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Boston
Médical Library
Association,
19 BOYLSTON PLACE,
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Received K.\A^-V^-J..:M^./--Q^f-M9--
By Gift of .
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PHYSIOLOGIE
DE L'HOMME.
CET OUVRAGE SE VEND AUSSI :
A MONTPELLIER,
CHEZ SÉYALLE, LIBRAIRE.
IMPRIMERIE D'HIPPOLLYTE TILLURD
BDE DE LA BAEPEf Re 7§.
PHYSIOLOGIE
DE L'HOMME,
PAR
N.-P. ADELON, D. M. P.,
PROFESSEUR DE MÉDECINE LÉGALE A LA FACULTÉ DE MEDECINE DE PARIS ,
MEMBRE ADJOINT DU CONSEIL DE SALUBRITE DE LA VILLE DE PARIS ,
HEHBRB TITULAIRE DE l'aCADÉMIE KOTALE DE MEDECINB , DE LA SOCIÉTÉ PQILOMATnjUf
DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES DE DIJON ,
DES SOCIÉTÉS DE WÉrECINE D'ÉVKErX , LOCVAIK , elC.
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REVUE, CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.
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COMPÈRE JEUNE , LIBRAIRE-ÉDITEUR ,
RUE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE, N. 8,
1829.
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tlWIIVVI/ViVVXVVVVVl\VM/VVVVVVlVVVtVVVvVUlVVVVlVSn VtlH» WV\ &/VWWV%''W4<*i WV% VWVMMWI/»
TROISIÈME CLASSE DES FONCTIONS.
FONCTIONS DE REPRODUCTION , OU DE LA GENERATION.
Tous les êtres organisés et vivants se reproduisent 3 c'est-
à-dire donnent naissance à des individus semblables à eux,
et à l'aide desquels ils perpétuent leur espèce. La nature les
ayant condamnes à mourir, devait leur donner cette pré-
cieuse faculté , sans laquelle l'univers n'aurait eu qu'une
courte durée. C'est par la faculté de reproduction que le
Créateur a assuré la conservation de notre monde; aussi
semble-t-elle lui être plus chère que la faculté de nutrition
elle-même : les individus ne semblent vivre que pour son
accomplissement. Dans les derniers animaux, beaucoup ne
paraissent exister que pour se reproduire ., et meurent aussi-
tôt après. Dans les animaux supérieurs, les individus ne
sont parfaits qu'à l'âge auquel la reproduction est possible;
et ils cessent de l'être et commencent à mourir , si l'on peut
parler ainsi , dès que cette faculté ne peut plus s'accomplir.
Qui ne sent, d'ailleurs, que la faculté de nutrition n'a trait
qu'à l'individu, lequel n'est qu'un infiniment petit dans le
grand ensemble, et qu'au contraire, la reproduction a trait
à la conservation des espèces ? La reproduction fonde donc
un des plus importants phénomènes de la vie. Destinée à ré-
parer les pertes continuelles que cause la mort, elle impose
Tome IY. - L
2 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
à son tour l'inexorable nécessité de celle-ci; sans la mort ,
la reproduction, toujours agissante, aurait bientôt sur-
chargé l'univers de trop d'êtres vivants.
Bien que les actes par lesquels s'accomplit la reproduc-
tion soient souvent assez nombreux et assez divers , on n'en
a pas fait, comme de ceux qui opèrent la nutrition, plu-
sieurs fonctions distinctes ^ on les a tous réunis en une seule,
qu'on appelle génération. La génération est une fonction
exclusive aux êtres vivants. On ne peut pas, en effet, appeler
de ce nom la manière dont les minéraux se forment les uns
des autres : quand un minéral donne l'être à un autre, c'est
en fournissant toutou partie des éléments qui le composent,
et en cessant d'exister lui-même : l'être vivant, au contraire,
se reproduit sans mourir , fournissant seulement une partie
de lui-même, qui, à la suite de plusieurs développements,
devient un individu nouveau semblable à lui.
Les procédés par lesquels s'accomplit , dans l'univer-
salité des êtres vivants, la génération, sont très divers; et
nous allons nous borner à les rappeler brièvement , les
ayant indiqués déjà quand nous avons traité des animaux en
général.
D'abord , peut-être existe-t-il quelques êtres vivants qui
se forment, de toutes pièces en quelque sorte, par la réu-
nion de leurs éléments constituants , à la manière d'un mi-
néral, mais consécutivement à une force autre que l'attrac-
tion moléculaire, puisqu'elle a pour résultat la formation
d'un corps vivant: c'est ce qu'on appelle la génération spon-
tanée. A la vérité, la plupart des physiologistes récusent ces
générations équivoques , admettant que dans les cas où on
les suppose , ont été apportés par l'air ou par l'eau des œufs
ou des graines que leur petitesse n'a pas permis d'apercé-'
cevoir. Mais peut-être que leur assertion est trop absolue ;
et quelques faits rendent, sinon démontrée, au moins
très probable, une génération spontanée pour les derniers
degrés de l'échelle végétale et animale. Par exemple , des
animaux infusoires se sont montrés dans des liqueurs aux-
quelles on avait fait subir auparavant une ébuliition pro-
longée; peut-on croire , avec Spallanzani , que les œufs qui
FONCTION DE LA GENERATION. 3
leur ont donné l'être ont résisté à cette forte chaleur ? Plu-
sieurs êtres vivants, comme des nostocs , des tremeïles,,
dans le règne végétal; le rotifère, l'anguille des toits, dans
le règne animal, après être restés des années entières immo-
biles, et paraissant n'être que des cadavres desséchés, tout
à coup ont été rendus à la vie par l'influence de l'humidité :
cela a été fait plusieurs fois de suite; et, par exemple,
Spallanzani a fait ainsi sécher et revivre onze fois le roti-
fère. Dira-t-on que ces êtres avaient conservé en eux , lors
de leur dessiccation , une vie latente ? et n'est-ce pas plutôt ,
qu'ayant toujours la structure matérielle qui les rend pro-
pres à recevoir la cause excitatrice de la vie , quelle qu'elle
soit , ils ont à chaque fois reçu une nouvelle animation ?
Parmi les vers intestinaux, plusieurs sont placés en des
lieux où nui germe n'a pu pénétrer du dehors : les filai res ,
par exemple , qui sont situés le long de la colonne verté-
brale; les gordyles, qu'on trouve dans les chairs des mus-
cles ; les hydatides , qu'on observe dans les parenchymes des
viscères : faut-il, avec Spallanzani , en faire provenir les
germes des aliments , et faire arriver ces germes avec le
sang? ou croire, avec Rudolplii , Brernsèr? qui sont d'im-
posantes autorités sur ce sujet , que ces vers proviennent par
génération spontanée? Dans de certains temps , lors de pluies
soudaines, par exemple, on voit tout à coup apparaître des my-
riades d'êtres vivants, et il serait souvent difficile d'indiquer
d'où auraient pu provenir alors les nombreux germes qu'il
nécessiteraient. Enfin , on dit avoir, dans des expériences,
réussi à faire des êtres vivants de toutes pièces : Wiegmann
a mis dans un vase un demi-gros de corail blanc ou rouge ,
avec six onces d'eau distillée ; il a exposé le vase aux rayons du
soleil , ayant soin de l'agiter plusieurs fois par jour, et de
décanter de temps en temps; et , après quinze jours, il a vu se
•former, d'abord de la matière verte, puis des conferves , et
enfin , après deux ou trois mois , des monocles du genre
des cyprides detectœ. Ayant fait l'expérience dans un
étroit et long cylindre, il a vu se former des espèces d'alves
qui, après un certain temps, se sont converties en daphniœ
longispinœ. M. Frej a fait en France de semblables essais :
i .
4 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
ayant fait macérer dans des vasesbien cîos , avec de l'eau dis-
tillée , tantôt des matières végétales et animales , tantôt des
gaz seuls, il dit avoir vu se former de même, par le con-
cours de la lumière et de îa chaleur , des êtres vivants, vé*-
gétaux et animaux. Sans doute nous ne voulons pas trop
accorder à ces expériences, non plus qu'aux considérations
précédentes; mais il nous semble que tous ces faits comman-
dent au moins le doute , et justifient MM. Lamarck et Geof-
froy de croire probables les générations spontanées aux der-
niers degrés de l'échelle vivante.
Au-delà de ce premier mode de génération, le plus sim-
ple de tous , la reproduction ne s'accomplit plus qu'à l'aide
d'une partie , qui est toujours fournie par un corps vivant ,
et qui devient un individu nouveau semblable à celui qui
la portait. Dès lors tout individu provient nécessairement
d'un autre , et les êtres, dans leur succession , sont dépen-
dants les uns des autres. Mais nous allons trouver encore
beaucoup de modes divers, et de plus en plus compliqués.
Ainsi , au-delà de la génération spontanée est d'abord la gé-
nération Jissipare , ou par scission du corps mère , dont les
animaux infusoires nous offrent un exemple : l'être, à une
certaine époque de sa vie, se partage de lui-même en plu-
sieurs fragments , qui forment autant d'individus nou-
veaux. A un second degré déjà pins élevé, mais encore bien
inférieur , est la génération gemmipare , qui consiste en ce
que l'être pousse , à un certain endroit de son corps , de
petits bourgeons, des gemmes , qui , à une époque détermi-
née aussi, se détachent pour former autant d'individus
nouveaux. Selon que c'est à la surface externe du corps , ou
dans un lieu spécial et intérieur que se développent les bour-
geons, cette génération gemmipare est dite externe ou in-
terne. Dans ces divers modes, un individu peut se repro-
duire seul. Enfin, apparaissent des organes spéciaux pour
la génération , ce qu'on appelle les sexes ; organes qui sont
de deux espèces, les femelles et les mâles , et qui fournis-
sent , d'après l'opinion la plus universellement reçue, les
premiers , un germe contenant les rudiments de l'indi-
vidu nouveau, et les seconds, une semence, un fluide qui
FONCTION DE LA GENERATION. 5
avive le germe , et en détermine le développement et le dé-
tachement.
Dans ce dernier mode , qui est celui de l'homme , tantôt
les deux sexes sont réunis sur un seul individu, qui peut
se reproduire seul , et qui est ce qu'on appelle hermaphro-
dite, comme cela est dans presque toutes les plantes , beau-
coup de mollusques ; tantôt ils sont réunis sur un seul être,
mais qui ne peut plus se reproduire seul , et qui exige, pour
sa reproduction, le concours d'un autre, chaque individu
remplissant même à la fois le double office de mâle et de fe-
melle ; quelquefois enfin , chaque sexe est porté par un in-
dividu différent , et l'espèce animale est composée de deux
individus , le mâle et \& femelle, dont le concours est abso-
lument nécessaire pour la reproduction.
Mais, deux nouvelles différences se présentent dans le
mode selon lequel se fait ce concours. Quelquefois le fluide
du sexe mâle n'est appliqué à l'œuf du sexe femelle . que
lorsque celui-ci a été excrété , pondu, comme dans les pois-
sons ; et , dans ce cas, le mâle ne connaît pas la femelle qui
concourt à sa reproduction. D'autres fois > au contraire, le
fluide du sexe mâle est appliqué à l'œuf du sexe femelle ,
quand celui-ci est encore renfermé dans l'intérieur de la fe-
melle , comme dans les oiseaux , les mammifères; l'œuf ne
pourrait plus être fécondé après la ponte; et , dans ce der-
nier cas, il y a nécessairement dans la génération ce qu'on
appelle un rapprochement , une copulation.
Enfin , la génération diffère encore dans les animaux, re-
lativement à ce que devient l'œuf immédiatement après
l'accouplement et la fécondai ion. i° Dans les ovipares, l'œuf
est pondu aussitôt, et ce n'est qu'après la ponte qu'il écîôt,
et qu'apparaît l'individu nouveau. 2° Dans les ovo-vivi-
pares , il est aussi détaché aussitôt de l'ovaire, et en voie
d'être pondu; mais parcourant avec lenteur les voies de son
excrétion, il éciôt pendant la ponte, de sorte que l'individu
nouveau sort du sein de sa mère avec sa forme propre.
3° Enfin, dans les vivipares , l'œuf se détache aussi de l'o-
vaire immédiatement après la copulation; mais, au lieu
d'être pondu, il va se placer dans un réservoir, appelé ma
6 FONCTION DE LA GENERATION.
trice , utérus ; il y prend attache ? en tire des sucs utiles à
son développement; et , croissant ainsi aux dépens de sa
mère, il éclôtdansce réservoir, de manière que l'individu
nouveau naît sous sa forme propre. De plus., cet individu,
après sa naissance, doit à une sécrétion de sa mère son pre-
mier aliment, le lait. Dans ce dernier cas, la génération
comprend nécessairement, outre la copulation , ce qu'on
appelle une gestation ou grossesse, et Y allaitement.
Tels sont les modes divers par lesquels s'accomplit la gé-
nération dans l'ensemble des animaux. Quelques divers
que soient ces modes, il y a des formes qui sont comme au-
tant de passages des uns aux autres. Ainsi, la génération
gemmipare interne évidemment conduit à la génération par
sexes. Les animaux qui , bien que possédant les deux sexes,
ont besoin du concours d'un autre pour leur reproduction,
conduisent à ceux chez lesquels ces sexes sont séparés. Enfin,
ces reptiles batraciens qui se cramponnent à leurs femelles ,
et qui vivifient de leur sperme les œufs au moment même où
ceux-ci sont pondus , forment évidemment le passage des
animaux qui n'ont pas de copulation à ceux qui en ont une.
Au milieu de toutes ces différences, voici ce qui est de la
génération de l'espèce humaine : elle se fait à l'aide de sexes;
ces sexes sont séparés et portés chacun par un individu dis-
tinct, l'homme et la femme; c'est lorsque l'œuf est encore
intérieur que s'en fait la fécondation , de sorte qu'il faut un
rapprochement , une copulation ; enfin la génération est vi-
vipare , et comprend une grossesse et un allaitement. Nous
allons commencer son étude par l'examen anatomique des
organes qui l'accomplissent.
CHAPITRE PREMIER.
Ànatomie de V appareil générateur.
Dans ce chapitre, nous allons traiter successivement : de
l'appareil génital de l'homme , de celui de la femme , et des
différences que présentent, sous tous les autres rapports et
dans les autres points de leur économie , les deux sexes.
APPAREIL GENITAL DE L HOMME. 7
ARTICLE PREMIER.
De l'appareil ge'nital de l'homme.
L'appareil génital de l'homme se compose de deux sorles
de parties, celles qui forment le fluide destiné à féconder le
germe , et qui fondent l'appareil de fécondation ; et celles
qui portent profondément ce fluide dans les parties de la
femme , pour qu'il aille au loin atteindre le germe , et qui
constituent V appareil de copulation.
§ 1er. Appareil de fécondation.
H faut étudier, dans cet appareil , les parties qui le com-
posent, le mécanisme par lequel ces parties préparent, fa-
briquent et conservent le fluide fécondant; enfin ce fluide
fécondant lui-même , le sperme.
i° L'appareil de fécondation chez l'homme est pair, et se
compose de deux glandes, les testicules; de leur canal ex-
créteur , les conduits déférents ; et de deux réservoirs , les
vésicules séminales.
A. Testicules. Les testicules sont deux glandes situées dans
une cavité placée au bas du pubis, et appelée scrotum ; le
droit est un peu plus élevé que le gauche. Leur forme est
celle d'un ovoïde comprimé de droite à gauche; leur vo-
lume , celui d'un petit œuf de pigeon ; leur poids , de trente
à trente-deux grammes. Puisque les testicules sont des glan-
des , parmi leurs éléments sont deux systèmes vasculaires
opposés l'un à l'autre par leurs ramifications dernières : l'un
est Y artère spermatique, qui apporte le sang qui fournit à la
sécrétion : née de l'aorte dans l'abdomen , sous un angle
très aigu, cette artère, fort petite, fort flexueuse , gagne
l'anneau inguinal ou sus -pubien, le traverse, atteint le
testicule, et s'y divise en deux sortes de rameaux, les uns
qui se distribuent à ce que nous verrons être appelé Vépi-
diilyme, les autres qui pénètrent dans le testicule par son
8 FONCTION DE LA GENERATION,
bord supérieur, et concourent à former son tissu; l'autre
est le système vasculaire sécréteur, dont les radicules,, pro-
bablement continus aux dernières ramifications de l'artère
spermatique , font le sperme , ou au moins excrètent ce
fluide. Les vaisseaux de ce système constituent dans le tes-
ticule ce qu'on appelle les vaisseaux séminifères, et abou-
tissent à un cordon blanc situé au bord supérieur et interne
de l'organe, auquel commence le canal excréteur, et qu'on
appelle corps d'Hygmor, ou sinus des vaisseaux séminifères.
A ces deux premiers ordres de vaisseaux , il faut ajouter^
comme éléments composants des testicules : 1° des veines,
dites spermatique s , qui rapportent de l'organe le superflu
du sang qui a servi à sa nutrition et à la sécrétion. Nées,
par des racines capillaires , dans le tissu du testicule , ces
veines y forment d'abord un plexus appelé spermatique ,
dont les divisions se rassemblent en plusieurs branches qui
passent par l'anneau inguinal , et se fondent en un seul
tronc : ce tronc alors se divise de nouveau en un autre plexus
appelé corps pampiniforme , que l'on dit être particulier à
l'espèce humaine, et que l'on croit servir de diverticulum
du sang, pour le testicule dont les fonctions sont presque
intermittentes ; enfin, au-delà, ces veines vont s'ouvrir du
côté droit dans la veine cave, et du côté gauche dans la
veine rénale. 2° Des vaisseaux lymphatiques en fort grand
nombre, dont les troncs, après avoir traversé l'anneau,
vont aboutir aux ganglions lombaires. 3° Des nerfs fournis ,
en partie par les plexus rénaux, mésentériques , le grand
sympathique; en partie par les nerfs lombaires, et qui sont
si petits qu'on ne peut les poursuivre jusque dans le tissu
du testicule. 4° Enfin une membrane extérieure à tout l'or-
gane, appelée albuginée, périteste. Cette membrane, d'un
blanc opaque, évidemment fibreuse, d'un tissu serré, en-
veloppe l'organe, dont elle détermine la forme; de plus, elle
envoie dans son intérieur beaucoup de prolongements fili-
formes, aplatis, qui constituent des espèces de cloisons in-
complètes ; celles-ci séparent des espèces de loges triangu-
laires, remplies par les vaisseaux séminifères, et se dirigent
toutes, avec une espèce de symétrie, vers le bord supérieur,
APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. 9
vers ce que nous avons appelé le corps d'Hygmor. De ces di-
vers éléments résulte le tissu du testicule , qu'il est difficile
de spécifier; la substance en est molle, d'un gris jaunâtre,
et partagée , par les prolongements de la membrane capsu-
laire, en un grand nombre de lobes et de lobules. Son pa-
renchyme semble être formé d'une immense quantité de
filaments très ténus, très flexueux, entrelacés et repliés en
tous sens, lâchement unis les uns aux autres , et entre les-
quels se voient les ramifications des artères et veines sper-
matiques. Ces filaments sont les conduits séminifères , dont
Monro a évalué le nombre à 625oo, la longueur à 5208
pieds, le calibre à un deux centième de pouce de diamètre ,
et qui sont si fins qu'on n'a pu encore les injecter, ni par le
canal excréteur, ni par l'artère speimia tique. Disposés le long
des cloisons que fait dans l'intérieur de l'organe la mem-
brane albuginée , ils présentent , de distance en distance , de
petits renflements que les uns ont pris pour des granulations
glanduleuses , les autres pour des replis. Se dirigeant vers le
bord supérieur de l'organe , ils se réunissent en douze à vingt
troncs , alors assez considérables pour qu'on puisse les injec-
ter par le canal excréteur: et traversant le corps d'Hygmor,
ils s'abouchent pour former le conduit qui constituera l'épi-
didyme. Nous avons déjà dit qu'on appelle corps d'Hygmor
une saillie oblongue , blanche , située le long du bord supé-
rieur du testicule, et qui, selon M. Chaussier, est un canal
dans lequel se réunissent ces troncs communs des vaisseaux
séminifères , lorsqu'ils vont former le canal excréteur.
Le testicule est soutenu dans la cavité du scrotum , par ce
qu'on appelle le cordon des vaisseaux spermaliques , assem-
blage des vaisseaux et des nerfs appartenants à cet organe ,
savoir : l'artère spermatique , les veines spermatiques, les
vaisseaux lymphatiques, les nerfs de l'organe , et le conduit
déférent, qui est son canal excréteur. Un tissu lamineux unit
entre elles toutes ces parties. Extérieurement, une gaine
membraneuse, de nature fibreuse , enveloppe ce cordon, et
l'isole des parties circonvoisines , et spécialement du scro-
tum. Du bord supérieur du testicule, lieu de son attache ,
ce cordon se porte verticalement vers l'anneau inguinal ; et,
10 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
après l'avoir traversé, ses divers éléments se séparent pour
se rendre chacun à leur destination respective.
Quant au scrotum, c'est une cavité membraneuse, dé-
pendante de l'abdomen, el formée par la superposition de
quatre tuniques. 10 Extérieurement est la peau, qui ici est de
couleur brune, ridée et parsemée de follicules et de poils :
un raphé règne sur la ligne médiane , et annonce le partage
du scrotum en deux moitiés. 2 ° Au-dessous, est une membrane
cellulo-filamenteuse, rougeâtre, appelée dartos , et formant
une cloison médiane qui sépare les deux testicules. Il y a eu
beaucoup de débatssur la nature de ce dartos; tour-à-tour on
l'a dit musculeux, vasculaire , celluleux : MM. Breschet et
Lobstein ont trouvé qu'il n'existait pas dans le scrotum
avant que les testicules y fussent descendus, et le croient
formé par l'épanouissement du cordon qui y attache cet or-
gane; Meckel le présente comme faisant le passage du tissu
muqueux proprement dit au tissu musculaire. 3° Au-dessous
du dartos, est une couche musculeuse, appelée membrane
érythroïde , formée par un muscle nommé crémaster , qui ,
né du petit oblique de l'abdomen , près l'épine iliaque an-
térieure et supérieure , traverse l'anneau , concourt à la
formation du cordon , et va se terminer insensiblement à la
surface interne du scrotum. 4° Enfin tout-à-fait en dedans,
est la membrane vaginale ou élytroïde , véritable membrane
séreuse , enveloppant le testicule , ayant conséquemment
deux portions , une scrotale, qui tapisse le scrotum , et une
testiculaire, qui revêt le testicule. A sa surface externe , elle
offre un feuillet fibreux , analogue à celui qui fortifie en
dehors la membrane séreuse du péricarde : quelques anato-
mistes en ont fait une cinquième tunique distincte , sous le
nom de tunique fibreuse, ou vaginale commune. Cette tu-
nique vaginale est évidemment une dépendance du péri-
toine. Le testicule, en effet, jusqu'au septième mois de la
vie fœtale, est placé dans l'abdomen, au-dessous du rein,
sur la partie antérieure du muscle psoas; ce n'est qu'après
cette époque que, par le jeu d'un ligament appelé guberna-
culum testis , il est attiré dans le scrotum. Or, pour cela il
Lraverse tout l'abdomen, et entraîne devant lui le péritoine :
APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. il
avec le temps , la portion du péritoine qui a accompagné
l'organe se sépare, et forme la tunique vaginale. Si cette
séparation n'a pas lieu, que l'anneau reste très ouvert, des
portions d'intestins peuvent passer dans le scrotum, et il en
résulte ce qu'on appelle des hernies congéniales. Cette des-
cente du testicule n'est pas , du reste , une chose nécessaire ;
on a vu des hommes chez lesquels elle ne s'était pas faite,
se reproduire de même : dans beaucoup d'animaux^ le testi-
cule est toujours intérieur; et chez quelques-uns, il rentre
et sort tour-à-tour; dans les rats, par exemple, il n'est dans
le scrotum que lors de l'époque du rut.
B. Conduits déférents, canaux excréteurs. Le long du bord
supérieur de chaque testicule, règne un petit corps oblong,
de couleur grisâtre , qui est comme surajouté à l'organe, et
qu'on appelle èpididyme. Ce corps est un conduit formé par
la réunion des vaisseaux séminifères qui ont traversé le corps
d'Hygmor. Roulé beaucoup de fois sur lui-même, des brides
celluleuses unissent ses différents contours; et déplissé , il
a , selon Monro , une longueur de trente-deux pieds. Son ca-
libre augmente de sa partie supérieure, qu'on appelle sa
tête, à sa partie inférieure, ou sa queue. Celle-ci se con-
tinue par un canal blanc , très ferme , appelé conduit défé-
rent , et qui est, à proprement parler, l'excréteur. Ce canal,
après avoir quitté le testicule, se joint au cordon des vais-
seaux spermatiques , traverse l'anneau, se sépare des vais-
seaux sanguins à son entrée dans l'abdomen , et descend en
arrière et en dedans, gagnant la partie postérieure et infé-
rieure de la vessie, croisant en cet endroit l'uretère ; là,
changeant de direction , il marche presque horizontalement
d'arrière en avant , et de dehors en dedans , le long du côté
interne des vésicules séminales. Parvenu à la base de la
prostate , il reçoit un canal né de ces vésicules , et se conti-
nue sous le nom de canal èjaculateur. Traversant alors la
prostate, placé près du canal du côté opposé, mais sans
communiquer avec lui , l'un et l'autre vont s'ouvrir dans
Turèthre, sur les côtés du vérumuntanum ; sa longueur,
dans ce dernier trajet, est d'un pouce. Assez grêle à son ori-
12 FONCTION DE LA GENERATION,
gine , le conduit déférent devient plus gros du double au-
delà de Fanneau , et près les vésicules ; mais il redevient
capillaire à sa terminaison. Quoique ayant des parois fort
épaisses, son calibre est presque capillaire. Il est formé de
deux tuniques, une extérieure, très ferme, pour ainsi dire
cartilagineuse, qui en forme presque toute l'épaisseur; et
une intérieure, muqueuse , si mince, qu'on ne peut la dé-
montrer.
C. Vésicules séminales. On appelle ainsi deux petites po-
ches membraneuses , longues de deux pouces et demi, larges
de six à sept lignes à leur fond, situées au-dessous de la
vessie, et servant de réservoirs au sperme. Placées au-devant
de l'insertion des uretères dans la vessie , derrière la pros-
tate , et en dehors des conduits déférents , elles ne commu-
niquent chacune qu'avec le testicule qui est de leur côté,
et sont dirigées obliquement de derrière en avant , de de-
hors en dedans , et un peu de haut en bas ; elle sont irré-
gulièrement conoïdes, et ont une apparence bosselée en de-
hors. Leur cavité estanfractueuse, présente des cellules sé-
parées par des cloisons , et consiste dans un canal flexueux ,
terminé supérieurement en cul-de-sac, mais dans lequel
s'ouvrent latéralement dix à douze appendices unis entre eux
par des brides celluieuses; en détruisant celles-ci , on voit
la vésicule s'agrandir de cinq ou six fois sa longueur.
M. Amussat a contesté récemment, cette disposition , et dit
avoir reconnu que ces vésicules séminales ne sont qu'un
canal étroit d'une longueur considérable , replié plusieurs
fois sur lui-même en divers sens, et dont les contours sont
rendus fixes par des brides cellulaires, à la manière des
vaisseaux spermifères. De leur partie antérieure, qu'on ap-
pelle leur col, se détache un petit canal fort court, qui va
s'unir sous un angle très aigu avec le canal déférent, pour
former le canal èjaculateur. Ces vésicules sont formées par
la superposition de deux membranes , une extérieure, dense,
blanche, assez semblable à celle qui forme le canal défé-
rent, et qui probablement n'est quecelluîeuse _, quoiqu'elle
se contracte dans l'acte de l'éjaculation ; une intérieure,
APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. i3
fine y blanche , un peu semblable à celle qui tapisse Tinté-
rieur de la vésicule biliaire, et probablement muqueuse :
ou n'a jamais pu démontrer de fibres musculaires dans ces
organes. Un fluide opaque, épais, jaunâtre, différent
par son aspect du sperme qui est éjaculé pendant la vie,
remplit ces vésicules. Elles n'existent pas dans tous les
animaux.
A îa description de ces parties , qui , chez l'homme , for-
ment l'appareil de fécondation, nous ajouterons celle d'or-
ganes qui ont quelque rapport avec leur fonction, la pros-
tate et les glandes de Cowper. La première est un organe
d'un blanc grisâtre, d'un tissu fort dense, ayant le volume
d'une grosse châtaigne, la forme d'un cône tronqué, et qui
par sa base embrasse le col de la vessie , et par son sommet
se termine en s'amincissant sur le commencement de l'urè-
thre. Jadis elle était considérée comme une glande, mais
aujourd'hui on îa regarde comme une agglomération de
beaucoup de petits follicules remplis d'un fluide visqueux
et blanchâtre; de ces follicules naissent des conduits excré-
teurs qui , au nombre de douze ou quinze , viennent s'ou-
vrir dans l'urèthre, sur les côtés, et à la surface même du
vérumontanum. Les glandes de Cowper sont deux petits
corps oblongs , du volume d'un pois, d'une couleur rou-
geâtre, d'un tissu assez ferme, et placés parallèlement au-
devant de la prostate, sur les côtés du canal de l'urèthre :
elles ont chacune un canal excréteur, long d'un demi-
pouce , qui , rampant obliquement dans le tissu spongieux
du bulbe de l'urèthre, va s'ouvrir aussi devant le véru-
montanum. Leur volume est considérable en certains ani-
maux , ce qui peut faire croire qu'elles sont plus importantes
qu'on ne l'a dit.
20. Les parties que nous venons de décrire ont pour
usages de fabriquer , préparer et conserver le fluide fécon-
condant, le sperme. Ce sont les testicules qui sont les agents
fabricateurs ; la preuve en est donnée par l'opération de la
castration , et par les maladies de ces organes» Ils produisent
le sperme par une action de sécrétion; le sang de l'artère
spermatique , arrivé dans leur parenchyme , est changé par
j4 fonction de la génération.
une action vitale en ce liquide. Les Anciens croyaient que
c'était le système nerveux qui fournissait les matériaux
de la semence ; ils se fondaient sur le grand affaiblisse-
ment , sur les douleurs lombaires qui s'observent à la suite
des excès vénériens : mais le premier fait s'explique assez par
la volupté vive qui accompagne l'accomplissement de la gé-
nération ; et . , quant au second, il tient à ce que le testi-
cule reçoit plusieurs nerfs du plexus lombaire; d'ailleurs,
ces douleurs se font sentir dans toutes les maladies de cet
organe. C'est certainement du sang de l'artère sperma tique
que provient le sperme , bien qu'on ne puisse d'avance si-
gnaler ce sperme, ni aucun de ses éléments , dans ce fluide,
pas plus que ceux d'aucune autre humeur sécrétée.
Fait aux dernières extrémités de l'artère spermatique,
au point où les ramifications de cette artère se confondent
avec les premiers radicules du système vasculaire sécréteur,
le sperme chemine dans les conduits séminifères dont ces
radicules sont les origines; il arrive à l'épididyme, au con-
duit déférent, et enfin dans les vésicules séminales, où il
reste en dépôt jusqu'au moment où il est projeté au dehors
pour l'accomplissement de la génération. Ce cours est sans
doute assez indiqué par la disposition des parties et les né-
cessités de la fonction, mais, de plus, de GraafYa prouvé
par une expérience : ayant lié sur un chien le canal dé-
férent, ce savant a vu le testicule se gonfler, et à la fin le
canal déféreut se rompre entre le testicule et la ligature.
Les causes qui font cheminer le fluide, sont : la continuité
de la sécrétion dans le testicule, une contraction tonique
des conduits séminifères, et, de plus, selon quelques-uns,
une influence mécanique due à la capillarité de toutes ces
voies. A la vérité, c'est une question de savoir si la sécré-
tion du sperme se fait d'une manière continue. Comme la
fonction de la génération ne s'accomplit que d'intervalles
en intervalles , quelques physiologistes ont pensé que la sé-
crétion du sperme ne se faisait aussi que par intermittence.
Peut-être est-ce vrai de ceux des animaux chez lesquels la
génération n'est possible qu'à de certaines époques de Fan-
née; mais il y a lieu d'en douter pour l'homme. Cet être,
APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. l5
une fois parvenu à l'âge de la reproduction, est apte en
tout temps à accomplir cette fonction; si le sperme n'était
sécrété qu'au moment où il se livre à l'exercice de cette ac-
tion, ce fluide aurait un trop grand trajet à parcourir avant
d'arriver à l'urèthre : à quoi d'ailleurs serviraient les vési-
cules séminales ? pourquoi ces réservoirs, ainsi que la longue
série des vaisseaux séminifères, contiennent-ils toujours du
sperme ? n'observe-t-on pas que les émissions du sperme dans
la génération sont d'autant plus abondantes qu'elles sont
moins fréquentes? enfin, n'en survient-il pas d'involon
taires , après une continence un peu prolongée ? Sans doute ,
la quantité de la sécrétion n'est pas la même dans le repos
des organes, et lors de leur action; certainement dans
ce dernier moment elle redouble; certainement aussi les
testicules sont, parmi les organes du corps, de ceux qui
sont le plus tributaires de l'babitude; sauf les cas d'une or-
ganisation prononcée, on peut rendre leur service très ac-
tif , ou le réduire presque à rien , selon qu'on se livre fré-
quemment ou non-à l'exercice de la génération : peut-être
enfin que l'existence des plexus sperma tique et pampini-
forme a trait à cette espèce d'intermittence obligée, qui
doit survenir dans les fonctions de cet organe; mais néan-
moins, je crois qu'il n'y a ici que des différences d'ac-
tivité, et qu'au fond la sécrétion se fait d'une manière
continue.
Le sperme chemine avec lenteur dans les voies que nous
venons de lui voir parcourir ; cela doit résulter , et du peu
d'activité de sa sécrétion, et de la disposition des parties
qu'il traverse. Voyez combien sont longs et flexueux les con-
duits séminifères! quel retard doit résulter de l'abouche-
ment de ces vaisseaux dans le corps d'Hygmor , des longs
contours de l'épididyme, de la longueur et de l'étroitesse
du conduit déférent., de la disposition anfractueûse des
vésicules séminales! On peut considérer tous les Vaisseaux
qui précèdent les vésicules comme un premier réservoir du
sperme; et , en effet, chez beaucoup d'animaux, les vésicules
séminales manquent. Ce manque des vésicules séminales
en certains animaux suffit pour réfuter cette idée de War-
16 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
thon et de Hunter , que les vésicules séminales ne reçoivent
pas le sperme, mais sécrètent un fluide particulier, qui se
mêle à ce sperme , et qui serait la semence proprement dite.
S'il se fait quelque sécrétion spéciale dans les vésicules sé-
minales, certainement le produit de cette sécrétion n'est
pas l'agent générateur; il ne sert qu'à élaborer le sperme
qui vient se mêler à lui dans la vésicule. Ici on peut se de-
mander pourquoi le sperme , arrivé à la hauteur des vési-
cules séminales , va s'y mettre en dépôt en traversant le ca-
nal rétrograde qui y conduit , plutôt que de suivre sa route
directe par le canal éjaculateur. Il existe en effet ici une
disposition semblable à celle que nous avons vue aux voies
biliaires : de même que la bile , au lieu de continuer sa
route par les canaux hépatique et cholédoque dans le duo-
dénum , reflue par le canal cystique contre son propre poids
dans la vésicule biliaire , de même le sperme reflue dans la
vésicule séminale. On en donne pour raisons la pression
qu'exerce la prostate sur le canal éjaculateur, et la petitesse
de l'embouchure de ce canal dans l'urèthre : mais il y a ici
quelques lumières à désirer. On ne sait si dans ce long tra-
jet, le sperme contiuue de s'élaborer, et surtout s'il se ruo-^
difie dans la vésicule. On a dit qu'il était résorbé en partie
dans ce réservoir , afin que, porté dans le sang, il puisse
imprimera ce fluide un peu de la vitalité dont, en sa qua-
lité de principe vivifiant, on le suppose essentiellement pé-
nétré. On s'est fondé sur les grands changements qui sur-
viennent dans l'économie à la puberté, lorsque sa sécrétion
commence à se faire; sur l'affaiblissement qui résulte de ses
émissions prématurées ou abusives ; sur les troubles , les ac-
cidents qu'ont quelquefois entraîné une trop grande conti-
nence. Mais ces changements ^ ces effets peuvent s'expliquer
sans le concours de ce transport matériel du sperme dans
le sang, et peuvent tenir aux connexions des différentes
parties nerveuses du corps; du reste, nous reviendrons là-
dessus à l'article des tempéraments. 11 est sûr au moins que
dans les vésicules séminales l'absorption enlève au sperme
sa partie la plus aqueuse, car ce fluide se montre d'autant
plus épais que ses émissions sont moins fréquentes.
APPAREIL GÉNITAL DE L'HOMME. 17
3° Le sperme est un liquide d'une couleur blanche,
d'une odeur fade, sui generis , d'une consistance visqueuse ,
d'une saveur généralement salée et irritante, et qui paraît
composé de deux parties, une plus liquide, transparente;
et une plus épaisse , grumeleuse , filamenteuse, dont la pro-
portion, sur la première , est d'autant plus grande que l'in-
dividu est plus fort, et ses émissions de sperme moins fré-
quentes. En peu de temps, ces deux parties se mêlent, et il en
résulte une matière plus fluide qui se détruit promptement.
Examiné chimiquement, le sperme paraît avoir une nature
alcalineetalbumineuse, car d'une part appliqué à l'œil, à la
langue, il y cause une constriction; à une plaie, il l'enflamme;
et d'autre part il se coagule par la chaleur, les acides. M. Kau-
quelin en a fait l'analyse: sur 1000 parties, il y a trouvé : eau,
900; mucilage animal , 60 ; soude , 10 ; etphosphatecalcaire,
3o.M. Berzelius ditqu'il contientles mêmes sels que le sang,
et une matière animale particulière. Il faut remarquer que
tout ceci ne s'applique pas au sperme pur , car il n'est ja-
mais excrété tel; il est toujours projeté, mêlé au suc de la
prostate et à celui des glandes de Cowper. On croit que la
partie grumeleuse est ce qui, principalement, le constitue,
et que la partie liquide est formée par ces sucs accessoires
qui en seraient les véhicules. Certains auteurs ont admis en
lui une troisième partie, sous forme de gaz, qu'ils ont ap-
pelé aura seminalis ; mais jamais on n'a pu recueillir ce gaz,
et Spallanzani nie son existence, sur ce qu'il n'a jamais pu
opère r de fécondation artificielle sans un contact. On l'a
examiné au microscope, et chacun y a vu ce qui convenait
à l'hypothèse qu'on s'était faite sur la génération. Leuwen-
hoeck, par exemple, et Hartzoeclîer , y ayant remarqué
beaucoup de petits corps en mouvement , ont fait de ces pe-
tits corps autant d'animalcules, auxquels ils ont fait jouer,
comme nous le dirons, un grand rôle dans la génération.
Au contraire, Buffon , Needham , ne voulurent voir dans
ces petits corps que des animaux infusoires du genre de
ceux qu'on trouve dans tous les liquides; ou que ce qu'ils
appelaient leurs molécules organiques. M. Virey conjecture
que , de même que le pollen des végétaux est un assemblage
Tome IV. 2
18 FONCTION DE LA GENERATION,
de petites capsules qui contiennent, dans leur intérieur ,
ïe véritable principe fécondant, qui est d'une subtilité ex-
trême, xle même les prétendus animalcules spermatiques
sont des tubes qui contiennent le véritable sperme , et que
les mouvements qu'on a remarqués en eux sont dus à la
rupture de ces tubes, à leur explosion; il invoque, à l'ap-
pui de cette opinion , l'exemple des Sèches , chez lesquels le
sperme paraît présenter une semblable disposition. Le
sperme étant chargé de vivifier un germe , ou peut-être de
concourir à sa formation , est sans contredit à ce double
titre un des premiers fluides de l'économie ; et, à cause de
cela, plusieurs physiologistes Fout dit formé des matériaux
les plus animalisés du corps , de ceux-là même qui en forment
le rouage suprême, le système nerveux.
Nous reviendrons sur toutes ces opinions , en traitant du
mécanisme de la génération , et particulièrement nous di-
rons que MM. Prévost et Dumas de Genève , dont l'habileté
dans l'emploi du microscope est bien connue, ont retrouvé,
avec cet instrument, les animalcules spermatiques dans le
sperme de tous les mammifères , oiseaux et reptiles , sur les-
quels ils ont expérimenté , lapin, cochon d'Inde, héris-
son , chat, chien, putois, cheval, souris blanche , bélier,
bouc, coq, canard, moineau, vipère, grenouille, sala-
mandre, etc.
Quant à la quantité du sperme , elle n'est pas apprécia-
ble. Probablement elle est peu considérable, à juger par la
petitesse des testicules, par celle de l'artère sperma tique , la
ténuité des conduits séminifères, l'intermittence de la fonc-
tion de génération , la petite quantité de sperme qui est pro-
jeté à chaque coït , la promptitude avec laquelle la source de
ce fluide est tarie, quand on en renouvelle plusieurs fois
de suite l'émission. Elle doit varier selon chaque tempéra-
ment , chacun ayant sous ce rapport sa mesure, et. selon
l'emploi qu'on fait de la fonction .
APPAREIL GENITAL DE L HOMME. 19
§ II. Appareil de Copulation.
I/appareil de copulation comprend le pénis , ou la verge ,
organe cylindroïde , alongé, érectile, formé de deux parties
principales , le corps caverneux , et le canal de ïurèthre.
i° Le corps caverneux est une partie essentiellement for-
mée de tissu érectile , et qui détermine presque à elle seule
le volume et la longueur du pénis. Il commence par deux
racines alongées en pointe, longues de deux pouces, et at-
tachées aux branches des ischions et pubis , au-dessus des
tubérosités ischiatiques : ces deux racines bientôt se rap-
prochent pour former une grosse masse qui se prolonge jus-
qu'au gland, et au-dessous de laquelle est l'urèthre. Il est
composé d'une membrane extérieure qui en détermine la
forme, et d'un tissu spongieux intérieur. La première est
d'un blanc opaque, évidemment fibreuse et fort épaisse;
son épaisseur cependant n'est pas égale partout; elle est
moindre aux racines , sous le gland , et à la gouttière infé-
rieure dans laquelle est logée l'urèthre. Percée de trous ,
par lesquels passent les nerfs et vaisseaux qui vont au pa-
renchyme intérieur , elle détache intérieurement des pro-
longements qui servent d'appui à ce parenchyme : quelques-
uns de ces prolongements forment comme une cloison mé-
diane, qui semble partager en deux le corps caverneux, sur-
tout en arrière. Le tissu intérieur a pour éléments , les ra-
mifications d'une artère dite caverneuse provenant de la
branche supérieure de la honteuse interne , celles d'une
veine portant le même nom, et probablement des nerfs,
bien que l'anatomie n'ait pu les poursuivre jusque là ; le
tout est soutenu par les brides qu'a détachées la membrane
externe. Les anatomistes ne sont pas d'accord sur ce qu'il est
réellement. Les uns le font consister en cellules, enspongio-
sités, sur les lames desquelles se terminent les ramifications
de l'artère et de la veine caverneuses , celles des nerfs , et
dans lesquelles le sang est épanché, infiltré. Les autres,
avec plus de raison, disent qu'il consiste en un lacis d'ar-
térioles et de veinules , soutenues par les lames de la mem-
2.
20 FONCTION DE EA GENERATION.
brane externe, entrelacées entre elles à la manière des ré-
seaux capillaires , mais avec ce trait de plus , que les vei-
nules, au lieu d'être capillaires en ce lacis, y ont plus d'am-
pleur, y forment des renflements très extensibles , et des
plexus mille fois anastomosés entre eux. On verra, en effet,
que ce n'est pas dans des cellules, mais dans les vaisseaux
du corps caverneux, dans les veines surtout, qu'afflue le
sang dans l'érection. Si on injecte l'artère caverneuse, la ma-
tière remplit d'abord les ramifications de cette artère, puis
le plexus veineux intérieur qui constitue le corps caver-
neux, et enfin elle revient par la veine caverneuse, après
avoir produit l'érection. Le même effet est obtenu plus facile-
ment encore, en injectant la veine caverneuse. Enfin , si
on insuffle de l'air dans ce qu'on supposait les cellules du
corps caverneux, et que nous disons avec Bèclard n'être
que des racines larges de veines formant un plexus com-
pliqué, on voit cet air pénétrer dans la veine caverneuse.
2° Le canal de l'urèthre a déjcà été décrit à l'article de la
sécrétion urinaire. Nous avons dit que, dans sa longueur,
on lui distinguait trois parties : la portion prostatique, la
portion membraneuse et la portion spongieuse. Dans la pre-
mière, se voit en arrière, sur la ligne médiane, une saillie
oblongue , apnelée vérumontanum , et qui offre à sa sur-
face les orifices des canaux de la prostate, en avant ceux
des glandes de Cowper^ et sur les cotés ceux des canaux
éjaculateurs. La portion spongieuse de l'urètlire est , en
quelque sorte , la seule qui fasse partie de la verge : située
dans la gouttière que présente à sa partie inférieure le
corps caverneux, elle se termine en avant par ce qu'on ap-
pelle le gland. Le gland, en effet, ne dépend pas du corps
caverneux , une portion de la membrane externe de celui-ci
l'en sépare; aussi, les érections de ces deux parties se font
souvent isolément, et les injections du corps caverneux
de l'une ne pénètrent pas dans le corps caverneux de
l'autre. Ce gland semble être la terminaison, sous forme
de bourgeon, du tissu érectile qui enveloppe cette troi-
sième partie de l'urèthre. L'urèthre étant dans l'espèce
humaine le canal excréteur du sperme , aussi -bien que celui
APPAREIL GÉNITAL DE l'hOMME. 2 1
de l'urine, et ce sperme devant être porté profondément
dans les parties de la femme , la nature a dû placer ce ca-
nal excréteur au milieu du corps caverneux , parce que
celui-ci est seul susceptible d'acquérir par l'érection toute
la roideur que réclame un tel office. Cela est si vrai , qu'en
quelques animaux ce corps caverneux contient dans son
épaisseur un os. C'est pour la même raison que ceturèthre
est dans sa partie spongieuse enveloppé d'une masse de tissu
érectile, analogue à celai qui forme le corps caverneux, et
limité de même par une membrane extérieure propre. C'est
un prolongement de ce tissu érectile qui forme le gland ,
cependant avec quelques différences; le tissu spongieux in-
térieur du gland est plus considérable , plus ténu , plus
ferme, moins abreuvé de sang; sa membrane extérieure est
plus fine, et offre à sa surface un épanouissement de papilles
nerveuses, qui sont, lors de l'accomplissement de la fonc-
tion , le siège d'une sensation tactile très voluptueuse. Nous
avons indiqué la texture de l'urèlhre : ce canal est tapissé
intérieurement par une membrane muqueuse, plissée sur
elle-même dans le sens de sa longueur, et garnie de beau-v
coup de petits trous , qui sont les orifices de conduits obli-
ques, placés dans sou épaisseur, et qu'on appelle lacunes ,
ou sinus de Morgagni. Immédiatement avant de s'ouvrir au
dehors , il présente une dilatation assez prononcée , appelée
fosse nauiculaire.
Ces deux parties constituantes du pénis sont recouvertes-
par la peau, qui forme vers le gland un repli particulier ap-
pelé prépuce. Le tissu cellulaire qui sert de moyen d'union
est lâche, et ne se laisse jamais pénétrer par de la graisse.
Un faisceau fibreux , appelé ligament supérieur de la verge ,
étendu de la symphyse du pubis au corps caverneux, dans
le vide que laissent les deux racines de celui-ci , soutient
tout l'organe. Nous terminerons cette description de l'or-
gane de copulation , en mentionnant quelques muscles déjà
décrits, mais que nous verrons agir dans l'acte de la copula-
tion , et lors de l'émission du sperme ; savoir : le releveur de
l'anus, le sphincter de l'anus, le transverse du périnée, que
nous avons décrits avec le rectum , et surtout les bulbo et
2 2 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
iskio-caverneux , dont il a été question à l'article de Pu-
re thre.
ARTICLE II.
B« Fappareil génital de la femme.
La femme , dans l'acte de la reproduction , remplit un
plus grand nombre d'offices que l'homme; elle fournit le
germe ou l'œuf; en elle est le réservoir dans lequel ce germe
subit ses premiers développements; enfin, elle allaite après
sa naissance l'individu nouveau. Les parties qui composent
son appareil génital sont donc plus nombreuses , et nous les
rapportons à quatre groupes, savoir : V appareil de germiji-
cation, celui de gestation ou grossesse, celui de copulation ,
et celui d'allaitement.
§ Ier. Appareil de Germification .
Cet appareil, qui produit le germe , l'œuf, en un mot ce
que fournit la femme dans la génération , est pair, et se com-
pose des ovaires, et de leurs canaux excréteurs, qu'on appelle
les trompes.
10 Les ovaires sont deux corps ovoïdes , d'un rouge pale ,
rugueux et comme bosselés à leur surface , de la grosseur à
peu près des testicules, ayant six à huit lignes de longueur
sur trois de largeur et d'épaisseur, du poids d'un gros et
demi à deux gros , et situés dans le petit bassin , dans la du-
plicature d'un repli du péritoine, appelé ligament large de
la matrice , de chaque côté de cet organe. Long-temps ils fu-
rent considérés comme des glandes , et appelés les testicules
de la femme; mais le nom d'ovaires leur a. été donné dans
le dernier siècle , parce qu'on les regarda comme fournis-
sant les œufs , desquels , dans ce temps , on fit provenir
loule génération. Si leur structure ne donne pas une dé-
nions ira lion absolue de cette dernière opinion , au moins
est-il sûr quelle diffère de celle des testicules. Leurs élé-
ments composants sont : i°Yartère spermatique , qui, ana-
logue de celle qui se rend au testicule chez l'homme, se dis-
APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 2 S
tribue pour la plus grande partie à l'ovaire , et donne aussi
quelques canaux à la trompe , et aux parues latérales de l'u-
térus; 20 la veine spermatique , dont les ramifications for-
ment aussi dans l'intérieur, et à la surface de l'ovaire , un
plexus , dont plusieurs branches s'anastomosent avec des
veines de l'utérus et de la trompe; 3° des vaisseaux lym-
phatiques ; 4° des nerfs fournis par les plexus rénaux. Il faut
y ajouter, outre le repli péritouéal dans lequel ces organes
sont situés, une membrane qui leur est propre, qui les en-
veloppe, et qui, blanche, compacte, adhère assez à leur
parenchyme. Celui-ci, formé par ces divers éléments, est
mou, spongieux, et paraît composé de lobules celluleux et
vasculaires , grisâtres , gorgés de beaucoup de fluide , et entre
lesquels sont de petites vésicules qu'on a supposées être les
germes, les œufs. Ces vésicules transparentes sont formées
d'une membrane très fine , dans laquelle est renfermé un
fluide visqueux, jaunâtre ou rougeâtre, dans lequel on ne
peut rien voir de solide : autour d'elles, les ramifications
vasculaires sont plus nombreuses et plus déliées. Le nombre
de ces vésicules est de quinze à vingt , dit Haller, dans cha-
que ovaire; les plus superficielles sont grosses comme un
grain de ehenevis ; celles qui sont situées plus profondément
ont le volume d'un grain de millet.
Les ovaires sont un peu mobiles dans la cavité du bassin;
cependant, outre le repli péritouéal dans lequel ils sont
placés, ils sont encore fixés à leur extrémité interne , par ce
qu'on appelle le ligament de l'ovaire , et, à leur extrémité
externe, par une des languettes du pavillon de la trompe.
Le ligament de l'ovaire est un petit cordon filamenteux,
long d'un pouce et demi, qui, de l'ovaire, va s'attacher à
l'utérus, derrière la trompe; les Anciens le croyaient creux,
et destiné à excréter le sperme qu'ils supposaient fourni par
l'ovaire; mais il est tout solide, et c'est la trompe qui est
le canal excréteur de cet organe.
Nous verrons que les ovaires , quelle que soit la matière
qu'ils fournissent dans la génération, sont certainement les
parties de l'appareil génital de la femme desquelles provien-
nent les éléments de l'individu nouveau.
2 4 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
20 Les trompes , dites de Fallope, sont deux conduits co-
niques , tortueux , vermiformes , longs de quatre à cinq pou-
ces , situés dans le même ligament large qui contient l'ovaire,
et étendus depuis cet ovaire, auquel ils adhèrent par une
des franges qui les terminent de ce côté, jusqu'à l'utérus,
auquel ils sont continus, et dans la cavité duquel ils abou-
tissent. Parce qu'ils s'abouchent dans l'utérus , on les a rap-
portés à cet organe, et appelés trompes utérines ; mais c'est
à tort, ils sont des dépendances de lovai re , ils en sont les
véritables canaux excréteurs , à tel point qu'en beaucoup
d'animaux ils lui sont continus. Du côté de l'utérus, leur
calibre est fort étroit, et tel qu'à peine une soie y pénètre;
mais vers leur milieu , ce calibre s'élargit pour se rétrécir de
nouveau au-delà; et enfin, du côté de l'ovaire, ils se ter-
minent par une surface évasée , qu'on appelle le pavillon de
la trompe. Ce pavillon est découpé en plusieurs franges ,
dont une plus longue adhère à l'extrémité externe de l'o-
vaire ; sa surface est dirigée en arrière. Ainsi , les trompes,
d'un côté, communiquent avec la cavité de l'utérus, et de
l'autre, présentent une ouverture béante dans la cavité de
l'abdomen. Dans leur structure, on remarque, outre l'en-
veloppe séreuse que leur forme le ligament large : i° inté-
rieurement une membrane muqueuse qui les tapisse, qui
est molle, villeuse , et offre plusieurs plis longitudinaux;
2° extérieurement une couche de tissu spongieux, érectile,
analogue à celui du corps caverneux du pénis. Quelques-uns
veulent qu'il y ait quelques fibres musculaires , surtout dans
les franges du pavillon. Santorini dit que , chez les femmes
robustes , la membrane moyenne des trompes offre deux cou-
ches musc ule uses , une externe , dont les fibres sont longi-
tudinales , et une interne , dont les fibres sont circulaires.
§ II. Appareil de Gestation ou de Grossesse.
L'appareil de gestation comprend un seul organe , Mute-
ras ou la matrice, viscère creux, destiné à recevoir le fœtus
et à lui donner asile depuis le moment de la conception jus-
qu à celui de la naissance. Cet organe , situé dans le bassin ,
APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 2 5
entre la vessie qui est en avant, le rectum qui est en arrière ,
au-dessous des circonvolutions inférieures de l'intestin grêlé;
a la forme d'un conoïde aplati sur ses deux faces opposées ,
arrondi à sa base, qui est en haut, et tronqué à son sommet,
qui est en bas. Son volume est fort petit; sa longueur n'est
que de deux pouces et demi , sa largeur d'un pouce et demi
à son fond , et de dix lignes à son col , son épaisseur d'un
pouce. On lui distingue trois parties : son fond , son corps,
et son col. Le fond est sa partie supérieure, celle qui est
au-dessus de l'insertion des trompes. Le corps est celle qui,
du point auquel s'insèrent les trompes , s'étend jusqu'au
col. Enfin , le col en est la partie inférieure , celle qui , ré-
trécie, fait saillie dans le vagin par une ouverture. L'or-
gane, dans son ensemble, est pyriforme , a la figure d'un
triangle aplati de devant en arrière, et dont la base est en
liaut. A chacun des deux angles supérieurs se voient les em-
bouchures des trompes, les attaches des ligaments de l'o-
vaire , et d'un autre ligament appelé le ligament rond, dont
nous parlerons ci-après. L'angle inférieur est formé par le
col, qui fait dans le vagin une saillie de quatre à cinq li-
gnes , et s'y termine par une fente située en travers , appelée
museau de tanche , ou orifice vaginal de Vulèrus. Cette ou-
verture est bornée par deux lèvres, qui sont lisses et arron-
dies chez les femmes qui n'ont pas eu d'eufants , crevassées
et rugueuses chez celles qui ont été mères, et dont l'anté-
rieure est toujours un peu plus épaisse que la postérieure :
longue de trois à cinq lignes , elle est généralement toujours
béante , surtout chez les femmes qui ont fait des enfants.
La cavité intérieure de cet organe est fort petite, relati-
vement à son volume et à l'épaisseur de ses parois; ceux-ci
même se touchent presque. On la partage en celle du corps
et celle du col. La première est triangulaire; à ses angles
supérieurs aboutissent les embouchures des trompes; et en
avant et en arrière, elle offre sur la ligne médiane une es-
pèce de raphé qui accuse sa disposition symétrique. La se-
conde est alongée, ressemble davantage à un canal; plus
large dans son milieu, elle offre du côté du corps de l'utérus
une ouverture qu'on appelle V orifice interne de V utérus, et
26 FOJNCTION DE LA GÉNÉRATION,
à son autre extrémité, Y orifice vaginal, que nous avons dé-
crit : on voit aussi sur ses faces antérieure et postérieure la
trace du raphé , et quelques rides transversales à peine sen-
sibles. Toute cette surface est couverte de villosités très
fines, et offre les orifices de quelques cryptes muqueuses.
L'organisation de l'utérus est surtout ce qu'il nous im-
porte de connaître. La plupart des anatomistes le disent
formé de deux parties, une membrane muqueuse à l'inté-
rieur, et un tissu propre qui en constitue la substance prin-
cipale. 1° La première est dite un prolongement de celle
qui tapisse le vagin; elle est très mince, rouge dans la ca-
vité du corps, blanche dans celle du col, et a la texture
propre à ce genre de membrane. M. Cliaussier en nie l'exis-
tence : ayant fait macérer l'utérus avec une partie du vagin
dans de l'eau, du vinaigre, des liqueurs alkalines; ayant
soumis ces parties à une ébuliition prolongée , il a toujours
vu que la muqueuse du vagin s'arrêtait au bord de l'orifice
de l'utérus, et ne se prolongeait pas au-delà. M. Ribes
pense de même; et madame Boivïn3 auteur de dissections
délicates sur la structure de l'utérus pendant la grossesse,
dissections dont nous parlerons ci-après, dit aussi avoir vu
nettement la muqueuse vaginale se terminer par de petits plis
expansibles, et par une sorte de prépuce sous la lèvre anté-
rieure du museau de tanche. Dès lors, la surface interne
de l'utérus serait formée par le même tissu propre qui en
constitue la substance principale. 20 Celui-ci, dense, com-
pact, serré, difficile à couper, semble, par sa couleur, sa
résistance, son élasticité, se rapprocher du cartilage : c'est
une substance blanchâtre, homogène, parsemée de beau-
coup de petits vaisseaux, dans laquelle il est difficile de
signaler des fibres à direction distincte, et dont la nature
organique n'est pas moins difficile à caractériser. Cependant,
à juger par ce que devient ce tissu lors de la grossesse, par
la puissante force de contraction qu'il exerce dans l'accou-
chement, on peut croire qu'il est de nature musculeuse , ou
du moins qu'il est apte à revêtir cet état. Nous renvoyons à
l'histoire de la grossesse l'indication des différents faisceaux
musculeux que les anatomistes ont spécifiés en lui , lors de
APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME- 27
ce grand changement. Toutefois, il forme à lui seul les pa-
rois de l'organe, qui ont de six à quinze lignes d'épaisseur :
il est moins dense et plus gris au corps qu'au col. Ses élé-
ments sont des artères , des veines , des vaisseaux lymphati-
ques , et des nerfs. Les artères proviennent de deux sources ,
des spermatiques , qui se distribuent surtout au fond de
l'organe, et vers le lieu où s'abouchent les trompes, et des
hypogas triques, qui se distribuent surtout au corps et au
col : leurs branches principales, faciles à apercevoir sous le
péritoine qui recouvre l'organe, sont très flexueuses, fré-
quemment anastomosées entre elles, et leurs ramifications
se perdent profondément dans le tissu du viscère et jusqu'à
sa surface interne. Les veines se rendent aussi , en partie
dans les spermatiques, et en partie dans les hypogastriques ;
leur disposition dans l'utérus est la même que celle des ar-
tères, sinon qu'elles sont plus flexueuses encore, et que se
dilatant beaucoup lors de la grossesse, elles forment alors
ce qu'on a appelé les sinus utérins. Les nerfs enfin dérivent,
les uns du grand sympathique, les autres des paires sacrées.
Toute cette description ne s'applique qu'à l'utérus vide et
hor^ l'état de grossesse ; nous renvoyons à cet article l'indi-
cation des changements importants qui se font alors en ce
viscère.
L'utérus est maintenu de champ dans le bassin par le
ligament large de la matrice, et par d'autres faisceaux
semblables situés en avant et en arrière de lui. i° Le liga-
ment large de la matrice est une dépendance du péritoine ,
cette membrane séreuse qui tapisse l'abdomen, et se réflé-
chit sur la plupart des viscères qui y sont contenus : recou-
vrant les faces antérieure, postérieure et le fond de l'utérus,
ce repli semble partager perpendiculairement le bassin en
deux cavités, une antérieure où est la vessie, et une posté-
rieure où est le rectum ; dans sa duplicature se trouve l'o-
vaire, la trompe et le fond de l'utérus ; il soutient tous
ces organes. 20 Quatre autres replis du péritoine, étendus,
deux en avant entre l'utérus et la vessie, deux en arrière
entre le rectum et l'utérus, concourent aussi à fixer cet or-
gane, et sont appelés ses ligaments antérieurs et postérieurs.
'2 8 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
3° Enfin, de la pari ie latérale, supérieure et antérieure de
l'utérus, au-devant et au-dessous de l'insertion des trom-
pes , part de chaque côté un cordon qui , se dirigeant vers
J 'ami eau inguinal, le traverse et va se perdre dans ie tissu
cellulaire des aines ; c'est ce qu'on appelle le ligament rond
de la matrice, ou cordon sus-pubien. Ce cordon, blanchâtre,
assez dense , est formé par un assemblage de vaisseaux
flexueux tant sanguins que lymphatiques , de nerfs et de
fibres longitudinales, que long-temps on crut musculeuses,
mais qui ne paraissent être que du tissu cellulaire con-
densé. On lui a attribué beaucoup d'usages évidemment
hypothétiques , comme de fournir de l'air au fœtus, de li-
vrer passage au sperme ; de transmettre , lors de la gros-
sesse, aux vaisseaux fémoraux une partie du sang qui sur-
charge la matrice; de rapprocher l'utérus des parties exté-
rieures lors de l'accomplissement de la génération, etc. Il
est probable qu'il sert seulement , ainsi que les autres liga-
ments que nous venons de décrire, à assurer la situation
de la matrice. Meckel admet que ces divers ligaments con-
tiennent, entre les divers feuillets qui les constituent, des
libres musculaires plus ou moins prononcées, qui partent
du bord latéral de la matrice.
§ III. Appareil de Copulation.
L'appareil de copulation consiste en un canal , d'un
côté communiquant au dehors par une ouverture appelée
vulve, étendu d'autre part jusqu'à l'utérus dont il embrasse
le col, et destiné à recevoir le pénis. Ce canal, vasculo-
membraneux , appelé vagin ou vulvo-utérin, a une longueur
de cinq à six pouces, un calibre d'un pouce. Situé dans le
petit bassin entre la vessie en avant, et le rectum en ar-
rière , il a une direction oblique de bas en haut et de devant
en arrière. Il diffère en ceci de ce qu'il est chez les animaux,
dans lesquels il se dirige dans l'axe même de l'abdomen ,
ce qui donne plus de facilité à l'accouchement. Son inté-
rieur est garni de rides généralement transversales , peu
nombreuses et irrégulières en haut, plus nombreuses et
APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 29
plus saillantes en bas. Ces rides ne sont pas passagères
comme celle que-J'on voit à la surface des autres membranes
muqueuses; mais elles ne s'effacent qu'avec l'âge , et consé-
cutivement à de fréquentes approches et à de nombreux ac-
couchements. Le vagin, dans son organisation, présente :
10 intérieurement une membrane muqueuse, rouge et
vermeille en bas, plus grise en haut, plus épaisse exté-
rieurement que profondément , revêtue évidemment d'un
épiderme, offrant les rides dont nous avons parlé tout à
l'heure, et parsemée de cryptes muqueux extrêmement nom-
breux; 20 en dehors , une membrane celluîeuse assez dense;
3° entre ces deux membranes, une couche de tissu éreetile.
d'autant plus épaisse qu'on approche plus de la vulve, se
prolongeant cependant jusqu'à l'utérus; 4° enfin, en haut,
une dépendance du péritoine. Sur les côtés est un muscle
dit constricteur du vagin, anneau charnu formé de deux
plans de fibres, qui, partant de la membrane fibreuse du
clitoris, contournent le vagin, et vont se confondre avec
celles du transverse du périnée et du sphincter de la vulve.
Près de l'ouverture externe du vagin ou de la vulve, se
trouve une membrane appelée hymen, de forme semi-
lunaire, parabolique ou circulaire, et qui semble destinée
à empêcher l'entrée dans le vagin, mais sans clore tout-à-
fait ce canal. Cette membrane, dont à tort l'existence a été
long-temps contestée, mais dont l'intégrité ou l'absence
sont des signes équivoques de virginité, se déchire dans les
premières approches; et alors on trouve à sa place de petits
tubercules rougeàtres, arrondis ou aplatis . dont le nombre
varie de deux à six , et qu'on appelle caroncules myrli-
formes ; on considère ces tubercules comme étant ses débris.
L'ouverture, dite vulve, est bordée de deux replis appe-
lés grandes lèvres, dont l'organisation nous offre, de dedans
en dehors, une couche muqueuse, prolongement de la
muqueuse vaginale ; une couche musculeuse formée par un
muscle qui circonscrit l'ouverture de la vulve, et appelé
muscle sphincter de la vulve; une couche de tissu éreetile;
et enfin une couche de peau garnie de follicules et de poils.
À leur commissure supérieure , est un organe ressemblant
3o FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
au pénis, appelé clitoris. Ce clitoris, en effet, est également
formé par un corps caverneux, et terminé en avant par un
gland que recouvre un prépuce formé aux dépens de la mu-
queuse vaginale. Cependant, il y a quelques différences que
voici : le clitoris est généralement beaucoup plus petit que
le pénis; son corps caverneux est beaucoup plus dense et
moins apte à se laisser pénétrer par le sang; le muscle iskio-
caverneux qui entoure ses origines est beaucoup plus petit;
enfin l'urèthre ne traverse pas cet organe ; mais a son orifice
ex cerne au-dessous , à une distance à peu près égale des deux
commissures de la vulve. Du prépuce de ce clitoris, qui
quelquefois a un volume égal à celui de la verge, s'étendent
à la face interne des grandes lèvres , et jusqu'à leur milieu ,
deux autres replis qu'on appelle les petites lèvres ou nym-
phes , et dont l'organisation est la même que celle des
grandes lèvres.
§ IV. Appareil ds Lactation.
Enfin, l'appareil de lactation se compose des mamelles ,
glandes situées dans une masse de tissu cellulaire, à la par-
tie antérieure et supérieure du thorax , dans ce qu'on ap-
pelle les seins. Leur nombre, chez les animaux, est géné-
ralement en raison de celui des petits. 11 doit nous suffire
d'indiquer dans le sein les éléments qui le constituent.
io TJne glande appelée mammaire , est au centre du sein ,
plongée dans la masse graisseuse qui forme celui-ci , repré-
sentant une espèce de gâteau convexe à surface fort iné-
gale, et appuyé sur le muscle grand pectoral. Le tissu de
cette glande résulte de l'assemblage de plusieurs lobes, réunis
entre eux par un tissu cellulaire assez dense, et formés de
lobules plus petits, qu'on peut eux-mêmes ramener à des
granulations arrondies, d'un blanc rosé, et du volume d'une
semence de pavot. Ces grains glanduleux donnent naissance
aux conduits sécréteurs , appelés ici lac tif ères ou galacto-
phores , qui , flexueux , extensibles , transparents , grossissent
en se réunissant les uns dans les autres , mais de manière
cependant que ceux de chaque lobe restent isolés, et ne
APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 3l
communiquent pas avec ceux d'un autre lobe. Tous enfin
se terminent à des sinus placés près de la base du mame-
lon du sein , et qui. au nombre de quinze à dix-huit,
viennent s'ouvrir à son pourtour et à son sommet sans com-
muniquer ensemble. Des artères, des veines, des vaisseaux
lymphatiques en grand nombre, et un système vasculaire
sécréteur sont, avec des nerfs , les éléments de cette glande;
mais Haller prétend que le système vasculaire sécréteur,
non- seulement communique à son origine avec les dernières
ramifications des artères, mais encore pénètre dans le tissu
graisseux qui avoisine la glande. 2° Une masse de tissu cellu-
laire graisseux, dans lequel est plongée la glande, est surtout
l'élément auquel le sein doit son volume et sa forme. 3° Enfin,
extérieurement est une couche de peau, qui est ici très fine,
très douce, plus délicate et plus blanche qu'ailleurs, sans
rides ni plis. Du milieu du sein s'élève un tubercule qu'on
appelle le mamelon , qui n'est autre chose qu'une masse de
tissu spongieux, érectile, autour de laquelle sont disposés les
orifices des conduits excréteurs. A ce mamelon, la peau
prend une autre couleur et un autre caractère ; elle forme
à l'entour une auréole, de couleur rose dans la jeunesse ,
d'une couleur plus brune dans un âge plus avancé, etdont le
système capillaire est si délicat qu'il rougit, de même que
le visage, dans la pudeur et les passions. Des lymphatiques
en grand nombre , et surtout des nerfs, entrent clans la
structure de ce mamelon; la peau y a un aspect rugueux,
dû à la présence d'un certain nombre de follicules sébacés ,
destinés à sécréter une mucosité propre à défendre le ma-
melon de l'action de la salive de l'enfant qui le suce.
Il existe chez l'homme un rudiment de cet appareil;
mais la glande mammaire, très petite, n'y est qu'en ves-
tige; l'auréole du mamelon est d'une couleur moins vive,
moins rugueuse , et couverte de poils. Cependant on voit
cette glande se gonfler à la puberté; et , dans quelques cas
rares, on l'a vu , par la pression , fournir un fluide. M. de
Hwnboldt , dans son Voyage aux régions équinoxiales du
nouveau continent, rapporte l'observation d'un homme de
trente-deux ans, qui nourrit pendant cinq mois son enfant
32 FONCTION DE LA GENERATION.
avec un liquide sucré que fournissaient ses seins, et sans lui
donner aucun autre aliment.
Tels sont les organes génitaux de l'un et l'autre sexe dans
l'espèce humaine. Dans cette espèce , pas plus que dans les
animaux supérieurs, jamais ces sexes ne sont réunis sur un
même individu. En vain les arts ont supposé des herma-
phrodites humains; la nature n'en a jamais présenté , et les
êtres qu'on a considérés comme tels n'étaient que des indi-
vidus difformes, offrant quelque conformation vicieuse des
organes génitaux , et qui , loin de pouvoir se reproduire
seuls, le plus souvent ne pouvaient remplir la fonction
d'aucun sexe. D'après la seule comparaison des organes,
Galien , Avicenne , avaient dit que les deux sexes ne diffé-
raient que par îa situation et le développement, les parties
étant extérieures dans l'homme, et intérieures chez la
femme; dans l'homme, l'utérus étant renversé en dehors,
et contenant les ovaires ou testicules; dans la femme, ces
parties étant rentrées en dedans. Les testicules et les ovai-
res , comme fournissant la matière par laquelle chaque sexe
concourt à la génération; les conduits déférents et les trom-
pes de Fallope , comme conducteurs de cette matière; les
vésicules séminales et l'utérus, comme étant les réservoirs
où elle est mise en dépôt; enfin, le pénis et le vagin ,
comme servant à son élimination , étaient des parties con-
sidérées dans chaque sexe comme analogues. Mais lorsque
plus tard le système des ovaristes fut adopté par presque
tons les physiologiste, on rejeta cette comparaison; on re-
garda le sexe femelle comme le principal , et le sexe mâle
comme en étant une dégénération. Aujourd'hui , que les ef-
forts des zoologistes tendent à ramener toutes les différences
que présentent les animaux et les organes à l'unité d'orga-
nisation , on est revenu à l'idée des Anciens , mais mieux
conçue, et appuyée sur ce que M. Geoffroy Saint-Hilaire
appelle le principe des connexions : non -seulement on
trouve analogie d'organisation entre les deux sexes, mettant
en regard dans chacun les testicules et les ovaires, les épi-
didymeseties trompes de Fallope, les angles ou cornes de la
APPAREIL GÉNITAL DE LA FEMME. 33
matrice et les canaux déférents, les vésicules séminales
et le corps de l'utérus , le pénis et le vagin ; mais encore on
atteste cette même analogie dans les vivipares et les ovi-
pares. En effet , d'abord M. Emmert a prouvé que les oi-
seaux , chez lesquels on n'avait trouvé primitivement qu'un
seul ovaire, en ont deux, et deux oviductus. Ensuite
M. F. Tiédemann a distingué dans cet oviductus trois
parties, qu'il a dit des analogues de la trompe de l'u-
térus et du vagin des mammifères. Enfin, si M. Geoffroy
Saint-Hilaire ne trouve dans ces oviductus que deux par-
ties, l'une qui correspond à la trompe, l'autre à la corne
de la matrice, cet anatomiste rapporte au corps de la ma-
trice ce qu'on appelle dans les oiseaux la bourse de Fabri-
cius , et au vagin , ce qu'on appelle la bourse de copulation.
Il n'est pas de notre objet de discuter les motifs par les-
quels ces savants démontrent la réalité de ces analogies :
nous nous arrêterons à une seule, qui tient de plus près à
notre sujet, c'est la possibilité de reconnaître dans l'utérus
unique de la femme, des ressemblances avec l'utérus bi-
corne des mammifères. Ce qu'on appelle les angles supé-
rieurs de l'organe dans notre espèce, sont, en effet, les
analogues des cornes de l'utérus dans les quadrupèdes; et ,
ce qui le prouve , c'est que ce sont les mêmes vaisseaux qui
se distribuent aux unes et aux autres. M. Geoffroy Saint-
Hilaire pense que les cornes et le corps de la matrice , que
d'après l'anatomie humaine on considère comme des dépen-
dances d'un même organe, en forment deux distincts : l'un,
les cornes, étant alimenté par les artères sperniatiques ;
l'autre, le corps, recevant les artères utérines. Tous deux
peuvent être, dans les animaux, dans des rapports de dé-
veloppement inverse; et , par exemple , l'espèce humaine et
le lapin offrent, sous ce rapport, les deux extrêmes; dans la
première, le corps de l'utérus est très volumineux, et
les cornes à peine appréciables; et dans le lapin, au con-
traire , le corps de l'utérus est rudimentaire , presque nul ,
et les cornes très considérables. M. Geoffroy propose même
de donner aux cornes de l'utérus un nom particulier, celui
à'aduterum.
Tome IV. 3
34 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
ARTICLE III.
Différences générales des Sexes.
L'homme et la femme ne diffèrent pas seulement par les
organes génitaux proprement dits; toutes les autres parties
de leur organisation , quoique analogues , portent l'em-
preinte de la différence de leur sexe; il n'est aucun des or-
ganes qui leur sont communs, aucune de leurs fonctions,
qui ne présentent quelques spécialités. Dans l'exposition
que nous avons faite des diverses fonctions qui accomplis-
sent la vie , nous n'avons pas paru faire de distinction en-
tre ces deux êtres; c'est ici le lieu de traiter de leurs diffé-
rences.
Dans toute la nature vivante , généralement le sexe mâle
se distingue par quelques parties exubérantes, qui man-
quent, ou sont moindres dans le sexe femelle: on dirait
que celui-ci est comme épuisé, parce qu'il a à créer le germe
du nouvel individu, et à fournir à ses premiers développe-
ments. Ainsi, dans plusieurs espèces animales, les mâles
seuls offrent des cornes , des crêtes , une crinière , etc. ; ceux
des oiseaux, par exemple , sont remarquables par un plus
beau plumage, de plus brillantes couleurs. Or , cela est vrai
aussi dans l'espèce humaine; la barbe est un caractère dis-
tinctif de l'homme ; cette partie est à cet être ce que sont
ces crêtes , ces panaches , que dans certaines espèces ani-
males présentent exclusivement les mâles. Mais cette pre-
mière différence est encore une dépendance en quelque
sorte des organes génitaux proprement dits; elle ne se pro-
nonce, en effet, qu'à l'âge auquel ces organes peuvent être
mis en jeu ; ces parties distinctives des mâles manquent
avant l'époque de la puberté; souvent, chez les animaux,
elles se détruisent par la vieillesse , ou même chaque année,
après la saison des amours ; souvent la castration les fait dis-
paraître.
Arrivons donc à d'autres différences portant sur d'autres
points de vue de l'organisation ; et comme dans tout ce que
DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 35
nous avons dit jusqu'ici de la physiologie humaine, nous
avons eu en vue l'homme surtout, faisons ici particulière-
ment l'histoire de la femme.
io La femme a généralement une stature moins élevée que
l'homme , comme cela est presque de toutes les femelles des
animaux; la différence est d'un douzième à peu près. Les
parties principales de son corps n'ont pas entre elles les
mêmes proportions. La tête est plus petite, plus arrondie*
l&face plus courte : le tronc est plus long , et dans le tronc,
les lombes et le col surtout; les extrémités inférieures, la
cuisse particulièrement, sont au contraire plus courtes; et
de cette disposition , il résulte que la moitié du corps ne
correspond plus, comme chez l'homme, au pubis même,
mais au-dessus. Le col, cette colonne qui est un caractère
distinctif de l'espèce humaine, ayant chez la femme plus
de longueur, a par suite chez elle plus de grâce. Le thorax
a moins de hauteur; son diamètre s Lerno- vertébral répond
en arrière , non à la neuvième vertèbre dorsale , mais à la
septième, comme chez l'enfant; par compensation, ce tho-
rax est un peu plus évasé; la clavicule est, sinon plus lon-
gue, au moins moins courbée, afin de fournir un plus grand
espace au sein. V abdomen est plus large , plus ample et plus
saillant. La plus grande longueur de la région des lombes,
jointe à la plus grande largeur des hanches, rend la taille
plus svelte. Le bassin a plus de capacité, afin d'être apte
aux fonctions de la grossesse et de l'accouchement ; il est
plus évasé, plus circulaire , mais a moins de hauteur, et est
plus incliné sur le rachis; le pubis est plus bas, le sacrum
est plus relevé, et fait plus de saillie en avant; l'arcade du
pubis est plus élevée; les hanches sont plus étendues, les
cavités cotyloïdes moins profondes et plus écartées , les fesses
plus saillantes et plus élevées. Aux membres inférieurs , les
genoux sont plus gros et un peu tournés en dedans , les jam-
bes plus courtes; les pieds sont petits, et ne forment plus
la sixième partie et demie du corps, comme cela doit êtie
chez l'homme. Aux membres supérieurs enfin , les épaules
sont moins développées ; les bras sont moins longs, mais
plus gros et plus arrondis ; il en est de même des avant-bras *
3.
36 FONCTION DE Li GENERATION.
la main est plus petite, douce, blanche, plus potelée, les
doigts sont plus grêles. Quand on étudie la pose générale de
la femme, on voit que chez elle la tête, les épaules et le
bassin sont placés plus en arrière ; les fémurs sont plus écar-
tés en haut, et les genoux plus rapprochés; les courbures
du rachis sont moins prononcées. Le torse ressemble à une
pyramide , dont le bassin est la partie la plus large , et le
thorax la partie la plus étroite , disposition inverse de celle
qu'on observe dans l'homme; dans celui-ci, le développe-
ment semble s'être fait davantage vers la partie supérieure
du tronc , tandis que dans la femme il s'est fait plus gran-
dement vers la partie inférieure, le bassin» Le corps de la
femme est aussi plus mince : les os sont plus petits , d'un
tissu moins compact; leurs aspérités extérieures font moins
de saillies; les muscles sont moins forts, moins prononcés;
aussi le poids total du corps est-il moindre d'un tiers. Le
tissu cellulaire sous-cutané est plus abondant, il est rempli
d'une graisse plus blanche et plus compacte; un semblable
tissu cellulaire graisseux remplit les intervalles des muscles ;
aussi la femme n'ofTre-t-elle pas les formes carrées, toreuses
de l'homme ; chez elle, les contours des membres ne sont
pas aussi fortement exprimés ; ils sont arrondis, coulants. La
peau est plus fine , plus blanche , plus riche en vaisseaux
capillaires, et moins couverte de poils; les cheveux, au
contraire, sont plus longs, plus fins et plus flexibles : les
ongles sont plus mous, ont une couleur plus rosée. Au vi-
sage, les muscles sont moins distincts, et fondus dans plus
de graisse, ce qui fait que la physionomie des femmes tient
plus à l'expression de l'œil et au sourire qu'au jeu des autres
traits. Enfin la texture générale de toutes les parties est plus
lâche et plus molle.
2° Si, cle cette observation de l'habitude extérieure du
corps de la femme, nous passons à l'examen de ses fonctions ,
et si nous comparons ces fonctions avec ce qu'elles sont dans
l'homme nous trouverons des différences aussi importantes.
A. Sensibilité. Sans doute le système nerveux est, chez
la femme , composé des mêmes parties que chez l'homme ;
mais certainement ce système offre quelques différences ,
DIFFÉRENCES GENERALES DES SEXES. 3 7
puisque, comme on va le voir, la femme présente , dans ses
diverses actions sensoriales, quelques particularités. Peut-
être est-il, proportionnellement aux autres systèmes, un peu
plus volumineux , ou a-t-il intrinsèquement une sensibilité
plus exquise ? au moins, il a d'autres proportions entre ses
diverses parties?
Chez la femme , les sens sont généralement plus délicats ,
soit que les extrémités nerveuses qui aboutissent à la peau, à
la langue, à l'œil, etc., soient plus développées, soit qu'elles
se terminent en papilles moins rigides, plus pulpeuses, plus
afléctibles : tous repoussent des impressions un peu fortes.
Voyez la peau; elle est évidemment plus nerveuse , recouverte
d'un épidémie plus mince; aussi généralement les femmes sont
plus sensibles au froid , recherchent des vêtements plus
doux. Le goût, chez elles, répugne aussi à des saveurs trop
fortes, comme le prouve leur gourmandise, qui est, en géné-
ral, plus raffinée que celle de l'homme. Il en est de même
des autres sens. Le goût pour les parfums et les fleurs n'est-il
pas universel chez les femmes ? et le sens de l'odorat n'est-il
pas plus pour elles que pour nous une source de jouissances
ou de souffrances ? Leur vue n'est-elle pas promptement bles-
sée d'une lumière trop vive, et leur oreille d'un son trop
fort? Cependant les différences dans les sens sont bien
moindres que celles que va nous présenter l'intellect et le
moral.
Sous ce rapport > en effet, l'homme et la femme diffèrent
beaucoup, et ce point de leur organisation est certaine-
ment, après l'appareil génital, celui qui les différencie le
plus. Malheureusement les dissidences des psychologistes
sur les facultés vraiment primitives de notre moral , et l'im-
possibilité dans laquelle sont encore les physiologistes d'in-
diquer les rapports qui existent entre la structure du cerveau
et le caractère des intelligences , des talents et des affections,
ne permettent pas qu'on traite cette matière avec la ri-
gueur et la précision que réclame la science. M. Gall seul,
dans son système des organes cérébraux , explique organi-
quement les différences que présente le moral chez la femme.
En établissant que dans ce sexe les organes cérébraux ont
38 FONCTION DE LA GENERATION.
des degrés de développement et d'activité autres que chez
l'homme, il se rend compte de sa supériorité sous certains
rapports , de son infériorité sous d'autres, et en général de
toutes les particularités de sa psychologie. Mais on a vu que
tout en applaudissant aux efforts de M. Gall, nous avons
cru devoir attendre que le temps ait donné sa sanction à sa
théorie. Nous sommes donc réduits ici à ce que l'observa-
tion seule du moral, dans l'un et l'autre sexe, a pu faire
constater , et voici en peu de mots ce que nos moralistes ont
signalé à cet égard. i° Généralement les facultés affectives
prédominent chez la femme, et les facultés intellectuelles
chez l'homme; c'est ce que prouvent l'observation de l'un
et l'autre sexe dans toutes les circonstances de leur vie ,
leur rôle respectif dans nos sociétés , et ce qui convenait du
reste à leur destination. Evidemment, les affections sont ce
qui domine dans la vie morale des femmes; dès leur enfance,
elles manifestent la prédominance des sentiments qui doi-
vent successivement les rendre amantes, épouses et mères :
aimer, sous quelque titre que ce soit, est la grande affaire
de leur vie; les travaux d'esprit y occupent une bien moin-
dre place; et, tandis que ces travaux sont chez l'homme
l'objet principal , le plus souvent ils ne sont pour elles que
des délassements. Nous l'avons déjà dit souvent : l'espèce
humaine ne peut vivre sur la terre que par ses efforts; il
faut qu'elle en fasse la conquête; mais c'est à l'homme
surtout qu'est imposée cette noble tâche; c'est son esprit
qui conçoit , son bras qui exécute : la femme, plus faible
sous l'un et l'autre rapport, a une autre destination, celle
de dispensera la famille les soins que celle-ci réclame. Com-
bien n'étail-il pas nécessaire dès lors qu'il fût donné à l'un
une plus grande force d'esprit , et à l'antre une plus grande
délicatesse et vivacité de sentiments? Les observations ana-
tomiques de M. Gall confirment la différence première que
nous accusons ici; il a remarqué q\xe les femmes avaient
généralement la lête plus grosse en arrière , et le front plus
étroit; et l'on a vu que c'est aux parties postérieures du
cerveau qu'il rapporte les facultés affectives , et aux parties
antérieures les facultés intellectuelles. 2 » Le caractère de
DIFFERENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 09
l'esprit des femmes et le genre de talents auquels elles se
montrent propres, est en rapport avec ce premier trait que
nous venons de signaler dans leur psychologie. Leur esprit
est plus fin et gracieux que fort: leur imagination plus
riante et vive que profonde; leurs pensées plus faciles et
brillantes que justes et étendues; leur intellect plus natu-
rellement s'applique aux objets de leurs affections, et ce
n'est qu'alors qu'elles obtiennent quelques succès. Par
exemple , dans ce genre de composition littéraire qui a pour
objet la peinture des scènes habituelles de la vie, des mou-
vements du cœur humain , dans la composition des ro-
mans, elles ont souvent une supériorité que l'homme leur
dispute en vain. Elles réussissent aussi, et pour la même
raison, dans quelques arts d'agrément, la peinture, la mu-
sique. Mais leur esprit n'est pas propre aux hautes concep-
tions scientifiques. En général, il y a eu très peu de femmes
savantes : celles qui se disent telles , le plus souvent ne sont
que ridicules ; et quant à celles qui ont réellement mérité
ce titre, elles avaient pour la plupart perdu, même au
physique, les attributs qui font le charme de leur sexe,
tant il est vrai qu'elles étaient sorties des voies que leur a
tracées la nature. En vain dira -t -on que c'est à l'éduca-
tion trop souvent futile que reçoivent les femmes , qu'on
doit attribuer l'infériorité qu'elles nous présentent; sans
doute cette éducation y contribue ; mais c'est surtout à leur
nature propre qu'elle est due. La femme, pour parler le
langage éloquent de Cabanis, n'est pas plus faite pour fi-
gurer dans le lycée ou le portique , que dans le gymnase et
l'hippodrome; et sa destination étant de fonder le charme
et le lien de la famille, il n'était pas trop de sa vie entière
pour les soins si délicats et si multipliés que celle-ci réclame.
La femme savante voudrait-elle, dit Cabanis, descendre du
haut de son génie, pour veiller à ses enfants , à son ménage?
3° La sensibilité plus exquise que nous avons reconnue dans
les sens de la femme se montre aussi dans les facultés de
son esprit et de son cœur ; et de là cette plus grande finesse,
cette plus grande promptitude dans toutes ses idées, cette
plus grande délicatesse dans tous ses sentiments; de là aussi
4o FONCTION DE LA GENERATION,
sa susceptibilité à des impressions que l'homme aperçoit à
peine; sa disposition à tout porter à l'extrême dans le mal
comme dans le bien ; le caractère passionné qu'elle imprime
à tout ce qu'elle dit , à tout ce qu'elle fait. Dans cette exces-
sive impressionnabilité qui est propre aux femmes, et que ré-
clamait aussi leur destination particulière dans la société
humaine, git la source de leur active bienveillance, de cet
élan sympathique qui en fait les êtres les plus accessibles à
la pi lié , les plus capables d'un héroïque dévouement; la
facilité qu'elles ont à partager les sentiments, les opinions,
les manières des personnes avec lesquelles elles vivent; leur
tendance à l'imitation , etc. 4° Enfin , un dernier trait de la
psychologie des femmes, et qui est encore une conséquence
de cette plus grande impressionnabilité dont nous venons de
parler, est leur mobilité; tout faisant impression sur elles,
elles passent rapidement d'un objet à un autre; et une mé-
ditation un peu prolongée leur est, sinon tout-à-fait im-
possible, au moins plus difficile qu'à l'homme. De là, une
nouvelle cause de leurs insuccès dans les hautes sciences ; de
là cette légèreté dont on leur fait un reproche. Parmi les
impressions continuelles qui reten tissent sans cesse dans leur
système nerveux, et qui amènent dans leurs déterminations
des changements subits , il en est qui se succèdent si rapide-
ment , que les femmes ne s'en rendent pas compte; et de là
ces caprices que nous ne pouvons concevoir, et que souvent
elles ne peuvent s'exoliquer à elles-mêmes. Il n'est donc
aucun des traits de leur caractère dont on ne puisse indiquer
la cause. U instinct de la coquetterie 3 le besoin de plaire,
devaient être innés à des êtres qui ne sentent la vie que par
les affections qu'elles éprouvent et celles qu'elles inspirent.
Si tous les moralistes ont signalé leur dissimulation natu-
relle, la disposition qu'elles ont généralement à arriver à
leur but par finesse et par des voies détournées, ces traits de
caractère n'étaient- ils pas nécessaires à un être faible, et
que la nature et les lois sociales ont également fait dépen-
dant? Ce n'est pas que nous blâmions ces dernières; nous
croyons qu'elles ont été sages, lorsque, dans nos sociétés,
ellesoot exclu les femmes de toutes les hautes magistratures,
DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 4»
et les ont subordonnées à l'homme. Mais, d'autre pari , on
ne doit faire aux femmes aucun reproche des traits spéciaux
que nous a offerts leur moral ; ces traits importaient à leur
destination ; c'est par eux qu'elles nous charment et nous
servent : voudrait-on qu'elles cessassent d'être de leur sexe?
Mais bornons-nous à cette briéve indication , et renvoyons ,
sur cet article , aux nombreux écrivains qui ont si bien traité
de cette partie de l'histoire morale de l'espèce humaine.
B. Locomotilité , expressions , sommeil. Les autres fonc-
tions de relation nous offriront moins de différences. Rela-
tivement à la locomolilité , nous avons déjà dit que les os
de la femme sont généralement plus petits, ont des émi-
nences moins prononcées , que ses muscles sont plus faibles.
A tous ces titres , la force musculaire chez eile sera moindre.
Le plus grand écartement des cavités cotyloïdes, la plus
grande largeur du bassin , impriment à sa marche un carac-
tère particulier. La femme est moins capable d'efforts que
l'homme ; et sa faiblesse au physique n'est pas moins évi-
dente que celle que nous avons signalée dans son moral. Les
phénomènes d'expression sont chez elle en rapport avec le
caractère des actes intellectuels et moraux. D'abord, i or-
gane vocal offre quelques différences , auxquelles doivent être
attribuées celles que présente physiquement la voix : la poi-
trine et le poumon sont moins amples , la trachée a un moin-
dre diamètre, le larynx est plus petit, la glotte est plus
étroite , ce qu'on appelle la pomme d'Adam fait moins de
saillie , les anfractuosités nasales sont moins profondes. Ces
dispositions anatomiques font que la voix , chez les femmes ,
est moins forte, mais plus douce, plus tendre, et surtout
plus aiguë. Les muscles de la glotte sont plus vifs et plus
souples, d'où résulte plus de facilité de varier les tons, et
plus de disposition pour le chant. Nous avons déjà dit qu'à
la face , les muscles de la physionomie étant moins distincts
et entourés de plus de graisse , l'expression du visage ,
chez les femmes , était due surtout au regard et à l'état de
la bouche. Quant aux ohénomènes d'expression, considérés
sous le point de vue de leur qualité expressive , ce que nous
avons dit de la psychologie de la femme doit faire pressentir
42 FONCTION DE LA GENERATION,
ce qu'ils doivent être. La femme étant très sensible, et
recevant de continuelles impressions , doit abonder en
phénomènes expressifs : son langage affectif n'est jamais
muet; son regard, son sourire parlent sans cesse; le
rire, le pleurer éclatent chez elle à la moindre cause; ses
mains, ses pieds sont dans des mouvements continuels; sa
respiration fréquemment se modifie , et revêt les formes de
soupir, de sanglot; enfin, quelle abondance de paroles!
quelle loquacité ! Non-seulement les phénomènes expressifs
répondent, par leur multiplicité, au nombre des senti-
ments, mais ils en ont aussi le caractère; comme eux, ils
sont mobiles , et se succèdent avec la plus incroyable rapi-
dité; comme eux, ils sont délicats, et peignent toutes les
grâces et tout le piquant de l'esprit des femmes , toutes les
nuances si variées des mouvements de leur cœur. Enfin, il
est impossible que la femme présente tant de différences
dans l'exercice de ses facultés sensoriales , sans en offrir dans
la fonction du sommeil; ce phénomène , destiné à réparer
les pertes du système nerveux, fait chez elle sentir plus sou-
vent son besoin , mais il a moins de profondeur et moins de
durée; il est plus souvent troublé par des rêves, ou accom-
pagné de somnambulisme : des influences extérieures peuvent
plus facilement déterminer ce dernier, et Ton sait qu'en
effet les femmes sont les sujets magnétiques par excellence.
Ceci est encore une conséquence de la plus grande suscepti-
bilité du système nerveux dans leur sexe.
C. Fonctions de nutrition. Chacune offre , dans la femme ,
quelques particularités. La digestion, généralement, exige
moins d'aliments ; l'estomac est moins ample , le foie moins
gros; fort souvent les deux dernières dents ne se dévelop-
pent pas. La fairn est moins impérieuse, et porte plus sur des
aliments légers et agréables que sur ceux qui nourrissent
beaucoup; mais elle est plus mobile, plus fantasque, et re-
vient plus souvent, parce que la digestion est assez rapide,
et que tout l'appareil digestif montre aussi plus de sensibi-
lité et d'irritabilité. Cependant cette fonction peut plus fa-
cilement se suspendre pendant quelque temps; ce sont les
femmes qui ont fourni les exemples de plus longue absti-
DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 43
neuce. Des différents systèmes vasculaires absorbants , le
lymphatique prédomine , et de là la plus grande disposition
des femmes aux maladies de ce système, au cancer, aux scro-
pliules. Le thorax étant moins ample, et le poumon un peu
plus petit, la respiration fait une moindre quantité de sang :
mais généralement les mouvements respirateurs sont plus
rapprochés, abstraction faite des modifications fréquentes
que leur impriment les passions; les inspirations sont plus
effectuées par le jeu des côtes que par celui du diaphragme ,
et le poumon manifeste plus de susceptibilité relativement
aux qualités de l'air : il est probable que l'hématose se fait
aussi plus rapidement. Le cœur a un volume moindre que
chez l'homme: et cependant la circulation est généralement
plus vive; le pouls est moins ample, mais plus prompt et
plus serré : chez la femme aussi , l'aorte descendante est plus
grosse, et les artères du bassin plus considérables, afin de
fournir au grand développement des organes génitaux dans
ce sexe. Tous les parenchymes nutritifs sont en elle plus
humides, la température du corps plus élevée. Parmi les sé-
crétions récrémentitielles, celle de la graisse seule demande
à être mentionnée : elle est généralement plus abondante,
et son produit plus compact. Quant aux sécrétions excré-
mentitielles , toutes offrent quelques différences; et de plus,
la femme en offre une qui lui est propre , et dont nous de-
vons une histoire détaillée, la menstruation. La transpira-
tion cutanée est moins active , et sa matière a une odeur plus
acidulé. L'urine est moins abondante, chargée de moins de
sels, d'où résulte moins de disposition aux maladies calcu-
leuses : ajoutons que l'urèthre est chez les femmes plus
court, plus droit, a un plus gros calibre, de sorte qu'un
calcul est plus souvent excrété dès les premiers moments de
sa formation. Cependant, malgré cette activité moindre de
]a sécrétiou urinaire, le besoin d'uriner se fait sentir plus
souvent, à raison de la susceptibilité plus grande de tout le
système nerveux. En somme, les excrétions sont, comme
les ingestions , moins abondantes chez la femme que chez
l'homme, et leurs produits un peu moins animalisés.
Si on ajoute que la femme généralement parcourt plus ra~
44 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
pidement ses premiers âges que l'homme , et au contraire
pousse plus loin le dernier; que les différences des tempéra-
ments sont en général moins prononcées chez elle, et que
toujours en elle le caractère du sexe domine; que son appa-
reil génital réagit plus sur toute son économie que ne le fait
celui de l'homme , ou qu'au moins cet appareil , chargé chez
elle déplus de fonctions, devient, dans les temps plus pro-
longés pendant lesquels il agit, la source d'un plus grand
nombre de réactions sympathiques, on aura le tableau de
toutes les différences physiques qui caractérisent cet être.
Les anciens auteurs avaient même exagéré ce dernier trait,
jusqu'au point de rapporter à la réaction de l'utérus toutes
les particularités que nous présentent le physique et le moral
des femmes en santé et en maladie: utérus est animal vivens
m muliere ; propter soiuni uterum est rnulier id quod est,
ont-ils dit. Mais nous croyons que cette réaction n'est réelle
que lorsque cet organe est en fonction, lorsqu'il accomplit
les actes de menstruation, de grossesse, d'accouchement;
lorsque l'âge de la puberté et l'âge critique lui impriment
ou lui retirent le degré d'activité qui rend possible son ser-
vice ; hors de là , son influence est moindre qu'on ne l'a dit.
Mais nous reviendrons là-dessus à l'article des sympathies.
3° Terminons cette histoire de la femme par la descrip-
tion de l'excrétion qui lui est exclusive , la menstrua-
tion .
On appelle ainsi un écoulement de sang qui se fait par la
vulve, et revient périodiquement trois, quatre , cinq ou six
jours de chaque mois, pendant tout le temps de sa vie que
la femme est apte à se reproduire , c'est-à-dire depuis l'épo-
que de la puberté jusqu'à ce qu'on appelle son âge critique.
11 est exclusif à l'espèce humaine : on ne l'observe dans au-
cune autre espèce animale; cependant M.. F. Cuvier dit en
avoir reconnu quelque indice dans quelques femelles d'ani-
maux. Chez quelques femmes , cet écoulement s'établit sou-
dain , et sans aucuns symptômes précurseurs. Dans le plus
grand nombre, au contraire, il est précédé et accompagné
de quelques incommodités : la femme accuse quelques signes
de pléthore ou d'orgasme général, comme rougeur de la
DIFFERENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 4 5
peau, chaleur, pesanteur de tête, oppression, pouls élevé
et fébrile; elle se plaint de douleurs dans les lombes , quel-
quefois de coliques , phénomènes qui annoncent une con-
gestion locale sur l'utérus, ou au moins une irritation de ce
viscère. Alors l'écoulement s'établit; il ne se fait que goutte
à goutte, mais d'une manière continue. Le premier jour, il
est fort peu considérable, et même souvent il paraît et dis-
paraît alternativement; le deuxième jour, il est déjà plus
abondant; c'est le troisième qu'il est le plus considérable;
et enfin les jours suivants il diminue graduellement, et se
termine pour ne reparaître que dans vingt-cinq à vingt-six
jours. A mesure que cet écoulement se fait , la femme semble
éprouver un soulagement marqué, il lui reste seulement un
air de langueur sur le visage. Pendant sa durée , elle a plus
d'irritabilité au physique, plus de susceptibilité au moral,
et est généralement plus disposée aux plaisirs de l'amour. Le
plus souvent l'écoulementest, dans le commencement, moitié
séreux, mais bientôt il devient exclusivement sanguin. Sou-
vent, après qu'il a cessé, il est rem placé pendant quelques jours
par un écoulement muqueux, blanchâtre. Sa quantité , pen-
dant loutela durée de la période, est généralement de six à huit
onces : Hippocrate disait deux bénîmes , ou vingt onces. Du
reste, nous ne décrivons iciquecequi estle plus ordinaire, car
de nombreuses variétés s'observent relativement à la durée,
la quantité, les phénomènes précurseurs et concomitants de
cet écoulement, ses retours, son invasion, sa disparition, etc.
Chez certaines femmes, il ne dure que deux à trois jours;
chez d'autres, il se prolonge pendant huit ou dix. Chez les
unes , la quantité de sang qui est excrétée est à peine de deux
à trois onces; chez d'autres , elle est considérable, constitue
une véritable hémorrhagie , ce qu'on appelle une perle. Pour
certaines femmes, la menstruation est facile, exempte de
toutes incommodités ; chez d'autres , elle est précédée et ac-
compagnée d'accidents , de coliques , qui en font presque
une maladie. Le plus souvent cette excrétion revient après
vingt-quatre, vingt-six jours d'interruption; mais il est des
femmes qui sont réglées deux fois par mois. Toutes ces varia-
tions tiennent au degré d'activité de la constitution en gé-
46 FONCTION DE LA. GÉNÉRATION.
uéral , et surtout de l'utérus eu particulier, car il est l'agent
de cette excrétion.
C'est en eiïet de la surface interne de la cavité de cet or-
gane que provient le sang menstruel, et non du vagin,
comme quelques-uns l'avaient dit. Jadis on croyait que,
pendant l'intervalle des règles, le sang qui les constitue se
ressemblait peu à peu dans quelques parties de l' utérus; et
que celles-ci, arrivées enfin à un certain degré de plénitude,
se crevaient et le laissaient couler. Tel était, par exemple,
le rôle qu'on faisait jouer, ou à des cellules qu'on disait exis-
ter dans le parenchyme de l'utérus , et être intermédiaires
aux artères et aux veines utérines; ou aux veines elles-mêmes,
qui, fort dilatées alors, avaient paru être des réservoirs parti-
culiers, et qu'on avait appelées sinus utérins, ou, avec Astruc,
appendices cœcales. On avait, en ce dernier point, été in-
duit en erreur par l'état de grossesse , les veines de l'utérus
offrant alors une très grande dilatation , comme nous le di-
rons. Mais cette idée d'une accumulation graduelle dans
l'utérus, dans l'intervalle des règles, du sang qui doit les
constituer, et ceile qui attribue l'écoulement de ce fluide
à la crevasse, à la rupture des cavités, des vaisseaux où il se
serait accumulé , sont également fausses. D'un côté , ce n'est
qu'au moment delà menstruation que le sang qui doit ali-
menter cette sécrétion afflue en plus grande abondance dans
le viscère qui doit l'effectuer, et , d'autre par l, c'est par exha-
lation que ce saug est rejeté. Qu'on examine la surface in-
terne de l'utérus chez une femme morte à l'époque des
règles , on n'y peut découvrir aucune trace d'érosion et de
rupture; on n'en voit pas davantage après avoir lavé l'uté-
rus, l'avoir fait macérer, et en l'examinant au microscope.
Si l'écoulement tenait à ces prétendues crevasses, il ne
cesserait que lorsque ces crevasses se seraient cicatrisées;
alors on devrait trouver à la surface interne de l'utérus des
traces de ces cicatrices; cet organe en devrait être criblé.
Nous avons dit, d'ailleurs, que souvent dans une même
journée, l'écoulement tour-à-tour s'interrompt et reparaît;
et ce fait ne peut s'accorder avec la cause mécanique qu'on
avait supposée. La menstruation est une sécrétion du
DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 4j
genre des exhalations , effectuée par ia surface interne de
l'utérus, et qui n'est distincte des autres qu'en ce que son
produit est dusangniême. On avait voulu faire provenir ce-
lui-ci des veines; on arguait de l'analogie des hémorrhoïdes ,
de la couleur noire du sang menstruel, du gonflement des
veines de Futérus dans le moment de la menstruation :
mais toutes les sécrétions étant alimentées par le sang ar-
tériel, et la menstruation étant évidemment une action de
ce genre, c'est des artères qu'on fait provenir aujourd'hui
le sang qu'elle excrète. D'ailleurs, une injection poussée
dans les artères de l'utérus transsude avec facilité à la sur-
face interne de cet organe. Nous admettons donc que les
artères de l'utérus se terminent à la surface interne de cet
organe par un appareil exhalant qui , à de certaines époques
du mois, acquiert la propriété d'agir, et alors perspire , ou
le sang lui-même , ou ce sang un peu modifié , mais conser-
vant sa couleur rouge. Ne voit-on pas de semblables hé-
morrhagies se faire souvent par les autres membranes mu-
queuses du corps? On dira peut-être que M. Chaussier nie
l'existence de la muqueuse utérine; mais il n'y a pas plus
de difficulté à concevoir que c'est le parenchyme même de
l'organe qui, à la surface interne de sa cavité, effectue
l'exhalation : n'y a-t-il pas aussi des hémorrhagies dans les
parenchymes? 11 est certain que la menstruation est un
symbole parfait de toutes les hémorrhagies médicales; il y
a de même, irritation préalable de l'organe qui en est le
siège, tuméfaction, sensibilité de l'utérus , gonflement des
vaisseaux utérins; l'écoulement semble être comme la crise
de la congestion ; il procure du soulagement; l'unique dif-
férence, c'est que la congestion entrait dans le plan de
santé, et se renouvelle périodiquement chaque mois. Véri-
table phénomène organique , cette menstruation se montre
dépendante de toutes les irritations externes et internes;
et sa susceptibilité à être modifiée, perturbée, par ces irri-
tations , est extrême.
On a beaucoup cherché la cause de la périodicité de la
menstruation. 10 Comme ses intervalles ont précisément la
durée des révolutions de la lune autour de la terre, Mèad
48 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
et autres ont voulu la rapporter à l'influence de cette pla-
nète; mais alors les règles devraient correspondre à une des
phases du cours de la lune , et cela n'est pas. 2° Van Hel-
mont, Paracelse, ont accusé la présence d'un ferment dans
l'utérus; mais d'où viendrait ce ferment , comment se re-
nouvellerait-il? ne rongerait-il pas l'utérus dans les longues
suppressions des menstrues ? qui l'a vu ? une cause aussi
constante pourrait-elle ne produire qu'un phénomène aussi
mobile ? cette hypothèse ne touche pas à la difficulté , car
il faudrait expliquer pourquoi le ferment se renouvelle à
chaque mois, oun'agitqu'à ces époques. 3° Nous ne pouvons
nous contenter de l'opinion de Stahl, qui en appelle à l'âme,
et qui dit que cet être, universellement régulateur de notre
économie, travaille aux tempsopportuns à faire débarrasser la
femme d'un superflu qui la surcharge. 4° On aaccuséunétat
de pléthore générale, amenant à un certain degré , et à un
degré qui est acquis à une époque régulière , une excrétion
qui y remédie : on s'est fondé sur ce que souvent les mens-
trues sont utilement , pour la santé , remplacées par un
écoulement qui se fait par d'autres voies. Il est certain
qu'on a vu des hémorrhagies par divers points de la peau ,
par l'angle de l'œil , par les narines , les lèvres, les oreilles ,
des vomissements de sang, etc. , remplacer les règles et se
renouveler aux mêmes époques et avec la même régularité.
Alors il faudrait admettre que , chez la femme, à cause du
double office de mère et de nourrice qu'elle a à remplir , les
mouvements vitaux sont réglés de manière à amener de
mois en mois cette pléthore. 5° Enfin, on a rapporté le re-
tour des règles à une pléthore locale de l'utérus : les ar-
tères du bassin sont^ a-t-on dit, plus lâches dans la femme
que dans l'homme; les veines, au contraires, sont plus
fermes; et de là résulte que les premiers de ces vaisseaux
apportent plus de sang que les seconds n'en remportent. On
a dit encore que , taudis que chez l'homme il y avait prédo-
minance des artères céphaliques, à cause de la plus grande
prédisposition de cet être à une vie intellectuelie, il y avait
chez la femme prédominance des artères pelviennes et uté-
rines, à cause de sa destination plus spéciale à la reproduc-
DIFFÉRENCES GÉNÉRALES DES SEXES. 4 9
tion. Il est certain que c'est un état de phéthore , ou plu-
tôt d'iritation de l'utérus , qui détermine le retour des rè-
gles; mais il n'est pas plus possible de àVre pourquoi cette
irritation se renouvelle tous les mois , que d'expliquer pour-
quoi dans la révolution des âges la prédominance de tel
organe succède à celle de tel autre. Cela tient , sans contre-
dit, au caractère de vitalité de l'utérus, et à son office pour
la reproduction, car l'écoulement menstruel généralement
n'a plus lieu pendant la grossesse et l'allaitement: mais il
n'est pas possible d'aller au-delà de cette généralité. Cepen-
dant M. Gall croit qu'une cause générale et étrangère à
l'individu, mais autre que la lune, a ici une influence;
il dit avoir vérifié dans sa nombreuse pratique , et cela dans
tous les pays , que c'est généralement aux mêmes époques
que toutes les femmes sont réglées , et qu'il est des temps du
mois où, par conséquent, aucunes ne le sont; il ajoute que
toutes les femmes sont , à cet égard., partagées en deux sé-
ries , une de celles qui sont réglées dans les huit premiers
jours du mois, et une autre de celles qui le sont dans
ceux de la seconde quinzaine; mais il ne peut indicruer
quelle est cette cause.
Toutefois, la menstruation étant une action d'exhalation
de l'utérus , on conçoit que la quantité et la qualité du
sang rejeté doivent être en raison de la vitalité de ce vis-
cère ; souvent des femmes pâles perdent plus que des femmes
colorées et qui paraissent sanguines et fortes, parce que
l'état de l'utérus a plus d'influence ici que l'état de la
constitution générale. Il est difficile de dire si le sang rejeté
est du sang artériel pur , ou du sang un peu. modifié par
l'action exhalante qui en produit l'excrétion : ce qu'il y a de
sûr , c'est qu'il n'a aucune des qualités vénéneuses que les
Anciens lui avaient attribuées. Son excrétion s'accomolit
mécaniquement, par le fait seul de la disposition des
parties.
Il paraît évident que cette excrétion a trait à la généra-
tion , car elle ne commence qu'à la puberté, elle disparaît
à l'âge critique , et elle manque pendant la grossesse et l'al-
laitement ; mais on ne sait en quoi elle y sert. On dit yul-
Tome TV. 4
50 FONCTION DE LA GÉNÉRATION .
gairement qu'elle est destinée à entretenir l'équilibre , mal^
gré le surplus de sang qui est préparé pour nourrir le fœtus
et alimenter la sécrétion du lait. On croit qu'elle est l'an-
nonce de l'aptitude qu'ont les femmes à être fécondées en
tout temps, à la différence des femelles des animaux, qui ne
peuvent l'être qu'à une seule époque, celle du rut. On lui as-
signe, en effet, pouranalogue dans les animaux, l'écoulement
séreux, sanguinolent, odorant, qui se fait alors parla vulve
des femelles. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la menstruation
n'est pas primitivement une excrétion de dépuralion; elle
ne le devient que secondairement, comme il en est de toutes
les autres excrétions. Quelques physiologistes ont ditqu'elle
était une suite mécanique de la station bipède. Roussel
voulait qu'elle n'eût pas taiMmirn esi*té . et que, produit
artificiel d'un régime Jkt&|Xsi£ccuientV«g*Kse fût ensuite
propagée de générati»iOeii gélôeraEîon : mafckles livres les
plus anciens , ceux deproïjJJJ^/j^g>of^te, en «ont mention.
Aubert, dans sa dissertation inauguraïe^^prAendu que, si
les femmes satisfaisaiew^i^^rëmîe:rTlM^m^e l'amour dès
leur première appaiùtionvJjgLSjûs^ggii^'fui en résulterait
empêcherait à jamais l'établissement de la menstruation;
mais on voit des femmes qui continuent d'être réglées pen-
dant leur grossesse , d'autres qui ne le sont que pendant cet
état. Tout porte à croire que la menstruation est un phéno-
mène propre à la constitution de la femme.
CHAPITRE II.
Mécanisme de la Génération.
Les généralités que nous avons présentées sur la généra-
tion tracent d'avance la subdivision à établir dans l'étude des
actes nombreux qui constituent cette fonction. Dans l'espèce
humaine, les sexes sont portés par deux individus distincts,
et la génération est vivipare; de là, déjà, distinction de ce
qu'on appelle une copulation, une grossesse et un allaite-
ment. Déplus , on appelle du nom de conception ou de fécon-
dation f l'action qui avive le germe et qui suit le rapproche-
DIFFÉRENCES GENERALES DES SEXES. 5i
ment; et de celui à? accouchement, l'acte par lequel l'individu
nouveau est excrété , pour commencer sa vie indépendante.
Nous rapporterons donc tous les actes qui constituent la gé-
nération, à cinq groupes, qui sont la copulation ou le rap-
prochement, la conception, la grossesse , Y accouchement et
Y allaitement; et c'est dans cet ordre , qui est celui selon le-
quel ils se succèdent, que nous allons en traiter. Seulement,
faisons auparavant deux remarques.
Dans l'accomplissement de toutes ces actions , le rôle des
deux sexes n'est , ni le même, ni également important.
L'homme ne fait que fournir ou aviver le germe ; consé-
quemment il n'a part qu'à la copulation et à la conception.
La femme, au contraire, sert , en outre, à porter le nou-
vel individu, à le mettre au jour, et à le nourrir dans les
premiers mois de la vie; seule, elle effectue la grossesse,
l'accouchement et l'allaitement.
La génération est une fonction qui exige un rapport avec
l'extérieur, au moins dans les espèces dans lesquelles les
sexes sont portés par deux individus distincts, et qui ont
besoin de se rapprocher, comme chez l'homme. Or, ce rap-
port, comme tout autre, est laissé à la volonté de l'être ,
et perçu par lui ; il n:y a d'irrésistibles et d'inaperçus ,
comme dans la nutrition, que les actes qui le suivent. Le
rapprochement des sexes est en effet un acte tout-à-fait vo-
lontaire; la naissance du nouvel individu, ou l'accouche-
ment, est de même, sinon tout-à-fait dépendant de la vo-
lonté, au moins aidé par elle, et également perçu : il n'y
a d'irrésistibles et de non sentis que les actes intermédiaires
à ceux-là, la conception et la grossesse. C'est absolument
comme dans le mécanisme général de la nutrition. Dès lors,
on ne sera pas étonné si la génération nous offre dans sa
généralité , et des sensations pour nous exciter aux rapports
qu'elle exige , et nous en donner la conscience , et des ac-
tions musculaires volontaires pour établir ces rapports.
52 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
ARTICLE PREMIER.
Du rapprochement des Sexes, ou de la Copulation , du Coït.
Dans l'espèce humaine , les deux sexes étant portés cha-
cun par un individu séparé, et le germe ou l'œuf fourni par
la femme ne pouvant être fécondé que lorsqu'il est encore
intérieur; il faut absolument, pour la reproduction , un
rapprochement à l'aide duquel le fluide fécondant de
l'homme puisse aller au loin dans l'intérieur des organes de
la femme , toucher le germe et l'aviver. C'est donc par l'é-
tude de ce rapprochement qu'il faut commencer l'histoire
de la génération. Nous allons étudier successivement la
sensation qui y excite, et la part qu'y a chacun des deux
sexes.
§ Ier. Du besoin , de P instinct de la Reproduction.
Nous avons dit souvent qu'une sensation interne était
attachée à toutes celles de nos fonctions qui exigent pour
leur accomplissement un rapport avec l'extérieur; nous
avons présenté cette sensation comme une espèce de senti-
nelle , destinée à nous exciter à l'établissement de ce rap-
port. C'est ainsi que nous avons vu la faim nous solliciter
aux temps opportuns à prendre les aliments qui nous sont
nécessaires. Or, la nature n'a pas été, en ce qui concerne
la conservation de l'espèce , moins précautionneuse , qu'en
ce qui a trait à la conservation de l'individu; elle n'a pas
voulu davantage , en ce qui regarde notre reproduction ,
s'en reposer sur notre raison ; et elle a placé en nous un
instinct impérieux, une sensation interne, qui nous excite
à remplir son vœu. C'est de cet instinct dont nous devons
parler ici.
Personne n'en peut contester la réalité. Nul dans l'en-
fance, âge auquel l'homme ne peut se reproduire, il se mon-
tre tout à coup à la puberté, éclate avec énergie pendant
toute la jeunesse, se prolonge au loin dans l'âge adulte, et
enfin disparaît dans la vieillesse, quand l'être n'est plus
DE LA COPULATION. 53
apte à se reproduire. Cet instinct est surtout évident dans
les animaux chez lesquels la génération n'est possible qu'à
des époques déterminées de Tannée, au temps du rut; alors
il prédomine tellement dans leur système intellectuel ,,
qu'il constitue presque une fureur, une manie, un pen-
chant irrésistible qui les subjugue.
Mais les physiologistes ne sont pas d'accord sur sa nature
et sur son siège. La plupart, voyant que son apparition
coïncide avec l'âge auquel l'appareil génital entre en action,
et que son énergie est généralement proportionnelle au degré
d'activité de cet appareil , eu ont fait une sensation interne
siégeant dans les organes génitaux, et qui est à ces organes ce
qu'est la sensation interne de la faim à l'estomac. En effet,
indépendamment de ce que dans la suite de la vie, cet instinct
suit le sort des organes génitaux , c'est-à-dire se prononce
quand ils entrent en action, disparaît quand ils ne peuvent
plus agir, il est sûr qu'il ne se fait jamais sentir lorsque
dans le premier âge on a pratiqué la castration. Dans cette
manière devoir, il serait une véritable sensation interne,
dont il faudrait spécifier le siège et la cause , mais sur la-
quelle on serait dans la même ignorance que sur toutes les
autres sensations internes. En effet, relativement au siège,
le sentiment intime ne fait rien connaître; aucune partie
ne paraît sentir plus qu'une autre; c'est comme une in-
quiétude générale. Sans doute les organes génitaux sont un
peu excités, mais ils ne le sont pas assez, pour qu'on les
constitue avec certitude le siège de la sensation; et ce
qu'ils éprouvent peut dépendre de la connexion existante
entre eux et le siège, quel qu'il soit, delà sensation. Rela-
tivement à la cause , elle n'est pas plus facilement appré-
ciable que dans les autres sensations internes. On a présenté
comme telle le séjour et la présence du sperme dans les vési-
cules séminales; mais les eunuques ont souvent des désirs;
il en est de même des libertins épuisés ; et au contraire ces
désirs souvent sont nuls chez des hommes robustes, mais
qui ont l'habitude delà chasteté; chez la femme, ce senti-
ment existe, et cependant dans ce sexe il n'y a pas de sé-
crétion sperma tique-. On a dit que ce sentiment annonçait
54 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
le besoin qu'a l'appareil génital d'être employé, de même
qu'un sentiment éclate dans l'appareil locomoteur pour
nous exciter à nous mouvoir; mais, à supposer cette expli-
cation bonne, on n'en sent pas moins combien cette cause
est vague, comparativement à celle de toute sensation ex-
terne quelconque.
Aussi, à cause de ces difficultés , et par plusieurs autres
raisons que nous allons faire connaître, beaucoup de phy-
siologistes considèrent le sentiment dont nous traitons ici
comme un phénomène cérébral, une faculté affective, une
dépendance delà psychologie de l'être. Tels sont, par exem-
ple, Cabanis* M. Broussais, qui, seulement dans leur théorie
des impressions internes, en font provenir les matériaux
des organes génitaux. Tel est surtout M. Gall, qui ailecte
une partie cérébrale, le cervelet, à sa production, et admet
parmi les facultés primitives de l'ame un instinct de la re-
production. Sans revenir ici sur les détails que nous avons
donnés à cet égard, l'organe et l'instinct de la propagation
étant ceux que nous avons pris pour exemple quand nous
avons parlé de la manière de philosopher de M. Gall , nous
rappellerons seulement comme preuves justificatives de
l'idée qui fait du sentiment dont nous traitons un instinct
cérébral, que ce sentiment a été observé en des individus
chez lesquels, par Un vice de conformation originelle, les
principaux des organes génitaux manquaient, et qu'il a
persisté en des eunuques qui n'avaient été castrés qu'après
l'âge de la puberté. Ce sentiment ne pouvant être qu'une
sensation interne, ou un instinct cérébral, et les derniers
faits que nous venons de citer le montrant existant en l'ab-
sence des Organes génitaux, il faut bien qu'il siège dans le
cerveau. Du reste , nous renvoyons à cet égard à ce que nous
avons dit à l'article psychologie.
Quoi qu'il en soit de cette controverse, il n'est pas pos-
sible non plus de peindre par des mots ce sentiment ; il faut
en appeler à la conscience de chacun * mais il est bien dis-
tinct de tout autre , et bien caractérisé d'ailleurs par son
but. Comme toute sensation interne ou toute faculté affec-
tive, il est plaisir quand on le satisfait, peine quand on
DE LA COPULATION. . 55
lui résiste. Il est susceptible de mille degrés, et même apte
à revêtir un caractère opposé , celui de dégoût , ce qui con-
stitue ce qu'on appelle Yanaphrodisie. On ne peut préciser
son énergie; cela varie selon les sexes, les tempéraments ,
les constilutions individuelles, l'état de santé, de maladie;
ies circonstances extérieures d'aliments, de saisons, de cli-
mats; la mesure dans laquelle on use des plaisirs de l'a-
mour, etc. Chacun a, à cet égard, sa constitution propre;
les hommes sont généralement plus ardents que les femmes;
les tempéraments sanguins et bilieux plus que les lympha-
tiques : certains aliments évidemment sont aphrodisiaques,
tandis que d'autres sont, comme on le dit, réfrigérants :
enfin, il faut surtout signaler ici la part des habitudes ; si
c'est l'organisation qui d'abord les commande , les habitudes
ensuite renforcent l'organisation.
§ II. Office de V homme dans la Copulation.
Dans l'acte du rapprochement, le rôle de l'homme est
d'introduire dans les parties de la femme l'organe chargé
de projeter le fluide de la fécondation , c'est-à-dire le pénis ,
et d'excréter pendant cette introduction ce fluide. Mais
pour que ce double objet puisse être rempli, il faut que le
pénis acquière, par un phénomène appelé érection, une
roideur suffisante; et c'est ce phénomène de l'érection que
nous avons à décrire d'abord.
Quand l'homme est sollicité par le désir de la généra^
tion , le pénis chauge d'élat; de mou, petit et pendant
qu'il était, il devient roide, gros et relevé contre l'ab-
domen; ses artères battent avec force, ses veines sont plus
gonflées , la peau qui le rêvet est plus colorée , sa chaleur
est augmentée; de rond qu'il était, il est devenu triangu-
laire; par suite de son redressement, les courbures de l'u-
rèthre sont effacées ; enfin, une légère sensation de plaisir
marque le grand changement qui s'est fait en lui, et qu'on
appelle érection.
Due à la dilatation active qu'a développée tout à coup le
corps caverneux du pénis, et à un plus grand afflux de sang
56 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
dans ce parenchyme, cette érection, tantôt se fait d'une
manière soudaine, tantôt ne s'établit qu'avec lenteur et
graduellement. Ses causes occasionelles sont : tantôt l'irri-
tation qu'irradie sur le corps caverneux le désir ardent de
la génération ; tantôt celle qu'éprouve ce corps caverneux,
consécutivement à une stimulation directe du pénis , ou de
quelques autres organes appartenant à l'appareil génital,
ou enchaînés au pénis par quelques sympathies intimes. De
ces causes, la première est la plus énergique; savoir : l'in-
fluence de la partie cérébrale, qui est le siège de l'instinct
de la propagation. La subordination du pénis à cette partie
est telle que, lorsque celle-ci est irritée mécaniquement, et
non par les idées de volupté , l'érection se manifeste égale-
ment. Ainsi, l'érection est un symptôme constant des apo-
plexies cérébelleuses; on l'observe fréquemment chez les
pendus, à cause de la congestion de sang dont le cervelet
est alors le siège; parla même raison, elle survient fré-
quemment pendant le sommeil ; enfin , c'est encore parce
que l'opium porte le sang à la tête , que cette substance a
la propriété de provoquer. des érections ; on sait l'abus qu'en
font les Turcs dans des vues de volupté.
Quoique indispensable pour l'accomplissement de la gé-
nération , l'érection n'est pas un phénomène dépendant de
noire volonté ; tantôt elle éclate contre notre vœu , et tantôt
elle ne lui obéit pas. Plus qu'aucun autre phénomène , elle
veut l'exclusion de tout autre acte , et ne souffre aucune
distraction. Rien n'est plus remarquable que le peu de con-
stance , le caprice en quelque sorte, avec lesquels le pénis
répond aux irritations, soit directes, soit sympathiques,
qui le provoquent. Quelquefois, c'est en vain qu'agissent
toutes ces irritations, l'homme se trouve enchaîné au mi-
lieu de ses plus vifs désirs. Ces mécomptes qui l'affligent et
le piquent sont sans doute souvent la suite de la faiblesse
ou de l'abus; mais souvent aussi ils proviennent de trop
d'amour, ou d'un sentiment de réserve et de crainte. On
sait que jadis on les rapportait à une influence magique,
et qu'on dirigeait les foudres de l'Eglise contre ce qu'on
appelait les noueurs d'aiguillette. Par la même raison ,
DE LA COPULATION. S'j
l'érection est un phénomène très mobile; le même instant
la voit tour-à-tour s'établir, cesser et revenir. Elle est en
général peu durable; après quelques minutes elle cesse , et
laisse l'organe revenir à sa flaccidité première. Elle est aussi
susceptible de degrés divers, depuis l'érection extrême, dans
laquelle le pénis a acquis une très grande roideur , jusqu'à
cette érection comme passive, dans laquelle cet organe n'a
fait qu'augmenter de volume sans devenir résistant, et ne
peut, ni vaincre les obstacles qu'opposent à l'approche les
parties extérieures de la génération de la femme, ni pro-
jeter le sperme assez loin pour effectuer la fécondation. Dans
le dernier âge, elle n'est plus possible, et s'est anéantie avec
la faculté de reproduction, dont elle est l'acte préparatoire.
Qu'est-ce qu'est cette érection , et quelle en est la cause ?
Evidemment elle consiste en une congestion du sang dans
le tissu érectile du corps caverneux, de l'urèthre et du
gland. Nous avons vu, en effet, que les artères du pénis
battaient avec plus de force, que ses veines étaient plus
grosses, que la peau était plus colorée. Swammcrdam et de
Graaf ayant coupé la verge d'un chien, dans le temps de
l'érection, non-seulement trouvèrent le tissu tout gorgé de
sang, mais ils virent l'organe revenir à sa petitesse, à sa
flaccidité, à mesure que le sang en coulait. On a fait la
même observation chez l'homme , dans certains cas chez
lesquels l'érection s'était conservée après la mort. Enfin,
Pechlin, de Graaf, M. Chaussier, ont, par des injections,
provoqué des érections artificielles dans des cadavres. Nul
doute donc que le pénis ne soit devenu plus gros et plus
roide, par suite de la plus grande quantité de sang qui a
pénétré son tissu. Mais quelle cause à déterminé en lui cette
congestion sanguiue ? Il y a eu ici plusieurs hypothèses.
Les Anciens accusaient une cause mécanique, la compres-
sion de la veine honteuse interne contre la symphyse du
pubis , lors du redressement de la verge vers l'abdomen :
comme c'est à cette veine honteuse qu'aboutit la veine ca-
verneuse, il devait résulter de sa compression stagnation du
sang dans le corps caverneux, et par conséquent gonflement
de son parenchyme. Les artères caverneuses étant plus so-
58 FONCTION DE LA GENERATION.
lides , ne cédaient pasà la pression, et continuaient d'apporter
du sang. C'étaient les muscles iskio -caverneux, qui en redres-
sant la verge, produisaient cette compression, et ils étaient à
cause de cela appelés les muscles èrecteurs. Cette première
théorie de l'érection est inadmissible. D'abord, toutannonce
que la congestion sanguine qui constitue l'érection estactive,
et non l'effet passif d'une compression : celane résulte-t-il pas,
et du battement des artères du pénis, et de la sensation de
plaisirqui précède et accompagne l'érection, et de l'augmen-
tation de chaleur de l'organe ? En second lieu, dans les autres
parties du corps où s'observent des érections, au mamelon du
sein, par exemple, on ne voit aucune compression propre à
produire le phénomène. Enfin , quel que soit le redresse-
ment de la verge contre l'abdomen , jamais la veine honteuse
interne n'est comprimée assez pour entraver la circulation
veineuse dans le corps caverneux. On avait même nié qu'elle
le fut le moindrement , et on avait dit que les muscles iskio-
caverneux, loin d'élever la verge, la tiraient en bas et en
arrière : mais on était en ceci tombé dans un extrême in-
verse. Evidemment les muscles iskio et buibo- caverneux
portent la verge en haut et en avant, surtout dans le pre-
mier temps de l'érection , quand l'organe est encore pen-
dant; car, lorsqu'il est redressé tout-à-fait, ils la tirent en
bas; et lorsqu'il est dans une situation moyenne, ils n'en
changent pas la direction. 11 est sûr aussi qu'ils contribuent,
par leur contraction , à l'érection , en exerçant une compres-
sion directe sur le corps caverneux dout ils embrassent les
racines , et en pressant la veine honteuse contre le ligament
périnéal. Mais il faut reconnaître, d'abord que leur con-
traction est convulsive; ensuite, que la compression de la
veine honteuse a la moindre part à la congestion de sang qui
constitue l'érection.
Aujourd'hui, cette congestion est dite active, et est attri-
buée à l'irritation que développe le tissu érectile du corps
caverneux. Cette irritation est, en eflet, ce qui commence
le phénomène, comme le prouve la sensation de volupté qui
le précède et l'accompagne. La dilatation du tissu érectiie,
et l'afflux du sang dans son intérieur, ne viennent qu'en-
DE LA COPULATION. 5 9
suite , et coïncidemment; et, par exemple, l'afflux du sang
est si peu la cause de la dilatation, que celle-ci souvent le
précède. D'ailleurs , toute irritation n'a-t-eîle pas pour effet
d'appeler plus de sang dans l'organe qui en est le siège? et
n'est-ce pas surtout un phénomène propre au tissu érectile ?
ce tissu n'a-t~il pas une organisation telle qu'il peut, ou se
dilater sous l'influence d'uue irritation , ou permettre l'accès
d'une quantité plus grande de sang en son parenchyme?
On peut presque considérer l'érection comme une sorte de
phlegmasie, mais qui n'est que passagère, et qui permet au
sang, dont l'afflux a produit la congestion , de retourner sans
désordre dans le torrent circulatoire. Nous n'avons pas besoin
de dire que la membrane fibreuse externe du corps caverneux
est étrangère à l'action; remplissant un pur office de conten-
tion , elle sert seulement à contenir l'érection en de justes
bornes. C'est le tissu érectile du corps caverneux, et celui
de la partie spongieuse de l'urèthre et du gland, qui seuls
l'effectuent : peut-être cependant il y a aussi redressement
spasmodique des lames que la membrane externe envoie dans
l'intérieur du corps caverneux, pour soutenir les ramifications
vasculaires. Jadis, on croyait que le sang qui a afflué était
épanchédansdescelîuîes, etparconséquentétait hors des vais-
seaux ; mais c'était dans le temps où l'on n'avait pas saisi la
véritable disposition du corps caverneux, lorsqu'onavait mé-
connu que ce corps caverneux consiste spécialement en des
plexusveineux. Aujourd'hui, on reconnaît que le sang est seu-
lementaccumuiédans ces plexus veineux ; M . Cuvier, en injec-
tant la verge de l'éléphant, MM. Chaussier, Béclard, par des
injections sur l'homme, s'en sont assurés. Dans l'idée que le
sang qui cause l'érection est dans des cellules et hors des vais-
seaux, comment concevoir d'ailleurs la promptitude avec
laquelle cette érection disparaît ? On s'est demandé si la con-
gestion du sang tient, ou à un afflux plus grand de ce liquide
par les artères, ou à un spasme et à une diminution d'action
des veines, qui conséquemment en exportent moins, ou à ces
deux causes à la fois. M. Cuvier professe cette dernière opi-
nion , en ajoutant cependant que le spasme des veines doit y
avoir la plus grande part; il se fonde sur ce que ce sont les
60 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
veines qui prédominent dans la structure du corps caver-
neux, et sur ce que c'est surtout aux veines que se terminent
les nerfs qui sont les conducteurs de l'irritation mentale.
Sans doute il faut bien une action spéciale de ces veines,
puisque ce sont elles qui forment plus particulièrement le
tissu érectile du corps caverneux, et que c'est ce tissu érec-
tile qui, en vertu de l'irritation dont il est le siège, ap-
pelle en lui le sang; mais cet appel prouve que le sang arté-
riel doit affluer aussi en plus grande quantité, et tous les
autres phénomènes qui accusent, dans cet acte d'érection,
une exaltation de la vitalité , en sont aussi la preuve.
Toutefois , par cette érection , le pénis a acquis la solidité
qui lui est nécessaire pour effectuer son introduction dans le
canal vulvo - utérin , malgré les résistances physiques que
peut présenter ce canal.
Mais pendant le séjour que cet organe fait dans les parties
de la femme , il faut que soit excrété le sperme qui doit ef-
fectuer la fécondation ; et voici le mécanisme de cette excré-
tion. L'introduction du pénis étant forcément accompagnée
de frottements, qui sont l'occasion d'une sensation tactile
voluptueuse, l'état d'érection persiste. L'excitation évidente
dans laquelle est cet organe se propage au reste de l'appa-
reil. D'un côté, le testicule augmente sa sécrétion, comme
le font les glandes salivaires , lorsque la présence d'un ali-
ment dans la bouche les excite; dès lors le sperme arrive
avec plus d'abondance aux vésicules. On croit d'ailleurs que
ce testicule est alors soulevé, rapproché de l'anneau , comme
secoué par les contractions convulsives sympathiques du
dartos et du muscle crémaster, et que le sperme qui remplit
ses vaisseaux intérieurs est alors poussé mécaniquement vers
les vésicules. Au moins , par ce soulèvement du testicule, le
canal déférent est devenu moins long et moins flexueux.
D'autre part, l'excitation saisit la vésicule elle-même; ce
réservoir se contracte , et projette, par le canal éjaculateur,
le sperme dans l'urèthre. Est-ce une contraction brusque,
énergique , qu'effectue la vésicule ? ou seulement une ré-
traction lente , en vertu de laquelle le sperme serait amené
doucement dans l'urèthre, le dardemeiit de ce fluide ne se
DE LA COPULATION. 61
faisant qu'au-delà ? On ne peut rien assurer; mais comme la
vésicule n'a dans sa texture rien de musculeux, qu'on ne
peut, déterminer en elle artificiellement aucune contraction
forte , et qu'enfin une sensation de plaisir qui augmente
progressivement semble marquer le passage graduel du
sperme dans l'urèthre , le dernier fait paraît être le plus
probable. Toutefois , le sperme arrivé dans l'urèthre porte ,
par sa présence, ce canal au plus haut degré d'orgasme ; cet
urèthre se rétracte avec énergie ; les muscles iskio et bulbo-
caverneux , transverse du périnée et releveur de l'anus, en-
trent sympathiquement dans une contraction convulsive ;
en même temps que les premiers maintiennent le pénis re-
dressé et dans une direction qui est en rapport avec l'orifice
de l'utérus au fond du vagin , ils concourent à exprimer dé
l'urèthre le sperme qui y est parvenu; et, par le concours
de toutes ces puissances , ce fluide est dardé, projeté au loin,
avec une sensation de volupté qui est la plus vive de toutes
celles que l'homme peut éprouver. Tout l'appareil est dans
un état d'orgasme extrême; l'urèthre a revêtu une sensibi-
lité qui lui est nouvelle; dans tout autre temps, l'excrétion
du sperme ne procurerait pas la même sensation de plaisir;
la volupté ressentie est telle, que l'homme est mis momen-
tanément hors de lui-même, et comme jeté dans une con-
vulsion générale. L'excrétion ne se fait pas d'une manière
continue, mais par jets, par saccades. Remarquons encore
en passant la bonté de la nature, qui, ici comme dans la
nutrition , a attaché une vive sensation de plaisir à l'accom-
plissement de l'acte qui était pour elle et pour nous d'un si
grand intérêt. La quantité de sperme qui est projetée a été
évaluée à deux gros ; mais nécessairement ceî a doit varier selon
le degré d'exaltation avec lequel l'acte s'accomplit, selon la
constitution individuelle, le temps qui s'est écoulé depuis
le dernier coït. On s'est demandé si les vésicules séminales
se vident en entier, ou si elles conservent encore un peu de
sperme? on ne peut le savoir; ce qu'il y a de sûr, c'est
qu'une seconde copulation peut suivre d'assez près une pre-
mière. En même temps que le sperme est excrété, les sucs
de la prostate et des glandes de Cowper le sont aussi : la
G 2 FONCTION DE LA GENERATION,
projétion de ceux-ci s'observe même dès les premiers temps
de l'érection, et précède l'éjaculation proprement dite. Toute
cette scène s'accomplit assez rapidement , surtout l'excrétion
spermatique. Cependant chez certains animaux, ceux sur-
tout qui n'ont pas de vésicules séminales, elle comporte un
temps assez long; et. par exemple, c'est pour que le sperme
ait tout le temps d'être déposé dans les parties de la femelle ,
que chez le chien, qui n'a pas de vésicules séminales, le
pénis, une fois introduit, se gonfle de manière à ne pouvoir
plus être retiré que lorsque l'excrétion du sperme achevée
en fera cesser l'érection.
L'éjaculation spermatique effectuée , l'éréthisme du pé-
nis cesse, les parties reviennent lentement à leur état
naturel, et le rôle de l'homme dans la génération est ac-
compli : cet être éprouve un sentiment général de lan-
gueur, d'abattement et souvent de tristesse, comme s'il
sentait qu'il vient de donner l'être à ses dépens, et qu'il
a diminué son fonds de vie.
§ III. Office de la femme dans la Copulation.
Chez la femme, les parties extérieures de la génération
sont disposées de manière à permettre mécaniquement l'in-
troduction du pénis; il n'y a pas besoin chez elle de
ce phénomène de Férection , que nous venons de voir être
un préalable indispensable pour l'homme ; la vulve laisse
libre l'entrée du canal vuWo- utérin. Ce n'est pas cepen-
dant qu'il n'y ait à l'introduction du pénis des difficultés
physiques plus ou moins grandes. Ces difficultés tiennent , à
la présence de la membrane hymen, à l'étroitesse naturelle
du vagin, à la turgescence du tissu érectile qui garnit l'in-
térieur de la vulve et du vagin , turgescence qui se fait
alors par les mêmes influences voluptueuses que l'érection
chez l'homme, à la contraction du muscle constricteur de
la vulve : ces difficultés sont grandes surtout aux premières
approches, et tellement que ces premières approches sont
généralement douloureuses pour les. deux sexes, accompa-
gnées de quelques déchirements et d'écoulement de sang,
DE LA COPULATION. 65
cruenta Venus. Mais c'est à l'homme à vaincre ces difficul-
tés physiques ; elles ne sont pour la femnie qu'une occasion
de douleurs. Du reste , elles entraient dans le plan de la
nature; d'un côté, elles piquent moralement l'homme et
augmentent son ardeur ; d'autre part , le pénis une fois in-
troduit dans le vagin , est mieux embrassé par ce canal; les
frottements qu'exercent sur lui les rides qui en hérissent la
surface interne, entretiennent mieux son excitation. D'ail-
leurs ^ ces résistances ne sont que légères; il y a rapports de
grandeur, de calibre entre le pénis et le vagin; et les mu-
cosités qui suintent de la surface interne de celui-ci, l'ex-
pansibilité dont est susceptible ce canal , permettent tou-
jours de les vaincre.
Mais si, à l'égard de cette introduction , la femme paraît
être passive, elle ne l'est pas dans le reste de l'acte; elle
participe de l'orgasme voluptueux de l'homme. Ainsi que
nous l'avons dit , il y a turgescence érectile du clitoris et de
tout le tissu spongieux qui tapisse l'intérieur de la vulve et
du vagin; cette turgescence se fait par le même mécanisme
quel'éreclionchez l'homme, et par les mêmescauses, savoir,
l'influence mentale du désir , et la stimulation exercée par
l'approche elle-même. Le spasme voluptueux se continue
pendant tout le temps du rapprochement, et, augmentant
graduellement, il arrive à un si haut degré, que la femme
est jetée dans un état convulsif et extatique , semblable à
celui qu'a présenté l'homme lors de l'émission du sperme.
Il se fait probablement alors dans les ovaires et les trompes
quelques mouvements que nous chercherons à caractériser
a l'article de la conception, et qui sont les analogues de
ceux qu'ont présentés chez l'homme les vésicules séminales
et l'urèthre. Il est certain au moins, que la volupié vive
qu'éprouve alors la femme ne tient pas au contact du sperme
qui est projeté , mais au jeu même de ses organes; car il est
possible que les moments auxquels les deux individus éprou-
vent le plus grand spasme ne coïncident pas. Il est certain
encore qu'il n'y a pas chez la femme d'éjaculation sperma-
tique; et les fluides que quelques femmes excrètent alors ne
sont que de simples mucosités vaginales.
64 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
On peut donc, à la rigueur, faire dans le rôle de" la
femme pour la copulation, le même partage que dans les
acles par lesquels l'homme l'a accomplie. Observons cepen-
dant que les femmes présentent ici beaucoup de variétés;
chez les unes, cet acte est accompagné de sensation déplai-
sir; chez d'autres, il est sans jouissance aucune , ou même
douloureux. Jadis une thèse fut soutenue sur cette ridi-
cule question : Est ne f démina viro salacior? Généralement
dans toutes les espèces animales le mâle est plus ar-
dent que la femelle, et cela est vrai aussi de l'espèce hu-
maine. On a demandé lequel des deux sexes éprouve dans
le coït plus de volupté , comme si l'on pouvait comparer des
sensations qu'autant qu'on les éprouve soi-même. Après le
coït , la femme a le même sentiment de faiblesse, de lan-
gueur et de tristesse que l'homme.
ARTICLE II.
De la Conception ou Fécondation.
La copulation , dont nous venons de traiter , est le seul
acte génital qui, comme commençant la reproduction , soit
laissé à notre volonté, Tous ceux qui vont le suivre se pro-
duiront irrésistiblement , et sans que nous en ayons con-
science. C'est de même que dans la fonction de digestion ;
la préhension de l'aliment était le seul acte volontaire,
tous ceux qui ont fait suite se sont accomplis d'eux-mêmes ,
indépendamment de toute volonté et sans aucune percep-
tion. Cette copulation, en outre, n'est qu'un acte prépara-
toire de la génération; elle ne sert qu'à produire la fusion ,
le rapprochement des matières , quelles qu'elles soient,
que fournissent l'un et l'autre sexe pour la formation de
l'individu nouveau; c'est cette formation , qu'on appelle^e-
condation , conception , qui est vraiment la chose impor-
tante. En effet, dans beaucoup d'animaux, dans tous ceux
chez lesquels l'œuf n'est fécondé qu'après avoir été pondu ,
il n'y a pas de copulation ; et dans les animaux , pour les-
quels un accouplement est nécessaire , souvent il y a con-
DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 65
ception, bien que cet accouplement n'ait pas eu lieu, ou
n'ait été effectué que d'une manière incomplète. Il suffit
que, d'une manière quelconque, y ait eu rapprochement des
matières que fournissent l'un et l'autre sexe, pour qu'il en
résulte formation de l'individu nouveau, ou du moins d'un
corpsqui sera apte à ie constituer après un certain nombre
d'évolutions, de métamorphoses déterminées. Or , c'est de
cette formation, de la conception , de la fécondation , dont
nous avons à nous occuper maintenant. Recherchons quelles
sont les matières fournies par l'un et l'autre sexe , comment
ces matières sont mises en contact, et comment de ce con-
tact résulte l'individu nouveau.
D'abord, la substance que fournit l'homme, et par la-
quelle il concourt à la génération , est évidemment le
sperme; c'est en effet ce qu'il projette dans la copulation.
Il excrète bien aussi les liqueurs de la prostate et des glan-
des de Cowper , mais ces sucs n'existent pas dans tous les
animaux, et probablement ils ne servent qu'à la lubréfac-
tion des parties, ou à la dilution du sperme. Au moins,
dans les fécondations artificielles que divers expérimenta-
teurs ont faites, et dont nous devons parler ci-après, on a
observé que le sperme, pour jouir de toute sa puissante fé-
condante, avait besoin de dilution, d'être délayé , d'être
étendu dans une liqueur. Au contraire , les testicules existent
en tous les animaux, et leur ablation suffit pour produire
la stérilité , bien que tout le reste de l'appareil génital sub-
siste et puisse effectuer le coït. On peut d'ailleurs en appe-
ler sur ceci aux animaux chez lesquels la fécondation s'ac-
complit à l'extérieur; on voit en eux, qu'évidemment le
sperme est projeté sur les œufs ; que , sans l'influence de ce
sperme, il n'y a pas de fécondation , et que c'est par ce
fluide seul qu'elle a lieu. Spallanzani examine comparati-
vement, dans de l'eau très limpide et hors de l'eau, des
grenouilles pendant qu'elles sont accouplées; il voit qu'au
moment où la femelle pond les œufs, le mâle lance, par
une pointe gonflée qui sort de son anus , une liqueur trans-
parente qui arrose ces œufs et les féconde. Pour avoir la
certitude que c'est la liqueur projetée par le mâle sur les
Tome IV. 5
66 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
œufs , qui a effectué la fécondation , Spallanzani habille
le mâle avec une culotte de taffetas ciré , et il observe alors,
d'une part, que la fécondation n'a plus lieu, et , d'autre
part, que la culotte est remplie d'assez de sperme pour qu'on
puisse en recueillir. Enfin , Spallanzani imprègne un pin-
ceau du sperme recueilli dans l'expérience précédente , et
tous les œufs qu'il louche avec ce pinceau sont fécondés.
Cette fécondation artificielle lui réussit, soit qu'il opère
sur des œufs déjà pondus, soit qu'il agisse sur des œufs en-
core renfermés dans l'oviductus, soit qu'il emploie le sperme
pur ou mêlé à d'autres liquides , du sang, de l'urine , de la
bile , du vinaigre , etc. Trois grains de ce sperme lui ont
suffi pour spermatiser et rendre fécondante une livre d'eau;
il suffisait pour la fécondation , d'un globule de cette eau,
qui ne devait contenir qu'un 2,994,687,500e de grain. Ce-
pendant , au-delà d'un certain degré d'extension du sperme,
il vit diminuer la puissance fécondante , à mesure qu'il
augmentait la quantité du véhicule. Déjà Jacobi avait fé-
condé artificiellement des œufs de poissons, en exprimant
sur eux la laite des mâles. Comme on pouvait objecter la
grande différence qui existe entre les batraciens et l'homme,
Spallanzani opéra sur un animal plus rapproché de notre
espèce; il choisit une chienne de la variété des barbets , et
qui avait déjà engendré plusieurs fois ; il l'enferma quel-
ques temps avant l'époque du rut; il attendit qu'elle en
présentât tout les signes , ce qui ne fut qu'après vingt-trois
jours de réclusion ; et lui injectant alors dans le vagin et la
matrice, à l'aide d'une seringue chaude à trente degrés, dix-
neuf grains de sperme qu'il avait retiré d'un chien , il vit la
ehienne au bout de deux jours cesser d'être en chaleur, et
mettre bas , au terme ordinaire , trois petits , qui ressem-
blaient à la fois et à elle et au chien qui avait fourni le sperme.
Rossi de Pise , et Buffolini de Césène ont répété cette expé-
rience avec le même succès. Enfin , MM. Damas et Pré-
vost , dans une suite d'expériences nouvelles sur la généra-
tion , ont aussi , avec du sperme , fécondé artificiellement
des œufs de grenouille. Ayant délayé dans de l'eau le suc
exprimé de plusieurs testicules, et y ayant ensuite plongé
DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 67
des œufs de grenouilles, ils ont vu ces œufs successive-
ment se gonfler et se développer; d'autres œufs, plongés
par comparaison dans de l'eau ordinaire, n'ont fait que
se gonfler, et après quelques jours se sont pourris.. Dans
leurs expériences, ces savants ont reconnu que le mucus
dont les œufs de grenouilles se revêtent dans la seconde
partie de Toviductus , sert à absorber le sperme , et à con-
duire cefluide à la surface de l'œuf; que, pour réussir dans
ces fécondations artificielles , il importe conséquemment
que le sperme soit délayé ; s'il est trop concentré , son ac-
tion est moindre. Ils se sont assurés enfin, que ce n'est pas
seulement la partie aqueuse du sperme qui est absorbée, mais
sa partie principale, puisqu'ils ont retrouvé des animalcules
mouvants dans l'épaisseur du mucus, et jusqua la surface
de l'œuf proprement dit: et nous verrons que ce sont ces
animalcules qu'ils considèrent comme la partie agissante
du sperme.
Il est donc certain déjà que le sperme est la matière four-
nie par l'homme pour la génération. Ce oremierfait con-
staté, recherchons jusqu'à quel point de l'appareil génital
de la femme ce fluide est projeté, et en quel lieu il agit.
L es physiologistes ont ici émis des assertions différentes , se-
lon le système qu'ils ont adopté sur l'essence de la généra-
tion. Selon les uns, le sperme ne parvient qu'à la partie
supérieure du vagin, sans pénétrer dans l'intérieur de l'u-
térus; et c'est parce que les vaisseaux du vagin l'absorbent
et le portent par les voies de la circulation jusqu'à l'ovaire
ou parce qu'il dégage une émanation spiritueuse qui se pro-
page jusqu'à cet organe , qu'il accomplit la fécondation.
Quel que soit , en effet , le trajet que parcourt le sperme , il
faut qu'il agisse sur l'ovaire ; car nous allons prouver tout
à l'heure que c'est à cet organe que se fait la fécondation.
Selon d'autres , le sperme est dardé jusque dans l'utérus
mais il ne va pas au-delà ; et c'est dans cet état que , se
mêlant à la matière, quelle qu'elle soit, que fournit la
femme, il accomplit la fécondation. Enfin, dans une troi-
sième opinion , l'on dit que le sperme , porté par l'éjacu-
lation jusque dans l'utérus , y est saisi par la trompe et
5.
68 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
est porté par cet organe, qui est alors en érection, jusqu'à
l'ovaire, auquel sa portion frangée, son pavillon, sont alors
appliqués.
De ces diverses opinions , la dernière est la plus vraisem-
blable , pour ce qui est de l'espèce humaine au moins. Dans
cette espèce, en effet , il est sûr, en premier lieu, que c'est
à l'ovaire que se fait la conception ; les grossesses extra-uté-
rines en sont la preuve. On a vu des fœtus se développer
dans l'ovaire même; on en a vu le faire dans le ventre,
les ovules ayant probablement échappé à la trompe au
moment où celle-ci, par son pavillon, les prend dans l'o-
vaire pour les conduire à l'utérus ; on a vu enfin des gros-
sesses de la trompe elle-même, les œufs s'y arrêtant et ne
parvenant pas jusqu'à l'utérus. Nuck a une fois déterminé
* cette dernière ; ayant appliqué sur une chienne , trois jours
après son accouplement, une ligature à l'une des cornes de
la matrice, il trouva deux fœtus arrêtés dans la trompe,
entre la ligature et l'ovaire. Ces cas insolites prouvent que
c'est à l'ovaire même que s'est formé l'individu nouveau ; s'il
s'était formé à des parties moins profondes , il aurait dû être
reporté à l'ovaire , et cela n'est pas probable , car , pour quel
but le serait-il ? On sait , d'ailleurs , qu'il suffit qu'une poule
soit cochée une fois pour pondre vingt œufs féconds; or ces
œufs ne sont excrétés que l'un après l'autre ; ils n'ont pu
conséquemment être fécondés qu'au lieu où ils étaient réu-
nis, c'est-à-dire à l'ovaire même. A la vérité , MM. Dumas
et Prévost croient devoir conclure de leurs derniers tra-
vaux , que le siège de la fécondation est l'utérus. Us se fon-
dent sur les trois raisons suivantes ; 10 dans leurs expérien-
ces 3 ils ont toujours trouvé le sperme remplissant les cornes
de la matrice ; et n'est-il pas naturel dès lors de ne placer le
siège de la fécondation , que là où le sperme est présent et
a pu agir? 2° dans les animaux dont les œufs ne sont fé-
condés qu'après avoir été pondus, évidemment la féconda-
tion se fait à un lieu autre que l'ovaire ; 3» enfin , dans
leurs expériences de fécondations artificielles, jamais ils n'ont
pu féconder d'œufs pris à l'ovaire. Mais aucuns de ces argu-
ments ne me semble une démonstration. Le premier n'est
DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 69
qu'un fait négatif; et dans une matière aussi délicate , est-
on sûr de tout voir, de ne rien laisser échapper ? Haller dit
avoir trouvé le sperme jusque sur l'ovaire; et c'est un fait
positifà opposer aux observations négatives de MM. Dumas et
Prévost. D'ailleurs, ces expérimentateurs disent que le pre-
mier jour après la copulation , le sperme n'était qu'au mi-
lieu des cornes utérines ; que ce n'était qu'après vingt-qua-
tre heures qu'il était parvenu à leur sommet; ils disent
l'avoir vu une fois jusque dans la trompe; or, ne sont-ce
pas là des indices du transport de ce fluide au-delà de l'u-
térus? et, particulièrement, aurait-on jamais dû le trouver
dans la trompe, si c'est à l'utérus que se fait la féconda-
tion? Le second argument n'est qu'une analogie dont on
peut contester l'application aux animaux supérieurs; d'a-
près cette analogie , la fécondation ne se ferait pas même à
l'utérus, mais en dehors de tous les organes. Quant au
troisième argument , l'impossibilité de féconder des œufs
pris à l'ovaire , d'abord MM. Dumas et Prévost conviennent
n'avoir jamais pu détacher ces œufs sans les blesser , et cela
a pu empêcher leur fécondation ; ensuite , Spallanzani a
réussi à l'effectuer. Concluons donc que , dans les animaux
supérieurs au moins , c'est à l'ovaire que se fait la féconda-
tion; et dès lors se trouve ruinée déjà cette première opi-
nion , qui plaçait le siège de cette opération dans l'utérus.
En second lieu , il est également sûr que le sperme est
projeté au-delà du vagin, et jusque dans l'utérus. En effet,
dans le coït, l'extrémité du pénis est placée dans le fond du
vagin, jusque contre l'ouverture de l'utérus; et que servi-
rait le rapport entre ces deux organes , si ce n'était pour que
le fluide projeté par l'un pénétrât dans la cavité de l'autre?
On avait même ditquel'extrémitédupénis s'engageait lorsdu
coït, dans l'orifice de l'utérus , mais cela est faux ; il est plus
probable que l'orifice de l'utérus, alors à moitié ouvert,
et dansun état de spasme, aspire le sperme. En second lieu,
l'idée que le sperme est absorbé par les vaisseaux'du vagin,
et va , par la voie de la circulation , influencer l'ovaire , est
inadmissible. Enfin, on a des preuves directes de la pénétra-
tion de ce fluide dans l'utérus; si Fabrice d'Jquapendente,
;o FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
Harvej , disent ne l'y avoir pas trouvé, d'autres expéri-
mentateurs ont été plus heureux; Ruisch l'a reconnu dans
l'utérus d'une femme surprise en adultère par son mari, et
tuée par lui; HallerYa. retrouvé dans la matrice d'une bre-
bis tuée quarante - cinq minutes après l'accouplement;
MM. Dumas et Prévost ont signalé ce même fait, et en
avaient conclu , comme nous venons de le dire , que la fé-
condation se faisait dans l'utérus.
Enfin, comme la conception a certainement lieu àl'ovaire,
il faut, ou que le sperme soit, lors de la copulation, projeté,
non-seulement jusque dans Tutérus, mais encore jusqu'à
l'ovaire; ou que de l'utérus, ce fluide agisse sur l'ovaire ,
par un aura seminalis ; ou bien enfin que , par une action
spéciale de la trompe, il soit conduit de Futérus à l'ovaire.
La première de ces suppositions ne peut être admise ; cer-
tainement, lors de l'éjaculation spermatique, le fluide ne
va pas jusqu'à l'ovaire , ou du moins ce n'est pas par l'in-
fluence du mâle ; les trompes ont trop d'étroitesse pour per-
mettre d'une manière aussi mécanique la projétion du
fluide. La supposition de Vaura seminalis n'est pas mieux
fondée; car, dans les animaux chez lesquels la fécondation
se fait à Fextérieur, on voit qu'il, y a contact direct du
sperme; et Spallanzani et MM. Dumas et Prévost, dans
leurs expériences de fécondations artificielles, ont reconnu
que ce contact était nécessaire , et que ces fécondations n'é-
taient jamais obtenues quand on soumettait seulement les
œufs aux émanations du sperme. Voici l'expérience par la-
quelle Spallanzani constata ce résultat : il prit deux verres
de montre susceptibles de s'adapter l'un à l'autre; dans
l'inférieur, il mit dix à douze grains de sperme, et dans
l'autre une vingtaine d'oeufs; après quelques heures, la se-
mence s'était évaporée au point que les œufs en étaient hu-
mectés, et cependant ils ne furent pas fécondés ; ils le furent
au contraire dès qu'on les eut touchés avec ce qui restait de
la semenca. L'expérience de MM. Dumas et Prévost est en-
core plus concluante. Ils préparèrent cinquante grammes
d'une liqueur fécondante, avec le suc exprimé de douze
testicules et d'autant de vésicules séminales ; avec dix gram-
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 71
mes de cette liqueur ils fécondèrent plus de deux cents
œufs. Les quarante grammes restants furent mis dans une
petite cornue à laquelle on adapta une alonge ; on plaça
dans celle-ci quarante œufs, dont dix occupaient la partie
la plus creuse, tandis que les autres étaient placés près du
bec delà cornue; l'appareil alors fut mis sous le récipient
de la machine pneumatique , et on enleva assez d'air pour
diminuer de moitié la pression atmosphérique; on dirigea
ensuite sur la panse de la cornue les rayons solaires , la tem-
pérature à l'intérieur s'éleva à 25 degrés; après quatre
heures on arrêta l'expérience , et voici ce qu'on trouva : les
œufs qui étaient au fond de l'alonge étaient baignés dans
un liquide clair, qui était le produit de la distillation; ils
s'étaient gonflés comme dans de l'eau pure; mais ils ne se
développèrent pas; il fallut pour cela les plonger dans la
liqueur qui était restée dans la cornue; les œufs qui étaient
placés tout près du bec de la cornue n'éprouvèrent aucun
changement. Ainsi, la partie de la semence qui avait été
retirée par la distillation, n'était pas apte à féconder,
tandis que celle qui restait avait conservé cette aptitude.
Certes , ce fait est tout-à-fait opposé à la supposition d'un
aura seminalis. Il faut donc que le sperme aille de l'utérus
à l'ovaire , par la trompe. Or, voici ce qu'on croit : dans le
spasme voluptueux qui existe lors de la copulation , la
trompe s'érige , applique son pavillon à l'ovaire , et apporte
le sperme à cet organe ; Haller dit qu'en injectant sur le
cadavre les vaisseaux de la trompe , il a vu ce canal se com-
porter ainsi; il dit avoir reconnu plusieurs fois, dans des
lapines, le sperme dans les trompes et jusque sur l'ovaire*
Qu'on réfléchisse d'ailleurs , combien il faut peu de sperme
pour la fécondation , à juger par les expériences de Spallan-
zani. Opposerait-on l'étroitesse des trompes ? mais dans les
végétaux , ne faut-il pas que le pollen traverse les vaisseaux
du style ? et ce «passage est-il moins étroit? On verra d'ail-
leurs la trompe se dilater assez pour permettre plus tard
le passage de l'ovule. Enfin , sans anticiper sur ce que nous
avons à dire des animalcules sperma tiques , il n'est pas pro-
bable , ai c'est un animalcule qui fait la fécondation, que
72 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
ce soit par une action de sa pain que cet animalcule gagne
l'ovaire. Tout annoncedonc que c'est une action directede la
trompe , qui conduit à l'ovaire la portion du sperme, quelle
qu'elle soit, qui effectue la fécondation.
Maintenant il faudrait caractériser l'action qu'exerce ce
sperme : mais auparavant, cherchons quelle malière fournit
de son côté la femme. Ce n'est, ni de l'appareil de copula-
tion, ni de celui de gestation , que provient cette matière ,
mais de l'appareil de gerniification. L'ovaire est en effet
dans le sexe femelle l'analogue du testicule dans le sexe
maie ; son ablation rend stérile aussi-bien que celle du tes-
ticule; il en est de même de ses maladies; il est, de tous
les organes génitaux, celui qui éprouve Jes plus grands
changements à la puberté ; il prend alors tout à coup un
tel accroissement, que son poids, qui égalait à peine dix
grains, s élève jusqu'à deux gros; à sa surface apparaissent
de petites vésicules , appelées vésicules de de Graaf, qu'on
n y voyait pas auparavant , et que la plupart des physiolo-
gistes considèrent comme devant fournir un œuf; il se flé-
trit aussi , et disparaît presque à l'âge critique ; nous avons
vu que c'était en lui que se passait la conception ; enfin ce
sont les ovaires qui vont nous offrir les plus grands change-
ments, immédiatement après un coït fécondant.
Fabrice d' ' Aquap en dente ayant tué des poules, peu de
temps après qu'elles avaient été cochées, examina leurs
ovaires, et vit que parmi les petits grains jaunes, ronds,
qui, disposés comme une grappe de raisin, constituent ces
organes, il y en avait un qui offrait une petite tache, dans
lequel se développaient des vaisseaux, qui prenait du vo-
lume, puis se détachait, était reçu par l'oviductus, se re-
vêtait en traversant ce canal tortueux et le cloaque de di-
verses couches etparticulièrement d'une enveloppe crétacée,
et était pondu sous la forme d'œuf. Harvey expérimen-
tant sur des biches, sur des femelles de daims , fit les mêmes
observations , et dit positivement que l'ovaire fournit un
œuf, et qu'il n'y a d'autres différences entre les animaux
sous ce rapport, sinon que chez les uns cet œuf éclôt en de-
hors après avoir été pondu, et que chez les autres il éclôt
DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 7 3
dans un réservoir de dépôt, dans une matrice. A l'appui de
cette opinion , militait l'analogie des animaux chez lesquels
la fécondation a lieu à l'extérieur, et dans lesquels ce que
fournissent les femelles paraît être des œufs qu'avivent les
mâles en les arrosant de leur sperme.
De Graaf, Malpighi , Valisnieri , H aller et beaucoup
d'au 1res , multiplièrent alors les expériences de ce genre ,
soit pour vérifier cette assertion de la fourniture d'un œuf,
soit pour découvrir en entier la série des changements qu'of-
frent les organes, depuis le moment même de la conception
jusqu'à la ponte de l'œuf ou la naissance de l'individu nou-
veau. De Graaf expérimenta sur des lapines : une demi-
heure après l'accouplement il n'aperçut rien encore , sinon
que les cornes de la matrice lui parurent un peu plus rou-
ges ; après six heures, les enveloppes des vésicules des ovaires
lui semblèrent rougeâtres ; après un jour, évidemment trois
vésicules à l'un des ovaires , et cinq à l'autre, se montrèrent
altérées , étaient devenues opaques , rougeâtres ; après vingt-
sept, quarante, cinquante heures , les cornes de la matrice
et leurs conduits avaient acquis beaucoup de rougeur, et
l'un des conduits embrassait l'ovaire ; après trois jours ,
l'extrémité supérieure du conduit embrassait l'ovaire, une
vésicule était dans ce conduit, et deux dans la corne droite
de la matrice ; ces vésicules étaient grosses comme des grains
de moutarde, dix fois plus petites que lorsqu'elles étaient
attachées à l'ovaire; elles étaient formées de deux mem-
branes , et remplies intérieurement d'une liqueur limpide.
Au quatrième jour, l'ovaire n'offrait plus qu'une espèce
d'enveloppe , que de Graaf appelle follicule , et qui semblait
être la capsule dans laquelle était l'œuf; celui-ci était alors
dans la matrice, y avait déjà grossi , et ses deux enveloppes
étaient bien distinctes. Y flottant jusqu'au septième jour,
ce n'était qu'alors qu'il contractait avec cet organe une ad-
hérence. Au neuvième jour, dans un point de la liqueur
claire qui remplissait l'œuf, de Graaf commença à aperce-
voir un petit point opaque , une espèce de nuage. Au dixième
jour, ce point avait la figure d'un petit ver. Au onzième , on
distingua en lui nettement l'embryon; et, à partir de cette
74 FONCTION D£ LA. GÉNÉRATION.
époque, cet embryon alla croissant jusqu'au trente-unième
jour, qu'arriva le part.
Les travaux de Malpighi , de Valisnieri font reconnaître
de même , qu'à la suite d'un coït fécondant , un corps se dé-
veloppe, grossit à la surface de l'ovaire, puis se rompt pour
laisser échapper un corps plus petit que saisit la trompe,
et que ce canal conduit dans l'utérus. Il y a seulement dé-
bats pour caractériser rigoureusement, ce qu'est le corps qui
se rompt , et celui qui s'en échappe. Ce dernier est , selon les
uns , un sperme analogue à celui du mâle ; selon les autres ,
un œuf; enfin, selon Valisnieri, Haigton , Baller , une
substance amorphe , mais qui , par des développements suc-
cessifs , deviendra l'individu nouveau.
Entre ces expérimentateurs se distingue surtout H aller y
qui , faisant couvrir le même jour un certain nombre de
brebis, de femelles d'animaux, les tue ensuite à des inter-
valles de plus en plus éloignés du moment de la copulation ,
afin d'embrasser toute la série des changements par lesquels
la vésicule est détachée de l'ovaire et conduite dans l'utérus.
Une demi-heure après le coït , une des vésicules de l'ovaire
lui paraît faire saillie , offrir sur sa convexité une tache
rouge, sanglante, et être prête à se rompre. Après une heure
et plus, la vésicule est rompue, et son intérieur est comme
saignant, enflammé. Graduellement, ce qui reste de la vé-
sicule à l'ovaire, et qui semble être son enveloppe, s'épais-
sit , et se change en un corps de couleur jaunâtre , que
Haller appelle, à cause de cela , corpus luteum. La fente par
laquelle la vésicule s'est vidée , se voit encore quelque temps
dans ce corpus luteum; mais vers le huitième jour, on ne l'y
voit plus. Au douzième jour, ce corps pâlit, commence à
diminuer; dès lors il continue de le faire jusqu'au terme de
la gestation ; et il se réduit à la fin à un petit corps dur,
jaunâtre, noirâtre, qui se laisse toujours distinguer dans
l'ovaire , ou au moins laisse en cet organe l'empreinte d'une
cicatrice. Quelquefois il persiste jusqu'après l'accouchement.
Son volume est d'autant plus gros, qu'on est plus près de
l'instant de îa conception. Dans la chienne, par exemple , au
dixième jour, il a plus de grosseur que la moitié de l'ovaire;.
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 7 5
cependant il ne provient que d'une seule vésicule. Dans
les animaux multipares, il y a autant de corps jaunes que
de fœtus.
Des physiologistes de notre temps, MM. Magendie, Du-
mas et Prévost ont aussi reconnu les mêmes faits. M. Ma-
gendie , opérant sur des chiennes , vit que trente heures
après l'accouplement, les vésicules les plus grosses de l'ovaire
avaient beaucoup augmenté; le tissu de l'ovaire qui les en-
vironnait était devenu plus consistant, avait changé de
couleur, était d'un gris jaunâtre. Cette partie était le cor-
pus luteum; elle grossit les trois et quatre jours suivants ,
ainsi que les vésicules; elle semblait contenir dans ses aréo-
les un liquide blanc, opaque, analogue à du lait. Alors les
vésicules rompirent successivement la tunique externe de
l'ovaire, et se portèrent à la surface de cet organe, lui ad-
hérant cependant encore par un de leurs côtés ; leur volume
était quelquefois celui d'une noisette ordinaire; rien en
elles n'annonçait un germe. Leur surface était lisse , et leur
intérieur rempli d'un liquide, mais qui ne se prenait plus
en masse comme avant la fécondation. Pendant qu'elles
étaient conduites dans l'utérus , le corps jaune restait à
l'ovaire, et s'y comportait ainsi que l'avait dit Hallcr.
Selon MM. Dumas et Prévost, rien n'apparaît encore dans
les ovaires le premier jour qui suit la fécondation ; mais dès
le deuxième jour, on voit plusieurs de leurs vésicules aug-
menter en dimension , et elles continuent de le faire pen-
dant les quatre ou cinq jours suivants , de telle manière que
de deux à trois millimètres de diamètre qu'elles avaient,
elles arrivent à en avoir huit. Du sixième au huitième jour,
les vésicules se rompent, et laissent échapper un ovule,
qui le plus souvent a été inaperçu , parce qu'il n'a qu'un
demi-millimètre de diamètre , mais que le microscope a fait
voir nettement aux expérimentateurs dont nous rapportons
les travaux. Jls appellent cette partie ovule, par opposition
à la partie qui s'est développée dans l'ovaire , et qu'ils nom-
ment vésicule. Celle-ci offre alors à sa surface externe une
fente sanglante, dans laquelle on peut glisser un stylet; et
par ce moyen l'on constate que cette vésicule offre alors une
7 6 FONCTION DE LA GENERATION,
cavité intérieure, qui est le vide qu'a laissé l'ovule en pas-
sant dans la trompe et la matrice. C'est au huitième jour,
dans la chienne , que se fait le passage de l'ovule dans l'uté-
rus ; tous les ovules ne passent pas en même temps , chacun
ne traverse la trompe que successivement, et cela comporte
un intervalle de trois à quatre jours. Arrivés dans la ma-
trice, ils y sont d'ahord libres et flottants; examinés à un
microscope qui grossissait douze fois les objets , ils ont paru
être une petite vésicule remplie d'un liquide albumineux
transparent. Observés dans l'eau , ils présentaient à leur sur-
face supérieure une apparence mamelonnée , avec une tache
blanche sur le côté; cette tache blanche est la cicatricule.
Bientôt ces ovules ont grossi , et au douzième jour on a pu
reconnaître en eux les fœtus.
De tous ces travaux, on a généralement conclu , que le
sperme , porté par la trompe à l'ovaire , a touché une ou
plusieurs des vésicules de cet organe ; que par suite ces vési-
cules d'abord se sont gonflées, puis ont brisé leur enveloppe;
qu'alors elles ont laissé échapper un corps quelconque, qu'on
a généralement considéré comme un œuf, et qui aété conduit
à l'utérus, pour y être le rudiment de l'individu nouveau.
À l'ovaire est resté le débris de la vésicule, ce qui était la
cupule, le péricarpe de l'ovule. Puisqu'en effet c'est à l'o-
vaire que se fait la conception, et dans l'utérus qu'a lieu la
grossesse, et puis qu'il n'y a que la trompe qui puisse conduire
d'un de ces organes à l'autre, il faut bien admettre que ce
canal , dans un premier temps , a porté le sperme à l'ovaire ,
et, dans un second, a transporté le corps quelconque que
fournit l'ovaire dans l'utérus. On en a d'ailleurs des preuves
multipliées : dans le spasme de la génération , toujours le
pavillon de la trompe s'applique à l'ovaire; de Qraaf, dans
ses expériences, l'a trouvé y adhérant encore vingt-sept heu-
res après l'accouplement ; pourquoi cette application, si ce
n'est pour porter et prendre tour-à-tour quelque chose à cet
ovaire ? M. Magendie a vu l'extrémité de la trompe appli-
quée à une vésicule. Les grossesses abdominales et tubaires
sont surtout un fort argument; si le pavillon de la trompe
laisse échapper la vésicule qu'il a saisie, il y a grossesse ab-
DE LA CONCEPTION OU FECONDATION. 77
dominale; si la vésicule s'arrête dans la trompe, il y a
grossesse tubaire. Nous avons déjà cité cette expérience de
Nuck , qui, ayant lié la trompe à une chienne, détermina
chez cet animal une grossesse tubaire. Haiglon ayant coupé
une des trompes à des lapines , et ayant fait ensuite couvrir
ces animaux, vit qu'elles n'eurent de gestation qne du côté
sain ; ayant fait cette section après Faccouplement , il vit
que, s'il opérait dans les deux premiers jours, il prévenait
la descente des ovules , mais que s'il n'opérait qu'après
soixante heures , les vésicules avaient déjà traversé la trompe,
et la gestation avait lieu. Enfin , on a une observation cu-
rieuse d'un chirurgien appelé Bussières , qui a vu un sac
ovoïde, gros comme une noisette , et contenant un embryon,
qui était à moitié déjà engagé dans la trompe , et à moitié
encore adhérent à l'ovaire. En vain opposera-t-on l'étroitesse
de la trompe ; M. Magendie a vu une fois ce canal ayant ac-
quis, dans ce cas , jusqu'à un demi-pouce de diamètre. Ce n'est
pasdansle moment même de la copulation que sefaitce pas-
sage; tout au plus alors la trompe conduit le sperme; cen'est
que plus tard que ce canal conduit l'ovule. L'époque , dit-on ,
diffère selon les espèces d'animaux; c'est au troisième jour
après la copulation, dans les lapines; au cinquième jour , dans
^bs chiennes ; plus tard encore dans les femmes, M. Maygrier
dit avoir observé un avortement de douze jours, et dont le
produit consistait en une vésicule tomenteuse à sa surface ,
et pleine d'un liquide transparent. Il y a cependant, dans
la thèse de M. Lallemand 3 une observation qui pourrait
faire croire que la vésicule de l'ovaire est saisie lors du
spasme qui accompagne l'acte de la copulation ; une femme
succombaau septième mois d'unegrossesse extra -utérine; elle
avait raconté qu'ayant été surprise, à l'instant du coït, par un
indiscret, elle avait éprouvé tout à coup une douleur à l'ab-
domen, à l'endroit même où se trouva par la suite le fœtus :
d'où il semblerait que l'impression morale qu'éprouva la
femme fit cesser tout à coup l'érectilité en vertu de laquelle
la trompe saisissait la vésicule, et que celle-ci dès lors tomba
dans le ventre. Mais ce récit n'a peut-être été fait par cette
femme qu'après l'événement, et il ne suffit pas pour contre-
78 PONCTION DE LA GÉNÉRATION.
balancer tous les faits qui portent à croire que ce n'est que
tard que la vésicule quitte l'ovaire.
Plusieurs questions se présentent ici. D'abord , par quel
mécanisme agit la trompe , soit pour conduire le sperme de
l'utérus à l'ovaire, soit pour transmettre lavésicule de l'ovaire
àl'utérus?On a dit que ce canal était de texture musculeuse,
et contractile à volonté : ces deux assertions sont également
fausses; il est plus probable que cet organe opère par une
action d'érectilité provoquée par l'orgasme, dans lequel sont
alors toutes les parties génitales.
Eu second lieu, est-ce le hasard qui décide celle des vési-
cules de l'ovaire qui est fécondée? ou en est-il une qui , par
une sorte de maturité, se prépare à la fécondation? Ce dernier
fait paraît certain des ovipares. MM. Dumas et Prévost ont
reconnu, non-seulement que les vésicules des ovaires des gre-
nouilles étaient de diverses grosseurs; mais que les plus grosses
étaient celles qui étaient pondues immédiatement , tandis
que les plus petites ne l'étaient que dans les années subsé-
quentes. Dans tous les animaux chez lesquels les œufs ne
sont fécondés qu'à l'extérieur, et après avoir été pondus,
ces œufs sont évidemment préparés pour la ponte. "Enfin , si
dans les oiseaux, jamais les œufs ne peuvent être fécondée
après la ponte, au moins celle-ci peut se faire d'elle-même,
indépendamment de toutes approches; beaucoup d'oiseaux,
quoique vierges , pondent. Mais se passe-t-il quelque chose
d'analogue dans les vivipares ? Plusieurs physiologistes le
croient. Déjà Buffon avait avancé que le corps jaune deHal~
1er, au lieu d'être le débris de l'ovule, en était le rudi-
ment; il disait que ce corps jaune était préexistant à la fécon-
dation , et qu'il l'avait trouvé dans des filles vierges. Depuis ,
Cruiksanck a dit avoir signalé sur des ovaires de lapines vierges
tous les changements relatifs à ce corps jaune; et Valisnieri,
Santorini, Bertrandi , M. Home surtout , l'ont dit aussi de
l'espèce humaine. Voici ce que professe ce dernier sur cette
question. A la puberté, apparaissent tout à coup à la sur-
face des ovaires, des vésicules qu'on n'y avait pas aperçues
d'abord. Dans les femelles des animaux, au temps du rut,
et dans les femmes, à des époques indéterminées, on voit
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 79
tout à coup l'ovaire devenir vasculaire , et développer un
corps jaunâtre , glandiforme , arrondi , très vasculeux ,
lobuleux,ouformé de circonvolutions mollasses qui saillent à
sa surface comme un mamelon. Dans la femme etles animaux
unipares, ce corps est unique et gros comme la quatrième ou
cinquième partie de l'ovaire; dans les animaux multipares,
il est multiple et petit à proportion. A un certain degré de
grosseur, il se crève , et laisse échapper une substance qu'on
ne connaît pas; la crevasse se remplit d'un sang qui se coa-
gule; le tout ensuite est succesivement résorbé , et à la fin
il ne reste sur l'ovaire qu'une cicatrice. Ces phénomènes
se répètent à toutes les époques du rut chez les animaux , et
dans tous les temps chez la femme jusqu'à l'âge critique.
Pendant que des vésicules, par une sorte de maturité , se
développent ainsi dans les ovaires , les trompes sont en tur-
gescence , en érection ; leurs franges sont, appliquées à l'o-
vaire , probablement pour recueillir ce qui échappera de
l'intérieur de la vésicule; leur attache à l'ovaire est telle,
qu'on les déchirerait plutôt que de les en séparer. Ainsi ,
les femelles des vivipares rejetteraient continuellement des
œufs inféconds , comme celles des ovipares; et la fécondité
dépendrait de la coïncidence de vésicules mûres avec la co-
pulation. Ainsi , ce qu'on avait pris jadis pour des effets de
la fécondation pourrait bien n'en être que les conditions.
M. Home assure avoir trouvé dans des ovaires de femmes
grosses, avec le corps jaune provenant de la fécondation
qui avait donné lieu à la grossesse, plusieurs autres corps
jaunes qui semblaient préparés pour les fécondations à ve-
nir ; ceux-ci seulement différaient du premier en ce qu'ils
n'offraient aucune déchirure , l'œuf étant encore dans leur
intérieur. Haigton, dans son expérience de la section d'une
des trompes pour empêcher toute gestation de ce côté,
trouva cependant des corps jaunes sans déchirure dans l'o-
vaire isolé.
Enfin , on s'est demandé si la vésicule , en traver-
sant la trompe, ne s'est pas modifiée, n'a pas acquis quel-
ques parties nouvelles * à l'instar de ce qui est des œufs des
ovipares. Celui des batraciens se revêt. , dans Ja seconde par-
8o FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
lie de la trompe, d'une couche de mucus épaisse d'un mil-
limètre; ceux des oiseaux ne sont à l'ovaire composés que
du jaune et de la cicatricuîe ou embryon; et c'est dans l'o-
viductus et le cloaque qu'ils se revêtent des blancs et de
l'enveloppe crétacée. Mais il est difficile de répondre à ce
. fait pour ce qui regarde l'espèce humaine ; et d'ailleurs
nous reviendrons là-dessus, en faisant l'histoire delà vési-
cule elle-même et de ses développements.
Tel est l'état de nos connaissances actuelles sur ce que
la femme fournit dans l'acte de la génération. Maintenant ,
il faudrait caractériser quelle espèce d'action exerce le
sperme sur les vésicules de l'ovaire, et comment de cette
action résulte l'individu nouveau. On sent que c'est dans
cette double connaissance que réside le mystère de la con-
ception. Or, on est en ceci dans une ignorance absolue : on
ne sait rien, sinon que le contact du sperme est une con-
dition nécessaire pour cette étonnante action. D'abord l'ac-
tion est toute moléculaire, conséquemment échappe aux
sens, et son résultat est ce qui seul annonce qu'elle a eu
lieu. Ensuite l'essence de cette action n'est pas plus péné-
trable que celle de toute autre; et tout ce qu'on peut en
dire , c'est qu'à l'instar de toutes les autres actions de l'éco-
nomie humaine , elle exige l'intégrité , la vie des parties
qui l'accomplissent; et qu'opposée à toute action physique
et chimique de la nature , elle doit être dite organique et
vitale y et, partant, être déclarée inconnue. D'une part,
il faut intégrité et du sperme et des vésicules de l'ovaire ,
pour que la fécondation ait lieu. D'autre part , il n'y a ici
aucune application physique possible; soit qu'on admette
la théorie dite de Y épigénèse 3 dans laquelle on croit que
l'individu nouveau se forme de toutes pièces par le mélange
de ce que fournit l'un et l'autre sexe; soit qu'on admette
celle dite de Y évolution , dans laquelle l'un des sexes est dit
fournir un germe , lequel, à la suite de divers développe-
ments , constituera l'individu nouveau. Dans le premier
cas, quelle force chimique peut-on invoquer? est-ce une
précipitation, une cristallisation? Dans le second cas, est-
il davantage possible de concevoir physiquement ou chimi-
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 8l
quement, et ce qu'est un germe, et ce qu'est l'avive-*
ment qui serait imprimé à ce germe? Il s'agit ici du
passage de ce qui n'est pas vie à ce qui est vie; et ne con-
naissant de la vie que son opposition avec la nature géné-
rale, iguorant ]a modification qu'ont subie les forces gé-
nérales pour produire les phénomènes vitaux , on doit
ignorer ce qu'est le phénomène de la fécondation. C'est une
action tout aussi inconnue , et encore plus incompréhen-
sible que toutes les actions vitales que nous avons exami-
nées jusqu'ici. Quelques efforts qu'aient fait les hommes
pour la pénétrer, ils ne sont arrivés qu'à des conjectures
plus ou moins spécieuses. Nous devons néanmoins rappeler
brièvement les hypothèses qui ont été faites à cet égard;
elles ont occupé trop de place dans la science pour que nous
les passions sous silence ; et, d'ailleurs , elles nous serviront
à approfondir davantage quelques faits.
Comme on le conçoit, les théories diverses sur la génération
ont dû dépendre des idées qu'on a adoptées sur la nature du
spermeet de l'opinion qu'on s'est, faite de la matière fournie
par l'ovaire. Relativement au sperme, les uns Font dit un
fluide formé des éléments de chacune des parties du corps hu-
main, et destiné conséquemment à reformer chacune de ces
parties; les autres l'ont considéré comme le véhicule d'ani-
malcules destinés à devenir, à la suite de plusieurs métamor-
phoses, l'individu nouveau, ou à en constituer l'élément
principal, le système nerveux ; la plupart enfin l'ont dit
un fluide, dont l'office unique était d'aviver un germe,
d'imprimer à ce germe le mouvement de vie et de dévelop-
pement. Relativement à la matière fournie par l'ovaire ,
mêmes dissidences : c'est une vésicule pleine d'un sperme ,
formé , comme celui du mâle, des éléments de chacune des
parties du corps , disent les uns ; c'est une vésicule desti-
née à servir de nid à l'animalcule spermatique, ou à lui
fournir de la matière nutritive, disent les autres; ceux-ci
en font une substance amorphe , mais ayant cette nature
gélatineuse qui la rend apte à recevoir la cause de la vie, à
développer le mouvement vital ; ceux-là en font un germe,
un œuf préexistant dans la femelle, ayant l'aptitude à for-.
Tome IV. 6
8a FONCTION DE LA GENERATION.
mer, sous l'influence fécondante du sperme , un individu
semblable à celui qui l'a fourni. De là , tant de systèmes
divers sur la génération; on en compte plus de 200; mais
tous peuvent être ramenés à deux, le système de Y épigénèse ,
et celui de {'évolution.
10 Système de l'éplgénèse. Dans ce système , on admet
que l'individu nouveau est formé de toutes pièces , par le
rapprochement de molécules qui avaient d'avance la dispo-
sition propre à le constituer, ou qui soudain l'ont reçue. Une
force, inconnue en elle-même, mais différente des forces géné-
rales de la matière, puisqu'elle a pour résultat la création
d'un être vivant, appelée tonr-à-tour force cosmique , plas-
tique, essentielle, nisus formativus , force de formation , a
présidé à ce rapprochement , et même a donné aussitôt à
l'être nouveau toutes ses parties avec leur coordination et
leurs propriétés. Du reste, les auteurs ont beaucoup varié
dans la manière dont ils ont conçu l'épigénèse; d'autant
plus qu'ils ont voulu faire l'application de ce système , non-
seulement à la reproduction journalière des êtres vivants
actuels, mais encore à leur origine première.
Ainsi, pour commencer par ce qui est de ce dernier ob-
jet, rappellerons-nous cette théorie des philosophes grecs,
Leucippe et Empédocle , qui disaient que l'univers avait été
primitivement un composé d'atomes errants dans un vide
infini, et que tous les corps qui y existent aujourd'hui ont
été formés par la réunion fortuite de ces atomes? A raison
du nombre infini de ces atomes, et des combinaisons
également infinies qu'ils ont dû former, furent produits,
il est vrai, beaucoup d'êtres incapables de prolonger leur
existence ; mais il s'en forma aussi quelques-uns capables de
pouvoir continuer de vivre , et ce sont ceux-ci que nous
voyons aujourd'hui. Malgré l'absurdité de cette hypothèse,
desmodernes l'ont accueillie: par exemple, Bourguet, qui dit
que les cristaux décèlent un commencement d'organisation,
et que les premiers êtres organisés ont été formés de même
que ces cristaux, par une sorte de cristallisation et de pré-
cipitation chimique. Tout ce que l'on sait de la différence
des corps inorganiques et organiques, sous les rapports de
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 83
îa structure et des actions , ne permet pas qu'on accueille
ce rapprochement. Parlerons-nous de ces savants qui , par
la supposition d'une force occulte, croient avoir surpris le
secret du Créateur, et avoir franchi l'abîme qui arrête ici
notre raison ? de Needham , qui admet, sous le nom de force
végétative e , une puissance chargée de la formation et du
gouvernement du monde organique ? de TVolf, de B lumen-
bach , qui admettent de semblables forces , sous les noms de
force essentielle , de nisus formatwus ? Il est trop évident
que ces savants ne font qu'exprimer le fait , et que, res-
tant sur la connaissance de la chose dans la même igno-
rance, ils se sont payés d'un mot. Dans ces derniers lemos,
M. Lamarck a abordé aussi cette question , et voici ses idées
à cet égard. Les premiers êtres organisés furent formés de
toutes pièces par une véritable génération spontanée ; ils
durent l'existence à l'influence d'une cause excitatrice de la
vie, probablement fournie par le milieu ambiant, et con-
sistant dans la lumière et le fluide électrique. Dès que cette
cause rencontra une matière de consistance gélatineuse.,
assez dense pour pouvoir retenir des fluides, elle l'organisa
en tissu cellulaire, et un être vivant fut fait. C'est ce qui
arrive encore tous les jours , dit le savant d'après lequel
nous parlons, à l'estrémilé de chacun des règnes végétal et
animal. Cet être dès lors manifesta les trois facultés de la
vie, nutrition, accroissement et reproduction ; mais il ne
les manifesta que dans les modes les plus simples. Bientôt
il se compliqua, car le propre du mouvement vital est de
tendre toujours à composer davantage l'organisation, à
créer des organes particuliers, à diviser et multiplier les
divers centres d'activité; et la reproduction ensuite conser-
vant constamment tout ce qui avait été acquis, de cette
manière se formèrent successivement des espèces nombreuses
et diverses, jouissant de facultés de plus en plus étendues.
Ainsi, dans ce système, la nature n'a créé directement
que les premières ébauches de la vie ; ce n'est qu'indirec-
ment qu'elle participe à l'existence des corps vivants plus
composés; ceux-ci proviennent des premiers à la suite d'un
temps énorme } de changements infinis, et d'une composi-
6.
84 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
tion toujours croissante dans l'organisatiou . la reproduc-
tion conservant toutes les modifications acquises, tous les
perfectionnements obtenus. Ainsi, un seul et même acte au-
rait suffi au Créateur pour produire la série si variée des
êtres vivants , et pour y ajouter encore. Mais il n'est pas de
notre sujet de nous égarer davantage dans ces profondeurs;
arrivons aux applications faites de l'épigénèse à la repro-
duction des êtres vivants actuels.
Hippocrate admettait que chacun des deux sexes possé-
dait deux semences, qui étaient l'une et l'autre le superflu
de leur nourriture, et des fluides constitués par des maté-
riaux provenant de toutes les parties de leur corps , et sur-
tout des plus essentielles, des parties nerveuses : de ces deux
semences , la plus forte engendrait les mâles , et la plus
faible les femelles. Dans l'acte de la génération, ces semen-
ces se mélangeaient dans l'utérus, et par l'influence de la
chaleur de cet organe, formaient, par une sorte de cristal-
lisation animale, le nouvel individu : celui-ci était un
garçon ou une fille, selon que c'étaient les semences fortes
ou faibles qui prédominaient. Hippocrate ne dit pas ce qui
arrivait quand il y avait prédominance de la semence forte
de l'un des sexes, et de la semence faible de l'autre. Cette
hypothèse se réfute d'elle-même ; l'existence des deux se-
mences dans l'homme est un fait faux; celle d'une semence
dans la femme est justement ce qui est en question; cer-
tainement au moins , la scène ne se passe pas dans l'utérus ,
mais à l'ovaire : que dire de cette idée qui fait provenir les
semences de toutes les parties du corps? Tout, dans cette
théorie, montre l'imagination faisant des suppositions, sans
même s'inquiéter si ce qu'elle suppose est en rapport avec
ce qu'on a pénétré des phénomènes.
Aristote est aussi peu positif. Ce n'est pas par une semence
que la femme sert matériellement à la génération, mais par
le sang de la menstruation ; ce sang est ce qui forme la base
de l'individu nouveau , et c'est le principe de l'individu
mâle qui lui imprime le mouvement vital et le façonne.
Dans un style métaphorique , Aristote dit que le sang mens-
truel est le marbre, le sperme le sculpteur, et le fœtus la
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 85
statue. Si ces deux grands homme, Hippocrate et Àristote,
n'avaient jamais procédé que de cette manière dans les
sciences , ils n'auraient pas acquis les droits éternels qu'ils
ont à notre reconnaissance et à notre admiration.
Beaucoup de modernes ont adopté la théorie à! Hippo-
crate 3 en la modifiant seulement selon les idées scientifi-
ques de leur temps. Ainsi, Descartes dit que c'est consécu-
tivement à un mouvement de fermentation qui s'établit
dans les semences de l'un et de l'autre sexe, que se forme
l'individu nouveau. Paschal, admettant que la semence du
mâle est acide , et celle de la femelle alkaline, dit que ces
deux semences se combinent en raison de cette diversité de
nature, pour constituer l'être nouveau. Mauperluis avance
que dans chaque semence existent des parties propres à
former chacun des organes du corps , et que , lors du mé-
lange de ces semences dans la génération, chacune de ces
parties s'attire et s'agrège par une sorte de cristallisation.
Buffon lui-même, par son fameux système des molécules or-
ganiques, ne fit que ressusciter les idées d: Hippocrate. Selon
cet éloquent naturaliste , il existe dans la nature deux sortes
de matières , une vivante et une morte. La première, à ja-
mais permanente dans son état de vie, consiste en une infi-
nité de petites particules incorruptibles, qu'il appelle mo-
lécules organiques. Ces molécules, en se combinant en plus
ou moins grande quantité avec la matière morte, forment
tous les corps organisés; et sans jamais se détruire, elles
passent sans cesse des végétaux aux animaux par la nutri-
tion de ceux-ci, et retournent des animaux aux végétaux,
par la mort et la putréfaction des premiers. Leur quantité
dans l'univers est à jamais déterminée. D'un autre côté, les
divers végétaux et animaux forment comme autant démoules
divers dans lesquels se rassemblent les molécules organi-
ques. D'abord, ces êtres ne font servir celles-ci qu'à se
nourrir et se développer; mais quand ils ont acquis tout
leur développement, ils renvoient en dépôt, dans leurs
organes génitaux, les molécules organiques superflues, ce-
pendant après que ces molécules ont, dans chaque partie du
corps, revêtu la forme de cette partie. C'est ainsi que se
86 FONCTION DE LA GÊNÉ NATION,
forment les semences de l'un et l'autre sexe , et que ces
semences sont des extraits de toutes les parties du corps.
Enfin , comme ces semences ne peuvent à elles seules en-
gendrer un individu nouveau, elles se mêlent dans la gé-
nération; et alors, la même force qui assimilait ces molé-
cules organiques aux parties du corps pour nourrir et faire
croître celles-ci , les fait s'agréger pour constituer un
être nouveau. Selon que dans le mélange prédominent les
molécules du mâle ou celles de la femelle, le fœtus est un
garçon ou une fille. Dans ce système, se nourrir, se déve-
lopper et se reproduire , sont des effets d'une seule et même
cause ; on s'explique pourquoi la génération n'est possible
qu'après l'âge de développement: pourquoi son abus mai-
grit et épuise; pourquoi, au contraire, les eunuques, les
animaux mutilés sont plus gras. Si les foetus ressemblent
tantôt à leur père, et tantôt à leur mère, c'est que tour-à-
tour chacun de ces deux individus fournit plus de molé-
cules organiques ; et si généralement dans l'espèce liumaine
il naît plus de garçons que de filles, c'est que les femmes ,
généralement plus faibles, fournissent une semence plus
faible aussi, ou en fournissent une moins grande quantité.
Selon Buffbn , enfin, les animalcules sperma tiques ne sont
que les molécules organiques, et la vésicule de l'ovaire, la
capsule portative de la semence de la femme. Malgré tout
le talent que ce grand écrivain mit dans l'exposition de
ce système, il est trop contraire aux faits pour être adopté.
Les molécules organiques sont une supposition gratuite; il
n'y a pas deux matières dans la nature; la matière orga-
nisée n'est que la matière générale que la vie a modifiée;
et sans cesse on voit cette matière organisée se détruire, et
au contraire la matière générale s'organiser. D'autre part ,
quelle idée vague que celle des moules formés par les divers
végétaux et animaux! Est-il sûr que la vésicule de l'ovaire
contienne une semence? Ces semences, surtout, sont-elles
formées d'autant de molécules diverses qu'il y a d'organes
particuliers dans le corps humain ? Où est la preuve d'une
pareille assertion? Si cela est, pourquoi des individus qui
ont éprouvé une mutilation quelconque engendrent-ils des
DB LA CONCEPTION OU FÉCONBATION* 87
enfants bien conformés ? D'où viennent dans ce cas les mo-
lécules des parties nouvelles dont étaient privés les parents?
D'où viennent celles qui forment les parties annexes des
fœtus ?
20 Système de l'évolution. Dans cette autre théorie, il
est dit que l'individu nouveau préexiste sous une forme
quelconque dans l'un des sexes , et , qu'avivé par l'autre
dans l'acte de la génération, il commence dès lors à éprou-
ver la série des développements qui doivent l'amener à for-
mer un individu indépendant. Les physiologistes n'ont pas
moins varié dans l'exposition qu'ils ont faite de ce système;
et l'on peut à son égard les partager en deux sectes, les
ovaristes et les animalculistes .
Les ovaristes professent que ce que fournit l'ovaire est un
œuf; et ils définissent l'œuf, une partie organisée, formée
d'un embryon et d'organes particuliers destinés à servir à la
nutrition et aux premiers développements de cet embryon,
et apte à devenir, après une série de développements, un in-
dividu semblable à celui dont elle provient. Tandis que les
partisans de l'épigénèse faisaient remplir aux deux sexes
un rôle également important dans l'acte de la génération,
les ovaristes attribuent le premier rôle au sexe femelle , et
disent que c'est plus particulièrement lui qui constitue les
espèces. Il est certain qu'en beaucoup d'espèces animales,
la reproduction n'exige qu'un seul individu, et alors il est
plus naturel de croire cet individu femelle, que de le dire
mâle. Ce système des œufs aduêtre inspiré par l'observation
des nombreux animaux ovipares : chez ces animaux, ce que
fournit la femelle pour lagénération est évidemment un œuf;
et chez beaucoup d'entre eux, cet œuf est pondu avant le-
rapprochement des deux sexes , <et est fécondé à l'extérieur.
Il était dès lors naturel d'étendre par analogie cette dispo-
sition aux autres animaux ; et c'est ce que Harvey fit le pre-
mier quand il posa cet axiome : omne vivum ab ow. Plus
tard, Stenon3 adoptant cette analogie, donna le nom d'o-
vaires aux testicules des femelles; et ensuite les travaux suc-
cessifs de de Graaf3 de Malpighi, de Falisnieri , de Bonnet.
de Spallanzani , etc. , sur la vésicule fournie par l'ovairev
83 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
et sur la marche de cette vésicule à travers la trompe, et
sur son arrivée dans l'utérus, parurent donner de ce sys^
tème une démonstration directe.
On invoquait d'ailleurs à son appui les considérations
suivantes : i°\& préexistence du germe a la fécondation dans
beaucoup d'êtres vivants. Dans les plantes , par exemple, la
graine existe en rudiments dans la fleur , bien avant que le
pollen , destiné à effectuer la fécondation , soit arrivé à sa
maturité. L'œuf préexiste de même dans les oiseaux , à tel
point que des oiseaux vierges pondent. Cela est encore plus
évident dans beaucoup de poissons , dans les reptiles batra-
ciens, chez lesquels l'œuf n'est fécondé qu'après avoir été
excrété. Spallanzani , d'ailleurs, a signalé la présence de
têtards dans des œufs de grenouilles non fécondés, elHaller
a fait la même remarque dans l'œuf, à l'égard du poulet; du
moins Hal/erdi vu que les œufs de poule non fécondés conte-
naient un jaune , et comme le jaune, selon lui, n'était qu'une
dépendance de l'intestin du fœtus, il en résultait que si le
jaune préexiste, le poulet préexiste aussi. 2° La partie nia*
rite qu'offrent quelques espèces animales de voir une seule
copulation féconder chez elles plusieurs générations succès-?
sives. Ce fait extraordinaire est réel en certaines espèces.
Par exemple, l'effet d'une fécondation s'étend chez les pu>
cerons, jusqu'à neuf générations, et chez les monocles, jus-
qu'à la quinzième. Or, pour que ces diverses générations
aient pu ainsi être fécondées , il fallait bien, disait-on, que
les germes dont elles proviennent préexistassent dans la
première. 3° Les emboîtements naturels et accidentels . L'oi-
gnon de jacinthe offre déjà les rudiments de la fleur qu'il
doit fournir; dans les bourgeons des arbres on signale,
mais repliées sur elles-mêmes et beaucoup plus petites, les
branches , les feuilles et les fleurs : dans les mâchoires de
certains animaux, se voient les germes de plusieurs séries
de dents; le volvoce, animal transparent, laisse voir dans
son intérieur plusieurs petits emboîtés les uns dans les au-
tres : qui n'a vu un œuf contenu dans un autre? enfin , on
a trouvé déjà plusieurs fois des fœtus htrflpains dans des
corps d'hommes; et nul fait de ce genre n'est plus remar-
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 89
quabîe, et mieux constaté que celui de ce garçon de Ver-
neuil , en Normandie , appelé Bissieu , qui vécut jusqu'à
Vàge de quatorze ans, et dont M. Dupujtren a consigné
l'histoire dans les bulletins de la Faculté pour l'année 1804.
4° Les métamorphoses. Dans les insectes et les batraciens,
qui sont les animaux qui nous offrent les métamorphoses
les plus saillantes, on voit que les formes qu'ils nous pré-,
sentent successivement sont évidemment emboîtées les
unes dans les autres; par exemple, dans la chrysalide, se
distinguent déjà les linéaments de la forme future du pa-
pillon ; et dans la chenille se voyaient déjà ceux de la
chrysalide : la grenouille aussi se laisse déjà voir sous la
peaudu têtard. 5°Siles deux considérations précédentes ne
fondaient que des analogies plus ou moins spécieuses, il
n'en est pas de même des expériences de fécondations arti-
ficielles, faites d'abord par Swammerdam sur clés grenouilles,
par Ro'êsel sur d'autres reptiles , et que Spallanzani répéta
ensuite avec tant de succès, comme nous l'avons vu; elles
semblaient constituer une démonstration directe, d'autant
plus que la quantité de sperme employée clans ces expé-
riences paraissait trop petite pour former l'individu nou-
veau, et pour être autre chose qu'un fluide d'avivement. 6°
Enfin, les ovaristes s'appuyaient sur les reproductions par-
tielles qu'offrent plus ou moins tous les êtres vivants. Il est
certain que tous les animaux peuvent plus ou moins repro-
duire les par ties de leur corps qu'ilsont perdues ; ils le peuven t
d'autant moins qu'ils sont plus élevés dans l'échelle. Ainsi,
les mammifères et les oiseaux ne régénèrent guère que les
pièces cornées de leurs enveloppes tégumentaires, les poils,
les ongles, les plumes: déjà certains reptiles, les lézards, par
exemple , reproduisent leur queue ; Les crustacés repoussent
leurs pattes; le limaçon, sa tête; le ver de terre reproduit
sa tète et sa queue; les étoiles de mer, les oursinset autres
radiaires , régénèrent les filaments qui leur ont été arra-
chés; enfin, dans le polype, cette puissance de reproduc-
tion est portée au point, que cet être étant coupé en plu-
sieurs morceaux, chacun de ces morceaux régénère ce qui
lui manque , et devient un individu parfait. Pour expliquer
90 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
ces faits, les ovaristcs disaient que chaque partie avait en
elle-même des germes destinés à la reproduire, et n'atten-
dant pour cela que des circonstances favorables; et ils ap-
puyaient cette singulière idée sur ce que Ton voit quelque-
fois les parties perdues se reproduire doubles. Mais cet ar-
gument est bien loin d'avoir la force des précédents, et
même il peut, à meilleur droit, être invoqué par les secta-
teurs de l'épigénèse.
Cependant on faisait aussi quelques objections à es sys-
tème. 10 On objecta la ressemblance des fœtus avec les
pères. Les ovaristes , à la vérité , expliquaient cette ressem-
blance par l'influence qu'exerce le sperme fécondateur : ils
disaient que, hors d'état de spécifier en quoi consiste cette
influence, il leur était impossible surtout de la limiter et
de fixer le terme auquel elle s'étend ; ils ajoutaient que la
ressemblance avec les mères est encore plus fréquente et
plus étendue. Mais il est quelques ressemblances qui sem-
blent contredire l'idée d'un germe préexistant : par exem-
ple , celles qui portent sur quelques monstruosités. On a
vu des hommes sex-digitaires donner le jour constamment à
des enfants également sex-digitaires. Faudra-t-il admettre,
avec les ovaristes , des germes originairement monstrueux ?
Certaines grossesses composées , doubles ou triples, ont paru
l'être par la seule influence paternelle. 2° On objecta le
mélange possible des diverses espèces vivantes. Dans le rè-
gne végétal , le mélange entre des espèces différentes est fré-
quemment observé , et donne lieu à ce qu'on appelle des
plantes hybrides. 11 en est de même dans le règne animal,
quoique avec moins de fréquence et de généralité : on con-
naît, dans notre économie rurale, le mulet et le bardot,
qui sont des produits de l'âne et de la jument , du cheval
et de l'anesse; des métis sont fréquemment obtenus chez les
oiseaux, entre le serin et le chardonneret, par exemple. Enfin,
si on marie une femme blanche avec un nègre , l'enfant est
déjà un peu nègre; et si les générations successives de cette
femme sont unies continuellement à des individus de la race
nègre, leurs produits s'éloignent de plus en plus de leur
souche primitive, et finissent par être des nègres parfaits.
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 91
Or, ces faits , qui montrent tous la grande influence qu'ont
les pères sur les qualités des fœtus, ne sont-ils pas autant
de contradictions au système des œufs préexistants? Les
ovaristes répondaient , d'abord, que ces accouplements ir-
réguliers ne sont guère possibles qu'entre des espèces et des
variétés fort rapprochées , et qu'on ne les a jamais observés
entre des espèces un peu distantes, par exemple, entre
l'homme et tout autre animal ; en second lieu , qu'ils ne
sont pas dans le vœu de la nature, et exigent toujours, pour
être obtenus, les efforts de l'homme; on ne voit pas, en
effet , dans nos bois le lièvre et le lapin s'accoupler, mal-
gré le rapprochement qui existe entre ces deux espèces;
enfin, que si ces métis sont laissés à eux-mêmes, dans les
générations successives , ils reviennent tous à la tige mater-
nelle. Kolkreulher ayant fait des hybrides avec des espèces
de nicotiane , des œillets, des jusquiames, a vu que, pour
les empêcher de revenir à la tige maternelle, il fallait à
chaque production nouvelle recourir à une aspersion nou-
velle de pollen. Cette objection , d'ailleurs, rentrait dans la
précédente, étant relative aussi à la grande influence exercée
sur les produits par les pères; et cette influence, les ovaristes ,
loin de la nier, l'expliquaient par l'influence du sperme fé-
condateur. 3° Enfin, à ce système des œufs préexistants, on
a opposé, et on oppose encore aujourd'hui les changements,
que la suite des siècles apporte sans cesse dans les espèces végé-
tales et animales qui vivent à la surface de notre globe. Déjà
Litmœus avait émis l'idée hardie, que de son temps il existait
plus d'espèces de végétaux que dans les temps anciens, el
qu'ainsi il s'était formé de nouvelles espèces végétales. Wilde-
now a adopté cette idée de Linnœus. Bonnet, quoique sectateur
zélé du système des œufs, a penséaussi que les espaces vivantes
se modifiaient avec le temps. Enfin, aujourd'hui, M. La-
marck professe que les végétaux et les animaux changent con-
tinuellement par les influences des climats, des aliments, par
les effets de la domesticité, parle croisement des races. Si les
espèces actuelles nous paraissent constantes , c'est, dit-il,
que les climats, et toutes les circonstances qui modifient ces
espèces, n'agissent sur elles qu'après un temps énorme; et
92 FONCTION- DE LA GENERATION,
qu'ainsi il faudrait beaucoup de vies d'hommes pour assister
à ces modifications et les constater. Selon lui , les effets bien-
avérés des climats, des aliments, etc., sur les végétaux et
animaux, ne permettent pas de nier théoriquement ces mu-
tations; et ce qu'on appelle en histoire naturelle les espèces
perdues, ne sont peut-être que nos espèces actuelles avant
qu'elles n'eussent été modifiées. Cette opinion de M. La-
marck est d'ailleurs en harmonie avec celle qu'il a émise
relativement à l'origine des êtres organisés : le mouvement
vital ayant , selon lui , pour attribut, de compliquer tou-
jours de plus en plus l'organisation, il y a nécessité que les
espèces aillent aussi en changeant sans cesse. Or , ce fait,
s'il est vrai , est encore contradictoire à l'idée d'un œuf pré-
existant. Mais les ovaristcs répondent que ce fait de la mu-
tabilité des espèces est loin d'être rigoureusement démontré;
qu'évidemment on peut reprocher à M. Laniarck quelque
exagération , comme quand on le voit faire provenir de
l'exercice presque toutes les parties de l'organisation des ani-
maux; et qu'enfin, en admettant cette mutabilité des es-
pèces , on peut concevoir que l'œuf préexistant est modifié
aussi avec le reste du corps.
Du reste , les auteurs de ce système , les ovaristes , offri-
rent entre eux trois principales dissidences. Les uns pro-
fessèrent que les œufs ou germes étaient disséminés dans
tout l'espace , et ne se développaient que quand ils rencon-
traient des corps capables de les retenir et de les faire
croître , c'est-à-dire qui fussent semblables à eux. L'univers
actuel n'était que le développement de beaucoup de germes
primitifs , formant dans leur ensemble un univers en petit.
C'est ce qui fonda le système de la dissémination des germes,
ou de la panspcrmie , que son absurdité a fait universelle-
ment rejeter. Les autres établirent que les germes sont ren-
fermés les uns dans les autres, et successivement tirés de
leur torpeur, et appelés à la vie par l'influence de la li-
queur séminale : de telle sorte que , non-seulement l'ovaire
de îa première femme contenait les œufs de tous les enfants
qu'elle a faiîs , mais encore qu'un seul de ces œufs contenait
la race humaine tout entière. C'est ce qui constitue le
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 9 3
système de V emboîtement des germes , dont Bonnet a été le
plus ardent défenseur. Mais l'esprit, avec raison 3 s'effraie
de cet emboîtement prétendu; où en sera le terme? il sup-
pose la matière divisible à l'infini; et si , pour échapper à
cette dernière objection, on dit que les êtres vivants actuels
doivent finir un jour, et qu'ainsi on doit à la fin arriver à
des œufs qui n'en contiendront plus d'autres, ii reste tou-
jours à dire comment la première reproduction s'est faite.
Enfin, les plus judicieux des ovarisîes établirent que chaque
individu fait ses œufs par une sorte d'action sécrétoire : le
fait des générations gemmipares , dans lesquelles on voit la
surface externe du corps pousser des bourgeons reproduc-
tifs; celui des nombreuses reproductions de parties dans
les divers êtres vivants, leur parurent confirma tifs de cette
idée.
En 1 674, Ham eiLeeuwenhoeck, d'une part , et Hartsœker
de l'autre, ayant découvert dans le sperme des animaux une
quantité prodigieuse de petits corps mouvants, et qui leur
paraissaient animés , cette découverte donna naissance à un
nouveau système sur la génération, celui des animalcules
spermaliqu.es. On admit que ces animalcules, à la suite de
plusieurs métamorphoses , formaient l'individu nouveau.
Tandis que dans le système de l'emboîtement, la première
femme avait été dite contenir tout le genre humain, ici
c était le premier homme qui contenait toutes les générations
futures, l'animalcule spermatiqueé tant le germe préexistant ,
un petit homoncule organisé , dans lequel étaient renfermés
tous les autres. À l'appui de ce système, on invoquait les
raisons suivantes : 10 li existe des animalcules dans le sperme
de tous les animaux, et, au contraire, on n'en trouve dans
aucune des autres humeurs du corps; 20 ces animalcules
diffèrent d'espèce à espèce , et, au contraire, sont toujours
semblables dans le sperme d'un même animal et dans celui
des individus d'une même espèce; 3° ils ne se montrent
dans le sperme de tout animal qu'à lage où la génération
est possible, et au contraire ils manquent dans le premier
âge comme dans le dernier; 40 leur nombre est si considé-
rable , que dans une goutte de sperme de coq, égalant à peine
94 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
en volume un grain de sable , il était de cinquante mille : et
ce nombre prodigieux, qui est en rapport avec la prodigalité
que déploie généralement la nature pour la reproduction de
toutes les espèces vivantes, permet d'expliquer pourquoi
Spallanzani , avec des atomes de sperme , a pu effectuer des
fécondations artificielles ; 5° enfin s on ne pouvait faire une
objection de la petitesse de ces animalcules, car il n'y a pas
plus de disproportion entre eux et l'animal qui en provient,
qu'entre une graine et un grand arbre. Ainsi , L'animalcule
spermatique fut présenté comme le rudiment de l'individu
nouveau. Il ne s'agissait plus alors que de décrire les phé-
nomènes , et, à défaut de l'observation , qui n'avait rien ap-
pris sur eux, on imagina. Leeuwenhoeck dit que les animal-
cules projetés dans l'utérus, y attiraient les œufs, et les y
convertissaient en de véritables embryons. An dry professa
qu'ils rampaient par la trompe jusqu'à l'ovaire ; qu'alors
l'un d'eux pénétrait dans une des vésicules de cet organe,
s'y enfermait, soit de lui-même, soit par l'action d'une
soupape qui l'obligeait d'y rester, puis revenait avec elle
dans l'utérus , pour y commencer ses développements au
moyen de la substance nutritive que renferme cette vésicule.
Mauperluis établit que les animalcules font prendre aux
molécules de la semence leur place propre, voulant concilier
ainsi ce système avec celui des séministes. Mais ces explica-
tions étaient trop évidemment hypothétiques pour réussir.
Spallanzani ne vit dans les animalcules spermatiques que
des animaux infusoires ordinaires, et objecta avoir effectué
des fécondations artificielles avec des guttules de sperme si
petites , qu'elles n'en contenaient évidemment aucun ; Baf-
fon les regarda comme ses molécules organiques; et un mé-
decin de Montpellier, Plantade, dans une brochure qu'il
publia sous le faux nom de Dalempatius , acheva de jeter
tout discrédit sur ce système , en disant avoir vu ces ani-
malcules se métamorphoser, et montrer déjà sous leur
enveloppe les formes humaines.
Cependant MM. Dumas et Prévost viennent de ramener
l'attention des savants sur les animalcules spermatiques.
Non- seule ment ils en affirment Fexistence, mais encore ils
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 9 5
les considèrent comme étant, dans le sperme , les agents di-
rects de la fécondation. D'abord , à l'aide du microscope y
ils les ont reconnus dans tous les animaux dont ils ont exa-
miné le sperme, et nous en avons cité un assez grand nom-
bre. Soit qu'ils examinassent ce fluide après son excrétion
par un animal vivant , soit qu'ils fissent l'examen du sperme
pris après la mort dans le canal déférent ou dans le paren-
chyme du testicule, ces animalcules y étaient également fa-
cilement apercevables. Ils les considèrent comme formant le
caractère spécifique du sperme, parce qu'ils n'existent que
dans cette humeur , et qu'ils manquent dans tous les autres
liquides du corps, même dans ceux versés avec le sperme dans
l'appareil génital, comme les sucs de la prostate , des glan-
des de Cowper, etc. Semblables pour la forme, la grandeur,
le mode de locomotion dans les divers individus d'une même
espèce, ils ont au contraire , dans chaque espèce , des formes
et des dimensions différentes. Ils n'éprouvent aucuns change-
ments dans la série des organes génitaux , et sont aussi par-
faits dans le testicule qu'au moment de leur excrétion;
c'est à tort que Leeuwenhoeck avait dit en avoir trouvé qui lui
paraissaient avoir des âges différents. Us étaient doués de
mouvements spontanés, qui ne s'arrêtaient que graduelle-
ment; après deux à trois heures, dans le sperme obtenu
pendant la vie par éjaculation; après quinze à vingt minu-
tes, dans celui pris après la mort, dans les vaisseaux; et
après dix-huit à vingt heures, dans celui laissé après la mort
dans ses propres vaisseaux. Pour les croire utiles à la géné-
ration, il suffisait sans doute d'observer qu'ils n'existent
que dans le sperme; mais combien le soupçon devient plus
fondé, s'il est vrai qu'ils n'y existent qu'aux temps où la
fonction est possible ? Or, dans l'espèce humaine, le sperme
n'en offre aucuns dans le premier ni le dernier s.ges; et,
dans la plupart des oiseaux, ils ne se montrent dans cette
humeur qu'aux époques fixées par la nature pour l'accouple-
ment de ces animaux. Ces mêmes faits prouvent aussi que
ces animalcules ne sont pas des infusoires , d'autant plus
que ceux-ci manquent généralement dans les humeurs des
êtres vivants. Il était remarquable d'ailleurs qu'ils étaient
96 FONCTION DE LA GENERATION,
liés à l'état physiologique de l'être qui les fournissait ; leurs
mouvements étaient rapides ou languissants, selon que l'a-
nimal qui avait fourni le sperme dans lequel on les obser-
vait était jeune ou vieux, en état de santé ou malade.
Enfin , outre ces diverses raisons , voici quelques faits et
expériences qui portent MM. Dumas et Prévost à considérer
ces animalcules comme les agents exclusifs de toute fécon-
dation : i° Dans leurs recherches sur l'œuf des mammifè-
res, ces savants ont vu les animalcules remplir les cornes de
la matrice, et y rester vivants et mouvants, jusqu'à la des-
cente des ovules dans cet organe; ce n'était qu'alors que ces
animalcules graduellement se détruisaient et disparaissaient.
2° Certainement les animalcules sont ce qu'il y a de plus
notable dans la partie épaisse du sperme; et il a été prouvé
plus haut que le sperme ne féconde que par celle-là, et non
par aucune portion volatile, ni par un aura seminalis. 3° Le
sperme , après vingt heures , perd sa faculté fécondante ; et,
dans ce même intervalle de temps, on voit les animalcules
qui y existent cesser graduellement leurs mouvements et
périr. 4° De même que la liqueur recueillie du sperme dis-
tillé ne féconde plus, tandis que ce qui est resté dans la
cornue a conservé la propriété fécondante, de même la se-
mence évaporée à siccité , puis délayée dans de l'eau , n'a
plus fécondé. 5° Enfin, daus deux expériences, MM. Dumas
et Prévost n'ayant détruit dans le sperme que les animal-
cules, ont par suite enlevé à cette humeur sa faculté fécon-
dante. L'une de ces expériences a consisté à tuer, par l'ex-^
plosion suffisamment répétée d'une bouteille de Leyde , tous
les animaux qui étaient dans une liqueur spermatisée, et
dont on avait constaté auparavant la puissance fécondante.
Dans l'autre expérience, on a versé, à plusieurs reprises,
sur un filtre quintuple , de la liqueur spermatisée , jusqu'à
ce que tous les animalcules fussent retenus sur le filtre ; et
on a vu que, tandis que la liqueur filtrée ne pouvait plus
effectuer de fécondation, la portion retenue par le filtre
avait cette faculté. Déjà. Spallanzani avait fait cette dernière
expérience, et en avait obtenu ce résultat; seulement ce
savant ajoute qu'il effectua des fécondations avec l'eau dans
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 97
laquelle furent lavés les papiers qui avaient servi de filtres.
Enfin, MM. Dumas et Prévost, d'après ce qu'ils ont pu
découvrir des premiers linéaments du fœtus , conjecturent
que l'animalcule spermatique forme le système nerveux du
nouvel être, et que l'ovule ne fournit que la gangue cel-
luleuse dans laquelle se formeront les organes. Pour prévenir
l'objection tirée des très petites quantités de sperme avec
lesquelles Spallanzani et eux-mêmes ont fait des féconda-
tions artificielles, ils ont, par une expérience positive,
constaté la petitesse extrême des animalcules spermatiques :
il ont délayé les vésicules séminales d'un mâle de grenouille
dans dix grammes d'eau, et mettant ensuite une goutte de
la liqueur sur un micromètre divisé en fractions de milli-
mètres, ils se sont assurés qu'un cube d'un cinquième de
millimètre de côté, contenait de cinq à six animalcules; et
qu'ainsi il existait de trois à quatre cents animalcules dans
un seul millimètre cubique de la liqueur.
Tout en applaudissant à ces travaux de MM. Dumas et
Prévost, ils ne nous paraissent encore prouver que deux
choses, savoir, l'existence des animalcules dans îe sperme,
et la part active que ces animalcules ont dans la génération i
mais ils laissent aussi ignorer comment celle-ci se fait, ce
qui était le problème à résoudre. Nous nous taisons sur cette
idée que l'animalcule forme le système nerveux du fœtus;
MM. Dumas et Prévost ne la donnent eux-mêmes que pour
une conjecture.
De ces nombreuses hypothèses créées pour expliquer la.
génération , évidemment aucune ne satisfait un esprit sé-
vère. D'un coté , comment appliquer l'épigénèse à la for-
mation primitive de l'embryon humain ? On conçoit la for-
mation de toutes pièces d'un corps composé de molécules
toutes semblables, et ayant partout la même figure, la
même nature; d'un cristal, par exemple. Mais dans un être
vivant les molécules primitives ne sont pas identiques;
chacune doit avoir dans l'ensemble de l'être une place dé-
terminée ; l'être ne peut exister que consécutivement à leur
coordination , et non par parties séparées ; est-il possible
d'accorder de pareilles nécessités, soit avec un simple mé-
TOME IV. * 7
rç8 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
lange des semences, soit avec un envoi fait par chaque partie
du corps de molécules spéciales et aptes à former ces par-
ties ? D'un autre côté, que d'objections contre le système de
révolution ? Si la première femme ou le premier homme
contenait tout le genre humain, chaque œuf de l'une,
ou chaque homoncule de l'autre , devrait contenir à la fois
deux espèces d'œufs ou d'animalcules spermatiques , les uns
mâles et les autres femelles; les uns ne devant se déve-
lopper qu'une fois, et les autres au contraire devant ren-
fermer dans leur intérieur une suite indéfinie de généra-
tions. Or, y a-t-il , dit Buffon , auteur de cette objection,
la moindre probabilité dans une semblable supposition ?
Dans le système de l'évolution , qu'on admette un œuf ou
un animalcule, ce rudiment du nouvel être est dit contenir
en raccourci, non-seulement toutes les parties de l'individu
arrivé à son développement complet , mais encore tous les
individus oui doivent eo provenir dans la suite des temps.
Or, cette dernière idée, observe judicieusement M. La-
marck , ne peut s'appliquer à ce genre d'êtres vivants qu'on
appelle êtres composés ; et quant à la première , elle est
contredite par les faits : quand on suit les phases diverses
par lesquelles passent les organes dans la suite des âges, on
se convainc que ces organes sont évidemment formés de
toutes pièces , en vertu de lois , inconnues sans doute , mais
qui les renferment en certains types déterminés. Enfin,
dans ce système de la préexistence des germes, on ne fait,
dit avec raison M. Geoffroi Saint-Hilaire , que reculer la
difficulté; ou mieux, c'est déclarer , à l'aide d'une propo-
sition contradictoire en elle-même, qu'elle n'existe pas. En
effet, le problème à résoudre est le mode de formation d'un
nouvel être vivant. Or, d'une part, supposer cet être
préexistant, c'est déjà déclarer le problème nul; c'est sup-
poser la chose faite de toute éternité, pour échapper à l'em-
barras de dire comment elle se fait : c'est au moins ne faire
que reculer la difficulté, ^ car dans cette hypothèse d'un
germe préexistant, il reste toujours à dire ce qu'est l'in-
fluence qui arrache soudain ce germe à sa torpeur et l'ap-
pelle à la vie. D'autre part, que veulent dire rigoureuse-
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. 99
ment ces mots, préexistence du germe? D'un côté, préexis-
tence exprime l'idée d'une existence qui est avant d'être ,
et il y a là contradiction. D'un autre côté, le mot germe
n'est pas bien précisé ; en vain dira-t-on que la vue d'une
graine, d'un œuf, en donne l'idée; en vain définira-t-on
le germe, la réunion d'une quantité quelconque d'éléments,
qui avec d'autres qui sont puisés au dehors, forment par
un travail intestin un corps organisé ; ce qui prouve qu'à ce
mot on n'attache qu'une idée vague, c'est qu'on a successi-
vement réduit ce qui est proprement le germe , à une partie
de plus en plus petite de la graine, de l'œuf, à une partie
tellement petite qu'elle n'a plus été vue, et n'a plus été
presqu'une conception abstraite de l'esprit.
Ces objections au système de l'évolution ont paru tel-
lement fortes que, malgré tout l'éclat dont a joui ce système
dans le siècle dernier, la plupart des physiologistes de nos
jours reviennent à celui de l'épigénèse, se bornant à expri-
mer par ce mot que l'individu nouveau à son origine est
formé de toutes pièces, mais avouant leur ignorance sur le
mécanisme de cette formation. En effet, nous avons vu,
d'une part, que plusieurs naturalistes croyaient, avec assez
de vraisemblance, à l'existence de générations spontanées
aux derniers degrés de l'échelle végétale et animale. Nous
verrons, d'autre part, que le fœtus humain présente, dans
la série de ses développements , les principales formes d'or-
ganisation qu'offre la généralité du règne vivant. Or, n'est-
ce pas là un premier argument propre à appuyer, qu'à sa
première origine il se fait par une génération spontanée,
par conséquent de toutes pièces ? Un second argument est
tiré du mode de développement des organes, qui évidem-
ment consiste, non en une évolution, mais en une véri-
table formation par l'aggrégation successive des molécules
matérielles qui les composent? Mais les physiologistes de
nos jours se bornent à cette généralité, et avouent leur
ignorance sur le reste. Et en effet, s'ils avaient découvert le
mystère de la génération, ils auraient pénétré le secret de
la vie; et nous avons vu que jusqu'à présent toutes les ac-
tions vitales nous sont inconnues, et que nous ne savons
7-
100 FONCTION DE LA GENERATION,
d'elles que leur opposition , ou au moins leur dissemblance
avec les actions physiques et chimiques générales. Parmi les
conjectures qui ont été faites, nous citerons les suivantes :
M. Lamarck, croyant que la cause de la vie est matérielle
et puisée dans l'élément ambiant, et qu'il se forme des
êtres vivants toutes les fois que cette cause de vie, quelle
qu'elle soit , rencontre uue matière gélatineuse demi-fluide,
pense que c'est aussi de cette manière que se fait, à sa pre-
mière origine , l'embryon humain: il ajoute que, de même
que dans la suite des temps , les premiers êtres vivants s'é-
taient compliqués graduellement de manière à former les
êtres vivants actuels, de même aussi l'embryon humain , de
ce premier degré d'organisation si simple, s'élève successi-
vement à celui qui constitue son espèce. M. Rolando, sem-
blablement à MM. Dumas et Prévost, exprime que l'indi-
vidu nouveau résulte de la réunion du système cellulo-
vasculaire fourni par la mère, et du système nerveux fourni
par le mâle , considérant la substance amorphe qui provient
de l'ovaire comme étant les rudiments des systèmes vascu-
laire et cellulaire qui sont les premiers fondements de l'é-
conomie, et l'animalcule spermatique comme étant celui
du système nerveux. Mais c'est assez nous arrêter à toutes
ces hypothèses; achevons l'exposition de ce que nous savons
de positif sur l'acte de la conception.
La conception est un acte qui s'accomplit sourdement et
sans être perçu. On a prétendu que quelques femmes recon-
naissaient par un frisson, une douleur à l'ombilic, un
trouble quelconque dans l'abdomen , qu'elles venaient tout
à coup de devenir mères : mais outre que ces signes préten-
dus sont des plus vagues , le plus souvent la conception se
fait sans qu'on sente rien, et c'est un acte dont on a aussi
peu conscience que de celui de la chimification.
C'est aussi un acte lout-à-fait indépendant de la volonté :
on ne peut ni faire qu'elle ait lieu , ni influer sur ses pro-
duits. La première de ces propositions est universellement
avouée; telle femme qui désire des enfants ne peut en avoir;
et telle autre devient enceinte à chaque rapprochement. Il
y a cependant à cet égard une différence entre l'espèce hu-
DE JLA CONCEPTION OU FÉCONDATION. iOi
maine et les animaux. Chez ceux-ci la génération n'est pos-
sible qu'à une époque déterminée de l'année; mais aussi
presque toujours un premier accouplement est suivi de fé-
condation , probablement parce que les organes génitaux de
l'un et l'autre sexe, mais surtout ceux de la femelle, sont
dans un état d'excitation convenable. Dans l'espèce humaine
au contraire, la génération peut s'accomplir toute l'année ;
les organes génitaux ont en tout temps le degré d'excitation
convenable à l'accomplissement de la fonction, ou au moins
peuvent momentanément l'acquérir; mais il arrive bien
plus souvent qu'un rapprochement n'est pas suivi de fécon-
dation, probablement parce que l'excitation des organes est
moins grande. Du reste, les causes de la stérilité sont dif-
ficiles à pénétrer, toutes les fois qu'elles ne résident pas en
des obstacles physiques qui empêchent l'application du
sperme à l'ovaire : on parle de mauvaises qualités dans ce
sperme et dans les vésicules de l'ovaire, mais sans préciser
ces mauvaises qualités : on dit qu'il faut un rapport entre
ces deux matières , mais sans spécifier en quoi consiste ce
rapport. Hippocrate disait que la fécondation était d'autant
plus sûre, que les deux époux différaient plus l'un de l'au-
tre par le tempérament; mais l'état particulier de l'appa-
reil génital doit avoir plus d'influence ici que l'état général
du corps. Ce qui paraît plus certain , c'est qu'il y a d'au-
tant plus de probabilité pour la fécondation, que les deux
individus éprouvent dans le rapprochement le même spasme,
et que le pénis est plus en face de l'ouverture de l'utérus.
Elle arrive aussi plus facilement quand l'approche a lieu
après les règles, soit parce que l'utérus reste alors un peu
plus ouvert , soit parce que tout l'appareil a conservé un
reste d'excitation. Deux thèses ont été faites sur les ques-
tions de savoir si les femmes les plus ardentes et les plus
belles sont les plus fécondes : An quo salacior mulier, eo
Jœcundior? Anformosœfecundiores? Les auteurs de l'une
et de l'autre ont conclu négativement : on conçoit que la
première de ces circonstances peut avoir une influence sur
la fécondation; mais à coup sûr la seconde, c'est-à-dire la
beauté, ne peut en avoir aucune.
102 FONCTION DE LA GENERATION.
Non-seulement c'est irrésistiblement que la conception a
lieu ou n'a pas lieu, mais encore c'est indépendamment de
toute volonté, que la grossesse est simple ou composée.
Sans doute, la nature a réglé par avance le sort de chaque
espèce animale à cet égard; elle a fait les unes multipares ,
et les autres unipares : mais les lois qu'elle a posées sous ce
rapport sont susceptibles de quelques variations , et la vo-
lonté ne peut rien sur ces variations. Les animaux multi-
pares, par exemple, ne font pas toujours le même nombre
de petits; et la femme, qui ordinairement n'accouche que
d'un enfant, fait quelquefois des jumeaux. Tout en avouant
notre ignorance sur la cause de ces variations , voici quel-
ques observations faites à leur égard. Les jumeaux survien-
nent une fois à peu près sur quatre-vingts grossesses. Les
exemples de trois enfants sont plus rares : sur trente-six
mille accouchements qui ont été faits dans une espace de
temps donné à l'hospice de la Maternité, il n'y a eu que
quatre grossesses triples. La femme d'un paysan moscovite ,
dont je vais parler tout à l'heure, a accouché plusieurs fois
de quatre enfants; mais, sur cent huit mille accouchements
qui ont été faits, dans un espace de soixante ans, tant à
l'Hôtel-Dieu de Paris qu'à l'hospice de la Maternité, ce fait
ne s'est pas présenté. On a parlé de grossesses de cinq en-
fants et plus; mais tous les cas cités sont évidemment apo-
cryphes. Auquel des deux individus doit-on rapporter les
grossesses composées ? Les sectateurs de l'évolution croient
que c'est à la femme; ils supposent que dans le coït plu-
sieurs vésicules de l'ovaire ont été fécondées. Les fauteurs
du système des animalcules les rapportent au contraire au
père. On a des faits en faveur de l'une et l'autre opinion :
certaines femmes ^ mariées successivement à plusieurs
hommes , ont toujours eu des grossesses composées; et
certains hommes ont présenté le phénomène inverse. À ce
dernier propos, nous citerons les faits suivants : Ménage
parle d'un homme appelé Brunet, dont la femme, en sept
couches, fit vingt-un enfants, et qui , ayant abusé de sa ser-
vante, la rendit enceinte de trois enfants. En **j'5>5., on
présenta à l'impératrice de Russie un paysan appelé Jacques
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. io3
Kirnhof , marié en secondes noces , et âgé de soixante-dix
ans; sa première femme avait fait cinquante-sept enfants
en vingt-une couches, elle avait eu quatre couches de quatre
enfants, sept de trois, et dix de deux; sa seconde femme
avait eu déjà sept couches de trois enfants, et six de deux.
Enfin , de même que nous ne pouvons pas faire que la
conception ait lieu ou n'ait pas lieu, nous ne pouvons pas
influer sur ses produits : par exemple, influer sur le sexe de
l'enfant, non plus que sur ses qualités physiques et morales
futures. A la vérité, quelques philosophes et médecins an-
ciens, Anaxagore , Aristote, Hippocrate , croyaient que le
testicule et l'ovaire droits fournissaient les rudiments des
garçons, et que ces parties du côté gauche fournissaient ceux
des filles; Démocrite, Pline, Columelle, disent même l'avoir
expérimenté sur un bélier. C'est sur cette assertion que fut
fondé l'art prétendu de procréer Les sexes àvolontè, art qui a
de nouveau été préconisé de nos jours par le docteur Millot.
Mais d'abord, en supposant vrai le fait sur lequel repose ce
système, il faudrait pouvoir influencer ou faire agir de pré-
férence ou tel ovaire ou tel testicule , et cela ne serait pas
toujours possible dans le spasme de la génération. Ensuite ,
il est faux que de l'ovaire et du testicule droits proviennent
les garçons, et de l'ovaire et du testicule gauche les filles :
des hommes auxquels on avait enlevé un des testicules ont
engendré également des filles et des garçons ; il en a été de
même de femmes qui avaient un des ovaires détruit par une
maladie. Sur des lapines, on a fait l'ablation de l'un des
ovaires, et ces animaux, couverts ensuite, n'en ont pas
moins engendré des fœtus mâles et femelles. Quand on ouvre
une lapine pleine, dans la même corne de la matrice, on
trouve à la fois des fœtus mâles et femelles , bien que tous
ces fœtus proviennent certainement d'un même ovaire , de
l'ovaire correspondant. Celte particularité de la conception
est donc, comme toute autre , soustraite à l'influence de la
volonté ; et heureusement pour nous , car les vues privées ,
et par conséquent rétrécies de l'homme, auraient bientôt
fait cesser l'équilibre que le Créateur fait plus ou moins,
selon les climats, régner entre les deux sexes. D'ailleurs, à
Jo4 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
l'occasion de cette question , nous devons dire que quelques
physiologistes pensent que le sexe de l'individu nouveau
n'est pas fixé au moment même de la conception , et qu'il
ne se détermine que plus tard, lors des développements sub-
séquents : nous reviendrons là-dessus à l'article du fœtus.
Nous ne pouvons pas davantage sur les qualités physiques
et morales futures de l'enfant : c'est irrésistiblement qu'il a
tel tempérament, telle constitution, qu'il est bien fait ou
difforme , etc. , tant la nature a voulu se réserver exclusi-
vement la direction d'un acte par lequel elle conserve la
perpétuité de tous les êtres animés. Cependant nous avons
ici plus de pouvoir que sur les circonstances précédentes ;
et si nous ne pouvons exercer une influence instantanée ,
ail moins nous pouvons déterminer à la longue quelques
modifications. D'abord, il est possible que l'état moral des
deux individus au moment de l'union, que le degré d'acti-
vité avec lequel ils accomplissent la fonction, aient une
influence sur son résultat, et , par conséquent, sur les qua-
lisés de l'individu nouveau. Il est possible que celui-ci soit
plus ou moins vivace, selon que sa création originelle aura
été effectuée avec plus ou moins d'énergie ou de faiblesse. On
dit généralement que la conception est d'autant meilleure
que l'abandon des deux époux est plus absolu. Sans doute
Aristote a exagéré , quand il a attribué la plus grande fré-
quence des difformités dans l'espèce humaine à la négli-
gence avec laquelle s'accomplit la génération ; mais on croit
avoir remarqué que les enfants de l'amour sont générale-
ment plus riches de vie et plus précoces. La nature , lors de
l'accomplissement de l'acte génital , ôte l'individu à lui-
même , comme s'il fallait que toute sa vie fût employée à
l'importante fonction à laquelle il se livre; et cela prouve
assez qu'il faut ici l'exclusion absolue de tout autre acte. En-
suite, en rejetant comme non suffisammentdémontrée cette
première influence, il en est une autre incontestable, tenant
aux qualités des pères et mères; on voit les pères et mères
transmettre à leurs enfants, et leur constitution , et leurs
qualité morales, et leurs maladies, et jusqu'à leurs formes
extérieures, puisqu'on observe souvent entre eux les plus
DE LA CONCEPTION OU FÉCONDATION. lo5
fortes ressemblances. Or, n'est-il pas possible d'influer sous
ce rapport sur les qualités des enfants, en réglant les con-
ditions de rapprochement , en présidant aux choix des in-
dividus qui s'associent ?
Aussi , si nous avons relégué parmi les chimères l'art de
procréer les sexes à volonté , nous jugerons moins sévère-
ment celui de la mégalanthropogénésie , c'est-à-dire de faire
des enfants beaux et des enfants d'esprit. Ayant une fois
admis la possibilité d'une influence exercée par l'état moral
des époux au moment du coït , et surtout celle d'une trans-
mission héréditaire des parents aux enfants, on conçoit
qu'on peut soigner plus ou moins tout ce qui a trait à ces
deux choses. Nul doute que l'abus des plaisirs de l'amour
n'imprime aux fœtus engendrés une faiblesse originelle , et
qu'au contraire , un exercice convenable ne fasse engendrer
des enfants robustes. Pour perpétuer les animaux domes-
tiques et les améliorer sans cesse, nous faisons un choix des
mâles et des femelles que nous accouplons; nous les pre-
nons dans l'âge de la force , et nous en croisons diversement
les races , selon le genre de qualité que nous voulons impri-
mer aux produits. Qui oserait dire que tout ceci ne soit de
même applicable à l'homme ? Loin de nous sans doute la
pensée de méconnaître ce que la haute dignité de notre es-
pèce réclame de liberté pour les individus unis en état
social; mais la législation n'enfreint-elle pas les lois de la
physiologie, et par conséquent de la nature, quand elle per-
met, par exemple, les mariages entre des personnes d'un âge
extrêmement disproportionné , entre des personnes saines
et des personnes affectées de maladies héréditaires ? Loin de
chercher à améliorer, on ne travaille même pas à prévenir
les détériorations.
Nous avons dit que, le plus souvent, dans l'espèce hu-
maine, il n'y a qu'un seul enfant de produit; cependant
il y a deux ovaires : est-il possible de dire lequel fournit la
vésicule qui est le rudiment de l'être nouveau ? On ne peut
pas plus répondre à cette question , qu'à celle de savoir si
c'est le hasard qui décide quelle vésicule se détache, ou si,
au contraire , il en est une qui a mûri et s'est préparée à la
106 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
fécondation. Ce que l'on sait seulement, c'est qu'un seul
ovaire suffit pour engendrer.
La conception effectuée , et la vésicule de l'ovaire portée
dans l'utérus, est-il possible à une autre conception de se
faire, et à un autre ovule de descendre dans la matrice,
et d'y suivre de même la série de ses développements? Ce
fait, qu'on appelle superfètation :-, est certain pour les ani-
maux qui ont l'utérus bicorne ; on conçoit que chez eux une
seule des cornes de la matrice peut se remplir lors d'une
conception, et l'autre rester apte à le faire plus tard. Mais,
dans l'espèce humaine, la chose paraît moins possible; car,
d'un côté l'utérus est unique, et de l'autre , son orifice va-
ginal et l'entrée des trompes sont bouchés dans la grossesse;
de sorte qu'il paraît impossible que de nouveau sperme
puisse y pénétrer et aller atteindre les ovaires, ni qu'un
nouvel ovule puisse y descendre. Aussi, beaucoup de phy-
siologistes n'admettent de superfètation dans la femme, que
lorsque, par une monstruosité ou par une anomalie , l'uté-
rus est double ou bicorne , ou partagé en deux par une cloi-
son médiane. Cependant, quelques-uns croient àdessuper-
fétations sans cette circonstance , en s'appuyant sur les faits
suivants. Buffon parle d'une créole qui accoucha de deux
jumeaux, un blanc et un noir, et qui avoua que le matin
d'une nuit où son mari avait approché d'elle , elle avait eu
à supporter la violence d'un de ses domestiques noirs; il
est évident qu'en elle il y avait eu deux conceptions, et à
deux époques différentes. Eisennemann rapporte que la
femme d'un infirmier de l'hôpital de Strasbourg accoucha,
à quatre mois et demi d'intervalle , le 3o avril et le 16 sep-
tembre, de deux enfants également à terme, et qui vécurent,
le premierdeux mois et demi,etle second un an. Le docteur
Desgranges , de Lyon , a vu une femme de ce pays , qui ac-
coucha de même à cinq mois et demi d'intervalle , de deux
enfants également à terme, et qui vivaient encore deux ans
après, lorsqu'on les présenta aux notaires qui ont attesté le
fait. Sans doute ces faits sont imposants; mais ne peut-on
pas leur opnoser les considérations suivantes? Dans le cas
de Biiffon, les époques des deux conceptions ont été assez
DE LA GROSSESSE. 107
rapprochées, pour qu'on puisse concevoir la descente du
second ovule après la fécondation du premier , la clôture
de l'orifice de l'utérus et celle des orifices des trompes
n'ayant pas encore eu le temps de se faire. Dans les deux
autres cas, il pouvait y avoir utérus double ou bicorne, et
on n'a pas vérifié ce fait chez la femme observée par le doc-
teur Desgranges. A la vérité, la femme dont parle Eisen-
neman a été ouverte après sa mort, et a présenté un utérus
simple; mais son ouverture n'a été faite que sept ans après
la superfétation : et qui assure qu'une cloison médiane,
qui aurait alors partagé en deux l'utérus et aurait permis
la double grossesse, ne se serait pas détruite depuis? Cette
supposition est aussi raisonnable que celle qui nous présente
le sperme pénétrant jusqu'à l'ovaire , malgré la clôture des
orifices de l'utérus et des trompes. Cependant, comme on
ne peut affirmer qu'il n'y ait pas des grossesses dans les-
quelles l'orifice de l'utérus reste ouvert, et les trompes ac-
cessibles, peut-être est-il sage de ne pas nier absolument la
possibilité des superférations ? On avait voulu regarder ces
superfétations comme des grossesses doubles, dans lesquelles
un des fœtus aurait vu se suspendre la série de ses dévelop-
pements pendant tout le temps de l'évolution du premier, et
ne lesauraitrepris qu'après l'excrétion de celui-ci ; mais ceci
est trop évidemment hypothétique pour pouvoir être admis.
ARTICLE ni.
De la Grossesse.
Nous avons vu la vésicule de l'ovaire saisie parla trompe
et conduite dans l'utérus. Arrivée dans cet organe, bientôt
elle y prend attache, s'y développe, et force l'utérus à se
développer lui-même , pour lui fournir à la fois un asile et
les sucs nutritifs nécessaires. C'est cet ensemble de nouveaux
phénomènes qui constitue la grossesse, acte qui s'entend du
séjour que fait l'individu nouveau dans l'utérus, des ser-
vices que lui rend cet organe, et qui comprend tout le
temps qui s'écoule depuis l'instant de la conception jusqu'à
l'accouchement.
»o8 FONCTION DE LA GENERATION.
Immédiatement après la conception , bien que les phé-
nomènes principaux de cette action se passent à l'ovaire,
déjà, avant l'arrivée de l'ovule, surviennent quelques chan-
gements dans l'utérus. Selon les uns, cet organe se dilate
pour se préparer à recevoir l'ovule; du moins Bertrandi l'a
trouvé ainsi dans des grossesses extra-utérines, et chez des
femmes qu'il avait ouvertes à des époques si rapprochées de
la conception, que l'ovuleétait encore flottant dans l'utérus.
Enmême temps sa substance rougit, s'amollit, devient moins
compacte, plus vasculeuse; elle est évidemment le siéged'une
congestion de sang, et Harvey compare ce qu'elle éprouve
au gonflement qui survient à la lèvre d'un enfant piquée par
une abeille. Enfin il se produit à sa surface interne une
membrane molle, floconneuse, appelée par Hunier, qui le
premier l'a décrite , membrane caduque, et par M. Chaus-
sier , èpichorion. Il y a eu beaucoup de débats sur la dispo-
sition et le mode de formation de cette membrane. Selon
Hunter, elle est d'autant plus épaisse qu'on est plus près de
l'instant de la conception , et s'amincit au contraire à mesure
que la grossesse se prolonge; elle existe cependant encore à l'é-
poque de raccouchement, et même est alors plus épaisse que
la première membrane de l'œuf, le chorion. Elle est de cou-
leur grise , molle , pulpeuse , et assez semblable à la couenne
du sang. Trois trous existent dans sa cavité , deux qui cor-
respondent aux trompes, et un troisième à l'orifice vaginal
de l'utérus. Hunter l'appela decidua, parce qu'elle tombe à
chaque grossesse. Selon lui , elle est produite, ou par une
exfoliation de la membrane muqueuse de l'utérus , ou par
une dégénérescence du sperme projeté lors du coït dans cet
organe ; ou plutôt enfin, par la coagulation d'une lymphe
plastique , que , consécutivement à l'irritation spéciale dans
laquelle est alors l'utérus , sécrète la surface interne de ce
viscère. Dans son origine , cette membrane n'avait qu'un
seul feuillet qui adhérait à l'utérus; mais dans la suite il
s'en forme un second, qui adhère à l'œuf lui-même, et
Hunter appela celui-ci caduque réfléchie. Aujourd'hui les
anatomistes professent, sur le mode de production de la
membrane caduque, l'une ou l'autre des deux opinions
DE LA GROSSESSE. 109
suivantes. Dans l'une, on établit que le premier effet de
la conception estde faire sécréter, par la surface interne de
l'utérus, une masse considérable d'une substance séro-al-
bumineuse ; i'utérus en est d'abord tout plein ; l'ovule, en
arrivant, se plonge tout entier dans cette substance; peu
à peu il en absorbe une partie par sa surface externe pour
sa nutrition, et le reste s'organise en double membrane,
une qui correspond à l'utérus, et l'autre qui adhère à
l'œuf. On assimile cette matière séro-albumineuse , soit au
blanc dont se revêt, en traversant l'oviductus, l'œuf des oi-
seaux, soit à la substance visqueuse qui enveloppe les œufs
membraneux de certains reptiles. On donne comme preuves,
que , dans le premier mois de grossesse , l'œuf paraît plongé
dans la substance même de la caduque ; et que , lorsque
plus tard le placenta apparaît, les vaisseaux qui de cet
organe vont à la matrice , paraissent plutôt percer la cadu-
que qu'en écarter les lames. Haller cependant croyait que
la caduque se dédoublait pour entourer le placenta. Loin
qu'il reste à cette caduque des trous correspondants aux
trompes et à 1 orifice de l'utérus , comme l'avait dit Hunter,
la même substance séro-albumineuse qui a formé cette mem-
brane remplit et obstrue ces ouvertures; et, en effet,
Krummacher et M. Dutrochet disent avoir vu la caduque
se prolonger jusque dans les trompes; et l'on a reconnu sur
le sommet d'œufs abortifs, sous la forme d'un mamelon ,
le reste de cette substance, qui remplissait le col de l'uté-
rus, et en bouchait l'orifice. Dans l'autre opinion , on admet
que la caduque est déjà un peu organisée avant quel'ovule ar-
rive, et que quand celui-ci débouche par la trompe dans l'u-
térus, il ne fait que la pousser devant lui. Alors il s'en revêti-
rait comme tout viscère intérieur l'est parla séreuse de la ca-
vité splanchnique dans laquelle il est situé; il lui devrait
d'être maintenu en contact avec la portion de l'utérus dans la-
quelle il doit pousser ses racines; la caduque se réfléchissant sur
l'œuf, à partir du lieu qui doit former leplacenta, il n'y aurait
que cette partie de l'œuf qui ne serait pas recouverte par elle.
En unmot, au lieu d'être, comme dans la première opinion,
une sorte de kiste , la caduque serait une véritable membrane
iiO FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
séreuse accidentelle, qui fixerait l'œuf dans la cavité de
l'utérus; qui aurait deux portions, une utérine et une fœ-
tale, ce qui expliquerait les deux caduques de Hunier; et
qui , enfin, libre et contiguë à elle-même, à sa face interne,
serait de ce côté le siège d'une perspiration séreuse. M. Mo-
reaudij le premier, soutenu celte opinion dans sa disserta-
tion inaugurale, et l'on ne peut disconvenir que l'analogie
ne la rende spécieuse : puisque l'œuf est contenu dans l'u-
térus, ne fallait-il pas une séreuse pour l'y attacher ? De-
puis, dans un Mémoire présenté à l'Académie royale de mé-
decine, M. Velpeau Fa développée et appuyée sur l'observa-
tion et la dissection d'une douzaine d'œufs humains; et
M. Breschet m'a assuré avoir vu de la sérosité dans la cavité
de la membrane, entre les feuillets appelés par Hunier ca-
duque propre et caduque réfléchie. Quoi qu'il en soit , cette
membrane, d'abord fort épaisse, et semblable à un caillot
de sang incolore, s'amincit à mesure qu'on avance dans la
grossesse, restant néanmoins toujours bifoliée; lors de l'ac-
couchement elle est d'un blanc jaunâtre, épaisse d'une
demi-ligne , molle, pulpeuse, peu tenace, et évidemment
du genre des concrétions couenneuses membraniformes.
Quoiqu'elle paraisse inorganique , elle contient des vais-
seaux qui sont d'autant moins nombreux, qu'on approche
plus de l'époque de l'accouchement , et parmi lesquels il y a
plus de veines que d'artères. Cette membrane, enfin, est
évidemment étrangère à l'œuf. On ne peut admettre , avec
M. Dutrochct, qu'elle soit une dépendance de l'alîantoïde
ou de la poche ovo-urinaire , et qu'elle soit nourrie par les
vaisseaux ombilicaux du fœtus; car, non-seulement elle
précède, comme on vient de le voir, la descente de l'œuf
dans l'utérus , mais encore elle se forme de même dans les
grossesses extra-utérines. M. Chaussier l'a vue dans plu-
sieurs cas de grossesses tubaires ; elle existait dans le cas de
grossesse abdominale cité par M. Lallemant ; M. Evrat va
même jusqu'à dire qu'il s'en forme une à la suite de chaque
approche.
Bientôt, à une époque qu'on ne peut fixer, mais qui ne
paraît postérieure que de quelques jours à l'instant de la
DE LA GROSSESSE. 1 i 1
conception, l'ovule arrive dans l'utérus; et, se fixant dans
cet organe par l'intermédiaire d'une partie appelée placenta,
il va y faire un séjour de neuf mois, y croître et y prendre
de grands développements. Pour cela, il faut nécessairement
que l'utérus se développe aussi 5 pour lui fournir et les sucs
que réclame sa nutrition et l'espace dont a besoin son gros-
sissement graduel. C'est de ces faits dont nous devons nous
occuper maintenant. Dans les détails que nous allons donner,
nous nous bornerons à ce qui est de l'utérus, abandonnant
l'ovule sur lequel nous reviendrons à l'histoire des âges.
La dilatation de la cavité de l'utérus et le développement
de cet organe commencent dès les premiers instants de la
conception , et surtout se continuent dès que l'ovule est ar-
rivé dans son intérieur : mais les effets , dans les deux pre-
miers mois , n en sont pas visibles à l'extérieur. Le corps seul
de la matrice a augmenté ; devenu gros comme un œuf d'oie,
il s'est arrondi et enfoncé dans le petit bassin. Cependant
si le doigt est alors introduit dans le vagin , on peut déjà
observer quelques changements : le col de l'utérus est plus
bas, et plus près de la vulve ; l'orifice utérin , de triangu-
laire qu'il était, est devenu circulaire, acuminé; et tandis
que , dans l'état de non grossesse , c'est la lèvre antérieure de
cet orifice qui dépassait la postérieure, alors c'est cette der-
nière qui fait saillie. Cependant tous ces signes ne sont ni
assez sûrs, ni assez constants pour que, d'après eux, l'on
puisse dès cette époque annoncer une grossesse. L'orifice de
l'utérus est alors fermé par une substance glutineuse fort
dense. Le développement de l'organe continuant de se faire,
au troisième mois l'utérus est déjà devenu assez gros pour
remplir toute la cavité du petit bassin; refoulant en haut
les viscères abdominaux , il fait déjà faire une légère saillie
en avant à la région hypogastrique; son axe fait avec la per-
pendiculaire un angle de quarante -cinq degrés. Au qua-
trième mois, il dépasse le détroit supérieur du bassin, et
l'on peut le sentir au-dessus du pubis , à travers l'épaisseur
des parois abdominales; alors son orifice dans le vagin est
un peu plus élevé , et le ventre commence à faire saillie. Au
cinquième mois, il est parvenu à deux travers de doigt de
112 FONCTION DE LA GENERATION,
l'ombilic, et déjà les viscères abdominaux sont gênés par son
voisinage. A. six mois , il a dépassé de deux pouces l'ombilic.
Jusque là son corps seul à peu près a éprouvé Fampliation ;
mais à partir de cette époque , son col lui-même évidemment
grossit, se ramollit et se dilate. Au septième mois, le fond
de l'utérus occupe toute la région épigastrique , l'ombilic
saille en avant, et l'abdomen se montre très volumineux;
c'est surtout le col de l'organe qui prête alors à la dilata-
tion ; ce col , à cette époque , est si relevé et si porté en ar-
rière , que le doigt peut à peine l'atteindre par le vagin. Au
huitième mois, le volume de l'organe a encore augmenté, à
tel point qu'il touche presque au bord antérieur et inférieur
du thorax. Au neuvième mois enfin, quoique le volume de
l'utérus augmente encore, son fond est moins haut, et le
ventre baisse un peu; cela tient à ce que le développement
s'est fait plus en travers et de devant en arrière , que dans le
sens de la longueur : le col a achevé de se dilater, il est de-
venu souple, mince, et souvent assez ouvert pour qu'on
puisse , au travers de son orifice , toucher l'œuf : dans le
mois précédent, ce col était à la hauteur des symphises sacro-
iliaques, et du côté gauche; dans celui-ci, il est un peu re-
descendu dans le petit bassin.
Ainsi l'utérus a augmenté de capacité dans la même pro-
portion que l'œuf a pris de l'accroissement, et il peut ainsi
fournir l'espace nécessaire pour contenir celui-ci. A l'époque
de l'accouchement, il a, selon Haller et Levret , un volume
onze fois et demi plus considérable qu'avant la grossesse ; sa
longueur est d'un pied , ses diamètres transverse et latéraux
de neuf pouces; sa circonférence est, au niveau des trompes,
de vingt-six pouces, et à la hauteur de la portion utérine du
col, de treize pouces. Dans les premiers temps, il s'est accru
dans toutes les dimensions ; du troisième au sixième mois ,
il s'est agrandi , surtout dans sa longueur ; et dans les der-
niers mois , dans les autres dimensions. De pyriforme et
aplati qu'il était, il est devenu ovoïde. Son poids, qui avant
la grossesse était de quatorze à dix-huit gros , est alors d/une
livre et demie à deux livres. Dans les deux premiers mois ,
l'organe était un peu descendu dans le bassin , et le col
DE LA GROSSESSE. ] l 3
s'était rapproché de la vulve; mais dans les mois suivants,
il s'est élevé, et a repris la direction de l'axe du détroit su-
périeur. Le foud est en avant, immédiatement derrière la
paroi antérieure de l'abdomen, et refoule l'intestin grêle de
côté et en arrière; le col est en arrière. Souvent, cependant,
le fond est un peu incliné sur le côté, le plus ordinairement
à droite, parce que le cordon sus-pubien droit est plus gros
et plus court, et que le mésentère est disposé de manière à
retenir davantage les intestins du côté gauche.
Ces changements considérables dans l'utérus en amènent
de fort importants dans les parties annexes de ce viscère et
dans les organes circonvoîsins. Les ligaments larges se dé-
doublent; les ovaires et les trompes s'élèvent un peu, et
finissent par s'appliquer sur les côtés de la matrice : les liga-
ments ronds prêtent à l'extension , et surtout éprouvent le
même changement de tissu que l'utérus lui-même; cessant
à la fin de s'étendre , ils tirent en devant l'utérus , e.t parais-
sent empêcher que cet organe ne pèse trop sur les gros vais-
seaux de l'abdomen ; le vagin est tiré dans le sens de sa lon-
gueur; sur la fin de la grossesse, les sécrétions muqueuses
de ce canal augmentent beaucoup , comme pour ramollir
d'avance son tissu, le lubréfier, et le préparer à fournir un
passage plus facile au produit de la conception. Les organes
circonvoisins, savoir, le rectum, la vessie, les vaisseaux et
les nerfs des membres inférieurs, éprouvent une pression
mécanique qui est la cause de plusieurs phénomènes secon-
daires, dont nous parlerons ci-après. Enfin les parois abdo-
minales sont tellement distendues, que la peau du ventre
en éprouve des gerçures , qui désormais ne s'effaceront plus.
Souvent aussi les muscles abdominaux présentent des érail-
kments par lesquels peuvent se faire des hernies. Ces érail-
lements s'observent surtout entre les muscles droits et à la
région ombilicale.
Ce grand développement de l'utérus n'est pas le produit
passif de l'accroissement de l'œuf, car i» il commence avant
l'arrivée de l'ovule dans la matrice; 20 l'utérus ne s'est pas
borné à se dilater, sont issu a changé et a revêtu une autre
nature; 3° enfin les parois de cet organe, loin de s'amin-
Tome I?. 8
n4 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
cir, ce qui aurait dû être, s'il ne s'était agi que d'une disten-
sion mécanique, sont devenues plus épaisses. En effet, les
parois de l'utérus, qui, dans l'état de vacuité de cet organe,
ont quatre lignes d'épaisseur, dans les trois premiers mois de
la grossesse en ont cinq. Si , sur la fin de la grossesse et après
l'accouchement surtout , elles diminuent un peu, à cause de la
rétraction de l'utérus , leur épaisseur est encore d'un pouce.
Ce développement est dû à un nouveau mode de nutrition
qui se fait dans ce viscère : évidemment cet organe devient
un centre de fluxion, appelle en lui plus de sang, et par
suite voit changer et la nature de son tissu et ses dimen-
sions; ses artères deviennent plus grosses; il en est de même
de ses veines, qui, à sa surface interne, présentent d'énor-
mes dilatations, auxquelles on a donné le nom de sinus uté-
rins. Ses nerfs sont aussi triplés de volume , ainsi que ses
vaisseaux lymphatiques. Enfin son tissu propre , de dur,
blanchâtre et non contractile qu'il était, est devenu rouge,
mou, spongieux, et apte à une énergique contractilité. Ses
parois n'ont pas la même épaisseur partout; plus épaisses
au lieu d'attache du placenta, elles n'ont souvent au col,
à la fin de la grossesse , que la minceur d'une feuille de
papier. On observe ici quelques variétés, et, par exemple,
Hunier a vu un cas dans lequel la paroi antérieure de l'uté-
rus était très épaisse, et la postérieure fort mince. En vain ,
pour expliquer ce développement, on avait supposé une
espèce d'antagonisme entre les fibres du fond de l'organe et
celles du col; les unes et les autres n'existent pas d'abord,
et ne sont que le produit de la dilatation active qu'éprouve
l'organe. Le tissu de celui-ci commence par se ramollir; il
paraît s'infiltrer d'une lymphe, d'une sérosité qui diminue
sa densité; à cet infarctus lymphatique succède la conges-
tion sanguine; puis survient la conversion du tissu primi-
tivement compact et grisâtre, en un tissu mou, rougeâlre
et contractile. Ces phénomènes s'observent d'abord dans le
fond de l'utérus , puis ils s'établissent dans le corps et dans
le col. Les auteurs n'ont pas été d'accord sur le caractère du
tissu nouveau que présente l'utérus ; Lobstein l'assimile à
celui qui forme la tunique moyenne des artères; d'autres le
DE LA GROSSESSE. u5
disent en partie celluleux et en partie charnu ; îa plupart
le croient musculeux. Il est certain que , comme ce dernier,
il est très contractile, et qu'on peut le ramener à un certain
nombre de faisceaux de fibres , ayant chacun des directions
diverses; mais il s'en distingue un peu par la couleur et en
ce qu'il ne se paralyse pas de même par une forte distension
non plus que par une inaction trop prolongée. Presque tous
les anatomistes, dans la vue de jeter du jour sur le méca-
nisme de l'accouchement, ont tâché de reconnaître la di-
rection des différents faisceaux de fibres qu'on distingue en
ce tissu : la plupart se sont bornés à dire que les fibres les
plus extérieures étaient dirigées longitudinalement du fond
et du corps de l'organe vers son col; que les fibres situées
au-dessous de celles-là avaient une direction transversale et
s'entre-croisaient en réseau avec les précédentes; et qu'enfin
les plus profondes étaient obliques, et même circulaires,
surtout du côté des trompes; ils ajoutaient que, dans le fond
de l'utérus, ces fibres formaient un tissu tout-à-fait inextri-
cable. Quelques-uns cependant ont spécifié davantage. Ainsi
Ruisch a signalé au fond de l'utérus un-plan de fibres con-
centriques, dont il a fait un muscle particulier, auquel il a
donné son nom. Weitbrecht a appelé muscles orbiculaires
deux plans de fibres circulaires qui circonscrivent l'orifice
de chaque trompe. /. Sue dit avoir remarqué sur chaque
côté de l'utérus , en avant et en arrière , quatre points où
les fibres étaient entrelacées de manière à figurer les nœuds
qu'on observe dans le bois; et considérant ces points comme
des centres de contraction pour l'utérus, il las a appelés
muscles quadrijumeaux. Une sage -femme fort instruite,
madame Boivin, a présenté récemment sur ce sujet deux
Mémoires à l'Académie royale de médecine. Elle y expose
qu'ayant examiné l'utérus sur onze femmes mortes à des
époques avancées de la grossesse, et après l'accouchement,
elle a reconnu en cet organe les faisceaux musculaires sui-
vants : 10 à l'extérieur, immédiatement sous le péritoine
une première couche musculeuse membraniforme , recou-
vrant comme une espèce de sac tout l'organe , à partir de son
fond jusqu'à son orifice externe dans le vagin, et qu'elle
8.
ii6 FONCTION DE LA GENERATION,
propose d'appeler muscle utèro-sous-péritonéal ; 2° sous cette
couche , au fond de l'utérus et de chaque côté de la ligne
médiane , des fibres transversales en grand nombre , formant
trois faisceaux plats en avant, deux en arrière, situés suc-
cessivement les uns au-dessus des autres , et qui , après avoir
contourné transversalement les angles arrondis de l'utérus ,
et fourni des fibres aux parois antérieure et latérales de l'or-
gane, vont au-delà, en s'isolant, constituer, les supérieurs,
les cordons sus-pubiens, les moyens , les trompes , et les in-
férieurs , les cordons des ovaires; 3° toujours sous cette
couche, mais dans le corps de l'utérus, un plan musculaire
longitudinal, prenant naissance en bas à l'orifice interne,
remontant verticalement en haut sous forme de gerbe , et
allant s'entre-croiser avec celui du côté opposé, et les fibres
transversales du fond de l'organe ; 4° à la face interne , sur
la ligne médiane , en avant et en arrière, des plans de fibres
verticales, étendues aussi de l'orifice interne jusqu'à son
fond, et se recourbant là en dehors pour s'entre-croiser entre
elles , et former autour des orifices des trompes , ces plans
de fibres concentriques , appelés par TVeitbrecht muscles or-
biculaires; 5° enfin, dans la cavité du col, sur chacune des
faces antérieure et postérieure , est un raphé médian , de
chaque côté duquel naissent de nombreux replis disposés
d'une manière régulière, et simulant les rameaux d'un ar-
buste : parmi ces replis, plusieurs remontent jusqu'au tiers
inférieur de la face interne de l'utérus, et s'y effacent in-
sensiblement. Cette disposition, selon madame Boivin , fait
comprendre le mécanisme du développement du col , et
prouve que ce développement commence bien plus tôt qu'on
ne le dit généralement. Ainsi l'utérus serait formé de cou-
ches musculaires multiples superposées; et, eu effet, madame
Boivin dit en avoir séparé et compté jusqu'à sept dans le
corps et le fond de l'organe. Ch. Bell, en Angleterre, a donné
des divers plans musculeux de l'utérus une description à
peu près semblable. Au contraire, MM. Chaussier et Ribes ,
en France , disent qu'ils ont trouvé les fibres du col, circu-
laires en dehors, et séparées de ce côté par une ligne de dé-
marcation distincte des fibres longitudinales du corps, Ion-
DE LA GROSSESSE. 117
gitudinales en dedans, et se continuant sans interruption
jusqu'au fond de l'organe; ils ajoutent que jamais ils n'ont
pu, par la dissection, suivre loin dans la substance de l'or-
gane , les faisceaux qui leur paraissaient d'abord distincts et
isolés , ces faisceaux bientôt se confondant et formant un
entrelacement inextricable. Ceci se rapporte aux difficultés
qu'on trouve à spécifier la disposition des divers faisceaux
qui forment les organes entièrement musculeux, comme le
cœur, la langue , etc.
Quoi qu'il en soit, l'utérus est ainsi devenu capable de
fournir à l'œuf l'espace nécessaire à ses développements ,
ainsi que les sucs que sa nutrition réclame. C'est la fécon-
dation elle-même qui a imprimé les premiers efforts de ce
grand travail; l'ovule ensuite, par sa présence, les a en-
tretenus, et a maintenu l'utérus dans le nouveau mode de
sensibilité y de vitalité qu'il a revêtu. Cet ovule d'abord a
adhéré à l'utérus par l'intermédiaire de vaisseaux prove-
nant de sa surface externe , et qui traversent la caduque.,
Mais bientôt, au lieu où celle-ci ne le revêt pas d'après le
système de M. Moreau , et où il touche immédiatement
l'utérus , il se développe un organe appelé placenta, qui ,
d'un côté, est attaché à la face interne de l'utérus et en
reçoit des vaisseaux, qui, de l'autre, détache un cordon
vasculaire qui va pénétrer l'ombilic de l'enfant ; et c'est
alors, par le moyen de cet appareil, que les sucs nutritifs
de la mère arrivent au fœtus. Mais nous reviendrons là-des-
sus à l'article du fœtus. Est-ce constamment à un même
lieu de l'utérus , à un point déterminé , que se fait cette
insertion du placenta? Hanter croyait qu'elle se faisait là
où tombait l'œuf; dans celte manière toute mécanique de
concevoir le phénomène , l'insertion aurait dû se faire pres-
que toujours sur le col? et heureusement que cela est rare.
Le plus souvent cette implantation est au fond de la ma-
trice, ou, selon Fallope et Monro , proche de l'ouverture
de la trompe , tellement, que le centre du placenta recou-
vre l'orifice utérin de ce canal, ce qui est eu rapport avec
l'opinion de M. Moreau sur la caduque. Quelques variétés
qu'on observe dans le lieu où est attaché le placenta, il est
' N
ll8 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
probable que le mode de disposition de la caduque dans son
origine a sur ce fait la plus grande influence.
Comme on le conçoit, tout ce travail ne peut se faire sans
que les fonctions de l'utérus ne soient modifiées. Ordinaire-
ment, il y a, pendant la grossesse, suspension de l'excrétion
menstruelle, moins à cause de la présence du fœtus, que
par suite des modifications survenues dans la constitution
de l'organe. La matrice est plus chaude , et est assez sensi-
ble pour faire percevoir les mouvements du fœtus. Des
changements se manifestent aussi dans les autres parties de
l'appareil génital; les ovaires sont plus gros et plus spon-
gieux ; les cordons sus-pubiens ont éprouvé le même chan-
gement de texture que l'utérus ; les mamelles se déve-
loppent, et la sécrétion laiteuse se prépare et même sou-
vent commence; seulement son produit n'est encore qu'une
humeur séreuse. Nous avons dit que le vagin, aux approches
de l'accouchement , se dilatait, et était le siège de sécrétions
muqueuses plus abondan tes , qui l'assouplissaient par avance
et le préparaient à être extensible et plus glissant. Le travail
s'étend au bassin lui-même, qui doit livrer passage à l'indi-
vidu nouveau ; les symphyses qui unissent les os qui forment
ce canal se relâchent , la symphyse du pubis surtout; les
lames cartilagineuses qui existent dans ces symphyses se ra-
mollissent, deviennent plus épaisses; d'où plus d'ampleur
au bassin , et mobilité des os qui le constituent. Sans doute
cette mobilité n'est pas portée au point de permettre aux
os coxaux et sacrum de s'écarter beaucoup, comme l'ont dit
d'anciens accoucheurs ; mais elle n'en est pas moins une
prédisposition à l'accouchement s et M. Chaussier a re-
connu qu'elle ne manquait jamais.
Enfin, l'appareil génital n'est pas le seul qui soit ainsi
modifié dans la grossesse; toute l'économie se ressent »pl us
ou moins de cet état, en partie à cause des influences sym-
pathiques qu'exerce sur tous les autres organes l'utérus ainsi
surexcité . et eu partie à cause de la pression mécanique que
cet organe, devenu gros, exerce sur les organes circonvoi-
sins. Ainsi, d'une part, éclatent dans l'appareil digestif
beaucoup de troubles divers; ou un défaut absolu de faim,
DE LA. GROSSESSE. 119
des nausées fréquentes, des vomissements, de la salivation;
ou des appétits bizarres , ce qu'on appelle le pica. Survien-
nent de même des modifications sympathiques dans le mo-
ral ; les femmes ont alors généralement une susceptibilité
plus grande, et qui demande à être ménagée; plusieurs,
qui étaient avant d'un caractère doux, se montrent impa-
tientes , irascibles ; on a vu quelquefois en elles des anoma-
lies encore plus singulières; elles sont entraînées par des
désirs bizarres. Les appareils digestifs et cérébral sont ceux
qui sont les plus modifiés; mais les troubles qu'ils présen
tent, le plus souvent disparaissent vers le quatrième mois,
comme si l'économie s'était habituée à l'état nouveau dans
lequel est l'utérus. Il y a aussi un grand changement dans
l'état général des humeurs ; le plus souvent il survient une
exubérance lymphatique, la plupart des femmes engrais-
sent pendant leur grossesse : ceci cependant est sujet à de
nombreuses exceptions. D'autre part, à la fin de la grossesse,
la pression de l'utérus sur les nerfs et les vaisseaux qui vont
aux membres inférieurs, sur le rectum et la vessie, occa-
sionent diverses incommodités, comme des crampes, des
douleurs dans les jambes , de l'enflure des pieds , de fré-
quentes envies d'aller à la garde-robe et d'uriner. La gêne
qu'éprouvent les organes digestifs, l'obstacle qu'oppose l'u-
térus au libre abaissement du diaphragme , apportent aussi
quelques troubles mécaniques dans la digestion, et delà
difficulté dans la respiration.
Parmi ces nombreux phénomènes concomitants et con-
sécutifs de la grossesse, quels sont ceux qui peuvent avec
certitude annoncer cet état? D'abord, ce ne sont pas les
phénomènes sympathiques que nous venons de relater en
dernier lieu ; ils peuvent éclater lors d'une irritation de
l'utérus développée par toute autre cause. Ce ne sont pas
non plus les effets résultants de la pression exercée par l'u-
térus sur les parties circonvoisines ; on les observe de même
lorsque , par une maladie , l'utérus a acquis un développe-
ment insolite. La suppression des règles n'est pas un signe
plus sûr, puisqu'elle arrive souvent par des causes autres
que la grossesse. Nous en dirons autant du développement
120 FONCTION DE LA GENERATION.
du ventre, qui s'observe de même lors d'une tumeur quel-
conque des organes abdominaux. Les changement que le
loucher fait reconnaître dans le col de l'utérus ne sont ni
assez considérables ni assez constants dans les premiers
mois, pour que, par eux, on puisse affirmer cet état; ils
peuvent survenir d'ailleurs à l'occasion d'une tumeur de
l'utérus. Les mouvements de l'enfant, qui d'ordinaire se
font sentir de trois mois et demi à quatre mois, sont les
seuls signes qui permettent d'assurer la grossesse; avec tous
les autres phénomènes, on n'a que des présomptions. Ceci
cependant ne doit s'entendre que des quatre premiers mois:
plus tard , il n'y a plus possibilité de douter. D'un côté,
les mouvements de l'enfant sont chaque jour sentis par la
mère. De l'autre, le toucher fait reconnaître distinctement
un fœtus dans l'utérus, en déterminant ce qu'on appelle le
mouvement de balottement ; si on le pratique à la fin de la
grossesse, le col déjà aminci et ouvert laisse sentir au travers
de lui l'œuf , et même permet de reconnaître quelle est la
partie du corps de l'enfant qui se présente. Enfin, M. de
Kergaradec a récemment découvert qu'en appliquant le
stésthoscope à l'abdomen d'uae femme enceinte, on pouvait
distinguer et les battements artériels du placenta, et ceux du
cœur de l'enfant, les premiers, dès le cinquième mois de la
grossesse, et les seconds, un peu plus tard. Ou n'a aucun
moyen de deviner le sexe de l'enfant que contient l'utérus :
on a dit que si l'utérus était incliné à droite , que si les mou-
vements de Fenfantse faisaient sentir plus particulièrement
de ce côté, et que si le sein droit se gonfloit le premier,
l'enfant ta naître était un garçon ; mais ces signes sont aussi
peu réels que tous ceux que pour le même objet on est allé
chercher dans la lune. On ne peut non plus savoir si îa
grossesse est composée; cependant le ventre est alors plus
gros ; quelquefois, à l'extérieur, il semble partagé en deux
moitiés; la mère sent remuer en plusieurs endroits à îa fois,
et en des endroits fort distants; si enûn on use du stésthos-
cope , d'après îa méthode de M . de Kergaradec , et qu'on sente
en même temps, et en deux endroits, les mouvements du
cœur du fœtus; on aura la certitude qu'il existe deux jumeaux.
DE L'ACCOUCHEMENT. m
La srrossesse a une durée qui varie en chaque espèce ani-
male : dans l'espèce humaine, elle comporte un intervalle
de neuf mois, et finit à la trente-neuvième semaine, du
deux cent soixante-quinzième au deux cent quatre-vingtième
jour. H y a cependant ici probablement quelques variétés;
mais ceci a trait à la question des naissances prématuréeset
tardives, qui nous occuperai l'article des âges.
ARTICLE IV.
De FAcouchcmeiit.
L'individu nouveau, parvenu pendant le cours de la
grossesse à un certain degré de développement, doit enfin
être rejeté hors de l'utérus, et naître. C'est ce qui se fait
par Y accouchement , qu'on peut définir l'excrétion du fœtus
et de ses annexes hors de l'utérus et du corps de sa mère.
Appelé; avortement ou fausse -couche , s'il se fait avant que
le fœtus soit assez développé pour pouvoir vivre isolé; ac-
couchement prématuré , s'il survient avant terme , mais le
fœtus étant viable, c'est-à-dire apte à vivre par lui-même;
il est dit naturel, quand il se fait à terme , et par les seules
forces de la nature; et, au contraire, artificiel, quand il
réclame les secours de l'art. Celui-ci se subdivise en accou-
chement contre nature , et accouchement laborieux , selon
qu'il faut pour son accomplissement employer la main seule
ou quelques instruments. On conçoit que dans notre ou-
vrage, exclusivement consacré à l'étude des phénomènes
de la vie dans l'état de santé , nous ne devons parler que de
l'accouchement naturel.
L'accouchement est une action du genre des excrétions,
mais qui se distingue de toutes les autres excrétions , en ce
qu'il est accompagné de vives douleurs, et nécessite des ef-
forts tels, qu'on lui a donné à juste titre le nom de travail.
Ce n'est pas cependant une maladie , mais une fonction de
ïasanté, dont seulement l'accomplissement est très doulou-
reux et fatigaut. Comme dans les autres excrétions, nous
pourrions y étudier trois choses : la sensation , qui annonce
Ï22 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
que cette excrétion a besoin de se faire et s'effectue ; Y action
expultrice du réservoir qui contient la matière à rejeter; et
Y action musculaire auxiliaire que la volonté ajoute à la pré-
cédente. Mais l'importance dont est l'accouchement nous
commande plus de détails; et, adoptant l'ordre suivi par
M. Chaussier , dans sa Table synoptique de l 'accouchement ,
nous allons successivement en indiquer les causes, les con-
ditions , le mécanisme et les suites.
i° Causes de l'accouchement. L'accoucbement s'accom-
plit à une époque déterminée, et la première question qu'ont
du se faire les physiologistes , a été de savoir quelles causes
l'occasionent. Ces causes ont été tour-à-tour recherchées dans
le fœtus et dans l'utérus. Ainsi , les uns ont dit qu'à la fin de la
grossesse, le fœtus avait acquis un volume et un poids tels
que, par sa présence , il provoquait irrésistiblement les con-
tractions de l'utérus. D'autres , avec moins de raison , ont
supposé des efforts directs de l'enfant , des mouvements par
lesquels le fœtus chercherait à sortir de son asile, afin de
satisfaire aux divers besoins qui le pressent, comme de man-
ger, de respirer, d'évacuer son urine, ses fèces, etc. On a
accusé la distension de l'utérus par l'eau de l'amnios, son
irritation par le contact de cette eau qui, à la fin de la
grossesse, aurait acquis une acrimonie extrême. Buffon a
dit que la cause de l'accouchement était le décollement du
placenta, qui, au degré convenable de développement du
fœtus, se sépare de l'utérus comme le fruit mûr se détache
de la branche qui le porte. Enfin, on a accusé un état de
pléthore générale , suite de l'absence des menstrues que nous
avons dit être supprimées pendant toute la grossesse. Mais
parmi ces causes prétendues , plusieurs sont évidemment
fausses , comme les efforts de l'enfant, par exemple, cet être
étant passif dans l'accouchement; et aucune des autres n'est
absolue. L'accouchement est dû, d'un côté, à la disposition
et aux propriétés de l'utérus; et de l'autre, aux change-
ments qui surviennent dans l'organe d'attache du fœtus, le
placenta. D'une part, l'utérus , agent pi-incipal de la gros-
sesse et de l'accouchement , a revêtu dans ces cas une orga-
nisation qui le dispose, d'abord à recevoir l'embryon , en-
DE L'ACCOUCHEMENT. 123
suite à le conserver un certain nombre de mois pendant
qu'il se développe , et enfin à l'expulser quand il sera apte
à vivre d'une vie isolée. D*abord il a pris graduellement le
développement nécessaire pour pouvoir fournir un asile au
fœtus et à ses annexes pendant un certain temps. Ensuite,
il a acquis une force de contractiiité à laquelle il devra de
pouvoir, par la suite, expulser ce fœtus. Enfin, sa suscep-
tibilité à se contracter est allée graduellement en augmen-
tant, de manière qu'à la fin il suffira de la moindre irri-
tation , de la moindre stimulation , pour mettre en jeu cette
faculté contractile ; et nous verrons tout à l'heure , dans les
changements qu'a éprouvés le placenta, des causes suffisantes
d'irritation. Le mode selon lequel se développe l'utérus
doit même nécessairement amener l'accouchement. En effet,
le fond et le corps ont seuls d'abord pris de l'amplialion ; ce
n'est qu'à la fin que le col à son tour s'est dilaté; mais sa
dilatation a été telle qu'en même temps il est devenu mince
comme une feuille de papier : dès lors , tout équilibre entre
le fond et Je col de l'organe a été rompu: et la rétraction
continue de l'utérus a dû irrésistiblement avoir pour effet
de pousser l'œuf contre le col , d'en ouvrir l'orifice , et d'y
engager l'enfant. Cette idée à^Jnt. Petit est universellement
admise aujourd'hui. D'autre part, le placenta, ce moyen
d'attache du fœtus à l'utérus, éprouve, par la suite de la
grossesse, des changements qui, à la fin, troubleront assez la
circulation de la matrice, pour que celle-ci soit stimulée à
se livrer aux contractions qui doivent la débarrasser, et dont
elle est d'ailleurs si susceptible. Ce placenta reçoit d'abord
avec toute facilité, et le sang que les artères ombilicales du
fœtus lui apportent, et celui que les artères utérines lui
fournissent ; mais à mesure que la grossesse approche de son
terme , à l'instar de ce qui arrive à un fruit mûr, une partie
de ses vaisseaux s'oblitère, il devient moins accessible au
sang qui lui arrive; il survient un changement dans sa cir-
culation , et partant dans celle du fœtus et de la mère dont
il est l'intermédiaire; une congestion de sang a lieu parti-
culièrement dans l'utérus , et de là pour cet organe une sti-
mulation qui le provoque à se contracter. Cet embarras n'est
124 FONCTION DE LA GENERATION,
d'abord que léger, et la première contraction utérine qu'il
provoque suffit pour le dissiper, en poussant dans les vais-
seaux collatéraux le sang qui est en surcharge ; mais cet em-
barras revenant sans cesse et allant en augmentant par le
fait de la maturation graduelle du placenta , sans cesse aussi
se renouvellent les contractions de l'utérus; et à la fin ces
contractions se multiplient au point que le travail s'établit.
L'influence qu'exerce sur les contractions de l'utérus une
surcharge de sang dans cet organe , est si certaine , que sou-
vent il suffit de petites saignées pour prévenir des fausses-
couches chez les femmes qui y sont sujettes; que de grandes
hémorrhagies rendent toujours les contractions utérines fai-
bles et rares; et qu'après l'accouchement, les contractions
de l'utérus continuent jusqu'à ce que cet organe soit dégorgé
du sang qui le remplit. Du reste , il semble que par cela seul
que ces contractions ont eu lieu une première fois, elles,
tendent à se renouveler ; du moins c'est ce que porte à croire
la facilité avec laquelle surviennent les avortements et les
accouchements prématurés à toute époque quelconque de la
grossesse. Mais on conçoit que cela doit encore bien plutôt
arriver quand le col de l'utérus est tout-à-fait aminci , et ne
fait plus équilibre au fond et au corps de l'organe, comme
cela est à la fin de la grossesse. C'est par le concours de ces
causes que survient l'accouchement.
La nature a fait sagement coïncider l'instant où le déve-
loppement de l'utérus est à son terme, et où cet organe va
se livrer à son action cxpultrice, avec celui où le fœtus est
assez développé pour pouvoir vivre de la vie extérieure , et
n'a pas plus de volume que n'en comporte l'étroitesse des
parties qu'il doit traverser. L'époque de l'accouchement est-
elle fixe ? ou peut-elle être retardée ou avancée un peu ? Cela
rentre dans la question des naissances précoces ou tardives,
dont nous avons promis de nous occuper à l'article des
âges. Disons seulement que la périodicité menstruelle a
sur cette époque quelque influence; la plupart des ac-
couchements se font au retour de la neuvième ou dixième
menstruation : l'utérus étant alors dans une exaltation
de vitalité, a plus de susceptibilité, à la moindre irritation,
DE l'aCOUCHEMENT. iSî5
à se livrer aux contractations qui doivent effectuer Faccou-
chement.
Dans les autres excrétions, une sensation éclatait dans les
réservoirs excrémentitieîs avant même que ces réservoirs en-
trassent en contraction, et dès qu'il y avait pour eux vel-
léité de se vider. Ici il y a quelques différences : d'abord, il
n'est éprouvé de sensation que lorsque l'utérus se contracte;
et ensuite cette sensation a le caractère de la douleur, lors
même que l'excrétion s'accomplit. Cette douleur cependant
n'en est pas moins une sensation organique , comme le sont
les sensations des besoins de la défécation , de l'excrétion
de l'urine; elle n'est pas due au contact de l'œuf sur l'uté-
rus , mais reconnaît pour cause la contraction de cet organe;
et Ton peut l'assimiler à la sensation qui éclate dans les
autres excrétions, quand le besoin de les accomplir se fait
sentir.
2<> Conditions de l'accouchement. Dans l'expulsion du
fœtus liors de l'utérus et du corps de sa mère, ce fœtus a à
traverser le bassin, le vagin , et les parties extérieures de la
génération. Pour que cette expulsion se fasse le plus aisé-
ment possible, il faut donc un rapport entre le volume de
son corps et le diamètre du canal d'excrétion que forment
ces diverses parties; et ce rapport n'existe qu'autant qu'il
y a bonne conformation de ces parties, bonne conformation
du fœtus , et surtout qu'autant que ce fœtus se présente au
passage en une situation convenable. De là, la nécessité de
certaines conditions pour l'accouchement, dont les unes
sont relatives à la mère et les autres au fœtus.
Du côté de la mère, ce qui importe surtout est une
bonne conformation du bassin ; il faut que ce canal osseux,
que doit traverser le fœtus, ne soit ni trop large ni trop
étroit. Dans le premier cas, l'accoucbement serait retardé,
la tête de l'enfant s'engageant dans sa cavité avant que l'o-
rifice de l'utérus soit ouvert; dans le second, il serait plus
retardé encore, et pourrait même être tout-à-fait impossi-
ble. Du reste, pour faciliter l'intelligence du mécanisme
de l'accouchement , rappelons brièvement quelques-unes
des dispositions anatomiques du bassin. Les accoucheurs
126 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
ont distingué en lui le grand et le petit bassin; le premier
consiste dans ces ailerons, ces appendices évasés qui for-
ment les hanches et la partie supérieure du bassin : il est
étranger à l'accouchement, et a une étendue de huit à neuf
pouces. Le second forme le canal osseux que le fœtus doit
traverser, et on a distingué en lui son ouverture supérieure,
son ouverture inférieure et sa cavité. La première, appelée
détroit supérieur ou. abdominal) a, dans son diamètre an-
téro-postérieur ou sacro-pubien , une étendue de quatre
pouces, ou cent dix millimètres; dans son diamètre iliaque
ou transverse, une étendue de cinq pouces ou cent trente-
cinq millimètres; enfin, dans ses diamètres obliques et
d'une symphyse sacro-iliaque à la cavité cotyîoïde du côté
opposé, une étendue de quatre pouces et demi, ou cent
vingt millimètres. La seconde, appelée détroit inférieur ou
périnéal 3 a ses diamètres antéro-postérieur , transverse et
obliques, à peu près égaux, longs de quatre pouces, ou
cent dix millimètres; cependant le coccix , qui termine en
arrière le diamètre antéro-postérieur ou cocci-pubien , pou-
vant un peu être repoussé en arrière, ce diamètre s'agran-
dit de six lignes ou douze millimètres à peu près lors de
l'accouchement, et devient le plus grand. Enfin, l'excava-
tion du bassin , à cause de la concavité du sacrum, a un peu
plus d'étendue que les détroits. Nous devons noter encore
que , le bassin formant avec le rachis un angle de quarante,
degrés à peu près, l'axe de cette cavité n'est pas le même
que celui du corps , et même que les axes de chacun des dé-
troits diffèrent : l'axe du détroit supérieur est représenté
par une ligne qui, de l'ombilic de la femme, irait se ter-
miner au tiers inférieur de la concavité du sacrum ; celui
du détroit inférieur est représenté par une autre, qui,
de l'angle sacro-vertébral , irait passer au centre de ce dé-
troit : ces deux axes se rencontrent ainsi à peu près au mi-
lieu de la cavité pelvienne, et forment un angle obtus en
avant. Tl importe de connaître cette disposition , parce que
le fœtus, dans sa sortie, devra suivre successivement ces
deux axes, et conséquemment changer de direction. Les au-
tres conditions que doit présenter la mère pour l'accomplis-
DE L'ACCOUCHEMENT. 127
sèment de l'accouchement naturel sont; un état de souplesse
et d'humidité convenable dans les parties extérieures de la
génération; une situation de l'utérus telle que cet organe
soit dans l'axe du détroit abdominal ou à peu près; l'amin-
cissement de son col , rendu ainsi apte à s'ouvrir et se dila-
ter; enfin, l'accomplissement des changements qu'amène en
ce viscère la grossesse ^ et qui développent en lui la faculté
de contractilité qui lui est nécessaire. Nous ne pouvons
nous refuser à faire remarquer la situation heureuse du va-
gin , par rapport à l'utérus; véritable canal d'excrétion
prolongeant l'utérus, il est impossible que celui-ci exprime
de son intérieur le fœtus qui y est contenu , sans que le va-
gin ne livre aussitôt passage à cet être.
Du côté du fœtus, les conditions consistent dans sa bonne
conformation, et surtout dans une situation telle qu'il
puisse suivre facilement la direction des axes du bassin et
en traverser les détroits. Il faut pour cela qu'il présente une
des extrémités de l'ovule qu'il forme dans sa totalité, ou
la tête , ou les pieds, ou les genoux , ou les fesses. Ces posi-
tions sont les seules dans lesquelles l'accouchement puisse
se faire naturellement ; et de toutes , la plus fréquente et la
plus favorable, c'est celle où l'enfant présente le sommet de
la tête, dans une direction oblique, l'occiput derrière la
cavité cotyloïde gauche, et le front au-devant de la sym-
physe sacro-iliaque droite : dans cette position , en effet, la
tête de l'enfant présente ses plus petits diamètres aux plus
grands diamètres du bassin, et par conséquent doit pouvoir
traverser ce canal osseux avec plus de facilité. Cette position
n'est pas l'effet du hasard, mais est due à la disposition des
parties. D'abord la tête du fœtus, comme partie la plus
promptement développée et la plus lourde, est de bonne
heure dans la grossesse située en en bas, et appuyée sur le
col de l'utérus. Ensuite, la saillie du rachis déjetant un
peu décote l'utérus, et ordinairement à droite, parce que
le cordon sus-pubien de ce côté est plus court , la tète de
l'enfant partage cette obliquité de l'organe qui le ren-
ferme. En troisième lieu, les muscles psoas, qui sont situés
sur le côté du bassin, et qui agissent sans cesse pour la sta-
128 FONCTION DE LA GENERATION,
tion et la progression de îa femme , influent aussi sur cette
situation oblique. En quatrième lieu, si l'occiput se trouve
le plus souvent placé derrière l'une ou l'autre paroi antéro-
latérale du bassin , c'est que le dos de l'enfanl a dû mieux
s'accommoder des parois molles, souples et élastiques de
l'abdomen , que de la colonne rachidienne , sur laquelle
il ne devait pouvoir se fixer, à cause de sa convexité.
Enfin , si c'est plus souvent à la cavité cotyloïde gauche que
correspond l'occiput, c'est parce que , le plus souvent, le
fond de l'utérus est incliné à droite. La nature a donc heu-
reusement disposé les parties de manière à amener pres-
que toujours cette position du fœtus, qui est la plus favo-
rable à cet être et à la mère , pendant la grossesse et lors de
l'accouchement. Tour ce qui est de la grossesse, le fœtus
ayant ainsi sa face dorsale en rapport avec l'abdomen de sa
mère , a moins à redouter les effets d'un coup, d'une chute,
que s'il présentait de ce côté sa face sternale ; le contour du
colon et le rectum, qui sont à gauche, sont moins compri-
més et partant moins gênés dans leurs fonctions. Pour ce
qui est de l'accouchement, nous avons déjà dit qu'ainsi le
fœtus présentait ses plus petits diamètres aux plus grands
diamèlres du bassin; l'occiput se trouve très près de l'ar-
cade du pubis qu'il doit franchir ; il lui faut peu de
temps pour parcourir un trajet de deux pouces sur les
plans inclinés, lisses, que lui présentent les parois iskia-
tiques et sous-pubiennes; le dos du fœtus présente une
large surface aux muscles abdominaux, lorsque ceux-ci se-
ront appelés à seconder l'action contractile de l'utérus; Ja
paroi postérieure et latérale gauche de îa cavité du bassin
est presque libre , et le rectum n'est que peu ou point com-
primé; il ne l'est que dans le dernier temps du travail,
lorsque le front se place dans îa courbure du sacrum , et ce
n'est que pour peu de temps, la tête étant alors près de
franchir le détroit périnéal , etc. Tous les avantages de cette
position seront sentis quand nous parlerons du mécanisme
de l'accouchement; car c'est d'après elle que nous décrirons
celui-ci. Du reste, voici quelques généralités sur ce qui est
de la position du fœtus relativement à l'accouchement.
DE L'ACCOUCHEMENT. 129
Les accoucheurs ont signalé quatre-vingt-seize positions
possibles de l'enfant; vingt-quatre pour la tête, quatre
pour les pieds, quatre pour les genoux, quatre pour les
fesses, et soixante pour les quatre faces du tronc. Nous ne
parlerons pas de ces dernières , parce qu'elles rendent tou-
jours l'accouchement contre nature ou laborieux. Sur vingt
mille cinq cent dix-sept accouchements faits à l'hospice de
la Maternité , les positions des pieds se sont présentées deux
cent trente-quatre fois ; celles des genoux quatre, et celles
des fesses trois cent soixante-treize. Des vingt-quatre posi-
tions de la tête, huit seulement permettent l'accouchement
naturel; ce sont celles où le sommet se présente, et elles se
sont offertes dix-neuf mille sept cent trente fois sur le nom-
bre total que nous avons cité. Les accoucheurs leur ont
donné des noms qui suffisent pour les faire connaître; sa-
voir : position occipito-cotyloïdienne gauche ou droite,
occipito-pubienne, fronto-cotyloïdienne gauche ou droite,
fronto-pubienne, et occipito-iliaque gauche ou droite. Sur
le nombre d'accouchements précité, la première, qui est la
plus fréquente , s'est présentée quinze mille six cent quatre-
vingt-deux fois; la seconde trois mille six cent quatre-vingt-
deux; la troisième, six; la quatrième, cent neuf; la cin-
quième, quatre-vingt-douze, et la sixième, deux. Ainsi,
sur les quatre-vingt-seize positions dans lesquelles peut se
présenter l'enfant, il n'en est que vingt qui permettent
l'accouchement naturel.
3° Mécanisme de l accouchement. L'accouchement a pour
phénomènes principaux une série de contractions effectuées
par l'utérus, contractions qui sont intermittentes, mais
qui deviennent par degrés de plus en plus longues, fré-
quentes et énergiques 3 et qui appelant bientôt à leur aide
le concours des muscles abdominaux, parviennent à ouvrir
l'orifice de l'utérus, à expulser de cet organe le fœtus, et à
faire traverser à ce fœtus le bassin, le vagin, et les parties
extérieures de la génération. Comme dans le travail de l'ac-
couchement, il faut que successivement l'orifice de l'utérus
s'ouvre assez pour laisser passer la tête de l'enfant, et que
cet être traverse le détroit abdominal, l'excavation du bas-
Tome IV. 9
i3o FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
sin, le détroit, périnéal , et enfin les parties extérieures;
comme dans cette succession d'actes, les phénomènes exté-
rieurs, la fatigue, les douleurs, par exemple, ne sont pas
les mêmes , les accoucheurs ont généralement partagé l'ac-
couchement en plusieurs temps : mais chacun en a admis
plus ou moins. Ant. Petit en reconnaissait trois. M. Désor-
meaux établit ce même nombre , le premier, pour la dila-
tation entière de l'orifice de l'utérus; le second, pour l'ex-
pulsion entière du fœtus; et le troisième, pour ladélivrance.
Nous suivrons le plan de M. Chaussier, qui en admet cinq.
A. Premier temps. Préparation à V accouchement. Ce pre-
mier temps, qui pourrait être rapporté à la grossesse, est
caractérisé par les divers phénomènes qui , dans les der-
niers jours de cette époque, annoncent un prochain accou-
chement. La tête du fœtus, enveloppée du col de l'utérus,
est placée dans le détroit abdomiual, quelquefois même
dans l'excavation du bassin; le ventre est abaissé; par
suite, la respiration est plus libre, la circulation plus fa-
cile, la femme se sent plus légère; mais comme l'utérus est
plus bas., il y a de fréquentes envies d'uriner ; les symphyses
du bassin sont évidemment relâchées ; le vagin s'humecte,
s'assouplit, se dilate, et est le siège d'un écoulement glai-
reux, mêlé quelquefois de quelques gouttes de saûg : le col
de l'utérus, tout-à-fait aminci, effacé, commence à s'ouvrir;
enfin , de temps en temps surviennent quelques contrac-
tions de l'utérus, mais fort éloignées les unes des autres, et
si légères, qu'elles sont sans douleurs, ou marquées seule-
ment par un sentiment d'engourdissement dans cet organe.
B. Second temps. Dilatation de l'orifice de l'utérus. Dans
le second temps, les contractions de l'utérus dilatent l'ori-
fice de cet organe , et l'amènent au point de pouvoir donner
passage au fœtus. Ces contractions, qui d'abord n'avaient
eu lieu que de loin en loin , et qui étaient si faibles qu'elles
n'étaient pas senties, graduellement deviennent plus fortes
et surtout douloureuses. Bientôt leur rapprochement de-
vient tel, et le caractère de douleur qu'elles ont revêtu si
marqué , qu'on ne peut plus méconnaître que le travail de
l'enfantement a commencé. On est assuré d'ailleurs, aux
DE L'ACCOUCHEMENT. i3l
caractères suivants , que les douleurs sont celles de l'accou-
chement : d'un côlé, elles sont intermittentes, et séparées
les unes des autres par des intervalles de repos absolu ; d'un
autre côté, si l'on touche la femme pendant qu'elles ont
lieu, on sent que le col de l'utérus est tendu, dur, par-
tant en contraction, et même que l'œuf est poussé contre
son orifice, ou saille au travers si celui-ci est déjà un peu
dilaté. Ces douleurs sont en efièt les annonces inséparables
des contractions de l'utérus, et c'est désormais par elles
que l'on compte celles-ci ; se faisant sentir dès qu'elles ont
lieu, quand même l'orifice de l'utérus serait dilaté et ou-
vert, ou le fœtus expulsé, elles cessent quand l'utérus se
relâche. Au dire de plusieurs accoucheurs , elles ne siègent
que dans le col de l'organe; son fond et son corps ne font
éprouver qu'un sentiment de pression et d'engourdisse-
ment ; au moins est-il sûr que la distension qu'éprouve le
col, surtout dans les premiers temps, ajoute à leur inten-
sité naturelle ?
Le but de ces contractions utérines ou douleurs est de
dilater et d'ouvrir l'orifice de la matrice, et voici par quel
mécanisme. D'abord, les contractions se faisant du fond de
l'organe à son col , c'est sur celui-ci que porte toute l'im-
pulsion ; et comme ce col est alors très aminci par suite des
développements de la grossesse, cela doit tendre à l'ouvrir et
à le dilater. En second lieu, ces contractions détachent
graduellement de la surface interne de la matrice ïes mem-
branes de l'œuf, depuis l'ouverture du col jusqu'au pour-
tour du placenta ; et dès lors, ces membranes, ainsi que l'eau
qui les remplit, sont aussi poussées en en bas sur l'orifice ,
qu'elles doivent tendre également à dilater et à ouvrir.
Enfin, dès que l'orifice utérin est un peu ouvert, les mem-
branes de l'œuf s'y engagent sous forme de poche; et se ten-
dant à chaque douleur, elles deviennent un excellent moyen
pour amener l'orifice au degré d'ouverture et de dilatation
convenable.
Pendant tout le temps que comporte ce travail, les mu-
cosités glaireuses qui coulaient par le vagin sortent avec
plus d'abondance; bientôt elles sont mêlées de sang, à cause
0-
l32 FONCTION DE LA GENERATION,
du détachement de quelques parties du placenta , de la
rupture des vaisseaux qui établissaient les adhérences des
membranes avec l'utérus , ou de celle de quelques fibres
du col de cet organe. Les contractions utérines se succédant
continuellement, graduellement l'orifice se dilate de plus
en plus; à une certaine époque de sa dilatation, les mem-
branes de l'œuf se crèvent; une partie de son liquide inté-
rieur, ce qu'on appelle ses eaux, s'écoule au dehors; la tête
de l'enfant se place immédiatement sur le col, et pressée
sur lui avec énergie à chaque contraction utérine, elle en
achève enfin la dilatation. C'est par ce mécanisme, qu'en
plus ou moins de temps, le col de l'utérus s'ouvre au point
de pouvoir donner passage à la tête de l'enfant, et de ne
plus faire qu'un canal non interrompu avec le vagin.
C. Troisième temps. Trajet de la tête à travers l'orifice
utérin. Les contractions et douleurs utérines devenant de
plus en plus fortes, longues et rapprochées, et l'orifice
utérin étant assez dilaté pour laisser passer la tête de l'en-
fant, celle-ci paraît quelque temps prête à le franchir, et
est ce qu'on appelle au couronnement. Elle le traverse enfin,
étant poussée dans l'axe du détroit abdominal , et étant
placée obliquement, Tocciput correspondant à la paroi co-
tyloïdienne du côté gauche , et le front à la symphyse sacro-
iliaque droite : dans ce moment, quelques fibres du col se
déchirent., ordinairement au côté gauche. C'est de ce mo-
ment aussi qu'aux contractions de l'utérus vont s'associer
irrésistiblement les contractions des muscles abdominaux,
et que les douleurs deviennent, comme on le dit, eocpul-
sives. Dans cette période, la souffrance de la femme est
déjà extrême; il y a trouble dans sa respiration, sa circula-
tion; le pouls bat avec force, la face est colorée. Le fœtus,
pressé immédiatement par l'utérus, est dans un état de tor-
peur, et même d'asphyxie ou d'apoplexie ; la partie de la
tête qui a supporté la pression de l'orifice utérin , en a con-
servé souvent une tuméfaction , un thrombus, qui peut la
faire reconnaître après la naissance.
D. Quatrième temps. Sortie du fœtus. La tête du fœtus
ayant franchi l'orifice de l'utérus, est dans le vagin, rem-
de l'accouchement. i33
plissant l'excavation du bassin , et placée obliquement ,
l'occiput en bas contre la paroi cotyloïdienne gauche, et la
face en haut dans la cavité du sacrum ; le menton est ap-
puyé sur le sternum. De nouvelles contractions la font
avancer; mais à mesure qu'elle cliemine dans le bassin, elle
exécute une semi-rotation ; Focciput se porte sous l'arcade
du pubis , et le front se place tout-à-fait dans la cavité du
sacrum. Cela est nécessaire pour que la tête se place toujours
dans les diamètres les plus grands du bassin; et nous avons
dit que tandis que le diamètre le plus grand du détroit ab-
dominal était le diamètre oblique, celui du détroit périnéal
était le cocci -pubien. Les contractions se pressant de plus
en plus , l'occiput s'engage sous l'arcade du pubis; le coccix
en arrière est déprimé , et la tête s'avance vers l'orifice ex-
terne du vagin. Alors les parties molles éprouvent une
grande distension ; le périnée est tendu; le vagin s'accourcit
et s'élargit; les caroncules et les nymphes s'effacent; les lè-
vres de la vulve s'écartent. La tête de l'enfant est si forte-
teraent comprimée, que le cuir chevelu se fronce pendant
la douleur; elle exécute alors un mouvement d'extension,
le menton s'éloignant de la poitrine sur laquelle elle ap-
puyait auparavant. C'est alors aussi qu'irrésistiblement la
femme ajoute à l'action expultrice de la matrice la contrac-
tion des muscles abdominaux, et même de ceux de tout le
corps. Les muscles des extrémités inférieures agissent pour
maintenir le bassin dans la situation la plus favorable à
l'expulsion de l'enfant ; ceux des membres supérieurs et du
col se contractent pour donner toute fixité au thorax, sur
lesquels les muscles abdominaux prennent leur point d'ap-
pui ; on voit se produire tous les phénomènes qui s'obser-
vent dans les plus violents efforts. À chaque douleur îa tête
paraît prête à sortir; mais quand la douleur cesse, elle se
renfonce de nouveau, repoussée par la résistance physique
de la vulve et des parties. Enfin , dans un de ces douloureux
efforts } la tête franchit la vulve, présentant successivement
à l'extérieur la fontanelle antérieure, le front, le nez, la
bouche, le menton, et se relevant ainsi sur le pubis de la
mère ; les épaules traversent l'orifice de l'utérus ; bientôt
1 34 FONCTION DE LA GENERATION.
le reste du corps est expulsé de même , et presque saris
peine; l'enfant sorti en enlier du flanc qui l'a porté res-
pire, crie; et la circulation cessant dans le cordon qui
l'attache à sa mère , on peut couper ce cordon et le séparer
tout-à-fait.
E. Cinquième temps. Délivrance. À la fatigue extrême
et aux douleurs excessives qui marquaient le temps précé-
dent, succède d'abord un moment de repos délicieux; mais
il faut que soient expulsés aussi le placenta et les autres
parties annexes du fœtus. L'utérus, libre d'une portion
de ce qu'il contenait, s'est resserré d'autant, et restant
contracté, il forme une tumeur ronde, dure et égale par-
tout , que l'on sent à travers les parois de l'abdomen. Bien-
tôt de nouvelles douleurs surviennent. Le placenta pressé
se fronce, et se détache des parois de l'utérus; les contrac-
tions qui ont précédé ont d'ailleurs préparé ce détachement,
en troublant la circulation de cet orgaue avec la matrice,
en rendant graduellement moindre la quantité de sang qu'il
en reçoit. Si le détachement ne se fait que successivement ,
le sang qui coule à l'occasion de la première partie décolée,
s'accumule entre le reste de la masse et l'utérus, et concourt
aussi à en amener le décollement complet. Alors, devenu
corps étranger et libre, le placenta est poussé par les con-
tractions utérines à travers l'orifice de l'utérus, le vagin et
la vulve , et il entraîne avec lui les membranes propres de
l'ovule. Il ne reste qu'une partie de l'épichorion ou mem-
brane caduque, qui sortira avec les lochies. L'écoulement
d'une petite quantité de sang vermeil marque ce dernier
temps de l'accouchement.
Tout ce travail comporte un temps plus ou moins long ,
selon les conditions dans lesquelles sont et la femme et le
fœtus. Le premier accouchement est toujours plus long que
les suivants. Il est facile de distinguer dans cet acte ce qui
est de l'action expuitrice du réservoir excrémentitiel , et ce
qui est de l'action annexe des muscles circonvoisins : la pre-
mière est telleriient la principale, qu'on a vu souvent des
accouchements se faire après la mort , ou pendant des éva-
nouissements, des léthargies, ou lorsque l'utérus était en
de l'accouchement. i35
prolapsus , et tout-à-fait en dehors de la cavité abdominale.
De toute certitude , le fœtus y est passif. En vain Hippocj*ate
attribuait une part quelconque à ses efforts; en vain on a
dit, qu'appuyant fortement ses pieds contre le fond de l'u-
térus, il poussait, avec sa tête contre l'orifice de l'organe :
dans l'accouchement prématuré, évidemment le fœtus se-
rait trop faible pour dilater le col de l'utérus, qui en ce
cas est très résistant; n'accoucbe-t-on pas d'un œuf entier,
d'une môle, d'un fœtus mort? le fœtus n'est-t-il pas trop
serré pour pouvoir effectuer les mouvements qu'on lui sup-
pose? ne sort-il pas quelquefois enveloppé encore de ses
membranes ? Onaccoucbe, dira-t-on, moins vite d'un fœtus
mort; mais c'est qu'alors ce fœtus ne faisant aucun mou-
vement, ne réveille plus sans cesse les contractions utéri-
nes, et qu'ainsi il y a souvent de grands intervalles entre
chaque douleur, La contraction de l'utérus est la puissance
principale , et son effet est tel que la main de l'accoucheur,
laissée dans l'organe pendant qu'elle a lieu, en éprouve un
engourdissement sensible. On s'est demandé pourquoi ces
contractions ou douleurs sont intermittentes : Buffon en
accusait la séparation partielle du placenta; mais quelque-
fois le placenta est sorti le premier, et les douleurs, dans le
reste du travail, se sont succédé comme à l'ordinaire. On
a dit que l'application forte de l'utérus au fœtus amenait
une pression des nerfs de cet organe , et par suite sa para-
lysie momentanée ; mais alors, pourquoi les douleurs vont-
elles en se rapprochant ? Cette intermittence des douleurs
est un fait incontestable , mais dont la cause ne peut être
assignée. Dans les premiers temps, elles se font sentir dans
la direction d'une ligne qui se rendrait de l'ombilic à la se-
conde pièce du sacrum; et dans les derniers, elles se por-
tent au contraire de ce point du sacrum au coccix : on voit
que ces deux directions sont celles des deux axes des détroits
abdominal et périnéal , que dans son éduction doit suivre
le fœtus.
4° Suites de l'accouchement. Dans les premiers moments
qui suivent Faceouchenient, la femme conserve un senti-
ment de faiblesse , de fatigue, qui bientôt amène un som-
1 36 FONCTION DE LA GÉNÉRATION,
me il paisible ; toute sa personne offre des traces de la grande
secousse qu'elle a éprouvée , son œil est moins vif, sa face
est pâle. Cependant les fonctions se remettent bientôt du
grand trouble où elles étaient; la respiration devient aisée,
parce que l'abdomen vidé permet mieux le jeu libre du dia-
phragme ; le pouls perd sa fréquence , devient ample, grand,
et souple; ïa peau est molle, avec chaleur douce et hali-
tueuse ; une légère moiteur s'établit, et cette moiteur per-
sistera pendant toute la durée de la couche. L'utérus se
resserre de plus en plus ; ses vaisseaux redeviennent flexueux,
petits, et leurs orifices se bouchent : dans les premiers
temps , il coule un peu de sang de sa surface interne; mais
«à mesure que son resserrement s'effectue , cet écoulement di-
minue et disparaît tout-à-fait pour faire place à celui qu'on
appelle lochies. Quand il s'est amassé quelques caillots dans
sa cavité, surviennent quelques contractions et douleurs
qui en amènent l'expulsion. A mesure que l'utérus se ré-
tracte, les divers viscèros de l'abdomen reviennent à leur
position première , les muscles abdominaux se rapprochent,
la ligne blanche se resserre, les ovaires, les trompes, les
cordons sus-pubiens, le péritoine, reprennent aussi leur
situation accoutumée; les parties extérieures génitales, qui
souvent ont été conluses, graduellement deviennent de
moins en moins douloureuses et se resserrent aussi. Tous
ces changements commencent à se faire immédiatement
après îa délivrance; niais les effets de plusieurs ne sont sen-
sibles qu'après plusieurs jours , et il faudra un mois et plus
pour qu'il ne reste plus de traces de l'accouchement. Pen-
dant les deux premiers jours, du sang coule par la vulve ; ce
sang provient des vaisseaux qui étaient étendus de l'utérus à
]a surface du placenta ; mais sa quantité diminue à mesure
que l'utérus se resserre. Au troisième jour, il fait place à
un écoulement sanguinolent, roussâtre. Le quatrième et le
cinquième, la matière de cet écoulement devient épaisse,
blanchàlre, puriforme, a une odeur fétide, et se compose
évidemment des débris de Pépichorion qui s'exfolie et
de la sérosité que fournissent les orifices des vaisseaux de
l'utérus. À mesure, que l'épichorion est expulsé, et que l'u-
DE L'ACCOUCHEMENT. 187
térus, consécutivement à son resserrement qui continue de
se faire, est dégorgé , l'écoulement perd de son odeur fétide,
et redevient une sérosité muqueuse et blanchâUe. Enfin
diminuant par degrés, cet écoulement, qui constitue ce
qu'on appelle les lochies , disparaît tout-à-fait après vingt à
trente jours. L'utérus emploie deux mois à revenir à son
premier volume; cependant il reste toujours un peu plus
gros, et un peu moins dense; ses lèvres sont plus épaisses,
plus longues, plus écartées, surtout la postérieure; et on
observe une ou deux fissures au côté gauche de son orifice
vaginal. Les symphyses du bassin se raffermissent aussi, ce-
pendant le bassin reste toujours un peu plus ample, et la
taille est moins svelte. Quoique la peau de l'abdomen se
soit resserrée, elle conserve des éraillures blanchâtres, dés-
ormais indélébiles, et sensibles surtout vers l'hypogastre
et l'ombilic. Nous ne parlons pas de la sécrétion laiteuse
qui s'établit vers le troisième jour de la couche; nous allons
en traiter tout à l'heure en particulier. Enfin, pendant que
l'écoulement des lochies subvient aux changements locaux
qui se font dans l'utérus, celui de la transpiration cutanée,
qui est sensiblement augmentée , remédie à la pléthore
lympbatique que l'état de grossesse avait amené , et est l'an-
nonce du retour de l'état général des humeurs à ce que ces
humeurs doivent être hors l'état d'exercice de l'appareil
génital : cependant quelquefois l'allaitement prolonge cette
constitution humorale particulière; et souvent les femmes
conservent tout le temps qu'elles nourrissent 3a surabon-
dance de sucs blancs et de graisse, la mollesse et la blan-
cheur de la peau, qui s'étaient développées en elles à l'oc-
casion de la grossesse.
Tel est l'accouchement, fonction plus laborieuse dans
l'espèce humaine que dans les autres animaux , parce que
le fœtus humain a une tête beaucoup plus grosse, et que le
bassin , au lieu d'être dans l'axe même du corps, est oblique
sur le racbis.
i38 1- ONCTION DE LA GENERATION.
ARTICLE V.
De la Sécrétion du lait et de la Lactalion.
Bien qu'après l'accouchement, l'enfant soit tout-à-fait
séparé de sa mère et ait sa vie isolée , le rôle de la femme
pour la reproduction n'est pas encore terminé : il faut en-
core qu'elle fournisse l'aliment dont l'enfant va user dans
les premiers mois de son existence, le lait. Celui-ci est le
produit de l'action sécrétoire des mamelles; il est créé par
le mécanisme ordinaire des sécrétions; mais il y a débats
sur les matériaux dont il émane , et sa sécrétion diffère de
toutes les autres par les circonstances particulières qui la
mettent en jeu.
Sans doute plusieurs sécrétions présentent dans leur exer-
cice des alternatives de grande activité et de diminution;
]a sécrétion de la salive , par exemple , est presque tarie
iiors le temps des repas. Mais il n'en est aucune qui soit
aussi évidemment intermittente que la sécrétion du lait.
C'est en vain que son appareil , la glande mammaire , reçoit
le sang qui doit fournir à son travail ; il faut , pour que la
sécréiion ait lieu, que cette glande ait acquis, par l'in-
fluence de la grossesse et de l'accouchement, un état d'exci-
tation particulier. En effet . non -seulement les glandes
mammaires sont étroitement unies à toutes les autres parties
de l'appareil génital; elles n'apparaissent comme elles, ou
du moins ne prennent un grand développement qu'à la pu-
berté ; elles disparaissent ou se flétrissent à l'âge critique;
les seins grossissent , se gonflent à chaque période men-
struelle; ils s'érigent un peu dans le coït : mais, de plus,
les mamelles n'exercent d'ordinaire leur travail sécrétoire
que consécutivement à la grossesse et à l'accouchement. On a
bien quelques exemples de filles vierges , d'hommes même
dont la mamelle , irritée par des efforts de succion , a fourni
du lait : nous avons cité , d'après M. de Humholdt , un
homme de trente-deux ans qui a, pendant cinq mois, al-
laité son enfant; Baudeloque a vu une petite fille d'Aiençon,
DE LA SÉCRÉTION DU LAIT ET DE LA. LACTATION. 1 3g
âgée de Luit ans, qui allaita son frère pendant un mois :
l'histoire a conservé le trait de cette jeune Romaine qui
nourrit aussi de son lait son vieux père en prison ; ce phé-
nomène a même été observé chez des femmes septuagénaires.
Mais ce ne sont là que des exceptions; le plus ordinaire-
ment c'est l'impulsion que les autres parties génitales reçoi-
vent de la conception , de la grossesse et de l'accouchement ,
qui , en retentissant dans les glandes mammaires, détermine
la sécrétion du lait ; et cette sécrétion est aussi évidemment
intermittente que la grande fonction dont elle fait partie.
Dès lors, puisqu'elle n'est pas continue, comme le sont
presque toutes les autres sécrétions, il importe d'abord de
détailler comment elle entre en jeu.
Nous avons dit que , dès les premiers temps de la concep-
tion, les seins se gonflaient : cette augmentation de volume
marque le commencement de la sécrétion du lait; souvent
dès le milieu de la grossesse, ce fluide coule de lui-même des
mamelles; mais c'est moins un lait proprement dit, qu'un
fluide séreux. Il en est de même le premier et le deuxième
jour qui suivent l'accouchement; déjà l'enfant puise dans
les mamelles du lait; mais ce lait est loin d'offrir la con-
sistance qu'il aura par la suite , il est très séreux, on l'ap-
pelle coloslrum; et l'on croit qu'il est un peu purgatif, et a
Futilité de faire évacuer à l'enfant son méconium : il est sûr
au moins qu'il est proportionné à la délicatesse de l'estomac
de l'enfant. Mais, au troisième jour de la couche, tout à
coup les mamelles se gonflent, durcissent, deviennent dou-
loureuses; elles sont évidemment un centre de fluxion; de
la fièvre sympa thiquement accompagne leur travail; et leur
sécrétion s'établit alors avec la forme qu'elle aura désormais
pendant toute la durée de l'allaitement. L'organe a tout à
coup revêtu une activité qui a, dans le premier instant, la
forme d'une maladie , et c'est là une nouvelle différence de
la sécrétion du lait avec les autres sécrétions. Quelle cause
détermine ainsi cette fluxion soudaine sur les mamelles ?On a
parlé de la rétraction del'utérus qui revient sans cessedeplus
en plus sur lui-même, et qui, surtout , n'ayant plus à nour-
rir le fœtus, cesse d'être un centre de fluxion. On a invoqué
l4o FONCTION DE LA GENERATION,
ia loi du balancement des organes , et surtout une harmonie
préétablie, en vertu de laquelle les diverses parties d'un
même appareil deviendraient tour à tour un point fluxion-
naire. dans l'ordre selon lequel leurs fonctions doivent se
succéder. Quelques-uns ont accusé l'irritation résultant de
la succion exercée par l'enfant; mais cette dernière cause
n'est certainement qu'accessoire, puisque sans elle les ma-
melles ne se gonflent pas moins. Toutefois, la sécrétion une
fois commencée, la succion exercée par l'enfant en consomme
successivement leproduit ; et en même temps, par l'irritation
qu'elle cause dans la mamelle , cette succion en entretient
l'activité sécrétoire. Ce n'est en effet que le premier jour,
que la fluxion a le caractère d'excitation qui simule une
maladie; bientôt l'appareil fébrile cesse, et désormais la
sécrétion s'effectue d'une manière aussi calme que toutes les
autres. Le lait, dans les premiers jours, est séreux encore;
ensuite il devient de plus en plus épais et consistant, à me-
sure que la sécrétion se prolonge.
De quels matériaux provient le lait? les physiologistes
sont ici dissidents. M. Richerand le dérive de la lymphe, et
se fonde , i° sur ce qu'il y a dans les mamelles huit fois plus
de vaisseaux lymphatiques que de vaisseaux sanguins ;
2° sur ce que ces vaisseaux lymphatiques évidemment gros-
sissent dans les temps de lactation; 3° sur ce que Haller
a vu, par des injections, les conduits excréteurs du lait
communiquer évidemment dans le tissu graisseux des seins;
4° sur ce qu'enfin ia glande mammaire n'a pas une structure
aussi évidemment granulée que celles des autres glandes,
et ressemble davantage , par sa texture , aux ganglions
lymphatiques. Mais aucune de ces raisons ne constitue une
démonstration rigoureuse. Le volume du sein, et la masse
considérable de tissu cellulaire graisseux qui entre dans sa
structure, expliquent pourquoi les vaisseaux lymphatiques
y sont si abondants. M. Sallion , auteur d'un Mémoire cou-
ronné, sur la sécrétion laiteuse, pense d'ailleurs que M. Ri-
cherand a pris pour des vaisseaux lymphatiques plusieurs
des vaisseaux excréteurs du lait. Si les vaisseaux lymphali-
ques des seins grossissent dans les temps de lactation, il en
DE LA SÉCRÉTION DU LAIT ET DE LA LACTATION. l4l
est de même de leurs vaisseaux sanguins, et particulière-
ment de leurs artères. Si les conduits excréteurs du lait ont
des communications dans le tissu graisseux du sein, ils en
ont de plus évidentes encore et de plus faciles avec les vais-
seaux sanguins de cette partie; voit-on d'ailleurs la graisse
du sein diminuer en proportion de la quantité du lait qui
est sécrétée ? voit-on cette graisse influer, par sa quantité,
sur l'abondance de la sécrétion? Si la glande mammaire a
une texture moins granulée que toute autre glande, elle
n'en est pas moins bien différente des ganglions lymphati-
ques. Enfin , si c'est la lymphe- qui alimente la sécrétion
laiteuse, pourquoi les lymphatiques qui de l'abdomen vont
aux seins, sont-ils plus gros en sortant de ces organes qu'en
y entrant? Nous n'admettons donc pas l'idée de M. Riche-
rand. D'autres ont fait dériver le lait du chyle, se fondant
sur ce que la sécrétion de ce fluide s'active sensiblement
après les repas, et sur ce que le lait partage très prompte-
ment les qualités des aliments que l'on a pris. Mais ce que
nous avons dit dans le temps de la circulation du chyle et
de son transport dans le sang, réfute suffisamment cette
assertion. Ce ne serait que par le sang que ce chyle arriverait
à la glande mammaire, et encore il n'y arriverait qu'en très
petite quantité , le reste étant envoyé aux autres parties du
corps. Si le lait des nourrices monte, comme on dit, après
les repas, cela tient à l'excitation que les mamelles reçoivent
sympathiquement du travail de l'estomac; et si ce fluide
accuse promptement quelques-unes des qualités des aliments
qui ont été pris, on a vu qu'il en était de même de toutes
les autres humeurs sécrétées. Cependant il faut convenir que
la filière mammaire est plus accessible qu'aucune autre fi-
lière sécrétoire, à la pénétration des parties hétérogènes des
aliments; voyez avec quelle facilité le lait de nos bestiaux
accuse les qualités des pâturages dont ils sont nourris. Sur
cette facilité repose , dans notre espèce , la possibilité de
faire prendre aux nourrices les médicaments que réclament
les maladies des enfants à la mamelle. M. Girard de Lyon,
a émis, sur la sécrétion lactée, une opinion moins fondée
encore que les précédentes; selon lui, il existe clans l'ab-
i42 FONCTION DE LA GENERATION,
domen un appareil de vaisseaux intermédiaires à L'utérus et
à la mamelle, restant inactifs hors les temps de grossesse et
d'accouchement , entrant tout à coup en jeu à ces époques,
et conduisant, de l'un de ces organes à l'autre , les matériaux
de la sécrétion. Mais où est ce prétendu appareil vasculaire ?
l'auteur de l'hypothèse avoue lui-même n'avoir pu le dé-
couvrir. Au milieu de toutes ces dissidences , il nous semble
évident que la sécrétion du lait, ainsi que toutes les autres
sécrétions du corps, est alimentée par le sang artériel. D'a-
bord , nous venons de le prouver en quelque sorte par voie
d'exclusion , puisqu'il nous a été impossible d'en trouver la
source en aucun autre fluide. En second lieu, c'est ce que
porte à croire l'analogie des autres sécrétions ? Enfin , n'en
a-t-on pas une preuve directe, lorsqu'on voit, en de certains
cas, les efforts de la succion finir par faire sortir des seins
le sang lui-même ?
Ces diverses questions discutées, l'histoire de la sécrétion
laiteuse se réduit aux considérations générales à toutes les
sécrétions. Le sang artériel, apporté par les artères mam^
maires dans le parenchyme de la glande , est saisi par les
radicules sécréteurs, et changé en lait. Celui-ci circule dans
les vaisseaux sécréteurs. Les causes qui l'y fout cheminer,
sont , d'une part, la continuité de la sécrétion aux origines
du système sécréteur, et de l'autre, une action contractile
de ces vaisseaux. Sa progression y est lente, à raison de la
faiblesse de cette dernière cause, et parce que les vaisseaux
lactifères font de longs replis. Si la sécrétion est continue,
l'excrétion ne Test pas, et n'a lieu que d'intervalles en in-
tervalles. Il semblerait dès lors qu'il devrait y avoir dans
l'appareil lacté un réservoir pour le lait, comme il en est
un pour la bile, le sperme, dans les appareils biliaire et
sperma tique : mais ce sont les vaisseaux excréteurs du lait
qui eux-mêmes en tiennent lieu; la nature les a faits dans
cette vue très longs et très repliés : cela est si vrai , que lors-
que les nourrices tardent quelque temps à donner à téter à
leurs enfants, leurs seins se gonflent et deviennent doulou-
reux. La petitesse des vaisseaux sécréteurs facilite le séjour
du lait dans leur intérieur; et d'ailleurs leurs orifices exté-
DE LA SÉCRÉTION DU LAIT ET DE LA LACTATION. l4&
rieurs sont bridés au mamelon du sein , qui est le point
auquel ils aboutissent. Le lait , pendant son cours dans ces
vaisseaux, est-il modifié? il est probable qu'il ne fait que
s'épaissir un peu par l'absorption de sa partie la plus
aqueuse.
Quant à l'excrétion, elle n'a lieu que d'intervalles en in-
tervalles; et à cause de cela on peut la distinguer de la sé-
crétion qui est continue. Quand les vaisseaux lactifères de
la mamelle sont suffisamment pleins, un sentiment de pe-
santeur, de gonflement , de douleur à ce! te partie , accuse le
besoin qu'elle a d'être vidée; quelquefois alors l'excrétion
se fait spontanément, mais le plus souvent elle ne se fait
que consécutivement à l'action de succion. Cette succion a
le double effet, d'un côté, d'irriter les canaux galactopho-
res, et d'en provoquer la contraction; d'un autre côté, de
déterminer l'érection du mamelon du sein, et de relâcher
par là les brides qui ferment les orifices des excréteurs. Il
est d'autant moins possible de douter de ce dernier fait,
qu'une sensation de plaisir est éprouvée alors par la nour-
rice, et qu'un orgasme voluptueux s'étend à tout le sein,
même au tissu graisseux qui le compose. Les petites mains de
l'enfant, qui d'ordinaire se promènent sur l'organe, et le
pressent, concourent aussi à exciter son travail sécrétoire.
On voulait que le vide fait dans la bouche par l'acte de
succion ait aussi une influence physique sur la projection
du lait dans la bouche de l'enfant; mais cela n'est guère
probable , et la contraction des vaisseaux excréteurs est la
seule cause du jet qu'offre souvent ce fluide au moment de
son expulsion. Il n'y a pas ici d'appareil musculaire volon-
taire annexé à l'organe d'excrétion , comme cela est dans la
plupart des autres excrétions.
11 nous reste à faire l'étude du lait lui-même. C'est un
liquide blanc, opaque, d'une saveur douce et sucrée, d'une
odeur particulière, et d'une pesanteur spécifique supérieure
à celle de l'eau distillée. C'est une liqueur très azotée, com-
posée d'eau , de matière caséeuse , de sucre de lait , de quel-
ques sels (muriate de potasse , phosphate de potasse , acétate
de potasse avec un vestige de lactate de fer, phosphate ter-
l44 FONCTION DE LA GENERATION,
reux), et d'un peu d'acide lactique. M. Berzèlius distingue
en lui ia crème et le lait , et assigne à chacune de ces deux
matières la composition suivante : crème, beurre, 4>5 ;
fromage, 3,5; petit-lait, 92,0; et dans ce petit-lait, il y
a 4>4 de sucre de lait et de sel : lait , eau, 928,75; fromage
avec une trace de sucre, 28,01; sucre de lait, 3 5, 00 ; muriate
de potasse, 1,70; phosphate de potasse, o,25; acide lacti-
que, acétate de potasse et lactate de fer, 6,00; phosphate de
chaux, o,3o. Il y a dans le lait de la femme plus de sucre
de lait et moins de matière caséeuse , que dans celui de nos
animaux domestiques , d'où résulte que ce lait est plus doux,
plus liquide, moins coagulable, et que jamais on n'a pu
fabriquer de beurre avec sa crème. Du reste, la nature chi-
mique du lait varie un peu selon les aliments dont use la
femme; il est plus abondant, plus épais et moins acide,
quand ces aliments sont tirés du règne animal. Quant à la
quantité du lait, cela varie encore selon la constitution de
la femme , le degré de vitalité de la mamelle, la nature plus
ou moins bonne du régime alimentaire de la nourrice, sur-
tout selonl'époque de lalactation. A mesure que l'allaitement
se prolonge , non-seulement le lait devient de plus en plus
épais et consistant, mais il est plus ou moins abondant;
dans les premiers mois de la nourriture, sa quantité paraît
augmenter; mais dans les derniers elle diminue graduelle-
ment, et à la fin la sécrétion se tarit. La quantité du lait est
généralement évaluée au tiers de l'alimentation.
Telle est la sécrétion laiteuse : comme toute autre sécré-
tion excrémentitielle , elle est modifiée par les deux usages
spéciaux des excrétions, la dépuration du sang et la décom-
position du corps. D'un côté, le lait trahit promptement
la présence des diverses substances hétérogènes portées du
dehors ou du dedans dans le sang. D'autre part , chez la
femme nourrice, les autres excrétions du corps sont dimi-
nuées, ou au moins le besoin de l'alimentation est plus
prononcé pour remédier aux déperditions plus grandes qui
sont faites. Sous ce double rapport, la sécrétion du lait
entre aussi en solidarité avec toutes les autres. Du reste ,
elle est un des actes de l'économie les plus susceptibles d'être
DE LA SÉCRÉTION DU LAIT ET DE LA LACTATION. l45
modifiés par toute influence, soit externe, soit organique -
qui ne sait quelle atteinte prompte elle reçoit d'une affec-
tion morale vive ?
Généralement, pendant tout le temps qu'elle a lieu l'ex-
crétion menstruelle ne se fait pas; si celle-ci survient le
plus souvent la sécrétion du lait s'arrête, ou son produit
est de mauvaise qualité. Ce dernier effet est encore plus
constant, s'il survient une nouvelle grossesse. Le retour des
règles annonce généralement, que l'appareil génital est
tout-à-fait revenu à son type primitif d'activité, et que la
sécrétion du lait va prochainement cesser. La nature a heu-
reusement proportionné la durée de cette sécrétion au dé-
veloppement de l'enfant; à mesure que celui-ci croît son
estomac devient apte à digérer un aliment plus substantiel •
bientôt le lait, quoiqu'il devienne de plus en plus épais
est insuffisant; il faut recourir à quelques aliments artifi-
ciels ; la pousse des dents est l'annonce de ce progrès* alors
l'enfant demande moins souvent à tetter, et la mamelle
moins irritée sécrète moins. Ainsi, la quantité du lait di-
minue à mesure que le besoin de ce liquide devient moin-
dre; vers dix mois, un an, l'enfant ne tetle plus que deux
à trois fois dans le jour; à la fin, il refuse le sein, et l'al-
laitement est terminé. D'un côté, l'appareil utérin repre-
nant ses fonctions accoutumées , le sein a tendance à revenir
à son inaction première; il ne faut guère moins qu'une
irritation renouvelée plusieurs fois le jour pour entretenir
son action de sécrétion. D'un autre côté, l'enfant a moins
d'avidité à tetter, et à la fin se refuse à ce mode d'alimen-
tation. La sécrétion doit donc se tarir, et c'est en effet ce
qui arrive vers un an ou deux au plus, si on ne change pas
de nourrisson. L'allaitement fini, la grande fonction delà
génération est accomplie.
Telle est la génération , par laquelle se reproduisent , se
conservent, et peut-être se perfectionnent les espèces vi-.
vantes. Action exclusive aux êtres vivants, elle diffère de
toutes les autres fonctions, en ce que son accomplissement
Tome IV. 10
i 46 FONCTION DE LA GÉNÉRATION.
n'est pas possible pendant tout îe cours de la vie : n'entrant
en exercice que lorsque la croissance du corps est achevée ,
par conséquent bien plus tard que toutes les autres fonc-
tions, elle cesse aussi bien plus tôt, dès les premiers temps
de la vieillesse. A l'article des âges, nous indiquerons ce
qui est d'elle en chacun d'eux. Dans les animaux, elle n'est
même possible qu'à des époques déterminées de l'année;
mais l'homme peut à peu près l'accomplir en tout temps,
pendant toute l'époque de sa vie dans laquelle il en a l'apti-
tude. Bien que l'appareil génital ait des influences fort remar-
quables sur tout le reste de l'économie, comme nous le ver-
rons ci-après, on peut cependant s'abstenir toujours de
l'acte de génération, et même extirper l'organe principal de
cette fonction, ie testicule ou l'ovaire, comme le prouve
l'exemple des eunuques. Du reste, sous le rapport philoso-
phique, on peut considérer la génération comme une mo-
dification de la propriété générale d'expansion de la matière,
et dire avec les physiologistes que son but est opposé à celui
de la nutrition, puisqu'elle détruit l'individu afin d'assurer
l'existence de l'espèce.
«WWWV» VW\ VWlXWi MJV\WMlWI«Vlt VWVWV» VWX*/W\ WVWWVWWWWV»'V\ VW» VIWIVM
APPENDICE
AUX DEUX DERNIÈRES CLASSES DE FONCTIONS.
De V innervation.
Nous avons établi que dans les animaux supérieurs, et
par conséquent dans l'homme, le système nerveux, non-
seulement régissait toutes les actions sensoriales , la classe
entière des fonctions de relation; mais encore , qu'il se sub-
ordonnait toutes les fonctions organiques, toutes les ac-
tions qui se produisent dans l'économie irrésistiblement et
sans que nous en ayons conscience. Nous avons dit qu'on
avait localisé dans une des portions de ce système , le grand
DE L INNERVATION. i £j
sympathique , cette influence exercée par le système ner-
veux sur toutes les parties et sur toutes les actions de l'éco-
nomie des animaux supérieurs. Pour compléter l'histoire
des fonctions , il faut donc traiter de cette action spéciale
du système nerveux , qu'on appelle innervation , et de l'of-
fice du grand sympathique; soit qu'on considère cette par-
tie nerveuse comme servant tour-à-tour de moyen d'union
ou de moyen d'isolement entre les organes des fonctions in-
térieures et ceux des fonctions extérieures; soit qu'on la
regarde comme le moteur principal , le dispensateur pri-
mitif de l'impulsion vitale, et l'agent de cette influence
nécessaire à toute vie, et appelée innervation. Nous allons
d'abord rappeler brièvement quelle est sa disposition ana-
tomique, ainsi que celle d'un autre nerf, qui, comme lui
semble être jusqu'à un certain point affecté au jeu des or-
ganes intérieurs, le nerf vague ou moyen sympathique.
CHAPITRE PREMIER.
Anatomie du grand Sympathique.
Le grand sympathique, appelé encore nerf trisplanchnU
que. système nerveux ganglionnaire , système nerveux de
la vie organique , est, chez l'homme, un long cordon ner-
veux, étendu de la tête au bassin, sur les côtés et le long
du rachis , et offrant dans ce trajet une série de renflements
appelés ganglions, desquels partent deux sortes de nerfs;
les uns, originels ou. anastomotiques , qui aboutissent à
plusieurs des nerfs encéphaliques età tous les nerfs spinaux;
les autres, qui sont les nerfs propres de ce système, qui
s'attachent aux artères, et vont avec elles se distribuer aux
divers organes des fonctions intérieures , partout où se pro-
duisent quelques actes indépendants de la volonté.
Des divers ganglions qui forment le nerf, le premier ou
le supérieur, est appelé ophtlialmique, et situé dans le crâne
au côté externe du nerf optique , près du lieu où ce nerf
entre dans l'orbite. De ce ganglion, le grand sympathique
se continue sons la forme d'un filet nerveux très fin, qu'a
10.
i48 de l'innervation.
récemment découvert Bock, jusqu'à un second ganglion
renfermé dans le canal carotidien et le sinus caverneux.
Arrivé à la hase du crâne , il descend le long du col , offrant
dans ce trajet trois autres ganglions; le ganglion cervical
supérieur, situé au-devant des apophyses des trois premières
vertèbres cervicales; le ganglion cervical moyen, situé entre
les cinquième et sixième vertèbres cervicales; et le ganglion
cervical inférieur, situé entre la septième vertèbre cervicale
et la première dorsale. Plongeant alors dans le thorax, et
se prolongeant jusqu'au coccix , dans cette longueur, il offre
de nouveaux ganglions, savoir : douze thoraciques , situés
à côté du corps des vertèbres dorsales sur l'extrémité articu-
laire des côtes; cinq lombaires , au niveau du corps de cha-
cune des vertèbres lombaires; et quatre sacrés sur la partie
antérieure du sacrum. A son extrémité inférieure , le grand
sympathique, ou s'unit en arcade avec le nerf du côté op-
posé, ou se termine par un dernier ganglion , le coccigien.
Outre les cordons nerveux que de haut en bas s'envoient
les divers ganglions, et qui font de tout le grand sympa-
thique un système continu, chaque ganglion, avons-nous
dit, fournit deux espèces de nerfs; les uns, qui font com-
muniquer le grand sympathique à plusieurs paires encé-
phaliques, et à toutes les paires spinales; et les autres, qui
s'attachent aux artères, forment autour d'elles des réseaux,
les suivent dans toutes leurs divisions, et se distribuent
avec elles aux organes des fonctions involontaires.
Les premiers sont appelés des racines , ou des rameaux
anastomotiques , selon qu'on considère le grand sympathique
comme un nerf dérivé de l'encéphale ou de la moelle spi-
nale, ou comme un système nerveux à part, mais mis en
communication avec ces deux centres. Chaque ganglion en
fournit qui se rendent aux nerfs encéphaliques et spinaux
qui sont à leur hauteur. Ainsi le ganglion ophthalmique en
détache qui vont s'unir à la troisième paire encéphalique,
et à une des divisions delà cinquième, la branche frontale
de l'ophthalmique de Willis. Du plexus gangliforme situé
dans le canal carotidien , il en naît deux qui vont à la
sixième paire encéphalique , et un qui va au nerf vidien de
ANATOMIE DU GRAND SYMPATHIQUE. i49
la cinquième. Les ganglions cervicaux communiquent avec
les paires cervicales; le supérieur, avec les trois premières
paires et souvent la quatrième ; le moyen, avec la cinquième
et la sixième ; et l'inférieur, avec la septième et la huitième,
et avec la première paire dorsale. Chaque ganglion thora-
cique envoie un ou deux filets anaslomotiques à la paire
dorsale qui lui correspond. Enfin il en est de même des gan-
glions lombaires et sacrés, par rapport aux nerfs lombaires
et sacrés.
Les seconds sont au contraire appelés les nerfs propres
du grand sympathique, parce que ce sont eux qui se dis-
tribuent aux organes , et qui probablement leur apportent
l'influence nerveuse , quelle qu'elle soit : nous allons les
indiquer selon qu'ils proviennent des ganglions de la tête,
du col , du thorax, et des lombes.
A la tête; i° du ganglion ophthalmique partent dix
à douze filets qui s'accolent aux artères ciliaires , et vont
avec elles se distribuer dans l'œil à la membrane iris. 2° Le
plexus qui est dans le canal carotidien fournit plusieurs
nerfs qui s'attachent à la carotide interne , forment sur elle
des plexus secondaires, et la suivent dans ses divisions.
Au col, i° le ganglion cervical supérieur donne naissance
à de nombreux filets, dont voici rénumération : les uns,
internes, se portent au pharynx et au larynx, s'anastomo-
sant dans la première de ces parties avec le glosso-pharyn-
gien, et dans la seconde avec les nerfs laryngés , divisions de
la huitième paire encéphalique : les autres, antérieurs ,
d'un côté suivent l'artère carotide primitive, jusqu'à son
origine à l'aorte ou à la sous-clavière ; de l'autre côté, ac-
compagnent la carotide externe et se subdivisent en nom-
breux plexus, pour chacune des branches de cette artère,
savoir, la linguale , la labiale, l'occipitale , la pharyngienne
inférieure, la temporale. De nombreux filets des nerfs fa-
cial, vague, glosso-pharyngien, et grand hypoglosse, con-
courent aussi à la formation de ces plexus. Enfin, quelques-
uns naissant de la partie inférieure du ganglion, se réunissent
bientôt en un seul cordon pour former un des nerfs du
cœur, le cardiaque superficiel ou supérieur. 2° Des nerfs du
l5o de l'innervation.
ganglion cervical moyen , les uns forment un plexus à l'ar-
tère thyroïdienne inférieure , la suivent dans ses divisions ,
et se distribuent à la thyroïde, à l'œsophage, à la trachée;
les autres forment un autre des nerfs du cœur, le plus gros,
celui qu'on appelle le nerf cardiaque principal ou moyen :
cependant ceci n'est vrai que du côté droit; au côté gauche,
le plus souvent ce nerf cardiaque manque. 3° Enfin le gan-
glion cervical inférieur fournit; d'abord, de nombreux fi-
lets qui suivent, et l'artère vertébrale dans le canal des ver-
tèbres, et l'artère sous-davière dans ses divisions à l'épaule
et au bras ; ensuite, quelques nerfs qui vont aux poumons ,
à la courbure de l'aorte , s'unissant dans leur trajet au ré-
current et audiaphragmatique ; enfin, à sa partie inférieure,
le dernier nerf du cœur, le cardiaque inférieur. Remar-
quons que ces trois nerfs dits cardiaques ne vont pas di-
rectement au cœur; ceux du côté droit et ceux du côté
gauche se réunissent en un plexus unique, situé à la partie
postérieure de la crosse de l'aorte; et c'est de ce plexus,
appelé par Scarpa, ganglion cardiaque , à la composition
duquel concourent plusieurs filets du nerf vague , et dans
lequel on ne peut plus distinguer ce qui est des nerfs car-
diaques droits, et ce qui est des nerfs cardiaques gauches,
que naissent les nerfs du cœur, qui, suivant les artères co-
ronaires antérieure et postérieure , se distribuent avec elles
au tissu de cet organe et à l'origine des gros vaisseaux.
De tous les ganglions thoraciques , naissent d'abord de
nombreux filets destinés à l'intérieur du thorax et aux par-
ties circonvoisines , accompagnant, par exemple, les artères
intercostales jusqu'à leur origine, et se prolongeant sur le
tronc de l'aorte pectorale. En outre, des sept derniers de
ces ganglions , proviennent deux gros nerfs , le grand splan-
chnique et le petit splanchnique , qui pénètrent dans Fab-
domen par un écartement ménagé entre les fibres du dia-
phragme. Le grand splanchnique se partage en plusieurs
rameaux assez gros, qui aboutissent à un gros ganglion,
placé sur les piliers du diaphragme , entre l'aorte et les cap-
sules surrénales, et appelé semi-lunaire. Ce ganglion est
uni à celui du côté opposé par beaucoup de rameaux adhé-
ANATOMIE DU GRAND SYMPATHIQUE. l5l
rcDts à l'aorte abdominale, el au tronc cœîiaque; et de
leur réunion , ainsi que de plusieurs filets venant du nerf
vague, résulte un vaste plexus, appelé solaire, situé au-
dessous de l'estomac et au-dessus du rachis, et dont quel-
ques physiologistes ont voulu faire un second centre ner-
veux général , qu'ils ont appelé cerveau abdominal. Alors
de ce plexus solaire , ainsi que des ganglions semi-lunaires ,
naissent de nombreux filets accompagnant toutes les divi-
sions de l'aorte abdominale , et formant autant de plexus
secondaires qu'il y a de branches à cette artère. Ainsi, les
uns, sous le nom de -plexus diapliragmatique , accompa-
gnent l'artère diapliragmatique inférieure, et dans le tissu
du diaphragme s'anastomosent avec le nerf diaphragmati-
que. Les autres , sous les noms de plexus coronaire, stoma-
chique , hépatique, splénique , mésentérique supérieur,
mésentérique inférieur, rénal, surrénal, spermatique, hy-
pogastrique , suivent chacune des artères de ce nom, et se
distribuent aux organes auxquels elles aboutissent, l'esto-
mac, le foie, la rate, l'intestin grêle, le gros intestin, les
reins, les capsules surrénales, les testicules, les ovaires,
l'utérus , le vagin , l'anus , etc. A l'estomac et au foie, ils s'a-
nastomosent avec des filets du nerf vague. Selon M. Chaus-
sier, dans le fœtus, quelques-uns des filets du plexus hé-
patique s'accolent à la veine ombilicale, et la suivent
jusque dans le placenta. Le petit splanchnique arrive aussi
dans l'abdomen, et s'y partage en deux rameaux, dont l'un
s'unit au grand splanchnique, et dont l'autre se divise
entre le plexus solaire et le plexus rénal. Souvent des onze
et douzième ganglions thoraciques naît un troisième nerf
splanchnique , appelé, par Walter, nerf rénal postérieur,
parce qu'il se rend aussi au plexus rénal. Du reste, les
ganglions semi-lunaires sont moins deux ganglions seule-
ment , qu'un groupe formé par la réunion d'un très grand
nombre ; et le plexus solaire est plus formé par les nom-
breux filets qu'il reçoit de ces ganglions que par les nerfs
splanchniques, qui ne sont probablement que des moyens
de communication entre ces ganglions semi-lunaires et les
thoraciques.
l52 de l'inwervation.
Les ganglions lombaires fournissent des filets fort nom-
breux et fort ténus, qui presque aussitôt s'entrelacent en-
semble, forment un plexus à l'aorte abdominale , et vont
concourir à la formation des plexus splénique , hépatique ,
rénaux et mésentérique inférieur surtout. Enfin, ceux qui
proviennent des ganglions sacrés , en partie s'anastomosent
avec ceux du côté opposé , et en partie se portent dans le
plexus hypogastrique , où ils s'unissent à plusieurs filets
des nerfs vésicaux, utérins, vaginaux et hémorroïdaux du
plexus sciatîque. Nous avons parlé de la terminaison du
nerf ; de la convexité de l'arcade qui résulte de son union
avec le nerf du côté opposé, ou du ganglion coccigien , nais-
sent quelques filets très déliée qui se portent au rectum et
au tissu cellulaire environnant.
Tel est le nerf grand sympathique dans l'homme. Selon
beaucoup de physiologistes , c'est lui qui, dans les derniers
animaux, forme à lui seul tout le système nerveux; il se-
rait l'analogue de ces ganglions divers qui constituent en
ces êtres le système nerveux. Ce n'est en effet que dans les
premiers des animaux i «Vertébrés , les mollusques céphalo-
podes, qu'on commence à voir un centre nerveux propre
aux organes des sens et du mouvement ; dans tous les autres,
ce sont les mêmes nerfs qui président à toutes les fonctions.
Selon d'autres, le grand sympathique est au contraire une
partie nei'veuse surajoutée et qui n'existe que dans les ani-
maux élevés, dans les animaux vertébrés. Chez ceux-ci, en
effet, il est de plus en plus compliqué; par exemple, il y
est d'autant plus développé que l'appareil circulatoire au-
quel il appartient en grande partie Test lui-même davan-
tage, et que l'encéphale a plus d'importance; à ce titre,
il va en diminuant de l'homme au dernier des poissons. Son
développement est aussi dans un rapport inverse avec celui
du nerf vague qui, dans les animaux, est d'autant plus
gros que le grand sympathique est plus petit, et qui finit
par être le seul nerf viscéral, quand celui-ci, sous sa forme
spéciale, disparaît.
Les ganglions qui le forment sont, comme tous les autres
ganglions nerveux, composés de deux substances; une blan-
ANATOMIE DU GRAIVD SYMPATHIQUE. l33
che, médullaire, qui, évidemment, est la continuation des
nerfs qui arrivent au ganglion ou qui en proviennent; une
rougeâtre., pulpeuse, consistant eu un tissu cellulaire par-
ticulier, dont les interstices sont remplis d'une pulpe mu-
ciîagineuse d'un gris rougeâtre. C'est cette dernière qui
distingue le ganglion, qui en est formé en grande partie,
du plexus où elle n'existe pas. Wutzer d'ailleurs a prouvé
que la nature chimique des ganglions n'était pas la même
que celle des nerfs et de l'encéphale , et qu'il y avait en eux
une plus grande proportion de gélatine. Quant auxnerfs qui
émanent de ces ganglions, les rameaux propres sont distincts
des rameaux anastomostiques qui unissent les ganglions
entre eux et avec les paires encéphaliques et spinales. Ces
rameaux restent grêles, ou au moins ne diminuent pas de
volume à mesure qu'ils s'éloignent de leur point d'origine;
ils sont plus mous, et formés des deux mêmes substances
qui composent les ganglions; on ne peut pas les réduire de
même en filets ; cependant Scarpa et Lobstein disent l'avoir
fait. Ils paraissent spécialement destinés aux vaisseaux;
Sœmmering et Behrens croyaient même qu'ils se perdaient
daus les parois des artères; mais Scarpa en a poursuivi des
filets jusque dans les fibres musculeuses du cœur, et Lobslem
ena trouvé de mêmedanslamembranemuqueuseducanal di-
gestif, dans des os. Les veines et les vaisseaux lymphatiques
en paraissent dépourvus. Une chose bien digne d'être re-
marquée, c'est que la texture de ces nerfs, ainsi que celle
des ganglions, varie dans la longueur du grand sympathi-
que. Au contraire, les rameaux auaslomostiques paraissent
partout semblables, et en outre plus analogues à ce que sont
les nerfs spinaux; ils sont, en effet, plus blancs, plus fer-
mes , et ont une composition fibrillaire évidente.
Nous avons, à l'article du système nerveux en général,
parlé des débats relatifs à Forigine du grand sympathique,
et à la question de son unité ou de sa pluralité. Les Anciens
le disaient un nerf encéphalique, et le dérivaient de la
cinquième ou sixième paire encéphalique. Avec plus de rai-
son ensuite, on le fit provenir de la moelle spinale. Enfin
Reil et Bichat le considérèrent, non-seulement comme un
l54 DE L 'INNERVATION.
système nerveux indépendant , mais encore comme formé
d'autant de parties distinctes qu'il y a en lui de ganglions;
les branches qui s'étendent des uns aux autres de ces gan-
glions, et qui semblent faire de tous un système continu,
n étaient que des rameaux anastomotiques, du même genre
que ceux qui font communiquer ces ganglions aux nerfs
spinaux. Nous ne reviendrons pas sur les raisons qui ont
fait adopter presque généralement cette dernière opinion ;
non plus que sur celte idée de Meckel , que le grand sym-
pathique est un nerf à la fois encéphalique et spinal , et qui
ne diffère des autres nerfs que par le nombre plus grand des
paires de nerfs qui lui donnent naissance , et par celui des
plexus qu'il forme en son trajet, et des ganglions qu'il tra-
verse. (Voyez le icr vol. , pag. 2o3 et suiv. )
CHAPITRE II.
Ànatomie du nerf vague, ou pneumo-gastrique.
Ce nerf, appelé eucore la huitième paire encéphalique ,
moyen symplialique , a son origine aux parties supérieures
de la moelle, à la portion qui est renfermée dans le crâne,
dans la rainure qui sépare les éminences olivaires qui sont
en avant ., et les corps restiformes qui sont en arrière. Il naît
là par une rangée de filets qui , bientôt, se réunissent en un
cordon large et aplati , où cependant ils ne communiquent
pas ensemble. Ce cordon sort du crâne par le trou déchiré
postérieur, et alors les filets qui le forment s'anastomosent
les uns avec les autres, de manière à simuler un plexus fort
serré. De ce point, où il est intimement uni aux nerfs hy-
poglosse, spinal, glosso-pharyngien . et à des filets du gan-
glion cervical supérieur, par un tissu cellulaire serré, le
nerf vague descend le long du col, appuyé sur les muscles
grand droit antérieur de la tête, et long du col. Entrant
ensuite dans le thorax, il passe, celui du côté droit devant
l'artère sous-clavière , celui du côté gauche devant la crosse
de l'aorte; et l'un et l'autre se dirigent en arrière, derrière
les bronches, en augmentant de volume. Après, ils se por-
ANATOMIE DU NERF VAGUE, OU PNEUMOGASTRIQUE. l55
tent vers l'œsophage , le gauche étant plus en avant et le
droit plus en arrière; et parvenus à la partie inférieure de
ce canal, ils passent avec lui par l'orifice du diaphragme ,
et vont se terminer à l'estomac et à quelques parties cir-
convoisines.
Dans ce long trajet, ce nerf fournit des filets à un très
grand nombre de parties, d'où le nom de vague qui lui a
été donné. i° Dans le trou déchiré postérieur, il envoie un
ou deux filets anastomotiques au nerf spinal; et en en sor-
tant, il communique aussi avec le glosso-pharyngien , l'hy-
poglosse, et quelques filets du ganglion cervical supérieur.
2° Un peu plus bas, il envoie au pharynx un rameau assez
considérable, appelé pharyngien , dont les filets , anastomo-
sés avec beaucoup d'autres venant du glosso-pharyngien ,
du laryngé supérieur et du ganglion cervical supérieur ,
constituent un plexus destiné à cette partie première du
canal digestif, et appelé plexus pharyngien. 3° Plus bas
encore, il fournit un autre rameau plus gros, appelé la-
ryngé supérieur, et qui bientôt se subdivise en deux nerfs;
l'un, le laryngé externe , destiné aux parties extérieures du
larynx; l'autre, le laryngé interne , affecté aux parties in-
térieures de ce même organe , et surtout à sa membrane
muqueuse , aux muscles crico-tbyroïdien et arythénoïdien.
Là aussi , il envoie des filets anastomotiques à la branche
cervicale du nerf hypoglosse, à la première paire cervicale,
et quelques filaments qui accompagnent l'artère carotide
interne. 4° Au-dessous du rameau précédent, mais encore
pendant son trajet au col, le nerf vague détache plusieurs
rameaux dits cardiaques , trois ou quatre du côté droit, et
un seul du côté gauche : mais aucun de ces rameaux n'abou-
tit directement au cœur; ils se mêlent auparavant dans le
ganglion cardiaque , avec les nerfs cardiaques provenant des
ganglions cervicaux. 5° Aussitôt après son entrée dans le
thorax , le nerf vague fournit les rameaux dits récurrents
ou laryngés inférieurs. Celui du côté droit naît plus haut
que celui du côté gauche. Se recourbant aussitôt en haut,
il embrasse en forme d'anse l'artère sous-cïavière, s'applique
sur le côté de la trachée, et remonte jusqu'au larynx. De la
*56 DE L'iNKEPtVATIOîS*.
convexité de son anse, il détache deux on trois filets cardia-
ques, qui s'unissent à ceux que le nerf a fournis plus haut,
ou qui viennent des ganglions cervicaux; ces divers filets
forment un entrelacement remarquable entre l'artère sous-
clavièreet la trachée-artère. Plus haut, ce nerf fournit des
filets pulmonaires, qui descendent sur le devant de la tra-
chée-artère, et accconipagnent les artères pulmonaires droi-
tes. Le long de la trachée-artère il envoie des filets , et dans
les parois de l'œsophage, et à la partie inférieure de la thy-
roïde , et dans les parois et à la surface interne de la trachée-
artère. Ces filets s'anastomosent , et avec ceux du côté op-
posé, et avec des filets des ganglions cervicaux. Enfin,
parvenu à la partie inférieure du larynx, le nerf pénètre cet
organe, s'y anastomose avec le laryngé interne , mais surtout
se distribue exclusivement aux muscles crieo-ary thénoïdiens
postérieur et latéral , et thyro-arylhénoïdien. Le nerf ré-
current du côté gauche naît plus bas, se contourne autour
de la crosse de l'aorte, et envoie des filets à la partie posté-
rieure de l'artère pulmonaire et du cœur. 60 Après avoir
fourni les nerfs récurrents, le nerf vague, d'abord envoie
quelques filets à la trachée-artère; les uns se portant sur la
face antérieure de ce canal , s'y ramifiant et s'y anastomosant
avec des filets du récurrent et du ganglion cervical infé-
rieur; les autres se portant à sa face postérieure, et se dis-
tribuant à sa membraue muqueuse et à ses follicules mu-
queux. Ensuite, au niveau de la bifurcation des bronches,
le nerf augmente beaucoup de volume, ses filets s'écartent
les uns des autres , et forment une espèce de trame mêlée
de tissu cellulaire et de beaucoup de vaisseaux; il constitue
derrière chaque poumon un plexus fort compliqué, appelé
plexus pulmonaire. C'est de ce plexus , à la composition du-
quel concourent des filets du ganglion cervical inférieur, et
des premiers ganglions thoraciques , dans îe réseau duquel
sont renfermés beaucoup de ganglions bronchiques, que se
détachent les nerfs qui vont aux poumons , lesquels suivent
la distribution des bronches, et se distribuent à leur mem-
brane muqueuse, sans paraître pénétrer jusqu'au paren-
chyme de l'organe et jusqu'à ses vaisseaux sanguins. 70 Au-
ANATOMIE DU NERF VAGUE , OU PNEUMOGASTRIQUE, i 5/
delà des plexus pulmonaires, les filets des nerfs vagues se
réunissent en deux cordons qui descendent le long de l'œso-
phage, et qu'on appelle œsophagiens ; le cordon provenant
du nerf vague du côté droit, est situé sur la partie posté-
rieure de l'œsophage; et celui du nerf vague gauche, descend
sur la face antérieure de ce canal. Ils communiquent sou-
vent ensemble par des filets transversaux en avant et en
arrière, et envoient quelques filaments aux parois mêmes
de l'œsophage et à l'artère aorte; parvenus au bas de l'œso-
phage, ils pénètrent avec lui par l'ouverture œsophagienne
du diaphragme dans l'abdomen. La manière dont ces cor-
dons œsophagiens sont formés par les rameaux qui provien-
nent des plexus pulmonaires, ressemble assez à celle selon
laquelle le nerf grand spîanchuique provient des ganglions
thoraciques. 8° Enfin, les nerfs vagues, arrivés dans l'abdo-
men, se distribuent à l'estomac et à quelques-uns des or-
ganes voisins. Celui du côté droit, qui est le plus gros, et
collé à la partie droite et postérieure de l'œsophage, se di-
vise d'abord de manière à former autour du cardia un plexus
très marqué. Ensuite de ce plexus naissent deux sortes de
filets; les uns, destinés à l'estomac, se portent à la face
postérieure de ce viscère , de la petite courbure à la grande ,
et pénètrent ses parois de l'extérieur à l'intérieur; les au-
tres se jettent dans les plexus hépatique, splénique, cœlia-
que, gastro-épiploïque droit, et s'y entrelacent avec les
nombreuses irradiations du plexus solaire; plusieurs par-
viennent au pancréas , au duodénum , à la vésicule biliaire,
s'épanouissent sur la veine-porte, etc. Le nerf vague du
côté gauche est sur la face antérieure de l'œsophage; il suit
d'abord la petite courbure de l'estomac, du cardia au py-
lore, envoyant de nombreuses ramifications à toute la face
antérieure de ce viscère : parvenu au pylore, il s'y anasto-
mose avec le nerf vague droit; puis, il suit l'artère pylori-
que, et va se jeter dans le plexus hépatique.
Tel est le nerf pneumo -gastrique, dont la description
devait d'autant plus être jointe à celle du nerf trisplanchni-
que , que , dans tout son trajet , comme on vient de le voir,
ce nerf a les communications les plus intimes et les plus
i58 de l'innervation.
multipliées avec lui; d'ailleurs, dans la série ci esanimaux ver-
tébrés, comme nous l'avons déjà dit, son développement est
en raison inverse de celni du système nerveux ganglionnaire.
CHAPITRE III.
De l'influence nerveuse organique , ou de l'innervation.
Jusqu'ici nous n'avons étudié du système nerveux que
les actions par lesquelles il sert aux fonctions sensoriales ou
de relation , savoir : celles par lesquelles les expansions de
ce système , dans les organes sensibles , effectuent les im-
pressions sensitives tant externes qu'internes ; celles par
lesquelles le cerveau perçoit ces impressions, accomplit les
facultés intellectuelles et affectives, et ordonne les mouve-
ments volontaires; celles enfin par lesquelles les nerfs, fai-
sant l'ofEce de conducteurs, transmettent, des parties au
cerveau, les impressions sensitives, et du cerveau aux mus-
cles, les volitions. Mais le système nerveux sert aussi aux
fonctions organiques; il exerce sur les organes de ces fonc-
tions une influence sans laquelle ceux-ci ne peuvent, ni les
accomplir, ni même continuer de vivre. Au moins, c'est
ce qui est évident dans les animaux supérieurs, et pour les
premières des fonctions organiques. Dans l'étude que nous
avons faite de ces fonctions pour l'homme, n'avons-nous pas
vu la section, la ligature des nerfs qui se distribuent à l'es-
tomac, au poumon, au cœur, non-seulement anéantir la
production de toutes sensations , de tous mouvements vo-
lontaires dans ces organes, mais encore paralyser tout-à-fait
ceux-ci plus ou moins promptement, et amener la cessation
de la digestion , de la respiration , de îa circulation ? De ce
dernier fait, ne résulte-t-il pas que les nerfs dispensent à
ces organes une influence à laquelle ceux-ci doivent de pou-
voir agir?
Cette influence, qu'on appelle innervation , qui fonde une
des conditions premières de la vie, et dans la connaissance
de laquelle en réside peut-être tout le secret , est un des
faits les moins connus en physiologie. Les auteurs ne sont
LIMITES DE i/lNNERVATïON. i5g
d'accord, ni sur les limites réelles dans lesquelles elle doit
être renfermée, ni sur les nerfs qui la dispensent, ni sur la'
source dont elle émane : encore moins peuventâls dire en
quoi elle consiste , étant à cet égard dans la même ignorance
que pour toutes les autres actions nerveuses.
§ Ier. Limites de l Innervation.
Les auteurs à cet égard se partagent en deux sectes. Les
uns prétendent que l'influence nerveuse ne s'étend pas à
toutes les fonctions organiques, et n'est réelle que des pre-
mières de ces fonctions. Ils disent, qu'étant d'autant pins
grande sur ces fonctions , qu'elles sont plus élevées en ani-
malité, elle va en s'affaiblissant dans les fonctions inférieu-
res , et finit par être nulle relativement aux derniers actes ,
à ceux qui accomplissent immédiatement la nutrition et la
reproduction. Leurs arguments sont: i° que ces derniers
actes existent dans l'universalité des êtres vivants, dans
les végétaux comme dans les animaux, et que cependant il
n'existe pas de système nerveux dans les végétaux non plus
que dans les derniers animaux; 2" que dans les animaux su-
périeurs, et même dans l'homme, pour ne pas sortir de
notre sujet, il y a beaucoup de parties qui ne paraissent pas
contenir de nerfs; 3° qLie le nombre des nerfs va en dimi-
nuant, à mesure qu'on pénètre dans le parenchyme des
organes, dans la trame profonde des parties, à moins qu'il
ne s'agisse d'organes chargés de fonctions sensoriales. 4° Us
disent que si l'on voit les orages des passions, les grands
troubles nerveux, porter leurs effets sur les fonctions nu-
tritives les plus profondes, ce n'est pas directement, mais
par l'intermédiaire des fonctions organiques premières»
5° Enfin, considérant le système nerveux comme un système
qui a été surajouté aux êtres vivants, quand ceux-ci ont du,
non-seulement vivre, se nourrir, se reproduire, mais encore
sentir, se mouvoir, être animés; ils pensent que des exten-
sions de ce système ont dû alors être envoyées aux organes
des fonctions intérieures ou nutritives, pour les lier aux
organes des fonctions extérieures ou sensoriales ; et que c'est
160 DE L'INNERVATION.
en ces liaisons seules que consiste l'innervation. Ainsi l'in-
fluence nerveuse ne serait qu'un produit de la nécessité de
lier les organes, et elle ne serait condition de la vie qu'in-
directement, et dans les animaux supérieurs seulement. Les
sectatenrs de cette première opinion posent en effet à son
égard les deux lois suivantes : i° que cette influence nerveuse,
d'autant plus grande sur les fonctions organiques que ces
fonctions sont plus élevées en animalité, finit par être nulle
pour les dernières, si ce n'est dans les animaux supérieurs,
à cause de la seconde loi qu'on va émettre ; 2° que l'empire
de cette influence est d'autant plus grand, et surtout s'é-
tend sur un nombre de fonctions d'autantplus considérable,
que la vie extérieure a plus de prédominance , et par consé-
quent que le système nerveux a plus de développement.
Ainsi, d'après la première de ces lois, l'innervation serait
très puissante sur les fonctions de digestion , de respiration
et de circulation, qui sont, parmi les fonctions organiques,
les plus élevées en animalité , puisqu'elles sont exclusives
aux animaux, et même aux animaux supérieurs; et elle
s'affaiblirait graduellement à mesure qu'on descendrait dans
le mécanisme de la nutrition et de la reproduction aux
actes les plus pi'ofonds. D'après la seconde de ces lois, cette
innervation s'étendrait chez l'homme, qui est le premier
des animaux sous le rapport des fonctions sensoriales et qui
a le système nerveux le plus développé , sur le plus grand
nombre de fonctions possible, et peut-être jusqu'aux fonc-
tions organiques les plus reculées, les sécrétions, la calori-
fication, la nutrition proprement dite.
D'autres physiologistes, au contraire, veulent que cette
innervation régisse toutes les fonctions organiques sans
exception , fonde la condition vitale par excellence ; ajou-
tant seulement que ses agents ou conducteurs dans les di-
verses parties , sont d'autant moins dépendants des centres
nerveux, quand il en existe, qu'il s'agit de fonctions moins
élevées en animalité, et d'animaux plus inférieurs. Ils la
disent donc commune à tous les êtres vivants, et à toutes
les parties du corps humain, et voici leurs raisons. i° A
supposer qu'il existe des êtres vivants sans système nerveux
LIMITES DE L'iNJNERVATJOl^. 161
ou sans un analogue de ce système , n'est-il pas possible
que, dans ces êtres simples et chez lesquels la vie se réduit
à deux actes, absorption composante et exhalation décom-
posante, le tissu même du corps soit apte à puiser dans le
milieu ambiant ou dans le fluide nutritif le principe mo-
teur de vie dont le système nerveux serait seul , dans les
êtres vivants plus compliqués, l'agent producteur ou con-
ducteur? 2° On dit les végétaux sans système nerveux ;
mais cela est-il bien sûr? il y a dans ces êtres un système
qui paraît exercer sur toutes leurs parties une influence
nécessaire à leur vie», et qui, par conséquent, serait l'ana-
logue du système nerveux des animaux; c'est celui de la
moelle. Du moins c'est ce que professent un certain nombre
de botanistes. De la moelJe des végétaux partent des ap-
pendices médullaires qui se répandent dans toutes les
parties végétales, et qui sont surtout abondants dans celles
qui sont chargées de fonctions très actives, comme dans la
fleur. Linnœus et Haller, sans assimiler la moelle des végé-
taux au système nerveux des animaux, avaient proclamé
la grande importance de cet organe dans l'économie des
plantes; et, dernièrement, un physiologiste , M. Brachet,
a nettement émis l'idée de cette analogie, sur ce que les
nouures de la moelle ressemblent aux ganglions du système
nerveux, et sur ce que la destruction de la moelle, et sur-
tout de ces nouures , entraîne la mort des parties qui en
reçoivent leurs filets. Dans un ouvrage sur la structure in-
time des végétaux et des animaux, qu'a récemment publié
M. Dutrochet, ce savant consacre aussi l'existence, dans la
moelle des végétaux, de corpuscules nerveux , constituant
les éléments d'un système nerveux; seulement dans ces êtres
ce système serait dilfusau lieu d'être réuni en masse. 3° Est-il
bien vrai que quelques parties du corps animal soient abso-
lument dépourvues de nerfs? Les filets du grand sympa-
thique qui accompagnent les artères , paraissent au moins
être aussi universellement répandus que ces vaisseaux, et
probablement concourent avec eux à la composition des
plus profonds parenchymes. Si l'on réfléchit qu'il n'est au-
cune partie du corps animal qui ne puisse devenir doulou-
Tome IV. ii
l6% DE L'INNERVATION.
reuse , on sera disposé à croire que des nerfs existent par-
tout ; car sans nerfs , aboutissants à un organe de percep-
tion, à un cerveau , pas de sensation. Si , dans certains
cas, on voit des passions étendre leurs effets perturbateurs
jusque sur les fonctions qui se passent dans les paren-
chymes les plus profonds , n'est-ce pas une preuve que le
système nerveux a des expansions jusque dans ces paren-
chymes? 4° Enfin, n'est-on pas autorisé à considérer le
système nerveux comme le rouage principal de l'économie,
le dispensateur réel du moteur vital , comme, quand
on remarque que c'est lui qui apparaît le premier dans les
embryons des animaux ? S'il n'avait pas à exercer alors une
influence primitivement nécessaire à la vie , pourquoi exis-
terait-il à cet âge auquel aucune fonction sensoriaîe n'est
en exercice? Combien cet argument en faveur de l'univer-
salité de l'innervation prend de force, si les derniers tra-
vaux de M. Dumas sur la génération sont fondés, et si les
animalcules spermatiques, qui, selon lui, sont les agents de
la fécondation, ne sont autre chose que les rudiments du
système nerveux de l'individu nouveau ! Ainsi , dans cette
autre opinion, l'innervation serait générale à toutes les
fonctions , fonderait la condition première de la vie ; et dès
qu'un système nerveux entrerait dans le plan d'organisation
d'un être vivant, ce système deviendrait l'agent producteur
ou conducteur du principe, quel qu'il soit, qui fait pro-
duire à la matière les phénomènes vitaux. Seulement, selon
que la centralisation de la vie dans les animaux serait plus
ou moins grande, les diverses parties du système nerveux
seraient plus ou moins rattachées à une partie centrale, et
l'innervation dans chaque partie serait plus ou moins dé-
pendante de cette partie centrale. Cette dépendance serait
en raison des deux mêmes lois indiquées plus haut, l'ani-
malité de la fonction , et le degré de prédominance du sys-
tème nerveux, d'où résulte le rang de l'animal dans l'échelle
des êtres.
Quelle que soit celle de ces opinions qu'on adopte, le
résultat est à peu près le même pour ce qui est de l'homme.
Dans la premièi'e comme dans la seconde , on admet en elTet
LIMITES DE L'INNERVATION. j 63
que chez cet être, vu son rang élevé dans l'échelle animée ^
et la prédominance de son système nerveux , l'empire de
l'innervation s'étend à toutes les fonctions organiques, mais
est d'autant plus grand sur ces fonctions qu'elles sont plus
élevées en animalité, et d'autant moindre qu'elles sont plus
inférieures. D'abord, on ne peut mettre en doute cet em-
pire pour ce qui est de la digestion et de la respiration. La
destruction des nerfs qui se distribuent à l'estomac et au
poumon, des pneuroo-gastriques , fait cesser ces fonctions:
on a vu que la section de ces nerfs , non-seulement paralyse
le poumon el l'estomac sous le rapport des sensations que
ces organes peuvent développer, mais encore les prive de la
faculté d'effectuer leurs fonctions propres, l'hématose et la
chymification, etleurôte le pouvoir de se contracter etd'exé-
cuter les mouvements involontaires et non perçus par les-
quels ils remplissent leurs offices. Il en est de même de la
circulation. Hallerk la vérité le niait, et disait le coeur indé-
pendant en ses mouvements de toute influence nerveuse; il
arguait de ce que la section des nerfs vagues et grands sym-
pathiques au col n'avait aucune influence sur les contractions
de cet organe. Mais cette expérience n'était pas concluante.
D'un côté, les nerfs lésés ne vont pas directement au cœur :
ils concourent seulement à former le plexus qui fournit les
nerfs cardiaques, et ce sont ceux-ci qu'il aurait fallu couper.
D'un autre côté, il n'est pas étonnant que la section des
nerfs vagues et grands sympathiques au col soit sans in-
fluence sur les mouvements du cœur; les premiers ne four-
nissent que la plus petite partie des nerfs cardiaques ; et
quant aux grands sympathiques, on ne peut les couper que
très haut, d'où il résulte que la partie qui est au-dessous
de la section peut encore, par le moyen de ses anastomoses
avec la moelle spinale, continuer ses offices. Nous convenons
qu'on ne peut avoir, pour la fonction de la circulation, des
preuves aussi directes que pour les fonctions précédentes :
les nerfs cardiaques sont situés trop profondément, pour
qu'on puisse les couper et voir quel effet cette section a sur
les mouvements du cœur. Mais à défaut de cette preuve
directe , on en a d'autres aussi convaincantes. Si une in-
1 1.
164 de l'innervation.
Aiience nerveuse ne présidait pas à l'action du cœur, à quoi
serviraient les nerfs si nombreux et si gros qui se distribuent
à cet organe? On ne peut pas dire qu'ils y servent à la pro-
duction de sensations et de mouvements volontaires, car le
cœur est un organe dont on ne perçoit pas les actions, et
sur le jeu duquel la volonté n'a aucun empire. Les nerfs du
cœur d'ailleurs sont, comme ceux de l'estomac et du pou-
mon, un mélange de filets venant de la huitième paire et
du grand sympathique; et si ceux-ci président aux actions
de digestion et de respiration , n'est-il pas probable que les
autres régissent les contractions du cœur ? Les effets qu'a-
mènent dans ces contractions les passions et les affections de
l'ame, ne sont-ils pas une preuve qu'une influence ner-
veuse, qui alors est troublée , d'ordinaire les dirige ? Enfin,
voici une expérience de Legallois , tout-à-fait convaincante :
si, sur un animal vivant, on détruit la moelle spinale jusqu'à
une certaine hauteur, le cerveau étant laissé entier, le cœur
cesse ses contractions; ce ne peut être par défaut de respi-
ration, car la huitième paire restée intacte peut commander
de même la continuation de cette fonction; il faut donc
bien que ce soit par la cessation d'une influence nerveuse ,
que la destruction de la moelle spinale a rendue impossible.
Ainsi déjà ces trois fonctions premières, digestion, respiration
et circulation, sont, chez l'homme, soumises à l'innervation.
Si de ces fonctions nous passons à celles qui ont lieu dans
les parenchymes mêmes, nous ne pourrons pas constater
directement leur dépendance de l'innervation ; les nerfs de
ces parenchymes ne sont pas isolés, et l'on ne peut, dans
une expérience, les couper, pour voir si leur paralysie en
résulte; mais on prouve cette dépendance indirectement,
parle trouble, parles modifications qu'apportent dans ces
fonctions les passions, les affections de i'ame. En effet , ces
irradiations perturbatrices ne peuvent être propagées, du cer-
veau aux parenchymes des organes, que par des nerfs; et si
des nerfs existent dans ces parties , dont les actions ne sont
ni senties, ni dépendantes de la volonté, ce ne peut être
que pour présider à leurs fonctions propres. Or, c'est ce qui
est plus ou moins de toutes les fonctions organiques. Evi-
LIMITES DE L'iWWERVATJON. i65
demnient Fétat des centres nerveux modifie la circulation
capillaire ; on voit la peau rougir ou pâlir dans les passions.
11 en est de même de la calorification ; que de variations
dans la chaleur animale , selon les divers états de l'ame ! La
dépendance où est cette fonction d'une influence nerveuse ,
est si évidente , que certains physiologistes n'ont pas craint
de faire de cette fonction une des actions propres du système
nerveux : nous avons rapporté les opinions de Brodie et de
Chossal à cet égard. L'influence de l'innervation sur les
sécrétions est aussi incontestable. D'abord . on peut la prou-
ver directement à l'égard de certaines sécrétions glandu-
laires; en coupant les nerfs d'une glande, on en suspend la
sécrétion (Béclard). Ensuite, que de faits nous montrent
les sécrétions modifiées par l'état des centres nerveux! et,
encore une fois, ces irradiations ne peuvent être apportées
que par des nerfs, et si des nerfs existent en ces parties, ce ne
peut être que pour exercer sur leur jeu une influence quel-
conque. La sécrétion des larmes s'augmente dans les affec-
tions de l'ame. Toutes les sécrétions de l'appareil digestif
se tarissent ou s'exaltent, selon que l'imagination se repré-
sente le tableau d'aliments qui dégoûtent ou qu'on appète.
Celle du sperme est aussi modifiée par les idées qui ont trait
à la génération. Quelles variations continuelles de la sécré-
tion urinaire, de la perspiration cutanée, dans les orages
des passions! Enfin, en vovant l'état des centres nerveux
influer sur des fonctions aussi moléculaires , aussi profondes
que celles de la circulation capillaire, de la calorification ,
des sécrétions, peut-on croire qu'il ne modifie pas aussi les
absorptions et les nutritions proprement dites? West-il pas
d'observation , que les contagions morbifiques sont plus ou
moins facilement propagées , selon le degré de crainte ou de
sérénité que manifestent les personnes qui s'y exposent? et ,
dans l'amaigrissement qu'amène le chagrin , n'est-il pas pro-
bable, qu'il y a une influence de la passion exercée directe-
ment sur la nutrition proprement dite? Peut-on en douter,
quand on voit ses effets s'étendre jusqu'aux cheveux , et ces
organes blanchir soudain, par suite d'une affection morale?
Enfin, les mêmes considérations peuvent s'appliquer aux
166 DE L'iN NERVATION.
fonctions delà reproduction. Quelle influence directe exer-
cée par l'imagination , sur le phénomène de l'érection qui
en ouvre la scène ! Nous citions tout à l'heure la stimula-
tion qu'impriment à la sécrétion spermatique les idées qui
ont trait à la génération. Bien qu'on ne connaisse rien de
l'acte de la conception, son résultat n'est jamais plus par-
fait que lorsque toute l'activité de rètre semble concentrée
dans l'accomplissement de cet acte; et, si alors une distrac-
tion nuit aux qualités du produit, n'est-ce pas une preuve
que cet acte est lui-même modifié par l'influence de ce sys-
tème , universel dispensateur de la vie ? Enfin , la grossesse,
l'accouchement pourraient -ils être affranchis d'une in-
fluence nerveuse ? Ne sont-ce pas des actes assez élevés dans
l'animalité , et qui sont à l'acte de la reproduction, ce que les
fonctions de digestion , de respiration et de circulation sont
a celui de la nutrition ? pourquoi les nerfs si gros et si nom-
breux qui se distribuent à l'utérus ? A coup sûr, une in-
fluence nerveuse préside à la puissance contractile de la
vessie et du rectum, pour l'excrétion de l'urine et pour la
défécation ; la section des nerfs qui se rendent à ces organes ,
ou la destruction de la partie inférieure de la moelle spi-
nale dont ces nerfs proviennent en partie , paralysent ces
organes. Pourrait-il n'en pas être de même de la puissance
contractile de l'utérus ? M. B racket rapporte l'observation
d'une femme paraplégique, qu'il fallut accoucher avec le
forceps , parce que la matrice ne se contracta pas , et qu'il n'y
eut pas de douleurs expulsives : cependant cette femme , avan t
sa paraplégie , avait été enceinte trois fois, et avait accouché
naturellement. Le même M. B racket a coupé, chez des la-
pines, la moelle épinière, tantôt immédiatement après l'ac-
couplement, tantôt au moment même de la parturition :
dans le premier cas , les lapines chez lesquelles la gestation
eut lieu, moururent sans pouvoir mettre bas; dans le se-
cond cas, les contractions utérines se ralentirent et même
s'arrêtèrent : quelles preuves plus fortes peut-on donner de
la dépendance dans laquelle sont d'une influence nerveuse
les contractions de l'utérus, et par conséquent l'accouche-
ment ? Enfin, la question à l'égard de la lactation rentre dans
LIMITES DE L'iHWERVATIOtf. 167
ce que nous avons dit des sécrétions : qui ne sait avec quelle
facilité la sécrétion du lait est modifiée par les passions?
On objectera peut-être que tous ces faits que nous venons
de citer en dernier lieu, prouvent bien que des liens exis-
tent entre les parenchymes les plus profonds et le cerveau
et les centres nerveux , mais non qu'une influence nerveuse
soit exercée constamment sur ces parenchymes , et en régisse
les fonctions. Mais , puisque les modifications survenues
dans les centres nerveux , ne peuvent être propagées que
dans des divisions de ce système, de ces faits ne résulte-t-il
pas déjà que le système nerveux a des expansions jusque dans
les parenchymes ? Et dès lors , à quoi peuvent servir, si ce
n'est pour l'innervation a ces expansions dans des organes
dont les opérations ne sont ni senties ni volontaires ? Répon-
drait-on que c'est pour unir ces organes aux centres nerveux?
On conçoit la nécessité de ces connexions entre le cerveau et
les organes chargés d'une fonction de relation quelconque;
mais de quelle utilité seraient-elles ici, où le travail des
organes se fait irrésistiblement, et sans qu'on en ait con-
science? 11 est plus rationnel de croire que, si les passions
portent leurs effets jusque dans les parenchymes les plus
profonds , c'est parce que le système nerveux a des expan-
sions partout, pour l'accomplissement de l'innervation;
que de penser que , s'il existe des expansions nerveuses par-
tout, c'est pour établir des liaisons dont on ne peut com-
prendre l'utilité. Enfin , n'a-t-on pas l'analogie des autres
fonctions organiques ? Evidemment les nerfs des organes di-
gestifs, respiratoires et circulatoires, ne servent pas seule-
ment à unir ces organes aux centres nerveux; certainement
ils en régissent les actions; pourquoi n'en serait-il pas de
même des nerfs propres aux parenchymes ? Les actes de la
chymification , de l'hématose, les contractions du cœur,
sont-ils des phénomènes plus sentis et plus dépendants de
la volonté, que ceux des sécrétions, des nutritions ? et si
cependant une influence nerveuse régit ceux-ci , quelle pré-
somption pour croire qu'une influence semblable régit aussi
ceux-là? Ces dernières considérations rendent, ce me
semble, plus probable, l'opinion de ceux qui font de Tin-
j68 de l'irnervation.
nervation une condition de vie primordiale, et commune à
tous les êtres vivants comme à toutes les fonctions.
§ II. Des nerfs qui dispensent V Innervation.
Nous venons d'exposer les débats des physiologistes sur les
limites dans lesquelles doit être renfermée l'influence ner-
veuse organique. Ces physiologistes ne sont pas plus d'ac-
cord, quand il s'agit de spécifier quels nerfs dispensent cette
influence et en sont les conducteurs ou les producteurs.
Presque tous croient que, dans les derniers animaux , les
mêmes nerfs qui servent aux sensations et aux mouvements ,
président à l'innervation. On ne peut en effet, dans ces
animaux , faire aucune distinction entre les divers ganglions
qui composent le système nerveux; la texture de ces gan-
glions, ainsi que celle des nerfs qui en naissent, paraît
semblable; et l'on voit les mêmes nerfs se distribuer égale-
ment, et à la peau externe pour y présider aux sensations,
et à la cavité digestive pour y régir les fonctions intérieures.
Mais les opinions sont divisées en ce qui regarde les ani-
maux supérieurs et l'homme. Les uns veulent que tous les
nerfs sans exception , en même temps qu'ils servent aux sen-
sations et aux mouvements volontaires, dispensent l'inner-
vation aux parties qu'ils pénètrent, Les autres, et ce sont
les plus nombreux , veulent qu'il y ait un système de nerfs
spéciaux pour régir les fonctions organiques, et ils considè-
rent comme tels les grands sympathiques et les nerfs vagues.
Il était en effet impossible aux physiologistes d'observer
la disposition anatomique de ces deux nerfs, sans préjuger
qu'ils fondent une condition nécessaire pour l'accomplisse-
ment des fonctions organiques. D'une part , le nerf vague
fournit le plus grand nombre de ses filets au poumon , au
cœur, à l'estomac , et à quelques-uns des organes annexes de
ce viscère principal de la digestion : par conséquent ce nerf
doit être utile au jeu de ces viscères, chargés des premières
fonctions nutritives. D'autre part, le grand sympathique,
dans son trajet de la tête au bassin , distribue successive-
ment ses rameaux à toutes les parties, depuis l'œil en haut,
DÉS NERFS QUI DISPENSENT L'iNNERVATION. 169
jusqu'au rectum et au vagin en bas; s'accolant à toutes les
artères ^ il va, avec ces vaisseaux, concourir à la composition
du parenchyme de tous les viscères , de tous les organes ; et
il n'est guère possible de croire que ce soit sans motifs que
la nature ait établi une semblable disposition.
Aussi, tous les physiologistes ont regardé ces deux nerfs
comme ceux qui dispensent l'innervation aux viscères. Mais
ces nerfs sont-ils les dispensateurs uniques de toute innerva-
tion , et fondent-ils les systèmes nerveux organiques , comme
on les nomme ? ou bien , ne fournissent-ils l'influence ner-
veuse que là où ils se répandent y pendant que les autres
nerfs la fournissent de même aux autres partiesqu'ils pénè-
trent ? Cette dernière opinion était celle des Anciens; ils
la fondaient : i« sur l'analogie des derniers animaux, chez
lesquels tout nerf dispense également l'influence nerveuse;
2« sur ce que les nerfs vagues et grands sympathiques sont
bornés aux cavités splanchniques, et ne fournissent pas ou
peu de filets aux membres dans les organes desquels cepen-
dant se produisent aussi des fonctions organiques , la nutri-
tion, par exemple; 3° sur ce que les artères des membres
reçoivent du système cérébro-spinal , comme on le nomme,
presque autant de filets nerveux que les artères des viscères
en reçoivent du grand sympathique; 40 enfin, sur ce que
les nerfs vague et grand sympathique, qu'on met ici sur la
même ligne, sont, en parlant des idées professées par ceux
qui veulent un système nerveux organique spécial , fort dif-
férents l'un de l'autre; le premier étant évidemment du
même genre que les autres nerfs encéphaliques et spinaux.
Ce n'est pas qu'ils ne considérassent le grand sympathique
comme un nerf spécial et fort important : nous dirons ci-
après les usages qu'ils lui attribuaient , comme d'établir
1 union entre toutes les parties du corps, comme d'isoler du
cerveau, par les ganglions qui sont dans sa longueur, les
Viscères intérieurs dont les opérations doivent être involon-
taires et non senties , etc. : mais ils n'en faisaient pas le dis-
pensateur propre de l'influence nerveuse organique.
Au contraire, la plupart des physiologistes modernes at-
tribuent cette influence nerveuse organique à un système
*7° DE L'INNERVATION,
nerveux spécial; et voici la suite de raisonnements et de
faits qui les conduit à considérer comme tel le grand sym-
pathique. 10 D'abord, tout prouve que ce nerf forme un
système nerveux indépendant, distinct du syslème cérébYO-
spinal , et ses prétendues origines, et sa texture, et ses pro-
priétés. En premier lieu, il est évident que les filets par
lesquels le grand sympathique en haut s'unit aux cinquième
et sixième paires encéphaliques, comme ceux par lesquels
chacun de ses gauglions s'unit aux paires spinales , ne sont
pas les origines de ce nerf, comme on le disait jadis, mais
seulement des rameaux anastomotiques par lesquels ce nerf
est mis en communication avec les autres parties du sy-
stème nerveux. En second lieu, il n'est pas moins certain
que ce nerf diffère anatomiquement de tous les autres; ses
filets sont plus grêles, plus mous, d'une couleur grise; la
substance particulière qui existe dans ses ganglions , et que
les analyses chimiques de Bichat, Wulzer, Lassaigne , ont
montré être différente de la substance cérébrale , se pro-
longe en eux. Enfin , ce nerf a des propriétés opposées à
celles des autres : ceux-ci, irrités d'une manière quelconque
sur un animal vivant , accusent une vive douleur; leur ir-
ritation entraîne des contractions convulsives dans les mus-
cles auxquels ils se distribuent : au contraire, Bichat et
beaucoup d'autres, ont vu les animaux ne manifester au-
cune douleur, quand on irritait chez eux les plexus de l'ab-
domen , les ganglions du col du grand sympathique, ou
quelques-uns des filets de ce nerf. Ce même expérimenta-
teur n'a pu , par le galvanisme appliqué aux nerfs du cœur,
précipiter les contractions de cet organe. A la vérité , Haller
dit qu'en irritant le plexus hépatique sur un chien, l'a-
nimal parut ressentir de la douleur, visum est animai do-
luisse ; et M. de Humboldt dit avoir, par le galvanisme
appliqué aux nerfs du cœur, augmenté les mouvements de
cet organe. Mais, en admettant ces derniers faits , il n'en
resterait pas moins certain que le nerf grand sympathique
est beaucoup moins sensible et moins moteur que les autres
nerfs, et que la différence de ses propriétés à cet égard confirme
ce que celle de sa texture et la nullité de ses origines por-
DES NERFS QUI DISPENSENT L'iNNERVATION. 17 1
tent à admettre sur l'indépendance de ce nerf. Le grand
sympathique est donc, dans l'ensemble du système nerveux,
un système nerveux spécial. 2° Il n'est pas moins certain
que ce système nerveux spécial , quelle que soit sa fonction,
est destiné aux fonctions organiques; sa distribution prouve
cette attribution spéciale , car c'est presque exclusivement
aux organes de ces fonctions qu'il envoie tous ses filets.
3° Certainement encore , ce n'est pas pour présider à des
sensations et à des mouvements volontaires qu'il est envoyé
à ces organes ; car nous venons de voir que ce nerf ne se
montrait pas sensible comme les autres, et l'on sait que les
opérations de ces organes ne sont ni senties, ni régies par
la volonté. Non cependant que, dans certains cas, les im-
pressions éprouvées par les viscères ne soient senties , et par
conséquent ne soient transmises par le grand sympathique
au centre de perception ; cela s'observe souvent dans les
maladies, et même on remarque que îa douleur éprouvée
a alors un caractère particulier, celui d'abattre bien davan-
tage, de terrasser tout-à-fait l'homme; mais il est certain
que dans l'état normal cela n'a pas lieu , et que les actions
de nos viscères s'accomplissent sourdement et sans que nous
les percevions. Or, puisque le grand sympathique, ce sys-
tème nerveux spécial , évidemment destiné aux fonctions or-
ganiques, n'y sert pas à la production de sensations ni de
mouvements volontaires, on peut déjà conclure, par voie
d'exclusion, qu'il doit y être l'agent de l'innervation. Il a
d'ailleurs pour cet effet toute l'étendue, toute la dissémi-
nation nécessaires ; accolé aux artères , il suit ces vaisseaux
dans toutes leurs ramifications; ses filets s'étendent jusque
dans le cerveau avec l'artère carotide interne, et jusque
dans le placenta chez le fœtus; de sorte qu'il n'est aucune
partie du corps qu'on ne puisse concevoir comme contenant
quelques dépendances de ce nerf. 4° Enfin , pour dernier
argument, les sectateurs de l'opinion que nous exposons
avancent, que le grand sympathique est dans la généralité
des animaux, comme dans l'évolution du fœtus humain,
la première partie nerveuse qui existe. D'un côté, M.'Gall
et autres, disent que, dans la complication successive que
172 DE L INNERVATION,
présente le système nerveux dans la série des animaux , le
grand sympathique est la partie qui existe la première;
qu'il compose quelquefois à lui seul le système nerveux de
l'être; et que ce n'est que lorsque les animaux doivent déve-
lopper les fonctions sensoriales, qu'apparaissent la moelle,
les nerfs des sens et le cerveau. Or, en ces derniers êtres,
c'est évidemment lui qui a accompli l'innervation, puis-
qu'il existe seul; et l'analogie dit d'autant plus, que c'est
encoi^e lui qui l'accomplit dans les animaux supérieurs, que
certainement il est, de toutes les parties de leur système ner-
veux, celle qui ressemble le plus à ces ganglions épars , mais
unis par des branches communicantes, qui forment le sy-
stème nerveux des derniers animaux. M. Brachet l'assimile
tout-à-fait à la moelle des végétaux, qu'il considère comme
le système nerveux de ces êtres. D'un autre côté, selon
Ackermann , le grand sympathique est dans le fœtus humain
la première partie formée; on l'a trouvé entier et bien dé-
veloppé dans des fœtus acéphales, chez lesquels n'existaient
ni encéphale, ni moelle épinière; et, outre que ce fait
prouve que son existence est indépendante de celle de ces
centres , comme ces fœtus étaient arrivés à terme et n'avaient
aucunes fonctions sensoriales, il est certain que chez eux
c'était lui seul qui avait présidé à l'innervation, et qu'il
n'avait pu y servir qu'à cet office.
D'après cet ensemble de raisonnements et de faits, Reil,
Bichat, Gall, M. Broussais , et beaucoup d'autres, font le
grand sympathique l'agent spécial de l'influence nerveuse
organique. Quelque imposante que soit l'autorité de ces
grands noms , nous avouerons que leur assertion ne nous pa-
raît pas rigoureusement démontrée. Nous convenons bien
avec eux que le grand sympathique constitue un système
nerveux à part; de plus, qu'il est spécialement affecté aux
fonctions organiques; nous reconnaissons même qu'il est le
principal nerf qui dispense, aux organes de ces fonctions,
l'innervation. Mais, de ces faits, s'ensuit-il rigoureusement
qu'il soit l'agent exclusif de cette innervation? pour que
cela soit, existe-t-il partout? ne manque-t-il pas au con-
traire aux artères des membres ? et, à ces artères, ses filets ne
DES NERFS QUI DISPENSENT i/lNNERVATION. 17a
sont-ils pas remplacés par beaucoup de nerfs du système
cérébro-spinal ? dans les viscères auxquels il se distribue ,
ne peut-ii pas être relatif à quelque autre but; comme de
les isoler du cerveau et d'empêcher, d'un côté, que les im-
pressions éprouvées par ces organes soient portées au cer-
veaux, et par conséquent senties, et, de l'autre, que les
volitions cérébrales arrivent à ces organes , et par conséquent
ne subordonnent leurs mouvements à la volonté ? À ce titre,
on concevrait, et sa distribution presque exclusive aux or-
ganes des fonctions nutritives, et sa structure différente de
celle des autres nerfs, et son insensibilité dans les expé-
riences et dans Fétat normal. Reste donc cet unique argu-
ment, que le grand sympathique est la première portion
nerveuse qui existe, soit dans l'échelle des animaux, soit
dans l'évolution du fœtus humain. Mais ces faits sont- ils
bien sûrs ? D'une part, si les zoologistes, dans leurs considé-
rations philosophiques, disent que le grand sympathique
des animaux supérieurs, de l'homme, est l'analogue du
système nerveux ganglionaire des derniers animaux , ils
se contredisent dans leurs descriptions anatomiques; ils
avancent dans ces dernières que le grand sympathique
n'existe pas au-delà des animaux vertébrés, et même que
son développement, le plus grand possible chez l'homme,
va en diminuant de cet être au dernier des poissons. Or,
ceci peut-il s'accorder avec l'idée que le grand sympathique
est l'agent unique de l'innervation, idée qui nécessite son
existence dans tous les animaux, et même dans les végétaux?
Et au contraire, ce fait anatomique ne trouve-t-il pas son
explication dans d'autres conjectures faites sur ce grand
sympathique ; par exemple , celle qu'il lie tous les organes
entre eux; ou qu'il isole du cerveau , qui perçoit et ordonne
tous les mouvements volontaires,. les organes dont les opé-
rations ne doivent être ni senties ni voulues ? D'autre part,
Béclard dit que les ganglions spinaux sont avec leurs nerfs
les premières parties visibles du système nerveux; et, dans
les cas d'acéphalie qui ont offert l'existence du grand sym-
pathique, malgré l'absence de l'encéphale et de la moelle
spinale, les nerfs du système cérébro-spinal existaient aussi.
174 de l'innervation.
L'association que presque tous les physiologistes ont faite.,
du nerf vague au grand sympathique pour présider aux
fonctions organiques , prouve même contre l'idée générale
qu'ils ont voulu donner de ce dernier nerf, et le rôle exclu-
sif qu'ils ont voulu lui faire jouer dans 4'influence nerveuse
organique. Les faits contraignaient à admettre cette associa-
tion; le nerf vague se distribue, comme le grand sympa-
thique, aux organes des premières fonctions organiques; ses
filets se mêlent partout à ceux du grand sympathique; et
c'est du mélange de ces deux nerfs que sont formés ceux qui
vont immédiatement vivifier le cœur, le poumon, l'estomac ;
son influence sur les actions de ces viscères est telle, que sa
section au col les paralyse et amène la mort. Les zoologistes
disent même avoir remarqué; que ce nerf vague va en aug-
mentant de volume et d'importance dans les animaux, à
partir de l'homme, à mesure que par contre le grand sympa-
thique décroît; et qu'au-delà des vertébrés, il finit par être
le seul nerf viscéral et le seul nerf dispensateur de l'influence
nerveuse organique. Or, ce nerf ne ressemble pas au grand
sympathique ; c'est à tort que Reîl le disait formé de même
d'une série linéaire de ganglions; il a évidemment la même
structure, les mêmes propriétés que les autres nerfs spinaux
et encéphaliques; comme eux il est sensible ; son irritation,
comme la leur, excite des contractions dans les muscles
auxquels il se distribue; et cependant le voilà reconnu dis-
pensateur de l'influence nerveuse organique ! quelle néces-
sité, dès lors, d'admettre un système nerveux spécial pour
cet effet ? et au moins , n'y a-t-il pas ici contradiction dans
les auteurs dont nous discutons les idées?
A la vérité , plusieurs ont cherché à échapper à cette con-
tradiction, MM. Qall et Brachet, par exemple. Le premier
veut qu'on restreigne le nerf vague à ceux de ses rameaux
qui vont au larynx, et l'appelle à cause de cela le nerf vocal;
il croit que ceux de ses filets qui vont au poumon , au cœur
et à l'estomac, lui sont mal à propos rapportés, et appar-
tiennent au grand sympathique. Mais, si cela était, la section
des nerfs vagues au col ne devrait pas avoir d'autres effets
que celle des grands sympathiques au même lieu; et cepen-
DES NERFS QUI DISPENSENT L'INNERVATION. 175
dant , tandis que celle-ci n'a que peu d'influence , au moins
laisse survivre long-temps les animaux , l'autre les fait périr
promptement, après quelques jours au plus. M. Brachet
veut ; que les nerfs vagues ne président, dans les organes in-
térieurs , qu'aux sensations dont ces organes sont le siège ,
comme le besoin d'inspirer, d'expirer, ceux de la faim , de
la soif, etc.: et que ce soit le grand sympathique qui y ré-
gisse les actions organiques proprement dites. Selon lui, la
nature a fourni , à tous les organes intérieurs qui ont à dé-
velopper des sensations, des nerfs du système cérébro-spi-
nal , en même temps que des nerfs du trisplanchnique; et
c'est ainsi, qu'outre les rameaux que reçoivent de ce nerf
la vessie , le rectum, l'utérus , ces organes en reçoivent de la
portion inférieure de la moeîle spinale, pour présider en
eux aux besoins d'uriner, de la défécation, et aux douleurs
de l'accouchement. Sans doute les nerfs vagues président
aux sensations normales de l'estomac et du poumon , comme
les nerfs de la partie inférieure de la moelle spinale à celles
du rectum , de la vessie et de l'utérus. Les animaux auxquels
on a coupé les nerfs vagues, ne sentent plus la faim ni la
saliété, car ils refusent de manger; ou s'ils mangent, ils le
font avec indifférence, et tellement machinalement, qu'ils
continuent de le faire quoique l'estomac soit plein. Us ne
sentent pas plus le besoin de vomir, puisqu'on leur donne
en vain des émétiques. Chez eux, les sensations d'inspirer et
d'expirer sont également anéanties; car si Tou submerge à la
fois deux chiens, dit M. Brachet, mais après avoir fait à
l'un la section des nerfs vagues , on voit que le premier
s'agitera, se débattra jusqu'à ce qu'il soit asphyxié, tandis
que l'autre se laissera périr sans lutte , parce qu'il ne sent
pas le besoin de l'inspiration. Enfin il est sûr qu'une lésion
de la partie inférieure de la moelle spinale , rend la vessie et
le rectum inaptes à produire les sensations qui se rapportent
à leurs fonctions excrémentitielîes. Mais si ces faits prouvent
qu'effectivement les nerfs vagues et autres nerfs spinaux
président aux sensations des organes auxquels ils se distri-
buent, n'est-il pas d'autres faits qui prouvent que ces nerfs
font encore plus dans ces organes? D'abord, à quoi servi-
176 DE L'INNERVATION.
raient les nerfs vagues dans le cœur, organe qui , dans l'état
normal , n'est jamais le siège d'aucunes sensations ? Ensuite ,
par la section des nerfs vagues, sont anéanties, non-seule-
ment les sensations de l'estomac et du poumon , mais encore
leurs fonctions de chymification et d'hématose; Brodie a vu
la sécrétion des sucs intérieurs de l'estomac cesser de se faire
lors de cette section, et les aliments rester dans l'intérieur de ce
viscère sans yêtrechymifiés; M. Dupuy dit que c'est impuné-
ment qu'on administre alors aux animaux les poisons qui agis-
sent par absorption, la noix vomique, par exemple. Ce que
nous disons des actions de chymification, d'hématose de ces or-
ganes intérieurs, nous le disons aussi de leurs mouvements.
Certainement ces mouvements sont indépendants de la vo-
lonté; à ce titre, ils sembleraient devoir être régis par le
grand sympathique seul; et cependant ceux de l'estomac,
de l'intestin, sont sous la subordination des nerfs vagues;
et ceux du rectum, de la vessie , et même de l'utérus, sont
dépendants de la moelle spinale. Si , sur un animal vivant,
on irrite les filets du nerf vague qui entourent l'œsophage, on
provoque le mouvement de péristole de l'estomac, et le mou-
vement péristaltique de l'intestin. Si les nerfs vagues sont
coupés, plus de péristole à l'estomac, et l'animal ne vomit
plus que par régurgitation. Une lésion de la moelle spinale
à sa partie inférieure, paralyse le rectum à tel point, que
c'est vainement qu'on porte des lavements irritants dans cet
intestin. Il en est de même de la vessie. Enfin, nous avons
cité, d'après M. Brochet, l'observation d'une femme chez
laquelle une paraplégie empêcha l'utérus de se contracter
dans l'accouchement. Ainsi, nul doute que les nerfs vagues
ne président, comme les grands sympathiques , à des phéno-
mènes exclusivement organiques , et même que d'autres
neifs spinaux ne président à des mouvements involontaires.
Concluons donc; que, puisque le nerf grand sympathique
n'existe pas partout; que, puisque sur certaines artères, celles
des membres et de la face , par exemple , des filets nerveux du
système cérébro-spinal remplacent ceux dont il entoure les
autres artères; et qu'enfin, puisque les nerfs vagues sont indis-
pensables à certaines fonctions organiques; concluons , dis-je,
DES NERFS QUI DISPENSENT i/lNNERVATION. j 77'
que ce nerf grand sympa Inique n'est pas le dispensateur uni-
que de l'innervation , mais seulement est le nerf qui princi-
palement la fournit aux viscères intérieurs. À ce titre seul , il
mérite le nom de système nerveux organique qui lui a été
donné. Mais quand on remarque, en outre, que son insensibi-
lité contraste avec la sensibilité des autres nerfs , que proba-
blement c'est lui qui empêche que les mouvements des par-r
lies auxquelles il se distribue soient sentis et régis par la
volonté; que de nouvelles raisons pour en faire un système
nerveux distinct du système cérébro-spinal ! Evidemment ce
nerf est destiné aux fonctions organiques, sa distribution
le prouve; certainement aussi il leur sert par l'innervation •
mais probablement il a encore quelque autre usage qu'on
ignore; la science a besoin ici de nouvelles lumières. Tout
ce que l'on a dit ne peut être regardé que comme autant de
conjectures plus ou moins vraisemblables. Prouvons-le en
rappelant toutes les dissidences des auteurs sur la structure
et les fonctions de ce nerf.
Sous le rapport anatomique , d'abord , on le dit un nerf
encéphalique ayant, par l'intermédiaire des cinquième et
sixième paires encéphaliques, son origine en ce centre ner-
veux. Ensuite on le présenta comme un nerf spinal, consi-
dérant comme ses racines les divers rameaux qui l'unissent
dans sa longueur aux paires spinales. Après, TVinslow
jugea que tous les rameaux prétendus originels, n'étaient
que des rameaux anastomotîques, et il commença à regarder
les ganglions de ce nerf commue autant décentres d'origine
comme autant de petits cerveaux. Meckel 3 Zinn , Scarpace-
pendant, continuèrent de voir dans ces ganglions une simple
disposition anatomique, servant à séparer, unir et mêler les
différents filets nerveux; et le grand sympathique ne fut
encore pour eux qu'un nerf unique , mais formé par le
concours des cinquième et sixième paires encéphaliques , et
de toutes les paires spinales. Bichal , au contraire, accueillit
et étendit l'idée de W inslow ; il cessa de considérer le grand
sympathique comme un nerf unique , et le dit un groupe
de plusieurs systèmes nerveux spéciaux, ou de ganglions ,
ayant chacun leurs fondions propres, et unis entre eux par
Tome IV. , 2
1^8 DE L INNERVATION.
des brandies de communication. M. Gall adopta tout-à-fait
cette manière de voir de Bichat. Il en fut de même de Reil,
qui, déplus, établissant que le plexus solaire était aux divers
ganglions du grand sympathique, comme un centre, un
cerveau qui présenta les deux nerfs grands sympathiques
comme embrassant" dans une espèce d'ellipse, tous les or-
ganes intérieurs, et comme les tenant isolés dans cette ellipse,
dans laquelleneplongeaitaucunautrenerf encéphalique que
le nerf vague. M. Lobstein , au contraire, reproche à Bichat
d'avoir accordé trop d'importance aux ganglions considérés
isolément, et d'avoir trop méconnu celle qu'a le nerf dans
son ensemble : les ganglions , dit-il , ne sont-ils pas souvent
trop petits, relativement à la quantité des nerfs dont ils
sont supposés l'origine? on suit d'ailleurs un même cordon
à travers plusieurs ganglions. M. de Blainville , admettant
pour les fonctions organiques des ganglions spéciaux, autres
que ceux qui président aux fonctions sensoriaies, savoir, le
ganglion cardiaque, le semi-lunaire , etc. , présente le grand
sympathique comme un grand appareil nerveux, n'existant
que dans les animaux supérieurs, et destiné à unir les gan-
glions des fonctions organiques qui sont en dedans, avec
ceux des fonctions sensoriaies qui sont plus en dehors : nous
avons dit, dans le temps, comment il trouvait la connexion
de ce nerf avec chacun des ganglions encéphaliques, excepté
l'olfactif, aussi évidente que celle avec les ganglions spi-
naux. Enfin, M. Magendie , dégoûté sans doute par la di-
vergence de toutes ces opinioms, va jusqu'à demander si le
grand sympathique est bien un nerf, et doit être rapporté
au système nerveux.
Sous le rapport physiologique , les dissidences ne sont pas
moindres. i° On dit d'abord îe grand sympathique destiné à
unir les diverses parties du corps, d'où ce nom de grand
sympathique qui lui a été donné. En effet, son union avec
plusieurs des nerfs encéphaliques dans la tête; avec îe nerf
vague , dans les organes des premières fonctions organiques;
et avec toutes les paires spinales , dans la longueur du corps,
autorisait assez cette conjecture. Comme le nombre des or-
ganes augmente à mesure que l'animal est supérieur, on
DES NERFS QUI DISPENSENT l/lNNERVÀTION. 179
concevait, dans cette hypothèse, pourquoi le grand sym-
pathique n'existe que chez les vertébrés, et va en augmen-
tant des animaux à l'homme. Tous les anatomisles qui,
avec Scarpa, Zinn , Meckel , n'ont vu dans les ganglions
qu'un artifice anatomique , servant à unir, séparer, mêler
les filets nerveux , et à influer mécaniquement sur leur dis-
tribution, n'ont regardé le grand sympathique que comme
un moyen d'union, d'association des organes. 2° D'autres,
remarquant que tous les organes auxquels se distribue le
grand sympathique, sont ceux dont le jeu est involontaire
et non senti, regardèrent les ganglions de ce nerf comme
destinés à isoler du cerveau les organes intérieurs , et tout
le nerf, comme un appareil d'isolement. Les ganglions, en
arrêtant les impressions éprouvées par les organes inté-
rieurs, et en les empêchant d'arriver au cerveau, faisaient
que ces impressions n'étaient pas senties; et de même, en
arrêtant les volitions cérébrales , et les empêchant d'arriver
jusqu'aux organes intérieurs , ils rendaient le jeu de ceux-ci
indépendant de la volonté. Si le grand sympathique , outre
les nombreux ganglions dont il est parsemé, avait encore
une texture différente de celle des autres nerfs, c'est qu'en
restant apte à produire l'innervation , il devait cesser d'être
conducteur des impressions sensitives et des volitions céré-
brales. Cependant cet office d'isolement n'était réel que
dans l'état normal : dans certains cas d'exaltation , soit des
organes intérieurs, soit du cerveau, le grand sympathique
ne s'opposait plus à la communication; d'un côté, les im-
pressions éprouvées par les viscères étaient propagées jus-
qu'au cerveau qui en avait la perception, ou qui au moins
était troublé par elles dans son travail propre; et, d'un
autre côté , les irradiations cérébrales arrivaient jusque dans
les viscères, comme dans les passions. Ainsi s'expliquait;
pourquoi, dans les cas ordinaires, le jeu des organes inté-
rieurs n'est ni senti, ni dépendant de la volonté; et pour-
quoi , clans d'autres cas , il y a des irradiations continuelles
des organes intérieurs sur le cerveau, et du cerveau sur les
organes intérieurs. C'est dans ces dernières circonstances
qu'on faisait jouer un rôle au plexus solaire, appelé centre
1 2.
180 DE L'INNERVATION.
épigastriq ue , cerveau abdominal , soit comme point de dé-
part des irradiations qui allaient perturber le cerveau , soit
comme terme de celles par lesquelles le cerveau perturbait
les organes intérieurs. Dans cette hypothèse, on concevait
encore pourquoi le grand sympathique était plus développé
dans les animaux supérieurs; à mesure que le cerveau avait
acquis plus d'importance, la nature avait dû rendre plus
complet l'appareil d'isolement destiné à arrêter les irradia-
tions de ce centre sur les organes intérieurs. 3° Dans une
troisième hypothèse , on considère les ganglions du grand
sympathique; ou comme des centres nerveux spéciaux , des-
tinés à développer par eux-mêmes l'action nerveuse néces-
saire à chaque fonction ; ou comme des appareils destinés à
coercer, rassembler celle qui dérive de la moelle spinale ou
de l'encéphale, et à influer sur sa distribution. C'est ainsi
que BicJiat, M. Gall ont fait de chaque ganglion un centre
d'action affecté chacun à une fonction organique spéciale;
s'appuyant de l'analogie des derniers animaux, dans lesquels
chaque ganglion est si bien indépendant , que ces animaux ,
coupés en autant de morceaux qu'il y a de ganglions, de-
viennent autant d'êtres distincts. C'est ainsi que d'autres,
sans admettre dans les ganglions une indépendance aussi
absolue, ont considéré ces corps comme servant à accumuler
en eux l'influx nerveux , et à influer sur sa distribution.
4° Enfin , beaucoup de physiologistes ont fait jouer à la fois
aux grands sympathiques ces divers usages. M. Bée lard r, par
exemple, dit que les ganglions ont le double usage; d'un
côté , d'arrêter l'influence du centre nerveux sur les organes
intérieurs , et d'empêcher la transmission des impressions au
centre, pour que les fonctions intérieures soient isolées des
extérieures; et d'un autre côté, de rassembler la force ner-
veuse qu'ils puisent dans la moelle ou développent eux-
mêmes, pour la communiquer convenablement aux nerfs et
aux organes auxquels ceux-ci se distribuent. De même,
MM. Broussais, Lobstein font du grand sympathique, non-
seulement le moteur de toutes les fonctions organiques,
mais encore l'intermédiaire entre le cerveau et les viscères,
je moyen par lequel ceux-ci expriment au centre de percep-
DES NERFS QUI DISPENSENT L'INNERVATION. 181
lion tous leurs besoins , et enfin le grand agent de toutes les
sympathies. Certainement, il n'est aucun de ces usages at-
tribués aux grands sympathiques , qui ne paraisse plus ou
moins vraisemblable , qu'on ne puisse appuyer sur quelques
faits, sur quelques analogies; mais certainement aussi, il
n'en est aucun qu'on puisse dire complètement démontré.
C'est en vain qu'on a cherché à s'éclairer ici par des ex-
périences sur des animaux vivants. Bichat dit, qu'ayant
coupé au col, sur des chiens, les deux nerfs grands sympa-
thiques, ces animaux, non-seulement survécurent indéfini-
ment , mais même ne présentèrent aucuns troubles sensibles
dans leurs fonctions. M, Magendie dit avoir impunément
enlevé tous les ganglions du col, et les premiers ganglions
thoraciques. M. Dupuy, professeur à Alfort, a, de concert
avec MM. Dupuytren et Breschet, extirpé , sur des chevaux,
les ganglions gutturaux des grands symphatiques de l'un et
de l'autre côté du col ; un resserrement de la pupille, une
rougeur de la conjonctive , furent les phénomènes qui se
présentèrent d'abord; ensuite les animaux maigrirent sen-
siblement; il survint une infiltration générale des membres,
une éruption de gale sur toute la peau ; et enfin , après un ,
deux et souvent trois mois , les animaux périrent. Sans doute
la mort ne put ici être attribuée qu'à la section des nerfs ,
et elle prouve par conséquent l'influence de ces nerfs sur
les fonctions nutritives; cependant elle fut bien plus tar-
dive que celle qui suit la section des nerfs vagues, et consé-
quemment l'expérience est moins décisive. Du reste, il est
facile d'en donner les raisons. Les grands sympathiques ne
peuvent être coupés qu'au col; partout ailleurs, ils sont
situés trop profondément. Or, leur section au col ne les lèse
que légèrement , et ne doit avoir que des résultats faibles ou
éloignés. Dit -on, en effet, avec Bichat, que ces nerfs sont
une suite de ganglions indépendants? on conçoit que ceux
de ces ganglions qui sont situés au-dessous de la section , et
qui sont les plus importants, ont dû continuer leurs offices.
Dil-on, au contraire, qu'ils font un seul système? après
leur section au col, il leur reste assez de liaison ; et avec
l'encéphale, par îa huitième paire; et avec la moelle spi-
182 - de l'innervation.
nale, par le dernier ganglion cervical et les ganglions tho-
raciques, pour qu'ils puissent exercer leur influence sur les
organes centraux de la vie , le poumon et le cœur.
Toutefois, bien qu'on ne puisse faire un choix absolu en-
tre toutes ces hypothèses, il eu résulte toujours que le grand
sympathique est un système nerveux spécial, affecté aux
fonctions organiques, indispensable à leur accomplissement,
et dont l'étude devait se rattacher à celle de ces fonctions
organiques. Arrivons à une troisième question relative à
l'innervation, celle de la source dont elle émane.
§ III. Sources de l'Innervation.
Presque tous les physiologistes placent la source de l'in-
nervation dans les grands centres nerveux , l'encéphale et
la moelle spinale, et ne considèrent les nerfs que comme de
simples conducteurs. L'analogie et des faits directs viennent
en effet à l'appui de cette opinion. D'un côté , les nerfs dans
les autres actions nerveuses ne sont évidemment que con-
ducteurs, soit des impressions sensitives, soit des volitions.
D un autre côté, que les centres nerveux soient lésés, ou
seulement que la communication avec eux soit détruite par
la section ou la ligature du nerf qui l'établit, il n'y a plus
d'influence nerveuse produite, et les organes meurent,
quand bien même la lésion ne serait pas de nature à arrêter
les mouvements du cœur. Cependant Reil, Prochaska ont
conjecturé, qu'outre l'influx nerveux évidemment fourni
par les centres nerveux, chaque nerf avait le pouvoir de sé-
créter lui-même le fluide, quel qu'il soit, qui consti tue cet in-
flux. Ils arguaient, i<>decequiest dans les derniers animaux,
chez lesquels chaque partie nerveuse est si bien apte à pro-
duire l'innervation, que chaque fragment détaché du corps
peut continuer de vivre ; 2° de ce qui est dans les embryons
des animaux supérieurs eux-mêmes , chez lesquels les expan-
sions nerveuses sont développées avant les centres ; 3o de ce
qu'un nerf coupé et conséquemment séparé des centres,
continue de provoquer, quand on l'irrite, des contractions
de muscles jusque dans ses ramifications dernières; 4° enfin,
SOURCES DE L'INNERVATION. l83
de la persistance qu'on observe encore dans les fonctions
organiques dans 3es movts subites, après la destruction des
centres nerveux. C'est afin de fournir à cette sécrétion ner-
veuse, disent-ils, que ies nerfs reçoivent tant de vaisseaux
artériels, et en sont partout pénétrés. Plusieurs modernes
ont adopté cette manière de voir de Reil et Prochaska.
Nous citerons M. Broussais , qui dit que les nerfs jouissent
en tout lieu de leur force et de leurs propriétés, qu'ils ne
les empruntent point au cerveau , et qu'ils ne communi-
quent avec ce centre que pour la correspondance des or-
ganes. Legallois penchait aussi pour cette opinion, bien
qu'il eût vainement cherché à la démontrer par l'expérience
suivante : il mit à nu dans un jeune chat les nerfs vagues
au col , et détruisit dans une étendue aussi grande qu'il
lui fut possible tous les vaisseaux qui s'y rendent; il espérait
que, si ces nerfs sécrètent eux-mêmes le fluide nerveux par
lequel ils agissent, ces nerfs ne recevant plus le sang du-
quel ils le retirent, l'animal manifesterait les mêmes effets
que ceux qui résultent de la section de ces nerfs ; cela n'ar-
riva pas, et la respiration resta facile. Il est certainement
possible que les nerfs soient, non-seulement conducteurs,
mais encore un peu producteurs de l'influx nerveux, quel
qu'il soit : ne voit-on pas l'irritation artificielle d'un nerf
amener des contractions musculaires, quand l'irritation du
centre nerveux auquel aboutit ce nerf ne suffit plus pour
amener ce résultat ? Mais certainement dans les animaux
supérieurs chez lesquels la vie est centralisée, la principale
source de Pinfluence nerveuse est dans les centres ; et si 1 on
veut que chaque nerf sécrète le fluide nerveux qu'il em-
ploie, comme il faut reconnaître qu'il est , dans cette action
de sécrétion, subordonné à l'état des centres, c'est comme
si l'on disait qu'il reçoit de ces centres l'influx nerveux. Il
est certain, en effet, que, dans les animaux supérieurs, la
centralisation de la vie n'est pas établie seulement, par le
concours des fonctions organiques supérieures qui servent à
faire le sang , ce stimulus indispensable de toute vie ; mais
qu'elle résulte encore de la liaison qui est établie entre
toutes les parties nerveuses, et de la dépendance dans la-
i84 de l'innervation.
quelle sont toutes les parties nerveuses d'une partie centrale
qui fonde tout-à-fait l'individualité de l'être. A. l'article
des connexions des divers organes entre eux, nous recher-
cherons quelle est la partie nerveuse centrale , et dans quel
degré lui sont subordonnées toutes les autres; nous verrons
que cela variera selon l'espèce animale, et selon l'âge.
§ IV. Essence de V Innervation.
Enfin, en quoi consiste cette innervation, que nous ve-
nons de présenter comme une condition non moins néces-
saire à la vie des organes que celle du sang qui les nourrit,
et qui peut-être est la première et l'unique, si le sang ne sert
qu'à fournir au système nerveux les matériaux avec lesquels il
la produit? On est ici dans la plus complète ignorance.
L'action n'esl-elle pas moléculaire, et conséquemment hors
la portée d'aucun sens ? Avons-nous pu pénétrer toute autre
action nerveuse? et pouvons-nous en savoir plus sur celle-
ci, dans laquelle réside peut-être tout le secret de la vie ?
La science ne peut jusqu'à présent offrir, sur ce fait premier
de physiologie, que des conjectures plus ou moins fondées.
On avait pu appliquer quelques hypothèses mécaniques au
jeu des nerfs , pour la transmission des impressions sensi-
tives et des voîitions cérébrales; par exemple, supposer des
vibrations dans leurs fibrilles élémentaires, dans les globules
qui les composent. Mais ici on a plutôt supposé un fluide,
du genre des fluides impondérables de la nature, et étant
à la production des phénomènes vitaux, ce que le calori-
que, le fluide électrique sont, dans la physique générale,
aux divers phénomènes qu'on leur rapporte. N'est-ce pas
en effet aux fluides impondérables que , dans la nature gé-
nérale , sont dus les plus importants phénomènes ? et quelle
présomption pour qu'il en soit de même dans la nature or-
ganisée ?
Cette hypothèse, qui fut admise dès les premiers temps
de la science, est encore celle à laquelle on s'arrête
aujourd'hui; et depuis Arislote jusqu'à M. Cuvier, on voit
presque tous les savants rapporter à l'influence d'un fluide
ESSENCE DE i/lNNERVATlON. l85
nerveux, tour-à-tour appelé pneuma, èther, orne sensitive,
esprits animaux , fluide électrique, galvanique , etc. , tous
les phénomènes de la vie. 3Mais les opinions sur ce qu'est ce
fluide sont très diverses. Nul doute que le système nerveux
n'en soit l'agent sécréteur, ou du moins l'unique conducteur
dans l'économie. Mais est-ce un fluide impondérable spécial
aux êtres vivants? ou est-ce un de ceux admis dans la phy-
sique générale, le fluide électrique , par exemple, ou le ca-
lorique, mais modifié par une action particulière du système
nerveux, et, par conséquent, produisant cet ordre de phé-
nomènes nouveaux dont l'ensemble constitue la vie? C'est
ce qu'on ignore, et ce que chacun a conjecturé tour-à-tour.
M. Lamarck admet que la cause excitatrice de la vie est ré-
pandue dans les milieux divers dans lesquels sont plongés
les êtres vivants; que, pour les plus simples de ces êtres,
cette cause, qui est probablement un mélange de lumière
et de fluide électrique, pénètre sans cesse du milieu ambiant
dans le corps de ces êtres, pour y entretenir la vie, et
même pour la commencer; mais, qu'indépendamment de
ce qui leur en est fourni par le milieu ambiant, les ani-
maux supérieurs ont en eux un moyen de la développer
toujours. M. Cuvier fait sécréter du sang ce principe, par
l'action du système nerveux; et, des modifications qu'a-
mènent dans sa composition chimique les différents agents
extérieurs, résultent tous les phénomènes de la vie : bien
qu'émané du sang, c'est son influence qui fait agir les vais-
seaux qui sont les conducteurs de ce fluide; de sorte que
du rapport réciproque des vaisseaux et des nerfs, dépend
le degré d'intensité des actes vitaux.
Quant à la question de savoir si le fluide nerveux, au
lieu d'être un fluide spécial, n'est pas seulement un des
fluides impondérables connus, mais modifié par des condi-
tions qui sont encore à découvrir, la plupart des physiolo-
gistes out penché pour cette opinion , tant à cause de l'u-
ni té de plan qu'il est raisonnable d'admettre dans l'ordon-
nance de tout l'univers , qu'à cause des faits nombreux qui
semblent montrer, entre les fluides nerveux et galvanique,
sinon une identité complète, au moins beaucoup d'analo-
J86 DE i/'lN NERVATION.
gîe. D'un côté, bien que dans Fétat actuel de la science
tous les phénomènes vitaux ne soient aucunement explica-
bles par les lois physiques et chimiques générales, il est
probable cependant que ces phénomènes ont pour moteurs
les mêmes agents que les phénomènes physiques; avec cette
addition seulement que ces agents, ou sont plus nombreux,
ou ont subi quelques modifications; en un mot , se trouvent
dans quelques conditions nouvelles , dont la découverte se-
rait celle de la vie. Beaucoup de physiologistes de l'époque
actuelle présument, que les lois de la vie ne sont que les
lois physiques générales modifiées ; et dès lors , ils s'effor-
cent, par une investigation et une comparaison continuelles
ae la nature morte et de la nature vivante, de pénétrer en
quoi consistent ces modifications. D'un autre côté, beau-
coup de faits que nous allons rapporter montrent de l'ana-
logie entre les fluides nerveux et galvanique.
i° Il est remarquable que le système nerveux, qui est
évidemment l'agent sécréteur, l'unique conducteur du fluide
de ce nom, est aussi le seul qui se montre sensible au gal-
vanisme , quand ce galvanisme est appliqué au corps des ani-
maux, soit vivants, soit morts. On a même , par ce fait seul ,
soupçonné d'abord, ensuite découvert, dans des animaux,
des nerfs qu'on n'y supposait pas auparavant. 20 Le fluide
galvanique, appliqué après la mort à des nerfs, a déter-
miné, dans les muscles auxquels se distribuent ces nerfs,
aes contractions analogues à celles qu'y provoquent la vo-
lonté ou leurs excitants propres. Depuis le jour où le hasard
présenta, pour la première fois, ce phénomène à Galvarri,
il a été constaté par un grand nombre d'expérimentateurs,
Bichat, Aldini, M. de Humboldt, etc. ; et les faits que nous
pourrions citer ici se présentent en foule. Il en est peu qui
soient aussi remarquables que ceux qu'a communiqués , àla
société littéraire de Glascow, le docteur U/e .-sur le cadavre
d'un meurtrier âgé de trente ans, et mort du supplice de la
potence , ce médecin a fait contracter violemment tous les
muscles du corps, en appliquant les deux conducteurs d'une
pile voitaïque composée de deux cent soixante-dix paires
de plaques, î'unàla moelle épinière au col , et l'autre au nerf
ESSENCE DE l/lNISERVATION. 187
sciatique à la hanche ; en opérant sur le nerf phrénique , il
détermina une véritable respiration; et, en agissant sur le
nerf sus-orbitaire au front, il fit produire aux muscles de
îa face les expressions les plus diverses. 3° En remplaçant,
lors de la section d'un nerf, l'influx nerveux par un courant
galvanique, on a prévenu la paralysie des organes auxquels
le nerf coupé se distribuait, et on a vu leurs fonctions con-
tinuer. Ainsi JVilson Philip a vu3 comme nous l'avons dit
dans le temps , que , s'il faisait passer, lors de la section des
nerfs vagues , un courant galvanique par ces nerfs , la chymi-
fication n'était pas suspendue , et la respiration ne manifes-
tait pas la gêne qui suit d'ordinaire cette section. MM. Ed-
wards et Levasseur ont vérifié ce fait à Paris. Ce même
JVilson a constaté la même puissance d'un courant galva-
nique à l'égard des sécrétions, de la calorification. Ainsi,
de même que le fluide galvanique produit sur les muscles ,
pendant la vie et après la mort, la même influence que l'in-
flux nerveux , de même il paraît pouvoir remplacer cet influx
nerveux pour d'autres actes organiques, la cliymification ,
l'hématose, etc. rappliqué aux nerfs des sens, par eux il excite
la production des sensations qui leur sont propres; et dès
long-temps, Sulzer avait annoncé qu'ayant placé deux mé-
taux différents, l'un au-dessus et l'autre au-dessous de la
langue, et les ayant ensuite fait communiquer, l'individu
soumis à l'expérience avait éprouvé une sensation de saveur.
4° Non-seulement le fluide galvanique a remplacé le fluide
nerveux, et entretenu les mouvements vitaux, mais le sy-
stème nerveux seul a développé, en de certains cas, le gal-
vanisme, et avec lui tous ses effets. Aldini , au lieu de faire,
dans ses expériences , communiquer le nerf et le muscle par
un arc métallique, les a mis dans un contact immédiat, et
il a vu les contractions survenir; il fallait seulement que les
parties eussent plus de vitalité; le phénomène a eu lieu sui-
des animaux à sang chaud, chien, chat, comme sur des
animaux à sang froid. 5° Des animaux développent de véri-
tables phénomènes électriques; îa torpille, par exemple, et
surtout Y anguille tremblante de Surinam, gymnolus elec-
tricus. Or, l'organe qui en eux est l'instrument de leur
*88 de l'innervation.
action électrique, non -seulement a une structure qui est
assez analogue à une pile de Volta , puisqu'il est formé d'un
double étage de cellules ou tubes aponévro tiques, remplis
d'une humeur gélatineuse et afbumineuse , et contigus su-
périeurement et inférieurement à la peau de Tune et l'autre
surface du poisson ; mais encore cet organe est très ricbe en
nerfs qui se distribuent à chacun des tubes , et la section de
ces nerfs le paralyse, comme si ces nerfs étaient ici ce qui
produit le dégagement du fluide. 6° Selon certains physio-
logistes, plusieurs phénomènes vitaux peuvent être dits des
phénomènes électriques; et, par exemple, MM. Dumas et
Prévost viennent de présenter, comme tels, la contractilité
musculaire. Etablissant que la fibre musculaire , au moment
de sa contraction , se fléchit en zigzag , et que les angles de
flexion sont toujours situés aux mêmes points, et là où les
filets nerveux coupent les fibres à angles droits ; ces physio-
logistes conjecturent que cette contraction est due au passage
d'un courant électrique dans ces filets nerveux et à leurrap-
prochement, consécutivement aux lois connues des actions
électro-dynamiques. 70 Enfin, il est entre les fluides nerveux
et électrique des analogies qui justifient le rapprochement
que les faits précédents ont fait établir entre eux. Ainsi , le
fluide électrique agit à distance , il s'élance de ses conduc-
teurs sur les corps, avant que ceux-ci soient au contact. Or
il en est de même du fluide nerveux. Dans les expériences
dans lesquelles on a coupé les nerfs pour arrêter l'influx
nerveux, on a vu celui-ci continuer d'être propagé, si les
deux bouts du nerf coupé restaient en contact, ou même
n'étaient que peu éloignés; le courant nerveux était au con-
traire arrêté , si l'on avait retourné les deux extrémités du
nerf coupé. M. Desmoulins vient d'avancer que les nerfs en-
céphaliques et spinaux, sauf l'olfactif et l'optique, ne sont
pas continus à l'axe cérébro-spinal, mais seulement sont
juxta-posés à cet axe , de sorte que , pour l'exécution de leurs
fonctions, il faut bien admettre une transmission à di-
stance : cette disposition anatomique est surtout, dit ce na-
turaliste , évidente dans les poissons. Une autre analogie est
que le fluide électrique forme comme une atmosphère au-
ESSENCE DE i/lNNERVATION. 189
tour de ses conducteurs; et plusieurs physiologistes, Reîl ,
M. de Humboldl disent que cela est aussi du fluide nerveux.
Reil avait supposé cette atmosphère, pour expliquer la sen-
sibilité des parties dans lesquelles les extrémités nerveuses
n'avaient pas paru pénétrer; et M. de Humboldt l'a admise
sur ce que, dans les expériences galvaniques, il n'était pas
absolument nécessaire , pour déterminer la contraction , que
l'arc métallique touchât le muscle , mais qu'il suffisait qu'il
en fût rapproché de la distance d'une ligne. Enfin , l'inten-
sité des phénomènes électriques est en raison de l'étendue
des surfaces desquelles le fluide est dégagé; et de même les
phénomènes nerveux sont, pour leur énergie, en raison de
Tétendue des épanouissements nerveux auxquels ils se pro-
duisent. M. Desmoulins a fait voir que la vision était d'au-
tant plus étendue, que la rétine offrait plus de plis inté-
rieurs; que l'intelligence était en raison , non du volume et
de la masse du cerveau , mais de l'étendue des surfaces ex-
terne et interne de cet organe , c'est-à-dire de celle des
circonvolutions en dehors , et des ventricules en dedans;
et c'est d'après ces faits et plusieurs autres que ce natura-
liste a admis cette loi, que l'énergie de l'action nerveuse
est toujours proportionnelle à l'étendue des surfaces ner-
veuses.
Sans doute., ces divers faits sont propres à justifier jusqu'à
un certain point, un rapprochement entre les fluides ner-
veux et électrique; et en faisant ce rapprochement, les
physiologistes imitent les physiciens, qui, s'efforçant de ra-
mener tous les phénomènes à un moteur unique, viennent
de rattacher le magnétisme à l'électricité, comme ils l'a-
vaient fait déjà du galvanisme. Mais, cependant, loin d'i-
miter ceux qui font de l'encéphale et de la moelle spinale
de purs électro-moteurs, nous ne présentons tout ceci que
comme conjecture. Si un courant galvanique a, lors de la
section des nerfs, entretenu les fonctions, ce n'a été que
pendant un temps fort court; et le fluide galvanique a pu
n'agir ici que comme stimulus , et en déterminant le déve-
loppement de la portion d'influence nerveuse qui n'était
pas encore éteinte. JNous bornant donc ici à rappeler ce qui
190 DE L m NERVATION.
a été présumé, et les faits d'après lesquels on a établi de pre-
mières suppositions, nous attendons, pour prononcer, que
le temps ait apporté de nouvelles lumières, reconnaissant
toute la difficulté du problème, mais ne désespérant pas de
la possibilitédelevoir résoudre. Nous terminons sur cet arti-
cle , en exposant les deux dernières tentatives qui on t été fai tes
en ce genre; l'une par M. Dutrochet, dans un ouvrage qu'il
a publié l'an dernier sous ce titre : Y Agent immédiat du
mouvement vital dévoilé dans sa nature et dans son mode
d'action chez les végétaux et chez les animaux ; l'autre par
M. Bachoué de Vialer, dans un mémoire qu'il a présenté à
l'Académie royale de médecine, et intitulé; Essai sur une
nouvelle théorie des fonctions du système nerveux dans les
animaux.
M. Duirochet professe que le tissu qui constitue le corps
des végétaux et des animaux, est composé de vésicules qui
contiennent des liquides et qui en sont entourées; et que
tous les phénomènes de la vie des végétaux et des animaux,
tiennent à des courants électriques qui s'établissent à tra-
vers les parois de ces vésicules, entre les liquides qui sont
dans leur intérieur, et ceux qui sont à leur extérieur, con-
sécutivement à la différence de densité et de nature chi-
mique des uns et des autres. Un jour qu'il observait au mi-
croscope et sous l'eau , une moisissure aquatique qui s'était
développée sur une plaie faite à un petit poisson dont il
avait coupé la queue, il vit que l'eau extérieure à la moi-
sissure était introduite avec force dans les cellules qui la
composaient, et chassait la substance qui y était précédem-
ment contenue. Ayant observé de la même manière le four-
reau plein de sperme que laissent les limaces dans les par-
ties de l'individu avec lequel elles s'accouplent, il vit de
même l'eau extérieure pénétrer dans ce fourreau et en ex-
pulser le sperme, quoique celui-ci formât une pâte assez
liquide. Il présuma donc, d'après ces deux faits, que tout
organe creux, quand il est plongé dans l'eau, jouit de la
propriété d'introduire avec violence dans son intérieur l'eau
dans laquelle il est plongé, et de chasser de sa cavité les
substances qui auparavant y étaient contenues. Il appela
ESSENCE DE L'iNNERVATION. 191
cette action physico-organique endosmose, et chercha à la
reproduire artificiellement avec des cœcums de poulet qu'il
remplissait de lait , et qu'il plongeait dans de l'eau de pluie.
Toujours il vit l'eau extérieure pénétrer à travers les parois
du cœcum dans l'intérieur de cet intestin. Le phénomène ne
cessa que lorsque le lait fut pourri. Il éiait d'autant plus pro-
noncé, que le liquide placé dans l'intérieur du cœcum était
plus dense relativement à celui qui était extérieur. Si celui-ci
était au contraire supérieur en densité, le cœcum se vidait
par une action inverse de la précédente, et qu'à cause de
cela M. Datrocliet. appela exosmose; de sorte que le cou-
rant s'établissait toujours du fluide le moins dense vers celui
qui l'était le plus, Tl expérimenta que la nature chimique
des liquides influait autant que leur densité, sur la direc-
tion qui était imprimée au courant; par exemple, la pré-
sence d'un liquide alkalin dans l'organe creux, amenait
constamment l'endosmose, tandis que celle d'un liquide
acide déterminaitl'exosmose; desorteque le courant s'établis-
sait toujours du fluide acide vers le fluide alkalin. II constata
que, si on adapte un tube à un organe creux qui est dans les
conditions de l'endosmose, la force qui fait pénétrer l'eau
extérieure dans l 'organe creux, élevé en même temps cette
eau à une assez grande bailleur dans le tube. Il reproduisit
ce fait, qui le portait à penser que l'endosmose a une grande
part à la circulation des fluides dans les êtres vivants, avec
des organes végétaux et animaux divers. Il construisit un
instrument , véritable endosmomètre , avec lequel il put
expérimenter la puissance des divers liquides sur le phéno-
mène, en raison de leur différence de densité et de nature
chimique. Enfin , il reconnut , qu'en même temps que l'en-
dosmose fait pénétrer le liquide extérieur dans l'organe
creux, une partie du liquide intérieur à celui-ci suinte en
dehors à travers ses parois; que de même, lorsque l'exosmose
vide l'organe creux, une partie du liquide extérieur pé-
nètre dans sa cavité ; de sorte qu'il y a toujours à la fois en-
dosmose et exosmose, c'est-à-dire production de deux cou-
rants qui sont opposés, mais qui sont inégaux en intensité,
le courant.de dehors en dedans dominant dans l'endos-
192 DE L'INNERVATION.
mose, et, au contraire, celui de dedans en dehors étant plus
fort dans l'exosmose.
Ces deux actions, endosmose et exosmose, étant ainsi
bien constatées, et bien distinguées par M. Dutrochet de
tout phénomène physique, chimique et organique quel-
conque , ce savant prétend; d'une part , que ces actions sont
des phénomènes électriques; et de l'autre, qu'elles sont
l'ame de tous les phénomènes de la vie des végétaux et des
animaux.
Pour preuve que c'est l'électricité qui fait ainsi passer à
travers une membrane organique, un liquide moins dense
pour le diriger vers un autre qui Test plus, M. Dutrochet
se fonde sur les considérations suivantes : i<> sur ce que le
contact de corps qui ont des densités différentes est toujours
une cause d'électricité; 2° sur ce que le fluide électrique
accélère l'écoulement et la vaporisation des liquides, et par
conséquent donne de l'impulsion à ces liquides; 3° sur une
expérience de Porett , qui semble, selon lui, répéter l'en-
dosmose et que voici : Porett sépara un vase en deux com-
partiments, à l'aide d'une membrane mince; il remplit
d'eau un des compartiments , et ne mit que quelques goutles
de liquide dans l'autre; alors faisant communiquer le pôle
positif d'une pile avec le compartiment plein d'eau, et le
pôle négatif avec le compartiment vide , il vit l'eau passer à
travers la membrane, du compartiment plein dans le com-
partiment vide. 4° Enfin , sur ce qu'il a développé tour-à-
tour les phénomènes de l'endosmose et de l'exosmose, en
faisant communiquer; dans le premier cas, le pôle négatif
d'une pile avec le liquide qui remplit l'organe creux, et le
pôle positif avec le liquide extérieur; et dans le deuxième
cas, au contraire, le pôle positif avec le liquide intérieur,
et le pôle négatif avec le liquide extérieur. Telles sont les
considérations d'après lesquelles M. Dutrochet assimile les
organes creux qui présentent les phénomènes de l'endosmose
et de l'exosmose , à des bouteilles de Leyde , dont les parois
seraient perméables; l'intérieur et l'extérieur de ces organes
creux sont dans des états électriques opposés; un courant
électrique s'établit de la surface qui est en électricité posi-
ESSENCE DE i/lïN NERVATION. 193
tive vers celle qui est en électricité négative ; et conséquem-
ment il y a endosmose , si la surface interne de l'organe
creux est à l'état d'électricité négative , l'extérieure étant en
électricité positive; et au contraire, il y a exosmose, si la
surface externe, étant en électricité négative, la surface in-
terne est en électricité positive. Pour appuyer toute cette
théorie, M. Dutrochet remarque que, si une augmentation
de température donne plus d'intensité au phénomène de
l'endosmose , on sait aussi qu'une augmentation de tempé-
rature accroît l'intensité du courant électrique qui résulte
du contact de deux métaux.
Quant à la manière dont M. Dutrochet assimile les phé-
nomènes de la vie végétale et de la vie animale aux actions
d'endosmose et d'exosmose, voici les idées de ce savant à
cet égard. On sait que, dans les végétaux, la sève monte
des racines à la tige; i<> par l'action des spongioles, bour-
geons terminaux des racines, qui évidemment sont les
organes de l'absorption et de l'impulsion de la sève lym-
phatique; 20 par l'action des feuilles qui, provoquant au
sommet du végétal une action de transpiration et d'évapo-
ration d'autant plus grande, que l'air ambiant est plus
chaud et plus sec , exercent comme une sorte d'aspiration
sur la sève introduite par les spongioles. Or, les spongioles ,
dit M. Dutrochet , sont des organes celluleux qui contien-
nent dans leur intérieur des fluides organiques; et consé-
quemment elles ne peuvent être plongées dans de l'eau sans
que , par endosmose , elles ne fassent pénétrer cette eau ,
non-seulement dans leur intérieur, mais encore jusqu'au
sommet de la tige. C'est ainsi que l'endosmose est, selon
M. Dutrochet , ce qui constitue l'action d'absorption des
spongioles , et la cause de la circulation de la sève. C'est elUî
aussi qui préside au développement et k la nutrition des
plantes, à leur mouvement de composition et de décompo-
sition; car, consistant en deux courants électriques opposés,
non-seulement elle porte sans cesse de nouvelles substances
dans l'intérieur des parenchymes, et retire une partie de
celles qui y existaient, mais encore ell« entraîne des modi-
fications chimiques continuelles dans ies éléments organi-
Tome IV. ,3
ig4 DE L'INNERVATION.
ques des parties , toute action électrique modifiant la nature
chimique de la matière, de même que toute action chimi-
que entraîne après soi un développement d'électricité. Enfin,
c'est elle aussi qui opère les sécrétions ainsi que l'exhalation ,
laquelle, du reste, n'est qu'un mode de sécrétion. Selon
M. Dulrochet, l'exhalation des végétaux n'est pas plus une
simple évapora tion physique , que leur absorption n'est un
acte de capillarité; elle est aussi un phénomène d'endosmose.
Ce savant ne conteste pas sans doute que la capillarité, la
pesanteur, l'agitation par les vents, n'exercent une influence
sur les fonctions des végétaux; mais il ne considère cette in-
fluence que comme accidentelle, et le véritable moteur de
la vie de ces êtres est, selon lui, l'agent électrique. Il re-
garde la moelle végétale comme étant à l'organisation des vé-
gétaux, ce que le système nerveux est à l'organisation des
animaux, et comme destinée à dispenser partout l'activité
vitale , c'est-à-dire l'électricité.
Enfin, les conditions de l'endosmose, savoir, une struc-
ture vésiculaire, et la présence de fluides organiques plus
denses que l'eau dans les vésicules, existant dans les ani-
maux comme dans les végétaux , M. Dutrochet fait jouer à
cette endosmose le même rôle dans les premiers que dans les
seconds. Ainsi , de même qu'elle était l'a me de la progres-
sion de la sève dans les végétaux , elle préside à la circulation
capillaire dans les animaux , et surtout à la progression du
sang dans les veines. Au même titre, elle constitue Y ab-
sorption , les sécrétions , la nutrition, etc. Seulement , toutes
ces actions se produisent par filtration à travers des mem-
branes organiques perméables; tout ce qu'on a dit des radi-
cules veineuses pour l'absorption, et des extrémités artérielles
pour l'exhalation et la nutrition , sont, selon M. Dutrochet,
des fables physiologiques. Le système sanguin est une cavité
sans issue, et c'est par une filtration à travers les parois des
vaisseaux qui le forment, qu'il reçoit et fournit des élé-
ments. En somme , l'endosmose est encore l'essence de toute
la vie des animaux; et , puisque cette endosmose est un phé-
nomène électrique, l'électricité est îe moteur de la vie des
animaux, comme elle était déjà l'agent de celle des végétaux.
ESSENCE DE L'INNERVATION . 1^5
M. Dutrochet étend même sa théorie à la pathologie: puis-
que l'endosmose est l'acte vital par excellence , et puisqu'elle
est un phénomène d'électricité, on conçoit que les maladies
consisteront dans un vice de l'endosmose ou d'électricité et
que c'est à modifier cette endosmose que devront tendre les
agents thérapeutiques : l'inflammation , par exemple , n'est ,
selon M. Dutrochet, qu'une hypérendosmose. Mais c'en est
assez sur la théorie électrique de ce savant, venons à celle
de M. Bachoué.
Le système de M. Bachoué de Violer, sur l'innervation
n'est qu'une application de cette loi électro-chimique de
M. Becquerel : que lorsque deux substances, mises en com-
munication l'une avec l'autre, par un fil conducteur, exer-
cent simultanément une action chimique avec une troisième*
il se développe un courant galvanique 3 qui se dirige tou-
jours de la substance où cette action est lapins forte, vers
celle où elle l'est le moins. D'une part, dit M. Bachoué
du fluide électrique est toujours mis en évidence , toutes les
fois qu'une action chimique quelconque se produit. D'autre
part, il s'exerce continuellement dans tous les organes une
action chimique simultanée, par suite de l'abord du sang ar-
tériel et de la transformation de ce liquide en sang veineux.
Enfin, les centres nerveux communiquent par des conduc-
teurs , lesnerfs , avec toutes les parties de l'organisme. Consé-
quemment il doit s'établir , dans chaque cordon nerveux un
courant galvanique continuel , allant de son extrémité cen-
trale à son extrémité périphérique, et vice versa, suivant
que l'action chimique dont ce courant émane prédomine à
l'une ou à l'autre extrémité. Or, ce courant est , selon M. Ba-
choué, ce qui détermine le jeu de chaque organe; et voici
comment ce médecin explique, par ce courant, la produc-
tion de toutes les actions de l'économie, de la circulation, des
fonctions sensoriales, l'état de sommeil , celui de veille, etc.
i° La circulation étant continue dans les animaux , il y a
nécessité de reconnaître pour cause à cette fonction, un agent
qui se développe, d'une manière continue, dans l'intérieur
de ces êtres. Cet agent est le fluide électrique qui se dégage à
l'occasion de l'action chimique que le sang exerce à la fois et
i3.
196 Diz l'ikjnervation.
sur les centres nerveux, et sur les tissus organiques à la pé-
riphérie. Mais comme cette action prédomine dans les cen-
tres, le courant galvanique qui en résulte est établi de ces
centres vers les organes circulatoires , et conséquemment le
jeu de ceux-ci est suscité. Pour déterminer le courant dans
cette direction , la nature fait prédominer l'afflux sanguin
dans les ganglions du grand sympathique, centres nerveux
qui président à la circulation; il en résulte dans ces gan-
glions une action chimique plus considérable, et par suite ,
un courant galvanique centrifuge plus prononcé. Cette dis-
position a encore cet avantage de diminuer le pouvoir con-
ducteur de ces nerfs , d'après ce principe de physique qu'un
corps est d'autant moins bon conducteur du fluide électrique,
qu'il a par lui-même une action électro-motrice plus forte;
d'où il résulte que la circulation est affranchie le plus possible
des perturbations que produiraient en elle les courants qui
traversent sans cesse les autres parties du système nerveux,
c'est-à-dire les nerfs cérébraux et vertébraux avec lesquels
ceux du grand sympathique communiquent. Ainsi, d'une
part , le jeu des organes circulatoires est continuellement
provoqué par le courant galvanique centrifuge qui résulte
de l'action chimique exercée simultanément par le sang,
dans les centres nerveux et dans les organes à la périphérie du
corps; et d'autre part, l'arrivée non interrompue du sang
dans les organes y détermine, sans interruption aussi , l'ac-
tion chimique nécessaire au développement de l'électricité,
d'où dépend la continuité de la circulation. 2° M. Bachoué
explique de même le mécanisme des fonctions sensoriales ; le
contact des agents extérieurs sur les extrémités nerveuses
sensitives , y rend prédominante l'action chimique qui s'y
produit continuellement par l'abord du sang artériel ; de là,
production d'un courant galvanique qui se dirige de la pé-
riphérie au centre ; ce courant va déterminer le jeu du
cerveau pour l'accomplissement des sensations; et cet or-
gane, excité par ce travail, devient le siège d'une action
chimique plus prononcée , qui irradie un autre courant gal-
vanique centrifuge dans les muscles qui doivent exécuter les
mouvements. 3° Quant au sommeil, il aura lieu toutes les
ESSENCE DE L'iNNERVATION. 197
fois que les actions chimiques prédomineront aux extrémités
centrales des nerfs, et que conséquemmeiit tous les courants
galvaniques se dirigeront vers leurs extrémités périphéri-
ques ; et, en effet, on peut remarquer que cet état s'accom-
pagne d'une fluxion manifeste du sang sur le cerveau. 4° La
veille est, au contraire, provoquée par la nécessité d'ac-
complir certains besoins, certaines excrétions, et par l'in-
fluence des excitants externes; toutes circonstances qui font
prédominer les actions chimiques de la périphérie , et qui
conséquemment dirigent vers les centres les courants galva-
niques. Ainsi donc, M. Bachoué dérive tous les phénomènes
de vie d'une action chimique donnant lieu à un dévelop-
pement d'électricité. Il étend aussi son système à l'état pa-
thologique ; si l'action chimique est renfermée dans de justes
proportions, tous les phénomènes de vie sont selon l'ordre
de la santé; dans le cas contraire, ces phénomènes sont
morbides; toutes les maladies reconnaissent pour causes des
actions chimiques contre nature , donnant naissance à des
courants galvaniques irréguliers.
Nous avons déjà dit que nous ne présentions toutes ces
théories, que comme des tentatives auxquelles il fallait
applaudir sans doute, mais qu'il ne fallait accueillir qu'a-
vec réserve. Nous opposerons même à M. Bachoué , des ex-
périences qu'a faites M. P oui II et à l'hôpital Saint-Louis, à
l'occasion de l'acupuncture, et qui contredisent "cette idée
de courants galvaniques centrifuges ou centripètes, déve-
loppés dans les organes lors de la production des phéno-
mènes vitaux. Sans doute la théorie doit faire admettre que
les diverses eauses capables de développer de l'électricité,
sont sans cesse en jeu dans les corps organisés, savoir; les
frottements, les pressions et tensions des parties élastiques,
les contacts de substances hétérogènes, leurs changements
de température, enfin les combinaisons chimiques qui se
font à chaque instant dans tous les points du corps. Mais
il n'en faut pas moins que l'expérience confirme ce que fait
préjuger la théorie, et c'est ce qui n'a pas été jusqu'à présent.
M. Pouillet a placé, dans l'artère carotide d'un lapin une
aiguille de platine adaptée à l'une des extrémités du mal-
198 DE L'INNERVATION.
tiplicateur de Shweiger, et dans la veine jugulaire du même
animal, une autre aiguille correspondant à l'autre extré-
mité du multiplicateur; bien que la première aiguille fût
alternativement retirée du sang et enfoncée dans ce li-
quide, bien qu'on variât autant que possible les contacts, le
multiplicateur est resté immobile, preuve qu'il n'y avait
aucun courant de l'artère à la veine. Cependant on pou-
vait croire que la respiration , qui transforme dans un temps
très court un poids de matière considérable, devait entraî-
ner une décomposition des deux électricités dans le pou-
mon ; une des électricités aurait dû passer dans le sang qui
arrive, l'autre dans le sang qui sort; et par conséquent il
aurait dû y avoir un courant électrique entre le sang arté-
riel et le sang veineux. Cela n'a pas été. Le multiplicateur
n'a pas plus accusé de courant, quand M. Pouillel a placé
l'une des aiguilles de platine dans la partie supérieure de
3a moelle épinière d'un lapin , et l'autre à l'extrémité infé-
rieure de cette même moelle ; de sorte qu'il n'y aurait pas
plus de courant galvanique dans le système nerveux qu'entre
les deux sangs. On conçoit tout ce qu'ont de force contre le
système de M. Backouè de pareilles expériences , puis-
qu'elles mettent en doute le fait même sur lequel ce sy-
stème repose.
TROISIEME PARTIE
POUR avoir une notion complète du mécanisme de la vie
de l'homme, il ne suffit pas d'avoir étudié isolément chacune
des fonctions propres à cet être; il faut encore rechercher
l'enchaînement, les connexions de ces fonctions, savoir;
d'après quel ordre elles concourent à constituer son indi-
vidualité, dans quel degré elles se subordonnent ou se com-
mandent les unes les autres. Il faut aussi étudier les rap-
ports obligés de l'homme avec toute la nature, rapports
dont plusieurs sont des conditions absolument nécessaires
à la vie, et dont tous ont une part à la production des phé-
nomènes vitaux, les corps qui les fondent étant, ou la ma-
tière avec laquelle se produisent ces phénomènes vitaux, ou
la cause qui les excite à se produire. À la vérité, plusieurs
des faits relatifs à ces deux objets , ou ont été indiqués
dans l'étude particulière que nous avons faite des fonc-
tions, ou se déduisent naturellement de la connaissance
qu'on en a acquise. Mais plusieurs aussi ont été omis, par
exemple, tout ce qui est relatif aux sympathies; les autres
n'ont été indiqués qu'en passant; tous enfin réclament
une étude spéciale. Cette étude d'ailleurs sera, comme le
résumé, la généralisation de tont ce que nous avons dit
jusqu'ici.
2 00 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
SECTION PREMIERE.
DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
Nous avons dit que le propre de tout corps organisé était
d'offrir un consensus entre ses diverses parties constituan-
tes; que, tandis que les parties qui composent un minéral
peuvent exister par elles-mêmes , et n'ont pas un lien obligé
entre elles , celles qui composent un être vivant sont dans
une dépendance mutuelle les unes des autres : nous avons
fait de ce trait un caractère distinctif de l'organisation et
de la vie. Il est certain, en outre, que ce consensus entre
toutes les parties est dans les êtres vivants d'autant plus
grand , que la vie et l'organisation y sont plus compliquées.
À ce double titre, il doit être extrême chez l'homme; et,
en effet, les liens les plus multipliés unissent entre elles
toutes les parties du corps de cet être; une modification
imprimée à une de ces parties nécessairement se propage à
toutes les autres.
Il s'agit d'énumérer tous ces liens, d'assigner la condi-
tion matérielle qui les établit , de rechercher par quel mé-
canisme elle le fait, de faire sentir toute leur importance,
et de montrer comment ils constituent l'individualité de
l'être. Nous les rangeons en trois classes; les rapports mé-
caniques, tenant aux influences physiques aue les divers
organes du corps exercent les uns sur les autres; ceux que
nous appelons liens ou rapports fonctionnels , parce qu'ils
dépendent de l'enchaînement des fonctions; et ceux que
nous appelons liens ou rapports sympathiques , qui ne sont
dus ni à cet enchaînement, ni aux connexions mécaniques
des parties, et qui tiennent à une loi particulière du sy-
stème nerveux, la loi d'irradiation.
DES RAPPORTS MÉCANIQUES DES ORGANES. 201
CHAPITRE PREMIER.
Des Rapports mécaniques des Organes.
Les divers organes du corps humain , par cela seul qu'ils
sont, ou continus, ou contigus et situés très près les uns
des autres, ou réunis sous une même enveloppe commune,
ne peuvent agir sans s'influencer respectivement d'une ma-
nière mécanique, sans que l'exercice des uns n'imprime
quelques modifications physiques aux autres ; par exemple,
ne change leur situation, n'exerce sur eux quelque pres-
sion , quelque traction , ou ne devienne pour eux l'occasion
de quelque choc , de quelque secousse , etc. Cela fonde pour
eux uu premier genre de rapports que nous appelons méca-
niques; qui, sans doute, sont moins importants que les
rapports fonctionnels et sympathiques qui nous occuperont
ci-après; mais qui cependant sont assez considérables en
certaines fonctions, et, à cause de cela, méritent d'être
mentionnés. Tout organe susceptible d'exécuter un mouve-
ment appréciable , influe d'une manière mécanique sur les
organes voisins; et, sous ce rapport, doivent être mis au
premier rang les organes de la locomotion, de la respira-
tion, de la circulation , de la digestion, et ceux chargés de
conserver en dépôt et d'excréter quelques matières solides
ou liquides.
D'abord , la locomotion ne peut s'accomplir sans que les
muscles qui agissent ne modifient mécaniquement la situa-
tion de beaucoup de parties, n'exercent quelque traction
sur les unes, quelque pression sur les autres, n'impriment
une secousse à presque toutes. N'avons-nous pas vu des ap-
pareils musculaires faire varier la situation des organes des
sens, selon que nous voulions soumettre ou dérober ces or-
ganes aucontactde leurs excitants propres ? Les divers réser-
voirs excrémentitiels ne sont-ils pas environnés de muscles,
qui , en exerçant une pression sur eux , favorisent leur ac-
tion d'excrétion? Lors de la contraction des muscles, la
circulation des fluides ne s'aecélère-t-elle pas dans tous les
202 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
vaisseaux qui sont dans le voisinage, et sur les parois des-
quels les muscles en action peuvent exercer une pression ?
De semblables influences mécaniques ne sont-elles pas exer-
cées sur tous les viscères intérieurs par les parois des cavités
splanchniques , quand ces parois sont musculaires ? Enfin,
le déplacement seul du corps dans la locomotion générale
n'imprirae-t-il pas nécessairement à toutes les parties une
succussion mécanique qui doit exciter en elles l'activité vi-
tale, et entrer pour quelque chose dans les effets de l'exercice?
Il en est de même, et au même titre, de la respiration,
ne voulant parler ici que des influences mécaniques qu'exerce
cette fonction par les mouvements d'inspiration et d'expi-
ration. Sans rappeler la nécessité dont est sous le rapport
physique cette fonction, pour la formation de la voix d'a-
bord, elle exerce une grande influence sur le cours du sang :
quand il y a inspiration , le poumon dilaté est plus acces-
sible au sang veineux, et toute la circulation du sang noir
est, de proche en proche, accélérée mécaniquement : quand
il y a expiration, le poumon comprimé n'est pas aussi ac-
cessible au sang veineux, et la circulation de ce fluide, de
proche en proche , se ralentit dans tout le cours du système
vasculaire à sang noir. Sous ce rapport, rinfluence de la
respiration s'étend jusqu'aux extrémités du système circu-
latoire, et cette fonction se trouve intimement liée à celle de
lacirculation. Ainsi s'explique pourquoi l'on rougi tdans tous
les cas d'expiration prolongée, lors des efforts, des excré-
tions difficiles , etc. En second lieu , de même que les muscles
respirateurs influent, par le degré de pression auquel ils
soumettent le cœur et les gros vaisseaux, sur lacirculation;
de même, leur influence mécanique s'étend aux organes
de l'abdomen ; par exemple , ils soumettent l'estomac à une
oscillation mécanique favorable à ses fonctions; ils aident
aux excrétions du vomissement, de la défécation , à celle de
l'urine, en associant leur action à celle des parois de l'ab-
domen , et en formant avec ces parois une cavité musculeuse
qui enveloppe de toutes parts les réservoirs de ces excrétions,
et les comprime. Par le même mécanisme , ils expulsent
quelquefois, par quelques-unes des ouvertures naturelles de
DES RAPPORTS MÉCANIQUES DES ORGANES. 2o3
l'abdomen, plusieurs des organes qui y sont contenus, et
produisent des hernies. Enfin , ces mouvements respirateurs
servent aussi, lors de tout effort quelconque, à fixer le
thorax, et à donner à cette partie du tronc toute l'immo-
bilité dont elle a besoin pour former un point d'appui aux
muscles nombreux qui doivent agir. Nous avons dit dans le
temps comment la coïncidence de contraction , des muscles
de la glotte d'une part , pour retenir l'air dans le poumon p
et de tous les muscles expirateurs, et particulièrement des
muscles abdominaux de l'autre, pour expulser cet air, ame-
nait cette fixité du thorax.
De son côté, la circulation nous offre un certain nombre
de rapports mécaniques. D'abord, le cœur, par la force avec
laquelle il projette le sang dans les artères, imprime à
toutes les parties que pénètrent des artères un peu grosses,
ou qui sont en contact avec ces vaisseaux, une succussion
qui est pour elles une stimulation vitale. Nous avons vu
un exemple sensible de cette succussion , dans les mouve-
ments d'élévation que les artères qui sont à la base de l'en-
céphale impriment à cet organe. En second lieu, dans l'u-
nion obligée qui existe entre la circulation générale ou des
gros vaisseaux, et la circulation capillaire, s'il se fait une
déplétion soudaine et abondante dans les vaisseaux de l'une,
il en résulte une déplétion mécanique dans les vaisseaux de
l'autre. Ainsi , l'ouverture d'une grosse artère ou d'une
veine amène-t-elîe une hémorrhagie abondante ? de proche
en proche les parenchymes des organes se vident de sang. Et
de même, une irritation appelle- t~elle dans un des dépar-
tements du système capillaire une grande quantité de sang ?
mécaniquement les parties voisines, de proche en proche
jusqu'aux gros vaisseaux, se vident aussi. Ainsi l'on ex-
plique pourquoi l'on pâlit, , pourquoi l'on tombe en syncope
à 1 occasion d'une saignée, d'une application de sangsues.
Enfin, avons-nous besoin de dire , que les organes des in-
gestions et. des excrétions ne peuvent se remplir ni se vider,
sans exercer des influences mécaniques sur les organes cir-
convoisins? Lorsque l'estomac est plein d'aliments, les vis-
cères abdominaux sont plus comprimés, l'abdomen saille
2 04 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
plus en dehors ; le diaphragme peut moins s'abaisser dans
cette cavité ; les mouvements respirateurs ne peuvent être
aussi étendus, et toutes les fonctions qui en dérivent,
comme la voix, la parole, le chant, sont moins faciles.
Lorsque l'utérus est distendu par le produit de la concep-
tion , ces effets mécaniques sont encore plus évidents ; la
pression que cet organe exerce alors sur les organes voisins ,
la vessie, le rectum, les nerfs et les gros vaisseaux des mem-
bres, etc. ^ est telle, qu'il en résulte souvent des troubles dans
les fonctions de ces organes; il y a de continuelles envies
d'uriner et d'aller à la garde-robe , enflure des membres in-
férieurs, difficulté de marcher, des crampes , etc. Mais c'en
est assez sur ces rapports mécaniques, qui se conçoivent ai-
sément, et que nous devions seulement indiquer.
CHAPITRE IL
Des rapports fonctionnels des Organes*
Il suffit de se rappeler que, dans le corps humain, c'est
le concours de beaucoup d'actes qui édifie les conditions de
la vie, et qui accomplit les diverses facultés, pour conce-
voir qu'il doit y avoir sous ce double rapport des liens
forcés entre les parties. Dans un être vivant dont l'organi-
sation est simple, autant homogène que possible, chaque
partie contient en elle les éléments de sa vitalité , de sa fa-
culté, les renouvelle par elle seule, et par conséquent est
indépendante de toutes autres ; la vie n'est aucunement
centralisée, et chaque fragment détaché de l'être peut vivre
isolément. Mais il n'en est pas de même dans celui dont
l'organisation est complexe, et le mécanisme de la vie com-
pliqué ; c'est par le concours d'organes divers , et souvent
fort distants les uns des autres, que la vitalité de chaque
partie est entretenue, que s'accomplit chaque faculté; la
vie est centralisée, se montre dépendante de l'intégrité de
quelques centres, et des liens intimes existent entre toutes
les parties. Ce sont ces liens que nous appelons rapports
fonctionnels ; et chez l'homme , qui de tous les êtres vivants
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES, 2 05
est le plus compliqué, ils sont d'un haut intérêt. Dans l'é-
tude que nous allons en faire , nous les partagerons en deux
ordres, selon qu'ils sont relatifs à l'entretien de la vie en
général, ou à l'accomplissement de chaque faculté en par-
ticulier.
ARTICLE PREMIER.
Rapports fonctionnels relatifs à l'entretien de. la vie en général.
Toute partie du corps humain , pour continuer de vivre
et d'être apte à exécuter sa fonction, a besoin de deux in-
fluences ou conditions, la présence du sang artériel et une
influence nerveuse. Or, dans l'homme, chaque partie ne
peut à elle seule établir ces conditions ; elle ne les doit qu'au
concours de plusieurs organes, et qui sont assez distants; et
delà un premier ordre de rapports fonctionnels, de liens
entre les organes, et une première cause de la dépendance
dans laquelle quelques-uns tiennent tous les autres.
§ Ier. Rapports fonctionnels relatifs à la première condition w'tale , la
présence du sang artériel dans les organes.
Tout organe , sans exception , cesse d'exercer son office ,
et meurt , quand le sang artériel ne lui arrive plus. C'est ce
qu'a montré l'histoire que nous avons faite des fonctions ,
et ce que vont prouver les détails dans lesquels nous allons
entrer ci-après, sur l'asphyxie et la syncope. Qui ne sait
d'ailleurs que toute partie meurt, quand on a lié ou coupé
toutes les artères qui lui apportent le sang? Or, ce n'est
que par le concert de plusieurs fonctions, que le sang arté-
riel est fait et distribué sans interruption dans toutes les
parties du corps; et de là, une importance plus ou moins
grande des diverses fonctions, selon la part plus ou moins
prochaine qu'elles ont à l'établissement de cette première
condition vitale. A cet égard , nous en distinguerons de trois
sortes : les unes qui y concourront d'une manière si pro-
chaine, que leur interruption pendant quelques instants
suffira pour amener la mort: les autres, dont la suspension
206 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
n'entraînera ce résultat funeste qu'après quelques jours;
les troisièmes enfin , qui , ne faisant qu'influer sur la crâse
du sang , auront des effets moi as malheureux, ou du moins
plus éloignés.
i° Il existe chez l'homme deux fonctions, la respira-
tion et la circulation , qui influent si prochainement sur
la condition vitale dont nous nous occupons ici, qu'elles
ne peuvent se suspendre quelques instants sans entraîner
la mort.
A. La respiration 3 comme on l'a vu, est la fonction qui fait
le sang artériel. Si, par une cause quelconque, elle est sus-
pendue, le sang veineux qu'elle devait changer en sang ar-
tériel, n'éprouve pas ce changement; c'est à l'état de sang
veineux qu'il est rapporté aux cavités gauches du cœur, et
de là projeté à toutes les parties; et une mort prompte en
est la suite. C'est ce que montre l'histoire de L'asphyxie,
dont c'est ici le lieu de donner la théorie physiologique.
Cette asphyxie peut arriver de beaucoup de manières. Ou
l'air, aliment de la respiration , manque; comme quand on
est dans îe vide, ou plongé dans l'eau. Ou l'air fourni à la
respiration n'est pas respirabie, est de mauvaise qualité. Ou
un obstacle quelconque s'oppose à l'introduction de l'air
dans le poumon , comme dans la strangulation. Ou enfin , le
poumon, quoique recevant de l'air, et un air de bonne
qualité, ne l'élabore pas; comme quand, par la section de
la huitième paire , on a paralysé son tissu. Chacun de ces
modes d'asphyxie offre sans doute des traits qui lui sont
propres, parce qu'à la cause principale de mort, que nous
verrons être la non-formation de sang artériel, souvent s'en
ajoutent d'autres, comme l'état apoplectique , la congestion
du sang dans le cerveau, quelquefois la luxation d'une des
vertèbres du col, etc., dans l'asphyxie par strangulation.
Cela est évident surtout dans l'asphyxie par les gaz non
respirables, pour ceux de cesgazqui; non-seulement nuisent
négativement, parce qu'ils ne contiennent pas l'élément
respirable , l'oxygène; mais qui encore asphyxient positive-
ment, parce qu'à l'instar des substances vénéneuses, ils
exercent une action délétère directe sur le système nerveux.
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 07
Mais, en outre, tous offrent des traits qui leur sont com-
muns, qui sont dus à la suspension de la respiration, et ce
sont ceux-ci qu'il nous importe de faire connaître.
Dans toute asphyxie, un sentiment d'angoisse marque
d'abord l'impossibilité de satisfaire un des besoins les plus
impérieux de la vie , celui de respirer. Ce sentiment est
bientôt porté à l'extrême , et s'accompagne de soupirs, de
bâillements, d'efforts inspirateurs qui tendent évidemment
à appeler dans le poumon l'élément aérien nécessaire à la
respiration. Alors sont éprouvés des vertiges 3 des lourdeurs
de tête; surtout si la respiration a continué de se faire un
peu, et que l'asphyxie ne soit que graduelle. La face, les
lèvres, les origines de toutes les membranes muqueuses,
souvent toute la surface de la peau , deviennent violettes , et
bleues. Après deux à trois minutes , toutes les fonctions sen-
soriales se suspendent; il y a perte de tout sentiment; l'in-
dividu ne pouvant plus se soutenir, tombe; il est dans un
état de mort apparente; la circulation et les fonctions nu-
tritives qui en dérivent, sont tout ce qui reste de la vie.
Enfin, ces fonctions elles-mêmes s'arrêtent aussi; la circu-
lation d'abord, puis les nutritions, sécrétions et calorifica-
tions. Le cadavre offre les traits suivants : les téguments sont
livides; la face surtout, dont le système capillaire est plus
accessible et plus abondant, est toute bleue et gorgée de
sang. Il en est de même des lèvres , des membranes muqueu-
ses, qui souvent de plus sont tuméfiées, du parenchyme de
tous les organes, le foie, la rate, le poumon surtout, tout
ce qu'on appelle le système capillaire général. Toutes les
parties semblent regorger de sang, et d'un sang noir, fluide,
jamais coagulé. Ce sang est surtout rassemblé dans le système
vasculaire à sang noir, c'est-à-dire dans les veines du corps ,
les cavités droites du cœur, l'artère pulmonaire et le paren-
chyme du poumon : tout le système vasculaire à sang rouge,
c'est-à-dire les veines pulmonaires, les cavités gauches du
cœur, et le système artériel ^ est au contraire vide, ou n'en
contient qu'une petite quantité. Tout ce tableau de l'as-
phyxie , avant et après la mort, est d'autant plus prononcé ,
que la respiration a été moins promptement et moins corn-
208 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
plétement suspendue; si elle l'a été tout à coup et entière-
ment, la mort est plus prompte; on éprouve moins d'an-
goisses avant qu'elle arrive; dans le cadavre, la face, la
peau, les divers organes sont moins gorgés de sang, et ce
sang est moins exclusivement concentré dans le système vas-
culaire à sang rouge. Sous ce triple rapport, de la prompti-
tude avec laquelle la mort arrive , des souffrances qu'endure
l'asphyxié, et de l'état du cadavre , il y a mille degrés, selon
que la respiration a été plus ou moins promptement et com-
plètement arrêtée , c'est-à-dire que l'asphyxie a été subite ou
graduelle.
Quelle est la cause de ces phénomènes ? c'est évidemment
qu'au lieu de sang artériel , il n'est plus envoyé aux parties
que du sang veineux. Celles-ci dès lors meurent, soit par
une action stupéfiante directe qu'exerce sur elles le sang
veineux, soit au moins parce qu'elles sont privées de sang
artériel. A la vérité , dans le temps où l'on croyait que la re-
spiration ne servait qu'à dilater, épanouir le poumon , pour
que le sang pût traverser son tissu , et circuler des cavités
droites du cœur aux cavités gauches de ce même organe , on
attribua la mort de l'asphyxie à l'arrêt soudain de la circu-
lation. De là le nom d'asphyxie donné à ce genre de mort
subite , nom qui veut dire sans pouls. Plus tard, même ,
lorsque l'office réel de la respiration eut été reconnu , on
persista dans cette explication : Gooclwin, par exemple, pré-
tendaitque le sang veineux était incapable de provoquer les
contractions des cavités gauches du cœur, et disait que dans
l'asphyxie, le sang arrivant tel à ces cavités, celles-ci ne se
contractaient pas, dèslors n'envoyaient pas de sang aux orga-
nes, etque c'était faute de sang que ceux-ci mouraient. Maisle
fait de la cessation de la circulation dans l'asphyxie est faux.
Qu'on ouvre sur un animal qu'on asphyxie , un vaisseau san-
guin quelconque, artère ou veine, on voit le sang en jaillir,
et cela pendant quelque temps encore, jusqu'à ce que la
mort soit arrivée. Qu'où touche dans cet animal la région du
cœur, ou une artère , on reconnaîtra les battements de l'un,
le r)Ouls de l'autre. Dans les expériences de Bichat sur la
respiration, le sang jaillissait delà carotide, tout aussi-
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 09
bien quand le robinet de la trachée-artère était fermé , que
quand il était ouvert. Si l'arrêt de la circulation était la
cause de la mort dans l'asphyxie , les fonctions devraient
s'interrompre toutes en même temps , comme dans la
syncope; au contraire on a vu qu'elles ne se suspendent
que graduellement , et dans un ordre qui est toujours le
même : les sensoriales d'abord, puis la circulation , et enfin
celles qui font suite à la circulation. Si la circulation s'ar-
rêtait dans l'asphyxie dès le premier instant, verrait-on la
face , la peau , toutes les membranes muqueuses remplies
de sang, tous les organes gorgés de ce fluide? verrait-on ce
sang presque exclusivement concentré dans le système capil-
laire général ? au lieu de laisser vides le système artériel et
les cavités gauches du cœur , ne devrait-il pas être accumulé
entre le poumon et les cavités gauches, et remplir ces cavi-
tés gauches elles-mêmes ? Cet état de vacuité dans lequel on
trouve , dans les cadavres des asphyxiés , les cavités gauches
du cœur, contredit même tout-à-fait cette assertion de
Goodwin , que le sang veineux n'est pas apte à provoquer
les contractions de ces cavités; il prouve que celles-ci ont
continué de se contracter ; et en effet, les systèmes divers qui
en sont les aboutissants, sont tous pleins du sang qu'elles
ont projeté. La circulation continue donc dans l'asphyxie ;
et si celle-ci cause la mort , c'est parce qu'il est alors envoyé
dans les organes du sang veineux au lieu de sang artériel.
Tout ce que nous avons dit des symptômes des asphyxies,
des altérations que présente le cadavre , est en effet d'accord
avec cette théorie. Ainsi, les fonctions ne se sont suspendues
qu'à mesure que le sang veineux a été envoyé à leurs or-
ganes, et ceux-ci n'ont manifesté l'impression fatale que
dans l'ordre de leur susceptibilité : si les fonctions senso-
riales se sont interrompues les premières , si le cerveau a
accusé le premier malaise , si cet organe est celui qui ,
après l'axphyxie, conserve le plus long- temps l'impres-
sion du mal, c'est qu'évidemment il est de tous le plus
délicat. Ainsi, c'est évidemment du sang veineux qui rem-
plit toutes les parties , car ce sang est noir, fluide, jamais
coagulé. Si le sang est plus abondant dans le cadavre des
Tome IV. 14
2 10 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
asphyxiés qu'en aucun autre, c'est qu'aucune partie n'en a été
employée aux nutritions et sécrétions. Si le parenchyme du
poumon surtout en est gorgé , c'est que l'embarras circula-
toire a commencé en cet organe qui est alors doublement
paralysé; d'un côté par le défaut d'air qui est pour lui un
stimulant, sinon nécessaire, au moins important, de l'autre
par l'afflux du sang veineux que lui apportent les artères
bronchiques. Si enfin ce sang est plus particulièrement con-
centré dans le sytème vasculaire à sang noir, et manque dans
le système vasculaire à sangrouge , c'est que , projeté dans les
parties, ce fluide y est resté , et surtout n'a pu franchir le
poumon pour parvenir au système vasculaire à sang rouge.
De même s'expliquent toutes les différences que présentent
les symptômes et l'état du cadavre , selon que l'asphyxie est
soudaine, ou graduelle. Sila respiration a été suspendue tout
d'un coup et complètement , c'est du sang entièrement vei-
neux qui est aussitôt envoyé aux organes; ceux-ci dès-lors
meurent presque à l'instant; plus de sentiment; le cœur
cesse ses contractions; la mort est plus prompte, moins pé-
nible ; la peau est moins livide , la face moins violette, tous
les organes moins gorgés de sang, le cœur ayant été tué
promptement, et n'ayant pas eu le temps de projeter par-
tout beaucoup de sang veineux. Si au contraire la respira-
tion a continué de se faire un peu, il aura été fait un peu
aussi de sang artériel; ce sang envoyé aux organes aura été
un peu vivifiant encore; toutes les fonctions n'auront par
été aussi promptement abolies; les fonctions cérébrales, par
exemple, auront persisté assez pour que l'asphyxié appré-
cie la pénible lutte qui est engagée; le cœur aura continué
ses. contractions assez de temps pour gorger de sang tous les
organes ; et c'est alors que la peau , les systèmes capillaires et
les veines . seront remplis de sang , et que le système artériel
sera vide. Comme il peut y avoir mille degrés de rapidité
de l'asphyxie , il y aura beaucoup d'intermédiaires entre ces
deux extrêmes , et mille variétés dans la promptitude de la
mort , les phénomènes qui la marquent et l'état du cadavre.
Ce n'est pas qu'à la lin de l'asphyxie le cœur ne cesse ses
contractions , et n'ajoute ainsi une cause nouvelle de mort.
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 211
l'absence de tout sang, à celle qui a agi la première , l'envoi
d'un sang veineux au lieu d'un sang artériel. Cet organe
meurt comme les autres, à mesure que son tissu se pénètre
de sang veineux. Il en est de même du cerveau ; cet organe
recevant des premiers l'atteinte fatale , et par conséquent
suspendant son service , vient ajouter de nouvelles causes de
mort à la première; d'un côté, il arrête les mouvements
respirateurs auxquels il préside; de l'autre, il fait cesser
l'autre condition vitale que nous avons annoncée, l'inner-
vation. Mais ceci rentre dans les liens qui unissent entre eux
les organes auxquels sont dues les deux conditions qui éta-
blissent la vitalité; et il n'en reste pas moins certain que,
dans l'asphyxie , ce n'est pas du cœur ni du cerveau aux
parties que procède la mort, mais que celte mort frappe
toutes les parties à la fois , consécutivement à leur pénétra-
tion par le sang veineux : le cerveau et le cœur ne meurent
qu'avec les autres organes , et par la même cause. Loin que
le cœur s'arrête dès le principe, on peut même dire qu'il
hâte la mort, en ce que, trop fidèle à son devoir, si l'on
peut parler ainsi , il distribue partout le sang fatal.
Ici, on s'est demandé comment agit le sang veineux; si
c'est par une qualité stupéfiante directe qu'il frappe de
mort , ou s'il ne nuit que négativement , parce qu'il n'a pas
les qualités vivifiantes ? Bickat penchait pour la première
opinion, arguant de l'opposition qu'on remarque entre la
rougeur de l'inflammation., et la lividité de la gangrène et
les taches scorbutiques; entre le teint coloré de l'individu,
qui a l'appareil respiratoire ample et énergique, et le teint
pâle de celui qui a la poitrine étroite et faible; faisant re-
marquer le rapport qui existe dans les animaux entre le
développement de leur appareil respiratoire et le degré de
leur force musculaire , ainsi que la prédominance du système
artériel dans la jeunesse , et du système veineux dans la
vieillesse, etc. Il s'appuyait surtout d'une expérience dans
laquelle il avait asphyxié un animal, en lui injectant dou-
cement du sang veineux dans le cerveau , tandis qu'il n'avait
pu le faire par une injection de sang artériel , toutes choses
ayant été égales d'ailleurs dans les circonstances mécaniaues
i4. *
2 i 2 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
de l'injection, et toutes précautions ayant été prises pour
que rien , dans les phénomènes mécaniques de la circulation
cérébrale , ne fût changé. Mais, indépendamment de ce que
plusieurs des raisons invoquées par BicSiat ne sont que spé-
cieuses, et qu'aucune n'est rigoureusement démonstrative,
il est une expérience de M. Edwards , qui rend probable
que le sang veineux ne nuit que négativement. Ce savant a
asphyxié comparativement, en les tenant plongées dans de
l'eau non aérée , des grenouilles, à quelques-unes desquelles
il avait extirpé le cœur ; et il a vu que , taudis que celles-ci
mouraient très prompternent , les autres, chez lesquelles la
circulation continuait, ne périssaient que vingt heures plus
tard. N'est-ce pas là une preuve que, chez ces dernières, le
sang projeté par le cœur était , quoique veineux , non-seu-
lement sans influence-délétère directe, mais même , a entre-
tenu un peu la vie? D'ailleurs, ne meurt-on pas plus vite
dans la syncope que dans l'asphyxie ?
Toutefois, il résulte déjà de cette histoire de l'asphyxie:
i° que la présence non interrompue du sang artériel dans
les organes, est une condition absolument essentielle à la
vie , quelle que soit l'idée qu'on se fasse de cette condition ;
et que ce sang est pour eux, non-seulement la matière qui
les nourrit , mais un stimulus obligé \ i° que la respiration ,
comme étant la fonction qui fait le sang, est dans l'homme,
chez lequel la circulation est double, une fonction immé-
diatement nécessaire à la vie.
B.ïl en est de même de la circulation, fonction qui envoie
le sang artériel à toutes les parties. Comme ce sang est changé
en sang veineux aussitôt qu'il a pénétré les organes, il faut
que la circulation en renouvelle sans cesse l'envoi , et par
conséquent, ne s'interrompe jamais. Si cette fonction est
suspendue , il n'est plus envoyé de sang artériel aux diverses
parties, et une mort prompte en est la suite, comme va le
montrer l'histoire de la syncope.
La syncope, ou la cessation de la circulation, peut aussi
arriver de diverses manières : ou par des causes mécaniques,
comme quand il y a rupture, plaie du cœur, ligature des
gros vaisseaux, etc. ; ou par des causes organiques directes ,
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 21 3
comme quand une vive affection de i'ame ou une lésion de
la moelle spinale, privant le cœur de l'influence nerveuse
qui préside à ses contractions , arrêtent tout à coup le jeu de
cet organe; ou enfin par des causes organiques sympathi-
ques, comme quand une impression sensitive quelconque,
une odeur, par exemple, la vue de certains objets , un mou-
vement de tournoiement, l'affection de quelques organes
intérieurs, la grossesse, etc., arrêtent aussi les contractions
du cœur. Chacun de ces genres a aussi ses traits particuliers ;
d'autant plus que, dans plusieurs des cas que nous avons
cités, le mal commence peut-être par le cerveau, et est
moins primitivement une syncope proprement dite, que la
cessation de l'innervation. Mais tous ont des traits communs
tenant à la cessation de la circulation , et que voici.
Si la circulation cesse tout à coup, subitement aussi on
perd tout sentiment, , tout mouvement; ïa respiration s'ar-
rête, et presque instantanément l'on tombe privé de vie. A
l'ouverture du cadavre , on trouve , à la différence de ce qui
était dans la mort par asphyxie, les poumons et les divers
organes du corps privés de sang. Si, au contraire, la syn-
cope n'est que graduelle , on éprouve d'abord un sentiment
d'anxiété, de malaise à l'épigastre; puis les idées se trou-
blent, la vue s'obscurcit; surviennent des tintements d'o-
reille , des vertiges ; la respiration s'embarrasse , le visage
pâlit, les extrémités deviennent froides; la tête, le col et
une grande partie du corps , se couvrent d'une sueur gla-
cée; enfin arrive la perte de tout sentiment et de tout mou-
vement.
Il est évident que les organes ne cessent ici d'agir que
parce qu'il ne leur arrive plus de sang. Ils s'arrêtent dans
l'ordre de leur susceptibilité. Ge sont encore les fonctions
cérébrales qui manifestent les premières la langueur et la
suspension , comme cela était déjà dans l'asphyxie. Vient
ensuite la respiration , qui s'embarrasse et se suspend ; tant
parce que le poumon ne reçoit plus, par l'artère pulmo-
naire, le sang veineux sur lequel il doit opérer, et par les
artères bronchiques , le sang artériel qui doit vivifier son
tissu; que parce que la suspension de l'action cérébrale
2i4 DES CONNEXIOiNS DES FONCTIONS,
anéantit les mouvements respirateurs. Enfin, toutes les ac-
tions qui se passent dans les parenchymes, comme les nutri-
tions, absorptions, sécrétions, calorifications, ne s'arrêtent
qu'en dernier lieu. La susceptibilité du cerveau est telle,
qu'il suffît souvent que cet organe reçoive moins de sang
qu'à l'ordinaire , parce que ce fluide est dérivé vers d'autres
parties, ou que la quantité en a diminué tout à coup, pour
qu'il en résulte une défaillance qui est due alors à la sus-
pension d'action du cerveau. Telles sont, par exemple, les
syncopes qui surviennent quelquefois à Foccasion d'une sai-
gnée , d'un bain de pied, d'une émission de sang par les
sangsues, de toute dérivation brusque du sang vers les par-
ties inférieures. C'est là ce que Cullen appelait syncopes
nerveuses , vouîanl dire qu'un trouble de la circulation avait
d'abord suspendu l'action cérébrale, et qu'ensuite la sus-
pension de l'action cérébrale avait amené l'arrêt du cœur.
Il est certain qu'ainsi sont produites plusieurs des syncopes
provoquées par des causes sympathiques. Toutefois la mort
qui succède à la syncope prolongée , prouve : i° que la pré-
sence du sang artériel dans les organes est, comme cela était
résulté déjà de l'asphyxie , une condition nécessaire à la vie ;
2° que la circulation, comme étant la fonction qui distribue
le sang artériel, est, ainsi que la respiration, une fonction
qui ne peut être un seul instant interrompue.
Mais, de là il résulte que les organes principaux de ces
fonctions, le poumon et le cœur, sont constitués dans le
corps humain , des centres de vie. Ces deux organes , comme
influant prochainement sur la formation et l'envoi du sang
artériel dans toutes les parties , tiennent toute l'économie
sous leur dépendance. Un troisième, l'encéphale, a seul
avec eux cette suprématie. Cet encéphale aura , nous le ver-
rons, une part prochaine à la seconde condition vitale que
nous avons annoncée, l'innervation, et à ce titre se mon-
trera un centre de vie; mais il Test aussi relativement à
celle dont nous nous occupons ici , par la subordination
dans laquelle il tient la respiration. En effet , sans parler du
pouvoir de l'encéphale sur la respiration , comme centre de
l'innervation; sans rappeler que cet organe régit, par la
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2l5
huitième paire de nerfs, Faction profonde par laquelle le
poumon fait le sang; c'est lui qui préside à l'action muscu-
laire volontaire par laquelle est pris l'air de la respiration ,
et, à ce titre seul, son action continue est absolument né-
cessaire à la vie. Comme l'a si bien exposé M. Broussais ,
l'encéphale, d'abord, par la huitième paire de nerfs, per-
çoit dans le poumon la sensation interne qui accuse le besoin
de respirer; et ensuite , consécutivement à cette perception ,
il ordonne, par les nerfs diaphragmatiques et ceux de la
moelle spinale, le jeu des muscles respirateurs. Ainsi s'expli-
que; pourquoi la respiration continue de se faire, tantqu'une
lésion de l'encéphale est supérieure au point auquel aboutis-
sent les nerfs de la huitième paire; et pourquoi, au contraire,
cette fonction se suspend dès qu'une lésion est inférieure à
ce point, quand bien même la partie de la moelle spinale,
qui fournit les nerfs diaphragmatiques et autres nerfs respi-
rateurs, serait intègre, comme cela est dans la décapitation.
Le poumon, le cœur et l'encéphale sont donc trois or-
ganes qui, relativement à la première condition vitale,
tiennent tous les autres dans leur dépendance , dont le jeu
ne peut être un seul instant suspendu, et qui fondent ce
que les anciens appelaient le trépied de la vie. Mais à ce
titre, ils doivent s'être réciproquement nécessaires. Le pou-
mon, qui fait le sang, a besoin; i«que le cerveau ordonne les
mouvements respirateurs qui introduisent l'air nécessaire à
la sanguification; 20 que le cœur lui envoie, et le sang arté-
riel qui le fait vivre, et le sang veineux sur lequel il doit
agir. De son côté, le cœur ne peut se contracter et projeter
partout le sang, qu'autant que le poumon a fait du sang
artériel qui puisse vivifier son tissu. Enfin, l'encéphale,
qui ordonne les mouvements respirateurs , et qui , sous le
rapport de la seconde condition vitale, l'innervation, est
aussi un des centres de la vie, a besoin que le poumon fasse
sans cesse du sang artériel, et que sans cesse aussi le cœur
lui en envoie. Aussi, dès que l'un ou l'autre de ces trois or-
ganes centraux cesse d'agir, à la cause de mort qui résulte
de sa suspension d'action, s'ajoutent bientôt celles qui ré-
sultent de l'arrêt des deux autres organes. Dans l'asphyxie,
2l6 DES GONINEXTOINS DES FONCTIONS.
par exemple, à la non formation de sang artériel, suite de
la suspension de la respiration , s'ajoutent bientôt ; i° la
suspension d'action de l'encéphale, d'où résulte une nou-
velle cause d'asphyxie, et l'anéantissement de la seconde
condition vitale, l'innervation ; 20 la suspension d'ac-
tion du cœur, d'où résultent; la paralysie du poumon,
nouvelle cause d'asphyxie; celle du cerveau, nouvelle
cause de la perte de toute innervation ; et enfin celle
de tous les organes. De même, dans la syncope, le cer-
veau ne recevant plus de sang, cesse de dispenser l'inner-
vation , et surtout d'ordonner les mouvements respirateurs ;
de là l'asphyxie , survenant d'ailleurs d'autre part , parce
qu'il n'arrive plus au poumon de sang artériel pour vivi-
fier son tissu , et de sang veineux sur lequel il puisse opé-
rer. Enfin , est-ce l'encéphale, dont le service est suspendu?
Les mouvements respirateurs devenant impossibles aussitôt,
plus de respiration, et dès lors toutes les suites qu'entraîne
l'asphyxie, etc. Il y a donc ici un véritable enchevêtre-
ment. Bien que l'encéphale ait une grande part à la seconde
condition vitale, l'innervation, le premier phénomène qui
s'observe lors de sa suspension d'action , est la cessation de
la respiration ; d'où il résulte que les effets successifs qui
amènent alors la mort, et les désordres qu'on trouve après
dans le cadavre , sont à peu près ceux que nous avons indi-
qués à l'occasion de l'asphyxie, soit prompte, soit graduelle.
20 Après ces fonctions, qui sont d'une absolue nécessité
pour la vie, celle qui est la plus importante relativement
à la condition vitale que nous examinons ici, est la diges^-
tion. La digestion, en effet, est la fonction qui prend au
dehors et élabore la matière avec laquelle est continuelle-
ment renouvelée la masse du sang. Si elle ne se fait pas, la
mort arrive; non, à la vérité, aussi promptement, aussi in-
stantanément que dans l'asphyxie et la syncope, mais ce-
pendant après un temps assez court, après un intervalle de
quelques jours. Il est aisé d'en indiquer la cause. Quand il
n'y a pas de digestion, il n'est plus fait de chyle; le sang
n'est plus renouvelé qu'avec les produits des absorptions
internes; et ces produits bientôt ne suffisant plus, le sang
DES P, APPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 217
n'est plus réparé; ce fluide diminue de quantité , se dété-
riore, s'appauvrit, et finit par n'avoir plus la qualité vivi-
fiante et nutritive. A l'article de la faim, nous avons décrit
la série des phénomènes de la mort par abstinence, et
quelles altérations présentent alors les cadavres. Peut-être
voudra-t-on attribuer la mort qui survient alors, à la phleg-
masie que suscite dans Festomac la continuité du sentiment
douloureux de la faim ? Cette phlegmasie peut sans doute
y concourir, soit par elle-même, soit en déterminant sym-
pathiquernent d'autres phlegmasies dans d'autres organes ,
par exemple , dans l'encéphale. Mais , indépendamment
de ce que la gastrite ne s'observe pas toujours dans les
personnes qui meurent de faim, il doit y avoir certaine-
ment aussi détérioration du sang. Évidemment le produit
des aliments sert à renouveler la masse du sang; évidem-
ment l'alimentation n'a pas d'autre but que de réparer
les pertes de ce fluide : est-il possible dès lors que ce fluide
ne souffre pas du défaut absolu de toute alimentation ?
Du reste, si l'on veut que la mort, lors de l'abstinence
complète, soit trop prompte pour arriver par la détériora-
tion du sang , et qu'elle soit due à l'influence de la gastrite
ou des autres phlegmasies que cette gastrite détermine; au
moins l'influence qu'a sur toute l'économie la digestion ,
comme fonction qui renouvelle la masse du sang, devient
manifeste, quand, au lieu d'une abstinence absolue, on
s'est soumis à une alimentation trop pauvre ou de mauvaise
qualité : alors il n'est point fait assez de chyle; par suite
le sang n'est pas suffisamment réparé; l'individu maigrit,
est mal nourri; il développe moins d'activité dans toutes
ses fonctions, et est moins capable de résister aux influences
délétères ; en un mot , le chyle étant en trop faible quan-
tité, ou mauvais, il en résulte un mauvais sang. On objec-
tera peut-être qu'on ne peut saisir aucunes différences de
chyle à chyle, de sang à sang; et qu'on ne connaît pas
quelles sont les qualités du bon chyle, du bon sang, par
rapport à celles du mauvais chyle, du mauvais sang. Mais
d'abord le premier fait est faux ; souvent ces fluides diffè-
rent en consistance, plasticité, odeur, couleur, pesanteur
3i8 DES COHNEXIOJNS DES FONCTIONS.
spécifique ; et si on en faisait un examen chimique attentif,
certainement on trouverait en eux, selon les différentes
circonstances de la vie , des différences dans la nature et
les proportions de leurs éléments composants. Ensuite, à
supposer qu'on ne pût signaler en eux aucunes différences,
celles-ci pour cela devraient -elles être niées? Ainsi que nous
l'avons déjà dit plusieurs fois, dans notre science peut-on
tout voir? et doit-on nier tout ce qu'on ne voit pas? quel
médecin pourrait contester les effets d'une bonne et d'une
mauvaise alimentation sur l'état du sang? que de maladies
reconnaissent pour causes la nature des aliments dont ont
usé les malades ! et que de fois, le choix des aliments four-
nit un des plus puissants moyens de guérison ! Or, c'est en
partie en altérant le sang, que dans le premier cas les ali-
ments ont nui , et c'est en influant sur sa composition que
dans le second ils ont été utiles. On dira peut-être que tous
ces effets doivent être attribués à l'inliuence locale des ali-
ments sur l'estomac, et aux irradiations sympathiques de
ce viscère sur toute l'économie : sans doute cette influence
locale peut concourir aussi à leur production: mais il y a
une part tenant à la composition du sang : et qui pourrait
la nier, quand on voit le scorbut cesser chez les marins, par
cela seul qu'ils recouren t pour aliments à des végétaux frais ?
En somme, la digestion fournissant et préparant la matière
qui renouvelle le sang, doit, à ce titre, non-seulement être
nécessaire, mais encore influer sur toute l'économie en
raison de la quantité et de la nature des matières qu'elle
fournit à ce fluide. Sous le premier rapport, celui de la
quantité, l'alimentation est-elle trop abondante, ou com-
posée de substances trop nutritives, de felle manière ce-
pendant que l'excès ne dépasse pas la mesure des forces di-
gestives ? il y aura un chyle abondant, un chyle riche; par
suite, même état du sang, et conséquemment grand déve-
loppement de vie. L'alimentation est-elle trop pauvre, ou
composée de substances peu nutritives? les résultats seront
opposés. Sous le second rapport, celui de la qualité, il y
a deux influences à signaler. D'un côté, selon que la diges-
tion sera plus ou moins parfaite, le chyle sera plus ou moins
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 219
bon et fournira au sang des matériaux réparateurs plus ou
moins bien confectionnés. D'un autre côté, il est toujours
quelques parties des aliments qui résistent à l'action diges-
tive , et qui cependant, pendant le travail de la digestion,
sont absorbées sous leur forme étrangère; alors, mêlées au
sang, elles altèrent ce fluide et font varier l'impression sti-
mulante qu'il exerce sur tous les organes. Si l'on ajoute à
cela la grande puissance de " l'estomac, en ce qui concerne
ses rapports sympathiques, comme nous le verrons ci-après
à l'article de ces rapports, on s'expliquera toute l'impor-
tance de la digestion dans notre économie.
Ce que nous venons de dire en dernier lieu de la diges-
tion, pourrait être dit aussi de la respiration, au moins en
ce qui concerne la dernière de ces trois influences. Si on a
tout lieu de présumer, en effet, que cette fonction peut
consumer plus ou moins d'oxygène et effectuer plus ou moins
parfaitement l'hématose artérielle, cependant cela n'est que
probable; et, au contraire, il est certain que la respiration
peut puiser dans l'air quelques principes étrangers, les porter
dans le sang? et par là altérer plus ou moins ce fluide. N'est-
ce pasainsiqu'agissent les gaz qui asphyxient positivement,
de même que c'est ainsi qu'ont agi dans l'appareil digestif les
poisons qui ont donné la mort par absorption ?
3° Enfin, non-seulement des rapports fonctionnels fort
importants unissent à toutes les autres parties de l'économie
les organes de la respiration, de la circulation et de la di-
gestion , à raison de la part qu'ont ces fonctions à la forma-
tion , au renouvellement et à la distribution du sang arté-
riel ; mais encore de semblables rapports s'observent dans
les organes de toutes les autres fonctions, qui influent d'une
manière quelconque sur la crâse, la constitution de ce
fluide, par exemple, dans les organes des absorptions, des
sécrétions, des nutritions, etc.
A. Les absorptions doivent avoir une influence assez pro-
chaine sur l'état du sang, car c'est à ce fluide qu'aboutissent
les matières qu'elles recueillent, et qui sont les produits de
leur travail. D'abord , tout ce que nous avons dit de la di-
gestion, s'applique à l'absorption chyleuse qui n'en est
2 20 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
qu'une dépendance ; cette absorption influera sur le sang ,
en raison de la quantité et de la bonté du chyle qu'elle
fournira, et par les diverses matières étrangères qu'elle
pourra y faire pénétrer en même temps. N'avons-nous pas
dit que la ligature du canal thoracique , en empêchant le
transport du chyle dans le sang, avait amené la mort, tout
aussi bien que le défaut d'alimentation ? C'est même une
objection à opposer à ceux qui veulent que la détérioration
du sang n'ait aucune part à la mort par l'abstinence, et que
celle-ci ne soit due qu'àlaphlegmasie gastrique; clans les cas
de mort paria ligature du canal thoracique, celle-ci n a pas
eulieu, car l'estomac a agi. Secondement, toute autre absorp-
tion externe, soit par la peau, soit par la surface respiratoire,
n'aura d'influence que par les matières étrangères qu'elle
pourra faire pénétrer dans le sang; la matière nutritive, à
l'exception de l'eau pour la soif, n'ayant d'autre voie d'in-
troduction chez l'homme que la cavité digestive. Quant aux
absorptions internes , sans parler de leurs services pour la
décomposition des parties , pour l'équilibre des sécrétions
récrémentitieiies; s'il est vrai que leurs produits servent,
comme le chyle, à faire le sang, elles devront influer sur ce
fluide en raison de la quantité et de la qualité de ces pro-
duits. Or, la lymphe et le sang veineux qui sont, pour une
partie au moins , aux absorptions internés , ce que le chyle
est à l'absorption alimentaire, vont comme le chyle tra-
verser le poumon ; au-delà de cet organe , ces fluides parais-
sent n'exister plus, et y avoir été changés de même en sang
artériel ; et à ces titres, on peut les dire, comme le chyle,
des matériaux préparés pour la formation du sang. Bien
plus, c'est à ces produits des absorptions internes que l'é-
conomie doit de pouvoir vivre encore quelque temps,
malgré le défaut absolu de toute alimentation; le sang est
alors réparé avec ce que le corps prend en lui-même ; et ce
qui autorise à le penser, c'est que, lors de la faim, on voit
les absorptions redoubler d'activité, recueillir dans toute
l'économie les sucs qui y sont épars, la graisse, par exem-
ple. Ainsi donc, les influences qu'exerce sur le sang le chyle
en raison de sa quantité et de sa qualité, sont exercées
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 2 l
Je même par les fluides des absorptions internes : selon que
ces fluides sont plus ou moins abondants et d'une na-
ture plus ou moins bonne , ils fournissent au sang plus
ou moins de matériaux réparateurs , et des matériaux
plus ou moins parfaits. Peut-être est-ce à ce genre d'in-
fluence que le système lymphatique doit de constituer
par sa prédominance ou son infériorité le fondement orga-
nique d'un tempérament ? Mais , à supposer qu'on rejette
comme douteux l'emploi que nous assignons ici aux pro-
duits des absorptions internes, de servir à composer ie sang,
ils ont au moins sur ce fluide deux influences qu'on ne peut
contester : d'un côté, ils apportent dans le sang, des maté-
riaux, des principes dont ce fluide devra ensuite se dépurer,
les éléments de la décomposition des organes , par exemple ;
d'un autre côté, ils peuvent introduire dans ce fluide di-
vers principes étrangers , venant soit du dehors , soit de
l'économie elle-même, et dont le sang recevra des qualités
stimulantes diverses. Que d'empoisonnements produits par
l'application de la substance vénéneuse dans l'intérieur d'une
membrane séreuse, du parenchyme d'un organe! Et com-
bien de fois l'urine, la bile et autres fluides de l'économie ,
ont été par l'absorption portés en nature dans le sang !
B. Nous devons en dire autant des sécrétions. N'est-ce
pas en effet dans le sang artériel qu'elles puisent les maté-
riaux de leur travail ? Et ces actions, parce qu'elles enlèvent
au sang quelques éléments, ne doivent-elles pas influer sur
la crâse de ce fluide , quoique par une raison inverse, aussi-
bien que les absorptions qui lui fournissaient sans cesse de
nouveaux principes ? D'abord, l'influence est évidente , pour
celles de ces sécrétions qui sont chargées de dépurer le sang ,
savoir, la sécrétion urinaire , la perspiration cutanée 3 et
peut-être la sécrétion biliaire ; et, à ce titre , nous aurions dû
placer ces sécrétions , sous le rapport de leur importance ,
dans la même catégorie que la digestion. Non-seulement le
sang demande à être renouvelé sans cesse, et dans la pro-
portion des pertes qu'il fait continuellement , par le service
de la digestion et des absorptions ; mais encore il a besoin
d'être dépuré d'éléments nuisibles qui affluent en lui sans
222 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
interruption. D'un côté, beaucoup de matières étrangères
pénètrent jusqu'à lui par les voies de la respiration, de la
digestion , et par l'action des nombreux vaisseaux absorbants
qui , ouverts sur toutes les surfaces externes et internes du
corps, mêlent continuellement à ses globules les mille sub-
stances diverses avec lesquelles ils sont en contact. D'un autre
côté, c'est en lui que les absorptions interstitielles reportent
les produits de la décomposition des organes. Sous ce double
rapport, le sang réclame une dépuration continuelle. Or,
c'est à quoi sont destinées certaines sécrétions, et particuliè-
rement la sécrétion urinaire. Voyez avec quelle promptitude
se montrent dans le produit de cette sécrétion, l'urine , soit
les matières étrangères qui ont pénétré du dehors dans le sang,
soit les humeurs qui y ont été portées de l'économie elle-
même ? D'ailleurs , quel autre office attribuer à cette sécré-
tion? Pourquoi est-elle si différente selon les âges, si ce
n'est pour être en corrélation avec le mouvement nutritif,
et parce qu'elle est destinée à éliminer les éléments usés des
organes? Delà sa grande importance dans l'économie. Est-
elle supprimée, comme quand on a extirpé les reins , ou lié
les artères rénales dans dec expériences sur des animaux vi-
vants ? la mort arrive après deux ou trois jours. Elle est
aussi prochainement nécessaire à la vie que la digestion, et
son interruption fait périr aussi promptement. Avons-nous
besoin de dire dès lors qu'il n'est pas indifférent qu'elle ac-
complisse, pleinement ou d'une manière incomplète, par-
faitement ou imparfaitement, la dépuration dont elle est
chargée ? dans ces cas , le sang plus ou moins bien dépuré
aura nécessairement des qualités diverses : MM. Damas et
Prévost oui trouvé que , clans les animaux auxquels ils avaient
extirpé les reins, ce fluide contenait de l'urée.
Il faut en dire autant de la perspiradon cutanée , s'il est
vrai qu'elle concoure aussi à dépurer le sang. On le croit gé-
néralement : dans beaucoup d'animaux, en effet, la transpi-
ration cutanée est la seule sécrétion décomposante du corps,-
et dans l'homme, cette transpiration accuse aussi prompte-
ment que l'urine la présence des matières hétérogènes qui
ont été portées dans le sang. Cependant on ne peut pas en
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 223
avoir une preuve aussi directe que pour la sécrétion uri-
naire; on ne peut pas supprimer tout-à-fait la transpiration
cutanée, et voir si la mort résulterait de cette suppression.
On a tenté d'y parvenir en couvrant la peau d'un vernis;
mais comme l'expérience n'était faite que dans la vue de
porter la chaleur du corps humain à un degré supérieur à
celui qui lui est propre, elle n'a pas été prolongée assez
long-temps pour mettre à même de vérifier si quelque alté-
ration était par suite survenue dans le sang. Il est probable
que l'importance de cette sécrétion, sous ce rapport, est
moindre que celle de la sécrétion urinaire; car son produit
a une composition chimique bien simple comparativement
à celle de l'urine. Néanmoins, comme le danger attaché à
sa suppression , à sa diminution, est un fait universellement
reconnu, on peut admettre une influence de cette sécré-
tion sur la dépuration du sang. Et, en effet , n'est-il pas
probable qu'une détérioration de ce fluide a quelque part
au déveîoppemeut de ces constitutions scrophuleuses , ob-
servées dans les individus qui habitent des lieux bas , hu-
mides et froids? Quant à la sécrétion biliaire , nous avons
dit que quelques physiologistes soupçonnaient qu'elle était
aussi destinée primitivement à influer sur la constitution
du sang. Ils se fondent; i° sur ce que le foie paraît être, dans
le fœtus , un organe qui a part à la sanguification; 20 sur ce
que c'est à lui qu'aboutit la remarquable exception qui
constitue la veine-porte; 3° sur ce qu'enfin l'appareil biliaire
est le seul appareil sécréteur qui soit assez influent pour
fonder un tempérament. Si cette conjecture est fondée, la
sécrétion de la bile aurait, indépendamment de son service
dans la digestion, une assez grande importance dans l'éco-
nomie , comme modifiant le sang en raison de la quantité et
de la qualité de l'humeur qu'elle fabrique avec lui.
Mais ce ne sont pas seulement les sécrétions qui" ont pour
office spécial de dépurer le sang, qui influent sur la crâse de
ce fluide, et par suite sur toute l'économie; ce sont, quoique
à un degré moindre, toutes sécrétions quelconques, par cela
seul qu'elles puisent dans le sang les matériaux des humeurs
qu'elles produisent. D'abord , nous avons dit que toutes nos
2 24 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
sécrétions excrémentitielles , même morbides, quand leur
ancienneté les avait rendues habituelles, concouraient à la
décomposition du corps; conséquemment elles ont sur la
dépuration du sang la même influence que les sécrétions
primitivement dépuratives , celle de l'urine, par exemple.
Ensuite toute sécrétion, comme émanée du sang, doit in-
fluer sur ce liquide , au moins par la dépense qu'elle lui fait
faire. Qui ne sait que tout flux abondant, hydropisie , dia-
bètes, etc., altère le sang? Et même c'est à cause de cela
qu'éclate alors la soif, qui marque le besoin qu'a cette hu-
meur de réparer les pertes qu'elle a faites en sa partie li-
quide? La femme chez laquelle la sécrétion laiteuse est
en pleine activité , accuse de même , par une faim plus
vive et plus fréquente, le besoin qu'a le sang de réparer
le surcroît de dépenses auquel il fournit alors. Il n'est pas
possible de douter que les sécrétions n'aient sur le sang qui
les alimente, en raison de la quantité des humeurs qu'elles
en retirent et de la qualité qu'elles donnent à ces humeurs,
des influences égales à celles qu'exercent sur ce fluide les
absorptions ; si celles-ci réparent , les autres dépensent ,
épuisent; et la constitution du sang doit être également
modifiée dans les deux cas.
C. Enfin , par une raison semblable, les nutritions et les
calorifîcations ont une égale influence sur l'état du sang,
et par suite sur toute l'économie en général. N'est-ce pas
aux dépens de ce fluide que s'accomplissent les unes et les
autres de ces actions ? et ne doivent-elles pas conséquemment
influer sur sa quantité et sa qualité , en raison de leur degré
et de leur mode d'activité ? Cependant nous conviendrons
qu'ici les faits sont difficiles à constater, et que c'est moins
directement qu'on arrive à la proposition que nous émet-
tons , que par une suite de raisonnements.
D'abord , pour commencer par les calorifîcations , nous
avons vu quels] rapports existaient entre ces actions et la
respiration, |et tous les auteurs les ont universellement re-
connus. Nous avons dit que de toutes les fonctions qui se
passaientfdans les parenchymes , c'étaient probablement les
calorifîcations qui avaient le plus de part au changement du
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 22 5
sang artériel en sang veineux. En effet , la respiration
est la fonction qui fait le sang; et s'il y a tant de rap-
ports entre elle et les caiorifications, n'est-ce pas une pré-
somption qu'elle est destinée à réparer ce que celles-ci ont
consumé, et conséquemment que les caiorifications font
subir au sang une grande dépense ? Dès lors , ces fonctions
doivent exercer une influence sur la crâse du sang. D'après
cela, comme l'activité des caiorifications est en raison de la
température extérieure à laquelle on est soumis , il ne doit
pas être indifférent, pour l'état du sang, qu'on soit soumis
à des influences de chaud e.t de froid. Peut-être est-ce aux
modifications déterminées dans le sang, qu'on doit rapporter
partie des effets produits par les influences prolongées des
saisons et des régions chaudes , des saisons et des régions
froides ï Peut-être que, dans les morts amenées par l'excès
du chaud et du froid, il y a une altération profonde du
sang ? Mais nous avouerons qu'on a besoin ici de faits di-
rects pour justifier ce que le raisonnement suggère. On a
bien, à la vérité, présenté dès la plus haute antiquité les
fortes chaleurs comme amenant un état putride du sang;
on a rapporté à une altération de ce fluide les fièvres de
mauvais caractère , typhus , fièvres jaunes, pestes, etc., qui
surviennent plus particulièrement dans les pays chauds;
mais il y a encore trop d'obscurités, et trop de points eu
litige dans ce qui a été dit sur l'étiologie et la nature de
ces maladies, pour que nous nous en servions comme de
faits positifs dans la question que nous agitons ici.
On a plus de preuves directes en ce qui concerne les nu-
tritions. Si ce que le sang doit fournir aux nutritions est
diminué tout à coup, comme quand un membre est am-
puté , souvent il en résulte un état pléthorique, une trop
grande abondance de sang ; l'effet qu'on observe est le même
que si l'on avait supprimé une hémorrhagie habituelle, ou
suivi pendant quelque temps un régime trop succulent.
C'est pour cela que souvent une personne primitivement
débile et valétudinaire , soudain, après une amputation ,
se fortifie et acquiert une bonne constitution. ïl en est de
même, si à une vie active, occupée, succède tout k coup
Tome IV. i5
526 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
une vie oiseuse, sédentaire; l'exercice, en effet, hâte les
mouvements nutritifs, et par conséquent influe sur les dé-
penses que fait le sang ; s'il est tout à coup remplacé par
le repos, la nutrition diminue partout, et la pléthore sur-
vient. Si de ces cas , dans lesquels les nutritions sont dimi-
nuées , on passe à ceux dans lesquels elles sont au contraire
trop actives , les effets seront aussi sensibles , mais inverses :
alors le sang fait trop de pertes; et si l'on ne prend pas des
aliments en proportion , ou que les forces digestives ne puis-
sent suffire à élaborer la quantité d'aliments qui serait
nécessaire, le sang, non-seulement diminue de quantité,
mais il s'appauvrit, se détériore; et l'on observe les mêmes
phénomènes que ceux que nous avons dit succéder à une
alimentation trop pauvre. On peut attribuer à cette cause
partie des effets de l'exercice abusif de toute fonction quel-
conque, les suites des travaux d'esprit exagérés, des affec-
tions del'ame fortes et continuel les. Toutes ces circonstances
à la longue amaigrissent, et très probablement amènent
une détérioration du sang. Le sang, en effet, non-seule-
ment nourrit les organes, mais encore est pour eux un sti-
mulus nécessaire à leur jeu ; ceux-ci puisent en lui un prin-
cipe, auquel ils doivent de pouvoir agir ; dès lors, la dépense
que , sous ce rapport , ils feront faire au sang , sera en raison
de leur degré d'activité; s'ils agissent beaucoup, elle sera
plus grande , et vice versa. Ces effets sont surtout sensibles
en ce qui concerne les fonctions nerveuses; ces fonctions
étant les plus élevées dans l'animalité, doivent occasioner
la plus grande dépense au sang , et influer davantage par
leur abus en plus ou en moins sur l'état de ce fluide. De là,
les dangers attachés aux excès du sommeil et de la veille :
trop de sommeil amène la pléthore, ou au moins l'obésité ,
parce que la portion de sang qui surabonde est employée à
faire de la graisse : trop de veille, au contraire, amaigrit et
épuise le sang. De là, les suites funestes des chagrins, des
passions, des travaux intellectuels abusifs. Les gens du
monde désignent la détérioration que nous disons être
survenue alors dans le sang, par les mots de sang brûlé,
sang calciné ; on peut leur contester la propriété de ces
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 227
dénominations; mais le fait d'une détérioration du sang,
quelle qu'elle soit, me paraît indubitable; tout trahit
dans l'économie l'altération de ce fluide; tantôt il paraît
être appauvri ; tantôt il semble avoir un excès d'ani-
malisation ; tous les produits des sécrétions sont altérés ;
souvent surviennent alors quelques excrétions insolites; les
fonctions accusent tour-à-tour ou de la langueur, ou une
excitabilité importune; la composition chimique des par-
lies est changée; et, si on faisait alors du sang un examen
chimique attentif, nul doute qu'on ne découvrît en ce li-
quide quelques différences, soit dans la nature, soit dans
les proportions de ses éléments composants. Souvent alors
l'économie développe tout à coup ces phlegmasies de nature
gangreneuse, septique, charbons, pustules malignes , etc.,
dans lesquelles le sang est si évidemment le siège du mal,
que les médecins vétérinaires ont transmis des maladies pu-
trides et gangreneuses de ce genre , en injectant dans les
veines d'animaux sains le sang pris à des animaux qui en
étaient atteints, ou qui y avaient succombé. Quelques phy-
siologistes objecteront peut-être que tous ces désordres, que
j'attribue à une altération du sang , sont dus à une irrita-
bilité extrême, à des phlegmasies chroniques que l'exercice
abusif aura fait naître dans les organes exercés, et qui,
sympathiquementj se seront propagées à d'autres parties.
Sans doute cette cause peuteoncourir aussi à leur production;
il y a peu d'effets simples dans la machine humaine, et
presque toujours un phénomène reconnaît le concours de plu-
sieurs causes; mais je crois que l'état du sang a la plus grande
part à ces maladies. Sans vouloir ressusciter les idées évidem-
ment erronnées des acres , des humeurs peccantes des an-
ciens médecins, il nous paraît impossible de nier la possibi-
lité de détériorations dans le sang, en raison de la mesure
dans laquelle se font, et les fonctions qui alimentent ce
fluide, et celles qui puisent en lui les matériaux de leur travail.
Tels sont les liens que la première des conditions vitales,
la présence d'un sang artériel dans les organes, nécessite
entre toutes les parties de l'économie; et telle est déjà l'im-
portance relative des diverses fonctions ; en raison de la
i5.
510.8 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
part qu'elles ont à l'établissement de cette première condi-
tion. Le sang artériel est évidemment l'excitant fonctionnel,
Vital de toute partie. Consécutivement au jeu des divers or-
ganes qui font ce fluide, le distribuent et influent sur sa
constitution, il manque, ou est plus on moins parfait ; par
conséauent, il exerce plus ou moins complètement l'influence
indispensable qui lui est propre ; et, par son intermédiaire,
peuvent éclater partout et au loin dans le corps humain de
nombreuses modifications. En vain le solidisme exclusif de
l'époque actuelle voudrait nier le rôle que je fais jouer ici
au sang. N'est-ce pas, parce que ce fluide n'est pas artériel,
qu'on meurt dans l'asphyxie ? N'est-ce pas parce que les or-
ganes n'en reçoivent pas, qu'on meurt dans la syncope?
C'est évidemment , à lui qu'aboutissent les produits de la
digestion et des absorptions , -et de lui qu'émanent ceux des
sécrétions, des nutritions ; peut-il dès lors ne pas se res-
sentir des modifications qui surviennent en ces fonctions,
et par conséquent, ne pas être la cause, le conducteur des
changements que ces modifications entraînent consécutive-
ment dans toute l'économie ?
Il resterait à spécifier le mode d'action du sang artériel,
abstraction faite de son office pour la nutrition proprement
dite. Il est sûr que ce fluide, en même temps qu'il renou-
velle la substance des organes, est aussi pour eux un sti-
mulus vital nécessaire : si cela n'était pas , pourquoi ceux-ci
périraient-ils aussitôt qu'ils en sont privés? Mais en quoi
consiste celte stimulation? on l'ignore; à ce degré de pro-
fondeur, tout est inconnu, et l'on ne peut faire que des
conjectures. Comme dans la nature générale, les phéno-
mènes sont tous produits par l'action de quelques fluides
impondérables, lumière, calorique, fluide électrique, etc. ;
on a d'abord conjecturé qu'il en était de même des phé-
nomènes de la vie. En second lieu, comme les phénomènes
vitaux sont différents des phénomènes physiques et chimi-
ques , on n'a pu les rapporter à l'influence des fluides de la
nature morte, et l'on a supposé pour eux; ou un fluide
spécial, vital; ou mieux un des fluides généraux, mais qui
aurait subi quelques modifications., quelques combinaisons
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 229
auxquelles il devrait de donner naissance à des phénomènes
tout nouveaux. Alors on a recherché si ce fluide vital, ou
le fluide général modifié, était répandu dans toute la na-
ture, d'où il serait ahsorhé par le corps vivant qui ainsi
recevrait de lui la vie; ou si le corps vivant le produisait
en lui-même par le travail de ses organes ; et, dans l'une
et l'autre hypothèse , on a dit que le sang artériel chez
l'homme, et le fluide nutritif en tout être vivant, en était
le véhicule. Enfin , on a mis en question , si le sang arté-
riel agissait par lui-même, ou s'il alimentait seulement le
système nerveux, qui , rouage suprême du corps, était seul
conducteur, seul cohibant du fluide vital, et déterminait
tous les phénomènes de la vie. Dans l'état actuel de la
science, toutes ces opinions ne sont que des vues hypothé-
tiques de l'esprit. Sachons nous arrêter où les phénomènes
ne peuvent plus être saisis. Peut-être un jour ira-t-on plus
loin. Mais aujourd'hui on sait seulement que le sang arté-
riel est un stimulus vital , et conséquemment que toutes
les fois qu'il différera de l'état normal , il modifiera les ac-
tions. Or, sa présence dans les organes nécessite le concours
de beaucoup d'actions; ces actions sont susceptibles de se
produire avec beaucoup de variétés ; on devra donc obser-
ver dans le cours de la vie beaucoup d'états divers en lui ,
et de différences en ses effets.
§ II.. Rapports fonctionnels relatifs à la seconde condition vitale , l'influence
nerveuse.
Non-seulement les diverses parties du corps humain sont
plus ou moins dépendantes les unes des autres, ont des
rapports fonctionnels entre elles , parce que le sang artériel
dont elles ont besoin n'est fait et distribué que par le
concours de beaucoup d'organes ; mais encore elles le sont
forcément aussi par l'autre condition vitale qu'elles néces-
sitent, l'influence nerveuse.
Cette influence nerveuse , en effet , régit toute fonc-
tion ; et, quelle que soit son essence et la partie ner-
veuse qui y préside, elle est dépendante, dans les ani-
50O DES CONNEXIONS DES FONCTIOLNS.
maux supérieurs , et par conséquent dans l'homme , des
centres nerveux , encéphale et moelle spinale. Pour que
tout nerf quelconque exerce sur l'organe auquel il se dis-
tribue l'irradiation nerveuse nécessaire , il faut qu'il com-
munique librement avec ces centres , et que ces centres
soient en état d'intégrité. Si l'une ou l'autre de ces condi-
tions manque , l'influence nerveuse dont ils sont les con-
ducteurs ou les producteurs immédiats, est anéantie. De là
une nouvelle source de rapports fonctionnels entre nos
parties; de là une nouvelle cause de la centralisation de la
vie. Cependant cette dépendance est dans une mesure qui
diffère selon les espèces d'animaux, selon leur âge, et selon
l'animalité des fonctions; triple loi que nous avons souvent
mentionnée dans le cours de cet ouvrage , et que c'est ici le
lieu de détailler.
Si , sur un animal vivant , on lie ou l'on coupe les nerfs
qui se rendent à une partie , on tue cette partie d'autant
plus promptement que l'animal sur lequel on fait l'expé-
rience est plus élevé dans l'échelle des animaux, est plus
âgé, et que les nerfs dont il s'agit président à une fonction
plus élevée en animalité. L'effet est le même si, au lieu
d'interrompre la communication avec les centres , en liant
ou coupant le nerf qui l'établit, on lèse les centres eux-
mêmes, l'encéphale et la moelle spinale.
10 Influence du degré de supériorité ou d'infériorité de
V animal. Dans les plus simples des animaux, il n'y a pas
dans le système nerveux de ganglion central, et, par suite,
la vie n'est nullement centralisée ; chaque partie détachée
de l'individu peut vivre par elle-même, comme on le voit
dans les animaux amorphes et beaucoup de radiaires. Mais,
dans les animaux articulés , et, à plus forte raison , dans les
animaux vertébrés, il existe au système nerveux, une partie
centrale située dans l'encéphale , ou la partie supérieure de
la moelle spinale; et la vie générale de l'être est liée à l'in-
tégrité de cette partie centrale, et à son influence sur le
reste du corps. Seulement la suprématie de cette partie cen-
trale est d'autant moins prochaine , que les animaux sont
moins élevés dans l'échelle. Voici les preuves de cette asser-
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 3 1
tien. Dans les animaux les plus simples, non-seulement
l'ablation des centres nerveux n'entraîne pas la mort des
individus, mais ces centres repoussent ; voyez l'hélix, si on
coupe la tête à cet animal, elle se reproduit. Déjà, dans les
reptiles, il n'en est plus de même; les centres nerveux en-
levés ne repoussent plus; cela n'est plus possible que pour
quelques parties moins importantes, la queue, par exemple :
mais au moins ces animaux privés de ces centres, de l'encé-
phale , ne meurent qu'après quelques jours, et même quel-
ques mois; Redi et Fontana ont constaté ce fait sur des tor-
tues. Dans les oiseaux, l'indépendance est encore moindre;
non-seulement toute reproduction de parties ne s'observe
plus, mais la décapitation entraîne une mort très prompte,
après quelques minutes ; seulement , avant qu'elle arrive ,
quelques mouvements sont encore possibles; qui n'a vu
sauter et courir encore des canards décollés ? Au rapport
à'Hérodien , des autruches que Ton faisait courir dans le
Cirque devant l'empereur Commode, et auxquelles celui-ci
abattait la tête , continuaient de courir quelques pas après
cette décapitation. Kaaw-Boërhaave dit avoir vu un coq,
ainsi décollé, courir encore l'espace de vingt-trois pieds, etc.
Enfin, dans les mammifères et dans l'homme, la dépen-
dance est aussi grande que possible; non-seulement la déca-
pitation entraîne une mort encore plus prompte, une mort
soudaine ; mais aussitôt toutes les fonctions cessent , et par-
ticulièrement les mouvements. On a bien cité quelques faits
contradictoires , comme celui d'une femme qui , au rapport
de Ehadskinshi, marcha encore, après la décapitation, l'es-
pace d'une aune; celui de cet homme qui, après la même
mutilation, remua son sabre, ou se frappa la poitrine, etc.
Mais tous ces faits sont apocryphes; et certainement, après
la décapitation , toutes fonctions sensoriales et tous mou-
vements sont anéantis dans notre espèce. Ce qu'on dit ici
de la décapitation ou de l'ablation de l'encéphale entier,
est vrai de l'ablation partielle de cet organe; il est d'autant
plus possible de pousser loin clans des expériences sur des
animaux vivants les mutilations partielles du cerveau, que
les animaux sont plus inférieurs; les derniers travaux de
2 3a DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
MM. Rolando, Flourens , Fodera, pour spécifier l'usage de
chaque partie encéphalique, ont mis ce fait hors de doute;
l'homme , à coup sûr, ne pourrait pas supporter des lésions
aussi fortes que des reptiles ; et il est sûr que les maladies
cérébrales de cet être sont bien plus promptement mortelles
que celles des autres espèces.
2° Influence de L'âge. La dépendance dans laquelle sont
des centres nerveux toutes les parties nerveuses inférieures ,
est d'autant plus grande en toute espèce animale, que l'in-
dividu est plus jeune. D'abord, s'il est vrai qu'un animal
quelconque , dans la série de ses développements , parcoure
Ja suite des formes que présente le règne animal dans la
portion qui est inférieure au type auquel cet animal appar-
tient, on conçoit que plus il sera jeune , plus il sera animal
inférieur, et par conséquent moins sera grande en lui la
suprématie des centres nerveux , d'après la loi première que
nous venons de démontrer. Ensuite,, il est des faits directs
en faveur de la seconde loi que nous posons ici. Les hélix
repoussent d'autant mieux leur tête, qu'ils sont plus jeunes.
Redi, dans ses expériences sur les tortues et les vipères, a
remarqué que ces animaux survivaient d'autant plus à l'a-
blation de l'encéphale , à la décapitation , qu'ils étaient
plus jeunes. MM. Rolande* et Flourens , etc. , ont vu de
même que les animaux supportaient d'autant mieux les
mutilations cérébrales, qu'ils étaient moins âgés. Dans des
expériences de Legallois , que j'ai déjà citées à l'occasion de
la circulation, sur lesquelles je vais revenir encore ci-après,
et qui consistaient à faire survivre des animaux mammifères
à la décapitation , en remplaçant la respiration par une in-
sufflation artificielle d'air dans le poumon , ce physiologiste
réussissait d'autant mieux qu'il opérait sur des animaux
plus jeunes. À la vérité, ces expériences ne sont pas prati-
cables sur l'homme; mais les monstruosités et les maladies
fétales en tiennent lieu. Dans l'acéphalie, la vie continue et
le fœtus arrive à terme. Dans l'anencéphalie incomplète, le
phénomène est encore plus sensible; non-seulement le fœtus
a continué de vivre, a pris de l'accroissement, est venu à
terme; mais il naît vivant, survit quelques jours après sa
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 33
naissance, et ne meurt que lorsqu'il est un peu plus
avancé dans la vie. Il semble que lorsqu'il ne manque
au fœtus que les hémisphères cérébraux, l'enfant ne
devrait qu'être idiot, mais devrait pouvoir vivre; et cepen-
dant il meurt, seulement d'autant plus tard qu'il est plus
jeune; n'est-ce pas là une preuve prise dans l'espèce hu-
maine elle-même, de la seconde loi que nous posons ici?
D'après cette loi, on peut avancer qu'un homme adulte ne
supporterait pas le quart des maladies cérébrales que peut
supporter le fœtus.
3° Influence du degré d'animalité de la fonction. Enfin,
dans la subordination où sont des centres nerveux , toutes
les fonctions du corps, ce sont les fonctions sensoriaîes qui
sont dans la dépendance la plus prochaine; et cette dépen-
dance devient de moins en moins grande pour toutes les
autres, à mesure qu'elles sont plus inférieures eu animalité.
Par exemple, les fonctions des sens, des mouvements, sont
dans une subordination absolue; déjà les fonctions organi-
ques premières, la digestion , la respiration , la circulation,
le sont moins; et enfin , les dernières fonctions organiques,
celles qui se passent dans la profondeur des parenchymes ,
le sont aussi peu que posssible. Qu'on coupe ou qu'on lie
le nerf qui avive un sens, un muscle volontaire, aussitôt le
sens , le muscle sont paralysés. Si , par comparaison , on fait
subir la même lésion aux nerfs qui vivifient les organes de
la digestion, de la respiration , de la circulation, la para-
lysie n'est pas aussi soudaine : nous avons vu la digestion ,
la respiration et la circulation, continuer encore quelque
temps après la section des nerfs vagues et grands sympa-
thiques. La même différence se remarque lors de l'ablation,
de la lésion des centres nerveux eux-mêmes, comme nous
allons le faire voir. Dans la décapitation , par exemple , il
y a beaucoup de causes de mort, i'héniorrbagie,la cessation
de 1 innervation sur le cœur, la cessation des mouvements
respirateurs, etc. Or, si on remplace les mouvements respi-
rateurs artificiellement, et qu'en liant les vaisseaux du
col , on arrête l'hémorrhagie , il n'y a plus que la perte de
l'influence exercée par l'encéphale sur l'innervation ; et
2 34 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
Ton voit que, tandis que sont anéanties aussitôt toutes les
fonctions sensoriales, continuent pendant quelques heures
encore les fonctions organiques. C'est ce qu'a prouvé Le-
gallois dans d'ingénieuses expériences : liant les vaisseaux,
du col à un animal aussitôt après l'avoir décapité, puis
remplaçant la respiration par une insufflation artificielle
d'air dans le poumon , ce physiologiste a vu la circulation
se continuer, et la vie se prolonger dans le tronc cinq heures
encore, presque autant de temps, à une demi-heure près,
que si l'on n'avait fait que lier les nerfs de la huitième paire.
La mort n'arrivait que par la perte de l'influence nerveuse
encéphalique sur le tissu du poumon lui-même, sur la
moelle spinale et sur le grand sympathique qui avivent
les autres parties; et, comme cette mort n'était pas sou-
daine, cela prouve que les effets de cette perte sont ici plus
tardifs. Aussi , Legallois concluait-il de ces expériences que,
dans la décapitation , la première cause de mort est l'a-
sphyxie; et Ton sent que s'il avait pu porter dans le tronçon
de la tête, du sang artériel, comme dans celui du corps il
pouvait exécuter une respiration artificielle, il aurait de
même, et plus facilement encore, prolongé la vie dans la
tête, ce qui eût été bien plus étonnant, à cause de l'émi-
nence des fonctions qu'exécutent les organes dont cette
partie est le siège. Du reste, ce que ces expériences nous
apprennent est en rapport avec ce qui est observé dans les
maladies cérébrales , et dans les cadavres des personnes
qu'une mort subite a frappées accidentellement. Quand les
maladies cérébrales ne tuent pas soudain, c'est dans l'ordre
de leur animalité qu'on voit successivement toutes les fonc-
tions s'arrêter; d'abord, les sens, les mouvements volon-
taires, puis les fonctions dites organiques. Voyez l'apoplec-
tique : d'abord il tombe sans sentiment, n'appréciant plus
rien de l'univers extérieur, ni de sa propre existence, ne
pouvant ni se mouvoir , ni parler , ni effectuer sa station ;
bientôt les mouvements respirateurs sont embarrassés; ils
deviennent de t>1 us en plus difficiles, et souvent la mort
arrive par asphyxie, par engorgement du poumon, avant
que la perte de l'influence encéphalique n'ait arrêté les
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 35
autres fonctions. Voyez la même gradation dans les hydro-
céphales chroniques; successivement, les enfants atteints de
cette maladie perdent leurs facultés intellectuelles, leurs
sens, leur faculté de se mouvoir; et c'est long- temps après
la cessation des fonctions animales , que la mort arrive.
Comme dans les morts accidentelles (et nous verrons que
c'est accidentellement que périssent les quatre-vingt-dix-
neuf centièmes de l'espèce humaine), il y a d'abord arrêt
des organes centraux , ou du cerveau , ou du cœur , ou du
poumon ; on s'explique pourquoi les fonctions animales
s'arrêtent ordinairement les premières , tandis que les fonc-
tions organiques se prolongent plus long-temps , et même
que quelques-unes d'elles se continuent encore quelque
temps après la mort. Souvent on a vu après la mort l'ex-
crétion des fèces, de l'urine, l'accouchement s'accomplir,
des absorptions s'effectuer; et les restes de vie sont d'autant
plus manifestes que la lutte qui a amené la mort a été plus
courte, plus douce , et a moins épuisé le système nerveux.
Ainsi, sont certaines les trois lois que nous avons posées ,
relativement à l'influence des centres nerveux sur les por-
tions nerveuses inférieures.
11 s'agit alors de spécifier quelles sont dans le système
nerveux ces parties centrales, auxquelles sont subordonnées
toutes les autres. Pour ce qui est des animaux vertébrés,
et par conséquent de l'homme , on ne peut être en doute
que sur l'encéphale et la moelle spinale. La plupart des
physiologistes considèrent comme centre l'encéphale, et ne
font de la moelle spinale que le conducteur des irradiations
encéphaliques , le moyen par lequel ces irradiations arrivent
aux parties nerveuses inférieures et surtout aux grands sym-
pathiques. Ils se fondent sur la mort prompte qui suit la
décapitation , sur les désordres généraux qu'amènent pro-
chainement les maladies graves de cet organe. Mais l'encé-
phale est une partie fort complexe , et certainement ce
n'est pas sa totalité qui exerce l'influence absolue dont nous
nous occupons ici : dans les expériences récentes faites par
MM. Rolando, Flourens , on a souvent enlevé des quantités
considérables des hémisphères cérébraux ou du cervelet ,
2 3G DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
on a mutilé les corps striés, les couches optiques, etc., sans
qu'il en soit résulté une mort prompte. M. Floure?is a vu
survivre jusqu'à six, Luit, dix mois, des animaux auxquels
il avait enlevé la totalité des hémisphères cérébraux. On
peut couper successivement de haut en bas des tranches de
l'encéphale; on voit graduellement l'animal perdre la sen-
sibilité, le mouvement; mais il ne meurt que quand on
arrive à ce qu'on appelle la moelle alongée , cette partie
par laquelle la moelle spinale se prolonge dans le crâne.
Encore , il est probable que la mort ne survient alors que
par la cessation de la respiration, et non par celle de Tin-
nervation ; c'est en effet en ce lieu qu'aboutissent les nerfs
vagues, c'est là qu'est senti le besoin de respirer ; et dès lors
3a respiration doit s'interrompre. Ce qui le prouve, c'est
qu'en remplaçant la respiration par une insufflation d'air
dans le poumon , on a prolongé la vie dans les animaux aux-
quels on avait enlevé cette partie encéphalique, dans les
animaux décapités, par exemple, comme nous venons de
dire que l'a fait Legallois.
Dans cette impossibilité de trouver dans l'encéphale un
point précis qui exerce sur tout le système une influence
prochaine et immédiate, d'autres physiologistes, MM. de
Blainville , Baiïly , présentent comme centre la moelle spi-
nale, disant qu'en avant, à la portion par laquelle elle se
prolonge dans le crâne , et sur ses côtés dans toute sa longueur,
sont situés les divers ganglions qui composent le système
nerveux. [Ils s'appuyent de faits anatomiques et d'expérien-
ces. D'un côté , il est certain que dans la portion supérieure
de la moelle spinale, celle qui est dans le crâne, qui con-
séquemment fait partie de la masse encéphalique, et qu'on
appelle moelle alongée, sont les faisceaux originels, les ra-
cines des diverses parties qui composent l'encéphale : cette
moelle alongée, évidemment une suite non interrompue de
la moelle spinale , se partage en haut en six faisceaux qui
vont former; les deux inférieurs , les hémisphères cérébraux,
les deux latéraux, les tubercules quadri jumeaux , et les deux
supérieurs le cervelet ; et de cette manière l'encéphale ne
paraît être qu'un amas de ganglions divers, développés et
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. lZ~j
entés sur elle. D'autre part , les expériences de Legallois
montrent l'intégrité de la moeîïe spinale, plus prochaine-
ment nécessaire à la vie générale, que celle de Fencéphale.
Tandis que ce physiologiste avait pu, à l'aide de l'insuffla-
tion pulmonaire , prolonger la vie pendant cinq heures dans
le tronc d'un animal décapité, il n'a pu, par ce moyen,
retarder la mort que de trois à quatre minutes dans un ani-
mal chez lequel il avait détruit îa moelle épinière, bien
que cet animal ne fût pas décapité, et eût l'encéphale in-
tact; bientôt les contractions du cœur ont cessé, et la mort
est arrivée par défaut de circulation. Ainsi le jeu du cœur
est plus dépendant de la moelle spinale que de l'encéphale.
D'autres expériences analogues prouvent même, que ce n'est
pas seulement la moelle tout entière qui se subordonne les
mouvements du cœur, mais toute portion quelconque de
cette moelle : dans les expériences de Legallois , la destruc-
tion de la portion lombaire seule entraînait la mort après
quatre minutes; celle de la portion dorsale après deux mi-
nutes et demie, et celle de la portion cervicale plus promp-
tement encore. Chaque destruction partielle avait pour effet
d'affaiblir considérablement les mouvements du cœur, qui
dès lors ne suffisait plus pour envoyer le sang dans tout le
corps; et c'était si bien par cette cause qu'arrivait la mort,
que si on limitait en même temps, et en égale proportion,
le champ circulatoire, par des ligatures, on en retardait
l'instant. Par exemple, si , avant de détruire la moelle lom-
baire, Legallois liait l'aorte au-dessous de la cœiiaque, et
ainsi retranchait du champ circulatoire tout le train de der-
rière de l'animal , alors le cœur, quoiqu'affoibii , suffisait
pour entretenir la circulation dans ce qui restait du corps ,
et la vie y persistait davantage. Il en était de même si , avant
de détruire la moelle cervicale, il liait les vaisseaux du col ,
et retranchait la tête tout entière du champ circulatoire.
Ainsi , on arrivait à cette proposition bizarre que , pour pro-
longer, dans ce cas, la vie de ranimai, il fallait lui couper
la tète. Legallois a fait vivre ainsi , pendant trois quarts
d'heure, le tronçon thoracique d'un lapin; et même il y a
encore rétréci l'empire de la vie, en détruisant une petite
2 38 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
portion de la nioelle dorsale. On sent qu'il aurait pu con-
server de même tout autre tronçon , s'il n'eût été nécessaire
que le poumon et le cœur y fussent contenus, pour que
soit fait et distribué le sang artériel que nous avons vu être
nécessaire à toute vie. Toutefois, Legallois avait conclu de
ces expériences que le principe des mouvements du cœur est
dans la moelle spinale , et que cette partie est en même
temps le centre du système nerveux.
Mais d'abord, on peut remarquer que ce n'est qu'indi-
rectement que la moelle spinale préside aux mouvements du
cœur; c'est par l'intermédiaire des grands sympathiques;
ce sont ces nerfs qui immédiatement les régissent : et la
moelle ne leur est si prochainement nécessaire, qu'en ce que
c'est elle qui dispense aux grands sympathiques l'irradiation
des organes nerveux supérieurs. Ce qui le prouve , c'est
qu'en quelques acéphales chez lesquels la moelle épinière
manquait, le cœur agissait néanmoins. TVilson, d'ailleurs,
a vu que, si les expériences de Legallois étaient faites sur
des animaux très jeunes, les battements du cœur conti-
nuaient après la destruction de la moelle ; et Clift a vu qu'il
en était de même, si on les pratiquait sur des animaux d'un
rang inférieur. Voilà autant de faits dont les lois que nous
avons posées donnent l'explication. En second lieu, de même
qu'on avait pu enlever impunément quelques tranches de
l'encéphale de haut en bas ; de même on peut détruire de
bas en haut quelques tranches de la moelle spinale, sans
qu'il en survienne davantage une mort soudaine , surtout si
on procède avec lenteur, et qu'on limite en même temps,
et en égale proportion , le champ circulatoire, par des liga-
tures, comme l'a fait Legallois. Ce physiologiste a même pu
en détruire impunément la portion supérieure, mais en rem-
plaçant alors, par l'insufflation de l'air, la respiration , qui
ne pouvait plus se faire. D'où il résulte que, si la moelle
spinale est la partie centrale du système nerveux , elle ne
l'est pas plus que l'encéphale dans sa totalité. Enfin , il est
probable que la destruction de la moelle spinale ne tue
aussi promptement que par la cessation de la circulation ,
et non par celle de l'innervation ; la moelle spinale étant la
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2%g
partie qui dispense principalement aux grands sympathi-
ques l'influence nerveuse, en vertu de laquelle ces nerfs
régissent les mouvements du cceur : de sorte qu'on ne trouve
pas plus danslamoelle spinalequedansl'encéphale, un point
précis , duquel émane rigoureusement l'influence nerveuse.
Il faut reconnaître que ces deux parties , l'encéphale dans
sa partie inférieure , dans ce qu'on appelle la moelle alon-
gée, et la moelle épinière dans sa partie supérieure, sont
également le centre du système nerveux, en ce qui regarde
l'homme et les animaux supérieurs. Il n'y a, en effet, au-
cune distinction entre ces deux parties, et leur continuité
en fait réellement un seul et même organe. Mais il faut con-
sidérer la centralisation de cette partie sous deux points de
vue, relativement à son influence sur les fonctions qui as-
surent la première condition vitale, l'existence du sang ar-
tériel , et relativement à l'innervation.
Sous le premier rapport, cette partie est un centre de
vie, comme présidant à la respiration et à la circulation.
L'encéphale, en effet, par la partie dite moelle alongée ,
tient sous sa dépendance la respiration; et la moelle spinale,
parce qu'elle fournit aux grands sympathiques leurs prin-
cipales racines, ou leurs principaux moyens de communica-
tion avec le centre , tient sous la sienne la circulation. Par
cela seul donc que celte partie nerveuse se subordonne les
deux fonctions desquelles dépendent la formation et la dis-
tribution du sang artériel dans le corps , elle est prochaine-
ment et absolument nécessaire à la vie. Ainsi même, éclate
la nécessité qui lie mutuellement les deux conditions que
réclame la vie : pour que le système nerveux, ce rouage su-
prême qui commande toutes les actions , agisse , il faut qu'il
reçoive un sang artériel que la respiration seule peut faire y
et que le cœur seul peut envoyer : et d'autre part , pour que
la respiration accomplisse la sanguification , et que la cir-
culation en distribue partout les produits, il faut que le
système nerveux commande le jeu des organes qui effectuent
ces actions. C'est là ce concours réciproque dont parlait
Hippocrate , ce cercle dans lequel il ne pouvait indiquer le
commencement ni la fin.
24o DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
D'autre part, indépendamment de cette influence exercée
par le centre nerveux sur toutes les parties, par l'intermé-
diaire de la respiration et de la circulation qu'il régit, il en
est une autre , mais moins prochaine , par laquelle il modifie
toutes les parties nerveuses qui dérivent de lui ou viennent
aboutir à lui -, et c'est celle-ci dont nous venons de poser les
lois. La nature, à mesure qu'elle a voulu donner plus d'u-
nité à un être, a rendu ses parties nerveuses plus dépen-
dantes d'un centre ; et c'est ce qui est dans tous les animaux
supérieurs, et surtout dans l'homme. Sans doute le système
nerveux n'est pas homogène ; il est formé de parties qui ont
chacune leur action propre; mais cependant il constitue un
tout unique, dont toutes les parties conspirent à un même
but, et sont unies entre elles pour former une individua-
lité. Nous avons été des premiers à applaudir aux idées qui
ont été émises, de nos jours, sur la pluralité des systèmes
nerveux ; mais il. ne faut pas que ces idées judicieuses fassent
tomber dans le vice opposé, et fassent méconnaître que les
différents systèmes nerveux sont, dans l'homme, réunis en
nn tout , fondus en une unité. Chaque système nerveux in-
flue de haut en bas, en raison de la supériorité de sa fonc-
tion , sur l'énergie des autres ; le cerveau , sur le cervelet; le
cervelet, sur la moelle épinière; et la moelle épinière, sur
les nerfs. On n'a pas besoin de dire que l'influence de ces
parties nerveuses est en raison de leur degré de développe-
ment; à cause de cela même, chez aucun animal, le cerveau
proprement dit, n'influe sur le reste du système nerveux
autant que chez l'homme : cela rentre dans la première loi
que nous avons posée, celle qui est relative au rang qu'oc-
cupe l'animal dans l'échelle, ou plutôt cela en donne l'exr
plication. Non-seulement la suspension complète d'action
du cerveau doit amener à la longue la suspension d'action
de toutes les autres parties nerveuses, et conséquemment la
mort; mais encore ce qui arrive alors en plus, a lieu dans
d'autres cas en moins; il suffit que l'activité cérébrale soit
modifiée seulement, pour que l'innervation générale le soit
aussi partout et au loin. Or, comme le cerveau est l'agent
des facultés intellectuelles et morales, un des organes les
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2^\
plus fréquemment mis en jeu dans notre vie sociale, on
conçoit combien il doit fréquemment modifier l'économie ,
sous le rapport de l'innervation : par l'influence de cet or-
gane , cette condition vitale est presque aussi variable que
celle du sang artériel.
Tels sont les rapports fonctionnels tenant aux deux con-
ditions qui, dans les animaux supérieurs, président à la
vie, et pour l'établissement desquelles toute partie offre ,
parmi ses éléments constituants, des ramifications artérielles
et nerveuses. Il resterait à indiquer laquelle de ces deux
conditions a la suprématie, et laquelle est la subordon-
née. Cela est impossible à dire, car elles se sont mutuel-
lement et absolument nécessaires : la vie est essentiellement
liée à l'action réciproque du sang sur la substance nervese ,
et de la substance nerveuse sur le sang (Bée lard) . Cependant
on regarde le système nerveux comme ce qui forme prin-
cipalement l'être; le reste du corps est regardé comme ne
servant qu'à nourrir et entretenir ce système nerveux, et le
mettre à même d'accomplir ses fonctions. Aussi dit-on que,
dans toute asphyxie , c'est moins parce que le sang veineux
imprègne immédiatement les organes que ceux-ci meurent,
que parce que ce fluide pénètre le système nerveux, qui dès
lors ne peut plus commander leur action. Cette proposition
est peut-être un peu trop absolue, si l'on embrasse la géné-
ralité des êtres vivants; mais elle est vraie , quand il s'agit
des animaux supérieurs , et surtout de Tliomme.
ARTICLE II.
Rapports fonctionnels relatifs à l'accomplissement des diverses facultés de
l'Homme.
L'homme se nourrit, se reproduit, sent, connaît, veut,
agit, exprime ce qu'il sent , etc. ; et presque toujours, pour
l'accomplissement de ces diverses facultés, il lui faut le
concours de plusieurs organes, de plusieurs fonctions. De
Tome IV. XQ
242 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
là une nouvelle cause de liens entre les parties , et de rap-
ports, qu'on doit encore appeler fonctionnels, puisqu'ils
résultent de l'enchaînement connu des fonctions.
§ Ier. Nutrition.
L'histoire que nous avons faite des diverses fonctions ,
l'ordre que nous avons suivi dans leur étude, ont dû faire
ressortir par quel concours d'actes s'accomplit la nutrition
de l'homme. D'abord, les sensations internes, dites besoins,
ont fait un premier appel , et ont sollicité à l'établissement
des rapports extérieurs que nécessite la vie. Les sens externes
ensuite ont fait apercevoir dans l'univers extérieur les corps
qui pouvaient satisfaire aux besoins. Alors, des actions mus-
culaires volontaires ont effectué la préhension de ces corps ;
et enfin s'en est suivie la série d'actes que nous avons
vu faire le sang artériel , distribuer ce fluide , et l'assimiler
aux organes. La disposition mécanique des parties est telle,
qu'il est impossible qu'il en soit autrement; Je chyle, pro-
duit de la digestion, afflue dans la lymphe; la lymphe,
produit des absorptions internes , se verse dans le sang vei-
neux; ces trois humeurs vont dans le poumon se changer
en sang artériel ; celui-ci est conduit au cœur, et distribué à
toutes les parties, pour qu'elles se l'assimilent et pour qu'elles
s'en nourrissent. Pendant que la composition s'accomplit
par cette série d'actes successifs et jamais interrompus , l'ab-
sorption interstitielle reprend dans les organes les éléments
usés dont ils doivent être débarrassés ; elle les j-eporte dans
le sang; et celui-ci enfin en est dépuré, ainsi que de tontes
les autres matières étrangères qui ont pu lui arriver du de-
hors, par le travail des sécrétions dépura trices. Ainsi, beau-
coup d/organes concourent à la nutrition du corps. Or, de
ce concours résultent entre nos parties beaucoup de rap-
ports fonctionnels , dont voici les principaux.
io D'abord, il existe un rapport entre les ingestions qui
font le sang, et les actions diverses qui mettent en œuvre ce
liquide. Selon que les premières sont augmentées ou dimi-
nuées, les secondes se montrent plus ou moins énergiques.
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 43
L'homme qui use d'une alimentation abondante et de bonne
qualité, développe bien plus d'activité dans toutes ses fonc-
tions , est capable de plus d'efforts physiques et moraux , que
celui qui est mal nourri. Selon que les fonctions qui réparent,
ne le font pas en même proportion que celles qui dépensent,
selon qu'elles sont au-dessus ou au-dessous de celles-ci, il en
résulte un sang trop abondaut et trop riche, et ce qu'on
appelle la pléthore, ou un sang appauvri et V épuisement.
Dans le premier cas, le superflu du sang se change en
graisse, et amène Y obésité, l'embonpoint; dans le se-
cond, au contraire, cette graisse est résorbée pour suppléer
à ce qui manque du côté de l'alimentation, et l'individu
maigrit. La qualité des matières ingérées influe tout aussi
bien que leur quantité; les aliments, par certaines affinités
électives, peuvent porter leur influence excitante sur tel
appareil plutôt que sur tel autre; ou sur le cerveau, comme
le café , ou sur l'appareil génital, etc. ; et ce sont alors les
fonctions intellectuelles ou génitales qui manifestent le
plus d'activité. C'est certainement le sang qui est la cause
matérielle de ces rapports. A ce genre de rapports se rat-
tache celui qui existe entre la sécrétion urinaire et les bois-
sons; qui ne sait que la quantité de l'une est en raison de
l'abondance des autres ? Enfin ce que nous avons dit dans
le temps, de la dépuration du sang, fait concevoir aussi pour-
quoi les matières excrétées se ressentent souvent des qualités
des matières ingérées.
20 La chose inverse, c est-à-dire des rapports entre les
pertes que l'on fait et les ingestions qui sont destinées à ré-
parer ces pertes, doivent avoir lieu aussi. Si les premières
augmentent ou diminuent, il en est de même des secondes.
L'homme qui mène une vie active et laborieuse a besoin de
plus d'aliments, d'être mieux nourri, que celui qui vit
dans l'inaction et le repos. Toute circonstance qui aug-
mente les dépenses que fait le sang, savoir,. l'exercice pro-
longé d'une fonction physique ou morale, l'écoulement
abondant d'une excrétion, etc. , nécessite l'augmentation
des fonctions qui réparente les pertes qu'a faites ce fluide.
La femme qui allaite, l'homme qui s'est livré aux plaisirs
16.
2 44 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
de l'amour, n'ont-ils pas, après l'accomplissement de ces
actes, un besoin plus grand d'aliments? Non-seulemeut se
montre ici un rapport de quantité, si l'on peut parler ainsi,
mais il existe aussi un rapport de qualité. Selon le genre de
pertes qu'a faites le sang, c'est la faim ou la soif qui se
prononce : si l 'hydropique est dévoré de soif, c'est que son
sang est surtout épuisé de ses principes aqueux. La cause
du rapport dont nous parlons ici , est encore en partie dans
l'état du sang, ce fluide duquel dérivent tous les matériaux
de la décomposition, et auquel aboutissent tous ceux de la
composition; selon l'état dans lequel l'ont mis les actions
qui le consomment , il influence plus ou moins les organes
destinés à appeler les matériaux qui doivent servir à le ré-
parer. M. Gaspard, auteur de plusieurs expériences sur
les modifications que peut subir le sang, va même jusqu'à
dire que la stimulation spéciale que ce fluide exerce alors ,
a quelque part au développement des sensations de la faim
et de la soif; selon lui, l'estomac est organisé de manière à
accuser par ces sensations, l'état dans lequel est alors le sang,
consécutivement au genre d'impressions que ce liquide lui
fait éprouver. Mais cette étiologie delà faim et de la soif ne
peut être admise, si l'on réfléchit que ces sensations s'apai-
sent, par cela seul que des aliments et des boissons sont in-
troduits dans l'estomac, et bien avant queles produits de ces
aliments et de ces boissons soient portés dans le sang et aient
modifié ce fluide.
30 Non-seulement des rapports s'observent entre les ac-
tions qui réparent le sang et celles qui le mettent en œuvre,
mais il en existe aussi entre chacune de celles-ci entre elles.
Par exemple, il y a entre les diverses absorptions qui por-
tent au sang les matériaux réparateurs, faculté de se sup-
pléer, de s'équilibrer. Si l'alimentation manque ou n'est pas
suffisante, que par suite l'absorption digestive chyleuse soit
nulle, l'absorption interne s'efforce d'y suppléer; eile re-
prend clans toutes les parties du corps les divers sucs qui y
sontépars, la graisse surtout, -que nous avons vue être sé-
crétée en abondance lors d'une alimentation trop riche.
Nous avons déjà dit qu'à raison de la particularité qu'oiire
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 245
la graisse d'être tour-à-tour formée et reprise, selon que le
sang est trop ou pas assez réparé, on pouvait, entre autres
usages, assignera cette humeur celui d'être une provision
que la nature met en réserve pour servir en certains cas à
l'hématose. Le sang accusant le besoin de la réparation,
excite partout les agents absorbants, et ceux-ci alors pui-
sent partout aussi, mais surtout là où des matériaux leur
sont offerts.
Ce balancement, que nous signalons entre les actions qui
a]3portent de nouveaux principes au sang, s'observe de
même entre celles qui dépensent ce fluide. Les sécrétions,
par exemple, se montrent solidaires les unes des autres, se
suppléent, s'équilibrent; si l'une fait plus, l'autre fait
moins., et vice versa. Nous avons dit qu'en hiver, saison
pendant laquelle le froid diminue la perspiration cutanée,
la sécrétion urinaire augmentait., et que le contraire était
observé pendant l'été. Qui ne sait que toute sécrétion trop
abondante , ou supprime , ou diminue les autres sécrétions ?
L'hydropique, le diarrhéique ont la peau sèche, l'urine
rare; et au contraire, l'individu qui sue toujours, le plus
souvent a de la constipation. Probablement c'est encore le
sang qui, trahissant plus ou moins , par son mode d'impres-
sion sur les organes sécréteurs, le besoin qu'il a d'excrétions,
est la cause de ces rapports. Si une sécrétion habituelle
manque tout à coup, ou diminue, il y a rétention, dans
ce fluide, de matériaux dont il avait besoin d'être dépouillé;
et par la présence de ces matériaux il stimule davantage les
organes qui ont pour office d'effectuer ce dépouillement.
Si au contraire une sécrétion nouvelle s'établit, ou qu'une
habituelle augmente , il ne reste plus dans le sang autant
des matériaux dont ce fluide demande à être débarrassé , et
les organes dépurateurs moins stimulés agissent moins. On
dira peut-être que cet effet est dû, à ce que quand un or-
gane agit plus, un autre agit moins, d'après la loi de ba-
lancement que nous devons exposer ci-après : sans doute
cela y concourt en partie , mais l'état du sang y a part aussi.
Ces considérations ne s'appliquent pas seulement aux sécré-
tions excrémentitielîes, elles sont vraies aussi des sécrétions
2 46 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
récrémentitielles, car leurs oroduits sont également des dé-
penses pour le sang : cela est surtout évident de celles de ces
humeurs récrémentitielles qui s'accumulent accidentelle-
ment dans leurs réservoirs et y séjournent; on peut en effet
les considérer alors comme de véritables excrétions. Dans ces
rapports des sécrétions entre elles, quelques-unes parais-
sent être constamment en quantité inverse Tune de l'autre,
les sécrétions de la graisse et du sperme, par exemple;
quand l'une surabonde, l'autre est moindre : on sait que
généralement la castration engraisse, que les individus
chargés d'embonpoint son t d'ordinaire peu portés aux plai-
sirs de l'amour, et que l'exercice fréquent de ces plaisirs
amaigrit. La nature de ces deux humeurs donne la raison
de cette opposition : la sécrétion spermatique est évidem-
ment une de celles qui coûtent le plus au sang , son produit
étant destiné à donner la vie à un nouvel individu, et de-
vant à ce titre être composé des principes les plus anima-
lisés : la sécrétion de la graisse, au contraire, paraît n'être
formée que de ce que le sang a de superflu. Si donc la pre-
mière surabonde, il ne restera rien au sang pour faire de
la graisse; et si au contraire l'appareil génital, peu actif,
ne fait pas faire au sang, sous le rapport de la sécrétion
spermatique , les dépenses que ce fluide peut supporter, la
graisse sera sécrétée avec plus d'abondance.
Ces rapports entre les sécrétions, s'observent aussi jus-
qu'à un certain point entre tous les organes du corps , sous
le rapport de leur nutrition et de leur degré d'exercice. Si
un appareil, par une cause quelconque , a une nutrition
plus active , souvent la nutrition des autres parties se
montre moindre; si un organe est plus exercé, les autres
décèlent une activité moindre : le sang fournissant plus
d'un côté , nécessairement aura moins à donner de l'autre.
Du reste, la diminution d'action qu'on observe dans des
organes éloignés , à raison du surcroît d'activité d'un seul
organe, est un effet complexe , dont c'est ici le lieu d'ana-
lyser les diverses causes. La recherche que nous allons faire
a cet égard, aura même cet avantage, qu'elle nous servira à
poser im certain nombre de lois premières, à l'aide des-
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 47
quelles nous pourrons distinguer, classer les nombreux phé-
nomènes de rapports qu'on observe dans notre économie.
D'abord, on sait qu'il est dispensé à tout organe une in-
fluence nerveuse à laquelle il doit de pouvoir agir, et qu'il
dépense par son travail. Selon que chaque organe agit avec
plus ou moins d'énergie , il a besoin de plus ou moins de
cette influence nerveuse , et conséquemment il en appelle
à lui et en consume des quantités diverses. Ainsi que tout
point d'irritation fait affluer dans l'organe irrité plus de
sang; ainsi un semblable effet a lieu, et même avant, en ce
qui regarde l'influence nerveuse; et l'axiome ubi stimulus ,
ibi Jïuxus , est vrai de l'innervation, comme de la circula-
tion. Pour l'accomplissement de tout acte quelconque, ce
double effet a lieu : aucun organe n'entre en jeu sans qu'il
ne se fasse aussitôt sur lui fluxion, d'abord du principe
nerveux ou moteur, puis du sang. C'est ce que M. Broussais
appelle érection vitale, et ce que je propose de rattacher à
une loi première de la vie, qu'on appellerait la loi de fluxion
ou à'appel. Certainement, quand la mesure d'activité d'un
organe dépasse l'état normal, est ce qu'on appelle une irri-
tation , la fluxion nerveuse ou sanguine , dont nous parlons
ici , est évidente ; c'est ce que prouve l'augmentation de
tous les phénomènes de la vie dans la partie irritée, et la
chaleur, et la circulation capillaire, et la sensibilité; la
partie d'ailleurs est injectée de plus de sang , a rougi , est
gonflée. Or, ce qui a lieu alors en plus, se passe de même,
mais en moins, lors du jeu normal de tout organe; et c'est
ainsi qu'appliquant le mot d'irritation à la santé comme
à la maladie , distinguant des irritations physiologiques
comme des irritations pathologiques, on peut dire que l'ir-
ritation est le phénomène le plus général de la vie.
Cette première loi posée, il en est une autre non moins
certaine qui lui fait suite : le système nerveux forme un
tout continu, et il y a, sous le rapport de l'innervation,
un balancement entre ses diverses parties : si une partie
consume plus de principe moteur, il en reste moins pour
toutes les autres. C'est là un deuxième fait aussi constaté
que le précédent , dont je propose de faire une seconde loi
2 48 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
de l'économie, sous le nom de loi de balancement ; et pour
revenir à l'objet premier de cette discussion, celle loi sera
une première cause, pour qu'il ne puisse arriver augmen-
tation d'action dans un point , sans qu'il survienne dimi-
nution d'aclion dans d'autres.
Enfin, on sait que ce sont les systèmes capillaires qui,
par une sorte d'aspiration, règlent la quantité de sang qui
les pénètre, et que pour leurs besoins ils détournent du
torrent circulatoire ; on sait que leur action d'aspiration
est , à cet égard , en raison de l'influx nerveux qui préside
à leur vie, et qui varie selon leur degré d'activité; consé-
qùemment elle augmentera ou diminuera dans la même
proportion que celui-ci. Or, une partie ne peut recevoir
plus de sang, sans que la quantité de ce fluide ne diminue
de proche en proche dans toutes les autres ; et voilà une
seconde cause, qui est celle que nous avions indiquée d'a-
bord , pour que le surcroît d'action que présente une partie
s'accompagne de la diminution d'action de toutes les autres:
l'activité de celles-ci doit être moindre, parce que le sang,
qui tout à la fois les stimule et sert matériellement à leur
travail , est en elles en moindre quantité.
À l'aide de ces lois premières, s'expliquent aisément les
rapports de la circulation générale avec la circulation capil-
laire, et réciproquement ceux des différents départements
de la circulation capillaire entre eux. Sur elles aussi reposent
la doctrine de l'irritation , et celles de la dérivation , de la
révulsion , et des congestions ; abstraction faite des rapports
sympathiques qui viennent compliquer les effets , et dont
nous devons parler ci-après. Selon que la circulation géné-
rale apporte aux systèmes capillaires plus ou moins de
sang , ceux-ci plus ou moins excités , physioîogiquemenl
par le contact de ce sang, et mécaniquement par le choc
qu'ils en reçoivent, exercent avec plus ou moins d'acti-
vité leurs actions diverses, et dépensent plus ou moins de
ce fluide. Selon qu'une portion quelconque des systèmes
capillaires appelle en elle plus ou moins de sang, de proche
en proche toutes les autres parties du corps s'en vident plus
ou moins, et l'effet se fait sentir plus ou moins jusque dans
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 /[$
la circulation générale. Une partie aura d'autant plus d'in-
fluence sous ce rapport , qu'elle sera plus nerveuse et plus
vasculaire, c'est-à-dire qu'elle sera plus apte à appeler en
elle beaucoup d'influence nerveuse, et par suite beaucoup
de sang. Une partie passe-t-elle de l'état- de repos à l'état
d'activité, il se fait afflux en elle de fluide nerveux et de
fang; elle est en état d'érection vitale, d'irritation phy-
siologique. Par une cause quelconque, cette partie est-elle
stimulée au point que sa mesure d'activité dépasse l'état
normal ?elle sera en état d'irritation pathologique, et, selon
îe degré de cette irritation, surviendront ou des conges-
tions, ou des inflammations. Enfin, quand, dans une vue
thérapeutique, on détermine artificiellement une irritation
dans une partie quelconque du corps, afin de croiser, d'af-
faiblir une autre irritation qui siège en une autre partie,
on opère ce qu'on appelle une révulsion : et lorsque par une
saignée générale ou locale , ou par la congestion de sang
que détermine toute irritation dans la partie qui en est le
siège , on amène une déplétion , soit des gros vaisseaux ,
soit des vaisseaux capillaires dans un des départements du
système capillaire, ou qu'on imprime un autre cours à la
circulation , on a effectué ce qu'on appelle une dérivation.
Voilà autant de phénomènes de rapports, dont les deux
lois d'appel et de balancement des influences nerveuses dans
les diverses parties du corps , et par suite de la circulation
capillaire, donnent l'explication.
Enfin , ce qui est des sécrétions entre elles, des nutritions
entre elles , est aussi , et par les mêmes raisons , de ces deux
sortes d'action les unes par rapport aux autres. S'il existe
un flux excessif quelconque, non-seulement les autres sé-
crétions sont supprimées, mais les nutritions languissent,
l'individu maigrit, dépérit.
§ II. Reproduction.
La reproduction n'est pas plus que la nutrition un acte
simple, et il faut conséquemment des liens entre les organes
qui par leur concours l'accomplissent. Ces liens ressortenl
2 5o DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
d'eux-mêmes dans l'histoire que nous avons faite de la géné-
ralion. L'instinct, le besoin de la reproduction, en même
temps qu il sollicite au rapprochement des sexes , amène
dans le pénis l'état d'érection sans lequel ce rapprochement
ne pourrait se faire. Pendant ce rapprochement, l'éjacu-
lation spermatique a lieu , et à sa suite la conception. Dès
lors se succèdent irrésistiblement les phénomènes de la
grossesse , de l'accouchement et de l'allaitement. Tandis
que dans la nutrition on avait vu une matière alimentaire
éprouver une suite de mutations, en fin desquelles cette
matière avait été assimilée aux organes; ici c'est un être
nouveau tout à coup formé, et parvenant à constituer après
une série de développements, un individu semblable à ceux
qui, parleur réunion, l'ont engendré. Du reste, c'est le
même enchaînement irrésistible entre les actes qui , par
leur concours, amènent ce merveilleux résultat : la con-
ception une fois effectuée, il est impossible que ne s'ensui-
vent pas, et le développement du fœtus, et sa naissance, etc.
Mais nous avons exposé assez longuement le mécanisme de
la reproduction, pour être dispensés d'en dire davantage
sur les rapports fonctionnels relatifs à l'accomplissement de
cette faculté.
Seulement, nous ferons remarquer que plusieurs de ces
rapports, soit qu'ils aient lieu entre les divers organes géni-
taux, soit qu'on les observe entre cet appareil et les autres
appareils de l'économie , sont explicables par les mêmes lois
que nous avons posées à l'occasion de la nutrition; ils dé-
pendent, ou de l'état du sang, ou du balancement des in-
fluences nerveuses et des circulations capillaires, etc. Le
phénomène de l'érection, par exemple, qui ouvre la série
des actes générateurs, est évidemment le symbole parfait de
ce que nous avons appelé irritation; il résulte en effet d'un
afflux plus grand de fluide nerveux dans le tissu du pénis, et
par suite , d'un appel de plus de sang dans le parenchyme
de cet organe. L'état extatique, convulsif, dans lequel est
momentanément l'individu, lors de l'éjection spermatique,
se rattache aux rapports relatifs à la sensibilité , et que nous
devon s exposer ci-après . Nul doute qu'il n'y ai t , entre les qua-
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGAJNES. 25 I
litésde l'individu nouveau, et la mesure d'activité, de perfec-
tion avec laquelle aura été accomplie la fonction, un rapport
semblable à celui qui , dans la nutrition , s'observe entre l'ex-
cellence des fonctions nutritives et l'état du sang : mais l'igno-
rance dans laqueïle on est sur l'essence de la reproduction,
empêche qu'on ne conçoive ce rapport aussi nettement qu'est
conçu le premier. Nul doute aussi qu'il n'y ait un semblable
rapport entre les qualités de l'individu nouveau , et celles de
ses père et mère: les ressemblances , les transmissions hérédi-
taires en sont la preuve. Mais à raison de cette même ignorance
sur la génération, et de l'incertitude où l'on est sur le mode de
celte fonction par épigénèseou par évolution, nous nepouvons
non plus l'expliquer, aussi bien que nous expliquons les rap-
ports analogues, que dans la nutrition nous avons signalés
entre les actions qui font le sang, et celles qui le mettent en
œuvre. Si, dès que la conception a eu lieu, l'utérus déve-
loppe tous les phénomènes de la grossesse, c'est que l'acte
du rapprochement d'abord , puis la présence de l'ovule fé-
condé, ont exercé sur cet organe une irritation, ont exalté
sa vitalité, appelé en lui plus d'influence nerveuse, plus de
sang; d'où le changement de sa texture, son développement
graduel, sa dilatation, de manière à pouvoir servir d'asile
au fœtus; d'où enfin, à un certain degré de distension,
l'établissement de ses contractions pour accomplir l'accou-
chement. Si, pendant toute la grossesse et l'allaitement, la
menstruation n'a plus lieu, c'est que l'utérus, comme nous
venons de le dire, est changé dans sa texture, ses disposi-
tions, et que le fœtus consomme alors, soit directement, soit
sous forme de lait, la portion de sang que dépensait la
menstruation. Par la même raison, la grossesse et l'allaite-
ment sont deux états qui , le plus souvent , ne coïncident
pas; dès qu'une femme nourrice devient enceinte , la sécré-
tion laiteuse se supprime , ou ne produit qu'un lait de mau-
vaise qualité. Enfin , la grossesse et l'allaitement, constituant
deux fonctions à ajouter à celles qui font faire des pertes
au sang, on conçoit qu'elles auront , sur l'état de ce fluide ,
la même influence que les actions nutritives et sécrétoires;
dès lors elles entreront en rapport , en solidarité avec toutes
252 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
les autres fonctions qui influent sur l'état de ce fluide :
souvent les ingestions auront besoin d'être plus copieuses ,
pour subvenir au surcroît de dépenses; ou bien les sécré-
tions seront moindres , et les nutritions et la mesure d'ac-
tivité des autres organes seront diminuées. Si , à cet égard,
on observe beaucoup de variétés, c'est qu'outre les rapports
fonclionnels dont nous traitons exclusivement ici, éclatent
beaucoup de rapports sympathiques sur lesquels nous nous
taisons, parce qu'ils doivent nous occuper ci-après. En gé-
néral , ce mélange de rapports fonctionnels et de rapports
sympathiques, a lieu dans presque tous les cas où une des
parties du corps en modifie au loin plusieurs autres; et il
n'est pas toujours facile de faire nettement la distinction des
uns et des autres.
§ III. Sensibilité'.
L'bomme , pour l'accomplissement de ses fonctions sen-
soriales et de relation, emploie encore plus d'organes que
pour sa nutrition et sa reproduction ; et conséquemment les
parties qui lui servent à ce but, doivent encore être unies
par de nombreux rapports fonctionnels. D'abord, c'est à
l'organe qui est le siège du moi, de la volonté , à l'encé-
phale , qu'aboutissent toutes les sensations , c'est-à-dire tou-
tes les impressions senties que font sur nous, soit les corps
extérieurs, soit nos propres organes à l'occasion de leur
service. Nous avons vu que toute sensation quelconque,
bien que reconnaissant pour base une impression sensitive
produite par la partie du corps à laquelle elle est rapportée ,
nécessitait l'intervention de l'encéphale; et, sous ce rap-
port, l'encéphale tient sous sa dépendance toutes les parties
sensibles du corps. Dès que cet encéphale est lésé, ou qu'on
a lié ou coupé le nerf par lequel une partie communique
avec lui, cette partie cesse d'être sensible, c'est-à-dire de
donner à l'ame la conscience des impressions, tant externes
qu'internes , qu'elle était auparavant apte à lui transmettre.
En second lieu, c'est clans ce même encéphale, centre de
toutes les sensations , que se produisent toutes les facultés
intellectuelles et affectives . ces autres actes sensoriaux aux-
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 53
quels nous devons, d'un côté, toutes les idées qui fondent
nos connaissances , et de l'autre , les sentiments qui sont les
mobiles de notre vie sociale et morale. Sous ce second rap-
port, il n'était pas moins nécessaire que Fencéphaîe tînt
sous sa dépendance tous les organes destinés aux fonctions
animales, puisque ses opérations spéciales ont toujours trait
à des objets du dehors, dérivent des impressions des sens,
ou leur font suite, ou consistent en des déterminations qui
s'y rapportent. En troisième lieu, c'est encore de l'encé-
pbale qu'émanent toutes les volontés; et, sous cet autre
point de vue, cet organe se subordonne, non-seulement les
muscles par lesquels nous exécutons tout mouvement volon-
taire quelconque, maisencore les sens externes, instruments
à l'aide desquels nous nous livrons à notre gré ta l'explora-
tion de l'univers. Enfin, les opérations intellectuelles, à
l'aide desquelles nous idéalisons ou systématisons ce qui
n'était auparavant que sensation, sont elles-mêmes suscep-
tibles d'être mises en jeu à notre gré, et s'influencent réci-
proquement,* les parties cérébrales, qui président à cha-
cune, sont unies entre elles, de manière que celle qui
actuellement agit, appelle à son aide celles dont elle peut
avoir besoin , et les associe à son action. L'encéphale est donc
un véritable centre pour toute la vie de relation; et c'est
par le système nerveux que sont établis les rapports fonc-
tionnels qui l'unissent à toutes les parties qui lui sont sub-
ordonnées. L'histoire que nous avons faite dans le temps,
des sensations tant externes qu'internes, des actes de la
psychologie et des mouvements volontaires, nous dispense
d'entrer dans de grands détails. Le moi qui, pour les 'ani-
maux supérieurs et pour l'homme, siège dans l'encéphale,
d'abord reçoit , par les sens externes , toutes les impressions
qui sont relatives aux corps extérieurs, et par les sensations
internes . celles qui se développent par des causes inhérentes
à l'économie, et qui servent généralement à accuser tous les
besoins physiques; il est de même averti par les facultés
affectives de tous les besoins sociaux et moraux : alors, pa
les facultés intellectuelles , il se fait la notion des causes de
tout ce qu'il a senti; il prend à leur égard des détermina-
a54 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
tions , des volontés, basées sur l'utilité dont elles lui peu-
vent être, ou le plaisir qu'elles peuvent lui procurer : enfin
il ordonne et fait produire les mouvements par lesquels doi-
vent s'accomplir ces volontés. Dans toute cette série d'actes,
il y a un enchaînenient aussi irrésistible que dans la série
des actes qui effectuent la nutrition ou la reproduction. A
la vérité, nous ne pouvons pénétrer le mécanisme de cet
enchaînement; mais au moins il est évident que c'est le
système nerveux qui en est l'agent, et nous avons toujours
accusé notre ignorance sur toutes les actions nerveuses.
Celte succession d'actes fait d'ailleurs partie intégrante de
l'histoire de la sensibilité et de la locomolilité; et à ces arti-
cles, nous avons dit par quelles hypothèses on avait cherché
à l'expliquer.
Mais de cet enchaînement forcé entre les fonctions de re-
lation , résultent plusieurs rapports fonctionnels relatifs à
ces fonctions , qu'il importe de faire connaître. D'abord , on
sait qu'à leur égard la vie de l'homme se partage en deux
temps ; celui de la veille , pendant lequel elles peuvent être
mises en jeu à notre gré; et celui du sommeil , pendant le-
quel se réparent les pertes qui ont été faites pendant l'état
de veille. Or, de même que dans les fonctions nutritives, il
y avait des rapports entre les actes qui faisaient le sang, et
ceux qui l'employaient; de même il y en a ici , entre la veille
qui cause les pertes, et le sommeil qui les répare. La pre-
mière influe, comme nous l'avons dit, sur les époques de
retour du sommeil, sur sa fréquence, sa durée, son degré
de profondeur ; et , selon que le sommeil a plus ou moins
effectué la réparation qu'il a pour objet , la veille qui lui
succède est marquée par plus ou moins d'énergie ou de
langueur.
En second lieu , il existe un rapport entre les sensations ,
les sentiments et les idées d'une part, et les mouvements et
les expressions de l'autre; comme il en existait un entre les
ingestions et les excrétions. Généralement, plus un être est
sensible, plus il se meut et plus il exprime. Cela est vrai,
non-seulement des diverses espèces animales, mais des di-
vers individus d'une même espèce; l'homme, de tous les
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. 2 55
êtres le plus sensible, est évidemment celui qui a le plus de
phénomènes expressifs; et certainement aussi, plus la sen-
sibilité a en lui d'extension, plus ses phénomènes locomo-
teurs et expi'essifs sont multipliés.
Enfin , le balancement que nous ayons signalé entre les
diverses sécrétions et nutritions , est encore plus mani-
feste entre les fonctions de relation; l'une ne peut pas être
exercée avec plus d'activité , sans qu'il ne survienne de la
langueur, de la diminution dans toutes les autres. C'est
surtout à l'égard de ces fonctions , qui occasionent toutes
une certaine dépense nerveuse, qu'on peut dire, que si
cette dépense augmente d'un côté , elle diminuera irré-
sistiblement de l'autre; comme si le système nerveux n'a-
vait qu'une certaine dose de fluide nerveux à consumer ,
ou qu'une certaine somme de faculté à déployer. Voyez
l'athlète; cet être capable des plus grands efforts muscu-
laires, a une sensibilité obtuse; quel contraste entre lui et
la femme nerveuse , chez laquelle la sensibilité est exaltée à
ce point que la plus légère impression amène une syncope,
et qui, maigre, desséchée, comme privée de muscles, ne
peut supporter la moindre fatigue physique ! dans l'un et
dans l'autre , il y a une disproportion dans les fonctions
de relation , et les unes n'ont acquis de la prédominance
qu'aux dépens des autres. Par la même raison, si une sen-
sation quelconque sévit , elle fait taire toutes les autres; et,
par exemple, si le cerveau est livré tout entier à ses opéra-
tions propres, à des méditations intellectuelles, à des affec-
tions , les sensations tant externes qu'internes paraissent
moins fortes, et souvent cessent d'être perçues : c'est ainsi
qu? Archimède , tout entier à ses travaux, reçoit la mort,
sans avoir entendu les pas des soldats qui vont le frapper.
Dans quelques cas, cette concentration d'action dans le cer-
veau est portée au point de se prolonger quelques heures,
un jour, de constituer une maladie; et telle est probable-
ment la cause de ces états d'extase, dans lesquels des indi-
vidus ont paru quelque temps être sourds à toutes les sen-
sations. Au contraire , l'homme accessible à toutes les
causes de sensations, peut moins se livrera une méditation
2 56 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
prolongée; et prompte nient distrait^ la moindre impression
l'arrache aux pensées, aux sentiments qui le remplissaient.
Cette loi de balancement , qui s'applique à tous les or-
ea nés , à toutes les actions organiques , n'avait pas échappé à
Hippocrale , en ce qui regarde les sensations : atnbo partes
non possunt dolere simul ; ducbus doloribus simul oborlis
vehementior obscurcit alterum , a dit ce grand homme; et,
sur ce principe , repose l'utilité des applications vésicantes,
rubéfiantes , de l'emploi de la douceur comme médicament,
dans la pratique de la médecine. Dans ce dernier cas, il y a
même un rapport de plus; l'organe qui est le siège de l'ac-
tion sensoriaie , de la douleur, devient le siège d'une fluxion
nerveuse et sanguine; son système capillaire appelle en lui
plus d'influx nerveux et plus de sang ; il devient un centre
de fluxion, d'où résulte un effet révulsif et dérivatif; ubi
dolor , ibi affluil humor , a dit encore Hippocrate; de sorte
que la loi de balancement porte alors à la fois , et sur les
phénomènes sensoriaux , et sur les phénomènes purement
organiques.
Ainsi peuvent s'expliquer partie des effets qu'une vie
toute morale et intellectuelle , ou toute physique , exerce
sur la santé générale. Quand on fait prédominer les fonc-
tions sensoriaies sur les actes purement physiques , ou les
actes physiques sur les opérations morales, il y a oppo-
sition dans le degré d'énergie de ces facultés. Toutes choses
égales d'ailleurs dans les conditions d'alimentation , de cli-
mats, etc., l'homme qui se consume dans de continuels tra-
vaux d'esprit, a généralement toutes les fonctions organiques
plus languissantes ; la faim est chez lui moins impérieuse ,
la digestion plus lente et souvent moins parfaite; le corps
est moins musclé , moins capable d'efforts musculaires , et
accuse moins le besoin de mouvements; la fonction génitale
est aussi moins énergique. Mais tandis que les besoins et les
fonctions physiques chez lui sont diminués , les fonctions
sensoriaies ont la plus grande puissance; l'esprit tente et
accomplit les plus grands travaux; son besoin d'agir est tel
que le repos lui est impossible ; ses jeux même sont sérieux,
et seraient pour d'autres une étude. Au contraire, l'homme
DES RAPPORTS FONCTIONNELS DES ORGANES. ^5?
dont la vie est toute physique est bien loin d'avoir la même
puissance d'esprit; mais en revanche, il est rarement va-
létudinaire; l'habitude extérieure de son corps annonce
plus la santé , parce que les fonctions organiques qui en-
tretiennent le bon état des organes, se font chez lui avec
perfection. Tant il est vrai que les actions sensoriales sont,
de tous les actes de la vie , ceux qui coûtent le plus d'ef-
forts et causent le plus de dépenses; tant il est vrai qu'on
n'acquiert de la supériorité sur un point que par de l'infé-
riorité sur d'autres, et qu'au physique comme au moral,
l'universalité de puissance est impossible.
Du reste, la double particularité qu'offre le cerveau;
d'un côté , d'influer sur l'innervation générale , comme
système nerveux supérieur; de l'autre, d'être Je centre au-
quel aboutissent toutes les sensations 9 explique plusieurs
des rapports qui éclatent entre les fonctions intérieures et
extérieures , à l'occasion de sensations vives. Ainsi, quand
une forte douleur amène une syncope, c'est que cette dou-
leur, retentissant au cerveau, a tout à coup saisi tellement
cet organe , qu'il a suspendu tout influx nerveux dans les
viscères intérieurs, et particulièrement dans le cœur; c'est
le même mécanisme que lorsqu'une affection morale a pro-
duit cet effet. Ainsi , quand une forte sensation , celle du
coït, ou du chatouillement, jette toute Féconomie dans un
état convulsif général, c'est que cette sensation a tellement
ébranlé le cerveau , auquel elle aboutit , que celui-ci a pro-
pagé l'impression qu'il a reçue, dans toutes les dépendances
du système. Ceci nous mène à une troisième loi que nous
devons poser ci-après, la loi d'irradiation nerveuse. Enfin,
si une sensation forte jette le cerveau dans un état exta-
tique prolongé, comme cataleptique, ainsi que le fait la
copulation chez certains animaux qu'alors on mutile en
vain , et qui paraissent insensibles à toutes les douleurs ,
c'est que la sensation première se continuant, entretient la
concentration nerveuse cérébrale qu'elle avait déterminée
d'abord, ou que le cerveau en a reçu un état d'irritation
durable qui la prolonge. C'est ainsi que, dans l'explication
des différents phénomènes de rapports, il faut avoir égard
Tome IV, 17
2 58 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
à toutes les causes qui les établissent , et les combiner entre
elles; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, il est peu d'effets
simples dans notre économie.
| IV. Expressions.
Enfin , dans cette étude des rapports fonctionnels, rela-
tifs à l'accomplissement des diverses facultés de l'homme , il
ne reste plus à traiter que des phénomènes d'expression.
D'abord , tous ceux qui dans leur production sont dépen-
dants de la volonté , se rattachent aux mouvements muscu-
laires volontaires ; le mécanisme par lequel les facultés de
langage artificiel et de musique les produisent, est le même
que celui par lequel la volonté fait produire tout mouve-
ment quelconque. Quant à ceux qui éclatent irrésistible-
ment, et qui fondent ce que nous avons appelé le langage
affectif, ils ont leur cause dans Je système nerveux; ils
tiennent à l'union des diverses parties de ce système avec
un centre, et à l'aptitude qu'ont, d'un côté , ces parties de
transmettre au centre les impressions qu'elles reçoivent ,
et de l'autre , ce centre de réfléchir ces impressions jusque
dans les dernières ramifications. En effet, le système ner-
veux forme un tout continu; et quand une forte action se
passe dans un de ses points , cette action retentit plus ou
moins, d'abord dans le centre cérébral, ensuite, par l'in-
termédiaire de ce centre , dans tout le reste du système; et
conséquemment elle va modifier les parties auxquelles sont
les diverses terminaisons des nerfs. L'ignorance dans la-
quelle on est sur l'essence de toutes les actions nerveuses ,
ne permet pas qu'on sache davantage comment se fait cette
irradiation; mais il est certain qu'elle a lieu. Bien plus,
chaque partie cérébrale correspond sous ce rapport à cer-
taines parties déterminées, leur imprime des modifications
diverses selon l'affection qu'elle éprouve; et il y a quelque
chose d'absolu dans la manière dont chaque partie répond à
l'impression qui lui arrive du centre; c'est de là que résulte
la spécialité des mimiques. On peut établir, comme règle
générale, que toute sensation modifie le système entier, mais
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES , OU DES SYMPATHIES. 25g
d'autant plus qu'elle est plus forte. Voyez l'impression sen-
sitive la plus faible, elle s'accompagne irrésistiblement de
quelques phénomènes expressifs éloignés : les phénomènes
sont déjà plus marqués à la suite de l'exercice, même mo-
déré, des facultés intellectuelles et affectives; enfin , quand
ces dernières facultés .sont à un haut degré d'activité et
constituent des passions, alors l'économie entière est au
loin toute troublée. 11 en est de même, lorsqu'il existe des
douleurs physiques fortes et prolongées. Ainsi , toujours des
modifications générales surviennent irrésistiblement à la
suite de tout phénomène sensitif , et sont proportionnelles
au degré d'intensité de ce phénomène. Ainsi , toute impres-
sion va , du point où elle éclate d'abord, retentir au cer-
veau, centre de réunion de toutes les impressions sensi-
tives, puis, du cerveau, parcourir toutes les ramifications
du système, et à ses extrémités modifier irrésistiblement
tous les organes. A la vérité, quelques-uns de ceux-ci sont
plus disposés que d'autres à être modifiés par ces irradia-
tions ; tels sont , les muscles de la locomotion , de la
respiration, de la voix, de la physionomie; certains organes
sécréteurs, ceux des larmes, par exemple; le cœur; en
général tous les organes que nous avons vus produire des
phénomènes expressifs; mais l'impression va de même re-
tentir jusqu'aux points les plus reculés de l'organisation.
Or, cette transmission des impressions d'un point quel-
conque du système nerveux aux autres points de ce système,
et qui explique la production de tous les phénomènes ex-
pressifs affectifs, fonde une autre loi du système nerveux,
non moins évidente que celle du balancement que nous
avons déjà posée , qui concourt avec elle à la production des
divers phénomènes de rapport, et qu'on peut appeler la
loi d'irradiation. Par elle s'expliqueront les effets funestes
des passions. Les désordres que les passions amènent dans
les organes intérieurs les plus étrangers à la vie animale ,
tiennent en effet à la même irradiation nerveuse, qui fait
produire les phénomènes expressifs irrésistibles dont ces
passions s'accompagnent; seulement les effets de cette irra-
diation sont alors plus intenses, et portés au point de con-
260 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
stituer un état morbide. Non-seulement cette irradiation
a lieu lors de la production de phénomènes sensoriaux;
non-seulement, comme dans le cas des passions, elle va
du système cérébro-spinal au grand sympathique, et con-
sécutivement à une impression cérébrale, trouble la vie
organique; mais elle a lieu aussi lors de la production de
phénomènes purement organiques, et peut procéder dans
un ordre inverse, du grand sympathique au cerveau. De
même qu'une affection de l'ame , du centre cérébral où elle
a son siège, avait irradié dans tout le système, et perturbé
les fonctions intérieures ; de même une irritation , même
non perçue, des organes intérieurs, une impression locale
du grand sympathique, irradie au cerveau , et amène la
perversion d'action de cet organe. C'est ainsi, que consécu-
tivement à l'existence de vers dans les intestins, et à Firri-
"tation qui en résulte, surviennent des convulsions chez les
enfants. Cette troisième loi fonde une nouvelle source de
rapports entre les divers organes du corps , et surtout entre
ceux chargés des fonctions sensoriales, et ceux qui accom-
plissent les fonctions nutritives : à cette loi doivent être rap-
portés plusieurs des effets qui résultent de l'exercice abusif
et disproportionné des organes, et les influences du physique
sur le moral et du moral sur le physique : à elle, enfin,
doivent être rattachés les rapports sympathiques auxquels
sa détermination nous conduit , et dont nous allons traiter
maintenant.
CHAPITRE III.
Des Rapports sympathiques , ou des Sympathies,
Outre les rapports mécaniques et fonctionnels que nous
venons d'exposer, il existe encore entre les diverses parties
du corps humain des liens d'un troisième ordre, qui ne
sont ni moins nombreux ni moins importants que les pré-
cédents, sur la cause organique desquels on est encore dans
l'ignorance, mais qui évidemment au moins sont autres
£|ue ceux dont nous venons de traiter. Ce sont ceux qu'on
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 2B1
appelle sympathiques. On nomme sympathie , rapport sym-
pathique, la modification qui survient dans un ou dans
plusieurs organes éloignés , à l'occasion de l'impression
reçue par un autre, sans que cette modification soit par-
tagée par les organes intermédiaires, et puisse être rapportée
aux connexions mécaniques des parties, ni à l'enchaîne-
ment naturel des fonctions. Une titillation de la luette,
par exemple, excite la nausée, l'envie de vomir; évidem-
ment la modification que cette irritation de la luette dé-*
termine dans l'estomac, ne frappe pas les organes intermé-
diaires à ces deux parties, et n'est explicable par aucuns
rapports mécaniques ni fonctionnels; c'est une sympathie.
Il éclate dans l'état de santé , encore plus dans l'état de ma-
ladie , beaucoup de rapports de ce genre , entre les diverses
parties du corps humain ; et c'est de ces rapports dont nous
allons traiter maintenant.
L'histoire des sympathies est un des points les plus
obscurs de la physiologie ; et l'on peut donner de cette ob-
scurité les trois raisons suivantes : i° Les auteurs ont sou-
vent compris sous ce nom toutes les connexions quelconques
qui existent entre les organes, sans en séparer les rapports
mécaniques et fonctionnels. C'est ainsi que Barthez , tom-
bant en contradiction avec la définition judicieuse qu'il
avait donnée lui-même des sympathies , et que nous allons
citer ci-après, rattache à ce genre de rapports, jusqu'à la
gangrène qui survient dans la partie dont on a lié tous les
vaisseaux; c'était évidemment confondre avec les sympathies
un phénomène de rapport fonctionnel. 20 Pendant long-
temps on admit , pour expliquer les phénomènes de la vie,
des forces occultes, indépendantes de l'organisation; et,
attribuant tous les rapports qui éclatent entre les organes à
l'influence de ces forces dites vitales , à leur transport d'une
partie à une autre 3 à leur concentration sur une partie
pendant qu'elles abandonnaient les autres , on négligea la
recherche des conditions matérielles de tous ces rapports*
Mais , de même qu'il n'y a point d'effets sans cause , de
même il n'y a rien dans l'économie animale qui ne soit dé-
pendant de l'organisation; cette organisation particulière-
262 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
ment contient en elle la raison des sympathies; et c'est un
tort de dire, avec TVhitt , avec M. Roux, que ce genre de
lien est complètement indépendant de toute disposition or-
ganique. 3° Enfin , la cause organique des sympathies n'est
pas encore bien approfondie, et il faut avouer que nos con-
naissances sur ces sympathies se bornent, jusqu'à présent,
à savoir moins ce qu'elles sont que ce qu'elles ne sont pas.
De ces trois causes auxquelles nous attribuons l'obscurité
qui règne sur ce point de la science, la dernière tient à l'es-
sence même de la chose, et ne peut être levée à notre gré.
Il n'en est pas de même des deux autres ; elles consistent en
un mode vicieux d'étude, et par conséquent, on peut s'en
affranchir. Pour cela, il faut séparer soigneusement des
sympathies tous les rapports mécaniques et fonctionnels
dont nous avons traité dans les deux chapitres précédents ,
et n'appeler de ce nom que les rapports qui évidemment ne
sont ni mécaniques , ni fonctionnels. Dans l'impossibilité
où l'on est dans l'état actuel de la science, de dire sûre-
ment en quoi consistent les sympathies , il faut se borner à
dire ce qu'elles ne sont pas, et signaler par voie d'exclusion
les phénomènes de consensus qui doivent leur être rap-
portés. C'est pour n'avoir pas fait cette distinction, et pour
avoir confondu, sous le nom de sympathie, tous les rapports
que présentent les organes, que les auteurs sont tant dissi-
dents sur la cause organique qu'ils assignent à ces sympa-
thies; les uns les attribuant à telle cause , les autres à telle
autre, chacun pouvant citer quelques faits à l'appui de son
système , chacun aussi étant arrêté par quelques objections,
et aucun ne pouvant appliquer son hypothèse à tous les
phénomènes. Par exemple, Haller assignait six causes aux
sympathies; la communication des vaisseaux; celle des
nerfs; la continuité des membranes; celle du tissu cellu-
laire; l'intervention de la partie centrale du système ner-
veux, c'est-à-dire du cerveau; et enfin une analogie de
structure et de fonctions dans les parties qui présentent des
rapports. Qui ne voit, que cette doctrine de Haller n'est
fondée qu'autant que l'on comprend sous le nom de sym-
pathie tous les rapports quelconques qu'on observe entre
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES , OU DES SYMPATHIES. a63
les organes; mais qu'elle cesse de l'être, quand on n'a plus
égard qu'aux rapports purement sympathiques ? Ceux-ci ,
eu effet, ne peuvent reconnaître qu'un même système or-
ganique, probablement le système nerveux, et qu'un même
mécanisme , probablement la loi d'irradiation nerveuse ,
comme nous le dirons ci-après.
Du reste , plusieurs physiologistes avaient senti la néces-
sité de la distinction que nous recommandons, et avaient
déjà considéré les sympathies comme nous venons de le faire.
Nous citerons entre autres Barthez, qui les définit : L'affec-
tion d'un organe éloigné, à l'occasion d'une impression
reçue par un autre organe, sans que cette succession puisse
être attribuée au hasard, au mécanisme des organes, ni à
leur concours d'action dans une forme générique de fonc-
tion ou d'affection du corps vivant. C'était, comme on voit,
suivre une méthode d'exclusion; et certes, on a lieu d'être
surpris, quand on voit Barthez , après une définition aussi
précise , comprendre parmi les sympathies des faits qui évi-
demment tiennent à des rapports mécaniques et fonction-
nels, et au contraire rejeter du rang des sympathies des
faits évidemment svmpathiques, sous le prétexte que ces
faits concourent à l'accomplissement d'une même fonction.
Nous avons cité plus haut un exemple du premier de ces
torts; et, quant au second, il tient à la distinction inutile
que faisait Barthez de la synergie et de la sympathie. Il
appelait synergie le concours , le concert d'actions simulta-
nées ou successives de divers organes, pour l'accomplisse-
ment d'une même fonction , et constituant par leur concert
cette fonction; et il appelait sympathie , la modification
survenant, soit en santé, soit en maladie, dans une partie,
consécutivement à l'impression reçue par une autre, mais
sans qu'il y ait dans l'action de ces parties unité de but.
Ainsi, la puissance qu'a le rectum de déterminer, lors du
besoin de la défécation , la contraction du diaphragme, était
une synergie et non une sympathie, ces deux actes concou-
rant à constituer la forme propre d'une même fonction, la
défécation; et au contraire, les envies de vomir, les nau-
sées qui surviennent dans les premiers mois de la grossesse ,
2 64 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
comme ne concourant pas à la formation générique de cette
dernière fonction, étaient des pliénomènes sympa thiques.
Nous croyons Cette distinction sans importance ; dans
les deux cas , le rapport est d'un même genre , a la même
nature, tient à l'irradiation nerveuse qui se fait d'une
partie sur une autre, soit directement, soit par l'intermé-
diaire du cerveau; il n'y a que des différences du plus au
moins; et tout ce qu'oïl peut en conclure, c'est que sou-
vent les rapports sympa tliiques sont établis nécessairement
et pour l'exercice régulier des fonctions.
Cette dernière proposition est en effet de toute évidence;
souvent c'est en vertu de rapports sympathiques, que des
organes divers et assez distants les uns des autres, associent
leur action pour l'accomplissement de la fonction commune
à laquelle ils sont destinés ; la cause qui provoque à l'action
ne porte que sur un de ces organes, et aussitôt les autres
agissent, sans que la corrélation puisse se concevoir méca-
niquement et par l'enchaînement des fonctions. C'est ainsi
qu'une impression reçue par la rétine détermine l'action
de la membrane iris; que selon que la luette reçoit de l'a-
liment une impression favorable ou défavorable , l'estomac
se dispose à bien recevoir ou rejeter cet aliment , etc. On ne
peut dès lors avec Bichat définir les sympathies une aber-
ration, un développement irrégulier des propriétés vitales '.
outre que cette définition rappelle la philosophie des causes
occultes, que nous avons dit nuire à la science en détour-
nant par des abstractions de la rechercbe des faits positifs,
elle pèche en méconnaissant que les sympathies sont con-
stantes, et entrent dans le plan de l'économie. Ceci est
Vrai , même de celles qui n'éclatent que dans l'état de ma-
ladie; les sympathies morbides sont elles-mêmes des résul-
tats des connexions primitivement établies entre les diverses
parties du corps humain ; il n'y a pas plus de phénomènes
irréguliers dans Féconomie animale, que dans la nature gé-
nérale; tous accusent un enchaînement rigoureux de causes
et d'effets.
Toutefois, le sens que nous attachons au mot sympathie
tétant fixé, et ce genre de rapport étant ainsi nettement sé^
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OIT DES SYMPATHIES. 2 65
paré de ceux que nous avons étudiés, il s'agit d'énumérer
tous les rapports sympathiques que présente l'économie ani-
male, de rechercher quel système organique en est l'agent,
et par quel mécanisme ce système les établit. Sans doute,
nous ne devons encore envisager dans cette recherche que
l'état de santé; cependant nous interrogerons davantage ici
l'état de maladie, parce que les phénomènes sympathiques y
sont, ou plus manifestes, ou plus nombreux.
Les rapports sympathiques sont fort nombreux dans le
corps humain ; et tantôt ils ont pour but évident d'associer
le jeu de plusieurs organes pour l'accomplissement d'une
même fonction; tantôt ils n'ont pas cette unité de but, et
sont de véritables perturbations et modifications de fonc-
tions, survenues consécutivement à l'action de quelques or-
ganes éloignés.
i° Souvent on observe des liens sympathiques entre des
parties d'un même organe, afin que l'action de ces parties
s'associe pour l'accomplissement de la fonction à laquelle
l'organe entier préside. Ainsi , un rapport sympathique unit
l'iris à la rétine, de sorte que, selon l'impression que la
lumière fait sur celle-ci , l'iris règle la dimension de la pu-
pille , et, par suite, la quantité de lumière qui pénètre dans
l'œil. Ce rapport est si évidemment sympathique, que le
contact direct de la lumière sur l'iris, n'a pas, sur le jeu
de cette membrane, une influence égale à celle que déter-
mine l'impression reçue par la rétine. De là l'usage en mé-
decine pratique, de juger par la mobilité de la pupille, du
degré de sensibilité de la rétine. Un semblable rapport existe
probablement dans l'organe de louie, entre le nerf acousti-
que et l'appareil qui fait mouvoir les osselets et varier la
tension des membranes du tympan et de la fenêtre ovale;
mais la profondeur de ces parties, qui sont toujours sous-
traites à nos regards, ne permet pas qu'on soit aussi sûr de
ce rapport sympathique que du précédent.
2° Des rapports sympathiques s'observent entre des par-
ties diverses de membranes continues : par exemple, l'im-
pression que l'aliment, lors de la déglutition, fait sur la
luette, retentit jusque dans l'estomac; et celui-ci, d'après
26G DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
le caractère de cette impression , accuse , par un sentiment de
bien-être ou par celui de la nausée, qu'il se dispose à bien
recevoir l'aliment ou à le rejeter. Ce que fait ici la luette r
toute partie d'inteslin le fait également, si accidentellement
elle est le siège d'une irritation quelconque; et, par exem-
ple, le pincement d'une portion intestinale dans une hernie
étranglée, détermine aussi le hoquet , des envies de vomir,
des vomissements, etc. Il y a plus : ce genre de rapport s'é-
tend peut-être plus loin encore; peut-être que, par cela
seul que le coUtact des aliments dans la bouche active, les
sécrétions de cette cavité, sont augmentées aussi les sécré-
tions des autres parties du canal intestinal. On n'en a pas
une preuve directe, mais quelques sympathies pathologiques
portent à le croire : par exemple, l'irritation des gencives
occasione souvent une diarrhée: et vice versa, une irrita-
tion de l'intestin, par la présence des vers, détermine des
douleurs de gencives, le prurit du nez. Dans ces cas, évi-
demment l'impression reçue par une partie de la membrane,
a été portée dans le reste de son étendue, et a surtout re-
tenti dans un point de sa surface. Or, pourquoi ce qui s'est
fait alors en plus ne se ferait pas de même , mais en moins,
dans l'état normal? Hunter appelait ces sympathies, sym-
pathies de continuité. La membrane muqueuse digestive
n'est pas la seule où il en existe; on en voit aussi dans les
autres muqueuses; on sait, par exemple, que l'irritation de
la muqueuse de la vessie, parla présence d'un calcul ou par
toute autre cause, détermine une douleur et un sentiment
de prurit au gland. Cette sympathie pathologique prouve-
rait-elle qu'il existe dans l'appareil urinaire , entre la vessie
et le gland , un rapport sympathique du genre de celui qui
unit dans l'appareil digestif la luette et l'estomac, mais à
un degré moins prononcé ?
A ces sympathies de continuité rapporterons-nous le lien
qui s'observe entre les orifices excréteurs et leurs glandes ?
Bichat a fait voir que l'irritation, appliquée aux orifices
d'un canal sécréteur, excite l'action sécrétoire de la glande
dont ce canal émane : la présence des aliments dans la bou-
che, par exemple, en irritant les orifices des conduits de
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES , OU DES SYMPATHIES. 267
Stenon, de Warthon et de Rivinus , active la sécrétion sali-
vaire ; celle du chyme dans le duodénum agit de même sur
les sécrétions biliaire et pancréatique , etc. Ces faits doivent-
ils être considérés comme des sympathies ? Je ne le crois pas ;
on peut les concevoir, en admettant que l'irritation éprou-
vée, par l'orifice excréteur s'est propagée, par l'intermédiaire
des nerfs etsans interruption, jusqu'aux origines du système
sécréteur, par conséquent jusque dans le parenchyme de la
glande , et dès lors en a excité le travail ; ceci rentre dans les
rapports fonctionnels : c'est comme si l'on appelait sympathi-
ques, les contractions qui surviennent dans les muscles qui re-
çoivent les rameaux d'un même tronc nerveux que l'on irrite»
3° Outre ces sympathies de continuité dont nous venons
de parler, Hunier appelait sympathies de contiguïté, les
rapports sympathiques qu'on observe entre des parties qui
sont immédiatement contiguës; par exemple , entre la mem-
brane interne du cœur et le tissu musculeux de cet organe ,
entre les membranes muqueuses et la couche muscnleuse a
laquelle ces membranes sont unies , entre la peau et le panni-
cule charnu quand celui-ci existe On sait qu'à peine le sang a
touché ]a membrane internedu cœur, que le tissu musculeux
de cet organe se contracte. Peut-être ne voudra-t-onvoirence
fait qu'un rapport fonctionnel? Peut-être dira-t-on que les
nerfs qui pénètrent la membrane interne et le tissu muscu-
leux, sont les mêmes, ou du moins si unis que 1 impres-
sion , dès l'instant qu'elle a été reçue par la membrane, doit
aussitôt être propagée au tissu musculeux. Mais ce qui
prouve que le rapport est sympathique , c'est que Bichat et
Nysten ont expérimenté qu'une irritation directe du tissu
musculeux du cœur, n'a jamais autant d'influence que celle
de la membrane qui le tapisse. Il y a un semblable lien
entre les membranes muqueuses et les membranes muscu-
leuses qui leur sont susjacentes; selon l'impression que les
premières ont reçu , les secondes se contractent plus ou
moins : dans l'estomac, selon l'impression que la muqueuse
reçoit de l'aliment , la muscnleuse se dispose à conserver cet
aliment ou à le rejeter par le vomissement; à mesure que
cet aliment arrive, elle lui applique doucement les parois
26$ DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
de l'organe , de sorte que la distension du. viscère n'est point
passive; enfin elle décide quel caractère aura le mouvement
depéristole, et si ce mouvement fera séjourner encore l'ali-
ment dans l'estomac, ou travaillera à l'en expulser. Le py-
lore, comme on l'a vu, joue ici un grand rôle; et par une
influence sympathique spéciale , il est à la musculeuse de
l'estomac , ce que la luette est aux muscles de la déglutition.
De même, l'impression reçue par la membrane muqueuse du
rectum , par celle de la vessie , détermine la contraction des
fibres musculeuses de ces organes. En vain , pour expliquer
fonctionnellement ces rapports, on arguera de l'union in-
time qui existe dans ces organes , entre les couclies muqueuse
et musculeuse; en vain, dira-t-on que ce sont les mêmes
nerfs qui passent de l'une à l'autre, et que dès lors l'impres-
sion stimulante est reçue par les deux couches à la fois , ou
au moins promptement propagée de l'une à l'autre : encore
une fois , ce qui prouve que ces rapports sont sympathiques ,
c est que jamais ces couches musculeuses ne se contractent
aussi fortement par une stimulation directe que par la sti-
mulation de la couche muqueuse qui les tapisse.
4° Des liens sympathiques aussi incontestables s'obser-
vent entre les organes divers , et souvent fort éloignés , d'un
même appareil , pour faire coopérer tous ces organes à l'ac-
complissement d'une même fonction. Plusieurs des sympa-
thies déjà citées rentrent dans la catégorie de celles que nous
indiquons ici , ce que nous avons présenté comme étant des
parties d'un même organe, étant bien plutôt des organes
divers, mais appartenant à un même appareil. Ainsi, nous
avons parlé du lien existant entre la luette et l'estomac. Dans
l'appareil génital , quelle évidente counexion sympathique
entre l'utérus et les mamelles! C'e-ot à l'âge auquel l'utérus
se développe et commence sa fonction menstruelle , que les
seins se développent aussi : quand la vieillesse flétrit l'uté-
rus, elle frappe de la même flétrissure les mamelles; lors-
que, pour l'excrétion menstruelle, la vitalité de l'utérus
s'exalte , les seins se gonflent , deviennent plus sensibles ; ces
mêmes organes enfin se ressentent des fonctions génitales
utérines, car ils s'érigent clans le coït , et c'est le travail de
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 269
la grossesse et de l'accouchement qui , sympa thiquement ,
leur imprime l'excitation dont ils ont besoin pour accomplir
leur action secrétaire. À la différence de ce qui est dans plu-
sieurs autres phénomènes sympathiques , le rapport ici est
réciproque, et une impression irradie des mamelles à l'uté-
rus , comme de l'utérus aux mamelles.
5° C'est encore une sympathie, que le lien qui unit la
membrane muqueuse des organes d'ingestion ou d'excrétion,
et les muscles qui forment les parois des cavités splanehni-
ques dans lesquelles ces organes sont contenus : dès que ces
organes sont touchés par la matière à ingérer, ou accusent
le besoin d'excrétion, sympathiquement se contractent les
muscles qui peuvent exercer sur eux une pression favorable ,
et aider la fonction; ces muscles, fussent-ils primitivement
volontaires, sont souvent alors mis en jeu, indépendam-
ment de toute volonté. Voyez le bol alimentaire; à peine
a-t-il touché la luette et l'entrée du pharynx, que sympa-
thiquement agissent tous les muscles qui doivent exécuter la
déglutition. Quand le rectum développe la sensation de la
défécation, et se contracte pour effectuer cette excrétion,
sympathiquement se contractent les muscles de l'abdomen ,
et tous ceux que nous avons vu agir pour les expulsions. On
dira peut-être que la coïncidence que nous remarquons ici
n'est pas due à un lien sympathique , mais à l'influence de
la volonté ; qu'instruits par l'instinct du secours dont peut
être à l'excrétion l'action de ces muscles, alors nous les
mettons en jeu. Cela est vrai , quand la défécation n'est pas
difficultueuse , et que la sensation qui en mai^que le besoin,
est peu vive; mais quand les conditions contraires se ren-
contrent, la contraction musculaire est si bien irrésistible,
et partant sympathique, qu'on ne peut s'empêcher de l'ef-
fectuer. D'ailleurs, pour admettre le caractère sympathique
de la contraction, on a l'analogie des autres excrétions : dans
le vomissement , n'est-ce pas involontairement et sympathi-
quement, qu'à la swite de l'impression développée par la
muqueuse de l'estomac , le diaphragme et les muscles abdo-
minaux se contractent? et peut-on nier un lien sympathi-
que entre l'estomac et ces muscles sous ce rapport ? Dans
270 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
l'appareil respiratoire , les liens sympathiques entre la mem-
brane muqueuse de l'appareil , et les muscles respirateurs ,
sont encore plus évidents. Souvent , à la vérité , c'est la vo-
lonté qui , consécutivement à l'impression reçue , ordonne
les mouvements respirateurs; mais souvent aussi ces mouve-
ments sont involontaires, et partant sympathiques , comme
lorsqu'une irritation de la muqueuse nasale détermine
Y été mue ment ; lors qu'une irritation de la muqueuse pul-
monaire provoque la toux, le bâillement , etc. Enfin, le
rapport sympathique que nous mentionnons ici éclate avec
toute évidence dans l'accouchement, lorsque l'utérus ap-
pelle irrésistiblement à son aide le secours de tous les mus-
cles qui servent aux expulsions.
6° Est-ce à un rapport sympathique que doivent être at-
tribués, l'harmonie qu'on observe dans les mouvements des
yeux , le balancement en sens inverse l'un de l'autre que
présentent les membres supérieurs lors de la progression?
et faut-il établir en règle générale une connexion sympathi-
que, entre ceux de nos organes qui sont pairs? L'exemple
pris des yeux est insuffisant : il y a nécessité, pour la net-
teté de la vision , que les rayons lumineux aboutissent à des
points correspondants des deux rétines, et soient, autant
que possible , dans la direction de l'axe optique; les muscles
oculaires dès lors doivent placer convenablement les yeux
pour ce résultat; et, ces muscles ayant une fois pris l'habi-
tude de se mouvoir en harmonie , les yeux offriront désormais
une correspondance constante dans tous leurs mouvements,
L'exemple pris des membres supérieurs ne prouve pas da-
vantage ; leur balancement est l'effet, ou de l'impulsion
mécanique que chacun reçoit du membre inférieur qui est
de son côté, ou de la tendance qu'ils ont à se mouvoir in-
stinctivement, en guise de balancier, pour maintenir la
ligne de gravité dans la base de sustentation. Quelques faits
pathologiques sont plus favorables au rapport sympathique
que nous mentionnons ici. Une dent est-elle cariée ? souvent
la dent analogue de l'autre côté se carie aussi. Y a-t-il en-
gorgement d'une parotide à droite ? souvent la parotide
gauche s'engorge aussi. Il est assez fréquent de voir, dans les
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 271
organes pairs , la maladie qui a affecté celui d'un des côtés
du corps, envahir de même celui de l'autre côté. Mais cette
sympathie peut tenir à l'analogie de texture et de fonction
des deux organes, et par conséquent rentre peut-être dans la
suivante.
70 Une sympathie, en effet, qui est signalée par tous
les auteurs , est celle qui unit les organes dont la structure
et les fonctions sont analogues. Une dartre survient à une
région de la peau, et d'autres régions de cette membrane
ont tendance à en développer aussi. Une phlegmasie rhu-
matismale ou goutteuse saisit une partie du système muscu-
laire ou fibreux , et par suite elle se répète successivement
dans toutes les autres parties de ces systèmes. Un ganglion
lymphatique s'engorge, et tous les autres ganglions ont ten-
dance à le faire. Un des faits sympathiques de ce genre le
plus curieux, est celui rapporté par Barthez , d'après The-
den ; un malade avait le bras droit paralysé, on appliqua
sur ce bras un vésicatoire qui n'agit que sur le lieu corres-
pondant de l'autre bras : le bras gauche s'étant à son tour
paralysé , on y appliqua aussi un vésicatoire , mais qui n'agit
encore que sur le point correspondant du premier bras.
Voyez avec quelle facilité les phlegmasies des membranes
muqueuses se propagent d'une de ces membranes à une au-
tre ! C'est sur ce genre de sympathie que M. Broussais a
fondé cette loi pathologique, que lorsqu'une irritation existe
depuis long- temps dans un organe, les tissus analogues à
celui qui souffre sont disposés à contracter les mêmes affec-
tions. Remarquons, à cet égard, que cette condition d'ana-
logie, dans la structure et les fonctions, est susceptible
d'une assez grande latitude. Des organes peuvent être ana-
logues sous quelques rapports, et différents sous d'autres;
et alors ils pourront sympathiser à certains égards, et ne
pas le faire à d'autres. La peau et les reins, par exemple,
n'ont d'analogie que comme organes sécréteurs, et sympa-
thiseront sous ce rapport; tandis que la peau et la mem-
brane muqueuse gastro-intestinale, ayant des analogies bien
plus nombreuses, toutes deux étant des surfaces de rapport,
des organes sécrétoires , le siège de sensations, présenteront
272 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
des sympa thies plus nombreuses et plus constantes. Avec
quelle facilité les phlegmasies cutanées sont répétées par la
membrane muqueuse intestinale!
8° De même que des liens sympathiques avaient associé les
parties d'un même organe, les divers organes d'un même
appareil, lorsque ces parties, ces organes devaient concourir
à l'accomplissement d'une même fonction ; de même , de sem-
blables liens unissent les divers appareils qui peuvent s'aider
dans l'exercice de leur fonction , par exemple , remplir les
uns par rapport aux autres des offices explorateurs. Ainsi , le
goût, l'odorat, sont-ils frappés par l'impression agréable ou
désagréable d'un mets ? aussitôt sont influencés sympa inique-
ment tous les organes de la digestion ; la sécrétion salivaire
s'active ou se tarit; le pbarynx se dispose à effectuer ou em-
pêcher la déglutition ; l'estomac développe la sensation du
désir de manger , ou celle de la nausée , etc. Il en est de même
delà vue, et même du seul souvenir : si l'on voit, ou si l'on
se représente , par la mémoire ou l'imagination, un aliment
agréable , aussitôt la salive afflue dans la bouche, et l'appétit
est excité. Le rapport inverse a lieu également; et, dès que
l'estomac est suffisamment plein , les sens du goût , de l'odo-
rat , de la vue , cessent de trouver aux aliments le caractère
d'agrément qu'ils leur avaient trouvé d'abord. Ce que nous
disons ici de la digestion, est applicable aux autres fonctions
qui exigent un rapport avec l'extérieur, et par conséquent
l'emploi des sens , à la génération , par exemple : les sens
externes sont-ils impressionnés par des objets qui ont trait à
l'exercice de cette fonction ? l'imagination s'arrête-t-elle sur
les idées qui s'y rattachent? aussitôt le désir est éveillé, et
les organes génitaux éprouvent l'orgasme qui annonce la
disposition à l'accomplissement de la fonction : au contraire ,
la fonction a-t-eîle été accomplie ? les sens externes et l'es-
prit cessent de trouver du charme aux objets qui avaient
d'abord séduit.
9° Dans tous les rapports sympathiques précédents 3 Ja
connexion a paru faire partie de l'ordonnance même des
fonctions; elle associait les diverses parties d'un même or-
gane, les divers organes d'un même appareil, les divers ap-
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES , OU DES SYMPATHIES. 273
s
pareils, pour les faire coopérer à l'accomplissement d'une
même action; elle fondait ce que Barihez appelait des syn-
ergies. Il est enfin des sympathies d'un dernier ordre, qui
n'offrent plus cette unité de but, mais dans lesquelles des
organes, consécutivement à l'impression qu'ils reçoivent , à
l'action à laquelle ils se livrent, modifient plus ou moins
des organes éloignés , irradiant sur eux une stimulation ou
favorable ou perturbatrice. L'estomac, par exemple, en offre
de ce genre; cet organe ne peut souffrir ou agir, sans être un
point de départ d'irradiations diverses sur presque toute
l'économie : souffre-t-il la faim ? toutes les fonctions sont
languissantes : au contraire , des aliments lui sont-ils four-
nis, ou même seulement un pur cordial, un tonique, un
verre devin? aussitôt tous les organes décèlent une éner-
gie nouvelle. Dans les deux cas, les effets ne peuvent être
attribués à l'état du sang, et par conséquent à des rap-
ports fonctionnels. En effet , lorsqu'on ne mange pas ,
et qu'en même temps la faim ne sévit pas , la faiblesse des
organes est bien moindre que si, lors de l'abstinence., la
faim se fait sentir; et, d'autre part, la vigueur nouvelle
qu'on éprouve après avoir mangé , est ressentie immédiate-
ment après la préhension des aliments, long- temps avant
que ces aliments soient changés en sang, lors même que ces
aliments sont insuffisants pour effectuer cette réparation, et
ne constituent qu'un stimulant gastrique. Il est donc cer-
tain que., lorsque l'estomac agit, ce viscère envoie dans tous
les organes du corps, plus ou moins loin, des irradiations
qui diffèrent selon le caractère et la mesure de son action.
Plusieurs organes, autres que l'estomac, sont évidemment
dans le même cas , et ne peuvent agir sans modifier par irra-
diation un nombre plus ou moins grand de parties éloi-
gnées; l'utérus, par exemple. On a même dit que cela était
de tous les organes du corps, mais dans une mesure propor-
tionnelle à la prédominance , à l'importance de la fonction à
laquelle ils se livrent : d'où il résulterait que le degré d'ac-
tivité de toute fonction tiendrait, d'abord à la vitalité in-
trinsèque de l'organe propre de cette fonction, ensuite à la
stimulation que produiraient en cet organe les irradiations
Tome IV. ,8
3 74 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
qu'il recevrait de toutes les autres parties du corps, à l'oc-
casion de leur travail. On convenait bien que , pour beau-
coup d'organes , ces irradiations ne sont pas manifestes : mais
on disait que c'était parce qu'elles étaient peu intenses; ou
parce qu'émanant d'organes dont les fonctions sont conti-
nues, elles sont elles-mêmes continues, et par conséquent
inaperçues ; et parce qu'enfin , dans les deux cas , leurs effets
se confondent avec ce qui tient à la vitalité propre des or-
ganes. On arguait de l'état de maladie, dans lequel ces ir-
radiations sympathiques deviennent évidentes; et l'on éta-
blissait que ce qui se fait en plus dans cet état , a lieu aussi 3
mais en moins , dans l'état de santé. Peut-être cette dernière
proposition est-elle un peu hasardée; mais au moins il est
certain que beaucoup d'organes en santé , et tous en certains
cas de maladie, exercent des influences sympathiques du
genre de celles dont nous parlons ici. Or, pour signaler ces
sympathies, il suffit d'avoir égard aux considérations suivan-
tes : l'examen comparatif des âges; la comparaison de l'état
d'action avec l'état d'inaction des organes dont les fonctions
sont intermittentes; celle des divers degrés d'activité des
fondions; celle des tempéraments; et l'examen de l'état de
maladie. En interrogeant chacune de ces circonstances, nous
mettrons en évidence tous les rapports sympathiques de ce
dernier ordre.
A. Souvent, dans la succession des âges, des organes jus-
qu'alors peu développés et inactifs, tout à coup crois-
sent et entrent en action. Or, si ces organes sont le point
de départ d'irradiations sympathiques générales ou spé-
ciales , les parties qui sont le terme de ces irradiations
prennent plus de développement elles-mêmes, ou décèlent
plus d'activité; et, comme alors un état nouveau succède à
celui qui précédait, les rapports sympathiques sont mani-
festés. C'est ainsi qu'à l'âge de la puberté , le développement
soudain de l'appareil génital retentit plus ou moins dans
toute l'économie , imprime à toutes les parties plus de vi-
gueur, fait croître sympathiquement le larynx surtout, et
certaines dépendances du système pileux. Il est vrai qu'on
peut attribuer une partie des changements qui surviennent
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 275
à cet âge, à l'état nouveau dans lequel est le sang , par suite
de la sécrétion nouvelle qu'alimente alors ce fluide , la sécré-
tion du sperme dans le sexe mâle, et celle des ovules dans le
sexe femelle. Mais, sans nier que l'état nouveau dans lequel
est alors le sang, n'ait aussi sa part d'influence dans les
changements survenus dans toute l'économie , lors du déve-
loppement soudain de l'appareil génital, il est certain que
cet appareil a concouru aussi à les produire par irradiation
sympathicfue. Que de fois, en effet, les organes génitaux
agissent ainsi ! cela n'est-il pas évident , par exemple, pour
l'utérus, quand il exerce ses fonctions de menstruation , de
grossesse ou d'accouchement? et de ces cas, où l'irradiation
sympathique est évidente , ne peut-on pas conclure au cas de
la puberté, le développement brusque qu'éprouvent alors
les organes génitaux équivalant à leur mise en jeu ? Aussi
bien que l'âge de puberté, nous pouvons citer Ykge dit cri-
tique, cet âge auquel les organes génitaux se flétrissent et
tombent pour jamais dans l'inaction; alors aussi surviens
nent des modifications générales dans toute l'économie, mo-
difications qui sont inverses de celles que nous exposions
tout à l'heure, mais qui tiennent au même principe. Il y a
plus : non-seulement les organes génitaux sont, aux deux
temps de la vie que nous venons de citer, le siège d'irradia-
tions sympathiques, qu'on peut d'autant moins contester
qu'elles sont alors manifestes; mais ils le sont de même pen-
dant toute la période de la vie dans laquelle ils sont actifs;
seulement les effets de ces irradiations se confondent alors
avec ce qui tient à la vitalité propre de chaque organe , et ils
auraient été méconnus, sans ce qu'ont appris, sur la puis-
sance sympathique de ces organes , les deux âges que nous
venons d'interroger. Encore est-il une expérience, celle de
la castration , qui les fait reconnaître. Si l'homme est fait
eunuque dans sa première enfance, il n'éprouve pas à la
puberté les changements que cet âge doit amener. Si c'est
postérieurement à l'âge de puberté qu'il a été castré, il a
subi dans le temps les mutations qui caractérisent cet âge ;
mais souvent alors il perd graduellement quelques-uns des
traits physiques et moraux qu'il avait acquis. Cela lui arrive
276 DES CONNEXIONS DES PONCTIONS,
d'autant plus promptement et plus complètement, qu'il
souffre la mutilation à un âge plus rapproché de celui de la
puberté, à une époque de la vie où l'appareil génital est
plus actif, et qu'il a une organisation plus impérieuse sous
ce rapport. Il faut donc une continuité d'irradiations sym-
pathiques provenant de l'appareil génital, pour entretenir
les formes et l'activité que le premier travail de cet appareil
avait imprimées à toutes les parties; et ces faits , non-seule-
ment prouvent la continuité d'irradiations synfpathiques
génitales, mais encore peuvent être invoqués comme propres
à appuyer l'idée que tous les organes du corps sont points
de départ d'irradiations sympathiques semblables.
Les organes génitaux sont les seuls qui, relativement à
ce premier point de vue si propre à déceler les sympathies ,
se trouvent dans une condition aussi heureuse. Tous les
autres en effet ont, dès avant la naissance, commencé la
série de leurs développements, et ]a continuent désormais
jusqu'à la mort. Ce n'est pas que dans la vie ils ne changent
sans cesse, croissant d'abord, puis restant à peu près station-
nantes, et enfin se flétrissant , s'atrophiant dans la vieillesse;
dans cette succession de changements, il y a même des épo-
ques où leur accroissement et leur décroissement deviennent
plus rapides; dès lors, s'ils sont le point de départ d'irra-
diations sympathiques, les effets de celles-ci doivent changer
dans tout le cours de la vie, comme les organes changent
eux-mêmes ; et, pour le dire en passant, cette considération
est une de celles auxquelles il faut avoir égard dans une
théorie physiologique des âges. Mais jamais les différences
ne sont aussi tranchées que pour l'appareil génital ; et
comme les organes, qui sont le terme de l'irradiation sym-
pathique et qui en développent les effets, changent eux-
mêmes, on est toujours incertain de savoir si l'on doit rap-
porter ces effets à l'évolution propre de ces organes , ou à
l'irradiation sympathique qui leur arrive d autre part.
B. Une seconde circonstance qui rend manifestes les rap-
ports sympathiques, est la particularité qu'offrent certaines
fonctions de n'être jamais exercées que d'intervalles en inter-
valles, et de présenter forcément des alternatives d'activité
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 277
et de repos. En effet , si lors de l'exercice de ces fonctions ,
apparaissent tout à coup dans des organes éloignés, et sans
aucuns changements directs survenus dans ces organes , des
modifications qui n'existaient pas lors de l'intermittence de
ces fonctions, il sera évident que ces modifications seront
survenues sympathiquement à leur occasion. Or, plusieurs
fonctions de l'économie sont évidemment intermittentes,
les actions sensoriales , la digestion , la génération ; et l'exa-
men comparatif de leurs temps d'activité et de repos fournit
un moyen de reconnaître la puissance sympathique de leurs
organes. D'abord, nous ne ferons que mentionner les sens
externes : ce n'est pas que leur exercice soit continu ; il est
au moins interrompu par le sommeil ; mais cet exercice est
si inséparable de l'état de veille , qu'il est presque continu ,
et qu'il est partant peu facile de saisir les irradiations sym-
pathiques qui en résultent, s'il y en a; ces irradiations
étant habituelles, et leurs effets se confondant avec ce qui
tient à la vitalité propre de chaque organe, doivent être
méconnues. Nous avons d'ailleurs parlé déjà dès sympathies
que les sens, comme organes chargés de recueillir les im-
pressions des corps externes, exercent sur les parties dont
la fonction réclame un rapport avec l'extérieur. Il y a plus
à dire, touchant les facultés intellectuelles : l'exercice de
l'intelligeDce est moins obligé, plus évidemment volon-
taire, intermittent; et certainement, selon que l'esprit est
en travail ou en repos, l'économie générale présente un
état différent. Tantôt l'irradiation sympathique qui alors
émane du cerveau, est une stimulation favorable à la vie,
à l'exercice des fonctions; comme dans tous les cas où l'ac-
tivité de l'esprit n'est qu'une agréable et utile distraction :
tantôt au contraire elle est perturbatrice des fonctions,
qu'elle rend languissantes , ou aux organes desquelles elle
imprime un érétisme particulier. Les phénomènes sont
encore plus manifestes en ce qui concerne les facultés affec-
tives : en effet , toutes les expressions qui accompagnent ir-
résistiblement les passions, les affections de Famé, ne sont
que les suites de l'irradiation sympathique qui émane alors
du cerveau ; et si la considération de la puberté a prouvé la
278 DES CONNEXIOINS DES FOJSCTIOKS.
grande puissance sympathique de l'appareil génital, celle
des troubles qui suivent les passions, prouve celle non moins
grande qu'a sous ce rapport le cerveau. L'exercice muscu-
laire , qui est aussi forcément intermittent, n'a pas une
aussi grande influence; cependant la stimulation que par
irradiation sympathique il peut produire sur tous les or-
ganes, doit peut-être compter entre les causes des bons ef-
fets qu'il a la santé. Enfin, s'il est vrai que le corps, pen-
dant le sommeil, soit plus susceptible de se refroidir sous
l'influence du milieu ambiant, s'il résiste moins à toutes les
influences délétères , par exemple , et est plus facilement at-
teint par les contagions; ne sont-ce pas là des preuves que
lors de la veille, les divers organes sensoriaux, et surtout le
cerveau, sont, à l'occasion de leur exercice, le point de
départ de nombreuses irradiations favorables à la vie de
tous les organes ?
Le caractère évidemment intermittent des fonctions de
la digestion et delà génération, fait nettement aussi éclater
la puissance sympathique des organes principaux de ces
fonctions. Nous avons déjà parlé de celle de l'estomac; ce
viscère est évidemment au premier rang à cet égard ; point
de départ, dans l'état de santé, d'irradiations sympathiques
continuelles, puisque l'économie paraît comme accablée
dès qu'il souffre la faim , et au contraire paraît avoir re-
couvré toute sa force dès qu'il travaille, on peut dire qu'il
est comme le point d'appui de tous les organes : par lui se
soutiennent ou faiblissent les forces physiques, s'exalte ou
manque le courage moral, selon que la stimulation qu'il
reçoit et qui va promptement retentir au loin, est dans la
mesure normale , ou maladive. En parlant de la puissance
sympathique de l'estomac, pourrions-nous taire le nom de
M. B rous s ais , qui l'a si bien mise en lumière , tant en santé
qu'en maladie ? Celle des organes génitaux est également
incontestable; celle de l'utérus, par exemple, avait été re-
connue dès long-temps, comme le prouvent ces axiomes an-
ciens , utérus est animal vivens in muliere ; ici quod est
mulier, propter uterum. Voyez quelles modifications géné-
rales amènent dans toute l'économie, la menstruation, la
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 279
grossesse et l'accouchement ! A chaque époque menstruelle,
souvent il survient un petit état fébrile; l'économie entière
des femmes est troublée, leur moral accuse plus de suscep-
tibilité, etc. Lors de la grossesse, les changements sont plus
grands, il y a souvent des troubles de la digestion, de la
pensée, nausées, vomissements, dégoût pour les aliments,
ou appétits bizarres, dépravés, etc. Il en est de même enfin
dans l'accouchement : qui n'a remarqué combien, dans leurs
couches , la sensibilité morale des femmes est plus vive et
demande à être ménagée? La puissance sympathique de
l'utérus est dans ces cas si évidente, elle a paru si grande,
que beaucoup de médecins anciens croyaient qu'elle se con-
servait de même dans les temps de repos, dans les inter-
valles des menstruations et des grossesses ; mais ceci est une
erreur : si l'on excepte les cas où une constitution éminem-
ment erotique entretient dans l'utérus une irritation con-
tinuelle, la puissance sympathique de cet organe n'est
énergique que lors de l'exercice de ses fonctions propres;
dans l'intervalle de ces fonctions il est aussi passif que
tout autre.
C. Ce que nous venons de dire des alternatives d'exercice
et d'inaction des organes dont la fonction est forcément
intermittente, est applicable aussi à l'augmentation ou à
la diminution d'activité de toute fonction quelconque»
11 est évident que si des organes qui exercent naturel-
lement des influences sympathiques voient augmenter
ou diminuer leur action, leurs phénomènes sympathi-
ques augmenteront ou diminueront aussi, souvent même
seront autres, et dès lors deviendront manifestes. Mais
nous ne nous arrêterons pas à cette considération. D'un
côté, les fonctions dont nous pouvons à notre gré aug-
menter ou diminuer l'activité, sont celles sur lesquelles
notre volonté a empire, que nous avons présentées tout
à l'heure comme forcément intermittentes; et la consi-
dération de leur intermittence a suffi pour faire res-
sortir toutes les sympathies qui leur appartiennent. D'un
autre côté, les fonctions sur lesquelles notre volonté n'a
pas prise, ne sont augmentées ou diminuées que par des
280 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
causes organiques; et leurs irradiations sympathiques, si
l'on veut qu'elles en exercent, ne diffèrent pas assez de ce
qu'elles sont dans la mesure habituelle d'activité, pour être
sensibles, sauf l'état de maladie.
D. La considération des tempéraments peut aussi être pré-
sentée comme propre à déceler les sympathies. Les tempé-
raments en effet consistent dans la prédominance ou l'infé-
riorité respective de quelques-uns des organes , des systèmes
du corps ; et si l'organe ou le système qui a un excès ou un
moindre degré de développement et d'activité , est de ceux
qui exercent des influences sympathiques évidentes, on
conçoit que celles-ci devront être aussi plus ou moins pro-
noncées. La considération de ces rapports sympathiques est
certainement un des principaux éléments de la théorie
physiologique des tempéraments. C'est ainsi que, dans le
tempérament erotique, caractérisé par l'excès de dévelop-
pement et d'activité de l'appareil génital , les effets de la
réaction sympathique de l'appareil génital sur l'économie
sont bien plus marqués, et que se trouve confirmé ce que
l'observation de l'âge de la puberté a appris sur la puissance
sympathique de cet appareil.
E. Mais ce qui sans contredit met le plus en évidence les
sympathies 3 c'est l'état de maladie. Tout organe malade est
dans une condition de structure et d'action , autre que celle
qui lui est ordinaire; et souvent alors, ou il a acquis une
puissance sympathique qu'il ne manifestait pas dans l'état
de santé , ou il détermine des effets sympathiques plus forts
ou autres que ceux qu'il produisait dans Fétat normal ; de
sorte que, dans les deux cas, les phénomènes sont mani-
festes. Voyez la maladie d'un des solides, d'un des organes
du corps; pour peu que cette maladie soit intense, qu'elle
consiste surtout en une augmentation morbide de l'action
vitale normale, elle entraîne sympa thiquement des souffran-
ces dans beaucoup d'organes éloignés : cessant d'être bornée à
la partie malade, cette maladie se généralise; l'appareil gas-
trique reçoit des premiers les effets de l'irritation sympathi-
quement transmise , l'appétit cesse et est remplacé par la
soif, il y a nausée ou douleur à Pépigastre; l'encéphale estât-
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 28 J
teint aussi, d'où la céphalalgie, le trouble, la langueur des
fonctions intellectuelles ; il en est de même des autres fonc-
tions, la circulation est activée, la respiration se presse; il
y a des douleurs dans les membres , chaleur à la peau , en
un mot, ce qu'on appelle^èwe. C'est ainsi qu'on voit la
fièvre survenir à l'occasion d'une simple plaie à la peau :
nous choisissons cet exemple d'une affection la plus locale
possible, pour faire entendre comment, par les rapports
sympathiques, une maladie se généralise. C'est en effet par
les sympathies que les maladies des solides deviennent géné-
rales; une maladie primitivement générale, ne peut avoir
son siège que dans les fluides; mais une maladie des solides
est toujours primitivement locale , elle a toujours son point
de départ dans un seul organe, et elle ne devient générale
que lorsque cet organe lésé irradie au loin l'affection dont
il est atteint , et détermine sympathiquement les désordres
généraux dont l'ensemble est appelé^zèwe. Ce n'est pas que
nous croyions que toute fièvre est toujours sympathique, et
qu'ainsi nous rejetions tout -à-fait i'essentialité des fièvres.
Cette importante question médicale, sur laquelle le débat
est aujourd'hui ouvert, n'appartient pas à mon sujet, et
je n'ai pas à m'expliquer sur elle; je dirai seulement que
la fièvre, considérée comme une maladie des solides, n'est
jamais selon moi qu'un effet de rapports sympathiques , et
que si la fièvre est quelquefois une maladie essentielle et
générale, ce n'est qu'autant qu'elle consiste dans quelque
altération des fluides, du sang. Toutefois, dans l'état de
maladie, les phénomènes sympathiques sont manifestes; et
c'est à cause de cela que c'est plus cet état que celui de
santé qu'il faut consulter pour connaître les liens sympa-
thiques. Ce n'est pas que les sympathies pathologiques
soient absolument un symbole des sympathies physiologi-
ques; tel organe qui, en santé, n'exerce aucune irradia-
tion sensible, produit beaucoup de phénomènes sympathi-
ques, lorsqu'il est malade. Mais, sans parier de la nécessité
de l'étude des sympathies pathologiques pour la médecine
pratique, cette étude est utile à la physiologie. D'un côté,
toute sympathie pathologique prouve une connexion entre
282 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
les organes qui sympathisent; et, comme cette connexion
n'a pas été établie parla maladie, mais existait primitive-
ment, c'est toujours une notion utile à acquérir pour ap-
profondir complètement le système de notre économie. D'un
autre côté, la considération de ces sympathies pathologi-
ques peut servir à faire pénétrer quel tissu du corps établit
les liens sympathiques, et par quel mécanisme. Présentons
donc quelques généralités sur elles.
De même qu'en santé, certains organes paraissent agir,
sans que leur travail détermine aucunes modifications sym-
pathiques dans les parties éloignées, de même aussi certaines
maladies restent locales. Mais le plus souvent cela n'est pas ,
et l'organe qui est malade produit au loin des troubles
sympathiques , qui généralisent plus ou moins la maladie.
Deux circonstances influent sur ce dernier effet, la structure
et la vitalité de l'organe qui est le siège du mal, et la nature
de la maladie.
i° Pour apprécier ce qui est des organes, il faut les con-
sidérer selon qu'ils sont le point de départ, ou le terme des
irradiations sympathiques. C'est ce que Tissot et Bichat
distinguent sous les noms de sympathies actives el passives.
Un organe est en sympathie active, quand l'acte organique
auquel il se livre actuellement détermine en d'autres or-
ganes des modifications sympathiques ; et au contraire un
organe est en sympathie passive, quand, recevant l'irra-
diation sympathique, il développe le phénomène qui con-
stitue la sympathie. Tous les organes peuvent plus ou moins
être points de départ de sympathies pathologiques; voyez
l'inflammation des os eux-mêmes déterminer la fièvre. Mais,
sans contredit , ceux qui sont au premier rang sous ce rap-
port, sont ceux qui développent en santé la plus grande
puissance sympathique, comme les membranes muqueuses,
la peau, l'estomac, le cerveau, etc.; ce qui porte à croire
que les sympathies pathologiques ne sont qu'une exagé-
ration des sympathies physiologiques. Qu'une membrane
muqueuse soit irritée, enflammée, non-seulement survient
la fièvre , que nous avons dit n'être que l'ensemble des
souffrances sympathiques de tous les organes; mais il y a
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 283
tendance à ce que l'irradiation sympathique fasse déve-
lopper en plusieurs organes éloignés une irritation, une
inflammation semblable à celle que présente la membrane
qui est le point de départ de la sympathie. Ce que nous
disons ici des muqueuses, doit s'entendre aussi de la peau ,
du cerveau , etc. De même que dans la santé, chaque organe
avait ses sympathies spéciales, correspondait plus particu-
lièrement avec tel autre; de même ces spécialités se mon-
trent aussi en maladie; et, par exemple , l'inflammation qui
siège en un organe pair, a tendance à se répéter sympathi-
quement dans l'organe pair de l'autre côté du corps; celle
qui a envahi une muqueuse , une séreuse , tend à se déve-
lopper en une autre muqueuse , une autre séreuse ; la peau
correspond avec les membranes muqueuses , et vice versa
les membranes muqueuses avec la peau , etc. Si l'on voulait
faire une échelle des différents tissus et organes du corps ,
sous le rapport de leur puissance sympathique , et consi-
dérés comme points de départ d'irradiations sympathiques ,
il suffirait d'observer l'inflammation aiguë en chacun d'eux,
et de noter les phénomènes généraux et fébriles , que leur
inflammation développe : on verrait que cette puissance est
en raison de la structure vasculaire et nerveuse des organes ,
et de leur degré de sensibilité. Beaucoup d'organes ne com-
mencent à exercer d'influence sympathique , que lorsque la
maladie y a développé la douleur. Considérés comme termes
des irradiations sympathiques , comme étant en sympathies
passives, le nombre des organes qui appellent notre atten-
tion est moins grand : beaucoup de parties en effet restent
calmes au milieu du trouble des autres , et paraissent étran-
gères à leurs souffrances. Celles qui reçoivent le plus fré-
quemment et le plus facilement les irradiations sympathi-
ques, sont encore celles qui ont le plus de pouvoir pour
en envoyer; savoir, l'estomac, le cerveau, les membranes
muqueuses , la peau , etc. Voyez la maladie d'un solide
quelconque éclater; aussitôt l'appétit cesse, et est remplacé
par le dégoût des aliments; la langue rougit un peu, signe
de la souffrance sympathique de l'estomac ; la tête devient
lourde, pesante, ou même il y a céphalalgie; il y a des
284 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
alternatives de frisson et de chaleur, douleurs contusives
des membres, modifications dans les excrétions , etc. C'est à
raison de cette plus grande susceptibilité , qu'offrent géné-
ralement les organes que nous venons de citer, à répondre
aux irradiations sympathiques , que toutes les maladies ,
abstraction faite de leurs phénomènes locaux , et considérées
seulement dans leurs phénomènes généraux, se présentent à
peu près avec les mêmes traits , pour les gens du monde au
moins , car le médecin exercé saisit bien vite les spécialités ,
dans ce tableau en apparence semblable. Ainsi que nous
l'avons dit, l'organe qui reçoit l'irradiation sympathique
a tendance à répéter l'acte morbide qui a causé cette irra-
diation; et c'est ainsi que l'existence d'une inflammation,
par exemple , devient la cause occasionelle de plusieurs
autres. La chirurgie nous éclaire ici sur ce qui arrive en
beaucoup de cas de pathologie interne : une inflammation
existe à une partie extérieure du corps , consécutivement à
une opération faite; et sympathiquement surviennent des
inflammations d'organes intérieurs, des gastrites , des pneu-
monies, des pleurésies, des hépatites, selon que l'estomac,
le poumon, la plèvre, le foie, auront eu une susceptibilité
originelle ou acquise , qui les aura rendus plus sensibles à
l'irradiation sympathique. Il y a plus : l'organe qui s'est
enflammé sympathiquement, peut à son tour devenir point
de départ d'irradiations sympathiques , qui vont agir sur
d'autres ou même sur celui qui avai t été le premier malade ;
de sorte que la connexion que la nature a établie en Ire nos
organes , sans doute pour la plus grande perfection de notre
corps , devient aussi une cause de l'entretien et de la
propagation des maladies. Souvent l'impression qui déter-
mine l'irradiation sympathique , n'est pas capable de pro-
duire une maladie dans l'organe qui reçoit cette impression;
et c'est au contraire la partie dans laquelle va retentir l'ir-
radiation sympathique, qui développe la maladie : c'est ce
qui arrive , par exemple , quand une impression de froid à
la peau détermine une pleurésie. Pour tout ce qui concerne
cette analyse des relations sympathiques des organes dans
l'état de maladie, la science doit beaucoup à M. Broussais.
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. s85
Seulement ce professeur a posé à leur égard deux proposi-
tions qui peuvent être contestées : l'une est que toute fièvre
n'est jamais que l'ensemble des phénomènes sympathiques
produits par l'irritation, l'inflammation d'un solide quel-
conque, d'où il résulte qu'il ne faut plus admettre de fièvres
essentielles; l'autre, que toute fièvre n'est jamais que l'effet
sympathique d'une irritation , d'une inflammation de la
membrane muqueuse gastro- intestinale , et que, si une
maladie de tout autre solide du corps amène la fièvre , ce
n'est qu'après avoir produit préalablement , par sympathie ,
l'inflammation de cette membrane. Relativement à la pre-
mière de ces propositions, nous avons déjà dit que nous
pensions comme M. Broussais , si l'on ne considère la fièvre
que comme une maladie des solides ; mais que si quelquefois
elle est un effet d'une altération des fluides , on pourra
continuer de la dire une maladie essentielle. Ouant à la
seconde , tout en convenant que la muqueuse gastro-intesti-
nale est, de toutes les parties du corps, une des plus promptes
à répondre aux irradiations sympathiques , il ne nous paraît
pas certain que ce soit son affection seule qui détermine la
fièvre; il nous semble que cet état succède à toute irritation
un peu vive : la fièvre ne survient-elle pas à l'occasion
d'une plaie, d'un panaris? et dans tous les cas où il y a
fièvre, y a-t-il toujours gastrite? Si l'irradiation sympa-
thique doit aller retentir d'abord dans un premier organe ,
pour que ses effets soient ensuite propagés à toute l'écono-
mie , et pour qu'elle détermine la fièvre , loin de présenter
l'estomac comme étant cet organe important , je croirais
plutôt, avec M. Georget , que c'est le cerveau. Mais ceci
touche à la question du mode de transmission des sympa-
thies, et nous y reviendrons ci-après.
2° Ce n'est pas seulement la structure et la vitalité des
organes qui décident si ces organes seront en maladie le point
de départ d'irradiations sympathiques; c'est encore la na-
ture de la maladie. En général, toutes les maladies qui con-
sistent en une augmentation vive et survenue rapidement
du mouvement vital normal , s'accompagnent de phéno-
mènes sympathiques; et, comme on le conçoit, l'intensité
286 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
des phénomènes sympathiques sera en raison du degré d'aug-
mentation. Si, au contraire, îes maladies consistent dans
une diminution du. mouvement vital , il n'y a pas , ou moins
de phénomènes sympathiques. Il en est de même pour les
maladies dans lesquelles l'altération a commencé avec peu
d'activité , et s'est continuée avec une extrême lenteur.
Quelles différences entre les maladies chroniques et les ma-
ladies aiguës ! Vovez de même ce qu'on appelle les maladies
organiques ? l'absence de tous phénomènes locaux et géné-
raux les fait méconnaître dans leur principe ; et ce n'est que
lorsqu'elles ont fait assez de progrès pour produire la dou-
leur, que les effets sympathiques commencent à se montrer.
Ce que nous disons ici de l'influence exercée par la nature
de la maladie est si vrai, que les organes qui , en santé, et
dans les maladies les plus aiguës , décèlent le plus de puis-
sance sympathique , paraissent alors muets : que d'altéra-
tions organiques de l'estomac , par exemple, qui ne sont pas
soupçonnées dans leur principe , et que rien n'avait annon-
cées dans tout le cours de la vie !
Nous bornerons à ces considérations ce que nous avons à
dire sur les sympathies pathologiques , et, ayant énuméré
tous les rapports sympathiques que présente le corps hu-
main, nous allons rechercher à quelle condition organique
ils sont dus , quel est le système du corps qui en est l'agent.
Il est certain que les sympathies ont leur cause dans l'orga-
nisation ; ce n'est pas à l'époque actuelle qu'il est besoin de
prouver que tout phénomène de vie doit être rattaché à la
structure. Dire des sympathies, avec TVhylt , qu'elles
sont un résultat de l'arae , et avec M. Roux, qu'elles sont
indépendantes de toute connexion organique; c'est, dans le
premier cas , se payer d'un mot , et dans le second, donner
à la force vitale que nous montrerons n'être qu'une abstrac-
tion , une existence indépendante de l'organisation. Certai-
nement un des systèmes du corps est l'agent des rapports im-
portants dont nous traitons ici; mais quel est ce système?
On a tour à tour présenté comme tel les membranes , le
tissu cellulaire,, les vaisseaux sanguins, et les nerfs; parce
que ces parties sont les plus généralement répandues dans
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES- 287
toute l'économie, et celles qui paraissent davantage former
des systèmes continus. Plusieurs physiologistes, confondant
sous le nom de sympathies tous les genres de rapports, ont
même invoqué à la fois, pour leur explication, le concours
de ces quatre parties. Mais nous croyons que le système ner-
veux en est seul l'agent. D'abord, est-îl possible aujourd'hui
d'admettre que les sympathies soient établies par le moyen
des membranes ? Ces membranes sont des organes très divers
par la structure, la vitalité; elles forment autant d'organes
isolés, distincts; et l'on ne peut leur rapporter l'accom-
plissement d'un usage aussi spécial qu'est celui qu'on leur
attribue ici. Cette idée est évidemment une suite de l'opi-
nion erronée que Baglivi s'était faite de leur distribution
anatomique, de leur dérivation de la dure- mère; et elle a
dû être abandonnée dès que cette opiniou a été démontrée
fausse. En vain arguera-t-on des sympathies que nous avons
signalées entre certaines parties d'une même membrane,
ou entre des membranes diverses ? le premier fait combat
la théorie à l'appui de laquelle on le cite; et, quant au se-
cond, il ne prouve rien, sinon que les membranes, comme
tous les autres organes du corps , peuvent être points de
départ ou termes d'irradiations sympathiques.
Nous rejetterons de même la théorie qui attribuait les
sympathies au tissu cellulaire, qui faisait de ces sympathies
des séries de mouvements oscillatoires propagés par le tissu
cellulaire. Cette théorie, due à Bordeu, repose encore sur
les idées hypothétiques que ce médecin s'était faites de ce
tissu , et conséquemment doit être abandonnée avec ces
idées. On ne croit plus aujourd'hui que le tissu cellulaire
soit un organe mobile et sensible , continuellement en proie
à des dilatations et resserrements, et imprimant aux hu-
meurs qui remplissent ses cellules des courants divers. Sans
doute le tissu cellulaire forme un tout continu, comme
constituant un des éléments des organes, et comme étant
jeté dans leurs intervalles en guise de spongiosité pour en
remplir les vides; sans doute il peut se faire des transports
mécaniques d'humeurs à travers ses cellules , qui toutes
communiquent entre elles. Mais ce n'est pas par son inter-
288 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
médiaire que sont établis les rapports sympathiques ; ceux-ci
éclatent très rapidement, ils laissent insensibles et muets
les organes intermédiaires à ceux qui sympathisent ; et
ces traits ne peuvent convenir à l'action du tissu cellu-
laire, qu'on faisait agir mécaniquement, lentement et par
voie de continuité.
Le système vasculaire devait paraître propre à établir les
liens svmpathiques ; il se répand en effet dans toutes les par-
ties du corps, et les unit toutes. Cependant je suis sûr que
la seule énumération que nous avons donnée des sympa-
thies, suffit pour faire voir que ce système n'en peut être
l'agent. On peut le concevoir comme présidant à des rap-
ports fonctionnels, mais non à des connexions dont les effets
sont aussi rapides que ceux des sympathies, et qui ne por-
tent pas sur des parties intermédiaires à celles qui sont as-
sociées. En vain on a voulu expliquer la liaison de l'utérus
avec les mamelles , par le moyen de l'artère épigastrique ,
unie d'un côté aux artères utérines, et de l'autre aux ar-
tères mammaires : certainement ce n'est pas par cette voie
que se fait sur le sein la fluxion sanguine qui alimente la
sécrétion laiteuse; et, à supposer que cela fut, cela n'expli-
querait pas la sympathie, caria stimulation sympathique a
précédé, et la fluxion sanguine n'en est que le produit.
Ainsi , des quatre systèmes organiques que les auteurs
ont présentés comme agents présumables des sympathies, en
voilà trois auxquels on ne peut attribuer cet office; et cela
seul déjà est une raison à faire valoir en faveur de l'idée
qui en présente le quatrième, le système nerveux, comme
l'instrument. Mais, de plus, que de considérations viennent
appuyer cette idée! Le système nerveux forme réellement
un tout qui est continu, et dont toutes les parties sont
liées. Indépendamment des nombreuses anastomoses qu'of-
frent les nerfs entre eux , toutes les parties de ce système
sont au moins associées par l'intermédiaire de sa partie
centrale, le cerveau, partie à laquelle tout va aboutir, et
qui d'autre part irradie une influence jusqu'aux dernières
extrémités du système. Toutes les actions propres à ce
système s'accomplissent avec la rapidité de l'éclair; et dans
DES RAPPOPiTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 289
toutes il a semblé être parcouru par des courants, dont la
vélocité avait de quoi étonner l'imagination. C'est ainsi
que la conduite des impressions sensi rives des extrémités
des nerfs au cerveau, pour la production des sensations , et
celle des volitions du cerveau aux muscles pour la produc-
tion des mouvements volontaires , ont montré ce système
communiquant avec rapidité d'un de ses points à un autre.
C'est ainsi que la loi de fluxion a appelé en un instant
incommensurable plus de fluide nerveux ou moteur sur une
partie irritée , qu'il n'en était envoyé lors de l'inaction de
cette partie; et que par la loi de balancement la mesure
de dépense nerveuse faite par un organe a influé presque
instantanément sur celle faite par d'autres organes. Il nous
semble que ces faits ont une assez grande analogie avec ceux
qui fondent les sympathies, et doivent rendre très probable
que c'est le système nerveux qui en est l'agent. Aussi est-ce
une opinion presque universellement admise aujourd'hui;
et si, jadis 'on fit à cette opinion diverses objections , on verra
que ces objections portaient plus sur le mécanisme selon
lequel le système nerveux établit les sympathies, que sur
l'idée qui présente ce système comme en étant l'instrument.
En procédant par la méthode d'exclusion , on ne voit pas
dans l'économie d'autre agent possible des sympathies. Il
reste à rechercher le mécanisme par lequel il établit des
rapports aussi merveilleux.
Le système nerveux ne paraît pouvoir établir les liens
sympathiques que de deux manières : ou parce que les par-
ties qui sympathisent reçoivent des ramifications des mêmes
troncs nerveux, ou sont unies par des anastomoses ner-
veuses; ou parce que l'irradiation nerveuse, qui émane de
l'une des parties, va aboutir au centre cérébral , d'où
elle est ensuite réfléchie dans toutes les dépendances du
système, de telle manière cependant que certains orga-
nes sont plus que d'autres modifiés par cette réflexion. Il
est même probable que les divers phénomènes sympathi-
ques sont produits , les uns par le premier de ces modes ,
les autres par le second ; d'où la distinction faite de deux
espèces de sympathies , les sympathies directes, et les sym-
TOME IV. 19
290 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS.
pathies cérébrales. Certainement il y a des phénomènes
sympathiques qui sont dus à ce que les parties qui sym-
pathisent reçoivent leurs nerfs d'un même tronc, ou ont
leurs nerfs unis par des anastomoses. C'est à cette cause,
par exemple, que les membranes muqueuses doivent d'irra-
dier à la membrane musculeuse qui leur est susjacente ,
l'impression qu'elles ont reçue. C'est également ainsi
qu'une douleur d'oreille détermine une odontalgie , et, vice
versa, que des douleurs de dents se propagent à l'oreille;
ce fait est dû à l'anastomose qui existe entre le nerf facial et
le nerf lingual, et qui est connue sous le nom de corde du
tympan. TNous pourrions citer plusieurs autres sympathies
analogues ; et probablement que le nombre des sympathies
explicables par ce mode^ augmentera à mesure que l'on con-
naîtra mieux la distribution des nerfs. Il est intéressant pour
cela de rechercher, dans l'étude de ce système, la destination
des plus petits filets. Croit-on , par exemple , que ce soit sans
nécessité que la nature ait affecté les trois divisions d'un même
nerf, la cinquième paire, aux sens de la vue, de l'odorat et
du goût ? et n'est-il pas probable que cette disposition a
influence sur les rapports sympathiques de ces trois sens ?
Peut-on croire aussi que ce soit sans importance pour les
connexions des parties, que les nerfs vagues et grands sym-
pathiques se distribuent à presque toutes à la fois ? et n'était-
elle pas fondée la conjecture que l'inspection seule de ces
nerfs avait inspirée aux anciens , et en suite de laquelle ils
les nommèrent nerfs grand et petit sympathiques . Il est diffi-
cile d'observer la distribution du nerf vague au larynx, au
poumon , au cœur et à l'estomac, sans soupçonner que cette
distribution ne tende à établir des connexions entre ces di-
verses parties ; et à plus forte raison , doit-on penser de même
à l'égard du grand sympathique ? La grande difficulté est de
tracer la route des irradiations sympathiques, au travers de
ces entrelacements vraiment inextricables.
Cependant il ne faut pas admettre, avec Vieussens ,
Meckel, Boërhaave , que c'est exclusivement de cette ma-
nière que sont établies toutes les sympathies ; et probable-
ment le nombre de celles qui sont établies par Finterven-
DES RAPPORTS SYMPATHIQUES, OU DES SYMPATHIES. 291
tion cérébrale est bien plus grand. En effet, beaucoup de
phénomènes sympathiques ne peuvent se concevoir dans ce
système d'une communication directe des nerfs ; et ce sy-
stème, en outre, présente en plusieurs points de grandes
difficultés. Par exemple, beaucoup départies qui reçoivent
des nerfs d'un même tronc, ne sympathisent pas; et au
contraire, beaucoup de parties qui ne reçoivent aucuns
nerfs communs, sympathisent. La pluralité des systèmes
nerveux est un fait presque généralement admis; on dis-
tingue au moins , depuis Bichat , les systèmes nerveux ani-
mal j et organique : or, beaucoup de parties qui sympathi-
sent, reçoivent chacune des nerfs de l'un et l'autre système,
et sont séparées par des parties qui sont dans le môme cas ;
de sorte qu'il faudrait admettre que l'irradiation se transmet
avec une égale facilité , et cela , à plusieurs reprises , à tra-
vers des systèmes différents. Si ce sont les ramifications
nerveuses, et les communications anastomotiques, qui pro-
duisent les sympathies, pourquoi toutes les parties que vi-
vifient les ramifications d'un même nerf, ne sympathisent-
elles pas ? pourquoi la sympathie n'est-elle pas réciproque ?
Souvent en effet , l'organe qui reçoit une irradiation symna-
thique spéciale, n'est pas apte à en exercer une réciproque sur
celui qui l'influence; par exemple, îe rectum appelle symna»
Iniquement à son aide le diaphragme, et une stimulation du
diaphragme est sans influence sur le rectum. D'ailleurs la
naissance des nerfs d'un même tronc, ou leur union par
des anastomoses , est une chose illusoire; car les plus petits
filets ne se communiquent pas ^ il n'y a que rapprochement
entre eux; et si ce rapprochement suffit pour produire des
sympathies, comment concevoir pourquoi il n'en existe pas
davantage, et pourquoi il ne survient pas pour la moindre
cause des troubles plus nombreux ? Ajoutons que toute sym-
pathie exige quelque chose de spécial dans l'irradiation qui
la détermine. C'est à raison de toutes ces difficultés, que
quelques physiologistes, non-seulement avaient rejeté la
théorie qui explique les sympathies par les communications
directes des nerfs , mais encore , ainsi que nous l'avons dit ,
avaient nié que le système nerveux eût part en rien à leur
392 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
production. Mais il est évident que ces difficultés ne détrui-
sent aucune des raisons qui nous ont fait admettre le
système nerveux comme la cause matérielle des sympa thies,
et qu'elles ne sont puissantes que contre le dogme qui ne
reconnaissait que des sympathies directes , et qui niait les
sympathies cérébrales.
Je crois, avec TVillis, Perrault, Astruc, H aller , parmi les
anciens, MM. Broussaiset Georget, parmi nos contemporains,
que la plupart des sympathies se font par rintermédiaire du
cerveau. L'impression qu'éprouve l'organe qui est le point
de départ de la sympathie , va d'abord retentir au cerveau ;
de là elle est l'éfléehie dans tout le système ; et chaque par-
tie en est plus ou moins modifiée selon sa mesure de sensibi-
lité, de susceptibilité. Évidemment le besoin de respirer ar-
rive au cerveau, puisqu'il y est perçu; et évidemment encore,
c'est consécutivement à cette perception, que le cerveau
ordonne les mouvements respirateurs. Or, les phénomènes
ne s'enchaînent-ils pas de la même manière, quand une ir-
radiation de la membrane muqueuse pulmonaire ou nasale,
détermine la toux, ou l'éternuement? Quand il y a syn-
cope , suspension momentanée des contractions du cœur, et
qu'en aspergeant de l'eau froide au visage, ou irritant la
pituitaire par la vapeur de l'ammoniaque , on fait cesser la
syncope ; n'est-ce pas que l'impression irritante qu'on a dé-
terminée, a d'abord retenti au cerveau, puis a été réfléchie
dans tout le système, et par conséquent dans les nerfs du
cœur, qui aura ainsi été provoqué à reprendre son service ?
Quand une affection se propage sympathiquement de l'or-
gane pair d'un des côtés du corps, à Forgane pair de l'autre
côté, peut-il y avoir un intermédiaire autre que le cerveau ?
N'est-on pas en droit de conjecturer le même intermédiaire,
pour toutes les relations sympathiques entre organes de
structure et de fonctions analogues? En ce cas, l'irradia-
tion arrivée au cerveau, et réfléchie par cet organe dans tout
le système , porte surtout sur les parties qui , à raison de
leur texture et de leur vitalité, ont plus de rapport avec
celie dont elle émane. Enfin, quand les sympathies sont
générales, portent à la fois sur plusieurs organes y il faut :
DES RAPPORTS SYMPATHIUQEES, OU DES SYMPATHIES. 2g3
ou que la partie qui est ïe poiut de départ de l'irradiation ,
influence directement chacune des autres ; ou que l'irradia-
tion aille retentir d'abord dans le centre du système , pour
être réfléchie ensuite dans ces diverses dépendances. Or,
certainement, cette dernière chose est la plus probable:
d'un côté, le cerveau est l'aboutissant de toutes les sensa-
tions; de l'autre, dans les passions, il est évidemment la
source d'irradiations qui s'étendent au loin dans tout le
système; et il nous semble qu'on ne peut méconnaître une
analogie entre ces deux faits, et le rôle que nous faisons
jouer à cet organe pour la production des sympathies.
Celles de ces sympathies qui sont spéciales, c'est-à-dire qui
ne portent que sur tels ou tels organes, sans modifier
les autres , ne contredisent même pas l'explication que
nous donnons ici ; c'est que ces organes ont été orga-
nisés de manière à répondre exclusivement à l'irritation
que leur reflète le cerveau. Si l'on conçoit pourquoi des
parties de structure et de vitalité analogues sympathisent,
ne peut-on pas concevoir aussi des parties tellement organi-
sées relativement à d'autres, qu'elles répondront toujours
aux irritations qu'elles en recevront par l'intermédiaire du
cerveau? C'est cette grande part que nous attribuons au
cerveau pour la production des sympathies, qui nous a fait
dire plus haut , relativement à l'organe par lequel se géné-
ralisent les maladies, que cet organe est moins la mem-
brane muqueuse gastro-intestinale, comme le dit M. Brous-
sais, que le cerveau , comme l'a avancé M. Georget.
Enfin, pour connaître l'important phénomène des sym-
pathies, il ne suffit pas de savoir que le système nerveux en
est l'agent, et que la communication entre les parties qui
sympathisent, se fait tantôt directement par les anastomoses
des nerfs, et tantôt par l'intermédiaire du cerveau : il faut
encore savoir en quoi consiste l'irradiation sympathique.
Or nous sommes , sur ce point-ci, dans la même ignorance
que pour toutes les autres actions nerveuses. Ne sachant
pas ce qu'est l'influx nerveux qui constitue l'innervation;
ignorant par quoi les nerfs effectuent la transmission des
impressions sensitives et des voUtions ; pouvons-nous ne pas
2 q4 DES CONNEXIONS DES FONCTIONS,
ignorer aussi ce qu'est l'irradiation sympathique? Proba-
blement, lors de toute action organique, il se fait quelque
changement dans le fluide nerveux de la partie qui est le
siège de cette action : pour concevoir les sympathies , ne peut-
on pas dès lors supposer que ce changement, cette modi-
fication , s'est , par la loi d'irradiation que nous avons indi-
quée, propagé au centre du système, et de ce centre a été
réfléchi dans toutes ses dépendances? S'il n'y a que quel-
ques parties qui paraissent recevoir l'influence de cette ré-
flexion , c'est qu'elles sont organisées de manière à y être
plus sensibles ; absolument , comme lors de la manifesta-
tion des passions, des affections de l'ame, certaines parties
sont plus facilement et plus promptement perturbées que
d'autres, et à cause de cela, sont le siège des phénomènes
expressifs. C'est ainsi que la loi d'irradiation, par l'expres-
sion de laquelle nous avons terminé l'étude des rapports
fonctionnels, nous semble propre aussi, non à expliquer,
car elle laisse toujours leur essence inconnue, mais à systé-
matiser les rapports sympathiques. Du reste, le secret des
sympathies est probablement le même que celui de l'action
nerveuse ; la découverte de l'un dépend de celle de l'autre ;
et en attendant qu'on les ait faites, on doit se borner à si-
gnaler par une observation attentive de notre économie ,
tant en santé qu'en maladie, quels sont les rapports sym-
pathiques de nos divers organes.
Tels sont les trois genres de rapports qui unissent les
nombreuses parties du corps humain. L'histoire que nous
venons d'en faire , a fait ressortir l'utilité respective des so-
lides et des fluides. D'un côté, nous avons vu le système
nerveux présider à toutes les actions des solides , régler
toutes les particularités du cours des fluides; et par là la
prééminence des solides a été consacrée. De l'autre côté,
nous avons présenté le sang comme le stimulus obligé du
système nerveux, comme l'élément nutritif de toutes les
parties; et, sous cet autre point de vue /l'importance des
fluides a été démontrée. Enfin, leur utilité réciproque a été
DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATUJRE. 290
signalée, car c'est de Faction réciproque du sang et du sy-
stème nerveux que nous avons vu résulter la vie. Nous
avons montré que ces deux conditions vitales étaient égale-
ment susceptibles d'être altérées, étaient conséquemment
tour-à-tour le point de départ des maladies, et surtout exer-
çaient l'une sur l'autre une influence si prochaine, que
l'une ne pouvait pas être altérée un peu gravement, et pen-
dant un temps un peu long, sans que l'autre s'altérât con-
sécutivement. Or, toutes ces propositions sont en opposition
avec toute théorie exclusive de solidisrne et d'humorisnie.
Arrivons maintenant aux rapports de l'homme avec les
corps extérieurs.
SECTION 11.
DES RAPPORTS DE LHOMME AVEC LA NATURE.
Il n'y a pas de vide dans la nature, et par conséquent
aucun corps n'est isolé; tout corps est toujours en contact
avec quelques autres qu'il influence, ou par lesquels il est
influencé, et avec lesquels conséquemment il a des rap-
ports.
Ces propositions, qui sont vraies de tous les corps, le
sont surtout des êtres vivants. En effet, si aucun corps
inorganique n'est isolé, au moins il n'a pas besoin des au-
tres corps pour exister; le plus souvent les corps divers avec
lesquels il est en contact ne tendent qu'à le détruire; et si
on le suppose dans un isolement complet, sa conservation
n'en sera que plus assurée, sa destruction n'étant plus ame-
née désormais que par la réaction chimique de ses propres
éléments. Au contraire, un être organisé, quelque simple
qu'on le suppose , ne pourrait continuer de vivre dans l'iso-
lement; il faut au moins qu'il se nourrisse, c'est-à-dire qu'il
renouvelle sans cesse la matière qui forme ses organes; et il
ne peut puiser cette matière nouvelle qu'il doit s'appro-
prier, que dans des corps autres que lui , et avec lesquels
a 96 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATURE,
conséquernment il doit avoir des rapports . Les corps vivants
sont toujours dépendants , comme l'a dit M. Bourdon, qui
fait de cette particularité le caractère distinctif delà vie.
Aussi , les êtres organisés ont-ils avec la nature générale ,
des rapports plus multipliés que les corps inorganiques.
Ceux-ci n'en ont que d'une seule espèce, des rapports mé-
caniques, physiques et chimiques , en un mot, dépendants
des lois générales de la matière. Les êtres vivants au con-
traire, outre les rapports de ce premier ordre , en ont d'au-
tres qui leur sont spéciaux, qui tiennent aux forces propres
qui les animent , et qu'à ces titres on peut appeler organi-
ques. Nous allons étudier successivement ces divers rap-
ports dans l'homme; nous serons courts, parce que l'expo-
sition que nous avons faite de la vie de cet être, en a déjà
en grande partie donné la connaissance.
§ Ier. Rapports mécaniques, physiques et chimiques de t Homme avec les
corps extérieurs.
Nous appelons ainsi les influences mécaniques, physiques
et chimiques que l'homme reçoit inévitablement des corps
extérieurs, par suite de son contact obligé avec ces corps.
En eflet , quoique cet être, par son activité vitale et spé-
ciale, plie jusqu'à un certain point ces corps à ses besoins,
et comme tout être vivant, constitue à lui seul un petit
monde dans le grand monde; cependant il est soumis en
plusieurs points aux lois générales de celui-ci; et ce sont
les phénomènes de cet ordre que nous voulons énumérer ici,
nous renfermant dans l'état normal ou de santé.
L'homme est attaché à la planète qui lui a été assignée
pour demeure; les lois de la gravitation Py enchaînent, et
font de la terre son point d'appui. Animal aérien, il est
plongé continuellement dans l'atmosphère qui enveloppe le
globe terrestre, et ce milieu exerce sans cesse sur lui di-
verses influences physiques et chimiques qu'il faut d'abord
indiquer.
En premier lieu, l'atmosphère exerce sur la surface du
corps de l'homme une pression qui est en raison de sa hau-
DES RAPPORTS PHYSIQUES ET CHIMIQUES. 297
leur, et qui par conséquent est fort considérable ; les physi-
ciens la disent égale à un poids de 33, 600 livres. C'est à la
réaction des fluides élastiques contenus dans les cavités in-
térieures de notre corps, que nous devons de pouvoir sup-
porter une charge aussi forte; charge qui, pour certains
animaux, par exemple, pour ceux des poissons qui vivent
à une profondeur de 2000 à 3ooo pieds dans la mer, est bien
plus grande encore. Nul doute que nous ne soyons organisés
de manière à avoir besoin d'une pression aussi énorme ; si
elle manquait tout à coup ou était de beaucoup diminuée,
les gaz qui sont dans l'intérieur des parties, les liquides
eux-mêmes , ne seraient plus bornés dans leur expansibilité ;
ils se dilateraient, déchireraient les solides qui les contien-
nent, et l'individu périrait. Placez un animal 'sous le réci-
pient de la machine pneumatique, il se gonfle à mesure
qu'on fait le vide. Laissez à l'air le poisson destiné à vivre
au fond des eaux , sa vessie natatoire se crève. Le malaise
qu'éprouve l'homme sur le sommet d'une haute montagne ,
ou dans un aérostat, tient sans doute en partie à ce que l'air
est moins dense et ne fournit plus assez d'oxygène pour la
respiration ; mais il est dû. aussi un peu à la diminution de
la pression atmosphérique; et c'est à cette cause , par exem-
ple, qu'il faut attribuer les hémorrhagies par les yeux, les
oreilles , les voies respiratoires , qui surviennent alors. C'est
par suite de cette même cause, que la peau se gonfle et rougit
sous une ventouse. Heureusement que les variations qui, hors
ces cas insolites, peuvent survenir dans ce rapport , et que
le baromètre fait connaître, sont légères et sans influence
notable sur l'économie.
En second lieu, l'atmosphère, appliquée de toutes parts
au corps humain, doit agir physiquement sur lui en raison
de sa température. Selon qu'elle a une température supé-
rieure ou inférieure, elle doit lui fournir ou lui soutirer du
calorique, et tendre à l'amener à son niveau. Cette seconde
influence physique est aussi constante et aussi incontestable
que la première ; et voici en peu de mots ce qui la concerne.
A l'exception de quelques pays équatoriaux, et encore pen-
dant la saison chaude et au milieu du jour, l'atmosphère a
298 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATURE,
toujours une température qui est inférieure à celle de
l'homme; le degré varie selon les climats et les saisons; con-
séquemment l'atmosphère nous soutire sans cesse du calo-
rique. Si nous conservons néanmoins notre température in-
dépendante , c'est que notre puissance vitale renouvelle
notre chaleur à mesure qu'elle nous est enlevée. Nous som-
mes encore organisés de manière à avoir besoin de cette
soustraction continuelle de chaleur; si elle cessait tout à
coup d'avoir lieu , ou diminuait beaucoup , notre tempéra-
ture s'élèverait graduellement , et quand elle serait haussée
de sept à huit degrés, on périrait. D'autre part, si cette
soustraction devenait extrême , et telle que la vie ne puisse
pas renouveler le calorique aussi promptement qu'il est en-
levé , notre température baisserait, nos humeurs se congé»
leraient , et quand la température serait baissée à vingt-six
degrés f on périrait encore. Entre ces deux extrêmes, il y a
de nombreux intermédiaires signalés par les sensations de
chaud et de froid. Nous n'avons pas besoin de revenir sur ce
que nous avons dit des cas dans lesquels ces sensations écla-
tent, et des moyens par lesquels nous résistons au chaud et
au froid. Rappelons seulement que notre rapport forcé avec
l'atmosphère a, »ous le rapport de la température, nécessité
chez nous l'emploi de vêtements; à l'aide de ces vêtements ,
nous maintenons l'air immobile à la surface de notre corps ;
nous faisons, qu'une fois échauffé, cet air ne nous enlève
plus de chaleur; et, par cet artifice, nous diminuons beau-
coup la dépense que nous ferions sans cela.
En troisième lieu, l'air jouit de la faculté de dissoudre
l'eau; et par suite, tous les corps liquides, tous ceux qui
sont imprégnés d'eau, éprouvent par son contact une cer-
taine évaporation. L'air exerce-t-il sur le corps humain , qui
est composé de solides et de liquides, une semblable in-
fluence? Beaucoup de physiciens le croient, et professent
que cette évaporation physique concourt en partie à la pro-
duction de la transpiration insensible. Ils s'appuient sur ce
qui arrive aux poissons qui, par leur séjour prolongé à l'air,
perdent par cette évaporation une quantité considérable de
leur poids. M. Edwards dit qu'ayant cherché à empêcher
DES RAPPORTS PHYSIQUES ET CHIMIQUES. 299
celte évaporation , en plaçant un animal à sang froid dans
une atmosphère humide et d'une température égale à celle
de cet auimal , et qu'ayant réduit ainsi la transpiration à ce
qu'il y a en elle d'organique , il a trouvé que l'évaporation
physique concourait pour cinq sixièmes à la perte de la
transpiration. Je pense qu'on a ici assimilé à tort les ani-
maux aériens et l'homme, aux animaux aquatiques : ceux-
ci ^ destinés à séjourner dans l'eau , sont tout imprégnés de
ce liquide, et lors de leur exposition à l'air, ils le laissent
transsuder. Mais il n'en est pas de même de l'homme ; pour
que les liquides de son corps puissent se vaporiser un peu à
sa surface , il faudrait que , par traussudation physique, ils
y fussent portés , et celte perméabilité physique n'a pas lieu
pendant la vie. Je crois qu'il ne se fait d'évaporalion que
celle de la sueur, que celle des liquides qu'une sécrétion or-
ganique a préalablement portés à la surface de la peau. Comme
l'air ne touche pas seulement la surface de la peau, mais
encore pénètre par la respiration dans le poumon , on peut
se demander si ce que nous venons de dire des effets physi-
ques de sa pesanteur, de sa température et de son action
dissolvante , a lieu aussi dans cet organe ; cela est probable.
Toutefois, en admettant la réalité d'une évaporation phy-
sique des fluides du corps humain par le contact de l'air., le
degré de pression de ce gaz et son degré de chaleur devien-
nent de nouveau intéressants à considérer sous ce rapport;
l'évaporation sera d'autant plus grande , que la chaleur de
l'air sera plus élevée, et sa pression moindre. M. Edwards
pense que l'augmentation de l'évaporation pulmonaire, par
suite de la diminution de la pression atmosphérique, a la
plus grande part au malaise que l'on éprouve sur le sommet
des hautes montagnes.
L'air, selon qu'il est sec ou humide , exerce avec plus ou
moins d'énergie sur notre corps les trois influences physi-
ques précédentes. D'abord, plus il est sec, plus la pression
atmosphérique est considérable , comme le prouve l'ascen-
sion du mercure dans le baromètre. En second lieu, les im-
pressions de chaud et de froid que nous recevons de l'air,
sont d'autant plus grandes que ce gaz est plus humide , car
3 00 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATURE.
l'air par lui-même est mauvais conducteur du calorique ;
mais la présence de l'eau entre ses molécules , ajoute à sa
puissance conductrice. Enfin, la faculté dissolvante de l'air
augmentant en raison de sa sécheresse, comme en raison de
sa température , si l'on admet que cette faculté agit sur les
liquides du corps humain , son énergie devra être moindre
dans l'air humide que dans l'air sec.
L'air dépose à la surface de la peau les diverses matières
pulvérulentes qui sont en suspension dans son sein , et à la
longue cette membrane en est salie. Il lui applique de même
divers miasmes qu'il contient, et offre ainsi de continuels
aliments à l'action d'absorption de cette membrane. Pénè-
tre-t-il , en totalité ou en partie, la peau et la surface in-
terne du poumon , par uue sorte d'imbibition physique ?
Cela ne peut guère être admis que pour l'eau, et pour les
autres matières liquides qu'il tient en suspension , au mo-
ment où ces matières se précipitent et s'appliquent à la sur-
face du corps. Encore cette imbibition physique est moins
facile qu'on ne croit : la nature y a mis des obstacles ; d'un
côté , par la sécrétion sébacée qui , en raison de sa nature
huileuse , empêche l'eau de s'appliquer à la surface de la
peau; de l'autre, par l'épiderme. Des faits nombreux prou-
vent que les imbibitions physiques sont bien plus faciles
aux surfaces intérieures du corps , qu'à celles qui en forment
la périphérie.
L'air exeree-t-il sur la peau quelque action chimique ? A
le considérer dans son état de composition ordinaire, et en
faisant abstraction de son action respiratoire , qui est un
rapport organique, cela n'est pas probable. Mais, si tout à
coup il était mêlé à une grande quantité d'un gaz actif, à du
chlore, par exemple, peut-être en serait-il autrement?
D'ailleurs , si l'atmosphère n'exerce pas sur la peau de
l'homme une action chimique par l'air lui-même, elle en
exerce incontestablement une par la lumière qui , en venant
du soleil , la traverse. On ne peut méconnaître que les par-
ties de la peau que frappe la lumière solaire , n'aient une
couleur plus foncée que celles que nos vêtements dérobent à
son contact; et, bien que la couleur des diverses races d'hom-
DES KAPPOUTS PHYSIQUES ET CHIMIQUES. 3oi
mes ait une cause organique , l'influence chimique de la lu-
mière solaire a peut-être aussi quelque part aux différences
que, sous ce rapport, présentent les hommes dans les divers
climats.
Enfin , l'atmosphère ne peut manquer d'exercer quelques
influences physiques sur l'homme, en raison des divers phé-
nomènes météorologiques qui se passent en elle. On conçoit
quels effets physiques doivent résulter des brouillards, de
la pluie, de la neige, de la grêle. Quand de grands vents
agitent l'air , l'homme peut en recevoir une percussion telle
qu'il soit renversé; mais ce sont là des phénomènes rares;
le plus souvent la mobilité de l'air n'a d'autre résultat que
d'augmenter les effets dépendants de la température et de
la faculté dissolvante de l'atmosphère. Quant aux nombreux
phénomènes électriques dont l'atmosphère est le théâtre 5
voici leurs influences physiques sur l'homme. L'air est-il
très sec , et par conséquent complètement isolant, en même
temps que les nuages sont très élevés, et à une très grande
distance du globe? toute communication électrique est in-
terceptée , et nul phénomène électrique ne se manifeste.
L'air, au contraire , est-il très humide ? est-il devenu par là
conducteur de l'électricité? il y a dès lors communication
entre le globe et les nuages. La communication est -elle
immédiate ou fort étendue? l'équilibre électrique s'établit
insensiblement et sans phénomènes apparents, et l'homme ,
comme tous les autres corps terrestres, a sa part dans la
transmission. La communication n'est-elle pas assez com-
plète , ou est-elle trop peu étendue proportionnellement à
la charge électrique des nuages? l'équilibre ne se rétablit
que par de violentes explosions qui donnent lieu aux éclairs
et au tonnerre; et si 1* homme se trouve sur le passage du
fluide, au moment de la décharge foudroyante, il reçoit
une commotion qui peut le tuer. Enfin, comme il est prouvé
que la sphère de l'électricité atmosphérique s'étend à une
certaine distance, l'homme doit la recevoir comme les autres
corps; et, en effet, cette influence est manifestée en cer-
taines personnes par le sentiment de malaise qu'elles éprou-
vent à l'approche des orages.
3û2 DES RAPPORTS DE l'hOMME AVEC LA NATURE.
Tels sont les phénomènes physiques et chimiques qui
résultent pour nous de notre rapport obligé avec l'atmo-
sphère; et c'est à eux que nous bornons ce que nous avons à
dire sur nos rapports mécaniques 3 physiques et chimiques
avec les corps extérieurs. En effet, si l'on excepte nos vête-
ments, tout autre corps n'est jamais qu'éventuellement en
contact avec nous ; et nous ne devons pas conséquemment
traiter de leur action physique et chimique sur nous , puis-
que nous n'avons à parler ici que des rapports qui sont pour
nous, ou nécessaires, ou inévitables. Quant à nos vêtements,
indépendamment du service qu'ils nous rendent sous le
rapport de leur température et dont nous avons déjà parlé ,
leurs autres offices physiques sont d'absorber la matière de
notre transpiration , de nous défendre de l'influence chi-
mique de la lumière , de celle de l'humidité , et de nous
protéger contre tous les contacts qui pourraient altérer le
tissu de nos organes.
§ II. Piavporls organiques de V Homme avec les corps extérieurs.
Non-seulement l'homme , à cause de son contact obligé
avec les autres corps de la nature, a avec eux les rapports
physiques dont nous venons de parler; mais encore il en-
tretient avec ces corps d'autres relations sans lesquelles il ne
pourrait ni vivre , ni accomplir certaines de ses facul tés ;
i! reçoit d'eux certaines influences qui sollicitent à l'action
sa puissance vitale , et en modifient les effets. Ce sont les
relations de cet ordre, tenant à sa nature d'être vivant ,
que nous appelons rapports organiques. Ces rapports sont
d'autant plus nombreux en tout être vivant, que cet être a
une organisation plus compliquée , et un pouvoir sur la
nature plus grand. Deux facultés de la vie, en effet, les
entraînent forcément à leur suite, celle de se nourrir, et
celle de sentir; et ils seront d'autant plus multipliés que
la première de ces facultés exigera pour s'accomplir un con-
cours plus grand d'actions , et que la seconde aura une plus
grande extension. À ces titres divers, ils doivent être, et
sont en effet considérables chez l'homme. Du reste, ils sont
DES RAPPORTS ORGANIQUES. 3o3
déjà connus; en faisant l'histoire des fonctions de relation ,
de nutrition et de reproduction , irrésistiblement nous
avons du les signaler. Nous allons nous borner à les rappeler
en peu de mots , en nous renfermant encore dans ce qui est
de l'état normal ou de santé.
D'abord , nous retrouvons encore ici au premier rang
cette même atmosphère que nous venons de voir exercer
sur l'homme tant d'influences physiques. Nous puisons con-
tinuellement en elle l'élément nécessaire à la formation de
notre sang, l'oxygène; et , à ce titre, un rapport avec elle
nous est d'une nécessité absolue. Aussi y sommes-nous
plongés de toutes parts! Aussi la concordance la plus heu-
reuse existe-t-elle entre la composition de l'atmosphère, et
ce premier de nos besoins! Le poumon est-il la seule voie,
par laquelle nous prenons dans l'atmosphère l'oxygène utile
à notre vie ? ou , la peau , qui est dans un contact continuel
avec l'air, n'y puise- t-elle pas aussi un peu de ce principe?
Comme une respiration cutanée exis te enbeaucoup d'animaux,
on l'a admise par analogie dans l'homme; mais nous avons
vu que relativement à cet être, cela est au moins douteux.
Toutefois, à ne considérer l'atmosphère que sous ce premier
point de vue, qv.e comme aliment de la respiration, de
quel intérêt est pour nous le rapport]que uous avons avec
elle ? Le principe oxygène existe- t-il dans l'air en trop petite
quantité, comme sur le sommet des hautes montagnes, ou
sous le récipient de la machine pneumatique quand on y a
fait le vide , ou dans un espace étroit où beaucoup d'hommes
sont rassemblés? la respiration se presse, pour suppléer,
par la précipitation de ses mouvements, à ce qui manque
à la richesse de l'air. L'air est-il remplacé par un gaz qui ne
contient pas d'oxygène ? il y a asphyxie. Le gaz asphyxiant
nuit-il, non-seulement parce qu'il ne fournit pas d oxy-
gène , mais encore par une influence délétère directe sur
quelques-uns des organes ? l'asphyxie qui survient n'est
pas seulement négative, mais elle est positive , un véritable
empoisonnement.
Puisons-nous dans l'atmosphère quelques-uns des autres
principes qui y existent, et particulièrement quelques-uns
3o4 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LA NATURE,
de ces fluides impondérables qui ont généralement part à la
production de tous les phénomènes naturels, savoir, calo-
rique , lumière , électricité, etc. ? La chose n'est pas aussi
démontrée que la préhension de l'oxygène ; mais les considé-
rations suivantes portent à le croire. i° Ces matières existent
dans tous les corps vivants ; elles sont certainement trop
subtiles, pour croire qu'elles y ont été faites de toutes pièces ;
s'il existe des corps véritablement simples , élémentaires , ce
doit être ceux-là; et par conséquent les corps vivants ont
dû puiser dans la nature générale ce qu'ils en contiennent.
2° On sait que les sectateurs des générations spontanées at-
tribuent à l'action de ces agents la plus grande part dans
la production des êtres vivants, qui selon eux, sont for-
més de toutes pièces. 3° Beaucoup de physiologistes recon-
naissent la plus grande analogie entre le fluide nerveux ,
moteur principal de la vie, et le fluide électrique; et c'est
une présomption plus fortement établie aujourd'hui que
jamais, que l'électricité a une grande part à la production
des phénomènes vitaux , et constitue l'essence de la vie.
4° Enfin , on peut arguer de l'heureuse influence exercée par
ces agents sur la vie , et du besoin que paraissent en avoir
tous les êtres vivants quelconques. Yoyez les plantes lan-
guir, s'étioler par la privation de la lumière, et revêtir en
quelque sorte une puissance motrice, pour se diriger du côté
duquel elles peuvent recevoir ce bienfaisant élément. Des
polypes renfermés dans un vase qui ne reçoit la lumière que
d'un côté, se dirigent vers le point par lequel leur arrive ce
principe. Les animaux supérieurs ne sont pas plus indépen-
dants de cet élément vivifiant, du moins à juger par la
force qu'imprime, à ceux d'entre eux qui sont faibles, l'in-
solation. M. Edwards a expérimenté que les œufs de batra-
ciens fécondés, ne se développent pas s'ils sont tenus dans
l'obscurité, et que la transformation des têtards de gre-
nouille s'y fait beaucoup plus tard : or, si la lumière est
ainsi un élément nécessaire à ces premiers âges de la vie ,
pourrait-elle être sans influence dans les âges suivants ? Ce
que nous disons de la lumière s'applique au calorique. Voyez
les plantes ralentir et même suspendre leur mouvement vital
DES RAPPORTS ORGANIQUES. 3o5
pendant la saison froide, pour repousser leurs feuilles et
leurs fleurs au retour de la saison chaude. Voyez la même
alternative de suspension et d'activité se montrer dans les
animaux hybernants. La chaleur est si bien la cause de ces
grands changements, qu'on peut, par le chaud artificiel,
forcer les végétaux à intervertir l'ordre des saisons. Les cli-
mats, enfin, démontrent de même l'influence vivifiante du
calorique : combien sont détériorées, dans les régions gla-
cées des pôles , toutes les productions végétais et animales !
et combien ces mêmes productions sont exubérantes et gi-
gantesques dans les régions équatoriales ! Cependant, nous
le répétons, l'absorption de ces matières, lumière, calori-
que, par le corps vivant, n'est pas une chose aussi démon-
trée que celle de l'oxygène; et il est possible que ces matières
ne servent ici que comme excitateurs, comme stimulants
du mouvement vital. Du reste, en envisageant de cette
manière l'influence de ces corps, ils n'en fondent pas moins
nn 1-apport organique nécessaire à notre vie, et que nous
devions noter.
Outre ces matières premières que nous puisons dans l'at-
mosphère, nous pouvons y prendre les diverses substances
étrangères, tant minérales que végétales et animales, qui
sont en suspension dans son sein. L'air n'est jamais pur;
toujours sont interposés entre ses molécules divers produits
de l'évaporation des substances solides et liquides du globe ;
et une imbibition , les absorptions cutanée et pulmonaire,
souvent font pénétrer dans l'économie ces diverses substan-
ces. C'est ainsi que des vapeurs cuivreuses, arsenicales, ré-
pandues dans l'air, ont occasioné des empoisonnements,*
que l'air, chargé de miasmes putrides , fait naître des ty-
phus, etc. INous avons dit que l'absorption pulmonaire était
encecibien plusaetivequei'absorptioncutanée. Maisvoujant
nous renfermer dans ce qui est de l'état normal, il doit
nous suffire de signaler ce rapport , comme devant fixer
l'attention , quand il s'agit de déterminer les causes des
maladies , et de faire servir l'hygiène à les prévenir et à les
guérir.
Enfin l'atmosphère a encore, sur le corps humain, des
Tome IV, 20
3o6 DES RAPPORTS DE i/HOMME AVEC LA NATURE,
influences organiques bien dignes d'être notées , en raison
de sa température , de son état de sécheresse et d'humidité ,
de son état électrique. Sous le premier point de vue, elle est
pour nous une occasion continuelle de sensation ; et les
effets organiques de son action diffèrent, selon que ces sen-
sations sont de chaud ou de froid, et sont plus ou moins
intenses. La chaleur, quand elle est modérée, est favorable
à l'exercice des fonctions; mais si elle est trop forte, elle
relâche les solides, amène l'expansion des fluides, augmente
la transpiration cutanée , élève cette sécrétion à l'état de
sueur, et frappe de débilité toutes les fonctions; l'appétit
est peu vif; on est peu disposé à se mouvoir, et porté au
sommeil , etc. Si l'influence de la chaleur est combinée avec
celle de la lumière, son impression débilitante est moindre , et
même est remplacée par une action tonique mai-quée. Le
froid au contraire , resserre les solides , condense les flui-
des diminue la transpiration cutanée , et généralement
donne plus d'activité à toutes les fonctions. Bien entendu
que ceci n'est vrai que du froid modéré ; car le froid extrême
amène bientôt la rigidité des membres, leur engourdisse-
ment, leur insensibilité; le sang s'arrêtant dans les vais-
seaux de la peau, cette membrane devient crispée, dure,
pâle, violette; l'immobilité gagne de la circonférence au
centre, et l'homme enfin tombe dans un sommeil qui le
conduit doucement à la mort. Si l'air est humide , l'action
transpiratoire est diminuée , et les impressions de chaud et
de froid sont plus fortes; l'air chaud et humide, par exem-
ple , abat bien plus les forces que l'air chaud et sec ; et l'air
humide et froid nous cause un froid bien plus pénétrant que
tout autre. L'air sec , au contraire, est favorable à la transpi-
ration cutanée, et presque toujours salubre ; il est moins ac-
cablant quand il est chaud que l'air humide , et moins péné-
trant quand il est froid. Du reste , dans nos climats, où les
températures de l'air ne sont jamais extrêmes, ces tempéra-
tures ne nuisent guère que par leurs vicissitudes. La plus
nuisible est celle du chaud au froid, et surtout au froid hu-
mide ; la peau eu reçoit un sentiment de constriction dou-
loureux , l'action de transpiration de,cette membrane est ar-
DES RAPPORTS ORGANIQUES. 3o?
rêtée; et sympa iniquement éclatent au loin diverses phleg*-
masies séreuses, muqueuses, articulaires, dans les organes
qui sont primitivement plus faibles ou déjà souffrants. Dans
la vicissitude opposée du froid au chaud , le principal phé-
nomène est une expansion marquée dans les fluides , surtout
dans le sang; les vaisseaux sont distendus, et il y a menace
de suffocation, d'apoplexie. Enfin, quand l'atmosphère est
le siège de divers phénomènes électriques, l'économie s'en
ressent ; le malaise qu'éprouvent alors certaines personnes
nerveuses en est la preuve; mais il est difficile de caracté-
riser la modification que subit alors le corps. Nous sommes
courts sur toutes ces considérations qui appartiennent plus
à la physiologie appliquée, c'est-à-dire à l'hygiène, qu'à la
physiologie spéculative.
Après le rapport avec l'air, celui qui est le plus prochai-
nement nécessaire à notre vie est celui de l'alimentation ;
le sang, qui nourrit nos organes et vivifie le système ner-
veux, n'est pas fait seulement à l'aide de l'oxygène que nous
puisons dans l'atmosphère , il est continuellement entretenu
avec les produits convenablement élaborés des aliments et
des boissons; les aliments en renouvellent la partie globu-
laire, et les boissons la partie liquide. Nous avons dit, dans
le temps, dans quelle limite est renfermé pour nous le be-
soin de l'alimentation , dans quels règnes de la nature nous
puisions nos aliments et nos boissons. Les diverses substan-
ces naturelles se partagent à cet égard en trois classes; celles
qui, déposées dans l'appareil digestif y subissent l'élabo-
ration nutritive; celles qui résistent au contraire à l'action
de cet appareil, mais sans le perturber, et sans exercer au-
cune influence sur nous; et enfin celles qui ne se digèrent
pas dans l'appareil , et produisent en nous une modification
morbide. Les premières de ces substances seules méritent le
nom à' aliments ; les dernières, au contraire, sont des mé-
dicaments ; et parmi ces substances médicamenteuses, celles
qui exercent une action promptement mortelle ou très éner-
giquement délétère , ?ont appelées poisons. Une harmonie ,
primitivement établie par l'Auteur des choses, décide quel
rang occupe dans cette catégorie , relativement à telle espèce
20.
3o8 DES RAPPORTS DE i/HOMME AVEC LA NATURE,
animale , toute substance naturelle quelconque. Un rapport
existe entre la structure de l'appareil digestif et l'économie
générale de l'être, et la substance que doit élaborer l'appa-
reil, et dont les produits doivent être appropriés aux orga-
nes. Ce rapport est quelquefois appréciable dans ses traits
principaux; on saisit, par exemple, les motifs de la diffé-
rence que présentent, dans leur appareil digestif, les ani-
maux herbivores et carnivores ; mais le plus souvent ce rap-
port échappe, surtout en ce qui concerne les plus petites
spécialités. Chaque animal est ici renfermé dans de certaines
limites qui sont posées par la nature elle-même; et ces li-
mites ont plus de latitude chez l'homme, qui était destiné
à parcourir en tout sens la surface de la terre , et à se fixer
en tous climats. L'habitude d'ailleurs les étend encore. Ce-
pendant, se montrent ici souvent des sympathies et des an-
tipathies spéciales. Ainsi que les divers organes du corps
étaient unis entre eux pour faire concourir leur action à un
même résultat , de même l'homme a certains rapports sym-
pathiques ou de convenance , et antipathiques ou d'opposi-
tion, avec les corps extérieurs; et plusieurs rapports de ce
genre se montrent dans l'alimentation. Sans doute la pré-
sence des aliments dans l'appareil digestif est une circon-
stance qui stimule cet appareil et l'excite à agir; mais il en
manifeste le besoin sans leur contact, comme le prouve le
sentiment de la faim. Du reste, de même que l'atmosphère ,
ce milieu dans lequel nous puisions notre autre élément de
vie , était susceptible de varier sans cesse dans sa compo-
sition , sa chaleur, son degré de sécheresse , et par suite im-
primait de continuelles modifications à notre économie; de
même les aliments et les boissons présentent inévitablement
de semblables mutations, et sans cesse aussi ils modifient
le corps en raison de leurs qualités , de la quantité dans la-
quelle on les prend , des circonstances de leur ingestion , etc.
Mais nous ne pouvons encore nous permettre ici aucuns dé-
tails, sans empiéter sur ce qui est de la physiologie appli-
quée , ou de l'hygiène.
Ces raonorts avec l'air d'une part, et les aliments et les
boissons de l'autre, sont les seuls que réclame notre nutri-
DES RAPPORTS ORGANIQUES. 3o0
tion ; car nous n'avons pas besoin de dire, qu'en même
temps que l'univers extérieur nous fournit la matière nou-
velle que nous nous approprions , il reçoit celle dont nos
excrétions nous dépouillent. Passons donc aux rapports qui
ont trait à notre faculté de sensibilité.
Nous trouvons ici au premier rang ceux qui sont dus à
l'action de nos sens. Il y a un rapport entre la lumière et
notre œil, entre le son et l'oreille, les odeurs et l'organe
de l'odorat, les saveurs et la langue , enfin entre la tempé-
rature des divers corps et la peau. C'est au moyen de ces
rapports que nous avons une notion sentie de l'univers, et
que nous apprécions les diverses qualités des corps qui le
composent. La nature a édifié en nous certains organes , avec
l'aptitude de recevoir de ces corps diverses impressions, au
moyen desquelles nous en avons la connaissance. Ici encore
éclatent des sympathies et des antipathies. Non-seulement
telle substance qui est inodore, insipide pour telle espèce
animale, a au contraire une odeur et une saveur marquées
pour telle autre espèce; mais encore telle odeur ou saveur
qui déplaît à Fun, plaît à l'autre. Nul doute que la cause
de ces sympathies ou antipathies ne réside dans la structure
des nerfs des sens , et dans le rapport que la nature a établi
entre ces nerfs et les corps qui doivent les impressionner;
mais la condition matérielle de ce rapport nous échappe. Il
est évident qu'ici les corps extérieurs sont les excitants obli-
gés des organes, et que , sans eux, le jeu de ceux-ci n'aurait
pas lieu. Mais nous avons parlé avec assez de détails des
actions des sens, pour être dispensé de nous arrêter plus
long-temps aux rapports qui les concernent. L'état de veille
est toujours accompagné de quelques-uns de ces rapports ; e t ils
varient sans cesse, comme l'univers qui leur donne naissance.
Nous ne ferons que mentionner ici les rapports organi-
ques dus aux sensations internes qui président à nos inges-
tions et à nos excrétions, comme la faim, la soif, le senti-
ment de la défécation , etc. Sans doute ces sensations ont
trait à des rapports avec l'extérieur; mais ces rapports ren-
trent dans ceux que nous avons appelés nutritifs, et dont
nous avons parlé en premier lieu.
3 10 DES RAPPORTS DE l'hOMME AVEC LA WATURE.
Enfin, parmi les rapports dus à notre faculté de sensibi-
lité, aucuns ne sont plus importants que ceux qui dépen-
dent de nos facultés intellectuelles et affectives, et qu'on
peut appeler moraux, lis sont aussi multipliés chez l'homme
que les facultés dont ils dérivent. Par eux , non- seulement
l'homme est uni à ses semblables , et entretient avec eux des
liens de famille et de société ; mais encore il est mis en rela-
tion avec Dieu lui-même. Ayant en lui-même le sentiment
instinctif de l'existence d'un Créateur , porté par le même
instinct à en appeler à lui dans toutes les circonstances de
sa vie, il se rend ainsi participant de sa Puissance et de son
Eternité. Mais il n'est pas de notre objet encore de détailler
tout ce qui tient à nos rapports intellectuels et affectifs.
Nous aurions aussi à signaler ici des sympathies et des an-
tipathies; à nous étonner de la rapidité avec laquelle les
impressions se communiquent d'homme à homme , et des
profonds bouleversements que quelquefois ces impressions
produisent. Il faudrait tracer les diverses circonstances ex-
térieures à Voccasion desquelles éclatent toutes nos passions ;
et ceci rentre dans la science appelée morale. Terminons
donc cette énumération rapide de nos divers rapports orga-
niques avec la nature , rapports que nous pourrions ranger
en quatre classes , nutritifs , reproductifs , sensitifs et wo-
raux , en faisant remarquer que le sommeil interrompt tous
ceux des trois derniers ordres, et encore une partie de ceux
du premier, ceux de l'alimentation, par exemple.
QUATRIÈME PARTIE.
DES AGES DE L'HOMME.
Ainsi que tout corps organisé, l'homme éprouve, pen-
dant la durée de sa vie, des mutations constantes, qui
constituent ce qu'où appelle ses âges. Il n'a pas, dès son
origine, ni sa stature, ni la plénitude des diverses facultés
que nous avons vu être ses attributs; mais d'abord embryon
débile, à peine apercevable, il emploie des années à par-
venir par gradation à son développement parfait; ensuite
il paraît y rester un certain temps; et après il décline,
avec gradation aussi , pour être enfin frappé de mort. Dans
l'intervalle qui s'étend de la conception à la mort, et qui
comprend sa vie, des changements considérables et succes-
sifs surviennent dans l'état de ses organes, dans leurs rap-
ports entre eux, et par conséquent dans l'accomplissement
de ses fonctions. L'étude de l'homme, sous ce rapport, ap-
partient évidemment à la physiologie hygiénique, à l'his-
toire de cet être considéré dans l'état normal , et c'est elle
qui va faire l'objet de la quatrième partie de cet ouvrage.
Nous allons remonter au moment où la vésicule ovarienne,
avivée par la conception, commence ses développements; nous
montrerons cette vésicule arrivant dans l'utérus, et nous dé-
crirons les diverses phases qu'elle y subit; puis, faisant naître
l'homme, nous indiquerons les changements qui survien-
nent en lui, à mesure qu'il devient enfant, adolescent,
adulte , vieillard ; et nous suivrons ainsi le cours de sa vie ,
jusqu'à la mort qui en est le terme. Les changements qu'é-
prouve l'homme dans cette durée sont immenses, et ont
servi à partager sa vie en plusieurs époques. Nous en recon-
naîtrons deux principales; celle où il est encore dans le ssin
maternel , qu'on appelle la vie intra-utérine ; et celle où il
3i2 - VIE INTRA-UTÉRINE.
en est séparé et jouit d'une vie indépendante , qu'on appelle
vie extra-utérine } ou les âges proprement dits.
SECTION PREMIERE
VTE INTRA-UTERINE.
Cette époque de la vie humaine embrasse tout le temps
où l'homme, successivement ovule, embryon, fœtus, est
renfermé dans le sein de sa mère , c'est-à-dire les neuf mois
qui s'écoulent de la conception à la naissance» Quoique cet
intervalle soit court relativement à la durée du reste de la
vie, il est marqué par beaucoup plus de changements que
l'homme n'en éprouvera par la suite. Dans l'histoire que
nous allons en faire, il est plus utile que jamais de suivre
notre ordre accoutumé, c'est-à-dire de commencer par la
description des parties, avant d'en exposer le jeu.
CHAPITRE PREMIER.
Anatomie du Foetus.
Pendant ïa vie intra-utérine, l'homme passe par beau-'
coup d'états, dont plusieurs, les premiers surtout, sont
couverts encore des plus épaisses ténèbres.
D'abord, qu est-il avant la conception ? Nous ne revien-
drons pas sur ce qui a été dit à cet égard à l'article de la gé-
nération. Pour les sectateurs de Tépigénèse , il n'existe pas
encore; chaque sexe seulement prépare les matières qui, par
leur association, doivent le former, le sperme d'une part, et
ia vésicule ovarienne de l'autre. Pour ceux de l'évolution ,
il existe, soit sous forme d'animalcule spermatique dans le
fluide séminal , soit sous forme de germe dans ia vésicule
ovarienne. Celle-ci , comme nous l'avons dit en parlant des
ANATOMIE DU FŒTUS. SiS
ovaires , est transparente, du volume d'un grain de millet ,.
et formée d'une membrane fine que remplit un liquide jau-
nâtre ou rougéâtre f dans lequel on ne distingue rien de
solide.
En second lieu j la vésicule ovarienne, qu'elle soit un germe
contenant les rudiments de l'individu nouveau, et n'ayant
besoin que d'être avivé, ou qu'elle soit seulement un des élé-
ments destinés à former cet individu nouveau, subit-elle une
sorte dematuration indispensable, avant d'éprouver la fécon-
dation ? Nous avons dit que cela était sûr pour les animaux
chez lesquels la fécondation a lieu à l'extérieur; que l'analogie
portait à croire qu'il en était de même cbez les autresovipares,
qui en effet pondent des œufs sans avoir souffert aucunes ap-
proches; qu'enfin quelques physiologistes le croyaient même
des vivipares; mais qu'à l'égard de ces derniers, cependant,
la chose était plus douteuse. Ceux c^R admettent cette ma-
turation, la font consister en ce que la vésicule première a
beaucoup grossi, s'est crevée, et a laissé échapper de son
intérieur une autre vésicule beaucoup plus petite, et qu on
a appelée ovule pour la distinguer de la première. Cet ovule
a paru être aussi une petite vessie, pleine d'un liquide trans-
parent et albumineux, ayant à l'extérieur une apparence
mamelonnée , et offrant en un de ses points une petite
tache blanche, qu'on appelle cicatricule. Cette petite tache
est très importante, car elle est le rudiment de l'individu
nouveau ; le reste de l'ovule ne paraît être que de la matière
nulrive , préparée pour ses développements.
En troisième lieu, quel changement imprime, soit a la
vésicule ovarienne primitive, soit à cette vésicule mûrie et
dévenue ovule , la fécondation ? Ce changement ne peut
encore être caractérisé , et nous sommes ramenés aux aveux
d'ignorance que nous avons faits à l'article de la conception.
Selon les uns, l'ovule n'a été qu'avivé; selon d'autres , une
partie du sperme, l'animalcule spermatique, par exemple,
s'est joint à lui pour former le rudiment de l'individu nou-
veau. On se rappelle que MM. Damas, Prévost et Rolando >
ont professé cette dernière opinion, disant que l'animalcule
spermatique s'appliquait à la cicatricule pour former le
3l4 VIE INTRA-UTÉRINE.
système nerveux du nouvel être, et que celle-ci et le reste
de Fovule n'étaient que la gangue gélatineuse avec laquelle,
sous l'influence du système nerveux, étaient formés les or-
ganes. C'est toujours le même débat de l'épigénèse et de
l'évolution. Quoi qu'il en soit, à partir de ce moment, la
vésicule ovarienne représente l'individu nouveau, car elle
est destinée à le devenir, et voici en quoi elle diffère de ce
qu'elle était dans le temps précédent : la cicatricule est plus
brillante; formée primitivement d'une lame membraneuse
blanche, fort épaisse, criblée de petits trous à travers les-
quels on voyait le reste de l'ovule , cette cicatricule est
devenue plus mince , transparente ; elle est partagée en
deux zones , une extérieure plus épaisse , appelée champ
opaque, et une intérieure plus diaphane, appelée champ
transparent : au centre de celle-ci, qui est régulièrement
circulaire , on voit urarpetit trait d'une demi-ligne de lon-
gueur , qui est le rudiment du fœtus , la première trace
de son système nerveux.
L'ovule fécondé, et tel qu'on vient de le décrire, quitte
alors l'ovaire. Les uns disent que c'est au moment même de
la conception, et nous avons cité une observation de gros-
sesse extra-utérine , qui semble devoir le faire croire. Les
autres, et c'est le plus grand nombre, disent que ce n'est
qu'après quelques jours , qu'après un temps qui varie dans
chaque espèce animale. Cruiskanck, expérimentant sur des
lapines, vit les ovules dès le troisième jour dans la trompe,
et dès le quatrième, dans l'utérus. Haigton, détermina des
gestations tubaires dans ces mêmes animaux, en coupant les
trompes dans les deux premiers jours ; mais s'il ne faisait
la section qu'après soixante heures, la gestation utérine avait
lieu, preuve que les ovules à cette époque avaient déjà passé.
Nous avons cité une expérience analogue de Nuck , de la-
quelle on pouvait déduire la même conséquence. MM. Dumas
et Prévost disent, que ce passage se fait chez la chienne, du
huitième au onzième jour. Dans l'espèce humaine, on a dit
le douzième jour; mais il se fait plus tôt. Home, exami-
nant le cadavre d'une femme morte huit jours après une
approche, trouva déjà dans l'utérus l'ovule qui était mern-
AJSATOMIE DU FOETUS. 3i5
braneux , et qui avait une ligne de longueur sur une demi-
ligne d'épaisseur.
Dans son trajet à travers la trompe, F ovule a-t-il changé?
Cela est certain dans les ovipares. Dans les oiseaux, par
exemple , l'ovule n'est composé à l'ovaire que du jaune ,
substance nutritive destinée à nourrir l'individu nouveau,
et de la cicatricule qui est le rudiment de celui-ci : c'est en
traversant l'oviductus qu'il a acquis le blanc qui est extérieur
au jaune, et en traversant le cloaque , qu'il a revêtu l'enve-
loppe crétacée, la coquille. Mais cela est douteux, en ce qui
concerne les vivipares et l'homme. Cruishanck dit que dans
le trajet à travers la trompe, l'ovule s'est gonflé comme un
pois chiche. D'autres ont pensé que la substance séro-albu-
inineuse , qui , immédiatement après un coït fécondant , est
sécrétée dans l'utérus pour la formation de la membrane
caduque, est dans les vivipares l'analogue des blancs de
l'œuf des ovipares. Récemment, M. Geoffroy St.-Hilaire a
soutenu que dans la trompe, l'ovule ne faisait que grossir,
et que, sans éprouver aucuns changements importants, il
arrivait à l'utérus tel qu'il était à l'ovaire. Quel est en
effet, dit ce naturaliste , le but des changements qu'éprouve
dans la trompe l'ovule des ovipares? c'est d'affranchir cet
ovule du besoin de s'implanter à la mère, pour subvenir à
ses développements; c'est de lui donner les formes qui per^
mettront ses développements sans le secours d'une commu-
nication directe avec la mère : or , ajoute-t-il , ces formes
n'étaient pas nécessaires à l'ovule des vivipares , et par
conséquent , cet ovule a pu parvenir à l'utérus sans les
acquérir.
L'ovule arrivant dans l'utérus ; ou se plonge en entier
dans la substance séro-albumineuse qui remplit alors cet
organe , et voit s'organiser autour de lui le double feuillet
membraneux qui constitue la caduque; ou trouvant déjà
cette membrane organisée et tapissant l'utérus , il la pousse
devant lui à mesure qu'il pénètre le viscère, et s'en entoure
dans la plus grande partie de son étendue. On admet l'une
ou l'autre de ces deux manières de voir , selon qu'on a admis
l'une ou l'autre des deux opinions coïncidentes sur le mode
3l6 VIE INTRA-UTÉRINÈ.
de formation de la caduque. Continuant de grossir dans
l'utérus, en cinq jours chez les chiens, il atteint le dia-
mètre d'un pois r devient pyriforme , et bientôt par des
filaments qui naissent de sa surface externe , il contracte
des adhérences avec la caduque , et cesse d'être flottant.
Examiné à cette époque, il ne paraît être encore que ce
qu'il était à l'ovaire après la fécondation, sauf qu'il est
plus gros.
L'époque à laquelle on commence à voir nettement dans
l'ovule un rudiment d'embryon , est peu précise , même
dans les ovipares, chez lesquels cependant les observations
sont plus faciles. Hallerd.it que sur des brebis, animaux qui
portent sept mois, il ne vit jusqu'au dix-septième jour,
qu'un mucus uniforme ; qu'alors des membranes parurent
former l'enveloppe de l'ovule, et en déterminer la forme;
et qu'au vingt-cinquième jour, un point opaque annonça
le fœtus. Haigton , observant sur des lapines , dont la gesta-
tion est de trente jours, ne vit rien avant le sixième jour,
et le fœtus ne s'annonça qu'au dixième. Dans l'observation
de Home, que nous avons citée, et qui a le mérite d'être
relative à l'espèce humaine, l'ovule qui avait huit jours,
offrait déjà deux petits points opaques; il avait la forme
d'un flocon grisâtre , semi-transparent; il était prompt à se
liquéfier, et son poids pouvait, par approximation, être
évalué à un grain.
Les développements premiers que subit l'ovule, pour arri-
ver au point où l'on peut y distinguer nettement i<> le nouvel
être sous forme d'embryon ou de fœtus, 2 ° les parties annexes
qui sontuniesà cet embryon pour lefaire vivre et croître, sont
inconnus dans l'homme. Chez cet être, ces développements
se font à une époque trop rapprochée de la conception ; ils se
succèdent avec trop de rapidité, et souvent une heure ou deux
suffisent pour le passage d'une phase à une autre; l'observa-
tion en est délicate et difficile, parce que les objets sont alors
si petits, qu'ils sont à peine saisissables par le microscope;
enfin, les occasions de faire ces observations sont rares. Ce
n'est que par les recherches qu'on a faites sur les animaux,
et surtout sur les animaux ovipares, qu'on a pu s'en faire
ANATOMIE DU FOETUS. 3 J 7
quelque idée. Chez les ovipares , tous ees développements se
faisant comme à l'extérieur, il était plus facile de remonter
à leur origine, et d'en suivre les progrès. Aussi, telle a été la
marche suivie par tous les physiologistes, depuis Aristote, jus-
qu'à nos jours. Fabrice d' Jq uapendente, Malphigi, Haller,
Spallanzani y TVolJ > MM. Cuvier , Dutrochet, Pander et
Rolando, etc. , se sont efforcés de suivre les phases du déve-
loppement, soit du poulet dans l'œuf de la poule, soit du
têtard et de la grenouille dans l'œuf des batraciens; et ré-
cemment, de semblables travaux ont encore été entrepris
par MM. Dumas et Prévost. Malheureusement tous ces ex-
périmentateurs sont dissidents ; il est difficile d'entendre ,
même avec le secours des figures, les descriptions forcément
minutieuses qu'ils ont tracées ; souvent ils ont donné aux
mêmes parties des noms différents, ajoutant ainsi aux diffi-
cultés de la chose elle-même , les embarras d'une nomencla-
ture peu fixe; enfin, ils n'ont fait que fournir des arguments
à l'analogie. Or, peut-être ici l'analogie n'est pas applicable,
car l'œuf d'un ovipare, qui doit contenir en lui tous les
éléments de ses développements futurs, doit être différem-
ment édifié que celui d'un vivipare destiné à s'implanter
dans le sein maternel , et à y puiser; et dès lors, les déve-
loppements de l'un et de l'autre peuvent se faire d'après
des lois diverses. Toutefois, voici quelques détails rapides
sur les travaux de ce genre.
Un œuf d'oiseau , de poule , par exemple, est composé de
deux sortes de parties ; les unes qui ne prennent presque
aucune part au développement du nouvel être, et qui après
son éclosion restent comme des résidus morts; les autres,
dont les métamorphoses sont en rapport avec celles de
l'embryon, et qui coopèrent à sa formation. Les premières
sont la coquille , et la membrane qui la tapisse; les secondes
sont le blanc de l'œuf, le jaune et la cicatricule. La coquille
est poreuse, pour permettre l'absorption de l'air extérieur, et
l'évapora lion d'une partie du blanc de l'œuf: encore membra-
neuse à l'ovaire , c'est dans le cloaque qu'elle est devenue
terreuse. La membrane qui tapisse la coquille est blanche,
bifoîiée; les deux lames qui la forment, se séparent au gros
3i8 VIE INTRA-UTERINE.
bout de l'œuf, et y laissent un espace rempli d'air, provenant
de l'éyaporation de l'albumine intérieure; cet espace est d'au-
tant plus grand que l'œuf est plus vieux. Le blanc n'existait
pas dans l'œuf attaché encore à l'ovaire; il ne s'est interposé
entre le jaune et la coque , que lorsque l'œuf a traversé
l'oviductus; il y en a deux, un en deliors, mince , fluide ,
qui s'évapore en partie, et qui est d'autant moins abondant
que l'œuf est plus vieux; un autre plus intérieur , beaucoup
plus dense , enveloppé par le premier , et qui ne touche à la
coque qu'à la pointe de l'œuf par un prolongement de sa
substance, appelée par Tredem le ligament du blanc. On
pourrait croire que le jaune ou viiellus n'est qu'une masse
demi - fluide sans organisation; mais i» deux membra-
nes, dites épidermiques , l'enveloppent en commun avec
la cicatricule, et deux prolougements de ces membranes,
appelés chalazes , s'attachent aux deux bouts de l'œuf, et l'y
suspendent comme à deux pôles; 20 il est encore renfermé
dans une membrane propre ; 3° enfin, sous les tuniques
épidermiques du jaune, et sur sa tunique propre, est la
cicatricule.
Tous les expérimentateurs disent que c'est de cette der-
nière partie de l'œuf que provient le nouvel être , et que le
blanc et le jaune ne sont que des matières nutritives pré-
parées pour subvenir à ses développements. Haller a même
prouvé que le jaune avait une communication directe avec
l'intestin du fœtus, et paraissait en être une dépendance.
Du reste , sans remonter aux expériences de ce physiologiste
et à celles des auteurs anciens sur l'évolution du poulet
dans l'œuf, arrêtous-nous à celles plus récentes faites par
MM. Cuvier et Dutrocket, Pander et Rolando ; elles suffi-
ront à notre objet.
Selon MM. Cmder et Dutrochet, rien ne paraît changé
encore dans l'œuf dans les premières heures de l'incuba-
tion ; mais, vers ïa septième à peu près, la cicatricule a grossi,
et représente, à la partie supérieure du jaune, et sous ses
tuniques épidermiques, un petit sac contenant quelque
chose de fluide; ce sac est l'embryon, contenu dans une
membrane qui lui est propre et qu'on appelle amnios. En
ANÀTOMIE DU FOETUS. 3 19
même temps la chalaze du gros bout de l'œuf s'est détachée,
et a permis au jaune de se porter de ce côté, pour que l'em-
bryon ou cicatricule se mette en rapport avec l'air qui rem-
plit l'espace vide qui y existe; le blanc est porté au contraire
en en bas, et d'ailleurs est absorbé successivement par le
jaune, qui ainsi se fluidifie et augmente de masse. Vers la
trentième heure , ce petit sac de l'embryon , successivement
agrandi , offre dans son milieu un petit cercle de couleur
blanchâtre, dans le centre duquel est un point semblable
à un ver ; ce point est le rudiment du poulet; et le cercle
est le premier vestige des vaisseaux qui puisent dans le
jaune , ce que Haller appelle \& figure veineuse. Le sang n'y
pénètre pas d'abord; mais bientôt cela arrive; un point
saillant et battant apparaît dans le poulet, c'est le cœur; on
voit l'aorte en naître, et ses branches se rendre dans la fi-
gure veineuse. Le poulet s'offre alors sous l'apparence d'une
ligne courbe, dont la partie antérieure renflée est la tête.
Dans les deux jours suivants, le jaune continuant d'absorber
le blanc et de grossir, ses membranes épidermiques se bri-
sent et laissent le sac de l'amnios à nu : sur celui-ci, la fi-
gure veineuse a continué de s'agrandir. Il paraît que, dans
ces premiers temps, c'est le jaune qui a nourri l'embryon ,
et que l'air renfermé dans l'espace qui est au gros bout de
l'œuf a servi à sa respiration. Dans le cours du quatrième
jour, sort, entre les rudiments des pieds du poulet, une
petite vessie, grosse comme une tête d'épingle , ayant quel-
ques vaisseaux qui lui sont propres , et communiquant avec
le cloaque. Cette vessie qu'on a appelée allantoïcle , grossit
rapidement; tellement qu'à la cent huitième heure, elle
sera assez grande pour envelopper tout le sac du jaune et îe
sac du poulet, bien que celui-ci ait continué de grandir.
Au cinquième jour, on distingue donc dans l'œuf trois sacs,
celui du jaune, celui de l'amnios ou du poulet, et celui de
l'allantoïde ; et voici comment chacun se comporte. Le sac
du jaune va en diminuant graduellement , et celui du fœ-
tus en augmentant; le premier, qui, d'abord était presque
tout l'œuf 5 arrive à n'être plus qu'un point; et le second
qui n'était primitivement qu'un point, la cicatricule, par-
320 ^IE INTRA-UTÉRINE,
vient à constituer presque tout l'œuf; à mesure que l'un
augmente, l'autre diminue, se creuse davantage; et lors-
que , vers la cent vingtième heure , le fœtus est assez formé
pour qu'on distingue en lui l'intestin, on voit clairement
que le jaune y tient par un pédicule , et que les vaisseaux
qui se rendent à la membrane de ce jaune sont des vaisseaux
qui proviennent des troncs mésentériques du fœtus , qui
sont sortis par son ombilic , et qu'on a appelés à cause de
cela omphalo-mésentériques . À mesure que le développement
avance, le jaune se montre de plus en plus une dépendance
de l'intestin du poulet; à tel point qu'aux approches de
l'éclosion , ce qui en reste rentre dans l'abdomen du poulet ,
et que le sac du jaune se remplit du même méconium vert
que contient l'intestin. Quant à l'allantoïde, cette mem-
brane, continuant de croître avec rapidité, bientôt enveloppe
tout l'œuf; et dès le huitième jour, ses extrémités venant à
se joindre vers le petit bout , se col lent entre elles, et entou-
rent l'œuf d'une double tunique , une extérieure , qu'on
appelle chorion , et une intérieure, qu'on appelle la mem-
brane moyenne , parce qu'elle est ainsi entre le chorion en
dehors, et l'amnios en dedans. Du moment de cette union,
la figure veineuse perd de son éclat, et il est évident qu'une
partie du sang qu'elle recevait va à l'allantoïde. Les vais-
seaux de celle-ci viennent aussi du fœtus ; ce sont ceux
qu'on appelle ombilicaux . Ils consistent; en une veine dite
ombilicale , qui , venant de la veine-cave , a traversé la scis-
sure du foie et est sortie par l'ombilic; et en deux artères, por-
tant le même nom, et qui sont des continuations des iliaques
primitives. Jusqu'au dixième jour, la membrane moyenne
de cette allantoïde, communique avec le cloaque par un
canal particulier, appelle ouraque , et contient un fluide,
qu'à cause de cette communication , on croit être de l'urine :
mais plus tard ce canal de communication se casse et dispa-
rait, et le fluide est résorbé et réduit à une matière glaireuse
et crayeuse.
Dans les autres ovipares , les phénomènes, disent MM. Cu-
vier et Dutrochet, sont à peu près les mêmes; si ce n'est que
dans ceux qui inspirent l'air, l'œuf ne contient pas de
ANATOMÏE DU FOETUS. _ 32 1
blanc, et que dans ceux qui respirent l'eau, non-seulement
il n'y a pas de blanc, niais encore que rien de ce qui ap-
partient à l'appareil de Fallantoïde ne se développe. L'œuf
réduit au jaune et à la cicatricule , se gonfle par suite de
son séjour dans Feau ; bientôt le fœtus apparaît attaché à la
boule du jaune; et celle-ci est si évidemment un appen^-
dice de l'intestin du fœtus, que la peau de cet être, son
péritoine, son intestin lui-même, en forment les parois.
Enfin, dans les mammifères et dans l'homme , ce sont en-
core, disent MM. Cuvier et Dutrochet, les mêmes disposi-
tions i le fœtus est aussi renfermé dans une membrane
propre, appelée amnios ; une vésicule dite ombilicale , terr
nant à son intestin, et recevant les mêmes vaisseaux, dits
omphaio-mésentèriques , que la membrane du jaune, rem-
plit à son égard les mêmes offices que ce jaune; enfin, Yal-
lanlo'ide , en se développant, forme aussi autour de tout
l'œuf une double membrane, savoir un chorion , et une
membrane moyenne, La seule différence est , que les vais^
seaux ombilicaux qui, dans l'œuf de l'ovipare, ont fini
aux deux membranes dites chorion et membrane moyenne 3
dans l'œuf du vivipare percent ces membranes, et vont aur
delà former un organe spongieux, vascujaire, destiné à
s'implanter dans l'utérus, et appelé placenta.
Ces travaux de MM. Cuvier et Dutrochet nous donnent
de premières lumières sur les parties annexes de l'individu
nouveau ; ceux de Pander et de Rolando sont plus relatifs
à cet être lui-même, et tendent à spécifier l'ordre dans le-
quel apparaissent ses diverses parties. Pander dit, que la
cicatricule est située sous la membrane même du jaune, qui
est plus claire, plus mince à l'endroit qui lui correspond.
Elle se présente sous l'apparence d'une tache circulaire , -de
deux lignes de diamètre, dont le bord externe est plus clair
et plus blanc, et dans le milieu de laquelle est un point
blanc, se faisant remarquer par sa clarté. Elle est composée
de deux parties, une qui est plongée dans le jauue, et Fau-?
tre qui est disposée comme une couche sur sa surface. Celle-
ci est, selon lui, la partie de laquelle et dans laquelle se
forme le poulet, et il l'appelle à cause de cela la membrane
Tome IV. 21
32 2 VIE INTRA-UTÉRINE.
du germe y le blastoderme; il appelle l'autre, noyau de la
cicatricule. Le blastoderme est composé primitivement
d'une couche simple de granulations ; mais par l'incubation
il s'agrandit; de nouvelles granulations plus homogènes se
développent à sa surface; il paraît partagé en deux zones,
une intérieure, dite le champ transparent, et une exté-
rieure, dite le champ opaque; à son centre est un point
brillant; et dès la douzième heure, il paraît composé de
deux couches , une plus épaisse , granuleuse , opaque , que
Pander appelle le feuillet muqueux, et une autre, exté-
rieure, plus mince, transparente, qu'il appelle le feuillet
séreux. C'est sur lui que vont se développer les germes im-
portants des systèmes nerveux et sanguins. En effet, bien-
tôt les granulations du feuillet muqueux se retirent du mi-
lieu du blastoderme vers son bord externe, et il reste ainsi
au centre une place ronde , plus claire , où ce feuille test très
aminci, et qui est. le siège futur de l'embryon ; c'est ce que
Pander appelle Y aire du germe. Cette aire, d'abord petite
et circulaire, augmente rapidement avec le blastoderme;
successivement elle devient ovale, pyriforme; et vers la
seizième heure , se montrent en elle deux petites raies paral-
lèles et longitudinales, qui sont les premiers rudiments de
l'embryon , et que Pander appelle les plis primitifs : d'un
côté , ces deux raies se réunissent en arc pour former la tête
du poulet; de l'autre 9 elles restent écartées, et entre elles
naît un petit filament, qui est la moelle épinière. Bientôt les
deux plis se rapprochent pour entourer la moelle , mais cela
ne se fait que graduellement, et ces deux plis laissent en
haut des vésicules dans lesquelles plus tard se montrera le
cerveau. De chaque côté , apparaissent des taches quadrila-
tères , rudiments des vertèbres. Alors , entre les deux feuillets
du blastoderme, se forme une troisième membrane , dans
laquelle se développent les vaisseaux, et que Pander appelle
la membrane vasculaire. Enfin , tandis que le développe-
ment de cette troisième membrane va donner naissance uc-
cessivement à la figure veineuse , aux vaisseaux , au cœur du
poulet , de seconds et de troisièmes plis, disposés en sens
contraire des plis primitifs , vont former; les uns, les ca-
ANATOMIE DU FOETUS. 32 3
viles thoracique et abdominale et les viscères qui y sotrt
contenus ; et les autres . les enveloppes du fœtus.
Selon Rolando, la cicatricule est composée de trois par-
ties : i° d'une très petite vésicule qui, par ses développe-
ments, donnera naissance à la membrane amnîos et aux
téguments du nouvel être; 2" d'un disque de substance
spongieuse, dont les développements produiront successi-
vement la figure veineuse de Halle?*, le cœur et tout le sy-
stème vasculaire; 3° enfin, d'un petit corps de substance
blanche, qui est ce que Pander a appelé le noyau de la
cicatricule , et Haller le sacculus vitellarius , et qui est
destiné à former le canal alimentaire. A ces trois parties
constituantes de la cicatricule , la fécondation en ajoute
une quatrième, qui apparaît à son centre sous la forme
d'une demi-ligne de long, et qui est le rudiment du système
nerveux. Il est aisé de reconnaître, dans ces trois parties
admises par Rolando dans la cicatricule, les trois feuillets,
séreux, muqueux et membrane vasculaire , que Pander a
signalés dans ce qu'il a appelé le blastoderme. Selon Ro-
lando, c'est le rudiment nerveux qui imprime le mouve-
ment de développement; alors le disque de substance spon-
gieuse s'agrandit; dès la sixième heure de l'incubation, il
s'est accru de manière à faire voir nettement en lui beau-
coup de vaisseaux entrecroisés de mille manières, et rem-
plis d'une liqueur îougeâtre. A la douzième heure, il forme
une aire pyriforme, partagée en deux zones , une intérieure,
qui est le champ transparent de Pander, et une extérieure,
qui est sou champ opaque. Entre les vingtième et tren-
tième heures , se montrent les deux artères de la figure vei-
neuse , et, à la trente-sixième, le cœur, qui provient d'un
des vaisseaux du champ transparent. Ce cœur occupe d'a-
bord tout le tiers supérieur du fœtus; mais à la quaran-
tième heure, on y distingue trois dilatations, qui sont l'o-
reillette gauche , le ventricule gauche et le bulbe de l'aorte.
A la cinquante- huitième heure, part de l'oreillette, au
côté opposé à celui par lequel lui arrivent les veines caves ,
un petit vaisseau qui s'applique à droite du ventricule gau-
che, pour former le ventricule droit. À la quatre-vingtième,
« 21.
324 VIE INTHA-UTÊRINE»
une cloison partage l'oreillette en deux. Ainsi le cœur est
primitivement vascuîaire, et il ne cesse de l'être qu'à me-
sure que des fibres musculaires se déposent sur le vaisseau
qui le formait primitivement. En un mot, du réseau vas-
culaire délié qui forme la figure veineuse , et surtout de son
centre, de ce qu'on a appelé le champ transparent, provien-
nent le cœur, et toutes les artères et veines du corps. En
même temps, à mesure que le rudiment nerveux se déve-
loppe pour former la moelle spinale , le sacculus vitellarius
se prolonge en avant sous lui, et s'unit par des vaisseaux
avec la lame spongioso-vasculaire ; sa figure est d'abord py-
ri forme j mais comme il s'alonge toujours, il arrive à for-
mer un canal, étendu du bord antérieur de la tête au
cœur, et assez large; ce canal sera la bouclie et l'œsophage.
Ce canal ensuite se prolongeant en bas, dans la même pro-
portion que la moelle, le sacculus vitellarius paraît ne
plus exister, et est remplacé par un tube étendu de la
bouche à l'anus x qui reste ouvert quelque temps à son bord
antérieur, et qui est l'intestin. Enfin, ce canal continuant
de s'alonger, se replie en avant pour former en dehors de
l'être une longue vessie, qui lui est continue sans inter-
ruption, et qu'on appelle allanloide. Dans les animaux
simples, dépourvus de viscères et d'organes sécréteurs, ce
canal reste ainsi sans appendices; mais dans les autres, sa
tunique ceîluleuse se prolonge pour constituer ceux-ci.
Aux points où ces organes annexes doivent être situés, s'é-
lèvent de petits tubercules , qui s'unissent avec des vaisseaux
capillaires sanguins, pour former les vaisseaux sécréteurs;
ceux-ci ensuite s'associent avec d'autres vaisseaux sanguins
pour composer les organes. Cela s'étend comme les branches
d'un arbre. C'est de haut en bas que se forment ces diverses
parties ; c'est-à-dire les salivaires d'abord, puis les trompes
d'Eustachi , les conduits aérifères, cholédoque, hépatique,
cystique, etc. Quelques-unes cependant paraissent provenir
de la membrane tégumentaire , de l'amnios, les mamelles,
par exemple. Quant aux téguments extérieurs, d'abord ils
recouvrent sans interruption tout l'animal; mais aux lieux
où il doit exister des ouvertures, ces téguments sont en con-
ÀNÀTOHIU DU FOETUS. 3a 5
tact immédiat avec le sacculus viteîlarius, ou ie canal qu'on
vient de décrire, et les vaisseaux , à une certaine époque,
venant à leur manquer, ils se percent; si par une cause
quelconque ces vaisseaux continuent de les pénétrer, ils
conservent toute leur densité, et il en résulte ce qu'on ap-
pelle des imperforations .
Nous ne dissimulerons pas que ces diverses descriptions
laissent beaucoup à désirer; lues dans les expérimentateurs
eux-mêmes, elles m'ont semblé insuffisantes; à plus forte
raison doivent-elles le paraître , étant réduites à un si court
exposé. Cependant on verra que celle de MM. Cuvier et Du-
trochct nous servira lors de l'étude des parties annexes du
fœtus humain , et que celle de M. Roiando éclairera aussi
l'évolution du fœtus lui-même. Du reste, ces descriptions
sont en quelque sorte hors de notre sujet; nous avons déjà
dit qu'il fallait être très circonspect dans les analogies à éta-
blir entre les ovipares et les vivipares. Il est une famille
d'animaux qui aurait pu fournir plus de lumières, celle
des marsupiaux; chez ces animaux l'ovule arrive, dès les
premiers jours de ses développements, dans la bourse extér
rieure; par conséquent on pourrait voir en quel état il est
alors, et quelles métamorphoses successives il éprouve,
car c'est presque comme une gestation qui se ferait à l'exté-
rieur : mais ce sont autant d'observations à faire.
Abandonnant donc ce qui est des premiers développements
de l'ovule humain, parce qu'ils n'ont jamais été reconnus,
et parce que ce qu'on en a observé dans les autres animaux
est peu de chose encore et peut-être ne lui est pas ap-
plicable; nous arrivons tout de suite au moment où l'on
peut distinguer en lui l'être nouveau, et les parties qui lui
sont annexées pour le nourrir et le faire croître. Cette dis-
tinction peut se faire dès le quinzième jour de la conception ;
elle devient ensuite de plus en plus prononcée, et dans la
description à donner de l'ovule, on peut alors séparer,
comme nous allons le faire, ce qui est des parties annexes
du fœtus, de ce qui est du fœtus lui-même. L'ovule n'en
reste pas moins, pendant tout le cours de la vie intra-uté-
rine, une vessie globuleuse ; mais cette vessie, remplie d'un
3 2 6 VIE IJNTIi A-UTÉRINE.
liquide dans lequel est plongé le fœtus, va en grossissant
continuellement; et l'augmentation de son volume peut se
mesurer par le degré de dilatation qu'éprouve l'utérus pen-
dant la grossesse, car celui-ci est en proportion de celle-là.
ARTICLE PREMIER.
Des parties annexes du Fœtus.
On appelle ainsi les parties de l'ovule qui en constituent
les parois, qui l'attachent à l'utérus, l'unissent au fœtus,
et servent à la nutrition et à l'accroissement de cet être.
Elles consistent : i° en deux membranes qui font les paroisde
1 ovule; concentriques Tune à l'autre, Tune est en dehors,
et s'appelle le chorion , l'autre est intérieure , remplie d'un
fluide dans lequel est plongé le fœtus, et s'appelle Yam-
nios ; 2° en une masse spongieuse, vasculaire , circulaire,
située en dehors du chorion dans le quart de l'étendue de
l'ovule, et qui, moyen d'implantation de l'ovule dans
l'utérus . est ce qu'on appelle le placenta; 3° en un cordon
de vaisseaux , étendu de ce placenta au fœtus par l'ombilic
duquel il pénètre, qui est le grand moyen d'union de la
mère à l'enfant, et qu'on appelle cordon ombilical ; 4° en une
vésicule pleine d'un liquide supposé nutritif, communi-
quant avec l'intestin du fœtus, qu'on assimile au jaune de
l'œuf des ovipares, et qui est nommée vésicule ombilicale ;
5° enfin, en une autre vésicule qu'on n'admet dans l'œuf
humain que parce qu'on la trouve dans celui des autres
mammifères, et qu'on appelle allantoïde. Dans la descrip-
tion que nous allons donner de ces diverses parties , on verra
qu'elles n'existent pas toutes en même temps, et qu'à me-
sure que quelques-unes se détruisent, d'autres se forment.
D'autant plus amples, épaisses et pesantes, relativement au
fœtus, que celui-ci est plus jeune, elles pèsent plus que lui
jusqu'à trois mois : à cette époque de la grossesse, le fœtus
pèse autant qu'elles; plus tard, le fœtus les surpasse en
poids ; et lors de l'accouchement, elles ne forment plus que
la huitième partie de sa pesanteur.
AJNATOMIE DU FOETUS. 32 7
Chorion. Le chorion , appelé membrane moyenne par
Haller, endochorion par M. Dutrochet, esl la plus exté-
rieure des membranes qui forment l'enveloppe de l'ovule.
Distincte, dit M. Velpcau , dès le douzième jour après la
conception, elle est alors fort épaisse, opaque, résistante,
plus large que l'amnios qui est dans son intérieur, velue
et tomenteuse à ses deux faces. En dehors elle correspond à
la membrane caduque , dont nous avons fait l'histoire à
l'article de la grossesse. Si on admet le mode de formation
de cette membrane indiqué par M. C haussier , elle en est
complètement entourée; si, au contraire, on admet celui
indiqué par MM. Morceau et F'elpeau, elle ne lui correspond
que dans les trois quarts de son étendue; et dans l'autre
quart , qui est celui où se développera le placenta , elle est
en contact avec l'utérus lui-même. Selon ces derniers, le
cercle que trace sur l'ovule, sur le chorion , la caduque
réfléchie, marque dès l'origine le lieu où se formera le pla-
centa, et l'étendue qu'aura cet organe. A cette surface ex-
terne, le chorion est hérissé de villosités vasculaires , de
granulations , sur lesquelles nous reviendrons à l'occasion
du placenta. Ces villosités , dans toute la portion de l'ovule
qui correspond à la caduque, servent à le faire adhérer à
cette membrane ; mais clans la portion qui correspond à
l'utérus , elles se développeront pour constituer le placenta.
A sa face interne , le chorion correspond à l'amnios; dans
les premiers temps de la vie , un liquide séreux sépare ces
deux membranes; mais, vers trois mois, ce liquide a dis-
paru , et elles sont alors en contact immédiat. Hewson , Bo-
janus, M. Dutrochet , disent que le chorion est, dans son
origine, bifolié; et nous verrons que plusieurs feront pro-
venir le placenta du dédoublement de ses lames , et du
développement des vaisseaux qui rampent entre elles.
M. Velpeau, au contraire, prétend qu'il est toujours uni-
folié, et que , sur des ovules de quinze jours comme sur des
ovules à terme, il n'a jamais pu le séparer en lames, même
après l'avoir fait macérer préalablement. Ce qui, selon lui,
a induit en erreur les anatomistes qui ont dit le contraire,
c'est qu'il se forme , entre le chorion et le placenta , lorsque
028 VIE INTRA-UTÉRINE,
celui-ci est développé , une concrétion menibraniforme assez
épaisse, et qu'on peut séparer en plusieurs feuillets. Comme
c'est en dehors du chorion que le placenta se développe j
ainsi que nous le verrons , cette membrane revêt la face
fœtale de cet organe; elle se réfléchit même sur le cordon
ombilical , et va avec ce cordon jusqu'à l'ombilic du fœtus,
où elle se confond avec le derme de la peau de cet être ,
dont elle paraît être ainsi une dépendance. Du moins, c'est
ce qu'assure Ms Velpeau; non qu'il ait pu par la dissection
isoler le chorion et le poursuivre jusqu'à ce point d'union ;
mais il a pu faire cette dissection à l'égard de l'amnios;
et au-dessous, il a vu nettement le chorion se continuer
jusqu'à la peau de l'abdomen. À mesure que la grossesse
avance, le chorion perd de son épaisseur -, de sa ténacité, de
sa densité. A terme , il n'est plus qu'une membrane mince ,
transparente, incolore, beaucoup plus fine que l'amnios.
Selon Haller et Blumenbacli , il est entièrement sans vais-
seaux; selon JVrisberg, il en reçoit des troncs ombilicaux
du fœtus; et selon Sandifort, de la membrane caduque.
M. Dutrochel en fait une extension de la vessie du fœtus.
Amnios. Cette membrane, concentrique à la précédente,
est remplie d'un liquide séreux , et contient immédiatement
le fœtus. Dans les premiers jours de la vie intra-utérine >
elle est mince, transparente, facile à déchirer, et assez sem-*
blable à la rétine. N'adhérant d'abord au chorion que pat-
Un point e(ûi répond à l'abdomen du fœtus, elle en est,
jusqu'à trois mois, séparée dans le reste de son étendue par
un fluide que nous avons déjà mentionné, et qu'on appelle
fausse eau de l'amnios; mais à cette époque, les deux mem-
branes se mettent en contact, et adhèrent par des filaments
celluleux très déliés; cette adhérence est faible, sinon au
placenta et au cordon. Avec le temps, l'amnios prend de
l'épaisseur, de la résistance; et à terme cette membrane
est plus épaisse, plus tenace que le chorion, élastique, demi-
transparente, d'une couleur blanche, comme laiteuse. Ayant
la même étendue que le chorion, elle s'étend, ainsi que lui,
sur le placenta , sur le cordon ; et à l'ombilic du fœtus , elle
se confond avec 1'épiderme de la peau de cet être. M. V'-eU
AKATO&IE DU FOETUS. 3âf|
peau assure être parvenu à la détacher du placenta, du
cordon ; et s'être convaincu de sa dérivation de l'épiderme.
Cette membrane a-t-elle des vaisseaux? Huiler le croyait,
pour avoir vu ramper en elle une branche de l'artère ombi-
licale, avant son arrivée au placenta. D'autres l'ont pensé
aussi , à cause du liquide qu'elle contient, et qu'on a dit
sécrété par elle. Mais alors, ces vaisseaux viennent- ils de
la mère ou du fœtus? Selon les uns, des vaisseaux de la
mère passent de l'utérus à la caduque, de celle-ci au cho~
rion, et enfin du chorion à l'aninios • mais en examinant les
villosités, les filaments qui Unissent l'utérus à la caduque,
la caduque au chorion , et le chorion à l'aninios, leur vas-
cularité devient de plus en plus douteuse, à mesure qu'on
arrive à un point plus intérieur*. Il est plus probable que
les vaisseaux viennent du fœtus. Cependant on ne peut faire
à cet égard que des conjectures. A la vérité, Monro dit
qu'ayant injecté de l'eau tiède dans les artères ombilicales
du fœtus, cette eau suinta en gouttelettes à la surface de
l'amnios; mais PVrisberg a vu l'injection s'arrêter entre le
chorion et l'amnios; et M. Ckaussier a obtenu le même ré^-
sultat que Monro , en injectant les vaisseaux de la mère.
L'amnios contient un liquide séreux, dont la quantité
relative est d'autant plus grande que le fœtus est plus jeune*
son poids, par exemple, est déjà de plusieurs gros, quand
celui du fœtus n'est encore que d'un à deux grains. Dans
l'origine , cette humeur est claire , transparente • mais , à
terme , elle a une couleur laiteuse, qu'elle doit à des flocons
d'une matière caséeuse qu'elle tient en suspension. Elle a
alors une saveur salée , une odeur de sperme , un toucher
visqueux et gluant. Elle n'est plus au fœtus que dans la pro-*
portion d'un tiers , et sa quantité absolue est d'une livre et
demie à deux livres. Ruisch , Harvey , H aller , Osiander ,
disent qu'elle contient plus de matière animale au comment
cernent qu'à la fin de la grossesse. On ignore quelle influence
a, sur la quantité de cette humeur, la constitution , soit de
la mère, soit de l'enfant. M. Vauquelin y a trouvé pour
éléments : de l'eau, 98,8; de l'albumine, de l'hydrochlorate
de soude , de la soude , du phosphate de chaux et de la
33o VIE INTRA-UTÉRINE,
chaux, 1,2. M. Berzelius y a signalé aussi de l'acide hydro-
phtorique ou fluorique. Suivant Scheel , elle contiendrait
de l'oxygène à l'état libre. M. Lassaigne crut d'abord y avoir
trouvé les 4/i3i en volume, d'un gaz composé à peu près
comme l'air atmosphérique ; mais l'expérience, refaite avec
soin par ce chimiste et par M. Chevreul, n'a plus démontré
que la présence d'un gaz composé d'acide carbonique et
d'azote ; et il faut de nouveaux travaux , pour affirmer
l'existence de l'oxygène dans l'eau de l'amnios.
D'où vient cette humeur ? Les auteurs sont divisés ; les
uns la font provenir de la mère, les autres du fœtus. Haller
l'attribuait à la mère, la faisant sourdre de l'utérus à travers
les membranes, par des voies inconnues. Scheel, Lobstein ,
lui assignent la même origine , mais la disent sécrétée par la
membrane amnios , sa sécrétion dans cette membrane étant
alimentée par les vaisseaux qui arrivent de l'utérus : les
vaisseaux qui, de cet organe vont à la caduque, leur pa-
raissent trop abondants, pour ne servir qu'à la nutrition de
cette membrane, et ils présument qu'ils vont au-delà fournir
dans l'amnios, à la sécrétion dont il s'agit. V ancien- Bosch ,
au contraire , fait provenir des vaisseaux ombilicaux, et par
conséquent du fœtus, le sang qui alimenterait cette sécré-
tion. Le doute dans lequel on est ici, tient à celui dans
lequel on est relativement à la source réelle des vaisseaux
qui vivifient la membrane , car il est très probable que c'est
elle qui est l'agent sécréteur : nous avons déjà dit que des
injections faites dans les artères ombilicales et utérines ,
parvenaient également dans la cavité de l'amnios. Pour
prouver que la liqueur de l'amnios provient de la mère,
on a dit que cette liqueur participait de l'état des humeurs
de la mère ; que , par exemple , on y avait trouvé du mercure
dans une femme soumise à un traitement anti-vénérien :
mais ce fait s'accorde aussi avec l'opinion qui en place la
source dans le fœtus, à moins que ce fœtus ne soit mort.
Considèrerait-t-on cette liqueur, ainsi qu'on Fa fait, comme
le produit de la transpiration du fœtus, comme son urine ?
mais sa quantité est d'autant plus grande , que le fœtus est
plus petit. M. Meckel croit qu'elle provient principalement
ANATOMIE DU FOETUS. 33 1
de la mère; mais qu'au terme de la grossesse, elle est eut
partie fournie par le fœtus.
Placenta. On nomme ainsi une masse molle, spongieuse,
vasculaire, développée dans un point de la surfaee du cho-
rion , adhérant d'une part à l'utérus , et communiquant de
l'autre par le cordon vasculaire, dit ombilical, au fœtus.
Aux premiers jours de la vie intra-utérine , ce placenta
n'existe pas; ou ne voit sur toute la surface externe de
l'ovule et du chorion , que ces villosités, ce tomentum, ces
granulations qui doivent, dans la portion de l'ovule qui
correspond à la caduque , établir l'adhérence avec cette
membrane, et dans celle qui correspond à l'utérus, former
l'organe dont il s'agit ici. Du reste, à raison de la dissidence
des opinions sur le mode de formation de la membrane ca-
duque, les auteurs sont aussi dissidents sur celui du pla-
centa. j° Selon les uns, les villosités, qui d'abord sont ré-
pandues uniformément sur toute la surface externe du
chorion, se rassemblent graduellement de tous les points
de cette surface en un seul, pour y former, conjointement
avec d'autres vaisseaux qui viennent de l'utérus , et qui tra-
versent la caduque, le placenta. Ce corps , par conséquent,
a une étendue d'autant plus grande , qu'on est plus près du
commencement de la vie ; occupant d'abord les trois quarts ,
puis les deux tiers, la moitié de la surface du chorion, il
arrive à n'en occuper plus que le tiers : mais , en compen-
sation , de très mince qu'il était d'abord , il devient de plus en
plus épais et dense. Les vaisseaux qui le forment ont évidem-
ment deux origines; les uns proviennent des villosités du
chorion , et s'offrent d'abord sous l'apparence de divisions
vasculaires, semblables à des branches de corail; les autres
proviennent de l'utérus. La double dérivation de ces vais-
seaux , de la mère d'une part, et de l'enfant de l'autre, sera
encore bien plus certaine, quand on examinera le placenta,
lors de son développement complet, à l'époque de l'accou-
chement. Vers le milieu de la grossesse , la caduque disparaît
derrière le placenta; de ce côté la surfaee de cet organe de-
vient lisse, et serait en contact immédiat avec l'utérus, sans
l'intervention d'une nouvelle membrane mince, qui se forme
33 2 VIE INTllA-tîTÉRiiïÈ".
entre l'un et l'autre. 20 Selon d'aulres , le placenta se forme
par le dédoublement des lames du chorion, et par le déve-
loppement des divers vaisseaux qui rampent entre ces lames.
3° Enfin, selon M. Velpeau, le placenta ne se forme qu'au
point de l'ovule que ne revêt pas la caduque, et qui est
aussitôt en contact immédiat avec l'utérus; il résulte du
développement des granulations qui recouvrent ce point du
chorion. Le cliorion , en effet, adhérant bientôt à la portion
de la caduque qui lui Correspond, on ne peut concevoir*
dit M. Velpeauy cette concentration successive de toutes ses
villosités extérieures en un seul point, pour constituer le
placenta, comme le Veulent les fauteurs de la première
théorie; et on ne peut pas davantage admettre la seconde,
puisque le chorion n'est évidemment formé que d'une seule
lame. Selon lui , le placenta ne se forme qu'au point où la
caduque ne recouvre pas l'ovule; et le disque que fait cette
membrane en se réfléchissant sur l'ovule, marque, dès les
premiers temps de la conception, la place qu'occupera ce
corps , et quelle sera son étendue. Il résulte du développe-
ment des granulations qui recouvrent en ce point la surface
du chorion, granulations que les auteurs qualifient de vil-
losités vasculaires, mais qui sont, selon M. Velpean, des
organes gangliformes , contenant les rudiments des vaisseaux
placentaires. Existant sur le chorion, dès l'instant où l'ovule
était encore attaché à l'ovaire , ces granulations lui sont
étrangères en quelque sorte, mais s'implantent en lui par
des pédicules d'une demi-ligne de longueur. Toutes celles
qui recouvrent la portion du chorion qui correspond à la
caduque,, ne se développent pas; mais, avortant, en quelque
sorte, elles se bornent à faire adhérer entre elles ces deux
membranes. Toutes celles, au contraire, qui existent à la
portion du chorion que la caduque réfléchie a laissée libre et
en contact immédiat avec l'utérus, se développent, devien-
nent vasculaires et forment le placenta. M. Velpeau , pour
justifier ce mode de formation, dit qu'ayant détaché la cadu-
que réfléchie du chorion, il a vu lesgranulalions être d'autant
moins grosses, d'autant plus longues et d'autant plus écartées,
qu'elles étaient plus loin du disque de la caduque réfléchie.
A.NATOMIE DU FOETUS. 333
Quoi qu'il en soit du mode selon lequel se forme origw
nellement le placenta, il est déjà apparent et reconnaissable
dans le cours du second mois. Il va ensuite en s'accroissant
successivement; de telle manière cependant qu'à la fin de la
grossesse ii est moins pesant , plus dense , moins vascuîaire,
parce que plusieurs des vaisseaux qui le forment, et que
nous allons décrire , se sont oblitérés, et se sont changés en
filaments fibreux, durs, et même en filaments calcaires. Ce
changement , qui est un signe de maturité du fœtus , et un
prélude à la naissance de celui-ci , apparaît même quelque-
fois hors des vaisseaux, et surtout à la face utérine du pla-
centa, qui est toujours plus dense et plus unie.
Voici quelles sont à terme sa conformation et sa texture.
Son étendue est le quart de la surface de l'ovule; son dia-
mètre, de six à huit pouces; sa circonférence, de vingt-
quatre pouces; son épaisseur, de douze à quinze lignes au
centre , et de quelques lignes à la circonférence; son poids ,
avec le cordon et les membranes , de dix-huit à vingt onces.
Sa forme est orbiculaire , et le cordon est implanté à son
centre. Cependant, en tout ceci, on observe de nombreuses
variétés; on a trouvé le placenta , mince comme une mem-
brane, ovalaire , bilobé , multilobé, réniforme; on l'a vu
ayant le cordon attaché à son bord , ou les vaisseaux de ce cor-
don déjà séparés avant de l'atteindre, et le pénétrant en des
points divers, d'où les noms de placenta en raquette, en
parasol , qui lui ont été donnés en ces deux derniers cas. Il
peut être situé à tous les points de la matrice, même à son
col; mais il l'est le plus souvent à la région, qui correspond
à l'ouverture des trompes. De ses deux faces, celle qui cor-
respond à l'utérus est divisée en lobes ou cotylédons irré-
gulièrement arrondis ; une membrane cellulo-vasculaire .
molle et peu tenace, la recouvre. Cette membrane, selon
Chaus s 1er , cii'est que la caduque, qui, dans son système >
enveloppe l'œuf entier : selon Wrisberg , MM. Lobstein ,
Désormeaax , la caduque a disparu derrière le placenta ,
vers quatre à cinq mois , et y a été remplacée par cette menw
brane nouvelle : selon M. Velpeau, jamais la caduque n'a
existé là , et la membrane dont il s'agit ici ne peut être con-
334 VIE INTRÀ-UTÉRIKE.
fondue avec elle. Quelques-uns y admettent des vaisseaux
intermédiaires à ceux de l'utérus et du placenta. L'autre
face du placenta, d'île foetale, est lisse, polie, recouverte
par le chorion et l'amnios , et présente l'implantation du
cordon, dont les principaux troncs et rameaux se dessinent
à sa surface.
Le placenta a pour éléments constituants : i° Des vais-
seaux sanguins qui proviennent de deux sources , de la
mère et du fœtus. Les premiers viennent de l'utérus :
connus par Albinus , injectés , il y a plus de trente années,
par notre célèbre professeur Dubois , ils consistent en ar-
tères, et en veines. Les artères fort tortueuses ont sou-
vent jusqu'à une ligne de diamètre. Les veines plus grosses
encore, se distinguent par des renflements ou cellules qui
les font différer des autres radicules veineuses; elles sont
comme les premiers rudiments d'un développement vas-
culaire , et ressemblent beaucoup aux vaisseaux qu'on
voit se former dans les concrétions qui s'organisent. Les
vaisseaux sanguins qui proviennent du fœtus, sont ceux
que nous verrons former le cordon ombilical : savoir, une
veine appelée ombilicale , venant de la veine cave inférieure
du fœtus; et deux artères dites aussi ombilicales, qui sont
des divisions des deux iliaques primitives de cet être. Ces
vaisseaux, après avoir pénétré la face fœtale du placenta,
se ramifient dans la substance de cet organe , de telle ma-
nière qu'il y a pour chaque lobe un rameau artériel et un
rameau veineux , qui s'y divisent à l'infini , mais sans s'a-
nastomoser avec les vaisseaux des autres lobes. En exami-
nant au microscope les dernières ramifications, on voit que
toujours une artériole et une veinule marchent de concert,
étant enfermées dans une même gaîne celluleuse , et présen-
tant de distance en distance des nodosités, comme nous en
verrons dans le cordon. 20 Des expansions du chorion , qui
se divisent, dit-on, en gaines celluleuses pour accompagner
les vaisseaux jusqu'à leurs dernières ramifications : M. Vel-
peau nie ce fait anatomique. 3° Des filaments blancs , qui
sont d'autant plus nombreux, que la vie intra-utérine est
plus avancée , et qui paraissent n'être que des vaisseaux obli-
ANATOMIE DU FOETUS. 335
térés. 4° Une substance intermédiaire, sorte de tissu cellu-
laire, servant à unir les vaisseaux entr'eux, et qu'on a dit
être un prolongement de la caduque qui a suivi ces vais-
seaux. 5o Enfin, une certaine quantité de sang infiltré dans
ce tissu cellullaire intermédiaire aux vaisseaux, et qu'on en
retire par le lavage. Littre admettait aussi dans le placenta,
mais à tort , des glandes : Schrêger , des vaisseaux lymphati-
ques , surtout à la face utérine ; et MM. Chaussierel Ribes ,
des nerfs provenant du trisplanchiquedu fœtus. Tous cesélé-
ments, par leur association, forment un organe spongieux,
mollasse, facile à déchirer, dont la couleur rouge dispa-
raît par le lavage, dont les lobes enfin sont réunis en une
seule masse, à la différence de ce qui est en beaucoup de
mammifères chez lesquels ce placenta est composé de cotylé-
dons séparés. Du reste, cette différence est plus apparente
que réelle; car chaque lobe du placenta humain a ses vais-
seaux propres , qui ne communiquent pas avec ceux des au-
tres lobes. On peut même dire qu'il y a deux placentas, un
utérin et un fœtal , le premier formé par les ramifications
des vaisseaux utérins , et le second formé par celles des vais-
seaux ombilicaux : distincts dans les deux premiers mois de
la vie, ils se confondent ensuite en une seule masse. Néan-
moins leurs vaisseaux respectifs restent toujours séparés :
dans le placenta utéi'in , les artères et veines utérines com-
muniquent directement entr'elles, comme dans le placenta
fœtal communiquent directement les artères et veines ombi-
licales; mais il n'y a pas communication directe des vais-
seaux utérins aux vaisseaux ombilicaux, et des vaisseaux om-
bilicaux aux vaisseaux utérins.
Quant à l'attache du placenta à l'utérus, tour-à-tour on
l'a assimilée à une'greffe,à l'enracinement des plantes para-
sites, à l'enchâssement du noyau avec la pulpe dans un
fruit drupacé , etc. Elle est due aux vaisseaux utéro-placen-
taux de M. Dubois , lesquels pénétrent, soit la caduque et
le chorion , soit les granulations qui sont à l'extérieur de ce
chorion, selon la théorie que l'on admet sur la formation
de la caduque et du placenta.
Cordon ombilical. De la face interne du placenta , part un
336 VIE INTRA-UTÉRINE.
cordon vascuîaire qui va pénétrer l'ombilic du fœtus, et
par conséquent faire communiquer le placenta avec cet être.
Jusqu'à îa fin du premier mois , ce cordon n'existe pas; et
l'embryon est, par la face antérieure de son corps, immé-
diatement appliqué à Tamnios, aux enveloppes de l'œuf.
Béclard , sur un embryon d'un mois, n'a vu que des vaisseaux
qui rampaient pendant un certain espace entre les membra-
nes de l'œuf, depuis l'abdomen du fœtus jusqu'à l'endroit
du cliorion où se voyaient les rudiments du placenta futur.
C'esuvers la cinquième semaine qu'apparaît la première trace
du cordon. Selon tous les auteurs, il est alors tout droit,
très court, mais très gros, parce qu'il contient une partie
du canal intestinal; il semble même n'être qu'un prolon-
gement de l'abdomen , et est situé tout-à-fait au bas de cette
cavité. Selon M. P'elpeau , il consiste d'abord en quatre
renflements, séparés par autant de rétrécissements ou col-
lets; l'un, plus alongé, adhérant au placenta; l'autre for-
mant l'anneau ombilical ; les deux autres, si tués dans l'inter-
valle. Ensuite, ces renflements disparaissent; en premier
lieu, celui qui adhère au placenta; en second lieu, celui
qui est à l'anneau ombilical ; en troisième lieu, celui qui fait
suite au premier qui a disparu; enfin , en dernier lieu celui
dans lequel était l'intestin. Ce n'est qu'alors que le cor-
don se présente avec l'aspect d'une corde. M. Ollivier, sur
un embryon d'un mois, a reconnu ces quatre renflements
décrits par M. Velpeau. Successivement le cordon s'alonge,
devient plus grêle ; son attache à l'abdomen devient moins
large, et correspond à un point de cette cavité de moins
en moins élevé ; enfin il se contourne , ordinairement de
gauche à droite, et finit par présenter des nœuds souvent
assez compliqués.
A terme, sa longueur est généralement celle du fœtus;
elle varie de quelques pouces à quelques pieds : sa grosseur
égale celle du petit doigt. 11 est composé de trois vaisseaux,
îa veine ombilicale et les deux artères du même nom, et
d'une substance gélatiniforme particulière. La veine onibi*
licale est aussi grosse à elle seule que les deux artères om-
bilicales; elle vient de la veine cave inférieure du fœtus.
AJNATOMIE DU FOETUS. 33*
Après avoir communiqué clans l'abdomen de cet être , avec
la veine-porte et les veines sous-hépatiques , elle sort par
1 ombilic, suit le cordon , et va se ramifier dans le placenta
fœtal; elle est sans valvule, et doit être considérée comme
une expansion radiculaire du fœtus. La suppose-t-on , au
contraire, provenir du placenta? à peine a-t-eîle pénétré
dans l'abdomen du fœtus, qu'elle s'y partage en deux bran-
ches; une gauche, qui va au côté gauche du foie et paraît
être la division gauche de la veine-porte ; et une autre qui ,
sous le nom de canal veineux , va s'ouvrir dans la veine-
cave inférieure. Une valvule existe au point de la bifur-
cation, comme au lieu de la jonction avec la veine-cave
inférieure. Les deux artères ombilicales sont des continua-
tions des iliaques primitives du fœtus; la veine tourne eu
spirale autour d'elles; après leur sortie par l'ombilic, elles
viennent se ramifier aussi au placenta fœla!. Nous avons
dit que Chaussier et M. Ribes avaient suivi le long de ces
vaisseaux, jusque dans le placenta, des filets du nerf tri-
splanchnique. Un tissu cellulaire , infiltré d'une humeur
albumineuse épaisse, attache ces vaisseaux entre eux, et
constitue cette substance gèlatinij orme que nous avons an-
noncée comme le troisième élément du cordon. Sa quantité
est variable, et détermine ce qu'on appelle les cordons gras
et les cordons maigres. On parvient difficilement à pousser
de l'air ou une injection mercurielle dans les cellules de ce
tissu; cependant elles sont perméables; car si on plonge le
cordon dans l'eau par un de ses bouts, on voit le liquide
monter jusqu'à l'autre bout. Sur ce fait, on avait avancé
qu'il se faisait dans ce tissu une circulation de l'humeur
gélatineuse dont il est infiltré. Du coté du fœtus , ce tissu
se continue avec le tissu cellulaire sous-péritonéal , et, du
côté du placenta, il accompagne les vaisseaux dans leurs
divisions. Le cordon , enfin , est revêtu extérieurement par
le chorion et l'amnios, comme nous l'avons dit.
Dans le cordon ombilical , se trouvent encore : 10 uu
canal dont nous devons parler ci-après, dit ouraque , étendu
du sommet de la vessie à l'ombilic , et se prolongeant par
cette ouverture dans ie cordon; 20 des vaisseaux très grêles
Tome IV. 22
338 VIE INTRA-UTÉRINE,
dits omphalo-mésentériques , sortant aussi par l'ombilic ,
pour se rendre à la vésicule ombilicale qui va nous occuper.
Vésicule ombilicale. On appelle ainsi un petit sac rempli
d'une liqueur jaunâtre, situé d'abord à la partie inférieure
de la face antérieure de l'embryon, mais qui s'en écartant à
mesure que le cordon se forme , arrive successivement à la
face fœtale du placenta, et enfin disparaît vers le troisième
mois de la vie intra-utérine. Cette vésicule a donné lieu à
de nombreux débats, relativement à son origine, ses rap-
ports avec le fœtus et ses usages. Osiander voulait qu'elle
ne fût qu'une difformité; mais il est sûr qu'elle appartient
à Fétat normal. On ignore à quelle époque précise de la
grossesse elle apparaît ; mais, s'il est vrai qu'elle soit, comme
on va le dire , l'analogue du jaune de l'œuf des ovipares, elle
doit exister la première; et peut-être que la vésicule pleine
de liquide, qui constitue primitivement l'ovule., n'est que
cette vésicule ombilicale à laquelle est annexée la cicatri-
cule , alors si petite qu'on ne peut la voir. Quand on peut
la distinguer du fœtus, elle a pour paroi une membrane
granuleuse, solide, très résistante; et elle est remplie d'un
liquide primitivement limpide, mais qui, par les progrès
de l'évolution , devient blanc, s'épaissit, s'endurcit, et di-
minue de quantité. D'autant plus grosse proportionnelle-
ment que l'embryon est plus jeune, elle reçoit des vaisseaux,
provenant des vaisseaux mésentériques de cet être, appelés
omphalo-mésentériques, et consistant en une artère et une
veine. L'artère vient de la mésentérique supérieure, et est
à gauche ; la veine vient de la veine-porte ventrale , et est à
droite. C'est parce que ces vaisseaux sont les mêmes qu*e
ceux qui se distribuent dans l'œuf des ovipares à la mem-
brane du jaune, qu'on a fait généralement de la vésicule om-
bilicale, l'analogue du jaune. Ces vaisseaux ordinairement
disparaissent avec la vésicule; M. Ribes , qui en a donné
une bonne description, ne les a jamais trouvés dans les
embryons âgés de plus de deux mois et demi. Cependant
quelquefois ils ont encore été trouvés dans le cordon à l'in-
stant de la naissance , et M. Béclard dit en avoir aperçu une
fois les restes à l'ombilic, sur un enfant de douze ans.
AKATOM1E DU FOETUS. 339
Cette vésicule est généralement considérée comme l'ana-
logue du sac vitellaire , du jaune de l'œuf des oiseaux. On se
fonde sur la transparence de ses parois, sur l'existence du
liquide limpide qui est dans son intérieur, sur sa situation en
dehors ou dans l'intervalle des autres membranes, sur les vais-
seaux qui lui arrivent et qui sont les mêmes que ceux qui sont
au sac du jaune, enfin , sur sa communication avec la cavité
de l'intestin. A la vérité, ce dernier fait est encore un point
contesté. Cependant si quelques physiologistes, Emmert ,
M. Cuvier, disent que cette communication n'est pas prouvée,
la plupart des auteurs , au contraire , l'admettent d'après les
raisons suivantes : i° l'analogie des oiseaux, des reptiles et
des poissons. J-Volf a fait voir qu'évidemment , dans les oi-
seaux, le canal intestinal procède de la membrane du
jaune; d'abord, ces parties paraissent n'en former qu'une ;
ensuite, à mesure que l'intestin se forme, il reste, à la
partie inférieure de l'intestin grêle , une ouverture qui
donne passage à un conduit qui va au jaune; enfin ce
conduit s'oblitère , et laisse comme un appendice en cul-de-
sac suspendu à l'intestin. Dans les détails que nous avons
donnés sur le développement du poulet dans l'œuf, on a vu
que le jaune communiquait avec l'intestin, et finissait par
en être une dépendance. 2° Dans l'origine du fœtus, le canal
intestinal est placé dans la base du cordon , hors l'abdomen ,
conséquemment le plus près possible de la vésicule ombili-
cale. 3° M. Meckel a trouvé une fois, sur un embryon long
de cinq lignes , un filament de connexion entre la vésicule
ombilicale et l'intestin, et il est très probable que ce fila-
ment avait été creux dans son origine. En effet , il contenait
une artère et une veine, qui évidemment étaient les vais-
seaux omphalo-mésentériques; ensuite un semblable fila-
ment a été trouvé creux par Oken , Bojanus , sur des
embryons de mammifères ; enfin , Hunter l'a trouvé tel
une fois sur un embryon humain ; il put pousser par lui ,
dans l'abdomen , tout le fluide qui remplissait la vésicule
ombilicale.
Alors , dans quelle région de l'intestin est la communica-
tion supposée? Oken dit que la vésicule envoie haut et bas
22,
34o VIE INTRA-UTÉRINE,
deux prolongements qui se rendent, l'un à l'intestin supé-
rieur ou stomacal, et l'autre à l'intestin inférieur ou anal ;
et que, lorsqu'elle se détruit, elle laisse à l'intestin un reste,
qui est le cœcum ou son appendice. M. Meckel9 au con-
traire , veut que la communication soit à la partie inférieure
de l'intestin grêle , à l'iléon ; objectant que , d'après l'idée
à?Oken , il devrait y avoir un cœcum dans tous les animaux
qui ont une vésicule ombilicale; arguant de l'analogie des
oiseaux chez lesquels la communication a lieu au point qu'il
indique, tellement que l'intestin en conserve toute la vie la
marque, par une petite bosselure; établissant enfin que les
diverticules qu'on trouve quelquefois à la partie inférieure
de l'iléon en sont les restes.
M. ydpeau ne croit pas non plus que l'appendice ccecal
soit le reste de la vésicule ombilicale ; il se fonde sur ce qu'il
a trouvé cet appendice dans des embryons si jeunes , que
l'intestin était encore renfermé dans le cordon. La vésicule
ombilicale est, selon lui, un ou plusieurs des renflements,
qu'il dit composer primitivement le cordon ; il a vu , en
effet, ces renflements communiquer ensemble, et contenir
un fluide séreux, limpide; le second était même rempli
d'une matière jaune. Au lieu d'être située entre le chorion
et l'amnios , comme le disent tous les auteurs , elle serait
en dehors du chorion , qui lui fournirait une gaîne sur
le cordon.
Allantoïde. Enfin , dans les œufs des quadrupèdes , on
trouve, entre le chorion et Tamnios, disent la plupart des
auteurs , et en dehors du chorion , dit M. F~elpeau , un
réservoir membraneux qui, par un canal appelé ouraque ,
va communiquer avec la vessie. Ce réservoir a une forme
alongée , et a reçu son nom de sa ressemblance avec un
boudin, une saucisse. Rempli d'un liquide que les uns di-
sent être l'urine du fœtus, que les autres considèrent comme
une substance nutritive mise en réserve pour lui, il se con-
tinue avec le canal appelé ouraque. Celui-ci se place dans le
cordon ombilical, pénètre par l'ombilic dans l'abdomen , et
vient s'ouvrir dans la vessie.
Dans l'œuf humain , on n'a encore trouvé de cet appareil ,
AINATOMIE DU FŒTUS. 34 l
que l'ouraque. Mais, néanmoins, on en admet l'existence :
i° à cause de l'analogie des autres mammifères; 2° à cause
de la présence de l'ouraque, qui doit faire supposer l'allan-
toïde; 3° parce qu'on a trouvé quelquefois l'intervalle entre
le chorion et l'amnios pleins d'eau ; certains physiologistes
disent même que le chorion est tapissé intérieurement d'une
membrane très fine, qui s'est collée à lui au point de lien
êterè plus séparable , et qui serait l'allantoïde; 4° enfin,
parce que M. Meckel dit avoir trouvé, sur un embryon de
quatre semaines , une vésicule plus grande que l'ombili-
cale, qui évidemment n'était pas elle , et qui probablement
éiait l'allantoïde. MM. de Blainville et Lobsiein croient
qu'on fait, dans l'espèce humaine, un double emploi , et
que ce qu'on y appelle la vésicule ombilicale, n'est que
l'allantoïde.
Pour ce qui est de l'ouraque, les uns le disent un simple
ligament étendu du sommet de la vessie à l'ombilic, et se
prolongeant dans le cordon; les autres le disent un canal.
Il est creux, en effet, dans son origine; il ne s'oblitère qu'à
trois mois; avant cette époque, on a pu l'injecter avec du
mercure, assez loin dans le cordon. Haller, Sabotier , disent
môme l'avoir vu plusieurs fois, creux encore du coté de la
vessie dans des enfants nouveaux-nés; et l'on cite des cas où
il est resté ouvert toute la vie, et où l'urine était excrétée
par l'ombilic. Du reste, il est d'autant plus considérable,
d'autant olus large, relativement à la vessie, et d'autant
plus prolongé dans le cordon , que l'embryon est plus jeune.
Telles sont les parties annexes du fœtus. En ces derniers
temps , M. Pockels a signalé encore une nouvelle partie sous
le nom àe vésicule eiythroïde. Jusqu'au quatorzième jour,
dit-ii,, l'œuf est de la grosseur d'une aveline ; il est dans la
caduque , sans qu'il y ait de communication entre cette
membrane et le chorion. Celui-ci est rempli d'un fluide
rouge, transparent, de la consistance du blanc d'œuf , tra-
versé en plusieurs sens par une membrane incolore très
ténue, et qui est disposée, à l'égard de ce fluide, comme
342 VIE TNTRA.-UTÉRINE.
l'est la membrane hyaloïde à regard du corps vitré. En de-
dans du chorion est l'amnios, qui ressemble alors à une
petite vessie oblongue ou globuleuse, ayant le volume d'un
haricot ou d'un pois. L'embryon est d'abord en dehors de
cet amnios, lui adhérant par sa partie postérieure, tandis
que, par sa partie antérieure , il correspond au chorion;
mais vers le seizième jour, il s'y enfonce, et alors appa-
raissent en dehors de lui , et réunies à lui , deux parties im-
portantes, la vésicule êrythroïde et la vésicule ombilicale.
Celle-ci est globuleuse, d'une couleur blanche- jaunâtre,
remplie d'un fluide diaphane comme de l'eau, et située un
peu au-dessus du sommet de Fembryon , qu'elle surpasse
d'abord en volume; elle ne croît que jusqu'au moment où
le cordon apparaît, n'a jamais plus de deux lignes de dia-
mètre, se sépare ensuite du lieu où elle était d'abord atta-
chée et de l'insertion du cordon , et envoie dans l'intestin
de l'embryon un canal. La vésicule êrythroïde est py ri-
forme; par sa grosse extrémité, elle repose sur l'amnios , du
côté de la partie la plus basse de l'embryon ; et par la petite ,
elle va s'ouvrir dans l'abdomen de cet être. Transparente,
d'une couleur blanche laiteuse dans les œufs de huit à
douze jours, elle a trois fois la grosseur de l'embryon, et
vers la quatrième semaine, elle a déjà disparu. Au moment
où l'embryon s'enfonce dans l'amnios et s'enveloppe de cette
membrane, on la voit manifestement donner naissance au
cordon ombilical, et engendrer l'intestin dans sa cavité.
M. Pockels considère ces deux organes comme essentielle-
ment nécessaires au développement de l'embryon; il assigne
surtout cet usage au fluide que contient la vésicule ombi-
licale, jusqu'au moment de la formation des vaisseaux om-
bilicaux, lesvaisseaux omphalo-mésentériquess'ouvrant alors
dans la vésicule êrythroïde, et celle-ci . plus tard, donnant
naissance aux vaisseaux ombilicaux. M. Pockels nie l'exi-
stence de l'allantoïde.
Il nous reste à dire ce qui est de ces parties annexes du
fœtus , quand la grossesse est composée. Alors le plus sou-
vent les œufs ne sont que contigus. Quelquefois cependant
cela n'est pas; dans quelques cas, on a trouvé les placentas
ANATOMIE DU FOETUS. 343
confondus en un seul, ayant entre eux les communications
vasculaires les plus intimes. Dans d'autres, il n'y avait évi-
demment qu'un seul placenta , donnant naissance à deux
cordons, ou même à un seul, mais qui se bifurquait pour
chacun des deux fœtus. On conçoit que, dans ce dernier
cas , il faut lier le cordon après la sortie du premier enfant,
si l'on ne veut pas que le second meure d'hémorragie.
ARTICLE II.
Du Fœtus lui-même.
Nous avons déjà dit qu'il n'y avait rien de fixe relative-
ment à l'époque à laquelle on commence à voir, dans la
vessie pleine d'un liquide transparent qui constitue l'ovule ,
un petit point nuageux, solide, opaque, annonçant l'in-
dividu nouveau. On ne le voit que postérieurement à l'ovule
proprement dit, car il en provient, du moins à juger d'a-
près les ovipares chez lesquels l'embryon naît de la cicatri-
cule qui se développe sur le jaune et à ses dépens. Si la
vésicule ombilicale est dans l'espèce humaine l'analogue du
jaune, c'est à sa surface qu'il doit apparaître. Selon les uns,
il est, dès son origine , lié à ses enveloppes; selon d'autres,
il naît libre au milieu du liquide de l'œuf. Bien distinct
vers la troisième semaine , il est alors oblong , vermiforme ,
renflé à son milieu , obtus à l'une de ses extrémités , terminé
en pointe mousse à l'autre, droit ou faiblement courbé en
avant. Il n'est alors qu'un petit corps gélatineux, d'un blanc
grisâtre, demi -opaque, sans consistance, long de deux à
trois lignes, et du poids de deux à trois grains. Il est réduit
au torse; il n'y a pas encore en lui trace de la tête; on voit
seulement en avant une petite saillie séparée du reste par
une entaille. 11 n'y a pas davantage trace des membres, ni
vestige d'aucune proéminence , d'aucune ouverture à la sur-
face du corps. Le ventre apparaît sous forme d'une saillie
conique; et à sa partie tout-à-fait inférieure et antérieure,
au point où naîtra le cordon , il appuie immédiatement sur
l'enveloppe intérieure de l'œuf. Celui-ci , dans son entier, a
344 VIE I3NTR A-UTÉRINE.
Je volume d'une grosse noisette, ou d'une petite noix; au-
cun organe ne peut y être distingué, même au microscope.
L'embryon humain a alors la texture homogène du plus
simple des êtres organisés.
De la cinquième à la sixième semaine , il est devenu plus
consistant, et ses parties sont plus distinctes : sa longueur
est de cinq à six lignes , son poids d'environ dix-neuf grains;
sa forme a été comparée par Aristote , à une fourmi; par
Burton, à un grain d'orge; à l'os du marteau , par Baude-
locqiie. La tête a grossi considérablement à proportion du
reste, et, à cette époque, fait à elle seule la moitié du corps;
la face y est beaucoup plus petite que le crâne, et généra-
lement le sera d'autant plus que l'embryon sera plus jeune.
On y distingue déjà supérieurement deux points noirs tour-
nés de côté , qui sont les rudiments des yeux , et une petite
fente transversale pour la bouche. Sur les côtés du tronc,
deux petits mamelons obtus annoncent le prochain déve-
loppement des membres thoraciques. Il n'y a pas encore
trace de col. Le thorax est ouvert par devant , et laisse voir
le cœur, dont ]es battements sont déjà appréciables. Mais le
sang qui circule dans les vaisseaux est encore blanc. L'ab-
domen saille en avant, et , dans sa partie inférieure , adhère
encore aux membranes de l'œuf, ou offre déjà un premier
rudiment du cordon. Sur ses côtés, deux mamelons obtus
marquent l'emplacement des membres abdominaux. L'ex-
trémité inférieure du rachis fait une saillie , fléchie en avant
et en haut, et qui constitue une queue. L'œuf, dans son
entier, a de quinze à dix-huit lignes de long, sur douze à
quinze de large.
De la septième à la huitième semaine, l'embryon acquiert
une longueur de douze à quinze lignes, un poids de deux
à quatre gros. La tête n'est déjà plus que le tiers de tout le
corps. Aux rudiments des yeux et de la bouche, se sont
ajoutés ceux des narines, qui cependant sont encore con-
fondus avec la bouche, et deux petites fossettes pour les
emplacements des oreilles. Dans les membres supérieurs
dont le développement est commencé, on peut déjà distin*
çuer l'avant-bras et la main: mais îe bras manque, et la
AWATOMIE DU FOETUS, 345
main est plus grande que l'avant-bras, et n'est pas encore
digitée. Le cordon ombilical apparaît; long de quatre à cinq
lignes, il a la forme d'un entonnoir, paraît se continuer
immédiatement avec l'abdomen , et est très gros , parce qu'il
contient alors une grande portion de l'intestin : il est situé
tout-à-fait au bas de l'abdomen. Entre le point de son im-
plantation et la fin duracliis, se montre un petit tubercule
garni d'une ou plusieurs ouvertures étroites, qui sont les
rudiments de l'anus et des organes sexuels.
Aux neuvième et dixième semaines , l'embryon est long de
deux pouces , et pèse d'une once à une once et demie. À la
face, le nez commence à se montrer, et à son sommet se
voient les deux narines , qui sont dirigées en avant. On com-
mence aussi à voir les paupières et les lèvres : auparavant
les paupières n'existaient pas , ou étaient transparentes , car
le pigmentum noir des yeux était apparent : dès lors l'œil
est caché. Les ouvertures auriculaires apparaissent sous la
forme de fentes oblongues , bordées en avant et en arrière
de tubercules destinés a former le pavillon de IWeille. Il
y a enfin trace du col. Les téguments et les parois du thorax
sont formés, les côtes au moins; et par conséquent, le
cœur n'est plus à découvert. Les membres tboraciques plus
développés, présentent distinctement les trois brisures qui
les composent, bras, avant-bras et main ; mais la main est
comme palmée , les doigts sont réunis par une substance
molle. Le cordon , dont la longueur surpasse celle de l'em-
bryon, commence à se tordre; quoique contenant encore
une portion de l'intestin, il n'est plus autant en enton-
noir, et paraît déjà implanté à une partie moins inférieure
de l'abdomen. Les membres abdominaux ont suivi le déve-
loppement des tboraciques ; cependant ils restent un peu
au-dessous ; les pieds sont encore sans orteils > et ont la
plante tournée en dedans , et le dos en debors ; la cuisse est
encore plus courte que la jambe , comme aux membres tbo-
raciques il en était du bras par rapport à l'avant-bras. La
partie inférieure du racbis qui faisait une queue, diminue
graduellement et disparaît. Le sexe n'est pas encore dis-
tinct; on voit seulement saillir un tubercule qu'on croit
346 VIE INTRA-UTERINE,
être le clitoris; les ouvertures anus et génitales sont réunies.
C'est à cette époque que disparaît la vésicule ombilicale ; il
reste seulement un vestige du pédicule qui l'unit à l'intes-
tin. L'œuf entier a le volume d'un œuf de poule.
Pendant le cours de la onzième et de la douzième semaines,
l'embryon acquiert une longueur de cinq à six pouces , un
poids de trois onces. La tête, quoique grosse encore pro-
portionnellement au reste du corps, est déjà moins dispro-
portionnée. Les paupières bien distinctes sont fermées et
collées l'une à l'autre. Le nez proémine. Le front et la
bouche sont bien dessinés; celle-ci est close. Les éminences
du pavillon de l'oreille sont formées, mais non encore réu-
nies. Le col est distinct. Le thorax est tout-à-fait fermé ; le
sternum, que TVolf appelle la eicatrice du thorax, est
formé. Le cordon ne contient plus dans son intérieur au-
cune portion intestinale , et l'intestin est dès lors en entier
dans l'abdomen. Aux membres supérieurs, le bras s'est
alongé, et est plus en proportion avec l'avant-bras; les
doigts sont séparés , et une ébauche des ongles apparaît sous
la forme de petites# plaques membraneuses et minces; ces
membres sont abaissés sur les côtés du corps. La région du
bassin est distincte , et les membres inférieurs présentent
des progrès analogues ; ces membres sont relevés contre l'ab-
domen. Le tubercule saillant qu'on croit être le clitoris,
est fort long ; au-dessous de lui , est une fente longitudinale,
dont les rebords paraissent être les grandes lèvres de la
vulve; une lame transversale sépare cette fente en deux
parties, et annonce la séparation qui commence à se faire
de l'anus et des voies génitales. La peau qui, dans les deux
premiers mois était un enduit visqueux , mou, dans le troi-
sième commence à se former; mais elle est mince, trans-
parente, facile à déchirer, et encore sans apparence fi-
breuse.
Au quatrième mois, quoique l'accroissement soit moins
rapide que dans les temps précédents , les formes devien-
nent déplus en plus prononcées; l'être nouveau n'est plus
un embryon , mais un fœtus , parce qu'alors toutes les par-
ties de son corps sont distinctes. Sa longueur est de six à
ANATOMIE DU FOETUS. 34/
sept pouces, son poids de six à sept onces. La tête devient
de moins en moins disproportionnée ; quoique Fossifî cation,
qui dès la neuvième semaine a commencé dans les os du
crâne, continue, cependant les fontanelles sont encore très
amples, et les commissures du crâne très larges. La face est
encore peu développée. Les yeux sont fermés ^ le nez et les
oreilles bien distincts, les lèvres formées; la langue se voit
dans la bouche. A l'abdomen , le cordon paraît implanté
plus haut que dans les temps précédents, et la moitié du
corps du fœtus répond à plusieurs centimètres au-dessus de
l'ombilic. Dans les membres, la proportion s'établit davan-
tage entre les supérieurs et les inférieurs, et dans chacun
entre les bras et les avant-bras , les avant-bras et les mains ,
entre les cuisses et les jambes, les jambes et les pieds. Le sexe
alors est distinct ; on voit le scrotum et son raphé , mais il
ne contient pas encore les testicules; le pénis est grand, et
a le gland dénudé : ces deux dispositions sont d'autant plus
prononcées que l'embryon est plus jeune. Si c'est une fe-
melle , le clitoris paraît moins grand que dans les mois pré-
cédents. La peau a une couleur rosée , ressemble à un satin
mince, et déjà est recouverte d'un léger duvet; quelques
cheveux fort courts, rares, blancs et argentins, paraissent
à la tête. Une graisse rougeâtre existe dans les aréoles du
tissu cellulaire , et déjà les muscles peuvent exécuter des
mouvements notables.
À cinq mois , le fœtus est long de huit à onze pouces , et
pèse de huit à dix onces. La tête n'est déjà plus que le quart
de tout le corps ; et devenant la partie la plus pesante , elle
commence à se placer en bas. De meilleures proportions
s'observent entre toutes les parties : les membres abdomi-
naux, qui jusque là avaient été plus petits que les thoraci-
ques, commencent à avoir plus de longueur. La peau offre
de petits poils soyeux blancs. Les mouvements du fœtus sont
alors nettement sentis par la mère, parce que, d'une part,
ses muscles sont plus énergiques; et d'autre part, parce
qu'ayant plus de volume, cet être remplit davantage Lœuf.
Si le fœtus naissait alors, il pourrait vivre quelques minutes.
A six mois, le fœtus a une longeur de onze à quatorze
348 VIE INTRA-UTÉRINE.
pouces, un poids de douze à seize onces. La tête, encore assez
grosse relativement au reste du corps , est couverte de petits
cheveux blancs argentés. Les paupières sont collées; et à
leurs bords, ainsi qu'aux sourcils, apparaissent de petits
poils déliés. Le sternum est tout-à-fait ossifié, et l'union de
ses deux moitiés s'est faite de haut en bas. A la peau , on
commence à pouvoir distinguer le derme et l'épidémie.
Cette membrane est fine, mince, lisse, et a une couleur
pourprée, surtout à la face, aux lèvres, aux oreilles, à la
mamelle, à la paume des mains, à la plante des pieds. Elle
paraît plissée , parce qu'il n'y a pas encore de graisse dans
le tissu cellulaire sous-cutané. Le scrotum est petit, d'un
rouge vif; la vulve est saillante , et ses lèvres écartées par la
saillie du clitoris. Les ongles sont déjà assez solides. Si le
fœtus naissait alors, son développement est assez grand
pour qu'il puisse respirer, crier, commencer la vie exté-
rieure, mais il mourrait après quelques heures.
Pendant le cours du septième mois, toutes les parties ac-
quièrent plus de consistance, grossissent, s'arrondissent,
se proportionnent mieux. La longueur totale du fœtus est
de treize à seize pouces; son poids, de deux livres et demie.
La tête s'est dirigée vers l'orifice de l'utérus, et l'on peut
l'y sentir avec le doigt introduit dans le vagin; mais elle
est encore bien mobile. Les paupières commencent à s'en-
tr 'ouvrir , et alors disparaît la membrane qui clôt le trou
pupillaire. La graisse plus abondante donne plus de rondeur
aux formes. La peau est plus rosée; ses follicules sébacés
sont formés, et sécrètent à sa surface un enduit blanc,
graisseux. Les cheveux sont plus longs, et d'une couleur déjà
plus foncée. Les testicules descendent dans le scrotum.
Dans le huitième mois, le fœtus croît plus en grosseur
qu'en lougueur ; sa longueur est de seize à dix-huit pouces,
son poids de quatre à cinq livres. Toutes ses parlies sont de
plus en plus fermes et formées. A la tète les fontanelles sont
moins évasées que dans les mois précédents; les paupières
sont ouvertes. Le testicule gauche au moins, est descendu
dans le scrotum.
Dans le neuvième mois, le fœtus estlongde dix-huit à vingt
AWATOMIE DU FOETUS. 34$
pouces , il pèse de six à sept livres. Le duvet des paupières
et des sourcils est remplacé par de véritables poils.
A terme, c'est-à-dire au moment de la naissance, voici,
d'après une table qu'a établie M. Chaussier sur l'examen
de plus de quiuze mille enfants naissants , les proportions
les plus ordinaires. La longueur totale du fœtus est de
quatre cent quatre-vingt-neuf millimètres , ou dix-huit
pouces : du sommet de la tête à l'ombilic, il a deux cent
quatre-vingts millimètres, ou dix pouces quatre lignes; et de
l'ombilic aux pieds, deux cent neuf millimètres , ou sept
pouces huit lignes : du sommet de la tête au pubis, deux
cent quatre-vingt-dix millimètres , ou onze pouces, neuf
lignes ; et, du pubis aux pieds, cent soixante-dix millimètres
ou six pouces trois lignes : de laclavicuîeaubasdu sternum,
la longueur est de cinquante-cinq millimètres , ou deux
pouces trois lignes, et du bas du sternum au pubis de cent
soixante millimètres, ou six pouces. L'étendue transversale
du fœtus est; du sommet d'une épaule à l'autre, de cen!
vingt millimètres, ou quatre pouces six lignes; du sternum
au raehis, de quatre-vingt-treize millimètres , ou trois pou-
ces six lignes; d'un os des îles à l'autre, de soixante-quinze
millimètres , ou trois pouces; d'une tubérosité fémorale à
l'autre, de quatre-vingt-quatre millimètres, ou trois pou-
ces trois lignes. La tête a : à son diamètre transversal, trois
pouces, quatre lignes; à son grand diamètre , quatre pouces,
trois lignes; à son diamètre diagonal ou occipito-mentonnier,
cinq pouces; à son diamètre sphœno-bregmatique, trois pou-
ces, quatre lignes. Sa circonférence est de treize à quinze
pouces. Les os du crâne, quoique mobiles encore, sont ar-
rivés à se toucher par leurs bords : cependant la grande
fontanelle est encore large d'un pouce. Les cheveux sont
assez épais, blonds, et longs d'un pouce. La face n'a plus
autant l'aspect de la vieillesse. Le thorax est court et
aplati. L'abdomen est ample, fort étendu, arrondi , et
fait saillie au niveau de l'ombilic, qui se trouve juste au
milieu de la longueur du corps. Le bassin est étroit et
peu développé. Le scrotum est moins rouge et ridé. Les
ongles sont prolongés jusqu'à l'extrémité des floigî s et souvent
35 O VIE INTRA-UTÉRINE.
les dépassent. Dès cette époque, on peut, dit Sœmmering ,
saisir les différences générales des deux sexes.
Comme on le conçoit, nous ne disons que ce qui est le
plus général; il y a dans tout ceci beaucoup de variétés,
surtout en ce qui concerne les premiers mois. Tous les au-
teurs diffèrent dan s les évaluations qu'ils ont données à leur
égard, et sont plus d'accord en ce qui regarde la dernière
moitié de la grossesse : M. Chaussier dit qu'à partir du
cinquième mois, le fœtus croît d'un pouce tous les quinze
jours. Le trait le plus important à noter est la diminution
progressive delà moitié supérieure du corps , le cordon, qui
d'abord était au bas du torse, arrivant à être au milieu du
corps : non que ce soit ce cordon qui se déplace, mais parce
que les parties du corps qui sont au-dessous de son point
d'insertion, et qui n'existaient pas d'abord ou à peine, se
développent.
Quant à la situation du fœtus : dans les premiers temps ,
cet être est suspendu parle cordon, dans l'eau de l'amnios
dont la poche est alors fort étendue ; sa. tête plus pesante se
porte en bas : ses premiers mouvements ne sont peut-être
qu'un pivotement sur ce cordon; et c'est peut-être à cela
qu'est due la torsion qu'offre celui-ci. Quand le cordon a
pris plus de longueur, le fœtus peut se livrer à des mouve-
ments plus étendus , et il est possible que quelquefois les
fesses soient en bas. Jusqu'au milieu de la grossesse, il n'a
pas déposition fixe ; mais, après cette époque, l'espace qui lui
est offert devenant chaque jour moindre, et son volume au
contraire augmentant toujours, il est obligé de rester dans
une même attitude , et voici celle qui est la plus ordinaire.
Il est courbé en avant, le menton appuyé sur le thorax, l'oc-
ciput incliné vers l'ouverture supérieure du bassin , les bras
rapprochés en devantet les mains portées vers la face ; les cuis-
ses fléchies sur l'abdomen, les genoux écartés , et les jambes
croisées, de manière que le talon gauche est sur la fesse droite,
et, vice versa, enfin les pieds fléchis sur la face antérieure de
la jambe. Il représente dans son ensemble un ovoïde long de
dix pouces; et sa position est telle, que sa tête à la nais-
sance repose sur le col de l'utérus, et répond à l'entrée du
ANATOMIE DU FOETUS. 35 I
bassin, tandis que ses fesses répondent au fond de l'organe.
Jadis on croyait,, mais à tort, que cette position, qui est la
plus favorable à raccoucbement, était due à une culbute
que faisait spontanément le fœtus dans les deux derniers
mois de la grossesse.
Mais ce n'est pas assez d'avoir décrit semaine par semaine ,
mois par mois , les développements successifs de l'embryon
et fœtus bumain , considéré dans ses formes extérieures et
dans ce qui est apparent à la surface de son corps : il faut
pénétrer dans son intérieur , et indiquer les cbangements
graduels de ses principaux organes et appareils. Dans son
origine, l'embryon, avons-nous dit, est une masse gélati-
neuse sans consistance , où aucun organe n'est distinct ; tout
semble être tissu celluleux ou muqueux, comme dans le plus
simple des animaux. Les auteurs sont partagés sur celui des
systèmes généraux , nerfs ou vaisseaux , qui apparaît le pre-
mier dans cette masse homogène. Les uns, d'après les obser-
vations sur l'œuf des oiseaux, croient que les vaisseaux sont
les premiers formés, et par conséquent que ces vaisseaux sont
l'élément organisateur. D'autres, Rolando, par exemple, di-
sent que ce sont les nerfs. Quelques-uns enfin, comme Meckel,
n'admettent pas d'élément organisateur primitif , et croient
que le premier rudiment du fœtus contient la base de toutes les
parties, comme dans les animaux inférieurs toute l'organisa-
tion est représentée par la substance bomogène qui forme le
corps. Notre ignorance sur l'essence de la génération et sur les
premiers développements de l'embryon bumain, rend peut-
être ce problème insoluble. Cependant les derniers travaux
de M. Serres , sur le mode de développement du système
nerveux, nous portent à croire que ce sont les vaisseaux qui
apparaissent les premiers. En effet, les diverses parties ner-
veuses ne se montrent que postérieurement aux artères qui
leur sont destinées; elles apparaissent dans le même ordre
que sont créées leurs artères; leur développement se fait
dans la même direction que ces vaisseaux ; leur volume
enfin, et les degrés divers d'activité de leur accroissement,
sont en raison du nombre et du calibre de ces artères. Voici
les faits confirma tifs de ces diverses propositions : i" La
352 VIE 1MTRA-TJTÉRJNE.
moelle épinière apparaît avant le cerveau , et le cerveau
avant le cervelet ; or, les artères de la moelle épinière de-
vancent celles du cerveau , et celles-ci celles du cervelet.
Dans l'encéphale proprement dit, les tubercules quadriju-
meaux sont plus précoces que le cerveau , et le cerveau que
le cervelet; or, les artères des tubercules quadrijumeaux
apparaissent avant les carotides internes qui fournissent au
cerveau , et les carotides internes avant les vertébrales qui
se distribuent au cervelet. 2° Les vertébrales qui fournissent
au cervelet sont dirigées d'arrière en avant , et c'est aussi
dans cette direction que se fait le développement de cette
partie nerveuse : au contraire , les carotides internes qui
alimentent ie cerveau sont dirigées d'avant en arrière , et
c'est en ce sens que se développe le cerveau. 3° Toute partie
nerveuse ne se développe que consécutivement à l'appa-
rition des artères qui leur apportent du sang; par exemple,
les couches optiques, les corps striés, le corps calleux, avec
les artères choroïdienne, striée, cérébrale postérieure; le
lobe médian du cervelet avec la cérébelleuse antérieure 3 et
les hémisphères de cet organe avec la cérébelleuse posté-
rieure. 4« Toujours il y a un rapport entre les diverses
parties encéphaliques et les artères qui les alimentent ,
non-seulement aux diverses phases des développements de
l'embryon humain , mais encore dans les diverses classes
d'animaux. Ainsi, dans l'embryon humain, ce sont d'abord
les tubercules quadrijumeaux qui prédominent , et ce n'est
qu'à la fin que l'emportent les hémisphères du cerveau et du
cervelet : or, les arlères des tubercules quadrijumeaux sont
d'abord les plus grosses, et elles diminuent de calibre a
mesure que se développent les cérébrales et les cérébelleuses.
Le poisson a les tubercules quadrijumeaux énormes, et les
hémisphères du cerveauetdu cervelet très petits; or, coïn-
cidemment , sont très grosses en lui les artères des lobes
optiques, et très grêles celles du cerveau et du cervelet.
Dans le reptile , les lobes optiques ont déjà diminué au
profit des hémisphères cérébraux : dans les oiseaux , le cer-
velet , presque rudimentaire dans la classe précédente, a
pris un grand accroissement : enfin, dans les mammifères,
ATÎATOMIE DU FOETUS. 353
les lobes optiques sont tout-à-fait dominés par les hémi-
sphères du cerveau et du cervelet. Or les mêmes proportions
s'observent dans les artères de ces diverses parties. Nous ne
parlons ici que des trois parties fondamentales de l'encé-
phale; savoir, tubercules quadrijumeaux, cerveau, et cer-
velet ; mais le rapport que nous signalons s'observe aussi
dans chacune des dépendances de ces trois parties. 5° Enfin,
ce qui achève de faire croire , avec M. Serres , que les con-
ditions d'existence du système nerveux et de l'encéphale
sont subordonnées aux dispositions du système sanguin ,
c'est que si une artère manque ou est double, la partie
nerveuse manque ou est double aussi , comme le prou-
vent les monstres. Voyez les monstres par défaut; des ar-
tères manquent ou sont oblitérées; dans les anencéphaîes ,
pas de carotides primitives; dans les fœtus sans membres
thoraciques ou pelviens , pas d'artères axillaires ou fémo-
rales , etc. C'est le contraire dans les monstres par excès; les
bicéphales , les tricéphales , ont les carotides primitives
doubles, triples; ceux qui ont deux cervelets , deux troncs,
ontdoubles les artères vertébrales, l'aorte descendante, etc.
Si tous ces faits sont vrais , il est évident qu'ils fondent une
forte présomption pour l'opinion à l'appui de laquelle nous
les présentons, Toutefois , sans nous arrêter davantage à ce
point de la science , nous allons nous borner à passer succes-
sivement en revue, sous le rapport de leurs développements
progressifs, chacun des principaux appareils et organes du
corps , en prenant pour point de départ ce que nous savons
de l'âge adulte.
i° Système vascuiaire sanguin» Nous allons dire d'abord
ce qu'il est chez l'oiseau. Dès la douzième heure de l'incu-
bation, on voit se former, entre les membranes du jaune, des
globules ou vésicules éparses , qui sont des rudiments de
veines; peu à peu ces vésicules se réunissent entre elles, et
il en résulte un réseau évidemment vascuiaire. Ce ne sont
pas d'abord des veines proprement dites, car elles sont sans
parois; ce sont de simples trajets que le liquide s'est creusés
danslasubstancequile renferme ; mais bientôt les paroisse
forment , et la texture vascuiaire est manifeste, Après la
Tome IV. 23
354 VIE I'HTRA -UTERINE.
trentième heure, un des vaisseaux de ce réseau prend un
grand développement, et devient 3e cœur. Au troisième jour,
ce cœur présente des renflements distincts; bientôt les ar-
tères apparaissent , un sang rouge y circule , l'allantoïde et
les vaisseaux ombilicaux se montrent; et enfin le système
circulatoire va en se développant successivement. Ainsi, ce
sont les veines qui se montrent d'abord, puis le cœur, et en
dernier lieu, les artères. Cependant Rolando, comme on a
pu le voir dans la description que nous avons donnée d'après
lui du développement du disque de substance spongieuse de
la cicatricule , fait développer les artères en premier lieu.
Dans les mammifères et dans l'homme , on ne peut saisir,
dès le premier instant de leur formation , les vaisseaux de
la vésicule ombilicale ; on ne peut donc assurer s'ils sont
des veines ou des artères; mais les vaisseaux qu'on distingue
les premiers dans les villosités du chorion , sont des veines.
L'analogie porte à croire que ces vaisseaux, quels qu'ils
soient , se forment de la même manière que dans l'oiseau;
c'est-à-dire qu'ils sont d'abord de simples vésicules isolées ,
puis des canaux creusés dans la substance gélatineuse qui
forme l'embryon , et enfin des vaisseaux à parois distinctes.
C'est, en effet, en passant par ces trois degrés, que l'on voit
se former les vaisseaux qui apparaissent dans les membranes
accidentelles qui s'organisent; et les premiers vaisseaux qui
sont visibles dans le placenta, ne laissent voir ni couches,
ni fibres distinctes dans leurs parois.
Toutefois , la veine-porte , dont la veine omphalo-mésen-
térique, qui va à la membrane du jaune dans l'oiseau, et à
celle de la vésicule ombilicale dans les mammifères , est une
branche , est le premier tronc qui se montre. Cela devait
être , puisque l'embryon est d'abord réduit au torse , à
l'abdomen. Ensuite apparaît la veine ombilicale. Les deux
veines-caves sont plus tardives; elles ne se montrent qu'a-
vec les parties desquelles elles rapporteront le sang , et
lorsque se forment les deux artères qui leur correspondent.
La supérieure reste distincte ; mais l'inférieure est unie
avec la veine ombilicale par un rameau assez gros , dit
canal veineux.
ÀNATOMIE DU FŒTUS. 355
La veine-porte existe seule encore, quand le cœur com-
mence à être visible. Cet organe n'est d'abord qu'un renfle-
ment irrégulier de cette veine; mais bientôt il se courbe en
demi-cercle, et offre trois dilatations, et deux rétrécisse-
ments manifestes. Les dilatations sont l'oreillette , le ven-
tricule gauche, et le bulbe de l'aorte; le ventricule paraît
avant l'oreillette. A mesure que ces dilatations se rappro-
chent, les rétrécissements qu'on voyait entre elles dispa-
raissent. Le cœur est d'autant plus gros que l'embryon est
plus jeune; à la septième semaine, qui est l'époque à la-
quelle paraît le diaphragme, il remplit tout le thorax et
l'abdomen , et est dirigé tout droit en avant et en bas. Bien-
tôt l'oreillette se partage en deux par une cloison incom-
plète qui se développe dans son intérieur, mais qui cependant
laisse entre les deux une grande ouverture de communica-
tion , dite trou de Botal. Du deuxième au troisième mois?
apparaît sur cette cloison mitoyenne des oreillettes, une
valvule qui, en croissant de haut en bas, diminue chaque
jour de plus en plus l'ouverture interauricuîaire : l'occlu-
sion ne sera complète qu'à la naissance, par l'application
définitive de cette valvule contre la paroi inférieure de la
cloison. En même temps que l'oreillette devient double, il
part de la base du ventricule gauche un petit prolongement
qui va constituer un second ventricule, le ventricule droit»
Le cœur alors a les quatre cavités que nous lui avons re-
connues. Les oreillettes sont d'abord plus grandes que les
ventricules , et la droite plus que la gauche. Le ventricule
gauche est d'abord le plus grand , mais à partir du sixième
mois, c'est le droit. Les parois du cœur, des ventricules
surtout, sont d'abord fort épaisses. A l'embouchure de la
veine-cave inférieure dans l'oreillette droite, est une valvule
dite à' Eustachi } que nous verrons influer d'une manière
remarquable sur le mode de circulation du fœtus.
Quant aux artères, l'aorte est la seule qui existe jusqu'à
la septième semaine. A cette époque apparaît l'artère pulmo-
naire, qui d'abord est sans rameaux, et va à l'aorte, dont elle
semble être une racine. Vers la huitième semaine, cette artère
pulmonaire détache de petites branches pour le poumon.
23.
356 VIE I1NTRA-UÏUNAIRE.
Ces petites branches, d'autant plus grêles que l'embryon est
plus jeune , grossissent graduellement ; vers le cinquième
mois, elles égalent en volume le troue primitif de la pul-
monaire , qui est toujours continu à l'aorte , et qu'on appelle
canal artériel; à la naissance, chacune d'elles enfin l'égale
et même le surpasse. De même, le canal veineux , ou la
communication de la veine ombilicale avec la veine-cave in-
férieure, se rétrécit à mesure qu'on approche de la fin de la
vie intra-utérine.
A la description de l'artère pulmonaire , nous rattache-
rons celle des poumons ; les rudiments en apparaissent vers
la sixième ou septième semaine. Ces organes sont alors petits,
blancs, très rapprochés l'un de l'autre, tout lisses, et situés
tout en bas de la poitrine, au-dessous du cœur qui les dépasse
beaucoup. Bientôt apparaissent sur leur côté externe des
échancrures qui annoncent leur séparation en lobes. Après,
ils paraissent lobuleux, granuleux, mais solides et pleins.
Vers quatre mois, leur couleur, de blanche qu'elle était,
devient rose. Quelque développement qu'ils prennent, ils
restent denses. En eux, les artères bronchiques se forment
avant les branches de l'artère pulmonaire. A terme, la tra-
chée-artère est étroite, remplie d'un liquide transparent;
les pièces du larynx qui, dans l'origine étaient membra-
neuses, sont devenues cartilagineuses, mais non encore
osseuses.
Nous ne nous astreignons pas à indiquer les développe-
ments semaine par semaine, mois par mois , car nous serions
entraînés à des détails infinis. Il doit nous suffire d'indiquer
la série des formes principales , et celles qui influent sur le
mécanisme des fonctions. Chaque artère se forme avec la
partie qu'elle doit alimenter. Une différence que présente le
système artériel du fœtus , consiste dans les artères ombili-
cales, qui sont la continuation des iliaques primitives.
Il est quelques organes que leur développement précoce ,
l'abondance des vaisseaux qui les pénètrent, et leur voisi-
nage de la veine -cave, font présumer influer, soit sur la
formation du sang, soit sur sa circulation, et dont nous
pouvons, à ce litre, rattacher la description à celle de l'ap-
ANATOMIE DU FOETUS. 35;
pareil circula toîre sanguin. Tels sont la thyroïde et les cap-
sules surrénales que nous avons décrits dans l'âge adulte ,
et le thymus , qui est un organe exclusif à la vie fœtale. La
thyroïde est en effet de bonne heure apparente ; et, pendant
toute la vie intra-utérine , elle est proportionnellement plus
volumineuse, plus mollo, plus pénétrée de sang, que dans
les âges suivants. Il en est de même des capsules surrénales;
distinctes déjà dans l'embryon de deux mois, et plus grosses
que les reins , elles sont sans doute , par la suite , surpassées
en volume par ces organes; mais elles restent toujours fort
grosses, comparativement à ce qu'elles sont dans les autres
âges; car à la naissance, leur poids est à celui des reins
comme un à trois, tandis que dans l'âge adulte elles sont
aux reins comme un à vingt-huit. Quant au thymus, c'est
un organe de structure vésiculeuse , qui ne se prolonge guère
au-delà de la vie fœtale, et qui est situé clans le thorax, à
sa partie antérieure et supérieure , derrière le sternum : non
visible avant le troisième mois,, il croît rapidement , car au
septième, il a dix-huit lignes de long, et à terme, sa lon-
gueur est de deux pouces et demi, et son poids de quatre à
cinq gros. C'est un assemblage de cinq à six lobes qui, bien
qu'unis par une enveloppe commune assez dense, sont dis-
tincts , et peuvent être considérés comme autant de thymus
séparés , car chacun a ses vaisseaux propres : chaque lobe est
divisé en lobules, et ceux-ci en grains. Dans chaque lobule
est une petite cavité cou tenant un suc blanchâtre, visqueux,
coagulable par l'alcool , semblable à du lait, ou mieux à du
pus. On avait supposé à ce thymus un conduit excréteur
aboutissant dans l'œsophage, ou le péricarde; mais cela
n'est pas. Il croît encore pendant les deux années qui sui-
vent la naissance.
20 Système nerveuoo. Rien n'en apparaît encore dans le
premier mois , à cause de l'état fluide dans lequel est d'abord
ce système ; la tête et la carène paraissent transparentes et rem-
plies d'un fluide diaphane. Danslesecond mois, on distingue,
dans la carène un canal qui en parcourt la longueur , et à la
tête une vésicule arrondie, distendue par un fluide blanc et
transparent. Bientôt le microscope fait reconnaître dans ce ca-
358 VIE INTRA-UTÉRINE,
nal et cette vésicule les méninges, et la masse nerveuse qui res-
semble alors à du blanc d'oeuf. Sionsouruetcelle-ci à l'action de
l'alcool, comme Ta fait Tiedemann> auteur d'un beau travail
sur ce sujet, et auquel j'emprunte tous les détails que je vais
donner, on voit nettement le rudiment du système nerveux
cérébro-spinal , sous la forme d'un cordon aplati , à peine
plus large à l'extrémité céplialique qu'ailleurs, et divisé en
arrière sur toute sa longueur. Au troisième mois, l'extré-
mité céphalique a crû assez pour être bien distincte de la
moelle. Celle-ci, à sa partie supérieure, à ce qu'on appelle
la queue de la moelle alongée, forme une saillie intermé-
diaire au cerveau et au cervelet , et qui , pour le volume ,
tient le milieu entre ces deux parties. Elle offre distincte-
ment les trois faisceaux dits pyramides antérieures , cordons
olivaires , et pyramides postérieures, qui vont former le
cerveau et le cervelet. Comme le pont de Varole manque
alors, on voit nettement les deux premiers de ces faisceaux
d'abord se porter dans les pédoncules du cerveau , ensuite
les pyramides antérieures dans les corps striés, les cordons
olivaires dans les couches optiques, et enfin les uns et ]es
autres rayonner au-delà de ces parties en éventail , et former
la membrane future des hémisphères. De même, les pyra-
mides postérieures vont former le cervelet. I/eneépbaJe est
alors fendu en arrière dans toute sa longueur ; la membrane
des bémisplières , que nous venons de voir se former par les
radiations des pyramides antérieures et des cordons olivai-
res , commence bien à se recourber par ses bords en dedans
et en arrière; mais elle laisse encore à découvert les pédon-
cules du cerveau, les corps striés , les couches optiques, les
tubercules quadrijumeaux, toutes parties qui sont déjà ap-
parentes. Les éminences mamilîaires , la glande pituitaire ,
les nerfs optiques, olfactifs , sont aussi visibles déjà. Les lobes
antérieurs sont déjà assez gros; les lobes moyens et posté-
rieurs ne sont que naissants. Quant à la moelle spinale , elle
s'offre sous la forme d'une lame dont les bords se renversent
en dedans et en arrière, et se réunissent pour constituer
dans son intérieur un canal : ce canal se continue dans l'en-
céphale avec le quatrième ventricule , qui lui-même est con-
ANATOMIE DU FOETUS. 35 9
fcinu avec la troisième par 1 aqueduc de Sylvius; celui-ci
est alors une assez grande cavité.
Au quatrième mois, les cordons olivaires sont plus gros;
le corps calleux commence à se montrer, mais il est situé
verticalement; le pont de Varole apparaît; les lobes posté-
rieurs du cerveau ne dépassent pas encore les tubercules
quadrijumeaux, mais latéralement ils ont atteint le cer-
velet. Celui-ci a une cavité dans chacun de ses côtés. La
voûte à trois piliers apparaît formée de deux rubans dis-
tincts , ses piliers antérieurs se recourbent sur les couches
optiques, et ses piliers postérieurs se continuent avec les
cornes d'Ammon : ces dernières parties sont apparentes,
ainsi que la glande pinéale et ses pédoncules : les ventricules
latéraux existent, et les bords recourbés de la membrane
des hémisphères étant alors réunis, ces hémisphères ressem-
blent à deux vésicules membraneuses. La moelle spinale s'é-
tend en queue de cheval jusque dans le sacrum; elle con-
serve encore son canal intérieur dans lequel se dépose de
la substance nerveuse grise.
A cinq mois, le cerveau couvre déjà en arrière les tuber-
cules quadrijumeaux; la réunion des bords recourbés de la
membrane des hémisphères ne permet plus de voir aucune
de ses parties intérieures. Le corps calleux est plus étendu ,
et la commissure antérieure est visible; les premiers rudi-
ments des circonvolutions se montrent. Le cervelet offre
dessillons qui le divisent en cinq lobes, et sa cavité inté-
rieure a beaucoup diminué.
A six mois, les lobes postérieurs sont arrivés à couvrir une
partie du cervelet : le corps calleux n'est pas encore assez
étendu pour couvrir toute la couche optique ; mais il la
cache déjà en partie. On voit distinctement les fibres des
pédoncules du cerveau aller, en divergeant, se répandre sur
tout l'intérieur des ventricules latéraux. Le septum luci-
tum est très apparent. Dans le cervelet , on distingue l'é-
minence vermicuîaire supérieure, l'arbre de vie.
A sept mois, les lobes postérieurs du cerveau dépassent
le cervelet; les circonvolutions sont distinctes; on peut
déjà retrouver tous les traits de Tàge adulte , comme les il-
36o VIE INTRA-UTÉRINE.
bres transversales de la protubérance annulaire, et les fibres
longitudinales des pédoncules du cerveau. Alors apparaissent
les lobes et lobules foliés du cervelet. L'origine de tous les
nerfs est facile à démontrer; ces nerfs sont plus mous, plus
gros, plus rouges que dans les âges suivants; les points de
l 'encéphale où ils aboutissent, sont les premiers qui se
montrent consistants. La moelle spinale voit son canal in-
térieur s'oblitérer, et graduellement elle descend moins bas,
de manière à finir aux vertèbres lombaires.
Enfin , dans les huitième et neuvième mois, c'est surtout
la périphérie de l'encéphale qui croît en volume et en con-
sistance; les circonvolutions deviennent plus saillantes; les
lamelles du cervelet se multiplient. On voit distinctement
l'entrecroisement des fibres des pyramides antérieures, le
passage de ces fibres au-dessous du pont de Varole dans les
pédoncules du cerveau , et leur divergence au-delà des corps
striés dans les hémisphères.
Cette recherche du mode de développement de l'encé-
phale est utile pour éclairer la question des rapports qu'ont
entre elles les diverses parties cérébrales; elle a justifié
en beaucoup de points les idées de M. Gall sur l'ana-
tomie du cerveau , par exemple , en tout ce qui concerne
les fibres divergentes. En d'autres, au contraire, elle les a
contredites; par exemple, la substance blanche apparaît
avant la grise, et conséquemment ne peut en provenir, etc.
C'est la surface interne de la pie-mère tant interne qu'ex-
terne, qui sécrète la substance nerveuse, et celle-ci est dé-
posée successivement de dehors en dedans. Il est difficile de
savoir lesquels sont les plus précoces des systèmes nerveux
animal et organique : Ackermann prétend que c'est ce
dernier; il n'a en effet manqué jamais dans les acéphales.
M. Serves dit que tous les nerfs sans exception , se dévelop-
pent avant les centres; leur développement paraît être in-
dépendant de celui des parties auxquelles il se distribuent.
Tiêdemann, dans le beau travail auquel nous avons em-
prunté ces détails, dit qu'il résulte de ses recherches , que
l'encéphale du fœtus humain est d'abord, celui de l'animal
vertébré le plus simple; et qu'ensuite, tant par l'addition
ÀNATOMIE DU FOETUS. 3fîf
<îe nouvelles parties , que par le développement de celles
qu'il avait d'abord, il passe successivement par chacune des
formes qui appartiennent à chacune des quatre classes d'a-
nimaux vertébrés , à commencer par les poissons.
M. Serres, dans un ouvrage qu'il vient de publier sur
l'anatomie comparée du cerveau dans les quatre classes d'a-
nimaux vertébrés, et qui a été couronné par l'Institut, a
mieux encore mis hors de doute ce fait important, en même
temps qu'il a donné de nouveaux détails sur le mode de dé-
veloppement de l'encéphale. D'après ce savant , le système
nerveux, comme tout le corps en général, se développe,
non du centre à la circonférence, ainsi qu'on l'avait dit,
mais de la circonférence au centre. Ainsi les nerfs latéraux
de la tête, du tronc, du bassin, sont déjà formés, que l'axe
cérébro-spinal est encore liquide ; conséquemment ces nerfs
n'y ont pas leur origine, comme on l'avait dit, mais seu-
lement y aboutissent; et en effet, il est un temps où ils ne
communiquent même pas avec cet axe. Ensuite apparaît la
moelle épinière ; en troisième lieu l'encéphale"; et dans l'en-
céphale, ce sont les tubercules quadrijumeaux qui se mon-
trent les premiers, puis le cerveau, et enfin le cervelet.
Cela est subordonné à l'ordre selon lequel paraissent les
artères. Toutes ces parties sont primitivement doubles,
composées de deux moitiés, qui, en se développant., mar-
chent l'une vers l'autre pour se réunir sur la ligne médiane.
Par exemple , la moelle épinière est d'abord composée de
deux cordons séparés; bientôt les cordons se réunissent en
avant, et font de cet organe une véritable gouttière; plus
tard, ils se réunissent de même en arrière, et laissent dans
son intérieur un canal; ce canal enfin disparaît, à mesure
que, de dehors en dedans, de la matière nerveuse y est dé-
posée. La même disposition s'observe dans toutes les autres
parties encéphaliques, tubercules quadrijumeaux, pédun-
cuîes du cerveau, cervelet; et la réunion des deux moitiés
primitives sur la ligne médiane, est ce qui donne naissance
dans l'encéphale à ces parties appelées commissures , et à
ces trous, ces cavités connues sous le nom de ventricules ;
ces ventricules sont les analogues du canal primitif de la
36* VIE INTR A- UTÉRINE.
moelle épinière. Quant au fait, que l'encéphale du fœtus
humain offre successivement les formes de l'encéphale de
chacune des quatre classes d'animaux vertébrés, M. Serres
en a donné la démonstration la plus directe , en détermi-
nant le premier avec rigueur les éléments de l'encéphale
dans les quatre classes d'animaux ^ et en fournissant ainsi
des principes fixes à l'anatomie comparée. Ou sait que le
système nerveux de ces êtres se compose de la moelle épi-
nière et de l'encéphale ; et que, dans la masse dite encéphale,
on doit distinguer les tubercules quadrijumeaux, les lobes
olfactifs, le cervelet et les hémisphères cérébraux. Or,
M. Serres a vu que chacune de ces parties fondamentales
du système étaient dans les quatre classes d'animaux verté-
brés, tour-à-tour dominantes et dominées , et que les pre-
mières formes que présentaient les embryons des classes su-
périeures étaient les formes permanentes des animaux
inférieurs. Ainsi, dans les poissons , il y a grand développe-
ment des lobes optiques et olfactifs, du lobe médian du
cervelet, et de la moelle épinière; et au contraire, les hé-
misphères du cerveau et du cervelet sont réduits à zéro; la
moelle épinière, les tubercules quadri jumeaux sont creux,
ainsi que l'est toute partie de l'encéphale très développée.
Dans les reptiles, déjà les lobes optiques sont moindres,
parce que les hémisphères cérébraux sont un peu dévelop-
pés ; mais le cervelet est plus petit encore que dans les pois-
sons; les tubercules quadrijumeaux sont creux encore, et
les hémisphères cérébraux , qui étaient tout solides dans les
poissons, ont déjà aussi une cavité intérieure. Dans les oi-
seaux, c'est le cervelet qui est l'élément dominateur, et
qui a pris la place des tubercules quadrijumeaux; aussi a-t-
il une cavité dans son lobe médian. Enfin, dans les mam-
mifères , les hémisphères cérébraux sont à leur summum
de développement, et les lobes optiques tout-à-fait étouffes.
Or, ces formes sont celles que présente successivement l'en-
céphale de l'embryon humain. N'avons-nous pas dit que
les tubercules quadrijumeaux étaient les parties encéphali-
ques qui paraissaient d'abord? Ajoutons que dans leur ori-
gine , ces tubercules sont , comme dans les poissons , creux
ANATOMIE DU FOETUS. 363
et doubles ; ce n'est que plus tard que leur cavité s'oblitère,
et qu'ils se divisent en quatre par un sillon transversal.
.Nous avons vu aussi la moelle offrir primitivement un canal
dans son intérieur. Les hémisphères cérébraux ont été d a-
bord deux petites vésicules isolées l'une de l'autre, comme
dans les poissons : et le cervelet , une petile languette sans
hémisphères, comme dans les reptiles. En somme, dit
M. Serres , en remontant dans la vie utérine d'un mammi-
fère , on voit les parties de l'encéphale disparaître , de ma-
nière que cet organe présente successivement les formes de
l'oiseau, du reptile et du poisson; comme en remontant
l'échelle des animaux, du poisson au mammifère , on voit
l'encéphale se compliquer d'après les mêmes lois; de telle
sorte que les premières formes des embryons supérieurs re-
présentent les formes permanentes des animaux inférieurs.
3° Appareil digestif. Puisque l'embryon est primitive-
ment réduit au torse, que le ventre est en lui la première
partie formée, le premier organe digestif qui apparaît est le
canal intestinal : mais les auteurs sont très dissidents sur
le mode de développement de ce canal. TVolf, d après ses
observations sur l'œuf des oiseaux , le fait provenir de la
membrane vitellaire : celle-ci est d'abord appliquée sur la
colonne vertébrale de l'embryon; mais tout le long du rachis
se développe bientôt un demi -canal, qui se réunit par les
côtés depuis le haut jusqu'en bas avec la membrane du
jaune, et qui finit par former un canal entier qui reste
appliqué au rachis dans toute sa longueur. Ce canal ne
communique plus à sa partie inférieure avec le vitellus que
par un conduit étroit qui se rétrécit chaque jour de plus en
plus; et quand le reste du vitellus rentre dans l'abdomen,
on ne voit plus à la partie inférieure de l'intestin , qu un
petit appendice en cul-de-sac, vestige de la communication
avec le jaune. Oken dérive l'intestin de la vésicule ombili-
cale : celle-ci lui donne naissance par deux prolongements,
un inférieur pour l'intestin anal , et un supérieur pour l'in-
testin stomacal ; la portion intestinale inférieure se forme
avant la supérieure , comme le prouvent les monstres acé-
phalo-gastres. Le cœcum, qui est situé entre les deux parties
364 VIE INTRA-UTÉRINE.
intestinales , est considéré par Oken comme le reste de la
vésicule ombilicale. Selon Meckel , l'intestin est d'abord un
canal droit et court, placé au-devant du racbis; ce canal
ensuite se recourbe en avant , s'engage dans la base du
cordon , qui alors est si ample qu'on peut le considérer
comme un prolongement de l'abdomen; là, il s'unit à la
vésicule ombilicale, mais à la fin de l'iléon, et non pas au
ccecum , comme le dit Oken; après , il s'en sépare pour
rentrer dans le veutre. Nous avons dit comment Rolando
faisait provenir l'intestin du sacculus vitellarius, sous l'in-
fluence du système nerveux; il forme d'abord un canal étendu
de la bouche à l'anus; puisse il replie en avant pour constituer
la vessie ; et enfin il va, au dehors de l'être , former l'allan-
loiàe.Tièdemanri, arguant des occlusions etdesdiverticulums
qu'on trouve quelquefois dans la longueur de l'intestin, pré-
tend que cet intestin se forme de plusieurs pièces qui se réu-
nissent ensuite les unes aux autres. Enfin, M. Velpeau. nie
toutes ces origines, et dit que l'intestin est primitivement
renfermé dans l'un des quatre renflements qu'il a signalés dans
le cordon ; qu'il y est enveloppé d'un fluide séreux limpide ,
dans lequel on voit une petite quantité de matière jaune,
ressemblant à du jaune d'œuf cuit; et que dès ce lieu il a
déjà ses circonvolutions.
Sans prétendre indiquer quelle est parmi ces descriptions
celle qui est conforme à la nature , nous allons nous borner
à spécifier les différences que présente pendant la vie fœtale
l'intestin , sous les rapports de sa longueur, de son calibre,
de sa situation, etc. Plus le fœtus est jeune, plus l'intestin
est court; mais aussi plus il est ample. Il a d'abord partout
le même calibre; puis il se partage en grêle et en gros, à
mesure que le méconium se fait. L'intestin grêle est d'abord
beaucoup plus court que le gros; à six semaines,, époque à
laquelle le cœcum apparaît , il est de moitié moins long :
mais ensuite ces deux proportions diminuent , de sorte qu'à
six mois, le gros intestin est le plus court, a avec le grêle
le rapport qu'il aura toute la vie, et qu'à la maturité l'un
et l'autre sont, dans leurs rapports avec la longueur du
corps, ce qu'ils sont dans l'âge adulte : il y a même un
ANATOMIE DU FOETUS. 365
moment où l'intestin grêle , d'abord si court , est propor-
tionnellement au corps plus long qu'il ne sera jamais.
Toutes ces dispositions successives sont celles des animaux
des classes inférieures , et sont importantes à noter, parce
qu'elles sont en rapport avec le besoin de l'alimentation ,
et le degré d'activité qu'aura la fonction. À la fin de la
grossesse , l'intestin d'abord si large , est proportionnelle-
ment plus étroit qu'il ne sera par la suite , et le gros intestin
est tout-à-fait devenu le plus gros, ce qui n'était pas d'a-
bord. L'estomac est d'abord situé verticalement ; par degrés,
il se place horizontalement; il est d'abord alongé; ensuite
il s'arrondit , parce que son cul-de-sac , qui n'existait pas
d'abord, se forme, et même est beaucoup plus grand pro-
portionnellement , qu'il n'est dans 1 âge adulte : vers le
troisième mois, cet excès de grandeur commence à dimi-
nuer. C'est à cette époque que, dans l'intérieur de l'intestin,
commencent à être visibles les vilîosités : ces villosités sont
d'abord uniformément répandues dans toute sa longueur;
mais à partir du moment de leur formation , elles vont en
diminuant, surtout dans le gros intestin , et au septième
mois, celui-ci n'en offre plus. C'est à sept mois qu'appa-
raissent les valvules conniventes , sous forme de légères
élévations qui s'effacent quand on distend le canal ; ces
valvules sont encore peu formées à terme. La valvule iléo-
cœcale est déjà très visible à trois mois, et est complète au
moment de la naissance. Le pylore ne commence à se former
qu'à quatre mois et demi, et son développement n'est pas
encore complet à terme. A la fin du cinquième mois appa-
raissent les bosselures du colon; c'est la portion transversale
qui en offre le plus; la portion iliaque n'en a pas encore à la
naissance. Le grand épiploon apparaît dès l'âge de deux mois
au bord de l'estomac ; au troisième mois , apparaît la portion
colique vers le pancréas , et à quatre mois , ces deux portions
se réunissent. A mi-terme, apparaissent les appendices épi-
ploïques ; mais toutes ces parties n'offrent pas encore de
graisse, même à la naissance. Quant à la situation de l'in-
testin, M. Velpeau , qui fixe dans le cordon le lieu de sa
première formation, dit qu'il y est d'abord renfermé. La
366 VIE ESTRA-UTÈRINÈ.
plupart des autres anatornistes disent au contraire, qu'il
est d'abord situé tout droit le long du rachis , et que ce n'est
que lorsque le cordon s'est formé, qu'il s'y est introduit.
Il est certain qu'il y est contenu en partie jusque vers le
deuxième mois. Alors, à mesure que la vésicule ombilicale
s'éloigne de l'abdomen , que le cordon se resserre . l'intestin
rentre dans le ventre , le gros d'abord , puis le grêle. A deux
mois , le cœcum est placé derrière l'ombilic; à trois, il est
déjà au-dessus; à quatre, il est près l'extrémité supérieure
du rein droit; à cinq, près l'extrémité inférieure de cet
organe; à sept, dans la fosse iliaque droite, où il doit
toujours rester; de sorte que le colon est d'abord tout entier
descendant, puis transverse, puis ascendant, et enfin à la
fois ascendant, transverse et descendant. Le mésocolon est
d'autant plus large que le fœtus est plus jeune. En somme,
le canal alimentaire présente aussi dans ses développements
successifs les formes propres à chaque division du règne ani-
mal, comme cela avait été des systèmes nerveux et circula-
toire, du cerveau et du cœur.
Quant à la portion supérieure de l'appareil digestif, nous
avons dit que la bouche avait paru à la face, sous la forme
d'une fente , dans le premier mois. Dès le quarantième jour,
il y a déjà commencement d'ossification dans les mâchoires :
les os maxillaires sont, après les clavicules, ceux où l'ossi-
cation est la plus précoce. A deux mois et demi, les lèvres
sont formées, et la bouche clo.se; la lèvre inférieure offre,
sur la ligne médiale , une échancrure ; et la supérieure , un
lobe moyen et deux échancrures latérales. Dès le commen-
cement du deuxième mois, sont visibles, dans les mâchoires,
les germes des dents. Ce sont, d'abord, de petites vésicules
membraneuses, miliaires, suspendues aux nerfs et aux vais-
seaux; ensuite ce sont des follicules membraneux, formés de
deux lames, enveloppant un bulbe nerveux et vasculaire, te-
nant par une extrémité à la gencive et par l'autre, au pédicule
vasculaire et nerveux qui le pénètre. A trois mois, l'ossifi-
cation de ces germes commence successivement à la pre-
mière, deuxième incisive, première molaire, à la canine, et
à la deuxième molaire : le travail est toujours un peu plus
ANATOMIE DU FOETUS, 36 7
liâtif à la mâchoire inférieure. A la naissance, ces cinq dents
ne sont pas encore achevées, et elles sont encore cachées
sous la gencive. La langue paraît dès le deuxième mois ;
d'abord elle pend hors de la bouche , mais bientôt elle y
rentre, et dès le quatrième mois, on peut distinguer à sa
surface les papilles.
A la description de l'appareil digestif, nous rattacherons
celles des glandes, qui , dans l'adulte, en sout des annexes;
les salivaires , le pancréas et le foie. Les salivaires et le pan-
créas ne paraissent qu'à quatre mois , et restent peu déve-
loppés pendant toute la vie fœtale. Il n'en est pas de même
du foie , un des plus gros et des plus précoces organes du
fœtus. Il est en effet visible dès la troisième semaine, dit
TVallher ; à la quatrième , il occupe presque tout l'abdo-
men , dont il soulève la paroi antérieure ; il pèse alors ? à
lui seul j presque autant que le corps entier. Sa face convexe
est tournée en avant , sa face concave en arrière , et son bord
antérieur descend jusqu'au bassin , au lieu où le cordon est
implanté. Il est alors composé de deux lobes égaux en vo-
lume, et symétriques. Ce volume énorme et disproportionné
du foie commence à diminuer à partir du quatrième mois;
à mesure que les intestins se forment, il se place aussi plus
horizontalement. A la naissance , il occupe encore la moitié
de l'abdomen , descend jusqu'à l'ombilic, et le lobe gauche
a commencé à avoir un volume moindre que le droit. A la
quatrième semaine, sa substance était presque diffluente;
à trois mois et demi, sa texture molle et pulpeuse ressem-
blait, pour la couleur et la consistance, à celle du cerveau;
à cinq mois et demi, il est déjà ferme, granuleux, d'un
rouge foncé. Quant à la vésicule biliaire, elle apparaît,
au quatrième mois , sous la forme d'un fil dans lequel on
distingue à peine une cavité ; elle commence à contenir
du mucus , au cinquième mois ; puis , de la bile jaune , au
sixième et septième; à terme , elle en est remplie; mais cette
bile est muqueuse et insipide. La rate ne se montre qu'au
deuxième mois, et reste petite relativement au gros volume
du foie.
4° Appareil sécréteur. Nous avons déjà parlé de plusieurs
368 VIE INTRA-UTÉRINE,
organes sécréteurs. En général , les glandes se forment après
le système vasculaire , et par l'agglomération de granu-
lations , de lobes primitivement isolés. Les reins , par
exemple , sont d'abord formés de beaucoup de lobules ,
qui ensuite se rapprochent et se confondent. Ces lobules ,
d'abord , ne se réunissent que par leur sommet , qui aboutit
à un bassinet commun ; mais graduellement ils se confon-
dent dans toute leur longueur. Les reins ont d'abord une
forme irréguîière , assez mal déterminée : primitivement
ils sont plus volumineux que dans l'âge adulte, et d'autant
plus que le fœtus est plus jeune. Ce n'est qu'à six mois qu'on
distingue, dans leur parenchyme , la substance corticale;
à la naissance , leur disposition lobuleuse est encore si
marquée , qu'on compte quinze à seize lobes dans chacun
d'eux. La vessie est apparente dès la quatrième semaine;
elle est longue , cylindrique , et confondue en un seul canal
avec l'ouraque, dont elle paraît être un renflement. Ce canal
peut alors être suivi jusqu'au milieu du cordon ombilical.
A cause de l'étroitesse du bassin, la vessie ne peut se loger
en cette cavité , et pendant toute la grossesse elle est dans
l'abdomen.
La graisse n'existe pas pendant la première moitié de la
grossesse; à cinq mois, elle commence à s'amasser en pelo-
tons sous la peau, et à la naissance, il n'y en a encore qu'à
ce lieu.
5° Appareils des sens. Ils nous ont déjà occupé, lorsque
nous avons décrit le fœtus , sous le rapport de ses apparences
extérieures.
Jusqu'à deux mois , la peau est moins une membrane
qu'un enduit visqueux, tenace. Elle reste mince, incolore,
transparente, jusqu'à mi-terme. Alors, elle devient plus
solide , et prend une couleur rosée. A cinq mois , les ongles
apparaissent, et à six mois ils ont déjà de la consistance.
A cette même époque, l'épiderme est apparent, et les folli-
cules sébacés sont formés. A sept, toute la peau est recou-
verte d'un enduit graisseux d'un blanc jaunâtre , que les
chimistes disaient être un dépôt des eaux de l'amnios, mais
qui est évidemment un produit de la sécrétion des folli-
AWATOMIE DU FOETUS. 36*9
cules, puisqu'il n'existe que sur le fœtus, et non sur le
plaeenta et le cordon.
Les yeux , visibles dès la fin du premier mois, comme
nous l'avons dit, ont un accroissement rapide, et toujours
un volume considérable, proportionnellement à celui de la
tête; à quatre mois, ils en forment le tiers. Les paupières
apparaissent à trois mois, ferment l'œil à cette époque, et
le tiennent clos jusqu'à huit mois. La sclérotique est pri-
mitivement si mince et si transparente, qu'on voit au tra-
vers d'elle la choroïde et son pigmentum. La cornée, dont
le développement est précoce, est d'abord molle, épaisse et
opaque; elle touche immédiatement la face antérieure du
cristallin ; à six mois, elle s'amincit, et devient ferme et
transparente. La membrane iris se forme à six semaines,
est achevée à trois mois; son trou central est fermé par une
membrane , dite pupilîaire , qui se déchire au huitième
mois, par la rétraction des vaisseaux qui la forment. L'hu-
meur vitrée est rougeàtre jusqu'à sept mois. Le cristallin,
d'abord fluide, acquiert consécutivement de la consistance ;
sphérique à mi-terme , il devient par degrés lenticulaire.
L'humeur aqueuse n'existe pas d'abord ; ensuite elle appa-
raît entre l'iris et le cristallin; et enfin, lorsque la pupille
s'est ouverte , elle passe dans la chambre antérieure, dont la
formation tient à l'amincissement de la cornée transparente.
Les oreilles se développent de bonne heure, surtout dans
leur partie intérieure. A deux mois et demi, les parties du
labyrinthe sont distinctes, mais leurs parois sont membra-
neuses et cartilagineuses. A trois mois, elles commencent à
s'ossifier, le promontoire d'abord, puis les contours des
fenêtres ovale et ronde, les canaux demi-circulaires, le li-
maçon, etc. La caisse du tympan, d'abord petite, s'élargit
à mesure que la base du rocher s'ossifie; la membrane du
tympan d'abord est ronde. A la naissance, le conduit auri-
culaire est encore cartilagineux.
Les rudiments du nez apparaissent à sept semaines; les
ailes et le dos du nez, à trois mois. Les masses latérales de
l'ethmoïde commencent à s'ossifier au milieu- de la grossesse ;
la partie médiane ne l'est pas encore à la naissance. Dans
Tome IV. 24
3;0 VIE I3NTIIA-UTÉIUKE.
l'enfant naissant , le nez est court , petit , peu formé ; il n'y
a pas de sinus.
Nous avons parlé de la langue , à l'occasion de l'appareil
digestif.
6° Appareil locomoteur. Dès la cinquième semaine, selon
Bée lard auquel on doit un beau travail sur le dévelop-
pement des os, commence, dans l'embryon, l'ossifica-
tion; elle apparaît d'abord dans la clavicule, puis dans les
mâchoires, l'humérus, le fémur, le tibia, le péroné, les os
de l'avant-bras , etc. Tous ces os sont d'abord un tissu carti-
lagineux, mou, tellement abreuvé de fluide qu'il est à
peine distinct du tissu muqueux; mais peu à peu ce tissu,
demi-transparent et homogène en apparence , devient plus
consistant ; d'albumineux qu'il était, il devient gélatineux;
des vaisseaux successivement blancs, jaunes et rouges, se
développent en lui ; enfin il s'ossifie. Dans chaque os il y a
plusieurs points primitifs d'ossification , qui se réunissent
successivement.
Au rachis , chaque vertèbre offre trois points d'ossifica-
tion , un pour le corps , et un pour chaque masse apophy-
saire. A quarante-cinq jours, l'ossification commence dans
celles-ci, à partir des vertèbres supérieures jusqu'aux infé-
rieures; vers le milieu du quatrième mois, elle commence
dans les vertèbres du sacrum, et à huit mois elle a atteint
la dernière ; à terme , l'anneau est déjà formé dans les six
premières dorsales. Au corps, l'ossification commence quel-
ques jours plus tard , et à la douzième dorsale d'abord ; de
là , elle s'étend successivement vers le haut et le bas du ra-
chis ; à mi-terme , le corps des deux premières cervicales et
de la dernière sacrée est encore cartilagineux ; c'est à six
mois que l'ossification du corps et des vertèbres commence ;
et à terme, elle est commencée dans l'arc antérieur de l'at-
las. Ainsi j le rachis ne s'ossifie pas semblablement dans sa
portion tubulée et dans sa partie solide : dans la première,
qui sert à soutenir la moelle, son ossification se fait de haut
en bas; dans la seconde, qui sert à soutenir le corps, elle
procède du milieu aux extrémités : les deux masses apophy-
eaires se réunissent entre elles ayant de se réunir au Qprps»
ANATOMIE DU FOETUS. 3;î
Le thorax s'ossifie promptement sur les côtés , et plus
tard en devant. Dès le commencement du troisième mois, la
septième vertèbre cervicale présente un point d'ossification
costiforme devant le pédicule de son apophyse transverse ;
c'est un rudiment des côtes cervicales de certains animaux.
Il en est de même , de six à sept mois , aux trois premières
vertèbres sacrées. Quant aux côtes dorsales, leur ossification
commence une semaine après la clavicule , et une avant les
vertèbres. Le sternum, au contraire, est encore cartilagi-
neux à mi-terme ; des cinq pièces qui le composent alors, les
trois supérieures ne s'ossifient qu'à six mois, la quatrième à
sept, et la cinquième à l'époque de la naissance.
Au crâne, l'ossification commence à l'occipital. Cet os,
qui s'ossifie quelques jours avant le racliis, est alors formé
de qualre parties ; l'occipital, proprement dit, qui apparaît
vers le quarante-deuxième jour; le proral; les condyliens;
et le basiîaire : à la naissance , ces quatre parties sont encoi'e
distinctes. L'occipital est une véritable vertèbre crânienne •
le basiîaire en est le corps , les condyliens les masses apo-
physaires; le proral cependant est étranger à cette com-
paraison ; ce proral est supérieurement un os du cer-
veau , et inférieurement un os du cervelet. Après l'oc-
cipital, l'os du crâne le plus précoce est le sphénoïde : il est
alors formé de deux parties , le sphénoïde postérieur et le
sphénoïde antérieur : la grande aile du premier commence
en même temps que le rachis; dix jours après, apparaît le
corps, dont l'ossification se fait par deux germes latéraux
qui ne se réunissent qu'au bout de six semaines; à trois ou
quatre mois, on distingue l'apophyse ptérygoïde interne,
qui, après deux autres mois, se soude avec Faiîe externe : à
la naissance, le corps de ce sphénoïde postérieur, et ses
grandes ailes, ne sont pas encore réunis. Cet os constitue
une seconde vertèbre céphalique, dont les masses apophysai-
res ne sont réunies en arrière que par le moyen des os parié-
taux; ceux-ci sont des os affectés au cerveau, et sont à cette se-
conde vertèbre céphalique, ce que le proral était à la première
ou à l'occipital. Quant au sphénoïde antérieur, son aile or-
bitaire commence à s'ossifier vers le quarante ou cinquan-
24.
372 VIE INTRA-UTÉRINE,
tième jour ; et son corps, ou résulte de la réunion des deux
ailes, ou se développe par un point particulier vers le sep-
tième mois : à huit, les diverses parties de cette troisième ver-
tèbre céphalique s'unissent, et entre elles, et avec le corps du
sphénoïde postérieur : c'est à l'aide des os frontaux que s'en
réuuissent en arrière les masses apophysaires. A l'article de
l'odorat, nous avons parlé de l'ethmoïde, qui finit la série
des os du crâne, analogues à ceux du racliis. A quarante-
cinq jours , commence l'ossification des pariétaux, à ce qu'on
appelle la bosse pariétale ; et à cinquante jours , commence
celle du frontal à l'arcade orbitaire.Le temporal est primi-
tivement composé de diverses portious qu'on peut appeler
zygoma tique , écailleuse , tympanale, labyrinthique , mastoï-
dienne , styloïdienne. La portion zygomatique apparaît du
quarante au cinquantième jour; l'écailleuse, qui est un os
du cerveau , est visible au quarante-cinquième jour ; la por-
tion tympanale l'est à soixante, etc.Quantaux os wormiens
et épactaux, leur présence indique un développement plus
rapide du cerveau au lieu auquel ils correspondent, et ils ne
s'ossifient qu'après la naissance.
A la. face, les os nasaux, jugaux, lacrymaux, palatins,
apparaissent tous du quarantième au soixantième jour, et
par un seul point d'ossification. Il en est de même du vomer.
Les cornets sous-ethmoïdaux , au contraire, ne se forment
que vers quatre mois et demi. Quant aux maxillaires, nous
avons déjà dit que leur ossification était très précoce. Le
maxillaire supérieur apparaît; du trenteautrente-cinquième
jour, à l'arcade alvéolaire ; à quarante-cinq jours , à la voûte
palatine et à sa région nasale et faciale ; à cinquante jours,
à sa surface orbi taire et à son apophyse jugale : à deux mois,
ces divers germes sont encore distincts , mais à trois , ils sont
réunis. Il est difficile de distinguer jamais l'os incisif, tant
il est petit et promptement réuni au maxillaire supérieur.
Le maxillaire inférieur a un développement encore plus
précoce et plus rapide : il se montre du trente au trente -
cinquième jour, à la même époque que la clavicule , sous la
forme d'une lamine osseuse , qui constitue le bord inférieur
de l'os : à quarante-cinq jours, l'apophyse coronaire, l'angle
de l'os , le condyle , et le côté interne des alvéoles, forment
AHATOMIE DU FOETUS. 3 y 3
autant de pièces distinctes : à deux mois, ces germes sont
réunis , et l'os n'est plus composé que de deux pièces, qui ne
se réunissent au menton qu'après la naissance.
Quant aux membres, nous avons déjà dit que la clavicule
était le premier os du corps qui apparût ; elle se montre à
trente jours. Le scapulum n'est visible qu'au quarantième
jour, à un point qui correspond à la racine de l'acromion;
l'apophyse coracoïde ne s'ossifie qu'après la naissance. L'os
coxal, qui est son analogue au membre inférieur, offre, à
quarante-cinq jours, la base de l'iléum; à trois mois, l'is-
chion; et à quatre et demi, le pubis. Dès le trentième jour,
l'humérus commence à s'ossifier dans le milieu de sa lon-
gueur; le point ossifié s'étend par degrés, tellement que,
long d'une ligne et demie seulement à trente jours , il a
vingt-sept lignes de longueur à la naissance; cependant à
cette époque les extrémités de cet os sont encore cartilagi-
neuses. Il en est de même du fémur, si ce n'est que, seul
entre les os longs, il offre à la naissance un noyau osseux
pisiforme dans le cartilage de son extrémité inférieure. Les
os de l'avant-bras apparaissent avec l'humérus , comme ceux
de la jambe avec le fémur; seulement le cubitus et le péroné
sont un peu plus tardifs que le radius et le tibia. Tous les
os du carpe sont encore cartilagineux à la naissance. Au
tarse, au contraire, le calcanéum offre un point osseux dès
le quatrième mois, l'astragale dès le ciuquième, et le cu-
boïde à la naissance. Les os métacarpiens et métatarsiens
apparaissent dès le quarante-cinquième jour; mais dans cet
ordre , le deuxième , le troisième , le quatrième , le cin-
quième, et le premier; celui-ci , à la naissance, est encore le
plus court. Quant aux phalanges , phalangines et phalanget-
tes, les premières et les dernières apparaissent à quarante
jours à la main, et à cinquante jours au pied ; les phalangines,
plus tardives, ne se montrent qu'à deux mois à la main, et
à quatre mois et demi au pied.
Voilà pour l'appareil osseux : quelque multipliés que
puissent paraître tous ces détails , nous en avons omis un
grand nombre; nous renvoyons sur ce sujet au travail ex
professa de Béclard , auquel no is les avons empruntés.
3;4 VIE OTRA-UTÉ.RIJIT.
Les os du fetus sont d'un gris rouge . plus élastiques , moins
fragiles que dans les âges suivants; leur périoste est plus
épais , moins adhérent; dans leur canal intérieur est, au lieu
de moelle, une simple humeur gélatineuse; enfin, les car-
tilages qui revêtent leurs extrémités sont minces, mous,
plus pénétrés de vaisseaux, et de plus en plus rouges.
Quant aux muscles, ils ne sont d'abord que des masses
jaunâtres de globules, réunis par du tissu cellulaire qui
lui-même n'est d'abord qu'un fluide visqueux. C'est à trois
mois, que leur forme se dessine, et ils sont alors mous et
blanchâtres; à quatre mois et demi, leur structure fibreuse
se manifeste; à cinq mois, on commence à voir les tendons
qui les terminent; et dès lors ils deviennent par degrés de
plus en plus consistants et rouges.
7° Appareil génital. Dans les premiers temps , rien n'en
est apercevable. A la fin de la cinquième semaine, appa-
raît une petite éminence fendue, qui est le rudiment du
scrotum ou de la vulve, selon le sexe. A la sixième, se mon-
tre une ouverture qui est commune à l'anus et aux parties
génitales , et au-devant de laquelle est un tubercule qui fait
saillie. Aux septième et huitième semaines, ce tubercule
paraît surmonté d'un gland , et creusé en dessous d'une
fente qui s'étend jusqu'à l'anus. Aux onzième et douzième
semaines , le périnée en se formant sépare l'anus des voies
génitales. A la quatorzième, le sexe se prononce; il reste
encore quelque temps une gouttière tout le long du clitoris
ou du pénis pour l'urètre , mais bientôt cette gouttière se
change en canal. M. Tièdemami prétend que le sexe femelle
n'est que le sexe mâle arrêté à un degré inférieur d'organi-
sation : selon lui, tout embryon a été primitivement fe-
melle ; la fente qu'on a vu d'abord était la vulve, le tubercule
saillant, le clitoris : pour constituer le sexe mâle, la fente
de la vulve s'est réunie pour faire un raphé, les grandes lèvres
se sont jointes pour former le scrotum, les petites pour for-
mer l'urèthre, et le clitoris s'est changé en pénis. M. Riede-
mann invoque à appui de son idée, que les dernières espèces
animales sont toutes des femelles , et que tous les jeunes
acéphales et avortons qu'on a examinés l'étaient aussi.
ANAT.OMIB DU FOETUS. 3j5
Un Ackermann et Auteur ielh 3 au contraire , disent que les
sexes sont primitivement neutres. Enfin selon M. Geoffroy
St,-Hîlazre, la différence des sexes tient à la distribution des
deux branches de l'artère spermatique ; si ces deux branches
restent rapprochées et marchent de concert, Tune au tes-
ticule, l'autre à i'épididyme, l'individu est mâle; si au
contraire, elles s'écartent, l'une va à l'ovaire, l'autre aux
cornes de la matrice, et l'individu est femelle. Le degré de
prédominance du système cérébro-spinal est ce qui déter-
mine le rapprochement ou l'écartement de ces deux bran-
ches artérielles : plus fort dans les mâles , il laisse les artères
sperrna tiques plus faibles, et par conséquent rapprochées,
et vice versa.
Quoique les organes génitaux intérieurs paraissent plus
tôt que les extérieurs, leur développement est moins connu.
Oken les fait dériver, ainsi que la vessie, de l'allantoïde.
Alb. Meckel croit que, communiquant dans leur origine
avec l'intestin, ils sont d'abord, comme cet intestin, ou-
verts en devant; mais que se fermant ensuite, ils consti-
tuent un canal qui se continue par l'ouraque avec l'allan-
toïde. Puisqu'on n'a jamais vu l'allantoïde dans l'homme,
et qu'on ne fait que supposer son existence d'après l'ana-
logie des animaux, on conçoit qu'on ne peut rien assurer de
cette origine. Toutefois, à une époque fort rapprochée de
la conception, on distingue le long de la région lombaire
deux corps alongés , vermiformes , qui sont ; les reins, selon
Wolf; les rudiments des capsules surrénales et. des organes
génitaux, selon Meckel ; enfin ceux des cornes de l'utérus et
des conduits déférents , selon Oken. Un peu plus tard appa-
raissent nettement les testicules et les ovaires; ils sont situés
au-dessus du rein, à l'extrémité de ces corps vermiformes dont
on vient de parlr. Aux huitième, neuvième et dixième se-.
maines, l'utérus et les vésicules séminales se montrent, et
semblent résulter d'un renflement de ces deux corps ver-
miformes. C'est cette confusion des organes génitaux de
l'un et l'autre sexe, dans une même masse vermiforme,
qui a fait croire à quelques physiologistes, que l'embryon
était d'abord neutre avant d'avoir un sexe déterminé. À
376 VIE INTRÀUTÉiUHE.
partir de l'époque où la distinction en est possible , les phé-
nomènes de développement diffèrent dans le mâle et dans
la femelle.
Dans le mâle, les testicules sont d'abord placées dans l'ab-
domen, au - dessous du rein, devant le psoas, sous le pé-
ritoine qui les recouvre en devant et leur adhère. A
trois mois , longs de cinq quarts de ligue , ils ont la forme
d'un pois : les vaisseaux spermatiques, et le canal déférent,
sont à leur face postérieure. De l'anneau inguinal , s'élève
vers la partie inférieure du testicule une gaine du péritoine,
qui renferme un ligament appelé gubernaculum testis. Ce
ligament estformé: 1° d'un tissu cellulaire élastique, prove-
nant de la partie supérieure du scrotum, et de la partie de
l'aponévrose générale de la cuisse qui avoisine l'anneau; 20
de quelques fibres musculaires venant des muscles oblique
interne, et transverse de l'abdomen. Il s'étend de l'anneau
jusqu'à la partie postérieure et inférieure du testicule au-
quel il est attaché. Par l'action de ce ligament, le testicule,
vers le troisième mois , commence à s'engager dans la gaine
du péritoine; descendant dès lors peu à peu, entre le sixième
et le septième mois, il franchit l'anneau, et d'ordinaire il est
dans le scrotum à la naissance. Le pli du péritoine qui en-
toure le gubernaculum est entraîné avec lui dans le scro-
tum , et y forme la tunique vaginale ; tandis que le tissu
cellulaire élastique du gubernaculum lui-même, donne
naissance au dartos, selon MM. Lobslein et Breschet; et que
ses fibres musculaires forment le crémaster, selon M. 3.
Cloquet. On a attribué , à la vérité, la descente du testicule
à des causes autres que l'action du gubernaculum, par
exemple, à l'effet de la pesanteur , à la pression exercée sur
le gubernaculum par la vessie urinaire; mais ces explica-
tions sont trop mécaniques. Après que le testicule a franchi
l'anneau, cet anneau se resserre, et le prolongement de la
tunique vaginale s'oblitère; cependant souvent cette oblité-
ration n'est pas complète encore à la naissance.
Dans le sexe femelle, on observe des changements analo-
gues dans les ovaires, l'utérus et ses annexes. A neuf semai-
nes, les ovaires sont aussi gros que les reins, au-dessous et
AWATOMIE DU FŒTUS. ^77
eu dedans desquels ils sont situés ; le péritoine les recouvre
et le fixe : plus gros que l'utérus et la vessie urinaire ,
ils tiennent par leurs deux bouts, au moyen de deux liga-
ments, à l'une des cornes de la matrice. A quatorze semai-
nes, l'utérus ayant grandi dans son fond, a atteint le côté
interne de l'ovaire; le côté externe de cet organe répond à
la trompe qui lui est unie par son extrémité ; les ovaires pa-
raissent alors divisés en trois lobes. A terme, les ovaires ont
leur extrémité externe au-dessus du détroit supérieur, l'in-
terne plongée dans le bassin ; la trompe les entoure et leur
est unie par un ligament. Entre les ovaires et la trompe,
est un corps conique, formé d'une vingtaine de canaux tor-
tueux qui se réunissent en un seul point à l'ovaire , que
Rosenmuller compare à l'épididyme. A deux mois, l'utérus
est réduit au col , et présente deux cornes auxquelles abou-
tissent le ligament de l'ovaire et le ligament rond. A trois
mois et demi, le corps commence à se montrer, et les cornes
sont moins prononcées : alors aussi apparaissent les trompes.
A terme, le corps est plus mince que îe col, mais il a sa
forme; les cornes n'existent plus; les trompes sont longues,
tortueuses, et les franges de leur pavillon sont visibles. La
descente des ovaires, des cornes de l'utérus et des trompes
utérines, de la région des lombes dans le bassin, s'effectue
par la contraction du ligament rond , ou sus-pubien : la
structure, les connexions de ce ligament, sont en effet les
mêmes que celles du gubernaculum; il est de même entouré
par un repli du péritoine qui lui adhère : quand il se con-
tracte , il entraîne avec lui à travers l'anneau un prolonge-
ment péritonéal, et il en résulte un canal dit de Nuck, qui
existe encore à la naissance.
Telle est, autant que possible, l'indication des dévelop-
pements successifs qu'éprouve pendant la vie intra-utérine
chacun des organes et appareils du fœtus. Sans doute nous
avons omis beaucoup de détails, mais nous avons signalé
les plus importants. La science a ici beaucoup à découvrir
encore, surtout en ce qui concerne les temps les plus rap-
prochés de la conception. Cependant elle a fait d'assez
grands progrès en ces dernières années; et déjà quelques au-
378 VIE INTRA-UTÉRINE.
leurs, MM. Serres et Mechel, par exemple, ont cherché à
rattacher tous les faits d'embryogénie, à quelques lois.
Voici d'abord celles qu'a proposées M. Serres.
Long- temps on a cru, d'après les observations de Uarvey
et de Malpighi, sur le développement ducœuret de la moelle
épinière du poulet dans l'œuf couvé, que les animaux se dé-
veloppaient du centre à la circonférence. M. Serres établit
que c'est au contraire de la circonférence au centre , que se
développe tout organe. Toute partie, dit-il, est primitive-
ment double, composée de deux moitiés semblables, mais
séparées; et ce n'est que par les progrès du développement,
que marchant à la rencontre l'une de l'autre, ces deux moi-
tiés finissent par se réunir : à l'occasion de cette réunion se
forment les divers trous, les cavités que présente le corps.
Déjà l'on a vu, à l'article du système nerveux, l'application
de ces principes à ce système ; les parties latérales se sont
formées avant les centres; ceux-ci , la moelle épinière, l'en-
céphale, ont été primitivement composés de deux moitiés
qui, avec le temps, se sont réunies sur la ligne médiane;
et à l'occasion de cette réunion se sont formés les ventricules
du cerveau. Or, il en est de même, dit M. Serres, de tous les
autres systèmes et organes du corps. Yoyez, dans le système
osseux, l'ossification suivre une marche excentrique; au
tronc, par exemple, les côtes se forment avant les vertè-
bres ; au bassin , l'ilion avant le pubis ; à la tête , l'apo-
physe zygomatique du temporal , les grandes ailes du sphé-
noïde, les masses latérales de l'ethmoïde, avant le rocher,
le corps du sphénoïde, la lame centrale de l'ethmoïde, etc.
Il y a primitivement deux demi-rachis, deux sacrums,
deux sternums, etc. ; et la réunion de ces parties doubles ,
est ce qui donne naissance à toutes les cavités articulaires ,
à tous les trous, à tous les canaux que présentent les os.
Même disposition dans le système musculaire ; à la tête, au
thorax, à l'abdomen, tous les muscles latéraux se développent
avant les muscles médians ; la ligne blanche est un indice
de la réunion de ceux-ci, et le trou ombilical y a été fait par
le même mécanisme qu'un trou osseux quelconque. En un
mot, généralisant ces deux idées, savoir: la particularité
AKATOMIE DU FOETHS. 3 7 g
que présente tout organe, d'être dans son origine composé
de deux moitiés séparées ; et la tendance qu'oat ces deux
moitiés à se réunir l'une à l'autre ; M. Serres en a fait deux
lois auxquelles il rattache tous les faits d'embryogénie, et
qu'il appelle , l'une la loi de symétrie, et l'autre la loi do
conjugaison .
M. Mechel, embrassant toute l'époque de la vie humaine
pendant laquelle le corps croît , et ne se bornant pas à la
vie fœtale , a posé un plus grand nombre de ces lois, sous
le titre de lois de formation. i<> Tout est fluide d'abord, et
ce n'est que progressivement que se développent dans les
parties la solidité et la dureté. 20 Dans aucune oartie , la
texture n'est primitivement déterminée; et, par exemple ,
on ne distingue d'abord, dans les fluides aucuns globules,
et dans les solides aucunes libres. 3° La forme dans les so-
lides se développe avant la texture et la composition, et,
par exemple, le cerveau, quoiqu'encore demi-fluide, a déjà
sa configuration, et les os, quoiqu'encore cartilagineux , ont
déjà leur forme propre. 4° Dans l'origine, tous les organes
sont blancs , et ce n'est que graduellement qu'ils acquièrent
la couleur qui leur est propre. 5° Les organes se forment par
parties isolées, qui ensuite se réunissent; ainsi nous avons
vu les reins , la rate, le foie , toutes les glandes , résulter de
l'agglomération de grains, de lobules primitivement séparés;
ainsi, les os se forment par des points d'ossification multi-
ples. 6° Tous les organes ne se développent pas à la fois ,
non-seulement dans différents systèmes, mais encore dans
un même système. Ainsi , les poumons se développent plus
tardivement que le cœur, et plus tôt que les organes géni-
taux ; et , dans le cœur , les cavités gauches sont formées
plus tôt que les cavités droites. 70 Chaque organe a ses dif-
férents stades, sa durée propre, et a une grandeur variable
aux différentes époques de la vie. N'avons -nous pas vu le
cœur 5 le cerveau, l'intestin, passer chacun par des états
divers, et qui, le plus souvent, n'étaient pas coïncidents?
Pourrait-on nier que chaque organe a sa durée propre? Nous
verrons par exemple le thymus disparaître dans les deux
années qui suivent la naissance. Enfin , quels changements
38o VIE INTRA-UTÉRINE,
continuels dans le volume des organes! Le cœur? par exem-
ple, qui est d'autant plus gros proportionnellement que l'em-
bryon est plus jeune, diminue graduellement; et au contraire,
le poumon primitivement très petit , n'est jamais plus gros
que lorsqu'il est parvenu à son développement complet.
8° La symétrie dans les organes est d'autant plus marquée,
que leur formation est plus récenle , que l'embryon est plus
jeune. Nous venons de dire que , selon M. Serres , toutes nos
parties sont primitivement formées de deux parties sembla-
bles qui se réunissent; d'où la fondation de ses deux lois de
symétrie et de conjugaison. Il est certain , ajoute M. Meckel,
que même ceux de nos organes qui ne doivent pas être symé-
triques, le sont dans l'origine; par exemple, le cœur, le
foie, l'estomac. De même, les membres supérieurs et infé-
rieurs , sont d'abord tout-à-fait semblables. Nous avons
vu que l'encéphale et l'intestin forment chacun, dans
leur principe , une gouttière dont les côtés se rappro-
chent. Sur la ligne médiane du corps, de la réunion qui
s'y est faite ; des deux moitiés qui composaient préalable-
ment l'embryon. Voyez les sutures des deux pariétaux,
des deux moitiés du frontal , des os susmaxillaires et nasaux !
Voyez les becs de lièvre à l'une et l'autre mâchoire , le man-
que du sternum dans les trois premiers mois de la grossesse,,
et le modede développement de cet os! Voyez, dans quelques
cas de monstruosités, la non-réunion des os pubis, d'où le
défaut de la partie antérieure de la vessie, et le vice de
conformation appelé eocslrophie! Voyez enfin le canal qui
existe primitivement dans toute la longueur de la moelle
spinale, canal qui fait suite dans l'encéphale aux quatrième
et troisième ventricules , et qui est la cause des spina-bifida.
La peau elle-même offre quelques différences à la ligne mé-
diane; son derme est plus épais, il adhère plus aux parties
subjacentes. 90 Toutes les phases par lesquelles passe le
corps, répondent à des divisions de l'échelle animale; et
ceci doit s'entendre non-seulement du corps en général,
mais encore de chacun des organes en particulier. Ainsi , le
corps a primitivement l'organisation homogène des animaux
les plus simples; réduit au torse, l'embryon humain est
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 38 ï
d'abord un être globulaire , vésiculaire , comme le sont les
derniers animaux; successivement il acquiert une tête, des
membres : dans l'origine, il a une queue qu'il perd ensuite.
Nous avons dit que MM. Tiédemann et Serres avaient re-
connu que le système nerveux de l'embryon bumain passait
successivement par chacune des formes que présentent les
quatre classes des animaux vertébrés. On a fait la même
remarque à l'égard des appareils circulatoire et digestif; le
cœur n'est-il pas primitivement un vaisseau, comme dans les
insectes? n'est-il pas ensuite à un seul ventricule et une seule
oreillette, comme dans les reptiles ? Les preuves de cette neu-
vième loi sont éparses dans la description que nous avons
donnée de chaque organe, de chaque appareil; il aura été
facile de reconnaître, dans cette description, que toutes les
formes qui apparaissent d'abord, étaient celles qui apparte-
naient aux animaux les plus simples. Ainsi, primitivement
les ouvertures de l'anus et des voies génitales ont été réunies,
comme cela est encore dans le cloaquedes oiseaux; ainsi l'u-
térus a étébicorne jusqu'à trois mois, etc. Ce dogme prouve
qu'il nefaut pas prendre à la lettre le terme d'évolution , de
développement , selon lequel on dit que se forme le fœtus :
sans doute, cet être a dès le principe le germe de tous ses
développements futurs ; mais son organisation est d'abord
très simple,, et, se compliquant ensuite successivement > elle
passe par chacun des états que présente l'échelle zoolo-
gique. io° Enfin , l'homme se distingue par la rapidité
avec laquelle il parcourt ses premiers développements; d'où
une cause de notre ignorance sur ce que sont ces premiers
développements.
CHAPITRE IL
Physiologie du Fœtus,
Si l'anatomie du fœtus avait laissé beaucoup de points
douteux et tout-à-fait inconnus, nous aurons à signaler plus
d'obscurités encore, à avouer une plus grande ignorance en
ce qui concerne la physiologie de cet être. Tout presque ne
382 VIE INTRA-UTÉRINE»
sera que conjecture , surtout en ce qui aura trait aux pre-
miers temps. De même que nous avons vu varier d'un jour à
l'autre le nombre et les formes des parties qui composaient
le corps; de même varieront sans cesse le mécanisme de la
vie , le caractère des fonctions. Dans l'adulte , nous avions
partagé ces fonctions en trois classes; celles de relation, de
nutrition et de reproduction. Dans l'étude que nous allons
faire de la vie du fœtus , nous suivrons le même ordre ; bien
qu'il paraisse n'exister en cet être que les fonctions de nutri-
tion , tous les actes de la vie ne tendant à cette époque qu'à
nourrir et faire croître l'individu , et la nutrition s'effec-
tuant alors comme dans le végétal, sans conscience > et indé-
pendamment de toute volonté.
ARTICLE PREMIER.
î)cs Fonctions de nutrition du Fœtus.
Toute nutrition exige : i" que l'être qui se nourrit ,
prenne au dehors de lui des matériaux; 2° qu'il élabore ces
matériaux, et les convertisse en un fluide propre à lui être
assimilé, et qui dans les animaux est appelé sang; 3° qu'il
s'approprie ce fluide et en eompose la substance de ses or-
ganes ; 4° enfin , que tandis que par cette première série
d'actions il se compose , il rejette par des excrétions une
partie de la matière qui le formait, et ainsi se décompose
dans la même proportion. Nous avons vu que dans l'homme
adulte, la nutrition nécessite, outre les sensations et les
mouvements volontaires qui servent à la préhension des
matériaux composants , le concours de sept fonctions , sa-
voir : la digestion, les absorptions, la respiration, la cir-
culation, les nutritions proprement dites, les calorifications
et les sécrétions. Dans le fœtus, le travail nutritif réclame
un nombre moindre de fonctions; ce nombre d'ailleurs varie
aux diverses époques de la vie intra-utérine; mais il n'en
faut pas moins accomplissement de ces quatre objets, pré-
hension des matériaux alibiies , conversion de ces matériaux
en fluide nutritif, c'est-à-dire en sang, assimilation de ce
sang à la substance du corps, et excrétions. Nous allons re-
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 383
chercher ce qui est de chacun de ces objets aux diverses épo-
ques de la vie fœtale.
g 1er. Préhension des matériaux nutritifs et composants du Fœtus.
Dans l'adulte, il y a toute évidence sur les sources d'où
proviennent les matériaux nutritifs de l'être, ainsi que sur
leur mode de préhension; ces matériaux sont les aliments,
les boissons, et l'air; et la préhension en est effectuée avec
volonté et conscience.il n'en est pas de même dans le fœtus;
d'une part, c'est irrésistiblement et d'une manière aussi
peu sentie que dans le végétal , que sont saisis les matériaux
nutritifs quels qu'ils soient; et d'autre part, il y a doute
sur les sources d'où proviennent ces matériaux, et doute
d'autant plus grand qu'on remonte aux temps les plus
rapprochés de la formation primitive.
10 On a d'abord indiqué comme substance nutritive de
l'embryon, et comme lui servant sous ce rapport dès les
premiers jours de sa formation, la matière séro-albumi-
neuse , qui a été sécrétée en abondance dans l'utérus pour
la formation de la caduque. Chaussier pense que l'ovule en
se plongeant tout entier en cette matière , en absorbe une
grande partie par sa surface externe, et s'en nourrit; à
l'instar des êtres vivants les plus simples qui se nourrissent
par une absorption qu'effectue la périphérie de leur corps.
S'il est vrai en effet que cette matière séro-albumineuse soit
à l'œuf des vivipares , ce que les blancs sont à celui des
ovipares , comme il est sûr que ceux-ci se mêlent au jaune
pour nourrir l'embryon, on peut attribuer à celle-là le même
office. Mais cette analogie ne peut être admise que comme
une conjecture. Rien ne prouve que le mucus dont se re-
vêtent les œufs des batraciens, par exemple, serve à la nu-
trition de l'embryon. Que penser d'ailleurs de l'idée de
Chaussier , si, comme le veulent MM. Morcau et Welpeauy
la caduque est déjà organisée , quand l'œuf débouche par la
trompe dans l'utérus ? Enfin , comment concevoir ici le phé-
nomène ? Dira-t-on que la matière est assimilée au corps de
l'embryon, au même moment qu'elle est saisie; comme
384 VIE INTRA-UTÉRINE.
cela est dans les derniers animaux, chez lesquels tou6 les
actes du mécanisme nutritif se passent à la fois, et se rédui-
sent à un seul, une absorption externe ? Mais la particularité
qu'offre l'ovule d'être primitivement rempli d'un liquide
transparent dans lequel ou ne voit rien de solide, et le par-
tage qui se fait bientôt en cet ovule de l'embryon et de ses
annexes, ne permettent pas qu'on adopte cette explication.
2° S'appuyant de l'analogie des oiseaux, on a présenté
la vésicule ombilicale, comme fournissant à l'embryon la
matière nutritive qui lui est nécessaire , depuis 3e premier
instant de sa vie, jusqu'au moment du développement du
placenta. Il est certain, en effet, que c'est sur le jaune de
l'œuf qu'apparaît le pouîet, et que ce poulet a paru croître
à ses dépens , puisqu'à mesure que l'un a grossi, l'autre a
diminué. On a d'ailleurs toutes raisons de regarder le jaune,
comme une provision qui a été préparée pour subvenir aux
développements de l'embryon ; car celui-ci, étant renfermé
dans un œuf clos de toutes parts , n'a aucune communication
avec le monde extérieur , ne peut rien y puiser , et par con-
séquent il devait avoir dans l'œuf sa matière nutritive toute
préparée. Enfin , on considère généralement le jaune comme
l'analogue des deux lobes de matière féculente , qui dans
une graine enveloppent l'embryon végétal, et sont destinés
à le nourrir jusqu'au moment où cet embryon aura poussé
sa plantule et sa plumule , et pourra , à l'aide de ces parties,
puiser dans la terre et dans l'air les sucs qui lui sont néces-
saires. Or, nous avons vu que tous les physiologistes assi-
milaient la vésicule ombilicale des mammifères au jaune de
l'œuf des oiseaux. En effet : i° les vaisseaux de cette vési-
cule, les vaisseaux omphalo-mésentériques , sont les mêmes
que ceux qui, dans l'oiseau, se rendent à la membrane du
jaune; 2° cette vésicule, ainsi que celle du jaune, commu-
nique avec la cavité de l'intestin ; et c'est d'elle que cet
organe provient; 3° d'ailleurs, lorsque l'œuf humain est
encore flottant dans l'utérus , ou du moins n'a pas encore
développé l'organe par lequel il puisera dans ce viscère ,
cet œuf n'a-t-il pas autant besoin que celui des ovipares de
contenir au-dedans de lui sa substance nutritive? et quelle
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 385
autre de ses parties serait plus propre à fournir cette sub-
stance que la vésicule ombilicale? 4° enfin, nous ayons vu
que daDS l'origine la vésicule ombilicale était si grosse , que
comme le jaune elle formait tout l'œuf; que diminuant
ensuite, elle disparaissait lorsque le placenta était formé.
On peut donc admettre avec tous les auteurs , que l'humeur
de la vésicule ombilicale est ce qui nourrit l'embryon dans
les premiers temps de sa vie.
Mais commentse faitcette nutrition ?C'est ce qu'on ignore.
La matière de la vésicule ombilicale, saisie et probablement
en même temps un peu élaborée par les vaisseaux omphalo*
mésentériques , est-elle aussitôt portée dans les vaisseaux
de l'embryon, et de là aux organes? ou bien aucontraire,
est^eïle'poriée à l'estomac de l'embryon, pour y être digérée ?
De ces deux modes de nutrition, le dernier n'est guère pro-
bable; on l'a conjecturé, d'après l'analogie du jaune des oi-
seaux; mais il ne pourrait exister tout au plus qu'à la fin de
l'existence de la vésicule ombilicale. Le premier mode est au
contraire beaucoup plus vraisemblable, surtout pour les
premiers temps. En effet, d'après le principeque l'embryon,
dans la suite de ses développements, doit offrir les formes
d'organisation les plus simples avant les plus compliquées,
Un système de racines absorbantes doit précéder dans son
appareil nutritif un système digestif; et dès lors l'on peut
considérer les vaisseaux ompbalo - mésentériques , comme
puisant dans la vésicule , par une absorption radiculaire
analogue à celle qui fait vivre les végétaux.
3° MM. Lobstein , 0ken3 ont voulu attribuer à la liqueur
de l'allantoïde le même office qu'à la matière de la vésicule
ombilicale. Ils se sont fondés : i« sur ce que la vésicule al*
lantoïde et sa liqueur ont été trouvées dans des œufs chez
lesquels le fœtus manquait, ce qui semble prouver sa pré-
existence au fœtus; 2° sur ce que cette vésicule est d'autant
plus grande, et son humeur d'autant plus abondante, que
l'embryon est plus jeune ; 3° enfin , sur ce que cette liqueur,
si elle n'est pas nutritive, ne peut être que de l'urine, et
que beaucoup de raisons militent contre cette dernière idée.
Peut-on croire, en effet, disent MM. Lobstein et Oken y à
Tome IV. 2 5
386 VIE ISTflA-UTÉRINË.
l'existence de l'urine, à une époque où les reins existent à
peine, et peuvent à peine agir? La sécrétion urinaire serait
donc d'autant plus active, qu'on serait moins avancé dans
la vie intra-utérine? elle fonderait donc une fonction de
première nécessité ? Si l'humeur de l'allantoïde était de
l'urine , il devrait y avoir toujours une communication
facile entre l'allantoïde et la vessie urinaire; et cependant
il est fort difficile de faire passer, même de l'air, de l'une
de ces poches dans l'autre. Le liquide de l'allantoïde, enfin ,
ne ressemble en rien à de l'urine.
Quelque puissants que soient tous ces arguments, ils ne peu-
vent établir, en faveur de la fonction nutritive de l'allan-
toïde, une vraisemblance égale à celle qui existe pourlavési-
cule ombilicale. D'abord, est-il bien vrai qu'on ait trouvé des
allantoïdes dans des œufs sans fœtus ? Tous les anatomistes
de nos jours récusent les observations qu'on en a rapportées;
ou les vésicules n'étaient pas des allantoïdes; ou les fœtus
avaient disparu depuis peu, mais avaient existé. En second
lieu, le grand volume de l'allantoïde, dans les premiers
temps de la vie intra-utérine, peut se concevoir dans l'hy-
pothèse qui fait de cette poche un réservoir de l'urine. En-
fin, des raisons non moins fortes que celles qu'opposent
MM. Lobstein et Oken , portent à faire regarder l'humeur de
l'allantoïde, comme une humeur d'excrétion, comme l'u-
rine. L'allantoïde, en efTet, semble êti'e une continuation
de la vessie urinaire ; elle communique avec cette poche par
l'ouraque; les reins et la vessie existent de très bonne heure,
d'où l'on peut conclure que la sécrétion urinaire est, dès les
premiers temps, en activité. Si l'allantoïde, d'abord très
grande, diminue bientôt, et cesse de communiquer avec la
vessie; c'est que la sécrétion urinaire est d'abord propor-
tionnellement plus active, quand le fœtus n'a encore au-
cune autre excrétion, et qu'elle diminue ensuite, quand
s'établissent d'autres excrétions, celle de l'humeur sébacée
de la peau, par exemple. Une pareille hypothèse fait, il est
vrai , de la sécrétion urinaire une fonction de première né-
cessité dans la vie du fœtus: mais cette sécrétion n'a-t-elle
pas la même importance dans la vie de l'adulte ? Enfin, si on
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. S87
a objecté que la liqueur de l'allantoïde ne ressemblait en
rien à de Furine , on a voulu parler de l'urine de l'adulle ;
et qui oserait dire qu'il ne doit exister aucune différencedans
cette même humeur, prise à deux époques si distantes de la
vie? D'ailleurs, Daubanton,en évaporant au feu, la liqueur
de l'allantoïde lui a trouvé une odeur urineuse. Concluons
donc que, s'il est douteux que l'humeur de l'allantoïde soit
une humeur d'excrétion, comme le veulent presque tous
les physiologistes de nos jours , il est encore moins prouvé
qu'elle soit une matière nutritive; et il nous est d'autant
plus prescrit de conserver du doute à cet égard, qu'on n'a
jamais trouvé l'allantoïde dans l'œuf humain, et qu'on ne
l'y admet que d'après l'analogie des mammifères. Du reste,
si l'on veut qu'elle soit un réservoir de matière nutritive,
elle ne servirait que dans les premiers jours de la vie el
par un mécanisme aussi peu connu que celui de la vésicule
ombilicale.
4f> Beaucoup de physiologistes ont présenté le liquide de
Pamnios, dans lequel le fœtus est plongé pendant tout le
cours de la grossesse , comme une source de matière nutritive
pour cet être, tout en différant sur la voie par laquelle
serait introduit ce liquide. Il ont allégué comme preuves :
i° la qualité nutritive de cette humeur; on a nourri avec
elle seule , pendant plusieurs semaines, de jeunes animaux •
20 la particularité qu'elle a d'être d'autant plus abondante
et plus riche en matière animale, que l'embryon est plus
jeune; 3° son contact continuel avec le fœtus> dont les sur-
faces, tant externe qu'interne, sont dites jouir d'une faculté
d'absorption d'autant plus prononcée que cet être est moins
âgé; 4° enfin, quelques exemples de fœtus privés de cordon,
et qui, sans le secours du placenta, se sont développés. De ces
diverses preuves, nous rejetterons d'abord la dernière ; on n'a
aucune observation authen tique de fœtus privé de cordon om-
bilical et de placenta, et cependant venu à terme; etati con-
traire , on a des exemples multipliés de fœtus qui sont morts
aussitôt, dès que le cordon ombilical a été rompu. Quant aux
autres raisons, elles ne fondent que des vraisemblances : on
peut, à aussi bon droit, attribuer à l'eau de Pamnios plu-
23,
388 VIE ÎNTRA-UTÉIIIÎŒ.
sieurs autres offices; comme de garantir le fœtus des chocs
extérieurs; de former autour de lui une atmosphère qui le
défende de la pression de l'utérus, permette son déve-
loppement et ses mouvements , et serve à l'entretien de
sa température; comme de servir à dilater régulièrement
l'utérus pendant la grossesse, et à ouvrir son orifice lors de
l'accouchement. On peut croire surtout qu'elle est utile à
maintenir isolées les parties extérieures du fœtus, et à pré-
venir les adhérences vicieuses qu'elles pourraient contrac-
ter. Il est sûr au moins , que tandis qu'on a vu des fœtus
survivre long- temps à l'écoulement de cette eau; on a
une observation de M. Morlanne , d'un fœtus de cinq
mois qui, né trente jours après cet écoulement, offrit
les bras et avant-bras collés avec la poitrine, et les cuisses
avec l'abdomen.
Toutefois , les physiologistes qui ont admis cette source
de matière nutritive ont différé sur la voie par laquelle ils
l'ont fait pénétrer; tour-à-tour ils ont indiqué la peau,
l'appareil digestif, l'appareil respiratoire, les voies géni-
tales, les mamelles. Buffion , Osiander , Vandenhosh , ont
fait absorber la liqueur de Tamnios par la peau du fœtus.
Cette membrane , disent-ils , est essentiellement absorbante,
et doit l'être d'autant plus que l'embryon est plus jeune,
parce qu'alors elle est sans épiderme. Ils ont argué des cas de
fœtus dont le développement a continué, bien qu'ils man-
quassent de bouche et de cordon ombilical. Ils ont enfin
invoqué les expériences suivantes de Vandenhosh : ce savant,
dit, qu'ayant retiré du ventre de sa mère un fœtus mammi-
fère, et en ayant aussitôt séparé la peau, il vit les vaisseaux
lymphatiques de cette membrane évidemment remplis d'un
fluide séreux : qu'après avoir ouvert l'œuf d'un mammifère,
et appliqué des ligatures aux membres du fœtus , il vit les
vaisseaux lymphatiques de cet être se distendre : ayant enfin
qu'après avoir plongé les membres de ce fœtns dans l'eau de
l'amnios, il vit les vaisseaux se remplir et se distendre bien
davantage. De toutes ces raisons, aucune n'est démonstra-
tive la plus puissante serait celle des fœtus développés sans
cordon, mais nous avons dit qu'aucun des exemples qu'on
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 3$9
en a eilés n'était authentique : on ne doit regarder l'absor-
ption de l'eau de l'amnios par la peau , que comme une des
mille et mille conjectures qui, dansl'état actuel de la science,
composent presque exclusivement l'histoire de la physiologie
du fœtus.
Boërhaave, Haller, au contraire, font pénétrer l'eau de
l'amnios par la bouche et le canal intestinal. Il est certain ,
disent- ils, que souvent cette humeur a été trouvée en ces
cavités; on l'a reconnue distinctement, avec ses qualités
physiques, dans le pharynx et l'estomac; Heisler, ouvrant
une vache pleine, qui était morte de froid, vit que l'eau
de l'amnios, gelée , formait un glaçon qui s'étendait jusque
dans l'estomac du fœtus. Alors, deux hypothèses peuvent
être faites; ou l'eau de l'amnios serait en ce lieu simplement
absorbée, ou elle y subirait préalablement une digestion.
Les fauteurs de la première hypothèse partent de ce principe
déjà cité , que le fœtus doit présenter les formes de nutrition
les plus simples avant les plus compliquées, et par consé-
quent doit se nourrir par absorption avant de se nourrir par
digestion; ils trouvent, dans la membrane muqueuse intes-
tinale, la puissance d'absorption qui leur est nécessaire; ils
disent enfin, qu'au moins, dans les premiers temps, il ne
doit y avoir qu'absorption , et que , s'il y a digestion , ce ne
peut être que dans les derniers mois. Boerhaave , au con-
traire, admet une déglutition ou succion des eaux de l'am-
nios, et leur digestion dans l'estomac. Ne voit-on pas, dit-il,
de très bonne heure , du méconium dans le canal intestinal ?
et la présence de cette matière excrémentitielle ne prouve-t-
elle pas que le canal digestif a agi ? D'ailleurs, que d'autres
preuves encore qu'il se fait des digestions chez le fœtus !
en examinant les vaisseaux du mésentère , dans un enfant
qui venait de naître avec l'abdomen ouvert, on a trouvé ces
vaisseaux pleins de chyle. Or, si l'appareil digestif agit, il
lui faut des aliments; et quels autres peut-on indiquer que
les eaux de l'amnios? Ce qui semble autoriser cette idée,
c'est qu'on a trouvé dans le méconium quelques-uns des
poils soyeux qui sont à la peau du fœtus, et ces poils n'a-
vaient pu pénétrer dans l'intestin qu'avec la liqueur de
3 9° VIE INTRA-UTÉRINE.
l'amuios. Quelque spécieuses que paraissent toutes ces con-
sidérations , elles ne suffisent pas pour faire admettre irrévo-
cablement ce point de doctrine. D'abord, il est sûr que
le fœtus n'exécute aucun mouvement de déglutition, ni de
succion ; et si l'eau de l'amnios pénètre dans l'appareil di-
gestif, c'est mécaniquement. En second lieu, il est possible
que cotte pénétration n'ait été qu'accidentelle dans les cas
où elle a été observée, car le fœtus a ordiuairement la bou-
che fermée. Troisièmement, il est certain que l'eau de l'am-
nios, si elle nourrit par la voie que nous discutons, n'est
pas d'une indispensable nécessité pour la vie du fœtus, car
on a vu beaucoup de fœtus naître, bien développés, avec
une imperforation de la bouche : n'a-l-on pas d'ailleurs
l'exemple des acépbaîes ? Enfin , la présence du méconium
dans l'intestin du fœtus, cel!e du chyle dans les vaisseaux
du mésentère, prouvent bien qu'il se fait , clans les derniers
temps au moins, digestion; mais non que ce soit sur les
eaux de l'amnios que celte fonction opère. En effet, il est
possible que les sucs de l'appareil digestif servent eux-mêmes
à alimenter la digestion; il est d'autant plus permis de le
croire, que ces sucs sont alors très abondants; et nous di-
rons ci-après quelle idée l'abondance et la nature de ces sucs
a inspirée à M. Geoffroy Saint-Hilaire , sur la nutrition du
fœtus. Est-il possible de croire que le méconium provient de
l'eau de l'amnios, quand on voit ce méconium exister dans
l'intestin des acéphales , et dans celui des fœtus qui ont
une imperforation de la bouche. On arguera des poils
soyeux qu'on a trouvés dans ce méconium; maisces poils ne
peuvent -ils pas s'être formés dans l'intestin? Cependant,
on dit n'en avoir trouvé jamais dans le méconium des fœtus
sans bouche. Enfin, la matière visqueuse considérable , que
nous verrons être contenue dans l'estomac et l'intestin , et
dont M. Geoffroy fait un mucus préparé pour la nutrition
du fœtus, ne ressemble en rien au liquide amniotique , car
elle est acide et gélatiniforme.
Rœderer, TV inslow , Scheeî , font saisir l'eau de l'amnios
par les voies respiratoires, arguant de ce que dans certains
cas on a en effet trouvé ce liquide dans la trachée et dans les
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 391
bronches. Selon les uns , elle y pénètre mécaniquement, par
suite de l'accès toujours facile qu'offrent les ouvertures des
narines, et à cause de la communication de ces narines avec
la trachée et les bronches : selon Scheel, elle y est introduite
par les mouvements de respiration qu'exécute le fœtus;
enfin , selon Rœderer, elle y serait engagée par la pression
qu'exercerait sur elle l'utérus. Cette introduction une fois
admise, deux possibilités se présentent, comme dans le cas
précédent; ou l'eau de l'amnios n'est qu'absorbée dans les
voies respiratoires, ou elle y sert à une respiration. D'un
côlé, la surface interne des bronches jouit de la même fa-
culté d'absorption que toutes les membranes muqueuses,
et l'on peut croire qu'elle saisit le liquide avec lequel elle
est en contact. D'un autre coté, d'après la nécessité dont
est l'air pour tout être vivant, ne peut-on pas soupçonner
que le fœtus a lui-même besoin d'une respiration ? et à cette
première époque de sa vie, la respiration de cet être serait
une respiration d'eau: nous avons parlé des efforts qui ont été
faits pour démontrer la présence de l'air atmosphérique ou de
l'oxygène dansl'eaude l'amnios. Sans entrer dans une longue
discussion, il est évident que ces deux idées sont également
de simples suppositions, de pures conjectures. D'abord, le
fœtus n'exerce pas plus de mouvements de respiration que
de mouvements de déglutition; et si l'eau de l'amnios pé-
nètre dans les voies respiratoires, ce n'est que mécani-
quement. Ensuite, il ne paraît pas que cette pénétration
soit ordinaire , car la glotte est fermée; et quand elle a
eu lieu, il est probable qu'elle n'avait été qu'accidentelle.
Enfin, cette idée d'une respiration aquatique est une hy-
pothèse tout-à-fait inadmissible; le poumon du fœtus est
un organe de respiration aérienne, et non un organe de
respiration aquatique, une branchie; il est douteux que
l'eau de l'amnios contienne de l'air; et enfin dans le fœtus,
la circulation ne traverse pas le poumon , comme cela de-
vrait être, si la respiration avait déjà commencé en cet or-
gane. Ou peut d'ailleurs opposer à l'idée de la nécessité dp
l'introduction de l'eau de l'amnios par cette voie, quel que
soit le service ultérieur qu'elle y remplisse , le fait desacé-
3<}2 VIB INTRA-UTÉRINE.
phaJes : la nutrition s'est faite dans ces fœtus mutilés, bien
que le liquide de l'amnios ne pût pénétrer, ni dans l'appa-
reil digestif, ni dans l'appareil respiratoire.
Enfin , nous indiquerons encore, mais comme simples con-
jectures, les voies d'introduclion supposées par MM, LohsLein
et Oken. Le premier fait absorber l'eau de l'amnios par les
parties génitales. Le second dit que ce liquide est saisi par
les mamelles , élaboré par ces glandes , et conduit de là dans
le thymus, le canal tboracique et le système sanguin du
fœtus. Il suffit de citer de pareilles opinions , pour prouver
qu'elles ne sont que des suppositions.
Les incertitudes des auteurs sur la voie par laquelle péné-
trerait l'eau de l'amnios , ue font donc que confirmer les
doutes que nous avions sur l'office de nutrition qu'on veut
faire remplir à cette humeur.
5o On sait que, de très bonne heure , des villosités déve^
loppées à la surface externe du chorion , unissent l'œuf à la
caduque, et que de semblables villosités unissent celle-ci à
l'utérus. Or, plusieurs physiologistes considèrent ces villo-
sités comme vasculaires, et comme un moyen par lequel une
matière nutritive arriverait de la mère à l'enfant. Nous
avons même dit que plusieurs avaient fait provenir de cette
source l'eau de l'amnios. Il est possible que dans les pre^
miers jours de l'évolution, ces villosités soient un moyen
par lequel l'embryon prend dans la mère de la matière nu-
tritive; mais on ne peut en être sûr, et il est certain au
moins que cela n'est plus dans les derniers temps. La nature
vasculaire de ces villosités devient en effet de plus en plus
douteuse, et à la fin, ces villosités ne paraissent plus être
qu'un moyen de faire adhérer la caduque à l'utérus , et le
chorion et l'œuf à la caduque.
6° Une source de matière nutritive qui ne peut être con^
testée , est celle qui est due au placenta. Cet organe est vé^
ritablement un moyen par lequel l'enfant puise dans le sein
de sa mère : ce que nous avons dit de sa structure en est la
preuve. Il reçoit, en effet, d'un côté les artères et les veines
utérines de la mère, et de l'autre, les artères et veines
ombilicales du fœtus; et que servirait cette fusion dans le
%
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 3g3;
parenchyme du placenta de vaisseaux provenants de ces deux,
êtres, si ce n'était pour que l'un fournît de la matière nutri-
tive à l'autre ? Il est certain, d'ailleurs, que le placenta en-
tretient une circulation sanguine , et avec le fœtus, et avec
la mère. Nous parlerons ci-après de la première, et nous
verrons à son égard que le placenta fait réellement partie
de l'appareil circulatoire du fœtus. Quant à la seconde ,
en décrivant le placenta, n'avons-nous pas parlé d'un pla*
centa utérin, c'est-à-dire presque exclusivement formé par
les vaisseaux utérins? N'avons-nous pas mentionné des vais-
seaux allant de l'utérus au placenta, et auxquels M. Dubois,
qui lésa injectés, a donné le nom d'utéro-placentaux ? Pour-
quoi ces vaisseaux, si ce n'est pour que des sucs de la mère
parviennent au placenta, et du placenta au fœtus par le
cordon ? Lorsque, dans la grossesse, le placenta se décolle en
totalité ou en partie , ne survient-il pas une hémorrhagie
qui peut être aussi dangereuse à la mère qu'à l'enfant ? Une
semblable hémorrhagie ne s'observe- t-el le pas lors de l'ac-
couchement, dans les premiers instants qui suivent la dé-
livrance, jusqu'à ce que l'utérus , revenu sur lui-même, ait
affaissé les vaisseaux qui établissaient sa communication avec
le placenta? Si , après cet accouchement, le placenta reste
adhérent à la matrice , souvent il se fait par le cordon une
hémorrhagie qui peut être dangereuse à la mère. Quelque-
fois même en ce cas, ou lorsque le fœtus était resté mort
dans le sein de sa mère, on a vu le placenta continuer de
croître, ce qui ne pouvait être que par les sucs qu'il tirait
de la mère. Récemment M. Ribes a vu un fait de ce genre :
le cordon ombilical s'était rompu ; par suite le fœtus avait
péri; mais le cordon s'était cicatrisé, et le placenta avait
continué de croître à l'aide de ses adhérences avec l'utérus.
Enfin, en faisant prendre à la mère des aliments teints de
garance , ou en injectant dans ses vaisseaux du camphre ,
comme l'a fait M. Magendie, on a vu la matière colorante
teindre les os du fœtus , et l'odeur du camphre imprégner
son sang : or, quel organe autre que le placenta peut avoir
servi ici d'intermédiaire ? Le placenta est donc en commu-
nication avec l'utérus ; il en reçoit nue matière nutritive ,
394 VIE INTRA-UTÉRIJNE.
qu'ensuite il envoie au fœtus ; il est le moyen de communi-
cation de la mère à l'enfant. Seulement la communication
qu'il établit est plus facile de la mère à l'enfant, que de
l'enfant à la mère, ce qui devait être; M. Magendie , qui
faisait passer aisément , de la mère à l'enfant, du camphre,
comme nous venons de le dire, n'a pu, au contraire, faire
passer des poisons de l'enfant à la mère , en injectant ces
poisons dans le cordon.
Mais il se présente ici deux questions : de quelle nature
est la communication de l'utérus avec le placenta ? et quelle
matière nutritive le premier de ces organes fournit-il au
second ?
Relativement à la première de ces questions , plusieurs
physiologistes anciens ont cru à une communication di-
recte entre les vaisseaux de l'utérus et ceux du placenta, et
par conséquent ont dit que la circulation du fœtus était une
continuation de celle de la mère. Leurs arguments étaient :
i° qu'après l'accouchement, il se fait toujours un écoule-
ment de sang plus ou moins abondant par la vulve; 2° que
souvent alors, le sang continue de couler indéfiniment par
le cordon ; 3° que dans des femmes enceintes, mortes d'hé*
morrhagie, on a trouvé le fœtus lout-à-fait exsangue;
4° qu'on a injecté également les vaisseaux du fœtus par
ceux de l'utérus, et les vaisseaux de l'utérus par ceux du
fœtus ; 5° enfin , qu'on a vu vivre et se développer des fœtus
qui n'avaient pas de cœur, et chez lesquels conséquemment
la circulation, n'avait pu se faire que par l'influence du
cœur de la mère. Outre qu'il n'est aucun de ces arguments
qu'on ne puisse réfuter, il en est d'autres plus puissants qui
prouvent invinciblement que la communication entre le
placenta et l'utérus n'est pas directe. i« L'hémorrhagie, qui
se fait par l'utérus et le cordon après l'accouchement, prouve
bien la communication des vaisseaux de la mère avec le pla-
centa, mais non que cette communication soit directe.
2° Il est faux que quand la mère meurt d'hémorrhagie, on
trouve le fœtus exsangue; le plus souvent le contraire a
lieu, et T'Vrisbers: Fa constaté par des expériences directes.
3° Les injections dont on arguë, répétées par les anato-
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 395
mistes de nos jours, ont présenté des résultats opposés, et
par conséquent ont conduit à une conclusion contraire. Si,
par exemple , on injecte les artères utérines ? la matière pé-
nètre dans les veines du même nom, après s'être épancnée
dans les lobes du placenta , mais sans jamais parvenir dans
les vaisseaux ombilicaux du placenta. Il en est de même, si
on injecte les veines utérines; et, en ce cas, l'épanchement
dans le parenchyme du placenta utérin est plus abondant.
Si , au contraire, on injecte les artères ou la veine ombili-
cales , la matière passe des uns de ces vaisseaux dans les au-
tres, s'épanche dans le parenchyme du placenta, mais ne
pénètre pas dans les vaisseaux utérins. A la vérité, une
ou deux fois, Chaussier avec du mercure, Bêclard avec
de la matière grasse, ont injecté par la veine ombilicale,
non-seulement toute la masse du nlacenta, mais encore le
tissu de l'utérus et les veines utérines : mais ces anatomistes
opéraient sur des femmes mortes pendant leur grossesse;
on sait qu'alors les orifices des veines utérines à la surface
de cet organe sont béants et fort gros; et il est possible de
concevoir comment la matière injectée, en venant sourdre à
la surface du placenta, a pu pénétrer dans ces vaisseaux.
En décrivant le placenta, nous avons annoncé la non-com-
munication directe de ses vaisseaux utérins et ombilicaux.
4° La persistance de la vie, et la continuation du dévelop-
pement dans les fœtus sans cœur, ne prouvent rien; caria
contraction des vaisseaux aura suffi pour la circulation.
5° Enfin , voici des faits positifs qui prouvent que la com-
munication n'est pas directe. Il n'y a nul isochronisme entre
le pouls du fœtus et celui de la mère; M. de Kergaradec ,
en appliquant le stéthoscope à l'abdomen d'une femme en-
ceinte , est parvenu à distinguer les battements du cœur du
fœtus, et ces battements étaient plus nombreux du double
que ceux du cœur de la mère. On a des exemples de fœtus
qui sont nés, l'œuf étant resté intact, ses membranes ex-
ternes n'ayant pas été déchirées; et bien que le fœtus fut alors
privé de respiration, cependant sa circulation a continué
pendant neuf minutes, dit TVrisherg, pendant un quart-
d'heure, dit Osiander. Enfin, dans des cas où un enfant
O^Ci VIE INTRA-UTÉRINE.
naissant avait peine à respirer et était en danger de périr ,
on a entretenu la vie du placenta, en le tenant dans de
l'eau chaude à trente-deux degrés, et par suite on a fait
continuer la circulation du sang. Il est donc certain que
l'utérus et le placenta, quoique en communication à leur
point de contact, forment deux organismes séparés; il se
fait là une double perspiration et une double absorption;
c est-à-dire que l'utérus perspire, à sa surface ou dans le
parenchyme du placenta utérin, une matière que les vais-
seaux ombilicaux du placenta fœtal absorbent; et que sem-
blablement les artères ombilicales du placenta fœtal perspi-
rent une matière qu'absorbent les veines utérines du
placenta utérin.
Maintenant, quelle est la matière fournie par l'utérus au
placenta? les uns disent du sang, les autres un fluide sé-
reux. La plupart des physiologistes admettent, que les ar-
tères utérines apportent dans le placenta utérin le propre
sang de la mère ; ils se fondent sur ce qu'un écoulement de
sang accompagne toujours le décollement du placenta à toute
époque de la grossesse, et lors de l'accouchement. Schreger,
au contraire , prétend que ce qui est puisé dans la mère par
le placenta est un fluide séreux , qui porté d'abord dans le
canal thoracique du fœtus et dans les veines sous-clavières ,
est ensuite reporté par les artères ombilicales dans le pla-
centa pour y commencer la circulation sanguine. Ses argu-
ments sont; io que les lymphatiques existent en grand
nombre dans l'utérus, lors du développement que la gros-
sesse a imprimé à cet organe; 20 qu'il y a lieu de croire le
sang de la mère trop fort pour la nutrition d'un être aussi
délicat que l'est d'abord l'embryon. Mais ceci rentre dans
la question de savoir quelles élaborations éprouve la ma-
tière nutritive , pour devenir le fluide sanguin propre à
nourrir et à faire croître l'embryon.
70 Enfin, MM. Lohstein et Meckel ont encore mis au rang
des substances nutritives du fœtus la substance gélatineuse
du cordon . Ils on t don né pour preuves, la na ture albumineuse
et partant nutritive de cette substance; la grosseur considé-
rable que cette substance donne au cordon dans le comaien-
PMYSIOLOGTÈ DU T7ŒTUS. 3$ ?
cernent fie la vie intra-utérine; la perméabilité du tissu cel--
Juleux dans lequel elle est contenuej;la continuité de ce tissu
avec celui qui est au-dessous du péritoine dans l'abdomen
du fœtus; enfin le grand développement que présente dans
le fœtus le système absorbant, à partir de l'ombilic, jusque
vers le médiastin antérieur. Il est trop évident qu'aucune de
ces raisons n'est démonstrative, et qu'il ne s'agit encore ici
que d'une conjecture semblable à plusieurs de celles que
nous venons de rapporter.
Telles sont les sept sources assignées à la matière nutritive
que doit recevoir l'embryon; et de ces sept sources , deux
seules me paraissent devoir être admises; la vésicule ombi-
licale, qui fournit depuis le premier instant de la vie intra-
utérine , jusqu'à deux mois à peu près ; et le placenta.
Du reste, les controverses que nous venons d'exposer ne
sont pas les seules que nous présentent les auteurs. Selon
les uns , la matière nutritive ne pénètre jamais que par
une seule voie ; mais les diverses sources que nous venons
d'indiquer se succèdent les unes aux autres. Selon d'autres ,
plusieurs de ces sources peuvent fournir en même temps.
Ainsi, selon M. Lobstein, les radicules veineuses du placenta
ne puisent dans le mère des sucs nourriciers que dans les
premiers jours, jusqu'aux temps où les artères seront for-
mées; mais après, toute circulation cesse entre l'utérus et le
placenta, et la vésicule ombilicale, l'eau de l'amnios et la
gélatine du cordon, sont les seules matières qui alimentent
la nutrition. Selon M. Meckel , le placenta n'est jamais
source de matière nutritive ; il n'est qu'un organe de revirf
vification du sang du fœtus , l'analogue de l'organe de la
respiration de l'adulte; et la nutrition n'est jamais eifec-
tuée que par la matière de la vésicule ombilicale dans le
commencement, par l'eau de l'amnios jusqu'à mi-terme, et
par la gélatine du cordon à la fin. Selon Béclard enfin ,
la nutrition est effectuée; dans les premières semaines, par
l'humeur de la vésicule ombilicale ; ensuite, par l'eau de
l'amnios, la gélatine du cordon; et enfin, à partir du moment
ou l'œuf devient villeux et développe le placenta, par cet
organe. Ce placenta de plus, outre cet office d'être une
398 vie intra-utérine.
source de matériaux nutritifs, devient un organe de revi-
viiîcalion du sang du fœtus , un analogue d'organe respi-
ratoire. Mais ceci nous conduit au second objet que nous
avons à rechercher , la conversion des matériaux nutritifs
en sang.
§ II. Conversion des matériaux nutritifs du Fœtus en sang.
Aucun être vivant ne s'assimile la matière qu'il prend
âu-dehors de lui pour sa nutrition , telle qu'il la saisit ;
toujours il lui imprime auparavant une autre nature ; mais
le mécanisme par lequel il l'élabore est plus ou moins com-
pliqué. Dans les êtres vivants les plus simples, qui se nour-
rissent par une absorption qu'effectue la surface externe de
leur corps, on ne distingue pas quelle forme nouvelle a
reçu la matière nutritive ; cette matière est assimilée au
même instant qu'elle est saisie ; et ces actes successifs
de la préhension , de l'élaboration et de l'assimilation
des matériaux nutritifs, se réduisent à un seul, ou s'accom-
plissent en même temps. Mais il n'en est pas de même dans
les animaux supérieurs ; et , par exemple , dans l'homme
adulte, nous avons vu quatre fonctions succéder à la pré-
hension des matériaux nutritifs, et avoir pour objet l'éla-
boration de ces matériaux, leur conversion en sang, et la
conduite de ce sang dans les organes qu'il doit nourrir. Ces
quatre fonctions étaient la digestion, les absorptions, la
respiration et lacirculation.
Le fœtus élabore-t-il de même la matière nutritive, quelle
qu'elle soitj qu'il retire, soit d'un réservoir qui lui avait été
préparé à l'avance, soit de sa mère? et si l'analogie de ce qui
est dans tous les êtres vivants fait répondre affirmativement
à cette première question , en quoi consiste cette élabora-
tion? Il n'existe pas moins d'obscurités sur cette seconde
partie de l'histoire du fœtus, et nous n'aurons guère encore
à exposer que des conjectures, des probabilités.
D'abord , si dans les premiers temps de la vie fœtale ,
l'embryon se nourrit de la matière, séro-albumineuse qui
l'entoure et doit former la caduque, c'est en l'absorbant
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 899
par la surface externe de l'ovule; et bienqu'onne voiepasl'é-
laboration que fait subir à cette matière l'absorption , puis-
qu'elle est assimilée en même temps que saisie., on a les mêmes
raisons d'admettre cette élaboration que dans les derniers
animaux. CetteélaborationestencoreplusévidenteenefTeten
ce qui concerne la matière de la vésicule ombilicale. Nul doute
que dans les oiseaux, ce ne soit le fœlus lui-même qui fasse
son sang : à la vérité, à l'aide d'un appareil vasculaire qu'il
développe, il va en puiser la matière dans le vitelius; mais,
en même temps qu'il prend la substance de celui-ci , il l'éla-
bore et la change en sang; car dans cet être , qui n'a jamais
de communication avec sa mère, d'où ce fluide lui vien-
drait-il ? Or , si la vésicule ombilicale est l'analogue du
jaune, l'embryon humain doit aussi en absorber l'humeur
par les vaisseaux omphalo-mésentériques, et l'élaborer de
manière à en faire son fluide nutritif spécial, du sang. Nous
avons dit qu'on pouvait supposer deux voies d'introduction
à Fhumeur de la vésicule ombilicale; ou la faire absorber
simplement par un système de racines vasculaires , ou la
faire arriver dans l'estomac pour y être digérée : de ces deux
voies , la dernière est plus que douteuse; mais dans l'une et
dans Fautre, le fait dont il est question ici, la sanguiiics-
tion de la matière de la vésicule ombilicale, est également
présumable. Enfin, le placenta ne fait-il que puiser dans
Futérus une matière nutritive quelconque? ou plutôt n'im-
prime-t-il pas en même temps à cette matière une élabo-
ration première ! Si cette élaboration s'observe lors de l'ab-
sorption la plus simple , à plus forte raison doit-elle être
présumée ici, où l'organe a une structure plus complexe?
l'interruption qui existe dans la circulation des deux or-
ganes, à leur point de contact, n'en est-elle pas une preuve ?
Du reste, les conjectures des auteurs ont varié ici, selon
l'espèce de substance qu'ils ont fait puiser dans la mère par
le placenta, ou du sang, ou un fluide séreux, etc.
Il semblerait que ceux qui ont dit que la matière nutri-
tive puisée par le placenta était du sang , n'avaient pas
besoin d'admettre Faction d'élaboration dont nous nous
occupons ici; et cependant tous Font cru également néces-
4 oo Vie ïtitra-utérôë.
saire. Lès vins ont dit que le sang de la mère ne pouvait
convenir à un être aussi délicat que l'embryon , et avait
besoin d'être affaibli , désoxygéné , modifié d'une manière
quelconque. Les autres ont nié que le sang puisé dans la mère
effectuât immédiatement la nutrition; mai'sils l'ont fait seu-
lement parvenir à quelques organes du fœtus, où ensuite était
extrait de lui la matière vraiment nourricière. De là la théo-
rie qui fait du placenta et du foie des organes d'hématose ;
de là aussi la théorie et celle de M. Geoffroy SainfrlJilaire, sur
l'utilité du mucus abondant sécrété dans l'estomac et l'in-
testin du fœtus. Dans la première, il est dit que le sang de
la mère éprouve, avant de parvenir aux organes du fœtus
qu'il doit nourrir, deux élaborations successives, l'une au
placenta et l'autre au foie, sans qu'on puisse spécifier quel
caractère nouveau ces organes ont imprimé à ce fluide. L'action
placenta se présume , de ce que c'est cet organe qui effectue
immédiatement la préhension du fluide , et de ce que tout
organe d'absorption est en même temps agent d'élaboration î
d'ailleurs , il est sûr que le sang que rapporte de cet or-
gane la veine ombilicale, diffère , au moins par la couleur,
du sang que lui ont apporté les artères utérines. On a pré-
sumé une action du foie, de ce que c'est dans cet organe
que se rend d'abord en grande partie le sang au sortir du
placenta, et de ce que ce n'est qu'après avoir traversé son
lissu que ce fluide arrive au cœur du fœtus. On a aussi
argué du grand volume qu'a alors le foie, volume qui est
d'autant plus considérable que l'embryon est plus jeune,
et qu'on ne peut expliquer qu'en faisant de ce viscère un
organe d'hématose. Il est sûr , en effet , que ce volume
énorme n'a pas trait à la sécrétion de la bile, qui alors est
nulle ou peu abondante; et l'on ne peut pas non plus dire
avec Hallev , que ce passage du sang par le foie a pour
but de modérer l'impression avec laquelle la mère projette
ce fluide, puisque nous avons prouvé qu'il n'y avait pas
au placenta communication directe entre la circulation de la
mère et celle de l'enfant. On ne peut donc refuser une cer-
taine vraisemblance à cette idée; que le sang de la mère ne
traverse pas impunément le placenta et le foie, avant de
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. loi
parvenir au cœur du fœtus, mais est, par le travail successif
de ces organes, mis en rapport avec le degré de délicatesse
de cet être.
D'un autre côté , M. Geoffroy Saint-Hilaire pense que
le sang de la mère ne nourrit pas immédiatement le fœtus,
mais doit auparavant subir diverses transformations. Selon
ce savant, le sang va du placenta, en partie au foie, et en
partie au cœur. Au foie, il alimente la sécrétion biliaire,
ou du moins celle d'un fluide qui ; versé dans l'intestin ,
irrite cet organe , et lui fait sécréter une quantité de mucus
très abondante. C'est pour subvenir à cette sécrétion , que
le foie est alors si gros, et d'autant plus gros que le fœtus
est plus jeune. La portion de sang qui va au cœur est distri-
buée de là à toutes les parties, mais surtout à l'intestin où
l'irritation l'appelle, et y sert à là sécrétion abondante du
mucus qui s'y fait. La présence de ce mucus dans l'estomac
et l'intestin du fœtus est, selon M. Geoffroy Saint-Hilaire,
un fait constant; et comme d'autre part l'existence du mé-
conium et de véritables matières exerémenlitielles dans le
canal intestinal, prouve qu'il y a eu digestion , M. Geoffroy
regarde le mucus qui est sécrété dans l'estomac comme l'ali-
ment sur lequel doit agir la digestion. La quantité de ce
mucus , dit-il , est trop abondante , pour qu'il ne soit qu'un
fluide dé lubréfaction. D'ailleurs, le mucus est le premier
degré de tous les composés organiques ; il prédomine dans
tous les êtres jeunes ; il est le fond de toutes les parties, et
la substance assimilable par excellence; tout être, quel-
que jeune qu'il soit, fait du mucus et en absorbe pour
s'en nourrir ; la sève des végétaux n'est presque que du
mucus, etc. Que de raisons pour faire présumer que celui
qui remplit l'intestin est un aliment préparé pour la nutri-
tion du fœtus! Elaboré par l'appareil digestif, et saisi par
les voies chylifères, ce mucus serait la source d'un fluide
nutritif qui affluerait sans cesse dans l'appareil circulatoire,
et qui, à chaque passage, éprouverait une annualisation
graduelle. Ainsi, la nutrition du fœtus se rapprocherait
plus de celle de l'adulte qu'on ne l'avait cru d'abord; dans
l'une et dans l'autre, un fluide nutritif serait puisé dans
Tome IV, 26
402 VIE INTRA-UTÉRINE,
l'intestin; mais dans Tune, ce fluide proviendrait du mucus
sécrété par l'intestin lui-même , et dans l'autre il provien-
drait d'aliments. Nous ne dissimulons pas que cette idée de
M. Geoffroy ne doit être inscrite que comme une conjecture;
mais elle avait autant de titres à être mentionnée qu'au-
cune de celles que nous avons déjà exposées.
Nous avons dit que Sckreger faisait puiser par le pla-
centa, non du sang , mais un fluide séreux. Dans cette hypo-
thèse , il est encore plus nécessaire que dans la précédente
d'admettre une action d'élaboration qui change ce fluide
séreux en sang. Celle-ci est rapportée, en partie au système
lymphatique du foetus , qui reçoit de prime-abord le fluide
séreux puisé dans la mère, et en partie au placenta, auquel
retourne ce fluide, avant de commencer la circulation pro-
prement dite. Pour appuyer une pareille conjecture , on fait
valoir le grand développement qu'offrent certaines parties
de l'appareil lymphatique, et particulièrement la thyroïde,
les capsules surrénales, le thymus, que Chaussier rapporte
à cet appareil sous le nom de ganglions glandif ormes .
On présente ces dernières parties comme faisant subir à
la lymphe la même élaboration que lui impriment dans
l'adulte les ganglions lymphatiques. Mais il faut avouer que
cet usage est aussi peu démontré que beaucoup d'autres qui
sont attribués à ces mêmes organes, par exemple , d'être des
diver ticulums du sang pour des viscères qui ne doivent entrer
en exercice que dans les âges subséquents. En effet, tandis
que Chaussier fait de la thyroïde des capsules surrénales,
et du thymus, des organes de lymphose , M. Broussais fait
du premier de ces organes un diver ticule du larynx; du second,
un diverticule des reins ; et du troisième, un diverticuîe du
noumon. D'autre part, Galîen disait que le thymus ne servait
qu'à donner de la solidité et de la fixité à la veine-cave supé-
rieure. Il est difficile de croire qu'un organe dont l'existence
est si constante , et en même temps bornée à la vie fœtale,
n'ait que cet office mécanique; il est probable qu'il en rem-
plit un plus important, mais qui nous est inconnu.
Tout étant incertain sur la source qui fournit la matière
nutritive du fœtus, sauf ce qui concerne la vésicule om-
PHYSIOLOGIE DÛ FOETUS. 4o3
bilicale et le placenta; la même incertitude existant rela-
tivement à l'espèce de matière que puise dans la mère ce
dernier organe; on conçoit qu'on doit être dans les mêmes
embarras , relativement aux actions d'élaboration qu'é-
prouve la matière nutritive pour devenir sang. D'ailleurs ,
probablement ces élaborations ne sont pas les mêmes aux
diverses époques. Bornant donc ici cette indication stérile
d'hypothèses que, pour la plupart, notre esprit repousse;
admettant seulement ce fait , qu'à l'instar de l'adulte le
fœtus fait son sang, nous allons terminer cette discussion
en disant ce qui est dans le fœtus des fonctions de diges-
tion, de respiration et de circulation, qui sont celles par
lesquelles l'adulte accomplit l'objet dont il s'agit dans ce
paragraphe.
On a vu que presque tous les auteurs ont admis la réa-
lité d'une digestion dans le fœtus ; tour-à-tour on a présenté
comme aliments de cette fonction, l'humeur de la vésicule
ombilicale , l'eau de l'amnios, un mucus sécrété exprès dans
la cavité de l'estomac et de l'intestin, enfin les sucs folli-
culaires propres à l'appareil digestif. Le lecteur a pu juger
le degré de vraisemblance de chacune de ces hypothèses.
Ce qui est certain , c'est que, de très bonne heure, le canal
intestinal contient un liquide qui change de qualités aux
diverses époques de la vie fœtale : blanchâtre et muqueux
dans la première moitié de la grossesse , graduellement ce
liquide s'épaissit, devient poisseux, d'un jaune vert, et est
appelé méconium. Dès le troisième mois de la vie du fœtus,
ce méconium est distinct dans l'estomac; à quatre mois, il
a gagné le duodénum; à sept, il remplit l'intestin grêle; et
dans les deux derniers mois, il a envahi tout le gros intestin
jusqu'au rectum ; il est évacué par l'anus dans les premières
heures qui suivent la naissance. Ce méconium est-il un
excrément fécal , et par conséquent est-il l'annonce d'une
digestion? c'est ce qu'on ne peut assurer, mais ce qui est
assez probable. Seulement cette digestion du fœtus devrais
être peu de chose , puisqu'après un temps aussi \long , elle
laisserait si peu de fèces ; et dès lors, malgré ce rudiment
de la fonction, on peut continuer de dire avec beaucoup
26.
4o4 VIE INTRA-UTÉRINE.
d'auteurs, que la digestion est une fonction qui ne doit
commencer qu'après la naissance.
Il en est de même de la respiration, si on considère cette
fonction telle qu'elle s'accomplit dans l'adulte, ayant pour
agent le poumon, et opérant sur l'air lui-même : il est sûr
que rien de cela n'a lieu chez le fœtus. Nous avons, à la
vérité, parlé d'opinions dans lesquelles on a voulu faire
respirer à cet être l'eau de l'amnios, soit à la surface de sa
peau, soit dans l'intérieur du poumon. Mais probablement
le lecteur a jugé inadmissible cette hypothèse qui faisait du
fœtus un animal aquatique ; s'il est plongé dans un liquide,
e'est plus probablement dans des vues relatives à l'entretien
de sa température. Cependant, ilest un autre rapport d'après
lequel on peut dire que le fœtus respire, ou du moins a l'analo-
gue d'une respiration. Presque tous les physiologistes croient
que le sang du fœtus va , à chaque cercle circulatoire , se
revivifier dans le placenta , comme va le faire dans le pou-
mon celui de l'adulte; et qu'ainsi le placenta est, pour le
fœtus, «n organe de respiration. Ils se fondent : 1° sur l'in-
dispensable nécessité d'une respiration, ou d'une préhen-
sion d'air, dans tous les êtres vivants; 2° sur la nécessité
non moins prochaine dont est, pour la vie du fœtus, la
libre circulation du sang de cet être avec le placenta par
le cordon; 3° sur l'analogie des oiseaux, chez lesquels les
vaisseaux ombilicaux servent à la respiration; l'allantoïde,
à laquelle .se rendent ces vaisseaux, aspirant l'air extérieur
à travers les pores de la coquille ; 4° enfin , sur l'analogie
qui existe entre la circulation pulmonaire de l'adulte , et la
circulation placentale du fœtus. On verra , en effet , que si ,
dans l'adulte, c'est le sang qui a servi aux nutritions qui
estenvoyé au poumon , c'est aussi ce même sang qui , dans
le fœtus, estenvoyé au placenta ; la seule différence est que ,
dans l'adulte, c'est tout le sang qui a servi qui va au pou-
mon, tandis que, dans le fœtus, ce n'est qu'une partie de
ce sang qui va au placenta. Pour ne conserver aucun doute
sur cette assertion des auteurs, il faudrait qu'il existât une
différence sensible entre le sang qui revient du placenta par
la veine ombilicale , et celui qui est porté à cet organe par
PHYSIOEQ&ÎË DÛ FOETUS. 4 0-5
les artères du même nom ; comme dans l'adulte,- il J a une
différence tranchée entre le sang artériel et le sang veineux.
Malheureusement cette différence n'est pas apparente; les
deux sangs ont une couleur semblable, également foncée
dans ces deux ordres de vaisseaux, et aussi foncée que le sang
veineux de la mère» Cependant , tout ce point de doctrine a
pour lui de grandes probabilités \ d'autant plus que , dans
les oiseaux, le sang de la veine ombilicale se distingue évi-
demment par sa couleur vermeille ,- de celui de la veme-
porte. Dès lors , on doit croire que la revivifîcation du sang
du fœtus dans le placenta se fait, comme celle du sang de
l'adulte dans le poumon , par l'absorption de quelques élé-
ments seulement, ou de plus par la perspiration de quel-
ques autres. Mais, il est impossible de pénétrer le phéno-
mène, et chacun a fait diverses conjectures. Nous avons
déjà dit que M. Meckel n'attribuait d'autre officeau placenta-
que de servir à une respiration;, le sang du foetus vient s'y
oxygéner, à l'aide du sang de la mère, qui tient lieu ici div^
milieu environnant. Selon M. Lobstein , le placenta n'a-
aussi, dans le dernier temps de la grossesse, que cet office 'r
mais dans le commencement , il est en outre chargé de
puiser directement dans l'utérus, une matière nutritive.
Selon Bédard, cet organe est, pendant toute la vie intra-
utérine , chargé de puiser dans la mère des matériaux nu-
tritifs; mais de plus , à la fin de la grossesse il accomplit
l'action de respiration dont il s'agit ici. Selon d'autres7
enfin , non-seulement le placenta revivifie le sang du fœtus ,
à l'instar du poumon de l'adulte; mais encore il exerce une
action d'hématose primitive sur la matière nutritive, quelle
qu'elle soit, qu'il puise directement dans l'utérus. Ainsi,
autant de doctrines sur le phénomène, que l'esprit a en-
trevu de modes d'exécution possibles. Schreger dit que,
dans cette espèce de respiration par le placenta , le sang des
artères ombilicales se dépouille de quelques parties hétéro-
gènes , par une perspiration qui est l'analogue de la perspi-
ration pulmonaire^ et que celui de la veine ombilicale, au
contraire , s'est enrichi d'un principe quelconque , par une
absorption qui est l'analogue de celle de l'oxygène dans lâ>
4o6 VIE lJNTilA-UTÉRILYE.
respiration de l'adulte. Entre toutes ces conjectures nous
ferons remarquer, comme la moins admissible, celle de
Schweighaeuser, qui veut que le placenta ne serve qu'à con-
vertir en sang veineux le sang apporté par les artères ombi-
licales, pour rendre ce sang propre à la formation de la bile, et
à celle des parties solides du fœtus et notamment du système
nerveux. D'abord , il est douteux que la bile provienne d'un
sang veineux; et, en supposant que cela soit, n'y a-t-il pas
le sang de la veine-porte , pour alimenter cette sécrétion ?
Quant au système nerveux et aux parties solides du corps,
toutes réclament, pour leur nutrition , un sang artériel.
Il reste à parler de la circulation du sang dans le fœtus.
Elle varie aux diverses époques de la vie intra-utérine. On
l'a d'abord étudiée dans le poulet. Nous avons vu, en par-
lant du développement du poulet dans l'œuf, que le sang
apparaît d'abord dans les veines de la membrane vitellaire ;
que ces veines sont la première origine de la veine-porte ;
que successivement celle-ci offre un triple renflement qui
est le rudiment du cœur , et le commencement de l'aorte ;
et qu'enfin l'aorte se prolonge pour former l'artère de la
membrane vitellaire. Dans les premiers temps, la circula-
tion est très simple, et forme un cercle unique; le sang est
apporté de la membrane vitellaire par des veines au cœur
du fœtus, et renvoyé du cœur, par des artères, aux parties
de cet être et à la membrane vitellaire. Plus lard, vers le
quatrième jour, se développent d'un côté, la veine allan-
toïdienne ou ombilicale, qui se joint à la veine-porte; et de
l'autre, les artères allantoïdiennes ou ombilicales, qui sont
des continuations de l'aorte. Alors la circulation est déjà
plus compliquée; elle présente deux cercles en debors, le
vitellaire et l'allantoïdien ; mais ces deux cercles sont encore
dans le fœtus confondus en un seul, car les deux veines
aboutissent à un seul tronc , la veine-porte ; les deux artères
proviennent d'une seule artère , l'aorte ; et il n'y a qu'un
seul cœur, une seule oreillette , un seul ventricule. Enfin,
la circulation devient double comme dans l'adulte , lorsque
l'aorte pousse ses branches ascendantes, que l'oreillette se
divise, que le ventricule se double, et que se développent
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. £07
les branches de l'artère pulmonaire. Jl est probable que la
même gradation a lieu dans ■ l'embryon, humain; mais le
premier degré, la circulation isolée des vaisseaux de la vési-
cule ombilicale , n'a jamais été vu; et on ne commence à voir
la circulation qu'à partir du second, quand les vaisseaux
ombilicaux se sont développés. Il y a deux opinions sur ce
qu'elle est alors, celle de TVolf el Sabatier, et celle de Bi-
chat et M. Magendie. On se rappelle ce que nous avons dit
de la disposition des parties de l'appareil circulatoire; l'o-
reillette , d'abord unique , s'est partagée en deux par une
cloison percée d'un trou , dit de Botal ; une valvule diminue
graduellement la communication que ce trou laisse entre les
deux oreillettes, et la fait cesser tout-à-fait à la naissance;
près l'orifice de la veine-cave inférieure, dans l'oreillette
droite, est une valvule dite à'Eustachi , qui est disposée de
manière à diriger le sang apporté par cette veine dans le
trou de Botal; l'artère pulmonaire, dont les divisions au
poumon augmentent graduellement, se rejoint à l'aorte par
un canal dit artériel; les deux artères ombilicales, prove-
nant des iliaques primitives , vont au placenta ; et enfin r la
veine ombilicale aboutit, en partie dans la veine-porte, en
partie, par une anastomose dite canal veineux , dans la
veine-cave inférieure. Voici maintenant quel est, selon TVolf
et Sabatier y le cours du sang. i°Le sang absorbé dans le
placenta par les radicules de la veine ombilicale est porté
par cette veine , en partie par la veine-porte dans le foie , en
partie par le canal veineux dans la veine-cave inférieure et
mêlé, en ce dernier lieu, au sang que les veines rapportent
des parties inférieures du fœtus, il va, par ces deux voies,
aboutir à l'oreillette droite du cœur. 20 En raison de la val-
vule d'Eustachi , le sang versé par cette veine-cave infé-
rieure dans l'oreillette droite passe aussitôt par le trou de
Botal dans l'oreillette gauche, sans se mêler au sang qu'ap-
porte, des parties supérieures du fœtus dans cette même
oreillette droite, la veine-cave supérieure : par cet artifice,
l'oreillette gauche est aussi développée que la droite , ce qui
ne devrait pas être, si elle ne recevait de sang que du pou-
mon. 3° De l'oreillette gauche , le sang passe dans le ventri-
4oê VIE INTRA-UTÉRINE.
cule gauche, et du ventricule gauche, dans l'aorte ascen-
dante, et les parties supérieures du corps du fœtus, 4° Il en
est rapporté* par la veine-cave supérieure, dans l'oreillette
droite. 5° De cette oreillette, il passe dans le ventricule
droit et dans l'artère pulmonaire. 6° L'artère pulmonaire
le dirige en petite partie au poumon , et en partie bien plus
grande , par le canal artériel , dans l'aorte descendante.
7° Enfin, l'aorte descendante le pousse en partie à la moitié
inférieure du fœtus, d'où il est rapporté à la veine-cave in-
férieure, et en partie par les artères ombilicales au pla-
centa , où nous avions fait commencer la circulation. Ainsi,
il résulte de ce mode de circulation : i<> que tout le sang
n'est pas revivifié en entier dans le placenta, comme l'est
tout le sang veineux dans le poumon chez l'adulte, mais
qu'il n'y en a qu'une partie , comme chez les reptiles; 2° qu'à
cause de cela, les deux systèmes circulatoires ne sont pas
isolés, comme ils le sont cliez l'adulte, puisqu'il y a com-
munication entre les deux oreillettes, entre les artères pul-
monaire et aorte; 3° que le lieu d'abouchement des deux
sangs n'est pas l'oreillette , comme chez les reptiles , mais la
veine -cave inférieure; 4° que cependant les parties ne re-r
çoivent pas un sang également bon , puisque les supérieures
reçoivent celui qui vient immédiatement du placenta, et
qu'on peut supposer le meilleur, tandis que les inférieures
ne reçoivent ce sang qu'après qui! a parcouru la moitié sut
périeure du fœtus; 5° qu'enfin il y a, en quelque sorte, oppo-
sition entre les systèmes circulatoires supérieur et inférieur,
ces systèmes se croisant en 8 de chiffre au cœur, la veine-^cave
inférieure alimentant, par le trou de Botal , l'oreillette
gauche et l'aorte ascendante, et la veine-cave supérieure
alimentant l'oreillette droite, et, par le canal artériel,
l'aorte descendante.
Au contraire, Biçkai et M. Magendie nient cet isolement
du sans: des deux veines-caves dans l'oreillette droite. Pour
qu'il fût possible, disent-ils, il faudrait que les deux oreil-
lettes et les deux ventricules du cœur se contractassent sé-
parément, ce qui n'est pas. Selon eux, les sangs des deux
Veines-caves se mêlent dans l'oreillette droite; mais à raison.
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4og
du trou de Botal et de Ja valvule d'Eustachi, l'oreillette
gauche en est remplie en même temps que la droite. Dès
lors, si les deux sangs se mêlent à ce lieu, c'est un même
sang qui est projeté dans les aortes ascendante et descen-
dante, et l'on ne peut, par la différence de ce sang, expli-
quer la différence de développement des moitiés supérieure
et inférieure du fœtus, et admettre que, si les parties su-
périeures ont un développement plus hâtif que les inférieu-
res, c'est qu'elles reçoivent un sang meilleur. Ils expliquent
l'existence du trou de Botal par la nécessité de faire parve-
nir du sang à l'oreiilette gauche; celle du canal artériel , par
le hesoin de dériver vers l'aorte un sang qui ne peut alors
aller au poumon ; et si enfin les deux ventricules reunissent
alors leur action pour projeter tout le sang dans l'aorte ,
c'est, disent-ils, qu'il n'y a pas trop de leur puissance réu-
nie pour faire parvenir ce fluide jusqu'au placenta. Les
différences d'avec l'adulte sont toujours : qu'il n'y a qu'une
partie du sang, et non sa totalité , qui va se revivifier dans
le placenta; que c'est au système veineux inférieur, et non
au supérieur, qu'arrivent les substances réparatrices; que
c'est à l'oreillette droite, et non à la gauche, qu'arrive le
sang nouveau ; et qu'enfin c'est au placenta , et non au pou-
mon, qu'est opposé le système capillaire géuéral.
Outre la controverse relative au mélange ou à l'iso-
lement des sangs des deux veines -caves dans l'oreillette
droite , controverse dans laquelle nous penchons pour l'avis
de Bichal et de M. Magendie, il en en est une autre bien plus
difficile à résoudre. Le sang versé par les artères ombili-
cales dans le placenta revient-il en entier, ou en partie seu-
lement, par la veine ombilicale ? ou est-il reporté en totalité
ou en partie dans la mère par les veines utérines ? La réponse
à cette question dépend de l'opinion qu'on se fait des fbnc^
tions du placenta. Ceux des physiologistes qui font de cet
organe un agent de respiration, admettent que le sang des ai>
tères ombilicales est presque en entier rapporté par la veine,
après avoir été revivifié, soit par quelques nouveaux prin*
cipes qu'il a aequis, soit par quelques éléments dont il a,
été dépouillé. Mais il est quelques auteurs qui font aussi du
4»0 VIE INTRA-UTÉRINE,
placenta un organe d'excrétion , analogue au rein , comme
nous le dirons ci-après; et, dans cette hypothèse, le sang
des artères ombilicales se perdrait tout-à-fait dans le pla-
centa, et par conséquent dans la mère, sans plus retourner
au fœtus.
Toutefois , à mesure qu'on approche de la naissance , la
circulation se rapproche du mode qu'elle présente dans l'a-
dulte. Une valvule rétrécit graduellement le troudeBotal,
et finit par l'oblitérer; la valvule d'Eustachi diminue; les
Vaisseaux artériels du poumon augmentent, et plus le sang
arrive à cet organe, plus le canal artériel se rétrécit. La quan-
tité de sang de la veine-cave inférieure qui se mêle à celui
de la veine-cave supérieure pour aller au ventricule droit et
non à l'oreillette gauche par le trou de Botal , va en aug-
mentant sans cesse jusqu'à la naissance. Enfin, il en est de
même et coïncidemment , de la quantité de sang qui, du
ventricule droit, va au poumon et revient à l'oreillette
gauche; et de celle qui, du ventricule gauche, va à l'aorte
descendante.
§ III. appropriation du sang du Fœtus aux parties de cet être pour la
nutrition proprement dite.
Nous venons de chercher successivement quels maté-
riaux nutritifs servent à la formation du sang du fœtus,
comment se fait ce fluide, et comment il est conduit dans
les organes. Il faut voir maintenant ce qu'est ce sang, et
comment il nourrit les parties et leur est approprié. Sous
le premier rapport, le sang du fœtus ressemble beaucoup
à celui de l'adulte; il est rouge; par le repos il se coagule
et se partage en sérum et en caillot; seulement il est plus
riche en sérum, plus pauvre en globules, et sans aucune
trace d'acide ni de sels phosphoriques. Sous le second rap-
port , il doit servir à alimenter les nutritions, les calorifi-
calionsetîes sécrétions du fœtus.
io Les nutritions proprement dites du fœtus se font sans
doute par le même mécanisme que celles de l'adulte; elles
consistent aussi dans la conversion de son sang dans la sub-
stance de ses organes. En effet , il est certain que les diverses
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4 » ï
parties du corps ne se montrent que postérieurement à leurs
artères , qu'elles apparaissent dans le même ordre que sont
créés leurs vaisseaux sanguins , que leur développement se
fait dans la direction que suivent leurs vaisseaux , et qu'en-
fin leur volume et les divers degrés d'activité de leur ac-
croissement sont en raison du nombre et du calibre de leurs
artères. Nous avons déjà reconnu la vérité de ces assertions
à l'égard du système nerveux, et elles ne sont pas moins
vraies en ce qui concerne tous les autres systèmes du corps.
Il est sûr que les diverses parties du corps ne se succèdent
les unes aux autres dans leur développement qu'à mesure
que leurs artères se succèdent elles-mêmes et acquièrent
tour-à-tour un plus grand volume. Si l'artère d'une
partie diminue de calibre ou s'oblitère tout-à-fait , cette
partie ne se développe pas, reste rudimentaire , ou même
manque en entier ; et c'est ainsi , pour le dire en passant ,
que la plupart des monstruosités reconnaissent pour causes
des vices dans le système vascuiaire artériel. Or, pourquoi
tous ces rapports entre les artères et la nutrition des par-
ties, si ce n'est que celles-ci sont formées aux dépens du
sang qu'apportent celles-là? Quelles plus fortes preuves
peut-on donner que les divers organes sont comme sécrétés
par le travail des artères sur le trajet de ces vaisseaux; et
par conséquent que les nutritions du fœtus consistent,
comme celles de l'adulte, dans la solidification du sang?
Mais ici se présente un phénomène que nous verrons se
prolonger pendant une bonne partie de la vie extra-utérine,
et dont nous n'avons pas parlé en traitant de la nutrition
dans l'âge adulte, c'est celui de V accroissement. Non-seule-
ment chaque partie se nourrit, mais encore elle croît. En
quoi consiste ce phénomène d'accroissement ? D'abord, dans
l'origine de la vie , l'accroissement ne consiste pas simple-
ment dans une augmentation du volume et des dimensions
des organes ; mais il entraine des changements entiers de
texture, de véritables métamorphoses, et par conséquent
une véritable formation de parties nouvelles aux dépens du
sang. En effet, dans les premiers temps, le fœtus n'est
qu'une masse homogène, dans laquelle on ne peut distin-
4i2 VIE INTRA-UTÉRINE,
guer aucuns des systèmes et appareils qu'il offrira par la
suite : il n'est guère possible de croire que , dès cette épo-
que, il contient déjà en lui, mais en miniature et roulés
sur eux-mêmes, tous ses organes, comme l'ont dit ceux qui
ont pris le mot d'évolution dans toute sa rigueur. Il est bien
plus probable d'admettre , comme on le fait aujourd'hui,
que son organisation, très simple d'abord, s'est métamor-
phosée successivement, mais sans qu'on sache comment, en
d'autres organisations plus compliquées; et Ton peut en
donner comme preuve la remarquable particularité que
nous a offert le fœtus humain , de présenter successivement,
dans ses systèmes nerveux , osseux, vasculaire, digestif, etc.,
les formes qui appartiennent à chacune des quatre classes
d'animaux vertébrés. En second lieu, lorsque plus tard , le
fœtus a acquis toutes les parties que nous avons vu consti-
tuer l'homme adulte , l'accroissement ne consiste plus que
dans une augmentation du volume et des dimensions de
ces parties; mais il est probable que cette augmentation
n'est due encore, comme dans le cas précédent, qu'à la
formation de molécules nouvelles qui sont comme sécrétées
des artères, et surajoutées aux anciennes. C'est ce qu'on voit,
en effet avec évidence , dans les os par exemple ; l'accrois-
sement, des os longs tient à la formation et à l'ossification
successive d'une couche mince de cartilage qui apparaît entre
leur corps.et leurs épiphyses ; celui des os plats, et l'accrois-
sement en épaisseur de tout os quelconque résultent aussi de
la formation et ossification d'une semblable couche créée par
les vaisseaux sanguins entre l'os et le périoste. Biekat , em-
brassant le phénomène de l'accroissement dans les deux de-
grés, supposait un parenchyme dénutrition, partout le même
dans l'origine, mais dans lequel ensuite s'isolaient tous
Jes organes, à mesure que chacune des régions de ce paren-
chyme s'incrustait d'une substance nutritive diverse. Mais
peut-on se contenter aujourd'hui d'une notion aussi vague,
et qui d'ailleurs laisse la difficulté tout entière? Comment
a été fait dans son origine ce prétendu parenchyme de nu-
trition ? Pourquoi chacune de ses régions s'incruste-t-elle
d'une substance nutritive diverse , et devient-elle ainsi un
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4 l"$
système, un tissu distinct? Comment les dimensions de ce
parenchyme augmentent-elles ? Dira-t-on qu'en vertu d'une
force d'expansion, il s'est alongé en tout sens, de manière
à pouvoir admettre entre ses interstices pins écartées un
plus grand nombre de molécules constituantes ? Mais c'est
là une supposition gratuite que même les faits récusent;
car dans leur accroissement, les organes, non-seulement
s'alongent, mais acquièrent plus d'épaisseur. Tout annonce
que si, dans l'origine, les organes ont été formés par le
dépôt de molécules provenant du sang des artères ; de même
leur accroissement en tontes dimensions, résulte du dépôt
de semblables molécules apportées parle sang et placées à la
suite des premières. C'est ce que démontrent Tostéogénie, et
le mode de foi*mation des parties nerveuses, et surtout celui
de la moelle spinale et de l'encéphale, qui sont évidemment,
sécrétés par la pie-mère. C'est ce que prouve l'examen des
parties qui se reproduisent ; soit que ces parties doivent
tomber et se renouveler chaque année, comme les bois des
eerfs; soit que la chute de ces parties, et par conséquent
leur renouvellement, aient été accidentelles, comme cela
est des pattes, de la queue des crustacés, etc. Le seul fait à
faire valoir en faveur de l'idée d'un canevas primitif, est
la limite dans laquelle est, dans toute espèce animale, ren-
fermé l'accroissement, non-seulement du corps entier, mais
de tout organe en particulier; et encore ce fait peut-il s'ex-
pliquer par les rapports établis entre les organes qui font le
sang, la quantité de sang que ces organes peuvent faire, le
volume que peuvent acquérir les artères, et le balancement
qui s'établit entre ces vaisseaux. Mais ce n'est pas ici le lieu
de rechercher ce qui limite l'accroissement; etbornântl'étude
de ce phénomèneàce qu'il est dans le fœtus, nous renvoyons
à ce que nous avons dit du développement de chacun des sys-
tèmes et appareils de cet être. Nous ferons remarquer seule-
ment que l'accroissement estdans le fœtus très actif, et d'au-
tant plus que cet être est plus jeune. Sœmmering a même
prétendu que l'activité de cet accroissement était alternative-
mentpius grandeetplus petite; par exemple, qu'extrême dans
le premier mois, elle diminuait dans le second, redoublait
4 1 4 VIE INTRA-UTÉRINE,
dans le troisième, diminuait encore dans le quatrième, s'accé-
lérait de nouveau jusqu'au sixième, et enfin allait alors en di-
minuant jusqu'à la naissance. Mais ces derniers faits sont diffi-
ciles à constater^ cause des nombreuses variétés individuelles,
et de l'impossibilité de connaître l'âge précis des fœtus
abortifs. Cependant M. Meckela. cru qu'il était possible d'en
donner l'explication , en ayant égard aux changements qui
se font dans la vésicule ombilicale et Je placenta, le pre-
mier de ces organes se détruisant dans le deuxième mois , et
le second voyant ses vaisseaux s'oblitérer en nombre d'au-
tant plus grand qu'on approche plus de l'instant de l'accou-
chement.
2° Il est difficile d'avoir des notions un peu précises sur
la température du fœtus : on ne sait pas si elle varie dans les
diverses parties de son corps ; il paraît seulement que dans
sa totalité, elle est inférieure de trois à quatre degrés à
celle de la mère. Cela est en rapport avec les expériences de
M. Edwards, qui ont montré que beaucoup de mammifères
naissent animaux à sang-froid , et que, même chez ceux qui
naissent à sang chaud , la faculté de produire de la chaleur
est toujours à la naissance à son minimum. Or, si à cette
époque de la vie , bien que la respiration pulmonaire ait
commencé , la calorification est peu puissante , elle doit
l'être moins encore pendant la vie fœtale , dans laquelle la
respiration aérienne ne se fait pas. Nous avons dit que la
respiration paraissait avoir pour but de rendre au sang ce
que les calorifications avaient fait dépenser à ce fluide : or,
cette respiration chez le fœtus, si elle se fait, a lieu dans
le placenta ; elle est peu de chose ; et par conséquent, on
peut croire que la faculté de produire de la chaleur est ,
chez cet être , assez faible. Sa situation dans le sein de sa mère
rendait cette faculté peu nécessaire; il avait plutôt besoin
de se défendre du calorique surabondant que dégage celle-ci,
et qui doit tendre à le pénétrer; et c'est, dit-on, un des
offices de l'eau de l'amnios. On assure au moins que le fœtus
mort a une température plus élevée que le fœtus vivant ;
ce qui prouve que cet être a en lui un moyen quelconque
de refroidissement. Toutefois, comme tout être vivant, le
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4l5
fœtus doi t produire le calorique duquel dépend sachaleur; si
sa chaleur lui venait de sa mère par communication, il devrait
avoir la température de celle-ci; et, admettant en lui des ac-
tions de calorifieation, ces actions doivent se faire aux dépens
du sang et d'après le même mécanisme que dans l'adulte.
3° Il en est de même enfin des sécrétions : si le fœtus a
déjà quelques sécrétions en activité, c'est son sang qui sans
aucun doute les alimente, et qui, par l'action des organes
sécréteurs , est transformé dans l'humeur sécrétée. La ques-
tion se réduit donc à indiquer les sécrétions qui se font
chez le fœtus. Dans un article à part, nous allons parler
des excrémentitielles. Quant aux récrémentitielles , la des-
cription anatomique que nous avons donnée des parties r
indique celles qui existent; à mesure que sont formées les
membranes séreuses , synoviales , médullaires , apparaissent
les humeurs dont ces membranes sont les organes sécré-
teurs, mais avec un caractère mucilagineux plus marqué que
dans les âges suivants : les humeurs de Fœil , de l'oreille
se montrent avec les organes dont elles font partie consti-
tuante ; la graisse a paru dès le cinquième mois sous là
peau, etc.
§ IV. Des excrétions du Fœtus.
Toute nutrition suppose décomposition, en même temps
que composition; le fœtus, par conséquent , doit , non-seu-
lement s'approprier sans cesse de nouveaux matériaux , mais
encore rejeter quelques-uns de ceux qui le formaient , et
avoir des excrétions. Il est possible cependant que cela n'ait
pas lieu dans les premiers temps de la grossesse, et qu'il
n'y ait alors dans le fœtus que composition. On conçoit, en
effet, que les éléments ont besoin de faire quelque temps
partie des organes, et de se livrer quelque temps à l'exercice
de la vie, pour être altérés et demander à être remplacés.
Mais cela doit bientôt arriver, ces éléments étant très géla-
tineux, et ayant reçu une nature bien plus délicate , bien
moins résistante que par la suite ; et il est sûr qu'à la fin
de la grossesse au moins, le fœtus a des excrétions. Quelles
ont-elles? On en a admis quatre principales. t« La sécrétion
4 i 6 VIE INTRA-UTÉRINE.
urinaire. Les uns ont dit que cette sécrétion dépuratrice,
en activité dès les premiers temps de la vie utérine , don-
nait naissance à l'humeur de l'allantoïde. Les autres en ont
fait couler le produit par l'urètre dans la cavité de l'amnios.
Nous avons déjà discuté la première de ces opinions, et
nous devons avouer que la seconde n'est qu'une conjecture
de Meckel. Ce qu'il y a de sûr , c'est que les reins sont
formés de bonne heure , que la vessie existe dès la quatrième
semaine, et qu'à terme ce réservoir contient de l'urine, qui
est évacuée dans les premières heures après la naissance.
Cette urine est moins chargée d'urée et de sels phosphori-
ques que dans les âges suivants. 20 Le méconium. Nous
avons déjà parlé de cette matière visqueuse, poisseuse, qui
arrive graduellement à remplir le petit et le gros intestin ,
et qui est évacuée dans les premières heures qui suivent la
naissance. S'il est possible de considérer , avec M. Geoffroy
Saint-Hiîaire , cette matière comme une substance nutritive
préparée pour le fœtus, ce ne peut être que dans l'origine;
à la fin, il n'est plus permis de douter de sa nature excré-
mentitielle. Il reste seulement à savoir si elle n'est qu'une
excrétion digestive. M. Vauquelin ayant analysé du méco-
nium évacué après la naissance , la trouvé composé de deux
tiers d'eau , d'un tiers d'une substance sui generis de
nature végétale , de quelques centièmes de mucus, et d'un
peu de bile. C'est donc une excrétion qui diffère de celle
de l'adulte par sa nature peu azotée. 3° Les excrétions cuta-
nées. Probablement qu'à la fin de la grossesse, et lorsque la
peau est développée , la transpiration dite insensible a lieu ,
et qu£ son produit se mêle à l'eau de l'amnios : mais il est
sûr au moins qu'à cette époque, le fœtus a une excrétion nou-
velle , celle de cet enduit gras, caséeux, gluant, qui alors
recouvre sa peau. En vain, M. Vauqueliii, Buniva, ont dit
cette matière un dépôt de l'albumen des eaux de l'amnios;
elle est l'humeur sébacée du fœtus, car elle ne se montre
que sur les parties de cet être, manque au placenta , au
cordon , et abonde aux régions de la peau où les follicules
sont plus abondants. 4° Enfin, quelques physiologistes ont
conjecturé que le placenta était un organe, non-seulement
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. /\ 1 7
de préhension de matière nutritive, d'hématose, de respi-
ration , mais encore de dépuration excrémentitielle ; les
artères ombilicales étaient dîtes lui apporter une quantité
considérable de sang pour qu'il en effectuât la dépuration,
absolument comme le font les artères rénales dans l'adulte.
N'est-ce pas un sang artériel, ont-ils dit, qui, dans l'adulte,
alimente la sécrétion urinaire ? et les artères ombilicales
ne proviennent-elles pas de l'aorte abdominale comme les
rénales? Mais ces dernières considérations ne sont certaine-
ment pas de nature à constituer une démonstration; et nous
ne rapportons cette idée que comme une hypothèse de quel-
ques auteurs.
Tel est l'état, peu satisfaisant encore, de nos connais-
sances sur la nutrition du fœtus. Ce que nous venons d'en
dire su|fit néanmoins pour faire concevoir pourquoi cet être
peut hériter des maladies de sa mère. Sans parler de l'in-
fluence que peuvent exercer sur lui ses parents sous le rap-
port de la génération , c'est dans le sang de sa mère qu'il
puise ses matériaux nutritifs; et il peut, par conséquent,
se ressentir des vices de ce sang, de l'état plus ou moins bon
de ce fluide. Que d'enfants, par exemple, qui naissent avec la
syphilis. D'ailleurs, la connexion du fœtus avec sa mère est
telle, qu'il est exposéà souffrir de toutes les perturbations que
celle-ci éprouve pendant sa grossesse. Cependant cela n'est
pas absolu ; comme il a son organisme séparé, il peut triom-
pher des influences mauvaises qu'il reçoit de sa mère , et
ne pas partager son état de santé. Que de femmes qui , fort
souffrantes pendant leur grosssesse , mettent au jour des
enfants bien portants! De son côté, le fœtus peut avoir ses
maladies propres. Les monstruosités qu'il est susceptible
de présenter proviennent, ou de ce que deux germes, deux
œufs se sont accollés, fondus l'un dans l'autre; ou de ce
que des maladies ont altéré ses organes, amené la destruc-
tion , la perversion de quelques-unes de ses parties; ou enfin
de ce qu'il a été arrêté à quelques-uns de ses premiers déve-
loppements. Tl est certain que le plus grand nombre des
Tome IV. 27
4 18 VIE INTRA-UTÉRINE,
monstruosités représente quelques-unes des formes pre-
mières qu'a eues le fœtus ; et que l'étude de ces monstruo-
sités est utile sous ce rapport , comme éclairant la série des
métamorphoses que doit éprouver cet être. Nous avons parlé
de l'influence qu'a sur leur production l'état du système
vasculaire sanguin, les monstruosités étant par défaut ou
par excès, selon que les artères manquent ou sont dou-
bles, etc.
ARTICLE II.
Des fonctions de relation et de reproduction du Fœtus.
Nous réunissons dans un même article ces deux ordres
de fonctions, parce que nous avons peu de choses à en dire.
D'abord les fonctions de reproduction sont nulles, et n'en-
treront en exercice que plusieurs années après la naissance.
Il en est de même des fonctions de relation ; ou , s'il y a du
doute, ce n'est que pour quelques-unes d'entre elles seule*
ment, et à la fin de la grossesse, cardans les premiers mois,
il est sûr que le foetus n'en manifeste aucune. Nous avons
dit qu'il n'avait aucune conscience des actes qui accom-
plissent sa nutrition , et que ces actes n'étaient nullement
dépendants de sa volonté. Du reste, interrogeons chacune
des fonctions de relation dans cet être, d'après l'ordre selon
lequel nous les avons disposées dans l'adulte.
Parmi les sens externes, évidemment celui de la vue ne
peut être en exercice , quelque précoce que soit le dévelop-
pement de son organe; car son excitant obligé , la lumière,
ne peut pénétrer la poche close dans laquelle est renfermé
le fœtus. Il est probable qu'il en est de même du sens de
Y ouïe; cependant on peut moins l'assurer, car les corps
solides sont conducteurs du son comme les gaz, et par con-
séquent quelques sons pourraient parvenir aux oreilles du
fœtus. Si les eaux de l'amnios sont avalées ou respirées ,
comme quelques physiologistes l'ont pensé , ces eaux pour-
raient, en passant, impressionner les sens àugoiît et delWo
rat; niais nous avons dit que la digestion et la respiration
de ces eaux étaient des points douteux, et par conséquent ii
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. ^9
doit en être de même des services des sens du goût et de
l'odorat. Quant au tact, il n'est guère possible de douter
qu'il n'agisse déjà dès la fin de la grossesse. Peut-il être indif-
férent pour le fœtus que ses parties soient eu contact, ou
avec les eaux de l'amnios seules, ou avec les membranes de
l'œuf et l'utérus , ou avec ses propres parties? et cet être ne
doit-il pas recevoir, en ces divers cas, des impressions tactiles
différentes ? Les mouvements qu'il exécute si vivement à la
fin de la grossesse , ne doîvent-iîs pas en partie être attribués
au besoin qu'il a de faire cesser quelques pressions, quel-
ques attitudes gênantes? Ne doit-il pas au moins avoir la
sensation de ses propres mouvements? Peut-être aussi reçoit-
il quelques sensations de température, par suite de ses rap-
ports avec sa mère. D'après ces considérations , tous les
auteurs croient que le sens du tact est en exercice à la fin de
la vie fœtale ; et , en effet, la peau d'une part , et le centre
de perception de l'autre, ont alors tout je développement
nécessaire.
Si des sens externes nous passons aux sensations internes
ou besoins, elles nous paraîtront encore plus devoir man-
quer dans le fœtus. Et, en effet, lorsque les fonctions de
respiration, de digestion ne sont pas en activité, de quelle
nécessité seraient les besoins d'inspirer et dexpirer, ceux
de la faim , de la soif? Lorsqu'il n'y a pas possibilité d'éva-
cuer aucunes matières excrémentitielles, et que ces matières
s'accumulent seulement dans leurs réservoirs qui suffisent
à les contenir, est-il besoin de ressentir les sensations qui
invitent à les expulser, les besoins de la défécation, de
V excrétion de V urine? Chez l'adulte, ces diverses sensations
existent, parce qu'elles guident dans l'accomplissement des
ingestions et des excrétions, qui sont plus ou moins dépen-
dantes de sa volonté ; mais dans le fœtus, tous ces actes sont
aussi irrésistibles que dans un végétal, et par conséquent
cet être n'avait pas besoin d'y être provoqué par aucune
sensation intérieure. Peut-être cependant se inanifeste-t-il
en lui, à la fin de la grossesse, celles de ces sensations qui
excitent à mettre en jeu ceux des organes qui sont assez
développés pour entrer eu exercice; et peut-être est-ce à
27.
420 VIE INTRA-UTÉRINE.
cette cause qu'il faut attribuer quelques-uns des mouve-
ments qu'il exécute alors.
Il est possible aussi , mais à la fin de la grossesse , qu'à
l'occasion de quelques maladies , le fœtus éprouve quelques
douleurs. Cet être, en effet , sera apte à en éprouver dès les
premiers instants de sa naissance ; et certainement dans les
derniers temps de la vie utérine , ie centre de perception
est assez développé pour percevoir une impression dolori-
fique , si d'autre part la cause de celle-ci se rencontre en
quelque organe.
Quant aux facultés intellectuelles et affectives , destinées
à nous guider dans nos relations avec le monde extérieur et
nos semblables, elles semblent devoir être inutiles au fœtus,
dont la vie est purement végétative : aussi sommes-nous
disposés à dire, avec Bicliat , qu'elles ne sont pas encore en
exercice. Cependant Cabanis se demande si déjà ces pré-
cieuses facultés ne s'annoncent pas par quelques essais im-
puissants, par suite de ce même instinct qui pousse tous les
animaux à exercer leurs organes, bien avant le temps où ils
peuvent réellement en obtenir du service. Si l'on voit l'oi-
seau agiter ses ailes avant que les plumes les recouvrent, et
lorsqu'évidemment ces organes ne peuvent le porter ', pour-
quoi le cerveau ne s'essaierait-il pas de même à la production
des actes sublimes qui lui sont départis ? M. Gall émet le
même doute que Cabanis.
Voilà pour la fonction de la sensibilité. Celle de la loco-
motilité est aussi restreinte ; ce n'est que vers le milieu de
la grossesse que le fœtus exécute des mouvements percepti-
bles pour la mère,, et encore ces mouvements sont-ils d'abord
assez faibles. Il est possible cependant qu'il en ait produit
beaucoup plus tôt, et que la faiblesse de ces mouvements,
la petitesse du fœtus , et la grande quantité de l'eau de
l'amnios , aient empêché de les sentir. A partir du cin-
quième mois jusqu'à terme , ces mouvements deviennent de
plus en plus fréquents et forts, et ils sont appréciables au
tact et à la vue à travers les parois de l'abdomen. La ques-
tion importante est de savoir quelle cause les provoque, et
s'ils sont volontaires ou involontaires. Bichat les dit invo-
PHYSIOLOGIE DU FOETUS. 4a r
iontaires, quoique ordonnés par le cerveau ; selon lui , ce
viscère les détermine , consécutivement aux irritations qu'il
reçoit des différents viscères intérieurs qui sont alors en
grande activité. Cabanis veut qu'ils soient les premiers essais
d'un système qui manifeste déjà le besoin d'agir, et qui se
prépare ainsi à Faccomplissement de son service ultérieur.
D'autres disent qu'en certains cas , ils tendent à faire cesser
quelque attitude gênante et douloureuse pour le fœtus, cas
auquel une volonté, confuse au moins, en serait le prin-
cipe. Il est probable que ces mouvements reconnaissent tour-
à-tour l'une ou l'autre de ces causes. On a remarqué que
lorsque le fœtus vient à périr par une cause soudaine dans
les derniers temps de la grossesse, sa mort est précédée de
mouvements désordonnés : cet être éprouverait-il alors des
convulsions semblables à celles qu'éprouvent les animaux
auxquels un accident subit, une hémorrhagie surtout, ravit
la vie?
La sphère de la sensibilité étant réduite chez le fœtus à
quelques sensations tactiles , et cet être n'éprouvant encore
aucuns besoins physiques ni moraux , on conçoit que chez
lui les actions d'expressions doivent être nulles. Quant au
sommeil, on a l'habitude de dire que le fœtus est plongé
dans cet état pendant tout le cours de la vie fœtale; c'est,
selon nous, s'exprimer mal, ou avancer un fait faux. Le
sommeil suppose la veille, et l'exercice de celle-ci étant
nulle, comme nous venons de le voir, l'état dans lequel est
le fœtus ne peut être comparé au sommeil. C'est comme si
l'on disait que le végétal est dans un état continuel de som-
meil. Le fœtus est dans un état d'insensibilité et d'immo-
bilité , non parce qu'il dort, non parce que son syslème
nerveux répare les pertes qu'il a faites dans les temps
précédents, mais parce que ce système n'a pas encore le
développement qui lui est nécessaire pour commencer son
service de veille , ou parce que les conditions extérieures qui
doivent l'y provoquer manquent.
42 2 VIE INTRA-UTÉRIWE.
Telle est l'histoire de la vie fœtale. Sa durée est générale-
ment de deux cent soixante-quinze à deux cent quatre-vingts
jours, de neuf mois de trente jours. On a jadis beaucoup
agité la question de savoir si son terme ne pouvait pas être
avancé ou reculé. Cette question des naissances précoces et
des naissances tardives, est difficile à résoudre dans l'espèce
humaine par des faits directs : quel moyen, en effet, de
constater chez elle l'instant précis de la conception l et peut-
on ajouter toute foi à ce que les femmes peuvent assurer à
cet égard ? Mais par l'exemple des animaux chez lesquels il
est plus facile de reconnaître le jour où la conception a eu
lieu , et d'après l'analogie des autres âges qui sont suscepti-
bles de s'écouler plus promptement ou plus lentement, on
a toutes raisons de croire que la durée de la vie fœtale est
susceptible aussi de quelques variations. D'un côté, M. Tes-
siéra observé des variations assez grandes et assez fréquen-
tes dans des portées de vaches, de juments, de brebis, de
chiennes, après avoir pris toutes les précautions nécessaires
pour bien fixer le jour de l'imprégnation dans ces animaux ;
et pourquoi ce qui arrive en ces espèces ne pourrait-il pas
arriver de même chez nous ? D'autre part, les autres âges ne
sont-ils pas susceptibles de s'écouler, tantôt plus tardive-
ment, tantôt plus rapidement ? Ne voit-on pas la dentition,
par exemple, la puberté, être plus hâtives chez les uns,
plus retardées cbez les autres? Certains individus, abstrac-
tion faite de leur manière de vivre, n'arrivent-ils pas plus
tôt ou plus tard que d'autres à la caducité ? Or, pourquoi la
variation qu'on observe dans ces derniers âges de la vie , ne
se rencontrerait-elle pas de même dans le premier? Il n'est
pas difficile d'ailleurs de donner l'explication de ces nais-
sances précoces ou tardives. Selon que le germe a une vitalité
intrinsèque plus ou moins énergique, il doit acquérir plus
ou moins promptement le degré de développement qui lui
permet de commencer sa vie indépendante : selon que l'uté-
rus parvient plus ou moins rapidement au degré d'amplia-
tion qu'il ne peut dépasser, Faccouehernent se fera à une
époque plus ou moins rapprochée. Nous n'avons pas besoin
de dire que, pour qu'une naissance soit dite précoce, il faut
AGES PROPP.EMEiNT DITS. 4^3
que l'enfant naissant, non -seulement puisse continuer de
vivre, mais encore ait, au jour de sa naissance, toutes les
qualités de l'enfant à terme. On sait , en effet, que l'accou-
chement est souvent prématuré , et que beaucoup d'enfants
nés avant terme sont viables. Toutefois, la loi a résolu af-
firmativement cette question des naissances précoces et tar~
dives, car elle a déclaré enfant légitime tout enfant qui naît
entre le cent quatre-vingtième et le trois centième jour après
la cohabitation des époux.
SECTION II.
VIE EXTRA-UTÉRINE.
On appelle ainsi tout le temps de la vie de l'homme -qui--
s'écoule depuis la naissance jusqu'à la mort. Pendant cet
intervalle, l'homme n'éprouve pas moins de changements
que pendant qu'il était renfermé dans le sein de sa mère; et
ces changements fondent ce qu'on appelle proprement ses
dges. Pour le vulgaire, les âges de l'homme ne se mesurent
que par les divisions du temps , c'est-à-dire par le nombre
des jours, des mois, des années qui se sont écoulés : mais,
pour le physiologiste, ces âges ont leur base dans l'organi-
sation elle-même; dans chacun d'eux, l'état des organes et
des fonctions diffère; ils seraient reconnus sans calendrier ;
et, en effet , le médecin est souvent appelé à les spécifier,
sans connaître le point du départ, c'est-à-dire le jour de la
naissance; il trouve la date de celle-ci empreinte en quelque
sorte sur chacun des organes.
Les âges , considérés dans leur rapport avec le temps
varient comme la vie , qui n'est que leur ensemble, dans
chaque espèce animale; telle espèce n'a qu'une vie d'un
jour, telle autre a une vie d'un siècle. Mais , dans la même
espèce, certains individus peuvent parcourir ou plus lente-
ment , ou plus rapidement que d'autres , les phases de leur
vie, et par conséquent parvenir dans le même temps à des
4^4 VIE EXTRA.-UTÉRIWE.
âges différents; par exemple , Bébé , nain du roi de Pologne ,
était, à vingt-trois années de vie, arrivé à l'âge de dé-
crépitude. INous avons dit, en effet , que, bien que la vie
ait une durée limitée , et généralement fixe pour chaque
espèce , cependant cette fixité comportait une certaine la-
titude : or, pourrait-il en être autrement des âges, de l'en-
semble desquels se compose la vie ? Bien que chacun d'eux
ait une durée à peu près fixe, cependant cette fixité est aussi
renfermée en une certaine latitude : chez les uns, ils ont
une marche plus rapide ; chez d'autres , une marche plus
lente; des influences extérieures peuvent même amener l'un
qu Fautre de ces deux résultats, comme nous le ferons voir
en parlant des différences individuelles de l'homme.
Les physiologistes ont différemment divisé les âges.
i° Les uns, ayant égard à l'ensemble de l'organisation et
des facultés, ont proposé d'en admettre trois, savoir : Y âge
de l'accroissement , comprenant tout le temps que l'homme
emploie à parvenir au complément de sa stature , et à l'exer-
cice libre et entier de toutes ses facultés ; ils y rapportaient
toute la vie intra-utérine : Y âge stationnaire , embrassant
tout le temps que l'homme reste parfait, sans éprouver de
décroissance : enfin , Y âge de décroissance , dans lequel
l'homme voit ses organes se détériorer graduellement 3 et ses
diverses facultés se perdre. Nous ne ferons qu'une remarque
sur cette première division des âges, c'est qu'il n'y a pas
d'âge stationnaire proprement dit; ou l'homme acquiert en-
core, ou il perd déjà; mais les progrès, dans les derniers
temps de l'âge d'accroissement , comme les pertes dans les
pi'emiers temps de l'âge de décroissement, sont si peu con-
sidérables, que les unes et les autres sont méconnues , et que
l'homme paraît rester le même. 20 D'autres ont divisé les
âges, d'après le caractère qu'a en chacun d'eux la fonction
de la génération , qu'ils considèrent à juste titre , sinon
dans l'homme , au moins dans les animaux, comme le pre-
mier but de la nature. D'après cette base, ils ont admis
aussi trois âges : celui où la faculté de reproduction n'est
pas encore possédée par l'être; celui où cette faculté peut
être accomplie; et enfin , celui où cette faculté n'existe plus.
DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 4 25
Nous nommons tous ces âges dans l'ordre selon lequel ils se
succèdent. 3° Dans le monde, on admet généralement qua-
tre âges : Y enfance, la jeunesse, Vâge adulte , et la vieil-
lesse. 4° Enfin , le savant Halle a cru devoir partager en
deux époques le premier âge , c'est-à-dire l'enfance ; d'où
l'admission, dans la vie de l'homme, de cinq âges princi-
paux, qui se subdiviseront eux-mêmes en différents stades,
savoir : la -première enfance, la seconde enfance, l'adoles-
cence , la virilité et la vieillesse. Nous allons faire l'histoire
de chacun d'eux en autant de chapitres ; et dans un sixième ,
nous traiterons du phénomène auquel tous conduisent, et
qui est le terme de la vie terrestre, c'est-à-dire de la mort.
On verra que tous les âges sont enchaînés les uns aux autres
par de douces transitions, de sorte qu'ils ne sont véritable-
ment distincts que dans leur milieu. On reconnaîtra que,
dans chacun d'eux, l'homme a sa physionomie physique et
morale spéciale, sa santé propre, ses maladies. On verra,
enfin, que l'accroissement et le décroissement ne sont pas
des phénomènes uniformes dans tous les appareils et tous
les systèmes; mais qu'au contraire chaque appareil , chaque
système ont, sous ces rapports communs, leurs âges pro-
pres, et tour-à-tour sont et cessent d'être dans l'économie
des centres d'action.
CHAPITRE PREMIER.
De la première enfance.
M. Halle appelle de ce nom l'époque de la vie humaine
qui s'étend depuis l'instant de la naissance jusqu'à celui où
la seconde dentition succède à la première, c'est-à-dire jusr
que vers la septième année à peu près. D'après les phénomè-
nes de développement fort importants qui caractérisent ce
premier âge, ce savant l'a subdiyisé en trois époques : une
qui s'étend du moment de la naissance jusqu'au travail de
la première dentition, et qui a généralement une durée de
sept mois; une seconde, qui comprend tout le temps qui
s'écoule pendant que se fait cette première dentition , et
42 6 VIE EXTRA-UTÉRINE.
qui dure jusqu'à deux ans; enfin, une troisième qui em-
brasse tout l'intervalle qui sépare la première dentition de
la seconde. Dans l'histoire que nous allons faire de chacune,
sous le double point de vue de l'état des organes et de celui
des fonctions , nous nous bornerons à l'indication des cho-
ses capitales et les plus générales; car, si nous voulions
mentionuer tous les changements , comme il n'est aucune
partie , aucune fonction qui n'en présente d'un jour à
autre , il n'y aurait en quelque sorte pas de terme à notre
description.
ARTICLE PREMIER.
Première époque de la première enfance..
Cette première période de l'enfance commence à la nais-
sance, et débute par une révolution qu'il faut d'abord in-
diquer. De même que dans le cours de la vie fœtale , souvent
un mode nouveau de nutrition avait été substitué à un pre-
mier, comme, par exemple, quand le service du placenta
avait succédé à celui de la vésicule ombilicale; de même il
se fait à la naissance un grand changement, celui qui con-
siste dans l'établissement de la respiration. A peine l'enfant
est-il né, qu'une inspiration s'effectue, fait pénétrer l'air
dans le poumon , et la respiration commence pour ne plus
cesser désormais qu'à la mort. Quelles sont les causes de ce
grand changement , et surtout quels en sont les effets ?
D'abord, il est probable qiv? la série des développements
qui se sont faits pendant le cours de la grossesse , y prédis-
posait. Nous avons vu que, dans les derniers mois , graduel-
lement le poumon avait grossi , que les artères qui éma-
naient de la pulmonaire pour se distribuer à cet organe ,
avaient augmenté de calibre, et que,, par contre-coup, le canal
artériel avait diminué. Ainsi, le poumon, dont le service
devait commencer à la naissance , dès que l'enfant séparé de
sa mère ne pourrait plus aller en elle revivifier son sang,
était préparé à l'avance à entrer en exercice. En second lieu,
le travail de l'accouchement a peut-être aussi prédisposé à
ce changement. En effet, par les contractions de l'utérus,
DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 427
îa circulation du sang a dû être modifiée dans le placenta ,
et par suite dans le fœtus : il est probable que, dès ce mo-
ment , d'un côlé le sang de la mère a cessé d'arriver au pla-
centa, ou n'y est plus parvenu qu'en petite quantité; de
l'autre, que le fœtus n'a plus reçu par la veine ombilicale
que du sang, qui venait déjà de lui-même et qu'avaient ap-
porté au placenta les artères ombilicales. Or, un trouble
survenant dans la circulation du fœtus, n'est-il pas proba-
ble que la nature a dû tendre à commencer dès-lors le mode
nouveau de circulation qui devait succéder, c'est-à-dire à
faire passer, comme chez l'adulte, beaucoup de sang par
le. poumon? Enfin, à la naissance, l'enfant est soumis à
des impressions nouvelles pour lui , probablement doulou-
reuses, et qui sont regardées par tous les auteurs comme les
causes déterminantes de la première inspiration. Par exem-
ple , l'air extérieur doit, par sa froideur, son poids, faire
une impression pénible sur la peau de l'enfant naissant ; il
doit agir de même sur l'origine de toutes les membranes
muqueuses; peut-être que les organes des sens, qui sont
alors soumis soudain au contact de leurs excitants propres,
en reçoivent aussi des impressions douloureuses. Or, ces di-
verses impressions sont transmises au cerveau; celui-ci les
reflète dans les diverses dépendances du système nerveux ,.
par conséquent, dans les nerfs des puissances inspiratrices;
et ces puiscances , excitées, doivent entrer en action, de la
même manière que le cœur est stimulé à recommencer ses
contractions quand , à l'occasion d'une syncope, on fait res-
pirer une vapeur stimulante.
La respiration ainsi commencée y surviennent de grands
changements dans la nature du sang, et dans son mode de
circulation. D'abord, l'air entrant dans le poumon, artéria-
lise le sang , et de ce moment on peut faire nettement dans
ce fluide la distinction des deux espèces de sang, du sang
artériel et du sang veineux, comme dans l'adulte. En se-
cond lieu, le sang qui est envoyé aux organes étant artériel,
est bien plus excitant, et par conséquent leur imprime
comme une vie nouvelle. Enfin, la circulation cesse de se
faire comme dans le fœtus, et désormais s'accomplit dans
4*8 VIE EXTRA-UTÉRINE,
le mode que nous avons décrit , en parlant de cette fonc-
tion : le sang de la veine-cave inférieure ne passe plus par
le trou de Botal dans l'oreillette gauche, mais avec celui de
la veine-cave supérieure il est porté dans le ventricule droit
et dans l'artère pulmonaire ; celui projeté par l'artère pul-
monaire va en entier, ou au moins dans sa plus grande
partie, au poumon, et il n'est plus dérivé par le canal ar-
tériel dans l'aorte descendante : enfin , le sang de cette aorte
descendante ne s'engage plus dans les artères ombilicales,
et le placenta , quand même il ne serait pas détaché artifi-
ciellement du fœtus, cesserait d'en recevoir du sang. Il est
aisé de vérifier que, dès que la respiration est établie, la
circulation s'arrête dans le cordon ombilical ; et ce change-
ment dans ce point de l'appareil circulatoire , est un garant
de ceux que nous disons se faire dans les autres. Quelles
sont les causes de ces notables changements ? D'abord , d'un
côté, la valvule inter-auriculaire a crû, de manière qu'à la
fin de la grossesse elle est arrivée à fermer à peu près le trou
de Botal. D'autre part , la valvule d'Eustachi , qui est à
l'embouchure de la veine-cave inférieure dans l'oreillette
droite, a, au contraire, diminué progressivement, de ma-
nière qu'elle ne dirige plus aussi exclusivement le sang ap-
porté par cette veine contre ce trou. En troisième lieu, tandis
que les branches que l'artère pulmonaire envoie au poumon
ont beaucoup augmenté , le canal artériel a beaucoup di-
minué; et , si ce canal, bien que conservant à la naissance
assez de volume pour donner passage au sang, cependant
ne le fait pas, c'est que sa sensibilité, dit Bichat, n'était
en rapport qu'avec du sang veineux, et que maintenant le
sang est artériel; ou qu'un grand appel étant fait au sang
dans le poumon, par suite de la dilatation qu'a éprouvée
ce viscère, il ne reste plus assez de ce fluide pour passer
par le canal. Peut-être cependant passe- t-il encore un peu
de sang par cette voie, dans les premiers temps qui suivent
la naissance. Enfin, pour expliquer pourquoi le sang cesse
de s'engager dans les artères ombilicales, on dit que ce fluide
cessant d'arriver par le canal artériel à l'aorte descendante,
cette artère n'en a plus que la quantité nécessaire : on
DE LA PREMIÈRE EKFATNCE. 429
avance que la sensibilité des artères ombilicales n'étant en
rapport qu'avec du sang noir, ces vaisseaux doivent se re-
fuser à se laisser pénétrer par du sang rouge; on ajoute
enfin que le sang de l'aorte descendante étant en entier ap-
pelé par les viscères de la digestion et de la dépuration uri-
naire, dont les fonctions vont commencer, il n'en reste
plus pour pénétrer daus les artères ombilicales. Peut-être
plusieurs de ces raisons sont-elles de pures conjectures,
mais quelque jugement qu'on en porte, il est sûr que la
circulation éprouve le changement que nous venons d'in-
diquer. On pourrait dès lors se dispenser de lier le cor-
don ombilical après la naissance : en effet cbez les ani-
maux, qui se contentent de le déchirer avec leurs dents,
on ne voit pas survenir d'hémorrhagies ; et si l'usage de lier
ce cordon est universellement suivi pour l'espèce hu-
maine , c'est qu'une précaution est toujours bonne à
prendre, et que dans le cas où la nature hésiterait à sui-
vre la nouvelle voie, et tendrait à revenir à l'ancienne, on
prévient par là une hémorrhagie mortelle.
Nous n'avons pas besoin de dire que la respiration ne
peut pas ainsi s'établir sans qu'il ne survienne aussi des
changements importants dans les organes de cette fonction.
Les poumons , qui étaient d'un rouge-brun et denses , de-
viennent rosés, mous et crépitants. Jetés dans leau, aupa-
ravant ils se précipitaient au fond de ce liquide ; mainte-
nant, à cause de l'air qui a pénétré leur tissu, ils surnagent.
Ils ont beaucoup augmenté de volume et de poids; aupara-
vant, ils pesaient de douze à quinze gros, et leur poids était
au poids total du corps, comme 70 à 1 ; maintenant, à
cause du sang qui leur a été envoyé , ils pèsent de vingt à
vingt-quatre gros, et leur poids est à celui du corps entier
dans le rapport de 35 à 1.
Indépendamment de ce grand changement relatif à la
respiration , il s'en fait d'autres dans les fonctions de rela-
tion et dans l'innervation. À la naissance, la vie de relation
commence ; tout en naissant , l'enfant pousse des cris , agite
ses membres , son corps ; et ces cris , ces mouvements
sont les indices des impressions douloureuses qu'il reçoit
43o VIE EXTRA -UTÈRÏ1NE.
du monde nouveau auquel il arrive. De premières sensa-
tions sont éprouvées, et à leur suite des phénomènes ex-
pressifs sont produits. Les cris, en même temps qu'ils an-
noncent le commencement de la vie de relation, sont utiles
comme mettant en jeu la respiration; et les mouvements
généraux du corps , en même temps qu'ils sont phénomènes
expressifs, servent à faire revenir l'être de la stupeur qu'a
pu produire la pression à laquelle il vient d'être soumis ,
et font cesser la douleur qu'a pu laisser l'attitude gê-
nante à laquelle il était contraint. Quant à l'innervation,
elle est désormais nécessaire, comme présidant à la respira-
tion , et parce que Fêtre a fait un pas de plus dans la vie.
Telle est la révolution qui se fait à la naissance , et voilà
ce qu'on appelle la vie extérieure commencée. Cette vie,
que l'on doit distinguer de la vie fœtale, parce que seule
elle donne des droits civils , est décélée exclusivement par
la respiration ; et ce n'est que d'après les signes fournis par
cette fonction , qu'il faut prononcer quand on est consulté
par les magistrats. Ce qui, au moment de la naissance, ap-
paraît de la vie de relation, est trop peu de chose de plus
que ce qu'on peut supposer en exister dans la vie fœtale;
et quant aux battements du cordon, aux mouvements du
fœtus, ils prouvent Lien que le fœtus en naissant vivait de
la vie intra-utérine, mais non qu'il a commencé la vie ex-
térieure ou civile. Souvent le passage d'une de ces vies à
l'autre est orageuse : ainsi, la respiration peut hésiter à
s'établir, et l'enfant être menacé de périr d'asphyxie : ainsi ,
le sang peut, pendant le travail de l'accouchement, avoir
été accumulé dans le cerveau, ou prendre cette direction
consécutivement à la ligature du cordon, et l'enfant courir
le risque de périr d'apoplexie. Dans le premier cas , il ne
faut pas couper le cordon, qu'on n'ait ranimé l'enfant et
excité ses cris. Dans le second cas, au contraire, on peut le
couper aussitôt , parce que l'écoulement de sang qui en ré-
sultera dégorgera le cerveau, et rendra l'établissement de
la respiration plus facile.
Toutefois , cette révolution par laquelle commence îa
première enfance étant effectuée, la vie va comprendre
DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 43 1
toutes les fonctions que nous avons décrites; et il s'agit de
décrire les changements qui vont se succéder pendant la
première époque de cette première enfance , c'est-à-dire
pendant les sept premiers mois de l'existence.
Voici d'abord quels sont ces changements sous le
rapport anatomique. Le corps croît, mais son accroisse-
ment est Lien loin de s'achever 9 et les diverses parties
sont loin de parvenir aux dimensions qu'elles auront
par la suite. Ces parties mêmes conservent encore beaucoup
des proportions qu'elles offraient dans le fœtus. Ainsi,
la tête est grosse relativement au reste du corps; et il en
est de même de la moitié supérieure du tronc relativement
à l'inférieure, et des membres supérieurs relativement aux
inférieurs. Le crâne a encore la plus grande part à ce vo-
lume de la tête , et la face est petite. Le ventre proémine,
à cause de la persistance du gros volume du foie et de l'é-
troitesse du bassin. Toutes les parties extérieures sont ma-
nifestes, savoir: les membres, les traits delà face, les organes
des sens, ceux des sexes. Ce qui reste du cordon ombilical
se flétrit, puis se détache au septième au huitième jour
après la naissance, en laissant une cicatrice indélébile,
celle de l'ombilic. Quant aux divers appareils et organes,
un de ceux qui croît le plus, est le système nerveux. Le
cerveau, qui , à la fin de la vie fœtale, était déjà fort déve-
loppé, comme devant prochainement entrer en exercice,
voit se prononcer davantage ses diverses parties, surtout
ses circonvolutions antérieures et inférieures; cependant
il conserve encore une très grande mollesse. La même acti-
vité d'accroissement s'observe dans la moelle spinale et les
nerfs, et dans la plupart des organes des sens. La peau,
par exemple, acquiert dans cette période, et de bonne
heure, son développement parfait; elle reste seulement
plus fine, plus nerveuse, plus vasculaire , plus blanche,
qu'elle ne sera dans les âges suivants. Les cheveux ont
grandi , mais sont encore moins longs , moins épais, et
d'une couleur moins foncée qu'ils ne le seront par la suite;
les ongles sont encore tendres et rosés; au lieu de poils, il
n'y a encore qu'un léger duvet. La peau est alors sujette à
432 Vie EXTftA-UTÉfUKE.
présenter diverses efflorescences, surtout à la tête. La langue
est aussi bientôt parfaite, et ne diffère de cequ'elle sera plus
tard , que par les dimensions. L'œil et l'oreille sont égale-
ment très développés dès ce premier âge. L'organe de l'odorat,
au contraire , est resté en arrière ; à l'extérieur, le nez n'a
pas changé, et intérieurement les sinus ne se développent
pas encore. Du côté de l'appareil locomoteur, les extrémités
des os longs commencent à développer des points d'ossifica-
tion; les os larges s'étendent, se touchent, forment les sutures,
s'épaississent et se parlagent en deux tables qui circonscri-
vent un diploé : mais ce travail d'ossification n'est pas aussi
considérable qu'il le sera par la suite ; il ne fait en quelque
sorte que commencer , et se prolongera au loin dans les âges
suivants. Les muscles commencent à se diviser en faisceaux.
Les articulations sont bourrées, comme elles le seront en-
core pendant plusieurs années. Le larynx, fort petit, ne
fait pas encore de saillie au col , et toutes ses pièces solides
sont encore cartilagineuses. A l'appareil digestif, les lèvres
sont proportionnellement fort grandes relativement aux
mâchoires ; les mâchoires sont petites, dépourvues de dents;
l'inférieure a son angle beaucoup plus obtus que dans les
âges suivants ; les muscles masticateurs sont peu dévelop-
pés, ainsi que les glandes salivaires et le pancréas. Le vo-
lume du foie a diminué dans son lobe gauche; et, au con-
traire , se sont développées les dépendances de cet organe
qui ont trait à la sécrétion biliaire, comme la vésicule bi-
liaire, la rate. Ainsi que le système nerveux, l'appareil
lymphatique prédomine; les vaisseaux lymphatiques et
leurs ganglions, le tissu cellulaire et tous les vaisseaux
blancs, sont très développés à cet âge de la vie. Les artères
enfin précèdent dans leur développement celui des parties
auxquelles elles se distribuent. Nous ne pouvons mentionner
tous les organes., il sera mieux de dire ce qui est de chacun
d'eux à l'article des fonctions, au de la physiologie.
Ici , nous n'avons à étudier que ce qui est des fonctions de
relation et de nutrition , car celles de reproduction restent
inactives, comme chez le fœtus.
Les fonctions de relation, que nous avons vu commencer
DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 433
à la naissance , font dans cette période d'assez grands pro-
grès; cependant elles sont loin d'y parvenir à leur complé-
ment. i° Sensations. Le tact , dans les premiers jours de la
vie, est encore peu marqué; cependant il est déjà en exer-
cice, car l'enfant est sensible au froid de l'air extérieur. A
mesure que la peau se développe, et nous avons dit que le
développement de cette membrane était précoce, ce sens
devient plus actif; et à la fin de la période que nous décri-
vons, l'enfant commence à exercer le toucher. Le goût pro-
bablement entre dès le premier jour en exercice, pour ex-
plorer les liqueurs que l'enfant tette ou boit; mais il est sûr
au moins que bientôt ce sens est très actif. Il en est de même
de Y odorat , qui cependant est toujours moins délicat, parce
que le développement de son organe est toujours plus tardif.
Les sens de Y ouïe et de la vue, au contraire, n'entrent en
jeu que vers la cinquième ou sixième semaine ; mais bientôt
ils sont aussi puissants qu'ils le seront dans les âges suivants.
Les sensations internes se montrent dès les premiers jours;
d'abord celles qui guident dans les rapports à établir avec
les corps extérieurs, ensuite celles qui sollicitent à mettre
en jeu les organes soumis à la volonté. Ainsi , d'une part , la
faim , la soif, les besoins d'inspirer, d'expirer, se manifes-
tent, et avec les mêmes caractères que ces sensations orga-
niques auront toujours : peut-être en est- il de même des
sensations attachées aux excrétions, bien que l'enfant ne
les exprime pas , et qu'il paraisse accomplir ses excrétions
involontairement. D'autre part , de bonne heure , l'enfant
éprouve des besoins de se mouvoir, et peut-être est-ce à ces
besoins que doivent être attribués les premiers mouvements
qu'il exécute. Quant à des sensations morbides, à des dou-
leurs, nul doute qu'il n'en ressente de fréquentes , des coli-
ques s par exemple ; ses cris répétés en sont la preuve. 2° Psy-
chologie. Dans les premiers jours , l'enfant ne manifeste
encore aucunes facultés intellectuelles et affectives; satis-
faire la faim, le sommeil, ne pas souffrir, paraît être toute
son existence sensoriaïe. Mais bien avant la fin de cette pé-
riode , entrent en jeu les facultés de l'esprit et du cœur. De
bonne heure , l'enfant, sollicité par les impressions des sens î
Tome IV. t 2$
434 VIE EXTRA- UTÉRINE,
commence à connaître les corps extérieurs , à apprendre des
mots; il reconnaît sa mère, sa nourrice, les personnes qui
le soignent, avec lesquelles il vit; il manifeste des désirs,
des volontés; déjà il paraît éprouver des affections, des pas-
sions, des joies, des douleurs. Sans doute , c'est bien faible
encore , cependant on y reconnaît déjà les traits futurs de
l'homme. 3° Locomotilité. A cette période de la vie, la sta-
tion ni la progression ne sont pas encore possibles; cepen-
dant, à sa fin, déjà l'enfant s'essaie à se tenir debout. Mais
heaucoup de mouvements partiels sont produits ; dans le
même ordre que se développe l'intelligence de l'enfant, on
voit ce petit être mouvoir ses sens, ses mains, sa tête, ses
membres , etc.; la fréquence de ces mouvements trahit toute
l'activité qu'a déjà son cerveau. 4° Expressions. Dans le
principe , les phénomènes d'expression sont aussi bornés que
l'est la sensibilité : ils consistent en de simples vagissements,
des cris , par lesquels l'enfant accuse les douleurs qui mar-
quent son entrée dans la vie. Mais peu à peu, et à mesure
que la sensibilité de l'enfant se développe , on voit sa figure
prendre de la mobilité, son œil de l'expression; il devient
susceptible de rire, de véritables pleurs ; et à la fin de cette
période , déjà il fait des premiers essais de langage conven-
tionnel, de parole. 5° Quant au sommeil, d'abord il paraît,
avec l'action de tetter, se partager toute la vie; l'enfant ne
se réveille que pour prendre l'aliment qui lui est nécessaire,
puis il se rendort aussitôt, à moins qu'il ne souffre. Peu à
peu les temps de veille deviennent plus longs : cependant le
besoin de sommeil se fait toujours sentir très souvent , parce
que le système nerveux , très frêle encore , est bientôt épuisé
par une veille , quelque courte qu'elle soit.
L'établissement soudain de la respiration , au moment de
la naissance , fonde déjà , sans doute , une grande différence
en ce qui concerne les fonctions de nutrition; mais la né-
cessité dont est désormais la digestion, en constitue une
autre qui n'est pas moins importante. Désormais les maté-
riaux nutritifs n'arrivent plus tout sanguines; et, à l'ab-
sorption vasculaire, qui jusque-là avait suffi pour accomplir
la nutrition, doit forcément s'ajouter une digestion; l'en-
DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 435
fant a besoin d'aliments. Ceux-ci sont, le lait que lui pré-
pare une sécrétion de sa mère, ou une boissou analogue. La
nature a coordonné la délicatesse de cet aliment au peu de
puissance qu'a d'abord l'appareil digestif; le lait, très sé-
reux les premiers jours, devient de plus en plus consistant ,
à mesure que l'estomac se développe et acquiert plus de
force; il est pris par succion; l'instinct fait exécuter aussi-
tôt à l'enfant ce mouvement , quelque compliqué qu'il soit ;
et îa bouche, comme nous l'avons dit dans le temps , a alors
l'organisation la plus favorable pour l'exécution de cet acte.
Ce genre d'aliment, et le mode selon lequel il est pris, font
concevoir pourquoi, à cette époque , les appareils mastica-
teur et salivaire sont encore si peu développés ; alors ils eus-
sent été, non-seulement inutiles, mais nuisibles. Cependant,
à la fin de cette période, souvent déjà les enfants réclament
et peuvent digérer des aliments un peu plus substantiels.
Du reste, les enfants accusent un fréquent besoin de tetter;
soit parce que, leur accroissement étant encore très rapide,
ils ont vraiment besoin de prendre beaucoup de matériaux
nutritifs; soit parce que l'action de tetter, étant pou:* eux
une occasion de sensations agréables, déjà ils recherchent ces
sensations, à l'instar des hommes adultes qui ne comptent
la vie que par leurs jouissances , et qui sont toujours en tra-
vail pour s'en procurer. Les digestions à cet âge sont assez
promptes ; les selles sont fréquentes, la matière en est jaune
et en consistance de purée.
Les autres fonctions de nutrition exigent à peine qu'on
les mentionne. La respiration une fois établie se continue
sans interruption, comme chez l'adulte; seulement les in-
spirations sont plus nombreuses dans un même temps
donné, et s'accomplissent plus par 1 action des intercostaux
que par celle du diaphragme, à cause du gros volume que
conserve l'abdomen. Explorée au stéthoscope, elle est plus
bruyante que dans les âges suivants; comme si les ramifica-
tions des bronches éprouvaient une plus grande dilatation ,
et recevaient proportionnellement une quantité plus grande
d'air. La circulation s'accomplit désormais comme chez l'a-
dulte , car le canal artériel, le canal veineux, et les artères
28.
436 VIE EXTRA-UTÉRINE.
ombilicales se sont oblitérés peu à peu : seulement les pul-
sations du pouls sont plus précipitées, et leur nombre s'é-
lève à cent par minute. Les absorptions sont en raison du
grand développement du système lymphatique à cette épo-
que. Les nutritions sont très actives, puisque tous les organes
croissent; mais elles portent plus sur le système nerveux que
sur les autres parties. Les calorijications deviennent graduel-
lement plus énergiques, puisque l'enfant, à mesure qu'il
avance dans la vie, développe une chaleur spécifique plus
grande. Les sécrétions excrémentitielles participent de la
grande activité qu'a le mouvement nutritif; mais leurs
produits offrent un moindre degré d'animalisation , comme
il en est, du reste , à cet âge, de tous les fluides de compo-
sition; l'urine, par exemple, est moins chargée d'urée, et
contient, en place, de l'acide benzoïque ; la transpiration
cutanée est acidulé, etc. Souvent ces excrétions ne suffisent
pas à la dépuration, et la nature en crée d'insolites, de
morbides , comme ces emorescences cutanées dont nous
avons parlé.
Telle est cette première période de l'enfance. Abstraction
faite de la révolution qui tient à l'établissement de la respi-
ration, les appareils qui s'y montrent les plus actifs , et qui
subissent les plus grands développements , sont les appareils
nerveux et digestif; et partant, ces appareils doivent être
les plus exposés aux maladies. Aussi cet âge est-il celui des
convulsions, des maladies céphaliques, du carreau , etc. La
fréquence des emorescences cutanées prouve aussi que la
nature fait alors de la peau un de ses principaux organes de
dépuration; et c'est un avertissement qui nous est donné
d'épargner aux enfants l'influence du froid, de l'humidité,
de tout ce qui pourrait contrarier la direction vers cette
membrane.
ARTICLE II.
Seconde e'poque de la première enfance. — Première dentition.
Il serait fastidieux de décrire un à un pour chaque âge
chaque appareil e ^chaque organe; pour abréger, désormais
DE LA PREMIÈRE ENFANCE. 4^7
nous rattacherons la description anatomique des parties à
l'exposition des fonctions ; par là même , nous serons mieux
compris.
Dans cette seconde époque de l'enfance , tous les traits de
la vie, et surtout de la vie extérieure, vont se dessiner da-
vantage. Les sens externes sont désormais en toute activité,
et l'intelligence , que nous allons voir prendre un grand
essor , les emploie sans cesse à la connaissance des corps exté-
rieurs. Parmi les sensations internes, celles de la faim, de
la soif, continuent d'être impérieuses, et d'être en rapport
avec le grand besoin qu'a l'individu d'une abondante ali-
mentation ; celles qui sont attachées aux excrétions guident
désormais dans l'accomplissement de ces fonctions ; et enfin,
l'enfant accuse sans cesse les besoins d'exercer son esprit, ses
sens, ses muscles, ses facultés. La psychologie, dans cette
période, fait les plus grands progrès. D'un côté Y intellect
est tout entier appliqué à connaître l'univers, et à ap-
prendre à agir sur lui : pour ce double but, l'enfant mani-
feste une grande puissance d'observation et d'imitation.
Tout à l'heure nous montrions ses sens continuellement
en action : or, l'activité de ses sens, à cette époque de sa vie,
est un garant de celle de son esprit. Toute faculté intellec-
tuelle a, dès cet instant, ses attributs actifs; mais dans
chacune, la perception et la mémoire sont supérieures au
jugement et à l'imagination. La faculté du langage artificiel
est surtout alors très agissante ; à cette époque l'enfant
apprend, non-seulement les choses elles-mêmes, mais encore
les mots par lesquels les hommes sont convenus arbitrai-
rement de les exprimer. Quiconque voudra réfléchir à la
somme de connaissances qu'acquiert un enfant dans les deux
premières années de sa vie, sera convaincu que jamais, à
aucune autre époque de l'existence, l'esprit n'est plus actif
et ne développe plus de puissance. Plus tard , il pourra
saisir des rapports plus délicats; mais jamais il n'acquerra,
en si peu de temps, autant de connaissances, et ne sera sus-
ceptible d'une aussi forte observation. Cependant, ce sont
surtout les sens qui agissent alors ; et comme des impressions
nouvelles leur parviennent sans cesse , l'enfant est sans cesse
438 VIE EXTRA-TJTÊPJîŒ.
disirait, et décèle une extrême mobilité. Les facultés affec-
tives , d'un autre côté, éprouvent le même développement;
l'enfant , de bonne heure , manifeste toutes les qualités
morales principales, si ce n'est l'instinct de la reproduc-
tion; l'envie, la jalousie, l'orgueil, l'égoïsme , l'attache-
ment, la haine, la colère, etc., tour-à-tour se peignent sur
sa figure et dans ses traits avec des degrés divers d'intensité.
En un mot , dès cette époque de la vie , l'homme intellectuel
et moral se découvre tout entier. Mais toutes les détermi-
nations sont encore peu tenaces ; l'homme n'est pas encore
moulé aux impressions extérieures, ni plié par un exercice
répété au pouvoir des habitudes; à ce double titre, il est
très susceptible d'être modifié, et c'est dès cet instant que
doit être appliquée l'éducation , surtout en ce qui concerne
les qualités morales. L'enfant étant alors très accessible aux
diverses impressions, très disposé à l'imitalion , les organes
ayant alors toute flexibilité, il importe beaucoup d'ordon-
ner la vie de manière à prévenir toutes les habitudes mo-
rales vicieuses, et à n'en laisser établir au contraire que de
favorables. On sent bien que nous ne pouvons ici nous per-
mettre que cette expression générale , et que plus de détails
sur ce sujet intéressant nous sont interdits. Nous n'avons
pas besoin de dire que le cerveau continue de croître ,
et surtout encore dans les parties antérieures et inférieures.
C'est dans cette période aussi que la station et la progres-
sion deviennent possibles. Jusque-là , le squelette et tout le
corps présentaient des obstacles invincibles à l'accomplisse-
ment de ces actions; la tête, très grosse, contrastait avec
la petitesse des membres abdominaux; le rachis, plus gros
à sa partie supérieure qu'à sa partie inférieure, n'offrait
qu'une seule courbure dans sa longueur; il était sans apo-
physes épineuses, d'où un espace moindre à l'insertion des
muscles des gouttières vertébrales, et une moindre lon-
gueur dans le bras de la puissance : les corps des vertèbres,
au lieu d'être aplatis, étaient arrondis; les muscles verté-
braux avaient peu de volume; le bassin, beaucoup plus
oblique en bas sur le rachis, permettait davantage au ventre
de peser en avant, et d'entraîner en ce sens tout le corps;
DE LA PREMIERE EffEAKCE.
les cavités cotyloïdes , encore toutes cartilagineuses , ne pré-
sentaient pas assez de résistance aux fémurs : ceux-ci étaient
moins convexes en avant; leur col, plus court et plus à
angle droit sur le corps de l'os , était encore cartilagineux ;
les rotules existaient à peine ; les caîcanéums ne présentaient
pas en arrière l'avance qui agrandit en ce sens la base de sus-
tentation ; les pièces du tarse étaient toutes cartilagineuses ;
les pieds étaient trop petits, etc.Enunmot,iln'existaitencore
aucune des conditions de structure que nous avons vu être
nécessaires pour que la station sur les deux pieds puisse être
effectuée. Mais dans le cours de la période que uous décri-
vons, tous ces développements se sont faits peu à peu ; et
peu à peu aussi on voit l'enfant soutenir l'attitude qui est
caractéristique de son espèce, et accomplir la marche, la
course y le saut, les divers modes de progression qui sont
propres à l'homme. Seulement, sa solidité, lors de l'ac-
complissement de ces divers actes, n'est pas aussi grande
qu'elle le sera par la suite, et des chutes fréquentes signa-
lent les progrès qu'il fait en ce genre. En général, dans
toute cette période, l'être se livre à de fréquents mouve-
ments , qui tout à la fois sont l'annonce de la grande acti-
vité de l'esprit, et un moyen par lequel la nature travaille
au développement du corps. Les expressions suivent la
marche des facultés intellectuelles et affectives, dont elles
sont une conséquence forcée. D'un côté , le langage affectif
participe de l'état actif de l'esprit et du cœur; des gestes
continuels, des cris fréquents , une extrême mobilité de la
ligure , trahissent sans cesse la succession des idées qui sont
formées, des sentiments qui sont éprouvés. D'un autre
côté, la faculté du langage artificiel en plein exercice dirige
les organes vocaux et de l'articulation des sons; et soit que
cette faculté recueille une langue toute faite due aux
hommes qui ont précédé, soit qu'elle en invente une elle-
même, sons ses inspirations Fenfant apprend à parler :
jusque-là, il avait eu la voix:, le cri; maintenant il a la
parole et devrait perdre ce nom à? enfant (qui ne peut par-
ler), que jusque-là il avait mérité. Enfin, il est impossible
que le sommeil ne soit pas en raison d'une veille si occupée
44o VIE EXTRA -UTÉRIJNE.
et si remplie; aussi est-il, à cette époque, impérieux, pro-
fond , prolongé , et d'autant plus que le système nerveux
n'a pas encore toute la force qu'il aura par la suite.
Tel est l'état des fonctions de relation. On voit que le
développement du svstème nerveux cérébral a continué
d'être prédominant ; et cela explique pourquoi les maladies
convulsives, céphaliques, continuent d'être fréquentes.
Dans les fonctions de nutrition, le plus grand changement
se remarquera dans la digestion, car c'est à un développe-
ment propre à l'appareil de cette fonction qu'est pris le
trait le plus saillant de la période que nous décrivons, celui
auquel elle doit son nom. Graduellement le lait de la mère,
ou la boisson ténue qui le remplace, ne suffit plus comme
aliment; il faut une matière plus substantielle, et qui
exigera, pour être prise, une mastication préalable. Par
un heureux accord , avant que ce besoin s'annonce , la na-
ture fait développer l'appareil masticateur; les mâchoires
s'arment de dents, d'où le nom de dentition donné à cette
période de la vie. Nous avons dit que dès le deuxième mois
de la grossesse, les germes des dents se montraient dans
l'épaisseur des os des mâchoires sous forme de follicules
membraneux , d'une figure ovoïde , tenant par leur extré-
mité profonde à un pédicule vasculaire et nerveux, et par
leur extrémité superficielle à la gencive. D'abord, la cavité
de ces follicules est remplie d'un liquide incolore, limpide;
mais bientôt il s'y développe une espèce de papille vascu-
laire et nerveuse, qui, partant de l'extrémité profonde du
follicule, gagne sa partie supérieure et finit par le remplir :
le liquide intérieur alors diminue dans la même propor-
tion. Cette papille, en se développant, a soulevé l'une des
deux membranes qui circonscrivent le follicule, la mem-
brane interne qui est vasculaire, et s'en est recouverte. Ces
deux parties, le follicule et sa papille, grossissent jusqu'au
moment de l'ossification, qui commence à la fin du troi-
sième mois de la vie fœtale, et un peu plus tôt à la mâ-
choire inférieure qu'à la supérieure. Cette ossification con-
siste d'abord dans une exsudation de la matière éburnée à
la surface de la pulpe; elle commence au sommet de la
DE LA PHEMIÈRE ENFANCE. 44 *
papille dentaire : là, apparaît sous forme d'une petite ca-
lotte une lame d'ivoire, qui est unique pour les incisives et
canines, multiple pour les molaires, et qui, augmentant
successivement de largeur, finit par recouvrir le sommet
de la papille. Cette lame augmente aussi d'épaisseur, mais
du côté de la papille, de sorte que le volume de celle-ci
diminue proportionnellement, Ensuite, à la surface de cet
ivoire , se forme l'émail , qui consiste d'abord en une couche
mince résultant de petites parcelles semblables à des gout-
telettes figées et très dures, mais qui devient uni et s'é-
paissit successivement. Selon les uns, il est exsudé comme
l'ivoire par la pulpe dentaire; selon les autres, il est un
dépôt de la liqueur dans laquelle baigne la couronne de
la dent ; selon quelques uns , il est exhalé par le feuillet
interne de la capsule. A la naissance , les incisives ont
leurs couronnes formées ; celles des canines ne sont pas
achevées; les molaires n'ont encore que leurs tubercules.
Enfin , la racine se forme en dernier lieu , et quand la
couronne est achevée; pour cela, le pédicule vasculaire et
nerveux intérieur s'alonge , et le follicule paraît comme
étranglé à la jonction des deux parties ; l'ivoire qui la
constitue diffère, dit M. Lemaire , de celui de la cou-
ronne. C'est lorsque la formation de la racine des dents
est assez avancée , que l'éruption se fait , et cela arrive
généralement vers le septième mois après la naissance ,
au commencement de la période que nous décrivons. D a-
bord apparaissent les incisives moyennes de la mâchoire in-
férieure , puis celles de la mâchoire supérieure ; après les
incisives latérales inférieures et les incisives latérales supé-
rieures; en troisième ordre, se montrent les premières mo-
laires inférieures 3 puis les supérieures; en quatrième lieu,
les canines inférieures et supérieures ; et enfin les deuxièmes
molaires. Toujours le travail commence à la mâchoire infé-
rieure avant la supérieure; les incisives sortent du huitième
au douzième mois; les premières molaires, entre dix-huit
mois et deux ans; et les canines et deuxièmes molaires , vers
deux ans et demi. Le tissu des gencives est peu soulevé , peu
distendu; mais il s'amincit -et s'entr'ouvre en autant de
442 VIE EX TUA-UTÉRINE,
points, probablement préexistants, que la dent a de cus-
pides; alors la couronne apparaît, et sort jusqu'au collet :
la cause de sa sortie est probablement l'accroissement de la
dent. Ce n'est qu'après cette éruption, que la racine de la
dent achève de se former. J'ai emprunté à Bêclard cette
description anatomique du développement des premières
dénis. Cette première dentition, sans doute, n'est pas plus
une maladie que tout autre âge, et certainement on exagère
en lui attribuant la plupart des maladies de l'enfance : ce-
pendant son accomplissement est souvent orageux , difficile*
comme celui de tout autre développement; et, tout au moins,
il prédispose à des maladies. Le grand travail qui se fait alors
à la bouche , augmente la tendance qu'a déjà le sang à se
porter à la tête ; et la douleur qui souvent accompagne ce
travail, ajoute à la susceptibilité nerveuse qui est déjà pro-
pre aux enfants. Bien que le percement de la gencive ne soit
pas une chose mécanique ; que, dans l'ordre le plus naturel,
cette gencive ne doive pas être soulevée , distendue ; cepen-
dant souvent elle se gonfle, s'enflamme et excite la fièvre,
et diverses maladies sympathiques, comme convulsions,
diverses inflammations des membranes muqueuses , parti-
culièrement de la conjonctive, du larynx, de la trachée-
artère, de l'estomac, des intestins, diverses éruptions cu-
tanées , etc.
En même temps qu'apparaissent les dents, les muscles
masticateurs prennent de la force, et les organes salivaires
et le pancréas se développent. La formation de ces diverses
parties indique assez le changement qui doit être fait dans
l'alimentation de l'enfant; dès les premiers mois, le lait de
sa mère n'a plus suffi à cet être , et il a falluy ajouter quelque
bouillie ; mais à l'époque à laquelle nous sommes parvenus ,
il réclame une nourriture plus substantielle , et il commence
à user des mêmes aliments que l'adulte : il accuse fréquem-
ment le besoin de manger, parce que l'alimentation doit
encore fournir, non-seulement à la nutrition, mais à l'ac-
croissement qui est toujours considérable. Nous n'avonsrien
de particulier à dire sur les autres fonctions nutritives , si-
non que le tissu cellulaire prédomine encore , ce qui annonce
DE LA PREMIÈRE EKFAKCE. ^3
une assez grande activité dans les absorptions; et que les
efforts nutritifs portent plus particulièrement sur les systè-
mes osseux et nerveux, d'où la fréquence du rachitisme à
cet âge, si la constitution est un peu faible. Du reste, il y
a persistance des traits énoncés dans l'époque précédente,
comme état acidulé de la transpiration, défaut d'urée dans
l'urine, etc.
Ainsi , dans cette seconde époque de l'enfance , l'accrois-
sement continue , mais est bien loin d'être terminé ; les fonc-
tions de relation sont toutes en plein exercice ; la pousse des
dents a conduit au sevrage; les plus grands efforts de la
nutrition portent sur les systèmes nerveux et osseux, d'où
la persistance de la prédisposition aux convulsions, aux ma-
ladies cépbaliques , et l'apparition du racliitis; la dentition
expose à de nombreux dangers, non d'une manière mécani-
que , mais par une loi organique commune à tous les autres
développements. La digestion manifeste une grande acti-
vité, et il imperte beaucoup d'en éviter les écarts, tant
pour prévenir les maladies des organes digestifs eux-mêmes ,
que pour qu'il soit fourni à l'économie , dont les fondements
se posent alors , d'excellents matériaux. L'appareil absor-
bant cbylifère a alors une assez grande susceptibilité; et s'il
est trop irrité, survient promptement la maladie appelée
le carreau. L'équilibre entre les moitiés supérieure et infé-
rieure du corps tend à s'établir, mais il n'y parvient pas en-
core tout-à-fait. Les articulations sont encore bourrées, et
la graisse surabonde encore sous la peau. Cette membrane
conserve toute sa susceptibilité morbide, et cet âge est celui
des maladies éruptives. Les membranes muqueuses ont la
même susceptibilité, comme le prouve la fréquence du croup*
de la coqueluche, des catarrhes, à cette période de la vie.
ARTICLE III.
Troisième époque de la première enfance.
Nous avons peu de détails à offrir, et ces détails sont la conti-
nuation du tableau précédent. De la deuxième à la septième
année, le développement intellectuel et moral continue à se
444 VIE EXTRA-UTÉRINE,
faire , et nous répétons que c'est vraiment dans cet intervalle
que l'homme acquiert le plus de connaissances. La locomo-
tion est en plein exercice; les os s'ossifient de plus en plus;
les muscles se dessine ut. La plus grande activité se décèle
dans la double fonction des sensations et des mouvements,
dans celle des expressions ; l'enfant a alors une loquacité
intarissable. Le sommeil est en raison d'une veille si exercée
et si fatigante : cependant, comme le système nerveux plus
développé a plus de force, ce phénomène ne s'établit plus
qu'une fois dans les vingt-quatre heures; mais il est pro-
fond, et se prolonge dix à douze heures. Quant à la vie or-
ganique , toutes ses fonctions sont désormais en activité, et
avec les mêmes traits que dans l'âge adulte ; seulement elles
prennent chaque jour plus de force et de consistance. Cette
époque se termine par l'apparition d'une troisième dent mo-
laire, qui achève ce qu'on appelle la première dentition, et
qui peut-êti*e serait mieux rapportée à la seconde, puisqu'elle
ne tombera pas comme les premières dents. L'accroissement
secontinue, et nesera pas encore terminé. Ainsi, grandeac-
tivité sensoriale, intellectuelle, morale, musculaire, grand
appétit, tels sont les traits principaux de cette époque;
d'où il est aisé de déduire les maladies auxquelles cet âge
doit être prédisposé; ce sont encore celles des deux époques
précédentes, les maladies céphaliques, cutanées, le rachi-
tis, le croup, etc.
CHAPITRE IL
De la deuxième enfance .
Ce second âge de la vie s'étend, selon M. Halle, de la
septième à la quinzième année, et est marqué par la seconde
dentition , et par le premier éveil des organes génitaux. Vers
la septième année à peu près, les dents que nous avons vu
apparaître dans l'âge précédent , paraissent s'écarter les unes
des autres, puis s'ébranlent et tombent. Leur écartement
tient à ce que l'arcade alvéolaire qui les contient, continue
de croître, tandis qu'elles ne changent pas de volume. Leur
DE LA DEUXIÈME ENFANCE. 445
cliute est due à l'usure de leurs racines , et surtout à ce que
leurs alvéoles sont envahies par de nouvelles dents. Les ger-
mes de celles-ci, au nombre de trente -deux, sont visibles
dès le fœtus. Consistant de même en follicules membraneux,
ovoïdes , ils sont situés dans un rang d'alvéoles placées dans
les mâchoires en arrière de celles qui contiennent les dents
enfantines. Leur ossification se fait de même , et commence ,
du troisième au sixième mois après la naissance pour les
incisives et la première molaire, au neuvième mois pour la
canine, à trois ans pour la deuxième molaire, à trois ans et
demi pour la quatrième , et à dix ans pour la cinquième.
L'éruption se fait quand la couronne est achevée , et que la
racine est en grande partie formée; elle est précédée de la
chute des dents infantiles, dont la racine est en grande
partie ou en totalité résorbée. Les incisives sortent les pre-
mières , de sept à dix ans; puis les bicuspidées; en troisième
lieu, la canine; ensuite, vers onze à douze ans , la seconde
grosse molaire; enfin , vers vingt ans la cinquième molaire.
Nous avons dit que la première grosse molaire apparaissait
dans le cours de la première dentition. Ces dents ne sont pas
achevées quand elles paraissent; il faut deux ou trois ans pour
que se complètent leurs racines qui ne sont qu'ébauchées;
elles augmentent aussi en épaisseur à l'intérieur. Les arcades
dentaires s'agrandissent continuellement jusqu'à vingt ans ,
tant pour faire place aux deux nouvelles grosses molaires qui
surviennent , que parce que les dents de remplacement sont
plus larges que les dents dites de lait. La face, par suite,
prend plus de hauteur et de largeur, et revêt une autre
physionomie. Cette seconde dentition est généralement moins
orageuse que la première; cependant l'éruption de la dent
de sagesse est souvent douloureuse.
En même temps que se fait cette révolution, toutes les
autres parties du corps continuent de marcher à leur per-
fection. L'accroissement en hauteur continue, sans s'ache-
ver encore; les parties supérieures, quoique devenant bien
moins considérables, proportionnellement aux inférieures,
conservent cependant encore un peu de leur prédominance;
et il en est de même des systèmes nerveux et cellulaire. Les
4^6 VIE EXTEA-tJTÉRINB*
sens sont tout-à-fait en activité; l'organe de l'odorat, dont
le développement avait été plus tardif que celui des autres
sens , a désormais toute sa perfection ; ses sinus intérieurs se
sont creusés ; le nez extérieur a pris du volume. Les facultés
intellectuelles et morales manifestent de plus en plus de
l'activité et de l'étendue, et c'est à juste titre que, dans
nos sociétés , cette époque de la vie est consacrée aux travaux
qu'exige une éducation libérale : non-seulement l'intelli-
gence a pris plus de force , mais le sentiment si précieux de
la moralité s'est développé; jusque-là , l'enfant avait pu être
guidé par des affections; maintenant il peut apprécier ce
qui est juste , et connaître ses devoirs. Les mouvements sont
désormais assurés, mais ils se répètent sans cesse, et l'être
accuse un besoin fréquent d'exercice. Les expressions sont
en raison de la sensibilité, et la grande loquacité de cet âge
trahit la grande activité dont jouit alors l'esprit. On conçoit
ce que doit être le sommeil d'après une veille aussi remplie.
En un mot, la vie animale marche rapidement à son déve-
loppement, conservant cependant encore beaucoup de la
mobilité du premier âge.
Il en est de même de la vie organique. La digestion alors
supporte toute espèce d'aliments, en réclame une quantité
assez grande , et à des intervalles assez rapprochés. La nu-
trition conserve toute son activité première, puisqu'elle a
encore à faire croître l'individu. Le système osseux devient
de nouveau l'objet particulier de ses efforts; et c'est pour
cela que, s'il y a quelques causes originelles ou acquises de
faiblesse, souvent survient alors un nouveau rachitis, dit
rachitis du deuxième âge , et qui porte plus sur le tronc que
sur les membres, à la différence du premier. Les articula-
tions sont désormais débourrées. Les muscles , quoique grê-
les , dessinent leurs reliefs , parce que la graisse sous-cutanée
qui arrondissait les formes a beaucoup diminué. Toutes les
parties conservent encore un peu de la mollesse, de la na-
ture gélatineuse du premier âge ; mais ces caractères spéci-
fiques de l'enfance, sur la fin de cette période, ont déjà
beaucoup diminué. Enfin , souvent dès la fin de cet âge, les
organes génitaux commencent la série de leurs développe-
ADOLESCENCE. 447
ments, et accusent un premier besoin d'être mis en jeu;
mais ce n'est que le prélude de la révolution qui va marquer
l'âge suivant , et il faut bien se garder de les écouter.
CHAPITRE III.
Adolescence. — Puberté.
Ce troisième âge de la vie est marqué par l'achèvement
entier de l'accroissement en hauteur, par le développement
complet des organes génitaux, et la possibilité d'exercer la
génération. Sa durée s'étend de quinze à vingt-cinq ans chez
l'homme , et de quinze à vingt-un ans chez la femme. Dans
les premières années de la vie, les deux sexes avaient paru
semblables dans leurs traits généraux; ils étaient confondus
sous la dénomination commune d'enfants. Déjà, dans le
cours de l'âge précédent, chacun d'eux avait commencé à
revêtir ses traits propres, à signaler ses inclinations particu-
lières. Mais dans celui-ci leur distinction va s'établir tout-
à-fait; et, clans la description que nous avons à donner, il
faut séparer ce qui est de 1 homme et de la femme.
L'homme, dans cette période de sa vie, arrive à sa sta-
ture; son corps est svelte et élancé; sa peau a perdu de sa
finesse et de sa blancheur ; ses cheveux ont bruni ; son tissu
cellulaire s'est condensé : ses muscles, devenus plus volu-
mineux , se dessinent en relief à l'extérieur; les traits de
son visage , bien prononcés , transmettent désormais les for-
mes héréditaires. La barbe apparaît, en même temps que des
poils épais poussent aux parties génitales. De semblables
poils , mais plus courts , remplacent plus ou moins çà et là
le duvet soyeux que , dans les premiers temps de la vie , of-
frait la peau , et se montrent surtout à la partie antérieure
du thorax. La tête a perdu toul-à-fait sa prédominance, et
le thorax et l'abdomen , suffisamment développés, on t amené
l'équilibre entre les cavités splanchniques. Le milieu du
corps correspond au pubis. La prédominance lymphatique
a disparu, et le système vascuîaire sanguin est parvenu à
équilibrer les vaisseaux blancs. Le cerveau a grossi beau-
448 VIE EXTRA-UTÉRINE,
coup, mais surtout dans sa partie postérieure et inférieure ,
clans le cervelet ; il a acquis aussi de Ja consistance, et exhale
désormais une odeur spermatique. Tout le système nerveux,
dans le cours de la vie , devient successivement moins volu-
mineux et plus consistant. Les os ont achevé leur ossification
en hauteur. Les muscles sont devenus rouges et très fihri-
neux. Le larynx a pris tout-à-coup un grand accroissement,
et la glotte tout à la fois s'est élargie et alongée. Les mâ-
choires ont achevé leur développement par la pousse des
dents de sagesse. Toutes les parties destinées aux fonctions
organiques sont arrivées à l'état dans lequel nous en avons
fait la description. Les organes génitaux, enfin, ont pris le
volume et l'activité qui sont nécessaires à l'accomplissement
de leurs fonctions; les testicules ont grossi du double, et
effectuent leur sécrétion; le pénis a grossi, s'est alongé ,
et est devenu susceptible d'érection; le scrotum a pris
une couleur plus brune; les seins eux-mêmes ont accusé
l'excitation qui a été imprimée tout à coup à tout l'appareil,
car souvent, chez le jeune homme qui devient pubère, ils
se gonflent et laissent suinter une humeur lactescente.
Chez la femme, le corps arrive aussi à sa hauteur, et de même
présente les proportions qui lui sont propres; mais la consti-
tution générale reste bien plus ce qu'elleétait dans la première
et la seconde enfance. La peau conserve sa blancheur pre-
mière , et souvent même en acquiert une plus grande.
Loin que la graisse disparaisse, comme dans le jeune homme
pubère, et laisse les muscles dessiner leurs saillies ; cette hu-
meur devient plus abondante, et donne plus de rondeur en-
core à toutes les formes. Le tempérament général, au lieu
de devenir sanguin comme celui du jeune homme , reste
lymphatique et nerveux ; et les fluides blancs continuent de
prédominer. Il ne pousse de poils qu'aux parties génitales
et aux aisselles , et la chevelure seule paraît se ressentir de
la crue subite, qui, dans l'autre sexe, est imprimée à tout
le système pileux. Du reste, même développement dans les
organes génitaux proprement dits; les ovaires deviennent
plus gros du double; l'utérus développé devient chaque
mois un centre de fluxion pour le sang , et la sécrétion mens-
ADOLESCENCE. 449
truelle s établit; le pénis se couvre de poils; les lèvres du
pudendum s'alongent ; le bassin preud l'ampliation qui
permettra l'accouchement; les seins enfin,, semblables jus-
que là à ceux de l'homme, acquièrent le volume qui en fait
un des attributs physiques et dislinctifs de îa femme.
Sous le rapport des fonctions, la révolution de la puberté
n'est pas moins saillante. Les sens externes sont désormais
animés par le nouvel instinct qui se fait sentir. Une grande
activité intellectuelle et morale se manifeste, tant parce que
de nouvelles facultés apparaissent, que parce que les facul-
tés anciennes, qui dès long-temps étaient en exercice ^ re-
çoivent tout à coup un nouvel élan. D'abord, éclate dans
lame de l'individu un besoin qui lui était inconnu jusqu'a-
lors, et qui se montre bien plus impérieux qu'aucun de
ceux qu'il a jusque là éprouvés. Ce besoin est celui de l'a-
mour, passion la plus universelle de toutes , et à l'empire de
laquelle peu d'êtres se soustraient. Sa physionomie diffère
dans chaque sexe ; dans l'homme , il s'annonce par l'audace ,
la violence, l'emportement; dans la femme, il est précédé
de la pudeur, voile des désirs, et d'un instinct irréfléchi de
plaire, de coquetterie. C'est alors que les jeunes gens des
deux sexes prennent le goût de la parure, de même qu'on
voit les oiseaux revêtir , au temps de leurs amours , de plus
belles couleurs. Dans l'origine de son développement, sou-
vent le but de ce nouvel instinct n'est pas bien annoncé;
une sollicitude vague entraîne l'être vers un bien qu'il
ignore; mais bientôt son objet est clairement décelé, et
l'être connaît la nouvelle faculté qui lui est donnée. En-
suite, les autres facultés intellectuelles et affectives , par
l'addition de ce nouvel instinct, prennent un plus grand
essor ; l'esprit accuse plus de puissance et d'activité , le cœur
plus de chaleur et d'entraînement. L'être est alors , sous le
rapport moral, dans le plus bel âge de sa vie; il sent toutes
ses forces; il y a confiance, et espère le bonheur. D'une
part, en effet, si cette époque de la vie est celle de l'amour
des plaisirs , elle est aussi celle des nobles travaux; à quels
beaux résultats intellectuels peut parvenir alors une jeu-
nesse qui a été bien préparée et qui est bien dirigée! D'au-
Tome IV, 29
45g vie extra-utérine.
Ire part , quelle richesse dans les sentiments du cœur ! On
est sans doute imprudent, léger, présomptueux, indiscret;
mais le cœur est plein de générosité , de noblesse , et af-
franchi de tout égoïsme. La réaction exercée par le nouvel
instinct qui est acquis , se fait sentir aussi sur les mouve-
ments ; le jeune homme, ayant désormais toute son énergie
physique, éprouve le besoin de l'employer; et les exercices
violents de la chasse , de la guerre , des voyages , sont autant
de moyens par lesquels il consume l'excès de ses forces. Ses
expressions surtout trahissent l'état nouveau de son ame;
son œil brille d'un plus vif éclat, sa physionomie est plus
animée. La voix a changé; dans l'homme, elle a pris un
caractère plus grave , indice de la force nouvelle que l'être
a revêtu ; dans la femme , elle a pris un timbre plus doux.
De même que les sens, le langage parlé prend un caractère
passionné; alors la parole devient facile, et presque tout
homme est éloquent. C'est alors aussi que les arts de la mu-
sique, de la poésie, de la danse, sont cultivés avec le plus
de succès , et qu'irrésistiblement presque le goût en naît. Le
sommeil lui-même n'est pas étranger à cette remarquable
révolution; sans doute il est moins long que dans les âges
précédents; déjà il reçoit le joug de l'habitude, joug qui
s'appesantit d'autant plus sur tous les actes de l'économie,
qu'on avance plus dans la vie; mais il est souvent troublé
par des rêves relatifs aux nouveaux sentiments qui ont éclaté
dans l'ame , et souvent l'adolescent goûte dans ces rêves les
plaisirs nouveaux auxquel il est appelé et auxquels il n'a pas
osé encore se livrer.
Les changements sont moindres dans les fonctions de
nutrition. La digestion réclame encore une alimentation
très abondante, puisqu'alors le corps achève son accrois-
sement en hauteur, et que tous les organes, en pleine ac-
tivité, font plus de dépenses que jamais. Cependant, on
est distrait par l'instinct nouveau qui a éclaté, du plai-
sir attaché à l'exercice de cette fonction , et l'habitude
commence à en régler tous les actes. Comme dans tous ces
premiers âges de la vie, le corps croît, et que son accroisse-
ment se fait aux dépens du sang, on conçoit que la nature
ADOLESCFJSCE. 45 1
a dû faire croître aussi les appareils qui font ce fluide , et
particulièrement les organes digestifs et respirateurs. C'est
ce qui est en effet. Successivement , l'estomac a pris plus
d'ampleur, et a pu digérer uue quantité plus grande d'ali-
ments. Le poumon de même s'est graduellement agrandi;
et, à l'époque que nous décrivons ici, son ^développement
surtout devient manifeste. Il se fait réellement alors une
quantité de sang plus considérable; aussi le tempérament
devient-il sanguin. Les nutritions enfin impriment à la ma-
tière des organes une nature plus animalisée , comme le
prouvent la composition chimique de ces organes, et la na-
ture des excrétions. Non-seulement les muscles contien-
nent alors plus de fibrine, non-seulement le sang est moins
séreux et plus riche en globules , le tissu nerveux plus
dense, etc. , mais les excrétions accusent une animalisation
plus grande ; dans l'urine , l'urée a pris la place de l'acide
benzoïque ; la transpiration cutanée , au lieu d'être acidulé ,
a une odeur musquée, etc. Ainsi, de même que les fonc-
tions sensoriales sont désormais en plein exercice, de même
les fonctions organiques ont toute leur puissance , et impri-
ment à la matière qu'elles travaillent les qualités d'orga-
nisation et de vie dans toute leur plénitude.
Enfin , c'est alors qu'entrent en exercice les fonctions se-
nitales : l'établissement des menstrues cbez la femme , celui
delà sécrétion sperma tique et la fréquence des érections chez
rhomme,annoncent que l'être peut désormais accomplir l'œu-
vre de sa reproduction. Non-seulement le développement sur-
venu dans les organes génitaux, a pour résultat de permettre
l'accomplissement de cette faculté , mais encore ce dévelop-
pement est marqué par une réaction sur tous les organes du
corps, de laquelle résulte un surcroît marqué de vie. En
effet, si lors de la puberté, toutes les fonctions accusent
une activité nouvelle, ce n'est pas seulement parce que, par
une coïncidence heureuse, les appareils de ces fonctions ont
éprouvé un redoublement d'accroissement, en même temps
que se développaient les organes génitaux; mais c'est que
ceux-ci évidemment ont réagi sur les premiers , soit par le
changement que la sécrétion spermatique imprime au san
29.
452 VIE EXTRA-UTÉRINE.
soit sympaltiiquement. Ce qui le prouve, c'est que si les
organes génitaux ne se développent pas., ou sont enlevés
avant l'âge de leur développement, la constitution générale
reste avec la plupart des traits de l'enfance , comme cela
se voit chez les eunuques. Ce qui le dénote encore , c'est que
les changements généraux de la puberté sont toujours un
peu en raison du degré de développement et d'activité des
organes génitaux; c'est que ces changements réclament la
continuité de l'influence de ces organes pour se maintenir,
et disparaissent en partie quand, par accident, les organes
génitaux sont enlevés, ou qu'on est arrivé à l'âge où leur
exercice doit naturellement cesser.
L'âge de la puberté, du reste , comme tout autre, ne se
prononce que par gradation. Il ne faut pas croire que l'ac-
complissement d'une première excrétion spermatique chez
l'homme , ou une première irruption menstruelle chez la
femme, en marque l'achèvement complet; il n'arrive que
trop souvent que les organes génitaux ont un développe-
ment hâtif, qui n'est pas en rapport avec le degré d'accrois-
sement du resle du corps; et, pour juger s'il faut céder à
l'entraînement qu'ils inspirent, c'est moins leur état qu'il
faut consulter que celui de l'économie entière; car le vœu
de la nature est que l'individu soit parfait avant qu'il pense
à la reproduction. Si l'époque de la dentition est souvent
orageuse , il en est de même de la puberté , surtout chez la
femme ; combien de jeunes filles éprouvent alors d'accidents
variés ! D'autre part , la révolution que cet âge amène dans
toute la constitution, fait souvent cesser toutes les mala-
dies de l'enfance, mais pour prédisposer l'être à de nou-
velles affections , qui sont particulièrement les congestions
sanguines sur les organes de la voix et de la respiration.
CHAPITRE IV.
De la Kirilité.
Dans l'âge précédent, l'accroissement du corps en hau-
teur s'était terminé. Dans celui-ci , s'achève l'accroissement
DE LA VIRILITÉ. 453
en épaisseur, d'où résulte enfin îe développement entier de
toute l'organisation, la possession de toutes les facultés.
Tels sont, en effet, les traits distinctifs de ce quatrième
âge de la vie , qu'on appelle virilité , âge qui est celui dans
lequel nous avons supposé l'homme quand nous avons fait
l'histoire de ses fonctions, et qui s'étend pour lui de la
vingt-cinquième à la soixante-troisième année de la vie, et
pour la femme, de la vingt-unième à la cinquantième.
M. Halle l'a subdivisé en trois époques : la virilité crois-
sante y la virilité confirmée 3 et la virilité décroissante.
Dans la première , s'achève tout-à-fait l'accroissement en
hauteur * l'individu arrive à sa stature propre, qui est
ordinairement de cinq pieds à cinq pieds et demi pour
riiomme , et de quatre pieds huit ou dix pouces à cinq
pieds pour la femme. Mais, en même temps, l'accroissement
en grosseur continue, et la taille devient par degrés moins
svelte que dans l'âge précédent. Toutes les parties plus
grosses, partant plus fortes, ont déjà un port moins élé-
gant. La barbe devient plus épaisse, plus dure; tout le
système pileux, les cheveux, par exemple, prennent une teinte
plus foncée. Il en est de même du teint du visage 3 de la
couleur des yeux. La peau s'épaissit et brunit. La physio-
nomie a désormais son caractère propre; et tout le corps a
revêtu son tempérament spécial, tempérament qui s'appro-
chera d'autant plus du bilieux qu'on sera plus près du milieu
delà vie. Alors les divers appareils sont telsquenous les avons
décrits, quand nous avons fait l'histoire des fonctions. Les
systèmes lymphatique et cellulaire ont tout-à-fait perdu
leur prédominance, et la balance est en faveur du système
vascuîaire sanguin. Le thorax de plus en plus s'élargit, pour
prêter au grand développement des organes situés dans son
intérieur; el la direction plus spéciale des efforts de la nu-
trition sur cette partie du corps , explique la plus grande
fréquence des maladies thoraciqueset pulmonaires, à cet âge.
La prédominance nerveuse en général, et celle du cerveau
en particulier, ont cessé; le cerveau, dans son rapport
avec le corps, n'estplus comme 1 à 12 , ainsi que cela était à
la naissance, ni comme 1 à 25, ainsi que cela était dans
454 VIE EXTRA-UTÉRINE,
l'enfant, mais comme 1 à 35. La face désormais équilibre
avec le crâne, i° à cause du développement des diverses ca-
vités qui se sont formées en elle, comme sinus frontaux,
ethmoïdaux , maxillaires; 2" parce que le nez est formé, et
que les mâchoires sont désormais garnies de toutes leurs
dents. En un mot, toutes les parties sont parvenues au
complément de leur développement. Les os ont toutes leurs
apophyses bien prononcées, toutes leurs cavités intérieures
formées et remplies de moelle, leurs points primitifs d'os-
sification réunis et soudés. Les muscles sont épais, forts,
robustes, rouges, très fibrineux. Dans le parenchyme de
toutes les parties, le tissu cellulaire se condense, et les pa-
rois des vaisseaux deviennent plus épaisses. Tous les organes
ont revêtu une consistance et une fermeté qui contrastent
avec la mollesse qu'ils avaient dans l'enfance. Quant aux
fonctions , il est aisé de pressentir ce qu'elles doivent être
d'après cet état des organes : ceux-ci, étant parvenus à leur
summum de puissance , doivent accomplir avec toute plé-
nitude leurs offices divers; et, en effet, l'homme a alors la
possession complète de toutes ses facultés. Toutes les fonc-
tions sensoriales , depuis long-temps en exercice , ont acquis
plus de force, sans rien perdre encore de leur délicatesse;
l'esprit a plus de vigueur, le cœur plus de chaleur; et, si
l'un, moins susceptible de fatigue, peut alors entrepren-
dre les plus forts travaux , l'autre goûte , dans les liens de la
famille et dans les rapports de la société, toutes les affections.
La puissance musculaire physique n'est pas moins grande :
et, quant à la génération , c'est alors que l'homme y est le
plus propre, soit qu'on ait égard à la fréquence avec laquelle
il peut impunément se. livrer aux fatigues de cette fonc-
tion , soit qu'on considère le degré de force qu'il imprime
aux enfants qui naissent de lui ; plus tôt il sera plus enclin
à l'acte génital, mais procréera des enfants moins robustes;
plus tard, il sera moins ardent, et produira une progéniture
plus débile. Le sommeil est <;e qui convient pour entretenir
actif et puissant le système nerveux; et les fonctions orga-
niques ont de même toute l'activité nécessaire pour sub-
venir aux dépenses que fait une organisation parvenue à la
DE LA VIRILITÉ. 455
période de sa plus grande puissance. M. Halle fait durer de
vingt-cinq à trente-cinq ans cette première période de viri-
lité , qu'il appelle virilité croissante.
Dans la virilité confirmée, l'accroissement en épaisseur
est fini , et désormais sont terminés ces progrès qui jusque-
là avaient marqué le cours de la vie. La période dite d'ac-
croissement est achevée; et l'homme semble être dans un
état stationnaire , dans lequel il ne gagne plus, mais dans
lequel il ne perd pas encore, conservant la possession de
toutes ses facultés physiques et morales. Ainsi , même puis-
sance de ses sens externes , même activité dans l'esprit,
même entraînement de cœur. L'homme, se possédant encore
tout entier, réunit à l'activité, à la générosité de la jeu-
nesse, toute la solidité de l'âge mûr. Eclairé par l'expé-
rience du passé , qui est déjà pour lui une moitié de la vie ;
susceptible de méditations plus soutenues ; doué d'une
raison plus forte , d'autant plus que son cerveau, dans ses
parties antérieures et supérieures a continué de croître
jusqu'à ces derniers temps; c'est alors qu'il développe la
plus grande puissance intellectuelle, et qu'il arrive en ce
genre aux plus beaux résultats. Moins distrait par la passion
de l'amour, qui commence à s'affaiblir, son cœur se livre à
d'autres passions non moins utiles à l'état social , comme
celles de la renommée , de la célébrité , le désir d'assurer à
sa famille de la fortune et un nom honoré. Sous le point de
vue physique et anatomique, nous remarquerons que déjà
la respiration est moins complète en son résultat, parce que
le système capillaire du poumon diminue, et que les cel-
lules pulmonaires, si elles augmentent en capacité, dimi-
nuent en nombre. La circulation se fait avec énergie , mais
avec plus de lenteur. Le sang veineux commence à prédo-
miner sur le sang artériel , et à la congestion pectorale suc-
cède la congestion abdominale. De la graisse surcharge l'é-
piploon , les parois abdominales; le ventre fait une saillie
non observée jusqu'alors, et la sécrétion biliaire accuse une
activité toute particulière. Cette période s'étend jusqu'à la
cinquantième année chez l'homme, et la quarantième chez
la femme.
456 VIE EXTRA.-UTÉKINE.
Enfin, dans la virilité décroissante , l'individu présente
déjà quelques indices d'un déclin , précurseur de la vieil-
lesse et de la mort. La peau commence à se flétrir à se
rider; les cheveux grisonnent , blanchissent et tombent en
partie. Les dents, usées plus ou moins dans leur couronne ,
s'alongent, se déchaussent et s'ébranlent. Les sens externes
perdent un peu de leur délicatesse, parce que leurs organes
se détériorent un peu : nous venons de dire que la peau se
dessèche; les humeurs de l'œil perdent un peu de leur
diaphanéité; dans tous ces organes,, la partie nerveuse, un
peu durcie, est devenue moins affectible. Même changement
dans la psychologie : le cerveau commence à s'atrophier, à
se durcir, et déjà les facultés intellectuelles montrent moins
de puissance, et les facultés affectives se refroidissent. Il
n'y a plus le même besoin de se mouvoir; les puissances
musculaires , un peu affaiblies , peuvent moins tenir droites
les diverses parties du corps, et celui-ci commence à se cour-
ber. Les expressions, quenousavons vu être constamment en
raison des actions sensoriales, accusent également un pre-
mier affaiblissement. Le système nerveux, qui se montre
moins capable d'une veille active, manifeste aussi moins
de puissance en ce qui concerne son action de réparation,
et déjà la fonction du sommeil est moins prolongée. Quant
aux fonctions organiques ; l'appétit est moindre, il faut une
moindre quantité d'aliments , des aliments d'une digestion
plus facile, et l'élaboration en est plus lente, paraît coûter
plus aux organes digestifs. Le système capillaire du poumon
ayant déjà éprouvé une diminution assez sensible, il se
fait une quantité de sang moindre, et ce sang n'a pas la
même perfection que dans les âges précédents. La circula-
tion s'accomplit avec plus de lenteur. La pléthore veineuse
devient plus manifeste; la congestion abdominale continue.
Les sécrétions excrémentitielles enfin, tant par leur plus
grande abondance, que par la nature plus animaiisée de
leurs produits, annoncent que le mouvement de décompo-
sition commence à surpasser celui de composition. Souvent
même les excrétions naturelles ne suffisent plus, et la na-
ture en établit d'insolites ^ de morbides; d'où l'origine de
DE LA. VIRILITÉ. ^5j
beaucoup de maladies dépuratrices , comme dartres, goutte,
rhumatisme, maladies calculeuses, etc. Cependant, tous
ces changements sont encore peu marqués, et relativement
à ces diverses fonctions, l'individu peut encore se faire il-
lusion. Mais il n'en est pas de même à l'égard de la généra-
tion ; le décroissement ici est manifeste; l'homme, à cette
époque de sa vie, qui s'étend de la cinquantième à la soixan-
tième année, n'a plus la puissance génitale des âges précé-
dents ; et chez la femme la perte est complète ; la cessation
du flux menstruel , annonce que désormais il n'y a plus de
fécondité possible pour elle. Aussi , tous les attributs de son
sexe disparaissent alors: les ovaires s'atrophient, l'utérus
diminue de volume, les seins se flétrissent; la réaction
exercée par le système génital sur toute l'économie n'a plus
lieu; la femme perd ces formes extérieures si agréables,
qui nous séduisaient ; sa peau s'épaissit, brunit; souvent
des poils y poussent çà et là ; si elle conserve de l'embonpoint,
les parties sont flasques et n'ont plus la fermeté qu'elles
avaient jadis. Tout ce surcroît de vie que l'appareil génital
avait paru répandre dans toute l'économie, ce caractère
passionné qu'il avait imprimé aux sens externes, à la phy-
sionomie , au cœur, à l'esprit, tout cela a disparu. Non-
seulement les pertes que font alors les femmes sont plus
grandes que celles de l'homme, puisque celui-ci n'est pas
absolument dépouillé, mais elles arrivent plus tôt, vers la
cinquantième année, et trop souvent ce triste passage est
accompagné d'orages : souvent cette période de leur vie est
marquée par de nombreux accidents , qui la rendent mor-
telle pour beaucoup d'entre elles, et qui l'ont fait appeler
V âge critique. Mais, en compensation, la vieillesse propre-
ment dite, sera pour les femmes plus tardive , et marchera
beaucoup moins vite.
458 VIE EXTRA-UTÉRINE.
CHAPITRE V.
De la Vieillesse,
Enfin , la vieillesse est ce dernier âge de la vie , dans le-
quel la détérioration graduelle des organes, et par consé-
quent l'imperfection et même la destruction successive des
fonctions, conduisent plus ou moins promptement l'homme
vers le terme de son existence. Halle la subdivise encore
en trois époques : la vieillesse commençante , la vieillesse
confirmée, et la décrépitude.
La vieillesse commençante s'étend , chez l'homme , de la
soixantième à la soixante-dixième année, et chez la femme,
de 3a cinquantième à la soixante-dixième. Dans la dernière
époque de l'âge précédent, il y avait doute encore que Fin-
dividu commençât à décliner; mais, dans celle-ci, le déclin
est évident, et chacune des détériorations que nous avons
signalées se prononce. D'abord, les fonctions génitales ces-
sent tout-à-fait d'être possibles ; et s'il est des individus
chez lesquels elles se prolongent plus loin, ce sont des ex-
ceptions fort rares. Tous les sens s'affaiblissent, ainsi que
les facultés intellectuelles et affectives; désormais l'esprit se
refuse aux grands travaux , et le cœur se ferme aux passions;
la crainte , l'égoïsme commencent à dominer l'ame du vieil-
lard. Les puissances musculaires affaiblies n'accomplissent
plus avec autant d'aisance la station et la progression; elles
laissent le corps se courber, et exigent le secours d'un appui
mécanique. Les muscles du larynx accusent la même fai-
blesse, et la voix se casse, devient tremblante. La digestion
exige un choix d'aliments d'une nature plus digestible ,
parce que l'estomac est affaibli , que les sécrétions salivaires
commencent à tarir , et que la chute des dents empêche la
mastication d'être aussi complète. Ces organes tombent ,
parce que de nouvelles couches éburnées, continuant d'être
déposées à la surface de la papille intérieure, celle-ci finit
par être étouffée , les vaisseaux qui la nourrissent et la
font vivre étant oblitérés. La respiration accomplit de moins
DE LA. VIEILLESSE. 45 y
en moins parfaitement la sanguification , parce que de plus
en plus le système capillaire du poumon diminue. La cir-
culation languit, parce que le cœur a perdu de ses forces,
et que des ossifications accidentelles envahissent ses valvules
et beaucoup de vaisseaux. Mais passons rapidement sur
cette vieillesse commençante , parce que ce sont les mêmes
traits, mais plus prononcés, que ceux que nous avons dé-
crits pour la virilité décroissante , et que d'ailleurs nous
allons les présenter plus marqués encore dans la période
suivante. Dans tous les organes, la proportion des solides
sur les fluides augmente; toutes les parties se dessèchent.
La dilatation des cellules pulmonaires amène l'asthme ;
celui-ci entraîne souvent la dilatation , l'hypertrophie des
cavités droites du cœur; et cette double détérioration, en
entravant la circulation veineuse, a peut-être part à la fré-
quence des apoplexies qui surviennent à cet âge. C'est alors,
en effet , que ces diverses maladies sévissent; et elles rendent
cette époque de la vie plus orageuse pour l'homme que pour
la femme.
Dans la vieillesse confirmée , il n'y a plus d'hésitation sur
le mouvement de décroissement ; toutes les forces s'amoin-
drissent , les organes cessent d'être réparés, toutes les fonc-
tions languissent , et chaque jour est marqué par la perte de
quelques facultés. L'homme se courbe, se rapetisse, s'é-
macie ; sa peau se ride, se sèche, devient aride; son visage
se décolore, devient brunâtre, terreux ; ses joues sont creu-
ses, sa bouche enfoncée, son front chauve; le nez et le
menton, à cause de la chute des dents, paraissent se tou-
cher; les yeux sont enfoncés, chassieux; la barbe est rare et
blanche; il en est de même des cheveux. La face paraît de
nouveau petite, relativement au crâne. Toutes traces du
tempérament précédent ont disparu. Tout organe, sans ex-
ception, va offrir une détérioration graduellement crois-
sante. L'œil est aplati, et n'est plus aussi réfringent, parce
que ses humeurs sont moins denses, et que le cristallin a
moins de convexité; ce cristallin, d'ailleurs, prend de l'opa-
cité; l'iris et la choroïde pâlissent, et l'enduit de cette der-
nière membrane se détruit; le nerf optique s'atrophie, se
46o VIE EXTRA-UTÉIIINE.
dessèche. Il en est de niême des nerfs de l'ouïe et de Fodo-
rat. En outre, dans l'oreille, les cavités labyriuthiques , le
plus souvent, sont privées de la lymphe de Cotunni; et
dans le nez, la pituitaire est moins fongueuse et plus pâle.
La peau est sèche, écailleuse; et la roideur et le défaut
d'humectation des articulations des doigts et de la main ,
rendent le toucher moins facile. Le cerveau, non-seulement
se dessèche, diminue de volume, devient de plus en plus
ferme, mais son système veineux particulier est gorgé de
sang. Le crâne, dans lequel il est contenu , paraît désormais
formé d'un seul os; les sutures ont disparu : les méninges,
la dure-mère surtout, présentent souvent çà et là quelques
points ossifiés ou devenus cartilagineux. Tous les nerfs sont
atrophiés, durcis. Les muscles sont pâles, mous, flasques;
et souvent leurs tendons d'origine et de terminaison sont
ossifiés; les coulisses dans lesquelles jouent ces tendons , sont
privées de synovie. Les os ont acquis une extrême densité;
et cependant ils sont plus cassants , parce que l'élément ter-
reux l'emporte en eux sur leur parenchyme organisé : leurs
cavités intérieures sont devenues très grandes, d'où il ré-
sulte qu'à l'instar des autres organes, ils ont diminué sen-
siblement de poids; la moelle qui remplit ces cavités est
beaucoup plus liquide, et comme huileuse; les liens arti-
culaires ont perdu leur souplesse et leur élasticité primi-
tives. Les cartilages de prolongement s'ossifient, ceux des
côtes, par exemple; et, de même qu'au crâne les sutures
avaient été envahies par l'ossification , de même le sont aussi
les fibro-cartilages intermédiaires aux corps des vertèbres et
les symphyses du bassin. Par la même raison, beaucoup
d'articulations primitivement mobiles, cessent de l'être , les
costo-vertébrales et costo-transversaires, par exemple, celles
des os du carpe, du tarse, le larynx tout entier, le cerceau
de l'hyoïde, etc. Cette ossification envahit jusqu'à des par-
ties qui sembleraient devoir en être affranchies , des artères ,
par exemple , les cartilages de la trachée-artère et des bron-
ches, les plèvres, etc. Du côté des organes des fonctions
nutritives, les détériorations ne sont pas moins considéra-
bles. Les dents tombent, et la mastication ne peut plus être
DE LA VIEILLESSE. 4^1
effectuée que parles gencives qui se sont durcies; les glandes
salivaires diminuent de volume et agissent moins ; l'estomac
et les intestins sont amples, mais flasques et affaiblis; tout
le système veineux abdominal est distendu, gorgé de sang,
et souvent l'anus offre des varices ou des tumeurs hémor-
roïdales. Tous les ganglions mésentériques sont atrophiés ,
ainsi que tous les autres ganglions lymphatiques; et l'ap-
pareil des absorptions , conséquemment , n est pas moins
vicié que celui de la digestion. Les poumons , ayant vu leur
système capillaire sanguin diminuer, à mesure que leurs
cellules s'élargissaient davantage , sont devenus grisâtres, et
contrastent, par leur légèreté et leur peu de densité, avec
la pesanteur et la consistance qu'ils avaient dans les pre-
miers âges. Le cœur est pâle, mou, rapetissé, surtout dans
ses ventricules; les artères sont souvent cartilagineuses,
ossifiées, au moins roides , cassantes, et d'un plus petit ca-
libre : les veines sont, au contraire, variqueuses, disten-
dues. Le sang est plus séreux, moins riche en globules et
remarquable par son défaut de plasticité. Tous les organes
sont moins celluleux et vasculaires que dans les premiers
âges , et par conséquent dégradés. Souvent même, ceux de la
génération ont été résorbés, et ont disparu; c'est du moins
ce qui est souvent des seins chez la femme, et quelquefois
de l'utérus et des ovaires.
Ce tableau des détériorations graduelles de tous les or-
ganes chez le vieillard , explique l'imperfection avec laquelle
s'accomplissent désormais toutes les fonctions. À raison de
l'aplatissement de l'œil , la vue devient presbyte ou longue ;
et souvent une cécité complète est la suite de l'opacité du
cristallin ou cataracte, ou de la paralysie du nerf optique
ou amaurose. L'ouïe, graduellement perd de sa finesse, et
souvent le vieillard finit par être sourd. Les sens du goût et
de l'odorat seuls persistent un peu, à cause de leur utilité
pour les fonctions nutritives. Les facultés de l'esprit et du
cœur disparaissent de même graduellement; et, en effet,
leur organe, le cerveau, a éprouvé la même atrophie, le
même dessèchement. L'esprit n'est plus apte à aucuns tra-
vaux nouveaux; les impressions lui arrivent sans y laisser
40>2 VIE EXTRA-UTÉRINE,
de traces , et la puissance de la mémoire s'étend à peine ,
pour les objets nouveaux, du matin au soir : au contraire,
le vieillard conserve souvent le souvenir fidèle et précis de
ce qu'il a appris dans les temps passés. Les qualités du cœur
participent du même affaiblissement; plus de chaleur, d'en-
traînement; l'apathie, l'indifférence, ont remplacé les dou-
ces affections ; la pusillanimité , l'avarice , la défiance ,
l'égoïsme, se disputent désormais l'ame du vieillard. Les
mouvements sont lents et glacés; car, d'un côté, peu d'in-
fluence nerveuse les excite, et de l'autre, affaiblissement
dans les muscles qui les produisent. La voix est cassée , et
d'ailleurs le vieillard est taciturne et peu disposé à parler :
sentant peu et faiblement , il a peu à exprimer; la brièveté
de sa respiration fait même de la voix une fatigue pour lui ,
et la perte de ses dents rend l'articulation des sons difficile.
Sa physionomie est tout à la fois sérieuse et monotone. Son
système nerveux enfin, non-seulement ne peut plus accom-
plir le service de la veille, mais il ne peut plus effectuer
l'œuvre réparatrice du sommeil; le vieillard est souvent as-
soupi, mais au fond il dort peu et mal. Si des fonctions de
relation nous passons à celles de nutrition , nous y reconnaî-
trons le même affaiblissement. L'appétit n'a plus le caractère
impérieux des premiers âges , et souvent manque tout-à-fait;
l'aliment n'est plus mâché qu'incomplètement; une quan-
tité insuffisante de salive l'imprègne; et, arrivant ainsi mal
préparé à un estomac qui d'autre part est affaibli , la diges-
tion en est toujours lente et imparfaite. Cependant, comme
les plaisirs attachés à cette fonction sont à peu près les seuls
qui restent au vieillard, il y attache une grande importance;
souvent il se laisse aller à son égard à des abus : l'excrétion
qui la termine est toujours chez lui difficile. La sanguifi-
cation est de moins en moins parfaite, tant à cause de la
détérioration que subit le poumon dans son système capil-
laire sanguin, qu'à cause de la difficulté qu'entraîne, dans
les mouvements de la respiration, l'ossification des articu-
lations costales. La circulation n'est pas moins affaiblie, car
le pouls ne bat plus que quarante à cinquante fois par mi-
nute, et offre souvent des intermittences. Les nutritions,
DE LA VIEILLESSE. 463
n'agissant que sur un sang moins abondant et d'une nature
moins parfaite, ne paraissent plus se faire que dans la me-
sure propre à ménager la chute : aussi tous les organes arri-
vent-ils à cette atrophie, qu'on appelle sénile. La transpi-
ration cutanée et les excrétions qui se font par la peau , sont
moindres que dans les âges précédents; mais le produit de
la sécrétion urinaire est plus azoté que jamais ; et beaucoup
de sécrétions muqueuses, catarrhales, s'établissent çà et là
dans l'économie du vieillard , pour remplacer la transpira-
tion cutanée. Les calorifîcations sont aussi languissantes que
les nutritions; et le veillard, toujours glacé, a besoin sans
cesse de recourir à des moyens artificiels pour se défendre
du froid extérieur. Quant à la génération , dès l'époque pré-
cédente, l'exercice de cette fonction est devenu impossible.
Enfin, à cette seconde époque de la vieillesse, que M. Halle
fait durer jusqu'à quatre-vingt-cinq ans , et qui , pour beau-
coup de vieillards, n'est pas aussi prononcée que nous ve-
nons de le dire, succède la décrépitude , ou l'âge des cente-
naires, dans lequel tous les traits que nous venons de décrire
se renforcent, et dans lequel le mouvement vital va en s'af-
faiblissant de plus en plus jusqu'à ce qu'il s'arrête tout-à-
fait. Les sens externes finissent par se perdre , si ce n'est le
goût, qui agit encore un peu lors de la préhension des ali-
ments. Les facultés intellectuelles, complètement anéan-
ties , laissent l'être dans un état d'imbécillité complète. Sou-
vent les mouvements ne sont plus possibles , et une paralysie
générale attache le vieillard à son fauteuil ou à son lit.
Toutes les fonctions de relation ont cessé ; et c'est ainsi que ,
par un bienfait de la Providence, s'anéantit d'abord en nous
cette puissance de sensibilité qui fait l'unique charme de
notre vie. Le vieillard est réduit à une existence végétative
qui devient de plus en plus languissante; il faut qu'on le
sollicite à prendre la petite quantité d'aliments qu'il peut
digérer; désormais ni l'instinct de la faim, ni sa raison ne lui
en donneraient l'avertissement. Sesexcrétionss'accomplissent
de même, sans qu'il le sente et qu'il le veuille; et il arrive
ainsi, sansle sentir, au moment où il va enfin cesser d'exister.
464 "VIE EXTRA-UTÉRINE.
Telle est la succession des âges de l'homme. Le tableau
que nous venons d'en tracer prouve que notre vie, considé-
rée de son commencement à sa fin , n'a pas un cours uni-
forme , mais se compose d'une série d'époques de durée
inégale, et dans chacune desquelles les mouvements orga-
niques ont une diverse direction. Non-seulement le mouve-
ment général n'est pas égal ; mais encore sont plus ou moins
rapides chacun des mouvements particuliers qu'on peut y
distinguer. Ainsi, pendant le temps de l'accroissement,
toujours un surcroît d'activité se manifeste quand on passe
d'une phase à une autre, quand il se fait une révolution
organique, et que le développement d'un nouvel appareil
va, par des rapports fonctionnels ou sympathiques , exciter
l'activité des autres; par exemple, aux première et seconde
dentition, à la puberté , etc. Ainsi , bien que toutes les par-
ties continuent de croître pendant toutes les premières épo-
ques de la vie , l'activité de l'accroissement diffère en cha-
cune d'elles; puisque les parties supérieures, d'abord bien
plus volumineuses que les inférieures, finissent par être
équilibrées par elles ; puisque tour-à-tour divers systèmes et
appareils d'organes deviennent prédominants. De même que
dans le fœtus, l'accroissement s'était tour-à-tour montré
plus lent ou plus accéléré; que des variations continuelles,
touchant le volume et l'activité des organes, étaient surve-
nues; que même il s'était fait de véritables métamorphoses ,
comme quand le placenta avait été substitué à la vésicule
ombilicale : de même, de semblables variations se montrent
dans le cours de la vie extérieure. Peut-on méconnaître que
les diverses fonctions ne commencent pas en même temps,
ne croissent pas, ni ne décroissent pas également? N'est-il
pas certain que tour-à-tour plusieurs deviennent prédomi-
nantes, et par conséquent que les influences qu'elles exer-
cent respectivement les unes sur les autres, doivent varier
sans cesse? Si, dans le fœtus, certains systèmes, le
nerveux, le cellulaire, avaient prédominé les autres; de
même , dans les âges proprement dits, l'équilibre se montre
successivement rompu en faveur des systèmes osseux, mus-
culaire, de l'appareil génital, etc.; des congestions sanguines
DE LA VIEILLESSE. 4 6 5
à la tête, à la peau, au système lymphatique , à la poi-
trine, à F abdomen , au foie, aux veines hémorrhoïdaires ,
aux veines eéphaliques , etc., surviennent tour-à-tour. La
vie ne doit donc pas être comparée à un fleuve, dont le cours
est égal, mais à une série de nœuds d'inégale grosseur. Le
passage de l'un de ces nœuds au suivant est souvent difficile;
et les Anciens appelaient années climatêriques celles qui
correspondent au moment auquel ce passage s'accomplit.
Cette doctrine des années climatêriques est fondée : il est
évident que lors de certaines révolutions des âges, on est
plus exposé à des maladies, et à être arrêté dans le cours de
sa carrière : cela est vrai , non-seulement de l'homme , mais
encore de toutes les espèces vivantes., végétales et auimales.
Le seul tort qu'aient eu les anciens, avait été de fixer ces années
d'aprèsla puissance mystérieuse qu'ils attribuaient aux nom-
bres 3, 7 et 9; selon eux, les années 7, 21, 49? 63 et 81,
qui correspondent à ces nombres ou en sont les multiples,
étaient celles où l'homme courait le plus de dangers. Il est
évident qu'une telle base est chimérique, et qu'il faut lui
substituer celle des révolutions organiques elles-mêmes.
Quant au temps qui s'écoule pendant que ces périodes de la
vie s'accomplissent, il est généralement de quatre-viogts à
cent années; mais cela est sujet à beaucoup de variétés qui
dépendent de la constitution qu'on a reçue originellement
de ses parents, et de la manière dont on a dirigé sa vie : tel
naît débile et incapable de fournir une longue carrière, et
tel naît dans des conditions inverses; celui-ci, soumis sans
cesse à des influences extérieures délétères , et abusant con-
tinuellement de lui-même, hâte sa mort; celui-là, fidèle
aux règles de l'hygiène , usant de la vie avec économie , en
prolonge aussi loin que possible la durée. En général, la
complication de l'organisation est ici un désavantage; plus
elle est grande, plus il y a de chances de maladie , et par con-
séquent d'une mort accidentelle. Aussi la mort séniîe est-elle
plus rare dans le règne animal que dans le règne végétal , et
plus rare dans l'homme que dans tous les autres animaux.
Mais arrivons à 1 étude de la mort.
Tome IV
DO
4Gtî DE LA MOUT.
CHAPITRE VI.
De la mort.
Ou appelle ainsi la fin de tout être organisé, la cessation
absolue et définitive du mouvement organique qui consti-
tuait sa vie; cessation qui, laissant les forces physiques et
chimiques , dont cet être était auparavant jusqu'à un cer-
tain point indépendant , reprendre tout leur empire sur la
matière qui compose son corps, est suivie conséquemnient
de la dissolution de celui-ci.
Tous les êtres vivanls , par cela seul qu'ils ont eu la vie,
doivent mourir : nous l'avons dit dans le temps. Mais il y
a beaucoup de variétés dans l'époque de leur existence à
laquelle survient leur mort, et dans la manière dont celle-ci
arrive. On distingue, sous ce double rapport, deux espèces de
morts; la mort sénile ou naturelle , qui survient à l'époque
assignée par la nature elle-même pour terme à l'existence,
et par suite des détériorations que la durée de celle-ci a
amenées dans le corps; et la mort accidentelle, qui tranche
plus ou moins prématurément le cours de la vie.
i<> La mort sénile est celle à laquelle conduit inévitable-
ment le cours de l'existence, et qui, survenant lorsque le
mécanisme vital a parcouru toutes ses périodes, reconnaît
pour cause la détérioration que l'exercice de la vie amène
en ce mécanisme : cette détérioration augmentant de jour
en jour, arrive à un point où le jeu des organes est tout-
à-fait impossible. Ce genre de mort est sans contredit , pour
les êtres vivants, la chance la plus heureuse , car il les laisse
jouir de la vie le plus long-temps possible , et il ne les
frappe , comme on va le voir , qu'au moment où la perte de
l'existence est pour eux à peine sensible. Mais l'époque à
laquelle il arrive, varie dans chaque espèce vivante , et tient
à l'organisation de chacune. La durée naturelle de la vie
n'est pas en effet la même dans les diverses espèces végétales
et animales : bornée, pour les uns, à quelques heures, à quel-
ques jours, cette durée comprend, pour d'autres, des années
DE LA MORT, fâj
et même des siècles. La cause de cette différence nous
est encore inconnue; la physiologie n'est pas encore assez
avancée pour dire pourquoi telle espèce est destinée à une
vie longue , et telle autre à une vie courte. Mais ce fait est
la preuve la plus forte que la cause de la mort des êtres
vivants est en eux-mêmes, et tient à leur organisme. Pour-
quoi, en effet, tant de différence dans les époques de la
mort, malgré des influences extérieures semblables? A côté
du chêne séculaire vit la plante annuelle; et le même pays
réunit l'animal qui vit un siècle, et celui qui meurt au
bout de quelques jours. Souvent même ces différences se
montrent dans des êtres en apparence assez semblables :
c'est ainsi que la plante vivace ressemble à celle qui ne vit
qu'un an; et que le corbeau centenaire diffère peu de tel
autre oiseau dont la vie est bornée à quelques années.
Dans l'espèce humaine, la mort .sénile arrive généraler-
ment avant la centième année, souvent plus tôt, rarement
plus tard. L'époque n'est pas précise , et varie pour chacun
selon la constitution originelle, les influences extérieures
au milieu desquelles on a vécu, le mode selon lequel on a
usé de la vie. A la vérité, ces diverses circonstances ont
une grande part à la production de la mort acciden-
telle, et, sous ce rapport, concourent beaucoup à abréger
ou prolonger la vie ; mais nous ne les envisageons ici que
dans l'influence qu'elles exercent sur la mort sénile, et c'est
cette influence qui fait varier les époques auxquelles celle-
ci arrive. Nous sommes encore ici forcés de nous en tenir à
cette expression générale, la physiologie ne pouvant pas plus
décider ce qui, dans l'organisation des incjivijdus d'une même
espèce, donne droit à une vie plus longue ou plus courte,
qu'elle ne l'a pu relativement aux diverses espèces. Mais
nous allons revenir sur cette question , lorsqu'après avoir
fait la description de la mort sénile chez l'homme, nous en
rechercherons la cause.
La description de la mort sénile chez l'homme a été faite,
lorsqu'on a tracé les progrès successifs de la vieillesse. Les
rayages de celle-ci s'étendent chaque jour de plus en plus •
l'homme, au moment où s'exhale son dernier soupir nré-
3o.
/
4^8 DE LA MORT.
sente au plus haut degré les traits anatomiques et physiologi-
ques que nous avons vu caractériser le dernier âge de la vie ,
la décrépitude. D'un côté, son corps est, autant que possible,
amaigri, émacié; si la locomotion est possible encore, le
tronc est considérablement courbé; la peau est tout-à-faii
aride , sèche , et déjà froide et glacée; les yeux sont éteints,
aplatis, enfoncés; les joues creuses, la tête tout-à-fait
chauve; les mâchoires sont dégarnies de dents; le nez et le
menton semblent se toucher. Dans l'intérieur, presque tous
les organes sont détériorés ; le système capillaire du poumon
est considérablement diminué , le système absorbant est
presque en entier atrophié ; le cœur est mou , pâle , rape-
tissé dans ses ventricules; l'ossification a envahi plusieurs
de ses valvules intérieures, ainsi que beaucoup d'artères. Un
grand nombre d'articulations , surtout celles des côtes avec
les vertèbres et le sternum, se sont aussi ossifiées. Le sang a
diminué de quantité, est moins riche en globules, et a
perdu une grande partie de sa force plastique. Enfin, tous
les organes nerveux sont diminués de volume, sont endur-
cis, atrophiés. D'un autre côté, plusieurs fonctions ont
déjà disparu; et celles qui restent décèlent une langueur,
une imperfection qui est en raison de détériorations orga-
niques si considérables. Dès long- temps devenu inapte à la
génération, frappé graduellement de cécité, de surdité,
l'homme voit les facultés de son esprit se perdre comme
celles de ses sens ; il est mort déjà dans la plus belle partie
de son être , bien qu'il soit destiné à respirer long-temps
encore. Chaque jour , le cercle de sa vie se rétrécit par la
perte d'une faculté : les digestions , de plus en plus impar-
faites , ne fournissent plus qu'un mauvais chyle et en petite
quantité ; les respirations, de plus en plus rares, et de moins
en moins amples , n'exécutent plus l'hématose que d'une
manière incomplète; la circulation ne projette plus qu'avec
difficulté, et comme en hésitant, un sang qui pèche en
quantité et en qualité; îe pouls est de plus en plus rare, et
présente souvent des intermittences; les nutritions se font
à peine , tant par un vice des parenchymes eux-mêmes , que
parce qu'elles n'ont à employer qu'un sang appauvri. Il en
Dr LA MORT. 469
est de même des ealoritieations, d'où résulte l'état glacé des
parties : le froid de celles-ci est d'autant plus grand, qu'elles
sont plus éloignées des centres ; ceux-ci seuls agissent encore.,
et souvent comme en hésitant. Enfin, tout à coup l'un de
ces centres s'arrête; ou le cœur, ou le poumon , ou le cer-
veau , probablement ce dernier : le fil de la vie est désormais
coupé, l'homme expire comme une lampe qui s'éteint; il ne
reste de ce qu'il y a de matériel en lui qu'un cadavre , qui
devra lui-même disparaître.
Quelquefois cependant la mort sénile se présente avec
d'autres traits; l'individu conserve davantage ses facultés
sensoriales; il peut encore voir, sentir, penser, marcher;
et c'est pendant un sommeil qu'il passe de la vie à la mort.
Dans d'autres cas, celle-ci est précédée, durant quelques
heures, quelques jours, d'une petite fièvre erratique, qui
est comme l'appareil morbifique, l'agonie de ce genre de
mort.
Toutefois , ce qui toujours caractérise îa mort sénile , c'est
qu'elle se fait graduellement, et qu'elle procède de la cir-
conférence aux centres. D'une part, le vieillard, perdant
chaque jour quelques-unes de ses facultés , meurt comme par
degrés ; et comme ce sou t les facultés par lesquelles il se sentait
vivre, et qui conséquemment lui faisaient aimer la vie, qui
finissent les premières, il s'ensuit qu'il est conduit au tom-
beau sans s'en apercevoir , et que le sentiment de sa fin lui
est caché. Remarquons en passant que notre déclin se fait
dans un ordre inverse de notre développement : ce sont les
facultés que nous n'avons acquises qu'eu dernier lieu, les
facultés sensoriales , qui nous sont ravies les premières,
comme si elles avaient plus coûté à la nature , et que celle-ci
ne pût pas les faire produire aussi long-temps. D'autre part,
à îa différence de ce que nous verrons être dans la mort acci-
dentelle, ce sont les organes des fonctions centrales qui s'ar-
rêtent les derniers : tout est déjà mort aux extrémités, que
les organes centraux agissent encore. Mais à la fin, arrive un
instant où le cerveau s'arrête; alors la respiration cesse, puis
l'action du cœur, et l'homme a tout-à-fait cessé d'exister.
C'est dans cet ordre que les trois organes qui président sans
4;° DÉ LA MOUT.
interruption à la vie de l'homme , cessent leur service : une
expiration est le dernier acte apparent de la vie ; et peut-être
encore que cette expiration est l'effet physique dû retour
élastique des parois thoraciques sur elles-mêmes.
Tel est le lahleau de la mort sénile. Maintenant, quelle
est sa cause ? Nul doute que cette cause ne consiste dans les
détériorations qu'a éprouvées l'organisation ; mais il est dif-
ficile de préciser ces détériorations, et surtout d'expliquer
comment elles sont survenues. Beaucoup dé physiologistes
ont présenté comme telles : i° l'ossification des artères, d'où
résulte Un obstacle à la libre circulation du sang dans les
parties; 2° l'ossification des cartilages costaux, la diminu-
tion du système capillaire du poumon , d'où résulte un em-
pêchement à la sanguification ; 3° la flétrissure, l'indura-
tion graduelle du système nerveux, qui doivent finir par
rendre ce système impropre à l'accomplissement de l'inner-
vation, etc. Il est certain que ces détériorations doivent
avoir une influence , surtout celles qui portent sur les orga-
nes qui président aux deux conditions suprêmes de là vie>
la formation et la distribution du sang artériel , et l'inner-
va tion. La vie, consistant dans l'action réciproque du sang
artériel et de l'influence nerveuse, ainsi qu'il a été prouvé
plus haut, on conçoit que la mort, en général, doit tenir à
la cessation de l'une ou de l'autre de ces actions, et que la
mort sénile, particulièrement, doit dépendre de Ce qUe ces
deux actions, affaiblies graduellementpar le cours des ans, à la
fin cessen l toul-à-fait. Ainsi, d'une part, les al té rations succès*
sives qu'éprouve le poumon , et par suite desquelles cet or-
gane n'exécute plusqu'imparfaitement l'hématose; et d'autre
part, la flétrissure, l'induration graduelle dusystème nerveux,
qui devient de moins en moins propre à l'action nerveuse^ peu-
ventêtre considérées comme deux causesde mort qui sévissent
chaque jour avec plus de force, et qui s'activent réciproque-
ment. Mais cependant ce ne sont là , s'il nous est permis de
parler ainsi , que les apparences de la chose. Pourquoi le
système capillaire du poumon diminue- 1- il ? Pourquoi le
système nerveux se durcit-il ? Comment la Continuité de la
vie amène-t-elle nécessairement ce double résultat? C'est là
DE LA MOftT.. &J*
le véritable problème à résoudre, et la solution est impossi-
ble dans l'état aetuel de la science. La mort est un fait pre-
mier, qui sera inconnu tant qu'on n'aura pas découvert
l'essence de la vie : n'étant que la cessation de la vie, pour-
rait-elle n'être pas ignorée, tant que l'origine et la nature
de celle-ci le seront elles-mêmes? Dans son étude, comme
dans celle des autres phénomènes de la nature, nous n'a-
vons encore saisi que les surfaces; le fond nous est égale-
ment inconnu. Remarquons, en effet, que ces diverses dé-
tériorations qu'amène dans les organes le cours des ans, se
sont établies sous l'influence du mouvement vital; et dès
lors, il reste toujours à rechercher comment, dans le premier
âge de la vie, ce mouvement vital fait acquérir aux organes
tout leur développement, et leur donne toute l'énergie pos-
sible; et comment , dans le dernier, il les altère et les amène
graduellement à l'état où ils ne pourront plus agir. Quelle
est, dans l'organisation de l'homme, la partie qui est là,
condition matérielle de l'accomplissement de ce mouve-
ment? Cette condition réside-t-elle dans l'ensemble de tou-
tes les parties, ou plus spécialement dans une seule, qui
alors donnerait l'impulsion à toutes les autres? Ce sont là
autant de points, bien obscurs encore , et sur lesquels on ne
peut présenter que des conjectures. Une des plus vraisem-
blables est celle qui fait résider l'essence de la vie dans le
système nerveux, et qui conséquemment rattache à des
changements survenus dans ce système toutes les phases
de la vie , sa durée, sa fin. Dès lors, la manière d'être de ce
système dans chaque espèce, dans chaque individu, déci-
derait de l'époque à laquelle devrait arriver naturellement
la mort sénile ; et comme tout est mystère encore , soit dans
la structure de ce système , soit dans son mode d'action , on
n'aurait pas lieu d'être étonné de l'ignorance dans laquelle
nous sommes encore , et sur le commencement de la vie , et
sur les phénomèues qui proprement la caractérisent et l'en-
tretiennent, et sur sa fin ou la mort. Mais, outre que l'ad-
mission de cette théorie repose sur une conjecture qui , toute
vraisemblable qu'elle soit, ne peut être présentée que comme
telle, cette théorie n'apprend rien par elle-même, puisque
4j 2 DE LA MORT.
tout en elle est encore à découvrir. Dès lors nous nous
bornerons à poser les deux propositions suivantes : i° qu'il
est de l'essence de tout organisme vital de ne durer qu'un
certain temps , et de s'arrêter après une certaine durée ,
qui est réglée par sa propre nature ; 20 que c'est dans la
connaissance de la vie elle-même qu'est renfermée celle de
la mort ; et que , puisque l'essence de l'une est encore igno-
rée , celle de l'autre ne peut être connue.
Aux yeux du philosophe spéculateur, il semblerait que la
mort sénile , comme plus conforme à l'ordre de la nature,
devrait être la plus commune; et cependant, dans toutes
les espèces vivantes, ce n'est que le plus petit nombre des
individus qui y succombe. Le plus grand nombre, ou pé-
rissent lorsqu'ils ne sont encore que germes , ou sont mois-
sonnés prématurément par une mort accidentelle , dans le
cours de leur carrière. Cela est surtout vrai des espèces vi-
vantes supérieures , et par conséquent de l'espèce humaine ;
plus l'organisation est compliquée, plus les nécessités de la
vie sont nombreuses , plus les chances de maladie sont gran-
des , et plus il y a risque de mort accidentelle. Aussi , rien
de plus rare que la mort sénile dans l'homme ; les vieillards
eux-mêmes sont le plus souvent emportés par une maladie.
Ce que nous allons dire ci -après de la mort accidentelle ,
donnera la raison de ce fait. Nous ferons seulement, à son
égard, cette réflexion philosophique , c'est qu'il est trop gé-
néral pour être fortuit ; il entrait certainement dans les
vues de la nature et dans l'harmonie générale de ce monde ,
que la plus grande partie des êtres organisés pérît avant le
terme naturel de leur existence ; et c'est pour cela que les
chances de mort sont pour eux aussi multipliées que sont
fécondes les sources de leur reproduction.
20 La mort accidentelle est celle qui , faisant périr les
êtres organisés dans le cours de leur carrière , mais avant son
terme naturel , reconnaît pour cause une détérioration sur-
venue accidentellement dans les organes, et qui arrête Je
mouvement de vie avant l'époque à laquelle celui-ci se se-
rait arrêté de lui-même. Ce genre de mort, non-seulement
a l'inconvénient de rendre la vie plus courte, mais encore
DE LA MORT. 473
il rend la perte de l'existence plus amère , en venant saisir
sa victime au milieu de toutes les jouissances et des espé-
rances de la vie, et en la frappant tout à coup de manière
à ce qu'elle assiste tout entière à ses progrès. Cependant
nous venons de dire qu'il est le plus commun , surtout dans
les espèces vivantes compliquées, et par conséquent dans
l'homme. Que de causes diverses en effet peuvent produire
chez nous la mort accidentelle ! i° Des accidents , coups,
chutes, écrasements , blessures , qui produisent mécanique-
ment ou chimiquement la désorganisation des appareils qui
entretiennent la vie. 2° La privation des matières que nous
devons irrésistiblement puiser dans l'univers pour notre
conservation , comme celle de l'air de la respiration , celle
des aliments, etc. 3° L'application au corps humain, par
quelque voie que ce soit, des substances dites poisons, et
qui tuent : ou parce qu'elles corrodent ou enflamment lo-
calement les organes ; ou parce que , absorbées et portées
dans le sang, elles vont altérer ce fluide , ou enrayer l'action
nerveuse , et anéantir ces conditions fondamentales de la
vie. 4° L'application au corps humain d'un froid intense
et prolongé qui, soutirant tout le calorique que peut
produire le mouvement vital, par suite étouffe celui-ci.
5° Enfin, le développement spontané, d'actions morbides
diverses; actions qui , plus ou moins promplement, détrui-
sent la texture des organes ou arrêtent leurs fonctions. Ainsi,
des irritations, des inflammations surviennent fréquemment,
pendant le cours de la vie, dans les organes du corps ; d'où
résultent : altération de la texture de ces organes, au moins
suspension ou perversion momentanée dans leurs fonctions,
trouble général plus ou moins grand dans toute l'éco-
nomie, en raison de leurs rapports fonctionnels et sympa-
thiques, et enfin mort. On conçoit que la gravité de ces
actions morbides, et par conséquent l'imminence de la mort
accidentelle, seront d'autant plus grandes que ces affections
siégeront en un organe plus nécessaire à la vie , et qui exer-
cera sur toute l'économie une influence plus étendue. Les
causes qui les font naître ou consistent dans des influences
extérieures, comme les impressions du chaud ou du froid ;
4 74 DE LA MORT.
ou tiennent à l'emploi même des organes , comme quanti
l'exercice abusif d'une partie y fait développer une inflam-
mation funeste, ou qu'un régime vicieux a altéré l'état
général des humeurs ; ou bien enfin résident dans des
perturbations organiques , amenées par la révolution des
âges, par l'accomplissement de quelques fonctions qui sont
naturellement orageuses, comme la grossesse et l'accouche-
ment chez la femme, les violentes passions dans les deux,
sexes, etc. Du reste, nous n'avons pas à développer ici l'é-
tiologie des maladies; il suffit que ces maladies surviennent
fréquemment, pour que nous les mettions au rang des
causes de mort accidentelle. Seulement nous remarquerons
que la constitution originelle influe sur leur production ,
autant que les influences extérieures e*t le mode d'emploi
de la vie : tel est né avec une organisation moins maladive
que tel autre, et vice versa; et ceci est vrai , non-seulement
de tel système du corps en général , mais encore de tel organe
en particulier. Nous ajouterons qu'il n'est pas plus facile de
préciser ce qui donne à une organisation une grande force
de résistance et assure la stabilité de la santé , qu'il n'a été
facile de démêler ce qui donne droit à une longue vie. Il
est vraisemblable que cela réside encore dans une manière
d'être du système nerveux; car, si l'on excepte les maladies
qui consistent daus une affection primitive des fluides , c'est
toujours par une modification du jeu de ce système que
commencent celles des maladies des solides qui sont dues à
des causes organiques.
Toutefois, il suffit de réfléchir combien sont nombreuses,
et combien agissent fréquemment sur l'homme ces causes
de mort accidentelle, pour s'expliquer pourquoi cet être
en est si souvent la victime^ La variété et la multiplicité de
ces causes expliquent aussi pourquoi cette mort arrive à
des époques si diverses de notre carrière > et se montre sous
des traits si variés. Tantôt elle frappe l'homme subitement,
en quelques secondes , quelques minutes ; tantôt , elle sur-
vient après quelques jours, quelques semaines de maladies;
quelquefois enfin elle est, comme on le dit, chronique, et
s'annonce de loin%
Dt LA MORT. 475
Quand la mort est subite, sa cause réside nécessairement
dans les organes centraux qui président aux deux conditions
fondamentales de la vie, dans le cœur, le poumon, ou le
cerveau. Si une détérioration survient tout à coup dans
ces organes, ils cessent de dispenser le sang artériel etl'in-^
nervation nécessaires à toute vie; et toutes les autres parties
privées tout à coup, au milieu de l'exercice de leurs fonc-
tions, de ces deux influences, s'arrêtent immédiatement.
Telles sont les morts par asphyxie, par la rupture d'un
anévrisme du tcEur, par une apoplexie foudroyante, etc.
Jadis ces morts étaient toutes confondues sous le nom uni-*
que de morts subites ; mais la physiologie est parvenue à
les distinguer entre elles, selon qu'elles arrivent par une
altération, ou du cœur, ou du poumon, ou du cerveau.
ioLa mort subi te pardéfaut d'action du poumon, ou par arrêt
de la respiration, s'appelle asphyxie : l'individu éprouve
d'abord un sentiment pénible d'angoisse, dû à l'impossibi-
biîité de respirer ; il cherche, par des efforts inspirateurs ,
soupirs, bâillements, à appeler dans le poumon l'air dont
il a besoin ; bientôt la face, les lèvres deviennent bleues,
violettes ; la tête devient lourde , fait éprouver des vertiges ,
et tout à coup, toutes les fonctions sensoriales se suspendant,
l'individu tombe sans sentiment et sans mouvement ; enfin,
le cœur, qui a continué de battre , ne tarde pas à s'arrê-
ter; et dès lors la mort est accomplie. Tout cela se fait plus
ou moins promptement, selon que la respiration a été plus
ou moins complètement suspendue. Les téguments du ca-
davre, la face surtout, sont livides; toutes les parties re-
gorgent de sang , et ce sang , qui est noir, fluide , non coa-
gulé, est surtout rassemblé dans le système vasculaire à sang
noir ; le système vasculaire à sang rouge est au contraire
vide, ou n'en contient qu'une petite quantité. La mort ici
est évidemment due , à ce que l'hématose artérielle ne s'est
pas faite ; toutes les parties du corps ne recevant plus
alors que du sang veineux, ont du s'arrêter. 2» La mort
subite par défaut d'action du cœur, ou par arrêt de la cir-
culation , s'appelle syncope. Dans ce genre de mort , la ces-
sation des fonctions est plus prompte ; on perd soudain tout
476 DE LA MORT.
gentiment, tout mouvement; la respiration s'arrête, et,
presque instantanément, l'on tombe privé de vie. La face ,
loin de devenir violette, a pâli; les extrémités sont deve-
nues roides; le corps s est couvert d'une sueur glacée. A la
différence de ce qui était dans le cadavre de l'asphyxié , les
poumons et les divers organes du corps sont vides de sang.
La mort est due , non à ce qu'il ne se fait plus de sang
artériel, mais à ce qu'il n'en est plus envoyé dans les or-
ganes. 3° Enfin, dans la mort par défaut d'action du cer-
veau, ou par arrêt de l'innervation, mort dont une apo-r
plexie foudroyante offre un exemple, d'abord s'arrêtent
toutes les fonctions sensoriales, l'individu tombe sans sen-
timent ni mouvement; bientôt la respiration participe du
trouble; cette fonction devient difficile, imparfaite, puis
cesse; enfin le cœur s'arrête en dernier lieu. Selon que
l'action cérébrale a été plus ou moins promptemenî. et
complètement anéantie, ces divers phénomènes se sont
succédés avec plus ou moins de rapidité; si la lutte a été
un peu longue, le poumon est devenu le siège d'un engor-
gement sanguin, il a éprouvé comme une asphyxie gra-
duelle; le cadavre présente les mêmes apparences que dans
la mort par asphyxie. La cause de la mort est ici la cessa-
tion de l'innervation, cessation qui entraîne l'arrêt de
toutes les fonctions, mais d'autant plus promptement que
ces fonctions sont plus élevées en animalité.
Dans toutes ces morts subites, il est facile de s'expliquer
pourquoi la mort arrive , ainsi que les traits divers avec
lesquels elle se présente , et les différences qu'offre dans
chacune d'elles le cadavre. Il n'en est pas toujours de même
dans le second genre de morts accidentelles, c'est-à-dire
dans celles qui surviennent après quelques jours ou quel-
ques semaines de maladie. Ici , la cause de la mort est la
lésion grave de quelque organe noble ou étendu. D'abord
ont éclaté des symptômes locaux , relatifs à l'organe qui est
3e siège du mal , et qui conséquemment sont variables
comme lui. Ensuite sont survenus des symptômes géné-
raux \ dus à la réaction de cet organe sur toute l'économie,
soit par rapports fonctionnels, soit par rapports sympa thi-
DE LA MORT. 477
ques. Enfin la mort arrive au milieu de tout cet appareil ,
plus ou moins promptement, et avec des phénomènes très
divers. Oiv, quelquefois la physiologie peut encore indiquer
pourquoi la mort est survenue : par exemple , quand l'or-
gane malade est un de ceux chargés d'une fonction vitale ,
et a éprouvé une altération matérielle qui l'empêche d'agir ,
comme quand, dans une pneumonie, le poumon s'est hépa-
tisé. Mais le plus souvent elle ne le peut pas. Par exemple ,
pourquoi meurt-on si promptement dans une péritonite? Le
péritoine n'est pas chargé de l'accomplissement d'une fonc-
tion vitale; il n'est que le lien qui unit à Fabdomen les
viscères situés dans cette cavité : il semble qu'à ce titre une
maladie de cet organe ne devrait jamais être mortelle. Ce-
pendant le contraire existe , comment cela se fait-il? il faut
bien qu'il y ait eu une influence exercée sur l'une ou l'autre
des deux conditions de la vie: ou épuisement de l'innerva-
tion parla douleur, ou altération du sang artériel par suite
de l'épanchement que cause la maladie? Mais laquelle de
ces influences est réelle? en quoi consiste-t-elle ? C'est ce
qu'on ne peut préciser. Toutefois , dans ce second genre
de mort accidentelle, les phénomènes de la mort sont encore
plus variables que dans la mort subite. Tantôt, c'est au
milieu même des symptômes les plus orageux , et lorsqu'il
y avait encore des indices d'une assez grande énergie vitale »
que le dernier soupir est rendu : tantôt, au contraire, c'est
après la disparition graduelle de ces symptômes , et à la
suite d'un affaiblissement qui d'heure en heure a fait des
progrès. Quelquefois, le malade conserve jusqu'à la fin ses
facultés sensoriales , et sent sa mort approcher. D'autres
fois , il n'a pas la connaissance de sa fin , soit parce qu'il est
dans le délire , soit parce que le cerveau éprouve le premier
les atteintes de l'affaissement qui pèse sur tous les organes.
Rien n'est plus variable que le genre de mort dont nous
traitons ici, et tout médecin. a lieu d'être frappé chaque
jour de la différence des tableaux qui lui sont offerts sous ce
rapport. Tel malade expire sans angoisses et en parlant; \eï
autre lutte long-temps, et ne meurt qu'après une doulou-
reuse et longue agonie. Ces différences tiennent à l'organe
478 DE LA MORT.
qui est le siège du mal , et à la nature de la réaction que
cet organe suscite dans le reste de l'économie , et surtout
dans les centres de la vie. Le cerveau est-il primitivement
ou secondairement affecté? le malade perd ses facultés sen-
soriales, et, conséquemment, n'a la connaissance, ni de ses
souffrances, ni de sa mort. Au contraire, cet organe est-il
intact? la fin sera d'autant plus anxieuse, que la partie qui
est le siège du mal sera, par la nature de celui-ci, plus apte à
développer de la douleur. Remarquons cependant que clans
tous ces cas, quelque divers qu'ils soient, il faut bien,
pour que la mort arrive , que les organes centraux de la vie
aient été d'une manière ou d'une autre affectés; et à cet
égard il est vrai de dire que ce second genre de mort acciden-
telle se rapproche toujours un peu du premier , c'est-à-dire
de l'une ou de l'autre des trois espèces de mort subite.
Ou bien le mal siège primitivement dans le poumon, Je
cœur , ou le cerveau , et la mort , étant due à l'arrêt de ces
organes, arrive comme dans les morts subites, seulement
avec plus de lenteur ; ou le mal siège en une autre partie,
et alors il n'est mortel qu'en entraînant fonGtionnellement
ou sympatliiquement une altération de l'un ou de l'autre
des trois centres. Il est rare que ce soit le cœur ; presque
toujours c'est le cerveau : sous l'influence de celui-ci , se
perturbe ensuite la respiration ; le poumon s'engorge , la
respiration devient difficile, se fait avec râle, comme dans
la plupart des agonies; et, sauf les cas où la mort arrive par
affaissement, le plus souvent on meurt comme dans une
asphyxie graduelle. Les physiologistes expérimentateurs ont
beaucoup étudié le mécanisme de la mort accidentelle su-
bite : c'est aux physiologistes praticiens et cliniques qu'il
appartient d'analyser celui de la mort accidentelle à la suite
des maladies aiguës.
Enfin , dans un troisième cas , la mort accidentelle ne
survient qu'après des mois et des années , et a été annoncée
et prévue de loin. Sa cause alors , ou réside encore dans un
organe central , mais dont l'affection , trop faible dans le
principe pour arrêter son action, est de nature à ne faire
que des progrès lents; ou siège dans un organe moins iru-
DE LA MORT. 4^9
portant, mais dont Fàffection cependant anéantit à la
longue, mais graduellement, soit la formation et distribu-
tion du sang artériel, soit l'innervation. Tel est le cas des
morts; ou par une phthisie pulmonaire qui peu à peu détruit
l'organe qui fait le sang; ou par un squirre au pylore, qui
détruit le viscère qui fournit au sang ses matériaux répara-
teurs ; ou par une affection chronique de l'encéphale qui , à
la lin, anéantit toute innervation. Dans ces cas, surtout
dans les deux premiers , on voit chaque jour l'individu mai-
grir, s'affaiblir; et la mort arrive par des progrès aussi
gradués que dans la vieillesse , si ce n'est que , sauf le cas où
il y a lésion organique du cerveau, la vie animale persiste ,
et Findividu assiste à sa destruction.
Telle est la mort accidentelle, mort susceptible de pré-
senter de nombreuses variétés, et qui en présentera d'au-
tant plus dans les êtres vivants, que ces êtres seront plus
compliqués. Que d'oppositions sous ce rapport entre le vé^
gétal et l'animal? Chez le premier, les causes de mort sont
moins multipliées ; elles se réduisentà des lésions physiques,
aux influences des constitutions atmosphériques, et à un
petit nombre de lésions organiques provoquées par le travail
de la vie. Dès lors la mort offre toujours à peu près les
mêmes traits, et ne diffère que par le temps qu'elle a mis
à s'accomplir, et le degré de dessèchement dans lequel elle
a laissé le cadavre, Dans l'animal, les causes de mort sont
bien plus nombreuses; une organisation plus compliquée
expose surtout à un plus grand nombre de lésions organi-
ques, et nous avons vu que c'était ces dernières qui impri-
maient particulièrement à la mort des physionomies diffé-
rentes. D'ailleurs , n'esb-il pas reconnu dans les arts méca-
niques, que plus une machine est compliquée, plus elle
est exposée à se déranger, à se détruire ? et peut-on s'éton-
ner dès lors que la complication de l'organisation multiplie
les causes de maladies et de mort ?
Toutefois, ce qui généralement caractérise la mort acci-
dentelle au milieu de toutes les variétés qu'elle est suscep-
tible d'offrir, c'est qu'à la différence de la mort séniie
souvent elle survient vite, et toujours procède du centre
48o DE LA MORT.
à la circonférence. Ce sont les fonctions centrales qui se sus-
pendent les premières, et ce n'est que consécutivement que
s'arrêtent dans la généralité du corps les fonctions intimes
pour lesquelles ces fonctions centrales sont un échafaudage
obligé. De là, la possibilité qu'on a eu quelquefois dans
la mort accidentelle, et qui n'existe jamais dans la mort sé-
nile , de rappeler l'individu à la vie , comme cela se voit en
beaucoup de morts subites, chez les noyés, par exemple.
De là surtout , la persistance pendant quelque temps encore,
pendant des heures, des jours, de quelques actions vitales
dans la profondeur des organes, et le retard de la putré-
faction du cadavre. Mais ceci nous conduit à traiter du
cadavre lui-même , et à exposer ce qui lui arrive jusqu'à
sa complète destruction.
D'abord, ce qui distingue physiquement le cadavre du
corps vivant, c'est son état d'insensibilité, d'immobilité,
son état glacé ; la mollesse , la flaccidité que présentent bien-
tôt les chairs; la disposition qu'ont à se coaguler, à se vapo-
riser, à s'altérer les fluides , qui ne se meuvent plus que
par les forces physiques; en un mot, sa putrescibilité, d'où
résulte sa destruction plus ou moins prompte. En second
lieu, ce cadavre diffère, et sous le rapport de ses apparences.,
et relativement au caractère que présente sa putréfaction ,
selon que la mort a été sénile ou accidentelle.
Dans la mort sénile, le cadavre est dans un état d'éma-
ciation générale ; il n'y a presque plus de sang, non plus
que d'autres fluides; le cœur est mou et pale, le poumon
presque desséché; toutes les parties sont dans l'état d5amai-
grissement, de dessèchement que nous avons décrit. De plus,
toutes les forces de la vie ayant été épuisées , il ne reste
aucuns vestiges d'actions vitales ; et , non-seulement les
fonctions centrales, dont l'arrêt constitue la mort, ont cessé
d'agir, mais encore toutes celles qui se passent dans la pro-
fondeur des tissus, comme nutritions, calorifications, ab-
sorptions, etc. Aussi , à peine le dernier soupir est-il exhalé
que déjà le cadavre est froid; on ne peut, par aucun sti-
mulus, réveiller des contractions dans les muscles; ce que
nous allons décrire ci-après , sous le nom de roideur cadavc-
DE LA MORT. $8 l
rique , et qui paraît être un dernier effort de la contractai lé
musculaire, ne s'établit pas , ou est peu intense , ou de peu
de durée; aucun reste de vie ne s'oppose à l'établissement
soudain de la putréfaction; et si celle-ci est cependant plus
tardive que lorsque la mort est accidentelle, c'est que le
cadavre est desséché, et que l'humidité qui, avec la chaleur
et le contact de l'air, est une condition nécessaire à son éta-
blissement, manque.
Dans la mort accidentelle, au contraire, le cadavre sera
d'autant moins émacié, et présentera une proportion de
fluides d'autant plus grande , que la mort aura été plus
subite, plus prompte , et aura frappé l'individu à un âge
moins avancé. Mille variétés pouvant exister sous ces deux
points de vue, les cadavres aussi pourront présenter des
traits extrêmement différents. Quelle opposition entre le
cadavre du jeune homme frappé par un accident subit , dans
la force de l'âge, et celui de l'homme déjà âgé, et qui suc-
combe à une maladie chronique qui a longuement usé toutes
les forces de la vie ! De même que l'examen d'un cadavre
peut faire préjuger l'âge qu'avait, lors de la mort, la personne
dont il est le reste, de même cet examen peut faire préjuger
à quel genre de mort elle a succombé. De plus, dans
la mort accidentelle, toutes les forces de la vie n'ont pas
été complètement épuisées; et toujours persistent quelques
actions vitales, avant l'extinction desquelles la putréfaction
ne peut s'établir. Ces actions sont celles qui sont les moins
élevées dans l'animalité , qui se passent dans les paren-
chymes; et il en reste d'autant plus, et d'autant plus long-
temps, que la mort a été plus imprévue , a surpris à un âge
plus fort et au milieu d'une santé meilleure, et a été pré-
cédée d'une lutte moins longue. Ainsi, en même temps que
se sont arrêtées les fonctions centrales de la respiration, de
la circulation , ont été anéaiitis aussi toutes les actions sen-
soriales, tous les mouvements musculaires volontaires, parce
que ces actes sont les plus élevés de la vie; mais, au con-
traire, beaucoup de fonctions organiques persistent. Voyez ,
par exemple, la chaleur animale; souvent il faut plusieurs
heures , un jour et plus , après l'exhalation du dernier
Tome IV. 3i
482 DE LA MORT.
soupir, pour que le cadavre arrive à l'état glacé qui lui est
propre; cela est eu raison de l'âge auquel a été frappé le
malade, de la promptitude avec laquelle a agi la cause qui
l'a tué, de la lutte qui a précédé la mort. De même, per-
sistent quelques-unes des autres fonctions qui se passent
dans les parenchymes; on a vu, par exemple, des absor-
ptions s'effectuer; certaines parties, comme la barbe, les
cheveux, etc., croître. Et, en effet, si les calorifications
mettent quelque temps à s'éteindre, pourquoi cela ne serait-
il pas de même des nutritions? Cela sera encore en raison
des mêmes circonstances indiquées plus haut ; et ces diverses
actions ne s'arrêteront que lorsque sera consommé tout le
reste de l'influence nerveuse. Ce reste de vie enfin, peut
même s'observer en des fondions plus relevées? Qui oserait
assurer qu'il ne se fait pas encore quelques sécrétions; que
si des aliments sont dans l'estomac, ils n'y sont pas encore
un peu digérés? On dit avoir prolongé artificiellement dans
des cadavres l'activité de ces fonctions par le moyen du gal-
vanisme, de même que par ce stimulus on a excité la con-
traction des muscles. Quant à la possibilité de la persistance
de celle-ci , elle est incontestable. On a vu le rectum , la
vessie se contracter dans des cadavres , et accomplir leurs
actions d'excrétions : il en est de même de l'utérus, et les
cas de femmes qui sont accouchées spontanément après la
mort, ne sont pas rares. On peut, en appliquant aux muscles
divers stimulants mécaniques ou chimiques, en exciter les
contractions, et cela plusieurs heures après l'exhalation du
dernier soupir. Faut-il rappeler toutes les expériences de ce
genre dans lesquelles on a , parle galvanisme, fait con-
tracter le coeur, l'estomac, l'intestin, la vessie , l'utérus,
les muscles de la physionomie , de la respiration , des
membres , etc. ? Ce n'était que lorsqu'on avait épuisé le
reste de l'influence nerveuse, que le muscle se montrait
muet à l'excitation; et voici, selon Njsten , dans quel
ordre les parties cessaient de se contracter : d'abord le
ventricule aortique; puis, le gros intestin , le petit , l'esto-
mac , la vessie, le ventricule pulmonaire; en troisième
lieu, l'œsophage, l'iris, les divers muscles de la vie animale;
DE LA MORT. 483
en dernier lieu , les oreillettes, et particulièrement l'oreil-
lette pulmonaire. Enfin , il est un phénomène qui décèle le
reste de puissance contractile que conservent et développent
encore les muscles après la mort, c'est celui de la roideur
cadavérique. Quand le cadavre a perdu sa chaleur, il de-
vient roide, et cette roideur est le dernier effort de la ccn-
tractilité musculaire, et par conséquent un dernier phéno-
mène de vie. En voici les preuves : i« La roideur survient
plus ou moins promptement ou tardivement, selon que la
mort a frappé l'individu dans un état plus ou moins grand
d'épuisement ; et c'est pour cela qu'elle manque souvent
dans le cadavre de la personne qui a succombé à la mort
sénile, ou à une maladie chronique. 20 Sa durée et son
énergie sont en raison du degré d'épuisement de la force
nerveuse; et c'est pour cela que faible et passagère dans la
mort sénile, dans la mort accidentelle chronique, elle est,
au contraire , fort intense , et dure quelquefois plusieurs
jours dans le cadavre de l'individu frappé de mort subite,
dans la fleur de l'âge et la force de la santé. 3° Elle persiste
d'autant plus qu'elle a commencé plus tard; car étant le
dernier effort de la vie, et n'apparaissant que lorsque tous
les phénomènes vitaux ont cessé , son apparition tardive
annonce que le cadavre conservait encore beaucoup de puis-
sance vitale, et par conséquent elle devra durer plus long-
temps pour en effectuer l'entier épuisement. 4° Enfin ,
Tordre dans lequel elle s'établit est toujours le même; ce
sont d'abord les muscles du tronc qu'elle saisit, puis ceux
du cou; en troisième lieu, ceux des membres thoraciques;
enfin, ceux des membres inférieurs, et c'est aussi dans cet
ordre qu'elle cesse. Or, si, comme le démontrent ces faits di-
vers , la roideur cadavérique est le dernier effort que fait la
vie, on conçoit que le cadavre doit différer beaucoup sous
le rapport de ce phénomène, selon que la mort a été
sénile ou accidentelle. Tandis que dans la mort sénile
il n'offre aucunes traces de cette roideur, dans la mort
accidentelle il la présente pendant un temps d'autant plus
long, et avec une énergie d'autant plus grande, que celle
mort accidentelle a été plus subite, et est arrivée à un âge
01
484 DE LA MORT.
plus rapproché de celui de la consistance. Cette roideur ,
comme la persistance de quelques autres fonctions , tient à
l'influence nerveuse qui ne s'éteint que par degrés, quand
Je système , qui dispense cette influence , était plein de
force quand la mort est survenue ; et elle est un nouveau
fait qui appuie la conjecture que nous avons émise, que
c'est la détérioration du système nerveux qui amène la mort
sénile , et que c'est dans l'action de ce système que réside Je
secret de la vie et de la mort. En somme , dans la mort
accidentelle, la persistance de quelques phénomènes de vie
.retarde l'instant de la putréfaction; celle-ci ne commence
qu'après qu'ils ont cessé; et si cependant elle paraît plus
prompte que dans la mort sénile , c'est que le cadavre est
plus riche en fluides , et offre les conditions physiques
de la putréfaction à un degré plus prononcé. La mala-
die, d'ailleurs, a pu y prédisposer davantage les organes.
Du reste , l'état du cadavre pouvant être très divers dans la
mort accidentelle, les phénomènes de la putréfaction et sa
rapidité doivent l'être aussi. Voici d'une manière générale
quelle est sa marche.
D'abord le cadavre se refroidit , et cela graduellement par
les surfaces et les extrémités, et d'autant plus vite, que
l'épuisement nerveux par l'âge ou la makdie a été plus
grand , que l'individu est plus maigre , plus privé de sang,
et que l'atmosphère est plus froide. Pendant tout le temps
que le corps emploie à se refroidir, le sang reste fluide. D'un
côté, les artères, conservant leur élasticité, se vident de
celui qu'elles contiennent , et ce fluide généralement s'ac-
cumule dans les veines-caves, les oreillettes du cœur, et les
vaisseaux du poumon. D'un autre côté, ce sang, obéissant
à la pesanteur, s'amasse dans les parties qui sont déclives,
et y forme des lividités : le reste du corps est alors pâle et
jaune. H y a quelques variétés dans cette situation du sang ,
selon celui des trois organes centraux qui s'est arrêté Je
premier lors de la mort; si c'est le cœur, le poumon est
tout vide; si c'est le poumon ou le cerveau, le poumon et
tout le système vasculaire à sang noir en sont surchargés,
et le système vasculaire à sang rouge est tout vide. Ce der-
DE LA MORT. 485
nier élat est le plus fréquemment observé, parce que, dans
les morts accidentelles , c'est ordinairement le poumon qui
s'engorge le premier. Pendant cette période de refroidisse-
ment, le corps est flexible et mou, les yeux sont enîr'ou-
verts, la lèvre et la mâchoire inférieures sont pendantes, là
pupille est dilatée , etc. Quand le cadavre est refroidi ; d'un
coté le sang se coagule, et forme des concrétions blanches
oucitrines, qui se moulent dans les vaisseaux; de l'autre,
s'établit la roideur cadavérique. Enfin , quand celle-ci cesse ,
là putréfaction commence; c'est-à-dire un mouvement in-
testin, inverse de l'action organique, qui détruit toutes lès
combinaisons que l'action vitale avait formées, et qui rend'
la matière quicomposait le corps à la masse générale des corps
inertes. Les parties molles perdent leur roideur. acquièrent
une mollesse qui augmente graduellement,, et s'affaissent
sur elles-mêmes. Les humeurs reprennent leur fluidité;
transudant à travers leurs réservoirs, elles vont imprégner
de leur odeur et de leur couleur les parties environnantes ;
celles de l'œil, par exemple, passent à travers la cornée,
d'où l'affaissement de cet organe; et, se mêlant aux corpus-
cules qui voltigent à sa surface , elles y forment un enduit
ténu. Le cadavre exhale une vapeur, d'abord' fade, plus
tard, infecte , qui , étant le produit de la volatilisation de
quelques-unes de ses parties, diminue son poids. La putré-
faction commence généralement, et par l'abdomen, à cause
des matières excrémentitielles accumulées dans cette cavité,
et par les organes les plus mous, les plus imprégnés de li-
quides , ou ceux qu'a engorgés , altérés la maladie. Peu à peu
cette putréfaction devient générale : l'épiderme est souleva
par des amas de sanie brunâtre ; les chairs , imbibées de
liquides, deviennent gluantes, verdâtres, pulpeuses, am-
moniacales; leur texture disparait; confondues avec les li-
quides, elles se réduisent en un putrilage demi-fluide , mêlé
de bulles de gaz, et de l'odeur la plus infecte* Après un
certain temps, il ne reste plus que les os, lesquels eux-mêmes
deviennent à la fin friables, pulvérulents, et ne laissent qu'un
faible résidu terreux. Les éléments divers qui formaient le
corps, arrachés ainsi aux combinaisons dans lesquelles la
4S6 DE LA MORT.
vie les avait entraînés, sont rendus à l'empire des lois phy-
siques et chimiques, et vont concourir à la formation d'au-
tres corps. Tout ce qu'il y avait de matériel dans l'homme
est détruit ; et c'est ainsi que , sous le rapport corpo-
rel , se trouve fondée l'idée de la transmutation , de la
métempsycose de Pythagore. Ce travail destructeur est plus
ou moins prompt, selon l'état plus ou moins desséché dans
lequel était le cadavre , et selon que se trouvent plus ou
moins complètement réunies les conditions physiques qu'il
exige, savoir : le contact de l'air, la chaleur, l'humidité. Il
est susceptible d'offrir beaucoup de variétés, dans l'expo-
sition desquelles il nous est impossible d'entrer. Quelque-
fois, par exemple, dès son début, il se fait un dégagement
considérable de gaz, ou dans le canal intestinal, ou dans
les membranes séreuses , ou dans le tissu cellulaire , les vais-
seaux; et il en résulte divers phénomènes cadavériques re-
marquables, comme reflux par la bouche et les narines du
mucus et des matières contenues dans l'estomac, grande
tuméfaction du ventre, refoulement du sang dans la tête , le
col , les organes génitaux; sortie de ce fluide par des plaies,
ce qui constitue ce qu'on appelle la cruentation cadavéri-
que; excrétion de gaz , emphysème, etc. Mais les généralités
que nous avons présentées suffisent pour expliquer toutes
les différences qui peuvent être observées.
CINQUIÈME PARTIE.
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
L'homme ne diffère pas seulement par ses âges , mais
encore par les proportions de volume et d'activité de ses
diverses parties constituantes; chacun offre à cet égard une
mesure qui fonde ce qu'on appelle sa constitution. Sans
doute il faut, pour qu'il y ait sanlé, c'est-à-dire accom-
plissement facile et complet de toutes- les facultés de la vie,
que les parties qui composent le corps humain soient dans
de certains rapports de volume, de densité , de nature, elc.
Mais ces rapports comportent une certaine latitude; certains
organes peuvent être , sans obstacles pour la santé , plus ou
moins que d'autres développés, actifs; il en résulte seule-
ment des différences dans les apparences extérieures des
hommes , dans le caractère de leurs fonctions , de leurs fa-
cultés , dans l'ensemble de leur vie.
Ces différences ne sont pas exclusives à l'homme; on en
observe d'analogues dans tous les autres êtres organisés, tant
végétaux qu'animaux. Si toute espèce vivante est organisée
sur un même plan , jamais divers individus d'une même
espèce ne sont tout-à-fait semblables; toujours chacun offre
quelques différences de proportion, de développement, d'é-
nergie, dans quelques-unes de ses parties; il n'y a rien
de complètement uniforme dans la nature. Que de va-
riétés dans les diverses feuilles et fruits d'un même arbre,
dans la stature des divers animaux d'une même espèce ! Mais
dans aucun animal ces différences ne sont aussi nombreuses
que dans l'homme ; car cet être est de tous celui qui a l'or-
ganisation la plus compliquée , et il n'est aucune des parties
de son corps qui ne soit susceptible de présenter quelques
particularités individuelles remarquables.
488 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
C'est de ces différences , en tant qu'elles sont compatibles
avec l'étal de santé, que nous avons à traiter ici. D'abord,
il est plusieurs d'entre elles qui frappent aussitôt les yeux :
ne voyons-nous pas les hommes différer les uns des autres
par la stature, l'embonpoint, la couleur de la peau et des
cheveux, la disposition des traits de la figure, par le degré
d'activité des sens, le caractère des facultés de l'esprit et du
cœur, par la force musculaire, le degré de stabilité de la
santé ou la susceptibilité aux maladies, la longévité, etc. ?
En second lieu, ces différences, considérées sous le rapport
de leurs causes, sont natives ou acquises; c'est-à-dire que
les unes tiennent à l'organisation qu'on a reçue en naissant
de ses parents , et que les autres sont dues aux modifications
que le cours de la vie a amenées dans les organes, en raison
de la mesure dans laquelle ou a exercé ceux-ci, et des in-
fluences extérieures auxquelles on a été soumis. En troisième
lieu, ces différences sont innombrables; d'une part, en
effet, chaque partie solide du corps, chaque humeur, peut
offrir quelques particularités; et de l'autre , il peut y avoir
mille variétés dans les proportions des unes et des autres.
Aussi , ces différences sont-elles aussi multipliées que le sont
les individus eux-mêmes; il n'est aucun homme qui, dans
son organisation , et par conséquent dans le caractère de sa
vie, n'offre quelques spécialités; ainsi que nous l'avons
annoncé, chacun a sa constitution ; il y a long-temps qu'on
a dit qu'il n'existe dans la nature que des individualités.
Enfin , ces différences n'ont pas un égal degré d'importance.
i° Les unes ne portent que sur des organes qui n'exercent
aucune influence générale sur l'économie , et sont d'ailleurs
si légères, qu'elles n'impriment aucun caractère nouveau à
la fonction dont ces organes sont les agents; cette fonction
seulement se montre un peu plus ou un peu moins énergi-
que. Ainsi y on peut avoir l'organe d'un sens plus ou moins
délicat, la vue, par exemple, myope ou presbyte. 2° D'au-
tres, bien que portant encore sur un seul organe, et sur un
organe qui reste isolé . sont cependant assez considérables
pour imprimer à la fonction de cet organe un caractère in-
solite, irrégulier, qui fait contraste avec celui qu'elle pré-
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME. 489
sente ordinairement; et ce sont celles-ci qu'on appelle idio-
syncrasies. Ainsi, le goût peut rechercher telle saveur,
l'estomac appeler comme aliment telle substance, qui gé-
néralement répugnent à tous les autres hommes. 3° D'autres
résident en des organes qui exercent sur toute l'économie
une grande influence, et qui ne peuvent par conséquent
offrir quelques spécialités, quelques disproportions de dé-
veloppement et d'énergie , sans modifier plus ou moins tout
le corps, sans imprimer à l'homme une physionomie physi-
que et morale particulière; et ce sont celles-là qu'on appelle
tempéraments . Ainsi , il est impossible que les divers appa-
reils qui font le sang soient prédominants sans qu'il n'en
résulte une modification générale dans l'économie, sans
, que tous les organes ne se ressentent dans leur nutrition et
dans leur degré d'activité, de la plus grande abondance et
de la plus grande richesse de ce fluide qui les nourrit et les
excite à l'action. 4° Enfin, il est de ces différences qui semblent
tenirà l'organisation primitive de l'homme, et qui semblent
contredire l'idée de l'unité de son espèce : ce sont celles qui
fondent ce qu'on appelle les races humaines . Ainsi, l'homme
nègre est distinct de l'homme blanc ou caucasique, etc.
Comme on le conçoit , nous ne pouvons traiter de toutes
ces différences. D'abord , il nous serait impossible de si-
gnaler toutes les constitutions, puisque nous avons dit
qu'elles étaient en même nombre que les individus. En-
suite, il serait oiseux de décrire celles de ces différences
qui sont bornées à un organe local et sans importance : de
quel intérêt peut-il être, par exemple , de discuter la diffé-
rence organique à laquelle on doit d'être myope ou presbyte,
et qui d'ailleurs a été exposée en un autre lieu ? Nous nous
bornerons donc à l'étude des différences individuelles qui
fondent les idiosyncrasies , les tempéraments , et les races
humaines. Nous serons courts sur ces dernières, qui sont
plus du ressort de l'histoire naturelle proprement dite que
de la physiologie et, quant aux constitutions , nous ne les
considérerons que sous le rapport de leur force , c'est-à-dire
de leur stabilité dans la santé , du degré de résistance
qu'elles opposent aux causes de maladies.
490 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
CHAPITRE PREMIER.
Des Tempéraments»
Nous appelons ainsi celles des différences individuelles
de Fhomme, qui consistent en des disproportions de vo-
lume et d'activité dans des parties capables de modifier con-
sécutivement d'une manière sensible tout l'organisme, sans
empêcher néanmoins la santé. Ces deux dernières condi-
tions sont de rigueur : si la disproportion porte sur des
organes qui ne sont pas assez influents pour entraîner une
modification générale de l'économie, la différence indivi-
duelle n'est que locale, et n'est pas un tempérament : si la
disproportion est telle, que la santé ne puisse plus persister,
ce n'est pas encore un tempérament, mais un état morbide.
M. Halle appelait tempéraments, des différences entre les
hommes, constantes, compatibles avec la conservation de
la santé et de la vie , dues à une diversité de proportions et
d'activité entre diverses parties du corps humain, et assez
importantes pour modifier toute l'économie.
De cette définition des tempéraments, il résulte que ce
genre de différences individuelles doit connaître pour causes
la prédominance ou l'infériorité des systèmes et organes qui
sont les plus influents dans l'économie, savoir : i° ceux
qui font prochainement le sang, ce fluide qui est le stimulus
obligé de toutes les parties, comme les appareils digestif et
pulmonaire ; 20 ceux qui influeront sur la crâse de ce
fluide, comme les sécrétions urinaire, biliaire, spermati-
que; 3° ceux qui président à l'innervation, cette autre
condition première de vie; 4° ceux qui, par leurs rap-
ports sympathiques, réagissent aisément, promptement et
fortement sur toute l'économie; 5° ceux enfin qui , formant
une grande masse dans le matériel de l'homme, ou qui,
occasionant une grande dépense lors de leur service, ne
peuvent agir plus ou moins sans modifier l'équilibre gé-
néral de tout le corps. La base de la doctrine des tempéra-
ments doit en effet être prise dans les principes que nous
DES TEMPÉRAMENTS. 4o«
avons posés aux chapitres des connexions des organes et des
fonctions.
La meilleure organisation, sans contredit, serait celle
où chaque système, chaque organe ne seraient, avec tous
les autres, que dans les proportious les plus convenables
au libre et complet exercice de la vie : elle ferait jouir de
la santé la plus parfaite au physique et au moral, ferait es-
pérer la plus grande longévité, et mériterait rigoureuse-
ment d'être appelée tempérament. Ce mot, en effet, veut
dire mélange, et nous vient des Anciens , qui , supposant
les corps organisés formés d'éléments divers dans des pro-
portions telles qu'ils se tempéraient les uns les autres.
Mais cette organisation, parfaitement équilibrée, ne se
rencontre jamais dans la nature ; elle est un type aussi
idéal que l'est la beauté physique parfaite; le plus souvent
on naît avec des disproportions entre ses divers organes;
et y en supposant que cela ne fût pas , il en surviendrait
bientôt par le fait seul du cours de la vie. Il y a donc des
tempéraments.
Cela élant, quels sont-ils? et combien y en a-t-il? La
réponse à ces deux questions est difficile. D'une part, comme
il y a dans le corps humain beaucoup d'organes; qu'il faut ,
pour l'appréciation des tempéraments, tenir compte de cha-
cun de ces organes; et que leurs combinaisons entre eux, sous
le rapport des proportions, peuvent être très multipliées , les
variétés de ces tempéraments sont infinies. D'autre part,
pour apprécier complètement les tempéraments , il faut
avoir la connaissance exacte de toutes les réactions qu'exer-
cent respectivement les uns sur les autres les divers organes
du corps, et c'est ce qui manque en partie encore dans
1 état actuel de la science. Sous le premier point de vue , on
est jeté dans une infinité de faits individuels, qu'il est diffi-
cile de ramener à un certain nombre de genres et d'espèces ;
sous le second, on manque des données propres à servir
de base à l'établissement de ces genres et de ces espèces,
et l'on ne peut porter le flambeau de l'analyse dans ces faits
individuels si multipliés et si complexes.
Toutefois, outre que la nature a mis elle-même des bornes
4r)2 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
à ces variétés , attendu que toutes les combinaisons ne sont
pas possibles , la prédominance de certains systèmes ne pou-
vant jamais coïncider avec celles de certains autres, on s'est
attacbé à celles de ces combinaisons qui sont les plus sail-
lantes; et tour-à-tour on a admis quatre ou six tempéra-
ments principaux, qu'on a diversement dénommés, selon la
physiologie du temps.
Ainsi les Anciens, disions-nous tout à l'heure, considé-
raient les corps organisés comme formés par l'association
d'éléments divers , se tempérant les uns les autres. Si ces
éléments étaient dans de justes proportions, il en résultait
le tempérament tempéré ou parfait. Si, au contraire, il
existait entre eux des disproportions , mais compatibles avec
la santé , cela constituait les tempéraments proprement dits
ou mixtes. Si la disproportion était excessive, et prédispo-
sait à une maladie , cela constituait une intempérie ; et enfin,
on appelait constitutionnelle la maladie à laquelle donnait
lieu cette disproportion. Les éléments constituants du corps
étaient au nombre de quatre. D'après leurs qualités, ils
étaient appelés le chaud, \e froid, ]esec et Yhumi de. Ils for-
maient entre eux quatre combinaisons : le chaud avec le sec,
le chaud avec l'humide , le froid avec le sec , et le froid
avec l'humide. A chacune de ces combinaisons correspondait
la prédominance d'une des humeurs du corps , savoir : celle
de la bile , à la combinaison du chaud avec l'humide; celle
de l'atrabile, à la combinaison du chaud avec le sec; celle
du sang, à la combinaison du froid avec le sec; et celle de
la pituite, à la combinaison du froid avec l'humide. Enfin,
de là résultaient quatre tempéraments, savoir : le bilieux
ou colérique, le sanguin, le mélancolique ou atrabilaire ,
et le pituiteux ou phlegmatique. Chacun de ces tempéra-
ments était caractérisé par une habitude extérieure parti-
culière, un état spécial des fonctions physiques et morales,,
un genre propre de maladies. Ainsi, Fhomme bilieux avait
le teint jaune, les cheveux d'un noir de jais, quelquefois
crépus; le visage sec, la physionomie hardie et prononcée,
les yeux étincelants; la charpente forte , mais sans embon-
point; les muscles vigoureux , quoique grêles; le corps mai-
DES TEMPÉRAMENTS. 4g3
gre, les os saillants ; le pouls fort , brusque , dur ; toutes ses
fonctions accusaient uoe grande activité; au moral surtout,
il se distinguait par la violence, l'impétuosité de ses pas-
sions. Le sanguin avait la peau rosée, souple et molle, les
cheveux châtains, le visage riant et fleuri, les yeux vifs, la
taille et l'embonpoint médiocres, les membres bien propor-
tionnés , toutes les fibres souples , le pouls ondoyant et
facile; ses fonctions physiques, moins énergiques intrinsè-
quement que dans le bilieux, s'accomplissaient avec plus
d'aisance; il en était de même de ses facultés morales; elles
étaient moins impétueuses, mais plus faciles; très suscep-
tibles d'être mises en jeu, et partant très mobiles. Le mé-
lancolique ou atrabilaire , avait la physionomie triste, le
visage pâle, les yeux enfoncés et pleins d'un feu sombre; les
cheveux noirs et plats, la taille haute et grêle, le corps
maigre et presque décharné; les extrémités longues, le pouls
tardif et dur, les mouvements lents et circonspects. Une
grande force , une grande patience, une extrême opiniâtreté,
des sensations vives et profondes, des passions éternelles,
s'il est permis de parler ainsi , un sentiment continuel d'in-
quiétude, une imagination soucieuse, un naturel défiant,
jaloux, timide; tels étaient les traits physiques et moraux
de ces hommes dans lesquels la vie était forte, mais pa-
raissait ne s'exercer qu'avec embarras et hésitation. Enfin,
le pituiteux ou phiegmatique , avait une complexion lâche
et molle, une physionomie tranquille et presque insigni-
fiante, des cheveux plats et sans couleur, les yeux ternes;
les muscles faibles, quoique volumineux; le corps chargé
d'embonpoint, les mouvements tardifs et mesurés, le pouls
îeiït, petit, incertain, la circulation lente, la chaleur fai-
ble; toutes ses fonctions accusaient au physique une médio-
cre activité, et au moral, la monotonie, le caîme rempla-
çaient les passions violentes du bilieux, les affections gaies
et mobiles du sanguin, et les inquiétudes continuelles de
l'atrabilaire. On peut voir dans Cabanis, que nous avons
copié ici en plusieurs points, un portrait éloquemment
tracé de ces quatre tempéraments des Anciens, à chacun
desquels étaient encore rattachés un des âges de la vie une
4 g4 DES DÉFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME*
des saisons de l'année, et l'un des climats du globe. Ainsi ,
le tempérament bilieux correspondait à l'âge adulte, et était
développé par l'été et les climats chauds : le tempérament
sanguin était celui de la jeunesse, du printemps et des
pays tempérés : le tempérament atrabilaire était propre à
l'âge mûr, et développé par l'automne et les pays équato-
riaux : enfin , le tempérament pituiteux était celui des
vieillards , et celui auquel prédisposaient l'hiver et les pays
humides et froids.
Telle était la doctrine des Anciens sur les tempéraments.
Mais quelque grand que soit le crédit dont ait joui long-
temps cette doctrine , les objections s'élèvent en foule, et
contre les principes sur lesquels elle repose, et contre quel-
ques-uns des faits qu'elle consacre. D'une part, que sont
ces quatre éléments , chaud , froid , sec et humide , que l'on
dit former les diverses parties constituantes du corps hu-
main ? et quels rapports peut-il exister entre ces prétendus
éléments et les humeurs qu'ils sont supposés rendre prédo-
minantes ? Aujourd'hui qu'on a distingué les différents soli-
des et fluides qui composent le corps humain /analysé le
service spécial des uns , le mode de formation des autres ,
le concours de tous à l'accomplissement de la vie , peut-on
voir ailleurs que dans les proportions respectives de ces so-
lides et de ces fluides les bases d'une théorie des tempéra-
ments ? et peut-on conserver la doctrine toute métaphysi-
que des éléments ? D'autre part, les caractères assignés à
chacun des quatre tempéraments admis , ne sont pas tous
exacts ; plusieurs peuvent être contestés; et, à leur égard,
nous ferons surtout deux remarques critiques. L'une a trait
à ce que l'on dit de l'état de la peau et des cheveux dans
chacun des tempéraments; rien n'est moins constant; et il
est assez fréquent de trouver des bilieux avec des cheveux
blonds , des sanguins avec la peau jaune , etc. Oui ne sent
que ces parties du corps ne peuvent tout au plus, par leur
manière d'être, qu'annoncer la disposition des appareils in-
térieurs influents, si toutefois il y a coïncidence constante
entre l'état des uns et des autres ? Notre autre remarque
portera sur la fonction intellectuelle et morale. Sans contre-
DES TEMPÉRAMENTS. 4 $3
dit, cette fonction est une de celles par lesquelles les hommes
diffèrent le plus les uns des autres; et, comme cette fonc-
tion est celle qui domine dans la vie de l'homme, les diffé-
rences qu'elle présente ont dû aussitôt frapper tous les yeux..
Mais ces différences ont été à tort rapportées parles Anciens
aux tempéraments ; eUe sont dues en entier aux modifica-
tions, aux spécialités de l'organe cérébral ; les tempéraments,
qui consistent exclusivement en influences organiques ne
peuvent y avoir part qu'en influant sur la mesure d'ac-
tivité du cerveau ; et il faut bien se garder de confondre les
tempéraments et les caractères. Ainsi que nous l'avons dit,
en traitant de la psychologie , il n'y a pas dépendance ab-
solue entre l'organisation générale qui constitue le tempé-
rament , et le caractère des actes intellectuels et moraux ; et
tous les portraits qu'on a tracés de ceux-ci dans chaque tem-
pérament, sont démentis par l'observation. Toutefois, bien
qu'il soit impossible d'admettre aujourd'hui la théorie des
Anciens sur les tempéraments , il est juste de dire qu'il y a
quelque chose de vrai dans la distinction des quatre tempéra-
ments qu'ils ont consacrés; et ce qui le prouve, c'est que
depuis on n'a fait que les reproduire, en en changeant seu-
lement l'explication.
Cela est évident , par exemple, des humoristes, qui , rap-
portant les tempéraments aux disproportions des humeurs ,
en ont] admis quatre aussi , auxquels ils ont assigné à peu
près les mêmes traits; le sanguin , dû à la prédominance
du sang ; le bilieux, dû à celle de la bile ; le mélancolique ,
à celle de l'atrabile ; enfin , le pituiteuoc à celle de la pituite.
On voit que c'est la même chose, et en beaucoup de points ,
la théorie n'en est pas meilleure; car, qu'est-ce que l'atra-
bile ? qu'est-ce que la pituite ?
Il en a été de même des solidistes : selon que prédomi-
naient dans l'homme les appareils circulatoire, hépatique,
lymphatique , etc. , ils admirent aussi des tempéraments
sanguin, bilieux, phlegmatique , etc. Seulement aux quatre
tempéraments primitivement admis, ils. en ajoutèrent deux
autres, le nerveux et le musculaire. Le premier était dû à
la prédominance du système nerveux, et voici quels étaient
4g6 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE l'hOMMË.
ses traits anatomiques et physiologiques: comme le système
nerveux ne décèle jamais une grande activité qu'au détri-
ment du système musculaire, l'habitude extérieure des in-
dividus de ce tempérament est très grêle , leurs muscles sont
petits , toutes leurs parties desséchées; dans l'état ordinaire,
et sauf les instants d'exaltation , le moindre acte physique
est une fatigue, et souvent un effort impossible; mais en
revanche les sensations sont très délicates, et la plus légère
impression peut provoquer une syncope ou des convulsions.
Le tempérament musculaire ou athlétique , reconnaît pour
base la prédominance du système musculaire , et a des traits
anatomiques et physiologiques tout opposés. L'habitude
extérieure se ressent du grand développement des masses
musculeuses; la tête paraît petite , sans l'être en effet, mais
parce que les autres parties , beaucoup plus musculaires,
sont plus grosses; le col est fort, large, surtout en arrière ;
les épaules sont volumineuses, le thorax très évasé; tous
les muscles font partout de fortes saillies, surtout au dos,
aux lombes , aux moignons des épaules ; leurs attaches sont
partout sensibles; toutes les articulations sont bien expri-
mées. Tout le corps en général est volumineux , et son vo-
lume tient à celui des muscles et non au tissu cellulaire;
celui-ci est peu épais , ferme et tenace. Tandis qu'un si grand
développement du système musculaire rend les hommes de
ce tempérament capables de déployer les plus grandes forces
physiques, leur système nerveux, peu délicat, ne les fait
jouir que d'une sensibilité obtuse ; ils sont peu sensibles ,
peu spirituels, et même ont une santé moins résistante,
moins solide que celle des autres hommes.
Ainsi, six tempéraments furent établis comme repré-
sentant les différences principales que peuvent offrir les
hommes dans les proportions d'activité et de dévelop-
pement de leurs parties constituantes. Du reste, on con-
venait que si le tempérament tempéré des Anciens était
une chimèi'e , chacun des six tempéraments décrits ne
se rencontrait pur que très rarement; presque toujours les
éléments de l'un étaient mêlés , compliqués, avec ceux de
1 autre , et cela en des proportions infinies ; de sorte qu'il
DES TEMPÉRAMENTS. 4q7
y avait des tempéraments bilioso- sanguins , neivoso-san~
gains, etc. Seulement quelques-unes des combinaisons
étaient incompatibles; par exemple, celle du tempérament
athlétique ou musculaire, avec le nerveux ou le lympha-
tique*
Cependant quelques médecins ont nié la distinction de
ces six tempéraments; les tableaux, ont-ils dit, en ont
été tracés d'après le dogme et non d'après la nature; celle-ci
n'offre jamais qu'une combinaison dr'S uns et des autres ; et
il y a toute impossibilité, quand on veut juger la constitu-
tion d'un individu, d'évaluer la part qu'y a chacun des
nombreuxsystèmes qui le composent. Tel était Zimmermann,
qui se fondait sur ce que dans la pratique de la médecine
on trouve plus d'exceptions à la doctrine des tempé-
raments que de cas qui la confirment. Tel était Clerc , qui
trouvait cette doctrine trop vague , et inutile dans le traite-
ment des maladies aiguës et chroniques , comme ne pouvant
imprimer à la thérapeutique que des modifications aussi
peu déterminées qu'elle l'est elie-même. Telle est encore
aujourd'hui l'opinion de M. Georget , qui considère tout
ce point de doctrine comme une superstition que nous a lé-
guée l'humorisme , et qui croit que le cerveau seul ] parmi
les organes, a le pouvoir , par sa prédominance ou son infé-
riorité , de modifier toute l'économie. Nous avouerons que
les tempéraments des auteurs sont rarement purs, et que
jamais, dans la pratique, celui d'un individu n'est tout-à-
fait semblable à celui d'un autre. Nous avouerons aussi
qu'on a exagéré les secours que le médecin peut tirer de la
connaissance du tempérament de ses malades. Mais , d'autre
part, il ne peut exister prédominance ou infériorité d'un des
systèmes influents du corps, sans qu'il n'en résulte une mo-
dification générale déterminée , c'est-à-dire un tempéra-
ment ; et la consécration des six tempéraments indiqués est
trop générale , pour qu'il n'y ait pas quelque chose de vrai
dans l'observation qui les a fait signaler dans tous les siècles.
C'est parce que la théorie des tempéraments était mauvaise
qu'on a été porté à les nier; mais l'analyse physiologique
plus judicieuse qu'ont donnée, dans ces derniers temps,
Tome IV. * 32
498 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
de leurs bases organiques , MM. Halle et Rostan , ne permet
pas de douter de leur réalité.
M. Halle , auquel la science de l'hygiène doit de si beaux
travaux , place les fondements anatomiques des tempéra-
ments; i° dans les systèmes généraux qui sont répandus
dans toutes les parties, savoir, les systèmes vasculaire , ner-
veux et musculaire ; 2° dans les principales régions du
corps ; 3° enfin, dans les principaux organes. Aux disposi-
tions des premiers sont dus ce qu'il appelle des tempéra-
ments généraux ; et à celles des régions et des organes , ce
qu'il appelle des tempéraments -partiels . Ainsi , les vaisseaux
sont de deux sortes, sanguins et lymphatiques; et, dans
les proportions de ces vaisseaux entre eux , il peut
exister l'une ou l'autre des trois choses suivantes : excès du
système lymphatique sur le sanguin ; excès du système
sanguin sur le lymphatique; et enfin état moyen de l'un et
de l'autre. La première disposition correspond au tempé-
rament pituiteux des anciens ; l'habitude extérieure du
corps est molle , lâche , faiblement colorée ; les formes
sont arrondies , les chairs humides , peu contractiles ; le
sang est peu coloré , séreux. La seconde , au contraire, cor-
respond au tempérament bilieux ; aussi l'habitude exté-
rieure est-elle sèche , maigre, sombrement colorée; les for-
mes sont saillantes, dures; le sang dense, peu séreux ,
coloré , elc. Enfin , la troisième constitue le tempérament '
sanguin; le corps , à l'extérieur , offre une coloration fleurie,
un embonpoint médiocre ; les muscles saillent en dehors,
mais sans dureté ; la peau est souple, la chaleur douce ; le
sang d'une couleur brillante, ni trop séreux, ni trop dense ,
etc. M. Halle fait ici la même remarque que nous avons déjà
faite relativement aux caractères tirés des cheveux , des ex-
crétions muqueuses et de la sécrétion biliaire ; les traits pris
dans ces parties de l'organisme ne sont que des coïncidences,
assez fréquentes sans doute, mais qui cependant souffrent
trop d'exceptions pour qu'on les considère comme signes cer-
tains des tempéraments. Ainsi, bien que les lymphatiques
aient généralement les cheveux blonds, et les bilieux les che-
veux noirs; bien que les premiers aient souvent toutes les se-
DES TEMPÉRAMENTS. 4gc)
crétions muqueuses actives s tandis que dans les bilieux la
sécrétion biliaire prédomine ; souvent aussi on observe des
dispositions contraires. Sans doute, puisqu'on voit les
cheveux changer selon les âges, il n'est guère possible de
méconnaître que ces parties ne se ressentent assez prochai-
nement de l'état des systèmes généraux , et ne puissent par
conséquent faire préjuger l'état de ces derniers. Mais il ne
faut pas oublier qu'ici mille variétés sont possibles , et
que ce n'est point par ces dispositions secondaires qu'il faut
établir les tempéraments. Relativement au système ner-
veux , M. Halle considère le degré de susceptibilité de ce
système , la durée des impressions qu'il reçoit , la prompti-
tude avec laquelle ces impressions s'associent et se succè-
dent. La susceptibilité peut-être extrême , faible ou modé-
rée; et bien que chacune de ces dispositions puisse coïn-
cider avec les dispositions diverses dépendantes de l'état des
vaisseaux, d'où beaucoup de tempéraments divers, cepen-
dant l'observation montre que la susceptibilité extrême est
ordinairement compagne des tempéraments bilieux , îa
susceptibilité faible celle du tempérament lymphatique ,
et la susceptibilité modérée celle du tempérament san-
guin. Néanmoins on observe ici beaucoup d'exceptions ;
et , par exemple , souvent il y a susceptibilité nerveuse
avec prédominance lymphatique, comme dans les femmes
et les enfants. La durée des impressions, toutes choses égaies
d'ailleurs dans la vivacité de ces impressions et l'intérêt
qui leur est attaché, peut-être aussi extrême , faible ou
modérée ; et l'observation montre encore que la première
est plus particulièrement propre au bilieux , la seconde au
lymphatique, et la troisième au sanguin. Quant à la succes-
sibilité; ou bien elle est extrême, d'où résulte une conti-
nuelle mobilité , comme dans les enfants , les peuples méri-
dionaux; ou elle est très lente , soit par une faiblesse origi-
nelle de l'esprit , soit par l'habitude d'une forte attention,
d'où résulte ce qu'on appelle Y abstraction. Enfin , le troi-
sième système général auquel M. Halle rapporte les tempé-
raments généraux est le système musculaire, et ce savant y
considère ; i° la masse; 20 l'influx nerveux qui le régit. La
J6:
3.2.
5oo DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
masse s'apprécie par le volume et la densité des fibres mus-
culaires, et est forte, faible ou moyenne. L'influx nerveux
est ce qu'on appelle Y excitabilité, et est aussi fort , faible ou
moyen. Il y a de nombreuses variétés dans la mesure dans
laquelle se combinent ces deux dispositions; et entre toules
les combinaisons qui sont possibles , deux surtout sont assez
tranchées pour constituer des tempéraments , savoir : l'as-
sociation de peu d'excitabilité avec une masse musculaire
énorme, d'où résulte le tempérament athlétique des An-
ciens; et, au contraire, l'association d'une grande excita-
bilité avec une masse musculaire faible , d'où résulte le
tempérament nerveux convidsif. Il est aisé de voir , dans
cette analyse des tempéraments généraux de M. Halle, qu'au
fond ces tempéraments sont ceux des Anciens, dont seule-
ment les bases anatomiques sont mieux indiquées.
11 en sera de même de ce qu'il appelle îes tempéraments
partiels. Ceux-ci sont dus à l'état qu'affectent les systèmes
généraux vascuîaires et nerveux dans les diverses régions
du corps , ou à des dispositions particulières de certains vis-
cères : ils sont décèles par certains phénomènes pertur-
bateurs , des bémorrhagies , par exemple , et par les ma-
ladies dites constitutionnelles. Ainsi, les diverses ten-
dances hémorrhagiques annoncent autant de tempéraments
partiels, puisqu'il ne peut être indifférent ni semblable
qu'il survienne habituellement un épistaxis, une hémo-
ptysie, des hémorrhoïdes : chacune de ces hémorrhagies
accuse une disposition différente des systèmes vascuîaires
et nerveux dans chacune des trois cavités splanchniques;
et il est d'autant plus important de noter ces dispositions,
qu'elles présagent les maladies qui peuvent survenir, et que
souvent elles sont en opposition avec ce que les apparences
extérieures feraient préjuger de l'état général de tout
le système circulatoire. De même, si Ton voit des ma-
ladies constitutionnelles, celles du système lymphatique,
par exemple , attaquer successivement dans la suite des
âges, la tête, le coi, le thorax, l'abdomen; n'est-ce pas
que successivement ces diverses cavités se sont trouvées
dans autant de dispositions d'organisation diverses, et for-
DES TEMPÉRAMENTS. 5oi
ment alors comme autant de tempéraments partiels ? Qui
pourrait nier que chaque organe n'a un degré de susceptibi-
lité spécial, qui le prédispose plus ou moins à devenir un
point de fluxion, le lieu où se fixera une maladie constitu-
tionnelle? et les maladies constitutionnelles ne sont-elles
pas ce qui accuse le mieux les dispositions spéciales qu'a le
système nerveux dans chaque région du corps, dans chaque
organe ? Quant aux tempéraments partiels tenant à des dis-
positions particulières de quelques viscères, il en est en
quelque sorte autant qu'il y a dans le corps d'organes im-
portants ; chaque homme n'a-t-il pas sa mesure spéciale
dans sa température , son action de transpiration , le carac-
tère de ses déjections alvines ? Mais M. Halle en signale sur-
tout trois principaux: le pituiteux , tempérament caractérisé
par la surabondance des excrétions muqueuses, des glaires,
qui s'observe souvent dans la vieillesse, et qui a pour con-
traire le tempérament sec : le bilieux proprement dit,
caractérisé par la surabondance de la bile, et que décèlent
la couleur jaune du visage , du blanc des yeux, et la fré-
quence des embarras gastriques : enfin le mélancolique , dû
à un état particulier des viscères hypocondriaques, et à
un mode spécial de sensibilité du centre nerveux épigas-
trique. Ce dernier correspond au tempérament atrabilaire
des anciens; et nous avouerons que ses fondements anato-
miques sont aussi vaguement spécifiés dans la théorie de
M. Halle, que dans celle des éléments ou celle des humoristes.
M. Rostan, prenant pour base des tempéraments le degré
de prédominance ou d'infériorité des divers appareils de
l'économie, de ces appareils que nous avons vu accomplir
les fonctions, me semble plus près encore delà nature , et
partant de la vérité. Rejetant comme impropre le mot de
tempérament, il le remplace par celui de constitution, et
il en distingue six priucipales. i° L'une est marquée par la
prédominance de l'appareil digestif, dans lequel il faut
comprendre, non-seulement l'estomac et l'intestin, mais
les diverses humeurs sécrétées qui sont versées dans ces or-
ganes pour la digestion, et surtout le foie. Dans cette con-
stitution, l'appétit est impérieux, la digestion prompte;
502 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE l'hOMME.
uu chyle abondant et nutritif est fourni au sang et à tous
les organes; et par suite toutes les parties sont dans un bon
état de nutrition et de développement. La bile étant sé-
crétée en grande quantité, une partie en est résorbée,, et
va teindre la peau et stimuler diversement les organes in-
térieurs. 2» Une autre constitution est due au grand déve-
loppement des organes respiratoires et circulatoires , or-
ganes qui ont le même but, et qui par conséquent sont
toujours dans les mêmes conditions. Une poitrine large,
des poumons vastes, un cœur volumineux, des mouve-
ments respirateurs grands et faciles, un pouls développé et
fort, un sang abondant et riche; tels sont les traits locaux
de cette constitution, qui, fournissant aux organes un sang
excellent, doit imprimer partout l'activité. Aussi l'habi-
tude extérieure est-elle bien nourrie, la peau est colorée;
il y a développement complet et facile de tous les phéno-
mènes de la vie. Comme la bile ici n'abonde pas, et n'est pas
autant résorbée, cette constitution n'offre pas l'éréthisme
que décèle souvent la précédente. 3° Dans une troisième
constitution, l'encéphale prédomine, et par contre il y a
diminution d'activité et de développement de tous les
systèmes de l'économie. Ses traits locaux sont un grand
crâne, un grand cerveau, un grand besoin de sensations,
de travaux intellectuels, d'affections et de passions. Ses
influences générales s'expliquent par les deux lois de balan-
cement et d'irradiation nerveuse que nous avons posées : à
raison de la première, tous les autres organes languissent;
l'habitude extérieure est amaigrie, desséchée; toutes les
parties sont moins bien nourries et développées; à raison
de la seconde, toutes les fonctions organiques sont, non-
seulement plus faibles, mais facilement troublées. Comme
souvent le cervelet participe du grand développement de
l'encéphale, souvent aussi l'appareil génital est fort actif.
Au lieu des maladies gastriques et inflammatoires, auxquelles
étaient prédisposées les deux premières espèces de constitu-
tions, dans celle-ci ce sont les maladies nerveuses. 4° Une
constitution inverse est celle où domine l'appareil locomo-
teur ; caractérisée physiquement par le grand développemen t
DES TEMPÉRAMENTS. 5o3
des systèmes osseux et musculaire , ses traits physiologi-
ques sont une grande force musculaire et une grande dimi-
nution des fonctions sensoriales et génitales. Comme elle
suppose une assez grande dépense , elle exige toujours coïnci-
demment un assez grand développement des appareils diges-
tif, respiratoire et circulatoire. 5« Nos lecteurs auront cer-
tainement reconnu dans ces quatre premières constitutions
les tempéraments bilieux , sanguin, nerveux et musculaire
que nous avons vu figurer dans les théories précédentes;
voici une constitution qui ne leur avait pas encore été si-
gnalée, celle qui est marquée par la prédominance de l'ap-
pareil génital. Le grand changement qui se fait à la puberté,
prouve assez la grande influence exercée par l'appareil gé-
nital sur toute l'économie; soit qu'on explique cette in-
fluence par la modification qu'imprime au sang la sécrétion
spermatique; soit qu'on l'attribue aux réactions sympathi-
ques qui émanent alors de cet appareil. En vain voudrait-
on rapporter à un développement coïncident des autres
organes, les changements généraux qui caractérisent cette
époque de la vie ; ce qui prouve que l'appareil génital y a la
plus grande part, et par conséquent mérite de constituer
un tempérament, c'est ce qu'on observe chez les eunuques.
Castre-t-on l'homme avant la puberté ? il traverse cet âge
sans éprouver les changements généraux qui décèlent sa vi-
rilité : Est-il castré après la puberté, mais jeune encore ? il
perd en partie les traits que cet âge lui avait imprimés, et
d'autant plus qu'il est plus jeune, et qu'il avait l'appareil
génital plus actif. Il y a donc un tempérament génital, et
le nom de tempérament donné exclusivement dans le monde
à la prédominance de cet appareil, est même une preuve
de l'observation instinctive qui en avait été faite. Ses traits
sont un grand développement des organes génitaux, la
grande activité de leurs fonctions , l'exagération des formes
nouvelles qu'on revêt à la puberté , l'épaisseur de la barbe ,
l'abondance des poiîs sur tout le corps, la gravité de la
voix , etc. Voyez, sous tous ces rapports, quel contraste entre
l'homme libidineux et l'eunuque, ou même l'homme que
son organisation primitive a fait continent î Comme ici, il y
5o4 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME,
a assez grande dépense, il y a souvent coïncidence, des ap-
pareils qui font le sang qui fournit à cette dépense, et de
l'appareil hépatique auquel est dû un stimulus intérieur.
60 Enfin , M. Roslan signale une constitution caractérisée
par l'atonie de tous les appareils, et qui correspond au
tempérament lymphatique des Anciens. La plupart des
modernes font consister ce tempérament dans l'inertie du
système lymphatique; M. Broussais , au contraire, l'at-
tribue à sa prédominance; M. Rastan croit que les premiers
ont pris l'effet pour la cause, et que si, dans cette constitu-
tion, les sucs blancs, l'embonpoint, la graisse prédominent,
c'est consécutivement à l'inertie de tous les appareils et de
toutes les fonctions : l'habitude extérieure est pâle, bouffie,
non colorée, les chairs molles, etc.
Telle a été la succession des idées des médecins sur les
tempéraments; et l'on voit que, tout en différant sur les
noms et sur les explications qu'ils ont donnés de ces diffé-
rences de l'homme , ils ont toujours signalé à peu près
les mêmes nuances, 11 ne pouvait en être autrement :
comme les tempéraments consistent dans des disproportions
des systèmes influents du corps, et comme il n'y a qu'un petit
nombre de ceux-ci, il ne pouvait y avoir aussi qu'un nom-
bre restreint de tempéraments, et ces tempéraments ne
pouvaient être que les mêmes. Ainsi que nous l'avons dit
en commençant ce chapitre , c'est sur les principes que nous
avons posés en traitant des connexions des organes et des
fonctions, qu'il faut baser la doctrine des tempéraments :
aucun organe , par sa disproportion avec les autres, ne peut
en constituer, qu'autant qu'il est influent; et nous avons
en quelque sorte indiqué le degré d'importance des uns et
des autres, en traitant de leurs rapports fonctionnels et
sympathiques. Pourrait-il être sans influence pour Fécono-
rnie , ique les appareils digestif, respiratoire et circulatoire ,
qui font et distribuent le sang à tous les organes, soient
plus ou moins prédominants? et ne doit-il pas en résulter
une modification dans la nutrition et le degré d'activité de
tous les organes ? La mesure dans laquelle agissent les sé-
crétions qui influent sur la crâse de ce fluide, comme les
DES TEMPÉRAMENTS. 5o5
sécrétions urinaire, spermalique, biliaire , ne doit-elle pas
avoir la même importance? Le degré d'intensité de l'autre
condition vitale, l'innervation , est aussi d'un égal intérêt.
Il ne peut être indifférent non plus, que les organes qui
ont une très grande puissance sympathique, soient plus ou
moins développés, plus ou moins actifs, puisqu'ils sont la
source d'irradiations continuelles dans toute l'économie :
ainsi , le tempérament gastrique influera , non-seulement
comme fournissant plus de chyle au sang , mais encore
comme faisant de l'estomac un foyer continuel d'irradia-
tions. Enfin, comme, en vertu des lois de balancement et
d'irradiation , aucun organe ne peut agir sans diminuer la
mesure d'activité des autres, ou la perturber ," on conçoit
qu'aucun organe ne peut être impunément plus actif ou
prédominant. Ainsi peuvent s'expliquer toutes les diffé-
rences individuelles des hommes. Nous ne ferons pas, d'a-
près ce plan, une exposition des tempéraments; ce serait
nous condamner à des répétitions; d'ailleurs le tableau de
M. Rostan y correspond assez. Nous voudrions seulement que,
dans toute description des tempéraments, on séparât avec soin
les traits locaux qui les constituent , c'est-à-dire qui tien-
nentaux organes et appareils qui sont prédominants ou infé-
rieurs , des traits généraux qui sont les effets fonctionnels ou
sympathiques des premiers. Ainsi l'attention serait d'abord
portée sur ce qui constitue la différence individuelle, et
tous les autres traits seraient rattachés à celle-ci comme à
sa cause. Ainsi, ne seraient plus réunis pèle-mèîe des carac-
tères, qui n'échappent à l'esprit que parce qu'ils ne sont
pas disposés dans l'ordre de leur dépendance , et qui souvent
même- se eontre-indiquent, et ne doivent pas se rencontrer
ensemble. Par là enfin, serait évitée la confusion blâmable
qu'on peut reprocher anx auteurs les plus modernes 3 des
tempéraments et des caractères ; puisqu'on verrait bien que
la prédominance ou l'infériorité d'un appareil organique ne
peut influer sur le moral que par l'intermédiaire du cer-
veau, en augmentant, diminuant, modifiant la mesurer
d'activité de cet organe.
5o6 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
CHAPITRE II.
Des Constitutions.
Les divers hommes n'étant jamais tout-à-fait semblables
entre eux dans le degré d'activité et de développement de
leurs organes , et la mesure que chacun offre sous ce rapport
étant ce qu'on appelle sa constitution, on conçoit que les
constitutions sont aussi multipliées que le sont les individus
eux-mêmes, et qu'il est par conséquent impossible d'en
spécifier aucune. Aussi avons -nous annoncé que nous ne
parlerions ici que de leur jforce ou faiblesse.
Par ce mot force nous n'entendons pas le degré de puis-
sance musculaire , mais la stabilité dans la santé , la mesure
de résistance qu'on oppose aux influences propres à amener
des maladies. On ne peut disconvenir que les hommes ne
soient différents à cet égard : tel a une constitution forte,
qui , s'il n'en abuse pas, poussera plus loin sa carrière, et,
pendant son cours, résistera mieux aux causes morbifiques
qui pourront l'assiéger : tel autre , au contraire, ayant une
constitution faible , un moins riche fonds de vie , si l'on
peut parler ainsi , sera plus tôt vieux et plus accessible à des
maladies. Cette différence qu'on peut devoir à sa naissance ,
aux qualités de ses parents, on peut aussi l'acquérir dans le
cours de sa vie , par le régime que l'on suit , le mode dans
lequel on use de ses organes. Par des soins bien entendus,
on fortifie une constitution primitivement faible; comme
par des abus et des influences délétères, on affaiblit une
constitution primitivement forte. Il s'agit de spécifier les
causes organiques auxquelles est due la force de la constitu-
tion , et à quels signes on la reconnaît.
D'abord , il ne faut pas faire de la force de la constitution
un Être particulier ; elle n'est que la résultante de toutes
les actions qui se développent et s'exercent dans le corps , en
vertu de l'organisation ; et voici les conditions organiques
nécessaires pour que la constitution soit forte. i° Il faut un
développement convenable des appareils qui président à l'éta-
DES CONSTITUTIONS. 507
blissement des conditions fondamentales de la vie, sang artériel
et innervation: s'il y a, par exemple, développement imparfait,
monstruosité quelconque des appareils digestif, respiratoire
et circulatoire, il en résultera un vice quelconque dans la
sanguification ; et, par suite, nutrition et stimulation
moindre des organes, faiblesse de tout le corps, et risque
plus grand d'une fin prématurée, d'une mort accidentelle.
20 II faut que tous les organes soient, autant que possible,
dans une juste proportion entre eux : s'il y a prédomi-
nance , plus grande activité de quelques-uns; d'un côté,
en raison de la loi de balancement , quelques autres
auront alors une énergie moindre; de l'autre, les or-
ganes prédominants souvent auront, par cela même, une
susceptibilité morbide plus grande. Plus il y aura entre
tous les organes l'équilibre nécessaire pour l'accomplisse-
ment le plus facile et le plus complet de toutes les facul-
tés , pour la succession la plus douce et la plus mesurée
des phases de la vie, plus la constitution sera forte. 3° Enfin,
indépendamment de ce rapport entre la bonne organisation
et le juste équilibre des systèmes principaux du corps , et la
force et la faiblesse de la constitution, la cause de celle-ci
réside encore dans la mesure de l'innervation , élément aussi
inconnu dans son essence qu'incalculable dans ses propor-
tions. N'avons-nous pas vu, en effet, que le système ner-
veux dispense à tous les organes l'influx qui les fait agir?
et qui pourrait nier que ce système n'agisse dans les divers
hommes , et même dans chaque homme dans les diverses
circonstances de sa vie , avec un degré divers de puissance ,
qui fixe ce qu'on appelle leur force ? Si la force de la consti-
tution change selon les âges , va en augmentant dans le pre-
mier, en diminuant dans le dernier , n'est-ce pas en raison
du degré d'énergie que possède le système nerveux? Si l'exer-
cice prolongé d'une action vitale quelconque , soit de santé,
soit morbide, jette toute l'économie dans la faiblesse, n'est-
ce pas consécutivement aux pertes qu'a faites le système
nerveux ? et la restauration qu'amène alors le sommeil, n'en
est-elle pas une preuve ? H est certain enfin que des hommes,
dont l'organisation , sous le rapport des appareils digestif ,
5o8 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME,
respiratoire et circulatoire, paraît assez faible, ont cepen-
dant une force de constitution remarquable; et probable-
ment ils la doivent à une plus grande énergie intrinsèque
de leur système nerveux.
Ainsi, développement convenable des principaux orga-
nes du corps, proportions heureuses entre ces organes, et
énergie du système nerveux, telles sont les trois conditions
organiques auxquelles la constitution doit d'être forte. Sa
faiblesse sera due aux conditions inverses. Il y a, relative-
ment à chacune d'elles, mille différences possibles entre les
hommes; de sorte que les constitutions ne diffèrent pas
moins sous le rapport de la force que sous tous les autres :
nous sommes encore ramenés ici à des individualités. Les
disproportions de nos organes sont surtout ce qu'il y a de
plus fréquent; nous naissons presque toujours avec des iné-
galités de force dans nos diverses parties; et cela ne serait
pas, que le cours de la vie amènerait bientôt de ces inéga-
lités. Non-seulement chaque organe peut être seul fort, ou
seul faible; mais encore, dans un même individu, un organe
peut être fort, tandis qu'un autre sera faible; de sorte que
la constitution sera tout à la fois forte sous un rapport, et
faible sous un autre. Par exemple, tandis que chez le savant
et l'homme de lettres, le cerveau a une grande force ; que cet
organe accomplit avec facilité, perfection , ses opérations , et
peut même se permettre impunément quelques excès ; l'es-
tomac, au contraire, est faible , et les digestions sont diffi-
ciles, laborieuses. La loi de balancement donne l'explica-
tion de ces faits , qui prouvent d'ailleurs qu'il ne faut pas
considérer exclusivement d'une manière générale les idées
de force et de faiblesse, mais qu'il faut les appliquer aussi
à chacun des organes du corps en particulier. Du reste,
dans ces disproportions inévitables de force que présentent
les organes , les chances de maladie et les risques de mort
accidentelle seront d'autant plus grands, que l'organe qui
est plus faible est un des plus importants, un des plus em-
ployés, et un de ceux qui doit naturellement, ou à cause
de notre situation sociale particulière, supporter delà part
de l'univers extérieur le plus d'influences contraires.
DES IDIOSYKCRASIES. 609
Maintenant faut -il tracer les signes extérieurs auxquels
on reconnaîtra le degré de force ou de faiblesse de la consti-
tution ? Ces signes sont anatomiques et physiologiques, c'est-
à-dire pris dans le degré de développement de tous les or-
ganes, et dans le mode selon lequel ils accomplissent leurs
fonctions. Lorsque, examinant l'habitude extérieure, les
proportions des diverses parties , le volume des os, des
chairs, l'état des articulations, de chacune des cavités splan-
chniques, de chacun des systèmes, des appareils, etc., on
trouve toutes ces parties bien conformées, convenablement
développées , on a lieu d'en conclure une assez grande force
dans la constitution. Il en est de même si , observant atten-
tivement chacune des fonctions, on voit l'accomplissement
s'en faire avec régularité, aisance et énergie. On juge d'or-
dinaire par les caiorifications, parce que ces fonctions ont
pour but d'annihiler une influence physique contraire :
mais toutes les fonctions ne sont-elles pas dans le môme
cas? et toutes n'ont-elles pas pour résultat la production
d'un phénomène oppposé aux lois physiques et chimiques
générales? On peut aussi prononcer, d'après la résistance
qu'oppose l'économie aux influences perturbatrices aux-
quelles on la soumet, ainsi que d'après la promptitude
avec laquelle elle se rétablit, quand une maladie la dérange.
Il faut enfin consulter, et l'âge de l'individu, puisque le
fonds de vie n'est pas le même en chacun; et la manière
dont il a vécu, puisqu'il a pu entretenir, ménager, éco-
nomiser ses forces, comme les épuiser.
CHAPITRE III.
Des Idiosyncrasies .
En prenant le mot idiosyncrasie dans le sens rigoureux
de son étymologie, il devrait être synonyme de celui de
constitution, et exprimer la manière d'être de chacun.
Plusieurs physiologistes en effet le prennent en cette accep-
tion; mais le plus généralement il désigne une différence
individuelle, généralement locale, c'est-à-dire bornée à un
5 10 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME,
seul organe, mais qui est telle qu'elle imprime à la fonc-
tion de cet organe, ou à d'autres fonctions par influence
sympathique de celui-ci, un caractère insolite qui frappe
aussitôt par sa singularité. Ainsi, c'est une idiosyncrasie
que cette disposition individuelle , dans laquelle certains
aliments, qui généralement plaisent et conviennent à tous
les hommes, comme du sucre, des fraises, ne peuvent être
avalés sans déterminer le vomissement ^ ou une syncopé, ou
des convulsions, etc.
Nul doute que toute idiosyncrasie n'ait pour cause une
organisation spéciale de la partie qui la signale; nous avons
trop exclusivement, dans tout le cours de cet ouvrage, pro-
fessé le principe que tout phénomène de vie dérive de l'or-
ganisation, pour n'en pas faire encore ici l'application.
Nul doute aussi que ce ne soit dans l'élément nerveux de
la partie, que ne réside surtout cette spécialité organique
de laquelle dépend l'idiosyncrasie. Mais il faut avouer que
nous ne pouvons dire en quoi elle consiste , de sorte qu'elle
ne nous est annoncée que par ses effets , c'est-à-dire par l'i-
diosyncrasie elle-même. Combien d'autres cas dans les-
quels nous avons été dans la même position !
De là, il résulte que dans l'histoire des idiosyncrasies on
est réduit à affirmer leur réalité, et à énumérer celles qui
jusqu'à présent ont été observées : or, le nombre en est
des plus considérables, car il n'est aucune des fonctions
qui n'en aient présentées; mais il devra nous suffire d'en
citer quelques exemples pour chacune. Ainsi , pour com-
mencer par la digestion, un ami de Tissot ne pouvait man-
der un peu de sucre sans vomir : le célèbre Hachn ne pou-
vait prendre plus de six à dix fraises sans être saisi de
convulsions: quel médecin n'a vu des personnes atteintes
d'érysipèle , de fièvre ortiée , pour avoir mangé des moules !
Par une idiosyncrasie inverse, certaines personnes recher-
chent avec avidité pour aliments des substances repous-
santes, comme de la viande crue, du poisson cru, de la
craie , du charbon , etc. A ces individualités relatives aux
aliments , nous joindrons celles qui portent sur les médica-
ments. Que de différences à cet égard parmi les hommes!
DES IDIOSYNCRASIES. 5il
Certains ne peuvent prendre, sans qu'il survienne une li-
pothymie, la moindre quantité d'opium. La circulation
offre aussi des anomalies de ce genre : on trouve des indi-
vidus qui ont naturellement le pouls inégal , intermittent,
ou plus fréquent, ou plus lent du double que ne le com-
porte leur âge ; celui de Napoléon , par exemple , ne battait
que quarante-quatre fois par minute. Aux fonctions des
sens, ces idiosyncrasies sont encore plus frappantes, et
donnent lieu à ce qu'on appelle leurs sympathies et leurs
antipathies. Que de variétés entre les hommes, sous le rap-
port des odeurs et des saveurs! celles qui plaisent aux uns,
déplaisent aux autres: certains individus ne recherchent
que les odeurs qui sont le plus ordinairement repoussées,
et entre autres exemples, nous avons cité celui deLouisXIV.
Ces idiosyncrasies des sens portent surtout sur les effets
qu'exercent leurs impressions sur toute l'économie. On cite
des exemples de plusieurs personnes que l'odeur des chats,
des rats, faisaient tomber en syncope. Gaubius cite celui
d'un homme sur lequel l'émanation des femmes produisait
le même effet. Quant au sens de la vue , sans parler de cer-
tains animaux qui ne peuvent voir du rouge sans entrer en
fureur , il est certains individus qui sont organisés de ma-
nière à ne voir que certaines couleurs , ou à n'en voir au-
cunes , de sorte que les objets leur paraissent comme une
gravure. Relativement à Fouie, Ev. Home et Heidmann ont
vu des individus qui percevaient les sons pi us tard , et à un
ton plus bas, par une oreille que par l'autre. J.-J. Rousseau
cite le cas d'un homme auquel le son d'une cornemuse don-
nait immédiatement une incontinence d'urine. Le bruit
de l'eau qui sortait d'une pipe fit tomber Bayle en convul-
sion. Enfin, on a vu le même effet, ou la syncope, résulter
en certains individus de la sensation tactile faite sur leur
peau par du velours ou le duvet d'une pêche.
Il est souvent utile au médecin praticien de connaître ces
idiosvncrasies ; soit parce qu'il pourrait prendre pour un
état de maladie, cequi,par une anomalie, est propre à l'état
normal; soit parce qu'en employant comme agents théra-
peutiques des substances qu'une idiosyncrasie repousse , il
5 1 2 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
n'en obtiendrait pas l'effet désiré, ou même provoquerait
des accidents. Aussi, est-il bon d'ajouter quelque foi au
dire des malades à cet égard, jusqu'à un certain point ce-
pendant; car beaucoup de ces prétendues idiosyncrasies
sont souvent aussi de leur part des idées préconçues , oit
des produits d'une direction vicieuse de leur imagination.
Du reste, comme les tempéraments, comme les constitu-
tions, et toutes les différences individuelles en général , les
idiosyncrasies sont con géniales ou acquises ; et ces dernières
sont les produits ou des maladies, ou des habitudes. D'une
part , un état morbide peut modifier les organes au point
de leur faire développer des idiosyncrasies; ce sont, par
exemple , des idiosyncrasies de l'estomac provoquées sym-
pathiquement par l'utérus, que ces appétits bizarres, sin-
guliers, que manifestent les femmes dans leur grossesse : il
en est de même de ceux que décèlent les hystériques , les
hypocondriaques , etc. D'autre part, souvent l'habitude im-
prime aux fonctions un caractère opposé à celui qui leur est
naturel, et crée de véritables idiosyncrasies; c'est ainsi,
par exemple, que Mithridate s'était habitué à manger im-
punément des poisons. Mais ceci nous conduit à l'étude des
différences individuelles qui sont acquises, et particulière-
ment à celles qui constituent ce qu'on appelle les habitudes.
CHAPITRE IV,
Des différences individuelles acquises, et de celles qui
constituent des habitudes*
Toutes les différences individuelles que nous venons
d'examiner, tempéraments, constitutions, idiosyncrasies,
reconnaissent pour causes : tantôt l'organisation primitive,
originelle, qu'on a apportée en naissant; tantôt les modifi-
cations qu'ont imprimées à cette organisation primitive les
influences extérieures et l'emploi même qu'on a fait de la
vie. De là , le partage qu'on a fait de ces différences indivi-
duelles en natives et en acquises.
io Différences individuelles innées ou natives. Il est im-
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 5i3
possible de méconnaître que dans les nombreuses différences
que nous venons de reconnaître entre les hommes , il n'y ait
quelque chose d'originel. En effet , plusieurs enfants de
même âge , soumis aux mêmes influences extérieures, au
même genre de vie, déjà trahissent chacun leurs qualités
propres , et à mesure qu'ils grandissent, deviennent de plus
en plus différents. Souvent aussi des individus manifestent
des crualités contraires à celles qu'ils devraient recevoir du
monde extérieur auquel ils sont soumis, tant a été forte en
eux l'empreinte de leur organisation première. Il existe donc
en nous une trame primitive , que nous avons reçue de nos
parents lors de la génération , qui décide généralement du
fonds de nos dispositions, mais sur laquelle nous brodons
ensuite diversement notre existence, comme dit M. Ha lié ,
par la manière dont nous nous gouvernons. Il est d'ailleurs
démontré que , par la génération , se transmettent, des pères
aux enfants, des ressemblances physiques et morales, des
maladies; pourquoi dès lors ne se transmettraient pas de
même ces disproportions d'organes influents qui font les
tempéraments , ces dispositions spéciales qui font les idio-
syncrasies'? Il est d'autant, moins permis de contester la part
que nous assignons ici à l'organisation originelle, pour la
production des différences individuelles des hommes, que
souvent celles-ci se décèlent avant que les influences exté-
rieures et l'exercice de la vie aient pu imprimer quelques
modifications profondes à l'être, et que c'est cette or-
ganisation originelle qui décide la direction qui sera sui-
vie» D'une part , eu effet, si les tempéraments natifs ne sont
lout-à-fait prononcés que dans l'âge moyen de la vie, ce-
pendant leurs traits s'annoncent dès la première enfance,
et vont chaque jour en se marquant de plus en plus. D'au-
tre part, qui oserait nier que, vu la nullité de l'éducation
pour le plus grand nombre des hommes, et même malgré
l'éducation , la plupart ne sont que ce que les font leurs
dispositions originelles ?
Il s'agirait dès lors de spécifier pourquoi cette organisa-
tion originelle est si variable dans les divers hommes. Mais
ceci nous reporte aux mystères de îa génération et de Ja vie
Tome IV. 33
5 1 4 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
intra-ulérine qui nous ont occupé dans le temps. D'une
part, les faits obligent d'admettre que les matières fournies
par l'un et l'autre sexe pour la production de l'individu
nouveau, non-seulement constitueront un être de l'espèce
de ses parents, mais encore que cet être aura des spécialités
qui dépendront de celles de ses père et mère , et des cir-
constances dans lesquelles a eu lieu sa formation. Or, mille
variétés doivent exister sous ce double rapport. D'autre
part, indépendamment de cette influence due à la généra-
tion elle-même , peut-être en est-il une autre exercée lors de
la grossesse ; par le genre de nourriture que l'enfant a reçu
de sa mère; par l'union qui existait alors entre lui et elle
et qui a dû le rendre plus ou moins participant des pertur-
bations qu'elle pouvait éprouver; enfin , en raison du degré
de perfection avec lequel s'est accompli la vie utérine. Mais
dans l'appréciation de l'une et l'autre cause, le raisonne-
ment seul nous conduit, l'observation nous manque, et
nous ne pouvons conséquemment aller au-delà de cette gé-
néralité.
2° Différences individuelles acquises. Si l'homme apporte
en naissant une organisation qui, le plus souvent, décide de
son tempérament, de sa constitution ; cet être, d'autre part,
est susceptible de recevoir de nombreuses modifications, par
l'action des corps extérieurs avec lesquels il a des rapports
nécessaires et inévitables, par la mesure dans laquelle il
exerce ses organes; et de cette sorte, sont un peu altérées ses
dispositions primitives , et souvent même lui sont imprimées
des dispositions nouvelles, qu'on a raison dès lors d'appeler
acquises , et parmi lesquelles figurent au premier rang celles
qu'on appelle des habitudes.
D'abord, est-il possible de nier les modifications que
l'homme peut recevoir de l'univers extérieur ? Les diffé-
rences qu'il offre selon les climats, les lieux, les influences
atmosphériques , le régime, en sont la preuve. Quelle oppo-
sition entre l'homme rabougri des contrées hyperboréennes ;
et l'homme de nos régions tempérées , qui , sous l'influence
d'un beureux climat, a accompli tous ses développements!
Depuis TJippccrate, qui a établi ce fait dans son immortel Traité
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 5l5
de l'air, des eaux et des lieux, jusqu'à nos jours , on a reconnu
les différences que présentent les hommes selon les lieux qu'ils
habitent; l'homme des continents diffère de l'insulaire;
l'habitant de la plaine diffère de celui des montagnes. Les
différences ici sont presque aussi multipliées que le sont les
localités; et les influences spéciales de celles-ci sont quel-
quefois assez prononcées pour occasion er des maladies qui
leur sont propres et qu'on appelle endémiques , et pour dé-
terminer, dans les hommes qui viennent tout à coup s'y
fixer, une révolution qui est souvent orageuse, et qu'on
appelle acclimatement. La température atmosphérique est
surtout une circonstance qui, quand elle est extrême, mo-
difie les hommes; et, sans parler de la coloration plus
grande qu'imprime à la peau la chaleur solaire, les opposi-
tions les plus frappantes s'observent entre l'homme des tro-
piques et l'homme des régions polaires, l'homme du midi
et l'homme du nord. Enfiu , il ne peut être indifférent pour
là constitution, qu'on soit soumis à une alimentation trop
pauvre ou trop riche : à la longue , il doit en résulter , dans
le premier cas, une constitution faible, cachectique; et
dans le second cas, une disposition pléthorique, inflamma-
toire. Ce que nous avons dit, dans le temps, des rapports,
tant physiques et chimiques , qu'organiques , de l'homme
avec le monde extérieur, explique assez le mode selon lequel
celui-ci lui imprime tant de modifications; nous y avons
fait voir que, bien que l'homme doive, tant qu'il vit, se
soumettre, se subordonner tous les corps extérieurs, cepen-
dant toujours il se moule , il se proportionne en partie à eux.
En second lieu, la mesure dans laquelle l'homme use de
•à vie, el exerce ses divers organes , amène en lui des diffé-
rences qui ne sont pas moins considérables. En effet , nous
avons déjà indiqué bien des fois dans cet ouvrage , les chan-
gements divers qu'entraîne , dans les organes et les fonc-
tions, l'exercice selon son degré. Une partie est-elle laissée
trop inactive? non-seulement cette partie n'a qu'un déve-
loppement imparfait , mais elle n'acquiert qu'une médiocre
prestesse pour l'accomplissement de sa fonction , et n'a que
peu de susceptibilité à entrer en jeu. Une partie, au con-
33.
5i6 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
traire, est-elle exercée convenablement ? cette partie se dé-
veloppe tout-à-fait , acquiert un grand volume, accomplit
sa fonction avec la plus grande dextérité , et a la plus grande
susceptibilité à entrer en action. Enfin , une partie trop
employée s'altère , s'épuise , et bientôt se refuse à son ser-
vice. Or, comme il est beaucoup des organes de l'homme
qui sont soumis à sa volonté, qu'il peut conséquemment
faire agir trop ou trop peu, quelle source féconde de diffé-
rences individuelles ! Ces effets du degré d'exercice ne sont
même pas bornés à la partie qui agit : toute la constitution
est plus ou moins modifiée; soit parce que l'appareil qui
est laissé inactif, ou qu'on a rendu prédominant, est un des
appareils influents du corps; soit parce qu'en vertu de la
loi de balancement, il est impossible que l'action diminue
ou augmente d'un côté , sans qu'elle augmente ou diminue
de l'autre. C'est ainsi que l'homme qui mange beaucoup,
non-seulement rend actif son appareil digestif, mais encore
amène à la longue un état pléthorique général. C'est ainsi
que l'excès des exercices musculaires amène l'obtusion des
actions sensoriales; et, qu'au contraire, l'excès des actions
sensoriales entraîne la débilité musculaire. Il n'est presque
aucune des différences individuelles, tempéraments, idiosyn-
crasies, dont nous avons donné la description , qui ne puisse
être développée par la mesure d'action des organes, parle
régime de vie, et par conséquent être acquise. Par exemple,
l'individu qui, par l'exercice, a développé le plus pos-
sible l'appareil digestif, ou l'appareil génital , revêt la même
manière d'être que ceux qui avaient originellement ces ap-
pareils prédominants. Cependant, avouons que ceci n'est
vrai que jusqu'à un certain point; il faut toujours quelques
dispositions originelles favorables, car on ne peut forcer sa
nature. N'exagérons rien; et nous gardant également de ces
deuxécueils , de rapporter l'état de l'homme exclusivement,
ou à son organisation native , ou aux influences du monde
extérieur et de l'éducation, sachons, dans l'appréciation des
différences que présentent les hommes, faire la part de ces
deux puissances. Celle du mode de vie est surtout évidente ,
en ce qui concerne les tempéraments nerveux et muscu-
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 317
laire ; ces tempéraments sont plus fréquemment acquis que
natifs. Supposez deux individus , l'un livré exclusivement
aux travaux d'esprit , aux agitations morales , et ne faisant
aucun exercice physique; l'autre n'employant que ses mus-
cles, et adonné à des travaux rudes et continuels; chacun
de ces deux hommes ne vous présentera- fc-iî pas , le premier.,
un exemple du tempérament nerveux , le second , un exem-
ple du tempérament musculaire ? C'est au degré d'exercice
des organes , que se rapportent toutes les différences qu'im-
prime aux hommes V éducation; les uns, n'ayant reçu au-
cune de ses influences , et étant les produits bruts de leur
nature primitive ; les autres ayant été façonnés par elle ,
mais diversement , et de manière à présenter des milliers
d'aptitudes, d'inclinations diverses. C'est de l'exercice que
dérivent aussi toutes celles qui proviennent des institutions
publiques, des gouvernements , qu'on peut considérer comme
n'étant qu'une éducation prolongée. Enfin, c'est encore à lui
qu'il faut rapporter toutes les différences qu'entraînent les
diverses professions, puisque toujours ces professions suppo-
sent l'exercice exclusif, ou au moins prédominant, de quelque
faculté. Cependant ces derniers agents modificateurs, gouver-
nements , professions , doivent aussi une partie de leur
puissance sur l'homme à l'influence qu'exercent sur celui-ci
les diverscorps extérieurs; car, en même temps qu'ils règlent
le mode dont l'homme use de lui-même, ils font varier les
rapports que cet être établit avec toute la nature.
Enfin , c'est aux différences individuelles acquises, sus-
citées par l'action des corps extérieurs et par l'exercice de la
vie , que se rapportent les habitudes» On appelle ainsi des
dispositions nouvelles acquises par les êtres vivants, et
devenues permanentes et aussi impérieuses que l'étaient
leurs dispositions primitives. Tout être vivant doit à
son organisation originelle , à ce qu'on appelle sa na-
ture « une certaine somme de besoins , de dispositions ,
de facultés; mais cette organisation n'est ni nécessairement,
ni absolument immuable ; elle est au contraire susceptible
d'être modifiée sans cesse, et par les impressions des corps
extérieurs, et par îa mesure d'exercice des organes; alors,
5 1-8 DES DIBIÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
des dispositions nouvelles sont substituées à celles qu'on
avait primitivement; et quand ces dispositions sont deve-
nues permanentes, et exercent le même empire que les dis-
positions primitives, on les appelle des habitudes.
La théorie de ces habitudes doit se déduire de ce que
nous avons dit des causes qui modifient l'homme après sa
naissance , savoir, les impressions des corps extérieurs, et la
mesure d'exercice des organes. En premier lieu , pour que
ces causes puissent en faire naître , il faut qu'elles soient
capables de rendre permanente la modification qu'elles im-
priment à l'économie. Or, déjà cela n'arrive , pour les im-
pressions des corps extérieurs , que quand les impressions
ont été continuées un certain temps; et pour l'exercice des
organes , que quand cet exercice a été souvent répété. Ce n'est
en effetque quand une impression est prolongée, qu'elle peut
produire dans l'économie une modification assez profonde et
assez durable , pour qu'il en résulte une disposition nou-
velle saillante; et ce n'est aussi que quand l'exercice des
organes est très répété , que ces organes acquerront à
l'accomplissement de cet acte, une aptitude telle que cet
acte , fût-il de ceux qui ne sont produits primitivement que
par une volonté expresse et avec efforts , souvent alors se ma-
nifestera comme de lui-même, sans qu'on paraisse le vouloir,
et sans être aperçu. Aussi , définissons-nous les habitudes;
des modifications permanentes et compatibles avec la
santé, imprimées à l'économie par la répétition des mêmes
actes, la continuité des mêmes impressions, d'où résultent
des dispositions ditférentes de celles qui étaient primitives,
mais exerçant désormais le même empire.
En second lieu, comme les deux causes des habitudes, la
répétition des mêmes actes, la continuité des mêmes im-
pressions, sont succeptibles d'agir dans des degrés divers,
les habitudes devront être diverses aussi; leurs effets varie-
ront, selon qu'aura été plus ou moins répété l'acte dont la
répétition les produit, selon qu'aura été forte ou faible l'im-
pression à la continuité de laquelle elles doivent naissance.
En effet, nous allons voir que tour-à-tour leurs résultats
sont de rendre , ou plus ou moins propres et enclins à l'acte
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 5 19
qui a été répété , ou plus ou moins sensibles à l'impression
quia été reçue. Ainsi : 1 ° Suppose-t-on d'abord qu'un acte
ait été répété , autant que le permet la portée de force et de
durée d'activité dont est susceptible l'organe qui en est
l'agent? alors, d'un côté, cet acte devient de plus en plus
facile , est de jour en jour accompli avec plus de perfection ;
de l'autre côté, l'organe qui en est l'agent devient de plus
en plus susceptible de le produire, à tel point que cette
production peut devenir pour lui une nécessité, un besoin.
C'est ce qu'explique ce que nous avons dit des effets de
l'exercice , qui dans une mesure convenable fait acquérir
aux organes plus de prestesse, et les rend plus disposés à
agir. C'est ainsi que parle seul fait de leur répétition, des
mouvements très compliqués , comme ceux de la. parole, du
chant, etc. , se produisent comme d'eux-mêmes et sans
qu'on paraisse y penser. 2° Suppose-t-on, au contraire,
que la répétition d'un acte soit de beaucoup au-dessous de
la portée de force et de durée d'activité de l'organe qui en
est l'agent? alors cet organe perd une partie de l'aptitude
qu'il avait originellement à la production de cet acte , et
par l'habitude y devient moins propre , moins enclin. C'est
ainsi qu'on s'habitue à ne manger qu'une très petite quan-
tité d'aliments, et qu'il devient ensuite impossible d'en
digérer une quantité plus forte. Voilà donc l'habitude qui,
sous ce premier rapport, amène, tantôt l'extension des facul-
tés, tantôtleur affaiblissement, leur anéantissement, selon la
mesure dans laquelle a eu lieu la répétition, selon que
celle-ci a été un exercice convenable ou de l'inaction , ou un
exercice abusif. Nous n'avons pas besoin de dire que cha-
cun de ces trois degrés est lui-même susceptible de nom-
breuses gradations, et que l'extension , l'affaiblissement qui
sont survenus dans la faculté sont aussi plus ou moins
grands. Si maintenant nous considérons la seconde cause
occasionelle des habitudes, la continuité des impressions,
les effets ne seront pas moins divers , selon le caractère de
ces impressions. 1° Suppose-t-on l'impression faible, mais
nécessaire à l'accomplissement de quelque fonction de l'état
normal ? avec le temps, les organes arriveront à se contenter
5 20 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
d'une impression aussi faible, et même ne pourront plus
en supporter de plus intenses. C'est ainsi qu'en restant
long-temps dans l'obscurité, on s'habitue à y voir, mais
en perdant la faculté de voir au grand jour : les efforts qu'a
faits alors l'organe pour être sensible à une impression fai-
ble , ont étendu sa sensibilité; il a recueilli les bienfaits de
l'exercice , mais avec ce trait de plus, que sa sensibilité a
été exaltée au point qu'une impression qui, dans l'état
normal eût été convenable , lui est alors devenue importune.
20 Suppose-t-on , au contraire, l'impression forte, sans
néanmoins altérer le tissu des organes, ni y provoquer une
irritation morbide? le résultat sera différent, selon que cette
impression aura été forte dès le principe , ou, au contraire,
aura eu une intensité graduellement croissante ou décrois-
sante. Dans le premier cas, îa modification qu'elle a déter-
minée , a pu être si profonde , que les organes sont devenus
plus susceptibles de ia recevoir, et désormais en manifes-
teront les effecs à un degré beaucoup plus faible, à un degré
qui eût été sans influence à l'étal normal. C'est ainsi qu'une
personne qui a pris une première fois une forte dose d'émé-
tique, vomit ensuite par l'administration delà plus petite
quantité de ce médicament, par une dose que prendrait
impunément toute autre personne. Dans le second cas, ce-
lui où l'impression aune intensité graduellement croissante,
c'est graduellement aussi que les organes revêtent la modi-
fication qu'elle leur imprime, et ses effets dès lors devien-
nent de moins en moins sensibles. C'est ainsi que l'esto-
mac arrive à recevoir impunément des poisons, et que nos
sens sont conduits à supporter des impressions très fortes.
Lorsque l'impression avait été faible, on avait été amené à
ne pouvoir plus supporter d'impressions fortes : ici l'effet
est inverse; les organes ne sont plus accessibles qu'à des im-
pressions fortes; et des impressions faibles, qui, dans le
principe , avaient été perçues , ne le sont plus ; il semble
que par îa continuité de ces impressions graduellement
croissantes , la sensibilité se soit émoussée et ait perdu de sa
délicatesse. De là le danger ou le tort dans ia pratique de
la vie, d'augmenter sans nécessité l'inlensité des impies-
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 5-2J
sions, puisqu'une fois engagé clans cette voie , il faut aug-
menter sans cesse. Non-seulement, une impression, quand
elle est graduellement croissante , arrive à être supportée ,
mais souvent elle est réclamée avec exigence et devient un
besoin; c'est ainsi que l'habitude nous crée mille besoins
factices, comme ceux du tabac, du café, etc. Dans le troi-
sième cas enfin , celui où l'impression a une intensité gra-
duellement décroissante, la modification qu'elle avait
imprimée d'abord s'efface insensiblement , l'organisation
primitive réparaît; et tandis que par le mode précédent,
des habitudes s'étaient établies, par celui-ci elles se détrui-
sent. Ainsi , selon le caractère de l'impression , dont la con-
tinuité a amené une habitude, cette habitude a rendu plus
ou moins sensible à cette impression. Cette analyse des effets
des habitudes, fait sentir d'avance combien ont erré les au-
teurs qui ont voulu constamment leur attribuer les mêmes
conséquences.
Toutefois, en prenant le mot habitude pour désigner
l'organisation modifiée , comme celui de nature désigne l'or-
ganisation primitive; on voit combien est juste l'expression
de ceux qui appellent l'habitude une seconde nature ; elle
est en effet comme une nouvelle nature qui a été substituée
à la première. Tout être vivant en est passible, et d'autant
plus qu'il a une organisation plus compliquée : dans ce
dernier cas , en effet , il a des rapports plus multipliés, et
une sensibilité plus délicate, et tandis que la première de
ces conditions l'expose à plus de causes de modifications, la
seconde l'y rend plus flexible. À ce premier titre , l'homme
en est des plus susceptibles. Mais d'autres causes l'y sou-
mettent encore. D'une part , il est accessible aux modifica-
tions que commandent les climats; et comme seul à peu
près entre les animaux il peut les habiter tous, ses habi-
tudes sous ce rapport doivent être plus nombreuses et plus
variées. D'autre part , seul encore à peu près entre les ani-
maux ., il est oblige de faire la conquête de la terre qu'il ha-
bite, d'y travailler, de s'y procurer avec efforts tout ce que
réclament ses besoins : or , de cette nécessité sont résultées
pour lui la vie sociale, l'invention des diverses professions; et
5 22 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
la pratique de celles-ci entraîne irrésistiblement en lui des
habitudes.
Aussi l'influence de l'habitude se mêle-t-elle à presque
tous les actes de notre vie. C'est à elle que nous devons la
facilité que nous développons dans la production de cer-
tains actes qui nous sont journaliers, mais que nous n'avons
exécutés primitivement qu'avec efforts , dans la parole,
par exemple, le chant, la station, la progression, etc.
L'exercice de la vie, en nous obligeant de répéter sans cesse
les contractions musculaires dont dépendent ces dernières
actions, a fini par rendre ces contractions si faciles, que
nous ne nous apercevons plus de la volonté qui les ordonne
et en règle la précision. Sur l'habitude reposent nos pro-
grès dans la pratique des diverses professions mécaniques
et industrielles, dans la culture des arts. Base de l'éduca-
tion , elle a la plus grande part à l'extension que celle-ci
donne à nos facultés, Qu'on passe en revue tous les organes
du corps humain, et par conséquent toutes ses fonctions,
on n'en verra point qui n'aient subi ou ne soient suscep-
tibles de subir des modifications capables de constituer des
habitudes. En vain Bichat avait dit que l'habitude ne por-
tait que sur les fonctions dites animales , et était sans prise
sur les fonctions dites organiques. Voici des considérations
qui prouvent que sa proposition est fausse. i° Tous les êtres
vivants sans exception, les végétaux eux-mêmes, peuvent
contracter des habitudes; et dans les Yégétaux, tous les actes
de la vie sont de ceux que Bichat appelait organiques.
2» Parmi les fonctions organiques, plusieurs réclament
l'intervention de corps ex térieurs , la digestion, la respira-
tion, par exemple; et par conséquent, ces fonctions peu-
vent recevoir de ces corps extérieurs une modification per-
manente. Ainsi, l'on s'habitue à manger telle quantité
d'aliments, à en supporter d'une nature mauvaise et délé-
tère, à respirer un air vicié, etc. On connaît l'histoire de
ce prisonnier, qui , rendu à la liberté après une longue
captivité, ne put supporter la respiration de l'air pur, et
eut besoin d'être replongé dans l'air infect de son cachot.
3° Parmi les fonctions organiques, toutes celles qui réel a-
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 5 23
ment la préhension de corps extérieurs, sont, relativement
à cette préhension, dépendantes de la volonté, et par con-
séquent sont passibles d'habitudes en raison de la mesure
dans laquelle on les exerce. Ainsi, l'habitude a prise sur les
époques auxquelles se fait sentir la faim, sur la quantité
d'aliments nécessaires pour faire cesser cette sensation.
Ceci à la vérité n'est applicable qu'aux fonctions organiques
supérieures , la respiration , la digestion ; mais les rapports
de ces fonctions avec les fonctions organiques plus profondes
sont si intimes, que bientôt celles-ci participent des modi-
fications qu'ont reçues celles-là, et manifestent aussi sensi-
blement des habitudes. 4° Pour qu'un mouvement vital
quelconque devienne habituel, c'est-à-dire soit plus facile-
ment produit et plus susceptible de l'être, il suffit qu'il
soit répété : or les actes organiques, quoique non volon-
taires, peuvent l'être aussi, et par conséquent devenir ha-
bituels. C'est à ce titre que des mouvements morbides
mêmes se perpétuent par habitude. 5° Enfin, à défaut de
ces raisonnements , on a les faits directs. Qu'on passe en
revue les fonctions organiques , on y reconnaîtra les effets
de l'habitude : nous avons cité des exemples pour la diges-
tion, la respiration; on peut en citer de même pour les
calorifîcations, les sécrétions, etc. Ne contracte-t-on pas
l'habitude du chaud ou du froid ? Nos excrétions ne décè-
lent-elles pas l'empreinte de l'habitude par leur périodi-
cité ? Si quelques excrétions artificielles ont duré quelque
temps, elles deviennent nécessaires, et souvent leur sup-
pression serait aussi difficile et aussi dangereuse que celle
de nos excrétions naturelles. Il est donc certain que tous
les organes du corps sont tributaires de l'habitude , et c'est
faute d'en avoir analysé les causes, que Bichat a pu dire le
contraire.
Le même oubli lui en avait fait juger mal les effets: il a
dit, et ou a répété après lui, Y habitude émousse le senti-
ment, et. perfectionne le jugement. Cette proposition, par
cela seul qu'elle est absolue, est fausse; il est impossible,
d'après ce que nous avons dit, que l'habitude ait un effet
constant ; mais tour-à-tour, selon la fréquence avec laquelle
5^4 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME,
l'acte a été répété, selon le caractère de l'impression qui a
été continue , elle donnera de l'extension à une faculté, ou
l'annihilera. Ainsi , uue impression graduellement crois-
sante deviendra chaque jour moindre, et finira par n'être
plus sentie; mais cela n'aura lieu qu'à la fin , et dans l'ori-
gine elle aura paru plus forte à chaque fois qu'elle aura été
répétée. L'exercice convenable donne aux sensations plus
d'étendue , comme aux autres facultés de la vie ; et par con-
séquent il est faux, en thèse générale, que l'habitude
émousse le sentiment. Il n'est pas plus vrai qu'elle per-
fectionne le jugement. Sans doute par un degré d'exercice
convenable, les facultés de l'esprit acquièrent la même
promptitude et la même sûreté d'action que celles de nos
autres facultés qui sont convenablement cultivées; mais, à
un degré d'exercice exagéré , qui surpasse la portée des forces
intrinsèques de nos organes, ces facultés se perdent comme
toutes les autres. De cette idée que l'habitude émousse
tout sentiment, ramène toute sensation à l'indifférence,
Bichat avait conclu que la constance est impossible à
notre nature, et que le changement, la variété, contre
lesquels les moralistes déclament , nous sont ordonnés
par notre organisation. Mais l'idée première n'étant pas
vraie de tous les cas , la conséquence ne peut pas l'être non
plus. Sans doute les impressions devenant dans de certains
cas de moins en moins senties, il faut en varier les causes pGur
nous en procurer de plus vives ou de nouvelles; et comme
avoir des sensations est notre premier besoin, l'habitude
semble sous ce rapport nous faire une loidela diversité. Mais
il est un autre point de vue sous lequel elle nous impose
irrésistiblement la constance. L'habitude a deux principaux
effets : d'un côté les actes habituels sont plus facilement pro-
duits; de l'autre ils ont plus de susceptibilité à se produire,
ils sont devenus un besoin. Par lepremier de cesefFels, souvent
ces actes ne sont plus sentis; et comme, ainsi que nous le di-
sions tont-à-1'heure, nous voulons à tout prix des sensations,
et. que nous ne croyons vivre que par elles, il est certain que
l'habitude qui les rend nulles, nous pousse sous un rapport
au changement qui seul peut nous en procurer. Mais, parle
DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES ACQUISES. 525
second de ces effets, l'habitude nous pousse intérieurement à
exécuter Pactequi a été répété, à rechercher 3'irapression qui
par sa continuité nous est devenue un besoin; elle nous
fait trouver un plaisir à la répétition de l'un , à la présence
de l'autre; le besoin factice qu'elle a fait naître parle en
nous comme nos besoins naturels; il y a plaisir à le satis-
faire, comme souffrance à lui résister; et par conséquent,
contre ce que disait Bichat, l'habitude mène à la jouissance
et non à l'indifférence, et commande la constance au lieu
du changement. C'est ainsi qu'elle fonde un lien si puis-
sant, qu'elle va jusqu'à faire trouver bonne et nécessaire
une chose qui est mauvaise en soi , mais qui est clans
l'habitude. Quand nous recevons une impression , deux
effets en résultent, dit Buisson; d'un côté, nous percevons
une sensation qui est d'autant plus vive que l'impression
est plus nouvelle; de l'autre, l'organe qui reçoit l'impres-
sion se moule à sa cause et s'unit à elle dans un rapport qui
est d'autant plus complet , que l'impression est plus an-
cienne. Ces deux effets sont inverses ; c'est quand l'impres-
sion est devenue inaperçue, que le rapport de l'organe avec
sa cause est mieux établi; et vice versa. Or, deux sortes de
plaisir sont attachés à chacun de ces deux effets ; au premier,
un plaisir qui est vif d'abord, mais qui diminue avec le
temps , et finit même par disparaître ; au second , un plaisir
plus modéré, mais qui augmente avec les années : le premier
tient à la sensation , est celui de l'enfance, de la jeunesse ,
et no us commande le changement ; le second tient au rapport
établi entre les organes et les causes d'impression, est celui
de la dernière moitié de la vie, de l'habitude, etnous com-
mande la constance. L'assertion de Bichat, n'eût-elle pas été
en contradiction avec les faits, était contraire à la morale , et
cela seul devait la rendre suspecte; car jamais les principes
physiologiques et moraux ne peuvent être en opposition.
Telle est la théorie de l'habitude. Il reste à dire s'il est
avantageux de contracter ou non des habitudes, dans quelles
circonstances de la vie on en est plus susceptible , etc. ; mais
les réponses à ces questions ressortent des principes que nous
avons posés. L'utilité ou le danger des habitudes ne peut pas
526 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
être établi d'une manière générale; il est bien d'en contrac-
ter de bonnes; il est mal d'en contracter de mauvaises; il
est prudent de n'en pas contracter d'inutiles ; prétendre
s en affranchir tout-à-fait, c'est aspirer à l'impossible. La
succession des jours el des nuits, l'intermittence obligée
que réclament toutes nos fonctions volontaires , nos occu-
pations sociales qui nous imposent la répétition de certains
actes à l'exclusion de plusieurs autres, etc.; tout nous pousse
irrésistiblement sous l'empire des habitudes. Cette irrésisti-
bilité est, du reste, sous beaucoup de points de vue, un
avantage. Ainsi , nous acquérons à la production de certains
actes une habileté dont nous ne jouissions pas d'abord; nos
devoirs deviennent pour nous des besoins , et une impulsion
intérieure nous pousse irrésistiblement à les accomplir. Les
habitudes nous font vivre avec régularité, avec moins d'ef-
forts ; elles nous font distribuer nos heures , nos jours , avec
économie : pour leur résister, d'ailleurs, il faut combattre
sans cesse, et quel homme en a le courage ? Tous les repro-
ches faits aux habitudes ne sont vrais que des mauvaises ou
des inutiles; mais les bonnes sont, pour la conduite du
coi'ps et pour celle de l'ame , de puissants appuis. Nous n'a-
vons pas besoin de dire que c'est dans le premier âge de la
vie qu'on est le plus susceptible d'en acquérir; alors toutes
les impressions sont nouvelles , et l'organisation a toute sa
flexibilité. Dans le dernier âge, au contraire, le corps a reçu
toutes les modifications dont il est susceptible, et les em-
preintes qu'il a revêtues sont indélébiles.
CHAPITRE V.
Des Races humaines.
L'espèce humaiue est-elle une ? ou , à l'instar de ce qui
est en beaucoup d'animaux , y a-t-il plusieurs espèces d'hom-
mes? D'un côté, les hommes qui sont disséminés sur les
divers points du globe , diffèrent souvent par la stature , la
couleur de leur peau et de leurs cheveux , les proportions
de plusieurs de leurs systèmes et appareils. D'un autre côté ,
DES RACES HUMAINES. 527
il paraît évident que tous les hommes sont construits sur un
même plan ; et il est possible que les différences légères et
superficielles qu'ils présentent soient l'effet des climats di-
vers qu'ils habitent. Les climats, qui modifient tous les végé-
taux , tous les animaux, pourraient-ils en effet être sans
influence sur l'homme, de toutes les espèces vivantes,
celle qui est attaquable par le plus de voies , qui est le plus
susceptible d'être modifiée?
Les naturalistes sont divisés sur cette question. Buffon
n'admettait qu'une espèce humaine , se fondant sur ce que,
d'un climat à un autre, toutes les races d'hommes s'enchaî-
nent; sur ce que tout homme s'empreint à la longue des
qualités du climat; et sur ce qu'une même latitude, quand
elle présente des climats divers, présente aussi des races
diverses. Il ne reconnaissait que des variétés, et spécifiait
comme telles, la lapone , la tartare , la chinoise , la malaise ,
Y éthiopienne y Yhottenloie, Y européenne et Y américaine. Il
appuyait encore ce dogme de l'unité du genre humain, sur
ce que les diverses races d'hommes connues peuvent s'asso-
cier entre elles et produire des individus féconds. D'autres
naturalistes ont émis une opinion inverse, et d'abord ont
fait remarquer l'insuffisance de ce dernier caractère; il est
certain, en effet, que plusieurs animaux d'espèce évidem-
ment différente, peuvent s'accoupler et engendrer des in-
dividus féconds. Ils ont ensuite argué de l'impossibilité de
dériver des influences du climat les différences que présen-
tent les diverses races humaines. En histoire naturelle ,
disent-ils, les espèces sont établies sur des différences im-
portantes , dues à l'organisation primitive, et qui , résistant
à toutes les influences du dehors , se transmettent immua-
bles par la génération : or, telles paraissent être celles qui
distinguent les races humaines. Est-il possible, par exem-
ple, de rapporter à l'influence du climat la couleur de la
peau, qui est noire dans les unes, et blanche dans les au-
tres? A cet égard, on a dit que les peuples étaient d'autant
plus noirs qu'ils étaient plus éloignés des pôles : mais il
existe de nombreuses exceptions à cette règle; on trouve des
hommes noirs aux pôles, et des hommes blancs sous les tro-
528 DES DIFFERENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
piques ; les uns et les autres restent tels dans les climats qui
leur s mt opposés, s'ils ne s'unissent pas aux autres races;
les blancs , par exemple, restent blancs sous les tropiques,
et les nègres restent nègres à la terre de Diérnen, et dans
l'Amérique septentrionale. Que de nations qui conservent
leur type primitif à travers les siècles et les climats , si elles
ne contractent pas d'alliances étrangères; nous citerons la
nation juive. D'ailleurs, la peau n'est pas la seule partie du
nègre qui soit noire; son sang, ses organes intérieurs le sont
aussi ; et si l'on veut que la chaleur du climat ait noirci l'une >
dira-t-on quelle a noirci de même les autres? Comment d'ail-
leurs expliquer les autres différences que présente le nègre ,
et particulièrement celles qui portent sur son système os-
seux , sur sa face? Peut -on admettre avec Volney , que
l'espèce de moue qu'a dû lui faire faire l'impression conti-
nuelle des rayons solaires, est ce qui a alongé ses mâchoi-
res , et les a davantage rapprochées de la forme d'un museau ?
On peut arguer encore de ce que le nègre a un pou qui
lui est spécial , et qui diffère de celui qui est le parasite de
la race blanche. Enfin, si Ton veut que les différences que
présentent les races humaines soient, non natives, mais le
produit des climats, quelle antiquité, plus reculée que celle
que lui assignent nos livres saints , ne faut-il pas supposer
au monde ?
La plupart des naturalistes de nos jours admettent une
opinion mitoyenne aux deux que nous venons de rapporter;
ils admettent entre les hommes, non des espèces aussi tran-
chées que celles qu'on observe dans certains animaux, mais
ce qu'ils appellent des races. Voici, par exemple., l'opinion
de M. Cuvier , sur cette question. Ce naturaliste, si dîgne
de faire en ceci autorité , reconnaît trois races distinctes,
la blanche ou caucasiqve , la nègj^e ou éthioplque , et la
jaune ou mongolique. i° La race blanche ou caucasique est
la plus parfaite , et celle à laquelle nous appartenons. Elle
habite l'Europe , l'Asie mineure , la Syrie , la Perse , la
presqu'île en-deçà du Gange , l'Afrique septentrionale 3
l'Arabie, le nord du mont Atlas, etc.; il serait donc im-
propre de l'appeler la race européenne. Le nom de race
DES RACES HUMAINES. 5 29
blanche ne lui convient pas davantage , car clans l'Indostan
sa couleur est presque noire. On doit l'appeler race cauca-
sique, parce que c'est là qu'est son plus beau type , et de là ^
à eu juger par les traditions et les diverses langues , qu'elle
s'est répandue sur les contrées du globe qu'elle habite au-
jourd'hui. C'est d'après elle que nous avons fait la descrip-
tion anatomique et physiologique de l'homme ; elle est
distincte par la beauté de l'ovale de sa tête. 20 La race nègre
occupe une surface de la terre moins étendue , toute la
partie de l'Afrique qui s'étend du midi du mont Atlas au
cap de Bonne-Espérance. Evidemment elle est un peu infé-
rieure à la précédente, et offre quelques traits qui la rap-
prochent davantage des premiers des animaux , des singes.
Par exemple , son front est aplati , reculé en arrière ; son
crâne plus petit , moins capace , contient de quatre à neuf
onces d'eau de moins que celui d'un Européen; les condyles
de l'occipital sont un peu plus reculés en arrière. Tandis
que le crâne et le cerveau sont ainsi un peu moins déve-
loppés que dans la race précédente, la face et les organes
du goût, de l'odorat, de la mastication, le sont au con-
traire davantage ; les mâchoires sont avancées et saillent
presque en guise de museau ; les lèvres sont grosses , les
pommettes saillantes; la fosse temporale est plus creuse,
l'arcade zygomatique plus bombée, la ligne courbe temporale
plus marquée 3 les muscles masticateurs sont plus forts.
L'angle facial est moins ouvert, et la tête du nègre, sous
ce rapport, tient le milieu entre celle de l'homme de la race
caucasique , et celle du premier des singes, l'orang-outang.
L'os inter-maxillaire , qu'on n'a jamais pu découvrir dans
l'embryon du blanc , se trouve au contraire dans celui du
nègre. A l'œil , le vestige de la troisième paupière est plus
fort. Le nez est écrasé, ses cornets sont plus forts ^ lapitui-
taire a plus d'étendue, d'où plus de finesse au sens de l'odo-
rat. Le palais a également plus de surface. Enfin, les autres
parties offrent aussi quelques dégradations ; le pied , par
exemple, est plus plat, sa plante est moins concave; le
tibia est plus arqué , le mollet moins fort et situé plus en
avant, etc.; de sorte que les conditions anatomiques de la
Tome IV. 34
53o DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE l'hOMME.
station bipède sont moins complètes. Aussi l'assiette du
nègre est en général moins parfaite , et son allure paraît
éreintée. Les cheveux sont laineux , courts , très fins , très
noirs, frisés; la peau est noire. Le sang, et diverses parties
intérieures , la partie corticale du cerveau , par exemple ,
sont noires aussi. Cependant cette couleur n'est pas ce
qui caractérise cette race , car les Hottentots , les CafFres ,
sont jaunes; ce que nous venons de dire de l'état du sque-
lette est bien plus spécifique. Il est impossible de ne pas
voir dans tous ces traits , les preuves d'une infériorité rela-
tivement à la race précédente ; et cette infériorité explique
pourquoi les peuples de la race nègre sont plus tardifs et
moins puissants en civilisation. 3° Enfin la race mongole
ou tartare occupe toute la portion du globe qui s'étend de
l'orient de la mer Caspienne à la mer du Sud , la Chine , la
ïartarie chinoise , 5a Sibérie, le Japon. Son teint est oli-
vâtre ; ses cheveux sont noirs , ras et peu épais ; il en est
de même de sa barbe; sa tête est plus large proportionnelle-
ment à sa longueur; ses pommettes sont très saillantes; son
visage est plat; ses yeux sont obliques, et ont leur angle
externe relevé. C'est la race la plus ancienne , et celle qui
occupe le plus d'étendue sur la terre. Outre ces trois races >
il est dans l'archipel de l'Inde une variété d'hommes , dite
les Malais , dont M. Duméril a fait une race particulière ,
parce qu'il est difficile de les rapporter tout-à-fait à leurs
voisins des deux côtés , savoir les Indiens caucasiques et les
Chinois mongoliques , n>ais qui peut-être ne sont, dit M. Oli-
vier, qu'un mélange des mongols d'Asie et des nègres d'Afri-
que. Enfin , dans quelques-unes des îles de cet archipel , on
trouve aussi des hommes appelés Papous , qui ressemblent
beaucoup à des nègres, et qui ne sont peut-être que des
produits d'individus de cette race qui se sont anciennement
égarés sur la mer des Indes.
De Lacèpède , outre ces trois races, en admettait encore
deux autres : i° La race américaine qui habite l'Amérique
du nord , et dont la couleur est cuivrée ; 20 la race hyper-
borée y qui est reléguée au nord des deux continents , aux
cercles polaires, et qui constitue les Lapons, les Ostiaques ,
DES RACES HUMAINES. 53 1
les Samoïèdes, les Groënîandais , etc. Mais probablement
la première provient des Tartares mongols d'Asie , qui de
l'ancien continent ont passé dans le nouveau; on peut lire
dans Buffon les raisons sur lesquelles se fondait ce grand
naturaliste pour croire que rétablissement des hommes en
Amérique n'était pas très ancien. Quant à la race hyper-
borée , il est évident qu'elle n'est qu'une des autres races
ou caucasique , ou mongol ique, abâtardie par un climat
funeste.
Enfin , dans ces dernières années, MM. Virey, Desmou-
lins et Bory-dc-Saint-Vincent , s'appuyant sur les décou-
vertes récentes , et les observations plus exactes d'anthro-
pologie faites par les voyageurs modernes , ont cru devoir
multiplier davantage le nombre des familles primitives du
genre humain. M. Virey admet deux espèces d'hommes qu'il
établit d'après le degré d'ouverture de l'angle facial. A la
première , chez laquelle cet angle présente de 85 à 90 de-
grés, il rapporte trois races, Ja blanche, la basanée et la
cuivreuse. Il rattache , comme sous-divisions ; à îa première
Y arabe indienne, la celtique et la caucasienne; à la se-
conde, la chinoise, îa kalmouk mongole, et la laponc
' osliaque ; et à la troisième, Vamèricaine ou caraïbe. A la
seconde espèce, chez laquelle l'angle facial n'est que de 75
à 82 degrés seulement, se rapportent la race brune foncée,
la race noire , et la race noirâtre, qui renferment; l'une,
les variétés malaie ou indienne; la deuxième, les Caffres
et les Nègres; la troisième , les HoUentols et les Papous.
M. Desmoulins , jugeant d'après l'état des cheveux , les dis-
positions des traits de la ligure et des dents, la couleur de
la peau, et le degré d'ouverture de l'angle facial, reconnaît
onze espèces d'hommes, qu'il dénomme d'après le lieu de
la terre qu'ils habitent, savoir; les Ce Ito -Scythe- Arabes
les Mongoles y les Ethiopiens , les Euro- Africains , les Aus-
tro Africains , les Mcdais ou Océaniques , les Papous, les
Nègres océaniens, les Âustralasiens , les Colombiens et
les Américains. De même que les sept premières de ces es-
pèces ne sont que des subdivisions des trois races caucasique,
mongol ique, et nègre de M. Cuvier ; de même M. Desmou-
. 34.
532 DES DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES DE L'HOMME.
Uns croit que quelque jour on pourra établir des subdivi-
sions dans les races colombienne et américaine qu'il a déjà
séparées. Enfin, M. Bory -de -Saint -Vincent adopte les
mêmes principes que M. Desmoulins, et porte jusqu'à quinze
le nombre des espèces d'hommes^, savoir ; V espèce Japhétique,
Y Arabique 3 Y Hindoue, la Scythique , la Sinique 3 YHyper-
boréenne, la Neptunienne, Y Australasienne, la Colombienne,
Y Américaine, la Patagone , Y Ethiopienne , la Cafre , la Me-
lanienne, et la Hotte n tôt e. Nous ne faisons ici qu'une énu-
mération ; il est hors du plan de notre ouvrage , d'exposer
les considérations anatomiques , historiques , et géographi-
ques sur lesquelles MM. Virey , Desmoulins et Bory -de-
Saint-Vincent appuient leur manière de voir.
Quant aux albinos d'Afrique , aux cagots des Pyrénées ,
et aux crétins du Valais, ce ne sont que des êtres infirmes ?
et non des produits d'une race primitive et naturelle.
SIXIEME PARTIE.
PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE , ou HISTOIRE DE
LA FORCE ET DES PROPRIÉTÉS VITALES.
Notre tâche semblerait devoir être finie; nous avons
en effet exposé tous les phénomènes de la vie de l'homme,
indiqué leur ordre de succession et d'enchaînement , re-
monté aux conditions matérielles de leur production. Mais
on a vu que tous les phénomènes de vie sont en opposition
avec les phénomènes physiques et chimiques, et qu'ils dé-
cèlent, dans la matière organisée, un mode de motion spé-
ciale, qu'on a appelé vitalité. Nous avons dit qu'en consé-
quence, ces phénomènes ont été rapportés à des forces
autres que les forces physiques et chimiques générales, à
des forces dites vitales , qu'on a considérées comme en étant
les causes , et qui du moins eu sont les généralisations. Il
nous reste donc à traiter de ces forces; et c'est leur histoire,
qui fonde ce que nous appelons la Philosophie de la science ,
qui va faire l'objet de cette sixième et dernière partie de
notre ouvrage.
CHAPITRE PREMIER.
Considérations générales sur les forces premières admises
dans toutes les sciences naturelles.
Dans l'étude de tous les corps naturels , on a supposé que
des forces animaient la matière qui les forme, et détermi-
naient les phénomènes qu'ils produisent; Y attraction, les
affinités» pour les corps inorganiques; la force de vie,
pour les corps organisés. Il importe d'abord de recher-
-■
534 PHILOSOPHIE DE LA SCIEJNCE.
cher, comment l'esprit, a été conduit à faire cette supposition,
et de spécifier quelle idée l'on doit se faire de ces forces.
Dans tout corps quelconque, il n'y a que deux objets à
étudier; sa structure 3 c'est-à-dire la disposition de la ma-
tière qui le forme; et ses actions, c'est-à-dire les phéno-
mènes qu'il produit, tant entre les parties qui le compo-
sent, que dans ses relations avec le reste de l'univers. Quand
on sait sur un corps tout ce qui concerne ces deux objets ,
on sait de ce corps non-seulement tout ce qu'il est néces-
saire , mais encore tout ce qu'il est possible d'en connaître.
Nos moyeus, pour parvenir à cette connaissance , sont aussi
au nombre de deux : Y observation , qui est l'application de
l'exercice des sens à l'étude de la structure et des actions
des corps; et le raisonnement , qui s'entend des opérations
subséquentes de l'esprit sur les impressions apportées par
les sens. On commence, en effet, par observer, c'est-à-dire
par employer ses sens à recueillir les faits; ensuite on rai-
sonne, c'est-à-dire qu'on cherche à saisir les rapports des
phénomènes entre eux , à remonter de ces phénomènes à
leurs eauses , aux conditions de leur production. Sans
doute , ces deux moyens d'étude sont puissants, mais
il est des limites qu'ils ne peuvent franchir. Relative-
ment à la structure; i° nous ne pouvons, dans la re-
cherche de la composition matérielle des corps, aller que
jusque là où nous conduisent les sens ; au-delà nous sommes
arrêtés; 2° que cette structure des corps tombe ou non sous
les sens , nous ne pouvons saisir l'essence de la matière qui
en est la base; nous ne connaissons cette matière que par
les propriétés qu'elle manifeste. Relativement aux actions,
les limites sont absolument les mêmes. D'un côté, nous ne
pouvons décrire les actions des corps, qu'autant qu'elles
sont appréciables par les sens; si elles ne le sont pas , leurs
résultats seuls nous font juger qu'elles ont eu lieu. D'un
autre coté, que ces actions tombent ou non sous les sens,
nous ne pouvons saisir leurs causes , et l'essence de l'acti-
vité nous est aussi inconnue que celle de la matière. Il est
certain, en effet, que nous ignorons et ignorerons toujours
toutes causes; ce que oous appelons ainsi dans les sciences
COIS STDÉRATIOISS GÉNÉRALES SUR LES FORCES. 635
n'en est pas; un phénomène est dit la cause d'un autre,
lorsque constamment il l'entraîne à sa suite; mais ce n'est
là que saisir un rapport de succession , et la cause propre-
ment dite, ce qui fait que le premier phénomène entraîne
la production du second , la causabiliiê , comme disait Bar-
liiez , reste toujours inconnue. Au moins cela est vrai des
causes dites premières, c'est-à-dire de celles auxquelles on
arrive en dernier lieu dans l'analyse des phénomènes na-
turels ; celles-ci , par cela seul qu'elles sont premières, ne
peuvent qu'être ignorées et impénétrables.
Mais, si dans tout corps on n'a à étudier que ces deux
objets, sa structure et ses actions, et si les causes de celles-
ci sont à jamais cachées , que sont toutes ces forces dont on
dit les corps animés, et qu'on considère comme les causes
de leurs phénomènes? Que sont : et la force d'attraction,
à laquelle l'astronome attribue les mouvements des corps
célestes; celles de gravitation, à' affinités ,. auxquelles en
appellent sans cesse le physicien et le chimiste , pour ex-
pliquer les mouvements de masse et moléculaires des corps
inorganiques; et enfin la force de vie, qui, selon le physio-
logiste, produit tous les phénomènes de vie? Ces forces
sont-elles des êtres réels, essentiellement actifs, ajoutés
dans tous les corps à la matière qui les compose , et faisant
produire à celle-ci toutes les actions qu'ils manifestent?
Long- temps on Fa cru, d'après cette idée fondée sur une
observation superficielle de la nature inorganique , que la
matière est incapable de se mouvoir par elle-même, et ne
le fait que par l'influence d'une puissance placée hors d'elle
et étrangère à sa substance. Telle, en effet, paraît être au
premier coup d'œil une masse minérale , qui reste pesam-
ment attachée au sol sur lequel elle repose, qui offre entre
ses diverses molécules une complète immobilité, et qui ne
se meut que consécutivement à une impulsion mécanique,
Partant de cette observation, évidemment trop superficielle,
on déclara toute matière essentiellement inerte; et,
une fois imbu de cette idée , on crut que lorsque cette ma-
tière paraît se mouvoir spontanément et sans choc mécanique
venant du dehors, comme dans les corps vivants, c'est
536 PHILOSOPHIE DE LA SCIEJXCE.
qu'alors existait au dedans d'elle la puissance motrice spé-
ciale qui la faisait mouvoir. Ces corps à activité spontanée
furent dits composés d'une matière inerte, et d'un agent
moteur; et bientôt cela fut dit de tout corps quelconque,
car il n'en est aucun qui ne présente des mouvements indé-
pendants d'un choc mécanique. Il restait dès lors à spécifier
l'agent moteur. D'abord on le dit matériel , ce qui était, dès
le premier pas, se mettre en contradiction avec le principe
de l'inactivité de la matière; et, comme les corps gazeux
contrastent par leur mobilité avec l'inertie apparente des
corps solides minéraux, ce fut d'abord dans des gaz qu'on
chercha cette puissance motrice des corps; on indiqua
comme telle, tantôt l'air, tantôt la matière de la chaleur.
Mais il était impossible souvent de rapporter à l'influence
de gaz les mouvements qui étaient observés ; alors on en
cherchait des corps encore plus subtils; car, d'après le prin-
cipe de l'inactivité de la matière, plus une matière était
déliée , plus on devait la croire active et puissante : à dé-
faut d'en trouver, on en imaginait; ainsi, on supposa des
éthers , âespneuma, êtres tout-à- fait chimériques pour la
chimie positive de notre siècle. Enfin, à force de chercher
des corps de plus en plus déliés , qui fussent de moins en
moins corps, si l'on peut parler ainsi, on vint à en supposer
qui ne l'étaient plus du tout, des êtres immatériels , des
esprits ; et ces esprits furent dits animer partout la matière,
et lui faire produire ses mouvements. C'est ainsi que Thaïes
plaça des âmes dans chaque astre, dans chaque végétal,
dans chaque animal, pour l'explication des différents phé-
nomènes de l'univers.
Mais les savants d'aujourd'hui , analysant mieux les faits,
et mettant plus de sévérité dans les inductions qu'ils en
tirent 3 ont reconnu la fausseté du principe qui servait de
base à toute cette doctrine, et par conséquent celle de la
doctrine elle-même. D'un côté, il est faux que la matière
soit inactive ; tout au contraire , l'activité lui est essentiel-
lement inhérente, en est inséparable; en quelque système
de corps qu'on l'observe, dans les règnes minéral, végétal
et animal, on la voit exécuter des actions; le mouvement
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES FORCES. 53?
est partout dans la nature, et le repos nulle part. Les faits
même qui avaient fait admettre l'inertie de la matière dé^
montrent son activité ; cette pesante fixité des minéraux au
sbl , par exemple , n'est que l'effet de l'action qui les en-
traîne continuellement vers le centre de la terre ; l'immo-
bilité de leurs molécules n'est que le résultat des actions
continues qui pressent ces molécules les unes contre les au-
tres. D'un autre côté, quelles preuves peut-on donner de
l'existence de ces prétendues puissances actives immatériel-
les ? Dans le monde physique, il n'apparaît réellement
qu'une seule chose, de la matière qui se meut, des corps
qui exécutent des actions ; et dans les sciences , où l'on ne
doit admettre que ce qui est positif, que ce qui tombe sous
les sens, c'est violer toutes les règles que de supposer l'exis-
tence d êtres que rien ne décèle ^ et dont il est même impos-
sible de se faire aucune idée.
Ainsi , les forces premières , que l'on dit animer les divers
corps naturels, ne sont pas des êtres réels, existants par
eux-mêmes, comme on le croyait dans l'ancienne philoso-
phie. Que sont-elles donc enfin? Elles ne sont réellement
que des expressions abstraites, désignant; soit une hypo-
thèse que l'on a imaginée pour représenter la cause des faits
que nous avons dit nous être à jamais cachée; soit la puis-
sance active de la matière, le mode de motion et d'action des
corps, que, par abstraction, l'on a considéré comme en étant
distincts; soit enfin les plus hautes généralisations aux-
quelles on arrive dans l'analyse des phénomènes de la na-
ture. Qu'est-ce en effet que Y attraction , sinon une hypothèse
qui représente la cause inconnue des phénomènes astrono-
miques ? Que sont les forces & affinité* de 'vie, sinon des
abstractions représentant : Fune , le mode d'action propre
aux molécules de la matière inorganique ; l'autre , le mode
de motion propre à la matière organisée? D'un côté, une
disposition particulière de notre esprit nous pousse toujours
à rattacher à tout phénomène la cause qui le produit; et
dans l'impossibilité de trouver celle-ci , nous inventons une
hypothèse qui puisse cadrer avec les faits, et qui désormais
représente cette cause ignorée, comme Vx des algébristes
5 38 PHILOSOPHIE DE LA SC1EJNGE.
désigne l'inconnue d'un problème. Or, qui ne voit déjà que
cette hypothèse, par cela seul qu'elle représente les mouve-
ments des corps, pourra, par illusion, nous en paraître la
force motrice? D'un autre côté, voyant partout la faculté
■de se mouvoir inhérente à la matière, et ne pouvant péné-
trer l'essence de cette faculté , nous la représentons par des
abstractions, qui sont en même nombre que les modes
divers de motion dont elle est susceptible, Telles sont par
exemple ; Y affinité , pour le mode d'action propre aux mo-
lécules des corps inorganiques ; la fores de vie , pour le
mode d'action propre à la matière organisée. Or , l'on
sent encore que ces abstractions , par cela seul qu'elles
représentent les modes de motion des corps , ont dû faci-
lement aussi en paraître les forces motrices. Enfin , une
autre disposition de notre esprit est de généraliser sans
cesse , c'est - à - dire de nous élever continuellement des
faits à des principes qui en expriment l'origine , la nature,
l'enchaînement ; d'arriver des faits individuels à un
fait général , dans lequel les premiers soient tous plus
ou moins renfermés. C'est même ce procédé seul qui con-
stitue les sciences; car nous ne faisons dans leur étude que
nous élever de faits en faits, à mesure qu'ils se produisent
et se succèdent les uns les autres; acquérant ainsi la con-
naissance de tous les faits secondaires , mais parvenant enfin
à un fait premier, à un fait principe, qui par cela seul
qu'il est premier, nous est et nous sera toujours inconnu.
Or, ce fait général, premier, principe, nous créons aussi
pour le représenter une abstraction , que nous avons encore
d'autant plus de disposition à considérer comme une force
active, que renfermant l'universalité des faits, il paraît en
être la cause.
Ainsi, c'est en des abstractions, des généralisations que
consistent toutes les forces que nous voyons figurer dans les
sciences; et ces forces, dont le langage seul fait des êtres
réels, ne sont par conséquent que des créations de notre
esprit. En vain dira-t-on qu'elles emportent avec elles l'idée
d'une activité propre? Nous venons d'en donner les rai-
sons ; c'est que représentant les causes des actions des corps,
CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES FORCES. 53y
désignant les modes divers de motion de la matière, on a
pu les prendre pour les agents moteurs. Ajoutons la ten-
dance qu'a généralement l'homme à personnifier toutes ses
abstractions; tendance à laquelle il a dû d'autant plus fa-
cilement céder ici, qu'il s'agissait d'actes dont la produc-
tion paraissait impossible à une matière qu'on déclarait
inerte. Mais, d'une part, cette dernière opinion est fausse;
de l'autre nous venons d'indiquer la chaîne d'idées par la-
quelle l'esprit humain a été conduit à la création de ces
forces abstraites; en troisième lieu, il est sûr que dans la
nature physique il n'y a qu'une seule chose , de la matière
agissante, et que les dispositions substantielles de cette ma-
tière sont ce qui règle les spécialités de ses actions : il ne
faut donc voir dans les forces que des expressions abstraites,
qui expriment les modes divers de structure et d'activité
des corps.
Cela posé , on voit combien c'est errer que de personnifier
les forces , que de leur assigner une nature , que de les con-
sidérer séparément des corps naturels dont elles ne font
qu'exprimer d'une manière abstraite la structure et les ac-
tions. Inspirées principalement'par le besoin que nous avons
de découvrir les causes des phénomènes, elles ne nous font
pas cependant franchir les limites qui nous sont imposées à
cet égard; par elles seulement nous masquons notre igno-
rance. Que nous sert en effet, par exemple , de dire, lors-
qu'un corps tombe , que c'est la force de gravitation qui
l'entraîne vers le centre de la terre? fait-on là autre chose
qu'exprimer le fait, et relativement à la cause de ce fait,
que se payer d'un mot? Néanmoins, la consécration de ces
forces dans les sciences, est une chose utile. D'un côté, en
paraissant spécifier les causes, elles flattent cette tendance
irrésistible qu'a notre esprit à les poursuivre et à les dési-
gner toujours ; en paraissant leur donner, quelque impéné-
trables qu'elles soient, une existence matérielle, elles font
que les faits se coordonnent mieux, et se prêtent plus faci-
lement aux opérations subséquentes de l'esprit sur eux. D'un
autre côté , comme produits des généralisations les plus
hautes, comme désignant les choses les plus générales, et
54© philosophie de la science.
par conséquent comme renfermant l'universalité des faits,
elles sont tout à la fois un langage abréviatif dans les scien-
ces , et le dernier terme auquel on arrive dans leur étude ;
elles en sont comme les résultats. Leur notion est d'ailleurs
irrésistiblement attachée au mode de procéder de notre
esprit. Il faut donc les conserver, mais seulement comme
moyen de classer, de coordonner les faits; sans oublier ja-
mais qu'elles ne sont que des hypothèses ou des généralisa-
tions abstraites, et que, contre l'idée qu'inspire leur déno-
mination, elles ne font qu'exprimer les faits, au lieu d'en
être les causes. Il faut seulement avoir soin de n'en pas
multiplier le nombre sans nécessité, et de n'en admettre de
différentes, qu'en raison de la diversité qu'on observe dans
les actions des corps dont elles sont toujours l'expression.
A cet égard on sait que, dans la nature, la matière se
montre sous deux formes principales , à l'état inorganique
et à l'état organique; et que , dans chacun de ces deux états,
les mouvements qu'elle manifeste sont très divers. Or, puis-
que les forces ne sont jamais que l'expression abstraite des
mouvements divers des corps, on conçoit qu'on doit déjà en
distinguer de deux genres; les inorganiques , ou physiques
et chimiques , comme l'attraction, les affinités, auxquelles
sont rapportés tous les phénomènes de la nature inorgani-
que; et les organiques ou vitales , qui président aux phé-
nomènes de la vie : nous nous permettrons quelquefois ce
langage, bien qu'impropre, parce qu'il est usité, plus com-
mode, et désormais sans danger, d'après le soin que nous
avons pris de prouver que les forces ne sont que des abstrac-
tions. De ces deux genres de forces, les premières sont en-
core appelées générales , parce que les phénomènes qu'elles
représentent se manifestent dans tous les corps, et parais-
sent être inséparables de toute matière. Les secondes, au
contraire, sont appelées spéciales et vitales , parce que les
phénomènes, dont elles sont l'expression abstraite, ne sont
produits qu'en quelques corps, dans les êtres vivants exclu-
sivement, et sont différents des actions physiques et chi-
miques générales. Nous ne devons nous occuper que de ces
dernières.
DE LA FORCE VITALE. 54 1
CHAPITRE II.
De la Force vitale.
Parmi les phénomènes qui sont produits dans l'économie
de l'homme , il en est plusieurs qui sont du même genre que
ceux que manifeste la matière inorganique , et qui consé-
quemment peuvent être rapportés aux forces physiques et
chimiques générales : telle est, par exemple, la réfraction
que subissent les rayons lumineux en traversant les parties
constituantes de Fœil. Nous venons de dire , d'ailleurs, que
les forces physiques et chimiques sont encore appelées gé-
nérales, parce que les phénomènes qu'elles représentent se
manifestent plus ou moins dans tous les corps ; et c'est assez
faire entendre qu'il existe encore des actions physiques et
chimiques dans le corps humain. En effet, l'influence de la
pesanteur, de la gravitation , ne se fait-elle pas sentir en lui?
La loi physique, dite d'équilibre du calorique, n'agit-elle
pas sans cesse sur lui pour le soumettre à sa puissance, etc. ?
Mais, comme l'homme est un être vivant, organisé, il y a
en lui beaucoup d'actes qui sont différents des actes physi-
ques et chimiques , qui même leur sont opposés ; et ce sont
ceux-là qu'on a rapportés à une force propre, qu'on
a appelée vitale. Puisque les forces sont des expressions
abstraites, représentant les modes divers de motion des
corps, elles doivent différer autant que ceux-ci; et, comme
rien n'est plus distinct du mode d'action de la matière in-
organique que celui de la matière vivante , rien aussi n'est
plus logique que de rapporter celui-ci à une force spéciale.
Aussi, est-ce ce qui a été fait dès la plus haute antiquité,
et particulièrement dans la phvsiologie de l'homme. Hip-
pocrate , imbu, d'une part, de la philosophie qui rattache
toutes les actions des corps à des forces actives; frappé,
d'autre part, de la différence et même de l'opposition qui
existe entre les actes de la vie humaine et ceux des corps inor-
ganiques, est le premier qui ait dit l'homme animé d'une
force particulière à lui, et qui ait présenté cette force comme
542 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.
le mobile de toutes ses actions. Il appela cette force <ptȍǍ, mot
qu'on a traduit par nature, ou svopfxov , qui veut dire qui
fait effort. Il établit que, par elle, l'homme est, pendant la
durée de sa vie , affranchi en partie des forces générales de
la matière , lutte avec succès contre ces forces , combat
par sa nature individuelle la nature universelle , et paraît
ainsi former à lui seul un petit monde dans le grand monde.
11 est certain, en effet, que tous les actes de la vie en
général ( car tout ceci n'est pas exclusif à l'homme , mais est
commun à tous les êtres organisés), et ceux de la vie de
l'homme en particulier, sont différents des actes physiques
et chimiques proprement dits, et, à ce titre, demandent à
être rapportés à une force abstraite spéciale. D'un côté, tou
les phénomènes de nutrition, de reproduction, de sensa-
tion , de mouvement , que nous avons vu être produits dans
le corps humain , sont autres que des actes physiques ou
chimiques ; l'étude que nous en avons faite nous l'a prouvé ,
car notre conclusion a toujours été que ces différents phé-
nomènes étaient vitaux. D'un autre côté, l'homme n'est-il
pas , pendant sa vie , évidemment affranchi , jusqu'à un
certain point, des forces physiques et chimiques générales?
Ne se meut-il pas en masse, et ses fluides ne circulent-ils
pas en lui contre l'ordre de la gravitation? La matière qui
forme ses organes n'offre-t-elle pas des combinaisons autres
que celles que déterminent les affinités? N'a -t- il pas sa
température spéciale, autre que celle du milieu ambiant?
et, par conséquent , ne triomphe- t-il pas de la force expan-
sive du calorique? Tout décèle donc dans l'homme et les
êtres vivants, un mode d'activité spéciale; et c'est ce mode
d'activité spéciale qui est représenté par l'abstraction de la
force vitale.
Aussi , presque tous les médecins depuis Hippocrate , ont-
ils admis la force vitale sous des noms divers : principe
moteur et générateur ( Arislote ) , arckée ( Van - Helmont ) ,
anima (Sthal), principe vital (Barthez), sensibilité (De-
sèze) , vis insita , vis vitœ, actuosum, force innée, etc. Dis-
sidents seulement dans l'opinion qu'ils s'en sont faite , on
peut , à cet égard, les partager en deux sectes.
DE LA FORCE VITALE. 543
i« Les uns, entraînés par les errements de la philosophie
ancienne, conduits par la tendance qu'a généralement l'es-
prit à personnifier ses propres abstractions; séduits, enfin,
par la merveilleuse coordination que l'on observe dans tous
les actes de l'économie vivante, tant en santé qu'en mala-
die , coordination qui est telle que les organes semblent
vraiment être régis par un être supérieur; ont cru la force
vitale un être existant par lui-même , et Font personnifiée.
Seulement , tandis que les uns la dirent de nature maté-
rielle , les autres la dirent spirituelle , et tour-à-tour la
confondirent avec l'ame proprement dite , ou l'en distin-
guèrent.
Les premiers qui croyaient la force vitale un être maté-
riel , cherchèrent de préférence cette force dans des corps
gazeux, à cause de ia plus grande mobilité que ces corps ma-
nifestent. Tour-à-tour ils la firent consister ; ou dans Y air
qui est si nécessaire à la vie , et qui paraît s'exhaler avec le
dernier soupir ; ou dans la matière de la chaleur, dont
la présence accompagne toujours ia vie , et dont l'abandon
au contraire suit toujours la mort. De là même, cette mé-
taphore des poètes du souffle de vie , et la fable du feu de
Prométhée.
Les seconds , ayant passé vainement en revue tous lesêtres
matériels les plus subtils, sans en trouver aucun qui pût
vraiment être dit le moteur vital ; et par cette recherche de
corps de plus en plus déliés , ayant été conduits à la con-
ception d'êtres spirituels, dirent la force vitale un être im-
matériel : mais, tantôt avec Van-Belmont ils en firent,
sous le nom d'ame sensitwe ou à'archêe , un être distinct
de l'ame, et par conséquent un troisième élément clans
l'homme ; tantôt avec Stahl , ils la confondirent avec l'ame
elle-même. Ainsi, V an-Helmont , sous le nom à'arcliée f
admettait dans l'homme, outre l'ame et le corps, un prin-
cipe immatériel , et cependant périssable, mais intelligent
comme l'ame , et régissant tous les organes de manière à leur
faire produire tous les phénomènes de la vie en santé et en
maladie. Non-seulement il y avait autant d'archées que
d'êtres vivants dans la nature; mais encore chacun des or-
544 PHILOSOPHIE DELA SCIENCE,
ganes d'un même individu avait son archée particulier :
ceux-ci seulement étaient d'un ordre inférieur , et subor-
donnés à un archée suprême , qui siégeait à l'orifice cardia
de l'estomac , et qui gouvernait tout l'ensemble ; Van-Hel-
mont douait celui-ci de sentiment et d'intelligence , le disait
susceptible de s'irriter , d'errer , et en peignait d'une
manière poétique les opérations. Sans doute une pareille
doctrine doit aujourd'hui être réprouvée; et cependant
il est juste de dire que, sous ces formes fabuleuses et allé-
goriques, Van-Helmont, d'un côté , avait bien séparé les
phénomènes vitaux des phénomènes physiques et chimiques
avec lesquels les mécaniciens et chimistes de son temps
affectaient de les confondre , et de l'autre avait bien décrit
les différents degrés et efforts de la puissauce vitale. Son
archée suprême n'est que l'svopixovd'Hippocrate, l'aine sen-
sitive d'autres anciens, la force vitale des modernes, mais
personnifiée ; et ses archées inférieurs ne sont que les nom-
breuses modifications que manifeste cette puissance dans
chacun des organes du corps en raison de leur structure
diverse. Sous ces rapports, la doctrine de T^an-Helmont est
supérieure à celle de Sthal.
Celui-ci rapportait à l'ame , non-seulement les facultés
intellectuelles et morales qui sont ses attributs propres ,
mais encore tous les actes organiques et vitaux , et considé-
rait conséquemment ce principe divin comme étant la force
vitale. En vain lui objectait-on que le propre de l'ame est
d'avoir la perception de toutes les opérations qu'elle, dirige ,
d'avoir tout empire sur les mouvements auxquels elle pré-
side; et que cependant tous les phénomènes organiques
proprement dits, sont, non-seulement indépendants de
notre volonté, se manifestent irrésistiblement en nous, mais
encore sont produits sans qu'on les sente. Il répondait que
ce double résultat tenait, ou bien à l'habitude et à la fré-
quence avec laquelle les divers phénomènes avaient été ré-
pétés depuis le commencement de la vie , ou à la dégrada-
tion dans laquelle l'ame avait été jetée par le péché à? Adam ,
ce principe ayant perdu alors une partie de sa puissance.
Vainement lui opposait-on que, dans l'état de maladie, il y
DE LA FORCE VITALE. 5^5
a beau-coup de mouvements organiques qui tendent à la
destruction de l'être, et que l'ame, essentiellement intelli-
gente et raisonnable , devrait ne pas vouloir. Il répondait
encore que, dégradée par le pécbé originel, Famé était de-
puis lors, devenue susceptible de se tromper. Nous ne
croyons pas utile de réfuter ce système : il est trop reconnu
aujourd'hui que toutes les opérations corporelles propre-
ment dites, sont hors la dépendance du principe divin
qui régit notre intelligence et notre raison, et que ce prin-
cipe ne peut conséquemment constituer là force vitale.
2'° Il est , au contraire, une autre secte de physiologistes,
et ce sont presque tous ceux de l'époque actuelle, qui ne
voient dans la force vitale , ou qu'une hypothèse propre à
représenter la cause inconnue des phénomènes de la vie*
ou qu'une abstraction exprimant le mode d'action caracté-
ristique des corps vivants. D'un côté , la cause des mouve-
ments vitaux n'est pas plus pénétrable que celle de tous les
autres phénomènes naturels, et la force vitale est l'hypothèse
que nous avons faite pour la représenter ; le nom dé cette force
vitale est, pour désigner cette cause dans nos discussions phy-
siologiques , ce qu'est Vas des algébristes pour la désigna-
tion de l'inconnue d'un problème. D'un autre côté nous
avons vu, que dans l'impossibilité de pénétrer l'essence de
la faculté d'activité que manifeste partout la matière, nous
représentons cette faculté par des forces abstraites, qui sont
aussi diverses que le sont les actions elles-mêmes. Or en
vertu de ce procédé , les actions vitales doivent être rappor-
tées à une force quelconque; et ces actions étant différentes
des actions physiques et chimiques générales, doivent être
rapportées à une force abstraite spéciale , qui est la force
vitale. D'après ce que nous avons dit dans le chapitre pré-
cédent, on conçoit que cette dernière opinion est la nôtre ■
et' que la force vitale est pour nous, non un être réel,
mais Vx algébrique par lequel nous représentons la cause
inconnue des phénomènes vitaux, un mot par lequel nous
désignons le mode d'action qui est propre aux corps vi-
vants.
Il n'est, en effet, qu'une seule manière raisonnable de
Tome IV. "35
546 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE,
donner à la force vitale un corps, une existence maté-
rielle: ce ne serait qu'autant quril y aurait dans tout être
vivant un agent moteur, du genre des fluides impondéra-
bles de la nature , et auquel on donnerait le nom de force
vitale. En traitant de l'innervation , nous avons parlé du
rôle que certains physiologistes veulent faire jouer ta un
fluide sécrété et conduit par le système nerveux , et qui se-
rait le mobile de tous les phénomènes vitaux : nous avons
indiqué les analogies qu'on a voulu établir entre ce fluide ,
qui rappelle les esprits animaux , vitaux des anciens , et le
fluide électrique. Or, si l'existence de ce fluide est réelle, et si
l'influence de ce fluide sur la production des phénomènes de
vie est aussi absolue que quelques physiologistes le disent , oa
conçoitqu'on peut, à juste titre, l'appeler principe vital, et
le considérer comme ayant par lni-mème une existence, et
comme étant autre que l'ame et le corps. Ce n'est qu'en ce
sens qu'on peut justifier Barlkez d'avoir voulu le person-
nifier. Ce médecin , pour appuyer cette idée de l'indé-
pendance du principe vital , citait les faits suivants :
que lorsque la vie s'exalte dans un organe , elle diminue
dans tous les autres; que certains poisons causent la mort
dune manière soudaine , et sans léser sensiblement aucun
organe; que certains animaux , après être restés long-temps
plongés dans un état de mort, ont été rappelés à la vie par
leur exposition au soleil, à la chaleur , à l'humidité, etc.
Or, on peut expliquer tous ces faits dans l'hypothèse d'un
fluide nerveux , moteur de la vie. Dans le premier cas , ce
fluide , par cela seul qu'il a éié porté en plus grande quantité
dans l'organe dont la vie est exaltée, a diminué dans les autree
organes : dans le cas de la mort soudaine par le poison , la pro-
duction , la distribution du fluide nerveux aura été empê-
chée par Faction de la substance vénéneuse sur le système
nerveux: dans le troisième cas enfin, ou l'être, en appa-
rence mort , avait conservé en lui un reste du fluide moteur
qui tout à coup aura été suscité à manifester de nouveau
ses effets, ou ce fluide aura tout à coup été formé , comme
dans les générations spontanées, et trouvant une masse ma-
térielle dont l'organisation n'était pas détruite , il l'aura
DE LA FORCE VITALE. 54y
vraiment ressuscitée, etc. Mais, comme on l'a vu, ce n'est
pas ainsi qu'a été conçue la force vilale par les médecins qui
l'ont personnifiée; et, partant de l'idée commune qu'on y
attache, il ne faut voir en elle qu'une abstraction.
Cela étant, l'histoire de la force vitale aurait du se borner
à l'indication des différences et des oppositions qui existent
entre les phénomènes de vie doat elle est l'expression '
abstraite , et ceux des corps inorganiques ; mais son histoire
s'est agrandie du récit des erreurs auxquelles a conduit ie
tort de la personnifier. En général , toute cette dernière
partie contiendra beaucoup de controverses, parce qu'étant
relative, moins aux faits eux-mêmes qu'aux créations de
l'esprit sur eux, qu'aux principes dogmatiques qu'on en a
déduits et par lesquels on les lie, chacun a pu varier dans
les généralisations auxquelles il a été conduit.
CHAPITRE III.
Des Propriétés vitales.
Par la comparaison des actes physiques et chimiques
d'une part , et des phénomènes de la vie de l'autre ;
en raison de la différence et même de l'opposition qui
existe entre les uns et les autres , les physiologistes avaient
été conduits , pour représenter ces derniers, à l'abstrac-
tion de la force vitale. Par la comparaison des phéno-
mènes de la vie entre eux, et en raison de leurs différences ,
ils ont été conduits à de nouvelles abstractions, qui repré-
sentent chacune chacun des actes de la vie en particulier,
et qui sont ce qu'on appelle les propriétés vitales. Les actes
de la vie , en effet , bien que semblables en ce sens qu'ils
sont différents des actes physiques et chimiques, ne sont pas
tous d'un même genre , d'un même ordre; et par conséquent
on a pu les rattacher à autant de forces vitales particulières ,
qu'on a pu distinguer en eux de différences bien marquées,
Les forces physiques et chimiques sont multiples ; on compte
parmi elles la gravitation , les affinités , etc.; les forces vi-
tales le sont de même ; et ce sont les subdivisions de îa
35.
548 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE,
force vitale, en quelque sorte, qu'on a appelées les pro-
priétés vitales. Cette dénomination est peut-être impropre,
comme multipliant les abstractions sans nécessité; et peut-
être eût-il mieux valu dire les forces vitales. C'était l'opi-
nion de Halle , qui voulait qu'on n'appelât propriétés que
les qualités passives de la matière, comme l'étendue, la
porosité, et qu'on donnât le nom de forces à ses qualités
actives, comme la gravitation, l'élasticité. Mais cette dis-
tinction de la force et des propriétés vitales est venue de ce
qu'ona considéré la première comme un principe réel qui, in-
coercible et par conséquent inconnu en lui-même , avait pour
propriétés les facultés dont nous allons parler ence chapitre.
Toutefois, la création de ces propriétés vitales, faite au
même titre que celle de la force vilale, est encore plus
utile. Celle-ci n'indiquait qu'une notion générale; savoir,
que le mode de motion de la matière organisée est au lie,
et en quelques points contraire de celui de la matière inor-
ganique, et constitue une exception temporaire aux lois
générales de la matière; mais elle ne faisait rien apprendre
de ce que sont les mouvements vitaux en eux-mêmes. Les
abstractions des propriétés vitales au contraire tendent,
comme on va le voir, à caractériser ces mouvements vitaux :
elles en indiquent, ou les traits extérieurs, ou les résul-
tats : elles conduisent jusqu'aux derniers actes observables
dans l'économie des êtres vivants, non-seulement jusqu'à
ceux au-delà desquels nos sens ne peuvent plus rien saisir,
mais encore jusqu'à ceux au-delà desquels notre esprit ne
peut plus rien concevoir : elles nous font remonter enfin
jusqu'aux phénomènes élémentaires de la vie, à ceux des-
quels résulte l'accomplissement des diverses facultés que
nous avons vu la caractériser.
Les premiers documents en remontent à Sthal et à Haller.
Le premier, ayant signalé dans quelques-unes de nos par-
ties des mouvements obscurs d'oscillation, des alternatives
de contraction et d'expansion , soit lors de l'accomplisse-
ment de leurs fonctions, soit lors de l'application d'un
corps extérieur quelconque, conçut que toutes les parties
du corps étaient plus ou moins susceptibles en tout temps
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 549
de semblables- mouvements : il appela ces mouvements ioni-
ques, leur assigna pour résultat de constituer dans les or-
ganes ce qu'on en appelle le ton , et les rapporta à une
propriété spéciale de la matière vivante, qu'il appela toni-
cité. Déjà les anciens avaient remarqué cette disposition du
parenchyme de nos parties, à être ferme et vibra tile, ou
flasque et mou; et ils en avaient désigné les différents de-
grés dans les maladies, sous les noms de strictum et de
laxum. Cette propriété vitale de tonicité influait sur la pro-
gression des fluides , la circulation des humeurs, et du reste
n'avait aucun rapport avec les forces physiques de cohésion,
d'affinité, d'agrégation, qui, dans la matière inorganique ,
déterminent le degré de densité, de consistance des corps.
Haller groupa , sous deux autres propriétés vitales, deux
phénomènes de vie non moins distincts, et qui lui paru-
rent également élémentaires; l'un qui est celui par lequel
une partie vivante se montre sensible, transmet à l'ame la
conscience , le sentiment de l'impression , soit externe , soit
organique, qui lui est appliquée : l'autre qui est celui par
lequel une partie se contracte d'une manière appréciable
par les sens, soit sous l'empire de la volonté, soit sous l'in-
fluence d'un stimulus externe ou interne quelconque. Il
rapporta le premier fait à une propriété vitale spéciale, qu'il
appela sensibilité, du nom qui, depuis long-temps, était
donné aux actes qu'elle était destinée à représenter; et il
rapporta le second à une autre propriété , qu'il appela irri-
tabilité. Ce dernier nom avait été inventé par Glisson. Ce
médecin avait signalé ce trait spécial qu'offre la matière
vivante , de réagir sur les corps extérieurs qui sont mis en
contact avec elle, de se mouvoir consécutivement à toute
stimulation, dans un mode qui n'a aucun rapport avec les
motions physiques et chimiques : il avait fait de ce trait
l'acte le plus universel de la vie , celui auquel sont dus tous
les autres; et il l'avait rapporté à une propriété vitale pre-
mière, qu'il avait appelée irritabilité. Gorter ensuite avait
étendu à la vie des végétaux 3a notion de cette irritabilité,
qui ainsi devait être dite la propriété vitale universelle.
Haller s'empara de ce mot déjà usité dans la science, mais
55o PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE,
pour lui donner une acception plus restreinte; il n'y ratta-
cha que ceux fies mouvements de nos parties qui tombent
sous les sens, commeîes conlractions des muscles volontaires,
celles du cœur, etc. Bien que ces deux ordres de mouve-
ments soient bien distincts , puisque les uns sont volontai-
res , et les autres involontaires, cependant il les rangea dans
la même catégorie, parce que l'essence de l'irritabilité est
qu'une stimulation précède et provoque la contraction qui
îa constitue, et qu'il considéra l'ordre de la volonté comme
étant aux muscles volontaires, ce qu'est le contact du sang
au cœur. Proclamant ainsi deux propriétés vitales premières,
la sensibilité et Y irritabilité , Haller chercha d'abord , par
des expériences sur des animaux vivants, à spécifier quelles
parties constituantes du corps possèdent ou non ces proprié-
tés; et ses conclusions furent que îa sensibilité réside ex-
clusivement dans le système nerveux, et l'irritabilité dans
le système musculaire. Partageant ensuite tous les phéno-
mènes de la vie , selon qu'ils se rapportent à l'une ou à
l'autre de ces deux propriétés , il parut réellement en avoir
pénétré le mystère .. et en donner l'explication, tant est
grande la tendance qu'a l'homme à se payer de mots, et à les
prendre pour les choses.
Aussi l'apparition de cette doctrine fit-elle révolution
en physiologie. Elle donna lieu surtout à trois grandes
controverses. i° On ne s'accorda pas sur celles de nos par-
ties qui sont sensibles et insensibles , irritables et non irri-
tables. 2° On mit en doute que le système nerveux fût
l'agent exclusif de la sensibilité, et le système musculaire
celui de l'irritabilité. 3° Enfin, tandis que Haller faisait
de lasensibilitéetde l'irritabilité deux propriétés distinctes,
quelques-uns voulurent rattacher l'irritabilité à la sensibi-
lité , et la considérer comme en étant une dépendance.
Nous ne nous arrêterons pas aux deux premières de ces
controverses, dont nous avons parlé ailleurs. Nous avons
dit, en effet , que si des parties qui avaient paru insensibles
aux uns, s'étaient montrées sensibles à d'autres, c'est que
ceux-ci avaient employé d'autres excitants , chaque partie
ayant sa sensibilité spéciale; de sorte que la diversité des
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 55 1
résultais s'explique par la diversité des excitants employés
dans les expériences. Nous avons ajouté que toute partie
étant susceptible de développer de la douleur par l'état de
maladie, Haller avait eu tort de dire, d'une manière ab-
solue , que certaines parties étaient insensibles. Enfin, nous
avons dit que 5 dans l'impossibilité où nous sommes souvent
de prouver l'existence de nerfs dans des parties là où nous
voyons de la sensibilité , nous aimons mieux croire que
ces organes y existent , que de supposer possible sans eux la
manifestation de cette faculté ; de sorte que nous pensions ,
avec Haller, que la sensibilité réside exclusivement dans
le système nerveux.
Nous devons, au contraire , nous arrêter un peu à la troi-
sième controverse , ne fût-ce que pour avoir l'occasion de
faire connaître les faits qui y ont donné lieu. Nous avons
dit que l'irritabilité supposait toujours une stimulation
préalable : or, comme cette stimulation, lorsqu'il s'agit
des mouvements volontaires, consiste en un influx ner-
veux; comme lors des mouvements involontaires eux-mêmes,
cette stimulation , pour être reçue , et pour provoquer à sa
suite l'irritabilité, réclame aussi une influence nerveuse ,
quelques physiologistes ont voulu subordonner l'irritabilité
à l'influence nerveuse ou à la sensibilité, et n'admettre
ainsi que celle-ci pour propriété vitale unique. Voici les
faits sur lesquels ils se fondent. i° Il est évident , en ce qui
regarde les mouvements volontaires, que c'est une influence
nerveuse qui commande et régit l'irritabilité à laquelle ils
sont dus , et que les muscles cessent de répondre aux ordres
de la volonté, lorsqu'on a coupé, lié les nerfs qu'ils reçoivent.
2° La cbose est aussi certaine, en ce qui regarde les mou-
vements involontaires; car les muscles qui les exécutent re-
çoivent des nerfs, et cessent de répondre à leurs stimulants
accoutumés, si on a lié ou coupé ces nerfs. Les expériences
dans lesquelles on a amené la paralysie de l'estomac , de la
vessie, par la section des nerfs qui vont à ces organes, en
sont la preuve. À la vérité, Haller, pour démontrer l'indé-
pendance dans laquelle est l'irritabilité de toute influence
nerveuse, disait que l'on pouvait couper les nerfs du cœur
55a PHILOSOPHIE DE LA SCIEJNCE.
sans arrêter les mouvements de cet organe; mais c'est qu'on
ne coupait ces nerfs qu'au col ; et les expériences de Legallois
sur la moelle spinale, ont assez prouvé que les mouvements
de ce viscère sont aussi soumis à la nécessité d'une influence
nerveuse. 3° Si on irrite le nerf qui se rend , soit à un mus-
cle volontaire , soit à un muscle organique, on détermine
dans ces muscles une contraction, même plus vive, que
lorsqu'on les irrite directement. 4° La même chose s'observe,
si on fait l'expérience après la mort. 5° C'est à l'influence
de l'irritabilité que Haller rapportait le phénomène de l'an-
tagonisme des muscles : or, une influence nerveuse a part à
cet antagonisme ; il suffit que les nerfsd'un côté soient coupés
ou paralysés, pour que les muscles auxquels ils se distribuent
ne puissent plus contrebalancer leurs antagonistes , et cela
même sans l'intervention de la volonté. 6° C'est à elle aussi
que Haller rapportait la roideur cadavérique; or, les détails
dans lesquels nous sommes en très sur ce phénomène, annon-
cent aussi qu'une influence nerveuse y préside ; nous avons vu
quelapromptitudeaveclaquelleilsurvient, le temps pendant
lequel il persiste, sont en raison du degré d'épuisement
qu'a déterminé le genre de la mort. 70 Enfin, on sait que
l'exercice de l'irritabilité peut encore être déterminé après
la mort , par l'application aux muscles de divers stimulants,
comme électricité, galvanisme, etc. Or, la permanence et
l'intensité de cette irritabilité après la mort, se montrent
très variables selon diverses circonstances qui n'ont pu agir
que sur le système nerveux. Par exemple, Fontana a re-
maraué que cette irritabilité était moindre et bien plus
promptement éteinte dans le cadavre des personnes tuées
par la foudre, dans celui des animaux morts par le venin de
la vipère. Il y a aussi beaucoup de différences sous ce rap-
port dans les cadavres des criminels, selon que ces criminels
ont subi leur supplice, avec courage ou avec pusillanimité
et abattement. Ainsi, soit pendant la vie, soit après la mort,
toujours une influence nerveuse précède la manifestation
de l'irritabilité; et par conséquent cette dernière propriété
peut être considérée comme une dépendance de la première.
Comme on le conçoit, //a//er et ses sectateurs ne laissaient
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 553
pas ces diverses objections sans réponses, i° Tons les faits
qui prouvent qu'un influx nerveux met en jeu l'irritabilité,
soit pendant la vie , soit après la mort, ou est nécessaire à
sa manifestation, prouvent bien que cet influx nerveux peut
être le stimulus que l'on a dit être nécessaire à son dévelop-
pement; mais ils ne prouvent pas que l'irritabilité n'existe
pas par elle-même. 2°Les deux propriétés apppartiennent à
deux systèmes d'organes distincts; l'un qui est sensible et
non irritable, le système nerveux; et l'autre qui est irritable
et non sensible, le système musculaire. 3° Les excluants de
ces deux propriétés sont divers et même opposés; ainsi,
Bihher, avec de la vapeur de soufre, n ote que le sentiment
aux muscles, et avec des vapeurs caustiques, il ne les prive que
de leur irritabilité. 4° Beaucoup de faits contredisentla dé-
pendance de l'irritabilité delà sensibilité; par exemple, la
permanence de l'irritabilité et son énergie après la mort ,
sont en raison inverse de l'énergie musculaire et de l'activité
cérébrale : l'irritabilité est extrême dans les derniers ani-
maux , chez lesquels la sensibilité est obtuse , ou même
n'existe pas; elle est plus grande dans les reptiles que dans
les oiseaux, etc. Nysten , cherchant à la développer dans des
cadavres de paralytiques, l'y a trouvée aussi énergique. 5°
L'irritabilité existe dans les végétaux, qui, évidemment,
n'ont ni système nerveux , ni sensibilité. 6° Enfin, on la
développe pendant la vie et après la mort, par l'irritation
directe d'un muscle , lors même que ce muscle est isolé du
cerveau et de tous ses nerfs, et lorsque l'irritation de
ceux-ci ne peut plus l'exciter en lui. On ne peut pas dissi-
muler la faiblesse de ces arguments des Hallériens; et, par
exemple, si le muscle irrité directement se contracte, c'est
à raison du reste d'influence nerveuse qu'il possède. En effet,
dans ces expériences, ne faut-il pas varier successivement
les excitants, à mesure que la sensibilité s'y accoutume?
Quand on applique l'excitant au nerf, ne faut-il pas irriter
/successivement un point plus rapproché du muscle, et suivre
enquelque sortele progrès de l'extinction de la puissancener-
veuse, comme le faisait Bellini, dans sa fameuse expérience du
nerf phrénique ? Ne faut-il pas faire de nouvelles incisions au
554 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.
muscle , comme le conseillait Fontana , afin de mettre sans
cesse à nu de nouvelles fibrilles nerveuses non encore in-
fluencées ? Enfin, si la stimulation directe du muscle pro-
voque encore l'irritabilité, lorsque celle du nerf déjà ne le
peut plus , n'est-ce pas parce que la puissance nerveuse
éparpillée daus les filets nerveux du muscle, est plus lon-
gue à s'y dissiper que dans le tronc nerveux lui-même ?
Cette controverse, qui dure encore, me paraît être une
pure dispute de mots, et l'on peut faire de justes reproches
à chacun des deux partis. D'un côté, les antagonistes de
l'irritabilité halîérienne avaient tort de confondre deux
choses aussi distinctes que la sensibilité, et Finfluence ner-
veuse ou l'innervation; et, s'il est vrai que l'irritabilité soit
subordonnée à cette dernière, il est évident qu'elle ne peut
être confondue avec la sensibilité. D'un autre côté , les Hai-
lériens erraient en niant que l'irritabilité fût , dans les
animaux supérieurs au moins , comme tout autre acte vital ,
subordonnée à une influence nerveuse.
Toutefois, telles furent les premières propriétés vitales,
qui furent désignées comme animant la matière vivante.
Mais ces propriétés étaient bornées à certaines de nos parties
seulement; la sensibilité, au système nerveux; l'irritabi-
lité, au système musculaire. Bientôt on les généralisa, on
les dit communes à tous les organes; et dès lors fut fondée
la doctrine qui règne de nos jours. D'un côté, eu cherchant
à pénétrer jusqu'aux derniers mouvements observables de
nos organes, on vit que partout ces mouvements étaient
précédés d'une impression à laquelle nos organes parais-
saient sensibles, et qui semblait provoquer leurs actions.
Cette propriété générale et commune à toute partie vi-
vante, de recevoir une impression, on l'appela sensibilité; gé-
néralisant ainsi la propriété que Haller avait bornée à la
seule perceptibilité par l'ame. Ainsi, toute partie fut dite
sensible au sang dont elle va se nourrir; le cœur le fut à ce
fluide , lorsqu'il va se contracter pour le lancer au loin , etc.
D'un autre côté, on vit qu'à la suite de l'impression qu'elle
a. reçue, toute partie se meut; tantôt d'une manière appa-
rente, comme îe fait le cœur; tantôt trop petitement pour
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 555
que ses mouvements soient reconnus autrement que par
leurs résultats, comme le fait une glande qui sécrète; mais
toujours d'une manière spéciale à la matière organisée, et
qui ne peut être dite ni physique, ni chimique. Or, cette
motion fut rapportée à une autre force , qu'on appela moti-
lité , et qui n'est aussi que l'irritabilité généralisée. On
appela cette force molilité , et non mobilité, pour faire enten-
dre qu'elle représente la faculté de se mouvoir spontané-
ment, et non celle d'être mu; eten exprimant que les mou-
vements qui dépendent d'elle et qui suivent l'impression
sont, tantôt perceptibles pa** les sens , et tantôt moléculaires
etrecounus seulement par leurs résultats, on confondit les
notions d'irritabilité et de tonicité.
Ainsi, d'une part, action première par laquelle la matière
vivante reçoit une impression, ou sensibilité ; d'autre part,
autre action qui fait suite à la précédente, par laquelle la
matière vivante se meut, consécutivement à l'impression
qu'elle a reçue, et dans un mode qui lui est propre, ou
motilité : telles sont les deux propriétés vitales élémentaires
admises par les modernes , les derniers termes auxquels ils
sont arrivés dans l'analyse des phénomènes. Tout organe
est dit sentir et se mouvoir à sa manière pour sa fonction,
l'estomac pour digérer, l'appareil circulatoire pour chasser
le sang, le muscle pour se contracter, le nerf pour trans-
mettre les impressions sensitives à Famé, etc.
Cependant, tout en admettant la sensibilité et la motilité,
presque tous les physiologistes modernes ont spécifié un
plus grand nombre de propriétés vitales ; et l'on peut at-
tribuer leurs dissidences , sous ce rapport, aux deux causes
suivantes : 10 A ce que, remarquant que chaque partie a
son mode de sensibilité et de motilité, souvent ils ont fait
de quelques-uns de ces modes, quand ils sont très diffé-
rents, autant de propriétés vitales spéciales. 2° A ce que
souvent ils ont considéré comme un acte vital élémentaire,
et digne à ce titre d'être rapporté à une propriété première,
des phénomènes qui ne sont que les résultats d'une ou plu-
sieurs fonctions. C'est ce que va prouver l'examen rapide que
nous allons faire des principales théories modernes sur les
556 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.
propriétés vitales, des théories de Barthez , Blumenbach ,
Chaussier, Dumas et Biehat.
Barthez admettait cinq propriétés vitales, qu'il disait
être des lois, des qualités primordiales du principe vital
que nous avons vu qu'il reconnaissait dans tous les êtres
vivants. Ces propriétés étaient la sensibilité , la force de
contraction , celle à' expansion ou de dilatation active ,
celle de situation fixe, et celle de tonicité. La sensibilité
était prise par Barthez dans le sens circonscrit de Haller;
ce n'était que la faculté de transmettre à lame une
impression quelconque ; la seule différence est qu'il n'en
faisait pas la propriété exclusive du système nerveux , pro-
nonçant contre Haller dans la seconde des controverses
auxquelles la doctrine de celui-ci avait donné lieu. La
force de contraction comprenait tous les mouvements mus-
culaires , tant volontaires qu'involontaires , et , par con-
séquent , n'était aussi que l'irritabilité hallérienne. La
force de tonicité n'était aussi que ce que Sthal avait appelé
de ce nom; seulement Barthez avait commis la faute d'y
rattacher plusieurs phénomènes qui tiennent, ou à la sim-
ple élasticité physique, ou à ce que Haller appelait force
morte, et que Biehat a depuis appelé contractilitè de tissu.
Restent donc les forces d'expansion, et de situation fixe , et
voici en quoi elle consistent. La première est la propriété à
laquelle certaines parties doivent de se mouvoir, nou en se
contractant, c'est-à-dire en rapprochant leurs extrémités de
leur centre, mais en se dilatant. Il est certain que quel-
ques-unes de nos parties paraissent se mouvoir en se dila-
tant, le cœur, par exemple, la pupille, tous les organes
érectiles , etc.; et l'on peut, dès lors, admettre une force
d'expansion ou de dilatation , au même titre qu'une force de
contraction. C'est ce qu'a fait Barthez, et il a été imité
en cela par plusieurs physiologistes mes contemporains ,
MM. Boux , Rallier , etc. Mais, en ce qui concerne le cœur,
la dilatation de cet organe n'est que le résultat de la cessa-
tion de son action de contraction; et quant aux organes
érectiles , il est possible que leur turgescence tienne à une
disposition particulière de leur système vasculaire , et spé-
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 55;
cialement de leur système veineux. Dans tous îes cas , cette
force d'expansion n'est , comme on voit, qu'un mode de
motilité. Quant à \& force de situation fioc e , une des créations
des plus chéries de Barthez, ce physiologiste appelait ainsi une
faculté qu'auraient les muscles et toute partie quelconque, de
maintenir leurs moléculescomposantes dans une position fixe
déterminée, telle , que desefforts supérieurs à ceux qui rom-
praient le muscle dans son relâchement et même dans sa con-
traction , ne pourraient augmenter ni diminuer-la distance de
ces molécules, ni en changer les rapports. Pour mieux faire
comprendre son idée , Barthez citait le tour de la grenade ,
que l'athlète Milon retenait dans sa main, assez fortement
pour que personne ne pût la lui ravir, et cependant sans
l'écraser. Or, il nous semble qu'ici ce physiologiste ratta-
chait à une force spéciale un phénomène qui tient à l'exer-
cice de la contractilité musculaire volontaire , et , par con-
séquent, faisait un abus du mode de philosopher, dont
nous passons en revue en ce moment les produits.
Blumenbach reconnaît aussi cinq propriétés vitales , la
sensibilité , Y irritabilité , la contractilité , la force de vie
propre et là. force, de formation. Les trois premières ne sont
encore que la sensibilité et l'irritabilité de B 'aller , et la
tonicité de StahL Celle-ci, seulement, est désignée sous le
nom de contractilité ou force cellulaire, parce que son mode
de motion est la contraction, et parce qu'elle est dite résider
particulièrement dans le tissu cellulaire, cet élément primor-
dial de tout organe. Quant aux forces dévie propre , et de
formation , la première est cette faculté en vertu de laquelle
chaque organe accomplit ce qu'il y a de spécial , de propre
en sa fonction ; et la seconde est cette autre faculté qui
préside, non-seulement à l'animation, à la fécondation du
germe, mais encore à la nutrition, au développement de
tout organe. D'une part , certains organes exécutent des
actions qu'il est difficile de rapporter aux forces sensitives
et motrices ; et , pour ces actions, Blumenbach suppose des
forces de vie propre , qui ne sont presque que les archées
particulières de Van-Relmont. D'autre part, Blumenbach
suppose que l'acte vital de l'avivement d'un germe est l'eifet
558 PHILOSOPHIE DR LA SCIENCE,
d'une force spéciale qu'il appelle force déformation; et
faisant de cette force la cause efficiente de toute action ré-
paratrice et conservatrice , il dit que c'est par elle que se
nourrit et se développe tout organe. Nos lecteurs pressen-
tent d'avance ce que nous pouvons dire de ces deux forces
prétendues. D'un côté, c'est, sans doute, une philosophie
commode que celle qui consiste à supposer une force pour
l'explication de tout phénomène naturel; mais aussi c'est
une philosophie qui n'aboutit à rien , et Ton peut faire à
la force de vie propre de Blumenbach le même reproche de
stérilité qu'aux causes occultes des anciens. D'un autre
côté , si l'on peut conserver la force de formation , comme
abstraction représentant le phénomène vital si important
delà fécondation , il ne paraît pas au moins qu'on doive y
rattacher la nutrition des parties.
Dans les théories de Barthez et de Blumenbach , il n'était
encore question, sous le nom de sensibilité 3 que de la fa-
culté qu'a le système nerveux de donner à l'âme la con-
science et le sentiment d'une impression , et sous celui
& irritabilité , que de la contractilité musculaire. Mais, dans
la théorie de Chaussier , ces propriétés sont désormais géné-
ralisées. Ce célèbre professeur, qu?on peut regarder comme
le fondateur de la doctrine du vitalisrae dans la Faculté de
Paris , et dont l'enseignement a pendant trente années
fourni le germe de tous les travaux qui ont été faits à cette
Faculté sur les propriétés vitales, en admet trois, la sensi-
bilité , îa motilité et la caloricitè. Il définit la sensibilité ,
la faculté qu'a toute fibre vivante de changer par une im-
pression , un contact, son rythme habituel et naturel ; ce
n'est donc plus la perceptibilité par l'aine , comme l'avait
dit Haller y mais une faculté commune à toutes les parties,
comme à tous les étires vivants. Dans le corps humain, en
effet, elle existe dans les os comme dans les nerfs; et dans la
nature vivante , ies végétaux la possèdent aussi-bien que les
animaux. Quelque idée que puisse inspirer le nom qui lui
a été donné, il ne faut voir en elle, dit formellement Chaus-
sier, qu'un mode de motion , celui qui est propre à îa ma-
tière vivante. La motilité est cette autre faculté qu'a toute
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 55$
fibre vivante , non-seulement de se contracter sous l'impres-
sion d'un stimulant, mais même de tendre à le faire conti-
nuellement. Susceptible de deux modes d'exercice, tantôt
les mouvements dont elle est la cause sont occultes, invo-
lontaires , continus; tantôt, au contraire, ils sont appa-
rents , et exclusifs aux muscles tant involontaires que volon-
taires. Les premiers sont rapportés au mode de motilité
qu'on appelle tonicité, tension vitale , contractilité fibrillaire 9
force tonique . Les seconds constituent la myotilité ou \acon-
tractilité musculaire , c'est-à-dire l'irritabilité halîérienne.
Enfin , sous 3e nom de caloricité , Chaussier désigne cette
faculté qu'a tout être vivant de développer assez de calo-
rique , pour être indépendant dans sa température de celle
du milieu ambiant : mais en parlant de la cbaleur animale ,
nous avons prouvé que ce phénomène de vie n'était pas
élémentaire, mais un résultat d'autres actions vitales , et
qu'à ce titre il fallait le considérer comme une fonction ,
et non comme une propriété vitale première.
Selon Dumas , professeur à Montpellier , tous les phéno-
mènes de la vie pouvaient être rapportés à quatre propriétés
vitales, la sensibilité, la motilité } la force d'assimilation 9
et la. force de résistance vitale , comme tous ceux de la ma-
tière inorganique peuvent être attribués aux forces d'impul-
sion , à' attraction , à' affinité et d'inertie. Nous ne dirons
rien de la sensibilité et de la motilité, parce que Dumas atta-
chait à ces mots à peu près les mêmes idées que Chaussier.
Nous nous arrêterons seulement aux forces d'assimilations et
de résistance vitale , qui sont les deux créations nouvelles
de sa théorie. Parla première, Dumas désigne une facul té
en vertu de laquelle chaque partie revêt de la vie les sucs
qui lui sont apportés pour sa réparation, et les rend propres à
faire partie d'un corps vivant, et à exécuter des actes vitaux.
On sait que la matière qui forme nos organes se renou-
velle sans cesse , et que les matériaux que nous prenons pour
cela au dehors de nous, nous sont assimilés après une série
d'élabora lions , qui sont sans le moindre rapport avec aucune
action chimique connue. Or, c'est ce fait qui est rapporté
à une force vitale première, que Dumas appelle force d'as-
56o PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.
similation /M . Rul lier , force a1' affinité vitale ; M. Broussais ,
chimie vivante. Celle force présiderait aux combinaisons
matérielles spécifiques que présentent les corps vivants, et
devrait animer tous les organes , et même préexister aux
forces sensitives et motrices, puisqu'elle forme primitive-
ment les parties. Nous dirons ci-après, qu'il y a quelques
motifs pour justifier cette création. Il ne nous paraît pas en
être de même de la force de résistance vitale, force à la-
quelle , selon .Damas, les corps vivants et leurs organes de-
vraient de se maintenir dans leur état propre, quoique
cet état soit opposé aux forces générales de la matière. Ce
serait, par exemple, à cette force, que les solideset les fluides
du corps devraient de persister dans les combinaisons qui les
constituent , quoiqueces combinaisons soient sanscesse atta-
quées par les affinités chimiques. Ce serait parce que cette
force se concentrerait dans les muscles 3 qu'on verrait ces
organes résister lors de leurs contractions les plus violentes,
et fracturer de préférence les os auxquels ils sont atta-
chés, etc. Qui ne voit que, sous le premier rapport, la force
de résistance vitale rentre dans celle d'assimilation? Et
n'est-il pas possible de dire de ces deux forces , que les faits
qu'on leur rapporte sont moins des actes vitaux élémentaires,,
que des résultats produits par le concours de toutes les
fonctions ?
De toutes les théories modernes sur les propriétés vitales ,
celle qui sans contredit a obtenu et dû obtenir le plus de
succès , est celle de Bichat; les phénomènes élémentaires de
la vie y sont nettement distingués; et tout ce qu'avaient
laissé d'obscur ou de confus les théories précédentes, y a enfin
disparu. Dans celles-ci , on confondait encore la sensibilité
percevante avec la sensibilité générale, la contractilité mus-
culaire volontaire avec l'involontaire. Bichat a fait ces-
ser cette confusion. Il admet cinq propriétés vitales : la sen-
sibilitéorganique , la contractilité organique insensible , la
contractilité organique sensible , la sensibilité animale , et la
contractilité animale. i° La sensibilité organique , est la
faculté qu'a toute fibre vivante de recevoir une impression,
d'être modifiée par un contact, de manière que la modifi-
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 56 1
cation reste bornée à la partie qui l'éprouve, et n'est pas
transmise à Famé. Ainsi, chaque partie reçoit du sang une
impression en rapport avec sa nutrition ; l'estomac en reçoit
une des aliments , le poumon de l'air, etc. C'est îa sensibi-
lité tout-à-fait généralisée. Bickat l'appelle sensibilité orga~
nique ; sensibilité , parce que c'était la dénomination déjà
établie; organique, pour faire entendre qu'elle est l'attri-
but exclusif de tout être organisé , et qu'elle est commune à
tous. Non-seulement cette propriété a un mode particulier
dans chaque organe, comme le prouve la diversité de leur
nutrition , de leur fonction; mais encore elle met chaque
organe en rapport avec des stimulants extérieurs divers :
c'est ainsi que les glandes salivaires sont spécialement in-
fluencées par le mercure , les reins par les cantharides. Con-
nue par ses résultats seulement , son exercice est continu ,
involontaire; et elle est d'autant plus prononcée dans les
êtres vivants , qu'ils sont plus inférieurs. On verra que l'au-
tre espèce de sensibilité, c'est-à-dire la sensibilité animale,
aura des caractères inverses. 2° La contractililê organique
insensible , est la faculté qu'a toute partie vivante de se
mouvoir par elle-même , d'une manière inaperçue , par suite
de l'impression qu'elle à reçue immédiatement, sans que
l'ame ait la conscience de cette motion , que la volonté y ait
part, et qu'elle soit aucunement commandée par le cerveau.
Ainsi, chaque partie réagit sourdement sur le sang, pour s'en
nourrir; ainsi, l'estomac digère les aliments, etc. Bichat l'a
appelée conlraciililé organique insensible ; contractilitè
parce que la contraction est le mode de motion qui la con-
stitue ; organique , pour faire entendre qu'elle est exclusive
et commune à tous les êtres vivants; insensible, pour expri-
mer que l'ame n'a pas la conscience des mouvements qui la
constituent, et que ces mouvements, trop moléculaires pour
tomber sous les sens , ne sont reconnus que par leurs résul-
tats. Comme la sensibilité organique, elle a un mode parti-
culier en chaque organe; son exercice est de même continu
involontaire; et elle se montre aussi d'autant plus intense
qu'on descend plus dans l'échelle des êtres. Etablie sur les
mêmes faits que la sensibilité organique, présentant les
Tome IV. 36
562 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.
mêmes caractères , inspirant les mêmes considérations t elle
coexiste toujours avec elle , et n'en est séparable qu'aux
yeux de l'esprit. 3° La contractilitè organique sensible, est
la même faculté motrice que la précédente , avec cette seule
différence , que les mouvements qui lui sont dus tombent
sous les sens , et sont reconnus indépendamment de leurs
résultats. Ainsi, le cœur se contracte sans que la volonté
régisse ses contractions, et par le fait seul de l'impression
locale que fait sur lui le sang ; mais ses mouvements ne sont
pas occultes, comme l'étaient ceux de la contractilitè orga-
nique insensible. Nous n'avons pas besoin de répéter les
motifs de l'emploi de ces trois mots : contractilitè, organi-
que , sensible. Cette propriété a aussi un mode particulier en
cbaque organe; son exercice est également involontaire; et
elle ne diffère réellement de la précédente que par le degré ,
le mouvement qui la constitue étant apparent au lieu d'être
moléculaire. Dans la comparaison que Bicliat en fait, il
oppose l'une à l'affinité, l'autre à l'attraction; et Barthez,
avec plus de bonbeur encore, dit que la première est à la
seconde , ce que , dans une montre, l'aiguille des heures est
à celle des minutes ou des secondes. 4° Par sensibilité ani-
male Bicliat désigne la propriété qu'ont certains organes
de transmettre à Pâme , par l'intermédiaire du cerveau, la
conscience du sentiment , des impressions qu'ils ont reçus.
C'est la sensibilité , dans le sens restreint de Haller, et dans
l'acception vulgaire des gens du monde. Bichat l'appelle
sensibilité , parce que c'était l'expression reçue , et animale ,
pour faire entendre , qu'à la différence de l'autre espèce de
sensibilité qui appartenait à toute la nature organique,
celle-ci est exclusive aux animaux. À la fonction des sensa-
tions nous avons traité de tous les faits dont elle est l'ex-
pression abstraite. Nécessitant dans son exercice le concours
de trois organes, l'un qui reçoit une impression, un autre
qui conduit cette impression , et un troisième qui la per-
çoit elie réside essentiellement dans le système nerveux.
Elle a des caractères tout inverses de la sensibilité organi-
que , c'est-à-dire qu elle est toujours perçue , qu elle n'a pas
an exercice continu, et qu'elle diminue d'intensité à mesure
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 563
qu'on descend dans l'échelle des êtres. Il est d'ailleurs d'au-
tant moins permis de confondre ces deux propriétés , que la
sensibilité animale peut être suspendue , comme dans le
sommeil, les paralysies, tandis que la sensibilité organique
continue d'agir. Cependant Bichat est tombé ici un peu
en contradiction avec lui-même, en ajoutant que, de
même que les deux contractilités organiques étaient de
même nature et ne différaient que par le degré, il en était
de même des deux sensibilités. Il se fondait en ceci sur deux
raisons. L'une est, qu'en certaines de nos parties, les deux
sensibilités s'enchaînent; comme aux membranes muqueu-
ses, qui , à leur origine, ont la sensibilité animale , et qui ,
dans leur profondeur, n'ont plus que la sensibilité organi-
que, l'autre est, qu'un changement dans les excitants., ou
l'état maladif, transforment en sensibilité animale la sen-
sibilité organique, tandis que l'habitude, au contraire,
transforme en sensibilité organique la sensibilité animale.
5° Enfin, Bichat faisait une cinquième propriété vitale, sous
le nom de contraclilhê animale , de la contraction muscu-
laire volontaire et cérébrale, dont nous avons traité à l'ar-
ticle de la locomotion. Exclusive aussi aux animaux, comme
l'indique son nom, elle se distingue des contractilités dites
organiques^ en ce que sa cause excitatrice ne siège pas dans
l'organe même qui la développe, c'est-à-dire le muscle,
mais dans le cerveau. En outre, tandis que les deux autres
contractilités étaient irrésistiblement liées et proportion-
nelles au mode de sensibilité qui leur correspond , celle-ci ne
l'est pas de même à la sensibilité animale, et son exercice*
n'est jamais continu.
A ces propriétés vitales, ainsi nommées, parce qu'elles
produisent la vie et n'existent qu'avec elle , Bichat ajoutait
ce qu'il appelait des propriétés de tissu, c est-à*dire qui te-
naient à la texlure, à l'organisation des parties, et qui,
par conséquent, persistant plus ou moins après la mort , ne
disparaissaient que lorsque la putréfaction avait détruit
toute organisation. Ces propriétés étaient au nombre de
trois : Y extensibilité de tissu , ou la propriété qu'ont les
tissus vivants , de céder à une cause extensive; la contrac*
36.
564 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.
tilitè de tissu, qui est la faculté inverse, que Haller avait
déjà signalée sous le nom de force morte; et enfin, la con-
tractilité par racornissement , ou la propriété qu'ont les
tissus organisés de se crisper sous l'influence du feu , des
acides et de divers autres agents. Le racornissement était de
deux espèces; ou subit, et développant dans les organes qui
l'éprouvent une grande élasticité; ou graduel, s'opérant
d'une manière lente, ne rendant pas de même élastiques les
tissus qui l'éprouvent, et permettant encore, après lui, le
racornissement subit.
Ainsi que nous l'avons annoncé d'abord, cette théorie
de Bichat a de grands avantages sur toutes les autres. La
distinction des sensibilités organique et animale empêche
"d'y confondre la sensibilité généralisée avec la sensibilité
percevante, et fait cesser les équivoques auxquelles ce mot
de sensibilité avait donné lieu. La distinction des contrac-
tilités organique et animale sépare aussi l'irritabilité pro-
prement dite de la contractilité musculaire volontaire, et
par conséquent met un terme à la controverse dans laquelle
on voulait que la première de ces propriétés fût une dé-
pendance de la sensibilité. Cependant on y reconnaît la
trace des deux causes qui ont fait multiplier le nombre
des propriétés vitales. D'un côté, les deux contractilités
organiques ne sont que des degrés divers d'une même force
motrice : de l'autre, la sensibilité et la contractilité ani-
males sont de véritables fonctions. Tl nous semble en effet
qu'on ne doit considérer comme propriétés vitales que les
actes de vie qui sont communs à tous les êtres vivants, et à
toutes les parties d'un corps animé ; et qu'au contraire ,
tout acte qui est le produit d'un appareil particulier doit
être considéré comme une fonction. Or, la sensibilité per-
cevante, et la locomobilité volontaire, ne manquent-elles
pas dans les végétaux, dans plusieurs parties du corps hu-
main? la première de ces facultés n'a-t-elle pas pour organe
exclusif le système nerveux? et ne peut-on pas la dire la fonc-
tion de ce système, au même titre qu'on dit la digestion, la
respiration , les fonctions des appareils digestif et respira-
toire.
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 565
Ainsi , en faisant abstraction des fonctions que, par abus
on a élevé au rang de propriétés vitales , on voit que chez
tous les physiologistes , celles-si se réduisent à la sensibilité
et à la motilité. Mais il y a plus ; ces deux propriétés peuvent
même se réduire à une seule. Qu'expriment-elles en effet?
le pouvoir qu'a toute partie vivante d'exécuter , pour l'ac-
complissement de sa fonction , consécutivement à une im-
pression, à une stimulation, des mouvements, tantôt visibles
et apparents , tantôt trop moléculaires pour tomber sous les
sens et constatés seulement par leurs résultats, qui enfin
n'étant ni physiques, ni chimiques, mais autres que ceux
de la matière inorganisée, sont à ce titre appelés vitaux.
Jusqu'ici les physiologistes ont séparé la susceptibilité de re-
cevoir l'impression qui provoque au mouvement , de la
faculté de le produire, et en ont fait deux propriétés sous
les noms de sensibilité et de motilité. Supposant un instant,
rapide comme l'éclair, entre le moment de l'impression, et
celui du mouvement qui la suit, ils ont considéré comme
distinctes, l'action de recevoir l'impression, et celle de se
mouvoir consécutivement. Mais ces deux actions n'en font
réellement qu'une seule : ce sont les mouvements qu'exécute
une partie à l'occasion d'une impression , qui prouvent que
cette partie a été sensible à cette impression. Sentir n'est,
comme l'ont dît Chaussier, Bichat , que changer de manière
d'être par suite d'une impression : ce n'est que se mouvoir
dans un mode qui n'est ni physique nî chimique. Cela est
évident pour les cas dans lesquels les mouvements sont oc-
cultes; sans les résultats qu'ont amenés ces mouvements, la
sensibilité n'eût pas été manifeste; ce sont vraiment eux
qui la constituent. Pourrait-il en être autrement, quand
ces mouvements sont apparents? ceux-ci ne sont- ils pas de
même nature que les premiers ? et en diffèrent-ils autremen t
que par le degré? Les deux propriétés , sensibilité et moti-
lité, sont donc vraiment réductibles à une seule, qu'on
appellera sensibilité, si l'on veut, mais qui emportera avec
elle l'idée de mouvement, et sera la faculté active, motrice
de la matière vivante.
Nous pouvons trouver dans celle des théories modernes
566 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.
qui jouit de plus de crédit , dans la théorie de Bichat, la
justification de ces idées, et ramener à une seule les cinq
propriétés vitales dont elle se compose, en invoquant l'au-
torité deBicliat lui-même. En effet, nous avons déjà dit que
la sensibilité et la contractilité animale étaient des fonc-
tions ; et quant aux trois propriétés organiques , Bichat lui-
même a exprimé tacitement qu'elles se réduisaient à une
seule. D'une part, en effet, il a avoué que la sensibilité
organique n'était que la contractilité organique insensible ,
que l'esprit seul en avait séparée : d'autre part, il a reconnu
que les deux contractilités organiques étaient la même pro-
priété, et ne différaient que par le degré: n'était-ce pas
convenir que ces trois propriétés n'en font qu'une ?
Ainsi donc , on est conduit à consacrer en physiologie
une seule propriété vitale , la sensibilité , qui est dite animer
tous les êtres vivants, les végétaux comme les animaux ,
toutes les parties du corps humain, les os comme les nerfs,
et qui est présentée comme l'ame de tous les phénomènes
de la vie. Ayant dans chaque partie un mode spécial , c'est
elle qui préside à leur jeu , qui fait que le cœur se contracte ,
que l'estomac digère , que le nerf sent, etc. Généralisation
la plus élevée à laquelle on j3uisse parvenir dans la science
de la vie, elle est dans cette science, ce que V attraction est
dans la science des corps inorganiques. Il est malheureux
seulement qu'on lui ait donné le nom de sensibilité , qui,
dans l'acception habituelle emporte avec soi l'idée d'une
perception par l'ame. De là, ont résulté de continuelles équi-
voques, à cause desquelles tour-à-tour on a nié ou concédé
que les végétaux eussent la sensibilité, que dans les animaux
les os en fussent doués , etc. Pour les faire cesser, plusieurs
physiologistes modernes ont proposé d'appeler cette propriété,
ou excitabilité 9 pour faire entendre qu'une stimulation est
nécessaire pour la mettre en jeu; ou irritabilité , comme dès
le principe l'avait fait Glisson. Ainsi, on laisserait au mot
sensibilité la signification qu'il a chez les gens du monde. Met-
tant cette propriété en opposition avec les forces physiques ,
on lui a assigné pour attributs , d'avoir une instabilité qui
contraste avec la fixité des forces générales , et de n'avoir
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 56 J
qu'une durée limitée. Mais , indépendamment de ce que
chercher des caractères aux forces , c'est tacitement les per-
sonnifier,, on a mal exprimé ceux qu'on attribue à la sensi-
bilité. Il est bien vrai, d'une part, que les phénomènes de
vie sont plus divers que les phénomènes physiques et chimi-
ques , sont plus mobiles , et qu'à ce titre ils ne sont pas cal-
culables : mais il ne faut pas dire pour cela, que la sensibi-
lité qui y préside soit une force variable; elle a de même
ses lois constantes et immuables ; seulement ces lois sont
plus complexes , et embrassent un nombre plus grand de
conditions , dont plusieurs sont encore inconnues; rien dans
la nature n'est affranchi de règles. D'autre part , s'il est
dans la nature de la sensibilité de s épuiser , de n'animer
qu'un certain temps la matière ; n'en est-il pas de même
un peu des lois physiques ? la matière ne s'en dépouille-
t'elle pas en partie , quand elle entre dans la composition
des corps vivants ? et n'y a-t-il pas dans la nature mutation
continuelle de corps , d'un côté arrivant à la vie , et de l'autre
la perdant? Mais, encore une fois, assigner des caractères
aux forces, c'est paraître oublier qu'elles ne sont que des
abstractions, et les traiter comme des êtres réels.
Telle est donc la propriété vitale unique, admise aujour-
d'hui en physiologie. Cependant, comme elle est une abs-
traction représentant le mode de motion de la matière orga-
nisée, on conçoit qu'on peut la subdiviser en autant de
forces diverses qu'on peut signaler de phénomènes distincts
dans l'économie vivante. Nous en avons vu des exemples
dans plusieurs des théories que nous avons analysées ; et plu-
sieurs des physiologistes actuels croient encore ces distinc-
tions utiles. C'est ainsi que M. Rullier reconnaît trois pro-
priétés vitales, sous les noms de motilité, à'impressionabilité ,
et de force à' affinité vitale , rattachant à cette dernière la
faculté qu'a la matière vivante de maintenir dans des com-
binaisons contraires aux lois chimiques, les éléments qui la
forment. Nous croyons qu'il suffit, pour concevoir tous les
phénomènes , d'admettre que la propriété de la sensibilité
se modifie dans toute partie en raison de l'organisation de
cette partie, ou coïncidemment avec elle. Mais, si Ion te-
568 PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE.
nait à ces distinctions , il faudrait, évitant de ressusciter les
archées particulières de Van-Helmont, se garder des abus des
Anciens qui créaient une force propre pour chaque phéno-
mène de vie, une force digestwe pour la digestion, une force
auctrice , pour l'accroissement , etc. , et n'admettre que celles
que nécessiterait la spécialité des actions. Or, tous les phé-
nomènes de la vie se réduisent à quatre : production de sen-
sations , production d'un mouvement apparent , constitu-
tion d'une matière organisée, c'est-à-dire d'une matière
dont la nature est contraire aux affinités chimiques, et créa-
tion ou avivement d'un germe. On pourrait donc admettre
quatre proprié lés vitales spéciales pour chacun de ces phé-
nomènes , la sensibilité animale pour le premier , la contrac-
lilité pour le second, la force dJ assimilation de Damas ou
à? affinité vitale de M. Rullier pour le troisième , et la force
de formation de Blumenbach pour le quatrième. Mais, en-
core une fois, nous croyons ces distinctions sans importance.
Nous terminerons cette discussion , en faisant remarquer,
que la force de sensibilité étant la force motrice de la ma-
tière organisée, et ce mot étant synonyme de celui de vitalité,
tout ramener en physiologie à cette force , c'est professer
pleinement la doctrine du viialisme. C'est qu'en effet cette
doctrine nous paraît être la seule qui , dans l'état actuel de
la science, puisse y être adoptée. N'avons-nous pas, dans
l'étude des divers actes vitaux, constaté l'impossibilité d'en
rattacher aucun aux lois physiques et chimiques générales ?
En vain nous dira-t»on que cette philosophie est stérile ?
que se borner à dire en physiologie qu'un phénomène est
vital, c'est simplement avouer qu'il est inconnu? qu'il
vaut mieux, en recherchant les conditions de production
des phénomènes vitaux, s'efforcer de les rallier aux lois gé-
nérales? Yoici quelles seront nos réponses. 1° En disant
qu'un acte est vital, nous savons bien que nous ne donnons
de cet acte qu'une notion négative , puisque c'est dire seu-
lement qu'il n'est ni physique ni chimique. Mais toute né-
gative que soit celte notion, elle exprime un fait réel ; et il
est d'autant plus utile de la poser, qu'elle prévient toutes
les fausses notions qu'on pourrait se faire des phénomènes.
DES PROPRIÉTÉS VITALES. 5 G 9
20 Par cette même locution, qu'un acte est vital, nous
n'interdisons aucuns des efforts tendants à faire pénétrer
son essence, et à le rattacher aux lois générales; nous ex-
primons seulement que dans l'état actuel de la science on n'y
est pas encore parvenu. INous sommes si loin de condamner
les travaux qui tendent à confondre les phénomènes physi-
ques et vitaux, que ce n'est qu'après avoir vainement tenté
d'expliquer un phénomène par les lois communes de la ma-
tière, que nous le déclarons vital. Nous sommes très dispo-
sés à croire que les phénomènes de la vie sont dus aux lois
générales, mais après que celles-ci ont subi une importante
modification par le concours de quelque élément qui reste
à découvrir, et nous applaudissons aux recherches qui ont
pour but de faire trouver en quoi consiste cette modifica-
tion. 3° Enfin, non-seulement la doctrine du vitalisme est
la seule raisonnable, tant que la découverte de cette mo-
dification des lois générales, de laquelle résulte la vie,
reste à faire ; mais encore elle devra être conservée , lors
que cette découverte aura été faite, à supposer qu'elle
le soit jamais. En effet, supposons qu'on trouve par le
concours de quel élément nouveau, par quelle modification
les lois générales de la matière produisent les phénomènes
vitaux : ce sera, sans doute, une admirable découverte,
puisqu'on aura pénétré le secret de la vie : mais celle-ci en
constituera-t-elle moins une exception bien distincte à la
nature générale? Et, par conséquent, la partie de la phy-
sique générale qui en traitera, en sera-t-elle moins une
science à part , et ayant sa philosophie propre ? Pour avoir
découvert le mécanisme de la production des phénomènes
vitaux, ces phénomènes en seront-ils moins différents de
ceux que nous appelons aujourd'hui physiques et chimi-
ques ? et la modification des lois générales à laquelle il se-
ront dus, devra- t-elle moins être distinguée sous le nom
de vitalité? Les différences étant dans le fonds des choses,
il ne peut pas ne pas y en avoir dans les doctrines.
FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME.
TABLE DES MATIERES
DU QUATRIÈME ET DERNIER VOLUME.
Pages
Troisième Classe de Fonctions. i
Fonction de la reproduction , ou de la génération. ib.
Chap. Ier. Anatomie de l'appareil générateur. 6
Art. 1er. De l'Appareil génital de l'homme. 7
§ Ie'. Appareil de fécondation. ib.
§ II. Appareil de copulation. 19
Art. 11 . De l'appareil génital de la femme. 22
§ Ier. Appareil de germification. ib.
§ 11. Appareil de gestation ou de grossesse. 24
5 111. Appareil de copulation. 28
§ IV. Appareil de lactation. 3o
Art. 111. Différences générales des sexes. 34
Chap. II. Mécanisme de la génération. 5o
Art. 1er. Du rapprochement des sexes , ou de la
copulation, du coït. 52
§ 1er. Du besoin, de l'instinct delà reproduction, ib.
§ II. Office de l'homme dans la copulation. 55
§ III. Office de la femme dans la copulation. 62
Art. II. De la conception ou fécondation. 64
Art. III. De la grossesse. 107
Art. IV. De l'accouchement. 121
Art. V. De la sécrétion du lait et de la lacta-
tion. i38
APPENDICE aux deux dernières Classes de fonctions. 146
De l'innervation. ib.
Chap. Ier. Anatomie du grand sympathique. 147
Chap. 11. Anatomie du nerf vague ou pneunno-gas»
trique, ï54
572 TABLE DES MATIÈRES.
Pag.
Chap. 111. De l'influence nerveuse organique , ou
de l'innervation. i58
§ Ier. Limites de l'innervation i5g
§ II. Des nerfs qui dispensent l'innervation. 168
§ III. Sources de l'innervation. 182
§ IV. Essence de l'innervation. 184
TROISIÈME PARTIE. 199
SECTION Ire. Des connexions des fonctions. 200
Chap. Ier. Des rapports mécaniques des organes. 201
Chap. II. Des rapports fonctionnels des organes. 204
Art. Ier. Des rapports fonctionnels relatifs à l'en-
tretien de la vie en général. 2o5
§ 1er. Rapports fonctionnels relatifs à la pre-
mière condition vitale , la présence du
sang artériel dans les organes. ib.
§ II. Rapports fonctionnels relatifs à la seconde
condition vitale, l'influence nerveuse. 229
Art. II. Rapports fonctionnels relatifs à l'accom-
plissement des diverses facultés de
l'homme. 24.1
§ Ier. Nutrition. 242
§ II. Reproduction. 249
§ III. Sensibilité. 2Ô2
§ IV. Expressions. 288
Chap. III. Des rapports sympathiques, ou des
sympathies. 260
SECTION IL Des rapports de l'homme avec la na-
ture. 290
§ Ier. Des rapports mécaniques, physiques et
chimiques de l'homme avec les corps ex-
térieurs. 296
§ IL Rapports organiques de l'homme avec les
corps extérieurs. 3o2
QUATRIÈME PARTIE. Des âges de l'homme. 3i 1
SECTION I™. Vie intra-uiérine. 3ï2
TABLE DES MATIÈRES. 573
Pag.
Chap. Ier. Anatomie du fœtus. 3I2
Art. Ier. Des parties annexes du fœtus. 326
Art. II. Du fœtus lui-même. 343
Chap. II. Physiologie du fœtus. 38i
Art. Ier. Des fonctions de nutrition du fœtus. 38?
§ Ier. Préhension des matériaux nutritifs et
composants du fœtus. 383
§ II. Conversion des matériaux nutritifs du fœtus
en sang. 3g8
§ III. Appropriation du sang du fœtus aux parties
de cet être pour la nutrition proprement
dite. 4IO
§ IV. Des excrétions du fœtus. ^5
Art. II. Des fonctions de relation et de reproduc-
tion du fœtus. 4,8
SECTION II. Vie extra-utérine. 423
Chap. Ter. De la première enfance. 425
Art. Ier. Première époque de la première en-
fance. 426
Art. II. Deuxième époque de la première en-
fance. 436
Art. III. Troisième époque de la première en-
fance. 443
Chap. II. De la seconde enfance. 444
Chap. III. De l'adolescence. — Puberté. 447
Chap. IV. De la virilité. 45 2
Chap. V. De la vieillesse. 458
Chap. VI. De la mort. 466
CINQUIÈME PARTIE. Des différences individuelles
de l'homme. 487
Chap. Ier. Des tempéraments. 4q0
Chap. II. Des constitutions. 4q7
Chap. III. Des idiosyncrasies. 4q8
Chap. IV. Des différences individuelles acquises
et de celles qui constituent des habitudes. 5oo
574 TABLE DES MATIÈRES.
Pag.
Chap. V. Des races humaines. 5o3
SIXIÈME PARTIE. Philosopihe de la science , ou His-
toire de la force et des propriétés vi-
tales. 534
Chap. Ier. Considérations générales sur les forces
premières admises dans toutes les sciences
naturelles. 5?.o
Chap. II. De la force vitale. 534
Chap. III. Des propriétés yitales. 543
FIN DE LA TABLE DES MATIERES DU QUATRIEME fcT DLRÎsiRR
VOLUME.
TABLE ANALYTIQUE
DES MATIERES
CONTENUES DANS LE QUATRIÈME VOLUME,
TROISIÈME CLASSE DES FONCTIONS.
Fonctions de reproduction , ou de la génération,
La génération est une fonction exclusive aux êtres vivants — Ses
modes , dans la généralité des êtres vivants, sont très divers ; génération
équivoque ou spontanée ,fissip are , gemmipare externe , gemmipare interne,
par sexes , avec ou sans hermaphrodisme , avec copulation , grossesse , al-
laitejnent; distinction des ovipares , ovovivipares et vivipares; son mode
dans l'homme • i à 6
CHAPITRE 1er. Anatomie de l'appareil générateur 6
Art 1er. Appareil génital de l'homme. Il comprend Y appareil de féconda-
tion et celui de copulation 7
§ 1er. De l'appareil de fécondation. Il faut y étudier les parties qui le con-
stituent , le mécanisme par lequel ces parties préparent et conservent le
fluide fécondant, et ce fluide fécondant ou le sperme. — 1° Les testicules^
leur forme , leur situation, leur texture. — Le cordon des vaisseaux sper-
matiques. — Le scrotum. — L'épididyme. — Les conduits déférents. —
Ljs vésicules séminales. — Les glandes de Cowper. — 2° Ce sont les tes-
ticules qui font le fluide fécondant , et ils le font par une action de sécré-
tion. — Cette sécrétion est-elle continue? — Mode selon lequel le sperme
vient s'accumuler dans les vésicules séminales , et ce qu'il éprouve dans
ces réservoirs. — 3° Propriétés physiques, nature chimique du sperme;
aura séminalis ; animalcules spermatiques 7 à 18
§11. Appareil de copulation. Se compose du pénis; celui-ci est formé du
corps caverneux et du canal de Turèthre; description anatomique de
ces parties 19 a 22
Art. II. De l'appareil génital de la femme. Il comprend les appareils de
germification , de gestation ou grossesse, de copulation et d'allaitement. 22
§ 1er. Appareil de germification. Celui qui produit legerme, l'œuf; il se com-
pose des ovaires et des trompes; description anatomique de-ces parties,
22 à 24
§ II. Appareil de gestation ou grossesse. Utérus, sa situation , sa texture;
replis péritonéaux qui le fixent dans le bassin ; ligament rond ou cordon
sus-pubien 24 à 28
576 TABLE ANALYTIQUE
§111. Appareil de copulation. Vagin, vulve . * . . . . 28 à 3o
§ IV. Appareil de lactation. — Les mamelles 3oà3i
Point d'hermaphrodisme dans l'espèce humaine. — Analogie des organes
sexuels mâles et femelles. — Analogie de ces o-ganes dans les ovipares et
vivipares * * ..è 3a à 33
Art. III. Différences générales des sexes. Toujours quelques parties exubé-
rantes dans les mâles. — Différences dans la stature , dans les propor-
tions du corps. — Différences morales.— Parallèle de toutes les fonctions.
— Excrétion spéciale aux femmes, la menstruation; ses phénomènes
extérieurs, sa nature; causes de sa périodicité 34 à 5o
CHAPITRE II. Mécanisme de la génération. La génération résulte d'une
série d'actes qu'on peut rapporter à cinq groupes, savoir : copulation ,
conception , grossesse , accouchement et allaitement ; le rôle des deux sexes
n'y est ni le même, ni également important . . . 5o à 5r
Art. 1er. du rapprochement des sexes , ou de la copulation. Il faut étudier
la sensation qui y excite , et la part qu'y a chacun des deux sexes. . 5a
§ Ier. Du besoin ou instinct de la reproduction. — Sa différence selon les
âges. — Cabanis et M. Broussais en font une sensation interne développée
par les organes génitaux; Ga/Z en fait une dépendance de la psychologie. —
Ses variations selon les constitutions, le régime et les habitudes. 52 à 55
§ II. Office de l'homme dans la copulation. Phénomène de l'érection; sa cause;
il n'est pas dû à une compression de la veine honteuse interne contre la
symphyse du pubis , mais à une congestion active. — Le sang qui consti-
tue l'érection n'est pas épanché dans des cellules , mais seulement accu-
mulé dans des plexus veineux. — Excrétion du sperme, mécanisme de
l'éjaculation 55 à 62
§ III. Office de la femme dans la copulation « 62 à 64
Art. II. De la conception ou fécondation. Il faut rechercher quelles matières
fournissent dans la génération l'un et l'autre sexe, commentées matières
sont mises eu contact, et comment se forme d'elles l'individu nouveau*
i° La matière que fournit l'homme est le sperme \ preuves tirées de la
physiologie comparée, de la castration; expériences de Spallanzani, de
MM. Dumas et Prévost , dans lesquelles on fait avec du sperme des
fécondations artificielles. — Le sperme pénètre; jusqu'au fond du
vagin , selon les uns; jusques dans l'utérus, selon d'autres; et enfin,
jusqu'à l'ovaire , selon la plupart. — C'est en effet à l'ovaire que se fait
certainement la fécondation ; preuves tirées des grossesses extra-utérines :
la notion d'un aura sèminalis inadmissible; expériences de MM. Dumas
et Prévost qui eu démontrent la nullité. 20 La matière que fournit la
femme provient de l'ovaire ; selon Fabrice à' Aquapendente et Harvey ,
cette matière est un œuf. — Expériences de Degraaf de Malpighi, Valis-
nieri^ de H aller , pour signaler la série des changements qu'éprouve
l'ovaire par un coït fécondant ; ce qu'est le corpus luteum ; semblables
expériences de MM. Magcndie, Dumas et Prévost. — De toutes ces recher-
ches, on a généralement conclu que le sperme porlé à l'ovaire avivait
une des vésicules de cet organe; que cette vésicule se gonflait, puis se
DES MATIERES. 5 yj
brisait et laissait échapper un ovule que la trompe conduisait dans l'u-
térus. — Comment a agi la trompe pour conduire, dans le premier temps
le sperme, et dans le second l'ovule? — La vésicule avivée s'était-elle
préparée d'avance à cet avivement par une sorte de maturité ? — L'ovule
éprouve-t-il quelques modifications dans son trajet à travers la trompe?
— 3° Comment de ces deux matières fournies par l'un et l'autre sexe, se
forme l'individu nouveau ? on l'ignore ; on a fait sur cette question de
nombreuses conjectures, qu'on peut rapporter à deux systèmes, celui de
l'épigènèse, et celui de l'évolution. — A. L'épigènèse est un système dans
lequel on admet que l'individu est formé de toutes pièces parle rapproche-
ment des deux matières fournies par l'un et l'autre sexe. — Application
de Ce système à l'origine première des êtres ; théorie de Leucippe et d'Em-
pedocle , Jorce végétative de Needham , nisus jormativus de Blumenback
conjecture de M. Lamarck. — Application de ce système à la reproduc-
tion des êtres vivants actuels; opinion à? Hippocrate , tf Aristole ; théorie
des molécules organiques de Buffbn. — B. Dans le système de l'évolu-
tion, on admet que l'individu nouveau préexiste sous une forme quel-
conque dans l'un des sexes 5 et les fauteurs de ce système se subdivisent
en deux sectes , celle des ovaristes et celle des animale ulistes , selon que
l'individu nouveau préexiste dans la femelle sous la forme d'oeuf ou dans
le mâle sous celle d'animalcule. — Exposition des considérations et faits
qui appuient et infirment le système des œufs. — Semblable exposition
pour le système des animalcules spermatiques ; dernières recherches de
MM. Dumas et Prévost sur ces animalcules. — Réflexions critiques sur
tous ces systèmes 5 aveu de notre ignorance sur l'acte de la fécondation
ou conception ; on revient de nos jours à l'idée de i'épigénése. La con-
ception est un acte indépendant de la volonté; on ne peut, ni faire qu'elle
ait lieu , ni influer sur ses produits. — Art de procréer tel ou tel sexe à
volonté. — Art delamégalanthropogènésie,ou de faire des enfants beaux
et des enfants d'esprits. — Y a-t-il des superfétations ?. . . 6a à 107
Art. III. De la grossesse. Premiers changements qu'éprouve l'utérus après
la conception. — Histoire de la membrane caduque ; travaux successifs
de Hunter, Haller, M. Velpeuu, etc. — Changements qu'éprouve succes-
sivement l'utérus dans sa situation, sa forme, son volume, sa texture •
changements coïncidents dans les parties annexes de l'utérus; causes de
tous ces changements; spécification des faisceaux musculaires qui appa-
raissent alors dans l'utérus. — Implantation de l'ovule à l'utérus d'abord
par la membrane caduque, ensuite par le placenta. — Changements
dans les fonctions de l'utérus. — Changements dans l'ensemble entier du
corps. — Signes caractéristiques de la grossesse ; durée de cet état.
107 à 121
Art. IV. De l'accouchement. Distinction des divers accouchements ou
avortement, accouchement prématuré, naturel et artificiel. — L'accou-
chement étant une excrétion, il fauty étudier, comme en toute excrétion
quelconque, la sensation qui annonce le besoin de l'excrétion, l'action
expultrice du réservoir qui contient la matière à excréter , et l'action
musculaire auxiliaire que la volonté ajoute à la précédente ; ou recher-
Tome IV. 37
5;8 TABLE ANALYTIQUE
cher les causes , les conditions , le mécanisme et les suites de l'accouche-
ment.— i° Les causes de l'accouchement cherchées tour-à-tour dans le
fœtus et dans la mère : elles résident dans la disposition de l'utérus, et
dans les changements qu'éprouve l'organe d'attache du fœtus , c'est-à-
dire le placenta; d'une part, la continuité de la grossesse rompt tout
équilibre entre le fond et le col de l'utérus ; d'autre part, le placenta de-
vient de moins en moins vasculaire, ses vaisseaux s'oblitèrent. — 2° Les
conditions pour l'accouchement sont; du côté de la mère, une bonne
conformation du bassin et des autres parties génitales ; du côté de l'en-
fant, sa bonne conformation et sa bonne situation. — 3° Distinction de
plusieurs temps dans l'accouchement; préparation à l'accouchement;
dilatation de l'orifice de l'utérus; trajet de la têle à travers l'orifice de
l'utérus; sortie complète du fœtus du sein de sa mère; délivrance. —
4° Enfin , suites de l'accouchement, lochies, etc 121 à i37
Art. V. De la sécrétion du lait et de la lactation. La sécrétion laiteuse n'est
pas continue; elle s'établit à l'occasion de la grossesse et de l'accouche-
ment -, fièvre dite de lait qui marque son établissement le deuxième ou le
troisième jour de la couche. — Dissidences sur le fluide quialimente la sé-
crétion laiteuse; M. Riclierand dit la lymphe; d'autres , le chyle; nous
croyons que c'est le sang artériel. — Mécanisme de la sécrétion, de l'excré-
tion. — Histoire du lait ; les propriétés physiques de ce liquide , sa nature
chimique, sa quantité. — Phénomènes qui marquent la cessation de îa
sécrétion laiteuse i38 à \[\5
APPENDICE aux dernières classes de fonctions .
Innervation. On appelle ainsi l'influence nécessaire qu'exerce le système
nerveux sur le jeu des organes des fonctions organiques , la subordina-
tion dans laquelle sont de ce système les actions de l'économie qui se
produisent irrésistiblement et sans que nous en ayons conscience. — On
a voulu localiser cette influence dans les nerfs grand sympathique et
pneumo-gastrique; il faut donc faire d'abord l'exposition de l'anatomie
de ces nerfs. i46
CHAPITRE Ier. Anatomie du grand sympathique. Enumération des gan-
glions qui, de hauten bas, constituent ce nerf; nerfs qui unissentcesgan-
glions entre eux et paraissent en faire un système continu^ — Nerfs qui
joignent les ganglions du grand sympathique aux nerfs encéphaliques et
spinaux , et qu'on appelle racines ou anastomoses du grand sympathique.
— Nerfs propres du grand sympathique, c'est-à-dire ceux qui vont aux
organes et leur transmettent l'influence nerveuse nécessaire à leur vie;
enumération de ces nerfs, selon qu'ils proviennent des ganglions du
grand sympathique situés à la têle, au col, au thorax, à l'abdomen.
i4; à i54
CHAPITRE II. Anatomie du nerf vague , ou pneumo-gastrique. Son ori-
gine, son trajet, sa terminaison ; les nombreux rameaux que dans son long
trajet il fournit au laryux, au poumon, au cœur, à l'estomac. 1 54 à i58
CHAPITRE III. De l'influence nerveuse organique , ou innervation. Cette in-
fluence est une des conditions premières de la vie.— Les auteurs disputent
DES MATIÈRES. 5jg
sur les limites de cette influence, sur les nerfs qui la dispensent, sur
la source dont elle émane, et sur l'essence de cette action. . i58 à i5g
§. II. Limites de V innervation. Selon quelques physiologistes, l'innervation
nJest vraie que des fonctio organiques supérieures; ces physiologistes
posent, à son égard, ces deux lois : qu'elle n'existe que pour les fonc-
tions organiques supérieures , et est nulle pour les dernières; qu'elle a
un empire d'autant plus grand, et s'étend sur un nombre de fonctions
d'autant plus considérable, que l'animal est plus supérieur, a une vie de
relation plus prédominante , et un système nerveux plus développé. —
Selon;d'autres, l'innervation régit toutes les fonctions organiques sans ex-
ception ; mais ses conducteurs dans les parties sont d'autant moins dépen-
dants des centres nerveux,'qu'il s'agit de fonctions moins élevées en anima-
lité, et d'animaux plus inférieurs. — Dans les deux opinions , le résultat
pour l'homme est le même. — Preuves que , dans cet être , la digestion,
Ja respiration, la circulation, les nutritions, les calorifications , les sé-
crétions, les acles reproducteurs, sont dépendants d'une influence ner-
veuse i5g à 168
§ II. Des nerfs qui dispensent l'innervation. Dans les derniers animaux , les
nerfs de l'innervation sont les mêmes que ceux qni président aux fonctions
sensoriales; mais dans les animaux supérieurs et dans l'homme , il y a,
selon la plupart des physiologistes, des nerfs spéciaux pour les fonctions
organiques, savoir, les grands sympathiques et les nerfs vagues; ces nerfs
diffèrent en effet de tous les autres par leur disposition anatomique, —
Les anciens, cependant, ne regardaient pas ces nerfs comme les dispensa-
teurs uniques de l'innervation; ce sont des modernes , Reil , Bichat , Gall,
M. Broussais, qui ont fait du grands ympathique l'agent exclusif de l'in-
fluence nerveuse organique. — Nous croyons l'opinion des anciens plus
fondée; du reste, motifs des uns et des autres. — Exposition des dissi-
dences des auteurs sur le grand sympathique, sous le rapport anatomique
et sous le rapport physiologique ; section ou ligature de ces nerfs , par
Bichat, M. Dupuy et autres 108 à 182
§ III. Sources de l'innervation. La plupart placent cette source dans les
grands centres nerveux, et ne considèrent les nerfs que comme descendue*
teurs. — Reil , Prochaska , M. Broussais.au contraire, pensent que
chaque nerf a le pouvoir de sécréter le fluide qui constitue l'infhix ner-
veux; mais si cela est, il faut reconnaître que dans les animaux supé-
rieurs, cette action locale de chaque nerf est subordonnée aux grands
centres nerveux; ce qui revient au même 182 à 184
§ IV . Essence de l'innervation. Elle est ignorée ; supposition d'un fluide du
genre des fluides impondérables de la nature; conjecture des esprits ani-
maux, du fluide nerveux; système de M. Lamark , de M. Cuvier. — Faits
divers qui appuient l'idée d'une analogie entre le fluide nerveux et le
fluide électrique. — Théorie toute récente de M. Dutrochet sur l'endo-
smose et l'exosmose. — Système de M. Bachouè, de Violer, qui subor-
donne toutes les actions de la vie à une action nerveuse , et qui les
rattache toutes à des courants galvaniques produits par les actions
58o TABLE ANALYTIQUE
chimiques continuelles qui se font dans les organes; expériences de
M. Pouillet contraires à ce système 184 à 198
TROISIÈME PARTIE.
Etude des connexions des fonctions entre elles , et des rapports de
l'homme avec l'univers extérieur *99
SECTION PREMIÈRE. Des connexions des fonctions .
Trois espèces de rapports entre les organes , des rapports mécaniques ,
des rapports fonctionnels , et des rapports sympathiques
CHAPITRE PREMIER. Rapports mécaniques des organes. Ce sont ceux
qu'exercent mécaniquement les uns sur les autres les organes , par le fait
seul de leur continuité ou contiguité. — Tout organe susceptible d'exécu-
ter un mouvement appréciable , influe d'une manière mécanique sur les
autres ; par exemple , les organes de la locomotion, de la respiration, de
la circulation, de la digestion ; ceux chargés de conserver en dépôt et
d'excréter quelques matières solides ou liquides. ..... 201 à 204
CHAPITRE II. Rapports fonctionnels des organes. Ce sont ceux qui tiennent
au concours obligé des fonctions; d'autant plus nombreux que l'or-
ganisation est plus compliquée, et on les partage en ceux qui ont trait
à l'entretien de la vie en général , et ceux qui concernent l'accomplisse-
ment d'une faculté en particulier 204 à 2o5
Art. 1er. Rapports fonctionnels relatifs à l'entretien de la vie. Deux condi-
tions primordiales pour la vie , présence du sang artériel, et influx ner-
veux. — De là deux espèces de rapports fonctionnels vitaux. .... 205
§ I. Rapports fonctionnnels relatifs à la première condition vitale ^ la pré-
sence du sang artériel dans les organes. Nul organe ne vit qu'autant que
du sang lui arrive; mais ce sang ne lui est fourni que parle concours de
plusieurs fonctions , et ces fonctions influent sur cel envoi d'une ma-
nière plus ou moins prochaine. i° Deux fonctions, la respiration et la
circulation , ont en ceci une influence si prochaine , qu'elles ne peuvent
se suspendre un seul instant. — La cessation de la respiration constitue
V asphyxie ; modes divers d'asphyxie ; symptômes de l'asphixie, état du
cadavre ; les symptômes et les lésions cadavériques différent selon que
l'asphyxie a été prompte ou graduelle ; la cause de la mort dans l'asphyxie
est que toutes les parties sont pénétrées par un sang veineux ; ce fluide
cependant n'a d'influence délétère que négativement. — La cessation de
la circulation constitue la syncope; modes divers de syncope; ses symp-
tômes ; ses lésions de tissu ; sa cause. — Le poumon et le cœur sont ainsi
constitués des centres de vie; il faut y ajouter l'encéphale; ces trois
organes sont nécessaires à tous, et se sont réciproquement nécessaires.
20 Influence de la digestion sur l'état du sang ; c'est la digestion qui
fournit les matériaux destinés à renouveler ce fluide ; la suppression
de cette fonction fait mourir en quelques jours; le sang est appauvri, a
diminué de quantité. 3° Enfin , influences qu'exercent sur l'état du sang,
DES MATIÈRES. 58 1
ce fluide nécessaire à la vie de tout organe , les absorptions qui concou-
rent aussi à en renouveler la masse ; les sécrétions qui le dépurent ou le
dépensent ; les calorifications qui paraissent avoir la plus grande part à
la conversion du sang artériel en sang veineux, les nutritions pour le
service desquelles il est fait. — Il faut donc conclure que le sang est sans
cesse dépensé et refait, et conséquemraent change sans cesse dans l'éco-
nomie; la considération de ce qu'est ce fluide est d'un premier intérêt
pour le physiologiste et le médecin. — Quant à son mode d'action dans
les organes , il est inconnu; il est un stimulus vital. . . . 2o5 à 229
§ II. Rapports fonctionnels relatifs à la seconde condition vitale , l'influence
nerveuse. L'influence nerveuse organique est toujours dépendante des
centres nerveux, encéphale et moelle spinale, mais dans un degré qni
varie , selon l'animal, selon l'âge, et selon l'animalité de la fonction
dans laquelle on la considère. — De là ces lois : i° que l'influence nerveuse
organique est d'autant plus dépendante des centres nerveux, que l'animal
est plus supérieur; 20 que l'animal est plus âgé; 3° qu'elle s'applique à
une fonction plus élevée en animalité. — Quant à la partie nerveuse
centrale qui régit l'innervation , les uns disent lJencéphale , les autres
la moelle spinale; il nous paraît que c'est la partie intermédiaire à ces
deux là , la moelle alongée 229 à 241
Art. II. Rapports Jonction ne Is relatifs à V accomplissement des diverses fa-
cultés. Nous les distinguons seloa qu'ils ont trait à la nutrition , à la
reproduction , à la faculté de sentir , et à celle d'exprimer 241
§ I. Rapports fonctionnels relatifs à la faculté de se nourrir. Tableau des fonc-
tions dont le concours effectue la nutrition, — Rapports entre les inges-
tions qui font le sang , et, les fonctions qui mettent en œuvre ce liquide.
— Rapports inverses entre les pertes que fait le corps , et les ingestions
destinées^ réparer ces pertes — Balancement entre les fonctions qui répa-
rent , comme entre celles qui dépensent , entre les absorptions et la di-
gestion d'une part , entre les nutritions et sécrétions de l'autre. — Pour
expliquer ces divers rapports , institution des lois d'appel ou de fluxion
et de balancement : application de ces lois aux phénomènes de l'irrita-
tion , de la dérivation , de la révulsion , des congestions . . 24.2 à 249
§ H. Rapports fonctionnels relatifs à la faculté de se reproduire. Tableau des
fonctions dont Je concours effectue la reproduction, — Indication des
conxions que manifeste l'acte de la génération , . . . « . 249 à. a5.2
§ III. Rapports fonctionnels relatifs à la faculté de sentir. L'encéphale est
le centre de la sensibilité , comme organe où aboutissent toutes les sen-
sations , d'où partent les ordres de la volonté , comme agent des facultés
intellectuelles et morales, et siège du moi. — Rapports entre la veille et
le sommeil, entre les sensations et les mouvements , entre la vie ani-
male et la vie organique 2$2 à 258
fi IV. Rapports fonctionnels relatifs, à la faculté d'exprimer. Ces rapporls
nécessitent l'institution d'une troisième loi, la loi d irradiation^ 258 à 260
CHAPITRE III. Des rapports sympataues. Ce sont ceux dans lesquels
l'impression éprouvée par un organe en modifie un autre éloigné du pie-
582 TABLE ANALYTIQUE
mier,mais sans que des organes intermédiaires partagent cette modification,
et sans que cette modification puisse être rapportée aux connexions méca-
niques des parties, ni à l'enchaînement naturel des fonctions. — Ils reposent
sur la loi d'irradiation nerveuse. — Distinction de la synergie et de la
sympathie de Barthez , inutile. — Enumération de divers genres de sym-
pathies , entre parties d'un même organe, entre diverses parties de mem-
branes continues , entre paities immédiatement contiguës , entre divers
organes d'un même appareil , entre la membrane muqueuse d'un organe
d'ing: stion ou d'excrétion et les muscles de la cavité splanchnique où cet
organe est contenu , entre les organes pairs congénères, entre les or-
ganes dont la structure et les fonctions sont analogues , entre les divers
appareils qui concourent à un même but, enfin, entre un organe et tous
les autres consécutivement à une irradiation qui émane du premier. —
C'est une question de savoir si tous les organes présentent des sympa-
thies de ce dernier ordre , ou s'il n'y a que les plus vasculaires et les
plus nerveux. — Pour apprécier les rapports sympathiques de ce genre ,
il faut avoir égard à certaines circonstances qui les font se déceler , savoir:
la comparaison des âges, celle de l'état d'action avec l'état d'inaction
pour celles des fonctions qui sont intermittentes , celle des divers degrés
d'activité des fonctions , celle des tempéraments , et l'état de maladie. —
Sous ce dernier rapport , c'est par les sympathies qu'une maladie se géné-
ralise ; elle a ]été primitivement locale ; il faut excepter cependant les
maladies dont la cause est une altération du sang. — Distinction des
sympathies en actives et passives. — Les sympathies morbides sont en
raison de la structure et de la vitalité de l'organe qui est malade, et en
raison de la nature de la maladie. — Quant à l'a cause organique des sym-
pathies, tour-à-tour on l'a placée dans les membranes, dans le tissu cellu-
laire, dans le système vasculaire , et dans le système nerveux ; cette der-
nière opinion est la plus vraisemblable. — Pour produire les sympathies,
le système nerveux ne peut agir que de deux manières: ou directement
par des rameaux anastomotiques , ou par l'intermédiaire du cerveau j il
est probable qu'il y a des sympathies de l'un et l'autre mode , mais les
sympathies cérébrales sont en bien plus grand nombre : l'organe qui est le
point de départ de la sympathie irradie l'impression qu'il a reçue au cer-
veau , et celui-ci la reflète dans la généralité du système ^ d'où la modifi-
cation de tous les organes, ou seulement de quelques-uns. — Quant à l'es-
sence de cette irradiation sympathique, elle est aussi peu connue que celle
de toute autre action nerveuse 260 à 295
SECTION DEUXIÈME. Des rapports de l'homme avec
l'univers.
Ils sont mécaniques, physiques , chimiques , organiques. . . 20,5 à 296
§ 1. Rapports mécaniques , physiques et chimiques de l'homme avec les corps
extérieurs. — L'homme est, par la gravitation, attaché à la terre, qui lui
sert de point d'appui ; il est plongé dans l'atmosphère. — Celle-ci agit
sur lui par sa pesanteur, sa température, son action dissolvante, sa sé-
cheresse ou son humidité; par les matières qu'elle tient en suspension et
DES MATIÈRES. 583
qu'elle dépose à la surface de la peau ; peut-être agit-elle encore chimi-
quement, et parles phénomènes météorologiques qui se produisent en
elle. — Action de nos vêtements 296 à 3o2
§ 2. Rapports organiques de l'homme avec les coiys extérieurs. — Us sont
nécessités par les besoins de se nourrir et de sentir. — Rapports avec l'at-
mosphère pour la respiration ; cette fonction y puise de l'oxygène. — In-
fluences du calorique, delà lumière, de l'électricité qui existe dans l'at-
mosphère; influence des corps étrangers qu'elle peut tenir en suspension ;
enfin influence dépendante de sa température, de son état de sécheresse
ou d'humidiléjde son état électrique. — Nécessité des aliments et des bois-
sons. — Rapports des organes et des sens avec leurs excitants spéciaux. —
Enfin rapports moraux , c'est-à-dire de l'homme avec ses semblables et
avec Dieu * 3oa à 3io
QUATRIÈME PARTIE.
DES AGES DE 1,'nOMJVlE.
Il faut distinguer ici la vie intra-utérine , et les âges proprement dits. .
3n à 3ïo
SECTION PREMIÈRE. Vie intra-utérine.
C'est l'époque de la vie qui s'écoule pendant que l'homme est encore ren-
fermé dans le sein de sa mère 3i2
CHAPITRE Ier. Anatomie du fœtus. Qu'est l'homme avant la conception ?
La vésicule ovarienne , avant d'être fécondée , a-t-elle éprouvé une sorte
de maturation î Quel changement la fécondation a-t-elle fait subir à cette
vésicule? Quand l'ovule fécondé quitte-t-il l'ovaire ? S'il éprouve quelques
changements eu traversant la trompe ? Comment il se dispose avec la
membrane caduque en arrivant dans l'utérus ? Enfin, quels sont les pre-
miers développements du fœtus , jusqu'au moment où l'on peut distin-
guer nettement ses parties? Toutes ces questions sont difficiles à résou-
dre, et constituent autant de points fort litigieux; on en a appelé aux ovi-
pares, chez lesquels tous les développements se font à l'extérieur; tra-
vaux successifs de Fabrice d' ' Jquapendente , Malpighi, Huiler, Spallan-
zani, JVolf MM. Cuvier, Dulrochet, Pander, Rolando, etc., sur l'œuf du
poulet 3 anatomie de Fœuf de la poule 5 série des développements qu'y
éprouve le petit poulet pendant la durée de l'incubation , d'après
MM. Cuvier et Dutrochet; développements analogues dans les œufs des
autres ovipares; travail de Pander sur le même sujet; travail de Ro-
lando ; tous ces faits nécessitent de nouvelles recherches. — Vers le quin-
zième jour de la grossesse , on peut distinguer nettement dans l'ovule le
fœtus et ses parties annexes. » 3i2 à 326
Art. l°r. Parties annexes du fœtus. Etude anatomique du chorion , de l'am-
nios et du liquide que contient cette membrane , du placenta , du cordon
ombilical , de la vésicule ombilicale et de la membrane allantoïde. ■ — In-
dication par M. Pockels , d'une nouvelle partie sous le nom de membrane
ci-ythroïde 326 à 343
58 4 TABLE ANALYTIQUE
Art. II. Du fœtus lui -même. Indication des formes sous lesquelles il se
présente , et des parties extérieures qu'on distingue en lui, à partir de la
troisième semaine jusqu'à la fin de la grossesse. — Recherche des systèmes
et appareils qui se développent les premiers eu lui ; idées diverses de
MM. Meckel , Rolando et Serres à cet égard. — Suite des évolutions qu'é-
prouvent successivement, du commencement à la fin de la grossesse, le sys"
tème vasculaire sanguin , le système nerveux, l'appareil digestif, l'appa-
reil sécréteur, les appareils des sens, l'appareil locomoteur, l'appareil gé-
nital. — Idées de M. Serres sur l'embryogénie , ses lois de symétrie et de
conjugaison. — Autres idées de M. Meckel, et ses douze lois de formation.
433à48i
CHAPITRE II. Physiologie du fœtus. Y étudier successivement toutes les
fonctions de nutrition, de relation et de reproduction. ... 38 i à 382
Ai\t. 1er. Des fonc lions de nutrition du fœtus. Quatre questions seprésentent:
où et comment le fœtus prend ses matériaux de nutrition ?commentil les
change en sang f comment il assimile ce fluide à ses organes? et par
quelles excrétions il effectue sa décomposition 382 à 383
§ 1er. Préïiension des matériaux nutritifs et composants du fœtus. Il y a doute
sur la source d'où proviennent ces matériaux ; on a indiqué tour-à-tour:
i° la matière séro-albumineuse sécrétée dans l'utérus pour la formation
de la membrane caduque; 2° la matière de la vésicule ombilicale; 3° la
liqueur de l'allantoïde ; 4° Ie liquide de l'amnios, qu'on a fait pénétrer
ou par la peau , ou par les voies respiratoires, ou par les voies digestives,
ou par les voies génitales , ou par les mamelles; 5° des sucs qui seraient
puisés dans la mère par les villosités qui sont à la surface externe du
chorion ; 6o une matière fournie par le placenta, qui, selon les uns, est
du sang , selon les autres un fluide séreux; 70 enfin la substance gélati-
neuse du cordon.— De ces sept sources, deux seules doivent être admises ,
la vésicule ombilicale et le placenta: sur tout ceci, nombreuses dissiden-
ces des auteurs 383 à 3g8
S II. Conversion des matériaux nutritifs en sang. Le fœtus fait son sang ; ac-
tion du placenta et du foie pour la sanguification du fœtus. — Conjec-
ture de M. Geoffroy Saint-Hilaire , sur les usages du mucus très abondant
qui est sécrété dans l'estomac et l'intestin du fœtus. — Idée de Schreger
que le placenta fournit , non du sang , mais un fluide séreux. — Etat de
la digestion, de la respiration et de la circulation dans le fœtus, 3p,8 à 4 10
S III. Appropriation du sang du fœtus aux parties de cet être pour la nutrition
proprement dite. — i° Les nutritions du fœtus consistent, comme celles de
l'adulte , dans la solidification du sang. — Théorie des phénémes de l'ac-
cioissement.— 20 Calorifications du fœtus, — 3° Sécrétions du fœtus. .
4io à4i5
g IV. Des excrétions du fœtus. — Sécrétion urinaire. — Méconium. — Excré-
tions cutanées. — Excrétion par le placenta, selon quelques-uns. 4*5 à 417
Art. II. Des Jonctions de relation et de reproduction du fœtus. — Les fonc-
tions de reproduction sout nulles dans le fœtus. — Des sens, il n'existe que
le tact. — Pas de sensations internes, sauf des douleurs — Selon Caba-
nis , il y a déjà quelques essais des facultés intellectuelles et morales.
DES MATIÈRES. 585
— Il y a déjà des mouvements de produits. — Nuls phénomènes dVx pres-
sion» — Enfin pas de sommeil ; on ne peut assimiler à ce phénomène l'état
d'insensibilité et d'immobilité du fœtus 4r7 à /jat
SECTION SECONDE. Vie extra-utérine.
Distinction des âges en quatre ou en cinq 42^ * 42^
CHAPITRE 1er. De la première enfance. — Elle s'étend de la naissance à la
deuxième dentition , à sept ans : Halle l'a subdivisée en trois époques
425 à ^26
Art. Ier. Première époque de la première enfance. —Elle dure sept mois , de
13 naissance à la première dentition. — Révolution qu'éprouve l'être à
la naissance : la respiration s'établit ; il y a dès lors deux espèces de sang 5
la circulation se fait selon un autre mode ; la vie de relation commence ;
l'innervation devient bien plus nécessaire. — Progrès de l'homme pendant
cette période de la vie, sous les rapports anatomique et physiologique. .
429 à 436
Art. II. Seconde époque de la première enfance. — M. Halle la fait durer de
sept mois à deux ans et demi ; la première dentition en est le trait princi-
pal.— Progrès des fonctions de relation et des fonctions de nutrition pen-
dant sa durée 436 à 443
Art. III. Troisième époque de la première enfance. — Elle s'étend de deux
ans et demi à sept ans. — Progrès pendant cet âge 44^ à 444
CHAPITRE II. De la deuxième enfance. — Cet âge dure de sept à quinze
ans ; son commencement est marqué par la deuxième dentition , et sa fin
par le premier éveil des organes génitaux 444 ^ 44 7
CHAPITRE III. Adolescence, puberté. — Dans cet âge, Paecroissement en
hauteur s'achève, la fonction de la génération entre en exercice. —
Révolution de la puberté 447 à 45>2
CHAPITRE IV. De la virilité. — Halle a subdivisé cet âge en trois époques :
virilité croissante , virilité confirmée , et virilité décroissante — Etat ana-
tomique et physiologique de l'homme dans chacune de ces époques
452 à 4^7
CHAPITRE, V. De la vieillesse. — Subdivisée aussi en vieillesse commençante ,
vieillesse confirmée, et décrépitude. — Décaissement successif dans cha-
cune de ces époques 45; à 465
CHAPITRE VI. De la mort La mort est, ou se ni le , ou accidentelle:
— 10 Description de la mort sénile ; elle se fait graduellement , et pro-
cède de la circonférence aux centres. — Sa cause réside dans les dété-
riorations qu'ont éprouvées les organes, par suite du cours de la vie ,
et particulièrement dans celles quJa dû éprouver le système nerveux. —
La mort sénile es! fort rare. — 20 La mort accidentelle reconnaît pour
cause une dét érioratiou survenue accidentellement dans les organes ,
avant le terme naturel de la vie. — Ses causes sont très multipliées. —
Tantôt elle est subite , et diffère dans les traits sous lesquels elle se pré-
sente, selon qu'elle est une asphyxie, une syncope ou une apoplexie. —
Tantôt elle survient après quelques jours ou semaines de maladie; et ici
elle est encore susceptible de nombreuses variétés. — Enfin, en certains cas,
586 TABLE ANALYTIQUE
elle ne vient qu'après des mois, des années, et est prévue de loin. — A la
différence de la mort sénile, elle procède des centres à la circonférence.—
L'état du cadavre, dans la mort sénile , diffère beaucoup de ce qu'est ie
cadavre dans la mort accidentelle ; dans celle-ci, persistance de plusieurs
fonctions après la mort; histoire de ce qu'on appelle froideur cadavé-
rique. — Enfin, tableau de la putréfaction, mouvement intestin qui
détruit le corps « 4^6 à fêG
CINQUIÈME PARTIE.
CES DIFFÉRENCES ÎHDIVIDCELLES DE l'hOMME.
Nous ne traiterons que de celles qui fondent les tempéraments, les
constitutions , les idiosyncrasies , les habitudes et les races humaines.
437 à 489
CHANTEE Ier. Des tempéraments. Différences de l'homme, qui consis-
tent en des disproportions de volume et d'activité des organes et appa-
reils importants. — La doctrine des tempéraments doit être basée sur la
physiologie. — Tempéraments des anciens , d'après la proportion des élé-
ments. — Tempéraments selon les humoristes, les solidistes. — Tort de
quelques modernes , qui contestent l'existence des tempéraments. —
Manière dont Halle en expose les bases organiques ; distinction faite par
ce professeur, de tempéraments généraux et de tempéraments partiels. —
Exposition des tempéraments , par M. Rostan. — Réflexions critiques sur
ce point de doctrine 49° à 5o5
CHAPITRE II. Des constitutions. Elles sont en même nombre que les indi-
vidus ; chacun a la sienne ; on ne peut donc les étudier que sous le point
de vue de leur^brce, c'est-à-dire du degré de résistance qu'elles opposent
aux causes morbifiques. — La constitution doit sa force à un développe-
ment convenable, à une juste proportion des organes, et à une énergie
intrinsèque spéciale du système nerveux. — On peut être fort par un
organe et faible par un autre 5o6 à 5og
CHAPITRE III. Des idiosyncrasies. Différence individuelle locale, bornée
à un seul organe , mais imprimant à la fonction de cet organe un carac-
tère insolite. — Exemples divers d'idiosyncrasies 5o9a5i2
CHAPITRE IV. Des différences individuelles acquises et des habitudes. i° Les
différences individuelles innées , natives, sont incontestables ; elles ont
leur cause dans l'acte reproducteur, et dans les circonstances de la vie
intra-utérine. 20 D'autre part; l'homme offre des différences dépendantes
des impressions qu'il a reçues de l'univers extérieur, et de la mesure dans
laquelle il a usé de la vie, et ce sont ces différences que nous appelons
acquises. — Aces dernières se rattachent les habitudes; théorie des ha-
bitudes , leurs causes, leurs effets; Bichat avait mal analysé les unes et
les autres 5i2 à 5iQ
CHAPITRE V. Des races humaines. Y a-t-il plasieurs espèces d'hommes ?
ou toutes les différences que présentent les hommes sur les divers
DES MATIÈRES. 5 87
points du globe, tiennent- elles à l'action qu'ont exercés sur eux
les climats ? il n'est guère possible de contester des différences originelles.
— Aujourd'hui on admet, sinon plusieurs espèces d'hommes , au moins
plusieurs races. — Opinions de M. Cuvier, qui admet trois races; de
Lacépède qui en admet cinq; systèmes de MM* Virey , Desmoulins, et
Bory- de-Saint- Vincent, . . é . .. * 526 à 532
SIXIEME PARTIE.
Histoire de la force et des propriétés vitales, .......... 533
CHAPITRE PREMIER. Considérations générales sur les Jorces premières
admises dans toutes les sciences naturelles. — Dans tout corps, il n'y a que
deux choses à étudier, sa structure et ses actions ; il n'y a que deux
moyens d'étude, l'observation et le raisonnement 3 et on ne peut aller,
dans cette étude, au-delà de ce que démontrent les sens; on ignorera
à jamais l'essence de la matière et la cause qui la fait se mouvoir et agir.
— Les forces que Ton dit exister dans les corps ne sont pas des êtres réels
ajoutés à la matière qui forme ces corps ; elles ne sont que des créations
de l'esprit qui représentent la cause inconnue qui les anime, la puissance
motrice que possède la matière qui les forme. — Cela étant, elles doivent
différer autant que les corps eux mêmes; et comme ceux-ci sont inorga-
niques et organiques, on admet deux genres de forces, les forces physi-
ques et chimiques générales, et les Jorces vitales 533 a 5^6
CHAPITRE II. Delajorce vitale. Création d'Hippocrate sous le nom de
qvsis , ou d'ivop^ov; conservée parles modernes sous des noms divers.
— Physiologistes qui, la personnifiant, en font un être réel; tantôt lui assi-
gnant une nature matérielle ; tantôt en faisant un être immatériel ; doc-
trine des arohées de Van Helmont , de l'ame de Sthal, du principe vital
de Bardiez. • — Les physiologistes de nos jours la considèrent comme une
expression abstraite désignant le mode de motion propre à la matière or-
ganisée et vivante 5jj.i à 547
CHAPITRE III. Des propriétés vitales. De même qu'on admet plusieurs
forces physiques et chimiques, de même on a admis plusieurs forces
vitales ; selon que les phénomènes vitaux sont distincts , on les a rappor-
tés à autant de forces ou propriétés vitales particulières. — Les propriétés
vitales sont une création des modernes , par laquelle ceux-ci ont cherché
à remonter jusqu'aux phénomènes élémentaires de la vie. — Les premiers
documents s'en rapportent à Stahl; propriété de tonicité de ce médecin. — 1
Ensuite , doctrine de Hallersur la sensibilité et Y irritabilité: controverse
sur la question de savoir si l'irritabilité ne doit p**s être considérée
comme une dépendance de la sensibilité. — Généralisation plus com-
plète de ces deux propriétés par Chaussier. — Théorie de Bardiez qui
admet cinq propriétés vitales : sensibilité , force de contraction , force
d'expansion, force de situation fixe, et tonicité. — Théorie de Blumenbach ,
qui en admet cinq aussi, sensibilité, irritabilité, tontractilitè ou tonicité.
588 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
force de vie propre , etjbrce de formation. — Chaussier en admet trois,
sensibilité , mobilité et caloricité. — Dumas , quatre, sensibilité, mobilité^
force d'assimilation et force de résistance vitale. — Bichat, cinq, sensibi-
lité organique ; contractillté organique insensible ; contractilité organique
sensible , sensibilité animale , et contractillté animale. — Appréciation de
toutes ces théories. — La doctrine du vitalisme est la seule qui, dans
l'état actuel de la science, convienne à la physiologie 547^5^4
FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DU QUATRIEME ET DERNIER VOLUME,
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