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PHILOSOPHIE
ZOOLOGIQUE
TOME SECOND
RiMEPIE PITRAÎT AINÉ, RUE GENTIL, à.
LAMARCK
PHILOSOPHIE
OOLOGIQUE
Oo!
EXPOSITION DES CONSIDERATIONS
RELATIVES
A L’HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX .
LEUR ORGANISATION ET DES FACULTES
DE
QU ILS EN OBTIENNENT ;
A LA DIVERSITE
EN EUX LA VIE
ET DONNENT
AUX CAUSES PHYSIQUES QUI MAINTIENNENT
AUX MOUVEMENTS QU'ILS EXÉCUTENT ;
A CELLES QUI PRODUISENT LES UNES LE SENTIMENT,
ENFIN,
LES AUTRES L'INTELLIGENCE DE CEUX QUI EN SONT DOUES.
NOUVELLE ÉDITION
LIEU
REVUE ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION BIOGRAPHIQUE
CHARLES MARTINS
Professeur d'histoire naturelle à la Faculte de Médecine de Montpellie
Directeur du Jardin des plantes de la même ville,
le l'Institut et Associé national de l’Académie de Médecine
Correspondant «
TOME SECOND
PARIS
CIBRAIRIE F.
HAUTEFEUILLE
S AVY
24, RUE ee
1813
QL
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Us
La
PHILOSOPHIE
ZOULOGIQUE
SUITE DE LA SEGONDE PARTIE
CERVP TER EME
DE LA GAUSE EXCITATRICE DES MOUVEMENTS
ORGANIQUES
La vie étant un phénomène naturel, qui lui-même
en produit plusieurs autres, et résultant des rela-
tions qui existent entre les parties souples et conte-
nantes d’un corps organisé et les fluides contenus
de ce corps, comment concevoir la production de ce
phénomène, c’est-à-dire l'existence et l'entretien
des mouvements qui constituent la vie active du
corps dont il s’agit, sans une cause particulière ex
cilatrice de ces mouvements, sans une force qui
LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 1
2 DE LA CAUSE EXCITATRICE
anime les organes, régularise les actions et fait exé-
cuter toutes les fonctions organiques, en un mot,
sans un ressort dont la tension soutenue, quoique
variable, est le moteur efficace de tous les mouve-
ments vitaux !
On ne saurait douter que les fluides visibles d’un
corps vivant, et que les parties solides et souples qui
les contiennent, ne soient étrangers à la cause que
nous recherchons ici. Toutes ces parties forment
ensemble l'équipage du mouvement, selon la com-
paraison déjà faite, et ce n’est nullement le propre
d'aucune d'elles de constituer la force dont il est
question, C'est-à-dire le ressort moteur ou la cause
excitatrice des mouvements de la vie.
Ainsi, on peut assurer que, Sans une cause parti
culière qui excite et entretient l'orgasme et irrila-
bilité dans les parties souples et contenantes des ani-
maux, et qui, dans les végétaux, y produit seule-
ment un orgasme obscur, et y meut immédiatement
les fluides contenus, le sang des animaux qui ont une
circulation et la sanie blanchâtre et transparente de
ceux qui n’en ont pas, resteraient en repos, et bien-
tot se décomposeraient, ainsi que les parties qui
contiennent ces fluides.
De même, sans cette cause excitatrice des mouve-
ments vitaux, sans cette force ou ce 7'essort qui fait
exister dans un corps la vie active, la séve et les
fluides propres des végétaux resteraient sans mou
vement, s'altéreraient, s’exhaleraient, enfin opére-
DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 3
raient la mort et le desséchement de ces corps vi
vants.
Les philosophes anciens avaient senti la nécessité
d’une cause particulière excitatrice des mouvements
organiques ; mais n'ayant pas assez étudié la nature,
ils l'ont cherchée hors d'elle; ils ont imaginé une
arché-vilale, une âme périssable des animaux, en
ont même aussi attribué une aux végétaux, et à la
place d’une connaissance positive à laquelle ils n’a-
vaient pu atteindre, faute d'observations, ils n’ont
créé que des mots auxquels on ne peut attacher que
des idées vagues et sans base.
Chaque fois que nous quitterons la nature pour
nous livrer aux élans fantastisques de notre imagi-
nation, nous nous perdrons dans le vague, et les ré-
sultats de nos efforts ne seront que des erreurs. Les
seules connaissances qu'il nous soit possible d’acqué-
rir à son égard, sont et seront toujours uniquement
celles que nous aurons puisées dans l'étude suivie de
ses lois; hors de la nature, en un mot, tout n’est
qu'égarement et mensonge : telle est mon opinion.
S'il était vrai qu'il fût réellement hors de notre
pouvoir de parvenir à déterminer la cause excitatrice
des mouvements organiques, iln’en serait pas moins
de toute évidence que cette cause existe et qu’elle
est physique, puisque nous en observons les effets et
que la nature a tous les moyens de la produire. Ne
sait-on pas qu'elle a ceux de répandre et d’entrete-
nir le mouvement dans tous les corps et qu'aucun
4 DIE L'A CAUSE EXCITATRICE
des objets soumis à ses lois ne jouit réellement d’une
stabilité absolue.
Sans vouloir nous élever à la considération des
premières causes, ni à celle de toutes les sortes de
mouvements et de tous les changements qui s’obser-
vent dans les corps physiques de tous genres, nous
nous restreindrons à considérer les causes immé-
diates et reconnues qui peuvent agir sur les corps
vivants, et nous verrons qu'elles sont très-suffi-
santes pour entretenir dans ces corps les mouve-
ments qui y constituent la vie, tant que l’ordre de
choses qui les permet n’y est pas détruit.
Sans doute, il nous serait impossible de recon-
naître la cause excitatrice des mouvements organi-
ques, si les fluides subtils, invisibles, incontenables
et sans cesse en mouvement qui la constituent, ne
se manifestaient à nous dans une multitude de cir-
constances ; si nous n’avions des preuves que tous
les milieux dans lesquels tous les corps vivants ha—
bitent en sont perpétuellement remplis ; enfin, si
nous ne savions positivement que ces fluides invisi-
bles pénetrent plus où moins facilement les masses
de tous ces corps, y séjournent plus où moins de
temps et que certains d’entre eux se trouvent conti-
nüellement dans un état d’agitation et d'expansion
qui leur donne la faculté de distendre les parties
dans lesquelles ils s’insinuent, de raréfier les fluides
propres des corps vivants qu'ils pénetrent et de com
muniquer aux parties molles de ces mêmes corps un
DÉS MOUVEMENTS ORGANIQUES 5
éréthisme, une tension particulière qu’elles conser-
vent tant qu'elles se trouvent dans un état qui y est
favorable.
Mais il est bien connu que nous ne sommes pas
réduits à cette impossibilité, car, qui ne sait qu'il
n’est aucun des lieux du globe où les corps vivants
habitent qui ne soit pourvu de calorique (même dans
les régions les plus froides), d'électricité, de fluide
magnétique, etc., et que partout ces fluides, les uns
expansifs et les autres diversement agités, éprou-
vent sans cesse des déplacements plus où moins ré-
guliers, des renouvellements ou des remplacements,
et peut-être même une véritable circulation à l'égard
de quelques-uns d’entre eux.
Nous ignorons encore quel est le nombre de ces
fluides invisibles et subtils qui sont répandus et tou-
Jours agités dans les milieux environnants, mais nous
concevons de la manière la plus claire que ces flui-
des invisibles, pénétrant, s’accumulant et s’agitant
sans cesse dans chaque corps organisé, enfin, s'en
échappant successivement apres y avoir été plus on
moins longtemps retenus, y excitent les mouvements
et la vie, lorsqu'il s'y trouve un ordre de choses qui
y permet de pareils résultats.
Relativement à ceux de ces fluides invisibles qui
composent principalement la cause excilatrice que
nous considérons ici, deux d’entre eux nous parais-
sent faire essentiellement partie de cette cause, sa=
voir : le calorique et le fluide électrique. Ge sont
6 DE LA CAUSE EXCITATRICE
les agents directs qui produisent l’orgasme et les
mouvements intérieurs qui, dans les corps organisés,
y constituent et y entretiennent la vie.
Le caloriqu parait être celui des deux fluides
excitateurs en question qui cause et entretient lo
gasine des parties souples des corps vivants, et le
fluide électrique est vraisemblablement celui qui
fournit la cause des mouvements organiques et des
actions des animaux.
Ce qui n'autorise à ce partage des facultés que
j'assigne aux deux fluides dont ils’agit, se fonde sur
les considérations suivantes.
Dans les inflammations, l'orgasme qui y acquiert
une énergie excessive et même à la fin destructive
des parties, n'y devient évidemment tel que par
l’extrème chaleur qui se développe dans les organes
enflammés : c’est donc particulièrement au calori-
que qu'il faut attribuer l'orgasme.
La vitesse des mouvements du calorique, ainsi que
celle avec laquelle ce fluide s’étend ou se distribue
dans les corps qu'il pénètre sont bien loin d’égaler
la rapidité extraordinaire des mouvements du fluide
électrique, ce dernier fluide doit donc être celui qui
fournit la cause des mouvements et des actions des
animaux, ce doit être plus particulièrement le véri-
table fluide excitateur.
Il est possible, néanmoins, que quelques autres
fluides invisibles et actifs concourent aussi avec les
deux que je viens de citer, à la composition de la
DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 7
cause excitatrice, mais, ce qui me paraît hors de
doute, c’est que le calorique et l'électricité sont les
deux principaux composants de cette cause, peut-être
même sont-ils les seuls.
Dans les animaux à organisation peu composée,
le calorique des milieux environnants semble suffire
lui seul pour l'orgasme et l'irrilabilité de ces corps,
de là vient que dans les grands abaissements de
température et pendant l'hiver des climats à grande
latitude, les uns périssent entièrement et les autres
subissent un engourdissement plus ou moins com-
plet. Dans ces mêmes animaux, le fluide électrique
ordinaire, celui que fournissent les milieux environ-
nants, paraît y suffire aux mouvements organiques
et aux actions.
Il n’en est pas de même des animaux à organi-
sation très-composée : dans ceux-ci, le calorique
des milieux environnants ne fait que compléter ou
plutôt qu'aider et favoriser le moyen que ces corps
vivants possedent dans la production intérieure d’un
calorique continuellement renouvelé. Il est même
vraisemblable que ce calorique, intérieurement pro-
duit, a subi quelques modifications dans l'animal,
qui le particularisent et le rendent seul propre à
l'entretien de l'orgasme ; car, lorsque par l’état de
l’organisation, lorgasme et l’irritabilité se trou-
vent trop affaiblis, le calorique de Pextérieur, soit
celui de nos foyers, soit celui d’une température éle-
vée, ne saurait suppléer le calorique intérieur.
8 DE LA CAUSE EXCITATRICE
La mème observation semble aussi pouvoir s’ap-
pliquer au fluide électrique excitateur des mouve-
ments et des actions dans les animaux dont l’orga-
nisation est très-composée. Il paraît effectivement
que ce fluide électrique, qui s’y est introduit par la
voie de la respiration ou par celle des aliments, a
subi une modification quelconque en séjournant dans
l'intérieur de l'animal et s’y est transformé en fluide
nerveux ou galvanique.
Quant au calorique, il est si vrai qu'il est l’un des
principaux éléments de la cause excitatrice de la vie
et que c’est particulièrement celui qui forme et en-
tretien l'orgasme sans lequel la vie ne pourrait
exister que, longtemps avant d'atteindre le froid ab-
solu, un grand abaissement de température pour-
rait l’anéantir dans tous les corps quien sont doués,
s’il était assez considérable. Effectivement, le froid
de nos hivers, surtout lorsqu'il est rigoureux, fait
périr un grand nombre des animaux qui s’y trouvent
exposés. Mais on sait que, dans aucun point du globe
et en aucun temps de l’année, une absence totale de
calorique ne se rencontre jamais.
Je le répète, sans une cause particulière excita-
trice de l'orgasme et des mouvements vitaux, sans
cette force qui, seule, peut produire ces mouve-
ments, la vie ne saurait exister dans aucun corps.
Or, cette cause excitatrice est entièrement étran—
gère aux facultés des fluides visibles des corps vivants
et elle l’est pareillement à celles des parties conte-
DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 9
nantes et solides de ces corps, c’est un fait dont il
n’est plus possible de douter et que toutes les obser-
vations attestent.
Cette mème cause excitatrice est aussi celle de
toute fermentation, et c’est elle seule qui en exé-
cute les actes dans toute matiere composée, non vi-
vante, dont l’état des parties s’y trouve favorable.
Aussi dans les grands abaissements de température,
les actes de la vie et ceux de la fermentation sont
plus où moins complétement suspendus, selon que
l'intensité du froid est plus où moins considé-
rable.
Quoique la vie et la fermentation soient deux
phénomènes fort différents, elles puisent lune et
l’autre dans la même source les mouvements qui les
constituent, et il faut de part et d'autre que l’état des
parties, soit du corps organisé capable de vivre,
soit du corps inorganique qui peut fermenter, se
trouve favorable à l’exécution de ces mouvements.
Mais dans le corps doué de la vie, l’ordre et Pétat
de choses qui y existent sont tels que toutes les alté-
rations dans la combinaison des principes sont suc
cessivement réparées par des combinaisons nouvel
les et à peu pres semblables, que les mouvements
subsistants occasionnent, tandis que dans le corps
non organisé où désorganisé qui fermente, tous les
changements qui s’exécutent dans la composition de
ce corps où de ses parties ne sauraient se réparer
par la continuité de la fermentation.
10 DE LA CAUSE EXCITATRICE
Des linstant de la mort d’un individu, son corps
désorganisé réellement, quoique souvent il n’en ait
pas l'apparence, rentre aussitôt dans la classe de
ceux dont les parties peuvent subir la fermentation,
surtout les plussouples d’entre elles, et alors la cause
excitatrice qui le faisait vivre devient celle qui hâte
la décomposition de celles de ses parties qui sont
susceptibles de fermenter.
On voit donc, d’après les considérations que je
viens d'exposer, que la cause excilatrice des mou-
vements vitaux se trouve nécessairement dans des
fluides invisibles, subtils, pénétrants et toujours ac-
tifs, dont les milieux environnants ne sont jamais dé-
pourvus, et que le principal élément de cette cause
est celui qui entretient un orgasme essentiel à l’exis-
tence de la vie, enfin, que c’est véritablement le ca-
lorique, ce que les observations suivantes feront
mieux sentir.
Je n’ai besoin d'aucune citation particulière à cet
égard, parce que le fait général qui s’y rapporte est
assez connu. On sait que la chaleur, dans de cer-
taines proportions, est généralement nécessaire à
tous les corps vivants et qu'elle l’est principalement
aux animaux. Lorsqu'elle s’affablit jusqu’à un cer-
tain point, l’irritabilité des animaux perd de son in-
tensité, les actes de leur organisation diminuent
d'activité et toutes les fonctions languissent ou s'exé-
cutent avec lenteur, surtout dans ceux de ces ami-
maux en qui aucune production de calorique inté-
D ES MOUVEMENTS ORGANIQUES 11
rieur ne s'opere. Lorsqu'elle s’affaiblit encore da-
vantage, les animaux les plus imparfaits périssent
et un grand nombre des autres tombent dans un en-
œourdissement léthargique et n’ont plus qu'une vie
suspendue ; ils la perdraient tous successivement si
cette diminution de chaleur s’accroissait encore beau-
coup au delà dans les milieux environnants, c’est ce
dont on ne saurait douter.
Au contraire, lorsque la température s’éleve,
c’est-à-dire lorsque la chaleur s'accroît et se répand
partout, si cet état de choses se soutient, on remar-
que constamment que la vie se ranime et semble ac-
quérir de nouvelles forces dans tous les corps vivants,
que lirritabilité des parties intérieures des animaux
augmente proportionnellement en intensité, que les
fonctions organiques s’exécutent avec plus d'énergie
et de promptitude, que la vie amène plus rapide-
ment les différents états par lesquels les mdividus
doivent passer pendant son cours et qu'elle-même
arrive plutôt à son terme, mais aussi que les ré-
générations sont plus promptes et plus abondantes.
Quoique la chaleur soit nécessaire partout pour la
conservation de la vie et qu'elle le soit principale-
ment pour les animaux, il ne faudrait pas cependant
que son intensité dépassat de beaucoup certaines
limites, car alors ils en souffriraient considérable-
ment et la moindre cause exposerait les animaux,
dont l’organisation est tres-composée, à des maladies
rapides qui les feraient promptement périr.
12 DE LA CAUSE EXCITATRICE
On peut donc assurer que non-seulement la cha-
leur est nécessaire à tous les corps vivants, mais que
lorsqu'elle a une certaine intensité, sans dépasser
certames limites, elle anime singulièrement tous les
actes de l’organisation, favorise toutes les généra-
tions et semble répandre partout la vie d’une ma-
niere admirable.
La facilité, la promptitude et l'abondance avec
lesquelles la nature produit et multiplie dans les
contrées équatoriales les animaux les plus simple-
ment organisés sont autant de faits qui viennent à
l'appui de cette assertion. En effet, la multiplication
de ces animaux se fait singulièrement remarquer
dans les temps et dans les lieux qui y sont favora-
bles, c’est-à-dire dans les climats chauds et pour les
pays à grande latitude dans la saison des chaleurs,
surtout lorsque les circonstances qui favorisent cette
fécondité y concourent.
Effectivement, dans certains temps et dans cer-
tains climats, la terre, particulièrement vers sa sur-
face, où le calorique s’amasse toujours le plus forte-
ment, et le sein des eaux, se peuplent, en quelque
sorte, de molécules animées, c’est-à-dire d’animal-
cules extrêmement variés dans leurs genres et leurs
espèces. Ces animalcules, ainsi qu'une multitude
d’autres animaux imparfaits de différentes classes,
s'y reproduisent et s'y multiplient avec une fécon-
dité étonnante, et qui est bien plus considérable que
celles des gros animaux dont l’organisation est plus
DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 13
compliquée. Il semble, pour ainsi dire, que la ma-
tière s’animalise alors de toutes parts, tant les ré-
sultats de cette prodigieuse fécondité sont rapides.
Aussi, sans l'immense consommation qui se fait,
dans la nature, des animaux qui composent les pre-
miers ordre du règne animal, ils accableraient bien-
tot et peut-être anéantiraient par les suites de leur
énorme multiplicité, les animaux plus parfaits
qui forment les dernières classes et les derniers or-
dres de ce regne, tant la différence dans les moyens
et la facilité de se multiplier est grande entre les uns
et les autres !
Ce que je viens de dire relativement à la néces-
sité pour les animaux d’un calorique répandu dans
les milieux environnants et qui y varie dans de
certaines limites, est parfaitement applicable aux
végétaux, mais à l'égard de ceux-ci, la chaleur ne
maintient en eux la vie que sous quelques conditions
essentielles.
La premiere, qui est la plus importante, exige
que le végétal, en qui la chaleur anime la végéta-
tion, ait continuellement et proportionnellement de
l'humidité à la disposition de ses racines, car plus
la chaleur augmente, plus ce végétal doit avoir
d’eau pour fournir à la consommation qu'il en fait,
ce qu'il perd de ses fluides par la transpiration étant
alors d'autant plus considérable, et plus la chaleur
diminue, moins il lui faut d'humidité qui nuirait
alors à sa conservation.
14 DELA CAUSE EXCIDA TRACE
La seconde condition pour que la végétation puisse
perfectionner ses produits, exige que le végétal à
qui la chaleur et l’eau ne manquent pas, ait aussi
de la lumière en abondance.
La troisième, enfin, le met dans la nécessité
d'avoir de Pair, dont il s’approprie probablement
l'oxygène, ainsi que les gaz qu'il y trouve, les dé-
composant aussitot pour s'emparer de leurs prin-
cipes.
D’après tout ce que je viens d'exposer, il est de
toute évidence que le calorique est la premiere cause
de la vie, en ce qu’il forme et entretient l'orgasme,
sans lequel elle ne pourrait exister dans aucun corps,
et qu'il y réussit tant que l’état des parties du corps
vivant ne s’y oppose pas. On voit, d’ailleurs, que ce
fluide expansif, surtout lorsqu'il jouit, par son abon-
dance, d’une certaine intensité d'action, est le prin-
cipal agent de l'énorme multiplication des corps
vivants dont J'ai parlé tout à l'heure. Aussi est-il
constant que, dans les climats chauds du globe, les
régnes animal et végétal offrent une richesse et une
abondance extrèmement remarquables, tandis que,
dans les régions glacées de la terre, ils ne s’y mon-
trent que dans l’état du plus grand appauvrissement.
Relativement à quantité d'animaux et de végétaux,
il y a même, dans ce qui se passe à leur égard, une
différence considérable que produisent l'été et Phi-
ver de nos climats, et qui témoigne en faveur du
principe que je viens d'établir.
DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 19
Quoique le calcrique soit réellement la premiere
ause de la vie dans les corps qui en jouissent, lui
seul cependant ne pourrait nullement l’y faire exis-
ter et y entretenir les mouvements aui la constituent
en activité; il faut encore, surtout pour les ani-
maux, l'influence d’un fluide excitateur des actes
de leur irritabilité. Or, nous avons vu que l’électri-
cité possède toutes les qualités nécessaires pour cons-
üituer ce fluide excitateur, et qu’elle est assez géné-
ralement répandue partout, malgré ses variations,
pour que Îles corps vivants en soient toujours pour-
vus.
Que quelqu'autre fluide invisible se joigne à l’élec-
tricité pour compléter la cause qui a la faculté d’ex-
citer les mouvements vitaux et tous les actes de
l'organisation, cela est tres-possible, mais je n’en
vois nullement la nécessité.
Il me parait que le calorique et la matière élec-
trique suffisent parfaitement pour composer ensem—
ble cette cause essentielle de la vie, l’un en mettant
les parties et Les fluides intérieurs dans un état pro-
pre à son existence, et l’autre en provoquant, par ses
mouvements dans les corps, les différentes excita-
tions qui font exécuter les actes organiques et qui
constituent l’activité de la vie.
Tenter d'expliquer comment ces fluides agissent,
et de déterminer positivement le nombre de ceux
qui entrent comme éléments dans la composition de
la cause excitatrice de tous les mouvements orga-
16 DE LA CAUSE EXCITATRICE
niques, ce serait abuser du pouvoir de notre imagi-
nation, et créer arbitrairement des explications dont
nous n'avons pas les moyens d'établir les preuves.
Il nous suffit d’avoir montré que la cause excita-
trice des mouvements qui constituent la vie, ne ré-
side dans aucun des fluides visibles qui se meuvent
dans l'intérieur des corps vivants, mais qu’elle prend
sa source principalement, savoir :
1° Dans le calorique, qui est un fluide imvisible,
pénétrant, expansif, continuellement actif, se tami-
sant avec une certaine lenteur à travers les parties
souples qu'il distend et rendirritables par ce moyen,
se dissipant et se renouvelant sans cesse, et ne man—
quant jamais entièrement dans aucun des corps qui
possedent la vie ;
2° Dans le fluide électrique, soit ordmaire pour
les végétaux et les animaux imparfaits, soit galva-
nique pour ceux dont l’organisation est déja très-
composée ; fluide subtil, dont les mouvements sont
d'une rapidité extraordinaire, et qui, provoquant les
dissipations subites et locales du calorique qui dis-
tend les parties, excite les actes dirritabihite dans
les organes non musculaires, et les mouvements des
muscles lorsqu'il porte son influence sur leurs par-
ties.
Si les deux fluides que je viens de citer combinent
ainsi leur action particulière, il en doit résulter, pour
les corps organisés qui éprouvent cette action, une
cause où une force puissante qui agit efficacement,
DES MOUVEMENTS ORGANIQUES 17
se réeularise dans ses actes par l’organisation, c'est
à-dire par l'effet de la forme régulière et de la dis=
position des parties, et entretient les mouvements et
la vie tant qu'il existe dans ces corps un ordre de
choses qui y permet de semblables effets.
l'el est, selon les apparences, le mode d’action de
la cause excitatrice de la vie ;. mais on ne saurait le
regarder comme connu, tant qu'il sera impossible
d'en établir les preuves. Telle est peut-être aussi,
dans les deux fluides cités, la totalité des principes
qui concourent à la production de cette cause ; mais
c’est encore une connaissance sur laquelle on ne sau-
rait compter. Ge qu'il y a de très-positif à ces égards,
c’est que la source où la nature prend ses moyens
pour obtenir cette cause et la force qui en résulte,
se trouve dans des fluides invisibles et subtils, parmi
lesquels les deux que je viens d'indiquer sont incon-
testablement les principaux.
Je dirai seulement que les fluides actifs et expan-
sifs qui composent la cause excitatrice des mouve-
ments vitaux, pénètrent ou se développent sans cesse
dans les corps qu'ils animent, les traversent partout
en régularisant leurs mouvements selon la nature,
l'ordre et la disposition des parties, et s’en exhalent
ensuite continuellement avec la transpiration insen-
sible qu'ils occasionnent. Ce fait est incontestable,
et sa considération répand le plus grand jour sur les
causes de la vie.
Examinons actuellement le phénomène particulier
LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. è
18 DE LA CAUSE EXCITATRICE
que je nomme orgasme dans les corps vivants, et de
suite Parritabilité que cet orgasme produit dans les
animaux où, par la nature de leur corps, il obtient
une grande énergie.
CHAPITRE IV
DE L'ORGASME ET L’IRKITABILITÉ
Ce n’est pas de l’affection particulière qu'on
nomme orgasme dont il va être ici question, mais il
s'agira, sous la même dénomination, de” l’état que
conservent les parties souples et intérieures des ani-
maux tant qu'ils possédent la vie; état qui leur est
naturel, puisqu'il est essentiel à leur conservation ,
état, enfin, qui nécessairement n'existe plus dans
leurs parties, lorsqu'ils ont cessé de vivre où peu de
temps après.
Il est certain que parmi les parties solides et in-
térieures des animaux, celles qui sont souples sont
animées pendant la vie d'un o7yasine où espèce
d’éréthisme particulier qui leur donne la faculté de
s’affaisser et de réagir aussitôt, lorsqu'elles recoi-
vent quelque impression.
Un orgasme analogue existe aussi dans les par-
ties solides les plus souples des végétaux tant qu'ils
sont vivants, mais il y est tres-obscur et tellement
20 DE L'ORGASME
faible, qu'il ne donne nullement aux parties qui en
sont douées la faculté de réagir subitement contre
les impressions qu'elles pourraient recevoir.
L’orgasme des parties souples et intérieures des
animaux concourt, plus où moins, à la production
des phénomènes organiques de ces corps vivants, il
y est entretenu par un fluide (peut-être plusieurs)
invisible, expansif et pénétrant, qui traverse avec
une certaine lenteur les parties qui en jouissent, et
produit en elles la tension ou lespece d’éréthisme
que je viens de citer. L’orgasme qui résulte de cet
état de choses dans les parties, s’y maintient pen-
dant la durée de la vie, avec une énergie d'autant
plus grande, que les parties qui l’éprouvent ont une
disposition et sont d’une nature qui s’y trouvent plus
favorables, et qu'elles ont plus de souplesse et sont
moins desséchées.
C'est ce même orgasme, dont on a reconnu la
nécessité pour l’existence de la vie dans un corps,
et que quelques physiologistes modernes ont regardé
comme une espece de sensihilité ; de la, ils ont pré-
tendu que la sensibilité était le propre de tout corps
vivant, que tous sont à la fois sensibles et irritables,
que leurs organes sont tous imprégnés de ces deux
facultés nécessairement coexistantes, en un mot,
qu'elles sont communes à tout ce qui a vie, consé-
quemment aux animaux et aux végétaux. Enfin,
Cabanis, qui partageait cette opinion avec M. Ri-
cherand, et vraisemblablement avec d’autres, dit,
ET DE L’IRRITABILITÉ 21
en effet, que la sensibilité est le fait général de la
nature vivante.
Cependant, M. Richerand, qui a particulièrement
développé cette même opinion dans les prolégomè-
nes desa Physiologie, reconnaissant que la sensibi-
lité qui nous donne la faculté de recevoir des sensa-
tions, et qui dépend des nerfs, n’est pas la même
chose que cette espece de sensibilité plus générale à
laquelle le système nervevx n’est pas nécessaire,
propose de donner à la premiere le nom de percep-
Hhibilité, et il nomme la seconde sensibilité latente.
Puisque ces deux objets sont différents, et par leur
source, et par leurs produits, pourquoi donner un
nom nouveau au phénomène connu, depuis long-
temps, sous celui de sensibilité, et transporter le
nom de sensibilité à un phénomène plus nouvelle
ment remarqué, et d’une nature tout à fait partieu-
lière ? Il est assurément plus convenable de donner
un nom particulier au phénomène général dont la
vie dépend, et c’est ce que j'ai fait en le désignant
sous la dénomination d’orgasme.
Probablement, sans l'orgasme (/a sensibilité la—
tente), aucune fonction vitale ne pourrait s’exécu-
ter, car partout où il existe, il n'y a point d'inertie
réelle dans les parties, et ces parties ne sont point
simplement passives. On l’a senti, mais on a porté
trop loin l’idée que l’on s’est formée des facultés des
parties vivantes, lorsqu'on a dit qu'elles sentent et
agissent chacune à leur manière, qu'elles recon—
22 DE L'ORGASME
naissent dans les fluides qui les arrosent ce qui
convient à leur nutrition, et qu’elles en séparent les
matières qui ont affecté leur mode particulier de
sensibilité.
Quoiqu’on ne connaisse pas positivement ce qui se
passe dans l'exécution de chaque fonction vitale, au
lieu d'attribuer gratuitement aux parties une con-
naissance et un choix des objets qu’elles ont à sépa-
rer, à retenir, à fixer ou à évacuer, on a bien plus
de raison pour penser :
i° Que les mouvements organiques excités S’'exé—
cutent simplement par laction et la réaction des
parties ;
2° Qu'il résulte de ces actions et réactions que les
parties subissent dans leur état et leur nature, des
changements, des décompositions, des combinaisons
nonvelles, etc. ; ;
3” Qu'à la suite de ces changements, il s’opère
des sécrétions que le diamètre des canaux sécréteurs
favorise, des dépôts que la convenance des lieux et
la nature des parties permettent, tantôt de retenir
-en isolement, et tantôt de fixer dans ces parties mê—
mes, enfin, des évacuations diverses, des absorp-
tions, des résorptions, etc.
Toutes ces opérations sont mécaniques, assujet-
ties aux lois physiques, et s’exécutent à l’aide de
la cause excitatrice et de l'orgasme qui entretien-
nent les mouvements et les actions, en sorte que,
par ces moyens, ainsi que par la forme, la disposi-
ET DE L’'IRRITABILITÉ 23
tion et la situation des organes, les fonctions vitales
sont diversifiées, régularisées, et s’opérent chacune
selon leur mode particulier.
L’orgasme dont il s’agit dans ce chapitre, est un
fait positif qui, quelque nom qu'on lui donne, ne
peut plus être méconnu. Nous verrons qu'il est très-
faible et très-obscur dans les végétaux, où il n’a
que des facultés très-bornées, et qu’il se montre,
au contraire, dans les animaux, d’une maniere des
plus éminentes, car il produit en eux cette faculté
remarquable qui les distingue et qu'on nomme #rr1-
labilité : considérons-le d’abord dans les animaux.
DE L’ORGASME ANIMAL
Je nomme orgasme animal cet état singulier des
parties souples d’un animal vivant, qui constitue,
dans tous les points de ses parties, une /ension par-
ticulière et si active, qu’elle les rend susceptibles de
réaction subite et instantanée, contre toute impres-
sion qu'elles peuvent éprouver, et qui les fait consé-
quemment réagir sur les fluides en mouvement
qu'elles contiennent.
Cette tension, variable dans son intensité, selon
l’état des parties qui la subissent, constitue ce que
les physiologistes nomment le {ox des parties ; elle
parait due, comme je l’ai dit, à la présence d’un
fluide expansif qui pénètre ces mêmes parties, qui
s'y maintient pendant un temps quelconque, qui tient
24 DE L'ORGASME
leurs molécules dans un certain degré d’écartement
entre elles, sans détruire leur adhérence ou leur té-
nacité, et qui s’en échappe en partie et subitement,
à tout contact provocateur d’une contraction, se ré-
tablissant aussitôt apres.
Ainsi, à l’instant de la dissipation du fluide expan-
sif qui distendait une partie, cette partie s’affaisse
sur elle-même par leffet de cette dissipation : mais
elle se rétablit aussitôt dans sa distension premiere
par l’arrivée de nouveau fluide expansif remplaçant.
Il en résulte que l'orgasme de cette partie lui donne
la faculté de réagir contre les fluides visibles qui
agissaient sur elle.
Cette tension des parties molles des animaux vi-
vants ne va pas au point d'empêcher la cohésion des
molécules qui forment ces parties, et de détruire
leur adhérence, leur agglutination et leur ténacité,
tant que l’intensité de l'orgasme n'excède pas certai-
nes proportions. Mais la tension dont 1l s’agit empè-
che le rapprochement et l’affaissement qu'auraient
ces molécules, si la cause de cette tension n'existait
pas, puisque les parties molles tombent réellement
dans un affaissement remarquable aussitôt que cette
cause cesse son influence.
En effet, dans les animaux surtout, et même dans
les végétaux, l’anéantissement de l'orgasme, qui ne
s'effectue qu'à la mort des individus, donne alors
lieu à un relâchement et un affaissement des parties
souples, qui les rend plus molles et plus flasques que
ET DE L’IRRITABILITÉ 25
dans l’état vivant. C’est ce qui a fait croire que ces
parties flasques, considérées dans des vieillards après
leur mort, n'avaient point acquis la rigidité qu'amène
craduellement dans les organes la durée de la vie.
Le sang des animaux, dont l’organisation est très-
composée, jouit lui-même d’une sorte d'orgasme,
surtout le sang artériel; car il est, pendant la vie,
pénétré de certains gaz qui se développent dans ses
parties, à mesure qu'elles subissent des change-
ments. Or, ces gaz concourent peut-être aussi à
l'excitation des actes d'irritabilité des organes, et
conséquemment aux mouvements vitaux, lorsque le
sang qui les contient affecte ces organes.
L’excessive tension que forme l'orgasme dans cer-
taines circonstances, soit dans toutes les parties
molles de l'individu, soit dans certaines d’entre elles,
et qui ne va pas néanmoins au point de rompre la
cohésion de ces parties, est connue sous le nom
d'éréthisme, dont le maximum produit l’inflam-
mation, et l’excessive diminution de l'orgasme, mais
qui ne va pas au point de le rendre nul, est, en gé-
néral, désignée par le nom d’atonte.
La tension qui constitue l'orgasme pouvant varier
d'intensité entre certaines limites, d’une part, sans
détruire la cohésion des parties, et de l’autre part,
sans cesser d'exister, cette variation rend possibles
les contractions et les distensions subites de ces
parties, lorsque la cause de l'orgasme est instanta-
nément suspendue et rétablie dans ses effets. Voilà,
26 DE L’ORGASME
ce me semble, la cause première de l’irritabilité
animale.
La cause qui produit orgasme, c’est-à-dire cette
tension particulière des parties souples et intérieures
des animaux, fait sans doute partie de celle que j'ai
nommée cause excilatrice des mouvements organi-
ques, elle réside principalement dans le calorique,
soit seulement dans celui que fournissent les milieux
environnants, soit à la fois dans celui-ci et dans le
mème calorique qui se produit sans cesse dans lin-
térieur de beaucoup d'animaux.
En effet, il s'émane continuellement un calorique
expausif du sang artériel de beaucoup d'animaux
qui constitue, dans leurs parties souples, la princi-
pale cause de leur orgasme. Œest surtout dans ceux
qui ont le sang chaud que l’émanation continuelle
de ce calorique devient plus remarquable. Ce fluide
expansif se dissipe continuellement des parties dans
lesquelles il s'était répandu et qu'il distendait, mais
il y est sans cesse renouvelé par la continuité des
émanations nouvelles que le sang artériel de lani-
mal ne cesse de fournir.
Un fluide expansif, semblable à celui dont il vient
d'être question, se trouve répandu dans les milieux
environnants et fournit sans cesse à l'orgasme des
animaux vivants, soit en complétant ce qui manque
au culorique intérieur pour lexécuter, soit en
l’effectuant totalement.
Eu effet, il aide plus ou moins l'orgasme des ani-
ET DE L’'IRRITABILITÉ 27
maux les plus parfaits et suffit seul à l'entretien de
celui des autres ; il est surtout la cause de Porgasme
de tous les animaux qui n’ont ni artères, ni veines,
c'est-à-dire qui manquent de système de circulation.
Aussi, tout mouvement organique s’affublit gra-
duellement dans ces animaux, à mesure que la tem-
pérature des milieux environnants s’abaisse, et si
cet abaissement de température va toujours en
augmentant, leur orgasme s’anéantit et ils pé-
rissent. Que lon se rappelle lengourdissement
qu'éprouvent les abeilles, les fourmis, les serpents
et beaucoup d’autres animaux lorsquela température
s’abaisse jusqu'à un certain point, et l’on jugera si
ce que je viens d'exposer peut avoir quelque fonde-
ment.
L’abaissement de température qui cause lengour-
dissement de beaucoup d'animaux, ne produit cet
effet qu'en aflaiblissant leur orgasme, et par suite,
qu'en ralentissant leurs mouvements vitaux. Si cet
abaissement de température va trop loin, j'ai dit
qu'il anéantissait alors l'orgasme dont il s'agit, ce
O
qui fait périr les animaux qui se trouvent dans ce
cas ; mais je remarqueral, à cet égard, que dans les
effets d’un refroidissement qui va au point d’amener
la mort d’un individu, il y a une particularité ob-
servée à l'égard des animaux à sang chaud et qui
s'étend peut-être à tous ceux qui ont des nerfs : la
VOICI.
On sait qu'un abaissement de température suffi
28 DE L’ORGASME
sant pour engourdir et réduire à un état de sommeil
apparent certains animaux à mamelles, comme les
marmotles, les chauves-souris, etc., n’est pas très
considérable. Si la chaleur revient, elle les pénètre,
les ranime, les réveille et leur rend leur activité
habituelle, mais si, au contraire, le froid augmente
encore apres que ces animaux sont tombés dans l’en-
gourdissement, au lieu de les faire passer insensible-
ment de leur état de sommeil apparent à la mort,
cette augmentation de froid, si elle est un peu
forte, produit alors sur leurs nerfs une irritation
qui les réveille, les agite, ranime leurs mouvements
organiques et par suite leur chaleur interne, et si
cette augmentation de froid subsiste, elle les met
bientôt dans un état de maladie qui cause leur mort,
à moins que la chaleur ne leur soit promptement
rendue.
Il suit de là que, pour les animaux à sang chaud,
et peut-être pour tous ceux qui ont des nerfs, un
simple affaiblissement de leur orgasme peut les ré-
duire à l’état d’engourdissement, mais qu'alors cet
orgasme n'est pas totalement détruit, puisque s’il
survient un froid assez grand pour l’anéantir, ce
froid, avant d'opérer cet effet, les irrite, les fait
souffrir, les agite et finit par les tuer.
Il y a apparence qu'a l'égard des animaux privés
de nerfs, tout abaissement de température capable
d'affaiblir leur orgasme et de les réduire à un état
d’engourdissement, peut, sil augmente suffisam—
ET DE L'IRRITABILITÉ 29
ment, les faire passer de leur état de sommeil lé-
thargique à celui de la mort, sansleur rendre aupa-
ravant aucune activité passagère.
On a pris l'effet pour la cause mème, lorsqu'on a
supposé que le premier produit d’un certain degré
de froid était de ralentir la respiration, et de là on
a attribué l’engourdissement que subissent certains
animaux lorsque la température s’abaisse suffisam—
ment pour cet effet, à un ralentissement direct de la
respiration de ces animaux, tandis que le ralentis-
sement réel de cette même respiration n’est lui-même
que la suite d’un autre effet produit par le froid, sa -
voir l’affaiblissement de leur orgasme.
A l'égard des animaux qui respirent par un pou-
mon, ceux d'entre eux qui tombent dans lengourdis-
sement lorsqu'ils éprouvent certains degrés de froid,
subissent sans doute un ralentissement considérable
dans leur respiration, mais ici ce ralentissement de
respiration n’est évidemment que le résultat d’un
orand affaiblissement survenu dans l'orgasme de
ces animaux. Or, cet affaiblissement ralentit tous les
mouvements organiques, lexécution de toutes les
fonctions, la production du calorique intérieur, les
pertes que font ces animaux pendant leur activité
habituelle, et conséquemment réduit à tres-peu de
choses où presqu'à rien leurs besoins de réparation
pendant leur léthargie.
En eflet, les animaux qui respirent par un pou-
mon sont assujettis à des gonflements et des resser-
30 DE L'ORGASME
rements alternatifs de la cavité qui contient leur
organe respiratoire. Or, ces mouvements s’exécutent
avec une facilité plus où moins grande, selon que
l'orgasme des parties souples a plus où moins d’éner-
gie. Ainsi, plusieurs animaux à mamelles, tels que
la marmotte, le loir et beaucoup de reptiles, comme
les serpents, tombent dans l’engourdissement à cer-
tains abaissements de température, parce qu'ils ont
alors leur orgasme très-affaibli et qu'il en résulte
comme second effet un ralentissement dans toutes
leurs fonctions organiques et par conséquent dans
leur respiration.
Si cette diminution dans l’énergie de leur orgasme
n'avait pas lieu, il n'y aurait aucune raison pour que
l'air, quoique plus froid, fût moins respiré par ces
animaux. Dans les abeilles etles fournus, qui respi-
rent par des trachées et dans lesquelles Porgane res-
piratoire ne subit point de gonflements et de resser-
rements alternatifs, on ne peut dire que lorsqu'il fait
froid ces animaux respirent moins, mais on a de
bons motifs pour assurer que leur orgasme est alors
tresaffuibli et qu'il les réduit à l’engourdissement
qu'ils éprouvent dans cette circonstance.
Enfin, dans les animaux à sang chaud, la chaleur
interne étant presque entierement produite en eux,
soit par suite de la décomposition de Pair dans la
respiration, ainsi qu'on le pense actuellement, soit
parce qu’elle émane sans cesse du sang artériel dans
les changements qu'il subit pour passer à lPétat de
ET DE L’IRRITABILITÉ 34
sang veineux, Ce qui est mon opinion particuliere ;
l'orgasme acquiert ou perd de son énergie selon que
le calorique intérieur qui se trouve produit, aug-
mente où diminue en quantité.
IT est fort indifférent, pour la validité de l'expli-
cation que je donne de l'orgasme, que le calorique
qui se produit dans l’intérieur des animaux à sang
chaud, soit le résultat de la décomposition de l'air
dans la respiration ou qu'il soit une émanation du
sang artériel à mesure qu'il se change en sang vei-
neux. Cependant, si l’on voulait revenir à l'examen
de cette question, Je proposerais les considérations
suivantes :
Si vous buvez un verre de liqueur spiritueuse, la
chaleur que vous sentez se développer dans votre
estomac ne provient pas assurément de votre respi-
ration augmentée. Or, s'il peut s'émaner du calori-
que de cette liqueur à mesure qu'elle subit des chan-
gements dans votre organe, il en peut s’exhaler
pareïllement de votre sang à mesure qu'il subit
lui-même des changements dans Pétat de ses par-
tes.
Si dans la fièvre, la chaleur intérieure est fort
augmentée, on observe qu'alors la respiration est
aussi plus fréquente, et de là lon conclut que la
consommation d'air est plus considérable, ce qui
appuie l’opimion que le calorique intérieur des ani
maux à sang chaud résulte de la décomposition de
l'air respiré. Je ne connais pas d'expérience qui
32 DE L’ORGASME
n’apprenne positivement si, pendant la fièvre, la
consommation d’air est réellement plus considéra-
ble que dans l’état de santé, je doute même que cela
soit ainsi, car, si la respiration est plus fréquente
dans cet état de maladie, il peut y avoir une com
pensafion en ce qu'alors chaque inspiration est moms
orande par la gène qu'éprouvent les parties, mais
ce que je sais, c’est que lorsque j'éprouve une in-
flammation locale, comme un furoncle ou toute au—
tre tumeur enflammée, il s'émane du sang des par-
ties souffrantes un calorique dune abondance
extraordinaire, et cependant je ne vois pas qu'au-
cune augmentation de respiration ait alors donné
lieu à cette surabondance locale de calorique; je
sens, au contraire, que le sang pressé et cumule
dans la partie malade, doit être exposé à un désor-
dre et à des altérations (ainsi que les parties sou
ples qui le contiennent) qui le mettent dans le cas de
produire en ce lieu le calorique observé.
Admettre que l’air atmosphérique contient dans
sa composition un fluide qui, lorsqu'il en est dégagé,
est un calorique expansif, Cest ce que je ne puis
faire ; j’ai exposé ailleurs mes motifs à cet égard.
A la vérité, je crois que Pair est composé d’oxy-
sene et d'azote et je sais qu'il contient du calorique
interposé entre ses parties, parce que dans notre
globe il n’y a nulle part de froid absolu. Je suis
mème tres-persuadé que le fluide combiné et fixé
qui, dans son dégagement, se trouve changé en
ET DE L’IRRITABILITÉ 33
calorique expansif, faisait auparavant partie cons-
tituante de notre sang ; que ce fluide combiné s’en
dégage sans cesse partiellement, et que, par son
dégagement successif, il produit notre chaleur in-
terne. Ge qui doit nous faire sentir que cette chaleur
interne ne vient pas de notre respiration, c’est que
si nous ne réparions continuellement les pertes que
fait notre sang par des aliments et conséquemment
par un chyle toujours renouvelé qui s’y verse, notre
respiration, sans cette réparation, ne rendrait pas à
notre sang les qualités qu'il doit avoir pour la con-
servation de notre existence.
Le bénéfice que les animaux retirent de leur res-
piration n’est pas douteux, leur sang en reçoit une
réparation dont ils ne pourraient se passer sans pé-
rir, etil parait qu'on est fondé à croire que c’est en
s'emparant de l’oxygene de lair, que le sang reçoit
une des réparations qui lui sont indispensables.
Mais dans tout cela il n’y a aucune preuve que le
calorique produit, vienne plutôt de l'air ou de son
oxygene que du sang même.
On peut dire la mème chose à l’égard de la com-
bustion : l’air en contact avec les matières enflam-
mées peut se décomposer et son oxygène dégagé
peut se fixer dans les résidus de cette combustion ;
mas 1l n'y a nulle preuve que le calorique alors
produit, vienne plutôt de l'oxygène de l’air que des
matières combustibles dans lesquelles je pense qu'il
était combiné. Tous les faits connus s'expliquent
LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 3
31 DE L’ORGASME
mieux et plus naturellement dans cette dernière opi-
nion que dans aucune autre.
Quoi qu'il en soit, le fait positif est que, dans un
grand nombre d'animaux, il y a un calorique ex-
pansif continuellement produit dans leur intérieur
et que c’est ce fluide invisible et pénétrant qui y en-
tretient l’orgasme et l'irritabilité de leurs parties
souples, tandis que dans les autres animaux lor-
gasme et l'irritabilité sont principalement le résultat
du calorique des mieux environnants.
Refuser de reconnaître l'orgasme dont je viens
de parler et le regarder comme un fait supposé,
c'est-à-dire comme un produit de l'imagination, ce
serait nier dans les animaux lexistence du /on des
parties dont ces corps jouissent pendant la durée de
leur vie. Or, la mort seule anéantit ce 0», ainsi que
l'orgasme qui le constituait.
ORGASME VÉGÉTAL
Il parait que, dans les végétaux, la cause excita-
trice des mouvements organiques agit principalement
sur les fluides contenus et les met seuls en mouve-
ment; tandis que le tissu cellulaire végétal, soit
simple, soit modifié en tubes vasculiformes, n’en re-
coit qu'un orgasme obscur, d’où nait une contracti-
lité générale très-lente, qui n’agit jamais isolément,
ni subitement.
Si dans la saison des chaleurs üne plante cultivée
ET DE L’IRRITABILITÉ 35
dans un pot où une caisse a besoin d’arrosement, ou
remarque que ses feuilles, extrémité de ses ra-
meaux, et ses jeunes pousses, sont pendantes et prè-
tes à se flétrir : la vie cependant y existe toujours;
mais logasme des parties souples de ce corps vi
vant y est alors très-affaibli. Si l’on arrose cette
plante, on la voit peu à peu redresser ses parties
pendantes, et montrer un air de vie et de vigueur
dont elle était privée lorsqu'elle manquait d’eau.
Ge rétablissement de la vigueur du végétal n’est
pas, sans doute, uniquement le produit des fluides
contenus nouvellement introduits dans la plante,
mais 1l est aussi l'effet de l'orgasme ranimé de ce
végétal, le fluide expansif qui cause cet orgasme,
pénétrant les parties de la plante avec d'autant plus
de facilité, que ses sues ou ses fluides contenus sont
plus abondants.
Ainsi l'orgasme obscur des végétaux vivants
cause, à la vérité, dans leurs parties solides, surtout
dans les plus nouvelles, une contractilité lente et
générale, une sorte de tension sans mouvements ins
tantanés, mais que différents faits autorisent à re-
connaître. Néanmoins, cet orgasme végétal ne donne
nullement aux organes la faculté de réagir subite-
ment au contact des objets qui devraient les affec-
ter, et conséquemment il a nullement la puissance
de produire l'irritabilité dans les parties de ces corps
vivants.
En effet, il n’est pas vrai, quoiqu'on ait dit le con-
36 DE L’'ORGASME
traire *, que les canaux dans lesquels se meuvent les
fluides visibles de ces corps vivants, soient sensibles
aux impressions des fluides excitateurs, et qu'ils se
relâchent et se distendent ensuite pour effectuer,
par une réaction subite, le transport et l'élaboration
de leurs fluides visibles, en un mot, qu'ils aient un
véritable fon.
Enfin, il n’est pas vrai que les mouvements par-
ticuliers observés, à certaines époques, dans les or-
ganes de la reproduction de diverses plantes, n1 que
ceux des feuilles, des pétioles et même des petits
rameaux et plantes dites sensitives, soient des pro-
duits et des preuves d’irritabilité existante dans ces
parties. J’ai observé et examiné ces mouvements, et
je me suis convaincu que leur cause n’avait rien de
comparable à lirritabilité animale. Voyez ce que
J'en audit Ep T0Ta m0.
Quoique la nature n’ait sans doute qu'un plan uni-
que et général pour l'exécution de ses productions
vivantes, elle a néanmoins varié partout ses moyens,
en diversifiant ces productions, selon les circonstances
et les objets sur lesquels elle a opéré. Mais l’homme,
dans sa pensée, s'efforce sans cesse de la restreindre
aux mêmes moyens, tant l’idée qu'il s’est formée de
la nature est encore éloignée de celle qu'il en doit
concevoir.
Que d'efforts n’a-t-on pas faits pour trouver par-
T
1 Richerand, Physiologie,t. !, p. 32.
ET DE L'IRRITABILITÉ 37
tout la génération sexuelle dans les deux regnes des
corps vivants ; et à l'égard des animaux, pour re-
trouver dans tous des nerfs, des muscles, le senti
ment, la volonté même qui est nécessairement un
acte d'intelligence! Que la nature serait déçue de ce
qu'elle est réellement, si elle se trouvait bornée aux
facultés que nous lui attribuons !
On vient de voir que l’orgasme se montre avec
une intensité tres-différente et par conséquent avec
des résultats tout à fait particuliers selon la nature
des corps vivants dans lesquels il est produit, et que
dans les animaux seulement il donne lieu à l#1-
tabilité. 11 convient donc d'examiner maintenant
en quoi consiste le phénomène singulier qui porte ce
non.
L’'IRRITABILITÉ
L’irritabilité est la faculté que possedent les par-
ties irritables des animaux de produire subitement
un phénomene local, qui peut s’exécuter dans chaque
point de la surface de ces parties, et se répéter de
suite autant de fois que la cause provocatrice de ce
phénomeneagit sur les points capables d'y donner lieu.
Ce phénomène consiste en une contraction subite
et un affaissement du point irrité; aflaissement ac—
compagné d’un resserrement des points environ
nants vers celui qui à été affecté, mais qui est bien-
tt suivi d'un mouvement contraire, c’est-à-dire
38 DE L'ORGASME
d’une distension du point irrité et des parties voisi-
nes; en sorte que l’état naturel des parties que lor-
gasme distend se rétablit aussitôt.
J'ai dit au commencement de ce chapitre que l’or-
gasme est formé et entretenu par le calorique, c’est
a-dire par un fluide invisible, expansif et pénétrant,
qui traverse avec une certaine lenteur les parties
souples des animaux, et y produit une tension ou
une espèce d’éréthisme. Or, si une impression quel
conque vient à s’opérer sur telle de ces parties, et
qu'elle y provoque une dissipation subite du fluide
invisible qui la distendait, aussitôt cette partie s’af-
faisse et se contracte : mais si, dans l'instant même,
une nouvelle quantité du fluide expansif se développe
et vient la distendre de nouveau, alors elle réagit
aussitôt, et produit ainsi le phénomène de l’irrita-
bilité.
Enfin, comme les parties voisines du point affecté
éprouvent elles-mêmes une légère dissipation du
fluide expansif qui les distendait, leur affaissement
et leur rétablissement étant alternatifs, les mettent
dans un état de tremblotement tres-passager.
Ainsi, une contraction subite de la partie affectée,
suivie d'une distension pareillement subite qui ré-
tablit cette partie dans son premier état, constitue le
phénomène local de l'éritabilité.
Le phénomene dont il s’agit n’exige nullement,
pour se produire, action d’aucun organe spécial,
car l’état des parties et la cause qui le provoque suf-
ET DE L’IRRITABILITÉ 39
fisent seuls à sa production; et, en effet, on l’ob-
serve dans les organisations animales les plus
simples : aussi, limpression qui donne lieu à ce
phénomène n’est transportée par aucun organe par-
ticulier à aucun centre de rapport, à aucun foyer
action ; enfin, tout se passe uniquement dans le
lieu mème de l'impression, et tous les points de la
surface des parties irritables sont susceptibles de le
produire et de le répéter toujours de la même ma-
niere. Ce phénomène, comme on:voit, est bien dif-
férent, par sa nature, de celui des sensations.
D’apres toutes ces considérations on voit claire-
ment que l'orgasme est la source où l’iritabilité
prend naissance ; mais cet orgasme se montre avec
une intensité tres-diflérente, selon la nature des
corps dans lesquels il est produit.
Dans les végétaux, où il est très-obscur, sans
énergie, et où 1l ne cause qu'avec une extrème len—
teur les affaissements et les distensions des parties,
il n'a nullement le pouvoir de produire l’éritabi-
lité.
Au contraire, dans les animaux où, par la nature
de la substance de leur corps, l’orgasme est tres-
développé, il produit avec célérité les contractions
et les distensions des parties, à la provocation des
causes qui les excitent; il y constitue l’érritabilité
d’une manière éminente.
Cabanis, dans son ouvrage intitulé : apports
du physique et du moral de l'homme, s'est pro-
A
40 DE L’'ORGASME
posé de prouver que la sensibilité et l'irritabilité
sont des phénomènes de même nature et qui ont une
source commune (//isloire des Sensations, vol. 1,
p. 90); dans la vue, sans doute, d'accorder ce que
l’on sait des animaux les plus imparfaits avec Popi-
nion ancienne et toujours admise, que tous les ani-
maux, sans exception, jouissent de la faculté de
sentir.
Les raisons que ce savant apporte pour montrer
l'identité de nature entre le sentiment et l'ürrilabi-
lité, ne m'ont paru ni claires, ni convaincantes :
aussi ne détruisent-elles nullement les considéra-
tions suivantes qui distinguent éminemment ces deux
facultés.
L’irrilabilité est un phénomène propre à lorga-
nisation animale, qui n’exige aucun organe spécial
pour s’exécuter, et qui subsiste quelque temps en-
core après la mort de lindividu. Qu'il y ait, dans
l’organisation, des organes spéciaux, où qu'il n’y en
ait aucun, cette faculté pouvant néanmoins exister,
est donc générale pour tous les animaux.
La sensibilité, au contraire, est un phénomène
particulier à certains animaux, en ce qu’elle ne peut
se manifester que dans ceux qui ont un organe spé
cial essentiellement distinct et seul propre à la pro-
duire, et en ce qu’elle cesse constamment avec la vie,
ou même un peu avant la mort.
On peut assurer que le sentiment ne peut avoir
leu dans un animal sans l'existence d’un organe spé-
ET DE L'IRRITABILITÉ nl
cial propre à le produire, c’est-à-dire sans un sys-
lème nerveux. Or, cet organe est toujours très-
distinct; car ne pouvant exister sans un centre de
rapport pour les nerfs, il ne saurait ètre impercep-
tible lorsqu'il existe. Cela étant ainsi, et quantité
d'animaux n'offrant aucun syslème nerveux, il est
évident que la sensibilité n’est pas une faculté gé-
nérale pour tous les animaux.
Enfin, le sentiment comparé à l’irritabilité, offre,
en outre, cette particularité distinctive, qu'ilcesseavec
la vie, où même un peu avant, tandis que l’érritabi-
litése conserve quelque temps encore après lamortde
l'individu, mème apres qu'il aurait été mis en pièces.
Le temps pendant lequel lirritabilité se conserve
dans les parties d’un individu après sa mort, varie,
sans doute, à raison du système d'organisation de
cet individu ; mais dans tous les animaux probable-
ment, l'érritabilité se manifeste encore après la ces-
sation de la vie.
Dans l'homme, l'orritabilité de celles de ses par-
ties qui en sont susceptibles, ne dure guere que deux
ou trois heures après qu'il a cessé de vivre, et moins
encore, selon la cause qui l’a fait périr : mais trente
heures apres avoir enlevé le cœur d'une grenouille,
ce cœur est encore irritable et susceptible de pro-
duire des mouvements lorsqu'on lirrite. Il y a des
insectes en qui des mouvements se manifestent plus
longtemps encore après avoir été vidés de leurs or-
ganes intérieurs.
42 DE L'ORGASME ET DE L’IRRITABILITÉ
A
D’après ce qui vient d’être exposé, on voit que
l’'irritabilité est une faculté particulière aux ani
maux; que tous en sont éminemment doués dans
toutes où dans certaines de leurs parties, et qu'un
orgasme énergique en est la source : on voit, en
outre, que cette faculté est fortement distincte de
celle de sentir ; que l’une est d’une nature très-dif-
férente de celle de l’autre, et que le sentiment ne
pouvant résulter que des fonctions d’un système
nerveux, muni, comme je l’ai fait voir, de son cen-
tre de rapport, il n'est propre qu'aux animaux qui
possedent un pareil système d’organes.
Examinons maintenant l'importance du tissu cel-
lulaire dans toute espèce d'organisation. |
CHAPITRE V
DU TISSU CELLULAIRE, CONSIDÉRÉ COMME
LA GANGUE DANS LAQUELLE TOUTE ORGANISATION
A ETÉ FORMÉE
À mesure que l’on observe les faits que nous pré-
sente la nature dans ses diverses parties, il est sin-
gulier de pouvoir remarquer que les causes, même
les plus simples, des faits observés, sont souvent
celles qui restent le plus longtemps inapercues.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que lon sait que tous
les organes quelconques dans les animaux sont en-
veloppés de #issu cellulaire, et que leurs momdres
parties sont dans le même cas.
En effet, il est reconnu depuis longtemps que les
membranes qui forment les enveloppes du cerveau,
des nerfs, des vaisseaux de tout genre, des glandes,
des viscères, des muscles et de leurs fibres, que la
peau mème du corps, sont généralement des produc-
tions du dessu cellulaire.
Cependant, 1l ne parait pas qu'on ait vu autre
4% DU TISSU
chose dans cette multitude de faits concordants, que
les faits eux-mêmes ; et personne, que je sache, n’a
encore aperçu que le issu cellulaire est la matrice
générale de toute organisation, et que sans ce tissu,
aucun corps vivant ne pourrait exister et n’aurait
pu se former.
Ainsi, lorsque j'ai dit’ que le issu cellulaire est
la gangue dans laquelle tous les organes des corps
vivants ont été successivement formés et que le
inouvement des fluides dans ce tissu est le moyen
qu'emploie la nature pour créer et développer peu à
peu ces organes aux dépens de ce même tissu, je
n'ai pas craint de me voir opposer des faits qui at
testeraient le contraire; car c'est en consultant les
faits eux-mêmes qu'on peut se convaincre que tout
organe quelconque a été formé dans le issu cellu-
laire, puisqu'il en est partout enveloppé, même dans
ses moindres parties.
Aussi voyons-nous que, dans l'ordre naturel, soit
des animaux, soit des végétaux, ceux de cescorps vi
vants dont l’organisation est la plus simple, et qui,
conséquemment, sont placés à l’une des extrémités
de l’ordre, n'offrent qu'une masse de tissu cellulaire
dans laquelle on n'aperçoit encore ni vaisseaux, ni
glandes, ni viscères quelconques; tandis que ceux
de ces corps qui ont l’organisation la plus compo—
1 Discours d'ouverture du cours d'animaux sans vertébres, prononcé
en 1806, p. 33. Des l'an 1796, j'exposais ces principes dans les premieres
lecons de mon cours.
CELLULAIRE 45
sée, et qui, par cette raison, sont placés à l’autre
extrémité de l’ordre, ont tous leurs organes telle-
ment enfoncés dans le #ssw cellulaire, que ce tissu
forme généralement leurs enveloppes et constitue
pour eux ce milieu commun par lequel ils commu
niquent et qui donne lieu à ces métastases subites, si
connues de tous ceux qui s'occupent de l'art de
guérir.
Comparez dans les animaux l’organisation tres-
simple des #rfusoires etdes polypes, qui n'offre dans
ces êtres imparfaits qu'une masse gélatineuse uni-
quement formée de tissu cellulaire, avec l’organisa-
tion très-composée des mammiferes, qui présente
un tissu cellulaire toujours existant, mais envelop-
pant une multitude d'organes divers, et vous juge-
rez si les considérations que j'ai publiées sur ce sujet
important sont les résultats d’un système imagi-
naire.
Comparez de même dans les végétaux l’organisa-
tion tres-simple des algues et des champignons avec
l'organisation plus composée d’un grand arbre ou
de tel autre végétal dicotylédon quelconque, et vous
déciderez si le plan général de la nature n’est pas
partout le même, malgré les variations infinies que
ses opérations particulières vous présentent.
Eflectivement, dans les algues inondées, telles que
les nombreux /ucus qui constituent une grande fa-
mille composée de différents genres, et telles encore
que les w/va, les conferva, etc., le tissu cellulaire
46 DU TISSU
à peine modifié se montre de maniére à prouver que
c’est lui seul qui forme toute la substance de ces
végétaux, en sorte que dans plusieurs de ces algues,
les fluides intérieurs, par leurs mouvements dans ce
tissu, n'y ont encore ébauché aucun organe quel-
conque, et dans les autres, ils n'y ont frayé que
quelques canaux rares qui vont alimenter les cor-
puscules reproductifs que les botanistes prennent
pour des graines, parce que souvent ils les trouvent
enveloppés plusieurs ensemble dans une vésicule
capsulaire, comme le sont aussi les gemmes de beau-
coup de sertulaires connues.
On ne peut donc se convaincre par observation
que, dans les animaux les plus imparfaits, tels que
les infusoires et les polypes, et dans les végétaux
les moins parfaits, tels que les alques et les cham-
pignons, tantôt il n'existe aucune trace de vaisseaux
quelconques et tantôt 1l ne se trouve que des canaux
rares simplement ébauchés ; enfin, on peut recon—
naître que l’organisation tres-simple de ces corps
vivants n'offre qu'un tissu cellulaire dans lequel les
fluides qui le vivifient se meuvent avec lenteur et
que ces corps dépourvus d'organes spéciaux ne se
développent, ne s’accroissent et ne se multiplient ou
ne se régénérent que par une faculté d'extension et
de séparation de parties reproductives qu'ils possè=
dent dans un degré très-éminent.
À la vérité, dans les végétaux, mème dans les
plus perfectionnés en organisation, il n’y a pas de
CELLULAIRE 17
vaisseaux comparables à ceux des animaux qui ont
un système de circulation.
Ainsi, l’organisation intérieure des végétaux n’of-
fre réellement qu'un #issu cellulaire plus ou moins
modifié par le mouvement des fluides, tissu qui est
très-peu modifié dans les algues, dans les champi-
gnons et mème dans les mousses, tandis qu'il l’est
beaucoup plus dans les autres végétaux et surtout
dans ceux qui sont dicotylédons. Mais partout, mème
dans les végétaux les plus perfectionnés, il n’y a vé-
ritablement à l’intérieur de ces corps vivants qu'un
tissu cellulaire modifié en une multitude de tubes
divers, la plupart parallèles entre eux par suite du
mouvement ascendant et du mouvement descendant
des fluides, sans que ces tubes, dans leur structure,
soient pour cela des canaux comparables aux vais-
seaux des animaux qui possédent un système de cir-
culation. Nulle part ces tubes végétaux ne s’entrela-
cent et ne forment ces masses particulières de vais-
seaux repliées et enlacées de mille maniéères que
nous nommons glandes conglomérées dans les ani-
maux qu ont une circulation. Enfin, dans tous les
végétaux sans exception, l'intérieur de ces corps ne
présente aucun organe spécial quelconque : tout y
est tissu cellulaire plus où moins modifié, tubes lon-
gitudinaux pour le mouvement des fuides et fibres
plus où moins dures et pareillement longitudinales
pour l’affermissement de la tige et des branches.
Si d’une part l’on reconnait que tout corps vivant
48 DU TISSU
quelconque est une masse de #ssu cellulaire dans
laquelle se trouvent enveloppés des organes divers
plus ou moins nombreux, selon que ce corps a une
organisation plus où moins composée, et si de l’au-
tre part l’on reconnaît aussi que ce corps, quel qu'il
soit, contient dans ses parties des fluides qui y sont
plus où moins en mouvement, selon que par l’état
de son organisation, il possede une vie plus ou moins
active où énergique, on doit donc conclure que c’est
au mouvement des fluides dans le /issu cellulaire
qu'il faut attribuer originairement la formation de
toute espece d’organe dans le sein de ce tissu et que
conséquemment chaque organe doit en être enve-
loppé, soit dans son ensemble, soit dans ses plus pe-
tites parties, ce qui a effectivement lieu.
Relativement aux animaux, je n’ai pas besoin de
faire sentir que, dans diverses parties de leur inté-
rieur, le #ssu cellulaire s'étant trouvé resserré la-
téralement par les fluides en mouvement qui Sy
ouvraient un passage, à été affaissé sur lui-même
dans ces parties; qu'ils’ y est trouvé comprimé
et transformé, autour de ces masses courantes de
fluide, en membranes enveloppantes ; et qu'a l’ex-
térieur, ces corps vivants étant sans cesse compri-
més par la pression des fluides environnants (soit
les eaux, soit les fluides atmosphériques), et modi-
fiés par des impressions externes, et par des dépôts
qui s’y sont fixés, leur issu cellulaire a formé cette
enveloppe générale de tout corps vivant qu'on
CELLULAIRE 49
nomme peau dans les animaux et écorce dans les
plantes.
J'étais donc fondé en raisons, lorsque j'ai dit « que
le propre du mouvement des fluides dans les parties
souples des corps vivants qui les contiennent, et
principalement dans le #issu cellulaire de ceux qui
sont Les plus simples, est de s’y frayer des routes,
des lieux de dépôt et des issues, d’y créer des ca-
naux et, par suite, des organes divers, d’y varier
ces canaux et ces organes à raison de la diversité,
soit des mouvements, soit de la nature des fluides
qui y donnent lieu, enfin, d'agrandir, d’allonger,
de diviser et de soldifier graduellement ces canaux
et ces organes par les matières qui se forment sans
cesse dans ces fluides composés, qui s’en séparent
ensuite, et dont une partie s’assimile et s’unit aux
organes, tandis que l’autre est rejetée au dehors. »
(Rech. sur les Corps vivants, p. 8 et 9.)
De même j'étais fondé en raisons, lorsque j’ai dit
« que l’état d'organisation dans chaque corps vivant
a été obtenu petit à petit par les progres de l’in-
fluence du mouvement des fluides (dans le #ssw cel-
lulaire d'abord, et ensuite dans les organes qui S'y
trouvent formés), et par ceux des changements que
ces fluides y ont continuellement subi dans leur na-
ture et leur état, par la succession habituelle de
leurs déperditions et de leurs renouvellements. »
Enfin, j'étais autorisé par ces considérations,
lorsque j'ai dit « que chaque organisation et chaque
LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 4
D0 DU TISSU
forme acquises par cet état de choses et par les cir-
constances qui y ont concouru, furent conservées et
transmises par la génération, jusqu’à ce que de nou
velles modifications de ces organisations et de ces
formes eussent été acquises par la même voie et par
de nouvelles circonstances. » (Rech. sur les Corps
vivants, p. 9.)
Il résulte de ce que je viens d'exposer, que le
propre du mouvement des fluides dans les corps vi-
vants, et par conséquent du mouvement organique,
est non-seulement de développer l’organisation, tant
que ce mouvement n’est point affaibli par l’indures-
cence que la durée de la vie produit dans les orga-
nes ; mais que ce mouvement des fluides a, en outre,
la faculté de composer peu à peu l’organisation, en
multipliant les organes et les fonctions à remplir, à
mesure que de nouvelles circonstances dans la ma-
niere de vivre, ou que de nouvelles habitudes con-
tractées par les individus, l’excitent diversement,
exigent de nouvelles fonctions, et conséquemment
de nouveaux organes.
J'ajoute à ces considérations, que plus le mouve=
ment des fluides est rapide dans un corps vivant,
plus il y complique l’organisation, et plus alors le
système vasculaire s’y ramifie.
C'est du concours non interrompu de ces causes
et de beaucoup de temps, ainsi que d’une diversité in-
finie de circonstances influentes, que les corps vivants
de tous les ordres ont été successivement formés.
CELLULAIRE 51
L'ORGANISATION VÉGÉTALE S’EST AUSSI FORMÉE
DANS UN TISSU CELLULAIRE
Que l’on se représente un #ssu cellulaire, dans
lequel, par certaines causes, la nature n’a pu éta-
blir l’érritabilité, et on aura l’idée de la gangue dans
laquelle toute organisation végétale a été formée.
Si l’on considère ensuite que les mouvements des
fluides dans les végétaux ne sont excités que par des
influences extérieures, on se convaincra que, dans
cette sorte de corps vivants, la vie ne peut avoir
qu'une faible activité, même dans les temps et les
climats où la végétation est rapide, et que consé-
quemment la composition de l’organisation, dans
ces êtres, est nécessairement restreinte dans des li-
mites tres-resserrées.
On s’est donné des peines infinies pour connaître
dans ses détails l’organisation des végétaux : on a
cherché en eux des organes particuliers où spéciaux,
comparables, s’il était possible, à quelques-uns de
ceux que l’on connait dans les animaux; et les ré-
sultats de tant de recherches n’ont abouti qu'à nous
1 L'analyse chimique a fait voir que les sübstances animales abondent
en azote, tandis que les substances végétales sont dépourvues de cette
matière, ou n’en contiennent que dans de très-petites proportions. Il
y a donc entre la nature des substances animales et celle des subs-
tances végétales une différence reconnuëé : or, cette différence peut
être la cause que les agents qui produiseut l'orgasme et l'irritabilité
des animaux ne peuvent établir les mêmes facultés dans les parties des
végétaux vivants,
52 DU TISSU
montrer dans leurs parties contenantes un issu cel-
lulaire plus ou moins serré, dont les cellules plus
ou moins allongées, communiquent entre elles par
des pores et des tubes vasculaires de différente
forme et grandeur, ayant la plupart des pores laté-
raux, ou quelquefois des fentes.
Tous les détails qui ont été présentés sur ce sujet
fournissent peu d'idées claires et générales, et les
seules qu'il nous semble convenable d'admettre
comme telles, sont :
1° Que les végétaux sont des corps vivants plus
imparfaits en organisation que les animaux, et dans
lesquels les mouvements organiques sont moins ac-
tifs, les fluides s’y mouvant avec plus de lenteur, et
l'orgasme des parties contenantes n’y existant que
d’une manière très-obscure ;
2° Qu'ils sont essentiellement composés de #issu
cellulaire, puisque ce tissu se reconnaît dans toutes
leurs parties, et que dans les plus simples d’entre
eux (les algues, les champignons, et vraisemblable-
ment toutes les plantes agaimes) on le trouve à peu
près seul et n’ayant encore subi que peu de modifi-
cations ;
9° Que le seul changement que le #ssu cellulaire
ait éprouvé dans les végétaux monocotylédons ou
dicotylédons, de la part des fluides qui ont été mis
en mouvement dans ces corps, consiste en ce que
certaines parties de ce #issu cellulaire ont été trans-
formées en fubes vasculaires, de grandeur et de
CELLULAIRE 03
forme variées, ouverts aux extrémités, et ayant la
plupart des pores latéraux divers.
J’ajouterai à tout ce que je viens de dire sur ce su
jet, que le mouvement des fluides se faisant en gé-
néral, soit en montant, soit en descendant, dans les
végétaux, l’on sent que leurs vaisseaux doivent être
presque toujours longitudinaux et à peu près paral-
leles entre eux, ainsi qu'a la direction de la tige et
des branches.
Enfin, la partie extérieure du #ssu cellulaire, qui
constitue la masse de chaque végétal et la matrice
de sa chétive organisation, étant affaissée et resser-
rée par les impressions que font sur elle le contact,
la pression et le froissement varié des milieux en-
vironnants, et se trouvant épaissie par des dépôts,
est transformée en un tégument général!, qu'on
nomme écorce, et qui est comparable à la peau des
animaux. De la l’on concoit que la surface externe
de cette écorce, plus désorganisée encore que l'écorce
elle-même, par les causes que je viens d'indiquer,
doit constituer cette pellicule extérieure qu'onnomme
épiderme, soit dans les végétaux, soit dans les ani-
maux .
1 Si les tiges des palmiers et de certaines fougères paraissent sans
écorce, c'est que ces tiges ne sont que des collets radicaux allongés,
dont l'extérieur offre une continuité de cicatrices qu'ont laissées les an-
ciennes feuilles après leur chute; ce qui fait qu'il n'y peut exister une
écorce continue ou sans interruption; mais on ne peut nier que chaque
partie séparée de cet extérieur n'ait son écorce particulière, quoique
plus ou moins perceptible, à cause du peu d'extension de ces parties.
54 DU TISSU
Ainsi, si l’on considère les végétaux sous le rap-
port de leur organisation intérieure, tout ce qu'ils
nous montrent de saisissable est, pour les plus
simples d’entre eux, un #ssu cellulaire sans vais-
seaux, mais diversement modifié, étendu ou resserré
dans ses expansions, par la forme particulière du
végétal; et pour ceux qui sont plus composés, un
assemblage de cellules et de tubes vascuhiformes de
différentes grandeurs, ayant, la plupart, des pores
latéraux , et des fibres plus ou moins abondantes
qui résultent du resserrement et de l’endurcisse-
ment qu'une partie des tubes vasculaires a été
forcée de subir. Voilà tout ce que présente l’orga-
nisation intérieure des végétaux, relativement aux
parties contenantes, leur #0elle même n’en étant
pas exceptée.
Mais si l’on considère les végétaux sous le rap-
port de leur organisation extérieure, tout ce qu'ils
nous offrent de plus général et de plus essentiel à
remarquer comprend :
1° Toutes les particularités gle leur forme, de
leur couleur, de leur consistance, et de celles de
leurs parties ;
20 [écorce qui les recouvre partout et qui les fait
communiquer par ses pores avec les milieux envi-
ronnants ;
3° Les organes plus où moins composés, qui
naissent à l'extérieur, se développent dans le cours
de la vie du végétal, servent à sa reproduction ,
CELLULAIRE 59
n’exécutent qu'une seule fois leurs fonctions, et sont
les plus importants à considérer pour déterminer les
caractères et les vrais rapports de chaque végétal.
C’est donc dans la considération des parties exté—
rieures des plantes, et principalement dans celle des
organes qui sont propres à leur reproduction, qu'il
faut chercher les moyens de caractériser les végé-
taux et de déterminer leurs rapports naturels.
D’après tout ce que je viens d'exposer, comme
étant le résultat positif des connaissances acquises
par l'observation, il est évident que, d’une part, les
vrais rapports dans les animaux ne peuvent être
déterminés que d’après leur organisation intérieure,
parce qu’elle en fournit les moyens et les seuls véri-
tablement importants, et que, de l’autre part, ces
rapports ne peuvent être pareillement déterminés
dans les végétaux, ainsi que les coupes qui y dis-
tinguent les classes, les ordres, les familles et les
genres, que d’après l’organisation extérieure de ces
corps vivants ; car leur organisation intérieure est
trop peu composée et trop confuse dans les diffé-
rentes modifications qu'on peut observer en elle,
pour offrir les moyens propres à remplir de pareils
objets.
Nous venons de voir que le issu cellulaire est
généralement la gangue ou la matrice dans laquelle
toute organisation a été primitivement formée, et
que ce fut par les suites du mouvement des fluides
intérieurs des corps vivants que tous leurs organes
56 DU TISSU CELLULAIRE
furent créés dans cette gangue et à ses dépens.
Maintenant nous allons examiner rapidement si l’on
est réellement autorisé à attribuer à la nature la
faculté de former des générations directes.
CHAPITRE VI
DES GÉNÉRATIONS DIRECTES OU SPONTANÉES
L'organisation et la vie sont le produit de la
nature, et en même temps le résultat des moyens
qu'elle a reçus de lAufeur suprême de toutes
choses et des lois qui la constituent elle-même : c’est
ce dont on ne saurait maintenant douter. Ainsi,
l’organisation et la vie ne sont que des phénomènes
naturels, et leur destruction dans l'individu qui les
possède n’est encore qu'un phénomène naturel, suite
nécessaire de l'existence des premiers.
Les corps sont sans cesse assujettis à des mutations
d'état, de combinaison et de nature , au milieu des-
quelles les uns passent continuellement de l’état de
corps inerte ou passif, à celui qui permet en eux la
vie, tandis que les autres repassent de l’état vivant
à celui de corps brut et sans vie. Ces passages de la
vie à la mort et de la mort à la vie font évidem-—
58 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
ment partie du cercle immense de toutes Les sortes
de changements auxquels, pendant le cours des
temps, tous les corps physiques sont soumis.
La nature, ai-je déja dit, crée elle-même les pre-
miers traits de l’organisation dans des masses où il
n’en existait pas; et ensuite l’usage et les mouve-
ments de la vie développent et composent les organes.
(Rech. sur les Corps vivants, p. 92.)
Quelque extraordinaire que puisse paraître cette
proposition, on ne pourra s'empêcher de suspendre
tout jugement qui tende à la rejeter, si on prend
la peine d'examiner et de peser sérieusement les
considérations que Je vais exposer.
Les anciens philosophes, ayant observé le pouvoir
de la chaleur, avaient remarqué l’extrême fécondité
que les différentes parties de la surface du globe en
recoivent de toutes parts, à mesure qu’elle y est
plus abondamment répandue ; mais ils négligérent
de considérer que le concours de l’hwmidité est la
condition essentielle qui rend la chaleur si féconde
et si nécessaire à la vie. Néanmoins, s'étant aperçus
que la vie, dans tous les corps qui la possedent, puise
dans la chaleur son soutien et son activité, et que sa
privation amène partout la mort, ils sentirent, avec
raison, que non-seulement la chaleur était néces-
saire au soutien de la vie, mais qu'elle pouvait
même la créer, ainsi que l’organisation.
Ils reconnurent donc qu'il s’opérait des généra-
lions directes, &’'est-à-dire des générations opérées
CI
OU SPONTANÉES 59
directement par la nature, et non formées par des
individus d'espèce semblable : ils les nommeérent
assez improprement générations spontanées ; et
comme ils s’aperçurent que la décomposition des
matières, soit végétales, soit animales, fournissait
à la nature des circonstances favorables à la création
directe de ces corps nouvellement doués de la vie,
ils supposèrent, mal à propos, qu’ils étaient le pro-
duit de la fermentation.
Je puis montrer qu'il n’y eut point d'erreur de la
part des anciens, lorsqu'ils attribuèrent à la nature
la faculté d'opérer des générations directes, mais
qu'ils en commirent une des plus évidentes, en ap-
pliquant cette vérité morale à quantité de corps
vivants qui ne sont et ne peuvent être nullement
dans le cas de participer à cette sorte de génération.
En effet, comme alors on n’avait pas suffisamment
observé ce qui se passe relativement à ce sujet, et
que l’on ignorait que la nature, à laide de la cha-
leur et de l’humidité, ne crée directement que les
premières ébauches de l'organisation et particulière
ment que celle des corps vivants qui commencent,
soit l'échelle animale, soit léchelle végétale, soit
peut-être certaines de leurs ramifications, les an-
ciens dont je parle penserent que les animaux à
organisation peu composée, qu'ils nommeérent, par
cette raison, animaux imparfaits, étaient tous les
résultats de ces générations spontanées.
Enfin, comme à ces époques l'histoire naturelle
60 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
n’avait fait presque aucun progrès, et qu’on n’avait
observé que très-peu de faits relatifs aux produc-
tions de la nature, les 2nsectes et tous les animaux
que l’on désignait alors sous le nom de vers, étaient
regardés généralement comme des animaux impar-
faits qui naissent, dans les temps et les lieux favora-
bles, du produit de la chaleur et de la corruption de
diverses matières.
On croyait alors que la chair corrompue engen-
drait directement des larves qui, par la suite, se mé-
tamorphosaient en mouches, que le suc extravasé
des végétaux qui, à la suite de certaines piqûres
d'insectes, donne lieu aux noix de galle, produisait
directement les larves qui se transforment en ci-
nips, etc., ete., ce qui est tout à fait sans fonde-
ment.
Ainsi, l'erreur des anciens, relative à une fausse
application qu'ils firent des générations directes de
la nature, c’est-à-dire de la faculté qu'elle a de
créer les premieres ébauches de l’organisation et les
premiers actes de la vie, se propageñt et se transmit
d'âge en âge, fut étayée par les faits mal jugés que
je viens de citer et devint, pour les modernes, le
motif ou la cause d’une autre erreur, lorsqu'ils
eurent reconnu la premiere.
En effet, à mesure que l’on sentit la nécessité de
recueillir des faits, et d'observer, avec précision, ce
qui a véritablement lieu à cet égard, on parvint à
découvrir l’erreur où les anciens étaient tombés :
OU SPONTANÉES ôl
des hommes célèbres par leur mérite et leurs talents
d'observation, tels que Rhedi, Leuivenoek, etc.,
prouvèrent que tous les insectes, sans exception,
sont ovipares, ou quelquefois en apparence vivipa-
res, qu'on ne voit jamais paraître des vers sur la
viande corrompue, que lorsque des mouches ont pu
y déposer leurs œufs, enfin, que tous les animaux,
quelque imparfaits qu'ils soient, ont les moyens de
se reproduire et de multiplier eux-mêmes les indi-
vidus de leur espèce.
Mais, malheureusement pour les progrès de nos
lumières, nous sommes presque toujours extrèmes
dans nos jugements comme dans nos actions, et il
ne nous est que trop commun d'opérer la destruc-
tion d’une erreur, pour nous jeter ensuite dans une
erreur opposée. Que d'exemples je pourrais citer à
cet égard, même dans l’état actuel des opinions
accréditées, si ces détails n'étaient étrangers à mon
objet !
Ainsi, de ce qu’il fût prouvé que tous les animaux,
sans exception, possèdent les moyens de se repro-
duire eux-mêmes, de ce que l’on reconnüt que les
insectes et tous les animaux des classes postérieures
ne se reproduisent que par la voie d’une génération
sexuelle, de ce que l’on aperçüt dans les vers et
les radiaires des corps qui ressemblent à des œufs,
enfin, de ce qu'il fût constaté que les polypes se
reproduisent par des gemmes ou des espèces de
bourgeons, lon en a conclu que les générations
62 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
directes, attribuées à la nature, n’ont jamais lieu,
et que tout corps vivant provient d’un individu
semblable de son espèce, par une génération, soit
vivipare, soit ovipare, soit même gemmipare.
Cette conséquence est défectueuse en ce qu’elle
est trop générale, car elle exclut les générations
directes opérées par la nature au commencement de
l'échelle, soit végétale, soit animale, et peut-être
encore au commencement de certaines ramifications
de cette échelle. D'ailleurs, de ce que les corps en
qui la nature a établi directement l’organisation et
la vie en obtiennent aussitôt la faculté de se repro-
duire eux-mêmes, s’en suit-il nécessairement que
ces corps ne proviennent que d'individus semblables
à eux? Non, sans doute, et c’est la l'erreur dans
laquelle on est tombé, après avoir reconnu celle des
anciens.
Non-seulement on n’a pu démontrer que les ani-
maux les plus simples en organisation, tels que les
infusoires, et, surtout, parmi eux, les monades, ni
que les végétaux les plus simples, tels, peut-être,
que les byssus de la première famille des algues,
provinssent tous d'individus semblables qui les au
raient produits; mais, en outre, il y a des observa-
tions qu tendent à prouver que ces animaux et ces
végétaux extrêmement petits, transparents, d’une
substance gélatineuse ou mucilagineuse, presque sans
consistance, singulièrement fugaces, et aussi facile-
ment détruits que formés, selon les variations de
OÙ SPONTANÉES 63
circonstances qui les font exister ou périr, ne peu-
vent laisser après eux des gages inaltérables pour
de nouvelles générations. Il est, au contraire, bien
plus probable que leurs renouvellements sont des
produits directs des moyens et des facultés de la
nature à leur égard, et qu'eux seuls, peut-être, sont
dans ce cas. Aussi, verrons-nous que la nature n’a
participé qu'indirectement à l'existence de tous les
autres corps vivants, les ayant fait successivement
dériver des premiers, en opérant peu à peu, à la
suite de beaucoup de temps, des changements et une
composition croissante dans leur organisation, et en
conservant toujours, par la voie de la reproduction,
les modifications acquises et les perfectionnements
obtenus.
S1 l’on reconnait que tous les corps naturels sont
réellement des productions de la nature, il doit être
alors de toute évidence que, pour donner l’existence
aux différents corps vivants, elle a dù nécessaire-
ment commencer par former les plus simples de
tous, c’est-à-dire par créer ceux qui ne sont vérita=
blement que de simples ébauches d'organisation, et
qu'à peine nous osons regarder comme des corps
organisés et doués de la vie. Mais lorsqu'à l’aide
des circonstances et de ses moyens, la nature est
parvenue à établir dans un corps les mouvements
qui y constituent la vie, la succession de ces mouve-
ments y développe l’organisation , donne lieu à la
nutrition, la première des facultés de la vie , et de
64 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
celle-ci naît bientôt la seconde des facultés vitales,
c’est-à-dire l'accroissement de ce corps.
La surabondance de la nutrition, en donnant lieu
à l’accroissement de ce corps, y prépare les maté-
riaux d’un nouvel être que l’organisation met dans
le cas de ressembler à ce même corps, et lui fournit
par là les moyens de se reproduire, d’où nait la
troisième des facultés de la vie.
Enfin, la durée de la vie dans ce corps augmente
graduellement la consistance de ses parties conte-
nantes, ainsi que Leur résistance aux mouvements
vitaux : elle affaiblit proportionnellement la nutri-
tion, amène le terme de l’accroissement, et finit par
opérer la mort de l'individu.
Ainsi, dés que la nature est parvenue à faire
exister la vie dans un corps, la seule existence de
la vie dans ce corps, quoiqu'il soit le plus simple en
organisation, y fait naître les trois facultés que je
viens de citer ; et ensuite sa durée dans ce même
corps en opère, par degrés, la destruction inévi-
table.
Mais nous verrons que la vie, surtout lorsque les
circonstances y sont favorables, tend sans cesse, par
sa nature, à composer l’organisation, à créer des
organes particuliers, à isoler ces organes et leurs
fonctions, et à diviser et multiplier ses divers cen-
tres d'activité. Or, comme la reproduction conserve
constamment tout ce qui a été acquis, de cette source
féconde sont sortis, avec le temps, les différents
OU SPONTANÉES 65
corps vivants que nous observons ; enfin, des rési-
dus qu'ont laissé chacun de ces corps après avoir
perdu la vie, sont provenus les différents minéraux
qui nous sont connus. Voilà comment tous les corps
naturels sont réellement des productions de la
nature, quoiqu’elle n’ait donné directement lexis-
tence qu'aux corps vivants les plus simples.
La nature n’établit la vie que dans des corps alors
dans l’état gélatineux où mucilagineux, et assez
souples dans leurs parties pour se soumettre facile-
ment aux mouvements qu'elle leur communique à
l’aide de la cause excitatrice dont j'ai déja parlé,
où d'un stimulus que je vais essayer de faire con-
naître. Ainsi, tout germe, au moment de sa fécon-
dation, c’est-à-dire à linstant où, par un acte orga-
nique, il recoit la préparation qui le rend propre à
jouir de la vie, et tout corps qui recoit directement
de la nature les premiers traits de l’organisation et
les mouvements de la vie la plus simple, se trou-
vent nécessairement alors dans l’état gélatineux ou
mucilagineux, quoiqu'ils soient cependant compo-
sés de deux sortes de parties, les unes contenantes,
et les autres contenues, celles-ci étant essentielle-
ment fluides.
COMPARAISON DE L’ACTE ORGANIQUE NOMMÉ FÉCONDATION
AVEC CET ACTE DE LA NATURE QUI DONNE LIEU AUX GÉNÉRATIONS
DIRECTES
Quelque inconnus que soient pour nous les deux
objets que je me propose de mettre ici en comparai-
LAMARCK, PHIL. ZOOT,. 1]. D
66 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
son, leurs rapports néanmoins sont des plus évidents,
puisque les résultats qui en proviennent sont à peu
près les mêmes. En effet, les deux actes dont il s’agit
font, de part et d'autre, exister la sie, ou lui don-
nent lieu de pouvoir s'établir dans des corps où elle
ne se trouvait pas auparavant, et qui ne pouvaient
la posséder que par eux. Ainsi, leur comparaison
attentivement suivie, ne peut que nous éclairer,
jusqu'à un certain point, sur la véritable nature de
ces actes.
J'ai déjà dit ! que, dans la génération des ani-
maux à mamelles, le mouvement vital paraissait
succéder immédiatement dans l'embryon à la fécon-
dation qu’il venait de recevoir, tandis que, dans les
ovipares, il y a un intervalle entre lacte de la
fécondation de l'embryon et le premier mouvement
vital que l’incubation lui communique ; et lon sait
que cet intervalle peut êtrequelquefoistrès-prolongé.
Or, dans le cours de cet intervalle, embryon
fécondé que l’on considère n’est pas encore au nom
bre des corps vivants; il est propre, sans doute, à
recevoir la vie, et, pour cela, il ne lui faut qu'un
stimulus que peut lui fournir lincubation, mais tant
que le mouvement organique ne lui a point été im
primé par ce stimulus, cet embryon fécondé n’est
qu'un corps préparé à posséder la vie, et non un
corps qui en soit doué.
1 Recherches sur les corps vivants, p. 46.
OU SPONTANÉES 67
Un œuf fécondé de poule ou de tout autre oiseau,
que l’on conserve pendant un certain temps, sans
l’exposer à l’incubation ou à l'élévation de tempéra-
ture qui en tient lieu, ne contient pas un embryon
vivant ; de même, une graine de plante, qui est vé-
ritablement un œuf végétal , ne renferme pas non
plus un embryon vivant, tant qu'on ne l’a point
exposée à la germination.
Or, si, par des circonstances particulieres, le
mouvement vital que procure l’incubation ou la ger-
mination n’est point communiqué à lembryon de
cet œuf ou de cette graine, il arrivera que, au bout
d’un temps relatif à la nature de chaque espèce et
de certaines circonstances, les parties de cet embryon
fécondé se détérioreront, et alors l’embryon dont il
s’agit, n'ayant jamais eu la vie en propre, ne subira
point la mort ; il cessera seulement d’être en état de
recevoir la vie et achèvera de se décomposer.
J'ai déjà fait voir, dans mes Mémiores de Physi-
que et d'Histoire naturelle (p.250), que la vie pou-
vait être suspendue pendant un temps quelconque,
et reprise ensuite.
Ici, je vais faire remarquer qu’elle peut être
préparée , soit par un acte organique, soit directe
ment par la nature elle-mème, sans aucun acte de
ce genre, en sorte que certains Corps, sans posséder
la vie, peuvent être préparés à la recevoir, par une
impression qui, sans doute, race dans ces corps
les preners traits de l’organisation.
68 ; DES GÉNÉRATIONS DIRÉCTES
Qu'est-ce, en effet, que la génération sexuelle, si
ce n’est un acte qui a pour but d'opérer la féconda-
tion, et ensuite, qu'est-ce que la fécondation elle-
même, si ce n’est un acte préparatoire de la vie, en
un mot, un acte qui dispose les parties d’un corps à
recevoir la vie et à en jouir ?
L'on sait que, dans un œuf qui n’a point été
fécondé, on trouve néanmoins un corps gélatineux
qui, à l'extérieur, ressemble parfaitement à un em-
bryon fécondé, et qui n’est autre que le germe qui
existe déjà dans cet œuf, quoiqu'il n’ait point recu
de fécondation.
Cependant, qu'est-ce que le germe d’un œuf qui
n’a recu aucune fécondation , si ce n’est un corps
presque inorganique, un corps non préparé inté—
rieurement à recevoir la vie, et auquel l’incubation
la plus complète ne pourrait la communiquer ?
C’est un fait généralement connu , que tout corps
qui reçoit la vie, ou qui recoit les premiers traits
de l’organisation qui le préparent à la possession de
la vie, est alors nécessairement dans un état gélati-
neux où mnucilagineux ; en sorte que les parties
contenantes de ce corps ont la plus faible consis-
tance, la plus grande flexibilité, et sont, consé-
quemment , dans le plus grand état de souplesse
possible.
Il fallait que cela fût ainsi . il fallait que les par-
ties solides du corps dont je parle fussent elles-,
mêmes dans un état tres-voisin des fluides, afin que
OU SPONTANÉES 69
la disposition qui peut rendre les parties intérieures
de ce corps propres à jouir de la vie, c’est-à-dire
du mouvement organique qui la constitue, pût être
facilement opérée.
Or, il me paraît certain que la fécondation sexuelle
n'est autre chose qu'un acte qui établit une disposi-
tion particulière dans les parties intérieures d’un
corps gélatineux qui le subit; disposition qui con-
siste dans un certain arrangement et une certaine
distension de ces parties, sans lesquels le corps dont
il s’agit ne pourrait recevoir la vie et en jouir.
Il suffit pour cela qu'une vapeur subtile et péné-
trante, échappée de la matière qui féconde, s’insinue
dans le corpuscule gélatineux susceptible de la re-
cevoir, qu'elle se répande dans ses parties, et qu’en
rompant, par son mouvement expansif, l'adhésion
qu'ont entre elles ces mêmes parties, elle y achève
l’organisation qui y était déja tracée, et la dispose
à recevoir la vie, c’est-à-dire les mouvements qui
la constituent.
Il parait qu'il y a cette différence entre l'acte de
la fécondation qui prépare un embryon à la pos-
session de la vie, et l'acte de la nature qui donne
lieu aux générations directes; que le premier
s'opère sur un petit corps gélatineux où mucilagi-
neux, dans lequel l’organisation était déjà tracée,
tandis que le second ne s'exécute que sur un petit
corps gélatineux où mucilagineux, dans lequel il ne
se trouve aucune esquisse d'organisation.
70 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
Dans le premier, la vapeur fécondante qui pénètre
dans l'embryon ne fait, par son mouvement expan-
sif, que désunir, dans le tracé de l’organisation, les
parties qui ne doivent plus avoir d’adhérence entre
elles, et que leur donner une certaine disposition.
Dans le second, les fluides subtils ambiants, qui
s’'mtroduisent dans la masse du petit corps gélati-
neux où mucilagineux qui les recoit, agrandissent
les interstices de ses parties intérieures et les trans-
forment en cellules ; dès lors, ce petit corps n’est
plus qu'une masse de issu cellulaire, dans laquelle
des fluides divers peuvent s’introduire et se mettre
en mouvement.
Cette petite masse gélatineuse ou mucilagineuse,
transformée en #issu cellulaire, peut donc alors jouir
de la vie, quoiqu’elle n'offre encore aucun organe
quelconque, puisque les corps vivants les plus sim-
ples, soit animaux, soit végétaux, ne sont réellement
que des masses de #issu cellulaire qui n’ont point
d'organes particuliers. À cet égard, je ferai remar-
quer que la condition indispensable pour Pexistence
de la vie dans un corps, étant que ce corps soit
composé de parties contenantes non fluides, et de
fluides contenus qui peuvent se mouvoir dans ces
parties, un corps que constitue un tissu cellulaire
très-souple, et dont les cellules communiquent entre
elles par des pores, peut remplir cet objet : le fait
lui-même atteste que cela peut être ainsi.
Si la petite masse dont il s’agit est gélatineuse,
OU SPONTANÉES 71
ce sera la vie animale qui pourra s’y établir, mais
si elle n’est que mucilagineuse, la vie végétale seule
pourra y exister.
Relativement à l’acte de fécondation organique,
si vous comparez l'embryon d’un animal ou d’un
végétal qui n’a point encore recu de fécondation,
avec le même embryon qui aura subi cet acte prépa-
ratoire de la vie, vous n’observerez entre eux aucune
différence perceptible, parce que la masse et la con-
sistance de ces embryons seront encore les mêmes,
et que les deux sortes de parties qui les constituent
se trouveront dans un terme extrème d’obscurité.
Vous concevrez alors qu'une flamme invisible ou
une vapeur subtile et expansive (aura vitalis), qui
s’émane de la matière fécondante, ne fait, en péné-
trant un embryon gélatineux ou mucilagineux, c’est
a-dire en traversant sa masse et se répandant dans
ses parties souples, qu'établir dans ces mêmes parties
une disposition qui n'y existait pas auparavant , que
détruire la cohésion de celles de ces parties qui doi-
vent être désunies, que séparer les solides des fluides
dans l’ordre qu'exige l’organisation déjà esquissée ,
et que disposer les deux sortes de parties de cet em-
bryon à recevoir le mouvement organique.
Enfin, vous concevrez que le #ouvement cilal qui
succède immédiatement à la fécondation dans les
mammiferes, et qui, au contraire, dans les ovipares
et dans les végétaux, ne s'établit qu'a l’aide de
diverses sortes d’incubation pour les uns et de la
72 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
germination pour les autres, doit ensuite développer
peu à peu l’organisation des individus qui en sont
doués.
Nous ne pouvons pénétrer plus avant dans le
mystère admirable de la fécondation , mais la con-
sidération qui le concerne et que je viens d'exposer
est incontestable, et elle repose sur des faits positifs
qui me semblent ne pouvoir être révoqués en
doute.
Il importait donc de faire remarquer que, dans un
autre état de choses, la nature imite elle-même,
pour ses générations directes, le procédé de la fé-
condation qu'elle emploie dans les générations
sexuelles, et qu'elle n’a pas besoin, pour cela, du
concours où des produits d'aucune organisation
préexistante.
Mais auparavant, il est nécessaire de rappeler
qu'un fluide subtil, pénétrant, dans un état plus ou
moins expansif, et vraisemblablement d’une nature
tres-analogue à celle du fluide qui constitue les
vapeurs fécondantes , se trouve continuellement ré-
pandu dans notre globe, et qu'il fournit et entretient
sans cesse le stimulus qui fait, ainsi que l'orgasme,
la base de tout mouvement vital; en sorte que l’on
peut assurer que, dans les lieux et les climats où
l'intensité d'action du fluide dont il s’agit se trouve
favorable au mouvement organique, celui-ci ne cesse
d'exister que lorsque des changements survenus dans
l’état des organes d’un corps qui jouit de la vie, ne
OU SPONTANÉES 73
permettent plus à ces organes de se prêter à la con-
tinuité de ce mouvement.
Ainsi, dans les climats chauds, où ce fluide
abonde , et particulièrement dans les lieux où une
humidité considérable se trouve jointe à cette cir-
constance, la vie semble naître et se multiplier par-
tout, l’organisation se forme directement dans des
masses appropriées où elle n'existait pas antérieu-
rement, et dans celles où elle existait déjà, elle se
développe avec promptitude et parcourt ses diffé
rents états, dans chaque individu, avec une célérité
singulièrement remarquable.
On sait, effectivement, que dans les temps et les
climats tres-chauds, plus les animaux ont leur orga-
nisation composée et perfectionnée , plus l’influence
de la température leur fait parcourir promptement
les différents états compris dans la durée de leur
existence, cette influence en rapprochant propor-
tionnellement les époques et le terme de leur vie.
On sait assez que, dans les régions équatoriales,
une jeune fille est nubile de tres-bonne heure, et
que de très-bonne heure aussi elle voit arriver lâge
du dépérissement où de la vieillesse. Enfin, c’est
une chose reconnue, que lintensité de la chaleur
rend fort dangereuses les différentes maladies con-
nues, en leur faisant parcourir leurs termes avec une
rapidité étonnante.
D'après ces considérations, on peut conclure que
la chaleur, quand elle est considérable, est nuisible
74 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
généralement à tous les animaux qui vivent dans
l'air, parce qu’elle raréfie fortement leurs fluides
essentiels. Aussi at-on remarqué que, dans les pays
chauds, principalement aux heures de la journée où
le soleil est très-ardent, ces animaux paraissent
souffrir, et se cachent pour éviter la trop grande
impression de la lumière.
Au contraire, tous les animaux aquatiques ne re-
coivent de la chaleur, quelque grande qu’elle puisse
être, que des effets favorables à leurs mouvements et
à leurs développements organiques ; et parmi eux, ce
sont surtout les plusimparfaits, tels que les #nfusoires,
les polypes et les radiaires, quien profitent le plus,
comme d’une circonstance avantageuse pour leur
multiplication et leur régénération.
Les végétaux, qui ne possèdent qu'un orgasme
imparfait et fort obscur, sont absolument dans le
mème cas que les animaux aquatiques dont je viens
de parler : car quelle que puisse être l’intensité de
la chaleur, si ces corps vivants ont suffisamment de
l’eau à leur disposition, ils ne végètent que plus
vigoureusement.
Nous venons de voir que la chaleur est indispen-
sable aux animaux les plus simplement organisés,
examinons maintenant s’il n’y à pas lieu de croire
qu'elle ait pu former elle-même, avec le concours de
circonstances favorables, les premières ébauches de
la vie animale.
OU SPONTANÉES 15
La nature, à l'aide de la chaleur, de la lumière,
de lélectricité et de l'humidité, forme des généra-
tions spontanées ow directes, à l'extrémité de chaque
règne des corps vivants, où se trouvent les plus sim-
ples de ces corps.
Cette proposition est si éloignée de l’idée que l'on
s’est formée à cet égard, que l’on sera porté long-
temps à la rejeter comme une erreur, et même à la
regarder comme l’un des produits de notre imagi-
nation.
Mais comme il arrivera tôt ou tard que des hom-
mes indépendants des préjugés, même de ceux qui
sont le plus généralement répandus, et profonds
observateurs de la nature, pourront entrevoir les
vérités que cette proposition renferme, je désire de
pouvoir contribuer à les leur faire apercevoir.
Je crois avoir prouvé, par le rapprochement des
faits analogues, que la nature, dans certaines cir-
constances, imite ce qui se passe dans la fécondation
sexuelle, et opére elle-même la vie dans des masses
isolées de matières qui se trouvent dans un état
propre à la recevoir.
En effet, pourquoi la chaleur et l'électricité qui,
dans certaines contrées et dans certaines saisons, se
trouvent si abondamment répandues dans la nature,
surtout à la surface du globe , n’y opéreraient-elles
pas sur certaines matiéres qui se rencontrent dans
un état et des circonstances favorables, ce que la
76 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
vapeur subhle des matières fécondantes exécute sur
les embryons des corps vivants qu’elle rend propres
à jouir de la vie?
Un savant célebre.(Lavoisier, Chimie, t. I,
p- 202) a dit, avec raison, que Dieu, en apportant la
lumiere, avait répandu sur la terre le principe de
l’organisation, du sentiment et de la pensée.
Or, la lumiere, que l’on sait être génératrice de
la chaleur, et cette dernière, que l’on a justement
regardée comme la mère de toutes les générations,
répandent au moins sur notre globe le principe de
l’organisation et du sentiment ; et comme le senti-
ment, à son tour, donne lieu aux actes de la pensée,
par suite des impressions multipliées que les objets
intérieurs et extérieurs exercent sur son organe, par
le moyen des sens, on doit reconnaitre dans ces bases
l'origine de toute faculté animale.
Cela étant ainsi, peut-on douter que la chaleur,
cette mère des générations, cette âme matérielle
des corps vivants, ait pu être le principal des moyens
qu'emploie directement la nature, pour opérer sur
des matières appropriées une ébauche d’organisa-
tion , une disposition convenable des parties, en un
mot, un acte de vitalisation analogue à celui de la
fécondation sexuelle ?
Non-seulement la formation directe des corps vi-
vants les plus simples a pu avoir lieu, comme je
vais le démontrer, mais la considération suivante
prouve qu'il est nécessaire que de pareilles forma-
OU SPONTANÉES 77
tions s’operent et se répètent continuellement, dans
les circonstances qui s’y trouvent favorables, sans
quoi l’ordre de choses que nous observons ne pour-
rait exister.
J'ai déjà fait voir que les animaux des premières
classes (les #nfusoires, les polypes et les radiaires)
ne se multiplient point par la génération sexuelle,
qu'ils n’ont aucun organe particulier pour cette gé-
nération, que la fécondation est nulle pour eux, et
que, conséquemment, ils ne font point d'œufs.
Maintenant, si nous considérons les plus impar-
faits de ces animaux, tels que les infusoires, nous
verrons que, lorsqu'il survient une saison rigou-
reuse, ils périssent tous , ou au moins ceux du pre-
mier de leurs ordres. Or, puisque ces animalcules
sont si éphémères et ont une si frèle existence, avec
quoi ou comment se régénérent-ils dans la saison où
on les voit reparaître ? Ne doit-on pas avoir lieu de
penser que des organisations si simples, que des
ébauches d’animalité si fragiles et de si peu de con-
sistance, ont été nouvellement et directement for-
mées par la nature, plutôt que de s’ètre régénérées
elles-mêmes? Voilà nécessairement la question où
il en faudra venir à l'égard de ces êtres singuliers.
On ne saurait donc douter que des portions de
matières Inorganiques appropriées, et qui se trouvent
dans un concours de circonstances favorables, ne
puissent, par l'influence des agents de la nature,
dont la chaleur et l’humidilé sont les principaux,
78 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
recevoir dans leurs parties cette disposition qui
ébauche l’organisation cellulaire, de là, conséquem-
ment, passer à l’état organique le plus simple, et
des lors jouir des premiers mouvements de la vie.
Sans doute, il n’est jamais arrivé que des matières
non organisées et sans vie, quelles qu'elles pussent
ètre, aient pu, par un concours quelconque de
circonstances , former directement un insecte, un
poisson, un oiseau, etc., ainsi que tel autre animal
dont l’organisation est déjà compliquée et avancée
dans ses développements. De pareils animaux ont
pu assurément recevoir l'existence que par la voie
de la génération, en sorte qu'aucun fait d’anima-
lisation ne peut les concerner.
Mais les premiers linéaments de l’organisation,
les premières aptitudes à recevoir des développe-
ments internes, c’est-à-dire par intus-susception,
enfin, les premières ébauches de l’ordre de choses et
du mouvement intérieur qui constituent la vie, se
forment tous les jours sous nos yeux , quoique jus-
qu'a présent on n’y ait fait aucune attention, et
donnent l'existence aux corps vivants les plus sim—
ples, qui se trouvent à l’une des extrémités de
chaque règne organique.
Il est bon d'observer que l’une des conditions
essentielles à la formation de ces premiers linéa-
ments de l’organisation, est la présence de l’hunu=
dité, et surtout celle de l’eau en masse fluide. Il
est si vrai que ce n’est uniquement qu'à la faveur
OU SPONTANKÉES 79
de l'humidité que les corps vivants les plus simples
peuvent se former et se renouveler perpétuellement,
que tous les 2nfusoires , tous les polypes et toutes
les radiaires, ne se rencontrent jamais que dans
l’eau ; en sorte qu’on peut regarder comme une vé-
rité de fait, que c’est exclusivement dans ce fluide
que le règne animal à pris son origine.
Poursuivons lexamen des causes qui ont pu créer
les premiers traits de l’organisation dans des masses
appropriées où 1l n’en existait pas.
Si, comme je l'ai fait voir, la lumiere est généra-
trice de la chaleur, celle-ci l’est, à son tour, de
l'orgasme vital qu'elle produit et eutretient dans les
animaux qui n’en ont point en eux la cause; ainsi,
elle peut donc en créer les premiers éléments dans
les masses appropriées qui ont reçu la plus simple de
toutes les organisations.
Si l’on considere que l’organisation la plus simple
n’exige aucun organe particulier, c’est-a-dire aucun
organe spécial, distinet des autres parties du corps
de l'individu et propre à une fonction particuliere
(ce que la simplification de l’organisation observée
dans beaucoup d'animaux qui existent rend évident),
l’on concevra qu'elle pourra s’opérer dans une petite
masse de matières qui possédera la condition sui
vante :
Toute masse de matières en apparence homo»
gène , d’une consistance gélatineuse ow mucilagi=
80 DES GENERATIONS DIRECTES
neuse, et dont les parties, cohérentes entre elles,
seront dans l’état le plus voisin de la fluidité, mais
auront seulement une consistance suffisante pour
constituer des parties contenantes, sera le corps le
plus approprié à recevoir les premiers traits de
l’organisation et la we.
Or, les fluides subtils et expansifs répandus et
toujours en mouvement dans les milieux qui envi-
ronnent une pareille masse de matières, la pénétrant
sans cesse et se dissipant de même, régulariseront,
en traversant cette masse, la disposition intérieure
de ses parties, la constitueront dans un état ce/lu-
laire, et la rendront propre alors à absorber et à
exhaler continuellement les autres fluides environ-
nants qui pourront pénétrer dans son intérieur et
qui seront susceptibles d'y être contenus.
On doit, en effet, distinguer les fluides qui péne-
trent dans les corps vivants :
1° En fluides contenables, tels que l'air atmos-
phérique, différents gaz, l’eau, etc. La nature de
ces fluides ne leur permet pas de traverser les pa-
rois des parties contenantes, mais seulement d’en-
trer et de s'échapper par des issues ;
2 En fluides incontenables, tels que le calo-
rique, l'électricité, ete. Ces fluides subtils étant
susceptibles, par leur nature, de traverser les parois
des membranes enveloppantes, des cellules, etc.,
aucun corps, par conséquent, ne peut les retenir ou
les conserver que passagèrement.
OÙ SPONTANÉES 81
D’après les considérations exposées dans ce cha-
pitre, ilme paraît certain que la nature opère elle-
même des générations directes où spontanées,
qu'elle en a les moyens, qu’elle les exécute à
l'extrémité antérieure de chaque règne organique
où se trouvent les corps vivants Les plus imparfaits,
et que c’est uniquement par cette voie qu'elle a pu
donner l'existence à tous les autres.
Ainsi, c’est pour moi une vérité des plus éviden-
tes, savoir : que la nature forme des générations
directes , dites spontanées, au commencement de
l’échelle , soit végétale, soit animale. Mais une
question se présente : est-il certain qu’elle ne donne
lieu à de semblables générations qu'à ce point de
l’une et de l’autre échelle ? J’ai pensé, jusqu'à prè-
sent, que cette question devait être résolue par
l'affirmative, parce qu'il me paraissait que pour
donner l’existence à tous les corps vivants, il suffi-
sait à la nature d’avoir formé directement les plus
simples et les plus imparfaits des végétaux et des
animaux.
Cependant, il y a tant d'observations constatées,
tant de faits connus qui semblent indiquer que la
nature forme encore des générations directes,
ailleurs qu'au commencement précis des échelles
animale et végétale, et l’on sait qu'elle a tant de
ressources , et qu'elle varie tellement ses moyens,
selon les circonstances, qu'il se pourrait que mon
opinion, qui borne la possibilité des générations
LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. Ô
82 DES GÉNÉRATIONS DIRECTES
directes aux points où se trouvent les végétaux et
les animaux les plus imparfaits , ne fût pas fondée.
En effet, dans différents points de la première
moitié de l’échelle, soit végétale , soit animale, au
commencement même de certaines branches sépa-
rées de ces échelles, pourquoi la nature ne pour-
rait-elle donner lieu à des générations directes , et,
selon les circonstances, établir dans ces diverses
ébauches de corps vivants, certains systèmes par-
ticuliers d'organisation , différents de ceux que lon
observe aux points où l'échelle animale et échelle
végétale paraissent commencer ?
N'est-il pas présumable, comme de savants natu-
ralistes l’ont déjà pensé, que les vers intestins,
qu'on ne trouve jamais ailleurs que dans le corps
des autres animaux, y sont des générations directes
de la nature ; que certaines vermines qui causent
des maladies à la peau, ou y pullulent à leur occa-
sion, ont encore une semblable origine ? Et parmi
les végétaux, pourquoi les moisissures, les cham-—
pignons divers, les lichens mêmes qui naissent et se
multiplient si abondamment sur les troncs d'arbres
et sur les pierres, à la faveur de l’humidité et d’une
température douce , ne se trouveraient-ils pas dans
le même cas ?
Sans doute, dès que la nature a créé directement
un corps végétal ou animal, bientôt l'existence de
la vie dans ce corps lui donne non-seulement la
faculté de s’accroître, mais, en outre, celle de pré-
OU SPONTANÉES 83
parer des scissions de ses parties, en un mot, de
former des corpuscules granuliformes propres à le
reproduire. S'ensuit-il que ce corps, qui vient d'ob-
tenir la faculté de multiplier les individus de son
espèce, n'ait pu lui-même provenir que de corpus-
cules semblables à ceux qu'il sait former ? C’est une
question qui, Je crois, mérite bien qu'on lexamine.
Que les générations directes, qui font l’objet de
ce chapitre, aient ou n'aient pas réellement lieu, ce
sur quoi, maintenant, je n'ai point d'avis prononcé,
toujours est-il certain, selon moi, que la nature en
exécute de réelles au commencement de chaque
règne de corps vivants, et que sans cette voie elle
n’eût jamais pu donner l’existence aux végétaux et
aux animaux qui habitent notre globe.
Passons maintenant à l’examen des résultats
immédiats de la vie dans un corps.
CÉHXCTTERN VIT
DES RÉSULTATS IMMÉDIATS DE LA VIE
DANS UN CORPS
Les lois qui régissent toutes les mutations que nous
observons dans la nature, quoique partout les mêmes
et jamais en contradiction entre elles, produisent
dans les corps vivants des résultats fort différents de
ceux qu'elles occasionnent dans les corps privés de
la vie et qui leur sont tout à fait opposés.
Dans les premiers, à la faveur de l’ordre et de l’état
de choses qui s’y trouvent, ces lois tendent et
réussissent continuellement à former des combinai-
sons entre des principes qui, sans cette circonstance,
n'en eussent jamais opéré ensemble, à compliquer
ces combinaisons et à les surcharger d’éléments
constitutifs ; en sorte que la totalité des corps vivants
peut être considérée comme formant un laboratoire
immense et toujours actif, dans lequel tous les com-
DES RÉSULTATS DE LA VIE DANS UN CORPS 85
posés qui existent ont originairement puisé leur
source.
Dans les seconds, au contraire, c’est-à-dire dans
les corps privés de la vie, où aucune force ne con-
court, par le moyen d’une harmonie dans les mou-
vements, à conserver l’intégrité de ces corps, ces
mêmes lois tendent sans cesse à altérer les combi-
naisons existantes, à les simplifier ou à diminuer la
complication de leur composition ; en sorte qu'avec
le temps elles parviennent à dégager presque tous
les principes qui les constituaient de leur état de
combinaison.
Voici un ordre de considérations dont les dévelop-
pements , bien saisis et appliqués à tous les faits
connus, ne peuvent que montrer de plus en plus la
solidité du principe que je viens d'établir.
Ces considérations , néanmoins, sont très-diffé-
rentes de celles qui ont fixé l'attention des savants ;
car ayant remarqué que les résultats des lois de la
nature dans les corps vivants étaient bien différents
de ceux qu’elles produisent dans les corps inanimés,
ils ont attribué à des lois particulières, pour les
premiers, les faits singuliers qu’on observe en eux,
et qui ne sont dus qu’à la différence de circonstances
qui existe entre ces corps et ceux qui sont privés de
la vie. Ils n’ont pas vu que les corps vivants, par
leur nature, c’est-à-dire par l’état et l’ordre de
choses qui produisent en eux la vie, donnaient aux
lois qui les régissent une direction, une force et des
86 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS
propriétés qu’elles ne peuvent avoir dans les corps
inanimés ; en sorte que, négligeant de considérer
qu'une même cause varie nécessairement dans ses
produits, lorsqu'elle agit sur des objets différents
par leur nature et les circonstances qui les concer-
nent, ils ont pris, pour expliquer les faits observés,
une route tout à fait opposée à celle qu'il fallait
suivre.
En effet, on a dit que les corps vivants avaient la
faculté de résister aux lois et aux forces auxquelles
tous les corps non vivants ou de matière inerte sont
assujettis, et qu’ils se régissaient par des lois qui
leur étaient particulières.
Rien n’est moins vraisemblable, et n’est, en effet,
moins prouvé, que cette prétendue faculté qu’on
attribue aux corps vivants, de résister aux forces
auxquelles tous les autres corps sont soumis.
Cette opinion, qui est à peu pres généralement
admise, puisqu'on la trouve exposée dans tous les
ouvrages modernes qui traitent de ce sujet, me pa-
raît avoir été imaginée, d’une part, par l'embarras
où l’on s’est trouvé lorsqu'on a voulu expliquer les
causes des différents phénomènes de la vie, et de
l’autre part, par la considération , intérieurement
senfie, de la faculté que possedent les corps vivants,
de former eux-mêmes leur propre substance, de
réparer les altérations que subissent les matières
qui composent leurs parties, enfin, de donner lieu à
des combinaisons qui n’eussent jamais existé sans
DE LA VIE DANS UN CORPS 87
eux. Ainsi, au défaut de moyens, on a tranché la
difficulté, en supposant des lois particulières que l’on
s’est dispensé en même temps de déterminer.
Pour prouver que les corps qui possèdent la vie
sont assujettis à un ordre de lois qui est différent de
celui auquel obéissent les êtres inanimés, et que les
premiers jouissent, en conséquence, d’une force
particulière, dont la principale propriété est, dit-on,
de les soustraire à l'empire des affinités chimiques,
M. Richerand cite les phénomènes que présente l’ob-
servation du corps humain vivant, savoir : « l’alté-
ration des aliments par les organes digestifs, l’ab-
sorption qu'operent les vaisseaux chyleux de leur
partie nutritive, la circulation de ces sucs nourri-
ciers dans le système sanguin, les changements
qu'ils éprouvent en traversant les poumons et les
glandes sécrétoires, limpressionnabilité par les
objets extérieurs, le pouvoir de s’en rapprocher ou
de les fuir, en un mot, toutes les fonctions qui
s’exercent dans l’économie animale. » Outre ces
phénomènes, ce savant cite, comme preuves plus
directes, la sensibilité et la contractilité, deux
propriétés dont sont douées les organes auxquels les
fonctions qui s’exécutent dans l’économie animale
sont confiées. (Eléments de Physiologie, vol. I,
p- 81.)
Quoique les phénomènes organiques qui viennent
d’être cités , ne soient pas généraux à l’égard des
corps vivants, ne le soient pas même relativement
83 DES RÉSULTATS IMMEDIATS
aux animaux, ils sont néanmoins très-fondés à l’égard
d’un grand nombre de ces derniers et du corps
humain vivant; et ils prouvent effectivement l’exis-
tence d’une force parhculière qui anime les corps
qui jouissent de la vie ; mais cette force ne résulte
nullement de lois propres à ces corps ; elle prend sa
source dans la cause excitatrice des mouvements
vitaux. Or, cette cause qui, dans les corps vivants,
peut donner lieu à la force en question, ne saurait
la produire dans les corps bruts ou sans vie, et ne
saurait animer ces derniers, quoiqu’elle soit influente
à l'égard des uns et des autres.
D'ailleurs, la force dont il s’agit ne soustrait pas
totalement les différentes parties des corps vivants
à l'empire des affinités chimiques: et M. Richerand
convient lui-même qu'il se passe dans les machines
animées des effets bien évidemment chimiques, phy-
siques et mécaniques; seulement ces effets sont tou-
jours influencés, modifiés et altérés par les forces de
la vie. J’ajouterai aux réflexions de M. Æicherand
sur ce sujet, que les altérations et les changements
que les effets des affinités chimiques produisent dans
les parties des corps vivants, où ils tendent à détruire
l’état de choses propre à y conserver la vie, y sont
sans cesse réparés, quoique plus où moins compléte-
ment, par les résultats de la force vitale qui agit
dans ces corps. Or, pour faire exister cette force
vitale et lui donner les propriétés qu'on lui connaît,
la nature n’a pas besoin de lois particulières ; celles
DE LA VIE DANS UN CORPS 89
qui régissent généralement tous les corps lui suffi-
sent parfaitement pour cet objet.
La nature ne complique jamais ses moyens sans
nécessité : si elle a pu produire tous les phénomènes
de l’organisation à l’aide des lois et des forces aux-
quelles tous les corps sont généralement soumis,
elle l’a fait sans doute, et n’a pas créé, pour régir
une partie de ses productions, des lois et des forces
opposées à celles qu’elle emploie pour régir l’autre
partie.
Il suffit de savoir que la cause qui produit la force
vitale, dans des corps où l’organisation et l’état des
parties permettent à cette force d'y exister et d'y
exciter les fonctions organiques, ne saurait donner
lieu à une puissancesemblable dans des corps bruts
ou inorganiques, en qui l’état des parties ne peut
permettre les actes et les effets qu'on observe dans
les corps vivants. La même cause dont je viens de
parler ne produit, à l’égard des corps bruts ou des
matières morganiques, qu'une force qui sollicite sans
cesse leur décomposition, et qui l’opère effectivement
et successivement, en se confondant aux affinités
chimiques, lorsque l'intimité de leur combinaison ne
s'y oppose pas.
Ï n’y a donc nulle différence dans les lois phy-
siques, par lesquelles tous les corps qui existent se
trouvent régis ; mais il s’en trouvent une considé-
rable dans les circonstances citées où ces lois
agissent.
90 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS
La force vitale, nous dit-on, soutient une lutte
perpétuelle contre les forces auxquelles obéissent les
corps inanimés, et la vie n’est que ce combat pro-
longé entre ces deux forces différentes.
Pour moi, je ne voisici, de part et d'autre, qu’une
mème force qui est sans cesse composante dans tel
ordre de choses, et décomposante dans tel autre
contraire. Or, comme les circonstances que ces deux
ordres de choses occasionnent se rencontrent tou-
jours dans les corps vivants, mais non à la fois dans
leurs mêmes parties et qu'elles s’y forment, en
succédant les unes aux autres par les changements
que les mouvements vitaux ne cessent d’y opérer, il
existe dans ces corps, pendant leur vie, une lutte
perpétuelle entre celles de ces circonstances qui y
rendent la force vitale composante, et celles, tou-
Jours renaissantes, qui la rendent décomposante.
Avant de développer ce principe, exposons quel-
ques considérations qu'il importe de ne point perdre
de vue.
Si tous les actes de la vie et tous les phénomènes
organiques, Sans exception, ne sont que le résultat
des relations qui existent entre des parties conte-
nantes dans un état approprié, et des fluides con-
tenus mis en mouvement, au moyen d’une cause
stimulante qui excite ces mouvements, les effets
suivants devront nécessairement provenir de lexis-
tence dans un corps, de l’ordre et de l’état de choses
que je viens d’énoncer.
DE LA VIE DANS UN CORPS 1
Effectivement, par suite de ces relations, ainsi que
des mouvements, des actions et des réactions que
produit la cause stimulante que je viens de citer, il
s'opère sans cesse dans tout Corps qui jouit d’une vie
active :
l° Des changements dans l’état des parties con-
tenantes de ce corps (surtout parmi les plus sou-
ples) et dans celui de ses fluides contenus ;
2° Des pertes réelles dans ces parties contenantes
et ces fluides contenus, occasionnées par les change-
ments qui s’opèrent dans leur état ou leur nature ;
pertes qui donnent lieu à des dépôts, des dissipa-
tions, des évacuations et des sécrétions de matières,
dont les unes ne peuvent plus être employées, tandis
que les autres peuvent l'être à certains usages;
3° Des besoins, toujours renaissants, de répara-
tion pour les pertes éprouvées; besoins qui exigent
perpétuellement dans ce corps, l'introduction de nou-
velles matières propres à y satisfaire, et auxquels
satisfont effectivement les aliments dont les animaux
font usage, et les absorptions qu'effectuent les végé-
taux :
4 Enfin, des combinaisons de divers genres que
les circonstances des différents actes de la vie et les
résultats de ces actes mettent uniquement dans le cas
de s'effectuer; combinaisons qui, sans ces résultats
et ces circonstances, n’eussent jamais eu lieu.
= Ainsi, pendant la durée de la vie dans un corps,
il se forme donc sans cesse des combinaisons qui
02 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS
sont d'autant plus surchargées de principes, que
l’organisation de ce corps y est plus propre; et il
se forme aussi sans cesse, parmi ses composés, des
altérations, et à la fin des destructions qui donnent
lieu perpétuellement aux pertes qu’il éprouve.
Tel est le fait positif et principal que l’observa-
tion constante des phénomènes de la vie confirmera
toujours.
Reprenons ici l’examen des deux considérations
importantes dont j'ai parlé plus haut, et qui nous
donnent, en quelque sorte, la clef de tous les phéno-
mènes relatifs aux corps composés, les voici :
La première concerne une cause générale et con-
tinuellement active, qui détruit, quoique avec une
lenteur ou une promptitude plus ou moins grande,
tous les composés qui existent;
La seconde est relative à une puissance qui forme
sans cesse des combinaisons, et qui les complique et
les surcharge de principes, à mesure que les cir-
constances y sont favorables. |
Or, quoique ces deux puissances solent en oppo-
sition, l’une et l’autre, néanmoins, prennent leur
source dans des lois et des forces qui ne le sont nul-
lement entre elles, mais qui régissent leurs effets
dans des circonstances tres-différentes.
J'ai déjà établi dans plusieurs de mes ouvrages
que, par le moyen des lois et des forces qu'emploie
4 Mémoires de Phys. et d'Hist. naturelle, p. 88; Hydrogéo-
logie, p. 98 et suiv.
DE LA VIE DANS UN CORPS 93
la nature, toute combinaison ou toute matière com
posée tend à se détruire, et que sa tendance à cet
égard est plus ou moins grande, plus où moms
prompte à s’effectuer, selon la nature, le nombre, les
proportions et l'intimité d’union des principes qui la
constituent. La raison en est que, parmi les prin-
cipes combinés dont il s’agit, certains d’entre eux
n’ont pu subir l’état de combinaison que par l’action
d’une force qui leur est étrangère et qui les modifie
en les fixant; en sorte que ces principes ont une ten-
dance continuelle à se dégager ; tendance qu'ils effec-
tuent à la provocation de toute cause qui la favorise.
Ainsi, la plus légère attention suffira pour nous con-
vaincre que la nature (l’activité du mouvement établi
dans toutes les parties de notre globe) travaille sans
relâche à détruire tous les composés qui existent, à
dégager leurs principes de l’état de combinaison, en
leur présentant sans cesse des causes qui provoquent
ce dégagement, et à ramener ces principes à l’état
de liberté qui leur rend les facultés qui leur sont
propres, et qu'ils tendent à conserver toujours; telle
est la première des deux considérations énoncées ci-
dessus.
Mais jai fait voir, en même temps, qu'il existe
aussi dans la nature une cause particulière, puis-
sante et continuellement active, qui a la faculté de
former des combinaisons, de les multiplier, de les
diversifier, et qui tend sans cesse à les surcharger
de principes. Or, cette cause puissante, qu'embrasse
94 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS
la seconde des deux considérations citées, réside dans
l'action organique des corps vivants, où elle forme
continuellement des combinaisons qui n’eussent
jamais existé sans elle.
Cetie cause particulière ne se trouve point dans
des lois qui soient propres à ces corps vivants, et
que l’on puisse regarder comme opposées à celles
qui régissent les autres corps, mais elle prend sa
source dans un ordre de choses essentiel à l’exis-
tence de la vie, etsurtout dans une force qui résulte
de la cause excilatrice des mouvements organiques.
Conséquemment, la cause particulière qui forme les
matières composées des,corps vivants naît de luni-
que circonstance capable de la faire exister.
Afin de pouvoir être entendu à cet égard, je dois
faire remarquer que deux hypothèses ont été imagi-
nées, dans l'intention d'expliquer tous les faits rela-
tifs aux composés existants, aux mutations qu'ils
subissent et aux combinaisons peu compliquées que
nous pouvons former nous-mêmes, détruire et réta-
blir ensuite.
L'une, généralement admise, est l'hypothèse des
affinités : elle est assez connue.
L'autre, et c’est mon opinion particulière, repose
sur la considération qu'aucune matiere simple quel-
conque ne peut avoir de tendance par elle-même à
se combiner avec une autre, que les affinités entre
certaines matières ne doivent point être regardées
comme des forces, mais comme des convenances qui
DE LA VIE DANS UN CORPS 95
permettent la combinaison de ces matières, etqu'en-
fin, nulles d’entre elles ne peuvent se combiner
ensemble, que lorsque une force qui leur est étran-
gère les contraint à le faire, et que leurs affinités
ou leurs convenances le leur permettent.
Selon l'hypothèse admise de ces affinités, aux-
quelles les chimistes attribuent des forces actives et
particulières, tout ce qui environne les corps vivants
tend à les détruire; en sorte que si ces corps ne
possédaient pas en eux un principe de réaction, 1ls
succomberaient bientôt par suite des actions qu'exer-
cent sur eux les matières qui les environnent. De
là, au lieu de reconnaître qu'une force excitatrice
des mouvements existe sans cesse dans les milieux
qui environnent tous les corps, soit vivants, soit ina-
nimés, et que, dans les premiers, elle réussit à opé-
rer les phénomènes qu'ils présentent, tandis que
dans les seconds, elle amène successivement des
changements que les affinités permettent, et finit
par détruire toutes les combinaisons existantes, on
a mieux aimé supposer que la vie, dans les corps
qui la possèdent, ne se maintient et ne développe
cette suite de phénomènes qui leurs sont propres,
que parce que ces corps se trouvaient assujettis à
des lois qui leur étaient tout à fait particulieres.
Un jour, sans doute, on reconnaitra que les
affinités ne sont point des forces, mais que ce sont
des convenances ou des espèces de rapports entre
certaines matières, qui leur permettent de contrac-
06 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS
ter entre elles une union plus ou moins intime, à
l’aide d’une force générale qui les y contraint et qui
se trouve hors d’elles. Or, comme entre les diffé-
rentes matieres, les affinités varient, ces matières,
qui en déplacent d’autres déjà combinées, ne le font
que parce qu'ayant une affinité plus grande avec tel
ou tel des principes de leurs combinaisons, elles sont
aidées dans cette action par cette force générale,
excilatrice des mouvements, et par celle qui tend à
rapprocher et à unir tous les corps.
Quant à la vie, tout ce qui en provient pendant
sa durée dans un corps résulte, d’une part, de la
tendance qu'ont les éléments constitutifs des compo
sés à se dégager de leur état de combinaison, sur
tout ceux qui ont subi une coercion quelconque, et
de l’autre part, des produits de la force excilatrice
des mouvements. En effet, il est aisé d’apercevoir
que, dans un corps organisé, cette force dont Je
parle, régularise son action dans chacun des organes
de ce corps, qu’elle met toutes les actions en har-
monie, par suite de la connexion de ces organes,
qu'elle répare partout, tant qu'ils conservent leur
intégrité, les altérations que la première cause avait
opérées, qu’elle profite des changements qui s’exé-
cutent dans les fluides composés et en mouvement,
pour s'emparer parmi ces fluides des matières assi-
milées qui s’y rencontrent et les fixer ou elles doi
vent être, enfin, qu'elle tend sans cesse, par cet
ordré de choses, à la conservation de la vie. Cette
DE LA VIE DANS UN CORPS 97
même force tend aussi, dans un corps vivant, à
Paccroissement des parties; mais bientôt, par une
cause particulière que j’exposerai en son lieu, cet
accroissement se borne presque partout et donne
alors à ce corps la faculté de se reproduire.
Ainsi, je le répète, cette force singulière qui
prend sa source dans la cause excilatrice des mou-
vements organiques et qui, dans les corps organisés,
fait exister la vie et produit tant de phénomeres
admirables, n’est pas le résultat de lois particu-
lières, mais celui de circonstances et d’un ordre
de choses et d'actions qui lui donnent le pouvoir de
produire de pareils effets. Or, parmi les effets aux-
quels cette force donne lieu dans les corps vivants,
il faut compter celui d'effectuer des combinaisons
diverses, de les compliquer, de les surcharger de
principes coercibles et de créer sans cesse des
matières qui, sans elle et sans le concours des cir-
constances dans lesquelles elle agit, n’eussent jamais
existé dans la nature.
Comme la direction des raisonnements générale-
ment admis par les physiologistes, les physiciens et
les chimistes de notre siècle, est tout autre que celle
des principes que je viens d'exposer et que j'ai déja
développés ailleurs', mon but n’est nullement
d'entreprendre de changer cette direction, et con-
séquemment de persuader mes contemporains ; mais
1 Hydrogéologie, p. 105.
«
LAMARCK, PHIL. ZOOL. II.
98 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS
j'ai dû rappeler ici les deux considérations dont il
s’agit, parce qu'elles complètent l'explication que
j'ai donnée des phénomènes de la vie, que je suis
convaincu de leur fondement et que je sais que,
sans elles, on sera toujours obligé de supposer pour
les corps vivans des lois contraires à celles qui
régissent les phénomènes des autres corps.
Il me paraît hors de doute que, si l’on examinait
suffisamment ce qui se passe à l'égard des objets
dont il s’agit, on serait bientôt convaincu :
Que tous les êtres doués de la vie ont la faculté,
par le moyen des fonctions de leurs organes; les
uns (les végétaux), de former des combinaisons
directes, c’est-à-dire d’unir ensemble des éléments
libres après les avoir modifiés et de produire immé-
diatement des composés; les autres (les animaux),
de modifier ces composés et de les changer de nature
en les surchargeant de principes et en augmentant
les proportions de ces principes d’une manière remar-
quable.
Je persiste donc à dire que les corps vivants for-
ment eux-mêmes, par l’action de leurs organes, la
substance propre de leurs corps et les matières
diverses que leurs organes sécrètent; et qu'ils ne
prennent nullement dans la nature cette substance
toute formée et ces matieres qui ne proviennent uni-
quement que d'eux seuls.
C’est au moyen des aliments, dont les végétaux et
les animaux sont obligés de faire usage pour con-
DE LA VIE DANS UN CORPS 99
server leur existence, que l’action des organes de
ces corps vivants parvient, en modifiant et changeant
ces aliments, à former des matières particulières qui
n’eussent jamais existé sans cette cause et à com—
poser, avec ces matières, par des changements et
des renouvellements perpétuels, le corps entier
quelles constituent, ainsi que les produits de ce
COrpS.
Par conséquent, toutes les matières, soit végé-
tales, soit animales, étant très-surchargées de prin-
cipes dans leur combinaison, et surtout de principes
coercés, l’homme n’a donc aucun moyen pour en for-
mer de pareilles ; il ne peut, par ses opérations, que
les altérer, les changer, les détruire enfin, ou. en
obtenir différentes combinaisons particulières, tou-
jours de moins en moins compliquées. Il n’y a que
les mouvements de la vie, dans chacun des corps
qui en sont doués, qui peuvent seuls produire ces
matières.
Ainsi, les végétaux, qui n’ont ni canal intestmal,
ni aucun autre organe quelconque pour exécuter
des digestions, et qui n’emploient conséquemment,
comme matieres alimentaires, que des substances
fluides ou dont les molécules n’ont ensemble aucune
agrégation (telles que l’eau, Pair atmosphérique, le
calorique, la lumière et les gaz qu'ils absorbent}
forment cependant, avec de pareils matériaux, au
moyen de leur action organique, tous les sucs pro-
pres qu'on leur connait et toutes les matieres dont
100 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS
leur corps est composé, c’est-à-dire forment eux-
mêmes les mucilages, les gomines, les résines, le
sucre, les sels essentiels, les huiles fices et vola-
liles, les fécules, le gluten, la matière extractire et
la matière ligneuse ; toutes substances qui résultent
tellement de combinaisons premières ou directes,
que jamais l’art n’en pourra former de semblables.
Assurément les zégélaux ne peuvent prendre dans
le sol, par le moyen de leurs racines, les Substances
que je viens de nommer : elles n’y sont pas, ou celles
qui s’y rencontrent sont dans un état d’altération ou
de décomposition plus où moins avancé; enfin, s’il
y en avait qui fussent encore dans leur état d’inté-
grité, ces corps vivants ne pourraient en faire aucun
usage, qu'ils n’en eussent préalablement opéré la
décomposition.
Les végétaux seuls ont donc formé directement
les matières dont je viens de parler; mais, hors de
ces végétaux, ces matieres ne peuvent leur devenir
utiles que comme engrais; c'est-à-dire qu'après
s'être dénaturées, consumées, et avoir subi la somme
d’altérations nécessaire pour leur donner cette faculté
essentielle des engrais, qui consiste à entretenir
autour des racines des plantes une humidité qui leur
est favorable. [
Les animaux ne sauraient former des combinai-
sons directes, comme les végétaux : aussi font-ils
usage de matières composées pour aliments; ont-
ils essentiellement une digestion à exécuter (du
DE LA VIE DANS UN CORPS 101
moins leur presque totalité), et conséquemment des
organes pour cette fonction.
Mais ils forment eux-mêmes aussi leur propre
substance et leurs matières sécrétoires : or, pour cela,
ilsne sont nullement obligésde prendre pour aliments,
et ces matières sécrétoires, et une substance sem
blable à la leur : avec de l'herbe ou du foin, le cheval
forme, par l’action de ses organes, son sang, ses au—
tres humeurs, sa chair ou ses muscles ; la substance de
son tissu cellulaire, de ses vaisseaux, de ses glandes ;
ses tendons, ses cartilages, sés os; enfin, la matière
cornée de ses sabots, de son poil et de ses crins.
C’est donc en formant leur propre substance et
leurs matières sécrétoires, que les animaux sur-
chargent singulièrement les combinaisons qu'ils pro-
duisent, et donnent à ces combinaisons létonnante
proportion ou quantité des principes qui constituent
les matières animales.
Maintenant, nous ferons remarquer que la subs-
tance des corps vivants, ainsi que les matières
sécrétoires qu'on leur voit produire, par le moyen
de leur action organique, varient dans les qualités
qui leur sont propres :
1° Selon la nature même de l'être vivant qui les
forme : ainsi, les productions végétales sont en
général différentes des productions animales; et,
parmi ces dernières, les productions des animaux à
vertebres sont en général différentes de celles des
animaux sans vertebres ;
102 DES RÉSULTATS IMMÉDIATS
20 Selon la nature de lorgane qui les sépare
des autres matières apres leur formation : les ma-
tières sécrétoires séparées par le foie ne sont pas
les mêmes que celles séparées par les reins, etc.;
3° Selon la force ou la faiblesse des organes de
l'être vivant et de leur action : les matières sécré-
toires d’une jeune plante ne sont pas les mêmes que
celles de la même plante fort âgée; comme celles
d’un enfant ne sont pas les mêmes que celles d’un
homme fait;
4 Selon que l'intégrité des fonctions organiques
est parfaite, ou qu'elle se trouve plus ou moins alté-
rée : les matières sécrétoires de l’homme sain ne
peuvent être les mêmes que celles de l’homme ma-
lade ;
o° Enfin, selon que le calorique, qui se forme
continuellement à la surface de notre globe, quoique
dans des quantités variables, suivant la différence des
climats, favorise, par son abondance, l’activité orga-
nique des corps vivants qu'il pénètre; ou qu'il ne
permet à cette activité organique, par suite de sa
grande rareté, qu'une action très-affaiblie : effecti-
vement, dans les climats chauds, les matières sécré-
toires que forment les corps vivants sont différentes
de celles qu'ils produisent dans les climats froids;
et, dans ces derniers climats, les matières sécrétées
par ces mêmes corps différent aussi entre elles, sui-
vant qu'elles sont formées dans la saison des cha-
leurs ou pendant les rigueurs de l'hiver.
DE LA VIE DANS UN CORPS 105
Je n’insisterai pas davantage ici pour montrer que
l’action organique des corps vivants forme sans
cesse des combinaisons qui n’eussent jamais eu lieu
sans cette cause : mais je ferai de nouveau remar-
quer que, s’il est vrai, comme on n’en saurait douter,
que toutes les matières minérales composées, telles
que les terres et les pierres, les substances métalli-
ques, sulfureuses, bitumineuses, salines, etc., pro-
viennent des résidus des corps vivants, résidus qui
ont subis des altérations successives dans leur com
position, à la surface et dans le sein de la terre et
des eaux ; il sera de mème tres-vrai de dire que les
corps vivants sont la source premiere où toutes les
matières composées connues ont pris naissance.
(Voyez mon Æydrogéologie, p. 91 et suiv.)
Aussi, tenterait-on vainement de faire une collec-
tion riche et variée de minéraux, dans certaines
régions du globe, telles que les vastes déserts de
l'Afrique, où, depuis nombre de siècles, l’on ne voit
plus de végétaux et où l’on ne rencontre que quel-
ques animaux passagers.
Maintenant que j'ai fait voir que les corps vivants
formaient eux-mêmes leur propre substance, ainsi
que les différentes matieres qu'ils sécrètent, je vais
dire un mot de la faculté de se nourrir et de celle de
s’accroître, dont jouissent, dans de certaines limites,
tous ces corps, parce que ces facultés sont encore
le résultat des actes de la vie.
GEA PILTRE VE
DES FACULTÉS COMMUNES A TOUS LES CORPS
VIVANTS
C’est un fait certain et bien reconnu, que les corps
vivants ont des facultés qui leur sont communes,
et qu'ils reçoivent, conséquemment , de la vie qui
les transmet à tous les corps qui la possèdent.
Mais ce qui, je crois, n’a pas été considéré, c’est
que les facultés qui sont communes à tous les corps
vivants n'exigent point d'organes particuliers pour
les produire, tandis que les facultés qui sont parti-
culières à certains de ces corps exigent absolument
l'existence d’un organe spécial propre à y donner
lieu.
Sans doute, aucune faculté vitale ne peut exister
dans un corps, sans l’organisation, et l’organisation
elle-même n’est qu’un assemblage d'organes réunis.
Mais ces organes, dont la réunion est nécessaire à
DES FACULTÉS COMMUNES 105
l'existence de la vie, ne sont nullement particuliers
à aucune portion du corps qu'ils composent ; ils sont,
au contraire, répandus partout dans ce corps, et
partout aussi ils donnent lieu à la vie, ainsi qu'aux
facultés essentielles qui en proviennent. Donc les
facultés communes à tous les corps vivants sont
uniquement produites par les causes mêmes qui font
exister la vie.
Il n’en est pas de même des organes spéciaux qui
donnent lieu à des facultés exclusives à certains
corps vivants : la vie peut exister sans eux ; mais
lorsque la nature parvient à les créer, les principaux
d’entre eux ont une connexion si grande avec l’ordre
de choses qui existe dans les corps qui sont dans ce
cas, que ces organes sont alors nécessaires à la con-
servation de la vie dans ces corps.
Ainsi, ce n’est que dans les organisations les plus
simples que la vie peut exister sans organes spéciaux ;
et alors ces organisations sont réduites à ne produire
aucune autre faculté que celles qui sont communes à
tous les corps vivants.
Lorsque lon se propose de rechercher ce qui
appartient essentiellement à la vie, l’on doit distin-
guer les phénomenes qui sont propres à tous les
corps qui la possedent de ceux qui sont particuliers
à certains de ces corps : et comme les phénomènes
que nous offrent les corps vivants sont les indices
d'autant de facultés dont ils jouissent, la distinction
dont il s’agit séparera utilement les facultés qui sont
106 DES FACULTÉS COMMUNES
communes à tous les corps doués de la vie de celles
qui sont particulières à certains d’entre eux.
Les facultés communes à tous les corps vivants,
c’est-à-dire celles dont ils sont exclusivement doués
et qui constituent autant de phénomènes qu'eux seuls
peuvent produire, sont :
1° De se nourrir à l’aide de matières alimentaires
incorporées ; de l'assimilation continuelle d’une partie
de ces matières qui s'exécute en eux; enfin, de la
fixation des matières assimilées, laquelle répare,
d’abord avec surabondance , ensuite plus ou moins
complétement, les pertes de substance que font ces
corps dans tous les temps de leur vie active;
2° De composer leur corps, c’est-à-dire de former
eux-mêmes les substances propres quile constituent,
avec des matériaux qui en contiennent seulement
les principes, et que les matières alimentaires leur
fournissent particulièrement ;
3° De se développer et de s’accroître jusqu'à un
certain terme, particulier à chacun d’eux, sans que
leur accroissement résulte de l’apposition à l'extérieur
des matières qui se réunissent à leur corps ;
4 Enfin, de se régénérer eux-mêmes, c’est-à-dire
de produire d’autres corps qui leur soient en tout
semblables.
Qu'un corps vivant, végétal ou animal, ait une
organisation fort simple ou très-composée ; qu'il
soit de telle classe, de tel ordre, etc. ; il possède
essentiellement les quatre facultés que je viens
A TOUS LES CORPS VIVANTS 107
d’énoncer. Or, comme ces facultés sont exclusive-
ment le propre de tous les corps vivants, on peut
dire qu’elles constituent les phénomenes essentiels
que ces corps nous présentent.
Examinons maintenant ce qu’il nous est possible
d’apercevoir et de penser relativement aux moyens
que la nature emploie pour produire ces phénomènes
exclusivement communs à tous les corps vivants.
Si la nature ne crée directement la vie que dans
les corps qui ne la possédaient pas ; si elle ne crée
l’organisation que dans sa plus grande simplicité
(chap. vi) ; enfin, si elle n’y entretient les mouve-
ments organiques qu'à l’aide d’une cause excitatrice
de ces mouvements (chap. 11) ; on demandera com-—
ment les mouvements, entretenus dans les parties
d’un corps organisé, peuvent donner lieu à la nutri-
tion, à l'accroissement, à la reproduction de ce
corps, et lui donner en même temps la faculté de
former lui-même sa propre substance.
Sans vouloir donner l'explication de tous les
objets de détail qui concernent cette œuvre admira-
ble de la nature, ce qui nous exposerait à des erreurs
et pourrait compromettre les vérités principales que
observation a fait apercevoir, je crois que, pour
répondre à la question qui vient d'être énoncée, 1l
suffit de présenter les observations et les réflexions
suivantes :
Les actes de la vie, ou autrement les mouvements
organiques, à l’aide des affinités et de l’écartement
108 DES FACULTÉS COMMUNES
des principes déjà combinés que ces mouvements et
la pénétration des fluides subtils entrainent, opèrent
nécessairement des changements dans l’état, soit des
parties contenantes , soit des fluides contenus d’un
corps vivant. Or, de ces changements qui forment
des combinaisons diverses et nouvelles résultent
différentes sortes de matières, dont les unes, par la
continuité du mouvement vital, sont dissipées ou
évacuées, tandis que les autres sont seulement sépa-
rées des parties qui n’ont pas encore changé de na-
ture. Parmi ces matières séparées, les unes sont
déposées en certains lieux du corps ou reprises par
des canaux absorbants, et servent à certains usages ;
telles sont la lymphe, la bile, la salive , la matière
prolifique , etc. ; mais les autres, ayant reçu cer-
taines assimilalions , sont transportées par la force
générale qui anime tous les organes et fait exécuter
toutes les fonctions, et ensuite sont fixées dans des
parties de convenance ou semblables , soit solides,
soit souples et contenantes, dont elles réparent les
pertes, et dont, en outre, elles augmentent l'étendue,
selon leur abondance et la possibilité qu'elles y trou-
vent.
C’est donc par la voie de ces dernières, c’est-à-
dire des matiéres assimilées, où devenues propres
à certaines parties, que s'exécute la nutrition.
Ainsi, la première des facultés de la vie, la nutri-
tion, n’est essentiellement qu'une réparation des
pertes éprouvées ; ce n’est qu'un moyen qui rétablit
A TOUS LES CORPS VIVANTS 109
ce que la tendance de toutes les matières composées
vers leur décomposition était parvenue à effec-
tuer à l’égard de celles qui se sont trouvées dans
des circonstances favorables. Or, ce rétablissement
s'opère à l’aide d’une force qui transporte les matie-
res nouvellement assimilées dans les lieux où elles
doivent être fixées, et non par aucune loi parti
culière, ce que je crois avoir mis en évidence. En
effet, chaque sorte de partie du corps animal sécrète
et s’approprie, par une véritable affinité, les molé-
cules assimilées qui peuvent s'identifier avec elle.
Mais la nutrition est plus où moins abondante,
selon l’état de l’organisation de l'individu.
Dans la jeunesse de tout corps organisé doué de
la vie, la nutrition est d’une abondance extrème ;
et alors elle fait plus queréparer les pertes, car elle
ajoute à l'étendue des parties.
En effet, dans un corps vivant, toute partie conte-
nante encore nouvelle est, par suite des causes de sa
formation, extrèmement souple et d’une faible con
sistance. La nutrition alors s’y exécute avec tant de
facilité qu'elle y est surabondante. Dans ce cas, non-
seulement elle répare complétement les pertes ; mais
en outre, par une fixation interne de particules
assimilées , elle ajoute successivement à l’étendue
des parties et devient la source de l'accroissement
du jeune individu qui jouit de la vie.
Mais après un certain terme, qui varie suivant la
nature de l’organisation dans chaque race, les par-
110 DES FACULTÉS COMMUNES
ties, même les plus souples, de cet individu, perdent
une grande partie de leur souplesse et de leur
orgasme vital; et leur faculté de nutrition se trouve
alors proportionnellement diminuée.
La nutrition, dans ce cas, se trouve bornée à la
réparation des pertes ; l’état du corps vivant est sta-
tionnaire pendant un certain temps; et ce corps
jouit, à la vérité, de sa plus grande vigueur, mais
ne s’accroit plus. Or, lexcédant des parties prépa-
rées, qui n’a pu être employé ni à la nutrition, ni à
l'accroissement, recoit de la nature une autre desti-
nation et devient la source où elle puise ses moyens
pour reproduire d’autres individus semblables.
Ainsi, la reproduction, troisième des facultés
vitales, tire, de même que l’accroissement, son ori-
gine de la nutrition ou plutôt des matériaux prépa-
rés pour la nutrition. Mais cette faculté de repro-
duction ne commence à jouir de son intensité que
lorsque la faculté d’accroissement commence à dimi-
nuer : on sait assez combien l’observation confirme
cette considération; puisque les organes reproduc-
teurs (les parties sexuelles), dans les végétaux
comme dans les animaux, ne commencent à ce déve-
lopper que lorsque l'accroissement de l'individu est
sur le point de se terminer.
J'ajouterai que les matériaux préparés pour la
nutrition étant des particules assimilées et en autant
de sortes qu'il y a de parties différentes dans un
corps, la réunion de ces diverses particules que la
A TOUS LES CORPS VIVANTS 111
nutrition et l'accroissement n’ont pu employer
fournit les éléments d’un très-petit corps orga-
nisé parfaitement semblable à celui dont il pro-
vient.
Dans un corps vivant tres-simple et qui n’a pas
d'organes spéciaux, l’excédant de la nutrition ren-
contrant le terme qui fixe l'accroissement de l’indi-
vidu est alors employé à former et à développer
une partie qui se sépare ensuite de ce corps vivant,
et qui, continuant de vivre et de s’accroîitre, consti-
tue un nouvel individu qui lui ressemble. Tel est
effectivement le mode de reproduction par scission
du corps et par gemmes ou bourgeons, lequel s’exé-
cute sans exiger aucun organe particulier pour y
donner lieu.
Enfin, à un terme encore plus éloigné, terme
pareillement variable, même dans les différents mdi-
vidus d’une race, selon les circonstances de leurs
habitudes et celles du climat qu'ils habitent, les par-
ties les plus souples du corps vivant qui y est par-
venu ont acquis une rigidité telle, et une si grande
diminution dans leur orgasme, que la nutrition ne
peut plus réparer qu'incomplétement ses pertes.
Alors ce corps dépérit progressivement; et si quel-
que accident léger, quelque embarras intérieur que
les forces diminuées de la vie ne sauraient vaincre,
n'en amenent pas la fin dans cet individu, sa vieil-
lesse croissante est nécessairement et naturel-
lement terminée par la mort, qui survient à
112 DES FACGULTÉS COMMUNES
l’époque où l’état de choses qui existait en lui cesse
de permettre l'exécution des mouvements orga-
niques.
On a nié cette rigidité des parties molles, crois-
sante avec la durée de la vie, parce qu'ou a vu
qu'après la mort le cœur et les autres parties molles
d’un vieillard s’affaissaient plus fortement et deve-
naient plus flasques que dans un enfant où un jeune
homme qui vient de mourir. Mais on n’a pas fait
attention que l’orgasme et l’'irritabilité, qui subsistent
quelque temps encore apres la mort, se prolongeaient
davantage et conservaient plus d'intensité dans les
jeunes individus que dans les vieillards, où ces facul-
tés très-diminuées s’éteignent presque en même
temps que la vie, et que cette cause seule donnait
lieu aux effets remarqués.
C’est ici le lieu de faire voir que la nutrition ne
peut s’opérer sans augmenter peu à peu la consis-
tance des parties qu'elle répare.
Tous les corps vivants, et principalement ceux en
qui une chaleur interne se développe et s’entretient
pendant Îe cours de la vie, ont continuellement une
portion de leurs humeurs et même du tissu de leur
corps dans un véritable.état de décomposition ; ils
font sans cesse, par conséquent, des pertes réelles,
et l’on ne peut douter que ce ne soit aux suites de
ces altérations des solides et des fluides des corps
vivants que sont dues différentes matières qui se
forment en eux, dont les unes sont sécrétées et
A TOUS LES CORPS VIVANTS 113
déposées où retenues, tandis que les autres sont éva-
cuées par diverses voiles.
Ces pertes ameneraient bientôt la détérioration
des organes et des fluides de l'individu, si la nature
n’eût pas donné aux corps vivants qui les éprouvent
une faculté essentielle à leur conservation : celle de
les réparer. Or, des suites de ces pertes et de ces
réparations perpétuelles, 1l arrive qu'après un cer-
tain temps de la durée de la vie, le corps qui y est
assujetti peut ne plus avoir dans ses parties aucune
des molécules qui les composaient originairement.
On sait que la nutrition effectue les réparations
dont je viens de parler; mais elle le fait plus ou
moins complétement, selon l’âge et l’état des organes
de lindividu, comme je l'ai remarqué plus haut.
Outre cette inégalité connue dans le rapport des
pertes aux réparations selon les âges des individus,
il en existe une autre tres-importante à considérer,
et à laquelle cependant il ne parait pas qu’on ait
donné d'attention. Il s’agit de l'inégalité constante
qui a lieu entre les matiéres assimilées et fixées par
la nutrition et celles qui se dégagent à la suite des
altérations continuelles qui viennent d’être citées.
J'ai fait voir dans mes Recherches, ete. (vol. I,
p. 202), que la cause de cette inégalité vient de ce
que :
L'assimilation (la nutrition qui en résulte) four-
nil toujours plus de principes ou de matières fixes
LAMARCK, PHIL,. ZOOL. Il. 8
114 DES FACULTÉS COMMUNES
que la cause des perles n'en enlève ou n’en fuit dis-
siper.
Les pertes et les réparations successives que font
sans cesse les parties des corps vivants ont été de-
puis longtemps reconnues, et néanmoins ce n’est
que depuis peu d'années que l’on commence à sentir
que ces pertes résultent des altérations que les fluides
et mème les solides de ces corps éprouvent conti-
nuellement dans leur état et leur nature. Enfin,
bien des personnes encore ont de la peine à se per-
suader que ce sont les résultats de ces altérations
et des changements où combinaisons qui s’opérent
sans cesse dans les fluides essentiels des corps vi
vants, qui donnent lieu à la formation des différentes
matières sécrétoires, ce que j’ai déjà établi,
Or, s’il est vrai, d’une part, que les pertes em-
portent du corps vivant moins de matières fixes, ter-
reuses et toujours concrètes, que de matières fluides,
et surtout que de matières coercibles ; et, de l’autre
part, que la nutrition fournit graduellement aux
parties plus de matières fixes que de matières fluides
et de substances coercibles; il en résultera que les
organes acquerront peu à peu une rigidité crois-
sante qui les rendra progressivement moins propres
1 Mémoire de Phys. et d'Hist. nat., p. 260 à 263; et Hydrogéo-
logie, p. 112 à 115.
A TOUS LES CORPS VIVANTS 115
à l'exécution de leurs fonctions, ce qui a effective
ment lieu.
Loin que tout ce qui environne les corps vivants
tende à les détruire, ce que l’on répète dans tous
les ouvrages physiologiques modernes, je suis con-
vaincu, au contraire, qu'ils ne conservent leur exis-
tence qu’à l’aide d’influences extérieures, et que la
cause qui amène essentiellement la mort de tout
individu possédant la vie est en lui-même et non
hors de lui.
Je vois, en effet, clairement que cette cause
résulte de la différence qui s'établit peu à peu entre
les matières assimilées et fixées par la nutrition, et
celles rejetées ou dissipées par les déperditions con-
tinuelles que font les corps qui jouissent de la vie,
les matières coercées étant toujours les premières et
les plus faciles à se dégager de l’état de combinai-
son qui les fixait.
En un mot, je vois que cette cause, qui amène la
* vieillesse, la décrépitude et enfin la mort, réside, par
suite de ce que je viens d'exposer, dans l’irdures-
cence progressive des organes; indurescence qui
produit peu à peu la rigidité des parties, et qui, dans
les animaux, diminue proportionnellement linten-
sité de l'orgasme et de l’irritabilité, roïdit et rétré-
cit les vaisseaux, détruit insensiblement l’mfluence
des fluides sur les solides, et vice versa; enfin,
dérange l’ordre et l’état de choses nécessaires à la
vie, et finit par l’anéantir entièrement.
116 DES FACULTÉS COMMUNES
Je crois avoir prouvé que les facultés communes
à tous les corps vivants sont de se nourrir ; de com
poser eux-mêmes les différentes substances qui cons-
tituent les parties de leur corps ; de se développer et
de s’accroître jusqu'à un terme particulier à chacun
d'eux ; de se régénérer, c’est-à-dire de reproduire
d'autres individus qui leur ressemblent; enfin, de
perdre la vie qu’ils possédaient, par une cause qui
est en eux-mêmes.
Maintenant je vais considérer les facultés parti-
culières à certains corps vivants; et je me bornerai,
comme je viens de le faire, à l'exposition des faits
généraux, ne voulant entrer dans aucun des détails
connus qui se trouvent dans les ouvrages de phy-
siologie.
GHABEERE. LX
DES FACULTÉS PARTICULIÈRES A CERTAINS
CORPS VIVANTS
De même qu'il y a des facultés qui sont communes
à tous les corps qui jouissent de la vie, ce que J'ai
fait voir dans le chapitre précédent , de même aussi
l’on observe dans certains corps vivants des facultés
qui leur sont particuliéres, et que les autres ne pos-
sedent nullement.
Ici, se présente une considération capitale, à
laquelle il importe infiniment d’avoir égard, si lon
veut faire des progres ultérieurs dans les sciences
naturelles ; la voici :
Comme il est de toute évidence que l’organisation,
soit animale, soit végétale, s’est elle-même, par les
suites du pouvoir de la vie, composée et compliquée
graduellement, depuis celle qui est dans sa plus
grande simplicité, jusqu'à celle qui offre la plus
grande complication, le plus d'organes, et qui donne
118 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
aux corps vivants, dans ce cas, les facultés les plus
nombreuses ; il est aussi de toute évidence que
chaque organe spécial, et que la faculté qu'il pro-
cure, ayant une fois été obtenus, doivent ensuite
exister dans tous les corps vivants qui, dans l’ordre
naturel, viennent après ceux qui les possèdent, à
moins que quelque avortement ne les ait fait dis-
paraître. Mais avant l’animal ou le végétal qui, le
premier, a obtenu cet organe, ce serait en vain
qu'on chercherait, parmi des corps vivants plus
simples et plus imparfaits, soit l'organe, soit la faculté
en question; ni cetorgane, ni la faculté qu'il procure
ne sauraient s’y rencontrer. S'il en était autrement,
toutes les facultés connues seraient communes à tous
les corps vivants, tous les organes se rencontreraient
dans chacun de ces corps, et la progression dans la
composition de l’organisation n'aurait pas lieu.
Il est, au contraire, bien démontré par les faits
que l’organisation offre une progression évidente
dans sa composition , et que tous les corps vivants
ne possèdent pas les mêmes organes. Or, je ferai
voir dans l'instant que, faute d’avoir suffisamment
considéré Pordre de la nature dans ses productions,
et la progression remarquable qui se trouve dans la
composition de l’organisation, les naturalistes ont
fait des efforts très-infructueux pour retrouver dans :
certaines classes, soit d'animaux, soit de végétaux,
des organes et des facultés qui ne pouvaient s’y
rencontrer.
A GERTAINS CORPS VIVANTS 119
Il faut donc, dans l’ordre naturel des animaux,
par exemple, se pénétrer d’abord du point de cet
ordre où tel organe a commencé d’exister, afin de
ne plus chercher le même organe dans les points
beaucoup plus antérieurs du mème ordre, si lon ne
veut retarder la science en attribuant hypothétique-
ment à des parties, dont on ne connaît pas la nature,
des facultés qu’elles ne sauraient avoir.
Ainsi, plusieurs botanistes ont fait des efforts
inutiles pour retrouver la génération sexuelle dans
les plantes agames (les cryplogames de Linnée), et
d'autres ont cru trouver dans ce qu'on nomme les
trachées des végétaux un organe spécial pour la
respiration. De même, plusieurs zoologistes ont voulu
retrouver un poumon dans certains mollusques, un
squelette dans les astéries ou étoiles de mer, des
branchies dans les méduses : enfin, un Corps savant
vient de proposer, cette année, pour sujet de prix,
de chercher s’il existe une circulation dans les
radiaires.
Assurément, de pareilles tentatives prouvent
combien on est encore peu pénétré de l’ordre naturel
des animaux , de la progression qui existe dans la
composition de l’organisation, et des principes essen—
tiels qui doivent résulter de la connaissance de cet
ordre. D'ailleurs, en fait d'organisation, et lorsqu'il
s’agit d'objets très-petits et inconnus, on croit voir
tout ce que l’on veut voir ; et l’on trouvera ainsi
tout ce que l’on voudra, comme cela est déjà arrivé,
120 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
en attribuant arbitrairement des facultés à des par-
ties dont on n’a su reconnaître ni la nature ni l'usage.
Considérons maintenant quelles sont les facultés
principales qui sont particulières à certains corps
doués de la vie, et voyons dans quel point de l’ordre
naturel, soit des animaux, soit des végétaux, cha-
cune de ces facultés, ainsi que les organes qui y
donnent lieu, ont commencé d'exister.
Les facultés particulières à certains corps vivants,
et que conséquemment les autres corps doués de la
vie ne possèdent pas, sont principalement :
1° De digérer les aliments ;
2° De respirer par un organe spécial ;
3° D’exécuter des actions et des locomotions, par
des organes musculaires ;
4° De sentir ou de pouvoir éprouver des sensa-
tions ;
D° De se multiplier par la génération sexuelle ;
6° D’avoir leurs fluides essentiels en circulation ;
7° D’avoir, dans un degré quelconque, de l’intel-
ligence.
Il y a bien d’autres facultés particulières dont on
trouve des exemples parmi les corps qui jouissent de
la vie, et principalement parmi les animaux ; mais
je me borne à considérer celles-ci parce qu’elles
sont les plus importantes, et que ce que je vais pré-
senter à leur égard suffit à mon objet.
Les facultés qui ne sont pas communes à tous les
corps vivants viennent toutes, sans exception,
A CERTAINS CORPS VIVANTS 121
d'organes spéciaux qui y donnent lieu, et consé-
quemment d'organes que tous les corps doués de la
vie ne possèdent point ; et les actes qui produisent
ces facultés sont des fonctions de ces organes.
En conséquence , sans examiner si les fonctions
des organes dont 1l s’agit s’exécutent continuelle-
ment ou avec interruption, et selon les circons-
tances, et sans considérer si ces fonctions concer-
nent, soit la conservation de l'individu, soit celle de
l'espèce, ou si elles font communiquer lindividu
avec les corps qui lui sont étrangers et qui l’environ-
nent, je vais exposer sommairement mes idées sur
les fonctions organiques qui donnent lieu aux sept
facultés citées ci-dessus. Je prouverai que chacune
d'elles est particuhere à certains animaux et qu’elle
ne peut être commune à tous les individus qui com-
posent leur règne.
La Digestion : est la première des facultés par-
ticulières dont jouissent la plupart des animaux, et
c'est, en mème temps, une fonction orgauique qui
s'exécute dans une cavité centrale de l'individu ;
cavité qui, quoique variée dans sa forme, selon les
races, est, en général, conformée en tube ou en
canal, ayant tantôt une seule de ses extrémités
ouverte, et tantôt l’une et l’autre.
La fonction dont il s’agit, qui ne s'opère que sur
des matières composées, étrangères aux parties de
individu, et qu'on nomme alimentaires, consiste
d’abord à détruire l'agrégation des molécules cons-
122 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
tituantes et ordinairement agrégées des matières
alimentaires introduites dans la cavité digestive; et
ensuite à changer l’état et les qualités de ces molé-
cules, de manière qu’une partie d’entre elles de-
vienne propre à former du chyle et à renouveler ou
réparer le fluide essentiel de l’individu.
Des liqueurs répandues dans l'organe digestif par
les conduits excréteurs de diverses glandes placées
dans le voisinage, liqueurs qui se versent principa-
lement aux époques où une digestion doit s’exécuter,
facilitent d’abord la dissolution, c’est-à-dire la des-
traction de l'agrégation des molécules des matières
alimentaires, et ensuite concourent à opérer les
changements que doivent subir ces molécules. Alors,
celles de ces molécules qui sont suffisamment chan-
gées et préparées, nageant dans les liqueurs diges-
tives et autres qui leur servent de véhicule, pénè-
trent, par les pores absorbants des parois du tube ali-
mentaire ou intestinal, dans les vaisseaux chyleux ou
dans les secondes voies, et y constituent ce fluide pré-
cieux qui vient réparer le fluide essentiel de l'individu.
Toutes les molécules, ou parties plus grossières
qui n’ont pu servir à la formation du chyle, sont
ensuite rejetées de la cavité alimentaire.
Ainsi, l'organe spécial de la digestion est la cavité
alimentaire dont l'ouverture antérieure, par laquelle
les aliments sont introduits dans cette cavité, porte
le nom de bouche, tandis que celle de lextrémité
postérieure, lorsqu'elle existe, s'appelle l'anus.
A CERTAINS CORPS VIVANTS 123
Il suit de cette considération que tous les corps
vivants qui manquent de cavité alimentaire n’ont ja-
mais de digestion à exécuter ; et comme toute digestion
s'effectue sur des matières composées, et qu’elle
détruit l'agrégation des molécules alimentaires enga-
oées dans des masses solides, il en résulte que les
corps vivants qui n’en exécutent point ne se nour-
rissent que d'aliments fluides, soit liquides, soit
gazeux.
Tous les végétaux sont dans le cas que je viens
de citer ; ils manquent d’organe digestif, et n’ont
effectivement jamais de digestion à exécuter.
La plupart des animaux, au contraire, ont un
organe spécial pour la digestion, qui leur donne la
faculté de digérer; mais cette faculté n’est pas,
comme on l’a dit, commune à tous les animaux, et
ne saurait être citée comme un des caracteres de
l’animalité. En effet, les 2nfusorres ne la possedent
point, eten vain chercherait-on une cavité alimen-
taire dans une monade, une volvoce, un protée, etc.;
on ne la trouverait point.
La faculté de digérer n’est done que particulière
au plus grand nombre des animaux.
La respiration : C’est la seconde des facultés
particulières à certains animaux, parce qu'elle est
moins générale que la digestion ; sa fonction s’exé-
cute dans un organe spécial distinct, lequel est très-
diversifié selon les races en qui cette fonction s'opère,
et selon la nature du besoin qu’elles en ont.
124 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
Cette fonction consiste en une réparation du fluide
essentiel et trop promptement altéré de l'individu
qui est dans ce cas; réparation pour laquelle la
voie trop lente des aliments ne suffit pas. Or, la ré-
paration dont il s’agit s'effectue dans l'organe res-
piratoire, à l’aide du contact d’un fluide particulier
respiré, lequel, en se décomposant, vient communi-
quer au fluide essentiel de l'individu des principes
réparateurs.
Dans les animaux dont le fluide essentiel est peu
composé et ne se meut qu'avec lenteur, les altéra-
tions de ce fluide essentiel sont lentes, et alors la
voie des aliments suffit seule aux réparations; les
fluides capables de fournir certains principes répara-
teurs nécessaires pénétrant dans l'individu par cette
voie où par celle de l’absorption, et produisant suf-
fisamment leur influence, sans exiger un organe
spécial. Ainsi, la faculté de respirer par un organe
particulier n’est pas nécessaire à ces corps vivants.
l'el est le cas de tous les végétaux, et tel est encore
celui d’un assez grand nombre d'animaux, comme
ceux qui composent la classe des #nfusorres et celle
des polypes.
La faculté de respirer ne doit donc être reconnue
exister que dans les corps vivants qui possèdent un
organe spécial pour la fonction qui la procure; car
si ceux qui manquent d'un pareil organe ont besoin,
pour leur fluide essentiel, de recevoir quelque
influence analogue à celle de la respiration, ce qui
A CERTAINS CORPS VIVANTS 125
est très-douteux, ils la reçoivent apparemment par
quelque voie générale et lente, comme celle des ali-
ments, ou celle de l'absorption qui s'exécute par les
pores extérieurs, et non par le moyen d’un organe
particulier. Ainsi, les corps vivants dont il s’agit ne
respirent pas.
Le plus important des principes réparateurs que
fournit le fluide respiré au fluide essentiel de lani-
mal paraît être l'oxygène. Il se dégage du fluide
respiré, vient s’unir au fluide essentiel de l'animal,
et rend alors à ce dernier des qualités qu'il avait
perdues.
On sait qu'il y a deux fluides respiratoires diffé-
rents qui fournissent l’oxygène dans l'acte de la res-
piration. Ces fluides sont l’eau et l'air ; ils forment,
en général, les milieux dans lesquels les corps vi-
vants se trouvent plongés, ou dont ils sontenvironnés.
L'eau, en effet, est Le fluide respiratoire de beau-
coup d'animaux qui habitent continuellement dans
son sein. On croit que, pour fournir l’oxygène, ce
fluide ne se décompose point; mais qu'entrainant
toujours avec lui une certaine quantité d'air qui lui
est, en quelque sorte, adhérente, cet air se décom-
pose dans l'acte de la respiration, et fournit alors
son oxygène au fluide essentiel de l’animal. C’est de
cette manière que les poissons et quantité d'animaux
aquatiques respirent; mais cette respiration est
moins active, et fournit plus lentement les principes
réparateurs que celle qui se fait par l'air à nu.
126 DES FACULTES PARTICULIÈRES
L'air atmosphérique et à nu est le second fluide res-
piratoire, et c’est effectivement celui que respirent un
grand nombre d'animaux qui vivent habituellement
dans son sein ou à sa portée : 11 se décompose promp-
tement dans l’acte de la respiration et fournit aus-
sitôt son oxygène au fluide essentiel de l'animal
dont il répare les altérations. Gette respiration, qui
est celle des animaux les plus parfaits et de beau
coup d’autres, est la plus active, et elle l’est, en ou-
tre, d'autant plus que la nature de l’organe en qui
elle s’opère favorise davantage son activité.
Ïl ne suffit pas de considérer dans Panimal exis-
tence d’un organe spécial pour la respiration, 1l
faut encore avoir égard à la nature de cet organe,
afin de juger du degré de perfectionnement de
son organisation, par la renaissance prompte ou
lente des besoins qu'il a de réparer son fluide
essentiel.
A mesure que le fluide essentiel des animaux se
compose davantage et devient plus animalisé, les
altérations qu'il subit pendant le cours de la vie,
sont plus grandes et plus promptes et les réparations
dont il a besoin deviennent graduellement propor-
tionnées aux changements qu'il éprouve.
Dans les animaux les plus simples et les plus 1m—
parfaits, tels que les #rfusoires et les polypes, le
fluide essentiel de ces animaux est si peu composé,
si peu animalisé et s’altère avec tant de lenteur, que
les réparations alimentaires lui suffisent. Mais bien
ABC IEMNAIN SA CORP SAMIN ANS 127
tôt après la nature commence à avoir besoin d'un
nouveau moyen pour entretenir dans son état utile
le fluide essentiel des animaux. C'est alors qu'elle
crée la respiration: mais elle n’établit d’abord que
le système respiratoire le plus faible, le moins
actif; enfin, celui que fournit l’eau lorsqu'elle va
elle-même porter partout son influence comme fluide
respiré.
La nature, ensuite, variant le mode de la respi-
ration selon le besoin progressivement augmenté du
bénéfice qu’elle procure, rend cette fonction de plus
en plus active et finit par lui donner la plus grande
énergie.
Puisque la respiration aquifere est la moins ac-
tive, considérons-la d’abord et nous verrons que les
organes qui respirent l’eau sont de deux sortes,
lesquelles different encore entre elles par leur ac-
tivité. Nous remarquerons ensuite la mème chose à
l'égard des organes qui respirent l'air.
Les organes qui respirent l’eau doivent être dis-
tingués en rachées aquifères et en branchies,
comme les organes qui respirent Pair le sont en
trachées aérifrres et en poumons. Il est en effet de
toute évidence que les trachées aquiferes sont aux
branchies ce que les trachées aériferes sont aux
poumons. (Syst. des Animaux sans vertèbres,
p: 47.)
Les /rachées aquifères consistent en un certain
nombre de vaisseaux qui se ramifient et s'étendent
128 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
dans l'intérieur de l'animal, et qui s'ouvrent au de-
hors par une multitude de petits tubes qui absor-
bent l’eau : à l’aide de ce moyen, l’eau pénètre con-
tinuellement par les tubes qui s'ouvrent au dehors,
circule en quelque sorte dans tout l’intérieur de
l'animal, y va porter l'influence respiratoire et pa-
rait en sortir en se versant dans la cavité alimen-
taire.
Cestrachées aquiferes constituent l’organe respi-
ratoire le plus imparfait, le moins actif, le premier
que la nature a créé, enfin, celui qui appartient à
des animaux dont l'organisation est Si peu compo—
sée, qu'ils n’ont encore aucune circulation pour leur
fluide essentiel. On en trouve des exemples remar-
quables dans les radiaires, telles que les oursins,
les astéries, les méduses, etc.
Les branchies constituent aussi un organe qui
respire l'eau et qui peut en outre s’accoutumer à
respirer l'air à nu; mais cet organe respiratoire
est toujours isolé, soit en dedans, soit en dehors de
l'animal, et 1l n'existe que dans des animaux dont
l'organisation est déja assez composée pour avoir un
systeme nerveux et un système de circulation pour
leur sang.
Vouloir trouver des branchies dans les 'adiaires
et dans les vers, parce qu'ils respirent l’eau, c’est
comme si l’on voulait trouver un poumon dans les
insectes, parce qu'ils respirent l’air. Aussi les tra-
chées aériferes des insectes constituent-elles le plus
A CERTAINS CORPS VIVANTS 129
imparfait des organes qui respirent l'air ; elles
s'étendent dans toutes les parties de l'animal et y
vont porter l’utile influence de la respiration ; tan-
dis que le poumon, comme les branchies, est un or-
gane respiratoire isolé, qui, lorsqu'il a obtenu son
plus grand perfectionnement, est le plus actif des
organes respiratoires.
Pour bien saisir le fondement de tout ce que je
viens d'exposer, 1l importe de donner quelque
attention aux deux considérations suivantes.
La respiration, dans les animaux qui n’ont pas de
circulation pour leur fluide essentiel, s'effectue avec
lenteur, sans mouvement particulier apparent et
dans un système d'organes qui est répandu à peu
près dans tout le corps de lanimal. Dans cette res-
piration, c’est le fluide respiré qui va lui-même
porter partout son influence; le fluide essentiel de
l'animal ne va nulle part au devant de lui. Telle
est la respiration des radriaires et des vers dans
laquelle l’eau est le fluide respiré et telle est ensuite
la respiration des 2nsectes et des arachnides dans
laquelle ce fluide respiré est l'air atmosphérique.
Mais la respiration des animaux qui ont une
circulation générale pour leur fluide essentiel, pré-
sente un mode très-diflérent; elle s'effectue avec
moins de lenteur, donne lieu à des mouvements par-
ticuliers qui, dans les animaux les plus parfaits, de-
viennent mesurés, et s'exécute dans un organe
simple, double: où composé, mais qui est isolé, puis-
LAMARCK, PHIL. Z0OL. II. 9
130 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
qu'il ne s’étend pas partout. Alors le fluide essentiel
ou le sang de animal va lui-même au devant du
fluide respiré qui ne pénètre que jusqu'a lorgane
respiratoire : il en résulte que le sang est contraint
de subir, outre la circulation générale, une circula-
tion particulière que je nomme respiratoire. Or,
comme tantôt il n’y a qu’une partie du sang qui se
rende à l’organe de la respiration avant d’être en-
voyée dans toutes les parties du corps de l’animal,
et que tantôt tout le sang passe par cet organe avant
son émission dans tout le corps, la circulation res-
piratoireest donc tantôt incomplète et tantôt complète.
Ayant montré qu’il y a deux modes très-différents
pour la respiration des animaux qui possèdent un
organe respiratoire distinct, je crois qu'on peut
donner à celle du premier mode, telle que celle des
radiaires, des vers et des insectes, le nom de res-
piration générale, et qu'il faut nommer respiration
locale celle du second mode, qui appartient aux
animaux plus parfaits que les insectes et à laquelle
peut-être il faudra joindre la respiration bornée des
arachnides.
Ainsi, la faculté de respirer est particulière à
certains animaux, et la nature de organe par lequel
ces animaux respirent est tellement appropriée à
leurs besoins et au degré de perfectionnement de
leur organisation, qu'il serait tres-inconvenable de
vouloir retrouver dans des animaux imparfaits l’or-
gane respiratoire d'animaux plus parfaits.
A CERTAINS CORPS VIVANTS 131
Le système musculaire : il donne aux animaux
en qui il existe, la faculté d'exécuter des actions et
des locomotions, et de diriger ces actes, soit par les
penchants nés des habitudes, soit par le sentiment
intérieur, soit enfin par des opérations de l’intelli-
gence.
Comme il est reconnu qu'aucune action muscu-
laire ne peut avoir lieu sans l’influence nerveuse, il
suit de là que le système muscularre n'a pu être
formé qu'après l'établissement du systéme nerveux,
au moins dans sa premiere simplicité ou sa moindre
complication. Or, s’il est vrai que celle des fonctions
du système nerveux, qui a pour objet d'envoyer le
fluide subtil des nerfs aux fibres musculaires où à
leurs faisceaux pour les mettre en action, est beau-
coup plus simple que celle qui est nécessaire pour
produire lesentiment, ce que je compte prouver, il
en doit résulter que, dès que le système nerveux a
pu se composer d’une masse médullaire à laquelle
aboutissent différents nerfs, ou dès qu’il à pu offrir
quelques ganglions séparés, envoyant des filets ner-
veux à certaines parties, des lors il a été capable
d'opérer l’excitation musculaire sans pouvoir cepen—
dant produire le phénomène du sentiment.
Je me crois fondé à conclure de ces considéra-
tions, que la formation du système musculaire est
postérieure à celle du système nerveux considéré
dans sa moindre composition, mais que la faculté
d'exécuter des actions et des locomotions par le
132 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
moyen des organes musculaires, est, dans les
animaux, antérieure: à celle de pouvoir éprouver
J
des sensations.
Or, puisque le système nerveux est, dans sa pre-
mière formation, antérieure au systéme muscu
laire, puisqu'il n’a commencé à exister que lors-
qu'il s’est trouvé composé d’une masse médullaire
principale, de laquelle partent différents filets ner-
veux, et puisqu'un pareil système d'organes ne peut
exister dans des animaux d’une organisation aussi
simple que celle des infusoires et du plus grand
nombre des polypes , il est donc de toute évidence
que le système musculaire est particulier à certains
animaux, que tous ne le possèdent pas, et néan-
moins que la faculté d'agir et de se mouvoir, par
des organes musculaires, existe dans un plus grand
nombre d'animaux que celle de sentir.
Pour préjuger l’existence du système musculaire
dans les animaux où elle parait douteuse, il importe
de considérer si les parties de ces animaux offrent
aux attaches des fibres musculaires des points d’ap-
pui d’une certaine consistance ou fermeté ; car, par
l'habitude d’être tiraillés, ces points d'attache s'af-
fermissent progressivement.
On est assuré que le système musculaire existe
dans les #nsectes et dans tous les animaux des clas-
ses postérieures ; mais la nature a-t-elle établi ce
système dans des animaux plus imparfaits que les
insectes ? Si elle l’a fait, on peut penser, à l’égard
A CERTAINS CORPS VIVANTS 133
des radiaires, que ce n’est guère que dans les
échinodermes et dans les fistulides et non dans les
radiaires mollasses : peut-être a-t-elle ébauché ce
systeme dans les actinies ; la consistance assez co-
riace de leurs corps autorise à le croire, maison ne
saurait supposer son existence dans les hydres, ni
dans la plupart des autres polypes et encore moins
dans les infusoires.
Il est possible que lorsque la nature a commencé
l'établissement d’un système d'organes particulier
quelconque, elle ait choisi les circonstances favora-
bles à l’execution de cette création, et qu’en consé-
quence, dans l'échelle que nous formons des ani-
maux, il y ait, vers l’origine de l'établissement de ce
système, quelques interruptions occasionnées par
les cas où sa formation n’a pu avoir lieu.
L'observation bien suivie des opérations de la na-
ture, et guidée par ces considérations, nous appren-
dra sans doute bien des choses que nous ignorons
encore sur ces sujets intéressants, et peut-être nous
fera-t-elle découvrir que, quoique la nature ait pu
commencer l'établissement du système musculaire
dans les radiaires, les vers, qui viennent ensuite,
n’en sont pas encore pourvus.
Si cette considération est fondée, elle confirmera
celle que j'ai déja présentée à l'égard des vers, sa-
voir : qu'ils paraissent constituer une branche par-
ticulière de la chaîne animale, recommencée par des
générations directes (chap. 1v, p. 81).
134 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
Le système musculaire bien prononcé et bien
connu dans les insectes, se montre ensuite tou-
jours et partout dans les animaux des classes sui-
vantes.
Le sentiment, c’est une faculté qui doit occuper
le quatrième rang parmi celles qui ne sont pas com-
munes à tous les corps qui possedent la vie; car la
faculté de sentir paraît moins générale encore que
celle du mouvement musculaire, celle de respirer et
celle de digérer.
On verra plus loin que le sentiment n’est qu'un
effet, c’est-a-dire que le résultat d’un acte organi-
que etnon une faculté inhérente ou propre à aucune
des matières qui composent les parties d’un corps
susceptible de léprouver.
Aucune de nos humeurs ni aucun de nos orga-
nes, pas même nos nerfs, n’ont en propre la faculté
de sentir. Ce n’est que par illusion que nous attri-
buons l'effet singulier qu’on nomme sensation ou
sentiment à une partie affectée de notre corps ; au-
cune des matières qui composent cette partie affec-
tée ne sent réellement et ne saurait sentir. Mais
l'effet tres-remarquable auquel on donne le nom de
sensation et celui de douleur, lorsqu'il est trop in-
tense, est le produit de la fonction d’un système
d'organes très-particulier, dont les actes s’exécu-
tent selon les circonstances qui les provoquent.
J'espère prouver que cet effet, qui constitue le
sentiment ou la sensation, résulte évidemment d’une
A CERTAINS CORPS VIVANTS 135
cause affectante, qui excite une action dans toutes
les parties du système d'organes spécial qui y est
propre, laquelle, par une répercussion plus prompte
que l’éclair et qui s’effecitue dans toutes les parties
du système, reporte son effet général dans le foyer
commun où la sensation s’opere, et de là pro-
page cette sensation jusqu'au point du corps qui fut
affecté.
J’essayerai de développer dans la troisième partie
de cet ouvrage le mécanisme admirable de l'effet
qui constitue ce qu'on nomme sentiment : ici je di-
rai seulement que le système d'organes particulier
qui peut produire un pareil effet est connu sous le
nom de système nerveux, et j'ajouterai que le sys-
tème dont il s’agit n’acquiert la faculté de donner
lieu au sentiment que lorsqu'il est assez avancé
dans sa composition pour offrir des nerfs nombreux
qui se rendent à un foyer commun ou centre de
rapport.
Il résulte de ces considérations que tout animal
qui ne possède pas un système nerveux dans l’état
cité, ne saurait éprouver l'effet remarquable dont il
vient d'être question, et conséquemment ne peut
avoir la faculté de sentir, à plus forte raison tout
animal, qui n’a point de nerfs aboutissant à une
masse médullaire principale, doit-il ètre privé du
sentiment.
Ainsi donc la faculté de sentir ne peut être com-
mune à tous les corps vivants, puisqu'il est généra—
136 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
lement reconnu que les végétaux n’ont point de
nerfs, ce qui ne leur permet nullement de la possé-
der ; mais on a cru cette faculté commune à tous les
animaux et c’est une erreur évidente; car tous les
animaux ne sont point et ne peuvent être munis de
nerfs ; outre cela, ceux en qui des nerfs commen-
cent à exister, ne possedent pas encore un système
nerveux, pourvu des conditions qui le rendent pro-
pre à la production du sentiment. Aussi est-il pro
bable que, dans son origine ou son imperfection
première, ce système n’a d'autre faculté que celle
d’exciter le mouvement musculaire, par conséquent
la faculté de sentir ne saurait être commune à tous
les animaux.
S'il est vrai que toute faculté particulière à cer—
tains corps vivants provienne d’un organe spécial
qui y donne leu, ce qui est prouvé partout par le
fait mème, 1l le doit être aussi que la faculté de
sentir, qui est évidemment particulière à certains
animaux, est uniquement le produit d’un organe ou
. d’un système d'organes particulier capable par ses
actes de produire le sentiment.
D’après cette considération, le système nerveux
constitue l'organe spécial du sentiment lorsqu'il est
composé d’un centre unique de rapport et de nerfs
qui y aboutissent. Or, il parait que ce n’est guère
que dans les 2#sectes que la composition du système
nerveux commence à être assez avancée pour pou—
voir produire en eux le sentiment, quoique d’une
A CERTAINS CORPS VIVANTS 137
maniere encore obscure. Cette faculté se retrouve
ensuite dans tous les animaux des classes posté-
rieures avec des progrès proportionnés dans son
perfectionnement.
Mais dans des animaux plus imparfaits que les
insectes, tels que les vers et les radiaires, si l’on
trouve quelques vestiges de nerfs et de ganglions
séparés, on a de grands motifs pour présumer que
ces organes ne sont propres qu'a l'excitation du
mouvement musculaire, la plus simple faculté du
système nerveux.
Enfin, quant aux animaux plus imparfaits encore,
tels que le plus grand nombre des polypes et tous
les infusoires, il est de toute évidence qu'ils ne peu-
vent posséder un système nerveux capable de leur
donner la faculté de sentir, ni même celle de se mou-
voir par des muscles : en eux, lirritabilité seule y
supplée.
Ainsi, le sentiment n'est pas une faculté com-
mune à tous les animaux comme on l’a générale-
ment pensé.
La génération sexuelle : c’est une faculté particu-
lière qui, dans les animaux, est à peu près aussi
générale que le sentiment ; elle résulte d’une fonc-
tion organique non essentielle à la vie et qui a pour
but d'opérer la fécondation d'un embryon, qui de-
vient alors susceptible de posséder la vie et de cons-
tituer, apres ses développements, un individu sem
blable à celui ou à ceux dont il provient.
438 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
Cette fonction s'exécute dans des temps particu-
liers, tantôt réglés et tantôt qui ne le sont pas, par
le concours de deux systèmes d'organes qu’on
nomme sexuels, dont l’un constitue les organes m4-
les et l’autre ceux qui sont nommés femelles.
La génération sexuelle s’observe dans les animaux
et dans les végétaux, mais elle est particulière à
certains animaux et à certaines plantes etn’est point
une faculté commune aux uns et aux autres de ces
corps vivants ; la nature ne pouvait la rendre telle
comme nous l’allons voir.
En effet, pour pouvoir produire les corps vivants,
soit végétaux, soit animaux, la nature fut obligée
de créer d’abord l’organisation la plus simple dans
des corps des plus frèles et où il lui était impossible
de faire exister aucun organe spécial. Elle eut bien-
tôt besoin de donner à ces corps la faculté de se
multiplier, sans quoi il lui eût fallu faire partout
des créations, ce qui n’est nullement en son pouvoir.
Or, ne pouvant donner à ses premières productions
la faculté de se multiplier par aucun système d’or-
ganes particuher, elle parvint à leur donner la même
faculté en donnant à celle de s’accroitre, qui est
commune à tous les corps qui jouissent de la vie, la
faculté d'amener des scissions, d’abord du corps
entier et ensuite de certaines portions en saillie de
ce corps; de là, les gemmes et les différents corps
reproductifs qui ne sont que des parties qui s’éten-
dent, se séparent et continuent de vivre après leur
A CERTAINS CORPS VIVANTS 139
séparation, et qui, n'ayant exigé aucune féconda-
tion, ne constituant aucun embryon, se développant
sans déchirement d'aucune enveloppe, ressemblent
cependant, apres leur accroissement, aux individus
dont ils proviennent. |
Tel est le moyen que la nature sut employer pour
multiplier ceux des végétaux et des animaux en qui
elle ne put donner les appareils compliqués de la
génération sexuelle ; ce seraiten vain que l’on vou-
drait trouver de semblables appareils dans les alques
et les champignons ou dans les enfusoires et les
polypes.
Lorsque les organes mâles et les organes fernelles
se trouvent réunis sur ou dans le même individu, on
dit que cet mdividu est hermaphrodite.
Dans ce cas, il faudra distinguer l’hermaphro-
disme parfait, qui se suffit à lui-même, de celui qui
est imparfait, en ce qu'il ne sesuffit pas. En effet,
beaucoup de végétaux sont hermaphrodites, en sorte
que l’individu qui possède les deux sexes se suffit
à lui-mème pour la fécondation ; mais dans les ani-
maux en qui les deux sexes existent, il n’est pas encore
prouvé par l’observation que chaque individu se
suffise à lui-mème, et l’on sait que quantité de mol-
lusques réellement hermaphrodites se fécondent
néanmoins les uns les autres. À la vérité, parmi les
mollusques hermaphrodites , ceux qui ont une co=
quille bivalve, et qui sont fixés comme les huîtres,
semblent devoir se féconder eux-mêmes : il est
140 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
cependant possible qu'ils se fécondent mutuellement
par la voie du milieu dans lequel ils sont plongés.
S'il en est ainsi, il n’y a, dans les animaux, que des
hermaphrodites imparfaits ; et l’on sait que dans
les animaux vertébrés, il n’y a même aucun indi-
vidu véritablement hermaphrodite. Ainsi, les her-
maphrodites parfaits se trouveront uniquement
parmi les végétaux.
Quant au caractère de l’hermaphrodisme , que
lon fait consister dans la réunion des deux sexes
sur le même individu, il semble que les plantes
monoiques fassent une exception; car, quoiqu’un
arbrisseau ou un arbre monoïque porte les deux
sexes, chacune de ses fleurs est néanmoins uni-
sexuelle.
Je remarquerai, à cet égard, que c’est à tort
qu'on donne le nom d’isdividu à un arbre ou à un
arbrisseau, ou même à des plantes herbacées viva-
ces, car cet arbre ou cet arbrisseau , etc. , n’est
réellement qu'une collection d'individus qui vivent
les uns sur les autres, communiquent ensemble, et
participent à une vie commune, comme cela a lieu
aussi pour les polypes composés des madrépores,
millépores , etc.; ce que j'ai déjà prouvé dans le
premier chapitre de cette seconde partie.
La fécondation , résultat essentiel d’un acte de
la génération sexuelle, doit être distinguée en deux
degrés particuliers, dont l’un, supérieur ou plus
éminent, puisqu'il appartient aux animaux les plus
A CERTAINS CORPS VIVANTS 1a1
parfaits (aux mammiféres), comprend la fécondation
des tivipares, tandis que l’autre, inférieur et moins
parfait, embrasse celle des ovipares.
La fécondation des vivipares vivifie, dans lins-
tant même, l'embryon qui en reçoit l'influence, et
ensuite cet embryon continuant de vivre, se nourrit
et se développe aux dépens de la mère, avec la-
quelle il communique Jusqu'à sa naissance. Il n’y a
point d'intervalle connu entre l'acte qui le rend
propre à posséder la vie et la vie même qu'il reçoit
par cet acte : d’ailleurs, cet embryon fécondé est
enfermé dans une enveloppe (le placenta) qui ne
contient pas avec lui des approvisionnements de
nourriture.
Au contraire, la fécondation des ovipares ne fait
que préparer l'embryon, et que le rendre propre à
recevoir la vie; mais elle ne la lui donne pas. Or,
cet embryon fécondé des ovipares est enfermé, avec
une provision de nourriture , dans des enveloppes
qui cessent de communiquer avec la mère avant
d'en être séparées; et il ne recoit la vie que lors-
qu'une cause particulière, que les circonstances
seules rendent prompte ou tardive, où même peu-
ventanéantir, vient lui communiquer le mouvement
vital.
Cette cause particulière qui, postérieurement à
la fécondation d’un embryon d’ovipare, donne la vie
à cet embryon, consiste, pour les œufs des animaux,
dans une simple élévation de température, et, pour
142 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
les graines des plantes, dans le concours de l’humi-
dité et d’une douce chaleur qui vient les pénétrer.
Ainsi, pour les œufs des oiseaux, l’incubation
amène cette élévation de température, et pour beau-
coup d’autres œufs , une chaleur douce de l’atmos-
phère suffit ; enfin, les circonstances favorables à la
germination vivifient les graines des végétaux.
Mais les œufs et les graines propres à donner
l'existence à des animaux et à des végétaux con-
tiennent nécessairement chacun un embryon fécondé,
enfermé dans des enveloppes, d’où il ne peut sortir
qu'après les avoir rompues : ils sont donc les ré-
sultats de la génération sexuelle, puisque les corps
reproductifs qui n’en proviennent pas n’offrent point
un embryon renfermé dans des enveloppes qu’il doit
détruire pour pouvoir se développer. Assurément,
les gemmes et les corps reproductifs plus ou moins
oviformes de beaucoup d'animaux et de végétaux ne
sont nullement dans le cas de leur être comparés :
ce serait donc s’abuser que de rechercher la géné-
ration sexuelle là où la nature n’a pas eu le moyen
de l’établir.
Ainsi, la génération sexuelle est particulière à
certains animaux et à certains végétaux : consé-
quemment, les corps vivants les plus simples et les
plus imparfaits ne sauraient posséder une pareille
faculté.
La circulation : c’est une faculté qui n’a d’exis-
tence que dans certains animaux, et qui, dans le
A CERTAINS CORPS VIVANTS 143
régne animal, est bien moins générale que les cinq
dont je viens de parler. Gette faculté provient d’une
fonction organique relative à l'accélération des
mouvements du fluide essentiel de certains ani-
maux, fonction qui s'exécute dans un système
d'organes particulier qui y est propre.
Ce système d'organes se compose essentiellement
de deux sortes de vaisseaux , savoir : d’artères et de
veines , et presque toujours, en outre , d’un muscle
creux et charnu qui occupe à peu près le centre du
système, qui en devient bientôt l’agent principal, et
qu'on nomme le cœur.
La fonction qu'exécute le système d'organes dont
il s’agit, consiste à faire partir le fluide essentiel de
l'animal, qui doit ici porter le nom de sang, d’un
point à peu près central où se trouve le cœur lors-
qu'il existe, pour l'envoyer de là, par les artères,
dans toutes les parties du corps, d'où revenant au
même point par les veines, il est ensuite envoyé de
nouveau dons toutes ces parties.
C'est à ce mouvement du sang , toujours envoyé
à toutes les parties, et toujours retournant au point
de départ, pendant le cours entier de la vie, qu'on
a donné le nom de circulation, qu'il faut qualifier
de générale, afin de la distinguer de la circulation
respiratoire , qui s'exécute par un système particu
lier, composé pareillement d’artères et de veines.
La nature, en commençant l’organisation dans les
animaux les plus simples et les plus imparfaits, n’a
144 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
pu donner à leur fluide essentiel qu'un mouvement
extrêmement lent. Tel est, sans doute, le cas du
fluide essentiel, presque simple et très-peu animalisé
qui se meut dans le tissu cellulaire des infusoires.
Mais ensuite , animalisant et composant graduelle-
ment le fluide essentiel des animaux , à mesure que
leur organisation se compliquait et se perfectionnait,
elle en a augmenté peu à peu le mouvement {par
différents moyens.
Dans les polypes, le fluide essentiel est presque
aussi simple encore, et n’a pas beaucoup plus de
mouvement que celui des infusoires. Cependant, la
forme déjà régulière des polypes, et surtout la cavité
alimentaire. qu’ils possèdent, commencent à donner
quelques moyens à la nature pour activer un peu
leur fluide essentiel.
Elle en a probablement profité dans les radiaires,
en établissant dans la cavité alimentaire de ces
animaux le centre d'activité de leur fluide essentiel.
En effet, les fluides subtils, ambiants et expansifs
qui constituent la cause ercitatrice des mouvements
de ces animaux, pénétrant principalement dans leur
cavité alimentaire , ont , par leurs expansions sans
cesse renouvelées, surcomposé cette cavité, amené
la forme rayonnante, tant interne qu’externe, de
ces mêmes animaux, et sont, en outre, la cause des
mouvements isochrones qu'on observe dans Îles
radiaires mollasses.
Lorsque la nature eut réussi à établir le mouve-
A CERTAINS CORPS VIVANTS 145
ment musculaire, comme dans les 2nsectes, et peut-
ètre même un peu avant, elle eut alors un nouveau
moyen pour activer un peu plus encore le mouve-
ment de leur sante ou fluide essentiel ; mais, par-
venue à l’organisation des crustacés , te moyen ne
lui suffisait plus, et il lui fallut créer un système
d'organes particulier pour l’accélération du fluide
essentiel de ces animaux, c’est-à-dire de leur sang.
C'est, en effet, dans les crustacés qu'on voit, pour
la première fois, la fonction d’une circulation
générale complétement exécutée, fonction qui
n'avait reçu qu'une simple ébauche dans les ara-
chnides.
Chaque nouveau système d'organes acquis se
conserve toujours dans les organisations subsé-
quentes ; mais la nature travaille ensuite à le per-
fectionner de plus en plus.
Ainsi, dans le commencement , la circulation gé-
nérale offre dans son système d'organes, un cœur
à un seul ventricule, et mème, dans les annelides,
le cœur n’est pas connu : elle n’est accompagnée
d’abord que par une circulation respiratoire incom-
plète ; c’est-a-dire dans laquelle tout le sang ne
passe pas par l'organe de la respiration avant d’ètre
envoyé à toutes les parties. Tel est le cas des ani-
maux à branchies non perfectionnées ; mais dans les
poissons, où la respiration branchiale est à son
perfectionnement, la circulation générale est accom-
pagnée d’une circulation respiratoire complète.
LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 1
146 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
Lorsque ensuite la nature eut réussi à créer un
poumon pour respirer, comme dans les reptiles, la
circulation générale ne put être alors accompagnée
que par une circulation respiratoire incomplète ,
parce que le nouvel organe respiratoire était encore
trop imparfait, que la circulation générale elle-
même n'avait encore dans son système d’organes
qu'un cœur à un seul ventricule, et que le nouveau
fluide respiré étant par lui-même plus promptement
réparateur que l’eau , ne rendait pas nécessaire une
respiration complète. Mais lorsque la nature fut
parvenue à opérer le perfectionnement de la respi-
ration pulmonaire, comme dans les oiseaux et les
mammifères, alors la circulation générale fut
accompagnée par une circulation respiratoire com—
plète, le cœur eut nécessairement deux ventricules
et deux oreillettes, et le sang obtint la plus grande
accélération dans son mouvement, l’animalisation
la plus éminente devint propre à élever la tempé-
rature intérieure de l’animal au-dessus de celle des
milieux environnants, enfin, fut assujetti à de
promptes altérations qui exigèrent des réparations
proportionnées.
La circulation du fluide essentiel d’un corps
vivant est donc une fonction organique particulière
à certains animaux : elle commence à se montrer
complète et générale dans les crustacés , et se re-
trouve dans les animaux des classes suivantes, qui
sont graduellement plus parfaits; mais en vain la
A CERTAINS CORPS VIVANTS 147
chercherait-on dans les animaux moins parfaits des
classes antérieures, on ne la trouverait pas.
L'intelligence : c'est de toutes les facultés parti
culières à certains animaux, celle qui se trouve la
plus bornée, relativement au nombre de ceux qui la
possèdent, même dans sa plus grande imperfection ;
mais aussi C’est la plus admirable, surtout lorsqu'elle
est bien développée, et on peut alors la regarder
comme le chef-d'œuvre de tout ce qu'a pu exécuter
la nature à l’aide de l’organisation.
Cette faculté provient des actes d’un organe par-
ticulier qui, seul, peut y donner lieu, et parait
lui-même très-composé lorsqu'il a acquis tous les
développements dont il est susceptible.
Comme cet organe est véritablement distinct de
celui qui produit le sentiment , quoiqu'il ne puisse
exister sans celui-ci , il en résulte que la faculté
d'exécuter des actes d'intelligence, non-seulement
n’est pas commune à tous les animaux, mais même
ne l’est pas à tous ceux qui possedent celle de sen-
tir, car le sentiment peut exister sans l’intelli-
gence.
L'organe spécial, en qui se produisent les actes
de l’entendement, paraît n'être qu'un accessoire du
système nerveux, c’est-à-dire qu’une partie sur-
ajoutée au cerveau, lequel contient le foyer ou
centre de rapport des nerfs. Aussi l’organe parti
eulier dont il est question est-il contigu à ce foyer;
d’ailleurs, la nature de la substance dont il se com
148 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
pose ne paraît nullement différer de celle qui forme
le système nerveux ; cependant, en lui seul s’exé-
cutent les actes de l'intelligence ; et comme le sys-
tème nerveux peut exister sans lui, c’est donc un
organe spécial.
On trouvera, dans la troisième partie, quelques
aperçus généraux sur le mécanisme probable des
fonctions de cet organe que l’on confond avec la
masse médullaire connue sous le nom de cerveau,
dans les animaux vertébrés, et dont cependant il ne
constitue que les deux hémisphères plicatiles qui le
recouvrent. Il me suffit ici de faire remarquer que,
parmi les animaux qui ont un système nerveux, 1l
n’y à que les plus parfaits d’entre eux qui aient
réellement leur cerveau muni des deux hémisphères
que je viens de citer, et que, probablement, tous
les animaux sans vertébres, sauf peut-être cer-
tains #ollusques du dernier ordre , en sont généra-
lement dépourvus, quoiqu'un grand nombre d’entre
eux ait un cerveau, auquel les nerfs d’un ou de
plusieurs sens particuliers se rendent immédiate-
ment, et que ce cerveau soit, en général, partagé en
deux lobes, ou divisé par un sillon.
D’après ces considérations, la faculté d’exécuter
des actes d'intelligence ne commence guere qu'aux
poissons, où tout au plus qu'aux #0llusques cépha-
lopodes. Elle est alors dans sa plus grande imper-
fection ; elle a fait quelques progrès de développe-
ment dans les reptiles, surtout dans ceux des der-
A CERTAINS CORPS VIVANTS 149
niers ordres, elle en a fait de beaucoup plus grands
dans les oiseaux, et elle offre dans les mammifères
des derniers ordres, tous ceux qu’elle peut avoir
dans les animaux.
L'intelligence est donc une faculté particulière
à certains animaux qui possedent celle de sentir ;
mais cette faculté n’est pas commune à tous ceux qui
jouissent du sentiment : en effet, nous verrons que,
parmi ces derniers, ceux qui n’ont pas l'organe par-
ticulier propre à l’exécution des actes de lintelli-
gence, ne peuvent avoir que de simples perceplions
des objets qui les affectent, mais qu'ils ne s’en
forment point d'idée , ne comparent point, ne Jugent
point, et sont régis, dans toutes leurs actions, par
leurs besoins et leurs penchants habituels.
RÉSUMÉ DE CETTE SECONDE PARTIE
En me bornant, dans les neuf chapitres précé-
dents , aux seules observations que j'avais à pré-
senter, J'ai évité d'entrer dans une multitude de
détails, à la vérité, fort intéressants, mais que lon
trouve dans les bons ouvrages de physiologie que
le public possede : les considérations que j'ai expo-
sées me paraissent suffire pour prouver :
1° Que la vie, dans tout corps qui la possède, ne
consiste qu'en un ordre et un état de choses qui
permettent aux parties intérieures de ce corps
d’obéir à l’action d’une cause excitatrice, d'exécuter
150 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
des mouvements qu’on nomme organiques où vitaux,
et desquels il reçoit la faculté de produire, selon son
espèce , les phénomènes connus de l’organisation ;
2° Que la cause excitatrice des mouvements
vitaux est étrangère aux organes de tous les corps
vivants ; que les éléments de cette cause se trouvent
toujours, quoiqu'avec des variations dans leur abon-
dance , dans tous les lieux qu'ils habitent ; que les
milieux environnants les leur fournissent, soit
uniquement, soit en partie; et que, sans cette même
cause , aucun de ces corps ne pourrait jouir de la
vie ;
3° Que tout corps vivant quelconque est nécessai-
rement composé de deux sortes de parties, savoir :
de parties contenantes, constituées par un issu
cellulaire très-souple, dans lequel et aux dépens
duquel toute espèce d’organe a été formée, et de
fluides visibles contenus, susceptibles d’éprouver
des mouvements de déplacement et des changements
divers dans leur état et leur nature ;
4° Que la nature animale n’est pas essentiellement
distinguée dela nature végétale par desorganesparti-
culiers à chagune de ces deux sortes de corps vivants,
mais qu’elle l’est principalement par la nature même
des substances qui entrent dans la composition de
ces deux sortes de corps : de manière que la subs-
tance de tout corps animal permet à la cause exci-
tatrice d'y établir un orgasme énergique et l'irri-
fabilité; tandis que la substance de tout corps
A CERTAINS CORPS VIVANTS 151
végétal ne laisse à la cause excitatrice que le pou-
voir de mettre en mouvement les fluides visibles
contenus, mais ne lui permet, sur les parties conte-
nantes, qu'un orgasme obscur, incapable de pro-
duire l’irritabilité et de faire exécuter aux parties
des mouvements subits ;
9° Que la nature elle-mème donne lieu à des géné-
rations directes, dites spontanées, en créant l’orga-
nisation et la vie dans des corps qui ne les possé-
daient pas; qu'elle à nécessairement cette faculté à
l’égard des animaux et des végétaux les plus impar-
faits qui commencent, soit l’échelle animale, soit
l'échelle végétale, soit peut-être encore certaines
de leurs ramifications, et qu’elle n’exécute ces
admirables phénomènes que sur de petites masses
de matière, gélatineuse pour la nature animale,
mucilagineuse pour la nature végétale, transfor-
mant ces masses en tissu cellulaire , les remplissant
de fluides visibles qui s’y composent, et y établissant
des mouvements , des dissipations, des réparations
et divers changements à l’aide de la cause excita-
trice que les milieux environnants fourniseent ;
6° Que les lois qui régissent toutes les mutations
que nous observons dans les corps de quelque na-
ture qu’ils soient sont partout les mêmes, mais que
ces lois opèrent dans les corps vivants des résultats
tout à fait opposés à ceux qu’elles exécutent dans
les corps bruts ou inorganiques, parce que, dans
les premiers, elles rencontrent un ordre et un état
152 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES
de choses qui leur donnent le pouvoir d’y produire
tous les phénomènes de la vie, tandis que, dans les
derniers, rencontrant un état de choses fort diffé-
rent, elles y produisent d’autres effets : en sorte
qu'il n’est pas vrai que la nature ait pour les corps
vivants des lois particulières opposées à celles qui
régissent les mutations qui s’observent à l’égard
des corps privés de la vie ;
7° Que tous les corps vivants , de quelque règne
et de quelque classe qu'ils soient, ont des facultés
qui leur sont communes ; qu’elles sont le propre de
l’organisation générale de ces corps et de la vie
qu'ils possedent; et qu’en conséquence ces facultés
communes à tout ce qui possède la vie n’exigent au—
cun organe particulier pour exister;
8° Que, outre les facultés communes à tous les
corps vivants, certains de ces corps, surtout parmi
les animaux, ont des facultés qui leur sont tout à
fait particulières, c’est-à-dire qu'on ne retrouve
nullement dans les autres ; mais que ces facultés
particulières, telles que celles que l’on observe dans
beaucoup d'animaux , sont chacune le produit d’un
organe où d’un système d'organes spécial qui les
leur procure, en sorte que tout animal en qui cet
organe ou ce système d’organes n'existe pas ne
peutnullement posséder la faculté qu'il donne à ceux
qui en sont munis! ;
4 A cette occasion, je remarquerai que les végétaux n'offrent géné-
ralement dans leur intérieur aucun organe spécial pour une fonction
A CERTAINS CORPS VIVANTS 153
90 Enfin, que la mort de tout corps vivant est
un phénomène naturel qui résulte nécessairement
des suites de l’existence de la vie dans ce corps, Si
quelque cause accidentelle ne le produit pas avant
que les causes naturelles l’'amènent; que ce phéno-
mène n’est autre chose que la cessation complète des
mouvements vitaux, à la suite d’un dérangement
quelconque dans l’ordre et l'état de choses néces-
saires pour l'exécution de ces mouvements ; et que,
dans les animaux à organisation très-composée, les
principaux systèmes d'organes possédant, en quelque
sorte, une vie particulière, quoique étroitement liée
à la vie générale de l’individu, la mort de lanimal
s'exécute graduellement et comme par parties, de
manière que la vie s'éteint successivement dans ses
principaux organes et dans un ordre constamment
le même , et l'instant où le dernier organe cesse de
vivre est celui qui complète la mort de l'individu.
Sur des sujets aussi difficiles que ceux dont je
viens de traiter, tout est 1ci réduit à ce qu’il nous
est possible de connaître, et se trouve restreint dans
particulière, et que chaque portion d'un végétal contenant, comme les
autres, les organes essentiels à la vie, peut par conséquent, soit vivre
et végéter séparément, soit, par un greffe d'approche, partager avec un
autre végétal une vie qui leur deviendrait commune; enfin, qu'il résulte
de cet ordre de choses dans les végétaux, que plusieurs individus d'une
même espèce et d’un même genre, peuvent vivre les uns sur les autres
et jouir d’une vie commune.
J'ajouterai que les bourgeons latents, que l'on trouve suries branches
et même sur le tronc des végétaux ligneux, ne sont point des organes
Spéciaux, mais que ce sont les ébauches de certains individus qui
n'attendent pour se développer que des circonstances favorables.
154 DES FACULTÉS PARTICULIÈRES, ETC.
les limites de ce que l'observation a pu nous appren-
dre. Tout y est ramené aux conditions essentielles
à l'existence de la vie dans un corps; conditions
établies d’après les faits mêmes qui montrent leur
nécessité.
S1 les choses ne sont pas réellement telles que je
viens de l'indiquer, ou si lon pense que les condi-
tions citées et remplies, et que les faits reconnus
qui attestent le fondement de ces choses, ne sont
pas des preuves suffisantes pour autoriser à les re-
connaitre ; alors on devra renoncer à la recherche
des causes physiques qui donnent lieu aux phéno-
mènes de l’organisation et de la vie.
FIN DE LA SECONDE PARTIE
TROISIÈME PARTIE
CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PHYSIQUES
DU SENTIMENT, CELLES QUI CONSTITUENT LA FORCE PRODUCTIVE
DES ACTIONS
ENFIN, CELLES QUI DONNENT LIEU AUX ACTES D'INTELLIGENCE
QUI S'OBSERVENT DANS DIFFÉRENTS ANIMAUX
INTRODUCTION
Dans la seconde partie de cet ouvrage, j’ai essayé
de répandre quelque jour sur les causes physiques
de la vie, dans les corps qui en jouissent, sur les
conditions nécessaires pour qu'elle puisse exister,
enfin, sur la source de cette force excitatrice des
mouvements vitaux, sans laquelle aucun corps ne
pourrait réellement posséder la vie.
Maintenant, je me propose de considérer ce que
peut être le sentiment, comment l'organe spécial qui
y donne lieu (le système nerveux) peut produire
l’admirable phénomène des sensations , comment les
156 INTRODUCTION
sensations elles-mêmes peuvent, par la voie de l’or-
gane ajouté au cerveau, produire des idées, et
celles-ci occasionner dans le même organe la for-
mation des pensées, des jugements, des raisonne-
ments; en un mot, des actes d'intelligence plus
admirables encore que ceux que les sensations cons-
tituent.
Mais, dit-on, « les fonctions du cerveau sont d’un
autre ordre que celles des autres viscères. Dans ces
derniers, les causes et les effets sont de même nature
(de nature physique)...
« Les fonctions du cerveau sont d’un ordre tout
différent : elles consistent à recevoir, par le moyen
des nerfs, et à transmettre immédiatement à l'esprit
les impressions des sens, à conserver les traces de
ces impressions, et à les reproduire avec plus ou
moms de promptitude, de netteté et d’abondance,
quand Pesprit en a besoin pour ses opérations, ou
quand les lois de l'association des idées les raménent,
enfin, à transmettre aux muscles, toujours par le
moyen des nerfs, les ordres de la volonté.
« Or, ces trois fonctions supposent l'influence
mutuelle, à jamais incompréhensible, de la matière
divisible et du moi indivisible, hiatus infranchissable
dans le système de nos idées et pierre éternelle
d’achoppement de toutes les philosophies ; elles se
trouvent même avoir encore une difficulté qui ne
tient pas nécessairement à la premiere : non-seule-
INTRODUCTION 157
ment nous ne comprenons, ni ne comprendrons Ja-
mais, comment des traces quelconques, imprimées
dans notre cerveau, peuvent être perçues de notre
esprit et y produire des images; mais quelque déli-
cates que soient nos recherches, ces traces ne se
montrent en aucune facon à nos yeux, et nous igno-
rons entièrement quelle est leur nature, quoique
l'effet de l’âge et des maladies sur la mémoire ne
nous laissent douter, ni de leur existence, ni de leur
siége. » (Rapport à l’Institut sur un Mémoire de
MM. Gall et Spurzheim, p. 5.)
Il faut, à mon avis, un peu de témérité pour dé-
terminer les bornes des conceptions auxquelles l’in-
telligence humaine peut atteindre, ainsi que les
limites et la mesure de cette intelligence. En effet,
qui peut assurer que jamais l’homme n’obtiendra
telle connaissance et ne pénétrera tel des secrets
de la nature ? Ne sait-on pas qu'il a déjà découvert
quantité de vérités importantes, parmi lesquelles
plusieurs semblaient entièrement hors de sa portée ?
Certes, je le répète, il y aurait plus de témérité
dans celui qui voudrait déterminer, d’une maniere
positive, ce que l’homme peut savoir, et ce qu’il est
condamné à ignorer toujours, que dans celui qui,
étudiant les faits, examinant les suites des relations
qui existent entre différents corps physiques, et con-
sultant toutes les inductions, lorsque la grossiereté
de ses sens ne lui permettrait plus de trouver lui-
même les preuves des certitudes morales qu'il aurait
158 INTRODUCTION
su acquérir, ferait des tentatives soutenues pour re
connaître les causes des phénomènes de la nature,
quelles qu’elles puissent être.
S’it était question d'objets hors de la nature, de
phénomènes qui ne fussent pas physiques ou le ré-
sultat de causes physiques, sans doute ces sujets
seraient au-dessus de l'intelligence humaine; car
elle ne saurait avoir aucune prise sur ce qui peut
être étranger à la nature.
Or comme, dans cet ouvrage, il ne s’agit particu-
lièrement que des animaux, et comme l’observation
nous apprend que, parmi eux, il y en a qui possèdent
la faculté de sentir, qui se forment des idées, qui
exécutent des jugements et différents actes d’intelli-
gence, en un mot, qui ont de la mémoire, je de-
manderai ce que c’est que cet être particulier qu'on
nomme esprit dans le passage cité ci-dessus ; être
singulier qui est, dit-on, en rapport avec les actes
du cerveau, de manière que les fonctions de cet or-
gane sont d’un autre ordre que celles des autres
organes de l'individu.
Je ne vois, dans cet être factice, dont la nature ne
m'offre aucun modèle, qu'un moyen imaginé pour
résoudre des difficultés que l’on n'avait pu lever,
faute d’avoir étudié suffisamment les lois de la na-
ture : c’est à peu près la même chose que ces catas-
trophes universelles, auxquelles on a recours pour
répondre à certaines questions géologiques qui nous
embarrassent, parce que les procédés de la nature,
INTRODUCTION 159
dans les mutations de tous genres qu'elle produit
sans cesse, ne sont point encore reconnus.
Relativement aux {races que nos idées et nos pen-
sées impriment dans notre cerveau, qu'importe que
ces traces ne puissent être aperçues par aucun de nos
sens, si, Comme on en convient, il ya des observa-
tions qui ne nous laissent aucun doute sur leur exis-
tence, ainsi que sur leur siége : apercevons-nous
mieux le mode d'exécution des fonctions de nos au-
tres organes, et, pour citer un seul exemple, voyons-
nous mieux comment les nerfs mettent nos muscles
en action ? Cependant, nous ne pouvons douter que
l’inftuence nerveuse ne soit indispensable pour l’exé-
cution de nos mouvements musculaires.
A l'égard de la nature, où 1l nous importe tant
d'acquérir des connaissances, les seules qui puissent
être à notre disposition, et où encore nous ne pou-
vons guère obtenir, sur les nombreux phénomènes
qu’elle présente, que des certitudes morales, voici
la seule voie qui me paraisse propre à nous conduire
au but vers lequel nous tendons.
Sans nous en laisser imposer, sur ce sujet, par des
décisions absolues, presque toujours inconsidérément
hasardées, recueillons avec soin les faits que nous
pouvons observer, consultons l'expérience partout
où nous en avons les moyens, et lorsque cette expé=
rience nous est interdite, rassemblons toutes les in=
ductions que peut nous fournir l'observation des
faits analogues à ceux qui nous échappent, et ne pro=
160 INTRODUCTION
noncons nulle part définitivement : par cette vole,
nous pourrons peu à peu parvenir à connaître les
causes d’une multitude de phénomènes naturels, et,
peut-être mème, celles des phénomènes qui nous
paraissent les plus incompréhensibles.
Ainsi, comme les limites de nos connaissances, à
l'égard de tout ce que nous offre la nature, ne sont
pas fixées et ne peuvent l'être, je vais, en faisant
usage des lumières acquises et des faits observés,
essayer de déterminer, dans cette troisième partie,
quelles sont les causes physiques qui donnent à cer-
tains animaux la faculté de sentir, celle de produire
eux-mêmes les mouvements qui constituent leurs
actions, celle, enfin, de se former des idées, de com-
parer ces idées pour en obtenir des jugements ; en
un mot, d'exécuter différents actes d'intelligence.
Le plus souvent, les considérations que J’expo-
serai, à cet égard, seront dans le cas de nous donner
des convictions intimes et morales, et cependant il
est impossible de prouver positivement le fondement
de ces considérations. Il semble que notre destinée
- ne nous permette, relativement à quantité de phéno-
ménes naturels, d'acquérir que cet ordre de con-
naissances ; et néanmoins on ne saurait douter de
son importance dans mulle circonstances où il est
nécessaire que nos Jugements soient dirigés.
Si le physique et le moral ont une source com
mune, si les idées, la pensée, l'imagination même,
ne sont que des phénomènes de la nature, et consé-
INTRODUCTION 161
quemment que de véritables faits d'organisation ; il
appartient principalement au zoologiste, qui s’est
appliqué à l’étude des phénomènes organiques, de
rechercher ce que sont les idées, comment elles se
produisent, comment elles se conservent , en un mot,
comment la mémoire les renouvelle, les rappelle et
les rend de nouveau sensibles; de là, il n’a que
quelques efforts à faire pour apercevoir ce que sont
les pensées elles-mêmes, auxquelles les idées seules
peuvent donner lieu ; enfin, en suivant la même
voie et en s'étayant de ses premiers aperçus, 1} peut
découvrir comment les pensées donnent lieu au rai-
sonnement, à l'analyse, à des jugements, à la
volonté d'agir, et comment encore des actes de
pensées et de jugements multipliés peuvent faire
naitre l'imagination, cette faculté si féconde en
création d'idées, qu'elle semble même en produire
dont les objets ne sont pas dans la nature, mais
qui ont pris nécessairement leur source dans ceux
qui sy trouvent.
Si tous les actes d'intelligence, dont j’entreprends
de rechercher les causes , ne sont que des phéno-
mènes de la nature, c’est-à-dire des actes d’orga-
nisation, ne puis-je pas, en me pénétrant de la
connaissance des seuls moyens que possèdent les
organes pour exécuter leurs fonctions, espérer de
découvrir comment ceux de lintelligence peuvent
donner lieu à la formation des idées, en conserver,
plus ou moins longtemps, les traces ou les empreintes,
LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 11
162 INTRODUCTION
enfin, avoir la faculté, à l’aide de ces idées, d’exé-
cuter des pensées, etc., etc. ?
On ne saurait douter, maintenant , que les actes
d'intelligence ne soient uniquement des faits d’orga-
misation, puisque, dans l’homme même, qui tient de
si près aux animaux par la sienne, 1l est reconnu
que des dérangements dans les organes qui produi-
sent ces actes, en entraînent dans la production des
actes dont il s’agit, et dans la nature mème de leurs
résultats.
La recherche des causes, dont j’ai parlé plus haut,
m'a done paru fondée sur une possibilité évidente :
je m'en suis occupé; je me suis attaché à l'examen
du seul moyen dont la nature pouvait disposer pour
opérer les phénomènes dont il est ici question ; et ce
sont les résultats de mes méditations à cet égard
que je vais présenter.
Le point essentiel à considérer, est que, dans tout
ystème d'organisation animale, la nature ne peut
avoir qu'un seul moyen à sa disposition, pour faire
exécuter aux différents organes les fonctions qui
leur sont propres.
En effet, ces fonctions sont partout le résultat de
relations entre des fluides qui se meuvent dans
l'animal, et les parties de son corps qui contiennent
ces fluides.
Partout, ce sont des fluides en mouvement (les
uns contenables, et les autres incontenables) qui
vout porter leurs influences sur les organes; et
INTRODUCTION 163
partout, encore, ce sont des parties souples qui,
tantôt en éréthisme, réagissent sur les fluides qui
les affectent, et tantôt incapables de réagir, modi-
fient, par leur disposition et les impressions qu’elles
conservent, le mouvement des fluides qui s’agitent
parmi elles.
Ainsi, lorsque les parties souples des organes
sont susceptibles d’être animées par l’orgasme, et
de réagir sur les fluides contenus qui les affectent,
alors les différents mouvements et changements qui
en résultent, soit dans les fluides, soit dans les
organes , produisent les phénomènes de l’organisa-
tion qui sont étrangers au sentiment et à l’intelli-
gence ; mais lorsque les parties contenantes sont
d’une nature et d’une mollesse qui les rend passives
et incapables de réagir, alors le fluide subtil qui se
meut dans ces parties, et qui en reçoit des modifica-
tions dans ses mouvements, donne lieu au phénomène
du sentiment et à ceux de l'intelligence ; ce que
j'essayerai d'établir dans cette partie.
Il ne s’agit donc dans tout ceci que de relations
qui existent entre les parties concrètes, souples et
contenantes d’un animal, et les fluides en mouve-
ment (contenables ou incontenables) qui agissent sur
ces parties. |
Ce fait, qui est assez connu, fut, pour moi, un
trait de lumière lorsque je le considérai; il me
servit de guide dans la recherche que je me propo-
sais, et bientôt je sentis que les actes d'intelligence
164 INTRODUCTION
des animaux étant, ainsi que les autres actes qu’on
leur voit produire, des phénomènes de l’organisation
animale, ils prenaient aussi leur source dans les
relations qui existent entre certains fluides en mou-
vement, et les organes propres à la production de
ces actes admirables.
Qu'importe que ces fluides, que leur extrème
ténuté ne nous permet ni de voir, ni de retenir
dans aucun vase, pour les soumettre à nos expé-
riences, ne manifestent leur existence que par leurs
effets ? ces effets n’en sont pas moins de nature à
prouver qu'eux seuls peuventles produire. D’ailleurs,
il est aisé de reconnaître que les fluides visibles qui
pénètrent dans la substance médullaire du cerveau
et des nerfs ne sont que nourriciers et propres à
fournir à des sécrétions, mais que ces fluides ont
trop de lenteur dans leurs mouvements pour pouvoir
donner lieu aux phénomènes, soit du mouvement
musculaire, soit du sentiment, soit de la pensée.
Éclairé par ces considérations, qui retiennent
l'imagination dans des limites qu'elle ne doit pas
franchir, je vais d’abord montrer comment il paraît
que la nature est parvenue à créer l’organe du sen-
timent, et, par son moyen, la force productrice des
actions : je développerai ensuite comment, à l’aide
d’un organe particulier pour l'intelligence des idées,
des pensées, des jugements , de la mémoire, etc.,
peuvent avoir lieu dans les animaux qui possèdent
cet organe.
CHAPITRE PREMIER
DU SYSTÈME NERVEUX, DE SA FORMATION
ET DES DIFFÉRENTES SORTES DE FONCTIONS QU'IL
PEUT EXÉCUTER
Le système nerveux, considéré dans l’homme et
dans les animaux les plus parfaits, se compose de
différents organes particuliers très-distincts, et
même, suivant son perfectionnement, de divers
systèmes d'organes qui ont entre eux une connexion
intime, et qui forment un ensemble très-compliqué.
On a supposé que ce système était partout le même
dans sa composition , sauf plus ou moins de déve-
loppement dans ses parties, et les différences que
les diverses organisations des animaux ont exigé
dans la grandeur, la forme et la situation de ces
parties. De là, les diverses sortes de fonctions qu'on
lui voit produire dans les animaux les plus parfaits,
furent toutes regardées comme étant le propre de
son existence dans l’organisation animale.
166 DU SYSTÈME NERVEUX
Cette manière de considérer le système nerveux
ne peut nous éclairer sur la nature du système
d'organes dont il s’agit, sur ce qu'il est nécessaire-
ment dans son origine, sur la composition crois-
sante de ses parties à mesure que l’organisation
animale s’est compliquée et perfectionnée, enfin,
sur les facultés nouvelles qu’il donne aux animaux
qui en sont munis, selon que sa composition est
devenue plus grande. Au contraire, au lieu de
fournir des lumières aux physiologistes sur ces diffé-
rents objets, elle les porte à attribuer partout au
système nerveux, dans différents degrés d’éminence,
les mêmes facultés qu'il donne aux animaux les
plus parfaits, ce qui ne saurait avoir le moindre
fondement.
Je vais donc essayer de prouver : 1° Que tous les
animaux ne peuvent posséder généralement ce sys-
tème d'organes ; 2° que, dans son origine, et consé—
quemment dans sa plus grande simplicité, il ne donne
aux animaux qui le possèdent que la seule faculté
du mouvement musculaire; 3° qu'ensuite, plus
composé dans ses parties, il communique alors aux
animaux la jouissance du mouvement musculaire,
plus celle eu sentiment, 4 qu'enfin, complet dans
toutes ses parties, il donne aux animaux qui en sont
possesseurs, la faculté du mouvement musculaire,
celle d’éprouver des sensations, et celle de se former
des idées, de comparer ces idées entre elles, de pro-
duire des jugements, en un mot, d'avoir de lrntel-
DU SYSTÈME NiRVEUX 167
ligence, quoique plus ou moins développée, selon le
degré de perfectionnement de leur organisation.
Avant d'exposer les preuves du fondement de ces
diverses considérations, voyons d’abord quelle peut
être l’idée générale que nous devons nous former de
la nature et de la disposition des différentes parties
du système nerveux.
Ce système, dans toute organisation animale où
il se montre, offre une #asse médullaire principale,
soit divisée en parties séparées, soit rassemblée en
une seule, sous quelque forme que ce soit, et des
filets nerveux qui vont se rendre à cette masse.
Tous ces organes présentent, dans leur composi-
tion, trois sortes de substances de nature très-diffé-
rente, SAVOIr :
1° Une pulpe médullaire très-molle et d’une nature
particuhere ;
2° Une enveloppe aponévrotique qui entoure la
pulpe médullaire, fournit des gaines à ses prolonge-
ments et à ses filets, même les plus grèles, et dont la
nature et les propriétés ne sont pas les mêmes que
celles de la pulpe qu'elle renferme ;
3 Un fluide invisible et tres-subtil, se mouvant
dans la pulpe sans avoir besoin de cavité apparente,
et qui y est retenu latéralement par la gaine qu'il
ne saurait traverser.
Telles sont les trois sortes de substances qui com
posent le système nerveux, et qui, par leurs dispo-
168 DU SYSTÈME NERVEUX
sitions, leurs relations, et les mouvements du fluide
subtil que renferment les parties de ce système,
produisent les phénomènes organiques les plus éton-
nants.
On sait que la pulpe des organes dont il s’agit est
une substance médullaire très-molle, blanche inté-
rieurement, grisâtre dans sa croûte extérieure, in-
sensible, et qui paraît d’une nature albumino -géla-
tineuse. Elle forme, au moyen de ses gaines aponé-
vrotiques, des filets et des cordons qui vont se rendre
à des masses plus considérables de la même sub-
stance médullaire, lesquelles contiennent le foyer
(simple ou divisé) ou le centre de rapport du sys-
teme.
Soit pour l'exécution du mouvement musculaire,
soit pour celle des sensations, il faut nécessairement
que le système d'organes destiné à opérer de pa-
reilles fonctions, ait un foyer ou un centre de rap-
port pour les nerfs. Effectivement, dans le premier
cas, le fluide subtil qui doit porter son influence sur
les muscles, part d’un foyer commun pour se diriger
vers les parties qu'il doit mettre en action ; et dans
le second cas, le même fluide, mu par la cause affec-
tante, part de l'extrémité du nerfaffecté pour se diri-
ger vers le centre de rapport, et y produire l’ébran-
lement qui donne lieu à la sensation.
I faut donc absolument un foyer ou centre de
rapport, auquel les nerfs se rendent, pour que le
système dont il s’agit puisse opérer ses fonctions,
DU SYSTÈME NERVEUX 169
quelles qu’elles soient ; et nous verrons même que,
sans lui, les actes de l’organe de lintelligence ne
pourraient devenir sensibles à l'individu. Or, ce
centre de rapport se trouve placé dans une partie
quelconque de la masse médullaire principale qui fait
toujours la base du système nerveux.
Les filets et les cordons dont je viens de parler
tout à l'heure sont les nerfs ; et la masse médullaire
principale qui contient le centre de rapport du sys-
tème, constitue, dans certains animaux sans verte-
bres, soit des ganglions séparés, soit la moelle lon-
gitudinale noueuse dont ils sont munis ; enfin, dans
les animaux à vertebres, elle forme la moelle épi-
nière et la moelle allongée qui se joint au cerveau.
Partout où le système nerveux existe, quelque
simple ou imparfait qu'il soit, la masse médullaire
principale, dont il vient d'être question, se trouve
toujours sous une forme quelconque, parce qu’elle
fait la base de ce systeme, et qu'elle lui est essen-
tielle.
En vain, pour nier cette vérité de fait, dira-t-on :
1° Que l’on peut enlever entièrement le cerveau
d’une tortue, d’une grenouille, sans que ces animaux
cessent de montrer, par leurs mouvements, qu'ils
ont encore des sensations et une volonté : je répon-
drai qu'on ne détruit, dans cette opération, qu'une
portion de la masse médullaire principale, et que ce
n’est pas celle qui contient le centre de rapport ou
le sensorium commune, car les deux hémisphères
170 DU SYSTÈME NERVEUX
qui forment la masse principale de ce qu’on nomme
le cerveau ne le renferment pas ;
2° « Qu'il y a des insectes et des vers qui, étant
coupés en deux ou plusieurs morceaux, forment, à
l'instant même, deux ou plusieurs individus qui ont
chacun leur système de sensation et leur volonté
propre. » Je répondrai encore, qu'à l'égard des in-
sectes, le fait allégué est sans fondement ; qu'aucune
expérience connue ne constate qu’en coupant un
insecte en deux morceaux, on puisse obtenir deux
individus capables de vivre chacun de leur côté; et
quand mème cela serait, chaque moitié de l’insecte
coupé aurait encore, dans sa portion de moelle lon-
gitudinale noueuse, une masse médullaire principale ;
3° «. Que plus la masse de matière nerveuse est
également distribuée, moins le rôle des parties cen-
trales est essentiel‘. » Je répondrai, enfin, que cette
assertion est une erreur; qu'elle ne appuie sur
aucun fait; et qu'on ne l’a faite que faute d’avoir
conçu la nature des fonctions du système nerveux.
La sensibilité n’est nullementle propre de la matière
nerveuse, ni d'aucune autre, et le sys{ème nerveux
ne peut avoir d'existence et exercer la moindre de
ses fonctions que lorsqu'il se compose d’une masse
médullaire principale de laquelle partent des filets
nerveux.
1 Voyez l'Anatomie comparée de M. Cuvier, t. I, p. 94, et les
Recherches sur le Système nerveux de MM. Gall et Spurzhem,
Dee.
DU SYSTÈME NERVEUX 471
Non-seulement le système nerveux ne peut exis-
ter, ni exécuter la moindre de ses fonctions, sans être
composé d’une masse médullaire principale, qui con-
tienne un ou plusieurs foyers pour fournir à l’exci-
tation des muscles, et de laquelle partent différents
nerfs qui se rendent aux parties, mais nous verrons,
en outre, dans le troisième chapitre, que la faculté
de sentir ne peut avoir lieu, dans aucun animal, que
lorsque la masse médullaire dont je viens de parler
contient un foyer unique, en un mot, un centre de
rapport où les nerfs du système sensitif se dirigent
de toutes parts.
A la vérité, comme il est extrêmement difficile de
suivre ces nerfs jusqu'à leur centre de rapport, plu-
sieurs anatomistes nient l'existence de ce foyer com-
mun, essentiel à la production du sentiment ; ils
considerent ce dernier comme un attribut de tous les
nerfs, et celui mème de leurs moindres parties ;
enfin, pour étayer leur opinion particuhère sur la
nullité du centre de rapport dans le système sensitif,
ils supposent que le besoin de placer l'âme en un
point isolé, a fait imaginer ce foyer commun, ce
lieu circonserit où toutes les sensations se rendent.
Il suffit de penser que l’homme est doué d’une
âme mmortelle, sans que l’on doive jamaiss’occuper
du siège et deslimites de cette ämedans son corpsindi-
viduel, ni de sa connexion avec les phénomènes de
son organisation : toutce que l’on pourra dire à cet
égardsera toujours sans baseet purementimaginaire.
172 DU SYSTÈME NERVEUX
Si nous nous occupons de la nature, elle seule
doit être uniquement l’objet de nos études, et ce sont
uniquement aussi les faits qu’elle nous présente que
nous devons examiner, pour tâcher de découvrir les
lois physiques qui régissent la production de ces
faits ; enfin, Jamais nous ne devons faire intervenir,
dans nos raisonnements, la considération d’objets
hors de la nature, et sur lesquels il nous sera
toujours impossible de savoir quelque chose de
positif.
Pour moi, qui ne considère l’organisation que
pour connaître les causes des diverses facultés des
animaux, étant convaincu que beaucoup de ces ani-
maux jouissent du sentiment, et que, parmi ces der-
niers, il s’en trouve qui ont des idées et qui exécu-
tent des actes d'intelligence, je crois ne devoir
rechercher les causes de ces phénomènes que dans
celles qui sont physiques. À cette conséquence, dont
je me fais une loi dans mes recherches, j’ajouterai
que, persuadé qu'aucune sorte de matière ne peut
avoir en propre la faculté de sentir, je le suis en
même temps que cette faculté, dans les corps vivants
qui en jouissent, ne consiste que dans un effet gé-
néral qui se produit dans un système d'organes
approprié, et que cet eflet ne peut avoir lieu que
lorsque le système dont il s’agit possède un foyer
unique, en un mot, un centre de rapport où tous les
nerfs sensitifs viennent aboutir.
Relativement aux animaux à vertebres, c’est à
DU SYSTÈME NERVEUX 173
l'extrémité antérieure de la moelle épinière, dans la,
moelle allongée mème, ou peut-être dans sa protu-
bérance annulaire, que paraît être le sensorium
commune, C'est-à-dire le centre de rapport des
nerfs qui exécutent le phénomène de la sensibilité ;
car c’est vers quelque point de la base du cerveau,
ou de ce que l’on nomme ainsi, que ces nerfs parais-
sent se terminer. Si ce centre de rapportse trouvait
bien avancé dans l’intérieur du cerveau, les acé-
phales, ou ceux en qui le cerveau se trouve détruit,
manqueraient alors de sentiment, et même ne pour-
raient vivre.
Mais il n’en est pas ainsi : dans les animaux qui
jouissent de quelque faculté d'intelligence, le foyer
essentiel au sentiment n'existe que dans un lieu
quelconque de la base de ce qu’on nomme leur cer-
veau ; Car on donne ce nom à toute la masse médul-
laire contenue dans la cavité du cràne. Cependant,
les deux hémisphères, que l’on confond avec le
cerveau, en doivent être distingués ; parce qu'ils
forment ensemble un organe particulier qui a été
ajouté à ce cerveau, qu'ils ont des fonctions qui leur
sont propres, et qu'ils ne contiennent pas le centre
de rapport du système sensitif.
Qu'importe que le véritable cerveau, c’est-à-dire
que la partie médullaire qui contient le foyer des
sensations et à laquelle vont se rendre les nerfs des
sens particuliers, soit difficile à reconnaitre et à
déterminer dans l’homme et dans les animaux qui
174 DU SYSTÈME NERVEUX
ont de l'intelligence, à cause de la contiguité ou
de l'union qui se trouve entre ce cerveau et les deux
hémisphères qui le recouvrent, il n’en est pas moins
vrai que ces hémisphères constituent un organe tres-
particulier relativement aux fonctions qu'il exécute.
En effet, ce n’est point dans le cerveau propre-
ment dit que se forment les idées, les jugements,
les pensées, etc., mais c’est dans l'organe qui lui
est ajouté, et que les deux hémisphères constituent,
que ces actes organiques peuvent uniquement s’opé-
rer.
Ce n’est point non plus dans les hémisphères dont
il s’agit que les sensations se produisent; ils n’y ont
aucune part, et le système sensitif existe effective-
ment dans des animaux dont le cerveau n’est point
muni de ces hémisphères plissés : aussi ces organes
peuvent-ils subir de grandes altérations sans que le
sentiment et la vie en souffrent.
Cela posé, je reviens aux considérations géné-
rales qui concernent la composition des différentes
parties du système nerveux.
Ainsi, soit les filets et les cordons nerveux , soit
la moelle longitudinale noueuse, la moelle épinière,
la moelle allongée , le cervelet, le cerveau et ses
hémisphères, toutes ces parties ont, comme je l’ai
dit, une enveloppe membraneuse et aponévrotique
qui leur sert de gaine et qui, par le propre de sa
nature, retient dans la substance médullaire, le fluide
particulier qui s'y meut diversement; mais, aux
DU SYSTÈME NERVEUX 4175
extrémités où les nerfsse terminent dans les parties
du corps, ces gaines sont ouvertes et permettent la
communication du fluide nerveux avec ces parties.
Tout ce qui concerne le nombre , la forme et la
situation des parties que je viens de citer, appartient
à l'anatomie ; on en trouve une exposition exacte
dans les ouvrages qui traitent de cette partie de nos
connaissances. Or, comme mon objet, ici, se réduit
à considérer le système nerveux dans ses généralités
et ses facultés, et à rechercher comment la nature
est parvenue à le faire exister dans les animaux qui
le possèdent, je ne dois entrer dans aucun des détails
connus à l'égard des parties de ce système.
FORMATION DU SYSTÈME NERVEUX
On ne peut assurément déterminer, d’une ma-
nière positive, le mode de formation qu'a employé
la nature pour faire exister le sys{ème nerveux
dans les animaux qui le possédent ; mais il est tres-
possible de reconnaître les conditions , c’est-à-dire
les circonstances qui furent nécessaires pour que ce
mode de formation pût s’exécuter. Ainsi, les cir-
constances dont il s’agit étant reconnues et prises
en considération, on peut concevoir comment les
parties de ce système purent être formées et com-
ment elles purent être munies du fluide subtil qui
se meut dans leur intérieur, et les met dans le cas
d'opérer les fonctions qui leur sont propres.
176 DU SYSTÈME NERVEUX
On doit penser que, lorsque la nature eut fait
faire assez de progres à l’organisation animale pour
que le fluide essentiel des animaux fût très-anima-
lisé, et pour que la substance albumino-gélatineuse
pût se former, alors cette substance sécrétée du fluide
principal de Panimal (du sang ou de ce qui en tient
lieu) fut déposée dans un lieu quelconque du corps :
or, l’observation constate qu’elle l’a été d’abord
sous la forme de plusieurs petites masses séparées,
et ensuite sous celle d’une masse plus considérable,
allongée en cordon noueux , et qui à occupé à peu
près toute la longueur du corps de Pindividu.
Le tissu cellulaire, modifié par la présence de
cette masse de substance albumino-gélatineuse, lui
fournit alors la gaine qui l'enveloppe, ainsi que
celles de ses divers prolongements ou filets.
Maintenant, si je considère les fluides visibles qui
se meuvent ou circulent dans le corps des animaux,
je remarque que, dans les animaux les plus simples
en organisation, ces fluides sont bien moins compo-
sés, bien moins surchargés de principes, qu'ils ne
le sont dans les animaux les plus parfaits. Le sang
d’un mammnifére est un fluide plus composé , plus
animalisé, que la sanie blanchâtre du corps des
insectes ; et cette sanie est un fluide plus composé
que celui presque aqueux qui se meut dans le corps
des polypes et dans celui des infusoires.
Cela étant ainsi, je suis autorisé à penser que
ceux des fluides invisibles et incontenables qui
DU SYSTEME NERVEUX 177
entretiennent lirritabilité et les mouvements de la
vie dans des animaux les plus imparfaits, se trou-
vant dans des animaux dont l’organisation est déjà
fort composée et perfectionnée, y acquièrent une
modification assez grande pour pouvoir être changés
en fluides contenables , quoique toujours invisibles.
Il paraît effectivement qu'un fluide particulier,
invisible et tres-subtil, mais modifié par son séjour
dans le sang des animaux, s’en sépare continuelle-
ment pour se répandre dans les masses médullaires
nerveuses, et y répare sans cesse celui qui se con-
somme dans les différents actes du système dor-
ganes qui le contient.
La pulpe médullaire des parties du système ner-
veux, et le fluide subtil qui peut se mouvoir dans
cette pulpe, n'auront donc été formés, dans l’orga-
nisation animale, que lorsque sa composition aura
pu donner lieu à la formation de ces matieres.
En effet, de mème que les fluides intérieurs des
animaux se sont progressivement modifiés, anima
lisés et composés, à mesure que la composition et le
perfectionnement de l’organisation ont fait des pro-
gres; de mème aussi, les organes et les parties
solides où contenantes du corps animal, se sont
composés et diversifiés peu à peu de la même ma
niere et par la même cause. Or, le fluide nerveux,
devenu contenable apres sa sécrétion du sang, s’est
répandu dans la substance albuininc-gélatineuse
de la moelle nerveuse , parce que la nature de cette
LAMARCK, PHIL. ZOOL. 1]. 12
178 DU SYSTÈME NERVEUX
substance s’en est trouvée conductrice, c’est-à-dire
propre à le recevoir et à lui permettre de se mouvoir
avec facilité dans sa masse; et ce fluide y a été
retenu par les gaines aponévrotiques qui envelop-
pent cette moelle nerveuse, parce que la nature de
ces gaines ne laisse pas au fluide dont il s’agit la
faculté de les traverser.
Des lors, le fluide nerveux étant répandu dans
cette substance médullaire qui, dans son origine, fut
disposée en ganglions séparés et ensuite en cordon,
en a probablement étendu, par ses mouvements, des
portions qui se sont allongées en filets, et ce sont
ces filets qui constituent les nerfs. On sait qu'ils
naissent de leur centre de rapports, sortant, par
paires, soit d’une moelle longitudinale noueuse, soit
d’une moelle épinière, soit de la base du cerveau, et
qu'ils vont se terminer dans les différentes parties
du corps.
Voilà, sans doute, le mode qu'a employé la nature
pour la formation du système nerveux : elle a com-
mencé par produire plusieurs petites masses de
substance médullaire, lorsque la composition de
l'organisation animale lui en a fourni les moyens,
ensuite elle les a rassemblés en une principale, et,
dans cette masse, le fluide nerveux, devenu conte
nable, s’est aussitôt répandu et s’est trouvé retenu
par les gaïnes nerveuses : ce fut alors que, par ses
mouvements, 1l fit naitre de la masse médullaire
dont il est question, les filets et Les cordons nerveux
DU SYSTÈME NERVEUX 179
qui en partent, pour se rendre aux différentes par-
ties du corps.
On sent, d’après cela, que des nerfs ne peuvent
exister dans aucun animal, à moins qu'il n’y ait une
masse médullaire qui contienne leur foyer ou centre
de rapport; et conséquemment que quelques filets
blanchâtres isolés, n’aboutissant point à une masse
médullaire plus considérable, ne peuvent être regar-
dés comme des nerfs.
J’ajouterai à ces considérations sur la formation
du système nerveux que, si la matière médellaire
a été sécrétée, et l’est sans cesse par le fluide prin-
cipal de l'animal, on doit sentir que, dans les ani-
maux à sang rouge, ce sont les extrémités capillaires
de certains vaisseaux artériels qui sécretent, répa-
rent, enfin, nourrissent cette matière médullaire ;
et comme les extrémités de ces vaisseaux artériels
doivent être accompagnées des extrémités de cer-
tains vaisseaux veineux, toutes ces extrémités vas-
culaires, qui contiennent un sang coloré, se trouvant
un peu enfoncées dans la substance médullaire que
ces vaisseaux ont produite, il en doit résulter que
cette substance médullaire paraïtra grisâtre dans
une partie externe de son épaisseur : quelquefois,
même, par suite de certaines évolutions de parties,
qui se sont opérées dans l’encéphale à mesure qu’il
s’est composé, les organes nutritifs ont pénétré pro-
fondément, en sorte que la matière médullaire gri-
sâtre s’est trouvée centrale en certains lieux, et
180 DU SYSTEME NERVEUX
enveloppée en grande partie par celle qui est
blanche.
J’ajouterai encore que, si les extrémités de cer-
tains vaisseaux artériels ont sécrété et nourrissent
ensuite la matière médullaire du système nerveux,
ces mêmes extrémités vasculaires y ont pu déposer
pareillement le fluide nerveux qui se sépare du sang,
et le verser continuellement dans cette substance
médullaire qui est si propre à le recevoir.
Enfin, je terminerai ces considérations par quel-
ques-unes de celles qui concernent le développement
de la masse médullaire principale, ainsi que les ren-
flements et les épanouissements de certaines por-
tions de cette masse, à mesure que les systèmes
particuliers qui composent le système nerveux com
mun et perfectionné se sont formés et ont reçu leurs
développements.
Dans la masse médullaire principale de tout sys-
tème nerveux, la portion particulière, qui fut, en
quelque sorte, productrice du reste de cette masse,
ne doit pas nécessairement offrir, dans cette partie
médullaire, un volume plus considérable que celui
des autres portions de la même masse qui y ont pris
leur source, car l'épaisseur et le volume des autres
portions de la masse médullaire dont il s’agit, sont
toujours en raison de l'emploi que fait l'animal des
nerfs qui en partent. J’ai assez prouvé que tous les
autres organes sont dans le même cas : plus ils sont
exercés, plus alors ils se développent, se renforcent
DU SYSTÈME NERVEUX 181
et s’agrandissent. C’est parce qu’on n’a point reconnu
cette loi de l’organisation animale, ou qu'on n’y a
donné aucune attention, qu'on s’est persuadé que la
portion. de la masse médullaire qui fut productrice
des autres portions de cette masse, ne pouvait être
moins volumineuse que celles qui en sont origi-
naires.
Dans les animaux vertébrés, la masse médullaire
principale se compose du cerveau et de ses acces-
soires, de la moelle allongée, et de la moelle épi-
nière. Or, 1l paraît que la portion de cette masse qui
fut productrice des autres est réellement la #o0elle
allongée, car c’est de cette portion que partent les
appendices médullaires (les jambes et les pyramides)
du cervelet et du cerveau, la moelle épmiere, enfin,
les nerfs des sens particuliers. Cependant la moelle
allongée est, en général, moins grosse ou moins
épaisse que le cerveau qu'elle a produit, où que la
moelle épinière qui en dérive.
D'une part, le cerveau et ses hémisphères étant
employés aux actes du sentiment et à ceux de lin-
telligence, tandis que la moelle épiniere ne sert
qu'à l'excitation des mouvements musculaires { et à
l'exécution des fonctions organiques ; et de l’autre
part, l'emploi ou l'exercice des organes, fortement
1 Relativement à la moelle épinière, considérée comme fournissant
l'influence nerveuse aux organes du mouvement, on sait, par des expé-
riences récentes, que ceux des poisons qui agissent sur cette moelle
causent effectivement des convulsions, des attaques de tétanos, avant
de produire la mort.
182 DU SYSTÈME NERVEUX
soutenu, les développant d’une manière éminente,
il doit résulter que, dans l’homme qui exerce conti=
nuellement ses sens et son intelligence, le cerveau
et ses hémisphères sont dans le cas de s’agrandir
considérablement, tandis que la moelle épiniére, en
général, faiblement exercée, ne peut acquérir qu'une
grosseur médiocre. Enfin, comme dans les princi-
paux mouvements musculaires de l’homme, ce sont
les jambes et les bras qui agissent le plus, on a dû
trouver un renflement remarquable à sa moelle épi
niere dans les lieux d’où partent les nerfs cruraux
et les nerfs brachiaux, ce qu’effectivement l’obser-
vation confirme.
Au contraire, dans les animaux vertébrés qui ne
font qu'un usage médiocre de leurs sens, et surtout
de leur intelligence, et qui se livrent principalement
au mouvement musculaire, leur cerveau et particu-
lièrement ses hémisphères ont dù prendre peu de
développement, tandis que leur moelle épmière s’est
trouvée dans le cas d'acquérir une grosseur assez
considérable. Aussi les poissons, qui ne s’exercent
guere qu'au mouvement musculaire, ont-ils propor-
tionnellement une moelle épimiere fort grosse et un
tres-petit cerveau.
Parmi les animaux sans vertebres, ceux qui ont,
au lieu d’une moelle épiniere, une #n0elle longitu-
dinale, comme les 2nsectes, les arachnides, les
crustacés, etc., ont cette moelle noueuse dans toute
sa longueur ; parce que ces animaux s’exerçant beau—
DU SYSTÈME NERVEUX 183
coup au mouvement, elle a obtenu des renforcements
et, en conséquence, des renflements aux lieux d’où
part chaque paire de nerfs.
Enfin, les mollusques, qui ont de mauvais points
d'appui pour leurs muscles, et qui, en général,
n'exécutent que des mouvements lents, n’ont ni
moelle épinière, ni moelle longitudinale, et n’offrent
que des ganglions assez rares d’où partent des filets
nerveux.
D’après ce que je viens d'exposer, on peut con-
clure que, dans les animaux à vertèbres, les nerfs
et la masse médullaire principale ne peuvent dériver
de haut en bas, c’est-à-dire de la partie supérieure
et terminale du cerveau, comme le cerveau lui-même
ne peut être une production de la moelle épinière,
c’est-à-dire de la partie inférieure ou postérieure
du système nerveux ; mais que ces diverses parties
proviennent originairement d’une qui en fut pro=
ductrice, et qu'il est probable que ce doit être dans
la snoelle allongée, pres de sa protubérance annu-
laire, que se trouve l’origine, soit des hémisphères
du cerveau, soit des jambes du cervelet, soit de la
moelle épinière, soit des sens particuliers.
Qu'importe que les bases médullaires des hé-
mispheres soient rétrécies et beaucoup moins volu-
mineuses que les hémispheres eux-mêmes, et qu'il en
soit de mème des jambes du cervelet, etc.; qui ne
voit que le développement graduel de ces organes a
pu donner lieu, selon leur plus grand emploi, à un
184 DU SYSTÈME NERVEUX
épanouissement qui les aura rendus d’un volume
beaucoup plus considérable que celui de leur ra-
eme !
Ces considérations sur la formation du système
nerveux ne sont sans doute que très-générales ; mais
elles suffisent à mon objet, et doivent intéresser,
selon moi, parce qu'elles sont exactes et qu’elles
s'accordent avec les faits observés.
FONCTIONS DU SYSTÈME NERVEUX
Le système nerreux, considéré dans les animaux
les plus parfaits, est, comme on sait, trèes-compliqué
dans ses parties et peut, en conséquence, exécuter
différentes sortes de fonctions qui donnent aux ani-
maux qui en jouissent autant de facultés particu-
lières. Or, avant de prouver que ce système est
particulier à certains animaux , et non commun à
tous, et avant d'indiquér quelles sont celles des
facultés qu'il peut procurer, selon la composition
de l’organisation des animaux en qui on le consi-
dère, il importe de dire un mot de ses fonctions
ainsi que des facultés qui en résultent , et qui sont
de quatre sortes différentes, savoir :
l° Celle de provoquer l’action des muscles ;
2 Celle de donner lieu au sentiment, e'est-a-
dire aux sensations qui le constituent ;
3" Celle de produire les émotions du sentiment
intérieur ;
DU STSTÈME NERVEUX 185
4 Celle, enfin, d'effectuer la formation des idées,
des jugements, des pensées, de l'imagination, de
la mémoire, etc.
Essayons de montrer que les fonctions du système
nerveux qui donnent lieu à chacune de ces quatre
sortes de facultés sont de nature tres-différente, et
que tous les animaux qui possèdent ce système ne
les exécutent pas généralement.
Les actes du système nerveux qui donnent lieu au
mouvement musculaire sont tout à fait distincts et
même indépendants de ceux qui produisent les sen
sations : ainsi, on peut éprouver une où plusieurs
sensations, sans qu'il s’en suive aucun mouvement
musculaire, et on peut faire entrer différents mus-
cles en action, sans qu'il en résulte aucune sensation
pour l’individu. Ges faits méritent d’être remarqués,
et leur fondement ne peut être contesté.
Comme le mouvement musculaire ne peut s'exé-
cuter sans l’influence nerveuse , quoiqu'on ne con-
naisse pas ce qui se passe à l’égard de cette imfluence,
quantité de faits autorisent à penser que c'est par
l'émission du fluide nerveux qui, d’un centre ou
d'un réservoir, se dirige, par le moyen des nerfs,
vers les muscles qui doiveni agir, que s'opère lin-
fluence dont il est question. Dans cette fonction du
système nerveux, les mouvements du fluide subtil
qui fait agir les muscles se font donc d’un centre
ou d’un foyer quelconque vers les parties qui doi-
vent exécuter quelque action.
186 DU SYSTÈME NERVEUX
Ce n’est pas seulement pour mettre les muscles
en action que le fluide nerveux se meut de son foyer
ou réservoir vers les parties qui doivent exécuter des
mouvements, mais il paraît que c’est aussi pour
contribuer à l'exécution des fonctions de différents
organes dans lesquels le mouvement musculaire n’a
point lieu d’une manière distincte.
Ces faits étant assez connus, je ne m’y arrêterai
pas davantage, mais j’en conclurai que l’influence
nerveuse qui donne lieu à l’action musculaire, et
que celle qui concourt à l'exécution des fonctions de
différents organes, s’opérent par une émission du
fluide nerveux qui, d’un centre ou réservoir quel-
conque , se dirige vers les parties qui doivent agir.
A ce sujet, je rappellerai un fait bien connu,
mais dont la considération intéresse l’objet que nous
avons maintenant en vue, le voici :
Relativement au fluide nerveux qui part de son
réservoir pour se rendre aux parties du corps, une
portion de ce fluide est à la disposition de individu,
qui la met en mouvement à l’aide des émotions de
son sentiment intérieur, lorsqu'un besoin quelconque
les excite, tandis que l’autre portion se distribue
régulièrement, sans la participation de la volonté
de cet individu, aux parties qui, pour la conservation
de la vie, doivent ètre mises sans cesse en action.
Il résulterait de grands inconvénients, s’il pouvait
dépendre de nous d'arrêter, à notre gré, soit les
mouvements de notre cœur ou de nos artères, soit
DU SYSTÈME NERVEUX 187
les fonctions de nos viscères où de nos organes
sécrétoires et excrétoires; mais aussi il importe,
pour que nous puissions satisfaire à tous nos besoins,
que nous ayons à notre disposition une portion de
notre fluide nerveux pour l'envoyer aux parties que
nous voulons faire agir.
Il y a apparence que les nerfs qui portent conti-
nuellement linfluence nerveuse aux muscles indé-
pendants de l’individu et aux organes vitaux, ont
leur substance médullaire plus ferme et plus dense
que celle des autres nerfs, ou munie de quelque par-
ticularité qui l'en distingue, en sorte que non-seu-
lement le fluide nerveux s’y meut avec moins de
célérité et s’y trouve moins libre, maisil y est aussi,
en grande partie, à l’abri de ces ébranlements
généraux que causent les émotions du sentiment
intérieur. S'il en était autrement, chaque émotion
troublerait l'influence nerveuse nécessaire aux or-
ganes essentiels et aux mouvements vitaux, et expo—
serait l’individu à périr. |
Au contraire, les nerfs qui portent linfluence
nerveuse aux muscles dépendants de l'individu,
permettent au fluide subtil qu'ils contiennent, la
liberté et toute la célérité de ses mouvements, de
manière que les émotions du sentiment intérieur
mettent facilement ces muscles en action.
L'observation nous autorise à penser que les nerfs
qui servent à l’excitation du mouvement musculaire,
partent de la moelle épinière dans les animaux ver-
188 DU SYSTÈME NERVEUX
tébrés , de la moelle longitudinale noueuse dans les
animaux sans vertébres qui en sont munis, et de
ganglions séparés dans ceux qui, n’ayant ni moelle
épinière, ni moelle longitudinale noueuse , en pos-
sedent dans cet état. Or, dans les animaux qui
jouissent du sentiment, ces nerfs, destinés au mou-
vement musculaire , n’ont qu'une simple connexion
avec le système sensitif, et lorsqu'ils sont lésés, ils
produisent des contractions spasmodiques, sans trou-
bler le système des sensations.
On a donc lieu de croire que, parmi les différents
systèmes particuliers qui composent le système ner-
veux dans son perfectionnement , celui qui est em—
ployé à excitation des muscles est distinct de celui
qui sert à la production du sentiment.
Aussi la fonction du système nerveux qui consiste
à opérer l’action musculaire et l'exécution des diffé—
rentes fonctions vitales n’y peut-elle parvenir
qu'en envoyant le fluide subtil des nerfs, de son
réservoir aux différentes parties.
Mais la fonction du même système qui opere le
sentiment est très-différente, par sa nature et par
les opérations qu’elle exécute, de celle dont Je viens
de parler, car, dans la production d’une sensation
quelconque, laquelle ne peut avoir lieu sans l’in-
fluence nerveuse, le fluide subtil des nerfs commence
toujours à se mouvoir du point du corps qui est
affecté, propage son mouvement jusqu'au foyer ou
centre de rapport du système, y excite une commo—
DU SYSTEME NERVEUX 189
tion qui se communique dans tous les nerfs qui
servent au sentiment, et met leur fluide dans le cas
de réagir, ce qui produit la sensation.
Non-seulement ces deux sortes de fonctions du
système nerveux different l'une de l’autre, en ce que,
dans tout mouvement musculaire, iln’y a point de
sensation produite, et que dans la production d’une
sensation quelconque , 1l n’y a pas nécessairement
de mouvement musculaire exécuté ; mais ces fonc-
tions différent, en outre, comme on vient de le voir,
en ce que, dans l’une d'elles, le fluide nerveux est
envoyé de son réservoir aux parties, tandis que,
dans l’autre, il est envoyé des parties mêmes au
foyer ou centre de rapport du système des sensations.
Ces faits sont évidents, quoiqu’on ne puisse aperce-
voir les mouvements qui y donnent lieu.
La fonction du système nerveux, qui consiste à
effectuer les émotions du sentiment intérieur, et qui
s'exécute par un ébranlement général de la masse
libre du fluide des nerfs, ébranlement qui s'opère
sans réaction, et par suite sans produire aucune
sensation distincte, est encore très-particulière et
fort différente des deux que je viens de citer ; dans
l'exposition que j'en ferai (chap. 1v), on verra que
c’est une des plus remarquables et des plus intéres-
santes à étudier.
Si la fonction, sans laquelle le système nerveux
ne pourrait mettre les muscles en action, ni con-
courir à l'exécution des fonctions organiques, est
190 DU SYSTÈME NERVEUX
différente de celle sans laquelle le mème système ne
pourrait produire le sentiment, ainsi que de celle
qui constitue les émotions du sentiment intérieur, je
dois faire remarquer que, lorsque le perfectionne-
ment du système dont il s’agit est assez avancé pour
lui faire obtenir l’organe accessoire et spécial que
constituent les hémispheres plissés du cerveau,
alors il a la faculté d'exercer une quatrième sorte
de fonction, qui est encore tres-différente des trois
premieres.
En effet, à l’aide de l'organe accessoire dont je
viens de parler, le système nerveux donne lieu à la
formation des idées, des jugements, des pensées, de
la volonté, etc.; phénomènes qu'assurément les trois
premieres sortes de fonctions citées ne sauraient
produire. Or, l’organe accessoire en qui s’exécutent
des fonctions capables de donner lieu à de pareils
phénomènes, n’est qu’un organe passif, à cause de
son extrême mollesse, et ne recoit aucune excitation,
parce qu'aucune de ses parties ne saurait réagir ;
mais il conserve les impressions qu'il reçoit, et ces
impressions modifient les mouvements du fluide subtil
qui se meut entre ses nombreuses parties.
C’est une idée mgénieuse, mais dénuée de preuves
et de motifs suffisants, que celle qu'a exprimée
Cabanis, lorsqu'il a dit que le cerveau agissait sur
les impressions que les nerfs lui transmettent, comme
l'estomac sur les aliments que l’æsophage y verse,
qu'il les digérait à sa maniere, et qu'ébranlé par le
DU SYSTÈME NERVEUX 191
mouvement qui lui était communiqué, il réagissait,
et que de cette réaction naissait la perception, qui
devenait ensuite une idée.
Ceci ne me paraît nullement reposer sur la con-
sidération des facultés que peut avoir la pulpe céré-
brale, etje ne saurais me persuader qu’une substance
aussi molle que celle dont il s’agit soit réellement
active, et qu'on puisse dire à son égard, qu'ébran-
lée par le mouvement qui lui est communiqué,
cette substance réagisse et donne lieu à la per-
ception.
L'erreur, à ce sujet, provient donc, d’une part,
de ce que le savant dont je parle, ne considérant
point le fluide nerveux, s’est trouvé obligé de trans-
porter dans sa pensée les fonctions de ce fluide, à
la pulpe médullaire dans laquelle il se meut, et de
Vautre part, de ce qu'il confondait les actes qui
constituent les sensations avec ceux de l'intelligence,
ces deux sortes de phénomènes organiques différant
essentiellement entre elles par leur nature, et exi-
geant chacune un système d'organes tres-particulier
pour les produire.
Ainsi, voila quatre sortes de fonctions très-diffé-
rentes qu'exécute le système nerveux perfectionné,
c'est-à-dire complétement développé et muni de son
organe accessoire; mais Comme les organes qui
donnent lieu à chacune de ces fonctions ne sont pas
les mêmes, et comme les différents organes spé-
claux n'ont reçu l'existence que successivement, la
192 DU SYSTÈME NERVEUX
nature a formé ceux qui sont propres au mouvement
musculaire, avant ceux qui donnent lieu aux sen-
sations, et ceux-ci avant d'établir les moyens qui
permettent les émotions du sentiment intérieur ;
enfin, elle a terminé le perfectionnement du système
nerveux en le rendant capable de produire les phé-
nomenes de l'intelligence.
Nous allons voir maintenant que tous les animaux
n’ont pas et ne peuvent avoir un sys/ème nerveux,
et qu'en outre, tous ceux qui possedent ce systeme
d'organes n’en obtiennent pas nécessairement les
quatre sortes de facultés dont il vient d’être ques-
tion.
LE SYSTÈME NERVEUX EST PARTICULIER A CERTAINS
ANIMAUX
Sans doute, ce n’est que dans les animaux que le
syslèine nerceux peut exister; mais de la s’ensuit-il
que tous le possedent ? Il est certainement quantité
d'animaux dont l’état de leur organisation est tel,
qu'il leur est impossible d’avoirle système d’organes
dont il s’agit ; car ce système, nécessairement com-
posé de deux sortes de parties, savoir : d’une masse
médullaire principale, et de différents filets nerveux
qui vont s’y réunir, ne peut exister dans l’organisa-
tion très-simple d’un grand nombre d'animaux con-
nus. Il est d’ailleurs évident que le système nerveux
n’est point essentiel à l’existence de la vie, puisque
DU SYSTEME NERVEUX 193
tous les corps vivants ne le possèdent point, et que
ce serait en vain qu'on le rechercherait dans les
végétaux. On sent donc que ce système n’est devenu
nécessaire qu'à ceux des animaux en qui la nature a
pu le produire.
Dans le chapitre 1x de la seconde partie, p. 135,
j'ai déjà fait voir que le système nerveux était par-
ticulier à certains animaux : ici je vais en donner de
nouvelles preuves, en montrant qu'il est impossible
que tous les animaux possedent un pareil système
d'organes ; d’où 1l résulte que ceux qui en sont dé-
pourvus, ne peuvent jouir d'aucune des facultés
qu'on lui voit produire.
Lorsqu'on a dit que, dans les animaux qui n’of-
frent point de filets nerveux (tels que les polypes
et les 2#nfusotres), la substance médullaire, qui donne
les sensations, était répandue et fondue dans tous les
points du corps, et non rassemblée en filets; et qu’il
en résultait que chacun des fragments de ces ani-
maux devenait un individu doué deson #04 particu-
lier ; on ne s'était probablement pas rendu compte
de la nature de toute fonction organique, qui pro-
vient toujours de relations entre des parties conte-
nantes et des fluides contenus, et de mouvements
quelconques résultant de ces relations. On n'était
point surtout pénétré de la connaissance de ce qu'il
ya d’essentiel dans les fonctions du sys{ème nerveux ;
on ignorait que ces fonctions ne s’opéraient qu'en
effectuant le mouvement ou le transport d’un fluide
LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 13
194 DU SYSTÈME NERVEUX
subtil, soit d’un foyer vers les parties, soit des par-
ties vers le foyer lui-même.
Le système nerveux ne peut donc avoir d'existence,
ni exercer la moindre de ses fonctions, que lorsqu'il
offre une masse médullaire dans laquelle se trouve
an foyer pour les nerfs, et, en outre, des filets ner-
veux qui se rendent à ce foyer. D'ailleurs, la ma
tière médullaire, ni aucune autre substance animale,
ne peuvent avoir en propre la faculté de produire des
sensations, ce que Je compte prouver dans le troisième
chapitre de cette partie ; ainsi, cette substance médul-
laire, supposée fondue dans tous les points du corps
d’un animal, n’y donnerait point lieu au sentiment.
Si, dans sa plus grande simplicité, le système
nerveux est nécessairement composé de deux sortes
de parties, savoir : d’une masse médullaire princi-
pale, et de filets nerveux qui vont s’y rendre; on
sent que l’organisation animale, qui commence dans
la inonade, qu'on sait être le plus simple et le plus
imparfait des animaux connus, a dû faire bien des
progres dans sa composition, avant que la nature ait
pu parvenir à y former un pareil système d'organes,
même dans sa plus grande imperfection. Cependant,
là où ce système commence, il est encore bien lom
d’avoir obtenu, dans sa composition et son perfec=
tionnement, tout ce qu’il offre dans les animaux les
plus parfaits ; et la où il a pu commencer, l'organi-
sation animale avait déjà fait bien des progrès dans
ses développements et dans sa composition.
DU SYSTÈME NERVEUX 195
Pour nous convaincre de cette vérité, examinons
les produits du système nerveux dans chacun de
ses principaux développements.
LE SYSTÈME NERVEUX, DANS SA PLUS GRANDE SIMPLICITÉ,
NE PRODUIT QUE LE MOUVEMENT MUSCULAIRE
Je ne puis, à la vérité, présenter sur le sujet dont
il s’agit qu'une simple opinion, mais elle se fonde
sur des considérations si importantes, si propres à
ètre décisives, qu’on peut la regarder au moins
comme une vérité morale.
Si l’on considère attentivement la marche qu'a
suivie la nature, on verra partout que, pour créer
ou faire exister ses productions, elle n’a rien fait
subitement où d’un seul jet, mais qu’elle a tout fait
progressivement, c’est-à-dire par des compositions
et des développements graduels et insensibles : con-
séquemment, tous les produits, tous les changements
qu'elle opère, sont évidemment assujettis de toutes
parts à cette loi de progression qui régit ses actes.
En suivant bien les opérations de la nature, on
verra, en effet, qu'elle a créé peu à peu et, successi-
vement toutes les parties, tous les organes des ani-
maux, et qu'elle les a complétés et perfectionnés
progressivement, que peu à peu, de même, elle a
modifié, animalisé, et de plus en plus composé tous
les fluides intérieurs des animaux qu’elle a fait exis-
ter ; en sorte qu'avec le temps, tous ce que nous
196 DU SYSTÈME NERVEUX
observons à leur égard fût complétement terminé.
Le système nerveux, dans son origine, c’est-à-dire
là où il commence à exister, est assurément dans sa
plus grande simplicité et dans sa moindre perfection.
Cette sorte d’origine lui est commune avec celle de
tous les autres organes spéciaux qui ont commencé
de même par être dans leur plus grand état d’im-
perfection. Or, on ne saurait douter que, dans sa
plus grande simplicité, le système nerveux ne donne
aux animaux qui le posseédent dans cet état, des fa-
cultés moins nombreuses et moins éminentes que
celles que le mème système procure aux animaux
les plus parfaits, en qui il se trouve dans sa plus
grande composition et muni de ses accessoires. Il
suffit de bien observer ce qui a lieu à cet égard,
pour reconnaître le fondement de cette considé-
ration.
J'ai déjà prouvé que, lorsque le système nerveux
est dans sa plus grande simplicité, il offrait néces-
sairement deux sortes de parties, savoir : une masse
médullaire principale, et des filets nerveux qui vien-
nent se réunir à cette masse; mais cette même masse
médullaire peut d’abord exister sans donner lieu à
aucun sens particulier, et elle peut être divisée en
parties séparées, à chacune desquelles des filets ner-
veux viendront se rendre.
Il parait que c’est ce qui a lieu dans les animaux
de la classe des radiaires, ou au moins dans ceux
de la division des échinodermes, dans lesquels on
DU SYSTEME NERVEUX 197
prétend avoir découvert le système nerveux, et où
ce système serait réduit à des ganglions séparés qui
communiquent entre eux par des filets, et qui en
envoient d’autres aux parties.
Si les observations qui établissent cet état du sys-
tème nerveux sont fondées, ce sera celui de la plus
grande simplicité de ce système, et alors il présen-
tera plusieurs centres de rapport pour les nerfs,
c’est-à-dire autant de foyers qu'il y a de ganglions
séparés ; enfin, il ne donnera lieu à aucun des sens
particuliers, pas même à celui de la vue, qu'on sait
ètre Le premier qui se montre sans équivoque.
Je nomme sens particulier chacun de ceux qui
résultent d'organes spéciaux qui les font exister,
tels que la vue, l'ouie, l’odorat et le goût; quant au
toucher, c’est un sens général, {ype, à la vérité, de
tous les autres, mais qui n’exige aucun organe spé-
clal, et auquel les nerfs ne peuvent donner lieu
que lorsqu'ils sont capables de produire des sensa-
tions.
Or, en exposant, dans le chapitre 11, le mécanisme
des sensations, nous verrons qu'aucune d’elles ne
saurait se produire que lorsque, par suite de l’état de
composition du système nerveux et de l'unité de
foyer commun pour les nerfs, tout l'animal participe
a un effet général qui donne lieu à cette sensation.
Si cela est ainsi dans les animaux qui ne possèdent
le système nerveux que dans sa plus grande simpli-
cité, et où ce système offre différents foyers pour les
198 DU SYSTÈME NERVEUX
nerfs, aucun eflet, aucun ébranlement ne peuvent
être généraux pour l'individu, aucune sensation ne
saurait se produire, et effectivement, les masses
médullaires séparées ne donnent lieu à aucun sens
particulier. Si ces masses médullaires séparées com
muniquent entre elles par des filets, c’est afin que
la libre répartition du fluide nerveux qu’elles doi-
vent contenir puisse sans cesse s’effectuer.
Cependant, dès que le système nerveux existe,
quelque simple qu'il soit, il est déjà capable d’exé-
cuter quelque fonction ; aussi peut-on penser qu’ilen
opere effectivement, lors même qu'il ne pourrait en-
core donner lieu au sentiment.
Si l’on considere que, pour l’excitation du mou-
vement musculaire, la moindre des facultés du sys-
tème nerreux, il faut à ce système une composition
moins grande, une moindre extension de ses parties,
que pour la production du sentiment, que différents
centres de rapport séparés n’empêchent pas que de
chacun de ces foyers particuliers le fluide nerveux
ne puisse être envoyé aux muscles pour y porter
son influence, l’on sentira qu'il est tres-probable
que les animaux, qui possédent un système nerveux
dans sa plus grande simplicité, en obtiennent la fa-
culté du mouvement musculaire, et néanmoins ne
jouissent pas réellement du sentiment.
Ainsi, en établissant Le systèine nerveux, la na-
ture paraît n'avoir formé d’abord que des ganglions
séparés qui communiquent entre eux par des filets,
DU SYSTÈME NERVEUX 199
et qui n’envoient d’autres filets qu'aux organes mus-
culaires. Ges ganglions sont les masses médullaires
principales ; et quoiqu'ils communiquent entre eux
par des filets, la séparation de ces foyers ne permet
pas l’exécution de l'effet général nécessaire pour
constituer la sensation, mais elle ne s’oppose pas à
l'excitation du mouvement musculaire : aussi les
animaux qui possèdent un pareil système nerveux
ne jouissent-ils d’aucun sens particulier.
Nous venons de voir que le système nerveux, dans
sa plus grande simplicité, ne pouvait produire que
le mouvement musculaire ; maintenant nous allons
montrer qu'en développant, composant et perfec-
tionnant davantage ce système, la nature est par-
venue à lui donner non-seulement la faculté d'exci-
ter l’action des muscles, mais en outre celle de
produire le sentiment.
LE SYSTÈME NERVEUX, PLUS AVANCE DANS SA
COMPOSITION, PRODUIT LE MOUVEMENT MUSCULAIRE ET LE SENTIMENT
Le système nerveux est, sans doute, parmi tous
les systèmes d'organes, celui qui donne aux animaux
qui en sont doués les facultés les plus éminentes et à
la fois les plus admirables ; mais il n’y parvient,
sans contredit, qu'après avoir acquis la grande com-
plication et tous les développements dont il est sus-
ceptible. Avant ce terme, il offre, dans tous les ani-
200 DU SYSTÈME NERVEUX
maux qui ont des nerfs et une masse médullaire
principale, différents degrés, soit dans le nombre,
soit dans le perfectionnement des facultés qu'il leur
procure.
J'ai dit plus haut que, dans sa plus grande sim-
plicité, le système nerveux paraissait avoir sa masse
médullaire principale divisée en plusieurs parties
séparées, qui chacune contiennent un foyer particu-
lier pour les nerfs qui vont s’y rendre, que, dans cet
état, ce système ne pouvait être propre à produire
les sensations, mais qu’il avait la faculté de mettre
les muscles en action : or, ce système nerveux très-
imparfait, qu'on prétend avoir reconnu dans les
radiaires, existe-t-il le même dans les vers? C’est
ce que j'ignore, et néanmoins ce que j'ai lieu de sup-
poser, à moins que les vers ne soient un rameau de
l’échelle animale, nouvellement commencé par des
générations directes. Je sais seulement que, dans
les animaux de la classe qui suit celle des vers, le
système nerveux, beaucoup plus avancé dans sa
composition et ses développements, se montre sans
difficulté et sous une forme bien prononcée.
En effet, en suivant l’échelle animale, depuis les
animaux les plus imparfaits jusqu'aux animaux les
plus parfaits, ce ne fut, jusqu’à présent , que dans
les insectes, que le systèine nerreux commença à
ètre bien reconnu ; parce qu'il se présente, dans tous
les animaux de cette classe, éminemment exprimé,
et qu'il offre une snoelle longitudinale noueuse qui,
DU SYSTÈME NERVEUX 201
en général, s'étend dans toute la longueur de l’ani-
mal, et se trouve tres-diversifiée dans sa forme,
selon les insectes en qui on la considere, et selon
leur état de larve ou d’insecte parfait. Gette moelle
longitudinale, qui se termine antérieurement par un
ganglion subbilobé constitue la masse médullaire
principale du système, et de chacun de ses nœuds,
qui varient en grosseur et en rapprochement, par-
tent des filets nerveux qui vont se rendre aux parties
du corps.
Lenœud ou ganglion subbilobé quitermine antérieu-
rement la moelle longitudinale noueuse des insectes
doit être distingué des autres nœuds de cette moelle,
parce qu'il donne naissance immédiatement à un
sens particulier, celui de la vue. Ge nœud terminal
est donc réellement un petit cerveau, quoique fort
imparfait, et il contient sans doute le centre de rap-
port des nerfs sensitifs, puisque le nerf optique va
s'y rendre. Peut-être que les autres nœuds de la
moelle longitudinale en question sont autant de
foyers particuliers qui servent à fournir à laction
des muscles de l’animal : dans le cas où ces foyers
existeraient, Comme ils communiqueraient ensemble
par le cordon médullaire qui les réunit, ils n’empè-
cheraïient nullement l'effet général qui seul, amsi
que je le prouverai, peut produire le sentiment.
Ainsi, dans les 2nsectes, le système nerveux
commence à offrir un cerveau et un centre de rap-
port unique pour l'exécution du sentiment. Ges
202 DU SYSTÈME NERVEUX
animaux, par la composition de leur système ner-
veux, possèdent donc deux facultés distinctes,
savoir : celle du mouvement musculaire, et en
outre, celle de pouvoir éprouver des sensations.
Ces sensations ne sont encore probablement que des
perceptions simples et fugitives des objets qui les
affectent, mais enfin elles suffisent pour constituer
le sentiment, quoiqu’elles soient incapables de pro-
duire des idées.
Cet état du système nerveux qui, dans les insectes,
ne donne lieu qu’à ces deux facultés, se trouve à peu
près le même dans les animaux des cinq classes
suivantes, c’est-à-dire dans les arachnides, les
crustacés, les annelides, les cirrhipèdes et les
mollusques ; 1 n'y présente vraisemblablement
d’autres différences que celles qui constituent quel-
que perfectionnement dans les deux facultés déjà
citées.
Je n'ai pas assez d'observations particulières pour
qu'il me soit possible d'indiquer, parmi les animaux
qui ont un système nerveux capable de leur faire
éprouver des sensations, quels sont ceux en qui les
émotions du sentiment intérieur sont dans le cas de
pouvoir être produites. Peut-être que, dès que la
faculté de sentir existe, celle qui produit ces émo-
tions a lieu aussi ; mais cette dernière est si impar—
faite et si obscure , dans son origine, que je ne la
crois reconnaissable que dans les animaux à verte-
bres. Ainsi, passons à la détermination du point de
DU SYSTÈME NERVEUX 203
l'échelle animale dans lequel commence la quatrième
sorte de faculté du système nerveux.
Lorsque la nature fut parvenue à munir le sys-
tème nerveux dun véritable cerveau, e’est-à-dire
d’un renflement médullaire antérieur, capable de
donner immédiatement l’existence au moins à un
sens particulier, tel que celui de la vue, et de con-
tenir, en un seul foyer, le centre de rapport des
nerfs, elle n’eut pas encore par là terminé le com-
plément des parties que peut offrir ce système.
Eflectivement , elle s’occupa longtemps encore du
développement graduel du cerveau, et parvint à y
ébaucher le sens de l’ouïe, dont les premières traces
se montrent dans les crustacés et dans les #ollus-
ques. Mais ce n’est toujours là qu'un cerveau tres-
simple, lequel parait être la base de l’organe du
sentiment, puisque les nerfs sensitifs et ceux des
sens particuliers existants viennent tous s’y réunir.
En effet, le ganglion terminal qui constitue le
cerveau des 2#sectes et des animaux des classes sui-
vantes jusqu'aux 20/lusques inclusivement , quoi-
qu'en général partagé par un sillon et en quelque
sorte bilobé, n'offre cependant aucune trace de ces
deux hémispheres plissés.et déreloppables, qui
recouvrent et enveloppent, par leur base , le véri-
table cerveau des animaux les plus parfaits, c’est-à-
dire cette partie de l’encéphale qui contient le foyer
du système sensitif; conséquemment, les fonctions
quisont propres aux organes nouveaux ét accessoires
204 DU SYSTÈME NERVEUX
que je viens de citer, ne sauraient s’exécuter dans
aucun des animaux sans vertébres.
LE SYSTÈME NERVEUX,
COMPLET DANS TOUTES SES PARTIES, DONNE LIEU AU MOUVEMENT
MUSCULAIRE, AU SENTIMENT, AUX ÉMOTIONS INTÉRIEURES
ET A L'INTELLIGENCE,
Ce n’est que dans les animaux à vertèbres que la
nature à pu compléter, dans toutes ses parties, le
système nerveux, et c’est probablement dans les
plus imparfaits de ces animaux (dans les poissons)
qu’elle a commencé à esquisser l’organe accessoire
du cerveau, qui se compose de deux hémisphères
plicatiles, opposés l’un à l’autre, mais réunis par
leur base, dans laquelle le cerveau proprement dit,
qui doit être constitué par la présence du centre
sensitif, est en quelque sorte confondu.
Cet organe accessoire qui, lorsqu'il est bien
développé, donne aux animaux qui le possèdent des
facultés admirables, reposant sur le cerveau, lenve-
‘ loppant même dans sa base, et paraissant se confon-
dre avec lui, n’en a pas été distingué ; car on donne
généralement le nom de cerveau à toute la masse
médullaire qui se trouve renfermée dans la cavité
du crâne, quelles que soient les parties distinctes
qu’elle nous présente. Il est cependant nécessaire de
distinguer du cerveau proprement dit, quelque diffi-
cile que soit cette distinction, l'organe accessoire
DU SYSTÈME NERVEUX 205
dont il s’agit; parce que cet organe exécute des
fonctions qui lui sont tout à fait particulières, et
qu'il n’est pas essentiel à l'existence du cerveau, ni
même à la conservation de la vie. Il mérite donc un
nom particulier,etje crois pouvoir lui assigner celui
d’Aypocéphale.
Or, cet hypocéphale est l'organe spécial dans
lequel se forment les idées et tous les actes de
l'intelligence, et le cerveau proprement dit, cette
partie de la masse médullaire principale qui contient
le centre derapport des nerfs, et à laquelle les nerfs
des sens particuliers viennent se réunir, ne saurait
lui seul donner lieu à de semblables phénomènes.
Si l’on considère comme cerveau la masse médul-
läre qui sert de point de réunion aux différents
nerfs, qui contient leur centre de rapport, eu un
mot, qui embrasse le foyer d’où le fluide nerveux
est envoyé aux différentes parties du corps, et celui
où il est rapporté lorsqu'il effectue quelque sensation,
alors il sera vrai de dire que le cerveau, mème dans
les animaux les plus parfaits, est toujours fort petit.
Mais lorsque ce cerveau est muni de deux hémis-
phères, comme il se trouve dans leur base, qu'il y
est en quelque sorte confondu, et que ces hémis-
phères plicatiles peuvent devenir fort grands, usage
est de donner le nom de cerveau à toute la masse
médullaire renfermée dans la cavité du crâne. Il en
résulte que lon regarde, en général, toute cette
masse médullaire comme ne constituant qu'un seul
206 DU SYSTÈME. NERVEUX
et mème organe, tandis qu'au contraire, elle en
comprend deux qui sont essentiellement distincts
par la nature de leurs fonctions.
Il est si vrai que les hémisphères sont des organes
particuliers, ajoutés comme accessoires au cerveau,
qu'ils ne sont nullement essentiels à son existence,
ce dont quantité de faits connus, relatifs à la possi-
bilité de leur lésion, et même de leur destruction, ne
nous permettent plus de douter. En effet, à égard
des fonctions qu'exécutent ces hémispheres, l’on sent
qu'une émission du fluide nerveux qui, de son réser—
voir ou foyer commun, se dirige dans ses mouve—
ments vers ces organes, les met à portée d'opérer
chacun ces fonctions auxquelles ils sont propres.
Aussi peut-on assurer que ce ne sont nullement les
hémisphères qui envoient eux-mêmes au système
nerveux le fluide particulier qui le met dans le cas
d'agir; car alors le système entier en serait dépen-
dant, ce qui n’est pas.
Il résulte de ces considérations : que tout animal
qui possède un système nerreux. n'est pas nécessai=
rement muni d'un cerveau, puisque c’est la faculté
de donner immédiatement naissance à quelque sens,
au moins à celui de la vue, qui caractérise ce der—
nier ; que tout animal qui possède un cerveau, ne l’a
pas essentiellement accompagné de deux hémisphères
plicatiles, car la petitesse de sa masse, dans les ani-
maux des six dernières classes des invertébrés, indi-
que qu'il ne peut servir qu'a la production du mou-
DU SYSTÈME NERVEUX 207
vement musculaire et du sentiment, et non à celle
des actes de l'intelligence; enfin, que tout animal
dont le cerveau est surmonté de deux hémisphères
plicatiles jouit du mouvement musculaire, du sen-
timent, de la faculté d’éprouver des émotions inté-
rieures, et, en outre, de celle de se former desidées,
d'exécuter des comparaisons, des jugements, en un
mot, d'opérer différents actes d'intelligence, selon le
degré de développement de son ypocéphale.
En y donnant beaucoup d'attention, on sentira,
lorsqu'on pense ou qu'on réfléchit, que les opérations
qui donnent lieu aux pensées, aux méditations, etc.,
s’exécutent dans la partie supérieure et antérieure
du cerveau, c’est-à-dire dans les masses médullaires
réunies qui forment ses deux hémisphères plicatiles ;
enfin, on distinguera qu'a cet égard les opérations
dont il s’agit ne se font point dans la base de l’or-
gane en question, non plus que dans sa partie pos
térieure et inférieure. Les deux hémisphères du
cerveau, constituant ce que je nomme l’hypocéphale,
sont donc réellement les organes particuliers dans
lesquels se produisent les actes de l'intelligence.
Aussi, lorsqu'on exécute des pensées et qu’on fixe
son attention trop longtemps de suite, ressent-on de
la douleur à la tête, particulièrement dans celles de
ses parties que je viens de citer.
On voit, d'après ces différentes considérations,
que, parmi les animaux qui ont un système ner-
VEUX :
208 DU SYSTÈME NERVEUX
1° Ceux qui manquent de cerveau, et conséquem-
ment de sens particuliers et d’un centre de rapport
unique pour les nerfs, ne jouissent pas du sentiment,
mais seulement de la faculté de mouvoir leurs par-
ties par de véritables muscles ;
2° Ceux qui ont un cerveau et quelques sens par-
ticuliers, mais dont le cerveau manque de ces hémi-
sphères plicatiles qui constituent l’hypocéphale, ne
recoivent de leur système nerveux que deux ou trois
facultés, savoir : celle d'exécuter des mouvements
musculaires, celle de pouvoir éprouver des sensa-
tions, c’est-à-dire des perceptions simples et fugi-
tives, lorsque quelque objet les affecte, et peut-être
aussi celle d’éprouver des émotions intérieures ;
3° Enfin, ceux qui ont un cerveau muni de l’hy-
pocéphale, qui n’en est que l’accessoire, jouissent
du mouvement musculaire et du sentiment, de la
faculté de s’émouvoir, et peuvent, en outre, à Paide
d’une condition essentielle (l'attention), se former des
idées imprhnées sur l'organe, comparer entre elles
plusieurs de ces idées, et produire des jugements ;
et si les hémisphères accessoires de leur cerveau
sont développés et perfectionnés, ils peuvent penser,
raisonner, mventer et exécuter différents actes d’in-
telligence.
Il est, sans doute, très-difficile de concevoir com-
ment se forment les impressions qui gravent les
idées ; et 1l est surtout impossible de rien apercevoir
dans l'organe qui indique leur existence. Mais que
DU SYSTÈME NERVEUX 209
peut-on en conclure, sinon que l’extrème délicatesse
de ces traits, et que les bornes de nos facultés en
sont la cause ? Dira-t-on que tout ce que l’homme
ne peut apercevoir n'existe pas ? [Il nous suffit ici que
la mémoire soit un sûr garant de l'existence de ces
impressions dans l'organe où elle exécute ses actes.
S'il est vrai que la nature ne fait rien subitement
ou d’un seul jet,on sent que, pour produire toutes les
facultés qu'on observe dans les animaux les plus
parfaits, il lui à fallu créer successivement tous les
organes qui peuvent donner lieu à ces facultés; et
c'est, en eflet, ce qu'elle a exécuté avec beaucoup
de temps, et à l’aide de circonstances qui y ont été
favorables.
Certes, cette marche est celle qu’elle a suivie, et
on ne peut lui en substituer aucune autre sans sortir
des idées positives que la nature nous fournit à me-
sure que nous lobservons.
Ainsi, dans l’organisation animale, le système ner-
veux fut créé à son tour comme les autres systèmes
particuliers, et il ne put l'être que dans la seule cir-
constance où l’organisation se trouvait assez avan—
cée dans sa composition, pour que les trois sortes de
substances qui composent ce systeme aient pu être
formées et déposées dans les lieux qui offrent les or-
ganes qui le constituent.
Il est donc tres-inconvenable de vouloir trouver
le système dont il s’agit, ainsi que les facultés qu'il
procure, dans des animaux aussi simples en organi-
LAMARCK, PFHIL. ZOOL. Il. 14
210 DU SYSTÈME NERVEUX
sation, et aussi imparfaits que les #nfusoires et les
polypes, car il est impossible que des organes aussi
composés que ceux de ce système puissent exister
dans l’organisation des animaux que je viens de
éiter!
Je le répète : de même que les organes spéciaux
que possèdent les animaux dans leur organisation
furent formés successivement, de même aussi chacun
de ces organes fut composé, complété et perfectionné
progressivement, à mesure que l’organisation ani-
male parvint à se compliquer ; en sorte que le sys-
tème nerveux, considéré dans les différents animaux
qui en sont munis, se présente dans les trois prin-
cipaux états suivants.
A sa naissance, où il est dans sa plus grande
imperfection, ce système paraît ne consister qu'en
divers ganglions séparés, qui communiquent entre
eux par des filets, et qui en envoient d’autres à cer-
taines parties du corps : alors il n'offre point de
cerveau, et ne peut donner lieu, ni à la vue, ni à
l’ouie, ni peut-être à aucune sensation véritable ;
mais il possede déja la faculté d’exciter le mouve-
ment musculaire. Tel est apparemment le système
nerveux des radiaires, si les observations citées
dans la première partie de cet ouvrage (chap. vin,
p. 286) ont quelque fondemert.
Plus perfectionné, le système nerveux présente
une moelle longitudinale noueuse et des filets ner=
veux qui aboutissent aux nœuds de cette moelle :
DU SYSTÈME NERVEUX 211
dès lors le ganglion qui termine antérieurement ce
cordon noueux peut être regardé comme un petit
cerveau déja ébauché, puisqu'il donne naissance à
l'organe de la vue, et ensuite à celui de l’ouïe ; mais
ce petit cerveau est encore simple et privé de lAy-
pocéphale, c’est-à-dire de ces hémisphères plicatiles
qui ont des fonctions particulières à exécuter. Tel
est le sys{ème nerveux des insectes, des arachnides
et des crustacés, animaux qui ont des yeux, et dont
les derniers cités offrent déjà quelques vestiges de
Vouïe : tel est encore celui des annelides et des
cirrhipèdes, dont les uns possédent des yeux, tandis
que les autres en sont privés par des causes déjà
exposées dans le chapitre vir de la première partie.
Les mollusques, quoique plus avancés dans la
composition de leur organisation que les animaux
dont je viens de parler, se trouvant dans le passage
d’un changement de plan de la part de la nature,
n'ont ni moelle longitudinale noueuse, ni moelle
épinière; mais ils offrent un cerveau, et plusieurs
d’entre eux paraissent posséder le plus perfectionné
des cerveaux simples, c’est-à-dire des cerveaux
qui sont dépourvus d'hypocéphale, puisqu'au leur
aboutissent les nerfs de plusieurs sens particuliers.
S'il en est ainsi, dans tous les animaux , depuis les
insectes jusqu'aux #nollusques inclusivement , le
système nerveux produit le mouvement musculaire
et donne lieu au sentiment ; mas il ne saurait per-
mettre la formation des idées.
212 DU SYSTLME NERVEUX
Enfin, beaucoup plus perfectionné encore, le sys-
ème nerveux des animaux vertébrés offre une moelle
épinière , des nerfs et un cerveau dont la partie
supérieure et antérieure est munie accessoirement
de deux hémispheres plicatiles ; plus ou moins déve-
loppés, suivant l’état d'avancement du nouveau
plan. Alors ce système donne lieu non-seulement au
mouvement musculaire, au sentiment et à la faculté
d'éprouver des émotions intérieures, mais, en outre,
à la formation des idées, qui sont d'autant plus nettes
et peuvent être d'autant plus nombrenses, que ces
hémisphères ont recu de plus grands développe-
ments. :
Ainsi, comment supposer que la nature qui, dans
toutes ses productions, procède toujours par degrés
progressifs, ait pu, en commencant létablissement
du système nerveux, lui donner toutes les facultés
qu'il possede lorsqu'il a acquis son complément et
atteint sa plus grande perfection ?
D'ailleurs, comme la faculté de sentir n’est nulle-
ment le propre d'aucune substance du corps animal,
nous verrons que le mécanisme nécessaire à la pre-
duction du sertinent est trop compliqué pour per-
mettre au système nerveux, lorsqu'il est dans sa
plus grande simplicité, d'avoir d'autre faculté que
celle d’exciter le mouvement musculaire.
J’essayerai de faire connaitre, dans le chapitre 1v,
quelle est la puissance qui a les moyens de produire
et de diriger les émissions du fluide nerveux, soit
DU SYSTÈME NERVEUX 213
aux hémisphères du cerveau, soit aux autres par-
ties du corps : ici, je dirai seulement que l'envoi du.
fluide dont il s’agit aux hémisphères du cerveau y
opère des fonctions très-différentes de celles que le
même fluide envoyé ‘aux muscles et aux organes
vitaux y exécute.
Telle est l'exposition, succincte et générale, du
système nerveux, de la nature de ses parties, des
conditions qui furent nécessaires pour sa formation,
et des quatre sortes de fonctions qu'il exécute lors
qu'il a acquis son complément et son perfection
nement.
Sans entreprendre de rechercher comment lin-
fluence nerveuse peut mettre les muscles en action et
fournir à l’exécution des fonctions de différents or-
ganes, Je dirai que c’est probablement en provo-
quant l’érrilabilité des parties que cette fonction
du système nerveux se trouve exécutée.
Mais relativement à celle des fonctions de ce
système, par laquelle il produit le sentiment, et
qu'avec raison l’on regarde comme la plus éton-
nante et la plus difficile à concevoir, j’essayerai d'en
exposer le mécanisme dans le chapitre 11. Je ferai
ensuite la même chose à l'égard de la quatrième
fonction du même système, c’est-à-dire de celle par
laquelle il produit des idées, des pensées, etc.,
fonction plus étonnante encore que celle qui donne
lieu au sentiment.
Cependant , ne voulant rien présenter dans cet
211 DU SYSTÈME NERVEUX
ouvrage qui ne soit appuyé sur des faits ou sur des
observations qui m’y autorisent, je vais auparavant
considérer le fluide nerveux, et montrer que, loin
de n’être qu'un produit de l’imagination , ce fluide
se manifeste par des effets que lui seul peut produire,
et qui ne peuvent permettre le moindre doute sur
son existence.
CHAPITRE. IT
D'OL PEUID EE", N'ERVEUX
Une matière subtile, remarquable par la célérité
de ses mouvements, et qu'on néglige de considérer,
parce qu'il n’est pas en notre pouvoir de l’observer
directement nous-mêmes, de nous la procurer, et de
la soumettre à nos expériences ; cette matière, dis-je,
est l’agent le plus singulier, et en même temps l’ins-
trument le plus admirable que puisse employer la
nature pour produire le mouvement musculaire, le
sentiment, les émotions intérieures, les idées et les
actes d'intelligence dont quantité d'animaux sont
susceptibles.
Or, comme il nous est possible de connaître cette
matière par les effets qu’elle produit, il importe que
nous la prenions en considération, dès le commen
cement de la troisième partie de cet ouvrage; car
le fluide qu’elle constitue étant le seul qui soit ca-
216 DU FLUIDE NERVEUX
pable d'opérer les phénomènes qui excitent tant notre
admiration, si nous refusons de reconnaitre son exis-
tence et ses facultés, il nous faudra donc abandonner
toute recherche sur les causes physiques de ces phé-
nomenes, et recourir de nouveau à des idées vagues
et sans base, pour satisfaire notre curiosité à leur
égard.
Relativement à la nécessité où l’on se trouve de
rechercher, dans les effets qu’il produit, la connais-
sance du fluide dont il est question, n’est-ce pas
maintenant une chose reconnue qu'il existe dans la
nature différentes sortes de matières qui échappent
à nos sens, dont nous ne pouvons nous emparer, et
qu'il nous est impossible de retenir et d'examiner à
notre gré; des matières d’une ténuité et d’une sub-
tilité si considérables, qu’elles ne peuvent manifester
leur existence que dans certaines circonstances, et
qu'au moyen de quelques-uns de leurs résultats
qu'avec beaucoup d'attention nous parvenons à saisir ;
des matières, en un mot, dont nous ne pouvons,
jusqu’à un certain point, reconnaître la nature, que
par des inductions et des déterminations d’analogie,
que la réunion d’un grand nombre d'observations
peut seule nous faire obtenir ? Cependant l'existence
de ces matières nous est prouvée par les résultats
qu'elles seules peuvent produire ; résultats qu’il nous
importe tant de considérer dans différents phéno-
mènes dont nous recherchons les causes.
Dira-t-on que, puisque nous possédons si peu de
DU FLUIDE NERVEUX 217
moyens pour déterminer, avec la précision et l’évi-
dence que toute démonstration exige, la nature et les
qualités de ces matières, tout homme sage, et qui
fait cas seulement des connaissances exactes, doit
négliger leur considération ?
Peut-être me trompé-je ; mais j’avouerai que je
ne suis point du tout de cet avis; au contraire, je
suis fermement persuadé qne ces mêmes matières
jouant un rôle important dans la plupart des faits
physiques que nous observons, et surtout dans le
plus grand nombre des phénomènes organiques que
les corps vivants nous présentent, leur considéra-
tion est du plus grand intérêt pour l’avancement de
nos connaissances à l’égard de ces faits et de ces
phénomènes.
Ainsi, quoiqu'il soit impossible de connaître direc-
tement toutes les matieres subtiles qui existent dans
la nature, renoncer à des recherches relatives à cer-
taines d’entre elles, ce serait, à ce qu'il me semble,
refuser de saisir le seul fil que nous offre la nature
pour nous conduire à la connaissance de ses lois ;
ce serait renoncer aux progres réels de celle que
nous possédons sur les corps vivants, ainsi que sur
les causes des phénomènes que nous observons dans
les fonctions de leurs organes ; et ce serait, en même
temps, renoncer à la seule voie qui puisse nous pro-
curer les moyens de perfectionner les théories phy-
siques et chimiques que nous pouvons former.
On verra bientôt que ces considérations ne sont
218 DU FLUIDE NERVEUX
point étrangères à mon objet, qu’il est nécessaire d'y
avoir égard, et qu'elles s'appliquent parfaitement à
ce que J'ai à dire sur le fluide nerreux qu'il nous
est si intéressant de connaitre.
Nos observations étant maintenant trop avancées
pour nous permettre de contester solidement ou de
révoquer en doute l’existence d’un fluide subtil qui
circule et se meut dans la substance pulpeuse des
nerfs, voyons, sur ce sujet délicat et difficile, ce qu'il
est possible de proposer de vraisemblable d’après
l’état actuel des connaissances.
Mais, avant de parler du fluide nerveux, il est
tres-important de présenter la proposition suivante :
Tous les fluides visibles, contenus dans le corps
d’un animal, tels que le sang ou ce qui en tient lieu,
la lymphe, les fluides sécrétés, etc., se meuvent avec
trop de lenteur dans les canaux ou les parties qui
les contiennent, pour pouvoir être capables de por-
ter, avec la célérité nécessaire, le mouvement ou la
cause du mouvement qui produit les actions des
animaux ; ces actions, dans quantité d'animaux où
on les observe, s’exécutant avec une promptitude et
une vivacité surprenantes, et ces animaux les inter
rompant, les reprenant et les variant avec toutes
les nuances d'irrégularité possibles. La momdre ré-
flexion doit suffire pour nous faire comprendre qu'il
est absolument impossible que des fluides aussi gros-
siers que ceux que je viens de citer, et dont les
mouvements sont, en général, assez réguliers, puis-
DU FLUIDE NERVEUX 219
sent être la cause des actions diverses des animaux.
Cependant, tout ce qu’on observe en eux résulte
de relations entre leurs fluides contenus, ou ceux
de ces fluides qui les pénetrent, et leurs parties
contenantes, où les organes affectés par ces fluides
contenus.
Assurément, ce ne peut être qu'un fluide presque
aussi prompt que l'éclair, dans ses mouvements et
ses déplacements, qui puisse opérer des effets sem—
blables à ceux queje viens d'indiquer ; or, nous con-
naissons maintenant des fluides qui ont cette faculté.
Comme toute action est toujours le produit d’un
mouvement quelconque, et qu'assurément c’est par
un mouvement, quel qu'il soit, que les nerfs agis-
sent, M. Richerand a discuté et réfuté solidement
dans sa Physiologie (vol. IT, p. 144 et suiv.), l'opi-
nion de ceux qui ont regardé les nerfs comme des
cordes vibrantes. « Cette hypothèse, dit ce savant,
est tellement absurde, qu'on a lieu d’être étonné de
la longue faveur dont elle a joui. »
On serait autorisé à dire la mème chose de lhy-
pothèse du mouvement de vibration, communiqué
entre des molécules aussi molles et aussi peu élasti-
ques que celles de la pulpe médullaire des nerfs, si
quelqu'un la proposait.
«Il est bien plus raisonnable, dit ensuite M. Ri-
cherand, de croire que les nerfs agissent au moyen
dun fluide subtil, invisible, impalpable, auquel les
anciens donnérent le nom d’esprits animaux, »
220 DU FLUIDE NERVEUX
Enfin, plus loin, en considérant les qualités par
ticulières du fluide nerveux, ce physiologiste ajoute :
« Ces conjectures n’ont-elles pas acquis un certain
degré de probabilité, depuis que l’analogie du gal-
vanisme avec l'électricité, d’abord présumée par
l’auteur de cette découverte, a été confirmée par les
expériences si curieuses de Volta, répétées, com
mentées, expliquées dans ce moment par tous les
physiciens de l'Europe? »
Quelque évidente que soit l'existence du fluide
subtil au moyen duquel les nerfs agissent, il y aura
longtemps, et peut-être toujours, des hommes qui
la contesteront, parce qu’on ne peut la prouver au-
trement que par les phénomènes que ce fluide seul
peut produire.
Cependant, il me semble que lorsque tous les effets
de ce fluide dont il s’agit démontrent son existence,
il n’est nullement raisonnable de la nier, par la
seule raison qu’il nous est impossible de voir ce
fluide. Il est surtout très-inconvenable de le faire,
lorsqu'on sait que tous les phénomènes organiques
résultent uniquement de relations entre des fluides
en mouvement et les organes qui donnent lieu à ces
phénomènes. Enfin, cette inconvenance est bien plus
srande encore, lorsqu'on est convaincu que les
fluides visibles (le sang, la lymphe, etc.) qui arri-
vent et pénètrent dans la substance des nerfs et du
cerveau, sont trop grossiers et ont trop de lenteur
dans leurs mouvements pour pouvoir donner lieu à
DU FLUIDE NERVEUX 221
des actes aussi rapides que ceux qui constituent le
mouvement musculaire, le sentiment, les idées, la
pensée, etc.
D’après ces considérations, je reconnais que, dans
tout animal qui possède un système nerveux, il
existe dans les nerfs et dans les foyers médullaires
auxquels ces nerfs aboutissent, un fluide invisible,
tres-subtil, contenable, et à peu près inconnu dans
sa nature, parce qu'on manque de moyens pour
lexaminer directement. Ce fluide, que je nomme
fluide nerveux, se meut, dans la substance pulpeuse
des nerfs et du cerveau, avec une célérité extraor-
dinaire, et cependant n’y forme, pour l’exécution de
ses mouvements, aucuns conduits perceptibles.
C'est par le moyen de ce fluide subtil que les
nerfs agissent ; que le mouvement musculaire se met
en action; que le sentiment se produit, et que les
hémispheres du cerveau exécutent tous les actes
d'intelligence auxquels, selon leurs développements,
ils ont la faculté de donner lieu.
Quoique la nature propre du fluide nerveux ne
nous soit pas bien connue, puisque nous ne pouvons
l’apprécier que par ses effets ; depuis la découverte
du galvanisme, 1 devient de plus en plus probable
qu'elle est très-analogue au fluide électrique. Je
suis même persuadé que c’est ce fluide électrique
qui a été modifié dans l’économie animale, s’y étant
en quelque sorte animalisé par son séjour dans le
sang, et s’y étant assez changé pour devenir conte=
222 DU FLUIDE NERVEUX
nable et se maintenir uniquement dans la substance
médullaire des nerfs et du cerveau , à laquelle le
sang en fournit sans cesse.
Pour pouvoir dire que le fluide nerveux n’est que
de l'électricité modifiée par son séjour dans lécono-
mie animale, je me fonde sur ce que ce fluide ner-
veux, quoique fort ressemblant par ses effets à plu-
sieurs de ceux que produit Le fluide électrique, s’en
distingue néanmoins par quelques qualités particu-
lières, parmi lesquelles celle de pouvoir être retenu
dans un organe et de s’y mouvoir, soit dans un sens,
soit dans un autre, parait lui être propre.
Le fluide nerteux est donc réellement distinct du
fluide électrique ordinaire, puisque celui-ci traverse
sans s'arrêter, et avec sa célérité connue, toutes les
parties de notre corps, lorsqu'on forme la chaine
dans la décharge, soit d’une bouteille de Leyde, soit
d’un conducteur électrique.
IL est mème différent du fluide galvanique obtenu
et mis en action par la pile de Vo/fa : en effet, ce
dernier, qui n’est encore que le fluide électrique lui
mème, mais agissant avec moins de masse, de den-
sité et d'activité que le fluide électrique que lon
dégage de la bouteille de Leyde ou d’un conducteur
chargé, recoit de la circonstance dans laquelle il se
trouve quelques qualités ou facultés qui le distm-
guent du fluide électrique rassemblé et condensé
par nos moyens ordinaires. Aussi ce fluide galva-
nique exerce-t-il plus d'action sur nos nerfs et sur
DU FLUIDE NERVEUX 223
nos muscles que le fluide électrique ordinaire : ce-
pendant le fluide galvanique dont 1l est question,
w’étant point animalisé, c’est-à-dire n'ayant point
reçu l'influence que son séjour dans le sang (sur-
tout dans le sang des animaux à sang chaud) lui
fait acquérir, ne possède pas toutes les qualités du
{luide nerveux.
Le fluide nerveux des animaux à sang froid, étant
moins animalisé, se trouve plus voisin du fluide
électrique ordinaire, et surtout du fluide galvanique.
C'est ce qui est cause que nos expériences galvani-
ques produisent sur les parties des animaux à sang
froid, comme les grenouilles , des eflets tres-éner-
giques ; et que dans certains poissons, comme la
torpille, la gymnote et le sure trembleur, un
organe électrique bien prononcé y montre lélectri-
cité tout à fait appropriée à l'animal pour ses besoins.
(Voyez, dans les Annales du Muséum d Histoire
naturelle, vol. I, p. 392, l’intéressant Mémoire de
M. Geoffroi sur ces poissons.)
Malgré les modifications que le fluide électrique
a reçues dans l’économie animale, et qui l'ont amené
à l’état de fluide nerveux, Wa conservé néanmoins,
en tres-grande partie, son extrème subtilité, et son
aptitude aux prompts déplacements ; qualités qui le
rendent propre à lexécution des fonctions qu'il doit
exercer pour satisfaire aux besoins de l'animal.
Ce fluide électrique pénétrant sans cesse dans le
sang, soit par la voie de la respiration, soit par toute
224 DU FLUIDE NERVEUX
autre, sy modifie graduellement, s’y animalise, et
acquiert, enfin, les qualités du fluide nerveux. Or,
il parait qu'on peut regarder les ganglions, la moelle
épinière et surtout le cerveau avec ses accessoires,
comme constituant les organes sécrétoires de ce
fluide animal.
En effet, il y a lieu de penser que la substance
propre des nerfs qui, par suite de sa nature a/bu-
mino=gélatineuse, est meilleure conductrice du
fluide nerveux que toute autre substance du corps,
et surtout que les membranes aponérroliques qui
enveloppent les filets et les cordons nerveux, soutire
continuellement des dernières artérioles sanguines,
le fluide subtil dont 1l est question et que le sang a
préparé. Ge sont, sans doute, ces dernières arté-
rioles et les veinules qui les accompagnent, qui
donnent lieu à la couleur grise de la partie externe
et comme corticale de la substance médullaire.
Ainsi se produit sans cesse, dans les animaux qui
ont un système nerveux, le fluide invisible et subtil
qui se meut dans la substance de leurs nerfs et dans
les foyers médullaires où ces nerfs aboutissent.
Ce fluide nerveux agit dans les nerfs par deux
sortes de mouvements tres-opposés ; et, en outre,
il exécute, dans les hémisphères du cerveau, une
multitude de mouvements divers que les actes de
ces organes rendent probables, mais que nous ne
saurions déterminer.
Dans les nerfs destinés à opérer des sensations,
DU FLUIDE NERVEUX 225
on sait que ce fluide se meut de la circonférence,
cest-à-dire des parties extérieures du corps, vers
le centre, ou plutôt vers le foyer qui produit les
sensations ; et comme les individus qui ont un sys-
teme nerveux peuvent aussi éprouver des impres-
sions intérieures, le fluide dont il s’agit se meut
alors dans les nerfs des parties intérieures , en se
dirigeant pareillement vers le foyer des sensations.
Au contraire , dans les nerfs destinés à la pro-
duction du #7ouvement nusculaire, soit de celui
qui se fait sans la volonté de l'animal, soit de celui
que cette volonté seule fait exécuter, le fluide
nerveux se meut du centre où de son foyer commun,
vers les parties qui doivent agir.
Dans les deux cas que je viens de citer, relative-
ment au mouvement du fluide nerveux dans les
nerfs, et, en outre, aux divers mouvements qu'il
peut exécuter dans le cerveau, l'emploi de ce mème
fluide, mis en action, en fait consommer une partie
qui se dissipe et se trouve perdue pour Fanimal.
Gette perte exigeait donc la réparation que le sang,
en bon état, en fait continuellement.
Une remarque importante à faire pour l’intelli-
gence des phénomènes de l’organisation est la sui-
vante :
Les individus qui ne consomment du ffuide ner-
ceux que pour la production du mouvement muscu
laure réparent leurs pertes à cet égard avec abon-
dance et mème avec profit pour laccroissement de
LAMARGK, PHIL. ZOOL. Il. 15
#
226 DU FLUIDE NERVEUX
leurs forces, parce que ce mouvement musculaire
hâte la circulation et les autres mouvements organi-
ques, et qu’alors les sécrétions, réparatrices du fluide
consommé, sont promptes et abondantes aux époques
des repos.
Au contraire, les individus qui ne consomment du
fluide nerveux que pour la production des actes qui
dépendent de lhypocéphale, tels que les pensées
soutenues, les méditations profondes, les agitations
d'esprit que les passions produisent, etc., ne répa—
rent leurs pertes à cet égard qu'avec lenteur et sou-
vent qu'incomplétement, parce que le mouvement
musculaire, restant alors presque sans action, tous
les mouvements organiques s’affaiblissent, les fa-
cultés des organes perdent de leur énergie, et les
sécrétions, réparatrices du fluide nerveux consommé,
deviennent moins abondantes, et les repos d'esprit
très-difficiles.
Le fluide nerveux, dans le cerveau, ne se borne
pas à y apporter du foyer des sensations les sensa-
tions mêmes, et à y subir des mouvements divers,
mais il y produit aussi des impressions qui se gravent
sur l’organe, et qui y subsistent plus ou moins long-
temps, selon leur profondeur.
Cette assertion n’est pas un de ces produits mons-
trueux qu'enfante l'imagination : en examinant rapi-
dement les principaux actes de l'intelligence, j’es=
sayerai de prouver qu’elle est très-fondée, et qu'on
sera forcé de la reconnaître pour une de ces vérités
DU FLUIDE NERVEUX 227
auxquelles cependant on ne peut arriver que par
des 2nductions incontestables.
Je terminerai ce que j'avais à dire sur le fluide
singulier dont il est question par quelques considé-
rations qui peuvent répandre beaucoup de lumière
sur diverses fonctions organiques qui s’exécutent à
l’aide de ce fluide.
Toutes les parties du fluide nerveux communi-
quent ensemble dans le système d'organes qui les
contient; en sorte que, selon les causes qui l’exci-
tent, ce fluide ne se meut, tantôt que dans certaines
portions comme isolées de sa masse, et tantôt pres-
que toute sa masse, ou du moins toute celle qui est
libre, se trouve en mouvement.
Ainsi done, le fluide dont il s’agit se meut dans
certaines portions et même dans de petites portions
de sa masse :
1° Lorsqu'il fournit à l'excitation musculaire, soit
celle qui est indépendante de l'individu, soit celle qui
en est dépendante ;
2° Lorsqu'il exécute quelque acte d'intelligence.
F Le même fluide, au contraire, se meut dans toutes
les parties de sa masse libre :
1° Lorsque, subissant un mouvement général de
réaction, il produit une sensation quelconque ;
20 "Foutes les fois qu'éprouvant un ébranlement
général sans former de réaction, il cause les émo-
tions du sentiment intérieur.
Ces distinctions relatives aux mouvements que
228 DU FLUIDE NERVEUX
peut éprouver le fluide nerveux, dans le système
d'organes qui le contient, ne sauraient être prou-
vées par des expériences particulières ; au moins je
n’en aperçois pas les moyens ; mais l’on trouvera
probablement qu’elles sont fondées, si l’on prend
fortement en considération les observations que j'ex-
pose dans cette troisième partie de ma Philosophe
zoologique, sur les différentes fonctions du système
ner veux.
On pourra surtout se convaincre du fondement de
ces distinctions, si l'on considère :
l° Que l'influence nerveuse qui met les muscles
en action, n'exige qu'une simple émission d’une por-
tion du fluide nerceux sur les muscles qui doivent
agir, et qu'ici le fluide subtil en question n’agit que
comme excitateur ;
2° Que, dans les actes de l'intelligence, les par-
ties de l'organe de lentendement ne sont que pas-
sives; ne sauraient réagir à cause de leur extrème
mollesse ; ne reçoivent point d’excitation de la part
du fluide nerveux, mais seulement des impressions
dont elles conservent les traces, la portion de ce
fluide, qui s’agite dans les diverses parties de cet
organe, y modifiant ses mouvements par l’mfluence
des traits qui s’y trouvent gravés, et y en traçant
d’autres ; en sorte que l'organe de l’entendement,
qui n’a qu'une communication étroite avec le reste
du système nerveux, n’emploie, dans ses actes,
qu'une portion du fluide de tout le système ; enfin,
DU FLUIDE NERVEUX 229
qu'il résulte de l’étroite communication citée, que
cette portion du fluide nerveux, contenue dans l’or-
gane de lintelligence, n’est exposée à partager
l’ébranlement général qui s'exécute dans les émo-
tions du sentiment intérieur, et dans la formation
des sensations, que lorsque cet ébranlement est d’une
intensité extrème ; ce qui trouble alors presque toutes
les fonctions et les facultés du système.
Il est donc vraisemblable, d’après tout ce que je
viens d'exposer, que la totalité du fluide nerveux,
sécrété et contenu dans le système, n’est pas à la
disposition du sentiment intérieur de lindividu, e
qu'une partie de ce fluide est, en quelque sorte, en
réserve pour fournir continuellement à l'exécution
des fonctions vitales. Ainsi, de même qu'il y a des
muscles indépendants de la volonté, tandis que
d’autres n’entrent en action que lorsque le sentiment
intérieur, ému par la volonté où par quelque autre
cause, les y excite; de mème, sans doute, une partie
du fluide nerveux se trouve moins à la disposition
de l'individu que l’autre, afin de n'être point exposée
à l'épuisement, et de pouvoir fournir sans cesse aux
fonctions vitales.
Effectivement, le fluide nerveux n'étant jamais
employé sans qu'il s'en consomme proportionnelle-
ment à son emploi, 1l était nécessaire que l'individu
n’en pût consommer à son gré que la portion dont
il peut disposer : il y a même, pour lui, de grands
inconvénients lorsqu'il épuise trop cette portion,
230 DU FLUIDE NERVEUX
car alors une partie de celle en réserve devenant
disponible, ses fonctions vitales en souffrent d’au-
tant plus.
J'aurai plus loin différentes occasions de dévelop-
per et d’éclaircir ces diverses considérations relatives
au fluide nerveux ; mais auparavant examinons quel
peut être le mécanisme des sensations, et voyons
comment se produit admirable faculté de sentir.
CHAPITRE HI
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE ET DU MÉCANISME
DES SENSATIONS
Comment concevoir qu'aucune partie quelconque
d'un corps vivant puisse avoir en elle-même la fa-
culté de sentir, lorsque toute matière, quelle qu’elle
soit, ne jouit nullement et ne saurait jouir d’une
pareille faculté !
Certes, c'était commettre une grande erreur que
de supposer que les animaux, et même les plus par-
faits d’entre eux, avaient certaines de leurs parties
douées du sentiment. Assurément, les humeurs ou
les fluides quelconques des corps vivants, non plus
que leurs parties solides, quelles qu’elles puissent
être, ne possèdent pas la faculté de sentir.
Ce n’est que par un véritable prestige que chaque
partie de notre corps, considérée isolément, nous
parait sensible, car c’est notre étre en entier qui
232 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
sent, ou plutôt, qui subit un effet général, à la pro-
vocation de toute cause affectante qui y donne leu ;
et comme cet effet se rapporte toujours à la partie
qui fut affectée, nous en recevons dans linstant la
perception, à laquelle nous donnons le nom de sen-
sation, et nous supposons, par illusion, que c’est
cette partie affectée de notre corps qui ressent l’im-
pression qu'elle a reçue, tandis que c’est l’émotion
du système entier de sensibilité qui y rapporte l'effet
général que ce système a éprouvé.
Ces considérations pourront paraître étranges, et
même paradoxales , tant elles sont éloignées de tout
ce que l’on a pensé à cet égard. Cependant, si l’on
suspendait le jugement que l’on porte en général sur
ces objets, pour donner quelque attention aux mo
tifs sur lesquels je fonde l’opinion que je vais déve-
lopper, on reviendrait, sans doute, sur l’idée d’attri-
buer la faculté de sentir à aucune partie quelconque
d’un corps vivant. Mais avant de présenter l'opinion
dont il s’agit, il est nécessaire de déterminer quels
sont les animaux qui jouissent de la faculté de sentir
et quels sont ceux en qui une pareille faculté ne peut
se rencontrer.
D'abord, j'établirai ce principe : toute faculté que
possédent les animaux, est nécessairement le produit
d'un acte organique et par conséquent d’un mouve-
ment qui y donne lieu ; et si cette faculté est parti
culière , elle résulte de la fonction d’un organe ou
d'un système d'organes qui alors est particulier :
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 233
mais aucune partie du corps animal, restant dans
l’'inaction, ne saurait occasionner le momdre phéno-
mène organique, ni donner lieu à la moindre faculté.
Aussi , le sentiment, qui est une faculté, n'est-il le
propre d'aucune partie quelconque, mais le résultat
de la fonction organique qui le produit.
Je conclus du principe que Je viens d'émettre, que
toute faculté provenant des fonctions d’un organe
particulier qui seul peut y donner lieu, n'existe que
dans les animaux qui possèdent cet organe. Ainsi,
de même que tout animal qui n’a point d’yeux ne
saurait voir, de même aussi, tout animal qui manque
de système nerveux ne saurait sentir.
En vain objecterait-on que la lumière fait des
impressions remarquables sur certains corps vivants
qui n’ont point d'yeux et qu'elle affecte néanmoins :
il sera toujours vrai que les végétaux, et que quan-
tité d’animaux, tels que les pol/ypes et bien d’autres,
ne voient point quoiqu'ils se dirigent vers le côté
d'où vient la lumière, et que les animaux ne sont
pas tous doués du sentiment, quoiqu'ils exécutent
des mouvements lorsque quelque chose les irrite ou
irrite certames de leurs parties.
On ne saurait donc, avec fondement, attribuer
aucune sorte de sensihilité (percevante ou latente)
aux animaux qui manquent de systeme nerveux, en
apportant pour raison que ces animaux ont des par-
ties 2rrilables, et j'ai déjà prouvé, dans le chapi-
tre 1v de la seconde partie, que le sentiment et
234 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
l'irritabihité étaient des phénomènes organiques
d'une nature très-différente, et qui prenaient leur
source dans des causes qui ne se ressemblent nulle-
ment. Effectivement, les conditions qu’exige la pro-
duction du seatiment sont de toute autre nature que
celles qui sont nécessaires à l’existence de l’irrita-
bilité. Les premières nécessitent la présence d’un
organe particulier, toujours distinct, compliqué et
étendu dans tout le corps de l'animal, tandis que les
secondes n'exigent aucun organe spécial, et ne
donnent lieu qu'à un phénomène toujours isolé et
local.
Mais les animaux qui possedent un système ner-
veux, suffisamment développé, jouissent à la fois
de l’erritabilité qui est le propre de leur nature, et
de la faculté de sentir ; ils ont, sans pouvoir le re-
marquer, le sentiment intime de leur existence, et
quoiqu'ils soient encore assujettis aux excitations
de l'extérieur, ils agissent par une puissance interne
que nous ferons bientôt connaitre.
Dans les uns, cette puissance interne est dirigée,
dans ses différents actes, par l'instinct, c’est-à-dire
par les émotions intérieures que produisent les be-
soins, et par les penchants que font naïître les habi-
tudes, et dans les autres, elle l’est par une volonté
plus ou moins libre.
Ainsi, la faculté de sentir est uniquement le
-propre des animaux qui ont un système nerveux
sensitifs et comme elle donne lieu au sentiment
DE LA SENSIBILILÉ PHYSIQUE 235
intime d'existence, nous verrons que ce dernier
sentiment procure à ces animaux la faculté d'agir
par des émotions qui leur causent des excitations
intérieures , et les mettent dans le cas de produire
eux-mêmes les mouvements et les actions nécessaires
à leurs besoins.
Mais qu'est-ce que la sensibilité physique ou la
faculté de sentir ? qu'est-ce ensuite que le sentiment
intérieur d'existence ? quelles sont les causes de ces
phénomènes admirables ? enfin , comment le senti
ment d'existence ou le sentiment intérieur général
peut-il donner lieu à une force qui fait agir ?
Après avoir mürement considéré l’état des choses
à cet égard, et les prodiges auxquels il donne lieu,
voici mon opinion sur le premier de ces sujets inté-
ressants.
La faculté de recevoir des sensations, constitue
ce que je nomme la sensibilité physique, ou le sen-
timent proprement dit. Cette sensibilité doit être
distinguée de la sensibilité morale, qui est tout
autre chose, comme je le ferai voir, et qui n'est
excitée que par des émotions que produisent nos
pensées.
Les sensations proviennent : d’une part, des
impressions que des objets extérieurs ou hors de
nous font sur nos sens ; etde l’autre part, de celles
que des mouvements intérieurs ‘et désordonnés font
sur nos organes en y opérant des actions nuisibles ;
de là les douleurs internes. Or, ces sensations exer-
235 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
cent notre sensibilité physique ou notre faculté de
sentir, nous font communiquer avec ce qui est hors
de nous, et nous avertissent, au moins obscurément,
de ce qui se passe dans notre être.
Développons, maintenant, le mécunisme des sen-
sations en montrant, d’abord, l'harmonie qui existe
dans toutes les parties du système nerveux qui le
concernent , et ensuite le produit sur le système
entier de toute impression formée sur quelqu’une
de ces parties.
MÉCANISME DES SENSATIONS
Les sensations, que nous rapportons, par illusion,
aux lieux mêmes où se produisent les impressions
qui les causent, s’exécutent dans un système d’or-
ganes particuliers qui fait toujours partie du système
nerveux, et que je nomme système des sensations
ou de sensibilité.
Le système des sensations se compose de deux
parties distinctes et essentielles, savoir :
- 1° D'un foyer particulier que je nomme foyer
des sensations, qu'il faut considérer comme un centre
derapports, et où se rapportent effectivement toutes
les impressions qui agissent sur nous ;
2° D'une multitude de nerfs simples, qui partent
de toutes les parties sensibles du corps, et qui tous
viennent se rendre et se terminer au foyer des
sensations.
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 237
C'est avec un pareil système d'organes, dont
l'harmonie est telle que toutes les parties du corps,
ou à peu près, participent également à chaque im-
pression faite sur certaines d'entre elles, que la
nature est parvenue à donner à tout animal qui a
un système nerveux, la faculté de sentir, soit ce
qui l’affecte intérieurement, soit les impressions que
les objets hors de lui font sur les sens dont il est
doué.
Le foyer des sensations est peut-être divisé et
multiple dans les animaux qui ont une sn0elle lon-
gitudinale noueuse, cependant on peut soupconner
que le ganglion qui termine antérieurement cette
moelle est un petit cerveau ébauché, puisqu'il donne
immédiatement naissance au sens de la vue. Mais
quant aux animaux qui ont une #10elle épinière, on
ne saurait douter que le foyer des sensations ne soit
chez eux simple et unique; et vraisemblablement
ce foyer est situé à l'extrémité antérieure de cette
moelle épinière, dans la base même de ce qu'on
nomme le cerveau, et conséquemment sous les hémis-
pheres.
Les nerfs sensitifs, qui arrivent de toutes les par-
ties, aboutissant tous à un centre de rapport, où à
plusieurs de ces foyers qui communiquent les uns
avec les autres, constituent l’harmonie du système
des sensations, en ce qu'ils font participer toutes
les parties de ce système aux impressions, soit iso=
lées, soit communes, que l'individu peut éprouver.
238 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
Mais, pour bien concevoir le mécanisme admi-
rable de ce système sensitif, il est nécessaire de se
rappeler ce que j’ai déjà dit, savoir : qu'un fluide
extrêmement subtil, dont les mouvements, soit de
translation, soit d’oscillation, qui se communiquent,
sont presque aussi rapides que ceux de Péclair, se
trouve contenu dans les nerfs et leur foyer, et que
c’est uniquement dans ces parties que ce fluide se
meut librement,
Ensuite, que l’on considère que de cette harmome
du système des sensations, qui fait que toutes les
parties de ce système correspondent entre elles, et
font correspondre toutes celles de individu, il ré-
sulte que toute impression, tant intérieure qu'exté-
rieure, que recoit cet individu, produit aussitôt un
ébranlement dans tout le système, c’est-à-dire dans
le fluide subtil qui y est contenu, et par conséquent
dans tout son être, quoiqu'il ne puisse s’en aperce-
voir. Or, cet ébranlement subit donne lieu à l'instant
à une réaction qui, rapportée de toutes parts au
foyer commun, y occasionne un effet singulier, en
un mot, une agitation dont le produit se propage
ensuite, par le moyen du seul nerf non réagissant,
sur le point même du corps qui fut d’abord affecté.
L'homme qui possède la faculté de se former des
idées de ce qu'il éprouve, s’en étant fait une de cet
effet singulier, qui se produit au foyer des sensa-
tions et se propage jusqu’au point affecté, lui a donné
le nom de sensation, et a supposé que toute partie,
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 239
qui recevait une impression, avait en elle-même la
faculté de sentir. Mais le sentiment n’est nulle part
ailleurs que dans l’idée réelle, ou la perception, qui
le constitue, puisque ce n’est pas une faculté d’au-
cune des parties de notre corps, que ce n’est pas
celle d'aucun de nos nerfs, que ce n’est pas mème
celle du foyer des sensations, et que c’est uniquement
le résultat d’une émotion de tout le système de sen-
sibilité, laquelle se rend perceptible dans un point
quelconque de notre corps. Examinons avec plus de
détail le mécanisme de cet effet singulier du système
de sensibilité.
À l'égard des animaux qui ont une moelle épi-
mère, 1l part de tontes les parties de leur corps, tant
de celles qui sont les plus intérieures, que de celles
qui avoisinent le plus sa surface, des filets nerveux
d’une finesse extrême, qui, sans se diviser, ni
s’anastomoser, vont se rendre au foyer des sensa-
tions. Or, dans leur route, malgré les réunions qu'ils
forment avec d’autres, ces filets se propagent, sans
discontinuité, jusqu'au foyer dont il s’agit, en con-
servant toujours leur gaîne particulière. Cela n’em-
pêche pas queles cordonsnerveux quiproviennent de
la réunion de plusieurs de ces filets n'aient aussi leur
gaine propre, de même que ceux de ces cordons qui
se composent de la réunion de plusieurs d’entre eux.
Chaque filet nerveux pourrait donc porter le nom
de la partie d’où il part, car il ne transmet que les
impressions faites sur cette partie.
240 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
Il ne s’agit ici que des nerfs qui servent aux sen-
salions : ceux qui sont destinés au mouvement mus-
culaire partent, vraisemblablement, d’un autre
foyer, quel qu'il soit, et constituent, dans le sys-
tème nerveux, un systeme particulier, distinct de
celui des sensalions, comme ce dernier l’est du sys-
teme qui sert à la formation des idées et des actes
de l’entendement.
A la vérité, par suite de la grande connexion qui
existe entre le système des sensations et celui du
mouvement musculaire, le sentiment et le mouve-
ment, dans les paralysies, s’éteignent ordinairement
dans les parties affectées; néanmoins, on a vu la
sensibilité tout à fait éteinte dans certaines parties
du corps, qui jouissaient encore, malgré cela, de la
liberté des mouvements ?, ce qui prouve que le sys-
1 M. Hébréard rapporte, dans le Journal de Mdecine, de Chi-
rurgie et de Pharmacie, qu'un homme, à re de 50 ans, a, depuis près
de 14 ans, le bras droit affecté d'une insensibilité absolue. Ce mem-
bre conserve néanmoins son agilité, son volume et ses forces ordinai-
res. Il yest survenu uu phlezmon, avec chaleur, tumeur et rougeur,
mais sans douleur, même quand on le comprimait…
En travaillant, cet homme se fractura les os de l'avant-bras, à leur
tiers inferieur. Comme il ne sentit d'abord qu'un craquement, il crut
avoir cassé la pelle qu'il tenait à la main; mais elle était intacte, et il
ne s'apperçut de son accident que parce qu'il ne put continuer son
travail. Le lendemain le lieu de la fracture était gonflé, la chaleur
était augmentée à l'avant-bras et à la main : néanmoins le malade
n'éprouva aucune douleur, même pendant les extensions nécessaires
pour réduire la fracture, etc.
L'auteur conclut de ce fait et des expériences semblables faites par
d’autres medecins, que la sensibibilité est absolument distincte et indé-
pendante de la contractilité, etc., etc. (Journal de Médecine pratique,
15 juin 1808, p. 540.)
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE real
teme des sensations et celui du mouvement sont
réellement distincts.
Le mécanisme particulier qui constitue l’acte or-
ganique d’où naît le sextiment, consiste donc :
En ce que l'extrémité d’un nerf recevant une im-
pression, le mouvement qu'en acquiert aussitôt le
fluide subtil de ce nerf est transmis au foyer des
sensations, et de là dans tous les nerfs du système
sensitif. Mais, dans l'instant même, le fluide nerveux,
réagissant de tous les nerfs à la fois, rapporte ce
mouvement général au foyer commun, où le seul
nerf qui n’apportait aucune réaction, reçoit le pro-
duitentier de celle de tous les autres, et le transmet
au point du corps qui fut affecté.
Appliquons les détails de ce mécanisme à un
exemple particulier, afin qu'on en puisse mieux
saisir l’ensemble.
Sije suis piqué au petit doigtde l’une de mes mains,
le nerf de cette partie affectée qui, muni de sa gaine
particulière, se continue, sans communication avec
d'autres, jusqu'au foyer commun, porte dans ce
foyer l’ébranlement qu'il a recu, et cet ébranlement
est aussitôt communiqué de là au fluide de tous les
autres nerfs du système sensitif : alors, par une
véritable réaction où répercussion, ce mème ébran-
lement refluant de tous les points vers le foyer
commun, il se produit dans le foyer dont il est
question, une secousse, une compression du fluide
ébranlé de toutes les colonnes, moins une, dont l'effet
LAMARCK, PHIL. ZOOL. Il. 16
242 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
total produit une perception, et en reporte le résul-
tat sur le seul nerf qui ne réagit point.
Effectivement, le nerf qui a apporté Pimpression
reçue, et par suite la cause de lébranlement du
fluide de tous les autres, se trouve le seul qui ne
rapporte aucune réaction, car il est seul actif, tan-
dis que tous les autres sont alors passifs. Tout l'effet
de la secousse produite dans le foyer commun et
dans les nerfs passifs, ainsi que la perception qui
‘en résulte, doivent donc se reporter sur ce nerf
actif.
Un pareil effet, résultant d’un mouvement général
exécuté dans tout l'individu, avertit nécessairement
d’un événement qui se passe en lui, et cet individu,
quoiqu'il n'en puisse distinguer aucun des détails,
en éprouve une perception à laquelle on a donné le
nom de sensation.
On sent que cette sensation doit être faible ou
forte, selon lintensité de l'impression, qu'elle doit
avoir tel ou tel caractere, selon la nature même de
l'impression reçue, et qu'enfin, elle ne parait se
produire dans la partie même qui a été affecté, que
parce que le nerf de cette partie est le seul qui sup
porte l'effet général occasionné par une impression
quelconque.
Ainsi, toute secousse qui se produit dans le foyer
ou centre de rapport des nerfs, et qui provient d’une
impression reçue, se fait généralement ressentir
dans tout notre être, et nous paraït toujours s’effec-
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 243
tuer dans la partie même qui a recu limpression.
À l'égard de cette impression, il y a nécessaire-
ment un intervalle entre l’instant où elle s'effectue
et celui où la sensation se produit, mais cet inter-
valle est si court, à cause de la promptitude des
mouvements, qu'il nous est impossible de l’aper-
cevoir.
Telle est, selon moi, la mécanique admirable et
la source de la sensibilité physique. Je le répète,
ce nest point ici la matière qui sent, elle n’en a
pas la faculté ; ce n’est point même telle partie du
corps de lPindividu , car la sensation qu'il éprouve
dans cette partie n’est qu'une illusion dont certains
faits, bien constatés, ont fourni des preuves ; mais
c’est un effet général produit dans tout son être, qui
se reporte en entier sur le nerf mème qui en fut la
première cause , et que lindividu doit nécessaire-
ment ressentir à l’extrémité de ce nerf où une im-
pression s'était effectuée.
Nous n’apercevons rien qu’en nous-mêmes : c’est
une vérité qui est maintenant reconnue. Pour qu’une
sensation puisse avoir heu, il faut absolument que
l'impression reçue par la partie affectée, soit trans-
mise au foyer du système des sensations ; mais si
toute l’action se terminait là, il n’y aurait point
d'effet général, et aucune réaction ne serait rap-
portée au point qui a reçu l'impression. Quant à la
transmission du premier mouvement imprimé, on
sent qu’elle ne s'opère que par le nerf qui fut affecté,
24 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
et qu'au moyen du fluide nerveux qui se meut alors
dans sa substance. On sait qu'en interceptant, par
une ligature ou une forte compression du nerf, la
communication entre la portion qui aboutit à la partie
affectée, et celle qui se rend au foyer des sensations,
aucune ne saurait alors s'effectuer.
La ligature, ou la forte compression , interrom-
pant dans ce point la continuité de la pulpe molle
du nerf, par le rapprochement des parois de sa
gaine, suffit pour intercepter le passage du fiuide
nerveux en mouvement ; mais, dès que l’on enlève
la ligature, la mollesse de la moelle nerveuse permet
le rétablissement de sa continuité dans le nerf, et
aussitôt la sensation peut de nouveau se produire.
Ainsi, quoiqu'il soit vrai que nous ne sentions
qu'en nous-mêmes, la perception des objets qui
nous affectent ne s'exécutant point, comme on la
pensé, dans le foyer des sensations, mais à l’extré-
mité mème du nerf qui a recu l'impression, toute
sensation n’est donc réellement ressentie que dans
la partie aflectée, parce que c’est là que se termine
le nerf de cette partie.
Mais si cette partie n'existe plus, le nerf qui y
aboutissait existe encore, quoique raccourci; et
alors si ce nerf recoit une impression , on éprouve
une sensation qui, par illusion, parait se manifester
dans la partie que l’on ne possede plus.
On a observé que des personnes à qui l’on avait
coupé la jambe, et dont le moignon était bien cica-
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 245
trisé, ressentaient aux époques des changements de
temps, des douleurs au pied ou à la jambe qu’elles
n'avaient plus. Il est évident qu’il s’opérait dans ces
individus une erreur de jugement à l'égard du lieu
où s’exécutait réellement la sensation qu'ils éprou-
vaient ; mais cette erreur provenait de ce que les
nerfs affectés étaient précisément ceux qui, origi-
nairement, se distribuaient au pied ou à la jambe
de ces individus, or, cette sensation se produisait
réellement à l'extrémité de ces nerfs raccourcis.
Le foyer des sensations ne sert que pour la pro-
duction de la commotion générale excitée par le nerf
qui a recu l'impression, et que pour rapporter dans
ce nerf la réaction de tous les autres ; d’où résulte,
à l'extrémité du nerf affecté, un effet auquel parti
cipent toutes les parties du corps.
Il semble que Cabanis ait entrevu le mécanisme
des sensations, car, quoiqu'il n’en développe pas
clairement les principes , et qu’il donne un méca-
nisme analogue à la maniere dont les nerfs excitent
l'action musculaire, ce qui n’est pas, on voit qu'il a
eu le sentiment général de ce qui se passe réelle-
ment dans la production des sensations ; Voici com-
ment il s'exprime sur ce sujet :
« L’on peut donc considérer les opérations de la
sensibilité comme se faisant en deux temps. D'abord,
les extrémités des nerfs recoivent et transmettent le
premier avertissement à tout l'organe sensitif, ou
seulement, comme on le verra ci-après, à lun de
216 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
ses systemes isolés ; ensuite l’organe sensitif réagit
sur elles, pour'les mettre en état de recevoir toute
l'impression ; de sorte que la sensibilité qui, dans
le premier temps, semble avoir reflué de la circon-
férence au centre, revient, dans le second, du centre
à la circonférence, et que, pour tout dire en un mot,
les nerfs exercent sur eux-mêmes une véritable
réaction pour le sentiment, comme ils en exercent
une autre sur les parties musculaires pour le mou—
vement. » (app. du phys. et du moral, vol. I,
p. 143.)
Il ne manque à cet exposé du savant que je cite,
que de faire sentir que le nerf qui, à son extrémité,
reçoit et transmet le premier avertissement à tout le
système sensitif, est le seul qui ensuite ne réagisse
point ; et qu'il en résulte que la réaction générale
des autres nerfs du système étant parvenue au foyer
commun , se transmet nécessairement dans le seul
nerf qui se trouve alors dans un état passif, et y
porte Jusqu'au point qui fut d’abord affecté l’effet
général du système, c’est-à-dire la sensation.
Quant à ce que dit Cabanis d'une réaction sem
blable que les nerfs exerceraient sur les parties
musculaires pour les mettre en mouvement, je crois
que cette comparaison de deux actes si différents du
systeme nerveux n'a rien de fondé, et qu'une simple
énussion du fluide des nerfs qui, de son réservoir, est
envoyé aux muscles qui doivent agir, est suffisante :
il n'y a là aucune nécessité de réaction nerveuse.
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 247
Je terminerai mes observations sur les causes
physiques du sentiment par les réflexions suivantes,
dont le but est de montrer que l’on commet une
erreur, soit en confondant la perception d’un objet
avec l’idée que peut faire naïitre la sensation du
même objet, soit en se persuadant que toute sensation
donne toujours une idée.
Éprouver une sensation où la distinguer, sont
deux choses tres-différentes : la première, sans la
seconde, ne constitue qu'une simple perception ; au
contraire, la seconde, qui est toujours jointe à la pre-
miere, en donne uniquement l’idée.
Lorsque nous éprouvons une sessation de la part
d'un objet qui nous est étranger, et que nous distin-
guons cette sensation, quoique ce ne soit qu'en nous-
mêmes que nous sentions, et qu’il nous faille faire
une ou plusieurs comparaisons pour séparer l’objet
dont il s’agit de notre propre existence et en avoir
une idée, nous exécutons presque simultanément,
par le moyen de nos organes, deux sortes d'actes
essentiellement différents, Pun qui nous fait sentir,
l'autre qui nous fait penser. Jamais nous ne par-
viendrons à démèler les causes de ces phénomenes
organiques, tant que nous confondrons ensemble les
faits si distincts qui les constituent, et que nous ne
reconnaitrons pas que la source de l’un ne peut être
la mème que celle de l’autre.
Assurément, il faut un système d'organes parti
culier pour exécuter le phénomène du sentiment,
248 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
car sentir est une faculté particulière à certains ani-
maux, et non générale pour tous. Il faut, de même,
un système d'organes particulier pour opérer des
actes d’entendement, car, penser, comparer, juger,
raisonner, sont des actes organiques d’une nature
tres-différente de ceux qui produisent le sentiment.
Aussi, quand on pense, n’en éprouve-t-on aucune
sensation, quoique les pensées se rendent sensibles
au sentiment intérieur, à ce mot dont on a la cons-
cience. Or, toute sensation provenant d’un sens
particulier affecté, la conscience qu'on a de sa pen-
sée n’en est point une, en diffère effectivement, et
conséquemment doit en être distinguée. De même,
lorsqu'on éprouve la sensation simple qui constitue
la perception, e'est-à-dire celle que l’on ne remar-
que point, on ne s’en forme aucune idée, on n’en
produit aucune pensée, et à cet égard le système
sensitif est seul en action. On peut donc penser sans
sentir, et on peut sentir sans penser. Aussi a-t-on
pour chacune de ces deux facultés un système d’or-
ganes qui peut y donner lieu, comme on a un sys-
teme d'organes particulier pour les mouvements,
qui est indépendant des deux que je viens de citer,
quoique l’un ou l’autre soit la cause non immédiate
qui mette ce dernier en action.
Ainsi, c’est à tort que l’on a confondu le système
des sensations avec le système qui produit les actes
de l’entendement, et que l’on a supposé que les deux
sortes de phénomènes organiques qui en proviennent,
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE 249
étaient le résultat d’un seul système d'organes capa-
ble de les produire. Gela est cause que des hommes
du plus grand mérite, et à la fois très-instruits, se
sont trompés dans leurs raisonnements sur les objets
de cette nature qu'ils ont considérés.
« Un être, dit M. PRrcherand, absolument privé
d'organes sensitifs, n'aurait qu’une existence pure
ment végétative; s’il acquérait un sens, il ne joui-
rait point encore de l’entendement, puisque, comme
le prouve Condillac, les impressions produites sur
ce sens unique ne pourraient être comparées, tout
se bornerait à un sentiment intérieur qui l’averti-
rait de son existence, et il croirait que toutes les
choses qui l’'affectent font partie de son être. » (PAy-
siologie, Vol. IE, p. 154.)
On voit, d’après cette citation, que les sens sont
ici considérés, non-seulement comme des organes
sensitifs, mais aussi Comme ceux qui produisent les
actes de lentendement, puisque, si, au lieu d’un
seul sens, l'être cité en avait plusieurs, alors,
selon l’opinion admise, la seule existence de ces
sens ferait jouir lindividu de facultés intellec-
tuelles.
Il y a mème une contradiction dans le passage
que je viens de citer, car il y.est dit qu'un être qui
n'aurait qu'un seul sens ne jouirait pas encore de
l’entendement, et, plus loin, on dit qu'a l'égard des
impressions qu'il éprouverait, tout se bornerait à
un sentiment intérieur qui l'avertirait de son exis-
250 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
tence, et qu’il croirait que toutes les choses qui laf-
fectent font partie de son être. Comment cet être,
qui ne jouirait pas encore de Fentendement, pour-
rait-il penser et juger ? car c’est former un jJuge-
ment que de croire que telle chose est de telle ma-
mére.
Tant que l’on négligera de distinguer les faits qui
tiennent au sentiment de ceux qui sont le produit
de l'intelligence, on sera souvent exposé à faire de
semblables méprises.
C’est une chose reconnue, qu’il n’y a point d'idées
innées, et que toute idée simple provient uniquement
d’une sensation. Mais j'espere faire voir que toute
sensation ne produit pas une idée , qu'elle ne cause
nécessairement qu'une perception, et que, pour la
production d’une idée imprimée et durable, il faut
un organe particulier, ainsi que l’existence d’une
condition que l'organe des sensations ne saurait seul
offrir.
Il y a loin d’une simple perception à une idée
imprimée et durable. En effet, toute sensation qui
ne cause qu'une simple perception , n’imprime rien
dans l’organe, n’exige point la condition essentielle
de l'attention, et ne saurait qu'exciter le sentiment
intérieur de l'individu, et lui donner l'aperçu fugitif
des objets, sans produire aucune pensée chez cet
individu. D'ailleurs, la mémoire, qui ne peut avoir
son siége que dans l'organe où se tracent les idées,
n’est jamais dans le cas de rappeler une perception
DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE #51
qui n’est point parvenue dans cet organe, et qui
conséquemment n’y a rien imprimé.
Je regarde les perceptions comme des idées
imparfaites, toujours simples, non gravées dans.
l'organe, et qui peuvent s’exécuter sans condition,
ce qui est très-différent à l'égard des idées véritables
et subsistantes. Or, ces perceptions , au moyen de
répétitions habituelles qui frayent certains passages
particuliers au fluide nerveux, peuvent donner lieu
à des actions qui ressemblent à des actes de mé-
moire. L'observation des mœurs et des habitudes des
insectes nous en offre des exemples.
J'aurai occasion de revenir sur ces objets ; mais
il importait que je fasse remarquer ici la nécessité
de distinguer la perception qui résulte de toute
sensation non remarquée, de l’idée qui, pour sa
formation, exige un organe spécial, ce dont j’espère
donner des preuves.
D’après ce qui est exposé dans ce chapitre, je crois
pouvoir conclure :
1° Que le phénomene du sentiment n’offre d’autre
merveille que l’une de celles qui sont dans la nature,
c’est-à-dire que des causes physiques peuvent faire
exister ;
2° Qu'il n’est pas vrai qu'aucune des parties d’un
corps vivant, et qu'aucune des matières qui compo—
sent ces parties, aient en propre la faculté de sentir ;
3° Que le sentiment est le produit d’une action et
d'une séaclin qui s'operent et deviennent géné-
252 DE LA SENSIBILITÉ PHYSIQUE
rales dans le système sensitif, et qui s’exécutent
avec rapidité par un mécanisme simple tres-facile à
concevoir ;
4 Que l'effet général de cette action et de cette
réaction est nécessairement ressenti par le #01
indivisible de lindividu , et non par aucune partie
de son corps prise séparément, en sorte que ce n’est
que par illusion qu'il croit que l'effet entier s’est
passé dans le point qui a recu l’impression qui l’a
affecté ;
D° Que tout individu qui remarque une sensation,
qui la juge, qui distingue le point de son corps où
elle est rapportée, en a une idée, y a pensé, a
exécuté à son égard un acte d'intelligence, et con-
séquemment possède l'organe particulier qui peut en
produire ;
6° Qu'enfin, le système des sensations pouvant
exister sans celui de l’entendement, l'individu qui
est dans ce cas, n’exécute aucun acte d’intelhigence,
n’a point d'idées, et ne peut recevoir, de la part de
ses sens affectés, que de simples perceptions qu'il
ne remarque point, mais qui peuvent émouvoir Son
sentiment intérieur et le faire agir.
Essayons maintenant de nous former une idée
claire, s'il est possible, des émotions du sentiment
intérieur de tout individu qui jouit de la sensibilité
physique, et de reconnaître la puissance que cet
individu en obtient pour l'exécution de ses actions.
CHAPITRE IV
DU SENTIMENT INTÉRIEUR, DES ÉMOTIONS
QU'IL EST SUSCEPTIBLE D'ÉPROUVER, ET DE LA PUISSANCE
QU'IL EN ACQUIERT POUR LA PRODUCTION DES ACTIONS
Mon objet, dans ce chapitre, est de traiter d’une
des facultés les plus remarquables que le système
nerveux, dans ses principaux développements, donne
aux animaux qui le possédent dans cet état; je veux
parler de cette faculté singulière dont certains ani-
maux et l’homme mème sont doués, et qui consiste
à pouvoir éprouver des émotions inléricures que
provoquent les besoins et différentes causes externes
ou internes, et desquelles naît la puissance qui fait
exécuter diverses actions.
Personne, à ce que je crois, n’a encore pris en
considération l’objet intéressant dont je vais n’oc-
cuper, et cependant, si l’on ne fixe ses idées à son
égard, 1l sera toujours impossible de rendre raison
des nombreux phénomènes que nous présente l’orga-
254 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
misation animale, et qui ont leur source dans la
faculté que je viens de mentionner.
On a vu que le système nerveux se composait de
différents organes qui, tous, communiquent ensemble;
conséquemment, toutes les portions du fluide subtil,
contenu dans les différentes parties de ce système,
communiquent aussi entre elles, et par suite sont
susceptibles d’éprouver un ébranlement général,
lorsque certaines causes capables d’exciter cet
ébranlement viennent à agir. C’est là une considé-
ration essentielle qu'il nous importe de ne pas perdre
de vue dans les recherches qui nous occupent, et
dont le fondement ne saurait être douteux, puisque
les faits observés nous en fournissent des preuves.
Cependant, la totalité du fluide nerveux n’est pas
toujours assez libre pour pouvoir éprouver l’ébran-
lement dont il est question, car, dans les cas ordi-
naires , n’y à qu'une portion de ce fluide, à la
vérité considérable, qui soit susceptible de ressentir
cet ébranlement, lorsque certaines émotions l'y exci-
tent.
Il est certain que, dans diverses circonstances, le
fluide nerveux éprouve des mouvements dans des
portions, en quelque sorte isolées de sa masse : ainsi,
des portions de ce fluide sont envoyées aux diffé-
rentes parties pour l’action musculaire, et pour la
vivification des organes , sans que sa masse entière
se mette en mouvement ; de même , des portions du
fluide dont il s’agit peuvent être agitées dans les
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 255
hémisphères du cerveau, sans que la totalité de ce
fluide éprouve cette agitation : ce sont là des vérités
dont on ne saurait disconvenir. Mais s’il est évident
que le fluide nerveux soit susceptible de recevoir
des mouvements dans certaines portions de sa masse,
il doit l’être aussi que, par des causes particulières,
la masse presque entière de ce fluide peut être
ébranlée et mise en mouvement , puisque toutes ses
portions communiquent ensemble. Je dis la masse
presque entière, parce que. dans les émotions inté-
rieures ordinaires, la portion du fluide nerveux,
qui sert à l'excitation des muscles indépendants de
l'individu, et souvent celle qui se trouve dans les
hémisphères du cerveau, sont à l'abri des ébranle-
ments qui constituent ces émotions.
Le fluide nerveux peut donc éprouver des mouve-
ments dans certaines parties de sa masse, et il peut
aussi en subir dans toutes à la fois ; or, ce sont ces
derniers mouvements qui constituent les ébranle-
ments généraux de ce fluide, et que nous allons
considérer. |
Les ébranlements généraux du fluide nerveux
sont de deux sortes, savoir :
l° Les ébranlements partiels, lesquels deviennent
ensuite généraux et se terminent par une réaction ;
ce sont les ébranlements de cette sorte qui produisent
le sentiment. Nous en avons traité dans le troisième
chapitre;
2° Les ébranlements qui sont généraux dès qu'ils
256 DU SENTIMENT INTERIEUR
commencent, et qui ne forment aucune réaction : ce
sont ceux-ci qui constituent les émotions intérieures,
et c’est d'eux uniquement dont nous allons nous
occuper.
Mais auparavant, il est nécessaire de dire un mot
du sentiment d'existence, parce que ce sentiment est
la source dans laquelle les émotions intérieures
prennent naissance.
DU SENTIMENT D'EXISTENCE
Le sentiment d'existence, que je nommerai senti-
ment intérieur, afin de le séparer de l’idée d’une
généralité qu'il ne peut avoir, puisqu'il n’est point
commun à tous les corps vivants, et qu'il ne l’est
pas mème à tous les animaux, est un sentiment fort
obscur, dont sont doués les animaux qui ont un sys-
teme nerveux assez développé pour leur donner la
faculté de sentir.
Ce sentiment, tout obscur qu'il est, est néanmoins
très-puissant, car il est la source des émotions inté-
rieures qu'éprouvent les individus qui le possèdent,
et par suite de cette force singulière qui met ces
individus dans le cas de produire eux-mêmes les
mouvements et les actions que leurs besoins exigent,
Or, ce sentiment, considéré comme un ##0teur tres-
actif, n'agit ainsi qu'en envoyant aux muscles, qui
doivent opérer ces mouvements et ces actions, le
fluide nerveux qui en est l’excitateur.
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 251
Le sentiment dont il est question, et qui est main-
tenant bien reconnu, résulte de l’ensemble confus
de sensalions intérieures, qui ont lieu constamment
pendant la durée de lexistence de lanimal, au
moyen des impressions continuelles que les mouve-
ments de la vie exécutent sur ses parties internes et
sensibles.
En effet, par suite des mouvements organiques
où vitaux qui s’opérent dans tout animal, celui qui
possède un système nerveux suffisamment développé,
jouit dès lors de la sensibilité physique, et recoit
sans cesse, dans toutes ses parties intérieures et
sensibles, des impressions qui l’affectent continuel-
lement, et qu'il ressent toutes à la fois sans pouvoir
en distinguer aucune.
A la vérité, toutes ces impressions sont très-fai-
bles, et, quoiqu'elles varient en intensité, selon
l’état de santé ou de maladie de l'individu, elles ne
sont, en général, tres-difficiles à distinguer que
parce qu'elles n'offrent point d'interruption ni de
reprise subites. Néanmoins, l’ensemble de ces im
pressions et des sensations confuses qui en résultent,
constitue dans tout animal qui s’y trouve assujetti,
un sentiment intérieur fort obscur, mais réel, qu’on
a nommé sentiment d'existence.
Ce sentiment intime et continuel, dont on ne se
rend pas compte, parce qu’on l’éprouve sans le re-
marquer, est général, puisque toutes les parties sen-
sibles du corps y participent. Il constitue ce #ot dont
LAMARCK, PHIL, ZOOL. II. 17
258 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
tous les animaux, qui ne sont que sensibles, sont
pénétrés sans s’en apercevoir, mais que ceux qui
possédent l'organe de l'intelligence peuvent remar-
quer, ayant la faculté de penser et d’y donner de
l'attention. Enfin, il est, chez les uns et les autres,
la source d’une puissance que les besoins savent
émouvoir, qui n’agit effectivement que par émotion,
et dans laquelle les mouvements et les actions pui-
sent la force qui les produit.
Le sentiment inlérieur peut être considéré sous
deux rapports très-distincts ; savoir :
l° En ce qu'il est le résultat des sensations obseu-
res qui s’exécutent, sans discontinuité, dans toutes
les parties sensibles du corps : sous cette considé-
ration, je le nomme simplement sentiment inté-
rieur ;
2° Dans ses facultés : car, au moyen de l’ébran-
lement général dont est susceptible le fluide subtil
qui l’occasionne, il a celle de constituer une puis-
sance qui donne aux animaux qui la possèdent, le
pouvoir de produire eux-mêmes des mouvements
et des actions.
En effet, ce sentiment, formant un tout très-sim-
ple, par sa généralité, est susceptible d’être ému
par différentes causes. Or, dans ses émotions, pou-
vant exciter des mouvements dans les portions libres
du fluide nerveux, diriger ces mouvements, et
envoyer ce fluide excitateur à tel ou tel muscle, ou
dans telle partie des hémisphères du cerveau, il de-
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 259
vient alors une puissance qui fait agir ou qui excite
des pensées. Ainsi, sous ce second rapport, on peut
considérer le sentiment intérieur comme la source
où la force productrice des actions puise ses moyens.
Il était nécessaire, pour l'intelligence des phéno-
mènes qu'il produit, de considérer ce sentiment sous
les deux rapports que je viens de citer; car, par sa
nature, c’est-à-dire, comme sentiment d'existence,
il est, pendant la veille, toujours en action ; et par
ses facultés, il donne naissance passagérement à
une force qui fait agir.
Enfin, le sentiment intérieur ne manifeste sa
puissance, et ne parvient à produire des actions que
lorsqu'il existe un système pour le mouvement mus-
culaire, lequel est toujours dépendant du système
nerveux, et ne saurait avoir lieu sans lui. Aussi,
serait-ce une inconséquence que de s’efforcer de
trouver des muscles dans des animaux en qui le sys-
teme nerveux manquerait évidemment.
Essayons maintenant de développer les princi-
pales considérations relatives aux émotions du sen-
liment inlérieur.
DES ÉMOTIONS DU SENTIMENT INTÉRIEUR
I s'agit ici de l'examen de l’un des plus impor-
tants phénomènes de l’organisation animale, de ces
émotions du sentiment intérieur, qui font agir les
animaux et homme mème, tantôt sans aucune par-
260 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
ticipation de leur volonté, et tantôt par une volonté
qui y donne lieu ; émotions depuis longtemps aper-
cues, mais sur lesquelles il ne paraît pas qu'on ait
fixé son attention pour en rechercher l’origine ou les
causes.
D’après ce qu'on observe à cet égard, on ne sau-
rait douter que le sentiment intérieur et général
qu'éprouvent les animaux qui possedent un système
nerveux propre au sentiment, ne soit susceptible de
s’émouvoir par des causes qui l’affectent; or, ces
causes sont toujours le besom, soit d’assouvir la
faim, soit de fuir les dangers, d'éviter la douleur, de
rechercher le plaisir, ou ce qui est agréable à l’in-
dividu, etc.
Les émotions du sentiment intérieur ne peuvent
ètre connues que de l’homme, lui seul pouvant les
remarquer et y donner de l'attention ; mais iln’aper-
coit que celles qui sont fortes, qui ébranlent, en
quelque sorte, tout son être, et il a besoin de beau-
coup d'attention et de réflexions, pour reconnaitre
qu'ilen éprouve de tous les degrés d'intensité, et que
c’est uniquement le sentiment intérieur qui, dans
diverses circonstances, fait naître en lui ces émo=
tions internes qui le font agir ou qui le portent à
exécuter quelque action.
J'ai déjà dit, au commencement de ce chapitre,
que les émotions intérieures d'un animal sensible
consistaient en certains ébranlements généraux de
toutes les portions libres de son fluide nerveux, et
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 261
que ces ébranlements n'étaient suivis d'aucune
réaction, ce qui est cause qu'ils ne produisent aucune
sensation distincte. Or, il est aisé de concevoir que,
lorsque ces émotions sont faibles ou médiocres, l’in-
dividu peut les dominer et en diriger les mouve-
ments, mais que lorsqu'elles sont suhites et très-
grandes, alors il en est maîtrisé lui-même : cette
considération est très-importante.
Le fait positif, que constituent les émotions dont
il s’agit, ne peut être une supposition. Qui n’a pas
remarqué qu'un grand bruit inattendu, nous fait
tressaillir, sauter en quelque sorte, et exécuter,
selon sa nature, des mouvements que notre volonté
n'avait pas déterminés?
Il y a quelque temps que, marchant dans la rue,
et me couvrant l’œil gauche de mon mouchoir, parce
qu'il me faisait souffrir, et que la lumière du soleil
m'incommodait, la chute précipitée d’un cheval
monté, que je ne voyais pas, se fit tres-près de moi
et à ma gauche : or, dans l’instant mème, par un
mouvement et un élan, auxquels ma volonté ne put
avoir la moindre part, je me trouvai transporté à
deux pas sur ma droite, avant d’avoir eu l’idée de
ce qui se passait pres de moi.
Tout le monde connait ces sortes de mouvements
involontaires, pour en avoir éprouvé d’analogues ;
et ils ne sont remarqués que parce qu'ils sont extrè-
mes et subits. Mais on ne fait pas attention que tout
ce qui nous affecte, nous émeut proportionnellement,
262 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
c’est-à-dire, émeut plus ou moins notre sentiment
intérieur.
On est ému à la vue d’un précipice, d’une scène
tragique, soit réelle, soit représentée sur un théâtre,
soit même sur un tableau, etc., etc. : et quel peut
être le pouvoir d’un beau morceau de musique bien
exécuté, si ce n’est celui de produire des émotions
dans notre sentiment intérieur ! La joie ou la tris-
tesse que nous ressentons subitement, en apprenant
une bonne ou une mauvaise nouvelle à l'égard de ce
qui nous intéresse, est-elle autre chose que lémo-
tion de ce sentiment intérieur, qu'il nous est fort
difficile de maîtriser dans le premier moment ?
J'ai vu exécuter plusieurs morceaux de musique
sur le piano, par une jeune demoiselle qui était
sourde et muette : son jeu était peu brillant et néan-
moins passable ; mais elle avait beaucoup de mesure,
et je m'apercus que toute sa personne était mue par
des mouvements mesurés de son sentimentintérieur.
Ce fait me fit sentir que le sextinent intérieur
suppléait, dans cette jeune personne, à l'organe de
l’ouie qui ne pouvait la guider. Aussi, son maitre de
musique mayant appris qu'il l'avait exercée à la
mesure par des signes mesurés, je fus bientôt con-
vaincu que ces signes avaient ému en elle le senti
ment dont il est question ; et de là je présumai que
ce que l’on attribue entierement à l'oreille tres-
exercée et tres-délicate des bons musiciens, appar-
tenait plutôt à leur sentiment intérieur qui, dés la
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 263
premiére mesure, se trouve ému par le genre de
mouvement nécessaire pour l'exécution d’une pièce.
Nos habitudes, notre tempérament, l’éducation
même, modifient cette faculté de s'émouvoir que
possède notre sentiment intérieur; en sorte qu’elle
se trouve tres-affaiblie dans certains individus, et
qu’elle estextrème dans d’autres.
On doit distinguer les émotions que nous fait
éprouver la sensation des objets extérieurs, de celles
qui nous viennent des idées, des pensées, en un
mot, des actes de notre intelligence ; les premières
constituent la sensibilité physique, tandis que les
secondes, par leur susceptibilité plus où moins
grandes, caractérisent la sensibilité #0rale que nous
allons considérer.
SENSIBILITÉ MORALE
La sensibilité morale, à laquelle on donne ordi-
nairement le nom général de sensibilité, est fort
différente de la sensibilité physique dont j'ai déjà
fait mention ; la première n'étant excitée que par
des idées et des pensées qui émeuvent notre sentiment
intérieur, et la seconde ne se manifestant que par
des impressions qui se produisent sur nos sens, et
qui peuvent pareillement émouvoir le sentiment
intérieur dont nous sommes doués.
Ainsi, la sensibilité inorale, dont on a, mal à
propos, supposé le siége dans le cœur, parce que
261 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
les différents actes de cette sensibilité affectent plus
ou moins les fonctions de ce viscere, n’est autre
chose que lexquise susceptibilité de s’'émouvoir, que
possède le sentiment inlérieur de certains individus,
à la manifestation subite d'idées et de pensées qui
y donnent lieu. On dit alors que ces individus sont
très-sensibles.
Cette sensibilité, considérée dans les développe-
ments qu'une intelligence perfectionnée peut lui
faire acquérir, et lorsqu'elle n’a point éprouvé les
altérations qu’on est parvenu à lui faire subir, me
parait un produit et même un bienfait de la nature.
Elle forme alors une des plus belles qualités de
l’homme, car elle est la source de l'humanité, de
la bonté, de l’amitié, de l’honneur, etc. Quelquefois,
cependant, certaines circonstances nous rendent
cette qualité presque aussi funeste, qu'elle peut nous
être avantageuse dans d’autres : or, pour en retirer
les avantages qu'on en peut obtenir, et obvier aux
inconvénients qui en proviennent, il ne s’agit que
d’en modérer les élans par des moyens que les
principes d’une bonne éducation peuvent seuls diri=
ger.
En effet, ces principes nous montrent la nécessité,
dans mille circonstances, de comprimer notre sen-
sibilité, jusqu'à un certain point, afin de ne pas
manquer aux égards que l’homme en société doit à
ses semblables, ainsi qu'à l’âge, au sexe et au rang
des personnes avec qui il se trouve : de là résultent
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 265
cette convenance, cette aménité dans les discours
et dans les expressions employées, en un mot, cette
juste retenue dans les idées émises , qui font plaire
sans jamais blesser, et qui forment une qualité qui
distingue éminemment ceux qui la possèdent.
Jusques-là, nos conquêtes à cet égard ne peuvent
tourner qu'à l’avantage général. Mais on passe
quelquefois les bornes ; on abuse du pouvoir que la
nature nous donna, d’étouffer, en quelque sorte, la
plus belle des facultés que nous tenions d’elle.
Effectivement, certains penchants auxquels se
livrent bien des hommes, leur ayant fait sentir le
besoin d'employer constamment la dissimulation,
il leur est devenu nécessaire de contraindre habi-
tuellement les émotions du sentiment intérieur, et
de cacher soigneusement leurs pensées, ainsi que
celles de leurs actions qui peuvent les conduire au
but qu'ils se proposent. Or, comme toute faculté,
non exercée, s’altére peu à peu, et finit par
s’anéantir presque entierement, la sensibilité mo-
rale que nous considérons ici, est à peu près nulle
pour eux, et ils ne l’estiment même pas dans les
personnes qui la possèdent encore d’une manière un
peu éminente.
De même que la sensibilité physique ne s'exerce
que par des sensations qui, lorsqu'elles font naître
quelque besoin, produisent aussitôt une émotion
dans le sentiment intérieur, lequel envoie, dans
instant, le fluide nerveux aux muscles qui doivent
266 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
agir ; de mème, aussi, la sensibilité morale ne
s'exerce que par des émotions que produit la pensée
dans ce sentiment intérieur ; et lorsque la volonté,
qui est un acte d'intelligence, détermine une action,
ce sentiment, ému par cet acte, dirige le fluide
nerveux vers les muscles qui doivent agir.
Ainsi, le sentiment intérieur reçoit, par l’une ou
l’autre de deux voies très-différentes, toutes les
émotions qui peuvent l’agiter, savoir : par celle de
la pensée, et par celle du sentiment physique ou des
sensations. On pourrait donc distinguer les émotions
du sentiment intérieur :
1° En émotions morales, telles que celles que
certaines pensées peuvent produire ;
2 En émotions physiques , telles que celles qui
proviennent de certaines sensations.
Cependant, comme les résultats de la première
sorte d'émotion appartiennent à la sensibilité morale,
tandis que ceux de la seconde sorte dépendent de
la sensibilité physique, il suffit de s’en tenir à la
premiere distinction déjà faite.
Je ferai, néanmoins, à cette occasion, les remar-
ques suivantes, qui ne me paraissent pas sans Intérêt.
Une émotion morale, quand elle est très-forte,
peut anéantir momentanément, ou temporairement,
le sentiment physique, occasionner des désordres
dans les idées, les pensées, et altérer plus ou moins
les fonctions de plusieurs des organes essentiels à
la vie.
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 267
On sait qu'une nouvelle affligeante et mattendue,
que celle même qui cause une joie extrème, produi-
sent des émotions dont les suites peuvent être de la
nature de celles que je viens de citer.
On sait aussi que les moindres effets de ces émo-
tions sont de troubler la digestion, ou de la rendre
pénible; et qu'a l'égard des personnes âgées, lors-
qu’elles sont un peu fortes, elles sont dangereuses,
et quelquefois funestes.
Enfin, la puissance des émotions morales est Si
grande, que souvent elle réussit à dominer le senti
ment physique. En effet, on a vu des fanatiques,
c’est-a-dire des individus dont le sentiment moral
était tellement exalté, qu'ils parvenaient à surmon-
ter les impressions des tortures qu'on leur faisait
éprouver.
Quoiqu’en général, les émotions morales lempor-
tent en puissance sur les émotions physiques, celles-
ci, néanmoins, lorsqu'elles sont tres-fortes, trou-
blent aussi les facultés intellectuelles, peuvent
causer le délire, et déranger les fonctions organi-
ques.
Je terminerai ces remarques par une réflexion que
je crois fondée, savoir : que le sentiment moral
exerce, avec le temps, sur l’état de l’organisation,
une influence encore plus grande que celle que le
sentiment physique est capable d'y opérer.
Effectivement, quel désordre une tristesse pro-
fonde et tres-prolongée ne produit-elle pas dans les
268 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
fonctions organiques, et surtout dans l’état des vis-
cères abdominaux ?
CABANIS, considérant, à cet égard, que des indi-
vidus continuellement tristes, mélancoliques, et sou-
vent même sans sujet réel, offraient dans l’état des
viscères dont je viens de parler, un genre d’altéra-
tion toujours à peu près le même, en a conclu que
c'était à ce genre d’altération qu'il fallait attribuer
la mélancolie de ces individus, et que ces visceres
concouraient à la formation de la pensée.
Il me semble que ce savant a étendu trop loin la
conséquence qu'il a tirée des observations faites à
ce sujet.
Sans doute, l’état d’altération des organes, et
spécialement des viscères abdominaux, correspond
fréquemment avec les altérations des facultés mo-
rales, et même y contribue réellement. Mais cet
état, selon moi, ne concourt point pour cela à la
formation de la pensée, il influe seulement à donner
à l'individu un penchant qui le porte à se complaire
dans tel ordre de pensées, plutôt que dans tel autre.
Or, le senfiment moral agissant fortement sur
l’état des organes, lorsque ses affections se prolon-
gent dans tel ou telsens, ce dont on ne saurait dou-
ter, 1l me parait que, dans tel individu, des chagrins
continuels et fondés auront, dans l’origine, causé
les altérations de ses viscères abdominaux ; et que
ces altérations, une fois formées, auront, à leur
tour, perpétué, dans cet individu, un penchant à la
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 269
mélancolie, mème sans qu'il en ait alors aucun
sujet.
A la vérité, la génération peut transmettre une
disposition des organes, en un mot, un état des vis-
cères propre à donner lieu à tel tempérament, telle
inclination, enfin, tel caractère ; mais il faut ensuite
que les circonstances favorisent, dans le nouvel indi-
vidu, le développement de cette disposition, sans
quoi, cet individu pourrait acquérir un autre tem
pérament, d’autres inclinations, enfin, un autre ca-
ractère. Ge n’est que dans les animaux, surtout dans
ceux qui ont peu d'intelligence, que la génération
transmet, presque sans variation, l’organisation, les
penchants, les habitudes, enfin, tout ce qui est le
propre de chaque race.
Je m'éloignerais trop de ce que j'ai en vue, si je
m'étendais davantage sur ces considérations ; en con-
séquence, je reviens à mon sujet.
Ainsi, je résume mes observations sur le senti
ment intérieur, en disant que ce sentiment, dans
les êtres qui en sont doués, est la source des mou-
vements et des actions : soit lorsque des sensations
qui font naître des besoins lui causent des émo-
tions quelconques, soit lorsque, la pensée donnant
aussi naissance à un besoin ou montrant un dan-
ger, etc., l’émeut plus où moins fortement. Ces
émotions, de quelque part qu’elles viennent, ébran-
lent aussitôt le fluide nerveux disponible, et comme
tout besoin ressenti dirige le résultat de l'émotion
210 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
qu'il excite vers les parties qui doivent agir, les
mouvements s'exécutent invariablement par cette
vole, et sont toujours en rapport avec ce que les
besoins exigent.
Enfin, comme ces émotions intérieures sont très-
obscures, l’individu, en qui elles s’exécutent, ne s’en
aperçoit pas; elles sont cependant réelles; et si
l'homme, dont l'intelligence est très-perfectionnée,
y donnait quelque attention, il reconnaitrait bientôt
qu'il n’agit que par des émotions de son sentiment
intérieur, dont les unes, étant provoquées par des
idées, des pensées et des jugements qui lui font res
sentir des besoins, excitent sa volonté d'agir ; tandis
que les autres, résultant immédiatement de besoins
pressants et subits, lui font exécuter des actions
auxquelles sa volonté n’a point de part.
J'ajoute que, puisque le sentiment intérieur peut
occasionner les ébranlements dont il vient d’être
question, on sent que si l'individu domine les émo—
tions que son sentiment intime recoit, 1l peut alors
les comprimer, les modérer, et mème en arrêter les
effets. Voila comment le sentiment intérieur de tout
individu qui en jouit, constitue une puissance qui le
fait agir selon ses besoins et ses penchants habituels.
Mais lorsque les émotions dont il s’agit sont très-
grandes, et qu’elles le sont au point de causer dans
le fluide nerveux un ébranlement assez considérable
pour interrompre et troubler dans ses opérations
celui des hémisphères du cerveau, et celui mème
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 211
qui porte son influence aux muscles indépendants de
l'individu, des lors cet individu perd connaissance,
éprouve la syneope, et ses organes vitaux sont plus
ou moins dérangés dans leurs fonctions.
Ce sont là, vraisemblablement, ces grandes vé-
rités que ne purent découvrir les philosophes, parce
qu'ils n'avaient pas suffisamment observé la nature,
et que les zoologistes n’ont pas apercues, parce qu'ils
se sont trop occupés de distinctions et d'objets de dé-
tail. Au moins peut-on dire que les causes physi-
ques qui viennent d'être indiquées, sont capables
d'opérer les phénomènes d'organisation qui font ici
le sujet de nos recherches.
L'ordre qui est partout nécessaire dans lexposi-
tion des idées, exige que j'établisse ici une distine-
tion très-fondée et de première importance, la voici :
j'ai déjà dit que le sentiment intérieur recevait des
émotions par deux sortes de causes très-différentes,
SAVOIT :
l° Par suite de quelque opération de lintelli-
gence qui se termine par un acte de volonté d'agir ;
2° Par quelque sensation où impression qui fait
ressentir un besoin où provoque l'exercice d’un pen-
chant sans la participation de la volonté.
Ces deux sortes de causes, qui émeuvent le sen-
timent intérieur de lindividu, montrent qu'il y a
réellement une distinction à faire entre celles qui
dirigent les mouvements du fluide nerveux dans la
production des actions.
272 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
Dans le premier cas, en effet, l'émotion du senti
ment intérieur provenant d’un acte de l'intelligence,
c’est-à-dire d'un jugement qui détermine la volonté
d'agir, alors cette émotion dirige les mouvements
du fluide nerveux disponible, dans le sens que la
volonté lui imprime.
Dans le second cas, au contraire, lintelligence
n'ayant aucune part à l’émotion du sentiment inté-
rieur, cette émotion dirige les mouvements du fluide
nerveux dans le sens qu'exigent les besoins qu'ont
fait naître les sensations, et dans celui des pen-
chants acquis.
Une autre considération n’est pas moins impor-
tante à faire remarquer que celles dont il vient d’être
question : elle consiste en ce que le sentiment inté-
rieur est susceptible d’être entièrement suspendu,
et de ne l'être quelquefois qu'imparfaitement.
Pendant le sommeil, par exemple, le sentiment
dontils’asit est suspendu ou à peu près nul ; la por-
tion libre du fluide nerveux est dans une sorte de
repos, n'éprouve plus d’ébranlement général, et
l'individu ne jouit plus de son sentiment d'existence.
Aussi, le système des sensations n’est point alors
exercé, et aucune des actions, dépendantes de lin-
dividu, ne s'exécute, les muscles nécessaires pour la
produire n’étant plus excités et se trouvant dans une
sorte de relàächement.
Si le sommeil est imparfait, et s’il existe quelque
cause d’irritation qui agite la portion libre du fluide
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 213
nerveux, surtout celle qui se trouve dans les hémi-
sphères du cerveau, le sentiment intérieur se trou-
vant suspendu dans ses fonctions, ne dirige plus les
mouvements du fluide des nerfs, et alors l'individu
est livré à des songes, c’est-à-dire à des retours
involontaires de ses idées, qu'il ressent et qui se pré-
sentent en désordre et dans des suites caractérisées
par leur confusion.
Dans l’état de veille, le sentiment intérieur peut
ètre fortement troublé dans ses fonctions, tantôt par
une trop grande émotion, qui interrompt l'émission
du fluide nerveux dans les muscles indépendants de
la volonté, et tantôt par quelque irritation considé-
rable qui agite principalement celui du cerveau. Des
lors, il cesse de diriger le fluide nerveux, dans ses
mouvements ; on éprouve, soit la syncope, si ce
trouble est le produit d’une grande émotion, soit le
délire,si c’est une grande irritation qui occasionne,
soit quelque acte de folie, etc., etc.
D’après ce qu vient d’être exposé, il me parait
évident que le sentiment intérieur de l'homme et
des animaux qui le possédent est la seule cause pro-
ductrice des actions ; que ce sentiment n’agit que
lorsque les émotions, dont il est susceptible, l'ont
mis dans le cas de le faire; qu'il est ému, tantôt
par des actes de l'intelligence, et tantôt par quelque
besoin ou quelque sensation, qui agit immédiatement
et subitement sur lui; qu'il peut être dominé, dans
ses faibles émotions, par les hommes, dont l’intelli-
LAMARCK, PHIlI,. ZOOI, EI. 18
274 DU SENTIMENT INTÉRIEUR
gence est très-développée, tandis qu'il ne lest que
tres-difficilement dans certains animaux, et qu'il ne
l’est jamais dans ceux qui manquent d'intelligence ;
qu’il est suspendu, dans ses fonctions, pendant le
sommeil, et qu'alors il ne dirige plus les mouve-
ments que la portion libre du fluide nerveux peut
éprouver ; qu'il peut être, aussi, interrompu et trou
blé dans ses fonctions, pendant l’état de veille ; enfin,
qu'il est le produit, d’une part, du sentiment d’exis-
tence de l'individu, et, de l’autre part, de l’harmc-
nie qui existe dans les parties du système nerveux,
laquelle est cause que les portions libres du fluide
subtil des nerfs communiquent ensemble et sont
susceptibles d’éprouver un ébranlement général.
Il me paraït aussi très-évident, d’après le même
exposé, que la sensibilité morale ne diffère de la
sensibilité physique qu'en ce que la première ré-
sulte uniquement des émotions provoquées par des
actes de l'intelligence, tandis que la deuxième n’est
produite que par les émotions qu'excitent les sensa-
tions et les besoins qui en procurent.
Ces considérations, si elles sont fondées, me pa-
raissent établir des vérités qu'il nous serait alors
du plus grand intérêt de reconnaître, car, outre
qu'elles seraient propres à redresser nos erreurs,
relativement aux phénomenes de la vie et de Porga-
nisation, ainsi qu'aux facultés auxquelles ces phé-
nomènes donnent lieu, elles mettraient un terme au
merveilleux créé par notre imagination, et elles nous
DU SENTIMENT INTÉRIEUR 275
donneraient une idée plus juste et plus grande du
supréme Auteur de tout ce quiexiste, en nous mon—
trant la voie simple qu'il a prise pour opérer tous
les prodiges dont nous sommes témoins.
Ainsi, le sentiment intime d'existence qu'éprou-
vent les animaux qui jouissent de la faculté de
sentir, mais qui ne sont doués d'aucune intelligence,
leur procure en même temps une puissance intérieure
qui n’agit que par des émotions que l’harmonie du
système nerveux la met dans le cas de pouvoir
éprouver, et qui leur fait exécuter des actions sans
le concours d'aucune volonté de leur part. Mais
ceux des animaux qui joignent à la faculté de sentir
celle de pouvoir exécuter des actes d'intelligence,
ont cet avantage sur les premiers, que leur puissance
intérieure, source de leurs actions, est susceptible
de recevoir les émotions qui la font agir, tantôt par
les sensations que produisent des impressions inté—
rieures et des besoins ressentis, et tantôt par une
volonté qui, quoique plus ou moins dépendante, est
toujours la suite de quelque acte d'intelligence.
Nous allons maintenant considérer plus particu-
lièrement encore cette puissance intérieure et singu-
lière qui donne aux animaux qui la possedent, la
faculté d'agir : le chapitre suivant, qui y est des-
tiné, peut être considéré comme un complément de
celui-ci.
CHAPITRE EMN
DE LA FORCE PRODUCTRICE DES ACTIONS
DES ANIMAUX, ET DE QUELQUES FAITS PARTICULIERS QUI
RÉSULTENT DE L'EMPLOI DE CETTE FORCE
Les animaux, indépendamment de leurs mouve-
ments organiques et des fonctions essentielles à la
vie que leurs organes exécutent, font encore des
mouvements et des actions dont il importe extrème-
ment de déterminer la cause.
On sait que les végétaux peuvent satisfaire à leurs
besoins sans se déplacer et sans exécuter aucun
mouvement subit : la raison en est que tout végétal.
convenablement situé, trouve dans les mieux envi-
ronnants les matières dont il a besoin pour se nour-
rir ; de sorte qu'il n’a qu'à les absorber et recevoir
les influences de certaines d’entre elles.
Il n’en est pas de mème des animaux : car, à
l'exception des-plus imparfaits, qui commencent la
chaine animale, les aliments qui servent à leur
DE LA FORCE PRODUCTRICE 201
subsistance ne se trouvent pas toujours à leur por-
tée, et ils sont obligés, pour se les procurer, d’exé-
cuter des mouvements et des actions. D'ailleurs, la
plupart d’entre eux ont, en outre, d’autres besoins à
satisfaire, qui exigent aussi, de leur part, d’autres
mouvements et d’autres actions.
Or, il s'agissait de reconnaitre la source où les
animaux puisent cette faculté de mouvoir plus ou
moins subitement leurs parties, en un mot, d’exé-
euter les actions diverses au moyen desquelles ils
satisfont à leurs besoins.
. Je remarquai, d’abord, que toute action était un
mouvement, et que tout mouvement qui commence
provenait nécessairement d’une cause qui avait le
pouvoir de le produire : l’objet recherché se rédui-
sait donc à déterminer la nature et l'origine de cette
cause.
Alors, considérant que les mouvements des ani
maux qui exécutent quelque action ne sont nulle-
ment communiqués où transmis, mais qu'ils sont
simplement excités, leur cause me parut se dévoiler
de la maniere la plus claire et la plus évidente; et
je fus convaincu qu'ils étaient réellement, dans tous
les cas, le produit d’une puissance quelconque qui
les excitait.
En effet, dans certains animaux, l’action muscu-
laire est une force tres-suffisante pour produire de
pareils mouvements, et l’influence nerveuse suffit
aussi complétement pour exciter cette action. Or,
278 DE LA FORCE PRODUCTRICE
ayant reconnu que, dans les animaux qui jouissent
de la sensibilité physique, les émotions du sentiment
intérieur constituaient la puissance qui envoie le
fluide excitateur aux muscles, le problème, à l'égard
de ces animaux, me parut résolu ; et quant aux ani-
maux tellement imparfaits qu'ils ne peuvent jouir
de la sensibilité physique, comme ils sont irritables
dans leurs parties, autant et même plus que les au-
tres, des excitations qui leur parviennent de lexté-
rieur, suffisent évidemment pour lexécution des
mouvements qu'on leur voit produire.
Voilà, selon moi, l’éclaircissement d’un mystere
qui semblait devoir être si difficile à pénétrer ; et cet
éclaireissement ne me paraît point reposer sur de
simples hypothèses : car, relativement aux animaux
sensibles, la puissance musculaire et la nécessité de
l'influence nerveuse pour exciter cette puissance ne
sont point des objets hypothétiques; et les émotions
du sentiment intérieur, que J'ai considérées comme
des causes capables d'envoyer aux muscles, qui dé-
pendent de l'individu, le fluide propre à exciter leur
action, me paraissent trop évidentes pour qu'il soit
possible de les regarder comme conjecturales.
Maintenant, si l’on considere attentivement tous
les animaux qui existent, ainsi que l’état de leur
organisation, la consistance de leurs parties, et les
différentes circonstances dans lesquelles ils se trou-
vent, il sera difficile de ne pas reconnaître que,
relativement aux plus imparfaits d’entre eux, qui ne
DES ACTIONS DES ANIMAUX 219
peuvent avoir de système nerveux, et, conséquem-
ment, ne peuvent s’aider de l’action musculaire pour
leurs mouvements et leurs actions, ceux de ces mou-
vements qu’on leur voit produire naissent d’une force
qui est hors d'eux, c’est-à-dire que ne possedent
point ces animaux, et qui n’est nullement à leur
disposition.
A la vérité, c’est dans l’intérieur de ces corps
délicats que les fluides subtils , qui y arrivent du
dehors, produisent les agitations que leurs parties
en reçoivent ; mais il n’en est pas moins impossible
à ces êtres frèles, par suite de leur faible consis-
tance et de l’extrème mollesse de leurs parties, de
posséder en eux-mêmes aucune puissance capable
de produire les mouvements qu’ils exécutent. Ge
n'est que par un effet de leur organisation que ces
animaux imparfaits régularisent les agitations qu'ils
reçoivent, et auxquelles ils ne sauraient donner
lieu. |
La nature ayant opéré peu à peu et graduelle-
ment ses diverses productions, et créé successive
ment les différents organes des animaux, variant la
conformation et la situation de ces organes, selon
les circonstances, et perfectionnant progressivement
leurs facultés, on sent qu'elle a dù commencer par
emprunter du dehors, c’est-a-dire des milieux envi-
ronnants, la force productrice, soit des mouvements
organiques , soit de ceux des parties extérieures ;
qu'ensuite elle a transporté cette force dans lani-
280 DE LA FORCE PRODUCTRICE
mal même; et qu’enfin, dans les animaux les plus
parfaits, elle est parvenue à mettre une grande
partie de cette force intérieure à leur disposition ;
ce que je montrerai bientôt.
Si lon n’a point égard à la considération de cet
ordre graduel qu'a suivi la nature, dans la création
des différentes facultés animales , je crois qu’il sera
difficile d'expliquer comment elle a pu donner l’exis-
tence au sentiment, et que l’on concevra plus diffi-
cilement encore comment de simples relations entre
différentes matières peuvent donner lieu à la
pensée.
Nous venons de voir que les animaux qui ne pos-
sédent pas encore de système nerveux ne pouvaient
avoir en eux-mêmes la force productrice de leurs
mouvements, et que cette force leur était étrangere.
Or, le sentiment intime d'existence étantabsolument
nul chez ces animaux, et ce sentiment étant la source
de cette puissance intérieure, sans laquelle les mou-
vements et les actions de ceux qui la possedent ne
sauraient se produire; sa privation, et par conséquent
celle de la puissance qui en résulte, nécessitent, pour
les animaux dont il s’agit, l'existence d’une force
excitatrice de tout mouvement quelconque, provenant
uniquement de causes extérieures.
Ainsi, dans les animaux imparfaits, la force qui
produit, soit les mouvements vitaux, soit les mou-
vements du corps ou de ses différentes parties, est
entièrement hors de ces animaux : ils ne le ré-
DES ACTIONS DES ANIMAUX 281
gissent mème pas ; mais ils régularisent plus ou
moins, comme je lai dit plus haut , les mouvements
qu'elle leur imprime, et cela, par le moyen de la
disposition intérieure de leurs parties.
Cette force est le résultat de fluides subtils (tels
que le calorique, Vélectricilé et peut-être d'autres
encore) qui, des milieux environnants, pénètrent
sans cesse ces animaux, mettent en mouvement les
fluides visibles et contenus de ces corps, et excitant
l'irritabilité de leurs parties contenantes, donnent
lieu alors -aux divers monvements de contraction
qu'on leur voit produire.
Or, ces fluides subtils, pénétrant et se mouvant
sans cesse dans l’intérieur de ces corps, se frayent
bientôt des voies particulières, qu'ils suivent tou-
jours jusqu'à ce que de nouvelles leur soient ou-
vertes. De là, l’origine des mêmes sortes de mouve-
ments qui se remarquent dans ces animaux, dont ces
fluides constituent le moteur, et de là, encore,
l'apparence d’un penchant irrésistible qui les con-
traint d'exécuter ces mouvements qui, par leur
continuité où leurs répétitions, donnent lieu à des
habitudes.
Comme de simples expositions de principes ne
suffisent pas, essayons d’éclaircir les considérations
qui les établissent.
Les animaux les plus imparfaits, tels que les
infusoires, et surtout les monardes, ne se nourris-
sent qu'au moyen d’absorptions, qui s’exécutent par
282 DE LA FORCE PRODUCTRICE
les pores de leur peau, et par une imbibition inté-
rieure des matières absorbées. Ils n’ont point la
faculté de pouvoir chercher leur nourriture, ils
n’ont pas même celle de s’en saisir, mais ils labsor-
bent, parce qu’elle se trouve en contact avec tous les
points de leur individu , et que l’eau, dans laquelle
ils vivent, la leur fournit suffisamment.
Ces frèles animaux , en qui les fluides subtils de
milieux environnants constituent la cause stimulante
de l'orgasme, de l’irritabilité et des mouvements
organiques, exécutent, ainsi que je lai dit, des
mouvements de contraction qui, provoqués et variés
sans cesse par cette cause stimulante , facilitent et
hâtent les absorptions dont je viens de parler. Or,
dans ces animaux , les mouvements des fluides visi-
bles et contenus étant encore tres-lents, les matières
absorbées réparent à mesure les pertes qu'ils font
par les suites de la vie, et en outre, servent à
l'accroissement de l'individu.
J'ai dit que les fluides subtils, qui pénetrent et
se meuvent dans l’intérieur de ces corps vivants, se
frayant des voies particulières, qu'ils contimuaient
de suivre, commençaient à établir des mouvements
de mêmesorte, lesquels donnent lieu, conséquemment,
à des habitudes. Maintenant, si l’on fait réflexion que
l'organisation se développe avec la contmuité de la
vie, on concevra que de nouvelles voies ont dû se
frayer, se multiplier, et se diversifier progressive-
ment, pour faciliter l'exécution des mouvements de
DES ACTIONS DES ANIMAUX 283
contraction ; et que les habitudes, auxquelles ces
mouvements donnent lieu, devenant alors entrai-
nantes et irrésistibles, doivent se diversifier pareil-
lement.
Telle est, selon moi, la cause des mouvements des
animaux les plus imparfaits; mouvements que nous
sommes portés à leur attribuer et à regarder comme
le résultat de facultés qu’ils possèdent, parce que,
dans d’autres animaux, nous en apercevons la source
en eux-mêmes ; mouvements, en un mot, qui S’exé-
cuteut sans volonté et sans aucune participation de
l'individu, et qui, néanmoins, de très-irréguliers
qu'ils sont dans les plus imparfaits de ces corps
vivants, se régularisent progressivement, et devien-
nent constamment les mêmes dans les animaux de
même espece.
Enfin, la reproduction transmettant aux individus
les formes acquises, tant intérieures qu'extérieures,
elle leur transmet aussi, en même temps, l'aptitude
exclusive aux mêmes sortes de mouvements, et par
conséquent, aux mêmes habitudes.
DU TRANSPORT DE LA FORGE PRODUCTRIGE DES MOUVEMENTS
DANS L'INTÉRIEUR DES ANIMAUX
Si la nature s’en était tenue à l'emploi de son pre-
mier moyen, c’est-à-dire d’une force entierement
extérieure et étrangère à l’animal, son ouvrage fût
resté très-imparfait; les animaux n’eussent été que
281 DE LA FORCE PRODUCTRICE
des machines totalement passives, etelle n’eût jamais
donné lieu, dans aucun de ces corps vivants, aux
admirables phénomènes de la sensibilité, du senti-
ment intime d'existence qui en résulte, de la puis-
sance d'agir, enfin, des idées, au moyen desquelles
elle pût créer le plus étonnant de tous, celui de la
pensée, en un mot, l'intelligence.
Mais, voulant parvenir à ces grands résultats,
elle en a insensiblement préparé les moyens, en don-
nant graduellement de la consistance aux parties
intérieures des animaux, en y diversifiant les orga-
nes, et en y multipliant et composant davantage
les fluides contenus, etc.; dés lors, elle a pu trans-
porter dans l’intérieur de ces animaux, cette force
productrice des mouvements et des actions, qu'à la
vérité ils ne dominérent pas d’abord, mais qu’elle
parvint à mettre, en grande partie, à leur disposi-
sition, lorsque leur organisation fut tres-perfec-
tionnée.
En effet, dès que l’organisation animale fut assez
avancée dans sa composition, pour pouvoir posséder
un système nerveux déja un peu développé, comme
dans les insectes, les animaux, munis de cette orga-
nisation, furent doués du sentiment intime de leur
existence, et dès lors la force productrice des mou-
vements fut transportée dans l’intérieur même de
l'animal.
J'ai déjà fait voir, effectivement, que cette force
intérieure qui produit les mouvements et les actions
: DES ACTIONS DES ANIMAUX 285
prenait sa source dans le sentiment intime d’exis-
tence que possedent les animaux qui ont un système
nerveux, et que ce sentiment, sollicité où ému par
les besoins, mettait alors en mouvement le fluide
subtil contenu dans les nerfs, et en envoyait aux
muscles qui doivent agir; ce qui produit les actions
que les besoins exigent.
Or, tout besoin ressenti produit une émotion dans
le sentiment intérieur de l'individu qui Féprouve ;
et de cette émotion du sentiment dont il s’agit, naît
la force qui donne lieu au mouvement des parties
qui doivent être mises en action; ce que j'ai mis en
évidence, lorsque j'ai montré la communication et
l'harmonie qui existent dans toutes les parties du
système nerveux, et comment le sentiment intérieur,
lorsqu'il est ému, pouvait exciter l’action muscu-
laire.
Ainsi, dans les animaux qui onten eux-mêmes la
puissance d'agir, c’'est-a-dire la force productrice
des mouvements et des actions, le sentiment inté-
rieur qui, dans chaque occasion, fait naître cette
force, étant excité par un besoin quelconque, met
en action la puissance ou la force dont il s’agit,
excite des mouvements de déplacement dans le fluide
subtil des nerfs, que les anciens nommerent esprits
antinaux, dirige ce fluide vers celui des organes
que quelque besoin oblige d'agir, enfin, fait refiuer
ce même fluide dans ses réservoirs habituels, lors—
que les besoins n’exigent plus que l’organe agisse.
286 DE LA FORCE PRODUCTRICE
Le sentiment intérieur tient lieu alors de volonté ;
car il importe maintenant de considérer que tout
animal qui ne possède pas l’organe spécial dans
lequel, ou au moyen duquel, s’exécutent les pensées,
les jugements, etc., n’a point réellement de volonté,
ne choisit point, et, conséquemment, ne peut
dominer les mouvements que son sentiment intime
excite. L'instinct dirige ces mouvements, et nous
verrons que cette direction résulte toujours des émo-
tions du sentiment intérieur, auxquelles lintelli-
gence n’a point de part, et de l’organisation même
que les habitudes ont modifiée ; en sorte que les be-
soins des animaux qui sont dans ce cas, étant néces-
sairement bornés et toujours les mêmes, dans les
mêmes espèces, le sentiment intime, et par suite, la
puissance d'agir produisent toujours les mêmes
actions.
Il n’en est pas de même des animaux dans les-
quels la nature est parvenue à ajouter au système
nerveux un organe spécial (deux hémisphères plissés
couronnant le cerveau) pour l'exécution des actes de
l'intelligence, et qui, par conséquent, exécutent des
comparaisons, des jugements, des pensées, etc. Ces
mêmes animaux dominent plus ou moins leur puis-
sance d'agir, selon le perfectionnement de leur or-
gane d'intelligence ; et quoiqu'ils soient encore for-
tement assujettis aux produits de leurs habitudes,
qui ont modifié leur organisation, ils jouissent d’une
volonté plus ou moins libre, peuvent choisir, et ont
DES ACTIONS DES ANIMAUX 287
la faculté de varier leurs actions, où au moins plu-
sieurs d’entre elles.
Maintenant, nous allons dire un mot de la con-
sommation qui se fait du fluide nerveux, à mesure
que ce fluide concourt à la production des actions
animales.
DE LA CONSOMMATION ET DE L'ÉPUISEMENT DU FLUIDE NERVEUX
DANS LA PRODUCTION DES ACTIONS ANIMALES
Le fluide nerveux, mis en mouvement par le sen-
timent intérieur de l'animal, est tellement alors
l'instrument producteur des actions de ce corps
vivant, qu'il se consume à mesure qu'ilagit, et qu'il
finirait par s’épuiser et par être dans limpossibilité
de produire l’action à laquelle il fournissait, si la
volonté de lindividu exigeait qu'il continuât de la
produire.
Or, tout le fluide nerveux qui se forme sans
cesse, pendant la vie d’un animal qui possede un
système d'organisation approprié, se Consume €on—
tinuellement par l'emploi qu'en fait individu.
Une partie de ce fluide est constamment employée,
sans la participation de la volonté de l'animal, à
l'entretien de ses mouvements vitaux et des fonc
tions de ceux de ses organes qui sont essentiels à
sa vie.
L'autre partie du même fluide, dont l’individu peut
disposer, sert, soit à la production de ses actions ou
285 DE LA FORCE PRODUCTRICE
de ses mouvements, soit à l'exécution de ses diflé-
rents actes d'intelligence.
Ainsi, dans lemploi du fluide invisible dont il
s’agit, individu en consume proportionnellement à
la durée de laction qu'il lui fait produire, ou à
l'effort qu'exige cette action ; et il en épuiserait la
portion dont il peut disposer, s'il continuait trop
longtemps de suite des actions qui en consument
beaucoup.
De là le besoin que la nature fait naître en lui de
se livrer au repos apres un certain temps d'action :
il tombe alors dans le sommeil, et le fuide épuisé
s'étant réparé pendant ce repos, cetindividu retrouve
des forces en s’éveillant.
La consommation des forces et, par conséquent,
du fluide nerveux qui en est la source, se rend donc
évidente dans toutes les actions trop prolongées, ou
dans celles qui sont pénibles, et que pour cela l’on
nomme /aligantes.
Si vous marchez trop longtemps de suite, vous
vous fatiguez au bout d’un temps relatif à l’état de
vos forces ; si vous courez, vous vous fatiguez beau—
coup plus tôt encore, parce que vous dissipez alors
plus promptement et plus abondamment le principe
de vos forces; enfin, si vous prenez un poids de
quinze ou vingt livres, et que, le bras étendu et ho-
rizontal, vous le souteniez dans cette situation, dans
le premier instant de cette action, vous y trouverez
assez de facilité, parce que vous aurez de quoi y
DES ACTIONS DES ANIMAUX 289
fournir, mais consumant alors promptement le prin-
cipe qui vous fait agir, bientôt ce poids vous sem
blera plus lourd, plus difficile à soutenir, et en peu
de temps vous vous trouverez hors d'état de conti-
nuer cette action.
Votre organisation sera cependant toujours la
mème ; Car si on l’examinait, on ne trouverait au—
cune différence entre son état, au premier instant
de l’action que je viens de citer, et celui qu’elle
offrirait au moment où vous cessez de pouvoir sou=
tenir le poids en question.
Qui ne voit que, dans cet état, la différence qui
existe réellement entre les deux instants (le premier
et le dernier) de l’action citée, ne consiste que dans
la dissipation d’un fluide invisible, dont on ne sau-
rait S'apercevoir, par suite des moyens bornés qui
sont à notre disposition ?
Certes, la consommation et, à la fin, l'épuisement
du fluide subtil des nerfs, dans les actions trop pro-
longées où trop pénibles, ne seront jamais solide-
ment contestés, parce que la raison et les phéno-
mènes organiques leur donnent la plus grande
évidence.
Quoiqu'il soit vrai qu'une partie du fluide nerveux
d'un animal est constamment employée, sans sa par
ticipation, à l'entretien de ses mouvements vitaux
et des fonctions de ceux de ses organes qui sont
essentiels à son existence, cependant, lorsque lin-
dividu consume abondamment la portion de ce fluide
LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. Ai)
290 DE LA FORCE PRODUCTRICE
dont il disposait pour ses actions, il nuit alors à l’in-
tégrité des fonctions de ses organes vitaux. En effet,
dans cette circonstance, la portion non disponible du
fluide nerveux fournit à la réparation du fluide dis-
ponible qui a été dissipé. Or, cette portion, trop
diminuée par cette cause, ne fournit plus qu'incom-
plétement aux opérations des organes vitaux, et
dés lors les fonctions de ces organes languissent, en
quelque sorte, et ne s’exécutent qu'imparfaitement.
L'homme qui tient aux animaux, par son organi-
sation, est principalement dans le cas d’altérer ses
forces physiques de cette manière ; car, de toutes ses
actions, celles qui consument le plus de son fluide
nerveux, sont les actes trop prolongés de son enten-
dement, ses pensées, ses méditations, en un mot,
les travaux soutenus de son intelligence. Alors ses
digestions languissent, deviennent plus imparfaites,
et ses forces physiques s’altèrent proportionnelle-
ment.
La considération de la consommation qui se fait
du fluide nerveux, dans les mouvements et les ac-
tions des animaux, est trop bien connue pour qu'il
soit nécessaire de m’étendre davantage sur ce sujet;
mais je dirai qu'elle seule suffirait pour convaincre
de l'existence de ce fluide, dans les animaux les plus
parfaits, si beaucoup d’autres encore ne concouraient
à la mettre en évidence.
DES ACTIONS DES ANIMAUX 291
DE L'ORIGINE DU PENCHANT AUX MÊMES ACTIONS
ET DE CELLE DE L'INSTINCT DES ANIMAUX
La cause du phénomène connu, qui contraint pres-
que tous les animaux à exécuter toujours les mêmes
actions, et celle qui fait naître dans l’homme même
un penchant à répéter toute action devenue habi-
tuelle, méritent assurément d’être recherchées.
Si les principes exposés dans cet ouvrage sont
réellement fondés, alors les causes dont il s’agit s’en
déduiront facilement et même tres-simplement; en
sorte que des phénomènes quise présentaient à nous
comme autant de mystères, cesseront de nous éton-
ner, quand nous aurons reconnu la simplicité de
celles qui les ont produits.
Voyons donc, d’après les principes que nous avons
ci-dessus énoncés, ce qui peut avoir lieu à l’égard
des phénomènes dont il est ici question.
Dans toute action, le fluide des nerfs qui la pro-
voque, subit un mouvement de déplacement qui y
donne lieu. Or, lorsque cette action a été plusieurs
fois répétée, il n’est pas douteux que le fluide qui Pa
exécutée, ne se soit frayé une route, qui lui devient
alors d'autant plus facile à parcourir, qu'il l’a effec-
tivement plus souvent franchie, et qu'il n'ait lui-
mème une aptitude plus grande à suivre cette route
frayée, que celles qui le sont moins.
Combien ce principe simple et fécond ne nous
292 DE LA FORCE PRODUCTRICE
fournit-il pas de lumières sur le pouvoir bien connu
des habitudes, pouvoir auquel l’homme mème ne
peut se soustraire qu'avec beaucoup de peine, et
qu'à l’aide du perfectionnement de son intelligence !
Qui ne sent alors que le pouvoir des habitudes
sur les actions doit être d'autant plus grand, que
l'individu que l’on considère est moins doué d’intel-
ligence, et a moins, par conséquent, la faculté de
penser, de réfléchir, de combiner ses idées, en un
mot, de varier ses actions.
Les animaux qui ne sont que sensibles, c'est-a-
dire, qui ne possédent pas encore l'organe dans lequel
se produisent les comparaisons entre les idées, ainsi
que les pensées, les raisonnements et les différents
actes qui constituent l'intelligence, n’ont que des
perceptions souvent très-confuses, ne raisonnent
point, et ne peuvent presque point varier leurs ac—
tions. Ils sont donc constamment assujettis au pou-
voir des habitudes.
Ainsi, les 2nsectes, qui sont de tous les animaux
qui possèdent le sentiment, ceux qui ont le système
nerveux le moins perfectionné, éprouvent des per-
ceptions des objets qui les affectent, et semblent
avoir de la mémoire au moyen du produit de ces
perceptions, lorsqu'elles sont répétées. Néanmoins,
ils ne sauraient varier leurs actions et changer leurs
habitudes, parce qu'ils ne possedent pas l'organe
dont les actes pourraient leur en donner les moyens.
DES ACTIONS DES ANIMAUX 293
DE L'INSTINCT DES ANIMAUX
On a nommé #nstinct, l'ensemble des détermina-
tions des animaux dans leurs actions; et bien des
personnes ont pensé que ces déterminations étaient
le produit d’uu choix raisonné et par conséquent le
fruit de l'expérience. D’autres, dit Cabanis, peuvent
penser, avec les observateurs de tous les siecles,
que plusieurs de ces déterminations ne sauraient
être rapportées à aucune sorte de raisonnement, et
que, sans cesser pour cela d’avoir leur source dans
la sensibilité physique, elles se forment le plus sou-
vent sans que la volonté des individus y puisse
avoir d'autre part que d'en mieux diriger l'exécution.
Il fallait dire, sans que la volonté y puisse avoir
aucune part, car, lorsqu'elle n’y donne point lieu,
elle n’en dirige pas même l'exécution.
Si l’on eût considéré que tous les animaux qui
jouissent de la faculté de sentir, ont leur sentiment
intérieur susceptible d’être ému par leurs besoins,
et que les mouvements de leur fluide nerveux, qui
résultent de ces émotions, sont constamment dirigés
par ce sentiment intérieur et par les habitudes,
alors on eût senti que, daus tous ceux de ces ani-
maux qui sont privés des facultés de l'intelligence,
toutes les déterminations d'action ne pouvaient
Jamais être le produit d’un choix raisonné, d’un
294 DE LA FORCE PRODUCTRICE
jugement quelconque, de l'expérience mise à profit,
en un mot, d’une volonté, mais qu’elles étaient assu-
jetties à des besoins que certaines sensations exci-
tent, et qui réveillent des penchants qui les entrai-
nent.
Dans les animaux mêmes qui jouissent de la
faculté d'exécuter quelques actes de l'intelligence,
ce sont encore , le plus souvent, le sentiment inté-
rieur et les penchants nés des habitudes qui déci-
dent, sans choix, les actions que ces animaux exécu-
tent.
Enfin, quoique la puissance exécutrice des mou—
vements et des actions, ainsi que la cause qui les
dirige, soient uniquement intérieures, ilne faut pas,
comme on l’a fait ‘, borner à des impressions inté-
rieures la cause première ou provocatrice de ces
actes , dans l'intention de restreindre à des impres-
sions extérieures, celle qui provoque les actes de
l'intelligence ; car, pour peu que l’on consulte les
faits qui concernent ces considérations, on a lieu de
se convaincre que, de part et d'autre, les causes qui
émeuvent et provoquent aux actions sont tantôt inté-
rieures et tantôt extérieures, et néanmoins, que ces
mèmes causes donnent lieu réellement à des impres-
sions qui n’agissent toutes qu'intérieurement.
D'après l’idée commune et à peu près générale
que l’on attache au mot 2nsfinct, on a considéré la
1 Richerand, PAysiol., vol. Il; p. 151.
DES ACTIONS DES ANIMAUX 295
faculté que ce mot exprime comme un flambeau qui
éclaire et guide les animaux dans leurs actions , et
qui est, à leur égard, ce que la raison est pour
nous. Personne n’a montré que l'instinct pût être
une force qui fait agir, que cette force le fait,
effectivement, sans aucune participation de la vo-
lonté, et qu’elle se trouve constamment dirigée par
des penchants acquis.
L'opinion de Cabanis, que l'instinct naît des im
pressions intérieures, tandis que le raisonnement est
le produit des sensations extérieures, ne saurait être
fondée. C’est en nous-mêmes que nous sentons ; nos
impressions ne peuvent être qu'intérieures ; et les
sensations, que nos sens particuliers nous font
éprouver de la part des objets extérieurs, ne peuvent
produire en nous que des impressions intérieures.
Lorsqu’à la promenade, mon chien aperçoit de
loin un animal de son espèce, il éprouve assurément
une sensation que cet objet extérieur lui procure par
l'entremise du sens de la vue. Aussitôt, son senti-
ment intérieur, ému par limpression qu'il recoit,
dirige son fluide nerveux dans le sens d’un penchant
acquis dans tous les individus de sa race, et alors,
par une sorte d’impulsion involontaire, son premier
mouvement le porte à s’avancer vers le chien qu'il
aperçoit. Voila un acte d’instinct excité par un objet
extérieur ; et mille autres de même nature peuvent
pareillement s’exécuter.
Relativement à ces phénomènes, dont l’organi-
296 DE LA FORCE PRODUCTRICE
sation animale nous offre tant d'exemples , il me
semble qu'on ne se formera une idée juste et claire
de leur cause, que lorsqu'on aura reconnu : 1° que
le senhiment intérieur est un sentiment général
très-puissant, qui a la faculté d’exciter et de diriger
les mouvements de la portion libre du fluide ner-
veux et de faire exécuter à l'animal différentes
actions ; 2° que ce sentiment intérieur est suscep—
tible de s’émouvoir, tantôt par des actes d’intelli-
gence, qui se terminent par une volonté d'agir, et
tantôt par des sensations qui amènent des besoins,
qui l’excitent immédiatement et le mettent dans le
cas de diriger la force productrice des actions dans
le sens de tel penchant acquis, sans le concours
d'aucun acte de volonté.
Il y a donc deux sortes de causes qui peuvent
émouvoir le sentiment intérieur, savoir : celles qui
dépendent des opérations de l'intelligence, et celles
qui, sans en provenir, l’excitent immédiatement, et
le forcent de diriger sa puissance d'agir dans le sens
des penchants acquis.
Ce sont uniquement les causes de cette dernière
sorte, qui constituent tous les actes de l’instinct, et
comme ces actes ne sont point le produit d’une déli-
bération, d’un choix, d’un jugement quelconque, les
actions qui en proviennent, satisfont toujours, sûre-
ment et sans erreur, aux besoins ressentis et aux
penchants nés des habitudes.
Ainsi, l’énstinct, dans les animaux, est un pen-
DES ACTIONS DES ANIMAUX 297
chant qui entraine, que des sensations provoquent
en faisant naître des besoins, et qui fait exécuter
des actions , sans la participation d'aucun pensée,
ni d'aucun acte de volonté.
Ce penchant tient à l’organisation que les habi-
tudes ont modifiée en sa faveur, et il est excité par
des impressions et des besoins qui émeuvent le sen-
timent intérieur de l'individu et le mettent dans le
cas d'envoyer, dans le sens qu'exige le penchant en
activité, du fluide nerveux aux muscles qui doivent
agir.
J'ai déjà dit que l'habitude d'exercer tel organe,
ou telle partie du corps, pour satisfaire à des besoins
qui renaissent souvent, donnait au fluide subtil qui
se déplace, lorsque s'opère la puissance qui fait agir,
une si grande facilité à se diriger vers cet organe,
où il fut si souvent employé, que cette habitude de-
venaiten quelque sorte inhérente à la nature de l’in-
dividu, qui ne saurait être libre d’en changer.
Or, les besoins des animaux qui possédent un
système nerveux étant, pour chacun, selon l’orga-
nisation de ces corps vivants :
l° De prendre telle sorte de nourriture ;
2" De se livrer à la fécondation sexuelle que sol-
licitent en eux certaines sensations ;
3° De fuir la douleur ;
4° De chercher le plaisir ou le bien-être.
Is contractent, pour satisfaire à ces besoins,
diverses sortes d'habitudes qui se transforment, en
298 DE LA FORCE PRODUCTRICE
eux, en autant de penchants auxquels ils ne peuvent
résister, et qu'ils ne peuvent changer eux-mêmes.
De là l’origine de leurs actions habituelles et de
leurs inclinations particulières, auxquelles on a
donné le nom d’instinet *.
Ce penchant des animaux à la conservation des
habitudes et au renouvellement des actions qui en
proviennent, étant une fois acquis, se propage en-
suite dans les individus, par la voie de la reproduc-
tion ou de la génération, qui conserve l’organisation
et la disposition des parties dans leur état obtenu ;
en sorte que ce même penchant existe déja dans
les nouveaux individus, avant même qu'ils laient
exercé.
C'est ainsi que les mêmes habitudes et le même
instinct se perpétuent de générations en généra-
tions, dans les différentes espèces ou races d’ani-
maux, sans offrir de variation notable, tant qu'il ne
survient pas de mutation dans les circonstances
essentielles à la manière de vivre.
1 De même que tous les animaux ne jouissent pas de la faculté
d'exécuter des actes de volonté, de même pareillement l'instinct n'est
pas le propre de tous les animaux qui existent, car ceux qui manquent
de système nerveux, manquent aussi de sentiment intérieur, et ne sau-
raieut avoir aucun instinct pour leurs actions.
Ces animaux imparfaits sont entierement passifs, n'opérent rien
par eux-mêmes, ne ressentent aucun besoin, et la nature, à leur égard,
pourvoit à tout, comme elle le fait relativement aux végétaux. Or,
comme ils sont irritables dans leurs parties, les moyens que la nature
emploie pour les faire subsister, leur font exécuter des mouvements que
nous nommons des actions.
DES ACTIONS DES ANIMAUX 29
«©
DE L’INDUSTRIE DE CERTAINS ANIMAUX
Dans les animaux qui n’ont point d’organe spécial
pour l'intelligence, ce que nous nommons #rdustrie
à l'égard de certaines de leurs actions ne saurait
mériter un nom semblable, car ce n’est que par
illusion qu'a cet égard nous leur attribuons une
faculté qu’ils n’ont pas.
Des penchants transmis et reçus par la généra-
tion, des habitudes d'exécuter des actions compli-
quées et qui résultent de ces penchants acquis, enfin
des difficultés différentes vaincues à mesure et habi-
tuellement par autant d'émotions du sentiment inté-
rieur, constituent l'ensemble des actions toujours les
mêmes dans les individus de la même race, auquel
nous donnons inconsidérément le nom d'industrie.
L'instinct des animaux se composant de l’habi-
tude de satisfaire aux quatre sortes de besoins men-
tionnés ci-dessus, et résultant de penchants acquis
depuis longtemps qui les y entraînent d’une manière
déterminée pour chaque espèce, il est arrivé, pour
plusieurs, qu'une complication dans les actions qui
peuvent satisfaire à ces quatre sortes de besoins, où
à certains d’entre eux, et surtout que des difficultés
diverses qu'il a fallu vaincre, ont forcé peu à peu
l'animal à étendre et à composer ses moyens, et
l'ont conduit, sans choix et sans aucun acte d’intel-
ligence, mais par les seules émotions du sentiment
intérieur, à exécuter telles et telles actions.
300 DE LA FORCE PRODUCTRICE
De là l’origine, dans certains animaux, de diverses
actions compliquées, que l’on a qualifiées d’indus-
trie, et qu'on ne s’est point lassé d'admirer avec
enthousiasme, parce qu'on a toujours supposé, au
moins tacitement, que ces actions étaient combinées
et réfléchies, ce qui est une erreur évidente. Elles
sont tres-simplement le fruit d'une nécessité qui a
étendu et dirigé les habitudes des animaux qui les
exécutent, et qui les rend telles que nous les obser-
vons.
Ce que je viens de dire est surtout fondé pour les
animaux sans vertèbres, en qui aucun acte d’intel-
ligence ne peut s’exécuter. Aucun de ces animaux
ne saurait, en effet, varier librement ses actions ;
aucun d'eux n’a le pouvoir d'abandonner ce qu’on
nomme son #2dustrie, pour faire usage de celle d’un
autre.
Il n’y à donc pas plus de merveille dans l’irdus-
trie prétendue du fourmi-lion (#2yrmeleon formica
leo) qui, ayant préparé un cône de sable mobile,
attend qu'une proie entraînée dans le fond de cet
entonnoir, par l’éboulement du sable, devienne sa
victime ; qu'il n’y en a dans la manœuvre de l'huitre
qui, pour satisfaire à tous ses besoins, ne fait qu’en-
tr'ouvrir et refermer sa coquille. Tant que leur
organisation ne sera pas changée, ils feront toujours
l’un et l’autre ce qu'on leur voit faire, et ils ne le
feront ni par volonté, ni par raisonnement.
Ce n’est que dans les animaux à vertebres, et,
DES ACTIONS DES ANIMAUX 301
parmi eux, c’est surtont dans les oiseaux et les mam-
miferes qu'on peut observer, à l'égard de leurs ac
tions, des traits d’une véritable industrie, parce que,
dans les cas difficiles, leur intelligence, malgré leur
penchant aux habitudes, peut les aider à varier
leurs actions. Ces traits, néanmoins, ne sont pas
communs, et ce n'est guëre que dans certaines races
qui s’y sont plus exercées, qu’on a des occasions
fréquentes de les remarquer.
Examinons actuellement ce qui constitue cet acte
qui détermine à agir, et auquel on a donné le nom
de volonté, et voyons s’il est effectivement le principe
de toutes les actions des animaux, comme on la
pensé.
CHAPITRE VI
DE LA VOLONTEÉE
Je me propose de prouver, dans ce chapitre, que
la volonté, qu'on a regardée comme la source de
toute action, dans les animaux, ne peut avoir d’exis-
tence que dans ceux qui jouissent d’un organe spé-
cial pour l’intelligence, et qu’en outre, à l'égard de
ces derniers, ainsi qu’à celui de l’homme mème, elle
n'est pas toujours le principe des actions qu’ils exé-
cutent.
Si l’on y donne quelque attention, on reconnaitra,
effectivement, que la solonté est le résultat immé-
diat d’un acte d'intelligence, car elle est toujours
la suite d’un jugement, et par conséquent d’une
idée, d’une pensée, d’une comparaison, ou d'un
choix, que ce jugement détermine ; enfin, l’on sen-
tira que la faculté de vouloir n’est autre chose que
celle de se déterminer par la pensée, c’est-à-dire
DE LA VOLONTÉ 303
par une opération de l'organe de lentendement, à
une action quelconque, et de pouvoir exciter une
émotion du sentiment interieur, capable de produire
cette action.
Ainsi, la volonté est une détermination à une ac-
“ton, opérée par l'intelligence de l'individu : elle
résulte toujours d'un jugement, et ce jugement lui
mème provient nécessairement d’une idée, d’une
pensée, ou de quelque impression qui donne lieu à
l’idée ou à la pensée dont il s’agit, en sorte que c’est
uniquement par un acte de l'intelligence que la
volonté, qui détermine un individu à une action,
peut se former.
Mais si la volonté n’est autre chose qu’une déter-
mination qui s'opère à la suite d’un jugement, et
conséquemment, que le résultat d’un acte intellec-
tuel, il sera donc alors évident que les animaux, qui
n'ont pas un organe pour l'intelligence, ne sau-
raient exécuter des actes de volonté. Cependant ces
animaux agissent, c’est-à-dire exécutent tous, en
général, des mouvements qui constituent leurs ac-
tions. Il y a donc plusieurs sources différentes dans
lesquelles les actions des animaux puisent les moyens
qui les produisent.
Or, les mouvements de tous les animaux étant
excités et non communiqués, les causes, excitatrices
de ces mouvements, doivent différer entre elles. En
effet, on a vu que, dans certains animaux, ces causes
provenaient uniquement de l'extérieur, c’est-à-dire
304 DE LA VOLONTÉ
des mieux environnants qui les fournissent ; tandis
que, dans les autres, le sentiment intérieur, que
possèdent ces derniers, était un moteur suffisant
pour produire les mouvements qui doivent s’exé-
cuter.
Mais le sentiment intérieur, qui ne devient une
puissance que lorsqu'il a été ému par une cause
physique, recoit ses émotions par deux voies fort
différentes : dans les animaux qui manquent de lor-
gane nécessaire à la formation des actes de volonté,
le sentiment intérieur ne peut s’émouvoir que par
la voie des sensations ; tandis que, dans ceux qui
ont un organe pour l'intelligence, les émotions de
ce sentiment sont, tantôt le résultat unique des
sensations qu'éprouvent ces animaux, et tantôt celui
d’une volonté qu'une opération de l’entendement
fait naître.
Gr, voila trois sources distinctes pour les actions
des animaux ; savoir : 1° les causes extérieures qui
viennent exciter l’irritabilité de ces êtres; 2° le sen-
timent intérieur que des sensations émeuvent;
3° enfin, le même sentiment recevant ses émotions
de la volonté.
Les actions ou les mouvements, qui proviennent
de la premiere de ces trois sources, s’opèrent sans la
voie des muscles ; car le système musculaire n'existe
pas dans les animaux en qui on les observe ; et lors-
qu'il commence à se former, les excitations du de-
hors suppléent encore au sentiment intérieur qui n’a
DE LA VOLONTÉ 505
pas d'existence; mais les actions, où les mouve-
ments, qu prennent leur origine dans les émotions
du sentiment intérieur de l'individu, ne s’exécutent
que par lintermédiaire des muscles qu'excite le
fluide nerveux.
Ainsi, lorsque la volonté détermine un individu à
une action quelconque, le sentiment intérieur en
reçoit aussitôt une émotion, et les mouvements qui
en résultent se dirigent de maniere que, dans l’ins-
tant même, le fluide nerveux est envoyé aux muscles
qui doivent agir.
Quant aux animaux qui, doués de la sensibilité
physique, ne possèdent point d’organe pour l’intel-
ligence, et qui, conséquemment, ne peuvent exécuter
aucun acte de volonté, chacun de leurs besoins ré-
sulte toujours d’une sensation quelconque, c’est-à-
dire d’une perception qui le fait ressentir, et non
d’une idée, ni d’un jugement ; et ce besoin, ou cette
perception, émeut immédiatement le sentiment inté-
rieur de l'individu. Il suit de là que ces animaux,
avant d'agir, ne déliberent point, ne jugent point et
n'ont aucune détermination préalable à exécuter.
Leur sentiment intérieur, directement ému par le
besoin, et ensuite dirigé, dans ses mouvements, par
la nature mème de ce besoin, met aussitôt en action
les parties qui doivent se mouvoir. Donc, les actions
qui proviennent de cette source ne sont pas précé-
dées par une volonté réelle.
Mais, ce qui est ici une nécessité pour les ani-
LAMARCK, FHIL. ZOOL. II. 20
306 DE LA VOLONTÉ
maux dont il vient d’être question a lieu aussi, le
plus souvent, dans ceux qui sont doués des facultés
de l'intelligence ; car presque tous les besoins de ces
derniers, provenant de sensations qui réveillent
certaines habitudes, émeuvent immédiatement le
sentiment intérieur, et mettent ces animaux dans
le cas d'agir avant d'y avoir pensé. L’homme mème
exécute aussi des actions qui ont une semblable ori-
gine, lorsque les besoins qui les provoquent sont
pressants. Par exemple, si, par distraction, vous
prenez pour quelque usage un morceau de fer, qui,
contre votre attente, se trouve très-chaud, la dou-
leur que vous fait éprouver la chaleur de ce fer
émeut aussitôt votre sentiment intérieur, et avant
d'avoir pu penser à ce que vous devez faire, l’action
des muscles, qui vous fait quitter ce fer chaud que
vous teniez, est déjà exécutée.
Il suit, des considérations que je viens d'exposer,
que les actions qui s’exécutent à la suite des besoins
que provoquent des sensations, lesquelles émeuvent
immédiatement le sentiment intérieur de l'individu,
ne sont nullement le résultat d'aucune pensée, d’au-
cun jugement, et conséquemment d'aucun acte de
volonté, tandis que celles qui s’opérent à la suite
des besoins, que provoquent des idées où des pen-
sées, sont uniquement le résultat de ces actes d’in-
telligence qui émeuvent aussi immédiatement le
sentiment intérieur, et mettent l'individu dans le
cas d'agir par une volonté évidente.
DE LA VOLONTÉ 307
Cette distinction entre les actions dont la cause,
immédiatement déterminante, prend sa source dans
quelque sensation, et celles qui résultent d’une dé-
termination exécutée par un jugement, en un mot,
par un acte d'intelligence, est d’une grande impor-
tance pour éviter la confusion et l'erreur, lorsque
nous considérons ces admirables phénomènes de
l'organisation. C’est parce qu'on ne lavait pas faite,
qu'on a attribué généralement aux animaux une
volonté pour l'exécution de leurs actions ; en sorte
que, se fondant sur ce qui est relatif à l'homme et
aux animaux les plus parfaits, dans la définition
qu'on a donnée des animaux en général, on a sup-
posé qu'ils avaient tous la faculté de se mouvoir vo
lontairement, ce quin’est pas, même pour ceux qui
possèdent un système nerveux, et à plus forte rai-
son pour ceux qui en sont dépourvus.
Assurément, les animaux qui n’ont pas de système
nerveux ne sauralent jouir de la faculté de vouloir,
c’est-à-dire ne sauraient exécuter aucune détermi-
nation, aucun acte de volonté; bien loin de cela, ils ne
peuvent avoir même le sentiment de leur existence :
les #nfusoires et les polypes sont dans ce cas.
Ceux qui ont un système nerveux capable de leur
donner la faculté de sentir, mais qui manquent
d’hypocéphale, c’est-à-dire d’organe spécial pour
l'intelligence, jouissent, à la vérité, d’un sentiment
intérieur, source de leurs actions, et il se forme en
eux des perceptions confuses des objets qui les affec-
308 DE LA VOLONTÉ
tent; mais ils n’ont point d'idées, ne pensent point,
ne comparent point, ne jugent point, et conséquem-
ment n’exécutent aucun acte de volonté. On a lieu
de croire que les #nsectes, les arachnides, les crus-
tacés, les annelides, les cirrhipèdes et mème les
inollusques, se trouvent dans ce second cas.
Le sentiment intérieur, ému par quelque besoin,
est la source de toutes les actions de ces animaux.
Ils agissent sans délibération, sans détermination
préalable, et toujours dans l’unique direction que le
besoin leur imprime; et lorsque, en agissant, un
obstacle quelconque les arrête, s'ils l’évitent, s’en
détournent, et semblent choisir, c’est qu'alors un
nouveau besoin émeut encore leur sentiment inté-
rieur. Aussi, leur nouvelle action ne résulte ni de
combinaison d'idées, ni de comparaison entre les
objets, ni d’un jugement qui les détermine, puisque
ces animaux ne sauraient former aucune des opéra-
tions de l’intelligence, n’ayant pas l’organe qui peut
les effectuer ; enfin, cette nouvelle action est en
eux la suite de quelque émotion de leur sentiment
intérieur.
Il n'y a donc que les animaux qui, outre un
système nerveux, possédent encore l'organe spécial
dans lequel s’exécutent des idées complexes, des
pensées, des comparaisons, des jugements, etc., qui
jouissent de la faculté de vouloir, et qui puissent
exécuter des actes de volonté. C’est apparemment
le.cas des animaux à vertèbres : et puisque les
DE LA VOLONTÉ 309
poissons et les reptiles ont encore un cerveau telle
ment imparfait qu'il ne peut remplir entièrement la
cavité du crâne, ce qui indique que leurs actes
d'intelligence sont extrêmement bornés, c’est au
moins dans les oiseaux et les mammifères, qu'on
doit reconnaître la faculté de vouloir, ainsi que la
jouissance d’une volonté déterminatrice de plusieurs
des actions de ces animaux ; car ils exécutent évi-
demment différents actes d'intelligence, et ils ont
effectivement l'organe particulier qui les rend capa-
bles de les produire.
Mais, j'ai déjà fait voir que, dans les animaux
qui possèdent un organe spécial pour l'intelligence,
toutes les actions ne résultaient pas exclusivement
d’une volonté, c'est-à-dire d’une détermination in-
tellectuelle et préalable, qui excite la force qui les
produit. Certaines d’entre elles sont, à la vérité, le
produit de la faculté de vouloir, mais beaucoup
d’autres ne proviennent que de émotion directe du
sentiment intérieur, qu'excitent des besoins subits,
et qui fait exécuter à ces animaux des actions qu'au-
cune détermination , par la. pensée, ne précède en
aucune manière.
Dans l’homme même, que d’actions sont unique-
ment provoquées, et aussitôt exécutées, par la sim
ple émotion du sentiment intérieur, et sans la par-
ticipation de la volonté! Enfin, n'est-ce pas à de
premiers mouvements, non maitrisés, qu'une multi-
tude de ces actions doivent leur origine; et ces
310 DE LA VOLONTÉ
premiers mouvements, que sont-ils, si ce ne sont
les résultats du sentiment intérieur ?
S'il n’y a point, ainsi que je l’ai dit plus haut, de
volonté réelle dans les animaux quipossedent un sys-
teme nerveux, mais qui sont dépourvus d’un organe
pour l'intelligence, ce qui est cause que ces animaux
n’agissent que par les émotions que des sensations
produisent en eux, il y en a bien moins encore dans
ceux qui sont privés de nerfs. Aussi paraît-il que ces
derniers ne se meuvent que par leur irritabilité
excitée, et que par l'effet immédiat des excitations
extérieures.
On conçoit, d’après ce que je viens d'exposer,
que lorsque la nature fut parvenue à transporter,
dans l’intérieur des animaux , la puissance d’agir,
c'est-à-dire à créer, au moyen du système nerveux,
ce sentiment intérieur, Source de la force qui fait
produire les actions, elle perfectionna ensuite son
ouvrage, en créant une seconde puissance intérieure,
celle de la volonté, qui naït des actes de l’intelli-
gence, et qui seule peut réussir à faire varier les
actions habituelles.
La nature n’eut besoin, pour cela, que d’ajouter
au système nerveux un nouvel organe, celui dans
lequel s’exécutent les actes de l’intelligence, et que
de séparer du foyer des sensations, on des percep-
tions, l'organe où se forment les idées, les compa-
raisons, les jugements, les raisonnements, en un
ot, les pensées.
DE LA VOLONTÉ 311
Ainsi, dans les animaux les plus parfaits, la
moelle épinière sert ou fournit au mouvement mus-
culaire des parties du corps, et à l’entretien des
fonctions vitales; tandis que le foyer des sensations,
au lieu d’être placé dans l’étendue ou dans quelque
point isolé de cette moelle épinière, se trouve évi-
demment concentré à son extrémité supérieure ou
antérieure , dans la partie inférieure du cerveau. Ce
foyer des sensations est conséquemment tres-rap-
proché de l'organe dans lequel s’exécutent les diffé-
rents actes de l'intelligence, sans être néanmoins
confondu avec lui.
L'organisation animale étant parvenue au terme
de perfectionnement qui y fait exister un organe
pour les actes d'intelligence, les individus qui pos-
sèdent cette organisation ont des idées simples et
peuvent s’en former de complexes, ils jouissent
d’une volonté, libre en apparence, qui détermine
certaines de leurs actions, ils ont des passions,
c’est-à-dire des penchants exaltés qui les entrainent
vers certains ordres d'idées et d'actions qu'ils ne
maitrisent point, enfin, ils sont doués de mémoire
et ont la faculté de se rendre présentes des idées
déja tracées dans leur organe, ce qui s'exécute au
moyen du fluide nerveux qui repasse et s’agite sur
les impressions ou les traces subsistantes de ces
idées.
On sent que des agitations désordonnées du fluide
nerveux sur les traces dont il s’agit, sont les causes
312 DE LA VOLONTÉE
des songes que font souvent pendant leur sommeil les
animaux capables d’avoir des idées.
Les animaux qui ont de l'intelligence, font néan-
moins la plupart de leurs actions par instinct et par
habitude, et à ces égards, ils ne se trompent jamais ;
et lorsqu'ils agissent par volonté, c'est-à-dire à la
suite d’un jugement, ils ne se trompent pas encore ou
du moins très-rarement, parce que les éléments qui
entrent dans leurs jugements sont en petit nombre,
et qu'en général, ils leur sont fournis par les sen-
sations, et surtout, parce que, dans une même race,
il n’y a point d’inégalité dans l'intelligence et dans
les idées des individus. Il suit de là que leurs actes
de volonté sont des déterminations qui les font tou-
jours satisfaire sans erreur aux besoins qui les
émeuvent. On a dit, d’après cela, que linstinct
pour les animaux était un flambeau qui les éclai-
rait mieux que notre raison.
Le vrai est que, moins libres que nous de varier
leurs actions, plus assujettis à leurs habitudes, les
animaux ne trouvent dans leur instinct qu'une né-
cessité qui les entraine, et dans leurs actes de o-
lonté qu'une cause, dont les éléments non variables,
non modifiés, très-peu compliqués, et toujours les
mêmes dans tous les individus d’une même race, a
dans tous une puissance et une étendue égales dans
les mêmes cas. Enfin, comme il ne se trouve, entre
les individus de la même espèce, aucune inégalilé
dans les facultés intellectuelles, leurs jugements sur
DE LA VOLONTÉ 313
les mêmes objets, et leur volonté d'agir, qui peut
résulter de ces jugements, sont des causes qui leur
font exécuter, à très-peu près, les mêmes actions’
dans les mêmes circonstances.
Je terminerai ces vues sur les sources et les ré-
sultats de la volonté, par quelques considérations
relatives à la même faculté dans l’homme; et l’on
va voir que les choses sont bien différentes à son
égard, de celles que nous venons d’examiner dans
les animaux, car, quoiqu'il paraisse beaucoup plus
libre qu'eux dans ses actes de volonté, il ne l’est
effectivement pas, et cependant, par une cause que
je vais tâcher de faire sentir, les individus de son
espèce agissent très-différemment les uns des autres
dans des circonstances semblables.
La volonté dépendant toujours d’un jugement quel-
conque, n'est jamais véritablement libre, car le ju-
gement qui y donne lieu est, comme le quotient d’une
opération arithmétique, un résultat nécessaire de
l’ensemble des éléments qui l'ont formé. Mais l’acte
même qui constitue un Jugement doit varier dans ses
produits, selon les individus, par la raison que les
éléments qui entrent dans la formation de ce juge-
ment, sont dans le cas d’être fort différents dans
chaque individu qui exécute.
En effet, il entre, en général, tant d’éléments
divers dans la formation de nos jugements, il s’en
trouve tant qui sont étrangers à ceux qu'il faudrait
employer, et, parmi ceux dont on devrait faire
314 DE LA VOLONTÉ
usage, il y en à tant qui sont inaperçus ou rejetés
par des préventions, ou, enfin, qui sont, soit altérés,
soit changés, par notre disposition, notre santé,
notre âge, notre sexe, nos habitudes, nos penchants,
l’état de nos lumières, etc., que ces éléments ren-
dent le jugement que l’on porte sur un même sujet,
fort différent, selon les individus. Nos jugements,
dépendant de tant de particularités inappréciables
et tres-difficiles à reconnaitre, ont fait croire que
nous étions libres dans nos déterminations, quoique
nous ne le soyons réellement pas, puisque les juge-
ments qui les produisent ne le sont pas eux-mêmes.
La diversité de nos jugements est si remarquable,
qu'il arrive souvent qu’un objet considéré donne
lieu à autant de jugements particuliers qu'il y a de
personnes qui entreprennent de prononcer à son
égard. On a pris cette variation pour une liberté
dans la détermination, et l’on s’est trompé, elle n’est
que le résultat des éléments divers qui, pour chaque
personne, entrent dans le jugement exécuté.
Il y a cependant des objets si simples dans leurs
qualités, et qui présentent si peu de faces différentes
à considérer, qu'on est à peu près généralement
d'accord sur le jugement qu’on en porte. Mais, ces
objets se réduisent presque uniquement à ceux qui
sont hors de nous, et qui ne nous sont connus que par
les sensations qu'ils excitent ou qu'ils ont excitées sur
nos sens. Nos jugements, à leur égard, n’ont guère
d'autres éléments à employer que ceux que les sen-
DE LA VOLONTÉ 315
sations nous fournissent, et que les comparaisons
que nous en formons avec les autres corps qui nous
sont connus. Enfin, pour les jugements dont il s’agit,
notre entendement n’a que très-peu d'opérations à
exécuter.
Il résulte de l'énorme multitude de causes diver-
ses, qui changent où modifient les éléments que
nous faisons entrer dans la formation de nos juge-
ments, surtout de ceux qui exigent différentes opé-
rations de l'intelligence, que, le plus souvent, ces
jugements sont erronés, manquent de justesse, et
que, par une suite de l’inégalité qui se trouve entre
les facultés intellectuelles des individus, ces mêmes
jugements sont, en général, aussi variés que les
personnes qui les forment, les éléments que chacun
y apporte n'étant pas les mêmes. Il en résulte, en
outre, que les désordres de ces actes d'intelligence
en entraînent nécessairement dans ceux qui Cons—
tituent nos volontés, et par suite, dans nos actions.
Si l’objet que j'ai en vue dans cetouvrage ne me
retenait dans des bornes que je ne veux pas franchir,
je pourrais faire des applications nombreuses qui
établiraient encore mieux le fondement de ces con-
sidérations ; J'aurais même à ces égards des remar-
ques à faire qui ne seraient pas sans intérêt.
Par exemple, je pourrais montrer que, tandis que
l’homme retire de ses facultés intellectuelles, bien
développées, de très-grands avantages, lespèce
humaine, considérée en général, en éprouve en
#6 DE LA VOLONTE
même temps des inconvénients considérables ; car
ces facultés donnant autant de facilité et autant de
moyens pour exécuter le mal que pour faire le bien,
leur résultat général est toujours au désavantage
des individus qui exercent le moins leur intelli-
gence, ce qui est nécessairement le cas du plus
grand nombre. Alors, on sentirait que le mal, à cet
égard, réside principalement dans l’extrème 27éqa-
lité d'intelligence des individus, mégalité qu'il est
impossible de détruire entièrement. Néanmoins, on
reconnaîtrait mieux encore que ce qu'il importerait
le plus pour le perfectionnement et le bonheur de
l’homme, serait de diminuer le plus possible cette
énorme inégalité, parce qu’elle est la source de la
plupart des maux auxquels elle lexpose.
Maintenant nous allons essayer de reconnaître les
causes physiques des actes de l’entendement : nous
tâcherons du moins de déterminer les conditions
exigées de l’organisation pour que ces admirables
phénomènes puissent se produire.
CHAPITRE VII
DE L’ENTENDEMENT, DE SON ORIGINE, ET DE CELLE
DES IDÉES
Voici le sujet le plus curieux, le plus intéressant,
et à la fois le plus difficile dont l’homme puisse
s’occuper dans ses études de la nature, celui où il
lui importerait beaucoup d’avoir des connaissances
positives, et celui cependant qui semble Jui offrir le
moins de moyens pour en acquérir de pareilles.
Il s’agit de savoir comment des causes purement
physiques, et par conséquent de simples relations
entre différentes sortes de matières, peuvent pro
duire ce que nous nommons des idées, comment
avec des idées simples ou directes, ces relations
peuvent former des idées complexes, en un mot,
comment, avec des idées de quelque genre que ce
soit, ces mêmes relations peuvent donner lieu à des
facultés aussi étonnantes que celles de penser, de
juger, d'analyser et de raisonner.
LS DE L'ENTENDEMENT ;
Il semble qu'il faille être plus que téméraire pour
entreprendre une pareille recherche et pour se
flatter de trouver la source de ces merveilles dans
les moyens qui sont à la disposition de la nature.
Assurément, je n'ai pas la présomption de croire
que j'ai découvert les causes de ces prodiges ; mais,
persuadé que tous les actes d'intelligence sont des
phénomènes naturels, et par conséquent que ces
actes prennent leur source dans des causes unique-
ment physiques, puisque les animaux les plus parfaits
jouissent de la faculté d’en produire, j'ai pensé qu'an
moyen de beaucoup d'observations, d'attention et de
patience, on pourrait, surtout par la voie de lnduc-
tion, parvenir à se former des idées d’un grand poids
sur ce sujet important ; voici lesmiennes à son égard.
Sous la dénomination d’entendement où d'intelh-
gence, je comprends toutes les facultés intellec-
tuelles connues, telles que celles de pouvoir se
former des idées de différents ordres, de comparer,
de juger, de penser, d'analyser, de raisonner, enfin,
de se rappeler des idées acquises, ainsi que des pen-
sées et des raisonnements déjà exécutés, ce qui cons—
titue la mémoire.
Toutes les facultés que je viens d'indiquer résul-
tent mdubitablement d'actes particuliers à lPorgane
de l'intelligence, et chacun de ces actes est néces-
sairement le produit des relations qui ont lieu entre
l'organe dont il s’agit et le fluide nerveux qui se
meut alors dans cet organe.
DE L'ENTENDEMENT 319
L’organe spécial dont il est question, auquel j'ai
donné le nom d’ypocéphale, se trouve constitué
par deux hémisphères plissés et pulpeux, qui enve-
loppent ou recouvrent cette partie médullaire que je
nomme particulièrement cerveau, laquelle contient
le foyer ou centre de rapport du système sensitif, et
donne naissance aux nerfs des sens particuliers ; le
cervelet n’en est qu'une dépendance.
Ainsi, cette partie (le cerveau proprement dit
auquel le cervelet appartient) et l’ypocéphale sont
deux objets très-distincts, surtout par la nature des
fonctions de ces organes, quoique l’on soit dans
l'usage de les confondre ensemble sous le nom
commun de cerveau où dencéphale. Or, cest
uniquement dans les fonctions de lhypocéphale
que je vais rechercher les causes physiques des
différentes facultés de l'intelligence, parce que cet
organe est le seul qui ait le pouvoir d'y donner
lieu.
La diversité réelle, mais difficile à reconnaître,
des parties de l'organe dont il est question, et celle
des mouvements du fluide subtil que contient cet
organe, sont donc la source unique où les différents
actes intellectuels cités puisent leurs moyens d’exé-
cution. Telle est l’idée générale que je me propose
de développer succinctement.
Avant tout, et pour mettre de l’ordre dans les
considérations qui concernent ce sujet, il est néces-
saire de poser ou de rappeler les deux principes sui-
320 DE L’ENTENDEMENT
vants, parce qu'ils constituent les bases de tout
sentiment admissible à cet égard.
Premier principe : tous les actes intellectuels
quelconques prennent naissance dans les #dées, soit
dans celles que l’on acquiert dans l’instant même,
soit dans celles déjà acquises, car, dans ces actes,
il s’agit toujours des idées ou de rapports entre des
idées, où d'opérations sur des idées.
Second principe : toute idée quelconque est origi-
naire d’uné sensation, c’est-à-dire en provient
directement ou indirectement.
De ces deux principes, le premier se trouve plei-
nement confirmé par l'examen de ce que sont réel-
lement les différents actes de l’entendement ; et en
effet, dans tous ces actes, ce sont toujours les idées
qui sont le sujet ou les matériaux des opérations qui
les constituent.
Le second de ces principes avait été reconnu par
les anciens, et on le trouve parfaitement exprimé
par cet axiome dont Locke ensuite nous a montré le
fondement , savoir : qu'il n'y a rien dans l’enten-
dement qui n'ait été auparavant dans la sen-
salion.
Il suit de là que toute idée doit se résoudre, en
dernière analyse, en une représentation sensible,
et que, puisque tout ce qui est dans notre entende-
ment y est venu par la voie de la sensation, tout ce
qui en sort et qui ne peut trouver un objet sensible
pour s’y rattacher, est absolument chimérique. Telle
DE L'ENTENDEMENT 321
est la conséquence évidente qu'a déduite M. Naigeon,
de l’axiome d’Aristote.
On n’a cependant pas encore généralement admis
cet axiome, car plusieurs personnes considérant
certains faits dont elles n’apercurent point les causes
pensérent qu'il y avait réellement des idées innées.
Elles se persuaderent en trouver des preuves dans
la considération de lenfant qui, peu d’instants après
sa naissance, veut téter et semble rechercher le
sein de sa mère, dont cependant il ne peut encore
avoir Connaissance par des idées nouvellement ac-
quises. À cette occasion, Je ne citerai pas le prétendu
fait d’un chevreau qui, tiré du sein de sa mére,
choisit le cytise, parmi plusieurs végétaux qui lui
furent présentés. On sait assez que ce ne fut qu'une
supposition qui n'a pu avoir de fondement.
Lorsque lon reconnaitra que les habitudes sont
la source des penchants, que l'exercice maintenu de
ces penchants modifie l’organisation en leur faveur,
et qu'alors ils sont transmis aux nouveaux individus
par la génération, on sentira que l'enfant qui vient
de naître peut, peu de temps après , vouloir téter,
par le seul produit de l'instinct, et prendre le sein
qu'on lui présente, sans en avoir la moindre idée, et
sans exécuter pour cela aucune pensée, aucun juge -
ment, ni aucun acte de volonté qui n’en peut êtr:
que la suite, et que cet enfant ne fait cette action
que uniquement par la légère émotion que le besoin
donne à son sentiment intérieur, lequel le fait agir
LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 21
77 DE L’ENTENDEMENT
dans le sens d’un penchant tout acquis, quoiqu'il
n’ait pas encore été exercé ; on sentira de même, que
le petit canard qui sort de son œuf, s’il se trouve
alors près de l’eau, y court laussitôt et nage à sa
surface, sans en avoir aucune idée, et sans la
connaître, cet animal n’exécutant point cette action
par aucune délibération intellectuelle, mais par un
penchant qui lui a été transmis, et que son sentiment
intérieur lui fait exercer, sans que son intelligence
y ait la plus petite part.
Je reconnais donc comme un principe fondamen-
tal, comme une vérité incontestable, qu'il n’y a
point d'idées innées, et que toute idée quelconque
provient, soit directement, soit indirectement, de
sensations éprouvées et remarquées.
Il résulte de cette considération, que l’organe de
l'intelligence, étant le dernier perfectionnement que
la nature ait donné aux animaux, ne peut exister
que dans ceux qui possèdent déja la faculté de
sentir. Aussi l'organe spécial dans lequel s’operent
les idées, les jugements, les pensées, etc., ne com
mence-t-il à se former que dans des animaux en
qui le système des sensations est très-développé.
Tous les actes intellectuels qui s’exécutent dans
un individu, sont donc le produit de la réunion des
causes suivantes, savoir :
1° De la faculté de sentir ;
2° De la possession d’un organe particulier pour
l'intelligence ;
DE L’ENTENDEMENT 323
3° De relations qui ont eu lieu entre cet organe
et le fluide nerveux qui s’y meut diversement ;
4 Enfin, de ce que les résultats de ces relations
se rapportent toujours au foyer des sensations, et
par suite au sentiment intérieur de l'individu.
Telle est la chaine qui se trouve partout en har-
monie, et qui constitue la cause physique et com
posée du plus admirable des phénomènes de la
nature.
Pour rejeter, par des motifs raisonnables, le fon-
dement des considérations que je viens d'exposer, il
faut pouvoir montrer que l'harmonie qui existe dans
toutes les parties du système nerveux, n’est pas
capable de produire des sensations et le sentiment
intérieur de Pindividu, que les actes d'intelligence,
tels que les pensées, les jugements, etc., ne sont
pas des actes physiques et ne résultent pas immé-
diatement de relations entre un fluide subtil agité
et l'organe particulier qui contient ce fluide, enfin
que les résultats de ces relations ne se rapportent
point àce sentiment intérieur de l’individu. Or,
comme les causes physiques qui viennent d’être
citées sont les seules qui puissent donner lieu aux
phénomènes de l'intelligence, si on nie existence
de ces causes, et par conséquent, que les phénomènes
qui en résultent soient naturels, alors on sera obligé
de chercher hors de la nature une autre source
pour les phénomènes en question. Il faudra suppléer
aux causes physiques rejetées, par les idées fantas-
32 DE L'ENTENDEMENT
tiques de notre imagination, idées toujours sans
base, puisqu'il est de toute évidence que nous ne
pouvons avoir aucune autre connaissance positive,
que celle que nous puisons dans les objets mêmes
que la nature présente à nos sens.
Comme les merveilles que nous examinons et
dont nous recherchons les causes, ont pour base les
idées, que, dans les actes d'intelligence, il ne s’agit
partout que des idées, et que d'opérations sur ces
idées, avant d'examiner ce que sont les idées elles-
mèmes, montrons le fil de la formation graduelle des
organes qui donnent lieu, d’abord aux sensations et
au sentiment intérieur, ensuite aux idées, et enfin,
aux opérations qui s’exécutent sur elles.
Les animaux très-imparfaits des premières classes,
ne possèdant point de système nerveux, ne sont sim—
plement qu'irritables, n’ont que des habitudes,
n’éprouvent point de sensations et ne se forment
jamais d'idées. Mais les animaux moins imparfaits,
qui ont un système nerveux, et qui, cependant, ne
possedent pas l'organe de l'intelligence, ont de l’ins-
tinct, des habitudes et des penchants, éprouvent des
sensations, et néanmoins ne se forment point encore
d'idées. J’ose le dire, là où il n’y a pas d’organe
pour une faculté, cette faculté ne peut exister.
Or, s'il est maintenant reconnu que toute idée
pr'ovienne originairement d’une sensation, ce qu'en
effet on ne saurait solidement contester, je compte
faire voir que, pour cela, toute sensation ne donne
DE L’ENTENDEMENT 329
pas nécessairement une idée. Il faut que l'organi-
sation soit parvenue à un état propre à favoriser la
formation de l’idée, et qu'en outre, la sensation soit
accompagnée d’un effort particulier de Pindividu, en
un mot, d'un acte préparatoire qui rende l’organe
spécial de l'intelligence capable de recevoir l'idée,
c'est-à-dire des impressions qu'il conserve.
En effet, s’il est vrai qu'en créant l’organisation,
la nature la forma nécessairement dans sa plus
grande simplicité, et qu'alors elle ne put avoir en
vue de donner aux corps vivants d’autres facultés
que celles de se nourrir et de se reproduire,
ces corps qui recurent d'elle l’organisation et la vie,
ne purent donc avoir d’autres organes que ceux qui
sont nécessaires à la possession de la vie. Cela est
confirmé par l’observation des animaux les plus
imparfaits, tels que les #rfusorres et les polypes.
Mais en compliquant ensuite l’organisation de ces
premiers animaux , et créant, à l’aide de beaucoup
de temps et d’une diversité infinie de circonstances,
la multitude de formes différentes qui caractérisent
ceux qui leur sont postérieurs , la nature à formé
successivement les divers organes que possèdent les
animaux et les différentes facultés auxquelles ces
organes donnent lieu. Elle les a produits dans un
ordre que j'ai déterminé (première partie, chapi-
tre vi), et l’on a pu voir, d’après cet ordre, que
l’Aypocéphale, que constituent les deux hémisphères
plissés qui enveloppent ou recouvrent le cerveau,
326 DE L’ENTENDEMENT
est le dernier organe qu’elle est parvenue à faire
exister.
Longtemps avant d’avoir créé l’hypocéphale, cet
organe spécial pour la formation des idées et de
toutes les opérations qui s’exécutent à leur égard,
la nature avait établi, dans un grand nombre d’ani-
maux, un système nerveux qui leur donnait la fa-
culté d’exciter l’action des muscles, et ensuite celle
de sentir et d'agir par les émotions de leur senti-
ment intérieur. Or, pour y parvenir, quoiqu'elle
eût multiplié et dispersé les foyers pour les mouve-
ments musculaires, soit en établissant des ganglions
séparés, soiten répandant ces foyers dans l'étendue
d’une moelle longitudinale noueuse où d’une moelle
épiniere, elle concentra dans un lieu particulier le
foyer des sensations et le transporta dans une petite
masse médullaire, qui fournit immédiatement les
nerfs de quelques sens particuliers , et à laquelle on
a donné le nom de cerveau.
Ce ne fut donc qu'après avoir opéré ces divers
perfectionnements du système nerveux, que la nature
parvint à mettre la dernière main à son ouvrage, en
créant, dans le plus grand voisinage du foyer des
sensations, l’hypocéphale, cet organe particulier et
si intéressant, dans lequel se gravent les idées, et
où s’exécutent, à leur égard, toutes les opérations qui
constituent l'intelligence.
C’est uniquement de ces opérations dont nous
allons nous occuper, et dont nous essayerons de
DE L’ENTENDEMENT 327
déterminer les causes physiques les plus probables,
en saisissant les inductions à l'égard des parties
agissantes, et reconnaissant les conditions qu’exigent
les fonctions de ces parties.
Actuellement, examinons comment une idée peut
se former, et dans quel cas une sensation peut la
produire; considérons même, au moins en général,
de quelle manière s’exécutent les actes de l’intelli-
gence dans l’hypocéphale.
Une particularité fort singulière, de laquelle
cependant je ne puis douter, est que l'organe spé-
cial dont 1l est maintenant question n’exerce jamais
lui-même aucune action quelconque dans tous les
actes où phénomènes auxquels il donne lieu, et qu'il
ne fait constamment que recevoir et conserver plus
où moins longtemps les images qui lui parviennent
et toutes les impressions qui les gravent. Cet organe
diffère, ainsi que le cerveau et les nerfs, de tous les
autres organes du corps animal, en ce qu'il n’agit
point, et qu'il ne fait que fournir au fluide nerveux
qu'il contient les moyens d'exécuter les différents
phénomènes auxquels ce fluide est propre.
En effet, lorsque je considère l’extrème mollesse
de la pulpe médullaire qui constitue les nerfs, le
cerveau et son hypocéphale, je ne puis me persua-
der que, dans les relations du flmide nerveux avec
les parties médullaires dans lesquelles 1l se meut, ces
dernières soient capables d'exercer la moindre action.
Ces parties sont, sans doute, uniquement passives,
328 DE L’'ENTENDEMENT
et hors d'état de réagir contre tout ce qui peut les
affecter. Il en résulte que les parties médullaires,
qui composent l’hypocéphale, recoivent et conser-
vent les traces de toutes les impressions que le fluide
nerveux, dans ses mouvements, vient leur impri-
mer, en sorte que le seul corps qui agisse, dans les
fonctions qu'exécute l’hypocéphale, est le fluide ner-
veux lui-même, ou, pour m'exprimer plus exacte-
ment, l'organe dont il s’agit n’exécute aucune fonc-
tion, le fluide nerveux les opere toutes lui seul; mais
ce fluide ne saurait nullement y donner lieu, sans
l'existence de organe dans lequel il agit.
Ici, l’on me demandera comment il est possible de
concevoir qu'un fluide, quelque subtil et varié qu'il
soit dans ses mouvements, puisse lui seul donner
lieu à cette multitude étonnante d'actes et de phéno-
mènes différents qui constituent l’immense étendue
des facultés de l’intelligence. A cela je répondrai
que la merveille considérée se trouve tout entière
dans la composition même de l’hypocéphale.
Cette masse médullaire qui constitue lhypocé-
phale, c'est-à-dire les deux hémisphères plissés qui
enveloppent ou recouvrent le cerveau, cette masse,
dis-je, qui semble n'être qu'une pulpe dont les par-
ties sont continues et cohérentes dans tous leurs
points, se Compose, au contraire, d'une multitude
inconcevable de parties distinctes et séparées, d’où
résulte une quantité innombrable de cavités infini
ment diversifiées entre elles par leur forme et leur
DE L'ENTENDEMENT 320
grandeur, et qui paraissent distinguées par régions
en nombre égal à celui des facultés intellectuelles de
individu ; enfin, quel qu'en soit le mode, la com
position de cet organe est encore différente dans
chaque région, car c’est dans chacune d’elles que
s’effectuent les actes de chaque faculté particulière
de l'intelligence.
L'examen de la partie blanche et médullaire de
l’hypocéphale y a fait apercevoir des fibres nom
breuses : or, il est probable que ces fibres ne sont
pas, comme ailleurs, des organes de mouvement; leur
consistance ne le permet pas : on a plus lieu de croire
que ce sont autant de canaux particuliers qui abou-
tissent chacun à une cavité qui serait en forme de
cul-de-sac, si les cavités dont il s’agit ne commu
niquaient entre elles par des voies latérales. Ces
cavités, imperceptibles pour nous, sont innombrables
comme les filets tubuleux qui y conduisent, et on
peut présumer que c'est sur la paroi interne de cha-
cune d’elles que se gravent les impressions que le
fluide nerveux y apporte; peut-être y a-t-il aussi
de petites lames ou des feuillets médullaires disposés
pour le même objet.
Ne pouvant savoir positivement ce qui se passe à
ce sujet, je crois avoir atteint mon but en montrant
ce qui est possible, ce qui est même vraisemblable :
cela seul me suffit,
L’admirable composition de l’hypocéphale, soit
celle de l'ensemble de cet organe, soit celle de cha-
330 DE L’ENTENDEMENT
cune de ses régions qui sont doubles, l’une sem—
blable à autre dans chaque hémisphere, ne saurait
ètre une supposition sans fondement, quoique nous
manquions de moyens pour l’apercevoir et nous en
assurer. Les phénomènes organiques qui constituent
l'intelligence, et chacun de ces phénomènes exigeant
dans l'organe un lieu particulier et, pour ainsi dire,
un organe spécial dans lequel il puisse se produire,
doivent nous donner la conviction morale qu’à l'égard
de la composition de l'hypocéphale, les choses sont
telles que je viens de les présenter.
Assurément, les individus ne naissent point avec
toutes les facultés mtellectuelles qu’ils peuvent avoir,
car l’organe en qui s’exécutent les actes de l’intelli-
gence est, comme tous les autres, d'autant plus sus-
cepüble de se développer, qu'il est plus exercé. Il
en est de même de chaque sorte particulière de fa-
culté intellectuelle : les besoins ressentis, ou que
l'individu se donne, la font naître dans la région de
l'Aypocéphale qui peut en produire les actes ; et se-
lon que ces actes sont plus fréquemment reproduits,
l'organe spécial qui y est devenu propre se déve-
loppe davantage et étend proportionnellement la fa-
culté à laquelle il donne lieu.
Il n’est donc pas vrai que chacune de nos facultés
intellectuelles soit innée, et qu'il en soit de même de
ceux de nos penchants qui dépendent de notre faculté
de penser. Ces facultés et ces penchants s’accrois-
sent et se fortifient à mesure que nous exercons da-
DE L'ENTENDEMENT 331
vantage les organes qui en produisent les actes.
Seulement, nous pouvons y apporter plus ou moins
de dispositions avec l’état de l’organisation que nous
recevons de ceux qui nous ont donné le jour : mais
si nous n’exercions pas nous-mêmes ces facultés et
ces penchants, nous en perdrions insensiblement
l'aptitude.
M. le docteur Gall ayant remarqué que, parmi
les différents individus qu'il observait, les uns avaient
telle faculté plus développée et plus éminente que
les autres, concut l’idée de rechercher si telle partie
de leur corps n'offrirait pas quelques signes exté-
rieurs qui pussent faire reconnaitre cette faculté.
Il ne paraît pas qu'il se soit occupé des facultés
qui ne sont point relatives à l'intelligence, car elles
lui auraient fourni quantité de preuves qui consta-
tent que lorsqu'une partie fortement exercée acquiert
une faculté très-éminente, cette partie en offre cons-
tamment, dans sa forme, ses dimensions et sa vi-
oueur, des signes évidents. On ne peut voir les ex-
trémités postérieures et la queue d’un kanguroo,
sans reconnaitre que ces parties, tres-employées,
jouissent d’une grande force d'action, et sans re-
trouver la même chose dans les cuisses postérieures
des sauterelles, etc. On ne peut de même considé-
rer le grand accroissement du nez de léléphant,
transformé en une trompe énorme, sans reconnaitre
que cet organe, continuellement exercé et servant
de main à lanimal, a recu de cet emploi habituel
332 DE L’ENTENDEMENT
les dimensions, la force et ladmirable souplesse
qu'on lui connaît, etc., ete.
Mais M. Gall paraît s’être attaché particulièrement
à la recherche des signes extérieurs qui pourraient
indiquer celles des facultés de l'intelligence qui se
trouvent très-éminentes dans certains individus. Or,
reconnaissant que toutes ces facultés sont le produit
des fonctions de l’organe cérébral, il dirigea ses
vues sur la connaissance de l’encéphale, et après
plusieurs années de recherches, il acheva de se per-
suader que celles de nos facultés intellectuelles qui
sont très-développées et ont acquis un grand degré
de perfectionnement, se font reconnaître par des
signes extérieurs qui consistent en des saillies parti-
culières de la boîte cérébrale.
Assurément, M. Gall partait d’un principe qui, en
lui-même, est très-fondé, car s’il est vrai, pour les
parties du corps, que toutes celles qui sont forte-
ment et constamment employées, acquièrent des
développements etune énergie de faculté qui les dis-
tinguent, ce que j'ai suffisamment prouvé dans le
chapitre vir de la premiere partie, la même chose
doit avoir lieu également pour l'organe de l’enten-
dement en général, et même pour chacun des or-
ganes particuliers qui le composent : cela est cer-
tain et facile à démontrer d'apres quantité de faits
reconnus.
Ainsi, le principe d’où partait M. Gall est, sans
contredit, tres-solide ; mais, d’après tout ce qui est
DE L’ENTENDEMENT 333
publié sur la doctrine enseignée par ce savant, on a
lieu de croire qu'il en a abusé dans la plupart des
conséquences qu'il en a tirées.
En effet, relativement aux organes particuliers
qui entrent dans la composition des deux hémisphères
du cerveau, et qui donnent lieu à chaque genre de
faculté intellectuelle, le produit du principe que je
viens de citer me paraît avoir beaucoup moins d’éten-
due que M. Gall ne lui en suppose ; en sorte que ce
ne peut être guëre que dans un très-petit nombre
de cas extrèmes, que certaines facultés, qui auraient
acquis un degré extraordinaire d’éminence, peuvent
offrir des signes extérieurs non équivoques, propres
à les indiquer. Alors, je ne serais nullement surpris
qu'on eût découvert quelques-uns de ces signes, leur
cause se trouvant réellement dans la nature. Mais, à
l'égard de nos facultés intellectuelles, sortir des
genres qui sont bien distincts, pour entrer dans une
multitude de détails, pour embrasser les nuances
mêmes qui lient ces facultés à leur genre propre,
c'est, selon moi, anéantir par un abus trop ordinaire
de l'imagination, la valeur de nos découvertes dans
l'étude de la nature. Aussi, M. Gall ayant voulu
trop prouver, le public, par une inconsidération
contraire, a tout rejeté. Telle est la marche la plus
ordinaire de l’esprit humain dans ses différents
actes; des excés, des abus gâtent le plus souvent ce
qu'il a su produire de bon. Les exceptions, à cet
égard, ne sont l'apanage que d’un petit nombre de
334 DE L’ENTENDEMENT
personnes qui, à l’aide d’une forte raison, savent
limiter l’imagination qui tend à les entrainer.
Considérer comme nés dans les individus de
l'espèce humaine certains penchants devenus tout à
fait dominants, ce n’est pas seulement une opinion
dangereuse, c’est, en outre, une véritable erreur.
On peut, sans doute, apporter en naissant des dispo-
sitions particulières pour des penchants que les pa-
rents transmettent par l’organisation, mais, certes,
si l’on n’eût pas exercé fortement et habituellement
les facultés que ces dispositions favorisent, l'organe
particulier qui en exécute les actes ne se serait pas
développé.
A Ja vérité, chaque individu, depuis instant de
sa naissance, se trouve dans un concours de circons-
tances qui lui sont tout à fait particulières, qui con-
tribuent, en très-grande partie, à le rendre ce qu'il
est aux différentes époques de sa vie, et qui le met-
tent dans le cas d'exercer ou de ne pas exercer telle
des facultés, et telle des dispositions qu’il a apportées
en naissant ; en sorte qu'on peut dire, en général,
que nous n’avons qu'une part bien médiocre à l’état
où nous nous trouvons dans le cours de notre exis-
tence, et que nous devons nos goûts, nos penchants,
nos habitudes, nos passions, nos facultés, nos con-
naissances, même aux circonstances infiniment di-
versifiées, mais particulières, dans lesquelles chacun
de nous s’est rencontré.
Des notre plus tendre enfance, tantôt ceux qui
DE L'ENTENDEMENT 335
nous élevent, nous laissent entierement à la merci
des circonstances qui nous entourent, où en font
naitre, eux-mêmes, de tres-désavantageuses pour
nous, par suite de leur manière d’être, de voir et de
sentir ; ettantôt, par une faiblesse inconsidérée, nous
gâtentet nous laissent prendre une multitude de dé-
fauts et d’habitudes pernicieuses dont ils ne prévoient
pas les suites. Ils rient de ce qu’ils appellent nos
espiégleries, et plaisantent sur toutes nos sottises,
supposant que, plus tard, ils changeront facilement
nos inclinations vicieuses et nous corrigeront de nos
défauts.
On ne saurait imaginer combien sont grandes les
influences de nos premieres habitudes et de nos pre-
mières inclinations sur les penchants qui sont dans
le cas de nous dominer un jour, et sur le caractere
qui nous deviendra propre. L'organisation, tres-
tendre dans notre premier âge, se plie et s’accom-—
mode alors aux mouvements habituels que prend
notre fluide nerveux dans tel ou tel sens particulier,
selon que nos inclinations et nos habitudes lexer-
cent dans telle direction. Or, cette organisation en
acquiert une modification qui peut s’accroitre par
des circonstances favorables, mais que celles qui lui
deviennent contraires, n'effacent Jamais entière-
ment.
En vain, après notre enfance, fait-on des efforts
pour diriger, par le moyen de l'éducation, nos incli-
nations et nos actions vers tout ce qui peut nous ètre
330 DE L’ENTENDEMENT
utile, en un mot, pour nous donner des principes,
pour former notre raison, notre maniere de ju-
œer, etc. Il se rencontre tant de circonstances si
difficiles à maitriser, que chacun de nous, selon celles
qui le concernent, se trouve en quelque sorte en-
trainé, et acquiert insensiblement une maniere
d'être, à laquelle il n’a eu lui-même qu'une très-
petite part.
Je ne dois pas entrer ici dans les nombreux dé-
tails des circonstances qui forment, pour chaque
individu, un ensemble très-particulier de causes
influentes, mais je dois dire, parce que j'en suis con-
vaincu, que tout ce qui influe à rendre habituelle
telle de nosactions, modifie notre organisation inté-
rieure en faveur de cette action ; en sorte que, par
la suite, l’exécution de cette même action devient
pour nous une sorte de nécessité.
De toutes les parties de notre organisation, celle
qui, la premiere, recoit des modifications des habi-
tudes que nous prenons d'exercer tel genre de pen-
sées ou d'idées, ainsi que les actions qu’elles entrai-
nent, est notre organe d'intelligence. Or, selon la
nature des idées ou des pensées qui nous occupent
habituellement, c’est, nécessairement, la région
particulière du mème organe, dans laquelle s’exé-
cutent ces actes de notre entendement, qui reçoit ces
modifications. Je le répète donc : cette région de
notre organe intellectuel, continuant d’être forte-
ment exercée, acquicrt des développements qui, à
DE L’ENTENDEMENT 391
la fin, peuvent la faire remarquer par quelques
signes extérieurs.
Nous venons de considérer, sous le rapport de
ses généralités principales, l'organe qui donne lieu
à l'intelligence; nous allons maintenant passer à
examen de ce qui concerne la formation des idées.
FORMATION DES IDÉES
Mon objet ici n’est pas d'entreprendre l'analyse
des idées, non plus que de montrer comment ces
idées se composent et s'étendent, en un mot, com
ment, où par quelle voie, lentendement se perfec-
tionne. Assez d'hommes célébres depuis Bacox,
Locke et CONDILLAC, ont traité ces matieres et ont
répandu sur elles le plus grand jour : ainsi Je ne
m'en occuperai pas.
Mon but, dans cet article, est seulement d’indi-
quer par quelles causes physiques les idées peuvent
se former, et de faire voir que les comparaisons,
les jugements, les pensées, et toutes les opérations
de l’entendement, sont aussi des actes physiques qui
résultent des relations qu'ont entre elles certaines
sortes de matieres en action, et qui s’exécutent dans
un organe particulier qui a acquis graduellement la
faculté de les produire.
Tout ce que je vais exposer sur ce sujet important
se trouve entièrement réduit à ce qui est vraisem-
LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 22
338 DE L’'ENTENDEMENT
blable. Tout y est le produit de l'imagination; mais
ses efforts, à cet égard, ont été bornés par la néces-
sité de n’admettre que des causes physiques com
patibles avec les facultés connues des matières con-
sidérées, en un mot, que des causes dont l'existence
est possible, et même présumable. Enfin, relative
ment aux actes physiques que je vaisessayer d’ana-
lyser, comme rien de ce qui les concerne ne peut
ètre aperçu, rien conséquemment ne peut être
prouvé.
Je dois prévenir que je distingue et que nous rece-
vons réellement deux sortes d'idées, savoir :
Les idées simples ou directes :
Les idées complexes ou indirectes.
J'appelle idées simples, toutes celles qui provien-
nent directement et uniquement des sensations re-
marquées, que des objets, soit hors de nous, soit en
nous-mêmes, peuvent nous faire éprouver.
Je nomme #dées complexes, toutes celles qui se
forment en nous, à la suite de quelque opération de
notre entendement, sur plusieurs idées déja acquises
et qui conséquemment n’exigent pour se former
aucune sensation directe.
Les idées, quelles qu’elles soient , sont le résultat
des images ou des traits particuliers d'objets qui nous
ont affectés ; et cesimages ou ces traits ne deviennent
des idées pour nous, que lorsque, ayant été tracés
sur quelque partie de notre organe, le fluide nerveux
agité, qui les traverse, en rapporte le produit à
DE L’ENTENDEMENT 33)
notre sentiment intérieur, qui nous en donne Ja
conscience.
Outre qu'il y a réellement deux sortes d'idées,
relativement à leur origine, on doit encore distinguer
celles qui nous sont rendues sensibles et qui sont à
la fois accompagnées de la sensation qui les a pro-
duites, de celles qui, pareillement présentes à notre
conscience, ne sont plus réunies à la sensation.
Je nomme les premières, idées physico-inorales,
et les secondes, 2dées norales seulement.
Les idées physico-morales sont claires, vives,
nettement exprimées et se font ressentir avec la
force que leur communique la sensation qui les
accompagne. Ainsi, la vue d’un édifice ou de tout
autre objet qui se trouve sous mes yeux, et auquel j0
donne de l’attention, fait naître en moi une idée ou
plusieurs dont je suis vivement frappé.
Au contraire, les idées #70rales, soit simples, soit
complexes, c’est-à-dire celles dont nous n'avons la
conscience qu'à la suite d’une opération de notre
cntendement, excitée par notre sentiment intérieur,
sont tres-obscures, faiblement exprimées , et n’ont
aucune vivacité dans la manière dont elles nous
affectent, quoiqu'elles nous émeuvent quelquefois.
Ainsi, lorsque je me rappelle un objet que J'ai vu
et remarqué, un jugement que j'ai porté, un raison-
nement que j'ai fait, etc., l’idée ne m'en est rendue
sensible que d’une maniere faible et obscure.
Il faut donc bien se garder de confondre ce que
310 DE L'ENTENDEMENT
nous éprouvons lorsque nous avons la conscience
d’une idée quelconque, avec ce que nous ressentons
lorsqu'une sensation nous affecte et que nous y don-
nous de l'attention.
Tout ce dont nous avons seulement la conscience
ne nous parvient que par l'organe de l'intelligence ,
et tout ce qui nous fait éprouver la sensation ne
s'exécute , d’abord , que par l'organe sensitif que
nous possédons , et ensuite par l’idée que nous en
recevons, si notre attention nous le fait remarquer.
Ainsi , il est essentiel de distinguer le sentiment
moral du sentiment physique, parce que lexpé-
rience du passé nous apprend que, faute d’avoir fait
cette distinction, des hommes du plus grand mérite,
confondantles deux sentimentsdontil s’agit, ontétabli
des raisonnements qu'il faut maintenant détruire.
Sans doute, l’un et l’autre sentiment sont physi-
ques, mais la différence des expressions que j’em-
ploie pour les distinguer suffit à l’objet que j'ai en
vue, et d’ailleurs, ce sont les expressions en usage.
Je nomme sentiment moral, ce que nous ressen-
tons lorsqu'une idée où une pensée, ou enfin un
acte quelconque de notre entendement est rapporté
à notre sentiment intérieur, et que par la nous en
avons la conscience.
Je nomme sentiment physique, ce que nous éprou-
vons lorsque, par suite d’une impression faite sur tel
de nos sens, nous ressentons une sensation quelcon-
que, et que nous la remarquons.
DE L'ENTENDEMENT 341
D’après ces définitions simples et claires, on doit
voir que les deux objets dont il s’agit sont très-dif-
férents l’un de l’autre, tant par la nature de leur
source , que par celle des effets qu'ils produisent en
nous.
C’est cependant pour les avoir confondus, comme
l'avait déjà fait Condillac, que M. de Tracy a dit :
« Penser n’est que sentir, etsentir est, pour nous,
la même chose qu'exister, car les sensations nous
avertissent de notre existence. Les idées ou percep-
tions sont des sensations proprement dites, ou des
souvenirs, où des rapports que nous apercevons, ou
bien, enfin, le désir que nous éprouvons à l’occasion
de ces rapports : la faculté de penser se subdivise
donc en sensibilité proprement dite, en mémoire, en
jugement et en volonté. »
On voit qu'il y a dans tout ceci une confusion
évidente des sensations proprement dites, avec la
conscience de nos idées, de nos pensées, de nos juge-
ments, etc. C'est une pareille confusion du sentiment
moral avec le sentiment physique, qui a fait croire
que tout être qui possède la faculté de sentir, avait
aussi celle d'exécuter des actes d'intelligence, ce
qui, certainement, ne saurait être fondé.
Les sensations nous avertissent, sans doute, de
notre existence ; mais c’est seulement lorsque nous
les remarquons. Il faut donc pouvoir les remarquer,
c'est-à-dire y penser, y donner de l'attention, et
voilà des actes d'intelligence.
342 DE L'ENTENDEMENT
Ainsi, à l'égard de l’homme et des animaux les
plus parfaits, les sensations remarquées avertissent
de l’existence et donnent des idées; mais relative-
ment aux animaux plus imparfaits, tels, par exem-—
ple, que les 2nsecles, en qui je ne reconnais point
d’organe pour l'intelligence, les sensations ne sau-
raient être remarquées, ni donner des idées ; et elles
ne peuvent former que de simples perceptions des
objets qui affectent l'individu.
L’insecte jouit cependant d’un sentiment intérieur
susceptible d'émotions qui le font agir ; mais comme
aucune idée n’y est rapportée, il ne peut remarquer
son existence ; en un mot, il n’éprouve jamais de
sentiment moral.
C'est donc à l’égard de tout être doué d’intelli-
gence, qu'il faut dire : penser, c’est sentir morale-
ment, c’est avoir la conscience de ses idées, de ses
pensées, et celle aussi de son existence; mais ce
n'est point éprouver le sentiment physique qui est
tout autre chose, puisque celui-ci est un produit du
système des sensations, et que le premier en est un
du système organique de l'intelligence.
DES IDÉES SIMPLES
Une idée siinple provenant d’une sensation que
l’on éprouve de la part de quelque objet qui affecte
l’un de nos sens, ne peut se former que lorsque la
DE L'ENTENDEMENT 943
sensation dont il s’agit se remarque et que le résul-
tat de cette sensation se trouve transporté dans
l'organe de l'intelligence, et tracé ou gravé sur quel-
que partie de cet organe ; ce résultat se rend sensible
à l'individu parce qu'il est, dans l'instant même,
rapporté à son sentiment intérieur.
En effet, fout individu qui, jouissant de la faculté
de sentir, possede un organe pour l'intelligence, re-
coit aussitôt dans cet organe l'image ou les traits
que la sensation d'un objet qui l’affecte occasionne,
si organe dont il s'agit y est préparé par l’atten-
tion. Or, ces traits ou cette image de l'objet qui l’a
afiecté parviennent dans son hypocéphale par le
moyen d’une seconde réaction du fluide nerveux qui,
après avoir produit la sensation, porte dans Forgane
intellectuel l’ébranlement particulier qu'il a reçu de
cette sensation, y imprime sur quelque partie les
traits caractéristiques de son mouvement, et, enfin,
les rend sensibles à l'individu en reportant leur pro-
duit à son sentiment intérieur.
Les idées que l’on se forme en voyant, pour la
premiere fois, une fusée volante, en entendant le
rugissement d’un lion, et en touchant la pointe d’une
aiguille, sont des 2dées simples.
Or, les impressions que ces objets font sur nos
sens excitent aussitôt, dans le fluide des nerfs qui
les reçoivent, une agitation qui est particulière à
chacune d'elles ; le mouvement se propage jusqu'au
foyer des sensations ; tout le système y participe
314 DE L'ENTENDEMENT
aussitôt; et la sensation se trouve produite par le
mécanisme que J'ai déja exposé.
Ainsi, dans le même instant, si notre attention en
a préparé les voies, le fluide nerveux transporte
l’image de l’objet, ou certains de ses traits, dans
notre organe d'intelligence , y imprime cette image
ou ces traits sur quelque partie de cet organe, et
l’idée qu’il vient de tracer est aussitôt rapportée par
lui à notre sentiment intérieur.
De même que le fluide nerveux, par ses mouve-
ments, est l'agent qui porte au foyer des sensations
les impressions des objets extérieurs qui affectent
nos sens, de même aussi ce fluide subtil est encore
l'agent qui transporte du foyer des sensations dans
l'organe de l'intelligence le produit de chaque sen-
sation exécutée, qui y en trace les traits ou qui les y
imprime par ses agitations, si l'attention y a préparé
cet organe et qui en rapporte de suite le résultat au
sentiment intérieur de l'individu.
Ainsi, pour que les traits ou l’image de l’objet qui
a causé la sensation puissent parvenir dans l'organe
de l’entendement et ètre imprimés sur quelque partie
de cet organe, il faut, premièrement, que l’acte
qu'on nomme attention prépare l'organe à en rece-
voir l'impression, ou que ce même acte ouvre la voie
qui peut faire arriver le produit de cette sensation à
l'organe sur lequel peuvent s’imprimer les traits de
l'objet qui y a donné lieu : et pour qu’une idée quel-
conque puisse parvenir ou être rappelée à la cons-
DE L’'ENTENDEMENT 345
cience, il faut, à l’aide encore de l'attention, que le
fluide nerveux en rapporte les traits au sentiment
intérieur de l'individu, ce qui alors lui rend cette
idée présente ou sensible !, et ce qui peut se répéter
ainsi au gré de cet individu pendant un temps plus
ou moins long.
L’impression qui forme lidée se trace donc et
se grave réellement sur l'organe, puisque la mé-
moire peut la rappeler au gré de l'individu, et la
lui rendre de nouveau sensible.
Voilà, selon moi, le mécanisme probable de la for-
mation des idées ; celui par lequel nous les rendons
présentes à volonté, jusqu'à ce que le temps, en
ayant effacé ou trop affaibli les traits, nous ait mis
hors d'état de pouvoir nous en souvenir.
Tenter de déterminer comment les agitations du
fluide nerveux tracent ou gravent une idée sur l’or-
gane de l’entendement, ce serait s’exposer à com-—
mettre un des nombreux abus auxquels imagination
donne lieu ; ce que l’on peut seulement assurer, c’est
que le fluide dont il s’agit est le véritable agent qui
trace et imprime l’idée ; que chaque sorte de sensa-
tion donne à ce fluide une agitation particuliere, et
1 Sensible, c'est une expression usitée qui a deux acceptions très-
différentes, ou qui désigne des faits de deux genres très-distincts. Dans
l'une de ces acceptions, elle exprime l'effet d'une sensation, et ne con-
cerne que le sentiment physique; dans l'autre, au contraire, elle dé-
signe l'effet d'une impression sur le sentiment intérieur, qui prend sa
source dans un acte d'intelligence, et n'appartient qu'au sentiment
moral.
2416 DE L’ENTENDEMENT
le met, conséquemment, dans le cas d'imprimer sur
l'organe des traits également particuliers; et qu’en-
fin, le fluide en question agit sur un organe telle-
ment délicat, et d’une mollesse si considérable, et se
trouve alors dans des interstices si étroits, dans des
cavités si petites, qu'il peut imprimer sur leurs
parois délicates des traces plus où moins profondes
de chaque sorte de mouvement dont il peut être
agité.
Ne sait-on pas que, dans la vieillesse d’un indi-
vidu, l’organe de l'intelligence ayant perdu une par-
tie de sa délicatesse et de sa mollesse, les 2d6es se
gravent plus difficilement et moins profondément ;
que la mémoire qui se perd de plus en plus, ne rap-
pelle alors que les #dées anciennement gravées sur
l’organe, parce qu'elles furent, à cette époque, plus
faciles à imprimer et plus profondes ?
En outre, ne s'agit-il pas uniquement, à l’égard
du phénomène organique des #dées, de relations
entre des fluides en mouvement et l'organe spécial
qui contient ces fluides? Or, pour des opérations
aussi promptes que les idées et que tous les actes
d'intelligence, quel autre fluide peut les produire, si
ce n’est le fluide subtil et invisible des nerfs, fluide
si analogue à l'électricité; et quel organe plus ap-
proprié pour ces opérations délicates que le cerveau ?
Ainsi, une idée simple ou directe se forme lors-
que le fluide des nerfs agité par quelque impression
extérieure, où même par quelque douleur interne,
DE L’'ENTENDEMENT 34
rapporte au foyer des sensations l'agitation qu'il a
reçue, et que, de là, transportant cette mème agita-
tion dans l'organe de l'intelligence, il en trouve la
voie ouverte, où l'organe préparé par l'attention.
Dès que ces conditions sont remplies, l’impression
se trace aussitôt sur l'organe, l’idée reçoit son exis-
tence, et se rend sensible à l'instant même, parce
que le sentiment intérieur de individu en est affecté;
enfin, l’idée dont il s’agit, peut ètre de nouveau
rendue sensible par la mémoire, mais d’une manière
obscure, toutes les fois que individu, par un acte
de sa puissance d'agir, dirige le fluide nerveux sur
les traces subsistantes de cette 2dée.
Toute idée, rappelée par la mémoire, est donc
beaucoup plus obscure qu'elle n’était lorsqu'elle fut
formée; parce qu'alors l’acte qui la rend sensible
à l'individu, ne résulte plus d’une sensation pré-
sente.
DES iDÉES COMPLEXES
Je nomme idée complexe où indirecte, celle qui
ne provient pas immédiatement de la sensation d’un
objet quelconque, mais qui est le résultat d’un acte
d'intelligence qui s'opère sur des idées déjà acquises.
L'acte d’entendement qui donne lieu à la forma-
tion d'une idée compleze est toujours un jugement ;
et ce jugement est lui-même, ou une conséquence,
où une détermination de rapport. Or, ect acte me
J4S DE L'ENTENDEMENT
parait résulter d’un mouvement moyen qu'acquiert
le fluide nerveux, lorsque, dirigé par le sentiment
intérieur, ce fluide se partage en plusieurs masses
qui vont traverser chacune les traits de certaines
idées déja imprimées, y obtiennent autant de modi-
fications particulières dans leur agitation, et qui,
se réunissant ensuite, combinent alors, en ce mou-
vement moyen, les mouvements particuliers de cha-
cune d'elles.
C’est donc par le moyen de ce mouvement cité du
fluide nerveux, lequel est réellement le résultat
d'idées comparées, ou de rapports recherchés entre
elles, que le fluide subtil dont 1l s’agit imprime ses
traits sur l'organe, et en rapporte, dans l'instant
même, le produit au sentiment intérieur de l’indi-
vidu.
Telle est, à ce qu’il me semble, la cause physique
et le mécanisme particulier qui donnent lieu à la
formation des idées complexes de tous les genres.
Ces idées complexes sont très-distinctes des idées
simples, puisqu'elles ne résultent point d’une sen-
sation produite immédiatement, c’est-à-dire d’une
impression faite sur aucun de nos sens, qu'elles pren-
nent leur source dans plusieurs idées déjà tracées,
et qu'enfin, elles sont le produit unique d’un acte de
l’entendement, le système sensitif n’y ayant aucune
part.
Il y a cette différence entre l’acte de l’entende-
ment qui forme un jugement d’où résulte une 2dée
DE L' ENTENDEMENT 349
complexe et celui qu’on nomme souvenir, ou acte de
mémoire, et qui ne consiste qu'à rendre des idées
présentes au sentiment intérieur de l'individu, que,
dans le premier, les idées employées servent à une
opération qui amène un résultat, c’est-à-dire une
idée nouvelle, tandis que, dans le second, les idées
employées ne servent à aucune opération particu=
lière, ne donnent lieu à aucune idée nouvelle, mais
sont simplement rendues sensibles à Pindividu.
S'il est vrai que les émotions de notre sentiment
intérieur nous donnent la faculté et la puissance
d'agir, et qu'elles nous permettent de mettre en
mouvement notre fluide nerveux et de le diriger sur
les traits de différentes idées qui sont imprimées
sur diverses parties de l'organe qui les a reçues, 1l
est évident que ce fluide subtil, en passant sur les
traits de telle idée, recoit une modification partieu-
lière dans la nature de son agitation. On conçoit de
là que, si le fluide nerveux rapporte simplement cette
modification particulière de son agitation au senti-
ment intérieur de l'individu, il ne fait que rendre
l’idée sensible ou présente à la conscience de cet in-
dividu ; mais si le fluide dont il s'agit, au lieu de ne
traverser que les traits ou l’image d’une seule idée,
se partage en plusieurs masses qui, chacune, se diri-
gent sur une idée particuliére, et qu’ensuite ces
masses se réunissent toutes, le mouvement moyen
qui en résultera dans la masse commune imprimera
dans l'organe une idée nouvelle et complexe, et de
350 DE L'ENTENDEMENT
suite ea rapportera le produit à la conscience de
l'individu.
Si nous nous formons des idées complexes avec
des idées simples déja existantes, nous aurons, dès
qu'elles seront imprimées dans notre organe, des
idées complexes du premier ordre : or, il estévident
que si nous comparons ensemble plusieurs idées com-
plexes du premier ordre, par les mèmes moyens or-
ganiques avec lesquels nous avons comparé plusieurs
idées simples, nous obtiendrons un résultat, c’est-à-
dire un jugement dont nous nous formerons une
nouvelle idée, et celle-ci sera une idée complexe du
second ordre, puisqu'elle proviendra de plusieurs
idées complexes du premier ordre déja acquises. On
sent que, par cette voie, des idées complexes de
différents ordres peuvent se multiplier presque à
l'infini, ce dont la plupart de nos raisonnements
nous offrent des exemples.
Ainsi se forment, dans l'organe de l'intelligence,
différents actes physiques qui donnent lieu aux phé-
nomènes des comparaisons, des jugements particu—
liers, des analyses d'idées, enfin des raisonnements ;
et ces différents actes ne sont que des opérations sur
des idées déjà tracées, qui s’exécutent par des mou-
vements moyens qu'acquiert le fluide nerveux, lors-
qu'il en rencontre les traits ou les images dans son
agitation : et comme ces opérations sur les idées
déjà tracées, mème sur des séries d'idées compa-
rées, soit successivement, soit ensemble, ne sont que
DE L'ENTENDEMENT 35
des rapports recherchés par la pense et à l'aide du
sentiment intérieur, entre les idées de quelque ordre
qu'elles soient, ces mêmes opérations sont terminées
par des résultats qu'on nomme jugements, consé-
quences, conclusions, etc.
De même se produisent physiquement, dans les
animaux les plus parfaits, des phénomenes d'intel-
ligence d'un ordre bien inférieur sans doute, mais
qui sont tout à fait analogues à ceux que je viens de
citer, Car ces animaux reçoivent des idées et ont la
faculté de les comparer et d’en obtenir des juge-
ments. Leurs idées sont donc réellement tracées et
imprimées dans l'organe où elles se sont formées,
puisqu'ils ont évidemment de la mémoire, et que,
dans leur sommeil, on les voit souvent rêver,
c'est-à-dire éprouver des retours involontaires de
ces idées.
Relativement aux signes si nécessaires pour la
communication des idées et qui servent singulière-
ment à en étendre le nombre, je me trouve forcé de
me borner à une simple explication concernant le
double service qu'ils nous rendent.
CoxpiLLaC, dit M. Richerand, s’est acquis une
gloire immortelle en découvrant le premier, et en
prouvant sans réplique, que les signes sont aussi
nécessaires à la formation qu'à l'expression des
idées.
Je suis fàché que les bornes de cet ouvrage ne me
permettent pas d'entrer ici dans les détails suffisants
392 DE L’ENTENDEMENT
pour montrer qu'il y a une erreur évidente dans
l'expression employée, laquelle fait entendre que le
signe est nécessaire à la formation directe de l'idée,
ce qui ne peut avoir le moindre fondement.
Je ne suis pas moins admirateur que M. Riche-
rand du génie, des pensées profondes et des décou-
vertes de Condillac, mais je suis très-persuadé que
les signes, dont on ne peut se passer pour la com-
munication des idées, ne sont nécessaires à la for-
mation de la plupart de celles que nous parvenons
à acquérir, que parce qu'ils fournissent un moyen
indispensable pour en étendre le nombre, et non
parce qu'ils concourent à leur formation.
Sans doute, une langue n’est pas moins utile
pour penser que pour parler ; et il faut attacher des
signes de convention aux notions acquises, afin que
ces notions ne restent pas isolées, et que nous puis-
sions les associer, les comparer et prononcer sur
leurs rapports. Mais ces signes sont des secours, des
moyens, en un mot, un art infiniment utile pour
nous aider à penser, et non des causes immédiates
de formation d'idées.
Les signes, quels qu'ils soient, ne font qu'aider
notre mémoire sur des notions acquises, soit an-
ciennes, soit récentes, que nous donner le moyen de
nous les rendre présentes successivement, où plu-
sieurs à la fois, et par là, que nous faciliter la for-
mation d'idées nouvelles.
De ce que Condillac a tres-bien prouvé que, sans
DE L’'ENTENDEMENT 393
les signes, l’homme n’eût jamais pu parvenir à éten-
dre ses idées comme il l’a fait, et ne pourrait pas
continuer de le faire comme il le fait encore, il ne
s'ensuit pas que les signes soient eux-mêmes des
éléments d'idées.
Assurément, je regrette de ne pouvoir entrepren-
dre l’importante discussion dans laquelle il faudrait
entrer à cet égard ; mais, probablement, quelqu'un
apercevra l'erreur que je ne fais qu'indiquer et en
fera une démonstration complète. Alors, en recon-
naissant tout ce que nous devons à l’art des signes
on reconnaitra en mème temps que ce n’est qu'un
art, et qu'il est conséquemment étranger à la na-
ture.
Je conclus des observations et des considérations
exposées dans ce chapitre :
l° Que les différents actes de l’entendement exi-
gent un organe spécial où un système d'organes
particulier pour pouvoir s’exécuter, comme il en
faut un pour opérer le sentiment, un autre pour le
mouvement des parties, un autre pour la respira-
tion, etc.;
2° Que, dans l’exécution des actes de l’intelli-
gence, c’est le fluide nerveux qui, par ses mouve-
ments dans l’organe dont il s’agit, est la seule cause
agissante, l'organe lui-même n'étant que passif,
mais contribuant à la diversité des opérations par
celle de ses parties, et par celle des traits imprimés
qu'elles conservent; diversité réellement inappré-
LAMARCK, PHIL. ZOOL. II. 23
354 DE L'ENTENDEMENT
ciable, puisqu'elle s’accroît à l'infini, selon que l’or-
gane est plus exercé;
3° Que les idées acquises sont les matériaux de
toutes les opérations de l’entendement ; qu'avec ces
matériaux, l'individu qui exerce habituellement son
intelligence peut s'en former contmuellement de
nouvelles , et que le moyen qu'il peut employer pour
étendre ainsi ses idées réside uniquement dans l’ar/
des signes qui soulage sa mémoire, art que l’homme
seul sait étendre, qu'il perfectionne tous les jours,
et sans lequel ses idées resteraient nécessairement
très-bornées.
Maintenant, pour répandre plus de jour sur les
sujets dont je viens de faire mention, je vais passer
a l'examen des principaux actes de l’entendement.
c'est-à-dire de ceux du premier ordre dont tous les
autres dérivent.
CPE PERS V TT
DES PRINCIPAUX ACTES DE L'ENTENDEMENT.
OU DE CEUX DU PREMIER ORDRE
DONT TOUS LES AUTRES DÉRIVENT
Les sujets que je me propose de traiter dans ce
chapitre sont trop vastes pour qu’il me soit possible,
dans les bornes que je me suis imposées , d’entre-
prendre d’épuiser toutes les considérations et tous
les genres d'intérêt qu'ils présentent. Je me renfer-
merai donc, à leur égard, dans le projet de montrer
comment chacun des actes de l’entendement , ainsi
que chacun des phénomènes qui en résultent, pren-
nent leur source dans les causes physiques dont j'ai
fait l'exposition dans le chapitre précédent.
L’organe spécial qui donne lieu aux phénomènes
admirables de lintelligence, n’est point borné à
exécuter une seule fonction ; il en opère évidemment
quatre essentielles, et selon qu'il a recu de plus
grands développements, chacune de ces fonctions
3-6 DES PRINCIPAUX ACTES
principales, ou acquiert plus d’étendue et d’énergie,
ou se subdivise en beaucoup d’autres ; en sorte que,
dans les individus en qui cet organe est très-déve-
loppé, les facultés intellectuelles sont nombreuses,
et plusieurs d’entre elles obtiennent une étendue
presque infinie.
Aussi l’homme, qui seul peut offrir des exemples
de ce dernier cas, est-il de même le seul qui, par
l’'éminence de ses facultés intellectuelles, puisse se
livrer à l'étude de la nature, en reconnaitre et en
admirer l’ordre constant, parvenir mème à découvrir
quelques-unes de ses lois, et enfin, remonter, par
sa pensée, Jusqu'au SUPRÈME AUTEUR de toutes
choses.
Les principales fonctions qui s’exécutent dans
organe de l'intelligence, étantau nombre de quatre,
donnent lieu conséquemment à quatre sortes d'actes
tres-différents, savoir :
l° L'acte qui constitue attention:
2° Celui qui donne lieu à la pensée, de laquelle
naissent les idées complexes de tous les ordres ;
3° Gelui qui rappelle les idées acquises et qu'on
nomme souvenir OÙ Mémoire ;
4° Enfin, celui qui constitue les jugements.
Nous allons donc rechercher ce que sont réelle-
ment les actes de l'entendement qui constituent
l'attention, la pensée, la mémoire et les jugements.
Nous verrons que ces quatre sortes d’actes sont
évidemment les principales, c’est-a-dire le type ou
DE L'ENTENDEMENT 397
la source de tous les autres actes intellectuels, et
qu'il n’est point convenable de placer dans ce pre-
mier rang la volonté, qui n’est qu'une suite de cer-
tains jugements, le désir, qui n’est qu'un besoin
moral ressenti, etles sersations, qui n’appartiennent
en rien à l'intelligence.
Je dis que le désir n’est qu'un besoin, ou que la
suite d’un besoin ressenti, et je me fonde sur ce
que les besoins doivent être partagés en besoins
physiques et besoins moraux.
Les besoins physiques sont ceux qui naissent à
la suite de quelque sensation, tels que ceux de se
soustraire à la douleur, au malaise, de satisfaire à
la faim, à la soif, etc.
Les besoins moraux sont ceux qui naissent des
pensées et auxquels les sensations n’ont point de
part, tels que ceux de chercher le plaisir, le bien-
être, de fuir un danger, de satisfaire son intérêt,
son amour-propre, quelque passion, quelque pen-
chant, etc., etc. : Le désir est de cet ordre.
Les uns et les autres de ces besoins émeuvent le
sentiment intérieur de lindividu, à mesure qu'il
les ressent, et ce sentiment met aussitôt en mouve-
ment le fluide nerveux qui peut produire les actions,
soit physiques, soit morales, propres à y satisfaire.
Examinons maintenant chacune des facultés du
premier ordre , dont l’ensemble constitue l’entende-
ment ou l'intelligence.
358 DES PRINCIPAUX ACTES
DE L’ATTENTION
PREMIÈRE DES PRINCIPALES FACULTÉS
DE L'INTELLIGENCE
Voici l’une des plus importantes considérations
dont on puisse s’occuper pour parvenir à concevoir
comment les idées et tous les actes de l'intelligence
peuvent se former, et comment ils résultent de cau—
ses purement physiques; il s’agit de l'attention.
Voyons donc ce que c’est que l’at{ention, voyons
si les faits connus confirment la définition que je
vais en donner.
L’attention est un acte particulier du sentiment
intérieur, qui s'opère dans l'organe de l'intelligence,
qui met cet organe dans le cas d'exécuter chacune
de ses fonctions, et sans lequel aucune d’elles ne
pourrait avoir lieu. Ainsi l’attention n’est point en
elle-même une opération de l'intelligence, mais elle
en est une du sentiment intérieur, qui vient pré-
parer l'organe de la pensée, ou telle partie de cet
organe, à exécuter ses actes.
On peut dire que c’est un effort du sentiment inté-
rieur d’un individu, qui est provoqué, tantôt par un
besoin qui nait à la suite d’une sensation éprouvée,
et tantôt par un désir qu'une idée ou une pensée,
rappelée par la mémoire, fait naître. Cet effort, qui
transporte et dirige la portion disponible du fluide
DE'L'ENTENDEMENT 324
nerveux sur l'organe de l'intelligence, tend ou pré-
pare telle partie de cet organe, et la met dans le
cas, soit de rendre sensibles telles idées qui s’y trou-
vaient déjà tracées, soit de recevoir l’impression
d'idées nouvelles que l'individu a occasion de se
former.
Il est évident pour moi que l'attention n’est point
une sensation, comme l’a dit M. le sénateur GARAT!,
que ce n’est point non plus une idée, ni une opé-
ration quelconque sur des idées ; conséquemment,
que ce n’est point encore un acte de volonté, puisque
celui-ci est toujours la suite d’un jugement, mais
que c’est un acte du sentiment intérieur de l'individu,
qui prépare telle partie de l'organe de l’entendement
à quelque opération de l’intelligence, et qui rend
alors cette partie propre à recevoir des impressions
d'idées nouvelles, où à rendre sensibles et présentes
à l'individu, des idées qui s'y trouvaient déjà tracées.
Je puis, en effet, prouver que lorsque l’organe
de l’entendement n’est pas préparé par cet effort du
sentiment intérieur qu'on nomme attention, aucune
sensation n'y peut parvenir, ou si quelqu'une y par-
vient, elle n’y imprime aucun trait, ne fait qu'ef-
fleurer l’organe, ne produit point d'idée, et ne rend
point sensible aucune de celles qui s’y trouvent tra-
cées.
L
1 Programme des leçons sur l'analyse de l'entendement, pour l'École
normale, p. 145.
360 DES PRINCIPAUX ACTES
J'étais fondé en raisons, lorsque j'ai dit que si
toute idée provenait, au moins originairement ,
d’une sensation, toute sensation ne donnait pas né-
cessairement une idée. La citation de quelques faits
très-connus, suffira pour établir le fondement de ce
que je viens d'exposer.
Lorsque vous réfléchissez, ou lorsque votre pen-
sée est occupée de quelque chose, quoique vous ayez
les yeux ouverts, et que les objets extérieurs qui
sont devant vous, frappent continuellement votre
vue par la lumière qu'ils y envoient, vous ne voyez
aucun de ces objets, ou plutôt vous ne les distinguez
point, parce que Peffort, qui constitue votre atten-
tion, dirige alors la portion disponible de votre
fluide nerveux sur les traits des idées qui vous
occupent, et que la partie de votre organe d’intel-
ligence, qui est propre à recevoir l'impression des
sensations que ces objets extérieurs vous font éprou-
ver, n'est point alors préparée à recevoir ces sen—
sations. Aussi les objets extérieurs qui frappent de
toutes parts vos sens, ne produisent en vous aucune
idée.
En effet, votre attention dirigée alors sur les au-
tres points de votre organe, où se trouvent tracées
les idées qui vous occupent, et où, peut-être, vous
en tracez encore de nouvelles et de complexes par
vos réflexions, met ces autres points dans l’état de
tension, ou de préparation, nécessaire pour que vos
pensées puissent s’y opérer. Ainsi, dans cette cir-
DE L’ENTENDEMENT Jo
constance, quoique vous ayez l’œil ouvert, et qu’il
recoive l'impression des objets extérieurs qui l’affec-
tent, vous ne vous en formez aucune idée, parce
que les sensations qui en proviennent ne peuvent
parvenir jusqu'à votre organe d'intelligence qui
n’est pas préparé à les recevoir. De même vous n’en-
tendez point, ou plutôt vous ne distinguez point alors
les bruits qui frappent votre oreille.
Enfin, si l’on vous parle, quoique distinctement
et à haute voix, dans un moment où votre pensée
est fortement occupée de quelque objet particulier,
vous entendez tout, et cependant vous ne saisissez
rien, et vous ignorez entièrement ce que l’on vous a
dit, parce que votre organe n'était pas préparé par
l'attention à recevoir les idées que l’on vous com-
muniquait.
Combien de fois ne vous êtes-vous pas surpris à
lire une page entière d’un ouvrage, pensant à quel-
que objet étranger à ce que vous lisiez, et n’ayant
rien aperçu de ce que vous aviez lu complétement.
Dans une pareille circonstance, on donne à cet
état de préoccupation de l'intelligence, le nom de
distraction.
Mais si votre sentiment intérieur, ému par un
besoin ou un intérèt quelconque, vient tout à coup
à diriger votre fluide nerveux sur le point de votre
organe d'intelligence où se rapporte la sensation de
tel objet que vous avez sous les yeux, ou de tel bruit
qui frappe votre oreille, ou de tel corps que vous
362 DES PRINCIPAUX ACTES
touchez, alors votre attention préparant ce point de
votre organe à recevoir la sensation de l’objet qui
vous affecte, vous acquérez aussitôt une idée quel-
conque de cet objet, et vous en acquérez même
toutes les idées que sa forme , ses dimensions et ses
autres qualités peuvent imprimer en vous, au moyen
de différentes sensations, si vous y donnez une
attention suffisante.
Il n'y a donc que les sensations remarquées,
c'est-à-dire que celles sur lesquelles l'attention
s’est arrêtée, qui fassent naître des idées : ainsi,
toute idée, quelle qu’elle soit, est le produit réel
d’une sensation remarquée, en un mot, d’un acte
qui prépare l'organe de l’inteligence à recevoir les
traits caractéristiques de cette idée, et toute sensation
qui n’est point remarquée, c’est-à-dire qui ne ren-
contre point l'organe de l'intelligence préparé par
l'attention à en recevoir l'impression, ne saurait
former aucune idée.
Les animaux à mamelles ont les mêmes sens que
l’homme et recoivent, comme lui, des sensations de
tout ce qui les affecte. Mais, comme ils ne s’arrètent
point à la plupart de ces sensations, qu'ils ne fixent
point leur attention sur elles, et qu’ils ne remar-
quent que celles qui sont immédiatement relatives à
leurs besoins habituels, ces animaux n’ont qu'un
petit nombre d'idées qui sont toujours à peu pres les
mêmes, en sorte que leurs idées ne varient point ou
presque point.
DE L’ENTENDEMENT 368
Aussi, à l'exception des objets qui peuvent satis-
faire à leurs besoins et qui font naître en eux des
idées, parce qu'ils les remarquent, tout le reste est
comme nul pour ces animaux.
La nature n'offre aux yeux, soit du chien ou du
chat, soit du cheval ou de l’ours, etc., aucune
merveille, aucun objet de curiosité, en un mot, au-
cune chose qui les intéresse , si ce n’est ce qui sert
directement à leurs besoins ou à leur bien-être ; ces
animaux volent tout le reste sans le remarquer,
c’est-à-dire sans y fixer ieur attention, et consé-
quemment n’en peuvent acquérir aucune idée. Cela
ne peut être autrement , tant que les circonstances
ne forcent point l'animal à varier les actes de son
intelligence, à avancer le développement de l’organe
qui les produit, et à acquérir, par nécessité, des
idées étrangères à celles que ses besoins ordinaires
produisent en lui. À cet égard, on connait assez les
résultats de l'éducation forcée que lon donne à
certains animaux.
Je suis donc fondé à dire que les animaux dont il
s’agit, ne distinguent presque rien de tout ce qu'ils
apercoivent, et que tout ce qu'ils ne remarquent
point est comme nul ou sans existence pour eux,
quoique la plupart des objets qui les environnent
agissent sur leurs sens.
Quel trait de lumiere cette considération des fa-
cultés et de l'emploi de l'attention ne jette-t-elle
pas sur la cause qui fait que les animaux. qui pos-
301 DES PRINCIPAUX ACTES
sedent les mêmes sens que l’homme, n’ont cepen-
dant qu'un si petit nombre d’idées, pensent si peu,
et sont toujours assujettis aux mêmes habitudes !
Le dirai-je ? que d'hommes aussi, pour qui presque
tout ce que la nature présente à leurs sens se trouve
à peu près nul ou sans existence pour eux, parce
qu'ils sont à l'égard de ces objets sans aftention,
comme les animaux ! Or, par suite de cette maniere
d'employer leurs facultés et de borner leur attention
à un petit nombre d'objets qui les intéressent, ces
hommes n’exercent que très-peu leur intelligence,
ne varient presque point les sujets de leurs pensées,
n’ont, de même que les animaux dont nous venons
de parler, qu'un très-petit nombre d'idées et sont
fortement assujettis au pouvoir de l’habitude.
Effectivement, les besoins de l’homme qu’une
éducation quelconque n’a point forcé de bonne heure
à exercer son intelligence, embrassent seulement
ce qui lui parait nécessaire à sa conservation et à
son bien-être physique, mais ils sont extrèmement
bornés relativement à son bien-être moral. Les idées
qui se forment en lui, se réduisent à très-peu près à
des idées d'intérêt, de propriété et de quelques
jouissances physiques, elles absorbent laffention
qu'il donne au petit nombre d'objets qui les ont fait
naître et qui les entretiennent. On doit sentir que
tout ce qui est étranger aux besoins physiques de
cet homme, à ses idées d'intérêt et à celles de
quelques jouissances physiques et morales très-
DE L’ENTENDEMENT 309
bornées, se trouve comme nul ou sans existence
pour lui, parce qu'il ne le remarque jamais et qu'il
ne saurait le remarquer, puisque n'ayant point
l'habitude de varier ses pensées, rien d’étranger
aux objets que je viens d'indiquer ne saurait lémou-
voir.
Enfin , l’éducation, qui développe l'intelligence
de l'homme d’une manière si admirable, ne le fait
ou n'y parvient, que parce qu'elle habitue celui qui
la recoit à exercer sa faculté de penser, à fixer son
attention sur les objets si variés et si nombreux qui
peuventaffecter ses sens, sur tout ce qui peut aug—
menter son bien-être physique et moral, et par con-
séquent sur ses véritables intérêts dans ses relations
avec les autres hommes.
En fixant son attention sur les différents objets
qui peuvent affecter ses sens, il parvient à distin-
œuer ces objets les uns des autres et à déterminer
leurs différences, leurs rapports et les qualités par-
ticuliéres de chacun d’eux : de la, la source des
sciences physiques et naturelles.
De même, en fixant son aftention sur ses intérêts
dans ses relations avec les autres hommes, et sur
ce qu'il peut apercevoir d’instructif pour eux, il se
forme des idées morales, soit de toutes les conve-
nances à l'égard des situations dans lesquelles 1l
peut se rencontrer dans le cours de sa vie sociale,
soit de ce qui peut avancer les connaissances utiles :
de là, la source des sciences politiques et morales.
366 DES PRINCIPAUX ACTES
Ainsi, l'habitude d'exercer son intelligence et de
varier ses pensées que l’homme recoit de l’éduca-
tion étend singulièrement en lui la faculté de donner
de Pattention à quantité d'objets différents , de for-
mer des comparaisons particulières et générales,
d'exécuter des jugements dans un haut degré de
rectitude et de multiplier ses idées de tout genre,
et surtout ses idées complexes. Enfin, cette habi-
tude d'exercer son intelligence, si les diverses cir-
constances de sa vie la favorisent, le met dans le cas
d'étendre ses connaissances, d'agrandir et de diriger
son génie, en un mot, de voir en grand, d’embras-
ser une multitude presque infinie d'objets par sa
pensée, et d'obtenir de son intelligence les jouis-
sances les plus solides et les plus satisfaisantes.
Je terminerai ce sujet en remarquant que, quoi
que l'attention doive ses actes au sentiment intérieur
de l'individu qui, ému par un besoin, le plus souvent
moral, a seul le pouvoir d’y donner lieu, elle est
néanmoins une des facultés essentielles de lintelli-
gence, puisqu'elle ne s’opéere que dans l’organe qui
produit ces facultés, et qu'on est d’après cela auto-
risé à penser que tout être privé de cet organe ne
saurait exécuter aucun de ses actes, c’est-à-dire ne
saurait donner de Pat/ention à aucun objet.
Cet article sur l’aftention méritait d’être un peu
étendu, car le sujet m'a paru très-important à éclair-
cir, et je suis fortement persuadé que, sans la con
naissance de la condition nécessaire pour qu'une
DE L'ENTENDEMENT 367
sensation puisse produire une idée, jamais on n'au-
rait pu saisir ce qui est relatif à la formation des
idées, des pensées, des jugements, etc, non plus que
la cause qui contraint la plupart des animaux qui ont
les mêmes sens que l’homme à ne se former que
tres-peu d'idées, à ne les varier que si difficilement
et à rester soumis aux influences des habitudes.
On a donc lieu de se convaincre, d’après ce que
j'ai exposé, qu'aucune des opérations de Porgane de
l’entendement ne peut se former, si cet organe n'y
est préparé par l'attention, et que nos idées, nos
pensées, nos jugements, nos raisonnements ne s’exé-
cutent qu'autant que l'organe dans lequel ces actes
s'effectuent se trouve continuellement maintenu dans
l’état où il doit être pour que ces actes puissent se
produire.
Comme laftention est une action dont le fluide
nerveux est l'instrument principal, tant qu’elle sub-
siste elle consomme une quantité quelconque de ce
fluide. Or, par sa trop grande durée, cette action
fatigue et épuise tellement l'individu, que les autres
fonctions de ses organes en souffrent proportion
nellement. Aussi les hommes qui pensent beaucoup,
qui méditent continuellement et qui se sont fait une
habitude d'exercer, presque sans discontinuité, leur
attention sur les objets qui les intéressent, ont-ils
leurs facultés digestives et leurs forces musculaires
tres-affaiblies.
Passons maintenant à lexamen de la pensée, la
368 DES PRINCIPAUX ACTES
seconde des principales facultés de l'intelligence,
mais celle qui constitue la premuere et la plus géné-
rale de ses opérations.
DE LA PENSÉE
DEUXIÈME DES FACULTÉS PRINCIPALES
DE L'INTELLIGENCE
La pensée est le plus général des actes de l’intel-
ligence, car, après l'attention qui donne à la pensée
elle-même et aux autres actes de l’entendement le
pouvoir de s’opérer, celui dontil est ici question em-
brasse véritablement tous les autres, et néanmoins
mérite une distinction particulière.
On doit considérer la pensée comme une action
qui s’exécute, dans l'organe de l'intelligence, par
des mouvements du fluide nerveux, et qui s'opère
sur des idées déjà acquises, soit en les rendant sim-
plement sensibles à l'individu sans aucun change-
ment, comme dans les actes de mémoire, soit en
comparant entre elles diverses de ces idées pour en
obtenir des jugements ou trouver leurs rapports, qui
sont aussi des jugements, comme dans les rasonne-
inents, Soit en les divisant méthodiquement et les
décomposant, comme dans les analyses, soit, enfin,
en créant, d’après ces idées qui servent de modèles
ou de contrastes, d’autres idées, et d’après celles-ci
d’autres encore, comme dans les opérations de l’éra
gination.
DE L'ENTENDEMENT 309
Toute pensée serait-elle où un acte de mémoire
ou un jugement? Je l'avais d’abord supposé; et
dans ce cas, la pensée ne serait pas une faculté par-
ticulière de l'intelligence, distincte des souvenirs et
des jugements. Je crois cependant qu’il faut ranger
cet acte de l’entendement au nombre de ses facultés
particulières et principales, car la pensée qui cons-
titue la réflexion, c’est-à-dire celle qui consiste dans
la considération où lPexamen d'un objet, est plus
qu'un acte de mémoire, et n’est pas encore un juge-
ment. Effectivement, les comparaisons et les recher-
ches de rapports entre des idées ne sont pas sim-
plement des souvenirs, et ne sont pas non plus des
jugements, mais presque toujours ces pensées se
terminent par un jugement ou par plusieurs.
Quoique tous les actes de l’entendement soient
des pensées, on peut donc regarder la pensée elle-
même comme le résultat d’une faculté particulière
de l'intelligence, puisque certains de ces actes ne
sont point simplement de la mémoire, ni positivement
des jugements.
S'il est vrai que toutes les opérations de lintel-
ligence soient des pensées, 1l l’est aussi que les idées
sont les matériaux qui servent à l'exécution de ces
opérations, et que le fluide nerveux est l'agent uni-
que qui y donne lieu immédiatement; ce que j'ai
déjà expliqué dans le chapitre précédent.
La pensée étant une opération de l’entendement,
qui s'exécute sur des idées déja acquises, peut seule
LAMARCK, PIIIL. ZOOL. II. 24
370 DES PRINCIPAUX ACTES
donner lieu à des jugements, des raisonnements,
enfin, aux actes de l’imagination. Dans tout ceci, les
idées sont toujours les matériaux de l’opération, et
le sentiment intérieur est aussi toujours la cause qui
excite et dirige son exécution, en mettant le fluide
nerveux en mouvement dans l’hypocéphale.
Get acte de l’entendement se produit quelquefois
a la suite de quelque sensation qui a donné lieu à
une idée, et celle-ci à un désir ; mais le plus souvent
il s'exécute sans qu'aucune sensation l'ait immédia-
tement précédé, car le souvenir d’une idée qui donne
naissance à un besoin moral suffit pour émouvoir
lesentiment intérieur, et le mettre dans le cas d’ex-
citer l'exécution de cet acte.
Ainsi, tantôt l'organe de lintelligence exécute
quelqu'une de ses fonctions à la suite d’une cause
externe qui amène quelque idée, laquelle émeut le
sentiment intérieur de l'individu , et tantôt cet or—
gane entre de lui-même en activité, comme lorsque
quelque idée rappelée par la mémoire fait naïitre un
désir, c’est-à-dire un besoin moral, et par suite une
émotion du sentiment intérieur qui le porte à pro-
duire quelque acte d'intelligence ou successivement
plusieurs de ces actes.
De mème que toute autre action du corps, aucune
pensée ne s'exécute que par l'excitation du senti
ment intérieur , en sorte que, sauf les mouvements
organiques essentiels à la conservation de la vie,
les actes de lintelligence et ceux du système muscu-
DE L'ENTENDEMENT 371
laire dépendant, sont toujours excités par le senti-
ment intérieur de l'individu, et doivent être réelle-
ment regardés comme étant le produit de ce senti-
ment.
Il résulte de ces considérations, que la pensée
étant une action, ne s’aurait s’exécuter que lorsque
le sentiment intérieur excite le fluide nerveux de
lhypocéphale à la produire, et que, d’après Pétat
nécessairement passif de la pulpe cérébrale, le
fluide dont 1l s’agit, étant mis en mouvement dans
ses parties, doit être le seul corps actif dans l’exé-
cution de cette action.
En effet, un être doué d’un organe pour l’intelli-
œence, ayant la faculté, par une émotion de son
sentiment intérieur, de mettre en mouvement son
fluide nerveux, et de diriger ce fluide sur les traits
imprimés de telle idée déja acquise, se rend aussitôt
sensible cette idée particulière lorsqu'il excite cette
action. Or, cet acte est une pensée quoique tres-sim—
ple, et à la fois un acte de mémoire. Mais si, au lieu
de se rendre sensible une seule idée, l'individu fait
la même chose à l'égard de plusieurs, et exécute
des opérations sur ces idées, alors il forme des pen-
sées moins simples, plus prolongées, et il peut opé-
rer ainsi différents actes d'intelligence, enfin, une
longue suite de ces actes.
La pensée est donc une action qui peut se compli-
quer d’un grand nombre d’autres semblables exé-
cutées successivement, quelquefois presque simulta-
378 DES PRINCIPAUX ACTES
nément, et embrasser un nombre considérable
d'idées de tous les ordres.
Non-seulement la pensée embrasse, dans ses opé-
rations, des idées existantes, c’est-à-dire déja tra-
cées dans l'organe, mais, en outre, elle en peut pro-
duire qui n'y existaient pas. Les résultats des com-
paraisons, les rapports trouvés entre différentes
idées, enfin, les produits de l'imagination, sont autant
d'idées nouvelles pour l'individu, que sa pensée peut
faire naître, imprimer dans son organe, et rapporter
de suite à son sentiment intérieur.
Les jugements, par exemple, qu'on nomme aussi
des conséquences, parce qu'ils sont les suites de
comparaisons exécutées ou de calculs terminés,
sont à la fois des pensées et des actes subséquents
de pensées.
La mème chose a lieu à légard des raisonne-
inents, car on sait que plusieurs jugements qui se
déduisent successivement entre des idées comparées,
constituent ce qu'on nomme un raisonnement; or,
les raisonnements n'étant que des séries de consé-
quences, sont encore des pensées et des actes sub-
séquents de pensées.
Il résulte de tout ceci que tout ètre qui ne pos-
sede aucune idée ne saurait exécuter aucune pensée,
aucun jugement, et bien moins encore un raisonne-
ment quelconque.
Méditer, c'est exécuter une suite de pensées, c’est
approfondir par des pensées suivies, soit les rapports
- DE L’'ENTENDEMENT 913
entre plusieurs objets considérés, soit les idées diffé-
rentes qu'on peut obtenir d’un seul objet.
Effectivement, un seul objet peut offrir à un être
intelligent une suite d'idées différentes, savoir :
celles de sa masse, de sa grandeur, de sa forme, de
sa couleur, de sa consistance, etc.
Si l'individu se rend sensibles différentes de ces
idées, l'objet n'étant pas présent, on dit qu’il pense
a cet objet; et en effet, il exécute réellement à son
égard une ou plusieurs pensées de suite; mais si
l'objet est présent, on dit alors qu'il observe, et
qu'il examine, pour s’en former toutes les idées que
sa méthode d'observation et sa capacité d'attention
peuvent lui permettre d’en obtenir.
De même que la pensée s'exerce sur des idées
directes, c’est-à-dire obtenues par des sensations
remarquées, de même aussi elle s'exerce sur les
idées complexes que lindividu possède et peut se
rendre sensibles.
Ainsi, l’objet d’une pensée ou d’une suite de pen-
sées peut être matériel où embrasser différents
objets matériels; mais il peut être aussi constitué
par une idée complexe où se composer de plusieurs
idées de cette nature. Or, à l’aide de la pensée, lin-
dividu peut obtenir des unes et des autres de ces
idées, plusieurs autres encore, et cela à l'infini. De
là, Pèmagination qui prend sa source dans l'habitude
de penser et de se former des idées complexes, et
qui parvient à créer, par similitude où analogie, des
374 DES PRINCIPAUX ACTES
idées particuheres, dont celles qui proviennent des
sensations ne sont que des modeles.
Je m’arrête ici, ne me proposant nullement l’'ana-
lyse des idées, que des hommes plus habiles et plus
profonds penseurs ont déjà faite, et j’ai atteint mon
but, si J'ai montré le vrai mécanisme par lequel les
idées et les pensées se forment dans l'organe de l'in-
teligence, aux excitations du sentiment intérieur de
l'individu.
J’ajouterai seulement que l'attention est toujours
compagne de la pensée, en sorte que, lorsque la
première n’a plus lieu, la seconde cesse aussitôt
d'exister.
J'ajouterai encore que, comme la pensée est une
action, elle consomme du fluide nerveux ; et que,
par conséquent, lorsqu'elle est trop longtemps sou-
tenue, elle fatigue, épuise, et nuit à toutes les autres
fonctions organiques, surtout à la digestion.
Enfin, je terminerai par cette remarque que je
crois fondée, savoir : que la portion disponible de
notre fluide nerveux augmente ou diminue selon
certaines circonstances, en sorte que tantôt elle est
abondante et plus que suffisante pour la production
d'une longue suite d'attention et de pensées, tandis
que tantôt elle ne saurait suffire et ne pourrait
fournir à lexécution d'une suite d'actes d'intelli-
gence, qu'au détriment des fonctions des autres or-
ganes du corps.
De là, ces alternatives dans l'activité et la lan-
DE L’ENTENDEMENT 319
gueur de la pensée qu'a citées Gabanis ; de là, cette
facilité dans certains temps et cette difficulté dans
d’autres, qu'on éprouve pour maintenir son attention
et exécuter une suite de pensées.
Lorsqu'on est affaibli par les suites d’une maladie
ou par l’âge, les fonctions de l’estomac s’exécutent
avec peine, elles exigent, pour s’opérer, l'emploi
d'une grande portion du fluide nerveux disponible.
Or, si, pendant ce travail de l'estomac, vous détour-
nez le fluide nerveux qui va aider la digestion en
le faisant refluer vers l’hypocéphale, c’est-à-dire en
vous livrant à une forte application et à une suite
de pensées qui exigent une attention profonde et
soutenue, vous nuisez alors à la digestion et vous
exposez votre santé.
Le soir, comme on esten quelque sorte épuisé par
les diverses fatigues de la journée, surtout lorsqu'on
n’est plus dans la vigueur de la jeunesse, la portion
disponible du fluide nerveux est, en général, moins
abondante et est moins en état de fournir aux tra-
vaux suivis de la pensée : le matin, au contraire,
après les réparations qu'un bon sommeil a procurées,
la portion disponible du fluide nerveux est fort abon-
dante, elle peut fournir avantageusement et assez
longtemps aux consommations qu'en font les opéra-
tions de l'intelligence, ou à celles que font les
exercices du corps. Enfin, plns vous consommez
votre fluide nerveux, disponible aux opérations de
l'intelligence, moins alors vous avez de faculté
376 DES PRINCIPAUX ACTES
pour les travaux et les exercices du corps, et vice
verst.
Il y a donc, par suite de ces causes et de beau-
coup d’autres, des alternatives remarquables dans
notre faculté, plus ou moins grande, d'exécuter une
suite de pensées, de méditer, de raisonner, et sur—
tout d'exercer notre imagination. Parmi ces causes,
les variations de notre état physique et les influences
que cet état recoit des changements qui s’opérent
dans celui de l'atmosphère, ne sont pas les moins
puissantes.
Comme les actes de l’imagination sont encore
des pensées, c’est ici le lieu d’en dire un mot.
L’'IMAGINATION
L’inagination est cette faculté créatrice d'idées
nouvelles , que l'organe de l'intelligence, à l’aide
des pensées qu'il exécute, parvient à acquérir, lors-
qu'il contient beaucoup d'idées, et qu’il est habituel
lement exercé à en former de complexes.
Les opérations de l’intelligence qui donnent lieu
aux actes de l’imagination sont excitées par le
sentiment intérieur de l'individu , exécutées par les
mouvements de son fluide nerveux, comme les autres
actes de la pensée, et dirigées par des jugements.
Les actes de l’nagination consistent à opérer,
par des comparaisons et des jugements sur des idées
acquises, des idées nouvelles, en prenant les pre-
DE L'ENTENDEMENT 371
mières, soit pour modèles, soit pour contrastes ; en
sorte qu'avec ces matériaux et par ces opérations ,
l'individu peut se former une multitude d'idées nou-
velles qui s’impriment dans son organe, et avec
celles-ci beaucoup d’autres encore, ne mettant d’au-
tres termes à cette création infinie que ceux que son
degré de raison peut lui suggérer.
Je viens de dire que les idées acquises, qui sont
les matériaux des actes de l'imagination, sont em
ployées dans ces actes, soit comme modeles, soit
comme contrastes.
Effectivement, que l’on considere toutes les idées
produites par l’imagination de l’homme , on verra
que les unes, et c’est Le plus grand nombre, retrou-
vent leurs modeles dans les idées simples qu'il a pu
se faire à la suite des sensations qu’il a éprouvées,
ou dans les idées complexes qu'il s’est faites avec ces
idées simples, et que les autres prennent leur source
dans le contraste où lopposition des idées simples
et des idées complexes qu'il avait acquises.
L'homme ne pouvant se former aucune idée solide
que des objets, où que d’après des objets qui sont
dans la nature, son intelligence eût été bornée à
l’effectuation de ce seul genre d'idées, si elle n’eût
eu la faculté de prendre ces mêmes idées ou pour
modele, ou pour contraste, afin de s’en former d’un
autre genre.
C'est ainsi que l’homme a pris le contraste ou
l'opposé de ses idées simples, acquises par la voie
378 DES PRINCIPAUX ACTES
des sensations , ou de ses idées complexes, lorsque
s'étant fait une idée du fini, il a imaginé l'infini;
lorsqu'ayant conçu l’idée d’une durée limitée, il a
imaginé l'éternité, ou une durée sans limites ; lors-
que s'étant formé l’idée d’un corps ou de la matière,
il a imaginé l'esprit ou un être immatériel, etc., etc.
Il n’est pas nécessaire de montrer que tout produit
de l’imagination qui n'offre pas le contraste d’une
idée, soit simple, soit complexe, acquise, au moins
originairement par la voie des sensations , retrouve
nécessairement son modele dans cette idée. Que de
citations je pourrais faire à l'égard des produits de
l'imagination de l’homme, si je voulais montrer que
partout où il a voulu créer des idées quelconques, ses
matériaux ont toujours été les modèles des idées
déjà acquises, ou les contrastes de ces idées !
Une vérité bien constatée par l’observation et
l'expérience, c’est qu'il en est de l’organe d'intelli-
gence comme de tous les autres organes du corps ;
plus il est exercé, plus il se développe, et plus ses
facultés s'étendent.
Ceux des animaux qui sont doués d’un organe
pour l'intelligence, manquent néanmoins d’inagi-
nation; parce qu'ils ont peu de besoins, qu'ils varient
peu leurs actions, qu'ils n’acquierent en conséquence
que peu d'idées, et surtout parce qu'ils ne forment
que rarement des idées complexes, et qu'ils n’en
forment jamais que du premier ordre.
Mais l’homme, qui vit en société, a tant multiplié
DE L'ENTENDEMENT 319
ses besoins, qu'il à nécessairement multiplié ses
idées dans des proportions qui y sont relatives; en
sorte qu'il est de tous les êtres pensants celui qui
peut le plus aisément exercer son intelligence, cel
qui peut le plus varier ses pensées, enfin, celui qui
peut se former le plus d'idées complexes : aussi
a-t-on lieu de croire qu’il est le seul être qui puisse
avoir de l'imagination.
D'une part, si l’ünagination ne peut exister que
dans un organe qui contient déjà beaucoup d'idées,
et ne prend sa source que dans l'habitude de former
des idées complexes, et de l’autre part, s'il est vrai
que plus l'organe de l'intelligence est exercé, plus
cet organe se développe, et plus ses facultés s’éten-
dent et se multiplient, on sentira que, quoique tous
les hommes soient dans le cas de posséder cette
belle faculté qu'on nomme ##ragination, 11 n'y
en a néanmoins qu'un très-petit nombre qui
puisse avoir cette faculté dans un degré un peu
éminent.
Que d'hommes, même à part de ceux qui n’ont
pu recevoir aucune éducation , sont forcés par les
circonstances de leur conditon et de leur état, de
s'occuper tous les jours, pendant la principale
portion de leur vie, des mêmes sortes d'idées,
d'exécuter les mêmes travaux, et qui, par suite de ces
circonstances, ne sont presque point dans le cas de
varier leurs pensées ! Leurs idées habituelles roulent
dans un petit cercle qui est à peu pres toujours le
330 DES PRINCIPAUX ACTES
même, et ils ne font que peu d'efforts pour l’étendre,
parce qu'ils n’y ont qu’un intérêt éloigné.
L’imagiuation est une des plus belles facultés de
l’homme : elle ennoblit toutes ses pensées, les élève,
l'empêche de se trainer dans la considération de
petites choses, de menus détails; et lorsqu'elle
atteint un degré très-éminent, elle en fait un être
supérieur à la grande généralité des autres.
Or, le génie, dans un individu, n’est autre chose
qu'une grande #magination, dirigée par un goût
exquis, et par un Jugement tres-rectifié, nourrie et
éclairée par une vaste étendue de connaissances,
enfin, limitée, dans ses actes, par un haut degré
de raison.
Que serait la littérature sans l'imagination! En
vain le littérateur possède-t-il parfaitement la lan-
gue dont il se sert, et offre-t-il, dans ses écrits ou
ses discours, une diction épurée, une style irrépro-
chable, s'il n’a point d'énragination, il est froid,
vide de pensées et d’inages, 1l n’émeut point, n’m-
téresse point, et tous ses efforts manquent leur but.
La poésie, cette belle branche de la littérature,
et l’éloquence même, pourraient-elles se passer
d'imagination ?
Pour moi, je pense que la littérature, ce beau
résultat de l'intelligence humaine, est l’art noble
et sublime de toucher, d’émouvoir nos passions,
d'élever et d'agrandir nos pensées, enfin, de les
transporter hors de leur sphère commune. Get art
DE L'ENTENDEMENT 351
a ses régles et ses préceptes, mais l’iaginatlion
et le gout sont la seule source où il puise ses plus
beaux produits.
Si la littérature émeut, anime, plait, et fait le bon-
heur de tout homme en état d’en gotter le charme,
la science lui cède à cet égard, car elle instruit froi-
dement et avec rigidité : mais elle l'emporte en ce
que non-seulement elle sert essentiellement tous les
arts, et qu'elle nous donne les meilleurs moyens de
pourvoir à tous nos besoins physiques, mais, en
outre, eu ce qu'elle agrandit solidement toutes nos
pensées, en nous montrant dans toute chose ce qui
y est réellement, et non ce que nous aimerions
mieux qui y füt.
L'objet de la premiére est un art aimable, celui
de la deuxième est la collection de toutes les connais-
sances positives que nous pouvons acquérir.
Les choses étant ainsi, autant l'énagination est
utile, indispensable même en littérature, autant
elle est à redouter dans les sciences ; car ses écarts,
dans la première, ne sont qu'un manque de goût et
de raison, tandis que ceux qu’elle fait dans les der-
niéres sont des erreurs ; en sorte que c’est presque
toujours l'imagination qui les produit, lorsque l'ins-
truction et la raison ne la guident paset ne la limi-
tent pas; et si ces erreurs séduisent, elles font à la
science un tort qui est souvent fort difficile à ré=
parer.
Cependant sans ragination, point de génie, et
382 DES PRINCIPAUX ACTES
sans génie, point de possibilité de faire de décou-
vertes autres que celles des faits, mais toujours sans
conséquences satisfaisantes. Or, toute science n'étant
qu'un corps de principes et de conséquences, conve-
nablement déduits des faits observés, le génie est
absolument nécessaire pour poser ces principes et en
tirer ces conséquences ; mais il faut qu'il soit dirigé
par un jugement solide, et retenu dans les limites
qu'un haut degré de lumières peut seul lui imposer.
Ainsi, quoiqu'il soit vrai que l’énagination est
à redouter dans les sciences, elle ne peut lètre
cependant que lorsqu'une raison éminente et bien
éclairée ne la domine pas ; tandis que, dans le cas
contraire, elle constitue alors une des causes essen-
tielles aux progrès des sciences.
Or, le seul moyen de limiter notre imagination,
afin que ses écarts ne nuisent point à l'avancement
de nos connaissances, c’est de ne lui permettre de
s'exercer que sur des objets pris dans la nature, ces
objets étant les seuls qu'il nous soit possible de con-
naître positivement ; ses différents actes seront alors
d'autant plus solides, qu'ils résulteront de la consi-
dération du plus grand nombre de faits relatifs à
l’objet considéré, et de la plus grande rectitude dans
nos jugements.
Je terminerai cet article en faisant remarquer
que, s’il est vrai que nous prenions toutes nos idées
dans la nature, et que nous n’en ayons aucune qui
n’en provienne originairement, 1l l’est aussi qu'avec
DE L’ENTENDEMENT 989
ces idées, nous pouvons, à l’aide de notre imagina-
tion et en les modifiant diversement, en créer qui
soient entièrement hors de la nature; mais ces der-
nières sont toujours ou des contrastes d'idées ac-
quises, où des images plus où moins défigurées
d'objets dont la nature seule nous a donné connais-
sance.
Effectivement, dans les idées les plus exagérées
et les plus extraordinaires de l’homme, si l’on y
fait attention, il est impossible de ne pas reconnaître
la source où il a puisé.
DE LA MÉMOIRE
TROISIÈME DES PRINCIPALES FACULTÉS
DE L'INTELLIGENCE
La mémoire est une faculté des organes qui con-
courent à l'intelligence ; le souvenir d’un objet ou
d'une pensée quelconque est un acte de cette faculté ;
et l'organe de l’entendement est le siège où s'exécute
cet acte admirable, dont le fluide nerveux, par ses
mouvements dans cet organe, est le seul agent qui
en consomme l'exécution : voilà ce que je me pro-
pose de prouver; mais auparavant considérons l’im-
portance de la faculté dont il s’agit.
On peut dire que la s#1émoire est la plus impor-
tante et la plus nécessaire des facultés intellectuel-
les, car, que pourrions-nous faire sans la s26moire :
384 DES PRINCIPAUX ACTES
comment pourvoir à nos divers besoins, si nous ne
pouvions nous rappeler les différents objets que nous
sommes parvenus à Connaitre ou à préparer pour y
satisfaire ?
Sans la mémoire, homme n'aurait aucun genre
de connaissance, toutes les sciences seraient absolu-
ment nulles pour lui, il ne pourrait cultiver aucun
art, il ne saurait même avoir aucune langue pour
communiquer ses idées; et comme pour penser,
pour imaginer mème, il faut, d’une part, qu'il ait
préalablement des idées, et de l’autre part, qu'il
exécute des comparaisons entre diverses de ces idées,
il serait donc totalement privé de la faculté de pen-
ser et entierement dépourvu d'imagination, sil
n'avait point de mémoire. Aussi, en disant que les
Muses étaient filles de la mémoire, les anciens ont
prouvé qu'ils avaient eu le sentiment de l’impor-
tance de cette faculté de l'intelligence.
Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que
les idées provenaient des sensations que nous avions
éprouvées et remarquées, et qu'avec celles que ces
sensations remarquées ont imprimées dans notre
organe, nous pouvions nous en former d’autres qui
sont indirectes et complexes. Toute idée quelconque
vient donc originairement d’une sensation, et on
ne peut en avoir aucune qui ait une autre origine,
ce qui, depuis Locke, est bien reconnu.
Maintenant, nous allons voir que la sémoire ne
peut avoir d'existence qu'après celle des idées acqui-
a
DE L'ENTENDEMENT 385
ses, et conséquemment, qu'aucun individu ne saurait
en produire aucun acte, s’il n’a des idées imprimées
dans l'organe qui en est le siége.
S'il en est ainsi, la nature n’a pu donner aux
animaux les plus parfaits, et à l’homme même, que
de la mémoire, et non de la prescience, c’est-à-dire
la connaissance des événements futurs !.
L'homme serait sans doute très-malheureux s’il
savait positivement ce qui doit lui arriver, s'il con-
naissait l’époque précise de la fin de sa vie, ete., etc.;
mais la véritable raison qui fait qu'il n'a point cette
connaissance, c'est que la nature n’a pu la lui don-
ner ; cela lui était impossible. La mémoire n'étant
que le souvenir de faits qui ont existé, et dont nous
avons pu nous former des idées ; et l'avenir, au con-
traire, devant donner lieu à des faits qui n’ont pas
encore d'existence, nous ne pouvons en avoir au—
eune idée, à l'exception de ceux qui tiennent à quel-
ques portions reconnues de l’ordre qui suit la nature
dans ses actes.
Voyons présentement quel peut être le méca-
nisme de l’admirable faculté dont nous nous occu-
4 A l'égard des évènements futurs, ceux qui tiennent à des causes
simples, ou à peu près telles, et à des lois que l'homme, en étudiant la
nature, est parvenu à reconnaitre, se trouvent dans le cas d'être prévus
par lui, et jusqu'à un certain point, d'être déterminés d'avance pour des
époques plus ou moins précises. Ainsi, les astronomes peuvent indiquer
l'époque future d'une éclipse, et celle ou tel astre se trouvera dans
telle position; mais celte connaissance de certains faits attendus, est
réduite à un très-petit nombre d'objets. Cependant, beaucoup d'autres
faits futurs et d'un autre ordre lui sont encore connus: car il sait qu'ils
auront lieu, mais il n'en saurait déterminer avec précision les époques.
LAMA\REK, l'HIL. ZOOIL, II. 29
386 DES PRINCIPAUX ACTES
pons ici, et tàächons de prouver que l'opération du
fluide nerveux qui donne lieu à un acte de mémoire,
consiste à prendre, en traversant les traits imprimés
de telle idée acquise, un mouvement particulier rela-
tif à cette idée, et à en rapporter le produit au sen-
timent intérieur de l'individu.
Comme les idées sont les matériaux de tous les
actes de l'intelligence, la #7érnoire suppose déjà des
idées acquises ; et il est évident qu’un individu qui
n'aurait encore aucune idée, ne pourrait en exécuter
aucun acte. La faculté qu'on nomme #émoire ne
peut donc commencer à exister que dans un indi-
vidu qui posséde des idées.
La mémoire nous éclaire sur ce que peuvent être
les idées, et même nous fait sentir ce qu’elles sont
réellement.
Or, les idées que nous nous sommes formées par
la voie des sensations, et celles ensuite que nous
avons acquises par les actes de nos pensées, étant
des images ou des traits caractéristiques, gravés,
c’est-à-dire plus où moins profondément imprimés
sur quelque partie de notre organe d'intelligence,
la mémoire les rappelle chaque fois que notre fluide
nerveux, ému par notre sentiment intérieur, ren—
contre, dans ses agitations, les images ou les traits
dont il s’agit. Le fluide nerveux en rapporte alors
le résultat à notre sentiment intérieur, et aussitôt
ces idées nous redeviennent sensibles : c’est ainsi
que s’exécutent les actes de i7émoire.
DE L’ENTENDEMENT ST
On sent bien que le sentiment intérieur dirigeant
le fluide nerveux, dans le mouvement qu'il lui
imprime , peut le porter séparément sur une seule
de ces idées déja tracées, comme sur plusieurs
d'entre elles, et qu'ainsi la #émoire peut rappeler,
au gré de lindividu, telle idée séparément, ou sue-
cessivement plusieurs idées.
Il est évident, d’après ce que je viens de dire,
que si nos idées, soit simples, soit complexes,
n'étaient point tracées et plus ou moins profondé-
ment imprimées dans notre organe d'intelligence ,
nous ne pourrions nous les rappeler, et que consé-
quemment la mémoire n'aurait aucune existence.
Un objet nous a frappés : c’est, je suppose, un
bel édifice embrasé et consumé, sous nos yeux, par
les flammes. Or, quelque temps après, nous pouvons
nous rappeler parfaitement cet objet sans le voir ; il
suffit uniquement pour cela d’un acte de notre
pensée.
Que se passe-t-il en nous dans cet acte, si ce
n’est que notre sentiment intérieur, mettant en mou-
vement notre fluide nerveux, le dirige dans notre
organe d'intelligence, sur les traits que la sensation
de l’incendie y a imprimés, et que la modification
du mouvement, que notre fluide nerveux acquiert
en traversant ces traits particuliers, se rapporte
ussitôt à notre sentiment intérieur, et nous rend,
dès lors, parfaitement sensible l’idée que nous cher-
chons à nous rappeler, quoique cette idée soit alors
383 DES PRINCIPAUX ACTES
plus faiblement exprimée que lorsque lincendie
s’effectuait sous nos yeux.
Nous nous rappelons ainsi une personne où un
objet quelconque, que nous avons déjà vu et remar-
qué, et nous nous rappelons de mème les idées
complexes que nous avons acquises.
Il'est si vrai que nos idées sont des images ou des
traits caractéristiques, imprimés sur quelque partie
de notre organe d'intelligence, et que ces idées ne
nous sont rendues sensibles que lorsque notre fluide
nerveux, mis en mouvement, rapporte à notre sen-
timent intérieur la modification de mouvement qu'il
a acquise en traversant ces traits, que si, pendant
notre sommeil, notre estomac se trouve embarrassé,
ou si nous éprouvons quelque irritation Intérieure,
notre fluide nerveux recoit, dans cette circonstance,
une agitation qui se propage jusque dans notre cer-
veau. Il est aisé de concevoir que ce fluide, n'étant
point alors dirigé, dans ses mouvements, par notre
sentiment intérieur, traverse sans ordre les traits
de différentes idées qui s’y trouvent imprimées, et
nous rend sensibles toutes ces idées, mais dans le
plus grand désordre, les dénaturant le plus souvent
par leur mélange entre elles, et par des jugements
altérés et bizarres.
Pendant le sommeil parfait, le sentiment inté-
rieur ne recevant plus d'émotions, cesse, en quelque
sorte, d'exister, et conséquemment ne dirige plus
les mouvements de la portion disponible du fluide
DE L’ENTENDEMENT 39
nerveux. Aussi l’individu endormi est-il comme s'il
n'existait pas. Il ne jouit plus du sentiment, quoi-
qu'il en conserve la faculté, il ne pense plus, quoi-
qu'il en ait toujours le pouvoir ; la portion disponible
de son fluide nerveux est dans un état de repos, et
la cause productrice des actions (le sentiment inté-
rieur) n'ayant plus d'activité, cet individu ne saurait
en exécuter aucune.
Mais si le sommeil est imparfait, par suite de
quelque irritation interne qui excite de lagitation
dans la portion libre du fluide nerveux, le sentiment
intérieur ne dirigeant point alors les mouvements du
fluide subtil dont il s’agit, les agitations de ce fluide
qui s’exécutent dans les hémispheres du cerveau, y
occasionnent des idées sans suite, ainsi que des
pensées désordonnées et bizarres par le mélange
d'idées sans rapport dont elles se composent,
lesquelles forment les songes divers que nous
faisons, lorsque nous ne jouissons pas d’un sommeil
parfait.
Ces songes, ou les idées et les pensées désordon-
nées qui les constituent, ne sont autre chose que des
actes de mémoire qui s’exécutent avec confusion et
sans ordre, que des mouvements irréguliers du
fluide nerveux dans le cerveau, enfin, que le résultat
de ce que le sentiment intérieur, w'exercant plus ses
fonctions pendant le sommeil et ne dirigeant plus
les mouvements du fluide des nerfs, les agitations
de ce fluide rendent alors sensibles à l'individu des
39) DES PRINGIPAUX. ACTES
idées dépourvues de liaisons, et Le plus souvent sans
rapport entre elles.
C’est ainsi que s’exécutent les songes que nous
formons en dormant, soit lorsque notre digestion
étant tres-laborieuse, soit lorsque ayant été fortement
agités, dans l’état de veille, par quelque grand intérèt
ou par des objets qui nous ont émus , nous éprou-
vons, pendant le sommeil, une grande agitation dans
nos esprits, c’est-à-dire dans notre fluide ner-
veux.
Or, les actes désordonnés dont il est question
s'effectuent toujours sur des idées où d’après des
idées déjà acquises, et nécessairement imprimées
dans l'organe de,lintelligence : et jamais un indi-
vidu , en rèvant, ne saurait se rendre sensible une
idée qu'il n'aurait pas eue, en un mot, un objet dont
il n'aurait eu aucune connaissance.
Une personne qui, depuis son enfance, se trou-
verait renfermée dans une chambre qui ne recevrait
le jour que par le haut, et à qui l’on fournirait ce
qui lui serait nécessaire, sans communiquer avec
elle, ne verrait jamais assurément, dans ses songes,
aucun des objets qui affectent tant les hommes dans
la société.
Ainsi, les songes nous montrent le mécanisme de
la inémoire, comme celle-ci nous fait connaître
celui des idées, et lorsque je vois mon chien rêver,
aboyer en dormant, et donner des signes non équi-
voiques des pensées qui l’agitent, je demeure con-
DE L’ENTENDEMENT 391
vaincu qu'il a aussi des idées, quelque bornées
qu’elles puissent être.
Ce n’est pas seulement pendant le sommeil que
le sentiment intérieur peut se trouver suspendu ou
troublé dans ses fonctions. Pendant la veille, tantôt
une émotion forte et subite suspend entièrement les
fonctions de ce sentiment, et mème tous les mouve-
ments de la portion libre du fluide nerveux ; alors
on éprouve la syncope, c’est-à-dire on perd toute
connaissance et la faculté d'agir; et tantôt une
irritation considérable où générale, comme celle qui
s'exécute dans certaines fièvres, suspend encore les
fonctions du sentiment intérieur, et néanmoins agite
tellement toute la portion libre du fluide nerveux,
qu'elle fait exprimer les idées et les pensées désor-
données que l’on ressent, et exécuter des actions
pareillement désordonnées : dans ce cas, on éprouve
ce qu'on nomme le délire.
Le délire ressemble donc aux songes par le dé-
sordre des idées, des pensées et des jugements; et il
est évident que ce désordre, dans les deux cas que
je viens de citer, provient de ce que le sentiment
intérieur, se trouvant suspendu dans ses fonctions,
ne dirige plus les mouvements du fluide nerveux *.
1 Quand au délire vague, ou aux espèces de vertiges que l'on épro uv
ordinairement lorsque l'on commence à s'endormir, cela tient proba-
blement à ce que le sentiment intérieur, cessant alors de diriger les mou-
vements du fluide nerveux encore agité, reprend et abandonne successi-
vement cette fonction, avec quelques alternatives, jusqu'à ce que le
sommeil soit tout à fait arrive.
‘
392 DES PRINCIPAUX ACTES
Mais la violence de l'agitation nerveuse qui occa-
sionne le délire, est cause que ce phénomène west
pas seulement le produit d’une grande irritation,
mais qu'il est aussi quelquefois celui d’une affection
morale tres-forte ; en sorte que les individus qui
l’éprouvent ne jouissent alors que très-imparfaite-
ment de leur connaissance, car leur sentiment
intérieur, troublé et n’exécutant plus ses fonctions,
ne dirige plus le fluide nerveux pour la rectitude
des idées.
Par exemple, lorsque la sensibilité morale est
tres-crande, les émotions que produisent certaines
idées ou pensées dans le sentiment intérieur, sont
quelquefois si considérables, qu'elles troublent ce
sentiment dans ses fonctions et l’empèchent de diri-
ser le fluide nerveux dans l’exécution des nouvelles
pensées qui doivent être produites ; alors les facultés
intellectuelles sont suspendues ou en désordre.
On va voir que la foie prend aussi sa source
dans une cause à peu pres semblable, c’est-à-dire
dans celle qui ne permet plus au sentiment intérieur
de diriger les mouvements du fluide nerveux dans
l'hypocéphale.
En effet, lorsqu'une lésion accidentelle a causé
quelque dérangement dans l'organe de lintelli-
gence, où qu'une grande émotion du sentiment in-
térieur a laissé des traces assez profondes de ses
effets dans l'organe dont il s’agit, pour y avoir
opéré quelque altération, le sentiment intérieur ne
DE L’'ENTENDEMENT 393
maitrise plus les mouvements du fluide nerveux dans
cet organe, et les idées que les agitations de ce fluide
rendent sensibles à l'individu, se présentent en
désordre et sans liaison à sa conscience. Il les
exprime telles qu'elles s'offrent à lui, et elles lui
font exécuter des actions qui y sont relatives. Mais
on voit, par les actes de cet individu, que ce sont
toujours des idées acquises et ensuite présentées à
sa conscience qui l’agitent. Effectivement , la mé-
moire, les songes, le délire, les actes de folie, ne
montrent jamais d’autres idées que celles que déjà
l'individu possédait.
Il y a des actes de folie qui tiennent à un déran-
sement de certains organes particuliers de Phypo-
céphale, les autres ayant conservé leur intégrité ;
alors, ce n’est que dans ces organes particuliers que
le sentiment intérieur ne maitrise plus et ne dirige
plus les mouvements du fluide nerveux. Les per-
sonnes qui sont dans ce cas n'exécutent des actes
de folie que relativement à certains objets, et tou-
jours les mêmes : elles paraissent jouir de leur
raison à l'égard de tout ce qui y est étranger.
Je n’eéloignerais de mon sujet si j’entreprenais de
suivre toutes les nuances qu'on observe dans le
désordre des idées et d’en rechercher les causes.
Il me suffit d’avoir montré que les songes, le
délire, et, en général, la folie, ne sont que des actes
désordonnés de la #émoire, qui s’exécutent tou-
jours sur des idées acquises et imprimées dans
394 DES PRINCIPAUX ACTES
l'organe, mais qui s’operent sans la direction du
sentiment intérieur de l'individu, parce qu’alors
cette puissance est suspendue ou troublée dans ses
fonctions , ou que l’état de l’hypocéphale ne lui
permet plus de les exécuter.
Cabanis ne s'étant fait aucune idée du pouvoir de
notre sentiment intérieur, et ne s'étant point aperçu
que ce sentiment constitue en nous une puissance
que le besoin, que le moindre désir, en un mot,
qu'une pensée excitent et peuvent émouvoir, et
qu'alors il a la faculté de mettre en action la por-
tion libre de notre fluide nerveux, et de diriger ses
mouvements, soit dans notre organe d'intelligence,
soit dans l'envoi qu'il en fait aux muscles qui doivent
agir, fut, néanmoins, forcé de reconnaitre que le
systeme nerveux entre souvent de lui-mème en ac-
tivité, sans qu'il y soit porté par des impressions
étrangères, et qu’il peut même écarter ces impres-
sions et se soustraire à leur influence, puisqu’une
forte attention, une méditation profonde suspendent
l'action des organes sentants externes.
« C’est ainsi, dit ce savant, que s’exécutent les
opérations de l'imagination et de la mémoire. Les
notions des objets qu’on se rappelle et qu’on se repré-
sente, ont bien été fournies, le plus communément
ilest vrai, par les impressions reçues dans les divers
organes : mais l’acte qui réveille leur trace; qui les
offre au cerveau sous leurs images propres, qui met
cet organe en état d’en former une foule de combi-
DE L'ENTENDEMENT 305
naisons nouvelles, ne dépend souvent en aucune
maniere, de causes situées hors de l'organe sensitif. »
({Tist. des sensations, p. 168.)
Cela me parait très-vrai; car, tout est ici le ré-
sultat du pouvoir du sentiment intérieur de l’indi-
vidu, ce sentiment pouvant s’émouvoir par une
simple idée qui fait naitre ce besoin moral qu'on
nomme le désir; et l’on sait que le désir embrasse
et porte à exécuter, soit les actions qui exigent le
mouvement musculaire, soit celles qui donnent lieu
à nos pensées, nos Jugements, nos raisonnements,
nos analyses philosophiques, enfin, aux opérations
de notre imagination.
Le désir crée la volonté d'agir de l’une ou de
l’autre de ces deux manières : or, ce désir, ainsi que
la volonté qu'il entraine, émouvant notre sentiment
intérieur, le mettent dans le cas d'envoyer du fluide
nerveux, soit dans telle partie du système musculaire,
soit dans telle région de l'organe qui produit les
actes de l'intelligence.
Si Cabanis, dont l'ouvrage sur les Rapports du
Physique et du Moral est un fonds inépuisable
d'observations et de considérations intéressantes,
eût reconnu la puissance du sentiment intérieur, si,
ayant pressenti le mécanisme des sensations, 1ln’eùût
pas confondu la sensibilité physique avec la cause
des opérations de l'intelligence, s'il eût su recon-
naître que les sensations ne donnent pas nécessaire-
ment des idées, mais de simples perceptions, ce qui
296 DES PRINCIPAUX ACTES
est très-différent, enfin, s’il eût distingué ce qui
appartient à lirritabilité des parties, de ce qui est le
produit de la sensation, quelles lumières son inté-
ressant ouvrage ne nous eût-il pas procurées !
Néanmoins, c’est dans cet ouvrage que lon puisera
les meilleurs moyens d'avancer cette partie des
connaissances humaines dont il est ici question, à
cause de la foule de faits et d'observations qu'ilren-
ferme. Mais je suis convaincu que ces moyens ne
seront utilement employés, que lorsqu'on aura fixé
ses idées sur les distinctions essentielles présentées,
soit dans ce chapitre, soit dans les autres, qui com
posent cette Philosophie zoologique.
Si l’on prend en considération ce qui est exposé
dans cet article, on se convaincra probablement :
1° Que la s#némoire a pour siége l'organe même
de l'intelligence, et qu’elle n’offre, dans ses opéra-
tions, que des actes qui rappellent des idées déja
acquises, en nous les rendant sensibles ;
2 Que les traits, ou les images, qui appartien-
nent à ces idées, sont nécessairement déjà gravés
dans quelque partie de l'organe de l’entendement;
3° Que le sentiment intérieur, ému par une cause
quelconque, envoie notre fluide nerveux disponible
sur ceux de ces traits imprimés que l'émotion qu'il
a reçue, soit d’un besoin, soit d’un penchant, soit
d’une idée qui éveille l’un ou l’autre, lui fait choi-
sir, et qu'il nous les rend aussitôt sensibles en rap-
portant au foyer sensitif les modifications de mouve-
DE L'ENTENDEMENT 307
ment que ces traits ont fait acquérir au fluide ner-
Veux ;
4 Que lorsque notre sentiment intérieur est sus-
pendu ou troublé dans ses fonctions, il ne dirige plus
les mouvements qui peuvent encore agiter notre
fluide nerveux; en sorte qu'alors, si quelque cause
agite ce fluide dans notre organe intellectuel, ses
mouvements rapportent au foyer sensitif des idées
désordonnées, bizarrement mélangées, sans liaison
et sans suite; de là, les songes, le délire, etc.
On voit donc que partout les phénomènes dont il
s’agit résultent d'actes physiques qui dépendent de
l’organisation, de son état, de celui des circonstances,
dans lesquelles se trouve l'individu, enfin, de la
diversité des causes, pareillement physiques, qui
produisent ces actes organiques.
Passons à l'examen de la quatrième et dernière
sorte des opérations principales de l'intelligence,
c'est-à-dire de celle de ces opérations qui constitue
les jugements.
DU JUGEMENT
QUATRIÈME DES FACULTÉS PRINCIPALES
DE L'INTELLIGENCE
Les opérations de lintelligence qui constituent
des jugements sont, pour Findividu, les plus impor-
tantes de celles que son entendement puisse exécuter;
398 DES PRINCIPAUX ACTES
et ce sont, en effet, celles dont il peut le moins se
passer, et dont il a le plus souvent occasion de faire
usage.
C'est dans les résultats de cette faculté de juger
que les déterminations qui constituent la volonté
d'agir prennent leur source; c’est aussi des actes
de cette mème faculté que naissent les besoins mo-
raux, tels que les désirs, les souhaits, les espéran-
ces, les inquiétudes, les craintes, etc.; enfin, ce
sont toujours aux suites de nos jugements que sont
dues celles de nos actions auxquelles notre entende-
ment a eu quelque part.
On ne peut exécuter aucune série de pensées sans
former des jugements; nos raisonnements, nos ana—
lyses ne sont que le résultat de jugements ; limagi-
nation même n’a de puissance que par les juge-
ments, relativement aux modeles ou aux contrastes
qu’elle emploie pour créer des idées; enfin, toute
pensée qui n’est point un jugement où qui n'en
est pas accompagnée, n’est qu'un acte de mémoire,
ou ne constitue qu'un examen où une comparaison
sans résultat.
Combien donc n’importe-t-il pas à tout être doué
d’un organe pour l'intelligence de s’habituer à exer-
cer son ÿ“gement, et de s’efforcer de le rectifier
oraduellement, à l’aide de lobservation et de
l'expérience ; car alors il exerce à la fois son en-
tendement et il en augmente proportionnellement
les facultés !
DE L'ENTENDEMENT 399
Cependant, si l’on considere la grande généralité
des hommes, on voit que les individus qui la com-
posent, dans toutes les occasions où il ne s’agit pas
d’un besom ou d’un danger pressant , jugent rare-
ment par eux-mêmes, et s’en rapportent au juge-
ment des autres.
Cet obstacle aux progrès de l'intelligence indivi-
duelle n’est pas seulement le produit de la paresse,
de l’insouciance, où du défaut de moyens, il est, en
outre, celui de l'habitude que lon a fait contracter
aux individus, dès leur enfance et dans leur jeu-
nesse, de croire sur parole, et de soumettre toujours
leur jugement à une autorité quelconque.
Ayant, en peu de mots, fait sentir l’importance
du jugement, et celle surtout de le former par
l'exercice, et de le rectifier de plus en plus par
l'expérience, examinons maintenant ce que c’est que
le jugement lui-mème , et par quel mécanisme cette
opération de l'intelligence peut s’exécuter.
Tout jugement est un acte très-particulier que
le fluide nerveux exécute dans l'organe de l’intelli-
gence, dont il trace ensuite le résultat dans l'organe
mème, quil rapporte aussitôt apres au sentiment
intérieur, c'est-à-dire à la conscience de l'individu.
Or, cet acte résulte toujours d’une comparaison
exécutée, ou de rapports recherchés entre des idées
acquises.
Voici le mécanisme probable de l’acte physique
dont il est question , car c’est le seul qui me paraisse
400 DES PRINCIPAUX ACTES
capable d’y donner lieu, et qui soit conforme aux
produits connus de la loi des mouvements réunis
ou combinés.
Les idées gravées occupent, sans doute, chacune
dans l'organe, une place particulière : or , lorsque
le fluide nerveux agité traverse à la fois les traits
de deux idées différentes, ce qui a lieu dans la
comparaison de ces deux idées, 1l est alors partagé
nécessairement en deux masses séparées, dont l’une
arrive sur la première des deux idées, tandis que
l’autre masse rencontre la seconde. De part et d’au-
tre, ces deux masses de fluide nerveux recoivent
chacune de la part des traits qu'elles traversent,
une modification dans leur mouvement, qui est
particulière à lidée qu'elles ont rencontrée. On
conçoit de là, que, si ensuite ces deux masses se
réunissent en une seule, elles combineront aussitôt
leurs mouvements, et que, dès lors, la masse com-
mune aura un mouvement composé, qui sera moyen
entre les deux sortes de mouvements qui se seront
combinées.
Ainsi, l’acte physique qui donne lieu à un juge-
ment est probablement constitué par une opération
du fluide nerveux qui, dans ses mouvements, se
répand sur les traits imprimés des idées que l’on
compare ; et il paraît consister en autant de mouve-
ments particuliers du fluide en question, qu'il y a
d'idées comparées, et de portions de ce fluide qui
traversent les traits de ces idées. Or, ces portions
DE L’ENTENDEMENT - 401
séparées du même fluide, qui ont chacune un mouve-
ment particulier, venant toutes à se réunir, forment
une masse dont le mouvement est composé de tous
les mouvements particuliers cités ; et ce mouvement
composé imprime alors, dans l’organe, de nouveaux
traits, c’est-à-dire une idée nouvelle, qui est le
jugement dont il agit.
Cette idée nouvelle est aussitôt rapportée au sen-
timent intérieur de l'individu ; il en a le sentiment
moral ; et si elle fait naître en lui un besoin, pareil-
lement moral, elle donne lieu à sa volonté d'agir
pour y satisfaire.
Indépendamment de linexpérience et des suites
de l'habitude de juger presque toujours d'apres les
autres, des causes nombreuses et différentes concou-
rent à altérer les jugements, c'est-à-dire à rendre
moins parfaite leur rectitude.
Les unes de ces causes tirent leur origine de
limperfection mème des comparaisons exécutées,
et de la préférence que, selon les lumières, le goût
particulier et l’état individuel, que l’on donne à
telle idée sur telle autre ; en sorte que les véritables
éléments qui entrent dans la formation de ces juge-
ments sont incomplets. [Il n’y a, dans tous les temps,
qu'un petit nombre d'hommes qui, susceptibles
d'une attention profonde, et à force de s'être
exercés à penser, et d’avoir mis à profit expérience,
puissent se soustraire à ces causes d’altérations dans
leurs jugements.
LAMARCK, PHIL, ZOOL. Il. 26
402 DES PRINCIPAUX ACTES
Les autres, auxquelles il est difficile d'échapper,
prennent leurs sources : 1° dans l’état même de
notre organisation qui altére les sensations dont
nous nous formons des idées ; 2° dans l'erreur où
nous entrainent souvent certaines de nos sensations ;
3° dans les influences que nos penchants, nos passions
mèmes exercent sur notre sentiment intérieur, le
portant à donner aux mouvements qu'il imprime à
notre fluide nerveux des directions différentes de
celles qu'il leur aurait données sans ces influences,
elcs, letc:
Ayant déjà traité de ce qui concerne le jugement
dans le chapitre vi de cette partie, je sortirais du
plan que je me suis tracé, et des bornes qu'il exige,
si j'entrais dans les détails des causes nombreuses
qui contribuent à altérer le jugement, et si j'entre-
prenais de les développer. Il suffit à l'objet que j'ai
en vue de faire remarquer que quantité de causes
nuisent, en général, à la rectitude des jugements que
nous exécutons ; et qu'a cet égard, 1} y a autant de
diversite dans les jugements des hommes, qu'il y
en à dans l’état physique, les circonstances, les
penchants, les lumières, le sexe, l’âge, etc. , des
individus.
Que lon ne s'étonne donc point de la discordance
constante, mais non générale, que l’on observe
dans les jugements que l'on porte sur une pensée,
un raisonnement, un ouvrage, enfin, un sujet quel-
conque, dans lesquels chacun ne peut voir que ce
DE L'ENTENDEMENT 403
qu'il a jugé lui-même, que ce qu'il peut concevoir, à
raison de la nature et de l’étendue de ses connaissan-
ces, en un mot, que ce qu'il peut saisir, selon le degré
d'attention qu'il peut donner aux sujets qui s'offrent à
sa pensée. Que de personnes, d’ailleurs, se sont fait
une habitude de ne juger presque rien par elles-
mêmes, et, conséquemment, de s’en rapporter, à
peu près, sur tout au jugement des autres !
Ces considérations, qui me semblent prouver que
les jugements Sont assujettis à différents degrés de
rectitude , et que cette rectitude n’atteint que le
degré qui est relatif aux circonstances qui concer-
nent chaque individu, m'amenent naturellement à
dire un mot de la raison, à examiner ce qu'elle
peut ètre, et à la comparer avec l'instinct.
DE LA RAISON
ET DE SA COMPARAISON AVEC L'INSTINCT
La raison n'est pas une faculté; elle est bien
moins encore un flambeau, un être quelconque ; mais
cest un état particulier des facultés intellectuelles
de Pindividu; état que lexpérience fait varier,
améliore graduellement et qui rectifie les jugements,
selon que individu exerce son intelligence.
Ainsi, la raison est une qualité susceptible d’être
possédée dans différents degrés, et cette qualité ne
4104 DES PRINCIPAUX ACTES
peut ètre reconnue que dans un être qui jouit de
quelques facultés intellectuelles.
En derniere analyse, on peut dire que, pour tout
individu doué de quelque intelligence, la 7'aison
n'est autre chose qu'un degré acquis dans la rec-
hitude des jugements.
À peine sommes-nous nés, que nous éprouvons
des sensations, surtout de la part des objets exté-
rieurs qui affectent nos sens ; bientôt nous àcqué-
rons des idées qui se forment en nous à la suite des
sensations remarquées; et bientôt, encore, nous
comparons, presque machinalement, les objets re-
marqués et nous formons des jugements.
Mais alors, nouveaux au milieu de tout ce qui
nous entoure, dépourvus d'expérience, et abusés par
plusieurs de nos sens, nous jugeons mal ; nous nous
trompons sur les distances, les formes, les couleurs
et la consistance des objets que nous remarquons,
et nous ne saisissons pas les rapports qu'ils ont
entre eux. Il faut que plusieurs de nos sens concou-
rent chacun et successivement à détruire peu à peu
nos erreurs et à rectifier les jugements que nous
formons ; enfin, ce n’est qu'a l’aide du temps, de
expérience et de l'attention donnée aux objets qui
nous affectent, que la rectitude de nos jugements
s'opère par degrés.
La mème chose a lieu à l'égard de nos idées
complexes, des vérités utiles et des règles où pré-
ceptes qu'on nous communique. Ce n'est qu'au
DE L’'ENTENDEMENT 105
moyen de beaucoup d'expérience et de mémoire
pour rassembler tous les éléments d’une consé-
quence, en un mot, qu'au moyen du plus grand
exercice de notre entendement, que nos jugements,
à l'égard de ces objets, se rectifient graduellement.
De là, la différence considérable qui existe entre
les jugements de l'enfance et ceux de la jeunesse ;
de là encore, la différence qui se trouve entre les
jugements d’un jeune homme de vingt ans et ceux
d'un homme de quarante ou davantage, l'intelligence,
de part et d'autre, ayant toujours été également
exercée.
Le plus ou le moins de rectitude dans nos juge-
ments sur toutes choses, et particulièrement sur les
objets ordinaires de la vie et de nos relations avec
nos semblables, constituant le plus ou le moins de
raison que nous possédons, cette qualité n’est donc
qu'un degré quelconque acquis dans la rectitude des
jugements dont il s’agit ; et comme les circonstances
dans lesquelles chacun se trouve, les habitudes, le
tempérament, etc., etc., entraînent une grande di-
versité dans l'exercice de l’entendement, c’est-à-dire
dans la manière de penser, d'examiner et de juger,
il y a donc des différences réelles entre les juge-
ments qui sont formés.
Ainsi, la raison n’est point un objet particulier,
un être quelconque que lon puisse posséder ou ne
pas posséder, mais c’est un état de l’organe de
l’entendement, duquel résulte un degré plus ou
406 DES PRINCIPAUX AGTES
moins grand dans la rectitude des jugements de
l'individu ; en sorte que. tout être qui possède un
organe pour l’entendement, qui a des idées et qui
exécute des jugements, a nécessairement un degré
quelconque de raison, selon son espece, son âge,
ses habitudes, et selon différentes circonstances qui
concourent à retarder, où à avancer, ou à rendre
stationnaires ses progres dans la rectitude de ses
jugements.
Comme l'attention donnée aux objets qui produi-
sent en nous des sensations, est la seule cause qui
fait que ces sensations peuvent occasionner en nous
des idées, il est évident que plus, par suite de
l'exercice de cette faculté, nous nous rendons capa-
bles d'attention, et surtout d’une attention soutenue
et profonde, plus nos idées deviennent claires, sont
justement limitées, et plus les jugements que nous
formons avec de pareilles idées ont de recthitude.
Il suit de là que le degré de raison le plus élevé,
est celui qui provient d’une grande clarté dans les
idées , et d’une reclitude , presque générale, dans
les jugements.
L'homme, beaucoup plus capable qu'aucun autre
être intelligent de cette attention profonde et sou—
tenue, et pouvant la fixer sur un grand nombre
d'objets différents , est le seul qui puisse avoir une
multitude, presque infinie, d'idées claires, et qui
forme, par conséquent, des jugements doués de la
rectitude la plus générale, mais il faut, pour cela,
DE L’'ENTENDEMENT 407
qu'il exerce fortement et habituellement son intelli-
gence, et que les circonstances qui peuvent lui être
favorables y concourent.
D’apres ce qui vient d'être exposé, la raison
n'étant qu'un degré quelconque dans la rectitude des
jugements, et tout être, doué d'intelligence, pouvant
exécuter des jugements, ceux qui sont dans ce cas
jouissent, conséquemment, d’un degré quelconque
de raison.
En effet, si l’on compare les idées et les jugements
de l’animal intelligent, qui est encore jeune et inex-
périmenté, aux idées et aux jugements du même
animal, parvenu à l’âge de Fexpérience acquise,
on verra que la différence qui se trouve entre ces
idées et ces jugements se montre, dans cet animal,
tout aussi clairement que dans l’homme. Une recti-
fication graduelle dans les jugements, et une clarté
croissante dans les idées, remplissent, dans l’un et
dans l’autre, l'intervalle qui sépare le temps de
leur enfance de celui de leur âge mûr. L'âge de
l'expérience et de tous les développements terminés,
se distingue éminemment de celui de Pinexpérience
et du peu de développement des facultés, dans cet
animal, de même que dans l’homme. De part et
d'autre, on reconnait les mêmes caractères et la
même analogie dans les progrès qui peuvent s’acqué-
rir ; il n'y a que du plus ou du moins, selon les
especes.
Il y a donc aussi, chez les animaux qui possèdent
408 DES PRINCIPAUX ACTES
un organe spécial pour l'intelligence, différents
degrés dans la rectitude des jugments, et, consé-
quemiment, différents degrés de raison.
Sans doute, le degré le plus élevé de la raison
donne à l’homme, qui en est doué, la perception de
la convenance ou de linconvenance, soit de ses
propres idées ou de ses opinions , soit des idées ou
des opinions des autres; mais cette perception,
qui est un jugement, n’est pas le propre de tous les
hommes. A la place de cette juste perception, qui
résulte d’une intelligence très-exercée, ceux qui ne
la possèdent pas, y en substituent une fausse, et
comme celle-ci est le résultat de leurs moyens, ils
la croient juste. De là, cette diversité d'opinions et
de jugements dans les individus de l'espèce humaine,
laquelle s’opposera toujours à ce qu'il y ait un accord
réel entre les idées et les jugements de ces individus,
par la raison que les hommes, se trouvant chacun
dans des circonstances fort différentes, ne peuvent,
par conséquent, arriver au même degré de raison.
Maintenant, si nous comparons la raison avec
l'instinct, nous verrons que la premiere, dans un
degré quelconque, donne lieu à des déterminations
d'agir qui prennent leur source dans des actes d’in-
telligence, c’est-à-dire dans des idées, des pensées
et des jugements, et que l’enstinct, au contraire,
est une force qui entraine vers une action, sans
détermination préalable, et sans qu'aucun acte d’in-
telligence y ait la moindre part.
DE L’ENTENDEMENT 409
Or, la raison n'étant qu'un degré acquis dans la
rectitude des jugements, les déterminations d’action
qui en proviennent, peuvent être mauvaises où Incon-
venables, lorsque les jugements qui les produisent
sont erronés, où faux en tout ou en quelque point.
Mais l'instinct, qui n’est qu'une force qui entraine
et qui est le produit du sentiment intérieur qu'un
besoin quelconque émeut, ne se trompe point à
l'égard de l’action à exécuter, car il ne choisit point,
ne résulte d'aucun jugement, et n’a réellement point
de degrés. Toute action que fait exécuter linstinc!
est donc toujours le résultat de l'espèce d’excitation
produite par le sentiment intérieur de lindividu,
comme tout mouvement communiqué à un corps est
toujours, dans sa direction et sa force, le produit
de la puissance qui l’a communiqué.
Il n’y a rien qui soit clair et véritablement exact
dans l’idée qu'a eue Cabanis d'attribuer le raison-
nement à des sensations extérieures, et linstinct
à des impressions intérieures. Toutes nos impres-
sions sont toujours intérieures, quoique les objets
quiles causent soient tantôt extérieurset tantôt imté-
rieurs. L'observation de ce qui se passe à cet égard
doit nous montrer qu'il est plus juste de dire :
Que les raisonnements et que les déterminations
qui sont la suite de jugements prennent leur source
dans les opérations de l'intelligence, tandis que
l'instinct, qui fait exécuter quelque action, prend la
sienne dans des besoins et des penchants qui émeu-
410 DES PRINCIPAUX ACTES
vent immédiatement le sentiment intérieur de Pindi-
vidu, et le font agir sans choix, sans délibération,
en un mot, sans que l'intelligence y ait aucune part.
Les actions de certains animaux sont donc quel-
quefois le produit de déterminations rationnelles, et
plus souvent celui d’une force énstinctire.
Si l’on donne quelque attention aux faits et aux
considérations présentés dans le cours de cet ou-
vrage, on sentira qu'il y a nécessairement des ani-
maux qui n'ont ni raison, ni instinct, tels que ceux
qui sont dépourvus de la faculté de sentir, qu'il y en
a d’autres qui ont de l’éns/inct, mais quine possèdent
aucun degré de raison, tels que ceux qui ont un
système sensitif et qui manquent d’organe pour l’in-
telligence, enfin, qu'il y en a d’autres, encore, qui
ont de l'instinct, plus un degré quelconque de 7'a-
son, tels que ceux qui possédent un système pour
les sensations et un autre pour les actes de l’enten-
dement. L'instinct de ces derniers est la source de
presque toutes leurs actions, et ils font rarement
usage du degré de raison qu'ils possedent. L'homme,
qui vient ensuite, a aussi de l'instinct qui, dans cer-
taines circonstances, le fait agir, mais il est suscep-
tible d'acquérir beaucoup de raison, et de l'employer
à diriger la plupart des actions qu'il exécute.
Outre la raison individuelle dont je viens de
parler, il s'établit dans chaque pays et chaque ré-
gion du globe, selon les lumières des hommes qui
les habitent et selon quelques autres causes influen-
DE L'EXTENDEMENT AN
tes, une raison publique, où à peu près générale,
qui se maintient Jusqu'à ce que des causes nouvelles
et suffisantes viennent la changer. Or, de part et
d'autre, la raison individuelle et la raison publique
sont toujours constituées par un degré quelconque
dans la rectitude des jugements.
Il y à, en effet, un assentiment général dans une
société, ou dans une nation, pour une erreur, pour
une opinion fausse , ainsi que pour une vérité re
connue ; en sorte que des erreurs, des préjugés et
des vérités diverses, composent les produits de l’état
de rectitude des jugements, soit dans les individus,
soit dans les opinions admises dans des sociétés, des
corps , des nations, selon les siècles ou les temps
considérés.
On doit done reconnaitre les progres plus ou
moins grands de la ra/son dans un peuple, dans
une société, de même que dans un individu.
Les hommes qui s'efforcent, par leurs travaux, de
reculer les limites des connaissances humaines,
savent assez qu'il ne leur suffit pas de découvrir et
de montrer une vérité utile qu’on ignorait, et qu'il
faut encore pouvoir la répandre et la faire recon-
naître; or, la raison individuelle et la raison
publique, quise trouvent dans le cas d’en éprouver
quelque changement, y mettent, en général, un
obstacle tel, qu'il est souvent plus difficile de faire
reconnaitre une vérité que de la découvrir. Je laisse
ce sujet sans développement, parce que je sais que
412 DES PRINCIPAUX ACTES DE L’'ENTENDEMENT
mes lecteurs y suppléeront suffisamment, pour peu
qu'ils aient d'expérience dans lobservation des
causes qui déterminent les actions des hommes.
En finissant ce chapitre sur les principaux actes de
l’entendement, je termine en même temps ce que je
m'étais proposé d'offrir à mes lecteurs dans cet
ouvrage.
Malgré les erreurs dans lesquelles j'ai pu me
laisser entraîner en le composant, ilest possible qu’il
contienne des idées et des considérations qui soient
utiles, d’une manière quelconque, à l’avancement
de nos connaissances, jusqu'à ce que les grands
sujets dont j'ai osé m'y occuper soient traités de
nouveau par des hommes capables d'y répandre
plus de lumières.
FIN DU SECOND ET DERNIER TOME
AIAD'ELIONS
RELATIVES AUX CHAPITRES VII ET VIII
DE LA PREMIÈRE PARTIE
Dans les derniers jours de juin 1S09, la ménage-
rie du Muséum d'histoire naturelle ayant recu un
phoque, connu sous le non de veau marin {phoca
vitulina), et qui fut envoyé vivant de Boulogne, j'ai
eu occasion d'observer les mouvements et les habi-
tudes de cet animal. Depuis, je crois plus fortement
encore que cet amphibie est beaucoup plus voisin
par ses rapports des mammifères onguiculés que des
autres, quelques grandes que soient les différences
de sa forme générale comparée à celle de ces mam-
miferes.
Ses pieds de derrière, quoique forts courts, ainsi
que ceux de devant, sont très-libres, bien séparés
de la queue , qui est petite, mais tres-distincte, et
peuvent se mouvoir avec facillité de différentes
manières ; 11s peuvent même saisir les objets, comme
de véritables mains.
414 ADDITIONS
J'ai remarqué que cet animal réunit à volonté ses
pieds de derrière, comme nous joignons les mains,
et qu'alors, écartant les doigts, entre lesquels 11 y a
des membranes, il en forme une palette assez large,
dont il fait usage lorsqu'il se déplace dans l’eau, de
la même manière que les poissons se servent de leur
queue en nageoire.
Ce phoque se traîne assez rapidement sur la terre,
à l’aide d’un mouvement d’ondulation du corps, ne
s’aidant nullement de ses pieds postérieurs, qui res-
tent alors dans l’inaction et sont étendus. En se
trainant ainsi, il ne retire quelques secours de ses
pieds antérieurs qu'en appuyant le bras jusqu’au
poignet, sans se servir particulièrement de la main.
Il saisit sa proie, soit avec les pieds postérieurs,
soit avec la gueule, et quoiqu'il se serve quelquefois
de ses mains antérieures pour rompre la proie qu'il
tient dans la gueule, il paraît que ces mains lui sont
principalement utiles pour nager ou se déplacer
dans l’eau. Enfin, comme cet animal se tient sou-
vent assez longtemps de suite sous l’eau, où même
il mange à son aise, j'ai remarqué qu'il ferme faci-
lement et complétement les narines, comme nous
fermons les yeux, ce qui lui est très-utile lorsqu'il
est enfoncé dans le liquide qu'il habite.
Comme ce phoque ‘est très-connu, je n’en ferai
pas la description. Mon objet ici est seulement de
faire remarquer que les amphibies n’ont les pieds de
derrière disposés dans la mème direction que axe
ADDITIONS 4io
de leur corps, que parce que ces animaux se trou-
vent contraints de les employer habituellement à en
former une nageoire caudale, en les réunissant et en
élargissant, par l’écartement de leurs doigts, la
palette qui résulte de leur réunion. Alors ils peuvent,
avec cette nageoire artificielle, frapper l’eau, soit à
droite, soit à gauche, hâter leur déplacement et
varier sa direction.
Les deux pieds postérieurs des phoques étant si
souvent employés à former une nageoire par leur
réunion, n'auraient pas seulement cette direction en
arrière qui leur fait continuer l'allongement du
corps, mais ils se seraient tout à fait réunis ensem-
ble, comme dans les morses, si les animaux dont il
s’agit ne s’en servaient aussi trèés-souvent pour sai-
sir et emporter leur proie. Or, les mouvements par-
ticuliers que ces actions exigent ne permettent pas
aux pieds postérieurs des phoques de se réunir
entierement, mais seulement de le faire instantané-
ment.
Les morses, au contraire, qui se sont habitués à
se nourrir des herbes qu'ils viennent brouter sur les
rivages, n’employant jamais leurs pieds de derrière
qu'à former une nageoire caudale, ces pieds, dans
la plupart, se sont tout à fait réunis ensemble,
ainsi qu'avec la queue, et ne peuvent plus se séparer.
Ainsi, dans des animaux d’origine semblable,
voilà une nouvelle preuve du produit des habitudes
sur la forme et l’état des organes, preuve que
A
416 ADDITIONS
J'ajoute à toutes celles que j'ai déja exposées dans
le chapitre vu de la première partie de cet ouvrage.
Je pourrais en ajouter encore une autre très-frap-
pante, relativement aux mammiferes, pour qui le
vol semble être une faculté très-étrangere, en
montrant comment, depuis ceux des mammiferes
qui ne peuvent faire qu’un saut très-prolongé, jus-
qu'à ceux qui volent parfaitement, la nature a
produit graduellement les extensions de la peau de
animal, de maniere à lui donner à la fin la faculté
de voler comme les oiseaux, sans qu’il ait pour cela
plus de rapports avec eux dans son organisation.
En effet, les écureuils volants (sciurus volans,
aerobates, petaurisla, sagitta, volucella), moins
anciens que ceux que je vais citer, dans l'habitude
d'étendre leurs membres en sautant, pour se former
de leur corps une espèce de parachute, ne peuvent
faire qu'un saut très-prolongé lorsqu'ils se jettent
en bas d’un arbre, ou sauter d’un arbre sur un
autre qu'à une médiocre distance. Or, par des répé-
titions fréquentes de pareils sauts dans les individus
de ces races, la peau de leurs flancs s’est dilatée de
chaque côté en une membrane lâche qui réunit les
pattes postérieures à celles de devant, et qui,
embrassant un grand volume d’air , les empêche de
tomber brusquement. Ces animaux sont encore sans
membranes entre les doigts.
Les galéopithèques (leur volans), plus anciens
sans doute dans la mème habitude que les écureuils
ADDITIONS 417
volants (pferomis Geoffr.), ont la peau des flancs
plus ample, plus développée encore, réunissant non-
seulement les pattes postérieures aux antérieures,
mais en outre les doigts entre eux et la queue avec
les pieds de derrière. Or, ceux-là exécutent de
plus grands sauts que les précédents, et forment
même une espèce de vol.
Enfin, les chauve-souris diverses sont des mam-
mifères probablement bien plus anciens encore que
les galéopithèques, dans l'habitude d'étendre leurs
membres et mêmes leurs doigts pour embrasser un
grand volume d'air, et se soutenir lorsqu'ils s’élan-
cent dans l'atmosphère.
De ces habitudes, depuis si longtemps contractées
et conservées, les chauve-souris ont obtenu non-
seulement des membranes latérales, mais en outre
un allongement extraordinaire des doigts de leurs
mains antérieures (à l'exception du pouce), entre
lesquels il y a des membranes très-amples qui les
unissent ; en sorte que ces membranes des mains de
devant, se continuant avec celles des flancs et avec
celles qui unissent la queue aux deux pattes posté-
rieures, constituent pour ces animaux de grandes
ailes membraneuses avec lesquelles ils volent parfai-
tement, comme chacun sait.
Tel est donc le pouvoir des habitudes, qu’elles
influent singulièrement sur la conformation des
parties, et qu’elles donnent aux animaux qui en ont
depuis longtemps contracté certaines , des facultés
LAMARCK, FHIL,. ZOOL. Il. 21
418 ADDITIONS
que ne possèdent pas ceux qui en ont pris d’autres.
A l’occasion des amphibies dont j'ai parlé tout à
l'heure, je me plais à communiquer ici à mes lecteurs,
les réflexions suivantes, que tous les objets que j'ai
pris en considération dans mes études ont fait nai-
tre et me semblent de plus en plus confirmer.
Je ne doute nullement que les mammifères ne
soient réellement originaires des eaux, et que
celles-ci ne soient le véritable berceau du règne
animal entier.
Effectivement, on voit encore que les animaux les
moins parfaits, et ce sont les plus nombreux, ne
vivent que dans l’eau, comme je l'ai dit ( vol. I,
p. 78-79), que c’est uniquement dans l’eau, ou dans
des lieux très-humides, que la nature a opéré et
opère encore dans les circonstances favorables, des
générations directes où spontanées qui font exister
les animalcules les plus simples en organisation, et
que de ceux-ci sont provenus successivement tous
les autres animaux.
On sait que les énfusoires, les polypes et les
radiaires ne vivent que dans les eaux, que les vers
mêmes n’habitent, les uns que dans l’eau et les
autres que dans des lieux très-humides.
Or, relativement aux vers, qui paraissent former
une branche initiale de l’échelle des animaux,
comme il est évident que les #nfusoires forment
l’autre branche , on peut penser que ceux d’entre
eux qui sont tout à fait aquatiques, c’est-à-dire qui
ADDITIONS 419
n’habitent point le corps des autres animaux, tels
que les gordrus et bien d’autres que nous ne connais-
sons pas encore, se sont, sans doute, très-diversifiés
dans les eaux ; et que, parmi ces vers aquatiques,
ceux qui, ensuite, se sont habitués à s’exposer à
l'air, ont probablement produit les insectes amphi-
bies, tels que les cousins, les éphémères, etc., etc.,
lesquels ont amené successivement l’existence de
tous les 2nsectes qui vivent uniquement dans l'air.
Mais plusieurs races de ceux-ci, ayant changé leurs
habitudes par des circonstances qui les y ont portées,
et contracté celles de vivre solitairement, retirées
ou cachées, ont donné lieu à l'existence des arach-
nides qui, presque toutes, vivent aussi dans l’air.
Enfin, celles des arachnides qui ont fréquenté les
eaux, qui se sont ensuite progressivement habituées
a vivre dans leur sein, et qui ont fini par ne plus
s'exposer à l'air, ce qu'indiquent assez les rapports
qui lient les scolopendres aux iules, celles-ci aux
cloportes, et ces derniers aux aselles, crevetles, etc.,
ont amené l'existence de tous les crustacés.
Les autres vers aquatiques, qui ne se sont jamais
exposés à l'air, multipliant et diversifiant leurs
races avec le temps, et faisant à mesure des progrès
dans la composition de leur organisation, ont amené
la formation des annelides, des cirrhipèdes et des
mollusques, lesquels forment ensemble une portion
non interrompue de l’échelle animale,
Malgré l’hiatus considérable qui se trouve pour
420 ADDITIONS
nous entre les srullusques connus et les poissons,
néanmoins, les mollusques, dont je viens d'indiquer
lorigne, ont, par l'intermédiaire de ceux qui nous
restent à connaître, amené l’existence des poissons,
comme il est évident que ceux-ci ont donné lieu à
celle des reptiles.
En continuant de consulter les probabilités sur
l'origine des différents animaux, on ne peut douter
que les reptiles, par deux branches distinctes que
les circonstances ont amenées, n’aient donné lieu,
d’un côté, à la formation des oseaux, et de l’autre,
à celle des mammifères amplhibres, lesquels don-
nèrent lieu, à leur tour, à celle de tous les autres
mammifères.
En effet, les poissons ayant amené la formation
des reptiles batraciens, et ceux-ci celle des rep-
tiles ophidiens, qui, les uns et les autres, n’ont
qu'une oreillette au cœur, la nature parvint facile-
ment à donner un cœur à oreillette double aux au-
tres reptiles qui constituent deux branches particu-
lières ; ensuite elle vint facilement à bout de former,
dans les animaux qui furent originaires de chacune
de ces branches, un cœur à deux ventricules.
Ainsi, parmi les reptiles dont le cœur a une
oreillette double, d’une part , les chélomens parais-
sent avoir donné l’existence aux oiseaux, car,
indépendamment de plusieurs rapports qu'on ne
peut méconnaître, si je plaçais la tête d’une tortue
sur le cou de certains oiseaux, je n’apercevrais
ADDITIONS A21
presque aucune disparate dans la physionomie
générale de Fanimal factice; et de lautre part,
les sauriens, surtout les planicaudes, tels que les
crocodiles , semblent avoir procuré lexistence
aux mammifères amphibies.
Si la branche des chéloniens a donné lieu aux
oiseaux , on peut encore présumer que les oiseaux
aquatiques palmipèdes , surtout parmi eux les bré-
vipennes, tels que les pirgouins et les manchots,
ont amené la formation des monotrèmes.
Enfin, si la branche des sauriens a donné lieu aux
mammifères amphibies, À sera de toute probabilité
que cette branche est la source où tous les mammi-
fères ont puisé leur origine.
Je me crois done autorisé à penser que les mam-
miferes terrestres proviennent originairement de
ceux des mammiferes aquatiques que nous nommons
amphibies. Car ceux-ci s'étant partagés en trois
branches, par la diversité des habitudes qu'ils pri-
rent à la suite des temps, les uns amenérent la
formation des céfacés, les autres celle des mammi-
fères ongulés, et les autres encore celle des différents
mammifères onguiculés connus.
Par exemple, ceux des amplibres qui conservérent
l'habitude de se rendre sur les rivages, se divise
rent dans la manière de se nourrir. Les uns, parmi
eux, s’habituant à brouter l'herbe, tels que les
morses et les laimantins , amenèrent peu à peu la
formation des mammifères ongulés, tels que les
422 ADDITIONS
pachidermes, les ruminants, etc. ; les autres, tels
que les phoques, contractant l'habitude de ne se
nourrir que de poissons et d'animaux marins, ame-
nerent l'existence des mammiferes onguiculés , par
le moyen de races qui, en se diversifiant, devinrent
tout à fait terrestres.
Mais ceux des mammifères aquatiques qui con-
tractèrent l'habitude de ne jamais sortir des eaux,
et seulement de venir respirer à leur surface, don-
nerent probablement lieu aux différents cétacés que
nous connaissons. Or, l'antique et complète habi-
tation des cétacés dans les mers a tellement modifié
leur organisation, qu'il est maintenant tres-difficile
de reconnaitre la source où ils ont pris leur ori-
gine.
En effet, depuis l'énorme quantité de temps que
ces animaux vivent dans le sein des mers , ne se
servant jamais de leurs pieds postérieurs pour saisir
les objets, ces pieds non employés ont tout à fait
disparu, ainsi que leurs os, et même le bassin qui
leur servait de soutien et d'attache.
L’altération que les céfacés ont reçue, dans leurs
membres , de l’influence du milieu dans lequel ils
habitent, et des habitudes qu'ils y ont contractées,
se montre aussi dans leurs pieds de devant qui,
entièrement enveloppés par la peau, ne montrent
plus au dehors les doigts qui les terminent, en sorte
qu'ils n’offrent de chaque côté qu'une nageoïire qui
contient le squelette d’une main cachée.
ADDITIONS 425
Assurément, les cétacés étant des mammiferes, 1l
entrait dans le plan de leur organisation d’avoir
quatre membres comme tous les autres, et par
conséquent un bassin pour le soutien de leurs mem-
bres postérieurs. Mais ici, comme ailleurs, ce qui
leur manque est le produit d’un avortement occa-
sionné, à la suite de beaucoup de temps, par le
défaut d'emploi de parties qui ne leur étaient plus
d'aucun usage. Si l’on considère que, dans les
phoques où le bassin existe encore, ce bassin est
appauvri, resserré et sans saillie sur les hanches, on
sentira que le médiocre emploi des pieds postérieurs
de ces animaux en doit être la cause, et que si cet
emploi cessait entièrement, les pieds de derriere et
le bassin même pourraient à la fin disparaître.
Les considérations que je viens de présenter ne
paraitront, sans doute, que de simples conjectures,
parce qu'il n’est pas possible de les établir sur des
preuves directes et positives. Mais si l’on donne
quelque attention aux observations que j'ai expo-
sées dans cet ouvrage, et si ensuite l’on examine
bien les animaux que j'ai cités, ainsi que le produit
de leurs habitudes et des milieux qu'ils habitent, on
trouvera que ces conjectures acquierent, par cet
examen, une probabilité des plus éminentes.
Le tableau suivant pourra faciliter l'intelligence
de ce que je viens d'exposer. On y verra que, dans
mon opinion, l'échelle animale commence au moins
par deux branches particulières, et que, dans le
424 ADDITIONS
cours de son étendue, quelques rameaux paraissent
la terminer en certains endroits.
TABLEAU
SERVANT A MONTRER L'ORIGI NE DES DIFFÉRENTS
ANIMAUX
Vers. Infusoires.
Polypes.
Radiaires.
Insectes,
Arachnides.
Annelides, Crustacés.
Cirrhipèdes.
Mollusques.
Poissons.
Reptiles.
Oiseaux.
Monotrèmes. ‘
M. Amphibies.
M. Cétaces.
M. Ongules.
M. Onguiculés.
ADDITIONS 425
Cette série d'animaux commençant par deux
branches où se trouvent les plus imparfaits, les
premiers de chacune de ces branches ne recoivent
l'existence que par génération directe ou spontanée.
Une raison puissante nous empêche de recon—
naître les changements successivement opérés, qui
ont diversifié les animaux connus, et les ont amenés
à l’état où nous les observons, c’est que nous ne
sommes jamais témoins de ces changements. Ainsi,
nous observons les opérations faites, mais ne Îles
voyant jamais s’exécuter, nous sommes naturelle-
ment portés à croire que les choses ont toujours été
telles que nous les voyons,-et non qu'elles se sont
effectuées progressivement.
Parmi les changements que la nature exécute sans
cesse dans toutes ses parties, sans exception, son
ensemble etses lois restant toujours les mêmes, ceux
de ces changements qui, pour s’opérer, n’exigent pas
beaucoup plus de temps que la durée de la vie humaine,
sont facilement reconnus de l’homme qui les ob-
serve, mais il ne saurait s’apercevoir de ceux quine
s’exécutent qu'à la suite d’un temps considérable.
Que l’on me permette la supposition suivante pour
me faire entendre.
Si la durée de la vie humaine ne s’étendait qu'a
la durée d’une seconde, et s’il existait une de nos
pendules actuelles, montée et en mouvement, chaque
individu de notre espèce qui considérerait aiguille
des heures de cette pendule ne la verrait Jamais
420 ADDITIONS
changer de place dans le cours de sa vie, quoique
cette aiguille ne soit réellement pas stationnaire.
Les observations de trente générations n’appren-
draient rien de bien évident sur le déplacement de
cette aiguille, car son mouvement n'étant que celui
qui s'opère pendant une demi-minute, serait trop
peu de chose pour être bien saisi ; et si des observa-
tions beaucoup plus anciennes apprenaient que cette
même aiguille a réellement changé de place, ceux
qui en verraient l’énoncé n’y croiraient pas et sup-
poseraient quelque erreur , chacun ayant toujours
vu l'aiguille sur le même poiut du cadran.
Je laisse à mes lecteurs toutes les applications à
faire relativement à cette considération.
La Nature, cet ensemble immense d’êtres et de
corps divers, dans toutes les parties duquel sub-
siste un cercle éternel de mouvements et de change-
ments que des lois régissent, ensemble seul immu-
table, tant qu'il plaira à son SUBLIME AUTEUR de le
faire exister, doit être considérée comme un tout cons-
titué par ses parties, dans un but que son Auteur seul
connait, et non pour aucune d'elles exclusivement.
Chaque partie devant nécessairement changer et
cesser d’être pour en constituer une autre, a un
intérêt contraire à celui du tout ; et si elle raisonne,
elle trouve ce tout mal fait. Dans la réalité, cepen-
dant, ce tout est parfait et remplit complétement
le but pour lequel il est destiné.
FIN DES ADDITIONS ET DU TOME SECOND
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME
SUITE Di LA SECONDE PARTIE
CyaPiTRE III, — De la cause excitatrice des mouvements orga-
QUES MER EME 00e) MED dr sr pus SA CMOOR N. OE
Que les mouvements organiques, ainsi que ceux qui constituent les
actions des animaux n'étant point communiqués, mais seulement
excités, ne s’exécutent que par l'action d'une CAUSE EXCITATRICE,
étrangère aux corps qu'elle vivifie et qui ne périt pas comme eux ;
que cette cause réside dans des fluides invisibles, subtils, expansifs
et toujours agités, qui pénètrent, ou se développent sans cesse,
dans les corps qu'ils animent.
CHAPITRE IV.— De l’orgasme et de l'irritabilité. . . . . . 19
Que la cause excitatrice des mouvements organiques entretient
dans les parties souples des corps vivants, et principalement dans
celles des animaux, un ORGASME nécessaire au maintien dela vie
dans ces corps; lequel, dans les animaux, donne aux parties qui le
possèdent la faculté d'être irritables.
Que l'IRRITABILITÉ est une faculté exclusivement propre aux par-
ties souples des animaux, qu’elle leur donne celle de pouvoir pro-
duire un phénomène local et de le répéter de suite autant de fois
que la cause qui le provoque agit sur les points qui peuvent y
donner lieu, enfin, que cette faculté est essentiellement distincte
de celle de sentir.
428 TABLE DES MATIÈRES
CHaPitTre V.— Du tissu cellulaire, considéré comme la gangue dans
laquelle toute organisation a été formée. . . . . . . . . 43
Que le Tissu CELLULAIRE est la matrice générale de toute organisa-
tion, et que le mouvemeut des fluides dans ce tissu est le moyen
qu’emploie la nature pour créer et développer peu à peu les orga-
nes aux dépens du tissu dont il] s’agit.
CuariTRe VI. — Des générations directes ou spontanées, . . . 57
Que tous les corps vivants étant des productions de la nature,
elle a nécessairement organisé elle-même les plus simples de ces
corps, leur a donné directement la vie, et avec elle les facultés qui
sont généralement propres à ceux quila possèdent.
Qu’au moyen de ces générations directes formées au commencement
de l'échelle, soit animale, soit végétale, la nature est parvenue à
donner progressivement l'existence à tous les autres corps vivants.
CHAPITRE VII. — Des résultats immédiats de la vie dans un corps. 84
Qu'il n’est pas vrai que les corps vivants aient la faculté de résis-
ter aux lois et aux forces auxquelles tous les corps non vivants sont
assujettis, et qu'ils se régissent par des lois qui leur sont particu-
lières; mais qu'il l’est, au contraire, que les lois qui régissent les
changements que subissent les corps, rencontrant dans ceux qui
sont vivants un état de choses très-différent de celui qu’elles trou-
vent dans les corps qui ne possèdent point la vie, opèrent sur les
premiers des effets fort différents de ceux qu’elles produisent dans
les seconds.
Que les corps vivants ontla faculté de composer eux-mêmes leur
propre substance, et que formant par là des combinaisons qui
n’eussent jamais existé sans cette cause, leurs débris sont la source
où les différents minéraux puisent les matériaux qui servent à leur
formation.
CuaprrRe VIII. Des facultés communes à tous les corps vivants. . 104
Que la vie donne généralement à tous les corps qui la possèdent des
facultés qui leur sont communes, et que ces facultés n’exigent,
pour se produire, aucun organe spécial quelconque, mais seulement
l’état de choses dans les parties de ces corps pour que la vie puisse
y exister.
CuariTRE IX.— Des facultés particulières à certains corps vivants. 117
Qu'outre les facultés que la vie donne à tous les corps vivants,
certain d’entre eux en possèdent qui leur sont tout à fait particu-
lières. Or, l'observation constate que ces dernières n’ont lieu que
lorsque des organes particuliers, capables de les produire, existent
dans les animaux qui jouissent de ces facultés.
Résumé de laseconde parie. -— 4.0 Cac EM TUE
TABLE DES MATIÈRES 129
TROISIÈME PARTIE
CONSIDÉRATIONS SUR LES CAUSES PHYSIQUES DU SENTIMENT, CELLES
QUI CONSTITUENT LA FORCE PRODUCTRICE DES ACTIONS
ENFIN, CELLES QUI DONNENT LIEU AUX ACTES D'INTELLIGENCE
QUI S'OBSERVENT DANS DIFFÉRENTS ANIMAUX
INTRODUCTION . A) ab tn, Art SA MES COTES
Quelques considérations générales sur les moyens que la nature
possède pour donner lieu, dans certains Corps vivants, aux phénomènes
que constituent les sensations, les idées, en un mot, les différents
actes d'intelligence. |
CHAPITRE PREMIER. — Du système nerveux, de sa formation et des dif-
férentes sortes de fonctions qu'il peut exécuter. Ce PO (CE
Que le système d'organes, qu'on nomme SYSTÈME NERVEUX, est par-
ticulier à certains animaux, et que, parmi ceux qui le possèdent, on
le trouve dans différents états de composition et de perfectionnement ;
que ce système donne aux uns seulement la faculté du mouvement
musculaire , à d’autres la même faculté, plus celle de sentir, à d’autres
encore, les deux mêmes facultés, plus celle de se former des idées,
et d'exécuter avec celles-ci différents actes d'intelligence,
Que lesystème d'organes dont il s'agit exécute quatre sortes de
fonctions de nature très-différente, mais seulement lorsqu'il a acquis
dans sa composition l’état propre à lui en donner je pouvoir.
CHaP1iTRE IT. — Du fluide nerveux … .. . . . + Je Dale Au 2:
Qu'il se développe dans le corps de certainsanimaux un fluide très-
substil, invisible, contenable, et remarquable par la célérité de ses
mouvements; que ce fluide à la faculté d’exciter le mouvement mus-
culaire, que c’est par son moyen que les nerfs affectés produisent
le sentiment; qu'ébranlé dans sa masse principale, il est le sujet
des émotions intérieures, enfin, qu'il est l'agent singulier par leque]
se forment les idées et tous les actes d'intelligence.
CHaPiTRe III. — De la sensibilité physique et du mécanismedes sensa-
EE 7 0 A
Qu'il n’est pas vrai qu'aucune matière, ni qu'aucune partie d’un corps
vivant, puissent avoir en propre la faculté de sentir; mais qu'il l’est
que le sentiment est un phénomène qui résulte des fonctions d'un
système d'organes particulier capable d'y donner lieu.
430 TABLE DES MATIÈRES
Que le SENTIMENT est le produit d’une action sur le fluide subtil
d'un nerf affecté, laquelle se propage dans tout le fluide nerveux du
système sensitif, et se termine par une réaction genérale qui se
rapporte au sentiment intérieur de l'individu et au point affecté.
CHAPITRE IV. — Du sentiment intérieur, des émotions qu'il est suscep-
tible d'éprouver, et de la puissance qu'il en acquiert pour la produc-
HOT ACTIONS. PP DE ONE M”:
Que le SENTIMENT intérieur résulte de l’ensemble des sensations
internes que produisent les mouvements vitaux, et de ce que toutes
les portions du fluide nerveux, communiquant entre elles, forment un
tout unique, quoique divisé, lequel est susceptible de recevoir des
ébranlements généraux qu'ou nomme émotions.
Que ce sentiment intérieur est le lien qui réunit le physique au mo-
ral, et qu’il est la source de l’un et de l’autre; que le sentiment dont
il s’agit, d’une part, avertit l'individu des sensations qu'il éprouve
(de là le physique); et de l’autre part, lui donne la conscience de ses
idées et de ses pensées (de là le moral); qu’enfin, à la suite des
émotions que les besoins lui font subir, il fait agir l'individu sans
participation de la volonté (de là l'instinct).
CuarirRe V. — De la force productrice des animaux, et de quelques
faits particuliers qui résultent de l'emploi de cette force. . . . 276
Que l’action musculaire étant une force très-suffisante pour pro-
duire les mouvements qu'exécutent les animaux, et l'influence ner-
veuse pouvant exciter cette action musculaire, ceux des animaux qui
jouissent du sentiment physique possèdent dans leur sentiment in-
térieur une puissance très-capable d'envoyer aux muscles le fluide
excitateur de leurs mouvements; et c’est, en effet, dans ses émo-
tions que ce sentiment trouve la force de faire agir les muscles.
De la consommation et de l'épuisement du fluide nerveux dans la produc-
tion des.actions animales 0° . COTE AA 2ET
De l'origine du penchant aux mêmes actions . . . . . . . 291
De lmstinctides animadees CCE CR ce
De l'industrie de certains animaux re UC 20
CéiPrire VI De la volonté. . RH Le OT: ROUS
Que la volonté résultant toujours d'u jugement, et celui-ci pro-
venant nécessairement d'une idée comparée, d’une pensée, ou de
quelque impression qui y donne lieu, tout acte de volonté en est un
de l'intelligence, et qu'il n'y a conséquemment que les animaux qui
possèdent un organe spécial pour l'intelligence qui puissent exécuter
des actes de volonté.
Que puisque la volonté dépend toujours d’un jugement, non-
seulement elle n’est jamais véritablement libre, mais en outre que
les jugements étant exposés à une multitude de causes qui les
TABLE DES MATIÈRES 431
rendent erronés, la volonté qui en résulte trouve dans le jugement
un guide moins sûr que celui que l'instinct rencontre dans le sen-
timent intérieur ému par quelque besoin.
Cuaapitrre VII. — De l'entendement, de son origine, et de celle des
OS d © LOT RC SR EU LOL
Que tous les actes de l'entendement exigent un système d'organes
particulier pour pouvoir s'exécuter; que les idées acquises sont
les matériaux de toutes les opérations d’entendement; que quoique
toute idée soit originaire d'une sensation, toute sensation ne saurait
produire une idée, puisqu'il faut un organe spécial pour sa forma-
tion, et qu'il faut en outre que la sensation soit remarquée; enfin,
que, dans l'exécution des actes d'intelligence, c’est le fluide nerveux
qui, par ses mouvements dans l'organe dont il s’agit, est la seule
cause agissante, l'organe lui-même n’etant que passif, mais contri-
buant à la diversité des opérations par celle de ses parties.
Cuarirre VIII, — Des principaux actes de l'entendement, ou de ceux
du premier ordre dont tous les autres dérivent. . . . . 90)
Que les principaux actes de l’entendement sont l'ArrENTION, état
particulier et préparatoire dans lequel entre alors l'organe, et sans
lequel aucun autre de ses actes né saurait se produire; la PENSÉE,
de laquelle naissent les idées complexes de tous les ordres; la M&-
MOIRE, dont les actes, qu'on nomme souvenirs, rappellent les idées
quelles qu'elles soient, en les rapportant au sentiment intérieur,
c'est-à-dire à la conscience de l'individu ; enfin, les JUGEMENTS, qui
sont les actes les plus importants de l'entendement, et sans lesquels
aucun raisonnement, aucun acte de volonté ne pourraient se pro-
duire, en un mot, aucune connaissance ne pourrait s’acquérir.
De l'imagination. . Le catt te Der: ne NP PAL 7
De la raison et de sa comparaison avec l'instinet. . . . . 403
Additions relatives aux chapitres vitet viix de la premiere partie. 413
FIN DE LA TABLE DU TOME SECOND ET DERNIER
LYON.— IMP. PITRAT AINE, RUE GENTIL, 4.
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