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Full text of "Poésies de Benserade"

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POÉSIES 


BENSERADE 


TIRE    A    517    EXEMPLAIRES 

5oo     sur  papier  de  Hollande. 
i5     sur  papier  de  Chine. 
2     sur  parchemin. 


POÉSIES 


DE 


BENSERADE 


PUBLIEES      PAl 


OCTAVE    UZANNE 


PARIS 

LIBRAIRIE  DES    BIBLIOPHILES 

RUE     SAINT-HONORÉ,    3  38 

M  DCCC  LXXV 


PQ 


-Ci 


11 


AVERTISSEMENT. 


Nul  ne  dupe  entièrement  son  époque, 
et  dans  les  réputations  les  moins  fondées  il 
y  a  quelque  chose  de  vrai. 

Th.   Gautier. 


ÉiMPRiMER   Benserade....    Singulière    idée! 
'vont  s'écrier  quelques  personnes  à  l'appari- 
tion de  ce  livre. 
Boileau,  songeront-elles ,  a  fait  justice  depuis  long- 
temps  de  tous    ces  précieux  poètes   de  cour,   et  nous 
croyions  que  Molière  les  avait  à  jamais  écrasés  sous  le 
ridicule  de  Vadius  et  de  Trissotin. 

Nous  en  avons  jugé  autrement.  Les  poésies  de  Ben- 
serade nous  semblent  dignes  de  paraître  sous  un  nou- 
veau jour,  et  peut-être  ne  feront-elles  que  précéder  les 
ceuvrcs  poétiques  des  Sarrasin,  Voiture,  Scarron,  Colk- 

u 


II  AVERTISSEMENT. 

tel  €t  autres  beaux  esprits  du  XYW  siècle  qui,  selon 
nous,  sauront  reconquérir  l'estime  des  vrais  bibliophiles, 
auxquels  nous  X>fJrons  avec  confiance  cette  première 
réimpression. 

Charles  de  Sercy  a  réuni  dans  l'édition  de  Paris 
1607  (2  volumes  in-12),  les  poésies  diverses  de  Bense- 
rade  reproduites,  selon  la  copie ,  un  an  plus  tard  en 
Hollande. 

Cette  unique  édition  est  compacte  et  défectueuse.  Le 
texte  en  est  incorrect,  les  vers  y  clochent  trop  souvent,  et 
la  ponctuation  est  faite  à  l'aventure. 

Dans  le  premier  volume,  renfermant  les  pièces  di- 
verses, les  Œuvres  de  notre  poète  sont  jetées  sans  suite, 
noyées  pour  ainsi  dire  dans  un  fatras  emphatique  : 
louanges  au  Koi,  kyrielles  de  rimes  sur  commande, 
impromptus  surannés,  un  choix  de  rondeaux  tirés  des 
malheureuses  métamorphoses  d'Ovide,  vient  ajouter  à 
la  fadeur  de  ces  pâles  platitudes  dont  l'ennuyeuse  lec- 
ture semble  faire  ombre  aux  poésies  fraîches  et  légères 
de  Benserade. 

Nous  ne  parlerons  pas  du  second  volume  :  —  les 
ballets,  composés  pour  Sa  Majesté  et  dansés  par  le  Koi, 
font  tous  les  frais  de  cette  seconde  partie. 

Ne  pouvant  pour  cette  réimpression  nous  appuyer 
que  sur  la  lourde  édition  dont  nous  faisons  mention. 


AVERTISSEMENT.  IH 

nous  nous  trouvions  placé  dans  cette  alternative  ou  de 
sacrifier  l'onéreux  Benserade^  par  respect  pour  le  texte, 
ou  de  le  rajeunir,  de  l'alléger  de  son  fardeau  de  pané- 
gyriste, afin  d'offrir  aux  lettrés  une  véritable  première 
édition  de  ses  poésies  galantes. 

Rééditer  un  auteur  après  un  si  grand  laps  de  temps, 
c'est  l'améliorer;  et  quand  il  revient  au  jour  dans  la 
nouvelle  parure  d'une  réimpression,  on  doit,  à  notre 
avis,  abandonner  sans  regrets  à  sa  vieille  édition  toutes 
ses  erreurs  jointes  à  celles  de  sqn  éditeur. 

Dans  Benserade,  le  courtisan  abâtardissait  le  poète  : 
nous  avons  autant  que  possible  atténué  celui-là,  pour 
ne  présenter  que  celui-ci. 

Le  tome  II  de  l'édition  de  Sercy  a  été  sacrifié.  Nous 
présentons  nos  excuses  aux  amateurs  de  ballets,  mais 
nous  avouons  que  ces  ballets,  aujourd'hui  démodés,  ne 
sauraient  avoir  qu'un  médiocre  intérêt. 

Dans  le  premier  volume,  nous  avons  dû  couper  et  aérer. 

C'est  ainsi  que  de  pauvres  petits  madrigaux  ou  de 
charmants  sonnets,  qui  se  trouvaient  englobés  dans  des 
stances  d'une  longueur  désespérante,  reviennent  au  jour 
dégagés,  et  se  carrent  en  pleines  marges. 

Les  Caprices  à  la  Gloire  personnelle  du  Koy,  les 
Stances  Sur  le  portrait  du  Koy,  Sur  la  Petite  Vérole  du 
Koy,  Sur  le  Mariage,  la  Guérison,  la  Gloire  du  Koy, 


IV  AVERTISSEMENT. 

ont  été  retirés  y  ainsi  que  toutes  les  pièces  banales  et  d'un 
goût  douteuXj  où  Vhomme  de  cour  semble  avoir  pris 
plus  de  part  que  le  poète. 

Nous  nous  sommes  enfin  appliqué  à  reproduire  la 
physionomie  générale  du  texte,  et  nous  avons  suivi  l'or- 
thographe originale,  sans  toutefois  pousser  le  scrupule 
jusqu'à  conserver  les  fautes  apparentes  et  grossières.  Si 
l'orthographe,  dans  son  ensemble,  n'a  pas  toute  l'homo- 
généité d'une  édition  du  XVII^  siècle,  nous  en  repor- 
tons le  grief  contre  Charles  de  Sercy,  l'éditeur  respon- 
sable au  premier  chef. 

Ne  tenant  pas  compte  d'une  ponctuation  où  les  points 
figuraient  au  milieu  des  phrases^  nous  avons  du  la  re- 
constituer selon  la  logique  et  le  bon  sens.  Nous  avons 
fait  également  de  notre  mieux,  en  certains  points,  pour 
faire  comprendre  Vidée  du  poète,  et  redresser  des  vers 
que  son  éditeur  avait  faussés.  Bref,  nous  croyons 
avoir  mené  à  bien  une  entreprise  qui  présentait  certaines 
difficultés  dans  son  exécution. 

Le  nom  de  Benserade  s'écrivit  de  différentes  façons  : 
BENSSERADDE,  BENSSERADE,  et  enfin  BENSE- 
RADE; c'est  à  cette  dernière  transformation ,  la  plus 
moderne  et  la  plus  simple,  que  nous  nous  sommes 
arrêté. 

Devons-nous  encourir  le  blâme  pour  les  licences  for- 


AVERTISSEMENT.  V 

cées  que  nous  avons  prises  ?  Nous  ne  le  pensons  pas^  et 
nous  sommes  convaincu  que  les  bibliophiles  nous  sau- 
ront gré  de  notre  travail  sur  un  poète  dont  l'abandon 
devenait  plus  complet  en  raison  des  défauts  multiples  de 
son  unique  édition. 

Puisse  Benserade  retrouver  parmi  les  érudits  d'au- 
jourd'hui un  regain  de  sa  gloire  d'autrefois. 

O.   U. 


PREFACE 


îrLR    LA  VIE  ET  LES  ŒUVRES  DE   BENSERADE. 


Que   de  son  nom  chanté  par  la  bouche  des  belles, 
Benserade  en  tous  lieux  amuse  les  ruelles. 

BOILEAU. 


SAAC  de  Benserade,  un  des  poètes  les 
plus  connus  du  commencement  du  XYII*^ 
siècle,  est  à  coup  sûr  un  des  moins  édités. 
Son  nom  revient  si  souvent  dans  les  anecdotes 
et  historiettes  du  temps,  sa  personnalité  acquiert  un 
si  haut  relief  et  semble  si  fêtée  à  l'aurore  du  grand 
siècle,  ses  poésies  enfin  portent  une  empreinte  si  net- 
tement marquée  du  caractère  particulier  à  son  époque, 
que  nous  nous  sommes  attaché  à  Tidée  de  publier 
les  œuvres  légères  de  ce  bel  esprit. 


VIII  PREFACE. 

La  postérité  tut  peut-être  un  peu  froide,  sinon  in- 
juste pour  Benserade,  et  s'il  n'avait  eu  la  vaniteuse 
sagesse  d'escompter  la  gloire  de  son  vivant,  il  courrait 
grand  risque  de  rester  à  jamais  dans  l'ombre,  en  dépit 
des  maigres  silhouettes  de  sa  personne,  tracées  çà  et 
là  de  nos  jours,  parmi  des  portraits  d'oubliés  et  d'ex- 
travagants, ou  des  études  poétiques  sur  le XVII*  siècle. 

Notre  poëte  mérite  cependant  plus  de  considéra- 
tion qu'on  ne  paraît  lui  en  accorder,  car  si  le  nom  de 
Molière  ne  s'était  pas  dressé,  superbe  et  accaparant 
dans  son  despotisme  de  gloire,  Benserade  serait  certes 
regardé  encore  aujourd'hui  comme  une  des  plus  cu- 
rieuses originalités  littéraires  de  la  cour  du  grand  Roi. 

L'auteur  du  Misanthrope ,  h  ses  débuts,  ne  dédaigna 
pas  de  glaner  ses  succès  dans  la  manière  et  le  style  de 
Benserade  ;  il  rivalisa  même  avec  lui  pour  les  ballets  du 
Roi,  et  ne  prit  pied  à  la  cour  qu'en  longeant,  en  quelque 
sorte,  la  voie  audacieuse  que  ce  dernier  s'y  était 
tracée. 

Avant  la  redoutable  apparition  de  Molière,  trois 
poètes  étaient  jugés  grands  et  originaux  :  Voiture, 
Benserade  et...  Corneille.  La  cour  professait  son  es- 
time pour  les  deux  premiers,  mais  le  public  préférait 
l'autre.  Le  temps  s'est  fait  grand  justicier  d'une  appré- 
ciation qui  nous  étonne  et  nous  fait  sourire,  aussi 
n'aurons-nous  pas  l'outrecuidance  d'en  appeler  en 
faveur  de  notre  protégé.  Nous  ne  dirons  pas  avec  le 
prince  de   Conti,   que    ce  Monsieur  de  Benserade  est 


PREFACE.  IX 

un  grand  génie,  nous  penserons  qu'une  telle  louange 
revient  à  Corneille,  et  que  Benserade,  par  son  talent, 
n'est  pas  indigne  de  la  réimpression  que  nous  lui  ac- 
cordons aujourd'hui. 

«  Jamais  on  ne  vit  personne  s'élever  à  si  peu  de  frais 
que  le  poète  Benserade,  dit  Paul  de  Musset*,  et  c'est 
presque  le  seul  homme  de  mince  origine  qui  ait  mar- 
ché de  front  avec  les  grands  à  la  cour  de  Louis  XIV.  » 

En  effet,  Isaac  de  Benserade  naquit  en  1612  à 
Lyons-la-Forêt,  petite  ville  de  Normandie,  où  son 
père  était  modeste  employé  des  domaines.  De  famille 
huguenote^,  il  fut  baptisé  au  temple  des  gens  de  sa 
religion  et  eut  nom  Isaac. 

Bien  que  jeune,  Benserade,  qui  prévoyait  peut-être 
sa  destinée  et  le  tort  que  lui  ferait  une  religion  con- 
traire aux  croyances  delà  cour,  abjura, et  fut  confirmé 
à  huit  ans  par  l'évêque  de  Dardanie. 

Ce  prélat,  désirant  lui  voir  changer  son  nom  juif 
contre  un  autre  plus  conforme  au  catholicisme,  pressait 
fort  le  jeune  Isaac  à  ce  sujet. 

1 .  Extravagants  et  originaux  du  XVII^  siècle ,  par    Paul  de 

Musset. 

2.  Certains  auteurs  prêtent  à  Benserade  une  généalogie  su- 
perbe, et  le  font  descendre  des  anciens  seigneurs  de  Malines.  Mo- 
rérij  dans  son  Dictionnaire,  dit  que  Benserade  était  issu  de  Paul 
de  Benserade,  seigneur  de  Chépi,  chambellan  du  roi  Louis  XII; 
et  M.  Pavillon,  dans  son  Éloge  de  Benserade,  à  l'Académie 
française,  parle  également  de  sa  haute  naissance.  Nous  ne  nous 
arrêterons  pas  à  ce  sujet. 


X  PREFACE. 

«  Je  changerai  volontiers,  dit-il,  pourvu  qu'on  me 
donne  du  retour.  » 

L'évêque  fut  surpris  de  ce  mot  chez  un  enfant  de 
cet  âge,  et  répondit  qu'on  devait  lui  laisser  un  nom 
qu'il  semblait  si  bien  faire  valoir. 

A  douze  ans,  Benserade  perdait  son  père  et  se  trou- 
vait, du  même  coup,  seul  au  monde  et  sans  fortune.  Il 
vint  faire  ses  études  à  Paris,  mais  ses  classes  étaient 
à  peine  achevées  que  le  précoce  poëte,  négligeant  la 
Sorbonne  pour  le  théâtre,  s'amourachait  d'une  certaine 
Belroze,  actrice  de  l'hôtel  de  Bourgogne^  et  y  faisait 
recevoir  une  tragédie  en  cinq  actes. 

C'était  sa  C/eo/?a/re,  imprimée  en  1 636*,  et  dédiée  à 
Monseigneur  l'Éminentissime  cardinal,  duc  de  Riche- 
lieu, avec  une  épître  fort  bien  tournée  et  un  sonnet 
où  Cléopâtre  parle,  et  qui  débute  ainsi  : 

Je  reviens  des  enfers  d'une  démarche  grave. 

Non  pour  suivre  les  pas  d'un  César,  mais   d'un  Dieu, 

Ce  que  je  refusois  de  faire  pour  Octave 

Ma  générosité  le  fait  pour  Richelieu. 

Qu'il  triomphe  de  moy,  qu'il  me  traite  en  esclave. 
Rien  ne  peut  m'empécher  de  le  suivre  en  tout  lieu. 
Et  le  char  d'un  vainqueur  si  puissant  et  si  brave 
Mérite  qu'une  Reine  en  soutienne  l'essieu. 

Le  ministre  fut  flatté  de  la  dédicace  du  poëte  de 


I.   Ménage    cite  la  pièce  comme  faite  en  i63o,   et  dit  à  ce 
propos  que  Benserade  était  auteur  plus  que  jubilé. 


PREFACE.  XI 

dix-huit  ans.  Il  trouva  que  ce  garçon  rimait  fort  agréa- 
blement, et  comme  on  lui  annonçait  qu'il  était  quel- 
que peu  son  parent  \  Son  Éminence  accorda  une 
pension  de  huit  cents  livres  au  jeune  Benserade. 

Le  début  était  encourageant  pour  un  écolier,  aussi 
commença-t-on  à  parler  du  nouveau  poëte,à  la  ville  et 
à  la  cour,  aux  petits  levers  et  aux  soupers  ;  et  la  tragé- 
die de  Cléopâtre,  qui  fut  jouée,  reçut  force  applaudis- 
sements. L'amiral  de  Brézé  s'enthousiasma  tellement 
pour  les  tirades  de  Marc-Antoine,  qu'il  supplia  l'au- 
teur d'accepter  son  amitié,  c'est-à-dire  qu'à  la  mode 
du  temps,  il  lui  ouvrit  sa  maison  et  lui  offrit,  outre  le 
logement  et  le  couvert  à  sa  table,  sa  bourse  2  et  sa 
protection. 

Benserade  n'eut  garde  de  refuser  une  pareille  au- 
baine, il  devint  l'ami  de  l'amiral,  et  transforma  son 
salon  en  un  foyer  littéraire  où  les  beaux  esprits  du 
jour  aimèrent  à  se  rencontrer. 

Ce  fut  là  que  Benserade  lia  connaissance  avec  le 
petit  Michel,  depuis  le  fameux  Lambert,  pour  lequel 
il  fit,  dans  la  suite,  la  plus  grande  partie  des  paroles 
que  cet  illustre  chanteur  mit  en  musique. 

L'étoile  du  poëte  qui  s'annonçait  si  bien  faillit  néan- 


1 .  La  mère  de  Benserade  était,  paraît-il,  une  Laporte,  et  par 
conséquent  alliée  à  la  famille  du  cardinal. 

2.  Segrais  ajoute,  dans  ses  Mémoires  et  Anecdotes,  que  M.  de 
Brézé  le  faisait  de  moitié  dans  ce  qu'il  gagnait  au  jeu. 


XII  PREFACE. 

moins  pâlir  un  instant.  L'amiral  de  Brézé  fut  tué  d'un 
coup  de  canon',  et  Richelieu  mourut. 

La  mort  de  l'Éminence  ne  parut  que  peu  chagriner 
l'ingrat,  mais  sa  pension  lui  était  plus  à  cœur,  car  il 
exhala  sa  plainte  dans  ces  quatre  vers  blessants  pour 
l'ombre  du  grand  Armand   : 


Cy-gist  :    ouv  gist  par  la  mortbleu 
Le  cardinal  de  Richelieu, 
Et  ce  qui  cause  mon  ennuy, 
Ma  pension  avecque  luy. 


La  perte  n'était  pas  cependant  irréparable,  car 
peu  après  la  reine  mère  lui  constitua  une  autre  pen- 
sion de  trois  mille  livres,  ce  qui,  joint  aux  libéralités 
de  certaines  dames,  lui  permit  de  vivre  très-convena- 
blement à  la  cour. 

Ces  dons  féminins,  dont  nous  parlons,  ne  semblaient 
pas  effaroucher  outre  mesure  la  pudeur  des  poètes 
de  l'époque,  et  l'on  ne  saurait  en  vouloir  à  Benserade, 
lorsqu'en  lisant  les  stances  sur  une  Voyt  de  Bois  2,  on 
remarque  le  ton  dégagé  et  badin  avec  lequel  il  remer- 
cie une  présidente  anonyme  du  présent  qu'elle  lui  doit 
envoyer. 


1.  Benserade  fut  attristé  de  la  mort  de  M.  de  Brézé,  et 
M.  de  Segrais  raconte  qu'il  pleurait  toutes  les  fois  qu'il  enten- 
dait parler  de  lui.  [Mémoires  et  Anecdotes  de  M.  de  Segrais.) 

2.  Paee  3G  de  ce  volume. 


PREFACE.  XIII 

Et  quand  je  suis  sans  bois,  m'en  promettre  une  voye, 
C'est  une  douce  voye  à  me  gagner  le  cœur. 

Tallemant  des  Reaux\  en  chroniqueur  mauvaise 
/angue,  prétend  qu'il  a  ouï  parler  de  la  protection  que 
M'"''  la  comtesse  de  La  Roche-Guyon  accordait  au 
poëte,par  un  caprice  amoureux  de  cette  extravagante. 
Il  ajoute  même  que,  pour  le  tenir  plus  près  d'elle,  la 
vieille  coquette  l'installe  dans  un  hôtel  voisin  du  sien, 
où  rien  ne  lui  manque.  La  vaisselle  d'argent  brille  sur 
sa  table,  il  dispose  d'un  carrosse  à  couronnes  et  de  trois 
laquais,  et  comme  Benserade  est  rousseau,  ses  ennemis 
disent  que  la  comtesse  se  ruine  en  parfums  et  en  bains 
de  toutes  sortes. 

La  vérité  est  que  Benserade  se  brouilla  vivement 
avec  elle;  et  les  stances  contre  une  vieille^,  qu'il  fit 
plus  tard,  nous  semblent  fort  s'adresser  à  la  pauvre 
comtesse. 

Le  succès  de  Cléopâtre  ayant  enhardi  l'heureux 
tragédien,  Benserade  fit  successivement  :  Iphis  etiante, 
comédie,  1637;  La  Mort  d'Achille,  1687;  Gusta- 
phe ,  ou  l'Heureuse  AmbiYton,  tragi-comédie,  1637; 
Méléagre,  tragédie,  1 641  ;  et  La  Pucelle  d'Orléans, 
tragédie,  1642^. 


1 .  Historiettes. 

2.  Page  81  de  ce  volume. 

3.  Samuel  Chapuzeau,  dans  son  Théâtre  français,  donne  la 
tragédie  de  la  Pucelle  d'Orléans  à  La  Mesnardière,  mais  Paul 

b 


XIV  PREFACE. 

Il  composa  également,  en  i638,  une  paraphrase  en 
vers  sur  les  neuf  leçons  de  Job,  qui  reçut  l'appro- 
bation de  Balzac  et  des  autres  savants  de  Rambouil- 
let, et  qui  devait  servir  de  point  de  départ  au  Son- 
net de  Job. 

Mazarin,  alors  ministre,  appréciait  énormément  le 
mérite  de  Benserade,  et  il  disait  volontiers  que  ses 
vers  ressemblaient  beaucoup  à  ceux  qu'il  avait  faits 
dans  sa  jeunesse,  à  la  cour  du  Pape. 

Aussi  l'économe  cardinal  l'assura  de  sa  protection, 
et,  chose  étonnante,  il  lui  fît  une  pension  de  deux 
mille  livres  en  attendant  les  rentes  plus  considérables 
qu'il  devait  lui  abandonner  plus  tard  sur  un  évêché  et 
deux  abbayes. 

Le  protégé  du  cardinal  ne  tarda  pas  à  être  l'ami  du 
jeune  Roi.  Louis  XIV  était  alors  amoureux,  et  les 
princes,  en  cette  qualité,  aimant  à  s'entourer  d'un  poëte 
pour  chanter  discrètement  leur  flamme,  ce  fut  Ben- 
serade qu'il  choisit  et  qu'il  fît  tour  à  tour  rimer  pour 
M"^  de  Hautefort,  M"«  de  La  Vallière,  et  plus  tard 
pour  la  Montespan. 

Il  était  admis  dans  l'intimité  du  monarque,  et  avec 
Dangeau,  le  marquis  de  Vardes,  le  comte  de  Guiche 
et  Lauzun,  il  faisait  partie  du  petit  cercle  qui  se  réunis- 
sait chez  M"'^  de  La  Vallière,   laquelle  l'avait  pris  en 


Boyer,  dans   sa  Bibliothèque   universelle,  marque  qu'elle  est  de 
Benserade. 


PREFACE.  XV 

grande  amitié.  Dans  ces  réunions^  où  les  rigueurs  de 
l'étiquette  étaient  adoucies,  Benserade  démontrait  son 
incontestable  supériorité  à  faire  les  bouts-rimés,  le 
grand  délassement  à  la  mode,  pour  lequel  le  Roi 
professait  une  estime  toute  particulière. 

La  fortune  du  poëte  marchait  donc  rapidement.  La 
célèbre  Christine  de  Suède,  qui  avait  lu  ses  ouvrages, 
en  parlait  avec  admiration  dans  une  lettre  à  la  reine 
mère,  et  il  fut  bel  et  bien  question  d'envoyer  Bense- 
rade comme  ambassadeur  à  Stockholm*;  mais,  étant 
survenu  quelques  affaires  pressantes,  malgré  les  prépa- 
ratifs de  départ  qui  se  trouvaient  faits  "^,  l'ambassade 
échoua,   et  Scarron  put  dater  une  de  ses  épistres  ^  : 

L'an  que  le  sieur  de  Benserade 
N'alla  pas  à  son  ambassade. 

Le  pauvre  ambassadeur  resta  donc  à  Paris.  Il  com- 
mença à  donner  ces  fameux  ballets  qui,  par  leur  ori- 
ginalité, eurent  tant  de  succès,  et  lui  procurèrent  au- 
près du  Roi  toutes  les  aimables  faveurs  que  Molière 
devait  récolter  plus  tard.  Il  avait  une  adresse  toute 
particulière  dans  ces  vers,  et  ce  fut  une  innovation 
à   la  cour. 


1 .  Costar  écrit  toute  une  lettre  à  ce  sujet  à  madame  la  mar- 
quise de  Livardin.    (Costar,  lettre  i65  du  I^ryo!.,  p.  480. j 

2.  L'Ambassadeur   de  Suède  à   la  Reine    de   Natolie,   salut. 
Page  56  de  ce  volume, 

3.  Scarron,  Epistre    burlesque  à   Madame   la    comtesse    des 
Feique. 


XVI  PREFACE. 

«  Avant  lui,  dit  Perraut^  dans  l'entrée  de  Jupiter 
foudroyant  les  cyclopes,  les  stances  ne  parlaient  de 
Jupiter  que  comme  Jupiter  et  en  Jupiter,  et  pas  du 
tout  de  la  personne  qui  le  représentait.  M.  de  Benserade 
tourne  les  vers  de  façon  qu'ils  s'entendent  de  l'un  et  de 
l'autre...,  le  coup  porte  sur  le  personnage  et  le  contre- 
coup sur  la  personne,  ce  qui  donne  un  double  plaisir 
en  donnant  à  entendre  deux  choses  qui,  belles  séparé- 
ment deviennent  encore  plus  belles  étant  jointes  en- 
semble.  » 

Malheureusement  l'on  ne  saurait  apprécier  aujour- 
d'hui toutes  les  allusions  vives  et  piquantes  répandues 
dans  ces  ballets.  L'auteur  y  peignait  les  inclinations, 
les  attachements,  et  jusqu'aux  aventures  les  plus  se- 
crètes des  personnes  de  la  cour.  Toutes  ces  stances,  si 
fort  applaudies  jadis,  ne  nous  offrent  plus  qu'un  inté- 
rêt littéraire  médiocre ,  et  c'est  tout  au  plus  si  quel- 
ques chercheurs  pourraient  reconstruire,  d'après  ces 
données  poétiques,  les  caractères  et  l'individualité  de 
certains  personnages  marquants. 

Benserade,  à  cette  époque,  était  la  coqueluche  des 
précieuses,  et  La  Bruyère  semble  l'avoir  pris  pour  mo- 
dèle dans  le  portrait  de  Théohalde'^  ,  l'engouement 
des  Philamintes  et  des  Bélises,  qui,  sur  sa  moindre 


1.  Perraut,   Parallèle  des  anciens  et  des  modernes.  (Édit.  de 
Hollande,  tome  II,  page  210.) 

2.  La  Bruyère,  De  la  Société  et  de  la  Conversation. 


PREFACE.  XVII 

parole,  s'écriaient  :   Cela   est  délicieux;  qu'a-t-il  dit? 

Ses  bons  mots,  ses  épigrammes,  ses  pointes,  comme 
on  disait  alors,  étaient  dans  toutes  les  bouches  et  se 
transmettaient  comme  choses  sur  lesquelles  on  n'aurait 
su  trop  s'extasier. 

Ce  fut  à  peu  près  vers  i65i  que  les  deux  sonnets 
de  Voiture  et  de  Benserade  partagèrent  la  cour  et  la 
ville,  les  salons  et  l'Académie.  Toutes  les  pièces  ras- 
semblées de  ce  petit  procès  littéraire  formeraient  cer- 
tainement plusieurs  in-folio. 

Voiture  venait  de  mourir  en  1648,  et  son  sonnet  à 
Uranie  avait  été  recueilli  par  ses  amis  comme  le  der- 
nier soupir  de  sa  muse.  Le  sonnet  de  Job  parut,  et 
voilà  la  guerre  civile  du  bel  esprit  allumée. 

Le  sonnet  de  Benserade  fît  fureur;  tout  ce  qu'il  y 
avait  d'amoureux  à  la  mode,  tous  les  languissants  et 
les  mourants  du  jour,  trouvèrent  admirable  de  peindre 
ainsi  son  martyre  : 

Il  souffrit  des  maux  incroyables. 
Il  s'en  plaignit,  il  en  parla  : 
J'en  connois  de  plus  misérables. 

Le  sonnet  de  Voiture  se  présentait  avec  un  tout 
autre  caractère. 

«  Il  était  de  l'élégance  la  plus  parfaite,  dit  Victor 
Cousin*,  un  peu   molle   il   est  vrai,  mais  relevée,  et 


I.   La  Jeunesse  de  Madame  de  lon^uevUle,  par   V.  Cousin, 
Paris,  Didier,  i853. 


XVm  PREFACE. 

animée  d'un  certain  accent  passionné,  qui,  sans  éclater 
dans  aucun  trait  particulier,  se  faisait  partout  douce- 
ment sentir.  » 

La  cour  se  divisa  en  deux  camps:  les  Jobelins  et  les 
Uraniens*;  le  prince  de  Conti  tenait  le  parti  de  Bense- 
rade  contre  Voiture,  et  M""^  de  Longueville,  sasœur, 
défendait  en  revanche  Voiture  contre  Benserade,  ce 
qui  fit  dire  à  M"^  de  Scudéri  : 

A  vous  dire  la  vérité, 
Le  destin  de  Job  est  étrange, 
D'être  toujours  persécuté, 
Tantôt  par  un  démon  et  tantôt  par  un  ange, 

Balzac  composa  une  dissertation  en  treize  chapitres- 
sur  ces  deux  sonnets  qu'il  analyse,  mot  par  mot,  vers 
par  vers,  en  rendant  à  chacun  son  mérite,  et  Corneille 
entra  lui-même  en  lice,  prenant  parti  pour  Job  contre 
Uranie,  dans  un  sonnet^  où  il  n'hésite  pas  à  dire  que 
celui  de  Voiture  est  sans  doute  mieux  rêvé,  mieux  con- 
duit^ mieux  achevé,  mais  qu'il  voudrait  avoir  fait 
l'autre. 

Les  choses  menaçaient  de  s'éterniser,  et  M*"^  de 
Longueville  écrivait*  que  les  ministres  devraient  s'oc- 


1.  On  dit  également  Uranistes  et  Uranins. 

2.  Balzac,  Œuvres,  in-folio,    tome  II,  pages    580-594. 

3.  Œuvres  diverses  de  Pierre  Corneille. 

4.  Lettre  de  Madame  de  Longueville  à  M.  Esprit.  Manu- 
scrit de  Conrart,  in-4°,  tome  II,  page  i3.  Bibliothèque  de  l'Ar- 
senal. 


PREFACE.  XIX 

cuper  de  cette  affaire  plutôt  que  des  assemblées  de 
noblesse,  quand  M"^  de  La  Roche  du  Maine,  fille 
d'honneur  de  la  reine,  vint  mettre  fin  à  la  guerre  et 
apaiser  les  partis. 

Comme  on  la  priait  de  se  prononcer  pour  l'un  des 
deux  sonnets,  elle  choisit  au  hasard,  et  croyant  donner 
sa  voix  à  Job  elle  prononça  Tobie. 

Le  mot  fit  rire;  on  le  colporta  partout,  et  chacun 
de  s'écrier  que  La  Roche  du  Maine  avait  plus  d'esprit 
que'  tout  le  monde  et  qu'on  devait  se  déclarer  pour 
Tobie. 

Il  fallait  que  les  passe-temps  du  jour  fussent  bien 
frivoles,  pour  que  deux  sonnets  qui  nous  paraissent  si 
inoffensifs  aujourd'hui  aient  déchaîné  de  telles  pas- 
sions, et  Sarrasin  semblait  juger  sainement  son  époque 
en  écrivant  ceci  : 

«  Nous  sommes  en  un  temps  où  tout  le  monde  croit 
avoir  le  droit  de  juger  de  la  poésie,  de  laquelle  Aris- 
tote  a  fait  son  chef-d'œuvre,  où  les  ruelles  de  femmes 
sont  des  tribunaux  des  plus  beaux  ouvrages,  où,  ce 
qui  fut  autrefois  la  vertu  de  peu  de  personnes  de- 
vient la  maladie  du  peuple  et  le  vice  de  la  mul- 
titude. » 

Lorsque  Benserade  fut  reçu  à  l'Académie  française 
(le  17  mai  1674),  il  était  âgé  de  plus  de  soixante  ans. 
Il  avait  dans  la  docte  assemblée  un  grand  empire  sur 
ses  confrères  et  ce  fut  à  lui  que  l'on  dut  en  partie 
l'élection  de  La  Fontaine.  Le   jour  de  la  réception  de 


XX  PREFACE. 

M.  Corneille  le  jeune',  il  lut  à  l'Académie  une  pièce 
qui  fut  extrêmement  applaudie  :  c'est  le  portrait  en 
raccourci  des  quarante  académiciens  par  rapport  à 
leurs  personnes,  à  leurs  talents,  à  leurs  aventures  et  à 
leur  fortune.  Il  parle  avec  liberté  de  chacun  d'eux, 
mais  avec  ce  tour  fin  et  inimitable  dont  il  s'est  servi 
si  souvent. 

Furetière,  dans  ses  factums,  s'élève  très-souvent 
contre  Benserade  qu'il  désigne  quelquefois  sous  le 
nom  d'Alvarade.  Ce  fut  un  de  ceux  avec  La  Fontaine 
qu'il  prit  le  plus  à  parti,  mais  Benserade  eut  beaucoup 
de  défenseurs,  et  nous  trouvons  dans  une  lettre  du 
comte  de  Bussy-Rabutin  à  Furetière,  en  date  du  4  mai 
1686,  cette  vigoureuse  défense  du  poëte   : 

«  M.  de  Benserade  est  un  homme  de  naissance 
dont  les  chansonnettes,  les  madrigaux,  les  vers  de 
ballet,  d'un  ton  fin  et  délicat,  et  seulement  entendu 
par  les  honnêtes  gens  de  la  cour,  ont  diverti  le  plus 
honnête  homme  et  le  plus  grand  roy  du  monde. 

«  Ne  dites  donc  pas,  s'il  vous  plaist,  que  monsieur  de 
Benserade  s'étoit  acquis  quelque  réputation  pendant 
le  règne  du  mauvais  goût,  car,  outre  la  fausseté  de 
cette  proposition,  elle  seroit  encore  criminelle. 

«  Pour  les  proverbes  et  les  équivoques  que  vous  lui 
reprochez,  il  n'en  a  jamais  dit  que  pour  s'en  moquer; 


I .   Nouvelles   de   la  République  des  Lettres,    mois  de  janvier 
168 5,  page  37. 


PRÉFACE.  XXI 

enfin,  c'est  un  génie  singulier  qui  a  plus  employé  d'es- 
prit dans  ses  badineries,  qu'il  n*y  en  a  dans  la  plupart 
des  poëmes  les  plus  achevés  ' .   » 

Benserade  entreprit,  quelque  temps  après  sa  récep- 
tion à  l'Académie,  de  mettre  les  Métamorphoses  d'Ovide 
en  rondeaux.  Cet  ouvrage,  à  l'usage  de  Monseigneur 
le  Dauphin,  fut  imprimé  supérieurement  et  enrichi  de 
gravures  de  Leclerc  et  Lepautre,  aux  dépens  du  Roi, 
qui  dépensa  plus  de  dix  mille  livres  pour  cette  édition^. 

Les  rondeaux  n'eurent  aucun  succès  et  tombèrent  à 
plat,  ils  donnèrent  cependant  lieu  à  un  rondeau  épi- 
grammatique,  attribué  jusqu'ici  à  Chapelle,  mais  qui 
est  réellement  d'un  sieur  Stardin.  Cette  satire  si  élé- 
gamment mordante  eut  plus  de  succès  que  tous  les 
rondeaux  de  Benserade.  La  voici  : 

A  la  fontaine  où  l'on  puise  cette  eau 
Qui  fait  rimer  et  Racine  et  Boileau 
Je  ne  bois  point,   ou  bien  je  ne  bois  guère  ; 
Dans  un  besoin,  si  j'en  avois  affaire, 
J'en  boirois  moins  que  ne  fait  un  moineau. 
Je  tirerai  pourtant  de  mon  cerveau 
Plus  aisément,  s'il  le  faut,  un  rondeau. 
Que  je  n'avale  un  plein  verre  d'eau  claire 
A  la  fontaine. 


1.  La  colère  de  Furetière  contre  Benserade  venait  sans  doute 
de  ce  qu'assis  un  jour  à  l'Académie  dans  le  fauteuil  de  Furetière, 
Benserade  s'écria  :  «  Pardon,  Messieurs,  si  je  parle  mal,  mais 
je  suis  dans  une  place  qui  va  m'inspirer  beaucoup  de  sottises.  » 

2.  Métamorphoses  d'Ovide  en  rondeaux,  in-4°,  de  l'Impri- 
merie royale,  1676. 


XXII  PREFACE. 

De  ces  rondeaux,  un  livre  tout  nouveau 
A  bien  des  gens  n'a  pas  eu  l'art  de  plaire, 
Mais,  quant  à  moi,  j'en  trouve  tout  fort  beau, 
Papier,  dorure,  images,  caractères. 
Hormis  les  vers  qu'il   falloit  laisser  faire 
A  La  Fontaine. 

Il  semble  que  Benserade  ait  voulu  se  défendre  de 
donner  cet  ouvrage  des  Métamorphoses  à  l'impression, 
car  il  composa  une  préface  et  un  errata  en  rondeau, 
dont  voici  la  fin  : 


Pour  moi,  parmi  des  fautes  innombrables. 
Je  n'en  connois  que  deux  considérables 
Et  dont  je  fais  ma  déclaration  : 
C'est  l'entreprise  et  l'exécution, 
A  mon  avis,  fautes  irréparables 
Dans  ce  volume. 


Il  est  impossible  de  faire  une  confession  plus  franche 
de  ses  fautes.  L'auteur  des  Métamorphoses  ne  les  fit 
imprimer  que  contraint  par  Louis  XIV,  qui  trouvait 
l'idée  des  rondeaux  sans  doute  fort  à  son  goût,  et  le 
poëte  ajoute  dans  sa  préface  : 


Comme  on  défère  au  sentiment  d'autrui, 
Une  personne  en  crédit  aujourd'hui 
Veut  que  j'imprime,  ai-je  pu  l'en  dédire  ! 
Cette  personne  est  le  roi,  notre  Sire, 
Il  ne  fait  pas  trop  bon  le  contredire. 
Il  l'a  voulu,  prenez-vous-en  à  lui 
Si  j'ai  mal  fait. 


PREFACE.  XXm 

L'échec  de  ses  rondeaux  fut  néanmoins  sensible  à 
Benserade,  jusqu'alors  habitué  aux  succès,  car  il  ne 
composa  plus  que  deux  cents  fables  d'Esope  réduites 
en  quatrains,  dont  trente-neuf  ont  été  gravées  au  la- 
byrinthe de  Versailles. 

Après  cet  ouvrage,  non-seulement  il  ne  donna 
plus  rien  au  public,  mais  encore  il  se  retira  du  monde 
et  ne  parut  plus  à  la  cour. 

Il  vécut  dans  sa  petite  maison  de  Gentilly,  se 
livrant  aux  douceurs  du  jardinage,  et  gravant  sur  les 
arbres  de  son  jardin  des  inscriptions  poétiques,  n'ou- 
bliant pas  d'y  faire  représenter  ses  armes  surmontées 
d'une  couronne  de  comte'.  A  soixante-quinze  ans, 
Benserade  écrivait  encore  : 


Adieu,  fortune,  honneurs,  adieu,  vous  et  les  vôtres; 

Je  viens  ici  vous  oublier. 
Adieu  toi-même,  amour,  bien  plus  que  tous  les  autres 

Difficile  à  congédier. 


Isaac  de  Benserade  mourut  dans  sa  maison  de 
Gentilly,  âgé  de  78  ans,  regretté,  dit  l'abbé  Talle- 
mant,  de  toute  la  cour  et  de  tous  les  honnêtes  gens. 

Nous  avons  raconté  sommairement  la  vie  du  poëte 


I.  Il  parait  qu'un  grand  personnage,  voyant  les  armes  sur- 
montées de  la  couronne  de  comte  que  Benserade  avait  mises  sur 
la  porte  de  sa  maison,  les  ratifia,  pour  ainsi  dire,  en  s'écriant  : 
.1  C'est  aux  Poètes  à  en  faire.    » 


XXIV  PREFACE. 

en  notant  ses  œuvres;  nous  serions  mal  venu  de  faire 
une  appréciation  littéraire  de  tous  ses  ouvrages  après 
la  louange  de  Benserade  par  M.  Pavillon,  son  succes- 
seur à  l'Académie,  et  la  réponse  du  savant  Charpen- 
tier. Nous  ne  pourrions  mieux  parler  du  poëte  que 
l'abbé  d'Olivet,  dans  son  Histoire  de  l'Académie,  que 
Baillet,  dans  ses  Jugements  des  Savants,  etquePerraut 
dans  ses  Hommes  illustres. 

Les  œuvres  de  Benserade  ont  surtout  attiré  notre 
attention  par  ce  caractère  de  préciosité  affectée  qui  les 
feront  évidemment  condamner  par  les  uns,  mais  ap- 
précier par  les  autres. 

Cette  première  réimpression  des  poésies  de  Bense- 
rade montre  que  nous  nous  rangeons  parmi  ces  der- 
niers. 

Le  public,  meilleur  juge,  nous  donnera  tort  ou 
raison. 

Octave  Uzanne. 


m> 


SONNETS  SUR  LA  BEAUTÉ 


ET  SUR  LA   LAIDEUR 


SONNET. 

L'autre  jour,  me  sentant  pressé 
D'écrire  en  vers  avec  un  zèle 
Purement  désintéressé 
Et  sur  la  laide  et  sur  la  belle. 

Des  neuf  sœurs  je  fus  caressé. 
J'eus  recours  à  la  plus  fidèle, 
A  qui  je  me  suis  adressé 
Toujours  quand  j'avois  besoin  d'elle. 

Elle  m'inspira  tout  le  miel 

Qu'il  faut  pour  plaire,  et  tout  le  fiel 

Que  l'on  répand  sur  ce  qui  tache  ; 


Et  bien,  loin  d'en  estre  éconduit, 
La  Muse  applaudit  à  ma  tâche. 
Et  me  dicta  tout  ce  qui  suit. 


SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 

Sur  la  Beauté. 
PREMIER   SONNET. 

BOUCHE  vermeille  au  doux  sourire, 
Bouche  au  parler  délicieux, 
Bouche  qu'on  ne  sçauroit  décrire, 
Bouche  d'un  tour  si  gracieux; 

Bouche  que  tout  le  monde  admire, 
Bouche  qui  n'est  que  pour  les  dieux. 
Bouche  qui  dit  ce  qu'il  faut  dire, 
Bouche  qui  dit  moins  que  les  yeux  ; 

Bouche  d'une  si  douce  haleine. 
Bouche  de  perles  toute  pleine. 
Bouche  enfin  sans  tant  biaiser; 

Bouche  la  merveille  des  bouches. 
Bouche  à  donner  de  l'âme  aux  souches, 
Bouche,  le  diray-je?  à  baiser. 


ET     SUR     LA     LAIDEUR. 

Sur  la  Laideur. 
SONNET   II. 

BOUCHE  à  qui  convient  laide  offrande. 
Bouche  pernicieux  museau, 
Bouche  livide,  pasle  et  grande. 
Bouche  où  s'échappa  le  ciseau  ; 

Bouche  qui  boit  son  vin  sans  eau, 
Bouche  que  chacun  appréhende, 
Bouche,  bec  d'un  terrible  oiseau,  ' 
Bouche,  il  faut  bien  qu'on  te  le  rende. 

Bouche  qui  ne  sent  guère  bon, 
Bouche  où  les  dents  sont  de  charbon. 
Bouche,  gueule,  enfin  que  m'importe? 

Bouche,  te  voit-on  sans  frémir  ? 
Bouche  propre  à  faire  vomir. 
Bouche,  que  le  diable  t'emporte. 


^ 


SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 

Sur  la  Beauté. 
SONNET    III. 

BEAUX  yeux  dont  l'atteinte  profonde 
Trouble  des  cœurs  incessamment, 
Le  doux  repos  qui  ne  se  fonde 
Que  sur  un  si  doux  mouvement. 

De  tout  ce  qu'on  dit  en  aimant, 
Beaux  yeux,  source  vive  et  féconde; 
Beau  refrain,  doux  commencement 
Des  plus  belles  chansons  du  monde; 

Beaux  yeux  qui  sur  les  cœurs  avez 
Tant  de  puissance»  et  qui  sçavez 
Si  bien  jouer  de  la  prunelle; 

Beaux  yeux,  divin  charme  des  sens, 
Vôtre  amour  est  en  sentinelle 
Pour  attraper  tous  les  passans. 


ET     SUR     LA     LAIDEUR. 

Sur  la  Laideur. 
SONNET    IV. 


PETITS  yeux  ridez  par  le  coin, 
Qu'est-il  de  pis  sous  l'hémisphère? 
Trop  heureux  qui  vous  voit  de  loin. 
De  prés  c'est  une  triste  affaire. 

Il  n'y  faut  tendresse  ni  soin , 
Est-il  rien  qu'on  ne  leur  préfère, 
Pétillans  d'un  sale  besoin 
Qu'on  ne  daigneroit  satisfaire  ? 

Celle  à  qui  sont  de  pareils  yeux, 
Pire  qu'une  cometie  aux  cieux, 
Menace  tout  ce  qu'elle  lorgne. 

Elle  veut  plaire  néanmoins, 
Et,  si  tel  objet  étoit  borgne, 
Ce  seroit  un  défaut  de  moins. 


SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 


Sur  la  Beauté. 
SONNET   V. 

NEZ  des  beautez  le  préalable, 
Dont  il  assortit  les  appas, 
Qui,  sans  être  fait  au  compas, 
N'en  est  guère  moins  agréable; 

Ce  n'est  point  le  nez  qu'on  accable 
De  louanges  en  pareil  cas  : 
C'est  par  les  défauts  qu'il  n'a  pas 
Que  le  nez  est  plus  remarquable. 

Court,  il  est  par  fois  dangereux; 
Long,  nuit  aux  baisers  amoureux 
Où  la  tendresse  s'abandonne. 

Nez  taillé  comme  il  faut  qu'il  soit. 
Et  pour  la  bouche  qui  les  donne, 
Et  pour  celle  qui  les  reçoit. 


ET    SUR    LA    LAIDEUR. 

Sur  la  Laideur. 
SONNET  VI. 

NEZ  fort  indigne  de  nos  vœux, 
Qui  trop  affecte  de  paroistre 
Toujours  reniflant  et  morveux, 
Bien  qu'il  soit  hors  d'âge  de  l'être; 

Je  ne  croy  pas  qu'il  vienne  à  naître 
Un  tel  nez  parmy  nos  neveux. 
Chez  eux  tel  nez  sera  le  maître, 
S'il  n'est  pas  le  plus  beau  chez  eux. 

Nez  à  camouflet,  à  nazarde. 
Qui  fait  peur  à  qui  le  regarde, 
Célèbre  entre  les  bourjonnez; 

Nez  basti  d'une  étrange  sorte. 
Je  dis  à  celle  qui  vous  porte  : 
Mon  cœur  n'est  pas  pour  vôtre  nez. 


lO  SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 

Sur  la  Beauté. 
SONNET    VII. 

'  I  'EiNT  d'une  merveille  naissante, 
X  Teint  d'où  rejaillit  sur  ses  pas 
Une  lumière  éblouissante, 
Teint  qui  couronne  tant  d'appas; 

Teint  de  fraîcheur  réjouissante. 
Teint  vif,  et  des  plus  délicas, 
Teint  de  jeunesse  appétissante, 
Teint  qui  fait  par  tout  du  fracas; 

Teint  qui  les  autres  teints  surpasse. 
Teint  qui,  du  moment  qu'elle  passe, 
Rend  tous  les  chemins  embellis; 

Teint  pur  où  l'incarnat  des  roses 
Se  mêle  à  la  blancheur  des  l_ys , 
Et  confond  les  plus  belles  choses. 


ET    SUR     LA     LAIDEUR. 


Sur  la  Laideur. 


SONNET    VIII. 

TEINT  de  femme  ayant  trop  repu, 
Teint  qui  reluit  d'un  soin  frivole, 
Teint  qui  marque  un  sang  corrompu, 
Où  le  fard  s'attache  et  se  cole  ; 

Teint  où  tout  du  pis  qu'elle  a  pu 
A  fait  la  petite  vérole  ; 
Teint  labouré,  chemin  rompu  : 
Champ  que  la  grêle  enfin  désole; 

Teint  grossier  marqué  de  rousseurs. 
Que  je  peus  dire  des  douceurs; 
Teint  d'une  jaunisse  incurable,. 

Te  voir  est  un  fort  grand  malheur; 
Mais  qui  te  rendroit  la  couleur 
Seroit  encor  plus  misérable. 


SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 

Sur  la  Beauté. 
SONNET   IX. 


BEAU  sein  déjà  presque  remply, 
Bien  qu'il  ne  commence  qu'à  poindre; 
Tétons  qui  ne  font  pas  un  ply, 
Et  qui  n'ont  garde  de  se  joindre; 

De  jeunesse  ouvrage  accomply, 
Que  du  fard  il  ne  faut  pas  oindre. 
Si  l'un  est  rond,  dur  et  poly, 
L'autre  l'égale  et  n'est  pas  moindre. 

Sein  par  qui  les  dieux  sont  tentez, 
Digne  échantillon  de  beautez 
Que  le  jour  n'a  point  regardées  ; 

Il  garantit  ce  qu'il  promet. 
Et  remplit  toutes  les  idées 
Du  paradis  de  Mahomet. 


ET    SUR    LA    LAIDEUR. 

Sur  la  Laideur. 
SONNET   X. 

PENDANTES  et  longucs  mamclles 
Où  les  perles  ni  l'oripeau 
N'imposent  à  pas  un  chapeau, 
Molles  et  tremblantes  jumelles; 

Tétasses  de  grosses  femelles 
A  couvrir  d'un  épais  drapeau; 
Peau  bouffie  et  rude,  moins  peau 
Que  cuir  à  faire  des  semelles  ; 

De  vieille  vache  aride  pis  ; 
Que  ne  puis-je  dire  encor  pis, 
D'un  sein  qui  tombe  en  pourriture  ? 

Sein  d'où  s'exhale  par  les  airs 
Un  air  qui  corrompt  la  nature; 
Sein  propre  à  nourrir  des  cancers. 


SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 


Sur  la  Beauté. 


SONNET   XI, 


TAILLE  à  charmer  qui  l'examine, 
Taille  autour  de  qui  sans  dessein 
Des  amours  vole  un  tendre  essein, 
A  la  beauté  joignant  la  mine  ; 

Taille  de  personne  divine 
Où  tout  est  jeune,  frais  et  sain, 
Taille  qui  n'exclud  pas  le  sein, 
Quoique  légère,  aisée  et  fine  ; 

Taille  riche  pleine  d'appas, 

Et  que  les  mortelles  n'ont  pas, 

A  qui  nous  rendons  tous  les  armes  ; 

Heureux  qui  vous  résistera. 

Taille  où  brillent  de  si  doux  charmes. 

Plus  heureux  qui  vous  gâtera. 


ET    SUR     LA     LAIDEUR. 


Sur  la  Laideur. 


SONNET  XII, 


TAILLE  de  chétive  étendue, 
Qu'icy  pourtant  nous  étalons; 
Courte,  quoiqu'empruntée  et  due 
A  la  hauteur  de  ses  talons; 

Taille  rarement  attendue 
Dans  ses  magnifiques  salons; 
Taille  où  se  trouve  confondue 
La  cadence  des  violons; 

Taille  enfin  de  ces  mal-adroites 
Qui  ne  laissent  pas  d'être  droites, 
Bien  que  tout  y  semble  à  rebours; 

Soit  qu'elles  soient  maigres  ou  grasses, 
Taille  où  paroissent  les  amours 
En  querelle  avecque  les  grâces. 


SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 

Sur  la  Beauté. 
SONNET  XIII. 


MAINS  d'une  blancheur  nette  et  pure, 
Qui  font  tout  avec  agrément, 
Et  touchent  les  cœurs  proprement 
Sans  se  souiller  d'aucune  ordure; 

Bras  d'une  divine  structure. 
Qui,  s'entrelassant  tendrement, 
Seroient  d'un  bien-heureux  amant 
La  plus  précieuse  ceinture; 

Mains  qu'on  ne  sçauroit  trop  priser , 
Bras  qu'on  ne  sçauroit  trop  baiser, 
Mains  belles  et  peu  secourables; 

Belles  jusques  au  bout  des  doigts, 
Beaux  bras  d'un  corps  plus  beau  cent  fois. 
D'un  beau  tronc  branches  adorables. 


ET     SUR     LA     LAIDEUR.  Ij 


Sur  la  Laideur. 


SONNET  XIV. 


MAINS  de  servante  qui  s'entend 
A  bien  travailler  au  ménage , 
Vous  n'avez  rien  de  ragoûtant 
Pour  le  plus  simple  badinage. 

Tel  à  qui  de  tels  bras  on  tend 
Joue  un  fort  mauvais  personnage. 
Pour  moy,  j'aimerois  tout  autant 
Passer  un  bras  de  mer  à  nage. 

Mains  oii  de  noblesse  on  ne  voit. 
Du  pouce  jusqu'au  petit  doigt, 
Luire  nuls  traits  et  nulles  marques  ; 

Bras  menus,  fragiles  rozeaux  , 

Vous  ressemblez  aux  bras  des  Parques , 

Ou,  pour  mieux  dire,  à  leurs  fuseaux. 

2. 


SONNETS     SUR     LA    BEAUTE 

Sur  la  Beauté  et  la  Laideur. 
SONNET   XV. 


SPECTACLE  aussi  piquant  que  doux , 
Petits  pieds  plus  blancs  que  l'albâtre, 
Pieds  que  l'Amour  même  idolâtre 
Comme  un  de  ses  plus  fins  ragoûts  ; 

Vilains  pieds  d'un  corps  pleins  d'égoûts. 
Où  chaque  mouche  est  une  emplâtre, 
Et  qui,  fardez  du  même  plâtre  , 
Produisent  les  mêmes  dégoûts; 

Beaux  pieds  reconnus  à  leur  trace , 
Qui  marchent  de  si  bonne  grâce , 
Et  qui  charment  les  regardans; 

Pieds  laids,  dignes  d'un  laid  visage, 
Maudits  pieds  tournez  en  dedans , 
Et  qui  sont  de  mauvais  présage 


ET    SUR     LA    LAIDEUR. 

Sur  la  Beauté. 
SONNET  XVI. 

/^^HACUNE  de  vous  deux  abonde 
V->En  talans  que  nous  déclarons  : 
L'une  a  des  jeux  fins  et  larrons, 
L'autre  sur  l'embonpoint  se  fonde. 

Je  suis  le  plus  trompé  du  monde, 
Ou  l'une  a  de  beaux  genoux  ronds. 
Je  ne  dis  rien  des  envfrons, 
Tant  je  craindrois  que  l'on  me  gronde. 

Pour  l'autre,  elle  est  d'une  maigreur, 
Et  cela  soit  dit  sans  aigreur, 
Qu'on  ne  voit  en  femme  ni  fille. 

Parler  icy  de  ses  genoux. 

Ce  n'est  discourir,  entre  nous. 

Que  sur  la  pointe  d'une  aiguille. 


SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 


Sur  la  Beauté  et  la  Laideur. 
SONNET  XVII. 

CHEVEUX  de  longueur  surprenante 
Qui,  séparez  par  le  milieu, 
A  cette  belle  tenez  lieu 
D'une  robe  épaisse  et  traînante; 

Cheveux  de  laideur  étonnante, 
Clair-semez  aussi  droit  qu'un  pieu, 
Et  plantez  comme  il  plaist  à  Dieu 
Sur  une  tête  impertinente; 

Beaux  cheveux  fins  et  déliez 
Serrant  le  cœur  que  vous  liez, 
Pouvez-vous  faire  un  nœud  qui  rompe? 

Vous  pleins  de  lentes  et  de  poux. 
Vilains  cheveux  gras,  qu'avez-vous 
Qui  nous  tente  et  qui  nous  corrompe? 


ET    SUR    LA    LAIDEUR. 

Sur  la  Beauté  et  la  Laideur. 
SONNET  XVIII. 

DE  toutes  deux  mes  vers  hardis 
Vont  instruire  la  terre  et  l'onde. 
L'une  comme  Cérès  est  blonde, 
Et  je  maintiens  ce  que  je  dis. 

L'autre  est  comme  lo,  qui  jadis 
Sous  poil  de  vache,  par  le  monde 
Couroit,  errante  et  vagabonde. 
Des  chauds  climats  aux  refroidis. 

Si  des  deux  l'une  a  l'encolure 
De  Cérès  et  sa  chevelure, 
Le  reste  suit  visiblement. 

Et,  sans  que  l'autre  s'en  courrouce , 
N'est-ce  pas  dire  qu'elle  est  rousse  , 
Assez  intelligiblement? 


SONNETS     SUR     LA     BEAUTE 

Sur  la  Beauté. 
SONNET  XIX. 


QUEL  esprit  doux^  V^h^  charmant 
Où  la  grâce  est  si  familière. 
Répand  sur  tout  vôtre  agrément 
Une  vertu  particulière? 

Il  vous  rend  sage,  régulière  : 
C'est  vôtre  plus  digne  ornement , 
Et  d'une  beauté  singulière 
Singulier  accompagnement. 

C'est  ce  rayon  qui  nous  enflâme , 
Et  de  vos  beautez  il  est  l'âme. 
Il  tempère  en  vous  la  rigueur, 

Se  fait  sentir,  se  fait  entendre; 

En  vous  il' excuse  le  cœur 

De  ce  que  le  cœur  n'est  point  tendre. 


ET    SUR     LA    LAIDEUR.  23 

Sur  la  Laideur. 
SONNET  XX. 


DE  beauté,  vous  n'en  avez  nulle, 
Tant  la  nature  mal  s'y  prit. 
Et  qui  jamais  vous  entreprit? 
Quand  vous  avancez,  on  recule. 

Toujours  le  même  préambule. 
Soit  en  discours,  soit  par  écrit  : 
O  que  vous  avez  peu  d'esprit  ! 
Et  que  vous  estes  ridicule  ! 

Laide  et  sotte  sont  attribus 

A  vous  légitimement  dûs. 

Et  dans  vous  contre  vous  tout  plaide. 

Las!  je  m'emporte  et  prens  l'essor. 
Concluant  que  c'est  pis  encor 
D'être  sotte  que  d'être  laide. 


STANCES 
SONNETS,   ÉPIGRAMMES 

ETC. 


Rupture. 
STANCES. 

PUISQUE  vôtre  superbe  cœur 
Ne  veut  plus  de  tous  mes  services, 
Et  que  ma  patiente  humeur 
Se  rebute  de  vos  caprices; 
Que  vous  êtes  lasse  de  moy, 
Que  je  veux  reprendre  ma  foy 
Et  vous  reprendre  aussi  la  vôtre  ; 
Débarrassez  de  tant  de  nœuds, 
Disons-nous  adieu  l'un  à  l'autre. 
Et  là-dessus  rompons  tous  deux. 

Réglons-nous  mieux  à  l'avenir 
Sur  toutes  nos  fautes  passées, 
Ou  mettons-en  le  souvenir 
Au  rang  des  choses  effacées; 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Renvoyez-moy  tous  mes  poulets, 
Reprenez  tous  vos  bracelets, 
Vos  bijoux  et  toute  autre  chose  : 
Ce  sont  gages  qu'amour  a  faits  ; 
Et  si  nous  supprimons  la  cause, 
Il  faut  supprimer  les  effets. 

Au  reste  j'appréhende  peu 
Qu*on  m'accuse  d'ingratitude  : 
Si  vous  obligeâtes  mon  feu, 
Vous  payâtes  ma  servitude. 
J'eus  part  à  vôtre  affection. 
Par  ma  sotte  soumission; 
Et  par  un  tourment  incroyable 
N'a-t-on  pas  trop  cher  acheté 
Le  plaisir  le  plus  délectable 
Quand  il  coûte  une  lâcheté? 

Ne  craignez  pas  que  mon  courroux 
Affecte  une  fausse  victoire. 
Ni  que,  pour  me  venger  de  vous, 
Il  fasse  brèche  à  vôtre  gloire  : 
Vous  devez  en  toute  façon, 
Comme  vous  l'êtes  de  soupçon^ 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

De  la  crainte  être  délivrée  ; 
Il  faudroit,  pour  le  mauvais  tour, 
Que  vôtre  amour  vous  eût  livrée 
A  la  mercy  de  mon  amour. 

Mais  en  cela  nul  ne  sçauroit 

S'armer  que  d'un  faux  avantage, 

Soit  qu'il  ait  été  mal-adroit, 

Soit  que  vous  ayez  été  sage; 

Même  eussiez-vous,  ce  qui  n'est  point, 

Favorisé  du  dernier  point 

La  passion  que  j'ay  sentie, 

Je  ne  sçaurois  sans  lâcheté  • 

Prendre  vôtre  honneur  à  partie 

Contre  vôtre  infîdéUté. 

Non,  non,  quoy  que  je  veuille  agir 

Contre  vous  et  pour  vous  déplaire, 

Je  ne  vous  puis  faire  rougir 

Que  de  vôtre  humeur  trop  légère  ; 

Aussi  n'entreprendray-je  pas 

De  ternir  icy  vos  appas 

Par  une  plainte  mal  formée  ; 

Seulement  vous  veux-ie  blâmer 


3o  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES- 

De  souffrir  d'être  bien-aimée. 
Et  ne  sçavoir  pas  bien  aimer. 

Quand  le  Ciel,  par  un  coup  fatal. 
Nous  fit  entrevoir  l'un  et  l'autre. 
Pour  nôtre  bien,  pour  nôtre  mal, 
Vous  fûtes  mienne  et  je  fus  vôtre. 
Il  est  vray  que  je  trouvay  doux 
Mille  appas  qui  brilloient  en  vouS 
A  l'éclat  de  vôtre  présence; 
Ils  m'ébranlèrent  un  petit; 
Mais  vôtre  seule  compîaisance 
Fut  le  charme  qui  m'abbatit. 

D'un  accueil  vraiment  gracieux 
Vôtre  accueil  eut  les  apparences, 
Et  dans  la  douceur  de  vos  yeux 
Je  vis  rire  mes  espérances. 
Mon  cœur  fut  tout  à  vôtre  gré; 
Et  quand  je  vous  l'eus  consacré 
Avec  la  passion  extrême 
Dont  il  étoit  si  travaillé, 
Vous  l'alliez  demander  vous-même, 
Si  je  ne  vous  l'eusse  baillé. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Vous  l'eûtes,  et  je  fus  ravy 
De  vous  en  voir  la  seule  reine; 
Jamais  pauvre  cœur  asservy 
N'aima  tant  ses  fers  et  sa  peine  : 
Ce  vous  devoit  être  un  trésor, 
Que  vous  posséderiez  encor, 
Et  tout  entier  et  sans  réserve, 
Si  l'amour  vous  eust  enseigné 
Cette^prudence  qui  conserve 
Ce  que  le  mérite  a  gagné. 

Mais  rien  n'est  étrange  en  ce  point  ; 
Les  fruits  d'une  grande  largesse 
Sont  des  fruits  qui  ne  croissent  point 
Au  champ  d'une  grande  jeunesse  : 
Entretenir  des  feux  constans 
Est  une  leçon  dont  le  temps 
Vous  doit  faire  l'apprentissage. 
Ainsi,  qui  vous  en  contera 
Ne  fera  rien  qu'à  l'avantage 
Du  dernier  qui  vous  aimera. 

Le  mal  est  que  vôtre  beauté, 
Pour  qui  maintenant  on  soupire, 


32  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Ne  sçaura  cette  vérité 

Que  sur  la  fin  de  son  empire  ; 

Enfin  vous  voudrez  essayer 

Pour  vôtre  profit  employer 

Cette  nécessaire  science  ; 

Il  sera  trop  tard  quelque  jour, 

Et  vous  aurez  de  la  constance 

Lorsque  l'on  n'aura  plus  d'amour. 

N'allez  pas  vous  imaginer 

Que  ce  que  vous  venez  d'entendre 

Soit  afin  de  vous  détourner 

Du  dessein  que  je  vous  voy  prendre. 

Il  me  plaît,  puisqu'il  vous  a  plu; 

Comme  vous  j'y  suis  résolu; 

Si  c'est  vôtre  honneur,  c'est  ma  gloire 

Et  de  bon  cœur  je  vous  promets, 

Si  vous  en  perdez  la  mémoire, 

De  ne  m'en  souvenir  jamais. 

On  auroit  tort  de  vous  blâmer. 
Chacun  suivant  ce  qu'il  veut  suivre; 
Sans  nous  voir  et  sans  nous  aimer. 
Nous  n'avons  pas  laissé  de  vivre; 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


33 


Et  comme  il  m'importe  bien  peu, 
Après  avoir  éteint  mon  feu, 
Qu'avec  vous  tout  le  monde  en  rie. 
Souffrez,  dans  le  temps  que  je  perds. 
Que  j'en  fasse  une  raillerie, 
Après  en  avoir  fait  des  vers. 


34  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

A   Monsieur   Esprit,   premier  Médecin  de   Monsieur. 
SONNET. 

ESPRIT,  qui  de  si  loin  ramenez  la  santé. 
Qui  guérissez  les  maux  par  une  simple  œillade, 
Et  qui  rectifiez  avecque  sûreté 
Cet  art  qui  sçait  si  bien  faire  un  mort  d'un  malade, 

Vous  avez  guéri  Ludre,  et  je  me  persuade 
Que  vous  en  concevez  une  noble  fierté; 
Déjà  son  teint  revient,  déjà  tout  paroît  fade 
Auprès  de  cette  jeune  et  charmante  beauté. 

De  quelle  conséquence  est  une  telle  cure  ! 
Il  n'est  point  d'accident  que  je  ne  me  figure 
Au-dessous  du  malheur  dont  vous  la  préservez. 

Hélas!  sa  guérison  n'est  guère  moins  funeste, 
Et,  pour  une  personne  icy  que  vous  sauvez, 
Peut-être  coupez-vous  la  gorge  à  tout  le  reste. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  35 

Sur  la  ville  de  Paris. 
SONNET. 

RIEN  n'égale  Paris;  on  le  blâme,  on  le  loue; 
L'un  y  suit  son  plaisir,  l'autre  son  interest; 
Mal  ou  bien,  tout  s'y  fait,  vaste  et  grand  comme  il  est  : 
On  y  vole,  on  y  tuë,  on  y  pend,  on  y  roue. 

On  s'y  montre,  on  s'y  cache,  on  y  plaide,  on  y  joue; 
On  y  rit,  on  y  pleure,  on  y  meurt,  on  y  naist  : 
Dans  sa  diversité  tout  amuse,  tout  plaist, 
Jusques  à  son  tumulte  et  jusques  à  sa  boue. 

Mais  il  a  ses  défauts,  comme  il  a  ses  appas, 
Fatal  au  courtisan,  le  roy  n'y  venant  pas  ; 
Avecque  sûreté  nul  ne  s'y  peut  conduire  : 

Trop  loin  de  son  salut  pour  être  au  rang  des  saints. 

Par  les  occasions  de  pécher  et  de  nuire. 

Et  pour  vivre  long-temps  trop  prés  des  médecins. 


36  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Sur  une  voye  de   bois. 
STANCES. 

PENDANT  ce  froid  cuisant,  vous  me  comblez  de  joye 
De  me  vouloir  ainsi  parer  de  sa  rigueur; 
Et,  quand  je  suis  sans  bois,  m'en  promettre  une  voye, 
C'est  une  douce  voye  à  me  gagner  le  cœur. 

Quoique  je  ne  possède  encor  qu'en  espérance 
Un  trésor  en  hyver  si  doux  et  si  plaisant, 
J'en  ressens  toutefois  des  effets  par  avance. 
Et  l'offre  me  réchauffe  au  défaut  du  présent. 

Je  sçay  que,  l'acceptant,  ma  honte  est  évidente, 
Et  qu'un  autre  que  moy  serôit  plus  circonspect; 
Mais  j'avoue  à  vos  pieds,  aimable  Présidente, 
Que  je  trem.ble  de  froid  autant  que  de  respect. 

Un  amour  effectif  en  mon  âme  préside. 
Qui  tient  la  bagatelle  indigne  de  ses  vœux; 
Et  c'est  bien,  ce  me  semble,  aller  droit  au  solide 
Que  prendre  des  cottrets  plutôt  que  des  cheveux. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  Sy 

Pour  un  si  grand  bien-fait,  dont  je  m'efforce  d'être 
Reconnoissant  vers  vous  autant  que  je  le  puis, 
J'en  useray  des  mieux,  et  feray  bien  connoître 
De  quel  bois  je  me  chauffe,  et  quel  homme  je  suis. 

A  tous  autres  objets  je  feray  banqueroute, 
Mes  fiâmes  brûleront  sous  vôtre  digne  aveu, 
Et  vous  n'aurez  pas  lieu  de  révoquer  en  doute 
Que  vôtre  seule  grâce  ait  allumé  mon  feu  ; 

Qu'auprès  de  vos  ti-sons,  d'une  veine  ampoullée, 
Pour  vous  je  traceray  des  vers  nobles  et  hauts; 
Car  il  n'est  rien  si  doux,  au  fort  de  la  gelée, 
Que  de  songer  en  vous  quand  on  a  les  pieds  chauds. 

Tenez-moy  donc  parole,  et  vous  donnez  la  peine 
D'envoyer,  s'il  vous  plaist,  vos  faveurs  jusqu'icy, 
Et  songez  qu'il  en  faut  une  charette  pleine 
Pour  le  soulagement  d'un  amoureux  transy. 


C^^s^ 


38  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Jalousie. 
STANCES. 

J'avois  la  fièvre  ardente,  et,  comme  en  frénésie  , 
Dedans  mon  triste  lit  j'en  sentois  les  assauts; 
Cependant  une  jalousie 
Etoit  le  plus  grand  de  mes  maux. 

Un  rival  prend  son  temps,  choisit  son  avantage  , 
Et  vient  voir  la  beauté  qui  cause  mon  ennuy; 

Il  est  sot  et  me  fait  ombrage , 

Car  elle  est  sotte  comme  luy. 

Bien  mieux  que  ses  discours  mon  mal  la  persuade  ; 
Et,  si  je  perds  le  fruit  qui  devoit  être  mien. 

C'est  parce  que  je  suis  malade, 

Et  que  l'autre  se  porte  bien. 

Elle  ne  fit  jamais  de  si  grossière  faute; 

Cet  esprit,  qui  ne  peut  former  un  bon  dessein  , 
Croit  qu'un  badin  qui  danse  et  saute 
Vaut  un  honnête  homme  mal  sain.    . 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  Sg 

Elle  vient  à  mon  lit,  elle  me  plaint  sans  cesse. 
Et  voudroit,  me  voyant  de  tous  mes  sens  perclus, 

Me  faire  passer  pour  tristesse 

Son  désordre  et  ses  yeux  battus. 

Pour  mieux  dissimuler,  elle  en  veut  à  ses  charmes,, 
Et  cependant,  au  point  qu'elle  pleure  mon  mal , 

Je  lis  dans  ses  yeux  tout  en  larmes. 

Un  rendez-vous  à  mon  rival. 

Cette  affectation  au  dernier  point  me  blesse; 
Et  lors,  si  je  pouvois,  étant  bien  amoureux, 

Faire  vertu  de  ma  foiblesse. 

Combien  je  serois  généreux. 

Mais  le  Ciel,  dont  je  suy  la  fatale  ordonnance, 
Luy  qui  ne  les  veut  pas  obliger  à  demy , 

Veut  encor  que  mon  impuissance 

S'entende  avec  mon  ennemy. 

Tout  le  monde  est  aux  champs,  il  est  seul  avec  elle  , 
Et  peut  bien  triompher  de  sa  jeune  pudeur, 
S'il  brûle  autant  pour  l'infidelle 
Qu'elle  ressent  pour  luy  d'ardeur. 


40  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Je  ne  le  puis  nier,  ce  fut  avec  justice 

Qu'elle  eût  pitié  de  moy  quand  il  en  fut  saison; 

Mais  elle  peut  bien  par  caprice 

Ce  qu'elle  fit  lors  par  raison. 

Hélas!  il  me  souvient  qu'au  fort  de  mon  martyre, 
A  pas  lens  et  craintifs,  dans  l'ombre  de  la  nuit, 

J'alloLs  afin  de  le  luy  dire 

Sans  faire  scandale  ni  bruit. 

Mais,  bien  que  d'eHe-même  un  autr-e  ait  la  victoire,- 
Qu'elle  perde  à  son  gré  la  honte  et  la  pudeur, 

Pourveu  qu'elle  n'ait  pas  la  gloire 

De  nous  faire  perdre  le  cœur. 

Quoique  je  me  courrouce  et  que  je  me  dépite , 
Me  désespérer  tant  et  me  plaindre  si  haut, 

Ce  n'est  que  prêcher  son  mérite 

Et  que  publier  mon  défaut. 

Il  faut  bien  qu'à  son  rang  tout  le  monde  l'adore; 
Pas  un  de  cet  honneur  ne  doit  être  privé , 

Et  j'ay  tort  d'y  prétendre  encore,. 

Puisque  mon  règne  est  achevé. 


STANCES,    SONNETS,    EPIGRAMMES. 

Amans,  qui  la  servez  avec  persévérance , 
Ne  désespérez  pas  de  voir  vos  vœux  contens; 
Ayez  un  peu  de  patience, 
Chacun  de  vous  aura  son  temps. 


MADRIGAL. 


JE  languis  dans  les  fers  d'une  jeune  merveille, 
Depuis  que  ses  beautez  ont  surpris  ma  raison; 
O  cruelle  justice  !  ô  rigueur  sans  pareille  ! 
Après  qu'on  m'a -volé,  on  me  met  en  prison. 


CNQ^-^ÎÎ^ÊP 


42  STANCES,     SONNETS,     EPICRAMMES. 

Contre  un  Laide. 
STANCES. 

BIEN  que  nous  soyons  seuls,  vôtre  crainte  est  frivole, 
Fiez-vous-en  à  mon  respect  : 
Ne  tremblez  point,  cruelle,  et  que  je  vous  cajole 
Sans  que  mon  feu  vous  soit  suspect. 

Vous  n'êtes  pas  trop  laide,  et  nature  un  peu  chiche 

Vous  a  traitée  honnêtement. 
Mais  avec  tout  cela,  si  vous  n'étiez  point  riche. 

Où  trouveriez-vous  un  amant? 

Vos  yeux  au  gré  des  miens  ont  une  foible  amorce , 
Et  ne  versent  qu'un  jour  obscur; 

Je  pense,  toutefois,  qu'ils  ont  beaucoup  de  force, 
Mais  c'est  que  je  suis  un  peu  dur. 

Que  sçait-on  si  jamais  vous  n'allumez  de  fiâmes , 

Et  ne  plaisez  à  d'autres  goûts? 
Cependant,  je  m'accorde  avec  toutes  les  femmes, 

Et  je  tiens  mon  cœur  contre  vous. 


STANCES,     SONNETS,     EP  IG  R  AM  M  E  S.  ^6 

Vôtre  bouche  en  riant  fait  que  mon  nez  rechigne 

Du  noir  désordre  de  vos  dents, 
Sans  que  je  leur  impute  une  vapeur  mahgne 

Qui  vient  peut-être  du  dedans. 

J'aime  sur  vôtre  front  cette  guerrière  audace 
Où  l'on  voit  l'amour  en  courroux: 

Et  ce  poil  tout  brûlé  vous  sert  de  bonne  grâce ,      j 
Puisqu'il  vous  sert  sans  être  à  vous.  ' 

Parmy  vos  agrémens,  nature  désavoue 

Une  si  gluante  splendeur, 
Et  ce  rouge  acheté,  qui  dessus  vôtre  joue 

Fait  l'once  de  la  pudeur. 

Vous  n'avez  bras,  ni  mains,  teint, ou  lèvres  vermeilles; 

De  gorge,  il  ne  s'en  parle  point  : 
On  se  mocque  chez  vous  de  ces  riches  merveilles 

Et  de  jeunesse  et  d'embonpoint. 

Aussi  tant  de  beauté  n'est  pas  un  avantage 
Qui  serve  d'un  grand  ornement  : 

Si  vous  n'êtes  pas  belle,  au  moins  êtes-vous  sage 
Ou  la  serez  incessamment. 


44  STANCES,     SONNETS,     éPIGRAMMES. 

Une  belle  se  damne;  on  la  presse,  on  l'enflâme. 

On  fait  contre  elle  cent  efforts  : 
Afin  de  vous  sauver,  le  Ciel  a  mis  vôtre  âme 

En  sûreté  dans  vôtre  corps. 

Ce  sera  pour  vos  biens,  si  Ton  vous  importune; 

Et  si  quelqu'un  vous  aime  un  jour, 
Afin  de  le  blesser,  il  faut  que  la  Fortune 

Dérobe  des  traits  à  l'Amour. 

Si  le  cœur  vous  en  dit,  et  si  vôtre  âme  goûte 

Les  appas  d'un  si  doux  péché  , 
Achetez  un  galand:  quelque  cher  qu'il  vous  coûte, 

Vous  aurez  toujours  bon  marché. 

Vous  le  verrez  tout  bas,  demandant  son  salaire^ 

Soupirer  d'un  ton  obligeant; 
Quelque  chétif  qu'il  soit,  s'il  travaille  à  vous  plaire, 

Il  gagnera  bien  son  argent. 

Qu'il  sera  malheureux,  s'il  faut  qu'il  se  propose 

D'acquérir  l'esprit  par  le  corps! 
L'amour  qu'on  vous  témoigne  est  une  étrange  chose. 

Quand  le  respect  en  est  dehors. 


STANCES,     SONNETS,    EPIGRAMMES.  4^ 

Quelques  vœux  qu'en  secret  un  amoureux  vous  offre  ^ 

Encore  qu'il  vous  presse  bien, 
Prenez  garde  à  la  bourse,  et  fermez  vôtre  coffre; 

Après  cela,  ne  craignez  rien. 


CHANSON. 

PAR  mes  regards,  jugez  de  mon  martyre, 
On  me  défend,  Cloris,  de  vous  l'expliquer  mieux 
Quelle  pitié,  d'en  avoir  tant  à  dire, 
Et  de  n'oser  vous  parler  que  des  yeux! 

Je  suis  heureux,  dans  un  si  beau  supplice, 
Expirant  sous  les  traits  dont  vous  blessez  les  Dieux;. 
Mais  permettez  que  mon  cœur  éclaircisse 
Par  un  soupir  oe  que  disent  mes  yeux. 


46  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 


Vers  de  Mademoiselle  Pascal  ^  pour  une  Dame  de 
ses  amies,  sous  le  nom  d'Amarante,  amoureuse 
de    Thyrsis. 


STANCES. 

IMPRUDENTE  Divinité, 
Injuste  et  fâcheuse  chimère, 
Dont  le  pouvoir  imaginaire 
Tourmente  une  jeune  beauté. 
Amour,  que  ton  trait  est  nuisible, 
Et  que  tu  parois  insensible 
A  tant  de  plaintes  et  de  vœux  ! 
Alors  qu'Amarante  soupire, 
Thyrsis  est  exempt  de  tes  feux 
Et  ne  connoît  point  ton  empire. 

Tandis  que  ses  yeux  innoccns 
Enchantent  le  cœur  d'Amarante, 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  47 

Et  que  cette  flâme  naissante 
A  déjà  des  effets  puissans, 
Cette  belle  par  une  œillade 
Montre  qu'elle  a  l'esprit  malade, 
Et  qu'elle  chérit  sa  langueur. 
Mais  ta  rigueur  inconcevable 
Rend  cet  adorable  vainqueur 
Autant  insensible  qu'aimable. 

La  grâce  qu'on  voit  en  son  port, 
Et  sa  douceur  incomparable. 
Est  un  écueil  inévitable 
Où  sa  raison  perd  son  effort. 
Son  ardeur,  qui  toujours  augmente, 
Devient  enfin  si  véhémente 
Qu'elle  ne  la  peut  plus  cacher: 
Chacun  de  nous  la  voit  paroître. 
Et  le  seul  qu'elle  veut  toucher 
Seul  ne  sçait  pas  l:i  reconnoître. 

Peut-être,  s'il  sçavoit  un  jour 

L'ardeur  de  cette  belle  fîàme, 

La  pitié  feroit  en  son  âme  1 

Ce  que  n'a  jamais  pu  l'amour.  \ 


4*8  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES 

Mais  tant  de  soupirs  qu'elle  pousse. 
Par  une  voix  plaintive  et  douce, 
Ne  découvrent  point  ses  désirs  ; 
Son  Thyrsis  n'y  peut  rien  comprendre, 
Et  ne  pousse  point  de  soupirs, 
Puisqu'il  ne  les  sçait  point  entendre. 

Jeune  et  capricieux  enfant, 
Que  tu  te  vas  donner  de  blâme  ! 
Pour  avoir  pu  vaincre  une  femme, 
Crois-tu  te  voir  plus  triomphant? 
Non,  non;  mais  par  cette  injustice 
Tu  montres  bien  que  ta  malice 
Est  jointe  avec  peu  de  pouvoir  : 
Si  la  force  suivoit  tes  armes, 
Thjrsis  pourroit  s'en  émouvoir, 
Ou  du  moins  connoître  tes  charmes. 

Et  toy,  dont  j'ay  dépeint  l'ardeur, 
Aimable  et  divine  Amarante, 
Si  ton  âme  n'en  est  contente. 
Il  faut  en  blâmer  ma  froideur  ; 
Si  ce  qui  te  rend  insensée 
Pouvoit  échauffer  ma  pensée, 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


49 


J'y  travaillerois  plus  d'un  jour; 
Mais  je  suis  exempte  de  blâme, 
Puisqu'il  faut  avoir  de  l'amour 
Pour  mieux  discourir  de  ta  flàme, 


5o  STANCES,      SONNETS,    ÉPIGRAMMES. 


Képonse  aux  vers  précédens ,  par  Monsieur  de 
Benserade. 


QUE  ce  trait  d'un  esprit  adroit  comme  le  vôtre 
Est  délicat  et  doux, 
Et  que  VOUS,  feignez  bien  de  parler  pour  un  autre, 
Quand  vous  parlez  pour  vous  ! 

Que  vos  vers  sont  ardens,  que  leur  pompe  est  brillante, 

Et  qu'ils  sont  radoucis! 
Il  n'en  faut  point  douter,  vous  êtes  l'Amarante, 

Et  je  suis  le  Thyrsis. 

Ils  sont  de  vous  à  moy,  ces  vers  que  chacun  loué, 

Et  ne  le  niez  plus; 
Pensez  à  la  rougeur  qui  vous  a  peint  la  joue 

Dès  que  je  les  ay  lus. 

Pendant  que  je  voyois  cette  œuvre  d'importance. 

D'un  jugement  bien  sain, 
Vous  tâchiez  d'observer  si  mon  intelligence 

Alloit  jusqu'au  dessein. 


STANCES^     SONNETS,     EPIGRAMMES.  5l 

Mais  je  n'eusse  pas  crû  qu'il  eût  été  possible 

Qu'on  eût  si  tôt  aimé; 
Et  qu'un  sein  à  l'amour  fût  devenu  sensible 

Avant  qu'être  formé. 

Je  pensois  vous  apprendre  une  aimable  science, 

Quand  il  en  seroit  temps, 
Et  je  vous  attendois  avec  impatience 

A  l'âge  de  quinze  ans. 

Que  de  fâcheux  détours  ma  passion  évite  ! 

Mon  espérance  rit 
De  voir  que  tout  se  hâte,  et  que  le  cœur  va  vite 

De  même  que  l'esprit. 

Nous  sommes  l'un  pour  l'autre,  et  nos  âmes  blessées 

Font  de  pareils  soupirs; 
Le  Ciel,  même  en  naissant,  fit  rimer  vos  pensées 

Avecque  mes  désirs. 

Joignons-nous  donc  enfin  d'un  lien  nécessaire 

A  la  postérité  : 
En  travaillant  tous  deux,  nous  ne  sçaurions  rien  faire 

Que  pour  l'Éternité. 


52  STANCES,    SONNETS,     éPIGRAMMES. 

A  la  fin  mon  esprit,  d'une  adresse  assez  prompte, 

En  a  trouvé  le  nœud. 
Et  j*ay  veu  dans  vos  yeux  je  ne  sçay  quelle  honte 

Parmy  beaucoup  de  feu. 

Aussi,  quoique  ces  vers  soient  exempts  d'infamie, 

Pour  être  trop  parfaits, 
Il  est  bon  d'assurer  que  c'est  pour  une  amie 

Que  vous  les  avez  faits. 

Un  semblable  prétexte  est  bon  pour  peu  qu'il  vaille, 

Et  doit  être  permis; 
Quand  j'écris,  de  vôtre  air,  je  dis  que  je  travaille 

Pour  un  de  mes  amis. 

Qu'une  fille  à  treize  ans  d'amour  soupire  et  pleure, 

C'est  souvent  un  défaut; 
Mais  pour  une  qui  fait  des  vers  de  si  bonne  heure. 

C'est  vivre  comme  il  faut. 

Encore  que  je  tienne  à  faveur  singulière 

L'aveu  fait  en  ce  jour, 
J'ay  honte  qu'une  fille  ait  esté  la  première 

A  me  parler  d'amour. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  53 


CHANSON. 


S'il  faut  que  chacun  ait  le  sien, 
Beauté  qui  me  tenez  mon  bien, 
Souffrez  que  je  vous  le  demande  ; 
C'est  trop  de  fois  me  refuser, 
Cloris,  la  somme  n'est  pas  grande, 
Je  ne  veux  de  vous  qu'un  baiser, 
Non,  je  ne  veux  présentement 
Qu'un  baiser  pris  discrètement. 


Paroles  pour  un  air. 

NON,  je  ne  prétens  pas,  dédaigneuse  Silvie, 
Que  vous  favorisiez  mon  amoureux  transport. 
Seulement  en  m'ôtant  la  vie  , 
Confessez  que  c'est  vous  qui  me  donnez  la  mort; 


^4  STANCES,    SONNETS,     EPICRAMMES. 

C'est  le  moindre  devoir  où  la  pitié  convie  ; 
Votre  esprit,  qui  se  plaît  à  m'outrager  si  fort, 

Peut  bien  dire  en  m'ôtant  la  vie  : 
C'est  ma  seule  rigueur  qui  te  donne  la  mort. 


Autres. 

J'aVoIs  brisé  mes  fers,  et  juré  hautement 
Que  l'ingrate  Philis  ne  feroit  plus  ma  peine, 
Mais  en  la  revoyant,  j'ay  renoué  ma  chaîne, 
Et  rompu  mon  serment. 

Aussi,  ce  fut  un  jeu  que  mon  ressentiment, 
Philis  a  sur  mes  sens  conservé  sa  victoire. 
Et  je  n'avois  juré  que  pour  avoir  la  gloire 
De  rompre  mon  serment. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  53 


Autres. 

JE  rougis,  je  pâlis,  je  soupire  où  vous  êtes; 
Sans  que  vous  connoissiez  mon  amoureux  transport; 
Beaux  yeux,  beaux  innocens,  votis  me  donnez  la  mort. 
Et  ne  sçavez  ce  que  vous  faites. 

Bien  que  mon  cœur  brûlé,  de  ces  fiâmes  discrètes, 
N'espère  aucun  secours  à  son  tragique  sort; 
Beaux  yeux,  beaux  innocens,  je  bénirois  ma  mort , 
Si  vous  sçaviez  ce  que  vous  faites. 


Pour  une  Fille  qu'il  appelloit  son  bien. 
ÉPIGRAMME. 

PARMY  tant  de  trésors  dont  la  terre  est  féconde, 
Mon  esprit  dédaigneux  ne  désire  plus  rien  ; 
J'ay  dequoy  m'estimer  le  plus  riche  du  monde. 
Si  le  Ciel  me  permet  de  jouïr  de  mon  bien. 


56  STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

L'Ambassadeur  de  Suède  à  la  Reine  de  Natolie. 
SALUT. 

REINE  du  plus  doux  des  climats, 
L'Ambassadeur  vers  les  frimats 
Recevra,  devant  qu'il  s'éloigne  , 
Vos  ordres  pour  Suède  et  Pologne; 
Et  prendra  congé  du  fauxbourg 
Devant  qu'il  passe  par  Hambourg, 
Puisque  chez  vous  on  se  dispose 
A  le  charger  de  quelque  chose. 
Son  équipage,  et  ses  mulets, 
Sont  déjà  partis  pour  Calais, 
Où  doit  l'attendre  son  navire; 
Et  dés  l'heure  qu'on  entend  dire  : 
C'est  le  train  de  l'ambassadeur. 
Partout  se  fait  grande  rumeur  ; 
Les  gens  courent  à  la  fenêtre  : 
Mais  quand  il  ne  vient  à  paroître , 
Qu'un  peigne  dedans  un  chausson, 


STANCES,    SONNETS,     éPIGRAMMES.  67 

Ils  pestent  d'étrange  façon; 
Et  disent,  voyant  ce  cortège: 
Foin  de  l'ambassadeur  de  neige, 
Il  nous  a  bien  attrapez  là. 
Que  pourroit-on  faire  à  cela? 
Pauvreté,  dit-on,  n*est  pas  vice; 
Dieu  sçait,  si  c'est  par  avarice 
Que  je  marche  à  si  peu  do  frais , 
Et  fais  de  si  légers  apprêts  : 
Comme  je  vois  qu'on  ne  me  prête, 
Pour  mes  bardes,  nulle  charette, 
Est-ce  pas  bien  fait  d'en  charger 
Un  des  chevaux  du  messager. 
Qui  gémit  sous  ce  poids^extrême , 
Et  m'a  pensé  porter  moi-même, 
N'étoit  qu'il  est  rude  au  galop. 
Et  que  j'ai  crû  que  c'étoit  trop 
D'être  ambassadeur  grave  et  sage 
Tout-ensemble,  et  coq  de  bagage. 
Pourtant,  si  vous  voulez  qu'enfin 
Je  porte  jusqu'à  my  chemin 
Ce  que  vous  n'envoyez  qu'à  peine 
Au  gros  mary  de  vôtre  reine , 
J'en  viendrai  bravement  à  bout  : 


58  STANCES  ,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Et  je  me  chargerai  de  tout, 
Sans  qu'il  me  soit  fait  nul  reproche, 
Pourvu  que  tout  puisse  en  ma  poche  : 
Car  Bias,  portant  tout  sur  soi, 
N'étoit  pas  plus  Bias  que  moi. 
J'ai  linge,  ustancille,  dépêche , 
J'ai  mainte  nipe  qui  m'empêche; 
Tous  mes  habits  sont  sur  ma  peau, 
Bref,  je  suis  mon  porte-manteau. 


a*,^^3ç^ 


STANCES,     SONNETS,    ÉPIGRAMMES.  S9 


ÉPIGRAMMES. 

UN  pauvre  homme  apperçutdans  sa  chambre  la  nuit, 
Un  voleur  qui  croyoit  trouver  là  quelque  somme  : 
Il  fit  un  si  grand  cri,  que  le  voleur  s'enfuit 
Et  laissa  son  manteau  qui  servit  au  pauvre  homme. 


rjri 


Embrassant  ses  petits^  le  singe  s'en  défait, 
Par  une  tendresse  maudite. 

A  force  d'applaudir  soi-même  à  ce  qu'on  fait , 
L'on  en  étouffe  le  mérite. 


*^cg:^ 


6o  STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Pour  les  Filles  de  la  Keine. 
STANCES. 

BELLES,  dont  les  regards  vont  dépeupler  l'État, 
Apres  l'avoir  mis  dans  les  chaînes, 
Qui  servez  nôtre  Reine  avecque  tant  d'éclat. 
Et  que  l'on  sert  toutes  en  Reines; 

Je  suis  bien  glorieux  que  vous  comptiez  mes  pas, 
Pour  mieux  prendre  garde  à  mes  chûtes, 

Et  qu'entre  vous,  mon  cœur  augmente  vos  débats, 
Et  fasse  une  de  vos  disputes. 

L'une,  assure  que  j'ai  de  l'inclination, 

Et  l'autre  de  l'indifférence; 
Ainsi  l'une  me  plaît  de  sa  présomption, 

Et  l'autre  de  sa  deffiance. 

Je  suis  prêt  pour  vous  plaire,  à  confirmer  ces  bruits 
Oùy,  j'ai  des  passions  secrètes; 

Vous  ne  m'ôteriez  pas  de  la  peine  où  je  suis, 
Comme  moi  de  celle  où  vous  êtes. 


STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  6l 

J'aime,  et  je  porte  un  cœur  sensible  à  tous  les  coups 
Des  beaux  objets  que  je  contemple  ; 

Et  puis  je  ne  vois  rien,  qui  s'aprochant  de  vous, 
Ne  m'en  favorise  l'exemple. 

Je  n'entends  que  sanglots,  pour  vôtre  cruauté 

Qui  refuse  la  moindre  œillade , 
Et  parmi  tant  de  maux,  j'aurois  trop  de  santé , 

Si  je  n'étois  un  peu  malade. 

Bien  mieux  que  l'intérêt,  vos  charmes  à  la  cour 

Attirent  la  foule  importune  ; 
Et  dans  le  cabinet,  on  tient  plus  à  l'amour, 

Qu'on  ne  s'attache  à  la  fortune. 

On  s'y  plaint  tout  le  jour,  on  s'y  plaint  tout  le  soir, 

On  y  languit,  on  y  frissonne; 
Et  chacun  s'y  réchauffe  à  l'entour  d'un  espoir 

Qui  ne  réussit  à  personne. 

Parmi  tant  de  soupirs,  si  brûlans  et  si  doux , 
Et  dont  vous  tenez  peu  de  compte , 

On  sçait  bien,  qu'un  soupir  qui  ne  va  point  à  vous, 
Doit  en  chemin  mourir  de  honte. 

6 


62  STANCES,     SONNETS,    ÉPIGRAMMES. 

Mais  aussi  les  mieux  faits,  et  les  meilleurs  esprits, 
Vous  ont  présenté  leurs  franchises; 

Et  moi  qui  les  connois,  de  qui  serois-je  pris. 
Puisque  vous  êtes  toutes  prises? 

Ce  n'est  pas  qu'entre  nous,  sans  un  peu  de  rigueur, 

Ma  raison  ne  se  pût  abattre, 
Et  si  je  m'en  croyois,  dans  le  fond  de  mon  cœur, 

Je  me  ferois  tenir  à  quatre. 

Je  vois  du  blond,  du  brun,  qui  pourroit  m'attacher, 

De  la  douceur,  de  l'innocence, 
Du  jeune,  du  brillant;  et  même  à  bien  chercher 

J'y  trouverois  de  la  prudence. 

Mais  j'ai  trop  à  choisir,  et  je  crains  l'embarras 
Qu'aux  amans  vôtre  joug  prépare  : 

Quand  vous  gagez  que  j'aime,  et  que  je  n'aime  pas, 
Vous  voulez  que  je  me  déclare. 

Je  mettrai,  s'il  vous  plaît,  mes  vœux  en  autre  lieu , 

Et  jure  à  vos  beautez  parfaites 
De  prendre  la  soutane,  et  rendre  grâce  à  Dieu 

Pour  les  grâces  qu'il  vous  a  faites. 


STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  6S 

Le  monde  trop  long-temps  tint  mon  cœur  en  dépôt,. 

Je  fuis  ces  dangereuses  routes; 
Et  j'espère  d'avoir  les  Ordres  assez-tôt ^ 

Pour  vous  pouvoir  marier  toutes. 


ÉPIGRAMMES. 

UN  fat  trouve  un  trésor,  et  fier  de  sa  richesse, 
Dédaignant  de  porter  luy  même  ce  tas  d'or,. 
Il  en  chargea  quelqu'un,  qui  partit  de  vitesse 
Et  ne  dédaigna  pas  d'emporter  ce  trésor. 


Un  de  ces  médecins  qui  font  tant  de  visites. 
Au  malade  gisant  disoit  toujours  :  Tant  mieux. 
Et  le  malade  fait  à  ce  style  ennuyeux  , 
Disoit:  Mes  héritiers  pensent  comme  vous  dites. 


04  STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 

A  Madame  de  Hautcfort. 
STANCES. 

D'où  naît  sur  vôtre  teint  cette  fraîcheur  nouvelle, 
Qui  VOUS  fait  éclater,  mieux  que  vous  n'éclatiez? 
Je  vous  trouve  plus  grasse,  et  vous  trouve  plus  belle 
Encor  que  vous  n'étiez. 

Vous  avez  éprouvé  le  tracas  et  la  peine; 
Maintenant  vous  goûtez  un  repos  assez  doux; 
C'en  est  là  le  sujet,  vous  étiez  chez  la  reine, 
Et  vous  êtes  chez  vous. 

Vôtre  vie  est  changée,  et  vous  en  menez  une 
A  qui  dans  la  bassesse,  un  beau  loisir  est  joint; 
Si  le  soin  de  la  cour  profite  à  la  fortune , 
Il  nuit  à  l'embonpoint. 

Vous  obligiez  les  gens  d'une  ardeur  sans  seconde , 
Et,  dans  l'empressement  dont  vous  parliez  pour  eux , 
Vous  travailliez,  ce  semble,  à  faire  que  le  monde 
N'eût  plus  de  malheureux. 


STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  65 

C'étoit  vôtre  plus  chère  et  plus  noble  avanture 
De  remplir  les  besoins,  et  combler  les  souhaits; 
Si  ce  malheur  est  noble,  il  est  d'une  nature 
A  ne  finir  jamais. 

Au  lieu  que  vous  n'avez,  au  séjour  où  vous  êtes. 
Ni  troubles  dans  l'esprit,  ni  fatigues  au  corps; 
Vos  méditations  y  sont  libres  et  iiettes 
De  crainte  et  de  remords. 

On  vous  a  renvoyée  à  vôtre  solitude , 
Comme  on  fit  dans  le  tems  du  dernier  de  nos  rois; 
Et  ce  coup  de  malheur  vous  semble  aussi  peu  rude 
Que  la  première  fois. 

Sans  doute  la  Fortune,  à  tout  autre  invincible  , 
Ayant  différemment  vôtre  esprit  éprouvé , 
A  cherché  quelque  endroit  où  vous  fussiez  sensible  , 
Et  n'en  a  point  trouvé. 

Sa  rigueur  n'a  rien  pu,  non  plus  que  son  arnorce  ; 
Quelque  bieji,  quelque  mal,  qu'elle  ait  pu  vous  offrir 
Toujours  également,  et  de  la  même  force, 
Vous  l'avez  pu  souffrir. 


66 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Vôtre  àme  qui  n'est  pas  de  la  trempe  commune. 
Et  dont  les  mouvemens  sont  sublimes  et  droits. 
Fait  aussi  peu  de  cas  du  vent  de  la  Fortune 
Que  des  soupirs  des  rois. 

L'endroit  le  plus  sensible,  où  la  douleur  vous  presse. 
Et  qui  peut  ébranler  un  courage  constant,. 
Est  de  n'être  plus  bien  auprès  d'une  maîtresse, 
Qui  vous  chérissoit  tant. 

Que  ne  peut  contre  vous  dire  la  Renommée? 
La  reine  a  toujours  eu  des  sentimens  si  doux, 
Elle  a  tant  de  bonté,  vous  a  tant  estimée; 
Et  ne  veut  plus  de  vous. 

Son  procédé  n'a  rien  que  de  saint,  que  d'auguste; 
Un  sujet  sans  raison  n'en  est  pas  assailly  ; 
Les  rois  n'ont  jamais  tort,  et  leur  colère  est  juste. 
Quoiqu'on  n'ait  pas  failly. 

Encore  que  sur  vous  sa  main  s'appesantisse. 
Portez  avec  respect  ses  vénérables  coups, 
Et  demeurez  d'accord  qu'elle  a  de  la  justice. 
Puisqu'elle  a  du  courroux. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES.  67 

Il  faut  tout  espérer  de  sa  bonté  suprême, 
Sinon  vivre  en  repos  loin  de  cette  bonté, 
Et  vous  bâtir  un  port  dessus  le  rocher  même 
Où  vous  avez  heurté. 

De  là  quand  vous  verrez,  après  vôtre  naufrage, 
Toucher  à  cent  écueils,  cent  vaisseaux  égarez, 
Vous  en  aimerez  mieux,  à  cause  de  l'orage, 
L'endroit  oîi  vous  serez. 

Ce  grand  éclat  n'est  pas  ce  que  le  peuple  pense; 
La  cour  a  des  dégoûts,  et  traîne  un  repentir; 
Jusques  là,  que  beaucoup  ont  quitté  la  puissance 
Qui  vous  en  fait  sortir. 

Ainsi  VOUS  passerez  des  jours  très-agréables 
Dans  un  calme  profond,  et  si  délicieux, 
Que  même  vôtre  exil  parmy  les  raisonnables, 
Fera  des  envieux. 

Comme  il  faut  bien  user  de  l'âge  qui  s'écoule, 
Et  ménager  le  tems  qui  ne  peut  revenir. 
Dieu  de  sa  propre  main  vous  tire  de  la  foule 
Pour  vous  entretenir. 


68  STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

C'est  ce  commerce  étroit,  qui  fait  durer  vos  charmes, 
Et  les  rend  plus  brillans,  au  plus  fort  du  malheur, 
Qui  pique  votre  esprit,  et  luy  fournit  des  armes 
A  vaincre  sa  douleur. 

Et  c'est  là  d'où  vous  vient  cette  fraîcheur  nouvelle, 
Qui  vous  fait  éclater  mieux  que  vous  n'éclatiez, 
Qui  rend  vos  yeux  plus  vifs,  et  qui  vous  rend  plus  belle 
Encor  plus  que  vous  n'étiez. 


2-^ç^g^*B 


STANCES,    SONNETS,    ÉPIGRAMMES.  69 


A  Iris. 


SONNET. 


Vous  moquez-vous,  Iris,  d'abandonner  le  monde? 
Dieu  le  veut,  dites-vous,  et  conduit-là  vos  pas.  "y 

Vous  plaît-il,  qu'en  deux  mots  à  cela  je  réponde? 
Et  moi ,  je  vous  soutiens  que  Dieu  ne  le  veut  pas. 


Il  veut  qu'un  bel  ouvrage  éclatant  icy-bas. 
Marque  de  l'ouvrier  l'adresse  sans  seconde; 
Il  veut  que  sa  grandeur  brille  dans  vos  appas, 
Comme  dans  le  soleil,  le  ciel,  la  terre,  et  l'onde. 

Vous  croyez  que  du  monde  on  ne  va  guère  à  Dieu, 
Je  suis  persuadé  qu'on  se  sauve  en  ce  lieu  ; 
Et  mon  raisonnement  ne  cède  point  au  vôtre. 

Je  vous  prouve  une  chose,  et  vous  me  la  niez  : 

Il  faut  que  l'un  des  deux  l'emporte  enfin  sur  l'autre. 

Et  que  je  vous  retienne,  ou  que  vous  m'entraîniez. 


70  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Autre  à  Iris. 


JE  garde  auprès  de  vous  un  silence  ennuïeux ; 
Vous  me  voyez  languir  sombre  et  mélancolique,. 
Inhumaine,  du  moins  laissez  parler  mes  yeux, 
Si  vous  ne  voulez  pas  que  ma  bouche  s'explique. 

Je  vous  trouvai  trop-belle,  et  je  quittai  ces  lieux 
Afin  de  me  soustraire  au  charme  qui  me  pique; 
Hélas!  pour  mon  repos  je  vous  trouve  encor  mieux; 
Ma  blessure  se  rouvre,  et  ma  flàrae  est  publique. 

En  vain  je  dissimule,  et  déjà  de  ce  feu, 

Quelque  couvert  qu'il  soit,  la  clarté  brille  un  peu; 

Mais  sur  vôtre  pitié  tout  mon  espoir  se  fonde. 

Iris,  je  m'abandonne  entièrement  à  vous, 
-  Mon  cœur  est  dans  les  mains  les  plus  belles  du  monde. 
Je  voy  dans  vos  regards  par  delà  leur  coiurioux. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 


SONNET. 


ALORS  la  Muse  fatiguée 
Me  dit,  c'en  est  trop,  finissons 
Je  pars,  et  ma  faveur  briguée 
M'appelle  à  d'autres  nourrissons. 

Chacune  fera  des  façons, 
Pour  se  voir  icy  distinguée, 
Et  prétendra  dans  vos  chansons 
Estre  en  bonne  part  alléguée. 

Mille  et  mille,  quelle  pitié  I 
Vont  s'attribuer  la  moitié 
D'un  ouvrage  tel  que  le  vôtre, 

Qui  cependant,  faute  d'appas, 
Vont  prendre  une  moitié  pour  l'autre, 
Et  ne  s'en  apercevront  pas. 


72  STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Sur  une  Coquette. 
SONNET. 


VNE  foule  d'amans,  que  chez  vous  on  tolère. 
De  VOS  facilitez  cherche  à  s'avantager; 
La  patience  même  en  seroit  en  colère, 
Etes-vous  un  butin  qu'il  faille  partager  ? 

N'avez-vous  rien  à  craindre,  et  rien  à  ménager? 
Quoy  !  tous  également  attendent  leur  salaire; 
Avez-vous  résolu  de  me  faire  enrager 
A  force  de  vouloir  éternellement  plaire? 

Enfin,  si  je  suis  las  de  ce  que  cent  rivaux 

Se  disputent  le  prix  qu'on  doit  à  mes  travaux, 

Vous  devez  l'être  aussi  de  ce  qu'on  en  caquette  ; 

Vôtre  honneur  est  en  proye  aux  escrocs,  aux  fîloux; 
Et  si  vous  excellez  en  l'art  d'être  coquette, 
Je  n'excelle  pas  moins  en  l'art  d'être  jaloux. 


STANCES,    SONNETS,    EPIGRAMMES. 


,  Pour  la  même  qui  me  fit  dire  qu'elle  avoit  la  fièvre, 
et  quelle  ne  me  pouvait  voir. 

SONNET. 

SANS  VOUS  tâter  le  poulx,  et  sans  voir  au  bassin, 
Ingrate,  je  sçay  trop  ce  qui  vous  rend  malade; 
Le  quinquina  pour  vous,  est  un  remède  fade  ; 
Je  connois  vôtre  fièvre,  et  vôtre  médecin. 

Vous  luy  pardonnerez,  fût-il  vôtre  assassin; 
Mais  vous  ne  voulez  pas  qu'on  se  le  persuade, 
Et  quand  il  vous  dérobe  un  soupir,  une  œillade. 
Vous  êtes  la  première  à  cacher  son  larcin. 

C'est  luy  qui  cause  en  vous  une  langueur  secrète. 
Vainement  avec  moy  vous  faites  la  discrète; 
Mais  sur  cette  langueur,  que  ne  suis-je  en  repos? 

Que  m'importe,  que  tel  ou  tel  y  remédie, 
Pourquoy  m'embarrasser  icy  mal  à  propos 
Et  de  la  médecine,  et  de  la  maladie? 

7 


74  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


SONNET. 


LES  plus  fiers  animaux,  l'un  à  l'autre  opposez, 
Ne  laissent  pas  d'avoir  l'âme  reconnoissante  ; 
Et  bien  plutôt  que  vous,  ils  sont  aprivoisez , 
Vous,  de  qui  la  douceur  n'est  rien  moins  qu'innocente. 

Loin  d'alléger  mes  fers  qui  devroient  être  usez , 
Vous  insultez  vous-même  à  ma  douleur  pressante; 
Et  tout  le  monde  sçait  que  vous  me  méprisez. 
Ingrate,  n'est-ce  pas  assez  que  je  le  sente? 

Si  le  bruit  du  triomphe  importe  à  vos  appas , 

Où  n'est-il  point  connu  que  vous  ne  m'aimez  pas? 

Pour  dire  un  malheureux  il  suffit  qu'on  me  nomme. 

Un  amant  souffre  tout  et  doit  être  constant  ; 

Mais,  injuste  beauté  ,  sçachez  qu'un  honnête  homme 

Ne  s'accommode  point  d'un  mépris  éclatant. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  yS 


Sur  la  Tontine. 


ENFIN  je  ne  me  plaindrai  plus. 
De  l'étoile  qui  me  domine , 
Il  me  reste  encor  cent  écus 
Que  je  vais  mettre  à  la  Tontine. 
O  la  charmante  invention; 
Sans  avoir  du  dieu  Mars  essuyé  les  orages , 
Sans  avoir  fatigué  la  cour  de  mes  hommages , 
Je  serai  sur  l'Estat  et  j'aurai  pension... 
Voici  par  où. j'espère,  et  par  où  j'argumente  : 
Si  je  vis,  je  suis  riche  ,  ou  si  bientôt  je  meurs , 
La  pauvreté  ni  ses  horreurs 
Ne  me  causent  point  d'épouvante. 
Or  ma  planète  bienfaisante 
Promet  à  ma  vie  un  long  cours; 
Ergo,  j'aurai  sur  mes  vieux  jours 
Quinze  ou  vingt  mille  écus  de  rente. 
Quels  plaisirs,  quels  honneurs,  quelle  prospérité 

Est  destinée  à  ma  vieillesse  ! 
Mais  parmi  tant  de  biens  je  mourrai  de  tristesse, 
Si  mon  Roy  n'est  témoin  de  ma  félicité  , 


STANCES^    SONNETS,    ÉPIGRAMMES. 


Le  Faux  Adieu. 


STANCES. 


POUR  voler  un  baiser,  où  je  n'osois  prétendre, 
J'ay  feint  de  m'en  aller  bien  loin; 
Mais  j'en  appelle  aussi  mon  amour  à  témoin, 

Si  je  ne  suis  prest  à  le  rendre. 
Et  si  j'eusse  eu  jamais  l'audace  de  le  prendre, 
A  moins  que  d'en  avoir  un  extrême  besoin. 

Sans  cette  invention  jointe  avec  mon  courage. 
Au  point  que  ma  langueur  étoit. 

Il  falloit  luy  céder;  son  excès  m'emportoit; 
Mais  ma  finesse  me  soulage, 

Et  j'étois  obligé  de  feindre  mon  voyage, 

Afin  de  retenir  mon  âme  qui  partoit. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  77 

S'il  m'eût  fallu  partir,  et  me  quitter  moy-méme, 

Un  bien  plus  violent  transport 
Eût  agi  sur  mon  âme  avecque  plus  d'effort  ; 

Les  yeux  mouillez,  et  le  teint  blême. 
Vous  m'eussiez  vu  transi  d'une  douleur  extrême, 
Et  sur  ma  lèvre  enfin  vôtre  baiser  fût  mort. 

Mon  cœur  désespéré  d'une  si  rude  atteinte, 

N'eût  pas  sçu  trouver  un  milieu 
Entre  perdre  la  vie,  et  sortir  de  ce  lieu  ; 

Et  même,  à  travers  de  ma  plainte, 
Vous  deviez  bien  juger  que  ce  n'étoit  que  teinte. 
Puisque  j'étois  vivant  quand  je  vous  dis  adieu. 

Cruelle,  à  quel  dessein  tâchiez-vous  de  combattre 

Une  SI  subtile  action  ? 
J*ay  pris  ce  seul  baiser  avec  discrétion. 

Et  voudrois  en  avoir  pris  quatre; 
Toujours  seroit-ce  autant  que  vous  pourriez  rabattre 
Sur  ce  que  vous  devez  à  mon  affection. 

Je  voulois  vous  baiser,  sans  que  d'un  front  sévère 

Vôtre  rigueur  vînt  à  couper 
L'agréable  dessein  que  j'eus  de  l'attrapper, 

7. 


yo  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Vôtre  bonté  me  laissa  faire, 
Mais  pour  être  meilleur,  il  était  nécessaire 
Que  vôtre  complaisance  aidât  à  vous  tromper. 

C'est  pourtant  un  sujet  de  gloire  non  commune  , 

De  vous  avoir  joué  ce  tour, 
En  faveur  d'un  tourment  qui  dure  nuit  et  jour  ; 

Et  quoy  que  le  sort  m'importune, 
Je  reçois  néanmoins  des  mains  de  la  Fortune, 
Si  je  ne  suis  payé  par  celles  de  l'Amour. 


^^^^ï^ 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  79 

Sur  la  mort  du  Perroquet  de  Madame  du  Plessis- 
BelUévre, 

SONNET    EN    BOUTS-RIMEZ. 

PHiLis,  contre  la  Mort  vainement  on  chicane. 

Tôt  ou  tard  qui  s'y  joue  est  fait  pic  ou  capot, 
On  a  beau  quelque-temps  tourner  autour  du  pot, 
Le  Médecin  lui-même  y  laisse  sa  soutane. 


Nous  verrions  vôtre  cœur,  s'il  étoit  diaphane. 

Du  deuil  d'un  Perroquet,  noirci  comme  un  tripot, 
Rohan  ne  pouvoit  pas  plus  plaindre  son  Chabot, 
Et  quant  à  vos  soupirs,  ce  sujet  les  profane. 

Croyez-vous  qu'en  pleurant  tout  plein  un  coquemart, 
On  ramène  un  Héros,  non  plus  qu'un  Jaquemart? 
C'est  vouloir  prendre  enfin  le  grand  Turc  à  la   barbe. 

Si  les  pleurs  réparoient  de  semblables  débris, 

L'on  eût  fait  revenir^  le  jour  de  Sainte  Barbe, 

L'âme  de  Richelieu  du  céleste  lambris. 


STANCES,    SONNETS,    EPIGRAMMES. 


Pour  Madame  de  Leuville. 
SONNET. 

Puisqu'il  faut  que  je  parte,  il  est  de  la  justice 

Que  vous  me  traitiez  bien  à  ce  moment  fatal, 

Car  je  ne  serai  pas,  en  montant  à  cheval. 

Un  enfant  qu'on  apaise  avec  du  pain  d'épice. 

Je  prétens  recevoir  le  prix  de  mon  service, 

Dussé-je  être  appelle  mercenaire  et  brutal. 

Au  reste,  si  l'amour  me  suscite  un  rival, 

Songez  que  l'inconstance  est  un  étrange  vice. 

Je  ne  vous  croiray  pas  de  l'humeur  de  ces  sottes 
Qui,  dès  qu'un  pauvre  amant  a  pris  ses  grosses  bottes, 

Au  lieu  de  le  pleurer  en  méditent  le  troc. 


En  tout  cas,  je  sçauray  vos  pleurs  ou  vôtre 
Si  vous  me  plantez-là,  si  vôtre  oubly  m'est 
Quitte  pour  vous  payer  de  la  même  monnoye 


joye, 
hoc. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Contre  une  Vieille. 


STANCES. 


Quoy!  VOUS  VOUS  mariez,  douce  et  tendre  mignonne, 
Et  ne  l'avez  encore  été  ! 
Je  ne  voy  rien  pourtant  dessus  vôtre  personne 
Quîne  prêche  la  chasteté. 

Pour  de  l'âge,  on  sçait  bien  que  vous  n'en  manquez  guère , 

Et,  vôtre  visage  est  garant. 
Que  ce  qu'on  fait  pour  vous  se  pouvoit  fort  bien  faire 

Du  règne  de  Henry  le  Grand. 

Vous  éloignant  d'icy,  les  bontés  de  la  Reine 

Ont  purgé  ce  noble  séjour; 
De  même  qu'un  torrent,  vôtre  sortie  entraîne 

Toute  l'ordure  de  la  Cour. 


02  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Celuy  qui  vous  épouse,  en  témoignant  sa  flâme, 

N'établit  pas  mal  son  renom   : 
Qui  s'est  bien  pu  résoudre  à  vous  prendre  pour  femme 

Ira  bien  aux  coups  de  canon. 

Comme  vous  n'êtes  plus  qu'une  vieille  relique, 

L'objet  de  la  compassion, 
Dés  qu'on  dit  que  sur  vous  un  Sacrement  s'applique, 

On  pense  à  l'Extrême-Onction. 

Qui  se  lie  avec  vous  espère  un  prompt  veuvage; 

Et  sans  doute  ce  pauvre  Amant 
Prétend  que  le  contrat  de  vôtre  mariage 

Passe  pour  vôtre  Testament. 

Vous  seriez  bien  sa  mère,  et  la  foy  conjugale 

Est  mal  placée  entre  vous  deux; 
L'inceste  est  en  effet  une  chose  si  sale, 

Que  le  portrait  en  est  hideux. 

Les  plus  intemperez  de  vôtre  bonne  grâce 

Ne  bailleroient  pas  un  teston. 
Et  l'on  peut  faire  état  qu'on  est  à  la  besace 

Quand  on  vous  touche  le  teton. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


83 


Souffrez  ce  petit  mot,  sans  traiter  de  satire 
Un  style  si  franc  et  si  doux: 

Vous  êtes  en  un  point  où  l'on  ne  peut  médire, 
Quelque  mal  qu'on  dise  de  vous. 


84  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Espoir. 


STANCES. 


A  la  fin  j*ai  vaincu,  malgré  sa  résistance  ; 
Mes  larmes,  mes  soupirs^  mes  fers  et  mon  tourment 
Servent  d'illustre  pompe  et  de  riche  ornement 
Au  triomphe  de  ma  constance. 

La  Fortune  témoigne,  au  bien  qu'elle  m'envoie. 
Dans  les  extrémitez  de  mon  cruel  malheur, 
Que  le  plus  haut  étage  où  monte  la  douleur 
Est  le  premier  point  de  la  joie. 

De  plus  parfaits  amans  ont  leur  peine  perdue, 
A  l'acquisition  d'un  plus  débile  cœur; 
Et  jamais  assiégeant  ne  se  vit  le  vainqueur 
D'une  place  mieux  défendue. 


STANCES,     SONNETS,    EPIGRAMMES.  85 

Ce  cœur,  ce  fort  puissant,  si  pressé  qu'il  pût  être, 
Soûtenoit  mes  assauts  d'une  si  vive  ardeur, 
Que,  sans  capituler  avecque  sa  pudeur. 
Je  n'en  aurois  pas  été  maître. 

Et  cette  cruauté  qu'à  la  fin  je  surmonte 
Eût  toujours  tenu  bon,  si  je  n'eusse  promis 
De  laisser  dans  ce  cœur  deux  de  mes  ennemis. 
Et  sa  modestie,  et  sa  honte. 

Qu'aurois-je  à  désirer  au  comble  de  ma  gloire, 
Si  ma  bonne  fortune  avoit  continué. 
Ou  si  trop  de  vertu  n'avoit  diminué 
L'avantage  de  ma  victoire  ? 

Mais  sur  un  seul  dessein  l'ambition  se  fonde  ; 
La  foule  de  projets  ne  fait  que  nous  charger  : 
Il  faut  prendre  une  ville  avant  que  de  songer 
A  la  prise  de  tout  le  monde. 

C'est  beaucoup,  si  l'objet  que  mon  âme  idolâtre 
Sous  mon  heureux  pouvoir  se  confesse  abattu  : 
Ma  maîtresse  est  vaincue,  et  sa  seule  vertu 
Est  ce  qui  me  reste  à  combattre. 


86  STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Aussi  ne  faut-il  pas  que  je  le  dissimule  : 
Elle  paroît  armée  avecque  tant  d'éclat 
Que  mon  amour,  qui  tâche  à  la  vaincre  au  combat, 
Et  la  défie,  et  s'en  recule. 

J'abattrai  toutefois  sa  fierté  qui  m'étonne; 
Elle  s'efforce  en  vain  de  me  contrarier, 
Puisqu'il  ne  manque  plus  que  ce  petit  laurier 
Pour  m'acquérir  une  couronne. 

J'espère  en  peu  de  tems  rendre  ma  gloire- extrême; 
De  ma  prospérité  rien  n'empêche  le  cours. 
Et  contre  sa  vertu  c'est  un  puissant  secours 
Que  de  m'avoir  dit  :  Je  vous  aime. 

Honoré  que  je  suis  d'une  faveur  si  grande, 
Et  voyant  quelque  chose  encore  à  désirer. 
Auprès  de  sa  beauté,  que  je  ne  puis  quitter, 
Je  remercie  et  je  demande. 

Sévère  et  doux  auteur  des  peines  que  j'endure, 
Amour,  donne  à  ma  flâme  un  remède  parfait; 
Puisque  ne  m'obliger  que  d'un  demi  bienfait, 
C'est  me  faire  une  double  injure. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  87 

Force  cette  pudeur  et  cette  modestie, 
De  qui  ma  passion  ne  peut  venir  à  bout: 
II  est  de  ton  honneur  que  je  gagne  le  tout 
Dont  je  possède  une  partie. 

Fais  qu'à  mes  doux  transports  cette  belle  âme  cède; 
Dis-luy  qu'elle  me  cause  un  tourment  sans  égal, 
Et  qu'on  est  obligé  de  soulager  le  mal, 
Quand  on  dispose  du  remède. 

Ainsi,  que  tous  les  cœurs  soient  touchez  de  tes  fiâmes  ! 
Que  tout  cède  au  pouvoir  de  ton  nom  glorieux, 
Puissent  être  à  jamais  tes  traits  victorieux 
De  la  rébellion  des  âmes. 

Pour  moi,  je  bénirai  ton  essence  immortelle; 
Je  formeray  pour  toy  des  vœux  grands^  mais  secrets, 
Quand  tu  m'auras  conduit  par  de  si  beaux  progrez 
A  l'honneur  d'une  fin  si  belle. 


Q^?^ 


88  STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 


A  Mademoiselle  de  Gaerchy,  luy  envoyant  la  copie 
d'une  Jouissance. 


STANCES. 


ELLE  Guerchy,  je  vous  les  donne, 
'Ces  vers  que  vous  désirez  tant; 
Ils  ne  sont  pas  fort  beaux,  mais  pour  votre  personne. 
Qui  ne  souhaiteroit  d'en  pouvoir  faire  autant? 


B; 


Au  reste,  ne  trouvez  étrange 
Mon  scrupule,  et  gardez-vous  bien 
De  dire  que  ce  sont  vers  à  vôtre  louange. 
Car  je  vous  maintiendrois  tout  franc  qu'il  n'en  est  rien. 

Et  ne  vous  faites  point  de  fête 

En  une  telle  Qccasion  ; 
Ce  seroit  faire  un  tour  qui  seroit  malhonnête. 
Et  qui  vous  tourneroit  à  grande  confusion. 


STANCES,     SONNETS^     ÉPIGRAMMES.  89 

Il  ne  faut  pas,  ne  vous  déplaise. 

S'enrichir  d'injustes  acquêts: 
L'adresse  est  pour  une  autre,  et  seriez-vous  bien  aise 
Que  quelqu'un  en  chemin  détroussât  vos  pacquets? 

Les  biens  d'autruy  ne  sont  pas  vôtres, 
Mais  comme  on  est  parfois  jaloux, 
Je  m'offre  de  bon  cœur  à  vous  en  faire  d'autres 
Sur  le  même  sujet  qui  seront  tous  pour  vous. 

Qu'est-ce  que  par  vôtre  prière 

Ne  feroit  un  pauvre  garçon? 
Vous  n'avez  seulement  qu'à  fournir  la  matière, 
Il  vous  en  coûtera  fort  peu  pour  la  façon. 


c'èjjig:^ 


90  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 


Soupçons. 


STANCES. 


L'ingrate  cause  de  ma  flàme, 
Pour  qui  j'ay  des  soins  si  constans 
Qu'elle  occupe  depuis  long-temps 
Tout  mon  cœur  et  toute  mon  âme  ; 
Elle  que  j'aime  avec  transport, 
Qui  blâme  et  craint  l'amour  si  fort 
Qu'elle  tremble  dès  qu'on  le  nomme, 
Que  fait-elle  à  l'heure  qu'il  est? 
Possible  entre  les  bras  d'un  homme, 
Et  d'un  homme  qui  luy  déplaist. 

Qu'elle  est  tranquille  en  mon  absence  ! 
Si  dans  ce  commerce  importun 
Elle  ose  penser  à  quelqu'un. 
Ce  n'est  pas  à  moi  qu'elle  pense, 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Et  dans  les  momens  les  plus  doux 
Qu'elle  passe  auprès  d'un  époux, 
Dont  sa  personne  est  possédée. 
Loin  de  luy  son  cœur  à  l'écart 
S'émancipe  vers  quelque  idée 
Où  mon  amour  n'a  point  de  part. 

Ainsi,  rien  de  bon  ne  m'arrive  ; 
Tantôt  l'intérêt  d'un  rival. 
Tantôt. le  devoir  conjugal. 
De  mes  espérances  me  prive. 
Elle  a  quelque  bonté  pour  moy, 
Mais  la  tiédeur  que  je  luy  voy 
Cause  mon  désespoir  extrême. 
Qu'ay-je  à  prétendre  sur  ce  point, 
Estant  toute  pour  ce  qu'elle  aime. 
Et  pour  ce  qu'elle  n'aime  point? 

N'estoit  que  je  suis  plein  d'audace, 
Parce  que  je  suis  plein  d'ardeur, 
La  place  que  j'ay  dans  son  cœur 
Seroit  une  assez  bonne  place. 
Mais  de  m'y  voir  comme  cela 
Au  milieu  de  ces  Messieurs-là, 


STANCES,     SONNETS,    ÉPIGRAMMES. 

Me  semble  une  dure  entreprise; 
Le  poste  est  des  plus  délicas, 
Entre  celuy  qu'elle  méprise, 
Et  celuy  dont  elle  fait  cas. 

Vous,  par  moy  toujours  adorée. 
Divine  et  charmante  beauté. 
Hélas!  que  je  suis  emporté. 
Et  que  vous  estes  modérée! 
L*amour  que  vous  tournez  en  jeu 
Me  fait  pour  vous  sentir  un  feu 
Qu'il  n'a  point  pour  les  autres  âmes. 
Guérissez-moy  de  mes  soupçons, 
Et  prenez  un  peu  de  mes  fiâmes. 
Ou  me  donnez  de  vos  glaçons. 


<=Xâ*l?^^^ 


STANCES,    SONNETS,    ÉPIGRAMMES.  93 


Pour  une  femme  grosse. 


MADRIGAL. 


Vous  verrez  dans  cinq  mois  finir  vôtre  langueur; 
Mais  Dieux  !  quand  finira  celle  que  dans  mon  cœur 
Ont  causé  vos  beaux  yeux  et  vôtie  tyrannie? 
Je  seray  dignement  d'Amour  récompensé 

Quand  ma  peine  sera  finie  - 

Par  où  la  vôtre  a  commencé. 


94 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 


Sur  l'Amour. 
BOUTS-RIMEZ. 

OUY,  l'Amour  est  le  maître,  et  l'on  est  chimérique 
De  croire  y  résister;  tantôt  c'est  un      mouton. 
Tantôt  une  fureur  bizare  et  colérique 

Qui  déconcerteroit  et  Socraie  et  Caton. 

Son  empire  s'étend  plus  loin  que  1'  Amérique; 

De  prés  aux  conqùérans  il  serre  le  bouton. 

L'Amour  est  Médecin,  l'Amour  est  Empirique, 

Et  depuis  l'éléphant  descend  jusqu'au  Raton. 

Tel  qui  cache  ses  fers  pour  les  rendre  invisibles. 

Sans  s'échapper,  d'un  mot  fait  des  progrès     paisibles. 
De  mille  billets  doux,  tendre  et  secret  Lecteur, 


Tel  qui  mérite  bien  qu'on  lui  chante  sa  game. 

Ne  se  tient  pas  content  des  faveurs  d'une  dame, 

S'il  ne  parle  aussi  haut  que  le  Prédicateur. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  96 


A  Mademoiselle  de  Brionne. 


STANCES. 


Q 


UEL  sentiment  jaloux  d'un  état  si  parfait 

Veut  que  vôtre  repos  dans  un  cloître  se  fonde? 

Pourquoi  haïssez-vous  le  monde, 

Philis,  hé  que  vous  a-t-il  fait? 


Il  vous  a  présenté  ce  qu'il  a  de  plus  doux, 
Lorsque  vous  luy  faisiez  une  plus  rude  guerre. 

Et  de  tous  les  cœurs  de  la  terre, 

Pas  un  n'a  tenu  contre  vous. 

Vous  ne  pourrez  de  guère  être  plus  près  des  cieux, 
Quand  sur  cette  hauteur  vous  serez  élevée. 

Et  n'en  serez  pas  mieux  sauvée; 

Mais  vous  nous  en  damnerez  mieux. 


96  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Plus  on  se  tient  couvert,  plus  on  est  recherché; 

Il  semble  que  le  voile  embellisse  les  filles. 
Et  c'est  la  contrainte  des  grilles 
Qui  fait  le  ragoût  du  péché. 

Loin  d'être  libertin,  vous  voyez  pour  quel  but 
A  changer  de  projet  ma  raison  vous  invite. 
Et  si  je  vous  en  sollicite, 
Que  c'est  même  pour  mon  salut. 

Demeurez  donc  au  monde  en  un  si  bel  état. 
Où  pourroit  votre  gloire  être  mieux  signalée? 
Faut-il  sortir  de  la  mêlée 
Au  commencement  du  combat? 

A  vos  pieds  gémiront  les  vices  abattus 
Dedans  cette  poudreuse  et  vaste  lice 

Où  se  pratique  l'exercice 

Des  plus  héroïques  vertus. 

Êtes-vous  pas  chez  nous  en  toute  sûreté, 
Sans  vous  embarrasser  d'une  pénible  affaire, 

Et  travailler  à  vous  défaire 

D'une  innocente  liberté  ? 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES.  97 

Vous  avez  dans  le  cœur  un  zèle  assez  dévot. 
Et  vôtre  vertu  seule  assez  se  fortifie. 

Sans  que  la  haire  mortifie 

Une  chair  qui  ne  vous  dit  mot. 

Voyez  donc  à  loisir,  et  d'un  esprit  égal, 
Des  roses  d'un  côté,  de  l'autre  des  épines; 

Et  songez  qu'il  est  des  Matines 

Plus  incommodes  que  le  bal. 

Le  monde  a  pour  vos  sens  des  attraits  superflus; 
Mais  c'est  bien  mieux  prouver  qu'on  renonce  à  ce  maître 

De  le  mépriser  et  d'en  être, 

Que  d'y  penser  n'en  étant  plus. 

Ce  n'est  pas  pour  semer  un  appast  décevant. 
Par  où  dans  les  filets  vôtre  âme  s'enveloppe, 

Mais  en  toute  votre  horoscope 

Je  ne  trouve  pas  un  couvent. 

Il  faut  bien  observer  cette  vocation, 

Qui  vous  livre  à  vous-même  une  si  prompte  guerre, 

Et  voir  s'il  n'entre  point  de  terre 

Parmy  sa  composition. 

9 


98  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Un  moment  de  la  vie  établit  tout  le  plan, 

Et  parmy  de  longs  jours  comme  seront  les  vôtres, 

Ce  moment,  Roy  de  tous  les  autres, 

En  est  quelquefois  le  tyran. 

Non^  non;  tenez  à  Dieu,  sans  tenir  au  lien; 
Fuyez  la  volupté,  les  richesses,  le  faste; 

Soyez  soumise,  pauvre,  chaste. 

Mais  ne  jurez  jamais  de  rien. 


*^Cg^ 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES.  99 


ÉPIGRAMME. 


JE  mourray  de  trop  de  désir, 
Si  je  la  trouve  inexorable; 
Je  mourray  de  trop  de  plaisir, 
Si  je  la  trouve  favorable; 
Ainsi  je  ne  sçaurois  guérir. 
De  la  douleur  qui  me  possède; 
Je  suis  assuré  de  périr, 
Par  le  mal  ou  par  le  remède. 


Q-^?^ 


BIBUOTHECA 
Ottavien*^ 


% 

lOO  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


L 


L'Amour. 


STANCES. 


A  Mère  des  amours, 
fTenant  ses  grands  jours 
Dans  son  siège  d'yvoire, 
Prononce  à  sa  gloire  : 
A  l'Amour  on  résiste  en  vain  : 
Qui  n'aima  jamais,  aimera  demain. 

Que  nos  cœurs  soient  contens, 
A  ce  gay  printemps  ; 
Et  que  le  plus  sévère 
Me  suive  et  révère  : 
A  l'Amour  on  résiste  en  vain  : 
Qui  n'aima  jamais,  aimera  demain. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES.  lOI 

Chaque  chose  icy-bas 
Ressent  mes  appas; 
Et  si  la  Terre  elle-même 
Rit  au  Ciel  qu'elle  aime, 
A  l'Amour  on  résiste  en  vain  : 
Oui  n'aima  jamais,  aimera  demain. 

Le  Ciel,  pour  la  voir  mieux, 
Ouvre  tous  ses  yeux; 
Et,  la  trouvant  si  belle. 
Brûle  aussi  pour  elle. 
A  l'Amour  on  résiste  en  vain  : 
Qui  n'aima  jamais,  aimera  demain. 

A  cet  exemple  heureux, 
Doit  être  amoureux 
Tout  ce  qu'en  soy  resserre 
Le  Ciel  et  la  Terre, 
A  l'Amour  on  résiste  en  vain  : 
Qui  n'aima  jamais,  aimera  demain. 


I02  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


ÉPIGRAMMES. 

NE  croyez  pas  que  la  vengeance 
M'anime  jamais  contre  vous, 
Vous  ne  m'avez  point  fait  d'offense 
Qui  puisse  irriter  mon  courroux. 
En  vain  vous  craignez  que  ma  plume, 
Pour  adoucir  mon  amertume, 
Vous  fasse  quelque  mauvais  tour; 
Philis,  n'en  soyez  plus  en  peine, 
Quand  on  n'a  point  senty  d'amour. 
On  ne  sçauroit  sentir  de  haine. 

Pour  son  époux  mourant  une  femme  éperdue 
Veut  mourir;  la  Mort  vient  et  la  femme  pâlit  : 
a  C'est  pour  lui,  non  pour  moi,  que  vous  êtes  venue. 
Lui  dit-elle  en  tremblant:  le  voilà  dans  son  lit.  » 


STANCES,     SONNETS,    EPIGRAMMES.  Io3 


A  Iris. 


STANCES. 


BELLE  Iris,  je  vous  aime  avecque  violence, 
Je  vous  le  dis  tout  haut  ; 
Et  la  nécessité  de  rompre  mon  silence 
Excuse  ce  défaut. 

Quelque  profond  respect  qui  m'oblige  à  contraindre 

Un  si  hardy  penser, 
Je  croy  qu'il  m'est  permis  aussi  bien  de  me  plaindre 

Qu'à  vous  de  me  blesser. 

Mon  crime,  en  vous  aimant,  ne  sçauroit  être  pire 

Pour  vous  en  avertir; 
Et  je  tiens  que  l'audace  est  pareille  à  le  dire 

Comme  à  le  ressentir. 


104  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Que  l'âme  la  plus  fine  est  aisément  surprise, 
Et  que  nous  nous  troublons  ! 

D'abord  que  je  vous  vis,  je  laissay  ma  franchise 
Parmy  vos  cheveux  blonds. 

Ce  ne  sont  point  vos  lys,  ce  ne  sont  point  vos  roses. 

Qui  m'ont  le  mieux  tenté; 
Je  découvre  plus  loin,  et  vous  avez  des  choses 

Par  delà  la  beauté. 

Vôtre  aimable  vertu  contribue  à  la  flâme 

Qui  cause  mes  transports, 
Et  c'est  presqu'en  partie  à  cause  de  vôtre  âme. 

Que  j'aime  vôtre  corps. 

Mais,  de  grâce,  empêchez  qu'un  mary  qui  vous  aime, 

Vous  suive  tout  le  jour; 
L'avis  que  je  vous  donne  est  pour  sa  gloire  même, 

Plus  que  pour  mon  amour. 

Je  ne  prétends  à  rien,  et  je  n'en  sollicite 

L'absence  ni  l'abord  : 
Je  me  sçay  mieux  régler;  mais  il  a  du  mérite, 

Et  cela  luy  fait  tort. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  Io5 

Si  c'est  que  son  humeur,  à  toute  autre  insensible, 

Cherche  vôtre  entretien. 
Eh  !  n'a-t-il  pas  un  tems  si  doux  et  si  paisible. 
Où  personne  n'a  rien  ? 

Ha!  que  n'est-il  de  ceux  qui,  pour  vaincre  TEspagne, 

S'en  vont  dés  aujourd'uy! 
Je  voudrois  qu'il  ne  crût  en  toute  la  campagne 

Des  lauriers  que  pour  luy. 

Que  nous  serions  heureux,  s'il  prenoit  cette  voye 

Dont  il  suit  le  détour; 
Je  verrois  son  départ,  et  vous  auriez  la  joye 

D'espérer  son  retour. 

Quoique  certainement  vous  soyez  bien  ensemble, 
Que  tous  en  soient  témoins. 

On  hait  la  jalousie,  et  ce  qui  luy  ressemble 
Ne  déplaît  guères  moins. 

Il  paroît  vôtre  amant;  mais,  las  !  quand  il  partage 
L'honneur  de  tous  mes  liens. 

S'il  vous  rend  mes  devoirs,  je  n'ay  pas  l'avantage 
De  vous  rendre  les  siens. 


Io6  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Souffrez  que  je  m'emporte,  et  que  je  vous  confesse 

Que  je  suis  très-marry 
Qu'il  faille  que  je  souffre  et  de  vôtre  sagesse, 

Et  de  vôtre  mary. 


"^më^f^ 


STANCES,     SONNETS,     ÉP IGR  AMMES.  IO7 


Sur  Job, 

SONNET. 

JOB,  de  mille  tourments  atteint, 
Vous  rendra  sa  douleur  connue, 
Et  raisonnablement  il  craint 
Que  vous  n'en  soyez  point  émue. 

Vous  verrez  sa  misère  nuë, 

Il  s'est  luy-même  icy  dépeint  : 

Acoûtumez-vous  à  la  vue 

D'un  homme  qui  souffre  et  se  plaint. 


Bien  qu'il  eût  d'extrêmes  souffrances. 
On  voit  aller  des  patiences 
Plus  loin  que  la  sienne  n'alla. 

$11  souffrit  des  maux  incroyables; 
Il  s'en  plaignit,  il  en  parla; 
J'en  connois  de  plus  misérables. 


o8  STANCES,     SONNETS,    ÉPIGRAMMES. 


Glose  de  Monsieur  Sarrasin , 
sur  le  Sonnet  de  M.  de  Benserade  à  M.  Esprit. 


STANCES. 


MONSIEUR  Esprit,  de  l'Oratoire, 
Vous  agissez  en  homme  saint, 
De  couronner  avecque  gloire 
Job  de  mille  tourmens  atteint. 

L'Ombre  de  Voiture  en  fait  bruit, 
Et  s'étant  enfin  résolue 
De  vous  aller  voir  cette  nuit. 
Vous  rendra  sa  douleur  connue. 

C'est  une  assez  fâcheuse  vûë, 
La  nuii,  qu'une  ombre  qui  se  plaint. 
Vôtre  esprit  craint  cette  venue. 
Et  raisonnablement  il  craint. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Pour  Tappaiser,  d'un  ton  fort  doux 
Dites:  J'ay  fait  une  bévue, 
Et  je  vous  conjure  à  genoux 
Que  vous  n*en  soyez  point  émùë. 

Mettez,  mettez  vôtre  bonnet, 
Reprendra  l'Ombre,  et  sans  berlue 
Examinez  ce  beau  sonnet. 
Vous  verrez  sa  misère  nue. 

Diriez-vous,  voyant  Job  malade. 
Et  Benserade  en  son  beau  teint  : 
Ces  vers  sont  faits  pour  Benserade, 
//  s'est  luy-même  ici  dépeint  ? 

Quoy,  vous  tremblez.  Monsieur  Esprit  ! 
Avez-vous  peur  que  je  vous  tuë? 
De  Voiture  qui  vous  chérit 
Accoutumez-vous  à  la  vue. 

Qu'ay-je  dit  qui  vous  peut  surprendre 
Et  faire  pâlir  votre  teint. 
Et  que  deviez-vous  moins  attendre 
D'un  homme  qui  souffre  et  se  plaint? 

lO 


IIO  STANCES,    SONNETS,     éPIGRAMMES. 

Un  auteur  qui  dans  son  écrit 
Comme  moy,  reçoit  des  offenses, 
Souffre  plus  que  Job  ne  souffrit, 
Bien  qu'il  eut  d'extrêmes  souffrances. 

Avec  mes  vers,  une  autre  fois, 
Ne  mettez  plus  dans  vos  balances, 
Des  vers  où  sur  des  palefrois 
On  voit  aller  des  patiences. 

L'Herty,  le  Roy  des  gens  qu'on  lie, 
En  son  temps  auroit  dit  cela; 
Ne  poussez  pas  vostre  folie 
Plus  loin  que  la  sienne  n'alla. 

Alors  l'Ombre  vous  quittera 
Pour  aller  voir  tous  vos  semblables; 
Et  puis  chaque  Job  vous  dira 
S'il  souffrit  des  maux  incroyables. 

Mais  à  propos,  hier,  au  Parnasse, 
Des  sonnets  Phœbus  se  mêla, 
Et  l'on  dit  que  de  bonne  grâce 
//  s'en  plaignit,  il  en  parla. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  III 

J'aime  les  vers  des  Uranins, 
Dit-il;  mais  je  me  donne  aux  diables 
Si,  pour  les  vers  des  Jobelins, 
J'en  connais  de  plus  misérables. 


i 


112  STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Sur  le  retour  de  M.  le  Cardinal  Mazarin 
après  sa  retraite  à  Cologne. 


ENFIN  vous  revenez^  et  le  peuple  s'en  plaint; 
Mais  sçait-il  ce  qu'il  veut,  mais  sçait-il  ce  qu'il  craint? 
Lui  qui  croit  aisément  ce  qu'on  lui  persuade. 
C'est  sans  raison  qu'il  aime,  et  sans  raison  qu'il  hait; 
Le  médecin  ordonne  en  dépit  du  malade, 
Vous  guérissez  la  France  en  dépit  qu'elle  en  ait. 


Ost^^ 


STANCES,    SONNETS,    ÉPIGRAMME5.  II? 


A  Mademoiselle  de  Guerchy,  contre  Mariamne. 


STANCES. 


OUI,  je  VOUS  dis  et  vous  répète 
Que  Mariamne  étoit  coquette, 
Et  n'eut  pu  se  passer  d'amant. 
Ce  n'est  point  médisance  noire  ; 
Et  je  m'en  rapporte  au  roman 
Où  vous  croyez  mieux  qu'à  l'histoire. 

Son  âme  ne  fut  point  ingrate 

Aux  passions  de  Tiridate, 

Qui  fut  l'un  de  ses  favoris  ; 

Et  c'est  d'elle  que  vient  la  mode 

De  faire  enrager  les  maris, 

Alors  qu'ils  sont  vieux  comme  Hérode, 


114  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Lorsque  ce  livre  enseigne  comme 
Elle  baisa  ce  galant  homme, 
Dieu  sçait  ce  qu'entend  le  lecteur  : 
Et  vous-même  êtes  assez  fine 
Pour  vous  imaginer  l'auteur 
Plus  modeste  que  l'héroïne. 

•  On  ne  pouvoit  vivre  avec  elle  : 
Hérode  et  toute  sa  séquelle 
Lui  passèrent  pour  des  dragons  : 
Bref,  sa  conduite  impertinente 
Eût,  je  crois,  fait  sortir  des  gonds 
Madame  votre  gouvernante. 

La  pauvre  dame  toute  bonne 
Eût  vu  cette  fière  personne 
Sans  cesse  la  contrarier; 
Et  dans  son  humeur  inquiète 
Eût  trouvé  pis  que  le  brasier, 
Et  pis  que  les  brins  de  vergette. 

Elle  aimoit,  elle  étoit  aimée. 
Mais  épargnons  la  renommée, 
Et  laissons-la  pour  ce  qu'elle  est: 


STANCES,     SONNETS,    ÉPIGRAMMES.  Il5 

Suffit  que  c'est  un  sot  modèle, 
Et  qu'on  a  beaucoup  d'intérêt 
Que  vous  ne  soyez  pas  comme  elle. 

De  grâce,  m'allez  pas  redire 

Que  j'en  ai  fait  une  satire, 

Où  je  la  mets  en  beaux  draps  blancs, 

Et  que  mes  muses  libertines 

Ont  après  quelques  deux  mille  ans 

Mis  Mariamne  aux  Feuillantines. 


2*^g^è3^r^ 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Plainte. 


STANCES. 


EAUTÉ  qui  triomphez  de  moy, 
'Vous  rêvez  à  je  ne  sçay  quoy, 
Sans  qu'on  puisse  juger  quel  chagrin  est  le  vôtre, 
D'où  viennent  ces  noirceurs  dessus  un  front  si  doux  ? 
Est-ce  que  je  suis  près  de  vous, 
Ou  que  vous  êtes  loin  d'un  autre  ? 

Oùy,  ma  présence  vous  déplaît, 

Et  mon  sort,  tout  affreux  qu'il  est, 
N'a  rien  qui  vous  surprenne  et  rien  qui  vous  étonne; 
Vous  ne  prenez  pas  garde  aux  ennuis  que  je  sens, 

Et  vous  ne  rêvez  qu'aux  absens, 

Ou  vous  ne  rêvez  à  personne. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES.  I17 

Peut-être,  en  vous  parlant  d'un  feu 

Dont  l'ardeur  vous  touche  si  peu, 
Je  vous  ay  ramené  quelque  image  effacée, 
Et  par  mon  innocent  et  funeste  entretien, 

Un  autre  tourment  que  le  mien 

Vous  est  tombé  dans  la  pensée. 

Peut-être,  quand  mon  œil  ardent 

Vous  contemploit  en  imprudent, 
Ce  qu'en  dépit  de  moy  trop  souvent  il  hazarde. 
Vous  disiez  en  vous-même,  et  mon  cœur  l'entendoit  : 

Hélas  !  l'autre  me  regardoit, 

Comme  celuy-cy  me  regarde. 

S'il  est  ainsi,  j'aime  bien  mieux 

Ne  dire  mot,  baisser  les  yeu«, 
Et  prendre  une  froideur  qui  soit  comme  la  vôtre, 
Que  de  vous  mettre  au  point  où  vous  étiez  tantôt. 

Hélas  !  oubliez-moy  plutôt. 

Que  de  vous  souvenir  d'un  autre. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 


A  la  petite  Chienne  de  Madame  la  Comtesse  de  F** 


MIGNONNE,  je  m'adresse  à  vous, 
Je  vous  écris  d'un  style  doux, 
Vous  verrez  ma  lettre;  et  possible 
Ne  serez-vous  pas  insensible, 
Ni  fière  jusques  à  ce  point 
De  lire,  et  ne  répondre  point. 
N'imitez  pas  vôtre  Maîtresse  : 
Vous  êtes  chienne,  elle  est  tigresse; 
Et  par  tous  païs  je  maintiens 
Tigres  plus  incivils  que  chiens. 
A  sa  plume  mettez  la  patte  ; 
Apprenez  à  vivre  à  l'ingrate, 
Qui  me  traite  en  petit  marmot 
Lorsque  gens  ne  luy  disent  mot. 
Je  croy  qu'afin  de  la  confondre 
Les  bêtes  peuvent  bien  répondre. 
Mandez-moy  quels  sont  vos  ébats, 


STANCES,    SONNETS,    EPIGRAMMES.  II9 

Et  si  VOUS  ne  reposez  pas 
Toutes  les  nuits  seule  avec  elle, 
Comme  sa  compagne  fidelle, 
Car  j'aurois  beaucoup  de  dépit 
Si  vous  étiez  trois  dans  un  lit. 
Dessus  ce  point,  ma  fantaisie 
Penche  fort  à  la  frénésie; 
Cela  me  trouble,  et  c'est  pourquoy. 
Levez  la  patte,  et  jurez-moy, 
En  noble  et  fidelle  Épagneule, 
Que  vous  y  couchez  toute  seule. 
Que  dis-je  ?  elle  a  le  cœur  trop  bon. 
Et  je  luy  demande  pardon; 
Il  est  de  fort  mauvaise  grâce 
Ce  soupçon,  et  fait  que  je  passe 
Pour  le  plus  fou  de  tous  les  foux  : 
Mais,  mignonne^  je  suis  jaloux; 
Ce  mal  trouble  bien  des  cervelles. 
Et  vous  m'en  direz  des  nouvelles 
Lorsque  vous  serez  en  chaleur. 
Si  vous  tombez  en  ce  malheur. 
Cependant  faites  bien  la  ronde  : 
Aboyez  bien  à  tout  le  monde, 
Et  me  tirez  à  belles  dents 


120  STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Tous  ces  curieux  regardans. 

Ne  vous  acharnez  pas  aux  cottes, 

Comme  aux  canons  et  comme  aux  bottes 

De  ces  téméraires  badins. 

Et  point  de  quartier  aux  blondins. 

Vers  le  lit  faites  bonne  garde, 

N'y  souffrez  pas  qu'on  la  regarde; 

Et  paroissez  aux  plus  hardis 

Un  Cerbère  de  paradis. 

Mignonne,  adieu,  soyez  certaine 

Qu'il  n'est  ni  princesse  ni  reine 

Avec  laquelle  il  fût  si  doux 

De  coucher  comme  avecque  vous. 


a-^^^c^ 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Sur  le  Chat  de  Madame  Des-Houillières. 


SONNET. 


JE  ne  dis  mot,  et  je  fais  bonne 
Et  mauvais  jeu,  depuis  le  triste 
Qu'on  me  rendit  inhabile  à  l' 
Des  chats  galans,  moy  la  fleur  la  plus 


mine 

jour 

amour; 

fine. 


Ainsi  se  plaint  Mauricaut,  et 
Contre  la  main  qui  luy  fit  un  tel 
11  est  glacière,  au  lieu  qu'il  étoit 
Il  exploitoit,  maintenant  il 

C'étoit  un  brave,  et  ce  n'est  plus  qu'un 
Dans  la  goutière  il  tourne  autour  du 
Et  de  bon  cœur  son  sérail  en 


rumine 
tour, 
four; 

badine. 

sot: 

pot; 

enrage. 


Pour  les  plaisirs  il  avoit  un 

Que  l'on  luy  change,  au  plus  beau  de  son 

Le  triste  état  qu'un  état 


talent 


âge. 
indolent! 
II 


122  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


A  Madame  Des-Houillièns, 


JEUNE  et  charmante  Des-Houillières, 
Naguère  entre  les  écolières, 
Et  maintenant,  depuis  le  prix, 
Maîtresse  entre  les  beaux  esprits. 
Quand  je  vous  rends  quelque  visite. 
Devant  vous  je  crains,  et  j'hésite 
A  me  plaindre  de  vos  appas. 
C'est  bien  pis,  ne  vous  voyant  pas. 
Tant  que  je  suis  à  la  campagne. 
Ma  seule  idée  est  ma  compagne, 
Et  ma  seule  idée,  entre  nous. 
Ne  me  représente  que  vous. 
Toutes  choses  me  sont  contraires. 
Et  mes  rivaux  sont  mes  confrères. 
Examinons-les  donc  un  peu: 
Pour  vous,  Boyer  est  tout  en  feu, 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Boyer  que  vous  menez  en  laisse  , 
Qu'il  vous  laisse  là  ;  je  luy  laisse, 
(Pourvu  qu'il  prenne  un  autre  ton} 
Jusques  à  mon  dernier  jetton. 
Lavaux  peut-être  se  dispense 
De  vous  dire  tout  ce  qu'il  pense. 
Quinaut,  sera  toujours  Quinaut, 
C'est-à-dire,  doux,  tendre  et  chaud. 
Dussay-je  perdre  mon  escrime, 
Je  veux  les  perdre  tous  en  rime, 
Moy  qui  suis  en  rime  fécond. 
Du  Perier  sera  mon  second^ 
Sa  maigreur  est  la  seule  chose 
Dont  je  me  sers,  et  que  j'oppose 
A  l'embompoint  de  Charpentier, 
A  qui  je  ne  fais  point  quartier, 
Puis  qu'il  vous  cajole  et  s'embrase 
Dans  tous  vos  fauteuils  qu'il  écrase. 
Perraut,  qui  vous  hante,  et  sur  rien 
N'affecte  le  goût  ancien, 
Voudroit  faire  avec  vous  des  siennes. 
Vous  qui  n'êtes  pas  des  anciennes. 
J'ay  tout  ce  grand  corps  sur  les  bras, 
Et  Ménage  qui  n'en  est  pas. 


124  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Je  n'en  dis  rien,  mais  j'en  enrage; 
Et  chez  vous  tout  me  fait  ombrage. 
Le  Clerc  n'est  point  là  pour  néant, 
Tout  rival  me  paroît  géant. 
Amour  ne  vit  que  de  rapines  : 
L'on  esttoûjours  sur  les  épines, 
Et  rien  moins  que  sur  le  veloux, 
Dès  qu'on  est  absent  et  jaloux. 


*^cg:^ 


STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  125 


RONDEAU. 


Au  bout  du  compte,  quelque  playe 
Que  pour  vous  dedans  l'âme  j'aye, 
Je  ne  suis  pas  tant  arrêté 
Awx.  fers  de  ma  captivité 
Qu'à  les  rompre,  enfin,  je  n'essaye. 
N'est-il  pas  temps  que  je  me  paye, 
Puisque  mon  amour  est  si  vraye 
Et  qu'on  voit  ma  fidélité 
Au  bout? 

C'est  par  trop  me  donner  la  baye, 
De  mon  souvenir  je  vous  raye, 
Ailleurs  je  suis  bien  mieux  traité, 
Et  c'est  une  jeune  beauté 
Aimable  autant  que  vous  que  j'aye 
Au  bout. 


126  STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 


A  une  Belk  insensible  qui  demandoit  des  vers, 
STANCES. 

DISPENSEZ-MOY,  Belle  insensible, 
De  contenter  vôtre  désir; 
Ne  m'ordonnez  pas  le  plaisir  .» 

De  rendre  ma  peine  visible  ; 
Révoquez  ce  commandement, 
Qui  peut  augmenter  mon  tourment, 
Sans  accroître  vôtre  puissance. 
Je  ne  sçaurois  vous  obéir, 
De  peur  que  mon  obéissance 
Ne  vous  oblige  à  me  haïr. 

Je  recevrois  beaucoup  de  gloire 
De  vous  présenter  de  mes  Vers, 
Et  de  laisser  à  l'Univers 
Des  marques  de  vôtre  Victoire  ; 
Mais,  dans  cet  excès  de  douleur 
Où  me  réduit  mon  grand  malheur. 


{ 


STANCES,    SONNETS,     ÏPIGRAMMES.  127 

Je  voy  bien  qu'il  me  faut  contraindre, 
Et  qu'il  vaut  mieux  ne  point  parler, 
Ne  pouvant  parler  sans  me  plaindre 
Des  feux  dont  je  me  sens  brûler. 

Laissons  le  récit  déplorable 

Du  sort  d'un  malheureux  amant; 

L'on  ne  trouve  rien  de  charmant 

Dans  l'entretien  d'un  misérable. 

Le  triste  objet  de  ses  travaux, 

Le  nombre  infini  de  ses  maux. 

Le  cours  éternel  de  ses  larmes, 

Ses  désespoirs,  ses  déplaisirs. 

Ne  vous  feroient  point  voir  de  charmes 

Qui  pussent  flatter  vos  désirs. 

Quel  objet  vous  peut-il  dépeindre, 
Dans  les  supplices  qu'il  ressent. 
Qu'un  tourment  sensible  ei  pressant 
D'une  ardeur  qu'il  ne  peut  éteindre  ? 
Mais  lors  qu'il  vous  seroit  offert. 
Le  tableau  sanglant  de  ses  fers 
Ne  serviroit  qu'à  vous  déplaire. 
Et  l'excès  de  sa  passion, 


28  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES, 

Exciteroit  vôtre  colère. 
Et  non  vôtre  compassion. 

Vous  ne  verriez  dans  ses  pensées 

Que  de  tragiques  mouvemens, 

Et  les  mortels  ressentimens 

De  ses  infortunes  passées; 

Vous  n'entendriez  dans  son  transport 

Que  les  vœux  qu'il  fait  à  la  mort 

Pour  finir  son  cruel  martyre; 

Et  s'il  n'étoit  pas  écouté, 

Il  accuseroit  vôtre  empire 

D'injustice  et  de  cruauté. 

Il  vous  nommeroit  infidelle, 
Cœur  de  rocher,  cœur  sans  pitié, 
Ame  dure  et  sans  amitié, 
Ingrate,  inhumaine  et  cruelle. 
Il  vous  mettroit  devant  les  yeux, 
Les  mots  les  plus  injurieux, 
Les  fureurs  les  plus  violentes; 
Et  peut-être  sans  y  penser. 
Par  ses  paroles  insolentes 
Sa  main  pourroit  vous  offenser. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES.  I  29 

Il  est  vray  qu'il  porte  dans  l'âme 
Un  désir  sincère  et  discret, 
Un  amour  céleste  et  secret, 
Exempt  d'orgueil  comme  de  blâme  : 
Il  est  vray  que  ce  pauvre  amant . 
Consomme  ses  jours  constamment 
Dans  une  flâme  pure  et  belle; 
Mais  par  un  destin  rigoureux, 
Vous  la  jugeriez  criminelle, 
A  cause  qu'il  est  malheureux. 

Il  vaut  mieux  garder  le  silence. 
Que  voir  mon  amour  condamné; 
J'aime  mieux  être  infortuné 
Par  respect  que  par  insolence  : 
Je  sçay  bien  que  dans  les  langueurs 
Que  me  font  souffrir  vos  rigueurs. 
Ma  plainte  seroit  légitime. 
Mais  non,  je  ne  me  plaindray  pas, 
Et  je  veux  être  exempt  de  crime, 
Plutôt  qu'être  exempt  du  trépas. 


l3o  STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Sur  un  Portrait. 


STANCES. 


FLATTEUR,  qui  sans  affection 
Charme  la  douleur  qui  me  tuë; 
Ingénieux  trompeur  qui,  décevant  ma  veuë, 
Satisfais  à  ma  passion  ; 

Aimable  entretien  de  ma  flàme, 
Ombre  du  soleil  de  mes  yeux 
Et  de  la  vérité  qui  plaît  seule  à  mon  âme, 
Mensonge  industrieux; 

Imaginaire  Déité 

A  qui  je  rends  de  vrais  hommages, 
Beaux  rayons  dérobez  du  plus  beau  des  visages 
Que  l'art  ait  jamais  inventé! 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  IDI 

Muet  témoin  de  ma  constance. 


A  qui  je  me  plains  chaque  jour, 
Astre,  qui  dans  la  nuit  de  ma  cruelle  absence 
Éclaires  mon  amour. 

Quoique  vos  attraits  décevans 
Soient  peints  d'une  main  secondée 
De  l'art  et  des  efforts  d'une  puissante  idée. 
Olympe  a  des  yeux  plus  sçavans. 

Le  temps  a  droit  de  faire  outrage, 
A  tout  ce  que  l'art  peut  tracer; 
Mais,  quand  ses  doux  regards  impriment  son  visage, 
Rien  ne  peut  Teffacer, 


^x^^^^^ 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 


A  Madame  de  Hautefort,  pour  le  Koy. 


STANCES. 


OBJET  aimable  et  vertueux, 
Comme  un  amant  respectueux, 
Je  mets  à  vos  pieds  mon  empire; 
Puisque  rien  ne  vous  le  défend, 
Permettez  qu'un  enfant  soupire 
Et  se  plaigne  à  vous  d'un  enfant. 

Vous  possédez  mon  jeune  cœur, 
Et  déjà  vôtre  éclat  vainqueur 
Impérieusement  le  brave; 
Mes  fers  sont  nez  avecque  moy, 
Et  vos  yeux  m'ont  fait  leur  esclave, 
Quand  les  Dieux  m'ont  fait  vôtre  Roy, 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  l33 

Mon  père  eut  le  même  transport, 
Et  m'a  laissé^  quand  il  est  mort, 
Cette  belle  flàme  en  partage  : 
Je  l'ay  trouvée  entre  ses  biens, 
Et  j'en  préfère  l'héritage 
A  tous  les  sceptres  que  je  tiens. 

Ce  monarque  si  redouté, 
Qui  vous  donna  sa  liberté, 
M'inspira  le  soin  de  vous  plaire 
En  me  communiquant  le  jour, 
Car  ce  n'est  point  de  par  ma  mère, 
Que  je  suis  sujet  à  l'amour. 

Il  eût  fait  dans  sa  passion. 
Des  leçons  de  discrétion, 
Pour  les  âmes  les  mieux  éprises; 
Et  moy,  brûlant  de  même  ardeur. 
Vous  sçavez  si  mes  entreprises 
Effarouchent  vôtre  pudeur. 

De  la  reine  et  de  vous  j'apprends 
Des  préceptes  bien  différens, 
Qu'il  ne  faut  pas  que  je  dédaigne  : 


l34  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Elle,  se  faisant  obéir, 

M'instruit  comme  il  faut  que  je  règne; 

Et  vous  m'apprenez  à  servir. 

J'auray  sujet  d'être  insolent, 
Et  seraj  le  plus  opulent 
De  tous  les  Princes  qu'on  révère, 
Si  quelque  jour  vous  me  livrez 
Ce  que  vous  deviez  à  mon  père 
Et  tout  ce  que  vous  me  devrez. 

Jusqu'icy  mes  maux  me  sont  doux. 

Aussi  m'accorderiez-vous 

Une  très-inutile  grâce  : 

Mais  qu'un  jour  je  seray  content 

Si  vôtre  cruauté  se  passe. 

Et  si  vôtre  beauté  m'attend  ! 

Gardez  vôtre  cœur  pour  le  mien. 

On  peut  faire  trop  tôt  du  bien. 

Comme  trop  tard  on  en  peut  faire; 

Et  vous  avez  encor  du  tems 

A  méditer  sur  le  salaire 

Qu'on  doit  à  des  feux  si  constans. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  l35 

Ainsi  parloit  à  des  beaux  yeux, 
Un  Roy  pour  qui  les  siècles  vieux 
Porteront  jalousie  au  nôtre, 
Un  enfant  qui  nous  sert  d'appuy. 
Blessé  dans  le  cœur  par  un  autre. 
Moins  aimable  et  moins  beau  que  luy. 

Pour  flatter  le  mal  qui  l'a  pris, 
A  la  honte  des  beaux  esprits. 
Il  n'a  choisi  que  ma  personne; 
J'explique  ses  premiers  désirs 
Et  suis  cause  que  Boisset  donne 
De  l'air  à  ses  premiers  soupirs. 

Je  m'estime  un  peu  malheureux, 
De  faire  des  vers  amoureux. 
Contre  un  vœu  dont  il  me  dispense; 
Mais  quoique  je  sois  combattu. 
J'en  feray  tant  que  l'Innocence 
Fera  Tamour  à  la  Vertu. 


Qà^^ 


36  STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 


SONNET. 


JEUNE  divinité,  dont  la  grâce  immortelle, 
Comme  vôtre  dédain,  va  toujours  augmentant; 
Vous  déplais-je  si  fort,  me  haïssez- vous  tant. 
Qu'il  faille  être  à  vos  coups  une  butte  éternelle? 

Je  n'avois  pas  senti  cette  rigueur  nouvelle 
Dont  vous  vous  avisez  en  me  persécutant, 
Et  qui  vous  fait  donner  le  titre  d'inconstant 
A  qui  depuis  deux  ans  vous  est  toujours  fidèle. 

Moy,  n'avoir  plus  pour  vous  le  même  sentiment 

Que  l'amour  m'inspira  si  glorieusement, 

Et  vous  quitter  ainsi  pour  en  aimer  une  autre  î 

Changez  d'opinion,  Philis,  et  songez  bien 

Qu'il  n'est  point  de  beauté  qui  soit  comme  la  vôtre, 

Et  qu'il  n'est  point  de  cœur  qui  soit  comme  le  mien. 


STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  iSy 


Pour  Monsieur  le  Marquis  del  Carette. 
SONNET. 

TOY,  dont  redoutent  les  approches, 
Ces  médecins  qui  volontiers 
Du  monde  retranchent  le  tiers, 
Célèbres  par  le  bruit  des  cloches; 

Toy,  qui  ne  bronches  ni  ne  cloches, 
Éloigné  de  leurs  faux  sentiers, 
Fléau  des  brûlans  héritiers, 
Qui  te  font  de  secrets  reproches  ; 

Digne  Esculape  de  nos  jours, 
Carette,  ton  noble  secours 
A  le  bien  payer  me  convie; 

Et,  fameux  par  tout  l'univers, 
Celuy  qui  prend  soin  de  ma  vie 
Doit  être  immortel  dans  mes  vers. 


38  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Sur  la  mort  de  Monsieur  le  Prince 


CONDÉ  meurt  dans  son  lit,  et  sa  gloire  en  murmure; 
Aussi  voit-il  sa  mort  d'un  regard  dédaigneux. 
Il  la  cherchoit  brillante,  elle  s'en  vient  obscure 
Et  peu  digne  d'un  cœur  de  ses  jours  peu  soigneux. 

Sa  grande  âme  inquiète  échappe  et  rompt  ses  nœuds. 
Pareille  fin  luy  semble  une  espèce  d'injure. 
Terrible  aux  ennemis,  fondre  et  tomber  sur  eux, 
Percé  de  mille  coups,  étoit  chose  moins  dure. 

Il  vouloit  en  mourant  être  utile  à  son  Roy, 
Comme  il  le  fut  jadis  quand  son  bras  de  Rocroy, 
Nortlingue,  Lans,  Senef,  rougit  les  plaines  vastes. 

Et  que  n'en  diront  pas  les  siècles  à  venir  ? 

Heureux,  s'il  eût  fait  moins,  ou  qu'il  eût  dans  nos  fastes 

De  ce  qu'il  fit  de  trop  éteint  le  souvenir. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  I  Sç 


Plainte  du  Cheval  Pégaze  aux  Chevaux  de  la  Petite 
Écurie,  qui  le  veulent  déloger  de  son  Galetas  des 
Thuileries. 


PÉGAZE,  contre  qui  tant  de  chevaux  ensemble 
Forment  une  cabale,  et  conspirent,  ce  semble, 
A  le  faire  sortir  du  lieu  de  son  repos. 
Leur  voulut  expliquer  la  douleur  qui  le  touche. 
Et,  secouant  le  mords  qu'il  avoit  dans  la  bouche, 
Parmy  beaucoup  d'écume  en  fit  sortir  ces  mots  : 

Compagnons  d'une  belle  et  noble  servitude, 
Que  sous  le  Grand  LOUIS  nous  ne  trouvons  point  rude. 
Me  voulez-vous  enfin  chasser  de  mon  réduit? 
C'est  un  bruit  surprenant,  et  lors  que  je  l'écoute. 
Pour  le  Cheval  de  bronze  on  me  prendroit  sans  doute. 
Si  je  ne  m'ébranlois  à  ce  terrible  bruit._ 


140  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Croyez-vous  que  mes  droits  soient  moindres  que  les  vôtres? 
Sommes-nous  pas  chevaux  les  uns  comme  les  autres? 
Je  suis  par-dessus  vous,  et  ne  m'en  prévaus  pas  : 
Les  qualitez  que  j'ay  sont  moins  matérielles, 
Et  quand  ce  ne  seroit  qu'à  cause  de  mes  ailes, 
Je  doy  loger  en  haut,  si  vous  logez  en  bas. 

Ne  nous  reprochons  rien^  vous  portez  le  monarque. 
Et  pour  vous  en  effet  c'est  une  illustre  marque; 
Mais,  à  n'en  point  mentir,  mon  sort  est  aussi  bon: 
Vous  marchez  terre  à  terre  en  des  routes  connues, 
Moy  d'un  rapide  vol  je  traverse  les  nues, 
Et  porte  dans  le  ciel  sa  louange  et  son  nom. 

D'autres  que  moy  verroient  leurs  forces  étouffées 
Sous  ce  pesant  amas  d'armes  et  de  trophées 
Qui  le  rendent  par  tout  redoutable  aujourd'huy; 
C'est  aussi  pour  mon  dos  une  charge  assez  forte: 
En  ce  grand  équipage  il  faut  que  je  le  porte 
Dans  la  postérité  bien  loin  derrière  luy. 

Combien  j'ay  veu  de  fois  naître  et  mourir  les  roses. 
Depuis  que  je  luy  vay  quérir  les  belles  choses 
Dont  il  veut  chaque  hyver  enrichir  son  ballet; 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  141 

Et  quand  j'ay  comme  il  faut  galoppé  pour  sa  gloire, 
Pour  une  pauvre  fois  qu'on  m'aura  mené  boire, 
Tout  le  reste  du  temps  on  me  laisse  au  filet. 

JULES,  qui  pour  l'Estat  se  donna  tant  de  peine. 
Voulut  aussi  régler  mon  foin  et  mon  avoine; 
Luy-même  descendit  jusqu'à  ce  dernier  soin, 
Mais  il  prit  par  malheur  un  râtelier  pour  l'autre. 
Et  quittant  un  païs  aussi  doux  que  le  nôtre. 
Partit  et  me  laissa  sans  avoine  et  sans  foin. 

Je  n'aurois  maintenant  pauvreté  ni  tristesse, 
N'étoit  qu'un  bon  coureur,  me  passant  de  vitesse, 
A  pris  ma  portion  que  je  luy  voy  manger  ; 
Dedans  la  paille  fraîche  il  se  vautre,  il  s'y  plonge. 
Couché  sur  ma  litière,  et  tandis  qu'il  me  ronge, 
Malheureux,  je  n'ay  rien  que  mon  frein  à  ronger. 

J'habite  un  beau  palais,  qui  n'a  point  de  modèle. 
Si  c'est  enchantement  ou  chose  naturelle, 
C'est  où  les  spectateurs  demeurent  en  suspens: 
Il  est  peint,  ajusté,  poly,  galant,  honnête; 
Tout  y  plaît,  tout  y  charme,  et  rien  n'y  sent  la  bête 
Que  de  l'avoir  fait  faire  à  mes  propres  dépens. 


142  STANCES,      SONNETS,    EPIGRAMMES. 

C'est  d'une  si  tranquille  et  si  riante  place. 
Presque  à  moitié  chemin  du  ciel  et  du  Parnasse, 
Que  je  sçay  mépriser  tout  l'or  de  ces  bas  lieux; 
Là  s'égaye  en  repos  ma  libre  fantaisie, 
Vivant  là  d'un  air  pur,  et  d'un  peu  d'ambroisie, 
Qui  tombe  quelquefois  de  la  table  des  dieux. 

Ce  pays  de  séjour  en  délices  abonde. 

C'est  un  don  queje  tiens  du  plus  grand  Roy  du  monde, 

Je  veux  devant  ses  yeux  ma  disgrâce  étaler  : 

Et  je  ne  seray  pas  le  premier  misérable 

A  qui  l'on  aura  vu  sa  bonté  favorable. 

Ni  le  premier  cheval  dont  il  ait  oùy  parler. 


^^^èf^ 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  I  48 


SONNET. 


CE  qu'il  faut  pour  un  poëte,  Homère  enfin  l'avoit, 
Et  des  autres  il  fut  comme  le  pédagogue; 
Virgile  vint  ensuite,  et  pas  moins  n'en  sçavoit, 
La  secte  de  ces  gens  est  envieuse  et  rogue. 

Aristote,  invincible  en  tout  ce  qu'il  prouvoit, 
Après  avoir  esté  tant  de  siècles  en  vogue, 
Descartes  vient,  qui  dit  qu' Aristote  revoit, 
Et  débite,  ce  semble,  une  plus  fine  drogue. 

Ce  qu'il  faut  pour  un  peintre,  Apelles  le  fit  voir, 
Et  de  ses  descendans  se  crut  le  désespoir; 
Il  en  est  toutefois  qui  partagent  sa  gloire. 

Ce  qu'il  faut  pour  un  roy,  le  nôtre  nous  l'apprend, 
Et  nous  a  dés  longtemps  mis  en  état  de  croire 
Qu'il  ne  sçauroit  jamais  en  venir  un  si  grand. 


144  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


T 


Air. 

iRCis  dans  nos  bois-apperçut 
Une  jeune  et  tendre  bergère, 
Elle  luy  plut, 
Sans  qu'elle  sçût 
Comme  il  faut  faire 
Quand  on  veut  plaire. 


Il  se  plaignoit  d'un  air  touchant, 
Mais  elle  n'en  fut  pas  atteinte, 

Et  sur  le  champ 

Ne  fît  qu'un  chant 

De  cette  plainte. 

Ou  vraye,  ou  feinte. 

Son  cœur  est  un  petit  glaçon. 
Quoy  que  pour  elle  on  puisse  faire, 

Une  chanson 

De  sa  façon, 

Est  le  salaire 

Qu'on  en  espère. 


STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  I45 


Pour  Monsieur  Perraut. 


SONNET. 

SUY  ta  pointe,  Perraut,  sous  des  couleurs  si  belles. 
Prouve-nous  que  ton  siècle,  heureux  de  toutes  parts. 
Sur  le  fait  des  héros,  comme  sur  les  beaux  arts, 
Ne  dégénère  en  rien  de  ses  premiers  modèles. 

Fais-nous-en  seulement  des  peintures  fidèles, 
Nous  verrons  les  LOUIS  au  dessus  des  Césars, 
Et  le  temps  favorable  aux  le  Bruns,  aux  Mignards, 
Les  mettra  pour  le  moins  vis  à  vis  des  Apelles. 

Qui  l'oseroit  nier?  l'antique  a  sa  beauté; 
Mais  elle  n'exclud  point  la  sage  nouveauté; 
Sans  se  déshonorer,  la  fille  suit  la  mère  : 

Où  d'Auguste  en  seroit  la  mémoire  aujourd'huy, 
Si  trop  respectueux  Virgile  pour  Homère, 
Eût  fait  difficulté  de  paroître  après  luy  ? 

x3 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


SONNET    EN    BOUTS-RIMEZ. 


LE  Monde  va  le  train  qu'il  plaît  à  Jupiter, 

Depuis  le  médecin  jusqu'au  pharmacopole^ 

L'homme  abonde  en  son  sens,  et  le  moindre        frater 
Se  croit  aussi  sçavant  qu'Arnaud  et  que  Nicole. 

On  se  lève,  on  s'habille;  a-t'on  dit  un  Paiera 

On  retourne  à  son  fait.  L'écuyer  caracole, 

Le  Marchand  sur  le  prix  commence  à  disputer. 

Le  pilote  à  la  mer  observe  la  boussole, 

L'ambitieux  travaille  à  se  rendre  immortel. 

Le  Brave  se  veut  battre  et  médite  un  cartel  ; 

Chacun  a  son  tracas,  chacun  a  son  affaire. 


L'un  s'adonne  à  la  prose,  un  autre  écrit  en  vers; 

Mais  s'agit-il  de  vaincre  et  régir  1'  Univers? 

On  ne  demande  plus  quel  Roy  le  pourra  faire. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  J47 


Sur  une  nouvelle  affection^  après  la  mort  d'une  Maîtresse. 


STANCES. 


DE  qui  me  plaindrai-je  en  ce  jour, 
Ou  de  la  mort  ou  de  l'amour, 
Qui  tous  deux  traversent  ma  vie, 
Si  les  Astres  infortunez 
Veulent  qu'au  trépas  de  Silvie 
Tous  mes  maux  ne  soient  pas  bornez? 

Mort  aux  plaisirs,  vif  aux  douleurs, 
Je  croyois  dans  l'eau  de  mes  pleurs 
Eteindre  ma  vie  et  ma  flâme; 
Quand  la  beauté  qui  m'asservit , 
D'un  regard  me  rendit  mon  âme , 
Et  de  l'autre  me  la  ravit. 


14c  3TANCtS,     SONNETS,    EPIGRAMMES. 

Bel  œil  jadis  si  plein  d'appas , 

Qui  dors  en  la  nuit  du  trépas 

Sur  les  bords  du  rivage  sombre, 

Ne  trouble  pas  ton  doux  sommeil, 

Si  l'amour  veut  qu'au  lieu  d'une  ombre 

Désormais  j'adore  un  soleil. 

Je  crus  que  perdant  ton  flambeau , 
Mon  cœur  amoureux  du  tombeau 
N'auroit  des  feux  que  de  ta  cendre; 
Et  que  cette  noire  maison 
Où  la  Parque  t'a  fait  descendre 
Seroit  mon  unique  prison. 

Mais  un  seul  rayon  de  ces  yeux 
Qui  troublent  la  gloire  des  Dieux, 
M'ôta  le  titre  d'invincible  ; 
J'accrus  ma  honte  en  résistant, 
Et  pour  n'être  pas  insensible 
Il  me  falloit  être  inconstant. 

Un  trait  de  feu,  m'ouvrant  le  sein , 
Changea  mon  fidèle  dessein, 
Ma  raison  se  trouva  ravie; 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  149 

Je  fus  surpris  de  sa  clarté , 

Et  contraint  pour  sauver  ma  vie, 

D'abandonner  ma  liberté. 

Source  divine  de  mes  feux, 
Souffre  l'hommage  de  mes  vœux , 
De  mes  soupirs  et  de  mes  larmes; 
Reçois  mon  âme  sous  ta  loy, 
Et  permets  que  j'offre  à  tes  charmes 
Ce  qui  déjà  n'est  plus  à  moy. 

Permets  qu'un  misérable  amant 
Puisse  être  jusqu'au  monument 
Tributaire  de  ta  couronne  , 
Et  traite  ce  cœur  qui  se  rend 
Comme  une  place  qui  se  donne, 
Et  non  comme  une  qui  se  prend. 


l3. 


I  5o  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 


Le  Jaloux. 


STANCES. 


LE  déplaisir  qui  me  combat, 
Me  fait  connoître  que  le  sage 
Doit  embrasser  le  célibat , 
Et  détester  le  mariage. 

O  que  mon  cœur  est  agité  ! 
Qu'il  est  remply  d'inquiétudes  ! 
Ma  femme  a  l'esprit  si  gàlé 
Qu'elle  est  l'antipode  des  prudes. 

Son  orgueil  ne  se  peut  guérir; 
Elle  s'égale  aux  souveraines  ; 
Et  son  luxe  a  fait  enchérir 
La  dentelle  et  le  point  de  Gênes. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  l5l 

Pour  éblouir  les  jeunes  foux 

Et  passer  prés  d'eux  pour  un  Ange , 

Elle  a  dépeuplé  de  bijoux 

Les  boutiques  du  Pont  au  Change. 

La  folle  a  si  bien  ménagé 
Les  doux  appas  de  sa  prunelle  , 
Que  mon  lit  se  voit  assiégé 
De  plus  de  braves  qu'Orbitelle. 

Dans  l'entretien  de  cesVaillans, 
Dont  elle  veut  être  adorée, 
Son  caquet  prend  tous  les  brillans 
De  l'éloquence  figurée. 

Ses  paroles  sont  toutes  d'or. 
Rien  n'échappe  à  sa  Rhétorique , 
Et  Paris  n'a  point  de  Médor 
Dont  elle  ne  soit  l'Angélique. 

Elle  me  rend  si  malheureux, 
Que  mon  chagrin  n'a  plus  de  bornes; 
Je  croy  qu'un  peuple  d'amoureux 
Travaille  à  me  planter  des  cornes. 


l52  STANCES,    SONNETS,    ÉPIGRAMMES. 

Mille  peurs  troublent  mon  cerveau. 
Dés  que  son  page  approche  d'elle. 
Je  crains  tout,  même  le  tableau 
Du  héros  peint  dans  ma  ruelle. 

Que  je  serois  aimé  des  Cieux, 
Si  cette  belle  vagabonde 
Alloit  débaucher  nos  ayeux 
Et  coqueter  en  l'autre  monde. 


i 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.       .1 


53 


Kegrets. 


AINSI  Calinice,  dolent^ 
Formoit  en  son  mal  violent 
Moins  de  paroles  que  de  larmes , 
Quand,  malgré  tout  autre  pouvoir. 
Son  amour  opposoit  ses  armes 
A  celles  de  son  désespoir. 

Destins  ennemis  et  jaloux, 
A  quelle  fin  m'ordonnez-vous 
D'aimer  avec  persévérance , 
Permettant  pour  mes  déplaisirs, 
Que  la  mort  de  mon  espérance 
Laisse  la  vie  à  mes  désirs  ? 


l54  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Que  rigoureuses  sont  vos  loix 
Astres  impiteux  à  ma  voix, 
Ou  que  mon  offense  est  extrême! 
Vous  voyez  sans  me  secourir, 
Qu'on  me  sépare  de  moy-même  , 
Et  vous  m'empêchez  de  mourir. 

Au  moins  cette  grande  beauté 
Sçauroit  alors  la  cruauté 
Que  souffre  mon  âme  contrainte; 
Et  si  l'excès  de  ma  douleur 
Cause  le  défaut  de  ma  plainte, 
Ma  mort  luy  diroit  mon  malheur. 

Dieux  !  pour  l'honneur  de  vos  autels , 
Venez  condamner  les  mortels 
Aussi-bien  que  mon  cœur  aux  fiâmes; 
Vos  offices  vous  sont  ostez. 
On  veut  assujettir  les  âmes , 
Et  disposer  des  volontez. 

La  foy  ni  l'inclination 

N'obligent  pas  l'affection, 

Sans  que  la  grandeur  l'importune; 


STANCES,     SONNETS,    ÉPIGRAMMES.  l55 

Et  par  un  malheur  de  nos  jours, 

Les  dignitez  de  la  fortune 

Sont  les  doux  charmes  de  l'amour. 

Amour,  quelle  est  ta  déité, 

Si  de  la  fortune  agité 

Contr'elle  enfin  tu  te  consommes  ? 

C'est  la  maîtresse  de  ces  lieux, 

Qui  ne  régnant  que  sur  les  hommes , 

N'a  point  d'empire  sur  les  Dieux. 

Tu  cèdes  aux  rigueurs  du  sort , 
Et  je  reste  sans  reconfort 
Aux  injures  de  ta  défaite; 
Je  te  voj,  superbe  vainqueur, 
Contraint  de  faire  la  retraite , 
Mais  c'est  toujours  dedans  mon  cœur. 

L'image  de  perfections , 
Qui  cause  mes  afflictions, 
Seule  me  console  et  m'attire  ; 
Souffrant  avec  tant  de  raison, 
Je  favorise  mon  martyre 
Et  déteste  ma  guérison. 


56  STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 


STANCES. 


Plainte  d'un  Amant  à  sa  Maîtresse. 


LISEZ-LES  devant  mon  rival , 
Cesversoùjemeplainsde  l'humeur  dont  vous  estes; 
Et  riant  avec  luy  du  sujet  de  mon  mal , 

Songez  quel  honneur  vous  vous  faites. 

S'il  vous  aime,  il  n'aimera  point 
Cette  humeur,  quoy-qu'enfin  il  y  trouve  son  compte; 
Et  je  ne  pense  pas  que  jamais  sur  ce  point 

Vous  luy  puissiez  faire  un  bon  conte. 

Dites-luy  qu'avec  peu  d'effort 
Vous  rompez  les  liens  d'une  amour  infinie; 
S'il  en  rit  de  bon  cœur  et  qu'il  vous  aime  fort, 

Il  est  de  bonne  compagnie. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  iSy 

Il  en  a  beau  faire  le  fin. 
Si  ma  chute  luy  plaît,  l'exemple  l'importune; 
Quelque  établi  qu'il  soit ,  peut-estre  mon  chagrin 

Fait  trembler  sa  bonne  fortune. 

Quand  l'objet  est  léger  et  vain. 
Le  dernier  soupirant  se  doit  tenir  alerte  ; 
Qu'auroit-il  plus  que  moy?  j'ay  fait  le  même  gain, 

Il  peut  faire  la  même  perte. 

Chacun  débite  sa  douceur. 
Chacun,  en  fait  d'amour,  se  supplante  et  se  choque; 
Et  je  gage  déjà  que  de  mon  successeur 

Quelqu'un  regarde  la  défroque. 

A  vôtre  gré  prenez  l'essor, 
Je  n'en  murmure  point,  ce  n'est  plus  mon  affaire; 
Mais,  entre  nous,  combien  prétendez-vous  encor 

Avoir  d'inconstances  à  faire? 

Tout  passe,  les  attraits  s'en  vont; 
Et  quand  vous  n'aurez  plus  cette  grande  jeunesse^ 
Eussiez-vous,  s'il  se  peut,  un  caprice  plus  pront , 

On  vous  gagnera  de  vitesse. 

H 


\ 


l58  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

S'il  reste  vers  ces  derniers  temps 
Quelque  trait  à  vos  yeux  de  leurs  traits  adorables, 
Ils  vous  feront  au  moins  tout  autant  d'inconstans 

Que  vous  faites  de  misérables. 

Pour  vous  payer,  on  vous  rendra 
Cette  infidélité  qui  n'épargnoit  personne; 
Et  de  vôtre  printemps  la  faute  deviendra 

Le  supplice  de  vôtre  automne. 

Vous  verrez  avecque  rougeur 
Vos  charmes  ne  donner  que  de  foibles  atteintes; 
Et  nous  pourrons  bien  voir  quelque  mépris  vengeur 

Naître  de  vos  grâces  éteintes. 

Mais  malgré  le  dépit  que  j'ay. 
Le  ciel  garde  pourtant  vôtre  beauté  parfaite; 
Encore  que  je  sois  un  amant  outragé. 

Je  désire  estre  un  faux  prophète. 


^^^^ 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  l5() 


I 


STANCES. 


UAmant  indifférent. 


NON,  je  ne  monte  point  à  ce  point  d'insolence, 
Que  d'oser  sans  raison,  d'un  courage  effronté, 
Soutenir  de  mes  mœurs  la  trop  grande  licence, 
Et  la  lasciveté. 

Je  ne  les  cèle  plus,  mes  vœux  illégitimes, 
Si  la  confession  amoindrit  le  péché  ; 
Insensé  que  je  suis,  je  découvre  des  crimes 
Que  tout  autre  eût  caché. 

Quoique  je  les  haïsse,  et  que  je  les  déteste. 
Mon  âme  encor  pour  eux  a  des  désirs  puissans  : 
C'est  un  subtil  venin,  c'est  une  douce  peste 
Qui  veut  charmer  mes  sens. 


ibO  STANCES,     SONNETS,    EPIGRAMMES. 

Ah  !  qu'il  est  difficile,  et  que  l'on  a  de  peine 
A  supporter  un  faix  qu'on  voudroit  décharger! 
Je  nourris  dans  le  cœur  une  espérance  vaine 
De  m'en  voir  dégager. 

Je  combats  vainement,  ma  passion  trop  forte 
A  réduit  ma  raison  à  ne  plus  résister, 
Et  ressemble  au  vaisseau  que  le  courant  emporte 
Sans  pouvoir  s'arrêter. 

Il  n'est  point  de  beauté  ni  de  grâce  certaine 
Que  je  puisse  nommer  l'objet  de  mes  amours; 
Toutes  sortes  d'appas,  me  causant  de  la  peine, 
Font  que  j'aime  toujours. 

Si  quelqu'objet  sur  moy  jette  des  yeux  modestes, 
Sa  pudeur  me  ravit,  il  devient  mon  vainqueur,, 
Et  de  si  doux  regards  sont  les  fiâmes  funestes 
Qui  m'embrasent  le  cœur. 

Si  je  trouve  au  contraire  une  Dame  afîétée, 
Son  langage  un  peu  libre  a  pour  moy  des  appas, 
Et  la  place  me  plaît,  qui  peut  être  emportée 
Sans  beaucoup  de  combats. 


STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES.  l6l 

Si  j'en  vois  par  hazard  quelqu'une  dédaigneuse, 
D'une  antique  Sabine  imitant  le  parler. 
Je  croy  qu'elle  le  veut,  mais  qu'une  âme  orgueilleuse 
La  fait  dissimuler. 

Une  docte  me  plaît,  j'y  trouve  mille  charmes, 
J'adore  incontinent  ses  rares  qualitez  : 
Une  innocente  encor  me  fait  rendre  les  armes 
Par  ses  simplicitez. 

S'il  est  quelque  beauté  si  fort  passionnée. 
Que  de  n'estimer  rien  que  les  vers  que  je  fais, 
Aussi-tost  sous  ses  loix  mon  âme  est  enchaînée, 
Et  j'aime  à  qui  je  plais. 

S'il  s'en  rencontre  aussi  dont  l'humeur  plus  sévère, 
Blâme  des  vers  qu'une  autre  aura  trouvez  charmans, 
Je  voudrois  me  venger  d'un  si  doux  adversaire 
Par  mille  embrassemens. 

L'une  en  se  promenant  chemine  avec  molesse, 
Et  d'un  pied  négligent  elle  forme  ses  pas; 
Son  mouvement  me  plaît,  et  sa  feinte  paresse 
A  pour  moy  des  appas. 

14. 


162  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

L'autre  d'un  fier  regard  paroît  inexorable, 
Et  d'un  pas  mesuré  marche  superbement  ; 
Mais  elle  pourra  bien  devenir  plus  traitable 
Dans  les  bras  d'un  Amant. 

Parce  que  celle-là,  si  l'on  n'est  une  souche, 
Avec  sa  douce  voix  nous  sçait  si  bien  charmer. 
Je  voudrois  dérober  des  baisers  à  sa  bouche 
Sans  la  faire  fermer. 

Cette  autre  icy  fait  plaindre  en  cent  façons  nouvelles 
Les  cordes  que  ses  doigts  sçavent  si  bien  toucher; 
Pour  n'aimer  pas  des  mains  si  doctes  et  si  belles 
Il  faut  être  un  rocher. 

Celle-cy  me  ravit  par  un  geste  agréable, 
Qui  fait  suivre  à  ses  bras  la  mesure  des  sons, 
Et  fait  tourner  le  corps  d'un  art  émerveillable 
En  cent  doctes  façons. 

Toy,  qui  peux  égaler  par  ta  haute  stature 
Ces  femmes  de  Héros  que  l'Antiquité  vit, 
Tu  peux  par  ces  faveurs  que  t'a  fait  la  Nature 
Occuper  tout  un  lit. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  I  63 

L'autre,  quoiqu'un  peu  courte,  a  pourtant  du  mérite, 
Elle  en  est  plus  subtile  au  lascif  mouvement; 
L'une  et  l'autre  me  plaît ,  la  grande  et  la  petite 
Me  rendent  leur  Amant. 

Elle  n'a  mis  nul  soin  à  laver  son-visage, 
On  ne  remarque  en  elle  aucun  ajustement  : 
Aussi-tost  mon  esprit  songe  quel  avantage 
Donne  cet  ornement. 

Cette  autre  plus  parée  a  consulté  sa  glace,*' 
Pour  donner  à  ses  yeux  de  nouvelles  clartez  : 
N'est-ce  pas  un  grand  point  de  sçavoir  avec  grâce 
Etaler  ses  beautez? 

La  Blanche  me  remplit  d'une  ardeur  non-commune  , 
Pour  la  Blonde  aussi-tost  je  mets  les  armes  bas. 
Et  mes  yeux  mêmement  dedans  la  couleur  brune 
Rencontrent  des  appas. 

Des  cheveux  noirs  pendans  dessus  un  col  d'ivoire 
Ont  des  attraits  puissans  qui  peuvent  tout  charmer, 
Et  ce  fut  de  Léda  la  chevelure  noire 
Qui  la  fit  tant  aimer. 


164         STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

S'ils  sont  dorez,  l'Aurore  en  avoit  de  semblables. 
C'est  par  ses  seuls  rayons  qu'on  la  voit  éclater; 
Enfin  je  m'accommode  à  tout  autant  de  fables 
Qu'on  en  peut  inventer. 

Dessus  moy,  la  jeunesse  a  beaucoup  de  puissance; 
Un  âge  un  peu  plus  meur  a  dequoy  m'enflâmer: 
L'une  par  sa  beauté,  l'autre  par  sa  prudence, 
Me  peut  aussi  charmer. 

Enfin,  s'il  est  encor  quelques  beautez  nouvelles, 
Qui  puissent  dans  les  cœurs  porter  la  passion. 
Mon  amour  y  prétend ,  et  pour  toutes  les  Belles 
J'ay  de  l'ambition. 


*^:CS-^ 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  l65 


Sur  l'Amour  d'Urank  avec  Philis. 


STANCES. 


JE  ne  murmure  pas.  infidelle  Uranie , 
De  vôtre  trahison; 
Et  je  ne  prétens  point,  dessous  ma  tyrannie, 
Gêner  vôtre  raison. 

Si  pour  un  autre  Amant  vous  aviez  pris  le  change , 

Je  l'aurois  enduré  : 
Je  blâmois  vôtre  amour,  et  je  trouvois  étrange 

Qu'il  avoit  tant  duré. 

Je  n'ai  rien  de  charmant,  ni  rien  de  comparable 

A  vos  perfections  ; 
Et  vous  êtes  d'ailleurs  d'un  sexe  variable 

En  ses  affections. 


l66         STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Mais  quoi  !  vôtre  amitié,  pour  suivre  une  autre  Amante, 

Se  sépare  de  nous! 
Belle  certainement,  adorable,  charmante. 

Mais  femme  comme  vous. 

De  céder  la  victoire  il  est  assez  infâme , 
Quel  que  soit  le  Vainqueur  ; 

Mais  d'être  lâchement  vaincu  par  une  femme , 
C'est  double  créve-cœur. 

Il  faut  le  confesser,  il  est  vrai  qu'elle  est  belle , 
Qu'elle  est  pleine  d'attraits; 

El  que  mal-aisément  l'âme  la  plus  rebelle, 
Se  défend  de  ses  traits. 

Pour  elle  tout  languit;  pour  elle  tout  soupire 

Où  que  tournent  ses  pas  ; 
Les  plus  nobles  Vainqueurs  reconnoissent  l'empire 

De  ses  divins  appas. 

Des  braves  qui  cent  fois  des  flots  et  de  l'orage 

Méprisèrent  l'orgueil; 
De  fameux  Conquérans,  viennent  faire  naufrage 

A  ce  fatal  écueil. 


STANCES,     SONNETS,    EPIGRAMMES.  167 

Même  en  ce  beau  rivage,  où  la  mer  se  couronne 

De  bouquets  d'oranger, 
On  vit  le  Dieu  des  Eaux,  quittant  sceptre  et  couronne, 

Sous  ses  loix  se  ranger. 

Elle  est,  il  est  bien  vrai,  digne  d'être  admirée 

De  tous  également  ; 
Mais  sa  divinité  ne  doit  être  adorée 

Que  de  nous  seulement. 

Chacun  serve  ses  Dieux;  les  prêtres  de  Cibelle 

Aux  Autels  de  Vénus, 
Leur  offrande  à  la  main,  quoique  pompeuse  et  belle, 

Seroient  les  mal-venus. 

Aussi,  quoiqu'elle  jure  et  quoiqu'elle  vous  mente ^ 

Vous  croyez  vainement 
Qu'elle  ait  jamais  pour  vous  cette  ardeur  véhémente 

Qu'on  a  pour  un  Amant. 

Pour  peu  que  de  bon  sens  sa  raison  soit  guidée, 

Elle  voit  aisément, 
Que  vôtre  passion  n'est  qu'une  folle  idée, 

Ou  qu'un  déguisement. 


/ 


l68  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

Non,  non,  vôtre  amitié,  de  quoi  qu'elle  se  vante, 

Ne  sçauroit  la  toucher; 
Et  celle  qui  pour  nous  est  sensible  et  vivante, 

Pour  vous  est  un  rocher. 

Vôtre  flâme  est  brillante,  elle  tonne,  elle  éclaire. 
Mais  elle  est  sans  vigueur; 

Elle  peut  éveiller  et  jamais  satisfaire 
L'amoureuse  langueur. 

Vos  baisers  sont  pareils  à  ces  baisers  timides 

Qu'une  mère  a  d'un  fils; 
Au  prix  de  nos  baisers  pressez,  ardens,  humides, 

En  sucre  tout  confits. 

Le  duvet  d'un  Amant,  pique  la  bouche  et  l'âme; 

C'est  un  doux  aiguillon 
Qui  d'un  sang  amoureux  dans  le  cœur  d'une  Dame 

Excite  le  bouillon. 

Quand  l'Astre  du  matin  sollicite  la  Rose 

D'un  baiser  amoureux. 
D'aise  elle  épanouît  sa  feuille  à  demi  close 

A  ses  rais  vigoureux. 


l 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  I  69 

Mais  quand  la  froide  Lune,  à  l'amour  impuissante, 

En  pense  faire  autant , 
Au  contraire,  sa  fleur  débile  et  languissante 

Se  resserre  à  l'instant. 

Et  ses  rayons  gelez,  sa  couronne  incarnate, 

S'étreint  en  peloton; 
Se  cache  sous  l'épine,  en  ses  feuilles  se  natte. 

Et  ferme  son  bouton. 

Alors' que  vous  pressez  la  bouche  d'une  Dame 

De  baisers  trop  ardens , 
Et  que  vous  pénétrez  jusqu'à  l'humide  flâme 

Qui  s'enferme  au  dedans; 

Aux  guespes  des  jardins  vous  devenez  pareilles, 

Qui  sans  faire  du  miel. 
Picotent  sur  les  fleurs  le  butin  des  abeilles 

Et  la  Manne  du  ciel. 

Voit-on  les  animaux,  quelqu'ardeur  qui  les  presse , 

Ainsi  s'apparier , 
Et  colombe  à  colombe,  ou  tigresse  à  tigresse 

Jamais  se  marier? 

i5 


lyo  STANCES,     SONNETS,    EPIGRAMMES. 

Quand  le  Palmier  femelle  à  son  mâle  se  mêle, 

Il  l'embrasse  en  amant; 
Mais  on  a  beau  le  joindre  à  quelqu'autre  femelle, 

Il  est  sans  mouvement. 

Des  plaisirs  amoureux,  ainsi  qu'on  le  peut  croire, 

Vénus  sçavoit  le  goût; 
A  ce  jeu  toutefois  il  n'est  point  de  mémoire 

Qu'elle  ait  trouvé  ragoût. 

Si  l'Amante  pouvoit  donner  à  son  Amante 

Les  douceurs  de  l'amy, 
Pour  devenir  garçon  l'amoureuse  Diante 

N'auroit  pas  tant  gémy. 

Même,  pour  nous  haïr,  ces  farouches  guerrières 

Ne  s'entr'aimèrent  pas; 
Mais  d'un  parfait  amour  alloient  sur  leurs  frontières 

Goûter  les  vrais  appas. 

Leur  Reine  généreuse,  au  conquérant  d'Asie 

Alla  faire  l'amour; 
Et  tant  qu'elle  eut  passé  sa  douce  fantaisie 

Demeura  dans  sa  cour. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  171 

Amour  est  un  brasier  :  ajouter  flâme  à  flâme, 

Ce  n'est  que  la  grossir; 
Amour  est  une  playe,  et  le  jus  du  dictame 

Le  peut  seul  adoucir. 

Amour  est  un  désir  :  l'union  et  la  joye 

Est  son  terme  et  sa  fin  ; 
Amour  est  un  chasseur  :  il  luy  faut  une  proye, 

Qu'il  coure  et  prenne  enfin. 

Amour  est  un  concert  :  il  faut  qu'il  se  compose 

De  différens  accords; 
C'est  un  nœud  mutuel  qui  veut  et  qui  suppose 

Un  entrelas  de  corps. 

Amour  est  un  enfant  :  avecque  la  mammelle 

Il  luy  faut  le  brouet  ; 
C'est  un  petit  mignon  qui  bien  souvent  gromelle  : 

Il  luy  faut  un  jouet. 

Vous  estes  nos  moitiez,  avec  nous  assorties 
Vous  formez  un  beau  tout; 

Séparez-vous  de  nous,  vous  n'estes  que  parties, 
Vous  n'estes  rien  du  tout. 


172  STANCES,    SONNETS,     EP1GRAMME5. 

Séparez-vous  de  nous,  vous  n'estes  que  des  ombres 
Sans  force  et  sans  pouvoir. 

Vous  estes  les  zéros,  et  nous  sommes  les  nombres 
Qui  vous  faisons  valoir. 

Je  sçai  que  la  beauté,  par  tout  victorieuse, 
Nous  dompte  et  nous  régit; 

Et  que  sur  tous  les  cœurs  sa  force  impérieuse 
Également  agit. 

Hé  bien,  honorez-la,  comme  les  autres  choses, 

D'un  sentiment  léger. 
Comme  on  prise  les  lys,  comme  on  chérit  les  roses 

D'un  parterre  étranger. 

Mais  venir  sur  nos  champs  en  faire  des  rapines 

En  insolent  Vainqueur, 
Ne  méritez-vous  pas  d'y  trouver  des  épines 

Qui  vous  percent  le  cœur? 

Ah  !  quittez  désormais  cette  étrange  manie, 

Réglez  mieux  vos  désirs; 
Et  revenez  goûter,  adorable  Uranie, 

Les  solides  plaisirs. 


STANCES,     SONNETS,     ÉPIGRAMMES.  lyS 

Mais  vous,  fière  beauté,  que  prétendez-vous  faire? 

Voulez-vous  me  ravir 
Un  bien  qui  ne  sçauroit  que  peu  vous  satisfaire, 

Et  peut  bien  me  servir  ? 

Donnez-moy  donc  au  moins  une  Amante  pour  l'autre, 

Troquons^  je  le  veux  bien; 
Ou  rendez-moy  son  cœur,  ou  donnez-moy  le  vôtre 

A  la  place  du  sien. 


174  STANCES,    SONNETS,     EPIGRAMMES. 


STANCES. 
Pour  les  Filles  de  la  Keine. 

LA  Porte  a  pour  son  partage 
De  l'esprit,  de  la  beauté, 
Avec  un  peu  de  fierté; 
Elle  est  modeste,  elle  est  sage; 
Tout  fléchit  dessous  ses  loix  : 
Si  mon  cœur  étoit  volage, 
Je  croy  que  je  l'aimerois. 

FouUoux,  sans  songer  à  plaire, 

Plaist  pourtant  infiniment 

Par  un  air  libre  et  charmant; 

C'est  un  dessein  téméraire 

Que  d'attaquer  sa  rigueur  : 

Si  j'eusse  esté  sans  affaire. 

Je  croy  qu'elle  auroit  mon  cœur. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  17 

Vostre  douceur  est  extrême, 
Boneûil,  il  faut  avouer 
Qu'on  ne  la  peut  trop  louer  ; 
Vostre  mérite  est  de  même  : 
Et  l'on  doit  être  assuré 
Que,  sans  une  autre  que  j'aime, 
Pour  vous  j'aurois  soupiré. 

Neuillan,  qui  peut  se  défendre 
De  languir  pour  vos  appas? 
Mais  qui  peut  n'en  mourir  pas? 
Tous  les  cœurs  s'y  viennent  rendre 
Et  s'y  veulent  engager; 
Mais  un  autre  m'a  sçû  prendre, 
Et  je  ne  sçaurois  changer. 

Toute  la  cour  est  éprise 

De  ces  attraits  précieux, 

Dont  vous  enchantez  nos  yeux, 

Maneville;  ma  franchise 

S'y  devroit  bien  engager  : 

Mais  mon  cœur  est  place  prise. 

Et  vous  n'y  sçauriez  loger. 


176  STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 

Enfin  mon  cœur  ne  peut  faire 
Telles  infidélitez 
En  faveur  de  vos  beautez  : 
L'objet  seul  qui  m'a  sçû  plaire , 
Est  un  objet  de  renom. 
Que  j'avois  dessein  de  taire; 
Mais  le  moyen?  c'est  Gourdon. 


^x^^^^êP 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  177 


MADRIGAL. 


Pour   Mademoiselle. 


AVEC  impatience  un  grand  Roy  vous  attend  ; 
Vous  êtes,  vu  le  tems,  honnêtement  pourveuë  ; 
Devant  que  de  vous  voir,  puisqu'il  vous  aime  tant. 
Que  sera-ce,  bon  Dieu,  quand  il  vous  aura  veuë? 
Ah!  qu'il  soupçonne  en  vous  de  charmes  inconnus! 
Princesse,  où  n'ira  point  pour  vous  sa  complaisance? 
Lorsque  vous  vous  serez  tous  deux  entretenus, 
Que  ne  produiront  point  des  doutes,  soutenus 
D'une  telle  présence  ? 


Qi!^!^ 


178         STANCES,    SONNETS,     ÉPIGRAMMES. 


STANCES. 


Description  de  sa  Maison  de  Gentilly, 


POSSESSEUR  d'un  terrain  de  petite  étendue , 
Je  partage  un  ruisseau  qui  laisse  aller  ma  vûë 
En  des  lieux  où  pour  moi  l'on  a  quelques  égards; 
Et  si  tout  n'est  à  moy,  tout  est  à  mes  regards. 

Un  vieux  tronc,  desséché  par  la  suite  des  ans. 
Commença  ce  berceau  qu'un  long  âge  décore; 
D'autres  issus  de  lui  l'entretiennent  encore  : 
Ainsi  le  père  mort  revit  dans  ses  enfans. 

Ces  grands  arbres  venus  sans  soin  et  sans  culture, 
Qui  prétendent  du  ciel  atteindre  la  hauteur. 
Semblent  dire  ;  Il  est  doux  de  suivre  la  Nature, 
Mais  il  faut  s'élever  jusques  à  son  Auteur. 


STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES.  I  79 

Quelle  folie  est  plus  fameuse  ? 
C'est  grand  pitié  de  voir  deux  vieillards  amoureux 

D'une  belle  et  jeune  dormeuse. 
Qui  n'est  froide,  ce  semble,  et  marbre  que  pour  eux. 

Icy  Philomèle  s'empare 
D'un  endroit  solitaire,  où  son  cœur  attendri 
Etudie  et  polit  les  airs  qu'elle  prépare 
I  Pour  le  Printemps  son  favori. 

Au  murmure  des  fontaines. 
Les  oiseaux  se  mêlent  tous  : 
Le  monde  et  ses  pompes  vaines 
Ne  font  pas  un  bruit  si  doux. 

Icy,  loin  du  tumulte  et  franc  d'inquiétude. 
J'aime  à  m'entretenir  avec  les  bons  esprits; 
Et  si  quelque  fâcheux  trouble  ma  solitude, 
Il  m'en  fait  d'autant  mieux  reconnoître  le  prix. 

Ambition,  Fortune,  adieu  vous  et  les  vôtres; 
L'on  ne  vient  point  icy  vos  grâces  mendier  : 
Adieu  vous-même.  Amour,  bien  plus  que  tous  les  autres 
Difficile  à  congédier. 


l8o  STANCES,     SONNETS,     EPIGRAMMES. 

D'une  coulante  veine  et  saintement  féconde, 
Touché  de  mon  salut,  quelquefois  en  ce  lieu, 
J'ai  fait  parler  [d'amour]  le  plus  grand  Roy  du  monde. 
Pécheur,  et  cependant  selon  le  cœur  de  Dieu. 

Ce  n'est  rien  moins  qu'un  partisan 
Qui  fît  ces  cascades;  et, vive 

La  Nature  naïve, 

L'Art  est  trop  courtisan. 

Ce  réduit  si  charmant  et  si  propre  à  rêver, 
Inspire  aux  tendres  cœurs  de  profanes  délices  : 
Gardez-vous,  tête  à  tête  ici  de  vous  trouver, 
A  moins  que  d'être  armez  de  haires,  de  cilices. 

Le  monde  a  bien  plus  d'un  détour 
Par'où  s'égare  qui  s'y  fonde  : 
Tout  en  est  mauvais,  et  la  Cour 
Pire  que  le  reste  du  monde. 


Q^W^ 


LE    CY   GIST 


Diverses  Epitaphes  pour  toute  sorte  de  personnes  de  Fun 
et  de  Vautre  sexe,  et  pour  l'Auteur  même,  quoique 
vivant. 


I 


CAPRICE. 


C'est  un  Monstre  comblé  de  malédictions, 
Que  la  Mort  aux  humains  non  moins  seure  qu'horrible 
Elle  moissonne  tout  avec  sa  Faux  terrible, 
Et  va  se  promenant  par  les  Conditions; 
Elle  en  fait  comme  un  champ  désolé  par  la  grêle, 

Hommes  et  Femmes  péle-méle  : 
Joignons-les  l'un  à  l'autre,  ainsi  qu'elle  les  joint; 
Icy  couchez  ensemble,  on  n'en  médira  point. 


omt;  / 

/ 


184  LE     CY    GIST. 

Épitaphe  d'un  Médecin. 

""^      Cy  gist,  par  qui  gisent  les  autres, 
Un  Médecin  des  plus  sçavans 
En  l'Art  si  funeste  aux  Vivans; 
Disons  pour  luy  des  Patenôtres  : 
'     S'il  en  a  de  tant  d'Héritiers 
Qu'il  fît,  ou  seulement  du  tiers, 
Il  n'aura  que  faire  des  nôtres; 
Tels  gens  en  disent  volontiers. 

A  tout  âge,  à  tout  sexe ,  il  déclara  la  guerre  , 

A  force  de  saignée  et  d'infecte  boisson. 
1     Quelle  foule  de  Morts  il  a  trouvé  sous  terre, 

N'y  dût-il  rencontrer  que  ceux  de  sa  façon  ? 
La  santé  fuyoit  comme  un  Lièvre, 
Et  devant  luy  doubloit  le  pas; 

Il     Ce  n'étoit  que  par  le  trépas 
'    Qu'il  venoit  à  bout  de  la  Fièvre. 
Plus  ennemi  du  Quinquina 
Que  d'Auguste  ne  fut  Cinna. 
Vray  Basilic,  qui  tuoit  d'une  œillade, 
Des  plus  beaux  jours  il  trancha  le  filet; 
Et  n'auroit  pas  épargné  son  Mulet, 


LE     CY     GIST.  l85 

Si  son  Mulet  avoit  été  malade, 

Ou  qu'il  n'eût  pas  luy-même  été  pris  au  colet.   ^;.— — ^ 

Épitaphe  d'un  Philosophe. 

Cy  gist  un  Philosophe,  et  qui,  sans  qu'on  le  nomme, 
Soûtenoit  qu'il  ne  faut  regarder  le  trépas 
Que  comme  l'on  regarde  un  long  et  profond  somme 
Dans  lequel  on  ne  songe  pas; 

Et  cependant  le  pauvre  homme 

Eut  peine  à  franchir  ce  pas. 

Épitaphe  d'un  Astrologue. 

Cy  gist  qui  professoit  une  Science  fausse , 
A  qui  comme  Astrologue  estoit  le  Ciel  ouvert , 
Il  observa  le  Ciel,  et  ne  vid  point  sa  fosse, 
Il  dédaigna  la  terre,  et  l'en  voilà  couvert. 

Epitaphe  d'une  belle  Femme. 

Cy  gist  une  Beauté,  charmante  et  peu  vulgaire. 
Qu'injustement,  hélas!  son  Époux  gourmandoit; 

16. 


l86  LE     CY     GIST 

i       Et  le  seul  qui  ne  l'aima  guère  , 
\      Fut  le  seul  qui  la  possédoit. 

Epitaphe  d'un   Vieillard. 

Cy  gist  un  bon  Vieillard,  qui  répugnoit  à  suivre 
Cette  commune  loj  suivie  également; 

Douce  est  l'habitude  de  vivre, 

On  la  perd  difficilement. 

Epitaphe  d'un  Juge. 

Cy  gist,  mais  où  ?  peut-être  en  lieu  plus  chaud  que  braise  , 
Un  juge  à  ses  devoirs  fortement  obligé: 
Il  ne  faut  que  sçavoir  comment  il  a  jugé, 
Pour  apprendre  s'il  est  bien  ou  mal  à  son  aise. 

Epitaphe  d'une  Femme  sage. 

Cy  gist  qui  de  bonne  heure  étoit  accoutumée 
A  se  maintenir  sage  et  sans  peine,  et  sans  art; 
Et  qui  comme  telle  à  part 
!         Méritoit  d'être  inhumée. 


LE    CY    GIST.  187 


Epitaphe  d'un  Avocat. 


Cy  gist  qui  ne  cessa  d'étourdir  les  humains , 
Et  qui,  dans  le  Barreau,  n'eut  relâche,  ni  pause: 
Le  meilleur  droit  du  monde  eut  péri  dans  ses  mains, 
Aussi  contre  la  Mort  perdit-il  pas  sa  cause?, 


Epitaphe  d'un  Homme  turbulent. 

Cy  gist  de  tout  vacarme  ou  l'auteur,  ou  l'appuy, 
A  qui  l'on  chanta  sa  game; 

Et  rien  n'auroit  été  de  plus  grand  bruit  que  luy. 
S'il  n'avoit  pas  eu  de  femme. 


Epitaphe  d'un  Homme  doux. 

Cy  gist  qui  vivoit  doucement, 
Sans  être  incommode  à  personne  ; 
A  sa  mort  même,  expressément, 
Il  a  défendu  que  l'on  sonne. 


l88  LE    CY    GIST. 


Épitaphe  d'un  Courtisan. 

Cy  gist  un  Courtisan  qui  d'espoir  se  repui 
Jadis  il  sentoit  bon_,  et  maintenant  il  put,. 


Épitaphe  d'une  Dévote,    ^ 

Cy  gist  une  Dévote,  et  qui  fut  des  plus  franches, 
Qui,  sous  de  modestes  atours 
Alloit  à  Vêpres  les  Dimanches  : 
Que  faisoit-elle  aux  autres  jours? 
C'est  une  autre  paire  de  manches. 


Epitaphe  d'un   Orateur. 

Cy  gist,  sous  cette  pierre  lourde, 
Un  grand  et  célèbre  Orateur  : 
Il  eut  beau  dire,  éloquent  et  flateur; 
Mort  le  frappa  comme  une  sourde. 


I 


LE    CY    GIST.  189 


Épitaphe  d'une  jeune  Fille. 


Cy  gist  qui  n*avoit  que  quinze  ans. 
Qui  vouloit  plaire  au  monde,  et  qu'on  la  trouvât  belle  : 
Quel  dommage  pour  luy  !  quel  dommage  pour  elle  !  [/ 
Que  de  beaux  jours  perdus,  aimables  et  plaisans  ! 


Épitaphe  d'un  Marchand. 

Cy  gist  un  Marchand  qu'on  soupçonne 
D'avoir  esté  Marchand  qui  survendit. 

Il  ne  fit  crédit  à  personne;  .^.^^^, 

La  Mort  ne  luy  fit  point  crédit.  '  ■ — 


Epitaphe  d'un  Fourbe. 

Cy  gist  à  qui  malice  et  fraude  étoit  commune: 
Dieu  veuille  avoir  son  âme^  au  cas  qu'il  en  eût  une. 


190  LE    CY    GIST. 


Epitaphe  d'un  Prédicateur. 

Cy  gist  un  beau  Prêcheur  étalant  la  vertu  ; 

Jeune,  frais  et  vermeil,  d'un  air  en  apparence 
Si  contraire  à  la  tempérance, 
Qu'il  eût  mieux  fait  de  s'être  tû. 


Epitaphe  d'une  Femme. 

Cy  gist  indulgente  et  bonne , 
Ayant  plus  d'un  favory, 
Et  ne  maltraitant  personne, 
Si  ce  n'étoit  son  Mary. 


Epitaphe  d'un  Prélat. 

Cy  gist  qui  tenoit  bonne  table. 
Doux,  facile,  honnête,  acostable, 
Enfin  un  Prélat  merveilleux. 
Qui,  n'étant  point  trop  scrupuleux. 


LE    CY    GIST. 


I 


Mais  cheminant  par  la  voye  un  peu  large, 
Fut  de  ses  intérests  saintement  prévenu , 

Et  soigneux  de  son  revenu, 
Pour  ne  rien  oublier  des  devoirs  de  sa  charge. 


Epitaphe  d'un  ComédUn. 

Cy  gist  un  Comédien,  — 

Qui  s'en  aquitta  fort  bien  : 

Il  brouilla  mille  ménages , 

Il  fit  mille  Personnages,  — 

Tirant  beaucoup  de  profit 

Des  Personnages  qu'il  fit.  ^  p. 

Il  fait  le  mort  à  cette  heure ,    ^   1 

Et  si  bien  que  l'on  en  pleure  ;     "  *  ' 

Mais,  il  le  faut  avouer. 

C'est  un  long  rôle  à  jouer. 


Epitaphe  d'une  Prude. 

Cy  gist  qui  fit  semblant  d^être  sévère  et  rude , 
Mais  pour  qui  nul  Amant  ne  soupiroit  à  faux, 


192  LE    CY    GIST. 

Et  qui  couvrit  tous  ses  défaux. 
Du  voile  spécieux  de  Prude. 


Epitaphe  d'un  Historien. 

Cy  gist  un  Historien 
Trop  bien  payé  de  ses  veilles; 
Il  écrivit  des  merveilles, 
Et  personne  n'en  crût  rien. 


Epitaphe  d'un  Mary  fâcheux. 

Cy  gist  un  de  ces  gens  par  malheur  trop  peu  rares. 
De  ces  maris  lourds  et  bizares, 

Que  l'on  ne  laisse  pas  de  souffrir  tels  qu'ils  sont 
Et  qu'ils  affectent  de  paroître , 
Et  qui  font  regretter  le  Cloître 
Aux  honnêtes  femmes  qu'ils  ont. 


LE    CY    GIST.  193 


Épitaphe  d*un  Gouverneur. 

Cj  gist  qui  fut  tout  plein  des  bons  desseins  qu'il  eut, 
Et  qui  n'osa  jamais  pouvoir  ce  qu'il  voulut , 
N'ayant  d'un  Gouverneur  que  l'ombre,  que  l'écorce; 
Et  les  égards  qu'il  avoit , 
Firent  qu'il  n'eut  pas  la  force  1 

De  vouloir  ce  qu'il  pouvoit.  \^ 


Épitaphe  d'un  Cagot. 

Cy  gist  dont  la  conduite  en  mourant  fut  sinistre  ; 

Un  qui  faisoit  le  cagot , 

Et  qui  sentoit  le  fagot  : 
On  embarrasse  à  moins  le  Prêtre  et  le  Ministre. 


Epitaphe  d*un  Homme  d'esprit. 

Cy  gist  qui  n'eut  point  de  prix; 
Entre  les  plus  beaux  esprits, 

17 


194  LE    CY    GIST. 

Et  poly  dés  sa  jeunesse 
Satisfit  avec  éclat 
\      A  l'ignorante  finesse 
Du  Courtisan  délicat. 


Epitaphe  d'une  Femme  galante. 

Cy  gist  une  femme  fort  belle , 
Mais  qui  rendit  enfin  ses  charmes  superflus, 
Et  de  qui  l'on  ne  vouloit  plus, 
Tant  elle  fit  bon  marché  d'elle. 


Épitaphc  de  Mahomet  IV. 

Cy  gist  le  Grand  Seigneur  qui  fut  dépossédé  : 
N'est-ce  pas  être  décédé? 
Il  crut  avoir  bien  fait  des  siennes 
D'étrangler  son  premier  Visir; 
De  noyer  ses  chiens  et  ses  chiennes , 
D'avoir  tant  pris  sur  son  plaisir: 
Est-il  cruauté  qu'il  n'ait  faite, 
Afin  d'apaiser  son  Prophète  ? 


E    CY    CIST.  195 


Il  s'attendoit,  après  cela, 
A  vaincre  tout,  et  le  voilà. 


Épitaphe  d'un  Commis. 

Cy  gist  le  beau  Commis  d'un  vieil  Homme  d'affaire , 
Possesseur  d'un  trésor  dont  il  n'avoit  que  faire; 
A  l'honneur  de  son  Maître  il  attenta,  dit-on. 
Un  petit  poil  folet  ombrageoit  son  menton, 

Et  l'autre  avoit  la  barbe  grise; 
L'un  étoit  un  badin,  l'autre  étoit  un  Caton. 
L'Épouse,  jeune  et  fîère,  en  parut  fort  surprise; 
Avec  elle  il  osa  le  prendre  sur  le  ton 

D'un  Icare  et  d'un  Phaéton, 
Hormis  qu'il  vint  à  bout  de  sa  haute  entreprise. 


Épitaphe  d'un  Homme  débauché. 

Cy  gist  qui  se  décria  fort , 
Et,  toujours  ayant  pris  à  gauche, 
S'estoit  long-temps  avant  sa  mort 
Enseveli  dans  la  débauche. 


96  LE    CY   GIST. 


Épitaphe  d*unt  Femme  sçavanU. 

Cy  gist  une  Sçavante,  incapable  en  effet 
De  se  rendre  à  des  gens  d'une  certaine  étoffe , 
Qui  mourut  en  couche  du  fait 
D'un  Docteur  ou  d'un  Philosophe. 
Et  qui,  d'un  goût  au  sexe  assez  particulier, 
Eût  choisi  le  Régent  plutôt  que  l'Écolier. 


Épitaphc  d'un  Homme  de  guerre. 

Cy  gist  qui  prétendoit  s'élever  par  la  guerre 
Pour  un  ambitieux  il  a  bien  peu  de  terre. 


Épitaphe  d'une  Coquette. 

Cy  gist  une  Coquette  à  vouloir  mettre  en  feu 
Jusqu'au  cœur  le  plus  ferme  et  le  plus  intrépide  : 
Je  croi  que  chez  les  Morts  elle  s'ennuye  un  peu  , 
Ne  s'accommodant  pas  de  ce  Peuple  insipide. 


LE    CT    GIST. 


'97 


i 


Épitaphc  d^un  Faux  Brave. 


Cy  gist  qui  fit  le  brave,  et  n'estoit  qu'un  poltron , 
Prenant  un  Cavalier  pour  tout  un  Escadron. 


Épitaphc  d'un  Amant. 

Cj  gist  le  tendre  Amant  d'une  jeune  Maîtresse  ; 

Elle  en  seroit  morte  d'ennui, 
N'estoit  qu'elle  perdit  sa  douleur  dans  la  presse 

Des  Amans  qu'elle  eut  après  lui. 


Épitaphe  d'un  Avare  et  d'un  Gueux, 

Cy  gist  un  riche  Avare,  auprès  d'un  pauvre  Hère 
L'un  aima  trop  ses  biens,  et  se  damna  pour  eux; 
L'Autre  est  encor  plus  malheureux. 
Qui  se  damna  par  sa  misère. 

17- 


198  LE    CY    G!ST. 


Épitaphe  d'une  Laide. 

Cy  gist  une  laide  qui  plut 

Au  préjudice  d'une  belle, 

Qui  malgré  la  beauté  qu'elle  eut, 

Ne  fit  pas  tant  de  progrez  qu'elle. 


Épitaphe  d'un  Homme  de  néant  orgueilleux. 

Cy  gist  un  homme  de  néant,    . 
Vray  nain  qui  faisoit  le  géant; 
Franc  Roturier  sous  l'or  et  sous  la  soye, 
Qui  se  piquoit  de  qualité, 
I    \  Égal  aux  Nobles  morts,  mais  il  n'a  pas  la  joye 
•  De  sentir  cette  égalité. 


Épitaphe  d'un  Architecte. 

Cy  gist  un  bon  Architecte, 
Dont  la  propreté  paroît 


LE    CY    GIST. 

En  cent  lieux  où  l'on  affecte 
D'habiter,  tant  on  s'y  plaît, 
Et  maintenant  il  infecte 
L'endroit  où  lui-même  il  est. 


Epitaphe  d'une  Femme  belle  et  vertueuse. 

Cy  gist,  qui  parut  belle  et  très-belle,  vous  dis-je 
Qui  n'aima  rien  que  son  époux  : 
^   Ce  n'est  pas  un  petit  prodige, 
Ayant  le  don  de  plaire  à  tous. 


Epitaphe  d'un  Homme  abstinent  et  d'un  dissolu. 


Cy  gist  à  qui  là  vie  avoit  été  trop  chère, 
Qui  par  son  abstinence  à  la  fin  s'en  priva; 
Cy  gist  qui  fit  si  bonne  chère 
Qu'il  en  creva. 


199 


200  LE    CY    GIST. 


Épiiaphc  d'une  Femme  mondaine, 

Cy  gist  qui  mit  tout  en  usage 
Pour  être  belle,  et  trait  pour  trait 
Se  retoucha  comme  un  portrait, 
Et  se  fit  un  autre  visage. 


Épitaphe  d'un  Homme  à  bonne  fortune, 

Cj  gist  un  jeune  fat  qui  crut  se  surpasser, 
Allant  de  belle  en  belle,  et  n'en  aimant  aucune, 
Et  qui  ne  vouloit  que  passer 
Pour  un  homme  à  bonne  fortune. 


Epitaphe  d'un  Chicaneur. 

Cy  gist  un  Chicaneur  qu'on  avoit  dédaigné. 
Et  par  qui  sa  partie  au  bissac  fut  réduite; 
Mais  qui  se  ruina  lui-même  à  la  poursuite 
Du  Procès  qu'il  avoit  gagné. 


LE    CY    GIST.  201 


Épitaphe  d*un  Kentier  (t  d*un  Intendant. 

Cy  gist  qui  vivoit  de  ses  rentes; 
Et,  comme  il  est  pour  tous  des  places  différentes, 
Un  Intendant  est  bien  plus  bas  que  luy. 
Qui  vivoit  des  rentes  d'autruy. 


Épitaphe  d'une  Amante. 

Cy  gist  à  son  Galant  une  Amante  fidelle, 
Vrai  Phénix,  merveille  en  ce  point! 

Et  lui,  de  son  côté,  ne  s'en  consola  point, 
Autre  Phénix,  aussi  bien  qu'elle! 


Épitaphe  d'un  Homme  paisible. 


Cy  gist  qui  goûte  en  paix  son  assoupissement  : 
Ayant  vécu  sans  trouble,  il  mourut  doucement 


LE    CY    GIST. 


Épitaphe  d'un  bon  Mary. 

Cy  gist  un  bon  Mary,  dont  l'exemple  est  à  suivre, 
Patient  au  delà  du  temps  qu'il  a  vécu, 

Qui,  pour  avoir  cessé  de  vivre, 

Ne  cessa  pas  d'être  cocu. 


Épitaphe  de  sa  Veuve. 

Cy  gistj  non  loin  de  lui,  sa  moitié  peu  sauvage. 
Qui  ne  s'apperçut  point  qu'elle  manquoit  d'époux, 
Et  touchant  ses  devoirs,  sinon  fidelle  à  tous, 
Au  moins  fidelle  à  son  veuvage. 


Epitaphe  d'un  Homnie  vain. 

Cy  gist  qui  se  fût  bien  passé         "^ 
D'être  maintenant  in  pace. 
Et  luy  qui  crut  atteindre  en  plus  d'une  manière 
A  la  perfection  dernière, 


LE    CY    GIST.  2o3 

A  peine  étoit-il  trépassé, 
Qu'un  autre  vint  dont  il  fut  surpassé. 

Prouvons  encore  mieux  la  misère  où  nous  sommes, 
En  remontant  [soudain]  jusques  aux  plus  grands  Hommes. 


Épitaphe  des  plus  grands  Héros. 

Cy  gist  un  Conquérant  qui  mit  le  feu  par  tout, 
Et  qui  fut  annonce  même  par  des  Comettes  ; 
Que  sçait-on,  si  là-bas,  tête  nue  et  debout. 
Il  n'est  point  au-dessous  d'un  Crieur  d'alumettes  ? 
Cy  gist  Pompée,  Alexandre,  César. 
Ils  eurent  beau  triompher  sur  un  char, 
Ce  fier  cy  gist  les  en  fit  bien  descendre  ; 
Et  quelque  noble  enfin  que  soit  leur  cendre, 
Mal-aisément  ils  la  démêleront; 
Il  en  viendra  qui  les  égaleront, 
S'il  n'en  est  pas  qui  déjà  les  effacent; 
Mais,  après  tout,  quoy  que  les  Héros  fassent. 
Qu'en  reste-t-il?  qu'un  son  léger  et  vain 
Dont,  tost  ou  tard,  cy  gist  est  le  refrain? 


204  ^^   ^^   CIST. 


Épitaphc  de  VAuUur. 

Cy  gist  qui  fit  ces  vers  touchant  une  Morale 
Aussi  triste  que  générale, 
Et  qui  les  fit  pour  essayer 
De  radoucir,  ou  d'égayer, 
En  quelque  sorte,  une  matière 
D'Épitaphe  ou  de  Cimetière  : 
Qui  n'est  pas  défunt,  mais  qui  dort, 
Apprenant  à  mourir  auparavant  qu'il  meure, 
Et  qui  s*est  enterré  luy-même  de  bonne  heure, 
Pour  voir  ce  qu'on  diroit  de  luy,  s'il  estoit  mort. 
S'imagine-t-il  qu'on  le  pleure, 
Ou  qu'on  s'en  soucie?  il  a  tort. 

Que  tous  ceux  qui  peu  s'en  affligent 
Ne  lui  disent  mot ,  le  négligent  ; 
Tel  est-il  pour  eux  aujourd'huy. 
Il  garde  le  même  silence, 
Et  leur  rend  toute  l'indolence 
Qu'ils  affectent  d'avoir  pour  luy. 
Autour  de  sa  personne  est  la  foule  éclaircie 


LE    CY    GIST.  ,  2o5 

De  ces  amis  de  Cour,  bruyans,  tumultueux, 

Faibles,  peu  chauds^  mais  fastueux, 
Et  la  pierre  qu'il  croit  avoir  dans  la  vessie 

Luy  semble  encor  moins  dure  qu'eux; 
Durs,  la  pluspart  comme  gens  belliqueux. 

Envisageant  son  dernier  terme. 

Il  n'est  pas  moins  gay  qu'il  est  ferme  : 
On  diroit  que  la  mort  luy  cause  peu  d'efîroy, 

A  son  stile,  comme  à  sa  mine; 

Et  qui  la  sent  si  prés  de  soy, 

Qui  la  taste,  qui  l'examine. 
Doit  bien  être  enjoué,  du  moment  qu*il  badine 

Avec  une  telle  voisine. 


FIN. 


i8 


Remerciment  de  l'Auteur  à  Messieurs  de  VAca- 
démie  lors  qu'il  fut  receu. 

Messieurs, 

CE  seroit  un  mauvais  début,  pour  un  nouvel 
Académicien,  que  de  vous  fatiguer  d'un 
long  discours;  et  j'ai  hâte  d'estre  quitte  d'un 
Compliment  qui  sent  la  Harangue,  et  qui  mar- 
que bien  moins  la  reconnoissance  que  la  cou- 
tume. Souffrez  cette  impatience,  d'autant  plus 
excusable  qu'elle  est  d'un  homme  qui  jusqu'ici 
ne  vous  a  point  paru  trop  pressé,  puisque  c'est 
ensuite  d'une  réflexion  de  plusieurs  années  sur 
son  peu  de  mérite  qu'il  se  voit  enfin  revêtu  du 
glorieux  titre  de  votre  Confrère.  Nous  avons 
eu  de  part  et  d'autre  des  mesures  à  garder  et 
des  scrupules  à  vaincre.  Vous  avez  prétendu, 
peut-estre,  que  je  n'y  avois  point  apporté  les 


REMERCIMENT 


formalitez  et  les  diligences  nécessaires;  et  j'ai 
crû  que  c'estoit  faire  les  pas  pour  y  parvenir, 
que  de  tâcher  à  m'en  rendre  digne. 

L'Académie  est  illustre  en  son  origine  et  en 
son  progrez;  un  puissant  Génie,  qui  n'a  rien 
fait  que  de  grand  et  que  de  noble,  en  a  esté  le 
Fondateur;  elle  est  sortie  de  cette  même  Tête, 
d'où  tant  d'autres  merveilles  sont  sorties  pour 
l'éternelle  félicité  de  l'Estat;  elle  est  composée 
d'excellens  Esprits;  l'Érudition  et  la  Politesse 
y  régnent;  les  premières  Dignitez  y  brillent: 
et  comme  la  Pourpre  et  le  Ministère  l'ont  éta- 
blie, il  y  entre  encore  aujourd'huy  du  Ministère 
et  de  la  Pourpre. 

Quand  il  ne  seroit  point  de  mon  devoir,  par 
vos  Règles,  de  parler  de  feu  M.  le  Chancelier 
Protecteur  de  vostre  Compagnie  ,  je  n'en  lais- 
serois  pas  échapper  l'occasion  par  le  tendre 
respect  que  j^ay  pour  sa  mémoire  ;  et  je  répan- 
drois  volontiers  tout  mon  esprit  et  tout  mon 
cœur  sur  un  sujet  qui  fut  l'ornement  de  son 
siècle,  et  qui  me  sera  toujours  précieux.  Mais 
afin  de  le  bien  louer,  je  n'ay  simplement ,  et 


A     MESSIEURS     DE     LACADEMIE.  209 

sans  le  secours  des  paroles,  qu'à  vous  faire  ob- 
server ces  trois  Tableaux  que  vous  voyez,  selon 
que  je  vous  les  nomme,  Richelieu  ,  Séguier  , 
Louis;  quel  Rang  pour  le  second,  et  par  con- 
séquent quel  Éloge  ! 

Auguste  lui-même  ne  dédaigne  point  de 
succéder  à  Mecenas  et  de  se  déclarer  en  faveur 
des  Muses;  il  vous  protège;  il  vous  loge  dans 
son  Palais;  il  vous  approche  de  sa  Personne 
sacrée,  et  vous  donne  lieu  de  l'examiner  à  loi- 
sir. Vous  qui  estes  comptables  à  la  Postérité  des 
moindres  actions  de  sa  vfe ,  s'il  y  a  du  plus  ou 
du  moins  en  ce  qui  est  parfait. 

J'avoue  ma  foiblesse  et  le  véritable  motif  qui 
m'a  fait  aspirer  à  estre  de  vostre  Corps;  je  n'ay 
pu  tout  seul  soutenir  plus  long-tems  l'idée  que 
j'ai  conçue  de  nostre  Monarque  ;  et  me  sen- 
tant accablé  du  poids  de  sa  gloire,  j'ai  pensé 
combien  il  me  seroit  avantageux  de  me  joindre 
à  vous,  et  de  mêler  une  foible  voix  dans  vos 
Concerts  et  dans  vos  Chants  de  triomphe  ;  sur 
tout  après  que  Sa  Majesté  auroit  mis  la  der- 
nière main  aux  grandes  choses  qu'Elle  médite 

18. 


210  REMERCIMENT   A    MESSIEURS    DE    LACADEMIE. 

et  qui  nous  donneront  tant  à  méditer.  Voilà 
déjà  ce  Prince  en  campagne,  qui  pousse  bien 
loin  devant  luy  sa  renommée,  et  la  terreur  de  ses 
justes  Armes  ;  la  Fortune  et  la  Victoire  le  sui- 
vent de  prés,  et  renouvellent  entre  ses  mains 
leur  serment  de  fidélité.  Il  marche  accompagné 
de  son  activité  infatigable,  de  sa  fermeté  ma- 
gnanime, de  son  courage  intrépide,  de  sa  pru- 
dence consommée,  et  du  reste  de  ses  hautes  et 
Royales  qualitez,  où  l'expression  ne  sçauroit 
atteindre. 

Je  finis,  et  n'ay  garde  de  m'embarquer  mal  à 
propos  sur  une  Mer  fameuse  par  ses  écueils.  Il 
faudroit  que  j'eusse  la  force  héroïque  de  celuy 
dont  je  n'ay  que  la  place,  pour  m'en  acquitter 
dignement,  et  pour  vous  obliger  à  applaudir  à 
vous-mêmes  du  choix  dont  vous  avez  bien  voulu 
m'honorer. 


TABLE 


DES    POÉSIES    CONTENUES    DANS    CE   VOLUME, 


Pages. 

VINGT  SONNETS  sur  la  beauté  et  sur  la  laideur.    ...  i 

Rupture,  STANCES 27 

A  Monsieur  Esprit ,  SONNET 84 

Sur  la  ville  de  Paris,        Id 3  5 

Sur  une  voye  de  bois,   STANCES 36 

Jalousie,                            Id 38 

Je  languis  dans  les  fers  ...  MADRIGAL 41 

Contre  une  Laide,  STANCES 42 

Par  mes  regards,  jugez  démon  martyre....   CHANSON.  45 

Vers  de  Mademoiselle  Pascal,  STANCES 46 

Réponse  aux  vers  précédens,             Id.          5o 

S'il  faut  que  chacun  ait  le  sien....  CHANSON 53 

Non,  je  ne  prétens  pas. ..  Paroles  pour  un  AIR 53 

J'avois  brisé  mers  fers....   AUTRES 54 


312  TABLE. 

Pages. 

Je  rougis,  je  pâlis....   AUTRES 55 

Pour  une  fille  qu'il  appelloit  son  bien....   ÉPIGRAMME  .  55 

L^ambassadeur  de  Suède  à  la  Reine  de  Natolie,  SALUT.  56 

Un  pauvre    Homme  apperçut....       ÉPIGRAMME.    .    .  59 

Embrassant  ses  petits,  le  singe  s'en  défait...     Id.         ...  59 

Pour  les  filles  de  la  Reine,   STANCES 60 

Un  fat  trouve  un  trésor....    ÉPIGRAMME 63 

Un   de  ces  médecins,...                Id.              65 

A  Madame  de  Hautefort,   STANCES 64 

A  Iris,                           SONNET 69 

Autre  à  Iris,                           Id 70 

Alors  la  muse  fatiguée,       Id 71 

Sur  une  coquette,                Id 72 

Pour  la  même,                     Id 78 

Les  plus  fiers  animaux,       Id 74 

Sur  la    Tontine 75 

Le  faux  adieu,   STANCES 76 

Sur    la    mort     d'un  'perroquet,    SONNET    EN    BOUTS 

RIMEZ 79 

Pour  Madame  de  Leuville,  SONNET  EN  BOUTS  RIMEZ.  80 

Contre   une   vieille,            STANCES 81 

Espoir,                                          Id.         .    .         84 

A  Mademoiselle  de  Guerchy,     Id 88 

Soupçons,                                    Id 90 

Pour  une  femme  grosse....   MADRIGAL 98 

Sur  l'Amour....  SONNET  EN  BOUTS  RIMEZ 94 

A  Mademoiselle   de  Brionne,   STANCES 95 


TABLE.  2l3 
Pages. 

Je  mourray  trop  de  désir..,.   ÉPIGRAMME 99 

L'Amour,  STANCES -  100 

Ne  croyez  pas  que  la  vengeance....  ÉPIGRAMME.    .    .  102 

Pour  son  époux  mourant....                          Id.              .    .  102 

A  Iris,  STANCES io3 

Sur  Job^    SONNET 107 

Glose  de  Monsieur  Sarrasin,  sur  le  sonnet  de  M.  de  Ben- 

seradeà  M.  Esprit,   STANCES 108 

Sur  le  retour  de  M.  le  cardinal  Mazarin 112 

A  Mademoiselle  de  Guerchy ,  contre  Mariamne,  STANCES .  1 1  3 

Plainte,  STANCES iif 

A  la  petite  chienne  de  Madame  la  Comtesse  de  F***.   .    .  118 
Sur  le  chat  de  Madame  des  Houillières  ...  SONNET  EN 

BOUTS   RIMEZ 121 

A  Madame  des  Houillières 122 

Au  bout  du  compte,  quelque  playe....   RONDEAU    .   ,  i25 

A  une  belle  insensible  qui  demandait  des  vers,  STANCES.  126 

Sur  un  portrait,  STANCES i3o 

A  Madame  de  Hautefort pour  le  Roy,  STANCES.    ...  182 

Jeune  Divinité  ,   SONNET i36 

Pour  M.  le  marquis  del  Carette,     SONNET 137 

Sur  la  mort  de  Monsieur  le  Prince,  Id i38 

Plainte  du  cheval  Pé gaze,   STANCES 139 

Ce  qu'il  faut  pour  un  poëte,   SONNET 143 

Tircis  dans  nos  bois apperçut —   AIR 144 

Pour  Monsieur  Perraut,  SONNET 14^ 

Le  monde  va  le  train,  SONNET  EN  BOUTS  RIMEZ    .  146 


214  TABLE. 

Pages. 

Sur  une  nouvelle  affection,  STANCES 147 

Le  Jaloux,  STANCES i5o 

Regrets i53 

Plainte  d'un  Amant  à  sa  Maîtresse,  STANCES i  56 

L'Amant  indifférent,   STANCES 169 

Sur  l'amour  d'Uranie  avec  Philis,   STANCES i65 

Pour  les  filles  de  la  Reine,                    Id.              ....  174 

Pour  Mademoiselle....  MADRIGAL 177 

Description  de  sa  maison  de  Gentilly,  STANCES.    ...  178 
LE  CY  GIST,  ou  diverses  ÉPITAPHES  pour  toute  sorte  de 
personnes  de  l'un  et  de  l'autre  se.re,  et  pour  l'Auteur 

même,  quoique  [vivant i8i 

Remerctment  à  Messieurs  de  l'Académie 207 


ynivers/taT 
BIBLIOTHECA 


Achevé  d'imprimer 

LE     VINGT     MARS     MIL     HUIT     CENT     SOIXANTE -QUINZE 

PAR      D.      JOUAUST 

IMPRIMEUR  BREVETÉ 

338,    Rue    Saint-Honoré,    338 
A  PARIS 


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05  DEC.  '"92 


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•Al     1875 
COG        BENSERÂOE» 
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I     POESIES    DE