
Bonaparte voulut un jour se séparer de Percier. « Votre
Percier, disait-il à Fontaine, ne fait rien : on ne le voit
jamais. )> Fontaine éprouva quelque peine à convaincre le
Consul qu'un homme qui ne venait pas aux Tuileries
n'était pas pour cela un fainéant ; il lui fallut employer
toute son éloquence pour obtenir que son ami conservât
sa place.
II
Un peu avant le 18 brumaire (9 novembre 1799), Per-
cier et Fontaine avaient été chargés par l'ancien ambas-
sadeur de France à Londres, M. Chauvelin, de restaurer
une maison sise rue Chantereine, depuis nommée rue de
la Victoire. La maison voisine appartenait à Bonaparte;
PERCIER Eï FONTAINE. 39
si le Premier Consul logeait au Luxembourg, Joséphine ne
laissait pas de passer souvent rue de la Victoire; et
elle pouvait suivre l'avancement des travaux confiés à
la direction de Percier et Fontaine; frappée du grand
caractère de l'ouvrage et mécontente des services de
Vautier à la Malmaison, elle songea à utiliser le talent
des architectes de M. Chauvelin. La Malmaison était une
vieille demeure que Joséphine avait achetée en 1798 et
que Bonaparte voulait convertir en un palais digne d'un
chef d'État. Le peintre Isabey, qui s'occupait alors au
portrait de Joséphine, fut chargé d'aviser Percier et Fon-
taine ; peu de temps après, David les vint chercher tous
deux pour les conduire au Luxembourg oii ils furent reçus
par M""^ Bonaparte.
La conversation commençait à s'engager quand le
Premier Consul entra et demanda incontinent à David oii
étaient les chefs-d'œuvre envoyés d'Italie après le traité
de Tolentino. David répondit qu'il les croyait au Louvre.
« Pourquoi, dit Bonaparte, ne mettrait-on pas ces belles
choses sous le dôme des Invalides? Ce serait un hommage
rendu à l'armée ». On sait l'ascendant exercé par Bona-
parte sur ceux qui l'entouraient, l'espèce de crainte qu'il
répandait autour de lui et combien il fallait d'audace pour
exprimer un avis différent du sien. David, tout en sentant
l'étrangeté de la proposition, se borna à indiquer que le
monument serait sans doute trop exigu, et, peut-être
pour se décharger sur d'autres du soin d'en dire davan
tage, il ajouta : « Voici deux architectes qui en connais-
iO PERCIER ET FONTAINE.
sent les dimensions. » Percier, timide de sa nature,
ne répondit rien, et le Premier Consul interpella di-
rectement Fontaine. Fontaine n'avait jamais vu Bona-
parte. Peut-être ignorait-il quel était celui qui s'ex-
primait avec une toile autorité; ou bien son caractère
droit et son tempérament d'artiste lui suggérèrent-
ils d'échapper à la contrainte générale ; il répondit
hardiment : a Je n'approuve pas cette idée : ce sont
les drapeaux pris à l'ennemi qu'il faudrait suspendre
dans l'église des Invalides. » Un silence glacial accueillit
cette réplique. « Attendez-moi, dit enfin Bonaparte. Nous
allons voir tout cela. » Ils attendirent trois heures, durant
lesquelles les assistants ne manquèrent pas de mani-
fester à Fontaine l'étonnement que leur avait causé son
audace.
Enfin Bonaparte revient et emmène les deux architectes
au Louvre avec David et le général Murât. Ils y trouvent
les envois d'Italie. Bonaparte contemple quelques marbres
sortis des caisses et s'éloigne sans mot dire. Quelques
jours après, David annonçait à Fontaine que le Premier
Consul adoptait son idée et voulait donner à la translation
des drapeaux aux Invalides l'éclat d'une fête nationale.
Bonaparte avait en effet trouvé dans la proposition de
Fontaine l'idée d'une de ces cérémonies qu'il savait si
adroitement combiner pour entretenir et accroître sa
popularité. Il y veillait avec d'autant plus de soin qu'à
cet instant, suivant les dispositions accessoires de la
Constitution de l'an VIII, il se préparait à élire demeure
VUE DE l'intérieur DE l'ÉGLISE NOTRE-DAME
(Recueil des décorations exéculées pour la cérémonie du sacre de l'Empereur.
PERGIER ET FONTAINE. 43
aux Tuileries, parti qui sentait un peu son souverain et
risquait de déplaire aux partisans de la République.
Washington était mort au mois de décembre 1799. Le
Premier Consul ordonna que la France porterait pendant
dix jours le deuil du héros américain. Gomme ce deuil
consistait uniquement à cravater de noir les drapeaux, on
profiterait de l'occasion pour déposer entre les mains du
ministre de la Guerre les drapeaux conquis en Egypte.
Gette remise se ferait solennellement sous le dôme des
Invalides qui, dans le langage pompeux du temps, portait
le nom de temple de Mars. Un proscrit qui devait sa
liberté au Premier Gonsul, de Fontanes, prononcerait
reloge funèbre de Washington et ferait l'apologie de la
liberté, et le lendemain le maître de la France irait tran-
quillement s'établir aux Tuileries. Tout se passa suivant
le programme, au milieu de l'enthousiasme populaire, le
20 pluviôse an VIII (9 février 1800). On s'en était remis à
Percier et Fontaine pour le soin de disposer tous les amé-
nagements de la fête. Les drapeaux conquis en Egypte,
au nombre de soixante-douze, non compris trois queues
de pacha, furent apportés au général Lannes par des cava-
liers des différents corps de troupe de Paris. Gelui-ci les
remit à Berthier, ministre de la Guerre, et prononça une
harangue courte et martiale à laquelle répondit Berthier qui
était assis entre deux invalides centenaires, en face du
buste de Washington ombragé des mille drapeaux con-
quis sur l'Europe par les armées de la République. Puis
M. de Fontanes prononça son discours, après quoi les
U PERCIER ET FONTAINE.
crêpes noirs furent attachés à tous les étendards (1).
Dix jours auparavant, Bonaparte avait définitivement
chargé Percier et Fontaine des travaux de la Malmaison.
Par la suite, il n'accorda pas toujours son approbation à
leurs projets; les jardins qu'ils convoitaient de tracer
déplurent à Joséphine : la mode était aux jardins anglais ;
Percier et Fontaine n'entendaient point y obéir et la direc-
tion des jardins leur futretirée. Plus tard le Premier Consul
s'effraya des dépenses proposées. Les Mémoires de Fon-
taine portent trace de ces difficultés, qui commencèrent à
s'aplanir à la fin de 1801, époque où on leur confia la
restauration du palais de Saint-Cloud dont il ne reste mal-
heureusement rien, car il fut détruit le 14 octobre 1870,
pendant le siège de Paris (2).
Avant d'être présenté au Premier Consul et pendant
que s'effectuaient les embellissements de la Malmaison,
Percier avait consacré son activité à une tâche qui
intéressait au plus haut point la conservation du patri-
moine artistique de la France. Dès 1790 l'architecte et
archéologue Lenoir avait conçu le projet de rassembler à
Paris les œuvres d'art renfermées dans les couvents qu'un
décret de l'Assemblée Constituante venait de supprimer.
L'Assemblée favorisa ses vues et choisit pour installer
l'établissement Lenoir, devenu en 1795 le Musée des
(1) Thiers, Histoire du Consulat. Thiers parle de 96 drapeaux, mais le
Moniteur dit 72.
(2) Toute cette partie des Mémoires de Fontaine a été citée par de Les-
cure dans son livre sur le château de la Malmaison. Elle contient des détails
intéressants sur les goûts du Premier Consul et de son entourage.
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PERGIER ET FONTAINE. 47
Monuments français, l'ancien couvent des Petits-Augus-
tins qui est aujourd'hui FEcole des Beaux-Arts. En peu
de temps, Lenoir réunit une foule de tableaux, de sculp-
tures et de créations inestimables, notamment de tom-
beaux de personnages illustres. Percier en fit des dessins
précieux, il s'intéressait vivement à la création de Lenoir
qui fut assurément l'une des entreprises artistiques les
plus importantes et les plus utiles de cette époque. Miche-
let n'assure-t-il pas que le Musée des Petits-Augustins lui
révéla l'histoire? A deux reprises Lenoir se rendit avec
Percier au château d'Anet (Eure-et-Loir), bâti par Phili-
bert de Lorme pour Diane de Poitiers, d'abord afin d'y mou-
ler et dessiner les parties sculpturales essentielles, puis
pour faire transporter au Musée les restes du monument
qui avaient échappé à la démolition ; seulement il fallut
reconstituer tous ces débris, ce à quoi s'employa Per-
cier, moyennant une indemnité de 600 francs (1). La pièce
principale était un portique d'entrée placé devant la porte
du Musée des Monuments français. II est encore dans la
cour d'entrée de l'Ecole des Beaux-Arts, à côté d'un autre
portique célèbre, celui du château de Gaillon. Non loin,
une grille à trois pans conservée à l'Ecole des Beaux-Arts
a été également restaurée par les soins de Percier.
Le 12 messidor an X (1" juillet 1802), Percier et Fon-
taine reçoivent l'ordre de remettre à Lepère, architecte
(1) Voir une lettre de Lenoir du 4 prairial an VII et une note sans date
citées dans VInventaire général des richesses d'art de la France. — Archi-
ves du Musée des Monuments français, l^e partie, p. 142, 154 et 157.
48 PERGTER ET FONTAINE.
revenu d'Egypte, la direction des ouvrages qui restent à
faire à la Malmaison. Par bonheur ils avaient terminé les
travaux de Saint-Cloud. Quand le Premier Consul y vint
fixer son séjour le 24 septembre 1802, il se déclara entiè-
rement satisfait des aménagements. Dès lors, il accorda
définitivement à ses deux architectes une estime pleine
et entière. Le premier témoignage par oii elle se mani-
festa fat leur nomination d'architectes des Tuileries et
du Louvre (6 février 1805).
Napoléon était un maître exigeant, il fallait toute l'activité
de Percier et Fontaine pour le satisfaire. Une se lassa pas
d'abuser de leur docilité, allant jusqu'à leur interdire
d'accepter aucune commande de particuliers, si bien
qu'ils n'ont pu fournir toute leur mesure dans cette
architecture privée oii ils semblaient prédestinés à si bien
réussir. De plus, Napoléon les accabla des projets qui
naissaient chaque jour dans son imagination trop féconde
et que les circonstances ne permettaient presque jamais de
mener à terme. Les restaurations des palais impériaux
absorbèrent si bien le temps et l'argent, qu'il ne resta plus
rieri pour les œuvres originales.
En 1802, un groupe de souscripteurs ouvrit un concours
pour l'exécution d'une fontaine à ériger en mémoire du
général Desaix, mort à Marengo le 14 juin 1800. Cent
vingt-huit artistes présentèrent des projets. Le premier
prix fut décerné à Percier, et le monument fut érigé sur
la place Dauphine, alors place Thionville. Percier avait
choisi pour la construction Augustin Beudot, et pour la
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PERGIER ET FONTAINE. 51
sculpture Augustin Fortin. Le monument comportait un
soubassement rond, sur lequel un fût également cir-
culaire servait de piédestal au motif principal formé d'un
socle à angles droits supportant un buste de Desaix. Le
soubassement était placé au centre d'un bassin orné de
quatre mascarons de bronze d'oii l'eau jaillissait. Une
plinthe de marbre s'y trouvait encastrée sur laquelle
se lisaient la désignation des corps d'armée d'Egypte et
d'Italie et les noms des souscripteurs ; un bas-relief
déroulait sur le fût deux grandes figures représentant le
Nil et FEridan; deux Renommées inscrivaient dans des
cartouches les noms des principales victoires remportées
par le général Desaix : Thèbes et les Pyramides, Kehl et
Marengo. Un autre cartouche, placé sur la face principale,
portait l'inscription « A Desaix », avec, plus bas, les
paroles qu'il prononça à Marengo au moment où la mort
le frappa : « Allez dire au Premier Consul que je meurs
avec le regret de n'avoir pas assez fait pour la postérité. »
Un jeune guerrier, la tête couverte d'un casque, couron-
nait d'une main le buste du héros et de l'autre suspendait
à son cou un glaive antique (I).
Avec son fût cylindrique et ses fines sculptures, ce petit
monument offre ce mélange de régularité dans l'ensemble
(1) L'administration a fait démolir la fontaine Desaix en 1875 lors des
travaux de régularisation de la place Dauphine ; on devait la réédifîer plus
tard sur quelque autre emplacement. Elle est encore au magasin de la Ville
de Paris à Auteuil, scindée en deux morceaux, quelque peu endommagée.
Les bas-reliefs sont éraillés par endroits ; le pied gauche du jeune guerrier
est brisé.
52 PER€IEIl ET FONTAINEi
et de grâce dans les détails qui caractérise les créations
du style impérial. On y remarque aussi cette combinai-
son harmonieuse des figures et des ornements classiques
avec l'exacte reproduction des objets contemporains, —
ingénieux moyen de « moderniser l'antique » auquel les
auteurs auront plus tard recours dans l'Arc de Triomphe
du Carrousel.
On sait quelle importance attachait l'Empereur à se
faire sacrer par le Pape, et quelles espérances sa politique
fondait sur l'effet moral d'une pareille cérémonie; aussi
voulut-il lui donner un éclat exceptionnel. Il y eut des
fêtes magnifiques qui durèrent plusieurs jours. Percier et
Fontaine, chargés de tout ce qui concernait la décoration
des édifices et des places publiques, s'acquittèrent de leur
tâche avec un succès complet, et contribuèrent dans la plus
large mesure à la pompe de ces journées. Le Pape était
arrivé à Paris le 28 novembre 1804. Le 30, on lui présenta
le Sénat, le Corps législatif, le Tribunat et le Conseil
d'Etat. Ce fut le commencement des fêtes. Devant la
façade du palais du Sénat, on avait élevé une charpente
d'une prodigieuse hauteur représentant une montagne
hérissée de rochers; au bas, étaient de riantes prairies
émaillées de fleurs. Une colonnade était établie le long de
la Seine depuis les Tuileries jusqu'à l'Hôtel de Yille.
Le 2 décembre eut lieu le sacre dan^ l'église Notre-Dame
de Paris. Nous ne raconterons pas les détails de cette
cérémonie plusieurs fois décrite par les historiens et
immortalisée par le pinceau de David ; mais il nous faut
LE BA>QUET IMPÉRIAL AU PALAIS DES TUILERIES
(Description des cérémonies et des fêtes du mariage.)
..i^ PERCIER ET FONTAINE. 55
dire quelques mots de la décoration intérieure et exté-
rieur«'-de l'église. La grande entrée, sur la place du par-
vis, avait été condamnée pour y adosser le troue impérial.
On accédait par les portes latérales. Derrière l'église était
une tente ronde, décorée de riches tapis des Gobelins et
d'aigles dorés. Elle servait de vestibule et communiquait,
par un escalier, avec les appartements de l'archevêché
où le Pape et l'Empereur devaient se rendre pour revêtir
leurs costumes d'apparat. Ce palais, relié à l'église par
une galerie couverte d'ardoises et ornée de tapisseries
des Gobelins, aboutissait à l'entrée, devant laquelle se
dressait un portail de style gothique. Au-dessus des
colonnes qui le soutenaient se voyaient les statues de
Glovis et de Gharlemagne. Les armes de l'Empire, des
drapeaux, des faisceaux de lances et d'épées complétaient
la décoration. A l'intérieur, le trône du haut duquel
l'Empereur a prononcé son serment était élevé sur une
estrade de vingt-deux degrés recouverte d'un tapis bleu
parsemé d'abeilles. Ce trône, tendu de velours rouge,
était placé au centre d'un pavillon également tapissé de
draperies rouges et dont les ailes abritaient les person-
nages les plus importants de la cour.
Trois jours plus tard, l'Empereur fit distribuer à l'armée
et aux gardes nationaux les aigles qui devaient orner
les hampes des drapeaux. La cérémonie se passa au
Champ de Mars, devant l'Ecole militaire dont la façade
principale était décorée d'une grande tribune divisée en
plusieurs tentes à la hauteur du premier étage. Celle du
S6 PERGIER ET FONTAINE.
milieu, supportée par quatre colonues ornées de figures
de victoires en relief et dorées, couvrait le trône de
l'Empereur et celui de l'Impératrice. On descendait au
Champ de Mars par un grand escalier ; les gradins en
étaient occupés par des invités de marque. Aux deux côtés
de cet escalier se trouvaient les figures colossales de la
France donnant la paix, et de la France faisant la guerre.
Les armes de l'Empire, sculptées, avaient fourni les
motifs de tous les ornements. C'était imposant et majes-
tueux, comme il convenait à l'époque et aux circons-
tances.
Tous les détails de ces décorations diverses nous sont
connus par un magnifique volume in-folio intitulé : Sacre
et Couronnement de Napoléon^ empereur des Français et
roi d'Italie^ publié en 1807, qui comprend quarante
planches dessinées par Foi^taine, Percier et Isabey (Isabey
avait été chargé des costur^ies), suivies de quatorze autres
par Percier et Fontaine.
Parmi tant d'autres fêtes à Téclat desquelles Percier et
Fontaine apportèrent plus tard la contribution de leur
talent, il n'en est pas de plus importantes que celles dont
le second mariage de Napoléon fut l'occasion. L'éclat des
décorations imaginées par les deux artistes revit dans un
in-folio de treize planches qui parut dès 1810 : Le Mariage
de S. M. /'empereur Napoléon avec S. A. I. f archiduchesse
Marie-Louise d' Autriche. Cet ouvrage renferme treize plan-
ches représentant les aménagements effectués à Saint-
Cloud pour le mariage civil (1^' avril), au Louvre pour le
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PERGIER ET FONTAINE. 59
mariage religieux et aux Tuileries pour le banquet qui y
fut donné le soir (2 avril).
Enfin, l'année suivante, à cause de la naissance du roi
de Rome (20 mars 1811), la fête de l'Empereur fut célébrée
le 15 août à Saint-Gloud avec nne pompe inaccoutumée.
On établit des galeries, des portiques, des colonnades, des
temples avec jets d'eau, cascades, illuminations, etc. Dix
jours plus tard, une fête semblable fut donnée dans les jar-
dins de Trianon en l'honneur de Marie-Louise.
Les restaurations que Percier et Fontaine eurent à
exécuter pendant la période impériale ont été décrites par
eux-mêmes dans un ouvrage important qui parut en 1833.
C'est le Parallèle des principales résidences des souverains
d'Europe^ qui se compose d'un texte formant un volume
in-4 et d'un atlas in-folio. En dehors du Louvre, des
Tuileries et de Versailles dont il sera question plus loin,
les plus importantes de ces restaurations sont celles de
Laeken, en Belgique, de Compiègne, de Fontainebleau et
du palais Pitti, à Florence.
Il y a peu à dire du château de Laeken. Bâti en 1781 ,
au sommet du Schoonenberg, près Bruxelles, sur les
dessins de Montoyer, architecte belge, il avait été acheté
par Bonaparte après la paix d'Amiens (1" octobre 1801).
Plus tard, il devint la maison de campagne du roi des
Belges.
Le château de Compiègne avait été construit par ordre
de Louis XV d'après les plans de l'architecte Gabriel. La
60 PERGIER ET FONTAINE.
Révolution y avait établi un prytanée, et le Consulat une
école d'arts et métiers. En 1806, l'Empereur résolut de
transférer cette école à Ghâlons-sur-Marne et de faire du
château une résidence impériale. Entre autres améliora-
tions , Percier et Fontaine construisirent à l'extrémité de
l'aile gauche de la cour d'entrée une grande salle de bal
ornée de colonnes, une petite chapelle, un escalier princi-
pal et les pièces précédant l'appartement de l'Impératrice.
Ils durent modifier les dispositions intérieures pour agran-
dir les salles, refaire toute la décoration, et meubler
entièrement toutes les pièces. Fontaine ne fat qu'à moitié
satisfait du résultat. On lit dans Les Résidences des Sou-
verains : « Si les sommes qu'il a fallu dépenser pour rendre
commode un amas de vieilles bâtisses avaient été employées
à l'érection d'un édifice entièrement neuf, le château de
Compiègne, aujourd'hui peu remarqué, serait cité comme
le modèle des résidences de France ».
Les travaux exécutés à Fontainebleau se rapportent
presque entièrement à l'intérieur. Au dehors il n'y eut
que des réparations sans grande importance; mais la
décoration des salles était dans un tel état de délabrement
que tout, pour ainsi dire, était à refaire, sans parler du
mobilier à créer. Napoléon y dépensa près de douze mil-
lions. On admire encore aujourd'hui la salle du trône et
les appartements dans lesquels l'Empereur retint prison-
nier le pape Pie VII à la fin de 1812.
Le palais Pitti, à Florence, d'une architecture toute
florentine, a été construit en 1440 pour un simple commer-
PERGIER ET FONTAINE. (31
çant, Luca Pitti, par le célèbre architecte Brunelleschi ;
plus tard il passa aux niains de Gôme de Médicis, lequel
fit ajouter par Ammanati la cour intérieure qu'on admire
aujourd'hui. Enfin, au xvii- siècle, Giulio Parig;i éleva
les deux ailes qui donnent à la façade un développe-
ment considérable. Ce magnifique édifice avait beaucoup
souffert des guerres et des révolutions. Napoléon ordonna
sa réparation et sa mise en harmonie avec les exigences
des temps nouveaux. Il fallait des hommes singulièrement
avertis pour s'acquitter de cette tâche sans nuire au style
de l'édifice. Les travaux furent poursuivis en 1811
et 1812.
Parmi tous les projets qui occupèrent Percier et Fon-
taine sans recevoir d'exécution, les plus importants furent
ceux du palais du roi de Rome. Dès 1806, l'Empereur,
ayant résolu de bâtir un palais à Lyon, avait chargé ses
architectes de faire choix d'un emplacement. Ils propo-
sèrent l'île Perrache et présentèrent plusieurs projets
vite abandonnés. Napoléon revint, maintes fois, à l'idée
d'ériger une résidence entièrement neuve. Percier et Fon-
taine ne se lassèrent pas de soumettre, à chaque reprise,
des projets nouveaux. Un jour le palais devait être construit
dans l'île Perrache, sur le modèle rectifié de celui de
Compiègne. Plus tard, il fut question de Rambouillet,
dont les vieilles tours tombaient en ruines ; on aurait
imité Marly et Trianon, et construit plusieurs pavillons
séparés avec des jardins particuliers. En fin de compte,
on se décida pour la montagne de Ghaillot (le Trocadéro),
62 PERGIER ET FONTAINE.
en face du Champ de Mars et de l'Ecole militaire. Les
plans s'inspiraient du château de Versailles. Quand le fils
de Napoléon fut né et eut reçu le titre de roi de Rome, le
palais, qui n'était encore qu'à l'état de projet, lui fut con-
sacré. Les travaux, commencés en 1812, furent continués
pendant la malheureuse campagne de Russie; mais, après
le désastre de Leipzig, l'Empereur ordonna de réduire les
constructions à « un petit Sans-Souci ». L'invasion de
1814 arrêta tout. Napoléon manifesta quelque velléité de
reprendre les travaux pendant les Cent Jours ; mais Percier
et Fontaine avaient perdu toute confiance; rien ne fut
continué. L'emplacement même est resté près d'un
demi-siècle désert et lamentable. Napoléon avait eu une
grande part dans la composition des projets. Au mois de
juillet 1833, Percier et Fontaine ont publié dans la Revue
de Paris un curieux article, intitulé Napoléon architecte,
oii ils concluent ainsi : « Ceux qui pourront se repré-
senter un palais aussi étendu que celui de Versailles...
n'hésiteront pas à penser que cet édifice aurait été l'ou-
vrage le plus vaste et le plus extraordinaire de notre
siècle ».
Au milieu de tant d'occupations, Percier et Fontaine
trouvaient encore le temps d'envoyer régulièrement des
dessins importants à l'empereur de Russie qui « désirait
connaître journellement, et par le moyen d'une sorte de
correspondance périodique, les ouvrages d'art dont l'Em-
pereur des Français embellit la capitale de son empire ».
Cette correspondance continue régulièrement « malgré,
PERGIER ET FONTAINE. 63
dit Fontaine, le mouvement et la grande préoccupation
que nous donnent l'habitation et le service d'un aussi grand
nombre de personnages illustres, aux besoins desquels
nous sommes obligés de veiller » (1).
Onze numéros sont envoyés en Russie de 1809 à 1812,
comprenant le plan général du Louvre et des Tuileries
avec les changements et embellissements récents, l'Arc
de Triomphe du Carrousel, le Musée Napoléon (Musée du
Louvre), le Corps législatif et ses dépendances, le Pan-
théon, les Halles et les Marchés.
« Le 4 avril 1814, écrit Fontaine dans ses Mémoires,
Tempereur Alexandre..., m'ayant à son entrée dans le
palais (des Tuileries) aperçu en habit d'uniforme avec
les épaulcttes de chef de bataillon de la garde nationale,
il vint à moi, puis me saluant par mon nom : « Nous avons
« fait la paix, me dit-il, et vous allez sans doute reprendre
« avec moi la correspondance d'art que la guerre a inter-
« rompue. » Le 17 mai suivant, nous allions, mon ami
Percier et moi, lui faire hommage du douzième numéro de
notre travail. » En septembre 1813, tous deux envoient en
Russie le treizième numéro décrivant les fontaines publi-
ques de Paris ; mais l'empereur Alexandre ne leur accuse
même pas réception de leur envoi, ce qui les détermine à
ne pas continuer (2).
Pour terminer l'histoire des travaux de la période impé-
(1) Fontaine, Mémoires inédits. — Cette correspondance a été publiée
chez Firmin-Didot.
(2) Fontaine envoyait en Russie des copies faites par ses élèves ; il gar-
dait les dessins originaux qui sont conservés par ses héritiers.
64 PERGIER ET FONTAINE.
riale, mentionnons les nombreux dessins de Percierpoiir
la Manufacture de Sèvres, et citons parmi les projets de
constructions non exécutés : une maison d'éducation pour
les filles des militaires morts à l'armée, des prisons, des
cimetières aux quatre extrémités de Paris, un hôtel des
ministres, un palais des Arts, un autre pour l'Université,
une maison de retraite pour les professeurs émérites, des
archives pour les titres de l'Etat, des casernes, des établis-
sements pour les administrations des postes, des douanes,
de l'octroi, etc., et enfin les projets du port d'Anvers qui
obligèrent Percier et Fontaine, vers la fin de 1811, à un
voyage parfaitement inutile.
Les récompenses de tant de travaux ne leur arrivèrent
que tardivement. L'Empereur, si prodigue de faveurs
pour les soldats, attendit jusqu'en 1807 avant de donner
à Fontaine le titre de premier architecte de Sa Majesté.
Il ne les fit chevaliers de la Légion d'honneur qu'en 1811,
l'année même où ils entrèrent à l'Académie des Beaux-
Arts. Fontaine avait quarante-neuf ans, Percier qua-
rante-sept.
Un an plus tard, en 1812, Percier abandonna la direc-
tion des travaux des palais impériaux, et Fontaine resta
seul architecte du Louvre et des Tuileries. Percier vou-
lait se consacrer à l'école qu'il avait fondée et à ses études
de restauration des édifices de France et d'Italie. Le
palais de Fontainebleau lui inspira un recueil de dessins
coloriés où l'édifice reparaît avec toute sa fraîcheur
primitive. Outre la galerie de Diane qui contenait des
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PERGIER ET FONTAINE. 67
peintures d'Ambroise Dubois, et qui est aujourd'hui
détruite, ce recueil contient une restitution de la salle
des fêtes telle qu'elle avait été conçue par Serlio et le
Primatice. Plus tard, Percier restaura sur le papier le grand
hôpital de Milan et les palais de Gènes. Il fit à l'intention
d'un prince de Pologne les plans d'une petite église
gothique. L'édifice, conçu dans le pur style du xii*" siècle,
est curieux à étudier, car il prouve la souplesse d'un
talent qu'on voue trop généralement au culte exclusif des
ordonnances gréco-romaines.
m
Louis XVIII continua à Fontaine la confiance que lui
avait témoignée Napoléon. Les principaux travaux dont il
eut à s'occuper sous la Restauration se rapportent aux
Tuileries, à Versailles, au Palais-Royal et à la construc-
tion du monument expiatoire de la rue d'Anjou.
Le Palais-Royal, appelé d'abord Palais Cardinal, avait
été construit en 1636, par le cardinal de Richelieu qui,
la même année, le remit au roi Louis XIII. Plus tard,
en 1692, Louis XIV en fit donation à Philippe d'Orléans,
duc de Chartres, son neveu, à l'occasion de son mariage.
Jusqu'en 1793, il resta en la possession de la famille
d'Orléans. En 1781, un incendie détruisit l'aile droite
du palais. Le duc d'Orléans était à cette époque Philippe
d'Orléans, arrière-petit-fils du Régent, qui prit sous la
Révolution le nom de Philippe-Egalité. A la suite de
68 PERGIER ET FONTAINE.
l'incendie, il fit exécuter de grands travaux par l'ar-
chitecte Louis. L'aile droite fut dégagée, et l'on perça
la rue de Valois. Une salle de spectacle prit place dans
l'aile gauche, là où vint plus tard s'établir la Comédie-
Française (1803). Dans un but de spéculation, le duc
d'Orléans érigea à la même époque les galeries qui
entourent le jardin et où s'installèrent des boutiques,
des cafés, des restaurants, des maisons de jeu. Le palais
proprement dit, ayant sa façade sur la rue Saint-Honoré,
était séparé du jardin par des constructions provisoires
en planches qu'on appela le camp des Tartares et plus
tard les galeries de bois. Après la mort de Philippe-Ega-
lité, le Palais-Royal, quelque peu diminué par les ventes
nationales, devint le Palais elle Jardin de la Révolution.
Au retour des Bourbons, le fils de Philippe-Egalité (plus
tard Louis-Philippe) rentra en possession de ce qui n'avait
pas été vendu, et racheta les parties aliénées. Dès 1815,
il commença avec Fontaine la restauration et l'achève-
ment du palais. Les dépenses furent considérables; elles
ont été payées avec ce qui revenait au prince de la suc-
cession de sa mère. On acheta les faisons particulières
qui se trouvaient rue Saint-Honoré entre le palais et la
rue de Richelieu, ainsi que le théâtre, vendu à un sieur
JuUien, qui le céda pour 1200000 francs. Cette partie
du palais une fois dégagée, on put ouvrir sur la rue
Saint-Honoré la cour de Nemours (1).
(1) Inventaire général des Richesses d'Art de la France. Monuments
civils, tome I.
PERGIER ET FONTAINE. 69
Dans la crainte d'assombrir cette cour et de trop dimi-
nuer le jardin, le duc d'Orléans interdit d'établir les
appartements d'honneur sur l'emplacement des galeries
de bois, comaie l'avait proposé Louis. L'exhaussement
d'un étage du corps de bâtiment principal situé entre les
deux cours, et actuellement occupé par le Conseil d'Etat,
le prolongement de l'aile Montpensier, depuis le théâtre
jusqu'au jardin, enfin la construction de deux pavillons
reliant chacune des deux ailes avec les bâtiments en
bordure sur le jardin, permirent à Fontaine de donner au
duc de vastes salons de réception et les appartements
privés nécessaires à sa famille et à son entourage. Les
idées les plus heureuses de Fontaine furent la création
de la galerie de Chartres et de la grande galerie trans-
versale dite cV Orléans^ à la place des galeries de bois,
entre le palais et le jardin.
Le Théâtre-Français avait été incendié en 1818. Il fut
entièrement reconstruit par Fontaine. La décoration, les
communications, les entrées et les dégagements sont
restés sans changement jusqu'à l'incendie de 1899, qui
détruisit partiellement la salle. C'est à Fontaine qu'on
doit le grand vestibule de la rue de Richelieu. Les travaux
du Théâtre-Français prirent fin en 1822. Les autres parties
du Palais-Royal occupèrent Fontaine jusqu'en 1831 (1).
Après la construction, il fallut s'occuper de l'ameuble-
ment et de la décoration intérieure. Fontaine a publié
(1) Champier et Sandoz, Le Palnis-Royal^ tome II.
70 PERGIER ET FONTAINE.
V Histoire du Palais-Royal en 1830, et en 1837 un autre
volume intitulé le Palais-Royal domaine de la couronne.
Il a laissé le détail des ameublements et décors dans un
album que conservent ses héritiers.
Lés rapports de Fontaine avec le duc d'Orléans établi-
rent entre eux les liens d'une solide affection. L'amitié
de Louis-Philippe pour son architecte est restée légen-
daire. L'architecte avait plus de goût que le roi et n'ap-
prouvait pas toujours ses idées. Le roi n'osait résister
ouvertement, mais il était entêté; il éloignait Fontaine en
le chargeant de quelque besogne insignifiante au château
d'Eu ou ailleurs, et profitait de son absence pour mettre
ses projets à exécution. Au retour. Fontaine se fâchait,
mais on se réconciliait toujours. Louis XVIII avait nommé
Fontaine officier, de la Légion d'honneur; Louis-Philippe
le promut au grade de commandeur.
Pendant toute cette période, Percier s'occupa peu de
constructions d'édifices. En 1824, il fit le projet du tom-
beau de la comtesse Âlbany qui, veuve du prétendant
Charles-Edouard, avait épousé le poète Alfieri. Ce tom-
beau fut exécuté dans l'église Santa Croce à Florence,
par le sculpteur Santorelli. En dehors de son école et de
ses restaurations, il travailla à des projets pour la manu-
facture de Sèvres. On conserve dans cet établissement
une aquarelle allégorique représentant l'Espérance et un
projet de vitrail pour la chapelle du château de Randan
(Puy-de-Dôme). La première porte la mention suivante :
«Pour S. A. E. Mademoiselle d'Orléans, 28 juin 1830 ».
PERGIER ET FONTAINE. "71
Quant au vitrail, il a été exécuté à la manufacture la
même année.
Nommé officier de la Légion d'honneur par Louis XVIII
en même temps que Fontaine, Percier mourut au mois
de septembre 1838, dans le logement qu'il occupait
depuis l'Empire à l'entresol du Louvre, — logement
modeste et pauvrement meublé dont se contentait celui
qui avait décoré tant de résidences royales. Percier avait
acquis une fortune honorable: il légua 100 000 francs
à l'École gratuite de dessin qu'il avait fondée et dont il
était administrateur. Grand de taille, mais peu robuste,
il avait des allures rappelant un peu celles de l'ancien
militaire et rendues plus singulières encore parle caractère
archaïque de son costume qui était le même en toutes
saisons et qui n'avait pas varié depuis un demi-siècle. Il
était sérieux et grave, sa parole était vive et abondante.
Éloigné de Paris à l'époque de la mort de son ami,
Fontaine ne put assister à ses obsèques (7 septem-
bre 1838). 11 lui survécut quinze années. Pendant tout
le règne de Louis-Philippe, il continua, avec une activité
remarquable pour son âge, à diriger tous les travaux
courants qu'exigeaient l'entretien et les améliorations
des nombreux édifices dont il avait la charge. La Révo-
lution de 1848 l'affligea profondément. Son amitié pour
le roi et les mauvais souvenirs qu'il avait gardés de la
première République ne pouvaient le disposer en faveur
de la seconde. Il donna sa démission d'architecte du
Louvre et des Tuileries le 20 septembre 1848, à l'âge
72 PERGIER ET FONTAINE.
de quatre-vingt-six ans. L'année suivante, il fut nommé
président du Conseil des bâtiments, fonction qu'il remplit
avec assiduité. Il mourut le 10 octobre 1833, dans un hôtel
qu'il s'était fait bâtir depuis longtemps à la Muette, à
Passy, et où il vint s'installer après sa démission.
Dans Fespèce de pacte d'amitié que Fontaine, Percier
et Dernier avaient fait à Rome, il était stipulé qu'ils ne
se marieraient jamais. Fontaine tint parole comme avait
fait Percier. Cependant ses derniers jours ne furent pas so-
litaires. Il eut une fille d'adoption qu'il éleva depuis l'en-
fance, qu'il maria, et dont les enfants devinrent pour lui de
véritables petits-fils. Cette famille était installée, près du
cimetière du Père-Lacliaise, dans la rue Saint-Maur, bien
différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Elle occupait une
demeure luxueuse, presque somptueuse, entourée de
vastes jardins et décorée d'objets d'arts. C'est là que Fon-
taine aimait à se retirer sa journée linie, pour travailler
à ses livres, ou pour amuser ses petits-enfants en faisant
devant eux des dessins qu'il rehaussait de couleurs,
telle cette série de petites aquarelles destinées à illustrer
un exemplaire de Don Quichotte. Ces petits ouvrages sont
traités avec une ampleur qui témoigne de la facilité de
Fauteur, en même temps que des grâces alertes de son
esprit.
La vie de Fontaine était ordonnée avec une régularité
exemplaire. Il habitait l'hôtel d'Angiviller, situé rue de
l'Oratoire, près du Louvre. Il se mettait chaque jour au
travail dès 5 heures du riiatin. A midi, il allait visiter
LE GRAND ESCALIER^DU MUSÉE^DU LOUVRE
D'après une aquarelle de Fontaine (Collection G. Meunié).
PERGIER ET FONTAINE. 75
ses travaux et rentrait dîner à 6 heures, rue Saint-Maur,
d'où sa voiture le ramenait à 10 heures. Il était bon et
affectueux avec ses amis, aimable avec les indifférents,
malgré une certaine raideur de caractère à laquelle il fal-
lait s'habituer.
Fontaine fut enterré au Père-Lachaise avec Dernier et
Percier dans un tombeau qu'il avait fait construire et
sur lequel cette inscription était gravée : Hic très in
unum.
IV
Le château de Versailles, oii Louis XIV avait créé
tant de merveilles, avait souffert de l'abandon pendant la
Révolution. Napoléon aurait voulu le rétablir dans sa
splendeur primitive pour en faire une de ses résidences.
Les circonstances l'en empêchèrent. On se borna à res-
taurer les palais de Trianon. Percier et Fontaine avaient
trouvé les magasins et les dépôts de la couronne emplis
de marbres de grand prix destinés au Grand Trianon et qui
n'avaient pas été employés par Mansart. Ils ne purent pas
non plus les utiliser, et les firent servir à d'autres usages.
C'est de là qu'ils tirèrent les colonnes qui décorent plu-
sieurs galeries du Louvre, et celles qui faisaient si bel
effet dans le grand escalier du Musée.
A Trianon, ils se contentèrent de remettre les appar-
tements en état, de les meubler, de réunir les jardins du
Grand et du Petit Trianon par un pont jeté par-dessus
76 PERGIER ET FONTAINE.
l'allée qui les sépare, et enfin de régulariser l'accès des
palais par des avenues et des grilles d'entrée. Dans le parc^
ils firent réparer et reconstruire les murs qui contiennent
le grand canal et ses deux bras, puis remettre en état de
service les conduites qui alimentent les jets et les bassins.
Plus tard, Fontaine présenta à Louis XVill un nouveau
plan de restauration. On devait conserver ou rétablir la
galerie, les grands appartements, les pièces d'apparat,
tout ce qui datait de Louis XIV. Les travaux furent
aussitôt entrepris. En 1820, le pavillon correspondant à
celui que Gabriel avait bâti était élevé, les abords déga-
gés, les dépendances restaurées. La dépense fut d'environ
six millions, exactement le cbifPre que Fontaine deman-
dait à Napoléon.
Le château de Versailles n'a pas été habité depuis la
Restauration. Après la Révolutionde 1830, on abandonna
toute idée de le convertir en résidence royale, et l'on com-
mença d'y installer un musée d 'œuvres d'art relatives à
l'histoire de France. Cette transformation du palais en
musée, exécutée par l'architecte Nepveu qui a profité
largement des conseils et de l'expérience de Fontaine,
passe pour tout à fait réussie.
Les constructions du Louvre et des Tuileries ont été
l'objet des soins de Percier et Fontaine pendant plus de
trente ans. Le palais du Louvre, malgré les dépenses qu'y
avaient consacrées les rois de France depuis François I",
n'était pas achevé en 1789. Au commencement de la
Révolution, il fut littéralement envahi par quantité de
LARC DE TRIOMPHE DU CARROUSEL DANS SON ETAT PRI3IITIF
D'après une aquarelle de Fontaine (Colleclion G. Meiinié).
PERGIER ET FONTAINE. 79
personnes qui vinrent s'y loger sous différents prétextes
et firent construire de véritables maisons bourgeoises
dans les salles inachevées. Le gouvernement du Directoire
essaya de mettre un terme à ces désordres. Déjà en 1793
la Convention avait fait rassembler dans la grande galerie
des richesses artistiques provenant des anciens palais ;
tout y était amoncelé sans ordre. Après la campagne
d'Italie, lemusée s'enrichitd'immortels chefs-d'œuvre qui
furent déposés dans la salle devenue plus tard la galerie
des Antiques.
Enfin, en 1803, Napoléon ordonna l'expulsion des parti-
culiers qui occupaient encore les intérieurs et les abords
du Louvre ; il fit appel à Percier et à Fontaine pour la
reconstruction et l'achèvement des quatre ailes qui entou-
rent la grande cour. Ceux-ci se trouvaient en présence de
deux plans étudiés autrefois. Le plus ancien était celui
de Lescot, l'architecte de François I", mais il s'accordait
mal avec la belle colonnade élevée par Perrault sous
Louis XIV. L'autre était de Perrault: le suivait-on, il fallait
démolir l'attique élevé sur les trois faces du nord, du sud
et du couchant, et l'on perdait ainsi les belles sculptures
dont ces faces sont ornées. De plus on devait supprimer le
dôme et détruire la surélévation du pavillon de l'Horloge.
Napoléon décida que la façade de l'Horloge serait conservée
comme modèle de l'ancien Louvre et que les trois autres
seraient achevées et rattachées à la première (1). C'est ce
qui fut exécuté avec un goût parfait, comme on peut s'en
(1) Résidences des Souverains.
,80 PERGIER ET FONTAINE.
convaincre aujourd'hui en traversant la cour du Louvre.
Les trois façades, décorées de trois ordres d'architec-
ture, sont semblables. La quatrième, avec deux ordres,
unattique et le pavillon central couronné d'un dôme, est
rétablie et achevée suivant le plan de Lescot.
Le palais des Tuileries, incendié par la Commune en
1871 et dont il ne reste aujourd'hui que le jardin, avait
été commencé en 1566 par Catherine de Médicis, puis
agrandi par Henri IV. A l'époque où le Premier Consul en
prit possession (10 février 1800), il était dans un véritable
état de délabrement. Les réparations, commencées par
Lecomte, furentachevées par Percier et Fontaine. La partie
comprise entre le pavillon central et le pavillon deMarsan,
et qui avait abrilé la Convention, fut entièrement remaniée ;
on y construisit vers 1804 une salle de spectacle, une salle
d'assemblée pour le Conseil d'Etat et une chapelle. Le
jardin fut dégagé; il était fermé du côté nord par un mur
qui fat abattu et remplacé par une grille. Le long de cette
grille, Percier et Fontaine firent ouvrir une large rue
bordée de maisons à arcades faisant face au jardin; c'est
la rue de Rivoli, qui s'arrêtait alors à la rue de l'Echelle,
en face du palais des Tuileries, et que Visconti prolongea
plus tard. L'aménagement du jardin n'alla pas sans diffi-
cultés. 11 fut orné de nombreuses statues de marbre pro-
venant de diverses résidences; mais Napoléon fit essayer
par Percier et Fontaine, à diverses reprises, des projets de
temples, de kiosques pour des cafés, de fontaines jaillis-
santes jusque sous les arbres de la futaie ; il aurait voulu
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PERGIER ET FONTAINE. 83
un long canal à la place de la grande allée. Le bon sens
et la raison s'opposèrent à ce que ces conceptions fussent
toutes admises (1).
Une œuvre plus importante était la réunion du Louvre
aux Tuileries dont il était question depuis Henri IV. Le
13 février 1806, Napoléon, déjeunant aux Tuileries avec
Fontaine, l'entretint de son projet. Il voulait déblayer
l'espace qui sépare les deux palais, ménager un grand
terrain dans l'axe des deux entrées, avec des portiques,
et placer aux extrémités deux arcs, l'un dédié à la Paix,
l'autre à la Guerre (2). Percier et Fontaine avaient déjà
conçu plusieurs plans de réunion, mais ils raccordaient
les palais au lieu de laisser un espace entre eux. Après
avoir discuté la question avec son architecte. Napoléon
dicta lui-même à table, au grand maréchal du palais,
un plan qui comportait une rue conduisant du Louvre aux
Tuileries, et un arc de triomphe entre les deux palais.
L'arc de triomphe fut seul exécuté. C'est le chef-d'œuvre
de Percier et Fontaine, et le plus bel ouvrage isolé d'ar-
chitecture qui ait été construit pendant la période impé-
riale.
Une des principales difficultés de la réunion des deux
palais était leur défaut de parallélisme. L'axe des Tui-
leries et du jardin n'est pas le prolongement de celui du
Louvre; il s'incline légèrement vers le nord. Après avoir
demandé des plans à beaucoup de personnes, Napoléon
(1) Résidences des Souverains.
(2) L. DE Beausset, Mémoires anecdotiques.
84 PERGIER ET FONTAINE.
abandonna le projet de 1806 et décida que les Tuileries
seraient séparées du Louvre par une aile transversale
construite à l'est du Carrousel. Cette aile devait contenir
au premier la Bibliothèque nationale, et au rez-de-chaus-
sée un vaste portique s'étendant jusqu'au quai. L'aile
neuve des Tuileries, destinée à loger les services admi-
nistratifs, serait continuée sur le quai jusqu'à la rencontre
du portique. Une fontaine publique, ronde, placée au point
d'intersection des axes des deux palais, entre l'arc de
triomphe et l'aile de la bibliothèque, empêcherait que
d'aucun point on ne pût découvrir en même teaips les
deux milieux et, par conséquent, l'irrégularité. Le défaut
de parallélisme serait ainsi rejeté sur l'aile transversale
qu'on ferait plus large du côté du quai. Percier et Fon-
taine établirent sur ces données un projet important dont
voici les principales dispositions : l'aile du Louvre (Hor-
loge) devait être précédée d'une avant-cour entourée de
portiques et de bâtiments, avec salles d'assemblée et
d'exposition pour l'Université, l'Institut, les corps savants,
les corporations utiles, etc. La salle du théâtre de l'Opéra,
bâtie isolément sur la place du Palais-Royal, face à l'en-
trée principale de ce palais, communiquerait à l'aile des
fêtes par un arc couvert. Un pavillon, pareil à celui de
l'entrée du Musée, formerait de l'autre côté le porche de
l'église du Louvre, destinée à remplacer l'église Saint-
Germain-l'Auxerrois. Celle-ci devait être démolie pour
l'ouverture d'une longue et large voie qui, partie de la
place du Trône, aujourd'hui place de la Nation, dans
PERGIER ET FONTAINE. 87
le prolongement du cours de Vincennes, serait arrivée
en ligne droite jusqu'au Louvre en passant par la place
de la Bastille sur laquelle serait élevée une fontaine
monumentale (1). De ces projets grandioses, presque
rien ne subsiste aujourd'hui, ou du moins une bien
petite partie en a été réalisée. L'ouvrage le plus remar-
quable, exécuté à cette occasion, était un magnifique
escalier qui donnait accès dans cette partie du Louvre
qu'on appelait à cette époque le Musée Napoléon. Cet
escalier était, d'après Victor BaJtard, la plus belle créa-
tion de Percier et Fontaine. Malheureusement il ne pouvait
s'accorder avec les plans de Visconti, l'architecte de
Napoléon III, et fut détruit sous le second Empire.
Louis-Philippe, venant habiter les Tuileries, les trouva
fort incommodes et chargea Fontaine de faire un plan
d'aménagement qui fut exécuté. Plus tard, le roi reprit le
projet de réunion du Louvre aux Tuileries. Le plan pri-
mitif subit encore quelques modifications : on prévoyait
même le rattachement du Palais-Royal au Louvre, mais
alors les communications urbaines devenaient difficiles.
Il fallut y renoncer. La réunion du Louvre aux Tuileries
fut enfin réalisée par l'architecte Visconti , dès les premières
années du second Empire. On sait combien la disposition
adoptée s'éloigne des plans de Fontaine. Le prolongement
«le la rue de Rivoli entre le Louvre et le Palais-Royal détrui-
sait évidemment toute l'économie des anciens projets. La
(1; Résidences des Souverains.
88 PERCIER ET FONTAINE.
façade fut terminée en 1853. Fontaine put voir, dans ses
derniers jours, se réaliser, par des moyens entièrement
différents de ceux qu'il avait conçus, une œuvre à laquelle
il avait consacré de si longs efforts,
f II est difficile de se rendre compte de l'effet qu'aurait
produit l'Arc de Triomphe du Carrousel à côté des cons-
tructions qui, d'après le projet primitif, devaient être
édifiées dans son voisinage. Aujourd'hui que les Tuileries
ont été détruites, il apparaît isolé sur un vaste emplace-
ment et doit être jugé en lui-même.
Nous avons déjà dit que la construction en avait été
décidée le 13 février 1806. Il ne fallut que quelques jours
à Percier et Fontaine pour en établir le plan, qui reçut
aussitôt l'approbation de l'Empereur. Vivant-Denon, direc-
teur général des Musées et de la Monnaie des Médailles,
fut chargé de l'exécution des travaux commencés
immédiatement et poussés avec tant d'activité que
l'édifice fut presque complètement achevé en moins de
deux ans, avec la collaboration des meilleurs sculpteurs
de l'époque. Les dépenses de la construction ne dépas-
sèrent pas un million ; les fonds provenaient de la con-
quête de la Hollande.
Le monument est établi sur le modèle des arcs romains à
trois ouvertures, une centrale plus grande flanquée de deux
autres plus petites ; il rappelle ainsi les arcs de Constantin
et de Septime-Sévère, surtout le dernier, dont on a dit à
tort qu'il n'était que la copie. L'arc du Carrousel pré-
sente avec l'arc antique une différence capitale qui en fait
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PERCIER ET FONTAINE. 91
l'originalité : il est percé d'une quatrième ouverture dans
le sens longitudinal, disposition ingénieuse, inconnue des
anciens, qui donne naissance, dans l'intérieur, à des voûtes
d'arêtes d'un bel effet décoratif, et augmente ainsi consi-
dérablement la grâce et la légèreté de l'ensemble. La
décoration, quoique faite dans le style antique, est cepen-
dant plus riche et plus délicate ; on y sent l'influence
de l'époque de Louis XVI ; on y retrouve le goût et
la finesse d'exécution de la Renaissance, et enfin on y
remarque un souci particulier de l'exactitude dans la
reproduction des nombreux objets qui servent de motifs,
spécialement en ce qui concerne les trophées des armes
conquises. « Cette vérité historique d'accessoires, a dit
L. Normand, ajoute au mérite des sculptures déjà très
recommandables en elles-mêmes.... Nulle part on ne
retrouve une plus riche, une plus belle ordonnance, des
emblèmes plus ingénieux, plus significatifs, mieux appro-
priés à l'objet du monument, une plus* grande variété, un
plus beau choix d'ornements et une exécution plus par-
faite. Les voûtes d'arêtes surtout sont d'un ajustement
très heureux dont les monuments anciens n'offrent que
peu ou point d'exemples. »
Sur chacune des deux faces principales, en avant des
pieds-droits, sont quatre piédestaux tenant à la masse et
portant des pilastres engagés et des colonnes corinthiennes
isolées. Ces huit colonnes se prolongent au-dessus de la
corniche qui sépare l'entablement de l'attique par autant
de piédestaux sur chacun desquels est la statue en marbre
92 PERGIER ET FONTAINE.
d'un soldat des armées impériales, représenté dans toute
la vérité de son costume. Du côté du Louvre : un Cuiras-
sier, sculpté par Taunay ; un Dragon, par Corbet; un Chas-
seur à cheval, par Foucou, et un Grenadier à cheval, par
Chinard. Du côté des Tuileries : un Grenadier, par Dar-
del; un Carabinier, parMoutoni; unCanonnier, par Bri-
dan fils, et un Sapeur, par Dumont.
Sur chacune des grandes façades, l'attique est divisé
en trois compartiments ornés de sculptures qui représen-
taient les armes de l'Empire et les armes dTtalie, entourées
de figures d'hommes et de femmes vêtues à l'antique,
quelques-unes avec des ailes, d'autres rappelant les dieux
de l'antiquité : Mercure, Hercule, Minerve, Gybèle, etc.
Les faces planes de chaque côté de l'arc sont ornées de
Renommées ailées. Celles du côté du Louvre soufflent
dans des trompettes ; elles ont été sculptées par Taunay;
les autres, sculptées par Dupasquier, portent des cou-
ronnes de lauriers.
Les petites arcades sont décorées d'objets empruntés à
l'équipement militaire et disposés d'une manière aussi
ingénieuse que gracieuse : on y voit des canons, des
haches de sapeurs, des tambours, des sabres, des étriers,
des casques, des bonnets à poil, des chapeaux à plumes,
des gibecières, des sabretaches, des glands, des cui-
rasses, etc., le tout reproduit avec ce respect de la vérité
que Percier et Fontaine apportaient dans les plus petits
détails. Au-dessus des petits arcs, sont six bas-reliefs en
marbre qui représentent divers épisodes de la campagne
PERGIER ET FONTAINE. 93
de 1805 : la Capitulation devant IJlm^ par Gartellier ; la
Victoire tr Austerlitz ^ par Espercieiix; \ Entrée à Vienne^
par Deseine ; V Entrée de F armée française à Munich^
par Glodion ; \ Entrevue des deux Empereurs à Tilsitt^ par
Ramey, et enfin la Paix de Presbourg^ par Lesueur.
La décoration de l'intérieur ne le cède en rien à celle
du dehors. Au centre du plafond de la grande voûle était
un bas-reliefdeLesueurreprésentant l'Empereur couronné
par la Victoire ; il a été remplacé sous la Restauration par
une composition sans grand intérêt.
L'ensemble du monument rappelle l'architecture poly-
chrome des anciens. Les massifs sont en pierre de Liais,
les colonnes en marbre blanc veiné de rouge du Langue-
doc, leurs bases et leurs chapiteaux en bronze. Ces co-
lonnes provenaient du château de Meudon construit au
xvi^ siècle et détruit par un incendie en 1795 (1). La frise de
l'entablement est en griote d'Italie, les tables destinées
à recevoir les inscriptions en marbre blanc.
On plaça sur l'attique des chevaux de bronze attribués
à Lysippe ou à Zénodore qui avaient appartenu au temple
du Soleil à Corinthe. Transportés à Constantinople par
ordre de l'empereur Théodose, ils avaient été pris par le
doge de Venise Dandolo, lors de la conquête de Cons-
tantinople par les Croisés, en 1204. Bonaparte à son tour
les ravit à Venise et les envoya à Paris en 1797. On les
attela à un char dans lequel la Victoire et la Paix condui-
(1) Les Châteaux de France, par l'abbé Bourassé, chanoine de. Tours.
Tours, 1876.
94 PERGIER ET FONTAINE.
saient une statue de Napoléon ; cette statue déplut à
l'Empereur qui la fit enlever vingt-quatre heures après
qu'elle eût été posée. Le char et les statues étaient en
plomh doré. En 1815, les Alliés exigèrent la restitution
des chevaux, la démolition du char et des figures qui le
conduisaient et l'enlèvement des has-reliefs. Louis XVIIl
commanda de nouveaux has-reliefs dont les sujets étaient
empruntés à la guerre d'Espagne, et qui furent placés,
en 1828, en même temps qu'an char à quatre chevaux
conduit par une déesse qui figure la Restauration. Ce
quadrige en bronze est du sculpteur Bosio. En 1830,
aussitôt son arrivée au pouvoir, Louis-Philippe fit repla-
cer les anciens bas-reliefs de l'Empire.
Ce monument excita l'admiration enthousiaste des
contemporains ; il valut à Percier et Fontaine, en 1810, le
prix décennal décerné par l'Académie des Beaux-Arts
à Fauteur du plus bel ouvrage d'architecture élevé dans
les dix dernières années, et contribua certainement
pour beaucoup à les faire entrer l'année suivante à
l'Académie.
Cependant, il n'eut pas l'approbation complète de
l'Empereur. « Cela ressemble plus, disait-il, à un pavillon
qu'à un arc de triomphe. La porte Saint-Denis est bien
supérieure. » On trouve une opinion plus sainement
motivée dans le mémoire qui fut présenté à FEmpereur le
5 mars 1808 par Joachim Le Breton, secrétaire perpétuel
de la classe des Beaux-Arts. Le Breton reconnaît que la
masse n'est pas imposante ; mais il ajoute qu'en lui
PERGIER ET FONTAINE. 95
donnant de plus grandes proportions on aurait écrasé, en
quelque sorte, le centre du palais. Il signale l'innovation
des voûtes d'arêtes et loue le soin apporté à la sculpture
d'ornementation. « Il est possible qu'il y ait un peu de pro-
fusion dans cette richesse, mais on ne saurait s'empêcher
de méconnaître beaucoup de goût et d'habileté dans la
manière dont on a employé les armes et ustensiles de
guerre modernes qui font partie de ce luxe..: Un des
principaux mérites de ce monument est l'accord de toute
la sculpture d'ornement avec l'arc liitecture. » Dans le
même rapport Le Breton fait l'éloge des salles qui ont été
construites et décorées dans Tinté rieur des Tuileries.
Normand, que nous avons déjà cité, après avoir loué
rharmoniede l'ensembleetlaperfection des détails, ajoute:
« Le premier sentiment qu'inspire l'ouvrage est l'admi-
ration, mais un examen réfléchi porte à blâmer ce mé-
lange des dieux du paganisme et des héros de notre
France qui en énerve le caractère national. » Nous avouons
ne pas comprendre ce scrupule. Le monument n'a aucun
caractère religieux, et les figures de fleuves, d'Hercule,
de Minerve, etc., ne sont que des représentations décora-
tives auxquelles il serait déplacé de vouloir donner une
signification mystique. Elles ont pourtant une significa-
tion historique que les artistes n'ont pas soupçonnée,
parce qu'ils n'ont fait en les plaçant que suivre les ins-
tincts de leur nature, en accord du reste avec la manière
de penser de leurs contemporains. Elles rappellent le
besoin de rapprocher de l'antiquité les événements et les
96 PERGIER ET FONTAINE-
institutions du jour, préoccupation dont les monuments
devaient logiquement porter la trace.
Une œuvre d'architecture n'est pas un décor de théâtre
soumis aux lois sévères de la reconstitution archéolo-
gique. L'artiste prend son bien oi^i il le trouve ; toutes
les époques sont à lui, toutes les formes lui sont permises,
pourvu qu'il sache rassembler ces éléments épars et les
fondre en un ensemble bien ordonné, dans lequel toutes
les parties, sans se heurter, contribuent à l'effet général.
Tel était le grand mérite de Percier et Fontaine. Loin de
les blâmer, il faut les louer hautement d'avoir su com-
biner avec tant de discernement des éléments divers et
d'avoir rajeuni et renouvelé leur évocation du passé par
la présence de motifs de décoration, pris autour d'eux et
empruntés directement à la réalité contemporaine.
Sous la Terreur, les corps des condamnés à mort
étaient inhumés dans le petit cimetière de la Madeleine
de la Ville-l'Evêque. Peu de temps après, ce cimetière
fut désaffecté et vendu comme bien national à un certain
Descloseaux, qui acheta aussi la maison attenante, rue
d'Anjou, 48, pour l'habiter avec son gendre Emma-
nuel Danjou, un ancien avocat qui avait joui d'une
certaine célébrité. Le but secret de l'acquéreur était de
veiller à la conservation des restes de la famille royale.
En 1814, lorsque Louis XVIIl eut pris possession du
PERCIER ET FONTAINE. 99
trône de France, un de ses premiers soins fut de rétablir
à Saint-Denis les tombeaux de ses aïeux que la Révolu-
tion avait détruits ou transportés au Musée des Monu-
ments français, et de faire transférer dans la nécropole
des rois de France les dépouilles de Louis XVI et de
Marie-Antoinette. Il décida aussi qu'un monument serait
élevé en expiation du crime de régicide. Un instant il fut
question d'affecter à cet usage l'édifice de la Madeleine,
alors en construction. Mais Descloseaux fit don au roi
Louis XVIII du jardin de son hôtel, à la condition
expresse qu'une chapelle expiatoire serait élevée sur cet
emplacement. L'acte de donation portait que si jamais, à
quelque date que ce soit, le terrain est employé à un
autre usage, il fera retour aux héritiers naturels et légi-
times dudit Descloseaux. C'est peut-être à cette disposi-
tion que l'on doit la conservation du monument, car il
fut sérieusement question de le démolir en 1902.
Le jour même de la translation des restes de Louis XVI
à Saint-Denis, le 21 janvier 1815, la première pierre de
la chapelle fut posée par le comte d'Artois, frère du roi,
et ses deux fils, le duc de Berry et le duc d'Angoulême.
Fontaine fut chargé du projet; il s'adjoignit Percier,
au moins officiellement, car l'opinion générale des archi-
tectes est que Percier n'y travailla point. L'exécution fut
confiée à Lebas ; on y dépensa près de trois millions pris
sur la cassette particulière du roi. Le travail dura plus
de dix ans et ne fut achevé qu'en 1826, sous le règne de
Charles X.
100 PERGIER ET FONTAINE.
Le monument se compose de la chapelle proprement
dite, d'un vestibule placé en avant et de deux galeries
reliant le vestibule à la chapelle, le tout entourant un
espace rectangulaire surélevé par les terres provenant
des fouilles du cimetière, sorte de jardin oii l'on cultive
des rosiers rares provenant de Versailles, en souvenir de
Marie-Antoinette qui adorait les roses. Le vestibule, avec
entrée monumentale du côté de la rue Pasquier, a l'as-
pect d'un tombeau antique. Sa façade unie est ornée de
trois avant-corps, et un large escalier de sept marches
donne accès à l'édifice : il communique à droite et à
gauche avec les galeries qui sont appelées galeries des
tombeaux parce qu'elles ont été élevées à la mémoire des
gardes-suisses qui ont trouvé la mort en défendant les
Tuileries pendant l'insurrection du 10 août 1792.
La chapelle a la forme d'une croix grecque dont le
centre est occupé par une coupole; trois branches se ter-
minent en demi-coupole ou cul-de-four, tandis que la
quatrième, quadrangulaire, sert de porche. Vue de l'exté-
rieur, du côté de la rue d'Anjou, elle présente une rotonde
surmontée d'un fronton flanqué de trois tourelles couvertes
de trois coupoles hémisphériques. Du côté du jardin, le por-
che est précédé d'un péristyle de quatre colonnes doriques
supportant un fronton surmonté d'une croix de pierre. Au
milieu du tympan sont sculptés deux anges à genoux
adorant un monogramme du Christ qu'entoure une cou-
ronne de fleurs. A l'intérieur, au milieu de l'hémicycle
qui fait face à l'entrée, est placé l'autel de marbre blauc
PERCIER ET FONTAINE. 101
sur lequel on a dit la messe jusqu'à la fin de la Restau-
ration. Cet autel était décoré d'un Christ de bronze. Dans
l'hémicycle de droite, une statue de Bosio montre
Louis XVI, en manteau royal, à genoux devant un ange,
dans l'attitude de la prière, la tête et le regard vers le
ciel, les bras ouverts. Dans l'hémicycle de gauche est un
groupe sculpté par Cor tôt : Marie-Antoinette y paraît
ployée sous la douleur; elle est soutenue dans sa rési-
gnation par la Religion, ici figurée sous les traits de
M""^ Elisabeth; la chevelure de la reine flotte sur ses
épaules; à ses pieds gît la couronne.
La décoration intérieure de la chapelle, très remar-
quable en elle-même, s'allie harmonieusement aux
formes architecturales. Les métopes de la frise sont
ornées de fleurs de lis; le plafond à caissons est copié
sur celui du Panthéon de Rome. Les quatre pendentifs de
la coupole centrale sont décorés de bas-reliefs dus à
Gérard, représentant des anges en adoration. Le morceau
capital est un bas-relief de Lemaire, situé au-dessus du
porche intérieur. Il représente la translation des cendres
du roi à Saint-Denis, et la figuration, qui est nombreuse,
s'y trouve disposée avec art.
La crypte offre une disposition analogue à celle de
la chapelle. Dans les quatre piliers on a déposé les osse-
ments retirés du cimetière pendant les fouilles. Juste
au-dessous de l'autel de la chapelle, se trouve un autre
autel dont la forme est celle d'un cénotaphe antique, sur
la place même oii furent enterrées les victimes royales.
lOâ PERCIER ET FONTAINE.
Ce monument, que les artistes considèrent comme un
chef-d'œuvre, ne plaît pas en général au Parisien qui ne
comprend pas l'aspect imposant et grave de l'extérieur
et n'y voit qu'une lourdeur sans grâce ; les arcades en
plein cintre dont il ne saisit pas la signification l'étonnent
plus qu'elles ne l'émeuvent. Pénètre-t-on à l'intérieur,
l'impression se modifie. Le petit jardin, borné en face par
la colonnade dorique et latéralement par les galeries cou-
vertes d'ornements funéraires, dispose au calme et au
recueillement; malheureusement, dès qu'on a franchi la
porte de la chapelle on est indisposé par la nudité de
l'intérieur. Il faut un effort d'imagination pour recons-
tituer en pensée l'ameublement et les ornements absents,
et se reporter à l'époque où cette enceinte servait réelle-
ment aux cérémonies du culte. Alors seulement on peut
comprendre et apprécier le grand caractère de cet édifice,
dont le principal mérite est la parfaite appropriation de
l'ouvrage à sa destination. Tout y a été combiné en vue
de favoriser une double émotion : le souvenir de la fin
tragique des souverains et la résignation religieuse. Les
dimensions restreintes de la chapelle et la disposition
en forme de croix avec les trois hémicycles s'accordent
au mieux avec le caractère funéraire que des espaces
plus larges et plus ouverts auraient certainement com-
promis. L'éclairage a été étudié avec un soin tout parti-
culier, non seulement dans la chapelle, mais aussi dans
le reste de l'édifice. C'est ainsi que le vestibule ne reçoit
le jour que parles portes, et que les galeries restent dans
PERGIER ET FONTAINE. 103
une obscurité relative où la clarté ne tombe que d en
haut. Dans la chapelle, la lumière vient également d'en
haut, par des rosaces; douce, tamisée, elle se répand en
nappe sans effets heurtés. La décoration est celle qui con-
vient à une chapelle; sa sévérité, commandée par l'austé-
rité du lieu, n'exclut ni l'élégance, ni la richesse que
réclame la dignité royale ; mais on y a évité avec le plus
grand soin tout ornement superflu, tout ce qui peut dis-
traire la pensée au lieu de la ramener à la méditation.
Cette préoccupation se retrouve dans tous les détails
aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, tels les flambeaux
placés extérieurement entre chaque arcade pour masquer
les conduites qui servent à l'écoulement des eaux plu-
viales. Quant à l'aspect massif du monument vu de
l'extérieur, c'est justement ce qui lui attribue son
caractère propre. Avec ses lignes descendantes et ses
masses qui semblent s'enfoncer dans la terre, il ne donne
pas seulement l'impression de deuil, il évoque aussi le
souvenir d'un grand drame historique. Rarement on a
su faire parler à la pierre un aussi éloquent langage.
Une vingtaine d'années plus tard. Fontaine fut chargé
d'édifier un autre monument religieux, de moindre impor-
tance, en commémoration de la mort tragique du duc
d'Orléans, Ferdinand, fils aîné du roi Louis-Philippe, tué
à la suite d'un accident de voiture près de la porte Maillot,
le 13 juillet 1842. Sur un espace de 3 250 mètres, on
éleva une chapelle consacrée à saint Ferdinand, et un
bâtiment destiné à l'habitation du chapelain et du sacris-
i04 PERGIER ET FONTAINE.
tain. La chapelle, qui appartient à la famille d'Orléans,
subsiste encore en parfait état. Commencée en 1843, elle
est construite sur le plan d'une croix grecque et formée de
deux voûtes en plein cintre se coupant à angle droit; l'une
des branches de la croix aboutit au porche d'entrée, tandis
que la branche opposée est continuée par un petit pavillon
servant de sacristie. Le porche est précédé d'un avant-corps
rectangulaire où se trouve la porte élégamment décorée
de deux colonnes, de consoles et surmontée d'une croix de
pierre. Les deux autres branches de la croix se terminent
par des façades en plein cintre sans autre ouverture qu'une
rosace centrale avec vitrail. Chacun des quatre espaces
formant les côtés des croisillons d'avant et d'arrière com-
porte un grand arc circulaire dont l'intérieur est divisé
par deux fines colonnes en trois arcs plus petits ; ceux-ci
sont ouverts et occupés par des verrières qui descendent
jusqu'au bas des colonnes; elles ont été exécutées à
Sèvres sur les dessins d'Ingres et représentent des person-
nages bibliques auxquels le peintre a donné la ressem-
blance du roi et des personnes de sa famille. A l'intérieur
les murs sont presque sans décoration ; on n'y voit que
des cartouches surmontés d'une couronne royale et
contenant les initiales du duc. L'effet est obtenu par la
voûte d'arête centrale et les colonnes qui la supportent.
L'autel, placé au fond du carré formé par la réunion des
branches de la croix, est élevé à l'endroit même où
expira le prince. Derrière l'autel, une Descente de croix
de Triqueti. Au fond de la branche de droite on voit le
CHEMINÉE EXÉCUTÉE SUR UN FOND EN GLACE
(Recueil des décorations intérieures.)
PERCIER ET FONTAINE. 107
tombeau ou plutôt le cénotaphe du duc d'Orléans dont le
corps fat transporté à Dreux dans la sépulture de sa
famille. Cette œuvre, qui passe pour une des meilleures
deTriqueti, montre le duc sur son lit de mort. A côté, un
ange est agenouillé, les mains jointes et étendues au-
dessus du corps. 11 a été sculpté par la princesse Marie
d'Orléans, sœur du défunt.
Ce petit monument, d'un aspect simple et sévère, est
une œuvre très personnelle où se manifeste nettement la
préoccupation constante de l'artiste qui arrive à l'origi-
nalité en adaptant rationnellement à la destination de
l'édifice les principes traditionnels dont il ne veut pas
s'écarter.
VI
On sait les modifications profondes qu'ont subies vers
la fin du xviii'' siècle les formes des objets mobiliers et
les motifs de décoration intérieure des appartements.
Sous Louis XV on ne connaît que le gracieux et le joli,
les contours arrondis et moelleux, les couleurs claires
et tendres, les dessins légers ; c'est un art aimable qui
devait, en sa décadence, cboir dans l'afféterie et la pué-
rilité. Après la Révolution, on n'accepte que des formes
rectilignes, des ornements quasi géométriques, des cou-
leurs plus chaudes ou mêmes violentes. L'élégance se
fait d'abord austère, et quand, sous l'Empire, elle se pare
de majesté, c'est d'une majesté sévère et rigide qui im-
108 PERGIER ET FONTAINE.
pose plus qu'elle ne charme, et qui parfois ressemble à
la sécheresse et à la raideur. Le contraste est frappant,
et les deux conceptions esthétiques répondent si bien
chacune au tempérament et aux mœurs de leur époque
que l'on est tenté d'imaginer qu'il s'est fait dans la mode
une révolution subite, compagne et conséquence de la
révolution politique. On l'a cru effectivement longtemps,
et certains historiens signalent, comme origine du style
Empire, les meubles dans le goût classique de l'atelier
de David et surtout le mobilier de la Convention exécuté
par Jacob d'après les dessins de Percier et Fontaine. En
réalité, la transformation remonte beaucoup plus haut ;
elle avait commencé dès les premières années du règne
de Louis XVL
Les principaux motifs de décoration employés sous
l'Empire se retrouvent, en effet, dans des meubles exé-
cutés bien avant la Révolution. On voit, au musée du
Louvre, des commodes et des bureaux de Carlin et de
Levasseur qu'on pourrait parfaitement croire de l'époque
impériale. On y trouve les plaques décoratives en faïence
de WedgwooJ, les incrustations de cuivre, et même des
aigles et des sphinx qui, si ce n'était l'époque de la fabri-
cation du meuble, évoqueraient le souvenir de la cam-
pagne d'Egypte et des armées impériales. M. Lafond a
donc raison de dire (1) que le style Empire se rattache
au style Louis XVI dont il n'est que la continuation. Il
(1) L'art décoratif sous la République et sous l'Empire (Laurens, édi-
teur).
LIT
(Recueil des décorations intérieures.)
PERGIER ET FONTAINE. 111
ajoute même qu'il en est la continuation logique et fatale.
Fatale est peut-être exagéré ; il ne faut pas mécon-
naître l'influence des événements et des changements
considérables qu'ils ont apportés dans les mœurs et les
sentiments , et aussi dans la société capable d'acquérir
les œuvres des artistes ; enfin il est permis de se deman-
der à quoi aurait abouti cette tentative de retour à des
formes archaïques, si elle s'était trouvée sans rapport
avec les besoins de l'époque. Un style nouveau, au sens
véritable du mot, n'est pas seulement le résultat d'un chan-
gement dans les formes générales du mobilier et les motifs
des décorations. Il y faut une certaine homogénéité, une
sorte d'unité, d'harmonie d'ensemble, qui est comme la
réalisation matérielle d'une conception artistique uni-
forme, commune à la majorité des gens de goût. On l'a
bien vu pendant tout le cours du xix" siècle. Depuis
l'Empire, les artisans n'ont pas manqué de varier leurs
inventions ; les goûts et les modes se sont à plusieurs
reprises modifiés ; les meubles, les pièces d'orfèvrerie,
quand ils n'étaient pas la simple copie d'un des styles
précédents, présentaient, eux aussi, un aspect caractéris-
tique qui permettrait aux connaisseurs de leur assigner
une date, et cependant on ne parle ni du style Louis-
Philippe, ni du style Napoléon III. Si l'on ne tient pas
compte des tentatives contemporaines sur lesquelles il
serait prématuré de porter un jugement, on peut dire que
le style Empire est le dernier qu'ait connu l'art industriel
français.
112 PERGIER ET FONTAINE.
On ne peut méconnaître que l'affectation craustérité sous
la République, la sévérité d'allure qui convient au des-
potisme militaire sous l'Empire, la prétention, sous les
deux époques, de faire revivre les vertus et les senti-
ments de l'antiquité, et, à un autre point de vue, la dif-
fusion des connaissances artistiques par l'ouverture du
Musée du Louvre oii l'on avait rassemblé les chefs-
d'œuvre rapportés d'Italie et d'Egypte, constituaient un
terrain éminemment favorable à l'épanouissement des
idées inspirées de l'art antique. Ces circonstances étaient
nécessaires pour que l'évolution de la mode, au lieu
de se perdre dans une copie servi! e de modèles peu
appropriés à notre époque, aboutît, comme il est arrivé,
à cette puissante unité aussi originale que majestueuse.
Cependant, cela ne suffisait pas encore. Deux théories
opposées divisaient alors les artistes. La première, qui
sera soutenue avec éclat quelques années plus tard par
Quatremère de Quincy, est celle de l'exclusivisme an-
tique et de l'imitation servile; elle se résume en ceci :
les anciens ayant atteint la perfection de l'art, il est
déraisonnable de chercher autre chose, et il n'y a qu'à les
copier. La seconde, par réaction, condamne absolument les
modèles antiques, qu'elle déclare d'une appropriation
impossible à notre climat et à nos besoins. Celle-ci, n'ayant
pas la mode pour elle, est réduite à l'impuissance. Si l'autre
eût présidé à la conception des objels mobiliers, elle n'eût
fourni que des pastiches ridicules. Les fameuses barrières
de Ledoux ont montré comment on comprenait l'antique.
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PERGIER ET FONTAINE. ItS
Que serait-il advenu d'un.art industriel inspiré de pareilles
idées? Il fallait des artistes d'un goût sûr, sachant im-
poser leur autorité et diriger le mouvement dans le sens
de la raison, pour arriver à cette harmonieuse unité sans
laquelle il n'y a qu'incohérence et désordre. Ces artistes
furent Percier et Fontaine, Percier surtout qui s'intéres-
sait plus que son ami à cette partie de son art.
Percier et .Fontaine aimaient l'antiquité, mais ils
n'étaient pas antiquomanes, et répudiaient complètement
les exagérations et le parti pris. Nous avons vu combien
ils avaient été frappés, à Rome même, par les monuments
et les habitations de la Renaissance ; ils apportent dans
leurs jugements et leurs conceptions un éclectisme éclairé :
ils croient que les formes les plus pures sont celles des
anciens, et que c'est là qu'il faut chercher les modèles ;
mais ces modèles ne doivent pas être calqués : il faut les
adapter à notre temps et à nos mœurs en y mêlant, si
c'est nécessaire, les aspirations des âges plus récents.
D'autre part, ils voient les monuments antiques en hommes
du xviu^ siècle et non en archéologues ; l'élégance les
préoccupe au moins autant que la majesté, plus que la rude
sévérité des premiers âges.
Pour bien comprendre leur pensée, rien ne vaut la lec-
ture du Discours préliminaire qu'ils ont écrit pour le
Recueil des décorations intérieures^ ouvrage d'une impor-
tance capitale pour l'histoire de l'art, publié en 1812 (1).
(1) C'est un in-folio qui se compose de soixante-douze planches, repré-
sentant les principales décorations que Percier et Fontaine ont exécutées
/- ^
li6 PERCIER ET FONTAINE.
Cette dissertation est un chef-d'œuvre de critique dont
notre époque pourrait encore faire son profit.
« L'ameublement, disent-ils, se lie de trop près à la
décoration des intérieurs pour que Farchitecte puisse y
être indifférent.,.. La construction est dans les édifices ce
que l'ossature est au corps humain ; on doit l'embellir
sans la masquer entièrement. C'est la construction qui,
selon les pays, les climats, les genres d'édifices, donne le
motif des ornements. La construction et la décoration sont
dans un rapport intime et, si elles cessent de le présenter,
il y a un vice d'ensemble....
« La théorie du goût ne saurait séparer' les plus légers
produits de l'art de ses plus vastes ouvrages. Un nœud
commun les rassemble, une active et réciproque influence
s'exerce sur eux
« C'est là le caractère du goût des modernes qui, pos-
sédés en tous genres d'une incroyable manie de change-
ment, n'ont cherché dans toutes les parties des arts qu'à
faire autrement qu'on avait fait, sans s'inquiéter des rai-
sons fondamentales, des principes naturels et des lois que
la convenance prescrit à chaque chose.... On ne veut pas
ces choses parce qu'on les trouve belles, mais on les
trouve belles parce qu'on les veut.... «
Le remède à la tyrannie de la mode est dans la préoc-
cupation constante des convenances relatives à chaque
objet, et comme, suivant eux, jamais ces convenances
dans les palais impériaux ou pour de riches particuliers, des meubles, des
objets d'art, etc.
FAUTEUIL, PENDULE ET VASE
(Recueil des décorations intérieures.
PERGIER ET FONTAINE. H9
n'ont été mieux observées que dans l'antiquité, l'étude de
l'antiquité excelle à mettre en garde contre les caprices
de la mode.
Ainsi, ce n'est pas par suite d'un parti pris esthétique
qu'ils recommandent l'antiquité : c'est au nom de la
raison qui doit présider à l'établissement de chaque
ouvrage. Les formes des objets sont déterminées par leurs
usages. La règle de ne pas masquer la construction s'ap-
plique aux meubles comme aux édifices ; la matière pre-
mière ne doit jamais être dissimulée et le choix des orne-
ments est entièrement dicté par cette matière.
Telle est la doctrine de Percier et Fontaine : elle fait
d'eux les représentants du bon sens et de la logique à ime
époque si féconde en divagations. Sans doute il y a quelque
exagération à soutenir que l'antiquité seule a connu la
convenance artistique : on ne le dirait plus aujourd'hui,
mais les principes exposés dans le Recueil des décorations
intérieures n'en contiennent pas moins les règles indiscu-
tées de l'art industriel. Là est le secret de l'influence
qu'ont exercée les deux artistes et la véritable origine de
l'adaptation parfaite aux besoins de l'époque d'un style
qu'ils n'ont pas imaginé, mais dont ils ont si bien dirigé
l'évolution qu'ils méritent d'en être appelés les créateurs.
Ce style, après une période de succès prodigieux dans
toute l'Europe, a été longtemps méconnu. On lui a repro-
Iché l'aridité, le manque de souplesse et d'imagination,
l'abus des formes géométriques, les dessins singuliers des
monstres et des chimères, et surtout, et à plus juste titre.
120 PERCIER ET FONTAINE.
le peu de souci du bien-être et le manque de confort. Sur
ce dernier point il semble en effet que, en dépit de leur
théorie, les artistes n'aient pas tenu un assez grand compte
du but d'usage ; aussi bien les besoins n'étaient-ils pas
tout à fait les mêmes qu'aujourd'hui. Les sièges n'étaient
pas faits pour favoriser la mollesse ; ce sont ceux
qui conviennent à des hommes d'action. Aujourd'hui, le
style Empire est revenu en faveur. On rend justice à ses
qualités incontestables. Il ne convient certes pas à l'inti-
mité et à la rêverie, mais il est imposant et grave et
sied admirablement aux réceptions d'apparat. On ne
peut rêver de cadre mieux approprié aux fêtes de la
période impériale ; les défauts qu'on lui reproche de-
viennent à cet égard des qualités. A aucune époque la
décoration intérieure n'a présenté à un tel degré ce carac-
tère d'harmonie dans l'ordonnance de toutes les parties,
et c'est pourquoi, malgré les critiques plus ou moins
fondées, le style Empire restera dans l'histoire comme
une des expressions les plus intéressantes de la pensée
et du bon goût français.
Ainsi, dans toutes les branches de leur art, qu'il s'agisse
de la construction d'un édifice nouveau, de la restauration
d'un ancien monument, ou simplement du dessin d'un
fauteuil ou d'un vase, les mêmes règles de logique et
de raison ont toujours guidé Percier et Fontaine. Le ratio-
nalisme est le principe fondamental de leur art; on le
retrouve dans toutes leurs CEuvres ; il domine toutes leurs
créations. S'ils n'ont pas ces grandes envolées d'imagina-
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PERCIER ET FONTAINE. 123
tion qu'on admire chez d'autres artistes, ils ont toujours
évité les entraînements irréfléchis. Tout ce qu'ils ont fait
peut servir de modèle, et c'est pourquoi leur influence
s'est étendue jusqu'à leurs successeurs. L'excellent ensei-
gnement de Percier y a puissamment contribué : pendant
plus de vingt ans, tous les architectes de talent sont
sortis de son école.
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Cependant Percier et Fontaine n'ont pas toujours été
appréciés comme il convient. Le mouvement romantique,
en glorifiant le moyen âge, leur a fait tort, et, sous le
second Empire, on les confondait volontiers avec les par-
tisans de l'imitation servile des antiques ; mais n'était-ce
pas aussi l'époque oii le style Empire se trouvait le plus
décrié ?
Il seaible qu'on apporte aujourd'hui plus d'équité et de
clairvoyance dans les jugements. Quelques-uns trou-
veront peut-être trop exclusive une aussi fervente admira-
tion de l'antique; mais ce qu'il faut retenir, c'est la manière
dont Percier et Fontaine avaient étudié l'antiquité, non
pour la copier, mais pour y découvrir des règles sûres.
Ils nous ont montré qu'il y a des principes supérieurs, qui
ne sont pas particuliers à l'art antique, mais qui peuvent
%d poivent s'appliquer à toutes les créations du génie
humain ; c'est par leur intelligence à comprendre ces
principes et par leur fidélité à les observer que Percier
et Fontaine ont conquis dans l'histoire de l'art une préé-
minence légitime et désormais irrévocable.
3I0NUMEM DROUAIS
(Bibliothèque de l'Institul.
TABLE DES GRAVURES
La Place du peuple à Rome, le 1^'' mars 1791, d'après une aqua-
relle de Percier conservée à la Bibliothèque de l'Institut .... 9
Vue du V^atican, d'après une aquarelle de Percier conservée à
la Bibliothèque de l'Institut 13
Villa Farnèse, d'après une aquarelle de Percier conservée à la
Bibliothèque de llnstitui 17
Jardins du palais Colonna, d'après une aquarelle de Percier
conservée à la Bibliothèque de l'Institut 21
Vue du Colisée, d'après une aquarelle de Fontaine (Collection
G. Meunié) 25
Vue des Tuileries, d'après une aquarelie de Fontaine (Collec-
tion G. Meunié) 29
Monument de Desaix 33
Vue de l'intérieur de l'église iNotre-Dame (Recueil des décora-
tions exécutées pour la cérémonie du sacre de l'Empereur).. 41
Élévation géométrale de la grande tribune sur la façade de
l'École militaire (Recueil des décorations exécutées pour la
fête de la distribution des aigles) 45
Entrée des Souverains dans le jardin des Tuileries le jour de
la cérémonie de leur mariage (Description des cérémonies et
des fêtes du mariage) 49
Le Banquet impérial au palais des Tuileries (Description des
cérémonies et des fêtes du mariage) 53
La Salle des x\ntiques au musée du Louvre, d'après une aqua-
relle de Fontaine (Collection G. Meunié) 57
Décoration des voûtes de la salle de Vénus (Musée du Louvre),
d'après une aquarelle de Fontaine (Collection G. Meunié). . . 65
Le grand escalier du musée du Louvre, d'après une aquarelle
de Fontaine (Collection G. Meunié) 73
126 TABLE DES GRAVURES.
L'Arc de Triomphe du Carrousel dans son état primitif, d'après
une aquarelle de Fontaine (Collection G. Meunié) 77
L'Arc de Triomphe du Carrousel, état actuel 81
Le Monument expiatoire. . 85
Le Monument expiatoire (Entrée de la chapelle, vue de l'inté-
rieur du jardin) 89
La Chapelle Saint-Ferdinand 97
Cheminée exécutée sur un fond en glace (Recueil des décora-
tions intérieures) 105
Lit (Recueil des décorations intérieures) 109
Vue perspective d'une chambre à coucher (Recueil des décora-
tions intérieures) 113
Fauteuil, Pendule et Vase (Recueil des décorations inté-
rieures) 117
Miroir, légumier et coupes (Recueil des décorations intérieures). 121
Monument Drouais (Bibliothèque de l'Institut) 124
TABLE DES MATIÈRES
I
Enfance et adolescence. — Premières études. — Séjour à
Rome. — La colonne Trajane. — Retour à Paris. — Temps
difficiles. — Percier et Fontaine décorateurs de l'Opéra. —
L'art induslriel. — Premières publications. — Caractère des
deux artistes. — Méthode de travail .... 5
LI
Premiers rapports avec Bonaparte. — La Malmaison et Saint-
Cloud. — Travaux archéologiques de Percier. — La fontaine
Desaix par Percier. — Les fêtes du Sacre. — Restauration des
palais de Compiègne et de Fontainebleau. — Le palais Pitti à
Florence. — Pi ojet d'un palais pour le roi de Rome. — Corres-
pondance avec l'empereur de Russie. — Entrée à l'Académie . 38
m
La Restauration. — Le Palais-Royal. — Le Théâtre-Français.
Louis-Philippe et Fontaine. — Mort de Percier. — La Révo-
lution de 1848. — Vieillesse de Fontaine. — Sa mort 67
128 ^ TABLE DES MATIÈRES.
IV
Versailles. — Le Louvre et les Tuileries. — La rue de Rivoli. —
Projet de réunion du Louvre aux Tuileries. — L'Arc de
Triomphe du Carrousel 7
La Cliapelle expiatoire et la chapelle Saint-Ferdinand 96
VI
Le style Empire. — Les principes supérieurs du goût. —
Caractère logique du talent de Percier et de Fontaine 107
365-04. — CoRBK[i.. Imprimerie Éd. Crète.
Date Due {
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Library Bureau Cat. no. 1137
f SEP. 1942
725.144 P41f
3 5002 00033 1582
Fouche, Maurice.
Percier et Fontaine : biographie critiqu
Art NA 1053 . P5 F7 7904
Fouche, Maurice.
Percier et Fontaine