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Full text of "Philosophie zoologique; ou, Exposition des considérations relatives à l'histoire naturelle des animaux. Nouv. éd., rev. et précédée d'une introd. biographique par Charles Martins"

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PHILOSOPHIE 


ZOOLOGIQUE 


TOME SECOND 


RiMEPIE PITRAÎT AINÉ, RUE GENTIL, à. 


LAMARCK 


PHILOSOPHIE 


OOLOGIQUE 


Oo! 
EXPOSITION DES CONSIDERATIONS 

RELATIVES 
A L’HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX . 
LEUR ORGANISATION ET DES FACULTES 


DE 
QU ILS EN OBTIENNENT ; 


A LA DIVERSITE 
EN EUX LA VIE 


ET DONNENT 


AUX CAUSES PHYSIQUES QUI MAINTIENNENT 
AUX MOUVEMENTS QU'ILS EXÉCUTENT ; 


A CELLES QUI PRODUISENT LES UNES LE SENTIMENT, 


ENFIN, 
LES AUTRES L'INTELLIGENCE DE CEUX QUI EN SONT DOUES. 


NOUVELLE ÉDITION 


LIEU 


REVUE ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE 


CHARLES MARTINS 


Professeur d'histoire naturelle à la Faculte de Médecine de Montpellie 
Directeur du Jardin des plantes de la même ville, 
le l'Institut et Associé national de l’Académie de Médecine 


Correspondant « 


TOME SECOND 


PARIS 
CIBRAIRIE F. 


HAUTEFEUILLE 


S AVY 
24, RUE ee 


1813 


QL 
LS 
Us 
La 


PHILOSOPHIE 


ZOULOGIQUE 


SUITE DE LA SEGONDE PARTIE 


CERVP TER EME 


DE LA GAUSE EXCITATRICE DES MOUVEMENTS 


ORGANIQUES 


La vie étant un phénomène naturel, qui lui-même 
en produit plusieurs autres, et résultant des rela- 
tions qui existent entre les parties souples et conte- 
nantes d’un corps organisé et les fluides contenus 
de ce corps, comment concevoir la production de ce 
phénomène, c’est-à-dire l'existence et l'entretien 
des mouvements qui constituent la vie active du 
corps dont il s’agit, sans une cause particulière ex 
cilatrice de ces mouvements, sans une force qui 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 1 


2 DE LA CAUSE EXCITATRICE 


anime les organes, régularise les actions et fait exé- 
cuter toutes les fonctions organiques, en un mot, 
sans un ressort dont la tension soutenue, quoique 
variable, est le moteur efficace de tous les mouve- 
ments vitaux ! 

On ne saurait douter que les fluides visibles d’un 
corps vivant, et que les parties solides et souples qui 
les contiennent, ne soient étrangers à la cause que 
nous recherchons ici. Toutes ces parties forment 
ensemble l'équipage du mouvement, selon la com- 
paraison déjà faite, et ce n’est nullement le propre 
d'aucune d'elles de constituer la force dont il est 
question, C'est-à-dire le ressort moteur ou la cause 
excitatrice des mouvements de la vie. 

Ainsi, on peut assurer que, Sans une cause parti 
culière qui excite et entretient l'orgasme et irrila- 
bilité dans les parties souples et contenantes des ani- 
maux, et qui, dans les végétaux, y produit seule- 
ment un orgasme obscur, et y meut immédiatement 
les fluides contenus, le sang des animaux qui ont une 
circulation et la sanie blanchâtre et transparente de 
ceux qui n’en ont pas, resteraient en repos, et bien- 
tot se décomposeraient, ainsi que les parties qui 
contiennent ces fluides. 

De même, sans cette cause excitatrice des mouve- 
ments vitaux, sans cette force ou ce 7'essort qui fait 
exister dans un corps la vie active, la séve et les 
fluides propres des végétaux resteraient sans mou 
vement, s'altéreraient, s’exhaleraient, enfin opére- 


DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 3 


raient la mort et le desséchement de ces corps vi 
vants. 

Les philosophes anciens avaient senti la nécessité 
d’une cause particulière excitatrice des mouvements 
organiques ; mais n'ayant pas assez étudié la nature, 
ils l'ont cherchée hors d'elle; ils ont imaginé une 
arché-vilale, une âme périssable des animaux, en 
ont même aussi attribué une aux végétaux, et à la 
place d’une connaissance positive à laquelle ils n’a- 
vaient pu atteindre, faute d'observations, ils n’ont 
créé que des mots auxquels on ne peut attacher que 
des idées vagues et sans base. 

Chaque fois que nous quitterons la nature pour 
nous livrer aux élans fantastisques de notre imagi- 
nation, nous nous perdrons dans le vague, et les ré- 
sultats de nos efforts ne seront que des erreurs. Les 
seules connaissances qu'il nous soit possible d’acqué- 
rir à son égard, sont et seront toujours uniquement 
celles que nous aurons puisées dans l'étude suivie de 
ses lois; hors de la nature, en un mot, tout n’est 
qu'égarement et mensonge : telle est mon opinion. 

S'il était vrai qu'il fût réellement hors de notre 
pouvoir de parvenir à déterminer la cause excitatrice 
des mouvements organiques, iln’en serait pas moins 
de toute évidence que cette cause existe et qu’elle 
est physique, puisque nous en observons les effets et 
que la nature a tous les moyens de la produire. Ne 
sait-on pas qu'elle a ceux de répandre et d’entrete- 
nir le mouvement dans tous les corps et qu'aucun 


4 DIE L'A CAUSE EXCITATRICE 


des objets soumis à ses lois ne jouit réellement d’une 
stabilité absolue. 

Sans vouloir nous élever à la considération des 
premières causes, ni à celle de toutes les sortes de 
mouvements et de tous les changements qui s’obser- 
vent dans les corps physiques de tous genres, nous 
nous restreindrons à considérer les causes immé- 
diates et reconnues qui peuvent agir sur les corps 
vivants, et nous verrons qu'elles sont très-suffi- 
santes pour entretenir dans ces corps les mouve- 
ments qui y constituent la vie, tant que l’ordre de 
choses qui les permet n’y est pas détruit. 

Sans doute, il nous serait impossible de recon- 
naître la cause excitatrice des mouvements organi- 
ques, si les fluides subtils, invisibles, incontenables 
et sans cesse en mouvement qui la constituent, ne 
se manifestaient à nous dans une multitude de cir- 
constances ; si nous n’avions des preuves que tous 
les milieux dans lesquels tous les corps vivants ha— 
bitent en sont perpétuellement remplis ; enfin, si 
nous ne savions positivement que ces fluides invisi- 
bles pénetrent plus où moins facilement les masses 
de tous ces corps, y séjournent plus où moins de 
temps et que certains d’entre eux se trouvent conti- 
nüellement dans un état d’agitation et d'expansion 
qui leur donne la faculté de distendre les parties 
dans lesquelles ils s’insinuent, de raréfier les fluides 
propres des corps vivants qu'ils pénetrent et de com 
muniquer aux parties molles de ces mêmes corps un 


DÉS MOUVEMENTS ORGANIQUES 5 


éréthisme, une tension particulière qu’elles conser- 
vent tant qu'elles se trouvent dans un état qui y est 
favorable. 

Mais il est bien connu que nous ne sommes pas 
réduits à cette impossibilité, car, qui ne sait qu'il 
n’est aucun des lieux du globe où les corps vivants 
habitent qui ne soit pourvu de calorique (même dans 
les régions les plus froides), d'électricité, de fluide 
magnétique, etc., et que partout ces fluides, les uns 
expansifs et les autres diversement agités, éprou- 
vent sans cesse des déplacements plus où moins ré- 
guliers, des renouvellements ou des remplacements, 
et peut-être même une véritable circulation à l'égard 
de quelques-uns d’entre eux. 

Nous ignorons encore quel est le nombre de ces 
fluides invisibles et subtils qui sont répandus et tou- 
Jours agités dans les milieux environnants, mais nous 
concevons de la manière la plus claire que ces flui- 
des invisibles, pénétrant, s’accumulant et s’agitant 
sans cesse dans chaque corps organisé, enfin, s'en 
échappant successivement apres y avoir été plus on 
moins longtemps retenus, y excitent les mouvements 
et la vie, lorsqu'il s'y trouve un ordre de choses qui 
y permet de pareils résultats. 

Relativement à ceux de ces fluides invisibles qui 
composent principalement la cause excilatrice que 
nous considérons ici, deux d’entre eux nous parais- 
sent faire essentiellement partie de cette cause, sa= 
voir : le calorique et le fluide électrique. Ge sont 


6 DE LA CAUSE EXCITATRICE 

les agents directs qui produisent l’orgasme et les 
mouvements intérieurs qui, dans les corps organisés, 
y constituent et y entretiennent la vie. 

Le caloriqu parait être celui des deux fluides 
excitateurs en question qui cause et entretient lo 
gasine des parties souples des corps vivants, et le 
fluide électrique est vraisemblablement celui qui 
fournit la cause des mouvements organiques et des 
actions des animaux. 

Ce qui n'autorise à ce partage des facultés que 
j'assigne aux deux fluides dont ils’agit, se fonde sur 
les considérations suivantes. 

Dans les inflammations, l'orgasme qui y acquiert 
une énergie excessive et même à la fin destructive 
des parties, n'y devient évidemment tel que par 
l’extrème chaleur qui se développe dans les organes 
enflammés : c’est donc particulièrement au calori- 
que qu'il faut attribuer l'orgasme. 

La vitesse des mouvements du calorique, ainsi que 
celle avec laquelle ce fluide s’étend ou se distribue 
dans les corps qu'il pénètre sont bien loin d’égaler 
la rapidité extraordinaire des mouvements du fluide 
électrique, ce dernier fluide doit donc être celui qui 
fournit la cause des mouvements et des actions des 
animaux, ce doit être plus particulièrement le véri- 
table fluide excitateur. 

Il est possible, néanmoins, que quelques autres 
fluides invisibles et actifs concourent aussi avec les 


deux que je viens de citer, à la composition de la 


DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 7 


cause excitatrice, mais, ce qui me paraît hors de 
doute, c’est que le calorique et l'électricité sont les 
deux principaux composants de cette cause, peut-être 
même sont-ils les seuls. 

Dans les animaux à organisation peu composée, 
le calorique des milieux environnants semble suffire 
lui seul pour l'orgasme et l'irrilabilité de ces corps, 
de là vient que dans les grands abaissements de 
température et pendant l'hiver des climats à grande 
latitude, les uns périssent entièrement et les autres 
subissent un engourdissement plus ou moins com- 
plet. Dans ces mêmes animaux, le fluide électrique 
ordinaire, celui que fournissent les milieux environ- 
nants, paraît y suffire aux mouvements organiques 
et aux actions. 

Il n’en est pas de même des animaux à organi- 
sation très-composée : dans ceux-ci, le calorique 
des milieux environnants ne fait que compléter ou 
plutôt qu'aider et favoriser le moyen que ces corps 
vivants possedent dans la production intérieure d’un 
calorique continuellement renouvelé. Il est même 
vraisemblable que ce calorique, intérieurement pro- 
duit, a subi quelques modifications dans l'animal, 
qui le particularisent et le rendent seul propre à 
l'entretien de l'orgasme ; car, lorsque par l’état de 
l’organisation, lorgasme et l’irritabilité se trou- 
vent trop affaiblis, le calorique de Pextérieur, soit 
celui de nos foyers, soit celui d’une température éle- 
vée, ne saurait suppléer le calorique intérieur. 


8 DE LA CAUSE EXCITATRICE 


La mème observation semble aussi pouvoir s’ap- 
pliquer au fluide électrique excitateur des mouve- 
ments et des actions dans les animaux dont l’orga- 
nisation est très-composée. Il paraît effectivement 
que ce fluide électrique, qui s’y est introduit par la 
voie de la respiration ou par celle des aliments, a 
subi une modification quelconque en séjournant dans 
l'intérieur de l'animal et s’y est transformé en fluide 
nerveux ou galvanique. 

Quant au calorique, il est si vrai qu'il est l’un des 
principaux éléments de la cause excitatrice de la vie 
et que c’est particulièrement celui qui forme et en- 
tretien l'orgasme sans lequel la vie ne pourrait 
exister que, longtemps avant d'atteindre le froid ab- 
solu, un grand abaissement de température pour- 
rait l’anéantir dans tous les corps quien sont doués, 
s’il était assez considérable. Effectivement, le froid 
de nos hivers, surtout lorsqu'il est rigoureux, fait 
périr un grand nombre des animaux qui s’y trouvent 
exposés. Mais on sait que, dans aucun point du globe 
et en aucun temps de l’année, une absence totale de 
calorique ne se rencontre jamais. 

Je le répète, sans une cause particulière excita- 
trice de l'orgasme et des mouvements vitaux, sans 
cette force qui, seule, peut produire ces mouve- 
ments, la vie ne saurait exister dans aucun corps. 
Or, cette cause excitatrice est entièrement étran— 
gère aux facultés des fluides visibles des corps vivants 
et elle l’est pareillement à celles des parties conte- 


DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 9 


nantes et solides de ces corps, c’est un fait dont il 
n’est plus possible de douter et que toutes les obser- 
vations attestent. 

Cette mème cause excitatrice est aussi celle de 
toute fermentation, et c’est elle seule qui en exé- 
cute les actes dans toute matiere composée, non vi- 
vante, dont l’état des parties s’y trouve favorable. 
Aussi dans les grands abaissements de température, 
les actes de la vie et ceux de la fermentation sont 
plus où moins complétement suspendus, selon que 
l'intensité du froid est plus où moins considé- 
rable. 

Quoique la vie et la fermentation soient deux 
phénomènes fort différents, elles puisent lune et 
l’autre dans la même source les mouvements qui les 
constituent, et il faut de part et d'autre que l’état des 
parties, soit du corps organisé capable de vivre, 
soit du corps inorganique qui peut fermenter, se 
trouve favorable à l’exécution de ces mouvements. 
Mais dans le corps doué de la vie, l’ordre et Pétat 
de choses qui y existent sont tels que toutes les alté- 
rations dans la combinaison des principes sont suc 
cessivement réparées par des combinaisons nouvel 
les et à peu pres semblables, que les mouvements 
subsistants occasionnent, tandis que dans le corps 
non organisé où désorganisé qui fermente, tous les 
changements qui s’exécutent dans la composition de 
ce corps où de ses parties ne sauraient se réparer 
par la continuité de la fermentation. 


10 DE LA CAUSE EXCITATRICE 


Des linstant de la mort d’un individu, son corps 
désorganisé réellement, quoique souvent il n’en ait 
pas l'apparence, rentre aussitôt dans la classe de 
ceux dont les parties peuvent subir la fermentation, 
surtout les plussouples d’entre elles, et alors la cause 
excitatrice qui le faisait vivre devient celle qui hâte 
la décomposition de celles de ses parties qui sont 
susceptibles de fermenter. 

On voit donc, d’après les considérations que je 
viens d'exposer, que la cause excilatrice des mou- 
vements vitaux se trouve nécessairement dans des 
fluides invisibles, subtils, pénétrants et toujours ac- 
tifs, dont les milieux environnants ne sont jamais dé- 
pourvus, et que le principal élément de cette cause 
est celui qui entretient un orgasme essentiel à l’exis- 
tence de la vie, enfin, que c’est véritablement le ca- 
lorique, ce que les observations suivantes feront 
mieux sentir. 

Je n’ai besoin d'aucune citation particulière à cet 
égard, parce que le fait général qui s’y rapporte est 
assez connu. On sait que la chaleur, dans de cer- 
taines proportions, est généralement nécessaire à 
tous les corps vivants et qu'elle l’est principalement 
aux animaux. Lorsqu'elle s’affablit jusqu’à un cer- 
tain point, l’irritabilité des animaux perd de son in- 
tensité, les actes de leur organisation diminuent 
d'activité et toutes les fonctions languissent ou s'exé- 
cutent avec lenteur, surtout dans ceux de ces ami- 
maux en qui aucune production de calorique inté- 


D ES MOUVEMENTS ORGANIQUES 11 


rieur ne s'opere. Lorsqu'elle s’affaiblit encore da- 
vantage, les animaux les plus imparfaits périssent 
et un grand nombre des autres tombent dans un en- 
œourdissement léthargique et n’ont plus qu'une vie 
suspendue ; ils la perdraient tous successivement si 
cette diminution de chaleur s’accroissait encore beau- 
coup au delà dans les milieux environnants, c’est ce 
dont on ne saurait douter. 

Au contraire, lorsque la température s’éleve, 
c’est-à-dire lorsque la chaleur s'accroît et se répand 
partout, si cet état de choses se soutient, on remar- 
que constamment que la vie se ranime et semble ac- 
quérir de nouvelles forces dans tous les corps vivants, 
que lirritabilité des parties intérieures des animaux 
augmente proportionnellement en intensité, que les 
fonctions organiques s’exécutent avec plus d'énergie 
et de promptitude, que la vie amène plus rapide- 
ment les différents états par lesquels les mdividus 
doivent passer pendant son cours et qu'elle-même 
arrive plutôt à son terme, mais aussi que les ré- 
générations sont plus promptes et plus abondantes. 

Quoique la chaleur soit nécessaire partout pour la 
conservation de la vie et qu'elle le soit principale- 
ment pour les animaux, il ne faudrait pas cependant 
que son intensité dépassat de beaucoup certaines 
limites, car alors ils en souffriraient considérable- 
ment et la moindre cause exposerait les animaux, 
dont l’organisation est tres-composée, à des maladies 
rapides qui les feraient promptement périr. 


12 DE LA CAUSE EXCITATRICE 


On peut donc assurer que non-seulement la cha- 
leur est nécessaire à tous les corps vivants, mais que 
lorsqu'elle a une certaine intensité, sans dépasser 
certames limites, elle anime singulièrement tous les 
actes de l’organisation, favorise toutes les généra- 
tions et semble répandre partout la vie d’une ma- 
niere admirable. 

La facilité, la promptitude et l'abondance avec 
lesquelles la nature produit et multiplie dans les 
contrées équatoriales les animaux les plus simple- 
ment organisés sont autant de faits qui viennent à 
l'appui de cette assertion. En effet, la multiplication 
de ces animaux se fait singulièrement remarquer 
dans les temps et dans les lieux qui y sont favora- 
bles, c’est-à-dire dans les climats chauds et pour les 
pays à grande latitude dans la saison des chaleurs, 
surtout lorsque les circonstances qui favorisent cette 
fécondité y concourent. 

Effectivement, dans certains temps et dans cer- 
tains climats, la terre, particulièrement vers sa sur- 
face, où le calorique s’amasse toujours le plus forte- 
ment, et le sein des eaux, se peuplent, en quelque 
sorte, de molécules animées, c’est-à-dire d’animal- 
cules extrêmement variés dans leurs genres et leurs 
espèces. Ces animalcules, ainsi qu'une multitude 
d’autres animaux imparfaits de différentes classes, 
s'y reproduisent et s'y multiplient avec une fécon- 
dité étonnante, et qui est bien plus considérable que 
celles des gros animaux dont l’organisation est plus 


DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 13 


compliquée. Il semble, pour ainsi dire, que la ma- 
tière s’animalise alors de toutes parts, tant les ré- 
sultats de cette prodigieuse fécondité sont rapides. 
Aussi, sans l'immense consommation qui se fait, 
dans la nature, des animaux qui composent les pre- 
miers ordre du règne animal, ils accableraient bien- 
tot et peut-être anéantiraient par les suites de leur 
énorme multiplicité, les animaux plus parfaits 
qui forment les dernières classes et les derniers or- 
dres de ce regne, tant la différence dans les moyens 
et la facilité de se multiplier est grande entre les uns 
et les autres ! 

Ce que je viens de dire relativement à la néces- 
sité pour les animaux d’un calorique répandu dans 
les milieux environnants et qui y varie dans de 
certaines limites, est parfaitement applicable aux 
végétaux, mais à l'égard de ceux-ci, la chaleur ne 
maintient en eux la vie que sous quelques conditions 
essentielles. 

La premiere, qui est la plus importante, exige 
que le végétal, en qui la chaleur anime la végéta- 
tion, ait continuellement et proportionnellement de 
l'humidité à la disposition de ses racines, car plus 
la chaleur augmente, plus ce végétal doit avoir 
d’eau pour fournir à la consommation qu'il en fait, 
ce qu'il perd de ses fluides par la transpiration étant 
alors d'autant plus considérable, et plus la chaleur 
diminue, moins il lui faut d'humidité qui nuirait 
alors à sa conservation. 


14 DELA CAUSE EXCIDA TRACE 


La seconde condition pour que la végétation puisse 
perfectionner ses produits, exige que le végétal à 
qui la chaleur et l’eau ne manquent pas, ait aussi 
de la lumière en abondance. 

La troisième, enfin, le met dans la nécessité 
d'avoir de Pair, dont il s’approprie probablement 
l'oxygène, ainsi que les gaz qu'il y trouve, les dé- 
composant aussitot pour s'emparer de leurs prin- 
cipes. 

D’après tout ce que je viens d'exposer, il est de 
toute évidence que le calorique est la premiere cause 
de la vie, en ce qu’il forme et entretient l'orgasme, 
sans lequel elle ne pourrait exister dans aucun corps, 
et qu'il y réussit tant que l’état des parties du corps 
vivant ne s’y oppose pas. On voit, d’ailleurs, que ce 
fluide expansif, surtout lorsqu'il jouit, par son abon- 
dance, d’une certaine intensité d'action, est le prin- 
cipal agent de l'énorme multiplication des corps 
vivants dont J'ai parlé tout à l'heure. Aussi est-il 
constant que, dans les climats chauds du globe, les 
régnes animal et végétal offrent une richesse et une 
abondance extrèmement remarquables, tandis que, 
dans les régions glacées de la terre, ils ne s’y mon- 
trent que dans l’état du plus grand appauvrissement. 

Relativement à quantité d'animaux et de végétaux, 
il y a même, dans ce qui se passe à leur égard, une 
différence considérable que produisent l'été et Phi- 
ver de nos climats, et qui témoigne en faveur du 
principe que je viens d'établir. 


DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 19 


Quoique le calcrique soit réellement la premiere 
ause de la vie dans les corps qui en jouissent, lui 
seul cependant ne pourrait nullement l’y faire exis- 
ter et y entretenir les mouvements aui la constituent 
en activité; il faut encore, surtout pour les ani- 
maux, l'influence d’un fluide excitateur des actes 
de leur irritabilité. Or, nous avons vu que l’électri- 
cité possède toutes les qualités nécessaires pour cons- 
üituer ce fluide excitateur, et qu’elle est assez géné- 
ralement répandue partout, malgré ses variations, 
pour que Îles corps vivants en soient toujours pour- 
vus. 

Que quelqu'autre fluide invisible se joigne à l’élec- 
tricité pour compléter la cause qui a la faculté d’ex- 
citer les mouvements vitaux et tous les actes de 
l'organisation, cela est tres-possible, mais je n’en 
vois nullement la nécessité. 

Il me parait que le calorique et la matière élec- 
trique suffisent parfaitement pour composer ensem— 
ble cette cause essentielle de la vie, l’un en mettant 
les parties et Les fluides intérieurs dans un état pro- 
pre à son existence, et l’autre en provoquant, par ses 
mouvements dans les corps, les différentes excita- 
tions qui font exécuter les actes organiques et qui 
constituent l’activité de la vie. 

Tenter d'expliquer comment ces fluides agissent, 
et de déterminer positivement le nombre de ceux 
qui entrent comme éléments dans la composition de 
la cause excitatrice de tous les mouvements orga- 


16 DE LA CAUSE EXCITATRICE 

niques, ce serait abuser du pouvoir de notre imagi- 
nation, et créer arbitrairement des explications dont 
nous n'avons pas les moyens d'établir les preuves. 

Il nous suffit d’avoir montré que la cause excita- 
trice des mouvements qui constituent la vie, ne ré- 
side dans aucun des fluides visibles qui se meuvent 
dans l'intérieur des corps vivants, mais qu’elle prend 
sa source principalement, savoir : 

1° Dans le calorique, qui est un fluide imvisible, 
pénétrant, expansif, continuellement actif, se tami- 
sant avec une certaine lenteur à travers les parties 
souples qu'il distend et rendirritables par ce moyen, 
se dissipant et se renouvelant sans cesse, et ne man— 
quant jamais entièrement dans aucun des corps qui 
possedent la vie ; 

2° Dans le fluide électrique, soit ordmaire pour 
les végétaux et les animaux imparfaits, soit galva- 
nique pour ceux dont l’organisation est déja très- 
composée ; fluide subtil, dont les mouvements sont 
d'une rapidité extraordinaire, et qui, provoquant les 
dissipations subites et locales du calorique qui dis- 
tend les parties, excite les actes dirritabihite dans 
les organes non musculaires, et les mouvements des 
muscles lorsqu'il porte son influence sur leurs par- 
ties. 

Si les deux fluides que je viens de citer combinent 
ainsi leur action particulière, il en doit résulter, pour 
les corps organisés qui éprouvent cette action, une 
cause où une force puissante qui agit efficacement, 


DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 17 


se réeularise dans ses actes par l’organisation, c'est 
à-dire par l'effet de la forme régulière et de la dis= 
position des parties, et entretient les mouvements et 
la vie tant qu'il existe dans ces corps un ordre de 
choses qui y permet de semblables effets. 

l'el est, selon les apparences, le mode d’action de 
la cause excitatrice de la vie ;. mais on ne saurait le 
regarder comme connu, tant qu'il sera impossible 
d'en établir les preuves. Telle est peut-être aussi, 
dans les deux fluides cités, la totalité des principes 
qui concourent à la production de cette cause ; mais 
c’est encore une connaissance sur laquelle on ne sau- 
rait compter. Ge qu'il y a de très-positif à ces égards, 
c’est que la source où la nature prend ses moyens 
pour obtenir cette cause et la force qui en résulte, 
se trouve dans des fluides invisibles et subtils, parmi 
lesquels les deux que je viens d'indiquer sont incon- 
testablement les principaux. 

Je dirai seulement que les fluides actifs et expan- 
sifs qui composent la cause excitatrice des mouve- 
ments vitaux, pénètrent ou se développent sans cesse 
dans les corps qu'ils animent, les traversent partout 
en régularisant leurs mouvements selon la nature, 
l'ordre et la disposition des parties, et s’en exhalent 
ensuite continuellement avec la transpiration insen- 
sible qu'ils occasionnent. Ce fait est incontestable, 
et sa considération répand le plus grand jour sur les 
causes de la vie. 

Examinons actuellement le phénomène particulier 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. è 


18 DE LA CAUSE EXCITATRICE 
que je nomme orgasme dans les corps vivants, et de 
suite Parritabilité que cet orgasme produit dans les 
animaux où, par la nature de leur corps, il obtient 


une grande énergie. 


CHAPITRE IV 


DE L'ORGASME ET L’IRKITABILITÉ 


Ce n’est pas de l’affection particulière qu'on 
nomme orgasme dont il va être ici question, mais il 
s'agira, sous la même dénomination, de” l’état que 
conservent les parties souples et intérieures des ani- 
maux tant qu'ils possédent la vie; état qui leur est 
naturel, puisqu'il est essentiel à leur conservation , 
état, enfin, qui nécessairement n'existe plus dans 
leurs parties, lorsqu'ils ont cessé de vivre où peu de 
temps après. 

Il est certain que parmi les parties solides et in- 
térieures des animaux, celles qui sont souples sont 
animées pendant la vie d'un o7yasine où espèce 
d’éréthisme particulier qui leur donne la faculté de 
s’affaisser et de réagir aussitôt, lorsqu'elles recoi- 
vent quelque impression. 

Un orgasme analogue existe aussi dans les par- 
ties solides les plus souples des végétaux tant qu'ils 
sont vivants, mais il y est tres-obscur et tellement 


20 DE L'ORGASME 


faible, qu'il ne donne nullement aux parties qui en 
sont douées la faculté de réagir subitement contre 
les impressions qu'elles pourraient recevoir. 

L’orgasme des parties souples et intérieures des 
animaux concourt, plus où moins, à la production 
des phénomènes organiques de ces corps vivants, il 
y est entretenu par un fluide (peut-être plusieurs) 
invisible, expansif et pénétrant, qui traverse avec 
une certaine lenteur les parties qui en jouissent, et 
produit en elles la tension ou lespece d’éréthisme 
que je viens de citer. L’orgasme qui résulte de cet 
état de choses dans les parties, s’y maintient pen- 
dant la durée de la vie, avec une énergie d'autant 
plus grande, que les parties qui l’éprouvent ont une 
disposition et sont d’une nature qui s’y trouvent plus 
favorables, et qu'elles ont plus de souplesse et sont 
moins desséchées. 

C'est ce même orgasme, dont on a reconnu la 
nécessité pour l’existence de la vie dans un corps, 
et que quelques physiologistes modernes ont regardé 
comme une espece de sensihilité ; de la, ils ont pré- 
tendu que la sensibilité était le propre de tout corps 
vivant, que tous sont à la fois sensibles et irritables, 
que leurs organes sont tous imprégnés de ces deux 
facultés nécessairement coexistantes, en un mot, 
qu'elles sont communes à tout ce qui a vie, consé- 
quemment aux animaux et aux végétaux. Enfin, 
Cabanis, qui partageait cette opinion avec M. Ri- 
cherand, et vraisemblablement avec d’autres, dit, 


ET DE L’IRRITABILITÉ 21 


en effet, que la sensibilité est le fait général de la 
nature vivante. 

Cependant, M. Richerand, qui a particulièrement 
développé cette même opinion dans les prolégomè- 
nes desa Physiologie, reconnaissant que la sensibi- 
lité qui nous donne la faculté de recevoir des sensa- 
tions, et qui dépend des nerfs, n’est pas la même 
chose que cette espece de sensibilité plus générale à 
laquelle le système nervevx n’est pas nécessaire, 
propose de donner à la premiere le nom de percep- 
Hhibilité, et il nomme la seconde sensibilité latente. 

Puisque ces deux objets sont différents, et par leur 
source, et par leurs produits, pourquoi donner un 
nom nouveau au phénomène connu, depuis long- 
temps, sous celui de sensibilité, et transporter le 
nom de sensibilité à un phénomène plus nouvelle 
ment remarqué, et d’une nature tout à fait partieu- 
lière ? Il est assurément plus convenable de donner 
un nom particulier au phénomène général dont la 
vie dépend, et c’est ce que j'ai fait en le désignant 
sous la dénomination d’orgasme. 

Probablement, sans l'orgasme (/a sensibilité la— 
tente), aucune fonction vitale ne pourrait s’exécu- 
ter, car partout où il existe, il n'y a point d'inertie 
réelle dans les parties, et ces parties ne sont point 
simplement passives. On l’a senti, mais on a porté 
trop loin l’idée que l’on s’est formée des facultés des 
parties vivantes, lorsqu'on a dit qu'elles sentent et 


agissent chacune à leur manière, qu'elles recon— 


22 DE L'ORGASME 


naissent dans les fluides qui les arrosent ce qui 
convient à leur nutrition, et qu’elles en séparent les 
matières qui ont affecté leur mode particulier de 
sensibilité. 

Quoiqu’on ne connaisse pas positivement ce qui se 
passe dans l'exécution de chaque fonction vitale, au 
lieu d'attribuer gratuitement aux parties une con- 
naissance et un choix des objets qu’elles ont à sépa- 
rer, à retenir, à fixer ou à évacuer, on a bien plus 
de raison pour penser : 

i° Que les mouvements organiques excités S’'exé— 
cutent simplement par laction et la réaction des 
parties ; 

2° Qu'il résulte de ces actions et réactions que les 
parties subissent dans leur état et leur nature, des 
changements, des décompositions, des combinaisons 
nonvelles, etc. ; ; 

3” Qu'à la suite de ces changements, il s’opère 
des sécrétions que le diamètre des canaux sécréteurs 
favorise, des dépôts que la convenance des lieux et 
la nature des parties permettent, tantôt de retenir 
-en isolement, et tantôt de fixer dans ces parties mê— 
mes, enfin, des évacuations diverses, des absorp- 
tions, des résorptions, etc. 

Toutes ces opérations sont mécaniques, assujet- 
ties aux lois physiques, et s’exécutent à l’aide de 
la cause excitatrice et de l'orgasme qui entretien- 
nent les mouvements et les actions, en sorte que, 
par ces moyens, ainsi que par la forme, la disposi- 


ET DE L’'IRRITABILITÉ 23 


tion et la situation des organes, les fonctions vitales 
sont diversifiées, régularisées, et s’opérent chacune 
selon leur mode particulier. 

L’orgasme dont il s’agit dans ce chapitre, est un 
fait positif qui, quelque nom qu'on lui donne, ne 
peut plus être méconnu. Nous verrons qu'il est très- 
faible et très-obscur dans les végétaux, où il n’a 
que des facultés très-bornées, et qu’il se montre, 
au contraire, dans les animaux, d’une maniere des 
plus éminentes, car il produit en eux cette faculté 
remarquable qui les distingue et qu'on nomme #rr1- 
labilité : considérons-le d’abord dans les animaux. 


DE L’ORGASME ANIMAL 


Je nomme orgasme animal cet état singulier des 
parties souples d’un animal vivant, qui constitue, 
dans tous les points de ses parties, une /ension par- 
ticulière et si active, qu’elle les rend susceptibles de 
réaction subite et instantanée, contre toute impres- 
sion qu'elles peuvent éprouver, et qui les fait consé- 
quemment réagir sur les fluides en mouvement 
qu'elles contiennent. 

Cette tension, variable dans son intensité, selon 
l’état des parties qui la subissent, constitue ce que 
les physiologistes nomment le {ox des parties ; elle 
parait due, comme je l’ai dit, à la présence d’un 
fluide expansif qui pénètre ces mêmes parties, qui 
s'y maintient pendant un temps quelconque, qui tient 


24 DE L'ORGASME 


leurs molécules dans un certain degré d’écartement 
entre elles, sans détruire leur adhérence ou leur té- 
nacité, et qui s’en échappe en partie et subitement, 
à tout contact provocateur d’une contraction, se ré- 
tablissant aussitôt apres. 

Ainsi, à l’instant de la dissipation du fluide expan- 
sif qui distendait une partie, cette partie s’affaisse 
sur elle-même par leffet de cette dissipation : mais 
elle se rétablit aussitôt dans sa distension premiere 
par l’arrivée de nouveau fluide expansif remplaçant. 
Il en résulte que l'orgasme de cette partie lui donne 
la faculté de réagir contre les fluides visibles qui 
agissaient sur elle. 

Cette tension des parties molles des animaux vi- 
vants ne va pas au point d'empêcher la cohésion des 
molécules qui forment ces parties, et de détruire 
leur adhérence, leur agglutination et leur ténacité, 
tant que l’intensité de l'orgasme n'excède pas certai- 
nes proportions. Mais la tension dont 1l s’agit empè- 
che le rapprochement et l’affaissement qu'auraient 
ces molécules, si la cause de cette tension n'existait 
pas, puisque les parties molles tombent réellement 
dans un affaissement remarquable aussitôt que cette 
cause cesse son influence. 

En effet, dans les animaux surtout, et même dans 
les végétaux, l’anéantissement de l'orgasme, qui ne 
s'effectue qu'à la mort des individus, donne alors 
lieu à un relâchement et un affaissement des parties 
souples, qui les rend plus molles et plus flasques que 


ET DE L’IRRITABILITÉ 25 


dans l’état vivant. C’est ce qui a fait croire que ces 
parties flasques, considérées dans des vieillards après 
leur mort, n'avaient point acquis la rigidité qu'amène 
craduellement dans les organes la durée de la vie. 

Le sang des animaux, dont l’organisation est très- 
composée, jouit lui-même d’une sorte d'orgasme, 
surtout le sang artériel; car il est, pendant la vie, 
pénétré de certains gaz qui se développent dans ses 
parties, à mesure qu'elles subissent des change- 
ments. Or, ces gaz concourent peut-être aussi à 
l'excitation des actes d'irritabilité des organes, et 
conséquemment aux mouvements vitaux, lorsque le 
sang qui les contient affecte ces organes. 

L’excessive tension que forme l'orgasme dans cer- 
taines circonstances, soit dans toutes les parties 
molles de l'individu, soit dans certaines d’entre elles, 
et qui ne va pas néanmoins au point de rompre la 
cohésion de ces parties, est connue sous le nom 
d'éréthisme, dont le maximum produit l’inflam- 
mation, et l’excessive diminution de l'orgasme, mais 
qui ne va pas au point de le rendre nul, est, en gé- 
néral, désignée par le nom d’atonte. 

La tension qui constitue l'orgasme pouvant varier 
d'intensité entre certaines limites, d’une part, sans 
détruire la cohésion des parties, et de l’autre part, 
sans cesser d'exister, cette variation rend possibles 
les contractions et les distensions subites de ces 
parties, lorsque la cause de l'orgasme est instanta- 
nément suspendue et rétablie dans ses effets. Voilà, 


26 DE L’ORGASME 


ce me semble, la cause première de l’irritabilité 
animale. 

La cause qui produit orgasme, c’est-à-dire cette 
tension particulière des parties souples et intérieures 
des animaux, fait sans doute partie de celle que j'ai 
nommée cause excilatrice des mouvements organi- 
ques, elle réside principalement dans le calorique, 
soit seulement dans celui que fournissent les milieux 
environnants, soit à la fois dans celui-ci et dans le 
mème calorique qui se produit sans cesse dans lin- 
térieur de beaucoup d'animaux. 

En effet, il s'émane continuellement un calorique 
expausif du sang artériel de beaucoup d'animaux 
qui constitue, dans leurs parties souples, la princi- 
pale cause de leur orgasme. Œest surtout dans ceux 
qui ont le sang chaud que l’émanation continuelle 
de ce calorique devient plus remarquable. Ce fluide 
expansif se dissipe continuellement des parties dans 
lesquelles il s'était répandu et qu'il distendait, mais 
il y est sans cesse renouvelé par la continuité des 
émanations nouvelles que le sang artériel de lani- 
mal ne cesse de fournir. 

Un fluide expansif, semblable à celui dont il vient 
d'être question, se trouve répandu dans les milieux 
environnants et fournit sans cesse à l'orgasme des 
animaux vivants, soit en complétant ce qui manque 
au culorique intérieur pour lexécuter, soit en 
l’effectuant totalement. 

Eu effet, il aide plus ou moins l'orgasme des ani- 


ET DE L’'IRRITABILITÉ 27 


maux les plus parfaits et suffit seul à l'entretien de 
celui des autres ; il est surtout la cause de Porgasme 
de tous les animaux qui n’ont ni artères, ni veines, 
c'est-à-dire qui manquent de système de circulation. 
Aussi, tout mouvement organique s’affublit gra- 
duellement dans ces animaux, à mesure que la tem- 
pérature des milieux environnants s’abaisse, et si 
cet abaissement de température va toujours en 
augmentant, leur orgasme s’anéantit et ils pé- 
rissent. Que lon se rappelle lengourdissement 
qu'éprouvent les abeilles, les fourmis, les serpents 
et beaucoup d’autres animaux lorsquela température 
s’abaisse jusqu'à un certain point, et l’on jugera si 
ce que je viens d'exposer peut avoir quelque fonde- 
ment. 

L’abaissement de température qui cause lengour- 
dissement de beaucoup d'animaux, ne produit cet 
effet qu'en aflaiblissant leur orgasme, et par suite, 
qu'en ralentissant leurs mouvements vitaux. Si cet 
abaissement de température va trop loin, j'ai dit 
qu'il anéantissait alors l'orgasme dont il s'agit, ce 


O 


qui fait périr les animaux qui se trouvent dans ce 
cas ; mais je remarqueral, à cet égard, que dans les 
effets d’un refroidissement qui va au point d’amener 
la mort d’un individu, il y a une particularité ob- 
servée à l'égard des animaux à sang chaud et qui 
s'étend peut-être à tous ceux qui ont des nerfs : la 
VOICI. 


On sait qu'un abaissement de température suffi 


28 DE L’ORGASME 


sant pour engourdir et réduire à un état de sommeil 
apparent certains animaux à mamelles, comme les 
marmotles, les chauves-souris, etc., n’est pas très 
considérable. Si la chaleur revient, elle les pénètre, 
les ranime, les réveille et leur rend leur activité 
habituelle, mais si, au contraire, le froid augmente 
encore apres que ces animaux sont tombés dans l’en- 
gourdissement, au lieu de les faire passer insensible- 
ment de leur état de sommeil apparent à la mort, 
cette augmentation de froid, si elle est un peu 
forte, produit alors sur leurs nerfs une irritation 
qui les réveille, les agite, ranime leurs mouvements 
organiques et par suite leur chaleur interne, et si 
cette augmentation de froid subsiste, elle les met 
bientôt dans un état de maladie qui cause leur mort, 
à moins que la chaleur ne leur soit promptement 
rendue. 

Il suit de là que, pour les animaux à sang chaud, 
et peut-être pour tous ceux qui ont des nerfs, un 
simple affaiblissement de leur orgasme peut les ré- 
duire à l’état d’engourdissement, mais qu'alors cet 
orgasme n'est pas totalement détruit, puisque s’il 
survient un froid assez grand pour l’anéantir, ce 
froid, avant d'opérer cet effet, les irrite, les fait 
souffrir, les agite et finit par les tuer. 

Il y a apparence qu'a l'égard des animaux privés 
de nerfs, tout abaissement de température capable 
d'affaiblir leur orgasme et de les réduire à un état 
d’engourdissement, peut, sil augmente suffisam— 


ET DE L'IRRITABILITÉ 29 
ment, les faire passer de leur état de sommeil lé- 
thargique à celui de la mort, sansleur rendre aupa- 
ravant aucune activité passagère. 

On a pris l'effet pour la cause mème, lorsqu'on a 
supposé que le premier produit d’un certain degré 
de froid était de ralentir la respiration, et de là on 
a attribué l’engourdissement que subissent certains 
animaux lorsque la température s’abaisse suffisam— 
ment pour cet effet, à un ralentissement direct de la 
respiration de ces animaux, tandis que le ralentis- 
sement réel de cette même respiration n’est lui-même 
que la suite d’un autre effet produit par le froid, sa - 
voir l’affaiblissement de leur orgasme. 

A l'égard des animaux qui respirent par un pou- 
mon, ceux d'entre eux qui tombent dans lengourdis- 
sement lorsqu'ils éprouvent certains degrés de froid, 
subissent sans doute un ralentissement considérable 
dans leur respiration, mais ici ce ralentissement de 
respiration n’est évidemment que le résultat d’un 
orand affaiblissement survenu dans l'orgasme de 
ces animaux. Or, cet affaiblissement ralentit tous les 
mouvements organiques, lexécution de toutes les 
fonctions, la production du calorique intérieur, les 
pertes que font ces animaux pendant leur activité 
habituelle, et conséquemment réduit à tres-peu de 
choses où presqu'à rien leurs besoins de réparation 
pendant leur léthargie. 

En eflet, les animaux qui respirent par un pou- 
mon sont assujettis à des gonflements et des resser- 


30 DE L'ORGASME 


rements alternatifs de la cavité qui contient leur 
organe respiratoire. Or, ces mouvements s’exécutent 
avec une facilité plus où moins grande, selon que 
l'orgasme des parties souples a plus où moins d’éner- 
gie. Ainsi, plusieurs animaux à mamelles, tels que 
la marmotte, le loir et beaucoup de reptiles, comme 
les serpents, tombent dans l’engourdissement à cer- 
tains abaissements de température, parce qu'ils ont 
alors leur orgasme très-affaibli et qu'il en résulte 
comme second effet un ralentissement dans toutes 
leurs fonctions organiques et par conséquent dans 
leur respiration. 

Si cette diminution dans l’énergie de leur orgasme 
n'avait pas lieu, il n'y aurait aucune raison pour que 
l'air, quoique plus froid, fût moins respiré par ces 
animaux. Dans les abeilles etles fournus, qui respi- 
rent par des trachées et dans lesquelles Porgane res- 
piratoire ne subit point de gonflements et de resser- 
rements alternatifs, on ne peut dire que lorsqu'il fait 
froid ces animaux respirent moins, mais on a de 
bons motifs pour assurer que leur orgasme est alors 
tresaffuibli et qu'il les réduit à l’engourdissement 
qu'ils éprouvent dans cette circonstance. 

Enfin, dans les animaux à sang chaud, la chaleur 
interne étant presque entierement produite en eux, 
soit par suite de la décomposition de Pair dans la 
respiration, ainsi qu'on le pense actuellement, soit 
parce qu’elle émane sans cesse du sang artériel dans 
les changements qu'il subit pour passer à lPétat de 


ET DE L’IRRITABILITÉ 34 


sang veineux, Ce qui est mon opinion particuliere ; 
l'orgasme acquiert ou perd de son énergie selon que 
le calorique intérieur qui se trouve produit, aug- 
mente où diminue en quantité. 

IT est fort indifférent, pour la validité de l'expli- 
cation que je donne de l'orgasme, que le calorique 
qui se produit dans l’intérieur des animaux à sang 
chaud, soit le résultat de la décomposition de l'air 
dans la respiration ou qu'il soit une émanation du 
sang artériel à mesure qu'il se change en sang vei- 
neux. Cependant, si l’on voulait revenir à l'examen 
de cette question, Je proposerais les considérations 
suivantes : 

Si vous buvez un verre de liqueur spiritueuse, la 
chaleur que vous sentez se développer dans votre 
estomac ne provient pas assurément de votre respi- 
ration augmentée. Or, s'il peut s'émaner du calori- 
que de cette liqueur à mesure qu'elle subit des chan- 
gements dans votre organe, il en peut s’exhaler 
pareïllement de votre sang à mesure qu'il subit 
lui-même des changements dans Pétat de ses par- 
tes. 

Si dans la fièvre, la chaleur intérieure est fort 
augmentée, on observe qu'alors la respiration est 
aussi plus fréquente, et de là lon conclut que la 
consommation d'air est plus considérable, ce qui 
appuie l’opimion que le calorique intérieur des ani 
maux à sang chaud résulte de la décomposition de 
l'air respiré. Je ne connais pas d'expérience qui 


32 DE L’ORGASME 


n’apprenne positivement si, pendant la fièvre, la 
consommation d’air est réellement plus considéra- 
ble que dans l’état de santé, je doute même que cela 
soit ainsi, car, si la respiration est plus fréquente 
dans cet état de maladie, il peut y avoir une com 
pensafion en ce qu'alors chaque inspiration est moms 
orande par la gène qu'éprouvent les parties, mais 
ce que je sais, c’est que lorsque j'éprouve une in- 
flammation locale, comme un furoncle ou toute au— 
tre tumeur enflammée, il s'émane du sang des par- 
ties souffrantes un calorique dune abondance 
extraordinaire, et cependant je ne vois pas qu'au- 
cune augmentation de respiration ait alors donné 
lieu à cette surabondance locale de calorique; je 
sens, au contraire, que le sang pressé et cumule 
dans la partie malade, doit être exposé à un désor- 
dre et à des altérations (ainsi que les parties sou 
ples qui le contiennent) qui le mettent dans le cas de 
produire en ce lieu le calorique observé. 

Admettre que l’air atmosphérique contient dans 
sa composition un fluide qui, lorsqu'il en est dégagé, 
est un calorique expansif, Cest ce que je ne puis 
faire ; j’ai exposé ailleurs mes motifs à cet égard. 
A la vérité, je crois que Pair est composé d’oxy- 
sene et d'azote et je sais qu'il contient du calorique 
interposé entre ses parties, parce que dans notre 
globe il n’y a nulle part de froid absolu. Je suis 
mème tres-persuadé que le fluide combiné et fixé 
qui, dans son dégagement, se trouve changé en 


ET DE L’IRRITABILITÉ 33 


calorique expansif, faisait auparavant partie cons- 
tituante de notre sang ; que ce fluide combiné s’en 
dégage sans cesse partiellement, et que, par son 
dégagement successif, il produit notre chaleur in- 
terne. Ge qui doit nous faire sentir que cette chaleur 
interne ne vient pas de notre respiration, c’est que 
si nous ne réparions continuellement les pertes que 
fait notre sang par des aliments et conséquemment 
par un chyle toujours renouvelé qui s’y verse, notre 
respiration, sans cette réparation, ne rendrait pas à 
notre sang les qualités qu'il doit avoir pour la con- 
servation de notre existence. 

Le bénéfice que les animaux retirent de leur res- 
piration n’est pas douteux, leur sang en reçoit une 
réparation dont ils ne pourraient se passer sans pé- 
rir, etil parait qu'on est fondé à croire que c’est en 
s'emparant de l’oxygene de lair, que le sang reçoit 
une des réparations qui lui sont indispensables. 
Mais dans tout cela il n’y a aucune preuve que le 
calorique produit, vienne plutôt de l'air ou de son 
oxygene que du sang même. 

On peut dire la mème chose à l’égard de la com- 
bustion : l’air en contact avec les matières enflam- 
mées peut se décomposer et son oxygène dégagé 
peut se fixer dans les résidus de cette combustion ; 
mas 1l n'y a nulle preuve que le calorique alors 
produit, vienne plutôt de l'oxygène de l’air que des 
matières combustibles dans lesquelles je pense qu'il 
était combiné. Tous les faits connus s'expliquent 


LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 3 


31 DE L’ORGASME 


mieux et plus naturellement dans cette dernière opi- 
nion que dans aucune autre. 

Quoi qu'il en soit, le fait positif est que, dans un 
grand nombre d'animaux, il y a un calorique ex- 
pansif continuellement produit dans leur intérieur 
et que c’est ce fluide invisible et pénétrant qui y en- 
tretient l’orgasme et l'irritabilité de leurs parties 
souples, tandis que dans les autres animaux lor- 
gasme et l'irritabilité sont principalement le résultat 
du calorique des mieux environnants. 

Refuser de reconnaître l'orgasme dont je viens 
de parler et le regarder comme un fait supposé, 
c'est-à-dire comme un produit de l'imagination, ce 
serait nier dans les animaux lexistence du /on des 
parties dont ces corps jouissent pendant la durée de 
leur vie. Or, la mort seule anéantit ce 0», ainsi que 
l'orgasme qui le constituait. 


ORGASME VÉGÉTAL 


Il parait que, dans les végétaux, la cause excita- 
trice des mouvements organiques agit principalement 
sur les fluides contenus et les met seuls en mouve- 
ment; tandis que le tissu cellulaire végétal, soit 
simple, soit modifié en tubes vasculiformes, n’en re- 
coit qu'un orgasme obscur, d’où nait une contracti- 
lité générale très-lente, qui n’agit jamais isolément, 
ni subitement. 

Si dans la saison des chaleurs üne plante cultivée 


ET DE L’IRRITABILITÉ 35 


dans un pot où une caisse a besoin d’arrosement, ou 
remarque que ses feuilles, extrémité de ses ra- 
meaux, et ses jeunes pousses, sont pendantes et prè- 
tes à se flétrir : la vie cependant y existe toujours; 
mais logasme des parties souples de ce corps vi 
vant y est alors très-affaibli. Si l’on arrose cette 
plante, on la voit peu à peu redresser ses parties 
pendantes, et montrer un air de vie et de vigueur 
dont elle était privée lorsqu'elle manquait d’eau. 

Ge rétablissement de la vigueur du végétal n’est 
pas, sans doute, uniquement le produit des fluides 
contenus nouvellement introduits dans la plante, 
mais 1l est aussi l'effet de l'orgasme ranimé de ce 
végétal, le fluide expansif qui cause cet orgasme, 
pénétrant les parties de la plante avec d'autant plus 
de facilité, que ses sues ou ses fluides contenus sont 
plus abondants. 

Ainsi l'orgasme obscur des végétaux vivants 
cause, à la vérité, dans leurs parties solides, surtout 
dans les plus nouvelles, une contractilité lente et 
générale, une sorte de tension sans mouvements ins 
tantanés, mais que différents faits autorisent à re- 
connaître. Néanmoins, cet orgasme végétal ne donne 
nullement aux organes la faculté de réagir subite- 
ment au contact des objets qui devraient les affec- 
ter, et conséquemment il a nullement la puissance 
de produire l'irritabilité dans les parties de ces corps 
vivants. 


En effet, il n’est pas vrai, quoiqu'on ait dit le con- 


36 DE L’'ORGASME 


traire *, que les canaux dans lesquels se meuvent les 
fluides visibles de ces corps vivants, soient sensibles 
aux impressions des fluides excitateurs, et qu'ils se 
relâchent et se distendent ensuite pour effectuer, 
par une réaction subite, le transport et l'élaboration 
de leurs fluides visibles, en un mot, qu'ils aient un 
véritable fon. 

Enfin, il n’est pas vrai que les mouvements par- 
ticuliers observés, à certaines époques, dans les or- 
ganes de la reproduction de diverses plantes, n1 que 
ceux des feuilles, des pétioles et même des petits 
rameaux et plantes dites sensitives, soient des pro- 
duits et des preuves d’irritabilité existante dans ces 
parties. J’ai observé et examiné ces mouvements, et 
je me suis convaincu que leur cause n’avait rien de 
comparable à lirritabilité animale. Voyez ce que 
J'en audit Ep T0Ta m0. 

Quoique la nature n’ait sans doute qu'un plan uni- 
que et général pour l'exécution de ses productions 
vivantes, elle a néanmoins varié partout ses moyens, 
en diversifiant ces productions, selon les circonstances 
et les objets sur lesquels elle a opéré. Mais l’homme, 
dans sa pensée, s'efforce sans cesse de la restreindre 
aux mêmes moyens, tant l’idée qu'il s’est formée de 
la nature est encore éloignée de celle qu'il en doit 
concevoir. 

Que d'efforts n’a-t-on pas faits pour trouver par- 


T 


1 Richerand, Physiologie,t. !, p. 32. 


ET DE L'IRRITABILITÉ 37 
tout la génération sexuelle dans les deux regnes des 
corps vivants ; et à l'égard des animaux, pour re- 
trouver dans tous des nerfs, des muscles, le senti 
ment, la volonté même qui est nécessairement un 
acte d'intelligence! Que la nature serait déçue de ce 
qu'elle est réellement, si elle se trouvait bornée aux 
facultés que nous lui attribuons ! 

On vient de voir que l’orgasme se montre avec 
une intensité tres-différente et par conséquent avec 
des résultats tout à fait particuliers selon la nature 
des corps vivants dans lesquels il est produit, et que 
dans les animaux seulement il donne lieu à l#1- 
tabilité. 11 convient donc d'examiner maintenant 
en quoi consiste le phénomène singulier qui porte ce 


non. 


L’'IRRITABILITÉ 


L’irritabilité est la faculté que possedent les par- 
ties irritables des animaux de produire subitement 
un phénomene local, qui peut s’exécuter dans chaque 
point de la surface de ces parties, et se répéter de 
suite autant de fois que la cause provocatrice de ce 
phénomeneagit sur les points capables d'y donner lieu. 

Ce phénomène consiste en une contraction subite 
et un affaissement du point irrité; aflaissement ac— 
compagné d’un resserrement des points environ 
nants vers celui qui à été affecté, mais qui est bien- 
tt suivi d'un mouvement contraire, c’est-à-dire 


38 DE L'ORGASME 


d’une distension du point irrité et des parties voisi- 
nes; en sorte que l’état naturel des parties que lor- 
gasme distend se rétablit aussitôt. 

J'ai dit au commencement de ce chapitre que l’or- 
gasme est formé et entretenu par le calorique, c’est 
a-dire par un fluide invisible, expansif et pénétrant, 
qui traverse avec une certaine lenteur les parties 
souples des animaux, et y produit une tension ou 
une espèce d’éréthisme. Or, si une impression quel 
conque vient à s’opérer sur telle de ces parties, et 
qu'elle y provoque une dissipation subite du fluide 
invisible qui la distendait, aussitôt cette partie s’af- 
faisse et se contracte : mais si, dans l'instant même, 
une nouvelle quantité du fluide expansif se développe 
et vient la distendre de nouveau, alors elle réagit 
aussitôt, et produit ainsi le phénomène de l’irrita- 
bilité. 

Enfin, comme les parties voisines du point affecté 
éprouvent elles-mêmes une légère dissipation du 
fluide expansif qui les distendait, leur affaissement 
et leur rétablissement étant alternatifs, les mettent 
dans un état de tremblotement tres-passager. 

Ainsi, une contraction subite de la partie affectée, 
suivie d'une distension pareillement subite qui ré- 
tablit cette partie dans son premier état, constitue le 
phénomène local de l'éritabilité. 

Le phénomene dont il s’agit n’exige nullement, 
pour se produire, action d’aucun organe spécial, 
car l’état des parties et la cause qui le provoque suf- 


ET DE L’IRRITABILITÉ 39 


fisent seuls à sa production; et, en effet, on l’ob- 
serve dans les organisations animales les plus 
simples : aussi, limpression qui donne lieu à ce 
phénomène n’est transportée par aucun organe par- 
ticulier à aucun centre de rapport, à aucun foyer 
action ; enfin, tout se passe uniquement dans le 
lieu mème de l'impression, et tous les points de la 
surface des parties irritables sont susceptibles de le 
produire et de le répéter toujours de la même ma- 
niere. Ce phénomène, comme on:voit, est bien dif- 
férent, par sa nature, de celui des sensations. 

D’apres toutes ces considérations on voit claire- 
ment que l'orgasme est la source où l’iritabilité 
prend naissance ; mais cet orgasme se montre avec 
une intensité tres-diflérente, selon la nature des 
corps dans lesquels il est produit. 

Dans les végétaux, où il est très-obscur, sans 
énergie, et où 1l ne cause qu'avec une extrème len— 
teur les affaissements et les distensions des parties, 
il n'a nullement le pouvoir de produire l’éritabi- 
lité. 

Au contraire, dans les animaux où, par la nature 
de la substance de leur corps, l’orgasme est tres- 
développé, il produit avec célérité les contractions 
et les distensions des parties, à la provocation des 
causes qui les excitent; il y constitue l’érritabilité 
d’une manière éminente. 

Cabanis, dans son ouvrage intitulé : apports 


du physique et du moral de l'homme, s'est pro- 


A 


40 DE L’'ORGASME 


posé de prouver que la sensibilité et l'irritabilité 
sont des phénomènes de même nature et qui ont une 
source commune (//isloire des Sensations, vol. 1, 
p. 90); dans la vue, sans doute, d'accorder ce que 
l’on sait des animaux les plus imparfaits avec Popi- 
nion ancienne et toujours admise, que tous les ani- 
maux, sans exception, jouissent de la faculté de 
sentir. 

Les raisons que ce savant apporte pour montrer 
l'identité de nature entre le sentiment et l'ürrilabi- 
lité, ne m'ont paru ni claires, ni convaincantes : 
aussi ne détruisent-elles nullement les considéra- 
tions suivantes qui distinguent éminemment ces deux 
facultés. 

L’irrilabilité est un phénomène propre à lorga- 
nisation animale, qui n’exige aucun organe spécial 
pour s’exécuter, et qui subsiste quelque temps en- 
core après la mort de lindividu. Qu'il y ait, dans 
l’organisation, des organes spéciaux, où qu'il n’y en 
ait aucun, cette faculté pouvant néanmoins exister, 
est donc générale pour tous les animaux. 

La sensibilité, au contraire, est un phénomène 
particulier à certains animaux, en ce qu’elle ne peut 
se manifester que dans ceux qui ont un organe spé 
cial essentiellement distinct et seul propre à la pro- 
duire, et en ce qu’elle cesse constamment avec la vie, 
ou même un peu avant la mort. 

On peut assurer que le sentiment ne peut avoir 
leu dans un animal sans l'existence d’un organe spé- 


ET DE L'IRRITABILITÉ nl 


cial propre à le produire, c’est-à-dire sans un sys- 
lème nerveux. Or, cet organe est toujours très- 
distinct; car ne pouvant exister sans un centre de 
rapport pour les nerfs, il ne saurait ètre impercep- 
tible lorsqu'il existe. Cela étant ainsi, et quantité 
d'animaux n'offrant aucun syslème nerveux, il est 
évident que la sensibilité n’est pas une faculté gé- 
nérale pour tous les animaux. 

Enfin, le sentiment comparé à l’irritabilité, offre, 
en outre, cette particularité distinctive, qu'ilcesseavec 
la vie, où même un peu avant, tandis que l’érritabi- 
litése conserve quelque temps encore après lamortde 
l'individu, mème apres qu'il aurait été mis en pièces. 

Le temps pendant lequel lirritabilité se conserve 
dans les parties d’un individu après sa mort, varie, 
sans doute, à raison du système d'organisation de 
cet individu ; mais dans tous les animaux probable- 
ment, l'érritabilité se manifeste encore après la ces- 
sation de la vie. 

Dans l'homme, l'orritabilité de celles de ses par- 
ties qui en sont susceptibles, ne dure guere que deux 
ou trois heures après qu'il a cessé de vivre, et moins 
encore, selon la cause qui l’a fait périr : mais trente 
heures apres avoir enlevé le cœur d'une grenouille, 
ce cœur est encore irritable et susceptible de pro- 
duire des mouvements lorsqu'on lirrite. Il y a des 
insectes en qui des mouvements se manifestent plus 
longtemps encore après avoir été vidés de leurs or- 
ganes intérieurs. 


42 DE L'ORGASME ET DE L’IRRITABILITÉ 


A 


D’après ce qui vient d’être exposé, on voit que 
l’'irritabilité est une faculté particulière aux ani 
maux; que tous en sont éminemment doués dans 
toutes où dans certaines de leurs parties, et qu'un 
orgasme énergique en est la source : on voit, en 
outre, que cette faculté est fortement distincte de 
celle de sentir ; que l’une est d’une nature très-dif- 
férente de celle de l’autre, et que le sentiment ne 
pouvant résulter que des fonctions d’un système 
nerveux, muni, comme je l’ai fait voir, de son cen- 
tre de rapport, il n'est propre qu'aux animaux qui 
possedent un pareil système d’organes. 

Examinons maintenant l'importance du tissu cel- 
lulaire dans toute espèce d'organisation. | 


CHAPITRE V 


DU TISSU CELLULAIRE, CONSIDÉRÉ COMME 
LA GANGUE DANS LAQUELLE TOUTE ORGANISATION 


A ETÉ FORMÉE 


À mesure que l’on observe les faits que nous pré- 
sente la nature dans ses diverses parties, il est sin- 
gulier de pouvoir remarquer que les causes, même 
les plus simples, des faits observés, sont souvent 
celles qui restent le plus longtemps inapercues. 

Ce n'est pas d'aujourd'hui que lon sait que tous 
les organes quelconques dans les animaux sont en- 
veloppés de #issu cellulaire, et que leurs momdres 
parties sont dans le même cas. 

En effet, il est reconnu depuis longtemps que les 
membranes qui forment les enveloppes du cerveau, 
des nerfs, des vaisseaux de tout genre, des glandes, 
des viscères, des muscles et de leurs fibres, que la 
peau mème du corps, sont généralement des produc- 
tions du dessu cellulaire. 


Cependant, 1l ne parait pas qu'on ait vu autre 


4% DU TISSU 


chose dans cette multitude de faits concordants, que 
les faits eux-mêmes ; et personne, que je sache, n’a 
encore aperçu que le issu cellulaire est la matrice 
générale de toute organisation, et que sans ce tissu, 
aucun corps vivant ne pourrait exister et n’aurait 
pu se former. 

Ainsi, lorsque j'ai dit’ que le issu cellulaire est 
la gangue dans laquelle tous les organes des corps 
vivants ont été successivement formés et que le 
inouvement des fluides dans ce tissu est le moyen 
qu'emploie la nature pour créer et développer peu à 
peu ces organes aux dépens de ce même tissu, je 
n'ai pas craint de me voir opposer des faits qui at 
testeraient le contraire; car c'est en consultant les 
faits eux-mêmes qu'on peut se convaincre que tout 
organe quelconque a été formé dans le issu cellu- 
laire, puisqu'il en est partout enveloppé, même dans 
ses moindres parties. 

Aussi voyons-nous que, dans l'ordre naturel, soit 
des animaux, soit des végétaux, ceux de cescorps vi 
vants dont l’organisation est la plus simple, et qui, 
conséquemment, sont placés à l’une des extrémités 
de l’ordre, n'offrent qu'une masse de tissu cellulaire 
dans laquelle on n'aperçoit encore ni vaisseaux, ni 
glandes, ni viscères quelconques; tandis que ceux 
de ces corps qui ont l’organisation la plus compo— 


1 Discours d'ouverture du cours d'animaux sans vertébres, prononcé 
en 1806, p. 33. Des l'an 1796, j'exposais ces principes dans les premieres 
lecons de mon cours. 


CELLULAIRE 45 


sée, et qui, par cette raison, sont placés à l’autre 
extrémité de l’ordre, ont tous leurs organes telle- 
ment enfoncés dans le #ssw cellulaire, que ce tissu 
forme généralement leurs enveloppes et constitue 
pour eux ce milieu commun par lequel ils commu 
niquent et qui donne lieu à ces métastases subites, si 
connues de tous ceux qui s'occupent de l'art de 
guérir. 

Comparez dans les animaux l’organisation tres- 
simple des #rfusoires etdes polypes, qui n'offre dans 
ces êtres imparfaits qu'une masse gélatineuse uni- 
quement formée de tissu cellulaire, avec l’organisa- 
tion très-composée des mammiferes, qui présente 
un tissu cellulaire toujours existant, mais envelop- 
pant une multitude d'organes divers, et vous juge- 
rez si les considérations que j'ai publiées sur ce sujet 
important sont les résultats d’un système imagi- 
naire. 

Comparez de même dans les végétaux l’organisa- 
tion tres-simple des algues et des champignons avec 
l'organisation plus composée d’un grand arbre ou 
de tel autre végétal dicotylédon quelconque, et vous 
déciderez si le plan général de la nature n’est pas 
partout le même, malgré les variations infinies que 
ses opérations particulières vous présentent. 

Eflectivement, dans les algues inondées, telles que 
les nombreux /ucus qui constituent une grande fa- 
mille composée de différents genres, et telles encore 
que les w/va, les conferva, etc., le tissu cellulaire 


46 DU TISSU 

à peine modifié se montre de maniére à prouver que 
c’est lui seul qui forme toute la substance de ces 
végétaux, en sorte que dans plusieurs de ces algues, 
les fluides intérieurs, par leurs mouvements dans ce 
tissu, n'y ont encore ébauché aucun organe quel- 
conque, et dans les autres, ils n'y ont frayé que 
quelques canaux rares qui vont alimenter les cor- 
puscules reproductifs que les botanistes prennent 
pour des graines, parce que souvent ils les trouvent 
enveloppés plusieurs ensemble dans une vésicule 
capsulaire, comme le sont aussi les gemmes de beau- 
coup de sertulaires connues. 

On ne peut donc se convaincre par observation 
que, dans les animaux les plus imparfaits, tels que 
les infusoires et les polypes, et dans les végétaux 
les moins parfaits, tels que les alques et les cham- 
pignons, tantôt il n'existe aucune trace de vaisseaux 
quelconques et tantôt 1l ne se trouve que des canaux 
rares simplement ébauchés ; enfin, on peut recon— 
naître que l’organisation tres-simple de ces corps 
vivants n'offre qu'un tissu cellulaire dans lequel les 
fluides qui le vivifient se meuvent avec lenteur et 
que ces corps dépourvus d'organes spéciaux ne se 
développent, ne s’accroissent et ne se multiplient ou 
ne se régénérent que par une faculté d'extension et 
de séparation de parties reproductives qu'ils possè= 
dent dans un degré très-éminent. 

À la vérité, dans les végétaux, mème dans les 
plus perfectionnés en organisation, il n’y a pas de 


CELLULAIRE 17 
vaisseaux comparables à ceux des animaux qui ont 
un système de circulation. 

Ainsi, l’organisation intérieure des végétaux n’of- 
fre réellement qu'un #issu cellulaire plus ou moins 
modifié par le mouvement des fluides, tissu qui est 
très-peu modifié dans les algues, dans les champi- 
gnons et mème dans les mousses, tandis qu'il l’est 
beaucoup plus dans les autres végétaux et surtout 
dans ceux qui sont dicotylédons. Mais partout, mème 
dans les végétaux les plus perfectionnés, il n’y a vé- 
ritablement à l’intérieur de ces corps vivants qu'un 
tissu cellulaire modifié en une multitude de tubes 
divers, la plupart parallèles entre eux par suite du 
mouvement ascendant et du mouvement descendant 
des fluides, sans que ces tubes, dans leur structure, 
soient pour cela des canaux comparables aux vais- 
seaux des animaux qui possédent un système de cir- 
culation. Nulle part ces tubes végétaux ne s’entrela- 
cent et ne forment ces masses particulières de vais- 
seaux repliées et enlacées de mille maniéères que 
nous nommons glandes conglomérées dans les ani- 
maux qu ont une circulation. Enfin, dans tous les 
végétaux sans exception, l'intérieur de ces corps ne 
présente aucun organe spécial quelconque : tout y 
est tissu cellulaire plus où moins modifié, tubes lon- 
gitudinaux pour le mouvement des fuides et fibres 
plus où moins dures et pareillement longitudinales 
pour l’affermissement de la tige et des branches. 

Si d’une part l’on reconnait que tout corps vivant 


48 DU TISSU 


quelconque est une masse de #ssu cellulaire dans 
laquelle se trouvent enveloppés des organes divers 
plus ou moins nombreux, selon que ce corps a une 
organisation plus où moins composée, et si de l’au- 
tre part l’on reconnaît aussi que ce corps, quel qu'il 
soit, contient dans ses parties des fluides qui y sont 
plus où moins en mouvement, selon que par l’état 
de son organisation, il possede une vie plus ou moins 
active où énergique, on doit donc conclure que c’est 
au mouvement des fluides dans le /issu cellulaire 
qu'il faut attribuer originairement la formation de 
toute espece d’organe dans le sein de ce tissu et que 
conséquemment chaque organe doit en être enve- 
loppé, soit dans son ensemble, soit dans ses plus pe- 
tites parties, ce qui a effectivement lieu. 
Relativement aux animaux, je n’ai pas besoin de 
faire sentir que, dans diverses parties de leur inté- 
rieur, le #ssu cellulaire s'étant trouvé resserré la- 
téralement par les fluides en mouvement qui Sy 
ouvraient un passage, à été affaissé sur lui-même 
dans ces parties; qu'ils’ y est trouvé comprimé 
et transformé, autour de ces masses courantes de 
fluide, en membranes enveloppantes ; et qu'a l’ex- 
térieur, ces corps vivants étant sans cesse compri- 
més par la pression des fluides environnants (soit 
les eaux, soit les fluides atmosphériques), et modi- 
fiés par des impressions externes, et par des dépôts 
qui s’y sont fixés, leur issu cellulaire a formé cette 
enveloppe générale de tout corps vivant qu'on 


CELLULAIRE 49 


nomme peau dans les animaux et écorce dans les 
plantes. 

J'étais donc fondé en raisons, lorsque j'ai dit « que 
le propre du mouvement des fluides dans les parties 
souples des corps vivants qui les contiennent, et 
principalement dans le #issu cellulaire de ceux qui 
sont Les plus simples, est de s’y frayer des routes, 
des lieux de dépôt et des issues, d’y créer des ca- 
naux et, par suite, des organes divers, d’y varier 
ces canaux et ces organes à raison de la diversité, 
soit des mouvements, soit de la nature des fluides 
qui y donnent lieu, enfin, d'agrandir, d’allonger, 
de diviser et de soldifier graduellement ces canaux 
et ces organes par les matières qui se forment sans 
cesse dans ces fluides composés, qui s’en séparent 
ensuite, et dont une partie s’assimile et s’unit aux 
organes, tandis que l’autre est rejetée au dehors. » 
(Rech. sur les Corps vivants, p. 8 et 9.) 

De même j'étais fondé en raisons, lorsque j’ai dit 
« que l’état d'organisation dans chaque corps vivant 
a été obtenu petit à petit par les progres de l’in- 
fluence du mouvement des fluides (dans le #ssw cel- 
lulaire d'abord, et ensuite dans les organes qui S'y 
trouvent formés), et par ceux des changements que 
ces fluides y ont continuellement subi dans leur na- 
ture et leur état, par la succession habituelle de 
leurs déperditions et de leurs renouvellements. » 

Enfin, j'étais autorisé par ces considérations, 
lorsque j'ai dit « que chaque organisation et chaque 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 4 


D0 DU TISSU 


forme acquises par cet état de choses et par les cir- 
constances qui y ont concouru, furent conservées et 
transmises par la génération, jusqu’à ce que de nou 
velles modifications de ces organisations et de ces 
formes eussent été acquises par la même voie et par 
de nouvelles circonstances. » (Rech. sur les Corps 
vivants, p. 9.) 

Il résulte de ce que je viens d'exposer, que le 
propre du mouvement des fluides dans les corps vi- 
vants, et par conséquent du mouvement organique, 
est non-seulement de développer l’organisation, tant 
que ce mouvement n’est point affaibli par l’indures- 
cence que la durée de la vie produit dans les orga- 
nes ; mais que ce mouvement des fluides a, en outre, 
la faculté de composer peu à peu l’organisation, en 
multipliant les organes et les fonctions à remplir, à 
mesure que de nouvelles circonstances dans la ma- 
niere de vivre, ou que de nouvelles habitudes con- 
tractées par les individus, l’excitent diversement, 
exigent de nouvelles fonctions, et conséquemment 
de nouveaux organes. 

J'ajoute à ces considérations, que plus le mouve= 
ment des fluides est rapide dans un corps vivant, 
plus il y complique l’organisation, et plus alors le 
système vasculaire s’y ramifie. 

C'est du concours non interrompu de ces causes 
et de beaucoup de temps, ainsi que d’une diversité in- 
finie de circonstances influentes, que les corps vivants 
de tous les ordres ont été successivement formés. 


CELLULAIRE 51 


L'ORGANISATION VÉGÉTALE S’EST AUSSI FORMÉE 
DANS UN TISSU CELLULAIRE 


Que l’on se représente un #ssu cellulaire, dans 
lequel, par certaines causes, la nature n’a pu éta- 
blir l’érritabilité, et on aura l’idée de la gangue dans 
laquelle toute organisation végétale a été formée. 

Si l’on considère ensuite que les mouvements des 
fluides dans les végétaux ne sont excités que par des 
influences extérieures, on se convaincra que, dans 
cette sorte de corps vivants, la vie ne peut avoir 
qu'une faible activité, même dans les temps et les 
climats où la végétation est rapide, et que consé- 
quemment la composition de l’organisation, dans 
ces êtres, est nécessairement restreinte dans des li- 
mites tres-resserrées. 

On s’est donné des peines infinies pour connaître 
dans ses détails l’organisation des végétaux : on a 
cherché en eux des organes particuliers où spéciaux, 
comparables, s’il était possible, à quelques-uns de 
ceux que l’on connait dans les animaux; et les ré- 
sultats de tant de recherches n’ont abouti qu'à nous 


1 L'analyse chimique a fait voir que les sübstances animales abondent 
en azote, tandis que les substances végétales sont dépourvues de cette 
matière, ou n’en contiennent que dans de très-petites proportions. Il 
y a donc entre la nature des substances animales et celle des subs- 
tances végétales une différence reconnuëé : or, cette différence peut 
être la cause que les agents qui produiseut l'orgasme et l'irritabilité 
des animaux ne peuvent établir les mêmes facultés dans les parties des 
végétaux vivants, 


52 DU TISSU 


montrer dans leurs parties contenantes un issu cel- 
lulaire plus ou moins serré, dont les cellules plus 
ou moins allongées, communiquent entre elles par 
des pores et des tubes vasculaires de différente 
forme et grandeur, ayant la plupart des pores laté- 
raux, ou quelquefois des fentes. 

Tous les détails qui ont été présentés sur ce sujet 
fournissent peu d'idées claires et générales, et les 
seules qu'il nous semble convenable d'admettre 
comme telles, sont : 

1° Que les végétaux sont des corps vivants plus 
imparfaits en organisation que les animaux, et dans 
lesquels les mouvements organiques sont moins ac- 
tifs, les fluides s’y mouvant avec plus de lenteur, et 
l'orgasme des parties contenantes n’y existant que 
d’une manière très-obscure ; 

2° Qu'ils sont essentiellement composés de #issu 
cellulaire, puisque ce tissu se reconnaît dans toutes 
leurs parties, et que dans les plus simples d’entre 
eux (les algues, les champignons, et vraisemblable- 
ment toutes les plantes agaimes) on le trouve à peu 
près seul et n’ayant encore subi que peu de modifi- 
cations ; 

9° Que le seul changement que le #ssu cellulaire 
ait éprouvé dans les végétaux monocotylédons ou 
dicotylédons, de la part des fluides qui ont été mis 
en mouvement dans ces corps, consiste en ce que 
certaines parties de ce #issu cellulaire ont été trans- 
formées en fubes vasculaires, de grandeur et de 


CELLULAIRE 03 


forme variées, ouverts aux extrémités, et ayant la 
plupart des pores latéraux divers. 

J’ajouterai à tout ce que je viens de dire sur ce su 
jet, que le mouvement des fluides se faisant en gé- 
néral, soit en montant, soit en descendant, dans les 
végétaux, l’on sent que leurs vaisseaux doivent être 
presque toujours longitudinaux et à peu près paral- 
leles entre eux, ainsi qu'a la direction de la tige et 
des branches. 

Enfin, la partie extérieure du #ssu cellulaire, qui 
constitue la masse de chaque végétal et la matrice 
de sa chétive organisation, étant affaissée et resser- 
rée par les impressions que font sur elle le contact, 
la pression et le froissement varié des milieux en- 
vironnants, et se trouvant épaissie par des dépôts, 
est transformée en un tégument général!, qu'on 
nomme écorce, et qui est comparable à la peau des 
animaux. De la l’on concoit que la surface externe 
de cette écorce, plus désorganisée encore que l'écorce 
elle-même, par les causes que je viens d'indiquer, 
doit constituer cette pellicule extérieure qu'onnomme 
épiderme, soit dans les végétaux, soit dans les ani- 
maux . 


1 Si les tiges des palmiers et de certaines fougères paraissent sans 
écorce, c'est que ces tiges ne sont que des collets radicaux allongés, 
dont l'extérieur offre une continuité de cicatrices qu'ont laissées les an- 
ciennes feuilles après leur chute; ce qui fait qu'il n'y peut exister une 
écorce continue ou sans interruption; mais on ne peut nier que chaque 
partie séparée de cet extérieur n'ait son écorce particulière, quoique 
plus ou moins perceptible, à cause du peu d'extension de ces parties. 


54 DU TISSU 


Ainsi, si l’on considère les végétaux sous le rap- 
port de leur organisation intérieure, tout ce qu'ils 
nous montrent de saisissable est, pour les plus 
simples d’entre eux, un #ssu cellulaire sans vais- 
seaux, mais diversement modifié, étendu ou resserré 
dans ses expansions, par la forme particulière du 
végétal; et pour ceux qui sont plus composés, un 
assemblage de cellules et de tubes vascuhiformes de 
différentes grandeurs, ayant, la plupart, des pores 
latéraux , et des fibres plus ou moins abondantes 
qui résultent du resserrement et de l’endurcisse- 
ment qu'une partie des tubes vasculaires a été 
forcée de subir. Voilà tout ce que présente l’orga- 
nisation intérieure des végétaux, relativement aux 
parties contenantes, leur #0elle même n’en étant 
pas exceptée. 

Mais si l’on considère les végétaux sous le rap- 
port de leur organisation extérieure, tout ce qu'ils 
nous offrent de plus général et de plus essentiel à 
remarquer comprend : 

1° Toutes les particularités gle leur forme, de 
leur couleur, de leur consistance, et de celles de 
leurs parties ; 

20 [écorce qui les recouvre partout et qui les fait 
communiquer par ses pores avec les milieux envi- 
ronnants ; 

3° Les organes plus où moins composés, qui 
naissent à l'extérieur, se développent dans le cours 
de la vie du végétal, servent à sa reproduction , 


CELLULAIRE 59 


n’exécutent qu'une seule fois leurs fonctions, et sont 
les plus importants à considérer pour déterminer les 
caractères et les vrais rapports de chaque végétal. 

C’est donc dans la considération des parties exté— 
rieures des plantes, et principalement dans celle des 
organes qui sont propres à leur reproduction, qu'il 
faut chercher les moyens de caractériser les végé- 
taux et de déterminer leurs rapports naturels. 

D’après tout ce que je viens d'exposer, comme 
étant le résultat positif des connaissances acquises 
par l'observation, il est évident que, d’une part, les 
vrais rapports dans les animaux ne peuvent être 
déterminés que d’après leur organisation intérieure, 
parce qu’elle en fournit les moyens et les seuls véri- 
tablement importants, et que, de l’autre part, ces 
rapports ne peuvent être pareillement déterminés 
dans les végétaux, ainsi que les coupes qui y dis- 
tinguent les classes, les ordres, les familles et les 
genres, que d’après l’organisation extérieure de ces 
corps vivants ; car leur organisation intérieure est 
trop peu composée et trop confuse dans les diffé- 
rentes modifications qu'on peut observer en elle, 
pour offrir les moyens propres à remplir de pareils 
objets. 

Nous venons de voir que le issu cellulaire est 
généralement la gangue ou la matrice dans laquelle 
toute organisation a été primitivement formée, et 
que ce fut par les suites du mouvement des fluides 
intérieurs des corps vivants que tous leurs organes 


56 DU TISSU CELLULAIRE 


furent créés dans cette gangue et à ses dépens. 
Maintenant nous allons examiner rapidement si l’on 
est réellement autorisé à attribuer à la nature la 
faculté de former des générations directes. 


CHAPITRE VI 


DES GÉNÉRATIONS DIRECTES OU SPONTANÉES 


L'organisation et la vie sont le produit de la 
nature, et en même temps le résultat des moyens 
qu'elle a reçus de lAufeur suprême de toutes 
choses et des lois qui la constituent elle-même : c’est 
ce dont on ne saurait maintenant douter. Ainsi, 
l’organisation et la vie ne sont que des phénomènes 
naturels, et leur destruction dans l'individu qui les 
possède n’est encore qu'un phénomène naturel, suite 
nécessaire de l'existence des premiers. 

Les corps sont sans cesse assujettis à des mutations 
d'état, de combinaison et de nature , au milieu des- 
quelles les uns passent continuellement de l’état de 
corps inerte ou passif, à celui qui permet en eux la 
vie, tandis que les autres repassent de l’état vivant 
à celui de corps brut et sans vie. Ces passages de la 
vie à la mort et de la mort à la vie font évidem-— 


58 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


ment partie du cercle immense de toutes Les sortes 
de changements auxquels, pendant le cours des 
temps, tous les corps physiques sont soumis. 

La nature, ai-je déja dit, crée elle-même les pre- 
miers traits de l’organisation dans des masses où il 
n’en existait pas; et ensuite l’usage et les mouve- 
ments de la vie développent et composent les organes. 
(Rech. sur les Corps vivants, p. 92.) 

Quelque extraordinaire que puisse paraître cette 
proposition, on ne pourra s'empêcher de suspendre 
tout jugement qui tende à la rejeter, si on prend 
la peine d'examiner et de peser sérieusement les 
considérations que Je vais exposer. 

Les anciens philosophes, ayant observé le pouvoir 
de la chaleur, avaient remarqué l’extrême fécondité 
que les différentes parties de la surface du globe en 
recoivent de toutes parts, à mesure qu’elle y est 
plus abondamment répandue ; mais ils négligérent 
de considérer que le concours de l’hwmidité est la 
condition essentielle qui rend la chaleur si féconde 
et si nécessaire à la vie. Néanmoins, s'étant aperçus 
que la vie, dans tous les corps qui la possedent, puise 
dans la chaleur son soutien et son activité, et que sa 
privation amène partout la mort, ils sentirent, avec 
raison, que non-seulement la chaleur était néces- 
saire au soutien de la vie, mais qu'elle pouvait 
même la créer, ainsi que l’organisation. 

Ils reconnurent donc qu'il s’opérait des généra- 
lions directes, &’'est-à-dire des générations opérées 


CI 


OU SPONTANÉES 59 


directement par la nature, et non formées par des 
individus d'espèce semblable : ils les nommeérent 
assez improprement générations spontanées ; et 
comme ils s’aperçurent que la décomposition des 
matières, soit végétales, soit animales, fournissait 
à la nature des circonstances favorables à la création 
directe de ces corps nouvellement doués de la vie, 
ils supposèrent, mal à propos, qu’ils étaient le pro- 
duit de la fermentation. 

Je puis montrer qu'il n’y eut point d'erreur de la 
part des anciens, lorsqu'ils attribuèrent à la nature 
la faculté d'opérer des générations directes, mais 
qu'ils en commirent une des plus évidentes, en ap- 
pliquant cette vérité morale à quantité de corps 
vivants qui ne sont et ne peuvent être nullement 
dans le cas de participer à cette sorte de génération. 

En effet, comme alors on n’avait pas suffisamment 
observé ce qui se passe relativement à ce sujet, et 
que l’on ignorait que la nature, à laide de la cha- 
leur et de l’humidité, ne crée directement que les 
premières ébauches de l'organisation et particulière 
ment que celle des corps vivants qui commencent, 
soit l'échelle animale, soit léchelle végétale, soit 
peut-être certaines de leurs ramifications, les an- 
ciens dont je parle penserent que les animaux à 
organisation peu composée, qu'ils nommeérent, par 
cette raison, animaux imparfaits, étaient tous les 
résultats de ces générations spontanées. 

Enfin, comme à ces époques l'histoire naturelle 


60 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


n’avait fait presque aucun progrès, et qu’on n’avait 
observé que très-peu de faits relatifs aux produc- 
tions de la nature, les 2nsectes et tous les animaux 
que l’on désignait alors sous le nom de vers, étaient 
regardés généralement comme des animaux impar- 
faits qui naissent, dans les temps et les lieux favora- 
bles, du produit de la chaleur et de la corruption de 
diverses matières. 

On croyait alors que la chair corrompue engen- 
drait directement des larves qui, par la suite, se mé- 
tamorphosaient en mouches, que le suc extravasé 
des végétaux qui, à la suite de certaines piqûres 
d'insectes, donne lieu aux noix de galle, produisait 
directement les larves qui se transforment en ci- 
nips, etc., ete., ce qui est tout à fait sans fonde- 
ment. 

Ainsi, l'erreur des anciens, relative à une fausse 
application qu'ils firent des générations directes de 
la nature, c’est-à-dire de la faculté qu'elle a de 
créer les premieres ébauches de l’organisation et les 
premiers actes de la vie, se propageñt et se transmit 
d'âge en âge, fut étayée par les faits mal jugés que 
je viens de citer et devint, pour les modernes, le 
motif ou la cause d’une autre erreur, lorsqu'ils 
eurent reconnu la premiere. 

En effet, à mesure que l’on sentit la nécessité de 
recueillir des faits, et d'observer, avec précision, ce 
qui a véritablement lieu à cet égard, on parvint à 
découvrir l’erreur où les anciens étaient tombés : 


OU SPONTANÉES ôl 


des hommes célèbres par leur mérite et leurs talents 
d'observation, tels que Rhedi, Leuivenoek, etc., 
prouvèrent que tous les insectes, sans exception, 
sont ovipares, ou quelquefois en apparence vivipa- 
res, qu'on ne voit jamais paraître des vers sur la 
viande corrompue, que lorsque des mouches ont pu 
y déposer leurs œufs, enfin, que tous les animaux, 
quelque imparfaits qu'ils soient, ont les moyens de 
se reproduire et de multiplier eux-mêmes les indi- 
vidus de leur espèce. 

Mais, malheureusement pour les progrès de nos 
lumières, nous sommes presque toujours extrèmes 
dans nos jugements comme dans nos actions, et il 
ne nous est que trop commun d'opérer la destruc- 
tion d’une erreur, pour nous jeter ensuite dans une 
erreur opposée. Que d'exemples je pourrais citer à 
cet égard, même dans l’état actuel des opinions 
accréditées, si ces détails n'étaient étrangers à mon 
objet ! 

Ainsi, de ce qu’il fût prouvé que tous les animaux, 
sans exception, possèdent les moyens de se repro- 
duire eux-mêmes, de ce que l’on reconnüt que les 
insectes et tous les animaux des classes postérieures 
ne se reproduisent que par la voie d’une génération 
sexuelle, de ce que l’on aperçüt dans les vers et 
les radiaires des corps qui ressemblent à des œufs, 
enfin, de ce qu'il fût constaté que les polypes se 
reproduisent par des gemmes ou des espèces de 
bourgeons, lon en a conclu que les générations 


62 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


directes, attribuées à la nature, n’ont jamais lieu, 
et que tout corps vivant provient d’un individu 
semblable de son espèce, par une génération, soit 
vivipare, soit ovipare, soit même gemmipare. 

Cette conséquence est défectueuse en ce qu’elle 
est trop générale, car elle exclut les générations 
directes opérées par la nature au commencement de 
l'échelle, soit végétale, soit animale, et peut-être 
encore au commencement de certaines ramifications 
de cette échelle. D'ailleurs, de ce que les corps en 
qui la nature a établi directement l’organisation et 
la vie en obtiennent aussitôt la faculté de se repro- 
duire eux-mêmes, s’en suit-il nécessairement que 
ces corps ne proviennent que d'individus semblables 
à eux? Non, sans doute, et c’est la l'erreur dans 
laquelle on est tombé, après avoir reconnu celle des 
anciens. 

Non-seulement on n’a pu démontrer que les ani- 
maux les plus simples en organisation, tels que les 
infusoires, et, surtout, parmi eux, les monades, ni 
que les végétaux les plus simples, tels, peut-être, 
que les byssus de la première famille des algues, 
provinssent tous d'individus semblables qui les au 
raient produits; mais, en outre, il y a des observa- 
tions qu tendent à prouver que ces animaux et ces 
végétaux extrêmement petits, transparents, d’une 
substance gélatineuse ou mucilagineuse, presque sans 
consistance, singulièrement fugaces, et aussi facile- 
ment détruits que formés, selon les variations de 


OÙ SPONTANÉES 63 
circonstances qui les font exister ou périr, ne peu- 
vent laisser après eux des gages inaltérables pour 
de nouvelles générations. Il est, au contraire, bien 
plus probable que leurs renouvellements sont des 
produits directs des moyens et des facultés de la 
nature à leur égard, et qu'eux seuls, peut-être, sont 
dans ce cas. Aussi, verrons-nous que la nature n’a 
participé qu'indirectement à l'existence de tous les 
autres corps vivants, les ayant fait successivement 
dériver des premiers, en opérant peu à peu, à la 
suite de beaucoup de temps, des changements et une 
composition croissante dans leur organisation, et en 
conservant toujours, par la voie de la reproduction, 
les modifications acquises et les perfectionnements 
obtenus. 

S1 l’on reconnait que tous les corps naturels sont 
réellement des productions de la nature, il doit être 
alors de toute évidence que, pour donner l’existence 
aux différents corps vivants, elle a dù nécessaire- 
ment commencer par former les plus simples de 
tous, c’est-à-dire par créer ceux qui ne sont vérita= 
blement que de simples ébauches d'organisation, et 
qu'à peine nous osons regarder comme des corps 
organisés et doués de la vie. Mais lorsqu'à l’aide 
des circonstances et de ses moyens, la nature est 
parvenue à établir dans un corps les mouvements 
qui y constituent la vie, la succession de ces mouve- 
ments y développe l’organisation , donne lieu à la 
nutrition, la première des facultés de la vie , et de 


64 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


celle-ci naît bientôt la seconde des facultés vitales, 
c’est-à-dire l'accroissement de ce corps. 

La surabondance de la nutrition, en donnant lieu 
à l’accroissement de ce corps, y prépare les maté- 
riaux d’un nouvel être que l’organisation met dans 
le cas de ressembler à ce même corps, et lui fournit 
par là les moyens de se reproduire, d’où nait la 
troisième des facultés de la vie. 

Enfin, la durée de la vie dans ce corps augmente 
graduellement la consistance de ses parties conte- 
nantes, ainsi que Leur résistance aux mouvements 
vitaux : elle affaiblit proportionnellement la nutri- 
tion, amène le terme de l’accroissement, et finit par 
opérer la mort de l'individu. 

Ainsi, dés que la nature est parvenue à faire 
exister la vie dans un corps, la seule existence de 
la vie dans ce corps, quoiqu'il soit le plus simple en 
organisation, y fait naître les trois facultés que je 
viens de citer ; et ensuite sa durée dans ce même 
corps en opère, par degrés, la destruction inévi- 
table. 

Mais nous verrons que la vie, surtout lorsque les 
circonstances y sont favorables, tend sans cesse, par 
sa nature, à composer l’organisation, à créer des 
organes particuliers, à isoler ces organes et leurs 
fonctions, et à diviser et multiplier ses divers cen- 
tres d'activité. Or, comme la reproduction conserve 
constamment tout ce qui a été acquis, de cette source 
féconde sont sortis, avec le temps, les différents 


OU SPONTANÉES 65 


corps vivants que nous observons ; enfin, des rési- 
dus qu'ont laissé chacun de ces corps après avoir 
perdu la vie, sont provenus les différents minéraux 
qui nous sont connus. Voilà comment tous les corps 
naturels sont réellement des productions de la 
nature, quoiqu’elle n’ait donné directement lexis- 
tence qu'aux corps vivants les plus simples. 

La nature n’établit la vie que dans des corps alors 
dans l’état gélatineux où mucilagineux, et assez 
souples dans leurs parties pour se soumettre facile- 
ment aux mouvements qu'elle leur communique à 
l’aide de la cause excitatrice dont j'ai déja parlé, 
où d'un stimulus que je vais essayer de faire con- 
naître. Ainsi, tout germe, au moment de sa fécon- 
dation, c’est-à-dire à linstant où, par un acte orga- 
nique, il recoit la préparation qui le rend propre à 
jouir de la vie, et tout corps qui recoit directement 
de la nature les premiers traits de l’organisation et 
les mouvements de la vie la plus simple, se trou- 
vent nécessairement alors dans l’état gélatineux ou 
mucilagineux, quoiqu'ils soient cependant compo- 
sés de deux sortes de parties, les unes contenantes, 
et les autres contenues, celles-ci étant essentielle- 
ment fluides. 

COMPARAISON DE L’ACTE ORGANIQUE NOMMÉ FÉCONDATION 


AVEC CET ACTE DE LA NATURE QUI DONNE LIEU AUX GÉNÉRATIONS 
DIRECTES 


Quelque inconnus que soient pour nous les deux 
objets que je me propose de mettre ici en comparai- 


LAMARCK, PHIL. ZOOT,. 1]. D 


66 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


son, leurs rapports néanmoins sont des plus évidents, 
puisque les résultats qui en proviennent sont à peu 
près les mêmes. En effet, les deux actes dont il s’agit 
font, de part et d'autre, exister la sie, ou lui don- 
nent lieu de pouvoir s'établir dans des corps où elle 
ne se trouvait pas auparavant, et qui ne pouvaient 
la posséder que par eux. Ainsi, leur comparaison 
attentivement suivie, ne peut que nous éclairer, 
jusqu'à un certain point, sur la véritable nature de 
ces actes. 

J'ai déjà dit ! que, dans la génération des ani- 
maux à mamelles, le mouvement vital paraissait 
succéder immédiatement dans l'embryon à la fécon- 
dation qu’il venait de recevoir, tandis que, dans les 
ovipares, il y a un intervalle entre lacte de la 
fécondation de l'embryon et le premier mouvement 
vital que l’incubation lui communique ; et lon sait 
que cet intervalle peut êtrequelquefoistrès-prolongé. 

Or, dans le cours de cet intervalle, embryon 
fécondé que l’on considère n’est pas encore au nom 
bre des corps vivants; il est propre, sans doute, à 
recevoir la vie, et, pour cela, il ne lui faut qu'un 
stimulus que peut lui fournir lincubation, mais tant 
que le mouvement organique ne lui a point été im 
primé par ce stimulus, cet embryon fécondé n’est 
qu'un corps préparé à posséder la vie, et non un 
corps qui en soit doué. 


1 Recherches sur les corps vivants, p. 46. 


OU SPONTANÉES 67 


Un œuf fécondé de poule ou de tout autre oiseau, 
que l’on conserve pendant un certain temps, sans 
l’exposer à l’incubation ou à l'élévation de tempéra- 
ture qui en tient lieu, ne contient pas un embryon 
vivant ; de même, une graine de plante, qui est vé- 
ritablement un œuf végétal , ne renferme pas non 
plus un embryon vivant, tant qu'on ne l’a point 
exposée à la germination. 

Or, si, par des circonstances particulieres, le 
mouvement vital que procure l’incubation ou la ger- 
mination n’est point communiqué à lembryon de 
cet œuf ou de cette graine, il arrivera que, au bout 
d’un temps relatif à la nature de chaque espèce et 
de certaines circonstances, les parties de cet embryon 
fécondé se détérioreront, et alors l’embryon dont il 
s’agit, n'ayant jamais eu la vie en propre, ne subira 
point la mort ; il cessera seulement d’être en état de 
recevoir la vie et achèvera de se décomposer. 

J'ai déjà fait voir, dans mes Mémiores de Physi- 
que et d'Histoire naturelle (p.250), que la vie pou- 
vait être suspendue pendant un temps quelconque, 
et reprise ensuite. 

Ici, je vais faire remarquer qu’elle peut être 
préparée , soit par un acte organique, soit directe 
ment par la nature elle-mème, sans aucun acte de 
ce genre, en sorte que certains Corps, sans posséder 
la vie, peuvent être préparés à la recevoir, par une 
impression qui, sans doute, race dans ces corps 
les preners traits de l’organisation. 


68 ; DES GÉNÉRATIONS DIRÉCTES 


Qu'est-ce, en effet, que la génération sexuelle, si 
ce n’est un acte qui a pour but d'opérer la féconda- 
tion, et ensuite, qu'est-ce que la fécondation elle- 
même, si ce n’est un acte préparatoire de la vie, en 
un mot, un acte qui dispose les parties d’un corps à 
recevoir la vie et à en jouir ? 

L'on sait que, dans un œuf qui n’a point été 
fécondé, on trouve néanmoins un corps gélatineux 
qui, à l'extérieur, ressemble parfaitement à un em- 
bryon fécondé, et qui n’est autre que le germe qui 
existe déjà dans cet œuf, quoiqu'il n’ait point recu 
de fécondation. 

Cependant, qu'est-ce que le germe d’un œuf qui 
n’a recu aucune fécondation , si ce n’est un corps 
presque inorganique, un corps non préparé inté— 
rieurement à recevoir la vie, et auquel l’incubation 
la plus complète ne pourrait la communiquer ? 

C’est un fait généralement connu , que tout corps 
qui reçoit la vie, ou qui recoit les premiers traits 
de l’organisation qui le préparent à la possession de 
la vie, est alors nécessairement dans un état gélati- 
neux où mnucilagineux ; en sorte que les parties 
contenantes de ce corps ont la plus faible consis- 
tance, la plus grande flexibilité, et sont, consé- 
quemment , dans le plus grand état de souplesse 
possible. 

Il fallait que cela fût ainsi . il fallait que les par- 
ties solides du corps dont je parle fussent elles-, 
mêmes dans un état tres-voisin des fluides, afin que 


OU SPONTANÉES 69 


la disposition qui peut rendre les parties intérieures 
de ce corps propres à jouir de la vie, c’est-à-dire 
du mouvement organique qui la constitue, pût être 
facilement opérée. 

Or, il me paraît certain que la fécondation sexuelle 
n'est autre chose qu'un acte qui établit une disposi- 
tion particulière dans les parties intérieures d’un 
corps gélatineux qui le subit; disposition qui con- 
siste dans un certain arrangement et une certaine 
distension de ces parties, sans lesquels le corps dont 
il s’agit ne pourrait recevoir la vie et en jouir. 

Il suffit pour cela qu'une vapeur subtile et péné- 
trante, échappée de la matière qui féconde, s’insinue 
dans le corpuscule gélatineux susceptible de la re- 
cevoir, qu'elle se répande dans ses parties, et qu’en 
rompant, par son mouvement expansif, l'adhésion 
qu'ont entre elles ces mêmes parties, elle y achève 
l’organisation qui y était déja tracée, et la dispose 
à recevoir la vie, c’est-à-dire les mouvements qui 
la constituent. 

Il parait qu'il y a cette différence entre l'acte de 
la fécondation qui prépare un embryon à la pos- 
session de la vie, et l'acte de la nature qui donne 
lieu aux générations directes; que le premier 
s'opère sur un petit corps gélatineux où mucilagi- 
neux, dans lequel l’organisation était déjà tracée, 
tandis que le second ne s'exécute que sur un petit 
corps gélatineux où mucilagineux, dans lequel il ne 
se trouve aucune esquisse d'organisation. 


70 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


Dans le premier, la vapeur fécondante qui pénètre 
dans l'embryon ne fait, par son mouvement expan- 
sif, que désunir, dans le tracé de l’organisation, les 
parties qui ne doivent plus avoir d’adhérence entre 
elles, et que leur donner une certaine disposition. 

Dans le second, les fluides subtils ambiants, qui 
s’'mtroduisent dans la masse du petit corps gélati- 
neux où mucilagineux qui les recoit, agrandissent 
les interstices de ses parties intérieures et les trans- 
forment en cellules ; dès lors, ce petit corps n’est 
plus qu'une masse de issu cellulaire, dans laquelle 
des fluides divers peuvent s’introduire et se mettre 
en mouvement. 

Cette petite masse gélatineuse ou mucilagineuse, 
transformée en #issu cellulaire, peut donc alors jouir 
de la vie, quoiqu’elle n'offre encore aucun organe 
quelconque, puisque les corps vivants les plus sim- 
ples, soit animaux, soit végétaux, ne sont réellement 
que des masses de #issu cellulaire qui n’ont point 
d'organes particuliers. À cet égard, je ferai remar- 
quer que la condition indispensable pour Pexistence 
de la vie dans un corps, étant que ce corps soit 
composé de parties contenantes non fluides, et de 
fluides contenus qui peuvent se mouvoir dans ces 
parties, un corps que constitue un tissu cellulaire 
très-souple, et dont les cellules communiquent entre 
elles par des pores, peut remplir cet objet : le fait 
lui-même atteste que cela peut être ainsi. 

Si la petite masse dont il s’agit est gélatineuse, 


OU SPONTANÉES 71 


ce sera la vie animale qui pourra s’y établir, mais 
si elle n’est que mucilagineuse, la vie végétale seule 
pourra y exister. 

Relativement à l’acte de fécondation organique, 
si vous comparez l'embryon d’un animal ou d’un 
végétal qui n’a point encore recu de fécondation, 
avec le même embryon qui aura subi cet acte prépa- 
ratoire de la vie, vous n’observerez entre eux aucune 
différence perceptible, parce que la masse et la con- 
sistance de ces embryons seront encore les mêmes, 
et que les deux sortes de parties qui les constituent 
se trouveront dans un terme extrème d’obscurité. 

Vous concevrez alors qu'une flamme invisible ou 
une vapeur subtile et expansive (aura vitalis), qui 
s’émane de la matière fécondante, ne fait, en péné- 
trant un embryon gélatineux ou mucilagineux, c’est 
a-dire en traversant sa masse et se répandant dans 
ses parties souples, qu'établir dans ces mêmes parties 
une disposition qui n'y existait pas auparavant , que 
détruire la cohésion de celles de ces parties qui doi- 
vent être désunies, que séparer les solides des fluides 
dans l’ordre qu'exige l’organisation déjà esquissée , 
et que disposer les deux sortes de parties de cet em- 
bryon à recevoir le mouvement organique. 

Enfin, vous concevrez que le #ouvement cilal qui 
succède immédiatement à la fécondation dans les 
mammiferes, et qui, au contraire, dans les ovipares 
et dans les végétaux, ne s'établit qu'a l’aide de 
diverses sortes d’incubation pour les uns et de la 


72 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


germination pour les autres, doit ensuite développer 
peu à peu l’organisation des individus qui en sont 
doués. 

Nous ne pouvons pénétrer plus avant dans le 
mystère admirable de la fécondation , mais la con- 
sidération qui le concerne et que je viens d'exposer 
est incontestable, et elle repose sur des faits positifs 
qui me semblent ne pouvoir être révoqués en 
doute. 

Il importait donc de faire remarquer que, dans un 
autre état de choses, la nature imite elle-même, 
pour ses générations directes, le procédé de la fé- 
condation qu'elle emploie dans les générations 
sexuelles, et qu'elle n’a pas besoin, pour cela, du 
concours où des produits d'aucune organisation 
préexistante. 

Mais auparavant, il est nécessaire de rappeler 
qu'un fluide subtil, pénétrant, dans un état plus ou 
moins expansif, et vraisemblablement d’une nature 
tres-analogue à celle du fluide qui constitue les 
vapeurs fécondantes , se trouve continuellement ré- 
pandu dans notre globe, et qu'il fournit et entretient 
sans cesse le stimulus qui fait, ainsi que l'orgasme, 
la base de tout mouvement vital; en sorte que l’on 
peut assurer que, dans les lieux et les climats où 
l'intensité d'action du fluide dont il s’agit se trouve 
favorable au mouvement organique, celui-ci ne cesse 
d'exister que lorsque des changements survenus dans 
l’état des organes d’un corps qui jouit de la vie, ne 


OU SPONTANÉES 73 


permettent plus à ces organes de se prêter à la con- 
tinuité de ce mouvement. 

Ainsi, dans les climats chauds, où ce fluide 
abonde , et particulièrement dans les lieux où une 
humidité considérable se trouve jointe à cette cir- 
constance, la vie semble naître et se multiplier par- 
tout, l’organisation se forme directement dans des 
masses appropriées où elle n'existait pas antérieu- 
rement, et dans celles où elle existait déjà, elle se 
développe avec promptitude et parcourt ses diffé 
rents états, dans chaque individu, avec une célérité 
singulièrement remarquable. 

On sait, effectivement, que dans les temps et les 
climats tres-chauds, plus les animaux ont leur orga- 
nisation composée et perfectionnée , plus l’influence 
de la température leur fait parcourir promptement 
les différents états compris dans la durée de leur 
existence, cette influence en rapprochant propor- 
tionnellement les époques et le terme de leur vie. 
On sait assez que, dans les régions équatoriales, 
une jeune fille est nubile de tres-bonne heure, et 
que de très-bonne heure aussi elle voit arriver lâge 
du dépérissement où de la vieillesse. Enfin, c’est 
une chose reconnue, que lintensité de la chaleur 
rend fort dangereuses les différentes maladies con- 
nues, en leur faisant parcourir leurs termes avec une 
rapidité étonnante. 

D'après ces considérations, on peut conclure que 
la chaleur, quand elle est considérable, est nuisible 


74 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


généralement à tous les animaux qui vivent dans 
l'air, parce qu’elle raréfie fortement leurs fluides 
essentiels. Aussi at-on remarqué que, dans les pays 
chauds, principalement aux heures de la journée où 
le soleil est très-ardent, ces animaux paraissent 
souffrir, et se cachent pour éviter la trop grande 
impression de la lumière. 

Au contraire, tous les animaux aquatiques ne re- 
coivent de la chaleur, quelque grande qu’elle puisse 
être, que des effets favorables à leurs mouvements et 
à leurs développements organiques ; et parmi eux, ce 
sont surtout les plusimparfaits, tels que les #nfusoires, 
les polypes et les radiaires, quien profitent le plus, 
comme d’une circonstance avantageuse pour leur 
multiplication et leur régénération. 

Les végétaux, qui ne possèdent qu'un orgasme 
imparfait et fort obscur, sont absolument dans le 
mème cas que les animaux aquatiques dont je viens 
de parler : car quelle que puisse être l’intensité de 
la chaleur, si ces corps vivants ont suffisamment de 
l’eau à leur disposition, ils ne végètent que plus 
vigoureusement. 

Nous venons de voir que la chaleur est indispen- 
sable aux animaux les plus simplement organisés, 
examinons maintenant s’il n’y à pas lieu de croire 
qu'elle ait pu former elle-même, avec le concours de 
circonstances favorables, les premières ébauches de 
la vie animale. 


OU SPONTANÉES 15 


La nature, à l'aide de la chaleur, de la lumière, 
de lélectricité et de l'humidité, forme des généra- 
tions spontanées ow directes, à l'extrémité de chaque 
règne des corps vivants, où se trouvent les plus sim- 
ples de ces corps. 


Cette proposition est si éloignée de l’idée que l'on 
s’est formée à cet égard, que l’on sera porté long- 
temps à la rejeter comme une erreur, et même à la 
regarder comme l’un des produits de notre imagi- 
nation. 

Mais comme il arrivera tôt ou tard que des hom- 
mes indépendants des préjugés, même de ceux qui 
sont le plus généralement répandus, et profonds 
observateurs de la nature, pourront entrevoir les 
vérités que cette proposition renferme, je désire de 
pouvoir contribuer à les leur faire apercevoir. 

Je crois avoir prouvé, par le rapprochement des 
faits analogues, que la nature, dans certaines cir- 
constances, imite ce qui se passe dans la fécondation 
sexuelle, et opére elle-même la vie dans des masses 
isolées de matières qui se trouvent dans un état 
propre à la recevoir. 

En effet, pourquoi la chaleur et l'électricité qui, 
dans certaines contrées et dans certaines saisons, se 
trouvent si abondamment répandues dans la nature, 
surtout à la surface du globe , n’y opéreraient-elles 
pas sur certaines matiéres qui se rencontrent dans 
un état et des circonstances favorables, ce que la 


76 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


vapeur subhle des matières fécondantes exécute sur 
les embryons des corps vivants qu’elle rend propres 
à jouir de la vie? 

Un savant célebre.(Lavoisier, Chimie, t. I, 
p- 202) a dit, avec raison, que Dieu, en apportant la 
lumiere, avait répandu sur la terre le principe de 
l’organisation, du sentiment et de la pensée. 

Or, la lumiere, que l’on sait être génératrice de 
la chaleur, et cette dernière, que l’on a justement 
regardée comme la mère de toutes les générations, 
répandent au moins sur notre globe le principe de 
l’organisation et du sentiment ; et comme le senti- 
ment, à son tour, donne lieu aux actes de la pensée, 
par suite des impressions multipliées que les objets 
intérieurs et extérieurs exercent sur son organe, par 
le moyen des sens, on doit reconnaitre dans ces bases 
l'origine de toute faculté animale. 

Cela étant ainsi, peut-on douter que la chaleur, 
cette mère des générations, cette âme matérielle 
des corps vivants, ait pu être le principal des moyens 
qu'emploie directement la nature, pour opérer sur 
des matières appropriées une ébauche d’organisa- 
tion , une disposition convenable des parties, en un 
mot, un acte de vitalisation analogue à celui de la 
fécondation sexuelle ? 

Non-seulement la formation directe des corps vi- 
vants les plus simples a pu avoir lieu, comme je 
vais le démontrer, mais la considération suivante 
prouve qu'il est nécessaire que de pareilles forma- 


OU SPONTANÉES 77 
tions s’operent et se répètent continuellement, dans 
les circonstances qui s’y trouvent favorables, sans 
quoi l’ordre de choses que nous observons ne pour- 
rait exister. 

J'ai déjà fait voir que les animaux des premières 
classes (les #nfusoires, les polypes et les radiaires) 
ne se multiplient point par la génération sexuelle, 
qu'ils n’ont aucun organe particulier pour cette gé- 
nération, que la fécondation est nulle pour eux, et 
que, conséquemment, ils ne font point d'œufs. 

Maintenant, si nous considérons les plus impar- 
faits de ces animaux, tels que les infusoires, nous 
verrons que, lorsqu'il survient une saison rigou- 
reuse, ils périssent tous , ou au moins ceux du pre- 
mier de leurs ordres. Or, puisque ces animalcules 
sont si éphémères et ont une si frèle existence, avec 
quoi ou comment se régénérent-ils dans la saison où 
on les voit reparaître ? Ne doit-on pas avoir lieu de 
penser que des organisations si simples, que des 
ébauches d’animalité si fragiles et de si peu de con- 
sistance, ont été nouvellement et directement for- 
mées par la nature, plutôt que de s’ètre régénérées 
elles-mêmes? Voilà nécessairement la question où 
il en faudra venir à l'égard de ces êtres singuliers. 

On ne saurait donc douter que des portions de 
matières Inorganiques appropriées, et qui se trouvent 
dans un concours de circonstances favorables, ne 
puissent, par l'influence des agents de la nature, 
dont la chaleur et l’humidilé sont les principaux, 


78 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


recevoir dans leurs parties cette disposition qui 
ébauche l’organisation cellulaire, de là, conséquem- 
ment, passer à l’état organique le plus simple, et 
des lors jouir des premiers mouvements de la vie. 

Sans doute, il n’est jamais arrivé que des matières 
non organisées et sans vie, quelles qu'elles pussent 
ètre, aient pu, par un concours quelconque de 
circonstances , former directement un insecte, un 
poisson, un oiseau, etc., ainsi que tel autre animal 
dont l’organisation est déjà compliquée et avancée 
dans ses développements. De pareils animaux ont 
pu assurément recevoir l'existence que par la voie 
de la génération, en sorte qu'aucun fait d’anima- 
lisation ne peut les concerner. 

Mais les premiers linéaments de l’organisation, 
les premières aptitudes à recevoir des développe- 
ments internes, c’est-à-dire par intus-susception, 
enfin, les premières ébauches de l’ordre de choses et 
du mouvement intérieur qui constituent la vie, se 
forment tous les jours sous nos yeux , quoique jus- 
qu'a présent on n’y ait fait aucune attention, et 
donnent l'existence aux corps vivants les plus sim— 
ples, qui se trouvent à l’une des extrémités de 
chaque règne organique. 

Il est bon d'observer que l’une des conditions 
essentielles à la formation de ces premiers linéa- 
ments de l’organisation, est la présence de l’hunu= 
dité, et surtout celle de l’eau en masse fluide. Il 
est si vrai que ce n’est uniquement qu'à la faveur 


OU SPONTANKÉES 79 


de l'humidité que les corps vivants les plus simples 
peuvent se former et se renouveler perpétuellement, 
que tous les 2nfusoires , tous les polypes et toutes 
les radiaires, ne se rencontrent jamais que dans 
l’eau ; en sorte qu’on peut regarder comme une vé- 
rité de fait, que c’est exclusivement dans ce fluide 
que le règne animal à pris son origine. 

Poursuivons lexamen des causes qui ont pu créer 
les premiers traits de l’organisation dans des masses 
appropriées où 1l n’en existait pas. 

Si, comme je l'ai fait voir, la lumiere est généra- 
trice de la chaleur, celle-ci l’est, à son tour, de 
l'orgasme vital qu'elle produit et eutretient dans les 
animaux qui n’en ont point en eux la cause; ainsi, 
elle peut donc en créer les premiers éléments dans 
les masses appropriées qui ont reçu la plus simple de 
toutes les organisations. 

Si l’on considere que l’organisation la plus simple 
n’exige aucun organe particulier, c’est-a-dire aucun 
organe spécial, distinet des autres parties du corps 
de l'individu et propre à une fonction particuliere 
(ce que la simplification de l’organisation observée 
dans beaucoup d'animaux qui existent rend évident), 
l’on concevra qu'elle pourra s’opérer dans une petite 


masse de matières qui possédera la condition sui 
vante : 


Toute masse de matières en apparence homo» 
gène , d’une consistance gélatineuse ow mucilagi= 


80 DES GENERATIONS DIRECTES 


neuse, et dont les parties, cohérentes entre elles, 
seront dans l’état le plus voisin de la fluidité, mais 
auront seulement une consistance suffisante pour 
constituer des parties contenantes, sera le corps le 
plus approprié à recevoir les premiers traits de 
l’organisation et la we. 

Or, les fluides subtils et expansifs répandus et 
toujours en mouvement dans les milieux qui envi- 
ronnent une pareille masse de matières, la pénétrant 
sans cesse et se dissipant de même, régulariseront, 
en traversant cette masse, la disposition intérieure 
de ses parties, la constitueront dans un état ce/lu- 
laire, et la rendront propre alors à absorber et à 
exhaler continuellement les autres fluides environ- 
nants qui pourront pénétrer dans son intérieur et 
qui seront susceptibles d'y être contenus. 

On doit, en effet, distinguer les fluides qui péne- 
trent dans les corps vivants : 

1° En fluides contenables, tels que l'air atmos- 
phérique, différents gaz, l’eau, etc. La nature de 
ces fluides ne leur permet pas de traverser les pa- 
rois des parties contenantes, mais seulement d’en- 
trer et de s'échapper par des issues ; 

2 En fluides incontenables, tels que le calo- 
rique, l'électricité, ete. Ces fluides subtils étant 
susceptibles, par leur nature, de traverser les parois 
des membranes enveloppantes, des cellules, etc., 
aucun corps, par conséquent, ne peut les retenir ou 
les conserver que passagèrement. 


OÙ SPONTANÉES 81 

D’après les considérations exposées dans ce cha- 
pitre, ilme paraît certain que la nature opère elle- 
même des générations directes où spontanées, 
qu'elle en a les moyens, qu’elle les exécute à 
l'extrémité antérieure de chaque règne organique 
où se trouvent les corps vivants Les plus imparfaits, 
et que c’est uniquement par cette voie qu'elle a pu 
donner l'existence à tous les autres. 

Ainsi, c’est pour moi une vérité des plus éviden- 
tes, savoir : que la nature forme des générations 
directes , dites spontanées, au commencement de 
l’échelle , soit végétale, soit animale. Mais une 
question se présente : est-il certain qu’elle ne donne 
lieu à de semblables générations qu'à ce point de 
l’une et de l’autre échelle ? J’ai pensé, jusqu'à prè- 
sent, que cette question devait être résolue par 
l'affirmative, parce qu'il me paraissait que pour 
donner l’existence à tous les corps vivants, il suffi- 
sait à la nature d’avoir formé directement les plus 
simples et les plus imparfaits des végétaux et des 
animaux. 

Cependant, il y a tant d'observations constatées, 
tant de faits connus qui semblent indiquer que la 
nature forme encore des générations directes, 
ailleurs qu'au commencement précis des échelles 
animale et végétale, et l’on sait qu'elle a tant de 
ressources , et qu'elle varie tellement ses moyens, 
selon les circonstances, qu'il se pourrait que mon 
opinion, qui borne la possibilité des générations 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. Ô 


82 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES 


directes aux points où se trouvent les végétaux et 
les animaux les plus imparfaits , ne fût pas fondée. 

En effet, dans différents points de la première 
moitié de l’échelle, soit végétale , soit animale, au 
commencement même de certaines branches sépa- 
rées de ces échelles, pourquoi la nature ne pour- 
rait-elle donner lieu à des générations directes , et, 
selon les circonstances, établir dans ces diverses 
ébauches de corps vivants, certains systèmes par- 
ticuliers d'organisation , différents de ceux que lon 
observe aux points où l'échelle animale et échelle 
végétale paraissent commencer ? 

N'est-il pas présumable, comme de savants natu- 
ralistes l’ont déjà pensé, que les vers intestins, 
qu'on ne trouve jamais ailleurs que dans le corps 
des autres animaux, y sont des générations directes 
de la nature ; que certaines vermines qui causent 
des maladies à la peau, ou y pullulent à leur occa- 
sion, ont encore une semblable origine ? Et parmi 
les végétaux, pourquoi les moisissures, les cham-— 
pignons divers, les lichens mêmes qui naissent et se 
multiplient si abondamment sur les troncs d'arbres 
et sur les pierres, à la faveur de l’humidité et d’une 
température douce , ne se trouveraient-ils pas dans 
le même cas ? 

Sans doute, dès que la nature a créé directement 
un corps végétal ou animal, bientôt l'existence de 
la vie dans ce corps lui donne non-seulement la 
faculté de s’accroître, mais, en outre, celle de pré- 


OU SPONTANÉES 83 


parer des scissions de ses parties, en un mot, de 
former des corpuscules granuliformes propres à le 
reproduire. S'ensuit-il que ce corps, qui vient d'ob- 
tenir la faculté de multiplier les individus de son 
espèce, n'ait pu lui-même provenir que de corpus- 
cules semblables à ceux qu'il sait former ? C’est une 
question qui, Je crois, mérite bien qu'on lexamine. 

Que les générations directes, qui font l’objet de 
ce chapitre, aient ou n'aient pas réellement lieu, ce 
sur quoi, maintenant, je n'ai point d'avis prononcé, 
toujours est-il certain, selon moi, que la nature en 
exécute de réelles au commencement de chaque 
règne de corps vivants, et que sans cette voie elle 
n’eût jamais pu donner l’existence aux végétaux et 
aux animaux qui habitent notre globe. 

Passons maintenant à l’examen des résultats 
immédiats de la vie dans un corps. 


CÉHXCTTERN VIT 


DES RÉSULTATS IMMÉDIATS DE LA VIE 
DANS UN CORPS 


Les lois qui régissent toutes les mutations que nous 
observons dans la nature, quoique partout les mêmes 
et jamais en contradiction entre elles, produisent 
dans les corps vivants des résultats fort différents de 
ceux qu'elles occasionnent dans les corps privés de 
la vie et qui leur sont tout à fait opposés. 

Dans les premiers, à la faveur de l’ordre et de l’état 
de choses qui s’y trouvent, ces lois tendent et 
réussissent continuellement à former des combinai- 
sons entre des principes qui, sans cette circonstance, 
n'en eussent jamais opéré ensemble, à compliquer 
ces combinaisons et à les surcharger d’éléments 
constitutifs ; en sorte que la totalité des corps vivants 
peut être considérée comme formant un laboratoire 
immense et toujours actif, dans lequel tous les com- 


DES RÉSULTATS DE LA VIE DANS UN CORPS 85 


posés qui existent ont originairement puisé leur 
source. 

Dans les seconds, au contraire, c’est-à-dire dans 
les corps privés de la vie, où aucune force ne con- 
court, par le moyen d’une harmonie dans les mou- 
vements, à conserver l’intégrité de ces corps, ces 
mêmes lois tendent sans cesse à altérer les combi- 
naisons existantes, à les simplifier ou à diminuer la 
complication de leur composition ; en sorte qu'avec 
le temps elles parviennent à dégager presque tous 
les principes qui les constituaient de leur état de 
combinaison. 

Voici un ordre de considérations dont les dévelop- 
pements , bien saisis et appliqués à tous les faits 
connus, ne peuvent que montrer de plus en plus la 
solidité du principe que je viens d'établir. 

Ces considérations , néanmoins, sont très-diffé- 
rentes de celles qui ont fixé l'attention des savants ; 
car ayant remarqué que les résultats des lois de la 
nature dans les corps vivants étaient bien différents 
de ceux qu’elles produisent dans les corps inanimés, 
ils ont attribué à des lois particulières, pour les 
premiers, les faits singuliers qu’on observe en eux, 
et qui ne sont dus qu’à la différence de circonstances 
qui existe entre ces corps et ceux qui sont privés de 
la vie. Ils n’ont pas vu que les corps vivants, par 
leur nature, c’est-à-dire par l’état et l’ordre de 
choses qui produisent en eux la vie, donnaient aux 
lois qui les régissent une direction, une force et des 


86 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 


propriétés qu’elles ne peuvent avoir dans les corps 
inanimés ; en sorte que, négligeant de considérer 
qu'une même cause varie nécessairement dans ses 
produits, lorsqu'elle agit sur des objets différents 
par leur nature et les circonstances qui les concer- 
nent, ils ont pris, pour expliquer les faits observés, 
une route tout à fait opposée à celle qu'il fallait 
suivre. 

En effet, on a dit que les corps vivants avaient la 
faculté de résister aux lois et aux forces auxquelles 
tous les corps non vivants ou de matière inerte sont 
assujettis, et qu’ils se régissaient par des lois qui 
leur étaient particulières. 

Rien n’est moins vraisemblable, et n’est, en effet, 
moins prouvé, que cette prétendue faculté qu’on 
attribue aux corps vivants, de résister aux forces 
auxquelles tous les autres corps sont soumis. 

Cette opinion, qui est à peu pres généralement 
admise, puisqu'on la trouve exposée dans tous les 
ouvrages modernes qui traitent de ce sujet, me pa- 
raît avoir été imaginée, d’une part, par l'embarras 
où l’on s’est trouvé lorsqu'on a voulu expliquer les 
causes des différents phénomènes de la vie, et de 
l’autre part, par la considération , intérieurement 
senfie, de la faculté que possedent les corps vivants, 
de former eux-mêmes leur propre substance, de 
réparer les altérations que subissent les matières 
qui composent leurs parties, enfin, de donner lieu à 
des combinaisons qui n’eussent jamais existé sans 


DE LA VIE DANS UN CORPS 87 


eux. Ainsi, au défaut de moyens, on a tranché la 
difficulté, en supposant des lois particulières que l’on 
s’est dispensé en même temps de déterminer. 

Pour prouver que les corps qui possèdent la vie 
sont assujettis à un ordre de lois qui est différent de 
celui auquel obéissent les êtres inanimés, et que les 
premiers jouissent, en conséquence, d’une force 
particulière, dont la principale propriété est, dit-on, 
de les soustraire à l'empire des affinités chimiques, 
M. Richerand cite les phénomènes que présente l’ob- 
servation du corps humain vivant, savoir : « l’alté- 
ration des aliments par les organes digestifs, l’ab- 
sorption qu'operent les vaisseaux chyleux de leur 
partie nutritive, la circulation de ces sucs nourri- 
ciers dans le système sanguin, les changements 
qu'ils éprouvent en traversant les poumons et les 
glandes sécrétoires, limpressionnabilité par les 
objets extérieurs, le pouvoir de s’en rapprocher ou 
de les fuir, en un mot, toutes les fonctions qui 
s’exercent dans l’économie animale. » Outre ces 
phénomènes, ce savant cite, comme preuves plus 
directes, la sensibilité et la contractilité, deux 
propriétés dont sont douées les organes auxquels les 
fonctions qui s’exécutent dans l’économie animale 
sont confiées. (Eléments de Physiologie, vol. I, 
p- 81.) 

Quoique les phénomènes organiques qui viennent 
d’être cités , ne soient pas généraux à l’égard des 
corps vivants, ne le soient pas même relativement 


83 DES RÉSULTATS IMMEDIATS 


aux animaux, ils sont néanmoins très-fondés à l’égard 
d’un grand nombre de ces derniers et du corps 
humain vivant; et ils prouvent effectivement l’exis- 
tence d’une force parhculière qui anime les corps 
qui jouissent de la vie ; mais cette force ne résulte 
nullement de lois propres à ces corps ; elle prend sa 
source dans la cause excitatrice des mouvements 
vitaux. Or, cette cause qui, dans les corps vivants, 
peut donner lieu à la force en question, ne saurait 
la produire dans les corps bruts ou sans vie, et ne 
saurait animer ces derniers, quoiqu’elle soit influente 
à l'égard des uns et des autres. 

D'ailleurs, la force dont il s’agit ne soustrait pas 
totalement les différentes parties des corps vivants 
à l'empire des affinités chimiques: et M. Richerand 
convient lui-même qu'il se passe dans les machines 
animées des effets bien évidemment chimiques, phy- 
siques et mécaniques; seulement ces effets sont tou- 
jours influencés, modifiés et altérés par les forces de 
la vie. J’ajouterai aux réflexions de M. Æicherand 
sur ce sujet, que les altérations et les changements 
que les effets des affinités chimiques produisent dans 
les parties des corps vivants, où ils tendent à détruire 
l’état de choses propre à y conserver la vie, y sont 
sans cesse réparés, quoique plus où moins compléte- 
ment, par les résultats de la force vitale qui agit 
dans ces corps. Or, pour faire exister cette force 
vitale et lui donner les propriétés qu'on lui connaît, 
la nature n’a pas besoin de lois particulières ; celles 


DE LA VIE DANS UN CORPS 89 


qui régissent généralement tous les corps lui suffi- 
sent parfaitement pour cet objet. 

La nature ne complique jamais ses moyens sans 
nécessité : si elle a pu produire tous les phénomènes 
de l’organisation à l’aide des lois et des forces aux- 
quelles tous les corps sont généralement soumis, 
elle l’a fait sans doute, et n’a pas créé, pour régir 
une partie de ses productions, des lois et des forces 
opposées à celles qu’elle emploie pour régir l’autre 
partie. 

Il suffit de savoir que la cause qui produit la force 
vitale, dans des corps où l’organisation et l’état des 
parties permettent à cette force d'y exister et d'y 
exciter les fonctions organiques, ne saurait donner 
lieu à une puissancesemblable dans des corps bruts 
ou inorganiques, en qui l’état des parties ne peut 
permettre les actes et les effets qu'on observe dans 
les corps vivants. La même cause dont je viens de 
parler ne produit, à l’égard des corps bruts ou des 
matières morganiques, qu'une force qui sollicite sans 
cesse leur décomposition, et qui l’opère effectivement 
et successivement, en se confondant aux affinités 
chimiques, lorsque l'intimité de leur combinaison ne 
s'y oppose pas. 

Ï n’y a donc nulle différence dans les lois phy- 
siques, par lesquelles tous les corps qui existent se 
trouvent régis ; mais il s’en trouvent une considé- 
rable dans les circonstances citées où ces lois 
agissent. 


90 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 


La force vitale, nous dit-on, soutient une lutte 
perpétuelle contre les forces auxquelles obéissent les 
corps inanimés, et la vie n’est que ce combat pro- 
longé entre ces deux forces différentes. 

Pour moi, je ne voisici, de part et d'autre, qu’une 
mème force qui est sans cesse composante dans tel 
ordre de choses, et décomposante dans tel autre 
contraire. Or, comme les circonstances que ces deux 
ordres de choses occasionnent se rencontrent tou- 
jours dans les corps vivants, mais non à la fois dans 
leurs mêmes parties et qu'elles s’y forment, en 
succédant les unes aux autres par les changements 
que les mouvements vitaux ne cessent d’y opérer, il 
existe dans ces corps, pendant leur vie, une lutte 
perpétuelle entre celles de ces circonstances qui y 
rendent la force vitale composante, et celles, tou- 
Jours renaissantes, qui la rendent décomposante. 

Avant de développer ce principe, exposons quel- 
ques considérations qu'il importe de ne point perdre 
de vue. 

Si tous les actes de la vie et tous les phénomènes 
organiques, Sans exception, ne sont que le résultat 
des relations qui existent entre des parties conte- 
nantes dans un état approprié, et des fluides con- 
tenus mis en mouvement, au moyen d’une cause 
stimulante qui excite ces mouvements, les effets 
suivants devront nécessairement provenir de lexis- 
tence dans un corps, de l’ordre et de l’état de choses 
que je viens d’énoncer. 


DE LA VIE DANS UN CORPS 1 


Effectivement, par suite de ces relations, ainsi que 
des mouvements, des actions et des réactions que 
produit la cause stimulante que je viens de citer, il 
s'opère sans cesse dans tout Corps qui jouit d’une vie 
active : 

l° Des changements dans l’état des parties con- 
tenantes de ce corps (surtout parmi les plus sou- 
ples) et dans celui de ses fluides contenus ; 

2° Des pertes réelles dans ces parties contenantes 
et ces fluides contenus, occasionnées par les change- 
ments qui s’opèrent dans leur état ou leur nature ; 
pertes qui donnent lieu à des dépôts, des dissipa- 
tions, des évacuations et des sécrétions de matières, 
dont les unes ne peuvent plus être employées, tandis 
que les autres peuvent l'être à certains usages; 

3° Des besoins, toujours renaissants, de répara- 
tion pour les pertes éprouvées; besoins qui exigent 
perpétuellement dans ce corps, l'introduction de nou- 
velles matières propres à y satisfaire, et auxquels 
satisfont effectivement les aliments dont les animaux 
font usage, et les absorptions qu'effectuent les végé- 
taux : 

4 Enfin, des combinaisons de divers genres que 
les circonstances des différents actes de la vie et les 
résultats de ces actes mettent uniquement dans le cas 
de s'effectuer; combinaisons qui, sans ces résultats 
et ces circonstances, n’eussent jamais eu lieu. 
= Ainsi, pendant la durée de la vie dans un corps, 
il se forme donc sans cesse des combinaisons qui 


02 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 


sont d'autant plus surchargées de principes, que 
l’organisation de ce corps y est plus propre; et il 
se forme aussi sans cesse, parmi ses composés, des 
altérations, et à la fin des destructions qui donnent 
lieu perpétuellement aux pertes qu’il éprouve. 

Tel est le fait positif et principal que l’observa- 
tion constante des phénomènes de la vie confirmera 
toujours. 

Reprenons ici l’examen des deux considérations 
importantes dont j'ai parlé plus haut, et qui nous 
donnent, en quelque sorte, la clef de tous les phéno- 
mènes relatifs aux corps composés, les voici : 

La première concerne une cause générale et con- 
tinuellement active, qui détruit, quoique avec une 
lenteur ou une promptitude plus ou moins grande, 
tous les composés qui existent; 

La seconde est relative à une puissance qui forme 
sans cesse des combinaisons, et qui les complique et 
les surcharge de principes, à mesure que les cir- 
constances y sont favorables. | 


Or, quoique ces deux puissances solent en oppo- 
sition, l’une et l’autre, néanmoins, prennent leur 


source dans des lois et des forces qui ne le sont nul- 
lement entre elles, mais qui régissent leurs effets 
dans des circonstances tres-différentes. 

J'ai déjà établi dans plusieurs de mes ouvrages 
que, par le moyen des lois et des forces qu'emploie 


4 Mémoires de Phys. et d'Hist. naturelle, p. 88; Hydrogéo- 
logie, p. 98 et suiv. 


DE LA VIE DANS UN CORPS 93 


la nature, toute combinaison ou toute matière com 
posée tend à se détruire, et que sa tendance à cet 
égard est plus ou moins grande, plus où moms 
prompte à s’effectuer, selon la nature, le nombre, les 
proportions et l'intimité d’union des principes qui la 
constituent. La raison en est que, parmi les prin- 
cipes combinés dont il s’agit, certains d’entre eux 
n’ont pu subir l’état de combinaison que par l’action 
d’une force qui leur est étrangère et qui les modifie 
en les fixant; en sorte que ces principes ont une ten- 
dance continuelle à se dégager ; tendance qu'ils effec- 
tuent à la provocation de toute cause qui la favorise. 

Ainsi, la plus légère attention suffira pour nous con- 
vaincre que la nature (l’activité du mouvement établi 
dans toutes les parties de notre globe) travaille sans 
relâche à détruire tous les composés qui existent, à 
dégager leurs principes de l’état de combinaison, en 
leur présentant sans cesse des causes qui provoquent 
ce dégagement, et à ramener ces principes à l’état 
de liberté qui leur rend les facultés qui leur sont 
propres, et qu'ils tendent à conserver toujours; telle 
est la première des deux considérations énoncées ci- 
dessus. 

Mais jai fait voir, en même temps, qu'il existe 
aussi dans la nature une cause particulière, puis- 
sante et continuellement active, qui a la faculté de 
former des combinaisons, de les multiplier, de les 
diversifier, et qui tend sans cesse à les surcharger 
de principes. Or, cette cause puissante, qu'embrasse 


94 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 


la seconde des deux considérations citées, réside dans 
l'action organique des corps vivants, où elle forme 
continuellement des combinaisons qui n’eussent 
jamais existé sans elle. 

Cetie cause particulière ne se trouve point dans 
des lois qui soient propres à ces corps vivants, et 
que l’on puisse regarder comme opposées à celles 
qui régissent les autres corps, mais elle prend sa 
source dans un ordre de choses essentiel à l’exis- 
tence de la vie, etsurtout dans une force qui résulte 
de la cause excilatrice des mouvements organiques. 
Conséquemment, la cause particulière qui forme les 
matières composées des,corps vivants naît de luni- 
que circonstance capable de la faire exister. 

Afin de pouvoir être entendu à cet égard, je dois 
faire remarquer que deux hypothèses ont été imagi- 
nées, dans l'intention d'expliquer tous les faits rela- 
tifs aux composés existants, aux mutations qu'ils 
subissent et aux combinaisons peu compliquées que 
nous pouvons former nous-mêmes, détruire et réta- 
blir ensuite. 

L'une, généralement admise, est l'hypothèse des 
affinités : elle est assez connue. 

L'autre, et c’est mon opinion particulière, repose 
sur la considération qu'aucune matiere simple quel- 
conque ne peut avoir de tendance par elle-même à 
se combiner avec une autre, que les affinités entre 
certaines matières ne doivent point être regardées 
comme des forces, mais comme des convenances qui 


DE LA VIE DANS UN CORPS 95 


permettent la combinaison de ces matières, etqu'en- 
fin, nulles d’entre elles ne peuvent se combiner 
ensemble, que lorsque une force qui leur est étran- 
gère les contraint à le faire, et que leurs affinités 
ou leurs convenances le leur permettent. 

Selon l'hypothèse admise de ces affinités, aux- 
quelles les chimistes attribuent des forces actives et 
particulières, tout ce qui environne les corps vivants 
tend à les détruire; en sorte que si ces corps ne 
possédaient pas en eux un principe de réaction, 1ls 
succomberaient bientôt par suite des actions qu'exer- 
cent sur eux les matières qui les environnent. De 
là, au lieu de reconnaître qu'une force excitatrice 
des mouvements existe sans cesse dans les milieux 
qui environnent tous les corps, soit vivants, soit ina- 
nimés, et que, dans les premiers, elle réussit à opé- 
rer les phénomènes qu'ils présentent, tandis que 
dans les seconds, elle amène successivement des 
changements que les affinités permettent, et finit 
par détruire toutes les combinaisons existantes, on 
a mieux aimé supposer que la vie, dans les corps 
qui la possèdent, ne se maintient et ne développe 
cette suite de phénomènes qui leurs sont propres, 
que parce que ces corps se trouvaient assujettis à 
des lois qui leur étaient tout à fait particulieres. 

Un jour, sans doute, on reconnaitra que les 
affinités ne sont point des forces, mais que ce sont 
des convenances ou des espèces de rapports entre 
certaines matières, qui leur permettent de contrac- 


06 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 


ter entre elles une union plus ou moins intime, à 
l’aide d’une force générale qui les y contraint et qui 
se trouve hors d’elles. Or, comme entre les diffé- 
rentes matieres, les affinités varient, ces matières, 
qui en déplacent d’autres déjà combinées, ne le font 
que parce qu'ayant une affinité plus grande avec tel 
ou tel des principes de leurs combinaisons, elles sont 
aidées dans cette action par cette force générale, 
excilatrice des mouvements, et par celle qui tend à 
rapprocher et à unir tous les corps. 

Quant à la vie, tout ce qui en provient pendant 
sa durée dans un corps résulte, d’une part, de la 
tendance qu'ont les éléments constitutifs des compo 
sés à se dégager de leur état de combinaison, sur 
tout ceux qui ont subi une coercion quelconque, et 
de l’autre part, des produits de la force excilatrice 
des mouvements. En effet, il est aisé d’apercevoir 
que, dans un corps organisé, cette force dont Je 
parle, régularise son action dans chacun des organes 
de ce corps, qu’elle met toutes les actions en har- 
monie, par suite de la connexion de ces organes, 
qu'elle répare partout, tant qu'ils conservent leur 
intégrité, les altérations que la première cause avait 
opérées, qu’elle profite des changements qui s’exé- 
cutent dans les fluides composés et en mouvement, 
pour s'emparer parmi ces fluides des matières assi- 
milées qui s’y rencontrent et les fixer ou elles doi 
vent être, enfin, qu'elle tend sans cesse, par cet 
ordré de choses, à la conservation de la vie. Cette 


DE LA VIE DANS UN CORPS 97 


même force tend aussi, dans un corps vivant, à 
Paccroissement des parties; mais bientôt, par une 
cause particulière que j’exposerai en son lieu, cet 
accroissement se borne presque partout et donne 
alors à ce corps la faculté de se reproduire. 

Ainsi, je le répète, cette force singulière qui 
prend sa source dans la cause excilatrice des mou- 
vements organiques et qui, dans les corps organisés, 
fait exister la vie et produit tant de phénomeres 
admirables, n’est pas le résultat de lois particu- 
lières, mais celui de circonstances et d’un ordre 
de choses et d'actions qui lui donnent le pouvoir de 
produire de pareils effets. Or, parmi les effets aux- 
quels cette force donne lieu dans les corps vivants, 
il faut compter celui d'effectuer des combinaisons 
diverses, de les compliquer, de les surcharger de 
principes coercibles et de créer sans cesse des 
matières qui, sans elle et sans le concours des cir- 
constances dans lesquelles elle agit, n’eussent jamais 
existé dans la nature. 

Comme la direction des raisonnements générale- 
ment admis par les physiologistes, les physiciens et 
les chimistes de notre siècle, est tout autre que celle 
des principes que je viens d'exposer et que j'ai déja 
développés ailleurs', mon but n’est nullement 
d'entreprendre de changer cette direction, et con- 
séquemment de persuader mes contemporains ; mais 


1 Hydrogéologie, p. 105. 


« 


LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 


98 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 


j'ai dû rappeler ici les deux considérations dont il 
s’agit, parce qu'elles complètent l'explication que 
j'ai donnée des phénomènes de la vie, que je suis 
convaincu de leur fondement et que je sais que, 
sans elles, on sera toujours obligé de supposer pour 
les corps vivans des lois contraires à celles qui 
régissent les phénomènes des autres corps. 

Il me paraît hors de doute que, si l’on examinait 
suffisamment ce qui se passe à l'égard des objets 
dont il s’agit, on serait bientôt convaincu : 

Que tous les êtres doués de la vie ont la faculté, 
par le moyen des fonctions de leurs organes; les 
uns (les végétaux), de former des combinaisons 
directes, c’est-à-dire d’unir ensemble des éléments 
libres après les avoir modifiés et de produire immé- 
diatement des composés; les autres (les animaux), 
de modifier ces composés et de les changer de nature 
en les surchargeant de principes et en augmentant 
les proportions de ces principes d’une manière remar- 
quable. 

Je persiste donc à dire que les corps vivants for- 
ment eux-mêmes, par l’action de leurs organes, la 
substance propre de leurs corps et les matières 
diverses que leurs organes sécrètent; et qu'ils ne 
prennent nullement dans la nature cette substance 
toute formée et ces matieres qui ne proviennent uni- 
quement que d'eux seuls. 

C’est au moyen des aliments, dont les végétaux et 
les animaux sont obligés de faire usage pour con- 


DE LA VIE DANS UN CORPS 99 


server leur existence, que l’action des organes de 
ces corps vivants parvient, en modifiant et changeant 
ces aliments, à former des matières particulières qui 
n’eussent jamais existé sans cette cause et à com— 
poser, avec ces matières, par des changements et 
des renouvellements perpétuels, le corps entier 
quelles constituent, ainsi que les produits de ce 
COrpS. 

Par conséquent, toutes les matières, soit végé- 
tales, soit animales, étant très-surchargées de prin- 
cipes dans leur combinaison, et surtout de principes 
coercés, l’homme n’a donc aucun moyen pour en for- 
mer de pareilles ; il ne peut, par ses opérations, que 
les altérer, les changer, les détruire enfin, ou. en 
obtenir différentes combinaisons particulières, tou- 
jours de moins en moins compliquées. Il n’y a que 
les mouvements de la vie, dans chacun des corps 
qui en sont doués, qui peuvent seuls produire ces 
matières. 

Ainsi, les végétaux, qui n’ont ni canal intestmal, 
ni aucun autre organe quelconque pour exécuter 
des digestions, et qui n’emploient conséquemment, 
comme matieres alimentaires, que des substances 
fluides ou dont les molécules n’ont ensemble aucune 
agrégation (telles que l’eau, Pair atmosphérique, le 
calorique, la lumière et les gaz qu'ils absorbent} 
forment cependant, avec de pareils matériaux, au 
moyen de leur action organique, tous les sucs pro- 
pres qu'on leur connait et toutes les matieres dont 


100 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 


leur corps est composé, c’est-à-dire forment eux- 
mêmes les mucilages, les gomines, les résines, le 
sucre, les sels essentiels, les huiles fices et vola- 
liles, les fécules, le gluten, la matière extractire et 
la matière ligneuse ; toutes substances qui résultent 
tellement de combinaisons premières ou directes, 
que jamais l’art n’en pourra former de semblables. 

Assurément les zégélaux ne peuvent prendre dans 
le sol, par le moyen de leurs racines, les Substances 
que je viens de nommer : elles n’y sont pas, ou celles 
qui s’y rencontrent sont dans un état d’altération ou 
de décomposition plus où moins avancé; enfin, s’il 
y en avait qui fussent encore dans leur état d’inté- 
grité, ces corps vivants ne pourraient en faire aucun 
usage, qu'ils n’en eussent préalablement opéré la 
décomposition. 

Les végétaux seuls ont donc formé directement 
les matières dont je viens de parler; mais, hors de 
ces végétaux, ces matieres ne peuvent leur devenir 
utiles que comme engrais; c'est-à-dire qu'après 
s'être dénaturées, consumées, et avoir subi la somme 
d’altérations nécessaire pour leur donner cette faculté 
essentielle des engrais, qui consiste à entretenir 
autour des racines des plantes une humidité qui leur 
est favorable. [ 

Les animaux ne sauraient former des combinai- 
sons directes, comme les végétaux : aussi font-ils 
usage de matières composées pour aliments; ont- 
ils essentiellement une digestion à exécuter (du 


DE LA VIE DANS UN CORPS 101 


moins leur presque totalité), et conséquemment des 
organes pour cette fonction. 

Mais ils forment eux-mêmes aussi leur propre 
substance et leurs matières sécrétoires : or, pour cela, 
ilsne sont nullement obligésde prendre pour aliments, 
et ces matières sécrétoires, et une substance sem 
blable à la leur : avec de l'herbe ou du foin, le cheval 
forme, par l’action de ses organes, son sang, ses au— 
tres humeurs, sa chair ou ses muscles ; la substance de 
son tissu cellulaire, de ses vaisseaux, de ses glandes ; 
ses tendons, ses cartilages, sés os; enfin, la matière 
cornée de ses sabots, de son poil et de ses crins. 

C’est donc en formant leur propre substance et 
leurs matières sécrétoires, que les animaux sur- 
chargent singulièrement les combinaisons qu'ils pro- 
duisent, et donnent à ces combinaisons létonnante 
proportion ou quantité des principes qui constituent 
les matières animales. 

Maintenant, nous ferons remarquer que la subs- 
tance des corps vivants, ainsi que les matières 
sécrétoires qu'on leur voit produire, par le moyen 
de leur action organique, varient dans les qualités 
qui leur sont propres : 

1° Selon la nature même de l'être vivant qui les 
forme : ainsi, les productions végétales sont en 
général différentes des productions animales; et, 
parmi ces dernières, les productions des animaux à 
vertebres sont en général différentes de celles des 
animaux sans vertebres ; 


102 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS 


20 Selon la nature de lorgane qui les sépare 
des autres matières apres leur formation : les ma- 
tières sécrétoires séparées par le foie ne sont pas 
les mêmes que celles séparées par les reins, etc.; 

3° Selon la force ou la faiblesse des organes de 
l'être vivant et de leur action : les matières sécré- 
toires d’une jeune plante ne sont pas les mêmes que 
celles de la même plante fort âgée; comme celles 
d’un enfant ne sont pas les mêmes que celles d’un 
homme fait; 

4 Selon que l'intégrité des fonctions organiques 
est parfaite, ou qu'elle se trouve plus ou moins alté- 
rée : les matières sécrétoires de l’homme sain ne 
peuvent être les mêmes que celles de l’homme ma- 
lade ; 

o° Enfin, selon que le calorique, qui se forme 
continuellement à la surface de notre globe, quoique 
dans des quantités variables, suivant la différence des 
climats, favorise, par son abondance, l’activité orga- 
nique des corps vivants qu'il pénètre; ou qu'il ne 
permet à cette activité organique, par suite de sa 
grande rareté, qu'une action très-affaiblie : effecti- 
vement, dans les climats chauds, les matières sécré- 
toires que forment les corps vivants sont différentes 
de celles qu'ils produisent dans les climats froids; 
et, dans ces derniers climats, les matières sécrétées 
par ces mêmes corps différent aussi entre elles, sui- 
vant qu'elles sont formées dans la saison des cha- 
leurs ou pendant les rigueurs de l'hiver. 


DE LA VIE DANS UN CORPS 105 


Je n’insisterai pas davantage ici pour montrer que 
l’action organique des corps vivants forme sans 
cesse des combinaisons qui n’eussent jamais eu lieu 
sans cette cause : mais je ferai de nouveau remar- 
quer que, s’il est vrai, comme on n’en saurait douter, 
que toutes les matières minérales composées, telles 
que les terres et les pierres, les substances métalli- 
ques, sulfureuses, bitumineuses, salines, etc., pro- 
viennent des résidus des corps vivants, résidus qui 
ont subis des altérations successives dans leur com 
position, à la surface et dans le sein de la terre et 
des eaux ; il sera de mème tres-vrai de dire que les 
corps vivants sont la source premiere où toutes les 
matières composées connues ont pris naissance. 
(Voyez mon Æydrogéologie, p. 91 et suiv.) 

Aussi, tenterait-on vainement de faire une collec- 
tion riche et variée de minéraux, dans certaines 
régions du globe, telles que les vastes déserts de 
l'Afrique, où, depuis nombre de siècles, l’on ne voit 
plus de végétaux et où l’on ne rencontre que quel- 
ques animaux passagers. 

Maintenant que j'ai fait voir que les corps vivants 
formaient eux-mêmes leur propre substance, ainsi 
que les différentes matieres qu'ils sécrètent, je vais 
dire un mot de la faculté de se nourrir et de celle de 
s’accroître, dont jouissent, dans de certaines limites, 
tous ces corps, parce que ces facultés sont encore 
le résultat des actes de la vie. 


GEA PILTRE VE 


DES FACULTÉS COMMUNES A TOUS LES CORPS 
VIVANTS 


C’est un fait certain et bien reconnu, que les corps 
vivants ont des facultés qui leur sont communes, 
et qu'ils reçoivent, conséquemment , de la vie qui 
les transmet à tous les corps qui la possèdent. 

Mais ce qui, je crois, n’a pas été considéré, c’est 
que les facultés qui sont communes à tous les corps 
vivants n'exigent point d'organes particuliers pour 
les produire, tandis que les facultés qui sont parti- 
culières à certains de ces corps exigent absolument 
l'existence d’un organe spécial propre à y donner 
lieu. 

Sans doute, aucune faculté vitale ne peut exister 
dans un corps, sans l’organisation, et l’organisation 
elle-même n’est qu’un assemblage d'organes réunis. 
Mais ces organes, dont la réunion est nécessaire à 


DES FACULTÉS COMMUNES 105 


l'existence de la vie, ne sont nullement particuliers 
à aucune portion du corps qu'ils composent ; ils sont, 
au contraire, répandus partout dans ce corps, et 
partout aussi ils donnent lieu à la vie, ainsi qu'aux 
facultés essentielles qui en proviennent. Donc les 
facultés communes à tous les corps vivants sont 
uniquement produites par les causes mêmes qui font 
exister la vie. 

Il n’en est pas de même des organes spéciaux qui 
donnent lieu à des facultés exclusives à certains 
corps vivants : la vie peut exister sans eux ; mais 
lorsque la nature parvient à les créer, les principaux 
d’entre eux ont une connexion si grande avec l’ordre 
de choses qui existe dans les corps qui sont dans ce 
cas, que ces organes sont alors nécessaires à la con- 
servation de la vie dans ces corps. 

Ainsi, ce n’est que dans les organisations les plus 
simples que la vie peut exister sans organes spéciaux ; 
et alors ces organisations sont réduites à ne produire 
aucune autre faculté que celles qui sont communes à 
tous les corps vivants. 

Lorsque lon se propose de rechercher ce qui 
appartient essentiellement à la vie, l’on doit distin- 
guer les phénomenes qui sont propres à tous les 
corps qui la possedent de ceux qui sont particuliers 
à certains de ces corps : et comme les phénomènes 
que nous offrent les corps vivants sont les indices 
d'autant de facultés dont ils jouissent, la distinction 
dont il s’agit séparera utilement les facultés qui sont 


106 DES FACULTÉS COMMUNES 


communes à tous les corps doués de la vie de celles 
qui sont particulières à certains d’entre eux. 

Les facultés communes à tous les corps vivants, 
c’est-à-dire celles dont ils sont exclusivement doués 
et qui constituent autant de phénomènes qu'eux seuls 
peuvent produire, sont : 

1° De se nourrir à l’aide de matières alimentaires 
incorporées ; de l'assimilation continuelle d’une partie 
de ces matières qui s'exécute en eux; enfin, de la 
fixation des matières assimilées, laquelle répare, 
d’abord avec surabondance , ensuite plus ou moins 
complétement, les pertes de substance que font ces 
corps dans tous les temps de leur vie active; 

2° De composer leur corps, c’est-à-dire de former 
eux-mêmes les substances propres quile constituent, 
avec des matériaux qui en contiennent seulement 
les principes, et que les matières alimentaires leur 
fournissent particulièrement ; 

3° De se développer et de s’accroître jusqu'à un 
certain terme, particulier à chacun d’eux, sans que 
leur accroissement résulte de l’apposition à l'extérieur 
des matières qui se réunissent à leur corps ; 

4 Enfin, de se régénérer eux-mêmes, c’est-à-dire 
de produire d’autres corps qui leur soient en tout 
semblables. 

Qu'un corps vivant, végétal ou animal, ait une 
organisation fort simple ou très-composée ; qu'il 
soit de telle classe, de tel ordre, etc. ; il possède 
essentiellement les quatre facultés que je viens 


A TOUS LES CORPS VIVANTS 107 


d’énoncer. Or, comme ces facultés sont exclusive- 
ment le propre de tous les corps vivants, on peut 
dire qu’elles constituent les phénomenes essentiels 
que ces corps nous présentent. 

Examinons maintenant ce qu’il nous est possible 
d’apercevoir et de penser relativement aux moyens 
que la nature emploie pour produire ces phénomènes 
exclusivement communs à tous les corps vivants. 

Si la nature ne crée directement la vie que dans 
les corps qui ne la possédaient pas ; si elle ne crée 
l’organisation que dans sa plus grande simplicité 
(chap. vi) ; enfin, si elle n’y entretient les mouve- 
ments organiques qu'à l’aide d’une cause excitatrice 
de ces mouvements (chap. 11) ; on demandera com-— 
ment les mouvements, entretenus dans les parties 
d’un corps organisé, peuvent donner lieu à la nutri- 
tion, à l'accroissement, à la reproduction de ce 
corps, et lui donner en même temps la faculté de 
former lui-même sa propre substance. 

Sans vouloir donner l'explication de tous les 
objets de détail qui concernent cette œuvre admira- 
ble de la nature, ce qui nous exposerait à des erreurs 
et pourrait compromettre les vérités principales que 
observation a fait apercevoir, je crois que, pour 
répondre à la question qui vient d'être énoncée, 1l 
suffit de présenter les observations et les réflexions 
suivantes : 

Les actes de la vie, ou autrement les mouvements 
organiques, à l’aide des affinités et de l’écartement 


108 DES FACULTÉS COMMUNES 


des principes déjà combinés que ces mouvements et 
la pénétration des fluides subtils entrainent, opèrent 
nécessairement des changements dans l’état, soit des 
parties contenantes , soit des fluides contenus d’un 
corps vivant. Or, de ces changements qui forment 
des combinaisons diverses et nouvelles résultent 
différentes sortes de matières, dont les unes, par la 
continuité du mouvement vital, sont dissipées ou 
évacuées, tandis que les autres sont seulement sépa- 
rées des parties qui n’ont pas encore changé de na- 
ture. Parmi ces matières séparées, les unes sont 
déposées en certains lieux du corps ou reprises par 
des canaux absorbants, et servent à certains usages ; 
telles sont la lymphe, la bile, la salive , la matière 
prolifique , etc. ; mais les autres, ayant reçu cer- 
taines assimilalions , sont transportées par la force 
générale qui anime tous les organes et fait exécuter 
toutes les fonctions, et ensuite sont fixées dans des 
parties de convenance ou semblables , soit solides, 
soit souples et contenantes, dont elles réparent les 
pertes, et dont, en outre, elles augmentent l'étendue, 
selon leur abondance et la possibilité qu'elles y trou- 
vent. 

C’est donc par la voie de ces dernières, c’est-à- 
dire des matiéres assimilées, où devenues propres 
à certaines parties, que s'exécute la nutrition. 
Ainsi, la première des facultés de la vie, la nutri- 
tion, n’est essentiellement qu'une réparation des 
pertes éprouvées ; ce n’est qu'un moyen qui rétablit 


A TOUS LES CORPS VIVANTS 109 


ce que la tendance de toutes les matières composées 
vers leur décomposition était parvenue à effec- 
tuer à l’égard de celles qui se sont trouvées dans 
des circonstances favorables. Or, ce rétablissement 
s'opère à l’aide d’une force qui transporte les matie- 
res nouvellement assimilées dans les lieux où elles 
doivent être fixées, et non par aucune loi parti 
culière, ce que je crois avoir mis en évidence. En 
effet, chaque sorte de partie du corps animal sécrète 
et s’approprie, par une véritable affinité, les molé- 
cules assimilées qui peuvent s'identifier avec elle. 

Mais la nutrition est plus où moins abondante, 
selon l’état de l’organisation de l'individu. 

Dans la jeunesse de tout corps organisé doué de 
la vie, la nutrition est d’une abondance extrème ; 
et alors elle fait plus queréparer les pertes, car elle 
ajoute à l'étendue des parties. 

En effet, dans un corps vivant, toute partie conte- 
nante encore nouvelle est, par suite des causes de sa 
formation, extrèmement souple et d’une faible con 
sistance. La nutrition alors s’y exécute avec tant de 
facilité qu'elle y est surabondante. Dans ce cas, non- 
seulement elle répare complétement les pertes ; mais 
en outre, par une fixation interne de particules 
assimilées , elle ajoute successivement à l’étendue 
des parties et devient la source de l'accroissement 
du jeune individu qui jouit de la vie. 

Mais après un certain terme, qui varie suivant la 
nature de l’organisation dans chaque race, les par- 


110 DES FACULTÉS COMMUNES 


ties, même les plus souples, de cet individu, perdent 
une grande partie de leur souplesse et de leur 
orgasme vital; et leur faculté de nutrition se trouve 
alors proportionnellement diminuée. 

La nutrition, dans ce cas, se trouve bornée à la 
réparation des pertes ; l’état du corps vivant est sta- 
tionnaire pendant un certain temps; et ce corps 
jouit, à la vérité, de sa plus grande vigueur, mais 
ne s’accroit plus. Or, lexcédant des parties prépa- 
rées, qui n’a pu être employé ni à la nutrition, ni à 
l'accroissement, recoit de la nature une autre desti- 
nation et devient la source où elle puise ses moyens 
pour reproduire d’autres individus semblables. 

Ainsi, la reproduction, troisième des facultés 
vitales, tire, de même que l’accroissement, son ori- 
gine de la nutrition ou plutôt des matériaux prépa- 
rés pour la nutrition. Mais cette faculté de repro- 
duction ne commence à jouir de son intensité que 
lorsque la faculté d’accroissement commence à dimi- 
nuer : on sait assez combien l’observation confirme 
cette considération; puisque les organes reproduc- 
teurs (les parties sexuelles), dans les végétaux 
comme dans les animaux, ne commencent à ce déve- 
lopper que lorsque l'accroissement de l'individu est 
sur le point de se terminer. 

J'ajouterai que les matériaux préparés pour la 
nutrition étant des particules assimilées et en autant 
de sortes qu'il y a de parties différentes dans un 
corps, la réunion de ces diverses particules que la 


A TOUS LES CORPS VIVANTS 111 


nutrition et l'accroissement n’ont pu employer 
fournit les éléments d’un très-petit corps orga- 
nisé parfaitement semblable à celui dont il pro- 
vient. 

Dans un corps vivant tres-simple et qui n’a pas 
d'organes spéciaux, l’excédant de la nutrition ren- 
contrant le terme qui fixe l'accroissement de l’indi- 
vidu est alors employé à former et à développer 
une partie qui se sépare ensuite de ce corps vivant, 
et qui, continuant de vivre et de s’accroîitre, consti- 
tue un nouvel individu qui lui ressemble. Tel est 
effectivement le mode de reproduction par scission 
du corps et par gemmes ou bourgeons, lequel s’exé- 
cute sans exiger aucun organe particulier pour y 
donner lieu. 

Enfin, à un terme encore plus éloigné, terme 
pareillement variable, même dans les différents mdi- 
vidus d’une race, selon les circonstances de leurs 
habitudes et celles du climat qu'ils habitent, les par- 
ties les plus souples du corps vivant qui y est par- 
venu ont acquis une rigidité telle, et une si grande 
diminution dans leur orgasme, que la nutrition ne 
peut plus réparer qu'incomplétement ses pertes. 
Alors ce corps dépérit progressivement; et si quel- 
que accident léger, quelque embarras intérieur que 
les forces diminuées de la vie ne sauraient vaincre, 
n'en amenent pas la fin dans cet individu, sa vieil- 
lesse croissante est nécessairement et naturel- 
lement terminée par la mort, qui survient à 


112 DES FACGULTÉS COMMUNES 

l’époque où l’état de choses qui existait en lui cesse 
de permettre l'exécution des mouvements orga- 
niques. 

On a nié cette rigidité des parties molles, crois- 
sante avec la durée de la vie, parce qu'ou a vu 
qu'après la mort le cœur et les autres parties molles 
d’un vieillard s’affaissaient plus fortement et deve- 
naient plus flasques que dans un enfant où un jeune 
homme qui vient de mourir. Mais on n’a pas fait 
attention que l’orgasme et l’'irritabilité, qui subsistent 
quelque temps encore apres la mort, se prolongeaient 
davantage et conservaient plus d'intensité dans les 
jeunes individus que dans les vieillards, où ces facul- 
tés très-diminuées s’éteignent presque en même 
temps que la vie, et que cette cause seule donnait 
lieu aux effets remarqués. 

C’est ici le lieu de faire voir que la nutrition ne 
peut s’opérer sans augmenter peu à peu la consis- 
tance des parties qu'elle répare. 

Tous les corps vivants, et principalement ceux en 
qui une chaleur interne se développe et s’entretient 
pendant Îe cours de la vie, ont continuellement une 
portion de leurs humeurs et même du tissu de leur 
corps dans un véritable.état de décomposition ; ils 
font sans cesse, par conséquent, des pertes réelles, 
et l’on ne peut douter que ce ne soit aux suites de 
ces altérations des solides et des fluides des corps 
vivants que sont dues différentes matières qui se 
forment en eux, dont les unes sont sécrétées et 


A TOUS LES CORPS VIVANTS 113 
déposées où retenues, tandis que les autres sont éva- 
cuées par diverses voiles. 

Ces pertes ameneraient bientôt la détérioration 
des organes et des fluides de l'individu, si la nature 
n’eût pas donné aux corps vivants qui les éprouvent 
une faculté essentielle à leur conservation : celle de 
les réparer. Or, des suites de ces pertes et de ces 
réparations perpétuelles, 1l arrive qu'après un cer- 
tain temps de la durée de la vie, le corps qui y est 
assujetti peut ne plus avoir dans ses parties aucune 
des molécules qui les composaient originairement. 

On sait que la nutrition effectue les réparations 
dont je viens de parler; mais elle le fait plus ou 
moins complétement, selon l’âge et l’état des organes 
de lindividu, comme je l'ai remarqué plus haut. 

Outre cette inégalité connue dans le rapport des 
pertes aux réparations selon les âges des individus, 
il en existe une autre tres-importante à considérer, 
et à laquelle cependant il ne parait pas qu’on ait 
donné d'attention. Il s’agit de l'inégalité constante 
qui a lieu entre les matiéres assimilées et fixées par 
la nutrition et celles qui se dégagent à la suite des 
altérations continuelles qui viennent d’être citées. 

J'ai fait voir dans mes Recherches, ete. (vol. I, 
p. 202), que la cause de cette inégalité vient de ce 
que : 


L'assimilation (la nutrition qui en résulte) four- 
nil toujours plus de principes ou de matières fixes 


LAMARCK, PHIL,. ZOOL. Il. 8 


114 DES FACULTÉS COMMUNES 


que la cause des perles n'en enlève ou n’en fuit dis- 
siper. 


Les pertes et les réparations successives que font 
sans cesse les parties des corps vivants ont été de- 
puis longtemps reconnues, et néanmoins ce n’est 
que depuis peu d'années que l’on commence à sentir 
que ces pertes résultent des altérations que les fluides 
et mème les solides de ces corps éprouvent conti- 
nuellement dans leur état et leur nature. Enfin, 
bien des personnes encore ont de la peine à se per- 
suader que ce sont les résultats de ces altérations 
et des changements où combinaisons qui s’opérent 
sans cesse dans les fluides essentiels des corps vi 
vants, qui donnent lieu à la formation des différentes 
matières sécrétoires, ce que j’ai déjà établi, 

Or, s’il est vrai, d’une part, que les pertes em- 
portent du corps vivant moins de matières fixes, ter- 
reuses et toujours concrètes, que de matières fluides, 
et surtout que de matières coercibles ; et, de l’autre 
part, que la nutrition fournit graduellement aux 
parties plus de matières fixes que de matières fluides 
et de substances coercibles; il en résultera que les 
organes acquerront peu à peu une rigidité crois- 
sante qui les rendra progressivement moins propres 


1 Mémoire de Phys. et d'Hist. nat., p. 260 à 263; et Hydrogéo- 
logie, p. 112 à 115. 


A TOUS LES CORPS VIVANTS 115 


à l'exécution de leurs fonctions, ce qui a effective 
ment lieu. 

Loin que tout ce qui environne les corps vivants 
tende à les détruire, ce que l’on répète dans tous 
les ouvrages physiologiques modernes, je suis con- 
vaincu, au contraire, qu'ils ne conservent leur exis- 
tence qu’à l’aide d’influences extérieures, et que la 
cause qui amène essentiellement la mort de tout 
individu possédant la vie est en lui-même et non 
hors de lui. 

Je vois, en effet, clairement que cette cause 
résulte de la différence qui s'établit peu à peu entre 
les matières assimilées et fixées par la nutrition, et 
celles rejetées ou dissipées par les déperditions con- 
tinuelles que font les corps qui jouissent de la vie, 
les matières coercées étant toujours les premières et 
les plus faciles à se dégager de l’état de combinai- 
son qui les fixait. 

En un mot, je vois que cette cause, qui amène la 
* vieillesse, la décrépitude et enfin la mort, réside, par 
suite de ce que je viens d'exposer, dans l’irdures- 
cence progressive des organes; indurescence qui 
produit peu à peu la rigidité des parties, et qui, dans 
les animaux, diminue proportionnellement linten- 
sité de l'orgasme et de l’irritabilité, roïdit et rétré- 
cit les vaisseaux, détruit insensiblement l’mfluence 
des fluides sur les solides, et vice versa; enfin, 
dérange l’ordre et l’état de choses nécessaires à la 
vie, et finit par l’anéantir entièrement. 


116 DES FACULTÉS COMMUNES 


Je crois avoir prouvé que les facultés communes 
à tous les corps vivants sont de se nourrir ; de com 
poser eux-mêmes les différentes substances qui cons- 
tituent les parties de leur corps ; de se développer et 
de s’accroître jusqu'à un terme particulier à chacun 
d'eux ; de se régénérer, c’est-à-dire de reproduire 
d'autres individus qui leur ressemblent; enfin, de 
perdre la vie qu’ils possédaient, par une cause qui 
est en eux-mêmes. 

Maintenant je vais considérer les facultés parti- 
culières à certains corps vivants; et je me bornerai, 
comme je viens de le faire, à l'exposition des faits 
généraux, ne voulant entrer dans aucun des détails 
connus qui se trouvent dans les ouvrages de phy- 
siologie. 


GHABEERE. LX 


DES FACULTÉS PARTICULIÈRES A CERTAINS 
CORPS VIVANTS 


De même qu'il y a des facultés qui sont communes 
à tous les corps qui jouissent de la vie, ce que J'ai 
fait voir dans le chapitre précédent , de même aussi 
l’on observe dans certains corps vivants des facultés 
qui leur sont particuliéres, et que les autres ne pos- 
sedent nullement. 

Ici, se présente une considération capitale, à 
laquelle il importe infiniment d’avoir égard, si lon 
veut faire des progres ultérieurs dans les sciences 
naturelles ; la voici : 

Comme il est de toute évidence que l’organisation, 
soit animale, soit végétale, s’est elle-même, par les 
suites du pouvoir de la vie, composée et compliquée 
graduellement, depuis celle qui est dans sa plus 
grande simplicité, jusqu'à celle qui offre la plus 
grande complication, le plus d'organes, et qui donne 


118 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


aux corps vivants, dans ce cas, les facultés les plus 
nombreuses ; il est aussi de toute évidence que 
chaque organe spécial, et que la faculté qu'il pro- 
cure, ayant une fois été obtenus, doivent ensuite 
exister dans tous les corps vivants qui, dans l’ordre 
naturel, viennent après ceux qui les possèdent, à 
moins que quelque avortement ne les ait fait dis- 
paraître. Mais avant l’animal ou le végétal qui, le 
premier, a obtenu cet organe, ce serait en vain 
qu'on chercherait, parmi des corps vivants plus 
simples et plus imparfaits, soit l'organe, soit la faculté 
en question; ni cetorgane, ni la faculté qu'il procure 
ne sauraient s’y rencontrer. S'il en était autrement, 
toutes les facultés connues seraient communes à tous 
les corps vivants, tous les organes se rencontreraient 
dans chacun de ces corps, et la progression dans la 
composition de l’organisation n'aurait pas lieu. 

Il est, au contraire, bien démontré par les faits 
que l’organisation offre une progression évidente 
dans sa composition , et que tous les corps vivants 
ne possèdent pas les mêmes organes. Or, je ferai 
voir dans l'instant que, faute d’avoir suffisamment 
considéré Pordre de la nature dans ses productions, 
et la progression remarquable qui se trouve dans la 
composition de l’organisation, les naturalistes ont 
fait des efforts très-infructueux pour retrouver dans : 
certaines classes, soit d'animaux, soit de végétaux, 
des organes et des facultés qui ne pouvaient s’y 
rencontrer. 


A GERTAINS CORPS VIVANTS 119 


Il faut donc, dans l’ordre naturel des animaux, 
par exemple, se pénétrer d’abord du point de cet 
ordre où tel organe a commencé d’exister, afin de 
ne plus chercher le même organe dans les points 
beaucoup plus antérieurs du mème ordre, si lon ne 
veut retarder la science en attribuant hypothétique- 
ment à des parties, dont on ne connaît pas la nature, 
des facultés qu’elles ne sauraient avoir. 

Ainsi, plusieurs botanistes ont fait des efforts 
inutiles pour retrouver la génération sexuelle dans 
les plantes agames (les cryplogames de Linnée), et 
d'autres ont cru trouver dans ce qu'on nomme les 
trachées des végétaux un organe spécial pour la 
respiration. De même, plusieurs zoologistes ont voulu 
retrouver un poumon dans certains mollusques, un 
squelette dans les astéries ou étoiles de mer, des 
branchies dans les méduses : enfin, un Corps savant 
vient de proposer, cette année, pour sujet de prix, 
de chercher s’il existe une circulation dans les 
radiaires. 

Assurément, de pareilles tentatives prouvent 
combien on est encore peu pénétré de l’ordre naturel 
des animaux , de la progression qui existe dans la 
composition de l’organisation, et des principes essen— 
tiels qui doivent résulter de la connaissance de cet 
ordre. D'ailleurs, en fait d'organisation, et lorsqu'il 
s’agit d'objets très-petits et inconnus, on croit voir 
tout ce que l’on veut voir ; et l’on trouvera ainsi 
tout ce que l’on voudra, comme cela est déjà arrivé, 


120 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


en attribuant arbitrairement des facultés à des par- 
ties dont on n’a su reconnaître ni la nature ni l'usage. 

Considérons maintenant quelles sont les facultés 
principales qui sont particulières à certains corps 
doués de la vie, et voyons dans quel point de l’ordre 
naturel, soit des animaux, soit des végétaux, cha- 
cune de ces facultés, ainsi que les organes qui y 
donnent lieu, ont commencé d'exister. 

Les facultés particulières à certains corps vivants, 
et que conséquemment les autres corps doués de la 
vie ne possèdent pas, sont principalement : 

1° De digérer les aliments ; 

2° De respirer par un organe spécial ; 

3° D’exécuter des actions et des locomotions, par 
des organes musculaires ; 

4° De sentir ou de pouvoir éprouver des sensa- 
tions ; 

D° De se multiplier par la génération sexuelle ; 

6° D’avoir leurs fluides essentiels en circulation ; 

7° D’avoir, dans un degré quelconque, de l’intel- 
ligence. 

Il y a bien d’autres facultés particulières dont on 
trouve des exemples parmi les corps qui jouissent de 
la vie, et principalement parmi les animaux ; mais 
je me borne à considérer celles-ci parce qu’elles 
sont les plus importantes, et que ce que je vais pré- 
senter à leur égard suffit à mon objet. 

Les facultés qui ne sont pas communes à tous les 
corps vivants viennent toutes, sans exception, 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 121 


d'organes spéciaux qui y donnent lieu, et consé- 
quemment d'organes que tous les corps doués de la 
vie ne possèdent point ; et les actes qui produisent 
ces facultés sont des fonctions de ces organes. 

En conséquence , sans examiner si les fonctions 
des organes dont 1l s’agit s’exécutent continuelle- 
ment ou avec interruption, et selon les circons- 
tances, et sans considérer si ces fonctions concer- 
nent, soit la conservation de l'individu, soit celle de 
l'espèce, ou si elles font communiquer lindividu 
avec les corps qui lui sont étrangers et qui l’environ- 
nent, je vais exposer sommairement mes idées sur 
les fonctions organiques qui donnent lieu aux sept 
facultés citées ci-dessus. Je prouverai que chacune 
d'elles est particuhere à certains animaux et qu’elle 
ne peut être commune à tous les individus qui com- 
posent leur règne. 

La Digestion : est la première des facultés par- 
ticulières dont jouissent la plupart des animaux, et 
c'est, en mème temps, une fonction orgauique qui 
s'exécute dans une cavité centrale de l'individu ; 
cavité qui, quoique variée dans sa forme, selon les 
races, est, en général, conformée en tube ou en 
canal, ayant tantôt une seule de ses extrémités 
ouverte, et tantôt l’une et l’autre. 

La fonction dont il s’agit, qui ne s'opère que sur 
des matières composées, étrangères aux parties de 
individu, et qu'on nomme alimentaires, consiste 
d’abord à détruire l'agrégation des molécules cons- 


122 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


tituantes et ordinairement agrégées des matières 
alimentaires introduites dans la cavité digestive; et 
ensuite à changer l’état et les qualités de ces molé- 
cules, de manière qu’une partie d’entre elles de- 
vienne propre à former du chyle et à renouveler ou 
réparer le fluide essentiel de l’individu. 

Des liqueurs répandues dans l'organe digestif par 
les conduits excréteurs de diverses glandes placées 
dans le voisinage, liqueurs qui se versent principa- 
lement aux époques où une digestion doit s’exécuter, 
facilitent d’abord la dissolution, c’est-à-dire la des- 
traction de l'agrégation des molécules des matières 
alimentaires, et ensuite concourent à opérer les 
changements que doivent subir ces molécules. Alors, 
celles de ces molécules qui sont suffisamment chan- 
gées et préparées, nageant dans les liqueurs diges- 
tives et autres qui leur servent de véhicule, pénè- 
trent, par les pores absorbants des parois du tube ali- 
mentaire ou intestinal, dans les vaisseaux chyleux ou 
dans les secondes voies, et y constituent ce fluide pré- 
cieux qui vient réparer le fluide essentiel de l'individu. 

Toutes les molécules, ou parties plus grossières 
qui n’ont pu servir à la formation du chyle, sont 
ensuite rejetées de la cavité alimentaire. 

Ainsi, l'organe spécial de la digestion est la cavité 
alimentaire dont l'ouverture antérieure, par laquelle 
les aliments sont introduits dans cette cavité, porte 
le nom de bouche, tandis que celle de lextrémité 
postérieure, lorsqu'elle existe, s'appelle l'anus. 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 123 


Il suit de cette considération que tous les corps 
vivants qui manquent de cavité alimentaire n’ont ja- 
mais de digestion à exécuter ; et comme toute digestion 
s'effectue sur des matières composées, et qu’elle 
détruit l'agrégation des molécules alimentaires enga- 
oées dans des masses solides, il en résulte que les 
corps vivants qui n’en exécutent point ne se nour- 
rissent que d'aliments fluides, soit liquides, soit 
gazeux. 

Tous les végétaux sont dans le cas que je viens 
de citer ; ils manquent d’organe digestif, et n’ont 
effectivement jamais de digestion à exécuter. 

La plupart des animaux, au contraire, ont un 
organe spécial pour la digestion, qui leur donne la 
faculté de digérer; mais cette faculté n’est pas, 
comme on l’a dit, commune à tous les animaux, et 
ne saurait être citée comme un des caracteres de 
l’animalité. En effet, les 2nfusorres ne la possedent 
point, eten vain chercherait-on une cavité alimen- 
taire dans une monade, une volvoce, un protée, etc.; 
on ne la trouverait point. 

La faculté de digérer n’est done que particulière 
au plus grand nombre des animaux. 

La respiration : C’est la seconde des facultés 
particulières à certains animaux, parce qu'elle est 
moins générale que la digestion ; sa fonction s’exé- 
cute dans un organe spécial distinct, lequel est très- 
diversifié selon les races en qui cette fonction s'opère, 
et selon la nature du besoin qu’elles en ont. 


124 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


Cette fonction consiste en une réparation du fluide 
essentiel et trop promptement altéré de l'individu 
qui est dans ce cas; réparation pour laquelle la 
voie trop lente des aliments ne suffit pas. Or, la ré- 
paration dont il s’agit s'effectue dans l'organe res- 
piratoire, à l’aide du contact d’un fluide particulier 
respiré, lequel, en se décomposant, vient communi- 
quer au fluide essentiel de l'individu des principes 
réparateurs. 

Dans les animaux dont le fluide essentiel est peu 
composé et ne se meut qu'avec lenteur, les altéra- 
tions de ce fluide essentiel sont lentes, et alors la 
voie des aliments suffit seule aux réparations; les 
fluides capables de fournir certains principes répara- 
teurs nécessaires pénétrant dans l'individu par cette 
voie où par celle de l’absorption, et produisant suf- 
fisamment leur influence, sans exiger un organe 
spécial. Ainsi, la faculté de respirer par un organe 
particulier n’est pas nécessaire à ces corps vivants. 
l'el est le cas de tous les végétaux, et tel est encore 
celui d’un assez grand nombre d'animaux, comme 
ceux qui composent la classe des #nfusorres et celle 
des polypes. 

La faculté de respirer ne doit donc être reconnue 
exister que dans les corps vivants qui possèdent un 
organe spécial pour la fonction qui la procure; car 
si ceux qui manquent d'un pareil organe ont besoin, 
pour leur fluide essentiel, de recevoir quelque 
influence analogue à celle de la respiration, ce qui 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 125 


est très-douteux, ils la reçoivent apparemment par 
quelque voie générale et lente, comme celle des ali- 
ments, ou celle de l'absorption qui s'exécute par les 
pores extérieurs, et non par le moyen d’un organe 
particulier. Ainsi, les corps vivants dont il s’agit ne 
respirent pas. 

Le plus important des principes réparateurs que 
fournit le fluide respiré au fluide essentiel de lani- 
mal paraît être l'oxygène. Il se dégage du fluide 
respiré, vient s’unir au fluide essentiel de l'animal, 
et rend alors à ce dernier des qualités qu'il avait 
perdues. 

On sait qu'il y a deux fluides respiratoires diffé- 
rents qui fournissent l’oxygène dans l'acte de la res- 
piration. Ces fluides sont l’eau et l'air ; ils forment, 
en général, les milieux dans lesquels les corps vi- 
vants se trouvent plongés, ou dont ils sontenvironnés. 

L'eau, en effet, est Le fluide respiratoire de beau- 
coup d'animaux qui habitent continuellement dans 
son sein. On croit que, pour fournir l’oxygène, ce 
fluide ne se décompose point; mais qu'entrainant 
toujours avec lui une certaine quantité d'air qui lui 
est, en quelque sorte, adhérente, cet air se décom- 
pose dans l'acte de la respiration, et fournit alors 
son oxygène au fluide essentiel de l’animal. C’est de 
cette manière que les poissons et quantité d'animaux 
aquatiques respirent; mais cette respiration est 
moins active, et fournit plus lentement les principes 
réparateurs que celle qui se fait par l'air à nu. 


126 DES FACULTES PARTICULIÈRES 


L'air atmosphérique et à nu est le second fluide res- 
piratoire, et c’est effectivement celui que respirent un 
grand nombre d'animaux qui vivent habituellement 
dans son sein ou à sa portée : 11 se décompose promp- 
tement dans l’acte de la respiration et fournit aus- 
sitôt son oxygène au fluide essentiel de l'animal 
dont il répare les altérations. Gette respiration, qui 
est celle des animaux les plus parfaits et de beau 
coup d’autres, est la plus active, et elle l’est, en ou- 
tre, d'autant plus que la nature de l’organe en qui 
elle s’opère favorise davantage son activité. 

Ïl ne suffit pas de considérer dans Panimal exis- 
tence d’un organe spécial pour la respiration, 1l 
faut encore avoir égard à la nature de cet organe, 
afin de juger du degré de perfectionnement de 
son organisation, par la renaissance prompte ou 
lente des besoins qu'il a de réparer son fluide 
essentiel. 

A mesure que le fluide essentiel des animaux se 
compose davantage et devient plus animalisé, les 
altérations qu'il subit pendant le cours de la vie, 
sont plus grandes et plus promptes et les réparations 
dont il a besoin deviennent graduellement propor- 
tionnées aux changements qu'il éprouve. 

Dans les animaux les plus simples et les plus 1m— 
parfaits, tels que les #rfusoires et les polypes, le 
fluide essentiel de ces animaux est si peu composé, 
si peu animalisé et s’altère avec tant de lenteur, que 
les réparations alimentaires lui suffisent. Mais bien 


ABC IEMNAIN SA CORP SAMIN ANS 127 


tôt après la nature commence à avoir besoin d'un 
nouveau moyen pour entretenir dans son état utile 
le fluide essentiel des animaux. C'est alors qu'elle 
crée la respiration: mais elle n’établit d’abord que 
le système respiratoire le plus faible, le moins 
actif; enfin, celui que fournit l’eau lorsqu'elle va 
elle-même porter partout son influence comme fluide 
respiré. 

La nature, ensuite, variant le mode de la respi- 
ration selon le besoin progressivement augmenté du 
bénéfice qu’elle procure, rend cette fonction de plus 
en plus active et finit par lui donner la plus grande 
énergie. 

Puisque la respiration aquifere est la moins ac- 
tive, considérons-la d’abord et nous verrons que les 
organes qui respirent l’eau sont de deux sortes, 
lesquelles different encore entre elles par leur ac- 
tivité. Nous remarquerons ensuite la mème chose à 
l'égard des organes qui respirent l'air. 

Les organes qui respirent l’eau doivent être dis- 
tingués en rachées aquifères et en branchies, 
comme les organes qui respirent Pair le sont en 
trachées aérifrres et en poumons. Il est en effet de 
toute évidence que les trachées aquiferes sont aux 
branchies ce que les trachées aériferes sont aux 
poumons. (Syst. des Animaux sans vertèbres, 
p: 47.) 

Les /rachées aquifères consistent en un certain 
nombre de vaisseaux qui se ramifient et s'étendent 


128 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 

dans l'intérieur de l'animal, et qui s'ouvrent au de- 
hors par une multitude de petits tubes qui absor- 
bent l’eau : à l’aide de ce moyen, l’eau pénètre con- 
tinuellement par les tubes qui s'ouvrent au dehors, 
circule en quelque sorte dans tout l’intérieur de 
l'animal, y va porter l'influence respiratoire et pa- 
rait en sortir en se versant dans la cavité alimen- 
taire. 

Cestrachées aquiferes constituent l’organe respi- 
ratoire le plus imparfait, le moins actif, le premier 
que la nature a créé, enfin, celui qui appartient à 
des animaux dont l'organisation est Si peu compo— 
sée, qu'ils n’ont encore aucune circulation pour leur 
fluide essentiel. On en trouve des exemples remar- 
quables dans les radiaires, telles que les oursins, 
les astéries, les méduses, etc. 

Les branchies constituent aussi un organe qui 
respire l'eau et qui peut en outre s’accoutumer à 
respirer l'air à nu; mais cet organe respiratoire 
est toujours isolé, soit en dedans, soit en dehors de 
l'animal, et 1l n'existe que dans des animaux dont 
l'organisation est déja assez composée pour avoir un 
systeme nerveux et un système de circulation pour 
leur sang. 

Vouloir trouver des branchies dans les 'adiaires 
et dans les vers, parce qu'ils respirent l’eau, c’est 
comme si l’on voulait trouver un poumon dans les 
insectes, parce qu'ils respirent l’air. Aussi les tra- 
chées aériferes des insectes constituent-elles le plus 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 129 


imparfait des organes qui respirent l'air ; elles 
s'étendent dans toutes les parties de l'animal et y 
vont porter l’utile influence de la respiration ; tan- 
dis que le poumon, comme les branchies, est un or- 
gane respiratoire isolé, qui, lorsqu'il a obtenu son 
plus grand perfectionnement, est le plus actif des 
organes respiratoires. 

Pour bien saisir le fondement de tout ce que je 
viens d'exposer, 1l importe de donner quelque 
attention aux deux considérations suivantes. 

La respiration, dans les animaux qui n’ont pas de 
circulation pour leur fluide essentiel, s'effectue avec 
lenteur, sans mouvement particulier apparent et 
dans un système d'organes qui est répandu à peu 
près dans tout le corps de lanimal. Dans cette res- 
piration, c’est le fluide respiré qui va lui-même 
porter partout son influence; le fluide essentiel de 
l'animal ne va nulle part au devant de lui. Telle 
est la respiration des radriaires et des vers dans 
laquelle l’eau est le fluide respiré et telle est ensuite 
la respiration des 2nsectes et des arachnides dans 
laquelle ce fluide respiré est l'air atmosphérique. 

Mais la respiration des animaux qui ont une 
circulation générale pour leur fluide essentiel, pré- 
sente un mode très-diflérent; elle s'effectue avec 
moins de lenteur, donne lieu à des mouvements par- 
ticuliers qui, dans les animaux les plus parfaits, de- 
viennent mesurés, et s'exécute dans un organe 
simple, double: où composé, mais qui est isolé, puis- 


LAMARCK, PHIL. Z0OL. II. 9 


130 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


qu'il ne s’étend pas partout. Alors le fluide essentiel 
ou le sang de animal va lui-même au devant du 
fluide respiré qui ne pénètre que jusqu'a lorgane 
respiratoire : il en résulte que le sang est contraint 
de subir, outre la circulation générale, une circula- 
tion particulière que je nomme respiratoire. Or, 
comme tantôt il n’y a qu’une partie du sang qui se 
rende à l’organe de la respiration avant d’être en- 
voyée dans toutes les parties du corps de l’animal, 
et que tantôt tout le sang passe par cet organe avant 
son émission dans tout le corps, la circulation res- 
piratoireest donc tantôt incomplète et tantôt complète. 

Ayant montré qu’il y a deux modes très-différents 
pour la respiration des animaux qui possèdent un 
organe respiratoire distinct, je crois qu'on peut 
donner à celle du premier mode, telle que celle des 
radiaires, des vers et des insectes, le nom de res- 
piration générale, et qu'il faut nommer respiration 
locale celle du second mode, qui appartient aux 
animaux plus parfaits que les insectes et à laquelle 
peut-être il faudra joindre la respiration bornée des 
arachnides. 

Ainsi, la faculté de respirer est particulière à 
certains animaux, et la nature de organe par lequel 
ces animaux respirent est tellement appropriée à 
leurs besoins et au degré de perfectionnement de 
leur organisation, qu'il serait tres-inconvenable de 
vouloir retrouver dans des animaux imparfaits l’or- 
gane respiratoire d'animaux plus parfaits. 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 131 


Le système musculaire : il donne aux animaux 
en qui il existe, la faculté d'exécuter des actions et 
des locomotions, et de diriger ces actes, soit par les 
penchants nés des habitudes, soit par le sentiment 
intérieur, soit enfin par des opérations de l’intelli- 
gence. 

Comme il est reconnu qu'aucune action muscu- 
laire ne peut avoir lieu sans l’influence nerveuse, il 
suit de là que le système muscularre n'a pu être 
formé qu'après l'établissement du systéme nerveux, 
au moins dans sa premiere simplicité ou sa moindre 
complication. Or, s’il est vrai que celle des fonctions 
du système nerveux, qui a pour objet d'envoyer le 
fluide subtil des nerfs aux fibres musculaires où à 
leurs faisceaux pour les mettre en action, est beau- 
coup plus simple que celle qui est nécessaire pour 
produire lesentiment, ce que je compte prouver, il 
en doit résulter que, dès que le système nerveux a 
pu se composer d’une masse médullaire à laquelle 
aboutissent différents nerfs, ou dès qu’il à pu offrir 
quelques ganglions séparés, envoyant des filets ner- 
veux à certaines parties, des lors il a été capable 
d'opérer l’excitation musculaire sans pouvoir cepen— 
dant produire le phénomène du sentiment. 

Je me crois fondé à conclure de ces considéra- 
tions, que la formation du système musculaire est 
postérieure à celle du système nerveux considéré 
dans sa moindre composition, mais que la faculté 
d'exécuter des actions et des locomotions par le 


132 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


moyen des organes musculaires, est, dans les 
animaux, antérieure: à celle de pouvoir éprouver 


J 


des sensations. 

Or, puisque le système nerveux est, dans sa pre- 
mière formation, antérieure au systéme muscu 
laire, puisqu'il n’a commencé à exister que lors- 
qu'il s’est trouvé composé d’une masse médullaire 
principale, de laquelle partent différents filets ner- 
veux, et puisqu'un pareil système d'organes ne peut 
exister dans des animaux d’une organisation aussi 
simple que celle des infusoires et du plus grand 
nombre des polypes , il est donc de toute évidence 
que le système musculaire est particulier à certains 
animaux, que tous ne le possèdent pas, et néan- 
moins que la faculté d'agir et de se mouvoir, par 
des organes musculaires, existe dans un plus grand 
nombre d'animaux que celle de sentir. 

Pour préjuger l’existence du système musculaire 
dans les animaux où elle parait douteuse, il importe 
de considérer si les parties de ces animaux offrent 
aux attaches des fibres musculaires des points d’ap- 
pui d’une certaine consistance ou fermeté ; car, par 
l'habitude d’être tiraillés, ces points d'attache s'af- 
fermissent progressivement. 

On est assuré que le système musculaire existe 
dans les #nsectes et dans tous les animaux des clas- 
ses postérieures ; mais la nature a-t-elle établi ce 
système dans des animaux plus imparfaits que les 
insectes ? Si elle l’a fait, on peut penser, à l’égard 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 133 


des radiaires, que ce n’est guère que dans les 
échinodermes et dans les fistulides et non dans les 
radiaires mollasses : peut-être a-t-elle ébauché ce 
systeme dans les actinies ; la consistance assez co- 
riace de leurs corps autorise à le croire, maison ne 
saurait supposer son existence dans les hydres, ni 
dans la plupart des autres polypes et encore moins 
dans les infusoires. 

Il est possible que lorsque la nature a commencé 
l'établissement d’un système d'organes particulier 
quelconque, elle ait choisi les circonstances favora- 
bles à l’execution de cette création, et qu’en consé- 
quence, dans l'échelle que nous formons des ani- 
maux, il y ait, vers l’origine de l'établissement de ce 
système, quelques interruptions occasionnées par 
les cas où sa formation n’a pu avoir lieu. 

L'observation bien suivie des opérations de la na- 
ture, et guidée par ces considérations, nous appren- 
dra sans doute bien des choses que nous ignorons 
encore sur ces sujets intéressants, et peut-être nous 
fera-t-elle découvrir que, quoique la nature ait pu 
commencer l'établissement du système musculaire 
dans les radiaires, les vers, qui viennent ensuite, 
n’en sont pas encore pourvus. 

Si cette considération est fondée, elle confirmera 
celle que j'ai déja présentée à l'égard des vers, sa- 
voir : qu'ils paraissent constituer une branche par- 
ticulière de la chaîne animale, recommencée par des 
générations directes (chap. 1v, p. 81). 


134 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


Le système musculaire bien prononcé et bien 
connu dans les insectes, se montre ensuite tou- 
jours et partout dans les animaux des classes sui- 
vantes. 

Le sentiment, c’est une faculté qui doit occuper 
le quatrième rang parmi celles qui ne sont pas com- 
munes à tous les corps qui possedent la vie; car la 
faculté de sentir paraît moins générale encore que 
celle du mouvement musculaire, celle de respirer et 
celle de digérer. 

On verra plus loin que le sentiment n’est qu'un 
effet, c’est-a-dire que le résultat d’un acte organi- 
que etnon une faculté inhérente ou propre à aucune 
des matières qui composent les parties d’un corps 
susceptible de léprouver. 

Aucune de nos humeurs ni aucun de nos orga- 
nes, pas même nos nerfs, n’ont en propre la faculté 
de sentir. Ce n’est que par illusion que nous attri- 
buons l'effet singulier qu’on nomme sensation ou 
sentiment à une partie affectée de notre corps ; au- 
cune des matières qui composent cette partie affec- 
tée ne sent réellement et ne saurait sentir. Mais 
l'effet tres-remarquable auquel on donne le nom de 
sensation et celui de douleur, lorsqu'il est trop in- 
tense, est le produit de la fonction d’un système 
d'organes très-particulier, dont les actes s’exécu- 
tent selon les circonstances qui les provoquent. 

J'espère prouver que cet effet, qui constitue le 
sentiment ou la sensation, résulte évidemment d’une 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 135 


cause affectante, qui excite une action dans toutes 
les parties du système d'organes spécial qui y est 
propre, laquelle, par une répercussion plus prompte 
que l’éclair et qui s’effecitue dans toutes les parties 
du système, reporte son effet général dans le foyer 
commun où la sensation s’opere, et de là pro- 
page cette sensation jusqu'au point du corps qui fut 
affecté. 

J’essayerai de développer dans la troisième partie 
de cet ouvrage le mécanisme admirable de l'effet 
qui constitue ce qu'on nomme sentiment : ici je di- 
rai seulement que le système d'organes particulier 
qui peut produire un pareil effet est connu sous le 
nom de système nerveux, et j'ajouterai que le sys- 
tème dont il s’agit n’acquiert la faculté de donner 
lieu au sentiment que lorsqu'il est assez avancé 
dans sa composition pour offrir des nerfs nombreux 
qui se rendent à un foyer commun ou centre de 
rapport. 

Il résulte de ces considérations que tout animal 


qui ne possède pas un système nerveux dans l’état 


cité, ne saurait éprouver l'effet remarquable dont il 
vient d'être question, et conséquemment ne peut 
avoir la faculté de sentir, à plus forte raison tout 
animal, qui n’a point de nerfs aboutissant à une 
masse médullaire principale, doit-il ètre privé du 
sentiment. 

Ainsi donc la faculté de sentir ne peut être com- 
mune à tous les corps vivants, puisqu'il est généra— 


136 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


lement reconnu que les végétaux n’ont point de 
nerfs, ce qui ne leur permet nullement de la possé- 
der ; mais on a cru cette faculté commune à tous les 
animaux et c’est une erreur évidente; car tous les 
animaux ne sont point et ne peuvent être munis de 
nerfs ; outre cela, ceux en qui des nerfs commen- 
cent à exister, ne possedent pas encore un système 
nerveux, pourvu des conditions qui le rendent pro- 
pre à la production du sentiment. Aussi est-il pro 
bable que, dans son origine ou son imperfection 
première, ce système n’a d'autre faculté que celle 
d’exciter le mouvement musculaire, par conséquent 
la faculté de sentir ne saurait être commune à tous 
les animaux. 

S'il est vrai que toute faculté particulière à cer— 
tains corps vivants provienne d’un organe spécial 
qui y donne leu, ce qui est prouvé partout par le 
fait mème, 1l le doit être aussi que la faculté de 
sentir, qui est évidemment particulière à certains 
animaux, est uniquement le produit d’un organe ou 
. d’un système d'organes particulier capable par ses 
actes de produire le sentiment. 

D’après cette considération, le système nerveux 
constitue l'organe spécial du sentiment lorsqu'il est 
composé d’un centre unique de rapport et de nerfs 
qui y aboutissent. Or, il parait que ce n’est guère 
que dans les 2#sectes que la composition du système 
nerveux commence à être assez avancée pour pou— 
voir produire en eux le sentiment, quoique d’une 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 137 


maniere encore obscure. Cette faculté se retrouve 
ensuite dans tous les animaux des classes posté- 
rieures avec des progrès proportionnés dans son 
perfectionnement. 

Mais dans des animaux plus imparfaits que les 
insectes, tels que les vers et les radiaires, si l’on 
trouve quelques vestiges de nerfs et de ganglions 
séparés, on a de grands motifs pour présumer que 
ces organes ne sont propres qu'a l'excitation du 
mouvement musculaire, la plus simple faculté du 
système nerveux. 

Enfin, quant aux animaux plus imparfaits encore, 
tels que le plus grand nombre des polypes et tous 
les infusoires, il est de toute évidence qu'ils ne peu- 
vent posséder un système nerveux capable de leur 
donner la faculté de sentir, ni même celle de se mou- 
voir par des muscles : en eux, lirritabilité seule y 
supplée. 

Ainsi, le sentiment n'est pas une faculté com- 
mune à tous les animaux comme on l’a générale- 
ment pensé. 

La génération sexuelle : c’est une faculté particu- 
lière qui, dans les animaux, est à peu près aussi 
générale que le sentiment ; elle résulte d’une fonc- 
tion organique non essentielle à la vie et qui a pour 
but d'opérer la fécondation d'un embryon, qui de- 
vient alors susceptible de posséder la vie et de cons- 
tituer, apres ses développements, un individu sem 
blable à celui ou à ceux dont il provient. 


438 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


Cette fonction s'exécute dans des temps particu- 
liers, tantôt réglés et tantôt qui ne le sont pas, par 
le concours de deux systèmes d'organes qu’on 
nomme sexuels, dont l’un constitue les organes m4- 
les et l’autre ceux qui sont nommés femelles. 

La génération sexuelle s’observe dans les animaux 
et dans les végétaux, mais elle est particulière à 
certains animaux et à certaines plantes etn’est point 
une faculté commune aux uns et aux autres de ces 
corps vivants ; la nature ne pouvait la rendre telle 
comme nous l’allons voir. 

En effet, pour pouvoir produire les corps vivants, 
soit végétaux, soit animaux, la nature fut obligée 
de créer d’abord l’organisation la plus simple dans 
des corps des plus frèles et où il lui était impossible 
de faire exister aucun organe spécial. Elle eut bien- 
tôt besoin de donner à ces corps la faculté de se 
multiplier, sans quoi il lui eût fallu faire partout 
des créations, ce qui n’est nullement en son pouvoir. 
Or, ne pouvant donner à ses premières productions 
la faculté de se multiplier par aucun système d’or- 
ganes particuher, elle parvint à leur donner la même 
faculté en donnant à celle de s’accroitre, qui est 
commune à tous les corps qui jouissent de la vie, la 
faculté d'amener des scissions, d’abord du corps 
entier et ensuite de certaines portions en saillie de 
ce corps; de là, les gemmes et les différents corps 
reproductifs qui ne sont que des parties qui s’éten- 
dent, se séparent et continuent de vivre après leur 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 139 


séparation, et qui, n'ayant exigé aucune féconda- 
tion, ne constituant aucun embryon, se développant 
sans déchirement d'aucune enveloppe, ressemblent 
cependant, apres leur accroissement, aux individus 
dont ils proviennent. | 

Tel est le moyen que la nature sut employer pour 
multiplier ceux des végétaux et des animaux en qui 
elle ne put donner les appareils compliqués de la 
génération sexuelle ; ce seraiten vain que l’on vou- 
drait trouver de semblables appareils dans les alques 
et les champignons ou dans les enfusoires et les 
polypes. 

Lorsque les organes mâles et les organes fernelles 
se trouvent réunis sur ou dans le même individu, on 
dit que cet mdividu est hermaphrodite. 

Dans ce cas, il faudra distinguer l’hermaphro- 
disme parfait, qui se suffit à lui-même, de celui qui 
est imparfait, en ce qu'il ne sesuffit pas. En effet, 
beaucoup de végétaux sont hermaphrodites, en sorte 
que l’individu qui possède les deux sexes se suffit 
à lui-mème pour la fécondation ; mais dans les ani- 
maux en qui les deux sexes existent, il n’est pas encore 
prouvé par l’observation que chaque individu se 
suffise à lui-mème, et l’on sait que quantité de mol- 
lusques réellement hermaphrodites se fécondent 
néanmoins les uns les autres. À la vérité, parmi les 
mollusques hermaphrodites , ceux qui ont une co= 
quille bivalve, et qui sont fixés comme les huîtres, 
semblent devoir se féconder eux-mêmes : il est 


140 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


cependant possible qu'ils se fécondent mutuellement 
par la voie du milieu dans lequel ils sont plongés. 
S'il en est ainsi, il n’y a, dans les animaux, que des 
hermaphrodites imparfaits ; et l’on sait que dans 
les animaux vertébrés, il n’y a même aucun indi- 
vidu véritablement hermaphrodite. Ainsi, les her- 
maphrodites parfaits se trouveront uniquement 
parmi les végétaux. 

Quant au caractère de l’hermaphrodisme , que 
lon fait consister dans la réunion des deux sexes 
sur le même individu, il semble que les plantes 
monoiques fassent une exception; car, quoiqu’un 
arbrisseau ou un arbre monoïque porte les deux 
sexes, chacune de ses fleurs est néanmoins uni- 
sexuelle. 

Je remarquerai, à cet égard, que c’est à tort 
qu'on donne le nom d’isdividu à un arbre ou à un 
arbrisseau, ou même à des plantes herbacées viva- 
ces, car cet arbre ou cet arbrisseau , etc. , n’est 
réellement qu'une collection d'individus qui vivent 
les uns sur les autres, communiquent ensemble, et 
participent à une vie commune, comme cela a lieu 
aussi pour les polypes composés des madrépores, 
millépores , etc.; ce que j'ai déjà prouvé dans le 
premier chapitre de cette seconde partie. 

La fécondation , résultat essentiel d’un acte de 
la génération sexuelle, doit être distinguée en deux 
degrés particuliers, dont l’un, supérieur ou plus 
éminent, puisqu'il appartient aux animaux les plus 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 1a1 


parfaits (aux mammiféres), comprend la fécondation 
des tivipares, tandis que l’autre, inférieur et moins 
parfait, embrasse celle des ovipares. 

La fécondation des vivipares vivifie, dans lins- 
tant même, l'embryon qui en reçoit l'influence, et 
ensuite cet embryon continuant de vivre, se nourrit 
et se développe aux dépens de la mère, avec la- 
quelle il communique Jusqu'à sa naissance. Il n’y a 
point d'intervalle connu entre l'acte qui le rend 
propre à posséder la vie et la vie même qu'il reçoit 
par cet acte : d’ailleurs, cet embryon fécondé est 
enfermé dans une enveloppe (le placenta) qui ne 
contient pas avec lui des approvisionnements de 
nourriture. 

Au contraire, la fécondation des ovipares ne fait 
que préparer l'embryon, et que le rendre propre à 
recevoir la vie; mais elle ne la lui donne pas. Or, 
cet embryon fécondé des ovipares est enfermé, avec 
une provision de nourriture , dans des enveloppes 
qui cessent de communiquer avec la mère avant 
d'en être séparées; et il ne recoit la vie que lors- 
qu'une cause particulière, que les circonstances 
seules rendent prompte ou tardive, où même peu- 
ventanéantir, vient lui communiquer le mouvement 
vital. 

Cette cause particulière qui, postérieurement à 
la fécondation d’un embryon d’ovipare, donne la vie 
à cet embryon, consiste, pour les œufs des animaux, 
dans une simple élévation de température, et, pour 


142 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


les graines des plantes, dans le concours de l’humi- 
dité et d’une douce chaleur qui vient les pénétrer. 
Ainsi, pour les œufs des oiseaux, l’incubation 
amène cette élévation de température, et pour beau- 
coup d’autres œufs , une chaleur douce de l’atmos- 
phère suffit ; enfin, les circonstances favorables à la 
germination vivifient les graines des végétaux. 

Mais les œufs et les graines propres à donner 
l'existence à des animaux et à des végétaux con- 
tiennent nécessairement chacun un embryon fécondé, 
enfermé dans des enveloppes, d’où il ne peut sortir 
qu'après les avoir rompues : ils sont donc les ré- 
sultats de la génération sexuelle, puisque les corps 
reproductifs qui n’en proviennent pas n’offrent point 
un embryon renfermé dans des enveloppes qu’il doit 
détruire pour pouvoir se développer. Assurément, 
les gemmes et les corps reproductifs plus ou moins 
oviformes de beaucoup d'animaux et de végétaux ne 
sont nullement dans le cas de leur être comparés : 
ce serait donc s’abuser que de rechercher la géné- 
ration sexuelle là où la nature n’a pas eu le moyen 
de l’établir. 

Ainsi, la génération sexuelle est particulière à 
certains animaux et à certains végétaux : consé- 
quemment, les corps vivants les plus simples et les 
plus imparfaits ne sauraient posséder une pareille 
faculté. 

La circulation : c’est une faculté qui n’a d’exis- 
tence que dans certains animaux, et qui, dans le 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 143 


régne animal, est bien moins générale que les cinq 
dont je viens de parler. Gette faculté provient d’une 
fonction organique relative à l'accélération des 
mouvements du fluide essentiel de certains ani- 
maux, fonction qui s'exécute dans un système 
d'organes particulier qui y est propre. 

Ce système d'organes se compose essentiellement 
de deux sortes de vaisseaux , savoir : d’artères et de 
veines , et presque toujours, en outre , d’un muscle 
creux et charnu qui occupe à peu près le centre du 
système, qui en devient bientôt l’agent principal, et 
qu'on nomme le cœur. 

La fonction qu'exécute le système d'organes dont 
il s’agit, consiste à faire partir le fluide essentiel de 
l'animal, qui doit ici porter le nom de sang, d’un 
point à peu près central où se trouve le cœur lors- 
qu'il existe, pour l'envoyer de là, par les artères, 
dans toutes les parties du corps, d'où revenant au 
même point par les veines, il est ensuite envoyé de 
nouveau dons toutes ces parties. 

C'est à ce mouvement du sang , toujours envoyé 
à toutes les parties, et toujours retournant au point 
de départ, pendant le cours entier de la vie, qu'on 
a donné le nom de circulation, qu'il faut qualifier 
de générale, afin de la distinguer de la circulation 
respiratoire , qui s'exécute par un système particu 
lier, composé pareillement d’artères et de veines. 

La nature, en commençant l’organisation dans les 
animaux les plus simples et les plus imparfaits, n’a 


144 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


pu donner à leur fluide essentiel qu'un mouvement 
extrêmement lent. Tel est, sans doute, le cas du 
fluide essentiel, presque simple et très-peu animalisé 
qui se meut dans le tissu cellulaire des infusoires. 
Mais ensuite , animalisant et composant graduelle- 
ment le fluide essentiel des animaux , à mesure que 
leur organisation se compliquait et se perfectionnait, 
elle en a augmenté peu à peu le mouvement {par 
différents moyens. 

Dans les polypes, le fluide essentiel est presque 
aussi simple encore, et n’a pas beaucoup plus de 
mouvement que celui des infusoires. Cependant, la 
forme déjà régulière des polypes, et surtout la cavité 
alimentaire. qu’ils possèdent, commencent à donner 
quelques moyens à la nature pour activer un peu 
leur fluide essentiel. 

Elle en a probablement profité dans les radiaires, 
en établissant dans la cavité alimentaire de ces 
animaux le centre d'activité de leur fluide essentiel. 
En effet, les fluides subtils, ambiants et expansifs 
qui constituent la cause ercitatrice des mouvements 
de ces animaux, pénétrant principalement dans leur 
cavité alimentaire , ont , par leurs expansions sans 
cesse renouvelées, surcomposé cette cavité, amené 
la forme rayonnante, tant interne qu’externe, de 
ces mêmes animaux, et sont, en outre, la cause des 
mouvements isochrones qu'on observe dans Îles 
radiaires mollasses. 

Lorsque la nature eut réussi à établir le mouve- 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 145 


ment musculaire, comme dans les 2nsectes, et peut- 
ètre même un peu avant, elle eut alors un nouveau 
moyen pour activer un peu plus encore le mouve- 
ment de leur sante ou fluide essentiel ; mais, par- 
venue à l’organisation des crustacés , te moyen ne 
lui suffisait plus, et il lui fallut créer un système 
d'organes particulier pour l’accélération du fluide 
essentiel de ces animaux, c’est-à-dire de leur sang. 
C'est, en effet, dans les crustacés qu'on voit, pour 
la première fois, la fonction d’une circulation 
générale complétement exécutée, fonction qui 
n'avait reçu qu'une simple ébauche dans les ara- 
chnides. 

Chaque nouveau système d'organes acquis se 
conserve toujours dans les organisations subsé- 
quentes ; mais la nature travaille ensuite à le per- 
fectionner de plus en plus. 

Ainsi, dans le commencement , la circulation gé- 
nérale offre dans son système d'organes, un cœur 
à un seul ventricule, et mème, dans les annelides, 
le cœur n’est pas connu : elle n’est accompagnée 
d’abord que par une circulation respiratoire incom- 
plète ; c’est-a-dire dans laquelle tout le sang ne 
passe pas par l'organe de la respiration avant d’ètre 
envoyé à toutes les parties. Tel est le cas des ani- 
maux à branchies non perfectionnées ; mais dans les 
poissons, où la respiration branchiale est à son 
perfectionnement, la circulation générale est accom- 
pagnée d’une circulation respiratoire complète. 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 1 


146 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


Lorsque ensuite la nature eut réussi à créer un 
poumon pour respirer, comme dans les reptiles, la 
circulation générale ne put être alors accompagnée 
que par une circulation respiratoire incomplète , 
parce que le nouvel organe respiratoire était encore 
trop imparfait, que la circulation générale elle- 
même n'avait encore dans son système d’organes 
qu'un cœur à un seul ventricule, et que le nouveau 
fluide respiré étant par lui-même plus promptement 
réparateur que l’eau , ne rendait pas nécessaire une 
respiration complète. Mais lorsque la nature fut 
parvenue à opérer le perfectionnement de la respi- 
ration pulmonaire, comme dans les oiseaux et les 
mammifères, alors la circulation générale fut 
accompagnée par une circulation respiratoire com— 
plète, le cœur eut nécessairement deux ventricules 
et deux oreillettes, et le sang obtint la plus grande 
accélération dans son mouvement, l’animalisation 
la plus éminente devint propre à élever la tempé- 
rature intérieure de l’animal au-dessus de celle des 
milieux environnants, enfin, fut assujetti à de 
promptes altérations qui exigèrent des réparations 
proportionnées. 

La circulation du fluide essentiel d’un corps 
vivant est donc une fonction organique particulière 
à certains animaux : elle commence à se montrer 
complète et générale dans les crustacés , et se re- 
trouve dans les animaux des classes suivantes, qui 
sont graduellement plus parfaits; mais en vain la 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 147 


chercherait-on dans les animaux moins parfaits des 
classes antérieures, on ne la trouverait pas. 

L'intelligence : c'est de toutes les facultés parti 
culières à certains animaux, celle qui se trouve la 
plus bornée, relativement au nombre de ceux qui la 
possèdent, même dans sa plus grande imperfection ; 
mais aussi C’est la plus admirable, surtout lorsqu'elle 
est bien développée, et on peut alors la regarder 
comme le chef-d'œuvre de tout ce qu'a pu exécuter 
la nature à l’aide de l’organisation. 

Cette faculté provient des actes d’un organe par- 
ticulier qui, seul, peut y donner lieu, et parait 
lui-même très-composé lorsqu'il a acquis tous les 
développements dont il est susceptible. 

Comme cet organe est véritablement distinct de 
celui qui produit le sentiment , quoiqu'il ne puisse 
exister sans celui-ci , il en résulte que la faculté 
d'exécuter des actes d'intelligence, non-seulement 
n’est pas commune à tous les animaux, mais même 
ne l’est pas à tous ceux qui possedent celle de sen- 
tir, car le sentiment peut exister sans l’intelli- 
gence. 

L'organe spécial, en qui se produisent les actes 
de l’entendement, paraît n'être qu'un accessoire du 
système nerveux, c’est-à-dire qu’une partie sur- 
ajoutée au cerveau, lequel contient le foyer ou 
centre de rapport des nerfs. Aussi l’organe parti 
eulier dont il est question est-il contigu à ce foyer; 
d’ailleurs, la nature de la substance dont il se com 


148 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


pose ne paraît nullement différer de celle qui forme 
le système nerveux ; cependant, en lui seul s’exé- 
cutent les actes de l'intelligence ; et comme le sys- 
tème nerveux peut exister sans lui, c’est donc un 
organe spécial. 

On trouvera, dans la troisième partie, quelques 
aperçus généraux sur le mécanisme probable des 
fonctions de cet organe que l’on confond avec la 
masse médullaire connue sous le nom de cerveau, 
dans les animaux vertébrés, et dont cependant il ne 
constitue que les deux hémisphères plicatiles qui le 
recouvrent. Il me suffit ici de faire remarquer que, 
parmi les animaux qui ont un système nerveux, 1l 
n’y à que les plus parfaits d’entre eux qui aient 
réellement leur cerveau muni des deux hémisphères 
que je viens de citer, et que, probablement, tous 
les animaux sans vertébres, sauf peut-être cer- 
tains #ollusques du dernier ordre , en sont généra- 
lement dépourvus, quoiqu'un grand nombre d’entre 
eux ait un cerveau, auquel les nerfs d’un ou de 
plusieurs sens particuliers se rendent immédiate- 
ment, et que ce cerveau soit, en général, partagé en 
deux lobes, ou divisé par un sillon. 

D’après ces considérations, la faculté d’exécuter 
des actes d'intelligence ne commence guere qu'aux 
poissons, où tout au plus qu'aux #0llusques cépha- 
lopodes. Elle est alors dans sa plus grande imper- 
fection ; elle a fait quelques progrès de développe- 
ment dans les reptiles, surtout dans ceux des der- 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 149 


niers ordres, elle en a fait de beaucoup plus grands 
dans les oiseaux, et elle offre dans les mammifères 
des derniers ordres, tous ceux qu’elle peut avoir 
dans les animaux. 

L'intelligence est donc une faculté particulière 
à certains animaux qui possedent celle de sentir ; 
mais cette faculté n’est pas commune à tous ceux qui 
jouissent du sentiment : en effet, nous verrons que, 
parmi ces derniers, ceux qui n’ont pas l'organe par- 
ticulier propre à l’exécution des actes de lintelli- 
gence, ne peuvent avoir que de simples perceplions 
des objets qui les affectent, mais qu'ils ne s’en 
forment point d'idée , ne comparent point, ne Jugent 
point, et sont régis, dans toutes leurs actions, par 
leurs besoins et leurs penchants habituels. 


RÉSUMÉ DE CETTE SECONDE PARTIE 


En me bornant, dans les neuf chapitres précé- 
dents , aux seules observations que j'avais à pré- 
senter, J'ai évité d'entrer dans une multitude de 
détails, à la vérité, fort intéressants, mais que lon 
trouve dans les bons ouvrages de physiologie que 
le public possede : les considérations que j'ai expo- 
sées me paraissent suffire pour prouver : 

1° Que la vie, dans tout corps qui la possède, ne 
consiste qu'en un ordre et un état de choses qui 
permettent aux parties intérieures de ce corps 
d’obéir à l’action d’une cause excitatrice, d'exécuter 


150 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


des mouvements qu’on nomme organiques où vitaux, 
et desquels il reçoit la faculté de produire, selon son 
espèce , les phénomènes connus de l’organisation ; 

2° Que la cause excitatrice des mouvements 
vitaux est étrangère aux organes de tous les corps 
vivants ; que les éléments de cette cause se trouvent 
toujours, quoiqu'avec des variations dans leur abon- 
dance , dans tous les lieux qu'ils habitent ; que les 
milieux environnants les leur fournissent, soit 
uniquement, soit en partie; et que, sans cette même 
cause , aucun de ces corps ne pourrait jouir de la 
vie ; 

3° Que tout corps vivant quelconque est nécessai- 
rement composé de deux sortes de parties, savoir : 
de parties contenantes, constituées par un issu 
cellulaire très-souple, dans lequel et aux dépens 
duquel toute espèce d’organe a été formée, et de 
fluides visibles contenus, susceptibles d’éprouver 
des mouvements de déplacement et des changements 
divers dans leur état et leur nature ; 

4° Que la nature animale n’est pas essentiellement 
distinguée dela nature végétale par desorganesparti- 
culiers à chagune de ces deux sortes de corps vivants, 
mais qu’elle l’est principalement par la nature même 
des substances qui entrent dans la composition de 
ces deux sortes de corps : de manière que la subs- 
tance de tout corps animal permet à la cause exci- 
tatrice d'y établir un orgasme énergique et l'irri- 
fabilité; tandis que la substance de tout corps 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 151 


végétal ne laisse à la cause excitatrice que le pou- 
voir de mettre en mouvement les fluides visibles 
contenus, mais ne lui permet, sur les parties conte- 
nantes, qu'un orgasme obscur, incapable de pro- 
duire l’irritabilité et de faire exécuter aux parties 
des mouvements subits ; 

9° Que la nature elle-mème donne lieu à des géné- 
rations directes, dites spontanées, en créant l’orga- 
nisation et la vie dans des corps qui ne les possé- 
daient pas; qu'elle à nécessairement cette faculté à 
l’égard des animaux et des végétaux les plus impar- 
faits qui commencent, soit l’échelle animale, soit 
l'échelle végétale, soit peut-être encore certaines 
de leurs ramifications, et qu’elle n’exécute ces 
admirables phénomènes que sur de petites masses 
de matière, gélatineuse pour la nature animale, 
mucilagineuse pour la nature végétale, transfor- 
mant ces masses en tissu cellulaire , les remplissant 
de fluides visibles qui s’y composent, et y établissant 
des mouvements , des dissipations, des réparations 
et divers changements à l’aide de la cause excita- 
trice que les milieux environnants fourniseent ; 

6° Que les lois qui régissent toutes les mutations 
que nous observons dans les corps de quelque na- 
ture qu’ils soient sont partout les mêmes, mais que 
ces lois opèrent dans les corps vivants des résultats 
tout à fait opposés à ceux qu’elles exécutent dans 
les corps bruts ou inorganiques, parce que, dans 
les premiers, elles rencontrent un ordre et un état 


152 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES 


de choses qui leur donnent le pouvoir d’y produire 
tous les phénomènes de la vie, tandis que, dans les 
derniers, rencontrant un état de choses fort diffé- 
rent, elles y produisent d’autres effets : en sorte 
qu'il n’est pas vrai que la nature ait pour les corps 
vivants des lois particulières opposées à celles qui 
régissent les mutations qui s’observent à l’égard 
des corps privés de la vie ; 

7° Que tous les corps vivants , de quelque règne 
et de quelque classe qu'ils soient, ont des facultés 
qui leur sont communes ; qu’elles sont le propre de 
l’organisation générale de ces corps et de la vie 
qu'ils possedent; et qu’en conséquence ces facultés 
communes à tout ce qui possède la vie n’exigent au— 
cun organe particulier pour exister; 

8° Que, outre les facultés communes à tous les 
corps vivants, certains de ces corps, surtout parmi 
les animaux, ont des facultés qui leur sont tout à 
fait particulières, c’est-à-dire qu'on ne retrouve 
nullement dans les autres ; mais que ces facultés 
particulières, telles que celles que l’on observe dans 
beaucoup d'animaux , sont chacune le produit d’un 
organe où d’un système d'organes spécial qui les 
leur procure, en sorte que tout animal en qui cet 
organe ou ce système d’organes n'existe pas ne 
peutnullement posséder la faculté qu'il donne à ceux 
qui en sont munis! ; 


4 A cette occasion, je remarquerai que les végétaux n'offrent géné- 
ralement dans leur intérieur aucun organe spécial pour une fonction 


A CERTAINS CORPS VIVANTS 153 


90 Enfin, que la mort de tout corps vivant est 
un phénomène naturel qui résulte nécessairement 
des suites de l’existence de la vie dans ce corps, Si 
quelque cause accidentelle ne le produit pas avant 
que les causes naturelles l’'amènent; que ce phéno- 
mène n’est autre chose que la cessation complète des 
mouvements vitaux, à la suite d’un dérangement 
quelconque dans l’ordre et l'état de choses néces- 
saires pour l'exécution de ces mouvements ; et que, 
dans les animaux à organisation très-composée, les 
principaux systèmes d'organes possédant, en quelque 
sorte, une vie particulière, quoique étroitement liée 
à la vie générale de l’individu, la mort de lanimal 
s'exécute graduellement et comme par parties, de 
manière que la vie s'éteint successivement dans ses 
principaux organes et dans un ordre constamment 
le même , et l'instant où le dernier organe cesse de 
vivre est celui qui complète la mort de l'individu. 

Sur des sujets aussi difficiles que ceux dont je 
viens de traiter, tout est 1ci réduit à ce qu’il nous 
est possible de connaître, et se trouve restreint dans 


particulière, et que chaque portion d'un végétal contenant, comme les 
autres, les organes essentiels à la vie, peut par conséquent, soit vivre 
et végéter séparément, soit, par un greffe d'approche, partager avec un 
autre végétal une vie qui leur deviendrait commune; enfin, qu'il résulte 
de cet ordre de choses dans les végétaux, que plusieurs individus d'une 
même espèce et d’un même genre, peuvent vivre les uns sur les autres 
et jouir d’une vie commune. 

J'ajouterai que les bourgeons latents, que l'on trouve suries branches 
et même sur le tronc des végétaux ligneux, ne sont point des organes 
Spéciaux, mais que ce sont les ébauches de certains individus qui 
n'attendent pour se développer que des circonstances favorables. 


154 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES, ETC. 


les limites de ce que l'observation a pu nous appren- 
dre. Tout y est ramené aux conditions essentielles 
à l'existence de la vie dans un corps; conditions 
établies d’après les faits mêmes qui montrent leur 
nécessité. 

S1 les choses ne sont pas réellement telles que je 
viens de l'indiquer, ou si lon pense que les condi- 
tions citées et remplies, et que les faits reconnus 
qui attestent le fondement de ces choses, ne sont 
pas des preuves suffisantes pour autoriser à les re- 
connaitre ; alors on devra renoncer à la recherche 
des causes physiques qui donnent lieu aux phéno- 
mènes de l’organisation et de la vie. 


FIN DE LA SECONDE PARTIE 


TROISIÈME PARTIE 


CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PHYSIQUES 
DU SENTIMENT, CELLES QUI CONSTITUENT LA FORCE PRODUCTIVE 
DES ACTIONS 
ENFIN, CELLES QUI DONNENT LIEU AUX ACTES D'INTELLIGENCE 
QUI S'OBSERVENT DANS DIFFÉRENTS ANIMAUX 


INTRODUCTION 


Dans la seconde partie de cet ouvrage, j’ai essayé 
de répandre quelque jour sur les causes physiques 
de la vie, dans les corps qui en jouissent, sur les 
conditions nécessaires pour qu'elle puisse exister, 
enfin, sur la source de cette force excitatrice des 
mouvements vitaux, sans laquelle aucun corps ne 
pourrait réellement posséder la vie. 

Maintenant, je me propose de considérer ce que 
peut être le sentiment, comment l'organe spécial qui 
y donne lieu (le système nerveux) peut produire 
l’admirable phénomène des sensations , comment les 


156 INTRODUCTION 


sensations elles-mêmes peuvent, par la voie de l’or- 
gane ajouté au cerveau, produire des idées, et 
celles-ci occasionner dans le même organe la for- 
mation des pensées, des jugements, des raisonne- 
ments; en un mot, des actes d'intelligence plus 
admirables encore que ceux que les sensations cons- 
tituent. 

Mais, dit-on, « les fonctions du cerveau sont d’un 
autre ordre que celles des autres viscères. Dans ces 
derniers, les causes et les effets sont de même nature 
(de nature physique)... 

« Les fonctions du cerveau sont d’un ordre tout 
différent : elles consistent à recevoir, par le moyen 
des nerfs, et à transmettre immédiatement à l'esprit 
les impressions des sens, à conserver les traces de 
ces impressions, et à les reproduire avec plus ou 
moms de promptitude, de netteté et d’abondance, 
quand Pesprit en a besoin pour ses opérations, ou 
quand les lois de l'association des idées les raménent, 
enfin, à transmettre aux muscles, toujours par le 
moyen des nerfs, les ordres de la volonté. 

« Or, ces trois fonctions supposent l'influence 
mutuelle, à jamais incompréhensible, de la matière 
divisible et du moi indivisible, hiatus infranchissable 
dans le système de nos idées et pierre éternelle 
d’achoppement de toutes les philosophies ; elles se 
trouvent même avoir encore une difficulté qui ne 
tient pas nécessairement à la premiere : non-seule- 


INTRODUCTION 157 


ment nous ne comprenons, ni ne comprendrons Ja- 
mais, comment des traces quelconques, imprimées 
dans notre cerveau, peuvent être perçues de notre 
esprit et y produire des images; mais quelque déli- 
cates que soient nos recherches, ces traces ne se 
montrent en aucune facon à nos yeux, et nous igno- 
rons entièrement quelle est leur nature, quoique 
l'effet de l’âge et des maladies sur la mémoire ne 
nous laissent douter, ni de leur existence, ni de leur 
siége. » (Rapport à l’Institut sur un Mémoire de 
MM. Gall et Spurzheim, p. 5.) 

Il faut, à mon avis, un peu de témérité pour dé- 
terminer les bornes des conceptions auxquelles l’in- 
telligence humaine peut atteindre, ainsi que les 
limites et la mesure de cette intelligence. En effet, 
qui peut assurer que jamais l’homme n’obtiendra 
telle connaissance et ne pénétrera tel des secrets 
de la nature ? Ne sait-on pas qu'il a déjà découvert 
quantité de vérités importantes, parmi lesquelles 
plusieurs semblaient entièrement hors de sa portée ? 

Certes, je le répète, il y aurait plus de témérité 
dans celui qui voudrait déterminer, d’une maniere 
positive, ce que l’homme peut savoir, et ce qu’il est 
condamné à ignorer toujours, que dans celui qui, 
étudiant les faits, examinant les suites des relations 
qui existent entre différents corps physiques, et con- 
sultant toutes les inductions, lorsque la grossiereté 
de ses sens ne lui permettrait plus de trouver lui- 
même les preuves des certitudes morales qu'il aurait 


158 INTRODUCTION 


su acquérir, ferait des tentatives soutenues pour re 
connaître les causes des phénomènes de la nature, 
quelles qu’elles puissent être. 

S’it était question d'objets hors de la nature, de 
phénomènes qui ne fussent pas physiques ou le ré- 
sultat de causes physiques, sans doute ces sujets 
seraient au-dessus de l'intelligence humaine; car 
elle ne saurait avoir aucune prise sur ce qui peut 
être étranger à la nature. 

Or comme, dans cet ouvrage, il ne s’agit particu- 
lièrement que des animaux, et comme l’observation 
nous apprend que, parmi eux, il y en a qui possèdent 
la faculté de sentir, qui se forment des idées, qui 
exécutent des jugements et différents actes d’intelli- 
gence, en un mot, qui ont de la mémoire, je de- 
manderai ce que c’est que cet être particulier qu'on 
nomme esprit dans le passage cité ci-dessus ; être 
singulier qui est, dit-on, en rapport avec les actes 
du cerveau, de manière que les fonctions de cet or- 
gane sont d’un autre ordre que celles des autres 
organes de l'individu. 

Je ne vois, dans cet être factice, dont la nature ne 
m'offre aucun modèle, qu'un moyen imaginé pour 
résoudre des difficultés que l’on n'avait pu lever, 
faute d’avoir étudié suffisamment les lois de la na- 
ture : c’est à peu près la même chose que ces catas- 
trophes universelles, auxquelles on a recours pour 
répondre à certaines questions géologiques qui nous 
embarrassent, parce que les procédés de la nature, 


INTRODUCTION 159 


dans les mutations de tous genres qu'elle produit 
sans cesse, ne sont point encore reconnus. 

Relativement aux {races que nos idées et nos pen- 
sées impriment dans notre cerveau, qu'importe que 
ces traces ne puissent être aperçues par aucun de nos 
sens, si, Comme on en convient, il ya des observa- 
tions qui ne nous laissent aucun doute sur leur exis- 
tence, ainsi que sur leur siége : apercevons-nous 
mieux le mode d'exécution des fonctions de nos au- 
tres organes, et, pour citer un seul exemple, voyons- 
nous mieux comment les nerfs mettent nos muscles 
en action ? Cependant, nous ne pouvons douter que 
l’inftuence nerveuse ne soit indispensable pour l’exé- 
cution de nos mouvements musculaires. 

A l'égard de la nature, où 1l nous importe tant 
d'acquérir des connaissances, les seules qui puissent 
être à notre disposition, et où encore nous ne pou- 
vons guère obtenir, sur les nombreux phénomènes 
qu’elle présente, que des certitudes morales, voici 
la seule voie qui me paraisse propre à nous conduire 
au but vers lequel nous tendons. 

Sans nous en laisser imposer, sur ce sujet, par des 
décisions absolues, presque toujours inconsidérément 
hasardées, recueillons avec soin les faits que nous 
pouvons observer, consultons l'expérience partout 
où nous en avons les moyens, et lorsque cette expé= 
rience nous est interdite, rassemblons toutes les in= 
ductions que peut nous fournir l'observation des 
faits analogues à ceux qui nous échappent, et ne pro= 


160 INTRODUCTION 


noncons nulle part définitivement : par cette vole, 
nous pourrons peu à peu parvenir à connaître les 
causes d’une multitude de phénomènes naturels, et, 
peut-être mème, celles des phénomènes qui nous 
paraissent les plus incompréhensibles. 

Ainsi, comme les limites de nos connaissances, à 
l'égard de tout ce que nous offre la nature, ne sont 
pas fixées et ne peuvent l'être, je vais, en faisant 
usage des lumières acquises et des faits observés, 
essayer de déterminer, dans cette troisième partie, 
quelles sont les causes physiques qui donnent à cer- 
tains animaux la faculté de sentir, celle de produire 
eux-mêmes les mouvements qui constituent leurs 
actions, celle, enfin, de se former des idées, de com- 
parer ces idées pour en obtenir des jugements ; en 
un mot, d'exécuter différents actes d'intelligence. 

Le plus souvent, les considérations que J’expo- 
serai, à cet égard, seront dans le cas de nous donner 
des convictions intimes et morales, et cependant il 
est impossible de prouver positivement le fondement 
de ces considérations. Il semble que notre destinée 
- ne nous permette, relativement à quantité de phéno- 
ménes naturels, d'acquérir que cet ordre de con- 
naissances ; et néanmoins on ne saurait douter de 
son importance dans mulle circonstances où il est 
nécessaire que nos Jugements soient dirigés. 

Si le physique et le moral ont une source com 
mune, si les idées, la pensée, l'imagination même, 
ne sont que des phénomènes de la nature, et consé- 


INTRODUCTION 161 


quemment que de véritables faits d'organisation ; il 
appartient principalement au zoologiste, qui s’est 
appliqué à l’étude des phénomènes organiques, de 
rechercher ce que sont les idées, comment elles se 
produisent, comment elles se conservent , en un mot, 
comment la mémoire les renouvelle, les rappelle et 
les rend de nouveau sensibles; de là, il n’a que 
quelques efforts à faire pour apercevoir ce que sont 
les pensées elles-mêmes, auxquelles les idées seules 
peuvent donner lieu ; enfin, en suivant la même 
voie et en s'étayant de ses premiers aperçus, 1} peut 
découvrir comment les pensées donnent lieu au rai- 
sonnement, à l'analyse, à des jugements, à la 
volonté d'agir, et comment encore des actes de 
pensées et de jugements multipliés peuvent faire 
naitre l'imagination, cette faculté si féconde en 
création d'idées, qu'elle semble même en produire 
dont les objets ne sont pas dans la nature, mais 
qui ont pris nécessairement leur source dans ceux 
qui sy trouvent. 

Si tous les actes d'intelligence, dont j’entreprends 
de rechercher les causes , ne sont que des phéno- 
mènes de la nature, c’est-à-dire des actes d’orga- 
nisation, ne puis-je pas, en me pénétrant de la 
connaissance des seuls moyens que possèdent les 
organes pour exécuter leurs fonctions, espérer de 
découvrir comment ceux de lintelligence peuvent 
donner lieu à la formation des idées, en conserver, 
plus ou moins longtemps, les traces ou les empreintes, 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 11 


162 INTRODUCTION 


enfin, avoir la faculté, à l’aide de ces idées, d’exé- 
cuter des pensées, etc., etc. ? 

On ne saurait douter, maintenant , que les actes 
d'intelligence ne soient uniquement des faits d’orga- 
misation, puisque, dans l’homme même, qui tient de 
si près aux animaux par la sienne, 1l est reconnu 
que des dérangements dans les organes qui produi- 
sent ces actes, en entraînent dans la production des 
actes dont il s’agit, et dans la nature mème de leurs 
résultats. 

La recherche des causes, dont j’ai parlé plus haut, 
m'a done paru fondée sur une possibilité évidente : 
je m'en suis occupé; je me suis attaché à l'examen 
du seul moyen dont la nature pouvait disposer pour 
opérer les phénomènes dont il est ici question ; et ce 
sont les résultats de mes méditations à cet égard 
que je vais présenter. 

Le point essentiel à considérer, est que, dans tout 

ystème d'organisation animale, la nature ne peut 

avoir qu'un seul moyen à sa disposition, pour faire 
exécuter aux différents organes les fonctions qui 
leur sont propres. 

En effet, ces fonctions sont partout le résultat de 
relations entre des fluides qui se meuvent dans 
l'animal, et les parties de son corps qui contiennent 
ces fluides. 

Partout, ce sont des fluides en mouvement (les 
uns contenables, et les autres incontenables) qui 
vout porter leurs influences sur les organes; et 


INTRODUCTION 163 


partout, encore, ce sont des parties souples qui, 
tantôt en éréthisme, réagissent sur les fluides qui 
les affectent, et tantôt incapables de réagir, modi- 
fient, par leur disposition et les impressions qu’elles 
conservent, le mouvement des fluides qui s’agitent 
parmi elles. 

Ainsi, lorsque les parties souples des organes 
sont susceptibles d’être animées par l’orgasme, et 
de réagir sur les fluides contenus qui les affectent, 
alors les différents mouvements et changements qui 
en résultent, soit dans les fluides, soit dans les 
organes , produisent les phénomènes de l’organisa- 
tion qui sont étrangers au sentiment et à l’intelli- 
gence ; mais lorsque les parties contenantes sont 
d’une nature et d’une mollesse qui les rend passives 
et incapables de réagir, alors le fluide subtil qui se 
meut dans ces parties, et qui en reçoit des modifica- 
tions dans ses mouvements, donne lieu au phénomène 
du sentiment et à ceux de l'intelligence ; ce que 
j'essayerai d'établir dans cette partie. 

Il ne s’agit donc dans tout ceci que de relations 
qui existent entre les parties concrètes, souples et 
contenantes d’un animal, et les fluides en mouve- 
ment (contenables ou incontenables) qui agissent sur 
ces parties. | 

Ce fait, qui est assez connu, fut, pour moi, un 
trait de lumière lorsque je le considérai; il me 
servit de guide dans la recherche que je me propo- 
sais, et bientôt je sentis que les actes d'intelligence 


164 INTRODUCTION 


des animaux étant, ainsi que les autres actes qu’on 
leur voit produire, des phénomènes de l’organisation 
animale, ils prenaient aussi leur source dans les 
relations qui existent entre certains fluides en mou- 
vement, et les organes propres à la production de 
ces actes admirables. 

Qu'importe que ces fluides, que leur extrème 
ténuté ne nous permet ni de voir, ni de retenir 
dans aucun vase, pour les soumettre à nos expé- 
riences, ne manifestent leur existence que par leurs 
effets ? ces effets n’en sont pas moins de nature à 
prouver qu'eux seuls peuventles produire. D’ailleurs, 
il est aisé de reconnaître que les fluides visibles qui 
pénètrent dans la substance médullaire du cerveau 
et des nerfs ne sont que nourriciers et propres à 
fournir à des sécrétions, mais que ces fluides ont 
trop de lenteur dans leurs mouvements pour pouvoir 
donner lieu aux phénomènes, soit du mouvement 
musculaire, soit du sentiment, soit de la pensée. 

Éclairé par ces considérations, qui retiennent 
l'imagination dans des limites qu'elle ne doit pas 
franchir, je vais d’abord montrer comment il paraît 
que la nature est parvenue à créer l’organe du sen- 
timent, et, par son moyen, la force productrice des 
actions : je développerai ensuite comment, à l’aide 
d’un organe particulier pour l'intelligence des idées, 
des pensées, des jugements , de la mémoire, etc., 
peuvent avoir lieu dans les animaux qui possèdent 
cet organe. 


CHAPITRE PREMIER 


DU SYSTÈME NERVEUX, DE SA FORMATION 
ET DES DIFFÉRENTES SORTES DE FONCTIONS QU'IL 
PEUT EXÉCUTER 


Le système nerveux, considéré dans l’homme et 
dans les animaux les plus parfaits, se compose de 
différents organes particuliers très-distincts, et 
même, suivant son perfectionnement, de divers 
systèmes d'organes qui ont entre eux une connexion 
intime, et qui forment un ensemble très-compliqué. 
On a supposé que ce système était partout le même 
dans sa composition , sauf plus ou moins de déve- 
loppement dans ses parties, et les différences que 
les diverses organisations des animaux ont exigé 
dans la grandeur, la forme et la situation de ces 
parties. De là, les diverses sortes de fonctions qu'on 
lui voit produire dans les animaux les plus parfaits, 
furent toutes regardées comme étant le propre de 
son existence dans l’organisation animale. 


166 DU SYSTÈME NERVEUX 


Cette manière de considérer le système nerveux 
ne peut nous éclairer sur la nature du système 
d'organes dont il s’agit, sur ce qu'il est nécessaire- 
ment dans son origine, sur la composition crois- 
sante de ses parties à mesure que l’organisation 
animale s’est compliquée et perfectionnée, enfin, 
sur les facultés nouvelles qu’il donne aux animaux 
qui en sont munis, selon que sa composition est 
devenue plus grande. Au contraire, au lieu de 
fournir des lumières aux physiologistes sur ces diffé- 
rents objets, elle les porte à attribuer partout au 
système nerveux, dans différents degrés d’éminence, 
les mêmes facultés qu'il donne aux animaux les 
plus parfaits, ce qui ne saurait avoir le moindre 
fondement. 

Je vais donc essayer de prouver : 1° Que tous les 
animaux ne peuvent posséder généralement ce sys- 
tème d'organes ; 2° que, dans son origine, et consé— 
quemment dans sa plus grande simplicité, il ne donne 
aux animaux qui le possèdent que la seule faculté 
du mouvement musculaire; 3° qu'ensuite, plus 
composé dans ses parties, il communique alors aux 
animaux la jouissance du mouvement musculaire, 
plus celle eu sentiment, 4 qu'enfin, complet dans 
toutes ses parties, il donne aux animaux qui en sont 
possesseurs, la faculté du mouvement musculaire, 
celle d’éprouver des sensations, et celle de se former 
des idées, de comparer ces idées entre elles, de pro- 
duire des jugements, en un mot, d'avoir de lrntel- 


DU SYSTÈME NiRVEUX 167 


ligence, quoique plus ou moins développée, selon le 
degré de perfectionnement de leur organisation. 

Avant d'exposer les preuves du fondement de ces 
diverses considérations, voyons d’abord quelle peut 
être l’idée générale que nous devons nous former de 
la nature et de la disposition des différentes parties 
du système nerveux. 

Ce système, dans toute organisation animale où 
il se montre, offre une #asse médullaire principale, 
soit divisée en parties séparées, soit rassemblée en 
une seule, sous quelque forme que ce soit, et des 
filets nerveux qui vont se rendre à cette masse. 

Tous ces organes présentent, dans leur composi- 
tion, trois sortes de substances de nature très-diffé- 
rente, SAVOIr : 


1° Une pulpe médullaire très-molle et d’une nature 
particuhere ; 

2° Une enveloppe aponévrotique qui entoure la 
pulpe médullaire, fournit des gaines à ses prolonge- 
ments et à ses filets, même les plus grèles, et dont la 
nature et les propriétés ne sont pas les mêmes que 
celles de la pulpe qu'elle renferme ; 

3 Un fluide invisible et tres-subtil, se mouvant 
dans la pulpe sans avoir besoin de cavité apparente, 
et qui y est retenu latéralement par la gaine qu'il 
ne saurait traverser. 


Telles sont les trois sortes de substances qui com 
posent le système nerveux, et qui, par leurs dispo- 


168 DU SYSTÈME NERVEUX 


sitions, leurs relations, et les mouvements du fluide 
subtil que renferment les parties de ce système, 
produisent les phénomènes organiques les plus éton- 
nants. 

On sait que la pulpe des organes dont il s’agit est 
une substance médullaire très-molle, blanche inté- 
rieurement, grisâtre dans sa croûte extérieure, in- 
sensible, et qui paraît d’une nature albumino -géla- 
tineuse. Elle forme, au moyen de ses gaines aponé- 
vrotiques, des filets et des cordons qui vont se rendre 
à des masses plus considérables de la même sub- 
stance médullaire, lesquelles contiennent le foyer 
(simple ou divisé) ou le centre de rapport du sys- 
teme. 

Soit pour l'exécution du mouvement musculaire, 
soit pour celle des sensations, il faut nécessairement 
que le système d'organes destiné à opérer de pa- 
reilles fonctions, ait un foyer ou un centre de rap- 
port pour les nerfs. Effectivement, dans le premier 
cas, le fluide subtil qui doit porter son influence sur 
les muscles, part d’un foyer commun pour se diriger 
vers les parties qu'il doit mettre en action ; et dans 
le second cas, le même fluide, mu par la cause affec- 
tante, part de l'extrémité du nerfaffecté pour se diri- 
ger vers le centre de rapport, et y produire l’ébran- 
lement qui donne lieu à la sensation. 

I faut donc absolument un foyer ou centre de 
rapport, auquel les nerfs se rendent, pour que le 
système dont il s’agit puisse opérer ses fonctions, 


DU SYSTÈME NERVEUX 169 


quelles qu’elles soient ; et nous verrons même que, 
sans lui, les actes de l’organe de lintelligence ne 
pourraient devenir sensibles à l'individu. Or, ce 
centre de rapport se trouve placé dans une partie 
quelconque de la masse médullaire principale qui fait 
toujours la base du système nerveux. 

Les filets et les cordons dont je viens de parler 
tout à l'heure sont les nerfs ; et la masse médullaire 
principale qui contient le centre de rapport du sys- 
tème, constitue, dans certains animaux sans verte- 
bres, soit des ganglions séparés, soit la moelle lon- 
gitudinale noueuse dont ils sont munis ; enfin, dans 
les animaux à vertebres, elle forme la moelle épi- 
nière et la moelle allongée qui se joint au cerveau. 

Partout où le système nerveux existe, quelque 
simple ou imparfait qu'il soit, la masse médullaire 
principale, dont il vient d'être question, se trouve 
toujours sous une forme quelconque, parce qu’elle 
fait la base de ce systeme, et qu'elle lui est essen- 
tielle. 

En vain, pour nier cette vérité de fait, dira-t-on : 

1° Que l’on peut enlever entièrement le cerveau 
d’une tortue, d’une grenouille, sans que ces animaux 
cessent de montrer, par leurs mouvements, qu'ils 
ont encore des sensations et une volonté : je répon- 
drai qu'on ne détruit, dans cette opération, qu'une 
portion de la masse médullaire principale, et que ce 
n’est pas celle qui contient le centre de rapport ou 
le sensorium commune, car les deux hémisphères 


170 DU SYSTÈME NERVEUX 


qui forment la masse principale de ce qu’on nomme 
le cerveau ne le renferment pas ; 

2° « Qu'il y a des insectes et des vers qui, étant 
coupés en deux ou plusieurs morceaux, forment, à 
l'instant même, deux ou plusieurs individus qui ont 
chacun leur système de sensation et leur volonté 
propre. » Je répondrai encore, qu'à l'égard des in- 
sectes, le fait allégué est sans fondement ; qu'aucune 
expérience connue ne constate qu’en coupant un 
insecte en deux morceaux, on puisse obtenir deux 
individus capables de vivre chacun de leur côté; et 
quand mème cela serait, chaque moitié de l’insecte 
coupé aurait encore, dans sa portion de moelle lon- 
gitudinale noueuse, une masse médullaire principale ; 

3° «. Que plus la masse de matière nerveuse est 
également distribuée, moins le rôle des parties cen- 
trales est essentiel‘. » Je répondrai, enfin, que cette 
assertion est une erreur; qu'elle ne appuie sur 
aucun fait; et qu'on ne l’a faite que faute d’avoir 
conçu la nature des fonctions du système nerveux. 
La sensibilité n’est nullementle propre de la matière 
nerveuse, ni d'aucune autre, et le sys{ème nerveux 
ne peut avoir d'existence et exercer la moindre de 
ses fonctions que lorsqu'il se compose d’une masse 
médullaire principale de laquelle partent des filets 
nerveux. 


1 Voyez l'Anatomie comparée de M. Cuvier, t. I, p. 94, et les 
Recherches sur le Système nerveux de MM. Gall et Spurzhem, 
Dee. 


DU SYSTÈME NERVEUX 471 


Non-seulement le système nerveux ne peut exis- 
ter, ni exécuter la moindre de ses fonctions, sans être 
composé d’une masse médullaire principale, qui con- 
tienne un ou plusieurs foyers pour fournir à l’exci- 
tation des muscles, et de laquelle partent différents 
nerfs qui se rendent aux parties, mais nous verrons, 
en outre, dans le troisième chapitre, que la faculté 
de sentir ne peut avoir lieu, dans aucun animal, que 
lorsque la masse médullaire dont je viens de parler 
contient un foyer unique, en un mot, un centre de 
rapport où les nerfs du système sensitif se dirigent 
de toutes parts. 

A la vérité, comme il est extrêmement difficile de 
suivre ces nerfs jusqu'à leur centre de rapport, plu- 
sieurs anatomistes nient l'existence de ce foyer com- 
mun, essentiel à la production du sentiment ; ils 
considerent ce dernier comme un attribut de tous les 
nerfs, et celui mème de leurs moindres parties ; 
enfin, pour étayer leur opinion particuhère sur la 
nullité du centre de rapport dans le système sensitif, 
ils supposent que le besoin de placer l'âme en un 
point isolé, a fait imaginer ce foyer commun, ce 
lieu circonserit où toutes les sensations se rendent. 

Il suffit de penser que l’homme est doué d’une 
âme mmortelle, sans que l’on doive jamaiss’occuper 
du siège et deslimites de cette ämedans son corpsindi- 
viduel, ni de sa connexion avec les phénomènes de 
son organisation : toutce que l’on pourra dire à cet 
égardsera toujours sans baseet purementimaginaire. 


172 DU SYSTÈME NERVEUX 


Si nous nous occupons de la nature, elle seule 
doit être uniquement l’objet de nos études, et ce sont 
uniquement aussi les faits qu’elle nous présente que 
nous devons examiner, pour tâcher de découvrir les 
lois physiques qui régissent la production de ces 
faits ; enfin, Jamais nous ne devons faire intervenir, 
dans nos raisonnements, la considération d’objets 
hors de la nature, et sur lesquels il nous sera 
toujours impossible de savoir quelque chose de 
positif. 

Pour moi, qui ne considère l’organisation que 
pour connaître les causes des diverses facultés des 
animaux, étant convaincu que beaucoup de ces ani- 
maux jouissent du sentiment, et que, parmi ces der- 
niers, il s’en trouve qui ont des idées et qui exécu- 
tent des actes d'intelligence, je crois ne devoir 
rechercher les causes de ces phénomènes que dans 
celles qui sont physiques. À cette conséquence, dont 
je me fais une loi dans mes recherches, j’ajouterai 
que, persuadé qu'aucune sorte de matière ne peut 
avoir en propre la faculté de sentir, je le suis en 
même temps que cette faculté, dans les corps vivants 
qui en jouissent, ne consiste que dans un effet gé- 
néral qui se produit dans un système d'organes 
approprié, et que cet eflet ne peut avoir lieu que 
lorsque le système dont il s’agit possède un foyer 
unique, en un mot, un centre de rapport où tous les 
nerfs sensitifs viennent aboutir. 

Relativement aux animaux à vertebres, c’est à 


DU SYSTÈME NERVEUX 173 
l'extrémité antérieure de la moelle épinière, dans la, 
moelle allongée mème, ou peut-être dans sa protu- 
bérance annulaire, que paraît être le sensorium 
commune, C'est-à-dire le centre de rapport des 
nerfs qui exécutent le phénomène de la sensibilité ; 
car c’est vers quelque point de la base du cerveau, 
ou de ce que l’on nomme ainsi, que ces nerfs parais- 
sent se terminer. Si ce centre de rapportse trouvait 
bien avancé dans l’intérieur du cerveau, les acé- 
phales, ou ceux en qui le cerveau se trouve détruit, 
manqueraient alors de sentiment, et même ne pour- 
raient vivre. 

Mais il n’en est pas ainsi : dans les animaux qui 
jouissent de quelque faculté d'intelligence, le foyer 
essentiel au sentiment n'existe que dans un lieu 
quelconque de la base de ce qu’on nomme leur cer- 
veau ; Car on donne ce nom à toute la masse médul- 
laire contenue dans la cavité du cràne. Cependant, 
les deux hémisphères, que l’on confond avec le 
cerveau, en doivent être distingués ; parce qu'ils 
forment ensemble un organe particulier qui a été 
ajouté à ce cerveau, qu'ils ont des fonctions qui leur 
sont propres, et qu'ils ne contiennent pas le centre 
de rapport du système sensitif. 

Qu'importe que le véritable cerveau, c’est-à-dire 
que la partie médullaire qui contient le foyer des 
sensations et à laquelle vont se rendre les nerfs des 
sens particuliers, soit difficile à reconnaitre et à 
déterminer dans l’homme et dans les animaux qui 


174 DU SYSTÈME NERVEUX 


ont de l'intelligence, à cause de la contiguité ou 
de l'union qui se trouve entre ce cerveau et les deux 
hémisphères qui le recouvrent, il n’en est pas moins 
vrai que ces hémisphères constituent un organe tres- 
particulier relativement aux fonctions qu'il exécute. 

En effet, ce n’est point dans le cerveau propre- 
ment dit que se forment les idées, les jugements, 
les pensées, etc., mais c’est dans l'organe qui lui 
est ajouté, et que les deux hémisphères constituent, 
que ces actes organiques peuvent uniquement s’opé- 
rer. 

Ce n’est point non plus dans les hémisphères dont 
il s’agit que les sensations se produisent; ils n’y ont 
aucune part, et le système sensitif existe effective- 
ment dans des animaux dont le cerveau n’est point 
muni de ces hémisphères plissés : aussi ces organes 
peuvent-ils subir de grandes altérations sans que le 
sentiment et la vie en souffrent. 

Cela posé, je reviens aux considérations géné- 
rales qui concernent la composition des différentes 
parties du système nerveux. 

Ainsi, soit les filets et les cordons nerveux , soit 
la moelle longitudinale noueuse, la moelle épinière, 
la moelle allongée , le cervelet, le cerveau et ses 
hémisphères, toutes ces parties ont, comme je l’ai 
dit, une enveloppe membraneuse et aponévrotique 
qui leur sert de gaine et qui, par le propre de sa 
nature, retient dans la substance médullaire, le fluide 
particulier qui s'y meut diversement; mais, aux 


DU SYSTÈME NERVEUX 4175 


extrémités où les nerfsse terminent dans les parties 
du corps, ces gaines sont ouvertes et permettent la 
communication du fluide nerveux avec ces parties. 

Tout ce qui concerne le nombre , la forme et la 
situation des parties que je viens de citer, appartient 
à l'anatomie ; on en trouve une exposition exacte 
dans les ouvrages qui traitent de cette partie de nos 
connaissances. Or, comme mon objet, ici, se réduit 
à considérer le système nerveux dans ses généralités 
et ses facultés, et à rechercher comment la nature 
est parvenue à le faire exister dans les animaux qui 
le possèdent, je ne dois entrer dans aucun des détails 
connus à l'égard des parties de ce système. 


FORMATION DU SYSTÈME NERVEUX 


On ne peut assurément déterminer, d’une ma- 
nière positive, le mode de formation qu'a employé 
la nature pour faire exister le sys{ème nerveux 
dans les animaux qui le possédent ; mais il est tres- 
possible de reconnaître les conditions , c’est-à-dire 
les circonstances qui furent nécessaires pour que ce 
mode de formation pût s’exécuter. Ainsi, les cir- 
constances dont il s’agit étant reconnues et prises 
en considération, on peut concevoir comment les 
parties de ce système purent être formées et com- 
ment elles purent être munies du fluide subtil qui 
se meut dans leur intérieur, et les met dans le cas 
d'opérer les fonctions qui leur sont propres. 


176 DU SYSTÈME NERVEUX 


On doit penser que, lorsque la nature eut fait 
faire assez de progres à l’organisation animale pour 
que le fluide essentiel des animaux fût très-anima- 
lisé, et pour que la substance albumino-gélatineuse 
pût se former, alors cette substance sécrétée du fluide 
principal de Panimal (du sang ou de ce qui en tient 
lieu) fut déposée dans un lieu quelconque du corps : 
or, l’observation constate qu’elle l’a été d’abord 
sous la forme de plusieurs petites masses séparées, 
et ensuite sous celle d’une masse plus considérable, 
allongée en cordon noueux , et qui à occupé à peu 
près toute la longueur du corps de Pindividu. 

Le tissu cellulaire, modifié par la présence de 
cette masse de substance albumino-gélatineuse, lui 
fournit alors la gaine qui l'enveloppe, ainsi que 
celles de ses divers prolongements ou filets. 

Maintenant, si je considère les fluides visibles qui 
se meuvent ou circulent dans le corps des animaux, 
je remarque que, dans les animaux les plus simples 
en organisation, ces fluides sont bien moins compo- 
sés, bien moins surchargés de principes, qu'ils ne 
le sont dans les animaux les plus parfaits. Le sang 
d’un mammnifére est un fluide plus composé , plus 
animalisé, que la sanie blanchâtre du corps des 
insectes ; et cette sanie est un fluide plus composé 
que celui presque aqueux qui se meut dans le corps 
des polypes et dans celui des infusoires. 

Cela étant ainsi, je suis autorisé à penser que 
ceux des fluides invisibles et incontenables qui 


DU SYSTEME NERVEUX 177 


entretiennent lirritabilité et les mouvements de la 
vie dans des animaux les plus imparfaits, se trou- 
vant dans des animaux dont l’organisation est déjà 
fort composée et perfectionnée, y acquièrent une 
modification assez grande pour pouvoir être changés 
en fluides contenables , quoique toujours invisibles. 

Il paraît effectivement qu'un fluide particulier, 
invisible et tres-subtil, mais modifié par son séjour 
dans le sang des animaux, s’en sépare continuelle- 
ment pour se répandre dans les masses médullaires 
nerveuses, et y répare sans cesse celui qui se con- 
somme dans les différents actes du système dor- 
ganes qui le contient. 

La pulpe médullaire des parties du système ner- 
veux, et le fluide subtil qui peut se mouvoir dans 
cette pulpe, n'auront donc été formés, dans l’orga- 
nisation animale, que lorsque sa composition aura 
pu donner lieu à la formation de ces matieres. 

En effet, de mème que les fluides intérieurs des 
animaux se sont progressivement modifiés, anima 
lisés et composés, à mesure que la composition et le 
perfectionnement de l’organisation ont fait des pro- 
gres; de mème aussi, les organes et les parties 
solides où contenantes du corps animal, se sont 
composés et diversifiés peu à peu de la même ma 
niere et par la même cause. Or, le fluide nerveux, 
devenu contenable apres sa sécrétion du sang, s’est 
répandu dans la substance albuininc-gélatineuse 


de la moelle nerveuse , parce que la nature de cette 
LAMARCK, PHIL. ZOOL. 1]. 12 


178 DU SYSTÈME NERVEUX 


substance s’en est trouvée conductrice, c’est-à-dire 
propre à le recevoir et à lui permettre de se mouvoir 
avec facilité dans sa masse; et ce fluide y a été 
retenu par les gaines aponévrotiques qui envelop- 
pent cette moelle nerveuse, parce que la nature de 
ces gaines ne laisse pas au fluide dont il s’agit la 
faculté de les traverser. 

Des lors, le fluide nerveux étant répandu dans 
cette substance médullaire qui, dans son origine, fut 
disposée en ganglions séparés et ensuite en cordon, 
en a probablement étendu, par ses mouvements, des 
portions qui se sont allongées en filets, et ce sont 
ces filets qui constituent les nerfs. On sait qu'ils 
naissent de leur centre de rapports, sortant, par 
paires, soit d’une moelle longitudinale noueuse, soit 
d’une moelle épinière, soit de la base du cerveau, et 
qu'ils vont se terminer dans les différentes parties 
du corps. 

Voilà, sans doute, le mode qu'a employé la nature 
pour la formation du système nerveux : elle a com- 
mencé par produire plusieurs petites masses de 
substance médullaire, lorsque la composition de 
l'organisation animale lui en a fourni les moyens, 
ensuite elle les a rassemblés en une principale, et, 
dans cette masse, le fluide nerveux, devenu conte 
nable, s’est aussitôt répandu et s’est trouvé retenu 
par les gaïnes nerveuses : ce fut alors que, par ses 
mouvements, 1l fit naitre de la masse médullaire 
dont il est question, les filets et Les cordons nerveux 


DU SYSTÈME NERVEUX 179 
qui en partent, pour se rendre aux différentes par- 
ties du corps. 

On sent, d’après cela, que des nerfs ne peuvent 
exister dans aucun animal, à moins qu'il n’y ait une 
masse médullaire qui contienne leur foyer ou centre 
de rapport; et conséquemment que quelques filets 
blanchâtres isolés, n’aboutissant point à une masse 
médullaire plus considérable, ne peuvent être regar- 
dés comme des nerfs. 

J’ajouterai à ces considérations sur la formation 
du système nerveux que, si la matière médellaire 
a été sécrétée, et l’est sans cesse par le fluide prin- 
cipal de l'animal, on doit sentir que, dans les ani- 
maux à sang rouge, ce sont les extrémités capillaires 
de certains vaisseaux artériels qui sécretent, répa- 
rent, enfin, nourrissent cette matière médullaire ; 
et comme les extrémités de ces vaisseaux artériels 
doivent être accompagnées des extrémités de cer- 
tains vaisseaux veineux, toutes ces extrémités vas- 
culaires, qui contiennent un sang coloré, se trouvant 
un peu enfoncées dans la substance médullaire que 
ces vaisseaux ont produite, il en doit résulter que 
cette substance médullaire paraïtra grisâtre dans 
une partie externe de son épaisseur : quelquefois, 
même, par suite de certaines évolutions de parties, 
qui se sont opérées dans l’encéphale à mesure qu’il 
s’est composé, les organes nutritifs ont pénétré pro- 
fondément, en sorte que la matière médullaire gri- 
sâtre s’est trouvée centrale en certains lieux, et 


180 DU SYSTEME NERVEUX 


enveloppée en grande partie par celle qui est 
blanche. 

J’ajouterai encore que, si les extrémités de cer- 
tains vaisseaux artériels ont sécrété et nourrissent 
ensuite la matière médullaire du système nerveux, 
ces mêmes extrémités vasculaires y ont pu déposer 
pareillement le fluide nerveux qui se sépare du sang, 
et le verser continuellement dans cette substance 
médullaire qui est si propre à le recevoir. 

Enfin, je terminerai ces considérations par quel- 
ques-unes de celles qui concernent le développement 
de la masse médullaire principale, ainsi que les ren- 
flements et les épanouissements de certaines por- 
tions de cette masse, à mesure que les systèmes 
particuliers qui composent le système nerveux com 
mun et perfectionné se sont formés et ont reçu leurs 
développements. 

Dans la masse médullaire principale de tout sys- 
tème nerveux, la portion particulière, qui fut, en 
quelque sorte, productrice du reste de cette masse, 
ne doit pas nécessairement offrir, dans cette partie 
médullaire, un volume plus considérable que celui 
des autres portions de la même masse qui y ont pris 
leur source, car l'épaisseur et le volume des autres 
portions de la masse médullaire dont il s’agit, sont 
toujours en raison de l'emploi que fait l'animal des 
nerfs qui en partent. J’ai assez prouvé que tous les 
autres organes sont dans le même cas : plus ils sont 
exercés, plus alors ils se développent, se renforcent 


DU SYSTÈME NERVEUX 181 


et s’agrandissent. C’est parce qu’on n’a point reconnu 
cette loi de l’organisation animale, ou qu'on n’y a 
donné aucune attention, qu'on s’est persuadé que la 
portion. de la masse médullaire qui fut productrice 
des autres portions de cette masse, ne pouvait être 
moins volumineuse que celles qui en sont origi- 
naires. 

Dans les animaux vertébrés, la masse médullaire 
principale se compose du cerveau et de ses acces- 
soires, de la moelle allongée, et de la moelle épi- 
nière. Or, 1l paraît que la portion de cette masse qui 
fut productrice des autres est réellement la #o0elle 
allongée, car c’est de cette portion que partent les 
appendices médullaires (les jambes et les pyramides) 
du cervelet et du cerveau, la moelle épmiere, enfin, 
les nerfs des sens particuliers. Cependant la moelle 
allongée est, en général, moins grosse ou moins 
épaisse que le cerveau qu'elle a produit, où que la 
moelle épinière qui en dérive. 

D'une part, le cerveau et ses hémisphères étant 
employés aux actes du sentiment et à ceux de lin- 
telligence, tandis que la moelle épiniere ne sert 
qu'à l'excitation des mouvements musculaires { et à 
l'exécution des fonctions organiques ; et de l’autre 
part, l'emploi ou l'exercice des organes, fortement 

1 Relativement à la moelle épinière, considérée comme fournissant 
l'influence nerveuse aux organes du mouvement, on sait, par des expé- 
riences récentes, que ceux des poisons qui agissent sur cette moelle 


causent effectivement des convulsions, des attaques de tétanos, avant 
de produire la mort. 


182 DU SYSTÈME NERVEUX 


soutenu, les développant d’une manière éminente, 
il doit résulter que, dans l’homme qui exerce conti= 
nuellement ses sens et son intelligence, le cerveau 
et ses hémisphères sont dans le cas de s’agrandir 
considérablement, tandis que la moelle épiniére, en 
général, faiblement exercée, ne peut acquérir qu'une 
grosseur médiocre. Enfin, comme dans les princi- 
paux mouvements musculaires de l’homme, ce sont 
les jambes et les bras qui agissent le plus, on a dû 
trouver un renflement remarquable à sa moelle épi 
niere dans les lieux d’où partent les nerfs cruraux 
et les nerfs brachiaux, ce qu’effectivement l’obser- 
vation confirme. 

Au contraire, dans les animaux vertébrés qui ne 
font qu'un usage médiocre de leurs sens, et surtout 
de leur intelligence, et qui se livrent principalement 
au mouvement musculaire, leur cerveau et particu- 
lièrement ses hémisphères ont dù prendre peu de 
développement, tandis que leur moelle épmière s’est 
trouvée dans le cas d'acquérir une grosseur assez 
considérable. Aussi les poissons, qui ne s’exercent 
guere qu'au mouvement musculaire, ont-ils propor- 
tionnellement une moelle épimiere fort grosse et un 
tres-petit cerveau. 

Parmi les animaux sans vertebres, ceux qui ont, 
au lieu d’une moelle épiniere, une #n0elle longitu- 
dinale, comme les 2nsectes, les arachnides, les 
crustacés, etc., ont cette moelle noueuse dans toute 
sa longueur ; parce que ces animaux s’exerçant beau— 


DU SYSTÈME NERVEUX 183 


coup au mouvement, elle a obtenu des renforcements 
et, en conséquence, des renflements aux lieux d’où 
part chaque paire de nerfs. 

Enfin, les mollusques, qui ont de mauvais points 
d'appui pour leurs muscles, et qui, en général, 
n'exécutent que des mouvements lents, n’ont ni 
moelle épinière, ni moelle longitudinale, et n’offrent 

que des ganglions assez rares d’où partent des filets 
nerveux. 

D’après ce que je viens d'exposer, on peut con- 
clure que, dans les animaux à vertèbres, les nerfs 
et la masse médullaire principale ne peuvent dériver 
de haut en bas, c’est-à-dire de la partie supérieure 
et terminale du cerveau, comme le cerveau lui-même 
ne peut être une production de la moelle épinière, 
c’est-à-dire de la partie inférieure ou postérieure 
du système nerveux ; mais que ces diverses parties 
proviennent originairement d’une qui en fut pro= 
ductrice, et qu'il est probable que ce doit être dans 
la snoelle allongée, pres de sa protubérance annu- 
laire, que se trouve l’origine, soit des hémisphères 
du cerveau, soit des jambes du cervelet, soit de la 
moelle épinière, soit des sens particuliers. 

Qu'importe que les bases médullaires des hé- 
mispheres soient rétrécies et beaucoup moins volu- 
mineuses que les hémispheres eux-mêmes, et qu'il en 
soit de mème des jambes du cervelet, etc.; qui ne 
voit que le développement graduel de ces organes a 
pu donner lieu, selon leur plus grand emploi, à un 


184 DU SYSTÈME NERVEUX 


épanouissement qui les aura rendus d’un volume 
beaucoup plus considérable que celui de leur ra- 
eme ! 

Ces considérations sur la formation du système 
nerveux ne sont sans doute que très-générales ; mais 
elles suffisent à mon objet, et doivent intéresser, 
selon moi, parce qu'elles sont exactes et qu’elles 
s'accordent avec les faits observés. 


FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX 


Le système nerreux, considéré dans les animaux 
les plus parfaits, est, comme on sait, trèes-compliqué 
dans ses parties et peut, en conséquence, exécuter 
différentes sortes de fonctions qui donnent aux ani- 
maux qui en jouissent autant de facultés particu- 
lières. Or, avant de prouver que ce système est 
particulier à certains animaux , et non commun à 
tous, et avant d'indiquér quelles sont celles des 
facultés qu'il peut procurer, selon la composition 
de l’organisation des animaux en qui on le consi- 
dère, il importe de dire un mot de ses fonctions 
ainsi que des facultés qui en résultent , et qui sont 
de quatre sortes différentes, savoir : 

l° Celle de provoquer l’action des muscles ; 

2 Celle de donner lieu au sentiment, e'est-a- 
dire aux sensations qui le constituent ; 

3" Celle de produire les émotions du sentiment 
intérieur ; 


DU STSTÈME NERVEUX 185 


4 Celle, enfin, d'effectuer la formation des idées, 
des jugements, des pensées, de l'imagination, de 
la mémoire, etc. 

Essayons de montrer que les fonctions du système 
nerveux qui donnent lieu à chacune de ces quatre 
sortes de facultés sont de nature tres-différente, et 
que tous les animaux qui possèdent ce système ne 
les exécutent pas généralement. 

Les actes du système nerveux qui donnent lieu au 
mouvement musculaire sont tout à fait distincts et 
même indépendants de ceux qui produisent les sen 
sations : ainsi, on peut éprouver une où plusieurs 
sensations, sans qu'il s’en suive aucun mouvement 
musculaire, et on peut faire entrer différents mus- 
cles en action, sans qu'il en résulte aucune sensation 
pour l’individu. Ges faits méritent d’être remarqués, 
et leur fondement ne peut être contesté. 

Comme le mouvement musculaire ne peut s'exé- 
cuter sans l’influence nerveuse , quoiqu'on ne con- 
naisse pas ce qui se passe à l’égard de cette imfluence, 
quantité de faits autorisent à penser que c'est par 
l'émission du fluide nerveux qui, d’un centre ou 
d'un réservoir, se dirige, par le moyen des nerfs, 
vers les muscles qui doiveni agir, que s'opère lin- 
fluence dont il est question. Dans cette fonction du 
système nerveux, les mouvements du fluide subtil 
qui fait agir les muscles se font donc d’un centre 
ou d’un foyer quelconque vers les parties qui doi- 
vent exécuter quelque action. 


186 DU SYSTÈME NERVEUX 


Ce n’est pas seulement pour mettre les muscles 
en action que le fluide nerveux se meut de son foyer 
ou réservoir vers les parties qui doivent exécuter des 
mouvements, mais il paraît que c’est aussi pour 
contribuer à l'exécution des fonctions de différents 
organes dans lesquels le mouvement musculaire n’a 
point lieu d’une manière distincte. 

Ces faits étant assez connus, je ne m’y arrêterai 
pas davantage, mais j’en conclurai que l’influence 
nerveuse qui donne lieu à l’action musculaire, et 
que celle qui concourt à l'exécution des fonctions de 
différents organes, s’opérent par une émission du 
fluide nerveux qui, d’un centre ou réservoir quel- 
conque , se dirige vers les parties qui doivent agir. 

A ce sujet, je rappellerai un fait bien connu, 
mais dont la considération intéresse l’objet que nous 
avons maintenant en vue, le voici : 

Relativement au fluide nerveux qui part de son 
réservoir pour se rendre aux parties du corps, une 
portion de ce fluide est à la disposition de individu, 
qui la met en mouvement à l’aide des émotions de 
son sentiment intérieur, lorsqu'un besoin quelconque 
les excite, tandis que l’autre portion se distribue 
régulièrement, sans la participation de la volonté 
de cet individu, aux parties qui, pour la conservation 
de la vie, doivent ètre mises sans cesse en action. 

Il résulterait de grands inconvénients, s’il pouvait 
dépendre de nous d'arrêter, à notre gré, soit les 
mouvements de notre cœur ou de nos artères, soit 


DU SYSTÈME NERVEUX 187 


les fonctions de nos viscères où de nos organes 
sécrétoires et excrétoires; mais aussi il importe, 
pour que nous puissions satisfaire à tous nos besoins, 
que nous ayons à notre disposition une portion de 
notre fluide nerveux pour l'envoyer aux parties que 
nous voulons faire agir. 

Il y a apparence que les nerfs qui portent conti- 
nuellement linfluence nerveuse aux muscles indé- 
pendants de l’individu et aux organes vitaux, ont 
leur substance médullaire plus ferme et plus dense 
que celle des autres nerfs, ou munie de quelque par- 
ticularité qui l'en distingue, en sorte que non-seu- 
lement le fluide nerveux s’y meut avec moins de 
célérité et s’y trouve moins libre, maisil y est aussi, 
en grande partie, à l’abri de ces ébranlements 
généraux que causent les émotions du sentiment 
intérieur. S'il en était autrement, chaque émotion 
troublerait l'influence nerveuse nécessaire aux or- 
ganes essentiels et aux mouvements vitaux, et expo— 
serait l’individu à périr. | 

Au contraire, les nerfs qui portent linfluence 
nerveuse aux muscles dépendants de l'individu, 
permettent au fluide subtil qu'ils contiennent, la 
liberté et toute la célérité de ses mouvements, de 
manière que les émotions du sentiment intérieur 
mettent facilement ces muscles en action. 

L'observation nous autorise à penser que les nerfs 
qui servent à l’excitation du mouvement musculaire, 
partent de la moelle épinière dans les animaux ver- 


188 DU SYSTÈME NERVEUX 


tébrés , de la moelle longitudinale noueuse dans les 
animaux sans vertébres qui en sont munis, et de 
ganglions séparés dans ceux qui, n’ayant ni moelle 
épinière, ni moelle longitudinale noueuse , en pos- 
sedent dans cet état. Or, dans les animaux qui 
jouissent du sentiment, ces nerfs, destinés au mou- 
vement musculaire , n’ont qu'une simple connexion 
avec le système sensitif, et lorsqu'ils sont lésés, ils 
produisent des contractions spasmodiques, sans trou- 
bler le système des sensations. 

On a donc lieu de croire que, parmi les différents 
systèmes particuliers qui composent le système ner- 
veux dans son perfectionnement , celui qui est em— 
ployé à excitation des muscles est distinct de celui 
qui sert à la production du sentiment. 

Aussi la fonction du système nerveux qui consiste 
à opérer l’action musculaire et l'exécution des diffé— 
rentes fonctions vitales n’y peut-elle parvenir 
qu'en envoyant le fluide subtil des nerfs, de son 
réservoir aux différentes parties. 

Mais la fonction du même système qui opere le 
sentiment est très-différente, par sa nature et par 
les opérations qu’elle exécute, de celle dont Je viens 
de parler, car, dans la production d’une sensation 
quelconque, laquelle ne peut avoir lieu sans l’in- 
fluence nerveuse, le fluide subtil des nerfs commence 
toujours à se mouvoir du point du corps qui est 
affecté, propage son mouvement jusqu'au foyer ou 
centre de rapport du système, y excite une commo— 


DU SYSTEME NERVEUX 189 


tion qui se communique dans tous les nerfs qui 
servent au sentiment, et met leur fluide dans le cas 
de réagir, ce qui produit la sensation. 

Non-seulement ces deux sortes de fonctions du 
système nerveux different l'une de l’autre, en ce que, 
dans tout mouvement musculaire, iln’y a point de 
sensation produite, et que dans la production d’une 
sensation quelconque , 1l n’y a pas nécessairement 
de mouvement musculaire exécuté ; mais ces fonc- 
tions différent, en outre, comme on vient de le voir, 
en ce que, dans l’une d'elles, le fluide nerveux est 
envoyé de son réservoir aux parties, tandis que, 
dans l’autre, il est envoyé des parties mêmes au 
foyer ou centre de rapport du système des sensations. 
Ces faits sont évidents, quoiqu’on ne puisse aperce- 
voir les mouvements qui y donnent lieu. 

La fonction du système nerveux, qui consiste à 
effectuer les émotions du sentiment intérieur, et qui 
s'exécute par un ébranlement général de la masse 
libre du fluide des nerfs, ébranlement qui s'opère 
sans réaction, et par suite sans produire aucune 
sensation distincte, est encore très-particulière et 
fort différente des deux que je viens de citer ; dans 
l'exposition que j'en ferai (chap. 1v), on verra que 
c’est une des plus remarquables et des plus intéres- 
santes à étudier. 

Si la fonction, sans laquelle le système nerveux 
ne pourrait mettre les muscles en action, ni con- 
courir à l'exécution des fonctions organiques, est 


190 DU SYSTÈME NERVEUX 


différente de celle sans laquelle le mème système ne 
pourrait produire le sentiment, ainsi que de celle 
qui constitue les émotions du sentiment intérieur, je 
dois faire remarquer que, lorsque le perfectionne- 
ment du système dont il s’agit est assez avancé pour 
lui faire obtenir l’organe accessoire et spécial que 
constituent les hémispheres plissés du cerveau, 
alors il a la faculté d'exercer une quatrième sorte 
de fonction, qui est encore tres-différente des trois 
premieres. 

En effet, à l’aide de l'organe accessoire dont je 
viens de parler, le système nerveux donne lieu à la 
formation des idées, des jugements, des pensées, de 
la volonté, etc.; phénomènes qu'assurément les trois 
premieres sortes de fonctions citées ne sauraient 
produire. Or, l’organe accessoire en qui s’exécutent 
des fonctions capables de donner lieu à de pareils 
phénomènes, n’est qu’un organe passif, à cause de 
son extrême mollesse, et ne recoit aucune excitation, 
parce qu'aucune de ses parties ne saurait réagir ; 
mais il conserve les impressions qu'il reçoit, et ces 
impressions modifient les mouvements du fluide subtil 
qui se meut entre ses nombreuses parties. 

C’est une idée mgénieuse, mais dénuée de preuves 
et de motifs suffisants, que celle qu'a exprimée 
Cabanis, lorsqu'il a dit que le cerveau agissait sur 
les impressions que les nerfs lui transmettent, comme 
l'estomac sur les aliments que l’æsophage y verse, 
qu'il les digérait à sa maniere, et qu'ébranlé par le 


DU SYSTÈME NERVEUX 191 
mouvement qui lui était communiqué, il réagissait, 
et que de cette réaction naissait la perception, qui 
devenait ensuite une idée. 

Ceci ne me paraît nullement reposer sur la con- 
sidération des facultés que peut avoir la pulpe céré- 
brale, etje ne saurais me persuader qu’une substance 
aussi molle que celle dont il s’agit soit réellement 
active, et qu'on puisse dire à son égard, qu'ébran- 
lée par le mouvement qui lui est communiqué, 
cette substance réagisse et donne lieu à la per- 
ception. 

L'erreur, à ce sujet, provient donc, d’une part, 
de ce que le savant dont je parle, ne considérant 
point le fluide nerveux, s’est trouvé obligé de trans- 
porter dans sa pensée les fonctions de ce fluide, à 
la pulpe médullaire dans laquelle il se meut, et de 
Vautre part, de ce qu'il confondait les actes qui 
constituent les sensations avec ceux de l'intelligence, 
ces deux sortes de phénomènes organiques différant 
essentiellement entre elles par leur nature, et exi- 
geant chacune un système d'organes tres-particulier 
pour les produire. 

Ainsi, voila quatre sortes de fonctions très-diffé- 
rentes qu'exécute le système nerveux perfectionné, 
c'est-à-dire complétement développé et muni de son 
organe accessoire; mais Comme les organes qui 
donnent lieu à chacune de ces fonctions ne sont pas 
les mêmes, et comme les différents organes spé- 
claux n'ont reçu l'existence que successivement, la 


192 DU SYSTÈME NERVEUX 


nature a formé ceux qui sont propres au mouvement 
musculaire, avant ceux qui donnent lieu aux sen- 
sations, et ceux-ci avant d'établir les moyens qui 
permettent les émotions du sentiment intérieur ; 
enfin, elle a terminé le perfectionnement du système 
nerveux en le rendant capable de produire les phé- 
nomenes de l'intelligence. 

Nous allons voir maintenant que tous les animaux 
n’ont pas et ne peuvent avoir un sys/ème nerveux, 
et qu'en outre, tous ceux qui possedent ce systeme 
d'organes n’en obtiennent pas nécessairement les 
quatre sortes de facultés dont il vient d’être ques- 
tion. 


LE SYSTÈME NERVEUX EST PARTICULIER A CERTAINS 
ANIMAUX 


Sans doute, ce n’est que dans les animaux que le 
syslèine nerceux peut exister; mais de la s’ensuit-il 
que tous le possedent ? Il est certainement quantité 
d'animaux dont l’état de leur organisation est tel, 
qu'il leur est impossible d’avoirle système d’organes 
dont il s’agit ; car ce système, nécessairement com- 
posé de deux sortes de parties, savoir : d’une masse 
médullaire principale, et de différents filets nerveux 
qui vont s’y réunir, ne peut exister dans l’organisa- 
tion très-simple d’un grand nombre d'animaux con- 
nus. Il est d’ailleurs évident que le système nerveux 
n’est point essentiel à l’existence de la vie, puisque 


DU SYSTEME NERVEUX 193 


tous les corps vivants ne le possèdent point, et que 
ce serait en vain qu'on le rechercherait dans les 
végétaux. On sent donc que ce système n’est devenu 
nécessaire qu'à ceux des animaux en qui la nature a 
pu le produire. 

Dans le chapitre 1x de la seconde partie, p. 135, 
j'ai déjà fait voir que le système nerveux était par- 
ticulier à certains animaux : ici je vais en donner de 
nouvelles preuves, en montrant qu'il est impossible 
que tous les animaux possedent un pareil système 
d'organes ; d’où 1l résulte que ceux qui en sont dé- 
pourvus, ne peuvent jouir d'aucune des facultés 
qu'on lui voit produire. 

Lorsqu'on a dit que, dans les animaux qui n’of- 
frent point de filets nerveux (tels que les polypes 
et les 2#nfusotres), la substance médullaire, qui donne 
les sensations, était répandue et fondue dans tous les 
points du corps, et non rassemblée en filets; et qu’il 
en résultait que chacun des fragments de ces ani- 
maux devenait un individu doué deson #04 particu- 
lier ; on ne s'était probablement pas rendu compte 
de la nature de toute fonction organique, qui pro- 
vient toujours de relations entre des parties conte- 
nantes et des fluides contenus, et de mouvements 
quelconques résultant de ces relations. On n'était 
point surtout pénétré de la connaissance de ce qu'il 
ya d’essentiel dans les fonctions du sys{ème nerveux ; 
on ignorait que ces fonctions ne s’opéraient qu'en 
effectuant le mouvement ou le transport d’un fluide 


LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 13 


194 DU SYSTÈME NERVEUX 


subtil, soit d’un foyer vers les parties, soit des par- 
ties vers le foyer lui-même. 

Le système nerveux ne peut donc avoir d'existence, 
ni exercer la moindre de ses fonctions, que lorsqu'il 
offre une masse médullaire dans laquelle se trouve 
an foyer pour les nerfs, et, en outre, des filets ner- 
veux qui se rendent à ce foyer. D'ailleurs, la ma 
tière médullaire, ni aucune autre substance animale, 
ne peuvent avoir en propre la faculté de produire des 
sensations, ce que Je compte prouver dans le troisième 
chapitre de cette partie ; ainsi, cette substance médul- 
laire, supposée fondue dans tous les points du corps 
d’un animal, n’y donnerait point lieu au sentiment. 

Si, dans sa plus grande simplicité, le système 
nerveux est nécessairement composé de deux sortes 
de parties, savoir : d’une masse médullaire princi- 
pale, et de filets nerveux qui vont s’y rendre; on 
sent que l’organisation animale, qui commence dans 
la inonade, qu'on sait être le plus simple et le plus 
imparfait des animaux connus, a dû faire bien des 
progres dans sa composition, avant que la nature ait 
pu parvenir à y former un pareil système d'organes, 
même dans sa plus grande imperfection. Cependant, 
là où ce système commence, il est encore bien lom 
d’avoir obtenu, dans sa composition et son perfec= 
tionnement, tout ce qu’il offre dans les animaux les 
plus parfaits ; et la où il a pu commencer, l'organi- 
sation animale avait déjà fait bien des progrès dans 
ses développements et dans sa composition. 


DU SYSTÈME NERVEUX 195 


Pour nous convaincre de cette vérité, examinons 
les produits du système nerveux dans chacun de 
ses principaux développements. 


LE SYSTÈME NERVEUX, DANS SA PLUS GRANDE SIMPLICITÉ, 
NE PRODUIT QUE LE MOUVEMENT MUSCULAIRE 


Je ne puis, à la vérité, présenter sur le sujet dont 
il s’agit qu'une simple opinion, mais elle se fonde 
sur des considérations si importantes, si propres à 
ètre décisives, qu’on peut la regarder au moins 
comme une vérité morale. 

Si l’on considère attentivement la marche qu'a 
suivie la nature, on verra partout que, pour créer 
ou faire exister ses productions, elle n’a rien fait 
subitement où d’un seul jet, mais qu’elle a tout fait 
progressivement, c’est-à-dire par des compositions 
et des développements graduels et insensibles : con- 
séquemment, tous les produits, tous les changements 
qu'elle opère, sont évidemment assujettis de toutes 
parts à cette loi de progression qui régit ses actes. 

En suivant bien les opérations de la nature, on 
verra, en effet, qu'elle a créé peu à peu et, successi- 
vement toutes les parties, tous les organes des ani- 
maux, et qu'elle les a complétés et perfectionnés 
progressivement, que peu à peu, de même, elle a 
modifié, animalisé, et de plus en plus composé tous 
les fluides intérieurs des animaux qu’elle a fait exis- 
ter ; en sorte qu'avec le temps, tous ce que nous 


196 DU SYSTÈME NERVEUX 


observons à leur égard fût complétement terminé. 

Le système nerveux, dans son origine, c’est-à-dire 
là où il commence à exister, est assurément dans sa 
plus grande simplicité et dans sa moindre perfection. 
Cette sorte d’origine lui est commune avec celle de 
tous les autres organes spéciaux qui ont commencé 
de même par être dans leur plus grand état d’im- 
perfection. Or, on ne saurait douter que, dans sa 
plus grande simplicité, le système nerveux ne donne 
aux animaux qui le posseédent dans cet état, des fa- 
cultés moins nombreuses et moins éminentes que 
celles que le mème système procure aux animaux 
les plus parfaits, en qui il se trouve dans sa plus 
grande composition et muni de ses accessoires. Il 
suffit de bien observer ce qui a lieu à cet égard, 
pour reconnaître le fondement de cette considé- 
ration. 

J'ai déjà prouvé que, lorsque le système nerveux 
est dans sa plus grande simplicité, il offrait néces- 
sairement deux sortes de parties, savoir : une masse 
médullaire principale, et des filets nerveux qui vien- 
nent se réunir à cette masse; mais cette même masse 
médullaire peut d’abord exister sans donner lieu à 
aucun sens particulier, et elle peut être divisée en 
parties séparées, à chacune desquelles des filets ner- 
veux viendront se rendre. 

Il parait que c’est ce qui a lieu dans les animaux 
de la classe des radiaires, ou au moins dans ceux 
de la division des échinodermes, dans lesquels on 


DU SYSTEME NERVEUX 197 


prétend avoir découvert le système nerveux, et où 
ce système serait réduit à des ganglions séparés qui 
communiquent entre eux par des filets, et qui en 
envoient d’autres aux parties. 

Si les observations qui établissent cet état du sys- 
tème nerveux sont fondées, ce sera celui de la plus 
grande simplicité de ce système, et alors il présen- 
tera plusieurs centres de rapport pour les nerfs, 
c’est-à-dire autant de foyers qu'il y a de ganglions 
séparés ; enfin, il ne donnera lieu à aucun des sens 
particuliers, pas même à celui de la vue, qu'on sait 
ètre Le premier qui se montre sans équivoque. 

Je nomme sens particulier chacun de ceux qui 
résultent d'organes spéciaux qui les font exister, 
tels que la vue, l'ouie, l’odorat et le goût; quant au 
toucher, c’est un sens général, {ype, à la vérité, de 
tous les autres, mais qui n’exige aucun organe spé- 
clal, et auquel les nerfs ne peuvent donner lieu 
que lorsqu'ils sont capables de produire des sensa- 
tions. 

Or, en exposant, dans le chapitre 11, le mécanisme 
des sensations, nous verrons qu'aucune d’elles ne 
saurait se produire que lorsque, par suite de l’état de 
composition du système nerveux et de l'unité de 
foyer commun pour les nerfs, tout l'animal participe 
a un effet général qui donne lieu à cette sensation. 
Si cela est ainsi dans les animaux qui ne possèdent 
le système nerveux que dans sa plus grande simpli- 
cité, et où ce système offre différents foyers pour les 


198 DU SYSTÈME NERVEUX 


nerfs, aucun eflet, aucun ébranlement ne peuvent 
être généraux pour l'individu, aucune sensation ne 
saurait se produire, et effectivement, les masses 
médullaires séparées ne donnent lieu à aucun sens 
particulier. Si ces masses médullaires séparées com 
muniquent entre elles par des filets, c’est afin que 
la libre répartition du fluide nerveux qu’elles doi- 
vent contenir puisse sans cesse s’effectuer. 

Cependant, dès que le système nerveux existe, 
quelque simple qu'il soit, il est déjà capable d’exé- 
cuter quelque fonction ; aussi peut-on penser qu’ilen 
opere effectivement, lors même qu'il ne pourrait en- 
core donner lieu au sentiment. 

Si l’on considere que, pour l’excitation du mou- 
vement musculaire, la moindre des facultés du sys- 
tème nerreux, il faut à ce système une composition 
moins grande, une moindre extension de ses parties, 
que pour la production du sentiment, que différents 
centres de rapport séparés n’empêchent pas que de 
chacun de ces foyers particuliers le fluide nerveux 
ne puisse être envoyé aux muscles pour y porter 
son influence, l’on sentira qu'il est tres-probable 
que les animaux, qui possédent un système nerveux 
dans sa plus grande simplicité, en obtiennent la fa- 
culté du mouvement musculaire, et néanmoins ne 
jouissent pas réellement du sentiment. 

Ainsi, en établissant Le systèine nerveux, la na- 
ture paraît n'avoir formé d’abord que des ganglions 
séparés qui communiquent entre eux par des filets, 


DU SYSTÈME NERVEUX 199 


et qui n’envoient d’autres filets qu'aux organes mus- 
culaires. Ges ganglions sont les masses médullaires 
principales ; et quoiqu'ils communiquent entre eux 
par des filets, la séparation de ces foyers ne permet 
pas l’exécution de l'effet général nécessaire pour 
constituer la sensation, mais elle ne s’oppose pas à 
l'excitation du mouvement musculaire : aussi les 
animaux qui possèdent un pareil système nerveux 
ne jouissent-ils d’aucun sens particulier. 

Nous venons de voir que le système nerveux, dans 
sa plus grande simplicité, ne pouvait produire que 
le mouvement musculaire ; maintenant nous allons 
montrer qu'en développant, composant et perfec- 
tionnant davantage ce système, la nature est par- 
venue à lui donner non-seulement la faculté d'exci- 
ter l’action des muscles, mais en outre celle de 
produire le sentiment. 


LE SYSTÈME NERVEUX, PLUS AVANCE DANS SA 
COMPOSITION, PRODUIT LE MOUVEMENT MUSCULAIRE ET LE SENTIMENT 


Le système nerveux est, sans doute, parmi tous 
les systèmes d'organes, celui qui donne aux animaux 
qui en sont doués les facultés les plus éminentes et à 
la fois les plus admirables ; mais il n’y parvient, 
sans contredit, qu'après avoir acquis la grande com- 
plication et tous les développements dont il est sus- 
ceptible. Avant ce terme, il offre, dans tous les ani- 


200 DU SYSTÈME NERVEUX 


maux qui ont des nerfs et une masse médullaire 
principale, différents degrés, soit dans le nombre, 
soit dans le perfectionnement des facultés qu'il leur 
procure. 

J'ai dit plus haut que, dans sa plus grande sim- 
plicité, le système nerveux paraissait avoir sa masse 
médullaire principale divisée en plusieurs parties 
séparées, qui chacune contiennent un foyer particu- 
lier pour les nerfs qui vont s’y rendre, que, dans cet 
état, ce système ne pouvait être propre à produire 
les sensations, mais qu’il avait la faculté de mettre 
les muscles en action : or, ce système nerveux très- 
imparfait, qu'on prétend avoir reconnu dans les 
radiaires, existe-t-il le même dans les vers? C’est 
ce que j'ignore, et néanmoins ce que j'ai lieu de sup- 
poser, à moins que les vers ne soient un rameau de 
l’échelle animale, nouvellement commencé par des 
générations directes. Je sais seulement que, dans 
les animaux de la classe qui suit celle des vers, le 
système nerveux, beaucoup plus avancé dans sa 
composition et ses développements, se montre sans 
difficulté et sous une forme bien prononcée. 

En effet, en suivant l’échelle animale, depuis les 
animaux les plus imparfaits jusqu'aux animaux les 
plus parfaits, ce ne fut, jusqu’à présent , que dans 
les insectes, que le systèine nerreux commença à 
ètre bien reconnu ; parce qu'il se présente, dans tous 
les animaux de cette classe, éminemment exprimé, 
et qu'il offre une snoelle longitudinale noueuse qui, 


DU SYSTÈME NERVEUX 201 


en général, s'étend dans toute la longueur de l’ani- 
mal, et se trouve tres-diversifiée dans sa forme, 
selon les insectes en qui on la considere, et selon 
leur état de larve ou d’insecte parfait. Gette moelle 
longitudinale, qui se termine antérieurement par un 
ganglion subbilobé constitue la masse médullaire 
principale du système, et de chacun de ses nœuds, 
qui varient en grosseur et en rapprochement, par- 
tent des filets nerveux qui vont se rendre aux parties 
du corps. 

Lenœud ou ganglion subbilobé quitermine antérieu- 
rement la moelle longitudinale noueuse des insectes 
doit être distingué des autres nœuds de cette moelle, 
parce qu'il donne naissance immédiatement à un 
sens particulier, celui de la vue. Ge nœud terminal 
est donc réellement un petit cerveau, quoique fort 
imparfait, et il contient sans doute le centre de rap- 
port des nerfs sensitifs, puisque le nerf optique va 
s'y rendre. Peut-être que les autres nœuds de la 
moelle longitudinale en question sont autant de 
foyers particuliers qui servent à fournir à laction 
des muscles de l’animal : dans le cas où ces foyers 
existeraient, Comme ils communiqueraient ensemble 
par le cordon médullaire qui les réunit, ils n’empè- 
cheraïient nullement l'effet général qui seul, amsi 
que je le prouverai, peut produire le sentiment. 

Ainsi, dans les 2nsectes, le système nerveux 
commence à offrir un cerveau et un centre de rap- 
port unique pour l'exécution du sentiment. Ges 


202 DU SYSTÈME NERVEUX 


animaux, par la composition de leur système ner- 
veux, possèdent donc deux facultés distinctes, 
savoir : celle du mouvement musculaire, et en 
outre, celle de pouvoir éprouver des sensations. 
Ces sensations ne sont encore probablement que des 
perceptions simples et fugitives des objets qui les 
affectent, mais enfin elles suffisent pour constituer 
le sentiment, quoiqu’elles soient incapables de pro- 
duire des idées. 

Cet état du système nerveux qui, dans les insectes, 
ne donne lieu qu’à ces deux facultés, se trouve à peu 
près le même dans les animaux des cinq classes 
suivantes, c’est-à-dire dans les arachnides, les 
crustacés, les annelides, les cirrhipèdes et les 
mollusques ; 1 n'y présente vraisemblablement 
d’autres différences que celles qui constituent quel- 
que perfectionnement dans les deux facultés déjà 
citées. 

Je n'ai pas assez d'observations particulières pour 
qu'il me soit possible d'indiquer, parmi les animaux 
qui ont un système nerveux capable de leur faire 
éprouver des sensations, quels sont ceux en qui les 
émotions du sentiment intérieur sont dans le cas de 
pouvoir être produites. Peut-être que, dès que la 
faculté de sentir existe, celle qui produit ces émo- 
tions a lieu aussi ; mais cette dernière est si impar— 
faite et si obscure , dans son origine, que je ne la 
crois reconnaissable que dans les animaux à verte- 
bres. Ainsi, passons à la détermination du point de 


DU SYSTÈME NERVEUX 203 


l'échelle animale dans lequel commence la quatrième 
sorte de faculté du système nerveux. 

Lorsque la nature fut parvenue à munir le sys- 
tème nerveux dun véritable cerveau, e’est-à-dire 
d’un renflement médullaire antérieur, capable de 
donner immédiatement l’existence au moins à un 
sens particulier, tel que celui de la vue, et de con- 
tenir, en un seul foyer, le centre de rapport des 
nerfs, elle n’eut pas encore par là terminé le com- 
plément des parties que peut offrir ce système. 
Eflectivement , elle s’occupa longtemps encore du 
développement graduel du cerveau, et parvint à y 
ébaucher le sens de l’ouïe, dont les premières traces 
se montrent dans les crustacés et dans les #ollus- 
ques. Mais ce n’est toujours là qu'un cerveau tres- 
simple, lequel parait être la base de l’organe du 
sentiment, puisque les nerfs sensitifs et ceux des 
sens particuliers existants viennent tous s’y réunir. 

En effet, le ganglion terminal qui constitue le 
cerveau des 2#sectes et des animaux des classes sui- 
vantes jusqu'aux 20/lusques inclusivement , quoi- 
qu'en général partagé par un sillon et en quelque 
sorte bilobé, n'offre cependant aucune trace de ces 
deux hémispheres plissés.et déreloppables, qui 
recouvrent et enveloppent, par leur base , le véri- 
table cerveau des animaux les plus parfaits, c’est-à- 
dire cette partie de l’encéphale qui contient le foyer 
du système sensitif; conséquemment, les fonctions 


quisont propres aux organes nouveaux ét accessoires 


204 DU SYSTÈME NERVEUX 


que je viens de citer, ne sauraient s’exécuter dans 
aucun des animaux sans vertébres. 


LE SYSTÈME NERVEUX, 
COMPLET DANS TOUTES SES PARTIES, DONNE LIEU AU MOUVEMENT 
MUSCULAIRE, AU SENTIMENT, AUX ÉMOTIONS INTÉRIEURES 
ET A L'INTELLIGENCE, 


Ce n’est que dans les animaux à vertèbres que la 
nature à pu compléter, dans toutes ses parties, le 
système nerveux, et c’est probablement dans les 
plus imparfaits de ces animaux (dans les poissons) 
qu’elle a commencé à esquisser l’organe accessoire 
du cerveau, qui se compose de deux hémisphères 
plicatiles, opposés l’un à l’autre, mais réunis par 
leur base, dans laquelle le cerveau proprement dit, 
qui doit être constitué par la présence du centre 
sensitif, est en quelque sorte confondu. 

Cet organe accessoire qui, lorsqu'il est bien 
développé, donne aux animaux qui le possèdent des 
facultés admirables, reposant sur le cerveau, lenve- 
‘ loppant même dans sa base, et paraissant se confon- 
dre avec lui, n’en a pas été distingué ; car on donne 
généralement le nom de cerveau à toute la masse 
médullaire qui se trouve renfermée dans la cavité 
du crâne, quelles que soient les parties distinctes 
qu’elle nous présente. Il est cependant nécessaire de 
distinguer du cerveau proprement dit, quelque diffi- 
cile que soit cette distinction, l'organe accessoire 


DU SYSTÈME NERVEUX 205 


dont il s’agit; parce que cet organe exécute des 
fonctions qui lui sont tout à fait particulières, et 
qu'il n’est pas essentiel à l'existence du cerveau, ni 
même à la conservation de la vie. Il mérite donc un 
nom particulier,etje crois pouvoir lui assigner celui 
d’Aypocéphale. 

Or, cet hypocéphale est l'organe spécial dans 
lequel se forment les idées et tous les actes de 
l'intelligence, et le cerveau proprement dit, cette 
partie de la masse médullaire principale qui contient 
le centre derapport des nerfs, et à laquelle les nerfs 
des sens particuliers viennent se réunir, ne saurait 
lui seul donner lieu à de semblables phénomènes. 

Si l’on considère comme cerveau la masse médul- 
läre qui sert de point de réunion aux différents 
nerfs, qui contient leur centre de rapport, eu un 
mot, qui embrasse le foyer d’où le fluide nerveux 
est envoyé aux différentes parties du corps, et celui 
où il est rapporté lorsqu'il effectue quelque sensation, 
alors il sera vrai de dire que le cerveau, mème dans 
les animaux les plus parfaits, est toujours fort petit. 
Mais lorsque ce cerveau est muni de deux hémis- 
phères, comme il se trouve dans leur base, qu'il y 
est en quelque sorte confondu, et que ces hémis- 
phères plicatiles peuvent devenir fort grands, usage 
est de donner le nom de cerveau à toute la masse 
médullaire renfermée dans la cavité du crâne. Il en 
résulte que lon regarde, en général, toute cette 
masse médullaire comme ne constituant qu'un seul 


206 DU SYSTÈME. NERVEUX 


et mème organe, tandis qu'au contraire, elle en 
comprend deux qui sont essentiellement distincts 
par la nature de leurs fonctions. 

Il est si vrai que les hémisphères sont des organes 
particuliers, ajoutés comme accessoires au cerveau, 
qu'ils ne sont nullement essentiels à son existence, 
ce dont quantité de faits connus, relatifs à la possi- 
bilité de leur lésion, et même de leur destruction, ne 
nous permettent plus de douter. En effet, à égard 
des fonctions qu'exécutent ces hémispheres, l’on sent 
qu'une émission du fluide nerveux qui, de son réser— 
voir ou foyer commun, se dirige dans ses mouve— 
ments vers ces organes, les met à portée d'opérer 
chacun ces fonctions auxquelles ils sont propres. 
Aussi peut-on assurer que ce ne sont nullement les 
hémisphères qui envoient eux-mêmes au système 
nerveux le fluide particulier qui le met dans le cas 
d'agir; car alors le système entier en serait dépen- 
dant, ce qui n’est pas. 

Il résulte de ces considérations : que tout animal 
qui possède un système nerreux. n'est pas nécessai= 
rement muni d'un cerveau, puisque c’est la faculté 
de donner immédiatement naissance à quelque sens, 
au moins à celui de la vue, qui caractérise ce der— 
nier ; que tout animal qui possède un cerveau, ne l’a 
pas essentiellement accompagné de deux hémisphères 
plicatiles, car la petitesse de sa masse, dans les ani- 
maux des six dernières classes des invertébrés, indi- 
que qu'il ne peut servir qu'a la production du mou- 


DU SYSTÈME NERVEUX 207 
vement musculaire et du sentiment, et non à celle 
des actes de l'intelligence; enfin, que tout animal 
dont le cerveau est surmonté de deux hémisphères 
plicatiles jouit du mouvement musculaire, du sen- 
timent, de la faculté d’éprouver des émotions inté- 
rieures, et, en outre, de celle de se former desidées, 
d'exécuter des comparaisons, des jugements, en un 
mot, d'opérer différents actes d'intelligence, selon le 
degré de développement de son ypocéphale. 

En y donnant beaucoup d'attention, on sentira, 
lorsqu'on pense ou qu'on réfléchit, que les opérations 
qui donnent lieu aux pensées, aux méditations, etc., 
s’exécutent dans la partie supérieure et antérieure 
du cerveau, c’est-à-dire dans les masses médullaires 
réunies qui forment ses deux hémisphères plicatiles ; 
enfin, on distinguera qu'a cet égard les opérations 
dont il s’agit ne se font point dans la base de l’or- 
gane en question, non plus que dans sa partie pos 
térieure et inférieure. Les deux hémisphères du 
cerveau, constituant ce que je nomme l’hypocéphale, 
sont donc réellement les organes particuliers dans 
lesquels se produisent les actes de l'intelligence. 
Aussi, lorsqu'on exécute des pensées et qu’on fixe 
son attention trop longtemps de suite, ressent-on de 
la douleur à la tête, particulièrement dans celles de 
ses parties que je viens de citer. 

On voit, d'après ces différentes considérations, 
que, parmi les animaux qui ont un système ner- 
VEUX : 


208 DU SYSTÈME NERVEUX 


1° Ceux qui manquent de cerveau, et conséquem- 
ment de sens particuliers et d’un centre de rapport 
unique pour les nerfs, ne jouissent pas du sentiment, 
mais seulement de la faculté de mouvoir leurs par- 
ties par de véritables muscles ; 

2° Ceux qui ont un cerveau et quelques sens par- 
ticuliers, mais dont le cerveau manque de ces hémi- 
sphères plicatiles qui constituent l’hypocéphale, ne 
recoivent de leur système nerveux que deux ou trois 
facultés, savoir : celle d'exécuter des mouvements 
musculaires, celle de pouvoir éprouver des sensa- 
tions, c’est-à-dire des perceptions simples et fugi- 
tives, lorsque quelque objet les affecte, et peut-être 
aussi celle d’éprouver des émotions intérieures ; 

3° Enfin, ceux qui ont un cerveau muni de l’hy- 
pocéphale, qui n’en est que l’accessoire, jouissent 
du mouvement musculaire et du sentiment, de la 
faculté de s’émouvoir, et peuvent, en outre, à Paide 
d’une condition essentielle (l'attention), se former des 
idées imprhnées sur l'organe, comparer entre elles 
plusieurs de ces idées, et produire des jugements ; 
et si les hémisphères accessoires de leur cerveau 
sont développés et perfectionnés, ils peuvent penser, 
raisonner, mventer et exécuter différents actes d’in- 
telligence. 

Il est, sans doute, très-difficile de concevoir com- 
ment se forment les impressions qui gravent les 
idées ; et 1l est surtout impossible de rien apercevoir 
dans l'organe qui indique leur existence. Mais que 


DU SYSTÈME NERVEUX 209 


peut-on en conclure, sinon que l’extrème délicatesse 
de ces traits, et que les bornes de nos facultés en 
sont la cause ? Dira-t-on que tout ce que l’homme 
ne peut apercevoir n'existe pas ? [Il nous suffit ici que 
la mémoire soit un sûr garant de l'existence de ces 
impressions dans l'organe où elle exécute ses actes. 

S'il est vrai que la nature ne fait rien subitement 
ou d’un seul jet,on sent que, pour produire toutes les 
facultés qu'on observe dans les animaux les plus 
parfaits, il lui à fallu créer successivement tous les 
organes qui peuvent donner lieu à ces facultés; et 
c'est, en eflet, ce qu'elle a exécuté avec beaucoup 
de temps, et à l’aide de circonstances qui y ont été 
favorables. 

Certes, cette marche est celle qu’elle a suivie, et 
on ne peut lui en substituer aucune autre sans sortir 
des idées positives que la nature nous fournit à me- 
sure que nous lobservons. 

Ainsi, dans l’organisation animale, le système ner- 
veux fut créé à son tour comme les autres systèmes 
particuliers, et il ne put l'être que dans la seule cir- 
constance où l’organisation se trouvait assez avan— 
cée dans sa composition, pour que les trois sortes de 
substances qui composent ce systeme aient pu être 
formées et déposées dans les lieux qui offrent les or- 
ganes qui le constituent. 

Il est donc tres-inconvenable de vouloir trouver 
le système dont il s’agit, ainsi que les facultés qu'il 
procure, dans des animaux aussi simples en organi- 


LAMARCK, PFHIL. ZOOL. Il. 14 


210 DU SYSTÈME NERVEUX 


sation, et aussi imparfaits que les #nfusoires et les 
polypes, car il est impossible que des organes aussi 
composés que ceux de ce système puissent exister 
dans l’organisation des animaux que je viens de 
éiter! 

Je le répète : de même que les organes spéciaux 
que possèdent les animaux dans leur organisation 
furent formés successivement, de même aussi chacun 
de ces organes fut composé, complété et perfectionné 
progressivement, à mesure que l’organisation ani- 
male parvint à se compliquer ; en sorte que le sys- 
tème nerveux, considéré dans les différents animaux 
qui en sont munis, se présente dans les trois prin- 
cipaux états suivants. 

A sa naissance, où il est dans sa plus grande 
imperfection, ce système paraît ne consister qu'en 
divers ganglions séparés, qui communiquent entre 
eux par des filets, et qui en envoient d’autres à cer- 
taines parties du corps : alors il n'offre point de 
cerveau, et ne peut donner lieu, ni à la vue, ni à 
l’ouie, ni peut-être à aucune sensation véritable ; 
mais il possede déja la faculté d’exciter le mouve- 
ment musculaire. Tel est apparemment le système 
nerveux des radiaires, si les observations citées 
dans la première partie de cet ouvrage (chap. vin, 
p. 286) ont quelque fondemert. 

Plus perfectionné, le système nerveux présente 
une moelle longitudinale noueuse et des filets ner= 
veux qui aboutissent aux nœuds de cette moelle : 


DU SYSTÈME NERVEUX 211 


dès lors le ganglion qui termine antérieurement ce 
cordon noueux peut être regardé comme un petit 
cerveau déja ébauché, puisqu'il donne naissance à 
l'organe de la vue, et ensuite à celui de l’ouïe ; mais 
ce petit cerveau est encore simple et privé de lAy- 
pocéphale, c’est-à-dire de ces hémisphères plicatiles 
qui ont des fonctions particulières à exécuter. Tel 
est le sys{ème nerveux des insectes, des arachnides 
et des crustacés, animaux qui ont des yeux, et dont 
les derniers cités offrent déjà quelques vestiges de 
Vouïe : tel est encore celui des annelides et des 
cirrhipèdes, dont les uns possédent des yeux, tandis 
que les autres en sont privés par des causes déjà 
exposées dans le chapitre vir de la première partie. 

Les mollusques, quoique plus avancés dans la 
composition de leur organisation que les animaux 
dont je viens de parler, se trouvant dans le passage 
d’un changement de plan de la part de la nature, 
n'ont ni moelle longitudinale noueuse, ni moelle 
épinière; mais ils offrent un cerveau, et plusieurs 
d’entre eux paraissent posséder le plus perfectionné 
des cerveaux simples, c’est-à-dire des cerveaux 
qui sont dépourvus d'hypocéphale, puisqu'au leur 
aboutissent les nerfs de plusieurs sens particuliers. 
S'il en est ainsi, dans tous les animaux , depuis les 
insectes jusqu'aux #nollusques inclusivement , le 
système nerveux produit le mouvement musculaire 
et donne lieu au sentiment ; mas il ne saurait per- 
mettre la formation des idées. 


212 DU SYSTLME NERVEUX 


Enfin, beaucoup plus perfectionné encore, le sys- 
ème nerveux des animaux vertébrés offre une moelle 
épinière , des nerfs et un cerveau dont la partie 
supérieure et antérieure est munie accessoirement 
de deux hémispheres plicatiles ; plus ou moins déve- 
loppés, suivant l’état d'avancement du nouveau 
plan. Alors ce système donne lieu non-seulement au 
mouvement musculaire, au sentiment et à la faculté 
d'éprouver des émotions intérieures, mais, en outre, 
à la formation des idées, qui sont d'autant plus nettes 
et peuvent être d'autant plus nombrenses, que ces 
hémisphères ont recu de plus grands développe- 
ments. : 

Ainsi, comment supposer que la nature qui, dans 
toutes ses productions, procède toujours par degrés 
progressifs, ait pu, en commencant létablissement 
du système nerveux, lui donner toutes les facultés 
qu'il possede lorsqu'il a acquis son complément et 
atteint sa plus grande perfection ? 

D'ailleurs, comme la faculté de sentir n’est nulle- 
ment le propre d'aucune substance du corps animal, 
nous verrons que le mécanisme nécessaire à la pre- 
duction du sertinent est trop compliqué pour per- 
mettre au système nerveux, lorsqu'il est dans sa 
plus grande simplicité, d'avoir d'autre faculté que 
celle d’exciter le mouvement musculaire. 

J’essayerai de faire connaitre, dans le chapitre 1v, 
quelle est la puissance qui a les moyens de produire 
et de diriger les émissions du fluide nerveux, soit 


DU SYSTÈME NERVEUX 213 


aux hémisphères du cerveau, soit aux autres par- 
ties du corps : ici, je dirai seulement que l'envoi du. 
fluide dont il s’agit aux hémisphères du cerveau y 
opère des fonctions très-différentes de celles que le 
même fluide envoyé ‘aux muscles et aux organes 
vitaux y exécute. 

Telle est l'exposition, succincte et générale, du 
système nerveux, de la nature de ses parties, des 
conditions qui furent nécessaires pour sa formation, 
et des quatre sortes de fonctions qu'il exécute lors 
qu'il a acquis son complément et son perfection 
nement. 

Sans entreprendre de rechercher comment lin- 
fluence nerveuse peut mettre les muscles en action et 
fournir à l’exécution des fonctions de différents or- 
ganes, Je dirai que c’est probablement en provo- 
quant l’érrilabilité des parties que cette fonction 
du système nerveux se trouve exécutée. 

Mais relativement à celle des fonctions de ce 
système, par laquelle il produit le sentiment, et 
qu'avec raison l’on regarde comme la plus éton- 
nante et la plus difficile à concevoir, j’essayerai d'en 
exposer le mécanisme dans le chapitre 11. Je ferai 
ensuite la même chose à l'égard de la quatrième 
fonction du même système, c’est-à-dire de celle par 
laquelle il produit des idées, des pensées, etc., 
fonction plus étonnante encore que celle qui donne 
lieu au sentiment. 

Cependant , ne voulant rien présenter dans cet 


211 DU SYSTÈME NERVEUX 


ouvrage qui ne soit appuyé sur des faits ou sur des 
observations qui m’y autorisent, je vais auparavant 
considérer le fluide nerveux, et montrer que, loin 
de n’être qu'un produit de l’imagination , ce fluide 
se manifeste par des effets que lui seul peut produire, 
et qui ne peuvent permettre le moindre doute sur 
son existence. 


CHAPITRE. IT 


D'OL PEUID EE", N'ERVEUX 


Une matière subtile, remarquable par la célérité 
de ses mouvements, et qu'on néglige de considérer, 
parce qu'il n’est pas en notre pouvoir de l’observer 
directement nous-mêmes, de nous la procurer, et de 
la soumettre à nos expériences ; cette matière, dis-je, 
est l’agent le plus singulier, et en même temps l’ins- 
trument le plus admirable que puisse employer la 
nature pour produire le mouvement musculaire, le 
sentiment, les émotions intérieures, les idées et les 
actes d'intelligence dont quantité d'animaux sont 
susceptibles. 

Or, comme il nous est possible de connaître cette 
matière par les effets qu’elle produit, il importe que 
nous la prenions en considération, dès le commen 
cement de la troisième partie de cet ouvrage; car 
le fluide qu’elle constitue étant le seul qui soit ca- 


216 DU FLUIDE NERVEUX 


pable d'opérer les phénomènes qui excitent tant notre 
admiration, si nous refusons de reconnaitre son exis- 
tence et ses facultés, il nous faudra donc abandonner 
toute recherche sur les causes physiques de ces phé- 
nomenes, et recourir de nouveau à des idées vagues 
et sans base, pour satisfaire notre curiosité à leur 
égard. 

Relativement à la nécessité où l’on se trouve de 
rechercher, dans les effets qu’il produit, la connais- 
sance du fluide dont il est question, n’est-ce pas 
maintenant une chose reconnue qu'il existe dans la 
nature différentes sortes de matières qui échappent 
à nos sens, dont nous ne pouvons nous emparer, et 
qu'il nous est impossible de retenir et d'examiner à 
notre gré; des matières d’une ténuité et d’une sub- 
tilité si considérables, qu’elles ne peuvent manifester 
leur existence que dans certaines circonstances, et 
qu'au moyen de quelques-uns de leurs résultats 
qu'avec beaucoup d'attention nous parvenons à saisir ; 
des matières, en un mot, dont nous ne pouvons, 
jusqu’à un certain point, reconnaître la nature, que 
par des inductions et des déterminations d’analogie, 
que la réunion d’un grand nombre d'observations 
peut seule nous faire obtenir ? Cependant l'existence 
de ces matières nous est prouvée par les résultats 
qu'elles seules peuvent produire ; résultats qu’il nous 
importe tant de considérer dans différents phéno- 
mènes dont nous recherchons les causes. 

Dira-t-on que, puisque nous possédons si peu de 


DU FLUIDE NERVEUX 217 


moyens pour déterminer, avec la précision et l’évi- 
dence que toute démonstration exige, la nature et les 
qualités de ces matières, tout homme sage, et qui 
fait cas seulement des connaissances exactes, doit 
négliger leur considération ? 

Peut-être me trompé-je ; mais j’avouerai que je 
ne suis point du tout de cet avis; au contraire, je 
suis fermement persuadé qne ces mêmes matières 
jouant un rôle important dans la plupart des faits 
physiques que nous observons, et surtout dans le 
plus grand nombre des phénomènes organiques que 
les corps vivants nous présentent, leur considéra- 
tion est du plus grand intérêt pour l’avancement de 
nos connaissances à l’égard de ces faits et de ces 
phénomènes. 

Ainsi, quoiqu'il soit impossible de connaître direc- 
tement toutes les matieres subtiles qui existent dans 
la nature, renoncer à des recherches relatives à cer- 
taines d’entre elles, ce serait, à ce qu'il me semble, 
refuser de saisir le seul fil que nous offre la nature 
pour nous conduire à la connaissance de ses lois ; 
ce serait renoncer aux progres réels de celle que 
nous possédons sur les corps vivants, ainsi que sur 
les causes des phénomènes que nous observons dans 
les fonctions de leurs organes ; et ce serait, en même 
temps, renoncer à la seule voie qui puisse nous pro- 
curer les moyens de perfectionner les théories phy- 
siques et chimiques que nous pouvons former. 

On verra bientôt que ces considérations ne sont 


218 DU FLUIDE NERVEUX 


point étrangères à mon objet, qu’il est nécessaire d'y 
avoir égard, et qu'elles s'appliquent parfaitement à 
ce que J'ai à dire sur le fluide nerreux qu'il nous 
est si intéressant de connaitre. 

Nos observations étant maintenant trop avancées 
pour nous permettre de contester solidement ou de 
révoquer en doute l’existence d’un fluide subtil qui 
circule et se meut dans la substance pulpeuse des 
nerfs, voyons, sur ce sujet délicat et difficile, ce qu'il 
est possible de proposer de vraisemblable d’après 
l’état actuel des connaissances. 

Mais, avant de parler du fluide nerveux, il est 
tres-important de présenter la proposition suivante : 

Tous les fluides visibles, contenus dans le corps 
d’un animal, tels que le sang ou ce qui en tient lieu, 
la lymphe, les fluides sécrétés, etc., se meuvent avec 
trop de lenteur dans les canaux ou les parties qui 
les contiennent, pour pouvoir être capables de por- 
ter, avec la célérité nécessaire, le mouvement ou la 
cause du mouvement qui produit les actions des 
animaux ; ces actions, dans quantité d'animaux où 
on les observe, s’exécutant avec une promptitude et 
une vivacité surprenantes, et ces animaux les inter 
rompant, les reprenant et les variant avec toutes 
les nuances d'irrégularité possibles. La momdre ré- 
flexion doit suffire pour nous faire comprendre qu'il 
est absolument impossible que des fluides aussi gros- 
siers que ceux que je viens de citer, et dont les 
mouvements sont, en général, assez réguliers, puis- 


DU FLUIDE NERVEUX 219 


sent être la cause des actions diverses des animaux. 
Cependant, tout ce qu’on observe en eux résulte 
de relations entre leurs fluides contenus, ou ceux 
de ces fluides qui les pénetrent, et leurs parties 
contenantes, où les organes affectés par ces fluides 
contenus. 

Assurément, ce ne peut être qu'un fluide presque 
aussi prompt que l'éclair, dans ses mouvements et 
ses déplacements, qui puisse opérer des effets sem— 
blables à ceux queje viens d'indiquer ; or, nous con- 
naissons maintenant des fluides qui ont cette faculté. 

Comme toute action est toujours le produit d’un 
mouvement quelconque, et qu'assurément c’est par 
un mouvement, quel qu'il soit, que les nerfs agis- 
sent, M. Richerand a discuté et réfuté solidement 
dans sa Physiologie (vol. IT, p. 144 et suiv.), l'opi- 
nion de ceux qui ont regardé les nerfs comme des 
cordes vibrantes. « Cette hypothèse, dit ce savant, 
est tellement absurde, qu'on a lieu d’être étonné de 
la longue faveur dont elle a joui. » 

On serait autorisé à dire la mème chose de lhy- 
pothèse du mouvement de vibration, communiqué 
entre des molécules aussi molles et aussi peu élasti- 
ques que celles de la pulpe médullaire des nerfs, si 
quelqu'un la proposait. 

«Il est bien plus raisonnable, dit ensuite M. Ri- 
cherand, de croire que les nerfs agissent au moyen 
dun fluide subtil, invisible, impalpable, auquel les 
anciens donnérent le nom d’esprits animaux, » 


220 DU FLUIDE NERVEUX 


Enfin, plus loin, en considérant les qualités par 
ticulières du fluide nerveux, ce physiologiste ajoute : 
« Ces conjectures n’ont-elles pas acquis un certain 
degré de probabilité, depuis que l’analogie du gal- 
vanisme avec l'électricité, d’abord présumée par 
l’auteur de cette découverte, a été confirmée par les 
expériences si curieuses de Volta, répétées, com 
mentées, expliquées dans ce moment par tous les 
physiciens de l'Europe? » 

Quelque évidente que soit l'existence du fluide 
subtil au moyen duquel les nerfs agissent, il y aura 
longtemps, et peut-être toujours, des hommes qui 
la contesteront, parce qu’on ne peut la prouver au- 
trement que par les phénomènes que ce fluide seul 
peut produire. 

Cependant, il me semble que lorsque tous les effets 
de ce fluide dont il s’agit démontrent son existence, 
il n’est nullement raisonnable de la nier, par la 
seule raison qu’il nous est impossible de voir ce 
fluide. Il est surtout très-inconvenable de le faire, 
lorsqu'on sait que tous les phénomènes organiques 
résultent uniquement de relations entre des fluides 
en mouvement et les organes qui donnent lieu à ces 
phénomènes. Enfin, cette inconvenance est bien plus 
srande encore, lorsqu'on est convaincu que les 
fluides visibles (le sang, la lymphe, etc.) qui arri- 
vent et pénètrent dans la substance des nerfs et du 
cerveau, sont trop grossiers et ont trop de lenteur 
dans leurs mouvements pour pouvoir donner lieu à 


DU FLUIDE NERVEUX 221 


des actes aussi rapides que ceux qui constituent le 
mouvement musculaire, le sentiment, les idées, la 
pensée, etc. 

D’après ces considérations, je reconnais que, dans 
tout animal qui possède un système nerveux, il 
existe dans les nerfs et dans les foyers médullaires 
auxquels ces nerfs aboutissent, un fluide invisible, 
tres-subtil, contenable, et à peu près inconnu dans 
sa nature, parce qu'on manque de moyens pour 
lexaminer directement. Ce fluide, que je nomme 
fluide nerveux, se meut, dans la substance pulpeuse 
des nerfs et du cerveau, avec une célérité extraor- 
dinaire, et cependant n’y forme, pour l’exécution de 
ses mouvements, aucuns conduits perceptibles. 

C'est par le moyen de ce fluide subtil que les 
nerfs agissent ; que le mouvement musculaire se met 
en action; que le sentiment se produit, et que les 
hémispheres du cerveau exécutent tous les actes 
d'intelligence auxquels, selon leurs développements, 
ils ont la faculté de donner lieu. 

Quoique la nature propre du fluide nerveux ne 
nous soit pas bien connue, puisque nous ne pouvons 
l’apprécier que par ses effets ; depuis la découverte 
du galvanisme, 1 devient de plus en plus probable 
qu'elle est très-analogue au fluide électrique. Je 
suis même persuadé que c’est ce fluide électrique 
qui a été modifié dans l’économie animale, s’y étant 
en quelque sorte animalisé par son séjour dans le 
sang, et s’y étant assez changé pour devenir conte= 


222 DU FLUIDE NERVEUX 


nable et se maintenir uniquement dans la substance 
médullaire des nerfs et du cerveau , à laquelle le 
sang en fournit sans cesse. 

Pour pouvoir dire que le fluide nerveux n’est que 
de l'électricité modifiée par son séjour dans lécono- 
mie animale, je me fonde sur ce que ce fluide ner- 
veux, quoique fort ressemblant par ses effets à plu- 
sieurs de ceux que produit Le fluide électrique, s’en 
distingue néanmoins par quelques qualités particu- 
lières, parmi lesquelles celle de pouvoir être retenu 
dans un organe et de s’y mouvoir, soit dans un sens, 
soit dans un autre, parait lui être propre. 

Le fluide nerteux est donc réellement distinct du 
fluide électrique ordinaire, puisque celui-ci traverse 
sans s'arrêter, et avec sa célérité connue, toutes les 
parties de notre corps, lorsqu'on forme la chaine 
dans la décharge, soit d’une bouteille de Leyde, soit 
d’un conducteur électrique. 

IL est mème différent du fluide galvanique obtenu 
et mis en action par la pile de Vo/fa : en effet, ce 
dernier, qui n’est encore que le fluide électrique lui 
mème, mais agissant avec moins de masse, de den- 
sité et d'activité que le fluide électrique que lon 
dégage de la bouteille de Leyde ou d’un conducteur 
chargé, recoit de la circonstance dans laquelle il se 
trouve quelques qualités ou facultés qui le distm- 
guent du fluide électrique rassemblé et condensé 
par nos moyens ordinaires. Aussi ce fluide galva- 
nique exerce-t-il plus d'action sur nos nerfs et sur 


DU FLUIDE NERVEUX 223 


nos muscles que le fluide électrique ordinaire : ce- 
pendant le fluide galvanique dont 1l est question, 
w’étant point animalisé, c’est-à-dire n'ayant point 
reçu l'influence que son séjour dans le sang (sur- 
tout dans le sang des animaux à sang chaud) lui 
fait acquérir, ne possède pas toutes les qualités du 
{luide nerveux. 

Le fluide nerveux des animaux à sang froid, étant 
moins animalisé, se trouve plus voisin du fluide 
électrique ordinaire, et surtout du fluide galvanique. 
C'est ce qui est cause que nos expériences galvani- 
ques produisent sur les parties des animaux à sang 
froid, comme les grenouilles , des eflets tres-éner- 
giques ; et que dans certains poissons, comme la 
torpille, la gymnote et le sure trembleur, un 
organe électrique bien prononcé y montre lélectri- 
cité tout à fait appropriée à l'animal pour ses besoins. 
(Voyez, dans les Annales du Muséum d Histoire 
naturelle, vol. I, p. 392, l’intéressant Mémoire de 
M. Geoffroi sur ces poissons.) 

Malgré les modifications que le fluide électrique 
a reçues dans l’économie animale, et qui l'ont amené 
à l’état de fluide nerveux, Wa conservé néanmoins, 
en tres-grande partie, son extrème subtilité, et son 
aptitude aux prompts déplacements ; qualités qui le 
rendent propre à lexécution des fonctions qu'il doit 
exercer pour satisfaire aux besoins de l'animal. 

Ce fluide électrique pénétrant sans cesse dans le 
sang, soit par la voie de la respiration, soit par toute 


224 DU FLUIDE NERVEUX 


autre, sy modifie graduellement, s’y animalise, et 
acquiert, enfin, les qualités du fluide nerveux. Or, 
il parait qu'on peut regarder les ganglions, la moelle 
épinière et surtout le cerveau avec ses accessoires, 
comme constituant les organes sécrétoires de ce 
fluide animal. 

En effet, il y a lieu de penser que la substance 
propre des nerfs qui, par suite de sa nature a/bu- 
mino=gélatineuse, est meilleure conductrice du 
fluide nerveux que toute autre substance du corps, 
et surtout que les membranes aponérroliques qui 
enveloppent les filets et les cordons nerveux, soutire 
continuellement des dernières artérioles sanguines, 
le fluide subtil dont 1l est question et que le sang a 
préparé. Ge sont, sans doute, ces dernières arté- 
rioles et les veinules qui les accompagnent, qui 
donnent lieu à la couleur grise de la partie externe 
et comme corticale de la substance médullaire. 

Ainsi se produit sans cesse, dans les animaux qui 
ont un système nerveux, le fluide invisible et subtil 
qui se meut dans la substance de leurs nerfs et dans 
les foyers médullaires où ces nerfs aboutissent. 

Ce fluide nerveux agit dans les nerfs par deux 
sortes de mouvements tres-opposés ; et, en outre, 
il exécute, dans les hémisphères du cerveau, une 
multitude de mouvements divers que les actes de 
ces organes rendent probables, mais que nous ne 
saurions déterminer. 

Dans les nerfs destinés à opérer des sensations, 


DU FLUIDE NERVEUX 225 


on sait que ce fluide se meut de la circonférence, 
cest-à-dire des parties extérieures du corps, vers 
le centre, ou plutôt vers le foyer qui produit les 
sensations ; et comme les individus qui ont un sys- 
teme nerveux peuvent aussi éprouver des impres- 
sions intérieures, le fluide dont il s’agit se meut 
alors dans les nerfs des parties intérieures , en se 
dirigeant pareillement vers le foyer des sensations. 

Au contraire , dans les nerfs destinés à la pro- 
duction du #7ouvement nusculaire, soit de celui 
qui se fait sans la volonté de l'animal, soit de celui 
que cette volonté seule fait exécuter, le fluide 
nerveux se meut du centre où de son foyer commun, 
vers les parties qui doivent agir. 

Dans les deux cas que je viens de citer, relative- 
ment au mouvement du fluide nerveux dans les 
nerfs, et, en outre, aux divers mouvements qu'il 
peut exécuter dans le cerveau, l'emploi de ce mème 
fluide, mis en action, en fait consommer une partie 
qui se dissipe et se trouve perdue pour Fanimal. 
Gette perte exigeait donc la réparation que le sang, 
en bon état, en fait continuellement. 

Une remarque importante à faire pour l’intelli- 
gence des phénomènes de l’organisation est la sui- 
vante : 

Les individus qui ne consomment du ffuide ner- 
ceux que pour la production du mouvement muscu 
laure réparent leurs pertes à cet égard avec abon- 
dance et mème avec profit pour laccroissement de 


LAMARGK, PHIL. ZOOL. Il. 15 
# 


226 DU FLUIDE NERVEUX 


leurs forces, parce que ce mouvement musculaire 
hâte la circulation et les autres mouvements organi- 
ques, et qu’alors les sécrétions, réparatrices du fluide 
consommé, sont promptes et abondantes aux époques 
des repos. 

Au contraire, les individus qui ne consomment du 
fluide nerveux que pour la production des actes qui 
dépendent de lhypocéphale, tels que les pensées 
soutenues, les méditations profondes, les agitations 
d'esprit que les passions produisent, etc., ne répa— 
rent leurs pertes à cet égard qu'avec lenteur et sou- 
vent qu'incomplétement, parce que le mouvement 
musculaire, restant alors presque sans action, tous 
les mouvements organiques s’affaiblissent, les fa- 
cultés des organes perdent de leur énergie, et les 
sécrétions, réparatrices du fluide nerveux consommé, 
deviennent moins abondantes, et les repos d'esprit 
très-difficiles. 

Le fluide nerveux, dans le cerveau, ne se borne 
pas à y apporter du foyer des sensations les sensa- 
tions mêmes, et à y subir des mouvements divers, 
mais il y produit aussi des impressions qui se gravent 
sur l’organe, et qui y subsistent plus ou moins long- 
temps, selon leur profondeur. 

Cette assertion n’est pas un de ces produits mons- 
trueux qu'enfante l'imagination : en examinant rapi- 
dement les principaux actes de l'intelligence, j’es= 
sayerai de prouver qu’elle est très-fondée, et qu'on 
sera forcé de la reconnaître pour une de ces vérités 


DU FLUIDE NERVEUX 227 


auxquelles cependant on ne peut arriver que par 
des 2nductions incontestables. 

Je terminerai ce que j'avais à dire sur le fluide 
singulier dont il est question par quelques considé- 
rations qui peuvent répandre beaucoup de lumière 
sur diverses fonctions organiques qui s’exécutent à 
l’aide de ce fluide. 

Toutes les parties du fluide nerveux communi- 
quent ensemble dans le système d'organes qui les 
contient; en sorte que, selon les causes qui l’exci- 
tent, ce fluide ne se meut, tantôt que dans certaines 
portions comme isolées de sa masse, et tantôt pres- 
que toute sa masse, ou du moins toute celle qui est 
libre, se trouve en mouvement. 

Ainsi done, le fluide dont il s’agit se meut dans 
certaines portions et même dans de petites portions 
de sa masse : 

1° Lorsqu'il fournit à l'excitation musculaire, soit 
celle qui est indépendante de l'individu, soit celle qui 
en est dépendante ; 

2° Lorsqu'il exécute quelque acte d'intelligence. 
F Le même fluide, au contraire, se meut dans toutes 
les parties de sa masse libre : 

1° Lorsque, subissant un mouvement général de 
réaction, il produit une sensation quelconque ; 

20 "Foutes les fois qu'éprouvant un ébranlement 
général sans former de réaction, il cause les émo- 
tions du sentiment intérieur. 

Ces distinctions relatives aux mouvements que 


228 DU FLUIDE NERVEUX 


peut éprouver le fluide nerveux, dans le système 
d'organes qui le contient, ne sauraient être prou- 
vées par des expériences particulières ; au moins je 
n’en aperçois pas les moyens ; mais l’on trouvera 
probablement qu’elles sont fondées, si l’on prend 
fortement en considération les observations que j'ex- 
pose dans cette troisième partie de ma Philosophe 
zoologique, sur les différentes fonctions du système 
ner veux. 

On pourra surtout se convaincre du fondement de 
ces distinctions, si l'on considère : 

l° Que l'influence nerveuse qui met les muscles 
en action, n'exige qu'une simple émission d’une por- 
tion du fluide nerceux sur les muscles qui doivent 
agir, et qu'ici le fluide subtil en question n’agit que 
comme excitateur ; 

2° Que, dans les actes de l'intelligence, les par- 
ties de l'organe de lentendement ne sont que pas- 
sives; ne sauraient réagir à cause de leur extrème 
mollesse ; ne reçoivent point d’excitation de la part 
du fluide nerveux, mais seulement des impressions 
dont elles conservent les traces, la portion de ce 
fluide, qui s’agite dans les diverses parties de cet 
organe, y modifiant ses mouvements par l’mfluence 
des traits qui s’y trouvent gravés, et y en traçant 
d’autres ; en sorte que l'organe de l’entendement, 
qui n’a qu'une communication étroite avec le reste 
du système nerveux, n’emploie, dans ses actes, 
qu'une portion du fluide de tout le système ; enfin, 


DU FLUIDE NERVEUX 229 


qu'il résulte de l’étroite communication citée, que 
cette portion du fluide nerveux, contenue dans l’or- 
gane de lintelligence, n’est exposée à partager 
l’ébranlement général qui s'exécute dans les émo- 
tions du sentiment intérieur, et dans la formation 
des sensations, que lorsque cet ébranlement est d’une 
intensité extrème ; ce qui trouble alors presque toutes 
les fonctions et les facultés du système. 

Il est donc vraisemblable, d’après tout ce que je 
viens d'exposer, que la totalité du fluide nerveux, 
sécrété et contenu dans le système, n’est pas à la 
disposition du sentiment intérieur de lindividu, e 
qu'une partie de ce fluide est, en quelque sorte, en 
réserve pour fournir continuellement à l'exécution 
des fonctions vitales. Ainsi, de même qu'il y a des 
muscles indépendants de la volonté, tandis que 
d’autres n’entrent en action que lorsque le sentiment 
intérieur, ému par la volonté où par quelque autre 
cause, les y excite; de mème, sans doute, une partie 
du fluide nerveux se trouve moins à la disposition 
de l'individu que l’autre, afin de n'être point exposée 
à l'épuisement, et de pouvoir fournir sans cesse aux 
fonctions vitales. 

Effectivement, le fluide nerveux n'étant jamais 
employé sans qu'il s'en consomme proportionnelle- 
ment à son emploi, 1l était nécessaire que l'individu 
n’en pût consommer à son gré que la portion dont 
il peut disposer : il y a même, pour lui, de grands 
inconvénients lorsqu'il épuise trop cette portion, 


230 DU FLUIDE NERVEUX 


car alors une partie de celle en réserve devenant 
disponible, ses fonctions vitales en souffrent d’au- 
tant plus. 

J'aurai plus loin différentes occasions de dévelop- 
per et d’éclaircir ces diverses considérations relatives 
au fluide nerveux ; mais auparavant examinons quel 
peut être le mécanisme des sensations, et voyons 
comment se produit admirable faculté de sentir. 


CHAPITRE HI 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE ET DU MÉCANISME 
DES SENSATIONS 


Comment concevoir qu'aucune partie quelconque 
d'un corps vivant puisse avoir en elle-même la fa- 
culté de sentir, lorsque toute matière, quelle qu’elle 
soit, ne jouit nullement et ne saurait jouir d’une 
pareille faculté ! 

Certes, c'était commettre une grande erreur que 
de supposer que les animaux, et même les plus par- 
faits d’entre eux, avaient certaines de leurs parties 
douées du sentiment. Assurément, les humeurs ou 
les fluides quelconques des corps vivants, non plus 
que leurs parties solides, quelles qu’elles puissent 
être, ne possèdent pas la faculté de sentir. 

Ce n’est que par un véritable prestige que chaque 
partie de notre corps, considérée isolément, nous 
parait sensible, car c’est notre étre en entier qui 


232 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


sent, ou plutôt, qui subit un effet général, à la pro- 
vocation de toute cause affectante qui y donne leu ; 
et comme cet effet se rapporte toujours à la partie 
qui fut affectée, nous en recevons dans linstant la 
perception, à laquelle nous donnons le nom de sen- 
sation, et nous supposons, par illusion, que c’est 
cette partie affectée de notre corps qui ressent l’im- 
pression qu'elle a reçue, tandis que c’est l’émotion 
du système entier de sensibilité qui y rapporte l'effet 
général que ce système a éprouvé. 

Ces considérations pourront paraître étranges, et 
même paradoxales , tant elles sont éloignées de tout 
ce que l’on a pensé à cet égard. Cependant, si l’on 
suspendait le jugement que l’on porte en général sur 
ces objets, pour donner quelque attention aux mo 
tifs sur lesquels je fonde l’opinion que je vais déve- 
lopper, on reviendrait, sans doute, sur l’idée d’attri- 
buer la faculté de sentir à aucune partie quelconque 
d’un corps vivant. Mais avant de présenter l'opinion 
dont il s’agit, il est nécessaire de déterminer quels 
sont les animaux qui jouissent de la faculté de sentir 
et quels sont ceux en qui une pareille faculté ne peut 
se rencontrer. 

D'abord, j'établirai ce principe : toute faculté que 
possédent les animaux, est nécessairement le produit 
d'un acte organique et par conséquent d’un mouve- 
ment qui y donne lieu ; et si cette faculté est parti 
culière , elle résulte de la fonction d’un organe ou 
d'un système d'organes qui alors est particulier : 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 233 


mais aucune partie du corps animal, restant dans 
l’'inaction, ne saurait occasionner le momdre phéno- 
mène organique, ni donner lieu à la moindre faculté. 
Aussi , le sentiment, qui est une faculté, n'est-il le 
propre d'aucune partie quelconque, mais le résultat 
de la fonction organique qui le produit. 

Je conclus du principe que Je viens d'émettre, que 
toute faculté provenant des fonctions d’un organe 
particulier qui seul peut y donner lieu, n'existe que 
dans les animaux qui possèdent cet organe. Ainsi, 
de même que tout animal qui n’a point d’yeux ne 
saurait voir, de même aussi, tout animal qui manque 
de système nerveux ne saurait sentir. 

En vain objecterait-on que la lumière fait des 
impressions remarquables sur certains corps vivants 
qui n’ont point d'yeux et qu'elle affecte néanmoins : 
il sera toujours vrai que les végétaux, et que quan- 
tité d’animaux, tels que les pol/ypes et bien d’autres, 
ne voient point quoiqu'ils se dirigent vers le côté 
d'où vient la lumière, et que les animaux ne sont 
pas tous doués du sentiment, quoiqu'ils exécutent 
des mouvements lorsque quelque chose les irrite ou 
irrite certames de leurs parties. 

On ne saurait donc, avec fondement, attribuer 
aucune sorte de sensihilité (percevante ou latente) 
aux animaux qui manquent de systeme nerveux, en 
apportant pour raison que ces animaux ont des par- 
ties 2rrilables, et j'ai déjà prouvé, dans le chapi- 
tre 1v de la seconde partie, que le sentiment et 


234 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


l'irritabihité étaient des phénomènes organiques 
d'une nature très-différente, et qui prenaient leur 
source dans des causes qui ne se ressemblent nulle- 
ment. Effectivement, les conditions qu’exige la pro- 
duction du seatiment sont de toute autre nature que 
celles qui sont nécessaires à l’existence de l’irrita- 
bilité. Les premières nécessitent la présence d’un 
organe particulier, toujours distinct, compliqué et 
étendu dans tout le corps de l'animal, tandis que les 
secondes n'exigent aucun organe spécial, et ne 
donnent lieu qu'à un phénomène toujours isolé et 
local. 

Mais les animaux qui possedent un système ner- 
veux, suffisamment développé, jouissent à la fois 
de l’erritabilité qui est le propre de leur nature, et 
de la faculté de sentir ; ils ont, sans pouvoir le re- 
marquer, le sentiment intime de leur existence, et 
quoiqu'ils soient encore assujettis aux excitations 
de l'extérieur, ils agissent par une puissance interne 
que nous ferons bientôt connaitre. 

Dans les uns, cette puissance interne est dirigée, 
dans ses différents actes, par l'instinct, c’est-à-dire 
par les émotions intérieures que produisent les be- 
soins, et par les penchants que font naïître les habi- 
tudes, et dans les autres, elle l’est par une volonté 
plus ou moins libre. 

Ainsi, la faculté de sentir est uniquement le 

-propre des animaux qui ont un système nerveux 
sensitifs et comme elle donne lieu au sentiment 


DE LA SENSIBILILÉ PHYSIQUE 235 


intime d'existence, nous verrons que ce dernier 
sentiment procure à ces animaux la faculté d'agir 
par des émotions qui leur causent des excitations 
intérieures , et les mettent dans le cas de produire 
eux-mêmes les mouvements et les actions nécessaires 
à leurs besoins. 

Mais qu'est-ce que la sensibilité physique ou la 
faculté de sentir ? qu'est-ce ensuite que le sentiment 
intérieur d'existence ? quelles sont les causes de ces 
phénomènes admirables ? enfin , comment le senti 
ment d'existence ou le sentiment intérieur général 
peut-il donner lieu à une force qui fait agir ? 

Après avoir mürement considéré l’état des choses 
à cet égard, et les prodiges auxquels il donne lieu, 
voici mon opinion sur le premier de ces sujets inté- 
ressants. 

La faculté de recevoir des sensations, constitue 
ce que je nomme la sensibilité physique, ou le sen- 
timent proprement dit. Cette sensibilité doit être 
distinguée de la sensibilité morale, qui est tout 
autre chose, comme je le ferai voir, et qui n'est 
excitée que par des émotions que produisent nos 
pensées. 

Les sensations proviennent : d’une part, des 
impressions que des objets extérieurs ou hors de 
nous font sur nos sens ; etde l’autre part, de celles 
que des mouvements intérieurs ‘et désordonnés font 
sur nos organes en y opérant des actions nuisibles ; 
de là les douleurs internes. Or, ces sensations exer- 


235 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


cent notre sensibilité physique ou notre faculté de 
sentir, nous font communiquer avec ce qui est hors 
de nous, et nous avertissent, au moins obscurément, 
de ce qui se passe dans notre être. 

Développons, maintenant, le mécunisme des sen- 
sations en montrant, d’abord, l'harmonie qui existe 
dans toutes les parties du système nerveux qui le 
concernent , et ensuite le produit sur le système 
entier de toute impression formée sur quelqu’une 
de ces parties. 


MÉCANISME DES SENSATIONS 


Les sensations, que nous rapportons, par illusion, 
aux lieux mêmes où se produisent les impressions 
qui les causent, s’exécutent dans un système d’or- 
ganes particuliers qui fait toujours partie du système 
nerveux, et que je nomme système des sensations 
ou de sensibilité. 

Le système des sensations se compose de deux 

parties distinctes et essentielles, savoir : 
- 1° D'un foyer particulier que je nomme foyer 
des sensations, qu'il faut considérer comme un centre 
derapports, et où se rapportent effectivement toutes 
les impressions qui agissent sur nous ; 

2° D'une multitude de nerfs simples, qui partent 
de toutes les parties sensibles du corps, et qui tous 
viennent se rendre et se terminer au foyer des 
sensations. 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 237 

C'est avec un pareil système d'organes, dont 
l'harmonie est telle que toutes les parties du corps, 
ou à peu près, participent également à chaque im- 
pression faite sur certaines d'entre elles, que la 
nature est parvenue à donner à tout animal qui a 
un système nerveux, la faculté de sentir, soit ce 
qui l’affecte intérieurement, soit les impressions que 
les objets hors de lui font sur les sens dont il est 
doué. 

Le foyer des sensations est peut-être divisé et 
multiple dans les animaux qui ont une sn0elle lon- 
gitudinale noueuse, cependant on peut soupconner 
que le ganglion qui termine antérieurement cette 
moelle est un petit cerveau ébauché, puisqu'il donne 
immédiatement naissance au sens de la vue. Mais 
quant aux animaux qui ont une #10elle épinière, on 
ne saurait douter que le foyer des sensations ne soit 
chez eux simple et unique; et vraisemblablement 
ce foyer est situé à l'extrémité antérieure de cette 
moelle épinière, dans la base même de ce qu'on 
nomme le cerveau, et conséquemment sous les hémis- 
pheres. 

Les nerfs sensitifs, qui arrivent de toutes les par- 
ties, aboutissant tous à un centre de rapport, où à 
plusieurs de ces foyers qui communiquent les uns 
avec les autres, constituent l’harmonie du système 
des sensations, en ce qu'ils font participer toutes 
les parties de ce système aux impressions, soit iso= 
lées, soit communes, que l'individu peut éprouver. 


238 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


Mais, pour bien concevoir le mécanisme admi- 
rable de ce système sensitif, il est nécessaire de se 
rappeler ce que j’ai déjà dit, savoir : qu'un fluide 
extrêmement subtil, dont les mouvements, soit de 
translation, soit d’oscillation, qui se communiquent, 
sont presque aussi rapides que ceux de Péclair, se 
trouve contenu dans les nerfs et leur foyer, et que 
c’est uniquement dans ces parties que ce fluide se 
meut librement, 

Ensuite, que l’on considère que de cette harmome 
du système des sensations, qui fait que toutes les 
parties de ce système correspondent entre elles, et 
font correspondre toutes celles de individu, il ré- 
sulte que toute impression, tant intérieure qu'exté- 
rieure, que recoit cet individu, produit aussitôt un 
ébranlement dans tout le système, c’est-à-dire dans 
le fluide subtil qui y est contenu, et par conséquent 
dans tout son être, quoiqu'il ne puisse s’en aperce- 
voir. Or, cet ébranlement subit donne lieu à l'instant 
à une réaction qui, rapportée de toutes parts au 
foyer commun, y occasionne un effet singulier, en 
un mot, une agitation dont le produit se propage 
ensuite, par le moyen du seul nerf non réagissant, 
sur le point même du corps qui fut d’abord affecté. 

L'homme qui possède la faculté de se former des 
idées de ce qu'il éprouve, s’en étant fait une de cet 
effet singulier, qui se produit au foyer des sensa- 
tions et se propage jusqu’au point affecté, lui a donné 
le nom de sensation, et a supposé que toute partie, 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 239 


qui recevait une impression, avait en elle-même la 
faculté de sentir. Mais le sentiment n’est nulle part 
ailleurs que dans l’idée réelle, ou la perception, qui 
le constitue, puisque ce n’est pas une faculté d’au- 
cune des parties de notre corps, que ce n’est pas 
celle d'aucun de nos nerfs, que ce n’est pas mème 
celle du foyer des sensations, et que c’est uniquement 
le résultat d’une émotion de tout le système de sen- 
sibilité, laquelle se rend perceptible dans un point 
quelconque de notre corps. Examinons avec plus de 
détail le mécanisme de cet effet singulier du système 
de sensibilité. 

À l'égard des animaux qui ont une moelle épi- 
mère, 1l part de tontes les parties de leur corps, tant 
de celles qui sont les plus intérieures, que de celles 
qui avoisinent le plus sa surface, des filets nerveux 
d’une finesse extrême, qui, sans se diviser, ni 
s’anastomoser, vont se rendre au foyer des sensa- 
tions. Or, dans leur route, malgré les réunions qu'ils 
forment avec d’autres, ces filets se propagent, sans 
discontinuité, jusqu'au foyer dont il s’agit, en con- 
servant toujours leur gaîne particulière. Cela n’em- 
pêche pas queles cordonsnerveux quiproviennent de 
la réunion de plusieurs de ces filets n'aient aussi leur 
gaine propre, de même que ceux de ces cordons qui 
se composent de la réunion de plusieurs d’entre eux. 

Chaque filet nerveux pourrait donc porter le nom 
de la partie d’où il part, car il ne transmet que les 
impressions faites sur cette partie. 


240 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


Il ne s’agit ici que des nerfs qui servent aux sen- 
salions : ceux qui sont destinés au mouvement mus- 
culaire partent, vraisemblablement, d’un autre 
foyer, quel qu'il soit, et constituent, dans le sys- 
tème nerveux, un systeme particulier, distinct de 
celui des sensalions, comme ce dernier l’est du sys- 
teme qui sert à la formation des idées et des actes 
de l’entendement. 

A la vérité, par suite de la grande connexion qui 
existe entre le système des sensations et celui du 
mouvement musculaire, le sentiment et le mouve- 
ment, dans les paralysies, s’éteignent ordinairement 
dans les parties affectées; néanmoins, on a vu la 
sensibilité tout à fait éteinte dans certaines parties 
du corps, qui jouissaient encore, malgré cela, de la 


liberté des mouvements ?, ce qui prouve que le sys- 


1 M. Hébréard rapporte, dans le Journal de Mdecine, de Chi- 
rurgie et de Pharmacie, qu'un homme, à re de 50 ans, a, depuis près 
de 14 ans, le bras droit affecté d'une insensibilité absolue. Ce mem- 
bre conserve néanmoins son agilité, son volume et ses forces ordinai- 
res. Il yest survenu uu phlezmon, avec chaleur, tumeur et rougeur, 
mais sans douleur, même quand on le comprimait… 

En travaillant, cet homme se fractura les os de l'avant-bras, à leur 
tiers inferieur. Comme il ne sentit d'abord qu'un craquement, il crut 
avoir cassé la pelle qu'il tenait à la main; mais elle était intacte, et il 
ne s'apperçut de son accident que parce qu'il ne put continuer son 
travail. Le lendemain le lieu de la fracture était gonflé, la chaleur 
était augmentée à l'avant-bras et à la main : néanmoins le malade 
n'éprouva aucune douleur, même pendant les extensions nécessaires 
pour réduire la fracture, etc. 

L'auteur conclut de ce fait et des expériences semblables faites par 
d’autres medecins, que la sensibibilité est absolument distincte et indé- 
pendante de la contractilité, etc., etc. (Journal de Médecine pratique, 


15 juin 1808, p. 540.) 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE real 


teme des sensations et celui du mouvement sont 
réellement distincts. 

Le mécanisme particulier qui constitue l’acte or- 
ganique d’où naît le sextiment, consiste donc : 

En ce que l'extrémité d’un nerf recevant une im- 
pression, le mouvement qu'en acquiert aussitôt le 
fluide subtil de ce nerf est transmis au foyer des 
sensations, et de là dans tous les nerfs du système 
sensitif. Mais, dans l'instant même, le fluide nerveux, 
réagissant de tous les nerfs à la fois, rapporte ce 
mouvement général au foyer commun, où le seul 
nerf qui n’apportait aucune réaction, reçoit le pro- 
duitentier de celle de tous les autres, et le transmet 
au point du corps qui fut affecté. 

Appliquons les détails de ce mécanisme à un 
exemple particulier, afin qu'on en puisse mieux 
saisir l’ensemble. 

Sije suis piqué au petit doigtde l’une de mes mains, 
le nerf de cette partie affectée qui, muni de sa gaine 
particulière, se continue, sans communication avec 
d'autres, jusqu'au foyer commun, porte dans ce 
foyer l’ébranlement qu'il a recu, et cet ébranlement 
est aussitôt communiqué de là au fluide de tous les 
autres nerfs du système sensitif : alors, par une 
véritable réaction où répercussion, ce mème ébran- 
lement refluant de tous les points vers le foyer 
commun, il se produit dans le foyer dont il est 
question, une secousse, une compression du fluide 
ébranlé de toutes les colonnes, moins une, dont l'effet 


LAMARCK, PHIL. ZOOL. Il. 16 


242 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


total produit une perception, et en reporte le résul- 
tat sur le seul nerf qui ne réagit point. 

Effectivement, le nerf qui a apporté Pimpression 
reçue, et par suite la cause de lébranlement du 
fluide de tous les autres, se trouve le seul qui ne 
rapporte aucune réaction, car il est seul actif, tan- 
dis que tous les autres sont alors passifs. Tout l'effet 
de la secousse produite dans le foyer commun et 
dans les nerfs passifs, ainsi que la perception qui 
‘en résulte, doivent donc se reporter sur ce nerf 
actif. 

Un pareil effet, résultant d’un mouvement général 
exécuté dans tout l'individu, avertit nécessairement 
d’un événement qui se passe en lui, et cet individu, 
quoiqu'il n'en puisse distinguer aucun des détails, 
en éprouve une perception à laquelle on a donné le 
nom de sensation. 

On sent que cette sensation doit être faible ou 
forte, selon lintensité de l'impression, qu'elle doit 
avoir tel ou tel caractere, selon la nature même de 
l'impression reçue, et qu'enfin, elle ne parait se 
produire dans la partie même qui a été affecté, que 
parce que le nerf de cette partie est le seul qui sup 
porte l'effet général occasionné par une impression 
quelconque. 

Ainsi, toute secousse qui se produit dans le foyer 
ou centre de rapport des nerfs, et qui provient d’une 
impression reçue, se fait généralement ressentir 
dans tout notre être, et nous paraït toujours s’effec- 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 243 


tuer dans la partie même qui a recu limpression. 

À l'égard de cette impression, il y a nécessaire- 
ment un intervalle entre l’instant où elle s'effectue 
et celui où la sensation se produit, mais cet inter- 
valle est si court, à cause de la promptitude des 
mouvements, qu'il nous est impossible de l’aper- 
cevoir. 

Telle est, selon moi, la mécanique admirable et 
la source de la sensibilité physique. Je le répète, 
ce nest point ici la matière qui sent, elle n’en a 
pas la faculté ; ce n’est point même telle partie du 
corps de lPindividu , car la sensation qu'il éprouve 
dans cette partie n’est qu'une illusion dont certains 
faits, bien constatés, ont fourni des preuves ; mais 
c’est un effet général produit dans tout son être, qui 
se reporte en entier sur le nerf mème qui en fut la 
première cause , et que lindividu doit nécessaire- 
ment ressentir à l’extrémité de ce nerf où une im- 
pression s'était effectuée. 

Nous n’apercevons rien qu’en nous-mêmes : c’est 
une vérité qui est maintenant reconnue. Pour qu’une 
sensation puisse avoir heu, il faut absolument que 
l'impression reçue par la partie affectée, soit trans- 
mise au foyer du système des sensations ; mais si 
toute l’action se terminait là, il n’y aurait point 
d'effet général, et aucune réaction ne serait rap- 
portée au point qui a reçu l'impression. Quant à la 
transmission du premier mouvement imprimé, on 
sent qu’elle ne s'opère que par le nerf qui fut affecté, 


24 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 

et qu'au moyen du fluide nerveux qui se meut alors 
dans sa substance. On sait qu'en interceptant, par 
une ligature ou une forte compression du nerf, la 
communication entre la portion qui aboutit à la partie 
affectée, et celle qui se rend au foyer des sensations, 
aucune ne saurait alors s'effectuer. 

La ligature, ou la forte compression , interrom- 
pant dans ce point la continuité de la pulpe molle 
du nerf, par le rapprochement des parois de sa 
gaine, suffit pour intercepter le passage du fiuide 
nerveux en mouvement ; mais, dès que l’on enlève 
la ligature, la mollesse de la moelle nerveuse permet 
le rétablissement de sa continuité dans le nerf, et 
aussitôt la sensation peut de nouveau se produire. 

Ainsi, quoiqu'il soit vrai que nous ne sentions 
qu'en nous-mêmes, la perception des objets qui 
nous affectent ne s'exécutant point, comme on la 
pensé, dans le foyer des sensations, mais à l’extré- 
mité mème du nerf qui a recu l'impression, toute 
sensation n’est donc réellement ressentie que dans 
la partie aflectée, parce que c’est là que se termine 
le nerf de cette partie. 

Mais si cette partie n'existe plus, le nerf qui y 
aboutissait existe encore, quoique raccourci; et 
alors si ce nerf recoit une impression , on éprouve 
une sensation qui, par illusion, parait se manifester 
dans la partie que l’on ne possede plus. 

On a observé que des personnes à qui l’on avait 
coupé la jambe, et dont le moignon était bien cica- 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 245 


trisé, ressentaient aux époques des changements de 
temps, des douleurs au pied ou à la jambe qu’elles 
n'avaient plus. Il est évident qu’il s’opérait dans ces 
individus une erreur de jugement à l'égard du lieu 
où s’exécutait réellement la sensation qu'ils éprou- 
vaient ; mais cette erreur provenait de ce que les 
nerfs affectés étaient précisément ceux qui, origi- 
nairement, se distribuaient au pied ou à la jambe 
de ces individus, or, cette sensation se produisait 
réellement à l'extrémité de ces nerfs raccourcis. 

Le foyer des sensations ne sert que pour la pro- 
duction de la commotion générale excitée par le nerf 
qui a recu l'impression, et que pour rapporter dans 
ce nerf la réaction de tous les autres ; d’où résulte, 
à l'extrémité du nerf affecté, un effet auquel parti 
cipent toutes les parties du corps. 

Il semble que Cabanis ait entrevu le mécanisme 
des sensations, car, quoiqu'il n’en développe pas 
clairement les principes , et qu’il donne un méca- 
nisme analogue à la maniere dont les nerfs excitent 
l'action musculaire, ce qui n’est pas, on voit qu'il a 
eu le sentiment général de ce qui se passe réelle- 
ment dans la production des sensations ; Voici com- 
ment il s'exprime sur ce sujet : 

« L’on peut donc considérer les opérations de la 
sensibilité comme se faisant en deux temps. D'abord, 
les extrémités des nerfs recoivent et transmettent le 
premier avertissement à tout l'organe sensitif, ou 
seulement, comme on le verra ci-après, à lun de 


216 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


ses systemes isolés ; ensuite l’organe sensitif réagit 
sur elles, pour'les mettre en état de recevoir toute 
l'impression ; de sorte que la sensibilité qui, dans 
le premier temps, semble avoir reflué de la circon- 
férence au centre, revient, dans le second, du centre 
à la circonférence, et que, pour tout dire en un mot, 
les nerfs exercent sur eux-mêmes une véritable 
réaction pour le sentiment, comme ils en exercent 
une autre sur les parties musculaires pour le mou— 
vement. » (app. du phys. et du moral, vol. I, 
p. 143.) 

Il ne manque à cet exposé du savant que je cite, 
que de faire sentir que le nerf qui, à son extrémité, 
reçoit et transmet le premier avertissement à tout le 
système sensitif, est le seul qui ensuite ne réagisse 
point ; et qu'il en résulte que la réaction générale 
des autres nerfs du système étant parvenue au foyer 
commun , se transmet nécessairement dans le seul 
nerf qui se trouve alors dans un état passif, et y 
porte Jusqu'au point qui fut d’abord affecté l’effet 
général du système, c’est-à-dire la sensation. 

Quant à ce que dit Cabanis d'une réaction sem 
blable que les nerfs exerceraient sur les parties 
musculaires pour les mettre en mouvement, je crois 
que cette comparaison de deux actes si différents du 
systeme nerveux n'a rien de fondé, et qu'une simple 
énussion du fluide des nerfs qui, de son réservoir, est 
envoyé aux muscles qui doivent agir, est suffisante : 
il n'y a là aucune nécessité de réaction nerveuse. 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 247 


Je terminerai mes observations sur les causes 
physiques du sentiment par les réflexions suivantes, 
dont le but est de montrer que l’on commet une 
erreur, soit en confondant la perception d’un objet 
avec l’idée que peut faire naïitre la sensation du 
même objet, soit en se persuadant que toute sensation 
donne toujours une idée. 

Éprouver une sensation où la distinguer, sont 
deux choses tres-différentes : la première, sans la 
seconde, ne constitue qu'une simple perception ; au 
contraire, la seconde, qui est toujours jointe à la pre- 
miere, en donne uniquement l’idée. 

Lorsque nous éprouvons une sessation de la part 
d'un objet qui nous est étranger, et que nous distin- 
guons cette sensation, quoique ce ne soit qu'en nous- 
mêmes que nous sentions, et qu’il nous faille faire 
une ou plusieurs comparaisons pour séparer l’objet 
dont il s’agit de notre propre existence et en avoir 
une idée, nous exécutons presque simultanément, 
par le moyen de nos organes, deux sortes d'actes 
essentiellement différents, Pun qui nous fait sentir, 
l'autre qui nous fait penser. Jamais nous ne par- 
viendrons à démèler les causes de ces phénomenes 
organiques, tant que nous confondrons ensemble les 
faits si distincts qui les constituent, et que nous ne 
reconnaitrons pas que la source de l’un ne peut être 
la mème que celle de l’autre. 

Assurément, il faut un système d'organes parti 
culier pour exécuter le phénomène du sentiment, 


248 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


car sentir est une faculté particulière à certains ani- 
maux, et non générale pour tous. Il faut, de même, 
un système d'organes particulier pour opérer des 
actes d’entendement, car, penser, comparer, juger, 
raisonner, sont des actes organiques d’une nature 
tres-différente de ceux qui produisent le sentiment. 
Aussi, quand on pense, n’en éprouve-t-on aucune 
sensation, quoique les pensées se rendent sensibles 
au sentiment intérieur, à ce mot dont on a la cons- 
cience. Or, toute sensation provenant d’un sens 
particulier affecté, la conscience qu'on a de sa pen- 
sée n’en est point une, en diffère effectivement, et 
conséquemment doit en être distinguée. De même, 
lorsqu'on éprouve la sensation simple qui constitue 
la perception, e'est-à-dire celle que l’on ne remar- 
que point, on ne s’en forme aucune idée, on n’en 
produit aucune pensée, et à cet égard le système 
sensitif est seul en action. On peut donc penser sans 
sentir, et on peut sentir sans penser. Aussi a-t-on 
pour chacune de ces deux facultés un système d’or- 
ganes qui peut y donner lieu, comme on a un sys- 
teme d'organes particulier pour les mouvements, 
qui est indépendant des deux que je viens de citer, 
quoique l’un ou l’autre soit la cause non immédiate 
qui mette ce dernier en action. 

Ainsi, c’est à tort que l’on a confondu le système 
des sensations avec le système qui produit les actes 
de l’entendement, et que l’on a supposé que les deux 
sortes de phénomènes organiques qui en proviennent, 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 249 


étaient le résultat d’un seul système d'organes capa- 
ble de les produire. Gela est cause que des hommes 
du plus grand mérite, et à la fois très-instruits, se 
sont trompés dans leurs raisonnements sur les objets 
de cette nature qu'ils ont considérés. 

« Un être, dit M. PRrcherand, absolument privé 
d'organes sensitifs, n'aurait qu’une existence pure 
ment végétative; s’il acquérait un sens, il ne joui- 
rait point encore de l’entendement, puisque, comme 
le prouve Condillac, les impressions produites sur 
ce sens unique ne pourraient être comparées, tout 
se bornerait à un sentiment intérieur qui l’averti- 
rait de son existence, et il croirait que toutes les 
choses qui l’'affectent font partie de son être. » (PAy- 
siologie, Vol. IE, p. 154.) 

On voit, d’après cette citation, que les sens sont 
ici considérés, non-seulement comme des organes 
sensitifs, mais aussi Comme ceux qui produisent les 
actes de lentendement, puisque, si, au lieu d’un 
seul sens, l'être cité en avait plusieurs, alors, 
selon l’opinion admise, la seule existence de ces 
sens ferait jouir lindividu de facultés intellec- 
tuelles. 

Il y a mème une contradiction dans le passage 
que je viens de citer, car il y.est dit qu'un être qui 
n'aurait qu'un seul sens ne jouirait pas encore de 
l’entendement, et, plus loin, on dit qu'a l'égard des 
impressions qu'il éprouverait, tout se bornerait à 
un sentiment intérieur qui l'avertirait de son exis- 


250 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


tence, et qu’il croirait que toutes les choses qui laf- 
fectent font partie de son être. Comment cet être, 
qui ne jouirait pas encore de Fentendement, pour- 
rait-il penser et juger ? car c’est former un jJuge- 
ment que de croire que telle chose est de telle ma- 
mére. 

Tant que l’on négligera de distinguer les faits qui 
tiennent au sentiment de ceux qui sont le produit 
de l'intelligence, on sera souvent exposé à faire de 
semblables méprises. 

C’est une chose reconnue, qu’il n’y a point d'idées 
innées, et que toute idée simple provient uniquement 
d’une sensation. Mais j'espere faire voir que toute 
sensation ne produit pas une idée , qu'elle ne cause 
nécessairement qu'une perception, et que, pour la 
production d’une idée imprimée et durable, il faut 
un organe particulier, ainsi que l’existence d’une 
condition que l'organe des sensations ne saurait seul 
offrir. 

Il y a loin d’une simple perception à une idée 
imprimée et durable. En effet, toute sensation qui 
ne cause qu'une simple perception , n’imprime rien 
dans l’organe, n’exige point la condition essentielle 
de l'attention, et ne saurait qu'exciter le sentiment 
intérieur de l'individu, et lui donner l'aperçu fugitif 
des objets, sans produire aucune pensée chez cet 
individu. D'ailleurs, la mémoire, qui ne peut avoir 
son siége que dans l'organe où se tracent les idées, 
n’est jamais dans le cas de rappeler une perception 


DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE #51 


qui n’est point parvenue dans cet organe, et qui 
conséquemment n’y a rien imprimé. 

Je regarde les perceptions comme des idées 
imparfaites, toujours simples, non gravées dans. 
l'organe, et qui peuvent s’exécuter sans condition, 
ce qui est très-différent à l'égard des idées véritables 
et subsistantes. Or, ces perceptions , au moyen de 
répétitions habituelles qui frayent certains passages 
particuliers au fluide nerveux, peuvent donner lieu 
à des actions qui ressemblent à des actes de mé- 
moire. L'observation des mœurs et des habitudes des 
insectes nous en offre des exemples. 

J'aurai occasion de revenir sur ces objets ; mais 
il importait que je fasse remarquer ici la nécessité 
de distinguer la perception qui résulte de toute 
sensation non remarquée, de l’idée qui, pour sa 
formation, exige un organe spécial, ce dont j’espère 
donner des preuves. 

D’après ce qui est exposé dans ce chapitre, je crois 
pouvoir conclure : 

1° Que le phénomene du sentiment n’offre d’autre 
merveille que l’une de celles qui sont dans la nature, 
c’est-à-dire que des causes physiques peuvent faire 
exister ; 

2° Qu'il n’est pas vrai qu'aucune des parties d’un 
corps vivant, et qu'aucune des matières qui compo— 
sent ces parties, aient en propre la faculté de sentir ; 

3° Que le sentiment est le produit d’une action et 
d'une séaclin qui s'operent et deviennent géné- 


252 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 


rales dans le système sensitif, et qui s’exécutent 
avec rapidité par un mécanisme simple tres-facile à 
concevoir ; 

4 Que l'effet général de cette action et de cette 
réaction est nécessairement ressenti par le #01 
indivisible de lindividu , et non par aucune partie 
de son corps prise séparément, en sorte que ce n’est 
que par illusion qu'il croit que l'effet entier s’est 
passé dans le point qui a recu l’impression qui l’a 
affecté ; 

D° Que tout individu qui remarque une sensation, 
qui la juge, qui distingue le point de son corps où 
elle est rapportée, en a une idée, y a pensé, a 
exécuté à son égard un acte d'intelligence, et con- 
séquemment possède l'organe particulier qui peut en 
produire ; 

6° Qu'enfin, le système des sensations pouvant 
exister sans celui de l’entendement, l'individu qui 
est dans ce cas, n’exécute aucun acte d’intelhigence, 
n’a point d'idées, et ne peut recevoir, de la part de 
ses sens affectés, que de simples perceptions qu'il 
ne remarque point, mais qui peuvent émouvoir Son 
sentiment intérieur et le faire agir. 

Essayons maintenant de nous former une idée 
claire, s'il est possible, des émotions du sentiment 
intérieur de tout individu qui jouit de la sensibilité 
physique, et de reconnaître la puissance que cet 
individu en obtient pour l'exécution de ses actions. 


CHAPITRE IV 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR, DES ÉMOTIONS 
QU'IL EST SUSCEPTIBLE D'ÉPROUVER, ET DE LA PUISSANCE 
QU'IL EN ACQUIERT POUR LA PRODUCTION DES ACTIONS 


Mon objet, dans ce chapitre, est de traiter d’une 
des facultés les plus remarquables que le système 
nerveux, dans ses principaux développements, donne 
aux animaux qui le possédent dans cet état; je veux 
parler de cette faculté singulière dont certains ani- 
maux et l’homme mème sont doués, et qui consiste 
à pouvoir éprouver des émotions inléricures que 
provoquent les besoins et différentes causes externes 
ou internes, et desquelles naît la puissance qui fait 
exécuter diverses actions. 

Personne, à ce que je crois, n’a encore pris en 
considération l’objet intéressant dont je vais n’oc- 
cuper, et cependant, si l’on ne fixe ses idées à son 
égard, 1l sera toujours impossible de rendre raison 
des nombreux phénomènes que nous présente l’orga- 


254 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 
misation animale, et qui ont leur source dans la 
faculté que je viens de mentionner. 

On a vu que le système nerveux se composait de 
différents organes qui, tous, communiquent ensemble; 
conséquemment, toutes les portions du fluide subtil, 
contenu dans les différentes parties de ce système, 
communiquent aussi entre elles, et par suite sont 
susceptibles d’éprouver un ébranlement général, 
lorsque certaines causes capables d’exciter cet 
ébranlement viennent à agir. C’est là une considé- 
ration essentielle qu'il nous importe de ne pas perdre 
de vue dans les recherches qui nous occupent, et 
dont le fondement ne saurait être douteux, puisque 
les faits observés nous en fournissent des preuves. 

Cependant, la totalité du fluide nerveux n’est pas 
toujours assez libre pour pouvoir éprouver l’ébran- 
lement dont il est question, car, dans les cas ordi- 
naires , n’y à qu'une portion de ce fluide, à la 
vérité considérable, qui soit susceptible de ressentir 
cet ébranlement, lorsque certaines émotions l'y exci- 
tent. 

Il est certain que, dans diverses circonstances, le 
fluide nerveux éprouve des mouvements dans des 
portions, en quelque sorte isolées de sa masse : ainsi, 
des portions de ce fluide sont envoyées aux diffé- 
rentes parties pour l’action musculaire, et pour la 
vivification des organes , sans que sa masse entière 
se mette en mouvement ; de même , des portions du 
fluide dont il s’agit peuvent être agitées dans les 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 255 


hémisphères du cerveau, sans que la totalité de ce 
fluide éprouve cette agitation : ce sont là des vérités 
dont on ne saurait disconvenir. Mais s’il est évident 
que le fluide nerveux soit susceptible de recevoir 
des mouvements dans certaines portions de sa masse, 
il doit l’être aussi que, par des causes particulières, 
la masse presque entière de ce fluide peut être 
ébranlée et mise en mouvement , puisque toutes ses 
portions communiquent ensemble. Je dis la masse 
presque entière, parce que. dans les émotions inté- 
rieures ordinaires, la portion du fluide nerveux, 
qui sert à l'excitation des muscles indépendants de 
l'individu, et souvent celle qui se trouve dans les 
hémisphères du cerveau, sont à l'abri des ébranle- 
ments qui constituent ces émotions. 

Le fluide nerveux peut donc éprouver des mouve- 
ments dans certaines parties de sa masse, et il peut 
aussi en subir dans toutes à la fois ; or, ce sont ces 
derniers mouvements qui constituent les ébranle- 
ments généraux de ce fluide, et que nous allons 
considérer. | 

Les ébranlements généraux du fluide nerveux 
sont de deux sortes, savoir : 

l° Les ébranlements partiels, lesquels deviennent 
ensuite généraux et se terminent par une réaction ; 
ce sont les ébranlements de cette sorte qui produisent 
le sentiment. Nous en avons traité dans le troisième 
chapitre; 

2° Les ébranlements qui sont généraux dès qu'ils 


256 DU SENTIMENT INTERIEUR 


commencent, et qui ne forment aucune réaction : ce 
sont ceux-ci qui constituent les émotions intérieures, 
et c’est d'eux uniquement dont nous allons nous 
occuper. 

Mais auparavant, il est nécessaire de dire un mot 
du sentiment d'existence, parce que ce sentiment est 
la source dans laquelle les émotions intérieures 
prennent naissance. 


DU SENTIMENT D'EXISTENCE 


Le sentiment d'existence, que je nommerai senti- 
ment intérieur, afin de le séparer de l’idée d’une 
généralité qu'il ne peut avoir, puisqu'il n’est point 
commun à tous les corps vivants, et qu'il ne l’est 
pas mème à tous les animaux, est un sentiment fort 
obscur, dont sont doués les animaux qui ont un sys- 
teme nerveux assez développé pour leur donner la 
faculté de sentir. 

Ce sentiment, tout obscur qu'il est, est néanmoins 
très-puissant, car il est la source des émotions inté- 
rieures qu'éprouvent les individus qui le possèdent, 
et par suite de cette force singulière qui met ces 
individus dans le cas de produire eux-mêmes les 
mouvements et les actions que leurs besoins exigent, 
Or, ce sentiment, considéré comme un ##0teur tres- 
actif, n'agit ainsi qu'en envoyant aux muscles, qui 
doivent opérer ces mouvements et ces actions, le 
fluide nerveux qui en est l’excitateur. 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 251 


Le sentiment dont il est question, et qui est main- 
tenant bien reconnu, résulte de l’ensemble confus 
de sensalions intérieures, qui ont lieu constamment 
pendant la durée de lexistence de lanimal, au 
moyen des impressions continuelles que les mouve- 
ments de la vie exécutent sur ses parties internes et 
sensibles. 

En effet, par suite des mouvements organiques 
où vitaux qui s’opérent dans tout animal, celui qui 
possède un système nerveux suffisamment développé, 
jouit dès lors de la sensibilité physique, et recoit 
sans cesse, dans toutes ses parties intérieures et 
sensibles, des impressions qui l’affectent continuel- 
lement, et qu'il ressent toutes à la fois sans pouvoir 
en distinguer aucune. 

A la vérité, toutes ces impressions sont très-fai- 
bles, et, quoiqu'elles varient en intensité, selon 
l’état de santé ou de maladie de l'individu, elles ne 
sont, en général, tres-difficiles à distinguer que 
parce qu'elles n'offrent point d'interruption ni de 
reprise subites. Néanmoins, l’ensemble de ces im 
pressions et des sensations confuses qui en résultent, 
constitue dans tout animal qui s’y trouve assujetti, 
un sentiment intérieur fort obscur, mais réel, qu’on 
a nommé sentiment d'existence. 

Ce sentiment intime et continuel, dont on ne se 
rend pas compte, parce qu’on l’éprouve sans le re- 
marquer, est général, puisque toutes les parties sen- 
sibles du corps y participent. Il constitue ce #ot dont 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 17 


258 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


tous les animaux, qui ne sont que sensibles, sont 
pénétrés sans s’en apercevoir, mais que ceux qui 
possédent l'organe de l'intelligence peuvent remar- 
quer, ayant la faculté de penser et d’y donner de 
l'attention. Enfin, il est, chez les uns et les autres, 
la source d’une puissance que les besoins savent 
émouvoir, qui n’agit effectivement que par émotion, 
et dans laquelle les mouvements et les actions pui- 
sent la force qui les produit. 

Le sentiment inlérieur peut être considéré sous 
deux rapports très-distincts ; savoir : 

l° En ce qu'il est le résultat des sensations obseu- 
res qui s’exécutent, sans discontinuité, dans toutes 
les parties sensibles du corps : sous cette considé- 
ration, je le nomme simplement sentiment inté- 
rieur ; 

2° Dans ses facultés : car, au moyen de l’ébran- 
lement général dont est susceptible le fluide subtil 
qui l’occasionne, il a celle de constituer une puis- 
sance qui donne aux animaux qui la possèdent, le 
pouvoir de produire eux-mêmes des mouvements 
et des actions. 

En effet, ce sentiment, formant un tout très-sim- 
ple, par sa généralité, est susceptible d’être ému 
par différentes causes. Or, dans ses émotions, pou- 
vant exciter des mouvements dans les portions libres 
du fluide nerveux, diriger ces mouvements, et 
envoyer ce fluide excitateur à tel ou tel muscle, ou 
dans telle partie des hémisphères du cerveau, il de- 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 259 


vient alors une puissance qui fait agir ou qui excite 
des pensées. Ainsi, sous ce second rapport, on peut 
considérer le sentiment intérieur comme la source 
où la force productrice des actions puise ses moyens. 

Il était nécessaire, pour l'intelligence des phéno- 
mènes qu'il produit, de considérer ce sentiment sous 
les deux rapports que je viens de citer; car, par sa 
nature, c’est-à-dire, comme sentiment d'existence, 
il est, pendant la veille, toujours en action ; et par 
ses facultés, il donne naissance passagérement à 
une force qui fait agir. 

Enfin, le sentiment intérieur ne manifeste sa 
puissance, et ne parvient à produire des actions que 
lorsqu'il existe un système pour le mouvement mus- 
culaire, lequel est toujours dépendant du système 
nerveux, et ne saurait avoir lieu sans lui. Aussi, 
serait-ce une inconséquence que de s’efforcer de 
trouver des muscles dans des animaux en qui le sys- 
teme nerveux manquerait évidemment. 

Essayons maintenant de développer les princi- 
pales considérations relatives aux émotions du sen- 
liment inlérieur. 


DES ÉMOTIONS DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


I s'agit ici de l'examen de l’un des plus impor- 
tants phénomènes de l’organisation animale, de ces 
émotions du sentiment intérieur, qui font agir les 
animaux et homme mème, tantôt sans aucune par- 


260 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


ticipation de leur volonté, et tantôt par une volonté 
qui y donne lieu ; émotions depuis longtemps aper- 
cues, mais sur lesquelles il ne paraît pas qu'on ait 
fixé son attention pour en rechercher l’origine ou les 
causes. 

D’après ce qu'on observe à cet égard, on ne sau- 
rait douter que le sentiment intérieur et général 
qu'éprouvent les animaux qui possedent un système 
nerveux propre au sentiment, ne soit susceptible de 
s’émouvoir par des causes qui l’affectent; or, ces 
causes sont toujours le besom, soit d’assouvir la 
faim, soit de fuir les dangers, d'éviter la douleur, de 
rechercher le plaisir, ou ce qui est agréable à l’in- 
dividu, etc. 

Les émotions du sentiment intérieur ne peuvent 
ètre connues que de l’homme, lui seul pouvant les 
remarquer et y donner de l'attention ; mais iln’aper- 
coit que celles qui sont fortes, qui ébranlent, en 
quelque sorte, tout son être, et il a besoin de beau- 
coup d'attention et de réflexions, pour reconnaitre 
qu'ilen éprouve de tous les degrés d'intensité, et que 
c’est uniquement le sentiment intérieur qui, dans 
diverses circonstances, fait naître en lui ces émo= 
tions internes qui le font agir ou qui le portent à 
exécuter quelque action. 

J'ai déjà dit, au commencement de ce chapitre, 
que les émotions intérieures d'un animal sensible 
consistaient en certains ébranlements généraux de 
toutes les portions libres de son fluide nerveux, et 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 261 


que ces ébranlements n'étaient suivis d'aucune 
réaction, ce qui est cause qu'ils ne produisent aucune 
sensation distincte. Or, il est aisé de concevoir que, 
lorsque ces émotions sont faibles ou médiocres, l’in- 
dividu peut les dominer et en diriger les mouve- 
ments, mais que lorsqu'elles sont suhites et très- 
grandes, alors il en est maîtrisé lui-même : cette 
considération est très-importante. 

Le fait positif, que constituent les émotions dont 
il s’agit, ne peut être une supposition. Qui n’a pas 
remarqué qu'un grand bruit inattendu, nous fait 
tressaillir, sauter en quelque sorte, et exécuter, 
selon sa nature, des mouvements que notre volonté 
n'avait pas déterminés? 

Il y a quelque temps que, marchant dans la rue, 
et me couvrant l’œil gauche de mon mouchoir, parce 
qu'il me faisait souffrir, et que la lumière du soleil 
m'incommodait, la chute précipitée d’un cheval 
monté, que je ne voyais pas, se fit tres-près de moi 
et à ma gauche : or, dans l’instant mème, par un 
mouvement et un élan, auxquels ma volonté ne put 
avoir la moindre part, je me trouvai transporté à 
deux pas sur ma droite, avant d’avoir eu l’idée de 
ce qui se passait pres de moi. 

Tout le monde connait ces sortes de mouvements 
involontaires, pour en avoir éprouvé d’analogues ; 
et ils ne sont remarqués que parce qu'ils sont extrè- 
mes et subits. Mais on ne fait pas attention que tout 
ce qui nous affecte, nous émeut proportionnellement, 


262 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


c’est-à-dire, émeut plus ou moins notre sentiment 
intérieur. 

On est ému à la vue d’un précipice, d’une scène 
tragique, soit réelle, soit représentée sur un théâtre, 
soit même sur un tableau, etc., etc. : et quel peut 
être le pouvoir d’un beau morceau de musique bien 
exécuté, si ce n’est celui de produire des émotions 
dans notre sentiment intérieur ! La joie ou la tris- 
tesse que nous ressentons subitement, en apprenant 
une bonne ou une mauvaise nouvelle à l'égard de ce 
qui nous intéresse, est-elle autre chose que lémo- 
tion de ce sentiment intérieur, qu'il nous est fort 
difficile de maîtriser dans le premier moment ? 

J'ai vu exécuter plusieurs morceaux de musique 
sur le piano, par une jeune demoiselle qui était 
sourde et muette : son jeu était peu brillant et néan- 
moins passable ; mais elle avait beaucoup de mesure, 
et je m'apercus que toute sa personne était mue par 
des mouvements mesurés de son sentimentintérieur. 

Ce fait me fit sentir que le sextinent intérieur 
suppléait, dans cette jeune personne, à l'organe de 
l’ouie qui ne pouvait la guider. Aussi, son maitre de 
musique mayant appris qu'il l'avait exercée à la 
mesure par des signes mesurés, je fus bientôt con- 
vaincu que ces signes avaient ému en elle le senti 
ment dont il est question ; et de là je présumai que 
ce que l’on attribue entierement à l'oreille tres- 
exercée et tres-délicate des bons musiciens, appar- 
tenait plutôt à leur sentiment intérieur qui, dés la 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 263 


premiére mesure, se trouve ému par le genre de 
mouvement nécessaire pour l'exécution d’une pièce. 

Nos habitudes, notre tempérament, l’éducation 
même, modifient cette faculté de s'émouvoir que 
possède notre sentiment intérieur; en sorte qu’elle 
se trouve tres-affaiblie dans certains individus, et 
qu’elle estextrème dans d’autres. 

On doit distinguer les émotions que nous fait 
éprouver la sensation des objets extérieurs, de celles 
qui nous viennent des idées, des pensées, en un 
mot, des actes de notre intelligence ; les premières 
constituent la sensibilité physique, tandis que les 
secondes, par leur susceptibilité plus où moins 
grandes, caractérisent la sensibilité #0rale que nous 
allons considérer. 


SENSIBILITÉ MORALE 


La sensibilité morale, à laquelle on donne ordi- 
nairement le nom général de sensibilité, est fort 
différente de la sensibilité physique dont j'ai déjà 
fait mention ; la première n'étant excitée que par 
des idées et des pensées qui émeuvent notre sentiment 
intérieur, et la seconde ne se manifestant que par 
des impressions qui se produisent sur nos sens, et 
qui peuvent pareillement émouvoir le sentiment 
intérieur dont nous sommes doués. 

Ainsi, la sensibilité inorale, dont on a, mal à 
propos, supposé le siége dans le cœur, parce que 


261 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


les différents actes de cette sensibilité affectent plus 
ou moins les fonctions de ce viscere, n’est autre 
chose que lexquise susceptibilité de s’'émouvoir, que 
possède le sentiment inlérieur de certains individus, 
à la manifestation subite d'idées et de pensées qui 
y donnent lieu. On dit alors que ces individus sont 
très-sensibles. 

Cette sensibilité, considérée dans les développe- 
ments qu'une intelligence perfectionnée peut lui 
faire acquérir, et lorsqu'elle n’a point éprouvé les 
altérations qu’on est parvenu à lui faire subir, me 
parait un produit et même un bienfait de la nature. 
Elle forme alors une des plus belles qualités de 
l’homme, car elle est la source de l'humanité, de 
la bonté, de l’amitié, de l’honneur, etc. Quelquefois, 
cependant, certaines circonstances nous rendent 
cette qualité presque aussi funeste, qu'elle peut nous 
être avantageuse dans d’autres : or, pour en retirer 
les avantages qu'on en peut obtenir, et obvier aux 
inconvénients qui en proviennent, il ne s’agit que 
d’en modérer les élans par des moyens que les 
principes d’une bonne éducation peuvent seuls diri= 
ger. 

En effet, ces principes nous montrent la nécessité, 
dans mille circonstances, de comprimer notre sen- 
sibilité, jusqu'à un certain point, afin de ne pas 
manquer aux égards que l’homme en société doit à 
ses semblables, ainsi qu'à l’âge, au sexe et au rang 
des personnes avec qui il se trouve : de là résultent 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 265 


cette convenance, cette aménité dans les discours 
et dans les expressions employées, en un mot, cette 
juste retenue dans les idées émises , qui font plaire 
sans jamais blesser, et qui forment une qualité qui 
distingue éminemment ceux qui la possèdent. 

Jusques-là, nos conquêtes à cet égard ne peuvent 
tourner qu'à l’avantage général. Mais on passe 
quelquefois les bornes ; on abuse du pouvoir que la 
nature nous donna, d’étouffer, en quelque sorte, la 
plus belle des facultés que nous tenions d’elle. 

Effectivement, certains penchants auxquels se 
livrent bien des hommes, leur ayant fait sentir le 
besoin d'employer constamment la dissimulation, 
il leur est devenu nécessaire de contraindre habi- 
tuellement les émotions du sentiment intérieur, et 
de cacher soigneusement leurs pensées, ainsi que 
celles de leurs actions qui peuvent les conduire au 
but qu'ils se proposent. Or, comme toute faculté, 
non exercée, s’altére peu à peu, et finit par 
s’anéantir presque entierement, la sensibilité mo- 
rale que nous considérons ici, est à peu près nulle 
pour eux, et ils ne l’estiment même pas dans les 
personnes qui la possèdent encore d’une manière un 
peu éminente. 

De même que la sensibilité physique ne s'exerce 
que par des sensations qui, lorsqu'elles font naître 
quelque besoin, produisent aussitôt une émotion 
dans le sentiment intérieur, lequel envoie, dans 
instant, le fluide nerveux aux muscles qui doivent 


266 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


agir ; de mème, aussi, la sensibilité morale ne 
s'exerce que par des émotions que produit la pensée 
dans ce sentiment intérieur ; et lorsque la volonté, 
qui est un acte d'intelligence, détermine une action, 
ce sentiment, ému par cet acte, dirige le fluide 
nerveux vers les muscles qui doivent agir. 

Ainsi, le sentiment intérieur reçoit, par l’une ou 
l’autre de deux voies très-différentes, toutes les 
émotions qui peuvent l’agiter, savoir : par celle de 
la pensée, et par celle du sentiment physique ou des 
sensations. On pourrait donc distinguer les émotions 
du sentiment intérieur : 

1° En émotions morales, telles que celles que 
certaines pensées peuvent produire ; 

2 En émotions physiques , telles que celles qui 
proviennent de certaines sensations. 

Cependant, comme les résultats de la première 
sorte d'émotion appartiennent à la sensibilité morale, 
tandis que ceux de la seconde sorte dépendent de 
la sensibilité physique, il suffit de s’en tenir à la 
premiere distinction déjà faite. 

Je ferai, néanmoins, à cette occasion, les remar- 
ques suivantes, qui ne me paraissent pas sans Intérêt. 

Une émotion morale, quand elle est très-forte, 
peut anéantir momentanément, ou temporairement, 
le sentiment physique, occasionner des désordres 
dans les idées, les pensées, et altérer plus ou moins 
les fonctions de plusieurs des organes essentiels à 
la vie. 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 267 


On sait qu'une nouvelle affligeante et mattendue, 
que celle même qui cause une joie extrème, produi- 
sent des émotions dont les suites peuvent être de la 
nature de celles que je viens de citer. 

On sait aussi que les moindres effets de ces émo- 
tions sont de troubler la digestion, ou de la rendre 
pénible; et qu'a l'égard des personnes âgées, lors- 
qu’elles sont un peu fortes, elles sont dangereuses, 
et quelquefois funestes. 

Enfin, la puissance des émotions morales est Si 
grande, que souvent elle réussit à dominer le senti 
ment physique. En effet, on a vu des fanatiques, 
c’est-a-dire des individus dont le sentiment moral 
était tellement exalté, qu'ils parvenaient à surmon- 
ter les impressions des tortures qu'on leur faisait 
éprouver. 

Quoiqu’en général, les émotions morales lempor- 
tent en puissance sur les émotions physiques, celles- 
ci, néanmoins, lorsqu'elles sont tres-fortes, trou- 
blent aussi les facultés intellectuelles, peuvent 
causer le délire, et déranger les fonctions organi- 
ques. 

Je terminerai ces remarques par une réflexion que 
je crois fondée, savoir : que le sentiment moral 
exerce, avec le temps, sur l’état de l’organisation, 
une influence encore plus grande que celle que le 
sentiment physique est capable d'y opérer. 

Effectivement, quel désordre une tristesse pro- 
fonde et tres-prolongée ne produit-elle pas dans les 


268 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


fonctions organiques, et surtout dans l’état des vis- 
cères abdominaux ? 

CABANIS, considérant, à cet égard, que des indi- 
vidus continuellement tristes, mélancoliques, et sou- 
vent même sans sujet réel, offraient dans l’état des 
viscères dont je viens de parler, un genre d’altéra- 
tion toujours à peu près le même, en a conclu que 
c'était à ce genre d’altération qu'il fallait attribuer 
la mélancolie de ces individus, et que ces visceres 
concouraient à la formation de la pensée. 

Il me semble que ce savant a étendu trop loin la 
conséquence qu'il a tirée des observations faites à 
ce sujet. 

Sans doute, l’état d’altération des organes, et 
spécialement des viscères abdominaux, correspond 
fréquemment avec les altérations des facultés mo- 
rales, et même y contribue réellement. Mais cet 
état, selon moi, ne concourt point pour cela à la 
formation de la pensée, il influe seulement à donner 
à l'individu un penchant qui le porte à se complaire 
dans tel ordre de pensées, plutôt que dans tel autre. 

Or, le senfiment moral agissant fortement sur 
l’état des organes, lorsque ses affections se prolon- 
gent dans tel ou telsens, ce dont on ne saurait dou- 
ter, 1l me parait que, dans tel individu, des chagrins 
continuels et fondés auront, dans l’origine, causé 
les altérations de ses viscères abdominaux ; et que 
ces altérations, une fois formées, auront, à leur 
tour, perpétué, dans cet individu, un penchant à la 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 269 


mélancolie, mème sans qu'il en ait alors aucun 
sujet. 

A la vérité, la génération peut transmettre une 
disposition des organes, en un mot, un état des vis- 
cères propre à donner lieu à tel tempérament, telle 
inclination, enfin, tel caractère ; mais il faut ensuite 
que les circonstances favorisent, dans le nouvel indi- 
vidu, le développement de cette disposition, sans 
quoi, cet individu pourrait acquérir un autre tem 
pérament, d’autres inclinations, enfin, un autre ca- 
ractère. Ge n’est que dans les animaux, surtout dans 
ceux qui ont peu d'intelligence, que la génération 
transmet, presque sans variation, l’organisation, les 
penchants, les habitudes, enfin, tout ce qui est le 
propre de chaque race. 

Je m'éloignerais trop de ce que j'ai en vue, si je 
m'étendais davantage sur ces considérations ; en con- 

séquence, je reviens à mon sujet. 

Ainsi, je résume mes observations sur le senti 
ment intérieur, en disant que ce sentiment, dans 
les êtres qui en sont doués, est la source des mou- 
vements et des actions : soit lorsque des sensations 
qui font naître des besoins lui causent des émo- 
tions quelconques, soit lorsque, la pensée donnant 
aussi naissance à un besoin ou montrant un dan- 
ger, etc., l’émeut plus où moins fortement. Ces 
émotions, de quelque part qu’elles viennent, ébran- 
lent aussitôt le fluide nerveux disponible, et comme 
tout besoin ressenti dirige le résultat de l'émotion 


210 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 

qu'il excite vers les parties qui doivent agir, les 
mouvements s'exécutent invariablement par cette 
vole, et sont toujours en rapport avec ce que les 
besoins exigent. 

Enfin, comme ces émotions intérieures sont très- 
obscures, l’individu, en qui elles s’exécutent, ne s’en 
aperçoit pas; elles sont cependant réelles; et si 
l'homme, dont l'intelligence est très-perfectionnée, 
y donnait quelque attention, il reconnaitrait bientôt 
qu'il n’agit que par des émotions de son sentiment 
intérieur, dont les unes, étant provoquées par des 
idées, des pensées et des jugements qui lui font res 
sentir des besoins, excitent sa volonté d'agir ; tandis 
que les autres, résultant immédiatement de besoins 
pressants et subits, lui font exécuter des actions 
auxquelles sa volonté n’a point de part. 

J'ajoute que, puisque le sentiment intérieur peut 
occasionner les ébranlements dont il vient d’être 
question, on sent que si l'individu domine les émo— 
tions que son sentiment intime recoit, 1l peut alors 
les comprimer, les modérer, et mème en arrêter les 
effets. Voila comment le sentiment intérieur de tout 
individu qui en jouit, constitue une puissance qui le 
fait agir selon ses besoins et ses penchants habituels. 

Mais lorsque les émotions dont il s’agit sont très- 
grandes, et qu’elles le sont au point de causer dans 
le fluide nerveux un ébranlement assez considérable 
pour interrompre et troubler dans ses opérations 
celui des hémisphères du cerveau, et celui mème 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 211 


qui porte son influence aux muscles indépendants de 
l'individu, des lors cet individu perd connaissance, 
éprouve la syneope, et ses organes vitaux sont plus 
ou moins dérangés dans leurs fonctions. 

Ce sont là, vraisemblablement, ces grandes vé- 
rités que ne purent découvrir les philosophes, parce 
qu'ils n'avaient pas suffisamment observé la nature, 
et que les zoologistes n’ont pas apercues, parce qu'ils 
se sont trop occupés de distinctions et d'objets de dé- 
tail. Au moins peut-on dire que les causes physi- 
ques qui viennent d'être indiquées, sont capables 
d'opérer les phénomènes d'organisation qui font ici 
le sujet de nos recherches. 

L'ordre qui est partout nécessaire dans lexposi- 
tion des idées, exige que j'établisse ici une distine- 
tion très-fondée et de première importance, la voici : 
j'ai déjà dit que le sentiment intérieur recevait des 
émotions par deux sortes de causes très-différentes, 
SAVOIT : 

l° Par suite de quelque opération de lintelli- 
gence qui se termine par un acte de volonté d'agir ; 

2° Par quelque sensation où impression qui fait 
ressentir un besoin où provoque l'exercice d’un pen- 
chant sans la participation de la volonté. 

Ces deux sortes de causes, qui émeuvent le sen- 
timent intérieur de lindividu, montrent qu'il y a 
réellement une distinction à faire entre celles qui 
dirigent les mouvements du fluide nerveux dans la 
production des actions. 


272 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


Dans le premier cas, en effet, l'émotion du senti 
ment intérieur provenant d’un acte de l'intelligence, 
c’est-à-dire d'un jugement qui détermine la volonté 
d'agir, alors cette émotion dirige les mouvements 
du fluide nerveux disponible, dans le sens que la 
volonté lui imprime. 

Dans le second cas, au contraire, lintelligence 
n'ayant aucune part à l’émotion du sentiment inté- 
rieur, cette émotion dirige les mouvements du fluide 
nerveux dans le sens qu'exigent les besoins qu'ont 
fait naître les sensations, et dans celui des pen- 
chants acquis. 

Une autre considération n’est pas moins impor- 
tante à faire remarquer que celles dont il vient d’être 
question : elle consiste en ce que le sentiment inté- 
rieur est susceptible d’être entièrement suspendu, 
et de ne l'être quelquefois qu'imparfaitement. 

Pendant le sommeil, par exemple, le sentiment 
dontils’asit est suspendu ou à peu près nul ; la por- 
tion libre du fluide nerveux est dans une sorte de 
repos, n'éprouve plus d’ébranlement général, et 
l'individu ne jouit plus de son sentiment d'existence. 
Aussi, le système des sensations n’est point alors 
exercé, et aucune des actions, dépendantes de lin- 
dividu, ne s'exécute, les muscles nécessaires pour la 
produire n’étant plus excités et se trouvant dans une 
sorte de relàächement. 

Si le sommeil est imparfait, et s’il existe quelque 
cause d’irritation qui agite la portion libre du fluide 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 213 


nerveux, surtout celle qui se trouve dans les hémi- 
sphères du cerveau, le sentiment intérieur se trou- 
vant suspendu dans ses fonctions, ne dirige plus les 
mouvements du fluide des nerfs, et alors l'individu 
est livré à des songes, c’est-à-dire à des retours 
involontaires de ses idées, qu'il ressent et qui se pré- 
sentent en désordre et dans des suites caractérisées 
par leur confusion. 

Dans l’état de veille, le sentiment intérieur peut 
ètre fortement troublé dans ses fonctions, tantôt par 
une trop grande émotion, qui interrompt l'émission 
du fluide nerveux dans les muscles indépendants de 
la volonté, et tantôt par quelque irritation considé- 
rable qui agite principalement celui du cerveau. Des 
lors, il cesse de diriger le fluide nerveux, dans ses 
mouvements ; on éprouve, soit la syncope, si ce 
trouble est le produit d’une grande émotion, soit le 
délire,si c’est une grande irritation qui occasionne, 
soit quelque acte de folie, etc., etc. 

D’après ce qu vient d’être exposé, il me parait 
évident que le sentiment intérieur de l'homme et 
des animaux qui le possédent est la seule cause pro- 
ductrice des actions ; que ce sentiment n’agit que 
lorsque les émotions, dont il est susceptible, l'ont 
mis dans le cas de le faire; qu'il est ému, tantôt 
par des actes de l'intelligence, et tantôt par quelque 
besoin ou quelque sensation, qui agit immédiatement 
et subitement sur lui; qu'il peut être dominé, dans 
ses faibles émotions, par les hommes, dont l’intelli- 


LAMARCK, PHIlI,. ZOOI, EI. 18 


274 DU SENTIMENT INTÉRIEUR 


gence est très-développée, tandis qu'il ne lest que 
tres-difficilement dans certains animaux, et qu'il ne 
l’est jamais dans ceux qui manquent d'intelligence ; 
qu’il est suspendu, dans ses fonctions, pendant le 
sommeil, et qu'alors il ne dirige plus les mouve- 
ments que la portion libre du fluide nerveux peut 
éprouver ; qu'il peut être, aussi, interrompu et trou 
blé dans ses fonctions, pendant l’état de veille ; enfin, 
qu'il est le produit, d’une part, du sentiment d’exis- 
tence de l'individu, et, de l’autre part, de l’harmc- 
nie qui existe dans les parties du système nerveux, 
laquelle est cause que les portions libres du fluide 
subtil des nerfs communiquent ensemble et sont 
susceptibles d’éprouver un ébranlement général. 

Il me paraït aussi très-évident, d’après le même 
exposé, que la sensibilité morale ne diffère de la 
sensibilité physique qu'en ce que la première ré- 
sulte uniquement des émotions provoquées par des 
actes de l'intelligence, tandis que la deuxième n’est 
produite que par les émotions qu'excitent les sensa- 
tions et les besoins qui en procurent. 

Ces considérations, si elles sont fondées, me pa- 
raissent établir des vérités qu'il nous serait alors 
du plus grand intérêt de reconnaître, car, outre 
qu'elles seraient propres à redresser nos erreurs, 
relativement aux phénomenes de la vie et de Porga- 
nisation, ainsi qu'aux facultés auxquelles ces phé- 
nomènes donnent lieu, elles mettraient un terme au 
merveilleux créé par notre imagination, et elles nous 


DU SENTIMENT INTÉRIEUR 275 


donneraient une idée plus juste et plus grande du 
supréme Auteur de tout ce quiexiste, en nous mon— 
trant la voie simple qu'il a prise pour opérer tous 
les prodiges dont nous sommes témoins. 

Ainsi, le sentiment intime d'existence qu'éprou- 
vent les animaux qui jouissent de la faculté de 
sentir, mais qui ne sont doués d'aucune intelligence, 
leur procure en même temps une puissance intérieure 
qui n’agit que par des émotions que l’harmonie du 
système nerveux la met dans le cas de pouvoir 
éprouver, et qui leur fait exécuter des actions sans 
le concours d'aucune volonté de leur part. Mais 
ceux des animaux qui joignent à la faculté de sentir 
celle de pouvoir exécuter des actes d'intelligence, 
ont cet avantage sur les premiers, que leur puissance 
intérieure, source de leurs actions, est susceptible 
de recevoir les émotions qui la font agir, tantôt par 
les sensations que produisent des impressions inté— 
rieures et des besoins ressentis, et tantôt par une 
volonté qui, quoique plus ou moins dépendante, est 
toujours la suite de quelque acte d'intelligence. 

Nous allons maintenant considérer plus particu- 
lièrement encore cette puissance intérieure et singu- 
lière qui donne aux animaux qui la possedent, la 
faculté d'agir : le chapitre suivant, qui y est des- 
tiné, peut être considéré comme un complément de 
celui-ci. 


CHAPITRE EMN 


DE LA FORCE PRODUCTRICE DES ACTIONS 
DES ANIMAUX, ET DE QUELQUES FAITS PARTICULIERS QUI 
RÉSULTENT DE L'EMPLOI DE CETTE FORCE 


Les animaux, indépendamment de leurs mouve- 
ments organiques et des fonctions essentielles à la 
vie que leurs organes exécutent, font encore des 
mouvements et des actions dont il importe extrème- 
ment de déterminer la cause. 

On sait que les végétaux peuvent satisfaire à leurs 
besoins sans se déplacer et sans exécuter aucun 
mouvement subit : la raison en est que tout végétal. 
convenablement situé, trouve dans les mieux envi- 
ronnants les matières dont il a besoin pour se nour- 
rir ; de sorte qu'il n’a qu'à les absorber et recevoir 
les influences de certaines d’entre elles. 

Il n’en est pas de mème des animaux : car, à 
l'exception des-plus imparfaits, qui commencent la 
chaine animale, les aliments qui servent à leur 


DE LA FORCE PRODUCTRICE 201 


subsistance ne se trouvent pas toujours à leur por- 
tée, et ils sont obligés, pour se les procurer, d’exé- 
cuter des mouvements et des actions. D'ailleurs, la 
plupart d’entre eux ont, en outre, d’autres besoins à 
satisfaire, qui exigent aussi, de leur part, d’autres 
mouvements et d’autres actions. 

Or, il s'agissait de reconnaitre la source où les 
animaux puisent cette faculté de mouvoir plus ou 
moins subitement leurs parties, en un mot, d’exé- 
euter les actions diverses au moyen desquelles ils 
satisfont à leurs besoins. 

. Je remarquai, d’abord, que toute action était un 
mouvement, et que tout mouvement qui commence 
provenait nécessairement d’une cause qui avait le 
pouvoir de le produire : l’objet recherché se rédui- 
sait donc à déterminer la nature et l'origine de cette 
cause. 

Alors, considérant que les mouvements des ani 
maux qui exécutent quelque action ne sont nulle- 
ment communiqués où transmis, mais qu'ils sont 
simplement excités, leur cause me parut se dévoiler 
de la maniere la plus claire et la plus évidente; et 
je fus convaincu qu'ils étaient réellement, dans tous 
les cas, le produit d’une puissance quelconque qui 
les excitait. 

En effet, dans certains animaux, l’action muscu- 
laire est une force tres-suffisante pour produire de 
pareils mouvements, et l’influence nerveuse suffit 
aussi complétement pour exciter cette action. Or, 


278 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


ayant reconnu que, dans les animaux qui jouissent 
de la sensibilité physique, les émotions du sentiment 
intérieur constituaient la puissance qui envoie le 
fluide excitateur aux muscles, le problème, à l'égard 
de ces animaux, me parut résolu ; et quant aux ani- 
maux tellement imparfaits qu'ils ne peuvent jouir 
de la sensibilité physique, comme ils sont irritables 
dans leurs parties, autant et même plus que les au- 
tres, des excitations qui leur parviennent de lexté- 
rieur, suffisent évidemment pour lexécution des 
mouvements qu'on leur voit produire. 

Voilà, selon moi, l’éclaircissement d’un mystere 
qui semblait devoir être si difficile à pénétrer ; et cet 
éclaireissement ne me paraît point reposer sur de 
simples hypothèses : car, relativement aux animaux 
sensibles, la puissance musculaire et la nécessité de 
l'influence nerveuse pour exciter cette puissance ne 
sont point des objets hypothétiques; et les émotions 
du sentiment intérieur, que J'ai considérées comme 
des causes capables d'envoyer aux muscles, qui dé- 
pendent de l'individu, le fluide propre à exciter leur 
action, me paraissent trop évidentes pour qu'il soit 
possible de les regarder comme conjecturales. 

Maintenant, si l’on considere attentivement tous 
les animaux qui existent, ainsi que l’état de leur 
organisation, la consistance de leurs parties, et les 
différentes circonstances dans lesquelles ils se trou- 
vent, il sera difficile de ne pas reconnaître que, 
relativement aux plus imparfaits d’entre eux, qui ne 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 219 


peuvent avoir de système nerveux, et, conséquem- 
ment, ne peuvent s’aider de l’action musculaire pour 
leurs mouvements et leurs actions, ceux de ces mou- 
vements qu’on leur voit produire naissent d’une force 
qui est hors d'eux, c’est-à-dire que ne possedent 
point ces animaux, et qui n’est nullement à leur 
disposition. 

A la vérité, c’est dans l’intérieur de ces corps 
délicats que les fluides subtils , qui y arrivent du 
dehors, produisent les agitations que leurs parties 
en reçoivent ; mais il n’en est pas moins impossible 
à ces êtres frèles, par suite de leur faible consis- 
tance et de l’extrème mollesse de leurs parties, de 
posséder en eux-mêmes aucune puissance capable 
de produire les mouvements qu’ils exécutent. Ge 
n'est que par un effet de leur organisation que ces 
animaux imparfaits régularisent les agitations qu'ils 
reçoivent, et auxquelles ils ne sauraient donner 
lieu. | 

La nature ayant opéré peu à peu et graduelle- 
ment ses diverses productions, et créé successive 
ment les différents organes des animaux, variant la 
conformation et la situation de ces organes, selon 
les circonstances, et perfectionnant progressivement 
leurs facultés, on sent qu'elle a dù commencer par 
emprunter du dehors, c’est-a-dire des milieux envi- 
ronnants, la force productrice, soit des mouvements 
organiques , soit de ceux des parties extérieures ; 
qu'ensuite elle a transporté cette force dans lani- 


280 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


mal même; et qu’enfin, dans les animaux les plus 
parfaits, elle est parvenue à mettre une grande 
partie de cette force intérieure à leur disposition ; 
ce que je montrerai bientôt. 

Si lon n’a point égard à la considération de cet 
ordre graduel qu'a suivi la nature, dans la création 
des différentes facultés animales , je crois qu’il sera 
difficile d'expliquer comment elle a pu donner l’exis- 
tence au sentiment, et que l’on concevra plus diffi- 
cilement encore comment de simples relations entre 
différentes matières peuvent donner lieu à la 
pensée. 

Nous venons de voir que les animaux qui ne pos- 
sédent pas encore de système nerveux ne pouvaient 
avoir en eux-mêmes la force productrice de leurs 
mouvements, et que cette force leur était étrangere. 
Or, le sentiment intime d'existence étantabsolument 
nul chez ces animaux, et ce sentiment étant la source 
de cette puissance intérieure, sans laquelle les mou- 
vements et les actions de ceux qui la possedent ne 
sauraient se produire; sa privation, et par conséquent 
celle de la puissance qui en résulte, nécessitent, pour 
les animaux dont il s’agit, l'existence d’une force 
excitatrice de tout mouvement quelconque, provenant 
uniquement de causes extérieures. 

Ainsi, dans les animaux imparfaits, la force qui 
produit, soit les mouvements vitaux, soit les mou- 
vements du corps ou de ses différentes parties, est 
entièrement hors de ces animaux : ils ne le ré- 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 281 


gissent mème pas ; mais ils régularisent plus ou 
moins, comme je lai dit plus haut , les mouvements 
qu'elle leur imprime, et cela, par le moyen de la 
disposition intérieure de leurs parties. 

Cette force est le résultat de fluides subtils (tels 
que le calorique, Vélectricilé et peut-être d'autres 
encore) qui, des milieux environnants, pénètrent 
sans cesse ces animaux, mettent en mouvement les 
fluides visibles et contenus de ces corps, et excitant 
l'irritabilité de leurs parties contenantes, donnent 
lieu alors -aux divers monvements de contraction 
qu'on leur voit produire. 

Or, ces fluides subtils, pénétrant et se mouvant 
sans cesse dans l’intérieur de ces corps, se frayent 
bientôt des voies particulières, qu'ils suivent tou- 
jours jusqu'à ce que de nouvelles leur soient ou- 
vertes. De là, l’origine des mêmes sortes de mouve- 
ments qui se remarquent dans ces animaux, dont ces 
fluides constituent le moteur, et de là, encore, 
l'apparence d’un penchant irrésistible qui les con- 
traint d'exécuter ces mouvements qui, par leur 
continuité où leurs répétitions, donnent lieu à des 
habitudes. 

Comme de simples expositions de principes ne 
suffisent pas, essayons d’éclaircir les considérations 
qui les établissent. 

Les animaux les plus imparfaits, tels que les 
infusoires, et surtout les monardes, ne se nourris- 
sent qu'au moyen d’absorptions, qui s’exécutent par 


282 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


les pores de leur peau, et par une imbibition inté- 
rieure des matières absorbées. Ils n’ont point la 
faculté de pouvoir chercher leur nourriture, ils 
n’ont pas même celle de s’en saisir, mais ils labsor- 
bent, parce qu’elle se trouve en contact avec tous les 
points de leur individu , et que l’eau, dans laquelle 
ils vivent, la leur fournit suffisamment. 

Ces frèles animaux , en qui les fluides subtils de 
milieux environnants constituent la cause stimulante 
de l'orgasme, de l’irritabilité et des mouvements 
organiques, exécutent, ainsi que je lai dit, des 
mouvements de contraction qui, provoqués et variés 
sans cesse par cette cause stimulante , facilitent et 
hâtent les absorptions dont je viens de parler. Or, 
dans ces animaux , les mouvements des fluides visi- 
bles et contenus étant encore tres-lents, les matières 
absorbées réparent à mesure les pertes qu'ils font 
par les suites de la vie, et en outre, servent à 
l'accroissement de l'individu. 

J'ai dit que les fluides subtils, qui pénetrent et 
se meuvent dans l’intérieur de ces corps vivants, se 
frayant des voies particulières, qu'ils contimuaient 
de suivre, commençaient à établir des mouvements 
de mêmesorte, lesquels donnent lieu, conséquemment, 
à des habitudes. Maintenant, si l’on fait réflexion que 
l'organisation se développe avec la contmuité de la 
vie, on concevra que de nouvelles voies ont dû se 
frayer, se multiplier, et se diversifier progressive- 
ment, pour faciliter l'exécution des mouvements de 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 283 


contraction ; et que les habitudes, auxquelles ces 
mouvements donnent lieu, devenant alors entrai- 
nantes et irrésistibles, doivent se diversifier pareil- 
lement. 

Telle est, selon moi, la cause des mouvements des 
animaux les plus imparfaits; mouvements que nous 
sommes portés à leur attribuer et à regarder comme 
le résultat de facultés qu’ils possèdent, parce que, 
dans d’autres animaux, nous en apercevons la source 
en eux-mêmes ; mouvements, en un mot, qui S’exé- 
cuteut sans volonté et sans aucune participation de 
l'individu, et qui, néanmoins, de très-irréguliers 
qu'ils sont dans les plus imparfaits de ces corps 
vivants, se régularisent progressivement, et devien- 
nent constamment les mêmes dans les animaux de 
même espece. 

Enfin, la reproduction transmettant aux individus 
les formes acquises, tant intérieures qu'extérieures, 
elle leur transmet aussi, en même temps, l'aptitude 
exclusive aux mêmes sortes de mouvements, et par 
conséquent, aux mêmes habitudes. 


DU TRANSPORT DE LA FORGE PRODUCTRIGE DES MOUVEMENTS 
DANS L'INTÉRIEUR DES ANIMAUX 


Si la nature s’en était tenue à l'emploi de son pre- 
mier moyen, c’est-à-dire d’une force entierement 
extérieure et étrangère à l’animal, son ouvrage fût 
resté très-imparfait; les animaux n’eussent été que 


281 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


des machines totalement passives, etelle n’eût jamais 
donné lieu, dans aucun de ces corps vivants, aux 
admirables phénomènes de la sensibilité, du senti- 
ment intime d'existence qui en résulte, de la puis- 
sance d'agir, enfin, des idées, au moyen desquelles 
elle pût créer le plus étonnant de tous, celui de la 
pensée, en un mot, l'intelligence. 

Mais, voulant parvenir à ces grands résultats, 
elle en a insensiblement préparé les moyens, en don- 
nant graduellement de la consistance aux parties 
intérieures des animaux, en y diversifiant les orga- 
nes, et en y multipliant et composant davantage 
les fluides contenus, etc.; dés lors, elle a pu trans- 
porter dans l’intérieur de ces animaux, cette force 
productrice des mouvements et des actions, qu'à la 
vérité ils ne dominérent pas d’abord, mais qu’elle 
parvint à mettre, en grande partie, à leur disposi- 
sition, lorsque leur organisation fut tres-perfec- 
tionnée. 

En effet, dès que l’organisation animale fut assez 
avancée dans sa composition, pour pouvoir posséder 
un système nerveux déja un peu développé, comme 
dans les insectes, les animaux, munis de cette orga- 
nisation, furent doués du sentiment intime de leur 
existence, et dès lors la force productrice des mou- 
vements fut transportée dans l’intérieur même de 
l'animal. 

J'ai déjà fait voir, effectivement, que cette force 
intérieure qui produit les mouvements et les actions 


: DES ACTIONS DES ANIMAUX 285 


prenait sa source dans le sentiment intime d’exis- 
tence que possedent les animaux qui ont un système 
nerveux, et que ce sentiment, sollicité où ému par 
les besoins, mettait alors en mouvement le fluide 
subtil contenu dans les nerfs, et en envoyait aux 
muscles qui doivent agir; ce qui produit les actions 
que les besoins exigent. 

Or, tout besoin ressenti produit une émotion dans 
le sentiment intérieur de l'individu qui Féprouve ; 
et de cette émotion du sentiment dont il s’agit, naît 
la force qui donne lieu au mouvement des parties 
qui doivent être mises en action; ce que j'ai mis en 
évidence, lorsque j'ai montré la communication et 
l'harmonie qui existent dans toutes les parties du 
système nerveux, et comment le sentiment intérieur, 
lorsqu'il est ému, pouvait exciter l’action muscu- 
laire. 

Ainsi, dans les animaux qui onten eux-mêmes la 
puissance d'agir, c’'est-a-dire la force productrice 
des mouvements et des actions, le sentiment inté- 
rieur qui, dans chaque occasion, fait naître cette 
force, étant excité par un besoin quelconque, met 
en action la puissance ou la force dont il s’agit, 
excite des mouvements de déplacement dans le fluide 
subtil des nerfs, que les anciens nommerent esprits 
antinaux, dirige ce fluide vers celui des organes 
que quelque besoin oblige d'agir, enfin, fait refiuer 
ce même fluide dans ses réservoirs habituels, lors— 
que les besoins n’exigent plus que l’organe agisse. 


286 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


Le sentiment intérieur tient lieu alors de volonté ; 
car il importe maintenant de considérer que tout 
animal qui ne possède pas l’organe spécial dans 
lequel, ou au moyen duquel, s’exécutent les pensées, 
les jugements, etc., n’a point réellement de volonté, 
ne choisit point, et, conséquemment, ne peut 
dominer les mouvements que son sentiment intime 
excite. L'instinct dirige ces mouvements, et nous 
verrons que cette direction résulte toujours des émo- 
tions du sentiment intérieur, auxquelles lintelli- 
gence n’a point de part, et de l’organisation même 
que les habitudes ont modifiée ; en sorte que les be- 
soins des animaux qui sont dans ce cas, étant néces- 
sairement bornés et toujours les mêmes, dans les 
mêmes espèces, le sentiment intime, et par suite, la 
puissance d'agir produisent toujours les mêmes 
actions. 

Il n’en est pas de même des animaux dans les- 
quels la nature est parvenue à ajouter au système 
nerveux un organe spécial (deux hémisphères plissés 
couronnant le cerveau) pour l'exécution des actes de 
l'intelligence, et qui, par conséquent, exécutent des 
comparaisons, des jugements, des pensées, etc. Ces 
mêmes animaux dominent plus ou moins leur puis- 
sance d'agir, selon le perfectionnement de leur or- 
gane d'intelligence ; et quoiqu'ils soient encore for- 
tement assujettis aux produits de leurs habitudes, 
qui ont modifié leur organisation, ils jouissent d’une 
volonté plus ou moins libre, peuvent choisir, et ont 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 287 


la faculté de varier leurs actions, où au moins plu- 
sieurs d’entre elles. 

Maintenant, nous allons dire un mot de la con- 
sommation qui se fait du fluide nerveux, à mesure 
que ce fluide concourt à la production des actions 
animales. 


DE LA CONSOMMATION ET DE L'ÉPUISEMENT DU FLUIDE NERVEUX 
DANS LA PRODUCTION DES ACTIONS ANIMALES 


Le fluide nerveux, mis en mouvement par le sen- 
timent intérieur de l'animal, est tellement alors 
l'instrument producteur des actions de ce corps 
vivant, qu'il se consume à mesure qu'ilagit, et qu'il 
finirait par s’épuiser et par être dans limpossibilité 
de produire l’action à laquelle il fournissait, si la 
volonté de lindividu exigeait qu'il continuât de la 
produire. 

Or, tout le fluide nerveux qui se forme sans 
cesse, pendant la vie d’un animal qui possede un 
système d'organisation approprié, se Consume €on— 
tinuellement par l'emploi qu'en fait individu. 

Une partie de ce fluide est constamment employée, 
sans la participation de la volonté de l'animal, à 
l'entretien de ses mouvements vitaux et des fonc 
tions de ceux de ses organes qui sont essentiels à 
sa vie. 

L'autre partie du même fluide, dont l’individu peut 
disposer, sert, soit à la production de ses actions ou 


285 DE LA FORCE PRODUCTRICE 
de ses mouvements, soit à l'exécution de ses diflé- 
rents actes d'intelligence. 

Ainsi, dans lemploi du fluide invisible dont il 
s’agit, individu en consume proportionnellement à 
la durée de laction qu'il lui fait produire, ou à 
l'effort qu'exige cette action ; et il en épuiserait la 
portion dont il peut disposer, s'il continuait trop 
longtemps de suite des actions qui en consument 
beaucoup. 

De là le besoin que la nature fait naître en lui de 
se livrer au repos apres un certain temps d'action : 
il tombe alors dans le sommeil, et le fuide épuisé 
s'étant réparé pendant ce repos, cetindividu retrouve 
des forces en s’éveillant. 

La consommation des forces et, par conséquent, 
du fluide nerveux qui en est la source, se rend donc 
évidente dans toutes les actions trop prolongées, ou 
dans celles qui sont pénibles, et que pour cela l’on 
nomme /aligantes. 

Si vous marchez trop longtemps de suite, vous 
vous fatiguez au bout d’un temps relatif à l’état de 
vos forces ; si vous courez, vous vous fatiguez beau— 
coup plus tôt encore, parce que vous dissipez alors 
plus promptement et plus abondamment le principe 
de vos forces; enfin, si vous prenez un poids de 
quinze ou vingt livres, et que, le bras étendu et ho- 
rizontal, vous le souteniez dans cette situation, dans 
le premier instant de cette action, vous y trouverez 
assez de facilité, parce que vous aurez de quoi y 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 289 


fournir, mais consumant alors promptement le prin- 
cipe qui vous fait agir, bientôt ce poids vous sem 
blera plus lourd, plus difficile à soutenir, et en peu 
de temps vous vous trouverez hors d'état de conti- 
nuer cette action. 

Votre organisation sera cependant toujours la 
mème ; Car si on l’examinait, on ne trouverait au— 
cune différence entre son état, au premier instant 
de l’action que je viens de citer, et celui qu’elle 
offrirait au moment où vous cessez de pouvoir sou= 
tenir le poids en question. 

Qui ne voit que, dans cet état, la différence qui 
existe réellement entre les deux instants (le premier 
et le dernier) de l’action citée, ne consiste que dans 
la dissipation d’un fluide invisible, dont on ne sau- 
rait S'apercevoir, par suite des moyens bornés qui 
sont à notre disposition ? 

Certes, la consommation et, à la fin, l'épuisement 
du fluide subtil des nerfs, dans les actions trop pro- 
longées où trop pénibles, ne seront jamais solide- 
ment contestés, parce que la raison et les phéno- 
mènes organiques leur donnent la plus grande 
évidence. 

Quoiqu'il soit vrai qu'une partie du fluide nerveux 
d'un animal est constamment employée, sans sa par 
ticipation, à l'entretien de ses mouvements vitaux 
et des fonctions de ceux de ses organes qui sont 
essentiels à son existence, cependant, lorsque lin- 
dividu consume abondamment la portion de ce fluide 


LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. Ai) 


290 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


dont il disposait pour ses actions, il nuit alors à l’in- 
tégrité des fonctions de ses organes vitaux. En effet, 
dans cette circonstance, la portion non disponible du 
fluide nerveux fournit à la réparation du fluide dis- 
ponible qui a été dissipé. Or, cette portion, trop 
diminuée par cette cause, ne fournit plus qu'incom- 
plétement aux opérations des organes vitaux, et 
dés lors les fonctions de ces organes languissent, en 
quelque sorte, et ne s’exécutent qu'imparfaitement. 

L'homme qui tient aux animaux, par son organi- 
sation, est principalement dans le cas d’altérer ses 
forces physiques de cette manière ; car, de toutes ses 
actions, celles qui consument le plus de son fluide 
nerveux, sont les actes trop prolongés de son enten- 
dement, ses pensées, ses méditations, en un mot, 
les travaux soutenus de son intelligence. Alors ses 
digestions languissent, deviennent plus imparfaites, 
et ses forces physiques s’altèrent proportionnelle- 
ment. 

La considération de la consommation qui se fait 
du fluide nerveux, dans les mouvements et les ac- 
tions des animaux, est trop bien connue pour qu'il 
soit nécessaire de m’étendre davantage sur ce sujet; 
mais je dirai qu'elle seule suffirait pour convaincre 
de l'existence de ce fluide, dans les animaux les plus 
parfaits, si beaucoup d’autres encore ne concouraient 
à la mettre en évidence. 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 291 


DE L'ORIGINE DU PENCHANT AUX MÊMES ACTIONS 
ET DE CELLE DE L'INSTINCT DES ANIMAUX 


La cause du phénomène connu, qui contraint pres- 
que tous les animaux à exécuter toujours les mêmes 
actions, et celle qui fait naître dans l’homme même 
un penchant à répéter toute action devenue habi- 
tuelle, méritent assurément d’être recherchées. 

Si les principes exposés dans cet ouvrage sont 
réellement fondés, alors les causes dont il s’agit s’en 
déduiront facilement et même tres-simplement; en 
sorte que des phénomènes quise présentaient à nous 
comme autant de mystères, cesseront de nous éton- 
ner, quand nous aurons reconnu la simplicité de 
celles qui les ont produits. 

Voyons donc, d’après les principes que nous avons 
ci-dessus énoncés, ce qui peut avoir lieu à l’égard 
des phénomènes dont il est ici question. 

Dans toute action, le fluide des nerfs qui la pro- 
voque, subit un mouvement de déplacement qui y 
donne lieu. Or, lorsque cette action a été plusieurs 
fois répétée, il n’est pas douteux que le fluide qui Pa 
exécutée, ne se soit frayé une route, qui lui devient 
alors d'autant plus facile à parcourir, qu'il l’a effec- 
tivement plus souvent franchie, et qu'il n'ait lui- 
mème une aptitude plus grande à suivre cette route 
frayée, que celles qui le sont moins. 

Combien ce principe simple et fécond ne nous 


292 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


fournit-il pas de lumières sur le pouvoir bien connu 
des habitudes, pouvoir auquel l’homme mème ne 
peut se soustraire qu'avec beaucoup de peine, et 
qu'à l’aide du perfectionnement de son intelligence ! 

Qui ne sent alors que le pouvoir des habitudes 
sur les actions doit être d'autant plus grand, que 
l'individu que l’on considère est moins doué d’intel- 
ligence, et a moins, par conséquent, la faculté de 
penser, de réfléchir, de combiner ses idées, en un 
mot, de varier ses actions. 

Les animaux qui ne sont que sensibles, c'est-a- 
dire, qui ne possédent pas encore l'organe dans lequel 
se produisent les comparaisons entre les idées, ainsi 
que les pensées, les raisonnements et les différents 
actes qui constituent l'intelligence, n’ont que des 
perceptions souvent très-confuses, ne raisonnent 
point, et ne peuvent presque point varier leurs ac— 
tions. Ils sont donc constamment assujettis au pou- 
voir des habitudes. 

Ainsi, les 2nsectes, qui sont de tous les animaux 
qui possèdent le sentiment, ceux qui ont le système 
nerveux le moins perfectionné, éprouvent des per- 
ceptions des objets qui les affectent, et semblent 
avoir de la mémoire au moyen du produit de ces 
perceptions, lorsqu'elles sont répétées. Néanmoins, 
ils ne sauraient varier leurs actions et changer leurs 
habitudes, parce qu'ils ne possedent pas l'organe 
dont les actes pourraient leur en donner les moyens. 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 293 


DE L'INSTINCT DES ANIMAUX 


On a nommé #nstinct, l'ensemble des détermina- 
tions des animaux dans leurs actions; et bien des 
personnes ont pensé que ces déterminations étaient 
le produit d’uu choix raisonné et par conséquent le 
fruit de l'expérience. D’autres, dit Cabanis, peuvent 
penser, avec les observateurs de tous les siecles, 
que plusieurs de ces déterminations ne sauraient 
être rapportées à aucune sorte de raisonnement, et 
que, sans cesser pour cela d’avoir leur source dans 
la sensibilité physique, elles se forment le plus sou- 
vent sans que la volonté des individus y puisse 
avoir d'autre part que d'en mieux diriger l'exécution. 
Il fallait dire, sans que la volonté y puisse avoir 
aucune part, car, lorsqu'elle n’y donne point lieu, 
elle n’en dirige pas même l'exécution. 

Si l’on eût considéré que tous les animaux qui 
jouissent de la faculté de sentir, ont leur sentiment 
intérieur susceptible d’être ému par leurs besoins, 
et que les mouvements de leur fluide nerveux, qui 
résultent de ces émotions, sont constamment dirigés 
par ce sentiment intérieur et par les habitudes, 
alors on eût senti que, daus tous ceux de ces ani- 
maux qui sont privés des facultés de l'intelligence, 
toutes les déterminations d'action ne pouvaient 
Jamais être le produit d’un choix raisonné, d’un 


294 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


jugement quelconque, de l'expérience mise à profit, 
en un mot, d’une volonté, mais qu’elles étaient assu- 
jetties à des besoins que certaines sensations exci- 
tent, et qui réveillent des penchants qui les entrai- 
nent. 

Dans les animaux mêmes qui jouissent de la 
faculté d'exécuter quelques actes de l'intelligence, 
ce sont encore , le plus souvent, le sentiment inté- 
rieur et les penchants nés des habitudes qui déci- 
dent, sans choix, les actions que ces animaux exécu- 
tent. 

Enfin, quoique la puissance exécutrice des mou— 
vements et des actions, ainsi que la cause qui les 
dirige, soient uniquement intérieures, ilne faut pas, 
comme on l’a fait ‘, borner à des impressions inté- 
rieures la cause première ou provocatrice de ces 
actes , dans l'intention de restreindre à des impres- 
sions extérieures, celle qui provoque les actes de 
l'intelligence ; car, pour peu que l’on consulte les 
faits qui concernent ces considérations, on a lieu de 
se convaincre que, de part et d'autre, les causes qui 
émeuvent et provoquent aux actions sont tantôt inté- 
rieures et tantôt extérieures, et néanmoins, que ces 
mèmes causes donnent lieu réellement à des impres- 
sions qui n’agissent toutes qu'intérieurement. 

D'après l’idée commune et à peu près générale 
que l’on attache au mot 2nsfinct, on a considéré la 


1 Richerand, PAysiol., vol. Il; p. 151. 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 295 


faculté que ce mot exprime comme un flambeau qui 
éclaire et guide les animaux dans leurs actions , et 
qui est, à leur égard, ce que la raison est pour 
nous. Personne n’a montré que l'instinct pût être 
une force qui fait agir, que cette force le fait, 
effectivement, sans aucune participation de la vo- 
lonté, et qu’elle se trouve constamment dirigée par 
des penchants acquis. 

L'opinion de Cabanis, que l'instinct naît des im 
pressions intérieures, tandis que le raisonnement est 
le produit des sensations extérieures, ne saurait être 
fondée. C’est en nous-mêmes que nous sentons ; nos 
impressions ne peuvent être qu'intérieures ; et les 
sensations, que nos sens particuliers nous font 
éprouver de la part des objets extérieurs, ne peuvent 
produire en nous que des impressions intérieures. 

Lorsqu’à la promenade, mon chien aperçoit de 
loin un animal de son espèce, il éprouve assurément 
une sensation que cet objet extérieur lui procure par 
l'entremise du sens de la vue. Aussitôt, son senti- 
ment intérieur, ému par limpression qu'il recoit, 
dirige son fluide nerveux dans le sens d’un penchant 
acquis dans tous les individus de sa race, et alors, 
par une sorte d’impulsion involontaire, son premier 
mouvement le porte à s’avancer vers le chien qu'il 
aperçoit. Voila un acte d’instinct excité par un objet 
extérieur ; et mille autres de même nature peuvent 
pareillement s’exécuter. 

Relativement à ces phénomènes, dont l’organi- 


296 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


sation animale nous offre tant d'exemples , il me 
semble qu'on ne se formera une idée juste et claire 
de leur cause, que lorsqu'on aura reconnu : 1° que 
le senhiment intérieur est un sentiment général 
très-puissant, qui a la faculté d’exciter et de diriger 
les mouvements de la portion libre du fluide ner- 
veux et de faire exécuter à l'animal différentes 
actions ; 2° que ce sentiment intérieur est suscep— 
tible de s’émouvoir, tantôt par des actes d’intelli- 
gence, qui se terminent par une volonté d'agir, et 
tantôt par des sensations qui amènent des besoins, 
qui l’excitent immédiatement et le mettent dans le 
cas de diriger la force productrice des actions dans 
le sens de tel penchant acquis, sans le concours 
d'aucun acte de volonté. 

Il y a donc deux sortes de causes qui peuvent 
émouvoir le sentiment intérieur, savoir : celles qui 
dépendent des opérations de l'intelligence, et celles 
qui, sans en provenir, l’excitent immédiatement, et 
le forcent de diriger sa puissance d'agir dans le sens 
des penchants acquis. 

Ce sont uniquement les causes de cette dernière 
sorte, qui constituent tous les actes de l’instinct, et 
comme ces actes ne sont point le produit d’une déli- 
bération, d’un choix, d’un jugement quelconque, les 
actions qui en proviennent, satisfont toujours, sûre- 
ment et sans erreur, aux besoins ressentis et aux 
penchants nés des habitudes. 

Ainsi, l’énstinct, dans les animaux, est un pen- 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 297 


chant qui entraine, que des sensations provoquent 
en faisant naître des besoins, et qui fait exécuter 
des actions , sans la participation d'aucun pensée, 
ni d'aucun acte de volonté. 

Ce penchant tient à l’organisation que les habi- 
tudes ont modifiée en sa faveur, et il est excité par 
des impressions et des besoins qui émeuvent le sen- 
timent intérieur de l'individu et le mettent dans le 
cas d'envoyer, dans le sens qu'exige le penchant en 
activité, du fluide nerveux aux muscles qui doivent 
agir. 

J'ai déjà dit que l'habitude d'exercer tel organe, 
ou telle partie du corps, pour satisfaire à des besoins 
qui renaissent souvent, donnait au fluide subtil qui 
se déplace, lorsque s'opère la puissance qui fait agir, 
une si grande facilité à se diriger vers cet organe, 
où il fut si souvent employé, que cette habitude de- 
venaiten quelque sorte inhérente à la nature de l’in- 
dividu, qui ne saurait être libre d’en changer. 

Or, les besoins des animaux qui possédent un 
système nerveux étant, pour chacun, selon l’orga- 
nisation de ces corps vivants : 

l° De prendre telle sorte de nourriture ; 

2" De se livrer à la fécondation sexuelle que sol- 
licitent en eux certaines sensations ; 

3° De fuir la douleur ; 

4° De chercher le plaisir ou le bien-être. 

Is contractent, pour satisfaire à ces besoins, 
diverses sortes d'habitudes qui se transforment, en 


298 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


eux, en autant de penchants auxquels ils ne peuvent 
résister, et qu'ils ne peuvent changer eux-mêmes. 
De là l’origine de leurs actions habituelles et de 
leurs inclinations particulières, auxquelles on a 
donné le nom d’instinet *. 

Ce penchant des animaux à la conservation des 
habitudes et au renouvellement des actions qui en 
proviennent, étant une fois acquis, se propage en- 
suite dans les individus, par la voie de la reproduc- 
tion ou de la génération, qui conserve l’organisation 
et la disposition des parties dans leur état obtenu ; 
en sorte que ce même penchant existe déja dans 
les nouveaux individus, avant même qu'ils laient 
exercé. 

C'est ainsi que les mêmes habitudes et le même 
instinct se perpétuent de générations en généra- 
tions, dans les différentes espèces ou races d’ani- 
maux, sans offrir de variation notable, tant qu'il ne 
survient pas de mutation dans les circonstances 
essentielles à la manière de vivre. 


1 De même que tous les animaux ne jouissent pas de la faculté 
d'exécuter des actes de volonté, de même pareillement l'instinct n'est 
pas le propre de tous les animaux qui existent, car ceux qui manquent 
de système nerveux, manquent aussi de sentiment intérieur, et ne sau- 
raieut avoir aucun instinct pour leurs actions. 

Ces animaux imparfaits sont entierement passifs, n'opérent rien 
par eux-mêmes, ne ressentent aucun besoin, et la nature, à leur égard, 
pourvoit à tout, comme elle le fait relativement aux végétaux. Or, 
comme ils sont irritables dans leurs parties, les moyens que la nature 
emploie pour les faire subsister, leur font exécuter des mouvements que 
nous nommons des actions. 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 29 


«© 


DE L’INDUSTRIE DE CERTAINS ANIMAUX 


Dans les animaux qui n’ont point d’organe spécial 
pour l'intelligence, ce que nous nommons #rdustrie 
à l'égard de certaines de leurs actions ne saurait 
mériter un nom semblable, car ce n’est que par 
illusion qu'a cet égard nous leur attribuons une 
faculté qu’ils n’ont pas. 

Des penchants transmis et reçus par la généra- 
tion, des habitudes d'exécuter des actions compli- 
quées et qui résultent de ces penchants acquis, enfin 
des difficultés différentes vaincues à mesure et habi- 
tuellement par autant d'émotions du sentiment inté- 
rieur, constituent l'ensemble des actions toujours les 
mêmes dans les individus de la même race, auquel 
nous donnons inconsidérément le nom d'industrie. 

L'instinct des animaux se composant de l’habi- 
tude de satisfaire aux quatre sortes de besoins men- 
tionnés ci-dessus, et résultant de penchants acquis 
depuis longtemps qui les y entraînent d’une manière 
déterminée pour chaque espèce, il est arrivé, pour 
plusieurs, qu'une complication dans les actions qui 
peuvent satisfaire à ces quatre sortes de besoins, où 
à certains d’entre eux, et surtout que des difficultés 
diverses qu'il a fallu vaincre, ont forcé peu à peu 
l'animal à étendre et à composer ses moyens, et 
l'ont conduit, sans choix et sans aucun acte d’intel- 
ligence, mais par les seules émotions du sentiment 
intérieur, à exécuter telles et telles actions. 


300 DE LA FORCE PRODUCTRICE 


De là l’origine, dans certains animaux, de diverses 
actions compliquées, que l’on a qualifiées d’indus- 
trie, et qu'on ne s’est point lassé d'admirer avec 
enthousiasme, parce qu'on a toujours supposé, au 
moins tacitement, que ces actions étaient combinées 
et réfléchies, ce qui est une erreur évidente. Elles 
sont tres-simplement le fruit d'une nécessité qui a 
étendu et dirigé les habitudes des animaux qui les 
exécutent, et qui les rend telles que nous les obser- 
vons. 

Ce que je viens de dire est surtout fondé pour les 
animaux sans vertèbres, en qui aucun acte d’intel- 
ligence ne peut s’exécuter. Aucun de ces animaux 
ne saurait, en effet, varier librement ses actions ; 
aucun d'eux n’a le pouvoir d'abandonner ce qu’on 
nomme son #2dustrie, pour faire usage de celle d’un 
autre. 

Il n’y à donc pas plus de merveille dans l’irdus- 
trie prétendue du fourmi-lion (#2yrmeleon formica 
leo) qui, ayant préparé un cône de sable mobile, 
attend qu'une proie entraînée dans le fond de cet 
entonnoir, par l’éboulement du sable, devienne sa 
victime ; qu'il n’y en a dans la manœuvre de l'huitre 
qui, pour satisfaire à tous ses besoins, ne fait qu’en- 
tr'ouvrir et refermer sa coquille. Tant que leur 
organisation ne sera pas changée, ils feront toujours 
l’un et l’autre ce qu'on leur voit faire, et ils ne le 
feront ni par volonté, ni par raisonnement. 

Ce n’est que dans les animaux à vertebres, et, 


DES ACTIONS DES ANIMAUX 301 


parmi eux, c’est surtont dans les oiseaux et les mam- 
miferes qu'on peut observer, à l'égard de leurs ac 
tions, des traits d’une véritable industrie, parce que, 
dans les cas difficiles, leur intelligence, malgré leur 
penchant aux habitudes, peut les aider à varier 
leurs actions. Ces traits, néanmoins, ne sont pas 
communs, et ce n'est guëre que dans certaines races 
qui s’y sont plus exercées, qu’on a des occasions 
fréquentes de les remarquer. 

Examinons actuellement ce qui constitue cet acte 
qui détermine à agir, et auquel on a donné le nom 
de volonté, et voyons s’il est effectivement le principe 
de toutes les actions des animaux, comme on la 
pensé. 


CHAPITRE VI 


DE LA VOLONTEÉE 


Je me propose de prouver, dans ce chapitre, que 
la volonté, qu'on a regardée comme la source de 
toute action, dans les animaux, ne peut avoir d’exis- 
tence que dans ceux qui jouissent d’un organe spé- 
cial pour l’intelligence, et qu’en outre, à l'égard de 
ces derniers, ainsi qu’à celui de l’homme mème, elle 
n'est pas toujours le principe des actions qu’ils exé- 
cutent. 

Si l’on y donne quelque attention, on reconnaitra, 
effectivement, que la solonté est le résultat immé- 
diat d’un acte d'intelligence, car elle est toujours 
la suite d’un jugement, et par conséquent d’une 
idée, d’une pensée, d’une comparaison, ou d'un 
choix, que ce jugement détermine ; enfin, l’on sen- 
tira que la faculté de vouloir n’est autre chose que 
celle de se déterminer par la pensée, c’est-à-dire 


DE LA VOLONTÉ 303 


par une opération de l'organe de lentendement, à 
une action quelconque, et de pouvoir exciter une 
émotion du sentiment interieur, capable de produire 
cette action. 

Ainsi, la volonté est une détermination à une ac- 
“ton, opérée par l'intelligence de l'individu : elle 
résulte toujours d'un jugement, et ce jugement lui 
mème provient nécessairement d’une idée, d’une 
pensée, ou de quelque impression qui donne lieu à 
l’idée ou à la pensée dont il s’agit, en sorte que c’est 
uniquement par un acte de l'intelligence que la 
volonté, qui détermine un individu à une action, 
peut se former. 

Mais si la volonté n’est autre chose qu’une déter- 
mination qui s'opère à la suite d’un jugement, et 
conséquemment, que le résultat d’un acte intellec- 
tuel, il sera donc alors évident que les animaux, qui 
n'ont pas un organe pour l'intelligence, ne sau- 
raient exécuter des actes de volonté. Cependant ces 
animaux agissent, c’est-à-dire exécutent tous, en 
général, des mouvements qui constituent leurs ac- 
tions. Il y a donc plusieurs sources différentes dans 
lesquelles les actions des animaux puisent les moyens 
qui les produisent. 

Or, les mouvements de tous les animaux étant 
excités et non communiqués, les causes, excitatrices 
de ces mouvements, doivent différer entre elles. En 
effet, on a vu que, dans certains animaux, ces causes 
provenaient uniquement de l'extérieur, c’est-à-dire 


304 DE LA VOLONTÉ 


des mieux environnants qui les fournissent ; tandis 
que, dans les autres, le sentiment intérieur, que 
possèdent ces derniers, était un moteur suffisant 
pour produire les mouvements qui doivent s’exé- 
cuter. 

Mais le sentiment intérieur, qui ne devient une 
puissance que lorsqu'il a été ému par une cause 
physique, recoit ses émotions par deux voies fort 
différentes : dans les animaux qui manquent de lor- 
gane nécessaire à la formation des actes de volonté, 
le sentiment intérieur ne peut s’émouvoir que par 
la voie des sensations ; tandis que, dans ceux qui 
ont un organe pour l'intelligence, les émotions de 
ce sentiment sont, tantôt le résultat unique des 
sensations qu'éprouvent ces animaux, et tantôt celui 
d’une volonté qu'une opération de l’entendement 
fait naître. 

Gr, voila trois sources distinctes pour les actions 
des animaux ; savoir : 1° les causes extérieures qui 
viennent exciter l’irritabilité de ces êtres; 2° le sen- 
timent intérieur que des sensations émeuvent; 
3° enfin, le même sentiment recevant ses émotions 
de la volonté. 

Les actions ou les mouvements, qui proviennent 
de la premiere de ces trois sources, s’opèrent sans la 
voie des muscles ; car le système musculaire n'existe 
pas dans les animaux en qui on les observe ; et lors- 
qu'il commence à se former, les excitations du de- 
hors suppléent encore au sentiment intérieur qui n’a 


DE LA VOLONTÉ 505 


pas d'existence; mais les actions, où les mouve- 
ments, qu prennent leur origine dans les émotions 
du sentiment intérieur de l'individu, ne s’exécutent 
que par lintermédiaire des muscles qu'excite le 
fluide nerveux. 

Ainsi, lorsque la volonté détermine un individu à 
une action quelconque, le sentiment intérieur en 
reçoit aussitôt une émotion, et les mouvements qui 
en résultent se dirigent de maniere que, dans l’ins- 
tant même, le fluide nerveux est envoyé aux muscles 
qui doivent agir. 

Quant aux animaux qui, doués de la sensibilité 
physique, ne possèdent point d’organe pour l’intel- 
ligence, et qui, conséquemment, ne peuvent exécuter 
aucun acte de volonté, chacun de leurs besoins ré- 
sulte toujours d’une sensation quelconque, c’est-à- 
dire d’une perception qui le fait ressentir, et non 
d’une idée, ni d’un jugement ; et ce besoin, ou cette 
perception, émeut immédiatement le sentiment inté- 
rieur de l'individu. Il suit de là que ces animaux, 
avant d'agir, ne déliberent point, ne jugent point et 
n'ont aucune détermination préalable à exécuter. 
Leur sentiment intérieur, directement ému par le 
besoin, et ensuite dirigé, dans ses mouvements, par 
la nature mème de ce besoin, met aussitôt en action 
les parties qui doivent se mouvoir. Donc, les actions 
qui proviennent de cette source ne sont pas précé- 
dées par une volonté réelle. 

Mais, ce qui est ici une nécessité pour les ani- 


LAMARCK, FHIL. ZOOL. II. 20 


306 DE LA VOLONTÉ 

maux dont il vient d’être question a lieu aussi, le 
plus souvent, dans ceux qui sont doués des facultés 
de l'intelligence ; car presque tous les besoins de ces 
derniers, provenant de sensations qui réveillent 
certaines habitudes, émeuvent immédiatement le 
sentiment intérieur, et mettent ces animaux dans 
le cas d'agir avant d'y avoir pensé. L’homme mème 
exécute aussi des actions qui ont une semblable ori- 
gine, lorsque les besoins qui les provoquent sont 
pressants. Par exemple, si, par distraction, vous 
prenez pour quelque usage un morceau de fer, qui, 
contre votre attente, se trouve très-chaud, la dou- 
leur que vous fait éprouver la chaleur de ce fer 
émeut aussitôt votre sentiment intérieur, et avant 
d'avoir pu penser à ce que vous devez faire, l’action 
des muscles, qui vous fait quitter ce fer chaud que 
vous teniez, est déjà exécutée. 

Il suit, des considérations que je viens d'exposer, 
que les actions qui s’exécutent à la suite des besoins 
que provoquent des sensations, lesquelles émeuvent 
immédiatement le sentiment intérieur de l'individu, 
ne sont nullement le résultat d'aucune pensée, d’au- 
cun jugement, et conséquemment d'aucun acte de 
volonté, tandis que celles qui s’opérent à la suite 
des besoins, que provoquent des idées où des pen- 
sées, sont uniquement le résultat de ces actes d’in- 
telligence qui émeuvent aussi immédiatement le 
sentiment intérieur, et mettent l'individu dans le 
cas d'agir par une volonté évidente. 


DE LA VOLONTÉ 307 

Cette distinction entre les actions dont la cause, 
immédiatement déterminante, prend sa source dans 
quelque sensation, et celles qui résultent d’une dé- 
termination exécutée par un jugement, en un mot, 
par un acte d'intelligence, est d’une grande impor- 
tance pour éviter la confusion et l'erreur, lorsque 
nous considérons ces admirables phénomènes de 
l'organisation. C’est parce qu'on ne lavait pas faite, 
qu'on a attribué généralement aux animaux une 
volonté pour l'exécution de leurs actions ; en sorte 
que, se fondant sur ce qui est relatif à l'homme et 
aux animaux les plus parfaits, dans la définition 
qu'on a donnée des animaux en général, on a sup- 
posé qu'ils avaient tous la faculté de se mouvoir vo 
lontairement, ce quin’est pas, même pour ceux qui 
possèdent un système nerveux, et à plus forte rai- 
son pour ceux qui en sont dépourvus. 

Assurément, les animaux qui n’ont pas de système 
nerveux ne sauralent jouir de la faculté de vouloir, 
c’est-à-dire ne sauraient exécuter aucune détermi- 
nation, aucun acte de volonté; bien loin de cela, ils ne 
peuvent avoir même le sentiment de leur existence : 
les #nfusoires et les polypes sont dans ce cas. 

Ceux qui ont un système nerveux capable de leur 
donner la faculté de sentir, mais qui manquent 
d’hypocéphale, c’est-à-dire d’organe spécial pour 
l'intelligence, jouissent, à la vérité, d’un sentiment 
intérieur, source de leurs actions, et il se forme en 
eux des perceptions confuses des objets qui les affec- 


308 DE LA VOLONTÉ 

tent; mais ils n’ont point d'idées, ne pensent point, 
ne comparent point, ne jugent point, et conséquem- 
ment n’exécutent aucun acte de volonté. On a lieu 
de croire que les #nsectes, les arachnides, les crus- 
tacés, les annelides, les cirrhipèdes et mème les 
inollusques, se trouvent dans ce second cas. 

Le sentiment intérieur, ému par quelque besoin, 
est la source de toutes les actions de ces animaux. 
Ils agissent sans délibération, sans détermination 
préalable, et toujours dans l’unique direction que le 
besoin leur imprime; et lorsque, en agissant, un 
obstacle quelconque les arrête, s'ils l’évitent, s’en 
détournent, et semblent choisir, c’est qu'alors un 
nouveau besoin émeut encore leur sentiment inté- 
rieur. Aussi, leur nouvelle action ne résulte ni de 
combinaison d'idées, ni de comparaison entre les 
objets, ni d’un jugement qui les détermine, puisque 
ces animaux ne sauraient former aucune des opéra- 
tions de l’intelligence, n’ayant pas l’organe qui peut 
les effectuer ; enfin, cette nouvelle action est en 
eux la suite de quelque émotion de leur sentiment 
intérieur. 

Il n'y a donc que les animaux qui, outre un 
système nerveux, possédent encore l'organe spécial 
dans lequel s’exécutent des idées complexes, des 
pensées, des comparaisons, des jugements, etc., qui 
jouissent de la faculté de vouloir, et qui puissent 
exécuter des actes de volonté. C’est apparemment 
le.cas des animaux à vertèbres : et puisque les 


DE LA VOLONTÉ 309 


poissons et les reptiles ont encore un cerveau telle 
ment imparfait qu'il ne peut remplir entièrement la 
cavité du crâne, ce qui indique que leurs actes 
d'intelligence sont extrêmement bornés, c’est au 
moins dans les oiseaux et les mammifères, qu'on 
doit reconnaître la faculté de vouloir, ainsi que la 
jouissance d’une volonté déterminatrice de plusieurs 
des actions de ces animaux ; car ils exécutent évi- 
demment différents actes d'intelligence, et ils ont 
effectivement l'organe particulier qui les rend capa- 
bles de les produire. 

Mais, j'ai déjà fait voir que, dans les animaux 
qui possèdent un organe spécial pour l'intelligence, 
toutes les actions ne résultaient pas exclusivement 
d’une volonté, c'est-à-dire d’une détermination in- 
tellectuelle et préalable, qui excite la force qui les 
produit. Certaines d’entre elles sont, à la vérité, le 
produit de la faculté de vouloir, mais beaucoup 
d’autres ne proviennent que de émotion directe du 
sentiment intérieur, qu'excitent des besoins subits, 
et qui fait exécuter à ces animaux des actions qu'au- 
cune détermination , par la. pensée, ne précède en 
aucune manière. 

Dans l’homme même, que d’actions sont unique- 
ment provoquées, et aussitôt exécutées, par la sim 
ple émotion du sentiment intérieur, et sans la par- 
ticipation de la volonté! Enfin, n'est-ce pas à de 
premiers mouvements, non maitrisés, qu'une multi- 
tude de ces actions doivent leur origine; et ces 


310 DE LA VOLONTÉ 
premiers mouvements, que sont-ils, si ce ne sont 
les résultats du sentiment intérieur ? 

S'il n’y a point, ainsi que je l’ai dit plus haut, de 
volonté réelle dans les animaux quipossedent un sys- 
teme nerveux, mais qui sont dépourvus d’un organe 
pour l'intelligence, ce qui est cause que ces animaux 
n’agissent que par les émotions que des sensations 
produisent en eux, il y en a bien moins encore dans 
ceux qui sont privés de nerfs. Aussi paraît-il que ces 
derniers ne se meuvent que par leur irritabilité 
excitée, et que par l'effet immédiat des excitations 
extérieures. 

On conçoit, d’après ce que je viens d'exposer, 
que lorsque la nature fut parvenue à transporter, 
dans l’intérieur des animaux , la puissance d’agir, 
c'est-à-dire à créer, au moyen du système nerveux, 
ce sentiment intérieur, Source de la force qui fait 
produire les actions, elle perfectionna ensuite son 
ouvrage, en créant une seconde puissance intérieure, 
celle de la volonté, qui naït des actes de l’intelli- 
gence, et qui seule peut réussir à faire varier les 
actions habituelles. 

La nature n’eut besoin, pour cela, que d’ajouter 
au système nerveux un nouvel organe, celui dans 
lequel s’exécutent les actes de l’intelligence, et que 
de séparer du foyer des sensations, on des percep- 
tions, l'organe où se forment les idées, les compa- 
raisons, les jugements, les raisonnements, en un 
ot, les pensées. 


DE LA VOLONTÉ 311 


Ainsi, dans les animaux les plus parfaits, la 
moelle épinière sert ou fournit au mouvement mus- 
culaire des parties du corps, et à l’entretien des 
fonctions vitales; tandis que le foyer des sensations, 
au lieu d’être placé dans l’étendue ou dans quelque 
point isolé de cette moelle épinière, se trouve évi- 
demment concentré à son extrémité supérieure ou 
antérieure , dans la partie inférieure du cerveau. Ce 
foyer des sensations est conséquemment tres-rap- 
proché de l'organe dans lequel s’exécutent les diffé- 
rents actes de l'intelligence, sans être néanmoins 
confondu avec lui. 

L'organisation animale étant parvenue au terme 
de perfectionnement qui y fait exister un organe 
pour les actes d'intelligence, les individus qui pos- 
sèdent cette organisation ont des idées simples et 
peuvent s’en former de complexes, ils jouissent 
d’une volonté, libre en apparence, qui détermine 
certaines de leurs actions, ils ont des passions, 
c’est-à-dire des penchants exaltés qui les entrainent 
vers certains ordres d'idées et d'actions qu'ils ne 
maitrisent point, enfin, ils sont doués de mémoire 
et ont la faculté de se rendre présentes des idées 
déja tracées dans leur organe, ce qui s'exécute au 
moyen du fluide nerveux qui repasse et s’agite sur 
les impressions ou les traces subsistantes de ces 
idées. 

On sent que des agitations désordonnées du fluide 
nerveux sur les traces dont il s’agit, sont les causes 


312 DE LA VOLONTÉE 


des songes que font souvent pendant leur sommeil les 
animaux capables d’avoir des idées. 

Les animaux qui ont de l'intelligence, font néan- 
moins la plupart de leurs actions par instinct et par 
habitude, et à ces égards, ils ne se trompent jamais ; 
et lorsqu'ils agissent par volonté, c'est-à-dire à la 
suite d’un jugement, ils ne se trompent pas encore ou 
du moins très-rarement, parce que les éléments qui 
entrent dans leurs jugements sont en petit nombre, 
et qu'en général, ils leur sont fournis par les sen- 
sations, et surtout, parce que, dans une même race, 
il n’y a point d’inégalité dans l'intelligence et dans 
les idées des individus. Il suit de là que leurs actes 
de volonté sont des déterminations qui les font tou- 
jours satisfaire sans erreur aux besoins qui les 
émeuvent. On a dit, d’après cela, que linstinct 
pour les animaux était un flambeau qui les éclai- 
rait mieux que notre raison. 

Le vrai est que, moins libres que nous de varier 
leurs actions, plus assujettis à leurs habitudes, les 
animaux ne trouvent dans leur instinct qu'une né- 
cessité qui les entraine, et dans leurs actes de o- 
lonté qu'une cause, dont les éléments non variables, 
non modifiés, très-peu compliqués, et toujours les 
mêmes dans tous les individus d’une même race, a 
dans tous une puissance et une étendue égales dans 
les mêmes cas. Enfin, comme il ne se trouve, entre 
les individus de la même espèce, aucune inégalilé 
dans les facultés intellectuelles, leurs jugements sur 


DE LA VOLONTÉ 313 
les mêmes objets, et leur volonté d'agir, qui peut 
résulter de ces jugements, sont des causes qui leur 
font exécuter, à très-peu près, les mêmes actions’ 
dans les mêmes circonstances. 

Je terminerai ces vues sur les sources et les ré- 
sultats de la volonté, par quelques considérations 
relatives à la même faculté dans l’homme; et l’on 
va voir que les choses sont bien différentes à son 
égard, de celles que nous venons d’examiner dans 
les animaux, car, quoiqu'il paraisse beaucoup plus 
libre qu'eux dans ses actes de volonté, il ne l’est 
effectivement pas, et cependant, par une cause que 
je vais tâcher de faire sentir, les individus de son 
espèce agissent très-différemment les uns des autres 
dans des circonstances semblables. 

La volonté dépendant toujours d’un jugement quel- 
conque, n'est jamais véritablement libre, car le ju- 
gement qui y donne lieu est, comme le quotient d’une 
opération arithmétique, un résultat nécessaire de 
l’ensemble des éléments qui l'ont formé. Mais l’acte 
même qui constitue un Jugement doit varier dans ses 
produits, selon les individus, par la raison que les 
éléments qui entrent dans la formation de ce juge- 
ment, sont dans le cas d’être fort différents dans 
chaque individu qui exécute. 

En effet, il entre, en général, tant d’éléments 
divers dans la formation de nos jugements, il s’en 
trouve tant qui sont étrangers à ceux qu'il faudrait 
employer, et, parmi ceux dont on devrait faire 


314 DE LA VOLONTÉ 

usage, il y en à tant qui sont inaperçus ou rejetés 
par des préventions, ou, enfin, qui sont, soit altérés, 
soit changés, par notre disposition, notre santé, 
notre âge, notre sexe, nos habitudes, nos penchants, 
l’état de nos lumières, etc., que ces éléments ren- 
dent le jugement que l’on porte sur un même sujet, 
fort différent, selon les individus. Nos jugements, 
dépendant de tant de particularités inappréciables 
et tres-difficiles à reconnaitre, ont fait croire que 
nous étions libres dans nos déterminations, quoique 
nous ne le soyons réellement pas, puisque les juge- 
ments qui les produisent ne le sont pas eux-mêmes. 

La diversité de nos jugements est si remarquable, 
qu'il arrive souvent qu’un objet considéré donne 
lieu à autant de jugements particuliers qu'il y a de 
personnes qui entreprennent de prononcer à son 
égard. On a pris cette variation pour une liberté 
dans la détermination, et l’on s’est trompé, elle n’est 
que le résultat des éléments divers qui, pour chaque 
personne, entrent dans le jugement exécuté. 

Il y a cependant des objets si simples dans leurs 
qualités, et qui présentent si peu de faces différentes 
à considérer, qu'on est à peu près généralement 
d'accord sur le jugement qu’on en porte. Mais, ces 
objets se réduisent presque uniquement à ceux qui 
sont hors de nous, et qui ne nous sont connus que par 
les sensations qu'ils excitent ou qu'ils ont excitées sur 
nos sens. Nos jugements, à leur égard, n’ont guère 
d'autres éléments à employer que ceux que les sen- 


DE LA VOLONTÉ 315 
sations nous fournissent, et que les comparaisons 
que nous en formons avec les autres corps qui nous 
sont connus. Enfin, pour les jugements dont il s’agit, 
notre entendement n’a que très-peu d'opérations à 
exécuter. 

Il résulte de l'énorme multitude de causes diver- 
ses, qui changent où modifient les éléments que 
nous faisons entrer dans la formation de nos juge- 
ments, surtout de ceux qui exigent différentes opé- 
rations de l'intelligence, que, le plus souvent, ces 
jugements sont erronés, manquent de justesse, et 
que, par une suite de l’inégalité qui se trouve entre 
les facultés intellectuelles des individus, ces mêmes 
jugements sont, en général, aussi variés que les 
personnes qui les forment, les éléments que chacun 
y apporte n'étant pas les mêmes. Il en résulte, en 
outre, que les désordres de ces actes d'intelligence 
en entraînent nécessairement dans ceux qui Cons— 
tituent nos volontés, et par suite, dans nos actions. 

Si l’objet que j'ai en vue dans cetouvrage ne me 
retenait dans des bornes que je ne veux pas franchir, 
je pourrais faire des applications nombreuses qui 
établiraient encore mieux le fondement de ces con- 
sidérations ; J'aurais même à ces égards des remar- 
ques à faire qui ne seraient pas sans intérêt. 

Par exemple, je pourrais montrer que, tandis que 
l’homme retire de ses facultés intellectuelles, bien 
développées, de très-grands avantages, lespèce 
humaine, considérée en général, en éprouve en 


#6 DE LA VOLONTE 
même temps des inconvénients considérables ; car 
ces facultés donnant autant de facilité et autant de 
moyens pour exécuter le mal que pour faire le bien, 
leur résultat général est toujours au désavantage 
des individus qui exercent le moins leur intelli- 
gence, ce qui est nécessairement le cas du plus 
grand nombre. Alors, on sentirait que le mal, à cet 
égard, réside principalement dans l’extrème 27éqa- 
lité d'intelligence des individus, mégalité qu'il est 
impossible de détruire entièrement. Néanmoins, on 
reconnaîtrait mieux encore que ce qu'il importerait 
le plus pour le perfectionnement et le bonheur de 
l’homme, serait de diminuer le plus possible cette 
énorme inégalité, parce qu’elle est la source de la 
plupart des maux auxquels elle lexpose. 
Maintenant nous allons essayer de reconnaître les 
causes physiques des actes de l’entendement : nous 
tâcherons du moins de déterminer les conditions 
exigées de l’organisation pour que ces admirables 
phénomènes puissent se produire. 


CHAPITRE VII 


DE L’ENTENDEMENT, DE SON ORIGINE, ET DE CELLE 
DES IDÉES 


Voici le sujet le plus curieux, le plus intéressant, 
et à la fois le plus difficile dont l’homme puisse 
s’occuper dans ses études de la nature, celui où il 
lui importerait beaucoup d’avoir des connaissances 
positives, et celui cependant qui semble Jui offrir le 
moins de moyens pour en acquérir de pareilles. 

Il s’agit de savoir comment des causes purement 
physiques, et par conséquent de simples relations 
entre différentes sortes de matières, peuvent pro 
duire ce que nous nommons des idées, comment 
avec des idées simples ou directes, ces relations 
peuvent former des idées complexes, en un mot, 
comment, avec des idées de quelque genre que ce 
soit, ces mêmes relations peuvent donner lieu à des 
facultés aussi étonnantes que celles de penser, de 
juger, d'analyser et de raisonner. 


LS DE L'ENTENDEMENT ; 

Il semble qu'il faille être plus que téméraire pour 
entreprendre une pareille recherche et pour se 
flatter de trouver la source de ces merveilles dans 
les moyens qui sont à la disposition de la nature. 

Assurément, je n'ai pas la présomption de croire 
que j'ai découvert les causes de ces prodiges ; mais, 
persuadé que tous les actes d'intelligence sont des 
phénomènes naturels, et par conséquent que ces 
actes prennent leur source dans des causes unique- 
ment physiques, puisque les animaux les plus parfaits 
jouissent de la faculté d’en produire, j'ai pensé qu'an 
moyen de beaucoup d'observations, d'attention et de 
patience, on pourrait, surtout par la voie de lnduc- 
tion, parvenir à se former des idées d’un grand poids 
sur ce sujet important ; voici lesmiennes à son égard. 

Sous la dénomination d’entendement où d'intelh- 
gence, je comprends toutes les facultés intellec- 
tuelles connues, telles que celles de pouvoir se 
former des idées de différents ordres, de comparer, 
de juger, de penser, d'analyser, de raisonner, enfin, 
de se rappeler des idées acquises, ainsi que des pen- 
sées et des raisonnements déjà exécutés, ce qui cons— 
titue la mémoire. 

Toutes les facultés que je viens d'indiquer résul- 
tent mdubitablement d'actes particuliers à lPorgane 
de l'intelligence, et chacun de ces actes est néces- 
sairement le produit des relations qui ont lieu entre 
l'organe dont il s’agit et le fluide nerveux qui se 
meut alors dans cet organe. 


DE L'ENTENDEMENT 319 

L’organe spécial dont il est question, auquel j'ai 
donné le nom d’ypocéphale, se trouve constitué 
par deux hémisphères plissés et pulpeux, qui enve- 
loppent ou recouvrent cette partie médullaire que je 
nomme particulièrement cerveau, laquelle contient 
le foyer ou centre de rapport du système sensitif, et 
donne naissance aux nerfs des sens particuliers ; le 
cervelet n’en est qu'une dépendance. 

Ainsi, cette partie (le cerveau proprement dit 
auquel le cervelet appartient) et l’ypocéphale sont 
deux objets très-distincts, surtout par la nature des 
fonctions de ces organes, quoique l’on soit dans 
l'usage de les confondre ensemble sous le nom 
commun de cerveau où dencéphale. Or, cest 
uniquement dans les fonctions de lhypocéphale 
que je vais rechercher les causes physiques des 
différentes facultés de l'intelligence, parce que cet 
organe est le seul qui ait le pouvoir d'y donner 
lieu. 

La diversité réelle, mais difficile à reconnaître, 
des parties de l'organe dont il est question, et celle 
des mouvements du fluide subtil que contient cet 
organe, sont donc la source unique où les différents 
actes intellectuels cités puisent leurs moyens d’exé- 
cution. Telle est l’idée générale que je me propose 
de développer succinctement. 

Avant tout, et pour mettre de l’ordre dans les 
considérations qui concernent ce sujet, il est néces- 
saire de poser ou de rappeler les deux principes sui- 


320 DE L’ENTENDEMENT 
vants, parce qu'ils constituent les bases de tout 
sentiment admissible à cet égard. 

Premier principe : tous les actes intellectuels 
quelconques prennent naissance dans les #dées, soit 
dans celles que l’on acquiert dans l’instant même, 
soit dans celles déjà acquises, car, dans ces actes, 
il s’agit toujours des idées ou de rapports entre des 
idées, où d'opérations sur des idées. 

Second principe : toute idée quelconque est origi- 
naire d’uné sensation, c’est-à-dire en provient 
directement ou indirectement. 

De ces deux principes, le premier se trouve plei- 
nement confirmé par l'examen de ce que sont réel- 
lement les différents actes de l’entendement ; et en 
effet, dans tous ces actes, ce sont toujours les idées 
qui sont le sujet ou les matériaux des opérations qui 
les constituent. 

Le second de ces principes avait été reconnu par 
les anciens, et on le trouve parfaitement exprimé 
par cet axiome dont Locke ensuite nous a montré le 
fondement , savoir : qu'il n'y a rien dans l’enten- 
dement qui n'ait été auparavant dans la sen- 
salion. 

Il suit de là que toute idée doit se résoudre, en 
dernière analyse, en une représentation sensible, 
et que, puisque tout ce qui est dans notre entende- 
ment y est venu par la voie de la sensation, tout ce 
qui en sort et qui ne peut trouver un objet sensible 
pour s’y rattacher, est absolument chimérique. Telle 


DE L'ENTENDEMENT 321 
est la conséquence évidente qu'a déduite M. Naigeon, 
de l’axiome d’Aristote. 

On n’a cependant pas encore généralement admis 
cet axiome, car plusieurs personnes considérant 
certains faits dont elles n’apercurent point les causes 
pensérent qu'il y avait réellement des idées innées. 
Elles se persuaderent en trouver des preuves dans 
la considération de lenfant qui, peu d’instants après 
sa naissance, veut téter et semble rechercher le 
sein de sa mère, dont cependant il ne peut encore 
avoir Connaissance par des idées nouvellement ac- 
quises. À cette occasion, Je ne citerai pas le prétendu 
fait d’un chevreau qui, tiré du sein de sa mére, 
choisit le cytise, parmi plusieurs végétaux qui lui 
furent présentés. On sait assez que ce ne fut qu'une 
supposition qui n'a pu avoir de fondement. 

Lorsque lon reconnaitra que les habitudes sont 
la source des penchants, que l'exercice maintenu de 
ces penchants modifie l’organisation en leur faveur, 
et qu'alors ils sont transmis aux nouveaux individus 
par la génération, on sentira que l'enfant qui vient 
de naître peut, peu de temps après , vouloir téter, 
par le seul produit de l'instinct, et prendre le sein 
qu'on lui présente, sans en avoir la moindre idée, et 
sans exécuter pour cela aucune pensée, aucun juge - 
ment, ni aucun acte de volonté qui n’en peut êtr: 
que la suite, et que cet enfant ne fait cette action 
que uniquement par la légère émotion que le besoin 
donne à son sentiment intérieur, lequel le fait agir 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 21 


77 DE L’ENTENDEMENT 


dans le sens d’un penchant tout acquis, quoiqu'il 
n’ait pas encore été exercé ; on sentira de même, que 
le petit canard qui sort de son œuf, s’il se trouve 
alors près de l’eau, y court laussitôt et nage à sa 
surface, sans en avoir aucune idée, et sans la 
connaître, cet animal n’exécutant point cette action 
par aucune délibération intellectuelle, mais par un 
penchant qui lui a été transmis, et que son sentiment 
intérieur lui fait exercer, sans que son intelligence 
y ait la plus petite part. 

Je reconnais donc comme un principe fondamen- 
tal, comme une vérité incontestable, qu'il n’y a 
point d'idées innées, et que toute idée quelconque 
provient, soit directement, soit indirectement, de 
sensations éprouvées et remarquées. 

Il résulte de cette considération, que l’organe de 
l'intelligence, étant le dernier perfectionnement que 
la nature ait donné aux animaux, ne peut exister 
que dans ceux qui possèdent déja la faculté de 
sentir. Aussi l'organe spécial dans lequel s’operent 
les idées, les jugements, les pensées, etc., ne com 
mence-t-il à se former que dans des animaux en 
qui le système des sensations est très-développé. 

Tous les actes intellectuels qui s’exécutent dans 
un individu, sont donc le produit de la réunion des 
causes suivantes, savoir : 

1° De la faculté de sentir ; 

2° De la possession d’un organe particulier pour 
l'intelligence ; 


DE L’ENTENDEMENT 323 


3° De relations qui ont eu lieu entre cet organe 
et le fluide nerveux qui s’y meut diversement ; 

4 Enfin, de ce que les résultats de ces relations 
se rapportent toujours au foyer des sensations, et 
par suite au sentiment intérieur de l'individu. 

Telle est la chaine qui se trouve partout en har- 
monie, et qui constitue la cause physique et com 
posée du plus admirable des phénomènes de la 
nature. 

Pour rejeter, par des motifs raisonnables, le fon- 
dement des considérations que je viens d'exposer, il 
faut pouvoir montrer que l'harmonie qui existe dans 
toutes les parties du système nerveux, n’est pas 
capable de produire des sensations et le sentiment 
intérieur de Pindividu, que les actes d'intelligence, 
tels que les pensées, les jugements, etc., ne sont 
pas des actes physiques et ne résultent pas immé- 
diatement de relations entre un fluide subtil agité 
et l'organe particulier qui contient ce fluide, enfin 
que les résultats de ces relations ne se rapportent 
point àce sentiment intérieur de l’individu. Or, 
comme les causes physiques qui viennent d’être 
citées sont les seules qui puissent donner lieu aux 
phénomènes de l'intelligence, si on nie existence 
de ces causes, et par conséquent, que les phénomènes 
qui en résultent soient naturels, alors on sera obligé 
de chercher hors de la nature une autre source 
pour les phénomènes en question. Il faudra suppléer 
aux causes physiques rejetées, par les idées fantas- 


32 DE L'ENTENDEMENT 
tiques de notre imagination, idées toujours sans 
base, puisqu'il est de toute évidence que nous ne 
pouvons avoir aucune autre connaissance positive, 
que celle que nous puisons dans les objets mêmes 
que la nature présente à nos sens. 

Comme les merveilles que nous examinons et 
dont nous recherchons les causes, ont pour base les 
idées, que, dans les actes d'intelligence, il ne s’agit 
partout que des idées, et que d'opérations sur ces 
idées, avant d'examiner ce que sont les idées elles- 
mèmes, montrons le fil de la formation graduelle des 
organes qui donnent lieu, d’abord aux sensations et 
au sentiment intérieur, ensuite aux idées, et enfin, 
aux opérations qui s’exécutent sur elles. 

Les animaux très-imparfaits des premières classes, 
ne possèdant point de système nerveux, ne sont sim— 
plement qu'irritables, n’ont que des habitudes, 
n’éprouvent point de sensations et ne se forment 
jamais d'idées. Mais les animaux moins imparfaits, 
qui ont un système nerveux, et qui, cependant, ne 
possedent pas l'organe de l'intelligence, ont de l’ins- 
tinct, des habitudes et des penchants, éprouvent des 
sensations, et néanmoins ne se forment point encore 
d'idées. J’ose le dire, là où il n’y a pas d’organe 
pour une faculté, cette faculté ne peut exister. 

Or, s'il est maintenant reconnu que toute idée 
pr'ovienne originairement d’une sensation, ce qu'en 
effet on ne saurait solidement contester, je compte 
faire voir que, pour cela, toute sensation ne donne 


DE L’ENTENDEMENT 329 


pas nécessairement une idée. Il faut que l'organi- 
sation soit parvenue à un état propre à favoriser la 
formation de l’idée, et qu'en outre, la sensation soit 
accompagnée d’un effort particulier de Pindividu, en 
un mot, d'un acte préparatoire qui rende l’organe 
spécial de l'intelligence capable de recevoir l'idée, 
c'est-à-dire des impressions qu'il conserve. 

En effet, s’il est vrai qu'en créant l’organisation, 
la nature la forma nécessairement dans sa plus 
grande simplicité, et qu'alors elle ne put avoir en 
vue de donner aux corps vivants d’autres facultés 
que celles de se nourrir et de se reproduire, 
ces corps qui recurent d'elle l’organisation et la vie, 
ne purent donc avoir d’autres organes que ceux qui 
sont nécessaires à la possession de la vie. Cela est 
confirmé par l’observation des animaux les plus 
imparfaits, tels que les #rfusorres et les polypes. 

Mais en compliquant ensuite l’organisation de ces 
premiers animaux , et créant, à l’aide de beaucoup 
de temps et d’une diversité infinie de circonstances, 
la multitude de formes différentes qui caractérisent 
ceux qui leur sont postérieurs , la nature à formé 
successivement les divers organes que possèdent les 
animaux et les différentes facultés auxquelles ces 
organes donnent lieu. Elle les a produits dans un 
ordre que j'ai déterminé (première partie, chapi- 
tre vi), et l’on a pu voir, d’après cet ordre, que 
l’Aypocéphale, que constituent les deux hémisphères 
plissés qui enveloppent ou recouvrent le cerveau, 


326 DE L’ENTENDEMENT 


est le dernier organe qu’elle est parvenue à faire 
exister. 

Longtemps avant d’avoir créé l’hypocéphale, cet 
organe spécial pour la formation des idées et de 
toutes les opérations qui s’exécutent à leur égard, 
la nature avait établi, dans un grand nombre d’ani- 
maux, un système nerveux qui leur donnait la fa- 
culté d’exciter l’action des muscles, et ensuite celle 
de sentir et d'agir par les émotions de leur senti- 
ment intérieur. Or, pour y parvenir, quoiqu'elle 
eût multiplié et dispersé les foyers pour les mouve- 
ments musculaires, soit en établissant des ganglions 
séparés, soiten répandant ces foyers dans l'étendue 
d’une moelle longitudinale noueuse où d’une moelle 
épiniere, elle concentra dans un lieu particulier le 
foyer des sensations et le transporta dans une petite 
masse médullaire, qui fournit immédiatement les 
nerfs de quelques sens particuliers , et à laquelle on 
a donné le nom de cerveau. 

Ce ne fut donc qu'après avoir opéré ces divers 
perfectionnements du système nerveux, que la nature 
parvint à mettre la dernière main à son ouvrage, en 
créant, dans le plus grand voisinage du foyer des 
sensations, l’hypocéphale, cet organe particulier et 
si intéressant, dans lequel se gravent les idées, et 
où s’exécutent, à leur égard, toutes les opérations qui 
constituent l'intelligence. 

C’est uniquement de ces opérations dont nous 
allons nous occuper, et dont nous essayerons de 


DE L’ENTENDEMENT 327 


déterminer les causes physiques les plus probables, 
en saisissant les inductions à l'égard des parties 
agissantes, et reconnaissant les conditions qu’exigent 
les fonctions de ces parties. 

Actuellement, examinons comment une idée peut 
se former, et dans quel cas une sensation peut la 
produire; considérons même, au moins en général, 
de quelle manière s’exécutent les actes de l’intelli- 
gence dans l’hypocéphale. 

Une particularité fort singulière, de laquelle 
cependant je ne puis douter, est que l'organe spé- 
cial dont 1l est maintenant question n’exerce jamais 
lui-même aucune action quelconque dans tous les 
actes où phénomènes auxquels il donne lieu, et qu'il 
ne fait constamment que recevoir et conserver plus 
où moins longtemps les images qui lui parviennent 
et toutes les impressions qui les gravent. Cet organe 
diffère, ainsi que le cerveau et les nerfs, de tous les 
autres organes du corps animal, en ce qu'il n’agit 
point, et qu'il ne fait que fournir au fluide nerveux 
qu'il contient les moyens d'exécuter les différents 
phénomènes auxquels ce fluide est propre. 

En effet, lorsque je considère l’extrème mollesse 
de la pulpe médullaire qui constitue les nerfs, le 
cerveau et son hypocéphale, je ne puis me persua- 
der que, dans les relations du flmide nerveux avec 
les parties médullaires dans lesquelles 1l se meut, ces 
dernières soient capables d'exercer la moindre action. 
Ces parties sont, sans doute, uniquement passives, 


328 DE L’'ENTENDEMENT 


et hors d'état de réagir contre tout ce qui peut les 
affecter. Il en résulte que les parties médullaires, 
qui composent l’hypocéphale, recoivent et conser- 
vent les traces de toutes les impressions que le fluide 
nerveux, dans ses mouvements, vient leur impri- 
mer, en sorte que le seul corps qui agisse, dans les 
fonctions qu'exécute l’hypocéphale, est le fluide ner- 
veux lui-même, ou, pour m'exprimer plus exacte- 
ment, l'organe dont il s’agit n’exécute aucune fonc- 
tion, le fluide nerveux les opere toutes lui seul; mais 
ce fluide ne saurait nullement y donner lieu, sans 
l'existence de organe dans lequel il agit. 

Ici, l’on me demandera comment il est possible de 
concevoir qu'un fluide, quelque subtil et varié qu'il 
soit dans ses mouvements, puisse lui seul donner 
lieu à cette multitude étonnante d'actes et de phéno- 
mènes différents qui constituent l’immense étendue 
des facultés de l’intelligence. A cela je répondrai 
que la merveille considérée se trouve tout entière 
dans la composition même de l’hypocéphale. 

Cette masse médullaire qui constitue lhypocé- 
phale, c'est-à-dire les deux hémisphères plissés qui 
enveloppent ou recouvrent le cerveau, cette masse, 
dis-je, qui semble n'être qu'une pulpe dont les par- 
ties sont continues et cohérentes dans tous leurs 
points, se Compose, au contraire, d'une multitude 
inconcevable de parties distinctes et séparées, d’où 
résulte une quantité innombrable de cavités infini 
ment diversifiées entre elles par leur forme et leur 


DE L'ENTENDEMENT 320 
grandeur, et qui paraissent distinguées par régions 
en nombre égal à celui des facultés intellectuelles de 
individu ; enfin, quel qu'en soit le mode, la com 
position de cet organe est encore différente dans 
chaque région, car c’est dans chacune d’elles que 
s’effectuent les actes de chaque faculté particulière 
de l'intelligence. 

L'examen de la partie blanche et médullaire de 
l’hypocéphale y a fait apercevoir des fibres nom 
breuses : or, il est probable que ces fibres ne sont 
pas, comme ailleurs, des organes de mouvement; leur 
consistance ne le permet pas : on a plus lieu de croire 
que ce sont autant de canaux particuliers qui abou- 
tissent chacun à une cavité qui serait en forme de 
cul-de-sac, si les cavités dont il s’agit ne commu 
niquaient entre elles par des voies latérales. Ces 
cavités, imperceptibles pour nous, sont innombrables 
comme les filets tubuleux qui y conduisent, et on 
peut présumer que c'est sur la paroi interne de cha- 
cune d’elles que se gravent les impressions que le 
fluide nerveux y apporte; peut-être y a-t-il aussi 
de petites lames ou des feuillets médullaires disposés 
pour le même objet. 

Ne pouvant savoir positivement ce qui se passe à 
ce sujet, je crois avoir atteint mon but en montrant 
ce qui est possible, ce qui est même vraisemblable : 
cela seul me suffit, 

L’admirable composition de l’hypocéphale, soit 
celle de l'ensemble de cet organe, soit celle de cha- 


330 DE L’ENTENDEMENT 


cune de ses régions qui sont doubles, l’une sem— 
blable à autre dans chaque hémisphere, ne saurait 
ètre une supposition sans fondement, quoique nous 
manquions de moyens pour l’apercevoir et nous en 
assurer. Les phénomènes organiques qui constituent 
l'intelligence, et chacun de ces phénomènes exigeant 
dans l'organe un lieu particulier et, pour ainsi dire, 
un organe spécial dans lequel il puisse se produire, 
doivent nous donner la conviction morale qu’à l'égard 
de la composition de l'hypocéphale, les choses sont 
telles que je viens de les présenter. 

Assurément, les individus ne naissent point avec 
toutes les facultés mtellectuelles qu’ils peuvent avoir, 
car l’organe en qui s’exécutent les actes de l’intelli- 
gence est, comme tous les autres, d'autant plus sus- 
cepüble de se développer, qu'il est plus exercé. Il 
en est de même de chaque sorte particulière de fa- 
culté intellectuelle : les besoins ressentis, ou que 
l'individu se donne, la font naître dans la région de 
l'Aypocéphale qui peut en produire les actes ; et se- 
lon que ces actes sont plus fréquemment reproduits, 
l'organe spécial qui y est devenu propre se déve- 
loppe davantage et étend proportionnellement la fa- 
culté à laquelle il donne lieu. 

Il n’est donc pas vrai que chacune de nos facultés 
intellectuelles soit innée, et qu'il en soit de même de 
ceux de nos penchants qui dépendent de notre faculté 
de penser. Ces facultés et ces penchants s’accrois- 
sent et se fortifient à mesure que nous exercons da- 


DE L'ENTENDEMENT 331 


vantage les organes qui en produisent les actes. 
Seulement, nous pouvons y apporter plus ou moins 
de dispositions avec l’état de l’organisation que nous 
recevons de ceux qui nous ont donné le jour : mais 
si nous n’exercions pas nous-mêmes ces facultés et 
ces penchants, nous en perdrions insensiblement 
l'aptitude. 

M. le docteur Gall ayant remarqué que, parmi 
les différents individus qu'il observait, les uns avaient 
telle faculté plus développée et plus éminente que 
les autres, concut l’idée de rechercher si telle partie 
de leur corps n'offrirait pas quelques signes exté- 
rieurs qui pussent faire reconnaitre cette faculté. 

Il ne paraît pas qu'il se soit occupé des facultés 
qui ne sont point relatives à l'intelligence, car elles 
lui auraient fourni quantité de preuves qui consta- 
tent que lorsqu'une partie fortement exercée acquiert 
une faculté très-éminente, cette partie en offre cons- 
tamment, dans sa forme, ses dimensions et sa vi- 
oueur, des signes évidents. On ne peut voir les ex- 
trémités postérieures et la queue d’un kanguroo, 
sans reconnaitre que ces parties, tres-employées, 
jouissent d’une grande force d'action, et sans re- 
trouver la même chose dans les cuisses postérieures 
des sauterelles, etc. On ne peut de même considé- 
rer le grand accroissement du nez de léléphant, 
transformé en une trompe énorme, sans reconnaitre 
que cet organe, continuellement exercé et servant 
de main à lanimal, a recu de cet emploi habituel 


332 DE L’ENTENDEMENT 


les dimensions, la force et ladmirable souplesse 
qu'on lui connaît, etc., ete. 

Mais M. Gall paraît s’être attaché particulièrement 
à la recherche des signes extérieurs qui pourraient 
indiquer celles des facultés de l'intelligence qui se 
trouvent très-éminentes dans certains individus. Or, 
reconnaissant que toutes ces facultés sont le produit 
des fonctions de l’organe cérébral, il dirigea ses 
vues sur la connaissance de l’encéphale, et après 
plusieurs années de recherches, il acheva de se per- 
suader que celles de nos facultés intellectuelles qui 
sont très-développées et ont acquis un grand degré 
de perfectionnement, se font reconnaître par des 
signes extérieurs qui consistent en des saillies parti- 
culières de la boîte cérébrale. 

Assurément, M. Gall partait d’un principe qui, en 
lui-même, est très-fondé, car s’il est vrai, pour les 
parties du corps, que toutes celles qui sont forte- 
ment et constamment employées, acquièrent des 
développements etune énergie de faculté qui les dis- 
tinguent, ce que j'ai suffisamment prouvé dans le 
chapitre vir de la premiere partie, la même chose 
doit avoir lieu également pour l'organe de l’enten- 
dement en général, et même pour chacun des or- 
ganes particuliers qui le composent : cela est cer- 
tain et facile à démontrer d'apres quantité de faits 
reconnus. 

Ainsi, le principe d’où partait M. Gall est, sans 
contredit, tres-solide ; mais, d’après tout ce qui est 


DE L’ENTENDEMENT 333 


publié sur la doctrine enseignée par ce savant, on a 
lieu de croire qu'il en a abusé dans la plupart des 
conséquences qu'il en a tirées. 

En effet, relativement aux organes particuliers 
qui entrent dans la composition des deux hémisphères 
du cerveau, et qui donnent lieu à chaque genre de 
faculté intellectuelle, le produit du principe que je 
viens de citer me paraît avoir beaucoup moins d’éten- 
due que M. Gall ne lui en suppose ; en sorte que ce 
ne peut être guëre que dans un très-petit nombre 
de cas extrèmes, que certaines facultés, qui auraient 
acquis un degré extraordinaire d’éminence, peuvent 
offrir des signes extérieurs non équivoques, propres 
à les indiquer. Alors, je ne serais nullement surpris 
qu'on eût découvert quelques-uns de ces signes, leur 
cause se trouvant réellement dans la nature. Mais, à 
l'égard de nos facultés intellectuelles, sortir des 
genres qui sont bien distincts, pour entrer dans une 
multitude de détails, pour embrasser les nuances 
mêmes qui lient ces facultés à leur genre propre, 
c'est, selon moi, anéantir par un abus trop ordinaire 
de l'imagination, la valeur de nos découvertes dans 
l'étude de la nature. Aussi, M. Gall ayant voulu 
trop prouver, le public, par une inconsidération 
contraire, a tout rejeté. Telle est la marche la plus 
ordinaire de l’esprit humain dans ses différents 
actes; des excés, des abus gâtent le plus souvent ce 
qu'il a su produire de bon. Les exceptions, à cet 
égard, ne sont l'apanage que d’un petit nombre de 


334 DE L’ENTENDEMENT 


personnes qui, à l’aide d’une forte raison, savent 
limiter l’imagination qui tend à les entrainer. 

Considérer comme nés dans les individus de 
l'espèce humaine certains penchants devenus tout à 
fait dominants, ce n’est pas seulement une opinion 
dangereuse, c’est, en outre, une véritable erreur. 
On peut, sans doute, apporter en naissant des dispo- 
sitions particulières pour des penchants que les pa- 
rents transmettent par l’organisation, mais, certes, 
si l’on n’eût pas exercé fortement et habituellement 
les facultés que ces dispositions favorisent, l'organe 
particulier qui en exécute les actes ne se serait pas 
développé. 

A Ja vérité, chaque individu, depuis instant de 
sa naissance, se trouve dans un concours de circons- 
tances qui lui sont tout à fait particulières, qui con- 
tribuent, en très-grande partie, à le rendre ce qu'il 
est aux différentes époques de sa vie, et qui le met- 
tent dans le cas d'exercer ou de ne pas exercer telle 
des facultés, et telle des dispositions qu’il a apportées 
en naissant ; en sorte qu'on peut dire, en général, 
que nous n’avons qu'une part bien médiocre à l’état 
où nous nous trouvons dans le cours de notre exis- 
tence, et que nous devons nos goûts, nos penchants, 
nos habitudes, nos passions, nos facultés, nos con- 
naissances, même aux circonstances infiniment di- 
versifiées, mais particulières, dans lesquelles chacun 
de nous s’est rencontré. 

Des notre plus tendre enfance, tantôt ceux qui 


DE L'ENTENDEMENT 335 
nous élevent, nous laissent entierement à la merci 
des circonstances qui nous entourent, où en font 
naitre, eux-mêmes, de tres-désavantageuses pour 
nous, par suite de leur manière d’être, de voir et de 
sentir ; ettantôt, par une faiblesse inconsidérée, nous 
gâtentet nous laissent prendre une multitude de dé- 
fauts et d’habitudes pernicieuses dont ils ne prévoient 
pas les suites. Ils rient de ce qu’ils appellent nos 
espiégleries, et plaisantent sur toutes nos sottises, 
supposant que, plus tard, ils changeront facilement 
nos inclinations vicieuses et nous corrigeront de nos 
défauts. 

On ne saurait imaginer combien sont grandes les 
influences de nos premieres habitudes et de nos pre- 
mières inclinations sur les penchants qui sont dans 
le cas de nous dominer un jour, et sur le caractere 
qui nous deviendra propre. L'organisation, tres- 
tendre dans notre premier âge, se plie et s’accom-— 
mode alors aux mouvements habituels que prend 
notre fluide nerveux dans tel ou tel sens particulier, 
selon que nos inclinations et nos habitudes lexer- 
cent dans telle direction. Or, cette organisation en 
acquiert une modification qui peut s’accroitre par 
des circonstances favorables, mais que celles qui lui 
deviennent contraires, n'effacent Jamais entière- 
ment. 

En vain, après notre enfance, fait-on des efforts 
pour diriger, par le moyen de l'éducation, nos incli- 
nations et nos actions vers tout ce qui peut nous ètre 


330 DE L’ENTENDEMENT 


utile, en un mot, pour nous donner des principes, 
pour former notre raison, notre maniere de ju- 
œer, etc. Il se rencontre tant de circonstances si 
difficiles à maitriser, que chacun de nous, selon celles 
qui le concernent, se trouve en quelque sorte en- 
trainé, et acquiert insensiblement une maniere 
d'être, à laquelle il n’a eu lui-même qu'une très- 
petite part. 

Je ne dois pas entrer ici dans les nombreux dé- 
tails des circonstances qui forment, pour chaque 
individu, un ensemble très-particulier de causes 
influentes, mais je dois dire, parce que j'en suis con- 
vaincu, que tout ce qui influe à rendre habituelle 
telle de nosactions, modifie notre organisation inté- 
rieure en faveur de cette action ; en sorte que, par 
la suite, l’exécution de cette même action devient 
pour nous une sorte de nécessité. 

De toutes les parties de notre organisation, celle 
qui, la premiere, recoit des modifications des habi- 
tudes que nous prenons d'exercer tel genre de pen- 
sées ou d'idées, ainsi que les actions qu’elles entrai- 
nent, est notre organe d'intelligence. Or, selon la 
nature des idées ou des pensées qui nous occupent 
habituellement, c’est, nécessairement, la région 
particulière du mème organe, dans laquelle s’exé- 
cutent ces actes de notre entendement, qui reçoit ces 
modifications. Je le répète donc : cette région de 
notre organe intellectuel, continuant d’être forte- 
ment exercée, acquicrt des développements qui, à 


DE L’ENTENDEMENT 391 


la fin, peuvent la faire remarquer par quelques 
signes extérieurs. 

Nous venons de considérer, sous le rapport de 
ses généralités principales, l'organe qui donne lieu 
à l'intelligence; nous allons maintenant passer à 
examen de ce qui concerne la formation des idées. 


FORMATION DES IDÉES 


Mon objet ici n’est pas d'entreprendre l'analyse 
des idées, non plus que de montrer comment ces 
idées se composent et s'étendent, en un mot, com 
ment, où par quelle voie, lentendement se perfec- 
tionne. Assez d'hommes célébres depuis Bacox, 
Locke et CONDILLAC, ont traité ces matieres et ont 
répandu sur elles le plus grand jour : ainsi Je ne 
m'en occuperai pas. 

Mon but, dans cet article, est seulement d’indi- 
quer par quelles causes physiques les idées peuvent 
se former, et de faire voir que les comparaisons, 
les jugements, les pensées, et toutes les opérations 
de l’entendement, sont aussi des actes physiques qui 
résultent des relations qu'ont entre elles certaines 
sortes de matieres en action, et qui s’exécutent dans 
un organe particulier qui a acquis graduellement la 
faculté de les produire. 

Tout ce que je vais exposer sur ce sujet important 
se trouve entièrement réduit à ce qui est vraisem- 


LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 22 


338 DE L’'ENTENDEMENT 


blable. Tout y est le produit de l'imagination; mais 
ses efforts, à cet égard, ont été bornés par la néces- 
sité de n’admettre que des causes physiques com 
patibles avec les facultés connues des matières con- 
sidérées, en un mot, que des causes dont l'existence 
est possible, et même présumable. Enfin, relative 
ment aux actes physiques que je vaisessayer d’ana- 
lyser, comme rien de ce qui les concerne ne peut 
ètre aperçu, rien conséquemment ne peut être 
prouvé. 

Je dois prévenir que je distingue et que nous rece- 
vons réellement deux sortes d'idées, savoir : 

Les idées simples ou directes : 

Les idées complexes ou indirectes. 

J'appelle idées simples, toutes celles qui provien- 
nent directement et uniquement des sensations re- 
marquées, que des objets, soit hors de nous, soit en 
nous-mêmes, peuvent nous faire éprouver. 

Je nomme #dées complexes, toutes celles qui se 
forment en nous, à la suite de quelque opération de 
notre entendement, sur plusieurs idées déja acquises 
et qui conséquemment n’exigent pour se former 
aucune sensation directe. 

Les idées, quelles qu’elles soient , sont le résultat 
des images ou des traits particuliers d'objets qui nous 
ont affectés ; et cesimages ou ces traits ne deviennent 
des idées pour nous, que lorsque, ayant été tracés 
sur quelque partie de notre organe, le fluide nerveux 
agité, qui les traverse, en rapporte le produit à 


DE L’ENTENDEMENT 33) 


notre sentiment intérieur, qui nous en donne Ja 
conscience. 

Outre qu'il y a réellement deux sortes d'idées, 
relativement à leur origine, on doit encore distinguer 
celles qui nous sont rendues sensibles et qui sont à 
la fois accompagnées de la sensation qui les a pro- 
duites, de celles qui, pareillement présentes à notre 
conscience, ne sont plus réunies à la sensation. 

Je nomme les premières, idées physico-inorales, 
et les secondes, 2dées norales seulement. 

Les idées physico-morales sont claires, vives, 
nettement exprimées et se font ressentir avec la 
force que leur communique la sensation qui les 
accompagne. Ainsi, la vue d’un édifice ou de tout 
autre objet qui se trouve sous mes yeux, et auquel j0 
donne de l’attention, fait naître en moi une idée ou 
plusieurs dont je suis vivement frappé. 

Au contraire, les idées #70rales, soit simples, soit 
complexes, c’est-à-dire celles dont nous n'avons la 
conscience qu'à la suite d’une opération de notre 
cntendement, excitée par notre sentiment intérieur, 
sont tres-obscures, faiblement exprimées , et n’ont 
aucune vivacité dans la manière dont elles nous 
affectent, quoiqu'elles nous émeuvent quelquefois. 
Ainsi, lorsque je me rappelle un objet que J'ai vu 
et remarqué, un jugement que j'ai porté, un raison- 
nement que j'ai fait, etc., l’idée ne m'en est rendue 
sensible que d’une maniere faible et obscure. 

Il faut donc bien se garder de confondre ce que 


310 DE L'ENTENDEMENT 


nous éprouvons lorsque nous avons la conscience 
d’une idée quelconque, avec ce que nous ressentons 
lorsqu'une sensation nous affecte et que nous y don- 
nous de l'attention. 

Tout ce dont nous avons seulement la conscience 
ne nous parvient que par l'organe de l'intelligence , 
et tout ce qui nous fait éprouver la sensation ne 
s'exécute , d’abord , que par l'organe sensitif que 
nous possédons , et ensuite par l’idée que nous en 
recevons, si notre attention nous le fait remarquer. 

Ainsi , il est essentiel de distinguer le sentiment 
moral du sentiment physique, parce que lexpé- 
rience du passé nous apprend que, faute d’avoir fait 
cette distinction, des hommes du plus grand mérite, 
confondantles deux sentimentsdontil s’agit, ontétabli 
des raisonnements qu'il faut maintenant détruire. 

Sans doute, l’un et l’autre sentiment sont physi- 
ques, mais la différence des expressions que j’em- 
ploie pour les distinguer suffit à l’objet que j'ai en 
vue, et d’ailleurs, ce sont les expressions en usage. 

Je nomme sentiment moral, ce que nous ressen- 
tons lorsqu'une idée où une pensée, ou enfin un 
acte quelconque de notre entendement est rapporté 
à notre sentiment intérieur, et que par la nous en 
avons la conscience. 

Je nomme sentiment physique, ce que nous éprou- 
vons lorsque, par suite d’une impression faite sur tel 
de nos sens, nous ressentons une sensation quelcon- 
que, et que nous la remarquons. 


DE L'ENTENDEMENT 341 


D’après ces définitions simples et claires, on doit 
voir que les deux objets dont il s’agit sont très-dif- 
férents l’un de l’autre, tant par la nature de leur 
source , que par celle des effets qu'ils produisent en 
nous. 

C’est cependant pour les avoir confondus, comme 
l'avait déjà fait Condillac, que M. de Tracy a dit : 

« Penser n’est que sentir, etsentir est, pour nous, 
la même chose qu'exister, car les sensations nous 
avertissent de notre existence. Les idées ou percep- 
tions sont des sensations proprement dites, ou des 
souvenirs, où des rapports que nous apercevons, ou 
bien, enfin, le désir que nous éprouvons à l’occasion 
de ces rapports : la faculté de penser se subdivise 
donc en sensibilité proprement dite, en mémoire, en 
jugement et en volonté. » 

On voit qu'il y a dans tout ceci une confusion 
évidente des sensations proprement dites, avec la 
conscience de nos idées, de nos pensées, de nos juge- 
ments, etc. C'est une pareille confusion du sentiment 
moral avec le sentiment physique, qui a fait croire 
que tout être qui possède la faculté de sentir, avait 
aussi celle d'exécuter des actes d'intelligence, ce 
qui, certainement, ne saurait être fondé. 

Les sensations nous avertissent, sans doute, de 
notre existence ; mais c’est seulement lorsque nous 
les remarquons. Il faut donc pouvoir les remarquer, 
c'est-à-dire y penser, y donner de l'attention, et 
voilà des actes d'intelligence. 


342 DE L'ENTENDEMENT 

Ainsi, à l'égard de l’homme et des animaux les 
plus parfaits, les sensations remarquées avertissent 
de l’existence et donnent des idées; mais relative- 
ment aux animaux plus imparfaits, tels, par exem-— 
ple, que les 2nsecles, en qui je ne reconnais point 
d’organe pour l'intelligence, les sensations ne sau- 
raient être remarquées, ni donner des idées ; et elles 
ne peuvent former que de simples perceptions des 
objets qui affectent l'individu. 

L’insecte jouit cependant d’un sentiment intérieur 
susceptible d'émotions qui le font agir ; mais comme 
aucune idée n’y est rapportée, il ne peut remarquer 
son existence ; en un mot, il n’éprouve jamais de 
sentiment moral. 

C'est donc à l’égard de tout être doué d’intelli- 
gence, qu'il faut dire : penser, c’est sentir morale- 
ment, c’est avoir la conscience de ses idées, de ses 
pensées, et celle aussi de son existence; mais ce 
n'est point éprouver le sentiment physique qui est 
tout autre chose, puisque celui-ci est un produit du 
système des sensations, et que le premier en est un 
du système organique de l'intelligence. 


DES IDÉES SIMPLES 


Une idée siinple provenant d’une sensation que 
l’on éprouve de la part de quelque objet qui affecte 
l’un de nos sens, ne peut se former que lorsque la 


DE L'ENTENDEMENT 943 


sensation dont il s’agit se remarque et que le résul- 
tat de cette sensation se trouve transporté dans 
l'organe de l'intelligence, et tracé ou gravé sur quel- 
que partie de cet organe ; ce résultat se rend sensible 
à l'individu parce qu'il est, dans l'instant même, 
rapporté à son sentiment intérieur. 

En effet, fout individu qui, jouissant de la faculté 
de sentir, possede un organe pour l'intelligence, re- 
coit aussitôt dans cet organe l'image ou les traits 
que la sensation d'un objet qui l’affecte occasionne, 
si organe dont il s'agit y est préparé par l’atten- 
tion. Or, ces traits ou cette image de l'objet qui l’a 
afiecté parviennent dans son hypocéphale par le 
moyen d’une seconde réaction du fluide nerveux qui, 
après avoir produit la sensation, porte dans Forgane 
intellectuel l’ébranlement particulier qu'il a reçu de 
cette sensation, y imprime sur quelque partie les 
traits caractéristiques de son mouvement, et, enfin, 
les rend sensibles à l'individu en reportant leur pro- 
duit à son sentiment intérieur. 

Les idées que l’on se forme en voyant, pour la 
premiere fois, une fusée volante, en entendant le 
rugissement d’un lion, et en touchant la pointe d’une 
aiguille, sont des 2dées simples. 

Or, les impressions que ces objets font sur nos 
sens excitent aussitôt, dans le fluide des nerfs qui 
les reçoivent, une agitation qui est particulière à 
chacune d'elles ; le mouvement se propage jusqu'au 
foyer des sensations ; tout le système y participe 


314 DE L'ENTENDEMENT 


aussitôt; et la sensation se trouve produite par le 
mécanisme que J'ai déja exposé. 

Ainsi, dans le même instant, si notre attention en 
a préparé les voies, le fluide nerveux transporte 
l’image de l’objet, ou certains de ses traits, dans 
notre organe d'intelligence , y imprime cette image 
ou ces traits sur quelque partie de cet organe, et 
l’idée qu’il vient de tracer est aussitôt rapportée par 
lui à notre sentiment intérieur. 

De même que le fluide nerveux, par ses mouve- 
ments, est l'agent qui porte au foyer des sensations 
les impressions des objets extérieurs qui affectent 
nos sens, de même aussi ce fluide subtil est encore 
l'agent qui transporte du foyer des sensations dans 
l'organe de l'intelligence le produit de chaque sen- 
sation exécutée, qui y en trace les traits ou qui les y 
imprime par ses agitations, si l'attention y a préparé 
cet organe et qui en rapporte de suite le résultat au 
sentiment intérieur de l'individu. 

Ainsi, pour que les traits ou l’image de l’objet qui 
a causé la sensation puissent parvenir dans l'organe 
de l’entendement et ètre imprimés sur quelque partie 
de cet organe, il faut, premièrement, que l’acte 
qu'on nomme attention prépare l'organe à en rece- 
voir l'impression, ou que ce même acte ouvre la voie 
qui peut faire arriver le produit de cette sensation à 
l'organe sur lequel peuvent s’imprimer les traits de 
l'objet qui y a donné lieu : et pour qu’une idée quel- 
conque puisse parvenir ou être rappelée à la cons- 


DE L’'ENTENDEMENT 345 


cience, il faut, à l’aide encore de l'attention, que le 
fluide nerveux en rapporte les traits au sentiment 
intérieur de l'individu, ce qui alors lui rend cette 
idée présente ou sensible !, et ce qui peut se répéter 
ainsi au gré de cet individu pendant un temps plus 
ou moins long. 

L’impression qui forme lidée se trace donc et 
se grave réellement sur l'organe, puisque la mé- 
moire peut la rappeler au gré de l'individu, et la 
lui rendre de nouveau sensible. 

Voilà, selon moi, le mécanisme probable de la for- 
mation des idées ; celui par lequel nous les rendons 
présentes à volonté, jusqu'à ce que le temps, en 
ayant effacé ou trop affaibli les traits, nous ait mis 
hors d'état de pouvoir nous en souvenir. 

Tenter de déterminer comment les agitations du 
fluide nerveux tracent ou gravent une idée sur l’or- 
gane de l’entendement, ce serait s’exposer à com-— 
mettre un des nombreux abus auxquels imagination 
donne lieu ; ce que l’on peut seulement assurer, c’est 
que le fluide dont il s’agit est le véritable agent qui 
trace et imprime l’idée ; que chaque sorte de sensa- 
tion donne à ce fluide une agitation particuliere, et 


1 Sensible, c'est une expression usitée qui a deux acceptions très- 
différentes, ou qui désigne des faits de deux genres très-distincts. Dans 
l'une de ces acceptions, elle exprime l'effet d'une sensation, et ne con- 
cerne que le sentiment physique; dans l'autre, au contraire, elle dé- 
signe l'effet d'une impression sur le sentiment intérieur, qui prend sa 
source dans un acte d'intelligence, et n'appartient qu'au sentiment 
moral. 


2416 DE L’ENTENDEMENT 


le met, conséquemment, dans le cas d'imprimer sur 
l'organe des traits également particuliers; et qu’en- 
fin, le fluide en question agit sur un organe telle- 
ment délicat, et d’une mollesse si considérable, et se 
trouve alors dans des interstices si étroits, dans des 
cavités si petites, qu'il peut imprimer sur leurs 
parois délicates des traces plus où moins profondes 
de chaque sorte de mouvement dont il peut être 
agité. 

Ne sait-on pas que, dans la vieillesse d’un indi- 
vidu, l’organe de l'intelligence ayant perdu une par- 
tie de sa délicatesse et de sa mollesse, les 2d6es se 
gravent plus difficilement et moins profondément ; 
que la mémoire qui se perd de plus en plus, ne rap- 
pelle alors que les #dées anciennement gravées sur 
l’organe, parce qu'elles furent, à cette époque, plus 
faciles à imprimer et plus profondes ? 

En outre, ne s'agit-il pas uniquement, à l’égard 
du phénomène organique des #dées, de relations 
entre des fluides en mouvement et l'organe spécial 
qui contient ces fluides? Or, pour des opérations 
aussi promptes que les idées et que tous les actes 
d'intelligence, quel autre fluide peut les produire, si 
ce n’est le fluide subtil et invisible des nerfs, fluide 
si analogue à l'électricité; et quel organe plus ap- 
proprié pour ces opérations délicates que le cerveau ? 

Ainsi, une idée simple ou directe se forme lors- 
que le fluide des nerfs agité par quelque impression 
extérieure, où même par quelque douleur interne, 


DE L’'ENTENDEMENT 34 


rapporte au foyer des sensations l'agitation qu'il a 
reçue, et que, de là, transportant cette mème agita- 
tion dans l'organe de l'intelligence, il en trouve la 
voie ouverte, où l'organe préparé par l'attention. 

Dès que ces conditions sont remplies, l’impression 
se trace aussitôt sur l'organe, l’idée reçoit son exis- 
tence, et se rend sensible à l'instant même, parce 
que le sentiment intérieur de individu en est affecté; 
enfin, l’idée dont il s’agit, peut ètre de nouveau 
rendue sensible par la mémoire, mais d’une manière 
obscure, toutes les fois que individu, par un acte 
de sa puissance d'agir, dirige le fluide nerveux sur 
les traces subsistantes de cette 2dée. 

Toute idée, rappelée par la mémoire, est donc 
beaucoup plus obscure qu'elle n’était lorsqu'elle fut 
formée; parce qu'alors l’acte qui la rend sensible 
à l'individu, ne résulte plus d’une sensation pré- 
sente. 


DES iDÉES COMPLEXES 


Je nomme idée complexe où indirecte, celle qui 
ne provient pas immédiatement de la sensation d’un 
objet quelconque, mais qui est le résultat d’un acte 
d'intelligence qui s'opère sur des idées déjà acquises. 

L'acte d’entendement qui donne lieu à la forma- 
tion d'une idée compleze est toujours un jugement ; 
et ce jugement est lui-même, ou une conséquence, 
où une détermination de rapport. Or, ect acte me 


J4S DE L'ENTENDEMENT 


parait résulter d’un mouvement moyen qu'acquiert 
le fluide nerveux, lorsque, dirigé par le sentiment 
intérieur, ce fluide se partage en plusieurs masses 
qui vont traverser chacune les traits de certaines 
idées déja imprimées, y obtiennent autant de modi- 
fications particulières dans leur agitation, et qui, 
se réunissant ensuite, combinent alors, en ce mou- 
vement moyen, les mouvements particuliers de cha- 
cune d'elles. 

C’est donc par le moyen de ce mouvement cité du 
fluide nerveux, lequel est réellement le résultat 
d'idées comparées, ou de rapports recherchés entre 
elles, que le fluide subtil dont 1l s’agit imprime ses 
traits sur l'organe, et en rapporte, dans l'instant 
même, le produit au sentiment intérieur de l’indi- 
vidu. 

Telle est, à ce qu’il me semble, la cause physique 
et le mécanisme particulier qui donnent lieu à la 
formation des idées complexes de tous les genres. 
Ces idées complexes sont très-distinctes des idées 
simples, puisqu'elles ne résultent point d’une sen- 
sation produite immédiatement, c’est-à-dire d’une 
impression faite sur aucun de nos sens, qu'elles pren- 
nent leur source dans plusieurs idées déjà tracées, 
et qu'enfin, elles sont le produit unique d’un acte de 
l’entendement, le système sensitif n’y ayant aucune 
part. 

Il y a cette différence entre l’acte de l’entende- 
ment qui forme un jugement d’où résulte une 2dée 


DE L' ENTENDEMENT 349 


complexe et celui qu’on nomme souvenir, ou acte de 
mémoire, et qui ne consiste qu'à rendre des idées 
présentes au sentiment intérieur de l'individu, que, 
dans le premier, les idées employées servent à une 
opération qui amène un résultat, c’est-à-dire une 
idée nouvelle, tandis que, dans le second, les idées 
employées ne servent à aucune opération particu= 
lière, ne donnent lieu à aucune idée nouvelle, mais 
sont simplement rendues sensibles à Pindividu. 

S'il est vrai que les émotions de notre sentiment 
intérieur nous donnent la faculté et la puissance 
d'agir, et qu'elles nous permettent de mettre en 
mouvement notre fluide nerveux et de le diriger sur 
les traits de différentes idées qui sont imprimées 
sur diverses parties de l'organe qui les a reçues, 1l 
est évident que ce fluide subtil, en passant sur les 
traits de telle idée, recoit une modification partieu- 
lière dans la nature de son agitation. On conçoit de 
là que, si le fluide nerveux rapporte simplement cette 
modification particulière de son agitation au senti- 
ment intérieur de l'individu, il ne fait que rendre 
l’idée sensible ou présente à la conscience de cet in- 
dividu ; mais si le fluide dont il s'agit, au lieu de ne 
traverser que les traits ou l’image d’une seule idée, 
se partage en plusieurs masses qui, chacune, se diri- 
gent sur une idée particuliére, et qu’ensuite ces 
masses se réunissent toutes, le mouvement moyen 
qui en résultera dans la masse commune imprimera 
dans l'organe une idée nouvelle et complexe, et de 


350 DE L'ENTENDEMENT 
suite ea rapportera le produit à la conscience de 
l'individu. 

Si nous nous formons des idées complexes avec 
des idées simples déja existantes, nous aurons, dès 
qu'elles seront imprimées dans notre organe, des 
idées complexes du premier ordre : or, il estévident 
que si nous comparons ensemble plusieurs idées com- 
plexes du premier ordre, par les mèmes moyens or- 
ganiques avec lesquels nous avons comparé plusieurs 
idées simples, nous obtiendrons un résultat, c’est-à- 
dire un jugement dont nous nous formerons une 
nouvelle idée, et celle-ci sera une idée complexe du 
second ordre, puisqu'elle proviendra de plusieurs 
idées complexes du premier ordre déja acquises. On 
sent que, par cette voie, des idées complexes de 
différents ordres peuvent se multiplier presque à 
l'infini, ce dont la plupart de nos raisonnements 
nous offrent des exemples. 

Ainsi se forment, dans l'organe de l'intelligence, 
différents actes physiques qui donnent lieu aux phé- 
nomènes des comparaisons, des jugements particu— 
liers, des analyses d'idées, enfin des raisonnements ; 
et ces différents actes ne sont que des opérations sur 
des idées déjà tracées, qui s’exécutent par des mou- 
vements moyens qu'acquiert le fluide nerveux, lors- 
qu'il en rencontre les traits ou les images dans son 
agitation : et comme ces opérations sur les idées 
déjà tracées, mème sur des séries d'idées compa- 
rées, soit successivement, soit ensemble, ne sont que 


DE L'ENTENDEMENT 35 
des rapports recherchés par la pense et à l'aide du 
sentiment intérieur, entre les idées de quelque ordre 
qu'elles soient, ces mêmes opérations sont terminées 
par des résultats qu'on nomme jugements, consé- 
quences, conclusions, etc. 

De même se produisent physiquement, dans les 
animaux les plus parfaits, des phénomenes d'intel- 
ligence d'un ordre bien inférieur sans doute, mais 
qui sont tout à fait analogues à ceux que je viens de 
citer, Car ces animaux reçoivent des idées et ont la 
faculté de les comparer et d’en obtenir des juge- 
ments. Leurs idées sont donc réellement tracées et 
imprimées dans l'organe où elles se sont formées, 
puisqu'ils ont évidemment de la mémoire, et que, 
dans leur sommeil, on les voit souvent rêver, 
c'est-à-dire éprouver des retours involontaires de 
ces idées. 

Relativement aux signes si nécessaires pour la 
communication des idées et qui servent singulière- 
ment à en étendre le nombre, je me trouve forcé de 
me borner à une simple explication concernant le 
double service qu'ils nous rendent. 

CoxpiLLaC, dit M. Richerand, s’est acquis une 
gloire immortelle en découvrant le premier, et en 
prouvant sans réplique, que les signes sont aussi 
nécessaires à la formation qu'à l'expression des 
idées. 

Je suis fàché que les bornes de cet ouvrage ne me 
permettent pas d'entrer ici dans les détails suffisants 


392 DE L’ENTENDEMENT 


pour montrer qu'il y a une erreur évidente dans 
l'expression employée, laquelle fait entendre que le 
signe est nécessaire à la formation directe de l'idée, 
ce qui ne peut avoir le moindre fondement. 

Je ne suis pas moins admirateur que M. Riche- 
rand du génie, des pensées profondes et des décou- 
vertes de Condillac, mais je suis très-persuadé que 
les signes, dont on ne peut se passer pour la com- 
munication des idées, ne sont nécessaires à la for- 
mation de la plupart de celles que nous parvenons 
à acquérir, que parce qu'ils fournissent un moyen 
indispensable pour en étendre le nombre, et non 
parce qu'ils concourent à leur formation. 

Sans doute, une langue n’est pas moins utile 
pour penser que pour parler ; et il faut attacher des 
signes de convention aux notions acquises, afin que 
ces notions ne restent pas isolées, et que nous puis- 
sions les associer, les comparer et prononcer sur 
leurs rapports. Mais ces signes sont des secours, des 
moyens, en un mot, un art infiniment utile pour 
nous aider à penser, et non des causes immédiates 
de formation d'idées. 

Les signes, quels qu'ils soient, ne font qu'aider 
notre mémoire sur des notions acquises, soit an- 
ciennes, soit récentes, que nous donner le moyen de 
nous les rendre présentes successivement, où plu- 
sieurs à la fois, et par là, que nous faciliter la for- 
mation d'idées nouvelles. 

De ce que Condillac a tres-bien prouvé que, sans 


DE L’'ENTENDEMENT 393 


les signes, l’homme n’eût jamais pu parvenir à éten- 
dre ses idées comme il l’a fait, et ne pourrait pas 
continuer de le faire comme il le fait encore, il ne 
s'ensuit pas que les signes soient eux-mêmes des 
éléments d'idées. 

Assurément, je regrette de ne pouvoir entrepren- 
dre l’importante discussion dans laquelle il faudrait 
entrer à cet égard ; mais, probablement, quelqu'un 
apercevra l'erreur que je ne fais qu'indiquer et en 
fera une démonstration complète. Alors, en recon- 
naissant tout ce que nous devons à l’art des signes 
on reconnaitra en mème temps que ce n’est qu'un 
art, et qu'il est conséquemment étranger à la na- 
ture. 

Je conclus des observations et des considérations 
exposées dans ce chapitre : 

l° Que les différents actes de l’entendement exi- 
gent un organe spécial où un système d'organes 
particulier pour pouvoir s’exécuter, comme il en 
faut un pour opérer le sentiment, un autre pour le 
mouvement des parties, un autre pour la respira- 
tion, etc.; 

2° Que, dans l’exécution des actes de l’intelli- 
gence, c’est le fluide nerveux qui, par ses mouve- 
ments dans l’organe dont il s’agit, est la seule cause 
agissante, l'organe lui-même n'étant que passif, 
mais contribuant à la diversité des opérations par 
celle de ses parties, et par celle des traits imprimés 
qu'elles conservent; diversité réellement inappré- 


LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 23 


354 DE L'ENTENDEMENT 
ciable, puisqu'elle s’accroît à l'infini, selon que l’or- 
gane est plus exercé; 

3° Que les idées acquises sont les matériaux de 
toutes les opérations de l’entendement ; qu'avec ces 
matériaux, l'individu qui exerce habituellement son 
intelligence peut s'en former contmuellement de 
nouvelles , et que le moyen qu'il peut employer pour 
étendre ainsi ses idées réside uniquement dans l’ar/ 
des signes qui soulage sa mémoire, art que l’homme 
seul sait étendre, qu'il perfectionne tous les jours, 
et sans lequel ses idées resteraient nécessairement 
très-bornées. 

Maintenant, pour répandre plus de jour sur les 
sujets dont je viens de faire mention, je vais passer 
a l'examen des principaux actes de l’entendement. 
c'est-à-dire de ceux du premier ordre dont tous les 
autres dérivent. 


CPE PERS V TT 


DES PRINCIPAUX ACTES DE L'ENTENDEMENT. 
OU DE CEUX DU PREMIER ORDRE 
DONT TOUS LES AUTRES DÉRIVENT 


Les sujets que je me propose de traiter dans ce 
chapitre sont trop vastes pour qu’il me soit possible, 
dans les bornes que je me suis imposées , d’entre- 
prendre d’épuiser toutes les considérations et tous 
les genres d'intérêt qu'ils présentent. Je me renfer- 
merai donc, à leur égard, dans le projet de montrer 
comment chacun des actes de l’entendement , ainsi 
que chacun des phénomènes qui en résultent, pren- 
nent leur source dans les causes physiques dont j'ai 
fait l'exposition dans le chapitre précédent. 

L’organe spécial qui donne lieu aux phénomènes 
admirables de lintelligence, n’est point borné à 
exécuter une seule fonction ; il en opère évidemment 
quatre essentielles, et selon qu'il a recu de plus 
grands développements, chacune de ces fonctions 


3-6 DES PRINCIPAUX ACTES 


principales, ou acquiert plus d’étendue et d’énergie, 
ou se subdivise en beaucoup d’autres ; en sorte que, 
dans les individus en qui cet organe est très-déve- 
loppé, les facultés intellectuelles sont nombreuses, 
et plusieurs d’entre elles obtiennent une étendue 
presque infinie. 

Aussi l’homme, qui seul peut offrir des exemples 
de ce dernier cas, est-il de même le seul qui, par 
l’'éminence de ses facultés intellectuelles, puisse se 
livrer à l'étude de la nature, en reconnaitre et en 
admirer l’ordre constant, parvenir mème à découvrir 
quelques-unes de ses lois, et enfin, remonter, par 
sa pensée, Jusqu'au SUPRÈME AUTEUR de toutes 
choses. 

Les principales fonctions qui s’exécutent dans 
organe de l'intelligence, étantau nombre de quatre, 
donnent lieu conséquemment à quatre sortes d'actes 
tres-différents, savoir : 

l° L'acte qui constitue attention: 

2° Celui qui donne lieu à la pensée, de laquelle 
naissent les idées complexes de tous les ordres ; 

3° Gelui qui rappelle les idées acquises et qu'on 
nomme souvenir OÙ Mémoire ; 

4° Enfin, celui qui constitue les jugements. 

Nous allons donc rechercher ce que sont réelle- 
ment les actes de l'entendement qui constituent 
l'attention, la pensée, la mémoire et les jugements. 
Nous verrons que ces quatre sortes d’actes sont 
évidemment les principales, c’est-a-dire le type ou 


DE L'ENTENDEMENT 397 


la source de tous les autres actes intellectuels, et 
qu'il n’est point convenable de placer dans ce pre- 
mier rang la volonté, qui n’est qu'une suite de cer- 
tains jugements, le désir, qui n’est qu'un besoin 
moral ressenti, etles sersations, qui n’appartiennent 
en rien à l'intelligence. 

Je dis que le désir n’est qu'un besoin, ou que la 
suite d’un besoin ressenti, et je me fonde sur ce 
que les besoins doivent être partagés en besoins 
physiques et besoins moraux. 

Les besoins physiques sont ceux qui naissent à 
la suite de quelque sensation, tels que ceux de se 
soustraire à la douleur, au malaise, de satisfaire à 
la faim, à la soif, etc. 

Les besoins moraux sont ceux qui naissent des 
pensées et auxquels les sensations n’ont point de 
part, tels que ceux de chercher le plaisir, le bien- 
être, de fuir un danger, de satisfaire son intérêt, 
son amour-propre, quelque passion, quelque pen- 
chant, etc., etc. : Le désir est de cet ordre. 

Les uns et les autres de ces besoins émeuvent le 
sentiment intérieur de lindividu, à mesure qu'il 
les ressent, et ce sentiment met aussitôt en mouve- 
ment le fluide nerveux qui peut produire les actions, 
soit physiques, soit morales, propres à y satisfaire. 

Examinons maintenant chacune des facultés du 
premier ordre , dont l’ensemble constitue l’entende- 
ment ou l'intelligence. 


358 DES PRINCIPAUX ACTES 


DE L’ATTENTION 


PREMIÈRE DES PRINCIPALES FACULTÉS 
DE L'INTELLIGENCE 


Voici l’une des plus importantes considérations 
dont on puisse s’occuper pour parvenir à concevoir 
comment les idées et tous les actes de l'intelligence 
peuvent se former, et comment ils résultent de cau— 
ses purement physiques; il s’agit de l'attention. 

Voyons donc ce que c’est que l’at{ention, voyons 
si les faits connus confirment la définition que je 
vais en donner. 

L’attention est un acte particulier du sentiment 
intérieur, qui s'opère dans l'organe de l'intelligence, 
qui met cet organe dans le cas d'exécuter chacune 
de ses fonctions, et sans lequel aucune d’elles ne 
pourrait avoir lieu. Ainsi l’attention n’est point en 
elle-même une opération de l'intelligence, mais elle 
en est une du sentiment intérieur, qui vient pré- 
parer l'organe de la pensée, ou telle partie de cet 
organe, à exécuter ses actes. 

On peut dire que c’est un effort du sentiment inté- 
rieur d’un individu, qui est provoqué, tantôt par un 
besoin qui nait à la suite d’une sensation éprouvée, 
et tantôt par un désir qu'une idée ou une pensée, 
rappelée par la mémoire, fait naître. Cet effort, qui 
transporte et dirige la portion disponible du fluide 


DE'L'ENTENDEMENT 324 


nerveux sur l'organe de l'intelligence, tend ou pré- 
pare telle partie de cet organe, et la met dans le 
cas, soit de rendre sensibles telles idées qui s’y trou- 
vaient déjà tracées, soit de recevoir l’impression 
d'idées nouvelles que l'individu a occasion de se 
former. 

Il est évident pour moi que l'attention n’est point 
une sensation, comme l’a dit M. le sénateur GARAT!, 
que ce n’est point non plus une idée, ni une opé- 
ration quelconque sur des idées ; conséquemment, 
que ce n’est point encore un acte de volonté, puisque 
celui-ci est toujours la suite d’un jugement, mais 
que c’est un acte du sentiment intérieur de l'individu, 
qui prépare telle partie de l'organe de l’entendement 
à quelque opération de l’intelligence, et qui rend 
alors cette partie propre à recevoir des impressions 
d'idées nouvelles, où à rendre sensibles et présentes 
à l'individu, des idées qui s'y trouvaient déjà tracées. 

Je puis, en effet, prouver que lorsque l’organe 
de l’entendement n’est pas préparé par cet effort du 
sentiment intérieur qu'on nomme attention, aucune 
sensation n'y peut parvenir, ou si quelqu'une y par- 
vient, elle n’y imprime aucun trait, ne fait qu'ef- 
fleurer l’organe, ne produit point d'idée, et ne rend 
point sensible aucune de celles qui s’y trouvent tra- 


cées. 


L 
1 Programme des leçons sur l'analyse de l'entendement, pour l'École 
normale, p. 145. 


360 DES PRINCIPAUX ACTES 


J'étais fondé en raisons, lorsque j'ai dit que si 
toute idée provenait, au moins originairement , 
d’une sensation, toute sensation ne donnait pas né- 
cessairement une idée. La citation de quelques faits 
très-connus, suffira pour établir le fondement de ce 
que je viens d'exposer. 

Lorsque vous réfléchissez, ou lorsque votre pen- 
sée est occupée de quelque chose, quoique vous ayez 
les yeux ouverts, et que les objets extérieurs qui 
sont devant vous, frappent continuellement votre 
vue par la lumière qu'ils y envoient, vous ne voyez 
aucun de ces objets, ou plutôt vous ne les distinguez 
point, parce que Peffort, qui constitue votre atten- 
tion, dirige alors la portion disponible de votre 
fluide nerveux sur les traits des idées qui vous 
occupent, et que la partie de votre organe d’intel- 
ligence, qui est propre à recevoir l'impression des 
sensations que ces objets extérieurs vous font éprou- 
ver, n'est point alors préparée à recevoir ces sen— 
sations. Aussi les objets extérieurs qui frappent de 
toutes parts vos sens, ne produisent en vous aucune 
idée. 

En effet, votre attention dirigée alors sur les au- 
tres points de votre organe, où se trouvent tracées 
les idées qui vous occupent, et où, peut-être, vous 
en tracez encore de nouvelles et de complexes par 
vos réflexions, met ces autres points dans l’état de 
tension, ou de préparation, nécessaire pour que vos 
pensées puissent s’y opérer. Ainsi, dans cette cir- 


DE L’ENTENDEMENT Jo 


constance, quoique vous ayez l’œil ouvert, et qu’il 
recoive l'impression des objets extérieurs qui l’affec- 
tent, vous ne vous en formez aucune idée, parce 
que les sensations qui en proviennent ne peuvent 
parvenir jusqu'à votre organe d'intelligence qui 
n’est pas préparé à les recevoir. De même vous n’en- 
tendez point, ou plutôt vous ne distinguez point alors 
les bruits qui frappent votre oreille. 

Enfin, si l’on vous parle, quoique distinctement 
et à haute voix, dans un moment où votre pensée 
est fortement occupée de quelque objet particulier, 
vous entendez tout, et cependant vous ne saisissez 
rien, et vous ignorez entièrement ce que l’on vous a 
dit, parce que votre organe n'était pas préparé par 
l'attention à recevoir les idées que l’on vous com- 
muniquait. 

Combien de fois ne vous êtes-vous pas surpris à 
lire une page entière d’un ouvrage, pensant à quel- 
que objet étranger à ce que vous lisiez, et n’ayant 
rien aperçu de ce que vous aviez lu complétement. 

Dans une pareille circonstance, on donne à cet 
état de préoccupation de l'intelligence, le nom de 
distraction. 

Mais si votre sentiment intérieur, ému par un 
besoin ou un intérèt quelconque, vient tout à coup 
à diriger votre fluide nerveux sur le point de votre 
organe d'intelligence où se rapporte la sensation de 
tel objet que vous avez sous les yeux, ou de tel bruit 
qui frappe votre oreille, ou de tel corps que vous 


362 DES PRINCIPAUX ACTES 


touchez, alors votre attention préparant ce point de 
votre organe à recevoir la sensation de l’objet qui 
vous affecte, vous acquérez aussitôt une idée quel- 
conque de cet objet, et vous en acquérez même 
toutes les idées que sa forme , ses dimensions et ses 
autres qualités peuvent imprimer en vous, au moyen 
de différentes sensations, si vous y donnez une 
attention suffisante. 

Il n'y a donc que les sensations remarquées, 
c'est-à-dire que celles sur lesquelles l'attention 
s’est arrêtée, qui fassent naître des idées : ainsi, 
toute idée, quelle qu’elle soit, est le produit réel 
d’une sensation remarquée, en un mot, d’un acte 
qui prépare l'organe de l’inteligence à recevoir les 
traits caractéristiques de cette idée, et toute sensation 
qui n’est point remarquée, c’est-à-dire qui ne ren- 
contre point l'organe de l'intelligence préparé par 
l'attention à en recevoir l'impression, ne saurait 
former aucune idée. 

Les animaux à mamelles ont les mêmes sens que 
l’homme et recoivent, comme lui, des sensations de 
tout ce qui les affecte. Mais, comme ils ne s’arrètent 
point à la plupart de ces sensations, qu'ils ne fixent 
point leur attention sur elles, et qu’ils ne remar- 
quent que celles qui sont immédiatement relatives à 
leurs besoins habituels, ces animaux n’ont qu'un 
petit nombre d'idées qui sont toujours à peu pres les 
mêmes, en sorte que leurs idées ne varient point ou 
presque point. 


DE L’ENTENDEMENT 368 


Aussi, à l'exception des objets qui peuvent satis- 
faire à leurs besoins et qui font naître en eux des 
idées, parce qu'ils les remarquent, tout le reste est 
comme nul pour ces animaux. 

La nature n'offre aux yeux, soit du chien ou du 
chat, soit du cheval ou de l’ours, etc., aucune 
merveille, aucun objet de curiosité, en un mot, au- 
cune chose qui les intéresse , si ce n’est ce qui sert 
directement à leurs besoins ou à leur bien-être ; ces 
animaux volent tout le reste sans le remarquer, 
c’est-à-dire sans y fixer ieur attention, et consé- 
quemment n’en peuvent acquérir aucune idée. Cela 
ne peut être autrement , tant que les circonstances 
ne forcent point l'animal à varier les actes de son 
intelligence, à avancer le développement de l’organe 
qui les produit, et à acquérir, par nécessité, des 
idées étrangères à celles que ses besoins ordinaires 
produisent en lui. À cet égard, on connait assez les 
résultats de l'éducation forcée que lon donne à 
certains animaux. 

Je suis donc fondé à dire que les animaux dont il 
s’agit, ne distinguent presque rien de tout ce qu'ils 
apercoivent, et que tout ce qu'ils ne remarquent 
point est comme nul ou sans existence pour eux, 
quoique la plupart des objets qui les environnent 
agissent sur leurs sens. 

Quel trait de lumiere cette considération des fa- 
cultés et de l'emploi de l'attention ne jette-t-elle 
pas sur la cause qui fait que les animaux. qui pos- 


301 DES PRINCIPAUX ACTES 


sedent les mêmes sens que l’homme, n’ont cepen- 
dant qu'un si petit nombre d’idées, pensent si peu, 
et sont toujours assujettis aux mêmes habitudes ! 
Le dirai-je ? que d'hommes aussi, pour qui presque 
tout ce que la nature présente à leurs sens se trouve 
à peu près nul ou sans existence pour eux, parce 
qu'ils sont à l'égard de ces objets sans aftention, 
comme les animaux ! Or, par suite de cette maniere 
d'employer leurs facultés et de borner leur attention 
à un petit nombre d'objets qui les intéressent, ces 
hommes n’exercent que très-peu leur intelligence, 
ne varient presque point les sujets de leurs pensées, 
n’ont, de même que les animaux dont nous venons 
de parler, qu'un très-petit nombre d'idées et sont 
fortement assujettis au pouvoir de l’habitude. 
Effectivement, les besoins de l’homme qu’une 
éducation quelconque n’a point forcé de bonne heure 
à exercer son intelligence, embrassent seulement 
ce qui lui parait nécessaire à sa conservation et à 
son bien-être physique, mais ils sont extrèmement 
bornés relativement à son bien-être moral. Les idées 
qui se forment en lui, se réduisent à très-peu près à 
des idées d'intérêt, de propriété et de quelques 
jouissances physiques, elles absorbent laffention 
qu'il donne au petit nombre d'objets qui les ont fait 
naître et qui les entretiennent. On doit sentir que 
tout ce qui est étranger aux besoins physiques de 
cet homme, à ses idées d'intérêt et à celles de 
quelques jouissances physiques et morales très- 


DE L’ENTENDEMENT 309 


bornées, se trouve comme nul ou sans existence 
pour lui, parce qu'il ne le remarque jamais et qu'il 
ne saurait le remarquer, puisque n'ayant point 
l'habitude de varier ses pensées, rien d’étranger 
aux objets que je viens d'indiquer ne saurait lémou- 
voir. 

Enfin , l’éducation, qui développe l'intelligence 
de l'homme d’une manière si admirable, ne le fait 
ou n'y parvient, que parce qu'elle habitue celui qui 
la recoit à exercer sa faculté de penser, à fixer son 
attention sur les objets si variés et si nombreux qui 
peuventaffecter ses sens, sur tout ce qui peut aug— 
menter son bien-être physique et moral, et par con- 
séquent sur ses véritables intérêts dans ses relations 
avec les autres hommes. 

En fixant son attention sur les différents objets 
qui peuvent affecter ses sens, il parvient à distin- 
œuer ces objets les uns des autres et à déterminer 
leurs différences, leurs rapports et les qualités par- 
ticuliéres de chacun d’eux : de la, la source des 
sciences physiques et naturelles. 

De même, en fixant son aftention sur ses intérêts 
dans ses relations avec les autres hommes, et sur 
ce qu'il peut apercevoir d’instructif pour eux, il se 
forme des idées morales, soit de toutes les conve- 
nances à l'égard des situations dans lesquelles 1l 
peut se rencontrer dans le cours de sa vie sociale, 
soit de ce qui peut avancer les connaissances utiles : 
de là, la source des sciences politiques et morales. 


366 DES PRINCIPAUX ACTES 

Ainsi, l'habitude d'exercer son intelligence et de 
varier ses pensées que l’homme recoit de l’éduca- 
tion étend singulièrement en lui la faculté de donner 
de Pattention à quantité d'objets différents , de for- 
mer des comparaisons particulières et générales, 
d'exécuter des jugements dans un haut degré de 
rectitude et de multiplier ses idées de tout genre, 
et surtout ses idées complexes. Enfin, cette habi- 
tude d'exercer son intelligence, si les diverses cir- 
constances de sa vie la favorisent, le met dans le cas 
d'étendre ses connaissances, d'agrandir et de diriger 
son génie, en un mot, de voir en grand, d’embras- 
ser une multitude presque infinie d'objets par sa 
pensée, et d'obtenir de son intelligence les jouis- 
sances les plus solides et les plus satisfaisantes. 

Je terminerai ce sujet en remarquant que, quoi 
que l'attention doive ses actes au sentiment intérieur 
de l'individu qui, ému par un besoin, le plus souvent 
moral, a seul le pouvoir d’y donner lieu, elle est 
néanmoins une des facultés essentielles de lintelli- 
gence, puisqu'elle ne s’opéere que dans l’organe qui 
produit ces facultés, et qu'on est d’après cela auto- 
risé à penser que tout être privé de cet organe ne 
saurait exécuter aucun de ses actes, c’est-à-dire ne 
saurait donner de Pat/ention à aucun objet. 

Cet article sur l’aftention méritait d’être un peu 
étendu, car le sujet m'a paru très-important à éclair- 
cir, et je suis fortement persuadé que, sans la con 
naissance de la condition nécessaire pour qu'une 


DE L'ENTENDEMENT 367 
sensation puisse produire une idée, jamais on n'au- 
rait pu saisir ce qui est relatif à la formation des 
idées, des pensées, des jugements, etc, non plus que 
la cause qui contraint la plupart des animaux qui ont 
les mêmes sens que l’homme à ne se former que 
tres-peu d'idées, à ne les varier que si difficilement 
et à rester soumis aux influences des habitudes. 

On a donc lieu de se convaincre, d’après ce que 
j'ai exposé, qu'aucune des opérations de Porgane de 
l’entendement ne peut se former, si cet organe n'y 
est préparé par l'attention, et que nos idées, nos 
pensées, nos jugements, nos raisonnements ne s’exé- 
cutent qu'autant que l'organe dans lequel ces actes 
s'effectuent se trouve continuellement maintenu dans 
l’état où il doit être pour que ces actes puissent se 
produire. 

Comme laftention est une action dont le fluide 
nerveux est l'instrument principal, tant qu’elle sub- 
siste elle consomme une quantité quelconque de ce 
fluide. Or, par sa trop grande durée, cette action 
fatigue et épuise tellement l'individu, que les autres 
fonctions de ses organes en souffrent proportion 
nellement. Aussi les hommes qui pensent beaucoup, 
qui méditent continuellement et qui se sont fait une 
habitude d'exercer, presque sans discontinuité, leur 
attention sur les objets qui les intéressent, ont-ils 
leurs facultés digestives et leurs forces musculaires 
tres-affaiblies. 


Passons maintenant à lexamen de la pensée, la 


368 DES PRINCIPAUX ACTES 


seconde des principales facultés de l'intelligence, 
mais celle qui constitue la premuere et la plus géné- 
rale de ses opérations. 


DE LA PENSÉE 


DEUXIÈME DES FACULTÉS PRINCIPALES 
DE L'INTELLIGENCE 


La pensée est le plus général des actes de l’intel- 
ligence, car, après l'attention qui donne à la pensée 
elle-même et aux autres actes de l’entendement le 
pouvoir de s’opérer, celui dontil est ici question em- 
brasse véritablement tous les autres, et néanmoins 
mérite une distinction particulière. 

On doit considérer la pensée comme une action 
qui s’exécute, dans l'organe de l'intelligence, par 
des mouvements du fluide nerveux, et qui s'opère 
sur des idées déjà acquises, soit en les rendant sim- 
plement sensibles à l'individu sans aucun change- 
ment, comme dans les actes de mémoire, soit en 
comparant entre elles diverses de ces idées pour en 
obtenir des jugements ou trouver leurs rapports, qui 
sont aussi des jugements, comme dans les rasonne- 
inents, Soit en les divisant méthodiquement et les 
décomposant, comme dans les analyses, soit, enfin, 
en créant, d’après ces idées qui servent de modèles 
ou de contrastes, d’autres idées, et d’après celles-ci 
d’autres encore, comme dans les opérations de l’éra 
gination. 


DE L'ENTENDEMENT 309 


Toute pensée serait-elle où un acte de mémoire 
ou un jugement? Je l'avais d’abord supposé; et 
dans ce cas, la pensée ne serait pas une faculté par- 
ticulière de l'intelligence, distincte des souvenirs et 
des jugements. Je crois cependant qu’il faut ranger 
cet acte de l’entendement au nombre de ses facultés 
particulières et principales, car la pensée qui cons- 
titue la réflexion, c’est-à-dire celle qui consiste dans 
la considération où lPexamen d'un objet, est plus 
qu'un acte de mémoire, et n’est pas encore un juge- 
ment. Effectivement, les comparaisons et les recher- 
ches de rapports entre des idées ne sont pas sim- 
plement des souvenirs, et ne sont pas non plus des 
jugements, mais presque toujours ces pensées se 
terminent par un jugement ou par plusieurs. 

Quoique tous les actes de l’entendement soient 
des pensées, on peut donc regarder la pensée elle- 
même comme le résultat d’une faculté particulière 
de l'intelligence, puisque certains de ces actes ne 
sont point simplement de la mémoire, ni positivement 
des jugements. 

S'il est vrai que toutes les opérations de lintel- 
ligence soient des pensées, 1l l’est aussi que les idées 
sont les matériaux qui servent à l'exécution de ces 
opérations, et que le fluide nerveux est l'agent uni- 
que qui y donne lieu immédiatement; ce que j'ai 
déjà expliqué dans le chapitre précédent. 

La pensée étant une opération de l’entendement, 
qui s'exécute sur des idées déja acquises, peut seule 


LAMARCK, PIIIL. ZOOL. II. 24 


370 DES PRINCIPAUX ACTES 


donner lieu à des jugements, des raisonnements, 
enfin, aux actes de l’imagination. Dans tout ceci, les 
idées sont toujours les matériaux de l’opération, et 
le sentiment intérieur est aussi toujours la cause qui 
excite et dirige son exécution, en mettant le fluide 
nerveux en mouvement dans l’hypocéphale. 

Get acte de l’entendement se produit quelquefois 
a la suite de quelque sensation qui a donné lieu à 
une idée, et celle-ci à un désir ; mais le plus souvent 
il s'exécute sans qu'aucune sensation l'ait immédia- 
tement précédé, car le souvenir d’une idée qui donne 
naissance à un besoin moral suffit pour émouvoir 
lesentiment intérieur, et le mettre dans le cas d’ex- 
citer l'exécution de cet acte. 

Ainsi, tantôt l'organe de lintelligence exécute 
quelqu'une de ses fonctions à la suite d’une cause 
externe qui amène quelque idée, laquelle émeut le 
sentiment intérieur de l'individu , et tantôt cet or— 
gane entre de lui-même en activité, comme lorsque 
quelque idée rappelée par la mémoire fait naïitre un 
désir, c’est-à-dire un besoin moral, et par suite une 
émotion du sentiment intérieur qui le porte à pro- 
duire quelque acte d'intelligence ou successivement 
plusieurs de ces actes. 

De mème que toute autre action du corps, aucune 
pensée ne s'exécute que par l'excitation du senti 
ment intérieur , en sorte que, sauf les mouvements 
organiques essentiels à la conservation de la vie, 
les actes de lintelligence et ceux du système muscu- 


DE L'ENTENDEMENT 371 


laire dépendant, sont toujours excités par le senti- 
ment intérieur de l'individu, et doivent être réelle- 
ment regardés comme étant le produit de ce senti- 
ment. 

Il résulte de ces considérations, que la pensée 
étant une action, ne s’aurait s’exécuter que lorsque 
le sentiment intérieur excite le fluide nerveux de 
lhypocéphale à la produire, et que, d’après Pétat 
nécessairement passif de la pulpe cérébrale, le 
fluide dont 1l s’agit, étant mis en mouvement dans 
ses parties, doit être le seul corps actif dans l’exé- 
cution de cette action. 

En effet, un être doué d’un organe pour l’intelli- 
œence, ayant la faculté, par une émotion de son 
sentiment intérieur, de mettre en mouvement son 
fluide nerveux, et de diriger ce fluide sur les traits 
imprimés de telle idée déja acquise, se rend aussitôt 
sensible cette idée particulière lorsqu'il excite cette 
action. Or, cet acte est une pensée quoique tres-sim— 
ple, et à la fois un acte de mémoire. Mais si, au lieu 
de se rendre sensible une seule idée, l'individu fait 
la même chose à l'égard de plusieurs, et exécute 
des opérations sur ces idées, alors il forme des pen- 
sées moins simples, plus prolongées, et il peut opé- 
rer ainsi différents actes d'intelligence, enfin, une 
longue suite de ces actes. 

La pensée est donc une action qui peut se compli- 
quer d’un grand nombre d’autres semblables exé- 
cutées successivement, quelquefois presque simulta- 


378 DES PRINCIPAUX ACTES 


nément, et embrasser un nombre considérable 
d'idées de tous les ordres. 

Non-seulement la pensée embrasse, dans ses opé- 
rations, des idées existantes, c’est-à-dire déja tra- 
cées dans l'organe, mais, en outre, elle en peut pro- 
duire qui n'y existaient pas. Les résultats des com- 
paraisons, les rapports trouvés entre différentes 
idées, enfin, les produits de l'imagination, sont autant 
d'idées nouvelles pour l'individu, que sa pensée peut 
faire naître, imprimer dans son organe, et rapporter 
de suite à son sentiment intérieur. 

Les jugements, par exemple, qu'on nomme aussi 
des conséquences, parce qu'ils sont les suites de 
comparaisons exécutées ou de calculs terminés, 
sont à la fois des pensées et des actes subséquents 
de pensées. 

La mème chose a lieu à légard des raisonne- 
inents, car on sait que plusieurs jugements qui se 
déduisent successivement entre des idées comparées, 
constituent ce qu'on nomme un raisonnement; or, 
les raisonnements n'étant que des séries de consé- 
quences, sont encore des pensées et des actes sub- 
séquents de pensées. 

Il résulte de tout ceci que tout ètre qui ne pos- 
sede aucune idée ne saurait exécuter aucune pensée, 
aucun jugement, et bien moins encore un raisonne- 
ment quelconque. 

Méditer, c'est exécuter une suite de pensées, c’est 
approfondir par des pensées suivies, soit les rapports 


- DE L’'ENTENDEMENT 913 


entre plusieurs objets considérés, soit les idées diffé- 
rentes qu'on peut obtenir d’un seul objet. 

Effectivement, un seul objet peut offrir à un être 
intelligent une suite d'idées différentes, savoir : 
celles de sa masse, de sa grandeur, de sa forme, de 
sa couleur, de sa consistance, etc. 

Si l'individu se rend sensibles différentes de ces 
idées, l'objet n'étant pas présent, on dit qu’il pense 
a cet objet; et en effet, il exécute réellement à son 
égard une ou plusieurs pensées de suite; mais si 
l'objet est présent, on dit alors qu'il observe, et 
qu'il examine, pour s’en former toutes les idées que 
sa méthode d'observation et sa capacité d'attention 
peuvent lui permettre d’en obtenir. 

De même que la pensée s'exerce sur des idées 
directes, c’est-à-dire obtenues par des sensations 
remarquées, de même aussi elle s'exerce sur les 
idées complexes que lindividu possède et peut se 
rendre sensibles. 

Ainsi, l’objet d’une pensée ou d’une suite de pen- 
sées peut être matériel où embrasser différents 
objets matériels; mais il peut être aussi constitué 
par une idée complexe où se composer de plusieurs 
idées de cette nature. Or, à l’aide de la pensée, lin- 
dividu peut obtenir des unes et des autres de ces 
idées, plusieurs autres encore, et cela à l'infini. De 
là, Pèmagination qui prend sa source dans l'habitude 
de penser et de se former des idées complexes, et 
qui parvient à créer, par similitude où analogie, des 


374 DES PRINCIPAUX ACTES 
idées particuheres, dont celles qui proviennent des 
sensations ne sont que des modeles. 

Je m’arrête ici, ne me proposant nullement l’'ana- 
lyse des idées, que des hommes plus habiles et plus 
profonds penseurs ont déjà faite, et j’ai atteint mon 
but, si J'ai montré le vrai mécanisme par lequel les 
idées et les pensées se forment dans l'organe de l'in- 
teligence, aux excitations du sentiment intérieur de 
l'individu. 

J’ajouterai seulement que l'attention est toujours 
compagne de la pensée, en sorte que, lorsque la 
première n’a plus lieu, la seconde cesse aussitôt 
d'exister. 

J'ajouterai encore que, comme la pensée est une 
action, elle consomme du fluide nerveux ; et que, 
par conséquent, lorsqu'elle est trop longtemps sou- 
tenue, elle fatigue, épuise, et nuit à toutes les autres 
fonctions organiques, surtout à la digestion. 

Enfin, je terminerai par cette remarque que je 
crois fondée, savoir : que la portion disponible de 
notre fluide nerveux augmente ou diminue selon 
certaines circonstances, en sorte que tantôt elle est 
abondante et plus que suffisante pour la production 
d'une longue suite d'attention et de pensées, tandis 
que tantôt elle ne saurait suffire et ne pourrait 
fournir à lexécution d'une suite d'actes d'intelli- 
gence, qu'au détriment des fonctions des autres or- 
ganes du corps. 


De là, ces alternatives dans l'activité et la lan- 


DE L’ENTENDEMENT 319 


gueur de la pensée qu'a citées Gabanis ; de là, cette 
facilité dans certains temps et cette difficulté dans 
d’autres, qu'on éprouve pour maintenir son attention 
et exécuter une suite de pensées. 

Lorsqu'on est affaibli par les suites d’une maladie 
ou par l’âge, les fonctions de l’estomac s’exécutent 
avec peine, elles exigent, pour s’opérer, l'emploi 
d'une grande portion du fluide nerveux disponible. 
Or, si, pendant ce travail de l'estomac, vous détour- 
nez le fluide nerveux qui va aider la digestion en 
le faisant refluer vers l’hypocéphale, c’est-à-dire en 
vous livrant à une forte application et à une suite 
de pensées qui exigent une attention profonde et 
soutenue, vous nuisez alors à la digestion et vous 
exposez votre santé. 

Le soir, comme on esten quelque sorte épuisé par 
les diverses fatigues de la journée, surtout lorsqu'on 
n’est plus dans la vigueur de la jeunesse, la portion 
disponible du fluide nerveux est, en général, moins 
abondante et est moins en état de fournir aux tra- 
vaux suivis de la pensée : le matin, au contraire, 
après les réparations qu'un bon sommeil a procurées, 
la portion disponible du fluide nerveux est fort abon- 
dante, elle peut fournir avantageusement et assez 
longtemps aux consommations qu'en font les opéra- 
tions de l'intelligence, ou à celles que font les 
exercices du corps. Enfin, plns vous consommez 
votre fluide nerveux, disponible aux opérations de 
l'intelligence, moins alors vous avez de faculté 


376 DES PRINCIPAUX ACTES 


pour les travaux et les exercices du corps, et vice 
verst. 

Il y a donc, par suite de ces causes et de beau- 
coup d’autres, des alternatives remarquables dans 
notre faculté, plus ou moins grande, d'exécuter une 
suite de pensées, de méditer, de raisonner, et sur— 
tout d'exercer notre imagination. Parmi ces causes, 
les variations de notre état physique et les influences 
que cet état recoit des changements qui s’opérent 
dans celui de l'atmosphère, ne sont pas les moins 
puissantes. 

Comme les actes de l’imagination sont encore 
des pensées, c’est ici le lieu d’en dire un mot. 


L’'IMAGINATION 


L’inagination est cette faculté créatrice d'idées 
nouvelles , que l'organe de l'intelligence, à l’aide 
des pensées qu'il exécute, parvient à acquérir, lors- 
qu'il contient beaucoup d'idées, et qu’il est habituel 
lement exercé à en former de complexes. 

Les opérations de l’intelligence qui donnent lieu 
aux actes de l’imagination sont excitées par le 
sentiment intérieur de l'individu , exécutées par les 
mouvements de son fluide nerveux, comme les autres 
actes de la pensée, et dirigées par des jugements. 

Les actes de l’nagination consistent à opérer, 
par des comparaisons et des jugements sur des idées 
acquises, des idées nouvelles, en prenant les pre- 


DE L'ENTENDEMENT 371 


mières, soit pour modèles, soit pour contrastes ; en 
sorte qu'avec ces matériaux et par ces opérations , 
l'individu peut se former une multitude d'idées nou- 
velles qui s’impriment dans son organe, et avec 
celles-ci beaucoup d’autres encore, ne mettant d’au- 
tres termes à cette création infinie que ceux que son 
degré de raison peut lui suggérer. 

Je viens de dire que les idées acquises, qui sont 
les matériaux des actes de l'imagination, sont em 
ployées dans ces actes, soit comme modeles, soit 
comme contrastes. 

Effectivement, que l’on considere toutes les idées 
produites par l’imagination de l’homme , on verra 
que les unes, et c’est Le plus grand nombre, retrou- 
vent leurs modeles dans les idées simples qu'il a pu 
se faire à la suite des sensations qu’il a éprouvées, 
ou dans les idées complexes qu'il s’est faites avec ces 
idées simples, et que les autres prennent leur source 
dans le contraste où lopposition des idées simples 
et des idées complexes qu'il avait acquises. 

L'homme ne pouvant se former aucune idée solide 
que des objets, où que d’après des objets qui sont 
dans la nature, son intelligence eût été bornée à 
l’effectuation de ce seul genre d'idées, si elle n’eût 
eu la faculté de prendre ces mêmes idées ou pour 
modele, ou pour contraste, afin de s’en former d’un 
autre genre. 

C'est ainsi que l’homme a pris le contraste ou 
l'opposé de ses idées simples, acquises par la voie 


378 DES PRINCIPAUX ACTES 


des sensations , ou de ses idées complexes, lorsque 
s'étant fait une idée du fini, il a imaginé l'infini; 
lorsqu'ayant conçu l’idée d’une durée limitée, il a 
imaginé l'éternité, ou une durée sans limites ; lors- 
que s'étant formé l’idée d’un corps ou de la matière, 
il a imaginé l'esprit ou un être immatériel, etc., etc. 

Il n’est pas nécessaire de montrer que tout produit 
de l’imagination qui n'offre pas le contraste d’une 
idée, soit simple, soit complexe, acquise, au moins 
originairement par la voie des sensations , retrouve 
nécessairement son modele dans cette idée. Que de 
citations je pourrais faire à l'égard des produits de 
l'imagination de l’homme, si je voulais montrer que 
partout où il a voulu créer des idées quelconques, ses 
matériaux ont toujours été les modèles des idées 
déjà acquises, ou les contrastes de ces idées ! 

Une vérité bien constatée par l’observation et 
l'expérience, c’est qu'il en est de l’organe d'intelli- 
gence comme de tous les autres organes du corps ; 
plus il est exercé, plus il se développe, et plus ses 
facultés s'étendent. 

Ceux des animaux qui sont doués d’un organe 
pour l'intelligence, manquent néanmoins d’inagi- 
nation; parce qu'ils ont peu de besoins, qu'ils varient 
peu leurs actions, qu'ils n’acquierent en conséquence 
que peu d'idées, et surtout parce qu'ils ne forment 
que rarement des idées complexes, et qu'ils n’en 
forment jamais que du premier ordre. 

Mais l’homme, qui vit en société, a tant multiplié 


DE L'ENTENDEMENT 319 


ses besoins, qu'il à nécessairement multiplié ses 
idées dans des proportions qui y sont relatives; en 
sorte qu'il est de tous les êtres pensants celui qui 
peut le plus aisément exercer son intelligence, cel 
qui peut le plus varier ses pensées, enfin, celui qui 
peut se former le plus d'idées complexes : aussi 
a-t-on lieu de croire qu’il est le seul être qui puisse 
avoir de l'imagination. 

D'une part, si l’ünagination ne peut exister que 
dans un organe qui contient déjà beaucoup d'idées, 
et ne prend sa source que dans l'habitude de former 
des idées complexes, et de l’autre part, s'il est vrai 
que plus l'organe de l'intelligence est exercé, plus 
cet organe se développe, et plus ses facultés s’éten- 
dent et se multiplient, on sentira que, quoique tous 
les hommes soient dans le cas de posséder cette 
belle faculté qu'on nomme ##ragination, 11 n'y 
en a néanmoins qu'un très-petit nombre qui 
puisse avoir cette faculté dans un degré un peu 
éminent. 

Que d'hommes, même à part de ceux qui n’ont 
pu recevoir aucune éducation , sont forcés par les 
circonstances de leur conditon et de leur état, de 
s'occuper tous les jours, pendant la principale 
portion de leur vie, des mêmes sortes d'idées, 
d'exécuter les mêmes travaux, et qui, par suite de ces 
circonstances, ne sont presque point dans le cas de 
varier leurs pensées ! Leurs idées habituelles roulent 
dans un petit cercle qui est à peu pres toujours le 


330 DES PRINCIPAUX ACTES 


même, et ils ne font que peu d'efforts pour l’étendre, 
parce qu'ils n’y ont qu’un intérêt éloigné. 

L’imagiuation est une des plus belles facultés de 
l’homme : elle ennoblit toutes ses pensées, les élève, 
l'empêche de se trainer dans la considération de 
petites choses, de menus détails; et lorsqu'elle 
atteint un degré très-éminent, elle en fait un être 
supérieur à la grande généralité des autres. 

Or, le génie, dans un individu, n’est autre chose 
qu'une grande #magination, dirigée par un goût 
exquis, et par un Jugement tres-rectifié, nourrie et 
éclairée par une vaste étendue de connaissances, 
enfin, limitée, dans ses actes, par un haut degré 
de raison. 

Que serait la littérature sans l'imagination! En 
vain le littérateur possède-t-il parfaitement la lan- 
gue dont il se sert, et offre-t-il, dans ses écrits ou 
ses discours, une diction épurée, une style irrépro- 
chable, s'il n’a point d'énragination, il est froid, 
vide de pensées et d’inages, 1l n’émeut point, n’m- 
téresse point, et tous ses efforts manquent leur but. 

La poésie, cette belle branche de la littérature, 
et l’éloquence même, pourraient-elles se passer 
d'imagination ? 

Pour moi, je pense que la littérature, ce beau 
résultat de l'intelligence humaine, est l’art noble 
et sublime de toucher, d’émouvoir nos passions, 
d'élever et d'agrandir nos pensées, enfin, de les 
transporter hors de leur sphère commune. Get art 


DE L'ENTENDEMENT 351 


a ses régles et ses préceptes, mais l’iaginatlion 
et le gout sont la seule source où il puise ses plus 
beaux produits. 

Si la littérature émeut, anime, plait, et fait le bon- 
heur de tout homme en état d’en gotter le charme, 
la science lui cède à cet égard, car elle instruit froi- 
dement et avec rigidité : mais elle l'emporte en ce 
que non-seulement elle sert essentiellement tous les 
arts, et qu'elle nous donne les meilleurs moyens de 
pourvoir à tous nos besoins physiques, mais, en 
outre, eu ce qu'elle agrandit solidement toutes nos 
pensées, en nous montrant dans toute chose ce qui 
y est réellement, et non ce que nous aimerions 
mieux qui y füt. 

L'objet de la premiére est un art aimable, celui 
de la deuxième est la collection de toutes les connais- 
sances positives que nous pouvons acquérir. 

Les choses étant ainsi, autant l'énagination est 
utile, indispensable même en littérature, autant 
elle est à redouter dans les sciences ; car ses écarts, 
dans la première, ne sont qu'un manque de goût et 
de raison, tandis que ceux qu’elle fait dans les der- 
niéres sont des erreurs ; en sorte que c’est presque 
toujours l'imagination qui les produit, lorsque l'ins- 
truction et la raison ne la guident paset ne la limi- 
tent pas; et si ces erreurs séduisent, elles font à la 
science un tort qui est souvent fort difficile à ré= 
parer. 

Cependant sans ragination, point de génie, et 


382 DES PRINCIPAUX ACTES 

sans génie, point de possibilité de faire de décou- 
vertes autres que celles des faits, mais toujours sans 
conséquences satisfaisantes. Or, toute science n'étant 
qu'un corps de principes et de conséquences, conve- 
nablement déduits des faits observés, le génie est 
absolument nécessaire pour poser ces principes et en 
tirer ces conséquences ; mais il faut qu'il soit dirigé 
par un jugement solide, et retenu dans les limites 
qu'un haut degré de lumières peut seul lui imposer. 

Ainsi, quoiqu'il soit vrai que l’énagination est 
à redouter dans les sciences, elle ne peut lètre 
cependant que lorsqu'une raison éminente et bien 
éclairée ne la domine pas ; tandis que, dans le cas 
contraire, elle constitue alors une des causes essen- 
tielles aux progrès des sciences. 

Or, le seul moyen de limiter notre imagination, 
afin que ses écarts ne nuisent point à l'avancement 
de nos connaissances, c’est de ne lui permettre de 
s'exercer que sur des objets pris dans la nature, ces 
objets étant les seuls qu'il nous soit possible de con- 
naître positivement ; ses différents actes seront alors 
d'autant plus solides, qu'ils résulteront de la consi- 
dération du plus grand nombre de faits relatifs à 
l’objet considéré, et de la plus grande rectitude dans 
nos jugements. 

Je terminerai cet article en faisant remarquer 
que, s’il est vrai que nous prenions toutes nos idées 
dans la nature, et que nous n’en ayons aucune qui 
n’en provienne originairement, 1l l’est aussi qu'avec 


DE L’ENTENDEMENT 989 


ces idées, nous pouvons, à l’aide de notre imagina- 
tion et en les modifiant diversement, en créer qui 
soient entièrement hors de la nature; mais ces der- 
nières sont toujours ou des contrastes d'idées ac- 
quises, où des images plus où moins défigurées 
d'objets dont la nature seule nous a donné connais- 
sance. 

Effectivement, dans les idées les plus exagérées 
et les plus extraordinaires de l’homme, si l’on y 
fait attention, il est impossible de ne pas reconnaître 
la source où il a puisé. 


DE LA MÉMOIRE 


TROISIÈME DES PRINCIPALES FACULTÉS 
DE L'INTELLIGENCE 


La mémoire est une faculté des organes qui con- 
courent à l'intelligence ; le souvenir d’un objet ou 
d'une pensée quelconque est un acte de cette faculté ; 
et l'organe de l’entendement est le siège où s'exécute 
cet acte admirable, dont le fluide nerveux, par ses 
mouvements dans cet organe, est le seul agent qui 
en consomme l'exécution : voilà ce que je me pro- 
pose de prouver; mais auparavant considérons l’im- 
portance de la faculté dont il s’agit. 

On peut dire que la s#1émoire est la plus impor- 
tante et la plus nécessaire des facultés intellectuel- 
les, car, que pourrions-nous faire sans la s26moire : 


384 DES PRINCIPAUX ACTES 


comment pourvoir à nos divers besoins, si nous ne 
pouvions nous rappeler les différents objets que nous 
sommes parvenus à Connaitre ou à préparer pour y 
satisfaire ? 

Sans la mémoire, homme n'aurait aucun genre 
de connaissance, toutes les sciences seraient absolu- 
ment nulles pour lui, il ne pourrait cultiver aucun 
art, il ne saurait même avoir aucune langue pour 
communiquer ses idées; et comme pour penser, 
pour imaginer mème, il faut, d’une part, qu'il ait 
préalablement des idées, et de l’autre part, qu'il 
exécute des comparaisons entre diverses de ces idées, 
il serait donc totalement privé de la faculté de pen- 
ser et entierement dépourvu d'imagination, sil 
n'avait point de mémoire. Aussi, en disant que les 
Muses étaient filles de la mémoire, les anciens ont 
prouvé qu'ils avaient eu le sentiment de l’impor- 
tance de cette faculté de l'intelligence. 

Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que 
les idées provenaient des sensations que nous avions 
éprouvées et remarquées, et qu'avec celles que ces 
sensations remarquées ont imprimées dans notre 
organe, nous pouvions nous en former d’autres qui 
sont indirectes et complexes. Toute idée quelconque 
vient donc originairement d’une sensation, et on 
ne peut en avoir aucune qui ait une autre origine, 
ce qui, depuis Locke, est bien reconnu. 

Maintenant, nous allons voir que la sémoire ne 
peut avoir d'existence qu'après celle des idées acqui- 


a 


DE L'ENTENDEMENT 385 
ses, et conséquemment, qu'aucun individu ne saurait 
en produire aucun acte, s’il n’a des idées imprimées 
dans l'organe qui en est le siége. 

S'il en est ainsi, la nature n’a pu donner aux 
animaux les plus parfaits, et à l’homme même, que 
de la mémoire, et non de la prescience, c’est-à-dire 
la connaissance des événements futurs !. 

L'homme serait sans doute très-malheureux s’il 
savait positivement ce qui doit lui arriver, s'il con- 
naissait l’époque précise de la fin de sa vie, ete., etc.; 
mais la véritable raison qui fait qu'il n'a point cette 
connaissance, c'est que la nature n’a pu la lui don- 
ner ; cela lui était impossible. La mémoire n'étant 
que le souvenir de faits qui ont existé, et dont nous 
avons pu nous former des idées ; et l'avenir, au con- 
traire, devant donner lieu à des faits qui n’ont pas 
encore d'existence, nous ne pouvons en avoir au— 
eune idée, à l'exception de ceux qui tiennent à quel- 
ques portions reconnues de l’ordre qui suit la nature 
dans ses actes. 

Voyons présentement quel peut être le méca- 
nisme de l’admirable faculté dont nous nous occu- 

4 A l'égard des évènements futurs, ceux qui tiennent à des causes 
simples, ou à peu près telles, et à des lois que l'homme, en étudiant la 
nature, est parvenu à reconnaitre, se trouvent dans le cas d'être prévus 
par lui, et jusqu'à un certain point, d'être déterminés d'avance pour des 
époques plus ou moins précises. Ainsi, les astronomes peuvent indiquer 
l'époque future d'une éclipse, et celle ou tel astre se trouvera dans 
telle position; mais celte connaissance de certains faits attendus, est 
réduite à un très-petit nombre d'objets. Cependant, beaucoup d'autres 


faits futurs et d'un autre ordre lui sont encore connus: car il sait qu'ils 
auront lieu, mais il n'en saurait déterminer avec précision les époques. 


LAMA\REK, l'HIL. ZOOIL, II. 29 


386 DES PRINCIPAUX ACTES 


pons ici, et tàächons de prouver que l'opération du 
fluide nerveux qui donne lieu à un acte de mémoire, 
consiste à prendre, en traversant les traits imprimés 
de telle idée acquise, un mouvement particulier rela- 
tif à cette idée, et à en rapporter le produit au sen- 
timent intérieur de l'individu. 

Comme les idées sont les matériaux de tous les 
actes de l'intelligence, la #7érnoire suppose déjà des 
idées acquises ; et il est évident qu’un individu qui 
n'aurait encore aucune idée, ne pourrait en exécuter 
aucun acte. La faculté qu'on nomme #émoire ne 
peut donc commencer à exister que dans un indi- 
vidu qui posséde des idées. 

La mémoire nous éclaire sur ce que peuvent être 
les idées, et même nous fait sentir ce qu’elles sont 
réellement. 

Or, les idées que nous nous sommes formées par 
la voie des sensations, et celles ensuite que nous 
avons acquises par les actes de nos pensées, étant 
des images ou des traits caractéristiques, gravés, 
c’est-à-dire plus où moins profondément imprimés 
sur quelque partie de notre organe d'intelligence, 
la mémoire les rappelle chaque fois que notre fluide 
nerveux, ému par notre sentiment intérieur, ren— 
contre, dans ses agitations, les images ou les traits 
dont il s’agit. Le fluide nerveux en rapporte alors 
le résultat à notre sentiment intérieur, et aussitôt 
ces idées nous redeviennent sensibles : c’est ainsi 
que s’exécutent les actes de i7émoire. 


DE L’ENTENDEMENT ST 


On sent bien que le sentiment intérieur dirigeant 
le fluide nerveux, dans le mouvement qu'il lui 
imprime , peut le porter séparément sur une seule 
de ces idées déja tracées, comme sur plusieurs 
d'entre elles, et qu'ainsi la #émoire peut rappeler, 
au gré de lindividu, telle idée séparément, ou sue- 
cessivement plusieurs idées. 

Il est évident, d’après ce que je viens de dire, 
que si nos idées, soit simples, soit complexes, 
n'étaient point tracées et plus ou moins profondé- 
ment imprimées dans notre organe d'intelligence , 
nous ne pourrions nous les rappeler, et que consé- 
quemment la mémoire n'aurait aucune existence. 

Un objet nous a frappés : c’est, je suppose, un 
bel édifice embrasé et consumé, sous nos yeux, par 
les flammes. Or, quelque temps après, nous pouvons 
nous rappeler parfaitement cet objet sans le voir ; il 
suffit uniquement pour cela d’un acte de notre 
pensée. 

Que se passe-t-il en nous dans cet acte, si ce 
n’est que notre sentiment intérieur, mettant en mou- 
vement notre fluide nerveux, le dirige dans notre 
organe d'intelligence, sur les traits que la sensation 
de l’incendie y a imprimés, et que la modification 
du mouvement, que notre fluide nerveux acquiert 
en traversant ces traits particuliers, se rapporte 

ussitôt à notre sentiment intérieur, et nous rend, 
dès lors, parfaitement sensible l’idée que nous cher- 
chons à nous rappeler, quoique cette idée soit alors 


383 DES PRINCIPAUX ACTES 


plus faiblement exprimée que lorsque lincendie 
s’effectuait sous nos yeux. 

Nous nous rappelons ainsi une personne où un 
objet quelconque, que nous avons déjà vu et remar- 
qué, et nous nous rappelons de mème les idées 
complexes que nous avons acquises. 

Il'est si vrai que nos idées sont des images ou des 
traits caractéristiques, imprimés sur quelque partie 
de notre organe d'intelligence, et que ces idées ne 
nous sont rendues sensibles que lorsque notre fluide 
nerveux, mis en mouvement, rapporte à notre sen- 
timent intérieur la modification de mouvement qu'il 
a acquise en traversant ces traits, que si, pendant 
notre sommeil, notre estomac se trouve embarrassé, 
ou si nous éprouvons quelque irritation Intérieure, 
notre fluide nerveux recoit, dans cette circonstance, 
une agitation qui se propage jusque dans notre cer- 
veau. Il est aisé de concevoir que ce fluide, n'étant 
point alors dirigé, dans ses mouvements, par notre 
sentiment intérieur, traverse sans ordre les traits 
de différentes idées qui s’y trouvent imprimées, et 
nous rend sensibles toutes ces idées, mais dans le 
plus grand désordre, les dénaturant le plus souvent 
par leur mélange entre elles, et par des jugements 
altérés et bizarres. 

Pendant le sommeil parfait, le sentiment inté- 
rieur ne recevant plus d'émotions, cesse, en quelque 
sorte, d'exister, et conséquemment ne dirige plus 
les mouvements de la portion disponible du fluide 


DE L’ENTENDEMENT 39 


nerveux. Aussi l’individu endormi est-il comme s'il 
n'existait pas. Il ne jouit plus du sentiment, quoi- 
qu'il en conserve la faculté, il ne pense plus, quoi- 
qu'il en ait toujours le pouvoir ; la portion disponible 
de son fluide nerveux est dans un état de repos, et 
la cause productrice des actions (le sentiment inté- 
rieur) n'ayant plus d'activité, cet individu ne saurait 
en exécuter aucune. 

Mais si le sommeil est imparfait, par suite de 
quelque irritation interne qui excite de lagitation 
dans la portion libre du fluide nerveux, le sentiment 
intérieur ne dirigeant point alors les mouvements du 
fluide subtil dont il s’agit, les agitations de ce fluide 
qui s’exécutent dans les hémispheres du cerveau, y 
occasionnent des idées sans suite, ainsi que des 
pensées désordonnées et bizarres par le mélange 
d'idées sans rapport dont elles se composent, 
lesquelles forment les songes divers que nous 
faisons, lorsque nous ne jouissons pas d’un sommeil 
parfait. 

Ces songes, ou les idées et les pensées désordon- 
nées qui les constituent, ne sont autre chose que des 
actes de mémoire qui s’exécutent avec confusion et 
sans ordre, que des mouvements irréguliers du 
fluide nerveux dans le cerveau, enfin, que le résultat 
de ce que le sentiment intérieur, w'exercant plus ses 
fonctions pendant le sommeil et ne dirigeant plus 
les mouvements du fluide des nerfs, les agitations 
de ce fluide rendent alors sensibles à l'individu des 


39) DES PRINGIPAUX. ACTES 


idées dépourvues de liaisons, et Le plus souvent sans 
rapport entre elles. 

C’est ainsi que s’exécutent les songes que nous 
formons en dormant, soit lorsque notre digestion 
étant tres-laborieuse, soit lorsque ayant été fortement 
agités, dans l’état de veille, par quelque grand intérèt 
ou par des objets qui nous ont émus , nous éprou- 
vons, pendant le sommeil, une grande agitation dans 
nos esprits, c’est-à-dire dans notre fluide ner- 
veux. 

Or, les actes désordonnés dont il est question 
s'effectuent toujours sur des idées où d’après des 
idées déjà acquises, et nécessairement imprimées 
dans l'organe de,lintelligence : et jamais un indi- 
vidu , en rèvant, ne saurait se rendre sensible une 
idée qu'il n'aurait pas eue, en un mot, un objet dont 
il n'aurait eu aucune connaissance. 

Une personne qui, depuis son enfance, se trou- 
verait renfermée dans une chambre qui ne recevrait 
le jour que par le haut, et à qui l’on fournirait ce 
qui lui serait nécessaire, sans communiquer avec 
elle, ne verrait jamais assurément, dans ses songes, 
aucun des objets qui affectent tant les hommes dans 
la société. 

Ainsi, les songes nous montrent le mécanisme de 
la inémoire, comme celle-ci nous fait connaître 
celui des idées, et lorsque je vois mon chien rêver, 
aboyer en dormant, et donner des signes non équi- 
voiques des pensées qui l’agitent, je demeure con- 


DE L’ENTENDEMENT 391 


vaincu qu'il a aussi des idées, quelque bornées 
qu’elles puissent être. 

Ce n’est pas seulement pendant le sommeil que 
le sentiment intérieur peut se trouver suspendu ou 
troublé dans ses fonctions. Pendant la veille, tantôt 
une émotion forte et subite suspend entièrement les 
fonctions de ce sentiment, et mème tous les mouve- 
ments de la portion libre du fluide nerveux ; alors 
on éprouve la syncope, c’est-à-dire on perd toute 
connaissance et la faculté d'agir; et tantôt une 
irritation considérable où générale, comme celle qui 
s'exécute dans certaines fièvres, suspend encore les 
fonctions du sentiment intérieur, et néanmoins agite 
tellement toute la portion libre du fluide nerveux, 
qu'elle fait exprimer les idées et les pensées désor- 
données que l’on ressent, et exécuter des actions 
pareillement désordonnées : dans ce cas, on éprouve 
ce qu'on nomme le délire. 

Le délire ressemble donc aux songes par le dé- 
sordre des idées, des pensées et des jugements; et il 
est évident que ce désordre, dans les deux cas que 
je viens de citer, provient de ce que le sentiment 
intérieur, se trouvant suspendu dans ses fonctions, 
ne dirige plus les mouvements du fluide nerveux *. 


1 Quand au délire vague, ou aux espèces de vertiges que l'on épro uv 
ordinairement lorsque l'on commence à s'endormir, cela tient proba- 
blement à ce que le sentiment intérieur, cessant alors de diriger les mou- 
vements du fluide nerveux encore agité, reprend et abandonne successi- 
vement cette fonction, avec quelques alternatives, jusqu'à ce que le 
sommeil soit tout à fait arrive. 


‘ 


392 DES PRINCIPAUX ACTES 


Mais la violence de l'agitation nerveuse qui occa- 
sionne le délire, est cause que ce phénomène west 
pas seulement le produit d’une grande irritation, 
mais qu'il est aussi quelquefois celui d’une affection 
morale tres-forte ; en sorte que les individus qui 
l’éprouvent ne jouissent alors que très-imparfaite- 
ment de leur connaissance, car leur sentiment 
intérieur, troublé et n’exécutant plus ses fonctions, 
ne dirige plus le fluide nerveux pour la rectitude 
des idées. 

Par exemple, lorsque la sensibilité morale est 
tres-crande, les émotions que produisent certaines 
idées ou pensées dans le sentiment intérieur, sont 
quelquefois si considérables, qu'elles troublent ce 
sentiment dans ses fonctions et l’empèchent de diri- 
ser le fluide nerveux dans l’exécution des nouvelles 
pensées qui doivent être produites ; alors les facultés 
intellectuelles sont suspendues ou en désordre. 

On va voir que la foie prend aussi sa source 
dans une cause à peu pres semblable, c’est-à-dire 
dans celle qui ne permet plus au sentiment intérieur 
de diriger les mouvements du fluide nerveux dans 
l'hypocéphale. 

En effet, lorsqu'une lésion accidentelle a causé 
quelque dérangement dans l'organe de lintelli- 
gence, où qu'une grande émotion du sentiment in- 
térieur a laissé des traces assez profondes de ses 
effets dans l'organe dont il s’agit, pour y avoir 

opéré quelque altération, le sentiment intérieur ne 


DE L’'ENTENDEMENT 393 


maitrise plus les mouvements du fluide nerveux dans 
cet organe, et les idées que les agitations de ce fluide 
rendent sensibles à l'individu, se présentent en 
désordre et sans liaison à sa conscience. Il les 
exprime telles qu'elles s'offrent à lui, et elles lui 
font exécuter des actions qui y sont relatives. Mais 
on voit, par les actes de cet individu, que ce sont 
toujours des idées acquises et ensuite présentées à 
sa conscience qui l’agitent. Effectivement , la mé- 
moire, les songes, le délire, les actes de folie, ne 
montrent jamais d’autres idées que celles que déjà 
l'individu possédait. 

Il y a des actes de folie qui tiennent à un déran- 
sement de certains organes particuliers de Phypo- 
céphale, les autres ayant conservé leur intégrité ; 
alors, ce n’est que dans ces organes particuliers que 
le sentiment intérieur ne maitrise plus et ne dirige 
plus les mouvements du fluide nerveux. Les per- 
sonnes qui sont dans ce cas n'exécutent des actes 
de folie que relativement à certains objets, et tou- 
jours les mêmes : elles paraissent jouir de leur 
raison à l'égard de tout ce qui y est étranger. 

Je n’eéloignerais de mon sujet si j’entreprenais de 
suivre toutes les nuances qu'on observe dans le 
désordre des idées et d’en rechercher les causes. 
Il me suffit d’avoir montré que les songes, le 
délire, et, en général, la folie, ne sont que des actes 
désordonnés de la #émoire, qui s’exécutent tou- 
jours sur des idées acquises et imprimées dans 


394 DES PRINCIPAUX ACTES 


l'organe, mais qui s’operent sans la direction du 
sentiment intérieur de l'individu, parce qu’alors 
cette puissance est suspendue ou troublée dans ses 
fonctions , ou que l’état de l’hypocéphale ne lui 
permet plus de les exécuter. 

Cabanis ne s'étant fait aucune idée du pouvoir de 
notre sentiment intérieur, et ne s'étant point aperçu 
que ce sentiment constitue en nous une puissance 
que le besoin, que le moindre désir, en un mot, 
qu'une pensée excitent et peuvent émouvoir, et 
qu'alors il a la faculté de mettre en action la por- 
tion libre de notre fluide nerveux, et de diriger ses 
mouvements, soit dans notre organe d'intelligence, 
soit dans l'envoi qu'il en fait aux muscles qui doivent 
agir, fut, néanmoins, forcé de reconnaitre que le 
systeme nerveux entre souvent de lui-mème en ac- 
tivité, sans qu'il y soit porté par des impressions 
étrangères, et qu’il peut même écarter ces impres- 
sions et se soustraire à leur influence, puisqu’une 
forte attention, une méditation profonde suspendent 
l'action des organes sentants externes. 

« C’est ainsi, dit ce savant, que s’exécutent les 
opérations de l'imagination et de la mémoire. Les 
notions des objets qu’on se rappelle et qu’on se repré- 
sente, ont bien été fournies, le plus communément 
ilest vrai, par les impressions reçues dans les divers 
organes : mais l’acte qui réveille leur trace; qui les 
offre au cerveau sous leurs images propres, qui met 
cet organe en état d’en former une foule de combi- 


DE L'ENTENDEMENT 305 
naisons nouvelles, ne dépend souvent en aucune 
maniere, de causes situées hors de l'organe sensitif. » 
({Tist. des sensations, p. 168.) 

Cela me parait très-vrai; car, tout est ici le ré- 
sultat du pouvoir du sentiment intérieur de l’indi- 
vidu, ce sentiment pouvant s’émouvoir par une 
simple idée qui fait naitre ce besoin moral qu'on 
nomme le désir; et l’on sait que le désir embrasse 
et porte à exécuter, soit les actions qui exigent le 
mouvement musculaire, soit celles qui donnent lieu 
à nos pensées, nos Jugements, nos raisonnements, 
nos analyses philosophiques, enfin, aux opérations 
de notre imagination. 

Le désir crée la volonté d'agir de l’une ou de 
l’autre de ces deux manières : or, ce désir, ainsi que 
la volonté qu'il entraine, émouvant notre sentiment 
intérieur, le mettent dans le cas d'envoyer du fluide 
nerveux, soit dans telle partie du système musculaire, 
soit dans telle région de l'organe qui produit les 
actes de l'intelligence. 

Si Cabanis, dont l'ouvrage sur les Rapports du 
Physique et du Moral est un fonds inépuisable 
d'observations et de considérations intéressantes, 
eût reconnu la puissance du sentiment intérieur, si, 
ayant pressenti le mécanisme des sensations, 1ln’eùût 
pas confondu la sensibilité physique avec la cause 
des opérations de l'intelligence, s'il eût su recon- 
naître que les sensations ne donnent pas nécessaire- 
ment des idées, mais de simples perceptions, ce qui 


296 DES PRINCIPAUX ACTES 


est très-différent, enfin, s’il eût distingué ce qui 
appartient à lirritabilité des parties, de ce qui est le 
produit de la sensation, quelles lumières son inté- 
ressant ouvrage ne nous eût-il pas procurées ! 
Néanmoins, c’est dans cet ouvrage que lon puisera 
les meilleurs moyens d'avancer cette partie des 
connaissances humaines dont il est ici question, à 
cause de la foule de faits et d'observations qu'ilren- 
ferme. Mais je suis convaincu que ces moyens ne 
seront utilement employés, que lorsqu'on aura fixé 
ses idées sur les distinctions essentielles présentées, 
soit dans ce chapitre, soit dans les autres, qui com 
posent cette Philosophie zoologique. 

Si l’on prend en considération ce qui est exposé 
dans cet article, on se convaincra probablement : 

1° Que la s#némoire a pour siége l'organe même 
de l'intelligence, et qu’elle n’offre, dans ses opéra- 
tions, que des actes qui rappellent des idées déja 
acquises, en nous les rendant sensibles ; 

2 Que les traits, ou les images, qui appartien- 
nent à ces idées, sont nécessairement déjà gravés 
dans quelque partie de l'organe de l’entendement; 

3° Que le sentiment intérieur, ému par une cause 
quelconque, envoie notre fluide nerveux disponible 
sur ceux de ces traits imprimés que l'émotion qu'il 
a reçue, soit d’un besoin, soit d’un penchant, soit 
d’une idée qui éveille l’un ou l’autre, lui fait choi- 
sir, et qu'il nous les rend aussitôt sensibles en rap- 
portant au foyer sensitif les modifications de mouve- 


DE L'ENTENDEMENT 307 
ment que ces traits ont fait acquérir au fluide ner- 
Veux ; 

4 Que lorsque notre sentiment intérieur est sus- 
pendu ou troublé dans ses fonctions, il ne dirige plus 
les mouvements qui peuvent encore agiter notre 
fluide nerveux; en sorte qu'alors, si quelque cause 
agite ce fluide dans notre organe intellectuel, ses 
mouvements rapportent au foyer sensitif des idées 
désordonnées, bizarrement mélangées, sans liaison 
et sans suite; de là, les songes, le délire, etc. 

On voit donc que partout les phénomènes dont il 
s’agit résultent d'actes physiques qui dépendent de 
l’organisation, de son état, de celui des circonstances, 
dans lesquelles se trouve l'individu, enfin, de la 
diversité des causes, pareillement physiques, qui 
produisent ces actes organiques. 

Passons à l'examen de la quatrième et dernière 
sorte des opérations principales de l'intelligence, 
c'est-à-dire de celle de ces opérations qui constitue 
les jugements. 


DU JUGEMENT 


QUATRIÈME DES FACULTÉS PRINCIPALES 
DE L'INTELLIGENCE 


Les opérations de lintelligence qui constituent 
des jugements sont, pour Findividu, les plus impor- 
tantes de celles que son entendement puisse exécuter; 


398 DES PRINCIPAUX ACTES 


et ce sont, en effet, celles dont il peut le moins se 
passer, et dont il a le plus souvent occasion de faire 
usage. 

C'est dans les résultats de cette faculté de juger 
que les déterminations qui constituent la volonté 
d'agir prennent leur source; c’est aussi des actes 
de cette mème faculté que naissent les besoins mo- 
raux, tels que les désirs, les souhaits, les espéran- 
ces, les inquiétudes, les craintes, etc.; enfin, ce 
sont toujours aux suites de nos jugements que sont 
dues celles de nos actions auxquelles notre entende- 
ment a eu quelque part. 

On ne peut exécuter aucune série de pensées sans 
former des jugements; nos raisonnements, nos ana— 
lyses ne sont que le résultat de jugements ; limagi- 
nation même n’a de puissance que par les juge- 
ments, relativement aux modeles ou aux contrastes 
qu’elle emploie pour créer des idées; enfin, toute 
pensée qui n’est point un jugement où qui n'en 
est pas accompagnée, n’est qu'un acte de mémoire, 
ou ne constitue qu'un examen où une comparaison 
sans résultat. 

Combien donc n’importe-t-il pas à tout être doué 
d’un organe pour l'intelligence de s’habituer à exer- 
cer son ÿ“gement, et de s’efforcer de le rectifier 
oraduellement, à l’aide de lobservation et de 
l'expérience ; car alors il exerce à la fois son en- 
tendement et il en augmente proportionnellement 
les facultés ! 


DE L'ENTENDEMENT 399 


Cependant, si l’on considere la grande généralité 
des hommes, on voit que les individus qui la com- 
posent, dans toutes les occasions où il ne s’agit pas 
d’un besom ou d’un danger pressant , jugent rare- 
ment par eux-mêmes, et s’en rapportent au juge- 
ment des autres. 

Cet obstacle aux progrès de l'intelligence indivi- 
duelle n’est pas seulement le produit de la paresse, 
de l’insouciance, où du défaut de moyens, il est, en 
outre, celui de l'habitude que lon a fait contracter 
aux individus, dès leur enfance et dans leur jeu- 
nesse, de croire sur parole, et de soumettre toujours 
leur jugement à une autorité quelconque. 

Ayant, en peu de mots, fait sentir l’importance 
du jugement, et celle surtout de le former par 
l'exercice, et de le rectifier de plus en plus par 
l'expérience, examinons maintenant ce que c’est que 
le jugement lui-mème , et par quel mécanisme cette 
opération de l'intelligence peut s’exécuter. 

Tout jugement est un acte très-particulier que 
le fluide nerveux exécute dans l'organe de l’intelli- 
gence, dont il trace ensuite le résultat dans l'organe 
mème, quil rapporte aussitôt apres au sentiment 
intérieur, c'est-à-dire à la conscience de l'individu. 
Or, cet acte résulte toujours d’une comparaison 
exécutée, ou de rapports recherchés entre des idées 
acquises. 

Voici le mécanisme probable de l’acte physique 
dont il est question , car c’est le seul qui me paraisse 


400 DES PRINCIPAUX ACTES 


capable d’y donner lieu, et qui soit conforme aux 
produits connus de la loi des mouvements réunis 
ou combinés. 

Les idées gravées occupent, sans doute, chacune 
dans l'organe, une place particulière : or , lorsque 
le fluide nerveux agité traverse à la fois les traits 
de deux idées différentes, ce qui a lieu dans la 
comparaison de ces deux idées, 1l est alors partagé 
nécessairement en deux masses séparées, dont l’une 
arrive sur la première des deux idées, tandis que 
l’autre masse rencontre la seconde. De part et d’au- 
tre, ces deux masses de fluide nerveux recoivent 
chacune de la part des traits qu'elles traversent, 
une modification dans leur mouvement, qui est 
particulière à lidée qu'elles ont rencontrée. On 
conçoit de là, que, si ensuite ces deux masses se 
réunissent en une seule, elles combineront aussitôt 
leurs mouvements, et que, dès lors, la masse com- 
mune aura un mouvement composé, qui sera moyen 
entre les deux sortes de mouvements qui se seront 
combinées. 

Ainsi, l’acte physique qui donne lieu à un juge- 
ment est probablement constitué par une opération 
du fluide nerveux qui, dans ses mouvements, se 
répand sur les traits imprimés des idées que l’on 
compare ; et il paraît consister en autant de mouve- 
ments particuliers du fluide en question, qu'il y a 
d'idées comparées, et de portions de ce fluide qui 
traversent les traits de ces idées. Or, ces portions 


DE L’ENTENDEMENT - 401 


séparées du même fluide, qui ont chacune un mouve- 
ment particulier, venant toutes à se réunir, forment 
une masse dont le mouvement est composé de tous 
les mouvements particuliers cités ; et ce mouvement 
composé imprime alors, dans l’organe, de nouveaux 
traits, c’est-à-dire une idée nouvelle, qui est le 
jugement dont il agit. 

Cette idée nouvelle est aussitôt rapportée au sen- 
timent intérieur de l'individu ; il en a le sentiment 
moral ; et si elle fait naître en lui un besoin, pareil- 
lement moral, elle donne lieu à sa volonté d'agir 
pour y satisfaire. 

Indépendamment de linexpérience et des suites 
de l'habitude de juger presque toujours d'apres les 
autres, des causes nombreuses et différentes concou- 
rent à altérer les jugements, c'est-à-dire à rendre 
moins parfaite leur rectitude. 

Les unes de ces causes tirent leur origine de 
limperfection mème des comparaisons exécutées, 
et de la préférence que, selon les lumières, le goût 
particulier et l’état individuel, que l’on donne à 
telle idée sur telle autre ; en sorte que les véritables 
éléments qui entrent dans la formation de ces juge- 
ments sont incomplets. [Il n’y a, dans tous les temps, 
qu'un petit nombre d'hommes qui, susceptibles 
d'une attention profonde, et à force de s'être 
exercés à penser, et d’avoir mis à profit expérience, 
puissent se soustraire à ces causes d’altérations dans 
leurs jugements. 


LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 26 


402 DES PRINCIPAUX ACTES 


Les autres, auxquelles il est difficile d'échapper, 
prennent leurs sources : 1° dans l’état même de 
notre organisation qui altére les sensations dont 
nous nous formons des idées ; 2° dans l'erreur où 
nous entrainent souvent certaines de nos sensations ; 
3° dans les influences que nos penchants, nos passions 
mèmes exercent sur notre sentiment intérieur, le 
portant à donner aux mouvements qu'il imprime à 
notre fluide nerveux des directions différentes de 
celles qu'il leur aurait données sans ces influences, 
elcs, letc: 

Ayant déjà traité de ce qui concerne le jugement 
dans le chapitre vi de cette partie, je sortirais du 
plan que je me suis tracé, et des bornes qu'il exige, 
si j'entrais dans les détails des causes nombreuses 
qui contribuent à altérer le jugement, et si j'entre- 
prenais de les développer. Il suffit à l'objet que j'ai 
en vue de faire remarquer que quantité de causes 
nuisent, en général, à la rectitude des jugements que 
nous exécutons ; et qu'a cet égard, 1} y a autant de 
diversite dans les jugements des hommes, qu'il y 
en à dans l’état physique, les circonstances, les 
penchants, les lumières, le sexe, l’âge, etc. , des 
individus. 

Que lon ne s'étonne donc point de la discordance 
constante, mais non générale, que l’on observe 
dans les jugements que l'on porte sur une pensée, 
un raisonnement, un ouvrage, enfin, un sujet quel- 
conque, dans lesquels chacun ne peut voir que ce 


DE L'ENTENDEMENT 403 
qu'il a jugé lui-même, que ce qu'il peut concevoir, à 
raison de la nature et de l’étendue de ses connaissan- 
ces, en un mot, que ce qu'il peut saisir, selon le degré 
d'attention qu'il peut donner aux sujets qui s'offrent à 
sa pensée. Que de personnes, d’ailleurs, se sont fait 
une habitude de ne juger presque rien par elles- 
mêmes, et, conséquemment, de s’en rapporter, à 
peu près, sur tout au jugement des autres ! 

Ces considérations, qui me semblent prouver que 
les jugements Sont assujettis à différents degrés de 
rectitude , et que cette rectitude n’atteint que le 
degré qui est relatif aux circonstances qui concer- 
nent chaque individu, m'amenent naturellement à 
dire un mot de la raison, à examiner ce qu'elle 
peut ètre, et à la comparer avec l'instinct. 


DE LA RAISON 


ET DE SA COMPARAISON AVEC L'INSTINCT 


La raison n'est pas une faculté; elle est bien 
moins encore un flambeau, un être quelconque ; mais 
cest un état particulier des facultés intellectuelles 
de Pindividu; état que lexpérience fait varier, 
améliore graduellement et qui rectifie les jugements, 
selon que individu exerce son intelligence. 

Ainsi, la raison est une qualité susceptible d’être 
possédée dans différents degrés, et cette qualité ne 


4104 DES PRINCIPAUX ACTES 


peut ètre reconnue que dans un être qui jouit de 
quelques facultés intellectuelles. 

En derniere analyse, on peut dire que, pour tout 
individu doué de quelque intelligence, la 7'aison 
n'est autre chose qu'un degré acquis dans la rec- 
hitude des jugements. 

À peine sommes-nous nés, que nous éprouvons 
des sensations, surtout de la part des objets exté- 
rieurs qui affectent nos sens ; bientôt nous àcqué- 
rons des idées qui se forment en nous à la suite des 
sensations remarquées; et bientôt, encore, nous 
comparons, presque machinalement, les objets re- 
marqués et nous formons des jugements. 

Mais alors, nouveaux au milieu de tout ce qui 
nous entoure, dépourvus d'expérience, et abusés par 
plusieurs de nos sens, nous jugeons mal ; nous nous 
trompons sur les distances, les formes, les couleurs 
et la consistance des objets que nous remarquons, 
et nous ne saisissons pas les rapports qu'ils ont 
entre eux. Il faut que plusieurs de nos sens concou- 
rent chacun et successivement à détruire peu à peu 
nos erreurs et à rectifier les jugements que nous 
formons ; enfin, ce n’est qu'a l’aide du temps, de 
expérience et de l'attention donnée aux objets qui 
nous affectent, que la rectitude de nos jugements 
s'opère par degrés. 

La mème chose a lieu à l'égard de nos idées 
complexes, des vérités utiles et des règles où pré- 
ceptes qu'on nous communique. Ce n'est qu'au 


DE L’'ENTENDEMENT 105 


moyen de beaucoup d'expérience et de mémoire 
pour rassembler tous les éléments d’une consé- 
quence, en un mot, qu'au moyen du plus grand 
exercice de notre entendement, que nos jugements, 
à l'égard de ces objets, se rectifient graduellement. 

De là, la différence considérable qui existe entre 
les jugements de l'enfance et ceux de la jeunesse ; 
de là encore, la différence qui se trouve entre les 
jugements d’un jeune homme de vingt ans et ceux 
d'un homme de quarante ou davantage, l'intelligence, 
de part et d'autre, ayant toujours été également 
exercée. 

Le plus ou le moins de rectitude dans nos juge- 
ments sur toutes choses, et particulièrement sur les 
objets ordinaires de la vie et de nos relations avec 
nos semblables, constituant le plus ou le moins de 
raison que nous possédons, cette qualité n’est donc 
qu'un degré quelconque acquis dans la rectitude des 
jugements dont il s’agit ; et comme les circonstances 
dans lesquelles chacun se trouve, les habitudes, le 
tempérament, etc., etc., entraînent une grande di- 
versité dans l'exercice de l’entendement, c’est-à-dire 
dans la manière de penser, d'examiner et de juger, 
il y a donc des différences réelles entre les juge- 
ments qui sont formés. 

Ainsi, la raison n’est point un objet particulier, 
un être quelconque que lon puisse posséder ou ne 
pas posséder, mais c’est un état de l’organe de 
l’entendement, duquel résulte un degré plus ou 


406 DES PRINCIPAUX AGTES 


moins grand dans la rectitude des jugements de 
l'individu ; en sorte que. tout être qui possède un 
organe pour l’entendement, qui a des idées et qui 
exécute des jugements, a nécessairement un degré 
quelconque de raison, selon son espece, son âge, 
ses habitudes, et selon différentes circonstances qui 
concourent à retarder, où à avancer, ou à rendre 
stationnaires ses progres dans la rectitude de ses 
jugements. 

Comme l'attention donnée aux objets qui produi- 
sent en nous des sensations, est la seule cause qui 
fait que ces sensations peuvent occasionner en nous 
des idées, il est évident que plus, par suite de 
l'exercice de cette faculté, nous nous rendons capa- 
bles d'attention, et surtout d’une attention soutenue 
et profonde, plus nos idées deviennent claires, sont 
justement limitées, et plus les jugements que nous 
formons avec de pareilles idées ont de recthitude. 

Il suit de là que le degré de raison le plus élevé, 
est celui qui provient d’une grande clarté dans les 
idées , et d’une reclitude , presque générale, dans 
les jugements. 

L'homme, beaucoup plus capable qu'aucun autre 
être intelligent de cette attention profonde et sou— 
tenue, et pouvant la fixer sur un grand nombre 
d'objets différents , est le seul qui puisse avoir une 
multitude, presque infinie, d'idées claires, et qui 
forme, par conséquent, des jugements doués de la 
rectitude la plus générale, mais il faut, pour cela, 


DE L’'ENTENDEMENT 407 


qu'il exerce fortement et habituellement son intelli- 
gence, et que les circonstances qui peuvent lui être 
favorables y concourent. 

D’apres ce qui vient d'être exposé, la raison 
n'étant qu'un degré quelconque dans la rectitude des 
jugements, et tout être, doué d'intelligence, pouvant 
exécuter des jugements, ceux qui sont dans ce cas 
jouissent, conséquemment, d’un degré quelconque 
de raison. 

En effet, si l’on compare les idées et les jugements 
de l’animal intelligent, qui est encore jeune et inex- 
périmenté, aux idées et aux jugements du même 
animal, parvenu à l’âge de Fexpérience acquise, 
on verra que la différence qui se trouve entre ces 
idées et ces jugements se montre, dans cet animal, 
tout aussi clairement que dans l’homme. Une recti- 
fication graduelle dans les jugements, et une clarté 
croissante dans les idées, remplissent, dans l’un et 
dans l’autre, l'intervalle qui sépare le temps de 
leur enfance de celui de leur âge mûr. L'âge de 
l'expérience et de tous les développements terminés, 
se distingue éminemment de celui de Pinexpérience 
et du peu de développement des facultés, dans cet 
animal, de même que dans l’homme. De part et 
d'autre, on reconnait les mêmes caractères et la 
même analogie dans les progrès qui peuvent s’acqué- 
rir ; il n'y a que du plus ou du moins, selon les 
especes. 

Il y a donc aussi, chez les animaux qui possèdent 


408 DES PRINCIPAUX ACTES 


un organe spécial pour l'intelligence, différents 
degrés dans la rectitude des jugments, et, consé- 
quemiment, différents degrés de raison. 

Sans doute, le degré le plus élevé de la raison 
donne à l’homme, qui en est doué, la perception de 
la convenance ou de linconvenance, soit de ses 
propres idées ou de ses opinions , soit des idées ou 
des opinions des autres; mais cette perception, 
qui est un jugement, n’est pas le propre de tous les 
hommes. A la place de cette juste perception, qui 
résulte d’une intelligence très-exercée, ceux qui ne 
la possèdent pas, y en substituent une fausse, et 
comme celle-ci est le résultat de leurs moyens, ils 
la croient juste. De là, cette diversité d'opinions et 
de jugements dans les individus de l'espèce humaine, 
laquelle s’opposera toujours à ce qu'il y ait un accord 
réel entre les idées et les jugements de ces individus, 
par la raison que les hommes, se trouvant chacun 
dans des circonstances fort différentes, ne peuvent, 
par conséquent, arriver au même degré de raison. 

Maintenant, si nous comparons la raison avec 
l'instinct, nous verrons que la premiere, dans un 
degré quelconque, donne lieu à des déterminations 
d'agir qui prennent leur source dans des actes d’in- 
telligence, c’est-à-dire dans des idées, des pensées 
et des jugements, et que l’enstinct, au contraire, 
est une force qui entraine vers une action, sans 
détermination préalable, et sans qu'aucun acte d’in- 
telligence y ait la moindre part. 


DE L’ENTENDEMENT 409 


Or, la raison n'étant qu'un degré acquis dans la 
rectitude des jugements, les déterminations d’action 
qui en proviennent, peuvent être mauvaises où Incon- 
venables, lorsque les jugements qui les produisent 
sont erronés, où faux en tout ou en quelque point. 

Mais l'instinct, qui n’est qu'une force qui entraine 
et qui est le produit du sentiment intérieur qu'un 
besoin quelconque émeut, ne se trompe point à 
l'égard de l’action à exécuter, car il ne choisit point, 
ne résulte d'aucun jugement, et n’a réellement point 
de degrés. Toute action que fait exécuter linstinc! 
est donc toujours le résultat de l'espèce d’excitation 
produite par le sentiment intérieur de lindividu, 
comme tout mouvement communiqué à un corps est 
toujours, dans sa direction et sa force, le produit 
de la puissance qui l’a communiqué. 

Il n’y a rien qui soit clair et véritablement exact 
dans l’idée qu'a eue Cabanis d'attribuer le raison- 
nement à des sensations extérieures, et linstinct 
à des impressions intérieures. Toutes nos impres- 
sions sont toujours intérieures, quoique les objets 
quiles causent soient tantôt extérieurset tantôt imté- 
rieurs. L'observation de ce qui se passe à cet égard 
doit nous montrer qu'il est plus juste de dire : 

Que les raisonnements et que les déterminations 
qui sont la suite de jugements prennent leur source 
dans les opérations de l'intelligence, tandis que 
l'instinct, qui fait exécuter quelque action, prend la 
sienne dans des besoins et des penchants qui émeu- 


410 DES PRINCIPAUX ACTES 


vent immédiatement le sentiment intérieur de Pindi- 
vidu, et le font agir sans choix, sans délibération, 
en un mot, sans que l'intelligence y ait aucune part. 

Les actions de certains animaux sont donc quel- 
quefois le produit de déterminations rationnelles, et 
plus souvent celui d’une force énstinctire. 

Si l’on donne quelque attention aux faits et aux 
considérations présentés dans le cours de cet ou- 
vrage, on sentira qu'il y a nécessairement des ani- 
maux qui n'ont ni raison, ni instinct, tels que ceux 
qui sont dépourvus de la faculté de sentir, qu'il y en 
a d’autres qui ont de l’éns/inct, mais quine possèdent 
aucun degré de raison, tels que ceux qui ont un 
système sensitif et qui manquent d’organe pour l’in- 
telligence, enfin, qu'il y en a d’autres, encore, qui 
ont de l'instinct, plus un degré quelconque de 7'a- 
son, tels que ceux qui possédent un système pour 
les sensations et un autre pour les actes de l’enten- 
dement. L'instinct de ces derniers est la source de 
presque toutes leurs actions, et ils font rarement 
usage du degré de raison qu'ils possedent. L'homme, 
qui vient ensuite, a aussi de l'instinct qui, dans cer- 
taines circonstances, le fait agir, mais il est suscep- 
tible d'acquérir beaucoup de raison, et de l'employer 
à diriger la plupart des actions qu'il exécute. 

Outre la raison individuelle dont je viens de 
parler, il s'établit dans chaque pays et chaque ré- 
gion du globe, selon les lumières des hommes qui 
les habitent et selon quelques autres causes influen- 


DE L'EXTENDEMENT AN 


tes, une raison publique, où à peu près générale, 
qui se maintient Jusqu'à ce que des causes nouvelles 
et suffisantes viennent la changer. Or, de part et 
d'autre, la raison individuelle et la raison publique 
sont toujours constituées par un degré quelconque 
dans la rectitude des jugements. 

Il y à, en effet, un assentiment général dans une 
société, ou dans une nation, pour une erreur, pour 
une opinion fausse , ainsi que pour une vérité re 
connue ; en sorte que des erreurs, des préjugés et 
des vérités diverses, composent les produits de l’état 
de rectitude des jugements, soit dans les individus, 
soit dans les opinions admises dans des sociétés, des 
corps , des nations, selon les siècles ou les temps 
considérés. 

On doit done reconnaitre les progres plus ou 
moins grands de la ra/son dans un peuple, dans 
une société, de même que dans un individu. 

Les hommes qui s'efforcent, par leurs travaux, de 
reculer les limites des connaissances humaines, 
savent assez qu'il ne leur suffit pas de découvrir et 
de montrer une vérité utile qu’on ignorait, et qu'il 
faut encore pouvoir la répandre et la faire recon- 
naître; or, la raison individuelle et la raison 
publique, quise trouvent dans le cas d’en éprouver 
quelque changement, y mettent, en général, un 
obstacle tel, qu'il est souvent plus difficile de faire 
reconnaitre une vérité que de la découvrir. Je laisse 
ce sujet sans développement, parce que je sais que 


412 DES PRINCIPAUX ACTES DE L’'ENTENDEMENT 


mes lecteurs y suppléeront suffisamment, pour peu 
qu'ils aient d'expérience dans lobservation des 
causes qui déterminent les actions des hommes. 

En finissant ce chapitre sur les principaux actes de 
l’entendement, je termine en même temps ce que je 
m'étais proposé d'offrir à mes lecteurs dans cet 
ouvrage. 

Malgré les erreurs dans lesquelles j'ai pu me 
laisser entraîner en le composant, ilest possible qu’il 
contienne des idées et des considérations qui soient 
utiles, d’une manière quelconque, à l’avancement 
de nos connaissances, jusqu'à ce que les grands 
sujets dont j'ai osé m'y occuper soient traités de 
nouveau par des hommes capables d'y répandre 
plus de lumières. 


FIN DU SECOND ET DERNIER TOME 


AIAD'ELIONS 


RELATIVES AUX CHAPITRES VII ET VIII 
DE LA PREMIÈRE PARTIE 


Dans les derniers jours de juin 1S09, la ménage- 
rie du Muséum d'histoire naturelle ayant recu un 
phoque, connu sous le non de veau marin {phoca 
vitulina), et qui fut envoyé vivant de Boulogne, j'ai 
eu occasion d'observer les mouvements et les habi- 
tudes de cet animal. Depuis, je crois plus fortement 
encore que cet amphibie est beaucoup plus voisin 
par ses rapports des mammifères onguiculés que des 
autres, quelques grandes que soient les différences 
de sa forme générale comparée à celle de ces mam- 
miferes. 

Ses pieds de derrière, quoique forts courts, ainsi 
que ceux de devant, sont très-libres, bien séparés 
de la queue , qui est petite, mais tres-distincte, et 
peuvent se mouvoir avec facillité de différentes 
manières ; 11s peuvent même saisir les objets, comme 
de véritables mains. 


414 ADDITIONS 


J'ai remarqué que cet animal réunit à volonté ses 
pieds de derrière, comme nous joignons les mains, 
et qu'alors, écartant les doigts, entre lesquels 11 y a 
des membranes, il en forme une palette assez large, 
dont il fait usage lorsqu'il se déplace dans l’eau, de 
la même manière que les poissons se servent de leur 
queue en nageoire. 

Ce phoque se traîne assez rapidement sur la terre, 
à l’aide d’un mouvement d’ondulation du corps, ne 
s’aidant nullement de ses pieds postérieurs, qui res- 
tent alors dans l’inaction et sont étendus. En se 
trainant ainsi, il ne retire quelques secours de ses 
pieds antérieurs qu'en appuyant le bras jusqu’au 
poignet, sans se servir particulièrement de la main. 
Il saisit sa proie, soit avec les pieds postérieurs, 
soit avec la gueule, et quoiqu'il se serve quelquefois 
de ses mains antérieures pour rompre la proie qu'il 
tient dans la gueule, il paraît que ces mains lui sont 
principalement utiles pour nager ou se déplacer 
dans l’eau. Enfin, comme cet animal se tient sou- 
vent assez longtemps de suite sous l’eau, où même 
il mange à son aise, j'ai remarqué qu'il ferme faci- 
lement et complétement les narines, comme nous 
fermons les yeux, ce qui lui est très-utile lorsqu'il 
est enfoncé dans le liquide qu'il habite. 

Comme ce phoque ‘est très-connu, je n’en ferai 
pas la description. Mon objet ici est seulement de 
faire remarquer que les amphibies n’ont les pieds de 
derrière disposés dans la mème direction que axe 


ADDITIONS 4io 


de leur corps, que parce que ces animaux se trou- 
vent contraints de les employer habituellement à en 
former une nageoire caudale, en les réunissant et en 
élargissant, par l’écartement de leurs doigts, la 
palette qui résulte de leur réunion. Alors ils peuvent, 
avec cette nageoire artificielle, frapper l’eau, soit à 
droite, soit à gauche, hâter leur déplacement et 
varier sa direction. 

Les deux pieds postérieurs des phoques étant si 
souvent employés à former une nageoire par leur 
réunion, n'auraient pas seulement cette direction en 
arrière qui leur fait continuer l'allongement du 
corps, mais ils se seraient tout à fait réunis ensem- 
ble, comme dans les morses, si les animaux dont il 
s’agit ne s’en servaient aussi trèés-souvent pour sai- 
sir et emporter leur proie. Or, les mouvements par- 
ticuliers que ces actions exigent ne permettent pas 
aux pieds postérieurs des phoques de se réunir 
entierement, mais seulement de le faire instantané- 
ment. 

Les morses, au contraire, qui se sont habitués à 
se nourrir des herbes qu'ils viennent brouter sur les 
rivages, n’employant jamais leurs pieds de derrière 
qu'à former une nageoire caudale, ces pieds, dans 
la plupart, se sont tout à fait réunis ensemble, 
ainsi qu'avec la queue, et ne peuvent plus se séparer. 

Ainsi, dans des animaux d’origine semblable, 
voilà une nouvelle preuve du produit des habitudes 


sur la forme et l’état des organes, preuve que 


A 


416 ADDITIONS 


J'ajoute à toutes celles que j'ai déja exposées dans 
le chapitre vu de la première partie de cet ouvrage. 

Je pourrais en ajouter encore une autre très-frap- 
pante, relativement aux mammiferes, pour qui le 
vol semble être une faculté très-étrangere, en 
montrant comment, depuis ceux des mammiferes 
qui ne peuvent faire qu’un saut très-prolongé, jus- 
qu'à ceux qui volent parfaitement, la nature a 
produit graduellement les extensions de la peau de 
animal, de maniere à lui donner à la fin la faculté 
de voler comme les oiseaux, sans qu’il ait pour cela 
plus de rapports avec eux dans son organisation. 

En effet, les écureuils volants (sciurus volans, 
aerobates, petaurisla, sagitta, volucella), moins 
anciens que ceux que je vais citer, dans l'habitude 
d'étendre leurs membres en sautant, pour se former 
de leur corps une espèce de parachute, ne peuvent 
faire qu'un saut très-prolongé lorsqu'ils se jettent 
en bas d’un arbre, ou sauter d’un arbre sur un 
autre qu'à une médiocre distance. Or, par des répé- 
titions fréquentes de pareils sauts dans les individus 
de ces races, la peau de leurs flancs s’est dilatée de 
chaque côté en une membrane lâche qui réunit les 
pattes postérieures à celles de devant, et qui, 
embrassant un grand volume d’air , les empêche de 
tomber brusquement. Ces animaux sont encore sans 
membranes entre les doigts. 

Les galéopithèques (leur volans), plus anciens 
sans doute dans la mème habitude que les écureuils 


ADDITIONS 417 


volants (pferomis Geoffr.), ont la peau des flancs 
plus ample, plus développée encore, réunissant non- 
seulement les pattes postérieures aux antérieures, 
mais en outre les doigts entre eux et la queue avec 
les pieds de derrière. Or, ceux-là exécutent de 
plus grands sauts que les précédents, et forment 
même une espèce de vol. 

Enfin, les chauve-souris diverses sont des mam- 
mifères probablement bien plus anciens encore que 
les galéopithèques, dans l'habitude d'étendre leurs 
membres et mêmes leurs doigts pour embrasser un 
grand volume d'air, et se soutenir lorsqu'ils s’élan- 
cent dans l'atmosphère. 

De ces habitudes, depuis si longtemps contractées 
et conservées, les chauve-souris ont obtenu non- 
seulement des membranes latérales, mais en outre 
un allongement extraordinaire des doigts de leurs 
mains antérieures (à l'exception du pouce), entre 
lesquels il y a des membranes très-amples qui les 
unissent ; en sorte que ces membranes des mains de 
devant, se continuant avec celles des flancs et avec 
celles qui unissent la queue aux deux pattes posté- 
rieures, constituent pour ces animaux de grandes 
ailes membraneuses avec lesquelles ils volent parfai- 
tement, comme chacun sait. 

Tel est donc le pouvoir des habitudes, qu’elles 
influent singulièrement sur la conformation des 
parties, et qu’elles donnent aux animaux qui en ont 
depuis longtemps contracté certaines , des facultés 


LAMARCK, FHIL,. ZOOL. Il. 21 


418 ADDITIONS 


que ne possèdent pas ceux qui en ont pris d’autres. 

A l’occasion des amphibies dont j'ai parlé tout à 
l'heure, je me plais à communiquer ici à mes lecteurs, 
les réflexions suivantes, que tous les objets que j'ai 
pris en considération dans mes études ont fait nai- 
tre et me semblent de plus en plus confirmer. 

Je ne doute nullement que les mammifères ne 
soient réellement originaires des eaux, et que 
celles-ci ne soient le véritable berceau du règne 
animal entier. 

Effectivement, on voit encore que les animaux les 
moins parfaits, et ce sont les plus nombreux, ne 
vivent que dans l’eau, comme je l'ai dit ( vol. I, 
p. 78-79), que c’est uniquement dans l’eau, ou dans 
des lieux très-humides, que la nature a opéré et 
opère encore dans les circonstances favorables, des 
générations directes où spontanées qui font exister 
les animalcules les plus simples en organisation, et 
que de ceux-ci sont provenus successivement tous 
les autres animaux. 

On sait que les énfusoires, les polypes et les 
radiaires ne vivent que dans les eaux, que les vers 
mêmes n’habitent, les uns que dans l’eau et les 
autres que dans des lieux très-humides. 

Or, relativement aux vers, qui paraissent former 
une branche initiale de l’échelle des animaux, 
comme il est évident que les #nfusoires forment 
l’autre branche , on peut penser que ceux d’entre 
eux qui sont tout à fait aquatiques, c’est-à-dire qui 


ADDITIONS 419 


n’habitent point le corps des autres animaux, tels 
que les gordrus et bien d’autres que nous ne connais- 
sons pas encore, se sont, sans doute, très-diversifiés 
dans les eaux ; et que, parmi ces vers aquatiques, 
ceux qui, ensuite, se sont habitués à s’exposer à 
l'air, ont probablement produit les insectes amphi- 
bies, tels que les cousins, les éphémères, etc., etc., 
lesquels ont amené successivement l’existence de 
tous les 2nsectes qui vivent uniquement dans l'air. 
Mais plusieurs races de ceux-ci, ayant changé leurs 
habitudes par des circonstances qui les y ont portées, 
et contracté celles de vivre solitairement, retirées 
ou cachées, ont donné lieu à l'existence des arach- 
nides qui, presque toutes, vivent aussi dans l’air. 

Enfin, celles des arachnides qui ont fréquenté les 
eaux, qui se sont ensuite progressivement habituées 
a vivre dans leur sein, et qui ont fini par ne plus 
s'exposer à l'air, ce qu'indiquent assez les rapports 
qui lient les scolopendres aux iules, celles-ci aux 
cloportes, et ces derniers aux aselles, crevetles, etc., 
ont amené l'existence de tous les crustacés. 

Les autres vers aquatiques, qui ne se sont jamais 
exposés à l'air, multipliant et diversifiant leurs 
races avec le temps, et faisant à mesure des progrès 
dans la composition de leur organisation, ont amené 
la formation des annelides, des cirrhipèdes et des 
mollusques, lesquels forment ensemble une portion 
non interrompue de l’échelle animale, 

Malgré l’hiatus considérable qui se trouve pour 


420 ADDITIONS 


nous entre les srullusques connus et les poissons, 
néanmoins, les mollusques, dont je viens d'indiquer 
lorigne, ont, par l'intermédiaire de ceux qui nous 
restent à connaître, amené l’existence des poissons, 
comme il est évident que ceux-ci ont donné lieu à 
celle des reptiles. 

En continuant de consulter les probabilités sur 
l'origine des différents animaux, on ne peut douter 
que les reptiles, par deux branches distinctes que 
les circonstances ont amenées, n’aient donné lieu, 
d’un côté, à la formation des oseaux, et de l’autre, 
à celle des mammifères amplhibres, lesquels don- 
nèrent lieu, à leur tour, à celle de tous les autres 
mammifères. 

En effet, les poissons ayant amené la formation 
des reptiles batraciens, et ceux-ci celle des rep- 
tiles ophidiens, qui, les uns et les autres, n’ont 
qu'une oreillette au cœur, la nature parvint facile- 
ment à donner un cœur à oreillette double aux au- 
tres reptiles qui constituent deux branches particu- 
lières ; ensuite elle vint facilement à bout de former, 
dans les animaux qui furent originaires de chacune 
de ces branches, un cœur à deux ventricules. 

Ainsi, parmi les reptiles dont le cœur a une 
oreillette double, d’une part , les chélomens parais- 
sent avoir donné l’existence aux oiseaux, car, 
indépendamment de plusieurs rapports qu'on ne 
peut méconnaître, si je plaçais la tête d’une tortue 
sur le cou de certains oiseaux, je n’apercevrais 


ADDITIONS A21 


presque aucune disparate dans la physionomie 
générale de Fanimal factice; et de lautre part, 
les sauriens, surtout les planicaudes, tels que les 
crocodiles , semblent avoir procuré lexistence 
aux mammifères amphibies. 

Si la branche des chéloniens a donné lieu aux 
oiseaux , on peut encore présumer que les oiseaux 
aquatiques palmipèdes , surtout parmi eux les bré- 
vipennes, tels que les pirgouins et les manchots, 
ont amené la formation des monotrèmes. 

Enfin, si la branche des sauriens a donné lieu aux 
mammifères amphibies, À sera de toute probabilité 
que cette branche est la source où tous les mammi- 
fères ont puisé leur origine. 

Je me crois done autorisé à penser que les mam- 
miferes terrestres proviennent originairement de 
ceux des mammiferes aquatiques que nous nommons 
amphibies. Car ceux-ci s'étant partagés en trois 
branches, par la diversité des habitudes qu'ils pri- 
rent à la suite des temps, les uns amenérent la 
formation des céfacés, les autres celle des mammi- 
fères ongulés, et les autres encore celle des différents 
mammifères onguiculés connus. 

Par exemple, ceux des amplibres qui conservérent 
l'habitude de se rendre sur les rivages, se divise 
rent dans la manière de se nourrir. Les uns, parmi 
eux, s’habituant à brouter l'herbe, tels que les 
morses et les laimantins , amenèrent peu à peu la 
formation des mammifères ongulés, tels que les 


422 ADDITIONS 


pachidermes, les ruminants, etc. ; les autres, tels 
que les phoques, contractant l'habitude de ne se 
nourrir que de poissons et d'animaux marins, ame- 
nerent l'existence des mammiferes onguiculés , par 
le moyen de races qui, en se diversifiant, devinrent 
tout à fait terrestres. 

Mais ceux des mammifères aquatiques qui con- 
tractèrent l'habitude de ne jamais sortir des eaux, 
et seulement de venir respirer à leur surface, don- 
nerent probablement lieu aux différents cétacés que 
nous connaissons. Or, l'antique et complète habi- 
tation des cétacés dans les mers a tellement modifié 
leur organisation, qu'il est maintenant tres-difficile 
de reconnaitre la source où ils ont pris leur ori- 
gine. 

En effet, depuis l'énorme quantité de temps que 
ces animaux vivent dans le sein des mers , ne se 
servant jamais de leurs pieds postérieurs pour saisir 
les objets, ces pieds non employés ont tout à fait 
disparu, ainsi que leurs os, et même le bassin qui 
leur servait de soutien et d'attache. 

L’altération que les céfacés ont reçue, dans leurs 
membres , de l’influence du milieu dans lequel ils 
habitent, et des habitudes qu'ils y ont contractées, 
se montre aussi dans leurs pieds de devant qui, 
entièrement enveloppés par la peau, ne montrent 
plus au dehors les doigts qui les terminent, en sorte 
qu'ils n’offrent de chaque côté qu'une nageoïire qui 
contient le squelette d’une main cachée. 


ADDITIONS 425 


Assurément, les cétacés étant des mammiferes, 1l 
entrait dans le plan de leur organisation d’avoir 
quatre membres comme tous les autres, et par 
conséquent un bassin pour le soutien de leurs mem- 
bres postérieurs. Mais ici, comme ailleurs, ce qui 
leur manque est le produit d’un avortement occa- 
sionné, à la suite de beaucoup de temps, par le 
défaut d'emploi de parties qui ne leur étaient plus 
d'aucun usage. Si l’on considère que, dans les 
phoques où le bassin existe encore, ce bassin est 
appauvri, resserré et sans saillie sur les hanches, on 
sentira que le médiocre emploi des pieds postérieurs 
de ces animaux en doit être la cause, et que si cet 
emploi cessait entièrement, les pieds de derriere et 
le bassin même pourraient à la fin disparaître. 

Les considérations que je viens de présenter ne 
paraitront, sans doute, que de simples conjectures, 
parce qu'il n’est pas possible de les établir sur des 
preuves directes et positives. Mais si l’on donne 
quelque attention aux observations que j'ai expo- 
sées dans cet ouvrage, et si ensuite l’on examine 
bien les animaux que j'ai cités, ainsi que le produit 
de leurs habitudes et des milieux qu'ils habitent, on 
trouvera que ces conjectures acquierent, par cet 
examen, une probabilité des plus éminentes. 

Le tableau suivant pourra faciliter l'intelligence 
de ce que je viens d'exposer. On y verra que, dans 
mon opinion, l'échelle animale commence au moins 
par deux branches particulières, et que, dans le 


424 ADDITIONS 


cours de son étendue, quelques rameaux paraissent 
la terminer en certains endroits. 


TABLEAU 
SERVANT A MONTRER L'ORIGI NE DES DIFFÉRENTS 
ANIMAUX 
Vers. Infusoires. 
Polypes. 
Radiaires. 
Insectes, 
Arachnides. 
Annelides, Crustacés. 
Cirrhipèdes. 
Mollusques. 
Poissons. 
Reptiles. 


Oiseaux. 


Monotrèmes. ‘ 
M. Amphibies. 


M. Cétaces. 


M. Ongules. 


M. Onguiculés. 


ADDITIONS 425 


Cette série d'animaux commençant par deux 
branches où se trouvent les plus imparfaits, les 
premiers de chacune de ces branches ne recoivent 
l'existence que par génération directe ou spontanée. 

Une raison puissante nous empêche de recon— 
naître les changements successivement opérés, qui 
ont diversifié les animaux connus, et les ont amenés 
à l’état où nous les observons, c’est que nous ne 
sommes jamais témoins de ces changements. Ainsi, 
nous observons les opérations faites, mais ne Îles 
voyant jamais s’exécuter, nous sommes naturelle- 
ment portés à croire que les choses ont toujours été 
telles que nous les voyons,-et non qu'elles se sont 
effectuées progressivement. 

Parmi les changements que la nature exécute sans 
cesse dans toutes ses parties, sans exception, son 
ensemble etses lois restant toujours les mêmes, ceux 
de ces changements qui, pour s’opérer, n’exigent pas 
beaucoup plus de temps que la durée de la vie humaine, 
sont facilement reconnus de l’homme qui les ob- 
serve, mais il ne saurait s’apercevoir de ceux quine 
s’exécutent qu'à la suite d’un temps considérable. 

Que l’on me permette la supposition suivante pour 
me faire entendre. 

Si la durée de la vie humaine ne s’étendait qu'a 
la durée d’une seconde, et s’il existait une de nos 
pendules actuelles, montée et en mouvement, chaque 
individu de notre espèce qui considérerait aiguille 
des heures de cette pendule ne la verrait Jamais 


420 ADDITIONS 


changer de place dans le cours de sa vie, quoique 
cette aiguille ne soit réellement pas stationnaire. 
Les observations de trente générations n’appren- 
draient rien de bien évident sur le déplacement de 
cette aiguille, car son mouvement n'étant que celui 
qui s'opère pendant une demi-minute, serait trop 
peu de chose pour être bien saisi ; et si des observa- 
tions beaucoup plus anciennes apprenaient que cette 
même aiguille a réellement changé de place, ceux 
qui en verraient l’énoncé n’y croiraient pas et sup- 
poseraient quelque erreur , chacun ayant toujours 
vu l'aiguille sur le même poiut du cadran. 

Je laisse à mes lecteurs toutes les applications à 
faire relativement à cette considération. 

La Nature, cet ensemble immense d’êtres et de 
corps divers, dans toutes les parties duquel sub- 
siste un cercle éternel de mouvements et de change- 
ments que des lois régissent, ensemble seul immu- 
table, tant qu'il plaira à son SUBLIME AUTEUR de le 
faire exister, doit être considérée comme un tout cons- 
titué par ses parties, dans un but que son Auteur seul 
connait, et non pour aucune d'elles exclusivement. 

Chaque partie devant nécessairement changer et 
cesser d’être pour en constituer une autre, a un 
intérêt contraire à celui du tout ; et si elle raisonne, 
elle trouve ce tout mal fait. Dans la réalité, cepen- 
dant, ce tout est parfait et remplit complétement 
le but pour lequel il est destiné. 


FIN DES ADDITIONS ET DU TOME SECOND 


TABLE DES MATIÈRES 


CONTENUES DANS CE VOLUME 


SUITE Di LA SECONDE PARTIE 


CyaPiTRE III, — De la cause excitatrice des mouvements orga- 
QUES MER EME 00e) MED dr sr pus SA CMOOR N.  OE 


Que les mouvements organiques, ainsi que ceux qui constituent les 
actions des animaux n'étant point communiqués, mais seulement 
excités, ne s’exécutent que par l'action d'une CAUSE EXCITATRICE, 
étrangère aux corps qu'elle vivifie et qui ne périt pas comme eux ; 
que cette cause réside dans des fluides invisibles, subtils, expansifs 
et toujours agités, qui pénètrent, ou se développent sans cesse, 
dans les corps qu'ils animent. 


CHAPITRE IV.— De l’orgasme et de l'irritabilité. . . . . . 19 


Que la cause excitatrice des mouvements organiques entretient 
dans les parties souples des corps vivants, et principalement dans 
celles des animaux, un ORGASME nécessaire au maintien dela vie 
dans ces corps; lequel, dans les animaux, donne aux parties qui le 
possèdent la faculté d'être irritables. 

Que l'IRRITABILITÉ est une faculté exclusivement propre aux par- 
ties souples des animaux, qu’elle leur donne celle de pouvoir pro- 
duire un phénomène local et de le répéter de suite autant de fois 
que la cause qui le provoque agit sur les points qui peuvent y 
donner lieu, enfin, que cette faculté est essentiellement distincte 
de celle de sentir. 


428 TABLE DES MATIÈRES 


CHaPitTre V.— Du tissu cellulaire, considéré comme la gangue dans 
laquelle toute organisation a été formée. . . . . . . . . 43 


Que le Tissu CELLULAIRE est la matrice générale de toute organisa- 
tion, et que le mouvemeut des fluides dans ce tissu est le moyen 
qu’emploie la nature pour créer et développer peu à peu les orga- 
nes aux dépens du tissu dont il] s’agit. 


CuariTRe VI. — Des générations directes ou spontanées, . . . 57 


Que tous les corps vivants étant des productions de la nature, 
elle a nécessairement organisé elle-même les plus simples de ces 
corps, leur a donné directement la vie, et avec elle les facultés qui 
sont généralement propres à ceux quila possèdent. 

Qu’au moyen de ces générations directes formées au commencement 
de l'échelle, soit animale, soit végétale, la nature est parvenue à 
donner progressivement l'existence à tous les autres corps vivants. 


CHAPITRE VII. — Des résultats immédiats de la vie dans un corps. 84 


Qu'il n’est pas vrai que les corps vivants aient la faculté de résis- 
ter aux lois et aux forces auxquelles tous les corps non vivants sont 
assujettis, et qu'ils se régissent par des lois qui leur sont particu- 
lières; mais qu'il l’est, au contraire, que les lois qui régissent les 
changements que subissent les corps, rencontrant dans ceux qui 
sont vivants un état de choses très-différent de celui qu’elles trou- 
vent dans les corps qui ne possèdent point la vie, opèrent sur les 
premiers des effets fort différents de ceux qu’elles produisent dans 
les seconds. 

Que les corps vivants ontla faculté de composer eux-mêmes leur 
propre substance, et que formant par là des combinaisons qui 
n’eussent jamais existé sans cette cause, leurs débris sont la source 
où les différents minéraux puisent les matériaux qui servent à leur 
formation. 


CuaprrRe VIII. Des facultés communes à tous les corps vivants. . 104 


Que la vie donne généralement à tous les corps qui la possèdent des 
facultés qui leur sont communes, et que ces facultés n’exigent, 
pour se produire, aucun organe spécial quelconque, mais seulement 
l’état de choses dans les parties de ces corps pour que la vie puisse 
y exister. 


CuariTRE IX.— Des facultés particulières à certains corps vivants. 117 


Qu'outre les facultés que la vie donne à tous les corps vivants, 
certain d’entre eux en possèdent qui leur sont tout à fait particu- 
lières. Or, l'observation constate que ces dernières n’ont lieu que 
lorsque des organes particuliers, capables de les produire, existent 
dans les animaux qui jouissent de ces facultés. 


Résumé de laseconde parie. -— 4.0 Cac EM TUE 


TABLE DES MATIÈRES 129 


TROISIÈME PARTIE 


CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PHYSIQUES DU SENTIMENT, CELLES 
QUI CONSTITUENT LA FORCE PRODUCTRICE DES ACTIONS 
ENFIN, CELLES QUI DONNENT LIEU AUX ACTES D'INTELLIGENCE 
QUI S'OBSERVENT DANS DIFFÉRENTS ANIMAUX 


INTRODUCTION . A) ab tn, Art SA MES COTES 


Quelques considérations générales sur les moyens que la nature 
possède pour donner lieu, dans certains Corps vivants, aux phénomènes 
que constituent les sensations, les idées, en un mot, les différents 
actes d'intelligence. | 


CHAPITRE PREMIER. — Du système nerveux, de sa formation et des dif- 
férentes sortes de fonctions qu'il peut exécuter. Ce PO (CE 


Que le système d'organes, qu'on nomme SYSTÈME NERVEUX, est par- 
ticulier à certains animaux, et que, parmi ceux qui le possèdent, on 
le trouve dans différents états de composition et de perfectionnement ; 
que ce système donne aux uns seulement la faculté du mouvement 
musculaire , à d’autres la même faculté, plus celle de sentir, à d’autres 
encore, les deux mêmes facultés, plus celle de se former des idées, 
et d'exécuter avec celles-ci différents actes d'intelligence, 

Que lesystème d'organes dont il s'agit exécute quatre sortes de 
fonctions de nature très-différente, mais seulement lorsqu'il a acquis 
dans sa composition l’état propre à lui en donner je pouvoir. 


CHaP1iTRE IT. — Du fluide nerveux … .. . . . + Je Dale Au 2: 


Qu'il se développe dans le corps de certainsanimaux un fluide très- 
substil, invisible, contenable, et remarquable par la célérité de ses 
mouvements; que ce fluide à la faculté d’exciter le mouvement mus- 
culaire, que c’est par son moyen que les nerfs affectés produisent 
le sentiment; qu'ébranlé dans sa masse principale, il est le sujet 
des émotions intérieures, enfin, qu'il est l'agent singulier par leque] 
se forment les idées et tous les actes d'intelligence. 


CHaPiTRe III. — De la sensibilité physique et du mécanismedes sensa- 
EE 7 0 A 


Qu'il n’est pas vrai qu'aucune matière, ni qu'aucune partie d’un corps 
vivant, puissent avoir en propre la faculté de sentir; mais qu'il l’est 
que le sentiment est un phénomène qui résulte des fonctions d'un 
système d'organes particulier capable d'y donner lieu. 


430 TABLE DES MATIÈRES 


Que le SENTIMENT est le produit d’une action sur le fluide subtil 
d'un nerf affecté, laquelle se propage dans tout le fluide nerveux du 
système sensitif, et se termine par une réaction genérale qui se 
rapporte au sentiment intérieur de l'individu et au point affecté. 


CHAPITRE IV. — Du sentiment intérieur, des émotions qu'il est suscep- 
tible d'éprouver, et de la puissance qu'il en acquiert pour la produc- 
HOT ACTIONS. PP DE ONE M”: 


Que le SENTIMENT intérieur résulte de l’ensemble des sensations 
internes que produisent les mouvements vitaux, et de ce que toutes 
les portions du fluide nerveux, communiquant entre elles, forment un 
tout unique, quoique divisé, lequel est susceptible de recevoir des 
ébranlements généraux qu'ou nomme émotions. 

Que ce sentiment intérieur est le lien qui réunit le physique au mo- 
ral, et qu’il est la source de l’un et de l’autre; que le sentiment dont 
il s’agit, d’une part, avertit l'individu des sensations qu'il éprouve 
(de là le physique); et de l’autre part, lui donne la conscience de ses 
idées et de ses pensées (de là le moral); qu’enfin, à la suite des 
émotions que les besoins lui font subir, il fait agir l'individu sans 
participation de la volonté (de là l'instinct). 


CuarirRe V. — De la force productrice des animaux, et de quelques 
faits particuliers qui résultent de l'emploi de cette force. . . . 276 


Que l’action musculaire étant une force très-suffisante pour pro- 
duire les mouvements qu'exécutent les animaux, et l'influence ner- 
veuse pouvant exciter cette action musculaire, ceux des animaux qui 
jouissent du sentiment physique possèdent dans leur sentiment in- 
térieur une puissance très-capable d'envoyer aux muscles le fluide 
excitateur de leurs mouvements; et c’est, en effet, dans ses émo- 
tions que ce sentiment trouve la force de faire agir les muscles. 


De la consommation et de l'épuisement du fluide nerveux dans la produc- 


tion des.actions animales 0° . COTE AA 2ET 
De l'origine du penchant aux mêmes actions . . . . . . . 291 
De lmstinctides animadees CCE CR ce 
De l'industrie de certains animaux re UC 20 
CéiPrire VI De la volonté. . RH Le OT: ROUS 


Que la volonté résultant toujours d'u jugement, et celui-ci pro- 
venant nécessairement d'une idée comparée, d’une pensée, ou de 
quelque impression qui y donne lieu, tout acte de volonté en est un 
de l'intelligence, et qu'il n'y a conséquemment que les animaux qui 
possèdent un organe spécial pour l'intelligence qui puissent exécuter 
des actes de volonté. 

Que puisque la volonté dépend toujours d’un jugement, non- 
seulement elle n’est jamais véritablement libre, mais en outre que 
les jugements étant exposés à une multitude de causes qui les 


TABLE DES MATIÈRES 431 


rendent erronés, la volonté qui en résulte trouve dans le jugement 
un guide moins sûr que celui que l'instinct rencontre dans le sen- 
timent intérieur ému par quelque besoin. 


Cuaapitrre VII. — De l'entendement, de son origine, et de celle des 
OS d © LOT RC SR EU LOL 


Que tous les actes de l'entendement exigent un système d'organes 
particulier pour pouvoir s'exécuter; que les idées acquises sont 
les matériaux de toutes les opérations d’entendement; que quoique 
toute idée soit originaire d'une sensation, toute sensation ne saurait 
produire une idée, puisqu'il faut un organe spécial pour sa forma- 
tion, et qu'il faut en outre que la sensation soit remarquée; enfin, 
que, dans l'exécution des actes d'intelligence, c’est le fluide nerveux 
qui, par ses mouvements dans l'organe dont il s’agit, est la seule 
cause agissante, l'organe lui-même n’etant que passif, mais contri- 
buant à la diversité des opérations par celle de ses parties. 


Cuarirre VIII, — Des principaux actes de l'entendement, ou de ceux 
du premier ordre dont tous les autres dérivent. . . . . 90) 


Que les principaux actes de l’entendement sont l'ArrENTION, état 
particulier et préparatoire dans lequel entre alors l'organe, et sans 
lequel aucun autre de ses actes né saurait se produire; la PENSÉE, 
de laquelle naissent les idées complexes de tous les ordres; la M&- 
MOIRE, dont les actes, qu'on nomme souvenirs, rappellent les idées 
quelles qu'elles soient, en les rapportant au sentiment intérieur, 
c'est-à-dire à la conscience de l'individu ; enfin, les JUGEMENTS, qui 
sont les actes les plus importants de l'entendement, et sans lesquels 
aucun raisonnement, aucun acte de volonté ne pourraient se pro- 
duire, en un mot, aucune connaissance ne pourrait s’acquérir. 


De l'imagination. . Le catt te Der: ne NP PAL 7 


De la raison et de sa comparaison avec l'instinet. . . . . 403 


Additions relatives aux chapitres vitet viix de la premiere partie. 413 


FIN DE LA TABLE DU TOME SECOND ET DERNIER 


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