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Full text of "Pièces diverses"

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PIECES 

DIVERSES. 



TOME QUATRIEME. 



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P î E C E s 

DIVERS ES 
D E 

J. J. ROUSSEAU. 



^T- 



TOME QUATRIEME. 




A LONDRES. 

M. DCC. LXXXII. 






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LETTRE 

A M. D'IVERNOIS. 

Motiers , le Z Avrîi 17^5. 

H z E N arrivé , mon cher Monfieur , mt 
joiecft grande, mais elle n*eft pascomp!ette« 
puirque vous n*avez pas pafl% par ici. Il eft 
vrai que vous y auries trouve une fernienu* 
don déiàgréable à votre aiuicié pour moi. VcC* 
père quand vous viendrez , que viws trouve- 
xez tout pacifié. La chance commence â cour- 
ser extrêmement. Le Roi s*e(l fi haucemenc 
déclaré , Mylord Maréchal a fi vivement 
•écrit , les gens en crédk ont pris mon parti 
ii chaudement , que le Confeil d'Etat s'eft 
unanimement déclaré pour moi , & m'a, 
par un arrêt, exempté de la |urirdiâion du 
Confiilotre, & afTuré la proteâion du Gou« 
Ternementi Les Miniflres font généralement 
hués} l'homme à qui vous avez écrit eil 
concerné & fiirieux ; il ne lut. rede plus d'au* 
tre rei&urce que d*ameuter la canaille , ce 
qu*il a fait jufqu'ici avec aiTez de fuccès. Uq 
des plus plaifans bruits qu'il fait courir , eft 
que j*ai dit dans mon dernier livre que Ut 
Tonu IV, A 



1 L B T T R I 

femmes n*avoient poiut d'amcj ce qui les 
méc dans une telle fureur par tout le VaUde* 
Travers que , pour être honoré du fort d'Or- 
phée , )e n*ai qu*4 fortir de chez moi. C'eft 
tout le contraire â Neufchâtel » où toutes 
les Dames font déclarées eu ma faveur. Le 
fexe dévot y traîne les Minilbes dans les 
boues. Une des plus aimables difoit il y a 
quelques jours , en pleiife aiTembtée « qu'il 
n'y avoit qu'une feule chofe qui la fcandali- 
fit dans tous mes écrits i c'étoit l'éloge de 
M. de Montmollin. Les fuites de cette affaire 
sn'occupent extrêmement. M. Andrié m*e(l 
arrivé de Berlin de la part de Mylord Maré« 
chal. Il me furvient de toutes parts des mul* 
titudes de vifites. Je fonge â déménager de 
cette maudite paroiflè , pour aller m'établir 
près de Neufchâtel , où tout le monde a U 
bonté de me defirer. Par-delfus tous ces tra- 
ças « mon trifle état ne me laifTe point de 
teliche y & voici le fcptieme mois que je ne 
fuis forti qu'une feule fois , dont je me fuis 
trouvé fort mal. Jugez d'après tout cela G je 
fuis en état de recevoir M. de Servant quel* 
^ue deiîr que j'en euffe. Dans tout le cours 
àc ma rie ^ il n'auroic pai pu choifîr pliu nat 



A M. d'I V E R N O I s. ' } 

Ton tems pour me veoir roir. DiiTuadez-ren » 
|e Yoiu fuppUe , ou qu*il ne s'en prenne pas 
â moi , s*il perd Tes pas. 

7e ne crois pas d'avoir écrit â perfonne 
<)ae peur-être je ferois dans le cas d'aller è 
Berlin. Il m'a tant pafR de chofes par la tête 
que celle-là pourroit y avot; pafli^ aufli , 
mais je fuis prefque afTuré de n'en avoir rien 
dit â qui que cefoit. La mémoire que je perds 
abfolument, m'empêche de rien af&rmer. 
Des motifs très«douz , trés-prefTans , três-ho- 
norables m'y actireroient fans doute. Mais le 
climat me fait peur. Que je cherche au moins 
la bénignité du foleil , puifque je n'en dois 
poini-accendredes hommes ! J*efpere que celle 
de l'amitié me fuiyra par-tout. Je connois la 
ydtre, & je m'en prévaudrois au befoin» 
mais ce n'cft pas l'argent qui me manque , & 
te fi j'en avois befoin , cinquante louis font 
â Neufchâtel à mes ordres , grâces à la pré* 
voyance de Milord MatéchaL 






LETTRE 

A MADEMOISELLE G. 

Moeurs, 9 ^vril 176%, 

Au moins, Mademoifctle , n'aller pat 
m'accufer auHI de croire que les femmes 
xi*onc point a*ame ; car , au contraire , je 
fuis très perfuadc que toutes celles qui vous 
reiTemblem , en ont au moins deux â Icuc 
difpoâtion. Quel dommage que la vôtre 
vous fufSfe I J*en connois une qui fc plai* 
loit fort à loger en même lieu. Mille ref- 
pe^ â la chère Maman & â toute la Famille. 
Je vous prie , Madcmoifelle , d'agréer lef 
miens. 



LETTRE 

A M. M EUR ON, 

Trocwrcwr - Général a Ktufchâi^U 
Moders ^ le ^ Avril lytff • 

MLi-KUiTT^t 9 Moniîeiir , qu*ay«nt votre 
dépare , |e vous Aipplte de jpiiube à tiukt dr 
foÎDs obligeant ppvr moi , celui de i^up 
agréer à Meflieun du Conièil d'£cat mon 
profond rcTpeâ k Bia Tive leconnoiflance. 
il m*e{l extrêmement confolanc de jouir , 
£aus l'afrément du Gourernement de ctt 
£cac » de la procedHon dont le Roi m'ho- 
nore , fc des bontés de Mylocd Marécb^ s 
de fi précieux a^s de bienveillance m*im* 
poCent de nouveaux dcvoin que mon ccEur 
remplira tou)oun avec zèle ^ non-feulemienc 
en iidele fujet de l'Etat y mais en homme 
particulièrement obligé â l'illuftre Corps qui 
ie gouverne. 7e me flatte qu'on a vu juCqu'ici 
dans ma conduite une implicite (incere , 8c 
auunc d'averfîon pour la diipute que d'a- 
mour pour la paix» J'ofe dire que jamaia 
^omme ne chercha moins à répandre Tes 
opinions ^ & ne fut moins auteur dani U 



6 ^ L E r T R ;b j &c# 

Tie privée & fociale ; û , dans la chaîne ie 
mes difgraces , les follicitaaons , le devoir ^ 
Thonneur même ra*onc forcé de prendre la 
plume pour ma défenfe éc^ pour celle xl'au- 
trui 'y je n*ai rempli qu*i i-egret un devoir (i 
trifle , & j*ai regardé cette cruelle néce(Gcé 
comme un nouveau malheur pour moi. 
Maintenant , Monfieur , que grâces ^u Ciel 
j'en fuis quitte , je mUmpofe la loi de me 
taire j & , pour mon repos & pour celui 
de l'Etat où )'ai le bonheur de vivre , |c 
m'engage hbremenc , tant que j*aurai le 
même avantage , à ne plus traiter aucune 
matière qui puifFe y déplaire 9 ni dans aucun 
des Etats voifins. Je ferai plus : je rentre avec 
plailîr dans Tobfcurité , où j'aurois dû tou« 
jours vivre 5 & j'efpere , fur aucun fujet , ne 
plus occuper le {>ublic de moi. Je voudrois 
de tout mon cceur ofiTrlr à ma nouvelle 
patrie un tribut plus digne d'elle > je lui facri- 
£e un bien très-peu regrettable , & je préfère 
infiniment au vain bruit du monde l'amitié 
de fes Membres & la faveur de fes Chefs. 

Recevez , Monfieur , je vous fupplie , mes 
(rcs-humbles falutations. 



LETTRE 

A M. D. 

MotierS'Travtrs f US ^oût 17^5. 

Pi ON , Monfîeur , jamais , quoi que l'on 
en dife , je ne me repentirai d.*avoir loué 
M. de MoncmoUin. J'ai loué de lui ce que 
}'en connoifTois , fa conduite vraiment paf- 
torale envers moi. Je o*ai point loué Ton 
caraâcre que je ne connoiiTois pas s je n*ai 
point loué fa véracité , fa droiture. J'avoue- 
rai même que Ton extérieur , qiy ne lui efl 
pas favorable , Ton ton , Ton aii^ , Ton re- 
gard (inidre me repoulToienc malgré moi : 
j'étois étonné de voir tant de douceur , 
d'humanité , de vertus fe cacher fous une 
auâî fombre phyfîonomie. Mais j'étouffois 
ce penchant injufle : falloit-il juger d'un 
homme fur des 'fignes trompeurs que fa 
conduite dcmentoit Ci bien ? Falloit-il épier 
malignement le principe fecret d'une tolé- 
rance peu attendue ? Je hais cet art cruel 
d'cmpoifonner les bonnes avions d'autruî , 
êc mon cœur ne fait point trouver de mau- 
vais motifs 4 ce qui eft bien. Plus Je fcntoii 



8 L 2 T T R E 

en moi d*éloignement pour M. de M. ptuc 
je cherchois à le combattte par la reconnoif- 
fance que je lui devoit. Suppofons derechef 
po(GbIe le mêmp cas , Se tout ce qu^ |*ai fait,. 
)e le rcferois encore. 

Aujourd'hui M. de K^. levé le marque 8c 
fe montre vrainjeAC tel qu'il eft. Sa conduite 
préfente explique U précédente. Il eft claie 
i]ue fa prétendue tolérance qui le quitte au 
moment qu'elle eut été le plus jufte , vient 
de la même fource que ce cruel zèle qui 
Ta pris fubitemenc. Quel étoit Ton objet ? 
quel ell-il ^i présent ? Je i*ignore : je fais 
feulement qu'il ne fauroit être bon. Non« 
feulement il m'admet avec empreffement ^ 
avec honneur à. la Communion , mais il me 
recherche , me prône, me fête, quand je pa- 
rois avoir attaqué de gaîté de ccsur le Chrif- 
tianifmej & quand je prouy^ qu'il eft faux que 
)e l'aie atuqué i qu'il eft faux du moins que 
l'aie eu ce deffein , le voiU lui - même 
attaquant brufquement oia sûreté , ma fol , 
ma perfonqe ; il veut m'excommunier , me 
profcrire i il ameute la patoifTe après moi » 
a mp FQUxfuic avec un acbarnemcnc qui 



A M. D. 5 

lient de la rage. Ces difparates font - eilet 
dans Ton devoir ? Non , la charité n*eiè 
point inconflante « la venu ne fe contredit 
point elle- même , 8c la confcience n*a pas 
deux voix. Après s*être mooiré G peu tolé- 
rant y il s'écoit avifé trop tard de Pêrre • 
cette affeâation ne lui altoii point 9 & , 
comme elle n^abufoit perfonne , il a bien 
fait de rentrer dans Ton état naturel. En 
détruifant Ton propre ouvrage , en me fai- 
(ànt plus de mal qu'il ne me faifoit de 
bien , il m'acquitte envers lui de toute re- 
connoillance » je ne lui dois plus que la vé- 
rité « je me la dois à moi-même } & , puif- 
«lu'il me force à la dire , je la dirai. 

Vous voulez favoir au vrai ce qui t'efi 
padé entre nourdans cette afiàire. M. de M. 
a fait au public fa telarion en homme d*£- 
glife , 6t , trempant fa plume dans ce miel 
empoifonné qui tue , il s'cft ménagé tous let 
avantages de fon état. Pour moi » Monfîcur , 
}e vous ferai la mienne du ton (impie donc 
les gens d*honneur fe parlent entr'eux. Je ne 
m*étendrai point en proteftations d*éire fin- 
ceie. Je laiîre â votre efprit fain , à vott« 



fo Lettre 

artir ami de la réricé , le foin de la démêler 
eocre lui & moi. 

7e ne fuis point , grâces au Ciel , de ces 
gens qu'on fôce & que l'on méprifc. J*ai 
l'honneur d'être de ceux que l'on eftime 6c 
qu'on chaflê. Quand je me réfugiai dans ce 
pays , fe n'y apportai de recommandations 
pour perfonne , pas même pour Mylord Ma« 
féchal. Je n'ai qu'une recommandation que 
je porte par-tout , 6c , près dé Mylord Ma- 
xéchal f il n'en faut point d'autre. Deux 
heures après mon arrivée , écrivant à S. £• 
pour l'en informer & me mettre fous fa 
proteâion , je vis entrer un homme inconnu 
qur» s*étant nommé le Pafteur du lieu , me 
fit des avances de toute efpece , & qui , 
voyant que j*écrivois à Mylord Maréchal ,' 
m'offrit d'ajouter de fa main quelques li« 
gnes pour me recommander. Je n'acceput 
point cette offre ; ma lettre partit , & j'eus 
l'accueil que peut efpérer l'innocence oppri- 
mée par- tout où régnera la vertu. 

Comme je ne m'attendois pas dans la cir« 
tonftance à trouver un Pafteur G. liant , |e 



A M. D. IX 

contai dès le même jour cette hUloIre à tout 
le monde , & entr'autres à M. le Colonel 
Koguin 4 qui , plein pour moi des boutés 
les plus tendres , avoit bien voulu m'ac- 
compagner jurqu'ici. 

Les erapreifemens de M. de M. continuè- 
rent. Je crus devoir en profiter , & , voyant 
approcher la Communion de Septembre , je 
pris le parti de lui écrire pour favoir fî 9 
malgré la rumeur publique , je pouvois m*y 
préfenter. Je préférai une lettre à une vifice , 
pour éviter les explications verbales qu*il 
auroit pu vouloir poulTer trop loin. C*eft 
même fur quoi je tâchai de le prévenir : 
car déclarer que je ne voulois ni défavouer 
ni défendre mon livre , c*étoit dire aflcz 
que je ne voulois entrer fur ce point dans 
aucune difcuflion. Et en effet , forcé de 
défendre mon honneur Se ma perfonne au 
fujet de ce livre , j*ai toujours paflc con- 
damnation fur les erreurs qui pouvoient y 
être , me bornant i montrer qu'elles ne 
prouvoient point que TAuteur voulût atu- 
quer le ChriiUanifme , 6c qu'on avoit tore 
de le poutAiivre ctimineilemeiit pour ceUit . 



11 Lettre 

M. de M. écrie que j*allai le lendemaiit 
ravoir fa rcponfe 5 fclï ce que j*aurois fait » 
s'il ne fût venu me rapporter : ma mémoire 
peut me tromper fur ces bagatelles j mais il 
me prévint , ce me femblc , & je me fou- 
viens au moins que par les démonftrations 
de la plus vive joie , il me marqua com- 
bien ma démarche lai faifoit de plaifir. Il 
me dit en propres termes que lui £c foQ 
troupeau s*en tenoient honorés , 8c -que cette 
démarche inefpérée alloit édifier tous les 
fidèles. Ce moment , je vous l'avoue , fut 
un des plus doux de ma vie. Il faut cou- 
noîtrfi tous mes malheurs i il faut avoir 
éprouvé les peines d'un coeur fenfible qui 
perd tout ce qui lui écoit cher , pour juger 
combien il m'étoit confblant de tenir à une 
Société de frères qui me dédommageroic des 
pertes que j'avois faites , & des amis que je 
fie pouvois plus cultiver. Il me fembloit , 
qu'uni de cceur avec ce petit troupeau dans 
un culte affeâueux & raifonnable , j'oublie* 
rois plus aifement tous mes ennemis. Dans 
les premiers tems y je m'attendrifTois au 
Temple jufqu'aux larmes. N'ajranc jamais 
Técu chez les Proteftans , je m'étois fut 

d'eux 



A M. D. ij. 

d'eux Bc dt leur Clergé des îmaget aogéU- 
ques. Ce culte û fîmple & û pur écoic préci- 
fSmenc ce qu'il falloic à mon cœur ; il me 
ierabloic fiiic exprès pour foucenir le courage 
& refpoir des malheureux : cous ceux qui le 
partageoienc me fembloienc autant de vrais 
Chrétiens , unis entr'eux par la plus tendre 
charité. Qu'ils m'ont bien guéri d'une erreur 
û douce ! Mais enfin j'y écois alors , & c'étoic 
d'après mes idées que je jugeois du prix d'être 
admis au milieu d'eux. 

Voyant que durant cette yiiîte M. de M. 
ne me difoit rien fur mes fentiment en ma- 
tière de foi y je crus qu'il réferroit cet entre- 
tien pour une autre tems ; & , fâchant com- 
bien ces Meilleurs font enclins à s'arroger le 
droit qu'ils n'ont pas de juger de la foi dts 
Chrétiens , je lui déclarai que je n'encendois 
me (bumettre à aucuns interrogation ni à 
aucun éclairciflêment quel qu'il pût être. Il 
me répondit qu'il n'en exigeroit jamais , & 
il m'a lâ-deilûs fî bien tenu parole , je l'ai 
trouré fi foigneux d'éviter toute difcuflion 
iur la doârine , que jufqu'à la dernière affaire 
il ne m'en a jamais dit un feul mot » quoi 
Tome IK B 



t4 L E T T H E 

qu*il rae (bit arrivé de lui en parler queU 
quefois moi-même. 

Les chofes fe paffereiit de cette forte tant 
avant qu'après la Communion i tou|ourt 
même cmprelTcment de la part de M. de M* 
& toujours même £leiice fur les matières 
cbéologiques. Il perçoit même û loin l'eTpric 
de tolérance & le utontroit û ouvertement 
dans Ces fermons , qu'il m*inquiécoit quel- 
quefois pour lui-même. Comme je lui érois 
fincéremenc attaché , je ne lui déguifois 
point mes alarmes , & je me fouviens qu'un 
jour qu'il prêchoit três-vivcmenr contre l'in- 
tolérance desProteftans , je fus très-etfirayé 
de lui entendre fou tenir avec chaleur que 
l'Eglife réformée avoit grand befoin d'une 
réformacion nouvelle > cant dans la doârine 
que dans les mœurs. Je n'imaginois gueres 
alors qu'il fourniroit dans peu lui-même une 
û grande preuve de ce befoin. 

Sa toléraiKe& l'honneur qu'elle lui faifofc 
dans .e monde excitèrent la jaloufîe de plu- 
fieurs de fes confrères , fur-couc à Genève. 
Ils ne ccfièrent de le harceler par des repro- 



A M. D. 15 

ches fëcéc lui cendre des pièges où II eA à 
la fin tombé. J*en fuis fâché , mais ce ii*c(^ 
alTucément pas ma faute. Si M. de M. eût 
voulu foutenir uoe conduice fi paflorale par 
des mo)rens qui en fuilènt dignes , s*il fe fût 
contenté pour fa défenfe d'employer arec 
courage , avec franchife les feules armes du 
Chriftianifme & de la vérité , quel exemple 
nedonnoic-il point âTEglife, i l'Europe 
entière , quel triomphe nes'afTuroit-il point ? 
Il a préféré les armes de fon métier , & Ut 
Tentant mollir contre la vérité pour fa dé- 
fenfe , il a voulu les rendre ofiTenfives en 
m*aitaquant. Il s*e(l trompé s ces vieilles 
armes , fortes contre qui les craint , fioiblci 
contre qui les brave fe font brifées. Il s*étoît 
mal adrcfle pour réuflîr. 

Quelques mois après mon admifllon , ]c 

TÎs entrer un foir M. de M. dans ma chambre. 

Il avoit. l'air cmbarraiTé. H s'affit & garda 

ionç-tems le fiience : il le rompit enfin par un 

de ces longs ezordes dont le fréquent befoin 

lui a fait un talent. Venant enfuiiE à fon 

fujet , il me dit que le pani qu'il avoit pris 

de m'admcttte à la Communion lui avott 

Bij 



i6 Lettre 

attiré bien ies chagrins & le blâme de fc» 
Confrères i qu'il écoic réduit à fe }ufti£ier là- 
defTus d'une manière qui pût leur fermer la 
bouche , & que û la bonne opinion qu'il 
avoit de mes fentimens lui avoit fait fup- 
primer les explications qu'à fa place un autrç 
auroit exigées , il ne pouvoir fans fe com- 
promettre laiiTer croire qu'il n'en aToit eu 
aucune. 

Là-de(rus y tirant doucement un papier de 
fa poche , il^e mit 'â lire dans un projet de 
lettre à un Miniftre de Genève des détails 
d'entretiens qui n'avoient jamais eziûé , 
mais où il plaçoit â la vérité fort heurdufe- 
ment quelques mots par-ci par-U , dits â la 
volée & fur un tout autre objet. Jugez , 
Moufîeur , de mon éconnement : il fut tel 
que j'eus befoin de toute la longueur de cette 
leâure pour me remettre en l'écoutant. 
Dans les endroits où la fiâion étoit la plus 
forte, il s'interrompoit en me difant: Fous 
fintei la néccffui .... ma fuuation .... 
ma place .... il faut bien un ptuft prêter • 
Cetcelettroy ai^ refte, étoit faite avec aiTez 
d*adre^e , de â peu de chofe ptâs il avoi^ 



A M. D; 17 

grand foin de ne my faire dire que ce que 
j'aurois pu dire en eff*ec. £n finiflaoc il me 
demanda fi j*appronvois cecce lettre , Se s*il 
pouvoit l'envoyer telle qa^elle étoit. 

Je répondis que je le plaignois d'être ré- 
duit à de pareilles refTources , que quant à 
moi )e ne pouvois rien dire de femblabte: 
mais que, puifque c'étoic lui qui fe chargeoft 
de le dire , c'éioit Ton affaire & non pas la 
mienne j que je n'y yoyois rien , non plus , 
que ie fuffe oblige de démentir. Comme 
tout ceci , reprit- i! , ne peut nuire à per- 
ibnne 8c peut vous être utile ain(î qu'i moi» 
)e paffe aifément fur un petit fcrupule qui ne 
feroit qu'empêcher lebien. Mais, dites- moi , 
au furplus , d vous êtes content de cette 
lettre, & fi vous n'y voyez rien à changer 
pour qu'elle foit mieux. Je lui dis que je ta 
trou vois bien pour la fin qu'il s'y propofoit. 
Il me prefla tant > que pour lui complaire , 
)e lui Indiquai quelques légères correâions 
qui ne fignifioient pas grand'chofe. Or il faut 
favoir que de la manière dont nous étions 
afils , l'écritoire étoit devant M. de M. ; 
mais durant tout ce petit colloque il la pouda 

Bit) 



iS Lettre 

comme par hafard devanc moi j & comm^ 
)C cenois alors fa lettre pour la relire , il me 
préfenta la plume pour faire les changemens 
indiqués j ce que je fis avec la (implicite que 
je mets à toute chofe. Cela fait , il mit foo 
papier dans fa poche , &i s*en alla. 

Pardonnez-moi ce long détail, il étolc 
nécefQûre. Je vous épargnerai celui de mon 
(dernier entretien avec M. de M. qu'il eft 
plus sâCé d'imaginer. Vous comprenez ce 
qu'on peut répondre à quelqu'un qui vient 
froidement vous dire : Monfieur » )'ai ordre 
de vous caifer la tête > mais û vous voulez 
bien vous caiTer la jambe » peut-être Ce 
contentera - 1 - on de cela. M. de M. doit 
avoir eu quelquefois à traiter de mauvaifes 
tâfaires. Cependant je ne vis de ma vie un 
homme aufli embarra^Té qu'il le fut vis-d- 
vis de moi dans celle-là. R,ien n'eft plus 
gênant en pareil cas que d'être aux prifes 
avec un homme ouvert & franc , qui fans 
combattre avec vous de Aibtilités & de 
fufes» vous rompt en vifîere à tout mo- 
ment. M. de M. aiTure que je lui dis en le 
jjuiccanc que s'il venoit avec de bonnes 



A M. O. 19 

nouvelles )ç l'eaibr^ifcrois ^ fixion que nom 
nous courneripos le dos. J*-ai pu dire des 
chofes équivalences, mais en termes plu« 
honnêtes j & quant à ces dernières expref- 
iîons je fuis bien sûr de P(e m'en être poiaf 
Ccrvi. M. de M» pepf reconnoître qu'il ne 
me fait pas it ^C^EOfim toi^ner le dos qu*il 
revoit ciu. 

Qu9^nt au dévQC Pathos > dont il ufe pour 
prouver ia néceffiié de (i^yi^ , on fent pour 
f}uelle foiue de ^ens il eft fait « fie ni vouf 
ni moi n'avons tien ^ leur^i^* LfûffyoM 
i part ce jargon d'inq^i^ur, je vais ex4- 
l&iner fps rjûrpns yis-^-yis de moi » Cuis 
entrer dans celles qu*il pouvoit avoir avec 
d'autres. 

Ennuyé du triile n^uer d'Auteur poiir 
lequel j'étois fi peu hit y j'avois depi^^ 
Jong-tems réfolu d*y renoncer} quand 
2'£mile parut , j'jivois déclaré 4 tou* oies 
jUQÎs 4 ^m%i i Gençve fie ailleurs « que 
c'étoit mon dern^ ouvrage, tf. qu'en 
l'achevant je pofois la pl^ime pour ne la 
plus tepr^drc. Beaucoup de lettres me 



lo Lettre 

reflenc où Ton cherchoic â me difTuader 
de ce delTein. En arrivant ici j^avpis dit la 
même chofe â tout le monde , â vous- 
même , ainfi <]u'â M. de M. Il cù le feul 
qui fe foit avifé de transformer ce propos en 
promedè , & de promettre que je m^étois 
engagé avec lui de ne plus écrire , parce 
que je lui en avois montré Tinteniion. Si 
}e lui difois aujourd'hui que je compte aller 
demain à Neufchâtel , prend roit'il aâe de 
cette parole , & fi j'y manquois, m'en feroit- 
II un procès ? C*e{l la même chofe abfo- 
lumeni , & je n'ai pas plus fungé â faire 
une promefîe â M. de M. qu'à vous d'une 
réfolution donc j'informois fitnplemcnt Tun 
& l'autre. 

M. de M. qferoît-il dire qu'il ait entendu 
la chofe autrement? Ofcroit-il affirmer, 
comme il Tofe faire entendre , que c*eft 
fur cet engagement prétendu qu'il m'admit 
à la Communion ? La preuve du contraire 
eft qu'à la publication de ma lettre â M. TAr- 
chevêque de Pans , M. de M. loin de m'ac- 
cufer de lui avoir manque de parole , fut 
uês-conceiu de cet ouvrage « & qu'il en fit 



A M, D. tt 

F^foge â moi-même & à tout le monde , 
fua-^irc alors un mot de cette fiibnleufc 
promet qu'il m'accufe au|ourd'hui de lui 
avoir faite auparavant. Rcmatiiuez pourunc 
que cet écrie cil bien plus fert fur les myC" 
teres & mime fur les miracles » que celui 
dont il fait maintcnam tant de bruit. Rcma^ 
quez encore que fy parle de mâme en mon 
nom , & non plus au nom du Vicaiie. Peut- 
on chercher des fujea d'ezcoramunicadon 
dans ce dernier , qui n*onc pas même été des 
ru)ecs de plainte dans l'autre i 

Quand |*anrois fait à M« de M. cette pro» 
WMiTe à laquelle je ne fongeai de ma vie ^ 
prétendroit-il qu'elle fût fi abfolue qu'elle ne 
fupponât pas la moindre exception , pas 
mime d'imprimer un mémoire pour ma 
défenfe loffque j'aurois un procès ? Et quelle 
exception ra'étoic mieux permife que celle 
&à me juftifiant je le )ufti£ois lui-même 9 
où je moncrois qu'il étoit faux qu'il câc 
admis dans Ton igliCe un aggreffeur de 
la Religion ? Quelle promeilè pouvoit 
m'acquitter de ce que je devoîs i d'autres 
& à moi • même ^ Gomment pouvois-t 



11 Lettre 

je Aipprîmer un écrit défenfif pour moa 
honneur , pour celui de mes anciens compa* 
triotes s un écrie que tant de grands motifs 
rendoienc néceiTaire , & où j'avois â remplir 
de G. faints devoirs ? A qui M. de M. fcra-t-U 
croire que je lui ai promis d'endurer Tigno^* 
minie en iîlence ? A préfenc même que j*ai 
pris avec un Corps refpeâable un engagement 
formel (i), qui efl-ce dans ce Corps qui 
m'accuferoit d'y manquer , fi , forcé par les 
outrages de M. de M. )e prenois le parti de 
les repoudèr aufli publiquement qu'il ofe 
les faire. Quelque promelfe que fade un 
honnête homme , on n^exigera jamais , on 
préfumera bien moins encore qu'elle aille 
jufqu'i fe laifTer déshonorer. 

En publiant les Lettres écrites de la Mon- 
tagne , je fis mon devoir • & je ne manquai 
point à M. de M. Il en jugea lui-même 
ainfi , puifqu'apiês la publication de i'ou* 
vrage , dont je lui avois envoyé un exem- 
plaire , il ne changea point avec moi de 

( I ) Voyez la lettre du 9 Avril pafTé , à M. Mei^r 
fon , Pcocuiçui-CtoéraU 



A M. D. ijr 

manière d*agir. Il le lut arec plai/îr , m'en 
parla avec éloge ; pas an moc qui fentic 
rob|eâion. Depuis lors il me vit long-tem' 
encore , toujours de la meilleure amitié j 
}ainais la moindre plainte fur mon livre. 
On parloit dans ce tems-Iâ d'une édition 
générale de mes écrits. Non-feulement il 
approuvoit cette entreprife , il defîroit même 
de s'y intérelTer : il me marqua ce defir que 
je n'encourageai pas , fâchant que la com- 
pagnie qui s'étoit formée , fe trouvoit déjà 
trop norabreufe y & ne vouloit plus d'autre 
alTocié. Sur mon peu d'empreilèmenc qu'il 
remarqua trop , il réfléchit quelque temt 
après que la bienCéance de fon état ne lui 
permetcoit pas d'entrer dans cette entreprife. 
C'eft alors que la ClafTe prit le parti de s'y 
oppofer^ & fit des repréfenutions à U 
Cour* 

Du refte , la bonne intelligence étoit S, 
parfaite encore entre nous , & mon dernier 
ouvrage y mettoit fî peu d'obflade, que 
long-temS après fa publication M. de M. 
caufant avec moi , me dit qu'il vouloir 
demander â la Cour une augmentation d« 



14 Lettre 

prébenck, & me projfoûide mcitie quelques 
lignes dans la lettre qu*il écriroic pour cet 
cfFec â Mylord Maréchal. Cette foriùe de 
recommandadon me paroiflant trop fami- 
lière , je lui demandai quinze )ours pour 
en écrire à, Mylord Maréchal auparavant. 
Il fc tut y & ne m'a plus parlé de cette affaire* 
Dès- lors il commença de voir d'un autre 
ail les Lettres de la Montagne , fans cepen- 
dant en improuver jamais un feul mot en 
ma préfence. Une fois feulement il me dit : 
Pottr mol je crois ûux Miracles, Taurois pu 
lui répondre : Py crois tout autant que vous, 

Tuirque fe fuis fur mes torts avec M. de 
M* je dois vous avouer , Monfieur, que 
je m'en reconnois d'autres encore. Pénétré 
pour lui de recennoilfance , j'ai cherché 
toutes les occadons de la lui marquer , tant 
en public qu'en particulier. Mais je n'ai 
^int fait d'uti febthnent fi noble un trafic 
d'intérêt j l'exemple ne m'a point gagné , je 
ne lui ai poifit fait de préfens, je ne fais 
pas acheter les chofes faintes. M. de M. vou- 
loit favoir touces mes affaires , connoître 
fous mes correfpondans > diriger , recevoir 

mon' 



A M. D. 1$ 

non teftamenc , gourerner mon petit mé- 
nage : voilà ce que je n*ai point foufferr. 
M. de M. aime à tenir table long-tems s pour 
mot c'eft un vrai fupplice. Rarement il a 
maagè chez moi « jamais je D*ai mangé 
chez lui. Enfin j*ai toujours repouifé avec 
cous les égards & tout le refpeâ poffible 
Tintimité qu*il vouloit établir entre aouf* 
Elle n'eft jamais un devoir dès qu'elle ne 
convient pas à tous deur« 

VoîU mes tons » je les confefTe fans pou- 
voir m'en repentir. Ils font grands , û Ton 
veut y mais ils font les feuls, & j'attcfle 
quiconque connok un peu ces contrées , (l 
je ne m'y fuis pas fouvent rendu défagréable 
aux honnêtes gens par mon zèle â louer 
dans XC de M. ce que j*y trouvois de loua- 
ble. Le r^e qu'il avoir joué précédemment 
le rendoit odieux , ^ l'on n*aimoit pas à 
me voir eSaccr par ma propre htftoire celle 
des maux dont H fut l'auteur. 

Cependant quelques mécontentemens fe- 
crées qu'il eût contre moi , jamais il n'eue pris 
pour les faire éclater, un moment fî mal cholC, 
Tomt IK C 






iS L I T T R E 

û. d'autres modfs ne Teu^t porté à reTailif 
Toccaiioii fugitive ^u*il avoit d'abord iaifH 
échaper. Il ?oyoit trop combien fa conduite 
alioic être choquante & contradiâoire. Que de 
combats n'a-^il pas dû fendr en lui-même , 
avant d'ofcr aâîcher une û claire prévad* 
cation ? Car palTons telle condamnation 
qu'on voudra fur les Lettres de la Montagne , 
en diront-elles enfin plus que l'Emile » après 
lequel j'ai été , non pas laidî y mais admis 
â la table facrée ? plus que la lettre à M. de 
Beaumont , fur laquelle on ne m'a pas dit 
un feul mot? Qu'elles ne foient, fi l'on 
veut , qu*un tiiTu d'erreurs , que s'enfuivrart* 
il } qu'elles ne m'ont point |uftifié , & que 
l'Auteur d'Emile demeure inexcufable s mais 
|amais que celui des Lettres écrites de la 
Montagne doive en particulier être con* 
damné. Après avoir Fait grâce â un homme 
du crime dont on l'accufc, le punit- on 
pour s'être mal défendu } Voilà pourtant ce 
que fait ici M. de M. ; de je le défie ^ lui 
& tous Tes confrères de citer dans ce dernier 
ouvrage aucun des fentimens qu'ils cenfu- 
rent » que je ne prouve être plus fortemenc 
établi dans les précédens* 



--«• • „- 



A M. D, 17 

Mais excité fous mains par d'autres gens p 
il faific le prétexte qu'on lui préfente 'y fur 
qu'en cnanc i tort & â travers â l'impie , 
on met toujours le peuple en fureur , il fonne 
9Cftcs coup le tocfîn de Motieis fur un pauvre 
homme , pour s'être o(é défendre chez les 
Genevois , & fentant bien que le fuccès feul 
potivolt le fauver du blâme » il n'épargne 
rien pour fe l'affurer. Je vis i Motiers , je 
ne yeux point parler de ce qui s'y pafTe ; 
vous le favez auflS bien que moi ; perfonne 
â Keufchâtel ne l'ignore -y les étrangers qui 
viennent le voient , géraiiTent , & moi je me 
tais. 

M. de M. s'excufe fur les ordres de \^ 
Claife. Mais fuppofons-les exécutés par des 
voies légitimes s ^ ces ordres étoient juftes ^ 
commenc avoit*il attendue tard â lefentir? 
comment ne les préveno!t-il point lui-même 
que cela regardoit fpécialement ? comment 
aprèi avoir lu & relu les Lettres de la Montai 
gne, n'yavoit-il jamais trouvé un mot â re- 
prendre y ou pourquoi ne m'en avoit-il rien 
dit » à moi fon paroi/fîen , dans plufieurs 
vifîtes qu'il m'avoit faites ? Qu'étoic dcvcniî 

Ci) 



i8 Lettre 

fon zele paftoral ? Voudroit-il qu'on fe prTb 
pour un imbécille j qui ne (ait voir dans un 
livre de Ton métier ce qui y eft que quand on 
le lui montre l Si ca ordres étoienc injuftes ^ 
pourquoi s*y foumettoit-il ? Uo Miniûre de 
TEvangile , un Fadeur doit- il perfécuter par 
obéilTance uu homme qu*il fait être inno- 
cent ? Ignoroit'it que paroîcre même en con- 
fiftoire eft une peine ignominieufe , un af- 
front cruel pour un homme de mon âge y fur* 
tout dans un village , où Ton ne connoît d'au- 
tres matières confiiloriales que des admoni- 
tions fur les moeurs f II y a dix ans que je 
fus difpenfé â Genève de paroître en Confif- 
toire dans une occafion beaucoup plus lé- 
gitime y de y ce que )e me reproche pref- 
«|ue , contre le texte formel de la loi. Mait 
il n*eil pas éronnant que l'on connoidè à 
Genève des bienCêances que l'en ignore à 
Mo:iers« 

7e ne fais pour qui M. de M. prend (es 
leâeurs quand il leur dit qu'il n'y avoit 
point d'inquifîtion dans cette affaire j c'cft 
comme s*il difoit qu*il n*y avoit point de 
Confidoiie^ car c'cft la même chofe ejà 



A M. D. 19 

cette occafîon. Il fait entendre , il alTure 
mtee qu'elle ne dévoie point avoir de fuite 
tenaporelle : le contraire eft connu de tous 
les gens au fait du projet , & qui ne (ait qu'en 
furprenant la Religion du Confdl d'Etat , on 
Favoit déjà engagé â faire des démarches qui 
tendoient i m'ôter la proteâion du Roi ? Le 
pas néceffaireponracheyerétoit l'excommu- 
nication. Après quoi de nouvelles remon* 
irances au Confeil d'Etat auroient £ut le 
refte ; on s'y étoit engagé , 5e voilà d'oà 
vient la douleur de n'avoir pu réuffir. Car , 
d'ailleurs » qu'importe à M. de M. ? Craint'^ 
il que je ne me préfente pour communier de 
fa main ? Qu'il fe ramure. Je ne fuis pas 
aguerri aux communions comme je vois tant 
de gens l'être» J'admire ces eftomacs dévots , 
toujoun û prêts à digérer le pain iàcré : lo 
mien n'eft pas û robufle. 

H dit qu*il n'avoit qu'une queftion três<- 
fîmple à me faire de la part de la ClaiTe. 
Pourquoi donc en me citant ne me fit-il pu 
iignifier cette queftion ? Quelle eft cette rufe 
d'ufêr de furprife , fie de forcer les gens de 
répondre â l'inAsac même fans leur donnex 

Ciij 



'jo Lettre 

un moment pour réfléchb ? C*«ft qu'avec 
cette queftion de la ClafTe donc M. de M. 
parle , il m'en rcfcrvoit de fon chef d'autres 
dont il ne parle point , & fut Icfqucllcs il ne 
vouloit pas que l'euiTc le teuis de me prépa- 
rer. On fait que Ton projet étoir abfolumenc 
de me prendre en faute , & de m'cmbarraffec 
par tant d'interrogations captieufes qu'il ea 
, vînt â bout. Il favoit combien j'étois lan- 
guiiTant Se foible. Je ne veux pas l'accufec 
d'avoit eu le deffein d'épuifer mes forces t 
mais quand je fus cité j'étois malade , hors 
d'état de fortir , & gardant la chambre depuis 
ûx mois. C'étoit l'hiver , il faifoit froid ,. & 
c'eft pour un infirme un étrange rpé<;ifique 
qu'une féance de plufieurs heures , debout » 
interrogé fans relâche fur des matières de 
Théologie , devant des Anciens dont les plus 
înAruits déclarent n'y rien entendre. N?im- 
porte , on ne s'informa pas même fî je pou- 
vois fortir de mon lit , fi j'avois la force 
4*aller , s'il faudroit me faire porter } on ne 
s'embarraifoit pas de cela. La charité pafio- 
raie , occupée des chofes de la foi , ne s'a- 
baifle pas aux terreilres foins de cette vie. 

- Vous favez y Monfieur , ce qui fe pailâ 



A D. M. ji 

3ans le ConiUloireen mon abfence, com- 
ment s'y fit la leâure de ma lettre , & les 
propos qu'on y tint pour en empêcher refifec. 
Vos mémoires li-deiTus vous viennent de la 
bODne four ce. Concevez- voui qu'après cela 
M. de M. change couc-â-coup d'état & de 
dcre , &lque s'étant fait ConimKTaire de la 
Claile pour folliciter TafFaire » il redevienne 
auflî-tôc Pailcur pour la >ugcr. Tagijfois^ 
dit- il y comme Pafteur , commtChefdu Con^ 
fijloire I 6* non comme repréfentant de la vé» 
nérable CUJle. C'étoit bien tard changer de 
rôle 9 après en avoir fait )ufqu*alors un 6. 
«iifiFérenc. Craignons , MoiiHcur , les gens 
qui font (i volontiers deux perfonnages dans 
la même affaire. Il eft rare que ces deuic en 
CaiTent un bon. 

Il appuie la nécefCté de févir fur le fcandalc 
cauCé par mon livre. VoiU des fcrupules couc 
nouveaux qu'il n'eut point du tems de TE* 
mile. Le fcandale fut couc auili grand pour 
le moins : les gens d'Eglife & les gazetiers ne 
firent, pas moins de bruic. On brûloir , on 
brayoic , on m'infultoit par touce l'Europe. 
M. de M. trouve aujourd'hui des raifoM do 



)1 L B T T R B 

m'excommunier dans celles qui ne Tempê^ 
cherenc pas alors de m'admecrre. Son zèle , 
fulvant le précepte , prend toutes les formes 
pour agir félon les tems|& les lieux. Mais qui 
efl-ce , je tous prie t qui excita dans fa pa^ 
roifTe le fcandale dont il fe plaint aufujet de 
mon dernier livre ? Qui eft-ce qui affeâoie 
d'en faire un bruit affreux , & par foi -même 
te par des gens apoftés ? Qui eft-ce , parmt 
tout ce peuple G. faintement forcené , qui au^ 
roit fu que )*ayois commis le crime énorme 
de prouver que le Confeil de Genève m'avoic 
condamné à tort » û l'on n'eût pris foin de 
le leur dire en leur peignant ce fingulier 
crime avec les couleurs que chacun fait ? Qui 
d'entr'eux efi même en état de lire mon livre 
èc d'entendre ce dont il s^agit ? Exceptons û 
l'on veut l'ardent fatellite de M. de M. • ce 
grand Maréchal qu'il cite ii fièrement , ce 
grand clerc le Boirude de fon Eglife , qui fe 
connoit fî bien en fers de chevaux & en li- 
vres de théologie. 7c veux le croire en état 
de lire â jeun & fans épeller une b'gne en* 
tiere , quel autre des ameutés en peut frire 
autant ? En entrevoyant fur mes pages les 
mots d^Evangih & de miracles , ils auioienc 



A M. D. 55 

«ni tire un livre de dévodon , Zc me fachaat 
Bon homme ils auroient dit t Que Ditu le 
Unijfe j il nous idifit* .Mais on leur a tant 
aiTuré que )'écois un homme abominable , 
on impie , qui difoit qu'il n'y avoic point de 
Dieu , & que les femmes n'avoient point 
d*amey que fans fonger au langage fi con- 
traire qu'on leur cenoit ci-devaiic , ils ont i 
leur tour répété : c^ftun impie » unfiéUrat , 
i^efl VAmecknft , il faut Vexcommunîtr , le 
brûler* On leur a charitablement répondu : 
fans doute i mais criei & laijfei-nous- faire i 
tout ira bien» 

La marche ordinaire de Meflieurs les gen» 
d'Eglife me paroSt admirable pour aller à leur 
but. Après avoir établi en principe leur corn* 
pétence fur tout fcandale, ils excitent le 
Icandale fur tel objet qu*il leur plaît , ic 
puis , en vertu de ce fcandale qui eft leur 
ouvrage , ils s'emparent de TalFaire pour la 
|ûger. Voili de quoi fe rendre maîtres de 
tous les peuples , de toutes les loix , de tous 
les Kois , & de toute la terre , fans qu'on aie 
le moindre mot â leur dire. Vous rappeliez- 
f Ottt le conte de ce Chirurgien dont la boutt; 



34 Lettre 

que doimoic fur deux rues , & qui » Tenant 
par une porte » eftropioic les pafTans , puis 
lentroic fubcilemeHC » & t pour les panfer , 
reflbrtoic par l'autre ? Voilà Tbiftoire de tous 
les Clergés du monde » excepté que le Chirur- 
gien guériCoit au moins Tes bleifét , & que ces 
Meilleurs , en traitant les leurs , les achèvent* 

N'entrons point , Monsieur , dans les in- 
trigues fecreces qu'il ne faut pas mettre axt 
grand jour. Mais fi M. de M. n'eût voulit 
qu'exécuter Tordre de la ClaiTe , ou faire 
l'acquit de fa confcience , pourquoi l'achar» 
nement qu'il a mis à cette a£Faire ? pourquoi 
ce tumulte excité dans le pafs ? pourquoi 
ces prédications violentes ? pourquoi cet 
conciliabules ? pourquoi tant de fots bruits 
répandus pour tâcher de m'efFrayer par 
les cris de la populace ? Tout cela n'eft« 
îl pas notoire au public ? M. de M. le 
nie } & pourquoi non , puifqu'il a bien nié 
d'avoir prétendu deux voix dans le Confif-* 
toire. Moi , j'en vois trois , (i je ne me 
uorape. D'abord celle de fon Diacre , qui 
n'étoir U que comme Ton repréfentanc s la 
fienne enfuite qui formoit l'égalité ; 6c cella 



A M. D. 3^5 

Infin qu'il rouloit avoir pour départager 
Jes fuffrages. Trois Toix i lui feul , c'eâc 
été beaucoup » même pour abfoudre ; il let 
Touloic pour condamner , .& ne put les ob- 
tenir , où écoit le mal ? M. de M. étoit trop 
bcmeuz que Ton Confiftoire plus fage que 
lai Teûc^iré d'aflfaire avec la ClaHe» avec 
fes confrères , avec fes correfpondans , avec 
lui-même. J*ai ùât mon devoir , auroit-il 
dit i j'ai vivement poorfuivi la cboTe : mon 
Confilloire n*a pat jugé comme moi s il t 
abfous Rousseau centre mon avis. Ce n'efl 
pas ma fuites je me retire s (^ n'en puis faire 
davantage fans blelTec les loix , fans dêfobéir 
an Prince , fans troubler le repos public : 
}« ûûi trop bon chrétien , trop bon citoyen , 
trop bon paileur pour tien tenter de fem* 
biable. Après avoir échoué , il pouvoit en« 
core , avec on peu d'adredè « conferver fa 
dignité , 6c recouvrer fa réputation. Mais 
l'amour-propre irrité n'éft pas fi fage. On 
pardonne encore moins aux antres le mal 
qu'on leur a voulu faire que ceid qn'on leur 
a fait en efièt. Furieux de voir manquer i' 
la face de l'Europe ce grand crédit dont il 
«ne à Ce ranteTy il ne peut quitter la partie. 



L- 



^r^ 



L E T T IL E 



il die en Claffe qu'il n'ed pas fans efpoir de 
la renouer y il le tente dans un autre Con- 
iîftoire : mais , pour fe montrer moins à 
découvert , il ne la propofe pas lui - même » 
il la fait propofer par Ton Maréchal , par 
cet inAniment de fes menées , qu'il appelé 
à témoin qu'il n'en a pas fait. Cela n*ét6îc« 
il pas Hnement trouvé l Ce n'efl pas que 
M« de M. ne foie fin i mais un homme que 
la colère aveugle ne fait plus que des roco(efl 
quand il fe livre à fa paâion. 

Cette relTource Uii manque encore. Veut 
croiriez qu'aumoins alors Cfis efforts s'arrê* 
tenc U. Point du tout. Dans .ralTerablée 
fui vante de la ClaiTe , il propofe un autre 
expédient y fondé fur rimpollibilité d'éluder 
l'adivité de l'Officier du Prince dans £a Pa* 
roilTe. C'efl d'attendre que j'aie pafTé dans 
une autre , & U de recommencer les pour- 
fuites ûxr nouveaux frais. £n conii^quence de 
ce bel expédient , les Sermons emportés re- 
commencent i on met derechef le peuple en 
rumeur , comptant , â force de défagrément , 
meJorcer enfin de quitter la paroîdc. £a 
ToiU uop> CA vérité , pour. un homme aulfi 

loléranc 



A M. D. î7 

tolérant que M. de M. prétend l'être , & qui 
ti*agic que par Tordre de Ton Corps. 

* 

Ma lettre s'allonge beaucoup , Monfîeur , 

-mais il le faut ; & pourquoi la couperois-je ? 

Seroic-ce l'abréger que d'en multiplier les 

formules ? LaifTons à. M, de M. le plaiGr de 

-dire cilx fois de fuite : Dina-^arde mafeeur « 

7e n'ai point entamé la queftion de droit ; 
}e me fuis interdit cette matière. Je me fuis 
borné dans la féconde partie de cette lettre â 
vous prouver que M. de M. » malgré le ton 
béat qu'il affe&c , n'a point été conduit dans 
cettfc a^Faire par le zèle de la foi , ni par foa 
deroir , mais qu'il a , félon l'ufage » fait 
fervir Dieu d'inftrument à fes pafltons. Oi 
|ugsz fi, pour de telles fins» on emploie 
. des moyens qui foient honnêtes , &c difpen- 
fez-moi d'entrer dans des détails qui feroienc 
gémir la venu» 

Dans la première partie de ma lettre , je 
rapporte des faits oppofés à ceux qu'avance 
14. de M* Il avoit eu l'art de fe ménager dec 
Tome ir. D 



3« 



Lettre 



indices auxquels je n*ai pu répondre qa# 
par le récit fidèle de ce qui s*e(l pade. D« 
ces alTercions contraires de fa part & de la 
mienne , vous conclurez que Tun des deux 
cil un menteur , & favoue que cette con* 
dufion me paroît jufte. 

En voulant finir ma lettre 8c pofer fa bro« 
chure , je la feuilleté encore. Les obfervar 
tions Te préfentent fans nombre, & il ne 
faut pas toujours recommencer. Cependant 
comment paflèr ce que j*ai dans cet inftant 
fous les yeux ? Que feront noi Miniftres , fe 
difoit - on publiquement ? Défendront - ih 
t Evangile attaqué fi ouvertement par fes en^ 
nemts ? C*eft donc moi qui fuis l'ennemi de 
TEvangile , parce que je m'indigne qu'on le 
défigure & qu*on TaviliiTe. £h I que Tes pré- 
tendus défenfeurs n*imitent-ils Tufage que 
j'en voudrois faire ! Que n'en preanent-ils 
ce qui les rendroit bous & juAes ! Que 
n'en laifTent ? ils ce qui ne fert de rien à 
perfonne , & qu'ils n'entendent pas plus 
que moi ! 

t 

Si un Citoyen de ce pays avoii ofi dire ou 



A M. D. )9 

Crr£r« quelque chofi d'approchant à ce fu* avance 
M, R, ne fiviroît - on pas contre lui ? Non 
AflurémcAf , j'ofe le croire pour l'honneuf 
de cet Etat. Peuple de Neufchâcel , quelles 
feroienc donc vos franchifes , G. , pour quel- 
que point qui fourniroit madère de chicane 
aux Miniftres , ils pouvoiom pourfuivre au 
milieu de vous l'Auteur d'un faâum impri- 
mé à l'autre bout de l'Europe , pour fa dé- 
fènfe en pays étranger ? M. de M. m'a choifi 
pour vous impofer en moi ce nouveau |oug \ 
mais ferois-je digue d'avoir été reçu ^armi 
Vous j (i )'/ lai^ois par mon exemple une rec- 
titude que je n'y ai point trouvée ï 

M. Rouffeau , nouveau Citoyen y a^t'il 
donc plus de privilèges que tous les anciens 
Citoyens ? Je ne réclame pas même ici leg 
Hun i je ne réclame que ceux que j'avoit 
étant liomme t & comme (impie étranger* 
Le correfpondant que M. de M. Sait parler ^ 
ce merveilleux correfpondaoc qu'il ne nomme 
point » & qui lui domie tant de louanges , 
eft un {iogulier raifonneut , ce me femble. 
Je veux avoir , félon lui , plus de privilèges 
^«e tous les Citoyens , parce que je léiiiib 



40 Lettre 

â des vexations qae n'endura jamais aucuft 
Citoyen. Pour m*ôter le droic de défendre 
ma hourfe contre un voleur qui voudroic 
me la prendre , il n*auroit donc qu*à me 
dire : Vous êtes pUifant de ne vouloir pas 
que je vous vole ! Je volerois bien un homm^ 
du pays s'il paffbit au Ueu de vous. 

Remarquez qu'ici M. le Profefiêur de 
Moncmollin ed le feul Souverain , le Def- 
pote qui me condamDe , & que la loi , le 
ConHQoire , le Magifbac, le Gouvernement , 
le Gouverneur , le Roi même qui me protè- 
gent font Autant de rebelles â l'autorité fii- 
prême de M. le Profeffcur de Montmollin. 

L'Anonyme demande fi je ne mû fuis pop 
fournis 3 comme Citoyen » aux loix. de VEtat 
& aux ufages ; & dç Taffirmative qu'aiTuré- 
menc on ne lui contcftera pas , il conclut qu« 
je me fuis fournis à une loi qui n'exifte point 
& i un ufage qui n'eut jamais lieu. 

. M. de M. dit à cela que cette loi exifte à 
Genève , & que fe nie fuis plaint moi-même 
(qu*on l'a violée à nion' préjudice. Aiaii dcNif 



A M. D. 41 

ÎSL toi tjat exifte à Geneye & qui n'eii/le pas 
à, Motiert , on la viole â Genève pour me 
décréter , & on la fuit i Motiers pour m'ex« 
communier. Convenez que me voilà dans 
une agréable poficfon l C'étoit fans doute 
dans un de Ces momens de gaîcé que M. de M» 
fie ce raifonnement - Id. . 

Il plaiHinte à peu près fur fe m^me ton 
dans une note fin- Toffre (i) que je voulut 
Bien faire â la Claffe , à condition qu'on 
me laifsât en repos (2). Il dit que c'eft fè 
Haoqner, & qu'on ne fait pasâhifi la loi À fef 
Supérieurs. -^ 

Premièrement, il fe moque lui-même^ 
quand il prétend qu'ofFrir une fatisfaâion 
irès-ob(équieufe èc trêsràifonnable à gens 

(1) Offre dont te fecret fut iî bien gardé que 
perfonnc n'en fut rien que quand je le publiai * 
8c qui fut fî malhonnêtement reçu qu'on ne 
daigna pas y faire la itioindre réponfe. Il fallat 
tnÀne que je fiffe redeftiandet à M. de M. ma 
ttéclaiation qu'il s'était doucement appropriée. 

{x) Voyez la lettre du 10 Mars précédent à 
M. de MontmoUin, 

Du) 



41 L H T T R « 

qui Ce plaîgncat , quoiqu'à tort , c'cû Icui* 
ùâtc la loi» 

Mais la pUifanterie eft d'avoir appelle 
Me/fîears de la Claife mes fupérieurs , 
comme û j'étois homme d'Eglifc. Car qu^ 
ne fait que la ClafTe ayant jurifdiâiou fur le 
Clergé feulement , & n'ayant au furplus rien 
â commander â qui que ce foit. Tes membres 
ne font , comme tels , les fupérieurs de pen^ 
ibnne ( i)? Or, de metraiter en homme d!E- 
glife eft une plaifanterie fort déplacée! inoiL 
avis. M. de M. fait très-bien que je ne fuis 
point homme d'Eglifc , & que j'ai même y. 
grâces au Ciel , très-peu de vocation pour le 
devenir. 

Encore quelques mots fur la lettre que j dé- 
crivis au CondAoire , 6c j'ai fini. M. de M. 
promet peu de commentaires fur cetce lettre» 

'. ( I ) Il faudroit aoire que la tête tourne à M. de 
M. fi l'on lui fuppofoit afiez d'arrogance pour 
vouloir féiieufement donner à Medîeurs de la 
Clafie quelque fupériorité fur les autres fujets du 
Roi. Il n'y a pas cent ans qoc ces fupérieurs 
prétendus ne fignoient qu'aptes' tous les autre» 
Corpi. 



A M. D. 4} 

Je croîs qu'il fait très-bien , & qu'il eue mieux 
fait encore de n'en point donner du tout. 
Permettez que je pa/Te en revue ceux qui me 
regardent 5 Tezamen ne fera pas long. 

Comment répondre , dit- il , â des queflîons 
qu^on ignore l Comme j'ai fait , en prouvant 
d'arançe qu'on n'a point le droit de qucf- 
âenner. 

Une foi dont on ne doit compte qu^à Dieu 
ne fe publie pas dans toute V Europe* 

ir pourquoi une foi dont on ne doit compte 
qu'à Dieu ne fe publicroit-clle pas dans toute 
l'Europe? 

Remarquez l'étrange prétention d'empê- 
cher un homme de dire fon fcntiment quand 
on lui en prête d'autres , de lui fermer la bou- 
che & de le faire parler. 

Celui qui erre en Chrétien redrejfe volontiers 
fes erreurs, Plaifant fophifme .' 

Celui qui erre en Chrétien ne fait pas 
^tfil erre. S'il redre{roic fes erreurs fans les 
conaoître , il n'erreroit pas moins , & de 



44 Lettre 

plus il mentiroit. Ce ne feroic plus errer clé 
Chrétien. 

£ft'Ce tUppuyer fur l'aotoritédetEvan* 
glu que de rendre douteux letrmracles ? Oui p 
quand c*eft par l'autorité même de TEvangile 
qu'on rend douteux les miracles. 

Et d'y jetter da, ridicule. Pourquoi non j^ 
quand s'appuyant iur l'Evangile on prouve 
que ce ridicule n'eft que dans les tnurpréta^ 
dons des Théologiens ? 

. Je fuis sûr que M. de M. fe félicitoit ici 
beaucoup de Ton laconifme. Il efl toujours 
ai(e de répondre à de bons raifonnemeus pat 
des fentences ineptes. 

Quata à la note de Théodore de Bh^e , // 
n*a pas voulu dire autre chofefinon que la foi 
du Chrétien n^ejlpas appuyée uniquement fat 

les miracles. 

« 

Prenez garde , Monsieur le Profei!eur ; ou 
TOUS n'entendez pas le latin ^ ou vous êtes m» 
homme de mauvaife foi. 

Ce pafTage non fatU tnta fides êorrnn foi 
miracuUs aituntar , ne (igoifie point du coiic f 



A M. D. 45 

eomme tous le ^t^ttnàcz , que la foi du 
Chrétien tCefl pas appuyée uniquement fur U$ 
mirojcles. 

Au contraire , il fîgnifie très - exaâemenc 
que la foi de quiconque s'appuie fur les mira- 
€let eji peu folide. Ce fcns fe rapporte fort 
bien au palfage de faim Jean qu*U commente, 
8c qui dit de Jéfus que pluiîeurs crureut en 
lai , voyant Tes miracles , mais qu'il ne leur 
conçoit point pour cela fa perfonne , parcû 
qu*il les eonnoijfoit bien, Penfez-vous qu'il 
auroit aujourd'hui plus de confiance en 
ceux qui font tant do bniit de la même 
foi? 

Ne croîroît-on pas entendre M, Rouffeau, 
dire dans fa lettre à V Archevêque de Paris y 
qiCon devrait lui drejfer des ftatuespoitr (on 
Emile ? Notez que cela fe dit au moment 
où. , prede par la comparaifon d^Emilc Se des 
Lettres de la Montagne , M. de M. ne fait 
comment s'^chapcr. Il ïc tire d'affaire par 
use gambade. 

S'il fiilloit fuîvre pied â pied Ces écarts , s'il 
£âlIoit examiner le poids de (^ affirmations , 
$c analyfer les iinguliers raifoonemens dont 



46 Lettre, &c. 

il nous paie , on ne finirait pas « & il fane 
finir. Au bouc de tout cela f fier de s'être 
nommé il s*en vante. Je ne vois pas trop 14 
de quoi fe vanter* Quand une fois on a pris 
Ton parti fur certaines chofes , on a peu de 
mérite à fe nommer. 

Pour vous , Monfieur , qui gardiez par 
ménagement pour lui l'anonyme qu'il vous 
feproche , nommer-vons puifqu'il le veut» 
Acceptez des honnêtes gens l'éloge qui vous 
eft dû : montrez-leur le digne Avocat de hà 
caufe julle , Thillorien de la vérité , l'apolo* 
gifte des droits de l'opprimé , de ceux da 
Prince , de l'Etat & des peuples » tous ac« 
qués par lui dans ma perfonne : mes défen- 
feurs, mes proteâeurs font connus : qu'il 
montre â Ton tour fon anonyme & Tes 
partifans *dans cette affaire : il en a déjà 
nommé deux , qu'il achevé. Il m'a fait bien 
du mal , il vouloit m'en faire bien davan- 
tage i que tout le monde connoiffe Tes 
amis & les miens. Je oe veux point d'autrç 
Tengeance. 

Recevez , Monfieur , mei tendres falii* 
tacions* 



LETTRE 

A M. D. 

Jdf njlt de St, Pierre , « 17 0^. 17^ Ji 

On me chalTc d*ici ( i ), mon cher 
Hôce 'y le climat de Berlin cft trop tude pour 
moi. Je me détermine à pafTer en. Angle« 
terre , où i*auroii dâ d'abord aller. J'aurois 
grand beloin de tenir coiifeil avec vous , 
mais je ne puis aller â NeuFchâtel ; voyez û 
vous pourriez par charité vous dérober i vos 
affaires pour faire un cour jufqu'ici. Je vous 
embrade. 

(i) l'Ifle de St. Pierre, au milieu du lac de 
Kenne , oà M. Roufleau s'étoi réfugia après la 
lapidation de Métiers. On peu voit la defcrip- 
tion de cette Ifle dans les J(évprtes dn Promtutwr 
Solitaire , cinquième Promenade. 



LETTRE 

A MONSIEUR 

DE GRAFFENRIED, 
BAILLIF A NIDAU. 

ji l'IJle de St. Pierre , U 17 05. 17^5* 
Mo NS I E UR, 

J 'obéirai â Tordre de LL. EE. avec le re- 
grec de fonir de votre Gouvernement & de 
votre voifinâge, mais avec la confolation 
d*emporter votre eftime & celle des honnêtes 
gens. Nous entrons dans une faifon dure , 
fur- tout pour un pauvre inHrme ; je ne fuis 
point préparé pour un long voyage , & met 
afifaires demanderoient quelques préparations j 
j*aurois fouhaité , Moudeur , qu*il vous eue 
plu de me marquer û Ton m'ordonnoit de 
partir fur-le-champ , ou (I l'on vouloir bien 
m*accorder quelques femaines pour prendre 
les arrangemens néceffaires i ma fituation. 
En attendant qu*il vous plaife de lueprefcrire 
uu terme , que je m*e£forcerai même d'a- 
bréger 



L B T T R E , &C. 49 

W%cr , je fupporerai qu*il m'eft permis de 
fSjourner ici {ufqu'à ce que j'aie mis l'ordre 
le plus preffanc à mes affaires i ce qui me 
rend ce retard prefque in^tirpenfable , eil que 
fur des indices que je croyois (urs , je me 
fuis arrangé pour padêr ici le refte de ma 
Tie, avec l'agrément ucite du Souverain. 
Je voudrois être Sur que ma viiîte ne vous 
déplairoit pas } quelque précieux que me 
foient les momens en cette occafîon ;- j'en 
déroberai de bien agréables pour aller vous 
renouveller , Monûeur, les aifurances de 
jaoo refpeâ. 



Tome /r. 



î. E T T R E 

A U M Ê M E. 

A Vljlc de St. Pierre , le lo 03. i?^^^ 

Monsieur , 

L«£ crifte état où je me trouve , & la Con-'' 
fiance que |'ai dans vos bontés , me dé- 
terminent à vous fupplier de vouloir bien faire 
agréer à Leurs Excellences une propoficion 
^ui tend à me délivrer une fois pour toutes , 
des tourmens d*une vie orageufe , & qui va 
mieux , ce me femble , au bue de ceux qui me 
pourfuivent , que ne fera mon éloignement. 
J'ai confulté ma Hcuation , mon âge , moxi 
humeur , mes forces : rien de tout cela ne 
Bie permet d'entreprendre en ce moment , 
& fans préparation , de longs & pénibles 
voyages y d'aller errant dans des pays froids 
& de me fatiguer à chercher au loin un 
afyle , dans une faifon où mes infirmités ne 
me permettent pas même de fortir de la 
chambre. Après ce qui s'efl paiTé je ne puis 
me réfoudre à rentrer dans le territoire de 
Ncufcbâccl p où la proteâioa du Piince 



L B T T R E. &C. \t 

)k du Gouvernenienc ne fauroic me ga- 
rantir des fureurs d'une populace excitée 
qui ne connoît aucun frein i & vous com- 
prenez , Monfieur ^ qu'aucun des EtatI 
voifîns ne voudra , ou n'ofera donner re« 
traite à un maliieureux fi durement chafl'é 
de celui-ci. 

Dans cette extrémité je ne vols pour moi 
qu'une feule relTources & quelque effrayante 
-qu'elle paroifle , je la prendrai non-feulemenc 
Tans répugnance , mais avec empre/Temenc , 
û Leurs Excellences veulent bien y confentif : 
c*efl qu'il leur plaife que je pafTe en prifoQ 
le reftc de mes jours , dans quelqu'un de 
leurs châteaux, ou tel autre lieu de leurs 
£uts qu'il leur femblera bon de clioifîr. J'y 
vivrai i mes dépens , & je donnerai sûrccé 
de n'être jamais â leur charge j je me fou- 
jnett à n'avoir ni papier , ni plume , ni au- 
cune communication an-dehors, fî ce n'eft 
pour rabfolue néceûîté , & par le canal de 
ceux qui feront charges de moi i feulement 
qu'on me laide avec l'ufage de quelques 
livres , la liberté de me promener quelque- 
fois dans un jardin > & je fuis content* 

E ij 



"Jl L I T T R E 

Ne croyez point , Monfieur , qu'un êxp€« 
éîem û violent en apparence, foit le fraie 
du dérefpoir j |*ai refprit très-calme en ce 
moment \ |e me fuis donné le tems d*y 
bien penfer, 6c c*eft d'aprèi la profonde 
confidération de mon état que fe m*/ déter- 
mine. Coafîdérez , je vous fupplie , que G, 
ce parti eft extraordinaire , ma (ituation 
l'eft encore plus ; mes malheurs font fans 
exemple ; la vie orageufe que je mené fans 
Telâche , depuis plufieurs années , feroit terri- 
ble pour un homme en fanté; jugez ce 
qu'elle doit être pour un pauvre infirme , 
épuifé de maux & d'ennuis , & qui n'afpire 
qu'à mourir en paix. Toutes les paffions 
font éteintes dans mon cceur j il n'y refte 
que l'ardent defir du repos & de la retraite s 
)c les trouverois dans l'habitation que je 
-demande. Délivré des importuns , â couvert 
de nouvelles cataftrophe$ , j'aitendrois tran- 
quillement la dernière , & n'étant plus inf« 
truit de ce qui fe pailè dans le monde , je 
ne ferois plus attrifté de rien. Taime la 
liberté (ans doute , mats la mienne n'eft 
'point au pouvoir des hommes, 6c ce ne 
Icront ni des mua ni des cleft qui mo 



A M. DE GraffeUried. 5) 

T'oteront. Cette captivité » Monfîeur , me 
- paroîc fi peu terrible » je feus fi bien qi|e 
je iouirois de tout le bonheur que |e puis 
encore efpérer dans cette vie , que c'cft par 
: li même que, quoiqu'elle doive délivrer 
nés ennemis de toute inquiétude à mon 
^ard y je n'ofe efpérer de l'obtenir i mais 
je ne veux rien avoir i me reprocher vis- 
i-vis de moi , non plus que vis-à-vis d'au- 
trui. Je veux pouvoir me rendre le témoi« 
gnage que j'ai tenté tous les moyens pra- 
ticables & honnêtes qui pouvoient m'afTurer 
je repos , & prévenir les nouveaux oragei 
qu'on me force d'aller chercher* 

Te connois » Moniteur , les fentiment 
d'humanité dont votre ame généreufe efl 
remplies je fens tout ce qu'une grâce de 
cette] efpece peut vous coûter à demander } 
msûs quand vous aurez compris que , vu 
ma fituation , cette grâce en feroit en effet 
une tr^-grande pour moi , ces mêmes feu* 
timens qui font votre répugnance , me fonc 
^rans que vous faurez la furmonter. J'at- 
tends pour prendre définitivement mou parti^ 

«« * * • 

Etii 



54 Lbttrh, &c. 

^*il VOUS plaife de m^bonoier de quélc^iie 
téponfe. , 

Daignez y M onfîeur , }e toos fupplie ^ 
•gréei mes excuTes & iqda rerpeâ* 



LETTRE 

' AU MÊME. 

tz OBobre 176^* 

Je puis I Moniieur , quitter famedi prcv 
Tchain Tlflc de St. Pierre , 6c )e me confor- 
merai eo cela â Tordre de LL. ££. s mais 
•wn réceodue de leurs Etats & ma trifte fitua- 
.tion » il m'eft abfolument impoifîble de 
fortir le même jour de Teoceinte de leur 
territoire, ^obéirai en tout ce qui me fera 
poiCble ; G. LL. ££. me veulent punir de 
ne l'avoir pas fait , Elles peuvent difpofer 
à leur gré de ma perfonne & de > ma vie ^ 
j'ai appris à m'atiendre â tout de .la part 
des hommes s ils ne prendront pas moA 
ame au dépourvu. 

Recevez , homme jufte Ôc généreux , Ie$ 
a^urances de ma refpeâueufe reconnoifTance , 
Se d'uB fouvenir qui ne fortira jamais de 
mon cGCur. 



LETTRE 

AU M $ M E. 

Bîennc yU i$ OSohrg ly^y* 

J £ reçois , Mon/leur , avec reconnoiffance 
les nouvelles marques de vos ittencions de 
de vos bontés pour moi > iiàais )e n'en pro* 
tirerai pas pour le préfent : le^ prévenancst 
& follicitanons de Meffieurs deBienneme 
<iécerminent i pailèr cjaelque tems avec eux , 
6c ce qui me flaue , à. votre voifinage; 
Agréez , Monsieur , je vous fupplie , mes 
remerciemens > mas faluacioiis & mon reO 
pca. 



LETTRE 

A M. D. 

Bkmu ^ £e 17 OSoire 17^; • 

J *As cidé , mon cher Hôce , aux carcfTes , 
& aux foIUcitacioDs i |e refie à Sienne , 
féfolu d'f paflcr l'hiver s & j'ai Ueu de 
croire que je l'y paflêraî tranqaiilement. Cela 
fera quelque changement dans nos arrange- 
ment , & mes effets pouvant me venir join- 
dre avec Mlle, le Valeur , je pourrai pen* 
dant l'hiver faire moi-même le catalogue 
de mes livres. Ce qui me flatte dans tout 
ceci y eft que je refle votre voifin , avec 
refpoir de vous voir quelquefois dans vos 
momens de loifîr. l>onnez»moi de vos non- 
relies & de celles de nos amis. Je vous 
cmbraiTe de tout mon caur* 



LETTRE 

AU MÊME. 

BUnne » lundi ii OHobre 176^ m 

v>N m'a trompé , mon cher Hôte. Je pars 
demain matin avant qu'on me chade. Don- 
nez-moi de vos nouvelles à Bade. Je vous 
recommande ma pauvre gouvernante. Je ne 
puis écrire à perfonne , quelque defir quer 
j'en aie. Je n'ai pas même le tems de rerpi<* 
ter , ni U force. Je vous embralTc* 



LETTRE 



' A M. D. L. C. 

S.L faut , Monfieur » que vous ayez une 
grande opinion de votre éloquence , & une 
bien petite du difcernement de l'homme 
donc vous vous dites emhoufiafle , pour 
croire rinrérefTer en votre faveur, par le 
petit Roman fcandaleux qui remplit la moitié 
de la lettre que vous m*avez écrite , & par 
rbiftoriette qui le fuit. Ce que )*âpprends 
de plus sûr dans cette lettre , c*cA que vous 
êtes bien jeune » & que vous me croyez 
bien jeune aufli. 

• 

Vous voilà , Monfîeur , avec vcJtre Zélîe 
comme ces Saints de votre f glife , qui , 
diC'On , couchoient dévotement avec des 
filles , Se atcifoienc tous les feux des ten- 
tations y pour fe mortifier , en combattant 
le defir de les éteindre. J'ignore ce que vous 
prétendez par les deuils indécens que vous 
m'ofez faire i mais il eA difficile de les lire , 
fans vous croire un menuuryOu un impui^Tan^ 



€0 L 'K T T R B 



L'amour peut épurer les fens , }e le fais ; 
il efl cent fois plus facile â un véritable 
amant d'être &ge , qu'à un autre homme s 
Tamour qui refpeÛe Ton objet , en chérit la 
pureté i c'eA une pctfcâion de plus qu*il j 
trouve , Se qu*il craint de luiôcer. L'amour* 
propre dédommage un amant des privations 
qu^il s'impofe , en lui montrant Tobjet qu'il 
convoite , plus digne des feiitimens qu'il a 
pour lui. Mais û U maîtrede, une fbit 
livrée â fes carefTes , a déjà perdu toute 
modeftie; û Ton corps eft en proie à fes 
attouchemens lafcifs ; û fon cœur brûle de 
tous les feux qu'ils y portent } fi fa volonté 
même déjà corrompue la livre â fa difcré- 
tion, j;; voudrois bien favoir ce qui lui 
rcfle à refpeâer en elle» 

Suppofons qu'après avoir ainfi fouillé Ift 
perfonne de votre maîtrefle , vous ayez ob- 
tenu fur vous-même l'étrange viâoire donc 
vous vous vantez , & que vous en ayez le 
mérite , l'avez -vous obtenue fur elle , fur 
fes dcÉÎrs , fur fes fens même ? Vous vous 
Tantez de l'avoir fait pâmer entre vos bran 
Vous vous êtes donc ménagé le fot plaifir de 

la 



A M. D. L. C. 6i 

lii voir pâmer feule. £c c*écoic-tâ l'épargner 
iblon vous ? Don , c'étoic Tavilir. Elle efl 
plus méprifable que û vous en eufliez joui. 
Voudriez-vous d'une femme qui feroic/orcie 
ainfî (les mains d'un autre ? Vous appelez 
pourtant tout cela des facrifices i la vertu. 
Il faut que vous ayez d'étranges idées de 
«îette vertu dont vous me parlez , & qui ne 
TOUS laifTe pas même le moindre fcrupule 
d'avoir deshonoré la fille d'un homme donc 
vous mangiez le pain. Vous n'adoptez pat 
les maximes de l'Héloife : vous vous piquez 
de les braver. Il eft faux , félon vous , qu'on 
ne doit rien accorder aux fens j quand on 
veut leur refufer quelque chofe. En accor- 
dant aux vôtres tout ce qui peut vous rendre 
coupable , vous ne leur refufîez que ce qui 
^ouvoit vous excufer. Votre exemple , fup- 
po(e vrai , ne fait point contre la maxime % 
il la confirme. 

Ce joli conte efl fuivi d'un autre plus vrai- 
fcmblable , mais que le premier me rend 
bien fufpcd. Vous voulez , avec l'art de 
votre âge , émouvoir mon amour-propre , 
Zc me forcer , au moins par bienG!ancc , à 
Tome ir. « 



Ct Lettre 

m^intéreiTer pour vouf. Voilà , Monficiir y 
de cous les pièges qu'on peut me cendre , 
celui dans lequel on me prend le moins ^ 
fur-touc quand on le tend au(Tî peu fine- 
mène. Il y auroic de l'humeur â vous blâmer 
de la manière donc vous dites avoir foutenu 
ma caufe , & même une forte d'ingratitude 
à ne vous en pas favoir gré. Cependant, 
Monsieur, mon livre ayant été condamné 
par votre Parlement , vous ne pouviez met- 
tre trop de modeftie & de 'îircoufpeâion â 
le défendre , & vous ne devez pas me faire 
une obligation perfonnelle envers vous ^ 
d'une juftice que vous avez dû rendre à U 
vérité , ou â ce qui vous a paru l'être. Si 
l'érois sûr que les chofcs fe fuiTent padeet 
comme vous me le marquez , je croirots 
devoir vous dédommager , fi je pouvois , 
d'un préjudice dont je ferois en quelque 
manière la caufe. Mais cela ne m'engage- 
roit pas â vous recommander fans vous con- 
noître , préférablement i beaucoup de gens 
de mérite que je connois , fans pouvoir 
les fervir j & je me garderois de vous pro« 
curer des Elevés , fur-tout s'ils avoient de» 
fceurs , fans autre garant de leur bonne édu- 






A M. D. L. C. Cj 

cation 9 que ce que vous m'avez apprit de 
vous , & la pièce de vers que vous m*avez 
envoyée. Le libraire â qui vous Tavez prc- 
fentée a su tort de vous répondre au(fi bru« 
talemeoc qu'il Ta fait j & l'ouvrage , du 
côcé de la compoficion , n'eft pas aufli mau- 
Tais qu'il l'a paru croire. Les vers font 
faits avec beaucoup de facilité ; il y en a 
de très-bons parmi d'autres foibles fie peu 
correâs. Du refle il y règne plutôt un ton 
de déclamation , qu'une certaine cJialeur 
d'ame. Zamon fe tue en aâeur de tragédie : 
cette mort ne perfuade ni ne touche s tout 
les fentimens font tirés de la nouvelle Hé« 
loiTe > on en trouve à peine un qui vous 
appartienne » ce qui n'eft pas un grand (tgne 
de la chaleur de votre ctrur , ni de la 
vérité de l'hiftoire. D'ailleurs fî le libraire 
dtvoit tort dans un Cens , il avoir bien ral« 
Ibn dans un autre , auquel vraifemblable- 
snenr il ne Tongeoit pas. Comment un 
homme qui fe pique de vertu peut - il 
vouloir publier une pièce d'où réfulte la 
plus pernicieufe morale, une pièce pleine 
d'images licencieufes que rien n'épure , una 
pièce qui tend à perfuader que les ptivau*. 



^4 L H T T R Ê , &C. 

tés des amans font fans conré(|uencc , $t 
qu'on peut toujours s'arrêter od Ton veut | 
maxime aufli faufTe que dangereufe , Se 
propre â détruire toute pudeur , toute hon* 
nêteté , toute retenue entre les deux fexes. 
Monfieur , û vous n'êtes pas un homme fane 
'mœurs » fans principes , vous ne ferez ja- 
mais imprimer vos vers , quoique palTables^ 
fans un corrcélif fuffifant pour en cmpê-! 
cher le mauvais efifet. 

Vous avez des talens « fans doute , maïs 
vous n'en faites pas un u(age qui i porte à 
les encourager. Puifliez - vous , Monfieur » 
en faire un meilleur dans la fuite , & q<ii 
ne vous attire ni regrets â vous-même , ni 
le blâme des honnêtes gens. Je vous falu» 
àc tout mon cceur. 

P. S» Si vous aviez un befoin preftanc des 
deux louis que vous demandiez au Libraire , 
je pourrois en difpofer fans m'incommoder 
beaucoup. Parlez-moi naturellement i ce no 
feroit pas vous en faire un don , ce feroi( 
feulement payer vos vers au prix que vout 
^ aviez mis vous-mêmeA 



LETTRE 

A M.D. 

Strasbourg 9 U $ Nciftmbrt lytff* 

Je fuis arrivé , mon cher Hâte , i Stra^ 
bourg Tamedi » tout - à • fait hors (l*éut de 
continuer ma route , unt par Teffet de mon 
mal & de la fatigue , que par la fièvre & une 
chaleur dVntrailles qui s'y font jointes. Il 
m*eil aufli impo(Cbl< d'aller maintenant â 
Potzdam qu'à la Chine , & je ne fais plut 
trop ce que je vais devenir \ car probable- 
ment on ne me laifTcra pas loog-tcros ici. 
Quand on eft une fois au point où je fuis , 
on n'a plus de projets â faire s il ne refle qu'à 
fe réfoudre â toutes chofes , & i plier la tête 
fous le joug de la néceffité. 

T'ai écrit à Mylord Maréchal \ je voudrott 
attendre ici fa réponfe. SI l'on me chafle^ 
l'irai chercher de l'autre côté du Rhin quel- 
que humanité, quelque hofpitaiité : fi je n'en 
trouve plus nulle part » il faudra bien cher- 
cher quelque moyen de s'en paUêr. Bonjour « 

Tiij 



^é Lettre, &c. 

son plus mon hôte , ma» toujours mott 
•mi. George Keich & vous , m*accachex 
encore à la yie. De tels liens ne fc rompcnc 
pas ^Cèmaxu Je vous cmbraiZc» 



LETTRE 

AU MÊME. 

Strasbourg y^ le lo Novembre i7^f • 

R ils suiLEz; -vous , mon cher Hôte, 8c 
raiTucez nos amis fur les dangers auxquels 
vous nie croyiez expofê. Je ne reçois ici 
que des marques de -bienveillance , & tout 
ce qui commande dans la ville Ôc dans la 
province , paroîc s^accorder â me favorifer» 
Sur ce que m'a die M. le Marécliai , que |^ 
vis hier , je dois me regarder comme auiG 
en sûreté â Strasbourg qu*â Berlin. M. FiiC* 
cher m*a fcrvi avec toute la chaleur & tout 
le zèle d'un ami, & il a eu le plaifir de 
trouver tout le monde auflî bien difpofé 
qu'il pouvoir le defîrer. On me fait apperce- 
Yoir bien agréablement que |e ne fuis plu» 
en SuifTe. 

Je n'ai que Te tems de vous marquer ce 
jnot pouf vous rr%Turer fur mon compte. 

Je TOUS embraCe de toix mon coeur «^ 



n 



LETTRE 

A MONSIEUR 

DAVID HUME. 

Strasbourg^ le 4 Décembre 176%. 

Y o s bontés , Mon/ieur , me pénètrent 
autant qu'elles m*honorent. La plus digne 
réponfe que je puifTe faire â vos offres , efl 
de les accepter , & je les accepte. Je partirai 
dans cinq ou fix jours pour aller me jetter 
entre vos bras. Ceft le confeil de Mylord 
Maréchal , mon proteâeur , mon ami , mon 
père 5 c*eft celui de Madame de *** , dont 
la bienveillance éclairée me guide autant 
qu'elle me confole s enfin , j'ofe dire que 
c*eft celui de mon csur qui fe plaît à de- 
Toir beaucoup au pliis illuftre de mes cou-* 
temporains , dont la bonté furpallè la gloire. 
Je foupire après une retraite folitaire te libre 
où je putfTe finir mes jours en paix. Si vos 
foins bienfaifans me la procurent , je jouirai 
tout enfemble , & du feul bien que mon 
caur dcfire , & du plaifir de le tenir de 
vous. Je vous falue^ Monfieur^ de couc moa 
cœur. 



LETTRE 

A M. D' I V E R N O I S. 

Paris, le iS Décembre ly^y. 

Avant hier foir , Monteur, j'arrivai ici 
très - fatigaé , très - malade , ayant le plus 
grand befoin de repos. Je n*y fuis point 
incognito , 8c je n'ai pas befoin d*y être. 
7e ne me fuis jamais caché , fie je ne veux 
pas commencer. Comme j^ai pris mon parti 
fur les injudices des hommes , je la mets 
«u pis fur toutes chofès , & je m'attends à 
tout de leur parc , même quelquefois à ce 
qui efl bien. J'ai écrit en effet la lettre à 
M. le Baillif de Nidau ; mais la copie que 
vous m'avez envoyée , eft pfeine de contrs- 
fens ridicules & de fautes épouvantables. On 
voit de quelle boutique elle vient. Ce .n*eft 
pas la première fabrication de cette efpece , 
& vous pouvez croire que des gens G. fiers 
de leurs iniquités , ne font gueres honteux 
de leurs fal/iHcacions. Il court ici des copies 
plus fidelles de cette lettre , qui viennent de 
Bîrne , & qui font affez d*cfFet. M. le Dau- 
phin lui- même , à qui on l'a lue dans foa 



fo Lettre, Sec. 

lit de mort, en a paru touché, 2e dit 11- 
de/Tus des chofes qui feroient bien rougîr 
mes perfécuceurs s*ils les favoient , 8c qu'ils 
fuilèut gens i rougir de quelque choie. 

Vous pouvei m'écrîre ouvertement chez 
Xfad. Duchefne où je fuis toujours. Cepen- 
dant j*appren({s à l'inftant que M. le Prince 
êe Conci a eu la bonté de me faire préparer 
un logement au Temple , & qu*il defire que 
)e Paille occuper. Je ne pourrai gueres me 
difpenfer d'accepter cet honneur i mais mal- 
gré mon délogement, vos lettres fous U 
nêmeadieiTe me parviendront également^ 



LETTRE 

AU MÊME. 

Paris ^ /e 30 Décembre lytff. 

Je reçois, mon bon ami, votre lettre du ij» 
Je fuis très-fâché que tous n'ayez pas été voie 
M. de Voltaire. Avez-vous ^u penfer quo 
cette démarche me feroit de la peine \ Que 
vous connoiflez mal mon cceuri Eh , plût â 
Dieu qu'une heureufe réconciliation cntro 
TOUS , opérée par les foins de cet homme iU 
luilre , me faifaiit oublier tous fes torts , 
me livrât fans mélangea mon admiration 
pour lui ! Dans les tems où il m'a le plus 
cruellement traité , j'ai toujours eu beaucoup 
moins d'averHon pour lui que d'amour pouc 
mon pays. Quel que foit l'homme qui vous 
rendra la paix & la liberté , il me fera tou- 
jours chçr 8c refpeâabte. Si c'eft Voltaire p 
il pourra du relie me faire tout le mal qu'il 
voudra 'i mes voeux conftans jufqu'â mon 
dernier foupir , feront pour fon bonheur dç 
pour fa gloire. 

Laitfez' menacer les J . . . ; re/ ficrt api ne 
tue pas* Votre fort eft prefque entre les 



72 Lettre, &c. 

mains de M. de Voltaire *, s*il eft pour vous» 
les J . . . • vous feront fort peu de mal. Je 
TOUS confeille & vous exhorte , après que vous 
l'aurez fufïîfamment fondé, de lui donner 
votre confiance. Il n*eft pas croyable que » 
pouvant être Tatlmiration de TUnivers, il 
veuille en devenir l'horreur. Il fent trop 
bien l'avantage de fa pofition pour ne pas 
la mettre à profit fur fa gloire. Je ne puis 
penfer qu'il veuille , en vous trahidant , fe 
couvrir d'infamie. £n un mot , il efl votre 
unique refTource j ne vous Tôtez pas. S'il 
TOUS trahit , vous êtes perdus , je l'avoue ^ 
mais vous l'êtes également s'il ne fe mêle pas 
de vous. Livrez- vous donc i lui rondemenc 
& franchement , gagnez fon caur par cette 
confiance. Prêtez- vous â tout accommode* 
ment raifonnable. Aflurez les loix & la Ii« 
berté j mais facrifiez l'amour>propre â la paix. 
Sur-tout aucune mention de moi , pour ne 
|>as aigrir ceux qui me haïfTcnt j & fi M. de 
Voltaire vous fert comme il le doit , s'il ea« 
tend fa gloire , comblez le ^'honneurs , 8c 
confierez â Apollon pacificateur » Phœbo 
facdtori , U médaille que vous m'aviez deC 
tinéc. 

LETTRB 



J 



LETTRE 

AU MÊME. 

Chiswick ,Ui9 Janvier iy6€, \ 

J £ fais arrivé heureuremenc dans ce pays i 
}'y ai été accueilli , & fen fuis très- content: 
mais ma fanté , mon humeur , mon état de-* 
mandent 4ue je m'éloigne de Londres \ &- 
pour ne plus entendre parler , s'il efl poflible , 
de mes malheurs « )e vais dans peu me coa« 
finer dans le pays de Galles. Puiflài - je y 
mourir en paix i c'cfl le feul vœu qui me 
te&e i faire. Je vous embradê cendremenu 



Tomêiy^ 



LETTRE 

A M. HUME. 

Wootton I /< 11 Mars 176 (T. 

o u s voyez déjà , mon cher Fatron , 
par U date de ma lettre , que je fuis arrive 
•u lieu de ma deftination. Mais vous ne pou« 
vçz voir cous les charmes que \*y trouve s il 
faudroit connoître le lieu & lire dans mon 
caur. Vous y devez lire au moins les fenci- 
mens qui vous regardent £c que vous avez 6 
bien mérités. Si je sit dans cet agréable afyle 
auflî heureux que je Tefpere , une àt% doi(- 
ceurs de ma vie fera de penfer que je vous 
les ^U* Faire un homme heureux c'eft mé- 
riter de récre. PuiHiez-vous trouver en vous- 
même le prix de tout ce que vous avez fait 
pour moi! Seul, j*aurois pu trouver de Thof- 
pitalité , peut-être \ mais je ne Taurois jamais 
auflî bien goûtée qu*eu la tenant de votre 
amitié* Confervez-la moi toujours , mon 
cher Patron, aimez< moi pour moi qui vous 
dois tant ; pour vous-même } aimez-moi 
pour le bien que vous m'avez fait. Je feos 
coût le prix de votre iinccre amitié , je la 



^ ^ Lî T T R E j^ &C. 7 5 

defire ardemment , j*y tcux répondre par 
toute la mienne , & je fens dans mon coeur 
de quoi vous convancre uu jour qu'elle n'efl 
pas non plus fans quelque prix. Comme , 
pour des raifons dont nous avons parlé y je 
ne veux rien recevoir par la pode , je vous 
prie , lorfque vous ferez U bonne ceuvre de 
m'écrire , de remettre votre lettre à M. Da* 
Tenport. L'affaire de ma voiture n*eA pas ar*" 
rangée , parce que je fais qu'on m'en a im- 
posé : c'eft une petite faute qui peut n'écre 
^ue l'ouvrage d'une vanité obligeante , quand 
elle ne revient pas deux fois. Si vous y avez 
trempé , je vous confeille de quitter une 
fois pour toutes ces petites rufes qui ne peu- 
rent avoir un bon principe quand elles fe 
tournent en pièges contre la (implicite. Je 
vous embrafTe , mon cher Patron , avec le 
même cœur que f efpere & defire trouver eu 
vous. 



«Si 



LETTRE 

AU MÊME. 



JTêOttoH, le 2^ Mars 176^. 

o u s arez vu , mon cher Patron , par 
la lettre que M. Davenport a dû vous remet- 
tre , combien |e me trouve id placé feloa 
mon guûu J'y ferois peut • ètte plus â mon 
aife (î l'on y avoit pour moi moins d'atten- 
tions } mais les foins d*un fi galant homme 
font trop obligeans pour s'en fâcher } êc ^ 
comme tout e(l mêlé d'inconvéniens dans U 
vie , celui d'être trop bien efl un de ceux qui 
fe tolèrent le plus aifèmenc. J'en trouve un 
plus grand â ne pouvoir me faire bien cnten* 
<lre dci domefliques , ni fur tout entendre un 
mot de ce qu'ils me difent. Hcureufement 
Mademoifelle le VaiTeur me fert d'interprète^ 
& fes doigts parlent mieux que ma langue. 
Je trouve même i mon ignorance un avan- 
tage qui pourra faire compenfation , c'eft 
d'écarter les oififs en les ennuyant. J'ai eu 
hier la viiitede M. leMhiiftre qui 9 voyant 
que je ne lui parlois que français ^ n'a pa« 



Lettre, &c." 77 

toulu me parler angl ois, de forte que Ten- 
trcvuc s'cft ptffée à-peu-près fans mot dire. 
rai pris goût à rexpédient 5 je m*en fcrvirai 
avec tous mes voifins , û j*en ai , & daff^jc 
apprendre Tangtois , )e be leur parlerai que 
François , fur- tout fî j*ai le bonHeur qu*i!3 
n*en fâchent pas un mot. C*efl à- peu-près la 
Tufe des fînges qui , difcnt les Nègres , ne 
veulent pas parler quoiqu'ils le puilTent , de 
peur qu'on ne les fafle travailler. 

H n'cft point vrai du tout que je fois con- 
renu avec M. GofTet dé recevoir im modetc 
enpréfcnr. Au contraire, Je lui en deman- 
dai le prix , qu'il me dit être d'une guinée 
& demie , ajoutant qu'il m'en vouloit faire 
la galanterie , ce que Je n'ai point accepté. 
le vous prie donc de vouloir bien lui payer 
le modèle en queftiou , dont M. Davenport 
aura la bonté de vous rembourfer. S'il n'y 
confent pas , il faut le lui rendre & le faire 
acheter par une autre main. Il eft *deftiné 
pour M. du Peyrou , qui depuis long- tems 
deHre aroir mon portrait , & en a fait faire 
un en miniature qui n'eft point du tout ref- 
femblant. Vous êtes pourvu mieux que lui , 

G U) 



7$ Lettri, &c* 

xnais je fuis fâché que vous m'ayez oti par 
une diligence aufli flatteufe le plaifir de rem- 
plir le même devoir envers vous. Ayez la 
Jioncé , mon cher Patron , de faire remettre 
ce modèle à MM. Guinand & Hankey , 
iûtde-Su HeUen*s Bîshopfgate-Street , pour 
l'envoyer à M. du Peyrou par la première 
occafion fure. Il gelé ici depuis que 'fy fuis : 
il a neigé tous les jours : le vent coupe le 
rifage ; malgré cela , j'aimerols mieux ha- 
biter le trou d'un des lapins de cette garenne 
que le plus bel appartement de Londres» 
Bonjour , mon cher Patron , je vous eoi<* 
braife de tout mon coeur. 



LETTRE 

A MYLORD ♦**. 

7 Avril 1766. 

Oe n'eft plus démon chîen qu*il s'agit , 
Mylord , c*c(l de moi-même. Vous verrez 
par la lettre ci-jointe pourquoi je fouhaite 
qu'elle paroifTe dans les papiers publics » fur- 
tout dans le St. James Chronicle , s*il eft 
poffible. Cela ne fera pas aifé , félon mon 
opinion , ceux qui m'entourent de leurs em-* 
bûches ayant oté â mes vrais amis & â moi- 
même tout moyen de faire entendre la voix 
de la vérité. Cependant y il convient que le 
public apprenne qu'il y a des traîtres fecrets 
qui y fous le mafque d'une amitié perfide , 
travaillent fans relâche à me déshonorer. 
Une fois averti , fi le public veut encore étie 
trompé y qu'il le foit. Je n'aurai plus rien à 
lui dire. J'ai cru » Mylord y qu'il ne feroic 
pas au-deilbus de vous de m'accorder votre 
aflîflance en cette occafion. A notre pre- 
Biiere eacreyue » vous jugerez fi je la mérite , 



8o Lettre, &c. 

& fi j*en ai befoin. En attendant , ne dé- 
daignez pas ma confiance , on ne m*a pas 
appris à la prodiguer ', les trahifons que j'é- 
prouve doivent lui donner quelque prix. 



LETTRE 

A L'AUTEUR 

VV SAINT-JAMES CHRONICLE. 

JTootton^ U y Avril 1744. 

Vous avez manqué » Monfîeur , au ref- 
peâ que tout particulier doic aux Têtes cou- 
ronnées f en attribuant publiquement au Koi 
de PruiTe une lettre pleine d'extravagance & 
de méchanceté , dont par cela feul vous de- 
viez favoir qu'il ne pouvoir être l*auteur. 
Vous avez même ofe tranfcrire fa fîgnature , 
comme û vous t'aviez vue écrite de fa main. 
Je vous apprends « Monfîeur , que cette let- 
tre a été fabriquée à. Paris , & ce qui navri 
& déchire mon cœur y que l*impofteur a dei 
complices en Angleterre. 

, Vous devez au Roi de Prttfl*e , i ta vérité , 
|L moi y d'imprimer la lettre que)e vous écris 
Se que |e iigne , en réparation d'une faute 
^ue vous vous reprocheriez fans doute ^ Ci 
TOUS faviez de quelles noirceurs vous vous 
yendçz rinftniment. Je vous fais, Monfîeuc» 
^et fînccrst falut«ûont« 



L E T T RE ' 

A LOR D ***. 

Wootton^ le 19 Avril iy66» 

Je ne faurois, Mylord y attendre votre re- 
tour à Londres , pour vous faire les renier^' 
ciemens que je vous dois. Vos bontés m*ont, 
convaincu que j'avois eu raifon décompter' 
fur votre générofité. Pour excufer l'indifcré-^ 
rion qui m* Y a fait recourir , il fuffit de jetter 
un coup -d'ail fur ma fituation. Trompa 
par des traîtres qui , ne pouvant me désho* 
noter dans les lieux où javois vécu y m'ont 
entraîné dans un pays où je Aiis inconnii p 
& dont j'ignore la langue , afin d'y exécuter 
plus aifément leur abominable projet y )e ine 
trouve jette dans cette ifle après des ffialheur| 
fans exemple. Seul , fans appui » fans amis , 
fans défenfe , abandonné à la témérhé des 
}ugemens publics « & aux effets qui en font 
la fuite ordinaire , fur-tout chez nn peuple 
qui naturellement n'aime pas les étrangers , 
l'avois le plus grand befoin d'un proteâeat 
^jui ne dédaignât pas ma confiance , & oè 
pouvois-je mieux le •chercher que parmi cettte 



LETTRE, Sec. 8 j 

itluflre noblefTe i laquelle je me plaiTois à 
rendre honneur , avant de ponfer qu*un jour 
faurois befoin d'elle pour m*aider à défendre 
kmien ? 

« 

Vout me ditet , Mj^lord , qu'aprds s*étre 
an peu amufé , votre public rend ordinaire- 
ment juftice ; mais c*efl un amufement bien 
cruel , ce me fcmble, que celui qu*on preud 
aux dépens des infortunés , 6c ce n'eft pas 
adèz de finir par rendre- juftice » quand on 
commence par en manquer. J'apportois au 
lêin de votre nation deux grands droits , 
qu'elle eût dû refpeâer davantage ; le droit 
£icré de rhorpitalité , & celui des égards que 
Fon doit aux malheureux j fy apportois 
l'eilime univerfelle & le refpeâ même de 
mes ennemis. Pourquoi m'a-t-on dépouilla 
chez vous de tout cela ? Qu*ai- je fait pour 
mériter un traitement fi cruel } En quoi me 
fuis-je mal conduit à Londres , où Ton me 
traitoit fi favorablement avant que |*y fufie 
arrivé? Quoi, Mylordi des diffamations 
fecrctes , qui ne devroieot produire qu*UAe 
juile horreur pour les fourbes qui les répan- 
dent , fuifiioient pour déuuire l'effet de çis« 



Î4 L 1 T T R I 

qaante ans d'honneur & de mœurs honnê^ 
res ! Non , les pays où je fuis connu ne tue 
jugeront point d'après votre public mal inf- 
cruit ; l'Europe entière continuera de me ren- 
dre la juAice qu'on me refufe en Angleterre , 
6c réclatahi accueil que , malgré le décret , 
je viens de recevoir à Paris à mon paflage t 
prouve que par*tout où ma conduite eft con- 
nue 9 elle m'attire l'iionneur qui ra'eft dû. 
Cependant û le public François eût été au(& 
prompt à mal juger que le vôtre , il en eût 
eu le même fujet. L'année deraiereon fit cou- 
rir à Genève un libelle ( i } affreux fur ma 
conduite à Paris. Pour toute réponfe , je fis 
imprimer ce libelle à Paris même* Il y fut 
reçu comme il méritoit de l'être , & il fem- 
ble que tout ce que les deux fexes ont d'illut^ 
tre & de vertueux dans cette capitale, aie 
voulu me venger par les plus grandes marques 
d'eftime ^ des outrages de mes vili ennemis. 

Vous direz » Mylord , qu'on me connoîc 
à Paris & qu'on ne me connoît pas à Lon- 
dres i voilà précifément de quoi je me plains. 

(i) StnPmtttt 4€sCif9jems» 



A Lo RD ***. S< 

On n'ôce point â un homme d'honneur, 
fans le connoîcre & fans l'entendre » Teflime 
publique dont il jouit. Si jamais je yis ea 
Angleterre auiO long- tems que j'ai vécu eo 
France , il faudra bien qu'enfin votre public 
me rende Ton efiime , mais quel gré lui en 
faurai'je , lorfque je l'y aurai forcé ? 

Pardonnez, Mylocd » cette longue lettre} 
me pardonneriez-vous mieux d*èae indiffé- 
rent à ma réputation dans votre pays } Les 
Anglois valent bien qu'on foit f&cké de la 
voir injuftes , 6c qu'afin qu'ils ceifene de 
l'être , on leur fa^e fentir combien ils le 
font. Mylord , les malheureux font malheu- 
reux par- tout. En France on les déacte y en 
SuiiTe on les lapide } en Angleterre on les 
déshonore : c'eft leur vendre cher l'hofpita* 
licé. 



Tom* IV, H 



LETTRE 

A MADAME DE LUZE. 

JF^oouon ^ U lo Mai 176^. 

Suis-JE aflcz heureux. Madame , pou9 
que vous penîiez quelquefois à mes torts , Se 
pour que vous me fâchiez mauvais gré d*ua 
il long filence ? J*en ferois trop puni fi Tou» 
n'y étiez pas fenfîble. Dans le tumulte d'une 
vie orageufe, combien j'ai regretté les douce» 
heures que je pafTois près de vous ! Com- 
bien de fois les premiers momens du repos ^ 
après lequel je foupirois , ont été confaçr^ 
d'avance au plaifir de vous écrire 1 J'ai 
maintenant celui de remplir cet engagement^ 
8c les agrémens du lieu que j'habite m'in- 
vitent à m'y occuper de vous, Madame^ 8c 
de M. de Luze , qui m'en a fait trouver 
beaucoup à y venir. Quoique je n'aie point 
diredement de fes nouvelles , j'ai fu qu'il 
étoit arrivé à Paris en bonne fanté , 8c j'eC- 
père qu'au moment oà j'écris cette lettre , 
il ciï heureufemenc de retour près de vous. 
Quelque intérêt que je prenne à Tes avantages 



L 1 T T H E , &C. ^7 

^ ne pais m'empêcher de lui envier cetui- 
là, 8c je vous jure. Madame, que cetre 
paifîble retraite perd pour moi beaucoup de 
ion prix quand |e fonge qu'elle eft à trois 
cents lieues de vous. Je voudrois vous la 
«[écrire avec tous Tes charmes , afin de vous 
tenter, je n*ofe dire de m'y venir voir, mais 
de la venir voir , & moi j*en profiterois. 

Figurez-vous , Madame , une maifon reule, 
non fon grande, mais fort propre, bâtie 
à mi-côte fur le penchant d'un vallon donc 
la pence eft aHèz interrompue pour laifTer 
«les promenades de plain-pied fur la plus 
belle peloufe de Tunivers. Au-devant de la 
maifon règne une grande terrafie , d'oil 
l'ail fuit dans une demi- circonférence quel- 
ques lieues d'un payfage formé de prairies ,. 
d'arbres , de fermes éparfes , de maifons 
plus ornées , & bordée en forme de baffin 
par des coteaux élevés qui borient agréable- 
ment la vue quand elle ne pourroit aller 
AU^eli. Au fond du vallon , qui fert à là 
fois de garenne & de pâturage , on entend 
murmuier un ruifleau , qui d'une montagne 
yoifîne vient couler parallèlement à la mai* 

Hi) 



8î Lettre 

foa , & Jont les petits détours « les caTcadet 
font dans une telle direâion y que d«s fenêtres 
& de la terraife Toeil peut afin long-tena» 
fuirre Ton cours. Le vaUon eft garai par 
places de rochers & d*arbres » où Ton trouve 
des réduits délicieux , & qui ne lailTent pas 
de s'éloigner alTez de tems en tems di9 
ruKTeau , pour offrir fur Tes bords des pro- 
menades commodes , à Tabri des vents 8c 
même de la pluie , en forte que par les plus 
Tilaius tems du monde fe vais tranquillement 
berborifer fous les roches , avec les mou- 
tons & les lapins 3 mais hélas , Madame l 
|« ne trouve point de Scordium.^ 

Au bout de la terralTe à gauche font les 
bâcimens ruAiques & le potager , à droite 
font des bofquets & un |et-d*eau. Derrière 
la maiCon e(l un pré entouré d'une liitcfc 
de bois, laquelle tournant au-delà du valloB 
couronne le parc, û. Ton peut donner ce 
nom à une enceince à laquelle on a laiflé 
toutes les beautés de la nature. Ce pré mené 
â travers un petit village qui dépend de la 
maifon , à une montagne qui en eA i une 
demi- lieue y & dans laquelle font diyeifts 



A Mt)£« DE LUZE. S 9 

laines de plomb que Ton exploite. Ajoutes 
qu'aux environs on a le choix des prome* 
nadei , foie dans des prairies charmantes , 
ibic dans les bois , Toit dans des jardins à 
Tangloife , moins peignés , mais de meilleur 
goût que ceux des François* 

La maifon , quoique petite , eft très- 
logeable 8c bien diftribuée. Il y a dans le 
milieu de la façade un ayant-corps à Tan- 
gloife , par lequel la chambre du maître de 
la maifon & la mienne qui eft au-defllis 
ont une vue de trois côtés. Son apparte- 
snent eft compofié de plufîeurs pièces fur le 
devant , & d'un grand fallon fur le derriçre } 
le mien eft diftribué de même, excepté que 
)e n'occupe que deux chambres, entre lef- 
quelles & le fallon eft une efpece de veftibule 
ou d^antichambre fort finguliere, éclairée 
par une large lanterne de vitrage au milieu 
du toit. 

Avec cela , Madame , je d«is vous dire 

qu'on fait ici bonne chère i la mode du pays» 

,c'eft>â-dtre, (impie & faine, précifémeâc 

comme il me la faut. Le pays eft hunûda 

HU) 



Jô L E T T R s 

9c froid s ainii les %aiii«s ont peu de goât } 
Le gibier y aucun ^ mais la vian(U y eft excel- 
lence 9 le lakage abondant & bon. Le m<rîcre 
de cette roaifon U trouve trop fauvage «fie 
s*y tkfit peu». Il en a de plus riantes qu'il 
lui préfère « &c auxquelles je la préfère , 
moi, par la même raifon. J'y fuis non- 
(èulenKBt le maître, mais mon maître, ce 
qui eft bien plus. Point de grand village 
aux on virons i U ville la plus voifiae en 
€& k deux lieues : par con(éqtient peu de 
Toifins défcBuvrés. Sans le Minière , qui m'a 
pris dans une affeâion fiaguUere , je feroi« 
ici dix mois de Tannée abfolument feul. 

Que penfez - vous de mon habiutioti , 
Madame ? la trouvez«*vous a^Tez bien choi- 
ûe y & ne croyez-vous pas que pour ea 
préférer une autro , il faille être ou bien fage 
ou bkn fouî Hé bien, Madame, il s'en 
prépare une peu loin du Biez , plm près du 
Tertre, que je regretterai fans çefïc, & où., 
malgré Tenvie mon cc^ habitera» toujours^ 
, Je ne la regretterois pas moins quand celles 
ci m*oflFrif oit tous les autres biens poffibles , 
«Kcpcé celui de yiytç arec fcs amis. ]4ai« 



A MoB. DE LUZC. 91 

ail refle, après tous arolr peint îe beaa 
côté f je ne veux pas voos difinsuler qu'il 
y en a d'autres » & que , comme dans toutes 
les chofes de la vie » les avantages 7 foBC 
mêlés d'inconvéniens. Cetuc du climat font 
grands i il eft tardif & froid j le pays eft 
beau , mais tride j la nature y eft engourdie 
& paredcufe. A peine avons-nous déjà des 
violettes , les arbres n'ont encore aucunes 
feuilles , jamais on n'y entend de ro(GgnoIs. 
Tous les fignes du printems difparoillent 
dcyant moi. Mais ne gâtons pas le tableau 
vrai que je viens de faire : il eu pris dans 
le point de vue où je veux vous montrer 
ma demeure , afin que vos idées s'y pro- 
mènent avec plaifir. Ce h'efl qu'auprès de 
TOUS f Madame , que je pou vois trouver 
une fociété préférable i la foUtude. Pour la 
former dans cette province 9 il y faudroit 
^ranfporrer votre famille entière , une partie 
<le Neufchâtel , & prcfque tout Yverdun. 
^ncore après cela , comme l'homme efl 
iafatiable , me faudroit -^ il vos bois , vos 
monts, vos vignes j enfin tout, jufqu'att 
^c & fes poilTons. Bonjour , Madame ^ mille 
^çudres falutatlons d M* de Luze. Paile% 



91 Lettre, &c. 

.^elqnefois avec Mad. de Froiiienc & Ma(f«: 
de Saadoz de ce paurre exilé. PourviLqu*ift 
ne le foie jamais de vos. cœurs , tout auaroi 
exil lui fera fuppoitable* 



L E T T R E 

A M. LE GÉNÉRAL 
G O N W A Y. 

Le 1% Mai ij€6. 

Monsieur j 

V iVEMENT touché dcs grâces dont II plaît 
â S. M. de m'bonorer , & de ros bontés qui 
me les ont anirés , j*y trouve dés â préfcnc 
ce bien précieux à mon cœur , d'intéréiTer à 
mon fort le meilleur des Rois & l'homme 
le plus digne d'être aimé de lui. VoiU , 
Monfiear , un avantage que je ne mériterai 
point de perdre 3 mais il faut vous parler 
avec la franchife que vous aimez. Après tant 
de malheurs , je me croyob préparé à tous 
(es événemens poffibles *, il m'en arrive pour- 
tant que je n'avois pas prévus , & qu'il n'cft 
pas même permis â un honnête homme de 
prévoir. Ils m'en aâèûent d'autant plus 

auellement 3 & le trouble où ils me jecceni , 
* m'ôtant la liberté d'efprit néceffaire pour 

me bien conduire , tout ce que me die la 



94 Lettre, 8cc. 

raifon dans un état au(0 cri(le , eft de fu^ 
pendre ma réfolution fur toute affaire iin« 
portante , telle qu*e(l pour moi celle dont il 
s*agit. Loin de me refufer aux bienfaiu du 
Roi par Torgueil qu*on m'impute , |c le 
mettrois à m*en glorifier ; & tout ce que ff 
vois de pénible , eft de ne pouvoir m*en 
honorer aux yeux du public comme aux 
miens propres. Mais lorfque je les recevrai» 
je veux pouvoir me livrer tout entier aux ren<- 
timens qu'ils mMnfpirent , & n*avoir ht coeur 
plein que des bontés de S^ M. 6c des vôtres i 
|e ne crains pas que cette façon de penfer les 
puiiTe altéter. Daignez donc , Monâeur , me 
les conferver pour des tems plus heureux* 
Vous connoîtrez i^ors que je n*ai différé dt 
m*en prévaloir , que poui: tâcher de m*ta 
rendre plus digne. 

Agréez , Monfieur , je vous fupplie , mei 
très- humbles falaudoos Se mon refpeâ. 




t E T T R E 

A M. HUME. 

Le 1% Juin iy66. 

Je aoyois que mon (îlence interprété par 
votre confcience , en difoic aCTez : tnais puiC- 
^u'il entre dans vos vues de ne pas Tenten* 
dre , )e parlerai. 

Je vous connois , Monfieur , & vous ne 
Tignerez pas. Sans liaifons intérieures , fans 
querelles , fans démêlés y fans nous connoitre 
fiutrement que par la réputation littéraire , 
vous vous empreffez à m'otfrir dans mes 
malheurs , vos amis & vos foins : piqué de 
votre générofité , je me jette entre vos bras % 
vous m*amenez en Angleterre t eu apparence 
pour m'y procurer un afyle , & en eâfec pour 
m'y déshonorer. Vous vous appliquez à cette 
noble cruvre avec un zèle digne de votre 
coeur y & avec un art digne de vos taleni • 
Il n'en failoit pas tant pour réu/Gr : vous 
vivez dans le grand monde , it, mei daas U 



o <î Lettre 

ecraite \ le public aime à être trompé , 8c 
vous^tcs fait pour le tromper. Je conaois 
pourtant un homme que vous ne tromperez 
pas , c*cft vous-même. Vous favcz avec quelle 
horreur mon cœur repoufTa le premier foup- 
çon de vos deffeins. Je vous dis , en vous 
embraffant les yeux en larmes , que fi veut 
n'étiez pas le meilleur des hommes , il fau- 
di^it que vous en fufficz le plus noir. En 
pcnfaut à votre conduite fecrete , vous 
vous direz quelquefois que vous n*êccs 
pas le meilleur des hommes i & je doute 
qu'avec cette idée , vous en foyez jamais le 
plus heureux. 

Je lailTe un libre cours aux manoeuvres de 
vos amis la aux vôtres , & je vobs abandonne 
avec peu de regret ma réputation durant 
ma vie , bien sûr qu'un jour on nous ren- 
dra juftice k tous deux. Quant aux bons 
offices en matière d'intérêt , avec lefquélt 
vous vous mafquez , je vous en remercie & 
vous en difpenfe. Je me dois de n'avoir plus 
de commerce avec vous , & de n'accepter , 
pas même à mon avantage , -aucune aâPaire 

donc 



A M. H u M E. 97 

^ont TOUS foyez le médiateur. Adieu , Kfon* 
fieur, je vous fouhaite le plus vrai bonheur} 
mais comme nous ne devons plus rien avoir 
â nous dire , voici U dernière Icctre ^ue vous 
recevrez de moi. 



Tome IV* 



LETTRE 

A M. DAVENPORT. 

JTootton ^ Ui Juillet ijts. 

j £ vous dois , Monfieur , toutes fortes de 
déférences \ & puifque M. Hume demande 
abfolumeat une explication « peut-être la lui 
dois -je aufli : il Paura doue ; c*eft fur quoi 
vous pouvez compter. Mais j'ai befoin de 
quelques jours pour me remettre » car en 
vérité les forces me manquent tout-i-fait» 

Mille très- humbles ûdutationt. 



. LETTRE 

A MONSIEUR 

DAVID HUME. 

Woonon , /e lo Jmlltt i-jc^. 

Je fuis malade , Monficur , & peu ea état 
d'écrire \ mais vous voulez une txplicacioii , 
il faut vous la donner. Il n'a tenu qu'à vous 
de l'avoir depuis long - tems ^ vous n'en 
^▼oulâces point alors , je me tus : vous la 
voulez aujourd'hui , je vous l'envoie. Elle 
fera longue , j'en fuis fâché, mais j'ai^ beau- 
coup â dire , & je n'y veuii pas revenir à 
deux fÎMi. 

Je ne vit point dans le monde s j'ignore 
ce qui s'y paffc j je n'ai point de parU , point 
d'aiTocié , point d'intrigue ) on ne me dit 
rien , }e ne fais que ce que je fcns j mais 
comme on me le fait bien fendr , je le Uh 
bien. Le premier foin de ceux qui trament 
des noirceurs eft de fe mettre i couvert dc% 
preuves juridiques \ il ne feroit pas bon leur 
intenter procès. La conviâion intérieure 

II) 



100 Lettre 

admet un autre genre de preuves qui reglciHi 
les fentimens d*un honnête homme. Voiw 
faurez fur quoi font fondés les micnt* 

Vous demandez avec beaucoup de coa- 
fisnce qu'on vous^ nomme votre accufateur. 
Cet accufateur t Monfieur , e(l le feul homme 
au monde qui , dépofant contre vous , pou* 
voit fe faire écouter de moi } c*eft vous-même. 
7e vais me livrer fans ré(èrve & fans crainte 
à mon caraâere ouverc ^ ennemi de tout 
artifice , je vous parlerai avec la même 
franchife que (t vous étiez un autre en qui 
J'eudè toute la confiance que je n'ai plus 
«n vous. J-e vous ferai l'hifloice des mou- 
vemens de mon ame & de ce qui les a pro* 
<luits f 6c nommant M. Hume en tierce pcr- 
fbnne, je^ vous ferai juge vous-même de ce 
que je doit penfer de lui. Malgré la longueur 
de ma lettre , je n'y fuivrai point d'autre 
ordre ijue celui de mes idées , commen-*. 
<çant par les indices & finiifant par la dé* 
œonftration. 

7e quittois la Sulffe » fatigué de trairement » 
barbares , mais qui du moins ne mettoicu^ 



A M. £)avid Hume loi 

péril que ma perTonne y & Ui^ient mon 
faoBoeur en sûreti. Je fuiyois les mouv^mens 
die mon coeuf pour ailer joiodrc Mylord 
Maréchal , quand je reçus à Strasbourg de 
M. Hume l'invicacion la plus tendra de paffer 
avec Uii en Angleterre oà il me promeccoic 
l'accueil le plus agréable , 8e p tus de tranquil- 
lité que fe n'y ai trouvé. Je balançai entre 
Tancien ami de le nouveau , feus tort ; je 
préférai ce dernier , f*eiis plus grand tort : 
mais te de(tr de conno2tre,par moi-même'une 
Nation célèbre , dont on me diA>ic cane de 
mal & tant de bien , l'emporta. Sur de ne 
pas perdre George Keich » j'étois flatté d'ac- 
quérir David Hume. Son mérite » Tes rares 
tftléns y Thonnéteté bien établie de Ton ca^ 
raâere , me faifoient deiîrer de joindre Ton 
amitié à celle dont m^onotoic Ton illu^e 
eompatriote » Qc je me faifois une forte de 
gloire de mouerer un bel exemple aux gent 
^e Lettres dans l'union fincere de deux boni* 
mes dont les principes étoienc û di£f%rens. 

Avant l'invitacion du Roi de Prude & de 
Mylord Maréchal , incertain Air le lieu de 
Bia retraite y i'iiyeis- d^oundé & obtenu pai 

liij 



ÏOl L 1 T T a E 

mes amis im paffcpprt de la Gomde tnoiçe ^ 
dont je me fcrris pour aller à Paris joindre 
M. Hume. Il vit , & vit trop peut-être , Tac-^' 
cueil que je reçus d'un grand Prince » 8c » 
J*ofe dire » du Public. 3e me prêtai par de- 
voir , mais avec répugnance à cet éclat » ^i« 
géant combien l'envie de mes ennemis ca 
feroit irritée. Ce fut un fpeûade bien doux 
pour moi que l'augmentation fenfîble de 
bienveillance pour M. Hume y que la bonne 
oeuvre qu'il alloit faire produiHt dans touc 
Paris. Il dcvoit en erre touché comme moi i 
}e ne fais s'il le fut de la même manière. 

Nous partons avec un de mes amis qui 
prefque uniquement pour moi faifoic le 
voyage d'Angleterre. En débarquant à Dou- 
vres , tranfporté de toucher enfin cette terre 
de liberté & d'y être amené par cet homme 
illuftre y je lui faute au cou , je l'embraiTe 
étroitement fans rien dire , mais en cou- 
vrant fon vifage de baifers & de larmes qui 
parloient aflez. Ce n'eft pas la feule fois 
oi la plus remarquable où il ait pu voir 
«n moi les faifiilèmens d'un cœur pénétrés 
le* ne fais ce qu'il fait de ces fpuvenirs. 



A M- Davii) Hume, icvj 

M^ils l«f viennent 5 j*aî dans Tetprit qu'il cQ 
<loic quelquefois être importuné»^ 

' Kous fommes fftés arrivant à Londrei. 
On s'cmprcilc dans tous les états à me mar- 
quer de la bienveillance & de l'cftimc. 
M. Hume me préfente de bonne grâce â tout 
le monde ; il étoit luturel de lui attribuer, 
comme |e faifois , la meilleure partie de ce 
bon accueil : mon cœur étoit plein de lui ^ 
j'en parlois â tout le monde , j'en écrivois 
à tous mes amis ; mon anachement pour 
lui prenoit chaque jour de nouvelles forces j 
le {îen paroifToit pour moi des plus tendres » 
& il m'en a quelquefois donné des marques 
dont je mç fuis fenti très- touché. Celle de 
faire faire mon portrait en grand ne fut 
pourtant pas de ce nombre. Cette fautaifie 
me parut trop affichée , & j'y trouvai je ne 
fais quel air d'odentation qui ne me plue 
pas. C'eft tçut ce que j^'aurois pu pafler à 
M. Hume % s'il edt été homme â jctter fon 
argent par les fenêtres , & qu'il eût eu dans 
une galerie tous les portraits de fes amis« 
Au relie j'avouecai fans peine qu'en cela |e 
puis avoir tort. 



Î04 Lettre 

Mju's ce qui me parut un aâe d*amiti# 
te de générofîcé des plus vrais & des plus 
eAimables , des plus digues en un mot de 
M. Hume , ce fut le foin qu*il prit de folli- 
citer pour moi de lui-même une penfion 
du Roi , à lac^elte j6 n*avois affurémenc 
aucun droit d*afpirer. Témoin du zèle qu*it 
mit à cette aflfâire , }*en fus vivement péné- 
tré : rien ne pou voit plUs me flatter qu'un 
fcrvice de cette efpecc , non pour l'intérêt 
afRirément j car trop attaché peut-êrro 
à ce que je pofTede , je ne fais point 
defirer ce que je n'ai pas ^ & ayant par 
mes amis àc par mon travail du pain 
Aiffifanmient pour vivre, je n'ambitionne 
rien de plus ; mais rhonneur de recevoir 
des témoignages de bonté , je ne dirai pas 
d'un fi grand MonarquS , mais d*un fi bon 
père , d'un fi bon mari , d'un fi bon maître , 
d'un fi bon ami, & fur-toutd'unfi bon- 
nête homme , m'afl^câoit fenfiblement ; & 
quand je confidérois encore dans cette grâce ^ 
que le Miniflre qui l'avoic obtenue étoic 
la probité vivante , cette probité fi utile 
aux Peuple*, & fi rare dans fon état , je 
uc pou vois que me glorifier d'avoir poiir 



A M, David Hume, loj 

^enfaiteun trois det hommes du monàe que 
}*aiirois le plus defîré pour amis. Aufli , loin 
<le me refufer â la peafion ofivne , je nft 
snis pour l'accepter qu>*une condition néceC' 
Taire , faroir , un confentcment dont 9 Tant 
jnaoquer à mon devoir > )e ne pouTois me 
pailêr. 

Honoré des empreflement de tout le 
monde , je tâchois d'y répondre convena- 
blemenc. Cependant ma mauvaife (ànté te 
l'habitude de vivre à. la campagne me firent 
trouver le fcjour de U ville incommode. 
Auflî^tôt les maifons de campagne fe pré- 
Tentent en foule j on m'en ofFre à choifîr 
«lans toutes les provinces. M. Hume fe charge 
^es prepofitiotts , >1 me les fait , il me 
conduit même ideux ou trois campagnes 
voifines i )*héfîte long-tems fiir le- choix ; il 
augmentott cette incertitude. Je me déter<^ 
tnine enfin pour cette province , & d'abord 
"M» Hume arrange tout ; les embarras s'ap* 
planiifcnr ; |e pats , j'arrive dans ceue habi- 
tation foliuire, commode, agréable : le 
•maître de la maifon prévoit tout , pour* 
voit à tout i rien ne manque. Je fois traft-i 



lO^ L E T T R 1 

f uille , ind^ndant i Toilâ le moment & 
4efîré où tous mes maux doivent finir. Non » 
c*c(l-lâ qu'ils commencent , plus craeU que 
)e ne les avois eacoie éprouvés* 

J*ai parlé juTqu'ici d*abondaact de csar, 
& rendant avec le plus grand plaifir }uftict 
aux bons offices de M. Hume. Que ce qut 
me refle à dire , n'cft-il de même nature i 
Rien ne me coûtera )araats de ce qui pourri 
l'honorer. Il n'eft permis de marchander fut 
k prix des bienfaits » que quand on nous 
accufe d'ingratitude » <c M. Hume m'ea 
accufe aujourd'hui. J'oferai donc faire une 
obfervation qu'il rend néceffàire. £n apprêt 
cianc Tes foiiis par la peine 8c le tems qu'ils 
lui coûcoient ,. ils étaient d'un prix inefti* 
mable » encore plus par fa bonne volonté i 
pour le bien réel qu'ils m'ont fait , ils ont 
plus d'apparence que de poids. Je ne vcnoii 
point comme un mendiant quêter du pain 
en Angleterre, |'y apportoss le mien; fy 
yenois abfoIuiiKnt chercher un afyle , 9c 
21 eft ouvert i tout étranger. D'ailleurs |« 
n'y étois point tellement inconnu , qu'ani* 
Tant feul j'euCe manqué d'a0iilance& d% 



A M. David Hume. 107 

Ibirvlces. Si qiiel<^es perfonnes m'ont rechcr- 

cbé pour M. Hume , d'autres anfli m'om 

recherché pour moi i & , par exemple , 

quanil M. Davenporc Toulut bien m'olFrir 

l'afyle que j'habite , ce ne fut pat podr luf 

qu'il ne connoiflbit point , & qu'il yic 

Aulement pour le prier de faire & d'appuyer 

^àn obligeante proportion. Ainlî <]Uan4 

14. Hume tâche aujourd'hui d'aliéner de 

moi cet honnête homme » il cherche â 

tn'âter ce qu'il ne m'a pat donné. Tout ce 

qui s'eft fait de bien , fe feroit fût fant lui 

4-peu-prèt de même, le peut-étie mieux | 

tnais le mal ne (b filt point fait | car pourquoi 

•i-je det ennendt en Angleterre? Pourquoi 

cet ennendt font-ils précifihaent les amia 

de M. Hume ? Qui eft-Ce qui a pu m'attiret 

leur inimitié î Ce n'eft pas moi qui ne lei 

Tis de ma vie te qui ne les connoii pat | 

|e n*eB au)^ aucun , fi j'y étois venu feul* 

rd patlé }tt(qu'ici de fitts publics K 
liotoires, qui par leur nature ic par ma 
reconnoidànce ont eu le plus grand éclat. 
Ceux qui me reftent à dire font , non-feule-* 
ineac panisaUcri» mm fecrets, du oMint 



io8 Lettre 

dans leur caufe , & l'on a pris toutes let 
mefures podibles pour qu'ils refiaflent cach^ 
au Public s mais ,- bien connus de la per* 
foane intéreiTce, ils n*en opèrent pas moins 
£à propre conyiûioa. 

Peu de tems après notre arrivée à Londres , 
Yy remarquai dans les efprits , à mon égard p 
un changement fourd qui bientôt devine 
très-feniible. Avant que je vinflè en AngW- 
tçrre , elle étoit un des pays de l'Europe 
où. )*avois le plus de réputation» j^ofctois. 
prefque dire de confîdération. Les Papiers 
publics étoient pleins d'éloges , & il n'f . 
dyoit qu'un cri contre mes perCécuteurs. Ce 
ton fe foutint À mon arrivée } les Papiers 
l'annoncèrent en . triomphe > l'Angleterre 
s^honoroit d'être mon refuge i elle en glori- 
£oit avec judice/fes Loix & Ton Gouver- 
nement. Tout-â-coup , & fans aucune cauTo 
aflignable , ce ton change , mais fi fort fie 
û vice , que dans tous les caprices du public 
on n'en voit gueres de plus éiopnant. Le 
iîgnal fut donné dans un certain Mag^fin , 
SMfû plein d'inepties que des roenfonges p 
9^ l'Auteur bie^ iaâruir^ ou feignant de 

l'être,. 



A Mv David Hvmi. 109 

V^tT« , me doiinoic pour fils de Musicien. 

T>ès ce moment les imprimés ne parlerenc 

plus de moi que d'une manière équivoque 

ou malhonnôce. Tout ce qui avoit trait â 

mes malheurs étoii déguifé , altéré , pré- 

rente fous un faux jour , & toujours le moins 

à, mon avantage qu'il étoit poflible. Loia 

^e parler de Taccueil que j'avois reçu à 

Paris , & qui n*avoit fait que trop de bruit ^ 

OQ ne f^ippofoit pas même que j'euflc ofé 

paroître dans cette ville , & un des amis de 

M. Hume fut très-furpris quand je lui ^ 

^ue fy avois pade. 

Trop accoutumé i l'inconftaûce du public 
pour m'en afiPe^ter encore , je ne lailTois pas 
d'être étoimé de ce changement û brufque , 
de ce concen d finguliércmeoc unanime , 
4)ue pas un de ceux qui m'avoîenc tant 
loué abfent ne parût , moi préfent , fe fau- 
venir de mon exiftencg. Je trouvois bizarre 
que précifément après le retour de M. Hume, 
qui a tant de crédit i Londres , tant d'in- 
fluence fur les Gens de Lettres & les Libraires , 
& de fi grandes liaifons avec eux , fa pré» 
£ence eût produit un effet û contraire à 
Tomtlr. K 



4 16 L E T T R I 

celui qn'on en poavoit attendre ; ^ù^, pamil 
tant d'Ecrivaini de rbute efpece , pus OA 
de Tes amis ne fe montrât le mien ; 8c ToA 
toyoit bien que ceux qui parloienc de mof 
li*étoient pas fes ennemis , pulfqu'en faifant 
ibnner Ton caraâere public ils difoient que 
)'avois traverfé la France fous fa proteâion -, 
à la faveur d*un pafTeport qu'il m*avoit ob* 
tenu de la Cour , & peu s'en falloit qu'ih 
ne fîffent entendre que j'arois fait le royagfc 
â fa fuite 5c à Tes frais. 

Ceci ne fignifioit rien encore Bc ti^koh 

que fingulier^ mais ce qui Tétoit davantage, 

fut que le ton de fes tmis ne changea pat^ 

moins avec moi que celui du public. Toit- 

"jours , je me fais un plaifir de le dire y leurs 

foins , leurs bons o6îces ont été les mêmes , 

& très-gtands en ma faveur; riiais loin 4e 

me marquer la même eftime , celui fur» 

tout dont je veux parler , & cliez qui noiit 

étions (lefcendus à notre arrivée, accom- 

pagnoit tout cela de propos (i durs & quel- 

"quefois (î choquans, qu'on eût dit qu'il 

ne cherchoit â m*obliger que pour avoir 

dfolt de me marquer tiu mépris. Son frerc^ 



A M. David Hume, m 

^*àboTd très- accueillant, très- hpnnéce y cban4 

^ea bientôt avec û peu de mefure qu*il ne 

daignoit pas même dans leur propre maifoi^ 

fne dire un feul mot, ni me rendre Iç 

ialuc, ni aucun des devoirs que Ton ren4 

^Hez foi aux étrangers. Rien cependant 

D^étoit furvenu de nouveau, que l'arrivéq 

^ J. J. Rouflèau & de David Hume s & 

certainement la caufe de cc$ changemens nç 

yînt pas de moi ; â moins que trop de; 

Simplicité , de difcrétion , de modeiUe ne 

fpit un moyen de mécontenter les Ânglois». 

Pour M. Hume , loin de prendre avec moi 
un ton révoltant , il donnoit dans Tautre ex- 
trême. Les flagorneries m'ont toujours été 
JTufpeâes.Il m*en a Fait de toutes les façons (x) 
au point de me forcer , n*y pouvant tenir 
davantage, àluien diremon fentiment. Sa 
conduite le diCpenfoit fort de s'étendre en pa-* 

( X ) J'en dirai feulement une qui m'a fait 
|irc *> c'écoit de fuire en forte , quand je venois le 
voir , que je trouvafle toujours fur fa table un 
T'orne de VHéloïfe > comme C\ je ne connoi(r0i| 
pas aflfcz le goût de M. Hume , pour jêtre alTuré 
que , de tous les livres qui cxiftent , VHéUïpt 
doit être pour lui le plus ennuyeux. 

Ki) 



III Lettre 

rolcB ; cependant , puifqu'il en vouloît dirc^ 
l'aurois voulu qu*à coûtes ces louanges fades 
il eût fubAitué quelquefois la voix d*un ami ; 
mais je n*ai famais trouvé dans Ton tangage 
rien qui fentîc ta vraie amitié , pas même 
dans la façon dont il parloit de moi â d'au* 
très en ma préfence. Ou eût dit qu'en vou- 
lant me faire des patrons , il cherchoit à m'^ 
ter leur bienveillance , qu'il vouloir plutôt 
que j'en fufTe âffifté qu'aimé ; & j*ai quel- 
quefois été furprrs du tour révoltant qu'il 
donnoit â ma conduite près des gens qui potf' 
voient s'en offenfer. Un exemple éclaircira 
ceci. M. Penncckdu Mufaeum , ami deMy- 
lord Maréchal & PaAeur d'une paroidê oà 
l'on vouloir ro'établir , vient nous voit. 
M. Hume, mol préfent , lui fait mes ex* 
cufes de ne l'avoir pas prévenu ; le Doâeur 
Maty , lui dit • il , nous avoit invités pour 
Jeudi au Mufaeum , où M. Houflcau devofc 
vous voir } mais il préfera d'aller avec Ma' 
dame Ganick â la comédie : on ne peut pas^ 
faire tant de chofes en un jour. Vous m'a 
vouerez , Monficur, que c'étoit-lâ une étrange 
■ façon de me capter la bieavcillaocc dit 
M. Penncck. 



A M. David HuMH. iij 

- Je ne fais ce qu'avoic pu dire en fccret 

JA» Hame à. Tes cocnoifTanccs i mais rien n'é' 

toit plus bizarre que leur façon ci>n ufer avec 

jpaoide Ton aveu , fouvent même par Ton aiG(r 

cance. Quoique ma bourfe ne Fut pas vide , 

que jen'eufTe bcfoin de celle dcperfonne , & 

jju'il le fût très-bien , Ton eût dit que je n*éjtoi$ 

ià que pour vivre aux dépens du public , if. 

^u*il Q*écoic queftion que d^ me faire Tau- 

xsône , de manière à m*en fauver un peu 

rembarras 3 je puis dire que cette ofFeâatioa 

continuelle & choquante eft une des chofec 

qui m*ont fait prendre le plus en averfîon le 

fcjour de Londres. Ce n'eft fu>emenc pat 

fur ce pied qu'il faut préfemer en Angleterre 

un homme à qui Ton veut attirer un peu de 

confîdération : mais cette charité peut être 

bcnignementimerprétée , & je confcns qu'elle 

Je foit. Avançons. 

On répand à Paris une fauiTe lettre du Roi 
^e PruÏÏè , à moi adreflee & pleine de U 
plus cmelle malignité. J'apprends avec fuir- 
prifc que c'eft un M* V^alpole , ami de 
M. Hutne , qui répand cette lettre s je li^i 
dcBiaude û. ceU eft jm s mais ^our toute 

U) 



114 Lettre 

téponCc il me demande de qui je le tiens. \Ja 
cornent auparavant , il m*avoit donné une 
carte pour ce même M. \raIpole , afin qu*tl 
fe chargeât de papiers qui m'importent , fie 
que je yeux faire venir de Paris en furctéw 

J*apprends que le fils du jongleur Troo- 
chin , mon plus monel ennemi , eft noa-> 
feulement Tami , le protégé de M. Hume , 
mais qu'ils logent enfemble , & quand 
M. Hume voit que je fais cela > il ni!ea 
fait la confidence , m'affurant que le fils ne 
redèmble pas au père. J*ai logé quelques 
nuits dans cette maifon chez M. Htime avec 
ma gouvernante ; & à l'air , â l'accueil donc 
nous ont honorés Tes hôcefles , qui font (es 
amies , j'ai jugé à la façon dont lui ou cet 
liomme qu'il dit ne pas refTcmbler à fon père, 
ont pu leur parler d'elle & de moi. 

Ces faits combinés entr'eux & avec une 
certaine apparence générale me donnent tih- 
fenfiblement une inquiétude que je réponde 
avec horreur. Cependant les lettres que j'é- 
cris n'arrivent pas ; j'en reçois qui ont été 
ouvertes , U toutes ont ^aHe par les nsiaiiis 



A M. David Hume, ii j 

cle M. Hume. Si quelqu'une lui échàpe , il 
ne pcuc cacher l'ardente avidité de la voir« 
IJn foir, je vois encore chez lui une manœu- 
vre de lettre dont je fuis frappé ( i). Apres le 

(1 1 II faut dire ce que c'eft que cette manoeu- 
vre. J'écrivois fur !a table de M. Hume , en fon 
abfence , une réponfe à une lettre que je Tenois 
^e receToir. Il arrive , trè^-eurieux de favotr ca 
^ue i'écrivoîs , & ne pouvant prcfque s'abftcnir 
^'y lire. Je ferme ma lettre fans la lui montrer « 
& comme je la mettois dans ma poche , il la 
demande avidement, difant qu il l'enverra le 
lendemain jour de pofte. La lettre refte fur fa 
fa table. Lord Newnham arrive , M. Hume fort 
un moment ; je reprends ma lettre , diCant qua 
j'aurai le tems de l'envoyer le lendemain. T ord 
Newnham m'offre de l'envoyer par le paquet de 
JA, l'Ambalfadeur de Jrance, l'accepte. M. Hume 
rentre tandis que Lord Newnham fait fon en- 
-veloppe , il tire fon cachet i M. Hume offre le 
fien avec tant d'emprefTement qu'il faut s'en 
fervit par préférence. On Tonne , Lord Newn- 
ham donne la lettre au laquais de M. Hume pouc 
la remettre au fien qui attend en-bas avec fon 
carroffe , afin qu'il la porte chez M. l'Ambaffa^ 
deur. A peine le laquais de M. Hume <5toit hors 
de la porte , que je me dis : je parie que le Maftrç 
va le fuivre : il n'y manqua pas. Ne fâchant 
comment laifl'er feul Mylord Newnham , }'hé/\- 
tai quelque tems avant que de fuivre à mon tout 



ii(> Lettre 

rpuper , gardant tous deux le ûlence au coin 
de fon feu , je ra*appcrçois qu'il me fixe , 
comme il lui arrivoit fouvenc , & d'une m»'* 
niere donc Tidée eft difficile à rendre. Pour 
cette fois , fon regard fec , ardeur « mo- 
queur & prolongé devint plus qu'inqutéranc. 
Pour m'en débarr^afler , j'efTayai de le Exer 
à mon tour i mais en ariltanc m^ yeux fur 
les fiens , je fens un frémiiTemenc ioexpUca- 
blc , & bientôt je fuis forcé de les bailTèr. 
La phyfionomie & le ton du bon David font 
d*un bon homme , mais où y graod Di9U l 
ce bon homme emprunte- t4l les yeux àoDl 
il fixe fes amis ? 

L'impreflion de ce rcgaxd me cafte & m'a^ 
gîte 'y mon trouble augmente jufqu'au (ad&C» 
fcment : fi répanchemcnc n'eût fuccédé , j'^ 
(oufFois. Bientôt un violent remords mç 
gagne j je m'indigne de moi-même i enfin 

M. Hume ; je n*apperçus rien , mais il vie très* 
bien que i'écois inquiet. Ainfi , quoique je n*ai« 
reçu aucune réponfe à ma lettre , je ne 4oat« 
pas qu'elle ne foit parvenue ; mais je ^oute «a 
peu « ie l'avQue , qu'elle n'ait pas été lue Mip»> 
savant. 



A M. David Hume. 1 1 y 

jans un trnnfporc que je me rappelle encore 
arec délices , je m'élance à fon cou , je le 
ferre étroitement 5 fuffoqué de fanglots ^ 
inondé de larmes , je m'écrie d'une roix en- 
trecoupée : Non , non , David Hume n\ft 
pas un traître ; s'il riltoit le meilleur des 
tommes , ilfandroît qu*il enfâi le plus noir* 
David Hume me rend poliment mes em- 
brafTcmens , & tout en me frappant de petits 
coups fur le dos , me répète pludcurs fois d*ua 
con tranquille : Quoi , mon cher Monfieur ! 
£h , mon cher Monfieur ! Quoi donc , moti 
cher Monfieur l II ne me dit rien de plus } js 
fens que mon caur fe relTerre j nous alloni 
nous coucher , & je pars le lendemain pout 
la Province. 

Arrivé dans cet agréable afyle où j'étoîi 
venu chercher le repos de (i loin , je devois 
le trouver dans une niaifon folitaire , com- 
mode & riante , dont le Maître , homme 
d'cfprit & de mérite , n'épargnoit rien de ce 
qui pouvoit m'en faire aimer le (ejour. Mait 
quel repos peut- on gourer dans la vie quand 
le cGCur eft agité \ Troublé de la plus cruelle 
incertitude , & ne fâchant que penfei d*uii 



îi8 Lettre 

homme que je 4evois aimer , ]b cherchai I 
me délivrer de ce doute fuacAe en rendant 
mu confiance à mon bienfaiteur. Car , pour* 
quoi , par quel caprice inconcevable eût- il 
«u tant de zele 4 Tcxcérieur pour mon bien- 
être , avec des projets fecrers contre mon 
honneur ? Dans les obfervations qui m'a- 
voient inquiété , chaque fait en lui-même 
^toit peu de chofe , il n*y avoit que leur 
concours d'étonnant, & peut-être indruic 
4'autres faits que j*ignorois , M. Hume pou- 
voit- il , dans un éclaircifTement , me don- 
ner une foiution r.itisfairante. La feule chofe 
inexplicable étoic qu*il fe fût refufê à un 
éclaire iiTement que fon honneur & fon aqïi- 
tié pour moi rendoient également néceilaire. 
Je voyois qu'il y avoit là quelque chofe que 
je ne comprenois pas & que je mourois d'en- 
vie d'entendre. Avant donc de me décider 
abfolument fur fon compte , je voulus fairç 
gn dernier efFon& lui écrire pour le ramener, 
s'il fe laifToit féduire à. mes ennemis , ou pour 
le faire expliquer de manière ou d'autre. Jt 
lui écrivis une Lettre qu'il dut trouver fort 
naturelle (i) s'il écoit coupable , mais fort 

( t ) U paroic par ce qu'U m*éait en dernier iîM 



A M. David Hume, i t^ 

«Xtraordinâire i*ii ne Téroic pas : car , quo$ 
de plus extraordinaire qu*ane Lettre pleine ^ 
la fois de gratitude fur Tes fenrices 3c d'inquié^ 
tude fur Tes fentimens , Se où ^ mettant , 
pour ainii dire , Cti adions d*un côté , & Tes 
intentions de Tautre , au lieu de parler dei 
preuves d*amitié qu'il m'avoit données , |c le 
^rie de m'aimer à cauffc du bien quMl «n'a- 
Voit fait ? Je n'ai pas pris mes pré<:autionii 
d'aflez loin pour garder wie copie de cette 
lettre ^ mais , puifqu'il les aprifes lui , qu'il 
fa toontre j 8c quiconque la lira, y voyant 
un homme tourmenté d'une peine fccrcte j 
qu'il veut faire entendre flc qu'il n\>fe dtre , 
fera curieux , )e m'affure , de ftvoir quel 
éclairciffement cette Lettre aura produit , 
for-tout à la fuite de la fccneprécédcnte. 
A.ucun , rien du tout. M. Humefè conteme 
en réponfe , de me parler des foins obH- 
jeans que M. Davenport fe propofe de pien- 
ire en ma faveur. Du refte , pas -un arot 
fur le principal fn)et de ma Leare, ni fut 
rétat de mon cœur dont il devoir Ci bien voir 
le tourment. Je fus frappe de ce filcnce en- 

qa'il eft trés-content de cette lettre , & qu'il la 
tiouTc fort bica* 



'IlO L E T T R, ^ 

core plus que je ne Tavois été de Ton flegme i. 
uotre dernier entretien. J*avois tort « ce fî* 
lence étoit fort naturel après l'autre , 6c j'au* 
rois dû m'y attendre. Car quand on a o£e 
dire en face à, un homme : je fuis tenté de 
vous croire un traître , & qu*il n'a pas la eu» 
riofîté de vous demander fur quoi , l'on peuc 
compter qu'il n'aura pareille curioiité de ùi 
vie , & pour peu que les indices le chargent ^ 
cet homme eil jugé. 

Après la réception de fa lettre qui tarda 
beaucoup , fc pris enfin mon parti , 6c ré— 
folus de ne lui plus écrire. Tout me confirma 
bientôt dons la réfolucion de rompre avec 
lui tout commerce. Curieux au dernier pokic 
du détail de mes moindres affaires , il ne 
c'étoit pas borné à s'en informer de moi dans 
nos entretiens , mais j'appris qu'après avoir 
commencé par faire avouer à ma gouver* 
liante qu'elle en étoit indruite , il n'avoit pas 
lailTé échaper avec elle un feul téte-â-tête 
ûins l'interroger jufqu'à l'imporcunitéfur m» 
occupations, fur mes reffources, fur mes 
amis, fur mes connoiiTances , fur leurs noms , 
leur état , leur demeure , & arec une adreiTe 

jéfuitiquo . 



* 

A M. David Hume, m 

ft(«kiqiie , il troic demandé fî^parément fos 
TiifiiiMs dtdTes à elle & à mot. On doit pren- 
dre intérêt aux aferes d'un ami , mais on 
doit fe contenter de ce qu*il veut nous en 
<iire , flit-tout quand il eft aufC ouvert , 
' suffi confiant que moi , & tout ce petit cail« 
leta^ ds commère convient , on ne peut pas 
j^m mal , â un Philofophe. 

•Dans le même rems je reçois encore deux 
lettres qui ont été ouvertes. L'une de 14. BoC- 
"well , dont le cachet étoic en û mauvais état 
que M. Davenport , en la recevant , le fît 
«enarquer «u laquais de M. Hume ; & Tau- 
tfe de M. d'Ivernois , dans un paquet de 
M. Hume , laquelle avoit été recachecée au 
- fnoyen ti^un fer chaud qui • mal - adroite- 
ment appliqué y avoit brûlé le papier autour 
de Tempreinte. J'écrivis i M. Davenport , 
Ipour le prier de garder par-devers lui toutes 
les lettres qui lui fcroient remifes pour moi , 
êc de n'en remettre aucune à perTonnc , Cous 
quelque prétexte que ce fât. J'ignore fi 
M. Davenport , bien éloigné de penfer que 
xette précaution pât regarder M. Hume , kii 
montra ma lettre > mais -je fais que tout di* 
Tome Ir. L 



X21 L B T T H B 

ibit à celui-ci qu'il aroit perdu macoufiance» 
te qu'il n'en ailuic pas moins Ton train (ànm 
s'embarradèr de la recouvrer. 

Mais que devins-je lorfque je vis dans les 
papiers publics la prérendue lettre du Roi de 
PruiTe que je n'avois pas encore vue y cette 
faufTe lettre , imprimée en François & en an- 
glois , donnée pour vraie » même avec Ist 
£gnature du Roi , 6c que )'f reconnus la plume 
de M. d'Alembert au(fi rarement que fî je la 
lui avois vu écrire ? 

A l'inftaut un trait de lumière vint m'é- 
<lairer fur la caufe Tecretc du changement 
étonnant (< prompt du public Anglois à mon 
égard » & je vis â Paris le foyer du complot 
qui s'exécutoit à Londres. 

M. d'Alembert , autre anal très- intime de 
M. Hume , écoit depuis long-tems mon en- 
nemi caché , & n'épioit que les occalions de 
me nuire fans fe commettre ; il écoit le Cèui 
des gens de Lettres d'un ceruin nom le de 
xaci anciennes connoidonces qui ne me fût 
point venu voir , ou qui ne m'eût rien tait 



'^ A M. David Humé, i i j' 

^re à mon dernier paiTage â Paris. Je con- 

iioiilbit Tes difpofîdoos fecretes , mais |e 

jn^en inqaiétois peu, me concentanc d'en 

avertir mes amis dans l'occaiîen. Je me fon- 

viens qu*un jour , queftionné fur Ton compte 

par M. Hume , qui queiVjonna de mdme en- 

Tuice ma gouvernante , }e \m dis que M. d'A- 

lembert étoic un homme ad^tt & tnié. Il me 

contredit avec une chaleur dont je m'étonnaf , 

jie fâchant pas alors qu'ils étoient G bien en- 

femble , & que c'étoit fa propre caufè qu'il 

défendoit. 

La leâure de cette lettre m'alarma beau-^ 

coup I & Tentant que j'avois été attiré en An^ 

glctcrre en vertu d'un projet qui commen- 

çoit à s'exécuter « mais dont j'ignorois le but* 

|e fentois le péril fans favoir où il pouvoir 

^tre , ni de quoi j'avois â me garantir -, je 

jne rappellai alors quatre mots effrayans de 

M. Hume, que je rapporterai ci- après. Que 

penfer d'un écrit où l'on me faifoit un crime 

de mes miferes } qui tendoit 1 m'âter la 

commiferation de tout le monde dans mes 

itoalheurs , & qu'on donnoit fous le nom 

du Prince même qui m'avoic protégé , poui; 



T14 . L I T T R 1 

en rendre reflTet plus auel encore } Que 
VQis-fe augurer de U fuite d*ua tel début ? Le 
peuple Anglois lit. les papiers publics ^ fie n*c£k. 
pas déjà trop favorable aux étrangers. Un vê- 
tement qui n*eft pas le fien (\i^t pour le met- 
tre de mauvaife humeur. Qu*en doitattcndxe 
un pauvre étranger dans Ce» promenades 
champêtres , le feul plaiiîr de la vie auquel il 
s'eA borné « quand on aura perfuadé à ces 
bonnes gens que cet homme aime qu'on le 
lipide ? iU feront fort tentés de lui en don- 
ner ramufement. Mais ma douleur , ma 
douleur profonde & cruelle , la plus amere 
que j'aie jamais refTencie , ne venoit pas du 
péril auquel j'étois expofe. J*en avois trop 
bravé d'autres pour être fort ému de celui-U. 
La trahifon d'un faux ami , dont i'étois la 
proie , étoit ce qui portoit dans mon cœur 
trop feiifible , l'accablement , la ttiàcffh 6c 
la mort. Dans l'impétuoiité d'un premier 
mouvement,dont jamais je ne fus le maître, 8c 
que mes adroits ennemis favent faire naître 
pour s'en prévaloir , j'écris^des lettres pleines 
de détordre où je ne déguife ni mon rouble 
ni mon indignation. 

Moniteur , j'ai tant de ckofes à dite , 



A M. David Hume. 115' 

qu*cn chemin faifant j'en oublie la moitiés 
Par exemple , une relation en Forme de lettre 
fut mon (ejour i Montmorency fut portée 
pa^ des Libraires â M. Hume , qui me la 
montra. Je confentis qu'elle fut imprimée i 
il fe char{;ea d*y veiller ; elle n'a jamais paru. 
3*ayois appotté un exemplaire des lettres de 
M. Du Peyrou contenant la relation des affai- 
Tcs de Ncufchitel qui me regardent -, je lei 
remis aux mêmes Libraires â leur prière , pour 
les faire traduire & réimprimer ', M. Hume fe 
chargea d'y veiller; elles n'ont jamais paru(i). 
D^ que la faudê lettre du Roi de PrufTe & fa 
traduûton parurent , je compris pourquoi 
les autres écrits reftoient fupprimés , te ]e 
récrivis aux Libraires. J'écrivis d'autres lettres 
qui probablement ont couru dans Londres : 
enfin j'y employai le crédit d'un homme de 
mérite & de qualité , pour faire mettre dans 
les papiers une déclaration de rimpofture. 
Dans cette déclaration , je laiflbts parohre 

(i) Les Libraires viennent de me marquer que 
cette Edition eft faite ôc prête â paroftre. Cela 
peut être , mais c'eft trop tard , & qui pis eft , 
trop à propos. 

l.iii 



ii(>T Lettre 

toute ma douleur , & je n*en déguifoif 
lacaufe. 



Jufqu'ici M. Hume a femblé marcher dans 
les ténèbres. Vous Tallez voir déformais dans 
la lumière & marcher i découvert. Il n'y a 
«]u*â toujours aller droit avec les gens rulcf r 
tôt ou tard ils fe décèlent de leurs rufes 
mêmes. 

Lorfque cette préteudue lettre du Roi de 
PxuiTc fut publiée i Londres , M. Hume , 
«)ui certainement favoit qu'elle étoit fuppo- 
ée , puifque je le lui avois dit , n*en die 
lien , ne m'écrit rien , fc tait & ne fooge 
pas même à, faire , en faveur de fon ami 
abftnc , aucune déclaration de la vérité. Il 
ne falloit , pour aller au but, que laidèr 
dire & fe tenir coi ^ c'efc ce qu'il fit. 

M. Hume ^ysLUt été mon conduôeur en 
Angleterre , y étoit , en quelque façon , moa 
proreâeur, mon patron. S'il étoit naturel 
qu'il prît nia défenfe « il ne l'étoit pas moia^ 
qu'ayant une pcotcflation publique à faire ^ 
je m'adrefTaiTc â lui pour cela. Â/ant déjà 



A M. David Hume. 1 17 

çcfic de lui écrire , je n'avois garde de re- 
commencer. Je m'adrciTc à un autre. Premier 
foufflcc fur la joue de mon Patron. Il n'en 
teat Hen. 

JEn difanc que U lettre étoic fabriquée i 
Warts , il m*imporioic fort peu lequel on en^ 
tendît de M* d*A.lembert ou de fon prête-nom 
M. ^alpole ; mais en ajoutant que ce qui 
•avroit ic déchiroit mon cœur étoit que 
rin>p»fteiif «voit des complices en Angle - 
ttnCf je m*cxpUq«oi$ avec la plus grande 
dartc pour leur ami qui ctpit à Londres , 
9c qui vouloir paffer pour le mien. Il n'y 
^oit certaineoMint que lui ieul en Aj3gk- 
fcfre dont la baine put 4ecètrer & navrer 
mon cœur. Second foufHçt fyrla jow <lc mon 
Patron. Il n'en fent rien.. 

Au contraîre , il feint jnaligaement quo 
inoii affliâioB 'veneit Ceulcmient de la publi- 
cacioii de cette lettre , afm de me faire paflèr 
four un hoiiuBc vain qu'une fatyre affêde 
beaucoup. Vain ou non , j'étais mortelle* 
xnent affligé ; il le favotc & ne m'écxivoif 
pQf un m9t. Ce cendreami^qui a taot àxcBtijr 



ii8 Lettre 

que mabeurfe foie pleine , fe foucieaflez peu 
que mon cœur foie déchiré. 

Uo autre écrit paroît bientôt dans les mè^ 
lues feuilles de la même main que le pre- 
mier » plus cruel encore , s'il étoit poâîble » 
& où TAuteur oe peut déguifer fa rage fuc 
l'accueil que j'avois reçu à Paris. Cet éclac 
ce m'aâFeâa plus ; il ne m'apprenoit rien de 
nouveau. Les libelles peuvoient aller leur 
train fans m'émouvoir . & le volage public 
lui-même fe lafToit d'être long-tems occupé 
du même fujet. Ce n'efl pas le compte des 
complotteurs qui , ayant ma réputarion 
d'honnête homme à détrmre , veulent de 
manière ou d'autre en venir i bout. Il fallut 
changer de batterie. 

L'affaire de la penfion n'étoît pas terminée. 
Il ne fut pas difficile à M. Hume d'obtenir 
de l'humanité du Miniftre & de la généroiîté 
du Prince qu'elle le fût. Il fut chargé de me 
le marquer , il le fit. Ce moment fur » \c 
l'avoue , uo des plus critiques de ma vie. 
Combieu il m'en coûta pour faire mon de- 
voir 1 Mes cngagemens précédens y l'obliga* 



A M. David Humb« itf 

de correTpondK avec nCpcù aux boncét 

tlu Roi , l'honneur d*écre l'objet de Tes at-^ 

tentions , de celles de fou Miolftre , le defif 

^e marquer combien j'y étois fenfible, 

fttefne l'arantage d'êere un peu plus au large 

«a approchant de U vieilleiTe , accablé d'en* 

mus ic de maux , enfin rembarrai de crouvcv 

une excufe honnête pour éluder un bienfalc 

défSL prefi]ue accepté ; tout me rendoit dift-» 

dte Se cruelle la noceifité d'y renoncer i ca« 

il le h\loit aflliréflient , ou me rendre 1< 

pl«s tU de tous les hon»mes en devenu»! 

vdootaiicmeot l'ohl^é de celui dont )*étoi« 

trahi. 

Je £i mon devoir > non fans peîne , j*é- 

crivis direâement â M. le Général Cou-' 

^'^y (0 > & Avec autant de refpeâ & d*honr 

nêteté qu*il me fut peflible , fans refus abfo- 

|u , je me défendis pou.t le préfcnt d'accepter. 

M* Hume avoit été le négociateur de l'af^ 

faire, le (êul même qui en eût parié ; non* 

Cèulement je ne lui répondis point , quoique 

ce fût lui qui m'eût écrit » mais je^e dit 

pat un mot de lui dans ma lettre. Troiiiemo 

* {t\ V«yc» la lettre do ri UmI 176^. 



tjO L B T T R B 

foufHec fur la joue de mon patron , & poar 
celui-Iâ y s*il ne le fent pas , c*eft aiTurér 
ment fa faute : il n'en fem rien. 

Ma lettre n*écoit pas claire & ne pouvoir 
fêtre pour M. le Général Conway , qui ne 
favoic pas i quoi tenoit ce refus , mais elle 
reçoit fort pour M. Hume qui le favoic très* 
bien ; cependanc il feinc de prendre le change 
tant fur le fujec de ma douleur , que fur celui 
de mon refus » & dans un billet qu*il m'é- 
crit il me fait entendre qu'on me ménagera la 
continuation des bontés du Roi fi )e me 
ravile fur la penfion. En un mot il prétend à 
toute force 4 & quoi qu'il arrive , demeurer 
mon patron malgré moi. Vous jugez bien ^ 
Monfieur , qu'il n'attendoit pas de réponfe 
& il n'en eut point. 

Dans ce même tems â-peu-près , car je ne 
fais pas les dates , & cette exaâicude ici n'cft 
painécefTaire» parûc une letcre de M. .de Vol- 
taire à moi adrelTée avec une rraduâion 
AngldVfe , qui renchérit encore fur l'original. 
Le noble objet de ce fpirituel ouvrage eft de 
fn*acciier le mépris & U haiiie de ceux chjct 



'A M. David Hùmi. i ) t 

qui je me fuis réfugié; Je ne doutai point 

que mon cher patron n'eâc été un des inftru- 

mens de cette publication , fur-tout quand |e 

Yis qu'en tâchant d'aliéner de moi ceux qui 

pouvoient en ce pays me rendre la vie agréa- 

ble, on ayoit omis de nommer celui qui m*y 

avoit conduit. On Cafoit fans doute que c*4- 

toit un foin fuperflu & qu*â cet égard rien ne 

rcAoit i faire. Ce nom û mal- adroitemenc 

oublié dans cette lettre , me rappella ceque die 

Tacite du Portrait de Brutus omis dans une 

pompe funèbre , que chacun l'y diflinguoit^ 

préci(emenc parce qu'il n'y étoit pas. 

On ne nommoit donc pas M. Hume i 
mais il vit avec les gens qu'on nommoit* 
Il a pour amis , tous mes ennemis, on le 
fait : ailleurs les Tronchin , les d'Alembert , 
les Voltaire ( mais il y a bien pis i Londres ^ 
c'eft que je n'y ai pour ennemis que fcs amis. 
Eh l pourquoi y en aurois je d'autres ? Pour- 
quoi même y ai-je ceux li ? Qu*ai )e fait 
à Lord Littleton , que je ne conrois même 
pas ? Qu'ai je fait à M. Walpole que je ne 
connois pas davantage ? Que favent-ils de 
moi 9 (înon que je fuis malheureux & l'ami 



rji Lettre 

ie leur ami Home ? Que le«r «-t-il 
^c , puisque ce nVil que pcr lui qu'iif fli^ 
coanoi/Iènr } Je ciob bien qu'ffrec le r5le 
^'il fok, il ne iè démafqae pas devant 
tmii le monde ; ce ne Tcroit pins êere mal^ 
«fué. Je crois bien qu*iX &c parie pas de moi â 
M. le Général Conwaf ni â M. le I>iic d« 
Richnx>nd , comme il ta parle dan< Tes ea^ 
ffcdens fecrecs avec M. 'Valpole , & dan» 
fa correfpondance fecrete avec M. d*AIem« 
beft 'y mais ^*on découvre la crame ^[ui 
('•ourdit à Londres depuis mon arrivée » 9c 
l'on verra d M. .Humç B*«n tient pat le« 
principaux fils. 

* 

£afîn le moment venu qu'on croît propre 
â frapper le grand coup , on en prépaie 
Te^et par un txuivel écrit fatf rique , qu'oa 
£sBt meccce dans les papiers. S*i! m'étok 
cefté ju(qn'aloi«le moindre dooce , commenc 
«oroit-il pu tenir devant cet écrit » puifqu'sl 
contenoic des faits qui a'écoient connus que 
de M. Hume, chargés , il efl vrai, pour 
ks rendre odieux au public. 

On die dans cet écrit que j'ouvre ma 

porte 



À M. David Home. 153 

"porte aux grands & que je la ferme aux 
petits. Qui cft-ce qui fait â qui )*ai ouvert 
ou fermé ma porte , que M. Hume , avec 
qui )*ai demeuré , £c par qui font venus cous 
ceux que j*ai vus ? Il faut en excepter un 
^raad que )'ai reçu de bon cceur fans le 
coonoîcre , & que j*aurois reçu de bien 
laeilleur copur encore fi |e Pavots connu. 
Ce fut M. Hume qui me die Ton nom quand 
il fut parti. En l'apprenant |'eus un vrai 
<hagrin que , daignant monter au fécond 
^t;^e y il ne fût pas enué au premier. 

Quant aux petits, je n^ai rien â dire. J'au- 
rois defiré voir moins de monde j mais ne 
voulant déplaire à per(bnne, je me laflTois 
diriger par M. Hume , & j'ai reçu de mon 
mieux tous ceux qu'il m'a préfeniés fans 
diâinâion de petits ni de grands* 

On dit dans ce même écrit que je reçois 
mes parens froidement , pour ne rien dire 
de plus» Cette généralité confifte â avoir une 
fois reçu affez froidement le (èul parent que 
l'aie hors de Genève , ti cela en préfence de 
M« Hume. C'cû néceffai rement ou M. Hume 
Tom IF. M 



I J4 L E T T R E 

ou ce parent qui a fourni cet article. Or 
mon coudn , que )*ai toujours connu potir 
bon parent Se pour hoanéce homme , n*eft 
point capable de fournir à <Us fatyres publi- 
ques contre moi. D'ailleurs , borné par fen 
état â la fociéeé des gens de commerce , il 
ne vit pas avec les Gqns de Lettres , ni a^^ec 
ceux qui fourniiTcnc des articles dans le< 
papiers , encore nftoins avec ceux qui s'occu- 
pent â des fatyres*. AinCi l'article ne vie&c 
pas de lui. Tout au plus puis* je pen(èr qu« 
M. Hume aura dahé de le faire jaGer , ce 
qui n*e/l pas abfolument difficile , 6c qu'ail 
aura tourné ce qu*il lui a dit de la manière 
la plus favorable â fes vues. Il eft boh 
d'ajouter qu'après ma rupture avec M. Huoae 
j*en avoJs écrit i ce cou(in-U. 

Enfîn , on die dans ce même écrit <f«ie }« 
fuis fujet à changer 'd'amis. Il ne faut pas 
^re bien fin pour comprendre à quoi cela 
prépare. 

Diftinguons. J'ai depuis vingt -cinq Ce 
trente ans des amis ttès-folides. J'en ai dé 
plus nouyeaiuE « mais non moins sûrs , que 



A M. David Hume. 135 

Je garderai plus long-tems û )e vis. Je n*ai 
pat en général trouvé la même sûreté chez 
ceux que )*ai fait^ parmi les Gens de Lettres. 
AuiG j'en ai changé quelquefois , & )'en 
changerai tant qu'ils me feront fufpefls ; 
car |e (l»s bien déterminé à ne garder 
)amats d'amis par bien(eance : je n'en veux 
jt^oir que pour les aimer. 

• Si jamais j'eus une convtâion intime 5c 
certaine , je l'ai que M. Hume a fourni les 
matériaax de cet écrit. Bien plus , non-feule* 
in«ht j*ai cette certitude , mats il m'eft clair 
qu'il a Toutn que je l'eufTe : car comment 
Âippofer im homme auflS fin, alTez mal-adroit 
four Ce découvrir à ce point , voulant fe 
cacher i 

Quel étoît foh but ? Rien n'eft plus clair 
encore. C'étoit de porter mon indignation 
à fon dernier terme , pour amener avec plus 
d'éclat le coup qu'il me préparoit. Il fait 
que pour me faire bien des foirifes il fuffit 
de me mettre en colère. Nous fommes au 
moment critique qui montrera s'il a bien 
•u mal raifonné. 

Mil 



Ij^ Lettre 

II Fautfe pofTéder autant que fait M. Hume ^ 
il faut avoir fon flegme & toute (a force 
d'cfprit , pour prendre le parti qu*il prit , 
après tout ce qui s*étoit paile. Dans rem- 
barras où fétois , écrivant à M. le Général 
Conway , je ne pus remplir ma lettre que 
de phrafes obfcures dont M. Hume fit , 
comaie mon ami , l'interprétation qu'il loi 
plut. Suppofanc donc , quoiqu'il fiît très- 
bien le contraire ^ que c'écoit la claufe du 
(ecret qui me faifoit de la peine , il obtient 
de M. le Général qu*il voudroit bien s'em- 
ployer pour la faire lever. Alors cet homme 
fioïque & vraiment infcnHble m*écrit la 
lettre la plus amicale où il me marque qu'il 
t'efl employé pour faire lever la claufe , 
mais qu'avant toute chofe il faut favoir G. 
je veux accepter fans cette condition , pour 
ce pas expofer Sa Majefté à un fécond 
refus. 

C^étoit ici le moment décifif , la fia ^ 
Tobjec de tous fes travaux. Il lui falloir une 
réponfe » il la vouloir. Pour que je ne puflè 
medifpenfcr de la faire, il envoie i M. Daven* 
^ort un duplicau de fa lettre 3 & non coa-q 



A M. David Hume, ijy 

tent de .cettç précaution , il m*écrit dans 
un 4utre billet qu'il ne (aurait reiler plus 
long-cems à Londres pour mon fervice. La 
tête rae tourna prefqne en lifint ce billet. 
De mes jours je n*ji rien trouvé de plus 
inconcevable. 

tl Ta donc enfin , cette réponfe tant dcfi- 
rée , & fe preflè déjà d'en triompher. Déjà 
écrivant à M. Davenport , il me traite 
d'hdmme féroce & de monftre d'ingraii- 
Kude. Mais il lui faut plus. Ses «efures font 
bien prifits y à ce qu*il penfe : mille preuve 
contre kii oc peut écfaaper. Il veut une 
explication : il Taura , & la voici. 

Rien ne la conclut mieux que le dernier 
trait qui Tamene. Seul il prouve tout & 
fans réplique. 

Je veux fuppoTcr , par împoffible , qu*il 
n^efl rien revenu â M. Hume de mes plaictes 
tontre lui : il n'en fait rien , il les ignore 
auin parfaitement que s*il n'eût été fàufîlé 
avec perfonne qui en fut inftruit , aufli par- 
fait«ment que fi durant ce tems il eût véc« 

M* • • 
Mj 



I3S 



Lettre 



à la Chine. Mais ma conduite immédiate 
tncre lui & moi y les derniers mots fi frap- 
pans , que je lui dis à Londres ; la lettre qui 
iuivit , pleine d'inquiétude 2c de crainte > 
mon filence obftiné, plus énergique que des 
paroles ^ ma plainte amere & publique au 
fujet de la lettre de M. d'Alembert ; ma 
lettre au Miniftre , qui ne m'a point écrie 9 
en réponfe à celle qu'il m'écrit lui-même , 
& dans laquelle je ne dis pas un mot de 
luis enfin mon refus, fans daigner m*a« 
drefTer à lui , d'acquielcer à une affaire qu'il 
a traitée en ma faveur , moi le fâchant, Se 
fans oppofition de ma part ; tout cela parle 
feul du ton le plus fort , je ne dis pas à 
tout homme qui auroit quelque fentimenc 
dans Tame , mais à tout homme qui ii*efi 
pas hébété. 

Quoi I après que }'ai rompu tout com^ 
mercc avec lui depuis près de trois mois , 
après que je n'ai répondu â pas une de fes 
lettres , quelqu'important qu'en fût le fujet, 
environné des marques publiques & parti- 
culières de l'affliftion que fon infidélité me 
caufc , cet homme éclairé , ce beau génie 



'A M. David Hume. ij<^ 

tutarellement fi clairvoyant & volontaire* 

meiit fi flupide- , ne voie rien , n'entend 

rien , ne fent rien , n*eft ému de rien , 6c 

fans un feul mot de plainte , de juflification , 

<l'expIicacion , il continue à fe donner, mal* 

gré moi , pour moi les foins les plus grands , 

les plus empreiTcs ! il m'écrit affeâueufe* 

ment qu'il ne peut refter à Londres plus 

• long-tems pour mon fervice , comme fi 

nous étions d'accord qu'il y reliera pour 

cela 1 Cet aveuglement , cette impaffîbilité , 

cette obflination ne font pas dans la nature s 

il faut expliquer cela par d'autres motifs» 

Menons cette conduite dans un plus grand 

jour> car c'eft un point décifif. 

Dan$ cette affaire il faut nécefiairemenc 
que M. Hume foit le plus grand ou le der- 
nier des hommes , il n'y a pas de milieu* 
Refte à voir lequel c'eft des deux» 

Malgré tant de marques de dédain de ma 
part, M. Hume avoir* il l'étonnante géné«* 
xofité de vouloir me fervir fincérement ? Il 
favoit qu'il m'étoit impo^ble d'accepter fes 
bons ofEccs > tant que i'aurois de lui les fcnii- 



i4t Lettre 

dit ces mots , )e fentis un creiTaillémenr 
beffroi dont )e n'étois pas le maître > mais 
il ne me fallut qu^un moment pour me 
remettre & rire de ma terreur. Dès le l€ii- 
demain tout fut fî parfaitement oublié , que 
je n'y ai pas ilnème peiifé durant tout mon 
il^joUr à Londres & au voi(inage. Je ne m'en 
fais fonvenu qu*i€i , où tant de cbofes ra*oQC 
rappelé ces paroles , & me les rappelleuc ^ 
pour ainfi dire à chaque ini^tnt. 

Ces mots dont le tan retentit for nton 
ccrar comme s'ils venoicnt d'être prOnoa - 
ces y les longs Bc funefles regards tant de 
fois lancés fur moi , les petits coups fur 
le dos avec des mots de mon cher Moteur ^ 
en réponfe «u foupçdn d'écre un maître ^ 
tout cela m*aâR:âe i un tel point après le 
feile y que Ces fouvenirs , fuiTent-ils les feols 
fermeroient tout retour à la confiance , 8c il 
n^ a pas an& nuit où ces mots : Je tiens 
J» J. Roufftau , ne Tonnent encore è mon 
oreille , comme fi je les entendoit de nou<» 
veau. 

Oui ^ M. Hume y vous me tenez ,-jc Iç 



A M. David Humi. 145 

<^i , mais feulemcm par des chofcs qui roc 
font exccricurcs : vous me tenez par l'c^l- 
nion , par les jugcmcns des hommes i vous 
mo wne, par ma réputation , par ma ^fureté 
pcuc^tre i cous Us préjugés font pour vous j 
Il vous eft aif;^ de me faire paffer pour uo- 
monftrç , comme vous avez commencé , 
& je vois déjà rcxultation barbare de mes 
implacabliîs ennemis. Le public , en général , 
ne me fera pas plus de grâce. Sansauue exa- 
men , il eft toujoufs pour \^% fcrv|ces rendus, 
f >rce que chacun cft bien aifc d'iayittr i hxL 
M rendfç, en montrant qa'ilfait le^fentir. 
J« prévois aifément la fuite àt to^t cela , fut- 
coK dans le pays où vous m'avez conduit, 
U ©a , fans amis, étranger â tout Je monde , 
je4«is prefque â votre merci. Les gens fenfée 
comprendront, cependant, que, loin que 
j*aie pu chercher cette affaire , elle étoit ce 
qui pouVoic m'arriver de plus terrible dans 
Upolîtionoiijefuis: ils fentiront qu'il n*y 
a que ma haine invincible pour toute fauflèti 
«c rirapoflîbilitc de marquer de Teftime â 
celui pour qui je l'ai perdue, qui aient p^ 
m'empêchcr de diflîmuler quand tant d'iu- 
tétcts m'en faifoieat une loi :^ais les gêna 



'^44 LiTTai 

lènfet font en petit nombre & ce ne font pâl 
ciu qui fbnt du bruit. 

Oui y M. Hume , vous me tenez par tous 
les liens de cette vie } mais vous ne me tenez 
. ïii par ma vettu ni par mon courage , indé- 
pendant de TOUS & des liommes » àc qui me 
xeftera tout entier malgré vous. Ne penfez 
j>as m*eâFrayer par la crainte du fort qui 
m'attend.' Je connois les jugemens des 
hommes , je fuis accoutumé i leur inju/lice » 
& j'ai appris â les peu redouter. Si votre parti 
cftpris f comme j'ai tout lieu de le croire , 
Ibyez sûr que le mien ne l'eft pas moins. 
Mon corps eft aâFoibliy mais jamais mon 
ame ne fqt plus ferme. Les hommes feront 
& diront ce qu'ils voudront , peu m'irop<#àe i 
ce qui m'importe eA d'achever , comme j'ai 
commencé , d^étre droit Se vrai jufqu'i la 
fin y quoiqu'il arrive , 8e de n'avoir pas plus 
à me reprocher une lâcheté dans mes roifeipt 
qu'une infolence dans ma profpérité. Quelque 
opprobre qui m'attende & quelque malheur 
qui me menace , je fuis prêt. Quoiqu'i 
.plaindre , je le ferai moins que vous , & je 
fous laiife pour toute vengeance le tourment 

de 



A M. David Hume. 145 

4c refpeâer , malgré tous , Tlnforcuné que 
TOUS accablez. 

En achevant cetera lettre, je fuis furpris de 
Ui force que j'ai eue de l'écrire. Si l'on mou- 
foic de douleur , j'en ferois mort à chaque 
Ugne. Tout «ft également incompréhenfible 
«ians ce qui fe pafTe. Une conduite pareille à 
la votre n'eft pas dans la nature , elle efl con- 
tradi^oirc » £c cependant elle m'eft démon- 
trée. Abyme des deux côtés l je péris dant 
l'un ou dans l'autre. Je fuis le plus malheu- 
reux des humains û vous êtes coupable , j'en 
fuis le plus vil d vous êtes innocent. Vous me 
faites defîrer d'être cet objet raéprifable. Oui, 
l'état où je me verrois proderné , foulé fous 
vos pieds , criant miféricorde & faifant touc 
pour l'obtenir , publiant à haute voix mon 
indignité & rendant â vos vertus le plus écla« 
tant hommage , feroit pour mon coeur un 
état d'épanouiifement & de joie , après l'étac 
d'étou^Tement & de mort où vous l'avez mis» 
Il no-me refte qu'un mot à vous dire. Si vous 
êtes coupable ne m'écrivez plus ; cela feroic 
inutile , & furement vous ne me tromperez 
pas. Si vous êtes innocent , d$iignez vous 
Tome IV% U 



ij^S Lettre, Sec. 

)u(Hfîcr. Je connois mon devoir , je Taîmo 
& l'aimerai toujours, quelque rude qu*it 
puifle être. Il n'y a point d'abjeâion donc un 
coeur , qui n*efl pas né pour elle , ne puide 
revenir. Encore un coup , û vous êtes inno- 
cent , daignez vous juftifîer : il vous neTêcei 
pas , adieu pour jamais. 



LETTRE 

A MYLORD MARÉCHAL. 

Le lo Jmilu iy6€, 

Lf A dernière lettre , Mylord , que )'ai reçue 
• de vous étoic du 15 Mai. Depuis ce tems, 
)*ai été forcé de déclarer mes feutimens à 
M* Hume j il a voulu une explication j il Ta 
eue , jMgnore Tufage qu*il en fera. Quoi qu'il 
en Toit , tout eft dit déformais entre lui & 
moi. Je voudrois vous envoyer copie des 
lettres , mais c*e{l un livre pour la grolTeur. 
Mylord , le fentiment cruel que nous ne nous 
verrons plus , charge mon cœur d*un poids 
infupportable* Je donnerois la moitié de mon 
fang pour vous voir un feul quart-d'beure 
encore une fois en ma vie. Vous favez com- 
bien ce quart -d*heure me feroit doux , mais 
vous ignorez combien il me feroit im- 
portant. 

Après avoir bien réfléchi fur ma fîruatîon 
préfenie , )e n*ai trouvé qu'un feul moyen 
poffible de m'afliirer quelque repos fur mes 
detniers jours. Cdk de me faire oublier des 

Nij 



14^ L K T T R' É 

hommes suffi parfaitement que fî je n'exîflslf 
plul , û tant efl qu*on puiiTe appeller exif- 
tence un refte de végétation inutile à roî- 
même & aux autres , loin de tout ce qui 
nous e(l cher. £n con(equence de cette ré- 
Iblution , j*ai. pris celle de rompre toute cor- 
refpQndtnce hors les cas d'abfolue nécefliié. 
Je celTe déformais d'écrire & de répondre à 
qui que ce foit. Je ne fais que deux feules 
exceptions , dont Tune eft pour M. Du Pey- 
Toa y je crois fuperâu de vous dire quelle eft 
l'autre j déformais tout 1 Tamitié , n'exiflanc 
plus que par elle , vous fenrez que j'ai plus 
bcfoin que jamais d'avoir quelquefois de vos 
lettres. 

Je fuis très- heureux d'avoir pris du goâe 
pour la botanique* Ce goût fe change in- 
enfîMement en.une pa(fîon d'enfant, ou 
plutôt en un radotage inutile & vain : csr je 
n'apprends aujourd'hui qu'en oubliant ce que 
j'appris hier i mais n'importe. Si je n'ai jamais 
le plaiHr de favoir, j'aurai toujours celui 
d'apprendre , «c c'cft tout ce qu'il me faut. 
Vous ne fauriez croire combien Tétude des 
plantes jette d'agrément fur ttiei promenadot 



:a Mylord Maréchal. 149 

foUtaires. Tai eu le bonheur de me conferver 
un cœur aiTcz fain , pour que les plut (iuiplcs 
amufemens lui fuffifent » & )*enipéche , en 
m'empAîlliuic la t£ce , qu'il n*y refte place 
pour d*aucres fatras. 

L'occupation pour les jours de pluie , ùé- 
q«iens en ce pays y eft d'écrire ma vie. Non 
sna rie extérieure comme les autres $ mais 
ma vie réelle , celle de mon ame , Thiftoire 
de mes (èntimens les plus fecrecs. Je ferai c« 
,f|ue nul homme n'a fait avant moi »& ce que 
yraiferablablement nul autre fie £era dans la 
iiiite. Je dirai tout , le bien , le mal , tout 
enfin ; je me fens une ame qui fe peut mon- 
trer. Je fuis loin de cette époque chérie de 
17^2 » mais j'y viendrai , je l'efpere. Je re- 
commencerai du moins en idée ces pèlerinages 
de Colombier , qui furent les jours les plus 
purs de ma vie. Que ne peuvent-ils recom- 
mencer encore & recommencer fans cefTe ? 
Je ne demanderois point d'autre éternité. 

M. Du Peyrou me marque qu'il a reçu les 
trois cents louis. Us viennent d'un bon perc 
qui , non plus que celui dont il eft l'image , 

Nrtj 



1 5 ô Lettre, Sec. 

n'attend pas que fes enfant lui dcmandeiK 
leur pain quotidien. 

Je n'efltends point ce que vou» tne éim 
d'une prétendue charge que les faabitans de 
Derbyshire m'ont donnée. Il n'y a rien de 
pareil , )è vous afTure'; & cela m'a tout l'air 
d'une plaifanterie que quelqu'un vous aota 
faite fur mon compte s du refte , )e fuittvds*' 
content du pays 8c des liabitaÏM, «itan€ 
qu'on peut l'^re â mon âge d'un climat êc 
d'une manière de vivre auxquels on n*eft pai 
accoutumé. J'efpérois que vous me porleriee 
un peu de votre maifon & de votre Jasdin , 
ne fût-ce qu'en faveur de la botanique. Ah I 
que ne fuis-|e â portée de ce bienheureux jaiw 
din y dût mon pauvre fultan le fbiiragtr ua 
peu comme il fie celui de Colombier ( 



I. E T T R E 

A M. G U Y. 

Wootton y lez Août 1766. 

JE me feroîs bien paffé , Monficur , d*ap- 
prendre les braits obligeant c^u'on répand i 
Paris fur mon compte ; & vous auriez bien 
pu TOUS paflèr de vous joindre à ces cruels 
amis qui fe plaifent à m*enfoncer vingt poi- 
gnards dans le coeur. Le pani que j'ai pris 
de ^l'enfevelir dans cetre fotitude , fans en- 
tretenir plus aucune correfpondance dans le 
inonde , eft l'eâTec de ma (îcuation bien exa- 
minée. La ligué qui s*eft formée contre moi 9 
elltrop putCance , trop adroite , trop ardente, 
trop accréditée pour que dans ma portion ; 
fans autre appui que la vérité , |e fois en étac 
de lui faire face dans le public. Couper les 
têtes de cette hydre ne ferviroit qu'à les mul- 
tiplier , 6c je n*aurois pas détruit une de leurs 
calomnies , que vingt autres plus cruelles lui 
fuccéderoient à, Tinflant. Ce que j*ai â faire 
eil de bien prendre mon parti fur les juge- 
mens du public '> de me taire , & de tâcher 
ail moins de vivre & mourir en repos. 



152' ^Lettre 

Je n'en fuis pas moins reconnoiifant pour 
ceux que rincérêc qu'ils prennent à moi , 
engage â m'inftraire <le ce qui Te paiTe. En 
ra*afHigeanc ils m'obligent ^ s'ils me font du 
mal , c'cft en voulant me faire du bien. Ils 
croient que ma réputation dépend d'une lettre 
injurieufe ; cela peut être : mais s'ils croient 
que mon honneur en dépend» ils fe trompent. 
Si l'honneur d'un homme dépendoit des iU'* 
jures qu'on lui dit , & des oucrages qu'on lui 
fait 9 il y a long-tems qu'il ne me refteroic 
plus d'honneur â perdre. Mais au contraire» 
il efl même au-deifous d'iîQ honnête homme 
de repoufTer de cenains outrages. On die 
que M. Hume me traite de vile canaille & 
de fcélérac. Si je favois répondre à de pareils 
noms , je m'en croirois digne. 

Montrez cette lettre a mes amis » & priez- 
les de fe iranquillifer. Ceux qui ne jugent 
que fur des preuves , ne me condamneront 
certainement pas; 5c ceux qui jugent faot 
preuves ne valent pas la peine qu'on les dé- 
fabufe. M. Hume écrit , dit-on , qu'il veut 
publier toutes les pièces relatives à cette 
affaire. C'eft , j'en réponds , ce qu'il fe gaf 



A M. G u Y. 155 

«Icra de faire , ou ce qu*il fe gardera bien au 
Biolns de faire fidèlement. Que ceux qui fe- 
ront au foit nous jugent , je le dcfire : que 
ceux qui ne fauront que ce que M. Hume 
▼oudra leur dire , ne laifTcnt pas de nous ju- 
ger , cela m*cft , je vous jure , trcs-indilfé- 
rent. J'ai un défenfeur dont les opérations 
font leaces y mais fures : je les attends. 

Je me bornerai à. vous préftnter une feule 
réflexion. Il s'agit , Monfîeur , de deux 
hommes , dont Tun a été amené par l'autre 
en Angleterre prefquc malgré lui. L'étranger, 
ignorant la langue du pays , ne pouvant par- 
ier ni entendre j feul , fans ami , fans appui , 
Cstns connoiifance , fans favoir même à qui 
confier une lettre en fûrecé s livré fans ré- 
ferve â l'autre & aux fiens ; malade , retiré , 
ne voyant perfonne , écrivant peu , eft allé 
s'enfermer dans le fond d'une retraite , où it 
lierborife pour toute occupation. Le Breton , 
homme a^if, liant, intriguant, au mi- 
lieu de foiî pays , de Ces amis , de Ces pa- 
rens , de fes patrons , de Cçs patriotes 5 en 
grand crédit à la Cour , à la Ville ; répanda 



^54 Lettre 

dans le plus grand monde ,àla tête desgeny 
de Lettres , difpofant des papiers publics , 
en grande relation chez l'étranger , fur-cour 
avec les plus mortels ennemis du premier. 
Dans cette poHtion « il fe trouve que Tua 
des deux a tendu des pièges à l'autre. Le 
Breton crie , que c'eft cette vile canaille , ce 
fcélérat d'étranger qui lui en tend. L'étranger 
feul , malade , abandonné , gémk & ne ré- 
pond rien. Lâ-deiTus le voilà jugé , & il de- 
meure clair qu'il s'eft laitfe mener dans le 
pays de l'autre , qu'il s'eft mis à fa merci , 
tout exprès pour lui faire pièce » & pour conf- 
pirer contre lui. Que penfez-vous de ce ju- 
gement ? Si j'avois été capable de former uo 
projet au(G monftrueufemenc excravagior , 
où eft l'homme , ayant quelque fens , quel- 
que humanité , qui ne devroic pas dire : 
Vous faites tort à ce pauvre miférable , il eft 
trop fou pour pouvoir être un fcélérat. Plai- 
gnez-le» faignez-le; mais ne l'injuriez par. 
J'ajouterai que le ton feul que prend M. Hu- 
me , devroit décréditer ce qu'il dit. Ce ton 
ft brutal , (î bas , fi indigne d'un homme qui 
fe teCpcâe , marque aiTcz que l'ame qui l'c 



A M. G u y. I j j 

àm n'cft pas faine^ il n'annonce pas un 
langage digne de foi. Je fuis étonné , je 
ravouc , comment ce ton feul n'a pas excité 
l'indignation publique. Ccft qu'à Paris 
c'eft toujours celui qui cric le plus fort qui 
a raifon. A ce combat là , je n'emporterai 
jamatt la viaoire , & je ne la difputcrai pas. 

Voici , Monfîeur , le fait en peu de mots, 
n m'eil prouvé que M. Hume , lié avec mes 
pluj cruels ennemis , d'accord à Londres 
avec des gens qui fc montrent, & â Paris ^ 
a?cc tel qui ne Ce montre pas , m'a attiré 
<lans fon pays , en apparence pour m'y fcr- 
vir avec la plus grande oftentation , & en 
effet pour m'y diffamer avec la plus grande 
adreffe , à quoi il a très-bien réuflî. Je m'en 
fuit plaints il a voulu favoir mes raifons j je 
les lui ai écrites dans le plus grand détail : (î 
on les demande, il peut les dire. Quant i 
moi , je n'ai rien à dire du tout. 

Plas |e penfci la publication promîfe par 
M. Hume , moins je puis concevoir qu'il 
Vcxécutc. S'il l'ofç faire , à moias d'énoi- 



^ 



1^6 Lettre, &c. 

mrs fainHcations, je prédis hardiment , ^ue^ 
malgré Ton extrême adreife & celle de Ces 
smis , fans même que |e m'en mêle , M* 
Hume eA un homme démafqué» 



lETTRl 



LETTRE 

A MYLORD MARÉCHAL. 

Ia ^ Août iy€é. 

Les chofes incroyables que M. Hume 
écrit â Paris fur mon compte , me font pré- 
fumer que , s'il i'ofe , il ne manquera pas Hs 
TOUS en écrire autant. Je ne fuis pas en peine 
de ce que vous en penferez. Je me flatte, My. 
lord , d'être affez connu de vous » & cela 
me tranquillife. Mais il m'accufe avec tant 
d'audace d'avoir refufé malhonnêtement la 
penfîon après l'avoir acceptée , que je crois 
devoir vous envoyer une copie Hdelle de la 
lettre que j'écrivis â ce fujet â M. le Général 
Conway (i). J'étois bien embarraffé dans 
cette lettre , ne voulant pas dire la véritable 
caufe de mon refus , & ne pouvant en allé- 
guer aucune autre. Vous conviendrez , je 
m'a^Ture , que fi l'on peut s'en tirer mieux 
que je ne fis , on ne peut du moins i^tn tirer 
plus honnêtement. J'ajouterois qu'il eft faux 
que j'aie jamais accepté la penfion. J'y mis 

(i) Celle du xi Mai i-j66. 
Tome IV. ^ O 



158 LltTRï, &C. 

feulemenc votre agrément pour conditioa 
néceiï*aire , & quand cet agrément fat yenu , 
M. Hume alla en avant fans me coufulter 
davantage. Comme voui ne pouvez favoir 
ce qui s*eA paflé en Angleterre â mon égard 
depuis mon arrivée , il eft impofljble que 
vous prononciez dans cette aâPaire , avec 
connoiiTance , entre M. Hume & moi j fes 
procédés fecrets font trop incroyables , SC 
il A*y ^ perfonne au monde moins fait que 
vous y pour y ajouter foi. Pour moi qui 
les ai fends Ci cruellement ,/ & qui n*y peux 
penfer qu*avcc la douleur la plus amere ^ 
tout ce qu'il me rcfte â defîrcr , elt de n'en 
reparler jamais. Mais comme M. Hurae oe 
garde pas le même (îlence , & qu'il avance 
les chofes les plus fauffes du ton le plus affir* 
matify \t vous demande audi, Mylord , 
une juflice que vous ne pouvez me refufer , 
c*e(l lorfqu'on pourra vous dire ou vous 
écrire que j'ai £ait volontairement une chofe 
injulèe ou malhonnête , d'être bien peifuadé 
que cela n'eil pas vrai. 



1. ET TR E 

AU MÊME. 



7 SipHmbre iy€€, 

J E ne puis vous exprimer , Myîord , à 
quel point , dans les circonftances où je nie 
trouve « }e fuis alarmé de vocre filence. La 
dernière lettre que j*ai reçue de vous éioit 
du « .... . Seroit-il poffible que les ter- 
ribles clameurs de M. Hume euiï*ent fait im- 
preflion fur vous , & m*eu^ent au milieu 
de tant de malheurs , ôté la feule confo- 
lation qui me reftoit fur la terre ? Non , 
Mylord , cela ne peut pas être. Votre ame 
ferme ne peut être entraînée par l'exemple de 
la foule s votre efprit judicieux ne peut être 
abufé à ce point. Vous n*avez point connu 
cet homme « perfonne ne Ta connu , ou plu- 
tôt il n'eA plus le même. Il n'a jamais haï 
que moi fcul } mais au/fî quelle haine ! Un 
même coeur pourroic-il fuâfîre i deux comme 
celle-U ? Il a marché jufqu'ici dans les tene- 
l^iei y il l'cA caché , mais maintenant il fe 

Oij 



i6o Lettre 

montre â découvert. Il a rempli rAnglererrr^ 
la France f les Gazettes , TEurope entière de 
cris auxquels je ne fais que répondre^Sc d'in- 
jures dont je me croirois digne , û je dai» 
gnois les repoulTer. Tout cela ne déccle-t-il 
pas avec évidence le but qu'il a caché jufqu'i 
préfent avec tant de foin ? Mais laidôns 
M. Hume j je veux l'oublier malgré les maux 
qu'il m'a faits. Seulement qu'il ne m'ôte pas 
mon père. Cette perte eft la feule que je ne 
pourrois fupporter. Avez-vous reçu mes deux 
dernières lettres , l'une du lo Juillet , & 
l'autre du ^ Août ? Ont- elles eu le bonheur 
d'échaper aux filett qui font tendus touc 
autour de moi » & au travers defquels peu 
de chofe pade ? Il paroît que l'intention de 
mon per(ccuceur & de fes amis , eft de m'ôter 
toute communication avec le continent , & 
de me £iire périr ici de douleur & de mi- 
fere. Leurs mefures font trop bien prifes pour 
que je puifle ai(ement leur échaper. Je fuis 
préparé à tout , & je puis tout fupporter hors 
votre fîleuce. Jem^adrefle k M. Rougcmont ; 
je ne connois que lui feul à Londres à qui 
J'ofc me confier. S'il me refufe fes fervices. 



'A Mylord Maréchal, itfi 

|e fuis fans refTource, Scfans moyen pout 
écrire à mes amis. Ah , Mylord ! qu'il me 
vienne une lettre de vous > & je mecenfole 
•ie tout le lefle. 



OU) 



LETTRE 

A U M Ê M E. 

Wootton y U 17 Septembre 17^^. 

Je n'ai pas bcfoin , MylorJ , de vous dire 
combien vos deux dernières lettres m'ont 
fait de plaifir & ni'éioient néceifaires. Ce plai- 
(îr a pourtant été tempéré par plus d'un ar- 
ticle , par un fur- tout auquel je réferve nne 
lettre exprès , & auflî par ceux qui regardent 
M. Hume , dont je ne faurois lire le nom. 
ta rien qui s'y rapporte , fans un ferrement 
de cœur & un mouvement convulfîf » qui 
fait pis que de me tuer , puifqu'il me laiflê 
vivre. Je ne cherche point , Mylord , â dé- 
truire l'opinion que vous avez de cet homme y 
ainfî que toute l'Europe ^ mais je vous con- 

jure par votre cœur paternel de ne me re- 
parler jamais de lui fans la plus grande ne- 

ceiCté. 

Je ne puis me difpenfer de répondre d ce 
que vous m'en dites dans votre lettre du ^ 
de ce mois. Je vois'avec douleur , me mar* 
quez-vous , que vos ennemis mettront fur le 



compte de M. Hume tout ce qu^il leur plaira 

■ d'ajouter au démêlé d^etttfe Pàus, & lui. Mais 

^oe pourroienc-ils faire de plus que ce qu'il 

a fait lui-même ? Dirent-ils de moi pis qu^il 

S) en a dit dans les lettres qu'il a écrites À 

" Paris , par toute l*Eiïrope , & qu'il a fait 

mettre dans toutes les Gazettes ? Mes autres 

ennemis me font du pis quMts peuvent & ne 

s*en cachent gueres ; lui fait pis qu'eux de 

le cache , & c'eft lui qui ne manquera pas de 

mettre fur leur compte , le mal que jufqu'à 

ma mort il ne cefTera de me faire en fccret. 

Vous me dites encore , Mylord , que )c 
trouve mauvais que M. Hume ait follicité la 
l>ennon du Roi d'Angleterre à mon infu. 
Comment avez-vous pu vous laiffer fur- 
prendre au point d'affirmer ainfi ce qui n'eft 
pas ? Si cela étoit vrai , je ferois un extrava- 
gant y tout au moins ; mais rien n'eft plus 
faux. Ce qui m'a fâché , c'étoit qu'avec fa 
profonde adreflè il fe foie fervi de cette 
penfion , fur laquelle il revenoit i mon iofa 
quoique refu(ee , pour me forcer de lui mo- 
civer mon refus & de lui faire la déclara- 
tion (^tTil vouloir abfolument avoir ^ fie 



1^4 Lettre, Sec. 

que je voutois éviter , fâchant bien Vuùtpà 
qu'il en you^oit faire. Voilà , Mylord , 
Texaâe vérité , dont fai les preuves y & que 
vous pouvez aflSrmer. 

Grâce au ctel^ j'ai fini quant â pféfent fuf 
ce qui regarde M. Hume. Le fujct dont j'ai 
maintenant i vous parler eft tel que je ne puis 
me réfoudre à le mêler avec celui-U dans la 
même lettre. Je le réferve pour la première 
que je vous écrirai. Ménagez peur moi vos 
précieux jours , je vous en conjure. Ah ! 
vous ne favez pas » dans l'abîme de mal* 
heurs où je fuis plongé y quel fisroic poiu 
moi celui de vous furvivre \ 



LETTRE 

A MADAME ***. 

Wootton , le 27 Septembre îy66, 

Le cas que vous m'expofez , Madame , eft 
dans le fond très-commun , mais mêlé de 
chofes fi extraordinaires , que vocre lettre a 
l*air d'un roman. Votre jeune homme n*e(l 
pas de Ton ficelé *, c'eA un prodige ou un 
monftre. Il y a des montres dans ce fiede , 
je le fais trop , mais plus vils que courageux , 
Se plus fourbes que féroces. Quant aux pro- 
diges , on en voit fi peu que ce n'cft pas la 
peine d*y croire , & fi Caflîus en eft un de 
force d*ame, il n'en eft affurémcnt pas un de 
bon Cens & de raifon. 

It fe vante de facrifices qui , quoi qu'ils 
faflcnt horreur , feroient grands t*ils étoienc 
'pénibles , & feroient héroïques s*ils étoienc 
néceifaires > mais où , faute de l'une & de 
l'autre de ces conditions , je ne vois qu'une 
extravagance qui me fait très-mal augurer de 
celui qui les a faits. Convenez , Madame , 
^u'un amant qui oublie fa belle dans uu 



j66 Lettre 

Toyage , qui en redevient amoureux qnati^ 
il la revoit , qui Tépoufe & puis qui s*^« 
loigne & Toublie encore , qui promet (eche* 
ment de revenir à Ces couches Ôc n*en fait 
rien , qui revient enfin pour lui dire qu*il l'a- 
bandonne , qui part & ne lui écrit que pour 
confirmer cette belle réfoUition 5 convenez , 
dis-ie , que fi cet homme eut de Tamour , il 
n^n eût gueres , & que la viâoire dont il 
fe vante avec tant de pompe , lui coûte pro- 
bablement beaucoup moins qu'il ne vous dit» 

Maïs fuppofant cet amour aflcz violent 
pour fe faire honneur du facrifice , où en cil 
la néccflîté ? C*eft ce qui me pafTc. Qu'il s'oc- 
cupe du Aiblime emploi de délivrer fa patrie » 
cela eft fort beau > & je veux croire que cela 
eft utile : mais ne fe permettre aucun fenci- 
ment étranger i ce devoir , pourquoi cela ? 
Tous les fentimens vertueux ne s'étaient- ils 
pas les uns les autres , & peut- on en détruire 
un (ans les afFoihlir tous ? T'ai cru long-tems > 
dit- il y combiner mes affeéiions avec mes de 
voirs. Il n'y a point là de combinaifons à 
faire , quand ces afifeOions elles-mêmes font 
des deroits. Uillufion cejfe. « & je vois ^ttu^ 



A Madame *♦*. i6y 

^rrài citoyen doit Us abolir. Quelle eft donc 
cette illufion ^ Se où a-t-il pris cette afFreufe 
maxime ? S'il eil de trifles fituations dans la 
vie , s*il eil de cruels devoirs qui nous for- 
cent quelquefois â leur en facrifier d'autres , 
à. déchirer notre cœur pour obéira la néceflîté 
prenante oui l'infleocible vertu , encft-il , 
en peut- il jamais être qui nous forcent d'é- 
couâTer des fentimens auifi légitimes que 
ceux de Tamour filial , conjugal , paternel i 
& tout homme qui fe fait une exprcfTe loi de 
a*êire plus ni fils y ni mari, ni pcre , ofe- 
c-il ufurper le nom de citoyen 9 ofc-c-il ufiir- 
per le nom d'homme } 

On diroic , Madame ^ en îifant votre let- 
tre , qu'il s'agit d'une confpiration. Les conC- 
pirations peuvent être des aâes héroïques de 
patriotifmc , & il y en a eu de telles i mais 
prefque toujours elles ne font que des crimes 
puniflables , dont les auteurs fongent bien 
-moins X fervir la patrie qu'à l'affervir , de à 
la délivrer de fcs tyrans qu'à l'être. Pour 
xnoi je vous déclare que je ne voudrois pour 
xien au monde avoir trempé dans la conf- 
pirattOA la plus légitime } paice qu'enfin cei 



1^8 Lettre 

forces d'entreprifes ne peuvent s'exécuter Cuïs 
troubles , fans défordres , fans violences » 
quelquefois fans efFuHon de fang , 8c qu'à 
mon avis le fang d'un feul homme eft d'un 
plus grand prix que la liberté de tout le genre- 
humain. Ceux qui aiment (încérement U li- 
berté n'ont pas befoin , pour la trouver > de 
tant de machines -y & Cans caufer ni révolu- 
tions ni troubles , quiconque veut être libre » 
l'eil en effet. 

Pofons toutefois cette grande entreprKe 
comme un devoir facré qui doit régner fur 
tous les autres , doic-il pour cela les anéantir ^ 
& ces differens devoirs font- ils donc à tel 
point incompatibles , qu'on ne puiilè fervir 
la patrie fans renoncer â l'humanité ? Votre 
Caflîus e(l-il donc le premier qui ait formé 
le projet de délivrer la fîenne , & ceux qui 
'l'ont exécuté , l'ont-ils fait au prix des facri- 
fices donc il fe vante ? Lbs Pélopidas , les 
Brutus , les vrais Caflîus & tant d'autres ont- 
ils eu befoin d'abjurer cous les droics du fang 
& de la nature , pour accomplir leurs nobles 
deffeins ? V eût -if jamais de meilleurs fils , 
de meilleurs maris ^ de meilleurs pères qu? 

CCS 



A Madame ***. 169 

ket grands hommes ? La plupart, au con« 
traire , concertèrent leurs entreprifes au fcia 
de leurs familles , êc Brutus ofa révéler , fans 
néceflîcé , Ton fecret à fa femme, uniquement 
parce ^u^il la trouva digne d'en être dépo« 
iîtaire. Sans aller û. loin chercher des exem^ 
pics , je puis , Madame , vous en citer un 
plus moderne d'un héros à qui rien ne man- 
que pour être à, côté de ceux de Tanciquicé , 
^ue d'être auffî connu qu'eux. C'efl le Comte 
Xouls de Fiefque « lorfqu'il voulut brifer les 
fers de Gênes fa patrie , & la délivrer du 
joug des Doiia. Ce jeune homme û aimable, 
iî vertueux , Ci parfait , forma ce grand def- 
fein prefque dès fon enfance , & s'éleva , pour 
sdaCi dire , lui-même pour Texécucer. Quoi- 
que très-prudent , il le confia â fon frère , à 
fa famille , â Ca femme aufli jeune que lui > 
te après des préparatifs très - grands , très- 
lents , très- difficiles , le fecrêt fut G. bien gar- 
dé , l'entreprife fut û. bien concertée & eut 
un Cl plein fuccès , que le jeune Fiefque étoic 
maître de Gênes au moment qu'il périt par 
un accident. 

Je ne dis pas qu'il foitiage de révéler ce^ 
Tome IF. P 



lyo Lettre 

fortes de fecrets , même à Tes proches , faut 
la plus grande néceflicé ^ mais autre chofe efl^ 
garder Ton fecret , & autre chofe , rompre 
avec ceux â qui on le cache. J^accorde même 
qu*en méditant un grand deffein 9 Ton efl 
obligé de s'f livrer quelquefois au point d'ou- 
blier pour un tems , des devoirs moins pref- 
fans peut-être ,^mais non moins facrés iitâc 
qu'on peut les remplir. Mais que de propos 
délibéré , de gaité de cœur , le fâchant » le 
voulant , on ait , avec la barbarie de renon- 
cer pour jamais à tout ce qui nous doit être 
cher , celle de Taccabler de cette déclaration 
cruelle , c'eft , Madame , ce qu'aucune fîtua- 
tion imaginable ne peut ni autorifer , ni fug- 
gérer même à un homme dans fon bons Cens 
qui n*eft pas un mondre. Ainfî )e conclus , 
quoi qu'à regret , que votre CafCus eft fou 
tout au moins , & je vous avoue qu'il m*a 
tout -â- fait l'air d'un ambitieux embarra(!e 
de fa femme , qui veut couvrir du mafque 
de rhéroïfme fon inconftance & fes projets 
d'aggrandiilement. Or • ceux qui favent em- 
ployer à fon âge de pareilles rufes , font des 
gens qu'on ne ramené jamais ^ 6c qui rvc- 
ment en valent la peine. 



A Madame ***. 171 

Il Ce peut y Madame , que je me trompe ; 
c*eft à vous d'en juger. Je voudrois avoir 
des chofes plus agréables i vous dire : mais 
vous me demandte mon fentiment ; il faut 
vous le dire, ou me taire , ou vous tromper. 
I>et trois partis j'aichoifi le plus honnête, & 
celui qui pouvoit le mieux vous marquer » 
Madame y ma déférence fie mon refpe^» 



Pîj 



LETTRE 

A M'"- DEWES. 

JPootton ) U $ Décembre iyf€m, 

1V3 A belle Toifine , tous me rendez injufle 
& jaloux pour la première fois de ma vie ^ 
)e n*ai pu voir fans enyie les chaînes dont vous 
honoriez mon fulcan \ U\t lui a» rayi l*a» 
vancage de les porter le premier. J*en auroîs 
dû parer votre brebis chérie , mais je n*ai oCk 
empiéter fur les droits d*un jeune & aimable 
berger. C*efl déjà trop paiTcr les miens de 
faire le galant â mon âge \ mais puifque 
vous me l'avez fait oublier , tâchez de l'ou- 
blier vous-même y dcpenfez moins au barboa 
qui vous rend hommage , qu'au foin que vous 
avez pris de lui rajeunir le coeur. 

7e ne veux pas, ma belle voi(îne y vous 
ennuyer plus long-tems de mes vieilles for- 
nettes. Si je vous contois toutes les bontés 
& amitiés dont votre cher oncle m'honore ^ 
je fesois encore ennuyeux par mes longueurs % 
ainfi je me tais. Mais revenez l'été prochain 
en être le témoin vous-même , & ramenés 



L I T T 11 E , &C. 17} 

Madame la ComtefTe (i) , à. condition que 
nous ferons cotte fois- ci les plas forts , 6c 
qa*au lieu de vous laiCer enlever comme 
cette année , tous nous ^detez â la retenir. 

(1) Madame la Comtefle de»Cewpt|r , Tçuve 
du feu Comte Covper , & fille du Comte dt 
Cran ville. 



P iii 



LETTRE 

A MYLORD MARÉCHAL. 

II Décembre ïj^s» 

ABRicm la correfpoDdance ! . . . Mylord , 
^ue m'annoncez- TOUS , & quel tems prenez- 
vous pour cela 2 Serois-)e dans votre difgnace? 
Ah ! dans cous les malheurs qui m'accablenr^ 
voilà le feul que je ne (kurois fupporrer. SI 
j*ai des torts , daignez tes pardonner , en e/l- 
i\ » en peut-il étfe que mes fenciniens pour 
vous ne doivent pas racheter ? Vos bontés 
pour moi font toute la confolation de ma vie» 
Voulez- vous m*ôter cette unique & douce 
confolation ? Vous avez ceile d'écrire à vos 
parens. Eh ! qu'importe , tous vos parens , 
tous vos amis enfeinble ont-ils pour vous im 
attachement comparable au mien ? £h ! 
Mylord , c'eR votre âge , ce font mes maux 
qui nous rendent plus utiles l'un â l'autre. 
A quoi peuvent mieux s'employer les refies 
de la vie qu'à s'entretenir avec ceux qui nous 
font chers ? Vous m'avez promis une éter- 
nelle amitié , je la veux toujours , j'en fuis 
toujours digne. Les terres & les mers nous 



f(Sparent , les hommes peuvent femer bien des 
erreurs encre nous y mais rien ne peut réparer 
jnon cœur du vôtre , & celui que vous ai- 
mâtes une fois n*a point changé. Si réellement 
vous craignez la peine d'écrire , c'efl mon de- 
voir de vous, l'épargner aucam qu'il fe-peut. 
Je ne demande k chaque fois que deux li- 
^es , toujours les mêmes & rien de plus» 
J'ai reçu votre lettre de telle date , Je me 
forte bien ^ & je vous aime toujours. Voilà- 
tout. Répétez-moi ces dix mots douze fois 
l'année , & \t fuis content. De mon côté- 
}*aurai le plus grand foin de ne vous écrire 
jamais tien qui puiflè vous importuner oif 
Tousdéplaire. Mais ceffcr de vous écrire avant 
que la mort nous fépare , non Mylord , ccl» 
ne peut pas être ; cela «e fc peut pas plus que 
cefTer de vous aimer. 

Si vous tenez votre cruelle réfolution , j'en 
mourrai , ce n'eft pas le pire *, mais j'en mour- 
rai dans la douleur y & je vous prédis que 
vous y aurez du regret. J'attends une réponfe , 
ie l'attends dans les plus mortelles inquiétu- 
des ; mais je connois votre ame & cela me 
ralTure. Si vous pouvez fentir combien cette 
féponfc m'eft néccffaire^ je fuis ttès-sûr qu« 
)e l'aurai prompcçment» 



LETTRE 

A M. LE MARQUIS 

DE MIRABEAU. 

ff^ootton le il Jantier Ï76J» 

Il eft digoe de Tami des hommes de con- 
foler les affligés. La lettre ^ Monsieur , que 
TOUS m*avez fait l'honneur de m*écrire , 
la circofiftance où elle a été écrite » le noble 
fentimenc qui Ta diâée , la main refpcc* 
table donc elle vient , Tinfortuné i qui elle 
s'adrefTe , tout concourt à lui donner dans 
mon caur le prix qu'elle reçoit du vôtre. 
£n vous lifanc , en vous aimant par confia- 
quent » )*ai Souvent defîré d'être connu de 
aimé de vous. Je ne m*attendois pas que 
ce feroit vous qui feriez les avances , 8c 
cela précifément au moment où |'étois uni- 
verfellement abandonné : mais la générofité 
ne fait rien faire â demi y & votre lettre en 
a bien la plénitude. Qu*il feroit beau que 
l'ami des hommes donnât retraire â Tami 
de régalité ! Votre ofFre m'a fi vivement 
pénétré y j'en trouve l'objet fi honorable i 



Lettre, &c. i 77 

Van & à Tautre , que par un autre effet bien 
contraire vous inè rendrez malheureux peucr 
écre , pat le regret de n*cn pas profiter :. car 
q^uelque doux qu'il me fut d'être votre hôte ^ 
}e rois peu d'efpoir â le devenir. Mon âge 
plus avancé que le vôtre , le grand éloigne- 
suent , mes maux qui me rendent les voyage» 
très - pénibles , Tamour du repos , de U 
Tolitude y le deHr d'être oublié pour mourir 
en paix , me font redouter de nue rappro- , 
cher des grandes villes, où mon voifinage 
pourroit réveiller une forte d'attention qui 
£aic mon tourmenc D'ailleurs , pour ne 
parler que de ce qui me tiendroic plus près 
<le vous 9 fans douter de ma sûreté du côté 
du Parlement de Paris , je lui dois ce ref- 
peâ de ne pas aller le braver dans Ton 
refTort « comme pour lui faire avouer tacite- 
suent fon injuftice ^ )e le dois à votre miniC- 
tere , à qui trop de marques affligeantes me 
font fentir que |*ai eu le malheur de dé- 
plaire » & cela fans que j'en puiffe imaginer, 
â'autre cauCe qu'un mal-entendu d'autanc 
plus cruel ^ que , fans lui , ce qui m'attira* 
mes difgraces m'eût dû mériter des faveun* 
JDix mots d'explication prouveroicnt cela i 



lyS L I T T R E 

mais c'eft un des malheurs attachés à ta 
pui^Dce humaine £c â ceux qui lui font 
fournis , que quand les Grands font une fols 
dans Terreur il ell impoflible qu'ils en revien- 
nent. AinG. y Monfieur , pour ne point in*er- 
pofer â de nouveaux orages ^ je me tieos au 
feul parti qui peut affurer le repos de mes 
derniers jours. J*aime la France , je la regret- 
terai toute marie; fi mon fort dépendoic 
de moi , j'irois y finir mes jours , & vous 
feriez mon hôte , puifque vous n*aimez pas 
que j'aie un patron ; mais félon toute appa«> 
rence mts vœux & mon caur feront feuls 
le voyage y ^ mes os refieront ici. 

Je n'ai pas eu , Monfîeur , fur vos écrits 
rindiBTérencc de M. Hume , & je pourrois 
û l^en vous en parler qu'ils font avec deux 
traités de Botanique ^ les feuls livres que 
}*aie apportés avec moi dans ma malle $ 
mais outre que je crois votre fublime amout' 
propre trop au-deffus de la petite vanité 
d'Auteur , pour ne pas dédaigner ces formu- 
laires d'éloges , je fuis déjà trop loin de ces 
fortes de matières peur pouvoir en parler avec 
îiiflefTe & même avec plaiiir. Tout ce qui 



A M. DE Mirabeau. 179 

ttenc par quelque c6té â la littérature & à 
un métier pour lequel certainement je n'é- 
tois pas né , m'eft devenu fî parfaitement 
infupportable , & fon fouyenir me rappelle 
tant de trîAes idées , que pour n*y plus pen» 
fer j'ai pris le parti de me défaire de tous 
mes livres , qu'on m'a très- mal i propos 
envoyés de Suidê : les vôtres & les miens 
font partis avec tout le refle. J'ai pris toute 
leâure dans un tel dégoût, qu'il a fallu 
renoncer â mou Plutarque. La fatigue même 
de penfer me devient chaque jour plus péni-*' 
ble. J'aime â rêver , mais librement , en 
laiHânt errer ma tête » 8c fans m'aCervir à 
aucun fujeti & maintenant que je vous écris, 
|e quitte à tout moment la plume , pour 
vous dire , en me promenant , mille chofes 
charmantes , qui dirparoilfeot (ît6c que )e 
reviens à, mon papier.* Cette vie oi(ive £c 
contemplative, que vous n'approuvêï pas 
& que je n'excufe pas , me devient chaque 
|our plus délicieufe. Errer feul , fans 6n Se 
(ans cefTe , parmi les arbres & les roches 
qui entourent ma demeure , rêver au plutôt 
cxtravaguer à mon aife , & , comme vous 
dites 9 bayer aux corneilles ; quand ma cer« 



X 



iSo Lettre 

velle s'échauiFe crdp , lacalmer ea analyfanc 
quelque moulTe ou quelque fougère i enfin 
me livrer fans gêne à mes fantaiiîesy qui , 
grâces au ciel , font toute» en mon pou- 
voir; voilà, Monsieur, pour moilarapréme 
jouilTance » â laquelle je n'imagine rien de 
iiipécieur dans ce monde pour un homme à 
mon âge & dans mon -ecac. Si j*allois dans 
une de vos terres , vous pouvez compcer que 
je n^y prendrois pas le plus petit foin eu 
faveur du propriétaire ; )e vous verrois voler , 
piller y dévalifer ff fans jamais en dire un 
feul mot ni à. vous ni à perfonne. Tous 
mes malheurs me viennent de cette ardente 
haine de Tinjudice, que je n*ai jamais pu 
?^ dompter. Je me le tiens pour dit. Il e/l cems 
d^êcre fage ou du moins tranquille. Je fuis 
las de guerres ic de querelles : je fuis bien 
sûr de n*en avoir jamais avec les honnêtes 
gens y te je n*en veux plus avec les fripons i 
car celles- U font trop dangereufes. VoycK 
donc , Monfieur , quel homme utile vous 
mettriez dans votre maifon i A Dieu ne 
plaife: que je veuille avilit votre offre par 
cctte^objeaiop 5 mais c*en eft une dans vos 
maxiiucs , fie il faut être confcquenc 

Ca 



■^ 



A M. DE MiR ABE AU, 1 8 C 

£n cenfuranc cette nonchalance , vous me 
dépècerez que c*eft n'être bon i rien que n'être 
bon que pour foi: mais peuc-on être vrai- 
ment bon pour foi fans erre par quelque 
côcé bon pour les autres ^ D'ailleurs , confî- 
clérez qu'il n'appartient pas i tout ami des 
hommes d*êtrc , comme vous , leur bien- 
faiteur en réalité. Coiifîdérez que je n*ai ni 
état ni fortune , que je vieillis « que je fuis 
infirme , abandonné y perfécuté , déteAé. 
Zc qu'en voulant faire du bien je fcrois du 
mal , fur- tout â moi-même. J'ai reçu mon 
congé bien /îgnifié , par la nature & par les 
hommes -, je l'ai pris & j'en veux profiter. Je 
ne délibère plus Û. c'efl bien ou mal fait , 
parce que c'eA une rcfolution prife , & rien 
lie m'en fera départir. Puiïïè le public m'ou- 
blier comme je l'oublie l S'il ne veut pas 
sn'oubliex > peu m'importe : qu'il m'admire 
ou qu'il me déchire , tout cela m'eft indiâfé- 
sent', je tâche de n'en tien favoir , & quand 
|e t'apprends , je ne m'en (bucie gueres. Si 
l'exemple d'une vie, innocente & (impie eft 
utile aux hommes , je puis leur faire encore 
ce bien- là ; mais c'ed le feul , & je fuis 
bien déterminé à ne vivre plus que pour 
Tome IK Q 



i8t Lettre 

moi & pour mes amis , en crés-petic nombre 
mais éprouvés , & qui me ruffifent. Encore 
aurois |e pu m'en paiTer , quoiqu*ayanc un 
cœur aimant & tendre pour qui des attache- 
mens font de vrais befoins : mais ces berbins 
m*onc fouvent coûté fi cher que )*ai appris à 
me fuffire à moi-même , & |e me fuis con- 
fervé Tame afTcz faine pour le pouvoir. Ja- 
mais fentiment haineux , envieux , vindica- 
tif n'approcha de mon cceur. Le fouvenir de 
mes amis donne à ma rêverie un charme que 
le fouvenir de mes ennemis ne trouble point* 
Je fuis tout entier où je fuis , & point où 
font ceux qui me perfécucent. Leur haine , 
quand elle n'agit pas , ne trouble qu'eux , de 
je la leur laifTe pour toute vengeance. Je ne 
fuis pas parfaitement heureux, parce qu'il 
n'y a rien de parfait ici bas , fur- tout le bon- 
heur : mais j'en fuis auffi près que je puiffe l'écre 
dans cet exil. Peu de chofe de plus comble- 
roit mes vœux. Moins de maux corporels , 
un climat plus doux , un ciel plus pur , un 
air plus ferein ; fur-tout des cœurs plus ou- 
verts où , quand le mien s'épanche , il fentîc 
que c'eft dans un autre. J'ai ce bonheur en 
ce moment , de vous voyez que j'en profite : 



A M, DE Mirabeau. 18} 

mais je ne Tai pas tout à- fait impunément s 
votre lettre me laiifera des fouvenirs qui ne 
s'efiFaceront pas , & qui me rendront par fois 
moins tranquille. Je n'aime pas kspays ari- 
des , 8c la Provence m'attire peu } nirais cette 
terre en Angoumois qui n*eft pas encore en 
rapport , & où Ton peut retrouver quelque- 
fois la nature , me/lonnera fouvent des re- 
grets qui ne rero|i^ pas tous pour elle. Bon* 
jour, Monfîeur^le Marquis. Je hais les for- 
mules , & je vous prie de m*en difpenfer. 
Je vous falue très - humblemeut fie de tout 
^on corur. 



QlJ 



LETTRE 

A MONSIEUR - 

LE DUC DE GRAFFTON. 

Woonon , le 7 Février 1767* 

Monsieur le Duc, 

J £ vous dois des remerciemens que je yout 
prie d'agréer. Quoique les droits qu'on avoic 
exigés pour mes livres â la douane , me pa. 
niffenc (ons pour la chofe & pour ma bourfe^ 
î'ctois bien éloigné d'en demander £c d'ea 
deHrer le rcmbourfement. Vos bontés , très- 
gratuites fur ce point , en font d'autant plus 
obligeantes ; & puifque vous voulez que 'fy 
reconnoiflè même celles du Roi « )e me tiens 
auffi flatté qu'honoré d'une grâce d'un prix 
ineftimable » par la fource dont elle vient , 
& je la reçois avec la reconnoiiTance & la vé- 
nération que je dois aux faveurs de Sa Ma- 
)eflé , pafT^nc par des mains auflî dignes de 
les répandre. 

Daignez , Monfîeur le Duc, recevoir 
avec bonté les alTurances de mon profbad 
refped. 



LE T T R E 

A M. G U Y. 

Wootton , U 7 Février 1 7^7. 

. J 'a X lu > Monfîeur , avec attendrinement 
.l'ouvrage de mes défeufeurs, donc vous ne 
m'aviez point parlé. Il me femble que ce 
. D*étoic pas pour moi que leurs honorables 
. noms dévoient être un fecrec , comme û l'on 
vouloic les dérober â ma reconnoifTance. Je 
. ne vous pardonnerois jamais fur - tout de 
m' avoir tu celui de la Dame , (i je ne Teuflè 
à. l'iuilant deviné. C'ed de ma parc un bien 
. petit mérite : je n'ai pas affez d'amis capa- 
bles de ce zele fie de ce talent » pour avoir 
.pu m'y tromper. Voici une lettre pour elle , 
. â laquelle je n'ofe mettre Ton nom » â caufe 
des rifques que peuvent courir mes lettres , 
mais où elle verra que je la reconnois bien. Je 
vous charge , Moniteur Guy , ou plutôt j'ofe 
vous permettre , en la lui remettant , de vous 
mettre en mon nom â genoux devant elle , 
& de lui baifer la main droite , cette char- 
mante main plus auguAe que celles àcs Im- 
pératrices fie des Reines , qui fait défendre fie 

Qu) 



l8tf L E T T R H 

honorer G pleinement & G. noblement rîoiro^ 
cencç^aviUè. Je me flatte que |*aurois re- 
connu de même Ton cligne Collègue û nous 
nous étions connus auparavant , mais je n*af 
pas eu ce bonheur ; & je ne fais G je doit 
m*en féliciter ou m*en plaindre , tant je 
trouye noble & beau , que la voix de l'é- 
quité s'élève en ma faveur , du fein même 
des inconnus* Les éditeurs du faâum de 
M. Hume , difent qu'il abandonne fa caufe 
au jugement des efprits droits & des ccrurs 
honnêtes j c'eA là ce qu*eux & lui Ce garde- 
ront bien de faire ; mais ce que je fais moi , 
avec confiance , & qu'avec de pareils défen- 
feurs , j'aurai fait avec fuccês. Cependant 
on a omis dans ces deux pièces des choCes 
très-effentielles 'y 6c on y 2 fait des méprifes 
qu'on eut évitées G , m'avertiiTant à tems 
de ce qu'on vouloit faire , on m'eut demandé 
des éclairciffemens. Il efl étonnât que per- 
fonne n'ait encore mis la quelUon fous Ton 
▼rai point de vue ', il ne falloit que cela feul^ 
6c tout étolt dit* 

Au reAe , il eft certain que la lettre que je 
tous écrivis a été traduite par extraits fait». 



i 



A M. G V Y. lif 

^ . comme vous pouvez penfer , dans les papiers 
de Londres s & il n'eft pas dimcile de corn* 
prendre d*oû yenoient ces extrahs , ni poiu 
quelle fin. 

Mais voici un fait aflèz bizarre qu*il eft 
âcheuz que mes dignes défenfeurs n'aient 
pas fu. Croiriez-vous que les deux feuilles 
que j'ai citées du St. James-€bronicIe ont 
difparu en Angleterre ? M. Davenport les a 
fait chercher inutilement chez Timprimeur 
& dans les cafés de Londres , fur une indica- 
tion Tuflifante , par fon Libraire » qu'il m'a 
afluré être un honnête homme , & il u'a rien 
trouvé. Les feuilles font éclipfées. Je ne ferai 
point de commentaire fur ce fait ', mais con- 
venez qu'il donne à penfer. O mon cher 
Monfieur Guy , faut-il donc mourir dans ces 
contrées éloignées , fans revoir jamais la face 
d'un ami sûr , dans le fein duquel je puiflc 
épancher mon coeur } 



LETTRE 

AU LORD MARÉCHAZ,. 

Lt 8 Février 1 7^7. 

\^uoi , Mylord , pas un feul moc de vous? 
Quel Glcïïce , & qu'il eft cruel 1 Ce n*eA pas 
le pis encore* Madame la DuchefTe de Porr- 
land m*a donné les plus grandes alarmes en 
me marquant que les papiers publics vous 
avoienc die fort mal , & me priant de lin 
dire de vos nouvelles. Vous connoifTez mon 
cœur, vous pouvez juger de mon étar; 
craindre à la fois pour voire amitié & pour 
votre vie , ah ! c'en eft trop. J*ai écrit auffi- 
tôt à M. Rougetnont pour avoir de vos nou- 
velles 'y il m*a marqué qu'en effet vous aviez 
été fort malade , mais que vous étiez mieux, 
n D.*y a pas là de quoi me raffurer affez , tant 
que je ne recevrai rien de vous. Mon pro- 
teneur , mon bienfaiteur , mon ami , moa 
père , aucun de ces titres ne pourra-t-il vous 
émouvoir ? Je me profterne â vos pieds pour 
vous demander un feul mot. Que voulez- 
vous que je marque â Madame de Portland î 



I. 1 T T R E , &C. 1 8 9^ 

T,uî dirai je : Madame , Mylord Maréchal 
itCaimoit , mais il me trouve trop malheureux 
pour m'aimer encore , il ne n^ écrit plus ? La 
plume me tombe des mains. 



LETTRE 

A M. GRANVILLE. 

IFootton y Février 1 767. 

j £ crois , Monfieur , la tifanne du Médecin 
Efpagnol meilleure & plus faine que le bouil- 
lon rouge du Médecin François > la provi- 
(ion de miel n*eft pas moins bonne , & (î les 
Apothicaires foufniiïbient d^aufli bonnes 
drogues que vous , ils auroienc bientôt ma 
pratique } mais » badinage â part , que j'aie 
avec vous un moment d'explication (e- 
neufe. 

Jadis paimois avec pafCon la liberté , l'é- 
galité , & voulant vivre exempt des obliga- 
tions donc je ne pouvois m'acquitter en pa- 
reille monnoic , je me refufois aux cadeaux 
mêmes de mes amis , ce qui m'a fouvent 
attiré bien des querelles. Maintenant j'ai 
changé de goût , & c'efl moins la liberté 
que la paix que j'aime : |e foupire inceâ*am« 
ment après elle j je la préfère déformais i 
tout i je la veux à tout prix avec mes amis ^ 
je la veiUE même avec mes ennemis s'il eft 



Lettre, &c. i9r 

polCble. J'ai donc réfolu d'endurer défor- 
mais des uns tout le bien , & des autres tout 
le mal qu'ils voudront me faire , fans dif- 
putcr , fans m'en défendre, 5c fans leur ré- 
lifter en quelque façon que ce foit. Je me livre 
à tous pour faire de moi , foit pour , foii 
contre , entièrement â leur volonté : ils peu- 
vent tout , hors de m*engager dans une dif- 
pute, ce qui très- certainement n'arrivera 
plus de mes jours. Vous voyez , Monficur , 
d'apiès cela combien vous avez beau jeu avec 
moi dans les cadeaux continuels qu'il vous 
plaît de me faire •, mais il faut tout vous 
dire , fans les refufer je n'en ferai pas plus 
reconnoiifant que fi vous ne m'en faifiez 
aucun. Je vous fuis attaché , Monfieur , & 
je bénis le ciel , dans mes mifcres , de U 
confolation qu'il m'a ménagée , en me don- 
nant un voifîn tel que vous : mon cœur eft 
plein de l'intérêt que vous voulez bien pren- 
dre â moi , de vos attentions , de vos foins , 
de vos bontés , mais non pas de vos dons j 
c'eft peine perdue , je vous a/Ture j ils n'a- 
joutent rien â mes fentimens pour vous -, je 
ne vous en aimerai pas moins , 5c je ferai 
beaucoup plus â mon aife fi vous voulez 
bien les fupprimer déformais. 



4 

^^% L E T T R E, 8cc: 

Vous voilà bien averti , Monficar 5 vous 
favez commeoc )e penfe , & je vous ai parle 
tiês-fcrieuremcnt. Du fcftc, votre volonté 
foit faite & non pas la mienne ; vous fcm 
toujours le maître d'en ufer comme il vous 
plaira* 

Le tems eft bien froid pour fc mettre en 
route. Cependant fi vous êtes abfolutnent rc- 
folu de partir , recevez tous mes fouhairs pour 
votre bon voyage , & pour votre prorupt 6c 
heureux retour. Quand vous verrez Madame 
la DuchcfTe de Portland , faites lui ma cour , 
je vous fupplie i raffurèz-la fur Tctat de My- 
lord Maréchal. Cependant, comme je ne 
ferai parfaitement ralTuré moi-même que 
quand j'aurai de fcs nouvelles , fitot que 
l'en aurai reçu j'aurai l'honneur d'en faire 
part à Madame la DucheiTe. Adieu , Monsieur, 
derechef, bon voyage, & fouvenez - vous 
quelquefois du pauvre hermite votre yoi(în. 

Vous verrez fans doute votre aimable 
nièce. Je vous prie de lui parler quelquefois 
du captif qu'elle a mis dans fes chaînes , & 
qui s'honore de les porter. 

LETTRJB 



LETTRE 

A MYLORD MARÉCHAL. 

Le i^ Mars iy6j* 

V<*'e n cft donc fait , Mylord > j*ai perdu 
pour jamais vos bonnes grâces 6c yotre ami- 
tié y fans qu'il me foie même poifîble de 
iâvoir & d'imaginer d'où me vient cette 
pêne , n'ayant pas un fentiment dans mon 
coeur , pas une aâion dans ma conduite 
qui n'ait dû, j'ofe le dire, confirmer cette 
précieufc bienveillance , que felou vos pro- 
meilès tant de fois réitérées » jamais rien 
ne pouvoit m'ôter. Je conçois aifl^ment tout 
ce qu'on a pu faire auprès de vous pour 
me nuire j je l'ai prévu , je vous en ai pré- 
venu i vous m'avez afluré qu'on ne réuflî- 
xoit jamais , )*ai dû le croire. A-t-on réuffi 
malgré tout cela , voilà ce qui me pafTe \ 
fie comment a-t-on réulfi au point que vous 
n'ayez pas même daigné me dire de quoi je 
fuis coupable , ou du moins de quoi je fuis 
âccufé ? Si je fuis coupable, pourquoi me 
taire mon crime > fi je ne le fuis pas , pour- 
quoi me traiter en criminel } £n m'annon- 
Tome IV. R 



^94 L E T T R fl 

çanc que vous céderez de m*écrire, votif 
me faites entendre que vous n'écrirez plus 
à perfonne. Cependant j'apprends que vous 
écrivez à tout le monde , & que je fuis le 
feul excepté , quoique vous fâchiez dans ^uel 
tourment m'a jette votre filence. Mylord , 
dans quelque erreur que vous puiflîez être , 
il vous connoifliez , je ne dis pas mes feu* 
timens , vous devez les connoître , mais 
ma Hiuation , dont vous n'avez pas l'idée , 
votre humanité du moins vous parleroic 
pour moi. 

Vous êtes dans l'erreur, Mylord, & c'cft^ 
ce qui me confole. Je vous connois trop 
bien pour vous croire capable d'une au(& 
incompréhenflble légèreté, fur- tout dans un 
tems où , venu par vos confeils dans le pays 
^ue j'habite , j'y vis accablé de tous les 
malheurs les plus fenfîbles â un homme 
d'honneur. Vous êtes dans l'erreur, je le 
répète } l'homme que vous n'aimez plus 
mérite fans doute votre difgrace j mais ccc 
homme que vous prenez pour moi n'eft pas 
moi. Je n'ai point perdu votre bienveillance, 
parce que je n'ai point mérite de la perdre. 



A Mylord Maréchal. 19c 

& que vous n'êtes ni injufte, ni inconftanc. On 
aara figuré fous mon nom un fantôme , je 
TOUS l'abandonne y & j'attends que votre 
illufion ceilè , bien sûr qu'auflî-iôt que vous 
me verrez tel que je fuis ^ vous m'aimeres 
comme auparavant* 

Mais en attendant ne pourral-)e du moint 
favoir fi vous recevez mes lettres ? Ne mo 
refle-t-il nul moyen d'apprendre des nou^ 
velles de votre fanté , qu'en m'informant au 
tiers & au quart, Se n'en recevant que de 
vieilles qui ne me tranquillifent pas } Ne 
voudriez- vous pas du moins permettre qu'un 
de vos laquais m'écrivit de tems en tems 
comment vous vous portez ? Je me réfigne 
â tout y mais je ne conçois rien de pluf 
cruel que l'incertitude continuelle où je vif 
fur ce qui m'intérefi*e le plut. 



RÎJ 



L E T T R 

A M. LE GÉNÉRAL 

C O N W A Y. 

Wootton ,Ui6 Mars 17^7- 

Monsieur j 

Aussi touché que furpris de la fayeur 
dont il plaît au Roi de m'honorer , je vous 
fupplie d'être auprès de Sa Majeflé l'organe 
de ma vive recounoi (Tance. Je n'avois droic 
â fes attentions que par mes malheurs , j'ea 
ai maintenant aux égards du public par Tes 
grâces , ôc je dois efpércr que l'exemple de 
fa bienveillance m'obtiendra celle de to'us 
fes fujets. Te reçois , MonHeur ^ le bienfait 
du Roi comme l'arrhe d'une époque heu- 
reufe autant qu'honorable , qui m'affure , 
fous la protection de Sa Majeflé , des jours 
déformais paisibles. PuilTai-je n'avoir à les 
remplir que des vceux les plus purs & les 
plus vifs pour la gloire de fon règne & pour 
la profpérité de fon augufle Maifon l 

Les aâions nobles & généreufes porceoc 



Lb TT HE , &C. 19/ 

toujours leur récompenfe avec elles. Il vout 
cft au(0 naturel , Monfieur, de vous féliciter 
d'en faire , qu*il eft flatteur pour moi <i*en 
erre Tobjet. Mais ne parlons point de mes 
talens , je vous fupplie , je fais me mettre 
â ma place > & je fens , à Timpredion que 
font fur mon cœur vos bontés , qu*il eft ett 
moi quelque chofe plus digne de votre eftime 
que de médiocres talens , qui feroient moins 
connus s*ils m*avoient attiré moins de maux , 
& dont je ne fais cas que par la caufe qui 
les fit naître 9 & par l*ufage auquel ils étoienc 
deflinés. 

7e vous fupplie , Monfîeur , d'agréer les 
fentimens de ma gratitude tc de mon pro-^ 
fond refpeâ. 



KOI 



LETTRE 

A MYLORD COMTE 

DE HARCOURT. 

Wootton f Ui ^vril 17^7. 

J 'apprends , Mylord , par M. Davenport 
que vous avez eu là bonté de me défaire de 
toutes mes cflampes , hors une. Serois-je ailèz 
heureux pour que cette eftampe exceptée fût 
celle du Roi^ je le dcHre affez pour Tefpérer ; 
en ce cas , vous auriez bien lu dans mon 
cœur , & je vous prierois de vouloir cor- 
ferver foigneufement cette eftampe , jufqu'â 
ce que |*aie l'iionneur de vous voir & de 
vous remercier de vive voix. Je la joindrois 
â celle de Mylord Maréchal , pour avoir le 
plai(ir de contempler quelquefois les craiu 
de mes bienfaiteurs , & de me dire en les. 
voyant , qu*il eft encore des hommes bien- 
faifans fur la terre. 

• 
Cette idée m*en rappelle une autre que ma 
mémoire abfolument éteinte avoic laiUce 
échaper. Ce portrait du Hoi arec une ?in^ 



Lettre, &c. 199 

"tlaÎBe d'autres me viennent de M. Ramfay, 
^tti ne voulut jamais m*eu dire le prix. Ainii 
ce prix lui appartient & non pas à moi i 
anai» comme probablement il ne voudroic 
•pas plus l'accepter au|ourd*hui que ci- devant , 
&: que je n'en veux pas -aon plus faire mon 
profit , je ne vois à cela d'autre expédient 
que de diftribuer aux pauvres le produit de 
ces eftampes , & je crois , Mylord y qu'une 
fonâion de charité ne peut rien avoir que 
l'humanité de votre coeur dédaigne. La diffi- 
culté feroit de favoir quel eA ce produit, 
ne pouvant moi-même me rappeler le nom- 
bre & la qualité de ces eilampes. Ce que je 
fais, c'eft que ce font toutes gravures An- 
gloifes , dont je n'avois que quelques autres 
avant celles-Iâ. Pour ne pas abufer de vos 
bontés , Mylord , au point de vous engager 
dans de nouvelles recherches , je ferai une 
évaluation grodiere de ces gravures , & j*ef- 
time que le prix n'en pourvoit gueres paffei 
quatre ou cinq guinées. Alnû , pour aller au 
plus sûr , ce font cinq guinées fur le pro' 
duit du tout que je prends la liberté de 
vous prier de vouloir bien diftribuer aux 
fauTreSt Vous voyez , Mylord , comment 



200 Lettre, Sec. 

l'en ufe avec vous. Quoique )e fois perfiMdé 
que mon imporcunicé ne paflê pas votre 
complaifance. Si j'avois prévu )ufqu*oà )c 
ferois forcé de la porter , )e me ferois gardé 
de m*oublier â ce point. Agréez» Myiord , je 
vous iupplie , met uès- humbles ezcufes 9q 
mon fefpfd. 



LETTRE 

A MONSIEUR 

E- J***, Chirurgien. 

Le 13 MaiiySy, 

Vous me parlez , Monfîeur , dans une 
langue lictérairc , de Aijcrs de littérature, 
comme k un homme de Lettres. Vous m'ac- 
cablez d'éloges C\ pompeux , qu'ils font iro- 
niques , & vous croyez m'enivrer d'un pareil 
encens. Vous vous trompez , Mon/îeur , fur 
tous ces points. Je ne fuis point homme de 
Lettres : je le fus pour mon malheur 5 depuis 
longtems j'ai cci^t de l'être ; rien de ce qui 
fe rapporte i ce métier ne me convient plus. 
les grands éloges ne m'ont jamais flatte j 
aujourd'hui fur- tout que j'ai plus befoin de 
confolation que d'encens , je les trouve bien 
déplacés. C'eft comme fi , quand vous allez 
voir un pauvre malade, au lieu de le panfer 
vous lui faifiez des complimens. 

rai livré mes écrits â la cenfure publique ; 
elle les traite auflî févérement que ma per- 
fonnc > à U bonne heure 5 je ne préiendi 



tàl L E T T R 1 

point avoir eu raifon i je fais Ceulement qtitf 
mes incendous écoienc affez boites , adêz 
pures , affez falutaires pour devoir m*obce* 
nir quelque indulgence. Mes erreurs peuvenc 
être grandes j mes fencimens auroienc dû les 
f acheter. Je crois qu'il y a beaucoup de chofes 
fur lefquelles on n'a pas voulu m'entendre* 
Telle eft , par exemple , l'origine du droic 
naturel , fur laquelle vous me prêtez des (en' 
rimens qui n'ont jamais été Içs miens. C'eft 
ainfi qu'on aggrave mes fautes réelles , de 
routes celles qu'on juge à propos de m'attri- 
buer. Je me tais devant les hommes, &je 
remets ma caufe entre les mains de Dieu qui 
voit mon coeur. 

Je ne répondrai donc point , Moniteur , 
ni aux reproches que vous me faites au nom 
d'autrui , ni aux louanges que vous me don- 
nez de vous-même: les uns ne font pas plut 
mérités que les autres. Je ne vous rendrai 
rien de pareil , tant parce que je ne vous 
connoii pas » que parce que j'aime à être 
fimple & vrai en toutes chofes. Vous vous 
dites chirurgien i û vous m'eu/Tiez parlé bo« 
tani^ue , 0c des plantes que produit yotra 



A M. E. J***, Chirurg. XQf 

contrée, vous in*aurîez faitplaifir , 8c j'en au- 
rois pu caufer avec vous : mais pout de mes 
livres 8c de toute autre elpece de livres , vous 
m'en parleriez inutilement , parce que je ne 
prends plus d'intérêt à tout cela. Je ne vous 
téponds point en latin , par la raifon ci-de« 
Tant énoncée , il ne me refte de cette langue 
qu'autant qu'il en faut pour entendre les phra- 
iês de Linnxus. Recevez , Monfieur ^ mes 
crès-humbles faluutious. 



LETTRE 

A M. LE MARQUIS 

DE MIRABEiiLU. 

Calais , /c ii Mal 17^7. 

J 'aIi-ive ici , Monfieur , après bien cîet 
trencures bizarres qui feroicnt uc détail 
plus long qu^amufanc. Je voudrois de tout 
mon cœur aller finir mes jours au château de 
Brie } mais pour entreprendre un pareil éca- 
blilTement , il faudroic plus de certitude de fa 
durée que vous ne pouvez la donner. Je ne 
vois pour moi qu*un repos ftable ; c*efl dans 
l'Etat de Venife , & malgré Timmenllté du 
trajet , je fuis déterminé à le tenter. Ma ûinz» 
tion à tous égards me forcera i des ftations 
que je rendrai au(fi courtes qu'il me fera pof- 
£ble. Je defire ardemment d'en faire une 
petite i Paris pour vous y voir , fi j'y pois 
garder l'incognito convenable , & que je fois 
affuré que ce court (ejour ne déplaife pas. 
Permettez que je vous confulte U-deffus » 
réfolu de pafTcr tout droit & le plus prompte- 
ment qu'il me fera poflîble , fi vous jugez 
que ce foit le meilleur parti. Je ne vous en 

dirai 



L I T T R B , &C. iO$ 

«dirai pat davantage ici , Monfieur; mais |'ac- 
tends avec empreflèmeuc de vos nouvelles » 
& |e compte m'arréter à Amiens pour cela. 
Ayez la bonté de m'y répondre un mot fous 
le couvert de M Cette réponfe re- 
fera ma marche. Pui(!è-t*elle , Monteur ^ 
me livrer â Tardent defir que j'ai de voir 8c 
id'embraiTef le relpeâable ami des hommes S 



Tome IF* 



LETTRE 

AU MÊME. 

Tryt ftei6 Juillei 1767, 

J'aukois dû, Monfieur, vous écrire 9 ai 
recevant vocie dernier billet : mais |*ai mieux 
aimé tarder quelques jours encore i réparer 
ma négligence , & pouvoir vous parler en 
même cems du livre (i) que vous m*avez en- 
voyé. Dans rimpoâibilité de le lire tout en- 
tier y |*ai choiiî les chapitres où TÂuteur 
cafTe les vitres , & qui m*ont paru les plus 
importans. Cette leâure m*a moins fatisfaic 
que je ne m*y atcendois , 6c je fens que les 
traces de mes vieilles idées , raccomies dans 
mon cerveau , ne permettent plus à des idées 
fi nouvelles d*y faire de fortes impreffions. 
Je n*ai jamais pu bien entendre ce que c*é- 
toit que cette évidence qui fert de bafe au 
derpotifme légal , & rien ne m*a paru moins 
évident que le chapirre qui traite de toutes 
ces évidences. Ceci reifemble aifez au fyftême 
de l'Abbé de St. Pierre , qui prétendoit que 

(i) L'mdre elTcntiel des Sociétés Politiques, 



Lettre, Sec. 107 

la raifon humaine alloit toujours en fe per- 
feâionnanc, attendu que chaque (iecle ajoute 
fes lumières à celles des fiecles précédens. Il 
ne 'voyoiz pas ^ue Tentendement humain n*a 
toujours qu'une même mcfure & très- étroite, 
qu'il perd d'un côté tout autant qu'il gague 
de l'autre , & que <\cs préjugés toujours re- 
naifTans nous oient autant de lumières acqui- 
£es que la raifon cultiyée en peut remplacer. 
U me femble que l'évidence ne peut jamais 
être dans les loix naturelles & politiques qu'en 
les confidérant par abftraâion. Dans un gou- 
vernement particulier que tant d'élémens di- 
vers compofent , cette évidence difparoît né- 
ceflairement. Car la fcience du gouverne* 
ment n'eA qu'une fcience de combinaifons , 
d'applications & d'exceptions , félon lestems, 
les lieux , les circonftances. Jamais le public 
ne peut voir avec évidence les rapports fie le 
|cu de tout cela. Et , de grâce, qu'arrivera-t-il, 
que deviendront vos droits facrés de pro- 
priété dans de grands dangers , dans des ca- 
lamités extraordinaires , quand vos valeurs 
difponibles ne fuiHront plus , 8: que lefalui 
popuUfuprcma Ux efio fera prononcé par le 
dcfpote l 



lo8 Lettre 

Mail Cuppofoas toute cette théorie <k9 
loix naturelles toujours parfaitement évt^ 
dente , même dans Tes applications , & d'une 
clarté qui fe proportionnel tous les yeuz^ 
cotnment des philofophes qui connoiflènc 
le coeur humain peuvent-ils donner â cette 
évidence tant d'autorité fur les aûions des 
hommes , comme s'ils ignoroient que cha» 
cun fe conduit très- rarement par Tes lumiè- 
res & très -fréquemment par fes palfîons. On 
prouve que le plus véritable intérêt du de£^ 
pote eft de gouverner légalement ; cela eft 
reconnu de tous les tems t mais qui ell-ce qui 
fe conduit fur fes plus vrais intérêts l Le fage 
feul 9 s*il exifte. Vous faites donc , MeflîeuiSy 
de vos defpotçs autant de fages. Prefque tous 
les hommes connoiiTent leurs vrais intérêts » 
& ne les fûivent pas mieux pour cela. Le pro- 
digue qui mange fes capitaux fait par£uce- 
ment qu'il fe ruine , & n'en va pas moins 
fon train > de quoi fert que la raifon nous 
éclaire quand la pardon nous conduit ? 

yideo meliora proboque , détériora fi^uoTm 

yoilâ ce que fera votre defpete> am% 



A M. DB MmABEAU. 20j 

deux, prodigue , avare, amoureux , vindi- 
catif , jaloux , foible : car c*e(l ainfî qu'ils 
font tous , & que nous faifoos tous. Mef- 
fieurs , permettez-moi de vous le dire , vous 
lionnes trop de forces à vos calculs , & par 
alTei aux penchans du cœur humain , èc au 
}eu des pa^ns. Votre fyftême eft très - bon 
pour les gens de TUtopie , il ne vaut rien pour 
les enfans d'Adam. 

Voici , dans mes vieilles idées , le grand 
problème en Politique , que je compare à 
celui de la quadrature du cercle en Géomé- 
trie , & à celui des longitudes en Aftrono- 
mie. Trouver une forme de Gouvernement qui 
mette la loi au»dejfus de l'homme» 

Si cette forme eft trouvable , cherchons- la 
Zc tâchons de rétablir. Vous prétendez , Mef- 
£eurs, trouver cette loi dominante dans 
révidence des autres. Vous prouvez trop : 
car cette évidence a dû être dans tous les 
Gouvernemens , ou ne fera jamais dans 
aacun. 

Si malheureofement cette forme n'eft pas 

Siij 



lio Lettre 

treurable, & pavoue ingénument que fe 
crois qu'elle ne Teft pat , mon avis eft qu*il 
fauc pa^er i l'autre extrémité & mettre tour 
d'un coup l'homme autant au-de^us de la loi 
qu*il peut l'être , par con(équent établir le 
derpoiifme arbitraire £c le plus arbitraire qu^ii 
efl polfible : je youdrois que le defpote pâc 
être Dieu. En un mot , je ne vois point de 
milieu fupponable entre la plus aullere Déau^ 
cratie êc le Hobbifme le plus parfait : caf 
le conflit des hommes ic des ioiz qui mec 
dans l'Etat uns gperre inteftine contiauelie , 
eu le pire de tous les Etats politiques.. 

Mais les Caligula, les Néron, les Ti- 
bère ! mon Dieu 2 |e 

me roule par terre , & je gémis d*êtte homme. 

Je n*ai pas entendu tout ce que tous avez 
dit des loix dans votre livre ! & ce qu'en dit 
l'Auteur nouveau dans le fien. Je trouve qu'il 
traite un peu légèrement des divesfes for- 
mes de Gouvernemens , bien légèrement 
fur-tout des fuffrages. Ce qu'il a dit des 
vices du defpotifnie éleâif efl très-vrai : ces 
vices font terribles. Ceux du defpott(me 



A M. DE Mirabeau, xit 

héfédicaire » qu^il n'a pas dits, le Cont encore 
plus. 

Voici unTccoad problème qui depuit long» 
CciDs m'a loulé dans IVrprit. 

Trouver dans U defpotifme arbitraire une 
forme de fiiccejjîon qui ne foit ni ileûive ni 
héréditaire , ou plutôt quijoit â la fois Vunc 
& Vautre , & par laquelle on s'ajfure « autant 
qu'il eft pojjible , de tC avoir ni deê Tibère ni 
des Néron* 

Si jamais j'ai le malheur de m'occuper ào* 
rechef de cette folle idée , je vous reproche- 
rai touce ma vie de m'avoir ôté de mon 
râtelier. J'efpere que cela n'arrivera pas j 
mais , Moniteur , quoi qu'il arrive , ne me 
parlez plus de votre defpotifme légal. Je ne 
iaurois le goûter ni même l'entendre > 8c )<: 
jie vois là que deux mots coutradiâoires , 
^ui réunis ne (ignifient rien pour moi. 

Je connois d'autant moins votre principe 
de population , qu'il me paroît inexplicable 
en lui- même , contf adiâeire avec les faiu ^ 



m 



L s T T ]t s 



impoflibte à concilier avec Torigine des njK^ 
tious. Selon vous , Monsieur , la popula- 
tion multiplicative n*auroit dû commencer 
que quand elle a celle réellement. Dans 
mes vieilles idées , fitèt qu'il y a eo pour un 
fou de ce que vousappelex richeilès ou valeur 
difponible, fit6t que s'eft fait le premier 
échange , la population multiplicative a dâ 
cefTer , c*eft auffi ce qui eA arrivé. 

Votre f/ftéme économique ell admirable* 
Rien nVft plus profond , plus vrai , mieiut 
vu , plus utile. Il eA plein de grandes & fu- 
lilimes vérités qui tranfportent. Il s*étend i 
tout ; le champ eft va/le ; mais j*al peur qu'il 
B'aboutiilê à des pays bien différem de ceu:i 
où vous prétendez aller. 

J'ai voulu vous marquer mon obéiflance 
en vous montrant que je vousavois du moins 
parcouru. Maintenant , illuftre ami des hom- 
mes & le mien , |e me proAerne i vos pieds 
pour vous conjurer d*avoir pitié de mon état 
& de mes malheurs , de laiilêr en paix mi 
mourante tête , de n'y plus réveiller des idées 
prcfque éteintes ^ 6c qui ne peuvent renaître 



*A M. DE MiRABEAir. ±1 f 

que pour m'a'oîmer dans de nouveaux gouf« 
frei de maux. Aimez- moi toujours ^ mais ne 
mTenvojnez plus de livres j n'exigez plus que 
î*en life j ne tentez pas même de m*éclairet 
û je m'égare : il n'eft plus tems. On ne fe 
convertit point fincérement i mon âge. Je 
puis me tromper » & vous pouvez me con» 
yaincre v oi2i$ non pas me perfuader. D*ail-i 
leurs je ne difpute jamais j j*aime mieux cé- 
der & me taire ; trouvez bon que je m'en 
tkaae â cette réfolution. Je vous embraflè 
de la plus tendre amitié & avec le plus vxai 
fcTpeâ. 



LETTRE 



A MADAME LA M. DE 



%%* 



Du 11 Septembre ly^j- 

JE reconnois , Madame , yos bontés ordi- 
naires dans les foins que vous prenez pour me 
procurer im afyle où l^on veuille bien ne pas 
m*incerdire le feu & l*eau > mais fe connois 
trop bien ma fituacion pour attendre de ce» 
feins bienfaifans un fuccès qui me procure 
le repos après lequel )*ai vainement foupiré , 
& que je ne cherche plus , parce que je ne 
l'efpere plus. 

Vivement touché de l'intérêt que M. le 
Comte de ... . veut bien prendre i mes 
malheurs , je vous fupplie , Madame , de vou- 
loir bien lui faire pailèr les témoignages de 
ma très- humble reconnoi (Tance 3 c*ell une de 
mes peines de ne pouvoir aller moi-même la 
lui témoigner : mais quant au voyage ici que 
S. £. daigne propofer , je ne fuis pas adêz 
vain pour en accepter l'offre , & ces honneurs 
bruyans ne conviennent plus à Tétat d*humi- 
liatioa dans lequel je fuii appelle â £ajt mes 



Lettre, &c. 1x5 

^onrs. Je ne crois pas , non plus , qu^il con- 
vienne de rifquer auprès lie M. le Comte 
de***, ni auprès de perfonne aucune de- 
TTiande en ma faveur, puifque ce ne feroic 
qu'aller chercher d'infaillibles refus qui ne 
feroient qu'empirer ma fituacion , s*il écoic 
poffible. 

Le parti que j'ai pris d'attendre ici ma def- 
tinée efl le feul qui me convienne , & je ne 
puis faire aucune efpece de démarche fans 
aggraver fur ma tère le poids de mes maL 
heurs. Je fais que ceux qui ont entrepris de 
sae chader d'ici n'épargneront aucune forte 
<l*e£Forts pour y parvenir ^ mais )e m'y attends, 
|e m'y prépare , & il ne refte plus qu'i favoii 
lefqtiels auront plus de conlVance , eux pour 
perfécuter , ou moi pour fouâfrir. Que fi la 
patience m'échappe à la fin , 6c que mon cou- 
rage fuccombe , mon parti , en pareil cas , cft 
encore pris : c'eft <lc m'éluigner , fi je peux , 
de Torage qui rh 'accable ; mais fans empref* 
femenc , fans précaution , fans crainte , fans 
me cacher , fans me montrer , &' avec la fim- 
plicité qui convient i l'innocence. Je confi- 
dert f Madame , qu'ayant près de foixaate 



11? Lettre 

ans , accablé Je malheurs 8c d'infirmrcés , te# 
f eAes de mes triftes jours De valent pas la fa- 
tigue de les mettre à couvert. Je ne vois plus 
f ien danscette vie qui puifTe me flatter ni me 
tenter. Loin d'efpérer quelque chofe « je ne 
iais pas même que defirer. L*amour feul du 
repos me reAoit encore, Tefpoir m'en eft 
6té , )e n*en ai plus d'autre. Je n'attends plus t 
je n'efpere plus que la fin de mes miferes } 
que je l*ol>tienne de la narare ou des hommes » 
cela m*e(l aifez indiffèrent ; 8c de quelque 
manière qu*on veuille difpofer de moi , Ton 
jne fera toujours moins de mal que de bien. 
Je pars de cette idée , Madame , je les mets 
tous au pis , 8c je me cranquiUife dans ma 
féfignation. 

H Aiitde-U que tous ceux qui veulent bien 
t^intéredèr encore â moi , doivent ceiTer de 
ie donner en ma faveur des mouvemens inu« 
tiles » remettre â mon exemple mon fort dans 
les mains de la Providence , 8c ne plus vou« 
loir réfifler â la néceflité. Voili ma dernière 
réfolution ; que ce foit la vôtre au/C , Ma- 
dame , i mon égard , de même à l'égard de 
cette chete enfant que le Ciel ?oiu enlevé 

fans 



i 



aMde.laM.de***. iï7 

Tans qu'aucun fecours humain puiiTe vous la 
reii4re« Que coui les foins que tous lui rcn* 
drez déformais foienc pour contenter votre 
teadrefle te U lui montrer , mais qu*ils ne 
féveillent plus en vous une efpérance cruelle » 
qui donne U mort à chaque £oSi qu'on U 
yetd* 



Tome Jy. 



I, E T TU E 



A MiiB, DEWES. 

15 Janvier 176^^ 

Si y |e vous ai \ûSk , ma belle voifine , uqo 
empreinte que vous avez bien gardée , .Touf 
m'en avez laifRe une autre que j'ai gardée 
encore mieux. Vous n'avez mon cachet que 
fur un papier qui peut fe perdre , mais j'ai 
le vôtre empreint dans mon cœur , d'où rien 
ne peut l'effacer. Puifqu'il eft certain que 
l'emportob votre gage , & douteux que vous 
cuffiez confervc le mien , c'ctoit moi feul 
qui devois defirer de vérifier la chofc 5 c'cft 
moi fcul qui perds â ne l'avoir pas fait. Al-je 
donc befoin pour mieux fentir mon malbeur , 
que vous m'en faffiez encore un crime ? 
cela n'cft pas trop humain. Mais votre fou- 
venir me confole de vos reproches \ j'aime 
mieux vous favoir injufte qu'indifférente , fie 
Je voudrois être grondé tous les jours au 
même 'prix. Daignez doiic , ma belle voi- 
fine , ne pas oublier tout-â-fait votre efclave , 
Se continuer à lui dire quelquefois fes vérités. 
Pour moi , fi j'ofois à mon tour vous dire 



'. L E T T R E> &C. 21 J 

^s vôtres , vous mê trouveriez trop galant 
^ pour un barbon. Bonjour , ma belle roifînp p 
pui(fiez-vous bientôt, fous les auTpices du 
cher & refpeâable oncle , donner un pafteur 
^ vos brebis de Calwick. 



Tî| 



LETTRÉ 

A M. D'IVERNOIS. 

Tryi p U 19 Janvier zytf S* 

J' A T reçu , mon digne ami » votre paquet 
du 11 , ôc il me feroit également panrena 
fous l'adreifc que je vous ai donnée > quand 
TOUS n'auriez pas pris Tinucile précauciou de 
la double enveloppe , fous laquelle il n*efl pas 
même à propos que le nom de votre ami pa« 
roidê en aucune façon.C'eft avec le plus (en- 
ifcle plaif ir que )*ai enfin' appris de vos noii« 
belles : mais |'ai été vivement ému de l'envoi 
de votre famille k LaoTanne 'y cela m'appreud 
adêz à quelle extrémité votre pauvre ville p 
& tant de braves gens dont elle eft pleine , 
font à la veille d*éire rciluics. Tout fttC^zdé 
que je fois que rien id bas ne mérite d*étre 
acheté au prix du fang humain , & qu'il n*f 
• plus de liberté fur la terre que dans le corur 
de Thomme )ufte , |e fens bien toutefou qu'il 
cft naturel à, des gens de courage , qui ont 
vécu libres , de préférer une mort honorable 
à la plus dure fervirude. Cependant , même 
daus le cas le plus clair de la Jufte déftOCe du 



Lettre , &c. m 

Teus-mêmes , la certitude où je fuis, qu*cuf- 

Cez-vçus pour un moment l'avantage , vos 

malheurs n*en feroiencenfuire que plus grand? 

& plus sûrs , me prouve qu'en tout état de 

caufe les voies de fait ne peuvent jamais vous- 

tirer de la {ttuation critique où vous êtes y 

^u'en aggravant vos malheurs. Puis donc que 

perdus de toutes les façons , fuppofe qu'on 

ofe poufTcr la cbufe à l'extrême , vous êtes 

prêts à vous enfevelir fous les ruines de la 

patrie , faites plus , ofez vivre pour fa gloire 

au moment qu'elle n'exiilera plus. Oui , Mef- 

fieurs , il vous refle , dans le cas que je fup- 

pofe , un dernier parti i prendre > & c'efl , 

)*ofe le dire , le feul qui fuit digne de vous : 

eu lieu de fouiller vos mains dans le fang de 

vos coropatriotes- , de leur abandonner cesi 

murs f qui doivent être l'afyle de la liberté ^ 

& qui vont n'être plus qu'un repaire de ty- 

sans. C'eft d'en fortir tous , tous enfemble , 

en plein jour , vos femmes & vos enfans zvt 

milieu de vous , & puifqu'il faut porter des 

fers , d'aller porter du moins ceux de quelque 

graad Prince , & non pas Tinfupporcable Se 

odieux joug de vos égaux. Et ne vous ima- 

|iocz pas qu'en pareil C9fi yaos referiez («ns 

Tiil 



111 L E T T R E 

aT/le : vous ne favez pas «quelle eftime & qad 
terpeâ votre courage » votre modération , 
▼otre fageffe outiafpiré pour vous dans toute 
l'Europe. Je n*iinagine pas qu*il s*y trouvée 
aucun Souverain , fe n*en excepte aucun ^ qui 
oe reçût avec honneur , foft dire avec rcT- 
peâ , cette colonie émigrante d*bommes trop 
Tortueux pour ne favoir pas être fuyets aufli 
fidèles qu'ils furent zélés citoycos. Je coin«- 
prends bien qu'en pareil cas plufieurs d*cncre 
vous feroient ruinés ; mais )e penfe que def 
gens , qui faveiit facrifier leur vie au devoir , 
fauroient facrifier leurs biens â Thonneur , êC 
4*applaudir de ce facrifîce ; & après tout p 
ceci n*eft qu*un dernier expédient pour con- 
lerver fa vertu £c fon innocence , quand touc 
le refte efl perdu. Le coeur plein de cette 
idée y )e ne me pardonnerois pas de n*avoir 
ofé vous la communiquer. Du lefte » vous 
Ites éclairés 8c fages i)c fuis très-sûr que vous 
prendrez tou}ours en tout le meilleur parti j 
êc )e ne p^is croire qu*on laifle jamais aller 
les chofes au point qu'il eft bon d'avoir prévo 
4'avance pour être prêts atout événemenu 

61 ?oi sfiTaifcs ?oui laiilaat ^uel^iMt 



A M. d'IvERNOIS, 12 J 

momens à donner â d'antres chofes qui ne 
font rien moins que preCKcs , en voici une 
^ui me tient au coeur, & fur laquelle )c 
▼oudrois vous prier de prendre quelque 
éclaircifTemem , dans quelqu'un des voyâgei 
que )e fuppofe que vous ferez à LauTanne, 
tandis que votre famille y fera. Vous favez 
que j'ai â Nion une tante qui m'a élevé 
& que i'ai toujours tendrement aimée , 
quoique j'aie une fois , comme vous pou- 
vez vous en fouvcnir , facrifié le plaifir de la 
voir à rcmprcffement d'aller avec vous join- 
dre nos amis. Elle eft fort vieille , elle 
foigne un mari fort vieux i j'ai peur qu'elle 
n'ait plus de peine que fon âge ne compone, 
& je voudrois lui aider â payer une fer- 
Vante pour la foulager. Malheiureufement, 
quoique je n'aie augmenté ni mon train, 
ni ma cuifîne , que je n'aie aucun domef- 
tique i mes gages , 6c que je fois ici logé 
& chauffe gratuitement » ma poiition me 
rend la vie ici fî difpendieufe, que ma penfion 
me fuffit à peine pour les dépenfes iuéviubles 
dont je fuis chargé. Voyez , cher ami , û 
cent francs de France par an pourroient 
(ettet quelque douceur dans la vie de ma 



114 Le T TR 1 , Sec. 

pauvre vieille unte , & fi vous pourriez I«c 
lui faire accepter. £a ce cas , la première 
année couroic depuis le commencemeDC de 
celle-ci , & vous pourriez la tirer fur moi 
d'avance , aufli-tôc que vais aurez arrangé 
cette petite a£Faire-U. Mais )e vous con)ure 
de voir que cet atgent foie employé lèlon 
fa deflination » & non pas au profit de 
parens ou voifins âpres » qui fouvent obCc^ 
dent les vieilles gens. Pardon ^ cher ami , 
le choifis bien mal mon tems ^ mais il fa 
peut qu'il n'y en ait pas à pcrdte*. 



LETTRE 

A U M Ê M E. 

X4 Mars lyst* 

JEniin )e rerpire ; vous aurez la paix 9 
& vous l'aurez avec un garant sûr qu'elle 
fera folide , favoir i'eftime publique fie 
celle de vos Magiftrats » qui vous traitant 
lufqu'ici comme un peuple ordinaire » 
n'ont jamais pris fur ce faux préjugé que 
4e FauiTes mefures. Ils doivent être enfin 
guéris de cette erreur, & je ne ^ute pas 
que le difcours tenu par le Procureur- Génc- 
iral en Deux* Cent ne Toit fincere. Cela poG^, 
yous devez efpérer que l'on ne tentera <ie 
long-tems de vous furprendre , ni de trom- 
per les Puiâances étrangères fur votre 
compte i 8c ces deux moyens manquant , |e 
n'en vois plus d'autres pour vous aflcrvir. 
Mes dignes amis , vous avez pris les feula 
moyens contre lefquels la force même perd 
fon eâFet ; l'union , la fageife 6c le courage. 
Quoi que puiCent faire les hommes , oa 
Cft toujours libre quand on fait mourir^ - 



litf L E T T H 1 

Je voudrois â préfent que de votre côté 
vous ne fiflîcz pas à demi les chofes, Sc 
que la concorde une fois rétablie ramenât 
la confiance & la fubordination aufli pleine 
& entière , que $»il a»y eût jamais eu de 
diflcntion* Le refpea pour les Magiftracs fait 
dans les Républiques la gloire des citoyens , 
& rien n*eft 1» beau que de favoir Ce foir- 
mcttrc après avoir prouvé q»*oa favoit réfif- 
tcr. Le peuple de Genève s*eft toujours dif- 
tingué par ce refpeô pour fcs Chefs, qui le 
rend lui-même fi refpeaable. C'cft â préfent 
qu*il doit ramener dans fon fein toutes les 
vertus fcj^ales que Tamour de l'ordre établie 
ùit l'amour de la liberté. Il eft impo/fible 
qu'une patrie qui a de tels enfans ne retrouve 
pas enfin fcs pcres , & c'cft alors que là grande 
famille fera toutÀ U fois iUuftre, floriffantc, 
Jieureufe , & donnefa vraiment au monde 
un exemple digne d'imitation. Pardon ^ chef 
ami 5. emporté par mes defirs, je fais ici 
Ibttement le prédicateur; mais après avoir 
vu ce que vous étiez , je fuis plein de ce que 
vous pouvez être. Des hommes fi fagcs n'ouc 
•aurément pas befoin d?exhortation pour 
foacifluer à l'êerc 5. awii mol j'ai befoio 4/^ 



A M.'d'Ivir^ôis. iif 

i^nnec quelque effor aux plus ardens vaux 
^ mon coeur. 



Au refte, )e vous félidtc en particulier 
d'un bonheur qui n'eft pas toujours attaché 
à la bonne caufe ; c'ed d'avoir trouvé pour 
]fi foutien de la vôtre des talens capables 
de la faire valoir. Vos mémoires font des 
chefsrd'œuvres deiogique & de diâion. Je 
fais quelles lumières régnent dans vos cercles^ 
qu'on y raifonne bien , qu'on y connoit â 
fond vos Edits, mais on n'y trouve pas 
communément des gens qui tiennent ainfi 
U plume. Celui qui a tenu la vôtre » quel 
qu'il Toit , ed un homme raie ; n'oubliez 
lamais U rsconnoiffance que vous lui devezt' 

A regard de la réponfe amicale que vout 
me demandez fur ce qui me regarde, )e 
la ferai avec la plus pleine confiance. Rtea 
4aos le monde n'a plus, affligé & navré mon 
cceur que le décret de Genève. Il n'en Aie 
|amais de plus inique , de plus abfurde ic 
de plus ridicule : cependant il n'a pu déta- 
cher mes affeâions-de ma patrie, & rien 
aumoude ne les en peut détacher. Um'eA 



1x9 L 1 T T R E 

iodiâFérenc » qaanc à mon fort^ que ce 
décret Toit «nnuUé ou fubfiâe , puiiqu'â 
ne m*eft po(Cble en aucun cas de profiter 
de mon réiabU^ement : mail il ne me feroic 
pourtant pas indifférent « je l'avoue , que 
ceux qui ont commis la faute , fentidènt 
leur tort , 6c eurent le courage de le réparer. 
Je crois qu*en pareil cas . i*en mourrois de 
joie, parce qud fy verrois la fin d'uno 
liaine implacable » 6c que je pourrois de 
bonne grâce me livrer sîuz ièntimens ref- 
peâueux que mon coeur m*in(pire» faut 
crainte de m'avilir. Tout ce que je puis 
vous dire â ce fujet , eft que ficela arrivoity 
ce qu*a(rurénient je n'efpere pas , le Confeil 
firroit content de mes fentimens 6c de ma 
conduite , 6c il connoicroit bientôt quel 
immortel honneur il s'eft faic Mais je vous 
avoue auâî que ce réubiiflement ne fauroic 
me flatter , s'il ne vient d'eux - même» ; 6c 
)amais de mon confenccment il ne fera 
follictté. Je fuis sûr de vos fentimens , les 
preuves m'en font inutiles s mais celles des 
leurs me toucheroient d'autant plus que je 
m'y attends moins. Bref, s'ils font cette 
démarche d'eux-mêmes , je ferai mon de- 
voir ; 



^oir ^ s'ils ne la font pas , ce ne fera pa> 
la feule injuftice dont paurai à me confoler i 
& je ne veux pas , en touc état de caufe , 
xirquer de fervir de pierre d*achopen(Senc au 
plus parfait rétabliiTenient de la concorde. 

Voici un mandat fur la veuve Duchefno 
pour les cent francs que vous avez bien voulu 
avancer à ma bonne vieille tante. Je vous 
redois autre chofe , mais malhcurcuferaenc 
je n*cn fais pas le montant. 



gromi/^« 



LETTRE 

A M. D. 

Lyon y le lo Juin ijsS» 

Je ne me pardonnerois pas , mon cher hôte» 
de vous laiifer ignorer mes marches , ou les 
apprendre par d'autres avant moi. Je fuis â 
Lyon depuis deux jours , rendu àet fatigues 
de la Diligence , ayant grand befoin d'un 
peu de repos , & trcs-emprcff? d'y recevoir 
de vos nouvelles , d'autant plus que le trouble 
qui règne dans le pays où vous vivez me tient 
en peine , & pour vous , & pour nombre 
d'honnêtes gens auxquels je prends intérêu 
J'attends de vos nouvelles avec l'impatience 
de l'amitié. Donnez -m'en , je vous prie , le 
plutôt que vous pourrez. 

Le defir de faire diverfion à tant d'attrif- 
tans fouvenirs qui , â force d'afFeâer mon 
cœur y altéroient ma tête , m'a fait prendre 
le parti de chercher dans un peu de voyages 
ôc d'hcrborifations , les amufemens 6c dif- 
traâions dont j'avois befoin ; & le patron 
de la cafo ayant approuvé cette idée , yc Tii 



Lettre, &c. i j i 

fuivie s j*appone avec moi mon herbier flc 
quelques livres avec lefquels je me propofe 
de faire quelques pèlerinages de botanique* 
Je rouhaicerots , mon cher hôte , que la re- 
lation de mes trouvailles pût contribuer à 
vous amufer i j'en aurois encore plus de 
plaidr à les faire. Je vous dirai y par exemple , 
qu'étant allé hier voir Madame Boy dt 1^ 
Tour à. fa campagne » j'ai trouvé dans fa 
vigne beaucoup d'arifloloche que je n'avo^ 
jamais vue , & qu'au premier coup-d'œil j'a| 
reconnue avec tranfport. 

Adieu , mon cher hâte , je vous embrade , 
te j'attends dans votre première lettre de 
bonnes Aomrelles de vos yçiuu 



VIJ 



t E T T R E 

AU MÊME. 

Bourgoin 9 le ^ Septembre l'yeti 

A mes diverfes coarfei , mon cher hôte ^ 
^ut ont achevé de me convaincre , qu'on 
écoic bien déterminé â ne me laiffer nulle parc 
la cranquilltté que j'écois venu chercher dan» 
ces provinces , j*ai pris le parti , rendu de 
£id((ue & voyant la faifon s*avancer , de m*ar- 
têter dans cette petite ville pour 7 pafler 
rhivcr. A peine y ai-je été , qu*on s*eA predé 
de m'y harceler avec la petite hiiloire que 
Tous'allez lii e dans Textraic d*tuie lettre qu'un 
certain Avocat*** m'écrivit de Grenoble 
le XX du mois dernier. 

Le Sr, Thevemn y Chamoîfêur de fia wU^ 
lier 9 fe trouva logé il y a environ dix ans 
chei le Sr. Janin hôte du bourg des Verdiercs 
de Joue près de Neufihâtel avec M, Rouffeau^ 
qui fe trouva lui*même dans le cas d'avoir 
befoin de quelque argent , & qui s^adrejja an. 
^r* Janin fon hôte pour obtenir cet argent dm, 
Sr* Thcp^nùu Ct dernier n'ofant pas pri^ 



L H T T R E , &C. 155 

finur â M, Rottffeâu la modique fimmc 

^*sl danandoity attendit fon départ ^ 

Vaceompa§na effc^vement des Verdieres-de' 

Joue jufpià St, Sulpi avec ledit Janin i & 

eiprès avoir dini enfemble dans une auberge 

*qui a un foleil pour enfiigne > il lui fit re^ 

mettre neuf livres de France par ledit Janin» 

ilf. Rouffeau pénétré de reconnoijfance » 

donna audit Thevenin quelques lettres de re- 

eommandation » entr'autre une pour M de 

Faugnesy direSeur des fils à Yverdun ^ Ct 

une pour Ai, ^rdiman de la même ville , 

dans laquelle M, Rouffeau Jigna fi>n nom , 

& figna t le voyageur perpétuel , dans une 

mttre pour quelqu'un à Paris , dont U Sr* 

Thevenin ne Je rappelle pas le nom. 

Voici maintenant , mon cher h6te , copie 
de ma réponfe en date du 13. 

ce Je n'ai pas pu , Monfieur, loger il y a 
y> environ 10 ans où qut ce fût , près de 
y» Neufchâtel , parce (^u'il y en a dix , & neuf, 
» & huit , & fept que j'en étoii fort loin y 
to fans en avoir approché durant tout ce 
b tems plus près de cent lieues »# 

Vii) 



i}4 Lettre 

j> Je n*ai jamais logé au bourg des Vet-^ 
9> dieres , & n*en ai même jamais eniend.u 
» parler. C'eft peut-être le village des Ver— 
I» rieres qu*on a voulu dire. J'ai pafTé dans 
9» ce village une feule fois , il n*y a pas cinq 
>» ans , allant à Ponurlier ; j'y repalTai en 
9> revenant > je u*y logeai point; j*étois avec 
n un ami ( qui n'étoit pas le Sr. Thevenin ) i 
» perfonne autre ne revint avec nous , 5c de* 
M puis lors je ne fuis pas retourné aux Ver* 
M rieres «. 

M Je n'ai jamais vu , qve je fâche , le 5r. 
*i Thevenin, Chamoifeur > jamais je n'ai ouï 
9> parler de lui , non plus que du Sr. Jania 
d> mon prétendu h6ce. Je ne connois qu'un 
3) feul M. Jeannin , mais il ne demeure point 
•» aux Verrières -, il demeure à. Neufcbâtel » 
3> 6c il n'eft point cabaretier ^ il eft fecrécaiic 
» d'un de mes amis ce. 

9> Je n*ai jamais écrit y autant qu'il m'eo 
I» fouvient à M. de Faugnes , te. je fuis sûr 
» au moins de ne lui avoir jamais écrit de 
Il lettres de recommandation , n'étant pat 
•i alTcz lié avec lui pour cela. Encore moins 



A M. D. 155 

^ at-je pu écrire à M. Aldiman dTverdun 
•• que je n*ai vu de ma vie ^ & avec lequel )• 
» ii*eus jamais nulle efpecc de Itaifoa «. 

to Je n'ai jamais figné avec mon nom le 
M voyageur perpétuel 9 premièrement parce 
n que cela nVft pas vrai , ôc fur-tom ne ré« 
» toit pas alors , quoiqu'il le foie devenu de- 
i9 puis quelques années 'y en fécond lieu , parce 
t> que je ne tourne pas mes malheun en plai- 
» fanteries \ & qu'enfin Ci cela m'arrivoit , 
•> je tâcherois qu'elles fufTent moins places ce. 

» J'ai quelquefois prêté de l'argent à Neuf- 
» chârel , mais |e n'y en empruntai jamais ^ 
»> par la raifon très- (impie qu'il nem'aja- 
» mais manqué dans ce pay^-U ; te vous 
9> m'avouerez , MonHeur , qu'ayant pour 
3> amis tous ceux qui y tenoiehe le premier 
9> rang , il eût été du moins fort bizarre que 
» j'alIaiTe emprunter neuf francs d'un Cha- 
» moifeur que je ne connoifTois pas , & cela 
>» à un quart-de- lieue de chez moi s car c'efl 
« â-peu-près la dlAance de St. Sulpice» où 
» Ton dit que cet argent m'a été prêté , â 
« Motiers où je demfUrois m» 



13^ Lettre 

Vou* croiriez , mon cher hôte , fur cctt» 
lettre & fur ma rcponfc que f ai envoyé» 
au Commandant de la province , que tout 
a été fini , & que i*impofturc étant fi claire- 
ment prouvée , Timpodeur a été châtié « on 
bien cenfuré. Point du tout. L'affaire eft en- 
core là 5 & ledit Thevenin , confeillé pat 
ceux qui l'ont apofté , fe rettanchc à dire 
qu'il a peut- être pris un autre M. Rou^eaa 
pour J. J. Rouileau ^ & perfifte à foutenir 
avoir prêté la fomuie â un homme de ce nom, 
fe tirant d'affaire , je ne fais comment , au 
Aijet des lettres de recommandation. De 
forte qu'il ne me reffe d'autre moyen pour 
le confondre , que d'aller moi-même â Gre* 
noble me confronter avec lui : encore ma 
mémoire trompeufe 8c vacillante peut-elt« 
fouvent m'abufer fur les faits. Les feuls Ici 
qui me font certains , eft de n'avoir jamaif 
connu ni Thevenin ni Janin ; de n'avoir ja- 
mais voyagé ni mangé avec eux y de n'avoir 
jamais écrit à M. Aldiman ^ de n'avoir ji« 
mais emprunté de Pargent , ni peu ni beau- . 

coup de perfonne durant mon (éjour à Neuf- 
éhâtel ; je ne crois pas non plus avoir jamais 
écrie i M, dé Faugnes , fur-tout pour iiii 



A M. D. ijr 

^•mmtnder quelqu'un } ni (amais avoir 
ligné U voyageur perpétuel i ni jamais ayoir 
couché aux Verrières , quoiqu'il ne me foie 
pas podîble de me rappeler où nous couchâ- 
mes en revenant de Poncarlier avec Sauccers-^ 
baim die le Baron , ( car en allant )e me 
fouyiens parfaitement que nous n'y couchâ- 
mes pas ). Je vous fais tous ces détails , mon. 
cher hoce , afin que fi , par vos amis , vous 
pouvez avoir quelque éclaircidèment fur tous 
ces faits , vous ihe rendiez le bon office de 
m'en faire part le plutôt qu'il fera poflible. 
J'écris par ce même fourrier â M. du Ter- 
reau , Maire des Verrières , à M. Breguet , 
à M. Guyenct Lieutenant du Val-dc-Travcrs , 
mais fans leur faire aucun détail j vous aurez 
la bonté d'y fuppléer , s'il efl nécefl*aire , par 
ceux de cette lettre. Vous pouvez m'écrire ici 
en droiture : mais fi vous avez des éclair- 
cifTemens intéreffans à me donner , vous 
ferez bien de me les envoyer par duplicata , 
fous enveloppe , â l'adrefie de Af. le Comte 
de Tonnerre , lÀeutenojit-Giniral des ar^ 
mets du Roi ^ Commandant pour 5. M» en 
Daupfùni > d Grenoble, Vous pourrez même 
m'écrire i l'ordinaire fous fon couvert i me^ 



*■' 



13S L e i T & E^ &c. 

lettres me parviendront plus Icnccment j 
mais plus furemeut qu^sn droiture. 

JVfperc qu'on eft tranquille à ptéfent dâMim 
TOtre pays. PuiCe le Ciel accorder â tout les 
hommes la paix qu*ils ne veulent pas m* 
UiiTer ! Adieu , moo cher hôte 9 je Tooâ 
tmbraiTc 



( 



LETTRE 



AU MÊME. 

Sourgoin, It it No**mbrc lyeS, 



r 



£ vous remercie , mon cher hôte , de l'ar* 

rêc de Thevenin \ je Tai envoyé â M. de 

Tonnerre avec condition exprelTe ( qui du 

reAe n*écoit pas fort nécefTaire à Aipuler ) t 

de n*en faire aucun uTage qui pût nuire à ce 

malheureux. Votre fuppofîcion qu*il a été la 

dupe d'un autre impofteur , eft ahfolumenc 

incompatible avec fcs propres déclarations , 

tvec'celle du cabaretier Jeannet 6c avec touc 

ce qui s'eft paiTé : cependant , (i vous voulez 

abfolumenc vous y tenir , foit. Vous dites 

que mes ennemis ont tropd'efprit pour choifir 

une calomnie auffi abfurde. Prenez gardé 

qu'en leur accordant tant d'efprit , vous ne 

leur en accordiez pas encore a^ez : car leut 

objet n*étant que de voir quelle contenance 

\t tençis vis- â -vis d'un faux témoin, ilefl 

clair que plus Taccufation étoit abfurde £c 

ridicule , plus elle alloit â leur but. Si ce 

but eut été de perfuader le public , vous 



t^^ '" L^^ r Y n r j^ 

auriez raîfoQ > mais il écoic autre. Oo (avoi^ 
très-bienqueje me cireroisde cette affaire; 
mais on Touloic voir comment |e m'en tire- 
rois. Voilà tout. On fait que Thevenin ne 
m*a pas prêté neuf francs', peu importe i 
mais on fait qu'un impofteur ^eut m'em- 
barrafTer; c*eft qutlqUe chofe (i). 

(i) M. RouiTeati pouToit ajouter que tôutt 
groffiere qu*étoit cette £arce iou<e par TheTenin» 
cfle tendoic à compromettre fa sûreté, en le 
mettant dans la néceflîcé de fe produire fous le 
nom de J. J. Rouffeau, que par des conlidéra- 
tions majeures il avoit quitté pour prendre celui 
de Reno»* 

Quant au nom de yojageur perpétuel donné 
par Thevenin à M. Rou0'eau , voici une anec 
dote alTez fînguKere , tranfccite mot à mot fut 
l'original dune lettre qui nous a été adre^Tée. 

» j'étois un jour à me promener au jardin 
»> des Thuilleries , appercevant quelques-uns de 
»> nos lettrés , & fâchant l'endroit où ils te- 
ia noient ordinairement leurs aflîfes , je fus les j 
y) devancer plutôt par défoeuvrement que pac 
» curiofité. 

» La lettre de M. RoufTeau à M. l'Archevêque 
») de Beaumont paroîflbic depul» peu. Ce fut fur 
»7 cet Ouvrage que roula prefque ta ' converfa- 
y» tion. On en parla diverfement , on critiqua , 
M la critique fut plus injuftc qUe févcre i on 

V«trc 



A M. D. 141 

'^- Vos maximes» moa très -cher hôte, font 
trcs-floi'ques & très-bcltes , quoiqu'un peu 
outrées , comme font celles dt Séneque y 6c 

« attaqua l'auteur , & on ne fut ni modéré , 
y> ni honnête* 

. )> M. Dudos en parla (éul comme un admira» 
9^ teur de M. RouiTeau , pénétré de fcs malheurs» 
»> & paroîlTant les partager > il me parut déplacé 
)) dans ce cercle. M. de Ste. Foix parla en inqui- 
a» liteur. 

» Un AJbbé dont ma métnoire ne me permet 
Tf> pas dans le moment d'appliquer le nom fur fa 
w figure fraîche & bdnéficiale , brilla. M. D**». 
s> étoit vis-à-Tîs de lui , & fourioit de tems en 
9^ tems à l'Abbé en forme d'approbation. 

» Je ne tardai pas d'entendre une voix de fau(^ 
V fet qui difoit : Ce pauvre Rouffe-Héveitt à tout 
9^ prix occuper le public... cette gloriole ejl bien 
y* permife fans doute quand elle n dégénère pas 
*» en folie,,,, que dites-vous' de fes allées &* ve-» 
'» nues,... il n*eft bien nulle paru.,.. C'EST UM 
«VOYAGEUR PERPÉTUEL. 

)) Ce n'eft pas fur le difcours philofophique 
^) que j'appuie. Je ne m'arrête qu'a ces mots r 
•• «» voyageur perpétuel. l\ cft bien finguHer que 
u le maraud de Thcrenin ait eu la même idée » 
» & bien Ion g-temi après ; & que M. Koufleau 
» l'ait fait naître , lui qui dcpuia fon retour d'I- 
y»(aHe à Paris jufqu'à Ion départ pour la Suilfe | 
•» n'avoitfait qu'un voyage en dix -huit ans. 

Tome IK. " X 



l4^ L B T T H I 

généralement celles de cous ceux qui philolW 
phent tranquillement dans . leur cabinet fur 
les malheurs dont ils font loin , & fut Topi - 
nion des hommes qui les honore. J'ai appris 
aiTurément â nVfUmer Topinion d'autrui 
que ce qu'elle vaut , & je crois favoir , da 
moins auffi bien que vous , de combien <io 
chofes la paix de l'ame dédommage ; mais 
que feule elle tienne lieu de tout , & rende 
feule heureux les infortunés i voiU ce que 
)* avoue ne pouvoir admettre , ne pouvant , 
tant que je fuis homme , compter totalement 
pour rien la voix de la nature patifTame 5c 
le cri de l'innocence avilie. Toutefois ^ 
comme il nous importe toujours , 8c fur-tout 
dans Tadverdié , de tendre â cette impaiC* 
bilité fublirae i laquelle vous dites écre par« 
venu , je tâcherai de profiter de vos fenten* 
ces , & d'y faire la réponfe que fit l'archi- 
teâe Athénien â la harangue de l'autre. Ce 
qu'il a dit , je le ferai» 

Certaines découvertes amplifiées peut-être 

» Mais chaque fiecle ;^cu fon genre de peH^ 
» cution , & tel qui s'eft livré k ridiculifer Rou(^ 
» feau , n'auroit peut-être pas 4t4 des derniers i 
» acçuferSocrate». 



A M. D* 24J 

^âf mon imagination , m*ont jeté duranc 
plusieurs jours dans une agitation fiévreufe 
qui m'a fait beaucoup de niai j & qui , tant 
qu'elle a duré » m*a empêché de vous écrire. 
Tout efl calmé 9 je fuis coûtent de moi , & 
l'efpere ne plus cefTer de Têtre , puifquMl ne 
•peut plus rien m'arriver de la part des hom- 
mes y à quoi je n'aie appris â m*attendre , & 
à quoi je ne fois préparé. Bonjour , mon 
cher hôte, je vous embtaiïe de tout mon 
cflcur. 



Xi| 



LETTRE (i). 

EcrUe de Bourgoin ,le z Décembre 
1768 , par J. J. Rouffeaii , à Ma^ 
dame la Préfidente de Verna de 
Grenahie , laquelle informée qu'il 
itoit venu herb^rifer en Dauphiné , 
lui avoit offert un logement dans 
fon château. 



JLaissons^ à part y Madame» fevousTiii^ 
plie , les livres & leurs auteurs. Je fub fî feo- 
ilble à votre obligeante invitation , que fi nm 
fanté me permettoit de faire en cette faifoii 
des voyages de plaillr , )'en ferois un bien 
volontiers pour aller voua remercier. Ce que 
vous avez la bonté de me dire , Madame y. 
des étangs 5c des montagnes de votre con- 
trée » ajouteroit â mon emprelTemenc y mais 

( I ) Madame la Marquife de Ruflfteux , fille de 
Madame la Préfidente de Verna , pofiede l'origi- 
nal de cette lettre, fille a permis à M. L. C. D. U 
d'en tirer une copie qui a été imprimée pour U 
première fois dans le Journal dt Paris du^ i^ 
luillet dernier. 



L B T T R E , 8CC. 24J 

^*en feroîrpas la première caufe. On dit que 
la grotte de la Balme eft de vos côtés > c'e/l 
encore un objet de promenade & même 
d'habitation , ù jepouvois m'en pratiquer 
une dont les fourbes êc les chauves - fouris 
n*approchaflènt pas. A regard de l'étude det 
plantes y permettez , Madame , que je la 
faflè en naturalifte & non pas en apothi- 
caire. Car outre que je n'ai qu'une foi très- 
médiocre â la médecine , je connois l'organi- 
fation des plantes fur la foi de la nature qui 
ne ment point , 6c je ne connois leurs vertus 
médicinales que fur la foi des hommes > qui 
(ont menteurs. Je ne fuis pas d'humeur â les 
croire fur leur parole , ni â portée de la vé- 
tiiîer. Aiad , quant â moi , j'aime cent fois' 
mieux voir dans l'émail des prés de guirlan- 
des pour les bergères , que des herbes pour 
des lavemens. PuilTai- je , Madame , au(G- 
tôt que le printems ramènera la verdure , 
aller faire dans vos cantons des hetborifa- 
tions qui ne pourront qu'être abondantes fie 
brillantes , H je juge par les âeurs que répand 
votre plume , de celles qui doivent naître 
autour de vous. Agréez > Madame > 6c faites 



1^6 Lettre, &c. 

agréer â M. le Préûdenc y \c vous fappGe ^ 
les aiTurances de tout mon refpeâ. 

Signé K^n ou (x). 

(!) C'eft le nom que prit le Citoyen de Génère 
àMos fa retraite en Oai^hiné. 



LETTRE 

A M. L. C. D. L. 

Monquin , U lo OBobre 17^ 9 • 

IVl £ yoid , Monfieur , en vous lépondant, 
Vdans une (icuacion bien bifarre , fâchant bien 
^ qui , mais non pas à quoi : non que tottc 
ce que vous écrivez ne mérite bien qu'on 
s'en fouvienne , mais parce que )e ne me 
ibuviensplus de rien. J*avois mis à part votte 
lettre pour y répondre 3 & après avoir vingt 
fois renverfé ma chambre & tout les fatras 
qui la remplirent , je n*ai pu parvenir â rc 
trouver cette lettre ; toutefois )e n'en veux 
pas avoir le démenti , ni que mon étourde* 
rie me prive du plaifîr de vous écrire. Ce ne 
fera pas û. vous voulez une réponfe , ce fera 
un bavardage de rencontre , pour avoir , aux 
dépens de votre parience , l'avantage de eau- 
fer un moment avec vous. 

Vous me parliez , Monsieur ^ du nouveau 
né , dont je vous fais mes bien cordiales fé* 
Jidtations. Voili vos pertes réparées/ Que 
▼OUI êtes heureux de voir les plaifits patei;- 



XJ^i LETTRE 

nels fe multiplier, autour de vous ! Je voof 
le dis , & bien du fond démon coeur j qui- 
conque â le bonheur de pouvoir remplir des 
foins û chers , trouve chez lui des plai(irs 
plus vrais que tous ceux du monde , 6c les 
plus douces confolacions dans TadveHité. 
Heureux qui peut élever fes enfaas fous (es 
yeux ! Je plains un père de fisuuille obligé 
d'aller chercher au loin la fortune : car pour 
le vrai bonheur de la vie , il en a la fourc» 
auprès de lui. 

Vous me parliez du logement auquel vous 
aviez eu la bonté de fonger pour moi. Vous 
avez bien , Monfieur , tout ce qu*il faut 
pour ne pas me laiflèr renoncer fans regret à 
rcfpoir d*étre votre voifin i & pourquoi y 
renoncer ? Qu*ell-ce qui cmpécheroit que , 
dans une faifon plus douce, je n'allaffe vous 
voir , & voir avec vous les habitations qilf 
pourroient me convenir ? S*il s'en trouvofc 
une affcz voifîne de la vôtre pour me procu« 
rcr l'agrément de votre fociété , il y auroic 
là de quoi racheter bien des inconvéniens , 
le pourvn que Je trouvaflc à- peu-près le phit 
fiécelTure , de quoi me coafoler de n*aVQiv 
pas ce qui lefcroic moins. 



A M. L. C. D. L. 149 

Vous me parliez de Uccéfature , & préciGS- 

xncDt cet article k plus plein de chofei U le 

^lus digne d'écre retenu , eft^xlui que )*ai to- 

laUmenc oublié. Ce fujec qui ne me raf^pelle 

que des idées triâes , & que Tindinâ éloigne 

de ma mémoire , a fait ton à TeTprit avec 

lequel TOUS l'avez craicé. Je me fuis fouvenu 

feulement que vous cdez trè&^aimable y même 

,CQ traitant unrujet que jen'aimois plus* 

, Vous me parliez de botanique 5c d'herbo- 
rifadons. C*efl un ohfet fur lequel il me refte 
tm peu plus de mémoire > encore ai-)e grand 
peur que bientôt elle ne s*en aille de même 
^vec le goût de la diofe, & qu'on ne par- 
vienne à me rendre défagréable iufquU cet 
innocent amufement. Quelque ignorant que 
•}e fois en bounique^je ne le fuis pas au point 
d'aller , comme on vous Ta dit , chercher en 
Europe une plante qui empoifonne par fon 
^eur s & je penfe , au contraire , qu'il y a 
beaucoup â rabattre des qualités prodigieufes 
tant en bien qu'en mal , que l'ignorance , 
la charlatanerie , la crédulité , te quelquefois 
la méchanceté prêtent aux plantes , & qui 
JbicB examinées , fe réduifem pour Tordl-. 



^$0 L E T T R B 

aaire à très-pcu de chofc , fouvent tom^ 
fait à ricD. J»allois à Pila faire avec tnn 
Meneurs qui faifoicnt fcmblant d'aimer ia 
botanique, uae bcrboriniuon dont le prin- 
cipal objet étoit un commencement d'Iier- 
bicr pour l'un des trois , â qui j'ayois tâché 
d'infpircr le goût de cette douce & almaj)te 
étude. Tout en marchant , M. le Médecin " 
M*** m'appcUa pour me montrer , difoir- j 
il , une très-belle Ancolic. Comment , Mon- ' 
finir , une Ancolie i lui dis.|e en voyant (à 
plante: c'cft le Napel. Là-defTus je leur ra- 
contai les fables que le peuple débite en Smffc 
fur le Napel , & j'avoue qu'en avançant 5f 
nous irouvam comme enfcvelis dans une fo- 
rée de Napels,, je crus un moment fentff 
un peu de mal de tête, dont |e reconnus ta 
chimère , & ris avec ces Mcfficursptefque as 
xncmc inftant^ 

Mais au lieu d'une plante à laquelle fv 
n'ivois pas fongé , j'ai vraiment fie vaine- 
ment cherché à Pila une fontaine glaçante qoi 
tiioit , à ce qu»on nous dit , quiconque en 
buvoK. Je déclarai que j'en voulois faire 
1 cffiu fur moi-même , non pas pour «e tuer. 



aM. L. c. d.,l; ijt 

)f TOUS jure » mais pour déCàhaCet ces pauvret 
^ens fur la foi de ceux ^ui *Cc plaifenc i pa* 
lomoier la nature , craignaiK jufqu*au lait de 
leur mère , & ne voyant par>tout que les pé- 
rils & la mort. J*aurois bu de l'eau de cette 
£ontaine comme M.Storck a mangé du Ka* 
pel. Mais au lieu de cette fontaine homicide, 
qui ue s'eft point trouvée , nous trouvâmes 
une fontaine très- bonne , très- fraîche donc 
nous bûmes tous avec grand plailîr , & qui 
x^e tua perfonne. 

Au reAe , mes voyages pédeftres ayant été 

]arqu*ici tous très- gais , faits avec des cama-* 

rades d'aufli bonne humeur que moi , j^avoi» 

efpéré que ce feroit ici la même chofe. Je vou« 

lus d*abord bannir toutes les petites façons 

éc ville 'y pour mettre en train ces Medieurs p 

je leur dis des canons *> je voulus leur en 

apprendre i je m'imaginois que nous allions 

chanter , criailler , folâtrer toute la journée* 

Je leur fis même une cbanfon ( Tair s'entend > 

que je notai , tout en marchant par la pluie , 

avec des chiffres de mon invention. Mats 

quand ma chanfon fut faite , il n*en fut plut 

qucition , ni d'amufemens ^ ni de gaieté , ni 



«5*- LettrEj&c. 

éc familiarité i youUntécre badin cour Cedi 
je ne me trouvai que groflîer s tou|ours le 
grand cérémonial , & toujours Moniteur dom 
Japhet ^ â la fin je me le tins pour die j & 
m'amufant avec mes plantes , je laiââi oa 
MefCeurs s'amuTer â me faire des façons. Je 
ne fais pas trop & mes longues cahâcheries 
vous amufenc. Je (aïs feulement que û je les 
prolongeois encore , elles vous ennuyeroicoc 
certainement à. la fin. Voili ^ Monfieur y l'iitC* 
coire exaâe de ce tant célèbre pèlerinage , 
qui court déjà les quatre coins de la France , 
& qui remplira bientôt Tfiurope. endere de 
Ton rifible fracas. Je vous falue » Monfieur , 
& vous embxaâe de coût mon cœutm 



LETTRE , 



LETTRE 



A M. DU BEL LOT. 

^ Mbnqidn ,parBourgoin, U 19 Fèt* 1770* 

Fauvres aveugles que nous fommes ! 
Ciel ! déinafquc les impofteurs , ; 
Et force leur$ barbares coeurs 
A s'ouvrir aux regards des hommet. 

J 'KONOK.01S vos talens y Monfieur , encore 
^lus le digne ufage que vous en faites , & 
}*admîrois comment le même efprit patrio- 
tique nous avoic conduits par la même route 
â des deiUns û. contraires : vous à racquiH- 
tion d'une nouvelle patrie , & â des honneurs 
diftingués » moi i la perce de la mienne & à 
des opprobres inouis. 

Vous m'avez refTemblé , dites- vous , pat 
le malheur > vous me feriez pleurer fur vous , 
fi )e pottvois vous en croire. Etes* vous feul 
en terre étrangère , ifolé , féquefiré , trompé , 
trahi , diHFamé par tout ce qui vous envi- 
ronne , enlacé de trames horribles dont vous 
icntiez Teffct , fans pouvoir parvenir â let 



154 Lettre 

coanoîrre » â les démêler ? Etes-yoïiS à b 
merci de la puifTance , de la nife , de Vini' 
qiiicé y réunie! pour vous traîner dans la fange, 
pour élever autour de vous une impénétrable 
œuvre de ténèbres , pour vous enfermer tout 
vivant dans un cercueil ? Si tel eft ou fut vo- 
tre fort , veaex , gémiiTous enfemble } mais 
en tout autre cas , ne vous vantez poîac de 
faire avec moi fociété de malheun* 

Je lifois votre Bayard , fier que vont cuf- 
fiez trouvé mon Edouard digne de lui fervif 
de modèle en quelque chofe , & vous me hi* 
fiez vénérer ces antiques François » auxquels 
ceux d'aujourd'hui reffemblent fi peu y mais - 
que vous faites trop bien agir & parler pour 
ne pas leur rcflèmbler vous-même. A ma fe-* 
conde leâure , |e fuis tombé fur un vers qui 
m'avoit échapé dans la première , &. qui 
par réflexion m*a déchiré {*). Vy airecooflu» 
non , grâces au Ciel , le cœur de J. J. , mair 
les gens à qui j*ai â faire , U que pour moA 

(i) Il eft probable que ces deux vers tfteioit 
ceux-ci. 
Hut de vertu briUoit dans fon féMte repentir ! 
ftitt'09 fi bien U ptindrt^i t^pêpéuls ft»$ir I 



A M. DU Bbiloy. 15J 

«nalheur je connois trop bien. Tai compris , 
y ai penGS du moins qu'on vous avoic ftiggéré . 
ce vers-U. Milère iiumainc , me fuis-je die ! 
Que les médians di£famenc les bons , ils font 
leur œuvre i mais comment les trompent-ils 
les uns à regard des autres ? Leurs âmes n*onc- 
clies pas pour fe reconnoître des marques plut 
§ûres que tous les prciliges des impofteurs ? 
J'ai pu douter quelques inftans , )e Tavoue , 
•û vous n*étiez point (îduit , plutôt que trompé 
par mes ennemis. 

Dans ce même tems , fai reçu votre lettre 
te vçtre Gabrielle , que fai lue & relue aufli , 
mais avec un plaifir bien plus doux que celui 
que m'avoit donné le guerrier Bayard i car 
rhéroïfme de la valeur m*a toujours moins 
touché que te charme du fenrimeut dans les 
âmes bien nées. L'attachement que cette 
pièce m'infpire pour Ton Auteur , eft un des 
mouvemens , peut - être aveugles , mais 
auxquels mon cétur n'a jamais refîAé. Ceci 
me mené i Taveu d'un autre folie , â 
laquelle il ne ré/îfte pas mieux. C'eft de 
faire de mon HéloiTe le crirer/um fur lequel 
fe juge du rapport des autres ceeurs avec le 

y ii 



*.s^ 



Lettre 



mien. Je conviens volontiers qu'on peut êtn 
plein d'honneccté , de vf rtu » de fens , de 
raifoR , de goûc , & trouver ce roman déceP 
table i quiconque ne Taimera pas peoc bica 
avoir pani mon eAime , mais iamais à moa 
amitié. Quiconque n'idolâtre pas ma Julie , 
ne fent pas ce qu'il faut aimer ^ quiconqtiff 
n'cCi pas Tami de St. Preux ne faaroit être le 
mien. D'après cet entêtement , jugez du plai- 
ût que j'ai pris en lifant votre Gabrlelle , d'j 
retrouver ma Julie un peu plus héroïquemeqc 
requinquée, mais gardant Ton même nacaref , 
animée peut-être d'un peu plus de cludeur p 
plus énergique daps les (ituations tragiques , 
mais moins epivranjce auifî t félon moi , dam 
le calme. Frappé de voir dans des mtiltiiiKl^ 
des vers , â quel point il faut que vous ayez 
contemplé ce.tce in^j^e û tendre dont }c foie 
le Pygmalion , )'ai cru fur ma règle ou fur 
ma manie , que la nature nous avoic fakt 
amis s & revenant avec plus d'iccecqtude 
aux vers de votre Bayard , j*ai céfolu d'eu 
parler avec ma frandbife ordinaire , faiif i 
vous de me répondre ce qu'il vouf plain. 

Monficur du Belloy , je nt pepfc pai an 



A M. vv Beiioy. 157 

J'iioonpur comme vous de la vertu , qu*il 
Ibic poi(fible <i*en bien parler , d*y revenir 
ibuvenc par goût , par choix, & d*en parler 
toujours d'un ton qui touche 9c remue ceux 
qui en ont , fans Taimer , Ac fans en avoir 
ibi>méme : atnâ , fans vous connoître autre- 
ment que par vos pièces , je vous crois dans 
ie. çŒur l'honneur d'an ancien Cheva- 
lier, & je vous demande de vouloir me 
dire , fans détour , s*il y a quelque vers dans 
TOtre Bayard dont en l'écrivant votis m*ayez 
voulu faire TapplicatioB* Dites-moi fimple- 
ment oui ou non, & je vous nois. 

Quâht au projet de réchauffer les cœurs 
Àe vos compatriotes , par l'image des anti- 
ques vertus de leurs pères ^ il eft beau , mais 
il eft vain. L'on peut tenter de guérir des 
malades , mais non pas de relTufciter des 
morts. Vous venez foixante^dix ans trop tard. 
Contemporain du grand Catinat , du brillant 
Villarf , du vertueux Fénelon , vous auriez 
pu dire : VoiU encore des François dont je 
vous parle : leur race n'eft pas éteinte ', mais 
aujourd'hui vous n'êtes plus que vox damans 
in deferto. Vous ne mettez pas feulement fur 

Yiij 



*5« 



Le t t r e, 8Cc: * 

la Tcene des gens d*ua autre ficelé, maîf 
d*un autre mondes ils n'ont plus rien de 
commun avçc celui-ci. Il ne refte à totre 
nation , pour Ce cooToler de n*avoir plus de 
vertu , que de n'y plus croire , 8c de I J 
^iâfamer dans les autres. O s'il étoit encore 
des Bayards en France , arec quelle noble 
colère , avec queUe. vive indignation i • . • 
Croyez-moi , du Belloy » ne faites plus de 
ces beaux vers i la gloire des anciens Fran- 
çois • de peur qu'on ne (bit tetaté , par la 
luflelTe de la parodie , del'appllqutr â ceax 
d'aujourd'hui. 

Adieu f Monfleur. , û'ce^'^ letr^. vous par- 
vient , je vous prie de m'en donner avis » 
afin que je ne fois pa$i, ijijufte. Icyf^m (alaç 
de tout mon cqpur. 



L ET T R E 

AU MÊME. 



Monquîn y le 11 Mars i770« 

Pauvres aveugles que nous fommes 1 
Ci ejl 1 déinarque les imppfteurs , 
Et force leurs barbares cceurs 
A s'ouvrir aux regards des hommes. 

Al faut , Monfleur, vous refoudre i bien 
de l*ennui , car )*ai grand'peur de vous écrire 
une longue lettre. 

Que vous m'avez rafraîchi le fang , 8c 
que j'aime votre colère ! Vy vois bien le 
fceau de la vérité dans une ame fîcre , «juc 
le patclinage des gens qui m'entourent mar- 
que encore plus fortement â mes yeux. Vous 
avez daigné me faire fentir mon tort } cV{( 
une indulgence dont je fens le prix , fie que 
je n'aurois peut-être pas eue à votre place } 
il ne m'en refle que le de/îr de vous le faire^ 
oublier. Je fus quarante ans le plus confiant 
des hommes , fans que durant tout ce tems 
japiais une feule fois cette confiance ait été 



i(jo Lettre 

trompée. Sitôt que feus pris U plume y \t 
me trouvai dam un autre unirers , parmi 
de tout autres êtres , auxquels je continuai 
de donner la même confiance , & qui m'en 
ont û terriblement corrigé , qu'ils m*ont |ect6 
dans l'autre extrémité. Rien ne m'épouvanta 
jamais au grand jour, mais tout m'effa- 
rouche dans les ténèbres qui m'environnent , 
& je ne vois que du noir dans l'obrcuricé. 
Jamais l'objet le plus hideux ne me fit peur 
dans mon enfance , mais une figure cachée 
fous un drap blanc me donnoit des con- 
vulfions i fur ce point , comme fur beau- 
coup d'autres, je referai enfant jufqu'i la 
mort. Ma défiance efl d'autant plus déplo- 
rable , que prefque toujoun fondée > ( & je 
n'ajoute prefque qu'à caufe de vous ) elle 
eft toujours fans bornes , parce que tout ce 
qui efl hors de la nature n'en connoit plus. 
Voilà , Monfieur , non l'excufe • mais la 
caufe de ma faute , que d'autres circonftancef 
ont amenée & même aggravée , & qu'il £iut 
bien que je vous déclare pour ne pas vont 
troniper. Perfuadé qu'un homme puiiTant 
vous avoit fait entrer dans fes vues â mon 
égard y je répondis felou cette idée à quel* 



A M. DU Belloy. i6i 

•qu'uu qui m'avoic parlé dé vous > & fc 
répondis avec tant d*ioipradence « que je 
nommai même Thomme eo queftioo. Né 
avec un caraâere bouillant , donc rien n'a 
pu calmer rcffervefcence , mes premiers 
mouvemens font toujours marqués par une 
écourderie audacieufe , que |e prends aloM 
pour de rintrépidicé , te que )*ai tout te 
tems de pleurer dans la fuite , Cur-tout quan^ 
çUe eil injude comme dans cette occafion. 
Fiez-vous â mes enne^s du foin de m*en 
punir. Mon repentir ancic;ipa même fur leurs 
foins > à la réception de votre lettre ; un 
jour plutôt elle m'eut épar^é beaucoup de 
Totcifes i mais , puifqu'elles (ont faites ^ il 
ne me relie qu'à les expier , & à ticket d'en 
obtenir le pardon que je vous demande par 
la commifération due à mon état. 

Ce que vous me ditçs des impuuttoni 
donc vous m'avez entendu charger y ic du 
peu d'effet qu'elles ont fait fur vous , ne 
m'étonne que par l'imbécillité de ceux qui 
penfoient vous furprendre par cette voie. Ce 
n'ed pas fut des hommes tels que vous que 
des dlTcours en l'air onc quelqMe prir«^ mai« 



•^ 



t6i Lettre 

les frivoles clameurs de la calomnie qtrf 
n'ezckenc gueres d'attention , font bien diifc' 
rentes , dans leurs effets y des complots tra« 
mes & concertés durant longues années , 
dans un profond filence, fie dont les déve> 
leppemens fucceflifs fe font lentement , foor* 
dément & avec méthode. Vous parlez d'éri- 
dence i quand vous la verrez contre moi , 
}ugez*moi» c'efl votre droit i mais n'ou- 
bliez pas de )uger aufli mes accufateun i 
examinez quel motif leur infpire tant de 
zele. J'ai toujours vu que les méchans inf- 
piroient de l'horreur , mais point d'animo- 
ûté. On les punit ou on les fuit , mais 
on ne fe tourmente pas d'eux fans cède , 
on ne s'occupe pas fans ceflê i les cir- 
convenir , à les tromper , â les trahir \ ce 
n'eft point i eux que l'on fait ces chofes- 
U , ce font eux qui les fout aux autres. 
Dites donc â ces honnêtes gens û zélés , û 
renueux , d fiers fur-tout d'être des traîtres, 
flc qui fe mafquent avec tant de foin pour 
me démafquer : «c Mcflieurs , j'admire vatre 
•» zele « & vos preuves me paroiHent fans 
9> réplique s mais pourquoi donc craindre fi 
4» fore que l'accuH^ ne les fâche & n'f 



A M. PU Bellôy. i6^ 

» réponde ? Permettez que je Ten inAnûre flc 
M que je vous nomme. II n'eft pas généreux » 
y> ' il n'eft pas même juAe de diffamer un 
» liomme , quel qu'il foie , en Te cachant 
n de lui. C'eil , dites-vous , par ménage- 
9» ment pour lui que vous ne voulez pat 
s» le confondre i mais il feroit mpins cruel , 
a» ce me femble , de le confondre que de 
a» le diffamer y & de lui ûter la vie que 
a» de la lui rendre infupporuble. Tout hypo« 
»> crite de venu doit être publiquement 
n confondu i c*efl là fon vrai châtiment , 
s> £c l'évidence elle - mime eft fufpeâe y 
» quand elle élude la conviâion de l'accufé »• 
£n leur parlant de la forte , examinez leur 
contenance , pefez leur réponfe } fuivez , en 
la jugeant» les mouvemens de votre caur» 
Se les lumières de votre raifon i voili , 
Monfîcur , tout ce que je vous demande , 
& je me tiens alors pour bien jugé. 

Vous me tancez avec grande raifon fur 
la manière dont je. vous parois jugçr votre 
nation ; ce n'eft pas ainfî que je la juge de 
fang- froid , & je fuis bien éloigné , je voua 
{ute f de lui rendre i'inju(tice dont elle ufe. 



i'^4. 



L E T T a B 



cnrers moi. Ce jugement trop dur croit I' 
r/age d'un moment de dépit Bt de colère 
qui même ne Te rapporcoit pas à moi , mais 
an grand liomtue qu'on vient de chaflér de 
fa nailTame patrie , qu'il illuftroit déjà dans 
fon berceao , & dont on o(k encore fouiller 
les Tertns arec tant d'arcifice 8c d'injuftlce. 
S'il reftoit , me difois-je , de ces François 
célébrés par du Bello/ , pourquoi leur indi- 
gnation ne rédameroit-elle point contre ces 
manœuvres û peu dignes d'eux ? 

C'eft à cette accaHon que Bajrard me re- 
vint en mémoire , bien sûr de ce qu'il diroit 
ou feroit , s'il vi^ott aUjbbi'd'liui. Je nefen- 
tois pas a^Tefe que tous les hommes , même 
vertueux , ne font pas det Bayards , qu!on 
peut être timidie fahk cefler d'être julle , de 
qu'en penfant â<eat qùf machinent 8c crient, 
}*avois tort d'oubUer ceux qui gémiflènt St 
fe taifent. J'ai tbujours aimé votre nation , 
elle eft même celle de l'Europe que j'honore 
le plus, non que j'y cfoie appercevoir plus 
de vertus que dans les autres , mais par un 
précieux rcÂe de leur amour qui s'y cà con- 
servé , 6c qut Yoay réreiltez , quand il étoit 

prêt 



A M. DU Belloy. 2(>5 

prêt â s'éteindre. Il ne faut jamais défefpérer 
d'un peuple qui aime encore ce qui efl jufte 
& honnête, quoiqu'il ne le pratique plus^ 
Les François auront beau applaudir aux traits 
héroïques que vous leur préfentcz , je doute 
qu'ils les imitent , mais ils s'en tranfportcronc 
dans vos pièces , 8c les aimeront dans les 
autres hommes , quand on ne les empêchera 
pas de les y Toir. On eft encore forcé de 
les tromper pour les rendre injufles , pré- 
caution donc je n'ai pas yn qu'on eût grand 
befoin pour d'autres peuples. VoiU , Mon- 
fieur , comment je penfe conflamment â l'é- 
gard des François , quoique je n'attende plus 
de leur part qu'injuftice , outrages & perfî^cu* 
tion } mais ce n'eft pas à la nation que je 
les impute, 8c tout cela n'empêche pas 
que plufieurs de Ces membres n'aient toute 
mon eftime , 8c ne la méritent , même dans 
l'erreur où on les tient. D'ailleurs , mon 
caur s'enflamme bien plus aux injuflices 
donc je fuis témoin, qu'à celles doi^t je 
fuis la viâime; il lui manque, pour ces 
dernières , l'énergie 8c la vigueur d'un géné- 
reux défintéreifement. Il me femble que ce 
n'eft pas la peine de m'échaufifer pour une 
Tme Jr. Z 



1^6 L E T T R E 

caufe qui n'iatércdè que moi. Je regarde met 
malheurs comme liés i mon écac d'homme 
& d'ami de la vérité. Je vois le méchanc 
qui me per(ecuce de me diâTame , comme 
je verrois un rocher fe décacher d'une mion- 
tagné & venir m'écrafcr. Je le repoufTcrois 
fi j'en avoisla force, mais fans colère. Se 
puis je le laiflcrois là fans y plus fonger. J'a- 
voue pourtant que ces mêmes malheurs m'ont 
d'abord pris au dépourvu , parce qu'il en eft 
auxquels il n'e/l pas même permis à un hon- 
nête homme d'être préparé 5 fta ai été ce- 
pendant plus abattu qu'irrité j & maîntenanc 
que me voilà prêt , j'cfpere me laifTer un peu* 
moins accabler , mais pas plus émouvoir 
de ceux qui m'attendent. A mon âge fie 
dans mon état , ce n'efl plus la peine de s'en 
tourmenter , & j'en vois le terme de trop 
près , pour m'inquiécer beaucoup de l'efpace 
qui refle. Mais je n'entends rien à ce qoe 
TOUS me dites de ceux que vous avez eiTuyés : 
adurément je fais fait pour les plaindre j 
mais que peuvent-ils avoir de commun avec 
les miens ? Ma ficuacion efl unique , elle 
eft inouïe depuis que le monde exifte , fie 
je ne puis préfumer qu'il s'en retrouve ja- 



A M. DU Rblloy. i6y 

mais de pareille. Je ne comprends donc point 
quel rapport il peut y avoir dans nos defU- 
nées , & )*ainie â croire que vous vous abufez 
fur ce point. Adieu , Moniteur , vivez Iieu>* 
riux } jouiilèz en paix de votre gloire , <e 
fouvenez-vous quelquefois d'un homme qui 
vous honorera toujours. 



z n 



LETTRE 

A M. L'A. M. 

^Monquin ,parBourgoin » U ^ Fév, i77«* 

Pauvres aveugles que nous fommes ! 
Ciel ! démarque les impofteurs , 
Et force leurs barbares coeurs 
A s'ouvrir aux regards des hommes. 

En vérité, Monfieur, yotre lettre n'eft 
point d*un jeune homme qui a befoin de 
coufcil s elle eft d'un fage très-capable d'en 
donner. Je ne puis vous dire à quel point 
cette lettre m'a frappe. Si vous avez ea 
effet rétoffe qu'elle annonce , il eft â de- 
firer pour le bien de votre Elevé , que Tes 
parens Tentent le prix de l'homme qu'ils ont 
mis auprès de lui. 

Je fuis, & depuis Ci iong-tems» û loin 
des idées fur lefquelles vous me remetiet , 
qu'elles me font devenues abfolument étran- 
gères. Toutefois |e remplirai félon ma por- 
tée , le devoir que vous m'impofez ; mais 
je fuis bien perfuadé que vous ferez mieux de 



Lettre, Sec. i^p 

irotts en rappofcet à v^us qu*â mo! , fur U 
iseilleare miQjere de tqus conduire dans le 
cas ditiSdle ^à vous tous tfourez. 

• 

SItâc qu'on s'eft dévoyé de la droite 
route de la nattire » rien n'eft plus difficile 
que d'y rentrer. Votre enfant a pris tin pU 
d'autant moins facile à corriger , que nécef- 
fiairemcnc tout ce qui l'environne , doit em- 
pêcher Teffèc de vos foins pour y parvenir. 
Ceft ordinaiiement le premier pli que les 
enfaos de qualité oonrraûeot » Zc c'eft le 
dernier qu*on peut leçr faire perdre , parcs 
qu'il fauç pour cela le concours de la raifon , 
qui leur vient plus tard qu'à tous les autres 
eniàns. Ne vous effrayez donc pas trop que 
l'effêc de vos foins ne réponde pas d'abord 
èi la chaleur de votre zèle y tous devez vous 
attendre à peu de fuccès fufqu^à ce que vous 
«ycz la prife qui peut l'amener ; mais ce n'efl 
pas une raifon pour vous relâcher en atten- 
dant. Vous vQÎlâ dans un bateau » qu^im 
courant très- rapide entraîne en arrière, il^ 
§tm beancoop de travail pour ne pas reculer*. 

ia voie qœ vous avez' prife & que vous 

Ziij 



270 Lettre 

craignez n'écre pas la raeîtleure , ne le fera 

pas toujours fans doote. Mais elle me paroîc 

la meillsure en attendant. Il n'y a que trois 

inftrumens pour agir fur les araes humaines i 

Im raifon » le fentiment , & lanéceflicé. Vous 

avez inutilement employé le premier $ il n*eiè 

pas vraifemblable que le fécond eâc pins 

d'effet ; refte le troiâeme , & mon aris efl 

que pour quelque tems » vous devez vous 

y tenir; d'autant plus que la première & \m 

plus imporunte philofophie de l'homme de 

tout eut & de tout i^ » eft d'apprendre 

à fléchir fous le dur joug de la néceflîce. 

clavos trabdUs & éuteos manu, geftans ahenuL 

Il eft clair que Topinion » ce monAre qui 

dévore le genre-humain , a déjà farci /le fes 

préjugés la tête du petit bon-homme. Il vous 

regarde comme on homme à Cet gages , une 

efpece de domeftique , fait pour lui obéir ,' 

^ pour complaire à fes caprices ; & dans foa 

petit jugement » il lui paroit fort' étrange 

que ce foit vous qui prétendiez l'affervir aux 

vôtres i car c'eft ainii qu'il voit tout ce que 

vous lui prefcrivez. Toute fa conduite avec 

vous n'eft qu'une *con(équence de cette 

maxime» qui n'eft pas injufle, mais qu'il 



A M. l'A. m. 171 

«p^lque mal , que ^tji à celui qui paie de 
€omméuider. D'après cela qu'impone qu'il aie 
tort ou nifofi s c'eft lui qui paie. 

ZiTsfttf cbemin faifant , d'effacer cette opf- 
JÛon par des opinions pins jufies, de redreiTer 
fef erreurs par des )ugemeDs plus ren(es.Tichcz 
«le lui faire comprendre qu'il y a dés chofes plus 
efUmables que la naiffànce & que les riches , 
& pour le lui faire comprendre , il ne faut par 
le lui dire , il faut le lui faire fentir. Forcez 
fa petite ame vaine à refpeâer la ju/lice de le 
courage » â fe mettre à genoux devant la ver- 
tu i 6c n'allez pas pour cela lui chercher des 
livres. Les hommes des livres ne feront jamais 
pour lui que des hommes d'un autre mon' 
des|e lie fâche qu'un feul modèle quipuifTe 
avoir â fcs yeux de la réalité , & ce modèle 
c'eft vous , Monfieur y le pofte que vous rem- 
plidcz eft à mes yeux le plus noble fie le plus 
grand qui foit fur la terre. Que le vil peuple 
en penfe ce qu'il voudra, pour moi je vou s 
vois â la place de Dieu; vous faites un 
homme. Si vous vous voyez du même oeil 
que moi , que cette idée doit vous élever en 

dedans de tous- même l ^'clle peut vous 



ijt Le t t r. e 

rendre gra^id en effet î Se c*e{l ce qu'il faut ^ 
car (î vous ne Tétiez, qu'en apparencp ^.Ik^ que 
vous ne fîiÏÏcz que jçuec la vcf eu », le j^fÔK 
bon homme vous pénécreroic infaillibleraenr, 
& touc ferpic, perdu. Mais fi cette Imt^e su- 
blime du grand & du beau le frappe une foif 
en vous « fi votre défintéteifement lui apprend 
que la richeiTc ne peut pas tou^ > s*il voie eu 
vous combien il efl plus grand de comman- 
der â foi-n^ême qu'4 des valets , fi tous le 
forcez en un mot â vous refpeâer » des c%i 
inftant vous l'aurez fuhjugué 9 ^ |e vous ré- 
ponds que quçlqup femblapt qu'il fade » il ne 
trouvera plu^ ég^l q^c vous foyez d'acconi 
avec lui ou non > fur-tout, fi en le forçant 
de vous honorer daps le fond de foa petit 
çoBur , vous loi n^arquez en même tems faire 
peu de cas d« ce qu'il pepff lui-même , & ne 
vouloir plus VQUs fatigues i le faire conrenic 
de Ces torts. Il me fenablc qu'avec une cer- 
taine façon grfive ^ Soutenue d'exercer fur 
lui votre ai^çof ité , vqus parviendrez â la fia 
4 demander froidemçni à votre tour : Qu^efi- 
c^ <ltu cfl4 fnU^ nom J'oyotts d^ accord ou 
wwi / Et qu'il, troiuvera lui que cela fait quel- 
que ciioi^. ii liiudrA fedemcnc éviter de 



A M. l'A. m. 17} 

|oindre â ce fang- froid , la dureté qui voui 
rendroit haïfTable. Sans encrer en explication 
avec lui , vous pourrez dire à d'autres en fa 
préfence : <c raurois fait mes délices de ren- 
>» dre fon enfance heureufe » mais il ne l'a 
9> pas youlu > èc faimc encore mieux qu'il 
9» foit malheureux étant enfant que méprifa- 
9» ble étant homme >>. A l'égard des puni- 
tions , je penfe comme vous » qu'il n'en faut 
]âmais venir aux coups , que dans le feul cas 
où il autoit commencé lui-même. Ses chiti- 
mens ne doivent jamais être que des abfli- 
nences » & urées » autant qu'il fe peut , de 
la nature du délit. Je voudrois même que 
TOUS vous y foumi/Hez toujours avec lui 
quand cela feroit poflible , & cela fans afifec- 
tacion^ fans que cela parût vous coûter, 
& de façon qu'il pût , en quelque forte , lire 
dans votre coeur , fans que vous le lui difiez , 
que vous fentez fi bien la privation que vous 
lui impofez , que c'eft fans y fonger que vous 
vous y foumettez vous-même. En un mot , 
pour réuflir , il faudfoic vous rejidre prefque 
impadible ', 6c ne fentir que par votre Elevé 
on pour lui. VoiU , je l'avoue , une terrible 
tâche y mais je ne vois nul autre moyen de 



274 Lettre 

fuccès. £c ce fuccès me parole ttdCuËé de part 
ou d'autre ; car , quand avec cane de foins, 
vous n'auriez pas le bonheur d'avoir hit 
un homme , n'efl - ce rien que l'être «if- 
venu ? 

Tout ceci ruppofeque ladédaigneufe hauteur 
de rEnfant,n'eft que la petite vanjtc de la pe- 
tite grandeur , dont (es Bonnes auront bour- 
fouâé fa petite ame ; mais il poutroit arriver 
auffi que ce fûtrcfEît de Tâprcté d'un caradcre 
indomptable & fier , qui ne veut céder qu'à 
lui- même; cette dureté , propre aux fculs na- 
turels qui ont beaucoup d'étoâfe , 8c qui oe 
fe trouve gueres au pays où vous vivez , n'eft 
pas probablement celle de votre Elevé j fi ce- . 
pendant cela Ce trouvoit ( & c'cft i|n difccr- 
nement facile â faire ) , alors il faudroit bien 
vous garder de fuivre avec lui la méthode 
dont je viens de parler , 5c de heurter la ru- 
AeSc avec la rude/Te j les ouvriers eu bois * 
n'emploient jamais fer fur fer } ainfî faut-il 
faire avec les efprits roides , qui réilflent tou- 
jours â la force; il n'y a fur eux qu'une prife, 
mais aimable & sâre , c'eft l'attachement & 
la bienveillance > il faut les appri voifer comme 



t ^ 

A M. l'A. m. 17 s 

les lions , par les carcfTes : on rifque peu de 
gâter de pareils enfans 'y tout confifle â s'en 
faire aimer une fois ; après cela vous les fe- 
riez marcher fur des fers rouges. 

Pardonnez ^ Monfîeuf , tout ce radotage i 
ma pauTre petite tête qui diverge , bat la cam- 
pagne yU fe perd à la fuite de la moindre 
idée. Je n'ai pas le courage de relire ma lettre 
dé peur d'être forcé de la recommencer: J'ai 
i^oulu vous montrer le vrai defîr que j'aurois 
de vous coràpîaire' , & d'applaudir â vos ref- 
pe^ables foins y mais je fuis très*perfuadé > 
qu'avec les talens que vous me paroifTez atbir, 
& le zele qui les anime ; vous n'avez befoin 
^ue de vous-même pour conduire auâi fage- 
ment qu'il eft poffible, le fujet que la Provi- 
dence a mis entre vos mains. Je vous honore , 
l^onlieur y 6c vous faiué de tout mon cœur. 




•r) 



LETTRE 

AU MÊME. 

Monquin , /e i8 Février 1770* 

PauTres aveugles que nom fommcs ! 
Ciel 1 démarque les impofteurs » 
Bt force leurs barbares coeurs 
A f'ounir aux regards des hommet. 

V OTHB précédente lettre , Monfieur , m'en 
promettoic û bien une féconde , & yétoh û 
sâr qu'elle yiendroic > que , quoique ft me 
crulTe obligé de vous tirer de l'erreur où \c 
vous voyott, l'aimai mieux tarder de remplit 
ce devoir « que de vous ôter ce plaiiir S. doux 
aux cœurs honnêtes » de réparer lean tons do 
leur propre mouvement (i). 

La biûmre manière de dater qui tous 4 

(t) Pour rintclligence de cette phrafe. Se de 
celles qui la fuivent , il faut favoir que la per- 
fonne à qui cette féconde lettre étolt adreffde» 
avolt mis en tête de fa réponfe à la première , 00 
quatrain qui fembloit annoncer qu'elle av<^ pris 
en mauvatfe part celui de M* Routfcau i ce qui 
cependant n'étott pat. 

fcandalii;^. 



L«TTRE,&C. 277 

Tt»ndz]i(^ , cft une formule générale dont 
Apuis quelque tcms j'ufe indiffièremmenc 
avec tout le monde j qui n'a ni ne peut 
aivoir aucun trait aux pcrfonncs à qui j'écris » 
puifque ceux qu'elle regarde ne font pas faits 
pour êtte honorés de mes lettres, & ae le 
feront sûrement jamais. Comment m*avez- 
▼ous pu croire afTez brutal , adêz féroce pour 
▼ouloir infulter ainfi , de gaieté de coeur y 
«Quelqu'un que je ne connoiffbis que par une 
lettre pleine de témoignages d'cftime pour 
moi , & (î propre à m'en infpircr pour lui ? 
Cette erreur cft U-defTus tout ce dont je peux 
me plaindre ; car û ce n'en eût pas été une , 
votre relTcntiment dcvenoit très-légitime , fie 
votre quatrain irès-mérité. Si même j'avois 
quelque autre reproche à vous faire , ce fe- 
roit fut le con de votre lettre , qui cadroit û 
mal avec celui de votre quatrain. Quoique 
dans votre opinion , je vous en eufie donné 
l'exemple , deviez- vous jamais l'imiter? Ne 
deviez' vous pas au contraire écre encore plus 
indigné de l'ironie fie de la faufTeté déteftable < 
que cette contradiûion mettoit 'dans ma 
lettre , ficla vertu doit-elle jamais fouiller Ict 
snainsinnocentds avec les armes des méchans»- 
Tome Jr, Aa 



ijf Lettre 

même pour reponiTer ieun atceihces ? Je yi 
avoue franchemeuc , que je vous ai bien plus 
ai((^menc pardonné le quatrain , que le corps 
de la lettre. Je paflè les injures dans la coltfe, 
mais j*ai peine à paiTer les cajoleries. Pardon , 
Monfîeur , â mon tour. J'ufe peut-êcre un peu 
durement des droiu de mon âge. Mais |e 
vous dois la vérité depuis que vous m'avez 
inrpiré de Teftime. C*eft un bien dont je £ah 
trop de cas , pour laidêr pailêr en fîleoce riea 
de ce qui peut l'altérer. ApréTent, oublions 
pour jamais ce petit démêlé, je vous en priCf 
2c ne nous fouvenons que de ce qui peoc 
nous rendre plus intérelTans l'un â l'autre , 
parla manière dont il a fini. 

Revenons i votre emploi. S'il eft vrai que 
vous ayez adopté le plan que j'ai tâché 
de tracer dans l'Emile , j'admire votre cou- 
rage; car vous avez trop de lumières pour ne 
pas voir , que dans un pareil fyftéme , il' 
faut tout ou rien , & qu'il vaudroit cent 
.£oii mieux , reprendre le train des éducations 
ordinaires , & faire un petit talon rouge , 
que de fuivre i demi celle-lâ pour ne faire 
qu'un homme manqué. Ce que j'appelle 



A M. L*A. M. 179 

Tout y n*eft pas de fuivre fervilemenc met 
idées , au contraire c*eft fouvent de les cor- 
rigers mais de s'attacher aux'^ principes » & 
d'en fuivre exaâement les co^H^quences , 
styec les modifications qu'exige néceffaire- 
ment toute application particulière. Vous ne 
pourez ignorer qpelle tache immenfe vous 
vous donnez. Vous voilà pendant dix ans 
ao moins , nul pour vous-même , & livré 
tout entier avec toutes vos facultés à votre 
Heve. Vigilance, patience, fermeté , voilà 
fur-tout trois qualités fur lefquelles vous ne 
Tauriez vous relâcher un feul inAant » fani 
lifquer de tout perdre. Oui de tout perdre , 
entièrement tout. Un moment d'impatience , 
de négligence ou d'oubli , peut vous ôter 
le fruit de ûx ans de travaux , fans qu'il 
TOUS en refte rien du* tout , pas même la pof- 
fibilité de le recouvrer par le tr;ivail de dix au- 
tres. Certainement s'il 7 a quelque chofe qui 
mérite le nom d'héroïque & de grand parmi 
les hommes, c'eft le fuccês des entreprifes 
pareilles à la vôtre } car le fuccés eA toujours 
proportionné à la dépenfe de talens & de 
vertus dont on l'a acheté. Mais auflS , quel' 
don vous aurez fait à vos femblahles , 8c 

Aaij 



iSo Lettre, Sec. 

quel prix pour vous-même de vos grands 2C 
pénibles travaux. Vous vous ferez fait on 
ami , car c*eIl'U le terme néceflaire du rcf* 
peâ , de l'efUme , & de la reconuoiilàoce 
dont vous Taurez pénétré. Voyez , Mon- 
fieur ....... dix ans de travaux immen- 

fes , & toutes les plus douces jouifTances de 
la vie pour le refte de vos jours fie au-deliU 
Voilà les avances que vous avez faicei 9 ^ 
▼oilâ le prix qui doit les payer. Si yous aves 
befoin d'encouragement dans cette entrc- 
prife vous me trouverez toujours prêt. Si vous 
avez befoin de confcils , ils font cCéfonnab 
au-delTus de mes forces. Je ne puis vous pro- 
mettre que de la bonne volonté. Mais vous 
la trouverez toujours pleine & fincere. Soie 
dit une fois pour toutes , 8c lorfque vous me 
croirez bon i quelque chofe , ne craignez^ 
de m*importuner. 7e vous falue detoutffloa 
cceur. 



LETTRE 

AU MÊME. 

Monqmn » /e 14 Mon 1770. 

Pauvres iTcugles que nous fomtncs ! 
Ciel i démafquc les impofteurs , 
Et force leurs barbares caurs 
A s'ouvrir aux regards des hommes. 

•I £ voudroK 9 Monfîeur , pour l'amour de 
Vous » que l'application qu*il vous plaît de 
faire de votre quatrain , fijc ailêz naturelle 
pour être croyable : mais puirque vous ai* 
mez mieux vous excufer , que vous accufer 
d'une promptitude que j*aurois pu moi-même 
avoir i votre place , foit \ je n'épiloguerai 
pas ià-deffus. 

Depuis l'impreflion de V Emile , je ne Tai 
relu qu'une fois , il y a fîx ans , pour cor* 
figer un exemplaire, & le trouble conti- 
nuel où l'on aime â me faire vivre , a telle- 
ment gagné ma pauvre tête , que j*ai perdu 
le peu de mémoire qui me reftoit , & que je 
garde à peine une idée générale du contenu 
de mes Ecriu, Je me rappelle pourtant fort 

Âaii) 



iSi Lettre 

bien qu'il doit y avoir dans VEmile , us 
paffage relatif à celui que vous me citez y 
mais je fuis parfaitement fur qu'il n*e(l pas 
le même , parce qu'il préPpfite , ainfî défi- 
guré , uu fens trop différent de celui dont 
l'étois plein en l'écrivant. J'ai bien pu ne pas 
fonger â éviter dans ce palTage , le fens qu*oa 
eût pu lui donner , s'il eût été écrit par Car- 
touche ou par Raffiat , mais je n'ai jamais p« 
m'exprimer aufii incorreâement dans le Tenf 
que je lui donnois moi-même. Vous feftx^ 
peut-être bien aife d'apprendre l'anecdote qui 
me conduifit i cette idée. 

Le feu Roi de Pruffe déjà grand amateur 
de la difcipline militaire , paifant en revue 
un de Tes régimens , fut (î mécontent de la 
manoeuvre , qu'au lieu d'imiter le noble 
ufagc que Louis XIV en colère avoit fair de 
fa canne y il s'oublia jufqu'à frapper delà 
fienne le Major qui commandoit. L'of&der 
outragé recule deux pas , porte ta main k un 
de fes piilolets , le tire aux pieds du cheval 
du Roi » & de l'autre fe ca(Iè la tête. Ce 
trait y auquel je ne penfé jamais Tans tré« 
laillir d'admiration, iu« rtvint ftitetteoè . 









A M. l'A, m. 28 j 

en écrivant \f Emile , & j*eD fis l'applicariotf 
de moi-même au cas d'un particulier qui ea 
déshonore ,on ancre , mais ea modifiant 
Tââe par la diâPéreace des perfonnages. Vout 
i^tez j Monfieur, qa^autant le Major bâ>^ 
Conné efi grand & fuhUnie, quand « prêt à 
s^ôcerlayie » maître par conféquent de celle 
de roâ&DTeur , te le lui prouvant , il la ref* 
peâe pourtant en fujecvertueux , s^élere paie 
là même au - deflus de fon Souverain , 6c 
meurt en lui faifant grâce y autant la même 
clémence vis-à-vis un brutal obfcur feroic 
inepte. Le Msjor employant fon premier 
coup de piltèolet , n*eât été qu'an forcené } le 
ptrckalier perdant le fien, ne ^rpit qu'un (bc« 

Mais un homme vertueux , un croyant ', 
^eut avoir le fcrupule de dirpofer de fa 
propre vie , fans cependant pouvoir fc réfou- 
dre à furvivre à fon déshonneur , dont la 
perte , même in|ùïle , entraîne des malheurs 
civiU , pires cent fois que la mort. Sar ce 
chapitre de Thonneur , Tinfuffifance des loix 
AoUs laifTe toujours dans Técat dé nature % 
je crois cela prouvé dans ma lettre à M. d'A- 
lembert fur les fpe£taclcs, L*honheur d*un 
kiUimie ne peut ayoir de vrai défcnfcur. 



ig4 Lettre 

si de vrai vengeur que ki-mtoe; lein 
qu*ici la clémence qu'en tout autre cas prcf- 
cric la vertu , foie permife , elle eft défendue , 
U laiiTer impuni Ton déshonneur» c*eft f 
conTencir^'on lui doit fa vengeance; on (è 
la doit à foi- même j on la doit même à 
la fociété , 9c aux autres gent d*bonneur qv 
la compoTent i & c*eft ici l'une âc9 fortet 
raifons qui rendent le duel extraraganc , 
moins parce qu'il expofe ^innocent â périr , 
que parce qu'il l'expofe à périr fans ven- 
geance, & à laiiTer le coupable triomphant, 
& vous remarquerez que ce qui rend le crak 
du Major vraiment héroïque , eft moins la 
mort qu'il fe donne » que la noble 8c fieie 
vengeance qu'il fait tirer de Ton Roi. C'eft 
Ton premier coup de piftolet qui fait valoir 
le fécond : quel fujet il lui 6te , & quels 
remords il lui laiffe I Encore une fois ^ le 
cas entre particuliers eft toutdiâférent« Cepen- 
dant 6. l'honneur ptefcrit la vengeance , il 
la prefcrit courageufe ; celui qui Ce venge 
en lâche , au lieu d'effacer Ton infamie , y 
met le comble s mais celui qui fe venge 
& meurt , eft bien réhabilité. Si donc va 
homme indignementi injuftemeoc âécn par 



'A M. l'A. m. 285 

autre va le chercher un piflolec â la main ', 

«lans Pamphichéatre de TOpéra , loi calTe la 

zête devant tout le monde } & puis fe laiffant 

cranquillement mener devant les Juges , leur 

<iit : Je viens défaire un ade dejuftice , que 

je^ me dévots & qui rC appartenoit qiCà moi 9 

fa,ites*moi pendre fi voué Vofe\ > il fe pourra 

bien qu'ils le falTent pendre en effet \ parce 

qu*eàfin quiconque a donné la mort la 

mérite , 8c qu'il a dû même y compter % 

mais )e répouds qu'il ira au fupplice avec 

l*eflime de tout homme équitable & fenH^ 9 

comme avec la mienne s & (? cet exemple 

intimide un peu les tâceurs d'hommes, 8c 

£ait marcher les gens d'honneur , qui ne 

Ferraillent pas » la tête un peu plus levée , 

}e dis que la tête de cet homme de cou« 

rage ne fera pas inutile à la fociété. La 

coticlufion , tant de ce détail , que de ce 

que j'ai dit à ce fujet dans V Emile , 8c que 

)e répétai fouvent quand ce livre parut , 1 

ceux qui me parlèrent de cet article , eft 

^*Ofi ne ne déshonore point un homme qui 

fait mourir. Je ne dirai pas ici fi j'ai tort; 

cela pourra fe difcuter à loifir dans la fuite? 

loait fort ou non, û cette dcârinc mQ 



lis Lettre 

trompe « vous permettrez néanmoins , n*ca 
iléplaife à votre illulbre prôneur d'oracles, 
que je ne me tienne pas pour déshonoré. 

Je viens , Monfîeur , à la queftion qœ 
vous me propofez Tur votre Elevé. Mon feu- 
timent eft qu'on ne doit forcer un,en£nit 
â manger de rien. Il y a des répugnances 
qui ont leur caufe dans la coniHtution parti- 
culière de l'individu , & celles-li font innO' 
cibles i les autraqui ne font que des fantai- 
fies , ne fout pas durables , à, moins qu'on 
ne les rende telles à force à*y faire atten- 
tion. Il pourroit y avoir quelque cbofede 
vrai dans le cas de prévoyance qu'on vous 
allègue , û (chofe prefque inouie) il s'agiflbit 
d'alimens de première néceflité , comme le 
pain , le lait , les fruits. Il faudroit du moins 
tâcher de vainae cette répugnance, faos 
que l'eiifant s'en apperçât » & fans le con- 
trarier s ce qui, par exemple, pourroit fe 
faire en l'expofant â avoir grand'fàlm , le 
à ne trouver » comme par hafard que l'ali* 
ment auquel il répugne. Mais fi cet efiâl 
ne réuflit pas , je ne ferois pas d'avis de t*y 
pbftiner. Que s'il s'agit de meti compoih 



A M. L*A. M. 187 

tels qu*on en fert Cur les ubies des Grands , 
la précaution paroît d'abord alTez fuperâue^ 
car il eft peu apparent que le petit bon- 
homme fe trouve un jour réduit dans les 
bois ou ailleurs » à des ragoûts de truffes 
ou à des profiteroles, au chocolat pour 
foute nourriture* Mais peut-être a-t-pn un 
autre objet qu'on ne vous dit pas , & qui 
n'eft pas fans fotidement. Votre Elevé eft 
£ut pour avoir un jour place aux petits fou« 
pés des Rois 8c àc» Princes : il doit aimer 
tout ce qu'ils aimeront 'y il doit préférer tout 
ce qu*ils préféreront ; il doit en toute chofe 
avoir les goûts qu'ils auront i icil n'efl pas 
d*un bon courtifan d'en avoir d'exclufifs. 
Vous devez comprendre par-U & par beau* 
coup d'autres chofes , que ce n'eft pas un 
£mile que vous avez à élever. Ainfi gardez* 
TOUS bien d'être un Jean - Jacques } car , 
comme vous voyez , cela ne réuflit pas pour 
le bonheur de cette vie. 

Prêt i quitter cette demeure , je n'ai plus 
d'adrelfe affez fixe a vous donner pour y 
leccvoir de toi lettres. Adieu , Moafieur. 



LETTRE 

A MADAME B. 

Monquin ^U%% OÛohre 176^» 

Ol je n*avois été garde- malade. Madame» 
8c fi je ne Técôis encore, j*aurois été moins 
lent , Se je ferois moins bref à vous remer- 
cier du plaiiir que m*a fait votre lettre , U 
du defir que j*ai de mériter & cultiver la 
correfpondance que tous daignez m*offnr. 
Votre caraâere aimable & vos bons fenti- ' 
mens m*étoient déjà alTcz connus pour me 
donner du regret de n'avoir pu leur rendre 
mon hommage en perfonne , lorfque je fus 
un inftant votre voifin. Maintenant vous 
m'oâTrez , Madame , dans la douceur de 
ni*entretenir quelquefois avec vous , un dé^ 
dommagement dont je fens déjà le prix, 
mais qui ne peut pourtant qu*à l'aide d'uoe 
imagination qui vous cherche , fuppléer au 
charme de voir animer vos yeux & vos 
traits par ces fentimens vivifians & hon* 
notes dont votre cœur me paroît pénétré, 
l^e aaignez point que. le mien repouflè la 

confiance 



L 1 T T R B 5 ^C. ^8^ 

confiance dont vous voulez bien m*honorer, 
& dont |e ne fuis pas ind^e. 

Adieu » Madame , foycz fûre , je vous 
Tupplie , que mon cceur répond très-bien ait 
YÔcro y 6ç que c*eft pour ceU que ma plume 
n'ajoute rien. 



Tcm îr. Bb 



£ E T T R E 

k 

A LA MÊME. 

Monquîn , le 7 Décembre ijS^i 

JE préfume. Madame, que vous voili 
heureufement arrivée i Paris , & peut-ccie 
déjà dans le tourbillon de ces pUifîrs bruyans 
dont vous preifenciez le vide , en vous pro- 
pofant de les cherciier. Je ne crains pas que 
TOUS les trouviez i Tépreuve , plus fublUn" 
tiels pour uncorur tel que le vôtre me paroïc 
être , que vous ne les avez eAimés ; mais il 
en pourroit réfulter de leur habitude une 
chofe bien cruelle , c*eft qu'ils deviodenc 
pour vous des befoins , faiis être des ali- 
mens ; & vous voyez dans quel état cruel 
cela jette , quand on eft forcé de chercher foa 
exigence \à où l'on feiit bien qu*o» ne trou* 
vera jamais le bonheur. Pour prévenir un fa* 
reil malheur qujod on eft dans le train d'en 
courir le rifque , je ne vois gueres qu'uoe 
chofe k faite , c*ell de veiller (evéremeat fur 
foi mc!iie , & de rompre cette habitude , ou 
du moins de Tinterrompre avant de s'en 
laiiTer fubjuguer. Le mal efl que dans ce cai^ 



L*T T R E , &C. l^t 

comme dans un autre plus grave » on ne 
commmence gueres à craindre le foug que 
quand on lé porte , & qu'il n'eft plus tems 
de le fecouer ^ mais j'avoue auflî que qui- 
conque a pu flaire cet ade de vigueur dant 
le cas le plus difficile, peut bien compter fur 
foi-mume aufH dans l'autre ; il fufEt de pré- 
voir qu'on en aura befoin. La coAcIufion de 
ma morale fera donc moins auftere que le 
début. Je ne blâme alTurément pas que vous 
TOUS livriez , avec la modération que vous y 
voulez mettre , aux amufemens du grand 
inonde où vous vous trouvez. Votre âge , 
Madame , vos fentimens , vos réfolutions , 
.vous donnent tout le droit d'en goûter lef 
innocens plaiHrs fans alarmes i & tout ce 
que |e vois de plus â craindre dans les fo- 
ciétés où vous allez briller , eft que vous ne 
rendiez beaucoup plus difficile â fuivre pour 
.d'autres , l'avis que je prends la liberté d/e 
vous donner. 

Je crains bien , Madame ,^ que l'iméréi 
peut-être un peu trop vif que vous mMnfpireZy 
ne m'aie faic vous prendre un peu trop légi^ 

Bbij 



îjlt Lettre 

remenc au mot fut ce ton de pédagogue , que 
vous m'invitez en quelque façon de prendre 
avec vous. S! vous trouvez mon radotage 
impertinent ou maulTade , ce fera ma ven- 
geance de la petite malice avec laquelle voUi 
êtes venue agacer an pauvre barbon qui Te 
dépêche d*être fcrmoneur , pour éviter h 
tentation d*^re encore plus ridicule. Je firfs 
même un peu tenté , je vous Tavoue , de 
m'en tenir là } l'état oà vous m'apprenez 
que vous êtes aâuellement , bc le vide âa 
cœur , accompagné d'une trifteiTe habituelle 
que laiife dans le vôtre ce tumulte qu'on ap- 
pelle fociété , me donnent , Madame, m 
Vïf dcfîr de rcdiercher avec vous s'il n'y an- 
roit pas moyen de fkire f^ir une de ces 
deuxchofes de remède â l'autre ; mais cela 
me meneroit à des difcuffions fî déplacées 
dans le train d'amufemens oà je vous fup- 
pt)fê , fie qtie le carnaval dont nous appro* 
chons va probablement rendre plus VHs , 
qu'il me faudroit de votre part plus qu'une 
permiffion pour oTer entamer cette matière 
dans un moment aufli défavantageux ; fi 
VOUS m'entende^ d'avance > comme jc'ptA 



* A MadA'ITE'B. ipj 

f*erperer ou le craindre , dites- moi de grâce 
û fe dois parler ou me taire , & feyez fûrc , 
Madame, que dans l'un eu l'autre cas je vous 
obéirai , non pas avec le même plaifir peut* 
Itre , mais avec la même fidéLité» 



Bbiil 



tÈ T T R E 

A LA MÊME. 

Mottjuin , U 17 Janvier 1770- 

VoTHE lettre, Madame, cxîgeroît une 
longue réponfe , mais je crains que le crou- 
bie pa^er où je fuis , ne me permette pas 
de la faire comme il faudroit. Il m'eft diffi- 
cile de m'accoutumer aflêz aux outrages ^ 
à rimpofture même U plus comique , pour 
ne pas fentlr à chaque fois qu'on les renou- 
velle y les bouillonnemcns d'un caur fier qui 
8*indigne» précédar le ris moqueur qui doit 
être ma feule réponfe â tout cela. Je crois 
pourtant aroir gagné beaucoup y j'efpere 
gagner davantage % & je crois voir le mo- 
ment aflèz proche où je me ferai un amufe- 
ment de fuivre , dans leurs manoeuvres fou- 
terraines , ces troupes de noires taupes qui fe 
fatiguent â me jetter de la terre fur mes pieds. 
£n attendant , nature pâtit encore un peu , 
je l'avoue ; mais le mal efl court , bientôt il 
fera nul. Je viens â vous. 

J'eus toujours le cœur un peu romanefquei 



Lett RE > tcc. . ijy 

9c |*ai pcar d'ôtre eâcorc mal |uéri de ce 
penchaAt en vous écrivant <} excafcz donc , 
Madame , s*il Ct mcle un fcn de vivons à 
mes idées ', & s'il s'y mêle auffi un peu de 
raifoQ , ne la dédaignez pas fous quelque 
forme 6c avfec quelque cortège qu'elle fc 
préièute. Notre correfpôndance a commencé 
d'une manière ime la rendre^ )amals inté^ 
^reâtnte. Un aâe de rertu dont je connoic 
-bien tôttt le prix ; un befoin de nourriture à 
Votre ame qui me fait préfumer de la vigueur 
j>our la digérer , & la fànté qui en eft la 
foûrce. €e vide interne dont vous vous 
-plaignez y ne fe fait fencir qu'aux coeurs faits 
^o«r être remplis. Les ctturs étroits ne fen- 
ïeiit jamais de vide , parce qu'ils font tou- 
ijours pleins de rîen : il en eft , au contraire , 
dont la capacité vorace eft fî grande , que 
Us diétifs êtres qui nous «ntotircnt ne la peu- 
vent remplir. Si la nature vous a fait le rare 
& funefte préfent d'un cœur trop fenfible au 
befoin d'être heureux » ne cherchez rien au* 
dehors qui lui puiffe fuifire ! ce n'eft que de 
fapropre fubftance qu'il doit fc nourrir. Ma- 
dame, tout le bonheur que nous voulons 
^er de ce -qui jaous eft étranger ^ eft un bon- 



1^6 Lettre 

heur fauxt Les gens qui ne font GtCce^rSytet 
d'aucun autre , fonc bien de s'en contenter i 
Biais il vous êtes celle que )e fuppoTe , voos 
ne ferez iamais heureufc que par vous- même , 
n'attendez rien pour cela que de vaus. Ce 
£ens moral û rare parmi les hommes , ce 
fentiment exquis du beau , du vrai y du lu/le, 
qai réfléchit toujours fur nous-mêmes , tienc 
Tame de quiconque en eft doué dans on ra- 
viiTement continuel qui eft la plus délickuiê 
des jouiâànces. La rigueur du fort , la mé- 
chanceté des hommes , les maux imprévus , 
les calamités de toute efpece peuvent l'en- 
gourdir pour quelques' momens^ mais ja- 
mais réteindre > & prefque étouffé fous le 
faix des noirceurs humaines , quelquefaii 
une explodoQ fubite peut lui rendre fott 
premier éclat. On croit que ce n*eft pas à 
une femme de vetre âge qu'il faut dire ces 
chofes - U ^ & moi je crois » au contraire » 
que ce n'eft qu'à votre âge qu'elles font 
utiles , & que le cœur s^ peut ouvrir ^ 
plutôt il ne fauroit les entendre s plus tari 
fon habitude eft déjà ptife, il ne faoïoit 
les goûter. 

Comment s'y prendre , me direz- voui l 



-A Madame B. 297 

Que faire pour culcirer Se développer ce fens 
moral \ Voili , Madame , i quoi |'en rou- 
lôis venir ; le goût de la vertu ne fe prend 
point par des préceptes , il efl Veffet d'une 
VJe fîn^ple & faine ; on parvient bientôt à 
aimer ce qu*on fait , quand on ne fait que 
ice qui cA bien. Mais pour prendre cette ha- 
1>itude , qu*on ne commence â goûter qu*a- 
près ravoir prifc , il faut un motif. Je vous 
en offre un que votre état me fuggere : nour- 
rilTez votre enfant. J'entends les clameurs f 
Tes bbjeâions s tout haut , les embarras , 

|>oint de lait , un mari qu'on importune 

^out bas y une femme qui fe gêne » l'ennui 
de la vie domeAique » les foins ignobles ^ 

l'abflineuce des plnifirs Des plaiHrs ? 

7e vous en promets 6c qui rempliront vrai- 

lAent votre ame. Ce n'eft point par des plai« 

firs entad^s qu'on efl heureux , mais par un 

érat permanent qui n'cft point coropo(é 

d'aâes diftinâs. Si le bonheur n'entre pour 

idnfî dire en diiTolution dans notre ame , s'il 

ne fait que la toucher , l'efReurer par quelques 

points , il n'e'A qu'apparent , il n'efl rien 

pour elle. 



l5>8 L 1 T T R lË 

L'habitude la plus douce qui puide exiftei^ 
eft celle de la vie domeAique qui nous tietf 
plus près de nous qu'aucune autre ; riea ne 
s'identifie plus forcement , plus coiiflammenc 
avec nous que notre famille & nos enfaos* 
Les fencimens que nous acquérons ou que 
nous renforçons dans ce commerce indmc p 
font les plus vrais , les plus durables , les 
plus folides qui puKTcnt nous attacher aux 
êtres péridables , puifque la mort feule peut 
les éteindre , au lieu que l'araour & l'amidé 
vivent rarement autant que nous : ils font 
au(C les plus pun puil qu'ils tiennent de plus 
prés à la nature , à l'ordre , fc par leur féale 
force nous éloignent du vice » & des goûts 
dépravés. J'ai beau chercher où. l'on peut 
trouver le vrai bonheur i s'il en eft fur la 
terre , ma raifon ne me le montre que là..- 
Les ComtelTes ne vont pas d'ordmaire l'y 
chercher , je le fais ^ elles ne fe font pas 
nourrices & gouvernantes > mais il faut aufi 
qu'elles fâchent fe pafTer d'être heureufes: 
il faut que fubfUtuant leurs bruyans ptaifirs 
au vrai bonheur » elles ufent leur vie dans 
un travail de forçat , pour échaper à l'ennol 
qui les écQufiPe aulG-coc qu'eiia rcfpircac , X 



A Madame B. 195^ 

it faut que celles que la nature doua de ce 
cHvin fens moral qui charmç quand on s'y 
livre , & qui pefe quand on l'élude , fe réfol- 
v«nt à fcntir inceifammenc gémir ^ foupirer 
leur cœur , candis que leurs fens s'amufent» 

Mais mol qui parle de famille» d*enfans.... 
^dadame , plaignez ceux qu'un fort de fer 
prive d*un pareil bonheur. Plaignez- les s*ilt 
ne font que malheureux » plaignez- les beau- 
coup plus sMIs font coupables. Pour moi 
|amais on ne me verra , prévaricateur de la 
vérité y plier dans mes égaremens , mes maxi- 
mes 1 ma conduite i jamais on ne me verra 
H\Rfier les faintes loix de la nature & du 
devoir , pour «xténuer mes fautes. J*aime 
mieux les expier qu« les excufer j <^uand ma 
raifon me dit que )'ai fait dans ma fituation 
ce que i*ai dû faire , je l'en crois moins que 
flaon cœur qui gémit , 8c qui la dément. 
Condamnez - moi donc , Madame , mais 
écoutez • moi. Vous trouverez un homme 
ami de la vérité jufques dans (es fautes , 
Se qui ne craint point d'en rappeler lui- 
même le fouvenir» lorfqull en peut réfulter 
quelque bien. Méanmoiiis Je rends grâces au 



joo Lettre 

Ciel , de n'avoir abreuve ^ue moi des 
tûmes de ma vie , & d*en avoir garanti 
enfans. J'aime mieux qu'ils vivent dans un 
écac obfcur fans me conaoïcre , que de les 
voir, dans mes malheurs , baiTement nourm 
par la craîcrelTe généroâcé de mes ennemis , 
grdem à les inftruire à haïr , fc peut-être â 
trahir leur père *| & j'aime mieux cent fois 
Icre ce père infortuné , qvà négligea fon de- 
voir par foiblelTe , U qui pleure fa faute , que 
d'écre Tami perfide qui trahit la confiance 
de Ton ami , Ac divulgiie pour le di£fàmcr 
le fecret qu'il a verCé dans fon fttn. 

Jeune femme , voulez- vous travailler à vous 
rendre heureufe » commencez d'abord par 
nourrir vdtre enfant. Ne mettez pas votre 
fille dans un couvent , élevez-la vous-même^ 
votre mari eft jeune , il efld*uh bon naturel , 
voilà ce qu'il nous faut. Vous ne me dites 
point comment il vit avec vous ; n'importe , 
filt-il livré i tous les goûu de fon âge & d« 
ion tems , vous l'en arracherez par les varies , 
fans lui rien dire. Vos en£uu vous aidetoat 
à le retenir par des liens aufli forts 6c pins 
conllans que ceux de ramouc Vous paflêfcs 

U 



tÀ M A D AMë B. 30t* 

la vie la plus (impie , il efl Vrai , mais aufli 
la plus douce & la plus heureufe dont j'aie 
l'idée. Mais encore uae fois , û celle d'un 
ménage bourgeois vous dégoûte , & H l'opi- 
nion vous fubjugue, guériffez-vous de la 
foif du bonheur qui vous tourmente ^ car 
vous ne l'écancherez jamais. 

VoiU mes idées ; û elles font faufTes oit 
ridicules y pardonnez à. Terreur , à l'incen* 
tion. Je me uorape peut-être , mais il eft 
tûr que je ne veux pas vous tromper. Bon- 
jour y Madame , Tintérêt que vous prenez à . 
moi me touche , & je vous jure que je vous 
le rends bien. 

Toutes vos lettres font ouvertes ; la der- 
nière Ta été i celle-ci le fera y rien n'eH 
plus certain. Je vous en dirois bien la rai* 
fon y mais ma lettre ne vous parvicndroic 
pas. Comme ce n'eft pas à. vous qu'on en 
veut, &que ce ne font pas vos fecrets qu'on 
y cherche , je ne crois pas que ce que vous 
pourriez avoir i me dire fût expofé i beau- 
coup d'indifcrédon i mais encore faut il que 
vous foyez avertie. 

TomtlV. Ce 



LETTRE 

A LA MÊME 

Aionquin ^U% Février 1770. 

Si votre defTein , Madame , lorfque vous 
commençâtes de m'krirc , éioitdc me cir^ 
convenir & de m'abufcr par des cajoleries. 
Vous avez parfaitement réufli. Touché de 
vos avances , je prêtois à votre ame U cait» 
deur de votre âge} dans rattendriilèmenc 
de mon cœur , je vous rçgardois dé|a comme 
l*aimable confolatrice de mes malheurs & d^ 
ma vieillclfe \ 9c l'idée charmante que |e mt 
faifois de vous , eâFaçoic l'idée horrible des 
auteurs des trames donc je fuis enlacé. Me 
voilà défabufé \ c*efl l'ouvrage de votre der- 
nière lettre. Son corci liage ne peut être ni 
la réponfe que la mienne a dû naturellement 
vous fuggérer , ni le langage ouvert & inot 
de la droiture. Pour moi ce langage ne 
cédera jamais d'écre le mien ^ je vois que 
vous avez refpiré l'air de votre voifinagr. 
ïh i mon Dieu , Madame , vous voilà biea 
jeune initiée à àa myfteres bien noin. Tea 
fuis ûché pour moi , j'en fuis affligé pour 



Lettre, &c. 30} 

^<Hit i Tingc-4eux ans 1 • • . . Adieu 

Madame* 

Rousseau. 

En reprenant arec t>lus de fang-froid votre 

lettre , |e trouve la micune dure & même 

îniufles car |e vois que ce qui rend vos 

phrafes embarraifées , ed qu'une involontaire 

fincérité sy mêle à la dilfimulation que vouf 

Toulez avoir. En blâmant mon premier 

mouvement » je ne veux pourtant pas vous 

le cacher. Non , Madame » vous ne voulez 

pas me tromper ^ je le fens , c'eA vous qu'on 

trompe , te bien cruellement. Mais cela 

po(^ , il me refle une quefUon â vous faire » 

dans le jugement que vous portez de moi » 

pourquoi m'écrire ? Pourquoi me recber<* 

ehçf l Que me voulez-vous ? Recberche-t-oit 

quelqu'un qu'on n'eftime pas ? £h ! je fuirois 

jufqu'au bout du monde -, un homme que 

je verrois comme vous paroidèz me voir. 

Je fuis environné , je le fais , d'efpions em- 

ptefï^s & d'ardens fatellites qui me flattent 

pour me poignarder; mais ce font des traîtres^ 

ils font leur métier. Mais vous , Madame , 

Ce ij . 



304 L E T T R E 5 ^^ 

que je veux honorer autant que )e méprifis 
cet miférables , de grâce , que me voulez- 
vous ? Je vous demande fur ce point une ré- 
ponfe précife , & pour Dieu fuivez en U fai- 
Tant le mouvement de votre caur 8c noa 
pas rimpulfîon d*aucrui. Je veux répondre 
en détail à votre lettre » & j'efpere avoir 
long - tems la douceur de vous parler de 
vous ; mais pour ce moment commençons 
par moi ; commençons par nous mettre ea 
règle fur ce que nous devons penfer l'un de 
Tautre. Quand nous faurons bien à qui nous 
parlons , nous en faurons mieux ce que nooft 
aurons à nous dire. 

Je vous prie , Madame , de ne plut m*é- 
crire fous un autre nom que celui que fe 
iigne i & que je n*aurois jamais dû quitter^ 



LETTRE 

A LA MÊME. 



R 



Monquin § U t6 Mars 1770. 



o s I, |e vous crois , & je tous croirois 
«rbc plus de plaifir encore iî vous euflicz 
moins infiflé. La vérité ne s*exprime pas tou- 
jours avec fimplicité , mais quand cela lui 
arrive , bile brille alof s de tout Ton éclat. Je 
Tais quitter cette habitation i |e fais ce que 
|e veux 8c dois faire j j'ignore encore ce que 
je £trai : je fuis entre les mains des hommes ; 
ces hommes ont leurs raifoni pour craindre 
la vérité , 8c ils n'ignorent pas que je me dois 
et la mettre en évidence , ou du moins de 
£ure cous ities efforts pour cela. Seul &c â leur 
Itoerd , je ne puis rien , ils peuvent tout , 
hors de changer la nature des chofcs , 8c de 
(aire ^uc ^ poitrine de J. J. RouiTeau vivant 
celle de renfermer le cceur d'un homme de 
bien. Ignorant dans cette Situation en quel 
lieu je trouverai , foit une pierre pour y pofer 
ma tête , foit une rerr< pour y pofer mon corps, 
\c ne puis vous donner aucune adrelTe alTuréft: 

Ce itj 



30Ô L I T T R I 

mais û Jamais ]e retrouve un momenc traa^ 
quille, o'eft un foin que je n'oublierai pas. 
Rore,ne m'oubliez pas non plus. Vous m'avex 
accordé de l'cftime fiir mes écrits i vont in*én 
accorderiez encore plus fur ma vie ^û elle 
Vous écoit connue , & davanuge encore fur 
mon caur , s'il étoit ouvert â vos yeux : il n'en 
fut jamais un plus tendre, un meilleur , im 
plus jufte i la méchanceté , ni la haine n*ca 
approchèrent jamais. J'ai de grands Ttcet , 
fans doute , mais qui n'ont jamais fût de 
tnal qu'à moi ; 8c tous mes malheurs ne me 
viennent que de mes vertus. Je n'ai pu ^ mal- 
gré tous mes efforts , percer le myftere auteur 
des trames dont je fuis enlacé ; elles (ont fi 
ténébreufes , on me les cache avec tant <te 
foin , que je n'en apperçois que la noirceur. 
Mais tes maximes communes que vous in*al« 
léguez fur la calomnie & l'impofture ne fau- 
soient convenir à celles-U ; te les frivoles cla- 
meurs de la calo/nnie font bien diflFérences , 
dans leurs effets , des complots tramés & con- 
certés durant longues années , dans on pro- 
fond dlence , 6c dont les développemens foc* 
ceflîfs ^ dirigés par Iji ru(è , opérés par la piiif« 



"A Madame B. 507 

ûince , fe font lencemenc , fourdement & 
avec méchode. Ma ficuadoo eft unique -, mon 
cas eu. inouï depuis que le monde exifte. Se- 
lon toutes les règles de la prévoyance humaine, 
je dois fuccomber *, & toutes les mefures font 
tellement prifes , qu*il n'y a qu'un miracle 
de la Providence qui puiffe confondre les im* 
pofleurs. Pourtant une certaine confiance fou- 
tient encore mon courage. Jeune femme , 
écoutez-moi , quoi qu'il arrive , & quelque 
fort qu'on me prépare : quand on vous aura 
faitl'énumération de mes crimes i quand on 
vous en aura montré les frappans témoigna- 
ges , les preuves fans réplique, la dén^nftra- 
tion, l'évidence 5 fouvenez - vous des troii 
mots par lefqucls ont fini mes adieux. Jb 

SUIS INNOCENT. 

ROUSSEAU. 

Vous approchez d'un terme intéreffant pour 
mou cœur i je deûrc d'en favoir l'heureux 
événement auflî-tôt qu'il fera poffible. Pour 
cela , fi vous n'avez pas avant ce tcms-Ià de 
mes nouvelles , préparez d'avance un petit 
billet 9 que vous ferez mettre â la pode auifi» 



3o8 Lettrb, kci 

tôt que vom ferez délivrée , fous ua enve* 
loppe â i'adrefle fiityaBCe : 

. ^ Ode Sots de la Tour née Rogtan , 

â Lyon» 



LETTRÉ 

A L A M Ê M E. 

Pétris fie 7 Juillet 1770. 

j3 EUX raifons , Madame , outre le tracaT 
d'un débarquement , m'ont empêché d'aller 
vous voir à mon arrivée. La premieie que 
.vous m'avez écrit vous-même , que quand 
même nous ferions rapprochas , nous ne 
pourrions pas nous voir 3 l'autre , que je fuis 
<}éterminé â n'avoir aucune relation avec qui- 
conque en a avec Madame de^*^. C'eft à 
vous , Madame , â m'inftruire fi ces deux 
obdacles exiftent ou non s s'ils n'exiftent pas^ 
j'irai avec le plus vif empre(Ièment,contenter 
le befoin de vous voir , que me donna la 
première lettre que vous me fîtes l'honneur 
de m'écrire , 6c qu'ont augmenté toutes les 
autres. Un rendez-vous au fpeéïacle ne fau- 
roit me convenir , parce que, bien éloigné de 
vouloir me cacher , je ne veux pas non plus 
me donner en fpeâacle moi-même j mais s'il 
ariivoit que le hafard nous y conduisît en 
même jour , & que je le fufTe , ne doutez pas ' 
que je ne proficafTe avec tranfpocc du plaifir do 



jio Lettre, &c. 

vouf y Yoîr » & même que je ne me préfcn- 
taffc â votre loge , fi j'ét'ois fur que cela ne vous 
déplût pas. Je fuis afflige d'apprendre votre 
prochain départ. Eft-ce pour augmentermoa 
regret que vous me propofcz de vous fuivR 
'«n Nivernois ? Bonjour , Madame , donnez- 
moi de vos nouvelles & vos ordres durant U 
(é\ovkt qui vous refte à faire à Paris i donnez- 
moi votre adreiï*e en province , & fonvenez- 
Tous de moi quelquefois. 

Pas un mot du prérendu opéra qu*on dft 
que je vais donner. J'efpere que de Ci vie 
'7. J. Rouilèau n*aura phis rien à démêler avec 
le public. Quand quelque bruit court de moi , 
croyez toujours exaâement le contraire; 
vous vous tromperez riremenc. 



LETTRE 

A LA MÊME. 

/ 

Paris , /« 1 5 Juillet 1770. 

v' £ ne puis , Madame , vous aller voir que 
la femaine prochaine , puifque nous fommec 
à la fin de celle-ci } je tâcherai que ce foiç 
mardi , mais je ne m*y engage pas , encoro 
moins pour le dîner i il faut que touc cela 
fe prenne impromptu. Car tous les engage- 
mens pris d'avance 9 m'ôtent tout le plaifir 
de les remplir. Je déjeune toujours en me 
levant 'y mais cela ne m*empêchera pas , (I 
vous prenez du café ou du chocolat » d'en 
prendre encore avec vous. Ne m'envoyez 
pouit de voiture , j'aime mieux aller â pied , 
& fi je ne fuis pas chez vous â dix heures , ne 
m'attendez plus. 

Te vous fais gré de me reprocher mon air 
gauche & embarraifé i mais fi vous voulez 
que je m'en défaife , il faut que ce foit votre 
ouvrage. Avec une aibe afTez peu craintive , 
un naturel d'une infupportable timidité, fur- 
tout auprès des femmes , me rend d'autant 



^12 Lettre, &c. 

plus maufTade , que )e voudrois me rendit 
plus agréable. De plus , je n*ai jamais fti par» 
1er, fur-couc quand j'aurois voulu bien dire, 
& G vous avez la préférence de cous mes em- 
barras , vous n^avez pas trop â vous en plaio* 
dre. Bonjour , Madame , voilà votre laquais) 
à mardi , s'il fait beau , mais fans promelTe. 
Je fais qu*a/anr a vous perdre fi vice , il oç 
^uc pas me faire un befoin de tous voir. 



lETTRl 



LETTRE 

A M***. 

Paris fUt^ Narembrâ 1770» 

3 OYEZ content, Monfîeur, vous & ceux 
qui vous dirigent. Il vous falloit abrolumenc 
une lettre de moi : vous m*avez voulu forcer 
à récrire ^ & vous avez réu(fi : car on fait 
bien que quand quelqu'un nous die qu*il 
veut fe tuer , on eft obligé en confcience 4 
l'exhorter de n*eu rien faire. 

Te ne vous connois point , Monfieur , 8c 

n'ai dcfir de vous connohre ; mais je vous 

trouve très â plaindre 8c bien plus encore 

que vous ne penièz : néanmoins dans tout 

le détail de vos malheurs , )e ne vois pas 

de quoi fonder la terrible réfolution que 

vous m'afTurez avoir prife. Je connois l'ia- 

digence 8c fon poids aufli bien que vous 

tout au moins i mais jamais elle n*a fuffi 

feule pour déterminer un homme de bon 

fens à s*ôter la vie. Car enfin le pis qu'il 

en puilTe arriver , eft de mourir de faint , 

TomlK Pd 



*jji4 Lettre 

& Ton ne gagne pas graud'cbofe iCetasi 
pour éviter la mort. Il efl pourtant des cas 
où la mifere eft terrible , infupporuble , mais 
il en eft ou elle eft moins dure â fouffnxi 
c'eft le vôtre. Comnient , Monfieur , â ving^ 
ans y feul» fans famille, avec de lafanié, 
des bras , & un bon ami , vous ne voyeL 
d'autre afyle contre la mifere que le tombeau? 
iurement vous n*y ave; pas bien regardé. 

Mais l'opprobre La mort cft i pré- 
férer , j'en conviens : mais encore faut-il 
commencer par s'apurer que cet opprobre 
eft bien réel. Un homme injufte & dur vont 
per(écute , il menace d'attenter! votre libené. 
£h bien, Monfîeur, je fuppofe qu'il exécute £a 
barbare menace , ferez-vous déshonoré pour 
cela ? Des fers déshonorent-ils l'innocent qui 
les porte ? Socrate mourut- il dans rignomi* i 
nie ? £t e\i eft donc , Monfîeur » cette fn- 
perbe morale que vous étalez û pompeuiê- 
ment dans vos lettres , & comment avec 
des maximes û fublimes fe rend - on ainfi 
l'efclavç de l'opinion ? Ce n'eft pas tout i 
on diroit â vous entendre que vous n'aves 
d'autre alcexoative que de mourir ou de 



t 



vivre en captivité. Et point du rout ; 
vous avez Tcxpédieat tout fîmple de foftir 
de Paris 5 cela vaut encore mieux que do 
fortir de la vie. Plui je relis votre lettre , 
plus jV trouve de colère & d'aniraofîté. 
Vous vous complaifez à l'image de votre 
fang jailliflaiit fur votre cruel parent ; vous 
Vous tuez plutôt par vengeance que par défef* 
poir, & vous fongez moins à vous tirer 
d'affaire qu*i punir votre ennemi. Quand je 
lis les réprimandes plus que féveres dont il 
vous plaît d*accabler fièrement le pauvre 
Saint- Preux , je ne puis m*cmpêcher de croire 
^ue s*il étoit là pour vous répondre, il 
pourroit avec un peu plus de juftice , vouf 
en rendre quelques - unes â fon tour. 

7e conviens pourtant , Monfieur, que 
votre lettre eft très- bien faite", & je voui 
trouve fort difert pour un défefpéré. Je vou- 
drois vous pouvoir féliciter fur votre bonne 
foi comme fur votre éloquence 5 mais' U 
manière dont vous narrez notre entrevue , 
ne me le permet pa$ trop. Il ed certain que 
)e me fcrois , il y a dix ans , jette â votre 
fête ^ que f aurois pris votre affaire ave^ 
, DdlJ 



Jltf L fe T T^ Ê 

c;hjileur ; & il eft probable que , comme àuA 
tant d'affaires femblablet dont )'ai eu le 
malheur de me mêler, la pétulance de moa 
zèle m*eiic plus nui qu*eUe ne vous aurotc 
fenri. Les plus terribles expériences m*ont 
rendu plus réfervé i f ai appris â n'accudUir 
qu*avec circoafpeâion les noureauz viCiges | 
& dans Timpodibilicé de remplir à la fois 
tous les nombreux deroirs qu*on ni'impoTes 
â ne me mêler que des gens que je connois. 
Je ne vous ai pourtant point tcfaCi le coafeil 
que vous m*avez demandé. Je n'ai peine 
approuvé le ton de votre lettre à M. de M« 
|e vous ai dit ce que )*y trouvois i reprendre^ 
& la preuve que vous entendîtes bien ce que 
|e vous difois . e(l que vous y répondîtes 
plufîeurs fois. Cependant vous venez me dire 
AUjourd'liui que le chagrin que je vous mon- 
irai , ne vous |)ermit pas d'entendre ce q«e 
|e vous dis s 0c vous «ioutez qu'âpre de 
mûres délibérations il vous fembla d*appe^ 
cevoir que }e vous blâmoif de vous être tt 
peu trop abandonné à votre haine \ mais 
vraiment il ne falloic^pas de bien mâies 
«lélibérations pour appercevoir cela , car )e 
^ous Tavois bien articulé^ 9c je in*é(ois alM 



A M***. jiy 

que vous m'entendiez fort bien. Vous m*a- 
Tez demandé confeil , )e ne vous Tai pofnt 
refufc. J'ai fait plus j je vous.at^fFert , je 
vous ofFrc encore , d'alléger en ce qui dépend 
de moi la dureté de votre fîtuation. Je ne 
Vois pas , je vous l'avoue , en quoi vous 
trouvez- vous plaindre dô mon accueil ; & fi 
Je ne vous ai point acco^dé de confiance , 
c'eft que vous ne m'en avez point infpiré. 

Vous ne voulez point , Mônficur , faire 
parc de l'état de votre ame ^ de votre der- 
nière réfolution à votre bienfaiteur , i votre 
confolateur , d^ns la crainte que , voulant 
prendre votre défenfe , il ne fe compromît 
inutilement avec un ennemi puiiTant qui ne 
lui pardonneroit jamais s c'eft à moi que 
vous vous adredèz pour cela , fans doute 
à cai^fe de mon grand crédit 8c des moyens 
que j'ai de vous fervir , & qu'un ennemi 
de plus ne vous parott pas une grande 
affaire pour quelqu'un dans ma fituation. 
Je vous fuis obligé de la préférence -, j'en 
ufetois a j'étois sûr. de pouvoir vous fervir ; 
mais certain que l'intérêt qu'on me verroit 
prendre à vous y ne feroit que vous nuire , 

Ddiij 



I l8 LETTRE 

|e me cieos dans les bornes que vous m*iTes 
demandées. 

A Pégard du jugement que }e porterai de 
la réfolution que vous me marquez aroic 
prife , quand j'en apprendrai l'exécution , 
ce ne fera sûrement pas de penfer quec*^oâ 
U le but , la fin ^ Vohjet moral de U vu ^ 
mais au contraire que c^éioit U combU de 
t égarement , du délire & de U fureur. S'il 
^toit quelque. cas où Thomme eût le droit 
de fe délivrer de fa propre vie » ce feroit 
pour dcî maux intolérables & fans remède , 
mais non pas pour une iituation duce mais 
pa^agere , ni pour des maux qu'une meil- 
leure fortune peut finir iJès demain. La mtCere 
n'eft jamais un état fans re^burces fur-tout 
à. votre âge , elle laifTe toujours Tefpoir bien 
fondé de la voir finir quand on y travaille 
Avec courage , êc qu'on a des moyens pour 
cela. Si vous craigaez que votre ennemi 
n'exécute fa menace» & que vous ne vous 
■fentiez pas la cbnAance de fupporter ce mat- 
beur , cédez à l'orage Se quittez Paris , qui 
vous en empêche ? Si vous aimez mieux le 
braver « vous le pouvez, noniant dan^» 



< 



t r 



A M***." JI9 

maïs (àni opprobre. Croyez -vous être le 
feul qui ait 4es ennemif puiffans-, qui Toit 
en 'péril dans Paris , & qui ne laide pas 
d*y ylvre tranquille ^ en mettant les hom* 
mes au pis , content de fe dire â lui - même.: 
9e refte au pouvoir de mes ennenus dont je 
tconnots la rufe & la puifTancei mais )*«i 
^t en forte qu'ils ne puflènt jamais me 
■faire de mal {uftemetu! Monsieur » celui 
.qui fe parle ainii , peut TÎvre tranquille au 
-milieu d'eux ^ & n'eft peint tenié de k 
^uer. 



I E T T R E 

A MADAME *♦*. 

Paris , /« 14 ^oût 177*. 

Il eft , Madame , des (ituarions auiqueUes 
il n'eft pat permis i un homiêce homme 
d*écre préparé j & celle où je me trouve 
depuis dix ans , eft la plus inconcevable te 
la plus étrange dont on puiife avoir Vidée. 
7*en ai fenti Tborreur fans en pouvoir pcc« 
cer les ténèbres. J*ai provoqué les impoHeua 
& les traîtres par tous les moyens permis & 
juftes qui pduvoient avoir prife fur det 
coeurs humains. Tout a été inutile. Us onc 
fait le plongeon , & continuant leurs manœu- 
vres foucerraines , ils fe font cachés de moi 
avec le plus grand foin»^ Cela étoit naturel , 
& |*aurois dû m*y attendre. Mais ce qui Vtfk 
moins , eft qu*ils ont rendu le public entier 
complice de leurs trames & de leur faufleté $ 
qu*avec un fuccès qui tient du prodige , on 
m*a ôté toute connoifTaace des complots 
donc je fuis la viâtroe, en m'en faifanc 
feulement bien fentir l'efifet, & que tous 
ont marqué le même cmpreiTemenc à 1x19 



I 



Ll T T RI , &CC* 311 

faire boire la coupe de l'ignominie , & â me 

cacher la bénigne main qui prît foin de la 

préparer* La colère & Tindignation m*onc 

}ecté d*abord dans des cranfporu qui m'ont 

£alc faire beaucoup de fottifes , fur lefqucllei 

on avoir compté. Comme je trouvois injude 

d*enyelopper tout mon fiede dans le méprit 

^u*on doit i quiconque fe cache d'un 

iiomme pour le diffamer , j'ai cherché 

quelqu'un qui eût afTez de droiture & de 

juftice pour m'éclairer fur ma (iraacion , ou 

pour fe refufer au moins aux intrigues dés 

fourbes. J'ai porté par- tout ma lanterne imi* 

tilement , je n'ai point trouvé' d'homme ni 

«i'arae humaine. J*ai vu avec dédain la groC> 

^ere fauffeté de ceux qui vouloient m'abufec 

par des carefTes û mal- adroites & fi peu dic« 

tées par la bienveillance & l'efUme , qu'elles 

^achoient même & aifez mal une fecrete 

animofité. Je pardonne Terreur , mais noa 

la trahffon. A peine dans ce délire univers 

iel , ai-je. trouvé dans tout Paris quelqu'un 

qui ne s'avilSt pas à cajoler fadement uft 

homme qu'ils vouloient tromper , comme 

on cajole un oifeau niais qu'on veut preudrcé 

S'ils m'euCent fui j s'ils m'eulTenc ottverc». 



:3ii L E T T n È 

mène maUraicé , |*aurois pu , les ptaijputft 
& me plaignant , du moins les eftimer eiH 
core. Ils n*ont pas voulu me laiflêr cette 
confolatîoo. Cependant, il efl parmi eut 
éet perfbnnes , d^ailleurs d dignes d'efBme ^ 
qu'il parott in)u(le de les méprifer. Comment 
expliquer ces contradiâions } Tû fait mille 
efforts pour y parvenir ; )'ai fait toutes les 
fuppofitions poffibles ; )*ai (uppoP^ nmpof" 
ture armée de tous les âambeanx de l'cTi- 
dence. Je me fuis dit » ils font trompés ; leuc 
erreur eft invincible. Mais , me Hiis-je ré- 
pondu ; non-feulement ils font rrotripés ; 
nais loin de déplorer leur erreur , ils l'ai- 
nent , ils la chérifTent. Tout leur plaifîr eft 
de me croire vit hypocrite & coupable. Ils 
craindroient comme un malheur affreux de 
sne retrouver innocent & digne d'e/lime. 
Coupable ou non , tous leurs foins font de 
sn'ôter l'exercice de ce droit û naturel , Û 
facré de la défenfe de foi -même. Hélas ! 
toute leur peur eft d'être forcés de voir leof 
iniuftice , tout leur dcfîr eft de l'aggraver* 
Ils font trompés ? Hé bien fuppofons. Mais , 
trompés doivent-ils fe conduire comme ils 
font ? d'hoonétes gens peovcnc-iis fc cong 



tu Madame***, jij 

duire sdb& ? Me conduirois-jc ainfi moi- 
même â leur place ? Jamais , jamais. Je 
fuirois le fcélérac ou confoodroia rhfpocrice. 
Mais le flatter pour le circonvenir , feroic 
me mettre au-delTous de lui« Non, û j*a« 
bordois jamais un coquin que |e croiroit 
tel y ce ne feroit que pour le confondre Ôc 
lui cracher au vifage. 

Après mille vains efiforts inutiles pour 
expliquer ce qui m'arrive dans toutes les 
fuppoiîtions , l'ai donc cefle mes recherches, 
& je me fuis dit : je vis dans une généra- 
tion qui m'efl inexplicable. La conduite de 
mes contemporains â mon égard ne permet 
à maraifon de leur accorder aucune eftime. 
La haine n'entra jamais dans mon cœur. 
Le mépris eft encore un fentiment trop 
tourmentant. Je ne les eAime donc , ni ne 
les haïs , ni ne les méprife. Us font nuls â 
mes yeux , ce font pour moi des habicans 
de la lune. Je n*ai pas la moindre idée de 
leur être moral. La feule chofe que je fais , 
eft qu'il n'a point de rapport au mien ic 
que nous ne fomnies pas de la même efpece. 
J'ai ds^ac renoncé avec eux à cette ieule 



JZ4 Lettre 

fociécé qni pouvoit m'êcre douce & qae f al 
fi vaioemenc cherchée , favoir à celle des 
cœurs. Je ne les cherche ni ne les fuis. A 
moins d*a£raires je nMrai plus chez peifonne. 
Met vifites font un hcQineur que )e ne dois 
plus à qui que ce foie déformais , un putil 
témoignage d'eAlme feroic trompeur de ma 
parc , & je ne fuis pas homme à imiter ceux 
dont je me détache. A Tégard des gens qui 
pleuvent chez moi , je ferme autant que je 
puis ma porte aux quidams & aux bnnauz } 
mais ceux dont au moins le nom m*eft coanu^ 
& qui peuvent s'abftenir de m'infulrcr cha 
moi , je les reçoif . avec indifférence mais 
fans dédain. Comme je n'ai plus ni humeur 
ni dépit contre les pagodes au milieu def- 
•quelles je vis , je ne refufe pas même , quand 
l'occafion s'en préfente , de m'amufer d'elles 
êc avec elles autant que cela leur convient & 
à moi aulfî. Je laidèrai aller les cbo(ès comme 
elles s'arrangeront d'elles*mêmes , mais je 
.n'irai pas au-deiâ ^ & â moins que je ne re- 
trouve enfin contre toute anente ce que 
.j'ai cefTé de cliercher , je ne ferai de ma 
. vie plus un feul pas fans néceflàté pour re- 
chercher qui que ce foiCf J^ai du regret » 

Madame y 



A Madame **♦• 315 

Madame » àiw-pouvotf-fittre-ejecepiîon-jHMit 
vous s car voiu-m*4xez p^ni bieo,aimable« « 
Mais celaik*ero{£che ^as tpie voue oe foyes 
de votre fîecle , & qu*â ce titre je ne puiilt 
vous excepter. Je feos bien ma perce en eecie 
occafion. Je Cens même aufli la YÔcre , du 
moins û , cpmme je dois le croire , vout 
reckcrchez dans la £bciété,y des cbofes d'un 
^lus grand prix que Tclégaiice des maaierflf 
ytc l'agrément de la cou^eriatiop. 

Voili mes réfolutions , Madame^, Se en 
voiU les motifs* Je voui fuppUe d'a^ié^ 
Bxon refpcâ* 

F I Ni 



* - 



Tome ly» Ee 



izé 






TABLE 

DES PIECES ET LETTRES 

» 

Contenues en ce F'olume» 

ttTTRï a M, d'Ivemois, Page i 

lET. â MIU. G. 4 

Let. à M. 'Meuron » î 

Let. à M.D, 7 

Let. â M. D, 47 

lET. à M. de GrafftnrUii 4* 

Let. au Même , f<* 

Let. au Même ,^ î î 

Let. au Même # f ^ 

Let. âM. D. ^ ' SI 

Lit. do Même 9 î* 

Let. <2 Af. D. L, C. 59 

Let. ai M. D. ^S 

Let. flfl Même , ^7 

Let. <i M, David Hume f ** 

Let. â M. d'Jvernois » <î9 

Let. au Même ^ 7' 

Let. au Même , 73 

Lit. 4 Ai. ^«me , 74 



T A B L £• 317 

tiTTïii, aM. Hume , . '^ Pag« 7^ 

Let. à, Mylord * * * f 7> 
I.ET. â l'auteur du Saînt'Jûmcs ChroniçU » 

Si 

Let; <i Z:or<f * * * , «t 

Let. i Madame de Lu%e 9 8^ 

Let. â Af. /c Général Conw^yi _. ^j 

Let. tf ^. Hume , ^î 

Let, *<i M. Davenport « ^8 

Let. d M. David Hume i 59 

Let. à Mylord Maréchal f 147 

Let. <i Af. CJtty , iji 

Let. <i Mylord Maréchal | X57 

Let. 4iu Même , . i T? 

Let. <iii Même , i<5x 

Lit. tf Madame * * * ^ ï6j 

Let. <î Mlle. Dewes. 17* 

Let. à Mylord MaréchaU 174 

Let. <i M, le Marquis de Miraheau > 176 

Let. <i -M. le Duc de Graffion » * 84 

Let. à Af. G«y, ï8j 

Let. au Lord Maréchal , i9i 

Let. â M,Granville, .190 

. Let. a Mylord Maréchal » ijpj 

Let. 4 Af . U Général Cowway , 19^ 

. Lit* à Mylord Copite de parcourt , 198 



3i8 t Âtte:. 



titrtû «j M . JE. 7**^<%iiwgwr , P.iol 

LtT. â M. le Marquis de IMirâbtau , 204 

4:mT^MU^^0ite\ vo£ 

Lit. a Madame la M. de "** * , 114 

•Lit- d Mlle Dewes , -3, i% 

^T. d M. d'Ivemois , -««> 

^ifET, au Mêêt< , -«y 

^lifeT. âii Même » -^î* 

(Ket. âu Même f ^5^ 
^«T. a Madame ka>PréfidmH^ ^9^knia «mh 

TitfT. d M, L. C. D,L. 2^ 

TUfT. <i Af. </« BeUey , «f'J 

(32^. au Même , if9 

^»r. a^. r^.AT. » Ui 

it*T. au Même , » ^7^ 

Eét. a Madame S. tt% 

LÈT. <l iâ 'Même , XfO 

LiT. <i la Même , 154 

' L£T* <i /<t jl/^me » 301 

'LftT. d /<t Même t 30^ 

L&T. <j /a Même , 309 

L%T. i la Même «, 3-11^ 

ItT. d Af***, }.Ij' 

Ut, i 'Madme ***» 919 
Fia de 1;^ Table. 



^J ./•- 



62é3248l 



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9