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PIECES
DIVERSES.
TOME QUATRIEME.
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DIVERS ES
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J. J. ROUSSEAU.
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TOME QUATRIEME.
A LONDRES.
M. DCC. LXXXII.
/^
LETTRE
A M. D'IVERNOIS.
Motiers , le Z Avrîi 17^5.
H z E N arrivé , mon cher Monfieur , mt
joiecft grande, mais elle n*eft pascomp!ette«
puirque vous n*avez pas pafl% par ici. Il eft
vrai que vous y auries trouve une fernienu*
don déiàgréable à votre aiuicié pour moi. VcC*
père quand vous viendrez , que viws trouve-
xez tout pacifié. La chance commence â cour-
ser extrêmement. Le Roi s*e(l fi haucemenc
déclaré , Mylord Maréchal a fi vivement
•écrit , les gens en crédk ont pris mon parti
ii chaudement , que le Confeil d'Etat s'eft
unanimement déclaré pour moi , & m'a,
par un arrêt, exempté de la |urirdiâion du
Confiilotre, & afTuré la proteâion du Gou«
Ternementi Les Miniflres font généralement
hués} l'homme à qui vous avez écrit eil
concerné & fiirieux ; il ne lut. rede plus d'au*
tre rei&urce que d*ameuter la canaille , ce
qu*il a fait jufqu'ici avec aiTez de fuccès. Uq
des plus plaifans bruits qu'il fait courir , eft
que j*ai dit dans mon dernier livre que Ut
Tonu IV, A
1 L B T T R I
femmes n*avoient poiut d'amcj ce qui les
méc dans une telle fureur par tout le VaUde*
Travers que , pour être honoré du fort d'Or-
phée , )e n*ai qu*4 fortir de chez moi. C'eft
tout le contraire â Neufchâtel » où toutes
les Dames font déclarées eu ma faveur. Le
fexe dévot y traîne les Minilbes dans les
boues. Une des plus aimables difoit il y a
quelques jours , en pleiife aiTembtée « qu'il
n'y avoit qu'une feule chofe qui la fcandali-
fit dans tous mes écrits i c'étoit l'éloge de
M. de Montmollin. Les fuites de cette affaire
sn'occupent extrêmement. M. Andrié m*e(l
arrivé de Berlin de la part de Mylord Maré«
chal. Il me furvient de toutes parts des mul*
titudes de vifites. Je fonge â déménager de
cette maudite paroiflè , pour aller m'établir
près de Neufchâtel , où tout le monde a U
bonté de me defirer. Par-delfus tous ces tra-
ças « mon trifle état ne me laifTe point de
teliche y & voici le fcptieme mois que je ne
fuis forti qu'une feule fois , dont je me fuis
trouvé fort mal. Jugez d'après tout cela G je
fuis en état de recevoir M. de Servant quel*
^ue deiîr que j'en euffe. Dans tout le cours
àc ma rie ^ il n'auroic pai pu choifîr pliu nat
A M. d'I V E R N O I s. ' }
Ton tems pour me veoir roir. DiiTuadez-ren »
|e Yoiu fuppUe , ou qu*il ne s'en prenne pas
â moi , s*il perd Tes pas.
7e ne crois pas d'avoir écrit â perfonne
<)ae peur-être je ferois dans le cas d'aller è
Berlin. Il m'a tant pafR de chofes par la tête
que celle-là pourroit y avot; pafli^ aufli ,
mais je fuis prefque afTuré de n'en avoir rien
dit â qui que cefoit. La mémoire que je perds
abfolument, m'empêche de rien af&rmer.
Des motifs très«douz , trés-prefTans , três-ho-
norables m'y actireroient fans doute. Mais le
climat me fait peur. Que je cherche au moins
la bénignité du foleil , puifque je n'en dois
poini-accendredes hommes ! J*efpere que celle
de l'amitié me fuiyra par-tout. Je connois la
ydtre, & je m'en prévaudrois au befoin»
mais ce n'cft pas l'argent qui me manque , &
te fi j'en avois befoin , cinquante louis font
â Neufchâtel à mes ordres , grâces à la pré*
voyance de Milord MatéchaL
LETTRE
A MADEMOISELLE G.
Moeurs, 9 ^vril 176%,
Au moins, Mademoifctle , n'aller pat
m'accufer auHI de croire que les femmes
xi*onc point a*ame ; car , au contraire , je
fuis très perfuadc que toutes celles qui vous
reiTemblem , en ont au moins deux â Icuc
difpoâtion. Quel dommage que la vôtre
vous fufSfe I J*en connois une qui fc plai*
loit fort à loger en même lieu. Mille ref-
pe^ â la chère Maman & â toute la Famille.
Je vous prie , Madcmoifelle , d'agréer lef
miens.
LETTRE
A M. M EUR ON,
Trocwrcwr - Général a Ktufchâi^U
Moders ^ le ^ Avril lytff •
MLi-KUiTT^t 9 Moniîeiir , qu*ay«nt votre
dépare , |e vous Aipplte de jpiiube à tiukt dr
foÎDs obligeant ppvr moi , celui de i^up
agréer à Meflieun du Conièil d'£cat mon
profond rcTpeâ k Bia Tive leconnoiflance.
il m*e{l extrêmement confolanc de jouir ,
£aus l'afrément du Gourernement de ctt
£cac » de la procedHon dont le Roi m'ho-
nore , fc des bontés de Mylocd Marécb^ s
de fi précieux a^s de bienveillance m*im*
poCent de nouveaux dcvoin que mon ccEur
remplira tou)oun avec zèle ^ non-feulemienc
en iidele fujet de l'Etat y mais en homme
particulièrement obligé â l'illuftre Corps qui
ie gouverne. 7e me flatte qu'on a vu juCqu'ici
dans ma conduite une implicite (incere , 8c
auunc d'averfîon pour la diipute que d'a-
mour pour la paix» J'ofe dire que jamaia
^omme ne chercha moins à répandre Tes
opinions ^ & ne fut moins auteur dani U
6 ^ L E r T R ;b j &c#
Tie privée & fociale ; û , dans la chaîne ie
mes difgraces , les follicitaaons , le devoir ^
Thonneur même ra*onc forcé de prendre la
plume pour ma défenfe éc^ pour celle xl'au-
trui 'y je n*ai rempli qu*i i-egret un devoir (i
trifle , & j*ai regardé cette cruelle néce(Gcé
comme un nouveau malheur pour moi.
Maintenant , Monfieur , que grâces ^u Ciel
j'en fuis quitte , je mUmpofe la loi de me
taire j & , pour mon repos & pour celui
de l'Etat où )'ai le bonheur de vivre , |c
m'engage hbremenc , tant que j*aurai le
même avantage , à ne plus traiter aucune
matière qui puifFe y déplaire 9 ni dans aucun
des Etats voifins. Je ferai plus : je rentre avec
plailîr dans Tobfcurité , où j'aurois dû tou«
jours vivre 5 & j'efpere , fur aucun fujet , ne
plus occuper le {>ublic de moi. Je voudrois
de tout mon cceur ofiTrlr à ma nouvelle
patrie un tribut plus digne d'elle > je lui facri-
£e un bien très-peu regrettable , & je préfère
infiniment au vain bruit du monde l'amitié
de fes Membres & la faveur de fes Chefs.
Recevez , Monfieur , je vous fupplie , mes
(rcs-humbles falutations.
LETTRE
A M. D.
MotierS'Travtrs f US ^oût 17^5.
Pi ON , Monfîeur , jamais , quoi que l'on
en dife , je ne me repentirai d.*avoir loué
M. de MoncmoUin. J'ai loué de lui ce que
}'en connoifTois , fa conduite vraiment paf-
torale envers moi. Je o*ai point loué Ton
caraâcre que je ne connoiiTois pas s je n*ai
point loué fa véracité , fa droiture. J'avoue-
rai même que Ton extérieur , qiy ne lui efl
pas favorable , Ton ton , Ton aii^ , Ton re-
gard (inidre me repoulToienc malgré moi :
j'étois étonné de voir tant de douceur ,
d'humanité , de vertus fe cacher fous une
auâî fombre phyfîonomie. Mais j'étouffois
ce penchant injufle : falloit-il juger d'un
homme fur des 'fignes trompeurs que fa
conduite dcmentoit Ci bien ? Falloit-il épier
malignement le principe fecret d'une tolé-
rance peu attendue ? Je hais cet art cruel
d'cmpoifonner les bonnes avions d'autruî ,
êc mon cœur ne fait point trouver de mau-
vais motifs 4 ce qui eft bien. Plus Je fcntoii
8 L 2 T T R E
en moi d*éloignement pour M. de M. ptuc
je cherchois à le combattte par la reconnoif-
fance que je lui devoit. Suppofons derechef
po(GbIe le mêmp cas , Se tout ce qu^ |*ai fait,.
)e le rcferois encore.
Aujourd'hui M. de K^. levé le marque 8c
fe montre vrainjeAC tel qu'il eft. Sa conduite
préfente explique U précédente. Il eft claie
i]ue fa prétendue tolérance qui le quitte au
moment qu'elle eut été le plus jufte , vient
de la même fource que ce cruel zèle qui
Ta pris fubitemenc. Quel étoit Ton objet ?
quel ell-il ^i présent ? Je i*ignore : je fais
feulement qu'il ne fauroit être bon. Non«
feulement il m'admet avec empreffement ^
avec honneur à. la Communion , mais il me
recherche , me prône, me fête, quand je pa-
rois avoir attaqué de gaîté de ccsur le Chrif-
tianifmej & quand je prouy^ qu'il eft faux que
)e l'aie atuqué i qu'il eft faux du moins que
l'aie eu ce deffein , le voiU lui - même
attaquant brufquement oia sûreté , ma fol ,
ma perfonqe ; il veut m'excommunier , me
profcrire i il ameute la patoifTe après moi »
a mp FQUxfuic avec un acbarnemcnc qui
A M. D. 5
lient de la rage. Ces difparates font - eilet
dans Ton devoir ? Non , la charité n*eiè
point inconflante « la venu ne fe contredit
point elle- même , 8c la confcience n*a pas
deux voix. Après s*être mooiré G peu tolé-
rant y il s'écoit avifé trop tard de Pêrre •
cette affeâation ne lui altoii point 9 & ,
comme elle n^abufoit perfonne , il a bien
fait de rentrer dans Ton état naturel. En
détruifant Ton propre ouvrage , en me fai-
(ànt plus de mal qu'il ne me faifoit de
bien , il m'acquitte envers lui de toute re-
connoillance » je ne lui dois plus que la vé-
rité « je me la dois à moi-même } & , puif-
«lu'il me force à la dire , je la dirai.
Vous voulez favoir au vrai ce qui t'efi
padé entre nourdans cette afiàire. M. de M.
a fait au public fa telarion en homme d*£-
glife , 6t , trempant fa plume dans ce miel
empoifonné qui tue , il s'cft ménagé tous let
avantages de fon état. Pour moi » Monfîcur ,
}e vous ferai la mienne du ton (impie donc
les gens d*honneur fe parlent entr'eux. Je ne
m*étendrai point en proteftations d*éire fin-
ceie. Je laiîre â votre efprit fain , à vott«
fo Lettre
artir ami de la réricé , le foin de la démêler
eocre lui & moi.
7e ne fuis point , grâces au Ciel , de ces
gens qu'on fôce & que l'on méprifc. J*ai
l'honneur d'être de ceux que l'on eftime 6c
qu'on chaflê. Quand je me réfugiai dans ce
pays , fe n'y apportai de recommandations
pour perfonne , pas même pour Mylord Ma«
féchal. Je n'ai qu'une recommandation que
je porte par-tout , 6c , près dé Mylord Ma-
xéchal f il n'en faut point d'autre. Deux
heures après mon arrivée , écrivant à S. £•
pour l'en informer & me mettre fous fa
proteâion , je vis entrer un homme inconnu
qur» s*étant nommé le Pafteur du lieu , me
fit des avances de toute efpece , & qui ,
voyant que j*écrivois à Mylord Maréchal ,'
m'offrit d'ajouter de fa main quelques li«
gnes pour me recommander. Je n'acceput
point cette offre ; ma lettre partit , & j'eus
l'accueil que peut efpérer l'innocence oppri-
mée par- tout où régnera la vertu.
Comme je ne m'attendois pas dans la cir«
tonftance à trouver un Pafteur G. liant , |e
A M. D. IX
contai dès le même jour cette hUloIre à tout
le monde , & entr'autres à M. le Colonel
Koguin 4 qui , plein pour moi des boutés
les plus tendres , avoit bien voulu m'ac-
compagner jurqu'ici.
Les erapreifemens de M. de M. continuè-
rent. Je crus devoir en profiter , & , voyant
approcher la Communion de Septembre , je
pris le parti de lui écrire pour favoir fî 9
malgré la rumeur publique , je pouvois m*y
préfenter. Je préférai une lettre à une vifice ,
pour éviter les explications verbales qu*il
auroit pu vouloir poulTer trop loin. C*eft
même fur quoi je tâchai de le prévenir :
car déclarer que je ne voulois ni défavouer
ni défendre mon livre , c*étoit dire aflcz
que je ne voulois entrer fur ce point dans
aucune difcuflion. Et en effet , forcé de
défendre mon honneur Se ma perfonne au
fujet de ce livre , j*ai toujours paflc con-
damnation fur les erreurs qui pouvoient y
être , me bornant i montrer qu'elles ne
prouvoient point que TAuteur voulût atu-
quer le ChriiUanifme , 6c qu'on avoit tore
de le poutAiivre ctimineilemeiit pour ceUit .
11 Lettre
M. de M. écrie que j*allai le lendemaiit
ravoir fa rcponfe 5 fclï ce que j*aurois fait »
s'il ne fût venu me rapporter : ma mémoire
peut me tromper fur ces bagatelles j mais il
me prévint , ce me femblc , & je me fou-
viens au moins que par les démonftrations
de la plus vive joie , il me marqua com-
bien ma démarche lai faifoit de plaifir. Il
me dit en propres termes que lui £c foQ
troupeau s*en tenoient honorés , 8c -que cette
démarche inefpérée alloit édifier tous les
fidèles. Ce moment , je vous l'avoue , fut
un des plus doux de ma vie. Il faut cou-
noîtrfi tous mes malheurs i il faut avoir
éprouvé les peines d'un coeur fenfible qui
perd tout ce qui lui écoit cher , pour juger
combien il m'étoit confblant de tenir à une
Société de frères qui me dédommageroic des
pertes que j'avois faites , & des amis que je
fie pouvois plus cultiver. Il me fembloit ,
qu'uni de cceur avec ce petit troupeau dans
un culte affeâueux & raifonnable , j'oublie*
rois plus aifement tous mes ennemis. Dans
les premiers tems y je m'attendrifTois au
Temple jufqu'aux larmes. N'ajranc jamais
Técu chez les Proteftans , je m'étois fut
d'eux
A M. D. ij.
d'eux Bc dt leur Clergé des îmaget aogéU-
ques. Ce culte û fîmple & û pur écoic préci-
fSmenc ce qu'il falloic à mon cœur ; il me
ierabloic fiiic exprès pour foucenir le courage
& refpoir des malheureux : cous ceux qui le
partageoienc me fembloienc autant de vrais
Chrétiens , unis entr'eux par la plus tendre
charité. Qu'ils m'ont bien guéri d'une erreur
û douce ! Mais enfin j'y écois alors , & c'étoic
d'après mes idées que je jugeois du prix d'être
admis au milieu d'eux.
Voyant que durant cette yiiîte M. de M.
ne me difoit rien fur mes fentiment en ma-
tière de foi y je crus qu'il réferroit cet entre-
tien pour une autre tems ; & , fâchant com-
bien ces Meilleurs font enclins à s'arroger le
droit qu'ils n'ont pas de juger de la foi dts
Chrétiens , je lui déclarai que je n'encendois
me (bumettre à aucuns interrogation ni à
aucun éclairciflêment quel qu'il pût être. Il
me répondit qu'il n'en exigeroit jamais , &
il m'a lâ-deilûs fî bien tenu parole , je l'ai
trouré fi foigneux d'éviter toute difcuflion
iur la doârine , que jufqu'à la dernière affaire
il ne m'en a jamais dit un feul mot » quoi
Tome IK B
t4 L E T T H E
qu*il rae (bit arrivé de lui en parler queU
quefois moi-même.
Les chofes fe paffereiit de cette forte tant
avant qu'après la Communion i tou|ourt
même cmprelTcment de la part de M. de M*
& toujours même £leiice fur les matières
cbéologiques. Il perçoit même û loin l'eTpric
de tolérance & le utontroit û ouvertement
dans Ces fermons , qu'il m*inquiécoit quel-
quefois pour lui-même. Comme je lui érois
fincéremenc attaché , je ne lui déguifois
point mes alarmes , & je me fouviens qu'un
jour qu'il prêchoit três-vivcmenr contre l'in-
tolérance desProteftans , je fus très-etfirayé
de lui entendre fou tenir avec chaleur que
l'Eglife réformée avoit grand befoin d'une
réformacion nouvelle > cant dans la doârine
que dans les mœurs. Je n'imaginois gueres
alors qu'il fourniroit dans peu lui-même une
û grande preuve de ce befoin.
Sa toléraiKe& l'honneur qu'elle lui faifofc
dans .e monde excitèrent la jaloufîe de plu-
fieurs de fes confrères , fur-couc à Genève.
Ils ne ccfièrent de le harceler par des repro-
A M. D. 15
ches fëcéc lui cendre des pièges où II eA à
la fin tombé. J*en fuis fâché , mais ce ii*c(^
alTucément pas ma faute. Si M. de M. eût
voulu foutenir uoe conduice fi paflorale par
des mo)rens qui en fuilènt dignes , s*il fe fût
contenté pour fa défenfe d'employer arec
courage , avec franchife les feules armes du
Chriftianifme & de la vérité , quel exemple
nedonnoic-il point âTEglife, i l'Europe
entière , quel triomphe nes'afTuroit-il point ?
Il a préféré les armes de fon métier , & Ut
Tentant mollir contre la vérité pour fa dé-
fenfe , il a voulu les rendre ofiTenfives en
m*aitaquant. Il s*e(l trompé s ces vieilles
armes , fortes contre qui les craint , fioiblci
contre qui les brave fe font brifées. Il s*étoît
mal adrcfle pour réuflîr.
Quelques mois après mon admifllon , ]c
TÎs entrer un foir M. de M. dans ma chambre.
Il avoit. l'air cmbarraiTé. H s'affit & garda
ionç-tems le fiience : il le rompit enfin par un
de ces longs ezordes dont le fréquent befoin
lui a fait un talent. Venant enfuiiE à fon
fujet , il me dit que le pani qu'il avoit pris
de m'admcttte à la Communion lui avott
Bij
i6 Lettre
attiré bien ies chagrins & le blâme de fc»
Confrères i qu'il écoic réduit à fe }ufti£ier là-
defTus d'une manière qui pût leur fermer la
bouche , & que û la bonne opinion qu'il
avoit de mes fentimens lui avoit fait fup-
primer les explications qu'à fa place un autrç
auroit exigées , il ne pouvoir fans fe com-
promettre laiiTer croire qu'il n'en aToit eu
aucune.
Là-de(rus y tirant doucement un papier de
fa poche , il^e mit 'â lire dans un projet de
lettre à un Miniftre de Genève des détails
d'entretiens qui n'avoient jamais eziûé ,
mais où il plaçoit â la vérité fort heurdufe-
ment quelques mots par-ci par-U , dits â la
volée & fur un tout autre objet. Jugez ,
Moufîeur , de mon éconnement : il fut tel
que j'eus befoin de toute la longueur de cette
leâure pour me remettre en l'écoutant.
Dans les endroits où la fiâion étoit la plus
forte, il s'interrompoit en me difant: Fous
fintei la néccffui .... ma fuuation ....
ma place .... il faut bien un ptuft prêter •
Cetcelettroy ai^ refte, étoit faite avec aiTez
d*adre^e , de â peu de chofe ptâs il avoi^
A M. D; 17
grand foin de ne my faire dire que ce que
j'aurois pu dire en eff*ec. £n finiflaoc il me
demanda fi j*appronvois cecce lettre , Se s*il
pouvoit l'envoyer telle qa^elle étoit.
Je répondis que je le plaignois d'être ré-
duit à de pareilles refTources , que quant à
moi )e ne pouvois rien dire de femblabte:
mais que, puifque c'étoic lui qui fe chargeoft
de le dire , c'éioit Ton affaire & non pas la
mienne j que je n'y yoyois rien , non plus ,
que ie fuffe oblige de démentir. Comme
tout ceci , reprit- i! , ne peut nuire à per-
ibnne 8c peut vous être utile ain(î qu'i moi»
)e paffe aifément fur un petit fcrupule qui ne
feroit qu'empêcher lebien. Mais, dites- moi ,
au furplus , d vous êtes content de cette
lettre, & fi vous n'y voyez rien à changer
pour qu'elle foit mieux. Je lui dis que je ta
trou vois bien pour la fin qu'il s'y propofoit.
Il me prefla tant > que pour lui complaire ,
)e lui Indiquai quelques légères correâions
qui ne fignifioient pas grand'chofe. Or il faut
favoir que de la manière dont nous étions
afils , l'écritoire étoit devant M. de M. ;
mais durant tout ce petit colloque il la pouda
Bit)
iS Lettre
comme par hafard devanc moi j & comm^
)C cenois alors fa lettre pour la relire , il me
préfenta la plume pour faire les changemens
indiqués j ce que je fis avec la (implicite que
je mets à toute chofe. Cela fait , il mit foo
papier dans fa poche , &i s*en alla.
Pardonnez-moi ce long détail, il étolc
nécefQûre. Je vous épargnerai celui de mon
(dernier entretien avec M. de M. qu'il eft
plus sâCé d'imaginer. Vous comprenez ce
qu'on peut répondre à quelqu'un qui vient
froidement vous dire : Monfieur » )'ai ordre
de vous caifer la tête > mais û vous voulez
bien vous caiTer la jambe » peut-être Ce
contentera - 1 - on de cela. M. de M. doit
avoir eu quelquefois à traiter de mauvaifes
tâfaires. Cependant je ne vis de ma vie un
homme aufli embarra^Té qu'il le fut vis-d-
vis de moi dans celle-là. R,ien n'eft plus
gênant en pareil cas que d'être aux prifes
avec un homme ouvert & franc , qui fans
combattre avec vous de Aibtilités & de
fufes» vous rompt en vifîere à tout mo-
ment. M. de M. aiTure que je lui dis en le
jjuiccanc que s'il venoit avec de bonnes
A M. O. 19
nouvelles )ç l'eaibr^ifcrois ^ fixion que nom
nous courneripos le dos. J*-ai pu dire des
chofes équivalences, mais en termes plu«
honnêtes j & quant à ces dernières expref-
iîons je fuis bien sûr de P(e m'en être poiaf
Ccrvi. M. de M» pepf reconnoître qu'il ne
me fait pas it ^C^EOfim toi^ner le dos qu*il
revoit ciu.
Qu9^nt au dévQC Pathos > dont il ufe pour
prouver ia néceffiié de (i^yi^ , on fent pour
f}uelle foiue de ^ens il eft fait « fie ni vouf
ni moi n'avons tien ^ leur^i^* LfûffyoM
i part ce jargon d'inq^i^ur, je vais ex4-
l&iner fps rjûrpns yis-^-yis de moi » Cuis
entrer dans celles qu*il pouvoit avoir avec
d'autres.
Ennuyé du triile n^uer d'Auteur poiir
lequel j'étois fi peu hit y j'avois depi^^
Jong-tems réfolu d*y renoncer} quand
2'£mile parut , j'jivois déclaré 4 tou* oies
jUQÎs 4 ^m%i i Gençve fie ailleurs « que
c'étoit mon dern^ ouvrage, tf. qu'en
l'achevant je pofois la pl^ime pour ne la
plus tepr^drc. Beaucoup de lettres me
lo Lettre
reflenc où Ton cherchoic â me difTuader
de ce delTein. En arrivant ici j^avpis dit la
même chofe â tout le monde , â vous-
même , ainfi <]u'â M. de M. Il cù le feul
qui fe foit avifé de transformer ce propos en
promedè , & de promettre que je m^étois
engagé avec lui de ne plus écrire , parce
que je lui en avois montré Tinteniion. Si
}e lui difois aujourd'hui que je compte aller
demain à Neufchâtel , prend roit'il aâe de
cette parole , & fi j'y manquois, m'en feroit-
II un procès ? C*e{l la même chofe abfo-
lumeni , & je n'ai pas plus fungé â faire
une promefîe â M. de M. qu'à vous d'une
réfolution donc j'informois fitnplemcnt Tun
& l'autre.
M. de M. qferoît-il dire qu'il ait entendu
la chofe autrement? Ofcroit-il affirmer,
comme il Tofe faire entendre , que c*eft
fur cet engagement prétendu qu'il m'admit
à la Communion ? La preuve du contraire
eft qu'à la publication de ma lettre â M. TAr-
chevêque de Pans , M. de M. loin de m'ac-
cufer de lui avoir manque de parole , fut
uês-conceiu de cet ouvrage « & qu'il en fit
A M, D. tt
F^foge â moi-même & à tout le monde ,
fua-^irc alors un mot de cette fiibnleufc
promet qu'il m'accufe au|ourd'hui de lui
avoir faite auparavant. Rcmatiiuez pourunc
que cet écrie cil bien plus fert fur les myC"
teres & mime fur les miracles » que celui
dont il fait maintcnam tant de bruit. Rcma^
quez encore que fy parle de mâme en mon
nom , & non plus au nom du Vicaiie. Peut-
on chercher des fujea d'ezcoramunicadon
dans ce dernier , qui n*onc pas même été des
ru)ecs de plainte dans l'autre i
Quand |*anrois fait à M« de M. cette pro»
WMiTe à laquelle je ne fongeai de ma vie ^
prétendroit-il qu'elle fût fi abfolue qu'elle ne
fupponât pas la moindre exception , pas
mime d'imprimer un mémoire pour ma
défenfe loffque j'aurois un procès ? Et quelle
exception ra'étoic mieux permife que celle
&à me juftifiant je le )ufti£ois lui-même 9
où je moncrois qu'il étoit faux qu'il câc
admis dans Ton igliCe un aggreffeur de
la Religion ? Quelle promeilè pouvoit
m'acquitter de ce que je devoîs i d'autres
& à moi • même ^ Gomment pouvois-t
11 Lettre
je Aipprîmer un écrit défenfif pour moa
honneur , pour celui de mes anciens compa*
triotes s un écrie que tant de grands motifs
rendoienc néceiTaire , & où j'avois â remplir
de G. faints devoirs ? A qui M. de M. fcra-t-U
croire que je lui ai promis d'endurer Tigno^*
minie en iîlence ? A préfenc même que j*ai
pris avec un Corps refpeâable un engagement
formel (i), qui efl-ce dans ce Corps qui
m'accuferoit d'y manquer , fi , forcé par les
outrages de M. de M. )e prenois le parti de
les repoudèr aufli publiquement qu'il ofe
les faire. Quelque promelfe que fade un
honnête homme , on n^exigera jamais , on
préfumera bien moins encore qu'elle aille
jufqu'i fe laifTer déshonorer.
En publiant les Lettres écrites de la Mon-
tagne , je fis mon devoir • & je ne manquai
point à M. de M. Il en jugea lui-même
ainfi , puifqu'apiês la publication de i'ou*
vrage , dont je lui avois envoyé un exem-
plaire , il ne changea point avec moi de
( I ) Voyez la lettre du 9 Avril pafTé , à M. Mei^r
fon , Pcocuiçui-CtoéraU
A M. D. ijr
manière d*agir. Il le lut arec plai/îr , m'en
parla avec éloge ; pas an moc qui fentic
rob|eâion. Depuis lors il me vit long-tem'
encore , toujours de la meilleure amitié j
}ainais la moindre plainte fur mon livre.
On parloit dans ce tems-Iâ d'une édition
générale de mes écrits. Non-feulement il
approuvoit cette entreprife , il defîroit même
de s'y intérelTer : il me marqua ce defir que
je n'encourageai pas , fâchant que la com-
pagnie qui s'étoit formée , fe trouvoit déjà
trop norabreufe y & ne vouloit plus d'autre
alTocié. Sur mon peu d'empreilèmenc qu'il
remarqua trop , il réfléchit quelque temt
après que la bienCéance de fon état ne lui
permetcoit pas d'entrer dans cette entreprife.
C'eft alors que la ClafTe prit le parti de s'y
oppofer^ & fit des repréfenutions à U
Cour*
Du refte , la bonne intelligence étoit S,
parfaite encore entre nous , & mon dernier
ouvrage y mettoit fî peu d'obflade, que
long-temS après fa publication M. de M.
caufant avec moi , me dit qu'il vouloir
demander â la Cour une augmentation d«
14 Lettre
prébenck, & me projfoûide mcitie quelques
lignes dans la lettre qu*il écriroic pour cet
cfFec â Mylord Maréchal. Cette foriùe de
recommandadon me paroiflant trop fami-
lière , je lui demandai quinze )ours pour
en écrire à, Mylord Maréchal auparavant.
Il fc tut y & ne m'a plus parlé de cette affaire*
Dès- lors il commença de voir d'un autre
ail les Lettres de la Montagne , fans cepen-
dant en improuver jamais un feul mot en
ma préfence. Une fois feulement il me dit :
Pottr mol je crois ûux Miracles, Taurois pu
lui répondre : Py crois tout autant que vous,
Tuirque fe fuis fur mes torts avec M. de
M* je dois vous avouer , Monfieur, que
je m'en reconnois d'autres encore. Pénétré
pour lui de recennoilfance , j'ai cherché
toutes les occadons de la lui marquer , tant
en public qu'en particulier. Mais je n'ai
^int fait d'uti febthnent fi noble un trafic
d'intérêt j l'exemple ne m'a point gagné , je
ne lui ai poifit fait de préfens, je ne fais
pas acheter les chofes faintes. M. de M. vou-
loit favoir touces mes affaires , connoître
fous mes correfpondans > diriger , recevoir
mon'
A M. D. 1$
non teftamenc , gourerner mon petit mé-
nage : voilà ce que je n*ai point foufferr.
M. de M. aime à tenir table long-tems s pour
mot c'eft un vrai fupplice. Rarement il a
maagè chez moi « jamais je D*ai mangé
chez lui. Enfin j*ai toujours repouifé avec
cous les égards & tout le refpeâ poffible
Tintimité qu*il vouloit établir entre aouf*
Elle n'eft jamais un devoir dès qu'elle ne
convient pas à tous deur«
VoîU mes tons » je les confefTe fans pou-
voir m'en repentir. Ils font grands , û Ton
veut y mais ils font les feuls, & j'attcfle
quiconque connok un peu ces contrées , (l
je ne m'y fuis pas fouvent rendu défagréable
aux honnêtes gens par mon zèle â louer
dans XC de M. ce que j*y trouvois de loua-
ble. Le r^e qu'il avoir joué précédemment
le rendoit odieux , ^ l'on n*aimoit pas à
me voir eSaccr par ma propre htftoire celle
des maux dont H fut l'auteur.
Cependant quelques mécontentemens fe-
crées qu'il eût contre moi , jamais il n'eue pris
pour les faire éclater, un moment fî mal cholC,
Tomt IK C
iS L I T T R E
û. d'autres modfs ne Teu^t porté à reTailif
Toccaiioii fugitive ^u*il avoit d'abord iaifH
échaper. Il ?oyoit trop combien fa conduite
alioic être choquante & contradiâoire. Que de
combats n'a-^il pas dû fendr en lui-même ,
avant d'ofcr aâîcher une û claire prévad*
cation ? Car palTons telle condamnation
qu'on voudra fur les Lettres de la Montagne ,
en diront-elles enfin plus que l'Emile » après
lequel j'ai été , non pas laidî y mais admis
â la table facrée ? plus que la lettre à M. de
Beaumont , fur laquelle on ne m'a pas dit
un feul mot? Qu'elles ne foient, fi l'on
veut , qu*un tiiTu d'erreurs , que s'enfuivrart*
il } qu'elles ne m'ont point |uftifié , & que
l'Auteur d'Emile demeure inexcufable s mais
|amais que celui des Lettres écrites de la
Montagne doive en particulier être con*
damné. Après avoir Fait grâce â un homme
du crime dont on l'accufc, le punit- on
pour s'être mal défendu } Voilà pourtant ce
que fait ici M. de M. ; de je le défie ^ lui
& tous Tes confrères de citer dans ce dernier
ouvrage aucun des fentimens qu'ils cenfu-
rent » que je ne prouve être plus fortemenc
établi dans les précédens*
--«• • „-
A M. D, 17
Mais excité fous mains par d'autres gens p
il faific le prétexte qu'on lui préfente 'y fur
qu'en cnanc i tort & â travers â l'impie ,
on met toujours le peuple en fureur , il fonne
9Cftcs coup le tocfîn de Motieis fur un pauvre
homme , pour s'être o(é défendre chez les
Genevois , & fentant bien que le fuccès feul
potivolt le fauver du blâme » il n'épargne
rien pour fe l'affurer. Je vis i Motiers , je
ne yeux point parler de ce qui s'y pafTe ;
vous le favez auflS bien que moi ; perfonne
â Keufchâtel ne l'ignore -y les étrangers qui
viennent le voient , géraiiTent , & moi je me
tais.
M. de M. s'excufe fur les ordres de \^
Claife. Mais fuppofons-les exécutés par des
voies légitimes s ^ ces ordres étoient juftes ^
commenc avoit*il attendue tard â lefentir?
comment ne les préveno!t-il point lui-même
que cela regardoit fpécialement ? comment
aprèi avoir lu & relu les Lettres de la Montai
gne, n'yavoit-il jamais trouvé un mot â re-
prendre y ou pourquoi ne m'en avoit-il rien
dit » à moi fon paroi/fîen , dans plufieurs
vifîtes qu'il m'avoit faites ? Qu'étoic dcvcniî
Ci)
i8 Lettre
fon zele paftoral ? Voudroit-il qu'on fe prTb
pour un imbécille j qui ne (ait voir dans un
livre de Ton métier ce qui y eft que quand on
le lui montre l Si ca ordres étoienc injuftes ^
pourquoi s*y foumettoit-il ? Uo Miniûre de
TEvangile , un Fadeur doit- il perfécuter par
obéilTance uu homme qu*il fait être inno-
cent ? Ignoroit'it que paroîcre même en con-
fiftoire eft une peine ignominieufe , un af-
front cruel pour un homme de mon âge y fur*
tout dans un village , où Ton ne connoît d'au-
tres matières confiiloriales que des admoni-
tions fur les moeurs f II y a dix ans que je
fus difpenfé â Genève de paroître en Confif-
toire dans une occafion beaucoup plus lé-
gitime y de y ce que )e me reproche pref-
«|ue , contre le texte formel de la loi. Mait
il n*eil pas éronnant que l'on connoidè à
Genève des bienCêances que l'en ignore à
Mo:iers«
7e ne fais pour qui M. de M. prend (es
leâeurs quand il leur dit qu'il n'y avoit
point d'inquifîtion dans cette affaire j c'cft
comme s*il difoit qu*il n*y avoit point de
Confidoiie^ car c'cft la même chofe ejà
A M. D. 19
cette occafîon. Il fait entendre , il alTure
mtee qu'elle ne dévoie point avoir de fuite
tenaporelle : le contraire eft connu de tous
les gens au fait du projet , & qui ne (ait qu'en
furprenant la Religion du Confdl d'Etat , on
Favoit déjà engagé â faire des démarches qui
tendoient i m'ôter la proteâion du Roi ? Le
pas néceffaireponracheyerétoit l'excommu-
nication. Après quoi de nouvelles remon*
irances au Confeil d'Etat auroient £ut le
refte ; on s'y étoit engagé , 5e voilà d'oà
vient la douleur de n'avoir pu réuffir. Car ,
d'ailleurs » qu'importe à M. de M. ? Craint'^
il que je ne me préfente pour communier de
fa main ? Qu'il fe ramure. Je ne fuis pas
aguerri aux communions comme je vois tant
de gens l'être» J'admire ces eftomacs dévots ,
toujoun û prêts à digérer le pain iàcré : lo
mien n'eft pas û robufle.
H dit qu*il n'avoit qu'une queftion três<-
fîmple à me faire de la part de la ClaiTe.
Pourquoi donc en me citant ne me fit-il pu
iignifier cette queftion ? Quelle eft cette rufe
d'ufêr de furprife , fie de forcer les gens de
répondre â l'inAsac même fans leur donnex
Ciij
'jo Lettre
un moment pour réfléchb ? C*«ft qu'avec
cette queftion de la ClafTe donc M. de M.
parle , il m'en rcfcrvoit de fon chef d'autres
dont il ne parle point , & fut Icfqucllcs il ne
vouloit pas que l'euiTc le teuis de me prépa-
rer. On fait que Ton projet étoir abfolumenc
de me prendre en faute , & de m'cmbarraffec
par tant d'interrogations captieufes qu'il ea
, vînt â bout. Il favoit combien j'étois lan-
guiiTant Se foible. Je ne veux pas l'accufec
d'avoit eu le deffein d'épuifer mes forces t
mais quand je fus cité j'étois malade , hors
d'état de fortir , & gardant la chambre depuis
ûx mois. C'étoit l'hiver , il faifoit froid ,. &
c'eft pour un infirme un étrange rpé<;ifique
qu'une féance de plufieurs heures , debout »
interrogé fans relâche fur des matières de
Théologie , devant des Anciens dont les plus
înAruits déclarent n'y rien entendre. N?im-
porte , on ne s'informa pas même fî je pou-
vois fortir de mon lit , fi j'avois la force
4*aller , s'il faudroit me faire porter } on ne
s'embarraifoit pas de cela. La charité pafio-
raie , occupée des chofes de la foi , ne s'a-
baifle pas aux terreilres foins de cette vie.
- Vous favez y Monfieur , ce qui fe pailâ
A D. M. ji
3ans le ConiUloireen mon abfence, com-
ment s'y fit la leâure de ma lettre , & les
propos qu'on y tint pour en empêcher refifec.
Vos mémoires li-deiTus vous viennent de la
bODne four ce. Concevez- voui qu'après cela
M. de M. change couc-â-coup d'état & de
dcre , &lque s'étant fait ConimKTaire de la
Claile pour folliciter TafFaire » il redevienne
auflî-tôc Pailcur pour la >ugcr. Tagijfois^
dit- il y comme Pafteur , commtChefdu Con^
fijloire I 6* non comme repréfentant de la vé»
nérable CUJle. C'étoit bien tard changer de
rôle 9 après en avoir fait )ufqu*alors un 6.
«iifiFérenc. Craignons , MoiiHcur , les gens
qui font (i volontiers deux perfonnages dans
la même affaire. Il eft rare que ces deuic en
CaiTent un bon.
Il appuie la nécefCté de févir fur le fcandalc
cauCé par mon livre. VoiU des fcrupules couc
nouveaux qu'il n'eut point du tems de TE*
mile. Le fcandale fut couc auili grand pour
le moins : les gens d'Eglife & les gazetiers ne
firent, pas moins de bruic. On brûloir , on
brayoic , on m'infultoit par touce l'Europe.
M. de M. trouve aujourd'hui des raifoM do
)1 L B T T R B
m'excommunier dans celles qui ne Tempê^
cherenc pas alors de m'admecrre. Son zèle ,
fulvant le précepte , prend toutes les formes
pour agir félon les tems|& les lieux. Mais qui
efl-ce , je tous prie t qui excita dans fa pa^
roifTe le fcandale dont il fe plaint aufujet de
mon dernier livre ? Qui eft-ce qui affeâoie
d'en faire un bruit affreux , & par foi -même
te par des gens apoftés ? Qui eft-ce , parmt
tout ce peuple G. faintement forcené , qui au^
roit fu que )*ayois commis le crime énorme
de prouver que le Confeil de Genève m'avoic
condamné à tort » û l'on n'eût pris foin de
le leur dire en leur peignant ce fingulier
crime avec les couleurs que chacun fait ? Qui
d'entr'eux efi même en état de lire mon livre
èc d'entendre ce dont il s^agit ? Exceptons û
l'on veut l'ardent fatellite de M. de M. • ce
grand Maréchal qu'il cite ii fièrement , ce
grand clerc le Boirude de fon Eglife , qui fe
connoit fî bien en fers de chevaux & en li-
vres de théologie. 7c veux le croire en état
de lire â jeun & fans épeller une b'gne en*
tiere , quel autre des ameutés en peut frire
autant ? En entrevoyant fur mes pages les
mots d^Evangih & de miracles , ils auioienc
A M. D. 55
«ni tire un livre de dévodon , Zc me fachaat
Bon homme ils auroient dit t Que Ditu le
Unijfe j il nous idifit* .Mais on leur a tant
aiTuré que )'écois un homme abominable ,
on impie , qui difoit qu'il n'y avoic point de
Dieu , & que les femmes n'avoient point
d*amey que fans fonger au langage fi con-
traire qu'on leur cenoit ci-devaiic , ils ont i
leur tour répété : c^ftun impie » unfiéUrat ,
i^efl VAmecknft , il faut Vexcommunîtr , le
brûler* On leur a charitablement répondu :
fans doute i mais criei & laijfei-nous- faire i
tout ira bien»
La marche ordinaire de Meflieurs les gen»
d'Eglife me paroSt admirable pour aller à leur
but. Après avoir établi en principe leur corn*
pétence fur tout fcandale, ils excitent le
Icandale fur tel objet qu*il leur plaît , ic
puis , en vertu de ce fcandale qui eft leur
ouvrage , ils s'emparent de TalFaire pour la
|ûger. Voili de quoi fe rendre maîtres de
tous les peuples , de toutes les loix , de tous
les Kois , & de toute la terre , fans qu'on aie
le moindre mot â leur dire. Vous rappeliez-
f Ottt le conte de ce Chirurgien dont la boutt;
34 Lettre
que doimoic fur deux rues , & qui » Tenant
par une porte » eftropioic les pafTans , puis
lentroic fubcilemeHC » & t pour les panfer ,
reflbrtoic par l'autre ? Voilà Tbiftoire de tous
les Clergés du monde » excepté que le Chirur-
gien guériCoit au moins Tes bleifét , & que ces
Meilleurs , en traitant les leurs , les achèvent*
N'entrons point , Monsieur , dans les in-
trigues fecreces qu'il ne faut pas mettre axt
grand jour. Mais fi M. de M. n'eût voulit
qu'exécuter Tordre de la ClaiTe , ou faire
l'acquit de fa confcience , pourquoi l'achar»
nement qu'il a mis à cette a£Faire ? pourquoi
ce tumulte excité dans le pafs ? pourquoi
ces prédications violentes ? pourquoi cet
conciliabules ? pourquoi tant de fots bruits
répandus pour tâcher de m'efFrayer par
les cris de la populace ? Tout cela n'eft«
îl pas notoire au public ? M. de M. le
nie } & pourquoi non , puifqu'il a bien nié
d'avoir prétendu deux voix dans le Confif-*
toire. Moi , j'en vois trois , (i je ne me
uorape. D'abord celle de fon Diacre , qui
n'étoir U que comme Ton repréfentanc s la
fienne enfuite qui formoit l'égalité ; 6c cella
A M. D. 3^5
Infin qu'il rouloit avoir pour départager
Jes fuffrages. Trois Toix i lui feul , c'eâc
été beaucoup » même pour abfoudre ; il let
Touloic pour condamner , .& ne put les ob-
tenir , où écoit le mal ? M. de M. étoit trop
bcmeuz que Ton Confiftoire plus fage que
lai Teûc^iré d'aflfaire avec la ClaHe» avec
fes confrères , avec fes correfpondans , avec
lui-même. J*ai ùât mon devoir , auroit-il
dit i j'ai vivement poorfuivi la cboTe : mon
Confilloire n*a pat jugé comme moi s il t
abfous Rousseau centre mon avis. Ce n'efl
pas ma fuites je me retire s (^ n'en puis faire
davantage fans blelTec les loix , fans dêfobéir
an Prince , fans troubler le repos public :
}« ûûi trop bon chrétien , trop bon citoyen ,
trop bon paileur pour tien tenter de fem*
biable. Après avoir échoué , il pouvoit en«
core , avec on peu d'adredè « conferver fa
dignité , 6c recouvrer fa réputation. Mais
l'amour-propre irrité n'éft pas fi fage. On
pardonne encore moins aux antres le mal
qu'on leur a voulu faire que ceid qn'on leur
a fait en efièt. Furieux de voir manquer i'
la face de l'Europe ce grand crédit dont il
«ne à Ce ranteTy il ne peut quitter la partie.
L-
^r^
L E T T IL E
il die en Claffe qu'il n'ed pas fans efpoir de
la renouer y il le tente dans un autre Con-
iîftoire : mais , pour fe montrer moins à
découvert , il ne la propofe pas lui - même »
il la fait propofer par Ton Maréchal , par
cet inAniment de fes menées , qu'il appelé
à témoin qu'il n'en a pas fait. Cela n*ét6îc«
il pas Hnement trouvé l Ce n'efl pas que
M« de M. ne foie fin i mais un homme que
la colère aveugle ne fait plus que des roco(efl
quand il fe livre à fa paâion.
Cette relTource Uii manque encore. Veut
croiriez qu'aumoins alors Cfis efforts s'arrê*
tenc U. Point du tout. Dans .ralTerablée
fui vante de la ClaiTe , il propofe un autre
expédient y fondé fur rimpollibilité d'éluder
l'adivité de l'Officier du Prince dans £a Pa*
roilTe. C'efl d'attendre que j'aie pafTé dans
une autre , & U de recommencer les pour-
fuites ûxr nouveaux frais. £n conii^quence de
ce bel expédient , les Sermons emportés re-
commencent i on met derechef le peuple en
rumeur , comptant , â force de défagrément ,
meJorcer enfin de quitter la paroîdc. £a
ToiU uop> CA vérité , pour. un homme aulfi
loléranc
A M. D. î7
tolérant que M. de M. prétend l'être , & qui
ti*agic que par Tordre de Ton Corps.
*
Ma lettre s'allonge beaucoup , Monfîeur ,
-mais il le faut ; & pourquoi la couperois-je ?
Seroic-ce l'abréger que d'en multiplier les
formules ? LaifTons à. M, de M. le plaiGr de
-dire cilx fois de fuite : Dina-^arde mafeeur «
7e n'ai point entamé la queftion de droit ;
}e me fuis interdit cette matière. Je me fuis
borné dans la féconde partie de cette lettre â
vous prouver que M. de M. » malgré le ton
béat qu'il affe&c , n'a point été conduit dans
cettfc a^Faire par le zèle de la foi , ni par foa
deroir , mais qu'il a , félon l'ufage » fait
fervir Dieu d'inftrument à fes pafltons. Oi
|ugsz fi, pour de telles fins» on emploie
. des moyens qui foient honnêtes , &c difpen-
fez-moi d'entrer dans des détails qui feroienc
gémir la venu»
Dans la première partie de ma lettre , je
rapporte des faits oppofés à ceux qu'avance
14. de M* Il avoit eu l'art de fe ménager dec
Tome ir. D
3«
Lettre
indices auxquels je n*ai pu répondre qa#
par le récit fidèle de ce qui s*e(l pade. D«
ces alTercions contraires de fa part & de la
mienne , vous conclurez que Tun des deux
cil un menteur , & favoue que cette con*
dufion me paroît jufte.
En voulant finir ma lettre 8c pofer fa bro«
chure , je la feuilleté encore. Les obfervar
tions Te préfentent fans nombre, & il ne
faut pas toujours recommencer. Cependant
comment paflèr ce que j*ai dans cet inftant
fous les yeux ? Que feront noi Miniftres , fe
difoit - on publiquement ? Défendront - ih
t Evangile attaqué fi ouvertement par fes en^
nemts ? C*eft donc moi qui fuis l'ennemi de
TEvangile , parce que je m'indigne qu'on le
défigure & qu*on TaviliiTe. £h I que Tes pré-
tendus défenfeurs n*imitent-ils Tufage que
j'en voudrois faire ! Que n'en preanent-ils
ce qui les rendroit bous & juAes ! Que
n'en laifTent ? ils ce qui ne fert de rien à
perfonne , & qu'ils n'entendent pas plus
que moi !
t
Si un Citoyen de ce pays avoii ofi dire ou
A M. D. )9
Crr£r« quelque chofi d'approchant à ce fu* avance
M, R, ne fiviroît - on pas contre lui ? Non
AflurémcAf , j'ofe le croire pour l'honneuf
de cet Etat. Peuple de Neufchâcel , quelles
feroienc donc vos franchifes , G. , pour quel-
que point qui fourniroit madère de chicane
aux Miniftres , ils pouvoiom pourfuivre au
milieu de vous l'Auteur d'un faâum impri-
mé à l'autre bout de l'Europe , pour fa dé-
fènfe en pays étranger ? M. de M. m'a choifi
pour vous impofer en moi ce nouveau |oug \
mais ferois-je digue d'avoir été reçu ^armi
Vous j (i )'/ lai^ois par mon exemple une rec-
titude que je n'y ai point trouvée ï
M. Rouffeau , nouveau Citoyen y a^t'il
donc plus de privilèges que tous les anciens
Citoyens ? Je ne réclame pas même ici leg
Hun i je ne réclame que ceux que j'avoit
étant liomme t & comme (impie étranger*
Le correfpondant que M. de M. Sait parler ^
ce merveilleux correfpondaoc qu'il ne nomme
point » & qui lui domie tant de louanges ,
eft un {iogulier raifonneut , ce me femble.
Je veux avoir , félon lui , plus de privilèges
^«e tous les Citoyens , parce que je léiiiib
40 Lettre
â des vexations qae n'endura jamais aucuft
Citoyen. Pour m*ôter le droic de défendre
ma hourfe contre un voleur qui voudroic
me la prendre , il n*auroit donc qu*à me
dire : Vous êtes pUifant de ne vouloir pas
que je vous vole ! Je volerois bien un homm^
du pays s'il paffbit au Ueu de vous.
Remarquez qu'ici M. le Profefiêur de
Moncmollin ed le feul Souverain , le Def-
pote qui me condamDe , & que la loi , le
ConHQoire , le Magifbac, le Gouvernement ,
le Gouverneur , le Roi même qui me protè-
gent font Autant de rebelles â l'autorité fii-
prême de M. le Profeffcur de Montmollin.
L'Anonyme demande fi je ne mû fuis pop
fournis 3 comme Citoyen » aux loix. de VEtat
& aux ufages ; & dç Taffirmative qu'aiTuré-
menc on ne lui contcftera pas , il conclut qu«
je me fuis fournis à une loi qui n'exifte point
& i un ufage qui n'eut jamais lieu.
. M. de M. dit à cela que cette loi exifte à
Genève , & que fe nie fuis plaint moi-même
(qu*on l'a violée à nion' préjudice. Aiaii dcNif
A M. D. 41
ÎSL toi tjat exifte à Geneye & qui n'eii/le pas
à, Motiert , on la viole â Genève pour me
décréter , & on la fuit i Motiers pour m'ex«
communier. Convenez que me voilà dans
une agréable poficfon l C'étoit fans doute
dans un de Ces momens de gaîcé que M. de M»
fie ce raifonnement - Id. .
Il plaiHinte à peu près fur fe m^me ton
dans une note fin- Toffre (i) que je voulut
Bien faire â la Claffe , à condition qu'on
me laifsât en repos (2). Il dit que c'eft fè
Haoqner, & qu'on ne fait pasâhifi la loi À fef
Supérieurs. -^
Premièrement, il fe moque lui-même^
quand il prétend qu'ofFrir une fatisfaâion
irès-ob(équieufe èc trêsràifonnable à gens
(1) Offre dont te fecret fut iî bien gardé que
perfonnc n'en fut rien que quand je le publiai *
8c qui fut fî malhonnêtement reçu qu'on ne
daigna pas y faire la itioindre réponfe. Il fallat
tnÀne que je fiffe redeftiandet à M. de M. ma
ttéclaiation qu'il s'était doucement appropriée.
{x) Voyez la lettre du 10 Mars précédent à
M. de MontmoUin,
Du)
41 L H T T R «
qui Ce plaîgncat , quoiqu'à tort , c'cû Icui*
ùâtc la loi»
Mais la pUifanterie eft d'avoir appelle
Me/fîears de la Claife mes fupérieurs ,
comme û j'étois homme d'Eglifc. Car qu^
ne fait que la ClafTe ayant jurifdiâiou fur le
Clergé feulement , & n'ayant au furplus rien
â commander â qui que ce foit. Tes membres
ne font , comme tels , les fupérieurs de pen^
ibnne ( i)? Or, de metraiter en homme d!E-
glife eft une plaifanterie fort déplacée! inoiL
avis. M. de M. fait très-bien que je ne fuis
point homme d'Eglifc , & que j'ai même y.
grâces au Ciel , très-peu de vocation pour le
devenir.
Encore quelques mots fur la lettre que j dé-
crivis au CondAoire , 6c j'ai fini. M. de M.
promet peu de commentaires fur cetce lettre»
'. ( I ) Il faudroit aoire que la tête tourne à M. de
M. fi l'on lui fuppofoit afiez d'arrogance pour
vouloir féiieufement donner à Medîeurs de la
Clafie quelque fupériorité fur les autres fujets du
Roi. Il n'y a pas cent ans qoc ces fupérieurs
prétendus ne fignoient qu'aptes' tous les autre»
Corpi.
A M. D. 4}
Je croîs qu'il fait très-bien , & qu'il eue mieux
fait encore de n'en point donner du tout.
Permettez que je pa/Te en revue ceux qui me
regardent 5 Tezamen ne fera pas long.
Comment répondre , dit- il , â des queflîons
qu^on ignore l Comme j'ai fait , en prouvant
d'arançe qu'on n'a point le droit de qucf-
âenner.
Une foi dont on ne doit compte qu^à Dieu
ne fe publie pas dans toute V Europe*
ir pourquoi une foi dont on ne doit compte
qu'à Dieu ne fe publicroit-clle pas dans toute
l'Europe?
Remarquez l'étrange prétention d'empê-
cher un homme de dire fon fcntiment quand
on lui en prête d'autres , de lui fermer la bou-
che & de le faire parler.
Celui qui erre en Chrétien redrejfe volontiers
fes erreurs, Plaifant fophifme .'
Celui qui erre en Chrétien ne fait pas
^tfil erre. S'il redre{roic fes erreurs fans les
conaoître , il n'erreroit pas moins , & de
44 Lettre
plus il mentiroit. Ce ne feroic plus errer clé
Chrétien.
£ft'Ce tUppuyer fur l'aotoritédetEvan*
glu que de rendre douteux letrmracles ? Oui p
quand c*eft par l'autorité même de TEvangile
qu'on rend douteux les miracles.
Et d'y jetter da, ridicule. Pourquoi non j^
quand s'appuyant iur l'Evangile on prouve
que ce ridicule n'eft que dans les tnurpréta^
dons des Théologiens ?
. Je fuis sûr que M. de M. fe félicitoit ici
beaucoup de Ton laconifme. Il efl toujours
ai(e de répondre à de bons raifonnemeus pat
des fentences ineptes.
Quata à la note de Théodore de Bh^e , //
n*a pas voulu dire autre chofefinon que la foi
du Chrétien n^ejlpas appuyée uniquement fat
les miracles.
«
Prenez garde , Monsieur le Profei!eur ; ou
TOUS n'entendez pas le latin ^ ou vous êtes m»
homme de mauvaife foi.
Ce pafTage non fatU tnta fides êorrnn foi
miracuUs aituntar , ne (igoifie point du coiic f
A M. D. 45
eomme tous le ^t^ttnàcz , que la foi du
Chrétien tCefl pas appuyée uniquement fur U$
mirojcles.
Au contraire , il fîgnifie très - exaâemenc
que la foi de quiconque s'appuie fur les mira-
€let eji peu folide. Ce fcns fe rapporte fort
bien au palfage de faim Jean qu*U commente,
8c qui dit de Jéfus que pluiîeurs crureut en
lai , voyant Tes miracles , mais qu'il ne leur
conçoit point pour cela fa perfonne , parcû
qu*il les eonnoijfoit bien, Penfez-vous qu'il
auroit aujourd'hui plus de confiance en
ceux qui font tant do bniit de la même
foi?
Ne croîroît-on pas entendre M, Rouffeau,
dire dans fa lettre à V Archevêque de Paris y
qiCon devrait lui drejfer des ftatuespoitr (on
Emile ? Notez que cela fe dit au moment
où. , prede par la comparaifon d^Emilc Se des
Lettres de la Montagne , M. de M. ne fait
comment s'^chapcr. Il ïc tire d'affaire par
use gambade.
S'il fiilloit fuîvre pied â pied Ces écarts , s'il
£âlIoit examiner le poids de (^ affirmations ,
$c analyfer les iinguliers raifoonemens dont
46 Lettre, &c.
il nous paie , on ne finirait pas « & il fane
finir. Au bouc de tout cela f fier de s'être
nommé il s*en vante. Je ne vois pas trop 14
de quoi fe vanter* Quand une fois on a pris
Ton parti fur certaines chofes , on a peu de
mérite à fe nommer.
Pour vous , Monfieur , qui gardiez par
ménagement pour lui l'anonyme qu'il vous
feproche , nommer-vons puifqu'il le veut»
Acceptez des honnêtes gens l'éloge qui vous
eft dû : montrez-leur le digne Avocat de hà
caufe julle , Thillorien de la vérité , l'apolo*
gifte des droits de l'opprimé , de ceux da
Prince , de l'Etat & des peuples » tous ac«
qués par lui dans ma perfonne : mes défen-
feurs, mes proteâeurs font connus : qu'il
montre â Ton tour fon anonyme & Tes
partifans *dans cette affaire : il en a déjà
nommé deux , qu'il achevé. Il m'a fait bien
du mal , il vouloit m'en faire bien davan-
tage i que tout le monde connoiffe Tes
amis & les miens. Je oe veux point d'autrç
Tengeance.
Recevez , Monfieur , mei tendres falii*
tacions*
LETTRE
A M. D.
Jdf njlt de St, Pierre , « 17 0^. 17^ Ji
On me chalTc d*ici ( i ), mon cher
Hôce 'y le climat de Berlin cft trop tude pour
moi. Je me détermine à pafTer en. Angle«
terre , où i*auroii dâ d'abord aller. J'aurois
grand beloin de tenir coiifeil avec vous ,
mais je ne puis aller â NeuFchâtel ; voyez û
vous pourriez par charité vous dérober i vos
affaires pour faire un cour jufqu'ici. Je vous
embrade.
(i) l'Ifle de St. Pierre, au milieu du lac de
Kenne , oà M. Roufleau s'étoi réfugia après la
lapidation de Métiers. On peu voit la defcrip-
tion de cette Ifle dans les J(évprtes dn Promtutwr
Solitaire , cinquième Promenade.
LETTRE
A MONSIEUR
DE GRAFFENRIED,
BAILLIF A NIDAU.
ji l'IJle de St. Pierre , U 17 05. 17^5*
Mo NS I E UR,
J 'obéirai â Tordre de LL. EE. avec le re-
grec de fonir de votre Gouvernement & de
votre voifinâge, mais avec la confolation
d*emporter votre eftime & celle des honnêtes
gens. Nous entrons dans une faifon dure ,
fur- tout pour un pauvre inHrme ; je ne fuis
point préparé pour un long voyage , & met
afifaires demanderoient quelques préparations j
j*aurois fouhaité , Moudeur , qu*il vous eue
plu de me marquer û Ton m'ordonnoit de
partir fur-le-champ , ou (I l'on vouloir bien
m*accorder quelques femaines pour prendre
les arrangemens néceffaires i ma fituation.
En attendant qu*il vous plaife de lueprefcrire
uu terme , que je m*e£forcerai même d'a-
bréger
L B T T R E , &C. 49
W%cr , je fupporerai qu*il m'eft permis de
fSjourner ici {ufqu'à ce que j'aie mis l'ordre
le plus preffanc à mes affaires i ce qui me
rend ce retard prefque in^tirpenfable , eil que
fur des indices que je croyois (urs , je me
fuis arrangé pour padêr ici le refte de ma
Tie, avec l'agrément ucite du Souverain.
Je voudrois être Sur que ma viiîte ne vous
déplairoit pas } quelque précieux que me
foient les momens en cette occafîon ;- j'en
déroberai de bien agréables pour aller vous
renouveller , Monûeur, les aifurances de
jaoo refpeâ.
Tome /r.
î. E T T R E
A U M Ê M E.
A Vljlc de St. Pierre , le lo 03. i?^^^
Monsieur ,
L«£ crifte état où je me trouve , & la Con-''
fiance que |'ai dans vos bontés , me dé-
terminent à vous fupplier de vouloir bien faire
agréer à Leurs Excellences une propoficion
^ui tend à me délivrer une fois pour toutes ,
des tourmens d*une vie orageufe , & qui va
mieux , ce me femble , au bue de ceux qui me
pourfuivent , que ne fera mon éloignement.
J'ai confulté ma Hcuation , mon âge , moxi
humeur , mes forces : rien de tout cela ne
Bie permet d'entreprendre en ce moment ,
& fans préparation , de longs & pénibles
voyages y d'aller errant dans des pays froids
& de me fatiguer à chercher au loin un
afyle , dans une faifon où mes infirmités ne
me permettent pas même de fortir de la
chambre. Après ce qui s'efl paiTé je ne puis
me réfoudre à rentrer dans le territoire de
Ncufcbâccl p où la proteâioa du Piince
L B T T R E. &C. \t
)k du Gouvernenienc ne fauroic me ga-
rantir des fureurs d'une populace excitée
qui ne connoît aucun frein i & vous com-
prenez , Monfieur ^ qu'aucun des EtatI
voifîns ne voudra , ou n'ofera donner re«
traite à un maliieureux fi durement chafl'é
de celui-ci.
Dans cette extrémité je ne vols pour moi
qu'une feule relTources & quelque effrayante
-qu'elle paroifle , je la prendrai non-feulemenc
Tans répugnance , mais avec empre/Temenc ,
û Leurs Excellences veulent bien y confentif :
c*efl qu'il leur plaife que je pafTe en prifoQ
le reftc de mes jours , dans quelqu'un de
leurs châteaux, ou tel autre lieu de leurs
£uts qu'il leur femblera bon de clioifîr. J'y
vivrai i mes dépens , & je donnerai sûrccé
de n'être jamais â leur charge j je me fou-
jnett à n'avoir ni papier , ni plume , ni au-
cune communication an-dehors, fî ce n'eft
pour rabfolue néceûîté , & par le canal de
ceux qui feront charges de moi i feulement
qu'on me laide avec l'ufage de quelques
livres , la liberté de me promener quelque-
fois dans un jardin > & je fuis content*
E ij
"Jl L I T T R E
Ne croyez point , Monfieur , qu'un êxp€«
éîem û violent en apparence, foit le fraie
du dérefpoir j |*ai refprit très-calme en ce
moment \ |e me fuis donné le tems d*y
bien penfer, 6c c*eft d'aprèi la profonde
confidération de mon état que fe m*/ déter-
mine. Coafîdérez , je vous fupplie , que G,
ce parti eft extraordinaire , ma (ituation
l'eft encore plus ; mes malheurs font fans
exemple ; la vie orageufe que je mené fans
Telâche , depuis plufieurs années , feroit terri-
ble pour un homme en fanté; jugez ce
qu'elle doit être pour un pauvre infirme ,
épuifé de maux & d'ennuis , & qui n'afpire
qu'à mourir en paix. Toutes les paffions
font éteintes dans mon cceur j il n'y refte
que l'ardent defir du repos & de la retraite s
)c les trouverois dans l'habitation que je
-demande. Délivré des importuns , â couvert
de nouvelles cataftrophe$ , j'aitendrois tran-
quillement la dernière , & n'étant plus inf«
truit de ce qui fe pailè dans le monde , je
ne ferois plus attrifté de rien. Taime la
liberté (ans doute , mats la mienne n'eft
'point au pouvoir des hommes, 6c ce ne
Icront ni des mua ni des cleft qui mo
A M. DE GraffeUried. 5)
T'oteront. Cette captivité » Monfîeur , me
- paroîc fi peu terrible » je feus fi bien qi|e
je iouirois de tout le bonheur que |e puis
encore efpérer dans cette vie , que c'cft par
: li même que, quoiqu'elle doive délivrer
nés ennemis de toute inquiétude à mon
^ard y je n'ofe efpérer de l'obtenir i mais
je ne veux rien avoir i me reprocher vis-
i-vis de moi , non plus que vis-à-vis d'au-
trui. Je veux pouvoir me rendre le témoi«
gnage que j'ai tenté tous les moyens pra-
ticables & honnêtes qui pouvoient m'afTurer
je repos , & prévenir les nouveaux oragei
qu'on me force d'aller chercher*
Te connois » Moniteur , les fentiment
d'humanité dont votre ame généreufe efl
remplies je fens tout ce qu'une grâce de
cette] efpece peut vous coûter à demander }
msûs quand vous aurez compris que , vu
ma fituation , cette grâce en feroit en effet
une tr^-grande pour moi , ces mêmes feu*
timens qui font votre répugnance , me fonc
^rans que vous faurez la furmonter. J'at-
tends pour prendre définitivement mou parti^
«« * * •
Etii
54 Lbttrh, &c.
^*il VOUS plaife de m^bonoier de quélc^iie
téponfe. ,
Daignez y M onfîeur , }e toos fupplie ^
•gréei mes excuTes & iqda rerpeâ*
LETTRE
' AU MÊME.
tz OBobre 176^*
Je puis I Moniieur , quitter famedi prcv
Tchain Tlflc de St. Pierre , 6c )e me confor-
merai eo cela â Tordre de LL. ££. s mais
•wn réceodue de leurs Etats & ma trifte fitua-
.tion » il m'eft abfolument impoifîble de
fortir le même jour de Teoceinte de leur
territoire, ^obéirai en tout ce qui me fera
poiCble ; G. LL. ££. me veulent punir de
ne l'avoir pas fait , Elles peuvent difpofer
à leur gré de ma perfonne & de > ma vie ^
j'ai appris à m'atiendre â tout de .la part
des hommes s ils ne prendront pas moA
ame au dépourvu.
Recevez , homme jufte Ôc généreux , Ie$
a^urances de ma refpeâueufe reconnoifTance ,
Se d'uB fouvenir qui ne fortira jamais de
mon cGCur.
LETTRE
AU M $ M E.
Bîennc yU i$ OSohrg ly^y*
J £ reçois , Mon/leur , avec reconnoiffance
les nouvelles marques de vos ittencions de
de vos bontés pour moi > iiàais )e n'en pro*
tirerai pas pour le préfent : le^ prévenancst
& follicitanons de Meffieurs deBienneme
<iécerminent i pailèr cjaelque tems avec eux ,
6c ce qui me flaue , à. votre voifinage;
Agréez , Monsieur , je vous fupplie , mes
remerciemens > mas faluacioiis & mon reO
pca.
LETTRE
A M. D.
Bkmu ^ £e 17 OSoire 17^; •
J *As cidé , mon cher Hôce , aux carcfTes ,
& aux foIUcitacioDs i |e refie à Sienne ,
féfolu d'f paflcr l'hiver s & j'ai Ueu de
croire que je l'y paflêraî tranqaiilement. Cela
fera quelque changement dans nos arrange-
ment , & mes effets pouvant me venir join-
dre avec Mlle, le Valeur , je pourrai pen*
dant l'hiver faire moi-même le catalogue
de mes livres. Ce qui me flatte dans tout
ceci y eft que je refle votre voifin , avec
refpoir de vous voir quelquefois dans vos
momens de loifîr. l>onnez»moi de vos non-
relies & de celles de nos amis. Je vous
cmbraiTe de tout mon caur*
LETTRE
AU MÊME.
BUnne » lundi ii OHobre 176^ m
v>N m'a trompé , mon cher Hôte. Je pars
demain matin avant qu'on me chade. Don-
nez-moi de vos nouvelles à Bade. Je vous
recommande ma pauvre gouvernante. Je ne
puis écrire à perfonne , quelque defir quer
j'en aie. Je n'ai pas même le tems de rerpi<*
ter , ni U force. Je vous embralTc*
LETTRE
' A M. D. L. C.
S.L faut , Monfieur » que vous ayez une
grande opinion de votre éloquence , & une
bien petite du difcernement de l'homme
donc vous vous dites emhoufiafle , pour
croire rinrérefTer en votre faveur, par le
petit Roman fcandaleux qui remplit la moitié
de la lettre que vous m*avez écrite , & par
rbiftoriette qui le fuit. Ce que )*âpprends
de plus sûr dans cette lettre , c*cA que vous
êtes bien jeune » & que vous me croyez
bien jeune aufli.
•
Vous voilà , Monfîeur , avec vcJtre Zélîe
comme ces Saints de votre f glife , qui ,
diC'On , couchoient dévotement avec des
filles , Se atcifoienc tous les feux des ten-
tations y pour fe mortifier , en combattant
le defir de les éteindre. J'ignore ce que vous
prétendez par les deuils indécens que vous
m'ofez faire i mais il eA difficile de les lire ,
fans vous croire un menuuryOu un impui^Tan^
€0 L 'K T T R B
L'amour peut épurer les fens , }e le fais ;
il efl cent fois plus facile â un véritable
amant d'être &ge , qu'à un autre homme s
Tamour qui refpeÛe Ton objet , en chérit la
pureté i c'eA une pctfcâion de plus qu*il j
trouve , Se qu*il craint de luiôcer. L'amour*
propre dédommage un amant des privations
qu^il s'impofe , en lui montrant Tobjet qu'il
convoite , plus digne des feiitimens qu'il a
pour lui. Mais û U maîtrede, une fbit
livrée â fes carefTes , a déjà perdu toute
modeftie; û Ton corps eft en proie à fes
attouchemens lafcifs ; û fon cœur brûle de
tous les feux qu'ils y portent } fi fa volonté
même déjà corrompue la livre â fa difcré-
tion, j;; voudrois bien favoir ce qui lui
rcfle à refpeâer en elle»
Suppofons qu'après avoir ainfi fouillé Ift
perfonne de votre maîtrefle , vous ayez ob-
tenu fur vous-même l'étrange viâoire donc
vous vous vantez , & que vous en ayez le
mérite , l'avez -vous obtenue fur elle , fur
fes dcÉÎrs , fur fes fens même ? Vous vous
Tantez de l'avoir fait pâmer entre vos bran
Vous vous êtes donc ménagé le fot plaifir de
la
A M. D. L. C. 6i
lii voir pâmer feule. £c c*écoic-tâ l'épargner
iblon vous ? Don , c'étoic Tavilir. Elle efl
plus méprifable que û vous en eufliez joui.
Voudriez-vous d'une femme qui feroic/orcie
ainfî (les mains d'un autre ? Vous appelez
pourtant tout cela des facrifices i la vertu.
Il faut que vous ayez d'étranges idées de
«îette vertu dont vous me parlez , & qui ne
TOUS laifTe pas même le moindre fcrupule
d'avoir deshonoré la fille d'un homme donc
vous mangiez le pain. Vous n'adoptez pat
les maximes de l'Héloife : vous vous piquez
de les braver. Il eft faux , félon vous , qu'on
ne doit rien accorder aux fens j quand on
veut leur refufer quelque chofe. En accor-
dant aux vôtres tout ce qui peut vous rendre
coupable , vous ne leur refufîez que ce qui
^ouvoit vous excufer. Votre exemple , fup-
po(e vrai , ne fait point contre la maxime %
il la confirme.
Ce joli conte efl fuivi d'un autre plus vrai-
fcmblable , mais que le premier me rend
bien fufpcd. Vous voulez , avec l'art de
votre âge , émouvoir mon amour-propre ,
Zc me forcer , au moins par bienG!ancc , à
Tome ir. «
Ct Lettre
m^intéreiTer pour vouf. Voilà , Monficiir y
de cous les pièges qu'on peut me cendre ,
celui dans lequel on me prend le moins ^
fur-touc quand on le tend au(Tî peu fine-
mène. Il y auroic de l'humeur â vous blâmer
de la manière donc vous dites avoir foutenu
ma caufe , & même une forte d'ingratitude
à ne vous en pas favoir gré. Cependant,
Monsieur, mon livre ayant été condamné
par votre Parlement , vous ne pouviez met-
tre trop de modeftie & de 'îircoufpeâion â
le défendre , & vous ne devez pas me faire
une obligation perfonnelle envers vous ^
d'une juftice que vous avez dû rendre à U
vérité , ou â ce qui vous a paru l'être. Si
l'érois sûr que les chofcs fe fuiTent padeet
comme vous me le marquez , je croirots
devoir vous dédommager , fi je pouvois ,
d'un préjudice dont je ferois en quelque
manière la caufe. Mais cela ne m'engage-
roit pas â vous recommander fans vous con-
noître , préférablement i beaucoup de gens
de mérite que je connois , fans pouvoir
les fervir j & je me garderois de vous pro«
curer des Elevés , fur-tout s'ils avoient de»
fceurs , fans autre garant de leur bonne édu-
A M. D. L. C. Cj
cation 9 que ce que vous m'avez apprit de
vous , & la pièce de vers que vous m*avez
envoyée. Le libraire â qui vous Tavez prc-
fentée a su tort de vous répondre au(fi bru«
talemeoc qu'il Ta fait j & l'ouvrage , du
côcé de la compoficion , n'eft pas aufli mau-
Tais qu'il l'a paru croire. Les vers font
faits avec beaucoup de facilité ; il y en a
de très-bons parmi d'autres foibles fie peu
correâs. Du refle il y règne plutôt un ton
de déclamation , qu'une certaine cJialeur
d'ame. Zamon fe tue en aâeur de tragédie :
cette mort ne perfuade ni ne touche s tout
les fentimens font tirés de la nouvelle Hé«
loiTe > on en trouve à peine un qui vous
appartienne » ce qui n'eft pas un grand (tgne
de la chaleur de votre ctrur , ni de la
vérité de l'hiftoire. D'ailleurs fî le libraire
dtvoit tort dans un Cens , il avoir bien ral«
Ibn dans un autre , auquel vraifemblable-
snenr il ne Tongeoit pas. Comment un
homme qui fe pique de vertu peut - il
vouloir publier une pièce d'où réfulte la
plus pernicieufe morale, une pièce pleine
d'images licencieufes que rien n'épure , una
pièce qui tend à perfuader que les ptivau*.
^4 L H T T R Ê , &C.
tés des amans font fans conré(|uencc , $t
qu'on peut toujours s'arrêter od Ton veut |
maxime aufli faufTe que dangereufe , Se
propre â détruire toute pudeur , toute hon*
nêteté , toute retenue entre les deux fexes.
Monfieur , û vous n'êtes pas un homme fane
'mœurs » fans principes , vous ne ferez ja-
mais imprimer vos vers , quoique palTables^
fans un corrcélif fuffifant pour en cmpê-!
cher le mauvais efifet.
Vous avez des talens « fans doute , maïs
vous n'en faites pas un u(age qui i porte à
les encourager. Puifliez - vous , Monfieur »
en faire un meilleur dans la fuite , & q<ii
ne vous attire ni regrets â vous-même , ni
le blâme des honnêtes gens. Je vous falu»
àc tout mon cceur.
P. S» Si vous aviez un befoin preftanc des
deux louis que vous demandiez au Libraire ,
je pourrois en difpofer fans m'incommoder
beaucoup. Parlez-moi naturellement i ce no
feroit pas vous en faire un don , ce feroi(
feulement payer vos vers au prix que vout
^ aviez mis vous-mêmeA
LETTRE
A M.D.
Strasbourg 9 U $ Nciftmbrt lytff*
Je fuis arrivé , mon cher Hâte , i Stra^
bourg Tamedi » tout - à • fait hors (l*éut de
continuer ma route , unt par Teffet de mon
mal & de la fatigue , que par la fièvre & une
chaleur dVntrailles qui s'y font jointes. Il
m*eil aufli impo(Cbl< d'aller maintenant â
Potzdam qu'à la Chine , & je ne fais plut
trop ce que je vais devenir \ car probable-
ment on ne me laifTcra pas loog-tcros ici.
Quand on eft une fois au point où je fuis ,
on n'a plus de projets â faire s il ne refle qu'à
fe réfoudre â toutes chofes , & i plier la tête
fous le joug de la néceffité.
T'ai écrit à Mylord Maréchal \ je voudrott
attendre ici fa réponfe. SI l'on me chafle^
l'irai chercher de l'autre côté du Rhin quel-
que humanité, quelque hofpitaiité : fi je n'en
trouve plus nulle part » il faudra bien cher-
cher quelque moyen de s'en paUêr. Bonjour «
Tiij
^é Lettre, &c.
son plus mon hôte , ma» toujours mott
•mi. George Keich & vous , m*accachex
encore à la yie. De tels liens ne fc rompcnc
pas ^Cèmaxu Je vous cmbraiZc»
LETTRE
AU MÊME.
Strasbourg y^ le lo Novembre i7^f •
R ils suiLEz; -vous , mon cher Hôte, 8c
raiTucez nos amis fur les dangers auxquels
vous nie croyiez expofê. Je ne reçois ici
que des marques de -bienveillance , & tout
ce qui commande dans la ville Ôc dans la
province , paroîc s^accorder â me favorifer»
Sur ce que m'a die M. le Marécliai , que |^
vis hier , je dois me regarder comme auiG
en sûreté â Strasbourg qu*â Berlin. M. FiiC*
cher m*a fcrvi avec toute la chaleur & tout
le zèle d'un ami, & il a eu le plaifir de
trouver tout le monde auflî bien difpofé
qu'il pouvoir le defîrer. On me fait apperce-
Yoir bien agréablement que |e ne fuis plu»
en SuifTe.
Je n'ai que Te tems de vous marquer ce
jnot pouf vous rr%Turer fur mon compte.
Je TOUS embraCe de toix mon coeur «^
n
LETTRE
A MONSIEUR
DAVID HUME.
Strasbourg^ le 4 Décembre 176%.
Y o s bontés , Mon/ieur , me pénètrent
autant qu'elles m*honorent. La plus digne
réponfe que je puifTe faire â vos offres , efl
de les accepter , & je les accepte. Je partirai
dans cinq ou fix jours pour aller me jetter
entre vos bras. Ceft le confeil de Mylord
Maréchal , mon proteâeur , mon ami , mon
père 5 c*eft celui de Madame de *** , dont
la bienveillance éclairée me guide autant
qu'elle me confole s enfin , j'ofe dire que
c*eft celui de mon csur qui fe plaît à de-
Toir beaucoup au pliis illuftre de mes cou-*
temporains , dont la bonté furpallè la gloire.
Je foupire après une retraite folitaire te libre
où je putfTe finir mes jours en paix. Si vos
foins bienfaifans me la procurent , je jouirai
tout enfemble , & du feul bien que mon
caur dcfire , & du plaifir de le tenir de
vous. Je vous falue^ Monfieur^ de couc moa
cœur.
LETTRE
A M. D' I V E R N O I S.
Paris, le iS Décembre ly^y.
Avant hier foir , Monteur, j'arrivai ici
très - fatigaé , très - malade , ayant le plus
grand befoin de repos. Je n*y fuis point
incognito , 8c je n'ai pas befoin d*y être.
7e ne me fuis jamais caché , fie je ne veux
pas commencer. Comme j^ai pris mon parti
fur les injudices des hommes , je la mets
«u pis fur toutes chofès , & je m'attends à
tout de leur parc , même quelquefois à ce
qui efl bien. J'ai écrit en effet la lettre à
M. le Baillif de Nidau ; mais la copie que
vous m'avez envoyée , eft pfeine de contrs-
fens ridicules & de fautes épouvantables. On
voit de quelle boutique elle vient. Ce .n*eft
pas la première fabrication de cette efpece ,
& vous pouvez croire que des gens G. fiers
de leurs iniquités , ne font gueres honteux
de leurs fal/iHcacions. Il court ici des copies
plus fidelles de cette lettre , qui viennent de
Bîrne , & qui font affez d*cfFet. M. le Dau-
phin lui- même , à qui on l'a lue dans foa
fo Lettre, Sec.
lit de mort, en a paru touché, 2e dit 11-
de/Tus des chofes qui feroient bien rougîr
mes perfécuceurs s*ils les favoient , 8c qu'ils
fuilèut gens i rougir de quelque choie.
Vous pouvei m'écrîre ouvertement chez
Xfad. Duchefne où je fuis toujours. Cepen-
dant j*appren({s à l'inftant que M. le Prince
êe Conci a eu la bonté de me faire préparer
un logement au Temple , & qu*il defire que
)e Paille occuper. Je ne pourrai gueres me
difpenfer d'accepter cet honneur i mais mal-
gré mon délogement, vos lettres fous U
nêmeadieiTe me parviendront également^
LETTRE
AU MÊME.
Paris ^ /e 30 Décembre lytff.
Je reçois, mon bon ami, votre lettre du ij»
Je fuis très-fâché que tous n'ayez pas été voie
M. de Voltaire. Avez-vous ^u penfer quo
cette démarche me feroit de la peine \ Que
vous connoiflez mal mon cceuri Eh , plût â
Dieu qu'une heureufe réconciliation cntro
TOUS , opérée par les foins de cet homme iU
luilre , me faifaiit oublier tous fes torts ,
me livrât fans mélangea mon admiration
pour lui ! Dans les tems où il m'a le plus
cruellement traité , j'ai toujours eu beaucoup
moins d'averHon pour lui que d'amour pouc
mon pays. Quel que foit l'homme qui vous
rendra la paix & la liberté , il me fera tou-
jours chçr 8c refpeâabte. Si c'eft Voltaire p
il pourra du relie me faire tout le mal qu'il
voudra 'i mes voeux conftans jufqu'â mon
dernier foupir , feront pour fon bonheur dç
pour fa gloire.
Laitfez' menacer les J . . . ; re/ ficrt api ne
tue pas* Votre fort eft prefque entre les
72 Lettre, &c.
mains de M. de Voltaire *, s*il eft pour vous»
les J . . . • vous feront fort peu de mal. Je
TOUS confeille & vous exhorte , après que vous
l'aurez fufïîfamment fondé, de lui donner
votre confiance. Il n*eft pas croyable que »
pouvant être Tatlmiration de TUnivers, il
veuille en devenir l'horreur. Il fent trop
bien l'avantage de fa pofition pour ne pas
la mettre à profit fur fa gloire. Je ne puis
penfer qu'il veuille , en vous trahidant , fe
couvrir d'infamie. £n un mot , il efl votre
unique refTource j ne vous Tôtez pas. S'il
TOUS trahit , vous êtes perdus , je l'avoue ^
mais vous l'êtes également s'il ne fe mêle pas
de vous. Livrez- vous donc i lui rondemenc
& franchement , gagnez fon caur par cette
confiance. Prêtez- vous â tout accommode*
ment raifonnable. Aflurez les loix & la Ii«
berté j mais facrifiez l'amour>propre â la paix.
Sur-tout aucune mention de moi , pour ne
|>as aigrir ceux qui me haïfTcnt j & fi M. de
Voltaire vous fert comme il le doit , s'il ea«
tend fa gloire , comblez le ^'honneurs , 8c
confierez â Apollon pacificateur » Phœbo
facdtori , U médaille que vous m'aviez deC
tinéc.
LETTRB
J
LETTRE
AU MÊME.
Chiswick ,Ui9 Janvier iy6€, \
J £ fais arrivé heureuremenc dans ce pays i
}'y ai été accueilli , & fen fuis très- content:
mais ma fanté , mon humeur , mon état de-*
mandent 4ue je m'éloigne de Londres \ &-
pour ne plus entendre parler , s'il efl poflible ,
de mes malheurs « )e vais dans peu me coa«
finer dans le pays de Galles. Puiflài - je y
mourir en paix i c'cfl le feul vœu qui me
te&e i faire. Je vous embradê cendremenu
Tomêiy^
LETTRE
A M. HUME.
Wootton I /< 11 Mars 176 (T.
o u s voyez déjà , mon cher Fatron ,
par U date de ma lettre , que je fuis arrive
•u lieu de ma deftination. Mais vous ne pou«
vçz voir cous les charmes que \*y trouve s il
faudroit connoître le lieu & lire dans mon
caur. Vous y devez lire au moins les fenci-
mens qui vous regardent £c que vous avez 6
bien mérités. Si je sit dans cet agréable afyle
auflî heureux que je Tefpere , une àt% doi(-
ceurs de ma vie fera de penfer que je vous
les ^U* Faire un homme heureux c'eft mé-
riter de récre. PuiHiez-vous trouver en vous-
même le prix de tout ce que vous avez fait
pour moi! Seul, j*aurois pu trouver de Thof-
pitalité , peut-être \ mais je ne Taurois jamais
auflî bien goûtée qu*eu la tenant de votre
amitié* Confervez-la moi toujours , mon
cher Patron, aimez< moi pour moi qui vous
dois tant ; pour vous-même } aimez-moi
pour le bien que vous m'avez fait. Je feos
coût le prix de votre iinccre amitié , je la
^ ^ Lî T T R E j^ &C. 7 5
defire ardemment , j*y tcux répondre par
toute la mienne , & je fens dans mon coeur
de quoi vous convancre uu jour qu'elle n'efl
pas non plus fans quelque prix. Comme ,
pour des raifons dont nous avons parlé y je
ne veux rien recevoir par la pode , je vous
prie , lorfque vous ferez U bonne ceuvre de
m'écrire , de remettre votre lettre à M. Da*
Tenport. L'affaire de ma voiture n*eA pas ar*"
rangée , parce que je fais qu'on m'en a im-
posé : c'eft une petite faute qui peut n'écre
^ue l'ouvrage d'une vanité obligeante , quand
elle ne revient pas deux fois. Si vous y avez
trempé , je vous confeille de quitter une
fois pour toutes ces petites rufes qui ne peu-
rent avoir un bon principe quand elles fe
tournent en pièges contre la (implicite. Je
vous embrafTe , mon cher Patron , avec le
même cœur que f efpere & defire trouver eu
vous.
«Si
LETTRE
AU MÊME.
JTêOttoH, le 2^ Mars 176^.
o u s arez vu , mon cher Patron , par
la lettre que M. Davenport a dû vous remet-
tre , combien |e me trouve id placé feloa
mon guûu J'y ferois peut • ètte plus â mon
aife (î l'on y avoit pour moi moins d'atten-
tions } mais les foins d*un fi galant homme
font trop obligeans pour s'en fâcher } êc ^
comme tout e(l mêlé d'inconvéniens dans U
vie , celui d'être trop bien efl un de ceux qui
fe tolèrent le plus aifèmenc. J'en trouve un
plus grand â ne pouvoir me faire bien cnten*
<lre dci domefliques , ni fur tout entendre un
mot de ce qu'ils me difent. Hcureufement
Mademoifelle le VaiTeur me fert d'interprète^
& fes doigts parlent mieux que ma langue.
Je trouve même i mon ignorance un avan-
tage qui pourra faire compenfation , c'eft
d'écarter les oififs en les ennuyant. J'ai eu
hier la viiitede M. leMhiiftre qui 9 voyant
que je ne lui parlois que français ^ n'a pa«
Lettre, &c." 77
toulu me parler angl ois, de forte que Ten-
trcvuc s'cft ptffée à-peu-près fans mot dire.
rai pris goût à rexpédient 5 je m*en fcrvirai
avec tous mes voifins , û j*en ai , & daff^jc
apprendre Tangtois , )e be leur parlerai que
François , fur- tout fî j*ai le bonHeur qu*i!3
n*en fâchent pas un mot. C*efl à- peu-près la
Tufe des fînges qui , difcnt les Nègres , ne
veulent pas parler quoiqu'ils le puilTent , de
peur qu'on ne les fafle travailler.
H n'cft point vrai du tout que je fois con-
renu avec M. GofTet dé recevoir im modetc
enpréfcnr. Au contraire, Je lui en deman-
dai le prix , qu'il me dit être d'une guinée
& demie , ajoutant qu'il m'en vouloit faire
la galanterie , ce que Je n'ai point accepté.
le vous prie donc de vouloir bien lui payer
le modèle en queftiou , dont M. Davenport
aura la bonté de vous rembourfer. S'il n'y
confent pas , il faut le lui rendre & le faire
acheter par une autre main. Il eft *deftiné
pour M. du Peyrou , qui depuis long- tems
deHre aroir mon portrait , & en a fait faire
un en miniature qui n'eft point du tout ref-
femblant. Vous êtes pourvu mieux que lui ,
G U)
7$ Lettri, &c*
xnais je fuis fâché que vous m'ayez oti par
une diligence aufli flatteufe le plaifir de rem-
plir le même devoir envers vous. Ayez la
Jioncé , mon cher Patron , de faire remettre
ce modèle à MM. Guinand & Hankey ,
iûtde-Su HeUen*s Bîshopfgate-Street , pour
l'envoyer à M. du Peyrou par la première
occafion fure. Il gelé ici depuis que 'fy fuis :
il a neigé tous les jours : le vent coupe le
rifage ; malgré cela , j'aimerols mieux ha-
biter le trou d'un des lapins de cette garenne
que le plus bel appartement de Londres»
Bonjour , mon cher Patron , je vous eoi<*
braife de tout mon coeur.
LETTRE
A MYLORD ♦**.
7 Avril 1766.
Oe n'eft plus démon chîen qu*il s'agit ,
Mylord , c*c(l de moi-même. Vous verrez
par la lettre ci-jointe pourquoi je fouhaite
qu'elle paroifTe dans les papiers publics » fur-
tout dans le St. James Chronicle , s*il eft
poffible. Cela ne fera pas aifé , félon mon
opinion , ceux qui m'entourent de leurs em-*
bûches ayant oté â mes vrais amis & â moi-
même tout moyen de faire entendre la voix
de la vérité. Cependant y il convient que le
public apprenne qu'il y a des traîtres fecrets
qui y fous le mafque d'une amitié perfide ,
travaillent fans relâche à me déshonorer.
Une fois averti , fi le public veut encore étie
trompé y qu'il le foit. Je n'aurai plus rien à
lui dire. J'ai cru » Mylord y qu'il ne feroic
pas au-deilbus de vous de m'accorder votre
aflîflance en cette occafion. A notre pre-
Biiere eacreyue » vous jugerez fi je la mérite ,
8o Lettre, &c.
& fi j*en ai befoin. En attendant , ne dé-
daignez pas ma confiance , on ne m*a pas
appris à la prodiguer ', les trahifons que j'é-
prouve doivent lui donner quelque prix.
LETTRE
A L'AUTEUR
VV SAINT-JAMES CHRONICLE.
JTootton^ U y Avril 1744.
Vous avez manqué » Monfîeur , au ref-
peâ que tout particulier doic aux Têtes cou-
ronnées f en attribuant publiquement au Koi
de PruiTe une lettre pleine d'extravagance &
de méchanceté , dont par cela feul vous de-
viez favoir qu'il ne pouvoir être l*auteur.
Vous avez même ofe tranfcrire fa fîgnature ,
comme û vous t'aviez vue écrite de fa main.
Je vous apprends « Monfîeur , que cette let-
tre a été fabriquée à. Paris , & ce qui navri
& déchire mon cœur y que l*impofteur a dei
complices en Angleterre.
, Vous devez au Roi de Prttfl*e , i ta vérité ,
|L moi y d'imprimer la lettre que)e vous écris
Se que |e iigne , en réparation d'une faute
^ue vous vous reprocheriez fans doute ^ Ci
TOUS faviez de quelles noirceurs vous vous
yendçz rinftniment. Je vous fais, Monfîeuc»
^et fînccrst falut«ûont«
L E T T RE '
A LOR D ***.
Wootton^ le 19 Avril iy66»
Je ne faurois, Mylord y attendre votre re-
tour à Londres , pour vous faire les renier^'
ciemens que je vous dois. Vos bontés m*ont,
convaincu que j'avois eu raifon décompter'
fur votre générofité. Pour excufer l'indifcré-^
rion qui m* Y a fait recourir , il fuffit de jetter
un coup -d'ail fur ma fituation. Trompa
par des traîtres qui , ne pouvant me désho*
noter dans les lieux où javois vécu y m'ont
entraîné dans un pays où je Aiis inconnii p
& dont j'ignore la langue , afin d'y exécuter
plus aifément leur abominable projet y )e ine
trouve jette dans cette ifle après des ffialheur|
fans exemple. Seul , fans appui » fans amis ,
fans défenfe , abandonné à la témérhé des
}ugemens publics « & aux effets qui en font
la fuite ordinaire , fur-tout chez nn peuple
qui naturellement n'aime pas les étrangers ,
l'avois le plus grand befoin d'un proteâeat
^jui ne dédaignât pas ma confiance , & oè
pouvois-je mieux le •chercher que parmi cettte
LETTRE, Sec. 8 j
itluflre noblefTe i laquelle je me plaiTois à
rendre honneur , avant de ponfer qu*un jour
faurois befoin d'elle pour m*aider à défendre
kmien ?
«
Vout me ditet , Mj^lord , qu'aprds s*étre
an peu amufé , votre public rend ordinaire-
ment juftice ; mais c*efl un amufement bien
cruel , ce me fcmble, que celui qu*on preud
aux dépens des infortunés , 6c ce n'eft pas
adèz de finir par rendre- juftice » quand on
commence par en manquer. J'apportois au
lêin de votre nation deux grands droits ,
qu'elle eût dû refpeâer davantage ; le droit
£icré de rhorpitalité , & celui des égards que
Fon doit aux malheureux j fy apportois
l'eilime univerfelle & le refpeâ même de
mes ennemis. Pourquoi m'a-t-on dépouilla
chez vous de tout cela ? Qu*ai- je fait pour
mériter un traitement fi cruel } En quoi me
fuis-je mal conduit à Londres , où Ton me
traitoit fi favorablement avant que |*y fufie
arrivé? Quoi, Mylordi des diffamations
fecrctes , qui ne devroieot produire qu*UAe
juile horreur pour les fourbes qui les répan-
dent , fuifiioient pour déuuire l'effet de çis«
Î4 L 1 T T R I
qaante ans d'honneur & de mœurs honnê^
res ! Non , les pays où je fuis connu ne tue
jugeront point d'après votre public mal inf-
cruit ; l'Europe entière continuera de me ren-
dre la juAice qu'on me refufe en Angleterre ,
6c réclatahi accueil que , malgré le décret ,
je viens de recevoir à Paris à mon paflage t
prouve que par*tout où ma conduite eft con-
nue 9 elle m'attire l'iionneur qui ra'eft dû.
Cependant û le public François eût été au(&
prompt à mal juger que le vôtre , il en eût
eu le même fujet. L'année deraiereon fit cou-
rir à Genève un libelle ( i } affreux fur ma
conduite à Paris. Pour toute réponfe , je fis
imprimer ce libelle à Paris même* Il y fut
reçu comme il méritoit de l'être , & il fem-
ble que tout ce que les deux fexes ont d'illut^
tre & de vertueux dans cette capitale, aie
voulu me venger par les plus grandes marques
d'eftime ^ des outrages de mes vili ennemis.
Vous direz » Mylord , qu'on me connoîc
à Paris & qu'on ne me connoît pas à Lon-
dres i voilà précifément de quoi je me plains.
(i) StnPmtttt 4€sCif9jems»
A Lo RD ***. S<
On n'ôce point â un homme d'honneur,
fans le connoîcre & fans l'entendre » Teflime
publique dont il jouit. Si jamais je yis ea
Angleterre auiO long- tems que j'ai vécu eo
France , il faudra bien qu'enfin votre public
me rende Ton efiime , mais quel gré lui en
faurai'je , lorfque je l'y aurai forcé ?
Pardonnez, Mylocd » cette longue lettre}
me pardonneriez-vous mieux d*èae indiffé-
rent à ma réputation dans votre pays } Les
Anglois valent bien qu'on foit f&cké de la
voir injuftes , 6c qu'afin qu'ils ceifene de
l'être , on leur fa^e fentir combien ils le
font. Mylord , les malheureux font malheu-
reux par- tout. En France on les déacte y en
SuiiTe on les lapide } en Angleterre on les
déshonore : c'eft leur vendre cher l'hofpita*
licé.
Tom* IV, H
LETTRE
A MADAME DE LUZE.
JF^oouon ^ U lo Mai 176^.
Suis-JE aflcz heureux. Madame , pou9
que vous penîiez quelquefois à mes torts , Se
pour que vous me fâchiez mauvais gré d*ua
il long filence ? J*en ferois trop puni fi Tou»
n'y étiez pas fenfîble. Dans le tumulte d'une
vie orageufe, combien j'ai regretté les douce»
heures que je pafTois près de vous ! Com-
bien de fois les premiers momens du repos ^
après lequel je foupirois , ont été confaçr^
d'avance au plaifir de vous écrire 1 J'ai
maintenant celui de remplir cet engagement^
8c les agrémens du lieu que j'habite m'in-
vitent à m'y occuper de vous, Madame^ 8c
de M. de Luze , qui m'en a fait trouver
beaucoup à y venir. Quoique je n'aie point
diredement de fes nouvelles , j'ai fu qu'il
étoit arrivé à Paris en bonne fanté , 8c j'eC-
père qu'au moment oà j'écris cette lettre ,
il ciï heureufemenc de retour près de vous.
Quelque intérêt que je prenne à Tes avantages
L 1 T T H E , &C. ^7
^ ne pais m'empêcher de lui envier cetui-
là, 8c je vous jure. Madame, que cetre
paifîble retraite perd pour moi beaucoup de
ion prix quand |e fonge qu'elle eft à trois
cents lieues de vous. Je voudrois vous la
«[écrire avec tous Tes charmes , afin de vous
tenter, je n*ofe dire de m'y venir voir, mais
de la venir voir , & moi j*en profiterois.
Figurez-vous , Madame , une maifon reule,
non fon grande, mais fort propre, bâtie
à mi-côte fur le penchant d'un vallon donc
la pence eft aHèz interrompue pour laifTer
«les promenades de plain-pied fur la plus
belle peloufe de Tunivers. Au-devant de la
maifon règne une grande terrafie , d'oil
l'ail fuit dans une demi- circonférence quel-
ques lieues d'un payfage formé de prairies ,.
d'arbres , de fermes éparfes , de maifons
plus ornées , & bordée en forme de baffin
par des coteaux élevés qui borient agréable-
ment la vue quand elle ne pourroit aller
AU^eli. Au fond du vallon , qui fert à là
fois de garenne & de pâturage , on entend
murmuier un ruifleau , qui d'une montagne
yoifîne vient couler parallèlement à la mai*
Hi)
8î Lettre
foa , & Jont les petits détours « les caTcadet
font dans une telle direâion y que d«s fenêtres
& de la terraife Toeil peut afin long-tena»
fuirre Ton cours. Le vaUon eft garai par
places de rochers & d*arbres » où Ton trouve
des réduits délicieux , & qui ne lailTent pas
de s'éloigner alTez de tems en tems di9
ruKTeau , pour offrir fur Tes bords des pro-
menades commodes , à Tabri des vents 8c
même de la pluie , en forte que par les plus
Tilaius tems du monde fe vais tranquillement
berborifer fous les roches , avec les mou-
tons & les lapins 3 mais hélas , Madame l
|« ne trouve point de Scordium.^
Au bout de la terralTe à gauche font les
bâcimens ruAiques & le potager , à droite
font des bofquets & un |et-d*eau. Derrière
la maiCon e(l un pré entouré d'une liitcfc
de bois, laquelle tournant au-delà du valloB
couronne le parc, û. Ton peut donner ce
nom à une enceince à laquelle on a laiflé
toutes les beautés de la nature. Ce pré mené
â travers un petit village qui dépend de la
maifon , à une montagne qui en eA i une
demi- lieue y & dans laquelle font diyeifts
A Mt)£« DE LUZE. S 9
laines de plomb que Ton exploite. Ajoutes
qu'aux environs on a le choix des prome*
nadei , foie dans des prairies charmantes ,
ibic dans les bois , Toit dans des jardins à
Tangloife , moins peignés , mais de meilleur
goût que ceux des François*
La maifon , quoique petite , eft très-
logeable 8c bien diftribuée. Il y a dans le
milieu de la façade un ayant-corps à Tan-
gloife , par lequel la chambre du maître de
la maifon & la mienne qui eft au-defllis
ont une vue de trois côtés. Son apparte-
snent eft compofié de plufîeurs pièces fur le
devant , & d'un grand fallon fur le derriçre }
le mien eft diftribué de même, excepté que
)e n'occupe que deux chambres, entre lef-
quelles & le fallon eft une efpece de veftibule
ou d^antichambre fort finguliere, éclairée
par une large lanterne de vitrage au milieu
du toit.
Avec cela , Madame , je d«is vous dire
qu'on fait ici bonne chère i la mode du pays»
,c'eft>â-dtre, (impie & faine, précifémeâc
comme il me la faut. Le pays eft hunûda
HU)
Jô L E T T R s
9c froid s ainii les %aiii«s ont peu de goât }
Le gibier y aucun ^ mais la vian(U y eft excel-
lence 9 le lakage abondant & bon. Le m<rîcre
de cette roaifon U trouve trop fauvage «fie
s*y tkfit peu». Il en a de plus riantes qu'il
lui préfère « &c auxquelles je la préfère ,
moi, par la même raifon. J'y fuis non-
(èulenKBt le maître, mais mon maître, ce
qui eft bien plus. Point de grand village
aux on virons i U ville la plus voifiae en
€& k deux lieues : par con(éqtient peu de
Toifins défcBuvrés. Sans le Minière , qui m'a
pris dans une affeâion fiaguUere , je feroi«
ici dix mois de Tannée abfolument feul.
Que penfez - vous de mon habiutioti ,
Madame ? la trouvez«*vous a^Tez bien choi-
ûe y & ne croyez-vous pas que pour ea
préférer une autro , il faille être ou bien fage
ou bkn fouî Hé bien, Madame, il s'en
prépare une peu loin du Biez , plm près du
Tertre, que je regretterai fans çefïc, & où.,
malgré Tenvie mon cc^ habitera» toujours^
, Je ne la regretterois pas moins quand celles
ci m*oflFrif oit tous les autres biens poffibles ,
«Kcpcé celui de yiytç arec fcs amis. ]4ai«
A MoB. DE LUZC. 91
ail refle, après tous arolr peint îe beaa
côté f je ne veux pas voos difinsuler qu'il
y en a d'autres » & que , comme dans toutes
les chofes de la vie » les avantages 7 foBC
mêlés d'inconvéniens. Cetuc du climat font
grands i il eft tardif & froid j le pays eft
beau , mais tride j la nature y eft engourdie
& paredcufe. A peine avons-nous déjà des
violettes , les arbres n'ont encore aucunes
feuilles , jamais on n'y entend de ro(GgnoIs.
Tous les fignes du printems difparoillent
dcyant moi. Mais ne gâtons pas le tableau
vrai que je viens de faire : il eu pris dans
le point de vue où je veux vous montrer
ma demeure , afin que vos idées s'y pro-
mènent avec plaifir. Ce h'efl qu'auprès de
TOUS f Madame , que je pou vois trouver
une fociété préférable i la foUtude. Pour la
former dans cette province 9 il y faudroit
^ranfporrer votre famille entière , une partie
<le Neufchâtel , & prcfque tout Yverdun.
^ncore après cela , comme l'homme efl
iafatiable , me faudroit -^ il vos bois , vos
monts, vos vignes j enfin tout, jufqu'att
^c & fes poilTons. Bonjour , Madame ^ mille
^çudres falutatlons d M* de Luze. Paile%
91 Lettre, &c.
.^elqnefois avec Mad. de Froiiienc & Ma(f«:
de Saadoz de ce paurre exilé. PourviLqu*ift
ne le foie jamais de vos. cœurs , tout auaroi
exil lui fera fuppoitable*
L E T T R E
A M. LE GÉNÉRAL
G O N W A Y.
Le 1% Mai ij€6.
Monsieur j
V iVEMENT touché dcs grâces dont II plaît
â S. M. de m'bonorer , & de ros bontés qui
me les ont anirés , j*y trouve dés â préfcnc
ce bien précieux à mon cœur , d'intéréiTer à
mon fort le meilleur des Rois & l'homme
le plus digne d'être aimé de lui. VoiU ,
Monfiear , un avantage que je ne mériterai
point de perdre 3 mais il faut vous parler
avec la franchife que vous aimez. Après tant
de malheurs , je me croyob préparé à tous
(es événemens poffibles *, il m'en arrive pour-
tant que je n'avois pas prévus , & qu'il n'cft
pas même permis â un honnête homme de
prévoir. Ils m'en aâèûent d'autant plus
auellement 3 & le trouble où ils me jecceni ,
* m'ôtant la liberté d'efprit néceffaire pour
me bien conduire , tout ce que me die la
94 Lettre, 8cc.
raifon dans un état au(0 cri(le , eft de fu^
pendre ma réfolution fur toute affaire iin«
portante , telle qu*e(l pour moi celle dont il
s*agit. Loin de me refufer aux bienfaiu du
Roi par Torgueil qu*on m'impute , |c le
mettrois à m*en glorifier ; & tout ce que ff
vois de pénible , eft de ne pouvoir m*en
honorer aux yeux du public comme aux
miens propres. Mais lorfque je les recevrai»
je veux pouvoir me livrer tout entier aux ren<-
timens qu'ils mMnfpirent , & n*avoir ht coeur
plein que des bontés de S^ M. 6c des vôtres i
|e ne crains pas que cette façon de penfer les
puiiTe altéter. Daignez donc , Monâeur , me
les conferver pour des tems plus heureux*
Vous connoîtrez i^ors que je n*ai différé dt
m*en prévaloir , que poui: tâcher de m*ta
rendre plus digne.
Agréez , Monfieur , je vous fupplie , mei
très- humbles falaudoos Se mon refpeâ.
t E T T R E
A M. HUME.
Le 1% Juin iy66.
Je aoyois que mon (îlence interprété par
votre confcience , en difoic aCTez : tnais puiC-
^u'il entre dans vos vues de ne pas Tenten*
dre , )e parlerai.
Je vous connois , Monfieur , & vous ne
Tignerez pas. Sans liaifons intérieures , fans
querelles , fans démêlés y fans nous connoitre
fiutrement que par la réputation littéraire ,
vous vous empreffez à m'otfrir dans mes
malheurs , vos amis & vos foins : piqué de
votre générofité , je me jette entre vos bras %
vous m*amenez en Angleterre t eu apparence
pour m'y procurer un afyle , & en eâfec pour
m'y déshonorer. Vous vous appliquez à cette
noble cruvre avec un zèle digne de votre
coeur y & avec un art digne de vos taleni •
Il n'en failoit pas tant pour réu/Gr : vous
vivez dans le grand monde , it, mei daas U
o <î Lettre
ecraite \ le public aime à être trompé , 8c
vous^tcs fait pour le tromper. Je conaois
pourtant un homme que vous ne tromperez
pas , c*cft vous-même. Vous favcz avec quelle
horreur mon cœur repoufTa le premier foup-
çon de vos deffeins. Je vous dis , en vous
embraffant les yeux en larmes , que fi veut
n'étiez pas le meilleur des hommes , il fau-
di^it que vous en fufficz le plus noir. En
pcnfaut à votre conduite fecrete , vous
vous direz quelquefois que vous n*êccs
pas le meilleur des hommes i & je doute
qu'avec cette idée , vous en foyez jamais le
plus heureux.
Je lailTe un libre cours aux manoeuvres de
vos amis la aux vôtres , & je vobs abandonne
avec peu de regret ma réputation durant
ma vie , bien sûr qu'un jour on nous ren-
dra juftice k tous deux. Quant aux bons
offices en matière d'intérêt , avec lefquélt
vous vous mafquez , je vous en remercie &
vous en difpenfe. Je me dois de n'avoir plus
de commerce avec vous , & de n'accepter ,
pas même à mon avantage , -aucune aâPaire
donc
A M. H u M E. 97
^ont TOUS foyez le médiateur. Adieu , Kfon*
fieur, je vous fouhaite le plus vrai bonheur}
mais comme nous ne devons plus rien avoir
â nous dire , voici U dernière Icctre ^ue vous
recevrez de moi.
Tome IV*
LETTRE
A M. DAVENPORT.
JTootton ^ Ui Juillet ijts.
j £ vous dois , Monfieur , toutes fortes de
déférences \ & puifque M. Hume demande
abfolumeat une explication « peut-être la lui
dois -je aufli : il Paura doue ; c*eft fur quoi
vous pouvez compter. Mais j'ai befoin de
quelques jours pour me remettre » car en
vérité les forces me manquent tout-i-fait»
Mille très- humbles ûdutationt.
. LETTRE
A MONSIEUR
DAVID HUME.
Woonon , /e lo Jmlltt i-jc^.
Je fuis malade , Monficur , & peu ea état
d'écrire \ mais vous voulez une txplicacioii ,
il faut vous la donner. Il n'a tenu qu'à vous
de l'avoir depuis long - tems ^ vous n'en
^▼oulâces point alors , je me tus : vous la
voulez aujourd'hui , je vous l'envoie. Elle
fera longue , j'en fuis fâché, mais j'ai^ beau-
coup â dire , & je n'y veuii pas revenir à
deux fÎMi.
Je ne vit point dans le monde s j'ignore
ce qui s'y paffc j je n'ai point de parU , point
d'aiTocié , point d'intrigue ) on ne me dit
rien , }e ne fais que ce que je fcns j mais
comme on me le fait bien fendr , je le Uh
bien. Le premier foin de ceux qui trament
des noirceurs eft de fe mettre i couvert dc%
preuves juridiques \ il ne feroit pas bon leur
intenter procès. La conviâion intérieure
II)
100 Lettre
admet un autre genre de preuves qui reglciHi
les fentimens d*un honnête homme. Voiw
faurez fur quoi font fondés les micnt*
Vous demandez avec beaucoup de coa-
fisnce qu'on vous^ nomme votre accufateur.
Cet accufateur t Monfieur , e(l le feul homme
au monde qui , dépofant contre vous , pou*
voit fe faire écouter de moi } c*eft vous-même.
7e vais me livrer fans ré(èrve & fans crainte
à mon caraâere ouverc ^ ennemi de tout
artifice , je vous parlerai avec la même
franchife que (t vous étiez un autre en qui
J'eudè toute la confiance que je n'ai plus
«n vous. J-e vous ferai l'hifloice des mou-
vemens de mon ame & de ce qui les a pro*
<luits f 6c nommant M. Hume en tierce pcr-
fbnne, je^ vous ferai juge vous-même de ce
que je doit penfer de lui. Malgré la longueur
de ma lettre , je n'y fuivrai point d'autre
ordre ijue celui de mes idées , commen-*.
<çant par les indices & finiifant par la dé*
œonftration.
7e quittois la Sulffe » fatigué de trairement »
barbares , mais qui du moins ne mettoicu^
A M. £)avid Hume loi
péril que ma perTonne y & Ui^ient mon
faoBoeur en sûreti. Je fuiyois les mouv^mens
die mon coeuf pour ailer joiodrc Mylord
Maréchal , quand je reçus à Strasbourg de
M. Hume l'invicacion la plus tendra de paffer
avec Uii en Angleterre oà il me promeccoic
l'accueil le plus agréable , 8e p tus de tranquil-
lité que fe n'y ai trouvé. Je balançai entre
Tancien ami de le nouveau , feus tort ; je
préférai ce dernier , f*eiis plus grand tort :
mais te de(tr de conno2tre,par moi-même'une
Nation célèbre , dont on me diA>ic cane de
mal & tant de bien , l'emporta. Sur de ne
pas perdre George Keich » j'étois flatté d'ac-
quérir David Hume. Son mérite » Tes rares
tftléns y Thonnéteté bien établie de Ton ca^
raâere , me faifoient deiîrer de joindre Ton
amitié à celle dont m^onotoic Ton illu^e
eompatriote » Qc je me faifois une forte de
gloire de mouerer un bel exemple aux gent
^e Lettres dans l'union fincere de deux boni*
mes dont les principes étoienc û di£f%rens.
Avant l'invitacion du Roi de Prude & de
Mylord Maréchal , incertain Air le lieu de
Bia retraite y i'iiyeis- d^oundé & obtenu pai
liij
ÏOl L 1 T T a E
mes amis im paffcpprt de la Gomde tnoiçe ^
dont je me fcrris pour aller à Paris joindre
M. Hume. Il vit , & vit trop peut-être , Tac-^'
cueil que je reçus d'un grand Prince » 8c »
J*ofe dire » du Public. 3e me prêtai par de-
voir , mais avec répugnance à cet éclat » ^i«
géant combien l'envie de mes ennemis ca
feroit irritée. Ce fut un fpeûade bien doux
pour moi que l'augmentation fenfîble de
bienveillance pour M. Hume y que la bonne
oeuvre qu'il alloit faire produiHt dans touc
Paris. Il dcvoit en erre touché comme moi i
}e ne fais s'il le fut de la même manière.
Nous partons avec un de mes amis qui
prefque uniquement pour moi faifoic le
voyage d'Angleterre. En débarquant à Dou-
vres , tranfporté de toucher enfin cette terre
de liberté & d'y être amené par cet homme
illuftre y je lui faute au cou , je l'embraiTe
étroitement fans rien dire , mais en cou-
vrant fon vifage de baifers & de larmes qui
parloient aflez. Ce n'eft pas la feule fois
oi la plus remarquable où il ait pu voir
«n moi les faifiilèmens d'un cœur pénétrés
le* ne fais ce qu'il fait de ces fpuvenirs.
A M- Davii) Hume, icvj
M^ils l«f viennent 5 j*aî dans Tetprit qu'il cQ
<loic quelquefois être importuné»^
' Kous fommes fftés arrivant à Londrei.
On s'cmprcilc dans tous les états à me mar-
quer de la bienveillance & de l'cftimc.
M. Hume me préfente de bonne grâce â tout
le monde ; il étoit luturel de lui attribuer,
comme |e faifois , la meilleure partie de ce
bon accueil : mon cœur étoit plein de lui ^
j'en parlois â tout le monde , j'en écrivois
à tous mes amis ; mon anachement pour
lui prenoit chaque jour de nouvelles forces j
le {îen paroifToit pour moi des plus tendres »
& il m'en a quelquefois donné des marques
dont je mç fuis fenti très- touché. Celle de
faire faire mon portrait en grand ne fut
pourtant pas de ce nombre. Cette fautaifie
me parut trop affichée , & j'y trouvai je ne
fais quel air d'odentation qui ne me plue
pas. C'eft tçut ce que j^'aurois pu pafler à
M. Hume % s'il edt été homme â jctter fon
argent par les fenêtres , & qu'il eût eu dans
une galerie tous les portraits de fes amis«
Au relie j'avouecai fans peine qu'en cela |e
puis avoir tort.
Î04 Lettre
Mju's ce qui me parut un aâe d*amiti#
te de générofîcé des plus vrais & des plus
eAimables , des plus digues en un mot de
M. Hume , ce fut le foin qu*il prit de folli-
citer pour moi de lui-même une penfion
du Roi , à lac^elte j6 n*avois affurémenc
aucun droit d*afpirer. Témoin du zèle qu*it
mit à cette aflfâire , }*en fus vivement péné-
tré : rien ne pou voit plUs me flatter qu'un
fcrvice de cette efpecc , non pour l'intérêt
afRirément j car trop attaché peut-êrro
à ce que je pofTede , je ne fais point
defirer ce que je n'ai pas ^ & ayant par
mes amis àc par mon travail du pain
Aiffifanmient pour vivre, je n'ambitionne
rien de plus ; mais rhonneur de recevoir
des témoignages de bonté , je ne dirai pas
d'un fi grand MonarquS , mais d*un fi bon
père , d'un fi bon mari , d'un fi bon maître ,
d'un fi bon ami, & fur-toutd'unfi bon-
nête homme , m'afl^câoit fenfiblement ; &
quand je confidérois encore dans cette grâce ^
que le Miniflre qui l'avoic obtenue étoic
la probité vivante , cette probité fi utile
aux Peuple*, & fi rare dans fon état , je
uc pou vois que me glorifier d'avoir poiir
A M, David Hume, loj
^enfaiteun trois det hommes du monàe que
}*aiirois le plus defîré pour amis. Aufli , loin
<le me refufer â la peafion ofivne , je nft
snis pour l'accepter qu>*une condition néceC'
Taire , faroir , un confentcment dont 9 Tant
jnaoquer à mon devoir > )e ne pouTois me
pailêr.
Honoré des empreflement de tout le
monde , je tâchois d'y répondre convena-
blemenc. Cependant ma mauvaife (ànté te
l'habitude de vivre à. la campagne me firent
trouver le fcjour de U ville incommode.
Auflî^tôt les maifons de campagne fe pré-
Tentent en foule j on m'en ofFre à choifîr
«lans toutes les provinces. M. Hume fe charge
^es prepofitiotts , >1 me les fait , il me
conduit même ideux ou trois campagnes
voifines i )*héfîte long-tems fiir le- choix ; il
augmentott cette incertitude. Je me déter<^
tnine enfin pour cette province , & d'abord
"M» Hume arrange tout ; les embarras s'ap*
planiifcnr ; |e pats , j'arrive dans ceue habi-
tation foliuire, commode, agréable : le
•maître de la maifon prévoit tout , pour*
voit à tout i rien ne manque. Je fois traft-i
lO^ L E T T R 1
f uille , ind^ndant i Toilâ le moment &
4efîré où tous mes maux doivent finir. Non »
c*c(l-lâ qu'ils commencent , plus craeU que
)e ne les avois eacoie éprouvés*
J*ai parlé juTqu'ici d*abondaact de csar,
& rendant avec le plus grand plaifir }uftict
aux bons offices de M. Hume. Que ce qut
me refle à dire , n'cft-il de même nature i
Rien ne me coûtera )araats de ce qui pourri
l'honorer. Il n'eft permis de marchander fut
k prix des bienfaits » que quand on nous
accufe d'ingratitude » <c M. Hume m'ea
accufe aujourd'hui. J'oferai donc faire une
obfervation qu'il rend néceffàire. £n apprêt
cianc Tes foiiis par la peine 8c le tems qu'ils
lui coûcoient ,. ils étaient d'un prix inefti*
mable » encore plus par fa bonne volonté i
pour le bien réel qu'ils m'ont fait , ils ont
plus d'apparence que de poids. Je ne vcnoii
point comme un mendiant quêter du pain
en Angleterre, |'y apportoss le mien; fy
yenois abfoIuiiKnt chercher un afyle , 9c
21 eft ouvert i tout étranger. D'ailleurs |«
n'y étois point tellement inconnu , qu'ani*
Tant feul j'euCe manqué d'a0iilance& d%
A M. David Hume. 107
Ibirvlces. Si qiiel<^es perfonnes m'ont rechcr-
cbé pour M. Hume , d'autres anfli m'om
recherché pour moi i & , par exemple ,
quanil M. Davenporc Toulut bien m'olFrir
l'afyle que j'habite , ce ne fut pat podr luf
qu'il ne connoiflbit point , & qu'il yic
Aulement pour le prier de faire & d'appuyer
^àn obligeante proportion. Ainlî <]Uan4
14. Hume tâche aujourd'hui d'aliéner de
moi cet honnête homme » il cherche â
tn'âter ce qu'il ne m'a pat donné. Tout ce
qui s'eft fait de bien , fe feroit fût fant lui
4-peu-prèt de même, le peut-étie mieux |
tnais le mal ne (b filt point fait | car pourquoi
•i-je det ennendt en Angleterre? Pourquoi
cet ennendt font-ils précifihaent les amia
de M. Hume ? Qui eft-Ce qui a pu m'attiret
leur inimitié î Ce n'eft pas moi qui ne lei
Tis de ma vie te qui ne les connoii pat |
|e n*eB au)^ aucun , fi j'y étois venu feul*
rd patlé }tt(qu'ici de fitts publics K
liotoires, qui par leur nature ic par ma
reconnoidànce ont eu le plus grand éclat.
Ceux qui me reftent à dire font , non-feule-*
ineac panisaUcri» mm fecrets, du oMint
io8 Lettre
dans leur caufe , & l'on a pris toutes let
mefures podibles pour qu'ils refiaflent cach^
au Public s mais ,- bien connus de la per*
foane intéreiTce, ils n*en opèrent pas moins
£à propre conyiûioa.
Peu de tems après notre arrivée à Londres ,
Yy remarquai dans les efprits , à mon égard p
un changement fourd qui bientôt devine
très-feniible. Avant que je vinflè en AngW-
tçrre , elle étoit un des pays de l'Europe
où. )*avois le plus de réputation» j^ofctois.
prefque dire de confîdération. Les Papiers
publics étoient pleins d'éloges , & il n'f .
dyoit qu'un cri contre mes perCécuteurs. Ce
ton fe foutint À mon arrivée } les Papiers
l'annoncèrent en . triomphe > l'Angleterre
s^honoroit d'être mon refuge i elle en glori-
£oit avec judice/fes Loix & Ton Gouver-
nement. Tout-â-coup , & fans aucune cauTo
aflignable , ce ton change , mais fi fort fie
û vice , que dans tous les caprices du public
on n'en voit gueres de plus éiopnant. Le
iîgnal fut donné dans un certain Mag^fin ,
SMfû plein d'inepties que des roenfonges p
9^ l'Auteur bie^ iaâruir^ ou feignant de
l'être,.
A Mv David Hvmi. 109
V^tT« , me doiinoic pour fils de Musicien.
T>ès ce moment les imprimés ne parlerenc
plus de moi que d'une manière équivoque
ou malhonnôce. Tout ce qui avoit trait â
mes malheurs étoii déguifé , altéré , pré-
rente fous un faux jour , & toujours le moins
à, mon avantage qu'il étoit poflible. Loia
^e parler de Taccueil que j'avois reçu à
Paris , & qui n*avoit fait que trop de bruit ^
OQ ne f^ippofoit pas même que j'euflc ofé
paroître dans cette ville , & un des amis de
M. Hume fut très-furpris quand je lui ^
^ue fy avois pade.
Trop accoutumé i l'inconftaûce du public
pour m'en afiPe^ter encore , je ne lailTois pas
d'être étoimé de ce changement û brufque ,
de ce concen d finguliércmeoc unanime ,
4)ue pas un de ceux qui m'avoîenc tant
loué abfent ne parût , moi préfent , fe fau-
venir de mon exiftencg. Je trouvois bizarre
que précifément après le retour de M. Hume,
qui a tant de crédit i Londres , tant d'in-
fluence fur les Gens de Lettres & les Libraires ,
& de fi grandes liaifons avec eux , fa pré»
£ence eût produit un effet û contraire à
Tomtlr. K
4 16 L E T T R I
celui qn'on en poavoit attendre ; ^ù^, pamil
tant d'Ecrivaini de rbute efpece , pus OA
de Tes amis ne fe montrât le mien ; 8c ToA
toyoit bien que ceux qui parloienc de mof
li*étoient pas fes ennemis , pulfqu'en faifant
ibnner Ton caraâere public ils difoient que
)'avois traverfé la France fous fa proteâion -,
à la faveur d*un pafTeport qu'il m*avoit ob*
tenu de la Cour , & peu s'en falloit qu'ih
ne fîffent entendre que j'arois fait le royagfc
â fa fuite 5c à Tes frais.
Ceci ne fignifioit rien encore Bc ti^koh
que fingulier^ mais ce qui Tétoit davantage,
fut que le ton de fes tmis ne changea pat^
moins avec moi que celui du public. Toit-
"jours , je me fais un plaifir de le dire y leurs
foins , leurs bons o6îces ont été les mêmes ,
& très-gtands en ma faveur; riiais loin 4e
me marquer la même eftime , celui fur»
tout dont je veux parler , & cliez qui noiit
étions (lefcendus à notre arrivée, accom-
pagnoit tout cela de propos (i durs & quel-
"quefois (î choquans, qu'on eût dit qu'il
ne cherchoit â m*obliger que pour avoir
dfolt de me marquer tiu mépris. Son frerc^
A M. David Hume, m
^*àboTd très- accueillant, très- hpnnéce y cban4
^ea bientôt avec û peu de mefure qu*il ne
daignoit pas même dans leur propre maifoi^
fne dire un feul mot, ni me rendre Iç
ialuc, ni aucun des devoirs que Ton ren4
^Hez foi aux étrangers. Rien cependant
D^étoit furvenu de nouveau, que l'arrivéq
^ J. J. Rouflèau & de David Hume s &
certainement la caufe de cc$ changemens nç
yînt pas de moi ; â moins que trop de;
Simplicité , de difcrétion , de modeiUe ne
fpit un moyen de mécontenter les Ânglois».
Pour M. Hume , loin de prendre avec moi
un ton révoltant , il donnoit dans Tautre ex-
trême. Les flagorneries m'ont toujours été
JTufpeâes.Il m*en a Fait de toutes les façons (x)
au point de me forcer , n*y pouvant tenir
davantage, àluien diremon fentiment. Sa
conduite le diCpenfoit fort de s'étendre en pa-*
( X ) J'en dirai feulement une qui m'a fait
|irc *> c'écoit de fuire en forte , quand je venois le
voir , que je trouvafle toujours fur fa table un
T'orne de VHéloïfe > comme C\ je ne connoi(r0i|
pas aflfcz le goût de M. Hume , pour jêtre alTuré
que , de tous les livres qui cxiftent , VHéUïpt
doit être pour lui le plus ennuyeux.
Ki)
III Lettre
rolcB ; cependant , puifqu'il en vouloît dirc^
l'aurois voulu qu*à coûtes ces louanges fades
il eût fubAitué quelquefois la voix d*un ami ;
mais je n*ai famais trouvé dans Ton tangage
rien qui fentîc ta vraie amitié , pas même
dans la façon dont il parloit de moi â d'au*
très en ma préfence. Ou eût dit qu'en vou-
lant me faire des patrons , il cherchoit à m'^
ter leur bienveillance , qu'il vouloir plutôt
que j'en fufTe âffifté qu'aimé ; & j*ai quel-
quefois été furprrs du tour révoltant qu'il
donnoit â ma conduite près des gens qui potf'
voient s'en offenfer. Un exemple éclaircira
ceci. M. Penncckdu Mufaeum , ami deMy-
lord Maréchal & PaAeur d'une paroidê oà
l'on vouloir ro'établir , vient nous voit.
M. Hume, mol préfent , lui fait mes ex*
cufes de ne l'avoir pas prévenu ; le Doâeur
Maty , lui dit • il , nous avoit invités pour
Jeudi au Mufaeum , où M. Houflcau devofc
vous voir } mais il préfera d'aller avec Ma'
dame Ganick â la comédie : on ne peut pas^
faire tant de chofes en un jour. Vous m'a
vouerez , Monficur, que c'étoit-lâ une étrange
■ façon de me capter la bieavcillaocc dit
M. Penncck.
A M. David HuMH. iij
- Je ne fais ce qu'avoic pu dire en fccret
JA» Hame à. Tes cocnoifTanccs i mais rien n'é'
toit plus bizarre que leur façon ci>n ufer avec
jpaoide Ton aveu , fouvent même par Ton aiG(r
cance. Quoique ma bourfe ne Fut pas vide ,
que jen'eufTe bcfoin de celle dcperfonne , &
jju'il le fût très-bien , Ton eût dit que je n*éjtoi$
ià que pour vivre aux dépens du public , if.
^u*il Q*écoic queftion que d^ me faire Tau-
xsône , de manière à m*en fauver un peu
rembarras 3 je puis dire que cette ofFeâatioa
continuelle & choquante eft une des chofec
qui m*ont fait prendre le plus en averfîon le
fcjour de Londres. Ce n'eft fu>emenc pat
fur ce pied qu'il faut préfemer en Angleterre
un homme à qui Ton veut attirer un peu de
confîdération : mais cette charité peut être
bcnignementimerprétée , & je confcns qu'elle
Je foit. Avançons.
On répand à Paris une fauiTe lettre du Roi
^e PruÏÏè , à moi adreflee & pleine de U
plus cmelle malignité. J'apprends avec fuir-
prifc que c'eft un M* V^alpole , ami de
M. Hutne , qui répand cette lettre s je li^i
dcBiaude û. ceU eft jm s mais ^our toute
U)
114 Lettre
téponCc il me demande de qui je le tiens. \Ja
cornent auparavant , il m*avoit donné une
carte pour ce même M. \raIpole , afin qu*tl
fe chargeât de papiers qui m'importent , fie
que je yeux faire venir de Paris en furctéw
J*apprends que le fils du jongleur Troo-
chin , mon plus monel ennemi , eft noa->
feulement Tami , le protégé de M. Hume ,
mais qu'ils logent enfemble , & quand
M. Hume voit que je fais cela > il ni!ea
fait la confidence , m'affurant que le fils ne
redèmble pas au père. J*ai logé quelques
nuits dans cette maifon chez M. Htime avec
ma gouvernante ; & à l'air , â l'accueil donc
nous ont honorés Tes hôcefles , qui font (es
amies , j'ai jugé à la façon dont lui ou cet
liomme qu'il dit ne pas refTcmbler à fon père,
ont pu leur parler d'elle & de moi.
Ces faits combinés entr'eux & avec une
certaine apparence générale me donnent tih-
fenfiblement une inquiétude que je réponde
avec horreur. Cependant les lettres que j'é-
cris n'arrivent pas ; j'en reçois qui ont été
ouvertes , U toutes ont ^aHe par les nsiaiiis
A M. David Hume, ii j
cle M. Hume. Si quelqu'une lui échàpe , il
ne pcuc cacher l'ardente avidité de la voir«
IJn foir, je vois encore chez lui une manœu-
vre de lettre dont je fuis frappé ( i). Apres le
(1 1 II faut dire ce que c'eft que cette manoeu-
vre. J'écrivois fur !a table de M. Hume , en fon
abfence , une réponfe à une lettre que je Tenois
^e receToir. Il arrive , trè^-eurieux de favotr ca
^ue i'écrivoîs , & ne pouvant prcfque s'abftcnir
^'y lire. Je ferme ma lettre fans la lui montrer «
& comme je la mettois dans ma poche , il la
demande avidement, difant qu il l'enverra le
lendemain jour de pofte. La lettre refte fur fa
fa table. Lord Newnham arrive , M. Hume fort
un moment ; je reprends ma lettre , diCant qua
j'aurai le tems de l'envoyer le lendemain. T ord
Newnham m'offre de l'envoyer par le paquet de
JA, l'Ambalfadeur de Jrance, l'accepte. M. Hume
rentre tandis que Lord Newnham fait fon en-
-veloppe , il tire fon cachet i M. Hume offre le
fien avec tant d'emprefTement qu'il faut s'en
fervit par préférence. On Tonne , Lord Newn-
ham donne la lettre au laquais de M. Hume pouc
la remettre au fien qui attend en-bas avec fon
carroffe , afin qu'il la porte chez M. l'Ambaffa^
deur. A peine le laquais de M. Hume <5toit hors
de la porte , que je me dis : je parie que le Maftrç
va le fuivre : il n'y manqua pas. Ne fâchant
comment laifl'er feul Mylord Newnham , }'hé/\-
tai quelque tems avant que de fuivre à mon tout
ii(> Lettre
rpuper , gardant tous deux le ûlence au coin
de fon feu , je ra*appcrçois qu'il me fixe ,
comme il lui arrivoit fouvenc , & d'une m»'*
niere donc Tidée eft difficile à rendre. Pour
cette fois , fon regard fec , ardeur « mo-
queur & prolongé devint plus qu'inqutéranc.
Pour m'en débarr^afler , j'efTayai de le Exer
à mon tour i mais en ariltanc m^ yeux fur
les fiens , je fens un frémiiTemenc ioexpUca-
blc , & bientôt je fuis forcé de les bailTèr.
La phyfionomie & le ton du bon David font
d*un bon homme , mais où y graod Di9U l
ce bon homme emprunte- t4l les yeux àoDl
il fixe fes amis ?
L'impreflion de ce rcgaxd me cafte & m'a^
gîte 'y mon trouble augmente jufqu'au (ad&C»
fcment : fi répanchemcnc n'eût fuccédé , j'^
(oufFois. Bientôt un violent remords mç
gagne j je m'indigne de moi-même i enfin
M. Hume ; je n*apperçus rien , mais il vie très*
bien que i'écois inquiet. Ainfi , quoique je n*ai«
reçu aucune réponfe à ma lettre , je ne 4oat«
pas qu'elle ne foit parvenue ; mais je ^oute «a
peu « ie l'avQue , qu'elle n'ait pas été lue Mip»>
savant.
A M. David Hume. 1 1 y
jans un trnnfporc que je me rappelle encore
arec délices , je m'élance à fon cou , je le
ferre étroitement 5 fuffoqué de fanglots ^
inondé de larmes , je m'écrie d'une roix en-
trecoupée : Non , non , David Hume n\ft
pas un traître ; s'il riltoit le meilleur des
tommes , ilfandroît qu*il enfâi le plus noir*
David Hume me rend poliment mes em-
brafTcmens , & tout en me frappant de petits
coups fur le dos , me répète pludcurs fois d*ua
con tranquille : Quoi , mon cher Monfieur !
£h , mon cher Monfieur ! Quoi donc , moti
cher Monfieur l II ne me dit rien de plus } js
fens que mon caur fe relTerre j nous alloni
nous coucher , & je pars le lendemain pout
la Province.
Arrivé dans cet agréable afyle où j'étoîi
venu chercher le repos de (i loin , je devois
le trouver dans une niaifon folitaire , com-
mode & riante , dont le Maître , homme
d'cfprit & de mérite , n'épargnoit rien de ce
qui pouvoit m'en faire aimer le (ejour. Mait
quel repos peut- on gourer dans la vie quand
le cGCur eft agité \ Troublé de la plus cruelle
incertitude , & ne fâchant que penfei d*uii
îi8 Lettre
homme que je 4evois aimer , ]b cherchai I
me délivrer de ce doute fuacAe en rendant
mu confiance à mon bienfaiteur. Car , pour*
quoi , par quel caprice inconcevable eût- il
«u tant de zele 4 Tcxcérieur pour mon bien-
être , avec des projets fecrers contre mon
honneur ? Dans les obfervations qui m'a-
voient inquiété , chaque fait en lui-même
^toit peu de chofe , il n*y avoit que leur
concours d'étonnant, & peut-être indruic
4'autres faits que j*ignorois , M. Hume pou-
voit- il , dans un éclaircifTement , me don-
ner une foiution r.itisfairante. La feule chofe
inexplicable étoic qu*il fe fût refufê à un
éclaire iiTement que fon honneur & fon aqïi-
tié pour moi rendoient également néceilaire.
Je voyois qu'il y avoit là quelque chofe que
je ne comprenois pas & que je mourois d'en-
vie d'entendre. Avant donc de me décider
abfolument fur fon compte , je voulus fairç
gn dernier efFon& lui écrire pour le ramener,
s'il fe laifToit féduire à. mes ennemis , ou pour
le faire expliquer de manière ou d'autre. Jt
lui écrivis une Lettre qu'il dut trouver fort
naturelle (i) s'il écoit coupable , mais fort
( t ) U paroic par ce qu'U m*éait en dernier iîM
A M. David Hume, i t^
«Xtraordinâire i*ii ne Téroic pas : car , quo$
de plus extraordinaire qu*ane Lettre pleine ^
la fois de gratitude fur Tes fenrices 3c d'inquié^
tude fur Tes fentimens , Se où ^ mettant ,
pour ainii dire , Cti adions d*un côté , & Tes
intentions de Tautre , au lieu de parler dei
preuves d*amitié qu'il m'avoit données , |c le
^rie de m'aimer à cauffc du bien quMl «n'a-
Voit fait ? Je n'ai pas pris mes pré<:autionii
d'aflez loin pour garder wie copie de cette
lettre ^ mais , puifqu'il les aprifes lui , qu'il
fa toontre j 8c quiconque la lira, y voyant
un homme tourmenté d'une peine fccrcte j
qu'il veut faire entendre flc qu'il n\>fe dtre ,
fera curieux , )e m'affure , de ftvoir quel
éclairciffement cette Lettre aura produit ,
for-tout à la fuite de la fccneprécédcnte.
A.ucun , rien du tout. M. Humefè conteme
en réponfe , de me parler des foins obH-
jeans que M. Davenport fe propofe de pien-
ire en ma faveur. Du refte , pas -un arot
fur le principal fn)et de ma Leare, ni fut
rétat de mon cœur dont il devoir Ci bien voir
le tourment. Je fus frappe de ce filcnce en-
qa'il eft trés-content de cette lettre , & qu'il la
tiouTc fort bica*
'IlO L E T T R, ^
core plus que je ne Tavois été de Ton flegme i.
uotre dernier entretien. J*avois tort « ce fî*
lence étoit fort naturel après l'autre , 6c j'au*
rois dû m'y attendre. Car quand on a o£e
dire en face à, un homme : je fuis tenté de
vous croire un traître , & qu*il n'a pas la eu»
riofîté de vous demander fur quoi , l'on peuc
compter qu'il n'aura pareille curioiité de ùi
vie , & pour peu que les indices le chargent ^
cet homme eil jugé.
Après la réception de fa lettre qui tarda
beaucoup , fc pris enfin mon parti , 6c ré—
folus de ne lui plus écrire. Tout me confirma
bientôt dons la réfolucion de rompre avec
lui tout commerce. Curieux au dernier pokic
du détail de mes moindres affaires , il ne
c'étoit pas borné à s'en informer de moi dans
nos entretiens , mais j'appris qu'après avoir
commencé par faire avouer à ma gouver*
liante qu'elle en étoit indruite , il n'avoit pas
lailTé échaper avec elle un feul téte-â-tête
ûins l'interroger jufqu'à l'imporcunitéfur m»
occupations, fur mes reffources, fur mes
amis, fur mes connoiiTances , fur leurs noms ,
leur état , leur demeure , & arec une adreiTe
jéfuitiquo .
*
A M. David Hume, m
ft(«kiqiie , il troic demandé fî^parément fos
TiifiiiMs dtdTes à elle & à mot. On doit pren-
dre intérêt aux aferes d'un ami , mais on
doit fe contenter de ce qu*il veut nous en
<iire , flit-tout quand il eft aufC ouvert ,
' suffi confiant que moi , & tout ce petit cail«
leta^ ds commère convient , on ne peut pas
j^m mal , â un Philofophe.
•Dans le même rems je reçois encore deux
lettres qui ont été ouvertes. L'une de 14. BoC-
"well , dont le cachet étoic en û mauvais état
que M. Davenport , en la recevant , le fît
«enarquer «u laquais de M. Hume ; & Tau-
tfe de M. d'Ivernois , dans un paquet de
M. Hume , laquelle avoit été recachecée au
- fnoyen ti^un fer chaud qui • mal - adroite-
ment appliqué y avoit brûlé le papier autour
de Tempreinte. J'écrivis i M. Davenport ,
Ipour le prier de garder par-devers lui toutes
les lettres qui lui fcroient remifes pour moi ,
êc de n'en remettre aucune à perTonnc , Cous
quelque prétexte que ce fât. J'ignore fi
M. Davenport , bien éloigné de penfer que
xette précaution pât regarder M. Hume , kii
montra ma lettre > mais -je fais que tout di*
Tome Ir. L
X21 L B T T H B
ibit à celui-ci qu'il aroit perdu macoufiance»
te qu'il n'en ailuic pas moins Ton train (ànm
s'embarradèr de la recouvrer.
Mais que devins-je lorfque je vis dans les
papiers publics la prérendue lettre du Roi de
PruiTe que je n'avois pas encore vue y cette
faufTe lettre , imprimée en François & en an-
glois , donnée pour vraie » même avec Ist
£gnature du Roi , 6c que )'f reconnus la plume
de M. d'Alembert au(fi rarement que fî je la
lui avois vu écrire ?
A l'inftaut un trait de lumière vint m'é-
<lairer fur la caufe Tecretc du changement
étonnant (< prompt du public Anglois à mon
égard » & je vis â Paris le foyer du complot
qui s'exécutoit à Londres.
M. d'Alembert , autre anal très- intime de
M. Hume , écoit depuis long-tems mon en-
nemi caché , & n'épioit que les occalions de
me nuire fans fe commettre ; il écoit le Cèui
des gens de Lettres d'un ceruin nom le de
xaci anciennes connoidonces qui ne me fût
point venu voir , ou qui ne m'eût rien tait
'^ A M. David Humé, i i j'
^re à mon dernier paiTage â Paris. Je con-
iioiilbit Tes difpofîdoos fecretes , mais |e
jn^en inqaiétois peu, me concentanc d'en
avertir mes amis dans l'occaiîen. Je me fon-
viens qu*un jour , queftionné fur Ton compte
par M. Hume , qui queiVjonna de mdme en-
Tuice ma gouvernante , }e \m dis que M. d'A-
lembert étoic un homme ad^tt & tnié. Il me
contredit avec une chaleur dont je m'étonnaf ,
jie fâchant pas alors qu'ils étoient G bien en-
femble , & que c'étoit fa propre caufè qu'il
défendoit.
La leâure de cette lettre m'alarma beau-^
coup I & Tentant que j'avois été attiré en An^
glctcrre en vertu d'un projet qui commen-
çoit à s'exécuter « mais dont j'ignorois le but*
|e fentois le péril fans favoir où il pouvoir
^tre , ni de quoi j'avois â me garantir -, je
jne rappellai alors quatre mots effrayans de
M. Hume, que je rapporterai ci- après. Que
penfer d'un écrit où l'on me faifoit un crime
de mes miferes } qui tendoit 1 m'âter la
commiferation de tout le monde dans mes
itoalheurs , & qu'on donnoit fous le nom
du Prince même qui m'avoic protégé , poui;
T14 . L I T T R 1
en rendre reflTet plus auel encore } Que
VQis-fe augurer de U fuite d*ua tel début ? Le
peuple Anglois lit. les papiers publics ^ fie n*c£k.
pas déjà trop favorable aux étrangers. Un vê-
tement qui n*eft pas le fien (\i^t pour le met-
tre de mauvaife humeur. Qu*en doitattcndxe
un pauvre étranger dans Ce» promenades
champêtres , le feul plaiiîr de la vie auquel il
s'eA borné « quand on aura perfuadé à ces
bonnes gens que cet homme aime qu'on le
lipide ? iU feront fort tentés de lui en don-
ner ramufement. Mais ma douleur , ma
douleur profonde & cruelle , la plus amere
que j'aie jamais refTencie , ne venoit pas du
péril auquel j'étois expofe. J*en avois trop
bravé d'autres pour être fort ému de celui-U.
La trahifon d'un faux ami , dont i'étois la
proie , étoit ce qui portoit dans mon cœur
trop feiifible , l'accablement , la ttiàcffh 6c
la mort. Dans l'impétuoiité d'un premier
mouvement,dont jamais je ne fus le maître, 8c
que mes adroits ennemis favent faire naître
pour s'en prévaloir , j'écris^des lettres pleines
de détordre où je ne déguife ni mon rouble
ni mon indignation.
Moniteur , j'ai tant de ckofes à dite ,
A M. David Hume. 115'
qu*cn chemin faifant j'en oublie la moitiés
Par exemple , une relation en Forme de lettre
fut mon (ejour i Montmorency fut portée
pa^ des Libraires â M. Hume , qui me la
montra. Je confentis qu'elle fut imprimée i
il fe char{;ea d*y veiller ; elle n'a jamais paru.
3*ayois appotté un exemplaire des lettres de
M. Du Peyrou contenant la relation des affai-
Tcs de Ncufchitel qui me regardent -, je lei
remis aux mêmes Libraires â leur prière , pour
les faire traduire & réimprimer ', M. Hume fe
chargea d'y veiller; elles n'ont jamais paru(i).
D^ que la faudê lettre du Roi de PrufTe & fa
traduûton parurent , je compris pourquoi
les autres écrits reftoient fupprimés , te ]e
récrivis aux Libraires. J'écrivis d'autres lettres
qui probablement ont couru dans Londres :
enfin j'y employai le crédit d'un homme de
mérite & de qualité , pour faire mettre dans
les papiers une déclaration de rimpofture.
Dans cette déclaration , je laiflbts parohre
(i) Les Libraires viennent de me marquer que
cette Edition eft faite ôc prête â paroftre. Cela
peut être , mais c'eft trop tard , & qui pis eft ,
trop à propos.
l.iii
ii(>T Lettre
toute ma douleur , & je n*en déguifoif
lacaufe.
Jufqu'ici M. Hume a femblé marcher dans
les ténèbres. Vous Tallez voir déformais dans
la lumière & marcher i découvert. Il n'y a
«]u*â toujours aller droit avec les gens rulcf r
tôt ou tard ils fe décèlent de leurs rufes
mêmes.
Lorfque cette préteudue lettre du Roi de
PxuiTc fut publiée i Londres , M. Hume ,
«)ui certainement favoit qu'elle étoit fuppo-
ée , puifque je le lui avois dit , n*en die
lien , ne m'écrit rien , fc tait & ne fooge
pas même à, faire , en faveur de fon ami
abftnc , aucune déclaration de la vérité. Il
ne falloit , pour aller au but, que laidèr
dire & fe tenir coi ^ c'efc ce qu'il fit.
M. Hume ^ysLUt été mon conduôeur en
Angleterre , y étoit , en quelque façon , moa
proreâeur, mon patron. S'il étoit naturel
qu'il prît nia défenfe « il ne l'étoit pas moia^
qu'ayant une pcotcflation publique à faire ^
je m'adrefTaiTc â lui pour cela. Â/ant déjà
A M. David Hume. 1 17
çcfic de lui écrire , je n'avois garde de re-
commencer. Je m'adrciTc à un autre. Premier
foufflcc fur la joue de mon Patron. Il n'en
teat Hen.
JEn difanc que U lettre étoic fabriquée i
Warts , il m*imporioic fort peu lequel on en^
tendît de M* d*A.lembert ou de fon prête-nom
M. ^alpole ; mais en ajoutant que ce qui
•avroit ic déchiroit mon cœur étoit que
rin>p»fteiif «voit des complices en Angle -
ttnCf je m*cxpUq«oi$ avec la plus grande
dartc pour leur ami qui ctpit à Londres ,
9c qui vouloir paffer pour le mien. Il n'y
^oit certaineoMint que lui ieul en Aj3gk-
fcfre dont la baine put 4ecètrer & navrer
mon cœur. Second foufHçt fyrla jow <lc mon
Patron. Il n'en fent rien..
Au contraîre , il feint jnaligaement quo
inoii affliâioB 'veneit Ceulcmient de la publi-
cacioii de cette lettre , afm de me faire paflèr
four un hoiiuBc vain qu'une fatyre affêde
beaucoup. Vain ou non , j'étais mortelle*
xnent affligé ; il le favotc & ne m'écxivoif
pQf un m9t. Ce cendreami^qui a taot àxcBtijr
ii8 Lettre
que mabeurfe foie pleine , fe foucieaflez peu
que mon cœur foie déchiré.
Uo autre écrit paroît bientôt dans les mè^
lues feuilles de la même main que le pre-
mier » plus cruel encore , s'il étoit poâîble »
& où TAuteur oe peut déguifer fa rage fuc
l'accueil que j'avois reçu à Paris. Cet éclac
ce m'aâFeâa plus ; il ne m'apprenoit rien de
nouveau. Les libelles peuvoient aller leur
train fans m'émouvoir . & le volage public
lui-même fe lafToit d'être long-tems occupé
du même fujet. Ce n'efl pas le compte des
complotteurs qui , ayant ma réputarion
d'honnête homme à détrmre , veulent de
manière ou d'autre en venir i bout. Il fallut
changer de batterie.
L'affaire de la penfion n'étoît pas terminée.
Il ne fut pas difficile à M. Hume d'obtenir
de l'humanité du Miniftre & de la généroiîté
du Prince qu'elle le fût. Il fut chargé de me
le marquer , il le fit. Ce moment fur » \c
l'avoue , uo des plus critiques de ma vie.
Combieu il m'en coûta pour faire mon de-
voir 1 Mes cngagemens précédens y l'obliga*
A M. David Humb« itf
de correTpondK avec nCpcù aux boncét
tlu Roi , l'honneur d*écre l'objet de Tes at-^
tentions , de celles de fou Miolftre , le defif
^e marquer combien j'y étois fenfible,
fttefne l'arantage d'êere un peu plus au large
«a approchant de U vieilleiTe , accablé d'en*
mus ic de maux , enfin rembarrai de crouvcv
une excufe honnête pour éluder un bienfalc
défSL prefi]ue accepté ; tout me rendoit dift-»
dte Se cruelle la noceifité d'y renoncer i ca«
il le h\loit aflliréflient , ou me rendre 1<
pl«s tU de tous les hon»mes en devenu»!
vdootaiicmeot l'ohl^é de celui dont )*étoi«
trahi.
Je £i mon devoir > non fans peîne , j*é-
crivis direâement â M. le Général Cou-'
^'^y (0 > & Avec autant de refpeâ & d*honr
nêteté qu*il me fut peflible , fans refus abfo-
|u , je me défendis pou.t le préfcnt d'accepter.
M* Hume avoit été le négociateur de l'af^
faire, le (êul même qui en eût parié ; non*
Cèulement je ne lui répondis point , quoique
ce fût lui qui m'eût écrit » mais je^e dit
pat un mot de lui dans ma lettre. Troiiiemo
* {t\ V«yc» la lettre do ri UmI 176^.
tjO L B T T R B
foufHec fur la joue de mon patron , & poar
celui-Iâ y s*il ne le fent pas , c*eft aiTurér
ment fa faute : il n'en fem rien.
Ma lettre n*écoit pas claire & ne pouvoir
fêtre pour M. le Général Conway , qui ne
favoic pas i quoi tenoit ce refus , mais elle
reçoit fort pour M. Hume qui le favoic très*
bien ; cependanc il feinc de prendre le change
tant fur le fujec de ma douleur , que fur celui
de mon refus » & dans un billet qu*il m'é-
crit il me fait entendre qu'on me ménagera la
continuation des bontés du Roi fi )e me
ravile fur la penfion. En un mot il prétend à
toute force 4 & quoi qu'il arrive , demeurer
mon patron malgré moi. Vous jugez bien ^
Monfieur , qu'il n'attendoit pas de réponfe
& il n'en eut point.
Dans ce même tems â-peu-près , car je ne
fais pas les dates , & cette exaâicude ici n'cft
painécefTaire» parûc une letcre de M. .de Vol-
taire à moi adrelTée avec une rraduâion
AngldVfe , qui renchérit encore fur l'original.
Le noble objet de ce fpirituel ouvrage eft de
fn*acciier le mépris & U haiiie de ceux chjct
'A M. David Hùmi. i ) t
qui je me fuis réfugié; Je ne doutai point
que mon cher patron n'eâc été un des inftru-
mens de cette publication , fur-tout quand |e
Yis qu'en tâchant d'aliéner de moi ceux qui
pouvoient en ce pays me rendre la vie agréa-
ble, on ayoit omis de nommer celui qui m*y
avoit conduit. On Cafoit fans doute que c*4-
toit un foin fuperflu & qu*â cet égard rien ne
rcAoit i faire. Ce nom û mal- adroitemenc
oublié dans cette lettre , me rappella ceque die
Tacite du Portrait de Brutus omis dans une
pompe funèbre , que chacun l'y diflinguoit^
préci(emenc parce qu'il n'y étoit pas.
On ne nommoit donc pas M. Hume i
mais il vit avec les gens qu'on nommoit*
Il a pour amis , tous mes ennemis, on le
fait : ailleurs les Tronchin , les d'Alembert ,
les Voltaire ( mais il y a bien pis i Londres ^
c'eft que je n'y ai pour ennemis que fcs amis.
Eh l pourquoi y en aurois je d'autres ? Pour-
quoi même y ai-je ceux li ? Qu*ai )e fait
à Lord Littleton , que je ne conrois même
pas ? Qu'ai je fait à M. Walpole que je ne
connois pas davantage ? Que favent-ils de
moi 9 (înon que je fuis malheureux & l'ami
rji Lettre
ie leur ami Home ? Que le«r «-t-il
^c , puisque ce nVil que pcr lui qu'iif fli^
coanoi/Iènr } Je ciob bien qu'ffrec le r5le
^'il fok, il ne iè démafqae pas devant
tmii le monde ; ce ne Tcroit pins êere mal^
«fué. Je crois bien qu*iX &c parie pas de moi â
M. le Général Conwaf ni â M. le I>iic d«
Richnx>nd , comme il ta parle dan< Tes ea^
ffcdens fecrecs avec M. 'Valpole , & dan»
fa correfpondance fecrete avec M. d*AIem«
beft 'y mais ^*on découvre la crame ^[ui
('•ourdit à Londres depuis mon arrivée » 9c
l'on verra d M. .Humç B*«n tient pat le«
principaux fils.
*
£afîn le moment venu qu'on croît propre
â frapper le grand coup , on en prépaie
Te^et par un txuivel écrit fatf rique , qu'oa
£sBt meccce dans les papiers. S*i! m'étok
cefté ju(qn'aloi«le moindre dooce , commenc
«oroit-il pu tenir devant cet écrit » puifqu'sl
contenoic des faits qui a'écoient connus que
de M. Hume, chargés , il efl vrai, pour
ks rendre odieux au public.
On die dans cet écrit que j'ouvre ma
porte
À M. David Home. 153
"porte aux grands & que je la ferme aux
petits. Qui cft-ce qui fait â qui )*ai ouvert
ou fermé ma porte , que M. Hume , avec
qui )*ai demeuré , £c par qui font venus cous
ceux que j*ai vus ? Il faut en excepter un
^raad que )'ai reçu de bon cceur fans le
coonoîcre , & que j*aurois reçu de bien
laeilleur copur encore fi |e Pavots connu.
Ce fut M. Hume qui me die Ton nom quand
il fut parti. En l'apprenant |'eus un vrai
<hagrin que , daignant monter au fécond
^t;^e y il ne fût pas enué au premier.
Quant aux petits, je n^ai rien â dire. J'au-
rois defiré voir moins de monde j mais ne
voulant déplaire à per(bnne, je me laflTois
diriger par M. Hume , & j'ai reçu de mon
mieux tous ceux qu'il m'a préfeniés fans
diâinâion de petits ni de grands*
On dit dans ce même écrit que je reçois
mes parens froidement , pour ne rien dire
de plus» Cette généralité confifte â avoir une
fois reçu affez froidement le (èul parent que
l'aie hors de Genève , ti cela en préfence de
M« Hume. C'cû néceffai rement ou M. Hume
Tom IF. M
I J4 L E T T R E
ou ce parent qui a fourni cet article. Or
mon coudn , que )*ai toujours connu potir
bon parent Se pour hoanéce homme , n*eft
point capable de fournir à <Us fatyres publi-
ques contre moi. D'ailleurs , borné par fen
état â la fociéeé des gens de commerce , il
ne vit pas avec les Gqns de Lettres , ni a^^ec
ceux qui fourniiTcnc des articles dans le<
papiers , encore nftoins avec ceux qui s'occu-
pent â des fatyres*. AinCi l'article ne vie&c
pas de lui. Tout au plus puis* je pen(èr qu«
M. Hume aura dahé de le faire jaGer , ce
qui n*e/l pas abfolument difficile , 6c qu'ail
aura tourné ce qu*il lui a dit de la manière
la plus favorable â fes vues. Il eft boh
d'ajouter qu'après ma rupture avec M. Huoae
j*en avoJs écrit i ce cou(in-U.
Enfîn , on die dans ce même écrit <f«ie }«
fuis fujet à changer 'd'amis. Il ne faut pas
^re bien fin pour comprendre à quoi cela
prépare.
Diftinguons. J'ai depuis vingt -cinq Ce
trente ans des amis ttès-folides. J'en ai dé
plus nouyeaiuE « mais non moins sûrs , que
A M. David Hume. 135
Je garderai plus long-tems û )e vis. Je n*ai
pat en général trouvé la même sûreté chez
ceux que )*ai fait^ parmi les Gens de Lettres.
AuiG j'en ai changé quelquefois , & )'en
changerai tant qu'ils me feront fufpefls ;
car |e (l»s bien déterminé à ne garder
)amats d'amis par bien(eance : je n'en veux
jt^oir que pour les aimer.
• Si jamais j'eus une convtâion intime 5c
certaine , je l'ai que M. Hume a fourni les
matériaax de cet écrit. Bien plus , non-feule*
in«ht j*ai cette certitude , mats il m'eft clair
qu'il a Toutn que je l'eufTe : car comment
Âippofer im homme auflS fin, alTez mal-adroit
four Ce découvrir à ce point , voulant fe
cacher i
Quel étoît foh but ? Rien n'eft plus clair
encore. C'étoit de porter mon indignation
à fon dernier terme , pour amener avec plus
d'éclat le coup qu'il me préparoit. Il fait
que pour me faire bien des foirifes il fuffit
de me mettre en colère. Nous fommes au
moment critique qui montrera s'il a bien
•u mal raifonné.
Mil
Ij^ Lettre
II Fautfe pofTéder autant que fait M. Hume ^
il faut avoir fon flegme & toute (a force
d'cfprit , pour prendre le parti qu*il prit ,
après tout ce qui s*étoit paile. Dans rem-
barras où fétois , écrivant à M. le Général
Conway , je ne pus remplir ma lettre que
de phrafes obfcures dont M. Hume fit ,
comaie mon ami , l'interprétation qu'il loi
plut. Suppofanc donc , quoiqu'il fiît très-
bien le contraire ^ que c'écoit la claufe du
(ecret qui me faifoit de la peine , il obtient
de M. le Général qu*il voudroit bien s'em-
ployer pour la faire lever. Alors cet homme
fioïque & vraiment infcnHble m*écrit la
lettre la plus amicale où il me marque qu'il
t'efl employé pour faire lever la claufe ,
mais qu'avant toute chofe il faut favoir G.
je veux accepter fans cette condition , pour
ce pas expofer Sa Majefté à un fécond
refus.
C^étoit ici le moment décifif , la fia ^
Tobjec de tous fes travaux. Il lui falloir une
réponfe » il la vouloir. Pour que je ne puflè
medifpenfcr de la faire, il envoie i M. Daven*
^ort un duplicau de fa lettre 3 & non coa-q
A M. David Hume, ijy
tent de .cettç précaution , il m*écrit dans
un 4utre billet qu'il ne (aurait reiler plus
long-cems à Londres pour mon fervice. La
tête rae tourna prefqne en lifint ce billet.
De mes jours je n*ji rien trouvé de plus
inconcevable.
tl Ta donc enfin , cette réponfe tant dcfi-
rée , & fe preflè déjà d'en triompher. Déjà
écrivant à M. Davenport , il me traite
d'hdmme féroce & de monftre d'ingraii-
Kude. Mais il lui faut plus. Ses «efures font
bien prifits y à ce qu*il penfe : mille preuve
contre kii oc peut écfaaper. Il veut une
explication : il Taura , & la voici.
Rien ne la conclut mieux que le dernier
trait qui Tamene. Seul il prouve tout &
fans réplique.
Je veux fuppoTcr , par împoffible , qu*il
n^efl rien revenu â M. Hume de mes plaictes
tontre lui : il n'en fait rien , il les ignore
auin parfaitement que s*il n'eût été fàufîlé
avec perfonne qui en fut inftruit , aufli par-
fait«ment que fi durant ce tems il eût véc«
M* • •
Mj
I3S
Lettre
à la Chine. Mais ma conduite immédiate
tncre lui & moi y les derniers mots fi frap-
pans , que je lui dis à Londres ; la lettre qui
iuivit , pleine d'inquiétude 2c de crainte >
mon filence obftiné, plus énergique que des
paroles ^ ma plainte amere & publique au
fujet de la lettre de M. d'Alembert ; ma
lettre au Miniftre , qui ne m'a point écrie 9
en réponfe à celle qu'il m'écrit lui-même ,
& dans laquelle je ne dis pas un mot de
luis enfin mon refus, fans daigner m*a«
drefTer à lui , d'acquielcer à une affaire qu'il
a traitée en ma faveur , moi le fâchant, Se
fans oppofition de ma part ; tout cela parle
feul du ton le plus fort , je ne dis pas à
tout homme qui auroit quelque fentimenc
dans Tame , mais à tout homme qui ii*efi
pas hébété.
Quoi I après que }'ai rompu tout com^
mercc avec lui depuis près de trois mois ,
après que je n'ai répondu â pas une de fes
lettres , quelqu'important qu'en fût le fujet,
environné des marques publiques & parti-
culières de l'affliftion que fon infidélité me
caufc , cet homme éclairé , ce beau génie
'A M. David Hume. ij<^
tutarellement fi clairvoyant & volontaire*
meiit fi flupide- , ne voie rien , n'entend
rien , ne fent rien , n*eft ému de rien , 6c
fans un feul mot de plainte , de juflification ,
<l'expIicacion , il continue à fe donner, mal*
gré moi , pour moi les foins les plus grands ,
les plus empreiTcs ! il m'écrit affeâueufe*
ment qu'il ne peut refter à Londres plus
• long-tems pour mon fervice , comme fi
nous étions d'accord qu'il y reliera pour
cela 1 Cet aveuglement , cette impaffîbilité ,
cette obflination ne font pas dans la nature s
il faut expliquer cela par d'autres motifs»
Menons cette conduite dans un plus grand
jour> car c'eft un point décifif.
Dan$ cette affaire il faut nécefiairemenc
que M. Hume foit le plus grand ou le der-
nier des hommes , il n'y a pas de milieu*
Refte à voir lequel c'eft des deux»
Malgré tant de marques de dédain de ma
part, M. Hume avoir* il l'étonnante géné«*
xofité de vouloir me fervir fincérement ? Il
favoit qu'il m'étoit impo^ble d'accepter fes
bons ofEccs > tant que i'aurois de lui les fcnii-
i4t Lettre
dit ces mots , )e fentis un creiTaillémenr
beffroi dont )e n'étois pas le maître > mais
il ne me fallut qu^un moment pour me
remettre & rire de ma terreur. Dès le l€ii-
demain tout fut fî parfaitement oublié , que
je n'y ai pas ilnème peiifé durant tout mon
il^joUr à Londres & au voi(inage. Je ne m'en
fais fonvenu qu*i€i , où tant de cbofes ra*oQC
rappelé ces paroles , & me les rappelleuc ^
pour ainfi dire à chaque ini^tnt.
Ces mots dont le tan retentit for nton
ccrar comme s'ils venoicnt d'être prOnoa -
ces y les longs Bc funefles regards tant de
fois lancés fur moi , les petits coups fur
le dos avec des mots de mon cher Moteur ^
en réponfe «u foupçdn d'écre un maître ^
tout cela m*aâR:âe i un tel point après le
feile y que Ces fouvenirs , fuiTent-ils les feols
fermeroient tout retour à la confiance , 8c il
n^ a pas an& nuit où ces mots : Je tiens
J» J. Roufftau , ne Tonnent encore è mon
oreille , comme fi je les entendoit de nou<»
veau.
Oui ^ M. Hume y vous me tenez ,-jc Iç
A M. David Humi. 145
<^i , mais feulemcm par des chofcs qui roc
font exccricurcs : vous me tenez par l'c^l-
nion , par les jugcmcns des hommes i vous
mo wne, par ma réputation , par ma ^fureté
pcuc^tre i cous Us préjugés font pour vous j
Il vous eft aif;^ de me faire paffer pour uo-
monftrç , comme vous avez commencé ,
& je vois déjà rcxultation barbare de mes
implacabliîs ennemis. Le public , en général ,
ne me fera pas plus de grâce. Sansauue exa-
men , il eft toujoufs pour \^% fcrv|ces rendus,
f >rce que chacun cft bien aifc d'iayittr i hxL
M rendfç, en montrant qa'ilfait le^fentir.
J« prévois aifément la fuite àt to^t cela , fut-
coK dans le pays où vous m'avez conduit,
U ©a , fans amis, étranger â tout Je monde ,
je4«is prefque â votre merci. Les gens fenfée
comprendront, cependant, que, loin que
j*aie pu chercher cette affaire , elle étoit ce
qui pouVoic m'arriver de plus terrible dans
Upolîtionoiijefuis: ils fentiront qu'il n*y
a que ma haine invincible pour toute fauflèti
«c rirapoflîbilitc de marquer de Teftime â
celui pour qui je l'ai perdue, qui aient p^
m'empêchcr de diflîmuler quand tant d'iu-
tétcts m'en faifoieat une loi :^ais les gêna
'^44 LiTTai
lènfet font en petit nombre & ce ne font pâl
ciu qui fbnt du bruit.
Oui y M. Hume , vous me tenez par tous
les liens de cette vie } mais vous ne me tenez
. ïii par ma vettu ni par mon courage , indé-
pendant de TOUS & des liommes » àc qui me
xeftera tout entier malgré vous. Ne penfez
j>as m*eâFrayer par la crainte du fort qui
m'attend.' Je connois les jugemens des
hommes , je fuis accoutumé i leur inju/lice »
& j'ai appris â les peu redouter. Si votre parti
cftpris f comme j'ai tout lieu de le croire ,
Ibyez sûr que le mien ne l'eft pas moins.
Mon corps eft aâFoibliy mais jamais mon
ame ne fqt plus ferme. Les hommes feront
& diront ce qu'ils voudront , peu m'irop<#àe i
ce qui m'importe eA d'achever , comme j'ai
commencé , d^étre droit Se vrai jufqu'i la
fin y quoiqu'il arrive , 8e de n'avoir pas plus
à me reprocher une lâcheté dans mes roifeipt
qu'une infolence dans ma profpérité. Quelque
opprobre qui m'attende & quelque malheur
qui me menace , je fuis prêt. Quoiqu'i
.plaindre , je le ferai moins que vous , & je
fous laiife pour toute vengeance le tourment
de
A M. David Hume. 145
4c refpeâer , malgré tous , Tlnforcuné que
TOUS accablez.
En achevant cetera lettre, je fuis furpris de
Ui force que j'ai eue de l'écrire. Si l'on mou-
foic de douleur , j'en ferois mort à chaque
Ugne. Tout «ft également incompréhenfible
«ians ce qui fe pafTe. Une conduite pareille à
la votre n'eft pas dans la nature , elle efl con-
tradi^oirc » £c cependant elle m'eft démon-
trée. Abyme des deux côtés l je péris dant
l'un ou dans l'autre. Je fuis le plus malheu-
reux des humains û vous êtes coupable , j'en
fuis le plus vil d vous êtes innocent. Vous me
faites defîrer d'être cet objet raéprifable. Oui,
l'état où je me verrois proderné , foulé fous
vos pieds , criant miféricorde & faifant touc
pour l'obtenir , publiant à haute voix mon
indignité & rendant â vos vertus le plus écla«
tant hommage , feroit pour mon coeur un
état d'épanouiifement & de joie , après l'étac
d'étou^Tement & de mort où vous l'avez mis»
Il no-me refte qu'un mot à vous dire. Si vous
êtes coupable ne m'écrivez plus ; cela feroic
inutile , & furement vous ne me tromperez
pas. Si vous êtes innocent , d$iignez vous
Tome IV% U
ij^S Lettre, Sec.
)u(Hfîcr. Je connois mon devoir , je Taîmo
& l'aimerai toujours, quelque rude qu*it
puifle être. Il n'y a point d'abjeâion donc un
coeur , qui n*efl pas né pour elle , ne puide
revenir. Encore un coup , û vous êtes inno-
cent , daignez vous juftifîer : il vous neTêcei
pas , adieu pour jamais.
LETTRE
A MYLORD MARÉCHAL.
Le lo Jmilu iy6€,
Lf A dernière lettre , Mylord , que )'ai reçue
• de vous étoic du 15 Mai. Depuis ce tems,
)*ai été forcé de déclarer mes feutimens à
M* Hume j il a voulu une explication j il Ta
eue , jMgnore Tufage qu*il en fera. Quoi qu'il
en Toit , tout eft dit déformais entre lui &
moi. Je voudrois vous envoyer copie des
lettres , mais c*e{l un livre pour la grolTeur.
Mylord , le fentiment cruel que nous ne nous
verrons plus , charge mon cœur d*un poids
infupportable* Je donnerois la moitié de mon
fang pour vous voir un feul quart-d'beure
encore une fois en ma vie. Vous favez com-
bien ce quart -d*heure me feroit doux , mais
vous ignorez combien il me feroit im-
portant.
Après avoir bien réfléchi fur ma fîruatîon
préfenie , )e n*ai trouvé qu'un feul moyen
poffible de m'afliirer quelque repos fur mes
detniers jours. Cdk de me faire oublier des
Nij
14^ L K T T R' É
hommes suffi parfaitement que fî je n'exîflslf
plul , û tant efl qu*on puiiTe appeller exif-
tence un refte de végétation inutile à roî-
même & aux autres , loin de tout ce qui
nous e(l cher. £n con(equence de cette ré-
Iblution , j*ai. pris celle de rompre toute cor-
refpQndtnce hors les cas d'abfolue nécefliié.
Je celTe déformais d'écrire & de répondre à
qui que ce foit. Je ne fais que deux feules
exceptions , dont Tune eft pour M. Du Pey-
Toa y je crois fuperâu de vous dire quelle eft
l'autre j déformais tout 1 Tamitié , n'exiflanc
plus que par elle , vous fenrez que j'ai plus
bcfoin que jamais d'avoir quelquefois de vos
lettres.
Je fuis très- heureux d'avoir pris du goâe
pour la botanique* Ce goût fe change in-
enfîMement en.une pa(fîon d'enfant, ou
plutôt en un radotage inutile & vain : csr je
n'apprends aujourd'hui qu'en oubliant ce que
j'appris hier i mais n'importe. Si je n'ai jamais
le plaiHr de favoir, j'aurai toujours celui
d'apprendre , «c c'cft tout ce qu'il me faut.
Vous ne fauriez croire combien Tétude des
plantes jette d'agrément fur ttiei promenadot
:a Mylord Maréchal. 149
foUtaires. Tai eu le bonheur de me conferver
un cœur aiTcz fain , pour que les plut (iuiplcs
amufemens lui fuffifent » & )*enipéche , en
m'empAîlliuic la t£ce , qu'il n*y refte place
pour d*aucres fatras.
L'occupation pour les jours de pluie , ùé-
q«iens en ce pays y eft d'écrire ma vie. Non
sna rie extérieure comme les autres $ mais
ma vie réelle , celle de mon ame , Thiftoire
de mes (èntimens les plus fecrecs. Je ferai c«
,f|ue nul homme n'a fait avant moi »& ce que
yraiferablablement nul autre fie £era dans la
iiiite. Je dirai tout , le bien , le mal , tout
enfin ; je me fens une ame qui fe peut mon-
trer. Je fuis loin de cette époque chérie de
17^2 » mais j'y viendrai , je l'efpere. Je re-
commencerai du moins en idée ces pèlerinages
de Colombier , qui furent les jours les plus
purs de ma vie. Que ne peuvent-ils recom-
mencer encore & recommencer fans cefTe ?
Je ne demanderois point d'autre éternité.
M. Du Peyrou me marque qu'il a reçu les
trois cents louis. Us viennent d'un bon perc
qui , non plus que celui dont il eft l'image ,
Nrtj
1 5 ô Lettre, Sec.
n'attend pas que fes enfant lui dcmandeiK
leur pain quotidien.
Je n'efltends point ce que vou» tne éim
d'une prétendue charge que les faabitans de
Derbyshire m'ont donnée. Il n'y a rien de
pareil , )è vous afTure'; & cela m'a tout l'air
d'une plaifanterie que quelqu'un vous aota
faite fur mon compte s du refte , )e fuittvds*'
content du pays 8c des liabitaÏM, «itan€
qu'on peut l'^re â mon âge d'un climat êc
d'une manière de vivre auxquels on n*eft pai
accoutumé. J'efpérois que vous me porleriee
un peu de votre maifon & de votre Jasdin ,
ne fût-ce qu'en faveur de la botanique. Ah I
que ne fuis-|e â portée de ce bienheureux jaiw
din y dût mon pauvre fultan le fbiiragtr ua
peu comme il fie celui de Colombier (
I. E T T R E
A M. G U Y.
Wootton y lez Août 1766.
JE me feroîs bien paffé , Monficur , d*ap-
prendre les braits obligeant c^u'on répand i
Paris fur mon compte ; & vous auriez bien
pu TOUS paflèr de vous joindre à ces cruels
amis qui fe plaifent à m*enfoncer vingt poi-
gnards dans le coeur. Le pani que j'ai pris
de ^l'enfevelir dans cetre fotitude , fans en-
tretenir plus aucune correfpondance dans le
inonde , eft l'eâTec de ma (îcuation bien exa-
minée. La ligué qui s*eft formée contre moi 9
elltrop putCance , trop adroite , trop ardente,
trop accréditée pour que dans ma portion ;
fans autre appui que la vérité , |e fois en étac
de lui faire face dans le public. Couper les
têtes de cette hydre ne ferviroit qu'à les mul-
tiplier , 6c je n*aurois pas détruit une de leurs
calomnies , que vingt autres plus cruelles lui
fuccéderoient à, Tinflant. Ce que j*ai â faire
eil de bien prendre mon parti fur les juge-
mens du public '> de me taire , & de tâcher
ail moins de vivre & mourir en repos.
152' ^Lettre
Je n'en fuis pas moins reconnoiifant pour
ceux que rincérêc qu'ils prennent à moi ,
engage â m'inftraire <le ce qui Te paiTe. En
ra*afHigeanc ils m'obligent ^ s'ils me font du
mal , c'cft en voulant me faire du bien. Ils
croient que ma réputation dépend d'une lettre
injurieufe ; cela peut être : mais s'ils croient
que mon honneur en dépend» ils fe trompent.
Si l'honneur d'un homme dépendoit des iU'*
jures qu'on lui dit , & des oucrages qu'on lui
fait 9 il y a long-tems qu'il ne me refteroic
plus d'honneur â perdre. Mais au contraire»
il efl même au-deifous d'iîQ honnête homme
de repoufTer de cenains outrages. On die
que M. Hume me traite de vile canaille &
de fcélérac. Si je favois répondre à de pareils
noms , je m'en croirois digne.
Montrez cette lettre a mes amis » & priez-
les de fe iranquillifer. Ceux qui ne jugent
que fur des preuves , ne me condamneront
certainement pas; 5c ceux qui jugent faot
preuves ne valent pas la peine qu'on les dé-
fabufe. M. Hume écrit , dit-on , qu'il veut
publier toutes les pièces relatives à cette
affaire. C'eft , j'en réponds , ce qu'il fe gaf
A M. G u Y. 155
«Icra de faire , ou ce qu*il fe gardera bien au
Biolns de faire fidèlement. Que ceux qui fe-
ront au foit nous jugent , je le dcfire : que
ceux qui ne fauront que ce que M. Hume
▼oudra leur dire , ne laifTcnt pas de nous ju-
ger , cela m*cft , je vous jure , trcs-indilfé-
rent. J'ai un défenfeur dont les opérations
font leaces y mais fures : je les attends.
Je me bornerai à. vous préftnter une feule
réflexion. Il s'agit , Monfîeur , de deux
hommes , dont Tun a été amené par l'autre
en Angleterre prefquc malgré lui. L'étranger,
ignorant la langue du pays , ne pouvant par-
ier ni entendre j feul , fans ami , fans appui ,
Cstns connoiifance , fans favoir même à qui
confier une lettre en fûrecé s livré fans ré-
ferve â l'autre & aux fiens ; malade , retiré ,
ne voyant perfonne , écrivant peu , eft allé
s'enfermer dans le fond d'une retraite , où it
lierborife pour toute occupation. Le Breton ,
homme a^if, liant, intriguant, au mi-
lieu de foiî pays , de Ces amis , de Ces pa-
rens , de fes patrons , de Cçs patriotes 5 en
grand crédit à la Cour , à la Ville ; répanda
^54 Lettre
dans le plus grand monde ,àla tête desgeny
de Lettres , difpofant des papiers publics ,
en grande relation chez l'étranger , fur-cour
avec les plus mortels ennemis du premier.
Dans cette poHtion « il fe trouve que Tua
des deux a tendu des pièges à l'autre. Le
Breton crie , que c'eft cette vile canaille , ce
fcélérat d'étranger qui lui en tend. L'étranger
feul , malade , abandonné , gémk & ne ré-
pond rien. Lâ-deiTus le voilà jugé , & il de-
meure clair qu'il s'eft laitfe mener dans le
pays de l'autre , qu'il s'eft mis à fa merci ,
tout exprès pour lui faire pièce » & pour conf-
pirer contre lui. Que penfez-vous de ce ju-
gement ? Si j'avois été capable de former uo
projet au(G monftrueufemenc excravagior ,
où eft l'homme , ayant quelque fens , quel-
que humanité , qui ne devroic pas dire :
Vous faites tort à ce pauvre miférable , il eft
trop fou pour pouvoir être un fcélérat. Plai-
gnez-le» faignez-le; mais ne l'injuriez par.
J'ajouterai que le ton feul que prend M. Hu-
me , devroit décréditer ce qu'il dit. Ce ton
ft brutal , (î bas , fi indigne d'un homme qui
fe teCpcâe , marque aiTcz que l'ame qui l'c
A M. G u y. I j j
àm n'cft pas faine^ il n'annonce pas un
langage digne de foi. Je fuis étonné , je
ravouc , comment ce ton feul n'a pas excité
l'indignation publique. Ccft qu'à Paris
c'eft toujours celui qui cric le plus fort qui
a raifon. A ce combat là , je n'emporterai
jamatt la viaoire , & je ne la difputcrai pas.
Voici , Monfîeur , le fait en peu de mots,
n m'eil prouvé que M. Hume , lié avec mes
pluj cruels ennemis , d'accord à Londres
avec des gens qui fc montrent, & â Paris ^
a?cc tel qui ne Ce montre pas , m'a attiré
<lans fon pays , en apparence pour m'y fcr-
vir avec la plus grande oftentation , & en
effet pour m'y diffamer avec la plus grande
adreffe , à quoi il a très-bien réuflî. Je m'en
fuit plaints il a voulu favoir mes raifons j je
les lui ai écrites dans le plus grand détail : (î
on les demande, il peut les dire. Quant i
moi , je n'ai rien à dire du tout.
Plas |e penfci la publication promîfe par
M. Hume , moins je puis concevoir qu'il
Vcxécutc. S'il l'ofç faire , à moias d'énoi-
^
1^6 Lettre, &c.
mrs fainHcations, je prédis hardiment , ^ue^
malgré Ton extrême adreife & celle de Ces
smis , fans même que |e m'en mêle , M*
Hume eA un homme démafqué»
lETTRl
LETTRE
A MYLORD MARÉCHAL.
Ia ^ Août iy€é.
Les chofes incroyables que M. Hume
écrit â Paris fur mon compte , me font pré-
fumer que , s'il i'ofe , il ne manquera pas Hs
TOUS en écrire autant. Je ne fuis pas en peine
de ce que vous en penferez. Je me flatte, My.
lord , d'être affez connu de vous » & cela
me tranquillife. Mais il m'accufe avec tant
d'audace d'avoir refufé malhonnêtement la
penfîon après l'avoir acceptée , que je crois
devoir vous envoyer une copie Hdelle de la
lettre que j'écrivis â ce fujet â M. le Général
Conway (i). J'étois bien embarraffé dans
cette lettre , ne voulant pas dire la véritable
caufe de mon refus , & ne pouvant en allé-
guer aucune autre. Vous conviendrez , je
m'a^Ture , que fi l'on peut s'en tirer mieux
que je ne fis , on ne peut du moins i^tn tirer
plus honnêtement. J'ajouterois qu'il eft faux
que j'aie jamais accepté la penfion. J'y mis
(i) Celle du xi Mai i-j66.
Tome IV. ^ O
158 LltTRï, &C.
feulemenc votre agrément pour conditioa
néceiï*aire , & quand cet agrément fat yenu ,
M. Hume alla en avant fans me coufulter
davantage. Comme voui ne pouvez favoir
ce qui s*eA paflé en Angleterre â mon égard
depuis mon arrivée , il eft impofljble que
vous prononciez dans cette aâPaire , avec
connoiiTance , entre M. Hume & moi j fes
procédés fecrets font trop incroyables , SC
il A*y ^ perfonne au monde moins fait que
vous y pour y ajouter foi. Pour moi qui
les ai fends Ci cruellement ,/ & qui n*y peux
penfer qu*avcc la douleur la plus amere ^
tout ce qu'il me rcfte â defîrcr , elt de n'en
reparler jamais. Mais comme M. Hurae oe
garde pas le même (îlence , & qu'il avance
les chofes les plus fauffes du ton le plus affir*
matify \t vous demande audi, Mylord ,
une juflice que vous ne pouvez me refufer ,
c*e(l lorfqu'on pourra vous dire ou vous
écrire que j'ai £ait volontairement une chofe
injulèe ou malhonnête , d'être bien peifuadé
que cela n'eil pas vrai.
1. ET TR E
AU MÊME.
7 SipHmbre iy€€,
J E ne puis vous exprimer , Myîord , à
quel point , dans les circonftances où je nie
trouve « }e fuis alarmé de vocre filence. La
dernière lettre que j*ai reçue de vous éioit
du « .... . Seroit-il poffible que les ter-
ribles clameurs de M. Hume euiï*ent fait im-
preflion fur vous , & m*eu^ent au milieu
de tant de malheurs , ôté la feule confo-
lation qui me reftoit fur la terre ? Non ,
Mylord , cela ne peut pas être. Votre ame
ferme ne peut être entraînée par l'exemple de
la foule s votre efprit judicieux ne peut être
abufé à ce point. Vous n*avez point connu
cet homme « perfonne ne Ta connu , ou plu-
tôt il n'eA plus le même. Il n'a jamais haï
que moi fcul } mais au/fî quelle haine ! Un
même coeur pourroic-il fuâfîre i deux comme
celle-U ? Il a marché jufqu'ici dans les tene-
l^iei y il l'cA caché , mais maintenant il fe
Oij
i6o Lettre
montre â découvert. Il a rempli rAnglererrr^
la France f les Gazettes , TEurope entière de
cris auxquels je ne fais que répondre^Sc d'in-
jures dont je me croirois digne , û je dai»
gnois les repoulTer. Tout cela ne déccle-t-il
pas avec évidence le but qu'il a caché jufqu'i
préfent avec tant de foin ? Mais laidôns
M. Hume j je veux l'oublier malgré les maux
qu'il m'a faits. Seulement qu'il ne m'ôte pas
mon père. Cette perte eft la feule que je ne
pourrois fupporter. Avez-vous reçu mes deux
dernières lettres , l'une du lo Juillet , &
l'autre du ^ Août ? Ont- elles eu le bonheur
d'échaper aux filett qui font tendus touc
autour de moi » & au travers defquels peu
de chofe pade ? Il paroît que l'intention de
mon per(ccuceur & de fes amis , eft de m'ôter
toute communication avec le continent , &
de me £iire périr ici de douleur & de mi-
fere. Leurs mefures font trop bien prifes pour
que je puifle ai(ement leur échaper. Je fuis
préparé à tout , & je puis tout fupporter hors
votre fîleuce. Jem^adrefle k M. Rougcmont ;
je ne connois que lui feul à Londres à qui
J'ofc me confier. S'il me refufe fes fervices.
'A Mylord Maréchal, itfi
|e fuis fans refTource, Scfans moyen pout
écrire à mes amis. Ah , Mylord ! qu'il me
vienne une lettre de vous > & je mecenfole
•ie tout le lefle.
OU)
LETTRE
A U M Ê M E.
Wootton y U 17 Septembre 17^^.
Je n'ai pas bcfoin , MylorJ , de vous dire
combien vos deux dernières lettres m'ont
fait de plaifir & ni'éioient néceifaires. Ce plai-
(îr a pourtant été tempéré par plus d'un ar-
ticle , par un fur- tout auquel je réferve nne
lettre exprès , & auflî par ceux qui regardent
M. Hume , dont je ne faurois lire le nom.
ta rien qui s'y rapporte , fans un ferrement
de cœur & un mouvement convulfîf » qui
fait pis que de me tuer , puifqu'il me laiflê
vivre. Je ne cherche point , Mylord , â dé-
truire l'opinion que vous avez de cet homme y
ainfî que toute l'Europe ^ mais je vous con-
jure par votre cœur paternel de ne me re-
parler jamais de lui fans la plus grande ne-
ceiCté.
Je ne puis me difpenfer de répondre d ce
que vous m'en dites dans votre lettre du ^
de ce mois. Je vois'avec douleur , me mar*
quez-vous , que vos ennemis mettront fur le
compte de M. Hume tout ce qu^il leur plaira
■ d'ajouter au démêlé d^etttfe Pàus, & lui. Mais
^oe pourroienc-ils faire de plus que ce qu'il
a fait lui-même ? Dirent-ils de moi pis qu^il
S) en a dit dans les lettres qu'il a écrites À
" Paris , par toute l*Eiïrope , & qu'il a fait
mettre dans toutes les Gazettes ? Mes autres
ennemis me font du pis quMts peuvent & ne
s*en cachent gueres ; lui fait pis qu'eux de
le cache , & c'eft lui qui ne manquera pas de
mettre fur leur compte , le mal que jufqu'à
ma mort il ne cefTera de me faire en fccret.
Vous me dites encore , Mylord , que )c
trouve mauvais que M. Hume ait follicité la
l>ennon du Roi d'Angleterre à mon infu.
Comment avez-vous pu vous laiffer fur-
prendre au point d'affirmer ainfi ce qui n'eft
pas ? Si cela étoit vrai , je ferois un extrava-
gant y tout au moins ; mais rien n'eft plus
faux. Ce qui m'a fâché , c'étoit qu'avec fa
profonde adreflè il fe foie fervi de cette
penfion , fur laquelle il revenoit i mon iofa
quoique refu(ee , pour me forcer de lui mo-
civer mon refus & de lui faire la déclara-
tion (^tTil vouloir abfolument avoir ^ fie
1^4 Lettre, Sec.
que je voutois éviter , fâchant bien Vuùtpà
qu'il en you^oit faire. Voilà , Mylord ,
Texaâe vérité , dont fai les preuves y & que
vous pouvez aflSrmer.
Grâce au ctel^ j'ai fini quant â pféfent fuf
ce qui regarde M. Hume. Le fujct dont j'ai
maintenant i vous parler eft tel que je ne puis
me réfoudre à le mêler avec celui-U dans la
même lettre. Je le réferve pour la première
que je vous écrirai. Ménagez peur moi vos
précieux jours , je vous en conjure. Ah !
vous ne favez pas » dans l'abîme de mal*
heurs où je fuis plongé y quel fisroic poiu
moi celui de vous furvivre \
LETTRE
A MADAME ***.
Wootton , le 27 Septembre îy66,
Le cas que vous m'expofez , Madame , eft
dans le fond très-commun , mais mêlé de
chofes fi extraordinaires , que vocre lettre a
l*air d'un roman. Votre jeune homme n*e(l
pas de Ton ficelé *, c'eA un prodige ou un
monftre. Il y a des montres dans ce fiede ,
je le fais trop , mais plus vils que courageux ,
Se plus fourbes que féroces. Quant aux pro-
diges , on en voit fi peu que ce n'cft pas la
peine d*y croire , & fi Caflîus en eft un de
force d*ame, il n'en eft affurémcnt pas un de
bon Cens & de raifon.
It fe vante de facrifices qui , quoi qu'ils
faflcnt horreur , feroient grands t*ils étoienc
'pénibles , & feroient héroïques s*ils étoienc
néceifaires > mais où , faute de l'une & de
l'autre de ces conditions , je ne vois qu'une
extravagance qui me fait très-mal augurer de
celui qui les a faits. Convenez , Madame ,
^u'un amant qui oublie fa belle dans uu
j66 Lettre
Toyage , qui en redevient amoureux qnati^
il la revoit , qui Tépoufe & puis qui s*^«
loigne & Toublie encore , qui promet (eche*
ment de revenir à Ces couches Ôc n*en fait
rien , qui revient enfin pour lui dire qu*il l'a-
bandonne , qui part & ne lui écrit que pour
confirmer cette belle réfoUition 5 convenez ,
dis-ie , que fi cet homme eut de Tamour , il
n^n eût gueres , & que la viâoire dont il
fe vante avec tant de pompe , lui coûte pro-
bablement beaucoup moins qu'il ne vous dit»
Maïs fuppofant cet amour aflcz violent
pour fe faire honneur du facrifice , où en cil
la néccflîté ? C*eft ce qui me pafTc. Qu'il s'oc-
cupe du Aiblime emploi de délivrer fa patrie »
cela eft fort beau > & je veux croire que cela
eft utile : mais ne fe permettre aucun fenci-
ment étranger i ce devoir , pourquoi cela ?
Tous les fentimens vertueux ne s'étaient- ils
pas les uns les autres , & peut- on en détruire
un (ans les afFoihlir tous ? T'ai cru long-tems >
dit- il y combiner mes affeéiions avec mes de
voirs. Il n'y a point là de combinaifons à
faire , quand ces afifeOions elles-mêmes font
des deroits. Uillufion cejfe. « & je vois ^ttu^
A Madame *♦*. i6y
^rrài citoyen doit Us abolir. Quelle eft donc
cette illufion ^ Se où a-t-il pris cette afFreufe
maxime ? S'il eil de trifles fituations dans la
vie , s*il eil de cruels devoirs qui nous for-
cent quelquefois â leur en facrifier d'autres ,
à. déchirer notre cœur pour obéira la néceflîté
prenante oui l'infleocible vertu , encft-il ,
en peut- il jamais être qui nous forcent d'é-
couâTer des fentimens auifi légitimes que
ceux de Tamour filial , conjugal , paternel i
& tout homme qui fe fait une exprcfTe loi de
a*êire plus ni fils y ni mari, ni pcre , ofe-
c-il ufurper le nom de citoyen 9 ofc-c-il ufiir-
per le nom d'homme }
On diroic , Madame ^ en îifant votre let-
tre , qu'il s'agit d'une confpiration. Les conC-
pirations peuvent être des aâes héroïques de
patriotifmc , & il y en a eu de telles i mais
prefque toujours elles ne font que des crimes
puniflables , dont les auteurs fongent bien
-moins X fervir la patrie qu'à l'affervir , de à
la délivrer de fcs tyrans qu'à l'être. Pour
xnoi je vous déclare que je ne voudrois pour
xien au monde avoir trempé dans la conf-
pirattOA la plus légitime } paice qu'enfin cei
1^8 Lettre
forces d'entreprifes ne peuvent s'exécuter Cuïs
troubles , fans défordres , fans violences »
quelquefois fans efFuHon de fang , 8c qu'à
mon avis le fang d'un feul homme eft d'un
plus grand prix que la liberté de tout le genre-
humain. Ceux qui aiment (încérement U li-
berté n'ont pas befoin , pour la trouver > de
tant de machines -y & Cans caufer ni révolu-
tions ni troubles , quiconque veut être libre »
l'eil en effet.
Pofons toutefois cette grande entreprKe
comme un devoir facré qui doit régner fur
tous les autres , doic-il pour cela les anéantir ^
& ces differens devoirs font- ils donc à tel
point incompatibles , qu'on ne puiilè fervir
la patrie fans renoncer â l'humanité ? Votre
Caflîus e(l-il donc le premier qui ait formé
le projet de délivrer la fîenne , & ceux qui
'l'ont exécuté , l'ont-ils fait au prix des facri-
fices donc il fe vante ? Lbs Pélopidas , les
Brutus , les vrais Caflîus & tant d'autres ont-
ils eu befoin d'abjurer cous les droics du fang
& de la nature , pour accomplir leurs nobles
deffeins ? V eût -if jamais de meilleurs fils ,
de meilleurs maris ^ de meilleurs pères qu?
CCS
A Madame ***. 169
ket grands hommes ? La plupart, au con«
traire , concertèrent leurs entreprifes au fcia
de leurs familles , êc Brutus ofa révéler , fans
néceflîcé , Ton fecret à fa femme, uniquement
parce ^u^il la trouva digne d'en être dépo«
iîtaire. Sans aller û. loin chercher des exem^
pics , je puis , Madame , vous en citer un
plus moderne d'un héros à qui rien ne man-
que pour être à, côté de ceux de Tanciquicé ,
^ue d'être auffî connu qu'eux. C'efl le Comte
Xouls de Fiefque « lorfqu'il voulut brifer les
fers de Gênes fa patrie , & la délivrer du
joug des Doiia. Ce jeune homme û aimable,
iî vertueux , Ci parfait , forma ce grand def-
fein prefque dès fon enfance , & s'éleva , pour
sdaCi dire , lui-même pour Texécucer. Quoi-
que très-prudent , il le confia â fon frère , à
fa famille , â Ca femme aufli jeune que lui >
te après des préparatifs très - grands , très-
lents , très- difficiles , le fecrêt fut G. bien gar-
dé , l'entreprife fut û. bien concertée & eut
un Cl plein fuccès , que le jeune Fiefque étoic
maître de Gênes au moment qu'il périt par
un accident.
Je ne dis pas qu'il foitiage de révéler ce^
Tome IF. P
lyo Lettre
fortes de fecrets , même à Tes proches , faut
la plus grande néceflicé ^ mais autre chofe efl^
garder Ton fecret , & autre chofe , rompre
avec ceux â qui on le cache. J^accorde même
qu*en méditant un grand deffein 9 Ton efl
obligé de s'f livrer quelquefois au point d'ou-
blier pour un tems , des devoirs moins pref-
fans peut-être ,^mais non moins facrés iitâc
qu'on peut les remplir. Mais que de propos
délibéré , de gaité de cœur , le fâchant » le
voulant , on ait , avec la barbarie de renon-
cer pour jamais à tout ce qui nous doit être
cher , celle de Taccabler de cette déclaration
cruelle , c'eft , Madame , ce qu'aucune fîtua-
tion imaginable ne peut ni autorifer , ni fug-
gérer même à un homme dans fon bons Cens
qui n*eft pas un mondre. Ainfî )e conclus ,
quoi qu'à regret , que votre CafCus eft fou
tout au moins , & je vous avoue qu'il m*a
tout -â- fait l'air d'un ambitieux embarra(!e
de fa femme , qui veut couvrir du mafque
de rhéroïfme fon inconftance & fes projets
d'aggrandiilement. Or • ceux qui favent em-
ployer à fon âge de pareilles rufes , font des
gens qu'on ne ramené jamais ^ 6c qui rvc-
ment en valent la peine.
A Madame ***. 171
Il Ce peut y Madame , que je me trompe ;
c*eft à vous d'en juger. Je voudrois avoir
des chofes plus agréables i vous dire : mais
vous me demandte mon fentiment ; il faut
vous le dire, ou me taire , ou vous tromper.
I>et trois partis j'aichoifi le plus honnête, &
celui qui pouvoit le mieux vous marquer »
Madame y ma déférence fie mon refpe^»
Pîj
LETTRE
A M'"- DEWES.
JPootton ) U $ Décembre iyf€m,
1V3 A belle Toifine , tous me rendez injufle
& jaloux pour la première fois de ma vie ^
)e n*ai pu voir fans enyie les chaînes dont vous
honoriez mon fulcan \ U\t lui a» rayi l*a»
vancage de les porter le premier. J*en auroîs
dû parer votre brebis chérie , mais je n*ai oCk
empiéter fur les droits d*un jeune & aimable
berger. C*efl déjà trop paiTcr les miens de
faire le galant â mon âge \ mais puifque
vous me l'avez fait oublier , tâchez de l'ou-
blier vous-même y dcpenfez moins au barboa
qui vous rend hommage , qu'au foin que vous
avez pris de lui rajeunir le coeur.
7e ne veux pas, ma belle voi(îne y vous
ennuyer plus long-tems de mes vieilles for-
nettes. Si je vous contois toutes les bontés
& amitiés dont votre cher oncle m'honore ^
je fesois encore ennuyeux par mes longueurs %
ainfi je me tais. Mais revenez l'été prochain
en être le témoin vous-même , & ramenés
L I T T 11 E , &C. 17}
Madame la ComtefTe (i) , à. condition que
nous ferons cotte fois- ci les plas forts , 6c
qa*au lieu de vous laiCer enlever comme
cette année , tous nous ^detez â la retenir.
(1) Madame la Comtefle de»Cewpt|r , Tçuve
du feu Comte Covper , & fille du Comte dt
Cran ville.
P iii
LETTRE
A MYLORD MARÉCHAL.
II Décembre ïj^s»
ABRicm la correfpoDdance ! . . . Mylord ,
^ue m'annoncez- TOUS , & quel tems prenez-
vous pour cela 2 Serois-)e dans votre difgnace?
Ah ! dans cous les malheurs qui m'accablenr^
voilà le feul que je ne (kurois fupporrer. SI
j*ai des torts , daignez tes pardonner , en e/l-
i\ » en peut-il étfe que mes fenciniens pour
vous ne doivent pas racheter ? Vos bontés
pour moi font toute la confolation de ma vie»
Voulez- vous m*ôter cette unique & douce
confolation ? Vous avez ceile d'écrire à vos
parens. Eh ! qu'importe , tous vos parens ,
tous vos amis enfeinble ont-ils pour vous im
attachement comparable au mien ? £h !
Mylord , c'eR votre âge , ce font mes maux
qui nous rendent plus utiles l'un â l'autre.
A quoi peuvent mieux s'employer les refies
de la vie qu'à s'entretenir avec ceux qui nous
font chers ? Vous m'avez promis une éter-
nelle amitié , je la veux toujours , j'en fuis
toujours digne. Les terres & les mers nous
f(Sparent , les hommes peuvent femer bien des
erreurs encre nous y mais rien ne peut réparer
jnon cœur du vôtre , & celui que vous ai-
mâtes une fois n*a point changé. Si réellement
vous craignez la peine d'écrire , c'efl mon de-
voir de vous, l'épargner aucam qu'il fe-peut.
Je ne demande k chaque fois que deux li-
^es , toujours les mêmes & rien de plus»
J'ai reçu votre lettre de telle date , Je me
forte bien ^ & je vous aime toujours. Voilà-
tout. Répétez-moi ces dix mots douze fois
l'année , & \t fuis content. De mon côté-
}*aurai le plus grand foin de ne vous écrire
jamais tien qui puiflè vous importuner oif
Tousdéplaire. Mais ceffcr de vous écrire avant
que la mort nous fépare , non Mylord , ccl»
ne peut pas être ; cela «e fc peut pas plus que
cefTer de vous aimer.
Si vous tenez votre cruelle réfolution , j'en
mourrai , ce n'eft pas le pire *, mais j'en mour-
rai dans la douleur y & je vous prédis que
vous y aurez du regret. J'attends une réponfe ,
ie l'attends dans les plus mortelles inquiétu-
des ; mais je connois votre ame & cela me
ralTure. Si vous pouvez fentir combien cette
féponfc m'eft néccffaire^ je fuis ttès-sûr qu«
)e l'aurai prompcçment»
LETTRE
A M. LE MARQUIS
DE MIRABEAU.
ff^ootton le il Jantier Ï76J»
Il eft digoe de Tami des hommes de con-
foler les affligés. La lettre ^ Monsieur , que
TOUS m*avez fait l'honneur de m*écrire ,
la circofiftance où elle a été écrite » le noble
fentimenc qui Ta diâée , la main refpcc*
table donc elle vient , Tinfortuné i qui elle
s'adrefTe , tout concourt à lui donner dans
mon caur le prix qu'elle reçoit du vôtre.
£n vous lifanc , en vous aimant par confia-
quent » )*ai Souvent defîré d'être connu de
aimé de vous. Je ne m*attendois pas que
ce feroit vous qui feriez les avances , 8c
cela précifément au moment où |'étois uni-
verfellement abandonné : mais la générofité
ne fait rien faire â demi y & votre lettre en
a bien la plénitude. Qu*il feroit beau que
l'ami des hommes donnât retraire â Tami
de régalité ! Votre ofFre m'a fi vivement
pénétré y j'en trouve l'objet fi honorable i
Lettre, &c. i 77
Van & à Tautre , que par un autre effet bien
contraire vous inè rendrez malheureux peucr
écre , pat le regret de n*cn pas profiter :. car
q^uelque doux qu'il me fut d'être votre hôte ^
}e rois peu d'efpoir â le devenir. Mon âge
plus avancé que le vôtre , le grand éloigne-
suent , mes maux qui me rendent les voyage»
très - pénibles , Tamour du repos , de U
Tolitude y le deHr d'être oublié pour mourir
en paix , me font redouter de nue rappro- ,
cher des grandes villes, où mon voifinage
pourroit réveiller une forte d'attention qui
£aic mon tourmenc D'ailleurs , pour ne
parler que de ce qui me tiendroic plus près
<le vous 9 fans douter de ma sûreté du côté
du Parlement de Paris , je lui dois ce ref-
peâ de ne pas aller le braver dans Ton
refTort « comme pour lui faire avouer tacite-
suent fon injuftice ^ )e le dois à votre miniC-
tere , à qui trop de marques affligeantes me
font fentir que |*ai eu le malheur de dé-
plaire » & cela fans que j'en puiffe imaginer,
â'autre cauCe qu'un mal-entendu d'autanc
plus cruel ^ que , fans lui , ce qui m'attira*
mes difgraces m'eût dû mériter des faveun*
JDix mots d'explication prouveroicnt cela i
lyS L I T T R E
mais c'eft un des malheurs attachés à ta
pui^Dce humaine £c â ceux qui lui font
fournis , que quand les Grands font une fols
dans Terreur il ell impoflible qu'ils en revien-
nent. AinG. y Monfieur , pour ne point in*er-
pofer â de nouveaux orages ^ je me tieos au
feul parti qui peut affurer le repos de mes
derniers jours. J*aime la France , je la regret-
terai toute marie; fi mon fort dépendoic
de moi , j'irois y finir mes jours , & vous
feriez mon hôte , puifque vous n*aimez pas
que j'aie un patron ; mais félon toute appa«>
rence mts vœux & mon caur feront feuls
le voyage y ^ mes os refieront ici.
Je n'ai pas eu , Monfîeur , fur vos écrits
rindiBTérencc de M. Hume , & je pourrois
û l^en vous en parler qu'ils font avec deux
traités de Botanique ^ les feuls livres que
}*aie apportés avec moi dans ma malle $
mais outre que je crois votre fublime amout'
propre trop au-deffus de la petite vanité
d'Auteur , pour ne pas dédaigner ces formu-
laires d'éloges , je fuis déjà trop loin de ces
fortes de matières peur pouvoir en parler avec
îiiflefTe & même avec plaiiir. Tout ce qui
A M. DE Mirabeau. 179
ttenc par quelque c6té â la littérature & à
un métier pour lequel certainement je n'é-
tois pas né , m'eft devenu fî parfaitement
infupportable , & fon fouyenir me rappelle
tant de trîAes idées , que pour n*y plus pen»
fer j'ai pris le parti de me défaire de tous
mes livres , qu'on m'a très- mal i propos
envoyés de Suidê : les vôtres & les miens
font partis avec tout le refle. J'ai pris toute
leâure dans un tel dégoût, qu'il a fallu
renoncer â mou Plutarque. La fatigue même
de penfer me devient chaque jour plus péni-*'
ble. J'aime â rêver , mais librement , en
laiHânt errer ma tête » 8c fans m'aCervir à
aucun fujeti & maintenant que je vous écris,
|e quitte à tout moment la plume , pour
vous dire , en me promenant , mille chofes
charmantes , qui dirparoilfeot (ît6c que )e
reviens à, mon papier.* Cette vie oi(ive £c
contemplative, que vous n'approuvêï pas
& que je n'excufe pas , me devient chaque
|our plus délicieufe. Errer feul , fans 6n Se
(ans cefTe , parmi les arbres & les roches
qui entourent ma demeure , rêver au plutôt
cxtravaguer à mon aife , & , comme vous
dites 9 bayer aux corneilles ; quand ma cer«
X
iSo Lettre
velle s'échauiFe crdp , lacalmer ea analyfanc
quelque moulTe ou quelque fougère i enfin
me livrer fans gêne à mes fantaiiîesy qui ,
grâces au ciel , font toute» en mon pou-
voir; voilà, Monsieur, pour moilarapréme
jouilTance » â laquelle je n'imagine rien de
iiipécieur dans ce monde pour un homme à
mon âge & dans mon -ecac. Si j*allois dans
une de vos terres , vous pouvez compcer que
je n^y prendrois pas le plus petit foin eu
faveur du propriétaire ; )e vous verrois voler ,
piller y dévalifer ff fans jamais en dire un
feul mot ni à. vous ni à perfonne. Tous
mes malheurs me viennent de cette ardente
haine de Tinjudice, que je n*ai jamais pu
?^ dompter. Je me le tiens pour dit. Il e/l cems
d^êcre fage ou du moins tranquille. Je fuis
las de guerres ic de querelles : je fuis bien
sûr de n*en avoir jamais avec les honnêtes
gens y te je n*en veux plus avec les fripons i
car celles- U font trop dangereufes. VoycK
donc , Monfieur , quel homme utile vous
mettriez dans votre maifon i A Dieu ne
plaife: que je veuille avilit votre offre par
cctte^objeaiop 5 mais c*en eft une dans vos
maxiiucs , fie il faut être confcquenc
Ca
■^
A M. DE MiR ABE AU, 1 8 C
£n cenfuranc cette nonchalance , vous me
dépècerez que c*eft n'être bon i rien que n'être
bon que pour foi: mais peuc-on être vrai-
ment bon pour foi fans erre par quelque
côcé bon pour les autres ^ D'ailleurs , confî-
clérez qu'il n'appartient pas i tout ami des
hommes d*êtrc , comme vous , leur bien-
faiteur en réalité. Coiifîdérez que je n*ai ni
état ni fortune , que je vieillis « que je fuis
infirme , abandonné y perfécuté , déteAé.
Zc qu'en voulant faire du bien je fcrois du
mal , fur- tout â moi-même. J'ai reçu mon
congé bien /îgnifié , par la nature & par les
hommes -, je l'ai pris & j'en veux profiter. Je
ne délibère plus Û. c'efl bien ou mal fait ,
parce que c'eA une rcfolution prife , & rien
lie m'en fera départir. Puiïïè le public m'ou-
blier comme je l'oublie l S'il ne veut pas
sn'oubliex > peu m'importe : qu'il m'admire
ou qu'il me déchire , tout cela m'eft indiâfé-
sent', je tâche de n'en tien favoir , & quand
|e t'apprends , je ne m'en (bucie gueres. Si
l'exemple d'une vie, innocente & (impie eft
utile aux hommes , je puis leur faire encore
ce bien- là ; mais c'ed le feul , & je fuis
bien déterminé à ne vivre plus que pour
Tome IK Q
i8t Lettre
moi & pour mes amis , en crés-petic nombre
mais éprouvés , & qui me ruffifent. Encore
aurois |e pu m'en paiTer , quoiqu*ayanc un
cœur aimant & tendre pour qui des attache-
mens font de vrais befoins : mais ces berbins
m*onc fouvent coûté fi cher que )*ai appris à
me fuffire à moi-même , & |e me fuis con-
fervé Tame afTcz faine pour le pouvoir. Ja-
mais fentiment haineux , envieux , vindica-
tif n'approcha de mon cceur. Le fouvenir de
mes amis donne à ma rêverie un charme que
le fouvenir de mes ennemis ne trouble point*
Je fuis tout entier où je fuis , & point où
font ceux qui me perfécucent. Leur haine ,
quand elle n'agit pas , ne trouble qu'eux , de
je la leur laifTe pour toute vengeance. Je ne
fuis pas parfaitement heureux, parce qu'il
n'y a rien de parfait ici bas , fur- tout le bon-
heur : mais j'en fuis auffi près que je puiffe l'écre
dans cet exil. Peu de chofe de plus comble-
roit mes vœux. Moins de maux corporels ,
un climat plus doux , un ciel plus pur , un
air plus ferein ; fur-tout des cœurs plus ou-
verts où , quand le mien s'épanche , il fentîc
que c'eft dans un autre. J'ai ce bonheur en
ce moment , de vous voyez que j'en profite :
A M, DE Mirabeau. 18}
mais je ne Tai pas tout à- fait impunément s
votre lettre me laiifera des fouvenirs qui ne
s'efiFaceront pas , & qui me rendront par fois
moins tranquille. Je n'aime pas kspays ari-
des , 8c la Provence m'attire peu } nirais cette
terre en Angoumois qui n*eft pas encore en
rapport , & où Ton peut retrouver quelque-
fois la nature , me/lonnera fouvent des re-
grets qui ne rero|i^ pas tous pour elle. Bon*
jour, Monfîeur^le Marquis. Je hais les for-
mules , & je vous prie de m*en difpenfer.
Je vous falue très - humblemeut fie de tout
^on corur.
QlJ
LETTRE
A MONSIEUR -
LE DUC DE GRAFFTON.
Woonon , le 7 Février 1767*
Monsieur le Duc,
J £ vous dois des remerciemens que je yout
prie d'agréer. Quoique les droits qu'on avoic
exigés pour mes livres â la douane , me pa.
niffenc (ons pour la chofe & pour ma bourfe^
î'ctois bien éloigné d'en demander £c d'ea
deHrer le rcmbourfement. Vos bontés , très-
gratuites fur ce point , en font d'autant plus
obligeantes ; & puifque vous voulez que 'fy
reconnoiflè même celles du Roi « )e me tiens
auffi flatté qu'honoré d'une grâce d'un prix
ineftimable » par la fource dont elle vient ,
& je la reçois avec la reconnoiiTance & la vé-
nération que je dois aux faveurs de Sa Ma-
)eflé , pafT^nc par des mains auflî dignes de
les répandre.
Daignez , Monfîeur le Duc, recevoir
avec bonté les alTurances de mon profbad
refped.
LE T T R E
A M. G U Y.
Wootton , U 7 Février 1 7^7.
. J 'a X lu > Monfîeur , avec attendrinement
.l'ouvrage de mes défeufeurs, donc vous ne
m'aviez point parlé. Il me femble que ce
. D*étoic pas pour moi que leurs honorables
. noms dévoient être un fecrec , comme û l'on
vouloic les dérober â ma reconnoifTance. Je
. ne vous pardonnerois jamais fur - tout de
m' avoir tu celui de la Dame , (i je ne Teuflè
à. l'iuilant deviné. C'ed de ma parc un bien
. petit mérite : je n'ai pas affez d'amis capa-
bles de ce zele fie de ce talent » pour avoir
.pu m'y tromper. Voici une lettre pour elle ,
. â laquelle je n'ofe mettre Ton nom » â caufe
des rifques que peuvent courir mes lettres ,
mais où elle verra que je la reconnois bien. Je
vous charge , Moniteur Guy , ou plutôt j'ofe
vous permettre , en la lui remettant , de vous
mettre en mon nom â genoux devant elle ,
& de lui baifer la main droite , cette char-
mante main plus auguAe que celles àcs Im-
pératrices fie des Reines , qui fait défendre fie
Qu)
l8tf L E T T R H
honorer G pleinement & G. noblement rîoiro^
cencç^aviUè. Je me flatte que |*aurois re-
connu de même Ton cligne Collègue û nous
nous étions connus auparavant , mais je n*af
pas eu ce bonheur ; & je ne fais G je doit
m*en féliciter ou m*en plaindre , tant je
trouye noble & beau , que la voix de l'é-
quité s'élève en ma faveur , du fein même
des inconnus* Les éditeurs du faâum de
M. Hume , difent qu'il abandonne fa caufe
au jugement des efprits droits & des ccrurs
honnêtes j c'eA là ce qu*eux & lui Ce garde-
ront bien de faire ; mais ce que je fais moi ,
avec confiance , & qu'avec de pareils défen-
feurs , j'aurai fait avec fuccês. Cependant
on a omis dans ces deux pièces des choCes
très-effentielles 'y 6c on y 2 fait des méprifes
qu'on eut évitées G , m'avertiiTant à tems
de ce qu'on vouloit faire , on m'eut demandé
des éclairciffemens. Il efl étonnât que per-
fonne n'ait encore mis la quelUon fous Ton
▼rai point de vue ', il ne falloit que cela feul^
6c tout étolt dit*
Au reAe , il eft certain que la lettre que je
tous écrivis a été traduite par extraits fait».
i
A M. G V Y. lif
^ . comme vous pouvez penfer , dans les papiers
de Londres s & il n'eft pas dimcile de corn*
prendre d*oû yenoient ces extrahs , ni poiu
quelle fin.
Mais voici un fait aflèz bizarre qu*il eft
âcheuz que mes dignes défenfeurs n'aient
pas fu. Croiriez-vous que les deux feuilles
que j'ai citées du St. James-€bronicIe ont
difparu en Angleterre ? M. Davenport les a
fait chercher inutilement chez Timprimeur
& dans les cafés de Londres , fur une indica-
tion Tuflifante , par fon Libraire » qu'il m'a
afluré être un honnête homme , & il u'a rien
trouvé. Les feuilles font éclipfées. Je ne ferai
point de commentaire fur ce fait ', mais con-
venez qu'il donne à penfer. O mon cher
Monfieur Guy , faut-il donc mourir dans ces
contrées éloignées , fans revoir jamais la face
d'un ami sûr , dans le fein duquel je puiflc
épancher mon coeur }
LETTRE
AU LORD MARÉCHAZ,.
Lt 8 Février 1 7^7.
\^uoi , Mylord , pas un feul moc de vous?
Quel Glcïïce , & qu'il eft cruel 1 Ce n*eA pas
le pis encore* Madame la DuchefTe de Porr-
land m*a donné les plus grandes alarmes en
me marquant que les papiers publics vous
avoienc die fort mal , & me priant de lin
dire de vos nouvelles. Vous connoifTez mon
cœur, vous pouvez juger de mon étar;
craindre à la fois pour voire amitié & pour
votre vie , ah ! c'en eft trop. J*ai écrit auffi-
tôt à M. Rougetnont pour avoir de vos nou-
velles 'y il m*a marqué qu'en effet vous aviez
été fort malade , mais que vous étiez mieux,
n D.*y a pas là de quoi me raffurer affez , tant
que je ne recevrai rien de vous. Mon pro-
teneur , mon bienfaiteur , mon ami , moa
père , aucun de ces titres ne pourra-t-il vous
émouvoir ? Je me profterne â vos pieds pour
vous demander un feul mot. Que voulez-
vous que je marque â Madame de Portland î
I. 1 T T R E , &C. 1 8 9^
T,uî dirai je : Madame , Mylord Maréchal
itCaimoit , mais il me trouve trop malheureux
pour m'aimer encore , il ne n^ écrit plus ? La
plume me tombe des mains.
LETTRE
A M. GRANVILLE.
IFootton y Février 1 767.
j £ crois , Monfieur , la tifanne du Médecin
Efpagnol meilleure & plus faine que le bouil-
lon rouge du Médecin François > la provi-
(ion de miel n*eft pas moins bonne , & (î les
Apothicaires foufniiïbient d^aufli bonnes
drogues que vous , ils auroienc bientôt ma
pratique } mais » badinage â part , que j'aie
avec vous un moment d'explication (e-
neufe.
Jadis paimois avec pafCon la liberté , l'é-
galité , & voulant vivre exempt des obliga-
tions donc je ne pouvois m'acquitter en pa-
reille monnoic , je me refufois aux cadeaux
mêmes de mes amis , ce qui m'a fouvent
attiré bien des querelles. Maintenant j'ai
changé de goût , & c'efl moins la liberté
que la paix que j'aime : |e foupire inceâ*am«
ment après elle j je la préfère déformais i
tout i je la veux à tout prix avec mes amis ^
je la veiUE même avec mes ennemis s'il eft
Lettre, &c. i9r
polCble. J'ai donc réfolu d'endurer défor-
mais des uns tout le bien , & des autres tout
le mal qu'ils voudront me faire , fans dif-
putcr , fans m'en défendre, 5c fans leur ré-
lifter en quelque façon que ce foit. Je me livre
à tous pour faire de moi , foit pour , foii
contre , entièrement â leur volonté : ils peu-
vent tout , hors de m*engager dans une dif-
pute, ce qui très- certainement n'arrivera
plus de mes jours. Vous voyez , Monficur ,
d'apiès cela combien vous avez beau jeu avec
moi dans les cadeaux continuels qu'il vous
plaît de me faire •, mais il faut tout vous
dire , fans les refufer je n'en ferai pas plus
reconnoiifant que fi vous ne m'en faifiez
aucun. Je vous fuis attaché , Monfieur , &
je bénis le ciel , dans mes mifcres , de U
confolation qu'il m'a ménagée , en me don-
nant un voifîn tel que vous : mon cœur eft
plein de l'intérêt que vous voulez bien pren-
dre â moi , de vos attentions , de vos foins ,
de vos bontés , mais non pas de vos dons j
c'eft peine perdue , je vous a/Ture j ils n'a-
joutent rien â mes fentimens pour vous -, je
ne vous en aimerai pas moins , 5c je ferai
beaucoup plus â mon aife fi vous voulez
bien les fupprimer déformais.
4
^^% L E T T R E, 8cc:
Vous voilà bien averti , Monficar 5 vous
favez commeoc )e penfe , & je vous ai parle
tiês-fcrieuremcnt. Du fcftc, votre volonté
foit faite & non pas la mienne ; vous fcm
toujours le maître d'en ufer comme il vous
plaira*
Le tems eft bien froid pour fc mettre en
route. Cependant fi vous êtes abfolutnent rc-
folu de partir , recevez tous mes fouhairs pour
votre bon voyage , & pour votre prorupt 6c
heureux retour. Quand vous verrez Madame
la DuchcfTe de Portland , faites lui ma cour ,
je vous fupplie i raffurèz-la fur Tctat de My-
lord Maréchal. Cependant, comme je ne
ferai parfaitement ralTuré moi-même que
quand j'aurai de fcs nouvelles , fitot que
l'en aurai reçu j'aurai l'honneur d'en faire
part à Madame la DucheiTe. Adieu , Monsieur,
derechef, bon voyage, & fouvenez - vous
quelquefois du pauvre hermite votre yoi(în.
Vous verrez fans doute votre aimable
nièce. Je vous prie de lui parler quelquefois
du captif qu'elle a mis dans fes chaînes , &
qui s'honore de les porter.
LETTRJB
LETTRE
A MYLORD MARÉCHAL.
Le i^ Mars iy6j*
V<*'e n cft donc fait , Mylord > j*ai perdu
pour jamais vos bonnes grâces 6c yotre ami-
tié y fans qu'il me foie même poifîble de
iâvoir & d'imaginer d'où me vient cette
pêne , n'ayant pas un fentiment dans mon
coeur , pas une aâion dans ma conduite
qui n'ait dû, j'ofe le dire, confirmer cette
précieufc bienveillance , que felou vos pro-
meilès tant de fois réitérées » jamais rien
ne pouvoit m'ôter. Je conçois aifl^ment tout
ce qu'on a pu faire auprès de vous pour
me nuire j je l'ai prévu , je vous en ai pré-
venu i vous m'avez afluré qu'on ne réuflî-
xoit jamais , )*ai dû le croire. A-t-on réuffi
malgré tout cela , voilà ce qui me pafTe \
fie comment a-t-on réulfi au point que vous
n'ayez pas même daigné me dire de quoi je
fuis coupable , ou du moins de quoi je fuis
âccufé ? Si je fuis coupable, pourquoi me
taire mon crime > fi je ne le fuis pas , pour-
quoi me traiter en criminel } £n m'annon-
Tome IV. R
^94 L E T T R fl
çanc que vous céderez de m*écrire, votif
me faites entendre que vous n'écrirez plus
à perfonne. Cependant j'apprends que vous
écrivez à tout le monde , & que je fuis le
feul excepté , quoique vous fâchiez dans ^uel
tourment m'a jette votre filence. Mylord ,
dans quelque erreur que vous puiflîez être ,
il vous connoifliez , je ne dis pas mes feu*
timens , vous devez les connoître , mais
ma Hiuation , dont vous n'avez pas l'idée ,
votre humanité du moins vous parleroic
pour moi.
Vous êtes dans l'erreur, Mylord, & c'cft^
ce qui me confole. Je vous connois trop
bien pour vous croire capable d'une au(&
incompréhenflble légèreté, fur- tout dans un
tems où , venu par vos confeils dans le pays
^ue j'habite , j'y vis accablé de tous les
malheurs les plus fenfîbles â un homme
d'honneur. Vous êtes dans l'erreur, je le
répète } l'homme que vous n'aimez plus
mérite fans doute votre difgrace j mais ccc
homme que vous prenez pour moi n'eft pas
moi. Je n'ai point perdu votre bienveillance,
parce que je n'ai point mérite de la perdre.
A Mylord Maréchal. 19c
& que vous n'êtes ni injufte, ni inconftanc. On
aara figuré fous mon nom un fantôme , je
TOUS l'abandonne y & j'attends que votre
illufion ceilè , bien sûr qu'auflî-iôt que vous
me verrez tel que je fuis ^ vous m'aimeres
comme auparavant*
Mais en attendant ne pourral-)e du moint
favoir fi vous recevez mes lettres ? Ne mo
refle-t-il nul moyen d'apprendre des nou^
velles de votre fanté , qu'en m'informant au
tiers & au quart, Se n'en recevant que de
vieilles qui ne me tranquillifent pas } Ne
voudriez- vous pas du moins permettre qu'un
de vos laquais m'écrivit de tems en tems
comment vous vous portez ? Je me réfigne
â tout y mais je ne conçois rien de pluf
cruel que l'incertitude continuelle où je vif
fur ce qui m'intérefi*e le plut.
RÎJ
L E T T R
A M. LE GÉNÉRAL
C O N W A Y.
Wootton ,Ui6 Mars 17^7-
Monsieur j
Aussi touché que furpris de la fayeur
dont il plaît au Roi de m'honorer , je vous
fupplie d'être auprès de Sa Majeflé l'organe
de ma vive recounoi (Tance. Je n'avois droic
â fes attentions que par mes malheurs , j'ea
ai maintenant aux égards du public par Tes
grâces , ôc je dois efpércr que l'exemple de
fa bienveillance m'obtiendra celle de to'us
fes fujets. Te reçois , MonHeur ^ le bienfait
du Roi comme l'arrhe d'une époque heu-
reufe autant qu'honorable , qui m'affure ,
fous la protection de Sa Majeflé , des jours
déformais paisibles. PuilTai-je n'avoir à les
remplir que des vceux les plus purs & les
plus vifs pour la gloire de fon règne & pour
la profpérité de fon augufle Maifon l
Les aâions nobles & généreufes porceoc
Lb TT HE , &C. 19/
toujours leur récompenfe avec elles. Il vout
cft au(0 naturel , Monfieur, de vous féliciter
d'en faire , qu*il eft flatteur pour moi <i*en
erre Tobjet. Mais ne parlons point de mes
talens , je vous fupplie , je fais me mettre
â ma place > & je fens , à Timpredion que
font fur mon cœur vos bontés , qu*il eft ett
moi quelque chofe plus digne de votre eftime
que de médiocres talens , qui feroient moins
connus s*ils m*avoient attiré moins de maux ,
& dont je ne fais cas que par la caufe qui
les fit naître 9 & par l*ufage auquel ils étoienc
deflinés.
7e vous fupplie , Monfîeur , d'agréer les
fentimens de ma gratitude tc de mon pro-^
fond refpeâ.
KOI
LETTRE
A MYLORD COMTE
DE HARCOURT.
Wootton f Ui ^vril 17^7.
J 'apprends , Mylord , par M. Davenport
que vous avez eu là bonté de me défaire de
toutes mes cflampes , hors une. Serois-je ailèz
heureux pour que cette eftampe exceptée fût
celle du Roi^ je le dcHre affez pour Tefpérer ;
en ce cas , vous auriez bien lu dans mon
cœur , & je vous prierois de vouloir cor-
ferver foigneufement cette eftampe , jufqu'â
ce que |*aie l'iionneur de vous voir & de
vous remercier de vive voix. Je la joindrois
â celle de Mylord Maréchal , pour avoir le
plai(ir de contempler quelquefois les craiu
de mes bienfaiteurs , & de me dire en les.
voyant , qu*il eft encore des hommes bien-
faifans fur la terre.
•
Cette idée m*en rappelle une autre que ma
mémoire abfolument éteinte avoic laiUce
échaper. Ce portrait du Hoi arec une ?in^
Lettre, &c. 199
"tlaÎBe d'autres me viennent de M. Ramfay,
^tti ne voulut jamais m*eu dire le prix. Ainii
ce prix lui appartient & non pas à moi i
anai» comme probablement il ne voudroic
•pas plus l'accepter au|ourd*hui que ci- devant ,
&: que je n'en veux pas -aon plus faire mon
profit , je ne vois à cela d'autre expédient
que de diftribuer aux pauvres le produit de
ces eftampes , & je crois , Mylord y qu'une
fonâion de charité ne peut rien avoir que
l'humanité de votre coeur dédaigne. La diffi-
culté feroit de favoir quel eA ce produit,
ne pouvant moi-même me rappeler le nom-
bre & la qualité de ces eilampes. Ce que je
fais, c'eft que ce font toutes gravures An-
gloifes , dont je n'avois que quelques autres
avant celles-Iâ. Pour ne pas abufer de vos
bontés , Mylord , au point de vous engager
dans de nouvelles recherches , je ferai une
évaluation grodiere de ces gravures , & j*ef-
time que le prix n'en pourvoit gueres paffei
quatre ou cinq guinées. Alnû , pour aller au
plus sûr , ce font cinq guinées fur le pro'
duit du tout que je prends la liberté de
vous prier de vouloir bien diftribuer aux
fauTreSt Vous voyez , Mylord , comment
200 Lettre, Sec.
l'en ufe avec vous. Quoique )e fois perfiMdé
que mon imporcunicé ne paflê pas votre
complaifance. Si j'avois prévu )ufqu*oà )c
ferois forcé de la porter , )e me ferois gardé
de m*oublier â ce point. Agréez» Myiord , je
vous iupplie , met uès- humbles ezcufes 9q
mon fefpfd.
LETTRE
A MONSIEUR
E- J***, Chirurgien.
Le 13 MaiiySy,
Vous me parlez , Monfîeur , dans une
langue lictérairc , de Aijcrs de littérature,
comme k un homme de Lettres. Vous m'ac-
cablez d'éloges C\ pompeux , qu'ils font iro-
niques , & vous croyez m'enivrer d'un pareil
encens. Vous vous trompez , Mon/îeur , fur
tous ces points. Je ne fuis point homme de
Lettres : je le fus pour mon malheur 5 depuis
longtems j'ai cci^t de l'être ; rien de ce qui
fe rapporte i ce métier ne me convient plus.
les grands éloges ne m'ont jamais flatte j
aujourd'hui fur- tout que j'ai plus befoin de
confolation que d'encens , je les trouve bien
déplacés. C'eft comme fi , quand vous allez
voir un pauvre malade, au lieu de le panfer
vous lui faifiez des complimens.
rai livré mes écrits â la cenfure publique ;
elle les traite auflî févérement que ma per-
fonnc > à U bonne heure 5 je ne préiendi
tàl L E T T R 1
point avoir eu raifon i je fais Ceulement qtitf
mes incendous écoienc affez boites , adêz
pures , affez falutaires pour devoir m*obce*
nir quelque indulgence. Mes erreurs peuvenc
être grandes j mes fencimens auroienc dû les
f acheter. Je crois qu'il y a beaucoup de chofes
fur lefquelles on n'a pas voulu m'entendre*
Telle eft , par exemple , l'origine du droic
naturel , fur laquelle vous me prêtez des (en'
rimens qui n'ont jamais été Içs miens. C'eft
ainfi qu'on aggrave mes fautes réelles , de
routes celles qu'on juge à propos de m'attri-
buer. Je me tais devant les hommes, &je
remets ma caufe entre les mains de Dieu qui
voit mon coeur.
Je ne répondrai donc point , Moniteur ,
ni aux reproches que vous me faites au nom
d'autrui , ni aux louanges que vous me don-
nez de vous-même: les uns ne font pas plut
mérités que les autres. Je ne vous rendrai
rien de pareil , tant parce que je ne vous
connoii pas » que parce que j'aime à être
fimple & vrai en toutes chofes. Vous vous
dites chirurgien i û vous m'eu/Tiez parlé bo«
tani^ue , 0c des plantes que produit yotra
A M. E. J***, Chirurg. XQf
contrée, vous in*aurîez faitplaifir , 8c j'en au-
rois pu caufer avec vous : mais pout de mes
livres 8c de toute autre elpece de livres , vous
m'en parleriez inutilement , parce que je ne
prends plus d'intérêt à tout cela. Je ne vous
téponds point en latin , par la raifon ci-de«
Tant énoncée , il ne me refte de cette langue
qu'autant qu'il en faut pour entendre les phra-
iês de Linnxus. Recevez , Monfieur ^ mes
crès-humbles faluutious.
LETTRE
A M. LE MARQUIS
DE MIRABEiiLU.
Calais , /c ii Mal 17^7.
J 'aIi-ive ici , Monfieur , après bien cîet
trencures bizarres qui feroicnt uc détail
plus long qu^amufanc. Je voudrois de tout
mon cœur aller finir mes jours au château de
Brie } mais pour entreprendre un pareil éca-
blilTement , il faudroic plus de certitude de fa
durée que vous ne pouvez la donner. Je ne
vois pour moi qu*un repos ftable ; c*efl dans
l'Etat de Venife , & malgré Timmenllté du
trajet , je fuis déterminé à le tenter. Ma ûinz»
tion à tous égards me forcera i des ftations
que je rendrai au(fi courtes qu'il me fera pof-
£ble. Je defire ardemment d'en faire une
petite i Paris pour vous y voir , fi j'y pois
garder l'incognito convenable , & que je fois
affuré que ce court (ejour ne déplaife pas.
Permettez que je vous confulte U-deffus »
réfolu de pafTcr tout droit & le plus prompte-
ment qu'il me fera poflîble , fi vous jugez
que ce foit le meilleur parti. Je ne vous en
dirai
L I T T R B , &C. iO$
«dirai pat davantage ici , Monfieur; mais |'ac-
tends avec empreflèmeuc de vos nouvelles »
& |e compte m'arréter à Amiens pour cela.
Ayez la bonté de m'y répondre un mot fous
le couvert de M Cette réponfe re-
fera ma marche. Pui(!è-t*elle , Monteur ^
me livrer â Tardent defir que j'ai de voir 8c
id'embraiTef le relpeâable ami des hommes S
Tome IF*
LETTRE
AU MÊME.
Tryt ftei6 Juillei 1767,
J'aukois dû, Monfieur, vous écrire 9 ai
recevant vocie dernier billet : mais |*ai mieux
aimé tarder quelques jours encore i réparer
ma négligence , & pouvoir vous parler en
même cems du livre (i) que vous m*avez en-
voyé. Dans rimpoâibilité de le lire tout en-
tier y |*ai choiiî les chapitres où TÂuteur
cafTe les vitres , & qui m*ont paru les plus
importans. Cette leâure m*a moins fatisfaic
que je ne m*y atcendois , 6c je fens que les
traces de mes vieilles idées , raccomies dans
mon cerveau , ne permettent plus à des idées
fi nouvelles d*y faire de fortes impreffions.
Je n*ai jamais pu bien entendre ce que c*é-
toit que cette évidence qui fert de bafe au
derpotifme légal , & rien ne m*a paru moins
évident que le chapirre qui traite de toutes
ces évidences. Ceci reifemble aifez au fyftême
de l'Abbé de St. Pierre , qui prétendoit que
(i) L'mdre elTcntiel des Sociétés Politiques,
Lettre, Sec. 107
la raifon humaine alloit toujours en fe per-
feâionnanc, attendu que chaque (iecle ajoute
fes lumières à celles des fiecles précédens. Il
ne 'voyoiz pas ^ue Tentendement humain n*a
toujours qu'une même mcfure & très- étroite,
qu'il perd d'un côté tout autant qu'il gague
de l'autre , & que <\cs préjugés toujours re-
naifTans nous oient autant de lumières acqui-
£es que la raifon cultiyée en peut remplacer.
U me femble que l'évidence ne peut jamais
être dans les loix naturelles & politiques qu'en
les confidérant par abftraâion. Dans un gou-
vernement particulier que tant d'élémens di-
vers compofent , cette évidence difparoît né-
ceflairement. Car la fcience du gouverne*
ment n'eA qu'une fcience de combinaifons ,
d'applications & d'exceptions , félon lestems,
les lieux , les circonftances. Jamais le public
ne peut voir avec évidence les rapports fie le
|cu de tout cela. Et , de grâce, qu'arrivera-t-il,
que deviendront vos droits facrés de pro-
priété dans de grands dangers , dans des ca-
lamités extraordinaires , quand vos valeurs
difponibles ne fuiHront plus , 8: que lefalui
popuUfuprcma Ux efio fera prononcé par le
dcfpote l
lo8 Lettre
Mail Cuppofoas toute cette théorie <k9
loix naturelles toujours parfaitement évt^
dente , même dans Tes applications , & d'une
clarté qui fe proportionnel tous les yeuz^
cotnment des philofophes qui connoiflènc
le coeur humain peuvent-ils donner â cette
évidence tant d'autorité fur les aûions des
hommes , comme s'ils ignoroient que cha»
cun fe conduit très- rarement par Tes lumiè-
res & très -fréquemment par fes palfîons. On
prouve que le plus véritable intérêt du de£^
pote eft de gouverner légalement ; cela eft
reconnu de tous les tems t mais qui ell-ce qui
fe conduit fur fes plus vrais intérêts l Le fage
feul 9 s*il exifte. Vous faites donc , MeflîeuiSy
de vos defpotçs autant de fages. Prefque tous
les hommes connoiiTent leurs vrais intérêts »
& ne les fûivent pas mieux pour cela. Le pro-
digue qui mange fes capitaux fait par£uce-
ment qu'il fe ruine , & n'en va pas moins
fon train > de quoi fert que la raifon nous
éclaire quand la pardon nous conduit ?
yideo meliora proboque , détériora fi^uoTm
yoilâ ce que fera votre defpete> am%
A M. DB MmABEAU. 20j
deux, prodigue , avare, amoureux , vindi-
catif , jaloux , foible : car c*e(l ainfî qu'ils
font tous , & que nous faifoos tous. Mef-
fieurs , permettez-moi de vous le dire , vous
lionnes trop de forces à vos calculs , & par
alTei aux penchans du cœur humain , èc au
}eu des pa^ns. Votre fyftême eft très - bon
pour les gens de TUtopie , il ne vaut rien pour
les enfans d'Adam.
Voici , dans mes vieilles idées , le grand
problème en Politique , que je compare à
celui de la quadrature du cercle en Géomé-
trie , & à celui des longitudes en Aftrono-
mie. Trouver une forme de Gouvernement qui
mette la loi au»dejfus de l'homme»
Si cette forme eft trouvable , cherchons- la
Zc tâchons de rétablir. Vous prétendez , Mef-
£eurs, trouver cette loi dominante dans
révidence des autres. Vous prouvez trop :
car cette évidence a dû être dans tous les
Gouvernemens , ou ne fera jamais dans
aacun.
Si malheureofement cette forme n'eft pas
Siij
lio Lettre
treurable, & pavoue ingénument que fe
crois qu'elle ne Teft pat , mon avis eft qu*il
fauc pa^er i l'autre extrémité & mettre tour
d'un coup l'homme autant au-de^us de la loi
qu*il peut l'être , par con(équent établir le
derpoiifme arbitraire £c le plus arbitraire qu^ii
efl polfible : je youdrois que le defpote pâc
être Dieu. En un mot , je ne vois point de
milieu fupponable entre la plus aullere Déau^
cratie êc le Hobbifme le plus parfait : caf
le conflit des hommes ic des ioiz qui mec
dans l'Etat uns gperre inteftine contiauelie ,
eu le pire de tous les Etats politiques..
Mais les Caligula, les Néron, les Ti-
bère ! mon Dieu 2 |e
me roule par terre , & je gémis d*êtte homme.
Je n*ai pas entendu tout ce que tous avez
dit des loix dans votre livre ! & ce qu'en dit
l'Auteur nouveau dans le fien. Je trouve qu'il
traite un peu légèrement des divesfes for-
mes de Gouvernemens , bien légèrement
fur-tout des fuffrages. Ce qu'il a dit des
vices du defpotifnie éleâif efl très-vrai : ces
vices font terribles. Ceux du defpott(me
A M. DE Mirabeau, xit
héfédicaire » qu^il n'a pas dits, le Cont encore
plus.
Voici unTccoad problème qui depuit long»
CciDs m'a loulé dans IVrprit.
Trouver dans U defpotifme arbitraire une
forme de fiiccejjîon qui ne foit ni ileûive ni
héréditaire , ou plutôt quijoit â la fois Vunc
& Vautre , & par laquelle on s'ajfure « autant
qu'il eft pojjible , de tC avoir ni deê Tibère ni
des Néron*
Si jamais j'ai le malheur de m'occuper ào*
rechef de cette folle idée , je vous reproche-
rai touce ma vie de m'avoir ôté de mon
râtelier. J'efpere que cela n'arrivera pas j
mais , Moniteur , quoi qu'il arrive , ne me
parlez plus de votre defpotifme légal. Je ne
iaurois le goûter ni même l'entendre > 8c )<:
jie vois là que deux mots coutradiâoires ,
^ui réunis ne (ignifient rien pour moi.
Je connois d'autant moins votre principe
de population , qu'il me paroît inexplicable
en lui- même , contf adiâeire avec les faiu ^
m
L s T T ]t s
impoflibte à concilier avec Torigine des njK^
tious. Selon vous , Monsieur , la popula-
tion multiplicative n*auroit dû commencer
que quand elle a celle réellement. Dans
mes vieilles idées , fitèt qu'il y a eo pour un
fou de ce que vousappelex richeilès ou valeur
difponible, fit6t que s'eft fait le premier
échange , la population multiplicative a dâ
cefTer , c*eft auffi ce qui eA arrivé.
Votre f/ftéme économique ell admirable*
Rien nVft plus profond , plus vrai , mieiut
vu , plus utile. Il eA plein de grandes & fu-
lilimes vérités qui tranfportent. Il s*étend i
tout ; le champ eft va/le ; mais j*al peur qu'il
B'aboutiilê à des pays bien différem de ceu:i
où vous prétendez aller.
J'ai voulu vous marquer mon obéiflance
en vous montrant que je vousavois du moins
parcouru. Maintenant , illuftre ami des hom-
mes & le mien , |e me proAerne i vos pieds
pour vous conjurer d*avoir pitié de mon état
& de mes malheurs , de laiilêr en paix mi
mourante tête , de n'y plus réveiller des idées
prcfque éteintes ^ 6c qui ne peuvent renaître
*A M. DE MiRABEAir. ±1 f
que pour m'a'oîmer dans de nouveaux gouf«
frei de maux. Aimez- moi toujours ^ mais ne
mTenvojnez plus de livres j n'exigez plus que
î*en life j ne tentez pas même de m*éclairet
û je m'égare : il n'eft plus tems. On ne fe
convertit point fincérement i mon âge. Je
puis me tromper » & vous pouvez me con»
yaincre v oi2i$ non pas me perfuader. D*ail-i
leurs je ne difpute jamais j j*aime mieux cé-
der & me taire ; trouvez bon que je m'en
tkaae â cette réfolution. Je vous embraflè
de la plus tendre amitié & avec le plus vxai
fcTpeâ.
LETTRE
A MADAME LA M. DE
%%*
Du 11 Septembre ly^j-
JE reconnois , Madame , yos bontés ordi-
naires dans les foins que vous prenez pour me
procurer im afyle où l^on veuille bien ne pas
m*incerdire le feu & l*eau > mais fe connois
trop bien ma fituacion pour attendre de ce»
feins bienfaifans un fuccès qui me procure
le repos après lequel )*ai vainement foupiré ,
& que je ne cherche plus , parce que je ne
l'efpere plus.
Vivement touché de l'intérêt que M. le
Comte de ... . veut bien prendre i mes
malheurs , je vous fupplie , Madame , de vou-
loir bien lui faire pailèr les témoignages de
ma très- humble reconnoi (Tance 3 c*ell une de
mes peines de ne pouvoir aller moi-même la
lui témoigner : mais quant au voyage ici que
S. £. daigne propofer , je ne fuis pas adêz
vain pour en accepter l'offre , & ces honneurs
bruyans ne conviennent plus à Tétat d*humi-
liatioa dans lequel je fuii appelle â £ajt mes
Lettre, &c. 1x5
^onrs. Je ne crois pas , non plus , qu^il con-
vienne de rifquer auprès lie M. le Comte
de***, ni auprès de perfonne aucune de-
TTiande en ma faveur, puifque ce ne feroic
qu'aller chercher d'infaillibles refus qui ne
feroient qu'empirer ma fituacion , s*il écoic
poffible.
Le parti que j'ai pris d'attendre ici ma def-
tinée efl le feul qui me convienne , & je ne
puis faire aucune efpece de démarche fans
aggraver fur ma tère le poids de mes maL
heurs. Je fais que ceux qui ont entrepris de
sae chader d'ici n'épargneront aucune forte
<l*e£Forts pour y parvenir ^ mais )e m'y attends,
|e m'y prépare , & il ne refte plus qu'i favoii
lefqtiels auront plus de conlVance , eux pour
perfécuter , ou moi pour fouâfrir. Que fi la
patience m'échappe à la fin , 6c que mon cou-
rage fuccombe , mon parti , en pareil cas , cft
encore pris : c'eft <lc m'éluigner , fi je peux ,
de Torage qui rh 'accable ; mais fans empref*
femenc , fans précaution , fans crainte , fans
me cacher , fans me montrer , &' avec la fim-
plicité qui convient i l'innocence. Je confi-
dert f Madame , qu'ayant près de foixaate
11? Lettre
ans , accablé Je malheurs 8c d'infirmrcés , te#
f eAes de mes triftes jours De valent pas la fa-
tigue de les mettre à couvert. Je ne vois plus
f ien danscette vie qui puifTe me flatter ni me
tenter. Loin d'efpérer quelque chofe « je ne
iais pas même que defirer. L*amour feul du
repos me reAoit encore, Tefpoir m'en eft
6té , )e n*en ai plus d'autre. Je n'attends plus t
je n'efpere plus que la fin de mes miferes }
que je l*ol>tienne de la narare ou des hommes »
cela m*e(l aifez indiffèrent ; 8c de quelque
manière qu*on veuille difpofer de moi , Ton
jne fera toujours moins de mal que de bien.
Je pars de cette idée , Madame , je les mets
tous au pis , 8c je me cranquiUife dans ma
féfignation.
H Aiitde-U que tous ceux qui veulent bien
t^intéredèr encore â moi , doivent ceiTer de
ie donner en ma faveur des mouvemens inu«
tiles » remettre â mon exemple mon fort dans
les mains de la Providence , 8c ne plus vou«
loir réfifler â la néceflité. Voili ma dernière
réfolution ; que ce foit la vôtre au/C , Ma-
dame , i mon égard , de même à l'égard de
cette chete enfant que le Ciel ?oiu enlevé
fans
i
aMde.laM.de***. iï7
Tans qu'aucun fecours humain puiiTe vous la
reii4re« Que coui les foins que tous lui rcn*
drez déformais foienc pour contenter votre
teadrefle te U lui montrer , mais qu*ils ne
féveillent plus en vous une efpérance cruelle »
qui donne U mort à chaque £oSi qu'on U
yetd*
Tome Jy.
I, E T TU E
A MiiB, DEWES.
15 Janvier 176^^
Si y |e vous ai \ûSk , ma belle voifine , uqo
empreinte que vous avez bien gardée , .Touf
m'en avez laifRe une autre que j'ai gardée
encore mieux. Vous n'avez mon cachet que
fur un papier qui peut fe perdre , mais j'ai
le vôtre empreint dans mon cœur , d'où rien
ne peut l'effacer. Puifqu'il eft certain que
l'emportob votre gage , & douteux que vous
cuffiez confervc le mien , c'ctoit moi feul
qui devois defirer de vérifier la chofc 5 c'cft
moi fcul qui perds â ne l'avoir pas fait. Al-je
donc befoin pour mieux fentir mon malbeur ,
que vous m'en faffiez encore un crime ?
cela n'cft pas trop humain. Mais votre fou-
venir me confole de vos reproches \ j'aime
mieux vous favoir injufte qu'indifférente , fie
Je voudrois être grondé tous les jours au
même 'prix. Daignez doiic , ma belle voi-
fine , ne pas oublier tout-â-fait votre efclave ,
Se continuer à lui dire quelquefois fes vérités.
Pour moi , fi j'ofois à mon tour vous dire
'. L E T T R E> &C. 21 J
^s vôtres , vous mê trouveriez trop galant
^ pour un barbon. Bonjour , ma belle roifînp p
pui(fiez-vous bientôt, fous les auTpices du
cher & refpeâable oncle , donner un pafteur
^ vos brebis de Calwick.
Tî|
LETTRÉ
A M. D'IVERNOIS.
Tryi p U 19 Janvier zytf S*
J' A T reçu , mon digne ami » votre paquet
du 11 , ôc il me feroit également panrena
fous l'adreifc que je vous ai donnée > quand
TOUS n'auriez pas pris Tinucile précauciou de
la double enveloppe , fous laquelle il n*efl pas
même à propos que le nom de votre ami pa«
roidê en aucune façon.C'eft avec le plus (en-
ifcle plaif ir que )*ai enfin' appris de vos noii«
belles : mais |'ai été vivement ému de l'envoi
de votre famille k LaoTanne 'y cela m'appreud
adêz à quelle extrémité votre pauvre ville p
& tant de braves gens dont elle eft pleine ,
font à la veille d*éire rciluics. Tout fttC^zdé
que je fois que rien id bas ne mérite d*étre
acheté au prix du fang humain , & qu'il n*f
• plus de liberté fur la terre que dans le corur
de Thomme )ufte , |e fens bien toutefou qu'il
cft naturel à, des gens de courage , qui ont
vécu libres , de préférer une mort honorable
à la plus dure fervirude. Cependant , même
daus le cas le plus clair de la Jufte déftOCe du
Lettre , &c. m
Teus-mêmes , la certitude où je fuis, qu*cuf-
Cez-vçus pour un moment l'avantage , vos
malheurs n*en feroiencenfuire que plus grand?
& plus sûrs , me prouve qu'en tout état de
caufe les voies de fait ne peuvent jamais vous-
tirer de la {ttuation critique où vous êtes y
^u'en aggravant vos malheurs. Puis donc que
perdus de toutes les façons , fuppofe qu'on
ofe poufTcr la cbufe à l'extrême , vous êtes
prêts à vous enfevelir fous les ruines de la
patrie , faites plus , ofez vivre pour fa gloire
au moment qu'elle n'exiilera plus. Oui , Mef-
fieurs , il vous refle , dans le cas que je fup-
pofe , un dernier parti i prendre > & c'efl ,
)*ofe le dire , le feul qui fuit digne de vous :
eu lieu de fouiller vos mains dans le fang de
vos coropatriotes- , de leur abandonner cesi
murs f qui doivent être l'afyle de la liberté ^
& qui vont n'être plus qu'un repaire de ty-
sans. C'eft d'en fortir tous , tous enfemble ,
en plein jour , vos femmes & vos enfans zvt
milieu de vous , & puifqu'il faut porter des
fers , d'aller porter du moins ceux de quelque
graad Prince , & non pas Tinfupporcable Se
odieux joug de vos égaux. Et ne vous ima-
|iocz pas qu'en pareil C9fi yaos referiez («ns
Tiil
111 L E T T R E
aT/le : vous ne favez pas «quelle eftime & qad
terpeâ votre courage » votre modération ,
▼otre fageffe outiafpiré pour vous dans toute
l'Europe. Je n*iinagine pas qu*il s*y trouvée
aucun Souverain , fe n*en excepte aucun ^ qui
oe reçût avec honneur , foft dire avec rcT-
peâ , cette colonie émigrante d*bommes trop
Tortueux pour ne favoir pas être fuyets aufli
fidèles qu'ils furent zélés citoycos. Je coin«-
prends bien qu'en pareil cas plufieurs d*cncre
vous feroient ruinés ; mais )e penfe que def
gens , qui faveiit facrifier leur vie au devoir ,
fauroient facrifier leurs biens â Thonneur , êC
4*applaudir de ce facrifîce ; & après tout p
ceci n*eft qu*un dernier expédient pour con-
lerver fa vertu £c fon innocence , quand touc
le refte efl perdu. Le coeur plein de cette
idée y )e ne me pardonnerois pas de n*avoir
ofé vous la communiquer. Du lefte » vous
Ites éclairés 8c fages i)c fuis très-sûr que vous
prendrez tou}ours en tout le meilleur parti j
êc )e ne p^is croire qu*on laifle jamais aller
les chofes au point qu'il eft bon d'avoir prévo
4'avance pour être prêts atout événemenu
61 ?oi sfiTaifcs ?oui laiilaat ^uel^iMt
A M. d'IvERNOIS, 12 J
momens à donner â d'antres chofes qui ne
font rien moins que preCKcs , en voici une
^ui me tient au coeur, & fur laquelle )c
▼oudrois vous prier de prendre quelque
éclaircifTemem , dans quelqu'un des voyâgei
que )e fuppofe que vous ferez à LauTanne,
tandis que votre famille y fera. Vous favez
que j'ai â Nion une tante qui m'a élevé
& que i'ai toujours tendrement aimée ,
quoique j'aie une fois , comme vous pou-
vez vous en fouvcnir , facrifié le plaifir de la
voir à rcmprcffement d'aller avec vous join-
dre nos amis. Elle eft fort vieille , elle
foigne un mari fort vieux i j'ai peur qu'elle
n'ait plus de peine que fon âge ne compone,
& je voudrois lui aider â payer une fer-
Vante pour la foulager. Malheiureufement,
quoique je n'aie augmenté ni mon train,
ni ma cuifîne , que je n'aie aucun domef-
tique i mes gages , 6c que je fois ici logé
& chauffe gratuitement » ma poiition me
rend la vie ici fî difpendieufe, que ma penfion
me fuffit à peine pour les dépenfes iuéviubles
dont je fuis chargé. Voyez , cher ami , û
cent francs de France par an pourroient
(ettet quelque douceur dans la vie de ma
114 Le T TR 1 , Sec.
pauvre vieille unte , & fi vous pourriez I«c
lui faire accepter. £a ce cas , la première
année couroic depuis le commencemeDC de
celle-ci , & vous pourriez la tirer fur moi
d'avance , aufli-tôc que vais aurez arrangé
cette petite a£Faire-U. Mais )e vous con)ure
de voir que cet atgent foie employé lèlon
fa deflination » & non pas au profit de
parens ou voifins âpres » qui fouvent obCc^
dent les vieilles gens. Pardon ^ cher ami ,
le choifis bien mal mon tems ^ mais il fa
peut qu'il n'y en ait pas à pcrdte*.
LETTRE
A U M Ê M E.
X4 Mars lyst*
JEniin )e rerpire ; vous aurez la paix 9
& vous l'aurez avec un garant sûr qu'elle
fera folide , favoir i'eftime publique fie
celle de vos Magiftrats » qui vous traitant
lufqu'ici comme un peuple ordinaire »
n'ont jamais pris fur ce faux préjugé que
4e FauiTes mefures. Ils doivent être enfin
guéris de cette erreur, & je ne ^ute pas
que le difcours tenu par le Procureur- Génc-
iral en Deux* Cent ne Toit fincere. Cela poG^,
yous devez efpérer que l'on ne tentera <ie
long-tems de vous furprendre , ni de trom-
per les Puiâances étrangères fur votre
compte i 8c ces deux moyens manquant , |e
n'en vois plus d'autres pour vous aflcrvir.
Mes dignes amis , vous avez pris les feula
moyens contre lefquels la force même perd
fon eâFet ; l'union , la fageife 6c le courage.
Quoi que puiCent faire les hommes , oa
Cft toujours libre quand on fait mourir^ -
litf L E T T H 1
Je voudrois â préfent que de votre côté
vous ne fiflîcz pas à demi les chofes, Sc
que la concorde une fois rétablie ramenât
la confiance & la fubordination aufli pleine
& entière , que $»il a»y eût jamais eu de
diflcntion* Le refpea pour les Magiftracs fait
dans les Républiques la gloire des citoyens ,
& rien n*eft 1» beau que de favoir Ce foir-
mcttrc après avoir prouvé q»*oa favoit réfif-
tcr. Le peuple de Genève s*eft toujours dif-
tingué par ce refpeô pour fcs Chefs, qui le
rend lui-même fi refpeaable. C'cft â préfent
qu*il doit ramener dans fon fein toutes les
vertus fcj^ales que Tamour de l'ordre établie
ùit l'amour de la liberté. Il eft impo/fible
qu'une patrie qui a de tels enfans ne retrouve
pas enfin fcs pcres , & c'cft alors que là grande
famille fera toutÀ U fois iUuftre, floriffantc,
Jieureufe , & donnefa vraiment au monde
un exemple digne d'imitation. Pardon ^ chef
ami 5. emporté par mes defirs, je fais ici
Ibttement le prédicateur; mais après avoir
vu ce que vous étiez , je fuis plein de ce que
vous pouvez être. Des hommes fi fagcs n'ouc
•aurément pas befoin d?exhortation pour
foacifluer à l'êerc 5. awii mol j'ai befoio 4/^
A M.'d'Ivir^ôis. iif
i^nnec quelque effor aux plus ardens vaux
^ mon coeur.
Au refte, )e vous félidtc en particulier
d'un bonheur qui n'eft pas toujours attaché
à la bonne caufe ; c'ed d'avoir trouvé pour
]fi foutien de la vôtre des talens capables
de la faire valoir. Vos mémoires font des
chefsrd'œuvres deiogique & de diâion. Je
fais quelles lumières régnent dans vos cercles^
qu'on y raifonne bien , qu'on y connoit â
fond vos Edits, mais on n'y trouve pas
communément des gens qui tiennent ainfi
U plume. Celui qui a tenu la vôtre » quel
qu'il Toit , ed un homme raie ; n'oubliez
lamais U rsconnoiffance que vous lui devezt'
A regard de la réponfe amicale que vout
me demandez fur ce qui me regarde, )e
la ferai avec la plus pleine confiance. Rtea
4aos le monde n'a plus, affligé & navré mon
cceur que le décret de Genève. Il n'en Aie
|amais de plus inique , de plus abfurde ic
de plus ridicule : cependant il n'a pu déta-
cher mes affeâions-de ma patrie, & rien
aumoude ne les en peut détacher. Um'eA
1x9 L 1 T T R E
iodiâFérenc » qaanc à mon fort^ que ce
décret Toit «nnuUé ou fubfiâe , puiiqu'â
ne m*eft po(Cble en aucun cas de profiter
de mon réiabU^ement : mail il ne me feroic
pourtant pas indifférent « je l'avoue , que
ceux qui ont commis la faute , fentidènt
leur tort , 6c eurent le courage de le réparer.
Je crois qu*en pareil cas . i*en mourrois de
joie, parce qud fy verrois la fin d'uno
liaine implacable » 6c que je pourrois de
bonne grâce me livrer sîuz ièntimens ref-
peâueux que mon coeur m*in(pire» faut
crainte de m'avilir. Tout ce que je puis
vous dire â ce fujet , eft que ficela arrivoity
ce qu*a(rurénient je n'efpere pas , le Confeil
firroit content de mes fentimens 6c de ma
conduite , 6c il connoicroit bientôt quel
immortel honneur il s'eft faic Mais je vous
avoue auâî que ce réubiiflement ne fauroic
me flatter , s'il ne vient d'eux - même» ; 6c
)amais de mon confenccment il ne fera
follictté. Je fuis sûr de vos fentimens , les
preuves m'en font inutiles s mais celles des
leurs me toucheroient d'autant plus que je
m'y attends moins. Bref, s'ils font cette
démarche d'eux-mêmes , je ferai mon de-
voir ;
^oir ^ s'ils ne la font pas , ce ne fera pa>
la feule injuftice dont paurai à me confoler i
& je ne veux pas , en touc état de caufe ,
xirquer de fervir de pierre d*achopen(Senc au
plus parfait rétabliiTenient de la concorde.
Voici un mandat fur la veuve Duchefno
pour les cent francs que vous avez bien voulu
avancer à ma bonne vieille tante. Je vous
redois autre chofe , mais malhcurcuferaenc
je n*cn fais pas le montant.
gromi/^«
LETTRE
A M. D.
Lyon y le lo Juin ijsS»
Je ne me pardonnerois pas , mon cher hôte»
de vous laiifer ignorer mes marches , ou les
apprendre par d'autres avant moi. Je fuis â
Lyon depuis deux jours , rendu àet fatigues
de la Diligence , ayant grand befoin d'un
peu de repos , & trcs-emprcff? d'y recevoir
de vos nouvelles , d'autant plus que le trouble
qui règne dans le pays où vous vivez me tient
en peine , & pour vous , & pour nombre
d'honnêtes gens auxquels je prends intérêu
J'attends de vos nouvelles avec l'impatience
de l'amitié. Donnez -m'en , je vous prie , le
plutôt que vous pourrez.
Le defir de faire diverfion à tant d'attrif-
tans fouvenirs qui , â force d'afFeâer mon
cœur y altéroient ma tête , m'a fait prendre
le parti de chercher dans un peu de voyages
ôc d'hcrborifations , les amufemens 6c dif-
traâions dont j'avois befoin ; & le patron
de la cafo ayant approuvé cette idée , yc Tii
Lettre, &c. i j i
fuivie s j*appone avec moi mon herbier flc
quelques livres avec lefquels je me propofe
de faire quelques pèlerinages de botanique*
Je rouhaicerots , mon cher hôte , que la re-
lation de mes trouvailles pût contribuer à
vous amufer i j'en aurois encore plus de
plaidr à les faire. Je vous dirai y par exemple ,
qu'étant allé hier voir Madame Boy dt 1^
Tour à. fa campagne » j'ai trouvé dans fa
vigne beaucoup d'arifloloche que je n'avo^
jamais vue , & qu'au premier coup-d'œil j'a|
reconnue avec tranfport.
Adieu , mon cher hâte , je vous embrade ,
te j'attends dans votre première lettre de
bonnes Aomrelles de vos yçiuu
VIJ
t E T T R E
AU MÊME.
Bourgoin 9 le ^ Septembre l'yeti
A mes diverfes coarfei , mon cher hôte ^
^ut ont achevé de me convaincre , qu'on
écoic bien déterminé â ne me laiffer nulle parc
la cranquilltté que j'écois venu chercher dan»
ces provinces , j*ai pris le parti , rendu de
£id((ue & voyant la faifon s*avancer , de m*ar-
têter dans cette petite ville pour 7 pafler
rhivcr. A peine y ai-je été , qu*on s*eA predé
de m'y harceler avec la petite hiiloire que
Tous'allez lii e dans Textraic d*tuie lettre qu'un
certain Avocat*** m'écrivit de Grenoble
le XX du mois dernier.
Le Sr, Thevemn y Chamoîfêur de fia wU^
lier 9 fe trouva logé il y a environ dix ans
chei le Sr. Janin hôte du bourg des Verdiercs
de Joue près de Neufihâtel avec M, Rouffeau^
qui fe trouva lui*même dans le cas d'avoir
befoin de quelque argent , & qui s^adrejja an.
^r* Janin fon hôte pour obtenir cet argent dm,
Sr* Thcp^nùu Ct dernier n'ofant pas pri^
L H T T R E , &C. 155
finur â M, Rottffeâu la modique fimmc
^*sl danandoity attendit fon départ ^
Vaceompa§na effc^vement des Verdieres-de'
Joue jufpià St, Sulpi avec ledit Janin i &
eiprès avoir dini enfemble dans une auberge
*qui a un foleil pour enfiigne > il lui fit re^
mettre neuf livres de France par ledit Janin»
ilf. Rouffeau pénétré de reconnoijfance »
donna audit Thevenin quelques lettres de re-
eommandation » entr'autre une pour M de
Faugnesy direSeur des fils à Yverdun ^ Ct
une pour Ai, ^rdiman de la même ville ,
dans laquelle M, Rouffeau Jigna fi>n nom ,
& figna t le voyageur perpétuel , dans une
mttre pour quelqu'un à Paris , dont U Sr*
Thevenin ne Je rappelle pas le nom.
Voici maintenant , mon cher h6te , copie
de ma réponfe en date du 13.
ce Je n'ai pas pu , Monfieur, loger il y a
y> environ 10 ans où qut ce fût , près de
y» Neufchâtel , parce (^u'il y en a dix , & neuf,
» & huit , & fept que j'en étoii fort loin y
to fans en avoir approché durant tout ce
b tems plus près de cent lieues »#
Vii)
i}4 Lettre
j> Je n*ai jamais logé au bourg des Vet-^
9> dieres , & n*en ai même jamais eniend.u
» parler. C'eft peut-être le village des Ver—
I» rieres qu*on a voulu dire. J'ai pafTé dans
9» ce village une feule fois , il n*y a pas cinq
>» ans , allant à Ponurlier ; j'y repalTai en
9> revenant > je u*y logeai point; j*étois avec
n un ami ( qui n'étoit pas le Sr. Thevenin ) i
» perfonne autre ne revint avec nous , 5c de*
M puis lors je ne fuis pas retourné aux Ver*
M rieres «.
M Je n'ai jamais vu , qve je fâche , le 5r.
*i Thevenin, Chamoifeur > jamais je n'ai ouï
9> parler de lui , non plus que du Sr. Jania
d> mon prétendu h6ce. Je ne connois qu'un
3) feul M. Jeannin , mais il ne demeure point
•» aux Verrières -, il demeure à. Neufcbâtel »
3> 6c il n'eft point cabaretier ^ il eft fecrécaiic
» d'un de mes amis ce.
9> Je n*ai jamais écrit y autant qu'il m'eo
I» fouvient à M. de Faugnes , te. je fuis sûr
» au moins de ne lui avoir jamais écrit de
Il lettres de recommandation , n'étant pat
•i alTcz lié avec lui pour cela. Encore moins
A M. D. 155
^ at-je pu écrire à M. Aldiman dTverdun
•• que je n*ai vu de ma vie ^ & avec lequel )•
» ii*eus jamais nulle efpecc de Itaifoa «.
to Je n'ai jamais figné avec mon nom le
M voyageur perpétuel 9 premièrement parce
n que cela nVft pas vrai , ôc fur-tom ne ré«
» toit pas alors , quoiqu'il le foie devenu de-
i9 puis quelques années 'y en fécond lieu , parce
t> que je ne tourne pas mes malheun en plai-
» fanteries \ & qu'enfin Ci cela m'arrivoit ,
•> je tâcherois qu'elles fufTent moins places ce.
» J'ai quelquefois prêté de l'argent à Neuf-
» chârel , mais |e n'y en empruntai jamais ^
»> par la raifon très- (impie qu'il nem'aja-
» mais manqué dans ce pay^-U ; te vous
9> m'avouerez , MonHeur , qu'ayant pour
3> amis tous ceux qui y tenoiehe le premier
9> rang , il eût été du moins fort bizarre que
» j'alIaiTe emprunter neuf francs d'un Cha-
» moifeur que je ne connoifTois pas , & cela
>» à un quart-de- lieue de chez moi s car c'efl
« â-peu-près la dlAance de St. Sulpice» où
» Ton dit que cet argent m'a été prêté , â
« Motiers où je demfUrois m»
13^ Lettre
Vou* croiriez , mon cher hôte , fur cctt»
lettre & fur ma rcponfc que f ai envoyé»
au Commandant de la province , que tout
a été fini , & que i*impofturc étant fi claire-
ment prouvée , Timpodeur a été châtié « on
bien cenfuré. Point du tout. L'affaire eft en-
core là 5 & ledit Thevenin , confeillé pat
ceux qui l'ont apofté , fe rettanchc à dire
qu'il a peut- être pris un autre M. Rou^eaa
pour J. J. Rouileau ^ & perfifte à foutenir
avoir prêté la fomuie â un homme de ce nom,
fe tirant d'affaire , je ne fais comment , au
Aijet des lettres de recommandation. De
forte qu'il ne me reffe d'autre moyen pour
le confondre , que d'aller moi-même â Gre*
noble me confronter avec lui : encore ma
mémoire trompeufe 8c vacillante peut-elt«
fouvent m'abufer fur les faits. Les feuls Ici
qui me font certains , eft de n'avoir jamaif
connu ni Thevenin ni Janin ; de n'avoir ja-
mais voyagé ni mangé avec eux y de n'avoir
jamais écrit à M. Aldiman ^ de n'avoir ji«
mais emprunté de Pargent , ni peu ni beau- .
coup de perfonne durant mon (éjour à Neuf-
éhâtel ; je ne crois pas non plus avoir jamais
écrie i M, dé Faugnes , fur-tout pour iiii
A M. D. ijr
^•mmtnder quelqu'un } ni (amais avoir
ligné U voyageur perpétuel i ni jamais ayoir
couché aux Verrières , quoiqu'il ne me foie
pas podîble de me rappeler où nous couchâ-
mes en revenant de Poncarlier avec Sauccers-^
baim die le Baron , ( car en allant )e me
fouyiens parfaitement que nous n'y couchâ-
mes pas ). Je vous fais tous ces détails , mon.
cher hoce , afin que fi , par vos amis , vous
pouvez avoir quelque éclaircidèment fur tous
ces faits , vous ihe rendiez le bon office de
m'en faire part le plutôt qu'il fera poflible.
J'écris par ce même fourrier â M. du Ter-
reau , Maire des Verrières , à M. Breguet ,
à M. Guyenct Lieutenant du Val-dc-Travcrs ,
mais fans leur faire aucun détail j vous aurez
la bonté d'y fuppléer , s'il efl nécefl*aire , par
ceux de cette lettre. Vous pouvez m'écrire ici
en droiture : mais fi vous avez des éclair-
cifTemens intéreffans à me donner , vous
ferez bien de me les envoyer par duplicata ,
fous enveloppe , â l'adrefie de Af. le Comte
de Tonnerre , lÀeutenojit-Giniral des ar^
mets du Roi ^ Commandant pour 5. M» en
Daupfùni > d Grenoble, Vous pourrez même
m'écrire i l'ordinaire fous fon couvert i me^
*■'
13S L e i T & E^ &c.
lettres me parviendront plus Icnccment j
mais plus furemeut qu^sn droiture.
JVfperc qu'on eft tranquille à ptéfent dâMim
TOtre pays. PuiCe le Ciel accorder â tout les
hommes la paix qu*ils ne veulent pas m*
UiiTer ! Adieu , moo cher hôte 9 je Tooâ
tmbraiTc
(
LETTRE
AU MÊME.
Sourgoin, It it No**mbrc lyeS,
r
£ vous remercie , mon cher hôte , de l'ar*
rêc de Thevenin \ je Tai envoyé â M. de
Tonnerre avec condition exprelTe ( qui du
reAe n*écoit pas fort nécefTaire à Aipuler ) t
de n*en faire aucun uTage qui pût nuire à ce
malheureux. Votre fuppofîcion qu*il a été la
dupe d'un autre impofteur , eft ahfolumenc
incompatible avec fcs propres déclarations ,
tvec'celle du cabaretier Jeannet 6c avec touc
ce qui s'eft paiTé : cependant , (i vous voulez
abfolumenc vous y tenir , foit. Vous dites
que mes ennemis ont tropd'efprit pour choifir
une calomnie auffi abfurde. Prenez gardé
qu'en leur accordant tant d'efprit , vous ne
leur en accordiez pas encore a^ez : car leut
objet n*étant que de voir quelle contenance
\t tençis vis- â -vis d'un faux témoin, ilefl
clair que plus Taccufation étoit abfurde £c
ridicule , plus elle alloit â leur but. Si ce
but eut été de perfuader le public , vous
t^^ '" L^^ r Y n r j^
auriez raîfoQ > mais il écoic autre. Oo (avoi^
très-bienqueje me cireroisde cette affaire;
mais on Touloic voir comment |e m'en tire-
rois. Voilà tout. On fait que Thevenin ne
m*a pas prêté neuf francs', peu importe i
mais on fait qu'un impofteur ^eut m'em-
barrafTer; c*eft qutlqUe chofe (i).
(i) M. RouiTeati pouToit ajouter que tôutt
groffiere qu*étoit cette £arce iou<e par TheTenin»
cfle tendoic à compromettre fa sûreté, en le
mettant dans la néceflîcé de fe produire fous le
nom de J. J. Rouffeau, que par des conlidéra-
tions majeures il avoit quitté pour prendre celui
de Reno»*
Quant au nom de yojageur perpétuel donné
par Thevenin à M. Rou0'eau , voici une anec
dote alTez fînguKere , tranfccite mot à mot fut
l'original dune lettre qui nous a été adre^Tée.
» j'étois un jour à me promener au jardin
»> des Thuilleries , appercevant quelques-uns de
»> nos lettrés , & fâchant l'endroit où ils te-
ia noient ordinairement leurs aflîfes , je fus les j
y) devancer plutôt par défoeuvrement que pac
» curiofité.
» La lettre de M. RoufTeau à M. l'Archevêque
») de Beaumont paroîflbic depul» peu. Ce fut fur
»7 cet Ouvrage que roula prefque ta ' converfa-
y» tion. On en parla diverfement , on critiqua ,
M la critique fut plus injuftc qUe févcre i on
V«trc
A M. D. 141
'^- Vos maximes» moa très -cher hôte, font
trcs-floi'ques & très-bcltes , quoiqu'un peu
outrées , comme font celles dt Séneque y 6c
« attaqua l'auteur , & on ne fut ni modéré ,
y> ni honnête*
. )> M. Dudos en parla (éul comme un admira»
9^ teur de M. RouiTeau , pénétré de fcs malheurs»
»> & paroîlTant les partager > il me parut déplacé
)) dans ce cercle. M. de Ste. Foix parla en inqui-
a» liteur.
» Un AJbbé dont ma métnoire ne me permet
Tf> pas dans le moment d'appliquer le nom fur fa
w figure fraîche & bdnéficiale , brilla. M. D**».
s> étoit vis-à-Tîs de lui , & fourioit de tems en
9^ tems à l'Abbé en forme d'approbation.
» Je ne tardai pas d'entendre une voix de fau(^
V fet qui difoit : Ce pauvre Rouffe-Héveitt à tout
9^ prix occuper le public... cette gloriole ejl bien
y* permife fans doute quand elle n dégénère pas
*» en folie,,,, que dites-vous' de fes allées &* ve-»
'» nues,... il n*eft bien nulle paru.,.. C'EST UM
«VOYAGEUR PERPÉTUEL.
)) Ce n'eft pas fur le difcours philofophique
^) que j'appuie. Je ne m'arrête qu'a ces mots r
•• «» voyageur perpétuel. l\ cft bien finguHer que
u le maraud de Thcrenin ait eu la même idée »
» & bien Ion g-temi après ; & que M. Koufleau
» l'ait fait naître , lui qui dcpuia fon retour d'I-
y»(aHe à Paris jufqu'à Ion départ pour la Suilfe |
•» n'avoitfait qu'un voyage en dix -huit ans.
Tome IK. " X
l4^ L B T T H I
généralement celles de cous ceux qui philolW
phent tranquillement dans . leur cabinet fur
les malheurs dont ils font loin , & fut Topi -
nion des hommes qui les honore. J'ai appris
aiTurément â nVfUmer Topinion d'autrui
que ce qu'elle vaut , & je crois favoir , da
moins auffi bien que vous , de combien <io
chofes la paix de l'ame dédommage ; mais
que feule elle tienne lieu de tout , & rende
feule heureux les infortunés i voiU ce que
)* avoue ne pouvoir admettre , ne pouvant ,
tant que je fuis homme , compter totalement
pour rien la voix de la nature patifTame 5c
le cri de l'innocence avilie. Toutefois ^
comme il nous importe toujours , 8c fur-tout
dans Tadverdié , de tendre â cette impaiC*
bilité fublirae i laquelle vous dites écre par«
venu , je tâcherai de profiter de vos fenten*
ces , & d'y faire la réponfe que fit l'archi-
teâe Athénien â la harangue de l'autre. Ce
qu'il a dit , je le ferai»
Certaines découvertes amplifiées peut-être
» Mais chaque fiecle ;^cu fon genre de peH^
» cution , & tel qui s'eft livré k ridiculifer Rou(^
» feau , n'auroit peut-être pas 4t4 des derniers i
» acçuferSocrate».
A M. D* 24J
^âf mon imagination , m*ont jeté duranc
plusieurs jours dans une agitation fiévreufe
qui m'a fait beaucoup de niai j & qui , tant
qu'elle a duré » m*a empêché de vous écrire.
Tout efl calmé 9 je fuis coûtent de moi , &
l'efpere ne plus cefTer de Têtre , puifquMl ne
•peut plus rien m'arriver de la part des hom-
mes y à quoi je n'aie appris â m*attendre , &
à quoi je ne fois préparé. Bonjour , mon
cher hôte, je vous embtaiïe de tout mon
cflcur.
Xi|
LETTRE (i).
EcrUe de Bourgoin ,le z Décembre
1768 , par J. J. Rouffeaii , à Ma^
dame la Préfidente de Verna de
Grenahie , laquelle informée qu'il
itoit venu herb^rifer en Dauphiné ,
lui avoit offert un logement dans
fon château.
JLaissons^ à part y Madame» fevousTiii^
plie , les livres & leurs auteurs. Je fub fî feo-
ilble à votre obligeante invitation , que fi nm
fanté me permettoit de faire en cette faifoii
des voyages de plaillr , )'en ferois un bien
volontiers pour aller voua remercier. Ce que
vous avez la bonté de me dire , Madame y.
des étangs 5c des montagnes de votre con-
trée » ajouteroit â mon emprelTemenc y mais
( I ) Madame la Marquife de Ruflfteux , fille de
Madame la Préfidente de Verna , pofiede l'origi-
nal de cette lettre, fille a permis à M. L. C. D. U
d'en tirer une copie qui a été imprimée pour U
première fois dans le Journal dt Paris du^ i^
luillet dernier.
L B T T R E , 8CC. 24J
^*en feroîrpas la première caufe. On dit que
la grotte de la Balme eft de vos côtés > c'e/l
encore un objet de promenade & même
d'habitation , ù jepouvois m'en pratiquer
une dont les fourbes êc les chauves - fouris
n*approchaflènt pas. A regard de l'étude det
plantes y permettez , Madame , que je la
faflè en naturalifte & non pas en apothi-
caire. Car outre que je n'ai qu'une foi très-
médiocre â la médecine , je connois l'organi-
fation des plantes fur la foi de la nature qui
ne ment point , 6c je ne connois leurs vertus
médicinales que fur la foi des hommes > qui
(ont menteurs. Je ne fuis pas d'humeur â les
croire fur leur parole , ni â portée de la vé-
tiiîer. Aiad , quant â moi , j'aime cent fois'
mieux voir dans l'émail des prés de guirlan-
des pour les bergères , que des herbes pour
des lavemens. PuilTai- je , Madame , au(G-
tôt que le printems ramènera la verdure ,
aller faire dans vos cantons des hetborifa-
tions qui ne pourront qu'être abondantes fie
brillantes , H je juge par les âeurs que répand
votre plume , de celles qui doivent naître
autour de vous. Agréez > Madame > 6c faites
1^6 Lettre, &c.
agréer â M. le Préûdenc y \c vous fappGe ^
les aiTurances de tout mon refpeâ.
Signé K^n ou (x).
(!) C'eft le nom que prit le Citoyen de Génère
àMos fa retraite en Oai^hiné.
LETTRE
A M. L. C. D. L.
Monquin , U lo OBobre 17^ 9 •
IVl £ yoid , Monfieur , en vous lépondant,
Vdans une (icuacion bien bifarre , fâchant bien
^ qui , mais non pas à quoi : non que tottc
ce que vous écrivez ne mérite bien qu'on
s'en fouvienne , mais parce que )e ne me
ibuviensplus de rien. J*avois mis à part votte
lettre pour y répondre 3 & après avoir vingt
fois renverfé ma chambre & tout les fatras
qui la remplirent , je n*ai pu parvenir â rc
trouver cette lettre ; toutefois )e n'en veux
pas avoir le démenti , ni que mon étourde*
rie me prive du plaifîr de vous écrire. Ce ne
fera pas û. vous voulez une réponfe , ce fera
un bavardage de rencontre , pour avoir , aux
dépens de votre parience , l'avantage de eau-
fer un moment avec vous.
Vous me parliez , Monsieur ^ du nouveau
né , dont je vous fais mes bien cordiales fé*
Jidtations. Voili vos pertes réparées/ Que
▼OUI êtes heureux de voir les plaifits patei;-
XJ^i LETTRE
nels fe multiplier, autour de vous ! Je voof
le dis , & bien du fond démon coeur j qui-
conque â le bonheur de pouvoir remplir des
foins û chers , trouve chez lui des plai(irs
plus vrais que tous ceux du monde , 6c les
plus douces confolacions dans TadveHité.
Heureux qui peut élever fes enfaas fous (es
yeux ! Je plains un père de fisuuille obligé
d'aller chercher au loin la fortune : car pour
le vrai bonheur de la vie , il en a la fourc»
auprès de lui.
Vous me parliez du logement auquel vous
aviez eu la bonté de fonger pour moi. Vous
avez bien , Monfieur , tout ce qu*il faut
pour ne pas me laiflèr renoncer fans regret à
rcfpoir d*étre votre voifin i & pourquoi y
renoncer ? Qu*ell-ce qui cmpécheroit que ,
dans une faifon plus douce, je n'allaffe vous
voir , & voir avec vous les habitations qilf
pourroient me convenir ? S*il s'en trouvofc
une affcz voifîne de la vôtre pour me procu«
rcr l'agrément de votre fociété , il y auroic
là de quoi racheter bien des inconvéniens ,
le pourvn que Je trouvaflc à- peu-près le phit
fiécelTure , de quoi me coafoler de n*aVQiv
pas ce qui lefcroic moins.
A M. L. C. D. L. 149
Vous me parliez de Uccéfature , & préciGS-
xncDt cet article k plus plein de chofei U le
^lus digne d'écre retenu , eft^xlui que )*ai to-
laUmenc oublié. Ce fujec qui ne me raf^pelle
que des idées triâes , & que Tindinâ éloigne
de ma mémoire , a fait ton à TeTprit avec
lequel TOUS l'avez craicé. Je me fuis fouvenu
feulement que vous cdez trè&^aimable y même
,CQ traitant unrujet que jen'aimois plus*
, Vous me parliez de botanique 5c d'herbo-
rifadons. C*efl un ohfet fur lequel il me refte
tm peu plus de mémoire > encore ai-)e grand
peur que bientôt elle ne s*en aille de même
^vec le goût de la diofe, & qu'on ne par-
vienne à me rendre défagréable iufquU cet
innocent amufement. Quelque ignorant que
•}e fois en bounique^je ne le fuis pas au point
d'aller , comme on vous Ta dit , chercher en
Europe une plante qui empoifonne par fon
^eur s & je penfe , au contraire , qu'il y a
beaucoup â rabattre des qualités prodigieufes
tant en bien qu'en mal , que l'ignorance ,
la charlatanerie , la crédulité , te quelquefois
la méchanceté prêtent aux plantes , & qui
JbicB examinées , fe réduifem pour Tordl-.
^$0 L E T T R B
aaire à très-pcu de chofc , fouvent tom^
fait à ricD. J»allois à Pila faire avec tnn
Meneurs qui faifoicnt fcmblant d'aimer ia
botanique, uae bcrboriniuon dont le prin-
cipal objet étoit un commencement d'Iier-
bicr pour l'un des trois , â qui j'ayois tâché
d'infpircr le goût de cette douce & almaj)te
étude. Tout en marchant , M. le Médecin "
M*** m'appcUa pour me montrer , difoir- j
il , une très-belle Ancolic. Comment , Mon- '
finir , une Ancolie i lui dis.|e en voyant (à
plante: c'cft le Napel. Là-defTus je leur ra-
contai les fables que le peuple débite en Smffc
fur le Napel , & j'avoue qu'en avançant 5f
nous irouvam comme enfcvelis dans une fo-
rée de Napels,, je crus un moment fentff
un peu de mal de tête, dont |e reconnus ta
chimère , & ris avec ces Mcfficursptefque as
xncmc inftant^
Mais au lieu d'une plante à laquelle fv
n'ivois pas fongé , j'ai vraiment fie vaine-
ment cherché à Pila une fontaine glaçante qoi
tiioit , à ce qu»on nous dit , quiconque en
buvoK. Je déclarai que j'en voulois faire
1 cffiu fur moi-même , non pas pour «e tuer.
aM. L. c. d.,l; ijt
)f TOUS jure » mais pour déCàhaCet ces pauvret
^ens fur la foi de ceux ^ui *Cc plaifenc i pa*
lomoier la nature , craignaiK jufqu*au lait de
leur mère , & ne voyant par>tout que les pé-
rils & la mort. J*aurois bu de l'eau de cette
£ontaine comme M.Storck a mangé du Ka*
pel. Mais au lieu de cette fontaine homicide,
qui ue s'eft point trouvée , nous trouvâmes
une fontaine très- bonne , très- fraîche donc
nous bûmes tous avec grand plailîr , & qui
x^e tua perfonne.
Au reAe , mes voyages pédeftres ayant été
]arqu*ici tous très- gais , faits avec des cama-*
rades d'aufli bonne humeur que moi , j^avoi»
efpéré que ce feroit ici la même chofe. Je vou«
lus d*abord bannir toutes les petites façons
éc ville 'y pour mettre en train ces Medieurs p
je leur dis des canons *> je voulus leur en
apprendre i je m'imaginois que nous allions
chanter , criailler , folâtrer toute la journée*
Je leur fis même une cbanfon ( Tair s'entend >
que je notai , tout en marchant par la pluie ,
avec des chiffres de mon invention. Mats
quand ma chanfon fut faite , il n*en fut plut
qucition , ni d'amufemens ^ ni de gaieté , ni
«5*- LettrEj&c.
éc familiarité i youUntécre badin cour Cedi
je ne me trouvai que groflîer s tou|ours le
grand cérémonial , & toujours Moniteur dom
Japhet ^ â la fin je me le tins pour die j &
m'amufant avec mes plantes , je laiââi oa
MefCeurs s'amuTer â me faire des façons. Je
ne fais pas trop & mes longues cahâcheries
vous amufenc. Je (aïs feulement que û je les
prolongeois encore , elles vous ennuyeroicoc
certainement à. la fin. Voili ^ Monfieur y l'iitC*
coire exaâe de ce tant célèbre pèlerinage ,
qui court déjà les quatre coins de la France ,
& qui remplira bientôt Tfiurope. endere de
Ton rifible fracas. Je vous falue » Monfieur ,
& vous embxaâe de coût mon cœutm
LETTRE ,
LETTRE
A M. DU BEL LOT.
^ Mbnqidn ,parBourgoin, U 19 Fèt* 1770*
Fauvres aveugles que nous fommes !
Ciel ! déinafquc les impofteurs , ;
Et force leur$ barbares coeurs
A s'ouvrir aux regards des hommet.
J 'KONOK.01S vos talens y Monfieur , encore
^lus le digne ufage que vous en faites , &
}*admîrois comment le même efprit patrio-
tique nous avoic conduits par la même route
â des deiUns û. contraires : vous à racquiH-
tion d'une nouvelle patrie , & â des honneurs
diftingués » moi i la perce de la mienne & à
des opprobres inouis.
Vous m'avez refTemblé , dites- vous , pat
le malheur > vous me feriez pleurer fur vous ,
fi )e pottvois vous en croire. Etes* vous feul
en terre étrangère , ifolé , féquefiré , trompé ,
trahi , diHFamé par tout ce qui vous envi-
ronne , enlacé de trames horribles dont vous
icntiez Teffct , fans pouvoir parvenir â let
154 Lettre
coanoîrre » â les démêler ? Etes-yoïiS à b
merci de la puifTance , de la nife , de Vini'
qiiicé y réunie! pour vous traîner dans la fange,
pour élever autour de vous une impénétrable
œuvre de ténèbres , pour vous enfermer tout
vivant dans un cercueil ? Si tel eft ou fut vo-
tre fort , veaex , gémiiTous enfemble } mais
en tout autre cas , ne vous vantez poîac de
faire avec moi fociété de malheun*
Je lifois votre Bayard , fier que vont cuf-
fiez trouvé mon Edouard digne de lui fervif
de modèle en quelque chofe , & vous me hi*
fiez vénérer ces antiques François » auxquels
ceux d'aujourd'hui reffemblent fi peu y mais -
que vous faites trop bien agir & parler pour
ne pas leur rcflèmbler vous-même. A ma fe-*
conde leâure , |e fuis tombé fur un vers qui
m'avoit échapé dans la première , &. qui
par réflexion m*a déchiré {*). Vy airecooflu»
non , grâces au Ciel , le cœur de J. J. , mair
les gens à qui j*ai â faire , U que pour moA
(i) Il eft probable que ces deux vers tfteioit
ceux-ci.
Hut de vertu briUoit dans fon féMte repentir !
ftitt'09 fi bien U ptindrt^i t^pêpéuls ft»$ir I
A M. DU Bbiloy. 15J
«nalheur je connois trop bien. Tai compris ,
y ai penGS du moins qu'on vous avoic ftiggéré .
ce vers-U. Milère iiumainc , me fuis-je die !
Que les médians di£famenc les bons , ils font
leur œuvre i mais comment les trompent-ils
les uns à regard des autres ? Leurs âmes n*onc-
clies pas pour fe reconnoître des marques plut
§ûres que tous les prciliges des impofteurs ?
J'ai pu douter quelques inftans , )e Tavoue ,
•û vous n*étiez point (îduit , plutôt que trompé
par mes ennemis.
Dans ce même tems , fai reçu votre lettre
te vçtre Gabrielle , que fai lue & relue aufli ,
mais avec un plaifir bien plus doux que celui
que m'avoit donné le guerrier Bayard i car
rhéroïfme de la valeur m*a toujours moins
touché que te charme du fenrimeut dans les
âmes bien nées. L'attachement que cette
pièce m'infpire pour Ton Auteur , eft un des
mouvemens , peut - être aveugles , mais
auxquels mon cétur n'a jamais refîAé. Ceci
me mené i Taveu d'un autre folie , â
laquelle il ne ré/îfte pas mieux. C'eft de
faire de mon HéloiTe le crirer/um fur lequel
fe juge du rapport des autres ceeurs avec le
y ii
*.s^
Lettre
mien. Je conviens volontiers qu'on peut êtn
plein d'honneccté , de vf rtu » de fens , de
raifoR , de goûc , & trouver ce roman déceP
table i quiconque ne Taimera pas peoc bica
avoir pani mon eAime , mais iamais à moa
amitié. Quiconque n'idolâtre pas ma Julie ,
ne fent pas ce qu'il faut aimer ^ quiconqtiff
n'cCi pas Tami de St. Preux ne faaroit être le
mien. D'après cet entêtement , jugez du plai-
ût que j'ai pris en lifant votre Gabrlelle , d'j
retrouver ma Julie un peu plus héroïquemeqc
requinquée, mais gardant Ton même nacaref ,
animée peut-être d'un peu plus de cludeur p
plus énergique daps les (ituations tragiques ,
mais moins epivranjce auifî t félon moi , dam
le calme. Frappé de voir dans des mtiltiiiKl^
des vers , â quel point il faut que vous ayez
contemplé ce.tce in^j^e û tendre dont }c foie
le Pygmalion , )'ai cru fur ma règle ou fur
ma manie , que la nature nous avoic fakt
amis s & revenant avec plus d'iccecqtude
aux vers de votre Bayard , j*ai céfolu d'eu
parler avec ma frandbife ordinaire , faiif i
vous de me répondre ce qu'il vouf plain.
Monficur du Belloy , je nt pepfc pai an
A M. vv Beiioy. 157
J'iioonpur comme vous de la vertu , qu*il
Ibic poi(fible <i*en bien parler , d*y revenir
ibuvenc par goût , par choix, & d*en parler
toujours d'un ton qui touche 9c remue ceux
qui en ont , fans Taimer , Ac fans en avoir
ibi>méme : atnâ , fans vous connoître autre-
ment que par vos pièces , je vous crois dans
ie. çŒur l'honneur d'an ancien Cheva-
lier, & je vous demande de vouloir me
dire , fans détour , s*il y a quelque vers dans
TOtre Bayard dont en l'écrivant votis m*ayez
voulu faire TapplicatioB* Dites-moi fimple-
ment oui ou non, & je vous nois.
Quâht au projet de réchauffer les cœurs
Àe vos compatriotes , par l'image des anti-
ques vertus de leurs pères ^ il eft beau , mais
il eft vain. L'on peut tenter de guérir des
malades , mais non pas de relTufciter des
morts. Vous venez foixante^dix ans trop tard.
Contemporain du grand Catinat , du brillant
Villarf , du vertueux Fénelon , vous auriez
pu dire : VoiU encore des François dont je
vous parle : leur race n'eft pas éteinte ', mais
aujourd'hui vous n'êtes plus que vox damans
in deferto. Vous ne mettez pas feulement fur
Yiij
*5«
Le t t r e, 8Cc: *
la Tcene des gens d*ua autre ficelé, maîf
d*un autre mondes ils n'ont plus rien de
commun avçc celui-ci. Il ne refte à totre
nation , pour Ce cooToler de n*avoir plus de
vertu , que de n'y plus croire , 8c de I J
^iâfamer dans les autres. O s'il étoit encore
des Bayards en France , arec quelle noble
colère , avec queUe. vive indignation i • . •
Croyez-moi , du Belloy » ne faites plus de
ces beaux vers i la gloire des anciens Fran-
çois • de peur qu'on ne (bit tetaté , par la
luflelTe de la parodie , del'appllqutr â ceax
d'aujourd'hui.
Adieu f Monfleur. , û'ce^'^ letr^. vous par-
vient , je vous prie de m'en donner avis »
afin que je ne fois pa$i, ijijufte. Icyf^m (alaç
de tout mon cqpur.
L ET T R E
AU MÊME.
Monquîn y le 11 Mars i770«
Pauvres aveugles que nous fommes 1
Ci ejl 1 déinarque les imppfteurs ,
Et force leurs barbares cceurs
A s'ouvrir aux regards des hommes.
Al faut , Monfleur, vous refoudre i bien
de l*ennui , car )*ai grand'peur de vous écrire
une longue lettre.
Que vous m'avez rafraîchi le fang , 8c
que j'aime votre colère ! Vy vois bien le
fceau de la vérité dans une ame fîcre , «juc
le patclinage des gens qui m'entourent mar-
que encore plus fortement â mes yeux. Vous
avez daigné me faire fentir mon tort } cV{(
une indulgence dont je fens le prix , fie que
je n'aurois peut-être pas eue à votre place }
il ne m'en refle que le de/îr de vous le faire^
oublier. Je fus quarante ans le plus confiant
des hommes , fans que durant tout ce tems
japiais une feule fois cette confiance ait été
i(jo Lettre
trompée. Sitôt que feus pris U plume y \t
me trouvai dam un autre unirers , parmi
de tout autres êtres , auxquels je continuai
de donner la même confiance , & qui m'en
ont û terriblement corrigé , qu'ils m*ont |ect6
dans l'autre extrémité. Rien ne m'épouvanta
jamais au grand jour, mais tout m'effa-
rouche dans les ténèbres qui m'environnent ,
& je ne vois que du noir dans l'obrcuricé.
Jamais l'objet le plus hideux ne me fit peur
dans mon enfance , mais une figure cachée
fous un drap blanc me donnoit des con-
vulfions i fur ce point , comme fur beau-
coup d'autres, je referai enfant jufqu'i la
mort. Ma défiance efl d'autant plus déplo-
rable , que prefque toujoun fondée > ( & je
n'ajoute prefque qu'à caufe de vous ) elle
eft toujours fans bornes , parce que tout ce
qui efl hors de la nature n'en connoit plus.
Voilà , Monfieur , non l'excufe • mais la
caufe de ma faute , que d'autres circonftancef
ont amenée & même aggravée , & qu'il £iut
bien que je vous déclare pour ne pas vont
troniper. Perfuadé qu'un homme puiiTant
vous avoit fait entrer dans fes vues â mon
égard y je répondis felou cette idée à quel*
A M. DU Belloy. i6i
•qu'uu qui m'avoic parlé dé vous > & fc
répondis avec tant d*ioipradence « que je
nommai même Thomme eo queftioo. Né
avec un caraâere bouillant , donc rien n'a
pu calmer rcffervefcence , mes premiers
mouvemens font toujours marqués par une
écourderie audacieufe , que |e prends aloM
pour de rintrépidicé , te que )*ai tout te
tems de pleurer dans la fuite , Cur-tout quan^
çUe eil injude comme dans cette occafion.
Fiez-vous â mes enne^s du foin de m*en
punir. Mon repentir ancic;ipa même fur leurs
foins > à la réception de votre lettre ; un
jour plutôt elle m'eut épar^é beaucoup de
Totcifes i mais , puifqu'elles (ont faites ^ il
ne me relie qu'à les expier , & à ticket d'en
obtenir le pardon que je vous demande par
la commifération due à mon état.
Ce que vous me ditçs des impuuttoni
donc vous m'avez entendu charger y ic du
peu d'effet qu'elles ont fait fur vous , ne
m'étonne que par l'imbécillité de ceux qui
penfoient vous furprendre par cette voie. Ce
n'ed pas fut des hommes tels que vous que
des dlTcours en l'air onc quelqMe prir«^ mai«
•^
t6i Lettre
les frivoles clameurs de la calomnie qtrf
n'ezckenc gueres d'attention , font bien diifc'
rentes , dans leurs effets y des complots tra«
mes & concertés durant longues années ,
dans un profond filence, fie dont les déve>
leppemens fucceflifs fe font lentement , foor*
dément & avec méthode. Vous parlez d'éri-
dence i quand vous la verrez contre moi ,
}ugez*moi» c'efl votre droit i mais n'ou-
bliez pas de )uger aufli mes accufateun i
examinez quel motif leur infpire tant de
zele. J'ai toujours vu que les méchans inf-
piroient de l'horreur , mais point d'animo-
ûté. On les punit ou on les fuit , mais
on ne fe tourmente pas d'eux fans cède ,
on ne s'occupe pas fans ceflê i les cir-
convenir , à les tromper , â les trahir \ ce
n'eft point i eux que l'on fait ces chofes-
U , ce font eux qui les fout aux autres.
Dites donc â ces honnêtes gens û zélés , û
renueux , d fiers fur-tout d'être des traîtres,
flc qui fe mafquent avec tant de foin pour
me démafquer : «c Mcflieurs , j'admire vatre
•» zele « & vos preuves me paroiHent fans
9> réplique s mais pourquoi donc craindre fi
4» fore que l'accuH^ ne les fâche & n'f
A M. PU Bellôy. i6^
» réponde ? Permettez que je Ten inAnûre flc
M que je vous nomme. II n'eft pas généreux »
y> ' il n'eft pas même juAe de diffamer un
» liomme , quel qu'il foie , en Te cachant
n de lui. C'eil , dites-vous , par ménage-
9» ment pour lui que vous ne voulez pat
s» le confondre i mais il feroit mpins cruel ,
a» ce me femble , de le confondre que de
a» le diffamer y & de lui ûter la vie que
a» de la lui rendre infupporuble. Tout hypo«
»> crite de venu doit être publiquement
n confondu i c*efl là fon vrai châtiment ,
s> £c l'évidence elle - mime eft fufpeâe y
» quand elle élude la conviâion de l'accufé »•
£n leur parlant de la forte , examinez leur
contenance , pefez leur réponfe } fuivez , en
la jugeant» les mouvemens de votre caur»
Se les lumières de votre raifon i voili ,
Monfîcur , tout ce que je vous demande ,
& je me tiens alors pour bien jugé.
Vous me tancez avec grande raifon fur
la manière dont je. vous parois jugçr votre
nation ; ce n'eft pas ainfî que je la juge de
fang- froid , & je fuis bien éloigné , je voua
{ute f de lui rendre i'inju(tice dont elle ufe.
i'^4.
L E T T a B
cnrers moi. Ce jugement trop dur croit I'
r/age d'un moment de dépit Bt de colère
qui même ne Te rapporcoit pas à moi , mais
an grand liomtue qu'on vient de chaflér de
fa nailTame patrie , qu'il illuftroit déjà dans
fon berceao , & dont on o(k encore fouiller
les Tertns arec tant d'arcifice 8c d'injuftlce.
S'il reftoit , me difois-je , de ces François
célébrés par du Bello/ , pourquoi leur indi-
gnation ne rédameroit-elle point contre ces
manœuvres û peu dignes d'eux ?
C'eft à cette accaHon que Bajrard me re-
vint en mémoire , bien sûr de ce qu'il diroit
ou feroit , s'il vi^ott aUjbbi'd'liui. Je nefen-
tois pas a^Tefe que tous les hommes , même
vertueux , ne font pas det Bayards , qu!on
peut être timidie fahk cefler d'être julle , de
qu'en penfant â<eat qùf machinent 8c crient,
}*avois tort d'oubUer ceux qui gémiflènt St
fe taifent. J'ai tbujours aimé votre nation ,
elle eft même celle de l'Europe que j'honore
le plus, non que j'y cfoie appercevoir plus
de vertus que dans les autres , mais par un
précieux rcÂe de leur amour qui s'y cà con-
servé , 6c qut Yoay réreiltez , quand il étoit
prêt
A M. DU Belloy. 2(>5
prêt â s'éteindre. Il ne faut jamais défefpérer
d'un peuple qui aime encore ce qui efl jufte
& honnête, quoiqu'il ne le pratique plus^
Les François auront beau applaudir aux traits
héroïques que vous leur préfentcz , je doute
qu'ils les imitent , mais ils s'en tranfportcronc
dans vos pièces , 8c les aimeront dans les
autres hommes , quand on ne les empêchera
pas de les y Toir. On eft encore forcé de
les tromper pour les rendre injufles , pré-
caution donc je n'ai pas yn qu'on eût grand
befoin pour d'autres peuples. VoiU , Mon-
fieur , comment je penfe conflamment â l'é-
gard des François , quoique je n'attende plus
de leur part qu'injuftice , outrages & perfî^cu*
tion } mais ce n'eft pas à la nation que je
les impute, 8c tout cela n'empêche pas
que plufieurs de Ces membres n'aient toute
mon eftime , 8c ne la méritent , même dans
l'erreur où on les tient. D'ailleurs , mon
caur s'enflamme bien plus aux injuflices
donc je fuis témoin, qu'à celles doi^t je
fuis la viâime; il lui manque, pour ces
dernières , l'énergie 8c la vigueur d'un géné-
reux défintéreifement. Il me femble que ce
n'eft pas la peine de m'échaufifer pour une
Tme Jr. Z
1^6 L E T T R E
caufe qui n'iatércdè que moi. Je regarde met
malheurs comme liés i mon écac d'homme
& d'ami de la vérité. Je vois le méchanc
qui me per(ecuce de me diâTame , comme
je verrois un rocher fe décacher d'une mion-
tagné & venir m'écrafcr. Je le repoufTcrois
fi j'en avoisla force, mais fans colère. Se
puis je le laiflcrois là fans y plus fonger. J'a-
voue pourtant que ces mêmes malheurs m'ont
d'abord pris au dépourvu , parce qu'il en eft
auxquels il n'e/l pas même permis à un hon-
nête homme d'être préparé 5 fta ai été ce-
pendant plus abattu qu'irrité j & maîntenanc
que me voilà prêt , j'cfpere me laifTer un peu*
moins accabler , mais pas plus émouvoir
de ceux qui m'attendent. A mon âge fie
dans mon état , ce n'efl plus la peine de s'en
tourmenter , & j'en vois le terme de trop
près , pour m'inquiécer beaucoup de l'efpace
qui refle. Mais je n'entends rien à ce qoe
TOUS me dites de ceux que vous avez eiTuyés :
adurément je fais fait pour les plaindre j
mais que peuvent-ils avoir de commun avec
les miens ? Ma ficuacion efl unique , elle
eft inouïe depuis que le monde exifte , fie
je ne puis préfumer qu'il s'en retrouve ja-
A M. DU Rblloy. i6y
mais de pareille. Je ne comprends donc point
quel rapport il peut y avoir dans nos defU-
nées , & )*ainie â croire que vous vous abufez
fur ce point. Adieu , Moniteur , vivez Iieu>*
riux } jouiilèz en paix de votre gloire , <e
fouvenez-vous quelquefois d'un homme qui
vous honorera toujours.
z n
LETTRE
A M. L'A. M.
^Monquin ,parBourgoin » U ^ Fév, i77«*
Pauvres aveugles que nous fommes !
Ciel ! démarque les impofteurs ,
Et force leurs barbares coeurs
A s'ouvrir aux regards des hommes.
En vérité, Monfieur, yotre lettre n'eft
point d*un jeune homme qui a befoin de
coufcil s elle eft d'un fage très-capable d'en
donner. Je ne puis vous dire à quel point
cette lettre m'a frappe. Si vous avez ea
effet rétoffe qu'elle annonce , il eft â de-
firer pour le bien de votre Elevé , que Tes
parens Tentent le prix de l'homme qu'ils ont
mis auprès de lui.
Je fuis, & depuis Ci iong-tems» û loin
des idées fur lefquelles vous me remetiet ,
qu'elles me font devenues abfolument étran-
gères. Toutefois |e remplirai félon ma por-
tée , le devoir que vous m'impofez ; mais
je fuis bien perfuadé que vous ferez mieux de
Lettre, Sec. i^p
irotts en rappofcet à v^us qu*â mo! , fur U
iseilleare miQjere de tqus conduire dans le
cas ditiSdle ^à vous tous tfourez.
•
SItâc qu'on s'eft dévoyé de la droite
route de la nattire » rien n'eft plus difficile
que d'y rentrer. Votre enfant a pris tin pU
d'autant moins facile à corriger , que nécef-
fiairemcnc tout ce qui l'environne , doit em-
pêcher Teffèc de vos foins pour y parvenir.
Ceft ordinaiiement le premier pli que les
enfaos de qualité oonrraûeot » Zc c'eft le
dernier qu*on peut leçr faire perdre , parcs
qu'il fauç pour cela le concours de la raifon ,
qui leur vient plus tard qu'à tous les autres
eniàns. Ne vous effrayez donc pas trop que
l'effêc de vos foins ne réponde pas d'abord
èi la chaleur de votre zèle y tous devez vous
attendre à peu de fuccès fufqu^à ce que vous
«ycz la prife qui peut l'amener ; mais ce n'efl
pas une raifon pour vous relâcher en atten-
dant. Vous vQÎlâ dans un bateau » qu^im
courant très- rapide entraîne en arrière, il^
§tm beancoop de travail pour ne pas reculer*.
ia voie qœ vous avez' prife & que vous
Ziij
270 Lettre
craignez n'écre pas la raeîtleure , ne le fera
pas toujours fans doote. Mais elle me paroîc
la meillsure en attendant. Il n'y a que trois
inftrumens pour agir fur les araes humaines i
Im raifon » le fentiment , & lanéceflicé. Vous
avez inutilement employé le premier $ il n*eiè
pas vraifemblable que le fécond eâc pins
d'effet ; refte le troiâeme , & mon aris efl
que pour quelque tems » vous devez vous
y tenir; d'autant plus que la première & \m
plus imporunte philofophie de l'homme de
tout eut & de tout i^ » eft d'apprendre
à fléchir fous le dur joug de la néceflîce.
clavos trabdUs & éuteos manu, geftans ahenuL
Il eft clair que Topinion » ce monAre qui
dévore le genre-humain , a déjà farci /le fes
préjugés la tête du petit bon-homme. Il vous
regarde comme on homme à Cet gages , une
efpece de domeftique , fait pour lui obéir ,'
^ pour complaire à fes caprices ; & dans foa
petit jugement » il lui paroit fort' étrange
que ce foit vous qui prétendiez l'affervir aux
vôtres i car c'eft ainii qu'il voit tout ce que
vous lui prefcrivez. Toute fa conduite avec
vous n'eft qu'une *con(équence de cette
maxime» qui n'eft pas injufle, mais qu'il
A M. l'A. m. 171
«p^lque mal , que ^tji à celui qui paie de
€omméuider. D'après cela qu'impone qu'il aie
tort ou nifofi s c'eft lui qui paie.
ZiTsfttf cbemin faifant , d'effacer cette opf-
JÛon par des opinions pins jufies, de redreiTer
fef erreurs par des )ugemeDs plus ren(es.Tichcz
«le lui faire comprendre qu'il y a dés chofes plus
efUmables que la naiffànce & que les riches ,
& pour le lui faire comprendre , il ne faut par
le lui dire , il faut le lui faire fentir. Forcez
fa petite ame vaine à refpeâer la ju/lice de le
courage » â fe mettre à genoux devant la ver-
tu i 6c n'allez pas pour cela lui chercher des
livres. Les hommes des livres ne feront jamais
pour lui que des hommes d'un autre mon'
des|e lie fâche qu'un feul modèle quipuifTe
avoir â fcs yeux de la réalité , & ce modèle
c'eft vous , Monfieur y le pofte que vous rem-
plidcz eft à mes yeux le plus noble fie le plus
grand qui foit fur la terre. Que le vil peuple
en penfe ce qu'il voudra, pour moi je vou s
vois â la place de Dieu; vous faites un
homme. Si vous vous voyez du même oeil
que moi , que cette idée doit vous élever en
dedans de tous- même l ^'clle peut vous
ijt Le t t r. e
rendre gra^id en effet î Se c*e{l ce qu'il faut ^
car (î vous ne Tétiez, qu'en apparencp ^.Ik^ que
vous ne fîiÏÏcz que jçuec la vcf eu », le j^fÔK
bon homme vous pénécreroic infaillibleraenr,
& touc ferpic, perdu. Mais fi cette Imt^e su-
blime du grand & du beau le frappe une foif
en vous « fi votre défintéteifement lui apprend
que la richeiTc ne peut pas tou^ > s*il voie eu
vous combien il efl plus grand de comman-
der â foi-n^ême qu'4 des valets , fi tous le
forcez en un mot â vous refpeâer » des c%i
inftant vous l'aurez fuhjugué 9 ^ |e vous ré-
ponds que quçlqup femblapt qu'il fade » il ne
trouvera plu^ ég^l q^c vous foyez d'acconi
avec lui ou non > fur-tout, fi en le forçant
de vous honorer daps le fond de foa petit
çoBur , vous loi n^arquez en même tems faire
peu de cas d« ce qu'il pepff lui-même , & ne
vouloir plus VQUs fatigues i le faire conrenic
de Ces torts. Il me fenablc qu'avec une cer-
taine façon grfive ^ Soutenue d'exercer fur
lui votre ai^çof ité , vqus parviendrez â la fia
4 demander froidemçni à votre tour : Qu^efi-
c^ <ltu cfl4 fnU^ nom J'oyotts d^ accord ou
wwi / Et qu'il, troiuvera lui que cela fait quel-
que ciioi^. ii liiudrA fedemcnc éviter de
A M. l'A. m. 17}
|oindre â ce fang- froid , la dureté qui voui
rendroit haïfTable. Sans encrer en explication
avec lui , vous pourrez dire à d'autres en fa
préfence : <c raurois fait mes délices de ren-
>» dre fon enfance heureufe » mais il ne l'a
9> pas youlu > èc faimc encore mieux qu'il
9» foit malheureux étant enfant que méprifa-
9» ble étant homme >>. A l'égard des puni-
tions , je penfe comme vous » qu'il n'en faut
]âmais venir aux coups , que dans le feul cas
où il autoit commencé lui-même. Ses chiti-
mens ne doivent jamais être que des abfli-
nences » & urées » autant qu'il fe peut , de
la nature du délit. Je voudrois même que
TOUS vous y foumi/Hez toujours avec lui
quand cela feroit poflible , & cela fans afifec-
tacion^ fans que cela parût vous coûter,
& de façon qu'il pût , en quelque forte , lire
dans votre coeur , fans que vous le lui difiez ,
que vous fentez fi bien la privation que vous
lui impofez , que c'eft fans y fonger que vous
vous y foumettez vous-même. En un mot ,
pour réuflir , il faudfoic vous rejidre prefque
impadible ', 6c ne fentir que par votre Elevé
on pour lui. VoiU , je l'avoue , une terrible
tâche y mais je ne vois nul autre moyen de
274 Lettre
fuccès. £c ce fuccès me parole ttdCuËé de part
ou d'autre ; car , quand avec cane de foins,
vous n'auriez pas le bonheur d'avoir hit
un homme , n'efl - ce rien que l'être «if-
venu ?
Tout ceci ruppofeque ladédaigneufe hauteur
de rEnfant,n'eft que la petite vanjtc de la pe-
tite grandeur , dont (es Bonnes auront bour-
fouâé fa petite ame ; mais il poutroit arriver
auffi que ce fûtrcfEît de Tâprcté d'un caradcre
indomptable & fier , qui ne veut céder qu'à
lui- même; cette dureté , propre aux fculs na-
turels qui ont beaucoup d'étoâfe , 8c qui oe
fe trouve gueres au pays où vous vivez , n'eft
pas probablement celle de votre Elevé j fi ce- .
pendant cela Ce trouvoit ( & c'cft i|n difccr-
nement facile â faire ) , alors il faudroit bien
vous garder de fuivre avec lui la méthode
dont je viens de parler , 5c de heurter la ru-
AeSc avec la rude/Te j les ouvriers eu bois *
n'emploient jamais fer fur fer } ainfî faut-il
faire avec les efprits roides , qui réilflent tou-
jours â la force; il n'y a fur eux qu'une prife,
mais aimable & sâre , c'eft l'attachement &
la bienveillance > il faut les appri voifer comme
t ^
A M. l'A. m. 17 s
les lions , par les carcfTes : on rifque peu de
gâter de pareils enfans 'y tout confifle â s'en
faire aimer une fois ; après cela vous les fe-
riez marcher fur des fers rouges.
Pardonnez ^ Monfîeuf , tout ce radotage i
ma pauTre petite tête qui diverge , bat la cam-
pagne yU fe perd à la fuite de la moindre
idée. Je n'ai pas le courage de relire ma lettre
dé peur d'être forcé de la recommencer: J'ai
i^oulu vous montrer le vrai defîr que j'aurois
de vous coràpîaire' , & d'applaudir â vos ref-
pe^ables foins y mais je fuis très*perfuadé >
qu'avec les talens que vous me paroifTez atbir,
& le zele qui les anime ; vous n'avez befoin
^ue de vous-même pour conduire auâi fage-
ment qu'il eft poffible, le fujet que la Provi-
dence a mis entre vos mains. Je vous honore ,
l^onlieur y 6c vous faiué de tout mon cœur.
•r)
LETTRE
AU MÊME.
Monquin , /e i8 Février 1770*
PauTres aveugles que nom fommcs !
Ciel 1 démarque les impofteurs »
Bt force leurs barbares coeurs
A f'ounir aux regards des hommet.
V OTHB précédente lettre , Monfieur , m'en
promettoic û bien une féconde , & yétoh û
sâr qu'elle yiendroic > que , quoique ft me
crulTe obligé de vous tirer de l'erreur où \c
vous voyott, l'aimai mieux tarder de remplit
ce devoir « que de vous ôter ce plaiiir S. doux
aux cœurs honnêtes » de réparer lean tons do
leur propre mouvement (i).
La biûmre manière de dater qui tous 4
(t) Pour rintclligence de cette phrafe. Se de
celles qui la fuivent , il faut favoir que la per-
fonne à qui cette féconde lettre étolt adreffde»
avolt mis en tête de fa réponfe à la première , 00
quatrain qui fembloit annoncer qu'elle av<^ pris
en mauvatfe part celui de M* Routfcau i ce qui
cependant n'étott pat.
fcandalii;^.
L«TTRE,&C. 277
Tt»ndz]i(^ , cft une formule générale dont
Apuis quelque tcms j'ufe indiffièremmenc
avec tout le monde j qui n'a ni ne peut
aivoir aucun trait aux pcrfonncs à qui j'écris »
puifque ceux qu'elle regarde ne font pas faits
pour êtte honorés de mes lettres, & ae le
feront sûrement jamais. Comment m*avez-
▼ous pu croire afTez brutal , adêz féroce pour
▼ouloir infulter ainfi , de gaieté de coeur y
«Quelqu'un que je ne connoiffbis que par une
lettre pleine de témoignages d'cftime pour
moi , & (î propre à m'en infpircr pour lui ?
Cette erreur cft U-defTus tout ce dont je peux
me plaindre ; car û ce n'en eût pas été une ,
votre relTcntiment dcvenoit très-légitime , fie
votre quatrain irès-mérité. Si même j'avois
quelque autre reproche à vous faire , ce fe-
roit fut le con de votre lettre , qui cadroit û
mal avec celui de votre quatrain. Quoique
dans votre opinion , je vous en eufie donné
l'exemple , deviez- vous jamais l'imiter? Ne
deviez' vous pas au contraire écre encore plus
indigné de l'ironie fie de la faufTeté déteftable <
que cette contradiûion mettoit 'dans ma
lettre , ficla vertu doit-elle jamais fouiller Ict
snainsinnocentds avec les armes des méchans»-
Tome Jr, Aa
ijf Lettre
même pour reponiTer ieun atceihces ? Je yi
avoue franchemeuc , que je vous ai bien plus
ai((^menc pardonné le quatrain , que le corps
de la lettre. Je paflè les injures dans la coltfe,
mais j*ai peine à paiTer les cajoleries. Pardon ,
Monfîeur , â mon tour. J'ufe peut-êcre un peu
durement des droiu de mon âge. Mais |e
vous dois la vérité depuis que vous m'avez
inrpiré de Teftime. C*eft un bien dont je £ah
trop de cas , pour laidêr pailêr en fîleoce riea
de ce qui peut l'altérer. ApréTent, oublions
pour jamais ce petit démêlé, je vous en priCf
2c ne nous fouvenons que de ce qui peoc
nous rendre plus intérelTans l'un â l'autre ,
parla manière dont il a fini.
Revenons i votre emploi. S'il eft vrai que
vous ayez adopté le plan que j'ai tâché
de tracer dans l'Emile , j'admire votre cou-
rage; car vous avez trop de lumières pour ne
pas voir , que dans un pareil fyftéme , il'
faut tout ou rien , & qu'il vaudroit cent
.£oii mieux , reprendre le train des éducations
ordinaires , & faire un petit talon rouge ,
que de fuivre i demi celle-lâ pour ne faire
qu'un homme manqué. Ce que j'appelle
A M. L*A. M. 179
Tout y n*eft pas de fuivre fervilemenc met
idées , au contraire c*eft fouvent de les cor-
rigers mais de s'attacher aux'^ principes » &
d'en fuivre exaâement les co^H^quences ,
styec les modifications qu'exige néceffaire-
ment toute application particulière. Vous ne
pourez ignorer qpelle tache immenfe vous
vous donnez. Vous voilà pendant dix ans
ao moins , nul pour vous-même , & livré
tout entier avec toutes vos facultés à votre
Heve. Vigilance, patience, fermeté , voilà
fur-tout trois qualités fur lefquelles vous ne
Tauriez vous relâcher un feul inAant » fani
lifquer de tout perdre. Oui de tout perdre ,
entièrement tout. Un moment d'impatience ,
de négligence ou d'oubli , peut vous ôter
le fruit de ûx ans de travaux , fans qu'il
TOUS en refte rien du* tout , pas même la pof-
fibilité de le recouvrer par le tr;ivail de dix au-
tres. Certainement s'il 7 a quelque chofe qui
mérite le nom d'héroïque & de grand parmi
les hommes, c'eft le fuccês des entreprifes
pareilles à la vôtre } car le fuccés eA toujours
proportionné à la dépenfe de talens & de
vertus dont on l'a acheté. Mais auflS , quel'
don vous aurez fait à vos femblahles , 8c
Aaij
iSo Lettre, Sec.
quel prix pour vous-même de vos grands 2C
pénibles travaux. Vous vous ferez fait on
ami , car c*eIl'U le terme néceflaire du rcf*
peâ , de l'efUme , & de la reconuoiilàoce
dont vous Taurez pénétré. Voyez , Mon-
fieur ....... dix ans de travaux immen-
fes , & toutes les plus douces jouifTances de
la vie pour le refte de vos jours fie au-deliU
Voilà les avances que vous avez faicei 9 ^
▼oilâ le prix qui doit les payer. Si yous aves
befoin d'encouragement dans cette entrc-
prife vous me trouverez toujours prêt. Si vous
avez befoin de confcils , ils font cCéfonnab
au-delTus de mes forces. Je ne puis vous pro-
mettre que de la bonne volonté. Mais vous
la trouverez toujours pleine & fincere. Soie
dit une fois pour toutes , 8c lorfque vous me
croirez bon i quelque chofe , ne craignez^
de m*importuner. 7e vous falue detoutffloa
cceur.
LETTRE
AU MÊME.
Monqmn » /e 14 Mon 1770.
Pauvres iTcugles que nous fomtncs !
Ciel i démafquc les impofteurs ,
Et force leurs barbares caurs
A s'ouvrir aux regards des hommes.
•I £ voudroK 9 Monfîeur , pour l'amour de
Vous » que l'application qu*il vous plaît de
faire de votre quatrain , fijc ailêz naturelle
pour être croyable : mais puirque vous ai*
mez mieux vous excufer , que vous accufer
d'une promptitude que j*aurois pu moi-même
avoir i votre place , foit \ je n'épiloguerai
pas ià-deffus.
Depuis l'impreflion de V Emile , je ne Tai
relu qu'une fois , il y a fîx ans , pour cor*
figer un exemplaire, & le trouble conti-
nuel où l'on aime â me faire vivre , a telle-
ment gagné ma pauvre tête , que j*ai perdu
le peu de mémoire qui me reftoit , & que je
garde à peine une idée générale du contenu
de mes Ecriu, Je me rappelle pourtant fort
Âaii)
iSi Lettre
bien qu'il doit y avoir dans VEmile , us
paffage relatif à celui que vous me citez y
mais je fuis parfaitement fur qu'il n*e(l pas
le même , parce qu'il préPpfite , ainfî défi-
guré , uu fens trop différent de celui dont
l'étois plein en l'écrivant. J'ai bien pu ne pas
fonger â éviter dans ce palTage , le fens qu*oa
eût pu lui donner , s'il eût été écrit par Car-
touche ou par Raffiat , mais je n'ai jamais p«
m'exprimer aufii incorreâement dans le Tenf
que je lui donnois moi-même. Vous feftx^
peut-être bien aife d'apprendre l'anecdote qui
me conduifit i cette idée.
Le feu Roi de Pruffe déjà grand amateur
de la difcipline militaire , paifant en revue
un de Tes régimens , fut (î mécontent de la
manoeuvre , qu'au lieu d'imiter le noble
ufagc que Louis XIV en colère avoit fair de
fa canne y il s'oublia jufqu'à frapper delà
fienne le Major qui commandoit. L'of&der
outragé recule deux pas , porte ta main k un
de fes piilolets , le tire aux pieds du cheval
du Roi » & de l'autre fe ca(Iè la tête. Ce
trait y auquel je ne penfé jamais Tans tré«
laillir d'admiration, iu« rtvint ftitetteoè .
A M. l'A, m. 28 j
en écrivant \f Emile , & j*eD fis l'applicariotf
de moi-même au cas d'un particulier qui ea
déshonore ,on ancre , mais ea modifiant
Tââe par la diâPéreace des perfonnages. Vout
i^tez j Monfieur, qa^autant le Major bâ>^
Conné efi grand & fuhUnie, quand « prêt à
s^ôcerlayie » maître par conféquent de celle
de roâ&DTeur , te le lui prouvant , il la ref*
peâe pourtant en fujecvertueux , s^élere paie
là même au - deflus de fon Souverain , 6c
meurt en lui faifant grâce y autant la même
clémence vis-à-vis un brutal obfcur feroic
inepte. Le Msjor employant fon premier
coup de piltèolet , n*eât été qu'an forcené } le
ptrckalier perdant le fien, ne ^rpit qu'un (bc«
Mais un homme vertueux , un croyant ',
^eut avoir le fcrupule de dirpofer de fa
propre vie , fans cependant pouvoir fc réfou-
dre à furvivre à fon déshonneur , dont la
perte , même in|ùïle , entraîne des malheurs
civiU , pires cent fois que la mort. Sar ce
chapitre de Thonneur , Tinfuffifance des loix
AoUs laifTe toujours dans Técat dé nature %
je crois cela prouvé dans ma lettre à M. d'A-
lembert fur les fpe£taclcs, L*honheur d*un
kiUimie ne peut ayoir de vrai défcnfcur.
ig4 Lettre
si de vrai vengeur que ki-mtoe; lein
qu*ici la clémence qu'en tout autre cas prcf-
cric la vertu , foie permife , elle eft défendue ,
U laiiTer impuni Ton déshonneur» c*eft f
conTencir^'on lui doit fa vengeance; on (è
la doit à foi- même j on la doit même à
la fociété , 9c aux autres gent d*bonneur qv
la compoTent i & c*eft ici l'une âc9 fortet
raifons qui rendent le duel extraraganc ,
moins parce qu'il expofe ^innocent â périr ,
que parce qu'il l'expofe à périr fans ven-
geance, & à laiiTer le coupable triomphant,
& vous remarquerez que ce qui rend le crak
du Major vraiment héroïque , eft moins la
mort qu'il fe donne » que la noble 8c fieie
vengeance qu'il fait tirer de Ton Roi. C'eft
Ton premier coup de piftolet qui fait valoir
le fécond : quel fujet il lui 6te , & quels
remords il lui laiffe I Encore une fois ^ le
cas entre particuliers eft toutdiâférent« Cepen-
dant 6. l'honneur ptefcrit la vengeance , il
la prefcrit courageufe ; celui qui Ce venge
en lâche , au lieu d'effacer Ton infamie , y
met le comble s mais celui qui fe venge
& meurt , eft bien réhabilité. Si donc va
homme indignementi injuftemeoc âécn par
'A M. l'A. m. 285
autre va le chercher un piflolec â la main ',
«lans Pamphichéatre de TOpéra , loi calTe la
zête devant tout le monde } & puis fe laiffant
cranquillement mener devant les Juges , leur
<iit : Je viens défaire un ade dejuftice , que
je^ me dévots & qui rC appartenoit qiCà moi 9
fa,ites*moi pendre fi voué Vofe\ > il fe pourra
bien qu'ils le falTent pendre en effet \ parce
qu*eàfin quiconque a donné la mort la
mérite , 8c qu'il a dû même y compter %
mais )e répouds qu'il ira au fupplice avec
l*eflime de tout homme équitable & fenH^ 9
comme avec la mienne s & (? cet exemple
intimide un peu les tâceurs d'hommes, 8c
£ait marcher les gens d'honneur , qui ne
Ferraillent pas » la tête un peu plus levée ,
}e dis que la tête de cet homme de cou«
rage ne fera pas inutile à la fociété. La
coticlufion , tant de ce détail , que de ce
que j'ai dit à ce fujet dans V Emile , 8c que
)e répétai fouvent quand ce livre parut , 1
ceux qui me parlèrent de cet article , eft
^*Ofi ne ne déshonore point un homme qui
fait mourir. Je ne dirai pas ici fi j'ai tort;
cela pourra fe difcuter à loifir dans la fuite?
loait fort ou non, û cette dcârinc mQ
lis Lettre
trompe « vous permettrez néanmoins , n*ca
iléplaife à votre illulbre prôneur d'oracles,
que je ne me tienne pas pour déshonoré.
Je viens , Monfîeur , à la queftion qœ
vous me propofez Tur votre Elevé. Mon feu-
timent eft qu'on ne doit forcer un,en£nit
â manger de rien. Il y a des répugnances
qui ont leur caufe dans la coniHtution parti-
culière de l'individu , & celles-li font innO'
cibles i les autraqui ne font que des fantai-
fies , ne fout pas durables , à, moins qu'on
ne les rende telles à force à*y faire atten-
tion. Il pourroit y avoir quelque cbofede
vrai dans le cas de prévoyance qu'on vous
allègue , û (chofe prefque inouie) il s'agiflbit
d'alimens de première néceflité , comme le
pain , le lait , les fruits. Il faudroit du moins
tâcher de vainae cette répugnance, faos
que l'eiifant s'en apperçât » & fans le con-
trarier s ce qui, par exemple, pourroit fe
faire en l'expofant â avoir grand'fàlm , le
à ne trouver » comme par hafard que l'ali*
ment auquel il répugne. Mais fi cet efiâl
ne réuflit pas , je ne ferois pas d'avis de t*y
pbftiner. Que s'il s'agit de meti compoih
A M. L*A. M. 187
tels qu*on en fert Cur les ubies des Grands ,
la précaution paroît d'abord alTez fuperâue^
car il eft peu apparent que le petit bon-
homme fe trouve un jour réduit dans les
bois ou ailleurs » à des ragoûts de truffes
ou à des profiteroles, au chocolat pour
foute nourriture* Mais peut-être a-t-pn un
autre objet qu'on ne vous dit pas , & qui
n'eft pas fans fotidement. Votre Elevé eft
£ut pour avoir un jour place aux petits fou«
pés des Rois 8c àc» Princes : il doit aimer
tout ce qu'ils aimeront 'y il doit préférer tout
ce qu*ils préféreront ; il doit en toute chofe
avoir les goûts qu'ils auront i icil n'efl pas
d*un bon courtifan d'en avoir d'exclufifs.
Vous devez comprendre par-U & par beau*
coup d'autres chofes , que ce n'eft pas un
£mile que vous avez à élever. Ainfi gardez*
TOUS bien d'être un Jean - Jacques } car ,
comme vous voyez , cela ne réuflit pas pour
le bonheur de cette vie.
Prêt i quitter cette demeure , je n'ai plus
d'adrelfe affez fixe a vous donner pour y
leccvoir de toi lettres. Adieu , Moafieur.
LETTRE
A MADAME B.
Monquin ^U%% OÛohre 176^»
Ol je n*avois été garde- malade. Madame»
8c fi je ne Técôis encore, j*aurois été moins
lent , Se je ferois moins bref à vous remer-
cier du plaiiir que m*a fait votre lettre , U
du defir que j*ai de mériter & cultiver la
correfpondance que tous daignez m*offnr.
Votre caraâere aimable & vos bons fenti- '
mens m*étoient déjà alTcz connus pour me
donner du regret de n'avoir pu leur rendre
mon hommage en perfonne , lorfque je fus
un inftant votre voifin. Maintenant vous
m'oâTrez , Madame , dans la douceur de
ni*entretenir quelquefois avec vous , un dé^
dommagement dont je fens déjà le prix,
mais qui ne peut pourtant qu*à l'aide d'uoe
imagination qui vous cherche , fuppléer au
charme de voir animer vos yeux & vos
traits par ces fentimens vivifians & hon*
notes dont votre cœur me paroît pénétré,
l^e aaignez point que. le mien repouflè la
confiance
L 1 T T R B 5 ^C. ^8^
confiance dont vous voulez bien m*honorer,
& dont |e ne fuis pas ind^e.
Adieu » Madame , foycz fûre , je vous
Tupplie , que mon cceur répond très-bien ait
YÔcro y 6ç que c*eft pour ceU que ma plume
n'ajoute rien.
Tcm îr. Bb
£ E T T R E
k
A LA MÊME.
Monquîn , le 7 Décembre ijS^i
JE préfume. Madame, que vous voili
heureufement arrivée i Paris , & peut-ccie
déjà dans le tourbillon de ces pUifîrs bruyans
dont vous preifenciez le vide , en vous pro-
pofant de les cherciier. Je ne crains pas que
TOUS les trouviez i Tépreuve , plus fublUn"
tiels pour uncorur tel que le vôtre me paroïc
être , que vous ne les avez eAimés ; mais il
en pourroit réfulter de leur habitude une
chofe bien cruelle , c*eft qu'ils deviodenc
pour vous des befoins , faiis être des ali-
mens ; & vous voyez dans quel état cruel
cela jette , quand on eft forcé de chercher foa
exigence \à où l'on feiit bien qu*o» ne trou*
vera jamais le bonheur. Pour prévenir un fa*
reil malheur qujod on eft dans le train d'en
courir le rifque , je ne vois gueres qu'uoe
chofe k faite , c*ell de veiller (evéremeat fur
foi mc!iie , & de rompre cette habitude , ou
du moins de Tinterrompre avant de s'en
laiiTer fubjuguer. Le mal efl que dans ce cai^
L*T T R E , &C. l^t
comme dans un autre plus grave » on ne
commmence gueres à craindre le foug que
quand on lé porte , & qu'il n'eft plus tems
de le fecouer ^ mais j'avoue auflî que qui-
conque a pu flaire cet ade de vigueur dant
le cas le plus difficile, peut bien compter fur
foi-mume aufH dans l'autre ; il fufEt de pré-
voir qu'on en aura befoin. La coAcIufion de
ma morale fera donc moins auftere que le
début. Je ne blâme alTurément pas que vous
TOUS livriez , avec la modération que vous y
voulez mettre , aux amufemens du grand
inonde où vous vous trouvez. Votre âge ,
Madame , vos fentimens , vos réfolutions ,
.vous donnent tout le droit d'en goûter lef
innocens plaiHrs fans alarmes i & tout ce
que |e vois de plus â craindre dans les fo-
ciétés où vous allez briller , eft que vous ne
rendiez beaucoup plus difficile â fuivre pour
.d'autres , l'avis que je prends la liberté d/e
vous donner.
Je crains bien , Madame ,^ que l'iméréi
peut-être un peu trop vif que vous mMnfpireZy
ne m'aie faic vous prendre un peu trop légi^
Bbij
îjlt Lettre
remenc au mot fut ce ton de pédagogue , que
vous m'invitez en quelque façon de prendre
avec vous. S! vous trouvez mon radotage
impertinent ou maulTade , ce fera ma ven-
geance de la petite malice avec laquelle voUi
êtes venue agacer an pauvre barbon qui Te
dépêche d*être fcrmoneur , pour éviter h
tentation d*^re encore plus ridicule. Je firfs
même un peu tenté , je vous Tavoue , de
m'en tenir là } l'état oà vous m'apprenez
que vous êtes aâuellement , bc le vide âa
cœur , accompagné d'une trifteiTe habituelle
que laiife dans le vôtre ce tumulte qu'on ap-
pelle fociété , me donnent , Madame, m
Vïf dcfîr de rcdiercher avec vous s'il n'y an-
roit pas moyen de fkire f^ir une de ces
deuxchofes de remède â l'autre ; mais cela
me meneroit à des difcuffions fî déplacées
dans le train d'amufemens oà je vous fup-
pt)fê , fie qtie le carnaval dont nous appro*
chons va probablement rendre plus VHs ,
qu'il me faudroit de votre part plus qu'une
permiffion pour oTer entamer cette matière
dans un moment aufli défavantageux ; fi
VOUS m'entende^ d'avance > comme jc'ptA
* A MadA'ITE'B. ipj
f*erperer ou le craindre , dites- moi de grâce
û fe dois parler ou me taire , & feyez fûrc ,
Madame, que dans l'un eu l'autre cas je vous
obéirai , non pas avec le même plaifir peut*
Itre , mais avec la même fidéLité»
Bbiil
tÈ T T R E
A LA MÊME.
Mottjuin , U 17 Janvier 1770-
VoTHE lettre, Madame, cxîgeroît une
longue réponfe , mais je crains que le crou-
bie pa^er où je fuis , ne me permette pas
de la faire comme il faudroit. Il m'eft diffi-
cile de m'accoutumer aflêz aux outrages ^
à rimpofture même U plus comique , pour
ne pas fentlr à chaque fois qu'on les renou-
velle y les bouillonnemcns d'un caur fier qui
8*indigne» précédar le ris moqueur qui doit
être ma feule réponfe â tout cela. Je crois
pourtant aroir gagné beaucoup y j'efpere
gagner davantage % & je crois voir le mo-
ment aflèz proche où je me ferai un amufe-
ment de fuivre , dans leurs manoeuvres fou-
terraines , ces troupes de noires taupes qui fe
fatiguent â me jetter de la terre fur mes pieds.
£n attendant , nature pâtit encore un peu ,
je l'avoue ; mais le mal efl court , bientôt il
fera nul. Je viens â vous.
J'eus toujours le cœur un peu romanefquei
Lett RE > tcc. . ijy
9c |*ai pcar d'ôtre eâcorc mal |uéri de ce
penchaAt en vous écrivant <} excafcz donc ,
Madame , s*il Ct mcle un fcn de vivons à
mes idées ', & s'il s'y mêle auffi un peu de
raifoQ , ne la dédaignez pas fous quelque
forme 6c avfec quelque cortège qu'elle fc
préièute. Notre correfpôndance a commencé
d'une manière ime la rendre^ )amals inté^
^reâtnte. Un aâe de rertu dont je connoic
-bien tôttt le prix ; un befoin de nourriture à
Votre ame qui me fait préfumer de la vigueur
j>our la digérer , & la fànté qui en eft la
foûrce. €e vide interne dont vous vous
-plaignez y ne fe fait fencir qu'aux coeurs faits
^o«r être remplis. Les ctturs étroits ne fen-
ïeiit jamais de vide , parce qu'ils font tou-
ijours pleins de rîen : il en eft , au contraire ,
dont la capacité vorace eft fî grande , que
Us diétifs êtres qui nous «ntotircnt ne la peu-
vent remplir. Si la nature vous a fait le rare
& funefte préfent d'un cœur trop fenfible au
befoin d'être heureux » ne cherchez rien au*
dehors qui lui puiffe fuifire ! ce n'eft que de
fapropre fubftance qu'il doit fc nourrir. Ma-
dame, tout le bonheur que nous voulons
^er de ce -qui jaous eft étranger ^ eft un bon-
1^6 Lettre
heur fauxt Les gens qui ne font GtCce^rSytet
d'aucun autre , fonc bien de s'en contenter i
Biais il vous êtes celle que )e fuppoTe , voos
ne ferez iamais heureufc que par vous- même ,
n'attendez rien pour cela que de vaus. Ce
£ens moral û rare parmi les hommes , ce
fentiment exquis du beau , du vrai y du lu/le,
qai réfléchit toujours fur nous-mêmes , tienc
Tame de quiconque en eft doué dans on ra-
viiTement continuel qui eft la plus délickuiê
des jouiâànces. La rigueur du fort , la mé-
chanceté des hommes , les maux imprévus ,
les calamités de toute efpece peuvent l'en-
gourdir pour quelques' momens^ mais ja-
mais réteindre > & prefque étouffé fous le
faix des noirceurs humaines , quelquefaii
une explodoQ fubite peut lui rendre fott
premier éclat. On croit que ce n*eft pas à
une femme de vetre âge qu'il faut dire ces
chofes - U ^ & moi je crois » au contraire »
que ce n'eft qu'à votre âge qu'elles font
utiles , & que le cœur s^ peut ouvrir ^
plutôt il ne fauroit les entendre s plus tari
fon habitude eft déjà ptife, il ne faoïoit
les goûter.
Comment s'y prendre , me direz- voui l
-A Madame B. 297
Que faire pour culcirer Se développer ce fens
moral \ Voili , Madame , i quoi |'en rou-
lôis venir ; le goût de la vertu ne fe prend
point par des préceptes , il efl Veffet d'une
VJe fîn^ple & faine ; on parvient bientôt à
aimer ce qu*on fait , quand on ne fait que
ice qui cA bien. Mais pour prendre cette ha-
1>itude , qu*on ne commence â goûter qu*a-
près ravoir prifc , il faut un motif. Je vous
en offre un que votre état me fuggere : nour-
rilTez votre enfant. J'entends les clameurs f
Tes bbjeâions s tout haut , les embarras ,
|>oint de lait , un mari qu'on importune
^out bas y une femme qui fe gêne » l'ennui
de la vie domeAique » les foins ignobles ^
l'abflineuce des plnifirs Des plaiHrs ?
7e vous en promets 6c qui rempliront vrai-
lAent votre ame. Ce n'eft point par des plai«
firs entad^s qu'on efl heureux , mais par un
érat permanent qui n'cft point coropo(é
d'aâes diftinâs. Si le bonheur n'entre pour
idnfî dire en diiTolution dans notre ame , s'il
ne fait que la toucher , l'efReurer par quelques
points , il n'e'A qu'apparent , il n'efl rien
pour elle.
l5>8 L 1 T T R lË
L'habitude la plus douce qui puide exiftei^
eft celle de la vie domeAique qui nous tietf
plus près de nous qu'aucune autre ; riea ne
s'identifie plus forcement , plus coiiflammenc
avec nous que notre famille & nos enfaos*
Les fencimens que nous acquérons ou que
nous renforçons dans ce commerce indmc p
font les plus vrais , les plus durables , les
plus folides qui puKTcnt nous attacher aux
êtres péridables , puifque la mort feule peut
les éteindre , au lieu que l'araour & l'amidé
vivent rarement autant que nous : ils font
au(C les plus pun puil qu'ils tiennent de plus
prés à la nature , à l'ordre , fc par leur féale
force nous éloignent du vice » & des goûts
dépravés. J'ai beau chercher où. l'on peut
trouver le vrai bonheur i s'il en eft fur la
terre , ma raifon ne me le montre que là..-
Les ComtelTes ne vont pas d'ordmaire l'y
chercher , je le fais ^ elles ne fe font pas
nourrices & gouvernantes > mais il faut aufi
qu'elles fâchent fe pafTer d'être heureufes:
il faut que fubfUtuant leurs bruyans ptaifirs
au vrai bonheur » elles ufent leur vie dans
un travail de forçat , pour échaper à l'ennol
qui les écQufiPe aulG-coc qu'eiia rcfpircac , X
A Madame B. 195^
it faut que celles que la nature doua de ce
cHvin fens moral qui charmç quand on s'y
livre , & qui pefe quand on l'élude , fe réfol-
v«nt à fcntir inceifammenc gémir ^ foupirer
leur cœur , candis que leurs fens s'amufent»
Mais mol qui parle de famille» d*enfans....
^dadame , plaignez ceux qu'un fort de fer
prive d*un pareil bonheur. Plaignez- les s*ilt
ne font que malheureux » plaignez- les beau-
coup plus sMIs font coupables. Pour moi
|amais on ne me verra , prévaricateur de la
vérité y plier dans mes égaremens , mes maxi-
mes 1 ma conduite i jamais on ne me verra
H\Rfier les faintes loix de la nature & du
devoir , pour «xténuer mes fautes. J*aime
mieux les expier qu« les excufer j <^uand ma
raifon me dit que )'ai fait dans ma fituation
ce que i*ai dû faire , je l'en crois moins que
flaon cœur qui gémit , 8c qui la dément.
Condamnez - moi donc , Madame , mais
écoutez • moi. Vous trouverez un homme
ami de la vérité jufques dans (es fautes ,
Se qui ne craint point d'en rappeler lui-
même le fouvenir» lorfqull en peut réfulter
quelque bien. Méanmoiiis Je rends grâces au
joo Lettre
Ciel , de n'avoir abreuve ^ue moi des
tûmes de ma vie , & d*en avoir garanti
enfans. J'aime mieux qu'ils vivent dans un
écac obfcur fans me conaoïcre , que de les
voir, dans mes malheurs , baiTement nourm
par la craîcrelTe généroâcé de mes ennemis ,
grdem à les inftruire à haïr , fc peut-être â
trahir leur père *| & j'aime mieux cent fois
Icre ce père infortuné , qvà négligea fon de-
voir par foiblelTe , U qui pleure fa faute , que
d'écre Tami perfide qui trahit la confiance
de Ton ami , Ac divulgiie pour le di£fàmcr
le fecret qu'il a verCé dans fon fttn.
Jeune femme , voulez- vous travailler à vous
rendre heureufe » commencez d'abord par
nourrir vdtre enfant. Ne mettez pas votre
fille dans un couvent , élevez-la vous-même^
votre mari eft jeune , il efld*uh bon naturel ,
voilà ce qu'il nous faut. Vous ne me dites
point comment il vit avec vous ; n'importe ,
filt-il livré i tous les goûu de fon âge & d«
ion tems , vous l'en arracherez par les varies ,
fans lui rien dire. Vos en£uu vous aidetoat
à le retenir par des liens aufli forts 6c pins
conllans que ceux de ramouc Vous paflêfcs
U
tÀ M A D AMë B. 30t*
la vie la plus (impie , il efl Vrai , mais aufli
la plus douce & la plus heureufe dont j'aie
l'idée. Mais encore uae fois , û celle d'un
ménage bourgeois vous dégoûte , & H l'opi-
nion vous fubjugue, guériffez-vous de la
foif du bonheur qui vous tourmente ^ car
vous ne l'écancherez jamais.
VoiU mes idées ; û elles font faufTes oit
ridicules y pardonnez à. Terreur , à l'incen*
tion. Je me uorape peut-être , mais il eft
tûr que je ne veux pas vous tromper. Bon-
jour y Madame , Tintérêt que vous prenez à .
moi me touche , & je vous jure que je vous
le rends bien.
Toutes vos lettres font ouvertes ; la der-
nière Ta été i celle-ci le fera y rien n'eH
plus certain. Je vous en dirois bien la rai*
fon y mais ma lettre ne vous parvicndroic
pas. Comme ce n'eft pas à. vous qu'on en
veut, &que ce ne font pas vos fecrets qu'on
y cherche , je ne crois pas que ce que vous
pourriez avoir i me dire fût expofé i beau-
coup d'indifcrédon i mais encore faut il que
vous foyez avertie.
TomtlV. Ce
LETTRE
A LA MÊME
Aionquin ^U% Février 1770.
Si votre defTein , Madame , lorfque vous
commençâtes de m'krirc , éioitdc me cir^
convenir & de m'abufcr par des cajoleries.
Vous avez parfaitement réufli. Touché de
vos avances , je prêtois à votre ame U cait»
deur de votre âge} dans rattendriilèmenc
de mon cœur , je vous rçgardois dé|a comme
l*aimable confolatrice de mes malheurs & d^
ma vieillclfe \ 9c l'idée charmante que |e mt
faifois de vous , eâFaçoic l'idée horrible des
auteurs des trames donc je fuis enlacé. Me
voilà défabufé \ c*efl l'ouvrage de votre der-
nière lettre. Son corci liage ne peut être ni
la réponfe que la mienne a dû naturellement
vous fuggérer , ni le langage ouvert & inot
de la droiture. Pour moi ce langage ne
cédera jamais d'écre le mien ^ je vois que
vous avez refpiré l'air de votre voifinagr.
ïh i mon Dieu , Madame , vous voilà biea
jeune initiée à àa myfteres bien noin. Tea
fuis ûché pour moi , j'en fuis affligé pour
Lettre, &c. 30}
^<Hit i Tingc-4eux ans 1 • • . . Adieu
Madame*
Rousseau.
En reprenant arec t>lus de fang-froid votre
lettre , |e trouve la micune dure & même
îniufles car |e vois que ce qui rend vos
phrafes embarraifées , ed qu'une involontaire
fincérité sy mêle à la dilfimulation que vouf
Toulez avoir. En blâmant mon premier
mouvement » je ne veux pourtant pas vous
le cacher. Non , Madame » vous ne voulez
pas me tromper ^ je le fens , c'eA vous qu'on
trompe , te bien cruellement. Mais cela
po(^ , il me refle une quefUon â vous faire »
dans le jugement que vous portez de moi »
pourquoi m'écrire ? Pourquoi me recber<*
ehçf l Que me voulez-vous ? Recberche-t-oit
quelqu'un qu'on n'eftime pas ? £h ! je fuirois
jufqu'au bout du monde -, un homme que
je verrois comme vous paroidèz me voir.
Je fuis environné , je le fais , d'efpions em-
ptefï^s & d'ardens fatellites qui me flattent
pour me poignarder; mais ce font des traîtres^
ils font leur métier. Mais vous , Madame ,
Ce ij .
304 L E T T R E 5 ^^
que je veux honorer autant que )e méprifis
cet miférables , de grâce , que me voulez-
vous ? Je vous demande fur ce point une ré-
ponfe précife , & pour Dieu fuivez en U fai-
Tant le mouvement de votre caur 8c noa
pas rimpulfîon d*aucrui. Je veux répondre
en détail à votre lettre » & j'efpere avoir
long - tems la douceur de vous parler de
vous ; mais pour ce moment commençons
par moi ; commençons par nous mettre ea
règle fur ce que nous devons penfer l'un de
Tautre. Quand nous faurons bien à qui nous
parlons , nous en faurons mieux ce que nooft
aurons à nous dire.
Je vous prie , Madame , de ne plut m*é-
crire fous un autre nom que celui que fe
iigne i & que je n*aurois jamais dû quitter^
LETTRE
A LA MÊME.
R
Monquin § U t6 Mars 1770.
o s I, |e vous crois , & je tous croirois
«rbc plus de plaifir encore iî vous euflicz
moins infiflé. La vérité ne s*exprime pas tou-
jours avec fimplicité , mais quand cela lui
arrive , bile brille alof s de tout Ton éclat. Je
Tais quitter cette habitation i |e fais ce que
|e veux 8c dois faire j j'ignore encore ce que
je £trai : je fuis entre les mains des hommes ;
ces hommes ont leurs raifoni pour craindre
la vérité , 8c ils n'ignorent pas que je me dois
et la mettre en évidence , ou du moins de
£ure cous ities efforts pour cela. Seul &c â leur
Itoerd , je ne puis rien , ils peuvent tout ,
hors de changer la nature des chofcs , 8c de
(aire ^uc ^ poitrine de J. J. RouiTeau vivant
celle de renfermer le cceur d'un homme de
bien. Ignorant dans cette Situation en quel
lieu je trouverai , foit une pierre pour y pofer
ma tête , foit une rerr< pour y pofer mon corps,
\c ne puis vous donner aucune adrelTe alTuréft:
Ce itj
30Ô L I T T R I
mais û Jamais ]e retrouve un momenc traa^
quille, o'eft un foin que je n'oublierai pas.
Rore,ne m'oubliez pas non plus. Vous m'avex
accordé de l'cftime fiir mes écrits i vont in*én
accorderiez encore plus fur ma vie ^û elle
Vous écoit connue , & davanuge encore fur
mon caur , s'il étoit ouvert â vos yeux : il n'en
fut jamais un plus tendre, un meilleur , im
plus jufte i la méchanceté , ni la haine n*ca
approchèrent jamais. J'ai de grands Ttcet ,
fans doute , mais qui n'ont jamais fût de
tnal qu'à moi ; 8c tous mes malheurs ne me
viennent que de mes vertus. Je n'ai pu ^ mal-
gré tous mes efforts , percer le myftere auteur
des trames dont je fuis enlacé ; elles (ont fi
ténébreufes , on me les cache avec tant <te
foin , que je n'en apperçois que la noirceur.
Mais tes maximes communes que vous in*al«
léguez fur la calomnie & l'impofture ne fau-
soient convenir à celles-U ; te les frivoles cla-
meurs de la calo/nnie font bien diflFérences ,
dans leurs effets , des complots tramés & con-
certés durant longues années , dans on pro-
fond dlence , 6c dont les développemens foc*
ceflîfs ^ dirigés par Iji ru(è , opérés par la piiif«
"A Madame B. 507
ûince , fe font lencemenc , fourdement &
avec méchode. Ma ficuadoo eft unique -, mon
cas eu. inouï depuis que le monde exifte. Se-
lon toutes les règles de la prévoyance humaine,
je dois fuccomber *, & toutes les mefures font
tellement prifes , qu*il n'y a qu'un miracle
de la Providence qui puiffe confondre les im*
pofleurs. Pourtant une certaine confiance fou-
tient encore mon courage. Jeune femme ,
écoutez-moi , quoi qu'il arrive , & quelque
fort qu'on me prépare : quand on vous aura
faitl'énumération de mes crimes i quand on
vous en aura montré les frappans témoigna-
ges , les preuves fans réplique, la dén^nftra-
tion, l'évidence 5 fouvenez - vous des troii
mots par lefqucls ont fini mes adieux. Jb
SUIS INNOCENT.
ROUSSEAU.
Vous approchez d'un terme intéreffant pour
mou cœur i je deûrc d'en favoir l'heureux
événement auflî-tôt qu'il fera poffible. Pour
cela , fi vous n'avez pas avant ce tcms-Ià de
mes nouvelles , préparez d'avance un petit
billet 9 que vous ferez mettre â la pode auifi»
3o8 Lettrb, kci
tôt que vom ferez délivrée , fous ua enve*
loppe â i'adrefle fiityaBCe :
. ^ Ode Sots de la Tour née Rogtan ,
â Lyon»
LETTRÉ
A L A M Ê M E.
Pétris fie 7 Juillet 1770.
j3 EUX raifons , Madame , outre le tracaT
d'un débarquement , m'ont empêché d'aller
vous voir à mon arrivée. La premieie que
.vous m'avez écrit vous-même , que quand
même nous ferions rapprochas , nous ne
pourrions pas nous voir 3 l'autre , que je fuis
<}éterminé â n'avoir aucune relation avec qui-
conque en a avec Madame de^*^. C'eft à
vous , Madame , â m'inftruire fi ces deux
obdacles exiftent ou non s s'ils n'exiftent pas^
j'irai avec le plus vif empre(Ièment,contenter
le befoin de vous voir , que me donna la
première lettre que vous me fîtes l'honneur
de m'écrire , 6c qu'ont augmenté toutes les
autres. Un rendez-vous au fpeéïacle ne fau-
roit me convenir , parce que, bien éloigné de
vouloir me cacher , je ne veux pas non plus
me donner en fpeâacle moi-même j mais s'il
ariivoit que le hafard nous y conduisît en
même jour , & que je le fufTe , ne doutez pas '
que je ne proficafTe avec tranfpocc du plaifir do
jio Lettre, &c.
vouf y Yoîr » & même que je ne me préfcn-
taffc â votre loge , fi j'ét'ois fur que cela ne vous
déplût pas. Je fuis afflige d'apprendre votre
prochain départ. Eft-ce pour augmentermoa
regret que vous me propofcz de vous fuivR
'«n Nivernois ? Bonjour , Madame , donnez-
moi de vos nouvelles & vos ordres durant U
(é\ovkt qui vous refte à faire à Paris i donnez-
moi votre adreiï*e en province , & fonvenez-
Tous de moi quelquefois.
Pas un mot du prérendu opéra qu*on dft
que je vais donner. J'efpere que de Ci vie
'7. J. Rouilèau n*aura phis rien à démêler avec
le public. Quand quelque bruit court de moi ,
croyez toujours exaâement le contraire;
vous vous tromperez riremenc.
LETTRE
A LA MÊME.
/
Paris , /« 1 5 Juillet 1770.
v' £ ne puis , Madame , vous aller voir que
la femaine prochaine , puifque nous fommec
à la fin de celle-ci } je tâcherai que ce foiç
mardi , mais je ne m*y engage pas , encoro
moins pour le dîner i il faut que touc cela
fe prenne impromptu. Car tous les engage-
mens pris d'avance 9 m'ôtent tout le plaifir
de les remplir. Je déjeune toujours en me
levant 'y mais cela ne m*empêchera pas , (I
vous prenez du café ou du chocolat » d'en
prendre encore avec vous. Ne m'envoyez
pouit de voiture , j'aime mieux aller â pied ,
& fi je ne fuis pas chez vous â dix heures , ne
m'attendez plus.
Te vous fais gré de me reprocher mon air
gauche & embarraifé i mais fi vous voulez
que je m'en défaife , il faut que ce foit votre
ouvrage. Avec une aibe afTez peu craintive ,
un naturel d'une infupportable timidité, fur-
tout auprès des femmes , me rend d'autant
^12 Lettre, &c.
plus maufTade , que )e voudrois me rendit
plus agréable. De plus , je n*ai jamais fti par»
1er, fur-couc quand j'aurois voulu bien dire,
& G vous avez la préférence de cous mes em-
barras , vous n^avez pas trop â vous en plaio*
dre. Bonjour , Madame , voilà votre laquais)
à mardi , s'il fait beau , mais fans promelTe.
Je fais qu*a/anr a vous perdre fi vice , il oç
^uc pas me faire un befoin de tous voir.
lETTRl
LETTRE
A M***.
Paris fUt^ Narembrâ 1770»
3 OYEZ content, Monfîeur, vous & ceux
qui vous dirigent. Il vous falloit abrolumenc
une lettre de moi : vous m*avez voulu forcer
à récrire ^ & vous avez réu(fi : car on fait
bien que quand quelqu'un nous die qu*il
veut fe tuer , on eft obligé en confcience 4
l'exhorter de n*eu rien faire.
Te ne vous connois point , Monfieur , 8c
n'ai dcfir de vous connohre ; mais je vous
trouve très â plaindre 8c bien plus encore
que vous ne penièz : néanmoins dans tout
le détail de vos malheurs , )e ne vois pas
de quoi fonder la terrible réfolution que
vous m'afTurez avoir prife. Je connois l'ia-
digence 8c fon poids aufli bien que vous
tout au moins i mais jamais elle n*a fuffi
feule pour déterminer un homme de bon
fens à s*ôter la vie. Car enfin le pis qu'il
en puilTe arriver , eft de mourir de faint ,
TomlK Pd
*jji4 Lettre
& Ton ne gagne pas graud'cbofe iCetasi
pour éviter la mort. Il efl pourtant des cas
où la mifere eft terrible , infupporuble , mais
il en eft ou elle eft moins dure â fouffnxi
c'eft le vôtre. Comnient , Monfieur , â ving^
ans y feul» fans famille, avec de lafanié,
des bras , & un bon ami , vous ne voyeL
d'autre afyle contre la mifere que le tombeau?
iurement vous n*y ave; pas bien regardé.
Mais l'opprobre La mort cft i pré-
férer , j'en conviens : mais encore faut-il
commencer par s'apurer que cet opprobre
eft bien réel. Un homme injufte & dur vont
per(écute , il menace d'attenter! votre libené.
£h bien, Monfîeur, je fuppofe qu'il exécute £a
barbare menace , ferez-vous déshonoré pour
cela ? Des fers déshonorent-ils l'innocent qui
les porte ? Socrate mourut- il dans rignomi* i
nie ? £t e\i eft donc , Monfîeur » cette fn-
perbe morale que vous étalez û pompeuiê-
ment dans vos lettres , & comment avec
des maximes û fublimes fe rend - on ainfi
l'efclavç de l'opinion ? Ce n'eft pas tout i
on diroit â vous entendre que vous n'aves
d'autre alcexoative que de mourir ou de
t
vivre en captivité. Et point du rout ;
vous avez Tcxpédieat tout fîmple de foftir
de Paris 5 cela vaut encore mieux que do
fortir de la vie. Plui je relis votre lettre ,
plus jV trouve de colère & d'aniraofîté.
Vous vous complaifez à l'image de votre
fang jailliflaiit fur votre cruel parent ; vous
Vous tuez plutôt par vengeance que par défef*
poir, & vous fongez moins à vous tirer
d'affaire qu*i punir votre ennemi. Quand je
lis les réprimandes plus que féveres dont il
vous plaît d*accabler fièrement le pauvre
Saint- Preux , je ne puis m*cmpêcher de croire
^ue s*il étoit là pour vous répondre, il
pourroit avec un peu plus de juftice , vouf
en rendre quelques - unes â fon tour.
7e conviens pourtant , Monfieur, que
votre lettre eft très- bien faite", & je voui
trouve fort difert pour un défefpéré. Je vou-
drois vous pouvoir féliciter fur votre bonne
foi comme fur votre éloquence 5 mais' U
manière dont vous narrez notre entrevue ,
ne me le permet pa$ trop. Il ed certain que
)e me fcrois , il y a dix ans , jette â votre
fête ^ que f aurois pris votre affaire ave^
, DdlJ
Jltf L fe T T^ Ê
c;hjileur ; & il eft probable que , comme àuA
tant d'affaires femblablet dont )'ai eu le
malheur de me mêler, la pétulance de moa
zèle m*eiic plus nui qu*eUe ne vous aurotc
fenri. Les plus terribles expériences m*ont
rendu plus réfervé i f ai appris â n'accudUir
qu*avec circoafpeâion les noureauz viCiges |
& dans Timpodibilicé de remplir à la fois
tous les nombreux deroirs qu*on ni'impoTes
â ne me mêler que des gens que je connois.
Je ne vous ai pourtant point tcfaCi le coafeil
que vous m*avez demandé. Je n'ai peine
approuvé le ton de votre lettre à M. de M«
|e vous ai dit ce que )*y trouvois i reprendre^
& la preuve que vous entendîtes bien ce que
|e vous difois . e(l que vous y répondîtes
plufîeurs fois. Cependant vous venez me dire
AUjourd'liui que le chagrin que je vous mon-
irai , ne vous |)ermit pas d'entendre ce q«e
|e vous dis s 0c vous «ioutez qu'âpre de
mûres délibérations il vous fembla d*appe^
cevoir que }e vous blâmoif de vous être tt
peu trop abandonné à votre haine \ mais
vraiment il ne falloic^pas de bien mâies
«lélibérations pour appercevoir cela , car )e
^ous Tavois bien articulé^ 9c je in*é(ois alM
A M***. jiy
que vous m'entendiez fort bien. Vous m*a-
Tez demandé confeil , )e ne vous Tai pofnt
refufc. J'ai fait plus j je vous.at^fFert , je
vous ofFrc encore , d'alléger en ce qui dépend
de moi la dureté de votre fîtuation. Je ne
Vois pas , je vous l'avoue , en quoi vous
trouvez- vous plaindre dô mon accueil ; & fi
Je ne vous ai point acco^dé de confiance ,
c'eft que vous ne m'en avez point infpiré.
Vous ne voulez point , Mônficur , faire
parc de l'état de votre ame ^ de votre der-
nière réfolution à votre bienfaiteur , i votre
confolateur , d^ns la crainte que , voulant
prendre votre défenfe , il ne fe compromît
inutilement avec un ennemi puiiTant qui ne
lui pardonneroit jamais s c'eft à moi que
vous vous adredèz pour cela , fans doute
à cai^fe de mon grand crédit 8c des moyens
que j'ai de vous fervir , & qu'un ennemi
de plus ne vous parott pas une grande
affaire pour quelqu'un dans ma fituation.
Je vous fuis obligé de la préférence -, j'en
ufetois a j'étois sûr. de pouvoir vous fervir ;
mais certain que l'intérêt qu'on me verroit
prendre à vous y ne feroit que vous nuire ,
Ddiij
I l8 LETTRE
|e me cieos dans les bornes que vous m*iTes
demandées.
A Pégard du jugement que }e porterai de
la réfolution que vous me marquez aroic
prife , quand j'en apprendrai l'exécution ,
ce ne fera sûrement pas de penfer quec*^oâ
U le but , la fin ^ Vohjet moral de U vu ^
mais au contraire que c^éioit U combU de
t égarement , du délire & de U fureur. S'il
^toit quelque. cas où Thomme eût le droit
de fe délivrer de fa propre vie » ce feroit
pour dcî maux intolérables & fans remède ,
mais non pas pour une iituation duce mais
pa^agere , ni pour des maux qu'une meil-
leure fortune peut finir iJès demain. La mtCere
n'eft jamais un état fans re^burces fur-tout
à. votre âge , elle laifTe toujours Tefpoir bien
fondé de la voir finir quand on y travaille
Avec courage , êc qu'on a des moyens pour
cela. Si vous craigaez que votre ennemi
n'exécute fa menace» & que vous ne vous
■fentiez pas la cbnAance de fupporter ce mat-
beur , cédez à l'orage Se quittez Paris , qui
vous en empêche ? Si vous aimez mieux le
braver « vous le pouvez, noniant dan^»
<
t r
A M***." JI9
maïs (àni opprobre. Croyez -vous être le
feul qui ait 4es ennemif puiffans-, qui Toit
en 'péril dans Paris , & qui ne laide pas
d*y ylvre tranquille ^ en mettant les hom*
mes au pis , content de fe dire â lui - même.:
9e refte au pouvoir de mes ennenus dont je
tconnots la rufe & la puifTancei mais )*«i
^t en forte qu'ils ne puflènt jamais me
■faire de mal {uftemetu! Monsieur » celui
.qui fe parle ainii , peut TÎvre tranquille au
-milieu d'eux ^ & n'eft peint tenié de k
^uer.
I E T T R E
A MADAME *♦*.
Paris , /« 14 ^oût 177*.
Il eft , Madame , des (ituarions auiqueUes
il n'eft pat permis i un homiêce homme
d*écre préparé j & celle où je me trouve
depuis dix ans , eft la plus inconcevable te
la plus étrange dont on puiife avoir Vidée.
7*en ai fenti Tborreur fans en pouvoir pcc«
cer les ténèbres. J*ai provoqué les impoHeua
& les traîtres par tous les moyens permis &
juftes qui pduvoient avoir prife fur det
coeurs humains. Tout a été inutile. Us onc
fait le plongeon , & continuant leurs manœu-
vres foucerraines , ils fe font cachés de moi
avec le plus grand foin»^ Cela étoit naturel ,
& |*aurois dû m*y attendre. Mais ce qui Vtfk
moins , eft qu*ils ont rendu le public entier
complice de leurs trames & de leur faufleté $
qu*avec un fuccès qui tient du prodige , on
m*a ôté toute connoifTaace des complots
donc je fuis la viâtroe, en m'en faifanc
feulement bien fentir l'efifet, & que tous
ont marqué le même cmpreiTemenc à 1x19
I
Ll T T RI , &CC* 311
faire boire la coupe de l'ignominie , & â me
cacher la bénigne main qui prît foin de la
préparer* La colère & Tindignation m*onc
}ecté d*abord dans des cranfporu qui m'ont
£alc faire beaucoup de fottifes , fur lefqucllei
on avoir compté. Comme je trouvois injude
d*enyelopper tout mon fiede dans le méprit
^u*on doit i quiconque fe cache d'un
iiomme pour le diffamer , j'ai cherché
quelqu'un qui eût afTez de droiture & de
juftice pour m'éclairer fur ma (iraacion , ou
pour fe refufer au moins aux intrigues dés
fourbes. J'ai porté par- tout ma lanterne imi*
tilement , je n'ai point trouvé' d'homme ni
«i'arae humaine. J*ai vu avec dédain la groC>
^ere fauffeté de ceux qui vouloient m'abufec
par des carefTes û mal- adroites & fi peu dic«
tées par la bienveillance & l'efUme , qu'elles
^achoient même & aifez mal une fecrete
animofité. Je pardonne Terreur , mais noa
la trahffon. A peine dans ce délire univers
iel , ai-je. trouvé dans tout Paris quelqu'un
qui ne s'avilSt pas à cajoler fadement uft
homme qu'ils vouloient tromper , comme
on cajole un oifeau niais qu'on veut preudrcé
S'ils m'euCent fui j s'ils m'eulTenc ottverc».
:3ii L E T T n È
mène maUraicé , |*aurois pu , les ptaijputft
& me plaignant , du moins les eftimer eiH
core. Ils n*ont pas voulu me laiflêr cette
confolatîoo. Cependant, il efl parmi eut
éet perfbnnes , d^ailleurs d dignes d'efBme ^
qu'il parott in)u(le de les méprifer. Comment
expliquer ces contradiâions } Tû fait mille
efforts pour y parvenir ; )'ai fait toutes les
fuppofitions poffibles ; )*ai (uppoP^ nmpof"
ture armée de tous les âambeanx de l'cTi-
dence. Je me fuis dit » ils font trompés ; leuc
erreur eft invincible. Mais , me Hiis-je ré-
pondu ; non-feulement ils font rrotripés ;
nais loin de déplorer leur erreur , ils l'ai-
nent , ils la chérifTent. Tout leur plaifîr eft
de me croire vit hypocrite & coupable. Ils
craindroient comme un malheur affreux de
sne retrouver innocent & digne d'e/lime.
Coupable ou non , tous leurs foins font de
sn'ôter l'exercice de ce droit û naturel , Û
facré de la défenfe de foi -même. Hélas !
toute leur peur eft d'être forcés de voir leof
iniuftice , tout leur dcfîr eft de l'aggraver*
Ils font trompés ? Hé bien fuppofons. Mais ,
trompés doivent-ils fe conduire comme ils
font ? d'hoonétes gens peovcnc-iis fc cong
tu Madame***, jij
duire sdb& ? Me conduirois-jc ainfi moi-
même â leur place ? Jamais , jamais. Je
fuirois le fcélérac ou confoodroia rhfpocrice.
Mais le flatter pour le circonvenir , feroic
me mettre au-delTous de lui« Non, û j*a«
bordois jamais un coquin que |e croiroit
tel y ce ne feroit que pour le confondre Ôc
lui cracher au vifage.
Après mille vains efiforts inutiles pour
expliquer ce qui m'arrive dans toutes les
fuppoiîtions , l'ai donc cefle mes recherches,
& je me fuis dit : je vis dans une généra-
tion qui m'efl inexplicable. La conduite de
mes contemporains â mon égard ne permet
à maraifon de leur accorder aucune eftime.
La haine n'entra jamais dans mon cœur.
Le mépris eft encore un fentiment trop
tourmentant. Je ne les eAime donc , ni ne
les haïs , ni ne les méprife. Us font nuls â
mes yeux , ce font pour moi des habicans
de la lune. Je n*ai pas la moindre idée de
leur être moral. La feule chofe que je fais ,
eft qu'il n'a point de rapport au mien ic
que nous ne fomnies pas de la même efpece.
J'ai ds^ac renoncé avec eux à cette ieule
JZ4 Lettre
fociécé qni pouvoit m'êcre douce & qae f al
fi vaioemenc cherchée , favoir à celle des
cœurs. Je ne les cherche ni ne les fuis. A
moins d*a£raires je nMrai plus chez peifonne.
Met vifites font un hcQineur que )e ne dois
plus à qui que ce foie déformais , un putil
témoignage d'eAlme feroic trompeur de ma
parc , & je ne fuis pas homme à imiter ceux
dont je me détache. A Tégard des gens qui
pleuvent chez moi , je ferme autant que je
puis ma porte aux quidams & aux bnnauz }
mais ceux dont au moins le nom m*eft coanu^
& qui peuvent s'abftenir de m'infulrcr cha
moi , je les reçoif . avec indifférence mais
fans dédain. Comme je n'ai plus ni humeur
ni dépit contre les pagodes au milieu def-
•quelles je vis , je ne refufe pas même , quand
l'occafion s'en préfente , de m'amufer d'elles
êc avec elles autant que cela leur convient &
à moi aulfî. Je laidèrai aller les cbo(ès comme
elles s'arrangeront d'elles*mêmes , mais je
.n'irai pas au-deiâ ^ & â moins que je ne re-
trouve enfin contre toute anente ce que
.j'ai cefTé de cliercher , je ne ferai de ma
. vie plus un feul pas fans néceflàté pour re-
chercher qui que ce foiCf J^ai du regret »
Madame y
A Madame **♦• 315
Madame » àiw-pouvotf-fittre-ejecepiîon-jHMit
vous s car voiu-m*4xez p^ni bieo,aimable« «
Mais celaik*ero{£che ^as tpie voue oe foyes
de votre fîecle , & qu*â ce titre je ne puiilt
vous excepter. Je feos bien ma perce en eecie
occafion. Je Cens même aufli la YÔcre , du
moins û , cpmme je dois le croire , vout
reckcrchez dans la £bciété,y des cbofes d'un
^lus grand prix que Tclégaiice des maaierflf
ytc l'agrément de la cou^eriatiop.
Voili mes réfolutions , Madame^, Se en
voiU les motifs* Je voui fuppUe d'a^ié^
Bxon refpcâ*
F I Ni
* -
Tome ly» Ee
izé
TABLE
DES PIECES ET LETTRES
»
Contenues en ce F'olume»
ttTTRï a M, d'Ivemois, Page i
lET. â MIU. G. 4
Let. à M. 'Meuron » î
Let. à M.D, 7
Let. â M. D, 47
lET. à M. de GrafftnrUii 4*
Let. au Même , f<*
Let. au Même ,^ î î
Let. au Même # f ^
Let. âM. D. ^ ' SI
Lit. do Même 9 î*
Let. <2 Af. D. L, C. 59
Let. ai M. D. ^S
Let. flfl Même , ^7
Let. <i M, David Hume f **
Let. â M. d'Jvernois » <î9
Let. au Même ^ 7'
Let. au Même , 73
Lit. 4 Ai. ^«me , 74
T A B L £• 317
tiTTïii, aM. Hume , . '^ Pag« 7^
Let. à, Mylord * * * f 7>
I.ET. â l'auteur du Saînt'Jûmcs ChroniçU »
Si
Let; <i Z:or<f * * * , «t
Let. i Madame de Lu%e 9 8^
Let. â Af. /c Général Conw^yi _. ^j
Let. tf ^. Hume , ^î
Let, *<i M. Davenport « ^8
Let. d M. David Hume i 59
Let. à Mylord Maréchal f 147
Let. <i Af. CJtty , iji
Let. <i Mylord Maréchal | X57
Let. 4iu Même , . i T?
Let. <iii Même , i<5x
Lit. tf Madame * * * ^ ï6j
Let. <î Mlle. Dewes. 17*
Let. à Mylord MaréchaU 174
Let. <i M, le Marquis de Miraheau > 176
Let. <i -M. le Duc de Graffion » * 84
Let. à Af. G«y, ï8j
Let. au Lord Maréchal , i9i
Let. â M,Granville, .190
. Let. a Mylord Maréchal » ijpj
Let. 4 Af . U Général Cowway , 19^
. Lit* à Mylord Copite de parcourt , 198
3i8 t Âtte:.
titrtû «j M . JE. 7**^<%iiwgwr , P.iol
LtT. â M. le Marquis de IMirâbtau , 204
4:mT^MU^^0ite\ vo£
Lit. a Madame la M. de "** * , 114
•Lit- d Mlle Dewes , -3, i%
^T. d M. d'Ivemois , -««>
^ifET, au Mêêt< , -«y
^lifeT. âii Même » -^î*
(Ket. âu Même f ^5^
^«T. a Madame ka>PréfidmH^ ^9^knia «mh
TitfT. d M, L. C. D,L. 2^
TUfT. <i Af. </« BeUey , «f'J
(32^. au Même , if9
^»r. a^. r^.AT. » Ui
it*T. au Même , » ^7^
Eét. a Madame S. tt%
LÈT. <l iâ 'Même , XfO
LiT. <i la Même , 154
' L£T* <i /<t jl/^me » 301
'LftT. d /<t Même t 30^
L&T. <j /a Même , 309
L%T. i la Même «, 3-11^
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Fia de 1;^ Table.
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